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Full text of "Chansons populaires du Canada"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

Universityof  Ottawa 


littp://www.archive.org/details/chansonspopulaiOOgagn 


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CHANSONS  POPULAIRES 


DU 


CANADA 


Typographie  de  C  Darveau 


DEUXIEME  EDITION 


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J 


DU 


CANADA 


RECUEILLIES  ET  PUBLIÉES  AVEC  ANNOTATIONS,   ETC. 


EKNIÎST   GAGNON 

Membre  de  l'Académie  de  musique  de  Québec;  membre  corresjocdaDt 

de  la  Société  des  compositeurs  de  musique  de  Paris, 

etc.,  etc.,  etc. 


QUEBEC 

ROBERT    MORGAN,    ÉDITEUR 

1880 


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LE 


^^^0't*'wetMe€tt=  t:^S-en«ia€  <ltt    ^Wattacia^ 


oe   volume  est  respeotueusement   dédié  par 

Le  compilateur  et  auteur  : 

ERNEST   GAG  NON. 


PRÉFACE 


Le  nombre  de  nos  chansons  populaires  est  incalculable. 
Ce  volume  en  contient  juste  cent,  que  j'ai  choisies  paimi 
les  plus  connues  et  parmi  celles  (jui  ollïent  un  ty[)e  [larti- 
culier. 

Les  premiers  chants  que  le  polit  Canadien  entend  au 
berceau,  sont,  presque  toujours,  à  [lart  les  improvisations, 
des  chansons  qui  nous  viennent  de  France,  comme: 

C'e^t  la  poulette  grise, 
Qui  pond  (Jars  l'églis''; 
Elle  va  pondre  un  p'tit  coco, 
Pour  le  p'tit  qui  va  faire  dodo. 

Simultanément,  et  avant  même  qu'il  puisse  aller  à 
l'église,  il  entend  des  cantiques,  puis  des  psaumes,  des 
hymnes  et  en  général  des  chants  de  la  grande  mélopée 
grégorienne. 

Plus  tard  il  connaîtra  les  innombrables  chansons  qui 


viii  PRÉFACE 

se  chantent  dans  sa  paroisse;  et  lorsque,  le  soir,  après 
une  chaude  journée  d'été,  il  reviendra  se  reposer  de-  son 
travail,  balancé  par  le  mouvement  de  sa  charette  aux 
hautes  héridelles,  et  mollement  couché  sur  un  moelleux 
et  odorant  voyage  de  foin,  on  l'entendra  murmurer  d'une 
voix  monotone  mais  douce,  quelques  uns  de  ces  mots,  de 
ces  noms  si  chers  qui  rappellent  l'ancienne  mère-patrie  ; 
ou  bien,  sur  les  cages  ou  dans  le  canot,  il  chantera  la 
belle  Françoise  ou  la  complainte  d'un  malheureux  voya- 
geur noyé  dans  les  rapides,  ou  encore  le  beau  Kijrie  que 
chantent  à  l'église  ceux  qui  lui  sont  chers  et  qui  sont 
restés  dans  la  paroisse  natale,  sur  le  bie7i  paternel. 

Un  écrivain  français  qui  s'est  occupé  de  nos  chants 
canadiens,  écrivait  naguère  que  souvent  une  chanson  est 
un  monument  plus  solide  que  les  monuments  de  bronze 
ou  de  granit.  On  y  rencontre  parfois  des  couplets  ou 
même  un  seul  mot  qui  vous  reportent  à  des  siècles  en 
arrière,  comme,  par  exemple,  la  ronde  "  Il  n'y  a  qu'un 
seul  Dieu,"  traduction  littérale  d'une  des  séries  chrétiennes 
substituées  diWx  séries  druidiques,  et  l'expression  la  Guignolée, 
dont  l'origine  indubitable  est  le  chant  ou  le  cri  dridique  : 
au  gui  Van  neuf!  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  chansons 
ont  cette  faculté,  que  n'ont  pas  les  obélisques,  d'aller 
s'asseoir  au  foyer  de  toutes  les  familles,  de  suivre  le  mis- 
sionnaire ou  le  pionnier  dans  la  forêt,  de  rappeler  un 
événement  à  mille  lieues  de  l'endroit  où  il  s'est  passé,  et 
sur  plusieurs  points  à  la  fois. 

Les  menhirs,  les  dolmens  et  les  cromlechs,  que  l'on  ren- 
contre à  chaque  pas  dans  certaines  parties  de  la  Bretagne, 
ne  sont  des  monuments  que  pour  les  Bretons  ou  ceux  qui 
vont  les  voir  en  Bretagne,  tandis  que  des  chants  qui  ont 


PRÉFACE  ix 

avec  ces  monuments  communauté  d'origine  sont  chantés 
partout  où  se  trouvent  des  descendants  de  Kimris  ou  de 
Gaulois  :  h  Chartres,  à  Pékin,  à  Alger  et  jusque  dans  le 
pays  des  Algonquins. 

Avant  d'entrer  dans  plus  de  détails  au  sujets  de  nos 
chants  populaires,  citons  quelques  verbiages  d'enfants, 
quelques  uns  de  ces  petits  riens  qui  se  répètent  de  géné- 
ration en  génération,  et  qui,  presque  tous,  nous  viennent 
de  France  (*)  : 

—Ventre  de  son,—  estomac  d'grue,—  falle  de  pigeon,— 
menton  fourchu,—  bec  d'argent,-  nez  cancan,—  joue 
bouillie,—  joue  rôtie,—  p'tit  œil,—  grot  œil,—  soucillon, 
—  soucillette,—  cogne,  cogne,  cogne  la  mailloche  ! 

-Celui  là  (le  pouce)  a  été  à  la  chasse  ;  celui-là  (l'index) 
l'a  tué  ;  celui-là  (le  majeur)  l'a  plumé  ;  celui-là  (l'annu- 
laire) l'a  fait  cuire,  et  celui-là  (l'auriculaire)  l'a  tout  mangé, 
tout  mangé,  tout  mangé  ! 

—Monte  échelle  I—  monte-là  '.—  monte  échelle  !— monte- 
là  !_  p'tit  trou,—  casse-cou.—  Qu'est-ce  qu'i'  y  a  dedans  ? 
— D'I'or  et  d'I'argent,—  Qui  est-ce  qui  l'a  mis?—  Père  et 
mère.—  Qui  est-ce  qui  l'ôtera  ?—  Frère  et  sœur.— Tourne, 
tourne,  tourne,  mon  petit  baril:  celui  qui  rira  le  premier 
aura  un  petit  soufilet  ! 

—P'tit  couteau  d'or  et  d'argent,  ta  mère  t'appelle,  va- 
t'en  !  ' 
—Une  pomme,   deux  pommes,   trois  pommes,  quatre 

(*)  Voir  les  Chants  et  Chansons  2>opuIaire8  des  provinces  de  l'Ouest,  par  M. 
J.  Bujeaud,  et  les  Citants  et  Chansons  poj.ndairea  du  Cambréais,  i^a,T  MM. 
Durieux  et  Bruyello. 


X  PRÉFACE 

pommes,  cinq  pommos,  six  pommes,  sept  ]»ommos,  huit 
pommes,  pouimes  nnif  ! —  J'm'eii  délends  ! 

— Riche,  pauvre,  coquiu,  voleur,  riche,  pauvre,  coquin, 

voleur,  riche (ceci  est  une  sorte  d'horoscope  qui  se 

tire  sur  leshoutons  de  Thahit). 

— Il  est  midi. —  Qui-c'  qui  l'îi  dit  ?  -  C'est  la  souris. — 
Où  est-elle  ?—  Dans  la  chapelle.—  Que  fait-elle?—  De  la 
dentelle. —  Pour  (]ui? —  Pour  ces  demoiselles. —  Gouibieii 
la  vend-elle? —  Trois  quarts  de  sel. 

— Un  i,  un  l, 

Ma  tante  Michel  ; 
Un   i  un  um, 
Cagi,  cajum  : 
Ton  pied  bourdon, 
José  Simon  ; 
Griffor,  pandor. 
Ton  nez  dehors  ! 

Un  bon  nombre  de  nos  chansons  populaires  se  chantent 
encore,  avec  plus  ou  moins  de  modifications  et  de  va- 
riantes, dans  les  provinces  de  France  (*)  : 

(*)  Plusieura  de  nos  chansons  se  chantent  en  France  avec  des  variantes 
lascives  que  nous  ne  connaissons  pas  en  Canada.  De  là  il  suit  évidemment 
qu'il  a  dû  se  faire  ici  un  travail  d'expurgation  à  une  date  quelconque, 
ou  peut-être  insensiblement.  Or,  canx  qui  connaissent  l'histoire  des 
premiers  temps  de  la  colonie,  —  alors  que  l'on  ne  permettait  qu'à  des 
hommes  exemplaires  d'émigrer  au  Canada,  et  que,  suivant  les  chro- 
niques du  temps,  ceux  dont  la  vertu  était  un  peu  douteuse  semblaient  se 
purifier  par  la  traversée  ;  alors  que  toute  la  colonie  naissante  ressemblait  à 
une  vaste  communauté  religieuse,  et  que  les  missions  huronnes  rappelaient 
les  âges  de  foi  de  la  primitive  Eglise. —  ceux-là,  dis-je,  comprendront  facile- 
ment qu'à  cette  époque,  on  n'aurait  jamais  osé  chanter  devant  ses  frères  des 
couplets  obscènes,  et  que  le  peuple  a  pu,  de  lui-méii;e,  introduire  dans  cer- 
taines chansons  les  variantes  qui  nous  sont  restées  et  qui  les  dégagèrent  de 
toute  immoralité.  ' 


PRÉ  F  ACE  xi 

Derrière  chez  nous  ya-t-un  étang, —  Lu  fille  du  mi  (TEspa- 
gne, — Cest  dans  Paris  ya-l-une  brune^—  Entre  Paris  et  Saint- 
Denis^ —  se  chantent  dans  les  départements  de  FOiiest. 

Cécilia  et  Isabeuu  s'y  promène^ —  se  cliantent  en  Cham- 
pagne. 

Gai^  Ion,  la,  gai  le  rosier, —  se  chante  dans  hi  Saintonge 
et  le  Bas-Poiton. 

Mon  père  a  fait  bdtlr  maison, —  se  chante  dans  la  Sain- 
tonge et  TAunis. 

fai  cueilli  la  belle  rose, —  se  chante  (tonjonrs  avec  va- 
riantes) dans  l'Angonmois,  le  Cambresis,  FArtois  et  le 
Nivernais. 

Au  bols  (lu  rosilgnolet,—%Q  chante  en  Franche  Comté  et 
aussi  en  Suisse. 

Mon  père  avait  xm  beau  champ  de  pois, —  se  chante  dans 
le  Cambresis,  la  Saintonge,  TAunis  et  l'Angoumois.  Les 
airs  ne  ressemblent  pas  anx  nôtres. 

Hier  sur  le  pont  d'Avignon, —  se  chante  dans  le  snd-est  de 
la  France,  et  aussi  dans  le  canlon  de  Vand,  en  Suisse. 

Une  perdrlole, —  se  cliante  dans  le  Cambresis. 

fai  tant  dansé,  f al  tant  sauté, —  se  chante  dans  le  Cam- 
bresis et  le  Poitou. 

Et  mol  je  m'enfuyais, —  se  chante  dans  la  Vendée  et  dans 
le  Cambresis. 

Dans  ma  main  droite  je  tiens  rosier, —  se  chante  dans 
l'Angoumois,  le  Poitou,  la  Saintonge  et  l'Aunis. 

Tal  tant  d'enfants  à  marier! —  se  chante  dans  le  nord  et 
l'ouest  de  la  France. 


xii  PRÉFACE 

Ah  !  qui  marierons  nous  ? —  se  chante  dans  le  Gambrésis. 

Un  jour  l'envie  m'a  pris  de  déserter  de  France^ —  se  chante 
dans  l'Angoumois. 

Dans  Paris  ya-t-une  brune  plus  belle  que  le  jour^ —  se 
chante  dans  le  midi,  en  langue  provençale.  (Voir  les 
Chants  populaires  et  historiques  de  la  Provence^  par  M.  D. 
Arbaud,  p.  133,  vol.  1.)  On  chante  aussi  cette  chanson  en 
langue  française,  dans  ks  départements  de  l'ouest. 

Par  derrière  chez  ma  tante  ya-t-un  arbre  planté^ —  se 
chante  dans  la  Saintonge,  l'Angoumois,  l'Aunis  et  le 
Poitou,  en  français  et  en  patois.  Les  airs  sont  tout  diffé- 
rents du  nôtre. 

Tai  trop  grand'peur  des  loups^ —  séchante  dans  le  Poitou, 
et  sur  le  môme  air  qu'en  Canada. 

Je  n'ai  pas  de  barbe  au  menton, —  se  chante  à  La  Rochelle 
et  dans  le  Bas-Poitou. 

Enfilant  ma  quenouille^— se  chante,  avec  un  refrain  diifé- 
rent  du  nôtre,  dans  la  Saintonge  et  l'Aunis. 

Bonhomme^  bonhomme, — se  chante  dans  le  Gambrésis. 

Qui  veut  manger  du  lièvre, —  se  chante  dans  le  Poitou  et 
l'Angoumois. 

A  part  les  couplets  où  il  est  question  d'un  habitant  et 
d'un  colporteur,  la  chanson  :  Je  voudrais  bien  me  marier, 
mais  fal  grand'peur  de  me  tromper  nous  vient  de  France. 
On  la  chante  en  Saintonge  encore  aujourd'hui. 

Cest  Pinson  avec  Cendroidlle, —  se  chante  dans  le  Gam- 
brésis. 

Par  derrière  chez  ma  tante  lui  ya-t-un  pommier  doux,— se 


PRÉFACE  liii 

chante  en   Franche-Comté  sur  im  air  tout  différent  du 
nôtre. 
A  Saint-Malo  beau  port  de  mer^ —  se  chante  en  Bretagne. 

Quand  fêtais  de  chez  mon  père,  jeune  fille  à  marier, —  se 
chante  dans  le  Nivernais. 

Au  jardin  de  mon  père  un  oranger  lui  ya, —  se  chante  en 
Normandie. 

La  Bibournoise, —  nous  vient  du  Dauphiné,  du  moins 
elle  s'y  chante  encore. 

Si  tu  te  mets  anguille, —  est  une  légende  bien  connue  en 
France;  c'est  elle  qui  a  inspiré  à  Mistral  le  délicieux 
chant  de  Magali,  dans  son  poëme  de  Miréio — poème  écrit 
en  langue  provençale,  comme  chacun  sait. 

Quand  j^étais  chez  mon  père, —  la  légende  de  la  jeune 
fille  qui  rencontre  "  trois  cavaliers  barons  " —  se  chante 
dans  toutes  les  parties  de  la  France,  mais  avec  des  refrains 
et  sur  des  airs  que  nous  ne  connaissons  pas  ici. 

Enfin,  la  Claire  Fontaine,  notre  chanson  populaire  par 
excellence,  a  une  communauté  d'origine  avec  la  plupart 
des  habitants  du  Canada  :  elle  vient  de  Normandie  ! 

Cette  nomenclature,  quoique  fort  incomplète,  est  déjà 
trop  longue.  Je  ne  dirai  qu'un  mot  ici  de  nos  chansons 
de  composition  canadienne.  On  aurait  tort  de  faire  fi  de 
tout  ce  qui  n'est  pas  poésie  dans  ces  chants  ;  à  vrai  dire 
la  poésie  proprement  dite  en  est  le  plus  souvent  absente  ; 
on  n'y  rencontre  pas  de  ces  images  gracieuses  que  l'on 
remarque  dans  la  chanson  populaire  française,  comme  : 

La  plus  jeune  se  réveille  : 
— Ma  sœur,  voilà  le  jour  I 
— Non,  ce  n'est  qu'une  étoile 


Qui  veille  nos  amours  !. 


x\v  V  R  É  F  A  C  E 

Mais  il  y  a  dans  les  chants  canadiens  dos  fornios  do 
langage,  des  tours  particuliers,  des  observations,  des  traits 
de  mœurs  et  de  caractère  qui  ne  manquent  pas  de  piquant 
et  qui  ont  après  tout  leur  mérite. 

Il  n'entre  pas  dans  le  plan  do  cet  ouvrage  d'apprécier 
la  foi'me  poétique  de  nos  chants  populaires.  Je  me  con- 
tenterai d'indiquer  ici  la  règle  principale  et  presque 
unique  à  laquelle  les  poètes  rustiques  veulent  bien  s'as- 
treindre Cette  règle,  c'est  V assonance,  qu'un  auteur  fran- 
çais, M.  Raynouard,  adéfmie:  "la  correspondance  im- 
parfaite et  approximative  du  sou  final  du  dernier  mot  du 
vers  avec  le  même  son  du  vers  qui  précède  ou  qui  suit, 
comme  on  appelle  rime  la  correspondance  parfaite  du  son 
identique  final  de  deux  vers  formant  distique." 

La  longueur  du  vers  populaire  est  souvent  de  quatorze 
syllabes  on  même  davantage.  Chaque  fois  alors  que  la 
rime  est  masculine  (car  les  rimes  parfaites  s'y  rencontrent 
quelquefois)  la  césure  est  invariablement  féminine,  ou, 
plus  exactement,  sourde.  Conformément  à  l'usage,  ces 
sortes  de  vers  ont  été,  dans  ce  recueil,  brisés  à  la  césure  ; 
ainsi  les  deux  vers  : 

Par  derrière  chez  mon  j^ire — lui  ya  t-un  ho\s  joli  ; 
Le  rossignol  y  chante, — et  le  jour  et  la  nuit, 

ont  été  écrits  sur  quatre  lignes  : 

Pnr  derrièr'  chez  mon  père 

Lui  ya-t-un  bois  joli  ; 

Le  rossignol  y  chante 

Et  le  jour  ot  la  nuit,  etc.,  etc. 

Pour  ce  qui  est  de  la  doctrine  musicale  qui  découle  des 
enseignements  importants  qu'offrent  les  mélodies  popu- 


PRÉFACE  xr 

laircs,  j'ai  traité  tout  parliculièremeiit  ce  sujet  dans  les 
annota'ions  (jiii  précèdent  chacune  des  chansons  recueil- 
lies, et  sui'tùut  dans  les  remarques  générales  de  la  i\n  de 
oe  volume. 

Il  est  à  peine  besoin  dti  dire  que  ce  livre,  ([uant  à  la 
parlie  notée;,  n'est  pas, du  tout  mon  œuvre.  C'est  l'œuvre 
de  ce  compositeur  insaisissable  qu'on  appelle  le  peuple^  et 
mon  imique  préoccupation,  en  recueillant  les  chants  que 
contient  ce  volume,  a  été  de  les  rendre  tels  que  des  per- 
sonnes du  peuple,  ou  du  moins  des  personnes  non  versées 
dans  l'art  musical,  me  les  ont  chantés. 

Avant  d'entrer  en  matière  et  pour  l'intelligence  de  ce 
que  j'aurai  à  dire  au  lecteur,  on  me  permettra  de  rappeler 
ici  un  fait  extrêmement  remarquable  de  l'histoire  de  la 
musique.  Je  laisse  parler  le  regretté  dii'ecteur  du  con- 
servatoire de  Bruxelles,  l'artiste  qui,  pendant  de  longues 
années,  porta  le  sceptre  de  la  science  musicale  dans  l'Eu- 
rope et,  dans  le  monde  : 

" Il  tne  reste  ù  parler,  dit  M.  Fétis,   (*)  (î'uno   audacieuse 

iuuovatloii  qui  opéra  tout  à  coup,  vers  la  uiêuie  époque,  (la  fia  du 
XVIe  siècle)  uue  trausforuiatiou  complète  de  la  toualité,  je  veux 
dire  de  l'art  tout  eutier.  Les  règles  de  l'harmonie,  depuis  le  qua- 
torzième siècle  jusqu'à  la  fiu  du  seizième,  avaieut  proscrit  toute 
relation  de  la  note  supérieure  du  premier  demi  ton  (fa)  avec  l'in- 
férieure du  second  (st) Le  résultat  immédiat  do  cotte  prohi- 
bition était  qu'il  ne  pouvait  y  avoir  de  note  sensible  réelle  dans  la 
musique,  couséquemmeiit,  que  la  tonalité  de  la  musique  actuelle  ne 
pouvait  exister.  Car  reinarquez  qu'il  n'y  a  de  note  sensible  que 
parce   qu'il   y   a  répulsion  liarmonique   entre  la  quatrième  note  et 

(*)  Béàtimé  ^Mlosophîque  de  l'histoire  de  la  musique,  p.  CCXX  et  suivantes. 


XVI  PRÉFACE 

la  septième;  répulsion  qui  conduit  l'une  à  descendre,  l'autre  à 
monter  en  sorte  que  la  note  sensible  n'aurait  pu  naître  do  la  seule 

mélodie Eli  bien  !  ce  que  la  doctrine  avait  condamné,  ce  que 

les  siècles  (les  siècles!)  avait  proscrit,  un  homme  osa  le  faire  un 
iour.  Guidé  par  son  instinct,  il  eut  plus  de  confiance  dans  ce  qu'il 
lui  conseillait  que  dans  les  règles,  et  malgré  les  cris  d'épouvante  de 
tout  un  peuple  de  musiciens,  il  osa  mettre  en  rapport  la  quatrième 
note  de  la  gamme,  la  cinquième  et  la  septième.  Par  ce  seul  fait  il 
créa  les  dissonances  naturelles  de  l'harmonie,  une  tonalité  nouvelle, 
le  genre  de  musique  qu'on  appelle  chromatique,  et  conséquemment, 
la  modulation. 

"  Que  de  choses  produites  par  une  seule  agrégation  harmonique  ! 

L'auteur  de  cette  merveilleuse  découverte  est Monteverde 

Lui-même  s'attribue  l'invention  du  genre  modulé,  animé,  expressif, 
dans  la  préface  d'un  de  ses  ouvrages.  C'est  qu'en  effet  V accent  pas- 
sionné n'existe  et  ne  peut  exister  que  dans  la  note  sensible,  et  que 
celle-ci  ne  peut  naître  que  de  son  rapport  avec  le  quatrième  et  le 
cinquième  degré  de  la  gamme  ',  c'est  que  toute  note  mise  en  rapport 
harmonique  de  quarte  majeure  avec  une  autre,  détermine  la  sensation 
d'un  ton  nouveau,  sans  qu'U  soit  nécessaire  de  faire  entendre  une 
tonique  ou  de  faire  un  acte  de  cadence,  et  que  par  cette  faculté  de  la 
nuarte  maieure  de  créer  immédiatement  une  note  sensible,  la  modu- 
lation c'est-à-dire  la  succession  nécessaire  des  tons  différents,  devient 
facile.  Admirable  coïncidence  de  deux  idées  fécondes  !  Le  drame 
musical  prend  naissance  ;  mais  le  drame  vit  d'émotions,  et  la  tonalité 
du  plain-chant,  grave,  sévère  et  calme,  ne  saurait  lui  fournir  d'ac- 
cents passionnés,  car  l'harmonie  de  cette  tonalité  ne  ^renferme  pas 
les  éléments  de  la  transition.  Alors  le  besoin  inspire  le  génie,  et  tout 
ce  qui  peut  donner  la  vie  à  la  musique  du  drame  est  créé  d'un  seul 
coup.  Grandes  et  rapides  furent  les  conséquences  de  cette  belle  dé- 
couverte car,  dans  la  première  moitié  du  XVIIe  siècle,  l'expression 
dramatique  de  la  musique  était  déjà  parvenue  à  des  effets  d'une 
puissance  remarquable.  • 


PRÉFACÉ 


*' Moutevorile,   qui  avait  fort  bieu  aperçu  les  résultats  de 

30U  heureuse  témérité,  swus  le  ra^jport  de  l'expressiou  dramatique, 
n'eu  vit  pas  les  couséqueuces  à  l'égard  de  la  toualité.  Attaqué  avec 
vloleuce  par  quelques  zélés  partisaus  de  l'aucieuue  doctriue,  parti- 
«ulièreuieut  par  Artusi,  il  ue  comprit  pas  plus  que  ses  adversaires 
qu'il  veuait  d'auéautir  les  tous  (modes)  du  chaut  ecclésiastique  dans 
la  musi(pie  moudaiue.  Ou  peut  se  couvaiucre,  par  la  lecture  de 
quelques-uues  des  préfaces  de  ses  ouvrages,  qu'il  u'avait  pas  porté 
ses  vues  sur  cet  important  objet.  Il  u'est  pas  moins  certain,  cepen- 
<laut,  qu'après  que  l'haruiouie  des  dissonances  de  septième,  de 
neuvième,  et  celles  qui  eu  dérivent,  se  fut  introduite  dans  la  musique 
•de  cbambre  et  de  théâtre,  il  n'y  eut  plus  de  premier,  de  second,  de 
troisième  mode,  d'authentique  ni  de  plagal,  dans  la  musique  :  il  y 
■eut  un  mode  majeur  et  un  mode  mineur  ;  en  uu  mot  la  tonalité 
•ancienne  disparut  et  la  moderne  fut  créée.'" 


CHANSONS  POPULAIRES 


CANADA 


A  LA  GLAIRE  FONTAINE 

Depuis  le  petit  enfant  de  sept  ans  jusqu'au  vieillard  aux 
cheveux  blancs,  tout  le  monde,  en  Canada,  sait  et  chante 
la  Claire  Fontaine.  On  n'est  pas  Canadien  sans  cela.  La 
mélodie  de  cette  chanson  est  fort  élémentaire  et  offre  peu 
d'intérêt  au  musicien  ;  néanmoins,  à  cause  de  sa  grande 
Dopularité,  on  l'a  prise  souvent  pour  thème  d'airs  de 
danse  et  môme  de  fantaisies  de  concert.  J'ai  entendu  un 
pianiste  étranger,  dans  un  concert  donné  à  Québec,  faire 
des  arpèges  pendant  un  bon  quart  d'heure  sous  prétexte 
de  claire  fontaine.    On  chante  en  France,  en  Normandie, 


2  CHANSONS   POPULAIRES 

une  chanson  dont  les  paroles  sont,  à  peu  de  chose  près, 
les  mêmes  que  celles  de  noire  Claire  Fonlaine,  mais  l'air 
en  est  tout  différent. 


A  la  clai-    re  fou-tai-ue      M'eu  al-laut     pro-me-ner, 
J'ai  trou-vé      l'eau  si  bel-  le         Que  je  m'y         suis  baigné. 

_« V- , _,!» |\ —> — 1— — <* n 


5^-^Ei— *£EI  E!?: = ?  :Eî:E*;Ei--l  -*-=« 


Lui  ya  loug-tenips  que  je  t'aime,    Jamais  je   ue      t'oublierai. 
Variante  : 

=g^-g^r« — *— d 
Ma  mie,  ya  loug- 

A  la  claire  foutaiue 
M'eu  allant  promener, 
J'ai  trouvai  l'eau  si  belle 
Que  je  m'y  suis  baigné. 

Lui  ya  longtemps  que  je  t'aime, 

Jamais  je  ue  t'oublierai. 

J'ai  trouvé  l'eau  si  belle 
Que  je  m'y  suis  baigué  ; 
Sous  les  feuilles  d'un  chêne 
Je  me  suis  fait  sécher. 
Lui  ya  longtemps,  etc. 

Sous  les  feuilles  d'un  chêne 
Je  me  suis  fait  sécher  j 
Sur  la  plus  haute  branche 
Le  rossignol  chantait. 
Lui  ya  longtemps,  etc. 


DU  CANADA 

Sur  la  plus  haute  brauclie 
Le  rossignol  chautait. 
Chante,  rossignol,  chante, 
Toi  qui  as  le  cœur  gai. 
Lui  ya  longtemps,  etc. 

Chante,  rossignol,  chante, 
Toi  qui  a  le  cœur  gai  ; 
Tu  as  le  cœur  à  rire, 
Moi  je  l'ai-t-à  pleurer. 
Lui  ya  longtemps,  etc. 

Tu  as  le  cœur  à  rire, 
Moi  je  l'ai-t-à  pleurer  : 
J'ai  perdu  ma  maîtresse 
Sans  l'avoir  mérité. 
Lui  ya  longtemps,  etc. 

J'ai  perdu  ma  maîtresse 
Sans  l'avoir  mérité, 
Pour  un  bouquet  de  roses 
Que  je  lui  refusai. 

Lui  ya  longtemps,  etc. 

Pour  un  bouquet  da  roses 
Que  je  lui  refusai. 
Je  voudrais  que  la  rose 
Fût  encore  au  rosier. 
Lui  ya  longtemps,  etc. 

Je  voudrais  que  la  rose 

Fût  encore  au  l'Osier, 
c  Et  moi  et  ma  maîtresse 
l  Dans  les  niêm's  amitiés. 

Variante  : 

c  Et  que  le  rosier  même 

^Fût  à  la  mer  jeté. 

Lui  ya  longtemps  que  jéf  t'aime, 
Jamais  je  no  t'oublierai. 


CHANSONS   POPULAIRES 


PAR  DERRIER'  CHEZ  MON  PERE- 
VIVE  LA  CANADIENNE 

La  mélodie  de  cette  chanson  ainsi  que  celle  de  la  Claire 
Fontaine,  nous  tiennent  lieu  d'air  national,  en  attendant 
mieux.  Les  paroles  de  Par  derrier''  chez  mon  père  se  chan- 
tent encore  en  France,  en  Franche-Comté,  mais  avec  de 
notables  différences  et  sur  un  petit  air  fort  écourlé  (dix 
mesures)  qui  ne  ressemble  pas  du  tout  au  nôtre.  Il  est 
inutile  de  dire  que  les  paroles  de  Vive  la  Canadienne,  qui 
se  chantent  également  sur  l'air  qui  va  suivre,  sont  de 
composition  comparativement  récente,  et  qu'elles  ne  nous 
viennent  pas  de  France  ;  mais  je  dois  faire  remarquer  que 
le  premier  couplet  de  cette  chanson  est  le  seul  qui  soit 
généralement  connu.  Ce  n'est  pas  sans  peine  que  j'ai  pu 
me  procurer  les  autres,  qui,  comme  on  le  verra,  laissent 
beaucoup  à  désirer  sous  le  rapport  du  sentiment  poétique. 


Voix  seule  d^ abord,  puis  la  reprise  en  chœur. 

Par    derrièr'  chez  mou     pè-    re,  Vo-le,  mou  cœur, 

vo-       le.  Par  derrièr'  chez  mou       pè-  re,  Lui  ya-t-uu  pommier 


DU  CANADA 
FIN.  1  Voix  seule,  j)uis  la  reprise  en  chœur. 


doux.  Lui     ya-t-uu   pommier    doux,  doux,  doux,  Lui 

ya-t-uu  poin-mier  doux.  D.  C. 

Par  derrièr'  chez  mou  iière. 

Vole,  mon  cœur,  vole, 

Par  derrièr'  cliez  mou  père 

Lui  ya-t-un  pommier  doux. 

Lui  ya-t-uu  pommier  doux,  doux,  doux. 

Lui  ya-t-un  pommier  doux. 

Les  feuilles  en  sont  vertes, 

Vcle  mon  cœur,  vole. 

Les  feuilles  eu  sont  vertes 

Et  le  fruit  en  est  doux. 

Et  le  fruit  on  est  doux,  doux,  doux. 

Et  le  fruit  en  est  doux. 

Trois  filles  d'un  prince, 

Vole,  mon  cœur,  vole, 

Trois  filles  d'un  prince 

Sont  endormies  dessous. 

Sont  endormies  dessous,  doux,  doux, 

Sont  endormies  dessous. 

La  plus  jeun'  se  réveille, 

Vole,  mon  cœur,  vole, 

La  plus  jeun'  se  réveille: 

— Ma  sœur,  voilà  le  jour. 

Ma  sœur,  voilà  le  jour,  doux,  doux, 

Ma  sœur,  voilà  le  jour. 

— Non,  ce  n'est  qu'une  étoile, 
Vole,  mon  cœur,  vole. 
Non,  ce  n'est  qu'uue  étoile 
Qu'éclaire  nos  amours. 
Qu'éclaire  nos  amours,  doux,  doux, 
Qu'éclaire  nos  amours. 


CHANSONS    POPULAIRES 

Nos  amants  sont  en  guerre, 

Vole,  mou  cœur,  vole, 

Nos  amants  sont  en  guerre  : 

Ils  combattent  pour  nous. 

Ils  combattent  pour  nous,  doux,  doux^ 

Ils  combattent  pour  nous. 

S'ils  gagnent  la  bataille. 

Vole,  mon  cœur,  vole. 

S'ils  gagnent  la  bataille 

Us  auront  nos  amours. 

Ils  auront  nos  ;iiiiours,  doux,  doux, 

Us  auront  nos  amours. 

— Qu'ils  perdent  on  qu'ils  gagnent, 
Vole,  mon  cœur,  vole. 
Qu'ils  perdent  ou  qu'ils  gagnent, 
Ils  les  auront  tonjours. 

Vive  la  Canadienne, 

Vole,  mou  cœur,  vole, 

Vive  la  Canadienne 

Et  ses  jolis  yeux  doux. 

Et  «es  jolis  yeux  doux,  doux,  doux, 

Et  ses  jolis  yeux  doux. 

Nous  la  menons  aux  noces, 
Vole,  mon  cœur,  vole. 
Nous  la  nienous  aux  noces 
Dans  tons  ses  beaux  atours. 
Daus  tous  etc. 

Là,  nous  jasons  sans  gêne. 
Vole,  mon  cœur,  vole. 
Là,  nous  jasons  sans  gêne  ; 
Nous  nous  amusons  tous. 
Nous  nous  etc. 

Nous  faisons  bonne  chère, 
Voie,  mon  cœur  vole, 
Notis  faisons  bonne  chère 


DU  CANADA 

Et  nous  avona  bon  goût. 
Et  nous  avons,  etc. 

On  danse  avec  nos  blondes, 
Vole,  mon  cœur,  vole. 
On  danse  avec  nos  blondes  ; 
Nous  cliangeons  tour  à  tour. 
Nous  cliangeons  etc. 

On  passe  la  carafe. 
Vole,  mon  cœur,  vole. 
On  passe  la  carafe  ; 
Nous  buvons  tous  un  coup. 
Nous  buvons  etc. 

Mais  le  bonbeur  augmente, 
Vole,  mon  cœiir,  vole. 
Mais  le  bonheur  augmente 
Quand  nous  sommes  tous  soûls. 
Quand  nous  sommes  etc. 

Alors  toute  la  terre 
Vole,  mon  cœur,  vole, 
Alors  toute  la  tene 
Nous  appartient  en  tout  ! 
Nous  appartient  etc. 

Nous  nous  levons  do  table, 
Vole,  mon  cœur,  vole, 
Nous  nous  levons  de  table 
Le  cœur  en  amadou. 
Le  cœur  etc. 

Nous  unissons  par  mettre, 
Vole,  mon  cœur,  vole. 
Nous  finissons  par  mettre 
Tout  sans  dessus  dessous. 
Tout  sans  dessus  etc. 

Ainsi  le  temps  se  passe. 
Vole,  mon  cœur,  vole. 
Ainsi  le  temps  se  passe  : 
Il  est  vraiment  bien  doux  ! 


CHANSONS   POPULAIRES 


C'EST  LA  BELLE  FRANÇOISE 

J'ai  souvent  entendu  chanter  cette  chanson,  dans  le  dis- 
trict des  Trois-Rivières,  avec  la  variante  de  la  troisième 
mesure  que  l'on  verra  ci-dessous.  Tous  nos  habitants  de 
la  campagne  chantent  "Qui  veut  s'y  marier"  avec  les 
notes  si  6,  /"a,  sous  les  mots  Qui.  veut^  on  non  pas  si  h,  sol^ 
comme  on  chante  quelquefois  à  la  ville.  Cette  dernière 
manière  de  chanter  fait  perdre  à  la  mélodie  beaucoup  de 
son  caractère  et  de  son  originalité. 


i— --fl«r*==l^ 


Variantb  :     |^^E^^~^?5] 

la  belle  Fran- 


hÈiâËlÊil^=îZlifÊ2=g^1=ËiÊlÊ^ 


C'est  la  Lel-le  Frau-    çoise,  lou,    gai,  C'est  la  belle  Frau- 
çoi-se         Qui    veut  s'y  ma-ri-er,  ina  lu-  rou,  lu-     ret-  te, 


Qui  veut  s'y  ma-ri-er,  ma   lu-  rou,    lu-  ré 


C'est  la  belle  Françoise,  Ion.  gai. 
C'est  la  belle  Françoise 
Qui  veut  s'y  marier,  ma  luron,  lurette, 
Qui  veut  s'y  marier,  ma  luron,  luré. 


DU  CANADA 

Son  amant  va  la  voircj  Ion,  gai, 

Sou  amant  va  la  voire 

Bien  tard,  après  souper,  ma  luron,  lurette? 

Bien  tard,  après  souper,  ma  luron  luré. 

Il  la  trouva  seulette,  Ion,  gai. 

Il  la  trouva  seulette 

Sur  son  lit,  qui  pleurait,  ma  luron,  lurette. 

Sur  sou  lit,  qui  pleurait,  ma  lurou,  luré. 

— Ali!  qu'a'  vous  doue,  la  belle,  Ion  gai. 
Ah  !  qu'a'  vous  donc,  la  belle, 
Qu'a'  vous  à  tant  phuirer  ?  ma  luron  lurette. 
Qu'a'  vous  à  tant  pleurer?  ma  luron,  luré 

— On  m'a  dit,  hier  au  soire,  Ion,  gai, 
Ou  m'a  dit,  hier  au  soire 
Qu'à  la  guerr'  vousallisz,  maluron,  lurette, 
Qu'à  la  guerr' vous  alliez,  maluron,  luré» 

— Ceux  qui  vous  l'ont  dit,  belle.  Ion  gai. 
Ceux  qui  vous  l'ont  dit,  belle. 
Ont  dit  la  vérité,  maluron,  lurette, 
Ont  dit  la  vérité,  ma  luron,  luré. 

Venez  m'y  reconduire.  Ion,  gai, 

Venez  m'y  reconduire 

Jusqu'au  pied  du  rocher,  ma  luron,  lurette, 

Jusqu'au  pied  du  rocher,  ma  lurou,  luré. 

Adieu,  belle  Françoise,  Ion,  gai. 
Adieu,  belle  Françoise  ! 
Je  vous  épouserai,  ma  luron,  lurette. 
Je  vous  épouserai,  ma  luron,  luré. 

Au  retour  de  la  guerre,  Ion,  gai, 
Au  retour  de  la  guerre. 
Si  j'y  suis  respecté,  ma  luron  lurette, 
Si  j'y  suis  respecté,  ma  lurou  luré. 


10 


CHANSONS  POPULAIRES 


C'EST  LA  BELLE  FRANÇOISE 

(Autre  air) 
Cette  autre  manière  de  chanter  la  Belle  Françoise  nous 
vient  sans  doute  des  gens  d'en  bas  :  il  ne  fut  jamais  venu 
à  l'idée  des  habitants  des  rives  du  lac  Saint-Pierre,  par 
exemple,  d'introduire  le  mot  "•  loup-niariu"  dans  ces 
couplets.  Connue  de  tout  le  monde  dans  les  paroisses  du 
bas  du  fleuve,  la  Belle  Françoise  au  "blanc  loup-marin" 
n'est  pas  tout  à-fait  ignorée  dans  les  autres  parties  du 
pays  :  je  l'ai  entendu  chanter  tout  récemment  par  un 
Montréalais, 


^_| — S__- 


C'est     la     bel-     le  Fraii-      çoi-so 


blanc, 


;-    S^ g — f-\-^  —  ~"g'  :^- — 

blanc  loup-iiia-  rin,  C'est      la  bel-    le  Frau-     Ç'>i-    se, 


blanc,  blanc  loiip-ma-  riu,     Qui     vent  s'y         iiia-ri-    er, 


-'-w- 


blau  loup-  ma-     rin,  ma     Ion 

P-g — % — — . — ,**— =-1 :- 


la,  Qui       veut  s'y 


er,  blanc     loup-  ma-  rin  cban- 


-  jf , 


gé. 


DU   CANADA  U 


C'EST  LA  BELLE  FRANÇOISE 

{Autre  air,  recueîli  par  M.  l'ahhé  C.  H.  Laverdière) 

Les  quatres  premières  mesures  de  l'air  que  voici  sont 
absolument  les  mêmes  que  les  quatre  dernières  d'une  des 
variantes  de  Sur  le  pont  cV Avignon^  que  l'on  verra  plus 
loin.  Il  y  a  évidemment  réminiscence  dans  l'une  ou 
l'autre  de  ces  mélodies  ;  ce  dont,  au  reste,  je  ne  fais 
crime  à  personne.  Il  est  plus  d'une  partition  célèbre 
dont  il  ne  resterait  que  fort  peu  de  chose  si  toutes  les 
réminiscences  en  étaient  retranchées. 


C'est       la  belle  Frau-  çoi-se,  Ion  gai,  c'est     la  belle  Frau- 


—*^ — i» — i»» — I — ! * — - — F — I . — - 


çoi- se  Qui       veut  se  lua- ri        er,  madoo-      dai-  ne  Qui 


veut  se  ma-  ri-       er,    ma  don-       dé 


12  CHANSONS  POPULAIRES 


EN  ROULANT  MA  BOULE 

Cette  chanson  dn  Canard  blanc  se  chante  en  France, 
dans  l'ouest,  sur  un  air  qui  ressemble  un  peu  ù  tous  les 
différents  airs  sur  lesquels  nous  la  chantons  ici,  et  avec  ce 
■"efrain  que  nous  adaptons,  nous,  à  une  autre  chanson  : 
"'Je  suis  brune,  gaillarde  bruue,  je  suis  brune  gaillarde- 
ment." On  la  chante  également,  en  France,  avec  les 
refrains  suivants  : 


Je  me  nomme  Divertissant, 
C'est  moi  qui  diviTtis  les  filles, 
Je  me  uomme  Divertissant. 

Toujours  ma  boule  va  roidaut, 
Toujours  ma  boul'  va  roui',  va  roule, 
Toujours  ma  boule  va  roidaut. 

C'est  le  vent  qui  va  frétillant, 
C'est  le  vent  qui  va,  qui  frétille. 
C'est  le  vent  qui  va  frétillant. 


Passons  la  lande  gaillardement,  etc. 
J'aimons  bien  les  cotillons  rouges,  etc. 


DU   CANADA 


13 


Voix  seule,  puis  la  reprise  en  chœur. 

Eu  ruukuit  ma     bou^-i>j  rouhiut,  En  roulant  uia 
FIN.      -|  Voix  seule,  va  irise  en  chœur. 

bou-    le-  Dei-       rièr,  c'.iez  uous,  y  a-       t-uu     é-  tang, 

Voix  seule. 

■d =^ — :n ^* 1 — â j— ~^g  m-— 


En  roulant  ma        bou-    lo. 


Trois     beaux  canards  s'en 


vont  baignant,  rou-      li  roulant,  ma        boule  roulant. 


Derrièr'  chez  nous,  ya-t-un  étang, 

En  roulant  ma  boule. 
Trois  beaux  canards  s'en  vont  baignant, 
Rouli,  roulant,  ma  boule  roulant. 
En  roulant  ma  boule  roulant, 

Eu  roulant  ma  boule. 

Trois  beaux  carards  s'en  vont  baignant, 

Eu  roulant  ma  boule. 
Le  fils  du  roi  s'en  va  chassant, 
Eouli,  roulant,  ma  boule  roulant, 

En  roulant,  etc. 


Le  fils  du  roi  s'en  va  chassant, 

Eu  roulant  ma  boule. 
Avec  son  grand  fusil  d'argent, 
Eouli,  roulant,  ma  boule  roulant, 
En  roulant,  etc. 


Avec  son  grand  fusil  d'argent, 
En  roulant  ma  boule. 


li  CHANSONS  POPULAIRES 

Visa  le  noir,  tua  le  blanc, 
liouli,  roulant,  nui  boule  roulaut, 
En  roulant,  etc. 

Visa  le  noir,  tua  le  blanc, 

En  roulant  ma  boule. 
0  fils  du  roi,  tu  es  niécliant! 
Eouli,  roulant,  ma  boule  roulant, 

Eu  roulant,  etc. 

0  fils  (lu  roi,  tu  es  méchant! 

Eu  roulant  ma  boule. 
D'avoii'  tué  mou  canard  blanc, 
Eouli,  roulaut,  ma  boule  roulaut, 

Eu  roulant,  etc. 

D'avoir  tué  mon  canard  blanc. 

En  roulant  ma  boule. 
Par  dessous  l'aîle  il  perd  son  sang, 
Eouli,  roulant,  ma  boule  roulaut. 

Eu  roulant,  etc. 

Par  dessous  l'aîle  il  perd  son  sang, 

En  roulaut  ma  boule. 
Par  les  yeux  lui  sort'nt  des  diamants, 
Eouli,  roulaut,  ma  boule  roulaut, 

Eu  roulaut,  etc. 

Par  les  yeux  lui  sort'nt  des  diamants, 

Eu  roulaut  ma  boule. 
Et  par  le  bec  l'or  et  l'argent, 
Eouli,  roulaut,  ma  boule  roulaut, 

Eu  roulant,  etc. 

Et  par  le  bec  l'or  et  l'argent, 

En  roulant  ma  boule. 
Toutes  ses  plum's  s'en  vont  au  vent, 
Eouli,  roulaut,  ma  boule  roulaut, 

En  roulant,  etc. 


DU.  CANADA  15 


Toutes  SCS  pluin's  s't'U  vont  au  vent, 

En  roulant  ma  houls. 
Trois  dani's  s'en  vont  les  l'amassant, 
Rouli,  roulant,  ma  boule  roulant, 

Eu  roulant,  etc. 


Trois  (lam's  s'en  vont  les  raraassaut, 

En  rotilant  ma  boule. 
C'est  pour  en  faire  un  lit  de  camp, 
Rouli,  roulant,  ma  boule  roulant. 

En  rouliint,  etc. 

n 

C'est  pour  en  faire  un  lit  de  camp, 

Eu  roulant  ma  boule. 
Pour  y  coucher  tous  les  passants. 
Kouli,  roulant,  ma  boule  roulant, 

Eu  roulant  ma  boule  roulant, 

En  roulant  ma  boule. 


16 


CHANSONS  POPULAIRES 


DESCENDEZ  A  L'OMBRE    . 

Voici,  au  point  de  vue  musical,  un  vrai  type  de  chanson 
de  filasse  normande.  "  Les  airs  sur  lesquels  se  chantent 
les  chansons  de  filasse,  dit  M.  Eugène  de  Beaurepaire  {La 
poésie  populaire  en  Normandie)^  ajoute  singulièrement  à 
leur  charme  et  à  leur  étrangeté.  Presque  aucun  ne  s'ar- 
rête sur  la  tonique.  La  plus  grande  partie  appartient  à 
un  système  musical  différent  de  celui  que  nous  suivons 
aujourd'hui." 


I . — ^s — IS. 


Des-  ceu-        dez     à  l'oiu-bro,         ma    jo-    lie 

blou-  de,  Des-  cen-       dez      à  l'om-  bre  d'uu 

FIN.   1 


:5Er  n— g'--~p=^-~^=q= — ■ — p==— 


bois Der-       rièr' chez       nous         ya- 


t-uu    é-        tang,  Der-     rièr'  chez     nous       ya-       t-un  é 


tang.  Trois     beaux  ca-      nards  s'en     vont  bai-     guaut.  D.  C. 
(Pour  les  autres  paroles,  voir  En  roidant  ma  boule) 


DU    CANADA 


17 


DESCENDEZ  A  L'OMBRE 


{Autre  air) 


J'ai  aussi  entendu  clianter  Descendez  à  Vombre  de  La 
manière  qui  va  suivre  par  un  habitant  de  Berlhier  (en 
haut).  "  Les  rhylhmes  brisés  abondent  dans  la  chanson 
populaire,"  a  dit  M.  Wekerlin;  la  chanson  que  voici» 
entre  cent  autres,  offre  un  exemple  de  cette  particularité* 


.     Der-     rièr'  chez   nous    ya-t-iiu  é-  taug,  Der- 


:Ë=::it= 


— » j- -m j 

y ^ C ^ i» J 


rièr'     chez   nous        va-  t-  un      é-         taug.         Trois 


, 1# g p^— — — -1  -— — — :z*  -  -jt — H — -'^ « ^ ^- j 

beaux  ca-nards  s'en     vont  bai-gnant.      Des-  ceu-  dez      à 


l'om-  bre,    ma  bien-   de,  Des-  cen-  dez       à 


l'om-bre  d'un         bois. 

(PoUfT  les  autres  paroles,  voir  En  roulant  ma  houle) 
2 


13  CHANSONS  POPULAIRES 


LEVE  TON  PIED 

La  mélodie  que  voici  esl  une  mélodie  "  hors  la  loi"  !... 
Il  m'eût  été  facile  de  corrige]-  la  contravention  flagrante 
de  son  rhythme,  dans  la  deinièrc  phrase  mélodique  (avant 
la  reprise),  en  ajoutant  simplement  une  mesure  à  celle-ci  ; 
mais  alors  l'air  n'eût  plus  été  ce  qu'il  est  réellement,  et  il 
eût  incontestablement  perdu  de  son  originalité.  Au  reste, 
pour  cette  chanson  comme  pour  toutes  les  autres  de  ce  re- 
cueil, je  ne  suis  qu'un  simple  rapporteur,  et  je  tromperais 
le  lecteur  et  ferais  une  œuvre  hien  inintelligente  si  je 
donnais  les  airs  de  nos  chansons  populaires  autrement 
que  ne  les  chantent  le  peuple  et  les  personnes  qui  n'ont 
pas  étudié  la  musique,  ûlais  ce  n'est  pas  le  rhythme  seul 
qui  otrre  des  étrangetés  dans  cette  mélodie  ;  le  mode  pré- 
sente aussi  des  bizarreries  à  celui  qui,  ne  connaissant  que 
la  musique  moderne,  chercherait  à  l'assimiler  au  mode 
mineur  de  cette  tonalité. 


Voix  seule,  puis  la  reprise  en  chœur. 

Lèv'  tou  pied    lé- gèr' ber-       gè-  re,    Lèv'tou 

FIN.     Voix  seule,  la  reprise  en  chœur. 
^fËp=j^rÊgp|5Êjr=5fl>Ê=Ë^rE^EEgEzcEE;EEi:E£gEZgEE^ 
pied  lé-  gè-  re-     meut.  Der-rièr'  chez    uuiis,  ya-t-uu  é- 


DU  CANADA. 


19 


Voix  seule. 


taug,  Lèv'toa         pied  lé-  gè-  re-       ment.     Trois  beaux  ca- 


aards  s'en  vont  l)ai-  gnant,  lé-  gè-  re-     ment. 


(Pour  les  autres  paroles,  voir  En  roulant  ma  houle) 


20 


CHANSONS  POPULAIRES 


J'AIM'RAI  TENDREMENT  CES  AMANTS  CONSTANTS 

Ce  quatrième  refrain  de  Derrièr'  chez  nous  ya-l-un  étang 
se  chante  dans  la  paroisse  de  Chambly.  Il  est  probable- 
ment connu  dans  beaucoup  d'autres  localités. 


=iH=ΣËlÈË;=Hî^ëlliiSïïiiËi=3=i  ^^=5= 


Der-     rièr'  chez  uous        ya-t-uu  é-  taug,  Der- 


nei-     chez  uous  ya-  t-  uu  e-         taug. 


Trois 


beaux  ca-uards  s'eu       vout  bai-guaut.      J'ai-  me-  rai     ja- 


mais    ces     a-  mauts  vo-  la-  ges,      J'aim'-rai  teu-  tlre- 


-•»— — ^ — g,- 


-___j^__. 


meut        ces       a-  luauts  constauts. 

(Ponr  les  autres  paroles,  voir  En  roulant  ma  houle) 


DU  CANADA  21 


V'LA  L'BON  VENT 

L'honorable  Sir  George  E.  Cartier,  de  qui  je  tiens  cette 
chanson  si  originale  et  si  jolie,  m'a  dit  l'avoir  entendu 
chanter  par  des  hommes  de  cages  de  l'Ottaoua.  L'air  est 
très-probablement  de  composition  canadienne,  ainsi  que 
les  paroles  du  refrain. 


Chœur. 

P5-^-,> &zzrd— 1--:;— J'îcrrz^— rîr=Tr:=ZTrr3*-r=fL=ri^-3 

V'ià  l'bou  veut,    v'ià  l'jo-li  veut,     v'ià  l'bou  veut,  ma 

mie  lu'ap-pel-  le,     V'ià    l'bou  veut,       v'ià    l'jo-     li    veut, 

FIN.  Voix  seule. 

1 â> s "^ ^\_   n s . v_ 

v'ià  l'bou  veut,    ma       uiie  ui'atteud.    Der-    rièi' chez  uous  ya- 


t-un    é-  taug,  Der-     rièr'  chez  uous  ya-      t-uu  é-  taug,  Trois 


beaux  cauards  s'eu        vont  baiguaut.     D.  C. 
(Pour  les  autres  paroles,  voir  En  roulant  ma  boule) 


22 


CHANSONS  POPULAIRES 


C'EST  L'VENT   FRIVOLANT 

Cette  chanson  se  chante  dans  le  comté  de  Rimouski. 
Elle  n'est  pas  connue  dans  les  autres  parties  du  pays, 
mais  elle  a  toutes  les  qualités  nécessaires  pour  se  répandre 
et  se  populariser  bien  vite.  M.  J.  C.  Taché,  qui  me  l'a  fait 
connaître,  l'a  aussi  chantée,  en  ma  présence,  devant  quel- 
ques canotiers  du  Saguenay,  qui  en  raffolaient  et  qui  la 
propageront  sans  doute  dans  cette  partie  du  pays. 


Voix  seule. 


tri-       vo-       laut. 


C'est    l'veut,    c'est    l'veut 
Chœur.  fin.     -, 


Yoix  seule,  imis  la 


^=^^^^^=P^E^EJ=î^^i^EËîë^^ 


C'est  l'veut;C'est  l'veut    fri-  vo-lant.     Der-     rier' chez  nous  ya 
reprise  en  chœur. 


4> S- 


t-uu    é-  taug,    c'est  l'veot,  c'est  rveut        fri-  vu-  laut. 

Voix  seule. 
,- , _ — « — — « , 1*> — ^-^ . 


5=^^ 


Trois       beaux  ca-  uards  s'eu  vout    bai-  guaut,     c'est 


l'veut  qui    vo-    le,        qui     fri-     vo-    le.     D.  C. 
(Pour  les  autres  paroles,    voir  En  roulant  ma  boule) 


DU  CANADA  23 


SUIVONS  LE  VENT 

Les  couplets  Derrièr'  chez  nous  ya-t-un  étang ^  oLc,  se 
chantent  avec  sept  refrains  différents  :  En  roalant  ma  boule^ 
— Descendez  à  l'ombre^ — Lève  ton-  pied^-^J'aim'rai  tendre- 
ment^—  Tlà  Vbon  vent, — C'est  Vvent  frivolant  et  Suivons  le 
vent.    On  chante  dans  la  côte  de  Beaupré  : 

Derrièr'  chez  nous  ya-t-un  étiviig, 
Et  la  rivièr^  passe  au  mitan 

L'expression  "mitan"  (milieu)  est,  parait  il,  fort  usitée 
dans  les  paroisses  de  la  côte  de  Beaupré,  de  l'île  d'Orléans 
et  de  la  côte  du  Sud. 


Derrièr'  chez     nous  ya-t-uu  é-      taug,  Suivons  le 
veut,  gai-  gaî-  uieut,  Trois  beaux  ca-     uards  s'eu  vout  bai- 


f — » 


guaut,  Tout  le         loug  de    la     ri-       vie-    re,  Sai-  vous  le 


^s ;«_ 


vent    mon   corn-      pè-    re,   Sui-vons  le       veut,  gaî-  gaî- 


zizii;. 


---n---~--^i 


ment. 
{Pour  les  autres  couplets,  voir  En  roulant  ma  houle) 


24  CHANSONS  POPULAIRES 


A  SAINT-MALO,  BEAU  PORT  DE  MER 

L'air  sur  lequc4  nous  chantons  la  chanson  que  voici, 
n'est  pas  connu  aujouid'liui  en  France,  que  je  sache.  En 
Bretagne,  où  les  paroles  de  cette  chanson  se  sont  conser" 
vées,  on  chante  : 

A  Naut'S,  à  Niiut's  sont  arrivés 

Trois  beaux  navir's  chargés  de  bled,  etc. 

Je  connais  deux  variantes  (quant  aux  paroles)  de  cette 
chanson,  telle  que  conservée  en  France,  mais  dans  ni 
l'une   ni  l'autre  il  n'est  question  de  Saint-Malo. 

A    St  Ma-lo,  beau  port  de  iner,    A  St  Ma-lo,  beau 
port  (le   mer,    Trois  gros  uavir's  sout     ar-    ri-  vés,  Nous  i- 


-?z=d5: 


roDS  sur  l'feau  uous  y  prom'  pro-  me-  ner,  Nous    i- 


roQS  jou-  er  dans        l'î-     le 


A  Saint-Malo,  beau  port  de  mer,  (&ts) 
Trois  gros  navir's  sont  arrivés, 
Nous  irons  sur  l'eau 
Nous  y  prom'  promener, 
Nous  irons  jouer  dans  l'île. 


DU  CANADA  26 

Trois  gros  nuvir's  sont  arrivés,  (bis) 
Chargés  d'avoin',  cliargés  de  bled. 
Nous  irons  sur  l'eau,  etc. 

Chargés  d'avoin',  chargés  de  bled,  (bis) 
Trois  dani's  s'en  vont  les  marchander 
Nous  irons  sur  l'eau,  etc. 

Trois  dam's  s'en  vont  les  marchander,  (bis) 
— Marcfiaud,  marcliand,  combien  ton  bled? 
Nous  irons  sur  l'eau,  etc. 

Marcliaud,  uiarcbaud,  cuuibieu  ton  bled?  (bis) 
— Trois  francs  l'avoin',  six  francs  le  bled. 
Nous  irons  sur  l'eau,  etc. 

Trois  francs  l'avoin',  six  francs  le  bled,  (bis) 
— C'est  ben  trop  clier  d'un'  bonu'  moitié. 
Nous  irons  sur  l'eau,  etc. 

C'est  ben  trop  clier  d'un'  boun'  moitié,  (bis) 
— Montez,  Mesdam's,  vous  le  verrez. 
Nous  irons  sur  l'eau,  etc. 

Montez,  Mesdam's,  vous  le  veiTez.    (bis) 
— Marchand,  tu  n'vendras  pas  ton  bled. 
Nous  irons  sur  l'eau,  etc. 

Marchand,  tu  n'vendras  pas  ton  bled,  {bis} 
— Si  je  l'veuds  p;i,s,  je  l'donnerai. 
Nous  irons  sur  l'eau,  etc. 

Si  je  l'vends  pas,  je  l'donnerai.  (bis) 
— A  c'prix-là,  on  va  s'arranger. 

Nous  irons  sur  l'eau 

Nous  y  prom'  promener. 

Nous  irons  jouer  dans  l'île. 


26  CHANSONS  POPULAIRES 


DANS  LES  PRISONS  DE  NANTES 

La  musique  comme  les  paroles  de  cette  chansou  eu  font 
tme  des  plus  jolies  du  répertoire  de  nos  chanteurs  popu- 
laires. Nos  bateliers  et  voyageurs  canadiens  la  chantent 
sur  deux  airs  également  beaux.  Le  premier  qui  est  trans- 
crit ci-dessous  se  chante  surtout  en  canot  :  chaque  coup 
d'aviron  marque  le  premier  temps  de  chaque  mesure.  Le 
mouvement  du  second  est  plutôt  celui  de  la  rame  :  c'est 
un  air  de  chaloupe.  Cette  chanson  parait  être  complète- 
ment ignorée  en  France.  M.  Hubert  LaRue,  dans  son 
intéressante  étude  littéraire  sur  nos  chansons  populaires 
canadiennes,  fait  remarquer  que  quelques  marins  chantent 
aujourd'hui  :  "  Dans  les  prisons  de  Londres  "  au  lieu  de, 
"  Dans  les  prisons  de  Nantes."  C'est  tout  naturel.  Pour 
peu  qu'un  voyageur  ait  vu  du  pays,  il  a  rencontré  des  An 
glais,  des  Irlandais,  des  Ecossais,  qui  lui  ont  parié  de 
Londres,  d'Edimbourg,  de  Cork  ou  de  Dubhn,  mais  de 
Nantes,  jamais!  Il  s'imagine  alors  que  "  Nantes"  est  une 
corruption  du  mot  -'Londres,"  et  il  chante  "Londres." 
Cependant,  dans  nos  campagnes,  où  beaucoup  d'habitants 
n'ont  pas  plus  entendu  parler  de  Londres  que  de  Nantes, 
on  chante  toujoars  :  "  Dans  les  prisons  de  Nantes." 


DU  CANADA 


27 


-flr=T=q=ri*î=H^zD!:z::^i 


mm 


I , ,v 


Dans    les  prisous  de     Nau-  tes,Daus     les  prisous    de 
Nau-  tes  Lui  ya-t-uu  pri-       souuier,      gai,  fa-  lu-rou   fa-  lu- 


ret-  te,  Lui     ya-t-ua  pri-     sounier,       gai,  fa-  lu-rou   dou- 


dé. 


AUTRE  VERSION. 


_,«>- 


Dans     les  prisons  de       Nau-  tes,  Dans      les     prisous     de 
Nau-  tes,       Lui  ya-t-un  pri-son-uier,  gai,falu-  rou  don-  dai-ne, 


Lui  ya-t-uu      pri-    sonnier,      gai,  falu-   rou  don-  dé. 

Dans  les  prisons  de  Nantes  (bis) 

Lui  ya-t-uu  prisonnier,  gai,  falurou,  fahirette, 

Lui  ya-t-un  prisouuier,  gai,  falurou,  dondé. 

Que  personn'  ne  va  voir  (bis) 

Que  la  fill'  du  geôlier,  gai,  faluron,  falurette, 

Que  la  lill'  du  geôlier,  gai,  falurou,  dondé. 

Elle  lui  porte  à  boire,  {bis) 

A  boire  et  à  manger,  gai,  falurou,  falurette, 

A  boire  et  à  manger,  gai,  falurou,  dondé. 


Un  jour  il  lui  demande  :  {bis) 

— Qu'est-c'que  l'ou  dit  de  moue  ?  gai,  faluron,  falurette, 

Qu'est-c'que  l'ou  dit  de  moue?  gai,  faluron  doudé. 


28  CHANSONS   POPULAIRES 

Le  bruit  court  dans  la  ville  (bis) 

Quedeiuaiu  vous  mourrez,  gai,  faluroo,  falurette, 

Que  demain  vous  mourrez,  gai,  faluron,  dondé. 

— Puisqu'il  faut  que  je  meure,  {bis) 

Ah!  déliez-moi  le.s  pieds,  gai.  ialurou,  fiilurette, 

Ali!  déliez-moi  les  pieds,  gai,  faluron,  doudé. 

La  fille  encore  jeunette  {bis) 

Lui  il,  lâché  les  pieds,  gai,  faluron,  falurette, 

Lui  a  lâché  les  pieds,  gai,  faluron,  doudé. 

Le  garçon  fort  alerte,  (bis) 

A  la  mer  s'est  jeté,  gai,  faluron,  falurette. 

A  la  mer  s'est  jeté,  gai,  faluron,  dondé. 

De  la  première  ploiige,  (bis) 

Au  fond  il  a  été,  gai,  faluron,  falurette, 

Au  fond  il  a  été,  gai,  faluron,  dondé. 

De  la  seconde  plonge,  (bis) 

La  mer  a  traversé,  gai,  faluron,  falurette, 

La  mer  a  traversé,  gai,  faluron,  dondé. 

Quand  il  fut  sur  ces  côtes,  (bis) 

Il  se  mit  à  chanter,  gai,  faluron,  falurette, 

Il  se  mit  à  chanter,  gai,  faluron,  dondé: 

"  Que  Dieu  béuiss'  les  filles,  (bis) 

Surtout  celP  du  geôlier,  gai,  faluron,  falurette, 

Surtout  cell'  du  geôlier,  gai,  faluron,  dondé. 

"  Si  je  retourne  à  Nantes,  (bis) 

Oui,  je  l'épouserai  !  gai,  faluron,  falurette, 

Oui,  je  l'épouserai  1  gai,  faluron,  dondé." 


DU  CANADA  29 


DANS  LES  PRISONS  DE  NANTES 
{Autre  air) 


Pour  rendre  la  mélodie  qui  va  suivre  selon  les  règles 
de  la  composition,  il  eût  fallu  écrire  après  la  troisième 

mesure  : 


-fc:a — » 


r^-î=^M. 


z^-r^-Br.-^-- 


.Nau-  tes,  Lui  yu- 1-  un         pri-  sou- 


-S ^S  — — ^ j- jX- 


nier,    fa-lu-rou  don-         dai-ne,  Lui  ya-t-un... 


De  cette  façon  la  mélodie  eût  formé  douze  mesures  bien 
comptées,  et  la  note  rfo,  qui  se  chante  sur  la  première  syl- 
labe du  moi  prisonnier^  eût  arrivé  juste  sur  le  temps  fort 
de  la  sixième  et  de  la  dixième  mesure,  comme  lerhylhme 
l'exige.-  Mais,  encore  une  fois,  je  note  ces  chansons  telles 
qu'on  me  les  chante,  et  pas  autrement.  Au  reste,  la  me- 
sure, telle  qu'écrite  ci-dessous,  indique  parfaitement  à 
quels  endroits   de  la  mélodie   le  batelier  donne    de   la 


30 


CHANSONS  POPULAIRES 


rame, — ce  qu'il  fait  sans  se  préoccuper  le  moins  du  monde 

des  temps  forts  et  des  temps  faibles. 


Lentement. 

Daus    les  prisons  de      Nantes,  Dans    les  prisons  de 
*^       Nau- tes      Lui     ya-t-uupri-    souuier,  fa- lu-     ron,  dondai- 


EipO|iilîîtl^iïiiilpÈiîi?ïllïli^ 

ne,    Lui  ya-t-uu  prison-  nier,  fa-  lu-  ron  don-     dé. 


DU  CANADA 


31 


CEGILTA 

Cêcilia  est  connue  en  France,  notamment  en  Champagne. 
La  variante  champenoise  (car  il  y  a  toujours  des  variantes 
dans  les  chansons  populaires)  diffère  très-peu  de  la  nôtre, 
sous  le  rapport  des  paroles  comme  sous  celui  de  la  mu- 
sique. 


IMoa  pèi'  u'a-     vait  fil-    le  que      moi,  Moa  pèr'  n'a- 


vait fil-le  que  moi,  Eu-cor  sur    la  mer  il  m'en-  voie  ;  sautez  mi- 
guouue,  Ce- ci-    li-      a.      Ah  !  ah  !  ali  !  ah  !  ali  !  ah  !  Cé-ci-     U- 

a. 


a  !  ah  !       ah  !  Cé-ci-  li- 


Moii  pèr'  u'avait  fille  que  moi,  (bis) 
Eiicor  sur  la  mer  il  m'euvoie. 
Sautez,  mignonne,  Cécilia, 
Ah  !  ah  !  Cécilia.     (bis) 

Encor  sur  la  mer  il  m'euvoie.     (bis) 
Le  marinier  qui  m'y  menait 
Sautez,  mignoTuie,  etc. 

Le  marinier  qui  m'ymeuait,  (bis) 
Il  devint  amoureux  de  moi. 
Sautez,  uiignonne,  etc. 


32  CHANSONS   POPULAIRES 

H  devint  amoureux  de  moi.     {bia) 
— Ma  mignonuette,  embnissez-moi. 
Santez,  mignon ue,  etc. 

Ma  mignonuette  embrassez-moi.     (bis) 
— Nenni,  Monsieur,  je  n'oserais. 
Sautez,  mignonne,  etc. 

Nenni,  Monsieur,  je  n'oserais,  (bis) 
Car  si  mon  papa  le  savait, 
Sautez,  mignonne,  etc. 

Car  si  mon  papa  le  savait,  (bis) 
Fille  battue  ce  serait  moi. 
Sautez,  mignonne,  etc. 

Fille  battue  ce  serai  moi.     (bis) 
— 'Voulez-vous  beir  qui  lui  dirait? 
Sautez,  mignon  ue,  etc. 

'Voulez-vous  bell'  qui  lui  dirait  ?  (bis) 
— Ce  serait  les  oiseaux  des  bois. 
Sautez,  mignonne,  etc. 

Ce  serait  les  oiseaux  des  bois,     (bis) 
— Les  oiseaux  des  parlent-ils? 
Sautez,  mignonne,  etc. 

Les  oiseaux  parlent-ils?  (bis) 
— Ils  lîarl'nt  français,  latin  aussi. 
Sautez,  mignonne,  etc. 

Ils  parl'nt  français,  latin  aussi,     (bis) 
Hélas  !  que  le  monde  est  malin . 

Sautez,  mignonne,  etc. 

Hélas!  que  le  monde  est  malin,     (bis) 
D'apprendre  aux  oiseaux  le  latin. 

Sautez,  mignonne,  Cécilia. 

Ah!  âh!  Cécilia  !  (bis) 


DU   CANADA  33 


ET  MOI  JE  M'EN  PASSE  ! 

Voici  une  vraie  perle. — une  des  plus  jolies  mélodies  que 
l'on  puisse  entendre.  J'engage  les  musiciens  à  l'examiner 
attentivement:  ils  y  découvriront  des  beautés  rhythmiques 
et  «ne  phraséologie  que,  maliieureusement,  on  ne  ren- 
contre plus  nulle  part.  Elle  se  chante  avec  une  iiifinité 
de  variantes,  entre  lesquelles  il  m'a  fallu  choisir.  Dans 
la  chanson  populaire,  il  y  a  presque  toujours  autant  de 
variantes  que  de  gosiers  ;  seulement,  d'ordinaire,  ces 
petits  changements  n'altèrent  pas  le  caractère  général  de 
la  mélodie. 


Mon    pèr'  n'avait        fil-  le  que  moi, Mon         pèr'  n'avait 

fil-     le  que       moi,  Eu-      cor  sur  la  mer  il  m'envoie, 

Mon  cœur  est  en  â-     ge.       Tant  d'amans  qui  se     font  l'amour.. 
Et  moi  je  m'en        pas-    se  ! 


34  CHANSONS  POPULMRES 

Variante  recueillie  sur  la  côte  de  Beaupré 


ia)-:z^z 


^  Muu         pèr'     u'a-  vait    fil-      -      le     que  inoi,  Mon 

pèr'  u'u-vait   fil-     -    le  que  moi  :     Eu-         cor  sur     la  nier 
il     m'eu-  voie  :         Mon  cœur  est  eu  â-         ge. 


Tant  d'auiants  qui    se  fout  l'a-uiour . . .  Et  moi,   je  m'eu 


pas-  -  se 


DU  CANADA  35 


MON,  TON,  TON,  TURLUTAINE 

M.  Clément  Gazeau,  un  de  ces  anciens  Canadiens  dont 
le  type  devient  de  plus  en  plus  rare  de  nos  jours,  et  qui, 
avec  bien  d'autres  usages  aimables  et  touchants  de  la 
vieille  France,  a  conservé  l'habitude  de  chanter  les  chan- 
sons qui  nous  viennent  de  nos  grands-grands-pères, — m'a 
chanté  et  répété  un  grand  nombre  de  fois  la  mélodie  que 
voici,  et  toujours  absolument  telle  que  je  l'ai  notée.    Ce- 
pendant, comme  je  craignais  que  l'on  vînt  à  suspecter  la 
fidélité  de  mon  oreille,  j'ai  voulu,   avant  que  de  l'éorire 
définitivement  pour  l'impression,  me   la  faire  chanter  de 
nouveau  ;  et,  muni  cette  fois  d'un  instrument  de  musique, 
j'ai  pu  constater  avec  certitude  que  mon  oreille  ne  m'avait 
pas  trompé.     Maintenant,  qu'un  musicien  essaie  de  chan- 
ter cette  mélodie,  la  note  fa  naturel  lui  paraîtra  excessive- 
ment dure  ;  mais  qu'il  entende  chanter  cette  même  mé- 
lodie par  un  homme  du  peuple   ou  par  tout  autre  qui 
n'ait  pas  donné  dans  le  dilettantisme,  le  fa  naturel  ne  le 
choquera  plus.     D'où  vient  cela  ? — C'est  qr.e  le  musicien, 
à  cause  même  de  l'éducation  de  sou  oreille,  ne  peut,  sans 
un  véritable  effort — effort   désagréable— ne  pas  faire  de 
note  sensible,   tandis   qne   l'homme   du  peuple,  lui,  peut 
chanter  un   intervalle   de   seconde   majeure  entre  le  sep- 
tième et  le  huitième  degré  de  la  gamme  sans  le  moindre 
effort,  et  que  souvent  même  il  lui  serait  difficile  de  faire 
autrement. 


36 


CHANSONS  POPULAIRES 


a=i' 


Mou        pèr'    u'a-    vait       fil-  le-  que  moi,  Mou 

Ijèr'  u'a-  vait       fil-  le-  que       moi  ;       Eu-  cor  sur  la  mer 


^-=S=?=i 


^-:^^.=r:i=^s : >- 


il   m'euvoie.      Mou   tou  tou  tur-  lu-      taiue,  oh  !  gai, 

Mou  tou  tou    tur-  lu-       tai-    -    ue. 
(Pour  les  autres  couplets,  voir  Cécilia.) 

Ce  qui  précède  était  écrit  lorsque  je  reçus  de  M.  le  J3i- 
iDliothécaire  de  l'université-Laval  la  version  que  l'on  va 
voir  ci-aprps,  (jui  est  à  peu  près  celle  que  j'ai  toujours  en- 
tendue dans  mon  enfance,  et  dans  laquelle  on  trouvera 
encore  le  fa  naturel.  "'  Voici,  m'écrit  M.  l'abbé  Laverdière, 
comment  un  de  nos  engagés  me  chante  Mon  'père  n'a- 
vait. .  . .  :  " 


Mon  pèr'  n'avait     fil-  le  que  moi,  Mou  pèr'  u'a-  vait  fil- 
le  que  moi  ;  En-  cor  sur  la  mer  il  m'euvoie.  Mou  ton  tou  tri- 


=5^*Ez^=Ih^ 


taine,  oh  !  gai,      mon  ton    tou    tri-    tai-    -    ne. 


DU  CANADA  37 


ISABEAU  S'Y  PROMENE 


On  remarquera  que  les  passages  les  plus  beaux  de  cette 
délicieuse  mélodie  sont  précisément  ceux  dans  lesquels 
elle  rompt  ouvertement  avec  le  mode  mineur  pour  mettre 
en  lumière  les  notes  caractéristiques  du  mode  que,  dans 
l'ancienne  tonalité,  on  appelait  "  premier  plagal."  C'est 
peut-être  ici  le  lieu  de  dire  que  si  la  découverte  de  Claude 
Monteverde  a  été  un  immense  progrès,  à  cause  des  res- 
sources infinies  qu'offre  Tliarmonie  dissonante  et  les 
modulations  qui  en  découlent,  d'un  autre  côté,  on  ne 
peut  nier  que,  du  môme  coup,  de  grandes  beautés  ont  été 
perdues  pour  l'art  musical  par  la  nécessité  qui  s'en  est 
suivie  de  bannir  de  la  musique  tout  autre  mode  que  nos 
modes  majeur  et  mineur,  qui  seul  possèdent  la  note  sen- 
sible, sans  laquelle  l'harmonie  dissonante  ne  peut  pas 
exister.  Un  amateur  de  chansons  populaires  m'a  fait  tenir 
une  version  d'Isabeau  dans  laquelle  tous  les /a  sont  natu- 
rels. Cette  chanson  se  chante  en  Champagne,  sur  un  air 
qui,  au  point  de  vue  du  rhythme,  a  des  ressemblances 
frappantes  avec  le  nôtre. 


I-     -     sa-    beau     s'y      pro- 


39  CHANSONS  POPULAIRES 


Le  long  de  sou  jar-    diu.  Le  long  de     sonjar-din,  Sur  le 

►ord  de         l'î-    -     le.  Le  long  de     sou  jar-din,  Sur  le 


^=^M^^ 


bord  de  l'eau,  Sur   le       bord    du    vais-seau. 

Isabeau  s'y  promène 

Le  long  de  son  jardin. 

Le  long  de  son  jardin 
Sur  le  bord  de  l'île, 

Le  long  de  son  jardin 
Sur  le  bord  de  l'eau, 
Sur  le  bord  du  vaisseau. 

Elle  fit  un'  rencontre 
De  trente  matelots. 
De  trente  matelots 

Sur  le  bord  de  l'île,  etc. 

Le  plus  jeune  des  trente, 
Il  se  mit  à  chanter. 
Il  se  mit  à  chanter 

Sur  le  bord  de  l'île,  etc. 

— La  chanson  que  tu  chantes, 
Je  voudrais  la  savoir. 
Je  voudrais  la  savoir 
Sur  le  bord  de  l'île,  etc. 

— Embarque  dans  ma  barque^ 
Je  te  la  chanterai. 
Je  te  la  chanterai 

Sur  le  bord  de  l'île,  etc. 

Quand  ell'  fut  dans  la  barque, 
EU'  se  mit  à  pleurer. 
Ell'  se  mit  à  pleurer 
Sur  le  bord  de  l'île,  etc. 


DU  CANADA  39 

— Qu'avez-vous  donc  la  belle, 
Qu'a- vous  à  tant  pleurer  î 
Qu'a- vous  h  tant  pleurer 
Sur  le  bord  de  Tîle,  etc. 

— Je  pleur'  iudu  anneau  d'ore, 
Dans  l'eau-z-il  est  tombé. 
Dans  l'eau-z-il  est  tombé 
Sur  le  bord  de  l'île,  etc. 

— Ne  pleurez  point  la  belle, 
Je  vous  le  })longerai. 
Je  vous  le  plongerai 
Sur  le  bord  de  l'île,  etc. 

De  la  première  plonge 
Il  n'a  rien  rameué. 
Il  n'a  rien  l'atnené 

Sur  le  bord  de  l'île,  etc. 

De  la  seconde  plonge 
L'anneau-z-a  voltigé. 
L'anueau-z-a  voltigé 
Sur  le  bord  de  Tîle,  etc. 

De  la  troisième  plonge 
Le  galant  s'est  noyé. 
Le  galarit  s'est  noyé 

Sur  le  bord  de  l'île, 
Le  galant  s'est  noyé 

Sur  le  bord  de  l'eau, 

Sur  le  bord  du  vaisseau. 


40 


CHANSONS  POPULAIRES 


GAI  LON  LA,  GAI  LE  ROSIER 


La  présence    de  ces  vers  : 

Il  est  dans  la  Hollande, 

Les  Hollaudais  l'ont  pris 

dans  les  couplets  qui  vont  suivre,  indique  clairement 
qu'ils  nous  viennent  d'Europe.  Ils  se  chantent  effective- 
ment en  France,  dans  la  Saintonge  et  le  Bas-Poitou.  Les 
Canadiens  n'ont  jamais  été  en  guerre  avec  les  Hollandais, 
et  c'est  à  peine  si,  dans  les  premiers  temps  de  la  colonie, 
les  habitants  de  la  Nouvelle-Hollande  ont  eu  quelques 
rares  relations  avec  nos  missionnaires  et  nos  négociants 
du  Canada.  J'ai  souvent  entendu  chanter  ainsi  les  deux 
vers  que  je  viens  de  citer  : 

Il  est  dans  lu  Hollande 

Les  Irlandais  l'ont  pris 


Par  dcrrièr'  chez  ma     tau-  te      Lui  ya-t-au  bois  jo- 


-m -A -m  --:^=d=r — '  — ^ — i  — -=i— ^ 


I*— *: 


11.         Le  ros-si-    gnol  y      cliau-te         et    le  jour      et     la 


nuit.     Gai     Ion         la,         gai  le    ro-       sier  du  jo-    li 

mois  de        mai. 


DU  CANADA.  41 

Par  dcrrièr'  chez  ma  tante 
Lui  ya-t-uu  bois  joli  ; 
Le  rossiguol  y  chante 
Et  le  jour  et  la  nuit. 

Gai  Ion  hi,  gai  le  rosier 

Du  joli  mois  de  mai. 

Le  rossiguol  y  chante 
Et  le  jour  et  la  uuit. 
Il  chaute  pour  ces  belles 
Qui  u'out  pus  de  mari. 
Gai  lou  la,  etc. 

Il  chante  jjour  ces  belles 
Qui  n'ont  pas  de  mari. 
n  ne  chaut'  pas  pour  moi 
Car  j'en  ai-t-uu  joli. 
Gai  Ion  la,  etc. 


Il  ne  chant'  pas  pour  moi 
Car  j'en  ai-t-un  joli. 
Il  n'est  point  daus  la  danse, 
Il  est  bien  loin  d'ici. 
Gai  Ion  la,  etc. 


Il  n'est  poiut  dans  la  danse, 
Il  est  bien  loin  d'ici  ; 
Il  est  dans  la  Hollande  : 
Les  Hollandais  l'ont  pris. 
Gai  Ion  la,  etc. 


Il  est  dans  la  Hollande  : 
Les  Hollandais  l'ont  pris. 
— Que  donneriez-vous,  belle, 
Qui  l'amèn'rait  ici  ? 
Gai  Ion  la,  etc. 


42  CHANSONS   POPULAIRES 

Que  (louneiiez-vous,  belle, 
Qui  l'ainèn'rait  ici  f 
— Je  (lounerais  Versailles, 
Paris  et  Saiiit-Deuis 
Gai  Ion  la,  etc. 

Je  donnerais  Versailles, 
Paris  et  Saint-Denis, 
Et  la  claire  fontaine 
De  mon  jardin  joli. 

Gai  Ion  la,  gai  le  rosier 
Du  joli  mois  de  mai. 


DU  CANADA 


43 


AURM-JE  NANETTE? 

Ce  refrain  et  cet  air  si  gracieux,— paroles  et  musique, 
—sont  assez  peu  connus  aujourd'liui.  Je  les  ai  appris, 
tout  dernièrement,  d'une  vieille  bonne  d'enfants. 


Par        der-rièr'       chez  mou        pèr'  Lui    ya-t-uu 


ik- 


b*ois  jo-         11  ;  Le        ros-  si-     gnol    y       chante  Et 

le  jour       et     la       nuit.  Au-rai-  je     Na-  uett'  ?—3e 

y        *      *        "^         ~^'^~S-         * 

crois  que  non.        Au-rai-      je  Na-    net- te?— Je     crois  que 


(Pour  les  autres  paroles,  voir  Gai  Ion  la,  gai  le  rosier) 


44  CHANSONS  POPULAIRES 


AU  JARDIN  DE  MON  PÈRE  UN  ORANGER  LUI  YA 


Le  "  marché  de  Lava  "  dont  il  est  parlé  dans  cette  chan- 
son, n'est  autre  chose  que  le  marché  de  Laval^  ville  fran- 
çaise du  département  de  Mayenne.  De  Laval  on  a  fait 
Lava  pour  la  rime.    J'ai  entendu  chanter  à  Québec  : 

Au  marché  où  tout  va,  limouza.... 

Ces  couplets  se  chantent  encore  en  Normandie,  le  plus 
souvent  en  chœur,  et  sur  un  air  de  litanies  du  chant  gré- 
gorien. Le  refrain  normand  ne  ressemble  pas  du  tout  au 
nôtre. 

On  remarquera  que  le  refrain  joue  un  grand  rôle  dans 
cette  chanson.  C'est  là  un  dos  traits  caractéristiques  de 
la  chanson  normande.  "  Dans  les  campagnes  de  l'Avran- 
chin,  dit  M.  Eugène  de  Beaurepaire,  elles  accompagnent 
(les  chansons)  les  travaux   de   la  moisson  et  surtout  la 

cueillette  du  chanvre En  écoutant  le  soir  ces  poésies 

singulières en   se   croirait   volontiers  reporté   à   des 

époques  fort  anciennes.  Deux  lignes  au  plus  composent 
le  couplet.  Le  refrain  est  vraiment  la  partie  la  plus  im- 
portante ;  il  supplée  à  la  pauvreté  ou  à  l'absence  de  la 
rime,  et  c'est  lui  qui  donne  toujours  lieu  aux  fantaisies 
vocales  les  plus  compliquées." 


DU  CANADA. 


45 


Le  jeune  homme  qui  figure  dans  ces  couplets  a  évidem- 
ment reçu  de  bien  mauvais  exemples  de  son  avocat  de 
père. 


i-=* — ^ — *'~~ï — — >* — ** — *î 

Au  jardiu    de    mon         pè-  re         Uu  o-  rîiu-ger  lui 


ya,  li-  luuu-za  ;        Qu'est  si   chtirHé  d'o-         lau- 


mÊ 


ze^^çz 


_^_-n^__ 


Qu'on  croit  qu'il  en  roui-    pra,  litaou-  za.      J'ai-nie,  j'aime,  oh  ! 
rzrzaiz 


::^=ïî:=S  =::>,— S  J- 


l^=:zïi~z=il-z^-=^ 


gai,  gai,  gai,  j'ai  le        cœur    sau      gai,      J'en-ten-dis  chan- 


~^:=a!- 


ter,  dan-ser    les  mou-  tous,  les  uiou-tons,  don-     dé,         dou, 


dou,  les  mou-tons,  les    mou-         tous,  les  mou-tous,  les  mou 


"-^|Ë^i^ÊE=Ëi^^§Ë^:^;?=""— '"= 


»?  c  g 


tons,  les  moutons,  dou-     dé,    dou,  don,  les  moutons,    les  mou 


jj  —  ^ — ^  — 

tons,  les  mou- tons,  les  mou-         tons,  les   mou -tons,    don 


dé. 


46  CHANSONS  POPULAIRES 

Au  jardin  de  mon  père 

Un  onuiger  lui  y  a,  liniouza, 

Qu'est  si  chargé  d'oranges 

Qu'on  croit  qu'il  en  rompra,  liraouza, 

J'aime,  j'aime,  oli  !  gai,  gai,  gai, 

J'ai  le  cœur  san  gai  ; 

J'entendis  chanter,  danser 

Les  moutons,  les  moutons,  don  dé  ; 

Dou,  dou,  les  moutons,  les  moutons,  i  /r  •  v 

Les  moutons,  les  moutons,  les  moutons,  don  dé.  ^ 

Qu'est  si  chargé  d'oranges 
Qu'on  croit  qu'il  eu  rompra,  limouza. 
Je  denïfinde  à  mon  père 
Quand'  c'qu'on  les  cueillera,  limouza. 
J'aime,  j'aime,  etc. 

Je  demande  à  mon  père 
Quand'  c'qu'on  les  cueillera,  limouza. 
Mon  pèr'  me  fait  réponse  : 
Quand  ton  ami  viendra,  limouza. 
J'aime,  j'aime,  etc. 

Mou  pèr'  me  fait  réponse  :  ' 

Quand  ton  ami  viendra,  limouza. 
Les  oranges  sont  mûres. 
Mou  ami  ne  vient  pas,  limouza. 
J'aime,  j'aime,  etc. 

Les  oranges  sont  mûres, 
Mou  ami  ne  vient  pas,  limouza. 
J'ai  pris  une  échelette. 
Mon  panier  dans  mon  bras,  limouza. 
J'aime,  j'aime,  etc. 

J'ai  pris  une  échelette. 
Mon  panier  dans  mon  bras,  limouza  j 
Je  cueillis  les  plus  mûres, 
'Laissai  les  vertes  là,  limouza. 
J'aime,  j'aime,  etc. 


DU  CANADA  4T 

J'ai  cueillis  les  i)lus  mûres, 
'Laissai  les  veit(;s  là.  limousa. 
'M'en  vais  au  mavclié  v<Midre, 
Au  luaiclié  (le  Lava,  limouza. 
J'aime,  J'aime,  etc. 

'M'en  vais  au  maiclié  vendre, 
Au  maiclié  de  Lava,  lijuouza. 
Dans  mou  chemin  rencontre 
Le  fils  d'un  avocat,  limouza. 
J'aime,  j'aime,  etc. 

Dans  mon  chemin  rencontre 
Le  fils  d'un  avocat,  limouza; 
'M'en  prend  une  douziine, 
Ne  me  les  paya  pas,  limouza. 
J'aime,  j'aime,  etc. 

'M'en  prend  une  douzaine, 
Ne  me  les  paya  jias,  limouza. 
— Ah  !  monsieur,  mes  oranges  ! 
Vous  n'me  les  payez  pas  !  limouza. 
J'aime,  j'aime,  etc. 

Ah  !  monsieur,  mes  oranges  ! 

Vous  n'me  les  payez  pas  !  limouza. 

— Passez  de  chez  mon  père. 

Il  vous  les  paiera,  limouza. 

J'aime,  j'aime,  oh  !  gai,  gai,  gai, 

J'ai  le  cœur  san  gai  ; 

J'entendis  chanter,  danser 

Les  moutons,  les  moutons,  don  dé  : 

Dou,  don,  les  moutons,  les  moutons,  > 

Les  moutons,  les  moutons,  les  moutons  don  dé.  S  ^     ' 


48  CHANSONS  POPULAIRES 


J'AI  TANT  DANSÉ,  J'AI  TANT  SAUTÉ 

Une  variante  de  cette  chanson  se  chante  dans  le  Gam- 
brésis,  en  France.  On  en  chante  aussi  une  autre  dans  le 
Bas-Poitou  :  Le  Cordonnier  de  Nantes.  Le  refrain  de  notre 
version  canadienne  est  d'une  gentillesse,  d'une  légèreté 
charmantes. 

Voix  seule. 

J'ai  tant  dan-sé,  j'ai     tant  sau-té,    Dansons  ma  ber- 
gère, oh  !  gai.  J'en      ai   dé-cousu      mon  sou-lier,    à 
Voix  seule,  puis  la  reprise  en  chœur. 


l'oin-  bre.  Dau-sous  ma  ber-     gèr'    jo-  11-  meut,     que 

le  plancher  eu    rom-  pe  1 

J'ai  tant  dansé,  j'ai  tant  sauté, 
Dansons  ma  bergère,  oh  !  gai, 
J'en  ai  décousu  mou  soulier. 

A  l'ombre, 
Dansons  ma  berger' joliment, 
Que  le  plancher  en  rompe  ! 

J'en  ai  décousu  mon  soulier. 
Dansons  ma  bergère,  oh  !  gai. 
J'ai  'té  trouver  le  cordonnier. 
A  l'ombre,  etc. 


DU  CANADA  49 


J'ai  'té  trouver  le  cordonnier, 
Dansons  ma  bergère,  oh  !  gai. 
— Beau  cordonnier,  beau  cordonnier, 
A  l'ombre,  etc. 

Beau  cordonnier,  beau  cordonnier, 
Dansons  ma  bergère,  oh  !  gai. 
Veux-tu  racc'moder  mon  soulier  ? 
A  l'ombre,  etc. 

Veux-tu  racc'moder  mon  soulier  ? 
Dansons  ma  bergère,  oh  !  gai. 
Je  te  donu'rai  un  sou  marqué. 
A  l'ombre,  etc. 

Je  te  donu'rai  uc  sou  marqué. 
Dansons  ma  bergère,  oh  !  gai. 
— De  sous  marqués  j'en  ai-z-assea, 
A  l'ombre,  etc. 

De  sous  marqués  j'en  ai-z-assez, 
Dansons  ma  bergère,  oh  !  gai. 
Faut  aller  trouver  le  curé, 
A  l'ombre,  etc. 

Faut  aller  trouver  le  curé, 
Dansons  ma  bergère,  oh  !  gai. 
Pour  dans  un  mois  nous  marier. 
A  l'ombre,  etc. 

Pour  dans  un  mois  nous  marier, 
Dansons  ma  bergère,  oh  !  gai. 
— Nenni,  un  mois  n'est  pas  assez, 
A  l'ombre,  etc. 

Nenni,  un  mois  n'est  pas  assez, 
Dansons  ma  bergère,  oh  !  gai. 
Faut  m'attendre  encore  une  année. 

A  l'ombre. 
Dansons  ma  berger'  joliment, 
Que  le  plancher  en  rompe  ! 


50  CHANSONS  POPULAIRES 


DIGUE  DINDAINE 


Ne  dirait-on  pas  que  cette  mélodie  d'une  si  délicate 
beauté  se  termine  sur  la  dominante  tout  exprès  pour  imi- 
ter le  son  continu  du  i:)elit  bourdon  de  la  musette,  qui  fait 
encore  entendre  sa  note  dominante  alors  que  le  musicien 
a  fini  d'exécuter  son  air  ?  Cette  chanson,  aussi  belle 
conune  poésie  que  comme  musique,  nous  vient  de  la 
France,  où  elle  n'est  pasnoaplus  tout-à-fait  oubliée.  L'air 
sur  lequel  M.  Wekerlin  (collaborateur  de  M.  Champfleury,) 
l'a  notée,  dans  les  Chansons  populaires  des  provinces  de 
France^  est  fort  joli,  mais  ressemble  peu  au  nôtre  ;  quant 
aux  paroles,  publiées  dans  le  même  ouvrage,  et  qui  se 
chantent  dans  le  Nivernais,  elles  sont  loin  d'être  aussi 
poétiques  que  ceilesde  notre  version  canadienne.  Comme 
dans  notre  chanson,  il  s'agit,  dans  la  version  française, 
d'une  petite  fille  "  encore  jeunette  ''  qui  part  pour  garder 
son  troupeau  et  qui  oublie  son  déjeûner.  '•  Un  valet  de 
chez  son  père  "  va  le  lui  porter  et  la  trouve  tout  attristée 
de  la  dispersion  des  intéressants  quadrupèdes  commis  à 
sa  garde  ;  le  galant  valet  embouche  alors  un  instrument 
champêtre  et  fait  revenir  comme  par  enchantement  le 
troupeau  au  pied  de  la  bergère.  Mais  ici  commence  la 
bifurcation  :  le  troupeau  de  la  chanson  française  n'est 
pas  comi)Osé  de  moutons  mais  bien  de  prosaïques  enfants 
de  la  race  porcine....,  lesquels  se  mettent,  eux  aussi,  à 


r>U  CANADA  51 

daiisiT.  '.nais  sans  se  tenir  par  la  patte, — ce  qui  est  beau- 
coup moins  élégant. 

l'n'y  avait  qu'la  grand*  trui'-caude 
Qui  ne  voulait  pas  danser, 

ajoute  la  chanson   française  ;   mais  le   chef  de  la  bande 
vient  la  prendre  par  l'oreille  et  lui  dit  : 


Commère,  il  nous  faut  dauser  ! 


acte  d'une   autocratie   révoltante,   en   opposition   directe 

avec  les  immortels  principes  de  89,  comme  diraient  certains 
grands  journaux   de  Paris,  et  qui  dut  soulever  une  bien 

grande  indignation  parmi   toute   la  gent  soyeuse. ...  ce 

que,  cependant,  la  chanson  ne  dit  point. 


i=3:i:-^=J=^ -^ 


^2=^^:E=gH3=|zz5|=-^-=|^-==^:::.- 


Quauil  j'é-     tais  de  chez  mon       pè-  le,    di-  gue  din- 

" — g  —  g — K»  — F—  fcg —  **  — " ^ 1 ^-.^ — «'-—  3à " H 

dai-  ne,  Jeu-  ne      fille     à     ma-  ri-  er,       di-  gue    diu- 

dé,  Jeu-     ne     fille     à  ma-  ri-  er,  Jeu-  ue     fille     à    ma-ri- 


Quand  j'étais  de  chez  mon  père,  digue  dindaine, 
Jeuue  fille  à  marier,  digue  dinde, 
Jeune  fille  à  marier,  (ft/s) 


62  CHANSONS  POPULAIRES 

Il  iii'envoio  de  sur  ces  i)Iaincs,  di^aio  diudaine, 
Pourre  les  uionton.s  garder,  digue  dinde. 
Pourre  les  moutons  garder,  (his) 

Moi  qu'étai'-t-encore  jemiette,  digue  dindaine, 
J'oubliai  mou  déjeiiner,  digue  dinde. 
J'oubliai  mou  déjeuner,  (bis) 

Un  valet  de  chez  mou  pèrs,  digue  dindaiue, 
Est  venu  me  l'apporter,  digue  dinde. 
Est  venu  me  l'api)orter.   (his) 

— Tenez,  petite  bruuette,  digue  dindaiue, 
Voilà  votre  déjeûner,  digue  dindaiue. 
Voilà  votre  déjeûuer.   {bis) 

— Que  voulez-vous  que  j'en  fasse,  digue  dindalae. 
Mes  moutons  sont  égarés!  digue  diudé. 
Mes  montons  sont  égarés  !  (bis) 

— Que  douneriez-vous  la  belle,  digue  diudaine; 
Qui  vous  les  ramènerait  ?  digue  dinde. 
Qui  vous  les  ramènerait  1  (bis) 

— Ne  vous  mettez  poiut-z-en  peine,  digue  dindaine. 
Je  saurai  bien  vous  payer,  digue  diudé. 
Je  saurai  bien  vous  payer,  (bis) 

Il  a  pris  son  tirelire,  digue  dindaiue, 
11  se  mit  à  turluter,  digue  diudé. 
Il  se  mit  à  turluter.  (bis) 

Au  son  de  son  tirelire,  digue  dindaine, 

Les  moutojis  s'  sont  assemblés,  digue  dinde. 

Les  moutons  s'  sont  assemblés,    (bis) 

Ils  se  sont  pris  par  la  pattf,  digue  diudaine, 
Et  se  sont  mis  à  danser,  digue  dinde. 
Et  se  sont  mis  à  danser,  {bis) 


DU  CANADA.  SB 

V  n'y-avait  qu'un'  vieill'grand'-mère,  digue  dindaine, 
Qui  ne  voulait  pas  danser,  digue  dinde. 
Qui  ne  voulait  pas  danser,  {bis) 

— Oh  !  qu'a'  vous,  ma  vieill'  grand'-mère,  digue  dindaine, 
Qu'avez-vous  à  tant  pleurer  ?  digue  diudé. 
Qu'avez- vous  à  tant  pleurer  ?  {bis) 

— Je  pleure  ton  vieux  grand-père,  digue  dindaine. 
Que  les  loups  ont  étranglé  !  digue  dinde. 
Que  les  loups  ont  étranglé  !  (bis) 

Ils  l'ont  traîné  dans  la  plaine,  digue  dindaine, 
Et  les  os  lui  ont  croqué,  digue  diudé. 
Et  les  08  lui  ont  croqué,  (bis) 


54  CHANSONS  POPULAIIIKS 


MON  CRI  GRA,  TIR'  LA  LIRETTE 

Un  ancien  missionnaire,  M.  l'abbé  Sévère  Dnmonlin,  a 
entendu  chanter  ce  joyeux  refrain  p;u-  des  canotiers  ca- 
nadiens de  la  Rivière-Rouge.  M.  l'abbé  P.  Pouliot,  qui 
l'a  appi-is  de  M.  Dumoulin  lui-même,  l'a  chanté  à  M. 
l'abbé  J.  Auclair  de  qui  je  l'ai  recueilli.  Il  n'est  pas  sans 
intérêt  de  constater  comment  la  chanson  de  pauvres 
canotiers  perdus  dans  un  pays  lointoin  et  demi-sauvage, 
est  venue  se  placer  à  la  page  cinquantfi-quatrième  de  ce 
volume. 


-^' 


rS^=-^3 


Par  derrièr'     chez  ma  tau-te      uu  o-  ran-     ger  lui  ya 
Qu'est  si  char-   gé  d'o-ran-ges  qu'où  croit  qu'il    eu     rom-pra, 


Mon  cri  cra,     tir'  la  li-  ret-  te,     Mon  cri  cra,     tir'  hi     li-  ra. 

(Pour  les  autres  paroles,  voir  Au  jardin  de  mon  père  un  oranger 
lui  ya) 


DU  CANADA.  55 


MON  BEAU  RUBAN  GRIS 

On  a  vu  plus  haut  que  notre  chanson  Cécilia  se  chante 
encore  en  France.  Dans  la  version  française  se  trouvent 
les  couplets  suivants  : 

'•'■  Que  disent  les  oiseaux  des  bois?— Que  les  femmes  ne 
valent  rien, — Et  les  hommes  encor  bien  moins. — Pour  les 
fill's,  ils  en  dis'nt  du  bien.  " 

Chose  assez  singulière,  je  retrouve  à  peu  près  ces 
mêmes  couplets  dans  Mon  beau  ruban  gris.  Dans  l'une  et 
dans  l'autre  chanson  les  hommes  sont  assez  mal  menés  ; 
mais  on  aura  beau  faire,  la  raison  du  plus  fort  sera  tou- 
jours la  meilleure. 


p3=^-|=5^2Z'       ~      .  .    .    -    -.V. 


Ce    sout  les       da-    -      mes  de  Pa-      ris,  Ce 


sont  les       da-    -         mes-  de  Pa-     ris      Qui     font  blan 


=  E?_«=E=5=5— =*E^^  î=^*^E5=3  =?=g=^ 


chi-  re    leurs  lo-  gis,  Mou  beau  ru-ban  gris,  mon  beau  ru-ban 


gris.  Mon     beau  ru-  ban    jaun',  Mon    jo-     li  gris-  jaun',  Mon 

piiiîili^iiyf^^iiiîllll 

gris  jo-       li,  Mon     beau  ru-  ban     gris. 


66  CHANSONS  POPULAIRES 

Ce  sont  les  dames  de  Paris    (bis) 

Qui  font  blajicliire  leurs  logis, 

Mon  beau  ruban  gris,     {bis) 

Mon  beau  ruVjau  jaune, 

Mou  joli  gris-jauue. 

Mon  gris  joli, 

Mon  beau  ruban  giis. 


Qui  font  blancliiro  leurs  logis,     (bis) 
Depuis  la  table  jusqu'au  lit. 
Mou  beau  ruban  gris,  etc. 

Depuis  la  table  jusqu'au  lit,     (bis) 
Depuis  le  lit  jusqu'au  châssis. 
Mou  beau  ruban  gris,  etc. 


Depuis  le  lit  jusqu'au  châssis,     (bis) 
Depuis  l'châssis  jusqu'au  jardin, 
Mon  beau  ruban  fin,  etc. 


Depuis  l'châssis  jusqu'au  jardin,     (bis') 
Dans  ce  jardin  lui  ya-t-un  poits 
Mon  beau  ruban  gris,  etc. 


Dans  ce  jardin  lui  ya-t-un  poits,     (bis) 
Yous(jue  les  oiseaux  font  lenis  nids. 
Mon  beau  ruban  gris,  etc. 


Yousque  les  oiseaux  font  leurs  nids,    (bis) 
La  caille  et  aussi  la  perdrix. 
Mon  beau  ruban  gris,  etc. 

La  caille  et  aussi  la  perdrix,     (his) 
La  caille  dit  en  son  latin, 
Mon  beau  ruban  un,  etc. 


DU  CANADA  67 

La  caille  dit  en  son  latin     (bis) 
Que  les  honinies  ne  sont  point  fius, 
Mou  beau  ruban  un,  etc. 

Que  les  hommes  ne  sout  poiut  fius,     (bis) 

Mais  coutr'  les  feium's,  ell'  ue  dit  rien, 

Mou  beau  rubau  fiu.     (bis) 

Mou  beau  rubau  jauue, 

Mon  joli  gris-jaune, 

Mon  gris  joli, 

Mon  beau  ruban  gris. 


58  CHANSONS  POPULAIRES 


MON  BEAU  RUBAN  GRIS 

(Autre  air  recueilli  par  M.  Vahhé  P.  Lacjacé) 

Cette  douce  mélodie  dont  les  notes,  presque  toutes  de 
valeurs  égales,  roulent  constamment  dans  un  mode  an- 
tique, est  bien  ini  type  de  ces  chansons  populaires  dont 

J.-J.  Rousseau  a  dit  :  " Les  airs  ne  sont  pas  piquants, 

mais  ils  ont  je  ne  sais  quoi  d'antique  et  de  doux  qui  tou- 
che à  la  longue Ils   sont  simples,  naïfs,   souvent 

tristes;  ils  plaisent  pourtant."  La  phrase  mélodique  qui 
commence  avec  les  mots  :  "Ah!  mon  beau  ruban  jaune, 
etc.,"  ne  devrait  commencer,  régulièrement,  qu'une  me- 
sure plus  tard.  Cependant,  cette  espèce  d'enjambement 
est  loin  d'être  dénuée  de  charmes. 


Ce  sont  les  da-ines  de  Pa-       ris,  Ce  sont  les 

da-  mes  de     Pa-     ris         Qui  font  blan-     clii-     re  leurs  lo- 


gis,  Mon  beau  ru-  ban     gris.  Ah  !  mon  beau  ru-ban  jaune,  Mon 


5=«? 


jo-  li  gris  jau-  ne,  mon  gris,Mon  beau  ru-ban   jau-ne   jo-Ii. 


DU  CANADA 


59 


VA,  VA,  VA,  P'TIT  BONNET,   GRAND  BONNET 

La  monotonie  qui  caractérise  presque  toujours  la  mé- 
lodie populaire  n'est  due  ici  qu'à  la  répétition  fréquente 
des  mêmes  intonations.  Rhythmc  léger  bien  qu'à  l'allure 
un  peu  rustique. 

On  chante  dans  l'ouest  de  la  France  (Saintonge  et 
Aunis)  la  chanson  Mon  père  aussi  m'a  mariée  (voir  plus  loin 
Un  filant  ma  quenoinllc)  sur  notre  air  de  Ka,  t'A,  va^  p'tit 
bonnet,  grand  bonnet. 


m 


Voix  seule,  puis  la  reprise  en  cliœur. 


.^S SJ^ 

e=E»:E5rî 


:t8— 


Va,  va,  va,  p'tit  bon-  net,  grand  bou-  net, 

FIN.       Yoix  seule,  la  reprise 

Va,  va,  va,  p'tit  bon-  net  tout  rond.         Mon     père  a  fait  bâ- 
en  chœur. 

tir  maison.         Va,  va,  va,  p'tit  bon-  net  tout  rond.  L'a 


ZitZlZ 


-^-=M- 


1-^ — 1^-^— <a-|        ^ ^ 

fait  bâtir  à    trois  pignons, p'tit  bou-  net,  grand  bonuet,p'tit  bou- 

Ei=g=ê=Ea 


net  tout  rond.  D.C. 


Mon  père  a  fait  bâtir  maison. 
Va,  va,  va,  p'tit  bonnet  tout  rond. 
L'a  fait  bâtir  à  trois  pignons. 


60  CHANSSONS  POPULAIRE 

P'tit  bonnet,  grand  bonnet, 
P'tit  bonnet  tout  rond. 
Va,  va,  va,  p'tit  bonnet,  grand  bonnet, 
Va,  va,  va,  p'tit  bonnet  tout  rond. 


L'a  fait  bâtir  à  trois  pignons, 
Va,  va,  va,  p'tit  bonnet  tout  rond. 
Sont  trois  charpentiers  qui  la  font, 
P'tit  bonnet,  grand  bonnet,  etc. 


Sont  trois  charpentiers  qui  la  font, 
Va,  va,  va,  p'tit  bonnet  tout  rond. 
Le  plus  jeune  c'est  mon  mignon, 
P'tit  bonnet,  grand  bonnet,  etc. 


Le  plus  jeune  c'est  mon  mignon, 
Va,  va,  va,  i)'tit  bonnet  tout  rond. 
— Qu'apportes-tu  dans  ton  jupon  ? 
P'tit  bonnet,  grand  bonnet,  etc. 


Qu'apportes-tu  dans  ton  jupon  ? 
Va,  va,  va,  p'tit  bonnet  tout  rond. 
— C'est  un  pâté  de  trois  pigeons, 
P'tit  bonnet,  grand  bonnet,  etc. 


C'est  un  pâté  de  trois  pigeons. 
Va,  va,  va,  p'tit  bonnet  tout  rond. 
— Asseyons-nous  et  le  mangeons, 
P'tit  bonnet,  grand  bonnet,  etc. 


Asseyons-nous  et  le  mangeons. 
Va,  va,  va,  p'tit  bonnet  tout  rond. 
En  s'asseyaiit  il  fit  un  bond, 

P'tit  bonnet,  grand  bonnet,  etc. 


DU    CANADA  « 


En  s'asseyant  il  fit  un  bond, 
Va,  va,  va,  p'tit  bonuet  tout  rond, 
Qui  fit  trembler  mer  et  poissons, 
P'tit  bonnet,  grand  bonnet,  etc. 


Qui  fit  trembler  mer  et  poissons, 
Va,  va,  va,  p'tit  bonnet  tout  rond, 
Et  les  cailloux  qui  sont  au  fond, 

P'tit  bonnet,  grand  bonnet, 

P'tit  bonuet  tout  rond. 
Va,  va,  va,  p'tit  bonnet,  grand  bonnet, 
Va,  va,  va,  p'tit  bonuet  tout  rond. 


62  CHANSON-.S   POPULAIRES 


FRTNGUE,  FRINGUE  SUR  L'AVIRON 

"  Nous  avons,  a  dit  Dubois,  (grammairien  du  seizième 
siècle,)  un  nombre  infini  d'interjections  qui  se  trouvent 
dans  les  chansons  populaires,  comme  lirompha^  dada,  etc.'* 

Il  ne  faut  pas  croire,  cependant,  que  tous  ces  mots  et 
locutions  de  refrains  soient  autant  A' interjections  à  peu 
près  inexplicables.  Dans  Fringue^  fringue  sur  l'aviron^  les 
mots  : 

Tortille  uiorfil, 
Arrangeur  de  faucilles 
Triboiiille  marteau...... 

ont  un  sens  réel,  facile  à  saisir,  et  qui  est  celui-ci  : 

"  Arrangeur  de  faucilles,  fais  tordre  le  morfil  de  ta 
lame  ;  frappe  ta  lame  de  ton  marteau." 

On  sait  qu'on  appelle  morfU  ces  parties  d'acier  pres- 
que imperceptibles  qui  restent  au  tranchant  d'une  lame 
que  l'on  vient  de  passer  sur  la  meule. 


Voix  seule,  puis  la  reprise  en  chœur. 
'/• 

Frin-gue,      friu-gue        sur     la     ri-         vie-    re, 

FIN.    i     Voix  seule, 

Friu-gue,    friu-gue       sur  l'a-  vi-      ron.       Mon      père    a 


DU  CANADA 


63 


la  reprise  en  chœur. 

p==?iiiliiiÉl^iï^3lillïl3iriiinîl 

fait  bâ-     tir  mai-     sou,         Friu- gue,     frin-gue     sur  l'a- vi- 
Voix  seule. 

rou.  L'a         fait     bâ-     tir      à        trois  pi-     gnons,  Tor- 


t-M-^ a. ^—  [-_  j— — ai 10 — j— — ? ■o' — (• j — » —  ff — m- 1  — g> « '3 

til-   le  mor- fil,  Ar-rau-    geur  de  fau-   cil- les, Tri- bouille  raar- 


teap,Bij»a-    soir  lu-      tin! 


<Pour  les  autres  paroles,  voâ-  Va,  va,  va,  pHit  bonnet,  grand  bontiet) 


64 


CHANSONS  POPULAIRES 


GENTIGORUM 

Ce  curieux  refrain  était  autrefois  en  grande  vogue  au 
collège  Juliette.  Il  est  connu,  du  reste,  dans  toutes  les 
parties  du  pays. 


~^ — j-'        -j^ — m- 


-J^^=mz 


—^ —  gz^t:=: 


m 


Mon  père  a    fait    bâ-      tir  mai-son,    Vir-gé  var-gè 


lJîr—:~==i—- 


-■^ — >«- 


:tië=2i 


vargenton,        L'a  fait    bâ-  tir     à      trois  pignons    Sur    le 


ir5.-=i:d^ 


id'^r^rSr: 


bri,  sur     le     brin,  sur      le  sin-  tou-       ri,     sur      le 


^-»^ — " — ?-«> — gi — g < 


laur- =*rE*=r*: 


eu-  lo-    rnm,  sur    le       sin-  to-     rum,    Gen-ti-  co-ruin  sur 


^'^=^îEffi=-*-3— ^ 


—-y — g — a» ^ — , — ' 


ilz=:Bstzz=:»=3= 


t=^- 


;é-  lo-rum,  mi-     ron    flon  flon     sur  la        vert  bat-te-  ri' 


i 


m. ^ j, — 


=ï==ï»=: 


I» S L». 


1-^ ^^ 1 1^— __^ , , 


Viv'  l'a-  mourette  en     vargenton,  ma    lu-    ron  ma  lu-  ré. 
(Pour  les  autres  paroles,  voir  Ya^  va,  va,pHit  bonnet,  grand  bonnet) 


DU  CANADA 


65 


FRIT  A  L'HUILE 

Voici  encore  un  refrain  d'origine  française.  Gela  res- 
sort, d'abord,  de  ce  qu'il  est  connu  par  tout  le  pays,  puis 
et  surtout  de  ce  qu'il  y  est  question  de  friture  à  l'huile. 
Nos  huiles  de  marsouin,  de  foies  de  morues  et  de  pétrole 
n'ont  pas  encore  eu  Thonneur  d'un  chapitre  dans  la  Cui. 
sinière  canadienne,  et  pour  ce  qui  est  de  l'huile  d'olive, 
que  nous  importons  de  l'étranger,  on  sait  qu'elle  ne 
paraît  jamais  sur  nos  tables  que  froide  et  comme  assai- 
sonnement, et  que  le  peuple  en  fait  rarement  usage.  Il 
n'en  est  pas  de  même  en  France,  surtout  dans  le  midi,  où 
l'huile  d'olive  joue  un  rôle  considérable  dans  la  cuisine 
du  peuple. 


; * .- 


Mou  père  a      fait  bâ-  tir  mai-  son,    Ah  !  ah  !  ah  !  frit  à 


-Kzz—mzzzz 


Thui-le,         L'a  fait  bâ-  tir  à  trois  pi-gnous,  Fri-tai-ne,    fri- 


ton,  fri-ton,  poë-  Ion,  Ah  !  ah  !  ah  !  frit    à     l'hui-le,  frit  au 


beurre  et       à        l'o-     gnon. 
(Pour  les  autres  paroles,   voir  Va,  va,  va,  pHit  bonnet,  grand  bonnet) 


66  CHANSONS  POPULAIRES 


C'EST  DANS  LA  VILLE  DE  BYTOWN 

Il  y  a  de  cela  déjà  bien  des  années,  par  une  délicieuse 
matinée  de  juillet,  un  jeune  homme  avec  qui  je  suis  inti- 
mement lié,  partait  de  la  ville  des  Trois-Rivières  pour  se 
rendre  à  sa  paroisse  natale,  la  Rivière-du-Loup,  en  haut. 
Le  jeune  homme  était  musicien,  et,  commue  il  n'avait  que 
dix-sept  ans,  il  devait  naturellement  se  croire  très-fort 
dans  son  art.  Chemin  faisant,  voilà  que  son  cocher,  ému 
sans  doute  par  les  beautés  du  soleil  levant,  et  stimulé 
aussi,  peut-être,  par  le  chant  des  coqs  et  le  bêlement  des 
génisses,  se  met  à  entonner  :  Cest  dans  la  ville  de  Bytown 
avec  un  accent  rustique  des  plus  prononcés.  Grand  plaisir 
chez  notre  artiste  en  herbe,  qui,  en  vrai  musicien  de 
notre  siècle,  cherche  aussitôt  à  harmoniser  la  mélodie, 
dans  son  esprit,  à  mesure  qu'elle  sort  du  rude  gosier  de 
son  compagnon.  Mais  voilà  notre  jeune  ami  tout  décon- 
tenancé ! Impossible  d'harmoniser  cela!    Il  a  beau 

solliciter  toutes  les  formules  harmoniques,  toutes  les  mo- 
dulations à  lui  connues impossible  d'arriver  à  rien  ! 

De  la  leçon  toute  pratique  que  donnait  à  notre  ami  son 
brave  compagnon  de  route,  il  ressortait  clairement  ce 
principe  :  qu'il  peut  exister  une  musique  reposant  sur 
d'autres  lois  que  sur  celles  qui  régissent  la  tonalité  qui 
nous  est  familière.  Mais  il  ne  tira  pas  cette  conclusion 
tout  d'abord.    Assurément  il  fut  frappé  de  l'étrangeté  de 


DU   CANADA  C7 

la  mélodie  qu'il  entendait,   mais  ce  qui  lui  parut  iiifmi- 

ment  plus  étrange  encore,  ce  fut  de  se  voir,  lui,  mis  à 

quia  par  un  pauvre  cocher  ! 

"  Les  airs  populaires dit  M.  Wekerliii,  oftVeiifc  quel- 
quefois de  véritables  ditficultés  d'harmonisation,  étant  faits 
complètement  en  deliors  des  vues  d'un  accompagnement,  et 
contraires  souvent  à  nos  lois  harmoniques  sur  les  modulations. 
Quelques-unes  de  nos  chansons  populaires  datent  d'une 
époque  assez  reculée,  cela  est  incontestable  ;  plusieurs  d'entre 
elles,  celles  où  la  note  sensible  n'existe  pas,  par  exemple,  re- 
montent au  moins  à  1500,  puisque  ce  n'est  que  tout  au  com- 
mencement de  1600  que  Mouteverde  trouva  l'accord  de  sep- 
tième de  dominante.  Or,  cet  accord  de  septième  détermina 
réellement  le  sentiment  de  la  note  sensible,  c'est-à-dire  le 
demi-ton  qui  précède  la  tonique.  Même  sans  ce  trait  carac- 
téristique, beaucoup  de  chansons  populaires  fout  constater 
l'ancienneté  de  leur  origine,  rien  (^ue  par  leur  allure  métho- 
dique, leur  similitude  avec  le  chaut  grégorien." 

Je  ne  partage  pas  entièrement  la  manière  de  voir  du 
distingué  compositeur  dont  je  viens  de  citer  les  paroles, 
et  je  ne  serais  pas  prêt  à  croire,  comme  lui,  à  l'an- 
cienneté d'une  mélodie  uniquement  parce  qu'elle  se 
rapproche  de  la  tonalité  grégorienne..  Cette  tonalité  n'a 
jamais  eu  accès  au  théâtre,  et  l'harmonie  dissonante  l'a 
chassée  complèiement  des  salons,  c'est  vrai  ;  mais  dans 
certaines  campagnes  (je  parle  des  campagnes  du  Canada), 
surtout  dans  celles  où  il  n'y  a  ni  orgue,  ni  harmonium 
dans  les  églises,  et  où  l'on  n'entend  jamais  d'autre  instru. 
ment  que  le  violon,  elle  règne  encore  en  souveraine  ; 
c'est  dans  cette  langue  musicale  que  les  chanteurs  popu- 
laires improvisent  et  composent.  Il  est  possible  que  la 
mélodie  de  C'est  dans  la  ville  de  Bylown^  qui  appartient  au 
premier  mode  authentique  de  la  tonalité  ancienne,  soit 
de  composition   fort  antérieure  à  celle  des  paroles  qui 


68 


CHANSONS    POPULAIRES 


l'accompagnent,  mais  il  est  aussi  fort  possible  que  paroles 
et  musique  aient  été  composées  en  même  temps  :  ce  qui 
alors  ne  pourrait  remonter  bien  haut. 

On  a  fait  un  grand  nombre  de  chansons  où  figure  la 
ville  de  ByLowii  (aujourJ"liiii  Ottaoua).  M.  LaRue,  dans 
son  étude  sur  nos  cliansons  populaires,  en  a  cité  une  très- 
remarquable  dont  je  regrette  de  ne  pas  connaître  l'air. 
Bytovvn  a  été  longtemps  le  poste  avancé  de  la  civilisation 
dans  la  belle  vallée  de  l'Ottaoua,  le  dernier  souvenir 
qu'emportaient  les  voyageurs-forestiers  dans  leurs  loin- 
taines excursions  au  delà  des  îles  Calumet  et  Allumettes. 


C'est  daus     la  vill'  de  Bail-      ton-ne,  Là     ious-  que  ~~ 
j'ai'té  faire  un       tour  ;  Là     ious-que     ya  des  jo-  lies 

fil-les,    Qui     sont         par-fait'  et  gen-  tilP,  Mais  yen     a- 


--^j 1        •         I — ^— »»^      J     "^ »  —F    i'^^^^9-    — a-r— * 1 — ■^^:r~ 

t-au'       que,  par  'sus    tout,  Z-ou  dit    que  j'y  fais  l'a-       luour. 


Mais  yeu  a-         t-an'      que,  par  'sus      tout,Z-on  dit 


que  j'y    fais    l'a-        mour. 


DU   CANADA  69 

C'est  dans  la  vill'  de  Bailtonne 
Là  iousque  j'ai  'té  fairo  un  tour; 
La  iousque  ya  des  jolies  filles 
Qui  sont  parfait'  et  gentilles, 
Mais  yen  a-t-an'  que,  par  'sus  tout, 
Z-on  dit  que  j'y  fais  l'amour. 


70  CHANSONS   POPULAIRES 


QUAND  J'ÉTAIS  CHEZ  MON  PERE 


Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  ces  couplets  sont  fort  an- 
ciens, si,  comme  je  le  pense,  le  mot  ''baron"  y  est  em- 
ployé pour  exprimer,  au  généri([ub,  un  grand  seigneur  : 


Mon  petit  cœur  en  .^age 
N'est  par  pour  un  baron. 

Par  ici-t-il  y  passe 
Trois  cavaliers  barons. 


"  Chaque  fois,  dit  M.  Arbaud,  que  nos  chants  parlent 
d'un  homme  noble,  puissant,  ils  l'appellent  un  baron, 
c'est-à-dire,  un  homme  par  excellence,  comme  le  bar  ger- 
manique dont  il  dérive.  Et  ne  croyez  pas  qu'ils  prejinent 
ce  mot  dans  son  acception  féodale  ;  non,  car  ils  le  donnent 
aux  saints  : 

Lou  barouu  sant  Alexi — se  voeu  pas  maridar 

ils  le  donnent  aux  plus  hauts  personnages  : 

Aperaquit  passavo — los  fiou  d'un  rei  baroun 


Mais  quand  la  hiérarchie  féodale  constituée  eut  rejeté 
presque  au  dernier  rang  ce  titre  de  baron,  il  perdit  natu- 
rellement sa  valeur  superlative "  \Chants  populaires 

de  la  Provence,  page  XVI  de  la  préface.) 


DU  CANADA  71 

Cette  chanson,  à  laquelle  on  attribue  une  origine  nor- 
mande, se  chante  dans  toutes  les  parLies  de  la  France, 
mais  avec  des  refrains  et  sur  des  airs  que  nous  ne  con- 
naissons pas  ici,  sauf  le  refrain  et  l'air  de  Vive  Napoléon  ! 
que  l'on  verra  plus  loin. 

On  chante  dans  le  comté  de  Maskinon^é  : 


.M'envoi'-t-à  la  fontaine 
Pour  pêcher  du  poissou- 


à  Québec  : 


et  en  France  : 


.M'envoi'-t-à  la  fontaine 
Pour  emplir  mou  eiuchon. 

-J'allais  à  la  fontaine 
Pour  cueillir  du  cresson... 


J'ai  recueilli  cette  mélodie  de  la  hoaclie  d'une  femme 
qui  me  l'a  répétée  un  grand  nombre  de  fois,  et  toujours 
telle  que  notée  ci-dessous,  avec  tous  les  mi  et  les  fa 
naturels. 


Quaud  j'é-tais  chez  mon  pè-  re,     Quand  j'é-tais  chez  mou 
pè-     re         Pe-  tite  et  jeun'  é-         tions,         doudai-ne,  dou, 


Pe-  tite      et  jeune  é-         tions,  don-       dai-  ne. 


Quand  j'étais  chez  mon  père  (bis) 

Petite  et  jeune  étions,   (ou  :  Petite  Jeanneton,) 

Dondaiue,  don, 
Petite  et  jeune  étions, 

Dondaiue. 


72  CHANSONS  POPULAIRES 

M'euvoi'-t-à  la  fontaine  (bis) 
Pour  pêcher  du  poisson, 
Dondaiue,  don,  etc. 


La  fontaine  est  profonde,  (bis) 
J'ine  suis  coulée  au  fond, 
Dondaine,  don,  etc. 

Par  ici-t-il  y  passe  (bis) 

Trois  cavaliers  barons, 

Doudaiue,  don,  etc. 

— Que  denneriez-vous,  belle,  (bis) 
Qui  vous  tir'rait  du  fond  f 
Dondaiue,  don,  etc. 

— Tirez,  tirez,  dit-elle,  (bis) 

Après  ça,  nous  verrous 

Dondaine,  don,  etc. 


Quand  la  bell'  fut  tirée,  (6w) 
S'en  fut  à  la  maison, 
Dondaine,  don,  etc. 

S'assit  sur  la  fenêtre,  (bis) 
Compose  une  chanson, 
Dondaine,  don,  etc. 

— Ce  n'est  pas  ça,  la  belle,  (bis) 
Que  nous  vous  demandons, 
Dondaine,  don,  etc. 


C'est  votre  cœur  en  gage,  (bis) 
Savoir  si  nous  l'aurons, 
Dondaine,  don,  etc. 


DU  CANADA  73 


— Mon  petit  cœur  en  gage,  (bis) 
N'est  pas  pour  nu  barou, 
Doudaiue,  dou,  etc. 


Ma  mère  me  le  garde  (6is) 
Pour  mon  joli  mignou, 

Doudaiue,  don, 
Pour  mon  joli  mignon, 

Dondaine. 


74 


CHANSONS    POPaLAfRK.S 


LA  BIBOURNOISE 

Cet  étrange  refrain  nous  vient  do  nos  ancêtres  de  la 
vieille  France.  Notre  variante  diiïere  assez  pen  de  celle 
qni  se  chante  encore  aujonrd'hui  dans  le  Uau[)hiné,  mais 
les  airs  ne  se  ressemblent  pas.  La  Bibournoise  était,  il  y  a 
vingt  ans,  nne  des  chansons  favorites  des  élèves  dn  petit- 
séminaire  de  Québec.  J'ai  souvent  entendu  dire  que  deux 
Anglais  ne  peuvent  déboucher  de  concert  une  bouteille 
de  Champagne  sans  chanter  God  save  Ihe  Queen  .'....  je 
crois  qu'il  était  également  autrefois  impossible  à  deux 
élèves  du  petit  séminaire  de  Québec  de  se  rencontrer  en 
vacances  sans  chanter  la  Bibournoise! 


■r^zT/am  z 


-:« «*_ 


Quaud    j'é-tais  chez  mou    pè-  re,     Pe-     ti-   te  Jeuuue- 


tou,  la      gliu,  glau,  glou,  M'en-  voi'-t-à  la  fou-  tai-ue  Pour 


_ N ,V >■-, — 


em-  plir  mon  cru-  chou,     La  Bi-  bour-  noi-     se,     Sout-c'dea 
pois,  des  pois,  des    fêv's,  des  fêv's  et  d'I'o-     gnon?  N'ya-t-i 


DU  CANADA 


75 


^^=1^=r^ 


j — * J— :j=rg— g— al  — g — I — ^  — '— ? «>^- 

pas     de     la    gliu  glan     glon?  Bon,  bou,     bon,      bou,  bon, 


-,>>^=->- 


=-=i-^M-^-=-^ 


bon,      Da-  ril-  Ion,      da-  ril-  lou,  da-      ril-       lou,      Oh  ! 


> ^* ^  — =; * — I  — ::;  ; 1 


la     gar-  ga-  ran-      çon    bi-  bour-noi-    se,       bon,     bon, 


— ^>« a. ^v >>- 


-s» — ^- 


^^t-^ 


m=sz 


m 


faisons  le  saut  de  la      gar-ga-rançon  bibour-    noi-  se. 
<Pour  les  autres  paroles,  voir  Quand  fêtais  chez  mon  père) 


76  CHANSONS  POPULAIRES 


VIVE  NAPOLÉON! 

"  Comment,  dit  M.  LaRiie,  passer  sons  silence  cette 
chanson  si  belle,  avec  son  air  plein  d'entrain,  et  qne  sait 
par  cœur  tout  Canadien  qui,  une  fois  dans  sa  vie  seule- 
ment, a  pris  une  rame  ou  un  aviron. 

"  Le  refrain  de  cette  chanson  indiquerait  une  origine 
moderne  ;  mais  il  a  été  changé.  Autrefois  on  chantait 
"  Vive  le  roi,  vive  le  roi!  "  {Le  Foyer  Canadien^  p.  355 — 
année  1863.) 

On  chante  cette  chanson  dans  l'Aunis,  en  France,  avec 
le  refrain  Vive  Napoléon!  que  nous  connaissons  si  bien 
ici,  et  sur  un  air  presque  semblable  au  nôtre.  Au  lieu  de 
Vive  le  roi!  on  y  dit:  Vive  la  loi!  En  Angoumois  et  en 
Poitou,  on  chantait,  sous  le  premier  empire  :  A  bas  les 
royalistes^  vive  Napoléon  ! 

Nos  habitants  disent  toujours  :  "  Vive  le  roi  de  la  reine  !" 
et  évitent  ainsi  riiiatiis  que  commettent  les  citadins  en 
disant  :  "  le  roi  et  la  reine." 


Quand    j'é-tais     chez  inoa     pè-  re,     Gai,       vi-  ve  le 
roi  !  Quaud  j'é-tais     chez  mon     pè-  re,     Gai,       vi-  ve    le 


DU   CANADA 


77 


Pe-     ti-     te      Jean-  ne-     ton,      vi-  ve    le 


^=àà^^m=mmmî 


=.gEE£ 


m 


roi  de  la       rei- 


ne.     Pe- 


U-     te      Jeanne-        ton, 


Vi-  ve  Na-    p«-    lé-     ou  ! 
(Pour  les  autres  paroles,  voir  Quand  fêtais  chez  monpère) 


78  CHANSONS  POPULAIRES 


SI  TU  TE  METS  ANGUILLE  —  UN  CANADIEN  ERRANT 

CelU)  (loucG  cantilène  est  connue  de  tout  le  monde,  en 
Canada.  Los  couplets  :  Si  tu  te  mets  anguille^  etc.,  ne  sont 
que  des  fragments  assez  altérés  de  la  chanson:  J'ai  fait 
wic  maîtresse,  que  l'on  verra  plus  loin.     Le  dernier  vers  : 

Je  nie  donu'iai  à  toi  puisque  tu  m'aimes  taut  ! 

devrait  être  séparé  des  vers  qui  précèdent  par  plusieurs 
couplets.  C'est  simplement  parce  que  ces  couplets  ont  été 
oubliés  que  cette  chanson,  si  poétique  d'ailleurs,  se  ter- 
mine si  sottement.  Il  ne  fut  jamais  venu  à  l'esprit  de  nos 
braves  habitants,  qui  n'ont,  grâce  à  Dieu,  jamais  mis  le 
pied  au  théâtre,  et  qui  n'ont  jamais,  non  plus,  nourri  leur 
esprit  des  romans  de  messieurs  et  madame  Damas,  Sue, 
Sand,  Kock  et  compagnie,  de  fabriquer  ce  dénouement 
à  la  Favorite. 

Mais  cette  ancienne  poésie  est  presqu'entièrement  ou- 
bliée aujourd'hui.  Elle  a  cédé  la  place  à  quelques  strophes 
composées,  en  1842,  par  un  étudiant  du  collège  de  Nicolet, 
qui  devait,  plus  tard,  devenir  un  de  nos  littérateurs  les  plus 
distingués.  Le  Canadien  errant  de  M.  A.  Gérin-Lajoie,  com- 
posé précisément  au  début  des  dures  années  d'exil  des 
révoltés  de  1837  et  1838,  aloi's  que  tant  d'honnêtes  familles 
pleuraient  l'absence  de  pauvres  '^  Canadiens,  bannis  de 
leurs  foyers,"  devint,  en  quelques  mois  seulement,  ex- 
trêmement populaire. 


DU  CANADA  79 

Les  mélodies  du.  peuple  possèdent  cette  qualité  si  rare 
d'unir  à  beaucoup  de  simplicité  une  expression  véritable. 
D'ordinaire  un  compositeur  n'est  simple  qu'à  la  condition 
d'être  vide  et  plat.  Aussi  est-il  plus  difficile  qu'on  ne  le 
croit  généralement  de  composer  une  mélodie  d'une  véri- 
table beauté  et  qui  puisse  se  vulgariser  parmi  le  peuple. 
Chateaubriand  avait  si  bien  compris  cela  que,  comme 
l'auteur  du  Canadien  errant^  il  avait  voulu  choisir  parmi 
des  chansons  populaires  (celles  de  l'Auvergne,  si  je  ne  me 
trompe,)  les  airs  de  ses  chants  du  Dernier  Abencérage 

■  Les  couplets  de  M.  Lajoie,  grâce  à  leur  mérite  et  à  leur 
actualité,  mais  grâce  aussi  à  la  vieille  mélodie  sur  laquelle 
ils  se  chantent,  sont  connus  aujourd'hui  partout  où  il  y  a 
des  Canadiens-français.  Que  Fauteur  pénètre  dans  la  forêt, 
qu'il  y  rencontre  quelques-uns  de  ces  défricheurs  dont  il  a 
si  bien  su  peindre  l'existence  et  les  rudes  mais  nobles  tra- 
vaux ;  qu'il  parcoure  les  villes  du  Haut-Canada  et  même 
certaines  villes  américaines  voisines  de  nos  frontières,  il  les 
entendra  chanter  partout.  Il  n'est  pas  jusqu'aux  échos 
des  Montagnes-Rocheuses  et  des  rives  du  lac  Ouinipeg  qui 
n'aient  répété  cette  touchante  poésie.  Mgr  Faraud,  vi- 
caire-apostolique d'Attabaska  et  du  territoire  de  la  rivière 
McKenzie,  m'a  dit  avoir  entendu  chanter  Un  Canadien 
errant  dans  les  plus  lointaines  missions  du  Nord-Ouest. 


80  CHANSONS  POPULAIRES 


Par  derrièr'    chez  iria     tante         II  lui  ya-      t-na  é- 

i^» *_ 


tang,     Par  derrièr'     chez  ma     tante         II  lui  ya-      t-un  é- 
tang..  .  Je  me  met-    trai  an-     guillc,      Auguil-le      dans  l'é- 
tang,       Je  me  met-    trai   au-     guillc,      Anguil-le      dans  l'é- 


tang. 


Par  derrièr'  chez  mn.  tante 
II  lai  3'a-t-nn  étang 


(bis) 


Je  me  mettrai  aiignille,  ?  ,,-. 
Anguille  dans  l'étang.    S         ' 


— Si  tu  te  mets  anguille, 
Anguille  dans  l'étang, 

Je  me  mettrai  ))êclieur  : 
Je  t'aurai  en  pêeliant. 


(bis) 
{bis) 


— Si  tu  te  mets  pêcheur      )  ,j^.. 
Pour  m'avoir  en  péchant,  ^^    *' 


ibis) 


ibis) 


Je  me  mettrai  allouette, 
Allouette  dans  les  champs. 

— Si  tu  te  mets  allouette, 
Allouette  dans  les  champs, 

Je  me  mettrai  chasseur  :  )  yj^^^. 
Je  t'aurai  eu  chassant.       \ 

— Si  tu  te  mets  chassetir       ?  ,j^-^. 
Pour  m'avoir  en  chassant,   ^  ^ 


Je  me  mettrai  nonnette 
Nonnett'  dans  un  couvent. 


ibis) 


DU    CANADA  81 

l  {Us) 
(bis) 


— Si  tn  te  mets  nonnette 
Nonnett'  dans  un  couvent 


Je  me  mettrai  prêcheur  : 
Je  t'aurai  en  prêcliant. 


— Si  tu  te  mets  prêclieur      )  ,^.  v 
Pour  m'avoir  en  prêcliaut,  ^  ^ 


Je  me  donu'rai  à  toi 
Puisque  tu  m'aimes  tant  ! 


0is) 


Un  canadien  errant,  ?  ,^,^.^, 
Banni  de  ses  foyers,  ^  ^ 


Parcourait  en  pleurant 
Des  pays  étrangers. 


{bis) 


Un  jour,  triste  et  pensif,  )  ,^^.  - 
Assis  au  bord  des  flots,    J 


Au  courant  fugitif     ,  ,^-^. 
II  adressa  ces  mots  •  ^  ^ 


\  {bi 


"  Si  tu  vois  mon  gay^s,     ;  ^i^- 
Mou  pax^  mallieureux,     ;   ~      ' 

Va,  dis  à  mes  amis  )  ,, .  . 

Que  je  me  souviens  d'eux.  )  ^     ' 

"  0  jours  si  pleins  d'appas,  ?  /^j-^x 
Vous  êtes  disparus, ^^      ' 


Et  ma  pati'ie,  bêlas  !  } 
Je  ne  la  verrai  plus!  \ 


{bis) 


"  Non,  mais  en  expirant,  )  ,, .  , 
0  mou  cher  Canada  !  ) 

"  Mon  regard  languisant  )  ^, .  . 
Vers  toi  se  portera "  )  '     ^ 


82  CHANSONS   POPULAIRES 


UNE  PERDRIOLE 

Le  lecteur  n'a  pas  besoin  d'être  averti  que  ceci  est  une 
chanson  pour  endormir  les  enfants.  Après  le  dixième 
couplet  rien  n'empêche  d'en  improviser  d'autres  et  de  se 
rendre  ainsi  jusqu'au  trente-unième  jour  de  mai.  Si  après 
cela  l'enfant  ne  dort  pas,  il  est  inutile  de  songer  aux 
prises  de  laudanum  ou  aux  gouttes  de  Trésor  des  nourrices^ 
rien  n'y  fera. 

On  chante  aussi  cette  chanson  en  France.  (Voir  les  Chants 
et  chansons  populaires  du  Cambrésis,  recueillis  et  annotés 
par  MM.  A.  Durieux  et  A.  Bruyelle,  page  125) 

Premier  couplet. 


ffi— § i*'— ~ -j        — g ai —  — g H — » 1 -^ ^^ 

Le      pre-mier      jour  de      mai  que     barrai-je       à  ma 

inie  ?  Le     premier      jour  de      mai  que     barrai-je       à  ma 
•/. 

mie  ?         — U-  ne       per-  dri-       o-  le,  Qui     vient,  qui 


:a(r^lzr3;r=|— ^z:iz:l=S=S^I=i=:ï— i=ïît:::^l:rî=*-d 


va,  qui       vo-         le,  U-  ne        perdri-       o-         le,  Qui 

FIN. 

^-« i ^v— , — 


iilil^llil^li 


vo-  le      dans  ces      bois. 


DU  CANADA  83 


Variante 


■:?za"E=«E 


:H-rS=^|-Si 


:rg=^— |— gzîi^zirs— |=:iaj:z==g^z:^ 


Le       pre-uiier      jour  de       mai,       Que     donn'rai-je 


à    ma        mie-        -     e 


— =^=yi^=Éi^Ëîi§^^^    E.C. 


Deuxième  couplet. 

On  répète  la  première  partie  (lettre  A),  mais  on  dit  : 
"  Le  second  jour  de  mai  que  barrai-je  cà  ma  mie  ?"  et  on 
ajoute  : 

^  Deux         tour-te-      rel-  les, 

puis  on  reprend  :  "  Une  perdriole,  etc.,"  au  signe  */.. 

Troisième  couplet. 

Reprise  de  la  première  partie  (lettre  A)  avec  les  paroles  : 
"  Le  troisième  jour  de  mai  qae  barrai-je  à  ma  mie?"  après 
quoi  on  chante  : 

Trois       rats  des      bois. 

Puis  on  récapitule  les  deuxième  et  premier  couplets  : 

Deux  tourterelles, 
Une  perdriole,  etc. 

On  continue  ainsi  en  disant  successivement  :  le  qua- 
trième, le  cinquième,  le  sixième,  le  septième  jour  de  mai, 
etc.,  et  après  chaque  couplet  nouveau  on  récapitule  tous 
les  couplets  qui  précèdent,  depuis  le  dernier  chanté  jus- 
qu'au premier. 


84 


CHANSONS  POPULAIRES 
Quatrième  couplet. 


Qiuitr'  ca-     iiards  vo-     laut    eu     Tai-re, 

Trois  lats  des  bois, 
Deux  tourterelles, 
Une  perdriole,  etc. 


Cinquième  couplet. 


-»  I  -H-— ■- 


Cinq  la-    juus  grat-     taut  la         ter-re. 

Quatr'  canards  volant  en  l'airo, 
Trois  rats  des  bois, 
Deux  tourterelles, 
Une  perdriole,  etc. 


5==ff: 


Sixième  couplet. 


---W--\--, 


Six         chiens  cou-  raut. 

Cinq  lapins  grattant  la  terre, 
Quatr'  canards  volant  en  l'aire, 
Trois  rats  des  bois. 
Deux  tourterelles. 
Une  perdriole,  etc. 


Septième  couplet. 
Sept     vach's  à      lait. 


DU  CANADA  85 

Six  chiens  courant, 

Cinq  lapins  grattant  la  terre, 

Quatr'  canards  volant  eu  l'aire, 

Trois  rats  des  bois, 

Deux  tourterelles, 

Uue  perdriole,  etc. 


Huitième  couplet. 


Huit  mou-  tous    a-      vec  leur      lai-  ue. 

Sept  vacli's  à  lait, 

Six  chiens  courant, 

Cinq  lapins  grattant  la  terre, 

Quatr'  ciuards  volant  eu  Paire, 

Trois  rats  des  bois, 

Deux  tourterelles, 

Une  perdriole,  etc. 


Neuvième  cotqylet. 


Neufche-  vaux    a-      vec  leurs     sel-  les, 

Huit  moutojis  avec  leur  laine, 

Sept  vach's  à  lait, 

Six  chiens  courant, 

Cinq  lapins  grattant  la  terre, 

Quatr'  canards  volaut  en  l'aire, 

Trois  lats  des  bois. 

Deux  tourterelles. 

Une  perdriole,  etc. 


86  CHANSONS  POPULAIRES 

Dixième  couplet. 


Dix        veaux  bien      gras. 


Neuf  chevaux  avec  leurs  selles, 

Huit  moutons  avec  leur  laine, 

Sept  vacli's  à  lait, 

Six  chiens  courant, 

Cinq  lapins  grattant  la  terre, 

Quatr'  canards  volant  en  l'aire, 

Trois  rats  des  bois, 

Deux  tourterelles, 

Une  pedriole 

Qui  vient,  qui  va,  qui  vole, 

Une  pedriole 

Qui  vole  dans  ces  bois. 


DU  CANADA 


87 


J'AI  CUEILLI  LA  BELLE  ROSE 

Se  chante  en  France  (tonjonrs  avec  variantes)  dans  l'An- 
goumois,  le  Gambrésis  et  l'Aitois. 

M,  Ghamflcury  cite  le  refrain  suivant  comme  se  chan- 
tant dans  le  Nivernais  : 

Tes  rubans  bari volants, 

Belle  rose, 
Tes  rubans  barivolants, 
Belle  rose  au  rosier  blanc. 

Ce  refrain  ressemble  trop  à  celui  de  notre  chanson  :  J'ai 
cueilli  la  belle  rose  pour  qu'ils  n'aient  pas  tous  deux  une 
origine  commune. 


r25 


J'ai  cueil-     li 


la  bel-  le         ro-      -       se, 


J'ai  cueil-       li  la       bel-  le       ro-     -     se         Qui  peu- 


.^ — ^_ 


(lait  au       ro-sier     blanc,         La   bel-le         ro 


Qui  peu-     dait  au         ro-sier    blauc,         La  bel-  le       ros'  du 


m^-^:m== 


ro-  sier    blauc. 


88  CHANSONS  POPULAIRES 

J'ai  cueilli  la  belle  rose  (his) 
Qui  peudait  au  rosier  blauc, 

La  belle  rose, 
Qui  pendait  au  rosier  blanc, 
La  belle  ros'  du  rosier  blauc. 

Je  l'ai  cueilli'  feuille  à  feuille,  {bis) 
Mis  daus  mon  tablier  blanc, 

La  belle  rose, 
Mis  dans  iiion  tablier  blanc, 
La  belle  ros'  du  rosier  blauc. 

Je  l'ai  porté'  chez  mon  père,  (bis) 
Entn;  l';iris  et  Uouen, 

La  bcHe  i-ose, 
Entre  Paris  et  Ronen, 
La  belle  ros'  du  rosier  blauc. 

Je  n'ai  pas  trouvé  personne....  (bis) 
Que  le  ro>;siguol  chantant, 

La  belln  rose, 
Que  le  lossignol  chantant, 
La  belle  ros'  du  rosier  blauc. 

Qui  me  dit  dans  sou  langage  :  (bis) 
— Mari'-toi,  car  il  est  tem[)S, 
La  belle  rose, 
Mari'-toi,  car  il  est  temps, 
La  belle  ros'  du  rosier  blanc. 

— Comment  veux-tu  que  j'm'y  marie  .^  (bi8) 
Mon  père  en  est  pas  content, 

La  belle  rose. 
Mon  père  en  est  pas  content, 
La  belle  ros'  du  rosier  blanc. 


DU  CANADA  89 


Ni  mon  père,  ni  ma  mère,  (bis) 
Ni  aucun  de  mes  parents, 

La  belle  rose, 
Ni  aucun  de  mes  parents, 
La  belle  ros'  du  rosier  blanc. 

Je  m'en  irai  en  service,  (bis) 
En  service  jtonr  un  an, 

La  belle  rosi-, 
En  service  i>()ur  un  an, 
La  belle  ros'  du  rosier  blauc. 

— Combien  gagnez-vous,  la  belle,  (bis) 
Combien  gagnez-vous  par  an  ? 

La  belle  rose. 
Combien  gagnez-vous  par  au  ? 
La  belle  ros'  du  rosier  blanc. 

— Je  gagne  bien  cinq  cents  livres,  (bis) 
Cinq  cents  livr's  eu  argent  blauc, 

La  belle  rose, 
Cinq  cents  livr's  eu  argent  blauc, 
La  belle  ros'  du  rosier  blanc. 


— ^Venez  avec  nous,  la  belle,  (bis) 
Nous  vous  en  donn'rons  six  cents, 

La  belle  rose, 
Nous  vous  en  donn'rons  six  cents, 
La  belle  ros'  du  rosier  blanc. 


90  CHANSONS  POPUI^AIRES 


AH  !  QUI  ME  PASSERA  LE  BOIS 


J'étais  en  partie  de  pêche  au  lac  Saint-Pierre  lorsque 
j'entendis  pour  la  première  fois  cette  remarquable  mélo- 
die que  chantait  un  homme  de  la  campagne  en  battant  la 
mesure  avec  son  aviron.  Je  fus  tellement  frappé  de 
l'étrangeté  de  ce  chant  que  j'insistai  pour  qu'il  me  le 
répétât  plusieurs  fois.  Le  pauvre  homme  ne  pouvait 
s'imaginer  ce  que  je  pouvais  trouver  de  si  beau  dans  sa 
chanson,  et  ce  ne  fut  pas  sans  un  peu  de  défiance  qu'il 
consentit  à  me  la  redire.  Je  crois  l'avoir  notée  exacte- 
ment comme  il  me  la  chantait.  Il  me  semble,  cependant, 
qu'il  ne  faisait  pas  la  note  fa  tout  à  fait  naturelle  dans  la 

première  phrase  :  .4/î..'  qui  me  passera  le  bois  ? ,  mais  il 

ne  faisait  certainement  pas  le  fa  dièse  non  plus.  Je  lui 
chantai  moi-môme  la  mélodie,  lentement,  avec  le  fa  dièse  : 
il  hocha  la  tète  en  faisant  signe  que  non;  je  la  répétai 
alors  avec  le  fa  naturel,  et,  cette  fois,  il  parut  content. 

La  phraséologie  tout  inusitée  de  cette  mélodie  indique 
clairement  qu'elle  doit  être  fort  ancienne.  Inutile  de  dire 
qu'il  ne  faut  pas  songer  à  lui  ajouter  un  accompagne- 
ment. Elle  appartient  à  une  tonalité  dans  laquelle  pas 
un  des  maîtres  de  l'art  moderne  n'a  écrit,  et  qui,  à  parler 
franchement,  nous  est  à  peu  près  inconnue  ;  or,  on  sait 


DU  CANADA  91 

que  l'harmonie,  telle  que  nous  l'entendons  aujourd'hui, 
est  incompatible  avec  tout  ce  qui  n'est  pas   tonalUé  euro- 
péenne moderne;  que  ce  n'est  qu'en  assimilaut  les  modes 
antiques  à  nos  modes  majeur  et  mineur,  c'est-à  dire  eu 
faisant  disparaître  des  premiers  ce  qu'ils  ont  de  caracté- 
ristique que  l'usage  de  notre  harmonie  dissonante  devient 
possible.     D'ailleurs,  est-il  bien  sûr  qu'un  grand  nombre 
de  nos  mélodies  populaires  ne  soient  pas  incompatibles 
avec  toute  harmonie,  même  purement  consonnante?  Pour 
ma  part,  je  le  crois,  bien  que  je  sache  que  beaucoup  de 
musiciens    pensent    le    contraire.     C'est    le    propre  des 
musiciens  de  ces  derniers  siècles,  comme  Ta  si  bien  fait 
remarquer  M.  Fétis,  de  ne  pouvoir  s'imaginer  une  musi- 
que   quelconque  sans   harmonie.     C'est  qu'en   eifet,   la 
tonalité  qui  nous  est  familière,   avec  ses  modes  cà  note 
sensible  exclusifs,  étant  essentiellement  harmonique,  on  a 
peine  à  comprendre  qu'il  puisse  en  être  autrement  d'une 
autre  tonalité.  Si  l'histoire   n'était  pas  là  pour  nous   le 
dire,  on  ne  voudrait  pas  croire  qu'il  fut  un  temps  où  l'on 
faisait  de  belle,  d'admirable  musique  sans  le  secours  de 
l'harmonie;  que  les  premières  notions   de  cette  science 
étaient  inconnues  en  ItaUe  jusqu'à  ce  qu'elles  y  fussent 
apportées  par  les  peuplades  barbares  du  nord  de  l'Europe 
qui  envahirent  tant  de  fois  la  péninsule  dans  les  premiers 
siècles  de  l'ère  chrétienne. 

Pour  ce  qui  est  de  la  mélodie  qui  nous  occupe,  en  par- 
ticulier, on  peut  sans  doute  lui  ajuster  un  accompagne- 
ment quelconque,  mais  non  sans  lui  faire  perdre  de 
l'allure,  du  caractère  qui  lui  est  propre  ;  allure  et  carac- 
tère que  les  virtuoses  campagnards  savent  si  bien  lui 
donner. 


92  CHANSONS  POPULAIRES 

J'ignore  si  l<i  mélodie  de  Ah!  qui  me  passera  le  bois?  est 
commo  eu  France;  je  sais  seulement  qu'on  y  chante 
encore  quelfiues  fragments  des  paroles  (jue  l'on  va  voir 
ci-après. 


Ali  !  qui    me    pas-se-     ra     ie  bois,    Moi  qui  suis  si  pe- 
ti-  te  ?      Ce  se-  ra  mousieur  que  voi-là  :  N'a-  t-il  pas  bouue 


mi-    ne?      là!  Somm's-uous  au        mi-  lieu    du  bois? 


Sumui's-ijous  à  la       ri         -         ve  f 


Ali  !  qui  me  passera  le  bois, 
Moi  qui  suis  si  petite  ? 
Ce  sera  monsieur  que  voilà  : 
N'a-t-il  pas  boiiue  mine  ?  là  ! 
Somm's-uous  au  milieu  du  bois? 
Somm's-uous  à  la  rive? 


Ce  sera  monsieur  que  voilà: 
N'a-t-il  pas  bonne  niiue? 
Quand  nous  fûm's  au  milieu  du  bois. 
Il  se  mit  à  courire,  là  ! 
Somm's-uous  au  milieu,  etc. 


DU  CANADA  93 

Quand  nous  fûiu's  au  milieu  du  bois, 

Il  se  mit  à  cou  rire. 

— Oh  !  qu'a' -vous  donc,  mou  bon  monsieur, 

Qu'a'-vous  à  tant  courire,  là! 

Somm's  nous  au  milieu,  etc. 

Oh!  qu'a'- vous  donc,  mon  bon  monsieur, 
Qu'a'-vous  à  tant  courire  ? 
— J'entends  venir  des  loups,  là-bas, 
Qui  nous  suiv'  à  la  rive,  là  ! 
Somm's-nous  au  milieu,  etc. 

J'entends  venir  des  loups,  là -bas, 
Qui  nous  suiv'  à  la  rive. 
Quand  ils  eur'nt  traversé  le  bois 
La  bell'  se  mit  à  rire,  là  ! 
Somm's-uous  au  milieu,  etc. 

Quand  ils  eur'nt  traversé  le  bois 
La  bell'  se  mit  à  rire. 
-Bell'  qu'avez-vous,  bell'  qu'avez-vous, 
Qu'avez- vous  à  tant  rire?  là! 
Somm's-nous  au  milieu,  etc. 

Bell'  qu'avez-vous,  bell'  qu'avez-vous, 
Qu'avez-vous  à  tant  rire? 
— Je  ris  de  toi,  je  ris  de  moi. 
De  ta  poltronnerie,  là  ! 
Somm's-nous  au  milieu,  etc. 

Je  ris  de  toi,  je  ris  de  moi, 
De  ta  poltronnerie  ; 
D'avoir  pris  les  perdrix  du  bois 
Pour  des  loups  en  furie,  là! 
Somm's-nous  au  milieu  du  bois  ? 
Somm's-nous  à  la  rive? 


94  CHANSONS  POPULAIRES 


SUR  LE  PONT  D'AVIGNON 

Le  célèbre  pont  de  l'ancienne  capitale  du  Gomtat  d'Avi- 
gnon a  été  construit  vers  le  onzième  siècle. 

M.  l'abbé  J.  Lebourdais  m'a  dit  avoir  chanté  la  chanson 
qui  va  suivre  en  traversant  ce  pont  fameux,  au  grand 
étonnement  de  ses  compagnons  de  voyage,  qui  ne  pou- 
vaient comprendre  comment  une  pareille  vieillerie  avait 
pu  se  conserver  en  Canada. 

On  chante  dans  le  district  des  Trois-Rivières  : 


Sur       le  pout  d'A-vi-       guou,  Sur  le  pout  d'A-vi- 

guou     Trois    da-mes,  etc. 


Mais  la  version  donnée  ci-après  est  peut  être  plus 
répandue. 

Les  paroles  que  l'on  va  lire  ont  été  recueillies  à  la 
Rivière-du-Loup,  comté  de  Maskinongé.  Je  donne  les 
derniers  couplets  pour  ce  qu'ils  valent. 


DU  CANADA 


95 


le       pout    (l'A-     vi- 


Sar 


gnou, 


Sur 


le  pout  (l'A-  vi-     gnou     Trois     da-     mes       s'y       pro- 
uiè-  ueut,  uia    dou-      dai-  ne,  Trois     da-     mes     s'y       pro- 


mè-  ueut,  ma    dou-      dé. 


Sur  le  pout  d'Avignon,  (bis) 
Trois  daines  s'y  promènent, 

Ma  dondaiue, 
Trois  dames  s'y  promènent, 

Ma  don  dé. 


Tont's  trois  s'y  promenant  {bis) 
Laissent  tomber  leurs  peignes, 
Ma  doudaine,  etc. 


Trois  Allemands  passant  (bis) 
Ont  ramassé  les  peignes. 
Ma  dondaiue,  etc. 


—Allemands,  Allemands,  {bis) 
Ah  !  rendez-moi  mou  peigne. 
Ma  doudaine,  etc. 


Ton  peigu'  tu  n'auras  pas  (bis) 

Qu'tu  n'ai'  payé  mes  peines, 
Ma  doudaine,  etc. 


96  CHANSONS  POPULAIRES 

— Quel  pa-ye-ment  venx-tu?  (bis) 
—  Un  cheveu  de  toi,  belle, 
Ma  dondaiue,  etc. 


— Prends-un,  prends  en  deux,   [bis) 
Prends-en  trois  à  ton  aise, 
Ma  doudaine,  etc. 

Mais  ne  t'en  vante  pas:  (bis) 
Tout  garçon  qui  se  vante. 
Ma  dondaine,  etc. 

On  les  estime  pas,   (bis) 
Car  ils  ont  femme  en  France, 
Ma  dondaine,  etc. 

Et  des  petits  enfants     (bis) 
Qui  vont  battre  à  la  grange, 

Ma  dondaine, 
Qui  vont  battre  à  la  grange, 

Ma  don  dé. 


DQ  CANADA 


S7 


HIER  SUR  LE  PONT  D'AVIGNON 

Cette  charmante  mélodie,  avec  son  rhylhme  partie 
binaire  partie  ternaire,  mais  toujours  gracieux,  est  moins 
connue  que  la  mélodie  qui  précède.  La  poésie  non  moins 
charmante  qui  l'accompagne  se  chante  encore  aujour- 
d'hui, du  moins  en  partie,  dans  le  canton  de  Vaud,  en 
Suisse. 


z_a_^_i *>— y — • m — ' i* ?» ' 

Hi-    er,  sur  le  pont  d'Avignon,      Hi-    er,    sur  le  pont 

d'*A-  vi-  guou,  J'ai         ouï  clian-  ter    la     bel-  le,  Ion     la,  J'ai 


ouï  chau-     ter     la 


bel- 


le. 


Variante  ; 


:=;sr=|— d^ 


=i)—  -S=i=^=:S^  =«ci=«=zz:*=:5=il^ 


J'ai     ouï  cban-ter    la         bel-  le,  Ion  la,  J'ai 


l^^rr=^-==^- ;"— 


ouï  chau-ter     la 


bel-  le. 


Hier,  sur  le  ponfc  d'Avignon    {Us) 
J'ai  ouï  chanter  la  belle, 

Loii  la, 
J'ai  ouï  chanter  la  belle. 


98  CHANSOiYS  POPULAIRES 

Elle  chantait  d'un  ton  si  doux  :  (bis) 
Comme  une  demoiselle, 
Lon  la,  etc. 

Que  le  fils  du  roi  l'entendit  {bis) 
Du  logis  de  son  père. 
Lon  la,  etc. 


Il  appela  ses  serviteurs,  {bis) 
Valets  et  chambrières. 
Lon  la,  etc. 

— Çà  que  l'on  bride  mon  cheval  {bis) 
Et  lui  mette  sa  selle. 
Lon  la,  etc. 

— Monsieur,  où  voulez-vous  aller  ?  (6ts) 
Ce  n'est  qu'uue  bergère. 
Lou  la,  etc. 

— Bergère  on  non  je  veux  la  voir,(6is) 
Ou  que  mou  cheval  crève, 

Lon  la. 
Ou  que  mon  cheval  crève. 


DU  CANADA  99 


SUR  LE  PONT  D'AVIGNON  TOUT  LE  MONDE  Y  PASSE 

Voici  une  troisième  ciianson  où  figure  le  pont  d'Avi- 
gnon. J'ignore  si  tout  le  département  de  Vaucluse  pour- 
rait en  fournir   autant.    C'est  possible  cependant,  car  les 

habitants  de  cette  partie  de  la  France  sont  de  grands 
chanteurs.  Leur  goût  musical  tout  à  fait  remarquable 
est  dû  en  partie,  sans  doute,  à  l'enseignement  de  l'école  de 
musique  créée  par  les  papes  d'Avignon.  Le  passage  de  la 
cour  romaine  se  fait  sentir  encore  aujourd'hui  dans  tout 
ce  pays  qui  avoisine  le  mont  Ventoux  et  le  Luberon,  et 
que  traversent  le  Rhône  et  la  Durance. 
Cette  ronde  m'a  été  chantée  par  M.  LaRue. 


Sur  le  pout    d'A-vi-guon,  tout   le  moude  y     pas-se, 

FIN, 


Sur  le  pout     d'A-vi-guou,        tout  le  moude  y       pas-  se. 

Les  messieurs  fout  comm'       ci,  Les  da-  mes  fout  comm' 


È^-==.=E 


ça.      D.  C. 


Sur 
Tout 


le  pont  d'Avignon      )   , . 
t  le  monde  y  passe.    J  ^     ' 


Les  messieurs  font  comm'ci,     {on  ôte  son  cliapeau) 
Les  dames  font  comm'ça.  (on  fait  la  révérence) 


100  CHANSONS  POPULAIRES 


DANS  LES  CHANTIERS  NOUS  HIVERNERONS 


M.  J.  G.  Taché,  dans  sa  belle  étude  de  mœurs  cana- 
dienaes  intitulée:  Forestiers  et  Voyageurs,  n'a  pas  oublié 
de  l'aire  une  mention  spéciale  de  cette  chanson  par  ex- 
cellence de  tout  forestier  canadien.     Je  cite  : 

'' A   l'heure   convenue   du   lendemain,   nous 

vîmes  ari-iver  nos  jeunes  compagnons  de  route.  Ils  ve- 
naient, piquant  au  plus  court^  à  travers  la  neige  des 
champs,  montés  sur  leurs  raquettes.  Ils  chantaient,  sur 
un  air  aussi  dégagé  que  leur  allure  de  voltige,  le  gai 
refrain  des  Jjucherons  canadiens  : 


Voici  l'hiver  aiiivé, 
Les  rivières  sont  gelées, 
C'est  le  tem[)S  d'aller  au  bois 
Maii-er  du  lard  et  des  pois! 

Dans  les  cliautiers  nous  liivemeious  ! 

Dans  les  chantiers  nous  liiverut^rons  ! 


"  Je  serais  bien  empêché,  arni  lecteur,  de  vous  donner 
les  autres  couplets  de  cette  chanson,  attendu  que,  sauf  ce 

prélude  obligé, tout  le  reste  s'improvise  pour 

répondre  aux  besoins  des  circonstances. 

"  Il  est  cependant  une  stance  qu'on  chante  presque  tou- 
jours   pour  clôture   de  la  saison    des  chantiers  ;    mais 


DU   CANADA  101 

€elle-ci  sur  un  ton  quelque  peu  ennuyé,  avec  une  appa- 
rence affectée  de  fatigue  ;  la  voici  : 


Quand  ça  vient  sur  le  printemps, 
Chacun  craint  le  mauvais  temps; 
On  est  fatigué  du  pain, 
Pour  du  lard  ou  n'en  a  point. 

Dans  les  clianiicr!^,  ali  !  n'hivernerons  pins! 

Dans  les  chantiers,  ah  !  n'hivernerons  plus  ! 


"  Le  mot  chantier^  continue  M.  Taché,  a  diverses  accep- 
tions :  c'est  ainsi  qu'il  signifie  quelquefois  l'ensemble 
d'un  établissement,  ou  l'industrie  ou  l'exploitation  des 
bois  elle-même  ;  quelquefois  le  logement  des  ouvriers. 
C'est  de  cette  dernière  acception  que  les  anglais  font 
usage  dans  le  mot  shanty  (corruption  de  chantier)  par 
lequel  ils  désignent  une  hutte  de  colon."  [Soirées  Cana- 
diennes,— deuxième  année,  p.  24.) 

Les  couplets  qui  suivent  m'ont  été  chantés  par  M.  Louis 
Blondin,  de  la  Baie-du-Febvre. 


|=*r^=|~2==Si3 


-jt=m—3 


Voi-  ci      l'hi-  ver      ar-    ri-  -    vé,      Les  ri-    viè-res 
sont    ge-     lées.      C'est  le      temps  d'al-    1er    aux         bois 


Man-  ger        du    lard         et   des      pois  !  Dans     les  chan- 


102  CHANSONS   POPULAIRES 


tiers  nous  11 i-     ver-  ne-     rons  !  Dans    les  chan-    tiers  nous  hi- 


ver-   no-       roiis 


Voici  l'hiver  arrivé, 
Les  rivières  sont  gelées  ; 
C'est  le  temps  d'aller  au  bois 
Manger  du  lard  et  des  pois. 

Dans  les  chantiers  nous  hivernerons  ! 

Dans  les  chantiers  nous  hivernerons  ! 

Pauv'  voyageur  que  t'as  d'ia  misère  ! 
Souvent  tu  couches  par  terre  ; 
A  la  pluie,  au  mauvais  temps, 
A  la  rigueur  de  tous  les  temps  ! 
Dans  les  chantiers,  etc. 

Quand  tu  arriv'  à  Québec, 
Souvent  tu  fais  un  gros  bec. 
Tu  vas  trouver  ton  bourgeois 
Qu'est  là  assis  à  son  comptoi'. 
Dans  les  chantiers,  etc. 

— Je  voudrais  être  payé 
Pour  le  temps  que  j'ai  donné. 
Quand  l'bourgeois  est  en  banqu'route, 
Il  te  renvoi'  manger  des  croûtes. 
Dans  les  chantiers,  etc.  <, 

Quand  tu  retourn'  chez  ton  père, 
Aussi  pour  revoir  ta  mère  : 
Le  bonhomme  est  à  la  porte, 
La  bonn'femine  fait  la  gargotte. 
Dans  les  chantiers,  eti;. 


DU  CANADA  103 

—Ali  !  boujour  donc,  mou  cher  enfant  ! 

Nous  appoit'-tu  beu  d'I'iirgent  ? 

—  Que  l'diable  emport'  les  chautiers! 

Jamais  d'ma  vie  j'y  r'tournerai  ! 
Dans  les  chantiers,  ah  !  u'iiivernons  plus! 
Dans  les  chautiers,  ah!  n'hivernons  plus  ! 


Ces  couplets  sont  parfaits  comme  peinture  de  mœurs. 
En  voici  un  autre  qui  a  bien  son  mérite.  Il  y  est  ques- 
tion d'un  bourgeois  qui  paie  son  monde  en  marchandises^ 
comme  cela  d'ailleurs  se  fait  très-souvent.  L'expression 
"  on  se  trouve  clair  "  veut  dire  ici  qu'il  ne  reste  plus  rien 
au  crédit  du  travailleur  : 

Monsieur  Dufroi  c'est  un  bon  bourgeois, 
Mais  il  n'nous  donn'  pas  grand  monnaie. 
On  travail  ben  tout  l'hiver  ; 
Au  printemps  on  se  trouv'  clair  I 
Dans  les  chantiers,  etc. 

Enfin  voici  trois  autres  couplets  dont  la  forme  diffère 
un  peu  d'avec  celle  des  couplets  précédents.  La  mélodie, 
nécessairement,  s'en  trouve  légèrement  affectée. 


!=ÏEE5=i^l=i^iEÊl=?Eb?=iË 


ABy-        towu    c'est  un'       jo-  II'      place      Où  il 


s'ra-  mass'    ben     d'ia    ■  crasse  ;         Où        ya  des      jo-  lies 


104  CHANSONS  POPULAIRES 


jz:  =5— 2*^    -.   I     ^     ->  I     ^- 


Et    ans-      si  des  jo-       lis  gar-    cous.  Daus 


^-^=^=*=l  -ï=2=E=^=p-|--=3==-e 


^_ 


-j,, — I 1 

les     chan-    tiers      uous  hi-      ver-  ue-        rous  ! 


A  Bj-towii  c'est  un' joli'  place 

Où  il  s'rainass'  ben  d'ia  crasse; 

Où  ya  des  joli's  filles 

Et  aussi  de  jolis  garçons. 

Daus  les  chautiers  nous  hivernerons  ! 

Nous  avons  sauté  le  Long-Sault, 
Nous  l'avons  sauté  tout  d'un  morceau  ! 
Ah  !  que  l'hiver  est  longue  ! 
Daus  les  cliantiers  uous  hivernerons! 
Daus  les  cliantiers  uous  hiveruerous  1 

V'ià  l'autoume  qu'est  arrivé. 
Tous  les  voyageurs  vont  monter. 
Nous  u'irous  plus  voir  nos  blondes, 
Dans  les  chautiers  uous  hivernerons  ! 
Daus  les  chautiers  uous  hiveruerous  ! 


DU  CANADA  105 


PETIT   JEAN 

On  ne  saurait  chanter  ses  malheurs  plus  gaîment  que 
le  pauvre  ''petit  Jean"  de  ces  couplets.  L'anomalie 
qu'offre  cette  musique  si  allègre  ajustée  à  des  couplets  si 
larmoyants,  n'a  pas  échappé  à  nos  chanteurs  campagnards, 
qui  ajoutent  encore  au  contraste  en  donnant  à  leurs  voix 
certaines  inflexions  comiques  qui  se  refusent  à  toute  no- 
tation, et  que  j'ai  indiquées  par  des  traits. 

On  remarquera  que  cette  mélodie,  dont  l'allure  est  toute 
franche,  toute  naturelle,  môme  pour  des  oreilles  accoutu- 
mées à  la  musique  de  Rossiui,  n'appartient  cependant  ni 
au  mode  majeur  ni  au  mode  mineur.  Je  l'ai  traitée 
comme  appartenant  au  premier  mode  de  la  tonolité  an- 
cieuue,  et  voilà  pourquoi  je  n'ai  armé  la  clef  que  d'un 
seul  bémol.  Si  simple  qu'elle  soit,  cette  petite  mélodie 
offre  une  preuve  frappante  de  ce  fait  important  sur  lequel 
j'ai  déjà  attiré  l'attention  du  lecteur:  qu'il  n'est  rien  d'ir- 
rationnel dans  l'existence  de  modes  autres  que  ceux  dans 
lesquels  écrivent  tous  les  compositeurs  de  nos  jours. 


5.  . 

Quand  j'é-  tais       chez  mou      pè-  re,         Lil,  11    li 


P^--g j — I  — *j — ^* F — Po— g — j — m g » — I  — * ^ — I 

lil,  li    li        lil,     lil,  lil,    li.    Quand  j'é- tais  chez  mon 


106  CHANSONS  POPULAIRES 


i^g=bg=g=s=l^*^;g;Êh=g^N^^=j=^==s== 


pè-  re,      Garçon    à       ma-  ri-       er  ;  Garçon    à 


ma-  ri-      er-er-        er,     Gar-çou  à      ina-  ri-     er. , 


Quand  j'étais  chez  mon  père, 
Lil,  li  li  lil,  li  li  lil,  lil,  lil,  li, 
Quand  j'étais  chez  mou  père, 
Garçon  à  marier  ; 
Garçon  à  marier-er-er. 
Garçon  à  juarier 


Je  n'avais  rien  à  faire, 

Lil,  li,  li,  etc. 
Je  n'avais  rien  à  faire 
Qu'une  femme  à  chercher,  (ter) 


A  présent  j'en  ai-t-une 

Lil,  li  li,  etc. 
A  présent  j'en  ai-t-une 
Qui  me  fait  enrager,  (ter) 


Eli'  m'envoi'-t-à  l'ouvrage 

Lil,  li  li,  etc. 
Eir  m'envoi'-t-à  l'ouvrage 
Sans  boii'ni  sans  manger,  (ter) 


Quand  je  reviens  d'I'ouvrage, 

Lil,  li,  li,  etc. 
Quand  je  reviens  d'i'ouvrage, 
Tout  mouillé,  tout  glacé — (fer) 


DU  CANADA  107 

Je  m'ass(;ois  sur  hi  porte, 

Lil,  li  li,  etc. 
Je  m'asseois  sur  la  porte 
Comiue  uu  pauvre  étranger,  {ter) 

— Rentre,  petit  Jean,  rentre, 

Lil,  li  li,  etc. 
Rentre,  petit  Jean,  rentre. 
Rentre  te  réchauffer  !  (ter) 

Soupe,  petit  Jean,  soupe, 

Lil,  li  li,  etc. 
Soupe,  petit  Jean,  soupe! 
Pour  moi  j'ai  bien  soupe,  (ter) 

J'ai  mangé  deux  oies  grasses, 

Lil,  lili,  etc. 
J'ai  mangé  deux  oies  grasses 
Et  trois  pigeons  Lirdés.  (ter) 

Les  os  sont  sous  la  table, 

Lil,  li  li,  etc. 
Les  os  sont  sous  la  table. 
Si  tu  veux  les  ronger,  (ter) 

P'tit  Jean  baisse  la  tête, 

Lil,  li  li,  etc. 
P'tit  Jean  baisse  la  tête 
Et  se  met  k  brailler,  (ter) 

— Braille,  petit  Jean,  braille  ! 
Lil,  li  li  lil,  li  li  lil,  lil,  lil,  II, 
Braille,  petit  Jean,  braille, 
Et  moi  je  vais  chanter  ! 
Et  moi  je  vais  chanter- er-er, 
Et  moi  je  vais  chanter  ! 


108  CHANSONS  POPULAIRES 


AU  BOTS  DU  ROSSIGNOLET 

Je  n'ai  pas  été  peu  surpris  d'entendre  chanter  cette 
chanson  par  madame  S  *  *  *,  de  Saint-André  (comté  de 
Kamouraska).  Je  ne  l'avais  jamais  entiMulno  auparavant 
et  ne  la  connaissais  que  pour  l'avoir  vue  dans  un  recueil 
français.  Les  paroles  sont  les  mômes,  à  très  peu  de  chose 
près,  que  celles  de  la  version  française,  et  bien  que  notre 
air  ait  une  allure  plus  campagnarde,  il  ressemble  cepen- 
dant beaucoup  à  l'air  noté  dans  les  Chansons  populaires  des 
provinces  de  France^  ouvrage  publié  par  MM.  Ghampfleury 
et  Wekerlin. 

Cette  chanson  est  franc-comtoise. 

Les  paysans  franc-comtois,  dit  M.  Ghampfleury,  chan- 
tent toujours  à  l'uuisson.  "  Ils  ue  se  doutent  pas  de  l'har- 
monie et  n'ont  pas  le  plus  léger  sentiment  de  la  tierce  ni 
de  la  basse  ;  mais  où  le  paysan  déploie  de  l'art,  c'est  dans 
certains  points  d'orgue  qui  ressemblent  à  la  toilette  des 
farauds  du  village.  Les  femmes  nasillent  d'une  voix  traî- 
nante, avec  des  chevrotements  qui  servent  de  fioriture 

"  Mon  ami  Max  Buchon,  élevé  à  l'école  d'Auerbach,  le 
romancier  allemand,  introduisit  à  son  exemple  des  chan- 
sons populaires  dans  ses  romans.  Au  bois  rossignolet  parut 
(sans  musique)  dans  une  de  ses  scènes  de  la  Franche- 
Gomté.  Une  dame  de  Neufchâtel,  en  lisant  cette  chanson, 
se  rappela  l'avoir  entendue  dans  sa  jeunesse.  Et  Neuf- 
châtel est  au  revers  du  Jura.  La  chanson  avait  grimpé  et 
descendu  la  chaîne  de  montagnes " 


DU  CANADA 


109 


Si  ces  pages  viennent  à  tomber  sous  les  yeux  de  M. 
Ghampfleury,  il  verra  que  la  chanson  franc-comtoise, 
qu'il  sait  déjà  avoir  grimpé  sur  les  montagnes,  a  su  aussi 
traverser  les  mers. 


M'eu      al-  lam  pro-uie-    uer  (re-  lé     re-  lé)     Le 
loug  du  graud  cbe-  miu  (re-liu  re-Iiu)  Le    long  du  grand  che- 
uiiu,  Je  me  suis  en-  dor-     ini  (re-  li    re-  li)      A 

l'oiu  (re-  loin  re-  loiu)-bre  sous  (re-  lou    i"e-  lou)-z-uu 

?J^gEEâ=r^fE«E|^Eg5EgEEgfE»;=|7pirgE;g's;?E:g=3£J 
piu  (re-liu  re-  liu)  Au  boisdurus-si-gno-  let  (re-let  re-let)  Au 

bois  du  ros-  si-guo-       let. 


M'en  allant  promener  (relé  relé)' 

Le  long  du  grand  cliemiii  (reliu  relin) 

Le  long  du  grand  chemin, 

Je  me  suis  endormi  (reli  reli) 

Al'om-(relom  relom)-bre,sous(relou  relou)-z-uii  pin(relin  reliu), 

Au  bois  du  vossiguolet  (relet  relet) 

Au  bois  du  iossiguolet. 


110  CHANSONS   POPULAIRES 

Je  me  suis  endormi  (reli  reli) 

A  l'ombre,  sous  un  pin  (reliu  reliu) 

A  l'ombre,  sous  un  pin. 

Je  me  suis  l'évcillé  (rolé  relé), 

Le  pin  (relin  reliii)  était  (reiait  relait)  fleuri  (reli  reli). 

Au  bois  An  rossignolet  (relet  relet) 

Au  bois  du  rossignolet. 

Je  me  suis  réveillé  (relé  relé). 

Le  pin  était  fleuri  (reli  i-eli) 

Le  pin  était  fleuri. 

Ah  !  j'ai  pris  mon  couteau  (,relo  relo), 

La  bran-(rel;in  relan)-che  j'ai  (relé  relé)  coupée  (relé  relé). 

Au  bois  (lu  l'ossignolet  (relet  relet) 

Au  bois  du  rossignolet. 

Ali  !  j'ai  pris  mon  couteau  (relo  relo), 

La  branche  j'ai  coupée  'relé  relé) 

La  branche  j'ai  coupée  ; 

Je  m'en  fis  un  flûtiau  (rele  relo), 

Un  fla-(rela  rela)-geolet  (relet  relet)  aussi  (reli  reli). 

Au  bois  du  rossignolet  (relet  relet) 

Au  bois  du  rossignolet. 

Je  m'en  fis  uu  flûtiau  (relo  relo), 

Un  flageolet  aussi  (reli  reli) 

Uu  flageolet  aussi  ; 

M'en  allant  eu  chantant  (relan  relan) 

Le  long  (relou  relou)du  grand  (relan  relan)  chemin  (relin  relin) 

Au  bois  du  rossignolet  (relet  relet) 

Au  bois  du  rossignolet. 

M'en  allant  eu  chantant  (relan  relan) 
Le  long  du  grand  chemin  (relin  relin) 
Le  long  du  grand  chemin. 

— Ah  !  savez-vous,  messieurs,  (releu  releu) 
Ce  que  (l'ele  rele)  ma  flû-(relu  relu)-te  a  dit  (reli  reli)? 
Au  bois  du  rossignolet  (relet  relet) 
Au  bois  du  rossignolet. 


DU   CANADA  lU 

Ah!  savez- vous,  messieurs,  (releu  relcu) 

Ce  que  m'a  Uùto  a  dit;  fi-eli  reli) 

Ce  que  ma,  liûte  a  dit',  ? 

— "  Ah!  qu'il  esfc  doux  d'aimer  (relé  relé) 

La  fi-(re]i  reli)-ll'  de  sou  (relou  relou)  voisin  (reliu  reliu)  I 

Au  bois  du  rossiguolet  (releb  relet) 

Au  bois  du  rossignolet. 

"  Ah  î  qu'il  esfc  doux  d'aimer  (relé  relé) 

La  fiU'  de  sou  voisin  (reliu  relin) 

LafiU'  de  sou  voisin  ! 

Quand  on  l'a  vu'  le  soi-(rela  rela)-r 

On  la  (rela  rela)  voit  le  (rele  vêle)  matin  (relin  relia). 

Au  bois  du  rossignolet  (relet  relet) 

Au  bois  du* rossignolet. 


112  CHANSONS  POPULAIRES 


FENDEZ  LE  BOIS,  CHAUFFEZ  LE  FOUR 


Beaumarchais  a  dit  quelque  part  :  "  Ce  qui  ne  vaut  pas 
la  peine  cVètre  dit  on  le  chante."  Assurément  les  couplets 
qui  suivent  justifient  parfaitemeuL  cet  axiome  ;  cependant, 
la  petite  mélodie  qui  les  accompagne  est  si  délicate,  si 
belle,  qu'elle  leur  prête  une  certaine  poésie.  Je  me  sou- 
viens que  lorsque,  tout  enfant,  j'entendais  chanter  ces 
deux  vers,  par  une  pure  et  douce  voix  de  femme  : 

Tous  mes  parents  venaient  m'y  voir  ; 
Celui  que  j'aime  ne  vient  pas 

j'éprouvais  un  sentiment  de  mélancolie  d'un  charme  indé- 
finissable. Tant  il  est  vrai  que  le  vers  le  plus  ordinaire 
peut  faire  jaillir  les  larmes  lorsqu'il  est  ennobli  par  une 
mélodie  distinguée  ou  môme  par  les  simples  accents  d'une 
triste  et  naïve  cantilène  populaire. 

Des  variantes  de  cette  chanson  se  chantent  dans  le  Cam- 
brésis,  la  Saintonge,  l'A  unis  et  l'Angoumois.  Les  airs  ne 
ressemblent  pas  aux  nôtres. 


Z-  -Q fg a — - 


z^:= 


Der-  rièi-'    chez    nous    ya  champ    de    pois, 


Derrièr'  chez  nous  ya    champ  de  pois  :  J'en  cueil-lis  deux,  j'en 


DU   CANADA  113 


man-geai  trois.       Fcu-dez     lo     bois,       clianf-fez      le  four, 

z:J?rzS;:— ljzz|z_-j  .,  ■■■    J ~n;:i:zJ[]      Reprise  de  la  derntère 

"*•        "         ~~l~:=_Tr~z*    :rr:;gzziu         partie  à  volonté. 


Dormez  la  belle,  il       u'est  point   jour. 


Derrièr'  chez  nous,  ya  champ  de  pois  :  (&is) 
J'en  cueillis  deux,  j'en  mangeai  trois. 
Fendez  le  bois,  chauffez  le  four, 
Dormez  la  belle,  il  n'est  point  jour. 

J'en  cueillis  deux,  j'en  mangeai  trois  ;  (bis) 
J'en  fus  malade,  au  lit,  trois  mois. 
Fendez  le  bois,  etc. 

J'en  fus  malade,  au  lit,  trois  mois  ;  (his) 
Tous  mes  parents  venaient  m'y  voir. 
Fendez  le  bois,  etc. 

Tous  mes  parents  venaient  m'y  voirj  (6m) 
Celui  que  j'aime  ne  vient  pas. 
Feudez  le  bois,  etc. 

Celui  que  j'aime  ne  vient  pa8....(6is) 
Je  l'aperçois  venir  là-bas. 
Fendez  le  bois,  chauffez  le  four, 
Dormez  la  belle,  il  n'est  point  jour. 


114  CHANSONS  POPULAIRES 


MON  PÈRE  AVAIT  UN  BEAU  CHAMP  DE  POIS 
(Air  reeueiUi  par  M.  Tabhé  C.  H.  Laverdière) 

Voici  encore  un  type  de  mélodie  populaire.  Je  ne  la 
connaissais  pas  avant  qu'elle  me  lut  passée  par  M.  l^aver- 
dière,  mais  en  jetant  les  yeux  sur  cette  musique  je  me  suis 
aussitôt  rappelé  les  chants  monotones  et  mélancoliques, 
même  dans  leur  gaîté,  d'une  bonne  vieille  femme,  que  je 
voyais  souvent  dans  mon  enfance,  et  qui,  du  matin  au 
soir,  faisait  tourner  sou  rouet  en  fredonnant  à  demi-voix 
les  chansons  du  temps  passé. 

Cette  mélodie  a  été  recueillie  dans  la  côte  de  Beaupré. 


*^  Mon  pèr'    a-  vait      uu    beau         champ   de     pois, 

^ « c m ^ -3 * —  — )' — I* — rj  — H  — :J  — -^ —  m  — 4 

^ ~-r— g a *~^^ — *-H-* ** a» " — ) 

Doux,  ve-uez  VOUS   promoi'ner    a-vec  moi.  J'en  cueilla  deux,  j'ea 


y=S=r:z-=r:=S-— |-=S-==i===i===^^S^==r^ 


:: 1 — ^ 5«_ 


inan-  gis       trois.         D'où     ve-    nez-  vous, 

bel-     le? 

J— r>— _p — g • • ■ — • — 

-* 

Doux,ve-nez-vous  promm'uer  ;  D'où  ve-uez-vous,     bel-     le? 


Doux, ve-uez  vous  promm'uer       a-  vec  moi. 


DU  CANADA  115 


Mon  père  avait  un  beau  cliarap  de  pois. 
Doux,  venez  vous  proinm'ner  avec  moi. 
J'en  cueilla  deux,  j'en  mangis  trois. 

D'où  venez-vous,  belle  ? 

Doux,  venez  vous  promni'ner  j 

D"où  venez-vous,  belle? 
Doux,  venez  vous  promm'uer  avec  inoi. 


(Pour  les  antres  paroles,  voir  Fendes  le  hois,  chavffcs  le  four) 


116  CHANSONS   POPULAIRES 


BAL  CHEZ  BOULÉ 


M.  Ph.  Aubert  de  Gaspé  m'a  dit  que  ces  couplets  sont 
probablement  originaires  de  Saint-François  ou  de  Saint- 
Pierre  de  la  Rivièredu-Sud.  Voici,  au  reste,  l'anecdote  à 
l'occasion  de  laquelle  ils  furent  composés,  telle  que 
racontée  par  M.  de  Gaspé  dans  Les  Anciens  Canadiens  : 

" Ceci    ine  rappelle  l'aveutuie  d'iiu   pauvre    diable 

d'amoureux  qui  avait  mené  sa  belle  à  uu  bal,  sans  être  invités;  ils 
furent,  quoique  survenauts,  reçus  avec  i)olitesse  :  mais  le  jeune 
homme  eut  la  maladresse  de  faire  tomber  eu  dansant  la  fille  de  la 
maison,  ce  qui  fut  accueilli  aux  grands  ('clats  de  rire  de  toute  la 
société  ;  mais  le  père  de  la  jeune  fille,  un  peu  brutal  de  son  métier, 
et  indigué  de  l'affnmt  qu'elle  avait  reçue,  ne  fit  ni  un  ni  deux  ;  il 
prit  mon  José  Biais  par  les  épaules  et  le  jeta  à  la  porte  ;  il  fit 
ensuite  des  excuses  à  la  belle,  et  ne  voulut  pas  la  laisser  partir." 

L'expression:  soulier  français,  que  le  lecteur  rencon 
trera  dans  ces  couplets,  est  encore  généralement  usitée  à 
la  campagne  pour  désigner  une  chaussure  à  forme  euro- 
péenne, et  par  opposition  avec  le  nom  de  soulier  sauvage 
donné  à  une  chaussure  en  cuir  ordinaire  affectant  la 
forme  des  souliers  de  caribou  fabriqués  par  les  sauva- 
gesses.  Le  mot  "français"  est  ici  synonyme d'"européen"; 
c'est  assez   dire  que  cette  expression  remonte  aux  temps 


DU  CANADA 


117 


déjà  éloignés  où  notre  seul  commerce  avec   l'Angleterre 
consistait  dans  l'échange  de  coups  de  canon. 


Di-     mauclie,  a-       près    les     vêpr's,yau-       ra     bal 


chez     Bou-     léj     Mais        il    n'i-        ra  per-     sonn'     que 


!=:z-«j=:z — 


:=*£z.- 


z.-9-:=^r:z±z-m--^l 


ceux     qui      sav'nt  dan-      ser,       Vo-  gue,       ma-  ri-  nier 

lilï^iîiO-iiliisiiiEi 

vo-  gue,     Vo-  gue  beau     ma-  ri-       uier. 


Dimanclie,  après  les  vêpr's,  yaura  bal  chez  Boulé  ; 
Mais  il  u'ira  personn'  que  ceux  qui  sav'nt  danser. 

Vogue  marinier,  vogue. 

Vogue,  beau  marinier. 


Mais  il  n'ira  personn'  que  ceux  qui  sav'nt  danser. 
José  Biais,  comm'  les  autr's,  voulut  itou  yaller. 
Vogue,  etc. 


José  Biais,  comm'  les  antr's,  voulut  itou  yaller. 
—Non,  lui  dit  sa  maîtress',  t'iras  quand  l' train  s'ra  fé. 
Vogue,  etc. 


118  CHANSONS  POPULAIRES 

Non,  lui  (.lit  sa  maîtress',  t'iras  quand  l'traia  s'ra  fé. 
Il  s'en  fut  à  l'otabl'  ses  animaux  soigner. 
Vogue,  etc. 

Il  s'en  fut  à  l'établ'  ses  animaux  soigner; 
Prit  Barrett'  par  la  corne  et  liougett'  par  le  i^ied. 
Vogue,  etc. 

Prit  Barrett'  par  la  corne  et  Rougett'  par  le  pied  j 
Il  saute  à  l'écuri'  pour  les  chevaux  gratter. 
Vogue,  etc. 

Il  saute  à  l'écuri'  pour  les  chevaux  gratter  ; 
Se  sauve  à  la  maison  quand  ils  l'iir'ut  étrillés. 
Vogue,  etc. 

Se  sauve  à  la  maison  quand  ils  fur'nt  étrillés  j 
Mit  sa  bell'  veste  rouge  et  sou  capot  barré. 
Vogue,  etc. 

Mit  sa  bell'  veste  rouge  et  son  capot  barré  j 
Mit  son  beau  fichu  noir  et  ses  souliers  fraucés. 
Vogue,  etc. 

Mit  son  beau  fichu  noir  et  ses  souliers  francés, 
S'en  va  chercher  Lisett'  quand  il  fut  ben  greyé. 
Vogue,  etc. 

S'en  va  chercher  Lisett'  quaud  il  fut  ben  greyé. 
On  le  mit  à  la  port'  pour  apprendre  à  danser. 
Vogue,  etc. 

On  le  mit  à  la  port'  pour  apprendre  à  danser. 
Mais  on  garda  Lisett',  qui  s'est  ben  consolée. 

Vogue  marinier,  vogue, 

Vogue  beau  marinier. 


DU    CANADA  119 


C'EST  DANS  LA   VILLE  DE  ROUEN 

M.  de  Gaspé  a  imité  le  rliytlime  et  la  forme  de  ces 
couplets  dans  la  ronde  de  lutins  qu'il  fait  chanter  au 
jovial  José,  dans  Les  Aciens  Canadiens  : 


"  C'est  notre  terre  (rOrléaiis    (bis) 
Qu'est  le  pays  des  l)e:iux  <;iifjiuts, 

Touve-loiiie; 
Dcansoiis  à  l'eiitoar, 

Touie-lonre  ; 
Dansons  ù  Peu  tour. 

''Venez -y  tous  en  survenants,  (bis) 
Soi-ciers,  léz.irds,  crapauds,  serpeuts, 

Toure-lonre  ; 
Dansons  à  l'entoiir, 

Toure-loure  • 
Dansons  à  l'entour. 

"  Venez-y  tous  eu  survenants,  (bis) 
Impies,  athées  et  mécréants, 

Toure-lonre  ; 
Dansons  à  l'entour, 

Tonre-loure  ; 
Dansons  à  l'entour.  " 


© 


C'est  dans  la       vil-  le       de  Kou-en,  C'est      dans  la 

§£iEîËEÎl^E?iËiËËiËËErg:£ilEêE^EEE^i^hEE^ 
vil-  le    de  Rouen,  Ils       out  fait  un  pâ-     lé    si  grand,L'eu- 


120  CHANSONS   POPULAIRES 


tuur  tour         lou-re,        Dausous  à  l'eu-    tour,  tour  lour, 
Dan-  sons    à  l'eu-        tou-     re. 


C'est  dans  la  ville  de  Rouen.    Çbis) 
Ils  ont  fait  un  pâté  si  grand, 

L'entoui'  tourloure, 
Dansons  à  l'en  tour,  tourlour, 

Dansons  à  l'entoure. 

Ils  ont  fait  un  pâté  si  grand,     {bis) 
Qu'ils  ont  trouvé  nu  liomm'  dedans. 

L'entour  tourloure, 

Dansons  à  l'entoure,  etc. 

Qu'ils  ont  trouvé  un  liomm'  dedans,    {bis) 
Ils  ont  trouvé  eucor'  ben  plua, 

L'entour  tourloure, 

Dansons  à  l'entour,  etc. 

Us  ont  trouvé  encoi'  lien  plus  :     (bis) 
Ils  ont  trouvé  un  ('luit  poilu  ! 

L'entour  tourloure, 
Dansons. à  l'entour,  tourlour. 

Dansons  à  l'entoure. 


DU  CANADA  121 


MARIANNE  S'EN  VA-T-AU  MOULIN 

Cette  chanson  est  très-connue  en  France  où  on  la  chante 
avec  nombre  de  variantes,  de  môme  qu'en  Canada.  Dans 
les  versions  françaises  se  trouve  le  mot  :  "  Martin  "  auquel 
nous  avons  substitué  :  "  Gatin."  On  y  trouve  aussi  la 
locution:  "Elle  monte  sur  son  une,"  au  lieu  de:  "A 
cheval  sur  son  âne."  Le  fait  est  que  nos  campagnards 
ne  savent  pas  parler  pertinemment  des  ânes,  qu'ils  ne  con- 
naissent, pour  la  plupart,  que  par  tradition.  On  sait  que 
les  ânes  n'ont  jamais  pu  se  propager  en  Canada  ;  ce  qui, 
comme  le  disait  naguère  un  grave  professeur  d'histoire, 
est  assez  consolant,  après  tout. 


ri-  aun'     s'en  va-     t-au  mou-    liu,  C'est    pour  y    fair'  mou- 


lii^ililiililillÊlpiiliËls-^ 

dre    sou     grain, C'est    pour  y     fair'  mou-    dre  son      grain, 


j— r— ^  — g=|— g^g^l  =»=»=|^t^|=?=z^^ 


A    che-val      sur  son      â-     -  ne,  Ma    p'iit'  mam- 


122  CHANSONS  POPULAIRES 


zell'  Ma-     riau-     -  ne,  A     clie-val       sur  Sun         â-  ue  Ca- 


al-  lant      au     mou-     lia. 


Mariaim'  s'en  va-t-au  moulin,     {b'ts) 
C'est  pour  y  fair'  moudre  sou  grain  ;    {bis) 

A  clieval  sur  sou  âue, 
Ma  p'tit'  uuiuizell'  Maria» ue, 
A  cheval  sur  sou  ;uie  Catin, 

S'en  allant  au  moulin. 


Le  meunier,  qui  la  voit  venir,     {bis) 
S'empios-e  aussitôt  de  lui  dire: 

— Attacliez-donc  votre  âue, 
Ma  p'tit'  mainzell'  Marianne, 
Attachez-tlonc  votre  âue  Citin, 

Par  deriièr'  le  moulin. 


Pendant  que  le  moulin  marchait,     (bis) 
Le  loup  tout  à  l'entour  rôdait.       {bis) 

L3  loup  a  manj^é  l'âne, 
Ma  ij'tit'  raaiuzell'  Marianne, 
Le  loup  a  mangé  l'âne  Catin, 

Par  derrjèi'  le  moulin. 


Mariann'  se  mit  à  pleurer,     {bis) 
Cent  écus  d'or  lui  a  donnés  {bis) 

Pour  acheter  un  âne, 
Ma  p'tit'  mamzell'  Marianue, 
Pour  acheter  un  âne,  Catin, 

En  r'veuant  du  mouliu. 


DU  CANADA  123 

Sou  père  qui  la  voit  venir    (his) 

Ne  put  s'einpêclier  de  lui  dire  :     (bis) 

— Qu'avez-vous  fait  d'  votre  âue, 
Ma  p'tit'  mamzell'  Marianne, 
Qu'avez-vous  fait  d'  votre  âue  Catin, 

Eu  allant  au  moulin? 

— C'est  aujourd'hui  la  Saint-Michel,    (his) 
Que  tous  les  âu's  changent  de  poil,     (his) 

J'  vous  ranièn'  le  même  âne, 
Ma  p'tit'  mamzell'  Marianne, 
J'  vous  ramèa'  le  même  âne,  Catin, 
Qui  m'  porta  au  moulin. 


124  CHANSONS  POPULAIRES 


TENAOUIGIIE  TENAGA,  OUIGH'  KA! 

Si  j'étais  de  la  force  de  M.  Ernest  Renan,  je  découvri- 
rais sans  doute  un  sens  profond  dans  les  mots  :  Tcnaouiche 
lenaga^  oiùch'ka!  qui  composent  le  refrain  de  ces  couplets, 
et  j'en  tirerais  des  consé([nences  d'une  belle  perfidie  en- 
tourée de  miel,  aux  acclamations  des  badauds  émerveillés 
de  ma  science  profonde.  Mais  comme  je  suis  loin  d'être 
d'une  pareille  force,  j'avouerai  tout  bonnement  que  je 
n'entends  rien  à  ce  baragouin. 

Au  reste,  ces  mots  étranges  ne  sont,  probablement,  que 
de  Vlmitalion  de  sauvage,  comme  savent  eu  faire  tous  les 
jeunes  enfants,  et  comme  j'en  ai  entendu  faire  souvent 
moi-môme  par  mes  petits  camarades,  lorsque,  imitant 
l'homme  des  bois  dans  son  commerce  avec  les  blancs,  ils 
se  vendaient  gravement  entre  eux  le  fruit  de  leur  dernière 
chasse  :  dix  mille  peaux  de  castors,  cent  mille  orignaux, 
cinq  cents  mille  caribous,  représentés  par  des  jointées  de 
noisettes,  de  bluets  ou  de  cerises  à  grappes. 

La  deuxième  version  de  cette  chanson,  que  l'on  verra 
plus  loin,  est  à  mon  sens,  très-intéressante.  Ce  n'est  rien 
autre  chose  qu'une  variante  canadienne  de  Malbrough. 
Le  tenaouiche  et  les  vieux  sauvages  sont  placés  là  pour  la 
couleur  locale. 

C'é-    tait  un      vieux  sau-     va-    -  ge  Tout  uoir,  tout 


DU  CANADA  12$ 


bar-bouil-     la,  Ouicli'-ka  !     A-      vec     sa     vieill' cou-     ver- 


„»=r= -1 


Srrppzrs: 


îîllïîiil-lplpp 


te  Et     sou  sac     à     ta-  bac.  Ouich'ka  !         Ah  !    ah  !  te-na- 
ouich'  te-  na-     ga,  Te-   na-    ouich'  te-     na-       ga,  ouich'- 
ka! 


C'était  nu  vieux  sauvage 
Tout  noir,  tout  barbouilLa, 

Ouich'ka! 
Avec  sa  vieill'  couverte 
Et  son  sac  à  tabac. 

Ouich'  ka  ! 
Ah!  ah  !  teuaouich'  tenaga, 
Tenaoucli'  tenaga,  ouich'  ka  ï 

Avec  sa  vieill'  couverte 
Et  son  sac  à  tabac. 

Ouich'  ka  ! 
— Ton  camarade  est  morë,' 
Est  mort  et  enterra. 

Ouicli'  ka  ! 
Ah  !  ah  !  tenaouich'  tenaga, 
Tenaouich'  tenaga,  ouich'  ka  ! 

Ton  camarade  est  more, 
Est  mort  et  enterra. 

Ouich'  ka  ! 
C'est  quatre  vieux  sauvages 
Qui  port'nt  les  coins  du  drap. 

Ouich'  ka  ! 
Ah  !  ah  !  tenaouich'  tenaga. 
Tenaouich  I  teuega,  ouich'  ka  ! 


126  CHANSONS  POPULAIRES 

C'est  quatre  vieux  sauvages 
Qui  port'nt  les  coius  du  diap, 

Ouicli'  ka  ! 
Et  deux  vioill's  sauvagesses 
Qui  cliant'iit  le  libéra. 

Ouich'  ka! 
Ah!  ah!  tenaouich' tunaga, 
Teuaouich'  teuega,  ouich'  ka  ! 

Autre  version  recueillie  par  M.  J.  A.  Malouin; 

Mon  mari  est  eu  guerre, 
Ne  sait  s'il  reviendra 

Ouich'ka! 
Eli'  monta  dans  sa  chambre, 
Si  haut  qu'ell'  put  inouta 

Ouich'ka! 
Ah  !  ah  !  tenaouich'  teuaga, 
Tenaouich'  teuega,  ouich'ka! 

Regard'  par  la  fenêtre 
Pour  voir  son  beau  pagea. 

— Ah!  dis-moi  donc  beau  page, 
Quell'  nouvelle  apporta? 

— Les  uouvell's  que  j'apporte 
Tes  doux  yeux  pleurera. 

Ton  mari  il  est  mort, 
Et  mort  et  enterra  ! 

Il  fut  porté  en  terre 
Par  quatre-z-officias. 

Trois,  quatre  vieux  sauvages 
Portaient  les  coins  du  drap. 

Et  deux  vieilles  sauvagesses 
Chantaient  le  libéra. 


DU   CANADA  127 


LA  FILLE  DU  ROI  D'ESPAGNE 

Si,  au  lieu  de  "  La  fille  du  roi  d'Esi^agne,"  la  chanson 
disait  :  "  La  fille  des  empereurs  d'Autriche,"  on  pourrait 
peut-être  y  voir  une  allusion  à  l'adresse  de  la  reine 
Marie-Antoinette,  qui,  dans  sou  jardin  du  Petit-Trianon,  à 
Versailles,  se  livrait  à  des  habitudes  de  fermière.  Mais 
les  paysans  ne  savent  pas  faire  de  ces  malices-là. 

La  musique  l'emporte  de  beaucoup  sur  les  paroles,  dans 
cette  chanson.  Confessons  toutefois  que  ces  couplets  où 
il  est  dit  que  la  fille  d'un  roi  veut  apprendre  "  à  battre  la 
lessive,"  sont  d'une  naïveté  qui  fait  sourire  mais  qui 
ne  choque  pas.  Au  reste,  pour  quiconque  connaît  le 
jjeuple  à  fond,  cette  manière  de  faire  parler  une  princesse 
-comme  une  paysanne  n'offre  rien  d'étrange.  Il  est  plus 
d'une  naïveté  de  ce  genre  dans  les  contes  populaires  : 
dans  celui  de /cfln  r5o^,  par  exemple,  où  le  héros  dit  à 
son  fils  : 

Tu  vas  aller  chez  le  roi  ;  tu  lui  diras  :  ''  Bonjour  mon- 
sieur le  roi.  Papa  vous  fait  bien  ses  compliments;  il 
demande  si  vous  voudriez  lui  prêter  votre  demi-minot  !  " 

M.  J.  Bujeaud,  dans  ses  Chants  et  Cfiansons  des  provinces 
de  rOuest,  donne  une  version  de  cette  chanson  dans 
laquelle  la  "  fille  du  roi  d'Espagne  "  casse  d'abord  son 
badras  ^battoir),  puis  laisse  tomber  son  anneau  à  la  mer. 
Le  reste  de  la  chanson  est  comme  notre  version  d'Isabeau 
s'y  promène.    L'air  donné  par  M.  Bujeaud   ne  ressemble 


128 


CHANSONS   POPULAIRES 


pas  au  nôtre.  Une  autre  version  de  cette  chanson,  donnée 
par  M.  de  Beaurepaire  (Cest  sur  le  pont  de  Nantes),  se  chante 
avec  le  refrain  que  nous  connaissons  ici  :  Vogue,  beau 
marinier. 


msmtM^immmËmm^m. 


La      filP    (lu      roi  d'Es-     pa-       gne,         Vo-gue, 


^—mz 


illlilillilfiPliïil^ 


ma-  ri-nier,     vo-     -   gue  !  Veut  appreudre    un   mé-  tier, 


-8-— 5=3= 


Vo-  gue,    ma-  ri-     uier  !  Veut    appreudre        un   mé- 


tier. 


Vo-  gue,     ma-  ri-       nier  ! 


La  fiU'  du  roi  d'Espagne, 
Vogue,  marinier,  vogue  ! 
Veut  appreudre  un  métier, 

Vogue,  marinier  î 
Veut  appreudre  un  métier. 

Vogue,  marinier  ! 

A  battre  la  lessive. 
Vogue,  marinier,  vogue  ! 
La  battre  et  la  couler, 

Vogue,  marinier  ! 
La  battre  et  la  couler. 

Vogue,  marinier! 


DU   CANADA 


129 


AH  !  SI  MON  MOINE  VOULAIT  DANSER  ! 

Le  mot  "moine"  n'est  guère  connu  dans  son  acception 
ordinaire  par  nos  habitants  de  la  campagne,  qui  ne  don- 
nent ce  nom  qu'au  petit  jouet  de  bois  appelé  en  France  : 
"  toupie  d'Allemagne.  " 

Moine  est  aussi  le  nom  d'un  meuble  de  bois,  inconnu 
dans  ce  pays,  dans  lequel  on  suspend  un  réchaud  rempli 
de  braise  et  dont  on  se  sert  pour  bassiner  le  lit.  Ce  meuble 
est  quelquefois  formé  d'un  cylindre  de  bois,  creusé  et 
doublé  en  tôle,  dans  lequel  on  introduit  un  fer  chaud. 

Le  proverbe  :  Faute  d^ un  moine  l'abbaye  ne  manque  pas^  veut 
dire  que  l'absence  d'une  personne  attendue  ne  doit  pas 
empêcher  une  partie  de  plaisir  d'avoir  lieu  ou  une  affaire 
de  se  conclure.  On  sait  que  cette  autre  proverbe  :  U habit 
ne  fait  pas  le  moine j  signiiie  quïl  ne  faut  pas  juger  des 
gens  par  l'apparence  ;  qu'un  vêtement  pauvre  est  souvent 
porté  par  un  homme  de  mérite. 


Ah  !       si  mon       moine  vou-      lait  clan-     ser  !  Ah  ! 


-i= 


— ^»i- 


si     mon     moi-  ne  vou-     lait  dan- 


ser  !     Un        ca-  pu- 


'^      1**— I      '"^     "'^1 — > — *■— I ^^' — ^i — 1^- 


chon  je  lui       don-ne-    ré,  Un     ca-  pu-  chou  je  lai     don-ue- 


130  CHANSONS  POPULAIRES 

_rt- ,.s ^ _^^ 

ré.  Dhu-  se,       inou  moiu',     ilau-     -     se  !     Tu 

n'euteuds     pas  la     cUui-  -     se  ;  Tu     u'enteuils    pas  mou  mou- 

liu,  lou,     la,  Tu  u'euteuds    pas  inou  luou-liu  uiar-  cher. 

Ah  !  si  îiioii  moine  voulait  danser  !  {bis) 
Un  capuchon  je  lui  lui  donu  ré  (rais)  (bis) 

Danse,  mon  moin',  danse  ! 

Tu  n'eiitends  pas  la  danse, 
Tu  n'entends  pas  mon  moulin.  Ion,  la, 
Tu  n'entends  pas  mon  moulin  marcher. 

Ah  !  si  mon  moine  voulait  danser  !  (tis) 
Uu  ceinturon  je  lui  donnerais  !     (bis) 
Danse,  etc. 

Ah!  si  mon  moine  voulait  danser  !     (bis) 
Un  chapelet  je  lui  douuerais.     (bis) 
Danse,  etc. 

Ah!  si  mon  moine  voulait  danser!     (bis) 
Uu  froc  de  bur' je  lui  donnerais,     (bis) 
Danse,  etc. 

Ah!  si  mon  moine  voulait  danser!     (bis) 
Un  beau  psautier  je  lui  donnerais,     (bis) 
Danse,  etc. 

S'il  n'avait  fait  vœu  de  pauvreté  !     (bis) 
Bien  d'autres  chos'  je  lui  donnerais,     (bis) 

Danse,  mon  moiu',  danse  ! 

Tu  n'entends  pas  la  danse, 
Tu  n'entends  pas  mon  moulin,  Ion,  la. 
Tu  n'eutends  pas  mou  moulin  marcher. 


DU  CANADA  131 


LE  JUIF  ERRANT 

Cette  belle  complainte  du  Juif-Errant  se  chante  snr  un 
air  qui  n'a  pas  la  prétention  d'en  faire  oublier  les  paroles, 
mais  qui,  à  la  longue,  et  surtout  lorsqu'on  l'entend  chan- 
ter par  dos  gens  du  peuple,  finit  par  toucher.  Cette  triste 
mais  belle  allégorie  est  en  grande  partie  oubliée  au- 
jourd'hui, même  dans  nos  campagnes. 


Est  -  il   rieu  sur     la       ter-  re      Qui    soit  pins  sur-pre- 


4> — I 1 9 a a — I  — ^-  — jg « — ^ — 9  — f9~ 


lïâl 


nant       Que      la   gran-de  uii-     se-    re  Da     panvre  Juif-Er- 


rant  ?  Que  sont  sort  mal-  heu-  renx  Pa-  raît  triste       et    fâ- 
cheux ! 

Est-il  rien  snr  la  terre 
Qui  soit  plus  surprenant 
Que  la  grande  misère 
Du  pauvre  Juif-Errant? 
Que  son  sort  malheureux 
Paraît  triste  et  fâcheux! 


132  CHANSONS  POPULAIRES 

Un  jour  près  de  la  ville 
De  Biuxeli's,  en  Bradant, 
Des  bourgeois  fort  dociles 
L'accoster'  eu  passant  : 
Jamais  ils  n'avai'nt  vu 
Un  homme  t^i  barbu  ! 

Son  habit,  tout  difforme 
Et  très-mal  arrangé, 
Leur  fit  croir'  que  cet  homme 
Etait  fort  étranger  ; 
Portant  comme  ouvrier, 
D'vaut  lui  un  tablier. 

On  lui  dit:  Bonjour  maître, 
De  grâce  accordez-nous 
La  satisfaction  d'être 
Un  moment  avec  vous  j 
Ne  nous  refusez  pas, 
Tardez  un  peu  vos  pas. 

— Messieurs,  je  vous  proteste 

Que  j'ai  bien  du  malheur: 

Jamais  je  ne  m'arrête 

Ni  ici,  ni  ailleurs  ; 

Par  beau  ou  mauvais  temps 

Je  marche  incessamment. 

— Entrez  dans  cette  auberge, 
Vénérable  vieillard  ; 
D"uu  pot  de  bière  fraîche 
Vous  prendrez  votre  part^ 
Nous  vous  régalerons 
Le  mieux  que  nous  pourrons. 

— J'accepterais  de  boire 
Deux  coups  avecqiio  vous, 
Mais  je  ne  puis  m'a-^seoire  : 
Je  dois  rester  debout. 
Je  suis  eu  vérité 
Confus  de  vos  bontés. 


DU  CANADA  133 

— Ali  !  de  savoir  votre  âge 
Nous  serions  fort  curieux; 
A  voir  votre  visage, 
Vous  paraissez  bien  vieux  ; 
Vous  avez  bieu  cent  ans, 
Vous  montrez  bien  autant. 


— La  vieillesse  me  gêne  ; 
J'ai  bien  dix-huit  cents  ans. 
Chose  sûre  et  certaine, 
Je  passe  encore  douze  ans  : 
J'avais  douze  ans  passé 
Quand  Jésus-Christ  est  ué. 


— N'êtes- vous  point  cet  homme 

De  qui  l'on  parle  tant  ? 

Que  l'Ecriture  nomme 

Isa'c,  le  Juif-Errant? 

De  grâce,  dites-nous, 

Si  c'est  bûreinent  vous. 


— Isaac  Laquedenmie 
Pour  nom  me  fut  donné  j 
Né  à  Jérusalemme, 
Ville  bien  renommée. 
Oui,  c'est  moi,  mes  enfants, 
Qui  suis  le  Juif-Errant! 

Juste  ciel,  que  ma  ronde 
Est  pénible  pour  moi  ! 
Je  fais  le  tour  du  monde 
Pour  la  cinquième  fois! 
Chacun  meurt  à  son  tour, 
Et  moi  je  vis  toujours  ! 

Je  traverse  les  merres, 
Les  rivièr's,  les  ruisseaux, 


134  CHANSONS   POPULAIRES 

Les  forêts,  les  déserres, 
Les  moiitagn'fi,  les  coteaux, 
Les  plaines,  les  vallons: 
Tous  cliemins  nie  sont  bons. 

J'ai  vu  dedans  l'Euiope 
Ainsi  que  dans  l'Asii-, 
Des  bataill's  et  des  t;liocquea 
Qui  coûtai'nt  biiMi  des  vies: 
Je  les  ai  traversés 
Sans  y  être  blessé. 

J'ai  vu  dans  l'Amérique, 

C'est  une  vérité, 

Ainsi  que  dans  l'Afrique 

Grande  inoitalité  : 

La  mort  ne  me  peut  rien, 

Je  m'en  aperçois  bien. 

Je  n'ai  point  de  ressource 

Eu  maison  ni  en  bien  ; 

J'ai  cinq  sous  dans  ma  bourse, 

Voilà  tout  mon  moyeu  ; 

En  tous  lieux,  en  tous  temps 

J'ai  ai  toujours  autant. 

— ^Nous  pensions  comme  un  songe 
Le  récit  de  vos  maux  ; 
Nous  trairions  de  mensonges 
Tous  vos  [»lus  grands  travaux: 
Aujourd'hui  nous  voyons 
Que  nous  vous  méprenions. 

Vous  étiez  donc  coupable 
De  quelque  grand  péché 
Pour  que  Dieu  tout  aimable 
Vous  ait  tan  t  affligé  ? 
Dites-nous  l'occasion 
De  cette  punition. 


DU  CANADA  135 

— C'est  ma  crnylle  undace 
Qui  cause  mon  malheur  ; 
Si  mon  ci-ime  s'ettace, 
J'aurai  bien  du  bonheur: 
J'ai  traité  mon  Sauveur 
Avec  trop  de  rigueur. 


Sur  le  mont  du  Calvaire 
Jésus  portait  sa  croix; 
Il  me  dit,  débonnaire, 
Passant  devant  chez  moi  : 
'*  Veux- tu  bien,  mou  ami, 
Que  je  repose  ici?  " 


Moi,  brutal  et  rebelle, 
Je  lui  dis  sans  raison  : 
*'  Otes-toi,  criminelle. 
De  (levant  ma  maison  ; 
Avance  et  marche  donc, 
Car  tu  me  fais  affron  t  !  " 


Jésus,  la  bonté  même. 
Me  dit  eu  soupirant  : 
"  Tu  marcheras  toi-même 
Pendant  plus  de  mille  ans  ! 
Le  dernier  jugement 
Finira  ton  tourment." 


De  chez  moi,  à  l'heur'  même, 
Je  sortis  bien  chagrin  j 
Avec  douleur  extrême 
Je  me  mis  en  chemin. 
De  ce  jour-là  je  suis 
En  marclie  jour  et  nuit. 


136  CHANSONS  POPULAIRES 

Messieurs,  le  temps  me  presse  ; 
Adieu  la  compagnie  ; 
Grâce  à  votr'  politesse! 
Je  vous  en  remercie  : 
Je  suis  trop  tourmenté 
Quand  je  suis  arrêté. 


DU  CANADA  13T 


J'AI  FAIT  UNE  MAITRESSE 


On  aimera  à  lire  ici  une  notice  de  M.  LaRue  sur  cette 
charmante  poésie  populaire  : 

"  Dans  la  Bévue  Contemporaine  de  1863,  (31  octobre,)  ou  peut 
lire  nue  savaute  critique  par  M.  Adrien  Dounodevie,  des  œuvres  eu 
langue  provençale  du  célèbre  poète  Mistral.  M.  Dounodevie  nous 
douue  la  traduction  française  d'un  des  chants  du  jeune  poète,  {tour 
lequel  le  savant  critique  ue  saurait  trouver  trop  d'éloges.  Laissous 
le  parler  lui-même. 

"Le  troisième    citant    nous   fait  assister   â    une    assemblée 

"joyeuse  et  babillarde  de  jeunes  filles  réunies  au  mas  de  Micocoules, 
"  et  occupées  à  dépouiller  des  cocons  ;  elles  parlent  de  leurs  amours, 

"  de  leurs  projets  ;  elles  font  des  châteaux eu  Provence,  rap- 

"  pelleut  les  beaux  souvenirs  du  pays.  Taven,  la  sorcière,  raconte 
"  la  curieuse  légende  du  pâtre  de  Lubérou  ;  plus  espiègle  que  les 
"  autres,  Norade  découvre  à  demi  le  secret  de  Mireille  ;  celle-ci 
"  rougit,  mais  s'en  défend,  et  dit  que  plutôt  que  d'avoir  un  mari, 
"  elle  aimerait  mieux  se  faire  uoune  dans  un  couvent:  "Oh!  oh! 
"  s'écrient  les  jeunes  filles,  c'est  comme  Magali,  IMagali  qui  échappa 
"  à  l'amour  par  mille  subterfuges,  qui  se  faisait  pampre,  oiseau  qui 
"  vole,  rayon  qui  brille,  et  qui  pourtant,  tomba  amoureuse  à  sou 
"  tour."  Et  sur  les  instances  de  ses  compagnes,  Nore,  la  belle 
"  chanteuse,  se  met  à  dire  la  ravissante  aubade  de  IMasali.  Cette 
"  chanson  est-elle  l'œuvre  propre  du  poète,  ou  eu  a-t-il  trouvé  l'idée 
"  et  quelques  fragments  dans  la  mémotre  populaire,  et  l'a-t-il  très- 
"  habilemeut  arrangé?  c'est  ce  que  nous  ne  pouvons  décider." 

"  Or,  c'est  ce  qu'il  est  très-facile  de  décider:  il  suffit  pour  cela, 
de  mettre  en  regard  quelques  strophes  de  la  chanson  provençale 
avec  quelques  couplets  d'une  de  nos  chansons  populaires  cana- 
diennes." {Foyer  Canadien,  année  1865,  p.  72.) 


138  CHANSONS  POPULAIRES 

Voici  une  traduction  de  1'  "  aubade  "  de  Mircïo  du  poète 
Mistral  ; 

"  0  Magali  !  ma  tant  aimée — Mets  la  tête  à  ta  fenêtre — Ecoute 
un  peu  celte  aubade  de  tambourins  et  do  violons — Le  ciel  est  là- 
baut  plein  d'étoiles — Le  veut  est  tombé — Mais  les  étoiles  pCdiront 
en  te  voyant. 

— "  Pas  plus  que  du  murmine  des  branclies — De  ton  aubade  je 
me  soucie — Mais  je  m'en  vais  dans  la  mer  blonde — Me  faire  an- 
guille du  rocber. 

"  0  Magali  !  si  tu  te  fais — Le  poisson  de  l'onde — Moi,  le  pêcbeur 
je  me  ferai — Je  te  pêclierai. 

■''  Oh  !  mais  si  tu  te  fais  pêcheur — Quand  tu  jetteras  tes  filets — 
Je  me  ferai  l'oieeau  cpu  vole — Je  m'envolerai  dans  les  landes. 

"  0  Magali,  si  tu  te  fais — l'oiseau  de  l'air — Je  me  ferai,  moi,  le 
chasseur— Je  te  chas.'^erai. 

— "  Aux  perdreaux  aux  becs  fins, — Si  tu  viens  tendre  tes  lacets, — 
Je  me  ferai  l'iierbe  Heurie, — Et  me  caclierai  dans  les  prés  vastes. 

— "0  Magali!  si  tu  te  fais— La  UKirguerite, — Je  me  ferai,  uuti, 
l'eau  limpide, — Je  te  rafraîciiirai. 

— "  Si  tu  te  fais  l'onde  limpide, — Je  me  ferai,  mni,  le  grand 
nuage, — Et  promptemeut  je  m'en  irai  ainsi — En  Amérique,  là-bas, 
bien  loin. 

— "  0  Magali!  si  tu  'Jen  vas — Aux  lointaines  Indes, — J?  me 
ferai,  moi,  io  vent  de  mer,  —Jeté  porterai. 

— "  Si  tu  te  fais  le  veut  marin, — Je  fuirai  d'an  autre  côté, — Je 
me  ferai  l'échappée  ardente — Du  grand  soleil  qui  fond  la  glace. 

— "  0  Magali  !  si  tu  te  fais — Le  rayon  de  soleil, —  Je  me  ferai, 
moi,  le  vert  lézard, — Je  te  boirai. 

— "  Si  tu  te  rends  la  salamandre — Qui  se  cache  dans  le  hallier, — 
Je  me  rendrai,  moi,  la  lune  blanclie  qui,  dans  la  nuit,  —Eclaire  les 
sorciers. 

— "  0  Magali  !  si  tu  te  fais — Lune  'sereine, — Je  me  ferai,  moi, 
belle  brume, — Je  t'envelopperai. 

" — Va,  poursuivant,  cours,  cours, — Jamais  tu  ne  m'atteindras, — 
Moi  de  l'écorce  d'un  grand  chêne — Je  me  vêtirai  dans  la  forêt 
sombre. 


DU  CANADA  13» 

"  0  Magali  !  situ  te  fais — L'arbre  des  morues, — Je  me  ferai, 
moi,  la  toutle  de  lierre, — Je  t'embrasserai. 

"  Si  tu  veux  m'enibrasser, — Tu  ne  saisiras  qu'un  vieux  chêne 

Je  me  ferai  blanche  uonnette — Du  monastère  du  graud  Saiut-Blaise. 

"  0  Magali  !  si  tu  te  fais — Nonnette  blanche,  —Moi.  prêtre  à  con- 
fesse,— Je  t'entendrai . 

— "  Si  du  couvent  tu  passes  les  porter, — 'l'u  trouveras  toutes  le» 
lionnes — Autour  de  moi,  errantes, — Car  eu  suaire  tu  me  verras. 

''  0  iMagali  !  si  tu  te  fais — La  pauvre  UKu-te, — Adoucques  je  me 
ferai  la  terre  :  Là,  je  t'aurai  ! 

— "  A  préseut,  je  commence  eutin  à  croire — Que  tu  ne  me  parles 
pas  eu  riant:  Voici  mou  auuelet  de  verre — Pour  souvenir,  beau 
jouvenceau. 

— "  0  Magali!  tu  me  fais  du  l^iun Mais,  des  qu'elles    t'ont 

vu, — 0  Magali  !   vois  les  étoiles— Cumuie  elles  ont  pâli  !  " 

La  délicieuse  musique  que  Gounod  a  écrite  sur  cette 
donnée  de  Mistral,  est  l)ien  connue  à  Québec. 

On  chante  en  France,  dans  le  Bourbonnais,  une  version 
de  cette  chanson  qui  difl'ère  à  peine  de  notre  version 
canadienne,  quant  aux  paroles.  Il  me  semble  évident  que 
que  notre  air  n'est  pas  l'air  primitif,  car  le  rhythnie  de  la 
poésie  ne  se  plie  que  difficilemnit  à  celui  de  la  mélodie; 
de  là  ces  syllabes  ajoutées  :  "  Si  tu  te  mets  docteure, . .. 
Je  me  metterai  sœure,"  etc.  Je  ne  comiais  pas  l'air  de  la 
version  bourbonnaise. 


sr:|==l=^l=|=r-r=i1'!:z|-r=: 


J'ai      fait  u-      ne  uiaî-     tres-se,       ya        pas  loug- 


140 


CHANSONS  POPULAIRES 


rrfrr 


--, — , ^v-, ,%-,— 


SÊlËÊliiîOIill'liinÊîîypl 


temps,  J'ai      fait  u-      ne  luaî-     tres-se,       ya         pas  loog- 


irst- 


teinps  :       J'i-     -      rai    la       voir  di-     muu-  che,         di- 


:-=p=g=r 


zr^-=:e!ntzr: 


iizir^jq 


inancli'  j'i-      rai  ;  Je        fe-  rai         la     de-    luau-  de 


à    ma    bien-  ai-      mée. 


J'ai  Mt  une  maîtresse,  ya  pas  longtemps,    (bis) 
J'irai  la  voir  dimanche,  dimanch' j'irai  ; 
Je  ferai  la  demande  à  ma  bien-aimée. 

Ah  !  si  tu  viens  dimanche,  j'n'y  serai  pas  ;  (bis) 
Je  me  metterai  biche  dans  un  beau  champ; 
De  moi  tu  n'auras  pas  de  contentement. 

Ah  !  si  tu  te  mets  biche  dans  un  beau  champ,  {bis) 
Je  me  mettrai  chasseure,  j'irai  chasser  ; 
Je  chasserai  la  biche  ma  bien-aimée. 

Si  tu  te  mets  chassenre  pour  me  ch;isser,     (bis) 
Je  me  metterai  carpe,  dans   un  étaiiii;  : 
De  moi  tu  n'auras  pas  de  contentement. 

Ah  !  si  tu  te  mets  carpe  dans  un  étan'jr,     (bis) 
Je  me  mettrai  pêcheure  pour  te  pêcher  : 
Je  pêchei'ai  la  carpe,  ma  bien-aimée. 


Si  tu  te  mets  pêcheure  pour  me  pêcher,     {bis) 
Je  me  mettrai  malade  dans  un  lit  l)lanc: 
De  moi  tu  n'auras  pas  de  contentement 


DU  CANADA  141 


Si  tu  te  mets  malade  daus  un  lit  blanc,     {bis) 
Je  me  mettrai  docteure  pour  te  soigner  : 
Je  soignerai  la  belle,  ma  bien-aimée. 

Si  tu  te  mets  dooteure  pour  me  soigner,     (his) 
Je  me  metterai  sœure  dans  nu  couvent, 
De  moi  tu  n'auras  pas  de  contentement. 

Ah  !  si  tu  te  mets  sœur  dans  un  couvent,     {bis) 
Je  me  mettrai  prêcheure  ;  j'irai  prêcher  j 
Je  prêcherai  le  cœur  de  ma  I)ieii-aimée. 

Si  tu  te  mets  précheure  pour  me  prêcher,    {his) 
Je  me  mettrai  soleille,  au  firm.-iiueut  : 
De  moi  tu  n'aura  pas  de  contentement. 

Si  tu  te  mets  soleille  au  firmament,     (bis) 
Je  me  mettrai  nuage  pour  te  cacher  : 
Je  cacherai  la  belle,  ma  bieu-aimée. 

Si  tu  te  mets  nuage  pour  me  cacher,     {bis) 
Je  me  mettrai  saint  Pierre,  au  paradis  : 
Je  n'ouvrirai  la  porte  qu'à  mes  bons  amis. 


142 


CHANSONS   POPULAIRES 


LE  P'TIT  BOIS  D'L'AIL 


Le  beau  chanteux  qui  a  fait  la  chanson  du  P'Lit  bois  cVVail 
a  évidemment  voulu  la  mener  sur  l'air  de  Tai  fait  une 
maîtresse,  mais  il  lui  aura  été  plus  facile  de  changer  un 
peu  la  forme  de  la  sU'ophe,  dès  le  [ircmier  couplet;  de  là 
altération  dans  la  mélodie. 

Les  paroles  de  cette  chanson  sont  tout-à-fait  couleur 
locale^  et,  partant,  elles  sont  précieuses  à  recueillir. 

"  Le  petit  bois  de  l'ail  "  est  le  nom  d'un  concession  de 
la  paroisse  du  Ga|)-Santé.  C'est  là  qu'est  né  notre  artiste- 
peintre  M.  le  chevalier  Falardeau. 


Qui     veut   sa-     voir     la         lis-  te       des         i-vrogu' 
à     pré-    seut  ?  C'est  dans    le      P'tit  bois  d'Ail-  le 

Yeu        a-t-uu       ré-  gi-     lueut;  Et  ^    moi,  le 


^~ff-  -^=i-  -«.-r 


iglI^giPi^^^l^^ii^ 


ca-  pi-  taiue,  Et    Frau-  çois,  le     Gros,  mar-  cliaud;      E- 


DU  CANADA  143 


douard  y      porte  eu-    sei-     gue,  Au     bout  du     ré-  gi- 


meut. 


Qui  veut  savoir  la  liste 

Des  ivrsgu'  à  présent? 

C'est  dans  le  P'tit  bois  d'I' Aille 

Yen  a-t-iiu  régimeut; 

Et  moi  le  capitaine, 

Et  P"'ranç()is  le  Gros,  marchand  ; 

Edouard  y  porte  enseigne 

Au  bout  du  régiment. 

Par  un  dimanche  au  soir 
M'en  allant  promener, 
Et  moi  et  puis  François, 
Tous  deux  de  compaguée, 
Chez  le  bonhomm'  Grauthier 
Nous  avons  'té  veiller; 
Je  vais  vous  raconter 
Le  tour  qui  m'est  arrivé. 

J'y  allumai  ma  pipe 
Comni'  c'était  la  façon, 
Disant  quebiues  paroles 
Aux  gens  de  la  maison. 
Je  dis  à  Délima  : 
— Me  permettriez-vous 
De  ni'éloigner  des  auties 
Pour  m'approcher  de  vous  f 

— Ah  !  oui,  vraiment,  dit-elle, 

Avec  un  grand  plaisir. 

Tu  es  venu  ce  soir 

C'est  seul'ment  pour  en  rire  ; 


144  CHANSONS  POPULAIRES 

Tu  es  trop  infidèle 
Pour  me  parler  d'amour; 
T'as  ta  p'tit'  Jérémie 
Que  tu  aimes  toujours. 

Revenons  au  bonhomme 

Qu'est  dans  son  lit  couché, 

Criant  à  liauie  vois  : 

— "  Lima,  va  to  coucher  ! 

Les  gens  de  \a  campagne, 

Des  ville'  et  des  faubourgs. 

Retirez- vous  d  ici  te 

Car  il  fait  bientôt  jour  !  " 

J'n'attends  pas  cju'on  me  l'dise 

Pour  la  seconde  fois, 

Et  je  dis  à  Fi-ançois  : 

T'en  viens-tu  quand  et  moi  (avec  moi)? 

Bonsoir  ma  I3élima, 

Je  file  mon  chemin  ! 

Je  m'en  allais  nu-tête, 

Mon  chapeau  à  la  main. 

Va  t'en  faire  tes  plaintes 
A  monsieur  le  curé  ; 
Dis-lui  que  sa  paroisse 
Est  tout  bouleversée  j 
Dis-lui  que  sa  paroisse 
Est  sans  dessus  dessous, 
Que  dans  le  P'tit  bois  d'Aillé 
On  n'y  voit  qu'  des  gens  soûls. 

On  dit  que  je  suis  fier. 
Ivrogne  et  paresseux. 
Du  vin  dans  ma  bouteille 
J'en  ai  beu  quand  je  veux; 
On  ne  voit  point  de  graisse 
Figer  sur  mon  capot  ; 
n  est  toujours  beu  uet-te 
Quoiqu'il  ne  soit  pas  beau. 


DU   CANADA 


146 


ET  MOI  JE  M'ENFOUIYAIS 


Cette  chanson,  dont  la  morale  profonde  n'échappera  à 
personne,  se  chante  en  France,  dans  la  Vendée  et  dans  le 
Cambresis.     Voir  les  Chants  et  Chansons  de  M.  Bujeaud 
page  50  {Le  peureux)^  et  l'ouvrage  déjà  cité  de  MM.  Durienx 
et  Bruyelle,  page  202  [Les  remords). 

J'ai  recueilli  cet  air  dans  le  comté  de  Kamouraska. 


En  pas-       sant  près  d'un  mou-       lin,  Que  le  jhou- 


kzk: 


_,s« 


— I « 


r_e — t=S-r5r-*zrq 


^— ij — » — •■ 


lin  mar-     chait,  Que  le  mou-     lin  mar- chait,     Et  dans  son 

-—3 ao— a»— a*— a»— ! A * a»— 1,.— 3«— !;_prZJ 

— ^ — g,_^_g,_^_3 ^-^=3^^zz^z=:i 

jo-    li  chant  di-     sait  :  Ke-ti-ke-ti-ke      tac,  Ke-ti-ke-ti-ke- 


tac  ;  Moi  je  croy-  ais  quïl  di-      sait  :  Attrappe,  attrappe,  at- 


--^zzi^^-ez 


ZMZ=:=^z 


—!s »_-_ 


^ ^ ^|El^fE^*à=*H*=É^-EE*EE 

trappe  !  attrappe,  attrappe,  at-trappe  !  Et  moi  je       m'en-foui- 


foui...Et    moi    je         m'en-      foui-         yais. 

En  passant  près  d'un  moulin, 
Que  le  moulin  marchait,     (bis) 
Et  dans  son  joli  chant  disait: 
Ketiketiketac,  ketiketiketac; 


U(;  CHANSONS    POPULAIRES 

Moi  je  croyais  <iii'il  disait  : 

Attiiippe,  attrap[>e,  attiappe  !  attrappe,  attrappe,  attrappel 

Et  moi  je  m'eafoui-foui. ... 

Et  moi  je  m'eiitbuiyais. 


Eu  passant  près  d'uu'  prairie, 

Que  les  faiiclieurs  fauchaient,     {bis) 

Et  dans  leur  joli  chant  disaient  : 

Ah!  l'beau  faucheur!  ah!  l'beau  faucheur! 

Moi  je  croyais  qu'ils  disaient  : 

Ah!  v''là  l'voleur !  ah!  v'iàl'voleur! 

Et  moi  je  m'eufoui-foui . 

Et  moi  je  m'enfouiyais. 

En  passant  près  d'une  église, 
Que  les  chautres  chantaient,     {bis) 
Et  dans  leur  joli  chant  disaient  : 
Alléluia!  Alléluia! 
Moi  je  croyais  qu'ils  disaient: 
Ah  !  le  voilà  !  ah  !  le  voilà  ! 
Et  moi  je  m'eufoui-foui- . . . 
Et  moi  je  m'enfouiyais. 

En  passant  près  d'un  poulailler, 
Que  les  poules  chantaient,    (bis) 
Et  dans  leur  joli  cliant  disaient: 
Coucouricou,  coucouricou  j 
Moi  je  croyais  qu'ell's  disaient  : 
Coupons-y  l'cou  !  coupons-y  l'cou  f 
Et  moi  je  m'eufoui-foui.... 
Et  moi  je  m'enfouiyais. 


DU  CANADA  147 


DANS  MA  MAIN  DROITE  JE  TIENS  ROSIER 

Les  danses  rondes  tenaient  autrefois  une  place  considé- 
rable dans  les  amusements  populaires.  Voici  comment 
s'exécute  celle  dont  la  musique  est  notée  ci -dessous  : 

Les  jeunes  gens  se  tiennent  tous  par  la  main,  formant 
im  cercle,  et  se  mettent  à  tourner  autour  du  centre  ;  seuls 
les  vieux  parents  font  tapisserie  et  veillent  au  décorum. 
Le  plus  vieux  ou  le  meilleur  chanteur  de  la  bande  en- 
tonne alors  : 

Dans  ma  main  droite  je  tiens  rosier 

les  autres  danseurs  chantent  aussi  avec  lui,  ad  libitum, 
mais  en  laissant  toujours  dominer  la  voix  du  soHste  obli- 
gato.  Au  second  couplet  le  chanteur  fait  passer  au  milieu 
du  rond  le  jeune  garçon  ou  la  jeune  fille  qu'il  tient  de  sa 
main  droite,  en  disant  : 

Entrez  en  danse  joli  rosier 

puis,  si  les  danseurs  sont  tous  de  la  famille,  il  ajoute  : 

Et  embrassez,  manon  Ion  la, 

Et  embrassez  qui  vous  plaira..-. 

mais  s'il  y  a  des  étrangers  dans  la  danse, — des  étranges, 

comme  on  dit  dans  certaines  localités, — on  dit  presque 

toujours  : 

Et  salues,  manon  Ion  la, 
Et  salues  qui  vous  plaira. 

Les  danseurs  s'arrêtent  alors,  puis,  l'embrassade  ou  le 


148 


CHANSONS  POPULAIRES 


salut  fait,  ou  se  met  à  tourner  de  nouveau  ;  celui  qui  était 
au  centre  de  la  chaîne  passe  à  la  gauche  du  chanteur,  qui 
fait  faire  la  raôine  cérémonie  à  son  nouveau  voisin  de 
droite;  et  ainsi  de  suite  jusqu'à  ce  (jue  chaque  danseur 
et  chaque  danseuse  ait  ainsi  indiqué  aux  yeux  de  tous 
l'objet  de  sa  prédilection. 

Cette  ronde  est  connue  en  France,  dans  l'Angoumois, 
le  Poitou,  le  Saintonge  et  l'Aunis 


*^        Dans     ma  maiu     droi-     te    je      tieus  ro-     sier,  Daus 

ma  maiu  droi-       te    je      tieus  ro-    sier  Qui    fleu-  ri- 

F^E?EE^=I?Ed~^z::^zlb£^-^dE-iEE^£:h£*EËËE-Ed 

ra,         ma-     -  uou  lou        la,  Qai     Meu-    ri-       ra         au 

mois  de       mai. 


Daus  ma  main  droite  je  tiens  rosier,    [bis) 
Qui  fleurira,  maiinii  Ion  la, 
Qui  fleurira  au  mois  d«  mai. 


Entrez  en  danse,  joli  rosier  !     (bis) 
Et  embrassez  (saluez)  m.uion  lou  la, 
Et  embrassez  (saluez;  qui  vous  plaira. 


DU  CANADA  149 


J'AI  TANT  D'ENFANTS  A  MARIER  ! 

Cette  jolie  ronde  se  chante  dans  le  nord  et  l'ouest  de  la 
France.  Elle  s'exécute  de  la  même  manière  que  la  pré- 
cédente ;  seulement,  lorsque  le  chanteur  dit  : 

Faites  le  pot  k  deux  anses  ; 
Eegardez  comme  l'on  danse 

celui  ou  celle  qui  se  trouve  au  centre  de  la  chaîne  lève 
les  coudes  et  se  met  les  poinys  sur  les  côtés. 


— ., ,S 1^ 


J'ai  tant  d'eu-  fauts  à  ma-  ri-       er  !....  J'ai  tant  d'en- 
fautâ  à   ma-  ri-         er  ! Grand        Dieu  !  je  n'sais  com- 

meut  pou-voir         eu      ma-  ri-     er       tant. 

J'ai  tant  d'enfants  à  marier  ! 
J'ai  tant  d'enfants  à  marier  ! 
Grand  Dieu!  je  n'sais  comment 
Pouvoir  en  marier  taut. 

Mademoiselle,  on  parle  à  vous  ; 
Ou  dit  que  vous  aimez  beaucoup. 
Si  c'est  vrai  que  vous  aimez, 
Entrez  dans  la  danse,  entrez  I 


150 


CHANSONS  POPULAIRES 


rd'»- 


Fai-  tes      le     pot    à  deux     an-    ses;  Re-     gar- 


5ë5 


;fc«^=;=i^ 


zm—m 


—' — y 


dez  com-me  l'on     dan-se  ;  Fermez  la      bouche  ;  ouvrez  les 


P 


i^—m^=^!^z=m=\—a 


_> 2 


^Ï^E:B^^ 


yeux  ;   Sa-    lu    ez     qui  vous  plai-  ra      mieux. 


Faites  le  pot  à  deux  anses  ; 
Regardez  comme  l'on  danse  ; 
Fermez  la  bouche  j  ouvrez  les  yeux; 
Saluez  qui  vous  plaira  mieux. 


DU  CANADA 


151 


AH!  QUI  MARIERONS-NOUS? 

Ici  deux  des  danseurs  passent  au  milieu  du  rond  et  se 
font  mutuellement  saints  et  révérences.  Cette  ronde  est 
fort  gracieuse,  comme  danse  et  comme  musique.  On  la 
chante  en  France,  dans  le  Gambrésis. 


\—m^'—\ 


-m—i- 


:S=1 


Ah  !  qui  uni-     rie-rons-nous ?  Ah!  qui  ma-  rie-rons- 
nous  ?  Ma- de- moi-     selT,  ce     se-     ra     vous,  Par  l'as-sem- 


^=.-*-- 


blé'     «l'a-     inour.  Oui  j'ai-  me-    -  rai     qui     m'aim...qui 
m'ai-me —         Oui  j'ai- me- rai  qui     m'ai-me-  ra. 


Ah!  qui  marierons-nous?     (his) 
Mademoiseir,  ce  sera  vous, 
Par  l'assemblé'  d'amour. 

Oui  j'aimerai  qui  m'aim qui  m'aime. 

Oui  j'aimerai  qui  m'aimera. 


'Lui  donn'rons  pour  époux?     (bis) 
Mon  doux  monsieur,  ce  sera  vous, 
Par  l'assemblé'  d'amour. 
Oui  j'aimerai,  etc. 


162  CHANSONS  POPULAIRES 

Amour,  saluez -vous!     {bis) 
Saluez-vous  cinq  ou  six  coups, 
Par  l'assemblé'  d'amour. 
Oui  j'aimerai,  etc. 

Amours,  retirez-vous  !     (bis) 

Retirez-vous  chacun  chez  vous, 

Par  l'assemblé'  d'amour. 

Oui  j'aimerai  qui  m'aim....qui  m'aime. 

Oui  j'aimerai  qui  m'aimera. 


DU    CANADA  163 


J'AI  TROUVÉ  LE  NIQUE  DE  LIÈVRE 

Encore  une  ancienne  ronde.  Elle  se  danse  comme  Dans 

ma  main  droite  je  tiens  rosier;    la   seule  différence   est 

qu'aux  mots  : 

Siiiitons  ! 
Dansons  ! . 

chacun  saute  à  qui  mieux  mieux. 

Cette  ronde  a  été  plaisamment  parodiée  dans  une  tra- 
gédie-bouffe intitulée  :  Ze  Défricheur  de  langues,  dirigée 
contre  les  écrivains  de  La  Ruche  litléraire,  el  dont  on  a 
attribué  avec  raison  la  paternité  à  MM.  J.  G,  Taché  et  F. 
A.  H.  LaRue.  Le  docteur  Wells  a  aussi  contribué  à  cette 
satire  ;  il  en  a  écrit  un  vers,  et  ce  n'est  pas  le  moins  bon 
de  la  pièce. 


J'ai  trou-     vé     le        ni-  que  du      liè-vre,  Mais     le 
lièvr'  n'y       é-  tait       pas  :        Le  ma-     tiu,  quand      il     se 
le-    ve,       il     em-     port'  le       lit,     les     draps.       Sau- 
tons !         dau-     -     sous  !     Bell'     ber-     gère,  en-     trez    eu 
dan-  se  ;      Sa-      lu-      ez     qui    vous  plai-        ra. 


]5t  CHANSONS  POPULAIRES 

J'ai  trouvé  le  nique  du  lièvre, 
Mais  le  lièvv'  n'y  était  pas  : 
Le  matin,  quand  il  se  lève, 
Il  emport'  le  lit,  les  draps. 

Sautons  ! 

Dansons  ! 
Bell'  bergère,  entrez  en  danse; 
Saluez  qui  vous  plaira  1 


DU  CANADA  155 


EN  REVENANT  DE  LA  JOLIE  ROCHELLE 

Vraie  mélodie  populaire,  inoiiolone,  un  peu  triste  dans 
sa  joyeuseté  et  son  allure  antique. 

Cette  chanson  est  sans  doule  d'origine  française.    Je  la 

noie  ici  avec  la  pensée  qu'elle  éveillera  peut  être  un  doux 

souvenir  dans  le  cœur  de  quelque  cousin  d'outre-mer. 

'•  Quel  est  l'iiouiine  éclairé,  n  dit  M.  Scudo,  quel  est  l'artiste 
devenu  célèbre  qui  ue  se  rappelle  la  simple  histoire,  l'image  uaïve 
ou  la  mélodie  rustique  qui  out  clianné  sou  eufauce  et  dout  l'impres- 
sion lui  est  restée  iueti'açable,  malgré   tout  ce  que  son  goilt  a  pu  lui 

dire  depuis  contre  ces  bégayemeuts  de  la  nmse  populaire  ? Tel 

graud  compositeur  qui  remplit  le  monde  du  bruit  de  ses  chefs-d'œuvre 
ue  peut  s'empêcher  de  rêver  et  de  s'attendrir  eu  écoutant  le  refrain 
plaintif  qui  lui  apporte  un  souvenir  du  pays  qui  l'a  vu  naître." 


-5 — 
J'ai      reucou-     tré     trois    jo-  lies      de-uioi-  seU's.  La  voi- 
là     ma     mi'     qu'mon    cœur      ai-  me     tant,     La       voi- 


la    ma     mi'     qu'mon     cœur       ai-     -       me  ! 

Eu  reveuant  de  la  joli'  Rochelle,     (bis) 
J'ai  reucoutré  trois  jolies  demoiselles. 
La  voilà  ma  mi'  qu'mon  cœur  aime  tant! 
La  voilà  ma  mi'  qu'mou  cœur  aime  ! 

J'ai  reucoutré  trois  jolies  demoiselles  ;     (bis) 
J'ai  point  choisi,  mais  j'ai  pris  la  plus  belle. 
La  voilà  ma  mie,  etc. 


156  CHANSONS   POPULAIRES 

J'ai  point  clioisi,  mais  j'ai  pris  la  plus  belle  j     (bis) 
J'I'y  fis  monter  derrièr'  moi,  sur  ma  selle. 
La  voilà  ma  mie,  etc. 

J'I'y  fis  monter  derrièr'  moi,  snr  ma  selle;     (bis) 
J'y  fis  cent  lieues  sans  parler  avec  elle. 
La  voilà  ma  mie,  etc. 

J'y  fis  cent  lieues  sans  parler  avec  elle  ;     (bis) 
Au  bout  (les  cent  lieues,  elP  me  d'raandit  à  boire. 
La  voilà  ma  mie,  etc. 

Au  bout  des  cent  lieues,  elle  me  d'mandit  à  boire  j     (bis) 
Je  l'ai  menée  auprès  d'une  fontaine. 
La  voilà  ma  mie,  etc. 

Je  l'ai  menée  auprès  d'une  fontaine  ;  (bis) 
Quand  ell'  fut  là,  elP  ne  voulut  point  boire. 
La  voilà  ma  mie,  etc. 

Quand  ell'  fut  là,  ell'  ne  voulut  point  boire  j     (bis) 
Je  l'ai  menée  au  logis  de  son  père. 
La  voilà  ma  mie,  etc. 

Je  l'ai  menée  au  logis  de  son  père  ;     ''bis) 
Quand  ell'  fut  là,  ell'  buvait  à  pleins  verres  j 
La  voilà  ma  mie,  etc. 

Quand  ell'  fut  là,  ell'  buvait  à  pleins  verres  ;     (Mè) 
A  la  santé  de  son  père  et  sa  mère. 
La  voilà  ma  mie,  etc. 

A  la  santé  de  son  père  et  sa  mère  ;     {bis) 
A  la  santé  de  ses  sœurs  et  ses  frères. 
La  voilà  ma  mie,  etc. 

A  la  santé  de  ses  sœurs  et  ses  frères  ;     (bis) 
A  la  santé  d'celui  que  son  cœur  aime. 
La  voilà  ma  mi'  qu'mon  cœur  aime  tant, 
La  voilà  ma  mi'  qu'mon  cœur  aime  ! 


DU  CANADA  157 


MARIANSON,  DAME  JOLIE 

La  complainte  de  Marianson  doit  être  fort  ancienne. 

On  y  respire  le  moyen  âge  à  pleins  poumons —non  pas 

le  moyen-ûge  dans  ce  qu'il  a  de  bon,  mais  dans  ses  fai- 
blesses, et  tel  qu'on  a  presque  toujours  le  soin  de  le 
représenter. 

Que  le  mal,  qui  est  de  tous  les  siècles,  ait  existé,  dans 
le  moyen-âge,  chez  ces  peuples  de  l'Europe  nouvellement 
conquis  à  la  foi  et  à  peine  sortis  du  paganisme  et  de  la 
barbarie,  nul  ne  songe  à  le  nier.  Mais  il  y  a  cette  diffé- 
rence entre  le  mal  de  ces  temps-là  et  le  mal  d'aujourd'hui 
que  celui-ci  est  organisé,  qu'il  s'étale  au  grand  jour,  qu'il 
se  glorifie  lui-môme,  qu'il  appelle  héroïsme,  vertu,  justice, 
l'assassinat,  la  spoliation,  l'injustice;  qu'il  nie  l'autorité 
divine;  que,  par  la  bouche  de  ses  sociétés  secrètes,  il  pro- 
clame ce  principe  :  que  la  paix  de  Mme  réside  dans  la 
négation  de  Dieu  ;  tandis  que  celui-là  n'est  qu'une  défail- 
lance passagère,  souvent  très  grave  et  très-blâmable  sans 
doute,  mais  qui  rougit  d'elle-même,  ne  cherche  pas  à  se 
propager,  et  à  laquelle  survit  toujours  la  foi. 

Au  moyen-âge,  l'action  du  christianisme  s'exerçait  sur 
une  société  qui,  je  le  répète,  sortait  de  la  barbarie.  Ce  que 
ces  siècles  ont  produit  de  bon  venait  surtout  du  christia- 
nisme ;  ce  qu'ils  ont  produit  de  mauvais  venait  surtout 
de  la  barbarie;  mais  l'organisation  sociale  créée  par 
l'Eglise,  avec  ses  mille  moyens  de  protéger  les  faibles, 


158  CHANSONS  POPULAIRES 

avec  ses  corporations  et  ses  confréries,  élalL  réellement 
admirable,  et  conduisait  les  peuples  de  l'Europe  et  la 
société  chrétienne  en  général  au  plus  grand  bonheur  ter- 
restre qui  se  puisse  imaginer.  Le  jour  où  l'on  consentira 
à  retourner  aux  "  coi-poraLions  "  du  moyen-âge,  la  ''  (]ues- 
lion  ouvrière"  sera  résolue. 

Tout  cela  n'empêche  pas  que  le  mari  de  Mariatison,  dame 
joUe,  ait  fait  un  bien  mauvais  coup;  mais  il  en  a  déjà  de- 
mandé pardon Le  récit  cependant  eût  été  plus  complet 

et  la  couleur  de  l'épo^jue  mieux  gardée  si  la  complainte 
en  eût  fait  un  frère  de  la  Merci,  se  vouant  volontairement 
à  l'esclavage  pour  expier  son  crime. 


Ma-  ri-  au-         sou  da-  me  jo-     -     lie,  Ou  est     al- 


lé     vo-     tre  ma-     ri?       Ma-  ri-     au-     son     da-     me    jo- 

^ ^ '— j^—  '— J"* 

lie,  Où  est     al-       lé      vo-  tre    ma-  ri? 


— Mariansou,  dame  jolie, 
Oîi  est  allé  votre  mari  ? 


— Mou  mari  est  allé-z-eu  guerre, 
Ah!  je  ne  sais  s'il  reviendra. 


(bis) 

■  '  ibis) 


— Marianson,  dame  jolie,  )  ..  •  , 

Prêtez-moi  vos  auneaux  dorés,   s  ^     ' 


DU   CANADA  169 


— Il  sont d 
Ali!  prends 


ans  l'coffi-e,  au  pied  du  lit  ;  )  ,^^x 
iâ  les  clefe  et  va  les  qu'il'.  )  ^ 

—Bel  orfèvrier,  bel  orfèvrier,     )  .j^.^. 
Faites-moi  des  anneaux  dorés.  S 

Qu'ils  sny-ent  faits  aussi  parfaits,  )  ,j^-gs 
Comiu'  les  ceuz'  de  Mariansou.        S 

Quand  il  a  eu  ses  trois  anneaux,  )  /^^.^. 
Sur  sou  cheval  est  embarqué.        S  ^ 

Le  premier  qu'il  a  rencontré,  ) 
C'était  l'uiari  d'Mariausou.      S 

— Ah!  bonjour  donc,  franc  cavalier;  )  ,j^^v 
Quell'  nouvell'  m'as-tu  apportée  ?     ^  ^ 

— Ah!  des  nouvell's  je  n'eu  ai  pas,  l /i,ig\ 
Que  les  ceaz'  de  Marianson.  ^  ^ 

— Marianson,  dame  jolie,  ?  ,^.^. 
Eli'  m'a  été  fidèle  assez.    ^  ^      ' 

— Oui,  je  le  crois,  je  le  c 
Voilà  les  anneaux  de  ses  doif 

'"  '  '  (bis) 

Sa  femm'  qu'était  sur  les  remparts,  )  ,. .  . 
Et  qui  le  voit  venir  là-bas  :  ) 

— Il  est  malade  ou  bien  fâché,  )  ,... 
C'est  une  chos'  bien  assurée,     l  ^      ' 

Ah!  maman,  montre-lui  son  fils  :  >  ., .  . 
Ça  lui  réjouira  l'esprit.  \  '^'^^^^ 


—Oui,  je  le  crois,  je  le  décrois  :    >  ,, .  . 

igts.  S      ^ 

— Tu  as  menti  !  franc  cavalier 
Ma  femme  m'est  fidèle  assez. 


— 'Ah  !  tiens,  mon  fils,  voilà  ton  fils. 
Quel  nom  donn'ras-tu  à  ton  fils? 


{bis) 


— A  l'enfant  je  donn'rai  un  nom,  }    , . 
A  la  mère,  un  mauvais  renom.     ^  '^     '' 


160  CHANSONS  POPULAIRES 

A  pris  Penfiint  par  le  maillot,  )  'i  •  s 
Trois  fois  par  terre  il  l'a  jeté,  i  ^"^^' 

Marianson,  par  les  cheveux,  )  /j  •  ^ 
A  son  cheval  l'a-t-attachée.   \  '   '*^ 


Il  a  marché  trois  jours,  trois  nuits, 
Sans  regarder  par  derrièr'  lui. 


— Marianson,  dame  jolie, 

Où  sou  les  anneaux  de  tes  doigts  ? 


Aubout  des  trois  jours  et  trois  nuits,  ?  /i-  v 
A  regardé  par  derrièr'  lui.  ^  ^  ^^^ 

(his) 

— Ils  sont  dans  l'coffre,au  pied  du  lit;  )    , .  . 
Ah  !  prends  les  clefs  et  va  les  qu'ri'.  ^  ^  **' 

n  n'eut  pas  fait  trois  tours  de  clef,  l  (t.-  \ 
Ses  trois  anneaux  d'or  a  trouvés.     S  '   **' 


— Marianson,  dame  jolie,  ) 

Quel  bon  chirurgien  vous  faut-il  ?  l 

— Le  bon  chirurgien  qu'il  nie  faut. 
C'est  un  bon  drap  pour  ni'eusev'lir. 


{bis) 
l  {Ms) 


— Marianson,  dame  jolie,  l  (i  •  \ 

Votre  mort  m'est-elle  pardonnée  ?  ^  ^  ^^ 


— Oui  ma  mort  vous  est  pardonnée, 
Non  pas  la  cell'  du  nouveau-né. ... 


^(his) 


DU  CANADA  161 


ADAM  ET  EVE 

Une  des  strophes  de  cette  complainte,  celle  où  un  Ré- 
dempteur est  promis  cà  nos  premiers  parents,  rappelle  la 
belle  et  pieuse  légende  du  Crâne  d'Adam  ou  du  Calvaire  : 

" Les  soldats,  en  plantant  la  crois  daus  le  sol,  l'ont  dis- 
posée de  sorte  que  le  divin  crucifié  tourne  le  dos  à  Jérusalem,  et 
étend  ses  bras  vers  les  régions  de  l'occident.  Le  Soleil  de  la  vérité 
se  couche  sur  la  ville  déicide,  et  se  lève  en  même  temps  sur  la  nou- 
velle Jérusalem,  sur  Kome,  cette  flère  cité,  qui  a  la  con&cience  de 
sou  éternité,  mais  qui  ignore  encore  qu'elle  ne  sera  éternelle  que 
par  la  Croix. 

'<  L'arbre  du  salut,  en  plongeant  dans  la  terre,  a  rencontré  une 
tombe  ;  et  cette  tombe  est  celle  du  premier  homme.  Le  sang  ré- 
dempteur coulant  le  long  du  bois  sacré  descend  sur  un  crâne  des- 
séché ;  et  ce  crâne  est  celui  d'Adam,  le  grand  coupable  dont  le 
crime  a  rendu  nécessaire  une  telle  expiation.  La  miséricorde  du 
Fils  de  Dieu  vient  planter  sur  ces  ossements  endormis  depuis  tant 
de  siècles  le  trophée  du  pardon,  pour  la  Ijonie  de  Satan,  qui  voulut 
un  jour  faire  tourner  la  création  de  l'houjine  «^  la  confusion  du 
Créateur.  La  colline  sur  laquelle  s'élève  l'étendard  de  notre  salut 
s'appelait  le  Calvaire,  nom  qui  signifie  un  Crâne  liumain;  et  la 
tradition  de  Jérusalem  porte  que  c'est  en  ce  lieu  que  fut  enseveli  le 
père  des  hommes  et  le  premier  pécheur.  Les  saints  Docteurs  des 
premiers  siècles  ont  conservé  à  l'Eglise  la  mémoire  d'un  fait  si 
frappant  ;  saint  Basile,  saint  Ambroise,  saint  Jean  Chrysostôme, 
saint  Epiphane,  saint  Jérôme,  joignent  leur  témoignage  à  celui 
d'Origène  si  voisin  des  lieux  ;  et  les  traditions  de  l'iconographie 
chrétienne  s'unissant  à  celles  de  la  piété,  on  a  de  bonne  heure  adopté 
la  coutume  de  placer,  en  mémoire  de  ce  grand  fait,  un  crâne  humain 
au  pied  de  l'image  du  Sauveur  en  croix."  (Dom  Guéranger,  Année 
liturgique,  cinquième  section,  page  54L) 
Voici  les  quelques  lignes  que  M.  Ghampfleury  consacre 


162  CHANSONS   POPULAIRES 

à  la  complainte  à' Adam  et  Eve  clans  ses  Chansons  populaires 
des  provinces  de  France  : 

"  Dans  un  jardin  couvert  de  fleurs  est  uue  complainte  qu'une 
(laine  a  euteudu  chanter  à  un  pauvre  dans  les  environs  <le  Mont- 
pellier. C'est  la  complainte  dans  toute  sa  naïveté,  avec  ses  mots 
touchants,  avec  sa  musique  douce  et  plaintive,  avec  ses  puérilités, 
avec  S3S  beaux  vers  quelquefois,  avec  sa  poésie,  quoi  qu'eu  disent 
les  poètes." 

M.  Gliampfleury  ne  donne,  dans  son  ouvrage,  que  les 

quatre  premiers  des  vingt-trois  couplets  que  l'on  va  voir 

ci-dessous.     La  mélodie   recueillie  par   M.  Wekerlin  et 

publiée  dans  le  môme  ouvrage,  est  semblable,  presque 

note  pour  note,  à  celle  que  l'on  chante  en  Canada. 


. — M 1* *— -J — ^ i^ — 3—1* — t — i». = *         M— 


Daus  un  jar-     din      couvert  de      fleurs,  Plein  de  dou- 
ceurs,    Dieu  cré-  a      l'homme  a  son    i-    ma-  ge.  Ce  beau  sé- 


jour      E-  tait    la     preuve  et  le  vrai    ga-    ge    De    sou  a- 

mour. 

Dans  un  jardin  couvert  de  fleurs, 

Plein  de  douceurs, 
Dieu  créa  l'homme  à  son  image. 

Ce  beau  séjour 
Etait  la  preuve  et  le  vrai  gage 

De  son  amour. 


DU    CANADA  163 


Adam  était  assis  tout  seul 

Sous  un  tilleul, 
Etant  couché  sur  l'herbe  tendre, 

Tranquillement, 
Un  doux  sommeil  vint  le  surprendre 

Dans  ce  moment. 


Pendant  qu'il  dort,  son  Créateur 

Et  son  Auteur 
Lui  enl'va  doucement  un'  côte 

De  sou  côté; 
En  forma  un'  charmante  femme 

Rare  eu  beauté. 


Adam  la  voyant,  s'écria  : 

Ah  !  la  voilà  ! 
Ah  !  la  voilà  celle  que  j'aime, 

L'os  de  mes  os  ; 
Donnez-moi-la,  bonté  suprême, 

Pour  mon  repos. 


Adam,  père  du  genre  humain. 

Prit  par  la  main 
Eve,  cette  charmante  belle. 

Sa  tendre  épouse, 
Devant  Dieu  se. jette  avec  elle 

A  deux  genoux. 


Dieu  bénit  ce  couple  charmant 

Dans  le  moment. 
Un  berceau  tissu  de  verdure 

Fut  leur  logis  ; 
De  fleurs  j'aime  la  bigarrure 

De  leur  tapis. 


164  CHANSONS  POPQLMRES 

Dieu  prit  Adam  et  le  coudait 

Auprès  d'uu  fiuit, 
Lui  disant:  Mou  lils,  preud  bien  garde, 

Ne  touche  pas 
A  ce  beau  fiuit  (jue  tu  x-egardes, 

Craius  le  trépas. 

De  ce  lieu  je  te  fais  le  roi, 

Tout  est  à  toi. 
Mais  souvieus-toi  de  ma  défeuse 

A  Faveuir, 
Et  respect'  l'arbre  de  science, 

D'peur  de  mourir. 

Adam  prit  Eve  et  lui  montra 

Cet  arbre-là  : 
Lui  disant  :  Mou  épons'  chérie, 

Garde-toi  bien 
De  le  toucher,  je  t'en  supplie, 

Pour  notre  bien. 


Ev'  s'étant  écarté,  un  jour. 

Dans  un  détour. 
Le  seri)eut  rencontra  la  belle 

Et  lui  parla. 
Le  discours  qu'il  eut  avec  elle 

Cher  uous  coûta. 

— Salut  à  la  divinité  ! 

Rare  beauté, 
Perle  saus  prix,  vivante  image 

Du  souverain, 
L'oruement,  le  plus  bel  ouvrage 

De  ce  jardin. 

Je  te  ferai  part  d'un  secret 

Dans  ce  busquet  : 
J'ai  acquis  de  la  coauaissauce 


DU  CANADA  165 


De  ce  beau  fruit; 
Viens  doue,  tu  suuni-s  la  science 
Qu'il  eu  produit. 


Mange  ce  fruit  délicieux, 

Ouvre  les  yeux  ! 
La  friande  cueillit  la  pomme  : 

Elle  en  maiis^ea  ; 
Elle  eu  porta  à  son  cber  homme 

Qui  s'affligea. 


— Ah  !  malheureuse,  d'oii  viens-tu  ? 

Je  suis  perdu! 
Quel  est  ce  fruit  ?  où  donc  est  l'arbre  ? 

Montre-le  moi  ! . 

Mon  cœur  devient  fioid  comme  marbre; 
"    Dis-moi  pouriiuoi! 


— Ad  un,  Adam,  entends  ma  voix. 

Sors  de  ce  bois  ! 
Dis-moi  donc  pourquoi  tu  te  caches  3 

Quelle  raison 

Et  ne  crois-tu  pas  que  je  sache 

Ta  trahison  ? 


— Mon  Créateur,  j'ai  reconnu 

Que  j'étais  nu  : 
Mais  mon  Auteur,  mon  divin  Maître, 

En  vérité, 
J'ai  honte  de  faire  connaître 

Ma  nudité. 


— Approche-toi,  monstre  infernal, 

Auteur  du  mal. 
Si  tu  as  détruit  l'innocence, 

Dis-moi  pourquoi  ! . . . , 


166  CHANSONS  POPULAIRES 

Je  vais  prononcer  la  sentence  : 
Ecoute-moi  ! 


"T'as  servi  d'organe  au  démon; 

Point  de  pardon! 
La  terre  pour  ta  nourriture 

Tu  mangeras  ; 
L'homme,  dans  sa  juste  colère, 

T'écrasera. 


"  Tu  n'as  pas  écouté  ma  loi, 

Femme,  pourquoi  ? 
Mène  une  vie  pénitente; 

Dans  ma  rigueur, 
Tu  soutfiiras,  lorsiiu'  t'enfaiit'rr 8> 

De  grand'  douleurs. 


"  Adam,  tu  mangeras  ton  pain 

Avec  chagrin. 
Va  cultiver  la  terre  ingrate  ; 

Sors  de  ce  lieu  ! 
Et  n'attends  plus  que  je  te  flatte 

Je  suis  ton  Dieu." 


Je  te  fais  mes  derniers  adieux 

Les  larm's  aux  yeux, 
Jardin  charmant,  heureux  parterre  !. 

Quel  triste  sort  ! 
Je  m'en  vais  cultiver  la  terre 

Jusqu'à  la  mort  ! 


Un  ange  vint  le  consoler 

Et  lui  parler, 
Lui  annonçant  que  le  Messie 

Viendrait  un  jour 


DU  CANADA  167 


Naître  de  La  Vierge  Marie, 
Pour  leur  amour. 


Enfin  le  temps  si  désiré 

Est  arrivé- 
Dieu  touché  do  notre  misère, 

Envoie  son  Fils. 
Et  voilà  le  fruit  salutaire 

Qu'il  a  promis. 


168 


CHANSONS  POPULAIRES 


UN  JOUR  L'ENVr  M'A  PRIS  DE  DÉSERTER  DE  FRANCE 

Une  fort  belle  chanson  ;  très-ancienne,  très-militaire, 
et  partant  toute  française. 


Uu    juurl'eu-     vie     m'a     pris 


De     clé-  ser- 


::zz€-=*— 


ter     de       Frau- 


Daus  mon  che-     mia  j'ai 


Dans  les  autres 
couplets  o-ii  passe 
cette  mesure 


rea-con- 


tré      Ma      cliannau-     te      beau-     té  ;  Je     me 


SUIS  ar-  re- 


té 


C'é-  tait  pour    lui    par-  1er. 


Un  jour  l'euvi'  ma  pris  > 

De  déserter  de  France.  ^  ^      ^ 

Dans  mon  chemin  j'ai  rencontré 

Ma  charmante  beauté  ; 

Je  me  suis  arrêté  : 

C'était  pour  lui  parler. 


Je  vois  venir,  là-bas,  > 

Ah  !  cinq  ou  six  gendarmes.  )  ' 
J'ai  mis  mon  habit  bas, 


DU  CANADA  169 


Mon  sabre-z-à  la  main; 
Je  nie  suis  battu  là 
Comme  un  vaillant  soldat. 


Le  premier  (jue  je  tnai,   )  .^. 
Ce  fut  mon  capitaine.      \^ 
Mon  capitaine  est  mort, 
Et  je  m'en  souci' fort; 
Il  est  mort  eu  ce  jour  : 
Demain  sei"a  mou  tour. 


Ils  m'ont  prifj.  ils  m'emmèuent, 

C'est  à  la  citadelle. 

Mon  procès  fut  jugé 

Par  quatre  grenadiers  : 

C'est  d'être  fusillé 

Ou  bien  d'être  tranché  ! 


{his) 


— Tirez-moi  droit  au  cœur 
Ou  bien  dans  la  cervelle. 
Celui  qui  m'aimera, 
Droit  au  cœur  tirera, 
Pour  me  faire  mourir 
Saus  me  fair"  trop  souffrir 


Ils  l'ont  pris,  ils  l'emmènent, 
C'est  à  la  Place  d'Armes. 
Lui  ont  bandé  les  yeux 
Avec  un  mouchoir  blanc... 
Je  me  suis  écrié  : 
La  belle  est  sans  amant  ! . . . . 


{bis) 


{bis) 


I7d  CHANSONS  POPULAIRES 


DANS  PARIS  YA-T-UNE  BRUNE  PLUS  BELLE  QUE 
LE  JOUR 


Cette  jolie  légende  se  chante  dans  le  midi  de  la  France, 
en  patois  provençal.  (Voir  les  Chants  populaires  et  histo- 
riques de  la  Provence,  recueillis  et  annotés  par  M.  D. 
Arbaud,  page  133,  vol.  I.)  On  la  chante  aussi  en  langue 
française  dans  les  départements  de  l'ouest.  Dans  les  ver- 
sions données  par  M.  Bujeaud  {La  vielle  cl' argent)  et  par  M. 
Arbaud  (Liseto),  les  ravisseurs  ne  se  font  pas  cavaliers 
mais  mendiants,  et  aussi  un  peu  troubadours,  car  ils 
jouent  d'une  vielle  d'argent  ou  d'une  viole  endorée.  Le  tout 
se  termine  avec  l'enlèvement.  Le  charmant  couplet  que 
nous  chantons  ici  : 

Si  vous  m'aviez  mariée 
A  rage  (le  quinze  uns,  etc. 

fait  défaut  dans  les  deux  versions  françaises. 

Notre  air  canadien,  un  des  plus  beaux  et  des  plus  carac- 
téristiques de  ce  recueil,  l'emporte  aussi  de  "beaucoup  sur 
ceux  de  ces  deux  versions.  Il  appartient  au  premier  mode 
authentique  de  la  tonalité  ancienne,  ce  qui  n'ôte  rien  à 
son  mérite. 


*— ^ »T — m- 


!— J-J^- 


—g     m 


Dans  Pa-      ris,  ya-t-u-ue     bru-ne  Plus  bel!'    que  le 

1^ s — -A — 1— — — c 


r^—^rzi» — 


jour  ;  Sont  trois    bourgeois  de  la      vil-  le  Qui  lui     font  l'a- 


DU   CANADA  171 

i^l=2^i=p^ilï1iiHiEpiili«lii 

mour.  Qui  lui       fout  l'a-mour,  la     lu-     ret-     te,  Qui    lui 


uiour. 

Dans  Paris  ya-t-une  brune 

Plus  bell'  que  le  jour  ; 

Sont  trois  bourgeois  de  la  ville 

Qui  lui  fout  l'amour. 

Qui  lui  font  l'amour,  la  lurette, 

Qui  lui  fout  l'amour. 


Sont  trois  bourgeois  de  la  ville 
Qui  lui  font  l'amour. 
Ils  se  disaient  l'un  à  l'autre  : 
Comment  l'aurions-nous? 
Comment,  etc. 


Ils  se  disaient  l'un  à  l'autre  : 
Comment  l'aurions-nous  ? 
Le  plus  jeun'  se  mit  à  dire  : 
Moi  je  sais  le  tour. 
Moi  je  sais,  etc. 


Le  plus  jeun'  se  mit  à  dire 
Moi  je  sais  le  tour  : 
Je  me  frai  faire  une  selle 
Avec  tous  ses  atours. 
Avec,  etc. 


Je  me   frai  faire  une  selle 
Avec  tous  ses  atours; 
Et  j'irai  de  ville  en  ville 
Toujours  à  son  nom. 
Toujours,  etc. 


172  CHANSONS  POPULAIRES 

Et  j'irai  de  ville  en  ville 
Toujours  ù  son  nom. 
— Euseignez-raoi  donc,  mesdames; 
Le  chemin  des  grands. 
Le  chemin,  etc. 


— Enseignez-moi  donc,  mesdames, 
Le  cliemin  des  grands. 
Allez,  allez  donc,  ma  fille, 
A  ce  pauvre  passant. 
A  ce  pauvre,  etc. 


Allez,  allez  donc,  ma  fille, 
A  ce  pauvre  passant  ; 
Allez  jusqu'à  la  barrière  : 
Re  venez- vous-en. 
Revenez,  etc. 


Allez  jusqu'à  la  barrière  : 
Revenez- vons-en. 
La  fille  était  jeunette, 
Elle  a  'té  plus  avant. 
Elle  a  'té,  etc. 


La  fillette  était  jeunette, 
Elle  a  'té  plus  avant; 
Le  galant  qu'est  fort  adroittô 
Lui  a  donné  la  main. 
Lui  a  donné,  etc. 


Le  galant  qu'est  fort  adroitto 
Dui  a  donné  la  main  ; 
Il  la  prit  et  il  l'emmène 
Sur  son  cheval  blanc. 
Sur  son  cheval,  etc. 


DU  CANADA  173 


Il  la  prit  et  il  l'emmèue 
Sur  son  cheva!  blanc  ; 
Le  clieval  blanc  qui  les  mène 
Va  plus  raid'  que  le  vent. 
Va  plus  raide,  etc. 


Le  cheval  blanc  qui  les  mène 
Va  plus  raid'  que  le  vent. 
— Adieu  père  et  adieu  mère, 
Adieu  tous  mes  parents  ! 
Adieu,  etc. 


Adieu  père  et  adieu  mère, 
Adieu  tous  mes  parents  ! 
Si  vous  m'aviez  mariée 
A  l'âge  de  quinze  ans. . . . 
A  l'âge^  etc. 


Si  vous  m'aviez  mariée 
A  l'âge  de  quinze  ans, 
Je  ne  s'rais  point  dans  la  ville 
Avec  tous  ces  brigands. 
Avec  tous,  etc. 


Je  ne  s'rais  point  dans  la  ville 
Avec  tous  ces  brigands. . . . 
— Je  n'suis  point  brigand,  la  belle, 
Je  suis  votre  amant. 
Je  suis,  etc. 


Je  n'suis  point  brigand,  la  belle, 
Je  suis  votre  amant. 
Versez,  versez,  dans  mon  verre. 
Dans  mon  verr',  du  vin. 
Dans  mon  verre,  etc. 


174  CHANSONS  POPULAIRES 

Versez,  versez  dans  mon  verre, 
Daus  mon  verr',  du  viu. 
A  la  sauté  de  la  belle 
Et  de  son  amant. 
Et  de  sou,  etc. 


A  la  santé  de  la-belle 

Et  de  son  amant  ; 

A  son  père  et  à  sa  mère 

Et  à  tous  ses  parents. 

Et  à  tous  ses  parents,  la  lurette, 

Et  à  tous  ses  parents. 


DU  CANADA  175 


PAR  DERRIÈRE  CHEZ  MA  TANTE  YA-T-UN  ARBRE 
PLANTÉ 

J'avoue  que  j'ai  eu  quelque  mal  à  saisir  le  rhythme  et 
le  mode  de  cette  mélodie  étrange,  promenée  par  une  voix 
nasillarde  et  saccadée  sur  les  degrés  vermoulus  de  l'an- 
tique échelle  grégorienne.  Grâce  à  l'intervalle  de  seconde 
majeure  descendante,  entre  si  et  la,  quatorzième  mesure 
la  mélodie  qui  déjà  n'appartenait  pas  au  mode  mineur,  à 
cause  de  l'absence  de  note  sensible,  s'en  éloigne  encore 
davantage.  Mais  voici  une  nouvelle  étrangeté.  Le  musi- 
cien remarquera  que  la  note  fa  est  altérée  par  un  dièse, 
dans  la  onzième  m.esure.  Il  y  a  ici  modulation  ;  ou  plutôt, 
pour  parler  le  vieil  langage  d'autrefois^  il  y  a  muance,  c'est- 
à-dire  transposition  passagère  d'un  mode  à  un  autre. 
Cette  mélodie  appartient  donc  au  premier  mode  authen- 
tique (premier  ton),  avec  muance  dans  le  quatrième  mode 
authentique  ou  dans  le  quatrième  mode  plagal  (septième 
ou  huitième  ton). 

Ces  couplets  se  chantant  dans  le  Saintonge,  l'Ano-ou- 
mois,  l'Aunis  et  le  Poitou,  en  français  et  en  patois.  Les 
airs  français  sont  différents  du  nôtre. 


l^^^^^mm 


zazzr. 


Par  der-  rièr'    chez    ma        tant'    Ya-    t-ua    ar- 


175  CHANSONS  POPULAIRES 


-ipi- 


_S s — I— il ;l ^—*^rz^'^—<^-^ 


bre  plaa-       té;     Dans       la  plus     hau-  te       braucli'  Trois 
pi-  geons  sout  brau-  cbés.  Vi-  ve        le        ro-       sier 


y— 1' — .sr- 


rs— «î:^ 


Du  jo-  li       mois  de       mai. 

Par  derrièr'  cliez  ma  tante 
Ya-t-uo  arbre  planté  ; 
Dans  la  plus  haute  branche 
Trois  pigeons  sont  branchés. 

Vive  le  rosier 
Du  joli  mois  de  mai. 

Dans  la  plus  haute  branche 
Trois  pigeons  sont  branchés; 
Ce  sont  trois  demoiselles 
Qui  leur  port'nt  à  manger, 
Vive  le  rosier,  etc. 

Dans  la  plus  liante  branche 
Trois  pigeons  sont  branchés; 
Ce  sont  trois  demoiselles 
Qui  leur  port'nt  à  manger. 
Vive  le  rosier,  etc. 

Ce  sont  trois  demoiselles 
Qui  leur  port'nt  à  manger; 
Un'  leur  porte  du  seigle, 
L'autre,  du  bled  pilé. 
Vive  le  rosier,  etc. 

Un'  leur  porte  du  seigle, 
L'autre,  du  bled  pilé; 
L'autre  leur  porte  à  boire 
Dans  un  bassin  doré. 
Vive  le  rosier,  etc. 


DCJ  CANADA  177 


L'antre  leur  porte  à  boire 
Dans  im  bassin  doré. 
Le  roi,  par  la  fenêtre, 
Les  regardait  passer. 
Vive  le  rosier,  etc. 

Le  roi,  par  la  fenêtre, 
Les  l'egardait  passer  : 
— Où  vout-ell's,  ces  trois  dames? 
Où  voiit-ell's  s'promener? 
Vive  le  rosier,  etc. 

Où  vont-ell's,  ces  trois  dames? 
Où  vont-ell's  s'proiuener? 
— Nous  ue  soram's  point  des  dames, 
Somm's  tiU's  à  marier. 
Vive  le  rosier,  etc. 

Nous  ne  somm's  point  des  dames, 
Somm's  fill's  à  marier. 
Le  roi  prit  la  jeune, 
Dans  la  dans'  l'a  menée. 
Vive  le  rosier,  etc. 

Le  roi  prit  la  pins  jeune, 
Dans  la  dans'  l'a  menée; 
A  chaque  tour  de  danse 
II  voulait  l'embrasser, 
Vive  le  rosier,  etc. 

A  chaque  tour  de  danse 
Il  voulait  l'embrasser  : 
— Allez,  allez,  beau  prince, 
Allez  plus  loin  chercher. 

Vive  le  rosier 
Du  joli  mois  de  mai. 


178  CHANSONS  POPULAIRES 


J'AI  TROP  GRAND'  PEUR  DES  LOUPS 

Ce  refrain  et  cette  mélodie  s'adaptent  à  plusieurs  autres 
chansons.  C'est  là  un  genre  de  transposition  assez  à  la 
mode  à  la  campagne  :  ainsi  on  entend  souvent  chanter  A 
la  claire  fontaine  sur  l'air  et  avec  le  refrain  de  Gai  Ion  la, 
gai  le  rosier. . .  .etc.,  etc.  fai  trop  grand'  peur  des  loups  est 
une  chanson  bien  connue  dans  les  environs  de  Québec. 
On  la  chante  aussi  dans  le  Poitou,  en  France.  L'air 
poitevin  est  le  môme  que  le  nôtre. 


M'eu  re-  ve-  uant     de  la     Veu-     dée, 

M'eu  re-  ve-  uant  de       la  Veudée,      Daus  mou  cbeiniu  j'ai 

reu-     cou-     tré .Vous        m'a-  mu-     sez        tou-  jours  5 

Jamais    je  m'eu     i-  -  rai  chez  uous  :  J'ai  trop  graud'  peur 


Ë?ËËE*EE;EEI] 
des    loups. 


M'eu  revenant  de  la  Veudée,     (bis) 
Dans  mon  chemin  j"ai  rencontré..., 

Vous  m'amusez  toujours; 
J'amais  je  m'en  irai  chez  nous  : 

J'ai  trop  grand'  pour  des  loups. 


DU   CANADA  179 

Dans  mon  cliemin  j'ai  leucontié,     (bis) 
Trois  cavaliers  fort  bien  montés. 
Vous  m'amusez,  etc. 


Trois  cavaliers  font  bien  montés,     (bis) 
Deux  à  cheval  et  l'autre  à  pied. 
Vous  m'amusez,  etc. 


Deux  à  cheval  et  l'auti'e  à  pied;     [bis) 

Celui  d'à  pied  m'a  demaiidé . 

Vous  m'amusez,  etc. 


Celui  d'à  pied  m'a  demandé:    (bis) 
— Oii  irons-nous  ce  soir  coucher? 
Vous  m'amusez,  etc. 


Où  irons-nous  ce  soir  coucher?      (bis) 
— Chez  nou-^,  monsieur,  si  vous  voulez. 
Vous  m'amusez,  etc. 


— Chez  nous, monsieur,  si  vous  voulez  ;(&îs) 
Vous  y  trouverez  un  bon  souper. 
Vous  m'amusez,  etc. 


Vous  j  trouv'rez  au  bon  souper,     (bis) 
Et  de  bons  lits  pour  vous  coucher. 
Vous  m'amusez,  etc. 


Et  de  bons  lits  pour  vous  coucher,  (bis) 
Les  cavaliers  ont  accepté. 

Vous  m'amusez  toujours  ; 
Jamais  je  m'en  irai  chez  nous  : 

J'ai  trop  grand'  peur  des  loups. 


180 


CHANSONS  POPULMliES 


J'AI  VU  LE  LOUP,  LE  R'NARD  PASSER 

Ce  refrain  est  connu  par  tout  le  pays.  Il  doit  êti'e 
conséquemment  d'une  certaine  ancienneté.  Gomme  le 
précédent,  on  l'ajuste  souvent  à  d'autres  couplets. 


J'ai    vu     le    loup,  le  r'uard  et     le     lié-  vre, 

FIN. 

J'ai  vu  le  loup,  le     r'nard  pas-    ser.     M'en  re-  ve-naut  de 

la  Vea-  dée,     J'ai  vu     le  loup,     le        r'uard  pas-    ser, 

Daus  mon  cbe-miu  j'ai      rencon-  tré....  J'ai  vu   le  loup,    le 
B^»j=|^^==i^  D.  C. 

r'uard    pas-     ser. 
(Your  les  autres  paroles,  voir  J'ai  trop  grand'  peur  des  loups) 


DU    CANADA  181 


JE  LE  MÈNE  BIEN  MON  DÉVIDOI'  ! 

Lord  Dalhousie,  qui  gouverna  le  Canada  de  1820  à 
1828,  passait  d'ordinaire  les  étés  à  Sorel,  d'où  il  faisait  de 
fréquentes  excursions,  en  chaloupe,  dans  le  pays  envi- 
ronnant. Son  élégante  embarcation  était  montée  par  des 
bateliers  portant  un  joli  costume,  la  plupart  anciens 
voyageurs  du  Nord-Ouest,  rompus  au  métier,  et,  de  plus, 
excellents  chanteurs. 

M.  G  *  *  *,  du  comté  de  Maskinongé,  de  qui  j'ai  recueilli 
Je  le  mène  bien  mon  dtmdol\  me  dit  l'avoir  entendu  chan- 
ter, par  ces  bateliers,  un  jour  que  le  gouverneur  et  son 
joyeux  entourage  remontaient  une  des  rivières  qui  se 
jettent  dans  le  lac  Saint-Pierre.  "  Il  me  semble,  me  dit- 
il  voir  encore  leur  fines  rames  peintes  en  rouge  s'abaisser 
et  se  relever  en  cadence,  et  entendre  leurs  voix  sonores  : 

Je  le  mèue  bien  ; 
Je  le  mène  droit  ; 
Je  le  mène  biea 
Mou  dévidoi'  !...." 


Voix  seule,  reprise  en  chœur. 


Mon  pèr'   n'a-  vait  fil-  le  que     moi,       Je  le    mè-  ne 


182 


CHANSONS  POPULAIRES 


Vota--  seule. 


Zii:=mz 


— "^«=-^1^ 


bien  mou  dé-  vi-     doi'  !       En-  cor  sur 


la  mer      il  m'eu- 


Voix  seule,  reprise  en  chœur. 


=gz=-g— g=|-*za— [|i:rj'^*^iÉ— e=|— gzrra'— a<— g:::zjg— 3 

w  w  — 

voi',  Moi-z-et    moi  !        Je   le  mè-ne    bien  ;  Je  le  mè-  ne 


droit  !  Je  le  mè-ne       bien  Mon  dé-  vi-     doi'  ! 
(Pour  les  autres  couplets,  voir  Cédlia) 


DU  CANADA  183 


M'EN  REVExNANT  DE  SAINT  ANDRÉ 

Cette  mélodie  appartient  an  premier  mode  authentique 
de  la  tonalité  ancienne,  et  n'est  pas  en  mi  mineur  comme 
on  pourrait  le  supposer  tout  d'abord.  En  effet,  la  note  do 
qui  descend  au  si,  dans  la  dixième  mesure,  étant  dièse,  il 
y  a  intervalle 'de  ton  entier  entre  les  deux  notes  ;  or,  dans 
la  gamme  descendante  du  mode  mineur,  il  ne  doit  y  avoir 
qu'un  intervalle  de  demi-ton  entre  le  sixième  et  le  cin- 
quième degré. 

Mais  la  finale  de  ce  premier  mode  authentique  devrait 
être  ré;  ici  elle  est  mi?— La  mélodie,  le  mode,  si  on 
Faime  mieux,  est  en  effet  haussé  d'un  ton  ;  mais  c'est  là 
une  simple  transposition,  comme  j'en  ai  déjà  fait  souvent 
dans  ce  travail,  et  que  les  musiciens  comprendront  aisé- 
ment. Ils  comprendront  aussi  que  la  clef,  qui  ne  serait 
armée  que  d'un  seul  dièse  si  la  mélodie  était  en  mi  mineur, 
doit  être  ici  armée  de  deux  dièses,  pour  mettre  les  diffé- 
rents degrés  du  mode  antique  dans  une  position  analogue 
à  celle  qu'ils  occuperaient  s'ils  étaient  placés  un  ton  plus 
l)as,— à  leur  place  naturelle,— et  sans  aucun  signe  d'alté- 
ration à  la  clef. 


M'en  re-  ve-    aant  de  Saint-An-     dré,  J'ai  vu     le 


184 


CHANSONS  POPULAIRES 


iir==fc==ï5 


^=J— 


S=5 


-H«> -j— 


-_(*_'r ;s ^  — 


^i=§=§^?^Ëi=i=i=s=îy 


loup,  le  r'nard  pas-     ser,     Daus  mou  che-  miu  j'ai  rou-cou- 


I 


tre. 


=:dî=q 


..Ou,  ouah!    Son    p'tit     pe-     -   ta- pe.  J'ai  vu     le 


~5t 


ï^i=*E 


* (» 15 — SL 


=^=^ 


-y 


loup,  le  r'uard,  le      lié- vie.  J'ai  vu  le      loup,  le  r'nard  pas- 

ser. 
(Pour  les  autres  paroles,  voir  J''ai  trop  grancV  peur  des  loups) 


DU  CANADA  185 


tl'EST  DANS  PARIS  YA-T-UNE  BRUNE 

11  s'agit  d'une  pauvre  fille  prise  de  vanité  (ça  se  ren- 
contre), et  qui  va  se  confier  à  un  apothicaire  dont  les 
prescriptions  ne  manquent  pas  de  perfidie. 

La  mélodie  est  bien  ;  la  forme  des  vers,  passable  ;  la 
morale,  excellente. 

Ces  couplets  se  chantent  dans  l'ouest  de  la  France.  L'air 
français  diffère  complètement  du  nôtre,  mais  les  paroles 
offrent  à  peine  quelques  légères  variantes.  L'expression 
"  matin  jour  "  se  trouve  aussi  dans  la  version  française. 


^?=£j  - — I*  — r^î >—[ 

C'est  ilaus     Pa-  -  ris  ya-  t-u-  ue         bruu' 


Qui  est  plus      bel-    le       que     le        jour.       Mais  elle     a- 
vait    u-    -    ue     ser-  vau-  te  Qu'au-  rait,  qu'au-    rait     vou- 
lu Etre    aus-     si        bell'  que        sa  inaî-    très-  se: 

Mais  ell'  u'a        pu. 

C'est  dans  Paris  ya-t-une  brune  )  /^^^^^ 
Qui  est  pUià  belle  que  le  jour.      > 
Mais  elle  avait  une  servante 
Q'aurait,  qu'aurait  voulu 
Etre  aussi  bell'  que  sa  maîtresse  : 
Mais  ell'  n'a  pu. 


186  CHANSONS  POPULAIRES 

Eli'  s'en  va  chez  l'apothicaire  :  l  ij  •  \ 

— Combien  vendez- vous  votre  fard?  S 
— Nous  le  vendons  par  demi-onces  : 
C'est  deux,  c'est  deux  écus. 
— Pesez-moi-z-en  un  demi-once  : 
Voilà  l'écn. 

— Quaudvoussevezpourvousfarder,  )  ,,.  . 

Prenez  bien  garde  do  vons  mirer .  ) 

Vous  éteindrez  votre  chandelle . 

Barbouiil barbouillez-vous  j 

Le  leudemuin  vous  serez  belle 
Comme  le  jour. 


\  [Us) 


Lelemlemain,  au  matin  jour, 
La  belle  a  mis  ses  beaux  atours  ; 
Elle  a  mis  son  beau  jupou  vert, 
Sou  blauc,  son  blanc  mantelet, 
Pour  aller  faire  un  tour  en  ville. 
S'y  promener. 


Dans  son  chemin,  a  rencontré  ?  xt,-  x 
Son  joli  tendre  cavalier.  > 

— Où.  allez- vous,  blauche  coquette, 
Tout'  noir'  tout'  barbouillée  ? 
Vous  avec  la  flgur'  plus  noire 
Que  la  ch'miuée! 

EU  '  s'en  r'rourne  à  l'apothicaire  :    ?  ,1..  v 
— Monsieur,quemavez-vousvenduï  > 
— Je  vous  ai  vendu  du  cirage 
Pour  vos,  pour  vos  souliers  : 
Ç'appartient  pas  une  servante 
De  se  farder. 

Variante  : 

— J'vous  ai  vendu,  blanche  coquette, 
Du  noir,  du  noir  à  fumée  : 
Ç'appartient  pas  une  servante 
De  se  farder. 


DU  CANADA  187 


PAPILLON  TU  ES  VOLAGE 

Ce  dialogue  de  deux  amants  qui  se  boudent  ne  manque 
pas  de  piquant.  Il  y  a  beaucoup  de  froideur  dans  ce 
Monsieur,  ce  Mulemoiselle Le  beau  rôle,  reste  évi- 
demment à  la  jeune  fille.  Son  apostrophe  au  papillon  est 
tout  à  fait  charmante. 


Pa-  pTl-  Ion,  tu  es  vo-     la-  ge  !  Tu  ressemble'  à  mou  a- 


-s* —  — r 


maut.  I^amour  est  uu  ba-di-  ua-  ge, L'amour  est  uu  pas-  se- 


p^EEEÊiEE5EEaEEi^5EEiE=?Ë^îli^^i£|Eli 

}  ^ 

temps;  Quaud  j'ai  mou  a-mautJ'ai  le  cœur  cou-     tent. 

Papillon,  tu  es  volage! 
Ta  ressemble'  à  mon  amant. 
L'iimour  est  uu  badinage, 
L'amour  est  uu  passe-temps; 

Quand  j'ai  mou  amant 

J'ai  le  cœur  content. 


— Croyez-vous,  mademoiselle, 
Queje  viens  ici  pour  vous  f 
J'en  ai  d'autre',  à  ma  demande, 
Qui  sout  plus  belles  que  vous. 

Croyez-moi,  mam'zelle, 

Je  me  ris  de  vous. 


188  CHANSONS  POPULAIRES 

— Monsieur,  pour  dMiigratitude, 
Votre  cœur  u'eii  uiiiiuiue  pus  : 
Vous  avez  souvent  l'habitude, 
Bien  souveut  changer  d'appas. 

Croyez -moi,  monsieur, 

N'y  revenez  pas. 


— Croyez-vous,  mademoiselle, 
Que  je  pens'  de  revenir  l 
J'estim'  mieux  vider  bouteille 
Avec  un  de  mes  amis. 

Adieu  mes  amours  ! 

Adieu  mes  plaisirs  ! 


Si  l'amour  avait  des  aîles 
Comme  toi,  beau  papillon, 
Il  irait  de  ville  en  ville 
Pour  rejoindre  mon  amant, 
Lui  faire  assavoir 
De  mes  compliments. 


DU  CANADA  189 


NOUS  ÉTIONS  TROIS  CAPITAINES 

Une  des  chansons  favorites  des  élèves  du  collège  de 
Nicolet,— da  moins,  autrefois.  Elle  n'était  jamais  oubliée 
dans  les  jours  de  liesse,  mais  surtout  au  retour  des  longues 
promenades  du  jeudi. 

Pourquoi  ces  couplets  si  gais  se  chantent-ils  dans  le 
mode  mineur  ?  "  Dans  tous  les  pays,  a  dit  Chateaubriand, 
le  chant  naturel  de  l'homme  est  triste,  lors  môme  qu'il 
exprime  le  bonheur.  Notre  cœur  est  un  instrument 
incomplet,  une  lyre  où  il  manque  des  cordes,  et  où  nous 
sommes  forcés  de  rendre  les  accents  de  la  joie  sur  le  ton 
consacré  aux  soupirs." 


Les  reprises  en  chœur. 


:c^:: 


:*: 


Nous  é-     tious         trois  ca-  pi-     tai-     -  nés, 


:p: 


Nous    é-  -  tions  trois  ca-  pi-  tai-     -  nés  De  la 

guer-  re        re-  ve-     nant,     Bra-  ve,    bra-     -  ve,         De  la 


guer-  re-      re-  ve-      nant        Bra-  ve-    ment. 


190  CHANSONS   POPULAIRES 

Nous  étions  trois  capitaiues    ibis) 
De  la  guerre  revenant, 

Brave,  brave, 
De  la  guerre  revenant 

Bravement. 


Nous  entrâm's  dans  une  auberge  :     (bis) 
— Hôtesse,  as-tu  du  vin  blanc  ? 

Brave,  brave, 
Hôtesse,  as-tu  du  vin  blanc  ? 

Bravement. 


Oui,  vraiment,  nous  dit  l'hôtesse  ;     (bis) 
J'en  ai  du  xouge  et  du  blanc. 
Brave,  brave, 

J'en  ai  du  rouge  et  da  blanc, 
Bravement. 


Hôtess',  tire-nous  chopine,     (bis) 
Cliopinette  de  vin  blanc, 

Brave,  brave, 
Cliopinette  de  vin  blanc, 

Bravement. 


Quand  la  chopine  fut  bue,     {bis) 
Nous  tirâm's  trois  écus  blancs, 

Brave,  brave. 
Nous  tirâm's  trois  écus  blancs, 

Bravement. 

—  Grand  merci  !  nous  dit  l'hôtesse,     (bis) 
Revenez-y  donc  souvent. 

Brave,  brave. 
Revenez-y  donc  souvent, 

Bravement. 


DU  CANADA  191 


JE  N'AI  PAS  DE  BARBE  AU  MENTON,  MAIS  IL 
M'EN  VIENT 


Si  riiéroïiie  de  ces  couplets  se  montre  bien  irrévéren- 
cieuse envers  son  père,  la  mélodie  sur  laquelle  se  chante 
sa  rébellion  n'est  pas  moins  irrévérencieuse  envers  les 
règles  de  l'art  musical. 

Il  est  vraiment  curieux  pour  un  musicien  d'entendre 
chanter  avec  tant  d'aisance  et  'de  naturel,  par  des  voix 
campagnardes,  ces  mélodies  qui  s'éloignent  tant  des  règles 
établies.  J'ai  vu  dernièrement  un  musicien  (un  musicien 
avancé)  aux  prises  avec  quelques  mélodies  populaires  aussi 
caractéristiques  que  celle-ci,  et  qu'il  se  faisait  fort  d'har- 
moniser sans  broncher.    Il  en  faisait  de  belles  ! De 

guerre  lasse,  et  pour  se  consoler  de  son  impuissance,  il  se 
leva  du  clavier  en  disant  avec  un  beau  dédain  :  c'est  du 
plain  chant  ! 

Plusieurs  variantes  de  cette  chanson  se  chantent  à  la 
Rochelle  et  dans  le  Bas-Poitou. 


;=3 


g =f -F*  =i^-l?->-^= J=[  — gr=:[:=ai— g3=prj 


]Moa  père  a     fait  bâ-  -  tir    mai-     son,      Mon  père  a 


'^=f^-^^S-i=^—  =fi:^[=p=P=*=:[St=g=:[— g^=:— 


fait  bâ-    -tir     mai-   son;    L'a  fait  bâ-    tir   su' l'bout  d'un 


192 


CHANSONS  POPULAIRES 


i^  =*£=S=^=  =gma— |=r^ 


pont.     Le  beau     temps  s'eu     va,     Le  mau-  vais  re-     vient. 


^    5    "  '  ^f 

Jo  n'ai  pas    de  barbe     au  meu-    ton         Mais  il  m'en    vient. 


Mon  père  a  fait  bâtir  maison;     (bis) 
L'a  fait  bâtir  su'  l'bout  d'un  pont. 

Le  beau  tem[).s  s'en  va, 

Le  mauvais  revient; 
Je  n'ai  pas  de  barbe  au  menton 

Mais  il  m'en  vient. 


L'a  fait  bâtir  su'  l'bout  d'un  pont, 
— Mon  père  faites-moi-z-un  don. 
Le  beau  temps  s'en  va,  etc. 


{bis) 


Mon  père  faites-iuoi-z-un  don;     (bis) 
Donnez-moi  'loue  vo^re  maison. 
Le  beau  temps  s'eu  va,  etc. 


Donnez-moi  donc  votre  maison,     (bis) 
— Ma  fille,  promettez-iuoi  donc — . 
Le  beau  temps  s'eu  va,  etc. 


Ma  fille  promettez-moi  donc    (bis) 
De  n'jamuis  aimer  les  garçons. 
Le  beau  temps  s'en  va,  etc. 


De  n'jamais  aimer  les  garçons,     {bis) 
— J'estim'rais  mieux  que  la  maison...» 
Le  beau  temps  s'en  va,  etc. 


DU  CANADA  193 

J'estira'iais  mieux  que  la  maison     {bis) 
Serait  eu  cendre  et  en  cliarbons. 
Le  beau  temps  s'en  va,  etc. 


Serait  en  cendre  et  en  charbons,     (bis) 
Et  vous  mon  pèr'  sur  le  pignon. 
Le  beau  temps  s'en  va,  etc. 


Et  vous  mon  pèr'  sur  le  pignon  :     {bis) 
Vous  vous  cbauffeiiez  les  talons. 

Le  beau  temps  s'en  va, 

Le  mauvais  revient  j 
Je  n'ai  pas  de  barbe  au  menton 

Mais  il  m'en  vient. 


194 


CHANSONS  POPULAIRES 


JE  N'AI  PAS  DE  BARBE  AU  MENTON 

(Autre  air) 

On  chante  aussi  Je  n'ai  pas  de  barbe  au  menton  sur  l'air 
noté  ci  dessous  et  qui  n'est  autre  que  l'air  noté  page  64, 
mais  un  peu  raccourci. 


Mou  père  a  fait  bâ-  tir  maisou,     Je  n'ai  pas  de  barbe 
au  m«u-tou,     L'a  fait  bâ-tir  su'     Fbout  d'uu  pout.  Le  beau 


temps  s'eu  va,  Le  uiau- vais  re- vieut.    Je  u'ai   pas  de  barbe 
«j 


au  ineu-ton    jMais 


m'eu  vieut. 


DU     CANADA  1 95t 


J'AI  PERDU  MON  AMANT 

Deux  sortes  de  rhythme  nous  sont  familiers  ;  l'un 
appelé  poétique^  qui  se  combine  avec  la  mesure  ;  l'autre 
appelé  j;rosaï^we  ou  oratoire^  qui  n'est  entravé  par  aucune 
mesure  et  qai  est  le  rhythme  propre  du  plain-chant. 
J'examinerai  plus  loin,  avec  le  lecteur,  le  caractère  parti- 
culier de  ces  deux  espèces  de  rhythme.  En  attendant,  que 
l'on  veuille  bien  remarquer  ici  que  le  rhythme  de  la 
mélodie  notée  ci-après  se  refuse  complètement  aux  exi- 
gences d'une  mesure  uniforme,  et  que  quelquefois  môme 
il  semble  vouloir  s'affranchir  de  toute  mesure  pour  se 
rapprocher  du  rhythme  oratoire. 

J'ai  recueilli  cette  chanson  dans  le  comté  de  Maski- 
nongé,  et  ne  l'ai  entendu  chanter  nulle  part  ailleurs. 

J'ai  souvent  remarqué  que  les  mélodies  du  peuple  qui 
offrent  le  plus  de  contradictions  avec  les  lois  établies,  sont 
d'ordinaire  les  moins  universellement  connues,  surtout 
dans  les  villes.  Elles  semblent  s'être  retirées  dans  les  bas- 
fonds  populaires,  si  je  puis  m'exprimei-  ainsi, — là  ou  l'art 
moderne  ne  peut  avoir  que  difficilement  accès. 


tus — — I 1 — ^ w  ..— /^ — , I 

J'ai     per-       du  mon  a-     mant  Et  je  ui'ea    sou-    ci' 


196 


CHANSONS   POPULAIRES 


i««r=Szrr--s: 


guè-       re;         Le      re 


ai        Se- 


gret  que  j  eu 


ra  bieu-tôt  jias-     -        se.     Je  por-  te-     -  rai    le 

deuil-le  D'uu  ha-bit  de  sa-       -      tin  ;  Je  ver-     se- 


i5iiEEiEEdl:ÊiEEEsEÊE*Eî£^EE5£E: 


rai     des    lar-    mes     de 


J'ai  perdu  mou  amaut 
Et  je  m'en  souci'  guère; 
Le  regret  que  .feu  ai 
Sera  bientôt  passé. 
Je  porterai  le  deuiîle 
D'uu  habit  de  satiu  ; 
Je  vex'serai  des  larmes 
De  viu. 


Amant,  que  j't'ai  donc  fait 
Qui  puiss'  tant  te  déplaire? 
Est-c'  que  j'tai  p:is  aimé 
Comm'  tu  l'as  mérité? 
Je  t'ai  aiiué,  je  t'aime, 
Je  t'aiaierai  toujours. 
Pour  toi  mon  cœur  soupire 
Toujours. 


La  maison  de  chez  nous 
C';?st  un  lieu  solitaire  : 
Ou  u'y  voit  pas  souvent 
Divertir  ses  amants. 


DU  CANADA  197 


Pour  des  amants  qu'on  aime, 
Qu'on  aiiu'  si  tendrement, 
On  aimerait  les  voire 
Souvent. 


— Si  j'étais  hirondelle. 
Vers  toi,  bell'  demoiselle, 
Par  derrièr'  ces  rochers 
J'irais  prendr'  ma  volée. 
Sur  votre  main,  la  belle, 
J'irais  me  reposer, 
Pour  raconter  la  peine 
Que  j'ai. 


198  CHANSONS  POPULAIRES 


VOICI  LE  TEMPS  ET  LA  SAISON 

J'ai  chanté  cette  mélodie  à  un  citadin,  qni  l'a  trouvée 
très-monotone  et  très-laide.     Monotone,  oui  ;  laide,  cela 

dépend. 

Cette  mélodie  (qui  appartient  au  second  mode  du  plain- 
chant)  est  de  celles  qui  n'ont  de  beauté  que  dans  la  bouche 
des  gens  de  la  campagne.  Il  y  a  «inelque  chose  de  triste 
et  de  doux  dans  la  voix  des  campagnards  qui  donne  un 
charme  tout  particulier  à  ces  airs  monotones  dans  lesquels 
semble  se  refléter  toute  leur  existence.  Il  en  est  des  voix 
des  habitants  de  la  campagne  comme  de  leurs  yeux. 
Leurs  regards,  accoutumés  à  embrasser  l'horizon  immense 
et  des  scènes  uniformes,  ont  une  qniétude,  un  calme,  une 
monotonie  si  l'on  veut,  que  l'on  ne  rencontre  jamais  chez 
les  habitants  des  villes. 


i?r2=-^zr^l-=ïz=r5==tf— |=ra=r*rEszr|— =iE 


-JS=.~. 


Vol-  ci     le  temps  et        la     sai-     -     son,  Voi-ci     le 


:=1- 


^E^-^EÊEB 


:^— 5- 


3r=3- 


temps  et       la        sai-    -     sou       Ah  !  vrai,  que     les     jour- 


né's  sont  Ion-  -     gués,     Ali  !  vrai,  que         les  jour-ué's  sont 


DU   CANADA  199 

Voici  le  tenip:?  et  la  saison     {bis) 

Ah  !  vrai,  que  les  journées  sont  longues  !     (bis) 


Les  amoureux  ont  bien  le  temps     (.bis) 
D's'en  aller  voir  leurs  jolies  blondes,     (bis) 

Et  moi  qui  suis  dans  les  prisons,     (bis) 
Je  ne  poux  aller  voir  la  mienne.     (6('s) 


Ma  mignonne  a  de  blonds  cheveux,     {bis) 
Qui  lui  vont  jus<iu'à  la  ceinture,     {bis) 


— Mon  amant,  il  n'est  pas  ici  :     {bis) 
Il  est  là-bas,  dans  ce  navire,     {bis) 


— La  belle,  le  connaissez-vous     {bis) 

Par  son  beau  chant  et  son  beau  rire?     (bis) 


La  belle,  voulez- veus  yaller  ?     (bis) 
Je  vais  aller  vous  y  conduire,     (bis) 


La  belle  a  eu  le  yii'^d  lé  jr^r,     {bis) 
Dans  le  navir'  s'ept  evnbirq.iéo.     (bis) 


Quand  ils  fnr'iit  à  cent  lieues  sur  mer,     (bis) 
Une  tenipêt'  s'est  élevée,     (bis) 


Le  navire  a  coulé  au  fo.i  1  ;     (bis) 
Le  beau  avec  sa  mie.    {bis) 


Le  contre-maître  s'est  sauvé    (bis) 
Dedans  sa  chaloupe  jolie,     {bis) 


200  CHANSONS  POPULAIRES 


PETIT  ROCHER  DE  LA  HAUTE  MONTAGNE 

La  complainte  que  l'on  va  lire  a  été  composée  dans  des 
circonstances  vraiment  extraordinaires  qui  méritent  d'être 
connues  du  lecteur.  On  me  saura  gré  de  reproduire  ici  la 
belle  narration  qu'a  faite  M.  J.  G.  Taché  dos  événements 
qui  ont  précédé  et  accompagné  la  mort  du  vaillant  cou- 
reur de  bois,  héros  et  auteur  de  ces  couplets. 

Eu  remontant  la  grande  rivière  des  Outaouais,  ou  ue  manque  pas 
de  s'arrêter  au  Petit  rocher  de  la  haute  montagne  qui  est  au  milieu 
du  portage  des  Sept-chutes,  eu  bas  de  l'Ile  du  G-rand  calumet  :  c'est 
là  qu'est  la  fosse  de  Cadieux  dont  tout  le  moude  a  entendu  parler. 

Chaque  fois  que  les  canots  de  l;i  compagnie  passent  au  Petit  Ho- 
cher, un  vieux  voyageur  raconte  aux  jeuues  gens  l'histoire  de 
Cadieux;  les  anciens  voyageurs  qui  l'ont  déjà  entendu  raconter 
aiment  toujours  à  l'entendre,  quand  ils  ue  la  redisent  pas  eux- 
mêmes.  Cette  fois  là,  ce  fut  le  vieux  Morache,  uu  ancien  guide,  qui 
nous  déroula  le  récit  des  aventures  de  Cadieux. 

Cadieux  était  uu  voyageur-interprète  marié  à  une  Algouquine  : 
il  passait  d'ordinaire  l'hiver  à  la  chasse,  et  l'été  il  traitait  avec  les 
sauvag3s,  pour  le  compte  des  marchand.  Cet  lit  au  temps  des  der- 
nières expéditions  des  Iroquois  :  Cadieux  avait  passé  la  saison  de 
chasse  au  portage  des  Sept-chutes  oii  il  était  cabane  avec  quelques 
autres  familles  :  ou  était  alors  au  mois  de  nnû,  et  Cadieux  attendait 
des  sauvages  de  l'Ile  et  des  Courte- Oreille  (*),  qui  devaient  des- 
cendre en  même  temps  que  lui  jusqu'à  Montréal  avec  des  pelleteries, 

La  plus  grande  tranquillité  réguait  dans  les  cabanes  du  Petit- 
rocher,  lorsqu'un  bon  jour  un  jeune  sauvage,   qui  était  allé  rôder 

(*)  Outaouais. 


DU  CANADA  201 

autour  des  rapides  et  eu  bas  du  portage,  arriva  tout  essoufflé  au 
milieu  des  familles  dispersées  autour  des  cabaues,  eu  criant: 
Nattoué!  Nattoué  !  Les  Iroquois  !  Les  Iroquois  ! 

Eu  effet  uu  parti  de  guerre  iroquois  était,  eu  ce  uioiiieut,  à  euvirou 
une  lieue  en  bas  du  portage  des  Sept-chutes  :  ils  savaient  que  c'était 
le  temps  où  les  cauots  doseeiidaieut  la  Graude-rivière  veuaut  des 
pays  de  chasse,  et  ils  voulaient /aire  coup. 

Il  u'y  avait  qu'un  seul  moyeu  d'échapper,  c'était  de  tenter  de 
sauter  les  rapides,  choses  à  ptui  {)rès  inouïe;  car,  coniine  le  disait  le 
vieux  Moraciie,  ils  )i€  sont  pas  drus  hs  canots  qui  sautent  les  Sejit- 
chutes  ! 

Mais  ce  n'était  j)as  tout  cupuudant,  il  fallait  encore  que  quelqu'uu 
restât  sur  place  pour  opércn-  une  diversion,  attirer  Ic.^.  Iroquois  dans 
le  bois  et  les  empêcher  ainsi,  une  fois  engagés  dans  le  portage,  de 
counaître  ce  qui  était  arrivé.  Pour  qui  sait  ce  que  c'était  que  les 
Iroquois  dans  ce  temps  là,  il  sera  facile  de  coni]>n;ndre  que,  sans 
pareil  stratagème,  Texameu  des  traces  toutes  fraîches  laissées  par 
les  familles  les  t;ut  fait  de  suite  partager  eu  deux  bandes,  dont  l'une 
eut  remonté  et  l'autre  descendu  la  rivière,  à  la  poursuite  des  fugitifs. 

Cadieux,  ctjninie  le  plus  capable  et  le  plus  entendu  de  tous,  se 
chargea  de  la  périlleuse  mais  généreusr  mission,  prenant  avec  lui  un 
jeune  Algonquin  dans  le  courage  et  la  fidélité  duquel  il  avait  une 
parfaite  confiance.  Leiu"  but  atteint,  Cailieux  et  son  compagnon  se 
proposaient  de  prendre  le  chemin  le  plus  sûr  pour  rejoindre  leurs 
gens,  qui  devaient  envoyer  à  leur  rencontre  en  cas  d'un  trop  long 
retard. 

Ou  leva  les  cabanes  :  une  fois  les  préparatifs  faits,  Cadieux  et  sou 
jeune  compagnon  armés  de  leurs  fusils,  haches  et  couteaux,  munis 
de  quelques  provisions,  partirent  pour  aller  au-devant  des  Iroquois. 
Il  était  convenu  que  les  cauots  laisseraient  le  couvert  de  la  rive  et  se 
lanceraient  dans  les  rajiides,  dès  qu'on  aurait  entendu  le  rapport 
d'un  ou  plusieurs  coups  de  fusils  dans  la  direction  du  portage. 

Une  heure  ne  s'était  pas  écoulée  qu'un  coup  de  fusil  retentit,  suivi 
bientôt  d'un  autre,  puis  de  plusieurs.  Peudaut  cette  lutte,  au  bruit 
des  détouations,  les  cauots,  engagés  dans  les  terriltles  courants,  bon- 
dissaient, au  milieu  des  bouillons  et  de  l'écume,  plongeaient  et  se 
relevaient  sur  la  crête  des  vagues  qui  les  einjxjrtaient  dans  leur 
course.  Les  habiles  canotiers,  femmes  et  hommes,  aux  deux  bouts 


202  CHANSONS  POPULAIRES 

de  chaque  canot,  régularisaient  leurs  jnouvements,  évitaient  les 
pointes  acérées  des  rochers,  et  tenaient,  avec  leurs  avirons,  ces  frêles 
cassots  (Vécorce  dans  les^^efs  (Veau  propices,  indiqués  par  l'état  de 
la  surfiice  des  onde*  et  la  forme  des  courants. 

On  s'était,  en  partant,  recommandé  à  la  honne  sainte  Anne  et 
on  j)riait  de  cœur  tout  le  temps. 

— Je  n'ai  rien  vu  dans  les  Sept-chutes,  disait  dans  la  suite  la 
femme  de  Cadieux,  qui  était  une  pieuse  femme,  je  n'ai  rien  vu 
qu'une  Grande  Dame  Blanclie  qui  voltigeait  devant  les  canots  et 
nous  montrait  la  route  ! 

Les  canots  furent  sauvés  et  rendus  en  peu  de  jours  hors  de  l'at- 
teinte des  eimemis  au  Lac-des-Deux-Montagnes.  Mais  que  faisaient 
Cadieux  et  son  sauvage  pendant  tout  ce  temps,  et  que  devinreut-ils? 
Voici  ce  qui  s'était  passé,  connne  ou  l'a  su  plus  tard  de  quelques 
L-oquois  et  des  gens  envoyés  au  devant  du  brave  interprète. 

Cadieux  avait  d'abord  laissé  les  Iroquois  s'engager  dans  le  por- 
tage. Après  avoir  choisi  l'endroit  le  plus  favorable  pour  les  tenir 
hors  de  la  vue  de  la  fivière,  il  s'était  placé  eu  embuscade  à  petite 
portée  du  sentier,  bien  caché  dans  d'épaisses  broussailles  :  il  avait 
de  même  embusqué  s<m  sauvage  à  quelques  arpents  plus  haut,  pour 
faire  croire  à  la  présence  de  plusieurs  partis  une  fois  l'afïiiire  en 
train. 

Cadieux  laissa  passer  les  éclaireurs  iroquois,  qui  furetaient  de  l'œil 
les  bords  du  sentier,  et  les  premiers  guerriers  porteurs  des  canots, 
jusqu'à  ce  que,  les  ennemis  ayant  atteint  l'endroit  occupé  par  le 
jeune  Algonquin,  il  euteudit  le  coup  de  feu  de  celui-ci  et  le  cri  d'un 
ennemi  atteiut. 

Les  Iroquois  ainsi  subitement  attaqués  bondirent  de  surprise  et 
tirent  halte  à  l'instant  j  mais  avant  même  que  les  porteurs  ne  se 
fussent  délivrés  de  leurs  charges,  un  second  coup  de  fusil,  tiré  par 
Cadieux  au  milieu  du  convoi,  abattit  un  second  guerrier. 

Il  est  probable  que  Cadieux  avait  donné  rendez-vous  à  son  sau- 
vage dans  une  espèce  de  petite  savane  peu  éloigné  du  portage; 
car  c'est  vers  cet  endroit  que  tous  deux  se  dirigèrent,  eu  faisant  avec 
succès  le  coup  de  feu  à  l'abri  des  taillis. 

Les  avantages  avec  lesquels  les  deux  braves  faisaient  la  guerre  à 
leurs  nombreux  ennemis  n'empêchèrent  pas,   cependant,  le  jeune 


DU  CANADA  203 

algonquin  de  tomber  sous  leurs  coui)w  :    Il  ne  rejoignit  pas  Ctidieux 
au  lieu  du  reudez-vous  ;   mais  il  vendit  chèrement  sa  vie. 

Fendant  truis  jours  les  Troijuois;  battirent  la  Forêt  pour  retrouver 
les  traces  des  Familles,  ne  s'imagiuunt  pas  même  qu'ils  eussent  pu 
entrej)reudre  la  descente  des  rapides  ;  pendant  trois  jours  aussi,  ils 
traquèrent  le  brave  voyageur  dans  les  bois.  Trois  jours  et  trois 
nuits  qui  Furent  sans  sonuueil  et  sans  repos  pour  le  maliieureux 
Cadieux!  Au  bout  de  ce  temps  les  euvahisseurd,  désespérant  de 
rejoindre  les  Familles  et  de  se  rendre  maître  de  leur  imprenable 
adversaire,  convaincus  du  reste  (pfils  étaient  Frustrés  du  Fruit  de 
leur  expéilitioH,  remirent  leurs  canots  à  l'eau  pour  redescendre  la 
Grande-rivière. 

Plusieurs  jours  s'étaient  écoulés  tlepuis  le  départ  des  Familles  du 
Petit-rocher,  ou  avait  eu  connaissance  du  retour  des  Iroquois,  et 
Cadieux  n'était  pas  encore  arrivé  :  trois  hommes  partirent  donc, 
pour  aller  à  la  rencontre  de  l'interprète  et  de  son  compagnon.  Ces 
trois  voyageurs  remontèrent  l'Outaouais  jusqu'au  Portage-du-fort 
sans  trouver  de  traces  de  quoi  que  ce  Fut;  là  ils  commencèrent  à 
observer  L'S  marques  du  passage  des  Iroquois  et  plus  haut  des  signes 
qu'ils  reconnurent  comme  indiquant  que  leur 'ami  avait  séjourné 
dans  le  voisinage. 

Quand,  arrivés  au  portage  des  Scpt-chutes,  ils  trouvèrent  un  petit 
abri  construit  de  branches  qui  paraissait  avoir  été  abandonné  :  ils 
résolurent  de  pousser  un  peu  plus  loin  leurs  recherches,  pensant  que 
Cadieux  et  son  camarade  avaient  peut-être  été  obligés  de  remonter 
la  rivière,  pour  prendre  reFuge  chez  les  sauvages  de  l'Ile. 

Deux  jours  plus  tard,  c'était  le  treizième  depuis  la  séparation  de 
Cadieux  et  des  familles,  ils  revinrent  sur  leurs  pas  après  avoir  con- 
sulté des  sauvages  qu'ils  rencontrèrent,  certains  que  leurs  deux 
amis  étaient  rendus  au  Lac-des-Deux-Montagnes  ou  morts. 

En  repassant  de  nouveau  près  du  Petit-rocher,  ils  aperçurent  de 
loin,  sur  le  bord  du  sentier  du  portage,  à  côté  de  la  petite  lo(/e  qu'ils 
avaient  cru  abandonnée  quelques  jours  auparavant,  une  croix  de 
bois  dont  ils  s'approchèrent  avec  un  respect  mêlé  d'un  étonuemeut 
étrange. 

La  croix  était  plantée  à  la  tête  d'une  fosse,  à  peine  creusée  dans 
le  sol,  et  dans  cette  fosse  gisait  le  corps  encore  frais  de  Cadieux,  ?i 
demi  enseveli  dans  des  branches  vertes.    Les  mains  da  mort  étaieiii 


20 1  CHANSONS    POPULAIRES 

jointes  sur  sa  poitrine,  sur  laquelle  reposait  un  large  feuillet  il'écorce 
de  bouleau  couvert  d'écriture. 

Les  voyageurs  prirent  cette  écorce  qui  devait  leur  révdler  io  iriys- 
tère  de  la  mort  de  leur  aini  et  leur  eu  expliquer  les  circonstances 
extraordinaires;  celui  d'entre  eux  qui  savait  lire  lut  les  écritures 
confiées  à  ce  papier  des  bois  et  les  relut  plusieurs  fois,  en  face  du 
cadavre  à  peine  refroidi  du  brave  Cadieux. 

De  tout  ce  qu'ils  voyaient  et  de  ce  qui  était  éerit  sur  cette  écorce, 
les  voyageurs  conclurent  que  le  pauvre  Cadieux,  le  cerveau  épuisé 
par  la  fatigue,  les  veilles,  l'iuquiétude  et  les  privations,  avait  fini, 
comme  c'est  presque  toujours  le  cas  ilaus  ces  circonstanciés,  par 
errer  à  l'aventure  jusqu'à  ce  qu'il  fut  revenu  à  l'endroit  même  d'oi!i 
il  était  parti  :  qu'une  fois  là  il  avait  vécu  sans  dessein  {*),  &&\ou. 
l'expression  du  vieux  IMoracbe,  pendant  quelques  jours,  se  nour- 
rissant de  fruits  et  d'un  peu  de  cbasse,  sans  faire  de  feu  dans  sa 
petite  loge  lie  cr.iiute  des  Iroquois,  allaut  s'affail)lissant  de  jour  en 
jour  :  que  lors  de  leur  passage  dans  ce  lieu.  Jeux  jours  auparavant, 
il  les  avait  reconnus,  après  examen  ;  mais  que  l'émotion  de  la  joie 
avait  produit  sur  lui  un  cboc  tel  qu'il  resta  sans  parole  et  sans  mou- 
vement: qu'après  leur  départ,  enfin,  ayant  per<lu  tout  espoir,  se 
sentant  près  de  mourir  et  retrouvant  un  peu  de  forces  dans  ces 
moments  solennels,  il  avait,  après  avoir  écrit  ses  derniers  adieux 
au  monde  des  vivants,  fait  les  préparatifs  de  sa  sépulture,  mis  sa 
croix  sur  sa  tombe,  s'était  placé  dans  sa  fosse  et  avait  amoncelé,  de 
son  mieux  sur  lui,  ces  brancbes  dont  sou  corps  était  recouvert, 
pour  attendre  ainsi  dans  la  prière  la  mort,  qu'il  compreuait  ne  pas 
devoir  Uirder  à  venir. 

Cadieux  était  voyageur,  poète  et  guerrier;  ce  qu'il  avait  écrit, 
sur  l'écorce  dont  il  est  parlé,  était  sou  chant  de-mort-  Avant  de  se 
coucber  dans  cette  froide  tombe  du  portage  des  Sept-cbutes,  l'ima- 
gination de  celui  qui  avait  tant  vécu  avec  la  nature  s'était  exaltée, 
et,  comme  il  avait  coutume  de  composer  des  chansons  de  voyageur, 
il  avait  écrit  sur  ce  feuillet  des  bois  son  dernier  chant,   (f) 

Il  s'adresse  d'abord,  dans  cette  complainte  de  la  mort,   aux   êtres 

(*)  Sans  dessein  est  la  traduction  d'une  expression  sauvage  qui  veut  dire  : 
sans  plan  arrêté,  sans  souci,  sans  soin,  sans  but  particulier,  sans  signification 
connue. 

(f)  On  écrit  sur  l'écorce  de  bouleau,  après  avoir  enlevé  quelques  feuillets 
intérieurs,  au  moyen  d'une />oî/t<e  ou  stylet  quelconque  d'os  ou  de  métal. 


DU  CANADA  205 

qui  l'entoureut  pour  leur  auuoucer  sa  fia  prochaine  et  ses  regrets  de 
quitter  la  vie  ;  puis  il  parle  de  ses  souffrances,  des  inquiétudes  qu'il 
éprouve  pour  les  familles  qu'il  réuuit  ensemble,  dans  sa  sollicitude, 
sous  le  nom  collectif  d'amis.  Il  parle  de  ses  terribles  appréhensions 
à  la  vue  de  la  fumée  d'un  campement  près  de  sa  loge,  de  sou  trop 
grand  contentement  de  reconnaître  des  visages  français,  de  sou 
impuissance  à  les  appeler  et  à  s'élancer  vers  eux,  de  leur  départ 
sans  s  être  aperçu  de  sa  présence,  et  de  sa  désolation. 

Cadieux  voit  un  loup  et  un  corbeau  venir  flairer  son  corps  malade; 
par  un  retour  de  gaieté  de  chasseur  et  d'orgueil  de  guerrier  des 
forêts,  il  menace,  l'un  de  son  fusil  3t  dit  à  l'autre  d'aller  se  repaître 
des  corps  des  Iroquois  qu'il  a  tués. 

Il  charge  ensuite  le  ros-ignol,  compagnon  de  ses  nuits  saus  som- 
meil, d'aller  porter  ses  adieux  à  sa  femme  et  h  ses  enfants  qu'il  a 
tant  aimés;  enfin,  comme  un  bon  chrétien  qu'il  est,  il  se  remet 
entre  les  mains  de  son  Créateur  et  se  recommande  à  la  protection 
de  ^larie. 

Des  voyageurs  ont  prétendu  que  Cadieux  ne  savait  pas  écrire,  et 
que  le  fait  de  ce  chant  écrit  sur  de  l'écorce  ne  pouvait  être,  par 
conséquent,  que  le  résultat  d'un  miracle  ;  mais  Cadieux,  saus  être 
instruit,  savait  écrire  comme  tous  les  interprêtes  de  ce  temps-là. 
Toujours  est-il  que  la  chose  a  été  vue  comme  elle  est  racontée. 

Les  trois  Canadiens  pleurèrent  eu  lisant  sur  l'écorce  ce  chant  de 
mort  du  brave  Cadieux.  Ils  consolidèrent  la  croix  de  bois,  rem- 
plirent la  fosse  qui  contenait  les  restes  de  cet  homme  fort,  élevèrent 
un  tertre  sur  cette  tombe  solitaire  et  prièrent  pour  le  repos  de  l'âme 
de  leur  ami. 

L'écorce  sur  laquelle  était  écrite  la  coynplainte  de  Cadieux  fuj 
apportée  au  poste  du  Lac:  les  voyageurs  adaptèrent  un  air  appro- 
prié à  ce  chant  si  caractéristique  de  la  rude  vie  de  chasseur  et  de 
guerrier  des  bois,  si  étonnant  par  les  idées  et  si  digne  de  remarque  à 
cause  des  circonstances  de  sa  composition.  (*) 

M.  Houde,  ancien  député,  qui  a  longtemps  voyagé  sur 

(*)  Je  connais  un  des  descendants  du  héros  de  cette  histoire,  le  père 
André  Cadieux,  vieillard  de  71  ans,  qui  réside  sur  les  bords  du  lac  ïïuroa. 
"  Cadieux,  m'a-t-il  dit,  était  le  grand-père  de  mon  grand-père  f  "  (Note  de 
M.  Taché.) 


206 


CHANSONS  POPULAIRES 


rOttaoua,  et  qui  a  passé,  lui-même,  plus  de  cent  fois  au 
tombeau  de  Gadieux.  m'a  chaulé  la  première  version  de 
l'air  noté  ci-après.  La  seconde  version  m'a  été  chantée 
par  un  voyageur  de  Sorel. 


piPi-^Hiiip^=l=P^iii-iigfîiîiii 

Pe-  lit  ro-  clier         de  la      hau-te  inou-ta-       gue, 
Je  vieus  i-     -  ci         fi-  uir      cet-  te  cam-      pa-      gue  ! 

^9 g- a» m — I  — »- — à — 1*^1 — * — * '* ^" — — ^~.^^''^~~     I 

Ab  !  doux  é-       cbos,       en-        tendez  mes  sou-    pirs  ; 
Eu  lau-guis-  saut        je  vais     bien-     tôt  mou-     rir  ! 

AUTKE   VERSIOX  : 

Pe-  tit  ro  -     cber    de  la       hau-te  mon-      ta-  gue, 
Je  vieus  i-     -  ci      fi-  uir       cet-      te  cam-     pa-     gue  ! 
Ab!  doux  é-     cbos,         eu-       tendez  mes    sou-    pirs; 

Eu  languis-    saut  je  vais    bien-    tôt  mou-      rir! 

Petit  roclier  de  la  haute  montagne, 
Je  vieus  finir  ici  cette  campagne  ! 
Ah  !  doux  échos,  entendez  mes  soupirs  ; 
En  languissant  je  vais  bientôt  mourir  I 


DU  CANADA  20T 

Petits  oiseaux,  vos  douces  harmonies, 
Quand  vous  cbautez,  me  rattach'  à  la  vie: 
Ah  !  si  j'avais  des  ailes  comme  vous, 
Je  s'rais  heureux  avaut  qu'il  fut  deux  jours! 


Seul  en  ces  bois,  que  j'ai  eu  de  soucis! 
Pensant  toujours  à  mes  si  chers  amis, 
Je  demandais  :  Héhis  !  sont-ils  noyés? 
Les  Iroquois  les  auraient-ils  tués? 


Un  de  ces  jours  que,  m'étant  éloigné, 

En  revenant  je  vis  une  fumée; 

Je  me  suis  dit:  Ah  !  grand  Dieu  qu'est  ceci  ? 

Les  Iroquois  m'out-ils  pris  mon  logis'? 


Je  me  suis  mis  un  peu  à  l'ambassade, 
Afin  de  voir  si  c'était  embuscade  ; 

Alors  je  vis  trois  visages  français  ! . 

M'ont  mis  le  cœur  d'une  trop  grande  joie  ! 


Mes  genoux  jilieiit,  ma  faible  voix  s'arrête, 

Je  tombe Hélas  !  à  partir  ils  s'apprêtent  : 

Je  reste  seul Pas  un  qui  me  console, 

Quand  la  mort  vient  par  un  si  grand  désole  I 


Un  loup  hurlant  vint  près  de  ma  cabane 
Voir  si  mon  feu  n'avait  plus  de  boucane  j 
Je  lui  ai  dit  :  Retire-toi  d'ici  ; 
Car,  par  ma  foi,  je  perc'rai  ton  habit! 


Un  noir  corbeau,  volant  à  l'aventure, 
Vient  se  percher  tout  près  de  ma  toiture  : 
Je  lui  ai  dit  :  Mangeur  de  chair  humaine. 
Va-t'en  chercher  autre  viande  que  mienne. 


308  CHANSONS  POPULAIRES 

Va-t'en  là-bas,  <laiis  ces  Vxiis  et  marais, 
Tu  truiiveras  pliisiems  c()r[)s  iroquoisj 
Tu  trouveras  des  chairs,  aussi  des  os  ; 
Va-t'eu  plus  loiu,  laisse -moi  eu  repos  ! 


Rossignolet  va  dire  à  ma  maîtresse   (*) 
A  mes  enfauts  qu'un  a  li;  u  jeleur  laisse; 
Que  j'ai  gardé  luou  amour  et  ma  foi, 
Et  désormais  faut  reuoucer  à  moi  ! 


C'est  donc  ici  que  le  moud'  m'abandonne!.... 
Mais  j'ai  secours  eu  vous  Sauveur  des  hommes  ! 
Très-Sainte  Vierge,  ah!  m'abandounez  pas, 
Permettez-moi  d'mourir  entre  vos  bras  ! 


(*)  Ce  mot,  dans  nos  honnêtes   chansons,  veut  toujours  dire  épouse  ou 
Suacée.     (Note  de  M.  Taché.) 


DU  CANADA  20S 


C'ETAIT  UNE  FRÉGATE 

M.  Joseph  Lavigne,  de  Sorel,  m'a  chanté  cette  jolie 
chanson,  qui  n'est  qu'une  variante  emloellie  d'Isabeau  s'y 
promène^  quant  aux  paroles. 


--jfz 


C'é-  tait  u-     -  ne     fré-  ga-    te.       Mou      jo-     li 

l:i:^— linrrs     ,      ;^:r|^rjmr=:rr-zzt^z;^r~^T;izrr6z:|i:r:::ir:rz!iiir;^ 


cœur  de  ro-  se,     Dans  la  mer      a  tou-  clié,         Jo-     li  cœur 

> ~ 


id=4 


|=d=§=  |zE?=i=Ei=?2=^='=ï=?*Ei=:"2=^ 


d'un     ro-  sier.  Jo-     -      li  cœur     d'un  ro- 

— •: — J=zri=Jt*=^  \^=Sz=z-â^=  5«:^î^?-«=rn 


Jo-     -      li     cœur      d'un      ro-     sier 


C'était  uue  frégate. 
Mon  joli  cœar  de  rose, 
Dans  la  mer  a  touché, 
Joli  cœur  d'un  rosier,     (ter.) 


Yavait  un'  demoiselle. 

Mon  joli  cœur  de  rose, 

Su'  l'bord  d'ia  mer  pleuré  (rait), 

Joli  cœur  d'an  rosier,    (ter.) 


aie  CHANSONS  POPULAIRES 

— Dites-moi  donc,  la  belle, 
Mou  joli  cœur  de  rose, 
Qu'il'  vous  à  tant  pleurer  ? 
Joli  coeur  d'un  rosier,     (ter.) 


— Je  pleur'  mon  anneau  d'ore, 
Mon  joli  cœur  de  rose, 
Dans  la  mer  est  tombé. 
Joli  cœur  d'un  rosier,     (ter.) 


— Que  douneriez-vous,  belle, 
Mou  joli  cœur  de  rose, 
Qu'irait  vous  le  chercher  ? 
Joli  cœur  d'au  rosier,     (.ter.) 


— Je  suis  trop  pauvre  flUe, 
Mou  joli  cœur  de  rose, 
Je  ne  puis  rien  douuer, 
Joli  cœur  d'un  rosier,     (ter.) 


Qu'mon  cœur  en  mariage, 
Mon  joli  cœur  de  rose, 
Pour  mon  anneau  doré, 
Joli  cœur  d'un  rosier,     {ter.) 


Le  galant  se  dépouille, 
Mou  joli  cœur  de  rose  : 
Dans  la  mer  s'est  jeté. 
Joli  cœur  d'un  rosier,     (ter.) 


De  la  première  plonge. 
Mon  joli  cœur  de  rose, 
L'anneau  d'or  a  touché. 
Joli  cœur  d'un  rosier,    (ter.) 


DU   CANADA  211 

De  la  seconde  plonge, 
Mon  joli  cœur  de  rose, 
L'anneau  d'or  a  sonué, 
Joli  cœur  d'un  rosier,     {ter.) 


De  la  troisième  plonge, 
Mon  joli  cœur  de  rose, 
Le  galant  s'est  noyé.... 
Joli  cœur  d'un  rosier,     (ter.) 


Il  allait  à  la  d'rive, 
Mon  joli  cœur  de  rose, 
Comme  un  poisson  doré. 
Joli  cœur  d'un  rosier,     (ter.) 


Son  pèr',  sur  la  fenêtre. 
Mon  joli  cœur  de  rose. 
Le  regardait  d'river, 
Joli  cœur  d'un  rosier,     (ter.) 


— Faut-il,  pour  une  fille. 
Mon  joli  cœur  de  rose, 
Que  mou  fils  soit  uoyé  !.... 
Joli  cœur  d'un  rosier,    (ter.) 


212 


CHANSONS  POPULAIRES 


JE  ME  SUIS  MIS  AU  RANG  D'AIMER 

Entendez-vous  les  doléances  de  cet  amoureuux  qui  se 
plaint  des  cruautés  de  sa  belle,  lui  qui  ne  T avait  pas  mérité? 
Attendez  un  peu, ...  .le  voilà  déjà  consolé  : 

Partons,  allons,  cliers  camarades; 
Partons,  allons  vider  bouteille  1 
Allons  y  boir'  de  ce  bon  vin 
Qui  met  l'amour  en  tête . 

Qui  ne  reconnaît  ici  un  caractère  qui  appartient  à  tous 
les  temps,  à  tous  les  pays  et  à  toutes  les  conditions  ? 

Est-ce  bien  "le  roi  Léon"  ou  "  Napoléon "  qu'il  faut 
dire,  dans  le  dernier  de  ces  couplets  ?  C'est  là  une  grave 
question  que  je  laisse  aux  savants  de  décider. 


Je     me  suis         mis  au    raug  d'ai-        mer 


Qu'un'       seul'  fois      dans       ma        vi-    e;       Mais    à    pré- 


sent   je    re-cou-    nais 


D'avoir  fait  u-    ne  fo- 


li-    e        D'à-  voir    ai-  -  mé    si  ten-  dre-      ment  ; 


DU    CANADA  213 


Mais  à    pré-    seat    je  m'en      re-     pens 


Je  me  suis  mis  au  rang  d'aimer 
Qu'au'  seul'  fois  dans  ma  vie  ; 
Mais  à  présent  je  reconnais 
D'avoir  fait  une  folie 
D'av^oir  îiiiiié  si  tendrement; 
Mais  à  présent  je  m'en  repens. 


Rossignolet  du  bois  joli, 
Emport'-moi-t-uue  lettre. 
Emi)ort'-moi-la,  oh  !  je  t'en  prie, 
A  mou  aimable  maîtresse  ! 
Em;)ort'-moi-la,  oui,  sans  mentir, 
A  l'arrivé'  du  bois  joli. 


Si  la  bell'  s'informe  de  moi, 
De  moi  fais  lui  réponse  : 
Tu  lui  diras  qu'j'suis-t-embarqué 
Pour  niviguer  sur  l'onde: 
EU'  m'a  tant  fait  de  cruautés. 
Moi  qui  ji'l'avais  pas  mérité. 


Partons,  allons,  cliers  camarades; 

Partons,  allons  vider  bouteille  ! 

Allons  j  boir'  de  ce  bon  vin. 

Qui  met  l'amour  en  tête. 

A  la  santé  du  roi  Léon  ! 

L'anné'  qui  vient  nous  reviendrons  ! 


214 


CHANSONS  POPULAIRES 


EN  FILANT  MA  QUENOUILLE 

On  chante  aussi  ces  couplets  sur  les  airs  et  avec  les 
refrains  de  fai  vu  le  loup^  le  r'nanl  passer,  de  fai  trop  graniT 
peur  des  loups  et  de  M'en  revenant  de  Saint-André.  En 
France  comme  ici,  on  chante  ces  couplets  avec  différents 
refrains,  suivant  les  localités.  Une  version  avec  le  refrain  : 
Ah  !  voyez  quelles  hardcs  que  fai!  s'y  chante  sur  l'air  de 
Fa,  va.,  va,  p'tit  bonnet  tout  rond  que  nous  chantons  en 
Canada. 


mmm 


*r=ir 


-^m^^ 


Mon     père     aus-     si     m'a 


t-~-i-zzwzzi^ft=zm^:^a 


Gai  Ion     la,   je  m'en    vais  rou-ler  ;  Un       in-  ci-  vil     il 

m'a  don-  né.  Je    me      rou-  le,     je    me        rou-      le; 

'>^^ ^ — r— -- 


:llï=^E 


^^^ 


Gai  Ion    la,  je  m'en     vais  rou-ler     En       fi-lant  ma  que- 


nouil-le. 


DU  CANADA  21* 

Mon  père  aussi  m'a  mariée, 
Gai  Ion  la,  je  m'en  vais  rouler  ; 
Ua  incivil  il  m'a  donné. 

Je  me  roule,  je  me  roule; 
Gai  Ion  la,  je  m'en  vais  rouler 

En  ûlant  ma  quenouille. 


Un  incivil  il  m'a  donné. 
Gai  Ion  la,  j'd  -l'^u  viis  rouler, 
Qui  n'a  ni  jiaille,  ni  vlenier. 
Je  me  roule,  etc. 


Qui  n'a  ni  maille,  ni  denier. 
Gai  Ion  la,  je  m'en  vais  roii'er. 
Qu'un  vieux  bâton  de  vert  pommier. 
Je  me  roule,  etc. 


Qu'un  vieux  bâton  de  vert  pommier, 
Gai  Ion  la,  je  m'en  vais  rouler, 
Avec  (luoi  m'ca  bat  les  côtés. 
Je  me  roule,  etc. 


Avec  quoi  m'en  bat  les  côtés, 
Gai  Ion  la,  je  m'en  vais  rouler. 
— Si  vous  ra'battezje  m'en  irai! 
Je  me  roule,  etc. 


Si  vous  m'battez  je  m'en  irai, 
Gai  Ion  la,  je  m'en  vais  rouler  j 
Je  m'en  irai  au  bois  jouer. 
Je  me  roule,  etc. 


216  CHANSONS  POPULAIRES 

Je  lu'eu  irai  au  bois  jouer, 
Gai  Ion  la,  je  m'eu  vais  rouler, 
Le  jeu  de  carte',  aussi  de  dés. 

Je  me  roule,  je  me  roule  ; 
Gai  Ion  la,  je  m'en  vais  rouler 

En  filant  ma  quenouille. 


DU    CANADA 


217 


AH!  JE  M'EN  VAIS  ENTRER  EN  DANSE 

La  ronde  que  l'on  va  lire  est  supposée  être  chantée  par 
une  jeune  fille.  Mais  si  le  centre  de  la  chaîne  est  occupé 
par  un  garçon,  on  fait  quelques  changements  dans  les 
paroles  ;  ainsi,  au  lieu  de  :  Ce  beau  monsieur,  on  dit  :  Cetf 
demoiselle^  etc.  On  change  aussi,  dans  ce  cas,  deux  vers 
du  troisième  couplet  :  au  lieu  de  : 

En  vous  fiiisant.  la  révérence  : 

— Ça  vous  plairait-il  de  m'aimer  ?. . . . 

on  dit  : 

— Présentez-moi  votre  main  blanche, 
Avecque  moi  venez  danser. 


^2— 


— ff— 


— I ^ . 0 — ZZ3 


-^N- 


Ah  !  je  m'en       vais  en-  trer  en       dan-  se  :  C'est  pour 


—^ ai «: 1 j„- 

uu      a-  mant  clier-  cher. 


-—^^ — a — ^ — I» — I — **' — »■ 


i^z=5 


-p» s» j» ■ 

Je  me     re-    touru',  je     me     re- 

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S—»: 


•5, — ^ — y— I ^- 


-ro — a*— 


— 1 — 0_ai— . 


vir'jj'en  n'ai  pas  trou-  vé  de  mon  gré.  Ali  !  je  ne     puis,  gai, 


} *- — ^ 


,s^  — 


:=a'"--;1 


gai,  Ab  !  je     ne       puis     m'en  al-  -  1er 


Ali  !  je  m'en  vais  entrer  en  danse  : 

C'est  pour  un  amant  chercher. 

Je  me  retourn',  je  me  revire  ; 

J'en  n'ai  pas  trouvé  de  mon  gré. 
Ah!  je  ne  puis,  gai,  gai, 
Ah  !  je  ne  puis  m'en  aller. 


218  CHANSONS  POPULAIRES 

Je  me  retourn',  je  me  revire; 
J'en  n'ai  pas  trouvé  de  mon  gré. 
Ah!  j'en  vois  iiu  de  bonne  mine: 
Je  vais  aller  le  demander. 
Ali  !  je  ne  puis,  etc. 

Ah  !  j'en  vois  un  de  bonne  mine  : 
Je  vais  aller  le  demander. 
— En  vous  faisant  la  révérence: 
Ça  vous  plaîrait-il  de  in'aimer? 
Ah  !  je  ne  puis,  etc. 

En  vous  faisant  la  révérence: 
Ça  vous  plairait-il  de  m'aimer? 
Ah  !  je  vois  bien  par  votre  mine 
Que  c'est  bien  moi  que  vous  aimez. 
Ah  !  je  ne  puis,  gai,  gai. 
Ah!  je  ne  puis  m'en  aller. 

Ou  bien,  si  la  danseuse  n'est  pas  agréée  : 

— En  vous  faisant  la  révérence  : 
Ça  vous  plairait-il  de  m'aimer  ? 
Ah!  regardez  ce  beau  monsieur: 
II  n'a  pas  daigné  me  saluer  ! 
Ah  !  je  ne  puis,  etc. 

Ah!  regardez  ce  beau  monsieur  : 
Il  n'a  pas  daigné  me  saluer  ! 
Je  le  vois  bien  à  votre  mine  : 
Ce  n'est  pas  moi  que  vous  aimez. 
Ah  !  je  ne  puis,  etc. 

Je  le  vois  bien  à  votre  mine  : 
Ce  n'est  pas  moi  que  vous  aimez. 
Ah  !  retournez  à  votre  place  : 
Un  autre  amant  je  vais  chercher. 
Ah  !  je  ne  puis,  gai,  gai, 
Ah  !  je  ne  puis  m'en  aller. 


DU  CANADA 


219 


C'EST  LA  PLUS  BELLE  DE  CEANS 

L'expression  :  de  céans  est  vraiment  trop  recherchée 
pour  ne  pas  être  plus  ou  moins  travestie  par  les  chanteurs 
populaires.     En  général,  ou  dit: 

C'est  la  plus  belle  de  Sion, 

C'est  par  la  maia  nous  la  tenons. ... 


C'est  la     plus    bel-  le    de     ce-     ans,  C'est  la  plus 


bel-  le  de     ce-     |_aus,  C'est  par     la       maia  je  vous 


fc!i=i=: 


SË^g£5ËJ5ÊJÊ=g^Ê^i3gi;gi3s 


preuJsjC'est  par  la       inaiu  je  vous    la       prends.         EU'  va 


fck: 


::Sz=m~ 


=5  -:=:^-S--l^z-E^:z^=^~m-=. 


EE  „zzl  --- — g—  -E  — »« — F — *——^- 


pas-  ser  par  der-      riè-  re,  Rara'nez     vos  mou-tons,  ber- 


-3- — s— à — ^ — — 2_zrrp="     4.— ^vT^: 


]~-s-- 


-.m- 


gè-  re  ;  Ea-me-uez,     ram'nez,  ra-me-nez,  bel-  le,  Ra-me-nez 


zzzM 


-rq"! 


vos  mou-tons      des      champs. 

AUTRE   VERSION  : 


u}—a  ~ — ih * >— I _ _ m 


^ 1^ f0- 


-m--r- 


C'est  la  plus    bel-  le    de    ce-    ans,  C'est  la  plus 


220 


CHANSONS  POPULAIRlilS 


bel-  le    de      ce-     -  ans,     Par  la      maiu    je  vous    la 


preuds,  Par       la        maiu    je       vous      la  prends. 


i:!>i 


=?•: 


Ililîlllilill 


EU'      va        pas-  ser    par  der-      rièr'-    re,  Ra-  me-  nez 
vos  mou-tous  ber-  gè-i-e;  Ra-menez,    ra-me-uez,  ra-me-nez, 


— I — i*- 


:sz=3= 
bel-  le,  Ra-me-nez      vos   moutous  des     champs. 


C'est  la  plus  belle  de  céans,    (bis) 
C'est  par  la  maiu  je  vous  la  preuds.    (bis) 
Eli'  va  passer  par  derrière, 
Ram'nez  vos  montons,  bergère  ; 
Ramenez,  ram'nez,  ramenez,  belle, 
Ramenez  vos  moutous  des  champa. 


DU  CANADA  221 


C'EST  LE  BON  VIN  QUI  DANSE 

Toutes  ces  rondes  nous  viennent  de  France.  Celle-ci 
où  il  est  question  de  vin  et  de  raisin,  laisse  deviner  faci- 
lement son  origine  étrangère.  Il  n'en  serait  pas  ainsi  s'il 
n'y  était  question  que  de  vin  seulement.  Nos  paysans  ne 
font  pas  usage  de  vin,  il  est  vrai,  mais  comme,  dans  les 
chansons  qui  nous  viennent  de  France,  ce  mol  vin  revient 
très-souvent,  ils  l'emploient,  à  leur  tour,  dans  les  chansons 
qu'ils  composent  eux-môme  ;  ainsi,  il  y  a  dans  Le  pHit 
bois  cVVail  : 

Du  vin  dans  ma  bouteille 
J'en  ai  ben  quand  je  veux.... 

mais  ils  n'emploient  ce  mot  que  comme  terme  générique 
et  plus  poétique  pour  indiquer  toute  espèce  de  liqueur 

forte. 

« 

La  mélodie  de  cette  ronde  est  très-bien.  Ces  deux  parties 
alternantes,  dont  l'une  grave  et  l'autre  élevée,  rappellent 
la  formule  psalmodiqne  du  ''  huitième  ton",  bien  connue 
de  tous  nos  chantres  d'égUse,  et  indiquée  GG  dans  les  ves- 
péraux en  usage  dans  la  province. 


ÈËi^i=llt=iilli^il=^^^ 


Ce      n'est  point      du  rai-     -  sin  pour-    ri, 


222 


CHANSONS  POPULAIRES 


C'est  le  l»ou      viu  qui       dau-     -      se!  C'est  le     bon 

viu       qui     danse  i-     -     ci,         C'est    le  bon        vin  qui 
dan-     -     se. 


Ce  n'est  point  du  raisin  pourii, 
C'est  le  bou  viu  qui  dause  ! 
C'est  le  bou  viu  qui  dau  se  ici, 
C'est  le  bou  viu  qui  dause. 


Pass'  par  ici-t-et  moi  par  là, 
Ce  n'est  poiut  de  mes  amourettes! 
Ce  n'est  poiut  de  mes  amourett'  ici, 
Ce  n'est  point  de  mes  amourettes. 


DU  CANADA  223 


J'ENTENDS  LE  MOULIN  TIQUE,  TIQUE,  TAQUE 

Celui  qui  occupe  le  milieu  du  rond  a  un  bandeau  sur 
les  3^eux.  Les  danseurs  qui  forment  la  chaîne  tournent 
autour  de  lui  en  chantant,  jusqu'à  ce  qu'il  lui  plaise  de 
frapper  le  plancher  d'un  bâton  qu'il  tient  à  la  main. 
Chacun  s'arrête  alors,  et  il  lève  aussitôt  son  bâton,  de 
l'extrémité  duquel  il  touche  le  danseur  ou  la  danseuse 
vis-à-vis  de  qui  il  se  trouve.  S'il  peut  nommer  la  personne 
qu'il  a  ainsi  touchée,  celle-ci  le  délivre  de  son  bandeau  et 
vient  prendre  sa  place;  sinon,  la  chaîne  recommence  à 
tourner  et  il  lui  faut,  de  son  côté,  recommencer  l'épreuve. 

Il  est  aussi  une  autre  manière  d'exécuter  cette  ronde. 
On  dispose  autour  de  la  chambre  un  nombre  de  sièges 
égal  à  celui  des  danseurs,  moins  un  ;  celui  qui  tient  le 
milieu  du  rond  n'a  pas  alors  de  bandeau  ;  lorsqu'il  frappe 
le  plancher  de  son  bâton,  chacun  court  vite  s'asseoir,  et 
celui  qui  n'a  pas  été  assez  vif  pour  se  pourvoir  d'un  sié^-e 
paie  un  gage. 


S3Z_?r — ?-— ^ — P "^ — S — 0 — S m -=::3-*z:z 

J'eu-teuds   le  mou-  lin,  ti-  que,    ti-  que,  ta-   que, 

FIN. 

gi— F=-— ? l-S U ^-g— ^— >tzr?~ 

J'enteud    le  mou-lki      ta-  que.  Ti-que,  ti-que,  ta-que, 


224 


CHANSONS   POPULAIRES 


» — H 


Ti-que,  ti-que,  ta-que,     Ti-que,  ti-que,  ta-que,  ta-  que-té.  D.C* 

On  adapte  aussi  à  cette  mélodie  les  paroles  de  Mbn  père 
a  fait  bâlir  maison  : 


n 9 m g m — I 


J'eu-teuds  le  inou-     liu,  ti-que,     ti-que,  ta-que, 

FIN. 

J'euteuds  le  mou -liu,      ta- que- té.         Mou  père  a    fait  bâ- 


H> 


-h'>-^:j —  — 


i-z:S-~ 


:--i--m  ----!---:-. 


--■=:T-=z 


tir  mai-  sou,      J'eu-  tends  le     mou-  liu 


ta-  que, 

L'a  fait  bà-  tir   à       trois  piguous,  Ti-que,      ta-que,     ti-que, 
iSËÊiiii  D.a. 


ta-     que. 


DU  CANADA  225 


SUR  LE  PONT  DE  NANTES 

Je  demandais  à  une  vieille  femme  de  la  campagne,  qui 
me  chantait  cette  ronde  :  Est-ce  bien  "  saluez  qui  vous 
plaira  "  ou  "  embrassez  qui  vous  plaira  "  que  vous  dites 
dans  vos  réunions  ? 

"  Faut  croire,  me  répondit-elle,  qu'on  disait  embrassez 
dans  l'ancien  temps,  puisqu'on  chante  quelquefois  comme 
cela  ;  mais,  lorsqu'on  chante  pour  danser,  on  dit  toujours 
saluez.  J'suis  pourtant  plus  Jeune,  et  cependant  je  n'ai 
jamais  vu  faire  autrement  que  le  salut  dans  les  danses 
rondes." 

A  la  ville,  où  ces  rondes  étaient  dansées  autrefois,  on 
était  souvent  moins  scrupuleux  ;  mais  alors  on  était  mal 
noté,  et  on  s'exposait  à  faire  jaser  sur  son  compte. 

lie  plus  souvent,  ces  rondes  ne  sont  dansées  que  par  les 
petits  enfants,  ou  ne  sont  que  simplement  chantées.  Qui 
de  nous  n'a  pas  été  bercé  au  chant  de  fai  tant  rrenfants  a 
marier^ — Ah!  qui  marierons-nous  1 — Cest  le  bon  vin  qui 
danse, — C'est  la  plus  belle  de  céans,  etc ....  ? 

M.  Charles  Nisard  a  dit,  en  parlant  des  rondes  en  gé- 
néral :  Il  ne  faut  pas  en  dire  trop  de  mal  ;  elles  nous  ont 
endormis  au  berceau  ;  elles  ont  amusé  notre  adolescence. 
Chantées  sous  les  yeux  d'un  père  ou  d'une  mère  en  l'hon" 
neur  de  quelque  joyeux  anniversaire,  elles  se  rattachent 
aux  souvenirs  de  famille  les  plus  doux  et  à  la  fois  les  plus 


226  CHANSONS   POPULAIRES 

respectables.  Arrivés  à  l'âge  mûr,  nous  ne  pouvons  plus 
les  entendre  ni  mAmo  les  lire  sans  émotions."  (Hist.  des 
livres  populaires  ou  de  la  littérature  du  colportage, 
p.  300,  t.  2d.) 


Sur    le    .pout  de      Nan-    -  tes  Ma-    ri-  on, 

Ma- ri- on      dan-     -     se De      sur  le     pont  qu'i'    ya  là- 

*==iïiiiiPiiiiiïiîiriiiiÉiii^i 

bas,  Ma-  ri-  on,      Ma-  ri-    ou      dau-  se-       ra. 


Sur  le  pout  de  Nantes 

Marioii,  Mariou  danse . 

De  sur  le  pont  qu'i'  ja  là-bas 
Marion,  Mariou  dausera. 

Bergère,  entrez  eu  danse  ! 

Marion,  Marion  danse 

Et  saluez  qui  vous  plaira, 
Marion,  Marion  dansera. 


DU  CANADA  227 


BONHOMME,  BONHOMME,  QUE  SAIS-TU  DONC  FAIRE  ? 

Cette  ronde  est  très-bruyante.  Lorsque  le  chanteur  dit  : 

Sais-tu  bien  jouer 
Du  geuoux  i)iir  terre? 

Chacun  doit  frapper  le  plancher  du  genoux  jusqu'à  ce 
qu'onreprenne  : 

Ali!  ail!  ah! 

Du  geuoux  par  terre  ! 

Puis,  après  le  genoux,  vient  le  coude  par  terre^  l'épaule 
par  terrc^  le  front  par  terre,  etc. 

Quelquefois  on  se  contente  d'exécuter  une  pantomine 
un  peu  plus  facile,  comme  d'imiter  le  joueur  de  flûte, 
(sais-tu  bien  jouer  delà  mistanflûte  ?)  le  joueur  de  tam- 
bour, etc. 

Une  variante  de  cette  ronde  se  chante  dans  le  Cam- 
brésis,  en  France.  L'air  ressemble  au  nôtre,  mais  il  s'arrête 
avec  la  douzième  mesure.  Notre  version  est  plus  complète 
et  assurément  plus  jolie. 


Boii-liomme,  boo-      liom-me,  que  sais-tu   donc 


-b» - 


fai-    re?        Sais-tu  bieu  jou-      er  Du  genoux  par 


228 


CHANSONS  POPULAIRES 


ict^-^  z::>— --| N — ^^c: 


=il=i)=S= 


iyii31pl=g=i^^îl 


ter-    re!         Ter-re,   ter-re,     ter-    re,         Du  ge-noux  par 


tlî=i 


=^^^^ 


i^=ff: 


ter-     re,         Ah  !  ah  !     ah  ! 


ter-    re  ! 


— P ^ i^ =! -J 

Du   ge-noux  par 


Bouhomme,  boiil)onime, 
Que  sais-tu  doue  faire? 
Sais-tu  bien  jouer 
Du  genoux  par  terre  ? 
Terre,  terre,  terre, 
Du  genoux  par  terre, 
Ah  !  ail  !  ah  ! 
Du  genoux  par  terre  ! 


DU  CANADA  229 


QUI  VEUT  MANGER  DU  LIEVRE 

Je  ne  connais  rien  pour  guérir  de  la  dyspepsie  ou  du 
spleen  anglais  comme  de  courir  le  lièvre.  Ou  fait  asseoir 
deux  personnes  sur  deux  chaises  placées  l'uue  vis-à-vis  de 
l'autre  et  séparées  par  une  distance  de  quelques  pieds' 
Debout,  les  mains  sur  les  dossiers  des  chaises,  se  tiennent 
deux  jeunes  gens,  représentant  un  chasseur  et  un  lièvre, 
qui  n'attendent  que  le  signal  convenu  pour  courir  l'un 
après  l'autre.  Quelqu'un  de  la  compagnie  se  met  alors  à 
chanter  : 

Qui  veut  manger  du  lièvre 
N'a  qu'à  coui'ir  adirés 

Celui  qui  fait  le  chasseur  bondit  à  la  première  note  et  se 
met  à  la  poursuite  du  lièvre,  qui  se  sauve  de  son  mieux  en 
tournant  auLour  des  deux  chaises.  Il  est  permis  de  changer 
brusquement  le  sens  de  la  course,  de  tourner  subitement 
à  droite  après  avoir  couru  à  gauche,  mais  ni  l'un  ni  l'autre 
des  coureurs  n'a  droit  de  passer  entre  les  deux  chaises. 

Lorsque  le  chanteur  dit:  Accorde^  accorde!  cela  équi- 
vaut à  un  armistice  :  les  coureurs  doivent  s'arrêter  aussi- 
tôt et  s'appuyer  les  mains  sur  les  dossiers  des  chaises, — 
chacun  la  sienne, — jusqu'à  ce  que  le  couplet  qui  com- 
mence par  ces  mots  soit  terminé  et  qu'on  en  ait  com- 
mencé un  autre.  Or,  comme  ces  couplets  se  chantent  sans 
ordre  régulier,  on  comprend  que  le  chanteur  a  ici  les  pré- 


230  CHANSONS  POPULAIRES 

rogcilives  d'un  président  d'assemblée  législative,  et  qu'il 
peut  souvent  favoriser  la  partie  pour  laquelle  il  a  le  plus 
de  sympathie;  ainsi,  il  peut  fort  bien,  lorsqu'il  voit  le 
chasseur  sur  le  point  d'atteindre  sa  proie,  chanter  aussitôt  : 
Accorde,  accorde!  pour  favoriser  celle-ci. 

Un  des  refrains  de  cette  ronde  a  évidemment  quelque 
lien  de  parenté  avec  ce  refrain  de  La  petite  Zingère,  que 
l'on  chante  en  France,  dans  le  Poitou  et  l'Angouniois  : 

A-t-oii  jamais  vu 
Coudre,  aussi  lu'uu  coudre  ? 
A-t-ou  jamais  vu 
Coudre  si  meuu  ? 


Qui        veut  mau-     ger  du       lièvr'  N'a       qu'à  cou- 
rir    a-     près.       Coure  a-      près  ton    lièvr',  Là-  bas,  daus 

Refrain. 

ces  tb-       rets.         La  belle,  en     vous  ai-     mant,     Per-drai- 
je  mes     pei-ues?     Moi  qui  vous    ai-  me     tant,     Per-drai- 

'^lilliliilili     - 

je  mou     temps? 

AUTRE   REFKAIN  : 

C'est  mou  a-  -  nù  que    je       veux,  Cou-  rous 


DQ  CANADA  231 


tous  en-     sem-blej  C'est  mou  a-  -    mi  que    je         veux, 
Cou-rous      tous  les      deux. 

AUTRE    KliFUAIN  : 

A-t-ou    jamais        vu         Cou-rir,     taut  cou-    ri-  re  ? 
A-t-ou       j  a-mais       vu  Cou-  rir        si    me-  -  uu  ? 


Qui  veut  manger  du  lièvre 
N'a  qu'à  courir  après. 
Coure  après  ton  lièvre, 
Là-bas,  dans  ces  forêts. 
La  belle,  en  vous  aimant, 
Perdrai -je  mes  peines  f 
Moi  qui  vous  aime  tant, 
Perdrai-je  mon  temps? 


Attrappe,  attrappe,  attràppel 
Attrappe  si  tu  peux! 
Si  tu  u'attrappes  pas 
Ton  lièvr'  gagn'ra  le  bois. 

La  belle,  en  vous  aimant,  etc. 

Accorde,  accorde,  accorde  ! 

Accorde  sur  le  champ! 

Si  tu  n'accordes  pas 

Ton  lièvr'  gagn'ra  le  bois. 
La  belle,  en  vous  aimant, 
Perdrai-je  mes  peines  ? 
Moi  qui  vous  aime  tant, 
Perdrai-je  mon  temps? 


232  CHANSONS  POPULAIRES 


Atrnuo  refrain: 


C'est  mot!  ami  que  je  veux, 
Courons  tous  ensemble; 
C'est  mou  ami  que  je  veux, 
Courons  tous  les  deux. 

AUTRE   RF.FRAIN: 

A-t-ou  jamais  vu 
Courir,  taut  courire? 
A-t-ou  jamais  vu 
Courir  si  mena  9 


DU  CANADA  233 


JAMAIS  JE  NOURRIRAI  DE  GEAI 

J'ai  fait  dernièrement  un  séjour  à  la  campagne  que  j'ai 
bien  allongé  de  près  d'une  semaine,  uniquement  pour 
faire  chanter  les  anciens  voyageurs^  les  jeunes  filles  et  les 
vieilles  femmes.  "  Ah  !  me  disait  une  de  ces  femmes,  si 
vous  pouviez  rester  ici  encore  quelques  jours:  j'ai  une  de 
mes  brus  qui  demeure  à  Saint-B  *  *  *  et  qui   doit  venir 

nous  voir  dimanche   qui  vient Ça,   c'est   une   belle 

chanteuse  !  " 

J'attendis  la  belle  chanteuse  :  une  grosse  jofQue  qui 
louchait  d'un  œil; — fort  bonne  femme  d'ailleurs,  et  qui, 
d'une  voix  nasillarde  et  sur  un  ton  excessivement  élevé, 
me  chanta  des  romances  de  la  ville,  dont  je  n'ai  que  faire, 
en  prononçant  les  e  muets  en  a,  et  les  r  à  l'anglaise. 

Un  autre  me  dit  :  "  Tenez,  si  vous  voulez  avoir  de  jolies 
chansons,  allez  voir  P'tit-José-Baptiste  :  c'est  lui  qui  en 
sait  !  " 

Ce  n'était  pas  la  première  fois  que  j'entendais  parler  de 
P'tit-José-Baptiste  comme  d'un  chanteur  émérite;  je 
résolus  de  me  rendre  chez  lui,  quoiqu'il  demeurât  à  une 
bonne  distance.  J'étais  sûr  d'une  ample  moisson:  je 
bourrai  mon  carton  d'un  papier  sillonné  de  portées,  tout 
prêt  à  recevoir  et  à  conserver  pour  les  siècles  futurs  le  ré- 
pertoire si  varié  et  si  vanté  du  célèbre  chanteur.    J'arrive 

.0  Renommée  !  c'est  bien  là  un  de  tes  coups  ! Mon 

homme  ne  savait  rien,  absolument  rien que  quelques 


234  CHANSONS  POPULAIRES 

fragments  tronqués,  informes,  de  cantiques  et  de  psaumes- 
quelques  refrains  écornés  de  chansons.  Il  me  reçut  très' 
poliment  et  s'excusa  de  ne  pouvoir  me  rendre  service- 
"  Mais,  ajouta-t-il,  si  vous  voulez  entendre  de  belles  chan- 
sons,—des  vraies  belles, — vous  n'avez  qu'à  aller  chez  mon 
oncle  Pierrot-Paul-Antoine,  à  trois  lieues  d'ici  :  il  peut 
vous  en  chanter  pendant  huit  jours  !  " 

Mais  s'il  y  a  quelqu'ennui  à  recueillir  les  poésies  et  les 
chants  du  peuple,  il  y  a  aussi  des  jouissances  véritables 
pour  faire  compensation.  Et  parmi  ces  jouissances,  il  en 
est  peru  que  je  goûte  autant  que  celle  d'entendre  prononcer 
le  nom  d'une  ville,  d'une  place  forte,  d'un  port  de  mer  du 
beau  pays  de  France  par  ces  bons  paysans  canadiens,  qui 
chantent  encore,  souvent  sans  y  penser,  le  doux  pays  où 
leurs  pères  vécurent,  travaillèrent  et  aimèrent,  fidèles  à 
Dieu,  à  leur  roi  et  à  leur  patrie. 

Le  Canada  ne  manque  pas  d'attraits  pour  le  visiteur 
étranger  ;  mais  je  ne  crois  pas  que  rien  ne  soit  plus  propre 
à  impressionner  délicieusement  le  voyageur  français' 
qu'une  de  ces  joyeuses  scènes  de  la  vie  de  nos  campa- 
gnes, une  cpluchclte  de  bled-d'Iiule^  par  exemple,  où  il  en- 
tendrait chanter  :  Sur  le  pont  d'iu/^uo?i,— Dans  les  pri- 
sons de  Nantes^ — M'en  revenant  de  la  jolie  Rochelle^ — C'est 
dans  la  ville  de  Rouen^ — A  Saint-Malo^  beau  port  de  mer.,.; 
ou  bien  encore  ce  couplet  de  la  chanson  qui  va  suivre  : 


Je  m'en  irai  dedans  Paris 
Pour  fonder  une  école  ; 
Toutes  les  dames  de  Paris 
Viendront  à  mou  école.... etc. 


DU  CANADA 


235 


J'ai  bieu  uourri  le     geai  sept  ans      Dedans  ma  ca- 


l^^=r 


*-=-— ir  =5=='?==*— f =5—  =^= 


=?E=i=sE 


de  : 


Au     bont     de      la    sep-     tiènie    an-    né' 


j!r=5=r 


r«==:5z:^S^ 


*=?=S=3 


Mon  geai    a     pris  son     vol,  oli  !  gai.    Ja-  mais  je  nour-  ri- 


rai    des      geai,     De  gejii     ja-mais    je  nour-  ri-  rai. 


J'ai  bien  nourri  le  goai  sept;  ans 

Dedans  ma  câiio  rondo  ; 

Au  bout  de  la  septième  année 

Mon  geai  :i  j)ris  son  vol,  oh  !  gai. 
Jamais  je  nourrirai  do  geai, 
De  geai  jamais  je  nourrirai. 


Au  bout  de  la  septième  année 
Mon  geai  a  pris  son  vole. 
— Reviens  mon  geai,  mon  joli  geai, 
Dedans  ma  cage  ronde,  oh  !  gai. 
Jamais  je  nourrirai,  etc. 

Reviens  mon  geai,  mon  joli  geai, 
Dedans  ma  cage  ronde  ; 
Mon  petit  geai  me  fit  réponse: 
— Je  veux  faire  le  drôle,  oh  !  gai, 
Jamais  je  nourrirai,  etc. 


Mon  petit  geai  me  fit  réponse  : 
— Je  veux  faire  le  drôle. 
Je  m'en  irai  dedans  Paris 
Pour  fonder  iine  école,  oh  !  gai. 
Jamair  je  nourrirai,  etc. 


238  CHANSONS  POPULAIRES 

Je  m'en  irai  dedans  Paris 
Pour  fonder  une  école. 
Toutes  les  dames  de  Paris 
Viendront  à  mon  école,  oh  !  gai 
Jamais  je  nourrirai,  etc. 


Toutes  les  dames  de  Paris 

Viendront  à  mon  école. 

Je  clioisirai  la  plus  jolie, 

Je  renverrai  les  auti's,  oli  !  gai. 
Jamais  je  nourrirai  de  geai, 
De  geai  jamais  je  uourriraL 


DU  CANADA 


237 


JAMAIS  JE  NOURRIRAI  DE  GEAI 

(Autre  air) 

L'air  qui  précède  a  été  recueilli  dans  le  district  des 
Trois-Rivières  ;  celui-ci  m'a  été  chanté  par  un  ancien  ha 
bitant  de  l'Ile  d'Orléans.  L'inversion  toute  gracieuse  du 
refrain  : 

Jamais  je  nourrirai  de  geai, 
De  geai  jamais  je  uourrirai. 

pourrait  prouver,  au  besoin,  que  cette  forme  de  langage, 
dont  les  poètes  ont  tant  usé  et  abusé,  n'est  pas  une  de  ces 
beautés  de  convention  auxquelles  chacun  de  nous  paie 
tous  les  jours,  sans  s'en  douter,  un  tribut  d'admiration 
factice.  L'inversion  seule  peut,  bien  réellement,  donner 
mie  couleur  poétique  à  une  phrase  qui,  sans  elle,  en  serait 
dénuée.  Mais  les  poètes,  à  mon  avis,  usent  un  peu  large- 
ment de  la  recette  ;  aujourd'hui,  la  lecture  d'une  pièce  de 
vers  est  souvent  un  véritable  travail  de  construction. 


"EB 


1^ IS~\ 1  — -^ 


S-    '       '      "^      '      ""' 


J'ai  bien  uour-    ri    le    geai  sept    ans  De-  dans  ma 

•I— 1*>- 


ca-  ga     ron-     -    de;      Au  bout  de  la  sep-tième  an-   né' Mon 
geai  a       pris  son      vol,  oh  !     gai.      Jamais  je         uour-ri- 


p= 


:ffrrs: 


TMz-m^z^: 


rai  de      geai,         De  geai  ja-  -  mais  je      nour-ri-      rai. 


238  CHANSONS  POPULAIRES 


LA  GUIGNOLEE 

Ce  chant  de  la  GuignoUe^  si  remarquable  à  cause  de 
l'antiquité  de  son  origine,  a  eu  le  privilège  d'occuper  l'at- 
tention de  plusieurs  de  nos  meilleurs  écrivains  canadiens. 
L'honorable  monsieur  P.  J.  0.  Ghauveau  y  a  consacré 
quelques  lignes  dans  une  des  charmantes  "  petites  revues" 
de  son  Journal  de  Vlnslritction  Publique^  et  monsieur  J.  C. 
Taché,  dans  les  Soirées  Canadiennes^  en  a  fait  l'objet  d'une 
notice  intéressante  que  je  reproduis  ici  : 

"  Ce  mot  La  Ignolée,  dit  ^î.  Taché,  désigne  à  la  fois  une 
coutume  et  une  chanson  :  apportées  de  France  par  nos 
ancêtres,  elles  sont  aujourd'hui  presqu'entièrement  tom» 
bées  dans  l'oubli. 

"  Cette  coutume  consistait  à  faire  par  les  maisons,  la 
veille  du  jour  de  Tan,  une  quête  pour  les  pauvres  (dans 
quelques  endroits  on  recueillait  de  la  cire  pour  les  cierges 
des  autels)  en  chantant  un  refrain  qui  variait  selon  les 
localités,  refrain  dans  lequel  entrait  le  mot  La  Ignolée^ 
Guillonée^  la  Guillona,  Aguilanleu,.,  suivant  les  dialectes  des 
diverses  provinces  de  France  où  cette  coutume  s'était  con- 
servée des  anciennes  moeurs  gauloises. 

"  M.  Ampère,  rapporteur  du  Comité  de  la  langue,  de 
Vhistoire  et  des  arts  de  la  France,  etc.,  a  dit  au  sujet  de  cette 


DU  CANADA  239 

chanson  :  "  Un  refrain,  peut-être  la  seule  trace  de  sou- 
"  venirs  qui  remontent  à  l'époque  druidique." 

"  Il  ne  peut  y  avoir  de  doute  sur  le  fait  que  cette  cou- 
tume  et  ce  refrain  aient  pour  origine  première  la  cueil- 
lette du  gui,  sur  les  chênes  des  forêts  sacrées,  et  le  cri  de 
réjouissance  que  poussaient  les  prêtres  de  la  Gaule  drui- 
dique :  Au  gui  l'an  ncuf^  quand  la  plante  bénie  tombait 
sous  la  faucille  d'or  des  Druides. 

"  Dans  nos  campagnes,  c'était  toujours  une  quête  pour 
les  pauvres  qu'on  faisait,  dans  laquelle  la  pièce  de  choix 
était  un  morceau  de  l'échiné  du  porc,  avec  la  queue  y 
tenant,  qu'on  appelait  Véchicjnée  ou  la  chignce.  Les  enfants 
criaient  à  l'avance  en  précédant  le  cortège  :  la  Ignolêe  qui 
vient!  0\\  préparait  alors  sur  une  table  une  collation 
pour  ceux  qui  voulaient  en  profiter  et  les  dons  pour  les 
pauvres. 

"  Les  Ignoleux,  arrivés  à  une  maison,  battaient  devant 
la  porte,  avec  de  longs  bâtons,  la  mesure  enchantant: 
jamais  ils  ne  pénétraient  dans  le  logis  avant  que  le  maître 
et  la  maîtresse  de  la  maison,  ou  leurs  représentants,  ne 
vinssent  en  grande  cérémonie  leur  ouvrir  la  porte  et  les 
inviter  à  entrer.  On  prenait  quoique  chose,  on  recevait 
les  dons  dans  une  poche  qu'on  allait  vider  ensuite  dans 
une  voiture  qui  suivait  la  troupe;  puis  on  s'acheminait 
vers  une  autre  maison,  escorté  de  tous  les  enfants  et  de 

tous  les  chiens  du  voisinage,  tant  la  joie  était  grande 

et  générale! 

"  Voici  la  chanson  de  La  Ignolée,  telle  qu'on  la  chantait 


240  CHANSONS    POPL'LAIRKS 

encore  on  Canada,  il  y  a  (]n(3l'ines  années,  dans  les  parois- 
ses (hi  Bas  du  Fleuve  : 

"  lîoii.joar  le  inaître  et  la  maîtresse 
Er  iims  les  gens  de  la  inaisou. 
Nous  avons  t'ait  une  [troinesse 
De  v'nir  vous  voir  une  fois  l'an. 

Un'  fois  Tan (!e  n'est  pas  grand'  cliose 

Qu'nn  petit  morceau  de  chignée. 


''Un  petit  morceau  de  chignée, 

Si  vous  voulez. 
Si  vous  voulez  rien  nous  donner, 

Ditys-nous  lé. 
Nous  prendrons  la  filie  aînée, 
Nous  y  ferons  chantier  les  pieds  ! 
La  Ignolée  !  La  Ignoloche  ! 
Pour  mettre  du  lard  dans  ma  poche  ! 


"  Nous  ne  demandons  pas  grand'  chose 

Pour  l'arrivée. 
Vingt-cinq  ou  treut'  pieds  de  chignée 

Si  vous  voulez. 


"  Nous  sommes  cinq  ou  six  bons  drôles, 
Et  si  noti'e  chant  n'vous  plaît  pas 
Nous  ferons  du  feu  dans  les  bois, 

Etant  à  l'ombre  ; 
On  entendra  chanter  l'coucou 
Et  la  coulombe  !  " 


*'  Le  christianisme  avait  accepté  la  coutume  druidique 
la  sanctifiant  par  la  charité,  comme  il  avait  laissé  sub- 


DU   CANADA  241 

sister  les  menhirs  en  les  couronnant  d'une  croix.  Il  est 
probable  que  ces  vers  étranges  : 

Nous  prcti lirons  la  fille  aiiiée, 
Nous  y  ferons  chauffer  les  pieds! 

sont  un  reste  d'allusions  aux  sacrifices  humains  de  l'an- 
cien cuite  gaulois.  Cela  rappelle  le  chant  de  Velléda,  dans 
les  Martyrs  de  Chateaubriand  : — "  Teutatès  veut  du  sang... 
au  premier  jour  du  siècle  ...  .il  a  parlé  dans  le  chêne  des 
Druides!"  [Soirées  Canadiennes^ — année  1863.) 

L'air  sur  lequel  se  chantent  ces  fragments  consiste  en 
quelques  phrases  musicales  sur  lesquelles  la  poésie  s'ajuste 
tant  bien  que  mal,  tantôt  sur  l'une,  tantôt  sur  l'autre  de 
ces  phrases,  sans  ordre  régulier. 

Celte  coutume  traditionnelle  de  courir  la  Ignolée,  si  bien 
décrite  par  M.  Taché,  finit  par  perdre  beaucoup  de  son 
caractère.  Il  y  a  une  vingtaine  d'années,  le  maire  de  Mont- 
réal donnait  à  des  jeunes  gens,  la  veille  du  jour  de  l'an, 
des  permis  de  courir  la  Ignolée,  sans  lesquels  on  s'exposait 
à  avoir  affaire  à  la  police.  Cette  mesure  de  précaution 
n'empêchait  cependant  pas  toujours  les  désordres  :  lorsque, 
par  exemple,  deux  Guignolées  se  rencontraient,  pour  peu 
qu'on  se  fût  grisé  en  chemin,  il  y  avait  bataille,  et  les 
vainqueurs  grossissaient  leurs  trésors  du  butin  des  vaincus. 

M.  Adélard  Boucher,  m'écrivait  de  JMontréal,  l'an  der- 
nier : 

"....,..  .Je  suis  loin  d'oublier  la  Ignolée,  qui  se  pro- 
nonce ici,  universellement,  Giagnolée.  Malheureusement, 
toutes  mes  démarches,  jusqu'à  présent,  n'ont  abouti  à 
rien  d'utile.    Tout  le  monde  sait  les  premiers  vers,  rien 


242  CHANSONS  POPULAIRES 

de  plus.  L'usage  s'en  passe  à  Montréal  comme  à  Québec. 
Jadis  ce  chant  était  suivi  de  quêtes  eu  faveur  des  pauvres 
de  la  localité  sérénndce.  Aujoiinriiui  les  artistes  chanteurs 
se  constituent  eux-mêmes  les  pauvres,  et  transforment  en 
copieuses  libations  les  aumônes  qu'il  réussissent  encore  à 
prélever  de  leurs  dupes.  Ce  secret  dévoilé  a  refroidi, 
comme  vous  pouvez  bien  le  penser,  les  sympathies  des 
cœurs  charitables,  ut,  aujourdluii,  artistes  et  pauvres  ex- 
ploitent avec  un  mince  succès  "  La  Gaigaolée."  En 
attendant  le  texte  fidèle  de  ce  chant  remarquable,  en  voici, 
de  mémoire,  à  peu  près  la  substance  :  " 

Solo. 


8  va. 


ffff    Tutti  Vociferando. 
Solo. 


-m—s> —  I — •— » — <»~i»~; 


D.C. 


En  France,  dans  le  Vendômois,  "  tous  les  enfants  cou- 
rent les  rues,  le  premier  jour  de  l'an,  et  disent  à  ceux 
qu'ils  rencontrent:  "  Donnez-moi  ma  gui-Van-neiC  Dans 
le  Maine,  le  peuple  court  aussi  les  rues,  la  nuit  qui  pré- 
cède le  premier  jour  de  l'an,  chante  des  chansons  aux 
portes  des    particuliers,  et   les  termine  par  demander 


DU  CANADA  24S 

quelque  choses  pour  la  gui-V an-neu^  (C.  Leber,  Collection 
de  pièces  relatives  à  l'histoire  de  France^  p.  37,  t.  III.) 

On  aimera  sans  doute  à  connaître  une  Guignolée  fran- 
çaise, et  on  lira  avec  intérêt  l'article  et  la  chanson  qui 
suivent,  tirés  d'un  almanach  publié  ù  Paris  {U Illustration^ 
année  1855)  : 

LA   GUILLANNÉE. 

"  La  guillannée,  gui.  Van  néou!  gui!  l'an  neuf!  se  fait 
de  la  manière  suivante  dans  les  contrées,  méridionales. 
Le  31  décembre  au  soir,  des  groupes  d'enfants,  de  jeunes 
gens,  de  mendiants,  vont,  à  la  lueur  d'un  flambeau,  de 
porte  en  porte,  aussi  bien  dans  les  campagnes  que  dans  les 
villes,  quêter  un  présent  en  l'honneur  de  l'an  nouveau,  en 
entonnant  des  complaintes  ou  des  légendes  en  mauvais 
français,  finissant  toutes  par  ces  mots  ou  par  des  équiva- 
lents :  donnez-nous  la  guillannée  ! 

"  Les  présents  qui  leur  sont  accordés  consistent  quel- 
quefois en  monnaie,  le  plus  souvent  en  provisions  de 
bouche,  fruits,  viande  de  porc,  etc. 

"  Voici  une  des  légendes  chantées  par  les  quêteurs: 

"  Le  fil3  du  roi  s'en  va  chasser    (&îs) 
Dans  la  forêt  d'Hongrie  ; 
Ali  !  donnez-nous  la  guillannée, 
Monseigneur,  je  vous  prie  ! 


244  CHANSONS  POPULAIRES 

"  Ayant  chassé  et  recliassé,    (bis) 
Il  n'a  pas  fait  grand'  prie  ; 
Ali  !  donnez-nous,  etc. 


"  Il  n'a  trouvé  qu'un  nid  d'oisean,     (bis) 
Qui  s'appelle  la  Trie. 
Ah  !  donnez-nous,  etc. 


"  De  cinq  qu'il  y  a,  prend  le  plus  beau,     {bis) 
Et  le  porte  à  sa  mie. 
Ah  !  donnez-nous,  etc. 


"  Qui  l'a  gardé  pendant  sept  ans    (bis) 
Dedans  une  gabie. 
Ah  !  donnez-nous,  etc. 


"  Pendant  sept  ans  il  y  est  resté,     {bis) 
Menant  bitni  triste  vie. 
Ah!  donnez-nous,  etc. 


"  Va,  retourne,  petit  oiseau,    (bis) 
Va,  retourne  à  ta  mie. 
Ah  !  donnez-nous,  etc. 


"  Ainsi  que  lui,  ne  reviens  pas     {bis) 
Dedans  cette  gabie. 
Ali  !  donnez-nous  la  gnilhmuée, 
Monseigneur,  je  vous  prie  !  " 

Tous  les  auteurs  français  que  j'ai  pu  consulter  sur  la 
matière  s'accordent  à  donner  une   origine  gauloise  à  la 


DU  CANADA  -U': 

coutume  et  aux  chansons  désignées  à  la  fois  par  ce  mot 
de  Guignolée  ou  Guillannée.  Aujourd'hui  encore,  dans 
l'ancienne  province  du  Perche,  d'où  sont  venus  les  ancê- 
tres d'un  grand  nombre  de  familles  canadiennes,  on 
appelle  les  présents  dii  jour  de  l'an:  les  éguilas;  or  la 
coutume  druidique  étant  de  distribuer  le  gui  de  l'an  neuf 
"  par  formes  d'étrennes,  au  commencement  de  l'année," 
il  est  évident  que  de  là  vient  ce  nom  de  éguilas  (ou  égui- 
labiés,  comme  on  dit  à  Chartres,)  donné  aux  cadeaux  du 
nouvel  an. 

Le  gui  est  une  plante  parasite  qui  nait  sur  le  chêne, 
sur  le  pommier,  sur  le  prunier,  sur  l'acacia  d'Amérique, 
sur  le  hêtre,  sur  l'yeuse,  sur  le  châtaigner  et  sur  plusieurs 
autres  arbres.  L'histoire  de  la  puissance  mystérieuse  de 
cette  plante  est  racontée  en  détail  dans  VEdda  des  Scandi- 
naves, le  livre  qui  contient  le  plus  de  renseignements  sur 
le  culte  druidique. 

On  sait  que,  environ  six  cents  ans  avant  Jésus-Christ, 
les  Cimbres  ou  Kimris,  qui  habitaient  la  Crimée,  firent 
éruption  sur  l'Europe  septentrionale  et  occidentale  et 
s'établireni  successivement  dans  les  divers  pays  compris 
entre  la  Scandinavie,  les  Alpes  et  les  Pyrénées.  Ce  furent 
ces  peuples  qui  apportèrent  le  druidisme  dans  la  Gaule. 
Il  paraît  que  l'olympe  des  Cimbres,  comme  l'olympe  des 
Grecs  et  des  Romains  contenait  une  société  k  mœurg 
joliment  douteuses.  Quoi  qu'il  en  soit,  une  nuit,  Balder, 
qui  était  le  soleil,  ni  plus  ni  moins,  eut  un  songe  qui  lui 
annonçait  que  sa  vie  était  en  danger.  Il  raconte  son  fait 
aux  autres  dieux,  qui  font  avec  Balder  alliance  offensive 
et  défensive. 


246  CHANSONS  POPULAIRES 

Une  vraie  brave  femme  do  déesse  qui  avait  nom  Fréa, 
mariée  à  un  dieu  nommé  Odin,  fit  faire  serment  au  feu,  à 
l'eau,  au  vent  et  à  tout  ce  qui  constitue  les  règnes  animal, 
végétal  et  minéral  de  ne  pas  faire  une  égratignure  au 
susdit  Baldn".  Cela  étant,  tous  les  dieux  se  faisaient  un 
amusement,  dans  leurs  grandes  assemblées,  de  lancer 
toute  espèce  de  projectiles  au  fortuné  Balder  que  rien  ne 
pouvait  blesser  et  qui  prenait  un  singulier  plaisir  à  cet 
amusement  d'un  nouveau  genre.  Malheureusement,  il  y 
avait  de  par  l'olympe  un  vilain  garnement,  fourbe,  hypo- 
crite et  envieux,  au  demeurant  assez  joli  garçon,  que  ce 
jeu-là  n'amusait  pas  ;  il  s'appelait  Loke.  Déguisé  en 
vieille  femme,  il  se  rend  au  palais  de  Fréa.  La  déesse  un 
peu  curieuse  et  un  peu  parleuse,  lui  demande  si  elle  sait 
ce  qui  occupe  le  plus  le  conseil  des  dieux. — Les  dieux, 
répond  la  vieille,  jettent  des  traits  et  des  pierres  à  Balder. 
— Et  ni  les  armes  de  métal  ni  les  armes  de  bois  ne  peuvent 
lui  être  mortelles,  ajoute  Fréa,  car  j'ai  leur  serment. — 
Quoi  !  dit  la  vieille,  est-ce  que  toutes  les  choses  qui  exis- 
tent vous  ont  fait  le  même  serment  ?— Oui,  réplique  Fréa, 
excepté  pourtant  un  petit  arbuste  qui  croît  au  côté  occi- 
dental du  Valhalla  (palais  d'Odin),  et  qu'on  nomme  Mislil 
Teinn  (gui),  à  qui  je  n'ai  pas  voulu  demander  de  serment 

parce  qu'il  m'a  paru  trop  jeune  et  trop  faible La  vieille 

en  savait  assez.  Loke  reprenant  sa  forme  naturelle  s'en 
va  vite  arracher  l'arbuste  par  la  racine  et  s'en  revient  de 
l'air  le  plus  innocent  du  monde  prendre  sa  place  au  milieu 
des  dieux.  Or,  parmi  ces  dieux,  il  en  était  un  nommé 
Hoder  qui  était  aveugle.  Loke  s'approche  de  lui  et  lui 
dit:—"  Pourquoi  ne  lancez-vous  pas  aussi  quelques  traits 


DU  CANADA  247 

à  Balder?  Prenez  ceci  et,  faites  comme  les  autres;  je  vais 
vous  indiquer  où  il  se  trouve."  Hoder  ayant  donc  pris  le 
gui,  et  Loke  lui  dirigeant  la  main,  '41  le  lança  à  Balder, 
qui  en  fut  percé  de  part  en  part,  et  tomba  sans  vie  ;  et 
l'on  n'avait  jamais  vu  parmi  les  dieux  ni  parmi  les  hom- 
mes un  crime  plus  atroce  que  celui-là. . . ." 

"  La  fable  de  Balder  (le  Bélen  des  Gaulois)  dit  M.  B. 
Clavel,  explique  le  motif  de  cette  reclierche  solennelle  du 
gui  du  chêne.  On  comprend  qu'elle  avait  pour  objet  de 
priver  le  dieu  mauvais,  qui  représentait  chez  nos  pères  le 
Loke  des  Scandinaves,  des  moyens  de  tuer  Bélen  (le 
soleil)." 

"  De  uos  jours  encore,  coutiune  M.  Clavel,  il  s'est  conservé  dans 
quelques  lieux  du  vuisiiia^^e  de  liordeaux  des  vestiiçiîs  de  cette  cou- 
tiune druidique  (la  recherche  du  gui)  :  des  jeunes  gens  hizarremeut 
vêtus  vont  en  troupe,  le  premier  janvier,  couper  des  lirauulies  de 
cliêne,  dont  ils  tressent  des  couronnes,  et  reviennent,  entonner  des 
chansons  qu'ils  appellent  guilanus.  Il  en  est  de  niêuie  juaMii  les 
]>euplesdu  Holsteiu,  en  Allemagne,  qui  appellent  le  gui  iiiarentaken, 
rameau  des  spectres.  Les  jeunes  gens  y  vont,  au  conmnjncement 
de  Vannée,  frapper  les  })ortes  et  les  fenêtres  des  maisons  en  criant  : 
Chithijl!  (gui)."     Histoire  des  Gaules,  p.  18.) 

"  Le  graml  sacrifice  du  gui  de  l'an  neuf  se  faisait  avec  beaucoup 
de  céréniouies  près  de  Chartres,  le  sixième  jour  de  la  lune,  qui  était 
le  comineuceuient  de  l'année  des  Gaulois,  suivant  leur  manière  de 
compter  par  les  nuits,  ad  vlscum  druidœ  clamare  solebant,  dit  Pline.'' 
(C.  Leber,  ouvrage  déjà  cité,  p.  21,  t.  IIL) 

De  toutes  ces  traditions  nous  n'avons  importé,  en  Ca- 
nada, que  la  mascarade  du  1er  janvier  et  le  chant  de  la 
Guignolée  ;  mais  dans  plusieurs  pays  d'Europe,  le  gui  ou 
rameau  des  spectres  est  encore  un  objet  de  vénération  auquel 
on  attribue  une  grande  puissance.     (Voir  Mallet,  Intro- 


•24S  CHANSONS  POP:  LAIRES 

duction  à  l'histoire  du  Danemark,  t.  I. — Henry,  Histoire 
d'Angleterre^  t.  I,  etc.,  (3tc.) 

Il  est  une  autre  coutume,  autrefois  en  grand  usage 
en  Canada,  ù  laiiuoUe  on  attribue  également  une  origine 
païenne,  et  que  Ton  aurait  christianisée  comme  la  Gui- 

gnolée  :  c'est  celle  des  feux  de  la  Saint-Jean Tombée 

aujourd'h'.ù  dans  l'oubli,  cette  coutume  subsistait  encore 
au  commencement  de  ce  siècle  dans  certains  pays  de  l'Eu- 
rope (en  Irlande,  en  France,  en  Espagne)  de  même  qu'en 
Canada. 

Les  feux  de  la  Saint-Jean  paraissent  remonter  à  une 
époque  plus  éloignée  que  l'établissement  du  christia- 
nisme; ils  peuvent  être  considérés  comme  un  reste  de 
l'ancienne  superstition  et  de  la  vénération  que  les  Celtes 
avaient  pour  le  feu,  qui  purifie  tout,  qui  échauffe  et 
consume  tout.  Les  piiiens  l'adoraient  comme  la  source 
première  de  la  vie  et  du  mouvement  de  l'univers,  le 
symbole  visible  de  la  divinité.  On  allumait  ces  feux  en 
réjouissance  de  l'arrivée  du  soleil  au  solstice  d'été  qui 
commence  les  longs  jours  (fin  de  juin).     (1) 

On  lit  dans  la  vie  de  saint  Eloi  (mort  en  65'1),  que  ce 
fervent  apôtre  travailla  avec  ardeur  à  déraciner  les  nom- 
breuses superstitions  qui  régnaient  ù  cette  époque  dans 
l'esprit  des  populations  du  nord  de  la  France,  comme  de 
danser  et  chanter  à  la  fôte  du  ^i  juin,  "  de  faire  sauter  les 

(1)  Dict.  de  Bycherelle,  au  mot  feu. 


DU  CANADA  245 

femmes  malades  par  dessus  des  charbons  allumés   l;i 
veille,  pour  obtenir  une  heureuse  délivrance." 

Dans  le  Plaid  du  concile  de  Lestines  ou  Leptines,  qiii 
s'assembla  en  742,  d'après  le  désir  de  Karlomau,  duc  des 
Français,  on  remarque  un  catalogue  des  superstitions 
païennes  alors  en  usage,  "  entr'autres  celle  du  IVhi  de 
Nodfir,  au  mois  de  juin,  allumé  en  frottant  l'un  contre 
l'autre  des  morceaux  de  bois,  pour  faire  des  feux  de  joie 
eu  l'honneur  des  dieux  et  des  déesses  ;  l'altouchemeut 
des  flammes  ou  de  la  fumée  attirant  de  prétendues  béné- 
dictions." 

Le  meilleur  moyen  de  couper  court  à  ce  reste  de  paga- 
nisme était  de  transformer  cette  fête  de  la  supei'stition  en 
une  fête  chrétienne,  et  c'est  ce  que  l'on  fit. 

M.  LaR-ae  a  bien  voulu  me  passer  la  petite  note  suivnnte 
touciiant  la  cérémonie  du  dernier  feu  de  la  Saint-Jean 
dans  sa  paroisse  natale  : 

•■  Il  y  a  ciu(|uante-cinq  ou  cinquante  six  ans  que  le 
dernier  feu  de  joie  de  la  Saint-Jean  a  eu  lieu  à  Saint- 
Jean  de  nie  d'Oi'léans.  (1)  C'était  la  grande  fête  de  l'Ile  ; 
le  feu  se  faisait  la  veille  de  la  fête  et  était  précédé  du  salut. 
Les  habitants  des  paroisses  voisines  s'y  rendaient  en 
foule,  tous  à  cheval.  Avant  ce  temps,  les  femmes  s'y  ren- 
daient aussi,  et  à  cheval,  en  trousse.  Le  bois  du  bûcher 
consistait  en  éclats  de  cèdre,  toujours  fournis  par  le  même, 
Laurent  Fortier,  dont  les  enfants  vivent  encore  ù  Saint. 
Jean.  Le  curé  bénissait  d'abord  le  bûcher,  puis  battait 
du  brique'  et  y  mettait  le  feu.  Les  désordes  sans  nombre 
qui  accompagnaient  la  cérémonie  l'ont  fait  abolir." 

(1)  Ceci  était  écrit  en  1835,  date  île  la  première  édition  de  cet  ouvrage. 


250 


CHANSONS  POPULAIltKS 


Ainsi  la  Gnigiiolée  et  les  feux  de  la  Saint-Jean  rappel- 
lent deux  cérémonies  du  culte  que  les  Druides  rendaient 
au  soleil.  L'une  avait  lieu  au  solstice  d'hiver  et  l'autre  au 
solstice  d'été. 

La  première  version  de  la  Giiignolée,  que  Ton  va  voir, 
a  été  recueillie  dans  le  comté  de  Berthier,  et  la  seconde 
dans  les  cantons  de  l'Est. 


A        Solo,  reprise  en  chœur. 


Bonjour  le     maître  et  la  inaî-      tres-se  Et  tout  le 


B 


Solo,  reprise  en  chœur. 


mond'  de    la  mai-     sou.         Pour  le     der-     uier  jour  de  l'au- 

C    Solo,  reprise 


s ^v, ^s li 15_ ,- 


r-s: 


Si  vous  vou- 


ué-  e  La     I-guo-      lé'  vous  nous  de-  vez. 
en  chœur. 


-^— . ^__5_j5.. 


s* 


lez  rien  uous  dou-  uer,  di-tes-uous 


lé- 


e  :    Ou  emmè- 


r-zîfzzs^-rsïzzîî— I  _z5=z=2=zifzz«!zzl  -H c^— 1-4 — * % 

ne-  la   seu-le-     meut  la  fille  ai-       -       né-       -         e. 
D       Solo,  rep)rise  en  chœur. 


Ou  lui  fe-  -     ra  fair'  bon-  ne  chè-  re.    On    lui    fe- 


ra   chauffer    les        pieds. 


DU  CANADA  251 

A    Bonjour  le  maître  et  la  maîtresse  ?  ^ ^^-^^ 
Et  tout  le  moud'  de  la  maison.       S 

B     Pour  le  dernier  .jour  do  l'année  )  ^j^-^^ 
La  Igiiolé'  vous  nous  devez.        > 

C     Si  vous  voulez  rien  nous  donner.  \ 

Dites-uous  lé-e      '    .  .  ^ 

^  >  If  ^^^'^) 

On  emmènera  seulement  , 

La  aile  ai  née.       j 

D     Ou  liù  fera  fair'  bonne  chère,  ?    j^-^^ 
On  lui  fera  chauffer  les  pieds.  ) 


C     Ou  vous  demande  seulement      "j 

Une  chignée  ,,  •  v 

•    1    1     1  }  {Vis) 

De  vingt  à  trente  pied  de  long  j 

Si  vous  voulez-e.    j 

D     La  Ignolé',  la  Ignoloche,  l  (i  ■  \ 

Mettez  du  lard  dedans  ma  poche  !  ^        ' 


C     Quand  nous  fûm's  au  milieu  du  bois,  "j 

Nous  fùni's  à  l'ombre  :   i    ,  _ 
,  .      1      ^     .  r  ibis) 

J'entendais  chanter  le  coucou 

Et  la  coulombe.  i 


A    Rossignolet  du  vert  bocage, 
Rossignolet  du  bois  joli. 


(bis) 


B    Eh!  va-t'en  dire  à  ma  maîtresse  ] 

Que  je  meurs  pour  ses  beaux  yeux.     J 

C     Toute  flir  qui  n'a  pas  d'amant,  1 

Comment  vit-elle?    !  /t- x 

EU'  vit  toujours  en  soupirant,  J 

Et  toujours  veille,    j 


ibis) 


252 


CHANSONS  POPL'LAIHES 


AUTRE    VERSION  : 

(Recueillie  par  M.  le  docteur  J.  A.  LeBlanc) 

Bon-  jour    le       maître    et  la  maî-      très-  se 

Et  tous  les         gens  de         la  mai-     son.         Nous  a  vous 


-zrc-z-— rl^rr-' 


pris     u-     -  ne  cou-  -  tu-  me       De  v'nir  vous    voir     u- 


liz 


ne     fois        l'an,  U-    ne  fois    l'an. ..C'est      pas  grand' 


chos'    Pour    l'ar-  ri-        vé-     -      e.  Qu'un    pe-  tit 


1 


morceau      de     chi-     gué',  Si      vous  vou-    lez-     -    e. 


Bonjour  le  maître  et  la  maîtresse 
Et  tous  les  gens  de  la  maison. 
Nous  avons  pris  nue  coutiuue 
De  v'nir  nous  voir  une  fois  l'an. 


Une  fois  l'an C'est  pas  grand'  chos'. 

Pour  Tarrivét', 
Qu'un  petit  morceau  de  chigaée, 

Si  vous  voulez-e. 


DU  CANADA"  253 


Li  «fuiiTiiolé,  la  guigiioluclie, 
Mettez  (lu  laid  dans  iu;i  ])oche  ! 
Ec  du  t'ioinige  sur  mon  paiu  ; 
Je  reviendrai  l'aimé'  qui  vient. 
Si  vous  vouiez  rien  uous  donner, 

Dites-nous  lé-e  ; 
Nous  i)reuderons  la  fille  aiuée, 

Si  vous  voulez-e. 


Nous  lui  ferons  fair'  bonne  clière, 
Nous  lui  ferons  chauffer  les  pieds. 


264  CHANSONS  POPULAIRES 


MALBROUGH  S'EN  VAT-EN  GUERRE 

John  ChiircliiU,  duc  de  Mavlborongh,  naquit  le  2i  juin 
1650,  à  Ashe,  dans  le  comté  da  Dovon,  Angleterre. 
Habile  diplomate,  il  fut  le  plus  grand  capitaine  de  son 
siècle,  et  se  battit  au  Maroc,  on  Angleterre,  en  Irlande, 
en  Allemagne  et  dans  les  Pays-Bas  sans  jamais  éprouver 
une  défaite  sérieuse.  Il  servit  pendant  environ  cinq 
années  dans  l'armée  française,  et  sut  mériter  les  éloges 
de  Louis  XIV  et  de  Turenne. 

La  muse  populaire  a  fait  du  duc  de  Marlborough  un 
type  légendaire  qu'elle  a  chanté  à  sa  façon  et  dans  lequel 
il  est  difficile  de  reconnaître  le  héros  de  Walcour  et  de 
Malplaquet.  En  dépit  des  chansons  et  d'une  tradition 
fantaisiste,  Marlborough  ne  mourut  pas  sur  le  champ  de 
bataille.  Il  fut  frappé  d'appoplexie  le  8  juin  1716,  alors 
qu'il  était  devenu  généralissime  du  roi  George  I  d'An- 
gleterre. Il  perdit  presque  entièrement  la  raison  et  lan. 
guit  dans  ce  triste  état  jusqu'à  sa  mort  arrivée  le  17  juin 
1722. 


— d — 3  — I — ^ • —  — * — 3 — — P- — H 


Mal-     brongh  s'en      va-  t-ea     guer-       re,  Mi-  roa- 


}$ ^^ ^ ' 


ton.     mi-     roa-      ton,     mi-    ron-     tai-     -      ne,         Mal- 


DU  CANADA 


255 


(  ■^  ■        I  I       iiii    i^       n       i.i.—  I  -^—  f 


brougli  s'eu        va-t-ea    guer-        re,         Ne        sait    quand 


•)     FIN. 


re-  vieu-     dra. 


Ne      sait  quaud      re-vien-     dra, 


Ne      sait  quaud     re-  vieu-     dra. 


D.  C. 


Malbrongli  s'eu  va-t-en  guerre, 
Mironton,  mironton,  mirontaiue, 
Malbrougli  s'eu  va-t-en  guerre, 
Ne  sait  quand  reviendra,    (ter.) 


n  reviendra-z-à  Pâques, 
Mironton,  etc. 
Il  reviendra-z-à  Pâques, 
Ou  à  la  Trinité,     iter.) 


La  Trinité  se  passe, 
Mironton,  etc. 
La  Trinité  se  passe, 
Malbrougli  ne  revient  pas. 


{ter.) 


Madame  à  sa  tour  monte, 
Mironton,  etc. 
Madame  à  sa  tour  monte, 
Si  haut  qu'ell'  peut  monter. 


Elle  aperçoit  son  page, 
Mironton,  etc. 
Elle  aperçoit  son  page 
Tout  de  noir  habillé,     {ter.) 


256  CHANSONS  POPULAIRES 

— Beau  p:ig*',  ah  !  mon  beau  page, 
MiroutoM,  etc. 

Beau  page,  ah  !   iiioii  beau  page, 
QiielP  iious'elle  ap[)Oitez?     (ter.) 


Aux  iiouvell's  que  j'apporte, 

Mironton,  etc. 

Aux  nouvel  i's  que  j'apporte 

Vos  beaux  yeux  vont  pleurer,     {ter.) 


Quittez  vos  habits  roses. 

Mironton,  etc. 

Quittez  vos  habits  roses 

Et  vos  satins  brochés,     {ter.) 


Monsieur  ^lalbrougli  est  more, 
Mironton,  etc. 

Monsieur  M  ilbrougli  est  more, 
Est  mort  et  enterré,     {ter.) 


J'I'ai  vu  porter  en  terre, 
Mironton,  etc. 
J'I'ai  vu  porter  en  terre 
Par  quatre-z-officiers.     (ter.) 


L'un  portait  sa  cuirasse. 
Mironton,  etc. 
L'un  portait  sa  cuirasse, 
L'autre  son  bouclier,     (ter.) 

L'un  portait  son  grand  sabre, 
Mironton,  etc. 

L'un  portait  son  grand  sabre, 
L'autre  ne  portait  rien,     (ter.) 


DU  CANADA  26T 


A  l'en  tour  de  sa  tombe, 
Mironton,  etc. 
A  l'en  tour  de  sa  tombe 
Eomarins  l'ou  planta,     (ter.) 


Sur  la  plus  liante  branche, 
Mironton,  etc. 
Sur  la  plus  haute  branche 
Le  rossignol  chanta,     (ter.) 


On  vit  voler  son  âme. 

Mironton,  etc. 

On  vit  voler  sou  âme, 

A  travers  des  lauriers,     (ter  ) 


Chacun  mit  pied  à  terre, 
Mironton,  etc. 
Cliaoun  mit  pied  à  terre 
Et  puis  se  releva,     (ter.) 


Pour  chanter  les  victoires, 

Mironton,  etc. 

Pour  chanter  les  victoires 

Que  Malbrongli  remporta,     {ter.) 


La  cérémoni'  faite. 

Mironton,  etc. 

La  cérémoni'  faite 

Chacun  s'en  fut  s'coucher.    {ter.) 


J'n'en  dis  pas  davantage. 
Mironton,  mironton,  mirontaiae, 
J'n'en  dis  pas  davantage 
Car  en  voilà-z-assez. 


258  CHANSONS  POPULAIRES 


SAINTE  MARGUERITE-PINPANIPOLE 

Il  est  singulier  de  voir  comme  les  paroles  les  plus  insi- 
gnifiantes, accolées  à  qnelques  pauvres  notes  de  musique, 
peuvent  se  répéter  de  pays  en  pays  et  de  siècle  en  siècle. 
Je  lisais,  il  y  a  quelques  jours,  que,  dans  le  Berry,  en 
France,  on  chante  une  berceuse  dont  les  mots  sont  : 


"  Dodo,  berline  ! 

Sainte  Catherine, 
Endormez  ma  p'tite  enfant 
Jusqu'à  l'âge  de  quinze  ans! 
Quand  quinze  ans  seront  aounés, 
Il  faudra  la  marier." 


Au  moment  où  je  le  lisais  ces  lignes,  ici,  à  Québec,  à 
mille  lieues  de  la  France,  j'entendais  une  bonne  d'enfants, 
qui  chantait,  dans  une  chambre  voisine  : 


Saiu-  te  jMar-gue-     ri-     te,  Veil-  lez    ma  pe- 

E=^?=?^l  ^■=i=i=i=l  =*==i^l  =^~^^^ 

ti-     te!  Endormez  m'a     p'tite  eu-faut     Jusqu'à  l'â-ge 


;=zi^z- 


-S- 


lîl^i?; 


de  quiuze     aus!     QuauJelIe  au-  ra  quinze    ans  pas-     se, 


DU  CANADA  -^SO 


^^^^^^=Hi*=î=^il!l? 


Il    fau-  (Ira     la        ma-    ri-       er         A-  vec     un  p'tit  bon- 


=^~^i=^ 


hom-    me  Qui     vien-  dra      de  Eo-    me. 

Sainte  Marguerite, 

Veillez  ma  petite  ! 
Endormez  ma  p'tite  enfant 
Jusqu'à  l'âge  de  quinze  ans! 
Quand  elle  aura  quinze  ans  passé, 

Il  faudra  la  marier, 

Avec  un  p'tit  bonliomme 

Qui  viendra  de  Rome. 


Pinpanipole  qui  "rencontre  les  gens  du  Roy,"  nous 
vient  aussi  de  France,  très-probablement,  et  je  serais 
curieux  de  savoir  s'il  s'y  est  conservé,  ou  s'il  a  émigré 
corps  et  biens  pour  venir  amuser  les  petits  Canadiens  au 
berceau.  On  chante  cette  mélodie,  qui  n'est  pas  sans  quel- 
que mérite,  en  frappant  successivement,  du  bout  du  doigt,, 
les  cinq  doigts  tendus  d'un  petit  enfanta  qui  on  fait  ouvrir 
la  main.  Lorsque,  à  la  fin  du  couplet,  on  dit:  dehors! 
dehors!  dehors!  on  fait  disparaître  un  des  doigts  de  l'en- 
fant sous  sa  main,  en  faisant  mine  de  le  dévorer,— ce  qui, 
d'ordinaire  fait  rire  le  bambin  aux  éclats; — puis  on 
recommence  le  môme  petit  jeu  sur  les  quatre  doigts  qui 
restent  ;  et  ainsi  de  suite,  en  faisant  disparaître  un  doigt 
à  la  fin  de  chaque  répétion  du  couplet. 


260 


CHANSONS  POPULAIRES 


Pin-     pa-     ni-     -     po-     -  le,  uu  jour  du  teinj)»  pas- 

2 — tr — ^ — p — ^ — p_l ^ — ii. — i  — ^ — ^ — ^  _l  _t= 5ï — ^.d 

séjPassaut  par  la     vil-  le,rencoutr'  les  geus  du  Iloy.Beau  pigeon 


. j„  — ^ — I — "r r^ ^_ 

d'or,     les     geus    des      al-  lu-     -  met-    tes,  Beau     pi-  geon 

imi^iîîlîîliilM^lillilïlli 

d'or,     le      p'tit      co-  chou     de-     -  liors  ! 


Pinpauipole,  uu  jour  du  temps  passé, 
Passaut  par  la  ville,  rencontre  les  gens  du  Koy, 
Beau  pigeou  d'or,  les  gens  des  allumettes, 
Beau  pigeou  d'or,  le  p'tit  cocbou  dehors! 

ParZ^ ;— Deliors !  dehors!  dehors! 


DU  CANADA  261 


PIPANDOR  A  LA  BALANCE 

Pipandor  à  la  Balance  est  le  pendant  de  Plnpanipole^  et 
l'accessoire  du  même  jeu  d'enfant. 

Ce  n'est  pas  sans  un  vif  intérêt  que  j'ai  retrouvé,  dans 
le  recueil  publié  par  M.  Bujeaud  :  les  Chants  et  Chansons 
populaires  des  provinces  de  l'Ouest^  et  dans  celui  de  MM. 
Durieux  et  Bruyelle  :  les  Chants  et  Chansons  populaires  du 
Cambresis^  quelques-uns  des  verbiages  d'enfants  que  tous 
les  petits  Canadiens  répètent  dans  leurs  jeux,  sur  les 
genoux  de  leurs  mères,  le  long  des  grands  chemins  ou 
sur  les  bancs  de  l'école.  Quel  plaisir  d'apprendre  que 
Pipandor  à  la  Balance, — Monte  échelle  !  Monte-là  !  et  Petit 
couteau  d'or  et  d'argent  sont  sur  les  lèvres  de  tous  nos 
petits  cousins  d'outre  mer  !  En  présence  d'une  telle  décou- 
verte, je  me  demande  si  c'est  le  Canada  qui  est  resté 
français  ou  si  c'est  la  France  qui  est  devenu  canadienne  ! 
et  je  serais  presque  tenté  de  m'écrier,  en  parodiant  ce 
brave  Marseillais  qui  n'a  peut-être  jamais  existé  :  Si  la 
France  avait  un  Québec,  ce  serait  un  petit  Canada  ! 


Pi-  pau-      dor     à       la    Ba-     lan-    ce,     N'ya-t-il 


qu'toi-z-et  moi-z-ea    Frau-ce  ?  Pour-  quoi    y     es-  tu       mis  ? 


l—M^=im=:mz=zS=\= ^ ^_._^_     _^_^ 


•2G2 


CHANSONS   POPULAIRES 


p         ■» 


--psz 


Pour  mau-       ger        de        la     bouil- 


li'! 


Pi-     pau- 


z^~ 


> ^ 1 * -^-^ — ' — ■ '^rd 

dor,  cha-  peau      d'é-     pi-     -      uet-     te  !         Pi-  pau- 


r=\—. 


dor,  mets    tou      uez      de-     -     hors! 


Pipandor  à  la  Balance, 

N'y  a-t-il  qu'toi-z-et  luoi-z-eu  Frauce  ? 

Pourquoi  y  es-tu  mis? 

Pour  manger  de  la  bouillie  ! 

î  Pipandoi-,  chapeau  d'épiuette! 

\  Plpaudor,  mets  ton  uez  dehors! 


VARIANTK : 


<  Pipandor,  tambourez  mesdames, 
(  Pipandor,  mets  tou  nez  dehors  ! 


DU  CANADA  263 


LA  POULETTE  GRISE 

Et  jusqu'à  la  "  Poulette  grise  "  que  l'on  chante  encore 
en  France  comme  ici,  en  dépit  de  l'éloquente  tirade  de  M. 
LaRue  !  (Voir  Foyer  Canadien^  année  1863.) 

On  chante  aussi  en  France  ce  couplet  qui  accompagne 
toujours  le  "jeu  de  société  "  que  tout  le  monde  connaît  : 

Il  est  passé  par  ici 

Lie  furet  des  bois,  mesdames, 

Il  esc  passé  par  ici 

Le  furet  du  bois  joli  ! 

Nous  autres,  Canadiens,  qui  avons  conservé  des  idées 
plus  monarchiques,  nous  chantons  : 

Il  est  })assé  par  ici 

Le  clairon  du  roi,  mesdames, 

Il  est  passé  par  ici 

Le  clairou  du  roi  joli  ! 

A  cheval^  sur  la  queue  d'un  orignal^— nn  autre  chant  très- 
populaire  et  plein  de  souvenirs  de  la  France,— est  une 
sorte  de  psalmodie,  plutôt  parlée  que  chantée,  que  l'on 
débite  en  faisant  sauter  un  enfant  sur  ses  genoux  : 

A  cheval,  à  cheval, 

Sur  la  queue  d'un  orignal. 

A  Roaen,  à  Rouen, 

Sur  la  queue  d'un  p'tit  ch'val  blanc. 

A  Pari  s,  à  Paris, 

Sur  la  queue  d'une  p'tite  souris. 


264  CHANSONS  POPULAIRES 

A  Versailles,  à  Versailles, 

Sur  la  queue  d'iiue  grand'  vache  caille. 


"  On  comprend,  dit  M.  LaRue,  que  le  rhythme  et  la 
tournure  de  cette  chanson  sont  propres  à  exciter  la  verve 
des  nourrices.  Aussi  une  bonne  de  Québec  a-t-elle  cru 
devoir  ajouter  : 

A  Québec,  à  Québec, 

Sur  la  queue  d'uue  belette  !  ! 


"  Je  lui  en  laisse  la  responsabilité." 


:2^E5M==— *-i»=«^ 


!^z:ff: 


C'est      la  pou-let-te         gri-  se 


-— pz:x=«rn: 


Qui  pond  daus  l'é- 


gli-     se,  EU'  va     poudre         uu  beau  p'tit  co-  co 

Pour  son  p'tit  qui    va     fair'     do-     di-  clie,     EU'  va     pondre 


iin  beau  p'tit  co-    co  Pour  son  p'tit  qui  va     fair*    do-do. 


Do-  di-    che,     do-       do. 


i^i^iiiâil 


DU  CANADA  265 

C'est  la  poulette  grise 
Qui  pond  dans  l'église, 
EU'  va  pondre  un  beau  p'tit  coco 
Pour  sou  p'tit  qui  va  fair'  dodiclxe, 
EU'  va  poudre  uu  beau  p'tit  coco 
Pour  sou  p'tit  (pii  va  fair'  dodo. 
Dodiche,  dodo. 


C'est  la  poulette  blauclie 
Qui  poud  daus  les  braucUes, 
Eli'  va  poudre,  etc. 


C'est  la  poulette  uoire 
Qui  poud  dans  l'armoire, 
EU'  va  poudre,  etc. 


C'est  la  poulette  verte 

Qui  poud  daus  les  couvertes, 

EU'  va  poudre,  etc. 


C'est  la  poulette  bruue, 
Qui  poud  dans  la  luue, 
EU'  va  poudre,  etc. 


C'est  la  poulette  jaune 
Qui  poud  daus  les  aulnes, 
EU'  va  poudre  uu  beau  coco 
Pour  son  p'tit  qui  va  fair'  dodiche, 
EU'  va  pondre  uu  beau  p'tit  coco 
Pour  son  p'tit  qui  va  faire  dodo. 
Dodiche,  dodo. 


266  CHANSONS  POPULMRiîS 


D'OU  VIENS-TU,  BKRGÈRE? 

Lo  noël  que  l'on  va  lire  n'est  jamais  chanté  à  l'église  (il 
a  pu  l'être  autrefois)  ;  mais  il  est  bien  connu  dans  les 
familles.  Les  petits  enfants  aiment  sou  joli  air,  simple  et 
doux.  Le  ffoà  viens-tu?  et  le  Qu as-tu  vu^  bergère  1  de 
chaque  couplet,  intéresse  leur  imagination,  qui  s'exalte 
au  récit  de  ce  Dieu  qu'adorent  les  grands  parents  comme 
les  petits  enfants,  ce  Dieu  qui  a  tout  fait,  tout  :  le  beau 
ciel  étoile,  le  grand  fleuve  et  la  haute  montagne  couverte 
de  neige,  et  qui  cependant  veut  naître  pour  nous  dans  une 
étable  !  Le  bœuf,  dont,  ordinairement,  ils  n'osent  pas  trop 
approcher,  et  l'âne,  qu'ils  ne  connaissent  que  de  nom,  sont 
deux  personnages  qui,  à  leurs  yeux,  embellissent  singuliè- 
rement le  tablean 

Un  écrivain  qui  n'était  malheureusement  pas  catholi- 
que, M.  Michelet,  a  écrit  ces  lignes  délicieuses  à  propos  des 
noëls  populaires  : 

"  Il  y  avait  alors  dans  l'Eglise  un  merveilleux 

génie  dramatique,  plein  de  hardiesse   et  de  bonhomie, 

souvent  empreint  d'une  puérilité  touchante Elle 

(l'Eglise),  quelquefois  aussi,  se  faisait  petite  ;  la  grande, 
la  docte,  l'éternelle,  elle  bégayait  avec  son  enfant;  elle 
lui  traduisait  l'ineffable  en  puériles  légendes." 


— D'oîî  viens-       tu,  ber-gè-re,       D'où  viens-        tu? 


DU  CANADA  267 

-Jevieusde    l'é-     -     ta-     ble,      De  m'y  pro- me-      nor; 


J'ai     vu    uu  nii-       ra-     cle         Ce  soir    ar-     ri-     -  vé. 


— D'où  viens-tu,  bergère, 

D'où  viens-tu  f 
— Je  viens  de  l'étable, 
De  m'y  promener; 
J'îii  vu  lin  miracle 
Ce  soir  arrivé. 

— Qii'as-tu  vu,  bergère, 

Qu'as-tu  vu  ? 
— J'ai  vu  (Luis  la  crèche 
Un  petit  entant 
Sur  la  paille  fraîche 
Mis  bien  tendrement. 

— Rien  de  jilus,  bergère, 

Rien  de  plus  ? 
— Saint'  Marie,  sa  mère, 
Qui  lui  fait  boir'  du  lait. 
Saint  Joseph,  son  père, 
Qui  tremble  de  froid. 

— Rien  de  plus,  bergère, 

Rien  de  plus  1 
— Ya  le  bœuf  et  l'âne 
Qui  sont  par  devant, 
Avec  leur  haleine 
Réchautfent  l'enfant. 

— Rien  de  plus,  bergère. 

Rien  de  plus? 
— Ya  trois  petits  anges 
Descendus  du  ciel 
Chantant  les  louaages 
Du  Père  éternel. 


268  CHANSONS  POPULAIRES 


JE  NP]  VEUX  PAS  D'UN  HABITANT 

Nous  n'ap[)elons  habitant^  en  Canada,  (jne  celui  qui 
possède  une  terre  à  la  campagne  et  ([ui  la  cultive  lui- 
même.  Les  ouvriers  et  les  jouriiali(M's  qui  demeurent  à  la 
campagne  ne  sont  pas  des  habitants^  pas  plus  que  les  rési- 
dants des  villes.  L'origine  de  cette  distinction  remonte, 
sans  aucun  doute,  aux  premiers  tem[)s  de  la  colonie.  La 
société  canadienne  d'alors  se  composait,  à  part  les  ecclé- 
siastiques, de  trois  classes  d'hommes  :  les  soldats,  les 
commerçants  et  les  agriculteurs.  Les  premiers  n'étaient 
ici,  pour  la  plupart,  que  temporairement,  tandis  que  les 
agriculteurs,  en  s'emparant  du  sol  môme  du  pays,  s'y 
fixaient  d'une  manière  irrévocable,  et  devaient  être  seuls 
considérés  comme  les  véritables  habitants  de  la  colonie. 

On  m'a  chanté  cette  mélodie  tantôt  avec  le  sol  dièze, 
tantôt  avec  le  sol  naturel. 

A  part  les  couplets  oîi  il  est  question  d'un  habitant  et 
d'un  colporteur,  toute  cette  chanson  nous  vient  de  France. 
On  en  chante  encore  une  variante  aujourd'hui  en  Sain- 
tonge. 


Je  voudrais       bieu  me  ina-  ri-         er,    Je    voudrais 


bien  me  ma-    ri-      er,     Mais  j'ai  graud'  peur     de  me  trom- 


DU    CANADA  269 

per,  Mais  j'ai  grand'     peur  de  me  troin-      per  : 


> — L--- ' — f — ^ — 


E^!~ii^ 


— »• — »-^rM'zi 


sont    si  nial-hou-  ne-  tes  !      Ma  lu-ron,  tna  lu-     ret-    te,  Ils 


:?inL- 


sont    si  mal-hon-  ne-  tes  !      Ma  lu-rou,  ma  lu-      ré 


Je  vomirais  bien  me  marier,    (6ts) 

Mais  j'ai  grand'  peur  <le  me  tromper  :  (bis) 

Ils  sont  si  mullionnôtes! 

Ma  luron,  ma  lurette, 

Ils  sont  si  malhonnêtes! 

Ma  luron,  ma  luré. 


Je  ne  veux  pas  d'un  habitant  :     {bis) 
Il  faut  toujours  aller  au  champ,    {bis) 

Et  rouler  la  charette, 

Ma  luron,  etc. 


Je  ne  veux  pas  d'un  labourenx  :     (bis) 
Il  faut  toujours  toucher  les  bœufs     {bis) 

Et  manier  la  curette. 

Ma  luron,  etc. 


Je  ne  veux  pas  d'un  colporteur,     {bis) 
Rarement  ils  se  font  honneur     {bis) 

En  portant  la  cassette, 

Ma  lurou,  etc. 


Pour  un  BOtair',  je  n'en  veux  pas,     (bis) 
Car  ils  passent  trop  de  contrats,     (bis) 

Ils  embrass'nt  les  filettes, 

Ma  luron,  etc. 


270  CHANSONS  POPULAIRES 

Je  ne  veux  pas  (Viiu  méilcciii  :     {bis) 
Ils  out  toujours  pilul's  eu  main,     (bis) 
Des  pi'is's  et  des  lancettes, 
•     Ma  luron,  etc. 


Je  ne  veux  pas  d'un  avocat,     {bis) 
Car  ils  aiment  trop  les  ducats,     (bis) 

Ils  trompent  les  filettes, 

Ma  luron,  etc. 


Je  voudrais  bien  d'un  ofiBcier:     (bis) 
Je  marcherais  à  pas  carrés     (bis) 
Dans  ma  joli'  chambrette, 
Ma  luron,  ma  lurette, 
Dans  ma  joli'  cliambrette, 
Ma  luron,  maluré. 


DU  CANADA  271 


JACQUOT  HUGUES 

Jacqiiot  Hugues  n'est  pas  un  être  fictif;  il  a  bien  réel- 
lement existé,  et  vécu  de  longues  années  dans  le  comté 
de  Rimouski,  oii  il  est  mort,  il  y  a  une  vingtaine  d'années, 
sans  laisser  de  postérité. 

Il  est  bon  de  savoir  que  c'était  un  être  bien  original 
que  ce  Jacquot  Hugues.  Il  était  grand  de  taille,  et, 
quoique  Français  de  naissance,  on  l'appelait  le  Sauvage^  à 
cause  sans  doute  de  son  teint  très-basané,  mais  aussi  à 
cause  de  ses  allures  excentriques  et  de  sa  coutume  de 
porter  des  mitasses^  avec  ornements  en  babiche. 

Il  lui  arriva  un  jour  de  s'emparer  d'une  baleine.  Après 
qu'il  l'eut  dépecée  et  qu'il  en  eut  extrait  l'huile  et  la 
graisse,  ses  voisins  s'en  vinrent  chez  lui  pour  se  partager 
le  résidu,  les  créions^  comme  cela  était  d'usage;  mais 
voilà  mon  Jacquot  Hugues  qui  ne  veut  pas  donner  mais 
vendre  ses  cretons,  et  qui  se  met  en  frais  de  peser  sa 
marchandise  avec  une  romaine.  C'en  était  bien  assez  pour 
se  faire  chanter  ;  néanmoins  la  verve  des  rimenrs  de  l'en- 
droit se  contint  pour  le  moment;  mais  lorsque, à  quelque 
temps  de  là,  on  entendit  dire  que  •  acques  Hugues,  le 
Sauvage,  le  vendeux  de  cretons,  faisait  des  démarches  pour 
se  faire  élire  membre  lu  parlement,  toute  digue  fut 
rompue,  et  les  couplets  que  l'on  va  lire  volèrent  de  bouche 
en  bouche,  si  bien  que  je  les  ai  entendu  chauler  à  plus  de 
cent  lieues  de  l'endroit  où  ils  furent  composés. 


272 


CHANSONS   POPULAIRES 


1 ~ -tf- 


:S— .r=:?_  zz*rzïr— - 


-•0,-^-ft-- 


Eg£E^EgEE^EJ 


DausJ'cointé     de       Rimouski,      A     l'é-lec-tion  nou- 
vel-    le,  Jac-  qiiot  Hug's  s'est     pré-  sen-     té:      Il 

Il        a-   vait  pour 


seu-  tait  la     ba-     -       lei-      ue  ! 


^ — « — E=_s — tt---j- •— 3 


ré-  con-  fort         Tous  les  cre-  ons         de       sou  bord.  Ro- 


~^E=£==^EEE5EEÈE-*EE^£E;fE: 


ne,      ro-        mai-  -       ue,  ro- 


Daus  l'coiuté  de  Rimouski, 
A  l'électiou  nouvelle, 
Jacquet  Hng'ïi  s'est  présenté: 
Il  sentait  la  baleine  ! 
Il  avait  pour  réconfort 
Tons  les  cretous  de  sou  bord. 
Jîomaine,  romaine,  romaine!.. 


Quand  il  était  cantiuier, 

Il  vendait  de  l'eau  forte  ; 

Il  savait  la  baptiser 

Sans  demander  main-forte: 

C'est  P'tit  Paul  qui  charriait  l'eau, 

Madam'  rinçait  le  tonneau.... 

A  force,  à  force,  à  force! 

Il  ne  se  souvenait  plus 

De  ses  mitass'  à  franges  j 

Il  eut  donné  ses  écus 

Pour  entrer  daus  la  chambre. 

C'est  c'qu'<»n  n'aurait  jamais  vu: 

Un  Sauvage  d'être  élu  ! 

Peau  noire,  peau  noire,  peau  noire  ! 


DU  CANADA  273 

En  s'en  revonaut  chez  lui, 

Il  faisait  la  griiuaice; 

Le  moud'  s'est  bien  aperçu 

Qu'il  avait  le  cœur  flasque. 

II  dit  qu'il  a  vendu, 

Mais  à  présent  n'en  vend  plus. 

Attrape,  attrape,  attrape  ! 


Qu'en  a  composé  la  chanson, 
C'est  un  garçon  de  gloire  j 
Il  ne  vous  dit  pas  son  nom  : 
Ca  vous  reste  à  savoire. 
Il  espèr'  que  ses  amis 
Chanteront  tous  avec  lui  : 
Romaine,  sauvage,  i?eau  noire  ! 


274  CHANSONS  POPULAIRES 


FRANÇOIS  MARCOTTE 

On  a  vu,  dans  les  couplets  qui  précèdent,  une  mor- 
dante satire  contre  les  petits  moyens  mis  en  jeu  par  un 
homme  préoccupé  de  faire  sa  fortune  rapidement.  Voici 
une  autre  satire,  non  moins  mordante,  dont  les  garçons 
qui  se  vantent  de  faire  tourner  la  tête  à  toutes  les  filles 
pourront  tirer  leur  profit. 

Cette  chanson  est  tout  à  fait  dans  le  génie  canadien, 
François  Marcotte,  qui  : 

s'en  va  proinpteiuent 

Atteler  sa  jument 

Chez  sou  oucle  Paul  Abelle, 

est  bien  un  vrai  type  de  faraud  campagnard. 

C'est  une  coutume  commune  aux  poètes  rustiques  de  la 
Francs  et  du  Canada  de  se  consacrer  à  eux-mêmes  le  der- 
nier ou  les  derniers  couplets  de  leurs  chansons.  Presque 
toutes  nos  chansons  d'élections,  de  même  que  les  com- 
plaintes composées  à  l'occasion  d'un  malheur  arrivé  à 
une  famille  ou  à  une  paroisse,  finissent  par  le  couplet 
sacramentel  : 

Qu'eu  a  composé  la  cliausou,  etc. 

Qui  a  composé  cette  complainte,  etc. 

On  doit  d'autant  plus  volontiers  pardonner  cette  petite 
faiblesse  aux  poètes  populaires  que  l'on  est  accoutumé  à 
voir  des  poètes  d'un  ordre  plus  élevé  parler  d'eux-mêmes, 


DU  CANADA 


275 


se  décrire,  se  vanter,  se  biographie)-  d'un  bout  à  l'autre  de 
leurs  œuvres. 

L'air  de  cette  chanson  n'a  rien  d'original  et  n'est  pas 
canadien.  C'est,  je  crois,  une  ancienne  mélodie  an- 
glaise. 


: — ^ 


-o> !» * 1  — S 2 â 


C'est     Frauçois  Mar-     cott'  Qui  s'iia-     Lil-    le     bea 


>3=zzi\ 


m=^:zi=m^  =•  jzz:*: 


^l=s'==. 


pro^y  Pour  al-     -  1er     eu       pro- me-       na-         -  de;  C'est 


-S m 5- 


à  Des-cliam-bault,  Chez  uiousieurBou-     drault  :  C'est  un' 


fil-     le      qu'il       lui  fout.  — Bou-     jour 


ma-dam'  Bou-  drault,    Eu  t'ai-     saut     le     fa-       raud,  Fai- 
sant des       po-    li-  -     tes-     -     ses, —    Des  ci-       vi-  -    li- 


fr:n^\=r-|-=5=z=q-q==i 


p  — m  — M  —  —m  -~  — m  — 1  — ^ m  —  —W- ,»— 4  — ^ -g l]--j 

tés  A    la     coin-     pa-     gué'  !    Mar-  cott'  fit       uu'  belle  eu- 
trée! 


276  CHANSONS  POPULAIRES 

C'est  François  Marcotte 
Qui  s'habille  beii  propre 
Pour  aller  en  proiuenade  ; 
C'est  à  Deschanibault, 
Chez  monsieur  IJoiuhault  : 
C'est  une  fille  qu'il  lui  faut. 
— Bonjour  madaiu'  Boudrault,- 
En  faisant  le  faraud, 
Faisant  des  politesses, — 
Des  civilités 
A  la  com{)aguée  ! 
Marcotte  fit  un'  belle  entrée  ! 


Quand  il  fut  entré, 

Il  s'agit  d(^  parler 

Des  affaires  de  conséquence  : 

De  sa  bien  aiinéa 

Il  s'est  approché  : 

C'était  pour  la  demander. 

— Je  suis  bieu  pressé, 

Je  veux  me  marier. 

Je  crains  de  vous  surprendre) 

Vous  excuserez 

La  brutalité 

D'I'abord  de  mon  arrivée. 


— Vous  êt's  tout  excusé, 
Vous  pouvez  continuer  ; 
Revenez  plusieurs  voyages: 
Pour  vous  marier, 
Il  faut  espérer  (attendre) 
Que  mon  pèr'  .-oit  arrivé. 
Marcotte  s'est  retiré, 
Pensant  bien  qu'il  l'aurait 
Dans  un  second  voyage  ; 
Ne  s'imaginant  pas 
Qu'en  faisant  tout  cela, 
EU'  voulait  le  planter  là. 


DU  CANADA  277 

L'automne  est  revenu, 
Bou'lrault  ne  revient  plus, 
Marcotte  est  d'un  bord  et  d'I'autre  : 
C'est  pour  s'iuforiuer, 
De  tous  les  côtés, 
Si  Boudrault  est  arrivé. 
S'en  va  à  Deschambault, 
Rencoutr'  monsieur  Boudrault 
Et  fiiit  sa  connaiss:ince  : 
— Veuillez  bien  m'excuser, 
C'est  pour  vous  demander 
Votre  fille  à  marier. 


— Parlez-moi,  mon  ami, 
Tout  vous  est  permis  : 
Vous  avez  tant  d'avantages! 
Vous  avez  de  l'esprit, 
Sans  compter  l'industrie  : 
Vous  êt's  homme  de  génie. 
Pais  on  m'a  raconté 
Que  vous  vous  vantiez 
Que  vous  auriez  bien  ma  fille; 
Pour  vous  récompenser, 
Nous  allons  vous  donner 
Une  pell'  bien  amancliée. 


Revenons  à  Marcotte. 

Il  a  pris  sa  capote  ; 

Il  a  l'air  tout  imbécile  : 

Son  cas'iue  rabattu, 

Il  a  l'air  tout  bourru  : 

Marcott'  ne  se  r  connaît  plus. 

Il  s'en  va  promptenient 

Atteler  sa  jument 

Chez  son  oncle  Paul  Abelle, 

En  disant  :  Sapre  gai  ! 

Je  suis  effarouché 

De  la  pell'  qu'ils  m'ont  donnée  ! 


278  CHANSONS   POPULAIRES 

L'auteur  de  la  chanson, 

C'est  uu  irrand  garçon 

Revenant  d'un  long  vojagej 

Etant  ariété 

Se  faii'  fuiie  à  dîner 

Chez  des  gens  qu'il  connaissait; 

Etant  après  dîner, 

Il  eutend  raconter 

L'aventur'  de  Marcotte; 

J'vous  dis  en  vérité, 

Qu'il  aurait  mérité 

Un'  chanson  mieux  composée. 


Je  vais  vous  le  nommer  : 

C'est  Hyaciutli'  Denis, 

Qui  u'a  plus  d'avantages. 

Il  est  exposé 

Au  même  danger 

Quaud  il  va  se  promener. 

Uu  jour  passant  par  là, 

Pensant  à  tout  cela, 

Je  chantais,  eu  eu  moi-même  : 

"  Arriv'ra  que  pourra  ! 

La  i)ell'  nous  servira 

Pour  enterrer  l'mardi  gras." 


DU  CANADA  279 


C'EST  PINSON  AVEC  CENDROUILLE 

Cette  chanson  n'est  pas  tant  une  chanson  comique 
qu'une  chanson  d'enfants,  où  la  chatte^  le  gros  rat  avec 
son  violon^  etc.,  ne  figurent  que  pour  tenir  en  éveil  l'esprit 
d'un  petit  tapageur  en  attendant  que  le  sommeil  vienne 
fermer  ses  paupières.  -'Il  ne  faut  pas,  dit  avec  justesse 
M.  Champfleury,  demander  aux  nourrices  qui  composent 

ces  chansons,  autre  chose  que  ce  qu'elles  peuvent  donner  ; 

dans  l'amour  qu'elles  portent  aux   enfants,   elles 

trouvent   de   singulières   associations   de   mots qui 

frappent  le   nouveau-né   et  savent    :!ndormir  ses   souf- 
frances." 

Ces  couplets  se  chantent  en  France,  dans  le  Cambrésis, 
sur  un  air  tout  différent  du  nôtre. 


C'est  Piu-  -  son     a-     vec  Ceu-     drouil-  le  Qui  vou- 


;r=:i*^=r      ■ 


draieut  se     nia-  ri-     -      er  ;  Ils  vou-      draieut  fai-     re  des 


no-    ces  Mais  n'ont      pas     de  quoi  man-  -  ger.       Gai     Ion 

s 1 ^ fi 15 , ,4. ,;^ |N 1> , |N ^— c- 


la,    Tir'      la      li-  -     ret-    te,  Des  trom-pett's,  Il  yen  au- 


280  CHANSONS  POPULAIRES 

C'est  Pinson  avec  Cemlroaille 
Qui  voudraient  se  marier; 
Ils  voudraient  faire  des  no.^es, 
Mais  n'ont  pas  <le  (pioi  manger. 

Gai  Ion  la 

Tire  la  lirette, 

Des  trompettes 

Il  yen  aura. 

Ils  voudraient  faire  des  noces, 
Mais  n'ont  pas  de  quoi  manger. 
Ils  voient  venir  un  gros  cliien, 
Dans  sa  gueule  apporte  un  pain. 
Gai  Ion  la,  etc. 

Ils  voient  venir  un  gros  chien, 
Dans  sa  gueule  apporte  un  pain. 
De  pain  nous  eu  avoas  bien, 
De  viand'  nous  n'en  avons  point. 
Gai  Ion  la,  etc. 

De  pain  nous  eu  avons  bien. 
De  viand'  nous  u''en  avous  point. 
Ils  voient  venir  un  corbeau. 
Dans  son  bec  est  un  gigot. 
Gai  Ion  la,  etc. 

Ils  voient  venir  un  corbeau. 
Dans  son  bec  est  un  gigot. 
De  viand'  nous  en  avons  bien, 
De  vin  nous  n'en  avons  point. 
Gai  Ion  la,  etc. 

De  viand'  nous  en  avons  bien, 
De  vin  nous  n'eu  avons  point. 
Ils  voient  venir  un  lapin, 
Sur  son  dos,  un'  tonn'  de  vin. 
Gai  Ion  la,  etc. 


DU   CANADA  281 


Ils  voient  venir  un  lapin, 
Sur  sou  dos  un'  t,onn'  de  vin. 
De  vin  nous  en  avons  bien, 
De  danseu.s's  n^an  avons  point. 
Gai  Ion  la,  etc. 

De  vin  nous  en  avons  bien, 
De  danseus's  n'en  avons  point. 
Ils  voient  venir  un  voisin, 
Une  fille  à  cliaque  main. 
Gai  Ion  hi,  etc. 

Ils  voient  venir  un  voisin, 
Une  fille  à  cluique  maiu. 
Des  danseus's  eu  avons  bien. 
De  violon  n'en  avons  point. 
Gai  Ion  la,  etc. 

Des  danseus's  en  avons  bien, 
De  violon  n'en  avons  point. 
Ils  voient  venir  un  gros  rat. 
Un  violou  dessous  sou  bras. 
Gai  Ion  la,  etc. 

Ils  voient  venir  un  gros  rat. 
Un  violon  dessous  son  bras. 
— Entrez  monsieur  l'Arrivé: 
Notre  chatte  est  au  grenier. 
Gai  Ion  la,  etc. 

Entrez,  monsieur  l'Arrivé  : 
Notre  chatte  est  au  grenier. 
Lacliatte  entendit  cela, 
A  sauté  dessus  le  rat. 
Gai  Ion  la,  etc. 

La  chatte  entendit  ceia, 
A  sauté  dessus  le  wit. 
Le  rat  s'c^st  mis  à  crier  : 
Voilà  mon  violon  cassé! 
Gai  Ion  la,  etc. 


282  CHANSONS  POPULAIRES 

Le  rat  s'est  mis  à  crier: 
Voilà  mou  violon  cassé  ! 
Quand  j'irai  eu  compaguée, 
Un  coup  d'eau  d'vi'  je  prendrai. 
Gai  Ion  la,  etc. 

Quand  j'irai  eu  compaguée, 
Uu  coup  d'eau  d'vi'  je  prendrai. 
J'u'en  donn'rai  pas  à  cell'-là 
Qui  m'a  cassé  les  deux  bras. 

Gai  Ion  la. 

Tire  la  lirette, 

Des  trompettes 
,  Il  y  eu  aura. 


DU  CANADA  283 


A  LA  CLAIRE  FONTAINE 

{Air  recueilli  par  M.  l'abbé  Marquis) 

Le  lecteur  a  déjà  pu  observer  que,  dans  des  chants  qui 
semblent  d'abord  appartenir  au  mode  mineur,  le  chanteur 
populaire  fait  tout  ù  coup  apparaître  une  seconde  majeure 
entre  le  septième  et  le  huitième  degré  de  la  gamme,  dé- 
truisant ainsi  la  note  sensible,  et  pUiçant  la  mélodie  dans 
le  premier  ou  le  second  mode  de  la  tonalité  ancienne.  Or, 
ce  qui  arrive  pour  le  mode  mineur  arrive  aussi  pour  le 
mode  majeur.  Ainsi,  dans  la  mélodie  de  la  Claire  Fontaine^ 
que  l'on  va  voir  ci-après,  et  qui  semble  d'abord  appartenir 
exclusivement  au  mode  majeur,  la  note  fa  apparaissant 
naturelle,  dans  la  dixième  et  dans  la  quatorzième  mesure, 
la  sensible  disparaît  par  là  même,  et  le  huitième  mode  de 
la  tonalité  ancienne  se  trouve  parfaitement  accusé. 

On  dirait,  quelquefois,  que  le  peuple  a  horreur  de  la 
note  sensible.  Cela  tient  à  des  causes  toutes  naturelles 
que  des  musicistes  distingués  de  ce  siècle  ont  étudiées  et 
expliquées  d'une  manière  irréfutable.  (Voir  les  Remar- 
ques générales^  à  la  fin  de  ce  volume.) 

J'ai  déjà  dit  que  ces  infractions  aux  règles  de  l'art  mo- 
derne n'indiquent  pas  toujours  l'ancienneté  d'une  mélodie 
Souvent  il  arrive  qu'une  chanson  de  la  ville,  toute  fraîche 
composée,  vieillit  tout  à  coup  de  plusieurs  siècles^  grâce 
aux  altérations  qu'elle  snbit  en  passant  par  des  gosiers 


284 


CHANSONS  POPULAIRES 


compagnards.     Chacaii  connaît  cet  air  d'un   vaudeville 
intitulé  :  Zes  Canotiers  de  la  Seine: 


Mes-daui's,   sa-vez-  vous  c'qu'il  faut  Pour       ê-    tre 


ca-  uo-        tie- 


rs ? 


Eh  !  bien,  voici  comment  j'ai  entendu  ciianter  ce  même 
air  par  une  jeune  fille  de  l'Ile-Verte,  (comté  de  Témis- 
couata)  : 


■m- 

_a>- 

—  rzazi^arr '— an 

"■«— 

=:: 

•  S- 

^z^: 

E^=5^^^^E 

riz: 

E3 

==3 

"rr^ 

|— i— — — 

15^=5—?^  etc. 

Ceux  de  mes  lecteurs  qui  ont  visité  la  capitale  de  la 
France  se  rappellent  sans  doute  avoir  vu,  sur  la  place  des 
Victoires,  une  statue  équestre  de  Louis  XIV,  représentant 
le  monarque  avec  un  lambeau  de  vêtement  sur  le  corps, 
et  des  sandales  aux  pieds.  C'est  un  anachronisme  de  ce 
genre  que  faisait,  bien  à  son  insu,  ma  jeune  chanteuse  de 
l'Ile- Verte,  en  dépouillant  de  sa  note  sensible  la  mélodie 
toute  moderne  du  vaudeville  français. 


DU  CANADA 


285 


EB=^^E3 


3—8 


la  clai- 
-iV  — . — 


re  fou-     -  tai-  ue        M'eu 


al-    lant     pro-  me-     uer,       J'ai  trou-  vé      l'eau  si 


bel-    le      Que  je  m'y      suis    bai-      gué.        Lui 


r,r:z^— — •iirpr-*— zn:^  zn_, 


ïËim 


ya     loDg-       temjis     que       j 
2 


t'ai-     me, 


^=il=z=:ir. 


.)a- 


*EEê=iE=i=€ïË: 


mais    je    ne        t'ou-  blie-        n 


286  CHANSONS  POPULAIRES 

PERRETTE  EST  BIEN  MALADI']-CIIEZ  MON  PÈRE 
Y  A  TROTS  FILLES 


La  chanson  de  Perretle  étant  chantée  dans  tontes  nos 
campagnes,  et  par  les  gens  dn  penple,  j'ai  crn  devoir  lui 
donner  place  ici,  mais  j'avoue  que  sa  musique,  aussi 
remarquable  par  sa  distinction  que  par  son  caractère 
antique,  semble  accuser  une  origine  peu  populaire. 
Paroles  et  musi(iue  sont  peut-être  nées  au  milieu  de  "ces 
prés  flenris  qu'arrose  la  Seine,"  dans  Lutèce  la  chantante 
elle-même,  alors  que  l'école  littéraire  dite  sentlmcnlale 
peuplait  le  Louvre  et  Versailles  de  bergers  et  de  bergères. 

Dans  tous  les  cas,  les  couplets  de  PerrctLe  est  bien 
malade^  de  même  que  ceux  de  Chez  mon  pèr'  ya  trois  filles^ 
qui  semblent  en  être  une  variante  plus  populaire,  ne  sont 
certainement  pas  canarlieus.  Les  mots  :  aubade^  musette^ 
et  tambour  sont  là  pour  le  prouver.  (1) 

Chez  mon  pire  ya  trois  filles  se  chante  sur  la  première 

(1)  Il  est  important  de  remarquer  que  le  peuple,  en  Canada,  ne  fait  pas 
usage  d'instruments  à  sons  fixes,  tels  que  la  vielle  et  les  dififérentes  sortes 
de  musettes  ou  cornemuses:  le  biniou,  le  haff-jnpe,  eto;  que  le  violon  est 
le  seul  instrument  dont  se  servent  nos  virtuoses  campagnards  ;  et  que, 
conséquemment,  on  ne  saurait  attribier  aux  exigences  d'instruments  à 
sons  fixes  le  fuit  que  nos  chants  populaires  appartiennent  presque  exclusive- 
ment au  genre  diatonique. 

Le  tambour,  dont  nos  paysans  ne  font  pas  non  plus  usage,  était  autre'ois  un 
instrument  très  en  vogue  en  Canada,  avant  l'arrivée  des  blancs.  On  le  regardait 
presque  comme  quelque  chose  de  sacré,  parce  que  les  jongleurs  s'eu  servaient 
toujours  dans  les  chants  qui  accompagnaient  leurs  magies.  C'est  si  bien  le 
cas  que  les  premiers  missionnaires  de  la  Nouvelle-France  ne  c  msidéraient 
un  sauvage  bien  converti  que  lorsque  celui-ci  avait  brisé  son  tambour.     Le 

Frère  Gabriel  Sagard  dit,  en  parlant  d'une  coutume  montagnaise:   " 

Je  m'oubliais  de  parler  des  violons   ou  instruments  musicaux 

au  sons  desquels,  <&  des  chansons  des  deux  chantres,  tout   le  branle  alloit  & 


DU   CANADA 


287 


partie  (andante)  de  l'air  noté  ci-après.  Cette  variante  m'a 
été  chantée  par  une  jeune  fille  du  nom  de  Farly,  de 
Saint-Barthélémy,  comté  de  Berthier, 


Pei-     rette  est     l)ieu    ma-  la-       de,  Tra       la 


la    la    la    la  Tra  la      la    la  la    la,  Per-    rette  est  bieu  ma- 

FIN. 


la-     de,  Eu        dauger   de  mou-    rir.  Eu  daoger     de  mourir. 
T  Presto. 

Son         a-     -      lui     la    va         voi-   -  re,   Tra-       la     la 


a-         -     mi     la     va 
voi-     -    re  : — Te       lai'-     ra     -     tu       mou-     rir?  Be- zin- 


se  remuoit  à  la  cadence  ;  e'estoient  une  grande  escaille  de  tortue  <fe  une 
façon  de  tambour  de  la  grandeur  d'un  tambour  de  basque,  composé  d'un 
cercle  large  de  trois  ou  quatre  doigts,  &  de  deux  peaux  roidcment  estenduè^ 
de  part  &  d'autre,  dans  quoy  estoient  des  graines  de  bled  d'Inde,  ou  petits 
caillous  pour  faire  plus  de  bruit  :  le  diamettre  des  plus  grands  tambours  est 
de  deux  palmes  ou  environ,  ils  le  nomment  en  Montagnais  Ghichîgouan  ;  ils 
ne  le  battent  pas  comme  oa  fait  par  deçà  :  mais  ils  le  tournent  &  remuent, 
pour  faire  bruire  les  oaiilous  qui  sont  dedans,  &  ea  frappent  la  terre,  tantost 
du  bord,  tantost  quasi  du  plat,  pendant  que  tout  le  monde  danse. 

"  Voyla  tout  ce  qui  est  des  instruments  musicaux  du  pays." 

"  Sagard  — Histoire  du  Canada,  page  47i,  Paris,  1636. 


288 


CHANSONS  POPULAIRES 


zi    be-  ziu-  zou  Be-  zia-    zou  be-  zia- 


zaia'     Te    lai'  ra- 


P 


^3EgE|zEJEEgÊ|ÊEgfj;ggg? 


tu  mou-     rir,    Te       lui'    ra-      tu  mou- 


rir ? 


Andante. 

Perrette  est  bien  malade, 
Tra  la  la  la  la  la 
Tra  la  la  la  la  la, 
Perrette  est  bleu  malade, 
En  danger  de  mourir,    (bis) 


Presto. 

Son  ami  la  va  voire, 
Tra  la  la  la  la  la  la, 
Son  ami  la  va  voire  : 
— Te  lai'ra-tu  mourir  ? 
Beziiizi  bezinzou, 
Beziuzou  bezinzaine, 
Te  lai'ra-tu  mourir  ?    {bis) 


Andante. 

— Non,  non,  répondit-elle, 

Tra  la  la,  etc. 

Non,  non,  répondit-elle. 

Je  ne  veux  pas  mourir,     (bis) 


m 


D.C- 


Presto. 


Qu'on  m'apporte  ma  flûte, 
Tra  la  la  la  la  la  la. 
Qu'on  m'apporte  ma  flûte 
Et  mon  tambour  joli. 

Bezinzi,  beziuzon,  etc. 


DU    CANADA  289 

Andante. 

Pour  jouer  une  iuibade, 

Tra  la  la  la  la  la 

Tra  la  la  la  la  la 

Pour  jouer  uuo  aubade 

Et  chasser  les  boucis.     (bis) 


Chez  mou  pèr'  ya  trois  filles, 

Les  voici,  les  voilà, 

Tra  la  la  tra  la  la, 

Chez  mou  pèr'  ya  trois  filles, 

Tout'.s  trois  à  marier,     (bis) 


Mais  yen  a  deux  qui  chauteut, 
Les  voici,  les  voilà,  etc., 
Mais  yeu  a  deux  qui  chantent 
Et  l'autre  qui  gémit,     {bis) 


Pourquoi  gémir,  la  belle  ? 
La  voici,  la  voilà,  etc.. 
Pourquoi  gémir,  la  "belle  : 
Nous  somm's  tous  réjouis  !     (bis) 


Chantez,  cliantez  la  belle, 
La  voici,  la  voilà,  etc.. 
Chantez,  chantez,  la  belle, 
Nous  chanterons  aussi,     {bis) 


Qu'on  m'apporte  ma  musette, 
La  voici,  la  voilà,  etc., 
Qu'on  m'apporte  ma  musette 
Et  mon  tambour  joli  !     (bis) 


290  CBANSONS  POPULA.IRES 

Que  je  jou'  des  aubades, 
Les  voici,  les  voilà,  etc., 
Que  je  jou'  des  aubades 
Aux  enfants  saus  souci,     (bis) 


— Les  enfants  sans  souci,  me  dit-elle, 
Les  voici,  les  voilà,  etc. 
Les  enfauts  sans  souci,  me  dit-elle, 
Ils  sout  bien  loin  d'ici,     (bis) 


Ils  sont  à  la  caserne. 
Les  voici,  les  voilà,  etc., 
Ils  sout  à  la  caserne, 
Après  se  divertir,     (bis) 


Ils  boivent  pots  et  pintes, 

Les  voici,  les  voilà, 

Tra  la  la  tra  la  la, 

Ils  boivent  pots  et  pintes, 

Vidant  les  verr's  aussi,     (bis) 


DU  CANADA  29î 


A  LA  SANTE  DE  CES  JEUNES  MARIÉS 

Quel  est  l'homme  ayant  tant  soit  peu  de  monde  qui 
oserait  parler  maliieur,  déception,  tombeau,  au  mi- 
lieu d'un  repas  de  noces  ?  Dans  de  telles  circonstances, 
au  contraire,  chacun  atrecte  une  joio  sans  mélange,  et  ne 
parle  que  félicité  suprême  et  bonheur  sans  fin.  Et  pour 
tant  la  crainte  est  dans  tous  les  cœurs.     Ici  bas: 


" .jamai.s  entièio  allégresse  ; 

L'âme  y  soiitfre  de  ses  plaisirs, 
Les  cris  de  joie  ont  leur  tristesse, 
Et  les  voluptés  leurs  soupirs. 


"  La  crainte  est  de  toutes  les  fêtes; 
Jaiu.ais  un  jour  calme  et  ser«iu 
Du  choc  ténébreux  des  tempêtes 
N'a  £>;arauti  le  lendemran " 


Ce  mystérieux  "  lendemain,"  on  n'ose  pas  le  regarder 
en  face,  on  s'efforce  de  n'y  pas  songer.  Plus  courageux 
que  nous,  et,  avouons-le  aussi,  la  conscience  plus  tran- 
quille, l'homme  des  champs  ne  craint  pas  d'en  rappeler  le 
souvenir,  môme  au  milieu  de  ses  fêtes.  Au  lieu  de  se 
dorloter  mollement  dans  la  jouissance  du  présent,  au  lieu 
de  s'écrier  inutilement,  comme  Lamartine: 

*'  No  pourrons-nous  jainaio  sur  l'océan  des  âges 
Jeter  l'ancre  uti  seul  jour  ?  " 


292 


CHANSONS  POPULAIRES 


il  regarde  l'avenir  avec  calme,  tâche  de  mettre  à  profit 
l'expérience  du  passé,  et  se  raffermit  dans  le  sentier  du 
devoir. 

Les  couplets  que  l'on  va  lire  prouvent,  une  fois  de  plus, 
la  vérité  de  cette  assertion  des  frères  Grimm  :  que  les 
chansons  du  peuple  ne  savent  jamais  mentir. 


---\—^^^z 


Sur      vo-       tre  bou-        té  Ah  !      je 


Vous  cbau-    ter        u-  -    ue  chau-     sou,  Don-  uez 


: — ^  _ — ^ — p- 


vo-tre     at-     -  teu-  ti-     -     ou. 


Sur  votre  bonté 

Ail!  je  me  repose. 

Puisque  vous  voulez 

Tous  ici  que  j'ose 

Vous  chauter  uue  cliausou, 

Douuez  votre  atteutioa. 


DU  CANADA  293 

Je  ne  parle  pas 

Ici  du  brtniva:5e, 

Ni  de  ce  repas, 

Mais  (lu  tuaiia:,fe; 

Je  ne  par.e  maintenant 

Que  de  ces  Jeunes  amants. 


Vous  avez  dit  :   oui, 
Mot  très-agi-éable  ; 
Mais  il  est  aussi 
Souvent  regrettable, 
Et  jusque  dans  le  tombeau 
On  se  repend  de  ce  mot. 


Messieurs,  jusqu'ici. 

Jusqu'à  vos  oreilles. 

Je  puis  bien  parler 

De  tous  ceux  et  celles 

Qui  se  prennent  sans  s'aimer 

Et  meur'ut  sans  se  regretter. 


Vous,  jeunes  amants, 
Qui  cliHrclit'Z  des  belles, 
Veillez  sagem-nt, 
Soyez-leur  fidèles,. 
Car  vous  pourriez  être  euâu 
Accablés  de  grand  chagrin. 


Pour  vous  conserver 
Beaux  jours  et  bon  rôle, 
Vous  d'vez  répéter 
Souvent  ces  paroles: 
Dieu  veuille  que  je  sois  dons 
A  cell'  dont  je  suis  l'époux! 


294  CHANSONS  POPULAIRES 

Tu  ne  dois  aimer 

Que  ta  clière  femme, 

Que  Dieu  t'a  dounée 

Pour  fldèl'  compagne  j 

Tu  dois  toujours  éviter 

Cell'  qui  pourrait  te  charmer. 


Vous  vous  êt's  aimés, 
Aimez- vous  encore! 
Vous  serez  charmés 
De  revoir  l'accor'-e 
Régner  dans  votre  maison 
Avec  la  paix  et  l'union. 


Jeun'  femme,  écoutez  ! 

Vous  ferez  de  même; 

De  Dieu  suppliez 

La  bouté  suprême 

Qu'il  vous  bénisse  tous  deux 

Et  vous  donne  des  jours  heaxeux. 


Messieurs,  c'est  assez 
Sur  le  mariage  ; 
Daignez  me  verser 
De  ce  doux  breuvage  : 
Que  je  boive  à  la  santé 
De  ces  jeunes  mariés. 


DU  CANADA 


295 


DANS  TOUS  LES  CANTONS 
(Paroles  recueillies  par  M.  J  A.  Malouin) 

L'auteur  de  ces  couplets,  après  avoir  énuméré  les  vis- 
cissitudes  du  ménage,  nous  apprend  que  lui  en  a  été 
exempt,  qu'il  est  tombé  sur  un  bon  "  gibier."  Gela  prouve 
deux  choses  :  \°  que  les  femmes  peuvent  être  bonnes 
quelquefois  (elles  le  sont  même  très-souvent)  ;  2°  que  les 
poètes  de  tous  les  calibres  ne  peuvent  que  difficilement 
se  taire  sur  leurs  avantages. 

Cette  chanson,  au  reste,  est,  dans  son  genre,  un  petit 
chef-d'œuvre.  La  morale  en  est  toute  pratique  :  savoir 
bien  choisir  son  -'  sribier." 


-=F=«=S=*=2=J 


j^         ^  —  .  (--       tf-       ^^        — 

1  Daus  tous     les  eau-tous  Yades      fiU's  et  des  gar 


^EE|=5=EEpZE|=?E£2EE*EE^EE^ 


cous  Qui  veul'nt  se     ma-     ri-  -  er,  C'est  la     pu- re  vé-  ri- 


-^ ^ — 


té.     Les  gar-çous  vont  les     voir,      Le       plus  sou-vent  le 


\^-- 


;«=-p— ^: 


iË=EEÊ^Zl  E?EES=^=-=I==^^ 


=^====ZZ^(-==== 


soir  ;  Les  fill's  se  ré-joii-  iss'nt     Quand  ell's  voi'ut  leurs  a- 


m o- 


mis  ;        Ell's  se  dis'ut     en  sou-riant  :  Le  voi-là      mon     a- 
mant  ! 


296  CHANSONS  POPULAIRES 

Dans  toua  les  cantons 

Ya  des  flU's  et  des  garçons 

Qui  veul'nt  se  marier, 

C'est  la  pure  vérité. 

Les  garçons  vout  les  voir 

Le  plus  souvent  le  soir; 

Les  till's  se  réjouissent 

Quaud  ell's  voi'nt  leurs  amis; 

EU's  se  dis'ut  en  souriant  : 

Le  voilà  mou  amant  ! 


Jeunes  flU's,  écoutez, 
Qui  voulez  vous  marier: 
Votre  engagement 
Vous  causera  du  tourment. 
Vous  prenez  un  état 
De  peiu's  et  d'embarras; 
Bien  souvent  du  chagrin, 
Sans  eu  conuaîcr'  la  fin. 
Qui  vous  f  ra  regretter 
La  maison  qu'vous  quittez. 


Etant  mariée, 

Il  faut  tout  abandonner, 

Tous  les  agréments 

D'être  avec  les  jeunes  gens. 

Faut  rester  au  logis 

Pour  plaire  à  sou  mari  ; 

Vous  êtes  mariée 

Par  votr'  propr'  volonté; 

Vous  avez  pris  mari, 

C'est  pour  lui  obéir. 


S'il  est  complaisant. 

Vous  aurez  de  l'agrément  j 

Mais  s'il  est  jaloux, 

Vous  n'en  aurez  pas  beaucoap. 


DU  CANxiDA  29T 

Combien  y  eu  a-t-il 
De  ces  méchants  maris, 
Que  tout  leur  intérêt 
C'est  d'aller  au  cabaret, 
Pour  y  passer  leur  temps 
A  boir'  tout  leur  argeut! 

Le  soir  arrivé, 

Ils  revienn'nt  à  leur  logis 

Tout  en  furibons 

Et  menant  le  carillon; 

Disant  d'un  air  fâché: 

"  Donne-moi  à  souper! 

Promptemeut  lais  mou  lit, 

Car  j'ai  besoin  d'dormir!  " 

Comment  pouvoir  chérir 

Un  si  brutal  mari? 

Vous,  à  la  maison, 

Ni  pain,  ni  lard,  ni  poisson, 

N'ayant  pas  le  sou 

Et  souvent  manquant  de  tout , 

Et  vos  petits  enfants 
Qui  vous  diront  :    "  Maman, 
Donuez-uous  donc  du  p;iin, 
Car  nous  mourons  de  faim!  " 
Hélas,  (luel  crève-cœur 
Vous  f'ra  verser  des  pleurs  ! 

Mais  comme  cela 

Tous  les  hommes  ne  sont  pas  : 

Car  tous  ces  défauts. 

Pour  un  seul,  ce  serait  trop! 

Yen  a,  assurément, 

Qui  sont  plus  complaisants  : 

Ilsaim'nt  leurs  compagaées 

Puisqu'ils  les  ont  épousées. 

Ils  venl'nt  les  soulager  : 

C'est  pour  se  faire  aimer. 


298  CHANSONS  POPULAIRES 

Mais  si  lea  maris 

Ne  sont  pas  tous  garantis, 

C'est  qu'il  yen  a  trop 

De  ces  feniiu's  qu'ont  des  défauts.. •• 

De  ces  Juxineurs  marabouts, 

Que  rien  n'est  à  leur  goût  ; 

Quand  on  veut  leur  parler 

Dans  un  coin  s'en  vont  bouder. 

Comment  n'pas  faire  courroux 

Avec  uu  tel  hibou? 


La  semaine,  au  logis, 
EU's  ont  l'air  tout  étourdies; 
Mal  peigiiées,jmal  chaussées, 
Et  souvent  mal  arrangées. 
Le  dimanche  arrivé, 
Vous  les  voyez  frisées. 
Que  tout's  leurs  qualités 
N'est  (ju'pour  l;i  vanité. 
EU's  n'ont  aucun  souci 
Pour  l'alîair'  du  loiïis. 


Qu'en  a  composé  la  chanson 
C'est  un  vieillard  de  ce  canton 
Qui  n'a  pas  regretté 
Le  jour  qu'il  s'est  marié. 
Il  a  pris  un  gibier 
Qu'il  a  su  conserver; 
Elle  a  des  qualités 
Qu'il  n'a  point  publiées  : 
Que  chacun  fass'  comm'  moi, 
Qu'il  chante  ce  qu'il  sait  ! 


DU  CANADA  299 


CELLE  QUE  MON  COEUR  AIME 

On  chante,  en  France,  les  couplets  suivants,  qui  ont 
avec  notre  chanson  Celle  que  mon  cœur  aime  un  lien  de 
parenté  non  équivoque: 

Nous  étions  dix  till's  daus  un  pré, 
ToLit's  les  dix  à  marier. 

Y  avait  Diue,  y  avait  Chine, 

Y  avait  Claiidiue  et  Martiue, 

Ab!  ab! 
Catb'rinette  et  Catb'riua, 

Y  avait  la  belle  Suzon, 

La  ducliess'  de  Moutbazou, 

Y  avait  Madeleine, 

Y  avait  la  du  Maine. 


Le  fils  du  roi  vint  à  passer, 
L'flls  du  roi  vint  à  passer  ; 
Salua  Dine,  etc.,  etc.,  etc. 
Embrassa  la  du  Maine. 


A  toutes  il  fit  un  cadeau, 
A  tout's  il  fit  un  cadeau. 
Bague  à  Diue,  etc.,  etc.,  etc. 
Diamants  à  la  du  Maine. 


Puis  il  leur  offrit  à  coucher, 
11  leur  offrit  à  coucher. 
Paille  à  Dine,  etc.,  etc.,  etc. 
Beau  lit  à  la  du  Maine. 


300 


CHANSONS  POPULAIRES 


Puis  toutes  il  les  renvoya,    . 
Toutes  il  les  reuvo^^a. 
Chassa  Diue,  chassa  Chine, 
Chassa  Claudine  (it  Martine, 

Ah!  ah! 
Cath'rinette  et  Cath'riua, 
Chassa  la  belle  Suzon, 
La  «luchess'  de  Montbazou, 
Chassa  Madeleine, 
Et  ffarda  la  du  ]\Lune. 


Evidemment  cette  version  n'est  pas  de  source  populaire. 
Mais  il  est  possible  qu'il  existe,  ou  du  moins  qu'il  ait 
existé,  en  France,  une  chanson  populaire  à  peu  près 
semblable  à  notre  version  canadienne,  et  qu'elle  ait 
servi  de  thème  aux  couplets  que  l'on  vient  de  lire. 


tizH^z 


Si- 


=&r=, 


Dans      mon       che- 


j'ai 


è3: 


i^=^--\z^z:z—s'—=i=:-\z-?^zz 


ren-     cou- 


tré,  Dans  mon    che-      min 


J'ai 


ren-     con- 


}:=» 


-^ « — 


à—--^^^- 


tré,  Ren-    con-     tré         Jli-     ne,  reu-     con-    tré 

Fi-  ne,      Ren-  con-  tré      Jac-  que....  Jac-  que-       li-      ne, 
Tra    la    la  la    la  la    la        la,  Ren-con-tré 


DU  CANADA  301 


a*^l~riT==d'ïi 


=S=i: 


=3^- 


Ger-  mi-      net-    te,        Cell'  qui        vend  des      cho-     pi- 


net-  tes,    J'ai  reu-  cou-     tré     ma 


Dans  mon  cliemiii  j'ai  rencontré  :     (bis) 

Rencontré  Mine,  rencontré  Fine, 

Rencontré  Jacque.  .Jacqueline, 

Tra  la  la  la  la  la  la  la, 

Rencontré  Germi nette, 

Cell'  qui  vend  des  cliopiuettes, 

J'ai  rencontré  ma  reine, 

Celle  que  mou  cœur  aime. 


Je  les  ai  tout'  tout'  fait  entrer:     (bis) 

Fait  entrer  Mine,  fait  entrer  Fine, 

Fait  entrer  Jacque . .  Jaciiueline, 

Tra  la  la,  etc. 

Fait  entrer  Germinette, 

Cell'  qui  vend  des  cliopinettes. 

J'ai  faic  entrer  ma  reine, 

Cela  que  mon  cœur  aime. 


Je  les  ai  tout'  tout'  fait  asseoir  :     (bis) 
Un'  chaise  à  Mine,  un'  chaise  à  Fine, 

Un'  cliaise  à  Jacque Jacqueline, 

Tra  la  la,  etc. 
Un'  chaise  à  Germinette, 
Cell'  ([ui  vend  des  chopinettes, 
Un  beau  fauteuil  à  ma  reine, 
Celle  que  mon  cœur  aime. 


302  CHANSONS  POPULAIRES 

Je  les  ai  tout'  tout'  fait  manger:    (ftts) 

Patate  à  Mine,  patate  à  Fine, 

Patate  à  Jacque.. Jacqueline, 

Tra  la  la,  etc. 

Patate  à  Gerrainette, 

Cell'  <iui  vend  des  c!ioi»inettes, 

Un  bon  cliajjon  à  ma  reine, 

Celle  que  mou  cœur  aime. 


Je  les  ai  tout'  tout'  fait  coucher  :    (6w) 
Paillasse  à  Mine,  paillasse  à  Fiue, 
Paillassi!  à  Jaciine.. Jacqueline, 
Tra  la  la,,  ete. 
Paillasse  à  Gcrmi nette, 
Cell'  (jui  vend  des  chopinettes, 
Un  beau  lit  d'plunie  à  ma  reine. 
Celle  que  mon  coeur  aime. 


Je  les  ai  tout'  tout'  renvoyées  :    {bis) 
Renvoyé  Mine,  renvoyé  Fine, 
Renvoyé  Jacque.. Jacqueline, 
Tra  la  la  la  la  la  la  la, 
Renvoyé  Germinette, 
Celle  qui  vend  des  chopinettes, 
Mais  j'ai  gardé  ma  reine, 
Celle  que  mon  cœur  aime  ! 


DU  CANADA 


303 


ENTRE  PARIS  ET  SAINT-DENIS 

Voici  une  [nùiicesse,  fille  d'au  roi  de  France,  qui  se  fait 
bel  et  bien  couper  l'herbe  sous  Le  pied  par  une  "  savante," 
physicienne  et  botaniste.  C'est  là  un  éloquent  plaidoyer 
en  faveur  de  l'usage,  établi  depuis  quelques  années,  de 
donner  des  prix  de  chimie,  de  physique  et  de  botanique 
dans  nos  pensionnats  de  jeunes  tilles. 

Une  variante  de  cette  jolie  chanson  se  chante  aussi  en 
France.  (Voir  les  Chants  et,  Chansons  de  M.  Bujeaud,  page 
203,  vol.  1.)  J'ai  recueilli  ces  couplets  à  Sainte-Louise, 
district  de  Montmagny. 


^B~^^\^^^^-\  =m=^=i  -l 


r-n — : 


ZZ3  =«==:' 


5l: 


Eu-  -  tre     Pa-      ris     et      Saint-  De-       nis       II 


s'é-     rêve 


-.' y — I  ^^  : 

u-     ne      dan- 


se; 


Tou-       tes    les 

5: — ■> 1  — s> — r" — I  ~-1  Trrr-,r:rl  rr-!-T— W  ^1 — " »  —  I  — ^~ 

da-  mes         de     la      vill'  Sont       a-  leu-      tour  qui      dan- 
sent.  Sur  la     feuil-  le     rou don  don     don,  Sur  la       jo-  li' 


jo- 


li'      feuil-  le 


:j~\z-:^  = 


ron- 


^ 


de. 


304  CHANSONS   POPULAIRES 

Entre  Paris  et  Saiut-Denia 
n  s'élève  une  danse  ; 
Toutes  les  damus  de  la  ville 
Sont  alentour  qui  dansent. 
Sur  la  feuille  n)n..dou  don  don, 
Sur  la  joli',  joli'  feuille  ronde. 


Toutes  les  dames  de  la  ville 
Sont  alentour  qui  dansent. - 
Il  n'y  a  (jue  la  ûll'  du  roi 
D'un  côté  qui  regarde. 

Sur  la  feuille,  etc. 


Il  n'y  a  que  la  flU'  du  roi 
D'un  côté  qui  regai'de. 
EU'  voit  venir  sou  messager, 
Son  messager  de  Nantes. 
Sur  la  feuille,  etc. 


Eli'  voit  venir  son  messager. 
Son  messager  de  Nantes. 
— Beau  messager,  beau  messager, 
Quell's  nouvell's  ya  à  Nantes? 
Sur  la  feuille,  etc. 


Beau  messager,  beau  messager, 
Quell's  nouvell's  ya  à  Nantes? 
— Les  nouvell's  que  j'ai  apportées: 
Que  votre  amuic  vous  mande.... 
Sur  la  feuille,  etc. 

Les  nouvell's  que  j'ai  apportées: 
Que  votre  amant  vous  mande 
Que  vous  fassiez  choix  d'un  amant; 
Pour  lui  a  une  amante. 
Sur  la  feuille,  etc. 


DU  CANADA 

Que  vous  fassiez  choix  d'un  amant. 
Pour  lui  a  uue  ainaute. 
— Est-elle  plus  belle  que  moi? 
Est-elle  plus  savaute? 

Sur  la  feuille,  etc. 


Eat-elle  plus  belle  que  moi? 
Est-elle  plus  saviute? 
—  EU'  n'est  pas  plus  belle  que  toi; 
Mais  elle  est  plus  savaute. 
Sur  la  feuille,  etc. 


EU'  n'est  pas  plus  belle  que  toi, 
Mais  elle  est  [dus  savante  : 
EU'  fait  ueiger,  eU'  fait  grêler, 
EU'  fait  le  veut  qui  vente. 
Sur  la  feuille,  etc. 


EU'  fait  neiger,  ell'  fait  grêler, 
EU'  fait  le  vent  qui  vente; 
EU'  fait  reluire  ^e  soleil 
A  minuit,  dais  sa  chambre. 
Sur  la  feuille,  etc. 


EU'  fait  reluire  le  soleil 

A  minuit,  ilans  sa  chambre; 

EU'  fait  pousser  le  r')maria 

Sur  le  bord  de  1 1  Manche. 

Sur  la  feuille  ron..d:)u  dou  doi^ 

Sur  la  joli',  joli'  feuille  ronde. 


306  CHANSONS  POPULAIRES 


IL  N'Y  A  QU'UN  SEUL  DIEU 

Je  connais  depnis  bien  longtemps  cette  ancienne  ronde 
que  l'on  pourrait  parfaitement  appeler  une  ronde  religieuse. 
L'exécution  en  est  très-simple  : 

Les  danseurs  se  comptent  d'abord  à  haute  voix,  de 
façon  à  ce  que  chacun  d'eux  se  trouve  être  désigné  par  un 
nombre  pair  ou  impair.  Le  chant  commence  ensuite  et 
la  chaîne  se  meta  tourner.  On  tourne  ainsi  constamment, 
tantôt  à  droite,  tantôt  à  gauche;  mais  quand  les  chan- 
teurs en  sont  au  sixième  couplet,  et  chaque  fois  que  ce 
sixième  couplet  se  répète,  tout  le  monde  s'arrête,  et,  pen- 
dant que  l'on  chante  :  Six  urnes  placées,  remplies,  les 
danseurs  désignés  par  un  nombre  pair  se  tournent,  d"abord 
à  droite,  puis  à  gauohe,  et  font  à  leurs  voisins  de  profonds 
saints.  Ceux  que  désigne  un  nombre  impair  font  la  même 
cérémonie  en  sens  inverse  :  le  tout  avec  la  gravité  d'une 
cérémonie  religieuse.  Puis  lorsque  l'on  chante  :  A  Cana, 
en  Galilée,  les  danseurs  recommencent  à  tourner. 

Tout  cela  n'est  guère  dans  le  goût  des  jansénistes.  Tandis 
que  ceux-ci,  sous  prétexte  de  respect,  bannissent  Dieu  de 
tout  ce  qui  n'est  pas  le  ciel  ou  le  sanctuaire,  les  catholiques 
véritables  ont  le  bon  sens  de  parler  de  Dieu  partout, 
même  dans  leurs  amusements.  "  On  a  r^mai-qué  dès 
longtemps,  dit  d'une  manière  charmante  M.  de  Sainte- 
Beuve,  cette  gaieté  particulière  aux  peuples  catholiques  ; 
ce  sont  des  enfants  qui,  sur  le  giron  de  leur  mère,  lui  font 
toutes  sortes  de  niches  et  prennent  leur  aises." 


DU    CANADA  H07 

Cette  ronde  est  la  traduction  à  peu  près  littérale  d'une 
des  Imitations  des  Séries  druidiques  que  composèrent  les 
missionnaires  qui  établirent  le  christianisme  dans  les 
Gaules.  On  s'en  convaincra  par  cette  citation  partielle 
de  deux  chants  publiés  par  M.  de  Villemarqué  (Barzas- 
Breiz,  pages  1 — 28)  : 

CHANT   DRUIDIQUE. 

Le  druide. 

Tout  beau,  enfant  blauc  du  druide  ; 
Réponds-moi,  tout  beau,  que  veux-tu  ? 
Que  je  chauterai-je  ? 

L'enfant. 

— Cbante-moi  la  série  du  nombre  un, 
Jusqu'à  ce  que  je  l'apprenne  aujourd'hui. 

Le  druide. 

Pas  (le  série  pour  le  nombre  un: 
La  nécessité  unique  ; 
Le  trépas  père  de  la  douleur; 
Rien  avant,  rien  de  plus 


Lenfant. 

La  série  du  nombre  deux  ? 

La  série  du  nombre  douze? 

Le  druide. 
Il  y  a  douze  mois  et  douze  signes) 

Onze  bélek  armés,  — . 
Dix  vaisseaux  ennemis,.... 
Neuf  petites  mains  blanches,.... 


308  CHANSONS  POPL'LAERES 

Huit  vents, . 

Sept  soleils, . 

Six  i)etits  eiifiuits  de  cire, 

Cinq  zones  antoni-  de  la  terre,... 

Quatre  pierres  à  aiguiser, 

Trois  parties  du  monde, 

Deux  bœufs . 

La  nécessité  unique,  le  trépas... 

CHANT   CHRÉTIEN. 

— Die  inilii  quid  unus  f 
— Un  us  est  De  us 
Qui  regiuit  in  cœlis. 
— Die  milii  quid  duo? 


— Die  mihi  quid  duodecim? 
— Duodecim  apostoli  ; 
Undecim  stellae 
A  Joseplio  visœ  ; 
Decem  mandata  Dei; 
Novem  angeloriim  chori; 
Octo  beatitudines; 
Septem  sacranieutaj 

Sex  liydrisB 

Posifcœ 
lu  cœua  Galileaa; 
Quiuqne  libiis  Moysisj 
Quatuor  evaugelistse 
Très  su  ut  patriarcbœ  ; 
Duo  testamenta  ; 
Un  us  est  De  us. 


UU  CANADA 


309 


FIN. 


z^-rdl- -  J:=:zgr=r 


1^ 


Il  n'ya    qu'au   seul  Dieu.  Il  u'ya     qu'un  seul  Dieu. 

Il  n'ya  qu'un  seul  Dieu, 
Il  u'ya  qu'un  seul  Dieu. 


Dis-moi     pour-  quoi    deux,  Dis-moi       pour-quoi   deux. 
A 


— *-; 


■Il      y         a     deux  Tes-ta-  uieuts. 


Dis-moi  pourquoi  deux,     {bis) 
— Il  y  a  deux  Testaments, 
Il  u'j-a  qu'un  seul  Dieu,     (bis) 


— -"• '* —  — » « 


îEE~E=*E- 


--â—~-szzz 


Dis-  moi     pour-   quoi  trois,  Dis-moi      pour-  quoi     trois. 


=Ë^=Élip=p=3iiÊïi;ii  à  la 


lettre  A. 


— Il    ya        trois  grands  pa-  tri-  arch's. 


Dis-moi  pourquoi  trois,     {bis) 
— n  y  a  trois  grands  patriarches, 
Il  y  a  deux  Testaments, 
Il  u'ya  qu'uu  seul  Dieu,     {bis) 


310 


CHANSONS  POPULAIRES 


Dis-  moi       pour-  quoi  quatr',  Dis-inui      pour-  quoi  quatre. 


irrg=-«^--e-=z;=-r^=-rg^— g-j    à  la  lettre  B. 
' — U     ya       quatre    é-     van-     gé-     list's. 

Dis-moi  pourquoi  quatre,     {bis) 
— Il  ya  quatre  évangélistes, 

Il  ya  trois  grands  patriarches, 

Il  y  a  deux  Testaments, 

Il  n'ya  qu'un  seul  Dieu.     (6ts) 


Dis-  moi       pour-  quoi  cinq,    Dis-moi      pour-  quoi  cinq. 
D 

Ê^^iiliË^ËiÊ~ËiÊÊË^Ë=f*=Ë3  à  la  lettre  C. 
Il     ya         cinq     livr's  de      Mo-     ïse. 

Dis-moi  pourquoi  cinq.     \\)is) 
— Il  ya  cinq  livr's  de  Moïse, 
Il  ya  quatre  évangélistes, 
Il  ya  trois  grands  patriarches, 
Il  y  a  deux  Testaments, 
Il  u'ya  qu'un  seul  Dieu,     {bis) 

Dis-  moi     pour-  quoi     six,  Dis-moi        pour-  quoi     six. 
E      ILento  e  religioso.  1°  tempo. 

—  Six      uca's        pla-     cées,       rem-     plies,   A      Ca- 

i}=ffE^EE5E=ff==3?p=r:§  à  la  lettre  D. 
na,   en    Ga-  li-      lée. 


DU  CANADA 

Dis-moi  pourquoi  six.     (bis) 

— Six  urii's  placées,  remplies, 

A  Caua,  en  Galilée, 

Il  ya  cinq  livr's  do  Moïse, 

II  ya  quatre  évaiigélistes, 

Il  ya  trois  grands  patiiarclies, 

II  y  a  deux  Testaments, 

Il  n'ya  qu'uu  seul  Dieu,     {bis) 


311 


Dis-moi     pour-  quoi    sept.    Dis-moi       pour-quoi     sept 


— Il      y         a     sept   sa-  cre-  uieuts 


Dis-moi  pourquoi  sept.     {Us) 

— Il  y  a  sept  sacrements, 

Six  mni's  placées,  remplies, 

A  Caua,  eu  Galilée, 

II  ya  cinq  livr's  de  Moïse, 

Il  ya  quatre  évaugélistes, 

Il  ya  trois  grands  patriarches, 

Il  y  a  deux  Testaments, 

Il  n'ya  qu'uu  seul  Dieu,     (.bis) 


Dis-  moi     pour-   quoi  huit,  Dis-moi      pour-  quoi     huit 


=^Z~~-'Zi:=:^~f!.—-'z—--i=:z-dà   a  la  lettre  P. 


f — ^    —  * 
—Il     ya         huit    bé-       a-      ti-     tud's, 


312  CHANSONS   POPULAIRES 

Dis-moi  pourquoi  liuifc.    (bis) 

— Il  ya  huit  béatitudes, 

Il  y  a  sept  sacremeuts, 

Six  urn^s  placées,  remplies, 

A  Cana,  en  Galilée, 

Il  ya  cinq  livr's  de  Moïse, 

Il  ya  quatre  évangélistes, 

Il  ya  trois  grands  i)atriarcUes, 

II  y  a  deux  Testaments, 

Il  u'ya  qu'un  seul  Dieu,     {bis) 


:_-hs- — I» — 1^:=^ — ~o ~V- 


pour-  quoi  neuf,     Dis-moi      pour-  quoi  neuf. 


à  la  lettre  G. 


Dis-moi  pourquoi  neuf,     (bis) 

— Il  y  a  neuf  cliœurs  des  auges, 

Il  ya  huit  béatitudes. 

Il  y  a  sept  sacrements. 

Six  urn's  placées,  remplies, 

A  Cana,  en  Galilée, 

Il  ya  cinq  livr's  de  Moïse, 

Il  ya  quatre  évangélistes, 

Il  ya  trois  grands  patriarches, 

Il  y  a  deux  Testaments, 

Il  u'ya  qu'un  seul  Dieu,     (bis) 


rï;=^r-q=r=r=jr=t 


— ^'— -— — ? — '— ' 


Dis-  moi      pour-  quoi    dix,     Dis-moi      pour-  quoi  dix 


DU  CANADA 


313 


—Il 


ya 


EE^EE*E£Ei£EEE5EEItEEÎ  à  la  lettre  H. 

dix  com-  mau-  de-  ments. 


Dis-moi  pourquoi  dix.     {bis) 

— Il  ya  dix  coinmandemeuts, 

Il  y  a  ueuf  cliœuis  des  anges, 

Il  ya  liuit  béatitudes, 

Il  y  a  sept  sacrements. 

Six  urrî's  placées,  remplies, 

A  Caua,  en  Galilée, 

Il  ya  cinq  livr's  de  Moïse, 

Il  ya  quatre  évangélistes, 

Il  ya  trois  grands  patriarches. 

Il  y  deux  Testaments, 

Il  n'ya  qu'un  seul  Dieu. 


:rg^==z==ze=i=^z:rf: 


:ff^; 


Dis-  moi     pour-  quoi  onz',  Dis-moi        pour-  quoi     onze. 


^g^g-J--5^~^^--g— -— Bà  la  lettre  I. 
-Il     y  a    onz'  cents  mill'  vierg's. 

Dis-moi  pourquoi  onze,     {bis) 

— Il  y  a  onz'  cents  mill'  vierges. 

Il  ya  dix  commandements, 

Il  y  a  neuf  cliœurs  des  anges. 

Il  ya  huit  béatitudes, 

Il  y  a  sept  sacrements, 

Sii;  urrî's  placées,  remplies, 

A  Cana,  eu  Galilée, 

Il  ya  cinq  livr's  de  Moïse, 

Il  ya  quatre  évangélistes, 

Il  ya  trois  grands  i^atriarches. 

n  y  a  deux  Testaments, 

Il  n'ya  qu'un  seul  Dieu.    (J)ia) 


314 


CHANSONS    POPLTLAr.i:-:^ 


Dis-  moi     pour-quoi  doiiz',   Dis-  moi       pour-  quoi  douze. 

^=J^^lHg^'=Êf  ^^=*=llà  la  lettre  J. 
— Il     y  a     les  douze     a-  pôtr's. 


Dis-moi  poaniuoi  doiizo.      {bis) 

— Il  y  a  les  douze  apôtres, 

Il  y  a  onz'  cents  inill'  vierges, 

Il  yadix  coinuiaudeuients, 

Il  y  a  neuf  chœurs  des  anges, 

Il  ya  huit  béatitudes, 

Il  y  a  sejit  sacrements, 

Six  urn^s  placées,  remplies, 

A  Cana,  en  Galilée, 

Il  ya  cinq  livr's  de  Moïse, 

Il  ya  quatre  év'angélistes, 

Il  ya  trois  grands  patriavclies, 

Il  y  a  deux  Testaments, 

Il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu,     (bis) 


DU  CANADA  31S 


REMARQUES  GÉNÉRALES. 

Les  différents  intervalles  de  l'échelie  des  sons  forment 
ce  que  l'on  pourrait  appeler  le  corps  de  la  musique  ;  le 
rliythmu  en  est  l'àme. 

De  Tunion  de  ces  deux  éléments  nait  la  mélodie. 

La  mélodie  est  une  suite  de  sons  formant  un  chant 
compréhensible  à  l'oreille  (1), — suite  de  sons  nécessaire- 
ment traversée  par  le  rliytlinie  et  recevant  de  lui  un 
caractère. 

L'harmonie,  qui  repose  sur  la  simultanéité  des  sons, 
n'est  pas  un  élément  essentiel  de  la  musique,  du  moins 
de  toute  musique,  comme  l'échelle  dos  sons  et  comme  le 
rhythme.  L'homme  de  la  campagne  qui  fait  entendre  sa 
voix  solitaire  au  milieu  des  champs,  fait  de  la  musique, 
mais  pas  d'harmonie. 

Ainsi  donc  : 

Echelle  des  sons, — corps  de  la  musiijue; 
Rhythme,  -âme  de  la  musique; 
Mélodie,— corps  et  âme,  échelle  et  rhythme  réunis; 
Harmonie, —accessoire  non  obligé  do   la  mélodie,  du 
moins  dans  nos  chants  populaires. 

Pour  bien  comprendre   ce  ([ue  sont  nos  chants  popu 

(1)  Scudo.  Tout  le  mondo  connaît  la  fameuse  définition  de  saint  Jean  de 
Damas:  la  mélodie  est  une  «uite  de  sons  qui  n'appellcnU  Pour  ces  seuls  mots  : 
qui  s'appellent,  disait  Choron,  saint  Jean  Damascèae  méritait  bien  d'être 
canonisé  ! 


316  CHA^SOXS  POPULAfRE.S 

lainjs,  examinons-lo»  dans  lonva  modes— échelles  des  sons 
— et  dans  leur  rhylhnio.  Examinons  aussi  jusqu'à  quel 
point  ils  sont  susceptibles  de  s'unir  avec  l'harmonie.  Cet 
examen  nous  permettra  de  porter  un  ju;,'ement  plus 
éclairé  sur  l'esthétique  de  cette  musique  du  peuple. 

ECHELLE    DHS   SONS. 

Dans  son  acception  générale,  le  son,  suivant  Boëce, 
"  est  un  battement  d'aircontinuéjusques  au  sens  de  l'ouye 
sans  interruption  aucune." 

Les  milliers  de  bruits  qui  remplissent  la  nature  n'ont 
pas  tous  le  caractère  musical.  Pour  qu'un  son  porte  le 
caractère  musical,  il  faut  qu'on  puisse  lui  assigner  une 
place  dans  une  échelle  ou  série  de  sons  quelconque  de 
manière  (jue  l'oreille  ne  le  confonde  pas  avec  un  son  plus 
grave  ou  plus  aigu. 

L'immense  échelle  des  sons  musicaux,  depuis  le  plus 
grave  jusqu'au  plus  élevé  que  l'oreille  puisse  entendre,  se 
divise  naturellement  par  mtervalles  que,  dans  le  système 
musical  qui  nous  est  familier,  nous  appelons  octave.  (1) 

Les  sons  compris  entre  les  notes  extrêmes  d'une  octave, 
se  divisent  de  différentes  manières,  et  par  leur  succession 
du  plus  grave  au  plus  aigu,  ou  vice  versa,  constituent  ce 
qu'on  appelle  gamme. 

(1)  Cet  intervalle  d'octave  qui  consonne  si  parfaitement  à  l'oreille,  est 
aussi  admirable  d'ordre  et  de  proportion  dans  ses  causes  que  dans  ses  effets. 
Que  l'on  fasse  entendre  un  son  donnant  200  vibrations  par  seconde,  le  pre- 
mier son  identique  à  l'aigu  donnera  400  vibrations,  le  second  800,  et  ainsi  do 
suite.  A 


DU    CANADA  317 

Le  mode  détermine  l'ordre  de  succession  des  notes  de 
la  gamme  oa  d'une  série  de  sons  quelconque,  d) 

Il  faut  bien  se  garder  de  croire  que  nos  deux  gammes 
du  mode  majeur  et  du  mode  mineur  soient  les  seules 
acceptables  pour  l'oreille  de  l'homme.  A  part  toutes  les 
preuves  du  contraire  qui  ont  déjà  été  données  dans  ce 
volume,  et  toutes  celles  que  nous  fournit  l'histoire,  il  en 
est  une  excellente  qui  réside  dans  ce  fait  :  que  les  Arabes, 
les  Indiens,  et  les  peuples  orientaux,  en  général,  ne  con- 
naissent point  notre  manière  de  diviser  l'octave. 

Dans  les  séries  de  sons  dos  divers  systèmes  de  musique 
en  usage  chez  ces  peuples,  les  intervalles  sont  quelque- 
fois plus  petits  et  quelquefois  plus  grands  que  les  plus 
petits  ou  les  plus  grands  intei'valles  de  nos  gammes  ma- 
jeures et  mineures. 

Chez  les  Hindous,  l'octave,  divisée  en  vingt-deux  parties, 
présente,  dans  ses  subdivisions,  les  plus  grandes  étran- 
getés.  Il  n'est  pas  un  seul  de  leurs  six  modes  principaux 
{ragas)  qui  corresponde  en  tous  points  soit  avec  les  modes 
de  notre  plain-chant  soit  avec  nos  deux  modes  majeur  et 
mineur. 

La  division  de  l'octave  chez  les  Arabes  constitue  une 
échelle  de  sons  non  moins  étrange  pour  nous  que  celle 
des  Hindous.  "  Cette  échelle  .. .  si  naturelle  à  l'oreille 
des  habitants  d'une  grande  partie  de  l'Afrique  et  de  l'Asie, 

(1)  Chez  les  anciens  Grec-,  l'échelle  était  divisée  par  séries  de  quatre 
notes  appelées  tétracorden.  Lorsque  saint  Ambroise  limita  à  une  octave 
l'étendue  de  chacun  des  quatre  modes  du  chant  ambrosien,  l'unité  artifi- 
cielle du  tétracorde,  dans  l'échèile  des  sons,  disparut  peu  à  peu  pour  faire 
place  à  l'unité  naturelle  do  l'octave. 


318  CtiANSONS  POPaL.VUililS 

est  divisée  par  tiei-s  de  tons,  de  telle  sorte  (jii'au  lieu  de 
renfermer  treize  sons  dans  l'étendue  de  l'octave,  elle  en 

admet  dix-huit Semblable  au  système  de  tonalité 

des  Hindous,  sous  le  rapport  de  la  variété,  celui  des 
Arabes  est  de  nature  à  faire  comprendre  jusqu'où  peut 
aller  la  différence  d'organisation  musicale  entre  les  p(iu- 
ples  divers.  Les  douze  moJes  de  ce  système  se  divisent 
chacun  en  treize  gammes  ou  circulations.  Toutes  ces 
circulations  répondent  à  noti-e  gamme  de  /a,  mais  dans 
un  ordre  de  succession  tel  que  les  notes  in.termédialres 
entre  la  et  son  octave  supérieure  se  présentent  tour-à-tour 
dans  un  état  d'altération  qui  résulte  de  la  division  de 
l'échelle  par  tiers  de  lon^  à  rexception  de  la  quarte  supé- 
rieure [ré)^  qui  est  immuable  comme  les  deux  notes  des 
extrémités  de  la  gamme."  (1) 

Il  est  certain  que  si  nous  entendions  la  musique  qui 
repose  sur  de  pareilles  échelles  de  sons,  nous  la  trouve- 
rions détestable,  et  cela  parce  que  l'éducation  de  notre 
oreille  nous  porte  à  repousser  de  semblables  divisions  de 
l'octave.  "  Rien  n'est  plus  difficile,  dit  M.  Fétis,  que  de 
former  une  idée  juste  d'une  musique  dont  les  élémens 
sont  absolument  différents  de  ceux  qui  servent  la  base  à 
la  musique  qu'on  a  entendue  pendant  toute  sa  vie  :  les 
musiciens  les  plus  instruits  ont  beaucoup  de  peine  à  se 
défendre  en  pareil  cas  des  préjugés  de  leur  oreille.  Un 
exemple  prouvera  ce  que  j'avance. 

"  M.  Villoteau,  ancien  artiste  de  l'Opéra,  était  du 
nombre  des  savants  qui  suivirent  le  général  Bonaparte 

(1)  Fétis.  Rémmé  philosopliiqiue  de  l'histoire  de  la  Musique,  pages  LXXVUI 
et  LXXIX. 


DU  CANADA  319 

dans  l'expédition  d'Egypte.  Sa  destination  était  de  re- 
cueillir des  renseignements  sur  la  musique  des  divers 
peuples  de  l'Orient  qui  habitent  cette  contrée.  Dès  son 
arrivée  au  Caire,  il  prit  un  maître  de  musique  arabe,  qui, 
suivant  la  coutume  de  ces  musiciens,  faisait  consister  ses 
leçons  à  chanter  des  airs  que  son  élève  devait  retenir  : 
car,  dans  ce  pays,  l'artiste  le  plus  habile  est  celui  qui  sait 
de  routine  le  plus  grand  nombi-e  de  ces  airs.  M.  Villo- 
teau,  qui  se  proposait  de  rassembler  beaucoup  de  mélodies 
originales  du  pays  où  il  se  trouvait,  se  mit  à  écrire  sous 
la  dictée  de  son  maître;  et  remarquant,  pendant  qu'il 
notait  sa  musique,  que  l'instituteur  détonnait  de  temps 
en  temps,  il  eut  soin  de  corriger  toutes  les  fautes  qui  lui 
semblaient  être  faites  par  celui-ci.  Son  travail  terminé, 
il  voulut  chanter  l'air  qu'on  venait  de  lui  enseigner,  mais 
l'Arabe  l'arrêta  dès  les  premières  phrases  en  lui  disant 
qu'il  chantait  faux.  Là  dessus,  grande  discussion  entre 
le  disciple  et  le  maître,  chacun  assurant  que  ses  intona- 
tions sont  inattaquables,  et  ne  pouvant  entendre  l'autre 
sans  se  boucher  les  oreilles.  A  la  lin,  M.  Villoteau  ima- 
gina qu'il  pouvait  y  avoir  dans  cette  dispute  quelque 
cause  singulière  qui  méritait  d'être  examinée  ;  il  se  fit 
apporter  un  Eoud^  espèce  de  lath  dont  le  manche  est 
divisé  suivant  les  règles  de  l'échelle  musicale  des  Arabes  ; 
l'inspection  de  cet  instrument  lui  fit  découvrir,  à  sa 
grande  surprise,  que  les  éléments  de  la  musique  qu'il 
savait  et  de  celle  qu'il  voulait  apprendre  étaient  absolu- 
ment différents.  Les  intervalles  de  sons  ne  se  ressem- 
blaient pas,  et  l'éducation  du  musicien  français  le  rendait 
aussi  inhabile  à  saisir  ceux  des  chants  de  l'Arabie  qu'à 


320  CHANSONS  POPULAIRES 

les  exécuter.  Le  temps,  une  patience  à  toute  épreuve,  et 
des  exercices  multipliés  finirent  par  modifier  les  dis- 
positions de  son  organe  musical,  et  le  rendre  apte  à 
comprendre  ces  gammes  étranges  qui  avaient  d'abord 
blessé  son  oreille." 

"  Les  Egyptiens  n'aiment  pas  notre  musique,  dit  M. 
Villoteau,  et  trouvent  la  leur  délicieuse." 

On  me  pardonnera  d'insister  autant  sur  toutes  ces 
étrangetés  orientales.  Il  est  bon  que  ces  faits  soient  plus 
connus  qu'ils  ne  le  sont  :  il  est  tant  de  gens  qui  s'imagi- 
nent que  la  musique  a  dû  toujours  être,  en  tous  temps  et 

en  tous  lieux,  ce  qu'elle  est  dans   //  Trovatore et 

qu'elle  ne  sortira  jamais  de  là  !  Ces  considérations,  d'ail- 
leurs, sont  de  nature  à  nous  faire  sortir  un  peu  du  cercle 
d'idées  dans  lequel  on  est  accoutumé  de  tourner  sans 
cesse;  elles  aident  à  se  détacher  un  moment  de  théories 
trop  exclusives,  quoique  bonnes  en  elles-mêmes,  à  placer 
l'esprit  dans  cette  indépendance  qu'il  lui  faut  de  toute 
nécessité  pour  juger  sainement  d'une  tonalité,  d'une 
langue  musicale  étrangère. 

Notre  musique,  que  l'on  pourrait  appeler  européenne^ 
est  née,  comme  l'on  sait,  des  chants  d'église  du  moyen 
âge,  lesquels  sont  issus  eux-mêmes  de  la  musique  de  la 
Grèce  antique. 

Je  fais  grâce  au  lecteur  de  l'histoire  de  notre  échelle 
musicale,  et  en  particulier  des  faits  qui  se  rattachent  à 
son  origine  grecque.  Pour  peu  qu'on  ait  feuilleté  de 
livres,  on  a  si  souvent  rencontré  sur  sa  route  les  Pelages 


DU   CANADA  H21 

et  les  Hellènes  qu'il  est  peu  de  lecteurs  qui  ne  se  soient 
écriés  bien  des  fois  : 

Qui  nous  délivrera  des  Grecs  et  des  Romains  ! 

OU  tout  au  moins  des  premiers  !  Cependant,  vers  l'an  338 
avant  notre  ère,  il  s'opéra,  dans  le  système  musical  des 
Grecs,  une  transformation  si  féconde  en  enseignements 
qu'elle  doit  être  rappelée  ici. 

Jusqu'à  cette  époque,  le  seul  genre  généralement  connu 
en  Grèce  était  le  genre  diatonique^  dont  l'intervalle  carac- 
téristique est  le  ton  entier.  Mais  les  rapports  des  Grecs,  et 
tout  spécialement  des  Ioniens,  avec  les  peuples  de  l'Orient 
devenant  de  plus  en  plus  fréquents,  leur  musique  prit  un 
caractère  mou  et  sensuel  qu'elle  n'avait  jamais  eu  jusqu'a- 
lors, et  le  genre  appelé  chromatique .,  dont  l'intervalle  carac- 
téristique est  le  demi-ton.,  commença  à  devenir  en  usage.  (1  ) 

Il  ne  faut  pas  croire  que  ces  deux  faits  :  les  relations 
plus  fréquentes  des  Grecs  avec  les  peuples  efféminés  et 
sensuels  de  l'Orient  et  l'apparition  du  genre  chromatique 
parmi  eux,  soient  deux  choses  indépendantes  l'une  de 
l'autre,  n'ayant  aucune  relation  entre  elles,  et  qu'elles  ne  se 
soient  produites  en  môme  temps  que  par  une  coïncidence 
tout  accidentelle.  Non,  "  les  différents  genres,  comme  le 
dit  parfaitement  M.  Vincent,  ont  un  caractère  moral  parti- 
culier :  le  genre  diatonique  est  mâle  et  austère  ;  le  chro- 
matique a  quelque  chose  de  tendre  et  de  mélancolique  ; 
enfin  l'enharmonique  est  doux  quoique  excitant."    D'où 

(1)  Plus  tard,  environ  200  ans  avant  Jésus-Christ,  on  vit  apparaître  ou 
réapparaître  un  troisième  genre  appelé  enharmonique,  dont  l'intervalle 
caractéristique  est  le  quart  de  ton- 


322  CHANSONS  POPULAIRES 

il  suit  qu'une  société  à  mœurs  sévères  chantera  dans  une 
tonalité  dont  l'échelle  sera  formée  de  grands  intervalles, 
comme  dans  le  genre  diatonique, — tonalité  dans  laquelle 
ne  chantera  jamais  une  société  dissolue  et  affolée  de 
plaisirs. 

"  Chaque  système  musical,  dit  M.  d'Ortigue,  a  son 
échelle  particulière,  où  les  sons  sont  divisés  selon  la  cons- 
titution de  ce  môme  système.  L'échelle  est  en  quelque 
sorte  l'alphabet  propre  à  chaque  idiome  musical,  c'est-à- 
diré  à  chaque  tonalité.  Les  intervalles  sont  plus  ou  moins 
distants  les  uns  des  autres,  et  ils  revêtent  entre  eux  des 
propriétés^  des  affinités  différentes  selon  les  divers  modes 
propres  .à  la  tonalité  à  laquelle  appartient  l'échelle,  en 
sorte  que  dans  chaque  tonalité  on  droit  distinguer,  en 
premier  lieu,  l'échelle  générale  des  sons  et  en  second  lieu 
les  échelles  particulières  des  divers  modes,  c'est-à-dire  la 
gamme  et  ses  modifications,  telles  que  la  gamme  majeure 
et  mineure  dans  notre  tonalité.  Les  Orientaux  divisent 
leurs  échelles  par  tiers  et  quarts  de  tons,  la  nôtre  est  divi- 
sée par  demi  tons,  celle  du  plain  chant  fondée  sur  l'ordre 
diatonique  procède  par  tons  entiers,  sauf  les  deux  demi- 
tons  inhérents  d'ailleurs  à  l'ordre  diatonique  et  le  demi- 
ton  accidentel.  Plus  les  mœurs  sont  efféminées  chez  un 
peuple^  plus  son  échelle  musicale  affecte  de  petits  intervalles 
rapprochés  ;  plus^  au  contraire,  un  peuple  est  grave,  plus  il 
est  attaché  aux  doctrines  religieuses,  et  plus  son  échelle  tend 
à  multiplier  les  grands  intervalles.  Ceci  soit  dit  pour  pro- 
tester contre  l'opinion  de  Rousseau  et  plusieurs  autres 
théoriciens,  à  savoir  que  la  coordination  des  intervalles 
dont  se  compose  toiite  l'échelle  musicale  est  le  produit 


DU  CANADA  323 

d'une  délibération,  d'un  choix,  d'an  calcul.  Les  échelles 
musicales  ne  sont  pas  le  fait  des  hommes,  pas  plus  que  les 
alphabets,  pas  plus  que  les  langues.  Elles  sont  le  produit 
spontané  de  mille  causes,  de  mille  circonstances  de 
climat,  de  langage,  d'aptitudes,  etc.  Ce  que  les  hommes 
y  ont  mis,  ils  l'ont  mis  par  instinct,  mais  il  n'y  ont  rien 
mis  délibérément.  C'est  l'œuvre  de  tous,  ce  n'est  l'œuvre 
de  personne  en  particulier  ;  c'est  l'expression  de  la  civili- 
sation." (1) 

Et  que  l'on  ne  s'étonne  pas  que  ces  diverses  divisions  de 
l'échelle,  que  j'ai  appelées  le  corps  de  la  musique,  aient 
tant  d'influence  sur  la  partie  métaphysique  de  l'art.  Dieu 
en  créant  l'homme  esprit  et  matière  l'a  voulu  ainsi;  et  si 
le  but  principal  de  l'art  doit  être  immatériel,  il  n'en  est 
pas  moins  vrai  que  les  formes  matérielles  sont  indispen- 
sables et  qu'elles  jouent  un  très-grand  rôle  dans  tous  les 
arts.  C'est  que,  dans  les  relations  de  l'homme  avec  son 
semblable  ou  avec  la  société,  il  lui  faut  frapper  aux 
organes  du  corps  pour  arriver  à  l'âme.  Notre  Seigneur 
Jésus-Christ  lui-même  a  rendu  un  éclatant  hommage  à 
cette  loi  de  l'éternelle  sagesse.  Rien  de  sensible,  dit  saint 
Jean-Chrysostôme,  ne  nous  a  été  donné  par  Jésus-Christ, 
mais  tout  sous  des  apparences  sensibles.  Ainsi,  dans  le 
baptême,  c'est  par  l'eau  qui  tombe  sous  les  sens  que  la 
grâce  invisible  est  accordée,  c'est-à-dire  notre  régénéra- 
tion, notre  renouvellement,  opération  toute  intelligible. 
Si  tu  n'avais  point  de  corps,  tu  aurais  reçu  ces  dons  tels 

(1)  Joseph  d'Orligue.  Dictionnaire  liturgique,  historique  et  théorique  de  plain- 
chant  et  de  micsique  religieuse  au  mogen  âge  et  dans  les  temps  modernes. 


324  CHANSONS  POPULAIRES 

qu'ils  sont,  tu  les  aurais  reçus  incorporels,  mais  ton  âme 
est  jointe  à  un  corps,  et  c'est  par  l'intermédiaire  des  objets 
sensibles  qu'ils  sont  présentés  à  son  intelligence." 

Nos  chants  populaires  appartiennent  le  plus  souvent, 
quant  à  l'échelle  des  sons,  à  la  tonalité  grégorienne.  Les 
exemples  de  ce  fait  qu'on  a  pu  voir  dans  ce  volume  ne 
sont  pas  des  exemples  isolés.  On  peut  ajQirmer  que  les 
mélodies  qui  n'ont  jamais  pénétré  dans  les  villes, — et  elles 
sont  extrêmement  nombreuses,  —  appartiennent  presque 
toujours  à  l'ordre  diatonique,  et  que  très-souvent  elles 
sont  mèpe  entièrement  conformes  aux  lois  modales  du 
chant  grégorien.  Ce  fait  étant  connu,  un  homme,  qui,  du 
reste,  ne  connaîtrait  rien  du  Canada,  pourrait  dire  avec 
certitude,  de  l'avis  de  M.  Vincent,  de  M.  d'Ortigue  et  de 
tous  les  théoriciens,  que,  du  moins  dans  une  certaine 
mesure  (car  il  y  aurait  encore  le  rhythme  à  examiner),  le 
peuple  de  nos  campagnes  canadiennes  est  un  peuple  à 
mœurs  simples,  honnête  et  religieux,  (l) 

On  a  pu  voir  que,  dans  un  bon  nombre  de  nos  mélodies 
populaires,  les  modes  grégoriens,  avec  leurs  échelles  spé- 
ciales, leurs  notes  à  propriétés  et  affinités  particulières, 
sont  parfaitement  accusés.    Il  est  d'autres  mélodies  popu- 

(1)  "  Platon,  ainsi  que  les  philosophes  les  plus  célèbres  de  la  Chine,  con- 
sidérait la  simplicité  des  mœurs  et  le  calme  des  passions  comme  le  fonde- 
ment le  plus  solide  du  maintiea  de  la  constitution  et  de  la  tranquillité  d'un 
royaume  ou  d'une  république.  Or,  il  est  de  certains  systèmes  de  tonalité 
dans  la  musique  qui  ont  un  caractère  calme  et  religieux,  et  qui  donnent 
naissance  à  des  mélodies  douces  et  dépouillées  de  passion,  comme  il  en  est 
oui  ont  pour  résultat  nécessaire  l'expression  vive  et  passionnée.  A  l'audition 
de  la  musique  d'un  peuple,  il  est  donc  facile  déjuger  de  son  état  moral,  de 
ses  passions,  de  ses  dispositions  à  un  état  tranquille  ou  révolutionnaire,  et 
enfin  de  la  pureté  de  ses  mœurs  ou  de  ses  penchants   à  la  mollesse.     Quoi 


DU  CANADA  325 

laires  qui  portent  aussi  le  cachet  antique,  mais  qui  affec- 
tent la  plus  parfaite  indépendance  à  l'endroit  des  formes 
modales.  Mélodies  charmantes  dans  leur  étrangeté,  j'allais 
dire  leur  sauvagerie,  elles  offrent  le  plus  souvent  un  mé- 
lange du  premier  mode  grégorien  et  du  mode  majeur,  et 
elles  se  promènent  ainsi,  sur  un  rhythme  tantôt  binaire 
tantôt  ternaire,  jusqu'à  ce  qu'il  leur  plaise  de  s'arrêter  sur 
un  intervalle  dont  l'oreille  est  tout  étonnée,  intervalle 
irrationnel  suivant  toutes  nos  lois,  et  pourtant  d'une  réelle 
beauté. 

Ces  mélodies  sont  précieuses  à  recueillir.  D'une  valeur 
incontestable,  malgré  leur  bizarrerie,  elles  témoignent 
qu'en  dehors  de  nos  lois  anciennes  et  modernes,  il  y  a 
encore  un  vaste  champ  pour  la  musique  de  l'avenir. 

.  On  a  souvent  dit  que  l'échelle  du  chant  grégorien 
n'était  qu'un  reste  de  barbarie,  le  débris  d'un  systèrne  de 
pure  convention.  Ces  idées,  il  est  vrai,  n'ont  plus  cours 
parmi  les  musiciens  instruits,  mais  comme  elles  sont 
profondément  enracinées  chez  d'autres,  et  que  ces  derniers 
sont,  après  tout,  le  plus  grand  nombre,  elles  sont  encore 
très-discutées.  Or,  entre  musiciens  qui  ne  s'accordent 
pas,  il  n'y  a  souvent  d'autre  argument  possible  que  l'é- 

qu'on  fasse,  on  ne  donnera  jamais  un  caractère  véritablement  religieux  à  la 
musique  sans  la  tonalité  austère  et  sans  l'harmonie  consonnante  du  plain- 
chant;  il  n'y  aura  d expression  passionnée  et  dramatique  possible  qu'avec 
une  tonalité  susceptible  de  beaucoup  de  modulations,  comme  celle  de  la 
musique  moderne:  enfin,  il  n'y  aura  d'accents  langoureux,  tendres,  mous 
efféminés,  qu'avec   une    échelle    divisée  en  petits  intervalles,  comme   les 

gammes  des  habitants  de  la  Perse  et  de   l'Arabie L'inspection  de 

la  musique  d'un  peuple  peut  donc  donner  une  idée  assez  juste  de  son  état 
moral,  et  Platon  et  les  philosophes  chinois  n'ont  pas  été  à  cet  égard  dans 
une  erreur  aussi  grande  qu'on  pourrait  le  croire."    (Fétis,  Résumé,  p.  LUI.) 


326  CHANSONS  POPUL/VIRES 

change  de  coups  de  poings,  argument  qui,  comme  l'a  dit 
quelque  part  m\  spirituel  écrivain,  ne  se  trouve  pas  dans 
la  grammaire  des  grammaires. 

Mais  de  pareils  témoignages  d'amitié  ne  résolvent  rien* 
Si  on  voulait  nous  en  croire  on  soumettrait  tout  simple- 
ment la  question  à  un  arbitre,  et  cet  arbitre,  on  le  devine, 
ce  serait  le  peuple.  J'ai  d'ordinaire  peu  de  confiance  en 
ses  jugements,  mais  le  cas  est  exceptionnel. 

Assurément  on  ne  pourrait  accuser  le  peuple  de  partia- 
lité :  il  n'entend  rien  à  nos  discussions;  il  fait  sa  prose  ou  ; 
ses  vers  sans  le  savoir,  comme  le  bonhomme  Jourdain* 
Ecoutons-le  chanter,  c'est  la  vraie  nature  prise  sur  le  fait. 

Le  peuple  chante  dans  les  vieux  modes  grégoriens,  non 
pas  parce  qu'il  suit  une  note  écrite  qui  le  veut  ainsi  :  il" 
ne  comprend  rien  ni  aux  notes,  ni  à  aucun  système  mu- 
sical — mais  parce  qu'il  obéit  à  son  insu  à  un  ordre  de 
choses  supérieur,  venant  de  Dieu  et  du  rapport  qui  existe 
entre  les  choses  visibles  et  les  choses  invisibles.  Il  subit 
l'action  de  tout  ce  qui  l'entoure,  et  il  trouve  naturelle- 
ment l'expression  de  ses  sentiments,  de  l'état  de  son  esprit 
et  de  son  cœur,  sans  aucun  calcul,  sans  aucune  idée  pré- 
conçue de  théorie  ou  de  système.  "  La  musique,  a  dit 
Leibnitz,  est  un  calcul  secret  que  l'âme  fait  à  son  insu." 

Et  notez  qu'on  ne  peut  attribuer  à  l'emploi  d'instruments 
à  sons  fixes  une  éducation  de  l'oreille  prétendue  défec- 
tueuse, et  que  l'on  ne  saurait  appeler  la  tonalité  de  nos 
chants  populaires /a  tonalité  des  cornemuses,  comme  écrivait 
quelque  part  madame  George  Sand.    J'ai  déjà  dit  que  les 


DU  CANADA  327 

paysans  canadiens  ne  font  usage  d'aucun  autre  instrument 
que  du  petit  violon. 

"  Il  nous  est  arrivé,  il  y  a  quelques  années,  écrivait  M. 
d'Ortigue,  de  parcourir  pendant  l'automne  les  campagnes 
avoisinant  la  montagne  du  Luberon,  pour  y  l'aire  la 
chasse,  non  au  gibier,  mais  aux  mélodies  anciennes. 
Quand  nous  entendions  une  chanson,  un  cantique,  une 
complainte,  ou  bien  un  air  de  fifre  qui  nous  plaisait  par 
sa  singularité  et  son  tour  naïf,  nous  allions  interroger  le 
paysan,  la  paysanne  ou  le  bei'ger  qui  l'exécutaient,  et  si 
nous  ne  pouvions  le  transcrire  au  moment  môme,  nous 
annoncions  notre  visite  pour  le  soir  à  la  veillée  dans  la 
grange.  Réunis  autour  d'une  table,  les  femmes  cousant  et 
filant,  les  hommes  lisant,  chantant  ou  fumant,  ces  braves 
gens  nous  répétaient  la  mélodie  du  matin,  et  quand  nous 
en  avions  bien  saisi  les  intonations  et  le  rhythme,  ce  qui 
(pour  le  rhythme  principalement)  n'était  pas  toujours 
facile;  quand  nous  avions  tenu  compte  des  diverses 
variantes  que  plusieurs  d'entre  eux  proposaient,  nous 
écrivions  le  chant  sous  la  dictée  d'un  seul,  au  grand  éton- 
nement  de  l'assemblée  quine  pouvait  concevoir  comment, 
au  moyen  de  certains  signes,  on  pût  fixer  les  sons.  Mais 
ils  étaient  bien  obligés  de  se  rendre  quand  nous  leur 
chantions  à  notre  tour  la  mélodie  et  les  paroles  sans  faire 
une  faute.  D'ordinaire  ces  bons  paysans  nous  disaient  : 
Tel  cantique  a  deux  airs,  l'ancien  et  le  nouveau.  Lequel 
voulez-vous?  Nous  les  leur  faisions  chanter  tous  les  deux, 
mais  nous  donnions  presque  toujours  la  préférence  à  l'air 


328  CHANSONS  POPULAIRES 

ancien.  Effectivement,  disaient-ils,  l'ancien  est  beaucoup 
plus  beau,  et  il  est  fort  remarquable  qu'Us  traduisaient  le 
plus  souvent  l'air  moderne  dans  leur  vieille  tonalité  favorite^ 
en  supprimant  presque  partoict  la  note  sensible." 

Ce  que  M.  d'Ortigue  vient  de  nous  raconter  m'est  arrivé 
cent  fois  à  moi-même  ;  les  mômes  observations  qu'il  a 
faites  en  France,  je  les  ai  faites  en  Canada,  et  si  ce  n'était 
quelques  petits  détails  de  mise  en  scène  qui  nous  sont 
étrangers,  (comme  les  réunions  dans  une  grange,)  on 
pourrait  croire  que  le  savant  musiciste  a  fait  sa  chasse 
aux  mélodies  sur  les  bords  du  Saint-Laurent  tout  aussi 
bien  que  dans  le  voisinage  du  comtat  Venaissin.  Mais  je 
reviens  à  notre  arbitrage,  et  je  conclus  que  si,  très- 
souvent,  le  plus  souvent  peut-être,  le  peuple  suit  d'instinct 
les  lois  des  diverses  échelles  modales  du  plain-chant,  il 
est  impossible  que  ces  lois  soient  purement  convention- 
nelles, et  il  est  évident  au  contraire  qu'elles  émanent  de  la 
nature  même  des  choses  et  de  leur  principe  divin. 

RHYTHME. 

"  Le  rhythme,  c'est  le  mouvement  qui  traverse  néces- 
sairement la  mélodie  et  lui  donne  un  caractère."    (1) 

Dans  nos  chants  populaires,  le  rhythme  est  souvent 
mesuré  ;  quelquefois  il  l'est  à  peine,  et  si,  non  sans 
difficulté,  on  peut  lui  reconnaître  une  mesure,  celle-ci 
passe  du  mouvement  binaire  au  mouvement  ternaire,  et 

(1)  Scudo. 


DU   CANADA  329 

vice  versa,  puis  disparait,  puis  reparaît  encore,  sans  pour 
cela  que  le  rhythme  cesse  un  instant  d'exister. 

Que,  dans  notre  musique  artistique,  on  fasse  durer  un 
simple  silence  un  temps  de  plus  ou  un  temps  de  moins 
que  ne  le  veut  la  mesure,  l'oreille  en  est  plus  choquée 
qu'à  l'audition  d'une  fausse  note.  Dans  nos  mélodies 
populaires,  au  contraire,  des  mesures  tronquées  ou  allon- 
gées laissent  l'oreille  également  satisfaite. 

Le  rhythme  de  nos  mélodies  populaires  (je  parle  surtout 
des  mélodies  qui  ne  sont  chantées  qu'à  la  campagne) 
appartient  doncàla  fois  au  rhythme  non  mesuré  du  plain- 
chant  et  de  au  rhylhme  mesuré  de  la  musique  moderne. 

Pour  le  rhythme  duplain-chant  comme  pour  ses  échelles 
modales,  messieurs  les  musiciens  avancés  professent 
le  plus  superbe  dédain.  "  Eh  !  ne  voyez-vous  pas,  me 
disait  l'un  d'eux,  que  si  les  vieux  moines  du  moyen-âge 
ne  mesuraient  pas  leur  musique  c'est  qu'il  ne  connais- 
saient pas  mieux  ?  Je  suis  d'avis,  moi,  que  l'on  devrait 
arranger  tout  le  chant  grégorien  à  deux,  à  trois  et  à 
quatre  temps ce  serait  un  progrès  !  " 

En  vérité,  on  abuse  étrangement  de  ce  mot  "progrès.  " 

Et  d'abord  on  connaissait  très-bien  la  mesure  au  moyen- 
âge.  Avant  même  le  moyen-âge,  saint  Ambroise  con- 
naissait la  rhythme  poétique,  et  on  possède  aujourd'hui 
des  documents  établissant  d'une  manière  irrécusable 
qu'aux  neuvième  et  dixième  siècles,  il  existait,  concurem- 


330  CHANSONS  POPULAIRES 

ment  avec  le  plain-chant,  une  musique  mesurée^  populaire, 
"  essentiellement  différente  du  chant  de  Téglise."   (I| 

Si  donc  on  connaissait  la  mesure  au  moyen-âge,  et  que, 
néanmoins,  le  chant  plane  était  toujours  conservé  dans 
l'église,  on  ne  saurait  dire  qu'on  ne  faisait  pas  autrement 
par  ignorance;  il  faut  reconnaître  au  contraire  que  ce 
chant  non  mesuré  a  sa  raison  d'être,  son  expression 
propre.  Et,  apparemment,  cette  expression  particulière 
convient  singulièrement  au  sentiment  religieux,  puisque, 
pendant  des  siècles,  le  plain-chant  au  rhythme  non-mesuré 
régna  en  souverain  dans  le  sanctuaire,  et  que,  de  l'avis  de 
tout  juge  éclairé,  la  musique  mesurée,  n'a  jamais  pu 
s'élever  jusqu'à  lui  dans  le  domaine  da  l'art  religieux. 

"  Il  y  a  dans  toute  musique  un  rhythme  indépendant 
de  la  mesure,  puisque  toute  musique  repose  sur  le  son, 
et  que  pour  tout  son  il  y  a  deux  périodes,  la  période  qui 
correspond  à  Varsis  et  celle  qui  correspond  à  la  thesis, 
celle  de  l'élan  et  celle  de  la  chute,  celle  de  l'aspiration  et 
celle  de  l'expiration,  celle  de  la  systole  et  celle  de  la 
diastole. 

"  Etendues  jusqu'à  une  certaine  série  de  sons  que  la 
voix  parcourt  avec  diverses  inflexions,  ondulations  et 
cadences,  ces  périodes  produisent  comme  un  flux  et  reflux 
sonores,  et  déterminent  un  certain  parallélisme  que  l'on 
désigne  précisément  par  le  nom  de  périodes. 

"  Or,  voilà  en  quoi  consiste  le  principe  vivant  et  fécond 
de  la  musique:  c'est  le  jet,  c'est  le  soufïle,  c'est  l'âme. 
Et  comme  ce  mouvement  est  intelligent  et  libre  en  lui- 

(1)  Voir  le  Résumé  de  M;  Fétis,  pages  CLXXII  et  suivantes- 


DU    CANADA  331 

même,  comme  il  n'est  pas  limité,  circonscrit  dans  son 
essor  par  certaines  divisions  matérielles  du  temps,  qui 
sont  autant  de  manifestations  d'un  ordre  borné  et  uni,  il 
s'ensuit  que  le  plain-chant,  seul,  fondé  sur  une  mesure 
abstraite,  absolue,  fait  naître,  par  conséquent,  sur  chaque 
intervalle,  l'idée  du  repos,  comme  il  la  fait  naître  d'un 
autre  côté  par  l'unité  de  ton,  en  vertu  de  laquelle  chaque 
intervalle  ne  se  résout  pas  sur  un  autre,  n'est  pas  appellatif 
d'un  autre  et  est  à  lui-même  son  complément. 

"  Dans  la  musique  proprement  dite, le  rhythme 

se  combine  tantôt  avec  la  mesure,  tantôt  contraste  avec 
l'uniformité  invariable  de  celle-ci  par  la  liberté  de  ses 
allures,  tantôt  la  contrarie  en  introduisant  momentané- 
ment une  mesure  binaire  dans  une  mesure  ternaire,  et 
réciproquement,  tantôt  enfin  l'enveloppe  dans  la  largeur 
de  ses  périodes  et  lui  communique  plus  particulièrement 
son  principe  intelligent.  C'est  ce  qui  fait  aussi  la  beauté 
et  l'âme  de  la  musique,  bien  que  l'expression  qui  en 
résulte  soit  moins  pure  et  moins  élevée  que  celle  du  plain- 
chant  qui,  par  la  nature  de  sa  constitution,  s'interdit 
toute  manifestation  de  l'ordre  fini."  (1) 

On  a  comparé  avec  raison  le  rhythme  du  plain-chant 
au  verbe  de  la  langue  hébraïque.  Le  verbe  hébreux  ne 
sait  pas  exprimer,  comme  le  verbe  de  nos  langues  modernes, 
les  nombreuses  et  subtiles  modifications  de  l'espace  et  de 
la  durée.  Sans  temps  présent,  souvent  même  il  exprime 
au  passé  ce  qui  doit  arriver  dans  l'avenir.  (2) 

(1)  J.  d'Ortigue — Dictionnaire,  col.  1323. 

(2)  "Ils  ont  percé  mes  mains  et  mes  pieds,  ils  ont  compté  tous  mes  os 


332  CHANSONS   POPULAIRES 

C'est  le  langage  par  excellence  des  prophètes,  de  ces 
inspirés  du  Dieu  éternel  devant  qui  tout  est  toujours 
présent,  l'avenir  comme  le  passé. 

Gomment  ne  pas  être  frappé  de  la  similitude  de  carac- 
tère qui  existe  entre  le  verbe  hébreu  et  le  rhythme  du 
plain-chant  :  caractère  intangible,  mystique,  illimité  ;  et 
comment,  d'un  autre  côté,  ne  pas  être  frappé  de  la  res- 
semblance que  l'on  remarque  entre  les  temps  variés  et 
précis  du  verbe  de  nos  langues  modernes  et  les  modifica- 
tions de  temps  limitées,  précises,  circonscrites  de  la  mu- 
sique mesurée  ? 

Ecoutons  les  admirables  choses  que  nous  dit  M.  d'Or- 
tigue  à  ce  sujet. 

" Ainsi  que  la  langue,  la   musique   de  chaque 

nation  présente  deux  éléments  distincts,  correspondant  à 
ce  qui,  dans  le  langage  des  théologiens,  est  appelé  Vœilde 
la  chair  et  Vœil  de  la  contemplation  ;  (1)  deux  éléments, 
l'un  desquels  prédomine  selon  que  la  tradition  du  péché 
originel  s'est  plus  ou  moins  conservée  dans  cette  même 
nation. 

"  Pour  ce  qui  est  du  langage,  si  nous  prenons  par 
exemple  la  langue  hébraïque,  que  la  plupart  des  savants 
considèrent  comme  la  fille  aînée  de  la  langue  mère,  nous 

"  Ils  ont  partage  mes  habits  et  ils  ont  jeté  ma  robe  au  sort"  (Ps.  XXI,  v. 
18  et  19.) 

"  Il  a ^;m  véritablement  nos  langueurs,  il  s'est  chargé  lui-même  de  nos 
douleurs.  Et  nous  l'avons  considéré  comme  un  lépreux,  comme  un  homme 
frappé  de  Dieu  et  humilié. 

"  Il  a  été  percé  de  plaies  pour  nos  iniquités,  il  a  été  hriaé  pour  nos  crimes." 
(Isaïe,  ch.  LUI,  v.  4  et  5.) 

(1)   Université  catholiqne,  2e  liv.,  p.  215. 


DU  CANADA  333 

verrons,  par  l'analyse  des  éléments  intimes  de  ses  parties 
du  discours,  qu'elle  se  prête  merveilleusement  à  l'expres- 
sion du  sentiment  contemplatif  et  à  l'idée  de  l'infini.  Nos 
lecteurs  n'ont  pas  besoin  que  nous  leur  apprenions  que 
l'élément  le  plus  fondamental  du  langage,  le  verbe,  n'a 
pas  chez  les  Hébreux,  de  temps  pour  exprimer  le  présent  ; 
que  leurs  deux  temps  uniques  sont  de  véritables  aoristes 
ou  temps  indéterminés,  flottant  sans  cesse  entre  le  passé, 
le  présent  et  le  futur  :  cela  étant  parfaitement  en  harmonie 
avec  le  caractère  d'une  poésie  tout  inspirée,  où  tout  est 
prophétique,  où  tout  se  rattache  à  l'éternité  ;  que  l'on  voit 
souvent  dans  les  passages  poétiques,  surtout  chez  les 
prophètes,  alterner  les  deux  temps  de  la  conjugaison 
hébraïque,  de  manière  que,  dans  le  même  verset,  le  pre- 
mier hémistiche  raconte  au  passé  ce  que  le  second  exprime 
au  futur  ;  ainsi,  que  ce  qui  est  d'abord  présenté  comme  fait 
accompli,  se  trouve  ensuite  prolongé  en  quelque  sorte  et 
embrasse  la  durée  tout  entière  :  langage  surprenant,  mais 
qui  convient  aux  interprètes  de  Celui  devant  lequel  le 
passé  et  l'avenir  se  confondent  dans,  un  présent  éternel  (1). 

Quant  à  toutes  ces  formes, 

(le  proverbe^  la  vision^  la  parabole^  Vallcgorie   et  le  parallé- 

(L)  Uiiivrnté  cathaliqm,  3e  liv.,  p.  2S7 — Frédéric  -chlegel  dit  à  ce  sujet  : 
"  Tout  leur  sentiment  et  toute  leur  existence  (des  Hébreux)  se  rattachaient 
moins  au  présent  qu'au  passé,  qu'à  l'avenir  surtout;  et  le  passé  des 
Hébreux  n'était  point,  comme  celui  des  autres  peuples,  de  simples  tradi- 
tions, des  souvenirs  poétiques,  mais  le  grave  sanctuaire  de  leur  divine 
constitution  et  de  l'alliance  éterneUe.  L'idée  de  l'éternité  n'était  point 
séparée  chez  eux  de  la  vie  active  et  de  ses  rapports,  comme  dans  la  philo- 
sophie isolée  des  Grrecs,- méditant  solitairement;  au  contraire,  elle  était 
étroitement  liée  à  la  vie,  au  passé  merveilleux  du  peuple  élu,  et  aux 
pompes  plus  magnifiques  encore  de  son  mystérieux  avenir."  (^Hii.  de  la 
littérature,  t.  1  p.  192,  traduction  de  M.  W.  Duckett.) 


334  CHANSONS  POPULAIRES 

hsme),  elles  concourent,  avec  l'aspiration,  giii  est  l'élément 
divin  de  l'esprit,  à  rendre  la  langue  hébraïque  et  généra- 
lement les  langues  sémitiques  propres,  dans  leur  ton,  leur 
esprit  et  leur  caractère,  à  l'expression  de  la  révélation 
sacrée,  de  la  prophétie  divine  et  de  la  contemplation  de 
l'unité  infinie.  Et  c'est  ce  qui  fait  dire  à  Herder  que  la 
langue  hébraïque  est  pleine  de  l'haleine  de  Vâme;  qiCelkne 
résonne  pas  comme  la  langue  grecque^  mais  qu'elle  respire^ 
qu'elle  vit  ;  que  celait  l' esprit  de  Dieu  qui  parlait  en  elle^  le 
souffle  du  Tout-Puissant  qui  l'animait  (I).  Elle  se  prête  peu  à 
l'expression  des  modifications  de  la  durée  et  de  l'espace  ; 
c'est  pourquoi,  en  premier  lieu,  elle  ne  mesure  pas  les 
syllabes  comme  le  grec  et  le  latin  ;  elle  ne  les  compte  pas 
comme  les  langues  modernes  ;  c'est  pourquoi,  en  second 
lieu,  riche  en  verbes  et  en  substantifs  dérivés  des  verbes, 
elle  est  très-pauvre  en  adjectifs  qui  correspondent  aux 
qualités  et  propriétés  des  êtres.  (2)  Enfin,  selon  la  remar- 
que de  F.  Schlegel,  de  toutes  les  formes  d'art  terrestre,  on 
ne  trouve  guère  dans  les  Saintes  Ecritures  de  l'Ancien 
Testament  que  celles  qui  peuvent  exister  dans  un  ordre 
de  choses  purement  spirituel.  On  ne  saurait  y  découvrir 
d'exposition  dramatique,  ni  d'images  épiques  particulières, 
pas  plus  que  des  exercices  d'art  oratoii'e  ou  des  combinai- 
sons scientifiques;  car,  ajoute  le  même  auteur, les  formes 
grammaticales  d'une  langue  et  toute  sa  structure  artifi- 
cielle sont  l'ouvrage  de  la  raison.  Au  contraire,  les  figures 
et  les  tropes  sont  les  éléments  de  l'imagination  ;  or,  ces 

(1)  Université  catholique,  3e  liv.,  p.  287. 

(2)  Idem. 


DU  CANADA  336 

formes,  très-propres  à  peindre  l'état  d'illumination  céleste, 
appartiennent  spécialement  à  la  langue  des  Hébreux.  (1) 
"  Ainsi  donc,  permanence,  expression  illimitée,  infinie, 
symbolique, aspiration  vers  Dieu, accent  spirituel,  enthou- 
siasme, parole  triomphante,  etc.,  etc.,  tel  est  le  caractère 
dominant,  le  ton^  le  mode  particulier  de  la  poésie  et  du 
langage  de  la  Bible. 

"  Maintenant,  comparez  à  cette  langue  certaine  langue 
du  Nord,  par  exemple,  dans  laquelle  le  caractère  opposé 
se  sera  développé  aux  dépens  de  celui  que  nous  avons 
essayé  d'analyser  ;  langue  presque  impuissante  à  exprimer 
par  le  verbe  la  plénitude  de  l'être,  de  la  vie  et  de  l'action, 
mais  très-propre,  par  la  multiplicité  des  temps,  par  l'abon- 
dance des  substantifs,  par  la  richesse  des  synonymeSj  à 
représenter  toutes  les  modifications  de  l'espace  et  de  la 
durée  ;  langue  qui  se  prête  bien  plus  à  la  lutte  des  senti- 
ments, aux  conflits  des  passions  qui  sont  du  domaine  du 
drame,  qu'aux  sublimes  élévations,  aux  élans  divins  de 
l'ode  ;  chez  laquelle  l'aspiration,  l'élément  spirituel  seront 
remplacés  par  une  structure  tout  artificielle,  par  l'accent 
terrestre  et  sensuel,  et  par  cette  foule  d'images  voluptueuses 
qui  peignent  avec  les  couleurs  les  plus  vives,  les  nuances 
les  plus  délicates,  tous  les  accidents  et  toutes  les  vicissi- 
tudes de  la  vie  positive,  au  cercle  de  laquelle  elle  semble 
exclusivement  bornée  ;  comparez,  disons-nous,  à  la 
langue  hébraïque  une  langue  d'un  semblable  ceractère, 
et  vous  comprendrez  aisément  que  le  peuple  qui  a  parlé 
la  première  a  dû  retenir,  dans  un  ensemble  à  peu  près 
complet,  les  traditions  touchant  l'ordre  de  la  révélation, 

(1)  V.  l'Histoire  de  la  littérature  de  F.  Schlegel,  t.  1.,  pp.  180-221. 


336  CHANSONS  POPULAIRES 

de  la  grâce  et  de  la  réhabilitation  ;  tandis  que  celui  qui 
parle  la  secon  le  doit  vivre  dans  Tonbli  de  la  noblesse 
originaire  et  de  la  haute  destination  do  l'homme,  sous 
l'empire  de  ses  penchants  et  livré  à  tontes  les  jouissances 
du  sensualisme. 

"  Il  en  est  de  môme  des  divers  systèmes  de  musique, 
des  différentes  tonalités  que  nous  avons  nommés  idiomes 
ou  dialectes  musicaux.  A  en  juger  du  moins  par  les  deux 
systèmes  à  notre  usage,  la  tonalité  du  plain-chant  et  la 
tonalUé  de  la  mimquc  moderne,  les  uns  sont  au  point  de 
vue  de  la  contemplation,  les  autres  au  point  de 
vue  de  la  chair.  Les  premiers,  par  leurs  éléments  cons- 
titutifs, se  prôtent  merveilleusement  à  l'expression  des 
sentiments  divins;  les  seconds  se  rapportent  de  la  même 
manière,  et  presque  exclusivement,  à  l'expression  des 
passions  terrestres.  Il  y  a  donc  une  certaine  affinité  entre 
les  éléments  constitutifs  des  diverses  tonalités  et  des 
diverses  langues  et  les  notions  morales  propres  au  peuple 
auquel  ces  langues  et  ces  tonalités  sont  familières. 

''  Sous  le  christianisme,  la  musique  se  détache  de  la 
parole  et  vit  de  sa  force  propre.  C'est  dansun  sol  nouveau 
et  fécond  que  la  plante  puise  la  sève  nécessaire  pour  se 
développer  dans  son  énergie  essentielle.  Néanmoins,  le 
plain-chant  a  retenu  l'idée  antique  de  l'alliance  de  la  mu- 
sique et  de  la  parole,  car  il  n'est,  dans  la  pratique,  que  la 
récitation  naturelle  et  mélodique,  accentuée  et  rhythmée 
des  textes  sacrés.  Mais  considéré  plus  profondément,  il 
est  une  tonalité  dont  la  constitution  donne  lieu  à  la  pro- 
duction de  ces  éléments  qui,  dans  le  langage  et  particu- 
lièrement dans  la  langue  hébraïque,  expriment  l'être  dans 


DU   CANADA.  3:?7 

la  plénitude  de  sa  puissance  illimitée,  dans  sa  permanence 
et  sa  stabilité.  Cet  élément  est  celui  du  repos.  Fonde  sur 
une  échelle  de  sons  situés  à  des  intervalles  distants  les 
uns  des  autres  et  d'une  perception  nette  et  facile,  échelle 
qui,  par  l'interposition  de  ces  mêmes  intervalles  successi- 
vement pris  pour  point  de  départ  de  huit  gammes  diverses, 
engendre  huit  modes  de  caractères  dilïérents,  le  plain. 
chant  procède  de  telle  sorte  que  la  gravité  se  môle  à  la 
liberté  de  l'allure  et  à  la  souplesse  du  rhythme.  et  que 
son  mouvement,  c'est-à-dire  le  mode  de  succession  (|ui  lui 
est  commun  avec  les  arts  de  la  parole,  se  combine  chez 
lui  avec  l'idée  du  repos  et  avec  l'image  du  calme. 

"  Bien  que  mélodique  dans  son  institution,  le  plain- 
chant,  considéré  dans  sa  constitution  tonale,  ne  répugne 
nullement  à  l'harmonie;  et  c'est  par  l'élément  de  la  con- 
sonnance  que  cette  expression  du  repos  se  trahnit  harmo- 
niquement.  Car  la  consonnance  est  un  accord  qui  ne  se 
résout  sur  aucun  autre,  qui  n'est  point,  pour  me  servir 
d'une  expression  consacrée,  appellallf  d'un  autre  accord, 
et  qui  ne  laisse  rien  à  désirer  dans  la  plénitude  de  sa 
réso  nuance. 

"  Cette  tonalité  du  plain-chant  n'est  pas,  au  point  de 
vue  de  l'art,  aussi  stérile  que  le  supposent  certains  esprits 
dédaigneux,  puisqu'elle  a  donné  naissance  à  la  tonalité 
moderne.  La  formation  de  cette  dernière  a  été,  en  efl'et, 
un  véritable  enfantement.  Elle  est  née  de  l'etfort,  de  la 
crise  des  deux  éléments  extrêmes  de  la  tonalité  du  plain- 
chant,  c'est-à-dire  de  l'union  violente  de  deux  intervalles 
de  l'échelle  que  la  théorie  avait  déclarés  inalliables  et 
entre  lesquels  elle  avait  prononcé  un  divorce  éternel.  Au 


3?.8  CHANSONS  POP  CLAIRES 

point  de  vue  de  l'art  seul,  on  ne  peut  contester  que  la 
formation  de  la  tonalité  moderne  ne  soit  un  progrès  im- 
mense. Sur  quel  élément  repose  cette  dernière  ?  Sur  la 
dissonance,  sur  la  modulation,  sur  la  transition,  comme 
dit  l'école,  qui  expriment  la  division,  la  variété,  le  conflit  ; 
qui  se  prêtent  à  l'expression  de  tons  les  états  de  l'âme, 
aux  mille  modifications  des  sentimenls  et  des  passions  de 
la  lutte  desquels  naît  l'action  dramatii]ne.  Et  cela  est  si 
vrai,  que  l'invention  du  drame  musical,  dans  les  temps 
modernes,  date  de  la  création  de  l'harmonie  dissonante 
naturelle,  il)  c'est-àdire  de  l'origine  de  notre  tonalité. 
Maisi]ui  ne  sent  que,  dans  une  langue  musicale  ainsi 
constituée,  la  modulation,  cet  élément  qui  exprime  toutes 
les  modifications  de  l'âme  humaine,  ne  peut  être  séparée  de 
la  MESURE,  qui  exprime  les  modifications  de  la  durée,  non 
plus  que  des  images  de  l'instrumentation,  de  ces  effets  et 
de  ces  contrastes  de  sonorité  qui  expriment  les  modifica- 
tions de  l'espace?  Qui  ne  sent  que  le  genre  que  nous 
venons  de  caractériser  est  la  musique  au  point  de  vue  des 
sens  et  de  la  chair,  celle  qui  dérive  de  l'élément  humain, 
de  la  dissonance,  tandis  que  celle  qui  a  pour  principe 
l'élément  du  repos  et  de  la  consonnance  ne  connaît  ni 
modulation,  ni  mesure,  ni  artifice  d'instrumentation,  ni 
nuance  d'exécution  matérielle  ?  Dans  cette  dernière,  le 
temps  ne  se  divise  et  ne  s'apprécie  que  d'une  manière 
égale,  abstraite  et  absolue.  (2)  C'est  le  symbole,  l'aspira- 
tion, l'intuition,  la  contemplation,  la  vision  de  l'infini, 
qui  embrassent  la  durée  et  l'espace  tout  entiers;  c'est,  ea 

(1)  Fétia.     Résumé,  pp.  CCXVII— CCXXn. 
(2)Eétis,   ii^8M7/i^,  p.  CLXXVI. 


DU  CANADA  H89 

un  mot,  la  musique  plane,  le  plam-chani.  Cette  musique, 
et  celle  composée  d'après  la  tonalité  des  modes  ecclésias- 
tiques, se  rapportent  donc  à  un  ordre  surnaturel,  à  un 
monde  supérieur.  Elle  est  la  dépositaire  du  priucipe  qui 
correspond  à  "  l'oeil  de  la  contemplation  ou  de  la  grâce." 
C'est  par  un  sentiment  de  cette  vérité  que  les  Italiens  ap- 
pellent la  musique  de  Palestriua  :  Muslca  dcW  alliv  niondo, 
la  seconde  musique  sacrée,  par  opposition  à  la  musique 
moderne. 

"  Ces  deux  éléments  si  distincts,  le  principe  divin  ou  le 
repos  et  la  consonnance,  le  principe  terrestre  et  sensuel, 
la  dissonance  et  l'accent,  prédominent,  l'un,  dans  le  sys- 
tème de  chant  consacré  au  service  divin,  l'autre,  dans 
l'iirt  que  nous  destinons  à  chanter  nos  passions  terres- 
tres." (1) 

Revenons  maintenant  an  rhythme  populaire  dont  la 
dernière  partie  de  cette  citation  nous  a  un  peu  éloignés. 

Dans  nos  chants  populaires,  le  caractère  personnel,  le 
moi  humain  trouve  son  expression  dans  le  rhythine 
mesuré.  Mais,  même  lorsqu'il  ne  chante  que  ses  joies, 
ses  peines,  ou  des  snjets  d'amour,  d'aventures,  de  com- 
bats, etc.,  le  paysan,  le  colon  ou  le  voyageur  canadien 
entend  toujours  la  grande  voix  de  Dieu  dans  les  champs 
qu'il  cultive,  dans  la  solitude  des  bois,  sur  le  fleuve  géant 
ou  sur  les  lacs  immenses  ;  les  plus  belles  fêtes  auxquelles 
il  lui   est  donné   d'assister   sont  toujours    les  fêtes    de 

(1)  J.  d'Ortiguô.  Université  catholique,  1836.  L'article  d'où  est  tirée 
cette  citation  est  reproduit  en  entier  dans  l'iatéressant  petit  volume  de  M. 
d'Ortigue  iatitulé:    L»  miui^ne  à  l'Ejliae,  Paris,  Didier  et  Cie.,  1361. 


340  CHANSOJT.S  POPrJL\rR'':S 

l'église;  son  âme,  peccable  sans  doute,  ne  connaît  pas  la 
hideuse  incrédulité  ;  un  sentiment  religieux  accompagne 
toutes  ses  actions,  parle  à  sa  conscience  ;  il  pense  à  Dieu 
dans  les  jeux  de  la  veillée  comme  dans  le  travail  ;  la  prière 
entre  un  peu  dans  toutes  ses  actions.  De  là,  dans  ses 
chansons,  l'infini,  le  permanent,  à  côté  du  fini,  du  pas- 
sager; de  là  le  rhythme  majestueux,  insaisissable  du 
plain-chant  à  côté  du  rhythme  tangible,  mesuré  de  la 
musique  moderne. 

Encore  un  mot  avant  d'abandonner  ce  sujet. 

Si  j'avais  le  droit  de  donner  des  conseils  au  lecteur,  je 
lui  dirais  de  lire  et  de  relire  les  articles  sur  le  rhythme 
publiés  par  madame  Marie  Gjertz,  dans  le  Croisé^  (P''e- 
mière  année)  ainsi  que  tout  son  opuscule  intitulé:  Lu 
musique  au  point  de  vue  moral  eu  religieux.  Dans  ces  écrits, 
tout,  pour  ainsi  dire,  serait  à  citer;  mais  je  trouve,  dans 
un  autre  de  ses  ouvrages,  un  court  passage  qui  est  comme 
le  résumé  de  toute  sa  pensée  sur  le  rhythme  :  je  ne  saurais 
vraiment  mieux  terminer  cet  article  qu'en  le  mettant  sous 
les  yeux  du  lecteur  : 

a 

L'autre  soir  Brigitte  était  au  piano,  nous  ravissant  par 
une  de  ces  inspirations  qui  livrent  son  àrae.  Ce  soir  là, 
elle  aimait;  chaque  son,  chaque  phrase  trouvaient  un 
écho  dans  mon  cœur. 

"•  J'étais  placé  près  de  la  pendule.  Le  mouvement  du 
balancier  coupant  en  môme  temps  les  phrases  musicales 
et  les  battements  de  mon  cœur  m'irritait  les  nerfs. 


DU    CANADA  341 

"  J'allais  changer  de  place  quand,  tout  à  coup,  une 
pensée  me  frappe  :  ce  qui  est  ordre  dans  la  musique  serait 
désordre  dans  une  machine  ;  ce  qui  est  conservation  dans 
une  machine  serait  destruction  dans  la  musique;  en 
d'autres  termes,  l'ordre  de  la  matière  brise  l'âme,  l'ordre 

de  l'âme  brise  la  matière Il  y  a  donc  deux  sortes 

d'ordre,  un  spirituel,  un  matériel;  l'un  n'existant  que  dans 
la  liberté,  l'autre  n'existant  que  dans   la  servitude  

"  Dès  que  je  fus  seule  avec  Brigitte,  je  lui  fis  part  de 
ma  pensée.  Elle  me  répondit  très-simplement  que,  si  elle 
m'avait  su  embarrassé  de  cette  question,  elle  m'en  aurait 
donné  la  solution  par  le  rhythme  et  la  mesure.  La  mesure 
brise  le  rhythme,  le  rhythme  brise  la  mesure,  et  cepen- 
dant l'un  et  l'autre  ont  le  même  caractère  fondamental; 
la  différence  est  dans  la  forme  et  dans  les  proportions.  Le 
rhythme,  dans  son  vol  le  plus  audacieux,  ne  sort  jamais 
du  caractère  de  la  mesure  ;  mais  sa  forme,  qui  est  celle 
des  affections  de  l'âme,  a  besoin  de  Uberté;  tandis  que  la 
forme  de  la  mesure,  qui  est  propre  à  la  matière  inanimée, 
repousse  la  liberté  :  la  machine  ne  respire  pas.  Appliquez 
cette  loi  à  la  société,  mon  cher  docteur,  et  vous  avez  la 
lumière." 

HARMONIE. 


Tous  ceux  de  nos  chants  populaires  qui  appartiennent 
exclusivement  au  mode  majeur  ou  au  mode  mineur 
peuvent,  indubitablement,  être  accompagnés  avec  toutes 
les  ressources  de  l'harmonie  moderne.    Quant  à  ceux  qui 


342  CHANSONS  POPULAIRICS 

appartiennent  aux  modes  antiques,  ceux  dans  lesquels  il 
n'y  a  pas  de  note  sensible,  ils  se  refusent  natur^'llerneut  à 
l'harmonie  dissonante  qui  a  pour  principe  et  pour  base 
la  note  sensible  mise  en  rapport  avec  la  sous-dominante 

Mais  ces  derniers  chants  peuvent-ils  toujours  recevoir 
une  harmonie,  même  pureuiont  consoniuiutc  ?  Plusieurs 
artistes  de  mérite  en  ont  fait  l'essai  en  ma  présence,  et  ni 
eux  ni  moi  n'en  avons  été  satisfaits. 

D'ordinaire,  les  musiciens  qui  veulent  harmoniser  de 
telles  mélodies  les  façonnent  un  peu  à  la  modei-ne,  redres- 
sant un  tour  de  phrase  par  ci,  introduisant  une  note 
sensible  par  là.  C'est  une  façon  tout  à  f  lit  leste  dn  se  tirer 
d'embarras,  et  il  n'est  pas  nécessaire  d'être  né  m.iliu  pour 
pouvoir  en  faire  autant.  Il  est  bien  entendu  que  lorsque 
je  parle  d'harmoniser  ces  chants  où  n'apparaît  point  de 
note  sensible,  il  n'entre  pas  dans  ma  pensée  d'altérer  la 
mélodie  en  aucune  manière. 

De  ce  que  plusieurs  muiciens  ont  échoué  dans  leur 
tentative  d'y  ajouter  un  accompagnement,  devon:.-nous 
conclure  que  ces  chants  dépourvus  de  note  sensible  sont 
inharmoniques  de  leur  nature?  Cette  raison  ne  serait 
certainement  pas  suflûsante.  Les  musiciens  d'aujourd'hui 
connaissent  fort  peu  le  génie  de  la  tonalité  ancienne  à 
laquelle  ces  chants  appartiennent,  la  plupart  n'ayant 
jamais  déchiffré  une  seule  page  de  contre-point  du  moyen 
âge  ou  même  de  la  renaissance.  Or  il  est  impossible 
d'accompagner  comme  il  convient  les  mélodies  des  com- 
positeurs qui  précédèrent  immédiatement  ou  qui  furent 
les  Cûutemporains  d'Orlando  Lasso,  d'Allegri  ou  de  Pales- 


DU  CANADA  343 

trina,  par  exemple,  sans  avoir  longtemps,  bien  longtemps 
étudié  le  contre  point  dont  ils  faisaient  usage.  La  phm- 
séologie  de  ces  mélodies  est  toute  ditlëiente  de  celle  de 
nos  mélodies  modernes,  (1)  et  une  des  plus  gi'andes 
difficultés,  sinon  la  plus  grande,  qui  s'oil'rirait  à  l'accom- 
pagnateur moderne,  serait  de  discerner,  dans  ces  mélodies, 
les  notes  de  passage  des  notes  qui  doivent  faire  partie 
intégrante  d'un  accord;  puis  de  décider  à  quel  accord 
faire  rapporter  telle  ou  telle  note  de  passage  qui,  prise 
isolément,  ne  doit  avoir  aucun  lien  de  parenté  avec 
l'accord  qui  se  fait  entendi-e  avec  elle,  Ainsi,  par  exemple, 
dans  notre  musique  moderne,  il  est  certaines  parties  de 
la  mélodie  que  l'on  n'accompagne  pas  en  faisant  un  accord 
pour  chaque  note  ;  il  est  certaines  suites  de  notes,  certains 
tours  mélodiques,  qui  ne  sont  harmonisés  que  par  un 
seul  accord  et  qui  ne  reçoivent  tel  ou  tel  accord  qu'en 
raison  d'une  phrase  qui  précède  ou  en  vue  d'une  réso- 
lution pressentie.  On  comprend  que,  pour  harmoniser 
ces  notes  de  passage,  il  faut  posséder  à  fond  le  génie  de 
notre  tonalité  ;  il  faut  que  cette  tonalité  soit,  en  quelque 
sorte,  notre  langue  maternelle.  Or,  possédons  nous  assez 
hien  la  tonalité  ancienne  pour  donner  à  de  telles  notes 
de  passage  l'harmonie  qui  leur  convient?  J'en  doute  ;  et, 


(1)  J'assistais,  en  1858,  à  Rome,  à  une  messe  solennelle  célébrée  dans 
la  Chapelle  âixtiae.  On  y  chantait  de  la  musi(|uedj  15e  ou  du  16e  sièoie> 
C'était  la  première  fois  qu'il  m'était  dounu  d'euiendie  de  teilo  musique,  et 
j'avoue  que  je  la  trouvai  fort  étrange.  Au  momeut  oiije  croyais  tenir  une 
phrase  elle  disparaissait  dans  une  fuite  (/u(/«)  qui  me  semblait  insolite; 
impossible  de  prévoir  nue  nsolutiou,  de  her  deux  phrases  ensembie.  il  y 
avait  peut-être  de  grandes  beautés  dans  cette  mutique,  mais  ceite  tonalité 
m'était  étrangère;  j'entendais  ces  sons  comme  j'aurais  entendu  de  l'Hébreu» 
eans  riuu  y  oomprendre. 


344  CHANSONS  POPULAIRES 

pour    ce    qui    me    concerne,    je    le    dis    franchement  : 
non.  (l) 

Qui  sait  si  ces  mélodies  populaires  qui  n'appartiennent 
ni  à  notre  mode  majeur  ni  à  notre  mode  mineur  n'étaient 
pas  autrefois  susceptibles  d'une  harmonie  vraiment 
rationelle  :  la  diaphonie,  harmonie  devenue  impossible 
aujourd'hui,  à  cause  de  l'éducation  de  notre  oreille? 

On  sait  que,  vers  le  commencement  du  dixième  siècle, 
le  moine  Hucbald  de  Saint-Amand  recommandait  les 
suites  de  quartes  et  de  quintes  comme  produisant  une 
suave  harmonie.  Ces  suites  de  quartes  et  de  quintes,  qui 
nous  paraissent  aujourd'hui  si  barbares,  n'avaient,  au 
temps  de  Hucbald,  rien  que  de  très-conforme  à  l'instinct 
musical  de  l'époque.  Ce  fait  qui  nous  paraît  si  étrange, 
est  dû  à  l'éducation  de  l'oreille.  Voici  l'exphcation  toute 
lumineuse  qu'en  donne  M.  de  Goussemaker  : 

"  Quand  nous  entendons  une  quinte,  dit-il,  cet  intervalle 
harmonique  représente  à  notre  oreille  un  accord  parfait, 
car  bien  que  la  tierce  ne  soit  pas  exprimée,  on  la  sous- 
entend  comme  si  elle  existait.  Il  en  résulte  que,  en 
entendant  deux  ou  plusieurs  quintes  de  suite,  c'est  comme 
si  nous  entendions  deux  ou  plusieurs  accords  parfaits 
successifs  ;  ce  qui  blesse  notre  oreille,  qui  ne  souffre  pas 
le  passage  aussi  brusque  d'un  ton  à  un  autre.  Il  n'en  était 
pas  ainsi  au  moyen-âge,  où  l'harmonie  moderne  n'existait 
pas:  une  quinte  ne  représentait  pas  un  accord  parfait  ; 
cet  accord  était  alors  inconnu.    La  partie  constitutive  de 

(1)  Voyez  l'opinion  de  l'abbé  Lebœuf  sur  la  compétence  des  musiciens 
en  fait  de  musique  ancienne  :   Dictionna,ire  de  M.  J.  d'Ortigue,  col.   888. 


DU   CANADA  315 

l'accord  parfait,  la  tierce,  non-seulement  n'était  pas 
admise,  mais  encore  était  considérée  comme  dissonance. 
La  quinte,  au  temps  de  Hucbald,  était  moins  un  accord 
qu'un  seul  et  même  son.  Les  suites  de  quintes,  de  quartes 
et  d'octaves  produisaient  sur  l'oreille  des  musiciens  du 
moyen-âge  l'ellét  que  produit  sur  la  nôtre  le  jeu  de 
mixture  de  l'orgue,  c'est-à  dire  un  effet  vague,  étrange, 
indéfinissable,  mais  nullement  désagréable  et  barbare."  (1) 

Mais  cette  question  d'harmonie  nous  entraînerait  trop 
loin.  Au  reste  elle  n'appartient  pas  rigoureusement  à 
notre  sujet,  puisque  l'harmonie  n'est  pas  et  n'a  jamais  été 
le  fait  du  peuple.  Disons  cependant,  en  terminant,  que 
l'harmonie  ne  doit  être  ajoutée  aux  chants  populaires 
qu'avec  beaucoup  de  tact  et  de  goût  ;  que  très  souvent,  elle 
en  gêne  l'allure  et  le  rhythme,  quand  elle  n'en  détruit  pas 
complètement  la  modalité  ;  et  que,  dans  les  conditions 
actuelles  de  la  science,  il  vaut  mieux,  le  plus  souvent, 
qu'elle  ne  paraisse  j^as  du  tout. 


Dans  toutes  les  remarques  qui  précèdent,  on  a  pu  voir 
que  je  n'ai  pas  tenu  plus  de  compte  qu'il  ne  faut  des  idées 
qui  ont  généralement  cours  parmi  nous  et  des  lois  de 
notre  musique  moderne.  La  raison  en  est  simple  :  ayant 
à  examiner,  dans  nos  chants  populaires,  une  musique 
réellement  d'un  autre  âge,  je  serais  arrivé  infailliblement 
aux  conclusions  les  plus  fausses  si  j'avais  envisagé  ce 

(1  )   Coussemaker-     Hint.  de  l'Harmonie  au  moyeii-ûgc 


346  CHANSONS  POPULAIRES 

sujet  au  point  de  vue  de  l'art  moderue.  "  Une  cause 
d'erreurs  malheureusement  trop  commune  daus  les  arts, 
a  dit  un  écrivain  français,  est  la  prétention  de  soumettre, 
à  toute  force,  les  monuments  d'une  époque  reculée  aux 
règles  des  époques  récentes,  et  de  compromettre  ainsi  la 
sûreté  du  coup  d'œil  rétrospectif  par  la  rétroactivité  des 

jugements" '-La  peute  à  l'anachronisme,  a  dit  aussi 

M.  Vitet,  l'application  involontaire  de  nos  idées,  de  nos 
habitudes,  à  la  recherche  des  choses  d'un  autre  temps, 
est  une  des  grandes  sources  d'erreurs  eu  archéologie." 

De  tout  ce  qui  a  été  dit  dans  ces  Remarques,  comme 
aussi  dans  quelques  unes  des  Annotations  qui  les  précèdent, 
on  a  déjà  pu  tirer  et  nous  tirerons  les  conclusions  sui- 
vantes : 

l**  Que  la  tonalité  grégorienne,  avec  ses  échelles  mo- 
dales et  sou  rhythme  propres,  n'est  pas  un  reste  de  barbarie 
et  d'ignorance,  mais  une  des  formes  infinies  de  l'art, 
forme  parfaitement  rationelle  et  éminemment  propre  à 
l'expression  de  sentiments  religieux. 

2^  Que  le  peuple  de  nos  campagnes,  dont  les  chants  se 
rapprochent  tant  de  cette  tonalité,  est  bien  encore  le  digne 
descendant  de  ces  vaillants  et  pieux  enfants  de  la  Bre- 
tagne, du  Perche  et  de  la  Normandie,  qui,  le  fusil  d'une 
main,  et  de  l'autre  tenant  la  charrue,  commencèrent, 
avec  tant  de  courage,  les  premiers  établissements  de  la 
Nouvelle-France. 


TABLE 


PacSé 

Préfacr .j-.ii^^...- 1 V 

Adam  et  Eve..-.-i.- * * *.  ICÏ 

Ah!  je  m'en  vais  eiitrei' eu  danse! - ^.  217 

Ah!  qui  luarierons-uoua  ? ^  —  *-- - 151 

Ah!  qui  me  passera  le  bais  f^ ^-- ^--  90 

Ah  1  si  mou  moiue  voirait  danser  ! -. —  -  129 

A  la  claire  fontaine.. 4.^....--... 1  et  285 

A  la  San  té  de  ces  jeunes  mariés ^  291 

A  Saint-Malo,  beau  port  de  mer 24 

Au  bois  du  rossignolet - - 108 

Au  jardin  de  mon  père..... ^ -  — 44 

Aurai-je  Nanette  ? ..-^..  43 

Bal  chez  Boulé 116 

Bonhomme,  bonhomme .-  227 

Cécilia ^. .* 31 

Celle  que  mon  cœur  aime -.^ 299 

C'est  dans  la  ville  de  Bytown .-  66 

C'est  dans  la  ville  de  Rouen 119 

C'est  dans  Paris  ya-t-une  brune 185 

C'est  la  belle  Françoise .......i^.....  8,  10  et  11 

C'est  la  plus  belle  de  céans.... 219 


318  CHANSONS  POPULAIRES 

C'est,  la  poulette  grise 201 

C'est  le  bon  vin  qui  du  use 2xil 

C'est  l'veiit  frivolaiit 22 

C'est  Pinson  avec  Cendrouille 27L> 

C'était  une  frégate 20!) 

Chez  mon  père  ya  tiois  filles 28(5 

Dans  les  cliantiers  nous  hivernerons 100 

Dans  les  prisons  de  Nantes 2G  et  28 

Dans  ma  main  droite  jo  tiens  rosier J47 

DaTis  Paris  ya-t-nue  brune 170 

Dans  tous  les  cantons 21)5 

Descendez  à  l'ombre 16  et  \7 

D i  gn  e  d  i  1 1  d  a i  n  e 50 

D'où  viens-tu,  bergère  ? 2fiG 

En  filant  ma  quenouille 214 

En  revenant  de  la  jolie  Rochelle 155 

En  roulant  ma  boule J2 

Entre  Paris  et  Saint-Denis 303 

Et  moi  je  m'enfouiyais 145 

Et  moi  je  m'en  passe  !    83 

Fendez  le  bois,  chauffi'z  le  four 112 

François  Marcotte 274 

Fringue,  fringue 62 

Frit  à  l'huile 65 

Gai  Ion  la,  gai  le  rosier 40 

Genticorum 64 

Hier  sur  le  pont  d'Avignon 97 

Il  n'y  a  qu'un  seul  Dieu 306 

Isabeau  s'y  promèn  e 37 

Jacquot  Hugues 271 

J'ai  cueilli  la  belle  rose 87 

J'ai  fait  une  maîtresse 137 

J'aimerai  tendrement 20 

J'ai  perdu  mon  amant 195 

J'ai  tant  dansé,  j'ai  tant  santé  ! 48 

J'ai  tant  d'enfants  à  marier! 149 

J'ai  trop  grand' peur  des  loups! 178 

J'ai  trouvé  le  nique  de  lièvre 153 

J'ai  vu  le  lou{),  le  renard  passer 180 


DU  CANADA  349 

Jamais  je  iioun irai  de  fjoai 233  et  237 

Je  le  mène  bien  mou  dévidoi  ! ]8l 

Je  me  suis  mis  an  rang  d'aimer 212 

Je  n'ai  pis  <le  barhe  au  menton 191  et  1!)4 

Je  ne  veux  pas  d'un  liabitaTit 2()8 

J'entends  le  moulin,  tique,  ti(]ue,  taque 223 

La  bibonrnoise 74 

La  fille  du  roi  d'Espagne 127 

La  guii;nolée 238 

La  poul  ette  grise 2<i3 

Le  juif  errant 131 

Le  p'tit  boisd'l'ail 142 

Lève  ton  pied 18 

Malbrougli 254 

Marianne  s'en  va-t-au  moulin 121 

Marianson,  dame  jolie 157 

M'en  revenant  de  8a,iut- André 183 

Mon  beau  ruban    gris 55  et  58 

Mon  cri  cra,  tire  la  lirette 54 

Mon  père  avait  un  b  au  champ  de  pois 114 

Mon  ton  t<»n  tur.utaine 35 

Nousétio'.is  trois  capitaines 18!) 

Papillon  tu  es  volage 187 

Par  derrièr'  chez  ma  tante  ya-t-un  arbre  planté 175 

Par  derrièr' chez  mon  père  — . 4 

Perrette  est  bien  malade 2^6 

Petit  rocher  de  la  haute  montagne 200 

Pin  pani  pôle - 258 

Pipandorà  la  balance 261 

P'tit  Jean 105 

Quand  j'étais  chez  mon  père 70 

Qui  veut  manger  du  lièvre 229 

Sainte  Marguerite 258 

Si  tu  te  mets  anguille 78 

Suivons  le  vent 23 

Sur  le  pont  d'Avignon 94  et  99 

Sur  le  pont  de  Nantes 225 

Tenaouiclie  tenag  i  ouicheka  ! 124 

y  Un  Canadien  errant 78 


350  CHANSONS  POPULAIRES  DU  CANADA. 

Une  perdriole 82 

tîa  jour  l'envie  m'a  pris  de  déserter  de  France^..*.  1G8 

Va,  va,  va,  p'tit  bonnet,  grand  bonnet 59 

Vive  la  Canadienne!  — .^* 4 

Vive  Napoléon  ! /H 

V'iàl'bon  veutl 21 

Voici  le  temps  et  la  saison 198 

Rrmarqurs  Gkneralks 315 

Table...* * * 347 


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