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in 2010 with funding from
Universityof Ottawa
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CHANSONS POPULAIRES
DU
CANADA
Typographie de C Darveau
DEUXIEME EDITION
^T
J
DU
CANADA
RECUEILLIES ET PUBLIÉES AVEC ANNOTATIONS, ETC.
EKNIÎST GAGNON
Membre de l'Académie de musique de Québec; membre corresjocdaDt
de la Société des compositeurs de musique de Paris,
etc., etc., etc.
QUEBEC
ROBERT MORGAN, ÉDITEUR
1880
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oe volume est respeotueusement dédié par
Le compilateur et auteur :
ERNEST GAG NON.
PRÉFACE
Le nombre de nos chansons populaires est incalculable.
Ce volume en contient juste cent, que j'ai choisies paimi
les plus connues et parmi celles (jui ollïent un ty[)e [larti-
culier.
Les premiers chants que le polit Canadien entend au
berceau, sont, presque toujours, à [lart les improvisations,
des chansons qui nous viennent de France, comme:
C'e^t la poulette grise,
Qui pond (Jars l'églis'';
Elle va pondre un p'tit coco,
Pour le p'tit qui va faire dodo.
Simultanément, et avant même qu'il puisse aller à
l'église, il entend des cantiques, puis des psaumes, des
hymnes et en général des chants de la grande mélopée
grégorienne.
Plus tard il connaîtra les innombrables chansons qui
viii PRÉFACE
se chantent dans sa paroisse; et lorsque, le soir, après
une chaude journée d'été, il reviendra se reposer de- son
travail, balancé par le mouvement de sa charette aux
hautes héridelles, et mollement couché sur un moelleux
et odorant voyage de foin, on l'entendra murmurer d'une
voix monotone mais douce, quelques uns de ces mots, de
ces noms si chers qui rappellent l'ancienne mère-patrie ;
ou bien, sur les cages ou dans le canot, il chantera la
belle Françoise ou la complainte d'un malheureux voya-
geur noyé dans les rapides, ou encore le beau Kijrie que
chantent à l'église ceux qui lui sont chers et qui sont
restés dans la paroisse natale, sur le bie7i paternel.
Un écrivain français qui s'est occupé de nos chants
canadiens, écrivait naguère que souvent une chanson est
un monument plus solide que les monuments de bronze
ou de granit. On y rencontre parfois des couplets ou
même un seul mot qui vous reportent à des siècles en
arrière, comme, par exemple, la ronde " Il n'y a qu'un
seul Dieu," traduction littérale d'une des séries chrétiennes
substituées diWx séries druidiques, et l'expression la Guignolée,
dont l'origine indubitable est le chant ou le cri dridique :
au gui Van neuf! Ce qui est certain, c'est que les chansons
ont cette faculté, que n'ont pas les obélisques, d'aller
s'asseoir au foyer de toutes les familles, de suivre le mis-
sionnaire ou le pionnier dans la forêt, de rappeler un
événement à mille lieues de l'endroit où il s'est passé, et
sur plusieurs points à la fois.
Les menhirs, les dolmens et les cromlechs, que l'on ren-
contre à chaque pas dans certaines parties de la Bretagne,
ne sont des monuments que pour les Bretons ou ceux qui
vont les voir en Bretagne, tandis que des chants qui ont
PRÉFACE ix
avec ces monuments communauté d'origine sont chantés
partout où se trouvent des descendants de Kimris ou de
Gaulois : h Chartres, à Pékin, à Alger et jusque dans le
pays des Algonquins.
Avant d'entrer dans plus de détails au sujets de nos
chants populaires, citons quelques verbiages d'enfants,
quelques uns de ces petits riens qui se répètent de géné-
ration en génération, et qui, presque tous, nous viennent
de France (*) :
—Ventre de son,— estomac d'grue,— falle de pigeon,—
menton fourchu,— bec d'argent,- nez cancan,— joue
bouillie,— joue rôtie,— p'tit œil,— grot œil,— soucillon,
— soucillette,— cogne, cogne, cogne la mailloche !
-Celui là (le pouce) a été à la chasse ; celui-là (l'index)
l'a tué ; celui-là (le majeur) l'a plumé ; celui-là (l'annu-
laire) l'a fait cuire, et celui-là (l'auriculaire) l'a tout mangé,
tout mangé, tout mangé !
—Monte échelle I— monte-là '.— monte échelle !— monte-
là !_ p'tit trou,— casse-cou.— Qu'est-ce qu'i' y a dedans ?
— D'I'or et d'I'argent,— Qui est-ce qui l'a mis?— Père et
mère.— Qui est-ce qui l'ôtera ?— Frère et sœur.— Tourne,
tourne, tourne, mon petit baril: celui qui rira le premier
aura un petit soufilet !
—P'tit couteau d'or et d'argent, ta mère t'appelle, va-
t'en ! '
—Une pomme, deux pommes, trois pommes, quatre
(*) Voir les Chants et Chansons 2>opuIaire8 des provinces de l'Ouest, par M.
J. Bujeaud, et les Citants et Chansons poj.ndairea du Cambréais, i^a,T MM.
Durieux et Bruyello.
X PRÉFACE
pommes, cinq pommos, six pommes, sept ]»ommos, huit
pommes, pouimes nnif ! — J'm'eii délends !
— Riche, pauvre, coquiu, voleur, riche, pauvre, coquin,
voleur, riche (ceci est une sorte d'horoscope qui se
tire sur leshoutons de Thahit).
— Il est midi. — Qui-c' qui l'îi dit ? - C'est la souris. —
Où est-elle ?— Dans la chapelle.— Que fait-elle?— De la
dentelle. — Pour (]ui? — Pour ces demoiselles. — Gouibieii
la vend-elle? — Trois quarts de sel.
— Un i, un l,
Ma tante Michel ;
Un i un um,
Cagi, cajum :
Ton pied bourdon,
José Simon ;
Griffor, pandor.
Ton nez dehors !
Un bon nombre de nos chansons populaires se chantent
encore, avec plus ou moins de modifications et de va-
riantes, dans les provinces de France (*) :
(*) Plusieura de nos chansons se chantent en France avec des variantes
lascives que nous ne connaissons pas en Canada. De là il suit évidemment
qu'il a dû se faire ici un travail d'expurgation à une date quelconque,
ou peut-être insensiblement. Or, canx qui connaissent l'histoire des
premiers temps de la colonie, — alors que l'on ne permettait qu'à des
hommes exemplaires d'émigrer au Canada, et que, suivant les chro-
niques du temps, ceux dont la vertu était un peu douteuse semblaient se
purifier par la traversée ; alors que toute la colonie naissante ressemblait à
une vaste communauté religieuse, et que les missions huronnes rappelaient
les âges de foi de la primitive Eglise. — ceux-là, dis-je, comprendront facile-
ment qu'à cette époque, on n'aurait jamais osé chanter devant ses frères des
couplets obscènes, et que le peuple a pu, de lui-méii;e, introduire dans cer-
taines chansons les variantes qui nous sont restées et qui les dégagèrent de
toute immoralité. '
PRÉ F ACE xi
Derrière chez nous ya-t-un étang, — Lu fille du mi (TEspa-
gne, — Cest dans Paris ya-l-une brune^— Entre Paris et Saint-
Denis^ — se chantent dans les départements de FOiiest.
Cécilia et Isabeuu s'y promène^ — se cliantent en Cham-
pagne.
Gai^ Ion, la, gai le rosier, — se chante dans hi Saintonge
et le Bas-Poiton.
Mon père a fait bdtlr maison, — se chante dans la Sain-
tonge et TAunis.
fai cueilli la belle rose, — se chante (tonjonrs avec va-
riantes) dans l'Angonmois, le Cambresis, FArtois et le
Nivernais.
Au bols (lu rosilgnolet,—%Q chante en Franche Comté et
aussi en Suisse.
Mon père avait xm beau champ de pois, — se chante dans
le Cambresis, la Saintonge, TAunis et l'Angoumois. Les
airs ne ressemblent pas anx nôtres.
Hier sur le pont d'Avignon, — se chante dans le snd-est de
la France, et aussi dans le canlon de Vand, en Suisse.
Une perdrlole, — se cliante dans le Cambresis.
fai tant dansé, f al tant sauté, — se chante dans le Cam-
bresis et le Poitou.
Et mol je m'enfuyais, — se chante dans la Vendée et dans
le Cambresis.
Dans ma main droite je tiens rosier, — se chante dans
l'Angoumois, le Poitou, la Saintonge et l'Aunis.
Tal tant d'enfants à marier! — se chante dans le nord et
l'ouest de la France.
xii PRÉFACE
Ah ! qui marierons nous ? — se chante dans le Gambrésis.
Un jour l'envie m'a pris de déserter de France^ — se chante
dans l'Angoumois.
Dans Paris ya-t-une brune plus belle que le jour^ — se
chante dans le midi, en langue provençale. (Voir les
Chants populaires et historiques de la Provence^ par M. D.
Arbaud, p. 133, vol. 1.) On chante aussi cette chanson en
langue française, dans ks départements de l'ouest.
Par derrière chez ma tante ya-t-un arbre planté^ — se
chante dans la Saintonge, l'Angoumois, l'Aunis et le
Poitou, en français et en patois. Les airs sont tout diffé-
rents du nôtre.
Tai trop grand'peur des loups^ — séchante dans le Poitou,
et sur le môme air qu'en Canada.
Je n'ai pas de barbe au menton, — se chante à La Rochelle
et dans le Bas-Poitou.
Enfilant ma quenouille^— se chante, avec un refrain diifé-
rent du nôtre, dans la Saintonge et l'Aunis.
Bonhomme^ bonhomme, — se chante dans le Gambrésis.
Qui veut manger du lièvre, — se chante dans le Poitou et
l'Angoumois.
A part les couplets où il est question d'un habitant et
d'un colporteur, la chanson : Je voudrais bien me marier,
mais fal grand'peur de me tromper nous vient de France.
On la chante en Saintonge encore aujourd'hui.
Cest Pinson avec Cendroidlle, — se chante dans le Gam-
brésis.
Par derrière chez ma tante lui ya-t-un pommier doux,— se
PRÉFACE liii
chante en Franche-Comté sur im air tout différent du
nôtre.
A Saint-Malo beau port de mer^ — se chante en Bretagne.
Quand fêtais de chez mon père, jeune fille à marier, — se
chante dans le Nivernais.
Au jardin de mon père un oranger lui ya, — se chante en
Normandie.
La Bibournoise, — nous vient du Dauphiné, du moins
elle s'y chante encore.
Si tu te mets anguille, — est une légende bien connue en
France; c'est elle qui a inspiré à Mistral le délicieux
chant de Magali, dans son poëme de Miréio — poème écrit
en langue provençale, comme chacun sait.
Quand j^étais chez mon père, — la légende de la jeune
fille qui rencontre " trois cavaliers barons " — se chante
dans toutes les parties de la France, mais avec des refrains
et sur des airs que nous ne connaissons pas ici.
Enfin, la Claire Fontaine, notre chanson populaire par
excellence, a une communauté d'origine avec la plupart
des habitants du Canada : elle vient de Normandie !
Cette nomenclature, quoique fort incomplète, est déjà
trop longue. Je ne dirai qu'un mot ici de nos chansons
de composition canadienne. On aurait tort de faire fi de
tout ce qui n'est pas poésie dans ces chants ; à vrai dire
la poésie proprement dite en est le plus souvent absente ;
on n'y rencontre pas de ces images gracieuses que l'on
remarque dans la chanson populaire française, comme :
La plus jeune se réveille :
— Ma sœur, voilà le jour I
— Non, ce n'est qu'une étoile
Qui veille nos amours !.
x\v V R É F A C E
Mais il y a dans les chants canadiens dos fornios do
langage, des tours particuliers, des observations, des traits
de mœurs et de caractère qui ne manquent pas de piquant
et qui ont après tout leur mérite.
Il n'entre pas dans le plan do cet ouvrage d'apprécier
la foi'me poétique de nos chants populaires. Je me con-
tenterai d'indiquer ici la règle principale et presque
unique à laquelle les poètes rustiques veulent bien s'as-
treindre Cette règle, c'est V assonance, qu'un auteur fran-
çais, M. Raynouard, adéfmie: "la correspondance im-
parfaite et approximative du sou final du dernier mot du
vers avec le même son du vers qui précède ou qui suit,
comme on appelle rime la correspondance parfaite du son
identique final de deux vers formant distique."
La longueur du vers populaire est souvent de quatorze
syllabes on même davantage. Chaque fois alors que la
rime est masculine (car les rimes parfaites s'y rencontrent
quelquefois) la césure est invariablement féminine, ou,
plus exactement, sourde. Conformément à l'usage, ces
sortes de vers ont été, dans ce recueil, brisés à la césure ;
ainsi les deux vers :
Par derrière chez mon j^ire — lui ya t-un ho\s joli ;
Le rossignol y chante, — et le jour et la nuit,
ont été écrits sur quatre lignes :
Pnr derrièr' chez mon père
Lui ya-t-un bois joli ;
Le rossignol y chante
Et le jour ot la nuit, etc., etc.
Pour ce qui est de la doctrine musicale qui découle des
enseignements importants qu'offrent les mélodies popu-
PRÉFACE xr
laircs, j'ai traité tout parliculièremeiit ce sujet dans les
annota'ions (jiii précèdent chacune des chansons recueil-
lies, et sui'tùut dans les remarques générales de la i\n de
oe volume.
Il est à peine besoin dti dire que ce livre, ([uant à la
parlie notée;, n'est pas, du tout mon œuvre. C'est l'œuvre
de ce compositeur insaisissable qu'on appelle le peuple^ et
mon imique préoccupation, en recueillant les chants que
contient ce volume, a été de les rendre tels que des per-
sonnes du peuple, ou du moins des personnes non versées
dans l'art musical, me les ont chantés.
Avant d'entrer en matière et pour l'intelligence de ce
que j'aurai à dire au lecteur, on me permettra de rappeler
ici un fait extrêmement remarquable de l'histoire de la
musique. Je laisse parler le regretté dii'ecteur du con-
servatoire de Bruxelles, l'artiste qui, pendant de longues
années, porta le sceptre de la science musicale dans l'Eu-
rope et, dans le monde :
" Il tne reste ù parler, dit M. Fétis, (*) (î'uno audacieuse
iuuovatloii qui opéra tout à coup, vers la uiêuie époque, (la fia du
XVIe siècle) uue trausforuiatiou complète de la toualité, je veux
dire de l'art tout eutier. Les règles de l'harmonie, depuis le qua-
torzième siècle jusqu'à la fiu du seizième, avaieut proscrit toute
relation de la note supérieure du premier demi ton (fa) avec l'in-
férieure du second (st) Le résultat immédiat do cotte prohi-
bition était qu'il ne pouvait y avoir de note sensible réelle dans la
musique, couséquemmeiit, que la tonalité de la musique actuelle ne
pouvait exister. Car reinarquez qu'il n'y a de note sensible que
parce qu'il y a répulsion liarmonique entre la quatrième note et
(*) Béàtimé ^Mlosophîque de l'histoire de la musique, p. CCXX et suivantes.
XVI PRÉFACE
la septième; répulsion qui conduit l'une à descendre, l'autre à
monter en sorte que la note sensible n'aurait pu naître do la seule
mélodie Eli bien ! ce que la doctrine avait condamné, ce que
les siècles (les siècles!) avait proscrit, un homme osa le faire un
iour. Guidé par son instinct, il eut plus de confiance dans ce qu'il
lui conseillait que dans les règles, et malgré les cris d'épouvante de
tout un peuple de musiciens, il osa mettre en rapport la quatrième
note de la gamme, la cinquième et la septième. Par ce seul fait il
créa les dissonances naturelles de l'harmonie, une tonalité nouvelle,
le genre de musique qu'on appelle chromatique, et conséquemment,
la modulation.
" Que de choses produites par une seule agrégation harmonique !
L'auteur de cette merveilleuse découverte est Monteverde
Lui-même s'attribue l'invention du genre modulé, animé, expressif,
dans la préface d'un de ses ouvrages. C'est qu'en effet V accent pas-
sionné n'existe et ne peut exister que dans la note sensible, et que
celle-ci ne peut naître que de son rapport avec le quatrième et le
cinquième degré de la gamme ', c'est que toute note mise en rapport
harmonique de quarte majeure avec une autre, détermine la sensation
d'un ton nouveau, sans qu'U soit nécessaire de faire entendre une
tonique ou de faire un acte de cadence, et que par cette faculté de la
nuarte maieure de créer immédiatement une note sensible, la modu-
lation c'est-à-dire la succession nécessaire des tons différents, devient
facile. Admirable coïncidence de deux idées fécondes ! Le drame
musical prend naissance ; mais le drame vit d'émotions, et la tonalité
du plain-chant, grave, sévère et calme, ne saurait lui fournir d'ac-
cents passionnés, car l'harmonie de cette tonalité ne ^renferme pas
les éléments de la transition. Alors le besoin inspire le génie, et tout
ce qui peut donner la vie à la musique du drame est créé d'un seul
coup. Grandes et rapides furent les conséquences de cette belle dé-
couverte car, dans la première moitié du XVIIe siècle, l'expression
dramatique de la musique était déjà parvenue à des effets d'une
puissance remarquable. •
PRÉFACÉ
*' Moutevorile, qui avait fort bieu aperçu les résultats de
30U heureuse témérité, swus le ra^jport de l'expressiou dramatique,
n'eu vit pas les couséqueuces à l'égard de la toualité. Attaqué avec
vloleuce par quelques zélés partisaus de l'aucieuue doctriue, parti-
«ulièreuieut par Artusi, il ue comprit pas plus que ses adversaires
qu'il veuait d'auéautir les tous (modes) du chaut ecclésiastique dans
la musi(pie moudaiue. Ou peut se couvaiucre, par la lecture de
quelques-uues des préfaces de ses ouvrages, qu'il u'avait pas porté
ses vues sur cet important objet. Il u'est pas moins certain, cepen-
<laut, qu'après que l'haruiouie des dissonances de septième, de
neuvième, et celles qui eu dérivent, se fut introduite dans la musique
•de cbambre et de théâtre, il n'y eut plus de premier, de second, de
troisième mode, d'authentique ni de plagal, dans la musique : il y
■eut un mode majeur et un mode mineur ; en uu mot la tonalité
•ancienne disparut et la moderne fut créée.'"
CHANSONS POPULAIRES
CANADA
A LA GLAIRE FONTAINE
Depuis le petit enfant de sept ans jusqu'au vieillard aux
cheveux blancs, tout le monde, en Canada, sait et chante
la Claire Fontaine. On n'est pas Canadien sans cela. La
mélodie de cette chanson est fort élémentaire et offre peu
d'intérêt au musicien ; néanmoins, à cause de sa grande
Dopularité, on l'a prise souvent pour thème d'airs de
danse et môme de fantaisies de concert. J'ai entendu un
pianiste étranger, dans un concert donné à Québec, faire
des arpèges pendant un bon quart d'heure sous prétexte
de claire fontaine. On chante en France, en Normandie,
2 CHANSONS POPULAIRES
une chanson dont les paroles sont, à peu de chose près,
les mêmes que celles de noire Claire Fonlaine, mais l'air
en est tout différent.
A la clai- re fou-tai-ue M'eu al-laut pro-me-ner,
J'ai trou-vé l'eau si bel- le Que je m'y suis baigné.
_« V- , _,!» |\ —> — 1— — <* n
5^-^Ei— *£EI E!?: = ? :Eî:E*;Ei--l -*-=«
Lui ya loug-tenips que je t'aime, Jamais je ue t'oublierai.
Variante :
=g^-g^r« — *— d
Ma mie, ya loug-
A la claire foutaiue
M'eu allant promener,
J'ai trouvai l'eau si belle
Que je m'y suis baigné.
Lui ya longtemps que je t'aime,
Jamais je ue t'oublierai.
J'ai trouvé l'eau si belle
Que je m'y suis baigué ;
Sous les feuilles d'un chêne
Je me suis fait sécher.
Lui ya longtemps, etc.
Sous les feuilles d'un chêne
Je me suis fait sécher j
Sur la plus haute branche
Le rossignol chantait.
Lui ya longtemps, etc.
DU CANADA
Sur la plus haute brauclie
Le rossignol chautait.
Chante, rossignol, chante,
Toi qui as le cœur gai.
Lui ya longtemps, etc.
Chante, rossignol, chante,
Toi qui a le cœur gai ;
Tu as le cœur à rire,
Moi je l'ai-t-à pleurer.
Lui ya longtemps, etc.
Tu as le cœur à rire,
Moi je l'ai-t-à pleurer :
J'ai perdu ma maîtresse
Sans l'avoir mérité.
Lui ya longtemps, etc.
J'ai perdu ma maîtresse
Sans l'avoir mérité,
Pour un bouquet de roses
Que je lui refusai.
Lui ya longtemps, etc.
Pour un bouquet da roses
Que je lui refusai.
Je voudrais que la rose
Fût encore au rosier.
Lui ya longtemps, etc.
Je voudrais que la rose
Fût encore au l'Osier,
c Et moi et ma maîtresse
l Dans les niêm's amitiés.
Variante :
c Et que le rosier même
^Fût à la mer jeté.
Lui ya longtemps que jéf t'aime,
Jamais je no t'oublierai.
CHANSONS POPULAIRES
PAR DERRIER' CHEZ MON PERE-
VIVE LA CANADIENNE
La mélodie de cette chanson ainsi que celle de la Claire
Fontaine, nous tiennent lieu d'air national, en attendant
mieux. Les paroles de Par derrier'' chez mon père se chan-
tent encore en France, en Franche-Comté, mais avec de
notables différences et sur un petit air fort écourlé (dix
mesures) qui ne ressemble pas du tout au nôtre. Il est
inutile de dire que les paroles de Vive la Canadienne, qui
se chantent également sur l'air qui va suivre, sont de
composition comparativement récente, et qu'elles ne nous
viennent pas de France ; mais je dois faire remarquer que
le premier couplet de cette chanson est le seul qui soit
généralement connu. Ce n'est pas sans peine que j'ai pu
me procurer les autres, qui, comme on le verra, laissent
beaucoup à désirer sous le rapport du sentiment poétique.
Voix seule d^ abord, puis la reprise en chœur.
Par derrièr' chez mou pè- re, Vo-le, mou cœur,
vo- le. Par derrièr' chez mou pè- re, Lui ya-t-uu pommier
DU CANADA
FIN. 1 Voix seule, j)uis la reprise en chœur.
doux. Lui ya-t-uu pommier doux, doux, doux, Lui
ya-t-uu poin-mier doux. D. C.
Par derrièr' chez mou iière.
Vole, mon cœur, vole,
Par derrièr' cliez mou père
Lui ya-t-un pommier doux.
Lui ya-t-uu pommier doux, doux, doux.
Lui ya-t-un pommier doux.
Les feuilles en sont vertes,
Vcle mon cœur, vole.
Les feuilles eu sont vertes
Et le fruit en est doux.
Et le fruit on est doux, doux, doux.
Et le fruit en est doux.
Trois filles d'un prince,
Vole, mon cœur, vole,
Trois filles d'un prince
Sont endormies dessous.
Sont endormies dessous, doux, doux,
Sont endormies dessous.
La plus jeun' se réveille,
Vole, mon cœur, vole,
La plus jeun' se réveille:
— Ma sœur, voilà le jour.
Ma sœur, voilà le jour, doux, doux,
Ma sœur, voilà le jour.
— Non, ce n'est qu'une étoile,
Vole, mon cœur, vole.
Non, ce n'est qu'uue étoile
Qu'éclaire nos amours.
Qu'éclaire nos amours, doux, doux,
Qu'éclaire nos amours.
CHANSONS POPULAIRES
Nos amants sont en guerre,
Vole, mou cœur, vole,
Nos amants sont en guerre :
Ils combattent pour nous.
Ils combattent pour nous, doux, doux^
Ils combattent pour nous.
S'ils gagnent la bataille.
Vole, mon cœur, vole.
S'ils gagnent la bataille
Us auront nos amours.
Ils auront nos ;iiiiours, doux, doux,
Us auront nos amours.
— Qu'ils perdent on qu'ils gagnent,
Vole, mon cœur, vole.
Qu'ils perdent ou qu'ils gagnent,
Ils les auront tonjours.
Vive la Canadienne,
Vole, mou cœur, vole,
Vive la Canadienne
Et ses jolis yeux doux.
Et «es jolis yeux doux, doux, doux,
Et ses jolis yeux doux.
Nous la menons aux noces,
Vole, mon cœur, vole.
Nous la nienous aux noces
Dans tons ses beaux atours.
Daus tous etc.
Là, nous jasons sans gêne.
Vole, mon cœur, vole.
Là, nous jasons sans gêne ;
Nous nous amusons tous.
Nous nous etc.
Nous faisons bonne chère,
Voie, mon cœur vole,
Notis faisons bonne chère
DU CANADA
Et nous avona bon goût.
Et nous avons, etc.
On danse avec nos blondes,
Vole, mon cœur, vole.
On danse avec nos blondes ;
Nous cliangeons tour à tour.
Nous cliangeons etc.
On passe la carafe.
Vole, mon cœur, vole.
On passe la carafe ;
Nous buvons tous un coup.
Nous buvons etc.
Mais le bonbeur augmente,
Vole, mon cœiir, vole.
Mais le bonheur augmente
Quand nous sommes tous soûls.
Quand nous sommes etc.
Alors toute la terre
Vole, mon cœur, vole,
Alors toute la tene
Nous appartient en tout !
Nous appartient etc.
Nous nous levons do table,
Vole, mon cœur, vole,
Nous nous levons de table
Le cœur en amadou.
Le cœur etc.
Nous unissons par mettre,
Vole, mon cœur, vole.
Nous finissons par mettre
Tout sans dessus dessous.
Tout sans dessus etc.
Ainsi le temps se passe.
Vole, mon cœur, vole.
Ainsi le temps se passe :
Il est vraiment bien doux !
CHANSONS POPULAIRES
C'EST LA BELLE FRANÇOISE
J'ai souvent entendu chanter cette chanson, dans le dis-
trict des Trois-Rivières, avec la variante de la troisième
mesure que l'on verra ci-dessous. Tous nos habitants de
la campagne chantent "Qui veut s'y marier" avec les
notes si 6, /"a, sous les mots Qui. veut^ on non pas si h, sol^
comme on chante quelquefois à la ville. Cette dernière
manière de chanter fait perdre à la mélodie beaucoup de
son caractère et de son originalité.
i— --fl«r*==l^
Variantb : |^^E^^~^?5]
la belle Fran-
hÈiâËlÊil^=îZlifÊ2=g^1=ËiÊlÊ^
C'est la Lel-le Frau- çoise, lou, gai, C'est la belle Frau-
çoi-se Qui veut s'y ma-ri-er, ina lu- rou, lu- ret- te,
Qui veut s'y ma-ri-er, ma lu- rou, lu- ré
C'est la belle Françoise, Ion. gai.
C'est la belle Françoise
Qui veut s'y marier, ma luron, lurette,
Qui veut s'y marier, ma luron, luré.
DU CANADA
Son amant va la voircj Ion, gai,
Sou amant va la voire
Bien tard, après souper, ma luron, lurette?
Bien tard, après souper, ma luron luré.
Il la trouva seulette, Ion, gai.
Il la trouva seulette
Sur son lit, qui pleurait, ma luron, lurette.
Sur sou lit, qui pleurait, ma lurou, luré.
— Ali! qu'a' vous doue, la belle, Ion gai.
Ah ! qu'a' vous donc, la belle,
Qu'a' vous à tant phuirer ? ma luron lurette.
Qu'a' vous à tant pleurer? ma luron, luré
— On m'a dit, hier au soire, Ion, gai,
Ou m'a dit, hier au soire
Qu'à la guerr' vousallisz, maluron, lurette,
Qu'à la guerr' vous alliez, maluron, luré»
— Ceux qui vous l'ont dit, belle. Ion gai.
Ceux qui vous l'ont dit, belle.
Ont dit la vérité, maluron, lurette,
Ont dit la vérité, ma luron, luré.
Venez m'y reconduire. Ion, gai,
Venez m'y reconduire
Jusqu'au pied du rocher, ma luron, lurette,
Jusqu'au pied du rocher, ma lurou, luré.
Adieu, belle Françoise, Ion, gai.
Adieu, belle Françoise !
Je vous épouserai, ma luron, lurette.
Je vous épouserai, ma luron, luré.
Au retour de la guerre, Ion, gai,
Au retour de la guerre.
Si j'y suis respecté, ma luron lurette,
Si j'y suis respecté, ma lurou luré.
10
CHANSONS POPULAIRES
C'EST LA BELLE FRANÇOISE
(Autre air)
Cette autre manière de chanter la Belle Françoise nous
vient sans doute des gens d'en bas : il ne fut jamais venu
à l'idée des habitants des rives du lac Saint-Pierre, par
exemple, d'introduire le mot "• loup-niariu" dans ces
couplets. Connue de tout le monde dans les paroisses du
bas du fleuve, la Belle Françoise au "blanc loup-marin"
n'est pas tout à-fait ignorée dans les autres parties du
pays : je l'ai entendu chanter tout récemment par un
Montréalais,
^_| — S__-
C'est la bel- le Fraii- çoi-so
blanc,
;- S^ g — f-\-^ — ~"g' :^- —
blanc loup-iiia- rin, C'est la bel- le Frau- Ç'>i- se,
blanc, blanc loiip-ma- riu, Qui vent s'y iiia-ri- er,
-'-w-
blau loup- ma- rin, ma Ion
P-g — % — — . — ,**— =-1 :-
la, Qui veut s'y
er, blanc loup- ma- rin cban-
- jf ,
gé.
DU CANADA U
C'EST LA BELLE FRANÇOISE
{Autre air, recueîli par M. l'ahhé C. H. Laverdière)
Les quatres premières mesures de l'air que voici sont
absolument les mêmes que les quatre dernières d'une des
variantes de Sur le pont cV Avignon^ que l'on verra plus
loin. Il y a évidemment réminiscence dans l'une ou
l'autre de ces mélodies ; ce dont, au reste, je ne fais
crime à personne. Il est plus d'une partition célèbre
dont il ne resterait que fort peu de chose si toutes les
réminiscences en étaient retranchées.
C'est la belle Frau- çoi-se, Ion gai, c'est la belle Frau-
—*^ — i» — i»» — I — ! * — - — F — I . — -
çoi- se Qui veut se lua- ri er, madoo- dai- ne Qui
veut se ma- ri- er, ma don- dé
12 CHANSONS POPULAIRES
EN ROULANT MA BOULE
Cette chanson dn Canard blanc se chante en France,
dans l'ouest, sur un air qui ressemble un peu ù tous les
différents airs sur lesquels nous la chantons ici, et avec ce
■"efrain que nous adaptons, nous, à une autre chanson :
"'Je suis brune, gaillarde bruue, je suis brune gaillarde-
ment." On la chante également, en France, avec les
refrains suivants :
Je me nomme Divertissant,
C'est moi qui diviTtis les filles,
Je me uomme Divertissant.
Toujours ma boule va roidaut,
Toujours ma boul' va roui', va roule,
Toujours ma boule va roidaut.
C'est le vent qui va frétillant,
C'est le vent qui va, qui frétille.
C'est le vent qui va frétillant.
Passons la lande gaillardement, etc.
J'aimons bien les cotillons rouges, etc.
DU CANADA
13
Voix seule, puis la reprise en chœur.
Eu ruukuit ma bou^-i>j rouhiut, En roulant uia
FIN. -| Voix seule, va irise en chœur.
bou- le- Dei- rièr, c'.iez uous, y a- t-uu é- tang,
Voix seule.
■d =^ — :n ^* 1 — â j— ~^g m-—
En roulant ma bou- lo.
Trois beaux canards s'en
vont baignant, rou- li roulant, ma boule roulant.
Derrièr' chez nous, ya-t-un étang,
En roulant ma boule.
Trois beaux canards s'en vont baignant,
Rouli, roulant, ma boule roulant.
En roulant ma boule roulant,
Eu roulant ma boule.
Trois beaux carards s'en vont baignant,
Eu roulant ma boule.
Le fils du roi s'en va chassant,
Eouli, roulant, ma boule roulant,
En roulant, etc.
Le fils du roi s'en va chassant,
Eu roulant ma boule.
Avec son grand fusil d'argent,
Eouli, roulant, ma boule roulant,
En roulant, etc.
Avec son grand fusil d'argent,
En roulant ma boule.
li CHANSONS POPULAIRES
Visa le noir, tua le blanc,
liouli, roulant, nui boule roulaut,
En roulant, etc.
Visa le noir, tua le blanc,
En roulant ma boule.
0 fils du roi, tu es niécliant!
Eouli, roulant, ma boule roulant,
Eu roulant, etc.
0 fils (lu roi, tu es méchant!
Eu roulant ma boule.
D'avoii' tué mou canard blanc,
Eouli, roulaut, ma boule roulaut,
Eu roulant, etc.
D'avoir tué mon canard blanc.
En roulant ma boule.
Par dessous l'aîle il perd son sang,
Eouli, roulant, ma boule roulaut.
Eu roulant, etc.
Par dessous l'aîle il perd son sang,
En roulaut ma boule.
Par les yeux lui sort'nt des diamants,
Eouli, roulaut, ma boule roulaut,
Eu roulaut, etc.
Par les yeux lui sort'nt des diamants,
Eu roulaut ma boule.
Et par le bec l'or et l'argent,
Eouli, roulaut, ma boule roulaut,
Eu roulant, etc.
Et par le bec l'or et l'argent,
En roulant ma boule.
Toutes ses plum's s'en vont au vent,
Eouli, roulaut, ma boule roulaut,
En roulant, etc.
DU. CANADA 15
Toutes SCS pluin's s't'U vont au vent,
En roulant ma houls.
Trois dani's s'en vont les l'amassant,
Rouli, roulant, ma boule roulant,
Eu roulant, etc.
Trois (lam's s'en vont les raraassaut,
En rotilant ma boule.
C'est pour en faire un lit de camp,
Rouli, roulant, ma boule roulant.
En rouliint, etc.
n
C'est pour en faire un lit de camp,
Eu roulant ma boule.
Pour y coucher tous les passants.
Kouli, roulant, ma boule roulant,
Eu roulant ma boule roulant,
En roulant ma boule.
16
CHANSONS POPULAIRES
DESCENDEZ A L'OMBRE .
Voici, au point de vue musical, un vrai type de chanson
de filasse normande. " Les airs sur lesquels se chantent
les chansons de filasse, dit M. Eugène de Beaurepaire {La
poésie populaire en Normandie)^ ajoute singulièrement à
leur charme et à leur étrangeté. Presque aucun ne s'ar-
rête sur la tonique. La plus grande partie appartient à
un système musical différent de celui que nous suivons
aujourd'hui."
I . — ^s — IS.
Des- ceu- dez à l'oiu-bro, ma jo- lie
blou- de, Des- cen- dez à l'om- bre d'uu
FIN. 1
:5Er n— g'--~p=^-~^=q= — ■ — p==—
bois Der- rièr' chez nous ya-
t-uu é- tang, Der- rièr' chez nous ya- t-un é
tang. Trois beaux ca- nards s'en vont bai- guaut. D. C.
(Pour les autres paroles, voir En roidant ma boule)
DU CANADA
17
DESCENDEZ A L'OMBRE
{Autre air)
J'ai aussi entendu clianter Descendez à Vombre de La
manière qui va suivre par un habitant de Berlhier (en
haut). " Les rhylhmes brisés abondent dans la chanson
populaire," a dit M. Wekerlin; la chanson que voici»
entre cent autres, offre un exemple de cette particularité*
. Der- rièr' chez nous ya-t-iiu é- taug, Der-
:Ë=::it=
— » j- -m j
y ^ C ^ i» J
rièr' chez nous va- t- un é- taug. Trois
, 1# g p^— — — -1 -— — — :z* - -jt — H — -'^ « ^ ^- j
beaux ca-nards s'en vont bai-gnant. Des- ceu- dez à
l'om- bre, ma bien- de, Des- cen- dez à
l'om-bre d'un bois.
(PoUfT les autres paroles, voir En roulant ma houle)
2
13 CHANSONS POPULAIRES
LEVE TON PIED
La mélodie que voici esl une mélodie " hors la loi" !...
Il m'eût été facile de corrige]- la contravention flagrante
de son rhythme, dans la deinièrc phrase mélodique (avant
la reprise), en ajoutant simplement une mesure à celle-ci ;
mais alors l'air n'eût plus été ce qu'il est réellement, et il
eût incontestablement perdu de son originalité. Au reste,
pour cette chanson comme pour toutes les autres de ce re-
cueil, je ne suis qu'un simple rapporteur, et je tromperais
le lecteur et ferais une œuvre hien inintelligente si je
donnais les airs de nos chansons populaires autrement
que ne les chantent le peuple et les personnes qui n'ont
pas étudié la musique, ûlais ce n'est pas le rhythme seul
qui otrre des étrangetés dans cette mélodie ; le mode pré-
sente aussi des bizarreries à celui qui, ne connaissant que
la musique moderne, chercherait à l'assimiler au mode
mineur de cette tonalité.
Voix seule, puis la reprise en chœur.
Lèv' tou pied lé- gèr' ber- gè- re, Lèv'tou
FIN. Voix seule, la reprise en chœur.
^fËp=j^rÊgp|5Êjr=5fl>Ê=Ë^rE^EEgEzcEE;EEi:E£gEZgEE^
pied lé- gè- re- meut. Der-rièr' chez uuiis, ya-t-uu é-
DU CANADA.
19
Voix seule.
taug, Lèv'toa pied lé- gè- re- ment. Trois beaux ca-
aards s'en vont l)ai- gnant, lé- gè- re- ment.
(Pour les autres paroles, voir En roulant ma houle)
20
CHANSONS POPULAIRES
J'AIM'RAI TENDREMENT CES AMANTS CONSTANTS
Ce quatrième refrain de Derrièr' chez nous ya-l-un étang
se chante dans la paroisse de Chambly. Il est probable-
ment connu dans beaucoup d'autres localités.
=iH=ΣËlÈË;=Hî^ëlliiSïïiiËi=3=i ^^=5=
Der- rièr' chez uous ya-t-uu é- taug, Der-
nei- chez uous ya- t- uu e- taug.
Trois
beaux ca-uards s'eu vout bai-guaut. J'ai- me- rai ja-
mais ces a- mauts vo- la- ges, J'aim'-rai teu- tlre-
-•»— — ^ — g,-
-___j^__.
meut ces a- luauts constauts.
(Ponr les autres paroles, voir En roulant ma houle)
DU CANADA 21
V'LA L'BON VENT
L'honorable Sir George E. Cartier, de qui je tiens cette
chanson si originale et si jolie, m'a dit l'avoir entendu
chanter par des hommes de cages de l'Ottaoua. L'air est
très-probablement de composition canadienne, ainsi que
les paroles du refrain.
Chœur.
P5-^-,> &zzrd— 1--:;— J'îcrrz^— rîr=Tr:=ZTrr3*-r=fL=ri^-3
V'ià l'bou veut, v'ià l'jo-li veut, v'ià l'bou veut, ma
mie lu'ap-pel- le, V'ià l'bou veut, v'ià l'jo- li veut,
FIN. Voix seule.
1 â> s "^ ^\_ n s . v_
v'ià l'bou veut, ma uiie ui'atteud. Der- rièi' chez uous ya-
t-un é- taug, Der- rièr' chez uous ya- t-uu é- taug, Trois
beaux cauards s'eu vont baiguaut. D. C.
(Pour les autres paroles, voir En roulant ma boule)
22
CHANSONS POPULAIRES
C'EST L'VENT FRIVOLANT
Cette chanson se chante dans le comté de Rimouski.
Elle n'est pas connue dans les autres parties du pays,
mais elle a toutes les qualités nécessaires pour se répandre
et se populariser bien vite. M. J. C. Taché, qui me l'a fait
connaître, l'a aussi chantée, en ma présence, devant quel-
ques canotiers du Saguenay, qui en raffolaient et qui la
propageront sans doute dans cette partie du pays.
Voix seule.
tri- vo- laut.
C'est l'veut, c'est l'veut
Chœur. fin. -,
Yoix seule, imis la
^=^^^^^=P^E^EJ=î^^i^EËîë^^
C'est l'veut;C'est l'veut fri- vo-lant. Der- rier' chez nous ya
reprise en chœur.
4> S-
t-uu é- taug, c'est l'veot, c'est rveut fri- vu- laut.
Voix seule.
,- , _ — « — — « , 1*> — ^-^ .
5=^^
Trois beaux ca- uards s'eu vout bai- guaut, c'est
l'veut qui vo- le, qui fri- vo- le. D. C.
(Pour les autres paroles, voir En roulant ma boule)
DU CANADA 23
SUIVONS LE VENT
Les couplets Derrièr' chez nous ya-t-un étang ^ oLc, se
chantent avec sept refrains différents : En roalant ma boule^
— Descendez à l'ombre^ — Lève ton- pied^-^J'aim'rai tendre-
ment^— Tlà Vbon vent, — C'est Vvent frivolant et Suivons le
vent. On chante dans la côte de Beaupré :
Derrièr' chez nous ya-t-un étiviig,
Et la rivièr^ passe au mitan
L'expression "mitan" (milieu) est, parait il, fort usitée
dans les paroisses de la côte de Beaupré, de l'île d'Orléans
et de la côte du Sud.
Derrièr' chez nous ya-t-uu é- taug, Suivons le
veut, gai- gaî- uieut, Trois beaux ca- uards s'eu vout bai-
f — »
guaut, Tout le loug de la ri- vie- re, Sai- vous le
^s ;«_
vent mon corn- pè- re, Sui-vons le veut, gaî- gaî-
zizii;.
---n---~--^i
ment.
{Pour les autres couplets, voir En roulant ma houle)
24 CHANSONS POPULAIRES
A SAINT-MALO, BEAU PORT DE MER
L'air sur lequc4 nous chantons la chanson que voici,
n'est pas connu aujouid'liui en France, que je sache. En
Bretagne, où les paroles de cette chanson se sont conser"
vées, on chante :
A Naut'S, à Niiut's sont arrivés
Trois beaux navir's chargés de bled, etc.
Je connais deux variantes (quant aux paroles) de cette
chanson, telle que conservée en France, mais dans ni
l'une ni l'autre il n'est question de Saint-Malo.
A St Ma-lo, beau port de iner, A St Ma-lo, beau
port (le mer, Trois gros uavir's sout ar- ri- vés, Nous i-
-?z=d5:
roDS sur l'feau uous y prom' pro- me- ner, Nous i-
roQS jou- er dans l'î- le
A Saint-Malo, beau port de mer, (&ts)
Trois gros navir's sont arrivés,
Nous irons sur l'eau
Nous y prom' promener,
Nous irons jouer dans l'île.
DU CANADA 26
Trois gros nuvir's sont arrivés, (bis)
Chargés d'avoin', cliargés de bled.
Nous irons sur l'eau, etc.
Chargés d'avoin', chargés de bled, (bis)
Trois dani's s'en vont les marchander
Nous irons sur l'eau, etc.
Trois dam's s'en vont les marchander, (bis)
— Marcfiaud, marcliand, combien ton bled?
Nous irons sur l'eau, etc.
Marcliaud, uiarcbaud, cuuibieu ton bled? (bis)
— Trois francs l'avoin', six francs le bled.
Nous irons sur l'eau, etc.
Trois francs l'avoin', six francs le bled, (bis)
— C'est ben trop clier d'un' bonu' moitié.
Nous irons sur l'eau, etc.
C'est ben trop clier d'un' boun' moitié, (bis)
— Montez, Mesdam's, vous le verrez.
Nous irons sur l'eau, etc.
Montez, Mesdam's, vous le veiTez. (bis)
— Marchand, tu n'vendras pas ton bled.
Nous irons sur l'eau, etc.
Marchand, tu n'vendras pas ton bled, {bis}
— Si je l'veuds p;i,s, je l'donnerai.
Nous irons sur l'eau, etc.
Si je l'vends pas, je l'donnerai. (bis)
— A c'prix-là, on va s'arranger.
Nous irons sur l'eau
Nous y prom' promener.
Nous irons jouer dans l'île.
26 CHANSONS POPULAIRES
DANS LES PRISONS DE NANTES
La musique comme les paroles de cette chansou eu font
tme des plus jolies du répertoire de nos chanteurs popu-
laires. Nos bateliers et voyageurs canadiens la chantent
sur deux airs également beaux. Le premier qui est trans-
crit ci-dessous se chante surtout en canot : chaque coup
d'aviron marque le premier temps de chaque mesure. Le
mouvement du second est plutôt celui de la rame : c'est
un air de chaloupe. Cette chanson parait être complète-
ment ignorée en France. M. Hubert LaRue, dans son
intéressante étude littéraire sur nos chansons populaires
canadiennes, fait remarquer que quelques marins chantent
aujourd'hui : " Dans les prisons de Londres " au lieu de,
" Dans les prisons de Nantes." C'est tout naturel. Pour
peu qu'un voyageur ait vu du pays, il a rencontré des An
glais, des Irlandais, des Ecossais, qui lui ont parié de
Londres, d'Edimbourg, de Cork ou de Dubhn, mais de
Nantes, jamais! Il s'imagine alors que " Nantes" est une
corruption du mot -'Londres," et il chante "Londres."
Cependant, dans nos campagnes, où beaucoup d'habitants
n'ont pas plus entendu parler de Londres que de Nantes,
on chante toujoars : " Dans les prisons de Nantes."
DU CANADA
27
-flr=T=q=ri*î=H^zD!:z::^i
mm
I , ,v
Dans les prisous de Nau- tes,Daus les prisous de
Nau- tes Lui ya-t-uu pri- souuier, gai, fa- lu-rou fa- lu-
ret- te, Lui ya-t-ua pri- sounier, gai, fa- lu-rou dou-
dé.
AUTRE VERSION.
_,«>-
Dans les prisons de Nau- tes, Dans les prisous de
Nau- tes, Lui ya-t-un pri-son-uier, gai,falu- rou don- dai-ne,
Lui ya-t-uu pri- sonnier, gai, falu- rou don- dé.
Dans les prisons de Nantes (bis)
Lui ya-t-uu prisonnier, gai, falurou, fahirette,
Lui ya-t-un prisouuier, gai, falurou, dondé.
Que personn' ne va voir (bis)
Que la fill' du geôlier, gai, faluron, falurette,
Que la lill' du geôlier, gai, falurou, dondé.
Elle lui porte à boire, {bis)
A boire et à manger, gai, falurou, falurette,
A boire et à manger, gai, falurou, dondé.
Un jour il lui demande : {bis)
— Qu'est-c'que l'ou dit de moue ? gai, faluron, falurette,
Qu'est-c'que l'ou dit de moue? gai, faluron doudé.
28 CHANSONS POPULAIRES
Le bruit court dans la ville (bis)
Quedeiuaiu vous mourrez, gai, faluroo, falurette,
Que demain vous mourrez, gai, faluron, dondé.
— Puisqu'il faut que je meure, {bis)
Ah! déliez-moi le.s pieds, gai. ialurou, fiilurette,
Ali! déliez-moi les pieds, gai, faluron, doudé.
La fille encore jeunette {bis)
Lui il, lâché les pieds, gai, faluron, falurette,
Lui a lâché les pieds, gai, faluron, doudé.
Le garçon fort alerte, (bis)
A la mer s'est jeté, gai, faluron, falurette.
A la mer s'est jeté, gai, faluron, dondé.
De la première ploiige, (bis)
Au fond il a été, gai, faluron, falurette,
Au fond il a été, gai, faluron, dondé.
De la seconde plonge, (bis)
La mer a traversé, gai, faluron, falurette,
La mer a traversé, gai, faluron, dondé.
Quand il fut sur ces côtes, (bis)
Il se mit à chanter, gai, faluron, falurette,
Il se mit à chanter, gai, faluron, dondé:
" Que Dieu béuiss' les filles, (bis)
Surtout celP du geôlier, gai, faluron, falurette,
Surtout cell' du geôlier, gai, faluron, dondé.
" Si je retourne à Nantes, (bis)
Oui, je l'épouserai ! gai, faluron, falurette,
Oui, je l'épouserai 1 gai, faluron, dondé."
DU CANADA 29
DANS LES PRISONS DE NANTES
{Autre air)
Pour rendre la mélodie qui va suivre selon les règles
de la composition, il eût fallu écrire après la troisième
mesure :
-fc:a — »
r^-î=^M.
z^-r^-Br.-^--
.Nau- tes, Lui yu- 1- un pri- sou-
-S ^S — — ^ j- jX-
nier, fa-lu-rou don- dai-ne, Lui ya-t-un...
De cette façon la mélodie eût formé douze mesures bien
comptées, et la note rfo, qui se chante sur la première syl-
labe du moi prisonnier^ eût arrivé juste sur le temps fort
de la sixième et de la dixième mesure, comme lerhylhme
l'exige.- Mais, encore une fois, je note ces chansons telles
qu'on me les chante, et pas autrement. Au reste, la me-
sure, telle qu'écrite ci-dessous, indique parfaitement à
quels endroits de la mélodie le batelier donne de la
30
CHANSONS POPULAIRES
rame, — ce qu'il fait sans se préoccuper le moins du monde
des temps forts et des temps faibles.
Lentement.
Daus les prisons de Nantes, Dans les prisons de
*^ Nau- tes Lui ya-t-uupri- souuier, fa- lu- ron, dondai-
EipO|iilîîtl^iïiiilpÈiîi?ïllïli^
ne, Lui ya-t-uu prison- nier, fa- lu- ron don- dé.
DU CANADA
31
CEGILTA
Cêcilia est connue en France, notamment en Champagne.
La variante champenoise (car il y a toujours des variantes
dans les chansons populaires) diffère très-peu de la nôtre,
sous le rapport des paroles comme sous celui de la mu-
sique.
IMoa pèi' u'a- vait fil- le que moi, Moa pèr' n'a-
vait fil-le que moi, Eu-cor sur la mer il m'en- voie ; sautez mi-
guouue, Ce- ci- li- a. Ah ! ah ! ali ! ah ! ali ! ah ! Cé-ci- U-
a.
a ! ah ! ah ! Cé-ci- li-
Moii pèr' u'avait fille que moi, (bis)
Eiicor sur la mer il m'euvoie.
Sautez, mignonne, Cécilia,
Ah ! ah ! Cécilia. (bis)
Encor sur la mer il m'euvoie. (bis)
Le marinier qui m'y menait
Sautez, mignoTuie, etc.
Le marinier qui m'ymeuait, (bis)
Il devint amoureux de moi.
Sautez, uiignonne, etc.
32 CHANSONS POPULAIRES
H devint amoureux de moi. {bia)
— Ma mignonuette, embnissez-moi.
Santez, mignon ue, etc.
Ma mignonuette embrassez-moi. (bis)
— Nenni, Monsieur, je n'oserais.
Sautez, mignonne, etc.
Nenni, Monsieur, je n'oserais, (bis)
Car si mon papa le savait,
Sautez, mignonne, etc.
Car si mon papa le savait, (bis)
Fille battue ce serait moi.
Sautez, mignonne, etc.
Fille battue ce serai moi. (bis)
— 'Voulez-vous beir qui lui dirait?
Sautez, mignon ue, etc.
'Voulez-vous bell' qui lui dirait ? (bis)
— Ce serait les oiseaux des bois.
Sautez, mignonne, etc.
Ce serait les oiseaux des bois, (bis)
— Les oiseaux des parlent-ils?
Sautez, mignonne, etc.
Les oiseaux parlent-ils? (bis)
— Ils lîarl'nt français, latin aussi.
Sautez, mignonne, etc.
Ils parl'nt français, latin aussi, (bis)
Hélas ! que le monde est malin .
Sautez, mignonne, etc.
Hélas! que le monde est malin, (bis)
D'apprendre aux oiseaux le latin.
Sautez, mignonne, Cécilia.
Ah! âh! Cécilia ! (bis)
DU CANADA 33
ET MOI JE M'EN PASSE !
Voici une vraie perle. — une des plus jolies mélodies que
l'on puisse entendre. J'engage les musiciens à l'examiner
attentivement: ils y découvriront des beautés rhythmiques
et «ne phraséologie que, maliieureusement, on ne ren-
contre plus nulle part. Elle se chante avec une iiifinité
de variantes, entre lesquelles il m'a fallu choisir. Dans
la chanson populaire, il y a presque toujours autant de
variantes que de gosiers ; seulement, d'ordinaire, ces
petits changements n'altèrent pas le caractère général de
la mélodie.
Mon pèr' n'avait fil- le que moi, Mon pèr' n'avait
fil- le que moi, Eu- cor sur la mer il m'envoie,
Mon cœur est en â- ge. Tant d'amans qui se font l'amour..
Et moi je m'en pas- se !
34 CHANSONS POPULMRES
Variante recueillie sur la côte de Beaupré
ia)-:z^z
^ Muu pèr' u'a- vait fil- - le que inoi, Mon
pèr' u'u-vait fil- - le que moi : Eu- cor sur la nier
il m'eu- voie : Mon cœur est eu â- ge.
Tant d'auiants qui se fout l'a-uiour . . . Et moi, je m'eu
pas- - se
DU CANADA 35
MON, TON, TON, TURLUTAINE
M. Clément Gazeau, un de ces anciens Canadiens dont
le type devient de plus en plus rare de nos jours, et qui,
avec bien d'autres usages aimables et touchants de la
vieille France, a conservé l'habitude de chanter les chan-
sons qui nous viennent de nos grands-grands-pères, — m'a
chanté et répété un grand nombre de fois la mélodie que
voici, et toujours absolument telle que je l'ai notée. Ce-
pendant, comme je craignais que l'on vînt à suspecter la
fidélité de mon oreille, j'ai voulu, avant que de l'éorire
définitivement pour l'impression, me la faire chanter de
nouveau ; et, muni cette fois d'un instrument de musique,
j'ai pu constater avec certitude que mon oreille ne m'avait
pas trompé. Maintenant, qu'un musicien essaie de chan-
ter cette mélodie, la note fa naturel lui paraîtra excessive-
ment dure ; mais qu'il entende chanter cette même mé-
lodie par un homme du peuple ou par tout autre qui
n'ait pas donné dans le dilettantisme, le fa naturel ne le
choquera plus. D'où vient cela ? — C'est qr.e le musicien,
à cause même de l'éducation de sou oreille, ne peut, sans
un véritable effort — effort désagréable— ne pas faire de
note sensible, tandis qne l'homme du peuple, lui, peut
chanter un intervalle de seconde majeure entre le sep-
tième et le huitième degré de la gamme sans le moindre
effort, et que souvent même il lui serait difficile de faire
autrement.
36
CHANSONS POPULAIRES
a=i'
Mou pèr' u'a- vait fil- le- que moi, Mou
Ijèr' u'a- vait fil- le- que moi ; Eu- cor sur la mer
^-=S=?=i
^-:^^.=r:i=^s : >-
il m'euvoie. Mou tou tou tur- lu- taiue, oh ! gai,
Mou tou tou tur- lu- tai- - ue.
(Pour les autres couplets, voir Cécilia.)
Ce qui précède était écrit lorsque je reçus de M. le J3i-
iDliothécaire de l'université-Laval la version que l'on va
voir ci-aprps, (jui est à peu près celle que j'ai toujours en-
tendue dans mon enfance, et dans laquelle on trouvera
encore le fa naturel. "' Voici, m'écrit M. l'abbé Laverdière,
comment un de nos engagés me chante Mon 'père n'a-
vait. . . . : "
Mon pèr' n'avait fil- le que moi, Mou pèr' u'a- vait fil-
le que moi ; En- cor sur la mer il m'euvoie. Mou ton tou tri-
=5^*Ez^=Ih^
taine, oh ! gai, mon ton tou tri- tai- - ne.
DU CANADA 37
ISABEAU S'Y PROMENE
On remarquera que les passages les plus beaux de cette
délicieuse mélodie sont précisément ceux dans lesquels
elle rompt ouvertement avec le mode mineur pour mettre
en lumière les notes caractéristiques du mode que, dans
l'ancienne tonalité, on appelait " premier plagal." C'est
peut-être ici le lieu de dire que si la découverte de Claude
Monteverde a été un immense progrès, à cause des res-
sources infinies qu'offre Tliarmonie dissonante et les
modulations qui en découlent, d'un autre côté, on ne
peut nier que, du môme coup, de grandes beautés ont été
perdues pour l'art musical par la nécessité qui s'en est
suivie de bannir de la musique tout autre mode que nos
modes majeur et mineur, qui seul possèdent la note sen-
sible, sans laquelle l'harmonie dissonante ne peut pas
exister. Un amateur de chansons populaires m'a fait tenir
une version d'Isabeau dans laquelle tous les /a sont natu-
rels. Cette chanson se chante en Champagne, sur un air
qui, au point de vue du rhythme, a des ressemblances
frappantes avec le nôtre.
I- - sa- beau s'y pro-
39 CHANSONS POPULAIRES
Le long de sou jar- diu. Le long de sonjar-din, Sur le
►ord de l'î- - le. Le long de sou jar-din, Sur le
^=^M^^
bord de l'eau, Sur le bord du vais-seau.
Isabeau s'y promène
Le long de son jardin.
Le long de son jardin
Sur le bord de l'île,
Le long de son jardin
Sur le bord de l'eau,
Sur le bord du vaisseau.
Elle fit un' rencontre
De trente matelots.
De trente matelots
Sur le bord de l'île, etc.
Le plus jeune des trente,
Il se mit à chanter.
Il se mit à chanter
Sur le bord de l'île, etc.
— La chanson que tu chantes,
Je voudrais la savoir.
Je voudrais la savoir
Sur le bord de l'île, etc.
— Embarque dans ma barque^
Je te la chanterai.
Je te la chanterai
Sur le bord de l'île, etc.
Quand ell' fut dans la barque,
EU' se mit à pleurer.
Ell' se mit à pleurer
Sur le bord de l'île, etc.
DU CANADA 39
— Qu'avez-vous donc la belle,
Qu'a- vous à tant pleurer î
Qu'a- vous h tant pleurer
Sur le bord de Tîle, etc.
— Je pleur' iudu anneau d'ore,
Dans l'eau-z-il est tombé.
Dans l'eau-z-il est tombé
Sur le bord de l'île, etc.
— Ne pleurez point la belle,
Je vous le })longerai.
Je vous le plongerai
Sur le bord de l'île, etc.
De la première plonge
Il n'a rien rameué.
Il n'a rien l'atnené
Sur le bord de l'île, etc.
De la seconde plonge
L'anneau-z-a voltigé.
L'anueau-z-a voltigé
Sur le bord de Tîle, etc.
De la troisième plonge
Le galant s'est noyé.
Le galarit s'est noyé
Sur le bord de l'île,
Le galant s'est noyé
Sur le bord de l'eau,
Sur le bord du vaisseau.
40
CHANSONS POPULAIRES
GAI LON LA, GAI LE ROSIER
La présence de ces vers :
Il est dans la Hollande,
Les Hollaudais l'ont pris
dans les couplets qui vont suivre, indique clairement
qu'ils nous viennent d'Europe. Ils se chantent effective-
ment en France, dans la Saintonge et le Bas-Poitou. Les
Canadiens n'ont jamais été en guerre avec les Hollandais,
et c'est à peine si, dans les premiers temps de la colonie,
les habitants de la Nouvelle-Hollande ont eu quelques
rares relations avec nos missionnaires et nos négociants
du Canada. J'ai souvent entendu chanter ainsi les deux
vers que je viens de citer :
Il est dans lu Hollande
Les Irlandais l'ont pris
Par dcrrièr' chez ma tau- te Lui ya-t-au bois jo-
-m -A -m --:^=d=r — ' — ^ — i — -=i— ^
I*— *:
11. Le ros-si- gnol y cliau-te et le jour et la
nuit. Gai Ion la, gai le ro- sier du jo- li
mois de mai.
DU CANADA. 41
Par dcrrièr' chez ma tante
Lui ya-t-uu bois joli ;
Le rossiguol y chante
Et le jour et la nuit.
Gai Ion hi, gai le rosier
Du joli mois de mai.
Le rossiguol y chante
Et le jour et la uuit.
Il chaute pour ces belles
Qui u'out pus de mari.
Gai lou la, etc.
Il chante jjour ces belles
Qui n'ont pas de mari.
n ne chaut' pas pour moi
Car j'en ai-t-uu joli.
Gai Ion la, etc.
Il ne chant' pas pour moi
Car j'en ai-t-un joli.
Il n'est point daus la danse,
Il est bien loin d'ici.
Gai Ion la, etc.
Il n'est poiut dans la danse,
Il est bien loin d'ici ;
Il est dans la Hollande :
Les Hollandais l'ont pris.
Gai Ion la, etc.
Il est dans la Hollande :
Les Hollandais l'ont pris.
— Que donneriez-vous, belle,
Qui l'amèn'rait ici ?
Gai Ion la, etc.
42 CHANSONS POPULAIRES
Que (louneiiez-vous, belle,
Qui l'ainèn'rait ici f
— Je (lounerais Versailles,
Paris et Saiiit-Deuis
Gai Ion la, etc.
Je donnerais Versailles,
Paris et Saint-Denis,
Et la claire fontaine
De mon jardin joli.
Gai Ion la, gai le rosier
Du joli mois de mai.
DU CANADA
43
AURM-JE NANETTE?
Ce refrain et cet air si gracieux,— paroles et musique,
—sont assez peu connus aujourd'liui. Je les ai appris,
tout dernièrement, d'une vieille bonne d'enfants.
Par der-rièr' chez mou pèr' Lui ya-t-uu
ik-
b*ois jo- 11 ; Le ros- si- gnol y chante Et
le jour et la nuit. Au-rai- je Na- uett' ?—3e
y * * "^ ~^'^~S- *
crois que non. Au-rai- je Na- net- te?— Je crois que
(Pour les autres paroles, voir Gai Ion la, gai le rosier)
44 CHANSONS POPULAIRES
AU JARDIN DE MON PÈRE UN ORANGER LUI YA
Le " marché de Lava " dont il est parlé dans cette chan-
son, n'est autre chose que le marché de Laval^ ville fran-
çaise du département de Mayenne. De Laval on a fait
Lava pour la rime. J'ai entendu chanter à Québec :
Au marché où tout va, limouza....
Ces couplets se chantent encore en Normandie, le plus
souvent en chœur, et sur un air de litanies du chant gré-
gorien. Le refrain normand ne ressemble pas du tout au
nôtre.
On remarquera que le refrain joue un grand rôle dans
cette chanson. C'est là un dos traits caractéristiques de
la chanson normande. " Dans les campagnes de l'Avran-
chin, dit M. Eugène de Beaurepaire, elles accompagnent
(les chansons) les travaux de la moisson et surtout la
cueillette du chanvre En écoutant le soir ces poésies
singulières en se croirait volontiers reporté à des
époques fort anciennes. Deux lignes au plus composent
le couplet. Le refrain est vraiment la partie la plus im-
portante ; il supplée à la pauvreté ou à l'absence de la
rime, et c'est lui qui donne toujours lieu aux fantaisies
vocales les plus compliquées."
DU CANADA.
45
Le jeune homme qui figure dans ces couplets a évidem-
ment reçu de bien mauvais exemples de son avocat de
père.
i-=* — ^ — *'~~ï — — >* — ** — *î
Au jardiu de mon pè- re Uu o- rîiu-ger lui
ya, li- luuu-za ; Qu'est si chtirHé d'o- lau-
mÊ
ze^^çz
_^_-n^__
Qu'on croit qu'il en roui- pra, litaou- za. J'ai-nie, j'aime, oh !
rzrzaiz
::^=ïî:=S =::>,— S J-
l^=:zïi~z=il-z^-=^
gai, gai, gai, j'ai le cœur sau gai, J'en-ten-dis chan-
~^:=a!-
ter, dan-ser les mou- tous, les uiou-tons, don- dé, dou,
dou, les mou-tons, les mou- tous, les mou-tous, les mou
"-^|Ë^i^ÊE=Ëi^^§Ë^:^;?=""— '"=
»? c g
tons, les moutons, dou- dé, dou, don, les moutons, les mou
jj — ^ — ^ —
tons, les mou- tons, les mou- tons, les mou -tons, don
dé.
46 CHANSONS POPULAIRES
Au jardin de mon père
Un onuiger lui y a, liniouza,
Qu'est si chargé d'oranges
Qu'on croit qu'il en rompra, liraouza,
J'aime, j'aime, oli ! gai, gai, gai,
J'ai le cœur san gai ;
J'entendis chanter, danser
Les moutons, les moutons, don dé ;
Dou, dou, les moutons, les moutons, i /r • v
Les moutons, les moutons, les moutons, don dé. ^
Qu'est si chargé d'oranges
Qu'on croit qu'il eu rompra, limouza.
Je denïfinde à mon père
Quand' c'qu'on les cueillera, limouza.
J'aime, j'aime, etc.
Je demande à mon père
Quand' c'qu'on les cueillera, limouza.
Mon pèr' me fait réponse :
Quand ton ami viendra, limouza.
J'aime, j'aime, etc.
Mou pèr' me fait réponse : '
Quand ton ami viendra, limouza.
Les oranges sont mûres.
Mou ami ne vient pas, limouza.
J'aime, j'aime, etc.
Les oranges sont mûres,
Mou ami ne vient pas, limouza.
J'ai pris une échelette.
Mon panier dans mon bras, limouza.
J'aime, j'aime, etc.
J'ai pris une échelette.
Mon panier dans mon bras, limouza j
Je cueillis les plus mûres,
'Laissai les vertes là, limouza.
J'aime, j'aime, etc.
DU CANADA 4T
J'ai cueillis les i)lus mûres,
'Laissai les veit(;s là. limousa.
'M'en vais au mavclié v<Midre,
Au luaiclié (le Lava, limouza.
J'aime, J'aime, etc.
'M'en vais au maiclié vendre,
Au maiclié de Lava, lijuouza.
Dans mou chemin rencontre
Le fils d'un avocat, limouza.
J'aime, j'aime, etc.
Dans mon chemin rencontre
Le fils d'un avocat, limouza;
'M'en prend une douziine,
Ne me les paya pas, limouza.
J'aime, j'aime, etc.
'M'en prend une douzaine,
Ne me les paya jias, limouza.
— Ah ! monsieur, mes oranges !
Vous n'me les payez pas ! limouza.
J'aime, j'aime, etc.
Ah ! monsieur, mes oranges !
Vous n'me les payez pas ! limouza.
— Passez de chez mon père.
Il vous les paiera, limouza.
J'aime, j'aime, oh ! gai, gai, gai,
J'ai le cœur san gai ;
J'entendis chanter, danser
Les moutons, les moutons, don dé :
Dou, don, les moutons, les moutons, >
Les moutons, les moutons, les moutons don dé. S ^ '
48 CHANSONS POPULAIRES
J'AI TANT DANSÉ, J'AI TANT SAUTÉ
Une variante de cette chanson se chante dans le Gam-
brésis, en France. On en chante aussi une autre dans le
Bas-Poitou : Le Cordonnier de Nantes. Le refrain de notre
version canadienne est d'une gentillesse, d'une légèreté
charmantes.
Voix seule.
J'ai tant dan-sé, j'ai tant sau-té, Dansons ma ber-
gère, oh ! gai. J'en ai dé-cousu mon sou-lier, à
Voix seule, puis la reprise en chœur.
l'oin- bre. Dau-sous ma ber- gèr' jo- 11- meut, que
le plancher eu rom- pe 1
J'ai tant dansé, j'ai tant sauté,
Dansons ma bergère, oh ! gai,
J'en ai décousu mou soulier.
A l'ombre,
Dansons ma berger' joliment,
Que le plancher en rompe !
J'en ai décousu mon soulier.
Dansons ma bergère, oh ! gai.
J'ai 'té trouver le cordonnier.
A l'ombre, etc.
DU CANADA 49
J'ai 'té trouver le cordonnier,
Dansons ma bergère, oh ! gai.
— Beau cordonnier, beau cordonnier,
A l'ombre, etc.
Beau cordonnier, beau cordonnier,
Dansons ma bergère, oh ! gai.
Veux-tu racc'moder mon soulier ?
A l'ombre, etc.
Veux-tu racc'moder mon soulier ?
Dansons ma bergère, oh ! gai.
Je te donu'rai un sou marqué.
A l'ombre, etc.
Je te donu'rai uc sou marqué.
Dansons ma bergère, oh ! gai.
— De sous marqués j'en ai-z-assea,
A l'ombre, etc.
De sous marqués j'en ai-z-assez,
Dansons ma bergère, oh ! gai.
Faut aller trouver le curé,
A l'ombre, etc.
Faut aller trouver le curé,
Dansons ma bergère, oh ! gai.
Pour dans un mois nous marier.
A l'ombre, etc.
Pour dans un mois nous marier,
Dansons ma bergère, oh ! gai.
— Nenni, un mois n'est pas assez,
A l'ombre, etc.
Nenni, un mois n'est pas assez,
Dansons ma bergère, oh ! gai.
Faut m'attendre encore une année.
A l'ombre.
Dansons ma berger' joliment,
Que le plancher en rompe !
50 CHANSONS POPULAIRES
DIGUE DINDAINE
Ne dirait-on pas que cette mélodie d'une si délicate
beauté se termine sur la dominante tout exprès pour imi-
ter le son continu du i:)elit bourdon de la musette, qui fait
encore entendre sa note dominante alors que le musicien
a fini d'exécuter son air ? Cette chanson, aussi belle
conune poésie que comme musique, nous vient de la
France, où elle n'est pasnoaplus tout-à-fait oubliée. L'air
sur lequel M. Wekerlin (collaborateur de M. Champfleury,)
l'a notée, dans les Chansons populaires des provinces de
France^ est fort joli, mais ressemble peu au nôtre ; quant
aux paroles, publiées dans le même ouvrage, et qui se
chantent dans le Nivernais, elles sont loin d'être aussi
poétiques que ceilesde notre version canadienne. Comme
dans notre chanson, il s'agit, dans la version française,
d'une petite fille " encore jeunette '' qui part pour garder
son troupeau et qui oublie son déjeûner. '• Un valet de
chez son père " va le lui porter et la trouve tout attristée
de la dispersion des intéressants quadrupèdes commis à
sa garde ; le galant valet embouche alors un instrument
champêtre et fait revenir comme par enchantement le
troupeau au pied de la bergère. Mais ici commence la
bifurcation : le troupeau de la chanson française n'est
pas comi)Osé de moutons mais bien de prosaïques enfants
de la race porcine...., lesquels se mettent, eux aussi, à
r>U CANADA 51
daiisiT. '.nais sans se tenir par la patte, — ce qui est beau-
coup moins élégant.
l'n'y avait qu'la grand* trui'-caude
Qui ne voulait pas danser,
ajoute la chanson française ; mais le chef de la bande
vient la prendre par l'oreille et lui dit :
Commère, il nous faut dauser !
acte d'une autocratie révoltante, en opposition directe
avec les immortels principes de 89, comme diraient certains
grands journaux de Paris, et qui dut soulever une bien
grande indignation parmi toute la gent soyeuse. ... ce
que, cependant, la chanson ne dit point.
i=3:i:-^=J=^ -^
^2=^^:E=gH3=|zz5|=-^-=|^-==^:::.-
Quauil j'é- tais de chez mon pè- le, di- gue din-
" — g — g — K» — F— fcg — ** — " ^ 1 ^-.^ — «'-— 3à " H
dai- ne, Jeu- ne fille à ma- ri- er, di- gue diu-
dé, Jeu- ne fille à ma- ri- er, Jeu- ue fille à ma-ri-
Quand j'étais de chez mon père, digue dindaine,
Jeuue fille à marier, digue dinde,
Jeune fille à marier, (ft/s)
62 CHANSONS POPULAIRES
Il iii'envoio de sur ces i)Iaincs, di^aio diudaine,
Pourre les uionton.s garder, digue dinde.
Pourre les moutons garder, (his)
Moi qu'étai'-t-encore jemiette, digue dindaine,
J'oubliai mou déjeiiner, digue dinde.
J'oubliai mou déjeuner, (bis)
Un valet de chez mou pèrs, digue dindaiue,
Est venu me l'apporter, digue dinde.
Est venu me l'api)orter. (his)
— Tenez, petite bruuette, digue dindaiue,
Voilà votre déjeûner, digue dindaiue.
Voilà votre déjeûuer. {bis)
— Que voulez-vous que j'en fasse, digue dindalae.
Mes moutons sont égarés! digue diudé.
Mes montons sont égarés ! (bis)
— Que douneriez-vous la belle, digue diudaine;
Qui vous les ramènerait ? digue dinde.
Qui vous les ramènerait 1 (bis)
— Ne vous mettez poiut-z-en peine, digue dindaine.
Je saurai bien vous payer, digue diudé.
Je saurai bien vous payer, (bis)
Il a pris son tirelire, digue dindaiue,
11 se mit à turluter, digue diudé.
Il se mit à turluter. (bis)
Au son de son tirelire, digue dindaine,
Les moutojis s' sont assemblés, digue dinde.
Les moutons s' sont assemblés, (bis)
Ils se sont pris par la pattf, digue diudaine,
Et se sont mis à danser, digue dinde.
Et se sont mis à danser, {bis)
DU CANADA. SB
V n'y-avait qu'un' vieill'grand'-mère, digue dindaine,
Qui ne voulait pas danser, digue dinde.
Qui ne voulait pas danser, {bis)
— Oh ! qu'a' vous, ma vieill' grand'-mère, digue dindaine,
Qu'avez-vous à tant pleurer ? digue diudé.
Qu'avez- vous à tant pleurer ? {bis)
— Je pleure ton vieux grand-père, digue dindaine.
Que les loups ont étranglé ! digue dinde.
Que les loups ont étranglé ! (bis)
Ils l'ont traîné dans la plaine, digue dindaine,
Et les os lui ont croqué, digue diudé.
Et les 08 lui ont croqué, (bis)
54 CHANSONS POPULAIIIKS
MON CRI GRA, TIR' LA LIRETTE
Un ancien missionnaire, M. l'abbé Sévère Dnmonlin, a
entendu chanter ce joyeux refrain p;u- des canotiers ca-
nadiens de la Rivière-Rouge. M. l'abbé P. Pouliot, qui
l'a appi-is de M. Dumoulin lui-même, l'a chanté à M.
l'abbé J. Auclair de qui je l'ai recueilli. Il n'est pas sans
intérêt de constater comment la chanson de pauvres
canotiers perdus dans un pays lointoin et demi-sauvage,
est venue se placer à la page cinquantfi-quatrième de ce
volume.
-^'
rS^=-^3
Par derrièr' chez ma tau-te uu o- ran- ger lui ya
Qu'est si char- gé d'o-ran-ges qu'où croit qu'il eu rom-pra,
Mon cri cra, tir' la li- ret- te, Mon cri cra, tir' hi li- ra.
(Pour les autres paroles, voir Au jardin de mon père un oranger
lui ya)
DU CANADA. 55
MON BEAU RUBAN GRIS
On a vu plus haut que notre chanson Cécilia se chante
encore en France. Dans la version française se trouvent
les couplets suivants :
'•'■ Que disent les oiseaux des bois?— Que les femmes ne
valent rien, — Et les hommes encor bien moins. — Pour les
fill's, ils en dis'nt du bien. "
Chose assez singulière, je retrouve à peu près ces
mêmes couplets dans Mon beau ruban gris. Dans l'une et
dans l'autre chanson les hommes sont assez mal menés ;
mais on aura beau faire, la raison du plus fort sera tou-
jours la meilleure.
p3=^-|=5^2Z' ~ . . . - -.V.
Ce sout les da- - mes de Pa- ris, Ce
sont les da- - mes- de Pa- ris Qui font blan
= E?_«=E=5=5— =*E^^ î=^*^E5=3 =?=g=^
chi- re leurs lo- gis, Mou beau ru-ban gris, mon beau ru-ban
gris. Mon beau ru- ban jaun', Mon jo- li gris- jaun', Mon
piiiîili^iiyf^^iiiîllll
gris jo- li, Mon beau ru- ban gris.
66 CHANSONS POPULAIRES
Ce sont les dames de Paris (bis)
Qui font blajicliire leurs logis,
Mon beau ruban gris, {bis)
Mon beau ruVjau jaune,
Mou joli gris-jauue.
Mon gris joli,
Mon beau ruban giis.
Qui font blancliiro leurs logis, (bis)
Depuis la table jusqu'au lit.
Mou beau ruban gris, etc.
Depuis la table jusqu'au lit, (bis)
Depuis le lit jusqu'au châssis.
Mou beau ruban gris, etc.
Depuis le lit jusqu'au châssis, (bis)
Depuis l'châssis jusqu'au jardin,
Mon beau ruban fin, etc.
Depuis l'châssis jusqu'au jardin, (bis')
Dans ce jardin lui ya-t-un poits
Mon beau ruban gris, etc.
Dans ce jardin lui ya-t-un poits, (bis)
Yous(jue les oiseaux font lenis nids.
Mon beau ruban gris, etc.
Yousque les oiseaux font leurs nids, (bis)
La caille et aussi la perdrix.
Mon beau ruban gris, etc.
La caille et aussi la perdrix, (his)
La caille dit en son latin,
Mon beau ruban un, etc.
DU CANADA 67
La caille dit en son latin (bis)
Que les honinies ne sont point fius,
Mou beau ruban un, etc.
Que les hommes ne sout poiut fius, (bis)
Mais coutr' les feium's, ell' ue dit rien,
Mou beau rubau fiu. (bis)
Mou beau rubau jauue,
Mon joli gris-jaune,
Mon gris joli,
Mon beau ruban gris.
58 CHANSONS POPULAIRES
MON BEAU RUBAN GRIS
(Autre air recueilli par M. Vahhé P. Lacjacé)
Cette douce mélodie dont les notes, presque toutes de
valeurs égales, roulent constamment dans un mode an-
tique, est bien ini type de ces chansons populaires dont
J.-J. Rousseau a dit : " Les airs ne sont pas piquants,
mais ils ont je ne sais quoi d'antique et de doux qui tou-
che à la longue Ils sont simples, naïfs, souvent
tristes; ils plaisent pourtant." La phrase mélodique qui
commence avec les mots : "Ah! mon beau ruban jaune,
etc.," ne devrait commencer, régulièrement, qu'une me-
sure plus tard. Cependant, cette espèce d'enjambement
est loin d'être dénuée de charmes.
Ce sont les da-ines de Pa- ris, Ce sont les
da- mes de Pa- ris Qui font blan- clii- re leurs lo-
gis, Mon beau ru- ban gris. Ah ! mon beau ru-ban jaune, Mon
5=«?
jo- li gris jau- ne, mon gris,Mon beau ru-ban jau-ne jo-Ii.
DU CANADA
59
VA, VA, VA, P'TIT BONNET, GRAND BONNET
La monotonie qui caractérise presque toujours la mé-
lodie populaire n'est due ici qu'à la répétition fréquente
des mêmes intonations. Rhythmc léger bien qu'à l'allure
un peu rustique.
On chante dans l'ouest de la France (Saintonge et
Aunis) la chanson Mon père aussi m'a mariée (voir plus loin
Un filant ma quenoinllc) sur notre air de Ka, t'A, va^ p'tit
bonnet, grand bonnet.
m
Voix seule, puis la reprise en cliœur.
.^S SJ^
e=E»:E5rî
:t8—
Va, va, va, p'tit bon- net, grand bou- net,
FIN. Yoix seule, la reprise
Va, va, va, p'tit bon- net tout rond. Mon père a fait bâ-
en chœur.
tir maison. Va, va, va, p'tit bon- net tout rond. L'a
ZitZlZ
-^-=M-
1-^ — 1^-^— <a-| ^ ^
fait bâtir à trois pignons, p'tit bou- net, grand bonuet,p'tit bou-
Ei=g=ê=Ea
net tout rond. D.C.
Mon père a fait bâtir maison.
Va, va, va, p'tit bonnet tout rond.
L'a fait bâtir à trois pignons.
60 CHANSSONS POPULAIRE
P'tit bonnet, grand bonnet,
P'tit bonnet tout rond.
Va, va, va, p'tit bonnet, grand bonnet,
Va, va, va, p'tit bonnet tout rond.
L'a fait bâtir à trois pignons,
Va, va, va, p'tit bonnet tout rond.
Sont trois charpentiers qui la font,
P'tit bonnet, grand bonnet, etc.
Sont trois charpentiers qui la font,
Va, va, va, p'tit bonnet tout rond.
Le plus jeune c'est mon mignon,
P'tit bonnet, grand bonnet, etc.
Le plus jeune c'est mon mignon,
Va, va, va, i)'tit bonnet tout rond.
— Qu'apportes-tu dans ton jupon ?
P'tit bonnet, grand bonnet, etc.
Qu'apportes-tu dans ton jupon ?
Va, va, va, p'tit bonnet tout rond.
— C'est un pâté de trois pigeons,
P'tit bonnet, grand bonnet, etc.
C'est un pâté de trois pigeons.
Va, va, va, p'tit bonnet tout rond.
— Asseyons-nous et le mangeons,
P'tit bonnet, grand bonnet, etc.
Asseyons-nous et le mangeons.
Va, va, va, p'tit bonnet tout rond.
En s'asseyaiit il fit un bond,
P'tit bonnet, grand bonnet, etc.
DU CANADA «
En s'asseyant il fit un bond,
Va, va, va, p'tit bonuet tout rond,
Qui fit trembler mer et poissons,
P'tit bonnet, grand bonnet, etc.
Qui fit trembler mer et poissons,
Va, va, va, p'tit bonnet tout rond,
Et les cailloux qui sont au fond,
P'tit bonnet, grand bonnet,
P'tit bonuet tout rond.
Va, va, va, p'tit bonnet, grand bonnet,
Va, va, va, p'tit bonuet tout rond.
62 CHANSON-.S POPULAIRES
FRTNGUE, FRINGUE SUR L'AVIRON
" Nous avons, a dit Dubois, (grammairien du seizième
siècle,) un nombre infini d'interjections qui se trouvent
dans les chansons populaires, comme lirompha^ dada, etc.'*
Il ne faut pas croire, cependant, que tous ces mots et
locutions de refrains soient autant A' interjections à peu
près inexplicables. Dans Fringue^ fringue sur l'aviron^ les
mots :
Tortille uiorfil,
Arrangeur de faucilles
Triboiiille marteau......
ont un sens réel, facile à saisir, et qui est celui-ci :
" Arrangeur de faucilles, fais tordre le morfil de ta
lame ; frappe ta lame de ton marteau."
On sait qu'on appelle morfU ces parties d'acier pres-
que imperceptibles qui restent au tranchant d'une lame
que l'on vient de passer sur la meule.
Voix seule, puis la reprise en chœur.
'/•
Frin-gue, friu-gue sur la ri- vie- re,
FIN. i Voix seule,
Friu-gue, friu-gue sur l'a- vi- ron. Mon père a
DU CANADA
63
la reprise en chœur.
p==?iiiliiiÉl^iï^3lillïl3iriiinîl
fait bâ- tir mai- sou, Friu- gue, frin-gue sur l'a- vi-
Voix seule.
rou. L'a fait bâ- tir à trois pi- gnons, Tor-
t-M-^ a. ^— [-_ j— — ai 10 — j— — ? ■o' — (• j — » — ff — m- 1 — g> « '3
til- le mor- fil, Ar-rau- geur de fau- cil- les, Tri- bouille raar-
teap,Bij»a- soir lu- tin!
<Pour les autres paroles, voâ- Va, va, va, pHit bonnet, grand bontiet)
64
CHANSONS POPULAIRES
GENTIGORUM
Ce curieux refrain était autrefois en grande vogue au
collège Juliette. Il est connu, du reste, dans toutes les
parties du pays.
~^ — j-' -j^ — m-
-J^^=mz
—^ — gz^t:=:
m
Mon père a fait bâ- tir mai-son, Vir-gé var-gè
lJîr—:~==i—-
-■^ — >«-
:tië=2i
vargenton, L'a fait bâ- tir à trois pignons Sur le
ir5.-=i:d^
id'^r^rSr:
bri, sur le brin, sur le sin- tou- ri, sur le
^-»^ — " — ?-«> — gi — g <
laur- =*rE*=r*:
eu- lo- rnm, sur le sin- to- rum, Gen-ti- co-ruin sur
^'^=^îEffi=-*-3— ^
—-y — g — a» ^ — , — '
ilz=:Bstzz=:»=3=
t=^-
;é- lo-rum, mi- ron flon flon sur la vert bat-te- ri'
i
m. ^ j, —
=ï==ï»=:
I» S L».
1-^ ^^ 1 1^— __^ , ,
Viv' l'a- mourette en vargenton, ma lu- ron ma lu- ré.
(Pour les autres paroles, voir Ya^ va, va,pHit bonnet, grand bonnet)
DU CANADA
65
FRIT A L'HUILE
Voici encore un refrain d'origine française. Gela res-
sort, d'abord, de ce qu'il est connu par tout le pays, puis
et surtout de ce qu'il y est question de friture à l'huile.
Nos huiles de marsouin, de foies de morues et de pétrole
n'ont pas encore eu Thonneur d'un chapitre dans la Cui.
sinière canadienne, et pour ce qui est de l'huile d'olive,
que nous importons de l'étranger, on sait qu'elle ne
paraît jamais sur nos tables que froide et comme assai-
sonnement, et que le peuple en fait rarement usage. Il
n'en est pas de même en France, surtout dans le midi, où
l'huile d'olive joue un rôle considérable dans la cuisine
du peuple.
; * .-
Mou père a fait bâ- tir mai- son, Ah ! ah ! ah ! frit à
-Kzz—mzzzz
Thui-le, L'a fait bâ- tir à trois pi-gnous, Fri-tai-ne, fri-
ton, fri-ton, poë- Ion, Ah ! ah ! ah ! frit à l'hui-le, frit au
beurre et à l'o- gnon.
(Pour les autres paroles, voir Va, va, va, pHit bonnet, grand bonnet)
66 CHANSONS POPULAIRES
C'EST DANS LA VILLE DE BYTOWN
Il y a de cela déjà bien des années, par une délicieuse
matinée de juillet, un jeune homme avec qui je suis inti-
mement lié, partait de la ville des Trois-Rivières pour se
rendre à sa paroisse natale, la Rivière-du-Loup, en haut.
Le jeune homme était musicien, et, commue il n'avait que
dix-sept ans, il devait naturellement se croire très-fort
dans son art. Chemin faisant, voilà que son cocher, ému
sans doute par les beautés du soleil levant, et stimulé
aussi, peut-être, par le chant des coqs et le bêlement des
génisses, se met à entonner : Cest dans la ville de Bytown
avec un accent rustique des plus prononcés. Grand plaisir
chez notre artiste en herbe, qui, en vrai musicien de
notre siècle, cherche aussitôt à harmoniser la mélodie,
dans son esprit, à mesure qu'elle sort du rude gosier de
son compagnon. Mais voilà notre jeune ami tout décon-
tenancé ! Impossible d'harmoniser cela! Il a beau
solliciter toutes les formules harmoniques, toutes les mo-
dulations à lui connues impossible d'arriver à rien !
De la leçon toute pratique que donnait à notre ami son
brave compagnon de route, il ressortait clairement ce
principe : qu'il peut exister une musique reposant sur
d'autres lois que sur celles qui régissent la tonalité qui
nous est familière. Mais il ne tira pas cette conclusion
tout d'abord. Assurément il fut frappé de l'étrangeté de
DU CANADA C7
la mélodie qu'il entendait, mais ce qui lui parut iiifmi-
ment plus étrange encore, ce fut de se voir, lui, mis à
quia par un pauvre cocher !
" Les airs populaires dit M. Wekerliii, oftVeiifc quel-
quefois de véritables ditficultés d'harmonisation, étant faits
complètement en deliors des vues d'un accompagnement, et
contraires souvent à nos lois harmoniques sur les modulations.
Quelques-unes de nos chansons populaires datent d'une
époque assez reculée, cela est incontestable ; plusieurs d'entre
elles, celles où la note sensible n'existe pas, par exemple, re-
montent au moins à 1500, puisque ce n'est que tout au com-
mencement de 1600 que Mouteverde trouva l'accord de sep-
tième de dominante. Or, cet accord de septième détermina
réellement le sentiment de la note sensible, c'est-à-dire le
demi-ton qui précède la tonique. Même sans ce trait carac-
téristique, beaucoup de chansons populaires fout constater
l'ancienneté de leur origine, rien (^ue par leur allure métho-
dique, leur similitude avec le chaut grégorien."
Je ne partage pas entièrement la manière de voir du
distingué compositeur dont je viens de citer les paroles,
et je ne serais pas prêt à croire, comme lui, à l'an-
cienneté d'une mélodie uniquement parce qu'elle se
rapproche de la tonalité grégorienne.. Cette tonalité n'a
jamais eu accès au théâtre, et l'harmonie dissonante l'a
chassée complèiement des salons, c'est vrai ; mais dans
certaines campagnes (je parle des campagnes du Canada),
surtout dans celles où il n'y a ni orgue, ni harmonium
dans les églises, et où l'on n'entend jamais d'autre instru.
ment que le violon, elle règne encore en souveraine ;
c'est dans cette langue musicale que les chanteurs popu-
laires improvisent et composent. Il est possible que la
mélodie de C'est dans la ville de Bylown^ qui appartient au
premier mode authentique de la tonalité ancienne, soit
de composition fort antérieure à celle des paroles qui
68
CHANSONS POPULAIRES
l'accompagnent, mais il est aussi fort possible que paroles
et musique aient été composées en même temps : ce qui
alors ne pourrait remonter bien haut.
On a fait un grand nombre de chansons où figure la
ville de ByLowii (aujourJ"liiii Ottaoua). M. LaRue, dans
son étude sur nos cliansons populaires, en a cité une très-
remarquable dont je regrette de ne pas connaître l'air.
Bytovvn a été longtemps le poste avancé de la civilisation
dans la belle vallée de l'Ottaoua, le dernier souvenir
qu'emportaient les voyageurs-forestiers dans leurs loin-
taines excursions au delà des îles Calumet et Allumettes.
C'est daus la vill' de Bail- ton-ne, Là ious- que ~~
j'ai'té faire un tour ; Là ious-que ya des jo- lies
fil-les, Qui sont par-fait' et gen- tilP, Mais yen a-
--^j 1 • I — ^— »»^ J "^ » —F i'^^^^9- — a-r— * 1 — ■^^:r~
t-au' que, par 'sus tout, Z-ou dit que j'y fais l'a- luour.
Mais yeu a- t-an' que, par 'sus tout,Z-on dit
que j'y fais l'a- mour.
DU CANADA 69
C'est dans la vill' de Bailtonne
Là iousque j'ai 'té fairo un tour;
La iousque ya des jolies filles
Qui sont parfait' et gentilles,
Mais yen a-t-an' que, par 'sus tout,
Z-on dit que j'y fais l'amour.
70 CHANSONS POPULAIRES
QUAND J'ÉTAIS CHEZ MON PERE
Il y a tout lieu de croire que ces couplets sont fort an-
ciens, si, comme je le pense, le mot ''baron" y est em-
ployé pour exprimer, au généri([ub, un grand seigneur :
Mon petit cœur en .^age
N'est par pour un baron.
Par ici-t-il y passe
Trois cavaliers barons.
" Chaque fois, dit M. Arbaud, que nos chants parlent
d'un homme noble, puissant, ils l'appellent un baron,
c'est-à-dire, un homme par excellence, comme le bar ger-
manique dont il dérive. Et ne croyez pas qu'ils prejinent
ce mot dans son acception féodale ; non, car ils le donnent
aux saints :
Lou barouu sant Alexi — se voeu pas maridar
ils le donnent aux plus hauts personnages :
Aperaquit passavo — los fiou d'un rei baroun
Mais quand la hiérarchie féodale constituée eut rejeté
presque au dernier rang ce titre de baron, il perdit natu-
rellement sa valeur superlative " \Chants populaires
de la Provence, page XVI de la préface.)
DU CANADA 71
Cette chanson, à laquelle on attribue une origine nor-
mande, se chante dans toutes les parLies de la France,
mais avec des refrains et sur des airs que nous ne con-
naissons pas ici, sauf le refrain et l'air de Vive Napoléon !
que l'on verra plus loin.
On chante dans le comté de Maskinon^é :
.M'envoi'-t-à la fontaine
Pour pêcher du poissou-
à Québec :
et en France :
.M'envoi'-t-à la fontaine
Pour emplir mou eiuchon.
-J'allais à la fontaine
Pour cueillir du cresson...
J'ai recueilli cette mélodie de la hoaclie d'une femme
qui me l'a répétée un grand nombre de fois, et toujours
telle que notée ci-dessous, avec tous les mi et les fa
naturels.
Quaud j'é-tais chez mon pè- re, Quand j'é-tais chez mou
pè- re Pe- tite et jeun' é- tions, doudai-ne, dou,
Pe- tite et jeune é- tions, don- dai- ne.
Quand j'étais chez mon père (bis)
Petite et jeune étions, (ou : Petite Jeanneton,)
Dondaiue, don,
Petite et jeune étions,
Dondaiue.
72 CHANSONS POPULAIRES
M'euvoi'-t-à la fontaine (bis)
Pour pêcher du poisson,
Dondaiue, don, etc.
La fontaine est profonde, (bis)
J'ine suis coulée au fond,
Dondaine, don, etc.
Par ici-t-il y passe (bis)
Trois cavaliers barons,
Doudaiue, don, etc.
— Que denneriez-vous, belle, (bis)
Qui vous tir'rait du fond f
Dondaiue, don, etc.
— Tirez, tirez, dit-elle, (bis)
Après ça, nous verrous
Dondaine, don, etc.
Quand la bell' fut tirée, (6w)
S'en fut à la maison,
Dondaine, don, etc.
S'assit sur la fenêtre, (bis)
Compose une chanson,
Dondaine, don, etc.
— Ce n'est pas ça, la belle, (bis)
Que nous vous demandons,
Dondaine, don, etc.
C'est votre cœur en gage, (bis)
Savoir si nous l'aurons,
Dondaine, don, etc.
DU CANADA 73
— Mon petit cœur en gage, (bis)
N'est pas pour nu barou,
Doudaiue, dou, etc.
Ma mère me le garde (6is)
Pour mon joli mignou,
Doudaiue, don,
Pour mon joli mignon,
Dondaine.
74
CHANSONS POPaLAfRK.S
LA BIBOURNOISE
Cet étrange refrain nous vient do nos ancêtres de la
vieille France. Notre variante diiïere assez pen de celle
qni se chante encore aujonrd'hui dans le Uau[)hiné, mais
les airs ne se ressemblent pas. La Bibournoise était, il y a
vingt ans, nne des chansons favorites des élèves dn petit-
séminaire de Québec. J'ai souvent entendu dire que deux
Anglais ne peuvent déboucher de concert une bouteille
de Champagne sans chanter God save Ihe Queen .'.... je
crois qu'il était également autrefois impossible à deux
élèves du petit séminaire de Québec de se rencontrer en
vacances sans chanter la Bibournoise!
■r^zT/am z
-:« «*_
Quaud j'é-tais chez mou pè- re, Pe- ti- te Jeuuue-
tou, la gliu, glau, glou, M'en- voi'-t-à la fou- tai-ue Pour
_ N ,V >■-, —
em- plir mon cru- chou, La Bi- bour- noi- se, Sout-c'dea
pois, des pois, des fêv's, des fêv's et d'I'o- gnon? N'ya-t-i
DU CANADA
75
^^=1^=r^
j — * J— :j=rg— g— al — g — I — ^ — '— ? «>^-
pas de la gliu glan glon? Bon, bou, bon, bou, bon,
-,>>^=->-
=-=i-^M-^-=-^
bon, Da- ril- Ion, da- ril- lou, da- ril- lou, Oh !
> ^* ^ — =; * — I — ::; ; 1
la gar- ga- ran- çon bi- bour-noi- se, bon, bon,
— ^>« a. ^v >>-
-s» — ^-
^^t-^
m=sz
m
faisons le saut de la gar-ga-rançon bibour- noi- se.
<Pour les autres paroles, voir Quand fêtais chez mon père)
76 CHANSONS POPULAIRES
VIVE NAPOLÉON!
" Comment, dit M. LaRiie, passer sons silence cette
chanson si belle, avec son air plein d'entrain, et qne sait
par cœur tout Canadien qui, une fois dans sa vie seule-
ment, a pris une rame ou un aviron.
" Le refrain de cette chanson indiquerait une origine
moderne ; mais il a été changé. Autrefois on chantait
" Vive le roi, vive le roi! " {Le Foyer Canadien^ p. 355 —
année 1863.)
On chante cette chanson dans l'Aunis, en France, avec
le refrain Vive Napoléon! que nous connaissons si bien
ici, et sur un air presque semblable au nôtre. Au lieu de
Vive le roi! on y dit: Vive la loi! En Angoumois et en
Poitou, on chantait, sous le premier empire : A bas les
royalistes^ vive Napoléon !
Nos habitants disent toujours : " Vive le roi de la reine !"
et évitent ainsi riiiatiis que commettent les citadins en
disant : " le roi et la reine."
Quand j'é-tais chez inoa pè- re, Gai, vi- ve le
roi ! Quaud j'é-tais chez mon pè- re, Gai, vi- ve le
DU CANADA
77
Pe- ti- te Jean- ne- ton, vi- ve le
^=àà^^m=mmmî
=.gEE£
m
roi de la rei-
ne. Pe-
U- te Jeanne- ton,
Vi- ve Na- p«- lé- ou !
(Pour les autres paroles, voir Quand fêtais chez monpère)
78 CHANSONS POPULAIRES
SI TU TE METS ANGUILLE — UN CANADIEN ERRANT
CelU) (loucG cantilène est connue de tout le monde, en
Canada. Los couplets : Si tu te mets anguille^ etc., ne sont
que des fragments assez altérés de la chanson: J'ai fait
wic maîtresse, que l'on verra plus loin. Le dernier vers :
Je nie donu'iai à toi puisque tu m'aimes taut !
devrait être séparé des vers qui précèdent par plusieurs
couplets. C'est simplement parce que ces couplets ont été
oubliés que cette chanson, si poétique d'ailleurs, se ter-
mine si sottement. Il ne fut jamais venu à l'esprit de nos
braves habitants, qui n'ont, grâce à Dieu, jamais mis le
pied au théâtre, et qui n'ont jamais, non plus, nourri leur
esprit des romans de messieurs et madame Damas, Sue,
Sand, Kock et compagnie, de fabriquer ce dénouement
à la Favorite.
Mais cette ancienne poésie est presqu'entièrement ou-
bliée aujourd'hui. Elle a cédé la place à quelques strophes
composées, en 1842, par un étudiant du collège de Nicolet,
qui devait, plus tard, devenir un de nos littérateurs les plus
distingués. Le Canadien errant de M. A. Gérin-Lajoie, com-
posé précisément au début des dures années d'exil des
révoltés de 1837 et 1838, aloi's que tant d'honnêtes familles
pleuraient l'absence de pauvres '^ Canadiens, bannis de
leurs foyers," devint, en quelques mois seulement, ex-
trêmement populaire.
DU CANADA 79
Les mélodies du. peuple possèdent cette qualité si rare
d'unir à beaucoup de simplicité une expression véritable.
D'ordinaire un compositeur n'est simple qu'à la condition
d'être vide et plat. Aussi est-il plus difficile qu'on ne le
croit généralement de composer une mélodie d'une véri-
table beauté et qui puisse se vulgariser parmi le peuple.
Chateaubriand avait si bien compris cela que, comme
l'auteur du Canadien errant^ il avait voulu choisir parmi
des chansons populaires (celles de l'Auvergne, si je ne me
trompe,) les airs de ses chants du Dernier Abencérage
■ Les couplets de M. Lajoie, grâce à leur mérite et à leur
actualité, mais grâce aussi à la vieille mélodie sur laquelle
ils se chantent, sont connus aujourd'hui partout où il y a
des Canadiens-français. Que Fauteur pénètre dans la forêt,
qu'il y rencontre quelques-uns de ces défricheurs dont il a
si bien su peindre l'existence et les rudes mais nobles tra-
vaux ; qu'il parcoure les villes du Haut-Canada et même
certaines villes américaines voisines de nos frontières, il les
entendra chanter partout. Il n'est pas jusqu'aux échos
des Montagnes-Rocheuses et des rives du lac Ouinipeg qui
n'aient répété cette touchante poésie. Mgr Faraud, vi-
caire-apostolique d'Attabaska et du territoire de la rivière
McKenzie, m'a dit avoir entendu chanter Un Canadien
errant dans les plus lointaines missions du Nord-Ouest.
80 CHANSONS POPULAIRES
Par derrièr' chez iria tante II lui ya- t-na é-
i^» *_
tang, Par derrièr' chez ma tante II lui ya- t-un é-
tang.. . Je me met- trai an- guillc, Auguil-le dans l'é-
tang, Je me met- trai au- guillc, Anguil-le dans l'é-
tang.
Par derrièr' chez mn. tante
II lai 3'a-t-nn étang
(bis)
Je me mettrai aiignille, ? ,,-.
Anguille dans l'étang. S '
— Si tu te mets anguille,
Anguille dans l'étang,
Je me mettrai ))êclieur :
Je t'aurai en pêeliant.
(bis)
{bis)
— Si tu te mets pêcheur ) ,j^..
Pour m'avoir en péchant, ^^ *'
ibis)
ibis)
Je me mettrai allouette,
Allouette dans les champs.
— Si tu te mets allouette,
Allouette dans les champs,
Je me mettrai chasseur : ) yj^^^.
Je t'aurai eu chassant. \
— Si tu te mets chassetir ? ,j^-^.
Pour m'avoir en chassant, ^ ^
Je me mettrai nonnette
Nonnett' dans un couvent.
ibis)
DU CANADA 81
l {Us)
(bis)
— Si tn te mets nonnette
Nonnett' dans un couvent
Je me mettrai prêcheur :
Je t'aurai en prêcliant.
— Si tu te mets prêclieur ) ,^. v
Pour m'avoir en prêcliaut, ^ ^
Je me donu'rai à toi
Puisque tu m'aimes tant !
0is)
Un canadien errant, ? ,^,^.^,
Banni de ses foyers, ^ ^
Parcourait en pleurant
Des pays étrangers.
{bis)
Un jour, triste et pensif, ) ,^^. -
Assis au bord des flots, J
Au courant fugitif , ,^-^.
II adressa ces mots • ^ ^
\ {bi
" Si tu vois mon gay^s, ; ^i^-
Mou pax^ mallieureux, ; ~ '
Va, dis à mes amis ) ,, . .
Que je me souviens d'eux. ) ^ '
" 0 jours si pleins d'appas, ? /^j-^x
Vous êtes disparus, ^^ '
Et ma pati'ie, bêlas ! }
Je ne la verrai plus! \
{bis)
" Non, mais en expirant, ) ,, . ,
0 mou cher Canada ! )
" Mon regard languisant ) ^, . .
Vers toi se portera " ) ' ^
82 CHANSONS POPULAIRES
UNE PERDRIOLE
Le lecteur n'a pas besoin d'être averti que ceci est une
chanson pour endormir les enfants. Après le dixième
couplet rien n'empêche d'en improviser d'autres et de se
rendre ainsi jusqu'au trente-unième jour de mai. Si après
cela l'enfant ne dort pas, il est inutile de songer aux
prises de laudanum ou aux gouttes de Trésor des nourrices^
rien n'y fera.
On chante aussi cette chanson en France. (Voir les Chants
et chansons populaires du Cambrésis, recueillis et annotés
par MM. A. Durieux et A. Bruyelle, page 125)
Premier couplet.
ffi— § i*'— ~ -j — g ai — — g H — » 1 -^ ^^
Le pre-mier jour de mai que barrai-je à ma
inie ? Le premier jour de mai que barrai-je à ma
•/.
mie ? — U- ne per- dri- o- le, Qui vient, qui
:a(r^lzr3;r=|— ^z:iz:l=S=S^I=i=:ï— i=ïît:::^l:rî=*-d
va, qui vo- le, U- ne perdri- o- le, Qui
FIN.
^-« i ^v— , —
iilil^llil^li
vo- le dans ces bois.
DU CANADA 83
Variante
■:?za"E=«E
:H-rS=^|-Si
:rg=^— |— gzîi^zirs— |=:iaj:z==g^z:^
Le pre-uiier jour de mai, Que donn'rai-je
à ma mie- - e
— =^=yi^=Éi^Ëîi§^^^ E.C.
Deuxième couplet.
On répète la première partie (lettre A), mais on dit :
" Le second jour de mai que barrai-je cà ma mie ?" et on
ajoute :
^ Deux tour-te- rel- les,
puis on reprend : " Une perdriole, etc.," au signe */..
Troisième couplet.
Reprise de la première partie (lettre A) avec les paroles :
" Le troisième jour de mai qae barrai-je à ma mie?" après
quoi on chante :
Trois rats des bois.
Puis on récapitule les deuxième et premier couplets :
Deux tourterelles,
Une perdriole, etc.
On continue ainsi en disant successivement : le qua-
trième, le cinquième, le sixième, le septième jour de mai,
etc., et après chaque couplet nouveau on récapitule tous
les couplets qui précèdent, depuis le dernier chanté jus-
qu'au premier.
84
CHANSONS POPULAIRES
Quatrième couplet.
Qiuitr' ca- iiards vo- laut eu Tai-re,
Trois lats des bois,
Deux tourterelles,
Une perdriole, etc.
Cinquième couplet.
-» I -H-— ■-
Cinq la- juus grat- taut la ter-re.
Quatr' canards volant en l'airo,
Trois rats des bois,
Deux tourterelles,
Une perdriole, etc.
5==ff:
Sixième couplet.
---W--\--,
Six chiens cou- raut.
Cinq lapins grattant la terre,
Quatr' canards volant en l'aire,
Trois rats des bois.
Deux tourterelles.
Une perdriole, etc.
Septième couplet.
Sept vach's à lait.
DU CANADA 85
Six chiens courant,
Cinq lapins grattant la terre,
Quatr' canards volant eu l'aire,
Trois rats des bois,
Deux tourterelles,
Uue perdriole, etc.
Huitième couplet.
Huit mou- tous a- vec leur lai- ue.
Sept vacli's à lait,
Six chiens courant,
Cinq lapins grattant la terre,
Quatr' ciuards volant eu Paire,
Trois rats des bois,
Deux tourterelles,
Une perdriole, etc.
Neuvième cotqylet.
Neufche- vaux a- vec leurs sel- les,
Huit moutojis avec leur laine,
Sept vach's à lait,
Six chiens courant,
Cinq lapins grattant la terre,
Quatr' canards volaut en l'aire,
Trois lats des bois.
Deux tourterelles.
Une perdriole, etc.
86 CHANSONS POPULAIRES
Dixième couplet.
Dix veaux bien gras.
Neuf chevaux avec leurs selles,
Huit moutons avec leur laine,
Sept vacli's à lait,
Six chiens courant,
Cinq lapins grattant la terre,
Quatr' canards volant en l'aire,
Trois rats des bois,
Deux tourterelles,
Une pedriole
Qui vient, qui va, qui vole,
Une pedriole
Qui vole dans ces bois.
DU CANADA
87
J'AI CUEILLI LA BELLE ROSE
Se chante en France (tonjonrs avec variantes) dans l'An-
goumois, le Gambrésis et l'Aitois.
M, Ghamflcury cite le refrain suivant comme se chan-
tant dans le Nivernais :
Tes rubans bari volants,
Belle rose,
Tes rubans barivolants,
Belle rose au rosier blanc.
Ce refrain ressemble trop à celui de notre chanson : J'ai
cueilli la belle rose pour qu'ils n'aient pas tous deux une
origine commune.
r25
J'ai cueil- li
la bel- le ro- - se,
J'ai cueil- li la bel- le ro- - se Qui peu-
.^ — ^_
(lait au ro-sier blanc, La bel-le ro
Qui peu- dait au ro-sier blauc, La bel- le ros' du
m^-^:m==
ro- sier blauc.
88 CHANSONS POPULAIRES
J'ai cueilli la belle rose (his)
Qui peudait au rosier blauc,
La belle rose,
Qui pendait au rosier blanc,
La belle ros' du rosier blauc.
Je l'ai cueilli' feuille à feuille, {bis)
Mis daus mon tablier blanc,
La belle rose,
Mis dans iiion tablier blanc,
La belle ros' du rosier blauc.
Je l'ai porté' chez mon père, (bis)
Entn; l';iris et Uouen,
La bcHe i-ose,
Entre Paris et Ronen,
La belle ros' du rosier blauc.
Je n'ai pas trouvé personne.... (bis)
Que le ro>;siguol chantant,
La belln rose,
Que le lossignol chantant,
La belle ros' du rosier blauc.
Qui me dit dans sou langage : (bis)
— Mari'-toi, car il est tem[)S,
La belle rose,
Mari'-toi, car il est temps,
La belle ros' du rosier blanc.
— Comment veux-tu que j'm'y marie .^ (bi8)
Mon père en est pas content,
La belle rose.
Mon père en est pas content,
La belle ros' du rosier blanc.
DU CANADA 89
Ni mon père, ni ma mère, (bis)
Ni aucun de mes parents,
La belle rose,
Ni aucun de mes parents,
La belle ros' du rosier blanc.
Je m'en irai en service, (bis)
En service jtonr un an,
La belle rosi-,
En service i>()ur un an,
La belle ros' du rosier blauc.
— Combien gagnez-vous, la belle, (bis)
Combien gagnez-vous par an ?
La belle rose.
Combien gagnez-vous par au ?
La belle ros' du rosier blanc.
— Je gagne bien cinq cents livres, (bis)
Cinq cents livr's eu argent blauc,
La belle rose,
Cinq cents livr's eu argent blauc,
La belle ros' du rosier blanc.
— ^Venez avec nous, la belle, (bis)
Nous vous en donn'rons six cents,
La belle rose,
Nous vous en donn'rons six cents,
La belle ros' du rosier blanc.
90 CHANSONS POPUI^AIRES
AH ! QUI ME PASSERA LE BOIS
J'étais en partie de pêche au lac Saint-Pierre lorsque
j'entendis pour la première fois cette remarquable mélo-
die que chantait un homme de la campagne en battant la
mesure avec son aviron. Je fus tellement frappé de
l'étrangeté de ce chant que j'insistai pour qu'il me le
répétât plusieurs fois. Le pauvre homme ne pouvait
s'imaginer ce que je pouvais trouver de si beau dans sa
chanson, et ce ne fut pas sans un peu de défiance qu'il
consentit à me la redire. Je crois l'avoir notée exacte-
ment comme il me la chantait. Il me semble, cependant,
qu'il ne faisait pas la note fa tout à fait naturelle dans la
première phrase : .4/î..' qui me passera le bois ? , mais il
ne faisait certainement pas le fa dièse non plus. Je lui
chantai moi-môme la mélodie, lentement, avec le fa dièse :
il hocha la tète en faisant signe que non; je la répétai
alors avec le fa naturel, et, cette fois, il parut content.
La phraséologie tout inusitée de cette mélodie indique
clairement qu'elle doit être fort ancienne. Inutile de dire
qu'il ne faut pas songer à lui ajouter un accompagne-
ment. Elle appartient à une tonalité dans laquelle pas
un des maîtres de l'art moderne n'a écrit, et qui, à parler
franchement, nous est à peu près inconnue ; or, on sait
DU CANADA 91
que l'harmonie, telle que nous l'entendons aujourd'hui,
est incompatible avec tout ce qui n'est pas tonalUé euro-
péenne moderne; que ce n'est qu'en assimilaut les modes
antiques à nos modes majeur et mineur, c'est-à dire eu
faisant disparaître des premiers ce qu'ils ont de caracté-
ristique que l'usage de notre harmonie dissonante devient
possible. D'ailleurs, est-il bien sûr qu'un grand nombre
de nos mélodies populaires ne soient pas incompatibles
avec toute harmonie, même purement consonnante? Pour
ma part, je le crois, bien que je sache que beaucoup de
musiciens pensent le contraire. C'est le propre des
musiciens de ces derniers siècles, comme Ta si bien fait
remarquer M. Fétis, de ne pouvoir s'imaginer une musi-
que quelconque sans harmonie. C'est qu'en eifet, la
tonalité qui nous est familière, avec ses modes cà note
sensible exclusifs, étant essentiellement harmonique, on a
peine à comprendre qu'il puisse en être autrement d'une
autre tonalité. Si l'histoire n'était pas là pour nous le
dire, on ne voudrait pas croire qu'il fut un temps où l'on
faisait de belle, d'admirable musique sans le secours de
l'harmonie; que les premières notions de cette science
étaient inconnues en ItaUe jusqu'à ce qu'elles y fussent
apportées par les peuplades barbares du nord de l'Europe
qui envahirent tant de fois la péninsule dans les premiers
siècles de l'ère chrétienne.
Pour ce qui est de la mélodie qui nous occupe, en par-
ticulier, on peut sans doute lui ajuster un accompagne-
ment quelconque, mais non sans lui faire perdre de
l'allure, du caractère qui lui est propre ; allure et carac-
tère que les virtuoses campagnards savent si bien lui
donner.
92 CHANSONS POPULAIRES
J'ignore si l<i mélodie de Ah! qui me passera le bois? est
commo eu France; je sais seulement qu'on y chante
encore quelfiues fragments des paroles (jue l'on va voir
ci-après.
Ali ! qui me pas-se- ra ie bois, Moi qui suis si pe-
ti- te ? Ce se- ra mousieur que voi-là : N'a- t-il pas bouue
mi- ne? là! Somm's-uous au mi- lieu du bois?
Sumui's-ijous à la ri - ve f
Ali ! qui me passera le bois,
Moi qui suis si petite ?
Ce sera monsieur que voilà :
N'a-t-il pas boiiue mine ? là !
Somm's-uous au milieu du bois?
Somm's-uous à la rive?
Ce sera monsieur que voilà:
N'a-t-il pas bonne niiue?
Quand nous fûm's au milieu du bois.
Il se mit à courire, là !
Somm's-uous au milieu, etc.
DU CANADA 93
Quand nous fûiu's au milieu du bois,
Il se mit à cou rire.
— Oh ! qu'a' -vous donc, mou bon monsieur,
Qu'a'-vous à tant courire, là!
Somm's nous au milieu, etc.
Oh! qu'a'- vous donc, mon bon monsieur,
Qu'a'-vous à tant courire ?
— J'entends venir des loups, là-bas,
Qui nous suiv' à la rive, là !
Somm's-nous au milieu, etc.
J'entends venir des loups, là -bas,
Qui nous suiv' à la rive.
Quand ils eur'nt traversé le bois
La bell' se mit à rire, là !
Somm's-uous au milieu, etc.
Quand ils eur'nt traversé le bois
La bell' se mit à rire.
-Bell' qu'avez-vous, bell' qu'avez-vous,
Qu'avez- vous à tant rire? là!
Somm's-nous au milieu, etc.
Bell' qu'avez-vous, bell' qu'avez-vous,
Qu'avez-vous à tant rire?
— Je ris de toi, je ris de moi.
De ta poltronnerie, là !
Somm's-nous au milieu, etc.
Je ris de toi, je ris de moi,
De ta poltronnerie ;
D'avoir pris les perdrix du bois
Pour des loups en furie, là!
Somm's-nous au milieu du bois ?
Somm's-nous à la rive?
94 CHANSONS POPULAIRES
SUR LE PONT D'AVIGNON
Le célèbre pont de l'ancienne capitale du Gomtat d'Avi-
gnon a été construit vers le onzième siècle.
M. l'abbé J. Lebourdais m'a dit avoir chanté la chanson
qui va suivre en traversant ce pont fameux, au grand
étonnement de ses compagnons de voyage, qui ne pou-
vaient comprendre comment une pareille vieillerie avait
pu se conserver en Canada.
On chante dans le district des Trois-Rivières :
Sur le pout d'A-vi- guou, Sur le pout d'A-vi-
guou Trois da-mes, etc.
Mais la version donnée ci-après est peut être plus
répandue.
Les paroles que l'on va lire ont été recueillies à la
Rivière-du-Loup, comté de Maskinongé. Je donne les
derniers couplets pour ce qu'ils valent.
DU CANADA
95
le pout (l'A- vi-
Sar
gnou,
Sur
le pout (l'A- vi- gnou Trois da- mes s'y pro-
uiè- ueut, uia dou- dai- ne, Trois da- mes s'y pro-
mè- ueut, ma dou- dé.
Sur le pout d'Avignon, (bis)
Trois daines s'y promènent,
Ma dondaiue,
Trois dames s'y promènent,
Ma don dé.
Tont's trois s'y promenant {bis)
Laissent tomber leurs peignes,
Ma doudaine, etc.
Trois Allemands passant (bis)
Ont ramassé les peignes.
Ma dondaiue, etc.
—Allemands, Allemands, {bis)
Ah ! rendez-moi mou peigne.
Ma doudaine, etc.
Ton peigu' tu n'auras pas (bis)
Qu'tu n'ai' payé mes peines,
Ma doudaine, etc.
96 CHANSONS POPULAIRES
— Quel pa-ye-ment venx-tu? (bis)
— Un cheveu de toi, belle,
Ma dondaiue, etc.
— Prends-un, prends en deux, [bis)
Prends-en trois à ton aise,
Ma doudaine, etc.
Mais ne t'en vante pas: (bis)
Tout garçon qui se vante.
Ma dondaine, etc.
On les estime pas, (bis)
Car ils ont femme en France,
Ma dondaine, etc.
Et des petits enfants (bis)
Qui vont battre à la grange,
Ma dondaine,
Qui vont battre à la grange,
Ma don dé.
DQ CANADA
S7
HIER SUR LE PONT D'AVIGNON
Cette charmante mélodie, avec son rhylhme partie
binaire partie ternaire, mais toujours gracieux, est moins
connue que la mélodie qui précède. La poésie non moins
charmante qui l'accompagne se chante encore aujour-
d'hui, du moins en partie, dans le canton de Vaud, en
Suisse.
z_a_^_i *>— y — • m — ' i* ?» '
Hi- er, sur le pont d'Avignon, Hi- er, sur le pont
d'*A- vi- guou, J'ai ouï clian- ter la bel- le, Ion la, J'ai
ouï chau- ter la
bel-
le.
Variante ;
:=;sr=|— d^
=i)— -S=i=^=:S^ =«ci=«=zz:*=:5=il^
J'ai ouï cban-ter la bel- le, Ion la, J'ai
l^^rr=^-==^- ;"—
ouï chau-ter la
bel- le.
Hier, sur le ponfc d'Avignon {Us)
J'ai ouï chanter la belle,
Loii la,
J'ai ouï chanter la belle.
98 CHANSOiYS POPULAIRES
Elle chantait d'un ton si doux : (bis)
Comme une demoiselle,
Lon la, etc.
Que le fils du roi l'entendit {bis)
Du logis de son père.
Lon la, etc.
Il appela ses serviteurs, {bis)
Valets et chambrières.
Lon la, etc.
— Çà que l'on bride mon cheval {bis)
Et lui mette sa selle.
Lon la, etc.
— Monsieur, où voulez-vous aller ? (6ts)
Ce n'est qu'uue bergère.
Lou la, etc.
— Bergère on non je veux la voir,(6is)
Ou que mou cheval crève,
Lon la.
Ou que mon cheval crève.
DU CANADA 99
SUR LE PONT D'AVIGNON TOUT LE MONDE Y PASSE
Voici une troisième ciianson où figure le pont d'Avi-
gnon. J'ignore si tout le département de Vaucluse pour-
rait en fournir autant. C'est possible cependant, car les
habitants de cette partie de la France sont de grands
chanteurs. Leur goût musical tout à fait remarquable
est dû en partie, sans doute, à l'enseignement de l'école de
musique créée par les papes d'Avignon. Le passage de la
cour romaine se fait sentir encore aujourd'hui dans tout
ce pays qui avoisine le mont Ventoux et le Luberon, et
que traversent le Rhône et la Durance.
Cette ronde m'a été chantée par M. LaRue.
Sur le pout d'A-vi-guon, tout le moude y pas-se,
FIN,
Sur le pout d'A-vi-guou, tout le moude y pas- se.
Les messieurs fout comm' ci, Les da- mes fout comm'
È^-==.=E
ça. D. C.
Sur
Tout
le pont d'Avignon ) , .
t le monde y passe. J ^ '
Les messieurs font comm'ci, {on ôte son cliapeau)
Les dames font comm'ça. (on fait la révérence)
100 CHANSONS POPULAIRES
DANS LES CHANTIERS NOUS HIVERNERONS
M. J. G. Taché, dans sa belle étude de mœurs cana-
dienaes intitulée: Forestiers et Voyageurs, n'a pas oublié
de l'aire une mention spéciale de cette chanson par ex-
cellence de tout forestier canadien. Je cite :
'' A l'heure convenue du lendemain, nous
vîmes ari-iver nos jeunes compagnons de route. Ils ve-
naient, piquant au plus court^ à travers la neige des
champs, montés sur leurs raquettes. Ils chantaient, sur
un air aussi dégagé que leur allure de voltige, le gai
refrain des Jjucherons canadiens :
Voici l'hiver aiiivé,
Les rivières sont gelées,
C'est le tem[)S d'aller au bois
Maii-er du lard et des pois!
Dans les cliautiers nous liivemeious !
Dans les chantiers nous liiverut^rons !
" Je serais bien empêché, arni lecteur, de vous donner
les autres couplets de cette chanson, attendu que, sauf ce
prélude obligé, tout le reste s'improvise pour
répondre aux besoins des circonstances.
" Il est cependant une stance qu'on chante presque tou-
jours pour clôture de la saison des chantiers ; mais
DU CANADA 101
€elle-ci sur un ton quelque peu ennuyé, avec une appa-
rence affectée de fatigue ; la voici :
Quand ça vient sur le printemps,
Chacun craint le mauvais temps;
On est fatigué du pain,
Pour du lard ou n'en a point.
Dans les clianiicr!^, ali ! n'hivernerons pins!
Dans les chantiers, ah ! n'hivernerons plus !
" Le mot chantier^ continue M. Taché, a diverses accep-
tions : c'est ainsi qu'il signifie quelquefois l'ensemble
d'un établissement, ou l'industrie ou l'exploitation des
bois elle-même ; quelquefois le logement des ouvriers.
C'est de cette dernière acception que les anglais font
usage dans le mot shanty (corruption de chantier) par
lequel ils désignent une hutte de colon." [Soirées Cana-
diennes,— deuxième année, p. 24.)
Les couplets qui suivent m'ont été chantés par M. Louis
Blondin, de la Baie-du-Febvre.
|=*r^=|~2==Si3
-jt=m—3
Voi- ci l'hi- ver ar- ri- - vé, Les ri- viè-res
sont ge- lées. C'est le temps d'al- 1er aux bois
Man- ger du lard et des pois ! Dans les chan-
102 CHANSONS POPULAIRES
tiers nous 11 i- ver- ne- rons ! Dans les chan- tiers nous hi-
ver- no- roiis
Voici l'hiver arrivé,
Les rivières sont gelées ;
C'est le temps d'aller au bois
Manger du lard et des pois.
Dans les chantiers nous hivernerons !
Dans les chantiers nous hivernerons !
Pauv' voyageur que t'as d'ia misère !
Souvent tu couches par terre ;
A la pluie, au mauvais temps,
A la rigueur de tous les temps !
Dans les chantiers, etc.
Quand tu arriv' à Québec,
Souvent tu fais un gros bec.
Tu vas trouver ton bourgeois
Qu'est là assis à son comptoi'.
Dans les chantiers, etc.
— Je voudrais être payé
Pour le temps que j'ai donné.
Quand l'bourgeois est en banqu'route,
Il te renvoi' manger des croûtes.
Dans les chantiers, etc. <,
Quand tu retourn' chez ton père,
Aussi pour revoir ta mère :
Le bonhomme est à la porte,
La bonn'femine fait la gargotte.
Dans les chantiers, eti;.
DU CANADA 103
—Ali ! boujour donc, mou cher enfant !
Nous appoit'-tu beu d'I'iirgent ?
— Que l'diable emport' les chautiers!
Jamais d'ma vie j'y r'tournerai !
Dans les chantiers, ah ! u'iiivernons plus!
Dans les chautiers, ah! n'hivernons plus !
Ces couplets sont parfaits comme peinture de mœurs.
En voici un autre qui a bien son mérite. Il y est ques-
tion d'un bourgeois qui paie son monde en marchandises^
comme cela d'ailleurs se fait très-souvent. L'expression
" on se trouve clair " veut dire ici qu'il ne reste plus rien
au crédit du travailleur :
Monsieur Dufroi c'est un bon bourgeois,
Mais il n'nous donn' pas grand monnaie.
On travail ben tout l'hiver ;
Au printemps on se trouv' clair I
Dans les chantiers, etc.
Enfin voici trois autres couplets dont la forme diffère
un peu d'avec celle des couplets précédents. La mélodie,
nécessairement, s'en trouve légèrement affectée.
!=ÏEE5=i^l=i^iEÊl=?Eb?=iË
ABy- towu c'est un' jo- II' place Où il
s'ra- mass' ben d'ia ■ crasse ; Où ya des jo- lies
104 CHANSONS POPULAIRES
jz: =5— 2*^ -. I ^ -> I ^-
Et ans- si des jo- lis gar- cous. Daus
^-^=^=*=l -ï=2=E=^=p-|--=3==-e
^_
-j,, — I 1
les chan- tiers uous hi- ver- ue- rous !
A Bj-towii c'est un' joli' place
Où il s'rainass' ben d'ia crasse;
Où ya des joli's filles
Et aussi de jolis garçons.
Daus les chautiers nous hivernerons !
Nous avons sauté le Long-Sault,
Nous l'avons sauté tout d'un morceau !
Ah ! que l'hiver est longue !
Daus les cliantiers uous hivernerons!
Daus les cliantiers uous hiveruerous 1
V'ià l'autoume qu'est arrivé.
Tous les voyageurs vont monter.
Nous u'irous plus voir nos blondes,
Dans les chautiers uous hivernerons !
Daus les chautiers uous hiveruerous !
DU CANADA 105
PETIT JEAN
On ne saurait chanter ses malheurs plus gaîment que
le pauvre ''petit Jean" de ces couplets. L'anomalie
qu'offre cette musique si allègre ajustée à des couplets si
larmoyants, n'a pas échappé à nos chanteurs campagnards,
qui ajoutent encore au contraste en donnant à leurs voix
certaines inflexions comiques qui se refusent à toute no-
tation, et que j'ai indiquées par des traits.
On remarquera que cette mélodie, dont l'allure est toute
franche, toute naturelle, môme pour des oreilles accoutu-
mées à la musique de Rossiui, n'appartient cependant ni
au mode majeur ni au mode mineur. Je l'ai traitée
comme appartenant au premier mode de la tonolité an-
cieuue, et voilà pourquoi je n'ai armé la clef que d'un
seul bémol. Si simple qu'elle soit, cette petite mélodie
offre une preuve frappante de ce fait important sur lequel
j'ai déjà attiré l'attention du lecteur: qu'il n'est rien d'ir-
rationnel dans l'existence de modes autres que ceux dans
lesquels écrivent tous les compositeurs de nos jours.
5. .
Quand j'é- tais chez mou pè- re, Lil, 11 li
P^--g j — I — *j — ^* F — Po— g — j — m g » — I — * ^ — I
lil, li li lil, lil, lil, li. Quand j'é- tais chez mon
106 CHANSONS POPULAIRES
i^g=bg=g=s=l^*^;g;Êh=g^N^^=j=^==s==
pè- re, Garçon à ma- ri- er ; Garçon à
ma- ri- er-er- er, Gar-çou à ina- ri- er. ,
Quand j'étais chez mon père,
Lil, li li lil, li li lil, lil, lil, li,
Quand j'étais chez mou père,
Garçon à marier ;
Garçon à marier-er-er.
Garçon à juarier
Je n'avais rien à faire,
Lil, li, li, etc.
Je n'avais rien à faire
Qu'une femme à chercher, (ter)
A présent j'en ai-t-une
Lil, li li, etc.
A présent j'en ai-t-une
Qui me fait enrager, (ter)
Eli' m'envoi'-t-à l'ouvrage
Lil, li li, etc.
Eir m'envoi'-t-à l'ouvrage
Sans boii'ni sans manger, (ter)
Quand je reviens d'I'ouvrage,
Lil, li, li, etc.
Quand je reviens d'i'ouvrage,
Tout mouillé, tout glacé — (fer)
DU CANADA 107
Je m'ass(;ois sur hi porte,
Lil, li li, etc.
Je m'asseois sur la porte
Comiue uu pauvre étranger, {ter)
— Rentre, petit Jean, rentre,
Lil, li li, etc.
Rentre, petit Jean, rentre.
Rentre te réchauffer ! (ter)
Soupe, petit Jean, soupe,
Lil, li li, etc.
Soupe, petit Jean, soupe!
Pour moi j'ai bien soupe, (ter)
J'ai mangé deux oies grasses,
Lil, lili, etc.
J'ai mangé deux oies grasses
Et trois pigeons Lirdés. (ter)
Les os sont sous la table,
Lil, li li, etc.
Les os sont sous la table.
Si tu veux les ronger, (ter)
P'tit Jean baisse la tête,
Lil, li li, etc.
P'tit Jean baisse la tête
Et se met k brailler, (ter)
— Braille, petit Jean, braille !
Lil, li li lil, li li lil, lil, lil, II,
Braille, petit Jean, braille,
Et moi je vais chanter !
Et moi je vais chanter- er-er,
Et moi je vais chanter !
108 CHANSONS POPULAIRES
AU BOTS DU ROSSIGNOLET
Je n'ai pas été peu surpris d'entendre chanter cette
chanson par madame S * * *, de Saint-André (comté de
Kamouraska). Je ne l'avais jamais entiMulno auparavant
et ne la connaissais que pour l'avoir vue dans un recueil
français. Les paroles sont les mômes, à très peu de chose
près, que celles de la version française, et bien que notre
air ait une allure plus campagnarde, il ressemble cepen-
dant beaucoup à l'air noté dans les Chansons populaires des
provinces de France^ ouvrage publié par MM. Ghampfleury
et Wekerlin.
Cette chanson est franc-comtoise.
Les paysans franc-comtois, dit M. Ghampfleury, chan-
tent toujours à l'uuisson. " Ils ue se doutent pas de l'har-
monie et n'ont pas le plus léger sentiment de la tierce ni
de la basse ; mais où le paysan déploie de l'art, c'est dans
certains points d'orgue qui ressemblent à la toilette des
farauds du village. Les femmes nasillent d'une voix traî-
nante, avec des chevrotements qui servent de fioriture
" Mon ami Max Buchon, élevé à l'école d'Auerbach, le
romancier allemand, introduisit à son exemple des chan-
sons populaires dans ses romans. Au bois rossignolet parut
(sans musique) dans une de ses scènes de la Franche-
Gomté. Une dame de Neufchâtel, en lisant cette chanson,
se rappela l'avoir entendue dans sa jeunesse. Et Neuf-
châtel est au revers du Jura. La chanson avait grimpé et
descendu la chaîne de montagnes "
DU CANADA
109
Si ces pages viennent à tomber sous les yeux de M.
Ghampfleury, il verra que la chanson franc-comtoise,
qu'il sait déjà avoir grimpé sur les montagnes, a su aussi
traverser les mers.
M'eu al- lam pro-uie- uer (re- lé re- lé) Le
loug du graud cbe- miu (re-liu re-Iiu) Le long du grand che-
uiiu, Je me suis en- dor- ini (re- li re- li) A
l'oiu (re- loin re- loiu)-bre sous (re- lou i"e- lou)-z-uu
?J^gEEâ=r^fE«E|^Eg5EgEEgfE»;=|7pirgE;g's;?E:g=3£J
piu (re-liu re- liu) Au boisdurus-si-gno- let (re-let re-let) Au
bois du ros- si-guo- let.
M'en allant promener (relé relé)'
Le long du grand cliemiii (reliu relin)
Le long du grand chemin,
Je me suis endormi (reli reli)
Al'om-(relom relom)-bre,sous(relou relou)-z-uii pin(relin reliu),
Au bois du vossiguolet (relet relet)
Au bois du iossiguolet.
110 CHANSONS POPULAIRES
Je me suis endormi (reli reli)
A l'ombre, sous un pin (reliu reliu)
A l'ombre, sous un pin.
Je me suis l'évcillé (rolé relé),
Le pin (relin reliii) était (reiait relait) fleuri (reli reli).
Au bois An rossignolet (relet relet)
Au bois du rossignolet.
Je me suis réveillé (relé relé).
Le pin était fleuri (reli i-eli)
Le pin était fleuri.
Ah ! j'ai pris mon couteau (,relo relo),
La bran-(rel;in relan)-che j'ai (relé relé) coupée (relé relé).
Au bois (lu l'ossignolet (relet relet)
Au bois du rossignolet.
Ali ! j'ai pris mon couteau (relo relo),
La branche j'ai coupée 'relé relé)
La branche j'ai coupée ;
Je m'en fis un flûtiau (rele relo),
Un fla-(rela rela)-geolet (relet relet) aussi (reli reli).
Au bois du rossignolet (relet relet)
Au bois du rossignolet.
Je m'en fis uu flûtiau (relo relo),
Un flageolet aussi (reli reli)
Uu flageolet aussi ;
M'en allant eu chantant (relan relan)
Le long (relou relou)du grand (relan relan) chemin (relin relin)
Au bois du rossignolet (relet relet)
Au bois du rossignolet.
M'en allant eu chantant (relan relan)
Le long du grand chemin (relin relin)
Le long du grand chemin.
— Ah ! savez-vous, messieurs, (releu releu)
Ce que (l'ele rele) ma flû-(relu relu)-te a dit (reli reli)?
Au bois du rossignolet (relet relet)
Au bois du rossignolet.
DU CANADA lU
Ah! savez- vous, messieurs, (releu relcu)
Ce que m'a Uùto a dit; fi-eli reli)
Ce que ma, liûte a dit', ?
— " Ah! qu'il esfc doux d'aimer (relé relé)
La fi-(re]i reli)-ll' de sou (relou relou) voisin (reliu reliu) I
Au bois du rossiguolet (releb relet)
Au bois du rossignolet.
" Ah î qu'il esfc doux d'aimer (relé relé)
La fiU' de sou voisin (reliu relin)
LafiU' de sou voisin !
Quand on l'a vu' le soi-(rela rela)-r
On la (rela rela) voit le (rele vêle) matin (relin relia).
Au bois du rossignolet (relet relet)
Au bois du* rossignolet.
112 CHANSONS POPULAIRES
FENDEZ LE BOIS, CHAUFFEZ LE FOUR
Beaumarchais a dit quelque part : " Ce qui ne vaut pas
la peine cVètre dit on le chante." Assurément les couplets
qui suivent justifient parfaitemeuL cet axiome ; cependant,
la petite mélodie qui les accompagne est si délicate, si
belle, qu'elle leur prête une certaine poésie. Je me sou-
viens que lorsque, tout enfant, j'entendais chanter ces
deux vers, par une pure et douce voix de femme :
Tous mes parents venaient m'y voir ;
Celui que j'aime ne vient pas
j'éprouvais un sentiment de mélancolie d'un charme indé-
finissable. Tant il est vrai que le vers le plus ordinaire
peut faire jaillir les larmes lorsqu'il est ennobli par une
mélodie distinguée ou môme par les simples accents d'une
triste et naïve cantilène populaire.
Des variantes de cette chanson se chantent dans le Cam-
brésis, la Saintonge, l'A unis et l'Angoumois. Les airs ne
ressemblent pas aux nôtres.
Z- -Q fg a — -
z^:=
Der- rièi-' chez nous ya champ de pois,
Derrièr' chez nous ya champ de pois : J'en cueil-lis deux, j'en
DU CANADA 113
man-geai trois. Fcu-dez lo bois, clianf-fez le four,
z:J?rzS;:— ljzz|z_-j ., ■■■ J ~n;:i:zJ[] Reprise de la derntère
"*• " ~~l~:=_Tr~z* :rr:;gzziu partie à volonté.
Dormez la belle, il u'est point jour.
Derrièr' chez nous, ya champ de pois : (&is)
J'en cueillis deux, j'en mangeai trois.
Fendez le bois, chauffez le four,
Dormez la belle, il n'est point jour.
J'en cueillis deux, j'en mangeai trois ; (bis)
J'en fus malade, au lit, trois mois.
Fendez le bois, etc.
J'en fus malade, au lit, trois mois ; (his)
Tous mes parents venaient m'y voir.
Fendez le bois, etc.
Tous mes parents venaient m'y voirj (6m)
Celui que j'aime ne vient pas.
Feudez le bois, etc.
Celui que j'aime ne vient pa8....(6is)
Je l'aperçois venir là-bas.
Fendez le bois, chauffez le four,
Dormez la belle, il n'est point jour.
114 CHANSONS POPULAIRES
MON PÈRE AVAIT UN BEAU CHAMP DE POIS
(Air reeueiUi par M. Tabhé C. H. Laverdière)
Voici encore un type de mélodie populaire. Je ne la
connaissais pas avant qu'elle me lut passée par M. l^aver-
dière, mais en jetant les yeux sur cette musique je me suis
aussitôt rappelé les chants monotones et mélancoliques,
même dans leur gaîté, d'une bonne vieille femme, que je
voyais souvent dans mon enfance, et qui, du matin au
soir, faisait tourner sou rouet en fredonnant à demi-voix
les chansons du temps passé.
Cette mélodie a été recueillie dans la côte de Beaupré.
*^ Mon pèr' a- vait uu beau champ de pois,
^ « c m ^ -3 * — — )' — I* — rj — H — :J — -^ — m — 4
^ ~-r— g a *~^^ — *-H-* ** a» " — )
Doux, ve-uez VOUS promoi'ner a-vec moi. J'en cueilla deux, j'ea
y=S=r:z-=r:=S-— |-=S-==i===i===^^S^==r^
:: 1 — ^ 5«_
inan- gis trois. D'où ve- nez- vous,
bel- le?
J— r>— _p — g • • ■ — • —
-*
Doux,ve-nez-vous promm'uer ; D'où ve-uez-vous, bel- le?
Doux, ve-uez vous promm'uer a- vec moi.
DU CANADA 115
Mon père avait un beau cliarap de pois.
Doux, venez vous proinm'ner avec moi.
J'en cueilla deux, j'en mangis trois.
D'où venez-vous, belle ?
Doux, venez vous promni'ner j
D"où venez-vous, belle?
Doux, venez vous promm'uer avec inoi.
(Pour les antres paroles, voir Fendes le hois, chavffcs le four)
116 CHANSONS POPULAIRES
BAL CHEZ BOULÉ
M. Ph. Aubert de Gaspé m'a dit que ces couplets sont
probablement originaires de Saint-François ou de Saint-
Pierre de la Rivièredu-Sud. Voici, au reste, l'anecdote à
l'occasion de laquelle ils furent composés, telle que
racontée par M. de Gaspé dans Les Anciens Canadiens :
" Ceci ine rappelle l'aveutuie d'iiu pauvre diable
d'amoureux qui avait mené sa belle à uu bal, sans être invités; ils
furent, quoique survenauts, reçus avec i)olitesse : mais le jeune
homme eut la maladresse de faire tomber eu dansant la fille de la
maison, ce qui fut accueilli aux grands ('clats de rire de toute la
société ; mais le père de la jeune fille, un peu brutal de son métier,
et indigué de l'affnmt qu'elle avait reçue, ne fit ni un ni deux ; il
prit mon José Biais par les épaules et le jeta à la porte ; il fit
ensuite des excuses à la belle, et ne voulut pas la laisser partir."
L'expression: soulier français, que le lecteur rencon
trera dans ces couplets, est encore généralement usitée à
la campagne pour désigner une chaussure à forme euro-
péenne, et par opposition avec le nom de soulier sauvage
donné à une chaussure en cuir ordinaire affectant la
forme des souliers de caribou fabriqués par les sauva-
gesses. Le mot "français" est ici synonyme d'"européen";
c'est assez dire que cette expression remonte aux temps
DU CANADA
117
déjà éloignés où notre seul commerce avec l'Angleterre
consistait dans l'échange de coups de canon.
Di- mauclie, a- près les vêpr's,yau- ra bal
chez Bou- léj Mais il n'i- ra per- sonn' que
!=:z-«j=:z —
:=*£z.-
z.-9-:=^r:z±z-m--^l
ceux qui sav'nt dan- ser, Vo- gue, ma- ri- nier
lilï^iîiO-iiliisiiiEi
vo- gue, Vo- gue beau ma- ri- uier.
Dimanclie, après les vêpr's, yaura bal chez Boulé ;
Mais il u'ira personn' que ceux qui sav'nt danser.
Vogue marinier, vogue.
Vogue, beau marinier.
Mais il n'ira personn' que ceux qui sav'nt danser.
José Biais, comm' les autr's, voulut itou yaller.
Vogue, etc.
José Biais, comm' les antr's, voulut itou yaller.
—Non, lui dit sa maîtress', t'iras quand l' train s'ra fé.
Vogue, etc.
118 CHANSONS POPULAIRES
Non, lui (.lit sa maîtress', t'iras quand l'traia s'ra fé.
Il s'en fut à l'otabl' ses animaux soigner.
Vogue, etc.
Il s'en fut à l'établ' ses animaux soigner;
Prit Barrett' par la corne et liougett' par le i^ied.
Vogue, etc.
Prit Barrett' par la corne et Rougett' par le pied j
Il saute à l'écuri' pour les chevaux gratter.
Vogue, etc.
Il saute à l'écuri' pour les chevaux gratter ;
Se sauve à la maison quand ils l'iir'ut étrillés.
Vogue, etc.
Se sauve à la maison quand ils fur'nt étrillés j
Mit sa bell' veste rouge et sou capot barré.
Vogue, etc.
Mit sa bell' veste rouge et son capot barré j
Mit son beau fichu noir et ses souliers fraucés.
Vogue, etc.
Mit son beau fichu noir et ses souliers francés,
S'en va chercher Lisett' quand il fut ben greyé.
Vogue, etc.
S'en va chercher Lisett' quaud il fut ben greyé.
On le mit à la port' pour apprendre à danser.
Vogue, etc.
On le mit à la port' pour apprendre à danser.
Mais on garda Lisett', qui s'est ben consolée.
Vogue marinier, vogue,
Vogue beau marinier.
DU CANADA 119
C'EST DANS LA VILLE DE ROUEN
M. de Gaspé a imité le rliytlime et la forme de ces
couplets dans la ronde de lutins qu'il fait chanter au
jovial José, dans Les Aciens Canadiens :
" C'est notre terre (rOrléaiis (bis)
Qu'est le pays des l)e:iux <;iifjiuts,
Touve-loiiie;
Dcansoiis à l'eiitoar,
Touie-lonre ;
Dansons ù Peu tour.
''Venez -y tous en survenants, (bis)
Soi-ciers, léz.irds, crapauds, serpeuts,
Toure-lonre ;
Dansons à l'entoiir,
Toure-loure •
Dansons à l'entour.
" Venez-y tous eu survenants, (bis)
Impies, athées et mécréants,
Toure-lonre ;
Dansons à l'entour,
Tonre-loure ;
Dansons à l'entour. "
©
C'est dans la vil- le de Kou-en, C'est dans la
§£iEîËEÎl^E?iËiËËiËËErg:£ilEêE^EEE^i^hEE^
vil- le de Rouen, Ils out fait un pâ- lé si grand,L'eu-
120 CHANSONS POPULAIRES
tuur tour lou-re, Dausous à l'eu- tour, tour lour,
Dan- sons à l'eu- tou- re.
C'est dans la ville de Rouen. Çbis)
Ils ont fait un pâté si grand,
L'entoui' tourloure,
Dansons à l'en tour, tourlour,
Dansons à l'entoure.
Ils ont fait un pâté si grand, {bis)
Qu'ils ont trouvé nu liomm' dedans.
L'entour tourloure,
Dansons à l'entoure, etc.
Qu'ils ont trouvé un liomm' dedans, {bis)
Ils ont trouvé eucor' ben plua,
L'entour tourloure,
Dansons à l'entour, etc.
Us ont trouvé encoi' lien plus : (bis)
Ils ont trouvé un ('luit poilu !
L'entour tourloure,
Dansons. à l'entour, tourlour.
Dansons à l'entoure.
DU CANADA 121
MARIANNE S'EN VA-T-AU MOULIN
Cette chanson est très-connue en France où on la chante
avec nombre de variantes, de môme qu'en Canada. Dans
les versions françaises se trouve le mot : " Martin " auquel
nous avons substitué : " Gatin." On y trouve aussi la
locution: "Elle monte sur son une," au lieu de: "A
cheval sur son âne." Le fait est que nos campagnards
ne savent pas parler pertinemment des ânes, qu'ils ne con-
naissent, pour la plupart, que par tradition. On sait que
les ânes n'ont jamais pu se propager en Canada ; ce qui,
comme le disait naguère un grave professeur d'histoire,
est assez consolant, après tout.
ri- aun' s'en va- t-au mou- liu, C'est pour y fair' mou-
lii^ililiililillÊlpiiliËls-^
dre sou grain, C'est pour y fair' mou- dre son grain,
j— r— ^ — g=|— g^g^l =»=»=|^t^|=?=z^^
A che-val sur son â- - ne, Ma p'iit' mam-
122 CHANSONS POPULAIRES
zell' Ma- riau- - ne, A clie-val sur Sun â- ue Ca-
al- lant au mou- lia.
Mariaim' s'en va-t-au moulin, {b'ts)
C'est pour y fair' moudre sou grain ; {bis)
A clieval sur sou âue,
Ma p'tit' uuiuizell' Maria» ue,
A cheval sur sou ;uie Catin,
S'en allant au moulin.
Le meunier, qui la voit venir, {bis)
S'empios-e aussitôt de lui dire:
— Attacliez-donc votre âue,
Ma p'tit' mainzell' Marianne,
Attachez-tlonc votre âue Citin,
Par deriièr' le moulin.
Pendant que le moulin marchait, (bis)
Le loup tout à l'entour rôdait. {bis)
L3 loup a manj^é l'âne,
Ma ij'tit' raaiuzell' Marianne,
Le loup a mangé l'âne Catin,
Par derrjèi' le moulin.
Mariann' se mit à pleurer, {bis)
Cent écus d'or lui a donnés {bis)
Pour acheter un âne,
Ma p'tit' mamzell' Marianue,
Pour acheter un âne, Catin,
En r'veuant du mouliu.
DU CANADA 123
Sou père qui la voit venir (his)
Ne put s'einpêclier de lui dire : (bis)
— Qu'avez-vous fait d' votre âue,
Ma p'tit' mamzell' Marianne,
Qu'avez-vous fait d' votre âue Catin,
Eu allant au moulin?
— C'est aujourd'hui la Saint-Michel, (his)
Que tous les âu's changent de poil, (his)
J' vous ranièn' le même âne,
Ma p'tit' mamzell' Marianne,
J' vous ramèa' le même âne, Catin,
Qui m' porta au moulin.
124 CHANSONS POPULAIRES
TENAOUIGIIE TENAGA, OUIGH' KA!
Si j'étais de la force de M. Ernest Renan, je découvri-
rais sans doute un sens profond dans les mots : Tcnaouiche
lenaga^ oiùch'ka! qui composent le refrain de ces couplets,
et j'en tirerais des consé([nences d'une belle perfidie en-
tourée de miel, aux acclamations des badauds émerveillés
de ma science profonde. Mais comme je suis loin d'être
d'une pareille force, j'avouerai tout bonnement que je
n'entends rien à ce baragouin.
Au reste, ces mots étranges ne sont, probablement, que
de Vlmitalion de sauvage, comme savent eu faire tous les
jeunes enfants, et comme j'en ai entendu faire souvent
moi-môme par mes petits camarades, lorsque, imitant
l'homme des bois dans son commerce avec les blancs, ils
se vendaient gravement entre eux le fruit de leur dernière
chasse : dix mille peaux de castors, cent mille orignaux,
cinq cents mille caribous, représentés par des jointées de
noisettes, de bluets ou de cerises à grappes.
La deuxième version de cette chanson, que l'on verra
plus loin, est à mon sens, très-intéressante. Ce n'est rien
autre chose qu'une variante canadienne de Malbrough.
Le tenaouiche et les vieux sauvages sont placés là pour la
couleur locale.
C'é- tait un vieux sau- va- - ge Tout uoir, tout
DU CANADA 12$
bar-bouil- la, Ouicli'-ka ! A- vec sa vieill' cou- ver-
„»=r= -1
Srrppzrs:
îîllïîiil-lplpp
te Et sou sac à ta- bac. Ouich'ka ! Ah ! ah ! te-na-
ouich' te- na- ga, Te- na- ouich' te- na- ga, ouich'-
ka!
C'était nu vieux sauvage
Tout noir, tout barbouilLa,
Ouich'ka!
Avec sa vieill' couverte
Et son sac à tabac.
Ouich' ka !
Ah! ah ! teuaouich' tenaga,
Tenaoucli' tenaga, ouich' ka ï
Avec sa vieill' couverte
Et son sac à tabac.
Ouich' ka !
— Ton camarade est morë,'
Est mort et enterra.
Ouicli' ka !
Ah ! ah ! tenaouich' tenaga,
Tenaouich' tenaga, ouich' ka !
Ton camarade est more,
Est mort et enterra.
Ouich' ka !
C'est quatre vieux sauvages
Qui port'nt les coins du drap.
Ouich' ka !
Ah ! ah ! tenaouich' tenaga.
Tenaouich I teuega, ouich' ka !
126 CHANSONS POPULAIRES
C'est quatre vieux sauvages
Qui port'nt les coius du diap,
Ouicli' ka !
Et deux vioill's sauvagesses
Qui cliant'iit le libéra.
Ouich' ka!
Ah! ah! tenaouich' tunaga,
Teuaouich' teuega, ouich' ka !
Autre version recueillie par M. J. A. Malouin;
Mon mari est eu guerre,
Ne sait s'il reviendra
Ouich'ka!
Eli' monta dans sa chambre,
Si haut qu'ell' put inouta
Ouich'ka!
Ah ! ah ! tenaouich' teuaga,
Tenaouich' teuega, ouich'ka!
Regard' par la fenêtre
Pour voir son beau pagea.
— Ah! dis-moi donc beau page,
Quell' nouvelle apporta?
— Les uouvell's que j'apporte
Tes doux yeux pleurera.
Ton mari il est mort,
Et mort et enterra !
Il fut porté en terre
Par quatre-z-officias.
Trois, quatre vieux sauvages
Portaient les coins du drap.
Et deux vieilles sauvagesses
Chantaient le libéra.
DU CANADA 127
LA FILLE DU ROI D'ESPAGNE
Si, au lieu de " La fille du roi d'Esi^agne," la chanson
disait : " La fille des empereurs d'Autriche," on pourrait
peut-être y voir une allusion à l'adresse de la reine
Marie-Antoinette, qui, dans sou jardin du Petit-Trianon, à
Versailles, se livrait à des habitudes de fermière. Mais
les paysans ne savent pas faire de ces malices-là.
La musique l'emporte de beaucoup sur les paroles, dans
cette chanson. Confessons toutefois que ces couplets où
il est dit que la fille d'un roi veut apprendre " à battre la
lessive," sont d'une naïveté qui fait sourire mais qui
ne choque pas. Au reste, pour quiconque connaît le
jjeuple à fond, cette manière de faire parler une princesse
-comme une paysanne n'offre rien d'étrange. Il est plus
d'une naïveté de ce genre dans les contes populaires :
dans celui de /cfln r5o^, par exemple, où le héros dit à
son fils :
Tu vas aller chez le roi ; tu lui diras : '' Bonjour mon-
sieur le roi. Papa vous fait bien ses compliments; il
demande si vous voudriez lui prêter votre demi-minot ! "
M. J. Bujeaud, dans ses Chants et Cfiansons des provinces
de rOuest, donne une version de cette chanson dans
laquelle la " fille du roi d'Espagne " casse d'abord son
badras ^battoir), puis laisse tomber son anneau à la mer.
Le reste de la chanson est comme notre version d'Isabeau
s'y promène. L'air donné par M. Bujeaud ne ressemble
128
CHANSONS POPULAIRES
pas au nôtre. Une autre version de cette chanson, donnée
par M. de Beaurepaire (Cest sur le pont de Nantes), se chante
avec le refrain que nous connaissons ici : Vogue, beau
marinier.
msmtM^immmËmm^m.
La filP (lu roi d'Es- pa- gne, Vo-gue,
^—mz
illlilillilfiPliïil^
ma- ri-nier, vo- - gue ! Veut appreudre un mé- tier,
-8-— 5=3=
Vo- gue, ma- ri- uier ! Veut appreudre un mé-
tier.
Vo- gue, ma- ri- nier !
La fiU' du roi d'Espagne,
Vogue, marinier, vogue !
Veut appreudre un métier,
Vogue, marinier î
Veut appreudre un métier.
Vogue, marinier !
A battre la lessive.
Vogue, marinier, vogue !
La battre et la couler,
Vogue, marinier !
La battre et la couler.
Vogue, marinier!
DU CANADA
129
AH ! SI MON MOINE VOULAIT DANSER !
Le mot "moine" n'est guère connu dans son acception
ordinaire par nos habitants de la campagne, qui ne don-
nent ce nom qu'au petit jouet de bois appelé en France :
" toupie d'Allemagne. "
Moine est aussi le nom d'un meuble de bois, inconnu
dans ce pays, dans lequel on suspend un réchaud rempli
de braise et dont on se sert pour bassiner le lit. Ce meuble
est quelquefois formé d'un cylindre de bois, creusé et
doublé en tôle, dans lequel on introduit un fer chaud.
Le proverbe : Faute d^ un moine l'abbaye ne manque pas^ veut
dire que l'absence d'une personne attendue ne doit pas
empêcher une partie de plaisir d'avoir lieu ou une affaire
de se conclure. On sait que cette autre proverbe : U habit
ne fait pas le moine j signiiie quïl ne faut pas juger des
gens par l'apparence ; qu'un vêtement pauvre est souvent
porté par un homme de mérite.
Ah ! si mon moine vou- lait clan- ser ! Ah !
-i=
— ^»i-
si mon moi- ne vou- lait dan-
ser ! Un ca- pu-
'^ 1**— I '"^ "'^1 — > — *■— I ^^' — ^i — 1^-
chon je lui don-ne- ré, Un ca- pu- chou je lai don-ue-
130 CHANSONS POPULAIRES
_rt- ,.s ^ _^^
ré. Dhu- se, inou moiu', ilau- - se ! Tu
n'euteuds pas la cUui- - se ; Tu u'enteuils pas mou mou-
liu, lou, la, Tu u'euteuds pas inou luou-liu uiar- cher.
Ah ! si îiioii moine voulait danser ! {bis)
Un capuchon je lui lui donu ré (rais) (bis)
Danse, mon moin', danse !
Tu n'eiitends pas la danse,
Tu n'entends pas mon moulin. Ion, la,
Tu n'entends pas mon moulin marcher.
Ah ! si mon moine voulait danser ! (tis)
Uu ceinturon je lui donnerais ! (bis)
Danse, etc.
Ah! si mon moine voulait danser ! (bis)
Un chapelet je lui douuerais. (bis)
Danse, etc.
Ah! si mon moine voulait danser! (bis)
Uu froc de bur' je lui donnerais, (bis)
Danse, etc.
Ah! si mon moine voulait danser! (bis)
Un beau psautier je lui donnerais, (bis)
Danse, etc.
S'il n'avait fait vœu de pauvreté ! (bis)
Bien d'autres chos' je lui donnerais, (bis)
Danse, mon moiu', danse !
Tu n'entends pas la danse,
Tu n'entends pas mon moulin, Ion, la.
Tu n'eutends pas mou moulin marcher.
DU CANADA 131
LE JUIF ERRANT
Cette belle complainte du Juif-Errant se chante snr un
air qui n'a pas la prétention d'en faire oublier les paroles,
mais qui, à la longue, et surtout lorsqu'on l'entend chan-
ter par dos gens du peuple, finit par toucher. Cette triste
mais belle allégorie est en grande partie oubliée au-
jourd'hui, même dans nos campagnes.
Est - il rieu sur la ter- re Qui soit pins sur-pre-
4> — I 1 9 a a — I — ^- — jg « — ^ — 9 — f9~
lïâl
nant Que la gran-de uii- se- re Da panvre Juif-Er-
rant ? Que sont sort mal- heu- renx Pa- raît triste et fâ-
cheux !
Est-il rien snr la terre
Qui soit plus surprenant
Que la grande misère
Du pauvre Juif-Errant?
Que son sort malheureux
Paraît triste et fâcheux!
132 CHANSONS POPULAIRES
Un jour près de la ville
De Biuxeli's, en Bradant,
Des bourgeois fort dociles
L'accoster' eu passant :
Jamais ils n'avai'nt vu
Un homme t^i barbu !
Son habit, tout difforme
Et très-mal arrangé,
Leur fit croir' que cet homme
Etait fort étranger ;
Portant comme ouvrier,
D'vaut lui un tablier.
On lui dit: Bonjour maître,
De grâce accordez-nous
La satisfaction d'être
Un moment avec vous j
Ne nous refusez pas,
Tardez un peu vos pas.
— Messieurs, je vous proteste
Que j'ai bien du malheur:
Jamais je ne m'arrête
Ni ici, ni ailleurs ;
Par beau ou mauvais temps
Je marche incessamment.
— Entrez dans cette auberge,
Vénérable vieillard ;
D"uu pot de bière fraîche
Vous prendrez votre part^
Nous vous régalerons
Le mieux que nous pourrons.
— J'accepterais de boire
Deux coups avecqiio vous,
Mais je ne puis m'a-^seoire :
Je dois rester debout.
Je suis eu vérité
Confus de vos bontés.
DU CANADA 133
— Ali ! de savoir votre âge
Nous serions fort curieux;
A voir votre visage,
Vous paraissez bien vieux ;
Vous avez bieu cent ans,
Vous montrez bien autant.
— La vieillesse me gêne ;
J'ai bien dix-huit cents ans.
Chose sûre et certaine,
Je passe encore douze ans :
J'avais douze ans passé
Quand Jésus-Christ est ué.
— N'êtes- vous point cet homme
De qui l'on parle tant ?
Que l'Ecriture nomme
Isa'c, le Juif-Errant?
De grâce, dites-nous,
Si c'est bûreinent vous.
— Isaac Laquedenmie
Pour nom me fut donné j
Né à Jérusalemme,
Ville bien renommée.
Oui, c'est moi, mes enfants,
Qui suis le Juif-Errant!
Juste ciel, que ma ronde
Est pénible pour moi !
Je fais le tour du monde
Pour la cinquième fois!
Chacun meurt à son tour,
Et moi je vis toujours !
Je traverse les merres,
Les rivièr's, les ruisseaux,
134 CHANSONS POPULAIRES
Les forêts, les déserres,
Les moiitagn'fi, les coteaux,
Les plaines, les vallons:
Tous cliemins nie sont bons.
J'ai vu dedans l'Euiope
Ainsi que dans l'Asii-,
Des bataill's et des t;liocquea
Qui coûtai'nt biiMi des vies:
Je les ai traversés
Sans y être blessé.
J'ai vu dans l'Amérique,
C'est une vérité,
Ainsi que dans l'Afrique
Grande inoitalité :
La mort ne me peut rien,
Je m'en aperçois bien.
Je n'ai point de ressource
Eu maison ni en bien ;
J'ai cinq sous dans ma bourse,
Voilà tout mon moyeu ;
En tous lieux, en tous temps
J'ai ai toujours autant.
— ^Nous pensions comme un songe
Le récit de vos maux ;
Nous trairions de mensonges
Tous vos [»lus grands travaux:
Aujourd'hui nous voyons
Que nous vous méprenions.
Vous étiez donc coupable
De quelque grand péché
Pour que Dieu tout aimable
Vous ait tan t affligé ?
Dites-nous l'occasion
De cette punition.
DU CANADA 135
— C'est ma crnylle undace
Qui cause mon malheur ;
Si mon ci-ime s'ettace,
J'aurai bien du bonheur:
J'ai traité mon Sauveur
Avec trop de rigueur.
Sur le mont du Calvaire
Jésus portait sa croix;
Il me dit, débonnaire,
Passant devant chez moi :
'* Veux- tu bien, mou ami,
Que je repose ici? "
Moi, brutal et rebelle,
Je lui dis sans raison :
*' Otes-toi, criminelle.
De (levant ma maison ;
Avance et marche donc,
Car tu me fais affron t ! "
Jésus, la bonté même.
Me dit eu soupirant :
" Tu marcheras toi-même
Pendant plus de mille ans !
Le dernier jugement
Finira ton tourment."
De chez moi, à l'heur' même,
Je sortis bien chagrin j
Avec douleur extrême
Je me mis en chemin.
De ce jour-là je suis
En marclie jour et nuit.
136 CHANSONS POPULAIRES
Messieurs, le temps me presse ;
Adieu la compagnie ;
Grâce à votr' politesse!
Je vous en remercie :
Je suis trop tourmenté
Quand je suis arrêté.
DU CANADA 13T
J'AI FAIT UNE MAITRESSE
On aimera à lire ici une notice de M. LaRue sur cette
charmante poésie populaire :
" Dans la Bévue Contemporaine de 1863, (31 octobre,) ou peut
lire nue savaute critique par M. Adrien Dounodevie, des œuvres eu
langue provençale du célèbre poète Mistral. M. Dounodevie nous
douue la traduction française d'un des chants du jeune poète, {tour
lequel le savant critique ue saurait trouver trop d'éloges. Laissous
le parler lui-même.
"Le troisième citant nous fait assister â une assemblée
"joyeuse et babillarde de jeunes filles réunies au mas de Micocoules,
" et occupées à dépouiller des cocons ; elles parlent de leurs amours,
" de leurs projets ; elles font des châteaux eu Provence, rap-
" pelleut les beaux souvenirs du pays. Taven, la sorcière, raconte
" la curieuse légende du pâtre de Lubérou ; plus espiègle que les
" autres, Norade découvre à demi le secret de Mireille ; celle-ci
" rougit, mais s'en défend, et dit que plutôt que d'avoir un mari,
" elle aimerait mieux se faire uoune dans un couvent: "Oh! oh!
" s'écrient les jeunes filles, c'est comme Magali, IMagali qui échappa
" à l'amour par mille subterfuges, qui se faisait pampre, oiseau qui
" vole, rayon qui brille, et qui pourtant, tomba amoureuse à sou
" tour." Et sur les instances de ses compagnes, Nore, la belle
" chanteuse, se met à dire la ravissante aubade de IMasali. Cette
" chanson est-elle l'œuvre propre du poète, ou eu a-t-il trouvé l'idée
" et quelques fragments dans la mémotre populaire, et l'a-t-il très-
" habilemeut arrangé? c'est ce que nous ne pouvons décider."
" Or, c'est ce qu'il est très-facile de décider: il suffit pour cela,
de mettre en regard quelques strophes de la chanson provençale
avec quelques couplets d'une de nos chansons populaires cana-
diennes." {Foyer Canadien, année 1865, p. 72.)
138 CHANSONS POPULAIRES
Voici une traduction de 1' " aubade " de Mircïo du poète
Mistral ;
" 0 Magali ! ma tant aimée — Mets la tête à ta fenêtre — Ecoute
un peu celte aubade de tambourins et do violons — Le ciel est là-
baut plein d'étoiles — Le veut est tombé — Mais les étoiles pCdiront
en te voyant.
— " Pas plus que du murmine des branclies — De ton aubade je
me soucie — Mais je m'en vais dans la mer blonde — Me faire an-
guille du rocber.
" 0 Magali ! si tu te fais — Le poisson de l'onde — Moi, le pêcbeur
je me ferai — Je te pêclierai.
■'' Oh ! mais si tu te fais pêcheur — Quand tu jetteras tes filets —
Je me ferai l'oieeau cpu vole — Je m'envolerai dans les landes.
" 0 Magali, si tu te fais — l'oiseau de l'air — Je me ferai, moi, le
chasseur— Je te chas.'^erai.
— " Aux perdreaux aux becs fins, — Si tu viens tendre tes lacets, —
Je me ferai l'iierbe Heurie, — Et me caclierai dans les prés vastes.
— "0 Magali! si tu te fais— La UKirguerite, — Je me ferai, uuti,
l'eau limpide, — Je te rafraîciiirai.
— " Si tu te fais l'onde limpide, — Je me ferai, mni, le grand
nuage, — Et promptemeut je m'en irai ainsi — En Amérique, là-bas,
bien loin.
— " 0 Magali! si tu 'Jen vas — Aux lointaines Indes, — J? me
ferai, moi, io vent de mer, —Jeté porterai.
— " Si tu te fais le veut marin, — Je fuirai d'an autre côté, — Je
me ferai l'échappée ardente — Du grand soleil qui fond la glace.
— " 0 Magali ! si tu te fais — Le rayon de soleil, — Je me ferai,
moi, le vert lézard, — Je te boirai.
— " Si tu te rends la salamandre — Qui se cache dans le hallier, —
Je me rendrai, moi, la lune blanclie qui, dans la nuit, —Eclaire les
sorciers.
— " 0 Magali ! si tu te fais — Lune 'sereine, — Je me ferai, moi,
belle brume, — Je t'envelopperai.
" — Va, poursuivant, cours, cours, — Jamais tu ne m'atteindras, —
Moi de l'écorce d'un grand chêne — Je me vêtirai dans la forêt
sombre.
DU CANADA 13»
" 0 Magali ! situ te fais — L'arbre des morues, — Je me ferai,
moi, la toutle de lierre, — Je t'embrasserai.
" Si tu veux m'enibrasser, — Tu ne saisiras qu'un vieux chêne
Je me ferai blanche uonnette — Du monastère du graud Saiut-Blaise.
" 0 Magali ! si tu te fais — Nonnette blanche, —Moi. prêtre à con-
fesse,— Je t'entendrai .
— " Si du couvent tu passes les porter, — 'l'u trouveras toutes le»
lionnes — Autour de moi, errantes, — Car eu suaire tu me verras.
'' 0 iMagali ! si tu te fais — La pauvre UKu-te, — Adoucques je me
ferai la terre : Là, je t'aurai !
— " A préseut, je commence eutin à croire — Que tu ne me parles
pas eu riant: Voici mou auuelet de verre — Pour souvenir, beau
jouvenceau.
— " 0 Magali! tu me fais du l^iun Mais, des qu'elles t'ont
vu, — 0 Magali ! vois les étoiles— Cumuie elles ont pâli ! "
La délicieuse musique que Gounod a écrite sur cette
donnée de Mistral, est l)ien connue à Québec.
On chante en France, dans le Bourbonnais, une version
de cette chanson qui difl'ère à peine de notre version
canadienne, quant aux paroles. Il me semble évident que
que notre air n'est pas l'air primitif, car le rhythnie de la
poésie ne se plie que difficilemnit à celui de la mélodie;
de là ces syllabes ajoutées : " Si tu te mets docteure, . ..
Je me metterai sœure," etc. Je ne comiais pas l'air de la
version bourbonnaise.
sr:|==l=^l=|=r-r=i1'!:z|-r=:
J'ai fait u- ne uiaî- tres-se, ya pas loug-
140
CHANSONS POPULAIRES
rrfrr
--, — , ^v-, ,%-,—
SÊlËÊliiîOIill'liinÊîîypl
temps, J'ai fait u- ne luaî- tres-se, ya pas loog-
irst-
teinps : J'i- - rai la voir di- muu- che, di-
:-=p=g=r
zr^-=:e!ntzr:
iizir^jq
inancli' j'i- rai ; Je fe- rai la de- luau- de
à ma bien- ai- mée.
J'ai Mt une maîtresse, ya pas longtemps, (bis)
J'irai la voir dimanche, dimanch' j'irai ;
Je ferai la demande à ma bien-aimée.
Ah ! si tu viens dimanche, j'n'y serai pas ; (bis)
Je me metterai biche dans un beau champ;
De moi tu n'auras pas de contentement.
Ah ! si tu te mets biche dans un beau champ, {bis)
Je me mettrai chasseure, j'irai chasser ;
Je chasserai la biche ma bien-aimée.
Si tu te mets chassenre pour me ch;isser, (bis)
Je me metterai carpe, dans un étaiiii; :
De moi tu n'auras pas de contentement.
Ah ! si tu te mets carpe dans un étan'jr, (bis)
Je me mettrai pêcheure pour te pêcher :
Je pêchei'ai la carpe, ma bien-aimée.
Si tu te mets pêcheure pour me pêcher, {bis)
Je me mettrai malade dans un lit l)lanc:
De moi tu n'auras pas de contentement
DU CANADA 141
Si tu te mets malade daus un lit blanc, {bis)
Je me mettrai docteure pour te soigner :
Je soignerai la belle, ma bien-aimée.
Si tu te mets dooteure pour me soigner, (his)
Je me metterai sœure dans nu couvent,
De moi tu n'auras pas de contentement.
Ah ! si tu te mets sœur dans un couvent, {bis)
Je me mettrai prêcheure ; j'irai prêcher j
Je prêcherai le cœur de ma I)ieii-aimée.
Si tu te mets précheure pour me prêcher, {his)
Je me mettrai soleille, au firm.-iiueut :
De moi tu n'aura pas de contentement.
Si tu te mets soleille au firmament, (bis)
Je me mettrai nuage pour te cacher :
Je cacherai la belle, ma bieu-aimée.
Si tu te mets nuage pour me cacher, {bis)
Je me mettrai saint Pierre, au paradis :
Je n'ouvrirai la porte qu'à mes bons amis.
142
CHANSONS POPULAIRES
LE P'TIT BOIS D'L'AIL
Le beau chanteux qui a fait la chanson du P'Lit bois cVVail
a évidemment voulu la mener sur l'air de Tai fait une
maîtresse, mais il lui aura été plus facile de changer un
peu la forme de la sU'ophe, dès le [ircmier couplet; de là
altération dans la mélodie.
Les paroles de cette chanson sont tout-à-fait couleur
locale^ et, partant, elles sont précieuses à recueillir.
" Le petit bois de l'ail " est le nom d'un concession de
la paroisse du Ga|)-Santé. C'est là qu'est né notre artiste-
peintre M. le chevalier Falardeau.
Qui veut sa- voir la lis- te des i-vrogu'
à pré- seut ? C'est dans le P'tit bois d'Ail- le
Yeu a-t-uu ré- gi- lueut; Et ^ moi, le
^~ff- -^=i- -«.-r
iglI^giPi^^^l^^ii^
ca- pi- taiue, Et Frau- çois, le Gros, mar- cliaud; E-
DU CANADA 143
douard y porte eu- sei- gue, Au bout du ré- gi-
meut.
Qui veut savoir la liste
Des ivrsgu' à présent?
C'est dans le P'tit bois d'I' Aille
Yen a-t-iiu régimeut;
Et moi le capitaine,
Et P"'ranç()is le Gros, marchand ;
Edouard y porte enseigne
Au bout du régiment.
Par un dimanche au soir
M'en allant promener,
Et moi et puis François,
Tous deux de compaguée,
Chez le bonhomm' Grauthier
Nous avons 'té veiller;
Je vais vous raconter
Le tour qui m'est arrivé.
J'y allumai ma pipe
Comni' c'était la façon,
Disant quebiues paroles
Aux gens de la maison.
Je dis à Délima :
— Me permettriez-vous
De ni'éloigner des auties
Pour m'approcher de vous f
— Ah ! oui, vraiment, dit-elle,
Avec un grand plaisir.
Tu es venu ce soir
C'est seul'ment pour en rire ;
144 CHANSONS POPULAIRES
Tu es trop infidèle
Pour me parler d'amour;
T'as ta p'tit' Jérémie
Que tu aimes toujours.
Revenons au bonhomme
Qu'est dans son lit couché,
Criant à liauie vois :
— " Lima, va to coucher !
Les gens de \a campagne,
Des ville' et des faubourgs.
Retirez- vous d ici te
Car il fait bientôt jour ! "
J'n'attends pas cju'on me l'dise
Pour la seconde fois,
Et je dis à Fi-ançois :
T'en viens-tu quand et moi (avec moi)?
Bonsoir ma I3élima,
Je file mon chemin !
Je m'en allais nu-tête,
Mon chapeau à la main.
Va t'en faire tes plaintes
A monsieur le curé ;
Dis-lui que sa paroisse
Est tout bouleversée j
Dis-lui que sa paroisse
Est sans dessus dessous,
Que dans le P'tit bois d'Aillé
On n'y voit qu' des gens soûls.
On dit que je suis fier.
Ivrogne et paresseux.
Du vin dans ma bouteille
J'en ai beu quand je veux;
On ne voit point de graisse
Figer sur mon capot ;
n est toujours beu uet-te
Quoiqu'il ne soit pas beau.
DU CANADA
146
ET MOI JE M'ENFOUIYAIS
Cette chanson, dont la morale profonde n'échappera à
personne, se chante en France, dans la Vendée et dans le
Cambresis. Voir les Chants et Chansons de M. Bujeaud
page 50 {Le peureux)^ et l'ouvrage déjà cité de MM. Durienx
et Bruyelle, page 202 [Les remords).
J'ai recueilli cet air dans le comté de Kamouraska.
En pas- sant près d'un mou- lin, Que le jhou-
kzk:
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— I «
r_e — t=S-r5r-*zrq
^— ij — » — •■
lin mar- chait, Que le mou- lin mar- chait, Et dans son
-—3 ao— a»— a*— a»— ! A * a»— 1,.— 3«— !;_prZJ
— ^ — g,_^_g,_^_3 ^-^=3^^zz^z=:i
jo- li chant di- sait : Ke-ti-ke-ti-ke tac, Ke-ti-ke-ti-ke-
tac ; Moi je croy- ais quïl di- sait : Attrappe, attrappe, at-
--^zzi^^-ez
ZMZ=:=^z
—!s »_-_
^ ^ ^|El^fE^*à=*H*=É^-EE*EE
trappe ! attrappe, attrappe, at-trappe ! Et moi je m'en-foui-
foui...Et moi je m'en- foui- yais.
En passant près d'un moulin,
Que le moulin marchait, (bis)
Et dans son joli chant disait:
Ketiketiketac, ketiketiketac;
U(; CHANSONS POPULAIRES
Moi je croyais <iii'il disait :
Attiiippe, attrap[>e, attiappe ! attrappe, attrappe, attrappel
Et moi je m'eafoui-foui. ...
Et moi je m'eiitbuiyais.
Eu passant près d'uu' prairie,
Que les faiiclieurs fauchaient, {bis)
Et dans leur joli chant disaient :
Ah! l'beau faucheur! ah! l'beau faucheur!
Moi je croyais qu'ils disaient :
Ah! v''là l'voleur ! ah! v'iàl'voleur!
Et moi je m'eufoui-foui .
Et moi je m'enfouiyais.
En passant près d'une église,
Que les chautres chantaient, {bis)
Et dans leur joli chant disaient :
Alléluia! Alléluia!
Moi je croyais qu'ils disaient:
Ah ! le voilà ! ah ! le voilà !
Et moi je m'eufoui-foui- . . .
Et moi je m'enfouiyais.
En passant près d'un poulailler,
Que les poules chantaient, (bis)
Et dans leur joli cliant disaient:
Coucouricou, coucouricou j
Moi je croyais qu'ell's disaient :
Coupons-y l'cou ! coupons-y l'cou f
Et moi je m'eufoui-foui....
Et moi je m'enfouiyais.
DU CANADA 147
DANS MA MAIN DROITE JE TIENS ROSIER
Les danses rondes tenaient autrefois une place considé-
rable dans les amusements populaires. Voici comment
s'exécute celle dont la musique est notée ci -dessous :
Les jeunes gens se tiennent tous par la main, formant
im cercle, et se mettent à tourner autour du centre ; seuls
les vieux parents font tapisserie et veillent au décorum.
Le plus vieux ou le meilleur chanteur de la bande en-
tonne alors :
Dans ma main droite je tiens rosier
les autres danseurs chantent aussi avec lui, ad libitum,
mais en laissant toujours dominer la voix du soHste obli-
gato. Au second couplet le chanteur fait passer au milieu
du rond le jeune garçon ou la jeune fille qu'il tient de sa
main droite, en disant :
Entrez en danse joli rosier
puis, si les danseurs sont tous de la famille, il ajoute :
Et embrassez, manon Ion la,
Et embrassez qui vous plaira..-.
mais s'il y a des étrangers dans la danse, — des étranges,
comme on dit dans certaines localités, — on dit presque
toujours :
Et salues, manon Ion la,
Et salues qui vous plaira.
Les danseurs s'arrêtent alors, puis, l'embrassade ou le
148
CHANSONS POPULAIRES
salut fait, ou se met à tourner de nouveau ; celui qui était
au centre de la chaîne passe à la gauche du chanteur, qui
fait faire la raôine cérémonie à son nouveau voisin de
droite; et ainsi de suite jusqu'à ce (jue chaque danseur
et chaque danseuse ait ainsi indiqué aux yeux de tous
l'objet de sa prédilection.
Cette ronde est connue en France, dans l'Angoumois,
le Poitou, le Saintonge et l'Aunis
*^ Dans ma maiu droi- te je tieus ro- sier, Daus
ma maiu droi- te je tieus ro- sier Qui fleu- ri-
F^E?EE^=I?Ed~^z::^zlb£^-^dE-iEE^£:h£*EËËE-Ed
ra, ma- - uou lou la, Qai Meu- ri- ra au
mois de mai.
Daus ma main droite je tiens rosier, [bis)
Qui fleurira, maiinii Ion la,
Qui fleurira au mois d« mai.
Entrez en danse, joli rosier ! (bis)
Et embrassez (saluez) m.uion lou la,
Et embrassez (saluez; qui vous plaira.
DU CANADA 149
J'AI TANT D'ENFANTS A MARIER !
Cette jolie ronde se chante dans le nord et l'ouest de la
France. Elle s'exécute de la même manière que la pré-
cédente ; seulement, lorsque le chanteur dit :
Faites le pot k deux anses ;
Eegardez comme l'on danse
celui ou celle qui se trouve au centre de la chaîne lève
les coudes et se met les poinys sur les côtés.
— ., ,S 1^
J'ai tant d'eu- fauts à ma- ri- er !.... J'ai tant d'en-
fautâ à ma- ri- er ! Grand Dieu ! je n'sais com-
meut pou-voir eu ma- ri- er tant.
J'ai tant d'enfants à marier !
J'ai tant d'enfants à marier !
Grand Dieu! je n'sais comment
Pouvoir en marier taut.
Mademoiselle, on parle à vous ;
Ou dit que vous aimez beaucoup.
Si c'est vrai que vous aimez,
Entrez dans la danse, entrez I
150
CHANSONS POPULAIRES
rd'»-
Fai- tes le pot à deux an- ses; Re- gar-
5ë5
;fc«^=;=i^
zm—m
—' — y
dez com-me l'on dan-se ; Fermez la bouche ; ouvrez les
P
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^Ï^E:B^^
yeux ; Sa- lu ez qui vous plai- ra mieux.
Faites le pot à deux anses ;
Regardez comme l'on danse ;
Fermez la bouche j ouvrez les yeux;
Saluez qui vous plaira mieux.
DU CANADA
151
AH! QUI MARIERONS-NOUS?
Ici deux des danseurs passent au milieu du rond et se
font mutuellement saints et révérences. Cette ronde est
fort gracieuse, comme danse et comme musique. On la
chante en France, dans le Gambrésis.
\—m^'—\
-m—i-
:S=1
Ah ! qui uni- rie-rons-nous ? Ah! qui ma- rie-rons-
nous ? Ma- de- moi- selT, ce se- ra vous, Par l'as-sem-
^=.-*--
blé' «l'a- inour. Oui j'ai- me- - rai qui m'aim...qui
m'ai-me — Oui j'ai- me- rai qui m'ai-me- ra.
Ah! qui marierons-nous? (his)
Mademoiseir, ce sera vous,
Par l'assemblé' d'amour.
Oui j'aimerai qui m'aim qui m'aime.
Oui j'aimerai qui m'aimera.
'Lui donn'rons pour époux? (bis)
Mon doux monsieur, ce sera vous,
Par l'assemblé' d'amour.
Oui j'aimerai, etc.
162 CHANSONS POPULAIRES
Amour, saluez -vous! {bis)
Saluez-vous cinq ou six coups,
Par l'assemblé' d'amour.
Oui j'aimerai, etc.
Amours, retirez-vous ! (bis)
Retirez-vous chacun chez vous,
Par l'assemblé' d'amour.
Oui j'aimerai qui m'aim....qui m'aime.
Oui j'aimerai qui m'aimera.
DU CANADA 163
J'AI TROUVÉ LE NIQUE DE LIÈVRE
Encore une ancienne ronde. Elle se danse comme Dans
ma main droite je tiens rosier; la seule différence est
qu'aux mots :
Siiiitons !
Dansons ! .
chacun saute à qui mieux mieux.
Cette ronde a été plaisamment parodiée dans une tra-
gédie-bouffe intitulée : Ze Défricheur de langues, dirigée
contre les écrivains de La Ruche litléraire, el dont on a
attribué avec raison la paternité à MM. J. G, Taché et F.
A. H. LaRue. Le docteur Wells a aussi contribué à cette
satire ; il en a écrit un vers, et ce n'est pas le moins bon
de la pièce.
J'ai trou- vé le ni- que du liè-vre, Mais le
lièvr' n'y é- tait pas : Le ma- tiu, quand il se
le- ve, il em- port' le lit, les draps. Sau-
tons ! dau- - sous ! Bell' ber- gère, en- trez eu
dan- se ; Sa- lu- ez qui vous plai- ra.
]5t CHANSONS POPULAIRES
J'ai trouvé le nique du lièvre,
Mais le lièvv' n'y était pas :
Le matin, quand il se lève,
Il emport' le lit, les draps.
Sautons !
Dansons !
Bell' bergère, entrez en danse;
Saluez qui vous plaira 1
DU CANADA 155
EN REVENANT DE LA JOLIE ROCHELLE
Vraie mélodie populaire, inoiiolone, un peu triste dans
sa joyeuseté et son allure antique.
Cette chanson est sans doule d'origine française. Je la
noie ici avec la pensée qu'elle éveillera peut être un doux
souvenir dans le cœur de quelque cousin d'outre-mer.
'• Quel est l'iiouiine éclairé, n dit M. Scudo, quel est l'artiste
devenu célèbre qui ue se rappelle la simple histoire, l'image uaïve
ou la mélodie rustique qui out clianné sou eufauce et dout l'impres-
sion lui est restée iueti'açable, malgré tout ce que son goilt a pu lui
dire depuis contre ces bégayemeuts de la nmse populaire ? Tel
graud compositeur qui remplit le monde du bruit de ses chefs-d'œuvre
ue peut s'empêcher de rêver et de s'attendrir eu écoutant le refrain
plaintif qui lui apporte un souvenir du pays qui l'a vu naître."
-5 —
J'ai reucou- tré trois jo- lies de-uioi- seU's. La voi-
là ma mi' qu'mon cœur ai- me tant, La voi-
la ma mi' qu'mon cœur ai- - me !
Eu reveuant de la joli' Rochelle, (bis)
J'ai reucoutré trois jolies demoiselles.
La voilà ma mi' qu'mon cœur aime tant!
La voilà ma mi' qu'mou cœur aime !
J'ai reucoutré trois jolies demoiselles ; (bis)
J'ai point choisi, mais j'ai pris la plus belle.
La voilà ma mie, etc.
156 CHANSONS POPULAIRES
J'ai point clioisi, mais j'ai pris la plus belle j (bis)
J'I'y fis monter derrièr' moi, sur ma selle.
La voilà ma mie, etc.
J'I'y fis monter derrièr' moi, snr ma selle; (bis)
J'y fis cent lieues sans parler avec elle.
La voilà ma mie, etc.
J'y fis cent lieues sans parler avec elle ; (bis)
Au bout (les cent lieues, elP me d'raandit à boire.
La voilà ma mie, etc.
Au bout des cent lieues, elle me d'mandit à boire j (bis)
Je l'ai menée auprès d'une fontaine.
La voilà ma mie, etc.
Je l'ai menée auprès d'une fontaine ; (bis)
Quand ell' fut là, elP ne voulut point boire.
La voilà ma mie, etc.
Quand ell' fut là, ell' ne voulut point boire j (bis)
Je l'ai menée au logis de son père.
La voilà ma mie, etc.
Je l'ai menée au logis de son père ; ''bis)
Quand ell' fut là, ell' buvait à pleins verres j
La voilà ma mie, etc.
Quand ell' fut là, ell' buvait à pleins verres ; (Mè)
A la santé de son père et sa mère.
La voilà ma mie, etc.
A la santé de son père et sa mère ; {bis)
A la santé de ses sœurs et ses frères.
La voilà ma mie, etc.
A la santé de ses sœurs et ses frères ; (bis)
A la santé d'celui que son cœur aime.
La voilà ma mi' qu'mon cœur aime tant,
La voilà ma mi' qu'mon cœur aime !
DU CANADA 157
MARIANSON, DAME JOLIE
La complainte de Marianson doit être fort ancienne.
On y respire le moyen âge à pleins poumons —non pas
le moyen-ûge dans ce qu'il a de bon, mais dans ses fai-
blesses, et tel qu'on a presque toujours le soin de le
représenter.
Que le mal, qui est de tous les siècles, ait existé, dans
le moyen-âge, chez ces peuples de l'Europe nouvellement
conquis à la foi et à peine sortis du paganisme et de la
barbarie, nul ne songe à le nier. Mais il y a cette diffé-
rence entre le mal de ces temps-là et le mal d'aujourd'hui
que celui-ci est organisé, qu'il s'étale au grand jour, qu'il
se glorifie lui-môme, qu'il appelle héroïsme, vertu, justice,
l'assassinat, la spoliation, l'injustice; qu'il nie l'autorité
divine; que, par la bouche de ses sociétés secrètes, il pro-
clame ce principe : que la paix de Mme réside dans la
négation de Dieu ; tandis que celui-là n'est qu'une défail-
lance passagère, souvent très grave et très-blâmable sans
doute, mais qui rougit d'elle-même, ne cherche pas à se
propager, et à laquelle survit toujours la foi.
Au moyen-âge, l'action du christianisme s'exerçait sur
une société qui, je le répète, sortait de la barbarie. Ce que
ces siècles ont produit de bon venait surtout du christia-
nisme ; ce qu'ils ont produit de mauvais venait surtout
de la barbarie; mais l'organisation sociale créée par
l'Eglise, avec ses mille moyens de protéger les faibles,
158 CHANSONS POPULAIRES
avec ses corporations et ses confréries, élalL réellement
admirable, et conduisait les peuples de l'Europe et la
société chrétienne en général au plus grand bonheur ter-
restre qui se puisse imaginer. Le jour où l'on consentira
à retourner aux " coi-poraLions " du moyen-âge, la '' (]ues-
lion ouvrière" sera résolue.
Tout cela n'empêche pas que le mari de Mariatison, dame
joUe, ait fait un bien mauvais coup; mais il en a déjà de-
mandé pardon Le récit cependant eût été plus complet
et la couleur de l'épo^jue mieux gardée si la complainte
en eût fait un frère de la Merci, se vouant volontairement
à l'esclavage pour expier son crime.
Ma- ri- au- sou da- me jo- - lie, Ou est al-
lé vo- tre ma- ri? Ma- ri- au- son da- me jo-
^ ^ '— j^— '— J"*
lie, Où est al- lé vo- tre ma- ri?
— Mariansou, dame jolie,
Oîi est allé votre mari ?
— Mou mari est allé-z-eu guerre,
Ah! je ne sais s'il reviendra.
(bis)
■ ' ibis)
— Marianson, dame jolie, ) .. • ,
Prêtez-moi vos auneaux dorés, s ^ '
DU CANADA 169
— Il sont d
Ali! prends
ans l'coffi-e, au pied du lit ; ) ,^^x
iâ les clefe et va les qu'il'. ) ^
—Bel orfèvrier, bel orfèvrier, ) .j^.^.
Faites-moi des anneaux dorés. S
Qu'ils sny-ent faits aussi parfaits, ) ,j^-gs
Comiu' les ceuz' de Mariansou. S
Quand il a eu ses trois anneaux, ) /^^.^.
Sur sou cheval est embarqué. S ^
Le premier qu'il a rencontré, )
C'était l'uiari d'Mariausou. S
— Ah! bonjour donc, franc cavalier; ) ,j^^v
Quell' nouvell' m'as-tu apportée ? ^ ^
— Ah! des nouvell's je n'eu ai pas, l /i,ig\
Que les ceaz' de Marianson. ^ ^
— Marianson, dame jolie, ? ,^.^.
Eli' m'a été fidèle assez. ^ ^ '
— Oui, je le crois, je le c
Voilà les anneaux de ses doif
'" ' ' (bis)
Sa femm' qu'était sur les remparts, ) ,. . .
Et qui le voit venir là-bas : )
— Il est malade ou bien fâché, ) ,...
C'est une chos' bien assurée, l ^ '
Ah! maman, montre-lui son fils : > ., . .
Ça lui réjouira l'esprit. \ '^'^^^^
—Oui, je le crois, je le décrois : > ,, . .
igts. S ^
— Tu as menti ! franc cavalier
Ma femme m'est fidèle assez.
— 'Ah ! tiens, mon fils, voilà ton fils.
Quel nom donn'ras-tu à ton fils?
{bis)
— A l'enfant je donn'rai un nom, } , .
A la mère, un mauvais renom. ^ '^ ''
160 CHANSONS POPULAIRES
A pris Penfiint par le maillot, ) 'i • s
Trois fois par terre il l'a jeté, i ^"^^'
Marianson, par les cheveux, ) /j • ^
A son cheval l'a-t-attachée. \ ' '*^
Il a marché trois jours, trois nuits,
Sans regarder par derrièr' lui.
— Marianson, dame jolie,
Où sou les anneaux de tes doigts ?
Aubout des trois jours et trois nuits, ? /i- v
A regardé par derrièr' lui. ^ ^ ^^^
(his)
— Ils sont dans l'coffre,au pied du lit; ) , . .
Ah ! prends les clefs et va les qu'ri'. ^ ^ **'
n n'eut pas fait trois tours de clef, l (t.- \
Ses trois anneaux d'or a trouvés. S ' **'
— Marianson, dame jolie, )
Quel bon chirurgien vous faut-il ? l
— Le bon chirurgien qu'il nie faut.
C'est un bon drap pour ni'eusev'lir.
{bis)
l {Ms)
— Marianson, dame jolie, l (i • \
Votre mort m'est-elle pardonnée ? ^ ^ ^^
— Oui ma mort vous est pardonnée,
Non pas la cell' du nouveau-né. ...
^(his)
DU CANADA 161
ADAM ET EVE
Une des strophes de cette complainte, celle où un Ré-
dempteur est promis cà nos premiers parents, rappelle la
belle et pieuse légende du Crâne d'Adam ou du Calvaire :
" Les soldats, en plantant la crois daus le sol, l'ont dis-
posée de sorte que le divin crucifié tourne le dos à Jérusalem, et
étend ses bras vers les régions de l'occident. Le Soleil de la vérité
se couche sur la ville déicide, et se lève en même temps sur la nou-
velle Jérusalem, sur Kome, cette flère cité, qui a la con&cience de
sou éternité, mais qui ignore encore qu'elle ne sera éternelle que
par la Croix.
'< L'arbre du salut, en plongeant dans la terre, a rencontré une
tombe ; et cette tombe est celle du premier homme. Le sang ré-
dempteur coulant le long du bois sacré descend sur un crâne des-
séché ; et ce crâne est celui d'Adam, le grand coupable dont le
crime a rendu nécessaire une telle expiation. La miséricorde du
Fils de Dieu vient planter sur ces ossements endormis depuis tant
de siècles le trophée du pardon, pour la Ijonie de Satan, qui voulut
un jour faire tourner la création de l'houjine «^ la confusion du
Créateur. La colline sur laquelle s'élève l'étendard de notre salut
s'appelait le Calvaire, nom qui signifie un Crâne liumain; et la
tradition de Jérusalem porte que c'est en ce lieu que fut enseveli le
père des hommes et le premier pécheur. Les saints Docteurs des
premiers siècles ont conservé à l'Eglise la mémoire d'un fait si
frappant ; saint Basile, saint Ambroise, saint Jean Chrysostôme,
saint Epiphane, saint Jérôme, joignent leur témoignage à celui
d'Origène si voisin des lieux ; et les traditions de l'iconographie
chrétienne s'unissant à celles de la piété, on a de bonne heure adopté
la coutume de placer, en mémoire de ce grand fait, un crâne humain
au pied de l'image du Sauveur en croix." (Dom Guéranger, Année
liturgique, cinquième section, page 54L)
Voici les quelques lignes que M. Ghampfleury consacre
162 CHANSONS POPULAIRES
à la complainte à' Adam et Eve clans ses Chansons populaires
des provinces de France :
" Dans un jardin couvert de fleurs est uue complainte qu'une
(laine a euteudu chanter à un pauvre dans les environs <le Mont-
pellier. C'est la complainte dans toute sa naïveté, avec ses mots
touchants, avec sa musique douce et plaintive, avec ses puérilités,
avec S3S beaux vers quelquefois, avec sa poésie, quoi qu'eu disent
les poètes."
M. Gliampfleury ne donne, dans son ouvrage, que les
quatre premiers des vingt-trois couplets que l'on va voir
ci-dessous. La mélodie recueillie par M. Wekerlin et
publiée dans le môme ouvrage, est semblable, presque
note pour note, à celle que l'on chante en Canada.
. — M 1* *— -J — ^ i^ — 3—1* — t — i». = * M—
Daus un jar- din couvert de fleurs, Plein de dou-
ceurs, Dieu cré- a l'homme a son i- ma- ge. Ce beau sé-
jour E- tait la preuve et le vrai ga- ge De sou a-
mour.
Dans un jardin couvert de fleurs,
Plein de douceurs,
Dieu créa l'homme à son image.
Ce beau séjour
Etait la preuve et le vrai gage
De son amour.
DU CANADA 163
Adam était assis tout seul
Sous un tilleul,
Etant couché sur l'herbe tendre,
Tranquillement,
Un doux sommeil vint le surprendre
Dans ce moment.
Pendant qu'il dort, son Créateur
Et son Auteur
Lui enl'va doucement un' côte
De sou côté;
En forma un' charmante femme
Rare eu beauté.
Adam la voyant, s'écria :
Ah ! la voilà !
Ah ! la voilà celle que j'aime,
L'os de mes os ;
Donnez-moi-la, bonté suprême,
Pour mon repos.
Adam, père du genre humain.
Prit par la main
Eve, cette charmante belle.
Sa tendre épouse,
Devant Dieu se. jette avec elle
A deux genoux.
Dieu bénit ce couple charmant
Dans le moment.
Un berceau tissu de verdure
Fut leur logis ;
De fleurs j'aime la bigarrure
De leur tapis.
164 CHANSONS POPQLMRES
Dieu prit Adam et le coudait
Auprès d'uu fiuit,
Lui disant: Mou lils, preud bien garde,
Ne touche pas
A ce beau fiuit (jue tu x-egardes,
Craius le trépas.
De ce lieu je te fais le roi,
Tout est à toi.
Mais souvieus-toi de ma défeuse
A Faveuir,
Et respect' l'arbre de science,
D'peur de mourir.
Adam prit Eve et lui montra
Cet arbre-là :
Lui disant : Mou épons' chérie,
Garde-toi bien
De le toucher, je t'en supplie,
Pour notre bien.
Ev' s'étant écarté, un jour.
Dans un détour.
Le seri)eut rencontra la belle
Et lui parla.
Le discours qu'il eut avec elle
Cher uous coûta.
— Salut à la divinité !
Rare beauté,
Perle saus prix, vivante image
Du souverain,
L'oruement, le plus bel ouvrage
De ce jardin.
Je te ferai part d'un secret
Dans ce busquet :
J'ai acquis de la coauaissauce
DU CANADA 165
De ce beau fruit;
Viens doue, tu suuni-s la science
Qu'il eu produit.
Mange ce fruit délicieux,
Ouvre les yeux !
La friande cueillit la pomme :
Elle en maiis^ea ;
Elle eu porta à son cber homme
Qui s'affligea.
— Ah ! malheureuse, d'oii viens-tu ?
Je suis perdu!
Quel est ce fruit ? où donc est l'arbre ?
Montre-le moi ! .
Mon cœur devient fioid comme marbre;
" Dis-moi pouriiuoi!
— Ad un, Adam, entends ma voix.
Sors de ce bois !
Dis-moi donc pourquoi tu te caches 3
Quelle raison
Et ne crois-tu pas que je sache
Ta trahison ?
— Mon Créateur, j'ai reconnu
Que j'étais nu :
Mais mon Auteur, mon divin Maître,
En vérité,
J'ai honte de faire connaître
Ma nudité.
— Approche-toi, monstre infernal,
Auteur du mal.
Si tu as détruit l'innocence,
Dis-moi pourquoi ! . . . ,
166 CHANSONS POPULAIRES
Je vais prononcer la sentence :
Ecoute-moi !
"T'as servi d'organe au démon;
Point de pardon!
La terre pour ta nourriture
Tu mangeras ;
L'homme, dans sa juste colère,
T'écrasera.
" Tu n'as pas écouté ma loi,
Femme, pourquoi ?
Mène une vie pénitente;
Dans ma rigueur,
Tu soutfiiras, lorsiiu' t'enfaiit'rr 8>
De grand' douleurs.
" Adam, tu mangeras ton pain
Avec chagrin.
Va cultiver la terre ingrate ;
Sors de ce lieu !
Et n'attends plus que je te flatte
Je suis ton Dieu."
Je te fais mes derniers adieux
Les larm's aux yeux,
Jardin charmant, heureux parterre !.
Quel triste sort !
Je m'en vais cultiver la terre
Jusqu'à la mort !
Un ange vint le consoler
Et lui parler,
Lui annonçant que le Messie
Viendrait un jour
DU CANADA 167
Naître de La Vierge Marie,
Pour leur amour.
Enfin le temps si désiré
Est arrivé-
Dieu touché do notre misère,
Envoie son Fils.
Et voilà le fruit salutaire
Qu'il a promis.
168
CHANSONS POPULAIRES
UN JOUR L'ENVr M'A PRIS DE DÉSERTER DE FRANCE
Une fort belle chanson ; très-ancienne, très-militaire,
et partant toute française.
Uu juurl'eu- vie m'a pris
De clé- ser-
::zz€-=*—
ter de Frau-
Daus mon che- mia j'ai
Dans les autres
couplets o-ii passe
cette mesure
rea-con-
tré Ma cliannau- te beau- té ; Je me
SUIS ar- re-
té
C'é- tait pour lui par- 1er.
Un jour l'euvi' ma pris >
De déserter de France. ^ ^ ^
Dans mon chemin j'ai rencontré
Ma charmante beauté ;
Je me suis arrêté :
C'était pour lui parler.
Je vois venir, là-bas, >
Ah ! cinq ou six gendarmes. ) '
J'ai mis mon habit bas,
DU CANADA 169
Mon sabre-z-à la main;
Je nie suis battu là
Comme un vaillant soldat.
Le premier (jue je tnai, ) .^.
Ce fut mon capitaine. \^
Mon capitaine est mort,
Et je m'en souci' fort;
Il est mort eu ce jour :
Demain sei"a mou tour.
Ils m'ont prifj. ils m'emmèuent,
C'est à la citadelle.
Mon procès fut jugé
Par quatre grenadiers :
C'est d'être fusillé
Ou bien d'être tranché !
{his)
— Tirez-moi droit au cœur
Ou bien dans la cervelle.
Celui qui m'aimera,
Droit au cœur tirera,
Pour me faire mourir
Saus me fair" trop souffrir
Ils l'ont pris, ils l'emmènent,
C'est à la Place d'Armes.
Lui ont bandé les yeux
Avec un mouchoir blanc...
Je me suis écrié :
La belle est sans amant ! . . . .
{bis)
{bis)
I7d CHANSONS POPULAIRES
DANS PARIS YA-T-UNE BRUNE PLUS BELLE QUE
LE JOUR
Cette jolie légende se chante dans le midi de la France,
en patois provençal. (Voir les Chants populaires et histo-
riques de la Provence, recueillis et annotés par M. D.
Arbaud, page 133, vol. I.) On la chante aussi en langue
française dans les départements de l'ouest. Dans les ver-
sions données par M. Bujeaud {La vielle cl' argent) et par M.
Arbaud (Liseto), les ravisseurs ne se font pas cavaliers
mais mendiants, et aussi un peu troubadours, car ils
jouent d'une vielle d'argent ou d'une viole endorée. Le tout
se termine avec l'enlèvement. Le charmant couplet que
nous chantons ici :
Si vous m'aviez mariée
A rage (le quinze uns, etc.
fait défaut dans les deux versions françaises.
Notre air canadien, un des plus beaux et des plus carac-
téristiques de ce recueil, l'emporte aussi de "beaucoup sur
ceux de ces deux versions. Il appartient au premier mode
authentique de la tonalité ancienne, ce qui n'ôte rien à
son mérite.
*— ^ »T — m-
!— J-J^-
—g m
Dans Pa- ris, ya-t-u-ue bru-ne Plus bel!' que le
1^ s — -A — 1— — — c
r^—^rzi» —
jour ; Sont trois bourgeois de la vil- le Qui lui font l'a-
DU CANADA 171
i^l=2^i=p^ilï1iiHiEpiili«lii
mour. Qui lui fout l'a-mour, la lu- ret- te, Qui lui
uiour.
Dans Paris ya-t-une brune
Plus bell' que le jour ;
Sont trois bourgeois de la ville
Qui lui fout l'amour.
Qui lui font l'amour, la lurette,
Qui lui fout l'amour.
Sont trois bourgeois de la ville
Qui lui font l'amour.
Ils se disaient l'un à l'autre :
Comment l'aurions-nous?
Comment, etc.
Ils se disaient l'un à l'autre :
Comment l'aurions-nous ?
Le plus jeun' se mit à dire :
Moi je sais le tour.
Moi je sais, etc.
Le plus jeun' se mit à dire
Moi je sais le tour :
Je me frai faire une selle
Avec tous ses atours.
Avec, etc.
Je me frai faire une selle
Avec tous ses atours;
Et j'irai de ville en ville
Toujours à son nom.
Toujours, etc.
172 CHANSONS POPULAIRES
Et j'irai de ville en ville
Toujours ù son nom.
— Euseignez-raoi donc, mesdames;
Le chemin des grands.
Le chemin, etc.
— Enseignez-moi donc, mesdames,
Le cliemin des grands.
Allez, allez donc, ma fille,
A ce pauvre passant.
A ce pauvre, etc.
Allez, allez donc, ma fille,
A ce pauvre passant ;
Allez jusqu'à la barrière :
Re venez- vous-en.
Revenez, etc.
Allez jusqu'à la barrière :
Revenez- vons-en.
La fille était jeunette,
Elle a 'té plus avant.
Elle a 'té, etc.
La fillette était jeunette,
Elle a 'té plus avant;
Le galant qu'est fort adroittô
Lui a donné la main.
Lui a donné, etc.
Le galant qu'est fort adroitto
Dui a donné la main ;
Il la prit et il l'emmène
Sur son cheval blanc.
Sur son cheval, etc.
DU CANADA 173
Il la prit et il l'emmèue
Sur son cheva! blanc ;
Le clieval blanc qui les mène
Va plus raid' que le vent.
Va plus raide, etc.
Le cheval blanc qui les mène
Va plus raid' que le vent.
— Adieu père et adieu mère,
Adieu tous mes parents !
Adieu, etc.
Adieu père et adieu mère,
Adieu tous mes parents !
Si vous m'aviez mariée
A l'âge de quinze ans. . . .
A l'âge^ etc.
Si vous m'aviez mariée
A l'âge de quinze ans,
Je ne s'rais point dans la ville
Avec tous ces brigands.
Avec tous, etc.
Je ne s'rais point dans la ville
Avec tous ces brigands. . . .
— Je n'suis point brigand, la belle,
Je suis votre amant.
Je suis, etc.
Je n'suis point brigand, la belle,
Je suis votre amant.
Versez, versez, dans mon verre.
Dans mon verr', du vin.
Dans mon verre, etc.
174 CHANSONS POPULAIRES
Versez, versez dans mon verre,
Daus mon verr', du viu.
A la sauté de la belle
Et de son amant.
Et de sou, etc.
A la santé de la-belle
Et de son amant ;
A son père et à sa mère
Et à tous ses parents.
Et à tous ses parents, la lurette,
Et à tous ses parents.
DU CANADA 175
PAR DERRIÈRE CHEZ MA TANTE YA-T-UN ARBRE
PLANTÉ
J'avoue que j'ai eu quelque mal à saisir le rhythme et
le mode de cette mélodie étrange, promenée par une voix
nasillarde et saccadée sur les degrés vermoulus de l'an-
tique échelle grégorienne. Grâce à l'intervalle de seconde
majeure descendante, entre si et la, quatorzième mesure
la mélodie qui déjà n'appartenait pas au mode mineur, à
cause de l'absence de note sensible, s'en éloigne encore
davantage. Mais voici une nouvelle étrangeté. Le musi-
cien remarquera que la note fa est altérée par un dièse,
dans la onzième m.esure. Il y a ici modulation ; ou plutôt,
pour parler le vieil langage d'autrefois^ il y a muance, c'est-
à-dire transposition passagère d'un mode à un autre.
Cette mélodie appartient donc au premier mode authen-
tique (premier ton), avec muance dans le quatrième mode
authentique ou dans le quatrième mode plagal (septième
ou huitième ton).
Ces couplets se chantant dans le Saintonge, l'Ano-ou-
mois, l'Aunis et le Poitou, en français et en patois. Les
airs français sont différents du nôtre.
l^^^^^mm
zazzr.
Par der- rièr' chez ma tant' Ya- t-ua ar-
175 CHANSONS POPULAIRES
-ipi-
_S s — I— il ;l ^—*^rz^'^—<^-^
bre plaa- té; Dans la plus hau- te braucli' Trois
pi- geons sout brau- cbés. Vi- ve le ro- sier
y— 1' — .sr-
rs— «î:^
Du jo- li mois de mai.
Par derrièr' cliez ma tante
Ya-t-uo arbre planté ;
Dans la plus haute branche
Trois pigeons sont branchés.
Vive le rosier
Du joli mois de mai.
Dans la plus haute branche
Trois pigeons sont branchés;
Ce sont trois demoiselles
Qui leur port'nt à manger,
Vive le rosier, etc.
Dans la plus liante branche
Trois pigeons sont branchés;
Ce sont trois demoiselles
Qui leur port'nt à manger.
Vive le rosier, etc.
Ce sont trois demoiselles
Qui leur port'nt à manger;
Un' leur porte du seigle,
L'autre, du bled pilé.
Vive le rosier, etc.
Un' leur porte du seigle,
L'autre, du bled pilé;
L'autre leur porte à boire
Dans un bassin doré.
Vive le rosier, etc.
DCJ CANADA 177
L'antre leur porte à boire
Dans im bassin doré.
Le roi, par la fenêtre,
Les regardait passer.
Vive le rosier, etc.
Le roi, par la fenêtre,
Les l'egardait passer :
— Où vout-ell's, ces trois dames?
Où voiit-ell's s'promener?
Vive le rosier, etc.
Où vont-ell's, ces trois dames?
Où vont-ell's s'proiuener?
— Nous ue soram's point des dames,
Somm's tiU's à marier.
Vive le rosier, etc.
Nous ne somm's point des dames,
Somm's fill's à marier.
Le roi prit la jeune,
Dans la dans' l'a menée.
Vive le rosier, etc.
Le roi prit la pins jeune,
Dans la dans' l'a menée;
A chaque tour de danse
II voulait l'embrasser,
Vive le rosier, etc.
A chaque tour de danse
Il voulait l'embrasser :
— Allez, allez, beau prince,
Allez plus loin chercher.
Vive le rosier
Du joli mois de mai.
178 CHANSONS POPULAIRES
J'AI TROP GRAND' PEUR DES LOUPS
Ce refrain et cette mélodie s'adaptent à plusieurs autres
chansons. C'est là un genre de transposition assez à la
mode à la campagne : ainsi on entend souvent chanter A
la claire fontaine sur l'air et avec le refrain de Gai Ion la,
gai le rosier. . . .etc., etc. fai trop grand' peur des loups est
une chanson bien connue dans les environs de Québec.
On la chante aussi dans le Poitou, en France. L'air
poitevin est le môme que le nôtre.
M'eu re- ve- uant de la Veu- dée,
M'eu re- ve- uant de la Veudée, Daus mou cbeiniu j'ai
reu- cou- tré .Vous m'a- mu- sez tou- jours 5
Jamais je m'eu i- - rai chez uous : J'ai trop graud' peur
Ë?ËËE*EE;EEI]
des loups.
M'eu revenant de la Veudée, (bis)
Dans mon chemin j"ai rencontré...,
Vous m'amusez toujours;
J'amais je m'en irai chez nous :
J'ai trop grand' pour des loups.
DU CANADA 179
Dans mon cliemin j'ai leucontié, (bis)
Trois cavaliers fort bien montés.
Vous m'amusez, etc.
Trois cavaliers font bien montés, (bis)
Deux à cheval et l'autre à pied.
Vous m'amusez, etc.
Deux à cheval et l'auti'e à pied; [bis)
Celui d'à pied m'a demaiidé .
Vous m'amusez, etc.
Celui d'à pied m'a demandé: (bis)
— Oii irons-nous ce soir coucher?
Vous m'amusez, etc.
Où irons-nous ce soir coucher? (bis)
— Chez nou-^, monsieur, si vous voulez.
Vous m'amusez, etc.
— Chez nous, monsieur, si vous voulez ;(&îs)
Vous y trouverez un bon souper.
Vous m'amusez, etc.
Vous j trouv'rez au bon souper, (bis)
Et de bons lits pour vous coucher.
Vous m'amusez, etc.
Et de bons lits pour vous coucher, (bis)
Les cavaliers ont accepté.
Vous m'amusez toujours ;
Jamais je m'en irai chez nous :
J'ai trop grand' peur des loups.
180
CHANSONS POPULMliES
J'AI VU LE LOUP, LE R'NARD PASSER
Ce refrain est connu par tout le pays. Il doit êti'e
conséquemment d'une certaine ancienneté. Gomme le
précédent, on l'ajuste souvent à d'autres couplets.
J'ai vu le loup, le r'uard et le lié- vre,
FIN.
J'ai vu le loup, le r'nard pas- ser. M'en re- ve-naut de
la Vea- dée, J'ai vu le loup, le r'uard pas- ser,
Daus mon cbe-miu j'ai rencon- tré.... J'ai vu le loup, le
B^»j=|^^==i^ D. C.
r'uard pas- ser.
(Your les autres paroles, voir J'ai trop grand' peur des loups)
DU CANADA 181
JE LE MÈNE BIEN MON DÉVIDOI' !
Lord Dalhousie, qui gouverna le Canada de 1820 à
1828, passait d'ordinaire les étés à Sorel, d'où il faisait de
fréquentes excursions, en chaloupe, dans le pays envi-
ronnant. Son élégante embarcation était montée par des
bateliers portant un joli costume, la plupart anciens
voyageurs du Nord-Ouest, rompus au métier, et, de plus,
excellents chanteurs.
M. G * * *, du comté de Maskinongé, de qui j'ai recueilli
Je le mène bien mon dtmdol\ me dit l'avoir entendu chan-
ter, par ces bateliers, un jour que le gouverneur et son
joyeux entourage remontaient une des rivières qui se
jettent dans le lac Saint-Pierre. " Il me semble, me dit-
il voir encore leur fines rames peintes en rouge s'abaisser
et se relever en cadence, et entendre leurs voix sonores :
Je le mèue bien ;
Je le mène droit ;
Je le mène biea
Mou dévidoi' !...."
Voix seule, reprise en chœur.
Mon pèr' n'a- vait fil- le que moi, Je le mè- ne
182
CHANSONS POPULAIRES
Vota-- seule.
Zii:=mz
— "^«=-^1^
bien mou dé- vi- doi' ! En- cor sur
la mer il m'eu-
Voix seule, reprise en chœur.
=gz=-g— g=|-*za— [|i:rj'^*^iÉ— e=|— gzrra'— a<— g:::zjg— 3
w w —
voi', Moi-z-et moi ! Je le mè-ne bien ; Je le mè- ne
droit ! Je le mè-ne bien Mon dé- vi- doi' !
(Pour les autres couplets, voir Cédlia)
DU CANADA 183
M'EN REVExNANT DE SAINT ANDRÉ
Cette mélodie appartient an premier mode authentique
de la tonalité ancienne, et n'est pas en mi mineur comme
on pourrait le supposer tout d'abord. En effet, la note do
qui descend au si, dans la dixième mesure, étant dièse, il
y a intervalle 'de ton entier entre les deux notes ; or, dans
la gamme descendante du mode mineur, il ne doit y avoir
qu'un intervalle de demi-ton entre le sixième et le cin-
quième degré.
Mais la finale de ce premier mode authentique devrait
être ré; ici elle est mi?— La mélodie, le mode, si on
Faime mieux, est en effet haussé d'un ton ; mais c'est là
une simple transposition, comme j'en ai déjà fait souvent
dans ce travail, et que les musiciens comprendront aisé-
ment. Ils comprendront aussi que la clef, qui ne serait
armée que d'un seul dièse si la mélodie était en mi mineur,
doit être ici armée de deux dièses, pour mettre les diffé-
rents degrés du mode antique dans une position analogue
à celle qu'ils occuperaient s'ils étaient placés un ton plus
l)as,— à leur place naturelle,— et sans aucun signe d'alté-
ration à la clef.
M'en re- ve- aant de Saint-An- dré, J'ai vu le
184
CHANSONS POPULAIRES
iir==fc==ï5
^=J—
S=5
-H«> -j—
-_(*_'r ;s ^ —
^i=§=§^?^Ëi=i=i=s=îy
loup, le r'nard pas- ser, Daus mou che- miu j'ai rou-cou-
I
tre.
=:dî=q
..Ou, ouah! Son p'tit pe- - ta- pe. J'ai vu le
~5t
ï^i=*E
* (» 15 — SL
=^=^
-y
loup, le r'uard, le lié- vie. J'ai vu le loup, le r'nard pas-
ser.
(Pour les autres paroles, voir J''ai trop grancV peur des loups)
DU CANADA 185
tl'EST DANS PARIS YA-T-UNE BRUNE
11 s'agit d'une pauvre fille prise de vanité (ça se ren-
contre), et qui va se confier à un apothicaire dont les
prescriptions ne manquent pas de perfidie.
La mélodie est bien ; la forme des vers, passable ; la
morale, excellente.
Ces couplets se chantent dans l'ouest de la France. L'air
français diffère complètement du nôtre, mais les paroles
offrent à peine quelques légères variantes. L'expression
" matin jour " se trouve aussi dans la version française.
^?=£j - — I* — r^î >—[
C'est ilaus Pa- - ris ya- t-u- ue bruu'
Qui est plus bel- le que le jour. Mais elle a-
vait u- - ue ser- vau- te Qu'au- rait, qu'au- rait vou-
lu Etre aus- si bell' que sa inaî- très- se:
Mais ell' u'a pu.
C'est dans Paris ya-t-une brune ) /^^^^^
Qui est pUià belle que le jour. >
Mais elle avait une servante
Q'aurait, qu'aurait voulu
Etre aussi bell' que sa maîtresse :
Mais ell' n'a pu.
186 CHANSONS POPULAIRES
Eli' s'en va chez l'apothicaire : l ij • \
— Combien vendez- vous votre fard? S
— Nous le vendons par demi-onces :
C'est deux, c'est deux écus.
— Pesez-moi-z-en un demi-once :
Voilà l'écn.
— Quaudvoussevezpourvousfarder, ) ,,. .
Prenez bien garde do vons mirer . )
Vous éteindrez votre chandelle .
Barbouiil barbouillez-vous j
Le leudemuin vous serez belle
Comme le jour.
\ [Us)
Lelemlemain, au matin jour,
La belle a mis ses beaux atours ;
Elle a mis son beau jupou vert,
Sou blauc, son blanc mantelet,
Pour aller faire un tour en ville.
S'y promener.
Dans son chemin, a rencontré ? xt,- x
Son joli tendre cavalier. >
— Où. allez- vous, blauche coquette,
Tout' noir' tout' barbouillée ?
Vous avec la flgur' plus noire
Que la ch'miuée!
EU ' s'en r'rourne à l'apothicaire : ? ,1.. v
— Monsieur,quemavez-vousvenduï >
— Je vous ai vendu du cirage
Pour vos, pour vos souliers :
Ç'appartient pas une servante
De se farder.
Variante :
— J'vous ai vendu, blanche coquette,
Du noir, du noir à fumée :
Ç'appartient pas une servante
De se farder.
DU CANADA 187
PAPILLON TU ES VOLAGE
Ce dialogue de deux amants qui se boudent ne manque
pas de piquant. Il y a beaucoup de froideur dans ce
Monsieur, ce Mulemoiselle Le beau rôle, reste évi-
demment à la jeune fille. Son apostrophe au papillon est
tout à fait charmante.
Pa- pTl- Ion, tu es vo- la- ge ! Tu ressemble' à mou a-
-s* — — r
maut. I^amour est uu ba-di- ua- ge, L'amour est uu pas- se-
p^EEEÊiEE5EEaEEi^5EEiE=?Ë^îli^^i£|Eli
} ^
temps; Quaud j'ai mou a-mautJ'ai le cœur cou- tent.
Papillon, tu es volage!
Ta ressemble' à mon amant.
L'iimour est uu badinage,
L'amour est uu passe-temps;
Quand j'ai mou amant
J'ai le cœur content.
— Croyez-vous, mademoiselle,
Queje viens ici pour vous f
J'en ai d'autre', à ma demande,
Qui sout plus belles que vous.
Croyez-moi, mam'zelle,
Je me ris de vous.
188 CHANSONS POPULAIRES
— Monsieur, pour dMiigratitude,
Votre cœur u'eii uiiiiuiue pus :
Vous avez souvent l'habitude,
Bien souveut changer d'appas.
Croyez -moi, monsieur,
N'y revenez pas.
— Croyez-vous, mademoiselle,
Que je pens' de revenir l
J'estim' mieux vider bouteille
Avec un de mes amis.
Adieu mes amours !
Adieu mes plaisirs !
Si l'amour avait des aîles
Comme toi, beau papillon,
Il irait de ville en ville
Pour rejoindre mon amant,
Lui faire assavoir
De mes compliments.
DU CANADA 189
NOUS ÉTIONS TROIS CAPITAINES
Une des chansons favorites des élèves du collège de
Nicolet,— da moins, autrefois. Elle n'était jamais oubliée
dans les jours de liesse, mais surtout au retour des longues
promenades du jeudi.
Pourquoi ces couplets si gais se chantent-ils dans le
mode mineur ? " Dans tous les pays, a dit Chateaubriand,
le chant naturel de l'homme est triste, lors môme qu'il
exprime le bonheur. Notre cœur est un instrument
incomplet, une lyre où il manque des cordes, et où nous
sommes forcés de rendre les accents de la joie sur le ton
consacré aux soupirs."
Les reprises en chœur.
:c^::
:*:
Nous é- tious trois ca- pi- tai- - nés,
:p:
Nous é- - tions trois ca- pi- tai- - nés De la
guer- re re- ve- nant, Bra- ve, bra- - ve, De la
guer- re- re- ve- nant Bra- ve- ment.
190 CHANSONS POPULAIRES
Nous étions trois capitaiues ibis)
De la guerre revenant,
Brave, brave,
De la guerre revenant
Bravement.
Nous entrâm's dans une auberge : (bis)
— Hôtesse, as-tu du vin blanc ?
Brave, brave,
Hôtesse, as-tu du vin blanc ?
Bravement.
Oui, vraiment, nous dit l'hôtesse ; (bis)
J'en ai du xouge et du blanc.
Brave, brave,
J'en ai du rouge et da blanc,
Bravement.
Hôtess', tire-nous chopine, (bis)
Cliopinette de vin blanc,
Brave, brave,
Cliopinette de vin blanc,
Bravement.
Quand la chopine fut bue, {bis)
Nous tirâm's trois écus blancs,
Brave, brave.
Nous tirâm's trois écus blancs,
Bravement.
— Grand merci ! nous dit l'hôtesse, (bis)
Revenez-y donc souvent.
Brave, brave.
Revenez-y donc souvent,
Bravement.
DU CANADA 191
JE N'AI PAS DE BARBE AU MENTON, MAIS IL
M'EN VIENT
Si riiéroïiie de ces couplets se montre bien irrévéren-
cieuse envers son père, la mélodie sur laquelle se chante
sa rébellion n'est pas moins irrévérencieuse envers les
règles de l'art musical.
Il est vraiment curieux pour un musicien d'entendre
chanter avec tant d'aisance et 'de naturel, par des voix
campagnardes, ces mélodies qui s'éloignent tant des règles
établies. J'ai vu dernièrement un musicien (un musicien
avancé) aux prises avec quelques mélodies populaires aussi
caractéristiques que celle-ci, et qu'il se faisait fort d'har-
moniser sans broncher. Il en faisait de belles ! De
guerre lasse, et pour se consoler de son impuissance, il se
leva du clavier en disant avec un beau dédain : c'est du
plain chant !
Plusieurs variantes de cette chanson se chantent à la
Rochelle et dans le Bas-Poitou.
;=3
g =f -F* =i^-l?->-^= J=[ — gr=:[:=ai— g3=prj
]Moa père a fait bâ- - tir mai- son, Mon père a
'^=f^-^^S-i=^— =fi:^[=p=P=*=:[St=g=:[— g^=:—
fait bâ- -tir mai- son; L'a fait bâ- tir su' l'bout d'un
192
CHANSONS POPULAIRES
i^ =*£=S=^= =gma— |=r^
pont. Le beau temps s'eu va, Le mau- vais re- vient.
^ 5 " ' ^f
Jo n'ai pas de barbe au meu- ton Mais il m'en vient.
Mon père a fait bâtir maison; (bis)
L'a fait bâtir su' l'bout d'un pont.
Le beau tem[).s s'en va,
Le mauvais revient;
Je n'ai pas de barbe au menton
Mais il m'en vient.
L'a fait bâtir su' l'bout d'un pont,
— Mon père faites-moi-z-un don.
Le beau temps s'en va, etc.
{bis)
Mon père faites-iuoi-z-un don; (bis)
Donnez-moi 'loue vo^re maison.
Le beau temps s'eu va, etc.
Donnez-moi donc votre maison, (bis)
— Ma fille, promettez-iuoi donc — .
Le beau temps s'eu va, etc.
Ma fille promettez-moi donc (bis)
De n'jamuis aimer les garçons.
Le beau temps s'en va, etc.
De n'jamais aimer les garçons, {bis)
— J'estim'rais mieux que la maison...»
Le beau temps s'en va, etc.
DU CANADA 193
J'estira'iais mieux que la maison {bis)
Serait eu cendre et en cliarbons.
Le beau temps s'en va, etc.
Serait en cendre et en charbons, (bis)
Et vous mon pèr' sur le pignon.
Le beau temps s'en va, etc.
Et vous mon pèr' sur le pignon : {bis)
Vous vous cbauffeiiez les talons.
Le beau temps s'en va,
Le mauvais revient j
Je n'ai pas de barbe au menton
Mais il m'en vient.
194
CHANSONS POPULAIRES
JE N'AI PAS DE BARBE AU MENTON
(Autre air)
On chante aussi Je n'ai pas de barbe au menton sur l'air
noté ci dessous et qui n'est autre que l'air noté page 64,
mais un peu raccourci.
Mou père a fait bâ- tir maisou, Je n'ai pas de barbe
au m«u-tou, L'a fait bâ-tir su' Fbout d'uu pout. Le beau
temps s'eu va, Le uiau- vais re- vieut. Je u'ai pas de barbe
«j
au ineu-ton jMais
m'eu vieut.
DU CANADA 1 95t
J'AI PERDU MON AMANT
Deux sortes de rhythme nous sont familiers ; l'un
appelé poétique^ qui se combine avec la mesure ; l'autre
appelé j;rosaï^we ou oratoire^ qui n'est entravé par aucune
mesure et qai est le rhythme propre du plain-chant.
J'examinerai plus loin, avec le lecteur, le caractère parti-
culier de ces deux espèces de rhythme. En attendant, que
l'on veuille bien remarquer ici que le rhythme de la
mélodie notée ci-après se refuse complètement aux exi-
gences d'une mesure uniforme, et que quelquefois môme
il semble vouloir s'affranchir de toute mesure pour se
rapprocher du rhythme oratoire.
J'ai recueilli cette chanson dans le comté de Maski-
nongé, et ne l'ai entendu chanter nulle part ailleurs.
J'ai souvent remarqué que les mélodies du peuple qui
offrent le plus de contradictions avec les lois établies, sont
d'ordinaire les moins universellement connues, surtout
dans les villes. Elles semblent s'être retirées dans les bas-
fonds populaires, si je puis m'exprimei- ainsi, — là ou l'art
moderne ne peut avoir que difficilement accès.
tus — — I 1 — ^ w ..— /^ — , I
J'ai per- du mon a- mant Et je ui'ea sou- ci'
196
CHANSONS POPULAIRES
i««r=Szrr--s:
guè- re; Le re
ai Se-
gret que j eu
ra bieu-tôt jias- - se. Je por- te- - rai le
deuil-le D'uu ha-bit de sa- - tin ; Je ver- se-
i5iiEEiEEdl:ÊiEEEsEÊE*Eî£^EE5£E:
rai des lar- mes de
J'ai perdu mou amaut
Et je m'en souci' guère;
Le regret que .feu ai
Sera bientôt passé.
Je porterai le deuiîle
D'uu habit de satiu ;
Je vex'serai des larmes
De viu.
Amant, que j't'ai donc fait
Qui puiss' tant te déplaire?
Est-c' que j'tai p:is aimé
Comm' tu l'as mérité?
Je t'ai aiiué, je t'aime,
Je t'aiaierai toujours.
Pour toi mon cœur soupire
Toujours.
La maison de chez nous
C';?st un lieu solitaire :
Ou u'y voit pas souvent
Divertir ses amants.
DU CANADA 197
Pour des amants qu'on aime,
Qu'on aiiu' si tendrement,
On aimerait les voire
Souvent.
— Si j'étais hirondelle.
Vers toi, bell' demoiselle,
Par derrièr' ces rochers
J'irais prendr' ma volée.
Sur votre main, la belle,
J'irais me reposer,
Pour raconter la peine
Que j'ai.
198 CHANSONS POPULAIRES
VOICI LE TEMPS ET LA SAISON
J'ai chanté cette mélodie à un citadin, qni l'a trouvée
très-monotone et très-laide. Monotone, oui ; laide, cela
dépend.
Cette mélodie (qui appartient au second mode du plain-
chant) est de celles qui n'ont de beauté que dans la bouche
des gens de la campagne. Il y a «inelque chose de triste
et de doux dans la voix des campagnards qui donne un
charme tout particulier à ces airs monotones dans lesquels
semble se refléter toute leur existence. Il en est des voix
des habitants de la campagne comme de leurs yeux.
Leurs regards, accoutumés à embrasser l'horizon immense
et des scènes uniformes, ont une qniétude, un calme, une
monotonie si l'on veut, que l'on ne rencontre jamais chez
les habitants des villes.
i?r2=-^zr^l-=ïz=r5==tf— |=ra=r*rEszr|— =iE
-JS=.~.
Vol- ci le temps et la sai- - son, Voi-ci le
:=1-
^E^-^EÊEB
:^— 5-
3r=3-
temps et la sai- - sou Ah ! vrai, que les jour-
né's sont Ion- - gués, Ali ! vrai, que les jour-ué's sont
DU CANADA 199
Voici le tenip:? et la saison {bis)
Ah ! vrai, que les journées sont longues ! (bis)
Les amoureux ont bien le temps (.bis)
D's'en aller voir leurs jolies blondes, (bis)
Et moi qui suis dans les prisons, (bis)
Je ne poux aller voir la mienne. (6('s)
Ma mignonne a de blonds cheveux, {bis)
Qui lui vont jus<iu'à la ceinture, {bis)
— Mon amant, il n'est pas ici : {bis)
Il est là-bas, dans ce navire, {bis)
— La belle, le connaissez-vous {bis)
Par son beau chant et son beau rire? (bis)
La belle, voulez- veus yaller ? (bis)
Je vais aller vous y conduire, (bis)
La belle a eu le yii'^d lé jr^r, {bis)
Dans le navir' s'ept evnbirq.iéo. (bis)
Quand ils fnr'iit à cent lieues sur mer, (bis)
Une tenipêt' s'est élevée, (bis)
Le navire a coulé au fo.i 1 ; (bis)
Le beau avec sa mie. {bis)
Le contre-maître s'est sauvé (bis)
Dedans sa chaloupe jolie, {bis)
200 CHANSONS POPULAIRES
PETIT ROCHER DE LA HAUTE MONTAGNE
La complainte que l'on va lire a été composée dans des
circonstances vraiment extraordinaires qui méritent d'être
connues du lecteur. On me saura gré de reproduire ici la
belle narration qu'a faite M. J. G. Taché dos événements
qui ont précédé et accompagné la mort du vaillant cou-
reur de bois, héros et auteur de ces couplets.
Eu remontant la grande rivière des Outaouais, ou ue manque pas
de s'arrêter au Petit rocher de la haute montagne qui est au milieu
du portage des Sept-chutes, eu bas de l'Ile du G-rand calumet : c'est
là qu'est la fosse de Cadieux dont tout le moude a entendu parler.
Chaque fois que les canots de l;i compagnie passent au Petit Ho-
cher, un vieux voyageur raconte aux jeuues gens l'histoire de
Cadieux; les anciens voyageurs qui l'ont déjà entendu raconter
aiment toujours à l'entendre, quand ils ue la redisent pas eux-
mêmes. Cette fois là, ce fut le vieux Morache, uu ancien guide, qui
nous déroula le récit des aventures de Cadieux.
Cadieux était uu voyageur-interprète marié à une Algouquine :
il passait d'ordinaire l'hiver à la chasse, et l'été il traitait avec les
sauvag3s, pour le compte des marchand. Cet lit au temps des der-
nières expéditions des Iroquois : Cadieux avait passé la saison de
chasse au portage des Sept-chutes oii il était cabane avec quelques
autres familles : ou était alors au mois de nnû, et Cadieux attendait
des sauvages de l'Ile et des Courte- Oreille (*), qui devaient des-
cendre en même temps que lui jusqu'à Montréal avec des pelleteries,
La plus grande tranquillité réguait dans les cabanes du Petit-
rocher, lorsqu'un bon jour un jeune sauvage, qui était allé rôder
(*) Outaouais.
DU CANADA 201
autour des rapides et eu bas du portage, arriva tout essoufflé au
milieu des familles dispersées autour des cabaues, eu criant:
Nattoué! Nattoué ! Les Iroquois ! Les Iroquois !
Eu effet uu parti de guerre iroquois était, eu ce uioiiieut, à euvirou
une lieue en bas du portage des Sept-chutes : ils savaient que c'était
le temps où les cauots doseeiidaieut la Graude-rivière veuaut des
pays de chasse, et ils voulaient /aire coup.
Il u'y avait qu'un seul moyeu d'échapper, c'était de tenter de
sauter les rapides, choses à ptui {)rès inouïe; car, coniine le disait le
vieux Moraciie, ils )i€ sont pas drus hs canots qui sautent les Sejit-
chutes !
Mais ce n'était j)as tout cupuudant, il fallait encore que quelqu'uu
restât sur place pour opércn- une diversion, attirer Ic.^. Iroquois dans
le bois et les empêcher ainsi, une fois engagés dans le portage, de
counaître ce qui était arrivé. Pour qui sait ce que c'était que les
Iroquois dans ce temps là, il sera facile de coni]>n;ndre que, sans
pareil stratagème, Texameu des traces toutes fraîches laissées par
les familles les t;ut fait de suite partager eu deux bandes, dont l'une
eut remonté et l'autre descendu la rivière, à la poursuite des fugitifs.
Cadieux, ctjninie le plus capable et le plus entendu de tous, se
chargea de la périlleuse mais généreusr mission, prenant avec lui un
jeune Algonquin dans le courage et la fidélité duquel il avait une
parfaite confiance. Leiu" but atteint, Cailieux et son compagnon se
proposaient de prendre le chemin le plus sûr pour rejoindre leurs
gens, qui devaient envoyer à leur rencontre en cas d'un trop long
retard.
Ou leva les cabanes : une fois les préparatifs faits, Cadieux et sou
jeune compagnon armés de leurs fusils, haches et couteaux, munis
de quelques provisions, partirent pour aller au-devant des Iroquois.
Il était convenu que les cauots laisseraient le couvert de la rive et se
lanceraient dans les rajiides, dès qu'on aurait entendu le rapport
d'un ou plusieurs coups de fusils dans la direction du portage.
Une heure ne s'était pas écoulée qu'un coup de fusil retentit, suivi
bientôt d'un autre, puis de plusieurs. Peudaut cette lutte, au bruit
des détouations, les cauots, engagés dans les terriltles courants, bon-
dissaient, au milieu des bouillons et de l'écume, plongeaient et se
relevaient sur la crête des vagues qui les einjxjrtaient dans leur
course. Les habiles canotiers, femmes et hommes, aux deux bouts
202 CHANSONS POPULAIRES
de chaque canot, régularisaient leurs jnouvements, évitaient les
pointes acérées des rochers, et tenaient, avec leurs avirons, ces frêles
cassots (Vécorce dans les^^efs (Veau propices, indiqués par l'état de
la surfiice des onde* et la forme des courants.
On s'était, en partant, recommandé à la honne sainte Anne et
on j)riait de cœur tout le temps.
— Je n'ai rien vu dans les Sept-chutes, disait dans la suite la
femme de Cadieux, qui était une pieuse femme, je n'ai rien vu
qu'une Grande Dame Blanclie qui voltigeait devant les canots et
nous montrait la route !
Les canots furent sauvés et rendus en peu de jours hors de l'at-
teinte des eimemis au Lac-des-Deux-Montagnes. Mais que faisaient
Cadieux et son sauvage pendant tout ce temps, et que devinreut-ils?
Voici ce qui s'était passé, connne ou l'a su plus tard de quelques
L-oquois et des gens envoyés au devant du brave interprète.
Cadieux avait d'abord laissé les Iroquois s'engager dans le por-
tage. Après avoir choisi l'endroit le plus favorable pour les tenir
hors de la vue de la fivière, il s'était placé eu embuscade à petite
portée du sentier, bien caché dans d'épaisses broussailles : il avait
de même embusqué s<m sauvage à quelques arpents plus haut, pour
faire croire à la présence de plusieurs partis une fois l'afïiiire en
train.
Cadieux laissa passer les éclaireurs iroquois, qui furetaient de l'œil
les bords du sentier, et les premiers guerriers porteurs des canots,
jusqu'à ce que, les ennemis ayant atteint l'endroit occupé par le
jeune Algonquin, il euteudit le coup de feu de celui-ci et le cri d'un
ennemi atteiut.
Les Iroquois ainsi subitement attaqués bondirent de surprise et
tirent halte à l'instant j mais avant même que les porteurs ne se
fussent délivrés de leurs charges, un second coup de fusil, tiré par
Cadieux au milieu du convoi, abattit un second guerrier.
Il est probable que Cadieux avait donné rendez-vous à son sau-
vage dans une espèce de petite savane peu éloigné du portage;
car c'est vers cet endroit que tous deux se dirigèrent, eu faisant avec
succès le coup de feu à l'abri des taillis.
Les avantages avec lesquels les deux braves faisaient la guerre à
leurs nombreux ennemis n'empêchèrent pas, cependant, le jeune
DU CANADA 203
algonquin de tomber sous leurs coui)w : Il ne rejoignit pas Ctidieux
au lieu du reudez-vous ; mais il vendit chèrement sa vie.
Fendant truis jours les Troijuois; battirent la Forêt pour retrouver
les traces des Familles, ne s'imagiuunt pas même qu'ils eussent pu
entrej)reudre la descente des rapides ; pendant trois jours aussi, ils
traquèrent le brave voyageur dans les bois. Trois jours et trois
nuits qui Furent sans sonuueil et sans repos pour le maliieureux
Cadieux! Au bout de ce temps les euvahisseurd, désespérant de
rejoindre les Familles et de se rendre maître de leur imprenable
adversaire, convaincus du reste (pfils étaient Frustrés du Fruit de
leur expéilitioH, remirent leurs canots à l'eau pour redescendre la
Grande-rivière.
Plusieurs jours s'étaient écoulés tlepuis le départ des Familles du
Petit-rocher, ou avait eu connaissance du retour des Iroquois, et
Cadieux n'était pas encore arrivé : trois hommes partirent donc,
pour aller à la rencontre de l'interprète et de son compagnon. Ces
trois voyageurs remontèrent l'Outaouais jusqu'au Portage-du-fort
sans trouver de traces de quoi que ce Fut; là ils commencèrent à
observer L'S marques du passage des Iroquois et plus haut des signes
qu'ils reconnurent comme indiquant que leur 'ami avait séjourné
dans le voisinage.
Quand, arrivés au portage des Scpt-chutes, ils trouvèrent un petit
abri construit de branches qui paraissait avoir été abandonné : ils
résolurent de pousser un peu plus loin leurs recherches, pensant que
Cadieux et son camarade avaient peut-être été obligés de remonter
la rivière, pour prendre reFuge chez les sauvages de l'Ile.
Deux jours plus tard, c'était le treizième depuis la séparation de
Cadieux et des familles, ils revinrent sur leurs pas après avoir con-
sulté des sauvages qu'ils rencontrèrent, certains que leurs deux
amis étaient rendus au Lac-des-Deux-Montagnes ou morts.
En repassant de nouveau près du Petit-rocher, ils aperçurent de
loin, sur le bord du sentier du portage, à côté de la petite lo(/e qu'ils
avaient cru abandonnée quelques jours auparavant, une croix de
bois dont ils s'approchèrent avec un respect mêlé d'un étonuemeut
étrange.
La croix était plantée à la tête d'une fosse, à peine creusée dans
le sol, et dans cette fosse gisait le corps encore frais de Cadieux, ?i
demi enseveli dans des branches vertes. Les mains da mort étaieiii
20 1 CHANSONS POPULAIRES
jointes sur sa poitrine, sur laquelle reposait un large feuillet il'écorce
de bouleau couvert d'écriture.
Les voyageurs prirent cette écorce qui devait leur révdler io iriys-
tère de la mort de leur aini et leur eu expliquer les circonstances
extraordinaires; celui d'entre eux qui savait lire lut les écritures
confiées à ce papier des bois et les relut plusieurs fois, en face du
cadavre à peine refroidi du brave Cadieux.
De tout ce qu'ils voyaient et de ce qui était éerit sur cette écorce,
les voyageurs conclurent que le pauvre Cadieux, le cerveau épuisé
par la fatigue, les veilles, l'iuquiétude et les privations, avait fini,
comme c'est presque toujours le cas ilaus ces circonstanciés, par
errer à l'aventure jusqu'à ce qu'il fut revenu à l'endroit même d'oi!i
il était parti : qu'une fois là il avait vécu sans dessein {*), &&\ou.
l'expression du vieux IMoracbe, pendant quelques jours, se nour-
rissant de fruits et d'un peu de cbasse, sans faire de feu dans sa
petite loge lie cr.iiute des Iroquois, allaut s'affail)lissant de jour en
jour : que lors de leur passage dans ce lieu. Jeux jours auparavant,
il les avait reconnus, après examen ; mais que l'émotion de la joie
avait produit sur lui un cboc tel qu'il resta sans parole et sans mou-
vement: qu'après leur départ, enfin, ayant per<lu tout espoir, se
sentant près de mourir et retrouvant un peu de forces dans ces
moments solennels, il avait, après avoir écrit ses derniers adieux
au monde des vivants, fait les préparatifs de sa sépulture, mis sa
croix sur sa tombe, s'était placé dans sa fosse et avait amoncelé, de
son mieux sur lui, ces brancbes dont sou corps était recouvert,
pour attendre ainsi dans la prière la mort, qu'il compreuait ne pas
devoir Uirder à venir.
Cadieux était voyageur, poète et guerrier; ce qu'il avait écrit,
sur l'écorce dont il est parlé, était sou chant de-mort- Avant de se
coucber dans cette froide tombe du portage des Sept-cbutes, l'ima-
gination de celui qui avait tant vécu avec la nature s'était exaltée,
et, comme il avait coutume de composer des chansons de voyageur,
il avait écrit sur ce feuillet des bois son dernier chant, (f)
Il s'adresse d'abord, dans cette complainte de la mort, aux êtres
(*) Sans dessein est la traduction d'une expression sauvage qui veut dire :
sans plan arrêté, sans souci, sans soin, sans but particulier, sans signification
connue.
(f) On écrit sur l'écorce de bouleau, après avoir enlevé quelques feuillets
intérieurs, au moyen d'une />oî/t<e ou stylet quelconque d'os ou de métal.
DU CANADA 205
qui l'entoureut pour leur auuoucer sa fia prochaine et ses regrets de
quitter la vie ; puis il parle de ses souffrances, des inquiétudes qu'il
éprouve pour les familles qu'il réuuit ensemble, dans sa sollicitude,
sous le nom collectif d'amis. Il parle de ses terribles appréhensions
à la vue de la fumée d'un campement près de sa loge, de sou trop
grand contentement de reconnaître des visages français, de sou
impuissance à les appeler et à s'élancer vers eux, de leur départ
sans s être aperçu de sa présence, et de sa désolation.
Cadieux voit un loup et un corbeau venir flairer son corps malade;
par un retour de gaieté de chasseur et d'orgueil de guerrier des
forêts, il menace, l'un de son fusil 3t dit à l'autre d'aller se repaître
des corps des Iroquois qu'il a tués.
Il charge ensuite le ros-ignol, compagnon de ses nuits saus som-
meil, d'aller porter ses adieux à sa femme et h ses enfants qu'il a
tant aimés; enfin, comme un bon chrétien qu'il est, il se remet
entre les mains de son Créateur et se recommande à la protection
de ^larie.
Des voyageurs ont prétendu que Cadieux ne savait pas écrire, et
que le fait de ce chant écrit sur de l'écorce ne pouvait être, par
conséquent, que le résultat d'un miracle ; mais Cadieux, saus être
instruit, savait écrire comme tous les interprêtes de ce temps-là.
Toujours est-il que la chose a été vue comme elle est racontée.
Les trois Canadiens pleurèrent eu lisant sur l'écorce ce chant de
mort du brave Cadieux. Ils consolidèrent la croix de bois, rem-
plirent la fosse qui contenait les restes de cet homme fort, élevèrent
un tertre sur cette tombe solitaire et prièrent pour le repos de l'âme
de leur ami.
L'écorce sur laquelle était écrite la coynplainte de Cadieux fuj
apportée au poste du Lac: les voyageurs adaptèrent un air appro-
prié à ce chant si caractéristique de la rude vie de chasseur et de
guerrier des bois, si étonnant par les idées et si digne de remarque à
cause des circonstances de sa composition. (*)
M. Houde, ancien député, qui a longtemps voyagé sur
(*) Je connais un des descendants du héros de cette histoire, le père
André Cadieux, vieillard de 71 ans, qui réside sur les bords du lac ïïuroa.
" Cadieux, m'a-t-il dit, était le grand-père de mon grand-père f " (Note de
M. Taché.)
206
CHANSONS POPULAIRES
rOttaoua, et qui a passé, lui-même, plus de cent fois au
tombeau de Gadieux. m'a chaulé la première version de
l'air noté ci-après. La seconde version m'a été chantée
par un voyageur de Sorel.
piPi-^Hiiip^=l=P^iii-iigfîiîiii
Pe- lit ro- clier de la hau-te inou-ta- gue,
Je vieus i- - ci fi- uir cet- te cam- pa- gue !
^9 g- a» m — I — »- — à — 1*^1 — * — * '* ^" — — ^~.^^''^~~ I
Ab ! doux é- cbos, en- tendez mes sou- pirs ;
Eu lau-guis- saut je vais bien- tôt mou- rir !
AUTKE VERSIOX :
Pe- tit ro - cber de la hau-te mon- ta- gue,
Je vieus i- - ci fi- uir cet- te cam- pa- gue !
Ab! doux é- cbos, eu- tendez mes sou- pirs;
Eu languis- saut je vais bien- tôt mou- rir!
Petit roclier de la haute montagne,
Je vieus finir ici cette campagne !
Ah ! doux échos, entendez mes soupirs ;
En languissant je vais bientôt mourir I
DU CANADA 20T
Petits oiseaux, vos douces harmonies,
Quand vous cbautez, me rattach' à la vie:
Ah ! si j'avais des ailes comme vous,
Je s'rais heureux avaut qu'il fut deux jours!
Seul en ces bois, que j'ai eu de soucis!
Pensant toujours à mes si chers amis,
Je demandais : Héhis ! sont-ils noyés?
Les Iroquois les auraient-ils tués?
Un de ces jours que, m'étant éloigné,
En revenant je vis une fumée;
Je me suis dit: Ah ! grand Dieu qu'est ceci ?
Les Iroquois m'out-ils pris mon logis'?
Je me suis mis un peu à l'ambassade,
Afin de voir si c'était embuscade ;
Alors je vis trois visages français ! .
M'ont mis le cœur d'une trop grande joie !
Mes genoux jilieiit, ma faible voix s'arrête,
Je tombe Hélas ! à partir ils s'apprêtent :
Je reste seul Pas un qui me console,
Quand la mort vient par un si grand désole I
Un loup hurlant vint près de ma cabane
Voir si mon feu n'avait plus de boucane j
Je lui ai dit : Retire-toi d'ici ;
Car, par ma foi, je perc'rai ton habit!
Un noir corbeau, volant à l'aventure,
Vient se percher tout près de ma toiture :
Je lui ai dit : Mangeur de chair humaine.
Va-t'en chercher autre viande que mienne.
308 CHANSONS POPULAIRES
Va-t'en là-bas, <laiis ces Vxiis et marais,
Tu truiiveras pliisiems c()r[)s iroquoisj
Tu trouveras des chairs, aussi des os ;
Va-t'eu plus loiu, laisse -moi eu repos !
Rossignolet va dire à ma maîtresse (*)
A mes enfauts qu'un a li; u jeleur laisse;
Que j'ai gardé luou amour et ma foi,
Et désormais faut reuoucer à moi !
C'est donc ici que le moud' m'abandonne!....
Mais j'ai secours eu vous Sauveur des hommes !
Très-Sainte Vierge, ah! m'abandounez pas,
Permettez-moi d'mourir entre vos bras !
(*) Ce mot, dans nos honnêtes chansons, veut toujours dire épouse ou
Suacée. (Note de M. Taché.)
DU CANADA 20S
C'ETAIT UNE FRÉGATE
M. Joseph Lavigne, de Sorel, m'a chanté cette jolie
chanson, qui n'est qu'une variante emloellie d'Isabeau s'y
promène^ quant aux paroles.
--jfz
C'é- tait u- - ne fré- ga- te. Mou jo- li
l:i:^— linrrs , ;^:r|^rjmr=:rr-zzt^z;^r~^T;izrr6z:|i:r:::ir:rz!iiir;^
cœur de ro- se, Dans la mer a tou- clié, Jo- li cœur
> ~
id=4
|=d=§= |zE?=i=Ei=?2=^='=ï=?*Ei=:"2=^
d'un ro- sier. Jo- - li cœur d'un ro-
— •: — J=zri=Jt*=^ \^=Sz=z-â^= 5«:^î^?-«=rn
Jo- - li cœur d'un ro- sier
C'était uue frégate.
Mon joli cœar de rose,
Dans la mer a touché,
Joli cœur d'un rosier, (ter.)
Yavait un' demoiselle.
Mon joli cœur de rose,
Su' l'bord d'ia mer pleuré (rait),
Joli cœur d'an rosier, (ter.)
aie CHANSONS POPULAIRES
— Dites-moi donc, la belle,
Mou joli cœur de rose,
Qu'il' vous à tant pleurer ?
Joli coeur d'un rosier, (ter.)
— Je pleur' mon anneau d'ore,
Mon joli cœur de rose,
Dans la mer est tombé.
Joli cœur d'un rosier, (ter.)
— Que douneriez-vous, belle,
Mou joli cœur de rose,
Qu'irait vous le chercher ?
Joli cœur d'au rosier, (.ter.)
— Je suis trop pauvre flUe,
Mou joli cœur de rose,
Je ne puis rien douuer,
Joli cœur d'un rosier, (ter.)
Qu'mon cœur en mariage,
Mon joli cœur de rose,
Pour mon anneau doré,
Joli cœur d'un rosier, {ter.)
Le galant se dépouille,
Mou joli cœur de rose :
Dans la mer s'est jeté.
Joli cœur d'un rosier, (ter.)
De la première plonge.
Mon joli cœur de rose,
L'anneau d'or a touché.
Joli cœur d'un rosier, (ter.)
DU CANADA 211
De la seconde plonge,
Mon joli cœur de rose,
L'anneau d'or a sonué,
Joli cœur d'un rosier, {ter.)
De la troisième plonge,
Mon joli cœur de rose,
Le galant s'est noyé....
Joli cœur d'un rosier, (ter.)
Il allait à la d'rive,
Mon joli cœur de rose,
Comme un poisson doré.
Joli cœur d'un rosier, (ter.)
Son pèr', sur la fenêtre.
Mon joli cœur de rose.
Le regardait d'river,
Joli cœur d'un rosier, (ter.)
— Faut-il, pour une fille.
Mon joli cœur de rose,
Que mou fils soit uoyé !....
Joli cœur d'un rosier, (ter.)
212
CHANSONS POPULAIRES
JE ME SUIS MIS AU RANG D'AIMER
Entendez-vous les doléances de cet amoureuux qui se
plaint des cruautés de sa belle, lui qui ne T avait pas mérité?
Attendez un peu, ... .le voilà déjà consolé :
Partons, allons, cliers camarades;
Partons, allons vider bouteille 1
Allons y boir' de ce bon vin
Qui met l'amour en tête .
Qui ne reconnaît ici un caractère qui appartient à tous
les temps, à tous les pays et à toutes les conditions ?
Est-ce bien "le roi Léon" ou " Napoléon " qu'il faut
dire, dans le dernier de ces couplets ? C'est là une grave
question que je laisse aux savants de décider.
Je me suis mis au raug d'ai- mer
Qu'un' seul' fois dans ma vi- e; Mais à pré-
sent je re-cou- nais
D'avoir fait u- ne fo-
li- e D'à- voir ai- - mé si ten- dre- ment ;
DU CANADA 213
Mais à pré- seat je m'en re- pens
Je me suis mis au rang d'aimer
Qu'au' seul' fois dans ma vie ;
Mais à présent je reconnais
D'avoir fait une folie
D'av^oir îiiiiié si tendrement;
Mais à présent je m'en repens.
Rossignolet du bois joli,
Emport'-moi-t-uue lettre.
Emi)ort'-moi-la, oh ! je t'en prie,
A mou aimable maîtresse !
Em;)ort'-moi-la, oui, sans mentir,
A l'arrivé' du bois joli.
Si la bell' s'informe de moi,
De moi fais lui réponse :
Tu lui diras qu'j'suis-t-embarqué
Pour niviguer sur l'onde:
EU' m'a tant fait de cruautés.
Moi qui ji'l'avais pas mérité.
Partons, allons, cliers camarades;
Partons, allons vider bouteille !
Allons j boir' de ce bon vin.
Qui met l'amour en tête.
A la santé du roi Léon !
L'anné' qui vient nous reviendrons !
214
CHANSONS POPULAIRES
EN FILANT MA QUENOUILLE
On chante aussi ces couplets sur les airs et avec les
refrains de fai vu le loup^ le r'nanl passer, de fai trop graniT
peur des loups et de M'en revenant de Saint-André. En
France comme ici, on chante ces couplets avec différents
refrains, suivant les localités. Une version avec le refrain :
Ah ! voyez quelles hardcs que fai! s'y chante sur l'air de
Fa, va., va, p'tit bonnet tout rond que nous chantons en
Canada.
mmm
*r=ir
-^m^^
Mon père aus- si m'a
t-~-i-zzwzzi^ft=zm^:^a
Gai Ion la, je m'en vais rou-ler ; Un in- ci- vil il
m'a don- né. Je me rou- le, je me rou- le;
'>^^ ^ — r— --
:llï=^E
^^^
Gai Ion la, je m'en vais rou-ler En fi-lant ma que-
nouil-le.
DU CANADA 21*
Mon père aussi m'a mariée,
Gai Ion la, je m'en vais rouler ;
Ua incivil il m'a donné.
Je me roule, je me roule;
Gai Ion la, je m'en vais rouler
En ûlant ma quenouille.
Un incivil il m'a donné.
Gai Ion la, j'd -l'^u viis rouler,
Qui n'a ni jiaille, ni vlenier.
Je me roule, etc.
Qui n'a ni maille, ni denier.
Gai Ion la, je m'en vais roii'er.
Qu'un vieux bâton de vert pommier.
Je me roule, etc.
Qu'un vieux bâton de vert pommier,
Gai Ion la, je m'en vais rouler,
Avec (luoi m'ca bat les côtés.
Je me roule, etc.
Avec quoi m'en bat les côtés,
Gai Ion la, je m'en vais rouler.
— Si vous ra'battezje m'en irai!
Je me roule, etc.
Si vous m'battez je m'en irai,
Gai Ion la, je m'en vais rouler j
Je m'en irai au bois jouer.
Je me roule, etc.
216 CHANSONS POPULAIRES
Je lu'eu irai au bois jouer,
Gai Ion la, je m'eu vais rouler,
Le jeu de carte', aussi de dés.
Je me roule, je me roule ;
Gai Ion la, je m'en vais rouler
En filant ma quenouille.
DU CANADA
217
AH! JE M'EN VAIS ENTRER EN DANSE
La ronde que l'on va lire est supposée être chantée par
une jeune fille. Mais si le centre de la chaîne est occupé
par un garçon, on fait quelques changements dans les
paroles ; ainsi, au lieu de : Ce beau monsieur, on dit : Cetf
demoiselle^ etc. On change aussi, dans ce cas, deux vers
du troisième couplet : au lieu de :
En vous fiiisant. la révérence :
— Ça vous plairait-il de m'aimer ?. . . .
on dit :
— Présentez-moi votre main blanche,
Avecque moi venez danser.
^2—
— ff—
— I ^ . 0 — ZZ3
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Ah ! je m'en vais en- trer en dan- se : C'est pour
—^ ai «: 1 j„-
uu a- mant clier- cher.
-—^^ — a — ^ — I» — I — **' — »■
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Je me re- touru', je me re-
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vir'jj'en n'ai pas trou- vé de mon gré. Ali ! je ne puis, gai,
} *- — ^
,s^ —
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gai, Ab ! je ne puis m'en al- - 1er
Ali ! je m'en vais entrer en danse :
C'est pour un amant chercher.
Je me retourn', je me revire ;
J'en n'ai pas trouvé de mon gré.
Ah! je ne puis, gai, gai,
Ah ! je ne puis m'en aller.
218 CHANSONS POPULAIRES
Je me retourn', je me revire;
J'en n'ai pas trouvé de mon gré.
Ah! j'en vois iiu de bonne mine:
Je vais aller le demander.
Ali ! je ne puis, etc.
Ah ! j'en vois un de bonne mine :
Je vais aller le demander.
— En vous faisant la révérence:
Ça vous plaîrait-il de in'aimer?
Ah ! je ne puis, etc.
En vous faisant la révérence:
Ça vous plairait-il de m'aimer?
Ah ! je vois bien par votre mine
Que c'est bien moi que vous aimez.
Ah ! je ne puis, gai, gai.
Ah! je ne puis m'en aller.
Ou bien, si la danseuse n'est pas agréée :
— En vous faisant la révérence :
Ça vous plairait-il de m'aimer ?
Ah! regardez ce beau monsieur:
II n'a pas daigné me saluer !
Ah ! je ne puis, etc.
Ah! regardez ce beau monsieur :
Il n'a pas daigné me saluer !
Je le vois bien à votre mine :
Ce n'est pas moi que vous aimez.
Ah ! je ne puis, etc.
Je le vois bien à votre mine :
Ce n'est pas moi que vous aimez.
Ah ! retournez à votre place :
Un autre amant je vais chercher.
Ah ! je ne puis, gai, gai,
Ah ! je ne puis m'en aller.
DU CANADA
219
C'EST LA PLUS BELLE DE CEANS
L'expression : de céans est vraiment trop recherchée
pour ne pas être plus ou moins travestie par les chanteurs
populaires. En général, ou dit:
C'est la plus belle de Sion,
C'est par la maia nous la tenons. ...
C'est la plus bel- le de ce- ans, C'est la plus
bel- le de ce- |_aus, C'est par la maia je vous
fc!i=i=:
SË^g£5ËJ5ÊJÊ=g^Ê^i3gi;gi3s
preuJsjC'est par la inaiu je vous la prends. EU' va
fck:
::Sz=m~
=5 -:=:^-S--l^z-E^:z^=^~m-=.
EE „zzl --- — g— -E — »« — F — *——^-
pas- ser par der- riè- re, Rara'nez vos mou-tons, ber-
-3- — s— à — ^ — — 2_zrrp=" 4.— ^vT^:
]~-s--
-.m-
gè- re ; Ea-me-uez, ram'nez, ra-me-nez, bel- le, Ra-me-nez
zzzM
-rq"!
vos mou-tons des champs.
AUTRE VERSION :
u}—a ~ — ih * >— I _ _ m
^ 1^ f0-
-m--r-
C'est la plus bel- le de ce- ans, C'est la plus
220
CHANSONS POPULAIRlilS
bel- le de ce- - ans, Par la maiu je vous la
preuds, Par la maiu je vous la prends.
i:!>i
=?•:
Ililîlllilill
EU' va pas- ser par der- rièr'- re, Ra- me- nez
vos mou-tous ber- gè-i-e; Ra-menez, ra-me-uez, ra-me-nez,
— I — i*-
:sz=3=
bel- le, Ra-me-nez vos moutous des champs.
C'est la plus belle de céans, (bis)
C'est par la maiu je vous la preuds. (bis)
Eli' va passer par derrière,
Ram'nez vos montons, bergère ;
Ramenez, ram'nez, ramenez, belle,
Ramenez vos moutous des champa.
DU CANADA 221
C'EST LE BON VIN QUI DANSE
Toutes ces rondes nous viennent de France. Celle-ci
où il est question de vin et de raisin, laisse deviner faci-
lement son origine étrangère. Il n'en serait pas ainsi s'il
n'y était question que de vin seulement. Nos paysans ne
font pas usage de vin, il est vrai, mais comme, dans les
chansons qui nous viennent de France, ce mol vin revient
très-souvent, ils l'emploient, à leur tour, dans les chansons
qu'ils composent eux-môme ; ainsi, il y a dans Le pHit
bois cVVail :
Du vin dans ma bouteille
J'en ai ben quand je veux....
mais ils n'emploient ce mot que comme terme générique
et plus poétique pour indiquer toute espèce de liqueur
forte.
«
La mélodie de cette ronde est très-bien. Ces deux parties
alternantes, dont l'une grave et l'autre élevée, rappellent
la formule psalmodiqne du '' huitième ton", bien connue
de tous nos chantres d'égUse, et indiquée GG dans les ves-
péraux en usage dans la province.
ÈËi^i=llt=iilli^il=^^^
Ce n'est point du rai- - sin pour- ri,
222
CHANSONS POPULAIRES
C'est le l»ou viu qui dau- - se! C'est le bon
viu qui danse i- - ci, C'est le bon vin qui
dan- - se.
Ce n'est point du raisin pourii,
C'est le bou viu qui dause !
C'est le bou viu qui dau se ici,
C'est le bou viu qui dause.
Pass' par ici-t-et moi par là,
Ce n'est poiut de mes amourettes!
Ce n'est poiut de mes amourett' ici,
Ce n'est point de mes amourettes.
DU CANADA 223
J'ENTENDS LE MOULIN TIQUE, TIQUE, TAQUE
Celui qui occupe le milieu du rond a un bandeau sur
les 3^eux. Les danseurs qui forment la chaîne tournent
autour de lui en chantant, jusqu'à ce qu'il lui plaise de
frapper le plancher d'un bâton qu'il tient à la main.
Chacun s'arrête alors, et il lève aussitôt son bâton, de
l'extrémité duquel il touche le danseur ou la danseuse
vis-à-vis de qui il se trouve. S'il peut nommer la personne
qu'il a ainsi touchée, celle-ci le délivre de son bandeau et
vient prendre sa place; sinon, la chaîne recommence à
tourner et il lui faut, de son côté, recommencer l'épreuve.
Il est aussi une autre manière d'exécuter cette ronde.
On dispose autour de la chambre un nombre de sièges
égal à celui des danseurs, moins un ; celui qui tient le
milieu du rond n'a pas alors de bandeau ; lorsqu'il frappe
le plancher de son bâton, chacun court vite s'asseoir, et
celui qui n'a pas été assez vif pour se pourvoir d'un sié^-e
paie un gage.
S3Z_?r — ?-— ^ — P "^ — S — 0 — S m -=::3-*z:z
J'eu-teuds le mou- lin, ti- que, ti- que, ta- que,
FIN.
gi— F=-— ? l-S U ^-g— ^— >tzr?~
J'enteud le mou-lki ta- que. Ti-que, ti-que, ta-que,
224
CHANSONS POPULAIRES
» — H
Ti-que, ti-que, ta-que, Ti-que, ti-que, ta-que, ta- que-té. D.C*
On adapte aussi à cette mélodie les paroles de Mbn père
a fait bâlir maison :
n 9 m g m — I
J'eu-teuds le inou- liu, ti-que, ti-que, ta-que,
FIN.
J'euteuds le mou -liu, ta- que- té. Mou père a fait bâ-
H>
-h'>-^:j — —
i-z:S-~
:--i--m ----!---:-.
--■=:T-=z
tir mai- sou, J'eu- tends le mou- liu
ta- que,
L'a fait bà- tir à trois piguous, Ti-que, ta-que, ti-que,
iSËÊiiii D.a.
ta- que.
DU CANADA 225
SUR LE PONT DE NANTES
Je demandais à une vieille femme de la campagne, qui
me chantait cette ronde : Est-ce bien " saluez qui vous
plaira " ou " embrassez qui vous plaira " que vous dites
dans vos réunions ?
" Faut croire, me répondit-elle, qu'on disait embrassez
dans l'ancien temps, puisqu'on chante quelquefois comme
cela ; mais, lorsqu'on chante pour danser, on dit toujours
saluez. J'suis pourtant plus Jeune, et cependant je n'ai
jamais vu faire autrement que le salut dans les danses
rondes."
A la ville, où ces rondes étaient dansées autrefois, on
était souvent moins scrupuleux ; mais alors on était mal
noté, et on s'exposait à faire jaser sur son compte.
lie plus souvent, ces rondes ne sont dansées que par les
petits enfants, ou ne sont que simplement chantées. Qui
de nous n'a pas été bercé au chant de fai tant rrenfants a
marier^ — Ah! qui marierons-nous 1 — Cest le bon vin qui
danse, — C'est la plus belle de céans, etc .... ?
M. Charles Nisard a dit, en parlant des rondes en gé-
néral : Il ne faut pas en dire trop de mal ; elles nous ont
endormis au berceau ; elles ont amusé notre adolescence.
Chantées sous les yeux d'un père ou d'une mère en l'hon"
neur de quelque joyeux anniversaire, elles se rattachent
aux souvenirs de famille les plus doux et à la fois les plus
226 CHANSONS POPULAIRES
respectables. Arrivés à l'âge mûr, nous ne pouvons plus
les entendre ni mAmo les lire sans émotions." (Hist. des
livres populaires ou de la littérature du colportage,
p. 300, t. 2d.)
Sur le .pout de Nan- - tes Ma- ri- on,
Ma- ri- on dan- - se De sur le pont qu'i' ya là-
*==iïiiiiPiiiiiïiîiriiiiÉiii^i
bas, Ma- ri- on, Ma- ri- ou dau- se- ra.
Sur le pout de Nantes
Marioii, Mariou danse .
De sur le pont qu'i' ja là-bas
Marion, Mariou dausera.
Bergère, entrez eu danse !
Marion, Marion danse
Et saluez qui vous plaira,
Marion, Marion dansera.
DU CANADA 227
BONHOMME, BONHOMME, QUE SAIS-TU DONC FAIRE ?
Cette ronde est très-bruyante. Lorsque le chanteur dit :
Sais-tu bien jouer
Du geuoux i)iir terre?
Chacun doit frapper le plancher du genoux jusqu'à ce
qu'onreprenne :
Ali! ail! ah!
Du geuoux par terre !
Puis, après le genoux, vient le coude par terre^ l'épaule
par terrc^ le front par terre, etc.
Quelquefois on se contente d'exécuter une pantomine
un peu plus facile, comme d'imiter le joueur de flûte,
(sais-tu bien jouer delà mistanflûte ?) le joueur de tam-
bour, etc.
Une variante de cette ronde se chante dans le Cam-
brésis, en France. L'air ressemble au nôtre, mais il s'arrête
avec la douzième mesure. Notre version est plus complète
et assurément plus jolie.
Boii-liomme, boo- liom-me, que sais-tu donc
-b» -
fai- re? Sais-tu bieu jou- er Du genoux par
228
CHANSONS POPULAIRES
ict^-^ z::>— --| N — ^^c:
=il=i)=S=
iyii31pl=g=i^^îl
ter- re! Ter-re, ter-re, ter- re, Du ge-noux par
tlî=i
=^^^^
i^=ff:
ter- re, Ah ! ah ! ah !
ter- re !
— P ^ i^ =! -J
Du ge-noux par
Bouhomme, boiil)onime,
Que sais-tu doue faire?
Sais-tu bien jouer
Du genoux par terre ?
Terre, terre, terre,
Du genoux par terre,
Ah ! ail ! ah !
Du genoux par terre !
DU CANADA 229
QUI VEUT MANGER DU LIEVRE
Je ne connais rien pour guérir de la dyspepsie ou du
spleen anglais comme de courir le lièvre. Ou fait asseoir
deux personnes sur deux chaises placées l'uue vis-à-vis de
l'autre et séparées par une distance de quelques pieds'
Debout, les mains sur les dossiers des chaises, se tiennent
deux jeunes gens, représentant un chasseur et un lièvre,
qui n'attendent que le signal convenu pour courir l'un
après l'autre. Quelqu'un de la compagnie se met alors à
chanter :
Qui veut manger du lièvre
N'a qu'à coui'ir adirés
Celui qui fait le chasseur bondit à la première note et se
met à la poursuite du lièvre, qui se sauve de son mieux en
tournant auLour des deux chaises. Il est permis de changer
brusquement le sens de la course, de tourner subitement
à droite après avoir couru à gauche, mais ni l'un ni l'autre
des coureurs n'a droit de passer entre les deux chaises.
Lorsque le chanteur dit: Accorde^ accorde! cela équi-
vaut à un armistice : les coureurs doivent s'arrêter aussi-
tôt et s'appuyer les mains sur les dossiers des chaises, —
chacun la sienne, — jusqu'à ce que le couplet qui com-
mence par ces mots soit terminé et qu'on en ait com-
mencé un autre. Or, comme ces couplets se chantent sans
ordre régulier, on comprend que le chanteur a ici les pré-
230 CHANSONS POPULAIRES
rogcilives d'un président d'assemblée législative, et qu'il
peut souvent favoriser la partie pour laquelle il a le plus
de sympathie; ainsi, il peut fort bien, lorsqu'il voit le
chasseur sur le point d'atteindre sa proie, chanter aussitôt :
Accorde, accorde! pour favoriser celle-ci.
Un des refrains de cette ronde a évidemment quelque
lien de parenté avec ce refrain de La petite Zingère, que
l'on chante en France, dans le Poitou et l'Angouniois :
A-t-oii jamais vu
Coudre, aussi lu'uu coudre ?
A-t-ou jamais vu
Coudre si meuu ?
Qui veut mau- ger du lièvr' N'a qu'à cou-
rir a- près. Coure a- près ton lièvr', Là- bas, daus
Refrain.
ces tb- rets. La belle, en vous ai- mant, Per-drai-
je mes pei-ues? Moi qui vous ai- me tant, Per-drai-
'^lilliliilili -
je mou temps?
AUTRE REFKAIN :
C'est mou a- - nù que je veux, Cou- rous
DQ CANADA 231
tous en- sem-blej C'est mou a- - mi que je veux,
Cou-rous tous les deux.
AUTRE KliFUAIN :
A-t-ou jamais vu Cou-rir, taut cou- ri- re ?
A-t-ou j a-mais vu Cou- rir si me- - uu ?
Qui veut manger du lièvre
N'a qu'à courir après.
Coure après ton lièvre,
Là-bas, dans ces forêts.
La belle, en vous aimant,
Perdrai -je mes peines f
Moi qui vous aime tant,
Perdrai-je mon temps?
Attrappe, attrappe, attràppel
Attrappe si tu peux!
Si tu u'attrappes pas
Ton lièvr' gagn'ra le bois.
La belle, en vous aimant, etc.
Accorde, accorde, accorde !
Accorde sur le champ!
Si tu n'accordes pas
Ton lièvr' gagn'ra le bois.
La belle, en vous aimant,
Perdrai-je mes peines ?
Moi qui vous aime tant,
Perdrai-je mon temps?
232 CHANSONS POPULAIRES
Atrnuo refrain:
C'est mot! ami que je veux,
Courons tous ensemble;
C'est mou ami que je veux,
Courons tous les deux.
AUTRE RF.FRAIN:
A-t-ou jamais vu
Courir, taut courire?
A-t-ou jamais vu
Courir si mena 9
DU CANADA 233
JAMAIS JE NOURRIRAI DE GEAI
J'ai fait dernièrement un séjour à la campagne que j'ai
bien allongé de près d'une semaine, uniquement pour
faire chanter les anciens voyageurs^ les jeunes filles et les
vieilles femmes. " Ah ! me disait une de ces femmes, si
vous pouviez rester ici encore quelques jours: j'ai une de
mes brus qui demeure à Saint-B * * * et qui doit venir
nous voir dimanche qui vient Ça, c'est une belle
chanteuse ! "
J'attendis la belle chanteuse : une grosse jofQue qui
louchait d'un œil; — fort bonne femme d'ailleurs, et qui,
d'une voix nasillarde et sur un ton excessivement élevé,
me chanta des romances de la ville, dont je n'ai que faire,
en prononçant les e muets en a, et les r à l'anglaise.
Un autre me dit : " Tenez, si vous voulez avoir de jolies
chansons, allez voir P'tit-José-Baptiste : c'est lui qui en
sait ! "
Ce n'était pas la première fois que j'entendais parler de
P'tit-José-Baptiste comme d'un chanteur émérite; je
résolus de me rendre chez lui, quoiqu'il demeurât à une
bonne distance. J'étais sûr d'une ample moisson: je
bourrai mon carton d'un papier sillonné de portées, tout
prêt à recevoir et à conserver pour les siècles futurs le ré-
pertoire si varié et si vanté du célèbre chanteur. J'arrive
.0 Renommée ! c'est bien là un de tes coups ! Mon
homme ne savait rien, absolument rien que quelques
234 CHANSONS POPULAIRES
fragments tronqués, informes, de cantiques et de psaumes-
quelques refrains écornés de chansons. Il me reçut très'
poliment et s'excusa de ne pouvoir me rendre service-
" Mais, ajouta-t-il, si vous voulez entendre de belles chan-
sons,—des vraies belles, — vous n'avez qu'à aller chez mon
oncle Pierrot-Paul-Antoine, à trois lieues d'ici : il peut
vous en chanter pendant huit jours ! "
Mais s'il y a quelqu'ennui à recueillir les poésies et les
chants du peuple, il y a aussi des jouissances véritables
pour faire compensation. Et parmi ces jouissances, il en
est peru que je goûte autant que celle d'entendre prononcer
le nom d'une ville, d'une place forte, d'un port de mer du
beau pays de France par ces bons paysans canadiens, qui
chantent encore, souvent sans y penser, le doux pays où
leurs pères vécurent, travaillèrent et aimèrent, fidèles à
Dieu, à leur roi et à leur patrie.
Le Canada ne manque pas d'attraits pour le visiteur
étranger ; mais je ne crois pas que rien ne soit plus propre
à impressionner délicieusement le voyageur français'
qu'une de ces joyeuses scènes de la vie de nos campa-
gnes, une cpluchclte de bled-d'Iiule^ par exemple, où il en-
tendrait chanter : Sur le pont d'iu/^uo?i,— Dans les pri-
sons de Nantes^ — M'en revenant de la jolie Rochelle^ — C'est
dans la ville de Rouen^ — A Saint-Malo^ beau port de mer.,.;
ou bien encore ce couplet de la chanson qui va suivre :
Je m'en irai dedans Paris
Pour fonder une école ;
Toutes les dames de Paris
Viendront à mou école.... etc.
DU CANADA
235
J'ai bieu uourri le geai sept ans Dedans ma ca-
l^^=r
*-=-— ir =5=='?==*— f =5— =^=
=?E=i=sE
de :
Au bont de la sep- tiènie an- né'
j!r=5=r
r«==:5z:^S^
*=?=S=3
Mon geai a pris son vol, oli ! gai. Ja- mais je nour- ri-
rai des geai, De gejii ja-mais je nour- ri- rai.
J'ai bien nourri le goai sept; ans
Dedans ma câiio rondo ;
Au bout de la septième année
Mon geai :i j)ris son vol, oh ! gai.
Jamais je nourrirai do geai,
De geai jamais je nourrirai.
Au bout de la septième année
Mon geai a pris son vole.
— Reviens mon geai, mon joli geai,
Dedans ma cage ronde, oh ! gai.
Jamais je nourrirai, etc.
Reviens mon geai, mon joli geai,
Dedans ma cage ronde ;
Mon petit geai me fit réponse:
— Je veux faire le drôle, oh ! gai,
Jamais je nourrirai, etc.
Mon petit geai me fit réponse :
— Je veux faire le drôle.
Je m'en irai dedans Paris
Pour fonder iine école, oh ! gai.
Jamair je nourrirai, etc.
238 CHANSONS POPULAIRES
Je m'en irai dedans Paris
Pour fonder une école.
Toutes les dames de Paris
Viendront à mon école, oh ! gai
Jamais je nourrirai, etc.
Toutes les dames de Paris
Viendront à mon école.
Je clioisirai la plus jolie,
Je renverrai les auti's, oli ! gai.
Jamais je nourrirai de geai,
De geai jamais je uourriraL
DU CANADA
237
JAMAIS JE NOURRIRAI DE GEAI
(Autre air)
L'air qui précède a été recueilli dans le district des
Trois-Rivières ; celui-ci m'a été chanté par un ancien ha
bitant de l'Ile d'Orléans. L'inversion toute gracieuse du
refrain :
Jamais je nourrirai de geai,
De geai jamais je uourrirai.
pourrait prouver, au besoin, que cette forme de langage,
dont les poètes ont tant usé et abusé, n'est pas une de ces
beautés de convention auxquelles chacun de nous paie
tous les jours, sans s'en douter, un tribut d'admiration
factice. L'inversion seule peut, bien réellement, donner
mie couleur poétique à une phrase qui, sans elle, en serait
dénuée. Mais les poètes, à mon avis, usent un peu large-
ment de la recette ; aujourd'hui, la lecture d'une pièce de
vers est souvent un véritable travail de construction.
"EB
1^ IS~\ 1 — -^
S- ' ' "^ ' ""'
J'ai bien uour- ri le geai sept ans De- dans ma
•I— 1*>-
ca- ga ron- - de; Au bout de la sep-tième an- né' Mon
geai a pris son vol, oh ! gai. Jamais je uour-ri-
p=
:ffrrs:
TMz-m^z^:
rai de geai, De geai ja- - mais je nour-ri- rai.
238 CHANSONS POPULAIRES
LA GUIGNOLEE
Ce chant de la GuignoUe^ si remarquable à cause de
l'antiquité de son origine, a eu le privilège d'occuper l'at-
tention de plusieurs de nos meilleurs écrivains canadiens.
L'honorable monsieur P. J. 0. Ghauveau y a consacré
quelques lignes dans une des charmantes " petites revues"
de son Journal de Vlnslritction Publique^ et monsieur J. C.
Taché, dans les Soirées Canadiennes^ en a fait l'objet d'une
notice intéressante que je reproduis ici :
" Ce mot La Ignolée, dit ^î. Taché, désigne à la fois une
coutume et une chanson : apportées de France par nos
ancêtres, elles sont aujourd'hui presqu'entièrement tom»
bées dans l'oubli.
" Cette coutume consistait à faire par les maisons, la
veille du jour de Tan, une quête pour les pauvres (dans
quelques endroits on recueillait de la cire pour les cierges
des autels) en chantant un refrain qui variait selon les
localités, refrain dans lequel entrait le mot La Ignolée^
Guillonée^ la Guillona, Aguilanleu,., suivant les dialectes des
diverses provinces de France où cette coutume s'était con-
servée des anciennes moeurs gauloises.
" M. Ampère, rapporteur du Comité de la langue, de
Vhistoire et des arts de la France, etc., a dit au sujet de cette
DU CANADA 239
chanson : " Un refrain, peut-être la seule trace de sou-
" venirs qui remontent à l'époque druidique."
" Il ne peut y avoir de doute sur le fait que cette cou-
tume et ce refrain aient pour origine première la cueil-
lette du gui, sur les chênes des forêts sacrées, et le cri de
réjouissance que poussaient les prêtres de la Gaule drui-
dique : Au gui l'an ncuf^ quand la plante bénie tombait
sous la faucille d'or des Druides.
" Dans nos campagnes, c'était toujours une quête pour
les pauvres qu'on faisait, dans laquelle la pièce de choix
était un morceau de l'échiné du porc, avec la queue y
tenant, qu'on appelait Véchicjnée ou la chignce. Les enfants
criaient à l'avance en précédant le cortège : la Ignolêe qui
vient! 0\\ préparait alors sur une table une collation
pour ceux qui voulaient en profiter et les dons pour les
pauvres.
" Les Ignoleux, arrivés à une maison, battaient devant
la porte, avec de longs bâtons, la mesure enchantant:
jamais ils ne pénétraient dans le logis avant que le maître
et la maîtresse de la maison, ou leurs représentants, ne
vinssent en grande cérémonie leur ouvrir la porte et les
inviter à entrer. On prenait quoique chose, on recevait
les dons dans une poche qu'on allait vider ensuite dans
une voiture qui suivait la troupe; puis on s'acheminait
vers une autre maison, escorté de tous les enfants et de
tous les chiens du voisinage, tant la joie était grande
et générale!
" Voici la chanson de La Ignolée, telle qu'on la chantait
240 CHANSONS POPL'LAIRKS
encore on Canada, il y a (]n(3l'ines années, dans les parois-
ses (hi Bas du Fleuve :
" lîoii.joar le inaître et la maîtresse
Er iims les gens de la inaisou.
Nous avons t'ait une [troinesse
De v'nir vous voir une fois l'an.
Un' fois Tan (!e n'est pas grand' cliose
Qu'nn petit morceau de chignée.
''Un petit morceau de chignée,
Si vous voulez.
Si vous voulez rien nous donner,
Ditys-nous lé.
Nous prendrons la filie aînée,
Nous y ferons chantier les pieds !
La Ignolée ! La Ignoloche !
Pour mettre du lard dans ma poche !
" Nous ne demandons pas grand' chose
Pour l'arrivée.
Vingt-cinq ou treut' pieds de chignée
Si vous voulez.
" Nous sommes cinq ou six bons drôles,
Et si noti'e chant n'vous plaît pas
Nous ferons du feu dans les bois,
Etant à l'ombre ;
On entendra chanter l'coucou
Et la coulombe ! "
*' Le christianisme avait accepté la coutume druidique
la sanctifiant par la charité, comme il avait laissé sub-
DU CANADA 241
sister les menhirs en les couronnant d'une croix. Il est
probable que ces vers étranges :
Nous prcti lirons la fille aiiiée,
Nous y ferons chauffer les pieds!
sont un reste d'allusions aux sacrifices humains de l'an-
cien cuite gaulois. Cela rappelle le chant de Velléda, dans
les Martyrs de Chateaubriand : — " Teutatès veut du sang...
au premier jour du siècle ... .il a parlé dans le chêne des
Druides!" [Soirées Canadiennes^ — année 1863.)
L'air sur lequel se chantent ces fragments consiste en
quelques phrases musicales sur lesquelles la poésie s'ajuste
tant bien que mal, tantôt sur l'une, tantôt sur l'autre de
ces phrases, sans ordre régulier.
Celte coutume traditionnelle de courir la Ignolée, si bien
décrite par M. Taché, finit par perdre beaucoup de son
caractère. Il y a une vingtaine d'années, le maire de Mont-
réal donnait à des jeunes gens, la veille du jour de l'an,
des permis de courir la Ignolée, sans lesquels on s'exposait
à avoir affaire à la police. Cette mesure de précaution
n'empêchait cependant pas toujours les désordres : lorsque,
par exemple, deux Guignolées se rencontraient, pour peu
qu'on se fût grisé en chemin, il y avait bataille, et les
vainqueurs grossissaient leurs trésors du butin des vaincus.
M. Adélard Boucher, m'écrivait de JMontréal, l'an der-
nier :
"....,.. .Je suis loin d'oublier la Ignolée, qui se pro-
nonce ici, universellement, Giagnolée. Malheureusement,
toutes mes démarches, jusqu'à présent, n'ont abouti à
rien d'utile. Tout le monde sait les premiers vers, rien
242 CHANSONS POPULAIRES
de plus. L'usage s'en passe à Montréal comme à Québec.
Jadis ce chant était suivi de quêtes eu faveur des pauvres
de la localité sérénndce. Aujoiinriiui les artistes chanteurs
se constituent eux-mêmes les pauvres, et transforment en
copieuses libations les aumônes qu'il réussissent encore à
prélever de leurs dupes. Ce secret dévoilé a refroidi,
comme vous pouvez bien le penser, les sympathies des
cœurs charitables, ut, aujourdluii, artistes et pauvres ex-
ploitent avec un mince succès " La Gaigaolée." En
attendant le texte fidèle de ce chant remarquable, en voici,
de mémoire, à peu près la substance : "
Solo.
8 va.
ffff Tutti Vociferando.
Solo.
-m—s> — I — •— » — <»~i»~;
D.C.
En France, dans le Vendômois, " tous les enfants cou-
rent les rues, le premier jour de l'an, et disent à ceux
qu'ils rencontrent: " Donnez-moi ma gui-Van-neiC Dans
le Maine, le peuple court aussi les rues, la nuit qui pré-
cède le premier jour de l'an, chante des chansons aux
portes des particuliers, et les termine par demander
DU CANADA 24S
quelque choses pour la gui-V an-neu^ (C. Leber, Collection
de pièces relatives à l'histoire de France^ p. 37, t. III.)
On aimera sans doute à connaître une Guignolée fran-
çaise, et on lira avec intérêt l'article et la chanson qui
suivent, tirés d'un almanach publié ù Paris {U Illustration^
année 1855) :
LA GUILLANNÉE.
" La guillannée, gui. Van néou! gui! l'an neuf! se fait
de la manière suivante dans les contrées, méridionales.
Le 31 décembre au soir, des groupes d'enfants, de jeunes
gens, de mendiants, vont, à la lueur d'un flambeau, de
porte en porte, aussi bien dans les campagnes que dans les
villes, quêter un présent en l'honneur de l'an nouveau, en
entonnant des complaintes ou des légendes en mauvais
français, finissant toutes par ces mots ou par des équiva-
lents : donnez-nous la guillannée !
" Les présents qui leur sont accordés consistent quel-
quefois en monnaie, le plus souvent en provisions de
bouche, fruits, viande de porc, etc.
" Voici une des légendes chantées par les quêteurs:
" Le fil3 du roi s'en va chasser (&îs)
Dans la forêt d'Hongrie ;
Ali ! donnez-nous la guillannée,
Monseigneur, je vous prie !
244 CHANSONS POPULAIRES
" Ayant chassé et recliassé, (bis)
Il n'a pas fait grand' prie ;
Ali ! donnez-nous, etc.
" Il n'a trouvé qu'un nid d'oisean, (bis)
Qui s'appelle la Trie.
Ah ! donnez-nous, etc.
" De cinq qu'il y a, prend le plus beau, {bis)
Et le porte à sa mie.
Ah ! donnez-nous, etc.
" Qui l'a gardé pendant sept ans (bis)
Dedans une gabie.
Ah ! donnez-nous, etc.
" Pendant sept ans il y est resté, {bis)
Menant bitni triste vie.
Ah! donnez-nous, etc.
" Va, retourne, petit oiseau, (bis)
Va, retourne à ta mie.
Ah ! donnez-nous, etc.
" Ainsi que lui, ne reviens pas {bis)
Dedans cette gabie.
Ali ! donnez-nous la gnilhmuée,
Monseigneur, je vous prie ! "
Tous les auteurs français que j'ai pu consulter sur la
matière s'accordent à donner une origine gauloise à la
DU CANADA -U':
coutume et aux chansons désignées à la fois par ce mot
de Guignolée ou Guillannée. Aujourd'hui encore, dans
l'ancienne province du Perche, d'où sont venus les ancê-
tres d'un grand nombre de familles canadiennes, on
appelle les présents dii jour de l'an: les éguilas; or la
coutume druidique étant de distribuer le gui de l'an neuf
" par formes d'étrennes, au commencement de l'année,"
il est évident que de là vient ce nom de éguilas (ou égui-
labiés, comme on dit à Chartres,) donné aux cadeaux du
nouvel an.
Le gui est une plante parasite qui nait sur le chêne,
sur le pommier, sur le prunier, sur l'acacia d'Amérique,
sur le hêtre, sur l'yeuse, sur le châtaigner et sur plusieurs
autres arbres. L'histoire de la puissance mystérieuse de
cette plante est racontée en détail dans VEdda des Scandi-
naves, le livre qui contient le plus de renseignements sur
le culte druidique.
On sait que, environ six cents ans avant Jésus-Christ,
les Cimbres ou Kimris, qui habitaient la Crimée, firent
éruption sur l'Europe septentrionale et occidentale et
s'établireni successivement dans les divers pays compris
entre la Scandinavie, les Alpes et les Pyrénées. Ce furent
ces peuples qui apportèrent le druidisme dans la Gaule.
Il paraît que l'olympe des Cimbres, comme l'olympe des
Grecs et des Romains contenait une société k mœurg
joliment douteuses. Quoi qu'il en soit, une nuit, Balder,
qui était le soleil, ni plus ni moins, eut un songe qui lui
annonçait que sa vie était en danger. Il raconte son fait
aux autres dieux, qui font avec Balder alliance offensive
et défensive.
246 CHANSONS POPULAIRES
Une vraie brave femme do déesse qui avait nom Fréa,
mariée à un dieu nommé Odin, fit faire serment au feu, à
l'eau, au vent et à tout ce qui constitue les règnes animal,
végétal et minéral de ne pas faire une égratignure au
susdit Baldn". Cela étant, tous les dieux se faisaient un
amusement, dans leurs grandes assemblées, de lancer
toute espèce de projectiles au fortuné Balder que rien ne
pouvait blesser et qui prenait un singulier plaisir à cet
amusement d'un nouveau genre. Malheureusement, il y
avait de par l'olympe un vilain garnement, fourbe, hypo-
crite et envieux, au demeurant assez joli garçon, que ce
jeu-là n'amusait pas ; il s'appelait Loke. Déguisé en
vieille femme, il se rend au palais de Fréa. La déesse un
peu curieuse et un peu parleuse, lui demande si elle sait
ce qui occupe le plus le conseil des dieux. — Les dieux,
répond la vieille, jettent des traits et des pierres à Balder.
— Et ni les armes de métal ni les armes de bois ne peuvent
lui être mortelles, ajoute Fréa, car j'ai leur serment. —
Quoi ! dit la vieille, est-ce que toutes les choses qui exis-
tent vous ont fait le même serment ?— Oui, réplique Fréa,
excepté pourtant un petit arbuste qui croît au côté occi-
dental du Valhalla (palais d'Odin), et qu'on nomme Mislil
Teinn (gui), à qui je n'ai pas voulu demander de serment
parce qu'il m'a paru trop jeune et trop faible La vieille
en savait assez. Loke reprenant sa forme naturelle s'en
va vite arracher l'arbuste par la racine et s'en revient de
l'air le plus innocent du monde prendre sa place au milieu
des dieux. Or, parmi ces dieux, il en était un nommé
Hoder qui était aveugle. Loke s'approche de lui et lui
dit:—" Pourquoi ne lancez-vous pas aussi quelques traits
DU CANADA 247
à Balder? Prenez ceci et, faites comme les autres; je vais
vous indiquer où il se trouve." Hoder ayant donc pris le
gui, et Loke lui dirigeant la main, '41 le lança à Balder,
qui en fut percé de part en part, et tomba sans vie ; et
l'on n'avait jamais vu parmi les dieux ni parmi les hom-
mes un crime plus atroce que celui-là. . . ."
" La fable de Balder (le Bélen des Gaulois) dit M. B.
Clavel, explique le motif de cette reclierche solennelle du
gui du chêne. On comprend qu'elle avait pour objet de
priver le dieu mauvais, qui représentait chez nos pères le
Loke des Scandinaves, des moyens de tuer Bélen (le
soleil)."
" De uos jours encore, coutiune M. Clavel, il s'est conservé dans
quelques lieux du vuisiiia^^e de liordeaux des vestiiçiîs de cette cou-
tiune druidique (la recherche du gui) : des jeunes gens hizarremeut
vêtus vont en troupe, le premier janvier, couper des lirauulies de
cliêne, dont ils tressent des couronnes, et reviennent, entonner des
chansons qu'ils appellent guilanus. Il en est de niêuie juaMii les
]>euplesdu Holsteiu, en Allemagne, qui appellent le gui iiiarentaken,
rameau des spectres. Les jeunes gens y vont, au conmnjncement
de Vannée, frapper les })ortes et les fenêtres des maisons en criant :
Chithijl! (gui)." Histoire des Gaules, p. 18.)
" Le graml sacrifice du gui de l'an neuf se faisait avec beaucoup
de céréniouies près de Chartres, le sixième jour de la lune, qui était
le comineuceuient de l'année des Gaulois, suivant leur manière de
compter par les nuits, ad vlscum druidœ clamare solebant, dit Pline.''
(C. Leber, ouvrage déjà cité, p. 21, t. IIL)
De toutes ces traditions nous n'avons importé, en Ca-
nada, que la mascarade du 1er janvier et le chant de la
Guignolée ; mais dans plusieurs pays d'Europe, le gui ou
rameau des spectres est encore un objet de vénération auquel
on attribue une grande puissance. (Voir Mallet, Intro-
•24S CHANSONS POP: LAIRES
duction à l'histoire du Danemark, t. I. — Henry, Histoire
d'Angleterre^ t. I, etc., (3tc.)
Il est une autre coutume, autrefois en grand usage
en Canada, ù laiiuoUe on attribue également une origine
païenne, et que Ton aurait christianisée comme la Gui-
gnolée : c'est celle des feux de la Saint-Jean Tombée
aujourd'h'.ù dans l'oubli, cette coutume subsistait encore
au commencement de ce siècle dans certains pays de l'Eu-
rope (en Irlande, en France, en Espagne) de même qu'en
Canada.
Les feux de la Saint-Jean paraissent remonter à une
époque plus éloignée que l'établissement du christia-
nisme; ils peuvent être considérés comme un reste de
l'ancienne superstition et de la vénération que les Celtes
avaient pour le feu, qui purifie tout, qui échauffe et
consume tout. Les piiiens l'adoraient comme la source
première de la vie et du mouvement de l'univers, le
symbole visible de la divinité. On allumait ces feux en
réjouissance de l'arrivée du soleil au solstice d'été qui
commence les longs jours (fin de juin). (1)
On lit dans la vie de saint Eloi (mort en 65'1), que ce
fervent apôtre travailla avec ardeur à déraciner les nom-
breuses superstitions qui régnaient ù cette époque dans
l'esprit des populations du nord de la France, comme de
danser et chanter à la fôte du ^i juin, " de faire sauter les
(1) Dict. de Bycherelle, au mot feu.
DU CANADA 245
femmes malades par dessus des charbons allumés l;i
veille, pour obtenir une heureuse délivrance."
Dans le Plaid du concile de Lestines ou Leptines, qiii
s'assembla en 742, d'après le désir de Karlomau, duc des
Français, on remarque un catalogue des superstitions
païennes alors en usage, " entr'autres celle du IVhi de
Nodfir, au mois de juin, allumé en frottant l'un contre
l'autre des morceaux de bois, pour faire des feux de joie
eu l'honneur des dieux et des déesses ; l'altouchemeut
des flammes ou de la fumée attirant de prétendues béné-
dictions."
Le meilleur moyen de couper court à ce reste de paga-
nisme était de transformer cette fête de la supei'stition en
une fête chrétienne, et c'est ce que l'on fit.
M. LaR-ae a bien voulu me passer la petite note suivnnte
touciiant la cérémonie du dernier feu de la Saint-Jean
dans sa paroisse natale :
•■ Il y a ciu(|uante-cinq ou cinquante six ans que le
dernier feu de joie de la Saint-Jean a eu lieu à Saint-
Jean de nie d'Oi'léans. (1) C'était la grande fête de l'Ile ;
le feu se faisait la veille de la fête et était précédé du salut.
Les habitants des paroisses voisines s'y rendaient en
foule, tous à cheval. Avant ce temps, les femmes s'y ren-
daient aussi, et à cheval, en trousse. Le bois du bûcher
consistait en éclats de cèdre, toujours fournis par le même,
Laurent Fortier, dont les enfants vivent encore ù Saint.
Jean. Le curé bénissait d'abord le bûcher, puis battait
du brique' et y mettait le feu. Les désordes sans nombre
qui accompagnaient la cérémonie l'ont fait abolir."
(1) Ceci était écrit en 1835, date île la première édition de cet ouvrage.
250
CHANSONS POPULAIltKS
Ainsi la Gnigiiolée et les feux de la Saint-Jean rappel-
lent deux cérémonies du culte que les Druides rendaient
au soleil. L'une avait lieu au solstice d'hiver et l'autre au
solstice d'été.
La première version de la Giiignolée, que Ton va voir,
a été recueillie dans le comté de Berthier, et la seconde
dans les cantons de l'Est.
A Solo, reprise en chœur.
Bonjour le maître et la inaî- tres-se Et tout le
B
Solo, reprise en chœur.
mond' de la mai- sou. Pour le der- uier jour de l'au-
C Solo, reprise
s ^v, ^s li 15_ ,-
r-s:
Si vous vou-
ué- e La I-guo- lé' vous nous de- vez.
en chœur.
-^— . ^__5_j5..
s*
lez rien uous dou- uer, di-tes-uous
lé-
e : Ou emmè-
r-zîfzzs^-rsïzzîî— I _z5=z=2=zifzz«!zzl -H c^— 1-4 — * %
ne- la seu-le- meut la fille ai- - né- - e.
D Solo, rep)rise en chœur.
Ou lui fe- - ra fair' bon- ne chè- re. On lui fe-
ra chauffer les pieds.
DU CANADA 251
A Bonjour le maître et la maîtresse ? ^ ^^-^^
Et tout le moud' de la maison. S
B Pour le dernier .jour do l'année ) ^j^-^^
La Igiiolé' vous nous devez. >
C Si vous voulez rien nous donner. \
Dites-uous lé-e ' . . ^
^ > If ^^^'^)
On emmènera seulement ,
La aile ai née. j
D Ou liù fera fair' bonne chère, ? j^-^^
On lui fera chauffer les pieds. )
C Ou vous demande seulement "j
Une chignée ,, • v
• 1 1 1 } {Vis)
De vingt à trente pied de long j
Si vous voulez-e. j
D La Ignolé', la Ignoloche, l (i ■ \
Mettez du lard dedans ma poche ! ^ '
C Quand nous fûm's au milieu du bois, "j
Nous fùni's à l'ombre : i , _
, . 1 ^ . r ibis)
J'entendais chanter le coucou
Et la coulombe. i
A Rossignolet du vert bocage,
Rossignolet du bois joli.
(bis)
B Eh! va-t'en dire à ma maîtresse ]
Que je meurs pour ses beaux yeux. J
C Toute flir qui n'a pas d'amant, 1
Comment vit-elle? ! /t- x
EU' vit toujours en soupirant, J
Et toujours veille, j
ibis)
252
CHANSONS POPL'LAIHES
AUTRE VERSION :
(Recueillie par M. le docteur J. A. LeBlanc)
Bon- jour le maître et la maî- très- se
Et tous les gens de la mai- son. Nous a vous
-zrc-z-— rl^rr-'
pris u- - ne cou- - tu- me De v'nir vous voir u-
liz
ne fois l'an, U- ne fois l'an. ..C'est pas grand'
chos' Pour l'ar- ri- vé- - e. Qu'un pe- tit
1
morceau de chi- gué', Si vous vou- lez- - e.
Bonjour le maître et la maîtresse
Et tous les gens de la maison.
Nous avons pris nue coutiuue
De v'nir nous voir une fois l'an.
Une fois l'an C'est pas grand' chos'.
Pour Tarrivét',
Qu'un petit morceau de chigaée,
Si vous voulez-e.
DU CANADA" 253
Li «fuiiTiiolé, la guigiioluclie,
Mettez (lu laid dans iu;i ])oche !
Ec du t'ioinige sur mon paiu ;
Je reviendrai l'aimé' qui vient.
Si vous vouiez rien uous donner,
Dites-nous lé-e ;
Nous i)reuderons la fille aiuée,
Si vous voulez-e.
Nous lui ferons fair' bonne clière,
Nous lui ferons chauffer les pieds.
264 CHANSONS POPULAIRES
MALBROUGH S'EN VAT-EN GUERRE
John ChiircliiU, duc de Mavlborongh, naquit le 2i juin
1650, à Ashe, dans le comté da Dovon, Angleterre.
Habile diplomate, il fut le plus grand capitaine de son
siècle, et se battit au Maroc, on Angleterre, en Irlande,
en Allemagne et dans les Pays-Bas sans jamais éprouver
une défaite sérieuse. Il servit pendant environ cinq
années dans l'armée française, et sut mériter les éloges
de Louis XIV et de Turenne.
La muse populaire a fait du duc de Marlborough un
type légendaire qu'elle a chanté à sa façon et dans lequel
il est difficile de reconnaître le héros de Walcour et de
Malplaquet. En dépit des chansons et d'une tradition
fantaisiste, Marlborough ne mourut pas sur le champ de
bataille. Il fut frappé d'appoplexie le 8 juin 1716, alors
qu'il était devenu généralissime du roi George I d'An-
gleterre. Il perdit presque entièrement la raison et lan.
guit dans ce triste état jusqu'à sa mort arrivée le 17 juin
1722.
— d — 3 — I — ^ • — — * — 3 — — P- — H
Mal- brongh s'en va- t-ea guer- re, Mi- roa-
}$ ^^ ^ '
ton. mi- roa- ton, mi- ron- tai- - ne, Mal-
DU CANADA
255
( ■^ ■ I I iiii i^ n i.i.— I -^— f
brougli s'eu va-t-ea guer- re, Ne sait quand
•) FIN.
re- vieu- dra.
Ne sait quaud re-vien- dra,
Ne sait quaud re- vieu- dra.
D. C.
Malbrongli s'eu va-t-en guerre,
Mironton, mironton, mirontaiue,
Malbrougli s'eu va-t-en guerre,
Ne sait quand reviendra, (ter.)
n reviendra-z-à Pâques,
Mironton, etc.
Il reviendra-z-à Pâques,
Ou à la Trinité, iter.)
La Trinité se passe,
Mironton, etc.
La Trinité se passe,
Malbrougli ne revient pas.
{ter.)
Madame à sa tour monte,
Mironton, etc.
Madame à sa tour monte,
Si haut qu'ell' peut monter.
Elle aperçoit son page,
Mironton, etc.
Elle aperçoit son page
Tout de noir habillé, {ter.)
256 CHANSONS POPULAIRES
— Beau p:ig*', ah ! mon beau page,
MiroutoM, etc.
Beau page, ah ! iiioii beau page,
QiielP iious'elle ap[)Oitez? (ter.)
Aux iiouvell's que j'apporte,
Mironton, etc.
Aux nouvel i's que j'apporte
Vos beaux yeux vont pleurer, {ter.)
Quittez vos habits roses.
Mironton, etc.
Quittez vos habits roses
Et vos satins brochés, {ter.)
Monsieur ^lalbrougli est more,
Mironton, etc.
Monsieur M ilbrougli est more,
Est mort et enterré, {ter.)
J'I'ai vu porter en terre,
Mironton, etc.
J'I'ai vu porter en terre
Par quatre-z-officiers. (ter.)
L'un portait sa cuirasse.
Mironton, etc.
L'un portait sa cuirasse,
L'autre son bouclier, (ter.)
L'un portait son grand sabre,
Mironton, etc.
L'un portait son grand sabre,
L'autre ne portait rien, (ter.)
DU CANADA 26T
A l'en tour de sa tombe,
Mironton, etc.
A l'en tour de sa tombe
Eomarins l'ou planta, (ter.)
Sur la plus liante branche,
Mironton, etc.
Sur la plus haute branche
Le rossignol chanta, (ter.)
On vit voler son âme.
Mironton, etc.
On vit voler sou âme,
A travers des lauriers, (ter )
Chacun mit pied à terre,
Mironton, etc.
Cliaoun mit pied à terre
Et puis se releva, (ter.)
Pour chanter les victoires,
Mironton, etc.
Pour chanter les victoires
Que Malbrongli remporta, {ter.)
La cérémoni' faite.
Mironton, etc.
La cérémoni' faite
Chacun s'en fut s'coucher. {ter.)
J'n'en dis pas davantage.
Mironton, mironton, mirontaiae,
J'n'en dis pas davantage
Car en voilà-z-assez.
258 CHANSONS POPULAIRES
SAINTE MARGUERITE-PINPANIPOLE
Il est singulier de voir comme les paroles les plus insi-
gnifiantes, accolées à qnelques pauvres notes de musique,
peuvent se répéter de pays en pays et de siècle en siècle.
Je lisais, il y a quelques jours, que, dans le Berry, en
France, on chante une berceuse dont les mots sont :
" Dodo, berline !
Sainte Catherine,
Endormez ma p'tite enfant
Jusqu'à l'âge de quinze ans!
Quand quinze ans seront aounés,
Il faudra la marier."
Au moment où je le lisais ces lignes, ici, à Québec, à
mille lieues de la France, j'entendais une bonne d'enfants,
qui chantait, dans une chambre voisine :
Saiu- te jMar-gue- ri- te, Veil- lez ma pe-
E=^?=?^l ^■=i=i=i=l =*==i^l =^~^^^
ti- te! Endormez m'a p'tite eu-faut Jusqu'à l'â-ge
;=zi^z-
-S-
lîl^i?;
de quiuze aus! QuauJelIe au- ra quinze ans pas- se,
DU CANADA -^SO
^^^^^^=Hi*=î=^il!l?
Il fau- (Ira la ma- ri- er A- vec un p'tit bon-
=^~^i=^
hom- me Qui vien- dra de Eo- me.
Sainte Marguerite,
Veillez ma petite !
Endormez ma p'tite enfant
Jusqu'à l'âge de quinze ans!
Quand elle aura quinze ans passé,
Il faudra la marier,
Avec un p'tit bonliomme
Qui viendra de Rome.
Pinpanipole qui "rencontre les gens du Roy," nous
vient aussi de France, très-probablement, et je serais
curieux de savoir s'il s'y est conservé, ou s'il a émigré
corps et biens pour venir amuser les petits Canadiens au
berceau. On chante cette mélodie, qui n'est pas sans quel-
que mérite, en frappant successivement, du bout du doigt,,
les cinq doigts tendus d'un petit enfanta qui on fait ouvrir
la main. Lorsque, à la fin du couplet, on dit: dehors!
dehors! dehors! on fait disparaître un des doigts de l'en-
fant sous sa main, en faisant mine de le dévorer,— ce qui,
d'ordinaire fait rire le bambin aux éclats; — puis on
recommence le môme petit jeu sur les quatre doigts qui
restent ; et ainsi de suite, en faisant disparaître un doigt
à la fin de chaque répétion du couplet.
260
CHANSONS POPULAIRES
Pin- pa- ni- - po- - le, uu jour du teinj)» pas-
2 — tr — ^ — p — ^ — p_l ^ — ii. — i — ^ — ^ — ^ _l _t= 5ï — ^.d
séjPassaut par la vil- le,rencoutr' les geus du Iloy.Beau pigeon
. j„ — ^ — I — "r r^ ^_
d'or, les geus des al- lu- - met- tes, Beau pi- geon
imi^iîîlîîliilM^lillilïlli
d'or, le p'tit co- chou de- - liors !
Pinpauipole, uu jour du temps passé,
Passaut par la ville, rencontre les gens du Koy,
Beau pigeou d'or, les gens des allumettes,
Beau pigeou d'or, le p'tit cocbou dehors!
ParZ^ ;— Deliors ! dehors! dehors!
DU CANADA 261
PIPANDOR A LA BALANCE
Pipandor à la Balance est le pendant de Plnpanipole^ et
l'accessoire du même jeu d'enfant.
Ce n'est pas sans un vif intérêt que j'ai retrouvé, dans
le recueil publié par M. Bujeaud : les Chants et Chansons
populaires des provinces de l'Ouest^ et dans celui de MM.
Durieux et Bruyelle : les Chants et Chansons populaires du
Cambresis^ quelques-uns des verbiages d'enfants que tous
les petits Canadiens répètent dans leurs jeux, sur les
genoux de leurs mères, le long des grands chemins ou
sur les bancs de l'école. Quel plaisir d'apprendre que
Pipandor à la Balance, — Monte échelle ! Monte-là ! et Petit
couteau d'or et d'argent sont sur les lèvres de tous nos
petits cousins d'outre mer ! En présence d'une telle décou-
verte, je me demande si c'est le Canada qui est resté
français ou si c'est la France qui est devenu canadienne !
et je serais presque tenté de m'écrier, en parodiant ce
brave Marseillais qui n'a peut-être jamais existé : Si la
France avait un Québec, ce serait un petit Canada !
Pi- pau- dor à la Ba- lan- ce, N'ya-t-il
qu'toi-z-et moi-z-ea Frau-ce ? Pour- quoi y es- tu mis ?
l—M^=im=:mz=zS=\= ^ ^_._^_ _^_^
•2G2
CHANSONS POPULAIRES
p ■»
--psz
Pour mau- ger de la bouil-
li'!
Pi- pau-
z^~
> ^ 1 * -^-^ — ' — ■ '^rd
dor, cha- peau d'é- pi- - uet- te ! Pi- pau-
r=\—.
dor, mets tou uez de- - hors!
Pipandor à la Balance,
N'y a-t-il qu'toi-z-et luoi-z-eu Frauce ?
Pourquoi y es-tu mis?
Pour manger de la bouillie !
î Pipandoi-, chapeau d'épiuette!
\ Plpaudor, mets ton uez dehors!
VARIANTK :
< Pipandor, tambourez mesdames,
( Pipandor, mets tou nez dehors !
DU CANADA 263
LA POULETTE GRISE
Et jusqu'à la " Poulette grise " que l'on chante encore
en France comme ici, en dépit de l'éloquente tirade de M.
LaRue ! (Voir Foyer Canadien^ année 1863.)
On chante aussi en France ce couplet qui accompagne
toujours le "jeu de société " que tout le monde connaît :
Il est passé par ici
Lie furet des bois, mesdames,
Il esc passé par ici
Le furet du bois joli !
Nous autres, Canadiens, qui avons conservé des idées
plus monarchiques, nous chantons :
Il est })assé par ici
Le clairon du roi, mesdames,
Il est passé par ici
Le clairou du roi joli !
A cheval^ sur la queue d'un orignal^— nn autre chant très-
populaire et plein de souvenirs de la France,— est une
sorte de psalmodie, plutôt parlée que chantée, que l'on
débite en faisant sauter un enfant sur ses genoux :
A cheval, à cheval,
Sur la queue d'un orignal.
A Roaen, à Rouen,
Sur la queue d'un p'tit ch'val blanc.
A Pari s, à Paris,
Sur la queue d'une p'tite souris.
264 CHANSONS POPULAIRES
A Versailles, à Versailles,
Sur la queue d'iiue grand' vache caille.
" On comprend, dit M. LaRue, que le rhythme et la
tournure de cette chanson sont propres à exciter la verve
des nourrices. Aussi une bonne de Québec a-t-elle cru
devoir ajouter :
A Québec, à Québec,
Sur la queue d'uue belette ! !
" Je lui en laisse la responsabilité."
:2^E5M==— *-i»=«^
!^z:ff:
C'est la pou-let-te gri- se
-— pz:x=«rn:
Qui pond daus l'é-
gli- se, EU' va poudre uu beau p'tit co- co
Pour son p'tit qui va fair' do- di- clie, EU' va pondre
iin beau p'tit co- co Pour son p'tit qui va fair* do-do.
Do- di- che, do- do.
i^i^iiiâil
DU CANADA 265
C'est la poulette grise
Qui pond dans l'église,
EU' va pondre un beau p'tit coco
Pour sou p'tit qui va fair' dodiclxe,
EU' va poudre uu beau p'tit coco
Pour sou p'tit (pii va fair' dodo.
Dodiche, dodo.
C'est la poulette blauclie
Qui poud daus les braucUes,
Eli' va poudre, etc.
C'est la poulette uoire
Qui poud dans l'armoire,
EU' va poudre, etc.
C'est la poulette verte
Qui poud daus les couvertes,
EU' va poudre, etc.
C'est la poulette bruue,
Qui poud dans la luue,
EU' va poudre, etc.
C'est la poulette jaune
Qui poud daus les aulnes,
EU' va poudre uu beau coco
Pour son p'tit qui va fair' dodiche,
EU' va pondre uu beau p'tit coco
Pour son p'tit qui va faire dodo.
Dodiche, dodo.
266 CHANSONS POPULMRiîS
D'OU VIENS-TU, BKRGÈRE?
Lo noël que l'on va lire n'est jamais chanté à l'église (il
a pu l'être autrefois) ; mais il est bien connu dans les
familles. Les petits enfants aiment sou joli air, simple et
doux. Le ffoà viens-tu? et le Qu as-tu vu^ bergère 1 de
chaque couplet, intéresse leur imagination, qui s'exalte
au récit de ce Dieu qu'adorent les grands parents comme
les petits enfants, ce Dieu qui a tout fait, tout : le beau
ciel étoile, le grand fleuve et la haute montagne couverte
de neige, et qui cependant veut naître pour nous dans une
étable ! Le bœuf, dont, ordinairement, ils n'osent pas trop
approcher, et l'âne, qu'ils ne connaissent que de nom, sont
deux personnages qui, à leurs yeux, embellissent singuliè-
rement le tablean
Un écrivain qui n'était malheureusement pas catholi-
que, M. Michelet, a écrit ces lignes délicieuses à propos des
noëls populaires :
" Il y avait alors dans l'Eglise un merveilleux
génie dramatique, plein de hardiesse et de bonhomie,
souvent empreint d'une puérilité touchante Elle
(l'Eglise), quelquefois aussi, se faisait petite ; la grande,
la docte, l'éternelle, elle bégayait avec son enfant; elle
lui traduisait l'ineffable en puériles légendes."
— D'oîî viens- tu, ber-gè-re, D'où viens- tu?
DU CANADA 267
-Jevieusde l'é- - ta- ble, De m'y pro- me- nor;
J'ai vu uu nii- ra- cle Ce soir ar- ri- - vé.
— D'où viens-tu, bergère,
D'où viens-tu f
— Je viens de l'étable,
De m'y promener;
J'îii vu lin miracle
Ce soir arrivé.
— Qii'as-tu vu, bergère,
Qu'as-tu vu ?
— J'ai vu (Luis la crèche
Un petit entant
Sur la paille fraîche
Mis bien tendrement.
— Rien de jilus, bergère,
Rien de plus ?
— Saint' Marie, sa mère,
Qui lui fait boir' du lait.
Saint Joseph, son père,
Qui tremble de froid.
— Rien de plus, bergère,
Rien de plus 1
— Ya le bœuf et l'âne
Qui sont par devant,
Avec leur haleine
Réchautfent l'enfant.
— Rien de plus, bergère.
Rien de plus?
— Ya trois petits anges
Descendus du ciel
Chantant les louaages
Du Père éternel.
268 CHANSONS POPULAIRES
JE NP] VEUX PAS D'UN HABITANT
Nous n'ap[)elons habitant^ en Canada, (jne celui qui
possède une terre à la campagne et ([ui la cultive lui-
même. Les ouvriers et les jouriiali(M's qui demeurent à la
campagne ne sont pas des habitants^ pas plus que les rési-
dants des villes. L'origine de cette distinction remonte,
sans aucun doute, aux premiers tem[)s de la colonie. La
société canadienne d'alors se composait, à part les ecclé-
siastiques, de trois classes d'hommes : les soldats, les
commerçants et les agriculteurs. Les premiers n'étaient
ici, pour la plupart, que temporairement, tandis que les
agriculteurs, en s'emparant du sol môme du pays, s'y
fixaient d'une manière irrévocable, et devaient être seuls
considérés comme les véritables habitants de la colonie.
On m'a chanté cette mélodie tantôt avec le sol dièze,
tantôt avec le sol naturel.
A part les couplets oîi il est question d'un habitant et
d'un colporteur, toute cette chanson nous vient de France.
On en chante encore une variante aujourd'hui en Sain-
tonge.
Je voudrais bieu me ina- ri- er, Je voudrais
bien me ma- ri- er, Mais j'ai graud' peur de me trom-
DU CANADA 269
per, Mais j'ai grand' peur de me troin- per :
> — L--- ' — f — ^ —
E^!~ii^
— »• — »-^rM'zi
sont si nial-hou- ne- tes ! Ma lu-ron, tna lu- ret- te, Ils
:?inL-
sont si mal-hon- ne- tes ! Ma lu-rou, ma lu- ré
Je vomirais bien me marier, (6ts)
Mais j'ai grand' peur <le me tromper : (bis)
Ils sont si mullionnôtes!
Ma luron, ma lurette,
Ils sont si malhonnêtes!
Ma luron, ma luré.
Je ne veux pas d'un habitant : {bis)
Il faut toujours aller au champ, {bis)
Et rouler la charette,
Ma luron, etc.
Je ne veux pas d'un labourenx : (bis)
Il faut toujours toucher les bœufs {bis)
Et manier la curette.
Ma luron, etc.
Je ne veux pas d'un colporteur, {bis)
Rarement ils se font honneur {bis)
En portant la cassette,
Ma lurou, etc.
Pour un BOtair', je n'en veux pas, (bis)
Car ils passent trop de contrats, (bis)
Ils embrass'nt les filettes,
Ma luron, etc.
270 CHANSONS POPULAIRES
Je ne veux pas (Viiu méilcciii : {bis)
Ils out toujours pilul's eu main, (bis)
Des pi'is's et des lancettes,
• Ma luron, etc.
Je ne veux pas d'un avocat, {bis)
Car ils aiment trop les ducats, (bis)
Ils trompent les filettes,
Ma luron, etc.
Je voudrais bien d'un ofiBcier: (bis)
Je marcherais à pas carrés (bis)
Dans ma joli' chambrette,
Ma luron, ma lurette,
Dans ma joli' cliambrette,
Ma luron, maluré.
DU CANADA 271
JACQUOT HUGUES
Jacqiiot Hugues n'est pas un être fictif; il a bien réel-
lement existé, et vécu de longues années dans le comté
de Rimouski, oii il est mort, il y a une vingtaine d'années,
sans laisser de postérité.
Il est bon de savoir que c'était un être bien original
que ce Jacquot Hugues. Il était grand de taille, et,
quoique Français de naissance, on l'appelait le Sauvage^ à
cause sans doute de son teint très-basané, mais aussi à
cause de ses allures excentriques et de sa coutume de
porter des mitasses^ avec ornements en babiche.
Il lui arriva un jour de s'emparer d'une baleine. Après
qu'il l'eut dépecée et qu'il en eut extrait l'huile et la
graisse, ses voisins s'en vinrent chez lui pour se partager
le résidu, les créions^ comme cela était d'usage; mais
voilà mon Jacquot Hugues qui ne veut pas donner mais
vendre ses cretons, et qui se met en frais de peser sa
marchandise avec une romaine. C'en était bien assez pour
se faire chanter ; néanmoins la verve des rimenrs de l'en-
droit se contint pour le moment; mais lorsque, à quelque
temps de là, on entendit dire que • acques Hugues, le
Sauvage, le vendeux de cretons, faisait des démarches pour
se faire élire membre lu parlement, toute digue fut
rompue, et les couplets que l'on va lire volèrent de bouche
en bouche, si bien que je les ai entendu chauler à plus de
cent lieues de l'endroit où ils furent composés.
272
CHANSONS POPULAIRES
1 ~ -tf-
:S— .r=:?_ zz*rzïr— -
-•0,-^-ft--
Eg£E^EgEE^EJ
DausJ'cointé de Rimouski, A l'é-lec-tion nou-
vel- le, Jac- qiiot Hug's s'est pré- sen- té: Il
Il a- vait pour
seu- tait la ba- - lei- ue !
^ — « — E=_s — tt---j- •— 3
ré- con- fort Tous les cre- ons de sou bord. Ro-
~^E=£==^EEE5EEÈE-*EE^£E;fE:
ne, ro- mai- - ue, ro-
Daus l'coiuté de Rimouski,
A l'électiou nouvelle,
Jacquet Hng'ïi s'est présenté:
Il sentait la baleine !
Il avait pour réconfort
Tons les cretous de sou bord.
Jîomaine, romaine, romaine!..
Quand il était cantiuier,
Il vendait de l'eau forte ;
Il savait la baptiser
Sans demander main-forte:
C'est P'tit Paul qui charriait l'eau,
Madam' rinçait le tonneau....
A force, à force, à force!
Il ne se souvenait plus
De ses mitass' à franges j
Il eut donné ses écus
Pour entrer daus la chambre.
C'est c'qu'<»n n'aurait jamais vu:
Un Sauvage d'être élu !
Peau noire, peau noire, peau noire !
DU CANADA 273
En s'en revonaut chez lui,
Il faisait la griiuaice;
Le moud' s'est bien aperçu
Qu'il avait le cœur flasque.
II dit qu'il a vendu,
Mais à présent n'en vend plus.
Attrape, attrape, attrape !
Qu'en a composé la chanson,
C'est un garçon de gloire j
Il ne vous dit pas son nom :
Ca vous reste à savoire.
Il espèr' que ses amis
Chanteront tous avec lui :
Romaine, sauvage, i?eau noire !
274 CHANSONS POPULAIRES
FRANÇOIS MARCOTTE
On a vu, dans les couplets qui précèdent, une mor-
dante satire contre les petits moyens mis en jeu par un
homme préoccupé de faire sa fortune rapidement. Voici
une autre satire, non moins mordante, dont les garçons
qui se vantent de faire tourner la tête à toutes les filles
pourront tirer leur profit.
Cette chanson est tout à fait dans le génie canadien,
François Marcotte, qui :
s'en va proinpteiuent
Atteler sa jument
Chez sou oucle Paul Abelle,
est bien un vrai type de faraud campagnard.
C'est une coutume commune aux poètes rustiques de la
Francs et du Canada de se consacrer à eux-mêmes le der-
nier ou les derniers couplets de leurs chansons. Presque
toutes nos chansons d'élections, de même que les com-
plaintes composées à l'occasion d'un malheur arrivé à
une famille ou à une paroisse, finissent par le couplet
sacramentel :
Qu'eu a composé la cliausou, etc.
Qui a composé cette complainte, etc.
On doit d'autant plus volontiers pardonner cette petite
faiblesse aux poètes populaires que l'on est accoutumé à
voir des poètes d'un ordre plus élevé parler d'eux-mêmes,
DU CANADA
275
se décrire, se vanter, se biographie)- d'un bout à l'autre de
leurs œuvres.
L'air de cette chanson n'a rien d'original et n'est pas
canadien. C'est, je crois, une ancienne mélodie an-
glaise.
: — ^
-o> !» * 1 — S 2 â
C'est Frauçois Mar- cott' Qui s'iia- Lil- le bea
>3=zzi\
m=^:zi=m^ =• jzz:*:
^l=s'==.
pro^y Pour al- - 1er eu pro- me- na- - de; C'est
-S m 5-
à Des-cliam-bault, Chez uiousieurBou- drault : C'est un'
fil- le qu'il lui fout. — Bou- jour
ma-dam' Bou- drault, Eu t'ai- saut le fa- raud, Fai-
sant des po- li- - tes- - ses, — Des ci- vi- - li-
fr:n^\=r-|-=5=z=q-q==i
p — m — M — —m -~ — m — 1 — ^ m — —W- ,»— 4 — ^ -g l]--j
tés A la coin- pa- gué' ! Mar- cott' fit uu' belle eu-
trée!
276 CHANSONS POPULAIRES
C'est François Marcotte
Qui s'habille beii propre
Pour aller en proiuenade ;
C'est à Deschanibault,
Chez monsieur IJoiuhault :
C'est une fille qu'il lui faut.
— Bonjour madaiu' Boudrault,-
En faisant le faraud,
Faisant des politesses, —
Des civilités
A la com{)aguée !
Marcotte fit un' belle entrée !
Quand il fut entré,
Il s'agit d(^ parler
Des affaires de conséquence :
De sa bien aiinéa
Il s'est approché :
C'était pour la demander.
— Je suis bieu pressé,
Je veux me marier.
Je crains de vous surprendre)
Vous excuserez
La brutalité
D'I'abord de mon arrivée.
— Vous êt's tout excusé,
Vous pouvez continuer ;
Revenez plusieurs voyages:
Pour vous marier,
Il faut espérer (attendre)
Que mon pèr' .-oit arrivé.
Marcotte s'est retiré,
Pensant bien qu'il l'aurait
Dans un second voyage ;
Ne s'imaginant pas
Qu'en faisant tout cela,
EU' voulait le planter là.
DU CANADA 277
L'automne est revenu,
Bou'lrault ne revient plus,
Marcotte est d'un bord et d'I'autre :
C'est pour s'iuforiuer,
De tous les côtés,
Si Boudrault est arrivé.
S'en va à Deschambault,
Rencoutr' monsieur Boudrault
Et fiiit sa connaiss:ince :
— Veuillez bien m'excuser,
C'est pour vous demander
Votre fille à marier.
— Parlez-moi, mon ami,
Tout vous est permis :
Vous avez tant d'avantages!
Vous avez de l'esprit,
Sans compter l'industrie :
Vous êt's homme de génie.
Pais on m'a raconté
Que vous vous vantiez
Que vous auriez bien ma fille;
Pour vous récompenser,
Nous allons vous donner
Une pell' bien amancliée.
Revenons à Marcotte.
Il a pris sa capote ;
Il a l'air tout imbécile :
Son cas'iue rabattu,
Il a l'air tout bourru :
Marcott' ne se r connaît plus.
Il s'en va promptenient
Atteler sa jument
Chez son oncle Paul Abelle,
En disant : Sapre gai !
Je suis effarouché
De la pell' qu'ils m'ont donnée !
278 CHANSONS POPULAIRES
L'auteur de la chanson,
C'est uu irrand garçon
Revenant d'un long vojagej
Etant ariété
Se faii' fuiie à dîner
Chez des gens qu'il connaissait;
Etant après dîner,
Il eutend raconter
L'aventur' de Marcotte;
J'vous dis en vérité,
Qu'il aurait mérité
Un' chanson mieux composée.
Je vais vous le nommer :
C'est Hyaciutli' Denis,
Qui u'a plus d'avantages.
Il est exposé
Au même danger
Quaud il va se promener.
Uu jour passant par là,
Pensant à tout cela,
Je chantais, eu eu moi-même :
" Arriv'ra que pourra !
La i)ell' nous servira
Pour enterrer l'mardi gras."
DU CANADA 279
C'EST PINSON AVEC CENDROUILLE
Cette chanson n'est pas tant une chanson comique
qu'une chanson d'enfants, où la chatte^ le gros rat avec
son violon^ etc., ne figurent que pour tenir en éveil l'esprit
d'un petit tapageur en attendant que le sommeil vienne
fermer ses paupières. -'Il ne faut pas, dit avec justesse
M. Champfleury, demander aux nourrices qui composent
ces chansons, autre chose que ce qu'elles peuvent donner ;
dans l'amour qu'elles portent aux enfants, elles
trouvent de singulières associations de mots qui
frappent le nouveau-né et savent :!ndormir ses souf-
frances."
Ces couplets se chantent en France, dans le Cambrésis,
sur un air tout différent du nôtre.
C'est Piu- - son a- vec Ceu- drouil- le Qui vou-
;r=:i*^=r ■
draieut se nia- ri- - er ; Ils vou- draieut fai- re des
no- ces Mais n'ont pas de quoi man- - ger. Gai Ion
s 1 ^ fi 15 , ,4. ,;^ |N 1> , |N ^— c-
la, Tir' la li- - ret- te, Des trom-pett's, Il yen au-
280 CHANSONS POPULAIRES
C'est Pinson avec Cemlroaille
Qui voudraient se marier;
Ils voudraient faire des no.^es,
Mais n'ont pas <le (pioi manger.
Gai Ion la
Tire la lirette,
Des trompettes
Il yen aura.
Ils voudraient faire des noces,
Mais n'ont pas de quoi manger.
Ils voient venir un gros cliien,
Dans sa gueule apporte un pain.
Gai Ion la, etc.
Ils voient venir un gros chien,
Dans sa gueule apporte un pain.
De pain nous eu avoas bien,
De viand' nous n'en avons point.
Gai Ion la, etc.
De pain nous eu avons bien.
De viand' nous u''en avous point.
Ils voient venir un corbeau.
Dans son bec est un gigot.
Gai Ion la, etc.
Ils voient venir un corbeau.
Dans son bec est un gigot.
De viand' nous en avons bien,
De vin nous n'en avons point.
Gai Ion la, etc.
De viand' nous en avons bien,
De vin nous n'eu avons point.
Ils voient venir un lapin,
Sur son dos, un' tonn' de vin.
Gai Ion la, etc.
DU CANADA 281
Ils voient venir un lapin,
Sur sou dos un' t,onn' de vin.
De vin nous en avons bien,
De danseu.s's n^an avons point.
Gai Ion la, etc.
De vin nous en avons bien,
De danseus's n'en avons point.
Ils voient venir un voisin,
Une fille à cliaque main.
Gai Ion hi, etc.
Ils voient venir un voisin,
Une fille à cluique maiu.
Des danseus's eu avons bien.
De violon n'en avons point.
Gai Ion la, etc.
Des danseus's en avons bien,
De violon n'en avons point.
Ils voient venir un gros rat.
Un violou dessous sou bras.
Gai Ion la, etc.
Ils voient venir un gros rat.
Un violon dessous son bras.
— Entrez monsieur l'Arrivé:
Notre chatte est au grenier.
Gai Ion la, etc.
Entrez, monsieur l'Arrivé :
Notre chatte est au grenier.
Lacliatte entendit cela,
A sauté dessus le rat.
Gai Ion la, etc.
La chatte entendit ceia,
A sauté dessus le wit.
Le rat s'c^st mis à crier :
Voilà mon violon cassé!
Gai Ion la, etc.
282 CHANSONS POPULAIRES
Le rat s'est mis à crier:
Voilà mou violon cassé !
Quand j'irai eu compaguée,
Un coup d'eau d'vi' je prendrai.
Gai Ion la, etc.
Quand j'irai eu compaguée,
Uu coup d'eau d'vi' je prendrai.
J'u'en donn'rai pas à cell'-là
Qui m'a cassé les deux bras.
Gai Ion la.
Tire la lirette,
Des trompettes
, Il y eu aura.
DU CANADA 283
A LA CLAIRE FONTAINE
{Air recueilli par M. l'abbé Marquis)
Le lecteur a déjà pu observer que, dans des chants qui
semblent d'abord appartenir au mode mineur, le chanteur
populaire fait tout ù coup apparaître une seconde majeure
entre le septième et le huitième degré de la gamme, dé-
truisant ainsi la note sensible, et pUiçant la mélodie dans
le premier ou le second mode de la tonalité ancienne. Or,
ce qui arrive pour le mode mineur arrive aussi pour le
mode majeur. Ainsi, dans la mélodie de la Claire Fontaine^
que l'on va voir ci-après, et qui semble d'abord appartenir
exclusivement au mode majeur, la note fa apparaissant
naturelle, dans la dixième et dans la quatorzième mesure,
la sensible disparaît par là même, et le huitième mode de
la tonalité ancienne se trouve parfaitement accusé.
On dirait, quelquefois, que le peuple a horreur de la
note sensible. Cela tient à des causes toutes naturelles
que des musicistes distingués de ce siècle ont étudiées et
expliquées d'une manière irréfutable. (Voir les Remar-
ques générales^ à la fin de ce volume.)
J'ai déjà dit que ces infractions aux règles de l'art mo-
derne n'indiquent pas toujours l'ancienneté d'une mélodie
Souvent il arrive qu'une chanson de la ville, toute fraîche
composée, vieillit tout à coup de plusieurs siècles^ grâce
aux altérations qu'elle snbit en passant par des gosiers
284
CHANSONS POPULAIRES
compagnards. Chacaii connaît cet air d'un vaudeville
intitulé : Zes Canotiers de la Seine:
Mes-daui's, sa-vez- vous c'qu'il faut Pour ê- tre
ca- uo- tie-
rs ?
Eh ! bien, voici comment j'ai entendu ciianter ce même
air par une jeune fille de l'Ile-Verte, (comté de Témis-
couata) :
■m-
_a>-
— rzazi^arr '— an
"■«—
=::
• S-
^z^:
E^=5^^^^E
riz:
E3
==3
"rr^
|— i— — —
15^=5—?^ etc.
Ceux de mes lecteurs qui ont visité la capitale de la
France se rappellent sans doute avoir vu, sur la place des
Victoires, une statue équestre de Louis XIV, représentant
le monarque avec un lambeau de vêtement sur le corps,
et des sandales aux pieds. C'est un anachronisme de ce
genre que faisait, bien à son insu, ma jeune chanteuse de
l'Ile- Verte, en dépouillant de sa note sensible la mélodie
toute moderne du vaudeville français.
DU CANADA
285
EB=^^E3
3—8
la clai-
-iV — . —
re fou- - tai- ue M'eu
al- lant pro- me- uer, J'ai trou- vé l'eau si
bel- le Que je m'y suis bai- gué. Lui
r,r:z^— — •iirpr-*— zn:^ zn_,
ïËim
ya loDg- temjis que j
2
t'ai- me,
^=il=z=:ir.
.)a-
*EEê=iE=i=€ïË:
mais je ne t'ou- blie- n
286 CHANSONS POPULAIRES
PERRETTE EST BIEN MALADI']-CIIEZ MON PÈRE
Y A TROTS FILLES
La chanson de Perretle étant chantée dans tontes nos
campagnes, et par les gens dn penple, j'ai crn devoir lui
donner place ici, mais j'avoue que sa musique, aussi
remarquable par sa distinction que par son caractère
antique, semble accuser une origine peu populaire.
Paroles et musi(iue sont peut-être nées au milieu de "ces
prés flenris qu'arrose la Seine," dans Lutèce la chantante
elle-même, alors que l'école littéraire dite sentlmcnlale
peuplait le Louvre et Versailles de bergers et de bergères.
Dans tous les cas, les couplets de PerrctLe est bien
malade^ de même que ceux de Chez mon pèr' ya trois filles^
qui semblent en être une variante plus populaire, ne sont
certainement pas canarlieus. Les mots : aubade^ musette^
et tambour sont là pour le prouver. (1)
Chez mon pire ya trois filles se chante sur la première
(1) Il est important de remarquer que le peuple, en Canada, ne fait pas
usage d'instruments à sons fixes, tels que la vielle et les dififérentes sortes
de musettes ou cornemuses: le biniou, le haff-jnpe, eto; que le violon est
le seul instrument dont se servent nos virtuoses campagnards ; et que,
conséquemment, on ne saurait attribier aux exigences d'instruments à
sons fixes le fuit que nos chants populaires appartiennent presque exclusive-
ment au genre diatonique.
Le tambour, dont nos paysans ne font pas non plus usage, était autre'ois un
instrument très en vogue en Canada, avant l'arrivée des blancs. On le regardait
presque comme quelque chose de sacré, parce que les jongleurs s'eu servaient
toujours dans les chants qui accompagnaient leurs magies. C'est si bien le
cas que les premiers missionnaires de la Nouvelle-France ne c msidéraient
un sauvage bien converti que lorsque celui-ci avait brisé son tambour. Le
Frère Gabriel Sagard dit, en parlant d'une coutume montagnaise: "
Je m'oubliais de parler des violons ou instruments musicaux
au sons desquels, <& des chansons des deux chantres, tout le branle alloit &
DU CANADA
287
partie (andante) de l'air noté ci-après. Cette variante m'a
été chantée par une jeune fille du nom de Farly, de
Saint-Barthélémy, comté de Berthier,
Pei- rette est l)ieu ma- la- de, Tra la
la la la la Tra la la la la la, Per- rette est bieu ma-
FIN.
la- de, Eu dauger de mou- rir. Eu daoger de mourir.
T Presto.
Son a- - lui la va voi- - re, Tra- la la
a- - mi la va
voi- - re : — Te lai'- ra - tu mou- rir? Be- zin-
se remuoit à la cadence ; e'estoient une grande escaille de tortue <fe une
façon de tambour de la grandeur d'un tambour de basque, composé d'un
cercle large de trois ou quatre doigts, & de deux peaux roidcment estenduè^
de part & d'autre, dans quoy estoient des graines de bled d'Inde, ou petits
caillous pour faire plus de bruit : le diamettre des plus grands tambours est
de deux palmes ou environ, ils le nomment en Montagnais Ghichîgouan ; ils
ne le battent pas comme oa fait par deçà : mais ils le tournent & remuent,
pour faire bruire les oaiilous qui sont dedans, & ea frappent la terre, tantost
du bord, tantost quasi du plat, pendant que tout le monde danse.
" Voyla tout ce qui est des instruments musicaux du pays."
" Sagard — Histoire du Canada, page 47i, Paris, 1636.
288
CHANSONS POPULAIRES
zi be- ziu- zou Be- zia- zou be- zia-
zaia' Te lai' ra-
P
^3EgE|zEJEEgÊ|ÊEgfj;ggg?
tu mou- rir, Te lui' ra- tu mou-
rir ?
Andante.
Perrette est bien malade,
Tra la la la la la
Tra la la la la la,
Perrette est bleu malade,
En danger de mourir, (bis)
Presto.
Son ami la va voire,
Tra la la la la la la,
Son ami la va voire :
— Te lai'ra-tu mourir ?
Beziiizi bezinzou,
Beziuzou bezinzaine,
Te lai'ra-tu mourir ? {bis)
Andante.
— Non, non, répondit-elle,
Tra la la, etc.
Non, non, répondit-elle.
Je ne veux pas mourir, (bis)
m
D.C-
Presto.
Qu'on m'apporte ma flûte,
Tra la la la la la la.
Qu'on m'apporte ma flûte
Et mon tambour joli.
Bezinzi, beziuzon, etc.
DU CANADA 289
Andante.
Pour jouer une iuibade,
Tra la la la la la
Tra la la la la la
Pour jouer uuo aubade
Et chasser les boucis. (bis)
Chez mou pèr' ya trois filles,
Les voici, les voilà,
Tra la la tra la la,
Chez mou pèr' ya trois filles,
Tout'.s trois à marier, (bis)
Mais yen a deux qui chauteut,
Les voici, les voilà, etc.,
Mais yeu a deux qui chantent
Et l'autre qui gémit, {bis)
Pourquoi gémir, la belle ?
La voici, la voilà, etc..
Pourquoi gémir, la "belle :
Nous somm's tous réjouis ! (bis)
Chantez, cliantez la belle,
La voici, la voilà, etc..
Chantez, chantez, la belle,
Nous chanterons aussi, {bis)
Qu'on m'apporte ma musette,
La voici, la voilà, etc.,
Qu'on m'apporte ma musette
Et mon tambour joli ! (bis)
290 CBANSONS POPULA.IRES
Que je jou' des aubades,
Les voici, les voilà, etc.,
Que je jou' des aubades
Aux enfants saus souci, (bis)
— Les enfants sans souci, me dit-elle,
Les voici, les voilà, etc.
Les enfauts sans souci, me dit-elle,
Ils sout bien loin d'ici, (bis)
Ils sont à la caserne.
Les voici, les voilà, etc.,
Ils sout à la caserne,
Après se divertir, (bis)
Ils boivent pots et pintes,
Les voici, les voilà,
Tra la la tra la la,
Ils boivent pots et pintes,
Vidant les verr's aussi, (bis)
DU CANADA 29î
A LA SANTE DE CES JEUNES MARIÉS
Quel est l'homme ayant tant soit peu de monde qui
oserait parler maliieur, déception, tombeau, au mi-
lieu d'un repas de noces ? Dans de telles circonstances,
au contraire, chacun atrecte une joio sans mélange, et ne
parle que félicité suprême et bonheur sans fin. Et pour
tant la crainte est dans tous les cœurs. Ici bas:
" .jamai.s entièio allégresse ;
L'âme y soiitfre de ses plaisirs,
Les cris de joie ont leur tristesse,
Et les voluptés leurs soupirs.
" La crainte est de toutes les fêtes;
Jaiu.ais un jour calme et ser«iu
Du choc ténébreux des tempêtes
N'a £>;arauti le lendemran "
Ce mystérieux " lendemain," on n'ose pas le regarder
en face, on s'efforce de n'y pas songer. Plus courageux
que nous, et, avouons-le aussi, la conscience plus tran-
quille, l'homme des champs ne craint pas d'en rappeler le
souvenir, môme au milieu de ses fêtes. Au lieu de se
dorloter mollement dans la jouissance du présent, au lieu
de s'écrier inutilement, comme Lamartine:
*' No pourrons-nous jainaio sur l'océan des âges
Jeter l'ancre uti seul jour ? "
292
CHANSONS POPULAIRES
il regarde l'avenir avec calme, tâche de mettre à profit
l'expérience du passé, et se raffermit dans le sentier du
devoir.
Les couplets que l'on va lire prouvent, une fois de plus,
la vérité de cette assertion des frères Grimm : que les
chansons du peuple ne savent jamais mentir.
---\—^^^z
Sur vo- tre bou- té Ah ! je
Vous cbau- ter u- - ue chau- sou, Don- uez
: — ^ _ — ^ — p-
vo-tre at- - teu- ti- - ou.
Sur votre bonté
Ail! je me repose.
Puisque vous voulez
Tous ici que j'ose
Vous chauter uue cliausou,
Douuez votre atteutioa.
DU CANADA 293
Je ne parle pas
Ici du brtniva:5e,
Ni de ce repas,
Mais (lu tuaiia:,fe;
Je ne par.e maintenant
Que de ces Jeunes amants.
Vous avez dit : oui,
Mot très-agi-éable ;
Mais il est aussi
Souvent regrettable,
Et jusque dans le tombeau
On se repend de ce mot.
Messieurs, jusqu'ici.
Jusqu'à vos oreilles.
Je puis bien parler
De tous ceux et celles
Qui se prennent sans s'aimer
Et meur'ut sans se regretter.
Vous, jeunes amants,
Qui cliHrclit'Z des belles,
Veillez sagem-nt,
Soyez-leur fidèles,.
Car vous pourriez être euâu
Accablés de grand chagrin.
Pour vous conserver
Beaux jours et bon rôle,
Vous d'vez répéter
Souvent ces paroles:
Dieu veuille que je sois dons
A cell' dont je suis l'époux!
294 CHANSONS POPULAIRES
Tu ne dois aimer
Que ta clière femme,
Que Dieu t'a dounée
Pour fldèl' compagne j
Tu dois toujours éviter
Cell' qui pourrait te charmer.
Vous vous êt's aimés,
Aimez- vous encore!
Vous serez charmés
De revoir l'accor'-e
Régner dans votre maison
Avec la paix et l'union.
Jeun' femme, écoutez !
Vous ferez de même;
De Dieu suppliez
La bouté suprême
Qu'il vous bénisse tous deux
Et vous donne des jours heaxeux.
Messieurs, c'est assez
Sur le mariage ;
Daignez me verser
De ce doux breuvage :
Que je boive à la santé
De ces jeunes mariés.
DU CANADA
295
DANS TOUS LES CANTONS
(Paroles recueillies par M. J A. Malouin)
L'auteur de ces couplets, après avoir énuméré les vis-
cissitudes du ménage, nous apprend que lui en a été
exempt, qu'il est tombé sur un bon " gibier." Gela prouve
deux choses : \° que les femmes peuvent être bonnes
quelquefois (elles le sont même très-souvent) ; 2° que les
poètes de tous les calibres ne peuvent que difficilement
se taire sur leurs avantages.
Cette chanson, au reste, est, dans son genre, un petit
chef-d'œuvre. La morale en est toute pratique : savoir
bien choisir son -' sribier."
-=F=«=S=*=2=J
j^ ^ — . (-- tf- ^^ —
1 Daus tous les eau-tous Yades fiU's et des gar
^EE|=5=EEpZE|=?E£2EE*EE^EE^
cous Qui veul'nt se ma- ri- - er, C'est la pu- re vé- ri-
-^ ^ —
té. Les gar-çous vont les voir, Le plus sou-vent le
\^--
;«=-p— ^:
iË=EEÊ^Zl E?EES=^=-=I==^^
=^====ZZ^(-====
soir ; Les fill's se ré-joii- iss'nt Quand ell's voi'ut leurs a-
m o-
mis ; Ell's se dis'ut en sou-riant : Le voi-là mon a-
mant !
296 CHANSONS POPULAIRES
Dans toua les cantons
Ya des flU's et des garçons
Qui veul'nt se marier,
C'est la pure vérité.
Les garçons vout les voir
Le plus souvent le soir;
Les till's se réjouissent
Quaud ell's voi'nt leurs amis;
EU's se dis'ut en souriant :
Le voilà mou amant !
Jeunes flU's, écoutez,
Qui voulez vous marier:
Votre engagement
Vous causera du tourment.
Vous prenez un état
De peiu's et d'embarras;
Bien souvent du chagrin,
Sans eu conuaîcr' la fin.
Qui vous f ra regretter
La maison qu'vous quittez.
Etant mariée,
Il faut tout abandonner,
Tous les agréments
D'être avec les jeunes gens.
Faut rester au logis
Pour plaire à sou mari ;
Vous êtes mariée
Par votr' propr' volonté;
Vous avez pris mari,
C'est pour lui obéir.
S'il est complaisant.
Vous aurez de l'agrément j
Mais s'il est jaloux,
Vous n'en aurez pas beaucoap.
DU CANxiDA 29T
Combien y eu a-t-il
De ces méchants maris,
Que tout leur intérêt
C'est d'aller au cabaret,
Pour y passer leur temps
A boir' tout leur argeut!
Le soir arrivé,
Ils revienn'nt à leur logis
Tout en furibons
Et menant le carillon;
Disant d'un air fâché:
" Donne-moi à souper!
Promptemeut lais mou lit,
Car j'ai besoin d'dormir! "
Comment pouvoir chérir
Un si brutal mari?
Vous, à la maison,
Ni pain, ni lard, ni poisson,
N'ayant pas le sou
Et souvent manquant de tout ,
Et vos petits enfants
Qui vous diront : " Maman,
Donuez-uous donc du p;iin,
Car nous mourons de faim! "
Hélas, (luel crève-cœur
Vous f'ra verser des pleurs !
Mais comme cela
Tous les hommes ne sont pas :
Car tous ces défauts.
Pour un seul, ce serait trop!
Yen a, assurément,
Qui sont plus complaisants :
Ilsaim'nt leurs compagaées
Puisqu'ils les ont épousées.
Ils venl'nt les soulager :
C'est pour se faire aimer.
298 CHANSONS POPULAIRES
Mais si lea maris
Ne sont pas tous garantis,
C'est qu'il yen a trop
De ces feniiu's qu'ont des défauts.. ••
De ces Juxineurs marabouts,
Que rien n'est à leur goût ;
Quand on veut leur parler
Dans un coin s'en vont bouder.
Comment n'pas faire courroux
Avec uu tel hibou?
La semaine, au logis,
EU's ont l'air tout étourdies;
Mal peigiiées,jmal chaussées,
Et souvent mal arrangées.
Le dimanche arrivé,
Vous les voyez frisées.
Que tout's leurs qualités
N'est (ju'pour l;i vanité.
EU's n'ont aucun souci
Pour l'alîair' du loiïis.
Qu'en a composé la chanson
C'est un vieillard de ce canton
Qui n'a pas regretté
Le jour qu'il s'est marié.
Il a pris un gibier
Qu'il a su conserver;
Elle a des qualités
Qu'il n'a point publiées :
Que chacun fass' comm' moi,
Qu'il chante ce qu'il sait !
DU CANADA 299
CELLE QUE MON COEUR AIME
On chante, en France, les couplets suivants, qui ont
avec notre chanson Celle que mon cœur aime un lien de
parenté non équivoque:
Nous étions dix till's daus un pré,
ToLit's les dix à marier.
Y avait Diue, y avait Chine,
Y avait Claiidiue et Martiue,
Ab! ab!
Catb'rinette et Catb'riua,
Y avait la belle Suzon,
La ducliess' de Moutbazou,
Y avait Madeleine,
Y avait la du Maine.
Le fils du roi vint à passer,
L'flls du roi vint à passer ;
Salua Dine, etc., etc., etc.
Embrassa la du Maine.
A toutes il fit un cadeau,
A tout's il fit un cadeau.
Bague à Diue, etc., etc., etc.
Diamants à la du Maine.
Puis il leur offrit à coucher,
11 leur offrit à coucher.
Paille à Dine, etc., etc., etc.
Beau lit à la du Maine.
300
CHANSONS POPULAIRES
Puis toutes il les renvoya, .
Toutes il les reuvo^^a.
Chassa Diue, chassa Chine,
Chassa Claudine (it Martine,
Ah! ah!
Cath'rinette et Cath'riua,
Chassa la belle Suzon,
La «luchess' de Montbazou,
Chassa Madeleine,
Et ffarda la du ]\Lune.
Evidemment cette version n'est pas de source populaire.
Mais il est possible qu'il existe, ou du moins qu'il ait
existé, en France, une chanson populaire à peu près
semblable à notre version canadienne, et qu'elle ait
servi de thème aux couplets que l'on vient de lire.
tizH^z
Si-
=&r=,
Dans mon che-
j'ai
è3:
i^=^--\z^z:z—s'—=i=:-\z-?^zz
ren- cou-
tré, Dans mon che- min
J'ai
ren- con-
}:=»
-^ « —
à—--^^^-
tré, Ren- con- tré Jli- ne, reu- con- tré
Fi- ne, Ren- con- tré Jac- que.... Jac- que- li- ne,
Tra la la la la la la la, Ren-con-tré
DU CANADA 301
a*^l~riT==d'ïi
=S=i:
=3^-
Ger- mi- net- te, Cell' qui vend des cho- pi-
net- tes, J'ai reu- cou- tré ma
Dans mon cliemiii j'ai rencontré : (bis)
Rencontré Mine, rencontré Fine,
Rencontré Jacque. .Jacqueline,
Tra la la la la la la la,
Rencontré Germi nette,
Cell' qui vend des cliopiuettes,
J'ai rencontré ma reine,
Celle que mou cœur aime.
Je les ai tout' tout' fait entrer: (bis)
Fait entrer Mine, fait entrer Fine,
Fait entrer Jacque . . Jaciiueline,
Tra la la, etc.
Fait entrer Germinette,
Cell' qui vend des cliopinettes.
J'ai faic entrer ma reine,
Cela que mon cœur aime.
Je les ai tout' tout' fait asseoir : (bis)
Un' chaise à Mine, un' chaise à Fine,
Un' cliaise à Jacque Jacqueline,
Tra la la, etc.
Un' chaise à Germinette,
Cell' ([ui vend des chopinettes,
Un beau fauteuil à ma reine,
Celle que mon cœur aime.
302 CHANSONS POPULAIRES
Je les ai tout' tout' fait manger: (ftts)
Patate à Mine, patate à Fine,
Patate à Jacque.. Jacqueline,
Tra la la, etc.
Patate à Gerrainette,
Cell' <iui vend des c!ioi»inettes,
Un bon cliajjon à ma reine,
Celle que mou cœur aime.
Je les ai tout' tout' fait coucher : (6w)
Paillasse à Mine, paillasse à Fiue,
Paillassi! à Jaciine.. Jacqueline,
Tra la la,, ete.
Paillasse à Gcrmi nette,
Cell' (jui vend des chopinettes,
Un beau lit d'plunie à ma reine.
Celle que mon coeur aime.
Je les ai tout' tout' renvoyées : {bis)
Renvoyé Mine, renvoyé Fine,
Renvoyé Jacque.. Jacqueline,
Tra la la la la la la la,
Renvoyé Germinette,
Celle qui vend des chopinettes,
Mais j'ai gardé ma reine,
Celle que mon cœur aime !
DU CANADA
303
ENTRE PARIS ET SAINT-DENIS
Voici une [nùiicesse, fille d'au roi de France, qui se fait
bel et bien couper l'herbe sous Le pied par une " savante,"
physicienne et botaniste. C'est là un éloquent plaidoyer
en faveur de l'usage, établi depuis quelques années, de
donner des prix de chimie, de physique et de botanique
dans nos pensionnats de jeunes tilles.
Une variante de cette jolie chanson se chante aussi en
France. (Voir les Chants et, Chansons de M. Bujeaud, page
203, vol. 1.) J'ai recueilli ces couplets à Sainte-Louise,
district de Montmagny.
^B~^^\^^^^-\ =m=^=i -l
r-n — :
ZZ3 =«==:'
5l:
Eu- - tre Pa- ris et Saint- De- nis II
s'é- rêve
-.' y — I ^^ :
u- ne dan-
se;
Tou- tes les
5: — ■> 1 — s> — r" — I ~-1 Trrr-,r:rl rr-!-T— W ^1 — " » — I — ^~
da- mes de la vill' Sont a- leu- tour qui dan-
sent. Sur la feuil- le rou don don don, Sur la jo- li'
jo-
li' feuil- le
:j~\z-:^ =
ron-
^
de.
304 CHANSONS POPULAIRES
Entre Paris et Saiut-Denia
n s'élève une danse ;
Toutes les damus de la ville
Sont alentour qui dansent.
Sur la feuille n)n..dou don don,
Sur la joli', joli' feuille ronde.
Toutes les dames de la ville
Sont alentour qui dansent. -
Il n'y a (jue la ûll' du roi
D'un côté qui regarde.
Sur la feuille, etc.
Il n'y a que la flU' du roi
D'un côté qui regai'de.
EU' voit venir sou messager,
Son messager de Nantes.
Sur la feuille, etc.
Eli' voit venir son messager.
Son messager de Nantes.
— Beau messager, beau messager,
Quell's nouvell's ya à Nantes?
Sur la feuille, etc.
Beau messager, beau messager,
Quell's nouvell's ya à Nantes?
— Les nouvell's que j'ai apportées:
Que votre amuic vous mande....
Sur la feuille, etc.
Les nouvell's que j'ai apportées:
Que votre amant vous mande
Que vous fassiez choix d'un amant;
Pour lui a une amante.
Sur la feuille, etc.
DU CANADA
Que vous fassiez choix d'un amant.
Pour lui a uue ainaute.
— Est-elle plus belle que moi?
Est-elle plus savaute?
Sur la feuille, etc.
Eat-elle plus belle que moi?
Est-elle plus saviute?
— EU' n'est pas plus belle que toi;
Mais elle est plus savaute.
Sur la feuille, etc.
EU' n'est pas plus belle que toi,
Mais elle est [dus savante :
EU' fait ueiger, eU' fait grêler,
EU' fait le veut qui vente.
Sur la feuille, etc.
EU' fait neiger, ell' fait grêler,
EU' fait le vent qui vente;
EU' fait reluire ^e soleil
A minuit, dais sa chambre.
Sur la feuille, etc.
EU' fait reluire le soleil
A minuit, ilans sa chambre;
EU' fait pousser le r')maria
Sur le bord de 1 1 Manche.
Sur la feuille ron..d:)u dou doi^
Sur la joli', joli' feuille ronde.
306 CHANSONS POPULAIRES
IL N'Y A QU'UN SEUL DIEU
Je connais depnis bien longtemps cette ancienne ronde
que l'on pourrait parfaitement appeler une ronde religieuse.
L'exécution en est très-simple :
Les danseurs se comptent d'abord à haute voix, de
façon à ce que chacun d'eux se trouve être désigné par un
nombre pair ou impair. Le chant commence ensuite et
la chaîne se meta tourner. On tourne ainsi constamment,
tantôt à droite, tantôt à gauche; mais quand les chan-
teurs en sont au sixième couplet, et chaque fois que ce
sixième couplet se répète, tout le monde s'arrête, et, pen-
dant que l'on chante : Six urnes placées, remplies, les
danseurs désignés par un nombre pair se tournent, d"abord
à droite, puis à gauohe, et font à leurs voisins de profonds
saints. Ceux que désigne un nombre impair font la même
cérémonie en sens inverse : le tout avec la gravité d'une
cérémonie religieuse. Puis lorsque l'on chante : A Cana,
en Galilée, les danseurs recommencent à tourner.
Tout cela n'est guère dans le goût des jansénistes. Tandis
que ceux-ci, sous prétexte de respect, bannissent Dieu de
tout ce qui n'est pas le ciel ou le sanctuaire, les catholiques
véritables ont le bon sens de parler de Dieu partout,
même dans leurs amusements. " On a r^mai-qué dès
longtemps, dit d'une manière charmante M. de Sainte-
Beuve, cette gaieté particulière aux peuples catholiques ;
ce sont des enfants qui, sur le giron de leur mère, lui font
toutes sortes de niches et prennent leur aises."
DU CANADA H07
Cette ronde est la traduction à peu près littérale d'une
des Imitations des Séries druidiques que composèrent les
missionnaires qui établirent le christianisme dans les
Gaules. On s'en convaincra par cette citation partielle
de deux chants publiés par M. de Villemarqué (Barzas-
Breiz, pages 1 — 28) :
CHANT DRUIDIQUE.
Le druide.
Tout beau, enfant blauc du druide ;
Réponds-moi, tout beau, que veux-tu ?
Que je chauterai-je ?
L'enfant.
— Cbante-moi la série du nombre un,
Jusqu'à ce que je l'apprenne aujourd'hui.
Le druide.
Pas (le série pour le nombre un:
La nécessité unique ;
Le trépas père de la douleur;
Rien avant, rien de plus
Lenfant.
La série du nombre deux ?
La série du nombre douze?
Le druide.
Il y a douze mois et douze signes)
Onze bélek armés, — .
Dix vaisseaux ennemis,....
Neuf petites mains blanches,....
308 CHANSONS POPL'LAERES
Huit vents, .
Sept soleils, .
Six i)etits eiifiuits de cire,
Cinq zones antoni- de la terre,...
Quatre pierres à aiguiser,
Trois parties du monde,
Deux bœufs .
La nécessité unique, le trépas...
CHANT CHRÉTIEN.
— Die inilii quid unus f
— Un us est De us
Qui regiuit in cœlis.
— Die milii quid duo?
— Die mihi quid duodecim?
— Duodecim apostoli ;
Undecim stellae
A Joseplio visœ ;
Decem mandata Dei;
Novem angeloriim chori;
Octo beatitudines;
Septem sacranieutaj
Sex liydrisB
Posifcœ
lu cœua Galileaa;
Quiuqne libiis Moysisj
Quatuor evaugelistse
Très su ut patriarcbœ ;
Duo testamenta ;
Un us est De us.
UU CANADA
309
FIN.
z^-rdl- - J:=:zgr=r
1^
Il n'ya qu'au seul Dieu. Il u'ya qu'un seul Dieu.
Il n'ya qu'un seul Dieu,
Il u'ya qu'un seul Dieu.
Dis-moi pour- quoi deux, Dis-moi pour-quoi deux.
A
— *-;
■Il y a deux Tes-ta- uieuts.
Dis-moi pourquoi deux, {bis)
— Il y a deux Testaments,
Il u'j-a qu'un seul Dieu, (bis)
— -"• '* — — » «
îEE~E=*E-
--â—~-szzz
Dis- moi pour- quoi trois, Dis-moi pour- quoi trois.
=Ë^=Élip=p=3iiÊïi;ii à la
lettre A.
— Il ya trois grands pa- tri- arch's.
Dis-moi pourquoi trois, {bis)
— n y a trois grands patriarches,
Il y a deux Testaments,
Il u'ya qu'uu seul Dieu, {bis)
310
CHANSONS POPULAIRES
Dis- moi pour- quoi quatr', Dis-inui pour- quoi quatre.
irrg=-«^--e-=z;=-r^=-rg^— g-j à la lettre B.
' — U ya quatre é- van- gé- list's.
Dis-moi pourquoi quatre, {bis)
— Il ya quatre évangélistes,
Il ya trois grands patriarches,
Il y a deux Testaments,
Il n'ya qu'un seul Dieu. (6ts)
Dis- moi pour- quoi cinq, Dis-moi pour- quoi cinq.
D
Ê^^iiliË^ËiÊ~ËiÊÊË^Ë=f*=Ë3 à la lettre C.
Il ya cinq livr's de Mo- ïse.
Dis-moi pourquoi cinq. \\)is)
— Il ya cinq livr's de Moïse,
Il ya quatre évangélistes,
Il ya trois grands patriarches,
Il y a deux Testaments,
Il u'ya qu'un seul Dieu, {bis)
Dis- moi pour- quoi six, Dis-moi pour- quoi six.
E ILento e religioso. 1° tempo.
— Six uca's pla- cées, rem- plies, A Ca-
i}=ffE^EE5E=ff==3?p=r:§ à la lettre D.
na, en Ga- li- lée.
DU CANADA
Dis-moi pourquoi six. (bis)
— Six urii's placées, remplies,
A Caua, en Galilée,
Il ya cinq livr's do Moïse,
II ya quatre évaiigélistes,
Il ya trois grands patiiarclies,
II y a deux Testaments,
Il n'ya qu'uu seul Dieu, {bis)
311
Dis-moi pour- quoi sept. Dis-moi pour-quoi sept
— Il y a sept sa- cre- uieuts
Dis-moi pourquoi sept. {Us)
— Il y a sept sacrements,
Six mni's placées, remplies,
A Caua, eu Galilée,
II ya cinq livr's de Moïse,
Il ya quatre évaugélistes,
Il ya trois grands patriarches,
Il y a deux Testaments,
Il n'ya qu'uu seul Dieu, (.bis)
Dis- moi pour- quoi huit, Dis-moi pour- quoi huit
=^Z~~-'Zi:=:^~f!.—-'z—--i=:z-dà a la lettre P.
f — ^ — *
—Il ya huit bé- a- ti- tud's,
312 CHANSONS POPULAIRES
Dis-moi pourquoi liuifc. (bis)
— Il ya huit béatitudes,
Il y a sept sacremeuts,
Six urn^s placées, remplies,
A Cana, en Galilée,
Il ya cinq livr's de Moïse,
Il ya quatre évangélistes,
Il ya trois grands i)atriarcUes,
II y a deux Testaments,
Il u'ya qu'un seul Dieu, {bis)
:_-hs- — I» — 1^:=^ — ~o ~V-
pour- quoi neuf, Dis-moi pour- quoi neuf.
à la lettre G.
Dis-moi pourquoi neuf, (bis)
— Il y a neuf cliœurs des auges,
Il ya huit béatitudes.
Il y a sept sacrements.
Six urn's placées, remplies,
A Cana, en Galilée,
Il ya cinq livr's de Moïse,
Il ya quatre évangélistes,
Il ya trois grands patriarches,
Il y a deux Testaments,
Il u'ya qu'un seul Dieu, (bis)
rï;=^r-q=r=r=jr=t
— ^'— -— — ? — '— '
Dis- moi pour- quoi dix, Dis-moi pour- quoi dix
DU CANADA
313
—Il
ya
EE^EE*E£Ei£EEE5EEItEEÎ à la lettre H.
dix com- mau- de- ments.
Dis-moi pourquoi dix. {bis)
— Il ya dix coinmandemeuts,
Il y a ueuf cliœuis des anges,
Il ya liuit béatitudes,
Il y a sept sacrements.
Six urrî's placées, remplies,
A Caua, en Galilée,
Il ya cinq livr's de Moïse,
Il ya quatre évangélistes,
Il ya trois grands patriarches.
Il y deux Testaments,
Il n'ya qu'un seul Dieu.
:rg^==z==ze=i=^z:rf:
:ff^;
Dis- moi pour- quoi onz', Dis-moi pour- quoi onze.
^g^g-J--5^~^^--g— -— Bà la lettre I.
-Il y a onz' cents mill' vierg's.
Dis-moi pourquoi onze, {bis)
— Il y a onz' cents mill' vierges.
Il ya dix commandements,
Il y a neuf cliœurs des anges.
Il ya huit béatitudes,
Il y a sept sacrements,
Sii; urrî's placées, remplies,
A Cana, eu Galilée,
Il ya cinq livr's de Moïse,
Il ya quatre évangélistes,
Il ya trois grands i^atriarches.
n y a deux Testaments,
Il n'ya qu'un seul Dieu. (J)ia)
314
CHANSONS POPLTLAr.i:-:^
Dis- moi pour-quoi doiiz', Dis- moi pour- quoi douze.
^=J^^lHg^'=Êf ^^=*=llà la lettre J.
— Il y a les douze a- pôtr's.
Dis-moi poaniuoi doiizo. {bis)
— Il y a les douze apôtres,
Il y a onz' cents inill' vierges,
Il yadix coinuiaudeuients,
Il y a neuf chœurs des anges,
Il ya huit béatitudes,
Il y a sejit sacrements,
Six urn^s placées, remplies,
A Cana, en Galilée,
Il ya cinq livr's de Moïse,
Il ya quatre év'angélistes,
Il ya trois grands patriavclies,
Il y a deux Testaments,
Il n'y a qu'un seul Dieu, (bis)
DU CANADA 31S
REMARQUES GÉNÉRALES.
Les différents intervalles de l'échelie des sons forment
ce que l'on pourrait appeler le corps de la musique ; le
rliythmu en est l'àme.
De Tunion de ces deux éléments nait la mélodie.
La mélodie est une suite de sons formant un chant
compréhensible à l'oreille (1), — suite de sons nécessaire-
ment traversée par le rliytlinie et recevant de lui un
caractère.
L'harmonie, qui repose sur la simultanéité des sons,
n'est pas un élément essentiel de la musique, du moins
de toute musique, comme l'échelle dos sons et comme le
rhythme. L'homme de la campagne qui fait entendre sa
voix solitaire au milieu des champs, fait de la musique,
mais pas d'harmonie.
Ainsi donc :
Echelle des sons, — corps de la musiijue;
Rhythme, -âme de la musique;
Mélodie,— corps et âme, échelle et rhythme réunis;
Harmonie, —accessoire non obligé do la mélodie, du
moins dans nos chants populaires.
Pour bien comprendre ce ([ue sont nos chants popu
(1) Scudo. Tout le mondo connaît la fameuse définition de saint Jean de
Damas: la mélodie est une «uite de sons qui n'appellcnU Pour ces seuls mots :
qui s'appellent, disait Choron, saint Jean Damascèae méritait bien d'être
canonisé !
316 CHA^SOXS POPULAfRE.S
lainjs, examinons-lo» dans lonva modes— échelles des sons
— et dans leur rhylhnio. Examinons aussi jusqu'à quel
point ils sont susceptibles de s'unir avec l'harmonie. Cet
examen nous permettra de porter un ju;,'ement plus
éclairé sur l'esthétique de cette musique du peuple.
ECHELLE DHS SONS.
Dans son acception générale, le son, suivant Boëce,
" est un battement d'aircontinuéjusques au sens de l'ouye
sans interruption aucune."
Les milliers de bruits qui remplissent la nature n'ont
pas tous le caractère musical. Pour qu'un son porte le
caractère musical, il faut qu'on puisse lui assigner une
place dans une échelle ou série de sons quelconque de
manière (jue l'oreille ne le confonde pas avec un son plus
grave ou plus aigu.
L'immense échelle des sons musicaux, depuis le plus
grave jusqu'au plus élevé que l'oreille puisse entendre, se
divise naturellement par mtervalles que, dans le système
musical qui nous est familier, nous appelons octave. (1)
Les sons compris entre les notes extrêmes d'une octave,
se divisent de différentes manières, et par leur succession
du plus grave au plus aigu, ou vice versa, constituent ce
qu'on appelle gamme.
(1) Cet intervalle d'octave qui consonne si parfaitement à l'oreille, est
aussi admirable d'ordre et de proportion dans ses causes que dans ses effets.
Que l'on fasse entendre un son donnant 200 vibrations par seconde, le pre-
mier son identique à l'aigu donnera 400 vibrations, le second 800, et ainsi do
suite. A
DU CANADA 317
Le mode détermine l'ordre de succession des notes de
la gamme oa d'une série de sons quelconque, d)
Il faut bien se garder de croire que nos deux gammes
du mode majeur et du mode mineur soient les seules
acceptables pour l'oreille de l'homme. A part toutes les
preuves du contraire qui ont déjà été données dans ce
volume, et toutes celles que nous fournit l'histoire, il en
est une excellente qui réside dans ce fait : que les Arabes,
les Indiens, et les peuples orientaux, en général, ne con-
naissent point notre manière de diviser l'octave.
Dans les séries de sons dos divers systèmes de musique
en usage chez ces peuples, les intervalles sont quelque-
fois plus petits et quelquefois plus grands que les plus
petits ou les plus grands intei'valles de nos gammes ma-
jeures et mineures.
Chez les Hindous, l'octave, divisée en vingt-deux parties,
présente, dans ses subdivisions, les plus grandes étran-
getés. Il n'est pas un seul de leurs six modes principaux
{ragas) qui corresponde en tous points soit avec les modes
de notre plain-chant soit avec nos deux modes majeur et
mineur.
La division de l'octave chez les Arabes constitue une
échelle de sons non moins étrange pour nous que celle
des Hindous. " Cette échelle .. . si naturelle à l'oreille
des habitants d'une grande partie de l'Afrique et de l'Asie,
(1) Chez les anciens Grec-, l'échelle était divisée par séries de quatre
notes appelées tétracorden. Lorsque saint Ambroise limita à une octave
l'étendue de chacun des quatre modes du chant ambrosien, l'unité artifi-
cielle du tétracorde, dans l'échèile des sons, disparut peu à peu pour faire
place à l'unité naturelle do l'octave.
318 CtiANSONS POPaL.VUililS
est divisée par tiei-s de tons, de telle sorte (jii'au lieu de
renfermer treize sons dans l'étendue de l'octave, elle en
admet dix-huit Semblable au système de tonalité
des Hindous, sous le rapport de la variété, celui des
Arabes est de nature à faire comprendre jusqu'où peut
aller la différence d'organisation musicale entre les p(iu-
ples divers. Les douze moJes de ce système se divisent
chacun en treize gammes ou circulations. Toutes ces
circulations répondent à noti-e gamme de /a, mais dans
un ordre de succession tel que les notes in.termédialres
entre la et son octave supérieure se présentent tour-à-tour
dans un état d'altération qui résulte de la division de
l'échelle par tiers de lon^ à rexception de la quarte supé-
rieure [ré)^ qui est immuable comme les deux notes des
extrémités de la gamme." (1)
Il est certain que si nous entendions la musique qui
repose sur de pareilles échelles de sons, nous la trouve-
rions détestable, et cela parce que l'éducation de notre
oreille nous porte à repousser de semblables divisions de
l'octave. " Rien n'est plus difficile, dit M. Fétis, que de
former une idée juste d'une musique dont les élémens
sont absolument différents de ceux qui servent la base à
la musique qu'on a entendue pendant toute sa vie : les
musiciens les plus instruits ont beaucoup de peine à se
défendre en pareil cas des préjugés de leur oreille. Un
exemple prouvera ce que j'avance.
" M. Villoteau, ancien artiste de l'Opéra, était du
nombre des savants qui suivirent le général Bonaparte
(1) Fétis. Rémmé philosopliiqiue de l'histoire de la Musique, pages LXXVUI
et LXXIX.
DU CANADA 319
dans l'expédition d'Egypte. Sa destination était de re-
cueillir des renseignements sur la musique des divers
peuples de l'Orient qui habitent cette contrée. Dès son
arrivée au Caire, il prit un maître de musique arabe, qui,
suivant la coutume de ces musiciens, faisait consister ses
leçons à chanter des airs que son élève devait retenir :
car, dans ce pays, l'artiste le plus habile est celui qui sait
de routine le plus grand nombi-e de ces airs. M. Villo-
teau, qui se proposait de rassembler beaucoup de mélodies
originales du pays où il se trouvait, se mit à écrire sous
la dictée de son maître; et remarquant, pendant qu'il
notait sa musique, que l'instituteur détonnait de temps
en temps, il eut soin de corriger toutes les fautes qui lui
semblaient être faites par celui-ci. Son travail terminé,
il voulut chanter l'air qu'on venait de lui enseigner, mais
l'Arabe l'arrêta dès les premières phrases en lui disant
qu'il chantait faux. Là dessus, grande discussion entre
le disciple et le maître, chacun assurant que ses intona-
tions sont inattaquables, et ne pouvant entendre l'autre
sans se boucher les oreilles. A la lin, M. Villoteau ima-
gina qu'il pouvait y avoir dans cette dispute quelque
cause singulière qui méritait d'être examinée ; il se fit
apporter un Eoud^ espèce de lath dont le manche est
divisé suivant les règles de l'échelle musicale des Arabes ;
l'inspection de cet instrument lui fit découvrir, à sa
grande surprise, que les éléments de la musique qu'il
savait et de celle qu'il voulait apprendre étaient absolu-
ment différents. Les intervalles de sons ne se ressem-
blaient pas, et l'éducation du musicien français le rendait
aussi inhabile à saisir ceux des chants de l'Arabie qu'à
320 CHANSONS POPULAIRES
les exécuter. Le temps, une patience à toute épreuve, et
des exercices multipliés finirent par modifier les dis-
positions de son organe musical, et le rendre apte à
comprendre ces gammes étranges qui avaient d'abord
blessé son oreille."
" Les Egyptiens n'aiment pas notre musique, dit M.
Villoteau, et trouvent la leur délicieuse."
On me pardonnera d'insister autant sur toutes ces
étrangetés orientales. Il est bon que ces faits soient plus
connus qu'ils ne le sont : il est tant de gens qui s'imagi-
nent que la musique a dû toujours être, en tous temps et
en tous lieux, ce qu'elle est dans // Trovatore et
qu'elle ne sortira jamais de là ! Ces considérations, d'ail-
leurs, sont de nature à nous faire sortir un peu du cercle
d'idées dans lequel on est accoutumé de tourner sans
cesse; elles aident à se détacher un moment de théories
trop exclusives, quoique bonnes en elles-mêmes, à placer
l'esprit dans cette indépendance qu'il lui faut de toute
nécessité pour juger sainement d'une tonalité, d'une
langue musicale étrangère.
Notre musique, que l'on pourrait appeler européenne^
est née, comme l'on sait, des chants d'église du moyen
âge, lesquels sont issus eux-mêmes de la musique de la
Grèce antique.
Je fais grâce au lecteur de l'histoire de notre échelle
musicale, et en particulier des faits qui se rattachent à
son origine grecque. Pour peu qu'on ait feuilleté de
livres, on a si souvent rencontré sur sa route les Pelages
DU CANADA H21
et les Hellènes qu'il est peu de lecteurs qui ne se soient
écriés bien des fois :
Qui nous délivrera des Grecs et des Romains !
OU tout au moins des premiers ! Cependant, vers l'an 338
avant notre ère, il s'opéra, dans le système musical des
Grecs, une transformation si féconde en enseignements
qu'elle doit être rappelée ici.
Jusqu'à cette époque, le seul genre généralement connu
en Grèce était le genre diatonique^ dont l'intervalle carac-
téristique est le ton entier. Mais les rapports des Grecs, et
tout spécialement des Ioniens, avec les peuples de l'Orient
devenant de plus en plus fréquents, leur musique prit un
caractère mou et sensuel qu'elle n'avait jamais eu jusqu'a-
lors, et le genre appelé chromatique ., dont l'intervalle carac-
téristique est le demi-ton., commença à devenir en usage. (1 )
Il ne faut pas croire que ces deux faits : les relations
plus fréquentes des Grecs avec les peuples efféminés et
sensuels de l'Orient et l'apparition du genre chromatique
parmi eux, soient deux choses indépendantes l'une de
l'autre, n'ayant aucune relation entre elles, et qu'elles ne se
soient produites en môme temps que par une coïncidence
tout accidentelle. Non, " les différents genres, comme le
dit parfaitement M. Vincent, ont un caractère moral parti-
culier : le genre diatonique est mâle et austère ; le chro-
matique a quelque chose de tendre et de mélancolique ;
enfin l'enharmonique est doux quoique excitant." D'où
(1) Plus tard, environ 200 ans avant Jésus-Christ, on vit apparaître ou
réapparaître un troisième genre appelé enharmonique, dont l'intervalle
caractéristique est le quart de ton-
322 CHANSONS POPULAIRES
il suit qu'une société à mœurs sévères chantera dans une
tonalité dont l'échelle sera formée de grands intervalles,
comme dans le genre diatonique, — tonalité dans laquelle
ne chantera jamais une société dissolue et affolée de
plaisirs.
" Chaque système musical, dit M. d'Ortigue, a son
échelle particulière, où les sons sont divisés selon la cons-
titution de ce môme système. L'échelle est en quelque
sorte l'alphabet propre à chaque idiome musical, c'est-à-
diré à chaque tonalité. Les intervalles sont plus ou moins
distants les uns des autres, et ils revêtent entre eux des
propriétés^ des affinités différentes selon les divers modes
propres .à la tonalité à laquelle appartient l'échelle, en
sorte que dans chaque tonalité on droit distinguer, en
premier lieu, l'échelle générale des sons et en second lieu
les échelles particulières des divers modes, c'est-à-dire la
gamme et ses modifications, telles que la gamme majeure
et mineure dans notre tonalité. Les Orientaux divisent
leurs échelles par tiers et quarts de tons, la nôtre est divi-
sée par demi tons, celle du plain chant fondée sur l'ordre
diatonique procède par tons entiers, sauf les deux demi-
tons inhérents d'ailleurs à l'ordre diatonique et le demi-
ton accidentel. Plus les mœurs sont efféminées chez un
peuple^ plus son échelle musicale affecte de petits intervalles
rapprochés ; plus^ au contraire, un peuple est grave, plus il
est attaché aux doctrines religieuses, et plus son échelle tend
à multiplier les grands intervalles. Ceci soit dit pour pro-
tester contre l'opinion de Rousseau et plusieurs autres
théoriciens, à savoir que la coordination des intervalles
dont se compose toiite l'échelle musicale est le produit
DU CANADA 323
d'une délibération, d'un choix, d'an calcul. Les échelles
musicales ne sont pas le fait des hommes, pas plus que les
alphabets, pas plus que les langues. Elles sont le produit
spontané de mille causes, de mille circonstances de
climat, de langage, d'aptitudes, etc. Ce que les hommes
y ont mis, ils l'ont mis par instinct, mais il n'y ont rien
mis délibérément. C'est l'œuvre de tous, ce n'est l'œuvre
de personne en particulier ; c'est l'expression de la civili-
sation." (1)
Et que l'on ne s'étonne pas que ces diverses divisions de
l'échelle, que j'ai appelées le corps de la musique, aient
tant d'influence sur la partie métaphysique de l'art. Dieu
en créant l'homme esprit et matière l'a voulu ainsi; et si
le but principal de l'art doit être immatériel, il n'en est
pas moins vrai que les formes matérielles sont indispen-
sables et qu'elles jouent un très-grand rôle dans tous les
arts. C'est que, dans les relations de l'homme avec son
semblable ou avec la société, il lui faut frapper aux
organes du corps pour arriver à l'âme. Notre Seigneur
Jésus-Christ lui-même a rendu un éclatant hommage à
cette loi de l'éternelle sagesse. Rien de sensible, dit saint
Jean-Chrysostôme, ne nous a été donné par Jésus-Christ,
mais tout sous des apparences sensibles. Ainsi, dans le
baptême, c'est par l'eau qui tombe sous les sens que la
grâce invisible est accordée, c'est-à-dire notre régénéra-
tion, notre renouvellement, opération toute intelligible.
Si tu n'avais point de corps, tu aurais reçu ces dons tels
(1) Joseph d'Orligue. Dictionnaire liturgique, historique et théorique de plain-
chant et de micsique religieuse au mogen âge et dans les temps modernes.
324 CHANSONS POPULAIRES
qu'ils sont, tu les aurais reçus incorporels, mais ton âme
est jointe à un corps, et c'est par l'intermédiaire des objets
sensibles qu'ils sont présentés à son intelligence."
Nos chants populaires appartiennent le plus souvent,
quant à l'échelle des sons, à la tonalité grégorienne. Les
exemples de ce fait qu'on a pu voir dans ce volume ne
sont pas des exemples isolés. On peut ajQirmer que les
mélodies qui n'ont jamais pénétré dans les villes, — et elles
sont extrêmement nombreuses, — appartiennent presque
toujours à l'ordre diatonique, et que très-souvent elles
sont mèpe entièrement conformes aux lois modales du
chant grégorien. Ce fait étant connu, un homme, qui, du
reste, ne connaîtrait rien du Canada, pourrait dire avec
certitude, de l'avis de M. Vincent, de M. d'Ortigue et de
tous les théoriciens, que, du moins dans une certaine
mesure (car il y aurait encore le rhythme à examiner), le
peuple de nos campagnes canadiennes est un peuple à
mœurs simples, honnête et religieux, (l)
On a pu voir que, dans un bon nombre de nos mélodies
populaires, les modes grégoriens, avec leurs échelles spé-
ciales, leurs notes à propriétés et affinités particulières,
sont parfaitement accusés. Il est d'autres mélodies popu-
(1) " Platon, ainsi que les philosophes les plus célèbres de la Chine, con-
sidérait la simplicité des mœurs et le calme des passions comme le fonde-
ment le plus solide du maintiea de la constitution et de la tranquillité d'un
royaume ou d'une république. Or, il est de certains systèmes de tonalité
dans la musique qui ont un caractère calme et religieux, et qui donnent
naissance à des mélodies douces et dépouillées de passion, comme il en est
oui ont pour résultat nécessaire l'expression vive et passionnée. A l'audition
de la musique d'un peuple, il est donc facile déjuger de son état moral, de
ses passions, de ses dispositions à un état tranquille ou révolutionnaire, et
enfin de la pureté de ses mœurs ou de ses penchants à la mollesse. Quoi
DU CANADA 325
laires qui portent aussi le cachet antique, mais qui affec-
tent la plus parfaite indépendance à l'endroit des formes
modales. Mélodies charmantes dans leur étrangeté, j'allais
dire leur sauvagerie, elles offrent le plus souvent un mé-
lange du premier mode grégorien et du mode majeur, et
elles se promènent ainsi, sur un rhythme tantôt binaire
tantôt ternaire, jusqu'à ce qu'il leur plaise de s'arrêter sur
un intervalle dont l'oreille est tout étonnée, intervalle
irrationnel suivant toutes nos lois, et pourtant d'une réelle
beauté.
Ces mélodies sont précieuses à recueillir. D'une valeur
incontestable, malgré leur bizarrerie, elles témoignent
qu'en dehors de nos lois anciennes et modernes, il y a
encore un vaste champ pour la musique de l'avenir.
. On a souvent dit que l'échelle du chant grégorien
n'était qu'un reste de barbarie, le débris d'un systèrne de
pure convention. Ces idées, il est vrai, n'ont plus cours
parmi les musiciens instruits, mais comme elles sont
profondément enracinées chez d'autres, et que ces derniers
sont, après tout, le plus grand nombre, elles sont encore
très-discutées. Or, entre musiciens qui ne s'accordent
pas, il n'y a souvent d'autre argument possible que l'é-
qu'on fasse, on ne donnera jamais un caractère véritablement religieux à la
musique sans la tonalité austère et sans l'harmonie consonnante du plain-
chant; il n'y aura d expression passionnée et dramatique possible qu'avec
une tonalité susceptible de beaucoup de modulations, comme celle de la
musique moderne: enfin, il n'y aura d'accents langoureux, tendres, mous
efféminés, qu'avec une échelle divisée en petits intervalles, comme les
gammes des habitants de la Perse et de l'Arabie L'inspection de
la musique d'un peuple peut donc donner une idée assez juste de son état
moral, et Platon et les philosophes chinois n'ont pas été à cet égard dans
une erreur aussi grande qu'on pourrait le croire." (Fétis, Résumé, p. LUI.)
326 CHANSONS POPUL/VIRES
change de coups de poings, argument qui, comme l'a dit
quelque part m\ spirituel écrivain, ne se trouve pas dans
la grammaire des grammaires.
Mais de pareils témoignages d'amitié ne résolvent rien*
Si on voulait nous en croire on soumettrait tout simple-
ment la question à un arbitre, et cet arbitre, on le devine,
ce serait le peuple. J'ai d'ordinaire peu de confiance en
ses jugements, mais le cas est exceptionnel.
Assurément on ne pourrait accuser le peuple de partia-
lité : il n'entend rien à nos discussions; il fait sa prose ou ;
ses vers sans le savoir, comme le bonhomme Jourdain*
Ecoutons-le chanter, c'est la vraie nature prise sur le fait.
Le peuple chante dans les vieux modes grégoriens, non
pas parce qu'il suit une note écrite qui le veut ainsi : il"
ne comprend rien ni aux notes, ni à aucun système mu-
sical — mais parce qu'il obéit à son insu à un ordre de
choses supérieur, venant de Dieu et du rapport qui existe
entre les choses visibles et les choses invisibles. Il subit
l'action de tout ce qui l'entoure, et il trouve naturelle-
ment l'expression de ses sentiments, de l'état de son esprit
et de son cœur, sans aucun calcul, sans aucune idée pré-
conçue de théorie ou de système. " La musique, a dit
Leibnitz, est un calcul secret que l'âme fait à son insu."
Et notez qu'on ne peut attribuer à l'emploi d'instruments
à sons fixes une éducation de l'oreille prétendue défec-
tueuse, et que l'on ne saurait appeler la tonalité de nos
chants populaires /a tonalité des cornemuses, comme écrivait
quelque part madame George Sand. J'ai déjà dit que les
DU CANADA 327
paysans canadiens ne font usage d'aucun autre instrument
que du petit violon.
" Il nous est arrivé, il y a quelques années, écrivait M.
d'Ortigue, de parcourir pendant l'automne les campagnes
avoisinant la montagne du Luberon, pour y l'aire la
chasse, non au gibier, mais aux mélodies anciennes.
Quand nous entendions une chanson, un cantique, une
complainte, ou bien un air de fifre qui nous plaisait par
sa singularité et son tour naïf, nous allions interroger le
paysan, la paysanne ou le bei'ger qui l'exécutaient, et si
nous ne pouvions le transcrire au moment môme, nous
annoncions notre visite pour le soir à la veillée dans la
grange. Réunis autour d'une table, les femmes cousant et
filant, les hommes lisant, chantant ou fumant, ces braves
gens nous répétaient la mélodie du matin, et quand nous
en avions bien saisi les intonations et le rhythme, ce qui
(pour le rhythme principalement) n'était pas toujours
facile; quand nous avions tenu compte des diverses
variantes que plusieurs d'entre eux proposaient, nous
écrivions le chant sous la dictée d'un seul, au grand éton-
nement de l'assemblée quine pouvait concevoir comment,
au moyen de certains signes, on pût fixer les sons. Mais
ils étaient bien obligés de se rendre quand nous leur
chantions à notre tour la mélodie et les paroles sans faire
une faute. D'ordinaire ces bons paysans nous disaient :
Tel cantique a deux airs, l'ancien et le nouveau. Lequel
voulez-vous? Nous les leur faisions chanter tous les deux,
mais nous donnions presque toujours la préférence à l'air
328 CHANSONS POPULAIRES
ancien. Effectivement, disaient-ils, l'ancien est beaucoup
plus beau, et il est fort remarquable qu'Us traduisaient le
plus souvent l'air moderne dans leur vieille tonalité favorite^
en supprimant presque partoict la note sensible."
Ce que M. d'Ortigue vient de nous raconter m'est arrivé
cent fois à moi-même ; les mômes observations qu'il a
faites en France, je les ai faites en Canada, et si ce n'était
quelques petits détails de mise en scène qui nous sont
étrangers, (comme les réunions dans une grange,) on
pourrait croire que le savant musiciste a fait sa chasse
aux mélodies sur les bords du Saint-Laurent tout aussi
bien que dans le voisinage du comtat Venaissin. Mais je
reviens à notre arbitrage, et je conclus que si, très-
souvent, le plus souvent peut-être, le peuple suit d'instinct
les lois des diverses échelles modales du plain-chant, il
est impossible que ces lois soient purement convention-
nelles, et il est évident au contraire qu'elles émanent de la
nature même des choses et de leur principe divin.
RHYTHME.
" Le rhythme, c'est le mouvement qui traverse néces-
sairement la mélodie et lui donne un caractère." (1)
Dans nos chants populaires, le rhythme est souvent
mesuré ; quelquefois il l'est à peine, et si, non sans
difficulté, on peut lui reconnaître une mesure, celle-ci
passe du mouvement binaire au mouvement ternaire, et
(1) Scudo.
DU CANADA 329
vice versa, puis disparait, puis reparaît encore, sans pour
cela que le rhythme cesse un instant d'exister.
Que, dans notre musique artistique, on fasse durer un
simple silence un temps de plus ou un temps de moins
que ne le veut la mesure, l'oreille en est plus choquée
qu'à l'audition d'une fausse note. Dans nos mélodies
populaires, au contraire, des mesures tronquées ou allon-
gées laissent l'oreille également satisfaite.
Le rhythme de nos mélodies populaires (je parle surtout
des mélodies qui ne sont chantées qu'à la campagne)
appartient doncàla fois au rhythme non mesuré du plain-
chant et de au rhylhme mesuré de la musique moderne.
Pour le rhythme duplain-chant comme pour ses échelles
modales, messieurs les musiciens avancés professent
le plus superbe dédain. " Eh ! ne voyez-vous pas, me
disait l'un d'eux, que si les vieux moines du moyen-âge
ne mesuraient pas leur musique c'est qu'il ne connais-
saient pas mieux ? Je suis d'avis, moi, que l'on devrait
arranger tout le chant grégorien à deux, à trois et à
quatre temps ce serait un progrès ! "
En vérité, on abuse étrangement de ce mot "progrès. "
Et d'abord on connaissait très-bien la mesure au moyen-
âge. Avant même le moyen-âge, saint Ambroise con-
naissait la rhythme poétique, et on possède aujourd'hui
des documents établissant d'une manière irrécusable
qu'aux neuvième et dixième siècles, il existait, concurem-
330 CHANSONS POPULAIRES
ment avec le plain-chant, une musique mesurée^ populaire,
" essentiellement différente du chant de Téglise." (I|
Si donc on connaissait la mesure au moyen-âge, et que,
néanmoins, le chant plane était toujours conservé dans
l'église, on ne saurait dire qu'on ne faisait pas autrement
par ignorance; il faut reconnaître au contraire que ce
chant non mesuré a sa raison d'être, son expression
propre. Et, apparemment, cette expression particulière
convient singulièrement au sentiment religieux, puisque,
pendant des siècles, le plain-chant au rhythme non-mesuré
régna en souverain dans le sanctuaire, et que, de l'avis de
tout juge éclairé, la musique mesurée, n'a jamais pu
s'élever jusqu'à lui dans le domaine da l'art religieux.
" Il y a dans toute musique un rhythme indépendant
de la mesure, puisque toute musique repose sur le son,
et que pour tout son il y a deux périodes, la période qui
correspond à Varsis et celle qui correspond à la thesis,
celle de l'élan et celle de la chute, celle de l'aspiration et
celle de l'expiration, celle de la systole et celle de la
diastole.
" Etendues jusqu'à une certaine série de sons que la
voix parcourt avec diverses inflexions, ondulations et
cadences, ces périodes produisent comme un flux et reflux
sonores, et déterminent un certain parallélisme que l'on
désigne précisément par le nom de périodes.
" Or, voilà en quoi consiste le principe vivant et fécond
de la musique: c'est le jet, c'est le soufïle, c'est l'âme.
Et comme ce mouvement est intelligent et libre en lui-
(1) Voir le Résumé de M; Fétis, pages CLXXII et suivantes-
DU CANADA 331
même, comme il n'est pas limité, circonscrit dans son
essor par certaines divisions matérielles du temps, qui
sont autant de manifestations d'un ordre borné et uni, il
s'ensuit que le plain-chant, seul, fondé sur une mesure
abstraite, absolue, fait naître, par conséquent, sur chaque
intervalle, l'idée du repos, comme il la fait naître d'un
autre côté par l'unité de ton, en vertu de laquelle chaque
intervalle ne se résout pas sur un autre, n'est pas appellatif
d'un autre et est à lui-même son complément.
" Dans la musique proprement dite, le rhythme
se combine tantôt avec la mesure, tantôt contraste avec
l'uniformité invariable de celle-ci par la liberté de ses
allures, tantôt la contrarie en introduisant momentané-
ment une mesure binaire dans une mesure ternaire, et
réciproquement, tantôt enfin l'enveloppe dans la largeur
de ses périodes et lui communique plus particulièrement
son principe intelligent. C'est ce qui fait aussi la beauté
et l'âme de la musique, bien que l'expression qui en
résulte soit moins pure et moins élevée que celle du plain-
chant qui, par la nature de sa constitution, s'interdit
toute manifestation de l'ordre fini." (1)
On a comparé avec raison le rhythme du plain-chant
au verbe de la langue hébraïque. Le verbe hébreux ne
sait pas exprimer, comme le verbe de nos langues modernes,
les nombreuses et subtiles modifications de l'espace et de
la durée. Sans temps présent, souvent même il exprime
au passé ce qui doit arriver dans l'avenir. (2)
(1) J. d'Ortigue — Dictionnaire, col. 1323.
(2) "Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os
332 CHANSONS POPULAIRES
C'est le langage par excellence des prophètes, de ces
inspirés du Dieu éternel devant qui tout est toujours
présent, l'avenir comme le passé.
Gomment ne pas être frappé de la similitude de carac-
tère qui existe entre le verbe hébreu et le rhythme du
plain-chant : caractère intangible, mystique, illimité ; et
comment, d'un autre côté, ne pas être frappé de la res-
semblance que l'on remarque entre les temps variés et
précis du verbe de nos langues modernes et les modifica-
tions de temps limitées, précises, circonscrites de la mu-
sique mesurée ?
Ecoutons les admirables choses que nous dit M. d'Or-
tigue à ce sujet.
" Ainsi que la langue, la musique de chaque
nation présente deux éléments distincts, correspondant à
ce qui, dans le langage des théologiens, est appelé Vœilde
la chair et Vœil de la contemplation ; (1) deux éléments,
l'un desquels prédomine selon que la tradition du péché
originel s'est plus ou moins conservée dans cette même
nation.
" Pour ce qui est du langage, si nous prenons par
exemple la langue hébraïque, que la plupart des savants
considèrent comme la fille aînée de la langue mère, nous
" Ils ont partage mes habits et ils ont jeté ma robe au sort" (Ps. XXI, v.
18 et 19.)
" Il a ^;m véritablement nos langueurs, il s'est chargé lui-même de nos
douleurs. Et nous l'avons considéré comme un lépreux, comme un homme
frappé de Dieu et humilié.
" Il a été percé de plaies pour nos iniquités, il a été hriaé pour nos crimes."
(Isaïe, ch. LUI, v. 4 et 5.)
(1) Université catholiqne, 2e liv., p. 215.
DU CANADA 333
verrons, par l'analyse des éléments intimes de ses parties
du discours, qu'elle se prête merveilleusement à l'expres-
sion du sentiment contemplatif et à l'idée de l'infini. Nos
lecteurs n'ont pas besoin que nous leur apprenions que
l'élément le plus fondamental du langage, le verbe, n'a
pas chez les Hébreux, de temps pour exprimer le présent ;
que leurs deux temps uniques sont de véritables aoristes
ou temps indéterminés, flottant sans cesse entre le passé,
le présent et le futur : cela étant parfaitement en harmonie
avec le caractère d'une poésie tout inspirée, où tout est
prophétique, où tout se rattache à l'éternité ; que l'on voit
souvent dans les passages poétiques, surtout chez les
prophètes, alterner les deux temps de la conjugaison
hébraïque, de manière que, dans le même verset, le pre-
mier hémistiche raconte au passé ce que le second exprime
au futur ; ainsi, que ce qui est d'abord présenté comme fait
accompli, se trouve ensuite prolongé en quelque sorte et
embrasse la durée tout entière : langage surprenant, mais
qui convient aux interprètes de Celui devant lequel le
passé et l'avenir se confondent dans, un présent éternel (1).
Quant à toutes ces formes,
(le proverbe^ la vision^ la parabole^ Vallcgorie et le parallé-
(L) Uiiivrnté cathaliqm, 3e liv., p. 2S7 — Frédéric -chlegel dit à ce sujet :
" Tout leur sentiment et toute leur existence (des Hébreux) se rattachaient
moins au présent qu'au passé, qu'à l'avenir surtout; et le passé des
Hébreux n'était point, comme celui des autres peuples, de simples tradi-
tions, des souvenirs poétiques, mais le grave sanctuaire de leur divine
constitution et de l'alliance éterneUe. L'idée de l'éternité n'était point
séparée chez eux de la vie active et de ses rapports, comme dans la philo-
sophie isolée des Grrecs,- méditant solitairement; au contraire, elle était
étroitement liée à la vie, au passé merveilleux du peuple élu, et aux
pompes plus magnifiques encore de son mystérieux avenir." (^Hii. de la
littérature, t. 1 p. 192, traduction de M. W. Duckett.)
334 CHANSONS POPULAIRES
hsme), elles concourent, avec l'aspiration, giii est l'élément
divin de l'esprit, à rendre la langue hébraïque et généra-
lement les langues sémitiques propres, dans leur ton, leur
esprit et leur caractère, à l'expression de la révélation
sacrée, de la prophétie divine et de la contemplation de
l'unité infinie. Et c'est ce qui fait dire à Herder que la
langue hébraïque est pleine de l'haleine de Vâme; qiCelkne
résonne pas comme la langue grecque^ mais qu'elle respire^
qu'elle vit ; que celait l' esprit de Dieu qui parlait en elle^ le
souffle du Tout-Puissant qui l'animait (I). Elle se prête peu à
l'expression des modifications de la durée et de l'espace ;
c'est pourquoi, en premier lieu, elle ne mesure pas les
syllabes comme le grec et le latin ; elle ne les compte pas
comme les langues modernes ; c'est pourquoi, en second
lieu, riche en verbes et en substantifs dérivés des verbes,
elle est très-pauvre en adjectifs qui correspondent aux
qualités et propriétés des êtres. (2) Enfin, selon la remar-
que de F. Schlegel, de toutes les formes d'art terrestre, on
ne trouve guère dans les Saintes Ecritures de l'Ancien
Testament que celles qui peuvent exister dans un ordre
de choses purement spirituel. On ne saurait y découvrir
d'exposition dramatique, ni d'images épiques particulières,
pas plus que des exercices d'art oratoii'e ou des combinai-
sons scientifiques; car, ajoute le même auteur, les formes
grammaticales d'une langue et toute sa structure artifi-
cielle sont l'ouvrage de la raison. Au contraire, les figures
et les tropes sont les éléments de l'imagination ; or, ces
(1) Université catholique, 3e liv., p. 287.
(2) Idem.
DU CANADA 336
formes, très-propres à peindre l'état d'illumination céleste,
appartiennent spécialement à la langue des Hébreux. (1)
" Ainsi donc, permanence, expression illimitée, infinie,
symbolique, aspiration vers Dieu, accent spirituel, enthou-
siasme, parole triomphante, etc., etc., tel est le caractère
dominant, le ton^ le mode particulier de la poésie et du
langage de la Bible.
" Maintenant, comparez à cette langue certaine langue
du Nord, par exemple, dans laquelle le caractère opposé
se sera développé aux dépens de celui que nous avons
essayé d'analyser ; langue presque impuissante à exprimer
par le verbe la plénitude de l'être, de la vie et de l'action,
mais très-propre, par la multiplicité des temps, par l'abon-
dance des substantifs, par la richesse des synonymeSj à
représenter toutes les modifications de l'espace et de la
durée ; langue qui se prête bien plus à la lutte des senti-
ments, aux conflits des passions qui sont du domaine du
drame, qu'aux sublimes élévations, aux élans divins de
l'ode ; chez laquelle l'aspiration, l'élément spirituel seront
remplacés par une structure tout artificielle, par l'accent
terrestre et sensuel, et par cette foule d'images voluptueuses
qui peignent avec les couleurs les plus vives, les nuances
les plus délicates, tous les accidents et toutes les vicissi-
tudes de la vie positive, au cercle de laquelle elle semble
exclusivement bornée ; comparez, disons-nous, à la
langue hébraïque une langue d'un semblable ceractère,
et vous comprendrez aisément que le peuple qui a parlé
la première a dû retenir, dans un ensemble à peu près
complet, les traditions touchant l'ordre de la révélation,
(1) V. l'Histoire de la littérature de F. Schlegel, t. 1., pp. 180-221.
336 CHANSONS POPULAIRES
de la grâce et de la réhabilitation ; tandis que celui qui
parle la secon le doit vivre dans Tonbli de la noblesse
originaire et de la haute destination do l'homme, sous
l'empire de ses penchants et livré à tontes les jouissances
du sensualisme.
" Il en est de môme des divers systèmes de musique,
des différentes tonalités que nous avons nommés idiomes
ou dialectes musicaux. A en juger du moins par les deux
systèmes à notre usage, la tonalité du plain-chant et la
tonalUé de la mimquc moderne, les uns sont au point de
vue de la contemplation, les autres au point de
vue de la chair. Les premiers, par leurs éléments cons-
titutifs, se prôtent merveilleusement à l'expression des
sentiments divins; les seconds se rapportent de la même
manière, et presque exclusivement, à l'expression des
passions terrestres. Il y a donc une certaine affinité entre
les éléments constitutifs des diverses tonalités et des
diverses langues et les notions morales propres au peuple
auquel ces langues et ces tonalités sont familières.
'' Sous le christianisme, la musique se détache de la
parole et vit de sa force propre. C'est dansun sol nouveau
et fécond que la plante puise la sève nécessaire pour se
développer dans son énergie essentielle. Néanmoins, le
plain-chant a retenu l'idée antique de l'alliance de la mu-
sique et de la parole, car il n'est, dans la pratique, que la
récitation naturelle et mélodique, accentuée et rhythmée
des textes sacrés. Mais considéré plus profondément, il
est une tonalité dont la constitution donne lieu à la pro-
duction de ces éléments qui, dans le langage et particu-
lièrement dans la langue hébraïque, expriment l'être dans
DU CANADA. 3:?7
la plénitude de sa puissance illimitée, dans sa permanence
et sa stabilité. Cet élément est celui du repos. Fonde sur
une échelle de sons situés à des intervalles distants les
uns des autres et d'une perception nette et facile, échelle
qui, par l'interposition de ces mêmes intervalles successi-
vement pris pour point de départ de huit gammes diverses,
engendre huit modes de caractères dilïérents, le plain.
chant procède de telle sorte que la gravité se môle à la
liberté de l'allure et à la souplesse du rhythme. et que
son mouvement, c'est-à-dire le mode de succession (|ui lui
est commun avec les arts de la parole, se combine chez
lui avec l'idée du repos et avec l'image du calme.
" Bien que mélodique dans son institution, le plain-
chant, considéré dans sa constitution tonale, ne répugne
nullement à l'harmonie; et c'est par l'élément de la con-
sonnance que cette expression du repos se trahnit harmo-
niquement. Car la consonnance est un accord qui ne se
résout sur aucun autre, qui n'est point, pour me servir
d'une expression consacrée, appellallf d'un autre accord,
et qui ne laisse rien à désirer dans la plénitude de sa
réso nuance.
" Cette tonalité du plain-chant n'est pas, au point de
vue de l'art, aussi stérile que le supposent certains esprits
dédaigneux, puisqu'elle a donné naissance à la tonalité
moderne. La formation de cette dernière a été, en efl'et,
un véritable enfantement. Elle est née de l'etfort, de la
crise des deux éléments extrêmes de la tonalité du plain-
chant, c'est-à-dire de l'union violente de deux intervalles
de l'échelle que la théorie avait déclarés inalliables et
entre lesquels elle avait prononcé un divorce éternel. Au
3?.8 CHANSONS POP CLAIRES
point de vue de l'art seul, on ne peut contester que la
formation de la tonalité moderne ne soit un progrès im-
mense. Sur quel élément repose cette dernière ? Sur la
dissonance, sur la modulation, sur la transition, comme
dit l'école, qui expriment la division, la variété, le conflit ;
qui se prêtent à l'expression de tons les états de l'âme,
aux mille modifications des sentimenls et des passions de
la lutte desquels naît l'action dramatii]ne. Et cela est si
vrai, que l'invention du drame musical, dans les temps
modernes, date de la création de l'harmonie dissonante
naturelle, il) c'est-àdire de l'origine de notre tonalité.
Maisi]ui ne sent que, dans une langue musicale ainsi
constituée, la modulation, cet élément qui exprime toutes
les modifications de l'âme humaine, ne peut être séparée de
la MESURE, qui exprime les modifications de la durée, non
plus que des images de l'instrumentation, de ces effets et
de ces contrastes de sonorité qui expriment les modifica-
tions de l'espace? Qui ne sent que le genre que nous
venons de caractériser est la musique au point de vue des
sens et de la chair, celle qui dérive de l'élément humain,
de la dissonance, tandis que celle qui a pour principe
l'élément du repos et de la consonnance ne connaît ni
modulation, ni mesure, ni artifice d'instrumentation, ni
nuance d'exécution matérielle ? Dans cette dernière, le
temps ne se divise et ne s'apprécie que d'une manière
égale, abstraite et absolue. (2) C'est le symbole, l'aspira-
tion, l'intuition, la contemplation, la vision de l'infini,
qui embrassent la durée et l'espace tout entiers; c'est, ea
(1) Fétia. Résumé, pp. CCXVII— CCXXn.
(2)Eétis, ii^8M7/i^, p. CLXXVI.
DU CANADA H89
un mot, la musique plane, le plam-chani. Cette musique,
et celle composée d'après la tonalité des modes ecclésias-
tiques, se rapportent donc à un ordre surnaturel, à un
monde supérieur. Elle est la dépositaire du priucipe qui
correspond à " l'oeil de la contemplation ou de la grâce."
C'est par un sentiment de cette vérité que les Italiens ap-
pellent la musique de Palestriua : Muslca dcW alliv niondo,
la seconde musique sacrée, par opposition à la musique
moderne.
" Ces deux éléments si distincts, le principe divin ou le
repos et la consonnance, le principe terrestre et sensuel,
la dissonance et l'accent, prédominent, l'un, dans le sys-
tème de chant consacré au service divin, l'autre, dans
l'iirt que nous destinons à chanter nos passions terres-
tres." (1)
Revenons maintenant an rhythme populaire dont la
dernière partie de cette citation nous a un peu éloignés.
Dans nos chants populaires, le caractère personnel, le
moi humain trouve son expression dans le rhythine
mesuré. Mais, même lorsqu'il ne chante que ses joies,
ses peines, ou des snjets d'amour, d'aventures, de com-
bats, etc., le paysan, le colon ou le voyageur canadien
entend toujours la grande voix de Dieu dans les champs
qu'il cultive, dans la solitude des bois, sur le fleuve géant
ou sur les lacs immenses ; les plus belles fêtes auxquelles
il lui est donné d'assister sont toujours les fêtes de
(1) J. d'Ortiguô. Université catholique, 1836. L'article d'où est tirée
cette citation est reproduit en entier dans l'iatéressant petit volume de M.
d'Ortigue iatitulé: L» miui^ne à l'Ejliae, Paris, Didier et Cie., 1361.
340 CHANSOJT.S POPrJL\rR'':S
l'église; son âme, peccable sans doute, ne connaît pas la
hideuse incrédulité ; un sentiment religieux accompagne
toutes ses actions, parle à sa conscience ; il pense à Dieu
dans les jeux de la veillée comme dans le travail ; la prière
entre un peu dans toutes ses actions. De là, dans ses
chansons, l'infini, le permanent, à côté du fini, du pas-
sager; de là le rhythme majestueux, insaisissable du
plain-chant à côté du rhythme tangible, mesuré de la
musique moderne.
Encore un mot avant d'abandonner ce sujet.
Si j'avais le droit de donner des conseils au lecteur, je
lui dirais de lire et de relire les articles sur le rhythme
publiés par madame Marie Gjertz, dans le Croisé^ (P''e-
mière année) ainsi que tout son opuscule intitulé: Lu
musique au point de vue moral eu religieux. Dans ces écrits,
tout, pour ainsi dire, serait à citer; mais je trouve, dans
un autre de ses ouvrages, un court passage qui est comme
le résumé de toute sa pensée sur le rhythme : je ne saurais
vraiment mieux terminer cet article qu'en le mettant sous
les yeux du lecteur :
a
L'autre soir Brigitte était au piano, nous ravissant par
une de ces inspirations qui livrent son àrae. Ce soir là,
elle aimait; chaque son, chaque phrase trouvaient un
écho dans mon cœur.
"• J'étais placé près de la pendule. Le mouvement du
balancier coupant en môme temps les phrases musicales
et les battements de mon cœur m'irritait les nerfs.
DU CANADA 341
" J'allais changer de place quand, tout à coup, une
pensée me frappe : ce qui est ordre dans la musique serait
désordre dans une machine ; ce qui est conservation dans
une machine serait destruction dans la musique; en
d'autres termes, l'ordre de la matière brise l'âme, l'ordre
de l'âme brise la matière Il y a donc deux sortes
d'ordre, un spirituel, un matériel; l'un n'existant que dans
la liberté, l'autre n'existant que dans la servitude
" Dès que je fus seule avec Brigitte, je lui fis part de
ma pensée. Elle me répondit très-simplement que, si elle
m'avait su embarrassé de cette question, elle m'en aurait
donné la solution par le rhythme et la mesure. La mesure
brise le rhythme, le rhythme brise la mesure, et cepen-
dant l'un et l'autre ont le même caractère fondamental;
la différence est dans la forme et dans les proportions. Le
rhythme, dans son vol le plus audacieux, ne sort jamais
du caractère de la mesure ; mais sa forme, qui est celle
des affections de l'âme, a besoin de Uberté; tandis que la
forme de la mesure, qui est propre à la matière inanimée,
repousse la liberté : la machine ne respire pas. Appliquez
cette loi à la société, mon cher docteur, et vous avez la
lumière."
HARMONIE.
Tous ceux de nos chants populaires qui appartiennent
exclusivement au mode majeur ou au mode mineur
peuvent, indubitablement, être accompagnés avec toutes
les ressources de l'harmonie moderne. Quant à ceux qui
342 CHANSONS POPULAIRICS
appartiennent aux modes antiques, ceux dans lesquels il
n'y a pas de note sensible, ils se refusent natur^'llerneut à
l'harmonie dissonante qui a pour principe et pour base
la note sensible mise en rapport avec la sous-dominante
Mais ces derniers chants peuvent-ils toujours recevoir
une harmonie, même pureuiont consoniuiutc ? Plusieurs
artistes de mérite en ont fait l'essai en ma présence, et ni
eux ni moi n'en avons été satisfaits.
D'ordinaire, les musiciens qui veulent harmoniser de
telles mélodies les façonnent un peu à la modei-ne, redres-
sant un tour de phrase par ci, introduisant une note
sensible par là. C'est une façon tout à f lit leste dn se tirer
d'embarras, et il n'est pas nécessaire d'être né m.iliu pour
pouvoir en faire autant. Il est bien entendu que lorsque
je parle d'harmoniser ces chants où n'apparaît point de
note sensible, il n'entre pas dans ma pensée d'altérer la
mélodie en aucune manière.
De ce que plusieurs muiciens ont échoué dans leur
tentative d'y ajouter un accompagnement, devon:.-nous
conclure que ces chants dépourvus de note sensible sont
inharmoniques de leur nature? Cette raison ne serait
certainement pas suflûsante. Les musiciens d'aujourd'hui
connaissent fort peu le génie de la tonalité ancienne à
laquelle ces chants appartiennent, la plupart n'ayant
jamais déchiffré une seule page de contre-point du moyen
âge ou même de la renaissance. Or il est impossible
d'accompagner comme il convient les mélodies des com-
positeurs qui précédèrent immédiatement ou qui furent
les Cûutemporains d'Orlando Lasso, d'Allegri ou de Pales-
DU CANADA 343
trina, par exemple, sans avoir longtemps, bien longtemps
étudié le contre point dont ils faisaient usage. La phm-
séologie de ces mélodies est toute ditlëiente de celle de
nos mélodies modernes, (1) et une des plus gi'andes
difficultés, sinon la plus grande, qui s'oil'rirait à l'accom-
pagnateur moderne, serait de discerner, dans ces mélodies,
les notes de passage des notes qui doivent faire partie
intégrante d'un accord; puis de décider à quel accord
faire rapporter telle ou telle note de passage qui, prise
isolément, ne doit avoir aucun lien de parenté avec
l'accord qui se fait entendi-e avec elle, Ainsi, par exemple,
dans notre musique moderne, il est certaines parties de
la mélodie que l'on n'accompagne pas en faisant un accord
pour chaque note ; il est certaines suites de notes, certains
tours mélodiques, qui ne sont harmonisés que par un
seul accord et qui ne reçoivent tel ou tel accord qu'en
raison d'une phrase qui précède ou en vue d'une réso-
lution pressentie. On comprend que, pour harmoniser
ces notes de passage, il faut posséder à fond le génie de
notre tonalité ; il faut que cette tonalité soit, en quelque
sorte, notre langue maternelle. Or, possédons nous assez
hien la tonalité ancienne pour donner à de telles notes
de passage l'harmonie qui leur convient? J'en doute ; et,
(1) J'assistais, en 1858, à Rome, à une messe solennelle célébrée dans
la Chapelle âixtiae. On y chantait de la musi(|uedj 15e ou du 16e sièoie>
C'était la première fois qu'il m'était dounu d'euiendie de teilo musique, et
j'avoue que je la trouvai fort étrange. Au momeut oiije croyais tenir une
phrase elle disparaissait dans une fuite (/u(/«) qui me semblait insolite;
impossible de prévoir nue nsolutiou, de her deux phrases ensembie. il y
avait peut-être de grandes beautés dans cette mutique, mais ceite tonalité
m'était étrangère; j'entendais ces sons comme j'aurais entendu de l'Hébreu»
eans riuu y oomprendre.
344 CHANSONS POPULAIRES
pour ce qui me concerne, je le dis franchement :
non. (l)
Qui sait si ces mélodies populaires qui n'appartiennent
ni à notre mode majeur ni à notre mode mineur n'étaient
pas autrefois susceptibles d'une harmonie vraiment
rationelle : la diaphonie, harmonie devenue impossible
aujourd'hui, à cause de l'éducation de notre oreille?
On sait que, vers le commencement du dixième siècle,
le moine Hucbald de Saint-Amand recommandait les
suites de quartes et de quintes comme produisant une
suave harmonie. Ces suites de quartes et de quintes, qui
nous paraissent aujourd'hui si barbares, n'avaient, au
temps de Hucbald, rien que de très-conforme à l'instinct
musical de l'époque. Ce fait qui nous paraît si étrange,
est dû à l'éducation de l'oreille. Voici l'exphcation toute
lumineuse qu'en donne M. de Goussemaker :
" Quand nous entendons une quinte, dit-il, cet intervalle
harmonique représente à notre oreille un accord parfait,
car bien que la tierce ne soit pas exprimée, on la sous-
entend comme si elle existait. Il en résulte que, en
entendant deux ou plusieurs quintes de suite, c'est comme
si nous entendions deux ou plusieurs accords parfaits
successifs ; ce qui blesse notre oreille, qui ne souffre pas
le passage aussi brusque d'un ton à un autre. Il n'en était
pas ainsi au moyen-âge, où l'harmonie moderne n'existait
pas: une quinte ne représentait pas un accord parfait ;
cet accord était alors inconnu. La partie constitutive de
(1) Voyez l'opinion de l'abbé Lebœuf sur la compétence des musiciens
en fait de musique ancienne : Dictionna,ire de M. J. d'Ortigue, col. 888.
DU CANADA 315
l'accord parfait, la tierce, non-seulement n'était pas
admise, mais encore était considérée comme dissonance.
La quinte, au temps de Hucbald, était moins un accord
qu'un seul et même son. Les suites de quintes, de quartes
et d'octaves produisaient sur l'oreille des musiciens du
moyen-âge l'ellét que produit sur la nôtre le jeu de
mixture de l'orgue, c'est-à dire un effet vague, étrange,
indéfinissable, mais nullement désagréable et barbare." (1)
Mais cette question d'harmonie nous entraînerait trop
loin. Au reste elle n'appartient pas rigoureusement à
notre sujet, puisque l'harmonie n'est pas et n'a jamais été
le fait du peuple. Disons cependant, en terminant, que
l'harmonie ne doit être ajoutée aux chants populaires
qu'avec beaucoup de tact et de goût ; que très souvent, elle
en gêne l'allure et le rhythme, quand elle n'en détruit pas
complètement la modalité ; et que, dans les conditions
actuelles de la science, il vaut mieux, le plus souvent,
qu'elle ne paraisse j^as du tout.
Dans toutes les remarques qui précèdent, on a pu voir
que je n'ai pas tenu plus de compte qu'il ne faut des idées
qui ont généralement cours parmi nous et des lois de
notre musique moderne. La raison en est simple : ayant
à examiner, dans nos chants populaires, une musique
réellement d'un autre âge, je serais arrivé infailliblement
aux conclusions les plus fausses si j'avais envisagé ce
(1 ) Coussemaker- Hint. de l'Harmonie au moyeii-ûgc
346 CHANSONS POPULAIRES
sujet au point de vue de l'art moderue. " Une cause
d'erreurs malheureusement trop commune daus les arts,
a dit un écrivain français, est la prétention de soumettre,
à toute force, les monuments d'une époque reculée aux
règles des époques récentes, et de compromettre ainsi la
sûreté du coup d'œil rétrospectif par la rétroactivité des
jugements" '-La peute à l'anachronisme, a dit aussi
M. Vitet, l'application involontaire de nos idées, de nos
habitudes, à la recherche des choses d'un autre temps,
est une des grandes sources d'erreurs eu archéologie."
De tout ce qui a été dit dans ces Remarques, comme
aussi dans quelques unes des Annotations qui les précèdent,
on a déjà pu tirer et nous tirerons les conclusions sui-
vantes :
l** Que la tonalité grégorienne, avec ses échelles mo-
dales et sou rhythme propres, n'est pas un reste de barbarie
et d'ignorance, mais une des formes infinies de l'art,
forme parfaitement rationelle et éminemment propre à
l'expression de sentiments religieux.
2^ Que le peuple de nos campagnes, dont les chants se
rapprochent tant de cette tonalité, est bien encore le digne
descendant de ces vaillants et pieux enfants de la Bre-
tagne, du Perche et de la Normandie, qui, le fusil d'une
main, et de l'autre tenant la charrue, commencèrent,
avec tant de courage, les premiers établissements de la
Nouvelle-France.
TABLE
PacSé
Préfacr .j-.ii^^...- 1 V
Adam et Eve..-.-i.- * * *. ICÏ
Ah! je m'en vais eiitrei' eu danse! - ^. 217
Ah! qui luarierons-uoua ? ^ — *-- - 151
Ah! qui me passera le bais f^ ^-- ^-- 90
Ah 1 si mou moiue voirait danser ! -. — - 129
A la claire fontaine.. 4.^....--... 1 et 285
A la San té de ces jeunes mariés ^ 291
A Saint-Malo, beau port de mer 24
Au bois du rossignolet - - 108
Au jardin de mon père..... ^ - — 44
Aurai-je Nanette ? ..-^.. 43
Bal chez Boulé 116
Bonhomme, bonhomme .- 227
Cécilia ^. .* 31
Celle que mon cœur aime -.^ 299
C'est dans la ville de Bytown .- 66
C'est dans la ville de Rouen 119
C'est dans Paris ya-t-une brune 185
C'est la belle Françoise .......i^..... 8, 10 et 11
C'est la plus belle de céans.... 219
318 CHANSONS POPULAIRES
C'est, la poulette grise 201
C'est le bon vin qui du use 2xil
C'est l'veiit frivolaiit 22
C'est Pinson avec Cendrouille 27L>
C'était une frégate 20!)
Chez mon père ya tiois filles 28(5
Dans les cliantiers nous hivernerons 100
Dans les prisons de Nantes 2G et 28
Dans ma main droite jo tiens rosier J47
DaTis Paris ya-t-nue brune 170
Dans tous les cantons 21)5
Descendez à l'ombre 16 et \7
D i gn e d i 1 1 d a i n e 50
D'où viens-tu, bergère ? 2fiG
En filant ma quenouille 214
En revenant de la jolie Rochelle 155
En roulant ma boule J2
Entre Paris et Saint-Denis 303
Et moi je m'enfouiyais 145
Et moi je m'en passe ! 83
Fendez le bois, chauffi'z le four 112
François Marcotte 274
Fringue, fringue 62
Frit à l'huile 65
Gai Ion la, gai le rosier 40
Genticorum 64
Hier sur le pont d'Avignon 97
Il n'y a qu'un seul Dieu 306
Isabeau s'y promèn e 37
Jacquot Hugues 271
J'ai cueilli la belle rose 87
J'ai fait une maîtresse 137
J'aimerai tendrement 20
J'ai perdu mon amant 195
J'ai tant dansé, j'ai tant santé ! 48
J'ai tant d'enfants à marier! 149
J'ai trop grand' peur des loups! 178
J'ai trouvé le nique de lièvre 153
J'ai vu le lou{), le renard passer 180
DU CANADA 349
Jamais je iioun irai de fjoai 233 et 237
Je le mène bien mou dévidoi ! ]8l
Je me suis mis an rang d'aimer 212
Je n'ai pis <le barhe au menton 191 et 1!)4
Je ne veux pas d'un liabitaTit 2()8
J'entends le moulin, tique, ti(]ue, taque 223
La bibonrnoise 74
La fille du roi d'Espagne 127
La guii;nolée 238
La poul ette grise 2<i3
Le juif errant 131
Le p'tit boisd'l'ail 142
Lève ton pied 18
Malbrougli 254
Marianne s'en va-t-au moulin 121
Marianson, dame jolie 157
M'en revenant de 8a,iut- André 183
Mon beau ruban gris 55 et 58
Mon cri cra, tire la lirette 54
Mon père avait un b au champ de pois 114
Mon ton t<»n tur.utaine 35
Nousétio'.is trois capitaines 18!)
Papillon tu es volage 187
Par derrièr' chez ma tante ya-t-un arbre planté 175
Par derrièr' chez mon père — . 4
Perrette est bien malade 2^6
Petit rocher de la haute montagne 200
Pin pani pôle - 258
Pipandorà la balance 261
P'tit Jean 105
Quand j'étais chez mon père 70
Qui veut manger du lièvre 229
Sainte Marguerite 258
Si tu te mets anguille 78
Suivons le vent 23
Sur le pont d'Avignon 94 et 99
Sur le pont de Nantes 225
Tenaouiclie tenag i ouicheka ! 124
y Un Canadien errant 78
350 CHANSONS POPULAIRES DU CANADA.
Une perdriole 82
tîa jour l'envie m'a pris de déserter de France^..*. 1G8
Va, va, va, p'tit bonnet, grand bonnet 59
Vive la Canadienne! — .^* 4
Vive Napoléon ! /H
V'iàl'bon veutl 21
Voici le temps et la saison 198
Rrmarqurs Gkneralks 315
Table...* * * 347
X
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