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Full text of "Charles Gounod, sa vie et ses œuvres"

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PRÉFACE 



Charles Goimod a rempli de son nom le monde moiicftl; 
il est placé an rang des maîtres. On peut dire de lui ce 
qa'on disait de Rossîni : il est entré, de son vivant, dans 
U postérité. 

Et cependant, malgré sa célébrité, Qounod attend 
encore sa biograpMe. Les Dictionnaires encyclopédiques 
ont bien publié quelques détails sur sa vie d'artiste, 
et donné une analjse succincte de quelques-uns de ses 
ouvrages; des brochures, notamment les intéressants 
écrits de MU. Claretie, Comettant et Pougin, ont célébré 
le talent du compositeor; le nombre des articles de Jour- 
naux et des comptes rendus consacrés k Gounod est 
incalcalable. Mais un travail d'ensemble , envisageant 
l'œuvre et la vie du maître depuis ses débuts jusque ce 
jour, a'& pas été publié. C'est cette lacune que nous 
essayons de combler. 

Qounod a 71 ans, et ses cheveux blancs trahissent 
seuls son &ge. A-pr^s sa longue carrière, il est toujours 
alerte et laborieux. Noua avons de ^équentes occa- 
sions de le voir et de l'applaudir soit au Concert, soit 
au Thé&tre, où il aime tant à occuper le pupitre de 
chef d'orchestre. Là, il se montre plein de verdeur. Son 
enthousiasme de musicien est toujours le mSme. Les 
insuccès, quand il en a, ne l'abattent point. H reste sur 
la brèche, et il j, mourra. 

Gounod a promis, diton, d'écrire un jour ses Mémoires, 
comme avait fait Berlioz. Ce serait une bonne fortune 
pour le public, car l'auteur de Fautt ne sait pas seule- 
ment faire de la musique, il sait écrire, IL a toutes les 



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aptitudes d'un grand artiste. Si G ounod réalise sa pro- 
ineese, notre modeste étude disparaîtra devant une 
au tobio graphie si intéressante et si curieuse. 

En attendant, noua publions le résultat de nos recher- 
ches à travers les revues, les journaux et les notices. Le 
lecteur voudra bien nous excuser, si nous n'indiquons 
pas toujours les sources auxquelles nous avons puisé. 
Nous n'avons pas voulu multiplier les notes et les 
renvois. 

Oounod remonte ii 1837. C'est l'époque où son nom fut 
proclamé pour la première fois. Depuis cette date, ce que 
le maître a écrit de musique religieuse, de musiqae dra- 
matique, de symphonies, de musique pour l'orphéon, de 
chœurs, de mélodies, compose une oeuvre considérable. 
On le verra par les détails que nous donnons dans cet 
opuscule. 

Chose qui nous parait binarre aujourd'hui I Les gazettes 
en 1837 n'étaient pas d'accord sur l'orthographe du nom 
de Gounod. On le traitait alors comme on inconnu. On 
écrivait tantSt Gounaub, tantftt Gouneau ou Gounotl Le 
musicien a fait son chemin dans le monde, et l'orthogra- 
phe de son nom s'est imposée. 

Le travail que nous abordons est un sujet délicat, et 
dont nous ne nous dissimulons pas les diUcultéa. Les 
erreurs ou les omissions sont plus saillantes, quand il 
s'agit d'une célébrité contemporaine. Nous n'avons pas 
d'autre prétention que de mettre sous les jeux du lec- 
teur des documents contemporains, et de résumer les 
notices qui ont été publiées sur Gounod. Les erreurs que 
noua commettrions ne serajent pas de nob« t^it. 

Si dans le cours de notre travail, nous rappelons quel- 
ques détails intimes et personnels, nous le ferons avec 
tout le respect dû k un homme, dont la gloire musicale 
est nne des gloires de notre pays. 



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10 •.'•/•.'• niARLES OOUNOD 

tonsgéfires. C'est ainai qu'un brevet de lofçement 
aur'-igàTeries du Louvre fut accordé, le 25 no- 

, v6inl)re 1730, à Antoine Gounod, fourbisseur, à la 
'l>lace de Jean-Baptiste Fontenaij peintre fleu- 

;• Yiste. Cette pièce figure aux archives nationales 
sous le numéro 1 1063,p. 281, ainsi qu'un autre 
brevet de survivance, donné, le 10 juillet 1751, 
à Nicolas-François Gounod, fils cadet d'Antoine 
Gounod, fourbisseur ordinaire du Roi, en place 
de son père {O I 1058 p. 386). 

Nicolas François est le grand-père du musi- 
cien. II succéda à son père Antoine, comme 
fourbiesear ordinaire de S. M., c'est-à-dire qu'il 
était chargé d'entretenir et de réparer les armes 
du Roi, parmi lesquelles on comptait de véritables 
objets d'art. L'emploi n'était pas vulgaire. En 
1773, le titulaire signait avec ses camarades du 
Louvre, tels que Le Roy, Â.-J. Aubert, Chardin, 
Vemet, Lonot, Bailly, Lagrenée, Restout, Rœt- 
tiers, d'Anville, Le Bas, de la Tour, du Vivier, 
Lemoyne, une requête adressée au Contrôleur 
général des finances , pour que le neveu de 
François Desportes obtînt uniogement au Louvre. 
Ce détail prouve au moins que Nicolas-François 
Gounod était en relations avec ses voisins d'ate- 
lier, dont les noms ont marqué dans l'histoire de 
l'art. Nicolas-François Gounod était un armurier 
fort habile. Son fils François-Louis , élevé au 
Louvre, fut, dès son enfance, mêlé aux peintres 
qui habitaient les galeries du Palais .11 se destina 
à la Peinture, et il entra de bonne heure, à l'école 



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SA VIK ET SES ŒUVRES 11 

cie Lépicié fils , où il devint le camarade de Carie 
Vernet. 

Carie Vemet, âgé de onze ans , écrivait alors 
la lettre suivante à sou père. Ce petit billet, 
reproduit par le joamal l'Art, en 1877, ne témoi- 
g:ne pus de bien grandes dispositions pour 
l'orthographe. Mais l'enfant se rattrapait sur l'art 
du dessin : 



I Mon chbr papa, 

f Je FOUS écris pour tous inrormé de ta rangement que 
nous avoss fftit, Gounod et moi. Nous noua coucheront 
le soir à 8 h. 1/?. Le matin, nous noua lèveront à 5 
heures pour aller chez M. Lépicîé i 5 h. 1/2. Nous 
auront le modèle jusque 8 heures. Le reste du jour.nous 

dessinerons Nous serons sîe : M. Lépicié, Hétivier, 

Gode rroj, Colm art, Gounod et moi. Sa noua reviendra k 
3 livres par mois » 



Voilà de bonnes leçons qui ne coûtaient pas 
cher. Depuis lors, les prix ont augmenté , et on 
retrouverait difficilement aujourd'hui les condi- 
tions pécuniaires de l'école Lépicié. Le professeur 
aimait tout particulièrement ses deux petits 
élèves, Carie et François-Louis, dont il fit le 
portrait. Charles Gounod conserve précieusement 
le tableau de Lépicié représentant son père 
enfant. 

François-Louis Gounod fut un peintre de ta- 
lent. Il obtint le second grand prix de Rome en 



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12 CHARLES CIODNOD 

1783. Il existe de lui une étude à l'école dea 
Beaux-Ârts de Paris, et un tableau au mueée de 
Nantes. Il se maria à un âge assez avancé, et 
c'est de cette union que naquit, le 17 juin 1818, 
à Paris, Charles Gounod. Le père mourut eu 
1823, laissant deux fils, dont l'aîaé était alors 
âgé de 15 ans. 

Sa veuve restait sans grandes ressources. C'é- 
tait une femme charmante, pleine d'intelligence., 
et d'énergie. Elle était excellente musicienne, 
et, si le don d'hérédité . n'est pas un vain mot, 
elle légua à son fils les dispositions les plus heu- 
reuses pour la musique. 

Après la mort de son mari, Madame Gounod 
eut recours aux leçons. Elle groupa autour d'elle 
un noyau d'élèves, grands et petits. Elle ouvrit 
un cours, et enseigna le piano. La mère sut de 
bonne heure donner une éducation musicale à 
sou fils Charles. L'enfant lisait la musique, pour 
ainsi dire, avant de lire les livres. Elle fut son 
premier professeur, et l'élève profita des bonnes 
levons qui lui furent données. 

Chaque grand maître dans l'art musical a une 
légende qui sert de point de départ à sa carrière 
artistique. Pour ne citer que Mozart, l'eufant 
prodige distinguait, dès l'âge le plus tendre, les 
quarts de tons. Ce sont les biographes qui l'affir- 
ment. Charles Gounod, à qui l'avenir réservait la 
plus grande admiration pour l'auteur de. Don 
Juan, fit, lui aussi, acte de petit prodige. On dit 
qu'à l'âge de sept ans, son oreille déjà exercée 



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SA. VIE ET 8BS ŒUVRES 13 

Rentait les modulations. It avait une préditectioD 
toute marquée pour le mode mineur, chose d'ail- 
leurs naturelle aux enfants ; et, par sa facilité, 
par ses dispositions, il étonnait les compositeurs 
qui venaient chez sa mère. 

On raconte l'anecdote suivante ; élève au 
collège St-Jjouis, it s'occupait, dès les classes 
élémentaires, de composition musicale. Il bar- 
bouillait de portées et de notes ses livres et ses 
cahiers. Je ne sais s'il mettait en musique la 
grammaire de Lhomond. Toujours est-il que le 
proviseur, M. Poirson, le fit venir dans son 
cabinet pour le réprimander et l'engager à ne 
plus griffonner des choses inutiles. Toutes les 
remontrances furent vaines. Charles Gounod 
apprenait très facilement le grec et le latin, mais 
cela ne l'empêchait pas de se tourner plus 
volontiers vers l'art musical. Il voulait faire de la 
musique une étude sérieuse. Il se sentait une 
vocation. Sa mère s'inquiétait des dispositions de 
l'enfantqu'elle trouvait dangereuses. Elle pensait, 
non sans raison, que la carrière artistique ne 
représente pas toujours un capital pour le 
compositeur. Elle eut préféré pour son fils une 
profession moins glorieuse et plus sûre, le 
notariat ! 

Gounod notaire ! Gounod dont le père avait 
été peintre, et dont les ancêtres avaient été 
élevés dans les galeries du Louvre ! Gounod 
dressant des actes, procédant aux partages et 
aux liquidations de successions ! Son inspiration 



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14 CHARLES aOUNOD 

n'était pas là ! Il repoussa loÏD de lui l'idée de 
devenir ofBcier public, et sa mère, cédant à ses 
instances, le conduisit chez Antoine Reicha, le 
célèbre harmoniste, dont les leçons étaient alovs 
très recherchées par tous les musiciens. Elle 
espérait sans doute que les devoirs de ba^e 
chiffrée et la théorie des accords détourneraient 
l'enfant de la carrière qu'il ambitionnait. Il n'en 
fut rien. 

Tout en continuant ses études littéraires au 
collège St-Loiiis, Charles GouLod, aux jours de 
sortie, se rendait chez l'illustre professeur. Loin 
de se décourager, il suivit avec le plus grand 
zèle l'enseignement de Reicha ; tant et si bien, 
qu'au bout de deux années, le maître n'avait plus 
rien à apprendre à son élève dans la science de 
l'harmonie. 

Allemand d'origine, Reicha s'était installé défi- 
nitivement à Paris, en 1809, où il ne tarda pas & 
devenir uu professeur très estimé. Il avait été en 
relations avec Beethoven, et l'amitié qu'Haydn 
avait eue pour lui était naturellement une recom- 
mandation puissante. II connaissait à fond la 
musique de chambre composée par Haydn , 
Mozart, Beethoven, et, comme Reicha était imbu 
des traditions de l'Ecole allemande, les élèves du 
Conservatoire de Paris, et les professeurs même, 
lui demandèrent ses leçons et ses conseils. Habe- 
neck fut un de ses premiers fidèles. 

Plus tard, quand il fut professeur au Conser- 
vatoire> Reicha compta parmi ses élèves Hector 



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Berlioz qui, dans ses Mémoires, s'exprime ainsi 
sur son maître ; 

< Beicha attachait un grand prix à ses connaissances 
en mathématiques. C'est à leur âtude, nous disait-il dans 
une de ses leçons, que je dois d'être parvenu k me rendre 
complètement maître de mes idées, fille a dompté et 
refroidi mon imagination, qui auparavant m'entratnait 
follement, et, en la soumettant au raisonnement 9t à la 
réflexion, elle a doublé mes torces. . . .• 



Et plus loin : 

■ Beicha semblait aussi peu sensible à l'éloge qu'à la 
critique. Il ne semblait attacher de prii qu'aux succès 
des jeunes gens dont l'éducation harmonique lui était 
confiée, et il leur donnait le soin et toute l'attention 

imaginables Je me rappelle avoir entendu un duo 

magnifique, plein d'élan et de passion, dans son opéra 
Sapho, qui eut quelques représentations. • 



La Sapho de Reicha, exécutée à l'Opéra en 
1888, n'obtint pas grand succès, et n'eut que 
douze représentations. Ce fut la dernière tenta- 
tive de Reicha à l'Opéra. Coïncidence bizarre t 
Le professeur de Charles Gounod terminait sa 
carrière dans l'art dramatique par Sapho, alors 
que l'élève devait plus tard commencer la sienne 
en traitant le même sujet. Le maître avait eu 
douze représentations. L'élève n'en eut que six, 
comme nous le verrons plus loin. 

II n'est pas sans intérêt de dire ici quelques 



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16 CHA.RLEB OOONOD 

mots sur Reicha (1), dont Gounod, devenu jeu- 
ne bomme, reçut les premières leçons. Or, ce 
sont les premiers coups qui portent. Gounod 
était à bonne école ; il avait un professeur qui 
convenait à sa nature. Reicha, nous l'avons dit, 
^tait imbu des traditions de l'école allemande. 
Il avait été enfant de chœur à Prague, et, com- 
me élève de m&îtrise, il avait appris le Intiu en 
même temps que la musique. Charles Gounod 
reçut, dès le principe, les leçons d'un maître, 
dont les tendances toutes particulières pour 
l'époque, avaient été fort remarquées, et cet 
enseignement ne fut pas sans influence sur l'es- 
prit du Jeune musicien. C'est KJme Gounod qui 
avait confié son fils à Reicha. Elle n'eut pas à 
regretter sa détermination. Elle mourut en 1858, 
à un âge avancé, quelques jours après la pre- 
mière représentation, au Théâtre Lyrique, du 
Médecin malgré lui. 

En 1836, Charles Gounod avait 18 ans. Ses 
études littéraires étaient terminées, et il était 
admis au Conservatoire. Il suivit pendant deux 
ans l'enseignement officiel. Ce n'était pas un 
débutant , puisqu'il avait été déjà formé aux 



(1) Après la mort d'Antoine Reicha, en 1636, un 
monument lui fut élevé, par souscriptions, au cimetière 
de l'Est. Sur la liste des souscripteurs figurent lesnoms 
de Gounod pour 10 francs, dUaussmann (le futur préfet 
de laSeine) pour 10 francs. S. A. R. Mme Adélaïde 
de France s'inscnvit pour la somme de 50 fiancs- 



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SA VIE ET SES ŒUVRES 17 

leçons d'Antoine Reicha. En outre il avait fait 
ses classes au collège Saint-Louis, et il avait 
obtenu le diplôme de bachelier es- lettres. Bien 
que le discours latin et la fugue d'école, la fugue 
sévère, aient des affinités et des points de rap- 
port ; bien que la prosodie, la prosodie grecque 
surtout, ait quelque relation avec le rythme 
musical, les élèves du Conservatoire ne s'apitli- 
quent pas tous aux belles-lettres. Gounod, avec 
quelques musiciens, avec Halévy, Berlioz et 
Adam notamment, fait exception. Gounod sait 
écrire. 11 a publié des préfaces, des brochures, et 
nous aurons occasion de l'envisager comme 
écrivain. 

Au Conservatoire, Gounod, suivit le cours de 
contrepoint d'Halévy, et le cours de composition 
de Lesueur. Son éducation musicale commencée 
par Reicha ne pouvait être continuée sous de 
meilleurs maîtres. 

Halévy faisait partie du corps enseignant 
depuis 1816. Il avait débuté bien jeune dans le 
professorat. A 15 ans, il était répétiteur de sol- 
fège, aux appointements de 25 francs par mois, 
et, comme il n'était pas de haute taille, ses élè- 
ves avaient soin d'accumuler les grosses parti- 
tions sur le tabouret, pour qu'il put accompagner 
au piano. Depuis cette époque, Halévy avait 
grandi. Le maître avait gaf^né ses chevrons 
comme professeur, et comme compositeur. 

Lesueur nous est moins connu. C'était alors 
une haute personnalité musicale. Il était au 



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18 CHARLES QOIINOD 

Conservatoire depuis \1Q3. Il avait su ccoquérir 
sa place daus le personnel, des la fondation de 
notre école de musique. Il avait été maître de 
chapelle de l'Empereur, et compositeur de ta 
chapelle du Roi. Les révolutions et les gouver- 
nements passaient, sans toucher à sa position. 
La musique n'est-elle pas au-dessus de la politi- 
que ? Lesueur avait dirigé la maîtrise de Notre- 
Bnme, et, selon la règle d'alors, il remplissait 
ses fonctions vôtu du petit collet. On l'appelait 
l'abbé Lesueur, bien qu'il n'eut jamais reçu les 
ordres. C'est ainsi que plus tard on appela son 
élève, l'abbé Gounod. Gounod connaît à fond le» 
compositions religieuses de son ancien profes- 
seur. 11 aime à chanter par cœur les fragments 
de ses œuvres, dont il ne parle qu'avec enthou- 
siasme : « — Les fresques du moyen-âge, dit-il 
« ou ces mosaïques bysantines d'une si étrange 
• grandeur, peuvent donner une idée du carac- 
« tère des œuvres de Lesueur. » 

Le maître a été considéré comme un révolu- 
tionnaire dans l'art musical. Pourtant Berlioz, 
daus ses Mémoires, s'exprime ainsi : 

o Lesueur était un homme axempt de fiel et de jatousif. 
Aimant son art, il était dévoué à ses dogmes musicaux 
que j'ose appeler des préjugea et des folies. * 

Berlioz aussi avait été élève de Lesueur, mais 
celui -là, on le sait de reste, ne fut pas, comme 
son maître, exempt de fiel. Berlioz nous raconte 
sur Lesueur l'anecdote suivante : 



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SA VIE ET SEB ŒUVRES 19 

Lesueur s'abstenait soigneusement d'aller aux 
concerts du Conservatoire, afin de ne pas s'y 
former une opinion sur Beethoven. Cette opinion 
il ne voulait pas l'exprimer. Un jour Berlioz dé- 
cide son maître à assister au concert. On exécu* 
tait la symphonie en ut mineur. 

f C'est inouï, dit Lesueur en sortant duConservMtoire. 
Cela m'a tellement ému, bouleversé, troublé, qu'en vou- 
laut mettre mon cbftpenu, J'ai cru que je ne pourrais plus 
retrouver ma tête ... * 



Le lendemain, l'émotion paraissait calmée. 

• C'est ëgal.disait Lesueur à Berlioz, il ne faut pas fain 
de la musique comme cela ! > 



Après la mort de Lesueur, en 1837, Paër lui 
succéda le 1" janvier 1838, comme professeur de 
composition. 

Gounod étudia donc quelque temps avec l'au- 
teur du Maître de Chapelle, dont les tendauces 
étaient italiennes. Déjà Gounod avait suivi une 
direction vers l'école allemande avec Reicha, 
vers l'école française avec Halévy, vers la 
musique religieuse avec Lesueur. En dehors de 
ses aspirations purement personnelles, ses pro- 
fesseurs avaient pu l'initier à tous les genres. 

En 1837, Gounod se présenta au concours de 
l'Institut pour le grand prix de Rome. Cinq can- 



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20 CHARLES OOUNOD 

didats avaient été adoiis, après l'examen prépa- 
ratoire, à prendre part aa concours. Voici l'ordre 
de réception : Deldevez, Gounod, Placet, Chollet 
et Bessozzi. Le sujet à mettre en musique était 
une scène lyrique intitulée; Marie Striart et 
Rissio. Les paroles étaient de Léon Halévy. 
D'après les journaux de l'époque, la poésie se 
faisait remarquer par un style vif, animé, et fort 
bien cotipâ pour la musique. Le résultat du 
concours fut proclamé le 27 mai.Bessozzi obtenait 
le premier prix. Deux seconds grands prix étaieiit 
accordés, le premier à Chollet, le second à 
Gounod. C'était un succès, car s'il n'arrivait 
qu'au troisième rang, Gounod obtenait d'emblée 
un prix au concours. Quelques mois après, leSîi 
novembre 1837, à la réoaverbure des concerts de 
l'Athénée musical, on exécutait un fragment 
d'une symphonie du lauréat : 

a Le Scherzo, disait Je journal Lé Ménestrel, promet un 
véritable tttlent pour traiter le genre élevé. • 

Ce fut la première fois qu'une œuvre de 
Gounod fut exécutée en public. 

Au concours de 1838, le nom de Gounod ne 
figure pas parmi les Lauréats. Le 2 juin le 
premier grand prix de Rome était décerné à 
Bousquet, le premier second prix à Deldevez, et 
le second à Dencla. 

Le 29 octobre de la môme année, jour de l'anni- 
versaire de la mort de Lesueur, on exécuta en 



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SA VIE ET 6EB ŒUVEES 21 

grande soléimité, à Saint-Roch , une messe 
composée par les élèves du maître. Parmi les 
morceaux figurait un Agnua Dei de Gounod. 

Enfin, l'année suivante, en 1839, Gounod rem- 
porta le premier grand prix. Ses concurrents 
étaient : Deldevez, reçu le premier à l'examen 
préparatoire, Roger, A. de Garaudé et Bazin. Le 
sujet était une scène lyrique intitulée Fernand, 
du comte de Pastoret. Trois personnages y figu- 
raient. C'était une innovation, car, jusqu'alors, 
les cantates du concours n'avaient été qu'à une 
ou deux voix, avec accompagnement de petit 
orchestre. Gounod réunit en sa faveur 35 suffra- 
ges sur 37 votants. Deux membres de l'inistitut 
lui refusèrent leurs suffrages. Ces deux juges 
récalcitrants n'étaient probablement pas mem- 
bres de la section de musique. François Bazin 
eut le second grand prix. 

Les candidats qui prirent part aux concours 
définitifs en même temps que Gounod pendant les 
années 1837, 1838, 1839, furent : 

Deldevez, appelé plus tord i diriger l'orchestre 
de la Société des Concerts, uuteur de savants 
ouvrages sur la musique ; — François Bazin, 
qui, devenu professeur au Conservatoire , 
écrivit un traité d'harmonie, et composa Le voyage 
en Chine, opéra-comique dont le succès fut, en 
grande partie, dû à la collaboration de Labiche 
pour les paroles ; — Charles Dancla, aujourd'hui 
un des doyens de l'enseignement du violon au 
Conservatoire ; - A. de Garaudé, fils de l'auteur 



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32 CHARLES aouNOD 

d'une méthode intitulée : L'harmonie rendue 
facile, comme si l'harmonie, cette science ardue 
et compliquée, pouvait être apprise en quelques 
leçons ; — Bousquet, qui fut obligé, un moment, 
pour éviter la misère, de jouer de l'alto dans un 
orchestre de danse ; — ChoUet, un organiste ; — 
Bessozzi, pianiste compositeur, — et Roger. 

II suffit de mentionner ces quelques noms pour 
raoutror à quel degré Gounod devait l'emporter 
surses concurrents dans la composition musicale. 
Nous savons maintenant qnelle part prépondé- 
rante l'avenir lui réservait dans la carrière artis- 
tique. 

Peu de temps après avoir obtenu le premier 
gcand prix, le lauréat partait pour Rome et 
s'installait d'abord à la villa Médicis. 

• C'est pendant son séjour en Italie, a écrit Adolpbe 
Adam, que Goanod sentit en lui le germe d'idées reli- 
gieuses, auzi^ueUes ne furent sans doute pas étrangères 
son admiration pour le R. P. Lacordaire, et les fré- 
quents entretiens qu'il eut avec lui.» 

Gounod avait pu, avant son départ, entendre 
à Paris les admirables sermons que le P. Lacor- 
daire avait prononcés à Notre-Dame, pendant le 
carême de 1838. Ces prédications d'une grande 
hardiesse avaient fait sensation. Le clergé s'en 
était ému, et le religieux avait quitté Paris, 
pour entrer, à Rome, au couvent de la Minerve. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA TIE KT SES <EUT&ES Î3 

C'est là, eu 1840, qae Gouood retroOTut l« 
célèbre dominicaïa, ancien avocat i OijoD, à la 
fois prêtre et homme da monde, dont la parole 
éloquente et pemoasive él^t bien ^te poar 
impressionner vivement l'esprit du jenne homme. 
Gounod eut alors la rét<oIution sincère d'em- 
brasser l'état ecclésiastique. Tronvant le séjour 
de la TiUa Médicis parfois trop bruyaot, il se 
réfug^ia dans une retraite non prévne par les 
règlements de l' Académie; il entra pendant quel- 
que temps au séminaire de Borne, pour se pré- 
parer à sa nonvelle carrière, et aussi pour tra- 
vailler dans le calme et le silence. 

Singulière nature, mêlée d'art et de mysti- 
cisme ! Exemple peut-être unique donné par un 
lauréat de l'Institut, touché par la grâce, et flot- 
tant par la pensée entre le sacerdoce et la voca- 
tion de musicien! 

A Rome, Gounod eut en quelque sorte un pied 
dans le séminaire, et Vautre, le pied droit, dans 
le monde. Nous le retrouverons dans la même 
alternative, mais le pied droit l'emportera tou- 
jours. 

Dans cette disposition d'esprit, la Musique reli- 
gieuse était naturellement sa principale occupa- 
tion. Il composa pour l'Eglise, entassant ainsi de 
précieux matériaux qu'il utilisa plus tard. 11 étudia 
avec acharnement les œuvres des grands maîtres, 
celles de Palestrina et de Bach surtout. Parmi ses 
premières compositions , citons une mes-se à trois 
voix, avec accompagnement d'orchestre et solos 



n,gti7cdT:G00glc 



- 24 CHARLES OOUNOD 

pour contralto et ténor, dont le manuscrit iné- 
dit est à la bibliothèque du Conservatoire de Pa- 
ris. Cette messe fut exécutée à Rome le 1" mai 
1841 à l'église Saint- Louis des Français, à l'occa- 
sion de la fête du Roi Louis-Philippe. Les anni- 
versaires politiques, sous tous les gouvernements, 
ont au moins cela d'utile qu'ils offrent quelques 
débouchés à la production musicale. 

Bien, que séduit par le genre religieux,Gounod, 
à Rome , ne composa pas uniquement pour 
l'Eglise. Il composa aussi, etpeut-êtreàson insu, 
pour le monde, oiî n'était pas sa pensée. C'est à 
l'âge de 22 ans qu'il écrivit le Soir , le Vallon, 
Jésus de Naaaretk, ces belles mélodies emprein- 
tes d'un sentiment religieux ou contemplatif. Il 
composa encore à Rome le Printemps, fraîche 
inspiration où se révèle si nettement l'entraîne- 
ment de la jeunesse. Entre le Printemps et les 
cantilènes que nous venons de citer, il y a un 
contraste. On semble voir, ou plutôt sentir, lalutte 
qui s'opérait alors dans la pensée du compositeur, 
hésitant entre l'autel et la carrière musicale. 
Ces charmantes cantilènes font partie du pre- 
mier recueil' de ses mélodies. Ce sont de petits . 
chefs-d'œuvre, dont l'interprétation vraie est si 
difïïcile, et qui se chantent, ou plutôt se déchan- 
tent aujourd'hui dans tous les salons. Gounod a 
pu faire aussi bien. A-t-il fait mieux t Ces mélo- 
dies , à elles seules , suffiraient à illustrer un 
musicien. 

Gounod avait fini son temps, c'est à-dire ses 



n,gti7cdT:G00glc 



SA. VIE ET SES ŒUVBGS 35 

deux années de séjour obligatoire à Rome ; mais, 
avant de rentrer à Paris, il était tenu de voyager 
pendant une année en Allemagne. Ainsi le vou- 
lait le règlement, qui depuis a été modifié. Cette 
excursion, sans itinéraire de rigueur, avait, en 
1843, sa raisoQ d'être et son utilité. Elle permet- 
tait au musicien d'entendre, à l'étranger, des 
chefs-d'œuvre alors presque ignorés en France. A 
cette époque, les relations artistiques entre les 
différents pays ne s'échangeaient pas commodé- 
ment. Elles étaient relativement restreintes. A 
part quelques brillantes exceptions, les virtuoses 
pianistes étaient les principaux voyageurs de 
commerce dans le monde musical. Les pluies de 
notes, les traits rapides, les tours de force sur le 
clavier étaient partout bien accueillis. Cette sorte 
de voltige, quoique un peu passée de mode, dure 
encore, et l'on ne peut prévoir, hélas I lea temps 
heureux oii elle disparaîtra complètement. Quant 
aux œuvres symphoniques, et aux œuvres de 
musique de chambre, elles ne passaient pas aussi 
facilement la frontière. Mendelssohn n'était guère 
connu à Paris que d'une élite de musiciens. 
Gounod entendit en Allemagne les compositions 
de ce grand maître et il en reçut une profonde 
impression. Il trouvait là un modèle et un guide. 
Il s'identifia sur bien des points à Mendelssohn 
qu'il a imité souvent et auquel il a beaucoup 
emprunté. Il pouvait puiser à moins bonne 
source. 
Dans le cours de son voyage, Gounod séjourna 



n,gti7cdT:G00glc 



20 CHARLES aoUNOD 

quel<]Ud temps à Vienne, où il fît exécuter, sons 
sa direction, le 3 novembre 1843, à l'égllae St- 
Charles, une œuvre qu'il avait composéeà Rome. 
C'était une messe de Requiem, messe solennelle 
à plusieurs voix, sans accompagnement, écrite 
dans le style de Palestrina. Voici le compte rendu 
gui fut alors envoyé de Vienne à un journal de 
Paris : 

< Le Jonr des Uortg on a exécuté à l'église St-Chftrlea 
nn Reguitm, œuvre récente de M. Charles Qounod. Kon 
mulement on reconnaît dans cette composition, un talent 
musical fort honorable, qui a déjà obtenu par son assi- 
duité et son expérience un haat degré d'indépendance; 
mais encore on y voit une compréhension grande et tout 
individuelle, qui, dans le sentiment de ses forces, 
s'écarte des voies usitées pour se créer de nouvelles 
formes. L'harmonie surtout est souvent d'une hardiesse 
aussi surprenante qu'heureuse. Dans la partie mélodique 
il j a des choses qui touchent et impressionnent vive- 
meot, qui dénotent une grandeur de conception deye- 
niie très rare de notre temps, et qui se gravent dans 
r&me d'une manière inefi^çable, des choses qui feraient 
honneur h tout musicien et qui semblent indiquer un 
grand avenir. * 

Ces paroles prophétiques étaient de nature à 
encourager le jeune musicien. Cependant, à son 
retour h Paris, il essaya vainement de faire 
publier ses compositious. II présenta à deux édi- 
teurs, le Vallon, le Soir, Jésus de Nazareth, le 
Printemps; ces beaux cbants écrits à Rome, et 
dont la popularité est aujourd'hui universelle. 
Non seulement il offrit gratuitement ces mélo- 



n,gti7cdT:G00glc 



SA. VIE ET SES ŒUVRES 37 

4i6s aux éditeurs, mais il les leur chanta. Qua 
fallait-il de plus pour les décider et les con- 
vaincre ? 

Gounod, OQ le sait, est un délicieux ténor, un 
maître dans l'art de dire. Sa voix, sans (çrand 
volume, est d'un charme exquis. 

< Gounod, écrivait M.CI&retîe «d 1875, mérite plus que 
peraonne le nom de chantear. Il aâduit, il conquiert. Il 
& en lui cette puissance magnétique de cette musique 
caressante qui est ta sieane. Grand, le corps d'apparence 
solide, mais le front ravagé, chauve, la bouche légère- 
ment tordue, sous sa longue barbe blanche, — tel que 
l'a sculpté Carpeaux — l'œil bleu, profond, fixe, l'œil 
visionnaire, ou plutôt du voyant, dès que cette physio- 
nomie tout ti fait supérieure se montre, on reconnaît un 
homme. Pais, si la main de cet homme se tend vers 
vous avec une pression cordiale, si l'on pénètre, fut-ce 
pour un moment, dans l'intimité de cette nature d'élite, 
ou est en quelque sorte pénétré par le charme d'une voix 
douce, insinuante, enveloppante, mise au service d'une 
causerie qui étincelle... » 

EtM.Claretie ajoute qu'après avoir entendu 
Gounod chanter au piano, des frag-ments de 
Polyeucte, un frisson d'admiration profonda lui 
parcourut tout le corps. 

M- Claretie frissonna donc dans tout son être, 
à la voix de Gounod, âgé de 57 ans. Il n'en fut 
pas de même pour les éditeurs. Quand le musi- 
cien, à son retour de Rome, vint leur chanter ses 
mélodies, il était jeune, il avait une charmante 
toomnre avec ses cheveux blonds, t-el que l'a 



n,gti7cdT:G00glc 



S8 CHARLES OOUNOD 

dessiné Ingres à Rome, dans un délicieux por- 
trait reproduit, en 1877, parle journal VArt. Sa 
Toiz était plue fraîche qu'en 1875, son accent 
plus convaincu. Eh bien ! les éditeurs restèrent 
Iroids et dédaigneux. Ile répondirent par cette 
phrase invariable : « — Très joli ! très joli 1 mais 
» c'est d'un style trop élevé. Ça ne se vendrait 
» pas ! » Peut-être avaient-ils raison. Le nom 
de Gounod n'était pas connu, la vente aurait été 
difficile. Il ne faut pas trop incriminer les édi- 
teurs de ce refus... Que voulez-vous ! Ces mes- 
sieurs sont gens de commerce. Ils craignent ce 
qu'en terme de librairie on appelle le bouillon. 
S'ils voulaient faire toujoure de l'art, rien que de 
l'art, leurs magasins se fermeraient vite. Ils sont 
obligés de songer à la question commerciale, et 
de se soumettre au goût du public. Four eux, 
l'œuvre ne doit avoir de valeur que par la vente, 
et il en est en musique comme en littérature. 
Que deviendrait une librairie qui se consacrerait 
uniquement à éditer des poésie^s, surtout les poé- 
sies qui se fabriquent aujourd'hui ? 

Gounod ne pouvant publier ses mélodies, s'ap- 
pliqua de nouveau h la musique d'église. Il re- 
vint à ses Premiers Amours. Ses compositiona 
religieuses, son séjour au séminaire de Rome lui 
avaient déjà créé une certaine notoriété dans le 
clergé de Paris. C'est alors que le curé des Mis- 
sions étrangères lui offiit une place de maître de 
chapelle et d'organiste dans sa petite église. 
Gounod accepta, à condition qu'il régnerait en 



n,gti7ccT:G00glc 



"i Sa vie et bgs œuvres 29 

Mouverain dans ses fonctions de maître de cha- 
lypUe : 

. j« Vous à l'autel, Monsieur le curé, et moi i 
l'org-ue. ■ 

ii'entente fut conclue. 
^^I^ petite église est une des dépendances du 
séminaire des Missions étrangères, situé rue du 
Bac. Le séminaire est ancien. Son nom indique 
son but. Il a été fondé pour former un clergé ha- 
bile, courageuï et intelligent, chargé d'aller pro- 
pager au loin la religion catholique. Bien avant 
notre entreprise Tonkinoise, ce séminaire avait 
envoyé des missionnaires dans cette colonie 
aussi inutile que lointaine. L'église est ancienne, 
comme l'établissement. C'est une succursale de 
la paroisse St-Tbomas d'Âquin. Lorsque Goonod 
entra en fonctions, elle se composait d'une cha- 
pelle supérieure et d'une chapelle basse. Cest là 
que pendant cinq années environ, le lauréat de 
l'Institut vécut presque retiré du monde, oublié, 
mais attentif et laborieux. Là, il travaillait avec 
acharnement, comme il l'avait fait à Rome, dans 
' le calme et le recueillement. Il avait alors pour 
camarade l'abbé Gaj, un abbé musicien, avec le- 
quel il a conservé les relations les plus cordiales. 
Bientôt son imagination s'enflamma de nouveau 
pour le sacerdoce. 11 fut admis comme externe au 
séminaire des Missions, et il suivit assidûment le 
cours de théologie. Il aimait à. lire les œuvres des 
Pères de l'Eglise, qu'il annotait. Les sermons en 
latin de saint Léon et de saint Bernard lui sont 



n,gti7ccT:G00glc 



30 CHABLBS QOUKOD 

restés chose familière. Dans la maison, où on 
considérait plus qu'un novice, on ne l'appelktt 
que Monsieur l'Abbé , et, ea février 1846, les 
journaux publiaient l'entrefilet suivant 



t H. Charles Oounod, grand prix de l'Institut, Vten' 
d'entrer dans les Ordres. * -' 



La nouvelle était inexacte. Gounod n'a même 
pas reçu les ordres mineurs, comme on l'a pré- 
tendu. Ce qui est vrai, c'est qu'il se préparait, 
non sans hésitation, à embrasser l'état ecclésias- 
tique. Il restait indécis sur sa vocation. Déjà il 
portait la longue robe et le costume du Séminaire 
des Missions, et, suivant le témoignage de 
M. Arthur Pougin, ceux qui le voyaient étaient 
frappés de ses allures mystiques et austères. Son 
abord, son maintien faisaient prévoir une réso- 
lution inébranlable. 

Tout en s'initiant aux dogmes et à la théo- 
logie, Gounod ne renonçait pas à la musique. A 
l'église, il était à la fois maître de chapelle, 
organiste, et premier ténor. Jamais les fidèles 
des Missions étrangères n'entendirent une voix 
plus séduisante. En dehora des offices, il conti- 
nuait h étudier les grands maîtres, sans rester 
indifférent aux œuvres contemporaines, notam- 
ment aux compositions de Schumann qui com- 
mentaient à se faire jour, et qui agitaient, en 
Allemagne, ie monde musical. Il se tenait au 
courant, et suivait avec attention les luttes que 



J 

les F- 

J 



n,gti7cdT:G00glc 



BA VIE ET SES ŒUVRES 31 

provoquaient les ouvrages de Berlioz. Il composa, 
auz Missions, beaucoup de musique religieuse, 
des motets, des messes, des chœurs avec accom- 
pagnement d'orgue. Beaucoup de ces compo- 
sitions n'ont pas été retrouvées. En 1848, l'édi- 
teur Bichauli avait publié une série de chœurs 
intitulée : Offices de la semaine sainte par l'abbé 
Gounod. M. Julien Torchet, dans une chronique 
parue au Musée des familles, en 1884, dit avoir 
vu un Salve regîna, composé par i'abbé Gounod. 
Une lithographie représentait, sur la couverture, 
l'auteur revêtu d'une soutane, le rabat au cou, la 
figure imberbe, les cheveux presque ras. 

Ce travail opiniâtre, cette étude ardente, pour- 
suivie, pour ainsi dire, sous le cloître, et embras- 
sant l'art musical au point de vue de l'Eglise et 
du monde , eut nécessairement une grande 
influence sur le talent de Gounod, qui se créa 
ainsi un tempérament de musicien tout indi- 
viduel. 

Quels sont les motifs qui lui firent abandonner 
les Missions étrangères, et pourquoi renonça-t-il 
à l'état ecclésiastique ? Nous en rechercherons 
la cause dans les journaux de l'époque, bien 
qu'ils ne s'étendent pas beaucoup sur ce sujet 
d'ordre tout intime. Si nous insistons sur ce point 
délicat, c'est pour nous applaudir de la décision 
définitive prise par le musicien. Gounod, dès son 
enfance, avait été destiné au notariat, qu'il avait 
répudié. Il eut fait un mauvais notaire. Dans les 
ordres, eut-il illustré le clergé, comme il a illustré 



n,gti7cdT:G00glc 



32 CBA.BLES OOU^OD 

Tart musical T Ll est permis d'en douter. Sa nature 
indépendante ne pouvait se plier aux exigences 
de la vie régulière et du céaobitisme. Tel est 
l'avis d'Adolphe Adam, auquel nous empruntons 
ces lignes écrites avec quelque malice ; 

• Loraqn'îUui fiillututreiiidre Bon indépendance k tontes 
les rigueurs de la règle «cclésî asti que, le jeune néophyte 
comprit toute la grandeur du sacrifice qu'il était prSt de 
commencer. Il eut le courage de revenir en arrière, sans 
rien perdre de ses convictions. Il comprit que plus elles 
étaient sincères, plus il importait de n'entreprendre que 
ce qu'il était en état de continuer, et il rentra franobe- 
mentdans la vie artistique. ■ 

Mais un motif plus puissant encore que la 
crainte de défaillir, une femme, vint soustraire 
Goanod aux claustrations du séminaire. 

* M.Gounod, dit Scudo dans la Rniue des Deux-Mondes, 
a longtemps hésité entre la voie du siècle et crile du 
sacerdoce, qu'il faillît embrasser, si une femme d'esprit 
et uns artiste d'un grand mérite, qui s'intéressait à son 
avenir, n'eût fait ouvrir brusquement les portes de 
l'Opéra k son premier ouvrage, k Sapho,' 

C'est en effet Madame Viardot qui décida le 
jeune musicien, nous allions dire le jeune abbé, 
h rentrer dans la vie mondaine et artistique. Elle 
avait entendu quelques-unes de ses composi- 
tions, et elle ne cachait pas son admiration. 
Madame Viardot avait un orgue dans son salon. 
Peut-être Gounod lui avait-il chanté lui-même 
ces adorables mélodies Le Printemps, Le Soir 



nigtiVcdiyGoOglc 



n,gti7cdT:G00glc 



34 CHA.RLBS GOUNOD 

parurent dans les feuilles anglaises, notamment 
dans ï'Alhenœumda 18 janvier 1851. Cet article 
fut reproduit dans les journaux de Paris. 
Le voici presque en entier : 

< Mercredi soir, à Saint Martin-Hall, on a exécuté qua- 
tre morceaux de la eompoaïtion de M. Gounod. Nos sou- 
venirs de critique ne nous rappellent aucun débot Tait 
dans de semblables circonstances ; une musique entière- 
ment nouvelle d'un compositeur entièrement nouveau, 
devant un auditoire composé presque entièrement d'artia 
tes musiciens nationaux ou étrangers, parmi lesquels à 
peine quelques-uns pouvaient avoir quoique bienveil- 
lance. Le succès a été complet et décisif, et, comme le 
disait près de nous un vétéran de l'art musical, plus 
babitué à donner son attention que ses éloges : il mar- 
que le commencement d'une carrière en musique. Des 
quatre compositions soumises au jugement du pnblic, 
nous ne parlerons que des trois avec accompagnement 
d'orchestre... 

< Le Libéra me, chœur final d'un Requiem, est sévère, 
digne et solennel. Il offte entre autres choses sur le verset 
Rtguiem aternam une combinaison de voix qui est à la 
fois neuve, grandiose et saisissante. 

i Le Sanctas, fragment d'une messe, composition plus 

longue et plus importante, est le morceau qui a déânîti- 

vement assuré le succès de M. Oounod... Il commence 

par un solo de ténor, dont la mélodie est répétée par 

l'orchestre, le chœur l'accompagnant. Puis, la seconde 

partie du solo est suivie d'un crescendo admirablement 

conduit, qui ramène le thème primitif, exécuté cette 

fois par la masse de l'orchestre et des chœurs, dans un 

tutti pompeux et éclatant... Au Sanclus succède un mon- 

iment de fugue bref, clair et nourri sur l'Hosannah I 

I Bentdictus pour soprano solo, accompagné de l'orgue, 

répété par le chœur, est écrit dans le vieux style du 

ant grégorien. Pour revenir auxidées musicales de ce 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 35 

morceau, nous n'avons pwa soavenir dune mélodie plus 
suave, plus simple et plus élevée que celle du Sancttu. 
A la plénitude de la beauté mélodique, s'unissent une 
ferveur et une dignité religieuses qui rendent la chant 

tout à Tait inapplicable à un sujet profane 

a La dernière composition, Pierre l'Ermite, pour voix 
de basse, avec marche et choeur, est une scëne drama- 
tique non moins remarquable dans son genre, pnr U 

noblesse de In mélodie et la grandeur de l'effet Nous 

présageons pour M. Gounod une carrière peu commune. 
Car s'il n'y a pas dans ses œuvres un génie vmi et neuf, 
il nous faut retourner à l'école, et rapprendre l'alphabet 
de l'art et de la critique . > 

Ces éloges enthousiastes, inspirés sans doute 
par uue voix amie, étaient aussi sincères que 
justes. Leur importance est dans leur date et 
dans la compétence même du critique. M. Louis 
"Viardot était un écrivain d'une grande autorité, 
et cet article, quoique non signé, lu fut juste- 
ment attribué. Il produisit une certaine sensa- 
tion dans le monde des artistes. Nous l'avons 
inséré presque en entier, parce que les œuvres 
de Gounod données au concert de Londres, ont 
été souvent, et pendant plusieurs années exé- 
cutées à Paris aux concerts de V Athénée musical, ' 
do Sainte-Cécile et des Jeunes Artistes. 

Gounod était allé à Londres pour assister au 
concert de Saint-Martin Hall. Il revint bien vite 
à Paris, où l'attendaient les répétitions de son 
opéra Sapho. Sa carrière commençait pour le 
public. 



n,gti7cdT:G00glc 



n,g't,7ccT:G00glc 



LES PREilÉRES ŒUVRES DRIMITIOUES 



Ulyaae. — Lei No: 



SAP no 



Emile Aug^ier, l'auteur du livret de Sapho, fut 
nommé membre de l'Académie française en 1858. 
Il venait s'asseoir dans le fauteuil occupé jadis 
par Boileau, et l'on peut dire que le fauteuil ue 
dérogeait pas, car Augier s'était révélé au moude 
littéraire par des œuvres éclatantes. En 1851, il 
avait déjà fait représenter, à l'Odéon, la Ciguë, 
et, au Théâtre Français, quatre autres pièces en 
vers : VHomme de bien, l'Aventurière, Gabrielle 
et le Joueur de flûte. 

Sapho vint ensuite. C'est le seul livret d'opéra 
qu'ait écrit Emile Augier. Des vers d' Augier, do 
la musique d'un jeune compositeur, et Madame 
Viardot jouant le principal rôle ; voua jugez s'il 
j avait là de quoi exciter la curiosité du public. 



n,g -ccT'GoogIc 



3â CBABLBR aOUNOD 

Rappelons, dans une analyse sommaire, le sujet 
de l'opéra : Le drame se passe dans la fnmeuso 
!Id de Lesbos, à Mytilène, où règ^ne le tyran 
Pittacus. Pittacus est un très doux et très hon- 
nête tyran, puisqu'il fut mis au rang dea sept 
sages de la Grèce. Cela n'empêche pas le poète 
Alcée, Pythéas et Phaon d'organiser une cons- 
piration contre lui. Les conspirations, au théâtre, 
n'offrent pas toujours grand intérêt, mais elles 
fournissent au musicien un élément choral. 11 y 
a nécessairement an chœur de conspirateurs, et 
cela donne le champ libre à ta compusition. 

Sapho, célèbre par ses poésies, célèbre aussi 
par quelques petits méfaits inutiles à spécifier, 
aime passionnément un des oonjuréa, Phaon, un 
véritable Adonis que la courtisane Glycère aime 
également et de la même ardeur. Au complot 
politique viendra se mêler une autre intrigue 
inspirée par l'amour. 

Pythéas, de son côté, est pris d'une folle pas- 
sion pour Glycère. Comme conspirateur il est 
d'accord avec Phaon, mais, en amour, Phaon est 
son rirai. C'est un véritable enchevêtrement de 
flammes amoureuses. Pythéas veut se débarrasser 
de Phaon, et Glycère de Sapho. Pythéas et Gly- 
cère s'unissent donc pour inventer un strata- 
gème qui forcera Phaon à quitter l'île de Leshos. 
Ce stratagème réussit. 

Au troisième acte, le théâtre représente le 
promontoire escarpé de Lesbos que domine un 
î rocher (décors de Séchan et Despléchin). 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 39 

Le complot politique a été découvert, et les 
conjurés sont proscrits. Ils sont réunis, et mau- 
dissent Sapho, qui, dans leur croyance, les a 
trahis et dénoncés. Erreur ! Sapho est innocente. 
Sapho a entendu les imprécations de Fhaon, de 
celai qu'elle aime, et elle ne veut pas survivre à 
sa douleur. Les conjurés ont quitté la scène, 
quand un jeune berger descend de la montagne 
et chante nue délicieuse mélodie accompagnée 
du hautbois et du tambourin : 

Sroutez le thym, broutez mes chèvres. 
Le serpolet avec le thjm. 
La blonde AgUâ de sea lèvres 
Toucha tes miennes ce matin 

Cette chanson d'amour, calme et tranquille, 
contraste avec la fiévreuse agitation de Sapho. 
Le dénouement est connu ; c'est le saut du rocher 
de Leucate. Sapho prend sa lyre, et, après les 
strophes finales (O ma Lyre immortelle), elle se 
précipite dans la mer. 

Cette triste aventure avait, déjà été mise eu 
musique. Au XVII' siècle, Sapho avait été repré- 
sentée dans quelques entrées d'opéras-ballets. 
Plusienrs opéras allemands, italiens et français 
furent composés sur ce sujet, notamment la 
Sapho de la comtesse de Salm, mise en musique 
par Jean-Paul Martini, et jouée plus de cent fois, 
en 1794, au théâtre Louvois. il faut citer aussi la 
Sapho de Reicha représentée, en 1822, dans la 



n,gti7cdT:G00glc 



40 CHABLE6 OOUNOD 

salle de la rue Le Peletier avec Adolphe Nourrit 
dans le rôle de Phaon, et M°" Dabadle d^ns 
celui de Sapho. Il j eut encore une Sapho de 
Pacini, au Théâtre Italien, en 1842. 

Sans nul doute, le meilleur livret sur Sapho 
est celui d'Emile Augier. Les critiques copen - 
dant ne firent pas faute. Si la poésie était char- 
mante, l'action était nulle et sans intérêt. Pou- 
vait-on faire mieux sur un sujet dont le suicide 
par amour constitue la seule situation drama- 
tique? La conspiration contre Pîttacus n'avait 
pas réussi à corser le poème. 

Gueymard fténor) remplissait le rôle de Phaon; 
Marié (baryton) celui d'Alcêe; Brémond (basse) 
celui de Pythéas; M"' Viardot, celui de Sapho, 
et M'" Poinsot (soprano) celui de Glycère. 

Aymès chanta les couplets du pâtre. Artiste 
inconnu jusqu'alors, il cumulait l'emploi de teno- 
rino à l'Opéra, avecle commerce de comesti- 
bles, place delà Madeleine. Le succès qu'il obtint 
sur le promontoire de Leucate, lui fit abandonner 
la vente des denrées, et dès lors il se consacra à 
l'art du chant. 

Les trois actes de Sapho se divisaient ainsi : 

Premier acte : Introduction et Marche. — 
Chœur : O Jupiter. — Romance de Phaon. — 
Chœur : Voilà Sapho ! —Quatuor.— Chœur : Sa- 
lut Alcée. — Ode de Sapho : Héro sur la tour so- 
litaire. — Final. 

Deuxième acte : Chœur et scène : Gloire à 
Bacchus. — Serment : Oui! jurons tous. — Duo 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET BBS ŒUVRES 41 

bouffe (Glycère et Phytéas). — Cantilène de Sa- 
pho : Ma vie en ce séjour. — Duo (Glycère, Sa- 
pho). — Trio : (Glycère, Sapho, Phaon). 

Troisième acte : Scène et air : J'arrive le pre- 
mier (Phaon).— Chœur : Adieu Patrie. — Chan- 
son du pâtre. — Stances de Sapho. 

La première représentation eut lieu le 16 avril 
1851. Elle était attendue par tous les dilettanti, 
car on avait fait les plus grands éloges de la par- 
tition. On avait même dit que l'œuvre de Gounod 
constituait une révolution dans le drame musi- 
cal. Aussi la salle de l'Opéra était-elle brillam- 
ment occupée par toutes les illustrations des let- 
tres et des arts. Fendant les entr'actes, les con- 
versations, les discussions même étaient fort 
animées. Louis Lacomhe, auteur lui aussi d'une 
Sapho (1), et auteur inspiré, a raconté le fait 
suivant : Âuber, adossé à une colonne, parais- 
sait pensif, et réservé. 

« Eh bien I maître, lui dit Lacombe, comment 
■ trouvez-vous l'œuvre de Gounod? — Ça man- 
• que d'airs, répondit sèchement l'auteur de Fra- 
> Diavolo. » 

Gounod était un nouveau venu en musique. 
Son succès ne fut pas éclatant. Les eomptes- 



(1) Symphonie avec chœurs et soli, œuvre f^randiose, 
classée la première aa grand concoure de l'Eipoaition de 
1878, exécutée le 10 juin dans la salle du Trocadero, re- 
prise au Conservatoire, où elle fait partie du répertoire 
de la Société des concerte. 



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42 CHARLES GOUNOO 

rendus de ta presse firent certaines réserves sur 
la partition, tout en adressant des éloges au 
jeune compositeur. Les débuts de Cvounod ne sont 
pas chose indifférente , et nous passerons en 
reTue quelques-uns des principaux feuilletons 
parus en 1851 : 

Les Lundistes, pour la plupart, approuvent 
l'introduction, le premier chœur : O Jupiter ! et 
la romance de Ptuton ; Puis— Je oublier. 

« Lin trod action, dît Berlioz, est d'une belle physiono- 
mie antique, où l'os retrouve malheureusement une trop 
forte réminiscence de U marche A'Aleette.* 

Gluck hantait toujours et partout l'esprit de 
Berlioz. 

Le quatuor n'avait pas plu aux critiques. Les 
uns le trouvaient trop écourté, les autres en 
contestaient la valeur musicale. L'ode de Sapho : 
Héro, sur la tour solitaire, qui n'est autre chose 
que la mélodie : La nuit ramène le silence (Le 
soir) adaptée à l'opéra, fut louée presque unani- 
ment, sans toutefois provoquer un vif enthou- 
siasme. On aimait moins l'air de bravoure qui 
suit, et qui probablement avait été demandé par 
M*' Yiïmlot. Mais le final du premier acte 
obtint tous Tes su&ages. On le trouva digne des 
plus grands mitres. 

Tout le second acte, à l'exception de la canti- 
lène de Sapho, parut faible à la critique. Les 
deux duos et le trio final n'avaient pas produit 
4'fiffet. 



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SA TIE ET SES ŒUVRES 43 

Le troisième acte est l'objet d'éloges unani- 



■ — J'ftdore ce troisième acte, dit Berlioz, et je le rever- 
rai aussi aouvent que je le pourrai, tant qu'il sera bien 
exécuté. C'est une large et poétique conception. Si les 
deux premiers actes étaient é^uz en valeur au troisième 
acte, H. Qounod eût débuté par un chef-d'œuvre. > 

En résuma, les journaux indiquent le final du 
premier acte et la chanson du pâtre comme les 
deux morceaux qui ont produit le plus d'impres- 
sion sur le public de la première représentation. 

C'est aussi l'opinion qu'émet Adolphe Adam, 
dans son compte rendu du journal l'Assemblée 
Nationale. Pauvre Adam t Ruiné par son entre- 
prise de théâtre lyrique, harcelé par ses créan- 
ciers, l'auteur du Chalet était, à cette époque, 
dans une misère absolue. Un ami, Zimmerraann , 
lefuturbeau-père de Gounod, lai avait apporté 
deux cents francs pour les obsèques de son père, 
dont il ne pouvait payer les frais. Adam était 
obligé pour vivre d'écrire dans les journaux. 11 
en était réduit à grignoter, par-ci, par-là, un 
feuilleton de cinquante francs. 

Mais Adam avait une grande sérénité d'esprit. 
Sa critique était consciencieuse, et son feuilleton 
sur Sapho est une page intéressante que nous 
croyons devoir reproduire en grande partie : 

t Les études sérieuses de U. Qounod, écrit Adolphe 
Adam, devaient lui Taire trouver de l'attrait à un sujet 



n,gti7cdT:G00glc 



44 CHARLEB aoUNOD 

se rKftneliuit à l'antiquité si détaiBsée de nos jours. Son 
ulmiratio» pour Gluck et lea maîtres anciens, dont la 
premier de ses professeurs était idolfttre, lui fit conce- 
voir sans doute la pensée de faire revivre, en le moder- 
aisant, lesj'stime de la déclamation mugicale adopté par 
l'auteur d'<4lceile et d'OrpA^. Aussi se trompe-t-on, en 
innon;antque la musique de M. Ooonod pouvait être le 
lignai d'une réïolution. Tout ce qu'elle pouvait produire 
E'était une réaction, et peut-être une restauration. D'a- 
près cela, il devient assez difficile de juger la musique 
le M. Gounod. Faut-il la prendre au point de vue 
uicîea on moderne ? Noos regardons aujourd'hui comme 
iine qualité ce que les maîtres regardaient autrefois 
comme un défaut. La musique pour eux existait dans 
les choeurs, dans les airs, dans tout ce qui préparait 
une situation. Mais dès que cette situation arrivait, la 
musique cessait pour faire place au cbant déclamé. 
Aujourd'hui nous faisons le contraire. Quand la situa- 
tion commence, nous entonnons le morceau de musique.. - 

* C'est i peu près le premier de ces deux systèmes qu'a 
suivi H. Gounod. Ce qu'il a le mieux réussi, ce sont les 
morceaux pour ainsi dire hors d'œuvre. Ceux où domine 
la situation (et la situation ne se présente pas fréquem- 
ment dans le livret), ceux-là laissent toujours quelque 
chose il désirer, 'non par impuissance, j'en suis convaincu, 
mais par l'emploi de formes dont nous sommes déshabi- 
tués, et auxquelles Je doute que notre éducation musicale 
puisse revenir. (Ne jamais prophétiser sur l'art drama- 
tique). 

■ Quand j'ai dit que touoenl chez M. Gounod la musi- 
que cessait avec la situation, je me suis bien gardé de 
dire toujours, car il 7 a dans le trio du deuxième acte ua 
ÀndanU excellent. C'est celui oik Phaon chante : douleur 
gui m'oppresse. A. la bonne heure ! Cette fois M. Gounod 
a été parfaitement inspiré. 

I Après avoir exposé ce que je pense être la partie 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIB BT SES œUVREB 45 

faible de l'œuvre, je dois signaler les éminentes qualités 
qui distinguent le jeune compositeur. Disons d'abord 
qu'il a une excessive clarté, tant dans son instrumenta- 
tion qu'on pourrait désirer plus brillante et plus sonore, 
que dans la manière dont les voix sont disposée». . . . 

t L'introduction qui sert d'ouverture est d'un beau stjle, 
et révèle une entente parfaite de U couleur antique. La 

premier chœur est rempli de pompe et de majesté 

La romance de Phaon est pleine de sentiment, d'élé- 
gance et de distinction. Le chant d'Àtcée, quoique très 

applaudi, m'a paru moins bien réussi Le anal du 

premier acte reproduit un de ces beaux effets d'unisson 
que Verdi u'a pas plus inventé, que fiossini n'a inventé 
le crescendo. Le anal de M. Gounod, applaudi par toute 
la salle, a 6té redemandé et répété au bruit d'unimimes 
applaudis s ements . 

( Le second acte me paraît être le moins bien partagé 

des trois Un délicieux morceau est la cantilâne 

chantée par Sapho aux jeunes Lesbiennes qui l'accompa- 
gnent. .. Le duo bouffe offre d'excellentes parties; mal- 
heureusement, il tourne un peu court 

« J'arrive au troisième acte où je n'aurai plus à donner 
que des éloges. Il ne se compose que de quatre scènes. 
H. Gounod a pu se croire appelé de nouveau à faire une 
cantate, comme pour le prix de l'Institut. Cette fois 
encore il aurait.mérité le premier prix 

« La chanson du p&tre est un véritable bijou musical. 
Le charme et l'originalité de l'accompagnement, la vague 
et insouciante rêverie de ce petit pâtre, tout a contri- 
bué il donner b l'auditoire cette jouissance si rare que 
procure un morceau complètement réussi. Cette chanson 
a renouvelé dans un autre ordre d'idées l'enthousiasme 
qu'avait soulevé le Snal'du premier acte. J'ai partagé cet 
enthousiasme. J'avoue qu'il durait encore au baisser du 
rideau, et qu'il ne m'avait pas quitté un instant. Ce qui 
m'a sans doute fait prêter une attention trop distraita 



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46 CHARLES OOUNOD 

ani dernières strophes chantées par Sapho, pour pouvoir 
les justement apprSciar... 

« Quel que soit l'aYenir de l'opâra, le début du compo- 
siteur n'aura pas été moins brillant. Je n'aime pas beau- 
coup les systèmes et les partis pris dans les arts. Mais 
on doit toujours louer et encourager la tentative d'un 
jeune homme qui veut se créer une manière en respes- 
tant les règles fondamentales du goût et de la pureté, 
sans lesquelles il n'y a pas d'art possible. U. Gounod 
n'est peut-Stre pas dans la vraie voie de la musique dra- 
matique, mais au moins la sagesse de son style, la natnre 
même de ses tendances prouvent avec quelle facilité il 
pourrait revenir à une manière plus en rapport avec nos 
habitudes et l'état actuel de ta musique... > 



Gounod en effet n'avait pas écrit Sapho selon 
les fonnules ordinaires. 11 ne s'était pas renfermé 
dans le cadre des opéras de l'époque. Comme le 
fait remarquer justement Adolphe Adam, c'était 
une restauration àiQ l'antique. 

En réalité, l'œuvre était en avance sur son 
temps, et le rite devait parûtre nouveau à un 
public habitué à entendre dans les opéras, ce que 
l'on est convenu d'appeler des morceaux. Auber 
l'avait dit : Ça manque d'airs ! Traduisez, c'est 
ennuyeux. 

« L'auteur, suivant le iiéntttrel , emmêle récitatifs, 
ariettes, cavatines, duos et morceaux d'ensemble, sans 
qu'il soit possible d'en saisir les points d'intersection. ■ 

< Renoncer aux formes aimées de la foule, disait la 
Gazette Musicale, et par conséquent ans chances les plus 
probables de la réussite ; se détourner de la grande 



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SA. VIE KT SES tEUVRES 47 

route frajêe par l'art moderne pour se jeter aurlee traces 
des anciens maîtres de la scâne; chercher à ne donner 
à la mélodie que des allures primitives, simples et 
gjstématiquea souvent jusque l'aridité, c'est beaucoup 
trop hasarder. La fortune qui vient en aide b l'intrË- 
piditë, ici lui fait défaut. ■ 



Le plus malTeillant de tous les comptes 
Teudus, fut sans contredit celui de la Revue des 
Deux-Mondea. Etait-ce bien un compte rendu ï 
Sous la signature de La Genevais, U. Blaze de 
Bury, beau-frôre de Buloz, publia une simple 
note aussi injuste que brutale. C'était une exé- 
cution sommaire, c'était la mort sans phrase. 
Voici l'arrêt in- extenso : 

• Puisque noos sommes en train de parler des opéras 
écrits pour les chanteurs, il ne faut pas oublier de signa- 
ler, pour mémoire, car, hélas ! la critique en a fait Justi- 
ce, un opéra, Sapho, écrit pour mettre en lumière le eOté 
antique de Madame Viardot. On â dit dan& le monde que 
la musique de cette partition avait été composée soua 
l'Inspiration, et mSme avec la collaboration de l'artiste. 
Nous avons trop bonne opinion du talent musical et du 
e-ofit de Madame Viardot pour penser que, si elle avait 
travaillé h cette œuvre, elle ne e'j fut pas mootrée pïus 
à son avantage. Quand on écrit pour soi, on soigne mîeus 
ses intérêts. Ceci nous amène natureUemext à dire que , 
vu la facilité avec laquelle se produisent de pareils ou- 
vrages (Sapho et le Démon d« la yuit, par exemple), il 
n*e8t plus permis de prétendre que la carrière est fermée 
au talent inconnu. Les portes de l'Opéra doivent Stre 
grandement ouvertes, au contraire, puisque, soit disette 
ou bon vouloir, on accepte et on fait étudier k des artis- 
tes sérieux d'aussi déplorables essais. * 



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49 CBARLBB aOUNOD 

Tel n'était pas l'avis de Berlioz, qui pourtant 
n'était pas doux en critique et ne brillait guère 
par l'iDdulgeDce : 

< M. Gounod, disait-il en tâte du feuilleton dont nous 
avons cité plus haut quelques extraits, M. Qounod est 
un jeune musicien doué de précieuses qualités, dont les 
tendances soot nobles, élevées, et qu'on doit encourager 
et honorer, d'autant plus que notre époque musicale est 
plus platement corrompue et corruptrice. (Berlioz aurait- 
il changé d'avis, t'il vivait encore ? ) Les belles pages 
dans son premier opéra sont assez nombreuses et assez 
remarquables pour obliger la critiquek les saluer comme 
des manifestations du grand art, et pour l'autoriser à 
dire ce qu'il y a de grave dans les erreurs qui déparent 
une œuvre aussi sérieuse et prise d'un si haut point ds 



Théophile Gautier écrivait : 

• En musique comme en peinture, nous aimons l'homo- 
généité dans la couleur, et la partition ds M. Gounod 
noua semble devoir être comparée à une belle Temme, 
dont Ingres aurait fait le torse et la figure, et Delacroix 
les jambes et les bras... s 

Et plus loin : 

■ Est-ce par gravité personnelle, ou par égard aux 
scrupules de M. Gounod, que H. Emile Augier n'a pas 
réservé de place au ballet dans son poème? Chez les 
Grecs, la Danse se mâlait & tout, aux fêtes publiques, aux 
cérémonies du Culte, aux représentations théâtrales. Les 
philosophes lui donnaient des significations astronomi- 
ques et religieuses. Cette omission du ballet qui attriste 
beaucoup l'ouvrage, déjà peu gai par lui-même, est im- 
pardonnable dans un sujet grec » 



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SA VIE ET SES ŒUVRES 49 

Dès la troisième représentation de Sapho, l'af- 
fiche annonça, pour fîair, le ballet de Paquita 
(musique de Beldevez). Â la quatrième, ce fut le 
tour du ballet ; La Vivandière { musique de 
Pugni). La sixième et dernière représentation 
eut lieu le 12 mai 1851. On fut oblig-é de presser 
les répétitions de Zerline ou la Corbeille d'o- 
ranges d'Auber pour la rentrée de l'Alboni. 
- Sapho n'avait pas attiré le public, et ne faisait 
pas d'argent. Gounod adressait alors à Berlioz, 
bibliothécaire au Conservatoire, quelques frag- 
ments manuscrits do son opéraavec cette inscrip- 
tion : ■ Â mon ami Berlioz, débris du naufrage 
au rctcher de Leucate. » 

Non, ce n'était pas -un naufrage. Le navire 
n'était pas perdu, et il en reste de belles épaves. 
La partition de 1851 est une œuvre inspirée et 
poétique. C'est un tableau bien éclairé que ne 
peuvent assombrir quelques ombres. En dépit de 
la critique, et malgré son insuccès au théâtre, 
Sapho est un des meilleurs ouvrages du compo- 
siteur. Combien de musiciens envieraient un 
pareil début t 

L'opéra,, réduit en deux actes, reparut, pour 
quelques représentations , le 26 juillet 1858, 
comme lever de rideau de ballet. Les rôles créés 
par M*" Viardot, M'" Poinsot et M. Gueymard, 
étaient remplis par M"" Artot, Ribault et M. 
Sapin. Aymès disait toujours avec beaucoup de 
goût la chanson du pâtre. Mais l'ouvrage n'attira 
pas plus la foule qu'en 1851. La foule n'est pas 
faite pour cette musique-là. 



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&0 CBA.RLBS aOUNOD 

Sapho a été de nouveau reprise à l'Opéra le 2 
avril 1884, remaniée dans sou livret, rêva?, 
corrigée et augmentée dans sa partition. L'ou- 
vrage a été refondu en quatre actes, afin de 
remplir toute la soirée, et d'exclure le ballet d'un 
autre compositeur. Les temps sont changés. On 
ne joue plus Gounod en lever de rideau. 

Le premier et le troisième acte n'ont pas été 
sensiblement modifiés. Quelques parties rema- 
niées du second acte, et des morceaux inédits 
forment la nouvelle partition. Gounod a composé 
notamment un grand duo entre Fhaon et Sapho, 
une chanson bachique, un quatuor, et un ballet 
en six parties (fin du second acte), où l'on a 
remarqué le pas de Terpsichore dansé par M"' 
Subra. 

La partition nouvelle restera inédite, et cela 
vaut mieux. C'est l'avis de tous ceux qui ont le 
culte de la musique. M. Bcyer assistait, en 1851, 
à la première représentation. Il était sorti de 
l'Opéra, ravi, enthousiasmé. M. Rejer exprime 
son opinion dans le Journal des Débals du 6 avriî 
1884, et il ajoute : 

« Les développements donnés à t'ceuvre primitive 
devaient nécessairement amener M. Gounod b des 
concessions qui sont dans les habitudes d'aujourd'hui. 
Aui cadences si sobres, aux cadences do forme si pure 
de la première Sapho sont venus s'ajouter des points 
d'orgue et des effets de virtuosité, dont 30 ans aupara- 
vant le compositeur se fut bien peu inquiété » 



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SA VIE ET SES ŒUVRES ùl 

Les principaux interprètes de la nouvelle 
Sapho étaient M"" Krauss et Richard ; MM. 
Dereims, Gaillard, Plancon et Melchissedec. 

Sapho a disparu du théâtre, mais l'œuvre, 
toujours hrillante, est restée, par fragments, au 
répertoire des concerts. 



UL Y s SE 

Après Sapho, vient Ulysse. Gounod cette fois 
ne travaille plus avec Emile Augier pour l'Opéra ; 
il collabore avec Ponsard. pour le Théâtra- 
Français. 

La Comédie Française était àeTenue,en 1850, 
un théâtre de musique. Ony jouait des entr'actes, 
et l'orchestre faisait merveille. Lors de son entrée 
en fonctions, le directeur Arsène Houssaye avait 
repris VAmour Médecin, avec les entrées de 
ballet et les airs de Lully. Alexandre Dumas 
avait été chargé d'encadrer la pièce dans de 
nouvelles scènes, de sorte que les trois petits 
actes de Molière avaient été allongés par l'au- 
teur ^Antony. Dans cet arrangement bizarre, 
l'intelligent public du Théâtre-Français confon- 
dit, pendant toute la représentation, Molière avec 
Dumas. Il ne sut pas distinguer ce qui était la 
sauce ou ce qui était le poisson. On siffla Molière, 



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52 CHARLES OOUNOD 

et on applaudit Dumas I Quant aux airs et aux 
symphonies de LuUy, ils eurent grand succès.. 

C'est dans Ulysse, tragédie en cinq actes, que 
la musique devait prendre un plus grand déve- 
loppement au Théâtre-Français. L'Odéon avait 
fait représenter plusieurs années auparavant un 
Saiil avec des chœurs de Fétis, et l'Antigone 
de Mendeissohn. La Comédie Française voulut 
imiter l'Odéon. De là les chœurs d'Ulysse. 
L'Odéon a continué de nos jours cette tradition, 
notamment avec les chœurs à.'Estker de Moreau, 
avec VArlésienne, les Erinnyes,etc. Le Théâtre- 
Français a renoncé à la musique. Il n'a plus 
même d'orchestre (1). 

La tragédie de Ponsard représentée le 18 juin 
1852, (2) nous remet enpleine Odyssée,et nous fait 
assister au retour d'Ulysse dans son île d'Ithaque. 
Le héros rentre dans sa patrie, après la prise de 
Troie, après toutes les péripéties et tous les 
naufrage^ que l'on conmdt. Au lever du rideau, 
Ulysse assis sur un tertre, songe à regagner son 



(1) Depuis Ulysse, et en dehors du répertoire de 
Molière, la, musique n'a reparu que bien rarement au 
théâtre de la rue Richelieu. On peut citer cependant le 
Murillo d'Ajlic Langlé, musique d'Adam et de Meyerbeer 
{i853). — ÛEdipe-iïot de Jules Lacroix, musique de Membrée 
(1858). — Un jeune homme qui ne fait rien de Legouvé où 
Dressant chantait une romance de Chopin.— La reprise 
de Dalila où un ténor de l'Opéra chantait un grand air 
dans la coulisse; etc. 

(î) Reprise en 185i. 



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SA VIE ET SES ŒUVRES 53 

palais, afin d'arracher Pénélope, sa femme, aux 
nombreux prétendants qui l'entourent. Pénélope, 
on le sait, est restée fidèle à son mari, pendant ses 
vingt années d'absence. On la considère comme 
la femme la plus vertueuse de l'antiquité ; on 
pourrait ajouter et des temps modernes. 

Mais Ulysse n'abordera Pénélope qu'après 
avoir subi une métamorphose. Minerve descend 
d'un nuage, le casque en tôte, la lance au poing, 
et, par son pouvoir divin, elle change le héros en 
mendiant. Il devient ainsi méconnaissable, sauf 
pour les Naïades, qui sortent d'une grottej et 
chantent un chœur. 

Ulysse, sous ce déguisemant grossier, rentre 
chez lui. Il interroge Ëumée, son intendant, le 
chef des troupeaux : 

Je vois des serviteurs reventint du dehors 
Qui ramèiieiit ici plusieurs troupeaux de porcs. 



Quelle poésie ! 

Les porcs ne figurent pas sur la scène, mais 
surviennent les porchers ; ce qui permet au mu- 
sicien de composer pour eux un morceau d'en- 
semble. 

Ulysse rencontre son fils Télémaque. Il se fait 
reconnaître, et, après une scène d'attendrisse- 
ment, il lui donne rendez-vous au palais de Péné- 
lope, pour se venger de la cohorte des préten- 
dants. 

L'action dramatique se poursuit. Dans une 



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54 CHAHLES GOUNOD 

salle du palais, les prétendants sont rassemblés. 
Ils sont couchés sur des estrades, ils boivent, ils 
s'enivrent, et lutinent les belles esclaves. Ils jet- 
tent dédaigneusement, paiwlessus l'épaule, les 
reetea du festin au mendiant, c'est-à dire A 
Ulysse, qui est surveau. Le mendiant a été reçu 
selon les règles de l'hospitalité. Pénélope a dit à 
Euryclée, la nourrice même d'Ulysse ; 

Tu feras chauffer l'eau, pour lui Uver les pieds. 

Pendant ce temps, des chœurs de jeunes filles 
se font entendre. 

Enfin Pénélope, sommée de se prononcer, pro- 
met d'épouser celui q^ui tendra l'arc d'Ulysse, et 
lancera la flèche au travers d'une suite d'anneaux. 
La Reine d'Ithaque, qui depuis si longtemps 
traîne en longueur cette foule efféminée, trouve 
encore ce biais pour s'arracher aux obsessions des 
prétendants. Elle sait bien qu'Ulysse seul est ca- 
pable d'accomplir cet acte de force et d'adresse. 
Les prétendants esayent en vain de tendre l'arc. 
Tout d'un coup, le mendiant dédaigné se relève, 
saisit l'arme, et lance la flèche au but désigné. 
Ulysse reparaît, et, aidé de son fiis Télémaque, il 
disperse les prétendants sous une grêle de jave- 
lots. Le vainqueur, dépouillé de ses vêtements 
sordides, se fait reconnaître de Pénélope ; les 
deux époux montent sur leur trône, au milieu des 
chants d'allégresse. Et Minerve revient sur son 
nuage, pour réciter les derniers vers de la pièce, 
en l'honneur de Pénélope et de sa délivrance. 



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SA VIE BT SES ŒUVRES 55 

Cette lougue tragédie, écrite en vers lourds, 
traînants , et surchargés, d'épithètes oiseuses , 
avait pour principaux acteurs : Geffroy (Ulysse) ; 
— Delaunay (Téléniaqiïe),— et M"" Judith (Péné- 
lope). 

Ce résumé n'a d'autre but que de faire com- 
prendre comment la musique intervient dans 
l'action. Les chœurs chantent au début, au milieu 
et à la fin de chaque acte. Ce n'est pas comme 
dans Esther et Athalie, où la musique se fait 
entendre à la fin de l'acte, en dehors de l'action. 
Les chœurs, dans Ulysse, viennent interrompre 
le drame.et quelquefois des morceaux d'orchestre 
accompagnent des paroles déclamées. La partie 
musicale confiée à Gounod, était donc fort éten- 
due, et sa tâche d'autant plus difficile que les 
morceaux d'ensemble.ou épisodes symphouiques, 
ne sont pas toujours amenés par la logique des 
situations. 

La Comédie Française s'était mise en frais. 
Elle avait réuni pour les chœurs le personnel 
nombreux et exercé du Théâtre italien, sous l'ha- 
bile direction deM.Weckerlin.M.Weckerlinafait 
sur la partition un compte rendu très intéressant 
au point de vue instrumental, dans le Ménestrel 
du 20 juin 1852. L'orchestre, formé par les élèves 
instrumentistes du Conservatoire, se composait, 
outre une harmonie complète d'instruments à 
vent, bois et cuivres, de 13 violons, 5 altos, 
4 violoncelles, 4 contrebasses et une harpe. La 
harpe devait nécessairement annoncer l'appari- 
tion de Minerve, sur son nuage. 



n,gti7cdT:G00glc 



56 CHARLES OOUNOD 

Cette petite armée d'exécutants fonctionnait 
sous l'œil vifçilant d'un chef aussi actif qu'intel- 
ligent. C'était Offenbach, qui, cravaté de blanc, 
ganté eu beurre frais, un bâton d'iroîre à la 
main, conduisait l'orchestre. 

La tragédie de Ponsard réunissait deux musi- 
ciens de tendances bien opposées ; Goanod et 
Offenbach I Contraste étrange, et qui fera sourire 
plus d'un de nos lecteurs. 

On ne saurait assurément mettre en parallèle 
ces deux musiciens. Offenbach, lui aussi, a 
chanté l'Antiquité, mais à sa manière, qui était 
la parodie. Quant à Gounod, il a toujours répudié 
la bouffonnerie musicale. Epris de l'idéal, il û'a 
jamais voulu voir le Petit Faust d'Hervé. 

« Je sou£&e, disait-il, en pensant que chaque 
soir Marguerite est avilie sur la scène, par Blan- 
che d'Antigny.» 

Gounod n'aime pas l'opéretto, et tont en ra- 
coDnaissant le talent d'Offenbach, il ne pouvait 
approuver le genre extravagant auquel nous 
devons la Belle Hélène et Orphée aux Enfers. 

L'auteur de Sapko participa cependant, comme 
juré, à un concours d'opérette, ouvert en 1856, 
par Offenbach, aux Bouffes Parisiens. L'histoire 
de ce concours est connue. Il nous suffira de la 
rappeler en quelques lignes : 

Voici le nom des compositeurs et auteurs dra- 
matiques qui avaient accepté la mission de dési- 
gner les lauréats : Auber, Fromental Halévy, 
Ambroise Thomas, Scribe, St-Georges, Méleg- 



n,gti7ccT:G00glc 



SA VtE ET SBS ŒUVRES 57 

ville, Leborne, Victor Massé, Gounod et Bazin. 
Malgré tout son dédain pour la parodie, Gounod 
ne s'était pas récusé. Il était d'ailleurs en bonne 
compagnie. Le livret choisi futune pièce àdég-ui' 
sements. Le Docteur Miracle de Léon Battu et 
de Ludovic Halévj. Les lauréats pour la musi- 
que furent Bizet et Lecocq, ex-œquo. Les prix 
furent proclamés à la salle des Bouffes-Pari- 
siens, en séance solennelle. Auber présidait. 
Offenbach ouvrit cette séance par un discours. 
S' adressant aux membres du jury, il leur disait : 

« L'initiative qua j'ai prisa a reçu de votre adhésion 
ane r&lear qai l'honore..... Messieurs, il y a an an, noua 
inaugurions cette salle qui a l'honneur de vous recevoir. 
Votre présence la consacre, et nous la rend à jamais 
précieuse Les Bouffessoat protégés par vous. Vous êtes 
désormais nos patrons at nos maîtres I • 

Voilà Gounod englobé, avec Halévy et Am- 
broise Thomas, dans le protectorat des Bouffes- 
Parisiens. Au fond, Gounod regrettait peut-être 
d'accepter un patronage pour la parodie et 
l'opérette; mais il se souvenait des services que 
lui avait rendus Offenbach, lors de l'exécution des 
choeurs d'Ulysse, et il n'était pas fâché de faire 
partie d'un jury où figuraient des maîtres comme 
ceux que nous venons de citer. Gounod et Offen- 
bach se retrouveront, en 1873, à la Gaité, l'un 
comme auteur do la musique de Jeanne d'Arc, 
l'autre comme directeur du théâtre. 
Revenons à la tragédie de Ponsard et à la par- 



n,gti7cdT:G00glc 



58 CHABLBS aoUKOD 

titioD d'Ulysse. Celle-ci n'a rien de commtta 
avec la musique d'Offenbacb. 

Une Introduction sert d'ottTerture. Elle eat 
calme. C'est le sommeil d'Ulysse. 

Au premier acte, deux chœnra de Naïades : 
Déesse qui porte CEgide. — Le soleil monte 

Au second acte : Introduction. — Trois cbceurs 
de porchers, entre lesquels sont intercalés deux 
épisodes Bjmpboniques (mélodrames). Le second 
chœur : O dieux des Bacchantes, d'une mélodie 
et d'un rhythme si entraînants, obtint un vif 
succès à la première représentation. 

Au troisième acte : deux chœurs chantés par 
les suivantes infidèles de Pénélope alternent 
avec le chœur des servantes fidèles : Je vous 
plains... (chant d'Euryclée). Ce choeur est larg^e- 
mect développé, et la mélodie est d'une grande 
élévation. 

Le quatrième acte commence par un entr'acte 
et finit par un mélodrame. Il contient nn 
grand chœur, celui des serviteurs.suivantes.pré- 
tendants et porchers. C'est, dans la. partition, le 
premier morceau d'ensemble, composé de voix de 
sopranos, ténors et basses. Les porchers, natu- 
rellement, forment le choeur des voix graves. 
Quoique très remarquable, ce morceau n'eut 
aucun succès à la première représentation. 
Viennent ensuite : un chœur de porchers : Com- 
ment ne pas le reconnaître ; la Scène du tir 
(cinquième chœur des porchers), et un chœur de 
mendiants entre deux pièces ^mpboniques. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VtÉ ET SBS ŒUVSES 59 

Le ômijuième acte s'ouvrait par un chœur de 
gtahde facture, qui fut supprimé à la répétition 
g-èEérale. L'ouvrage se termine par un chœur 
tfiomphal ; Dieux! Dieux / quelle clarté... 

Eien que par les numéros que uous signalous, 
on voit de quelle importance était la partition 
d'Ulysse. C'était une œlivre complète et les ctiti- 
tiquès de I8&2 furent unanimes à en faire l'éloge. 
La partition fut généralement considérée comme 
un ouvrage d'ordre supérieur, empreint d'un 
profond sentiment de couleur locale. On fit peu 
de réserves. On trouva dans les quatorze chœurs 
une expression musicale aussi simple qu'élevée, 
et qui s'appropriait bien au sujet. Pour la pre- 
mière fois, on traita Gounod de Maître, et c'était 
à bon droit, car la partition d'Ufysse est l'œuvre 
d'un grand artiste. 

Mais quel livret ! Le guignon des livrets pour-^ 
suivait Gounod. Sapho n'avait pas réussi ; Ulysse 
fit un fiasco complet. Cette fois encore, la musi- 
que ne put sauver le poème. 



LA NONNE SANGLANTE 

Sujet sombre, avec apparitions, spectres, et 
ruines de vieuï château. Le livret a été tiré par 
Scribe et Casimir Delavigne d'un roman de 
Lewis, intitulé : Le Moine, et dont la lecture peu 



n,gti7cdT:G00glc 



00 CHABLBa aouNoD 

attrayante n'est pas & conseiller. On a beanconp 
critiqué la pièce pour sa couleur lugubre et son 
manque d'intérêt. Meyerbeer, Haléry et Ber- 
lioz avaient refusé de la mettre en musique. 
Gounod ne marchanda pas. Pour conquérir sa 
place au soleil, tous les livrets lui étaient bons. 
Du reste, ce drame fantastique en cinq actes, 
avec changements à vue, n'était pas moins scé~ 
nique que Robert le Diable, et l'intrigue en était 
plus compréhensible ou moins compliquée. 

La scène se passe au XI' siècle, près de Pra- 
gue. et dans le vieux château de Moldav. Grâce 
aux conseils de Pierre l'Ermite, deux familles 
rivales, aussi rivales que les Montaigu et les 
Capulet, ont rais bas les armes. Le comte de 
Moldaw et le baron de Luddorf ont fait la paix, 
et, pour cimenter la réconciliation, lecomteunira 
sa Ûlle à la famille de son ancien ennemi. Agnès 
de Moldaw doit, par raison d'Etat, épouser Tbéo- 
bald, £ls aîné du baron de Luddorf. Les senti- 
ments d'Agnès se révoltent contre l'union pro- 
jetée. Elle n'aime pas Théobald. Elle lui préfère 
son frère Rodolphe. Les deux amants ont résolu 
de fuir, et Rodolphe assigne, pour minuit, un 
rendez-vous à sa maîtresse, Agnès. Celle-ci, 
pour franchir plus facilement l'enceinte du vieux 
manoii, se déguisera en Nonne sanglante. 

La Nonne sanglante est un fantOme, la ter- 
reur de tout le pays, qu'on voit errer, la nuit, 
autour du château. Rodolphe, tout comme Julien 
d'Avenel, ne croit pas aux apparitions. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA TIK BT SES ŒUVHBS 61 

Les doa2e coups de minuit ont sonné. H arrive 
au rendez-vous. Une nonne se présente. Pour 
Rodolphe, c'est Agnès, à qui l'imprudent remet 
son anneau en signe de fiançailles. Horreur I Ce 
n'est pas Âg:nès déguisée, ce n'est pas la femme 
aimée à qui il a juré sa foi, c'est la vraie Nonne, 
toute couverte de sang et armée d'un poignard. 
Ce fantôme est l'âme d'une jeune fille qui, chaque 
nuit, vient sur la terre pour chercher celui qui 
autrefois l'a séduite, et pour se venger. Au 
milieu du tonnerre , des éclairs , des cris des 
mourants, le théâtre change. La Nonne conduit 
Rodolphe dans un superbu décor, dans les ruines 
d'un château gothique éclairées par les pâles 
rayons de la lune. On voit des spectres, on assiste 
à des rites funèbres, pendant lesquels la Nonne 
promet à Kodolphe la liberté, à condition qu'il 
tuera celui qui l'a séduite et déshonorée. Le 
pacte est conclu. Nouveau coup de théâtre I 
Dans une fête , la Nonne sanglante vient dé- 
signer le traître qu'il doit frapper. Ce perfide, 
ce séducteur est le baron de Luddorf, le père de 
Rodolphe 1 

Tout finit par s'arranger. Rodolphe épouse 
Agnès et la Nonne sanglante pardonne. Elle 
emporte le baron de Luddorf au Ciel dans l'apo- 
tiiéose du dernier tableau. 

L'opéra fut donné le 18 octobre 1854. Il eut 
plus de succès que la 'première représentation 
de Sapho. Après le dernier acte, on rappela 
Gounod sur la scène. L'auteur refusa de paraître. 



n,gti7cdT:G00glc 



62 CHARLES QOUNOD 

Gueymard, dont le rOle était écrasant, fut très 
ipplaudi. 

Yoici la distribution de l'ouvrage : Meriy 
Lnddorf) — Guignot (Moldaw) — Gueymard 
Rodolphe) — Be passio (Pierre l'Ermite)— Aymèa 
Fritz)— M"* Poiosot (Agnès) — M'" Vertheim- 
ïerg (La Nonne Sanglante) — M'" Dussj (Ar- 
;hur) — et M"* Dameron (Anna). 

L'ouvrage est précédé d'une introduction sym- 
ihonique, où le compositeur a condensé les prin- 
cipaux passages de la partition. 

Le premier acte comprend l'air de Pierre l'Er- 
mite : Dieu puissant, daigne m' entendre; iin 
beau cbœur, deux duos, l'un entre Rodolphe et 
Agnès; et un finale dont l'andante est large- 
[uent dessiné. Le duo de Rodolphe et d'Agnès, dit 
Scudo, contient une phrase d'une exquise élé- 
g'ance. Il débute ainsi : Dans tes yeux pleins de 
'armes. 

Au second acte, après un chœur (assex rire et 
boire), et un air de Rodolphe (voici Uheure), vient 
le fameux intermède fantastique, suivi de la 
scène des morts. Le morceau symphonique qui 
traduit les plaintes des âmes abandonnées fut 
très remarqué. Chœurs de femmes invisibles, voix 
(îhantant à bouches fermées, gammes chromati- 
ques, suites de septièmes diminuées, toutes les 
ressources employées ordinairement pour imiter 
l'orage, les vents, et les plaintes des mourants, 
étaient déchaînées ensemble. Les critiques ad- 
mirèrent beaucoup cette pièce symphonique; 



n,gti7cdT: Google' 



BA TIB ET SBS mUTSES 63 

seulement, ajoutèrent-ils, elle est imitée de 
Mendelssohn et de Meyerbeer. 

Le troisième acte débute par un chœur ( Valsex 
tons Vombre), suivi des couplets du page Arthur, 
et de la scène entre Godolphe et le page {au 
milieu de Vorage). Le duo final de ïtodolphe et 
de la Nonne est précédé d'une charmante canti- 
tîlène chantée par Rodolphe : Un jour plus pur 
{Le calme) 

f Ceat Ht Berlioz, le chef-d'œuvre de la partition. 
Les eontoars de la mélodie en sont exqnia, les désinencea 
heareuses. L'orcbestration ; est constamment d'an 
coloria rarissant. C'est une page poétique, dont le calma 
dËlicieax enchante d'autant plus l'auditeur, que le con< 
traate qu'elle produit avec l'ensemble de l'œuvre est plu 
fripant. * 

Au quatrième acte : couplets de Luddorf (Bons 
chevaliers) ; une marche nuptiale, le ballet, et le 
final. Ce dernier morceau produisît un grand 
effet. D'ailleurs tous les finals de l'opéra furent 
très applaudifl.Le Ballet se compose d'une valse, 
d'un pas de trois, et d'une danse bohémienne. 

Le cinquième acte fut moins goûté. II com- 
prend un air de Luddorf (mon fils me fuit), un 
chœur avec la phrase traditionnelle : avançons 
en silence, un duo entre Rodolphe et Agnès, et 
le final. 

Sapho n'avait eu que six représentations. La 
, Nonne sanglante fut jouée onze fois. C'était déjà 
un progrès, mais Gounod ne tenait pas encore la 
célébrité. 



n,gti7cdT:G00glc 



64 CHABLBB aoUNOP 

La Frasée fit l'élofçe de l'œuvre, et consacra le 
succès d'estime. On trouva que l'opéra renfermait 
plus d'éminentes beautés que de parties faibles. 

> Lea rhjthmes peu nonveanz, dit la GatetUjIuiicaU, 
sont rachetés par la recherche de toura mélodiques, de 
modnlationa et de combinaisons harmoniques qoi sortent 
de la route battae....* 

La Revue des Deux-Mondes, comme puur 
Sapho, se fît remarquer par sa malveillance. 

■ L'oeurre, dit Seudo, se distingue bien plus par l'élé- 
gance et l'ëlivatioa du stjle que par l'originalité des 
idées. On 7 sent tour à tour l'influence ds Gluck, de 
Weber, de Mendelasotm, et même de Berlioz, it qui U. 
Gouaod a emprunté quelques petits effets de sonorité, 
les seules choses que l'on puisse extraire des étranges 
sjmphouiea de ce compositeur drolatique. 

Le mot était de Louis Veuillot, et Scudo 
s'était empressé de le reproduire. On sait que 
Scudo, pendant toute sa carrière de critique, fut 
un ennemi acharné de Berlioz. Dans sa pensée. 
Tien n'était plus désobligeant que de présenter 
Gounod comme un plagiaire de Berlioz. 

La presse a souvent des jugements bizarres. 
Un journal, dans son compte rendu, prétendait 
que l'auteur de Sapho et de la Nonne sanglante 
manquait absolument de sensibilité. 

Tel était l'horoscope du Charivari sur le futur 
auteur de Faust et de Bornéo et Juliette. 



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LES CONCEilTS (DE ItSI A IS$I).- L'ORPHEOR 



LES CONCERTS 

Les compositions de Gounod reçurent dans les 
concerts publics une large hospitalité. Nous 
parlons ici des réunions musicales tenues à Paris 
avant 1861, époque à laquelle Pasdeloup inau- 
gurait, au cirque Napoléon, ses grandes et belles 
séances de musique classique. Mais Pasdeloup 
n'était pas un novateur. Il ne fit que continuer, 
en l'élargissant, une œuvre commencée. 

Sans nous occuper du fameux Concert Spi- 
rituel, sans même remonter à l'an Vil, où les 
symphonies d'Haydn furent exécutées pour la 
première fois à Paris, rappelons que le public 
avait été convié, à plusieurs reprises, à l'audi- 
tion des chefs-d'œuvre des maîtres allemands. 
C'est ainsi que le célèbre chef d'orchestre Valen- 
tino créa, en 1837, des concerts populaires de 



n,gti7cdT:G00glc 



66 CBARLBS QODNOD 

musique classique, dans la salle St-Houoré, 
aujourd'hui transformée eu cirque et en piscine. 
Avant la voltige et les pantomimes, la salle 
servait à un bat public, et l'association des 
coiffeurs s'y donnait rendez-vous une fois par 
an. Ce local, situé au centre de Paris, était 
spacieux, et, au temps des quadrilles, il conte- 
nait une foule nombreuse. Hélas 1 la salle St- 
Honoré restait presque vide, aux jours oil Valen- 
tino inscrivait sur ses pro^ammes les sym- 
phonies de Beethoven. L'entreprise échoua. 

En 1849, Seghers, artiste belge, fut plus heu- 
reux que Valentino. Violoniste distingué, Se- 
ghers faisait partie de l'orchestre du Conserva- 
toire, depuis la fondation des Concerts. 11 fonda, 
à son tour, à l'image de cette institution, la So- 
ciété de Sainte-Cécile, et donna ses concerts, rue 
de la Chaussée-d'Antin, dans la salle du Casino 
Paganini. Pendant quelques années, la Société 
Sainte-Cécile fut relativement prospère. Seghers 
faisait entendre do la musique symphonique , de 
la musique religieuse, des fragments d'œuvres 
dramatiques ; il admettait tous les genres. Eu 
1850, on exécutait aux Concarts Sainte-Cécile, 
l'ouverture du Tannkauser. 

Les jeunes compositeurs français avaient aussi 
leur tour. Parmi les couvres de Gounod qui fu- 
rent données aux Concerts Sainte-Cécile , 
citons, en 1852, un chœur : Le Vin des Gaulois 
et la Danse de l'Epée, (légende bretonne). 
Cette composition pour voix d'hommes , était 
pleine de vigueur, d'entrain et d'originalité. 



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SA TIB BT SES ŒUVBBS 67 

En 1853, on entendait anx Concerts de t'Asso-- 
ciation Sefçbers, quelques fragments de la parti- 
tion d'{7f^55e (chœur des Naïades, et un chœur 
de Porchers); puis l'air de Pierre V Ermite , 
chanté par le baryton Bataille, secondé du chœur 
et de l'orchestre. C'était une grande scène lyri- 
que que l'on trouva un peu longue. Trop de mar- 
chons, trop Ab partons , Dieu le veut, disait-on. 
L'histoire nous dit cependant que Pierre l'Ermite 
avait fanatisé la foule ; il l'avait décidée à partir, 
à marcher contre les infidèles. Les Croisés ne 
s'étaient-ils pas mis en route, en criant : En 
avant t marchons I 

La Société Sainte-Cécile fit entendre encore 
quelques œuvres religieuses composées par 
Gounod. Nous en parlerons à un chapitre spécial 
(Musique Religieuse). 

Pasdcloup prît en quelque sorte la suite des 
concerts Seghers. Il fonda en 1851, à la salle 
Herz, la Société des Jeunes Artistes du Conser- 
vatoire, et put, grâce à de puissants appuis, 
diriger avec succès, pendant près de dix ans,son 
association. En 1861, il transporta, au Cirque 
Napoléon, son orchestre, dont il augmenta le 
personnel. Les (ïoncerts Populaires ne sont que 
la continuation des concerts des Jeunes Artistes. 

A quoi tiennent les destinées ! Pasdeloup, en 
1848, avait été nommé Gouverneur du Palais 
de Saint-Cîloud, fonctions qu'il ne conserva pas 
longtemps. S'il fut resté dans l'administration 



n,gti7cd3ï Google 



S6 CHABLB8 GOUNOD 

des Oomaines, Pasdeloup aurait peut-^tre été 
plufi heureux dans la vie. Il n'aurait pas connu 
La ruine ; il eut porté un uniforme ; il se serait 
éTîté, sous les ombrages du parc, tous les 
déboires qui l'attendaient. Mais que serait deve- 
nue la Musique Sympbonique ? Les œuvres 
d'Haydn , Mozart , Beethoven , Mendelssohn , 
Schuman seraient probablement encore incon- 
nues de la masse du public 1 Fort heureusement 
pour nous, Pasdeloup était un enthousiaste pour 
la musique. Il donna sa démission de Gouver- 
neur, et, en février 1851, il ouvrit, à la salle 
Herz, le concert des Jeunes Artistes. 

En 1854, il inscrivit aux programmes la pre- 
mière symphonie de Gounod, en rê majeur, 
œuvre imitée d'Haydn et de Mozart. Elle se 
compose ainsi ; Allegro molto — Allegro moderato 
— Tempo di minuetto — Adagio de quelques 
mesures, suivi du final Allegro vivace. Cette 
symphonie a été arrangée à quatre mains pour 
la piano par Georges Bizet. 

L'année suivante, Pasdeloup fit exëcuter la 
seconde symphonie de Gounod en mi bémol. 
Donnée d'abord par fragments, elle fut entendue 
eu entier, pour la première fois, au mois de mars 
1855. Elle eut plus de succès que la première 
Symphonie. 

Composition intéressante, disait-on, plus ori- 
ginale que la Symphonie en rê. V Allegretto 
agitaio est plein de fraîcheur ; il est précédé d'un 
court Adagio. Le second morceau, \^ Larghetto, 



n,gti7cd3ïG00glc 



SA TIB BT SBB ŒUTBES 69 

a un caractère religieux : la mélodie en est sim- 
ple, et d'un sentiment élevé. Le Scheno fut 
trouvé charmant ; l'auditoire de la salle Herz 
raecueillit par les murmures lea plus 3.atteurs. 
Le Final, quoique savamment travaillé, parut 
plaire un peu moins que les morceaux précé- 
dents. On avait reconnu que, dans cette œuvre, 
l'idée musicale avait un caractère personnel bien 
tranché. 

Et cependant ces deux symphonies ne révèlent 
pas encore l'auteur de Faust. Rien n'y fait pres- 
sentir la musique amoureuse de l'acte du Jardin. 
C'est que la symphonie est un cadre , et que 
l'auteur songeait surtout aux développements 
classiques de la phrase mélodique. 

La seconde symphonie, dédiée comme la pre- 
mière à la Société des Jeunes Artistes, a été 
aussi arrangée à quatre mains pour le piano. 

« La sjmphoDÏe en mi bémol, écrivait Scndo daoa la 
Revue des Dettx-Mondes, eat une 'œuvre honorable et belle, 
qui ne serait pas connue, qui même ne aérait pas née, si 
la Société des Jeunes Artistes n'eût existé. En effet, sup- 
posons que M. Gounod ait offert sa symphonie à U ' 
vieille Société des Concerts, à la nécropole musicale ; 
Dieu sait avec quel dédain on l'aurait re;u et mis ii la 
porte I • 

Outre les symphonies, Pasdeloup fit entendre 
d'autres œuvres de Gounod. Nous relevons no- 
tamment aux programmes : 

En 1855, Jésus de Nazareth, mélodie évan- 



n,gti7cdT:G00glc* 



70 CB&BLBB OOtmoD 

gélique, qai produisit beaaooap d'effet. Elle fut 
chantée par Bataille. 

ËQ 1856, un channant duo Deux vieux amis, 
scène dialoguée, composée pour les frères Lyon- 
net ; la Jeune Religieuse de Schubert, arrangée 
par Gounod pour piano, Tiolon, violoncelle, et 
pour l'harmonicorde, an nouvel instniment fa- 
briqué par Debains. Cet instniment réunissait, à 
volonté, le piano et l'orgue. 

En 1860» Pastorale sur un noël du XVIII' 
siècle, chœur. — En 1861, des fragments de 
Philémon et Baucis, et un chœur. Près du 
fleuve étranger, traduit du psaume Super flumi- 
na par Quételard. Ce morceau, écrit d'abord pour 
rOrphéon,avait été esécuté au concert du Conser- 
vatoire, le 8 janvier 1860. C'était la première fois 
que la Société des Concerts, cette nécropole mu- 
sicale, comme disait Scudo, faisait entendre à son 
auditoire une œuvre de Gounod. Le chœur eut 
grand succès. Il fut môme bissé. 

fin 1861 et en 1862, la Sérénade fut esécutée 
à Paris dans différents concerts, et la vogue du 
morceau ne tarda pas à se répandre partout, dans 
les salons, comme au théâtre. On l'adapta même 
aux féeries. Au Châtelet, dans Aladin ou ia 
Lampe merveilleuse, l'actrice Lise Tautin, cou-' 
chée dans un hamac, éventée par des esclaves 
noirs, chantait chaque soir la Sérénade, au mi- 
lieu d'un superbe décor qui représentait le sé- 
rail, et, chaque soir, le public redemandait la 
mélodie. La Sérénade interrompait l'action , 



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SA VIS ET 8EB CfiUVRES ?1 

«ction bien décousue, il est vrai, comme dans 
toutes les féeries. 

Mais de toutes les compositions qui, en dehors 
du théâtre, ont popularisé lamusique de Gounod, 
la Méditation sur te premier prélude de Bach 
est sans contredit l'œuvre principale. Par ins- 
tinct, par science, et aussi par inspiration, la 
musicien composa une belle mélodie qu'il plaça 
sur le prélude du grand, midtre allemand. C'est 
une remarquable adaptation. 

On conniùt ce premier prélude en ut. II se 
compose d'une suite d'accords arpéjés, qui, dans 
leur long- parcours, se suspendent, se confon- 
dent, s'étreignent, errent, pour ainsi dire, autour 
de la Dominante. On dirait une boîte-à surprises, 
ou plutôt un riche écriu; et ce tissu harmonique, 
qui résume dans sa marche la science des accords, 
se développe majestueusement, en imposant à 
l'auditeur l'attention et l'extase. À chaque pas, 
l'oreille espère un repos harmonique toujours re- 
tardé, et que les accords de la fin viennent seuls 
lui donner. Est-il possible de trouver un ac- 
compagnement plus mystérieux pour une mélo- 
die destinée à la prière ou à l'apothéose ? 

Gounod a si bien réussi dans cette heureuse 
combinaison, que sa mélodie semble toute indi- 
quée par l'accompagnement, comme si la plume 
du compositeur avait été guidée note à note sur 
chaque succession d'accords.Aussi, n'a-t-on pas 
manqué de prétendre que cette adaptation n'é- 
tait qu'un procédé, et un procédé simple. Cela 



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73 CHABLES OOONOD 

«st facile à dire, après coup, quand la chose est 
faite, quand la mélodie est écrite etcombiaée. 
Quelques critiques ont essayé de discuter la 
valeur et la réalité de cette belle inspiratioa. 
Ce n'est qu'un yeu de plume, disait-on. (Voir no- 
tamment le dictionnaire de Groves). On a dit 
encore, et plus justement, que le prélude de 
Bach, depuis l'arrangement de Oounod, parais- 
sait être un fragment d'une œuvre perdue, re- 
trouvée, et mise à jour par l'auteur de la Médi~ 
tation. 

L'idée a été suivie. D'autres essais ont eu lieu 
de la même façon. Une des premières imitations 
en ce genre, et qui date de 1855, a pour auteur 
Lefébure Vély, sur l'air de Stradella. D'autres 
imitations ont encore été faites, et non sans suc- 
cès, mais l'œuvre de Gounod est restée jusqu'ici, 
comme le modèle du genre. Combien de jeunes 
filles ont marché à l'autel au son de ce prélude, 
qui, pendant longtemps, fit partie du répertoire 
obligé de la musique d'église pour mariage. 

La Méditation, ce sont les journaux de l'épo- 
que qui nous l'apprennent, avait été écrite pour 
six voix, violon principal, cor principal et orches- 
tre. Le prélude, religieusement conservé, était 
confié au piano. Le morceau fut réduit pour 
orgue, piano et violon. On l'entendit d'abord 
dans des soirées intimes, et l'impression fut très 
vive. Tout le monde, parmi les artistes, voulut 
connaître l'œuvre. Après les salons, vint le tour 
des concerts. Partout le prélude excitait le plus 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIH ET 6BS ŒUVRES 73 

vif enthousiasme. On le redemandait deux et 
même trois fois. C'était déjà un triomphe pour 
Gounod.La première exécution en public eutlieu 
au concert spirituel des Jeunes Artistes en 1853. 

L'arrangement réduit était exécuté alors par 
Goria (piano), Hermann (violon) et Lefébure- 
Vély (org-ue). Alexandre Batta transporta la par- 
tie de violon sur le violoncelle. Le Prélude de 
Bach ne tarda pas à être exécuté en province, 
d'abord à Lyon, au concert de Georges Hainl, 
en 1854, et à Marseille, au concert de Séligmann, 
en décembre 1855. Le succès se répandit à 
l'étranger, en Allemagne surtout. 

En 1857, Pasdeloup fit entendre la Médi- 
tation dans un grand festival, au Cirque des 
Champs-Elysées. Exécuté par l'orchestre, les 
harpes et par un chœur nombreux, le morceau 
souleva l'enthousiasme du public. Quelques audi- 
teurs malveillants prétendaient que la mélodie 
avait un air de famille avec la Prière de Moïse. 
Cela prouverait, dans tous les cas, que la mélodie 
est de bonne race. Les malveillants auront beau 
dire, la Méditation est une œuvre inspirée au- 
tant qu'ingénieuse, et Gounod a fait faire au prér 
lude de Bach le tour du monde. On l'entend eu 
Europe, en Amérique, et jusque dans les îles de 
rOcéanie. Ce fut vers 1860 qu'on l'appela le plus 
souvent V Ave Maria de Gounod. 

La Méditation avait été composée pour Zim- 
mermann, le célèbre professeur, si intimement 
attaché à sa classe du Conservatoire, qu'en 1821, 



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74 CHAELB9 QOUNOD 

nommé professeur de contrepoint, il préféra 
continuer l'enseignement du piano, et refusa 
l'aTancement qui lui était offert. Sa classe fut 
très brillante. Tous nos maîtres ont passé par ses 
leçons. 

Zimmermann mourut en 1853, peu de temps 
après le mariage d'une de ses filles avec Charles 
Gounod. M. et M°" Zimmermann ne pouvaient 
trouver, parmi les jeunes musiciens, un gendre 
dont le taleut fut plus riche en promesses. L'ave- 
nir souriait à Gounod. Celui-ci entrait dans une 
famille qui pouvait lui donner un puissant pa- 
tronage. 

Le salon de Zimmermann était un centre artis- 
tique très recherché. Tous les musiciens de talent, 
français et étrangers, s'y donnaient rendez-vous, 
pour faire exécuter leurs œuvres inédites. C'était 
un Conservatoire intime, où l'on voyait défiler 
tous les virtuoses. Zimmermann mourut préma- 
turément à l'âge de 68 ans. Il avait vu le succès 
de son premier gendre, le peintre Edouard Du- 
buffe ; il ne put qu'entrevoir l'heureuse carrière 
que le théâtre réservait à son autre gendre Char- 
les Gounod. Zimmermann avait une magnifique 
collection musicale, dont Gounod a hérité. Cette 
collection ne pouvait être placée en meilleures 
mains. 



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SA. VTB KT SES ŒUVRES 



LORPHÉON 



Avant soD mariage, Gounod avait été Dommé 
directeur de l'Orphéon de Paris. Il succédait h 
Hubert qui lui-même avait succédé à Wiibem. 

Wilhem I Voilà un nom glorieux, sur lequel 
on est toujours tenté de s'arrêter. Il provoque 
généralement de la part de l'écrivain, une longue 
digression sur les institutions orphéoniques et 
sur leurs origines. Ou remonte jusqu'aux temps 
les plus reculés, et, avec l'aide des encyclopé- 
dies, on fait, à bon compte, un chapitre plus ou 
moins intéressant sur l'histoire de la musique. 
Hous n'insisterons pas sur Wiibem ; cela nous 
entrfûnerait trop loin. Tout en reconnaissant la 
grande valeur de l'homme, il nous faut constater 
que rOrphéou n'est plus prospère comme autre- 
fois. 

Aujourd'hui les sociétés chorales tendent à 
disparidtre. Faut-il s'en plaindre? Elles sont 
supplantées par les Harmonies et les Fanfares. 
L'Orphéon, qui avait anéanti le Compagnon- 
nage, et c'était un bienfait, cède maintenant sa 
place à la cuivrerie. La cuivrerie l'emporte, parce 
qu'il est plus facile de souffler inconsidérément 
dans les instruments nouveaux, que de chanter 
convenablement en choeur. Espérons que les 
Harmonies et les Fanfares disparaîtront à leur 



n,gti7cdT:G00glc 



70 CSASUS ooxntoD 

tour, qu'elles dieperaîtront bientôt, et ne seront 
remplacées par aucune institution du môme 
genre. 

On a dit que l'Orphéon était, à notre époque, 
une des plus grandes calamités de la musique 
populaire, et cette assertion n'est pas trop exa- 
gérée. Si nous consultons une brochure publiée 
en 1884 par le Ministère de l'Instruction publi- 
que et des Beaux- Arts, brochure dans laquelle 
on a réuni plusieurs rapports sur la question de 
l'enseignement primaire de la musique, nouâ 7 
trouvons des opinions intéressantes à relever : 
Saint-Saëns pense que les sociétés orphéoniques 
prennent l'homme à un ftge trop avancé pour 
que l'étude de la musique lui soit profitable. — 
Bourgault Ducoudray n'hésite pas à déclarer que 
les Orphéons ne sont pas considérés comme 
faisant partie du monde musical ; qu'ils n'ont 
jamais popularisé que de la musique de troisième 
ordre ; que le mobile des sociétés actuelles est le 
concours et non l'exécution des belles œuvres, 
que leur esprit, par trop subalterne en musique, 
ne leur permet paade bien interpréter... —Nous 
pourrions extraire de la brochure miaietérieUe 
beaucoup d'autres aménités de ce genre à 
l'adresse des Orphéons. Il nous semble inutile de 
multiplier les citations. Le procès est jugé. A 
part quelques sociétés cborales très sérieuses et 
dignes des plus grands éloges, les orphéonistes, 
en général, restent éloignés de l'art, par éduca- 
tion autant que par instinct. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 7i 

Le principal but de ces associations, c'e 
d'aller à un Concours, d'attraper des médaille 
et de se désaltérer dans les cabarets de l'endro: 
Devant les verres, le chœur est plus à runiss( 
que devant le bâton du chef de musique. C 
léunions ne sont qu'une franc-maçonnerie mm 
cale, souvent plus politique que musicale. EU 
rappellent les Comices, la Ferté-sous-Jouan 
et les trains de plaisir à prix réduits. Le culte i 
la musique n'y est pour rien, ou pour bien pe 

Déjà Berlioz, eu 1839, lors des grandes séanc 
publiques données par Wilhem, ne se montri 
pas très satisfait de l'exécution des mass 
chorales : — Savoir n'est pas tout, écrivait-il 
Lîstz (correspondance inédite) ; il faut sent 
aussi, et je crois que le peuple Parisien aiti 
trop le vaudeville et le tambour.— Berlioz ajouts 
que les orphéonistes avaient le sentiment rhytl 
mique d'une vulgarité désespérante, et qu': 
convertissaient tout, plus ou moins, en mouvi 
ment de marche. , 

Wilhem, on le sait, entreprit de réunir, en i 
seul faisceau , toutes les ressources vocal 
éparses dans Paris. C'était une entreprise d'aï 
tant plus hardie que le Parisien a la voix mai 
vaise. L'accent gutturo-nasal qui caractérise 
population d'origine parisienne, se fait surto 
remarquer dans les faubourgs, et c'est là qi 
Wilhem recrutait ses plus nombreux élémenl 

Il commença par grouper autour de lai 1 
deux sexes qui fréquentaient les écoles. PIi 



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78 CHA.BLES OOUNOD 

tard, aux voix d'enfants il joignit les voix d'adul- 
tes, et, sous le nooi d'Orphéon, il réunit une 
grande quantité de chanteurs. L'élan était 
donné. En 1840, la Province imita Paria. Chaque 
ville voulut avoir son orphéon, n y eut môme 
des localités où tous les hahitants, sans excep- 
tion, faisaient partie, soit comme membres actifs, 
soit comme membres honoraires, de la Société 
Orphéonique. 

Eugène Detaporte, un artiste de talent et d'un 
dévouement à tonte épreuve, a fait beaucoup 
pour les Sociétés musicales de province. C'est 
lui qui, en 1859, organisa à Paris une première 
réunion des orphéonistes français. Six mille 
chanteurs répondirent à son appel. Â l'occasion 
du Festival-monstre qui eut Heu au Palais de 
l'Industrie, le Charivari publiait la note sui- 
vante : 

( On entend beaiuioup fïedonner depuis pluBieurs 
jours dans Paris. Ces lïedonneurs sont les 6.000 orphéo- 
nistes arrivés des 86 départements pour le grand festival 
du Palais de l'Industrie. Voilà comment Je comprends la 
musique : 6.000 eiécutants d'un coup ! Vlan l— et puis 
ensuite le repos le plus complet pour nos oreilles. 

( J'espère que ce nouveau système fera école, et que 
les nombreux pianistes qui nous agacent les nerfs pen- 
dant tout l'hiver se réuniront l'an prochain, au nombre 
de 600 à SOO, pour donner un seul et unique concert, dans 
lequel ils exécuteront un seul et unique morceau. — 
Merci, Eugène Delaporte, merci ! — » 

En 1878, le concours organisé par M. Abel 
Simon fut plus nombreux. Soixante mille orphéo- 
nistes, venus des Départements, de la Belgique, 



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BÂ VIB ET 8EB ŒUVRES 79 

de la Suisse et de l'Angleterre, se réunirent à 
Paria. Wilhem aurait été heureux d'assister à 
l'épanouissement de sou œuvre. Après sa mort, 
en 1843, Hubert lui succéda. 

En 1851, on fit courir le bruit que l'Orphéon 
allait être supprimé. Il n'en était rien. Au con- 
traire, on élaborait un projet de règlement pour 
mettre l'Institution en harmonie avec la nouvelle 
loi sur l'Enseignement. On organis'ait, sur de 
nouvelles bases, les classes de obant dans les 
écoles de Paris. Cette éducation musicale était 
confiée à un haut patronage. La commission de 
surveillance était ainsi composée : Auber, Halévy, 
Carafa, Onslow, Niedermeyer,Ambroise Thomas, 
Adam, Clapisson, Barbereau, Bazin, Camille 
Pleyel, Georges Bousquet ; un véritable conseil 
d'élite, une Académie I L'enseignement suivait 
deux degrés principaux. Il comprenait d'abord 
l'étude de la musique et du chant, d'après la 
méthode de "Wilhem, dirigée par des instituteurs 
spéciaux. On agissait par classes ou par sec- 
tions. Puis, les groupes se réunissaient dans des 
séances d'ensemble que dirigeait à son tour le 
chef de l'Institution. Gounod fut nommé Direc- 
teur, au mois de mai I8&2. 

Je ne sais si Halévy, Ambroise Thomas, Gou- 
nod et d'autres maîtres crurent sincèrement à 
l'avenir de l'Orphéon. Il faut bien le croire, 
puisqu'ils se donnèrent pour mission de composer 
de remarquables chœurs à quatre parties. Ce fut 
une illusion musicale. Après quelques années de 



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CHARLES GOUNOD 

aede miel chorale, le répertoire retomba dans 
H compositions beaucoup moins brillantes. 
)Unod accepta ses nouvelles fonctions un an 
rès les représentations de Sapho à l'Opéra, et 
)rs que les chœurs à.' Ulysse étaient en répéti- 
m au Théâtre-Français. L'Orphéon le mettait 
vue. C'était comme on tremplin, et il s'occupa 
urageusement de l'œuvre. 
L'année suivante, au mois de juin 1853, Gou- 
d dirigeait à Saint-Germain-l'Auxerroîs, l'exé- 
tion d'une messe à trois voix, sans accompa- 
tement, qu'il avait composée pour ses classes 
mfants et d'adultes. La séance était patronnée 
x l'autorité municipale. L'assistance était aussi 
illante que nombreuse. On y remarquait le 
inistre de l'Instruction publique et le Préfet de 
Seine ; l'éclat de la cérémonie était rehaussé 
,p la présence de Meyerbeer, d'Halévy. Musi- 
le et Municipalité I 

L'exécution parut satisfaisante, surtout dans 
î morceaux que Gounod, en chef prudent et 
atiqua, avait confiés aux voix plus exercées 
s répétiteurs. Le chœur des répétiteurs était 
oupé au centre, et, autour de ce noyau, les 
phéonistes moins expérimentés chantaient, 
us l'œil et à l'aide de leurs professeurs, quel- 
es morceaux d'ensemble. Grâce aux répéti- 
iirs, la bonne exécution fut assurée. 
Cette messe fut entendue en Province, d'abord 
concours orphéonique de Seine-et-Marne, à 
mtainebleau, en 1853 ; puis dans la cathédrale 



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1 



SA. VIE BT SES ŒUVRES - 81 

En 1854, l'Orphéon avait le veut en poupe. 
Les cours d'adultes comptaient en moyenne 1300 
à 1500 chanteurs. Ce nombre est comme un chiSxe 
oblifçé, et nous le trouvons presque toujours indi- 
qué, chaque fois qu'il est question de réunions 
orphéoniquos. Les classes d'hommes et d'enfants 
n'étaient pas moins nombreuses. On répétait 
dans la Halle ans draps, qui fut démolie pour 
faire place aux Halles centrales. Les grandes 
Téunions annuelles se tenaient au Cirque des 
Champs-Elysées et au Cirque Napoléon. 

Au mois de novembre 1855, l'Orphéon de Paris 
fournissait à. la grande solennité masicale, orga- 
nisée par Berlioz au Palais de l'Industrie, 1500 
voix, chiffre de rigueur. Ony exécuta les compo- 
sitions suivantes de Gounod : Le vin dea Gardois, 
et la Cantate Vive V Empereur ! 

Vive l'Empereur ! était une pièce chorale à 
'quatre parties, qui fut exécutée quelques jours 
après, dans une réunion solennelle, où 1,500 or- 
phéonistes, venus des Départements et de la 
Belgique, se firent entendre sous la direction de 
l'auteur. Ce morceau pour orphéon, fut exécuté 
aussi à Notre-Dame, lors du baptôme du Prince 
Impérial. Cette cantate a un incontestable mé- 
rite au point de vue musical. La poésie a certai- 
nement moins de valeur. En voici une strophe : 

Vive l'Empereur t 

Il est l'élu de la France. 
n fut son sauveur. 
U est notre espérance. 



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83 CHABLES OOUNOD 

A propos de cette composition , nous rappelle- 
rons une anecdote plus récente. En 1878, on vint 
demander à Oounod un hymne pour l'Exposition. 
Aussitôt, un éditeur intelligent eut l'idée de res- 
susciter le chœur Viœ V Empereur ! Il en fit un 
morceau de piano, qu'il intitula : Chant national 
pour l'Exposition, et qu'il répandit dans toute la 
France. Le nom de Gonnod assurait à l'éditeur 
une vente fructueuse, et le morceau fut partout 
très apprécié. 

Autre transformation I Dans la ville de 
***, le chef de musique militaire arrangea le 
Chant national pour son orchestre, et le fit 
entendre un dimanche, sur la grand'place, au 
milieu d'un auditoire nombreux et enthousiaste. 
Quelques politiciens reconnurent alors la mélodie, 
chantée primitivement en l'honneur de Napo- 
léon III, Velu de la France. Ils crièrent au scan- 
dale, et le chef de musique fut dénoncé. L'affaire ' 
allajusqu'auministère. Après une lon^ueenquéte, 
la bonne foi du chef de musique fut reconnue. U 
avait cru célébrer l'Espositiou, et il avait célébré 
Napoléon III. 

Gounod a écrit d'autres cantates, mais il ne 
s'est jamais occupé de politique. La musique est 
un art abstrait et supérieur. Elle ne se commet 
point, malgré la poésie, avec nos querelles -çtiii- 
tiques, et les cantates n'ont jamais été prises au 
sérieux, môme par ceux qui les font. Cependant 
Gounod fut appelé le Tyrtée de l'Empire, à cause 
du chœur Vive V Empereur \ (Voyez le Temps du 
21 novembre 1871). 



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SA. VIE ET SES ŒUVBES 83 

En 1857, au Cirque Napoléon, on exécuta u 
chœur à qaatre voix d'hommes, écrit par Gouno 
sur la fable de La Fontaine : La Cigale et l 
Fourmi. L'année suivante, au même Cirque, c 
fat le tour d'ane aatre fable : Le Corbeau et l 
Renard. 

Les critiques trouvaient la première de ce 
deux compositions très bien adaptée aux condi 
tiens voulues pour l'exécution chorale. Les dil 
férents timbres de voix jouent un grand rôle dan 
La Cigale et la Fourmi. Dans la seconde f&bU 
Le Corbeau et le Renard, le quatuor voci 
paraît pouvoir se réduire aux dimensions d'u 
duo et môme d'un solo. 

Berlioz a fait, dans les termes suivants, l'élog 
de ces deux pièces pour orphéon : 

< Gounod possède au plas haut degré lea qualité 
nécessaires au compositeur qui veut faire eotendri 
comprendre et sentir les âuesses du texte qu'il met e 
musique. Dictiou aisée et naturelle, ponctuation bie 
iadiquée, accentuation juste, prosodie irréprocliabl< 
choix excellent du registre de la voix, et respiratio 
bien marquée, telles sont les qualités spéciales qu'o 
trouve dans les deux chœurs à quatre parties pe 
M. Gounod, sur loa textes de La Fontaine. 

< Le préjugé avait décidé depuis longtemps, et d'us 
façon péremptoira, qu'une pièce en vers, telle que le 
fables, était impassible h. mettre en musique. On ne poi 
vait introduire lèi dedans ni mélodie réelle, ni période 
complètes, ni symétrie, ni ordonnance musicale que 
conque. M. Gounod a prouvé jusqu'à l'évidence que ! 
préjugé disait, comme toujours, des bêtises, et la mus 
que de ces deux fables me paraît un petit chef-d'ceuTi 
d'esprit, de goût et d'invention. > 



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84 CHARLES OOUNOD 

A la réunion annuelle de l'Orphéon, en 1859, on 
entendit un chœur de Gounod : Pastorale sur un 
Noël du XVIir siècle, et, eu 1861, à la même 
séance annuelle, un chœur général : Prière à 
Marie, dont la mélodie parut suave, mais que les 
critiques jugèrent trop long. On y trouvait de 
modulations périlleuses qui rendaient difficile 
l'exécution du morceau, pour ne produire, en 
somme, que peu d'effet. 

Un autre chœur, le Vendredi Sainty fut exé- 
cuté on 1866, à la réunion annuelle de l'Orphéon 
dirigé alors par Pasdeloup. Gounod, qui Tenait 
d'ôtre élu à l'Institut, en remplacement de Cla- 
pisson, reçut de la part des orphéonistes une 
ovation enthousiaste. Déjà, à la mort d'Adam, il 
avait obtenu, ainsi que Niedermeyer, 6 voix, à 
l'élection d'un membre pour l'Académie des 
Beaux-Arts. Berlioz eut 9 voix et succéda à 
Adam. 

Gounod, en janvier 1856, avait été nommé 
Chevalier de la Légion d'Honneur.En 1866, alors 
qu'il entra à l'Institut, Gounod n'était plus Di- 
recteur de l'Orphéon de Paris. Il était devenu 
l'auteur de Faust, et il n'avait plus besoin de 
tremplin. L'acte du jardin lui faisait une brillante 
auréole. Il dominait, en France, l'art musical 
comme un apôtre, avec la tête entourée d'un 
cercle lumineux. Il avait donné, en décembre 
1859, sa démission de Directeur de l'Orphéon. Il 
eut deux successeurs. Comme Paris s'était 
agrandi, on avait coupé l'Institution en deux sec- 



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SA VIE BT SES ŒUVRES 85 

tioDs géographiques. La Seine marquait la 
limita. Pasdeloup fut nommé Directeur pour la 
rive droite, et Bazin Directeur pour la rive gau- 
che. Gounod, avec le général Mellinet, entrait 
dans l'état-major, c'est-à-dire dans le conseil de 
surveillance. 



Depuis les représentations, à l'Opéra, de la 
Nonne Sanglante, en 1854, le compositeur avait 
délaissé le théâtre. Nous allons le retrouver, ea 
1858, dans le genre dramatique, avec sa char- 
mante partitioa du Médecin malgré lui. 



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ŒUVRES COMPOSEES SUR DES LIVRETS TISC) 
DE MOLIERE ET Ll FORTUNE 



Le Uédeoin n;ialgr6 lui.— Ph lié m on et Bel 
La Colombe. — Georges I>a.ndln. 



LE MÉDECIN MALGRÉ LUI 

Bès le début de sa carrière dramatique, Go 
s'appliqua à mettre en musique des pièce 
Molière. Bans son numéro du 18 janvier 18J 
Gasette musicale annonçait qu'une non 
version du Bourgeois gentilhomme, ave 
Cérémonie et les Divertissements, avait 
donnée au Théâtre Français. Gounod avait 
chargé d'accommoder la musique de Lull; 
g-oût du public contemporain ; mais, non coi 



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88 CHAULES aouHOD 

de faire des retouches, l'auteur de Sapho avait 
"otnposé des airs nouveaux, notamment l'air de 
anse des garçons tailleurs, qu'il avait substitué 
la mélodie primitive. Le public, les connais- 
Burs mSme, avaient applaudi cette composition 
riginale. Ils croyaient applaudir Lully, et c'est 
Gouuod quïls faisaient honneur. 

Outre le Bourgeois gentilhomme, Gounod a 
lis en musique deux comédies de Molière, Le 
Médecin malgré lui et Georges Dandin. Cette 
econde partition n'a pas encore vu le jour. 

Sans parler de l'immortel Don Juan de Mo- 
art, le théâtre de Molière avait déjà inspiré 
uelques musiciens. Enn92, Désaugiers, le père 
:vL célèbre chansonnier, fit représenter, au Théâ- 
re Feydeau, le Médecin malgré lui, qu'il avait 
dis en musique sur un livret adapté par son fils, 
['après Molière. Dans un entr'acte, on intercala 
e Ça ira, hors-d' œuvre révolutionnaire qui ne 
appelait en rien le style de Lully. Mais le Ça 
ra était au goût du jour. On le mettait à toutes 
auces. 

Pourceaugnac a été musique, pour nous ser- 
'ir de l'expression ancienne, par Mengozzi, et 
lussi par Jadin. 

Les Précieuses ridicules ont été transformées 
!n opéra-comique par Devienne. 

Tels sont les principaux essais de ce genre 
[ui ont paru avant le Médecin malgré lui de 
ïounod. La première représentation eut lieu le 



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SA VIE ET SES ŒUVRES 

15 janvier 1S58, jour de l'anniversaire de la n: 
sance de Molière, au Théâtre Lyrique. 

Quand on vit Molière affiché en plein bon 
vard du Temple, avec l'annonce d'une tradi 
tion en musique, c« fut un événement ! Moli 
en musique ! Quelle audace ! Four une parei 
entreprise, disait-on, il faut plus qu'un music 
inspiré, il faut un artiste chez qui le bon goût 
tact, le sentiment littéraire parlent aussi i 
quelesensmusical.Mettre l'orchestre au aerv 
de la littérature; emboîter le pas avec Molii 
sans lui marcher sur les pieds, voilà, disait 
encore, une rude tâche, pleine de périls, et 
se demandait si Gounod était capable de l'i 
complir. 

Doute injuste, car la partition du Méde^ 
malgré lui est une œuvre remarquable. Elle d( 
la critique. Aussi, tout en faisant uae anal; 
rapide de la partition, nous abstiendrons-nous 
reproduire, par extraits,les feuilletons parus ap 
la première représentation. A quoi bon réédi 
quelques articles inspirés par la malveillance, 
milieu du concert d'éloges dont fut accueilli !'( 
vrage. Le blâme a glissé, et sans pouvoir l'i 
teindre,sur ce petit chef-d'œuvre musical, qui 
la meilleure partition de Gounod au point de ^ 
de l'homogénéité. C'est an ensemble aussi pi 
fait, aussi bien coordonné que possible. Tous 
détails sont rendus avec le soin le plus minutiei 
avec toute l'élégance, toute la finesse, tout 
charme que comporte le sujet. L'œuvre enti 



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90 CHABLB5 QOUKOI} 

est empreinte d'un caractère de douce galté. La 
verve comique est suffisante et dig^ne du maître. 
L'auteur se garde bien de descendre jusqu'à 
l'opérette, et la partition se maintient , sans au- 
cune défaillance, dans les hautes régions de l'art. 
Gonnod a su habiller la pièce de Molière, et, 
quoiqu'on ait pu dire, il a mis dans son opéra au- 
tant d'esprit que de bonne humeur. Les parties 
d'orchestre forment un travail symphonique dea 
plus intéressants. C'est l'orchestre de Mozart. 
Pas de trombones, pas de bruit. Les timbales, 
dans toute la partition, ne se font entendre qu'une 
fois ou deux. De temps en temps, le basson, avec 
sa sonorité goguenarde , vient rappeler l'instru- 
ment à piston, si cher à M. Purgon ; et la petite 
flûte laisse couler de légères traînées de notes, 
pour imiter certaines incontinences , auxquelles 
la comédie de Molière aime à faire allusion. 
Le tout est traité avec tact, sans trivialité et sans 
excès. Ce n'est qu'une adaptation,qu'un pastiche, 
une imitation, a-t-on dit ! Mais ce pastiche , où 
Gounod a mis son cachet d'originalité, oii il a fait 
preuve de tant de goût et de tant de science, est 
charmant d'un bout à l'autre. Ke fait pas un pas- 
tiche qui veut,et surtout un pastiche aussi réussi. 
Le style de Lully est-il reproduit dans Le Médecin 
malgré lui ? Soit ! Gounod cependant ne s'est 
pas montré, dans cet ouvrage , un compositeur 
servile ; il est resté indépendant. C'est que l'au- 
teur n'était pas un débutant. Le Médecin malgré 
lui a été composé, sinon représenté, après lapar- 



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SA TIB BT BBS ŒUVRES 01 

tition de Faust. Gounod avait déjà, en porte- 
feuille, ses lettres de noblesse (1). 

— Toat est Joli, piquant, frais, facile, dans cet 
opéra-comique, a dit Berlioz; il n'y a rien de 
trop, il n'y manque rien. —Le feuilleton de la 
Revue des Deux-Mondes, toujours malveillant 
contre l'auteur de Sapko, avait passé des mains 
de filaze de Bury aux mains par trop fantaisistes 
de Scudo, et le Médecin malgré lui n'avait pas 
plu à Scudo : — Nous sommes forcé de dire, 
écrivait-il, que M. Gounod n'est pas encore com- 
plètement sorti de la pénombre qui voile, depuis 
dix ans, sa jeune renommée. Scudo qui, ce nous 
semble, devait son autorité de critique à la Revue 
dans laquelle il écrivait, était bien difficile I 

Le Médecin malgré lui, nous le répétons, est 
une œuvre des plue remarquables. Elle marque 
une étape dans la carrière du musicien. Combien 
il est regrettable que l'ouvrage ne soit pas rétabli 
au répertoire de l'Opéra-Comique ! Au mois de 
septembre 1866, il fut repris au Théâtre-Lyrique 
de la place du Châtelet. Ismaël remplissait le rôle 
de Sgaaarelle que MeiUet avait créé au Boule- 
vard du Temple. L'opéra reparut plus tard, et 
pour un instant, à la salle Favart. On ne le donne 
plus à rOpéra-Comique ; on invoque l'argument 
sans réplique : le Médecin malgré lui ne fiiit pas 



(1) La partition du Miieein maigri Ivi fut composée en 
cinq mois. Noua verrons, à un autre chapitre, dans quel- 
les circonstances elle fut écrite et exécutée. 



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93 CHABLES OOUNOD 

d'argent I C'est malheureusement vrai, et cette 
indifférence n'eat pas à l'éloge du public, qui, 
trop souvent, préfère aux choses fines et délica- 
tes les œuvres bruyantes et les sonorités confuses. 
11 faut croire que la partition de Gounod n'est pas 
faite pour la foule, et qu'elle s'adresse aux musi- 
ciens d'élite. Nous avons assisté aux représenta- 
tions du Médecin malgré lui, lors de la reprise à 
la salle Favart, et, chaque fois, la salle était peu 
remplie ; mais, aux fauteuils d'orchestre, on 
voyait tous nos maîtres. Les sommités de l'art 
musical venaient entendre l'œuvre de Gounod, 
et y prenaient autant d'intérêt que de plaisir. 
Cette assistance plus brillante que nombreuse 
témoignait, sans réserve, âon estime et son admi- 
ration (1). 

Les acteurd de la création étaient : MM. Le- 
sage (Géronte) ; Froment (Léandre) ; Meillet 
(Sganarelle);Leroy(M. Robert), Wartel fValÔ- 
xe), et Girardot (Lucas). M"" Cayé (Lucinde) ; 
Faivre (Martine); Girard (la nourrice Jacqueline). 

Le livret est arrangé en opéra-comique par 
MM. Jules Barbier et Michel Carré. Les mor- 
ceaux de musique s'accordent bien avec le texte 
de Molière. 

L'ouvrage est précédé d'une véritable ouver- 
ture. Là, le compositeur pose qualité. Le chant 
large qui conmience, et qui sert de péroraison, à 



(1) SouB ce titre : le Docteur Itock, la pièce obtint au 
s'iî auccèa k Londres. 



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EÀ VIE ET SES ŒUVBES 9 

quelque chose d'historique et rappelle les y' 
Ions du Roi. Le milieu de ce j)rologue insti 
mental est varié par un morceau d'un style pi 
moderne, où les douleurs de la colique semble 
exprimées. On dirait que M. Purgon est dans 
coulisse, et qu'il attend, armé de pied en cap, 
mise en action. 

Au premier acte : duo de Sganarelle et 
Martine {Non, Je te dis que je n'en veux ri 
faire.) Le livret, on le voit, débute comme 
prose de Molière. C'est le duo des coups de hâte 
Sganarelle considère le bâton comme le vi 
moyen d'apaiser les femmes. 

Martine prend sa revanche ; Une femme a to 
jours dans les mains de quoi se venger rf'i 
mari, dit-elle. Cette scène de Molière est tradui 
en couplets charmants. La musique, avec £ 
petits dessins d'accompagnement, est des pi 
spirituelles. 

Viennent ensuite les couplets de Sganarelli 

Qu'ils sont doux. 

Bouteille jolie ! 

Qu'ils sont doux 

Vos petits gloux-gloux..., etc. 

empruntés au texte de Molière. Les lihrettist 
y ont ajouté quelques vers. 

Ces couplets, à l'origine, se chantaient sur i 
air de Lully. On le croit du moins. Cet air f 
bientôt remplacé par une autre mélodie, qui e 
Tenue jusqu'à nou«, par tradition. Les intorprèt 



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94 CHARLES OOUNOD 

successifs du rôle de Sganarelle nous l'ont 
conservée, dit M. Tiersot (Ménestrel du 35 
décembre 1887). Elle sert de thème à un Noël 
provençal resté populaire. 

Quant à l'air des Gloux-Gloux composé par 
Gounod, il est bien coanu. Cette petite sympho- 
nie bachique, avec ses jolis détails, est des plus 
piquante. L'orchestration en est variée. Les 
instruments viennent, à tour de rôle, accompa- 
gner les Gloux-Gloux, et indiquent spirituelle- 
ment combien le vide de la bouteille cause de 
regrets à S^anarelle. Ce tableau de musique 
imitative est très réussi. Lully n'y est pour rien, 
et ces délicieux couplets ne figurent pas là, 
comme simple hors-d' œuvre. Ils sont bien dans 
la note de l'ouvrage. 

Toute la scène, où les coups de bâton persua- 
dent à Sganarelle qu'il est un grand médecin, 
est traitée en musique. C'est le trio : Motisieur, 
n'esï-ee pas uows? Cette scène peut par^tre un 
peu longue, dans la partition, mais que de jolies 
choses elle renferme I 

Le premier acte se termine par un choeur de 
Bûcherons ; Nous faisons tous ceque nous savons 
faire. Le motif, d'abord exposé à l'unisson, sert 
ensuite de contre-chant à un second choeur 
ctianté par des paysannes. Ce morceau d'ensem- 
ble est d'un style large et bien accentué. On 
l'exécute quelquefois dans les grands concerts. 
C'est le seul morceau de toute la partition qui 
n'ait pas plu à Berlioz. 



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BK. VIE ET SES ŒUVRES 95 

Un court prologue symphonique précède 
second acte qui s'ouvre par la sérénade c 
Léandre : 

Est- on a&gti 
Dans la bal âge. 

Léandre est armé d'une mandoline, ma 
l'orchestre grince pour lui. Couplets charmant 
(Il nous faut bien toujours employer ce mi 
pour qualifier toutes les parties de l'ouvrage 
La sérénade est accompagnée d'une basse e 
pizzicato, et le basson vient faire discrètemeut v 
solo du plus piquant effet. 

La harangue de Jacqueline à Géronte : E 
mariage, comme ailleurs, contentement pasi 
richesse, est traduite en musique. Ce sont It 
couplets de la nourrice, si bien di^goisés Jad 
par M"* Girard (D'un bout du monde à Vauti 
bout,..). 

Comment a-t-on pu reprocher à Gounod d 
n'avoir pas mis assez de gaîté ou de comique dar 
son œuvre musicale ï Les couplets de la nourrie 
sont pleins de verve ; l'harmonie de la ritournell 
est des plus singulières. LuUy n'y est encore poi 
rien, et cependant le personnage de Molière ei 
rendu, dans cette chanson, avec une vérité par 
faite. Gounod s'est imprégné, en le modernisan 
du style qui convenait à la comédie. Là, il ei 
autant lettré que peintre et musicien. 

Suit le grand sextuor de la consultation médi 
cale. — Morcéan capital, dit Berlioz, conçi 
ordonné et exécuté de main de maître.— Puis 1 



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96 CBABLBS OOUNOD 

divertissement aTCC chœur (ténors et basses) 
Sans nous , tous les hommes deviendraient 
malsains, chantent, en ronde, les médecins re- 
vêtus de la longue robe et du bonnet tradition- 
nel. L'accent comique est parfait. 

L'acte se termine par le délicieux fabliau de 
Léandre : 

Je portais dans une CEige 

Un oiseau que j'avais pris. . . ■ 

La mélodie se développe longuement ; mais 
quoi de plus frais et de plus agréable! Dans cette 
petite pastorale, le hautbois se marie de la façon 
la plus heureuse avec la voix du ténor. La poésie 
est empruntée au rôle du Satyre dans le second 
acte de la Princesse d*Elide. 

Un morceau d'orchestre vif et alerte précède 
le troisième et dernier acte. Vive la Médecine! 
chante Sganarelle. Voilà encore une mélodie 
remplie de gaîté. Des paysans viennent consul- 
ter le médecin : Sarviteur, monsieur le Docteur! 
Les phrases musicales de ce chœur sont bien en 
situation. On remarque l'effet mélodique, sur ces 
paroles : Faudra qu'elle gtiarisse, ou qu'elle 
dise pourquoi. 

Le duo entre Sganarelle et Jacqueline : 

Ah ! que j'en sais belle nourrice 
Et qui ne sont pas loin de vous. . . 

; encore un morceau piquant par sa verve, par 



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SA VIE ET SSS ŒUVRES 

Bes modulations, par son accompagnementd' 
chestre. Ici le compositeur trouve grâce dev 
le rébarbatif critique de la Revue des Det 
Mondes : — Le musicien, écrit Scudo, en pr 
tant de la situation traitée par le poète, a s\. 
titué son inspiration à l'esprit du texte ongi: 
et le fait oublier. 

La scène de Molière où Lucinde retrouve 
parole est traitée en quintette : Rien n'est 
pable, mon père.., et l'opéra finit gaîment 
le final du premier acte, c'est-à-dire pai 
chœur des Bûcherons. 

Nous avons dit qu'on avait choisi, pour la \ 
mière représentation, le jour de l'anniversain 
la naissance de Molière. On avait réservé, p 
la fin de la pièce, le couronnement du buste 
l'auteur de Tartufe. Madame C'arvalho, eostm 
en Muse, entourée de tout le personnel du Th 
tre-Lyrique, après avoir chanté une cantate ; 

gnlut Uoliërel grand génie! 

La Muse est sœur de l'harmonie..., etc. 



plaga solennellement, pendant la reprise 
chœur, une couronne eur le buste de Moli^ 
Gounod avait fait cette cantate, qui, disait- 
rappelait le final du premier acte de Sapho. 
compositeur fut rappelé sur la scène, et parta 
l'ovation faite à Molière. 

En critiquant la partition, quelques lundii 
trouvèrent que l'œuvre était plus symphoni 



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98 CHARLES QOUNOD 

que vocale, et ils traitèrent l'auteur d'Allemand. 
Tout change ! Après la première représentation 
du Tribut de Zamora, en 1881, nous verrons 
Gounod qualifié d'auteur Italien. 



PHILÊMON ET BAUCIS 

Nous n'observerons pas, pour les œuvres trai- 
tées dans ce chapitre, l'ordre chronologique. 
Nous j réunissons, en un ensemble, les opéras 
dont les livrets ont été empruntés à Molière et h 
La Fontaine. 

Phîlémon et Baucis n'a été représenté qu'a- 
près Faust, au Théâtre-Lyrique du boulevard du 
Temple. Plus heureux que le Médecin malgré 
lui, cet opéra est resté au répertoire. C'est une 
œuvre oiî la mélodie abonde, œuvre délicate et 
charmante, mais qui, à notre sens, n'égale pas 
en valeur musicale l'ouvrage que nous venons 
d'analyser. 

Quelques mois après la première représenta- 
tion de Faust, on annonçait que Gounod mettait 
la dernière main à un nouvel opéra, et, au mois 
de décembre 1859, Philêmon était en pleines 
répétitions. 

La partition promise tout d'abord à Bénazet, 
avait, sur la demande de M. Carvalho, passé du 



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SA VIB BT SES ŒUVRES 99 

Théâtre de- Bade au Théâtre-Lyrique, Gounod, ft 
titre de compensation, s'eng-a^ea à écrire pour la 
petite scène de Bade, un autre ouvrage, qui fut 
la Colombe. Béuazet ne g:agnait pas à l'échange. 

Pour le Théâtre-Lyrique, les auteurs rema- 
nièrent le livret. L'appétit vient en mangeant. 
Une fois à l'œuvre, ils se décidèrent à intercaler 
un acte entre les deux actes du texte primitif. Ce 
tableau comprenait le ballet et l'épisode de la 
colère des Dieux. 

Philémon et Baucis fut donc représenté en 
trois actes, le 18 février 1860, à Paris. 

— Libretto ennuyeux, dit Scudo, libretto qui ne 
pouvait offi-ir qu'un thème très court et sans 
grande variété. — Le critique de la Revue des 
Deux-Mondes ne veut pas qu'on touche au sujet 
si délicatement traité par La Fontaine, et il s'en 
prend d'abord aux auteurs de la pièce : 

f Cette scène de vaudeville, où Jupiter, te maître dea 
déeaseB, joue le rôle d'un sot éconduit par une petite 
fille, est de la pare invention de HM. Barbier et Carré, 
q^ui, depuis dix ans qu'ils écrivent pour le thé&tre, n'ont 
pu encore faire one pièce viable (1), qui dépasse les pro- 
portions des Noces de Jeannette. St voilà les poètes qui 
devaient faire vite oublier ce bourgeois de Scribe, qui a 
fait cent pièces, comiqaes ou sérieuses, les unes plus 
unusantes qne les autres! > 

Berlioz n'est pas de cet avis. 11 pense que depuis 
longtemps /"Atïémon et Baucis aurait dû être mis 



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100 CHARLES OOUNOD 

en scène, et il loue MM. Barbier et Carré d'avoir 
écrit un petit drame sur la touchante fable de 
La Fontaine : 

( Beaucoup de gens les en remercieront, écrit-Il- On 
a dû pourtant leur dire bien des fois: il n'y a pas de pièce 
là dedans! C'est le grand mot 1 Partout où le spectateur 
ne se demande pas avec anxiété : Se marieront-ils ? Ne 
se marieront-ils pas? Mourra-t-il? Ite mourra-t-il pas? 
Sortira-t-il? Ne sortira-t-il pas ?... il n'j a pas de pièce ! » 

Et Berlioz ajoute : 

t L'ouvrage de MU. Barbier et Carré a complètement 
réussi. M. Gounod a été plus heureux encore, et sa par- 
tition me semble l'une des plus gracieuses qu'il ait 
écrites. > 



Voyons l'ouvrage tel qu'il fut représenté aa 
Théâtre-Lyrique, selon la première version, c'est- 
à-dire en trois actes; 

Après une introduction pastorale, bien faite, 
harmonieuse, où l'on remarque un solo de 
hautbois (solo naïvement élégant, dit Berlioz), 
et que l'orchestre reprend tout entier, la pièce 
débute par un duo entre Philémon et Baucis (Du 
repos voici Vheure). C'est le tableau de La Fon- 
taine. Les vieux époux expriment le bonheur 
d'une union si longue et si parfaite, et leurs voix 
s'unissent pour chanter : Aimons-nous jusqu'au 
jour suprême. 

M. et M"' Denis, eux, se font quelques reproches. 



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SA. VIE ET 8B8 ŒCTBEB, ;.'.■ 101 

Ils ne jutent pas, comme Fbilémon ejfBaacis, 
le bonheur le plus complet. Ce duo, de l'œàYrç. de 
Gounod, ce Souvenes-vous en, est l'expréàsi-bn . 
de la félicité la plus heureuse. Il est d'un senti-' 
ment exquis. Il se termine par ces mots : d aou- ' 
riante image..., et il sufSt de citer les paroles 
pour rappeler immédiatement le souvenir de cette 
gracieuse mélodie. 

Après le duo, les époux se félicitent d'fitreren- 
trés dans leur modeste demeure,saDS s'être mêlés 
aux danses de la jeunesse impie ; et l'on eatend 
an loin, dans la coulisse , ce délicieux chant des 
Bacchantes : 

Filles d'Athos, folles BBcohantes. . . 

chœur très original , qui n'avait pas eu le don de 
plaire à Scudo. Selon Scudo, ce chœur n'a rien 
de remarquable, si ce n'est la persistance de deux 
notes du cor, qui vous taquinent les oreilles I 

J'en suis fâché pour Scudo. Ce chœur des 
Bacchantes est d'un effet très pittoresque, grâce 
à la forme de l'accompagnement et au choix des 
instruments que l'auteur fait entendre. Le piano 
•résonne dans la coulisse avec beaucoup d'à-pro- 
pos. Les accords en staccato s'amalgament si 
bien avec les autres instruments, que le timbre 
banal du piano se perd dans l'ensemble. L'oreille 
est étonnée de cette sonorité étrange , et , tout 
d'abord, on se demande quel est l'instrument bi- 
zarre qui accompagne dans la coulisse. C'est la 



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102 •.'.*■.'- CHABLES aOUNOD 

premi^ft i6\8 qae le piano figare ainâi aa théâtre, 
en^piàjfé* d'une manière ingénieuse. 

'*. f Ce chœur est original, dit Berlioz. La mélodie fle 
>, -déroole tout entièresnr une pSdale de Domin&nte, brodé» 
par la sixte, d'un accent Joyeux et suave k la Tois. C'est 
bien là un chant d'Epicurien. — Pardon de l'anachro- 
nisme, si je le commets 1 Je ne sais à quelle époqu» 
vécurent Philémon et Baueis.— Cet effet de Dominante, 
brodée par la sixte, fut emplojé déjit par Gluck dans le 
chœur anal i'Heltna » Paride, devenu plus tard eeloi 
d'Ipkigénie en Tauride. Dans Phitimon, il a un tout autre 
caractère, beaucoup plus remarquable. * 

Les Bacchantes ont passé. Un orage annonce 
l'arrivée des Dieux. 

f Orage symphonique très bien fait, dit la Gazelle 
muticale. Peu de bruit, et bonne besogne. Ualheureu- 
sèment, on a la mauvaise idée d'imiter le vent dans la 
coulisse par dea moyens matériels. Taisez- vous, macbi" 
nistes 1 Le vent soufSe à l'orchestre sous l'archet des 
violons, et il mugit dans le tube allongé desclanuettes ! > 

Jupiter arrive incognito. Il demande l'hospita- 
lité aux vieux époux, comme dans le poème de 
Lb Fontaine ; seulemeot c'est Yulcain et non 
Mercure qui lui tient compagnie. 

Après le trio (Jupiter, Yulcain, Philémon), 
Etrangers sur ces borda, et surpris par l'orage, 
nous arrivons aux couplets de Vulcain : 

Au bruit des lourds marteaux. . . 



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SA VIE KT SB6 ŒUVRES 103 

Vulcain est de mauvaise humear. Ténus lui a 
fait le sort que vous savez. Et puis cet amoure' 
infortuné, toujours en butte aux railleries 
Jupiter, a été mouillé par l'orage. Il regrei 
d'avoir quitté ses forges de l'Etna. U exhale i 
plaintes en deux couplets fort expressifs. Il 3 
dans le rbythoie, dans les intonations, da 
l'harmonie, quelque chose d'abrupt, de grossie 
de maussade qui convient bien au caractère 
malheureux Vulcain. Les trombones à l'orcht 
tre jouent piano, et donnent au morceau u 
couleur sombre et bien en situation. 

Ces couplets ne satisfont pas encore Scui 
qui les trouve plus baroques que comiques. Q 
lui faut-il donc à Scudo î 

La mélancolie de Vulcain aiguillonne les pli 
sauteries de Jupiter. Ariette: Eh/ quoi, parce q 
Mercure. . . 

Philémon donne à souper à ses hôtes dont 
ignore la qualité divine, et pour les égzyt 
Baucis leur chante la fable : le Rat de ville et 
Rat des champs. Cette mélodie, assez incolo 
avait été composée avant la partition. 

■ Il j a beaucoup plus k louer, dit Berlioz, dans 
second air de Jupiter et dana le duo des époux qu'acci 
pagnent les tenues de violona divisés, et quelques ne 
da harpe donuant à l'hannoiiie un caractère tout h 
poétique. ■ 

La fin du premier acte parut inférieure 



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104 CHARLES aODNOD 

commeticetnent. Jupiter veut récompenser Fhi- 
lémoQ et Baucis de leurs vertus. II les épargrnera 
du châtiment céleste qu'il va infliger à toute la 
contrée impie. Il étend la main sur les deux vieil- 
lards, et il les endort. Quelques critiques préten- 
dirent que l'air où le Dieu de l'Olympe ordonne 
aux époux de s'endormir, avait des qualités sopo- 
rifiques auxquelles les spectateurs eux-mêmes 
ne pouvaient résister. II faut bien faire un peu 
d'esprit. 

Dans la partition conforme à la seconde ver- 
sion, la seconde moitié du premier acte est ainsi 
indiquée : 

Ariette : Eh ! quoi parce que Mercure. — Mé- 
lodrame. — Romance : Ak ! si je redevenais belle 
(Baucis). — Quartettino : Prenez place à la ta- 
ble. — Final : Allons ! triste buveur. 

Le second acte so passe dans le temple de 
Jupiter, où, par défi, les compatriotes de Philé- 
mon se sont réunis pour célébrer leurs orgies. 
On boit, on chante, on danse, on blasphème 
jusque chez le Roi des Dieux. (Chœurde l'ivresse : 
Dans l'ombre de la nuit. — Strophes de la Bac- 
chante — Chœur des Bacchantes : Filles d'Athos, 
folles Bacchantes). — Vulcain intervient pour 
faire de la morale; il prêche la tempérance. Il est 
éconduit. (Scène et chœur: Arrêtes/ — Chœur 
des Blasphèmes : Nous chantons aux lueurs). — ■ 
Jupiter paraît, et, d'un geste, il foudroie tous ces 
impies qui tombent morts. (Final : O Jupiter 1) 



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SA VIE ET SKS ŒCVtlEf; lOï 

Voici quelques appréciatioas sur ce second 
note : 

( On ÛT de danse, destiné à sccoiupngner la acine de 
l'orgie, écrit Berlioi, oecupe l'entr'acte. Ce morceau 
d'orchestre est magistralement traité, les développements 
Q'eu sont pas excessifs, et les modulations s'j enchaînent 
avec autant dV-propos que de bonheur. Ici encore se 
trouve l'emploi d'une pédiile obstinée, très piquante, 
pâdale double, formée par le martellement continu de la 
tonique et de la dominante, établissant une sorte de 
eariUoD.Ualheareuaement, le thème de ce brillant allagro 
rappelle trop un air de danse du Déwrt, de Félicien 
David. 

* Les strophes avec chœur chantées dans le temple par 
une de ces femmes impies, ont paru manquer de carac- 
tère, malgré l'effet dn chœur qui en reprend la thème 
dans un grand ensemble de voix à l'octave. Le final : £«f 
dieux s'en vont, est beaucoup mieux. Il est écrit en géné- 
ral un peu haut pour les voix supérieures. * 



La G asetie Musicale se livre à quelques plai- 
aanteries au sujet de l'air de ballet : 

« Le second acte est précédé d'un air de ballet qne l'oD 
entendra bientôt dans la bacchanale qui va suivre. Il 
roule presque, entière ment sur une phrase tTèscoarte,qni 
est répétée une cinquantaine de fois dans divers 
tons et par divers instruments. L'habileté d'arrange- 
ment a tant de chances de succès aux premières repré- 
sentations, que l'auditoire a crié bu à l'unanimité. On a 
donc entendu cent fois de suite le petit motif ; ceci soit 
dîtsans déprécier le morceau, qui est fort bien Tait, in- 
génieusement conduit, habilement instrumenté comme 
morceau d'entr'acte. Seulement, il n'est pas assez sonore. 



n,g -ccT'GoOgIc 



lOri CHARLES GOUTfOD 

comme air de ballet. Le pied des danaeoaeB y couvre la 
Toix discrète de l'orchestre. Le ctvBur qni fait tant d'effet 
au premier acte, en produit moins an second, lorsqu'on 
le chante à pleine voix. Le chœur ; la Dieux «'«n vont 
que l'on chante après l'expulsion de Vulcain, et qni ex- 
prime le paroxysme de l'orgie, a beaucoup de sonorité. 
Ls plupart des auditeurs n'en demandant pas davantage.» 

Scuclo écrit dans la Revue des Deux-Mondes: 

t Le second acte transporte la scène chez le peuple 
voluptueux destiné h périr bientôt par la colère des 
Dieux. Il est précédé d'une introduction ou entr'acte 
aymphonique très piqnaut et délicatement instrumenté. 
Cet entr'acte sera entendu de nouveau comme air de 
danse dans l'orgie qui va suivre, et dont le tableau est 
la reproduction presque exacte de celui de M. Couture, 
Im Bomairtt de la décadenc». Nous dirons, sans détour, 
que la musique de tout le second acte, qui heureusement 
n'est pas long, est d'une grande faiblesse, et que nous 
n'y avons remarqué que le second chœur qui forme le 
final de cette fiasque peinture de voluptés morbides, 
dont les théfttres abusent, et dont ils fatiguent le 
public... > 

Au troisième acte, Fhilémoa et Baucis se 
réveillent dans un palais. Ils sont redevenus 
jeunes, et ils ont quelque peine à se reconnaître. 
Baucis, à moitié endormie, chante : 

Philémon m'aimerait encore! 
s encore Philémon ! 



Philémon se réveille à son tour. Les deux 



n,gti7cdT:G00glc 



époux chantent alors l'agréable duo, à la fia 
duquel leurs voix reprennent ensemble ; 

O baiser de feu ! 
Brûlante caresse... 

La vie leur est rendue avec tous ses plaisirs 
et toutes ses espérances. 

Jupiter reparaît. Cette fois il est vêtu d'un 
brillant costume de dieu, et il ne se présente 
plus incognito, comme au premier acte. Il revoit 
Baucis qu'il a rajeunie par sa toute puissance, 
et Baucis est si jolie, qu'il eu devient amou- 
reux. Le maître de l'Olympe célèbre, en deux 
couplets, son ouvrage : 

Vénus mSme a'est pas plus belle ! 

et, enflammé parla passion, il redevient le mau- 
vais sujet qui a séduit Léda, et tant d'autres. 
Il charge Vulcain d'éloigner le mari. Un de plus ! 
se dit Vulcaiu, en se frottant les mains, tout 
enchanté qu'il est de voir en Philémon un nou- 
veau confrère, 

Jupiter aborde Baucis, pendant qu'elle dit cet 
air charmant, écrit pour M"" Carvalho : 

riante naturs... 
Puis le duo s'engage : Releves-vous, Jeune 



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lus CHAKLËS OOUTfOD 

mortelle I On y remarque notamment la jolie 
phrase mélodique sur ces paroles : 

Philëmon, ne crains pas que j'oublie 
Le doax serment qui pour jamais nous lie. 

Ce qui n'empêche pas Baucis de se laisser 
embrasser par Jupiter. Pouvait-elle refuser un 
baiser au m^tre des Dieux I 

Suit le trio entre Philémon, Baucis et Vul- 
cain. C'est le trio de la jalousie et des reproches. 
Enfin, Baucis touchée du désespoir de son mari, 
demande à^ieillir. {Romance et final). 

Rendez-moi mes rides, 
Rendez-moi mes cheveux Uancs 

dit-elle à Jupiter. Mais Philémon et Baucis res- 
teront jeunes. Ils ne seront pas changés, l'un en 
tilleul, l'autre en chêne, comme dans le poème 
de La Fontaine. 

Consacrons une autre vie 
A de nouvelles a 



chante Baucis, et Jupiter reprend le chemin de 
i'Olympe, pour ne plus découcher, sauf dans 
Amphyirion. 

Les feuilletons critiquèrent ce final comme 
n'étant pas à la hauteur de la situation. On re- 
prochait aussi au compositeur de chercher ses 
effets dans l'orchestre, plutôt que dans les rôles 
confiés aux voix. 

Les acteurs, à l'origine, furent MM. Froment 
(Philémon)— Bataille (Jupiter) — Balanqué (Vul- 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SBS ŒUVRBS 109 

cain) — M"* Carvalho (BaucU), et M'" Sax (La 
Bacchante, 2- acte). 

Après une douzaine de représentations, Phi- 
lémon et Baucis disparut de l'affîche par suite 
du deuil de M"* Carvalho, qui perdit sa mère. 
L'ouvrage ne fut repris que 16 ans après, à 
rOpéra-Comique, le 16 mai 1876, avec MM. Ni- 
cot, Bouhy, Giraudet et M'" Chapuis. On sup- 
prima tout le second acte, ainsi que la fable des 
Deux fats chantée, à l'origine, au premier acte. 
Au dernier acte, on eut l'heureuse idée de faire 
revenir pour le dénouement la jolie mélodie du 
début : 

soariante image. .. 

En 1882, Philémon et Baucis fut de nouveau 
repris à la salle Favart. Quoique représentée & 
de rares intervalles, cette oeuvre, qui aie don de 
plaire aux femmes, est restée jusqu'ici au réper- 
toire de l'Opéra-Comique, dont elle est un des 
plus gracieux ornements. 



LA COLOMBE 

Ce petit ouvrage devait être représenté à Bade 
en 1859. La guerre d'Italie fit ajourner la repré- 
sentation, qui n'eut lieu qu'à la saison suivante, 
à Bade, le 3 août 1860. 



n,gti7cdT:G00glc 



110 CHARLES GOUNOD 

7,a Colombe est uue opérette de salon , un 
ouvrage sans grande importance , d'une couleur 
générale un peu temo. On y remarque cependant 
quelques pages d'ane exquise délicatesse. Or- 
chestration discrète : le quatuor, deuz bassons, 
deux cors, deux clarinettes, deux hautbois, deux 
Aûtes et les timbales. Point de chœurs. La pièce 
est à quatre* personnages : deux sopranos, un 
ténor et une basse. 

A Bade, les rôles furent créés par M~'CarvaIho 
(Sylvie) ; M'" Faivre ( le petit Mazet ) ; Eoger 
(Horace)et Balanqué(maître Jean,le majordomej. 

Le sujet est tiré d'un conte de La Fontaine, le 
Faucon, le seul conte du charmant fabuliste, 
dont la mère puisse permettre la lecture à sa 
fille. Les auteurs, MM. Barbier et Carré, n'ont 
pris à La Fontaine que l'idée de son poème. Bs 
ont démoli pièce à pièce le conte, et ils ont méta- 
morphosé l'oiseau de proie, le Faucon, en une 
blanche colombe. Celle-ci appartient au jeune 
seigneur Florentin Horace qui l'a baptisée du 
nom de Sylvie en souvenir d'une femme aimée. 
La colombe est d'autant plus chère à Horace, 
qu'un jour la comtesse Sylvie a posé ses lèvres 
roses sur le blanc plumage de l'oiseau. La com- 
tesse, par un caprice de femme, veut posséder la 
colombe. Elle envoie son majordome, m^tre 
Jean, pour acheter, à n'importe quel prix, l'objet 
de ses désirs. Impossible ! Maître Jean, s'abouche 
avec le petit Mazet, le valet d'Horace. Rien ne 
peut réussir. La comtesse se décide alors à em- 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIB ET SB8 ŒUVRES 111 

ployer le grand moyen de séduction. Elle se rend 
chez Horace, et, sans lai faire connaître le bat 
de sa visite, elle lui demande à dîner. Hélas ! Le 
jeune seigneur est pauvre, presque ruiné. Les 
fournisseurs refusent de lui faire crédit. Comment 
faire pour recevoir dignement, à sa table, la 
femme qu'il adore? Le moyen est trouvé. Oa 
cuira la colombe I Ce sera, avec les fruits du 
jardin, le plat de résistance, le rôti. On dîne, et 
vous jugez de la déception du seigneur, quand, 
au dessert, la belle Sylvie se démasque, quand 
elle lui apprend que la colombe, la colombe qu'on 
vient de manger, est l'objet dont elle souhaite 
ardemment la possession I 

Tout s'arrange à merveille pour le dénoue- 
ment. Le cœur de la comtesse est touché. Elle 
offre sa main, et la blanche colombe est retrou- 
vée ; elle n'est pas cuite, elle est bien vivante, et 
en plumes. Le cuisinier intelligent a immolé à 
sa place un perroquet. 

Ce petit opéra-comique est en deux actes. Il 
fut repris, à la salle Favart, lo 7 juin 1868, ayant 
pour interprètes ; M"' Cieo, M'" Girard, Capoul 
et Bataille. 

Une introduction sert d'ouverture. (Solo de 
violoncelle et solo de cor). 

Au lever du rideau, le petit Mazet donne à 
manger à la colombe, à Sylvie, prisonnière dans 
une cage d'osier : 

Apaisez, blanche colombe 
Votre faim. 



n,gti7cdT:G00glc 



113 CHABLES OOUNOD 

Cette cantilène, publiée dans le troÎFiième 
recueil de mélodies, est bien connue. 

Mentionnons, sans nous y arrêter, les mor- 
ceaux suivants : 

Trio : Qu'il garde son argent (Horace, Mazet, 
Jean) où se trouve intercalée la romance en fa, 
d'Horace : J'aimais Jadis une cruelle. 

L'air de Jean, le majordome : 



Les t 
Quand U s'agit de plaire. 

Le grand air de la comtesse : Je veux inter- 
roger ce jeune homme. 

Les couplets d'un jet si franc et si spirituel, 
en fa mineur, de Mazet : Ah f les femmes !, écrits 
pour M"* Girard. Ils ne figuraient pas dans la 
partition primitive, exécutée à Bade. 

Le premier acte se termine par le terzetto : O 
vision enchanteresse ! etpavle quatuor: O douce 
joie, à la fin duquel revient le précédent motif 
de Mazet : Ah ! les hommes ! 

Le rideau reste levé, le décor ne change pas 
et le second acte n'est séparé du premier;que par 
un morceau d'orchestre. C'est l'entr'acte de.'I-o 
Colombe, véritable chef-d'œuvre de mélodie 
gracieuse. Le motif, exposé uue première fois, 
reparaît bientôt sur un accompagnement original. 
C'est élégant, délicat, expressif ; c'est du Gounod 
de la bonne époque. Cette petite page, embaume 
la partition. Elle suffirait à donner à l'ouvrage 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE KT &BS ŒUVRES 113 

une notoriété toute artistique. L'entr'acte de La 
Colombe^ avec les violons en sourdine, est 
exécuté souvent dans les concerts. 11 a été ajouté 
à la nouvelle partition. 

Au second acte ; 

Air du majordome : Le grand art de cuisine. 

Duo, en deux mouvements, entre Horace et 
Mazet, entre le maître et le valet : Il faut d'abord 
dresser la table. On remarque dans ce duo le 
morceau en mineur ; O pauvreté funeste ! 

Romance de Sylvie, précédée d'un solo de 
violon : Que de rêves charmants ! 

Gounod avait ajouté, au premier acte, des 
couplets pour M"' Girard. 11 ne pouvait faire 
moins pour Capoul. Le madrigal chanté par 
Horace : Ces attraits que chacun admire, a été 
composé pour les représentations de la salle 
Favart. 

Quatuor : Déjà son cœur semble souscnre ; 
puis le duo : Combien je vous rends grâce. 

Et comme la colombe a été retrouvée, les 
auteurs, ont, pour la reprise, à l'Opéra-Comique, 
adapté en final, l'air du début : 

Apaisez, blanche colombe 
Votre faim. 

La Colombe est la première oeuvre de Gounod 
qui fut représentée à la salle Favart. Elle fut 
encore reprise, au mois de novembre 1879, dans 
une salle plus modeste, au petit théâtre de la rue 



n,gti7cdT:G00glc 



114 CBABLE8 GOUNOD 

Taitbout. M"" Péchard y remplissait le rôle de 
Sylvie. 

L'immeuble de la rue Taitbout, situé en regard 
de la salle Herz, où Gounod avait fait exécuter 
ses premières œuvres, avait d'abord servi de 
siège social à une société financière. La société 
sombra, et donna lieu, devant la Cour d'appel, à 
un procès retentissant. Le local fut transformé 
en élégant théâtre. On y joua l'opérette, on y 
installa des bals masqués, on y fit du bruit aux 
premières représentations, on y vit quelques 
pièces à succès, comme La a'uche cassée, on y 
applaudit aussi des danseuses espagnoles, qui se 
déhanchaient, selon la tradition orientale. 

Quand La Colombe vint se poser, pour un 
instant, sur cette petite scène, le théâtre avait 
pris le nom quelque peu ambitieux de Nouveau 
Lyrique. On donnait l'œuvre de Gounod comme 
pièce principale. La représentation commençait 
par des morceaux symphoniques et se terminait 
par une opérette de Delibes : L'Ecossais de 
Chntou. Le spectacle était varié. 

Le théâtre Taitbout n'existe plus. L'immeuble 
a repris son ancienne destination. Plus de Co- 
lombe. C'est le siège social d'une Compagnie 
d'assurances. 



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B.V Vm ET 8E6 ŒUVBRS 



GEORGES DANOIS 



La partition de Georges Dandin est une ten- 
tative d'innovation dans le domainede la musique 
dramatique. C'est Gounod qui le dit en tête de 
la préface écrite pour son opéra. Contrairement 
à l'usage, le compositeur a adapté, la musique à 
la prose môme de Molière. 

Cette partition, encore inachevée en 1874 (1), 
est-elle terminée aujourd'hui, et l'auteur a-t-il 
l'intention ou de la publier, ou de la faire exé- 
cuter au théâtre ? Le maître seul pourrait ré- 
pondre à ces questions. Toujours est-il qu'en 
1874, Gounod avait eu le projet de donner son 
opéra à la salle Favart, projet ensuite abandonné, 
ainsi qu'il résulte d'une lettre adressée & M. Du 
Locle le 23 mars 1874. Par cette lettre, repro- 
duite dans le journal le Gaulois, Gounod auto- 
risait à regret la reprise de Mireille, et il ajou- 
tait : « — Passez, mon cher ami, me voici chapeau 
bas; mais plus de Georges Dandin / * Georges 
Dandin avait donc été promis à M. Du Locle 
pour rOpéra-Comique, et l'ouvrage lui avait été 
retiré. 



(1) Le lecteur trouvera au chapitre suivftut des rensei- 
gnementg complémentaireB enr la partition de Georges 
Dandin. 



n,gti7cdT:G00glc 



obstacles . Le vers, 

■n canevas beaucoup 

entraîné par le rhythme 



116 CUARLBS OOUNOD 

Si la partition est encore inédite, la préface 
nous est connue. Elle a été publiée à Londres, 
et dans quelques journaux de Paris en 1875. 
C'est un plaidoyer aussi raisonnable qu'ingc nieux 
en faveur du Libretto en prose. Eu voici quel- 
ques extraits : 

« AsBurêment, nu point de vue de U régularité 

métrique et rhjthmiqne, l'adaptation de U musique h la 
prose présente de réels et sëri 
par sa symétrie, offre au r 
plus facile, en ce sens qu'u 
que le premier vers d'une série fait jaillir dans l'esprit 
ou dans l'oreille du musicien, celui-ci devient en quel- 
que sorte l'esclave du dialogue, au lieu d'en rester te 
maître, et s'abandonne, sans plus de contrSle, aux consé- 
quences purement rhjthmiques de sa première impres- 
sion. C'est ainsi que la vérité de l'expression musicale 
disparnit sous l'entraînement banal et irréfléchi de la 
formule et de la routine. * 



Gounod répond ensuite aux objections qu'on 
peut opposer au nouveau système. Le vers, dira- 
t-on, est le dépositaire du rhythme. Or, sans 
le rhythme, pas de musique. 

■ Cette abjection est plus sérieuse. Toutefois il s'en 
fiiut qu'elle soit sans réplique. 

< Et d'abord on peut citer comme preuve les nombreux 
oratorios qui ont été écrits sur de la prose soit latine, 
soit allemande, soit anglaise. Les œuvres de Bach, 
Uaëndel, Mendelssohn, sont là pour montrer h quel point 
la régularité rbjttunique et la période en musique sont 
compatibles avec l'emploi de la prose. Pourquoi n'en 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES (EUVBES 117 

serait-il pas de mûme an thé&tre? Eat-ce plus imposeible 
là qu'autre part? Je ne le pense nullement. Toute In 
question est de découvrir dans l'ensemble d'une période 
(soit monologue, soiCdiBlogue)le3 subdivisions qui com- 
portent la symétrie de la période musicale. Cette ordon- 
nance une fois trouvée, la seul Élément qui ait disparu, 
c'est la rime. • 

GouDod lie considère pas la rime cornme indis- 
pensable à l'ensemble de l'impression musicale. 
La rime se dérobe dans la coupe de la phrase 
musicale, dans les césures ou emjambements qui 
en suppriment le retour périodique pour l'oreille. 

Quant aux avantages que la composition musi- 
cale peut retirer de l'emploi de la prose, Gounod 
les trouve immenses et illimités : 

« En effet, la variété infinie des périodeaen prose, ouvre 
devant le musicien un horizon tout ueuT qui le délivre 
de la monotonie et de l'uniformité. Là, l'indépendance et 
la liberté d'allure peuvent se concilier avec l'observance 
des grandes lois qui régissent la mesure périodique et 
les mille nuances de la prosodie. Là, chaque ayltahe peut 
avoir sa quantité, son poids exact et rigoureux dans la 
vérité de l'expression et la Justesse du langage Les 
longues et les brèves ne sont pas exposées à s'y faire ce» 
concessions cruelles, ces sacrifices barbares devant les- 
quels, il faut bien l'avouer, les compositeurs et les chan- 
teurs se montrent trop souvent si peu scrupuleux. 
Quelle mine féconde, inépuisable, de variété dans l'into- 
nation chantée ou déclamée, dans la durée et dans l'in- 
tensité de l'accent, dans la proportion et le développe- 
ment de la période musicale, développement qui dès lors 
ne repose plus sur le continuel rabâchage des redites, 
mais sur la progression logique, et sur le crescendo de - 
l'idée-mÈre qui domine et conduit le morceau! etc.» 



lyGOOgIC 



Ils CHARLES QOUNOt) 

• Le vers, (dit Gounod en terminant la premiers 
partie de aa préface) est une espèce de dada, qui, une fois 
parti, emmène le musicien, lequel se laisse conduire non- 
chalamment, et finit par s'endormir, ou au moins 
s'assoupir, dans une négligence musicale déplorable ; et 
il me paraît certain que ramena au souci de la vérité 
par le tour naturel de la prose, le musicien a tout à 
gagner du cdté de l'expression et beaucoup k perdre du 
cEtté de la routine. * 



Berlioz, dans son feiiiUetoii du Journal des 
Débats du 22 janvier 1858, avait émis les mêmes 
idées sur le sujet qui nous occupe. — Il y a do 
la musique écrite sur de la prose française, et il 
y en aura tant qu'on voudra, dit-il. — Il fait re- 
marquer que, dans les opéras les plus célèbres, 
on entend chaque jour des passages où les vers 
ont été disloqués par le compositeur, brisés, ha- 
chés, dénaturés par la répétition de certains 
mots, par l'addition même de certains autres 
mots. C'est ainsi que les vers sont devenus en 
réalité de la prose. Berlioz examine la question 
de très près tant au point de vue de la rime et de 
la prosodie que de la mesure et du rhythme. Son 
feuilleton est tout aussi intéressant à consulter 
que la préface de Georges Dandin. 

Dans la seconde partie de cette préface, Gou- 
nod se livre à des observations purement litté- 
raires sur l'œuvre de Molière : Si Molière n'a pas 
écrit de trag^ie, plusieurs de «es immortelles 
comédies sont de véritables drames. Georges 



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SA VIE ET SES ŒUVRES 1 

Dandin, dont !e dénouement est un suicide, 
seul dénouement de ce genre dans le théâtre 
Molière, est une comédie poig-nante et terrible. 

Voilà pourquoi Gounod a choisi cette pièce 
Molière. Espérons que la partition sera un jo 
exécutée, ou tout au moins publiée. L'aute 
sait avec un art extrême adapter la musiq 
aux paroles, et l'innovation qu'il a entreprise s 
le livret en prose de Molière est, à coup s( 
un essai des plus intéressants et des pi 
curieux. 



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GOUHOD ECdlVIIN 



FAUST 

ATut Iw rdpftitioiu aa TbMtn-LTiiqu*. 

La préface de Georges Dandin nous coud 
tout naturellement à envisa}?er Gounod com 
écrivain. L'auteur de Faust a publié des artici 
des préfaces, des lettres; il a prononcé des d 
cours à l'Institut. Il devient môme poète, à l'c 
casion. Rien qu'en réunissant une partie de i 
écrite, on formerait un gros volume; ce que ne 
ne pouvons faire. Nous noua bornerons à repi 
duire quelques extraits, pris un peu partout, 
au hasard, à seule fin de présenter au lecteur 
échantillon du style et des idées du musicien. 

Voici d'abord quelques lignes que nt 



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m CHARLES OOUNOD 

relovons daaa un opuscule dédié à M. Oscar 
Comettant, et intitulé l'Allaitement musical : 

t Lft musique eat une langue; elle en a tous les carkc- 
tères : elle Be lit, elle B'ëcrit, elle s'enseigne, et se trans- 
met, ainsi qu^ toutes les autres langues. Elle se perçoit 
par l'ouïe et par la vue. Une seule chose la distingue 
des langues proprement dites : on la sent, ou on ne la 
nnïpas 

f J'eus le bonheur, bonheur qui semble être devenu 
d'autant plus rare, d'avoir ma mère pour nourrice. 
L'allaitement contient plus d'éducation qu'on ne croit. 
S'il n'est pas, comme lo langage, une transmission 
d'idées, il est, trâs probablement du moins, le véhicule 
d'une foule d'instincts, d'aptitudes, d'inclinations, qui 
ajoutent autant de traits de plus de ressemblance do 
l'enfHnt avec sa mère 

« Ma mère était excellente musicienne. £!lle avait en 
outre cette préciBÏon et cette clarté méthodique si néces- 
saire chez un professeur, et qui lui permirent de S6 
livrer k l'enseignement, lorsque la mort de mon père la 
laissa veuve, sans autre fortune que deux enfants à 
élever, dont l'un, mon frère aîné avait quinze ans, et 
l'autre (qui était moi) allait en avoir cinq > 

Gounod nous apprend qu'il était en . même 
temps nourrisson et élève. Sa mère familiarisait 
Bon oreille avec les moïs et avec les sons. Il ne 
parlait pas encore que déjà il distinguait et 
reconnaissait parfaitement les différents airs 
qu'on lui chantait. En résumé, Gounod attache 
une grande importance à T allaitement maternel. 
C'est dans le lait de sa mère, qu'il croit avoir 
puisé son instinct musical. 



n,gti7cdT:G00glc 



lA. VIE ET SES ŒUTBBS 123 

Les aptitudes artistiques découleraient donc 
du sein qui nourrit l'enfant ! Voilà une opinion 
fantaisiste, et qui donnerait aux bureaux de 
nourrices une trop grande importance au point 
de vue de la psychologie. Passons, et prenons, 
dans les écrits de Gounod, des extraits oii nous 
trouverons des appréciations d'un caractère plus 
sérieux. 

En 1874, une polémique s'était élevée dans le 
monde musical au sujet des modifications que 
R. Wagner proposait d'introduire dans la neu- 
vième symphonie de Beethoven. Wagner, pré- 
tendait réorchestrer l'œuvre du grand maître I A 
ce propos, Gounod écrivit les observations sui- 
vantes, dans une lettre adressée au critique du 
Siècle, à son ami M. Oscar Comettant : 



. ■ ... Je ne connais pas la neuvième sjmpliania da 
Beethoven selon Wagner. Je ne la connais que selon 
Beethoven, et je confesse que cela me suffit. J'ai beau- 
coup entendu et beaucoup lu cette œuvre gigantesque, 
et je n'ai jamais éprouvé, ni h l'audition, ni à la lecture, 
le besoin d'une correction 

« Beethoven a une connaissance si profonde, un si 
prodigieux maniement des ressources de l'orchestre, des 
timbres et des reliefs des divers instruments, que je ne 
comprends pas qu'on paisse même songer un instant à 
lui donner un avis là-dessus. Il faut être pour cela 
H. Wagner, qui donne des levons b tout le monde, à 
Beethoven, à Mozart, et à Bossini * 

« J'ai entendu en iS12, h Vienne «n Autriche, sous la 
direction de Nicolal, la 9* sjmphonie par 1200 musi- 



n,gti7cdT:G00glc 



134 CHABLBS OOUNOD 

ciena environ, 450 inatiomentictes et 750 voix; exéention 
ftdminble en tous points — 

• Ne touchons pas aux csuvres des grands maîtres. 
Cest un exemple de hardiesse et d'irrévérence dange- 
reuse, sur U pente duquel il a'j aurait pu de raison de 
s'arrSter. Ne mettons pas nos mains sur ces mains de 
grande race, dont la postérité doit contempler,BanB voile, 
les lignes si nobles, la etroctnre si sévère, l'élégance si 
majestueuse, et souvenons-nous qu'il vaut mieux laisser 
à un grand maître ses imperfections, s'il en a, que de lui 
imposer les nôtres, i 

La presse musicale s'occupa beaucoup de cette 
polémique. Gounod eut ses partisans ; Wagner 
eut les siens. Pour concilier les deux opinions, 
Azevedo écrivait : — Pour ma part, je sou- 
haite que le combat entre M. Wagner et M.Goa- 
nod finisse comme celui des deux serpents qui 
s'avalèrent si bien, qu'il n'en resta pas même les 
deux queues. — Nous prenons cette phrase dans 
un recueil périodique intitulé : Les doubles cro- 
ches malades. C'était un petit pamphlet publié 
par Âzevedo, qui lui aussi était malade, plus 
malade peut- être que ses doubles croches 1 

Gounod n'a pas toujours eu à se louer de la 
Presse. Il n'aimo pas, en principe, la critiqua 
qu'il trouve inutile. M. Oscar Comettant prétend 
que l'auteur de Faust n'a jamais calculé l'effet 
de sa musique sur le public, et qu'en écrivant 
ses ouvrages, il n'a d'autre objet que de satisfaire 
les épanchements de ses émotions. 

Dans une préface publiée Mi tôte des Lettres 



n,g -ccT'GoogIc 



SA. VIE ET SES (XIITBEB 125 

intimes de Berlioz, Gounod fait dans lea termes 
«uiyaats le procès à la niasse du public : 

«... Comment I C'est donc la foule qoi & formé les 
RaphâSl et les Michel-Ange, les Mozart et les Beethoven, 
les Newton et les Galilée ? La foule I Maie elle passe sa 
TÏeàjwyer et àfieddjujfer, à condamner tour k tour ses 
engouements et ses rËpugnances, et tous voudriez qu'elle 
fut un juge ? Cette juridiction flottante et contradictoire, 
TOUS voudriez qu'elle fut une magistrature infaillible. 
Allons 1 cela est dérisoire. La foule ffagelle et cruci&e 
d'abord, sauf b revenir sur ses arrêts par un repentir 
tardif, qui n'est même pas, le plus souvent, celui de la 
génération contemporaine, mais de la suivante et des 
suivantes, et c'est sut la tombe du génie que plouvent 
les couronnes d'immortelles refusées ii son front *■ 

Plus loin, nous lisons dans la même préface : 

( — Berlioz a été une des plus grandes émotions de 
ma jeunesse. Il avait quinze ans de plus que moi, U était 
donc &gé de 34 ans à l'époque oîi moi, gamin de 19 ans, 
j'étudiaia la composition au Conservatoire, sous les 
conseils d'Halévj- Je me souviens de l'impression que 
produisirent alors sur moi la personne de Berlioz (1) et ses 
œuvres , dont il faisait souvent des répétitions dans la 
salle des concerts du Conservatoire. A peine mon maître 
Halévj avait-il corrigé ma leçon, vite, Je quittais la 
classe pour aller me blottir dans un coin de la salle de 
concert, et là je m'enivrais de cette musique étrange, pas- 
sionnée, couvnlsive, qui me dévoilait des horizons si 



(t) * P«a de personnes él&iant h l'aise avM B«Tlicii, dit H. Legouié. 
Gounod m't souTOnl parlé de l'^tst de contralate ob le mettait Barlloi. • 
C'est Gounod qui. aui otniques de l'auteur de U Damnation de FaaU, 
pont U parole, au nom de la Sociale des compMltenrs. 



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1S6 CHA.RLBB QOUROD 

noarenat etsi colorfti. Un Jour, J'arait assiaU h tma 
rfipâtltion de la sjmphonie : Romio tt JulùlU, alora Ini- 
dite, et que Berlioz allait faire exfcuter peu de Jonn 
après, pour la première fois. Je fus tellement frappé par 
l'ampleur du grand final de la Réconciliation des Mon- 
taïga et des Capulet, que je eoitis , en emportant tout 
entière dans [ma mémoire la superbe pbraae du frèia 
Laurent ■. Jurtz tous par l'attgaitt Syti^oU ! A quelque! 
Jours de Ik, j'allaig voir Berlioz, et, me mettant au piano, 
Je lui ûs entendre ladite phrase entière. Il ouvrit de 
grands jeux, et me regardant fixement : Ofi diable avei- 
Tous pris cela, dit-il ? — A l'une de vos répétitions, lui 
répondiS'je. — Il ne pouvait en croire ses oreilles 1 — > 

Si Gounod trouve la critique chose inutile, il 
s'est quelf^uefois déjugé, puisqu'à son tour il est 
descendu des hauteurs de la composition musi- 
cale, pour faire des comptes rendus. Il a analysé 
et donné son opinion sur l'ouvrago de Saint- 
Saëns, Henri VIII, dans un article publié par la 
Nouvelle Revue (1" avril 1883), et en tête duquel 
il a écrit : 

■ ... M. Saint-Saëns est une des plna étonnantes 
organisations musicales qae je connaisse. C'est un muai- 
ciea armé de toutes pièces. Il possède son métier comme 
personne ; il sait les maîtres par cœur ; il Joue et aa 
Joue de l'orchestre, comme il joue et se joue du piano ; 
c'est tout dire 

• Ce n'est point un pédant, un solennel, un transetn- 
danleux ; il est resté binn trop enfant et devenu bien 
trop savant pour cela. U n'a pas de système ; il n'est 
d'aucun parti, d'aucune cliiiae : il ne se pose en réfor- 
mateur de quoi que ce soit ; il écrit avec ce qu'il stnt et 
avec ce qu'il êuit. Mozart non plus n'a rien réformé ; je 
pe sache pas qu'il en soit moins au sommet de l'art. . . > 



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BA. VIE BT BBS ŒUVRES 187 

Gounod a le culte de Mozart. 11 ne perd aucune 
occasion de célébrer le génie du grand maître. 
Pans la préface publiée en tête des Soirées pari- 
siennes (1883) d'A. Mortier, Gounod fait remar- 
quer que deux tendances, en matière d'art, 
caractérisent notre époque. C'est la recherche de 
Veffet, et l'esprit de système. L'effet, dit l'auteur, 
peut s'obtenir par des secousses violentes ou 
vulgaires, par toutes sortes d'artifices et do 
roueries, qui ne sont qu'un semblant de savoir, 
et il ajoute : 

t La souveraineté du beau sera de tout tempa aux 
mSmes conditions. J'en appelle une fois de plus h cet 
immortel Don Juan de Mozart que j'ai lu et entendu ai 
souvent, que je ne peuï pas entendre sans me sentir 
l'esprit à genoux, et qui est bien l'œuvre la plus absolu- 
ment belle que je connaisse dans l'art qui a dominé ma 
vie. Est-ce que dans Dan Juan il j a trace d'une recher- 
che, d'un aouci de l'effet 7 Nulle part. Le privîlSge de 
cette œuvre incomparable est l'autorité du vrai et du 
beau, l'autorité calme autant que puissaute, qui produit 
et laisse dans l'auditeur une impression de satisfaction 
pleine et constante de béatitude muaicale et dramatique 
aouveraine et invariable. C'est que iea vrais chefs-d'œuvrs 
portent l'empreinte de cette sobriété, de cette sérénité 
intellectuelle, qui n'est autre chose que la pondération 
tranquille, l'équilibre absolu des conditions de l'art, et 
que cet équilibre constitue précisément le génie. 

« Aussi de telles œuvres sont-elles d'ordinaire accueil- 
lies avec froideur et dédain par la critique contempo- 
raine qui les trouve dépourvues d'eflfet.... » 

La véritable cause, dit Gounod en continuant. 



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128 CBABLES OOUNOD 

ia seule cause peut-âtre de cette Tdcberche et de 
ce tourment de l'effet, c'est la peur de la cri- 
tique : 

< Ce qnel'on redoute dus lea jugements de la criti- 
que, o'eat bien moins leur valeur réelle que Is nombre 
d'exemplaires qui en sera tira, et gr&ce auxquels les 
Jugements vont devenir dea oracles pour un nombre 
(gai de badauds. Ce que la critique reprfiseiite surtout, 
c'est une fabrique d'opinions à l'usage de gens incapables 
de s'en former une par eux-mêmes, en art, comme en 
politique.... 

■ L'artiste ne doit Stre préoccupe que de deux choies 
que la Critique ne saurait ni lui donner s'il ne les poBSà- 
de pas, ni lui enlever s'il les possède, et sur lesquelles 
ont toujours reposé et reposeront toujours les couvres 
maîtresses en fait d'art : 1° obéir fidèlement aux dictées 
delà sensibilité; 2* acquérir par une étude assidue et 
patiente un savoir technique... ■ 

L'autre tendance, en matière d'art, est Vesprii 
de système. Gounod la trouve encore plus 
funeste que la recherche de l'effet. Ces deux 
mots système et art lui semblent inassociables : 

( .. . Lorsque, par exemple, j'entends au premier acte 
de Don Juan ce tout petit bout de trio qui commence au 
moment oii Don Juan vient de bleseer le Commandeur, 
et qui se termine par la mort de i;elui-ci, ce morceau, 
qui ne compte pourtant pas plus de 18 mesures, me 
saisit dès les premières notes, et m'étreint et m'oppressa 
jusqu'au dernier accord, sous l'intensité de l'émotion 
musicale et dramatique. Qu'aî-je à lui demander de plus 
que l'union la plus accomplie de la vérité scénique et de 
la beauté musicale? Rien, ce me semble, puisqu'il a rem- 



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SA VIE BT SES ŒUVRBS 139 

pu lei deax iteraellea conditions de l'art Ijriqua. J'en 
dini ftutant de U scène grandiobe qui termine cett* 
ouvre immortelle. La puiseance tragique ne va pat au 
delk, n'ira jamais au del&l Je n'y vois pourtant pas trace 
d'un système; rien que le comble de l'épouvante par les 
moyens les plus simples. J'avoue que cela me suffit 
pleinement, et que Je ne songe point k me demander 
s'il y a des rappels d'idâee, des thèmes conducteurs, des 
Lût motiven, ou autres expédients de ce genre, dont je 
n'ai d'ailleurs nulle intention de médire, et qui ne sont 
point d'un usage aussi récent qu'on se plait & le préten- 
dra. Uaisle système ne ratifie point mon émotion...» 

Dans une autre préface publiée eu 1883 (anna- 
les du théâtre et de la musique, par Noël et 
Stoulliug), Gouuod poursuit la même idée.Âprès 
avoir exposé quelques considérations sur l'or- 
chestre invisible prôné par Grétry.avaat Wagner, 
après avoir parlé de l'éclairage des théâtres, des 
contrats et des engagements d'artistes, de sub- 
ventions de l'État, l'auteur prétend que cette 
expression; Le progrès de l'art est une expres- 
sion dénuée de sens ; que l'artiste progresse dans 
son art, mais que l'art lui-même ne progresse 
pas. A ce sujet, il revient sur le chef-d'œuvre de 
Mozart : 

( — ... Est-ce que toutes les conditions de l'art ne sont 
pas réunies dans Don Juan 1 Bst-ce là de iWt ancien ou 
de l'art moderne? Est-ce qu'on n'y trouve pas, & côté 
du charme exquis et incomparable de la musique pure, 
l'expression la plus Juste et la plus complète de la vérité 
vA!Ue, la vérité humaine, et par conséquent toute la pro- 
fondeur psychologique que l'on peut demander au drame? 



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130 CHA&LBS QOUNOD 

Le prodigienx ginie de l'auteur a-t-il cberolié son point 
d'appui et son mot d'ordre dana quelqu'un de ces sjs- 
times, qui, en dehors d'eux, n'admettent point de salut f. . . • 

Terminons cette rapide revue des préfaces de 
Gounod par celle qu'il a écrite en tôte du roman, 
traduit de l'anglais : Une idée fantastique de 
Rosa MulhoUand. C'est un roman honnête et 
captivant, dit l'auteur de Faust. On n'y respire 
pas les miasmes infects dans lesquels la littéra- 
ture à sensation va chercher de soi-disant re- 
mèdes contre les passions ou les vices qu'elle 
veut nous faire prendre en horreur ; et GouQod 
ajoute : 

c Noos sommes malades du besoin de l'eztrSme. Nous 
courons après Vétrangt, l'excessif, le vertigineux ; toute 
simplicité nous semble une fadaise ; toute mesure une 
timidité ; toute méthode une chaîne ; toute discipline une 
prison... * 

Gounod, on le voit, répudie Vêtrangetê que l'on 
confond trop souventavec Y originalité. Dans un 
discours lu à l'Académie des Beaux-Arts le 25 
octobre 1886, il fait la distinction suivante ; — 
La bizarrerie ouVétrangelé n'est qu'un état anor- 
mal, maladif; c'est une forme mitigée de l'alié- 
nation mentale. L'originalité au contraire est 
l'expression môme de la personne de l'artiste, 
c'est le rayon distinct qui le rattache au centre 
commun des esprits... etc. — Cette étude inti- 
tulée La nature et l'art, où. il est tout è. la foi) 



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SA VIB ET SES ŒUVEBS ISl 

question de la création du monde, du Barbier 
de Sêvilte, de Sainte Thérèse, de Jérusalem, de 
Guillaume Tell et de Saint Augustin, est plutôt 
un sermon qu'un discours académique. C'est que 
Gounod a les aptitudes du prédicateur. Du haut de 
la chaire, il ferait très bonne figure. Il prêcherait 
aussi bien qu'il chante, et ce n'est pas peu dire. 

Quelquefois le musicien se fait librettiste et 
poète. II est l'auteur de la traduction française 
dû poème de Galtia, du livret en vers de Ré- 
demption, et du texte latin de Mors et vita. 
Entr'autres compositions dont Gounod a écrit la 
poésie, citons quelques mélodies ; Le pays bien- 
heureux, Loin du pays. Que ta volonté soit 
faite, et une pièce religieuse La communion des 
Saints, légende provençale, exécutée récemment 
au Conservatoire (concert du 19 avril 1889). 

Quant aux lettres adressées à la Presse, elles 
sont trop nombreuses, pour que nous puissions 
les résumer ici. Nous aurons l'occasion d'en si- 
gnaler quelques-unes dans la suite de notre tra- 
vail. 

Mais c'est dans sa correspondance intime que 
Gounod se distingue comme écrivain plein de 
grâce et d'esprit. Cette correspondance a été 
publiée en Angleterre, à la suite des dissenti- 
ments qui éclatèrent entre M"* G^orgina Weldon 
et Gounod. On connaît cette histoire. Après avoir 



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183 CHAXLSS QOUMOD 

aéjourné quelques années à Londres chez M. et 
M** Weldon, l'auteur de Faust reTint à Paris, 
et fon retour en France fut le point de départ des 
hostilités. M*" Weldon fît d'abord paraître des 
brochures et des livres parmi lesquels fig^ure : 
Mon Orphelineit, Lettres et Documents.Ce volu- 
mineux dossier contient les letlres intimes de 
Oounod, depuis le mois de mars 1871 jusqu'au 
mois de mai 1875, ainsi que de nombreux doca- 
menta et divers articles de journaux tant anglais 
que français. C'est un recueil fort curieux où 
les questions artistiques sont malheureusement 
mêlées aux questions d'intérêt privé. Aussi nous 
abstiendrons -nous de reproduire toute cette cor- 
respondance. Nous ne voulons pas contribuer à 
ta publication de lettres que Gounod n'a pas 
écrites pour le public, et notre livre ne prendra 
pas le caractère d'un pamphlet. Nous utiliserons 
toutefois les principaux renseignements que les 
brochures anglaises renferment sur les oeuvres 
du m^tre, et, tout en respectant les conve- 
nances, nous rappellerons, dans un chapitre 
spécial, les faits qui appartiennent à l'histoire 
musicale de notre temps. 

La correspondance intime de Gounod est écrite 
en un style charmant et distingué. C'est le vrai 
style épistolaire.L'expressiou est juste etcolorée. 
Les traits piquants et les boutades abondent à 
chaque page. MM. les éditeurs de musique, les 
éditeurs de Londres surtout, ne sont pas tou- 
jours épargnés. On remarque encore, dans ces 



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SA VtE ET SUH œUVBEB ISS 

lettres , d'iQtéresBaQtes obserratiosa faites au 
point de Tue artistique. Voici quelques passages 
que nous citons à titre d'exemples : 

t Ce n'est pas la gymnastique de la vocalisation qui 
donne la chaleur de la vie ^ la vocalité. (Le mot n'est pai 
français, mais il devrait l'être). Il faut apprendre i 
chanter sans doute; mais il faut aussi entendre au dedani 
de soi une belle manière de chanter. Sans le dedans, 1( 
dehors ne fera jamais rien; et rêciproquâment bien en- 
tendu.» 

Gounod nous apprend comment l'inspiration 
lui vient : 

* Uon art s'éclaire quand je suis tranquille. Il m< 
semble que le ciel s'illumine tout d'un coup et que j'en 
tends des voix qui me chantent ce que je dois écrire 
et qui me forcent k croire en elles 1 Est-ce que ce n'eel 
pas beau 7 > 

Un éditeur anglais lui avait demandé si, dan: 
un morceau, il n'avait pas employé certains ac- 
cords un peu singuliers. Gounod lui répond : 

t N'ayez jamais peur de mes accords. Ils paraisssn' 
singuliers , mais je déâe qui que ce soit de les condam- 
ner. Je les connais, et ils me connaissent. • 



Dans une lettre de 1874, on lit au sujet d'ui 
chef d'orchestre : 

« Nous avons Stë ce matin entendre le Bend du paril 
Ion su'r la jetée. C'est funèbre 1 Le chef d'orchestre es 



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131 CHAaLBB aotmob 

passionné comme une pendule de trarers. Je parie qu'il 
dort, en conduisant , comme certains cochera. D'ailleurs 
il est assis et tourne le dos à l'auditoire ; ainsi il peut 
très bien dormir sans qu'on s'en aperçoive , pour peu 
qu'il ait étudié sou rôle. Et je me disais : Quand on pense 
que je pourrais être à la place de cet homme là I > 

La correspondance nous fournit quelques ren- 
seignements sur la partition ^QGeorgea Dandin : 



Lettre du 88 février 1874 : 

■ Georget Dandin m'occupe beaucoup, et quoique ce soit 
très intéressant, c'est quelquefois très difficile de donner 
kla prose une construction musicale qui ait.de lasyinS- 
trie et de la régularité rhjthmique. J'ai fait un autre duo 
(celui entre Lubin et George-^ Dandin au deuxième acte), 
et un trio entre Georges Dandin, M. et M" de SotenviUe. 
Les msejiJiks en prose sont souvent difficiles, mais Je les 
tiens pour ces deux morceauz-là. * 



Lettre du 21 février 1874 : 

t Je viens de terminer un délicieux madrigal poar 
Clitandre (ténor, bien entendu ; un amoureux de comé- 
die 1) J'aurai en tout seize morceaux, dont beaucoup 

sont des morceaux dialogues et tout à fait scêniques, et 
la pins grande difâculté est de déguiser l'irrégularité 
rhjthmîque de la prose sous la régularité de la période 
musicale. Dans le madrigal de Clitandre, la phrase est 
aussi mélodique et aussi carrée que ai elle était faite sur 
des vers. Quant au reste, j'avance assez lentement comme 
musique, parce que je veux, avant tout, que la coupe 
de mon dialogue soit bien arrêtée, et j'y travaille énor- 



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8A. VIB ET SES (fiirVttSB 135 

moment et partout \ la fois, avaot de riaa risquer 
comme cbast. J'ai déjà réglé plusieurs passages du dia- 
logue qui seront rameusement amusants ii mettre en 
déclamation notée. • 



Lettre du 17 mars 1874 : 

< J'ai écrit aujourd'hui toute une nouvelle scène de 
Gtorges Dandin. C'est celle où ce tIbuk tourlouro^t de 
Sotenville exige que son gendre fasse des excases & ce 
galopin de Clitandre. Cela me fait déjà presque Iiuît 
morceaux entièrement composés, sur dix-sept, et l'ouver- 
ture qui fera dix-huit, » 



Dans une autre brochure éditée à Londres par 
Madame Georgina "Weldon, on trouve de nom- 
breux détails et de précieuses iudications que 
Gounod donne lui-même sur ses œuvres et sur 
ses éditeurs. Malgré l'annonce du titre : auto- 
biographie de Charles Gounod, ce petit livre de 
116 pages n'est pas une biographie. C'est la 
réunion de plusieurs articles de Gounod, que 
l'éditeur, c'est-à-dire Madame Weldon, fait 
précéder d'une préface : — Ces articles, dit-elle, 
publiés ailleurs, en 1873 et en 1874, ont été écrits 
par Gounod, d'après ses propres souvenirs et ses 
propres expériences,.. — et Madame Weldon 
s'attribue, à tort ou à raison, une part de colla- 
boration pour les idées émises dans quelques-una 
de ces écrits. 

Le premier article sert d'introduction. U. traite 



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1S8 CHA.RLEB OOtlNOIJ 

de la routine en tnatiè^-e d'art. Viennent ensuite 
les chapitres intitulés : 

—Le public, Gounod cite des exemples pour 
démontrer l'empire de la Routine, soit chez les 
classes, soit chez les individus que l'on appelle 
éclairés. 

t — J'ai eu le bonlieur, dit-il, d'approcher Uendels- 
sohn, et le regret de ne le conna^ltTe que pendant quatre 
Jours que j'ai passés avec lui du matin au soir, k 
Leipzig, en mai 1813 

■ Je me rappelle, moi qui écrie ces lignes, avoir assistj 
tout jeune encore, k un des concerts de la Société du 
Conservatoire, où Mendelssohn se faisait entendre pour 
la première fois à Paria, comme pianiste, et jouait, de 
mémoire, le concerto en «i mineur de Beethoven, Je me 
soaviens qu'on disait partout : quel Jeu froid, sec, 
ennuyeux, sans charme et sans intérSt I A quelques an- 
nées de Ik, ce même Mesdelsaohn qu'on avait si judicieu- 
sement apprécié comme pianiste, faisait son entrée, 
comme compositeur dans les programmes des concerts 
du Conservatoire. On croirait que le descendant de Bach, 
de HaSndel et de Beethoven aurait dû fitre protégé par 
les ombres de ses aïeux, dont les œuvres, qui elles aussi, 
avaient eu leurs jours de latte, étaient enfin en honneur, 
et régnaient en souveraines dans ce sanctuaire du dilet- 
tantisme raffiné. Point. . . 

» C'était k qui renverrait ses billets k ta location, ou 
en ferait cadeau k ses amis, les jours oti on jouait les 
œuvres de Hendelssoha qui sont devenues célèbres, et 
qui font aujourd'hui les délices de tous les publics, 
mSme de celui du Canservatoire, pins conservateur que 
tout autre, et par conséquent moins pressé d'ouvrir aux 
novateurs les portes du temple, au siègent les anciens 
Dieux. * 



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SA. VIE ET SES (KUTREB 137 

— La critique. Ëst-elle bien utile, dit l'aateur 
de Faust, qai, à ca propos, raconte plusieurs 
anecdotes , et fait une profession de foi eu faveur 
,de Wagner : 

« Qutind R. Wagner vint à Paris pour t&cher d'y faire 
représenter on exécuter ses <BU7res, l'apparition du 
Tanhaiiter sur la scène du Orand-Opéra suscita une 
tempête fomiidsble. Je professais alors, et J'avoue que Je 
professe encore aujourd'hui une très grande admiration 
pour ce vaste cerveau et cette puissante organisation 
artistique. J'avais beau dire que Je ne prétendais pu 
que oe fut on soleil sans taches, on me répondait qu'il 
était un fou, et que j'en étais un autre; et lorsque la 
représentation du Tanhaiiser se fut achevée i. grand 
peine, au milieu d'une grêle de sifflets, plusieurs de mes 
amis me dirent d'un air goguenard et facétieux : Eh I 
bien, vous devez Stre satisfait ? Voilà un beau triom- 
phel — Mais, messieurs, répondis-je, pardon, ne 
confondons pas. Vous appelez cela une chute? J'appelle 
eeU une émeute ; c'est fort différent! Permettez-moi 
d'en appeler, et de vous donner rendez-vous dans dix 
uil devant la même CBuvre et devant le mâme homme , 
Tous leur tirerez votre chapeau. Une pareille œuvre ne 
•e Juge pas en une soirée. Au revoir; dans dix ans... 

< Je connais un critique qui a dit it propos de la 
musique de R. Wagner un des mots les plus sincdres et 
les plus honorables : cette musique m'exaspère, m'horri- 
pile, et pourtant elle me dégoûte de tout le reste. . . • 



— Les compositeurs chefs d'orchestre : Lee 
eompoeitenrs de musique doivent avoir la faculté 
de dirif?er, soit au théâtre, soit dans les grands 
concerte, l'exécution publique de leurs œuvres. 
Telle est l'opinion que soutient Gounod , 



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ISS CHARLES aoUNOD 

et à l'appui de laquelle il invoque les 
exemples donnés par Mendelssohn , Félicien 
David, Berlioz et Wagner. De nombreux audi- 
teurs ont vu ces maîtres à l'œuvre, le bftton de 
chef d'orchestre à la main. Cette intervention du 
compositeur ne saurait nuire à la dignité et à 
l'autorité du chef d'orchestre : 

t Le chef d'orchestre se considère-t-il comme indé- 
pendant du compositeur ? N'est-il pas avant tout l'inter- 
prète, le mandature d'une pensée qui n'est pas la 
sienne . . — 

c Onne s'imagine pas à quel point une dârogation, 
légère en apparence, aux conditions de mouTement, 
d'accent, de nuances, telles que l'auteur les a Conçues et 
voulues, peut altérer sa pensée et lui enlever son ex- 
pression et sa couleur jusqu'il la rendre parfois m^on- 
naissablel J'ai vu R. Wagner se débattant comme un 
lion furieux dans la loge du Directeur de l'Opéra, pen- 
dant la représentation du Tanhaiistr à Paris, et prêt, à 
tout moment, )i sauter sur la scène, et à escalader l'or- 
chestre, pour arracher le b&ton des mains du chef qui 
dirigeait l'œuvre tout au rebours des intentions du com- 
positeur. On ne sait pas que le chef d'orchestre est le 
principal interprète d'une œuvre musicale et que mieux 
vaut mille fois une troupe ordinaire avec un excellent 
chef d'orchestre, qu'un régiment d'étoiles, avec un chef 
d'orchestre inférieur.—* , 

Les autres chapitres du livre dont noue nous 
occupons sont intitulés : La propriété artistique, 
Les Auteurs, La Critique musicale anglaise, 
Georges Dandin (la Préface), Les Interprèti^s. 
L'Enseignement, Les Pères de l'Eglise de la 
musique. 



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SA VIB ET SES ŒUVRES 139 

C'est l'article sur la question de propriété 
artistique qui forme, dans la brochure, le chapitre 
le plus étendu et, sans contredit, le plus intéres- 
sant. L'auteur y parle de ses œuvres au point 
de vue commercial et, entr'autres choses, il nous 
apprend comment Faust fut élaboré, composé "et 
exécuté au Théâtre-Lyrique. — Sujet incompa- 
rable, dit-il, et pour lequel j'éprouvais une 
inclination passionnée I — Cette inclination 
datait de loin. Gounod avait lu Faust en 1838, à 
l'âge de 20 ans, et en 1839, il partait pour Rome, 
emportant le livre de Gœthe qu'il ne quittait pas. 

En 1855, c'est-à-dire seize ans plus tard, 
Gounod entre en relations avec MM. Jules Bar- 
bier et Michel Carré, et, comme première confi- 
dence, il leur fait part du désir ardent qu'il a 
d'écrire un Faust. MM. Barbier et Carré avaient 
jadis traité ce sujet pour le théâtre du Gymnase, 
et Frédéric Lemaître y avait rempli le rôle de 
Faust. Aussi saisirent-ils la balle au bond. Les 
pourparlers s'engagent, un rendez-vous est pris, 
les premières bases du livret d'opéra sont tracées. 
Gounod se met aussitôt à la besogne. — J'étais 
heureux, écrit-il, comme d'un mariage d'amour I 

C'est vers la scène du Lyrique que se tour- 
nent les espérances. Le directeur, M. Carvalho, 
accueille favorablement l'idée de monter l'o- 
péra sur son théâtre, et le compositeur, plein de 
zèle, achève, en moins d'un an, la moitié de sa 
partition. Gounod a appelé cette période, sa lune 
de miel de Faust, période heureuse, pendant 



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140 CHARLES OOUKOD 

laquelle l'acte du jardin fut composé. Hélas I Is 
ciel ne tarde paâ à se couvrir de uuagea ! Plut 
d'étoilea au firmament 1 La représentation de 
Faust est devenue impossible au Théâtre-Lyrique, 
parce que la Porte-Saint-Martin monte un autre 
Faust, c'est-à-dire un gros mélodrame, avec un 
grand luxe de mise en scène et de décors. Gon- 
nod voit s'évanouir devant lui, en un instant, le 
rdve de toute sa vie. Que faire f U va frapper à la 
porte du directeur de l'Opéra, Alphonse de 
Rojer ; démarche vaine I [*uis il retourne chez 
Carvalbo qui persiste dans son refus de jouer 
Faust, à cause de la concurrence de la Porte- 
Saint -Martin. Mais Carvalho offre une fiche de 
consolation. Voici comment Gounod rapporte la 
conversation qui s'échangea entre le directeur 
et lui : 

• Cherchgns an autre sujet, me dit M. Carvalho.— Obi 
Js o'ai de cœur à rien, r6pondi»-je.— Eh 1 bien, changes 
complètement d'atmosphâre, faites ane comédie, prenez 
une pièce de Molière ! — Ce nom de Molière fut pour moi 
le frappement du rocher, U baguette de Molae 1 — Ta 
pour Molière, die-je aussitôt ; quelle pièce î L« Mariage 
forcé ? Georget Dandin? Le Médecin malgré lui?— Le JMtfe- 
c»n/ reprit vivement mon interlocuteur. — J'allai trou- 
ver mes deux poètea, et il fut décidé qu'ils me feraient 
immédiatement, avec la pièce de Molière, un opêrveo- 
mique en trois actes. J'en écrivis la partition en cinq 
mois. . . . L'ouvrage fut mis en répétition ■ 

• La Comédie-Française récrimina,- cria h l'empiéte- 
ment sur son domaine. Son domaine ! (comme si Molière 
n'appartenait pas à l'humanité ! ) M. Pould, alors Hiniatr* 



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SA VIE ET SES ŒOVKBB 141. 

à'Btat, me fit rûre débnae d« Jouer mon ouvrage, et Je 
ne dus la levée de l'interdiction qu'aux instances de la 
princease Matliilde,)t qui,par reconnaiasanoe, je demandai 
la permission de lui dédier mon travail. . . > 



Cependant le Faust de la Porte-Saint-Martin 
avait été représenté. Ce mélodrame aussi lourd 
que fastueux n'avait pu réussir, malgré les dé- 
cors, malgré la brillante mise en scène, malgré 
tes flammes de Bengale répandues à profusion 
sur la scène, malgré les interprètes qui étaient, 
pour les rôles principaux, Rouvièrsi Domaine et 
M"' Luther (M»' Raphaël Félix). Cet échec ren- 
dit à Gounod les espérances qu'il avait perdues. 
11 retourna chez M. Carvalho et lui demanda ins- 
tamment de monter son opéra. — Plus d'obsta- 
cle, dit le Directeur ; nous pouvons annoncer 
notre Fatist. —Lq compositeur no se lefit pas dire 
deux fois. Il se remit au travail et termina l'œu- 
vre qu'il avait interrompue. 

La destinée des artistes dépend souvent de 
circonstances bien singulières. Si le Faust de la 
Porte-Saint-Martin avait fait de belles recettes, 
et cela n'était pas impossible, la partition de 
Gounod n'aurait peut-être pas été terminée. 
L'œuvre serait restée incomplète, enfouie à tout 
j'amais dans des cartons. La carrière du musicien 
en aurait-elle été entravée f Je ne sais. Dans 
tous les cas, elle aurait perdu une grande partie 
de son éclat. Mais le hasard est un grand maître. 



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148 CHABLBS GFOUNOD 

Faust fut sauvé, grâce à l'insuccèe d'un mélo- 
drame du boulevard. 

Les répétitions commencèrent au Théâtre-Ly- 
rique en octobre 1858. 



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FAUST 



Au mois de mai 1858, les journaux annoncô- 
rent la prochaine apparition de Faust. En sep- 
tembre, les rdles étaient distribués. Celui de 
_ Marguerite avait d'abord été réservé à M"" Ugalde, 
mais l'artiste le refusa. U lui plaisait mieux de 
jouer dans La Fée Carabosse, opéra do Victor 
Massé, dont les représentations devaient alterner 
avec l'œuvre de Gounod. 

M"' Ugalde avait créé avec un grand et légi- 
time succès le rôle de Galatée, cette statue qui 
s'enivre si bien en vidant l'amphore. Le rôle de 
Marguerite, cette douce et gracieuse jeune fille, 
aussi blonde que les blés, souriait moins à son 
talent endiablé. M°" Ugalde laissa la proie pour 
l'ombre. La Fée Carabosse n'eut qu'une exis- 
tence éphémère. Faust obtint le succès que vous 
savez. 

On donna le rôle de Marguerite à M"" Car- 
valho, et ce changement de distribution fut une 
bonne fortune pour l'artiste, pour le théâtre, pour 



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144 CHABLEa OOUKOD 

l'œuvre, pour les auteurs , et nous pourons 
ajouter aussi pour le public. M" Carvalho était 
riucarnatioa idéale du rôle de Margaerite. 

La distribution se complétait ainsi : Faust 
(ténor), Guardi. — Méphistophélès (baryton- 
basse), Balanqué. — Valentin (baryton), Reynald. 
— Wagner (baryton), Cibot. — Siebel (soprano), 
M"* Faivre. — Marthe (mezzo-soprano), M"* Du- 
dos. 

Les répétitions durèrent six mois, et furent 
très laborieuses. Dès le début, on s'aperçut que 
l'ouvrage aurait une durée trop longue pour la 
représentation. L'œuvre n'était pas au point. Il 
fallut remanier et supprimer plusieurs morceaux. 
C'est ainsi que l'on coupa au second acte un trio 
entre Faust, Siebel et Wagner; au troisièma 
acte, un duo entre Marguerite et Valentin ; au 
quatrième, une romance cbantée par Siebel ; au 
dernier acte, une partie du duo de la Prison. 

La scène de l'église faillit disparaître . La 
Censure s'offusquait de voir figurer, au théâtre, 
Satan derrière un pilier de cathédrale, sous les 
traits de Méphistophélès. En tolérant^ dans une 
église, la présence du Diable, avec un chœur de 
démons, on craignait de froisser les susceptibilités 
de la Cour de Rome. Cette scène ne fut sauvée 
que par l'intervention du Nonce apostolique, 
Monseigneur de Ségur, ancien condisciple de 
Gounod. 

Ce prélat aveugle assistait aux répétitions 
dans l'avaut-scène Impériale. II ne voyait rien, 



n,gti7cdT:G00glc 



SA. VIE ET SES ŒUVRES 145 

mais il écoutait avec ravissement cette harmo- 
nieofie moâiqae. Une conférence eut lien dana la 
loge. Monseigneur de Ségnr manda les censeare, 
la direction et les auteurs, et il se chargea 
d'arranger les choses. La scène de l'église fut 
maintenue. L'Ëvêque, touché par le talent de 
M*" Carvalho, lui fît remettre un livre d'heures, 
avec quelques mots de dédicace. 

De leur côté, les amis de Gounod conseillaient 
à l'auteur d'autres suppressions. A leurs yeux, 
certains détails devaient compromettre la réussite 
de l'ouvrage. L'acte du jardin surtout les 
effrayait. Cela pouvait tuer la pièce. Le quatuor 
et le duo étaient trop longs. Trop longue aussi 
la scène de l'église, et sans effet... La Mort de 
Valentin, après le trio du duel, c'était trop noir, 
etc., etc. 

—J'avoue, a dit Gpunotl, que je ne savais que 
répondre à ces prédictions décourageantes, sinon 
qu'elles ne me décourageaient pas.et que j'avais, 
dans l'émotion qui m'avait dicté ces différentes 
pages, le courage d'un enfant. — 

Autre incident! La première représentation 
était annoncée pour le mercredi 24 février, 
quand, àla répétition générale, le ténor Guardi 
fut pris d'une extinction de voix presque com- " 
plète. Les médecins appelés déclarèrent que 
l'acteur se trouvait hors d'état de pariûtre au 
théâtre pour quelque temps. Plus de ténor ! Plus 
de Faust ! et cet empêchement se produisait à la 
dernière heure, ù la veille de la représentation. 



n,gti7cdT:G00glc 



146 CHASLES QOUNOD 

GouQod désespéré, et ne sachant plus à quel 
saint se vouer, voulait créer lui-mâme son prin- 
cipal personna^, II était prât à chanter Faust. 
Pourquoi ne Ta-t-on pas encouragé dans sa ré- 
solution. Pouvait-on rêver, pour le rôle.un meil- 
leur interprète? À défaut d'une voix puissante, 
le public d'alors eut entendu une voix pleine de 
charme, bien faite pour soupirer, en demi-tein- 
tes, les mélodies amoureuses de l'acte du jardin. 
M. Carvalho, en qualité de directeur, s'opposa à 
l'aventure. Il se souvint d'un de ses anciens ca- 
marades, et proposa le rôle à Barbot. Le ténor 
apprit le rôle en 15 jours, et Fau^ fut ainsi 
donné pour la première fois, au Théâtre-Lyrique 
dn boulevard du Temple, le 19 mars 1859. 

On n'avait pas célébré la pièce à l'avance. Il y 
avait eu peu de réclames. — Cette œuvre capitale, 
écrivait Florentine dans le Constitutionnel, a été 
donnée à l'improviste. La veille, elle n'était pas 
annoncée. Dans la matinée de samedi, on ap- 
prend que Faust sera joué le soir. Une lettre fort 
courtoise de la direction prie la critique d'être 
exacte, le spectacle devant commencer à sept 
heures et demie. Fort bien t On se passera de 
dîner. C est le moins qu'on doive à M.Gounod. — 
Florentine était très gourmand. 

Mais si la foule restait indifférente, les artistes 
attendaient avec une impatiente curiosité cette 
première représentation. — On nous annonce 
pour la fin du mois le Faust de Gounod, écrivait 
Berlioz, le 13 février 1859, à son ami Morel (cor- 



n,gti7cdT:G00glc 



SA riE ET SES ŒUVRES 147 

respondance inédite). Ou en dit beaucoup de 
bien. — Peu de temps après, le 28 avril, Berlioz 
écrivait à Humbert Ferr&nd (correspondance 
intime) : — Je vous dirai que Faust de Gounod 
contient de fort belles cho8e3,et de fort médiocres, 
et qa'on a détruit, dans le livret, des situations 
admirablement musicales qu'il eût fallu trouver 
si Gœtke ne les eût pas trouvées lui même. — 

C'est en France, sur une place publique de 
Strasbourg, que Gœthe con(;ut l'idée de son 
poème. Il avait assisté à une de ces représenta- 
tions en plein vent, o£i des baladins traduisaient, 
en grossier patois, et avec charges et tours de 
force, la légende du Sorcier Faust. Le poète 
allemand fut frappé de cette fable, et il lui 
emprunta la forme et le fond de son chef-d'œuvre. 
Faust, le héros de la fable, n'est pas un mythe. 
Faust était un personnage vivant qui date du 
XVI' siècle. Après avoir fréquenté les universités 
aUemandes,^ il avait fait, selon l'usage, son tour 
d'étudiant, suivi de son fidèle Wagner. Pour 
remplir leur bonrse, les deux compères exploi- 
taient l'ignorance et la curiosité des badauds, en 
exécutant des tours d'adresse et de passe-passe. 
Ils voyageaient ainsi à travers l'Allemagne. Faust 
faisait passer Wagner tantôt pour une ombre, 
tantôt pour le diable en personne, sous le nom 
de Mépbistophélès. On évoquait aussi les ombres 
des grands personnages historiques, et, grâce 
aux trucs renouvelés de nos jours, aussi bien 
dans les salons que sur les foires, on épatait les 



n,gti7cdT:G00glc 



148 CHABLES QOUNOD 

passants, et on encaissait de belles recettes. C'est 
un pea l'histoire de Captiostro, de Mangin, et 
des firères Daveoport. Les deux compagnons 
menaient une existense joyeuse, tant et si bien 
qu'un jour, Wagner, sans doute pour enlever la 
caisse bien garnie, assassina son m^tre pendant 
son sommeil. 

Bans ces tournées artistiques , Faust avait 
acquis une grande renommée, comme savant, 
comme sorcier, et peut-être comme arracheur 
de dents. On l'appelait le Docteur Faust. C'est 
ainsi qu'on créa autour des faits et gestes de ce 
saltimbanque une légende, où l'on imputait à 
Faust les aventures les plus étranges et les plus 
invraisemblables. On centralisa sut son nom les 
anciennes croyances et les vieilles superstitions. 
De nombreuses publications forent consacrées à 
cette légende dont s'emparèrent aussi les théâ- 
tres forains. 

Envisagée dans ses traits essentiels, la fable 
de Faust est l'histoire de l'homme qui vend son 
&me aux puissances du Mal, afin d'obteuir, en 
retour, les jouissances terrestres. Notre mère 
Eve est la première victime- de ces séductions 
diaboliques. Cette légende se reproduit d'âge en 
âge. Elle a été résumée récemment dans une 
thèse présentée à la Faculté de Paris, par 
M. Ernest Faligan (Histoire de la légende de 
Faust). 

Après les écrivains, les librettistes et les com- 
positeurs s'emparèrent de ce vaste sujet, et,avant 



n,gti7ccT:G00glc^ 



SA VIB BT SES ŒUVEE6 149 

l'œuvre de Gounod, plusieurs Faust furent re- 
présentés sur les scènes allemandes. Dès 1815, 
Lickl et Strauss faisaient exécuter chacun an 
Faust. Celui de Spohr fut joué pour la première 
fois en 1818 ; celui de Seyfried en 1820 ; celui de 
Lindpaintner en 1831; celui de Rietz en 1838. 
En Italie , à Florence, Gordigiani donna un 
Faust en 1837. Il faut compter encore les dra- 
mes sjmphoniques de Schumann, de Berlioz et 
de plusieurs autres compositeurs. 

En 1827, le chef-d'œuvre de Gœthe fut trans- 
porté pour la première fois sur une scène fran- 
çaise, au Théâtre des Nouveautés. La musique 
était de de Béancourt. En 1831, M'" Berlin, fille 
du directeur du Journal des Débats,ût représen- 
ter un Faust au Théâtre-Italien. 

Le plus remarquable des opéras que nous 
venons de citer était celui de Spohr. Reprise plu- 
sieurs fois en Allemagne, et jouée à Londres, 
l'œuvre se maintint pendant plus de trente ans 
au répertoire, et fut exécutée sur les principales 
scènes d'outre-Rhîn.Elle était considérée comme 
un des chefs-d'œuvre de l'Ecole allemande. 

L'opéra de Gounod devait faire oublier tous les 
Faust du monde, y compris celui de Spohr. La 
partition se répandit dans toute l'Europe, et le 
succ^ du maître français vint égaler, sinon sur- 
passer, le succès du poème de Gœthe. 

MM- Barbier et Carré, auteurs du livret, ont 
suivi ce poème, en conservant ce qui tenait à 
l'action, et en élaguaut toutes les tirades, toutes 



%. f ^n,g -ccyGoogIc 



150 chaBleb gouxod 

les dissertations philosophiques, psychologiques 
ou métaphysiques. Ils ont écrit une pièce selon 
les habitudes du public français ; ils ont coupé le 
livret en tenant compte des usages de notre 
théâtre, et, eucela, ils ont intelligemment servi 
le musicien. Ils sont restés dans la bonne mesure, 
et se sont abstenus de traduire servilement, sur 
une scène française, le poème de l'auteur alle- 
mand. II ne faut donc pas comparer les person- 
nages de ce poème avec les rûles écrits pour 
l'opéra de Gounod. Si les auteurs du livret avaient 
trop penché du côté de Gœthe, leur Faus^ aurait 
pu devenir une pièce enuuyeuse. Est-ce que la 
traduction littérale du poème de Goethe en fran- 
çais ne procure pas, dans sa plus grande partie, 
l'ennui le plus profond ? 

Devons-nous analyser le livret de Faust, cet 
opéra si connu, dont les morceaux sont partout 
populaires ? Raconter Fn«s( / Cela paraît superflu. 
Nous en ferous cependant un résumé succinct, 
puisque notre plan comporte l'analyse des ceu- 
vres de Gounod, et que nous essayons de com- 
poser un catalogue aussi complet que possible. 
D'ailleurs, le livret primitif n'est pas conforme 
aux représentations actuelles. En 1859, Faust 
fut exécuté en opéra- comique, avec des dialogues 
parlés, et il n'est pas sans intérêt de comparer les 
deux versions. Reprenons l'opéra, tel qu'il fut 
joué au Théâtre-Lyrique : 

Au premier acte, qui sert de prologue, le Doc- 



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SA. TII ET SEg ŒUVRB8 151 

teur Faust est, dans son cabioet, revêtu d'une 
espèce de robe de chambre. H est vieux, courbé, 
et sa main tremble. U fait nuit. Fatigué par 
l'étude, dégoûté de la science, le Docteur veut 
se donner la mort. 

Scène et chœurs : En vain j'interroge 

he jour se lève. Faust salue son dernier matin, 
et, au moment ou il approche de ses lèvres une 
coupe remplie de poison, des voix de jeunes filles 
se font entendre au dehors : 

Paresseuses filles (Sopranos). 

Faust hésite à se tuer, mais le chœur s'éloigne, 
l'idée de suicide reparaît, et le Docteur lève de 
nouveau la coup© fatale. Seconde tentative 
d'empoisonnement interrompue par un second 
chœur déjeunes laboureurs : 

Atu: champs l'aurore noua rappelle (Ténors) 
.et les voix de jeunes filles semôlent.dansle loin- 
tain, au chœur des voix d'hommes, en chantant : 
Béni soit Dieu / 

Voilà une situation bien scénique. Drame et 
poésie. 

Dieul s'écrie Faust, il ne peut rien pour moi. 
Il appelle Satan, et Satan, arrive, non pas comme 
un diable sombre et farouche, à la fagon do 
Bertram, mais en diable gai, bon enfant, et 
sautillant comme un Maître, de Danse. 

Le duo s'engage. Méphistophélès promet ses 
services au Docteur. Il lui offre la richesse, la 



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153 CRA.HLRS QOUNOD 

gloire, la puissance. Non, répond le ténor, je 
Teuz la Jeunesse ! 

A moi les plaisirs, 

Lea jeunes ŒBltreeses. . . 

L'affaire s'arrange aux conditions, et selon les 
cérémonies d'usage. Il faut conclure un pacte 
avec l'Enfer, et signer un parchemin. Le Docteur 
hésite. Alors le fond du théâtre s'ouvre, et 
Marguerite assise devant son rouet, apparaît 
derrière un transparent lumineux. merveille I 
dit Faust, et il signe avec enthousiasme. La 
houppelande du vieux docteur tombe, et laisse 
voir un jeune cavalier, élégamment vêtu. Les 
deux compères reprennent ensemble : A moi les 
jD^at5iV5... et ils sortent pour revoir Marguerite. 

Le dialogue parlé ne figure pas dans ce ta- 
bleau. On joue aujourd'hui, ce premier acte 
comme on le jouait en 1859, ou à peu près. 

Le second acte commence par la kermesse. 
Le théâtre représente une des portes de la ville. 
 gauche un cabaret. Au chœur d'étudiants 
(basses) : 

Vin ou bière 
BiSre ou vin 

succède un chœur de soldats (basses) : 

Filles ou fortereseea 
C'est tout un, morbleu 1 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VlB BT SES ŒUVRES 153 

Un groupe de bourgeois arrive (ténors). C'est 
le chœur des vieillards : 

Aux jours de dimanche et de fête. . . 



Autres chœurs : 

Jeunes filles (sopranos); Voyes ces hardis 
compères. — Etudiants (ténors) : Voyes ces jeunes 
gaillardes. — Matrones (sopranos) : Voyes, après 
ces donselles... — et toutes ces vois se réunissent 
dans un ensemble général. C'est un grand et 
éclatant tutti fort bien agencé. Dans le livret 
primitif, un mendiant, dont la partie vocale alter- 
nait avec les chœurs, circulait nu milieu des 
groupes. Le mendiant a été supprimé. 

Après la kermesse, le dialogue parlé continue 
l'action. Valentin, le frère do Marguerite part 
pour la guerre. Il passe à son cou la médaille que 
sa sœur lui a donnée. Pauvre orpheline! elle 
restera sans appui. Maïs Siebel promet d'être son 
protecteur, eu l'absence de Valentin. Faust et 
Méphistophélès reparaissent, et se mêlent aux 
groupes. Tout cela se passe sans musique, jus- 
qu'aux strophes de Méphistophélès : Le veau d'or 
est toujours debout l après lesquelles le dialogue 
est repris à nouveau. 

C'est en parlant que Satan fait, à la ronde, ses 
prédictions sinistres : Wagner sera tué en mon- 
tant à l'assaut; Valentin périra en duel; Siebel 
ne touchera plus à une fleur sans la flétrir.— Es- 
tu le diable î s'écrie Valentin. — Les épées sa 



n,gti7ccT:G00glc 



154 CHABLSS QOUNOD 

mettent en croix, et Satan recule avec force 
génuflexions. La musique reparaît avec le 
chœur : 

C'est nue croix, qui de l'enfer 
Nous garde t 

Resté seul aTecFauat,Méphistophélès annonce 
l'arrivée de Marguerite. Toute cette scène est 
parlée. Mais la valse se fait entendre, et la musi- 
que ne cesse plus qu'avec la chute du rideau. 
Jeunes filles, étudiants, bourgeois envahissent 
la scène. Le chœur (sopranos, ténors, basses) 
marque, en marchant, la mesure de la valse 
chantée : 

Ainsi que la brise légère. . . 

La danse, interrompue par l'entrevue de Faust 
et de Marguerite (Ne permetlres-vous pas, ma 
belle demoiselle), est reprise ensuite jusqu'à la 
fin de l'acte. 

Au troisième acte, le jardin de Marguerite 
{jardin charmant, parfumé de myrte et de rose). 
Au fond, un mur percé d'une petite porte- A 
gauche, un bosquet; à droite;' un pavillon, dont 
la fenêtre fait face au public. C'est l'acte de la 
séduction, l'acte du quatuor et du duo d'amour. 
Marguerite ne sortira pas chaste de cette 
épreuve, infligée par Satan. 

Siebel, au début de cet acte où le dialogue 



n,g -ccT'GoOgIc 



gA VIE ET sua ŒUVRES 155 

prend une place importante, veut faire un bou- 
quet pour Marguerite. Les fleura se fanent sous 
sa main ensorcelée. Il trempe tes doigts dans le 
bénitier, et le sortilège cesse. La scène du béni- 
tier est une scène parlée. Les deux couplets de 
Siebel : Faites-lui mes aveux ne sont pas enca- 
drés dans le délicieux récitatif que nous enten- 
dons aujourd'hui. La prose, la vile prose, 
remplace la musique jusqu'à l'arrivée de Mar- 
guerite. Ce dialogue, interrompu un moment 
par la cavatine de Faust ; Salul ! detneure 
chaste et pure..., recommence, comme pour jeter 
de l'eau froide sur la partie musicale. Dans le 
livret primitif, la cavatine n'était pas précédée 
de la courte introduction : Qud trouble inconnu 
me pénètre... 

Faust et Méphistophélès ont péaétré dans le 
jardin. La cassette remplie de bijoux a été pla- 
cée près du bouquet de Siebel. — Nous verrons, 
ditle Diable,'qui l'emportera do l'écrin ou du 
bouquet. — Serpent! répond le jeune homme 
amoureux. 

Dans sa soirée d'adieux, à l'Opéra, en juin 
1885, M"* Carvalho portait, à l'acte du jardin, le 
petit coffret qui avait figuré au Théâtre-Lyrique 
en 1859. L'artiste b'a jamais voulu se séparer de 
cette cassette qu'elle garde comme un souvenir 
précieux de son succès. 

Satan adeviné. Marguerite préfèrerales bijoui 
du diable aux fleurs de Siebel. Pauvre garçon ! 

Faust et son compère se cachent dans le jar- 



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156 CH4BLES GÛUNOD 

din. Marguerite entre par la porte du fond, et 
descend pensive jusque sur le devant dé la scène. 
Elle s'asKîed près de sourouet^ et chante lachan- 
son du Roi de Thulê, en s'interrompant et en 
reprenant son air. C'est l'obsession amoureuse. 
Elle voit le bouquet, puis les bijoux dont elle se 
pare : 

Àhl je ris de me voir 

Si belle, en ce miroir. . . 

' Toute la scène de Marguerite est en musique. 
I^e dialogue parlé reprend après l'air des bijoux 
pour ne finir qu'au quatuor. Confidences de Mar- 
guerite à la vieille Marthe. La duègne ne man- 
que pas d'expérience. A la vue des bijoux, elle 
dit : — 11 y a quelque amoureux ià-dessous. 
Voyons, contez-moi çà... — 

Faust et Méphistophélès se présentent. Satan 
se charge d'éloigner la vieille. 

Quatuor ; Prènes mon bras... 

Les couples se pronîènent dans le jardin, pas- 
sent et repassent en devisant d'amour. La lilne 
se lève, et le jardin s'éclaire peu à peu. 

Je néglige une longue scène parlée qui vient 
ensuite dans le livretprimitlf (l)et qui se passe 
entre Marthe, Siebel et Méphistophélès. Celui-ci, 
caché dans le feuillage , se home à faire quel- 
ques a parie. 



(1) Après le mot serBtleur. Voyei page 134 de U par- 
tition (4" êditioD). 



n,gti7cd3ï Google 



SA VIE ET SES ŒUVEBS 157 

Faust est resté seul ^veo la jeune fille. Le 
dialogue continue : — Il se fait tard, adieu, dit 
Marguerite. — Faust répond : — Eh! quoi, ne 
pourrais-je passer une heure avec toi, ô Mar-, 
guérite l Ne me ravis pas sitôt mon bonheur; 
laisse ma main s'oublier dans la tienne. — Et le 
duo commence par ce» mots : Je veux contempler 
ton visage. Ce duo termine l'acte. On connut le 
dénouement.Marguerite est entréedans sa cham- 
bre. Elle est à sa fenêtre, et la toile tombe au 
moment où. la jeune ^e, aprèâ an premier bai- 
ser, laisse, toute haletante, retomber sa tdte sur 
l'épaule de Faust qu'elle a elle-môme rappelé. 
C'en est fait, et Satan ricane. 

Le quatrième acte comprend trois tableaux. 
Nous sommes d'abord dans la chambre de Mar- 
guerite. Elles ne sont plus là, chante la jeune 
fille en faisant allusion à ses compagnes. Au 
dehors, on entend un chœur de jeunes fillesc 
(sopranos) qui s'éloignent en riant aux éclats. 
Marguerite n'a pas à compter sur l'indulgence 
de SCS amies. Délaissée après sa faute, elle se 
met au rouet et file. Air : // ne revient pas. (1) 

Entre Siebel. Reprise du dialogue parlé jus- 
qu'à la fin du tableau. Marguerite raconte à Sie- 
bel, à son jeune protecteur, le départ de Faust ; 
— • J'étais agenouillée près du berceau, et .je lui 
disais : regarde cet ange que Dieunous a donné ! 

(1) Cet «ir avait été supprimé. Il a été rétabli dana 
ees derniers temps aux représentations de l'Opéra. 



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158 CHARLES OOUNOD 

Son compagnon est entré et l'enfant s'est éveillé 
en poussant des cris. Alors ils sont partis...— 

Cette scène comprenait nne romance en deux 
couplets, de Siebel : Verses vos chagrins dans 
mon âme. Cette romance a été chantée aux re- 
présentations de Faust, en Angleterre, mais je ne 
crois pas qu'elle ait jamais, en France, fait partie 
du rôle de Siebel. Bans tous les cas, elle a été 
coupée avant la première représentation de 1859. 

Marthe survient. Elle annonce le retour de 
Vatentin et de ses compagnons. 

Deuxième tableau : Une place publique ; la 
maison de Marguerite ; au fond, une église. Les 
soldats arrivent avec Valentin. Chœur : Déposons 
les armes, suivi du chant devenu populaire : 
Gloire immortelle de nos aïeux (Basses, pre- 
miers et seconds ténors). 

Après le départ des soldats, le dialogue parlé 
reprend jusqu'à la sérénade. Siebel apprend à 
Valentin le malheur arrivé à Marguerite. Valen- 
tin furieux pénètre chez sa sœur. Méphistophélès 
et Faust rentrent en scène. Celui-ci a des re- 
mords. Il veut revoir sa bien-aimée et se dirige 
vers la maison. — Laissez-moi vous annoncer , 
cher Docteur, dit Satan. — Il écarte son manteau, 
et chante la sérénade, en s'accompagnant d'une 
guitace : Vous qui faites rendormie... 

La fin de ce second tableau, et tout le troisième 
tableau sont traités en musique. Pas de dialogue. 
Après la sérénade, le trio du Duel ; Que voule3- 
vous, Messieurs ? suivi de la mort de Valentin ; 
Par ici mes amis (Marguerite, Siebel, Marthe, 



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SA VIE ET SES ŒCVRES 159 

Valentin, chœur de Bourgeois, sopraaos, ténors 
et basses). 

Quand Valontia est mort et emporté, quand la 
foule a disparu , l'église qui sert de fond au 
tableau s'ouvre d'elle-môme, et l'œil découvre 
l'intérieur de l'édifice. Ce truc de féerie eut ua 
grand succès au Boulevard du Temple. Cest le 
troisième et dernier tableau du quatrième acte; 
c'est la grande scène de l'Eglise où l'orchestre 
répond à l'orgue et l'orgue à l'orchestre, oii le 
chœur religieux (sopranos, ténors) alterne avec le 
chœurde démons (basses).L'Bafer a envahi le lieu 
Saint. Satan, sous les traits de Méphistophélès, 
caché derrière un pilier, empoche Marguerite de 
prier Dieu, et la pousse au désespoir : Souviens- 
toi du passé... 

Aujourd'hui, à l'Opéra, la scène de l'Eglise est 
le second tableau du quatrième acte qui se ter- 
mine par le chœur des soldats et la mort de 
Valentin.Quel est l'ordre qu'il convientd'assigner 
à ces doux tableaux t Sur ce point de mise en 
scène, la lumière nous est venue, devinez d'oii et 
ne riez pas ? Elle nous est venue des Iles Baléa- 
res ! Consulté à ce sujet par le chef d'orchestre 
du théâtre de Port-Mahon, Gounod a répondu, 
par la lettre suivante : 



« Monsieur le Maestro, 

« L'ordre dramatique observé par Goethe exige 

que la scène de la mort de Valentin précède la ScHte de 
fEglise, et c'est ainsi que moi-même j'ai conçu mon 



n,gti7cdT:G00glc 



160 CHARLES OOUNOD 

oaTDige. Cependant, certaines considérations de mise en 
scène ont ^t intervertir cet ordre, et, anjourdliui, au 
Orand-Opéra, c'est la mort dt Valentin qui termine Le 
quntriëme acte. On 7 trouve l'avantage d'une fln d'acte 
avec des masses musicales, au lieu d'une scène à deux 
personnages. 
< Agréez, etc. Ch. Ooumod. * 



Revenons au livret primitif et à la représenta- 
tion de 18&9 ; 

Le cinquième acte, avec ses changements i 
vue, ne contient plus de dialogue parlé. Nous 
sommes dans les montagnes du Hartz. C'est la 
nuit de Walpurgis. Chœur des feuz follets : 
Dans les bruyères... (sopranos). 

Satan a entraîné Faust dans son empire.Faust, 
rempli d'effroi, veut fuir. Méphistophélès la ras- 
sure. D'un geste, il éclaire le tableau. 

Les montagnes s'effondrent et le théâtre re- 
présente un superbe palais, au milieu duquel se 
dresse une table richement servie et entourée des 
courtisanes de l'Antiquité. Un dessin du journal 
l'illustration, nijméro du 2 avril 1859,donne une 
idée de la mise en scène des premières repré- 
sentations de l'ouvrage. 

Chœur : Que les coupes s'emplissent (sopra- 
nos), et Faust, pour oublier ses amours, prend 
place au festin. Il saisit une coupe et chante 
deux couplets accompagnés du chœur : 

Doux nectar en ton ivresse 
Tiens mon cœur enseveli.... 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 161 

Bientôt le souvenir de Marguerite lui revient. 
II l'appelle. La nuit envahit le théâtre, les cour- 
tisanes s'enfuient, le palais s'écroule pour faire 
place à la vallée du Brocken. L'image de Mar- 
guerite se montre un instant sur un rocher. 
Faust veut revoir sa bien-aimée. Il entraîne Mé- 
phistopbétè^ à travers les démons et les mons- 
tres qui cherchent à lui barrer le passage. Un 
groupe de sorcières entre en scène. Danse et 
chœur des sorcières autour d'une chaudière rem- 
plie d'un liquide flamboyant. Le fantastique est 
à son comble I 

Le quatrième changement de décor nous 
conduit dans la prisdn de Marguerite. L'infor- 
tunée jeune fille est couchée sur la paille, à 
moitié endormie. Faust et Méphistophélès vien- 
nent la chercher pour la sauver de l'échafaud. 

Le désespoir égara sft raison. 

Son pauvre enfant 1 Dieu 1 Tué par elle I 



Elle refuse de les suivre. Duo : Oui, c'est toi 
que faime, suivi du trio final ; Anges purs, anges 
radieux. Les murs de la prison s'ouvrent pour 
l'apothéose. Chœur général (basses, ténors, so- 
pranos) : voix célestes ; chant de Pâques : Christ 
est ressuscité. L'âme do Marguerite monte au 
ciel, au milieu des fiammes de Bengale, Faust 
SG prosterne en prières, et Méphistophélès reste 
à demi renversé sons l'épée vengeresse do l'ar- 
change. 



n,gti7cdT:G00glc 



162 CHARLES OOUMOD 

Cette analyse du livret primitif et ce compte 
rendu de la première représeatation on 1859 ont 
quelque utilité au point de vue rétrospectif. Que 
le lecteur prenne la dernière édition de Faust ; 
en se reportant, tableau par tableau, acte par 
acte, à notre résumé, il verra les modifications 
apportées à l'œuvre telle qu'elle est représentée 
aujourd'hui à l'Opéra de Paris. En suivant le 
livret, scène par scène, nu remarquera que la 
partition a été augmentée et remaniée avec une 
grande intelligence du théâtre. C'est ,que Fauttt, 
œuvre lyrique, ne s'accommodait guère avec la 
prose. Le dialogue parlé venait trop souvent, et 
aux meilleurs endroits, interrompre sèchement 
la partie musicale. Faust n'était pas fait pour 
être joué en opéra-comique ; le sujet âe s'y 
prêtait pas. Sans doute, ce mode de représenta- 
tion s'imposait alors au théâtre du Boulevard du 
Temple. Toujours est-il que le dialogue nous 
semble, à nous qui connaissons Touvrage par 
l'Opéra, un véritable contre-sens. 

Le croirait-on? Faust fut accueilli sans 
enthousiasme. Comme Sapho, le nouvel opéra 
de Gounod était en avance sur son temps. Il 
déroutait les habitudes du public, des chanteurs 
et des critiques. Ce ne fut qu'une sensation, pour 
nous servir d'une appréciation bien juste, dite 
par l'auteur lui-même. L'ouvrage aurait même 
sombré sans le chœur des vieillards et le chœur 
des soldats. La scène du jardin, qui, à notre 
sens, est l'œuvre la plus saisissante de toutes les 



n,g1,7ccT:G00glc 



SA VIE ET ses ŒUVRKS W3 

œuvres de Goiinod, ne fut pas comprise par le 
public. Le chœur des soldats au contraire pro- 
duisit un grand effet. Ce fat comme un clou qui 
sauva l'opéra de l'indifférence générale, et 
l'éleva au-dessus d'un succès d'estime. —Que 
c'est beau ! s'écriait-on. Quelle couleur ! Comme 
c'est bien allemand ! — On ne savait pas que le 
chœur des soldats n'avait pas été composé pour 
Faust. Ce chœur n'était pas un chant de 
guerriers allemands, mais un chant de soldats 
cosaques, qui faisait partie d'un opéra, écrit sur 
le livret d'Henri Trianon, et intitulé Yvan de 
Russie ou Yvan le Terrible. 

Gounod avait presqu'entièrement terminé cette 
partition en octobre 1857. Au mois de novembre 
suivant, les journaux annonçaient que le compo- 
siteur, dont la santé avait donné de graves inquié- 
tudes, était complètement rétabli, et qu'il avait 
la, ou plutôt chanté, devant A. de Royer, direc- 
teur de l'Opéra, ud grand ouvrage : Yvan le Ter- 
rible. Telle est l'histoire du chœur des soldats de 
Faust. 

Yvan le Terrible ne fut pas représenté, mais, 
comme les morceaux en étaient bons, Gounod les 
utilisa soit dans Faust, soit dans d'autres œuvres. 

Voyons maintenant l'opinion de la critique sur 
Faust, après la première représentation du 19 
mars 1859. Les feuilletons sont nombreux et 
contiennent des opinions bien divergentes. Nous 
n'en citerons que quelques-uns, parmi les prin- 



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CHARLES aODNOD 



cîpaux. Commençons par le compte rendu de 
Berlioz, dans le Journal des Débats. L'article est 
très favorable à Gounod : 



t Voici les nombreuses beautés que je puis signaler 
dans la partition de Fautl , après l'avoir entendue deux 
rois.et en commençant par constater le grand et lâgitime 
succès qu'elle a obtenu. Dans l'introduction instromen- 
tale qui remplace l'ouverture, se décèle le savant harmo- 
niste. Le caractère de ce morceau est celui d'une triste 
rêverie ; il fait vivement saillir la fraîche et joviale villa- 
nelle qu'on entend bient&t après. Le solo de Faust, ac- 
compagné des instruments de cuivre succède k cette Jolie 

cliansou rustique Après l'apparition de Mèphisto» 

ptiélès, ce prologue se termine par un duo dont le style 
ne parait pas assez releva ; il est instrumenté d'ailleurs 
avec trop de violence, les violons crient trop constam- 
ment dans le baut. 

« Le premier acte s'ouvre par on chœur populaire 
plein d'entrain , dont le thème préparé par les ténors, 
passe ensuite aux soprani et circule dans les diverses 
parties vocales avec une aisance et un brio remarquables. 

( A la acâne de la fontaine de vin , on entend un beau 
chœur d'hommes d'une rare énergie, et dont te thème re- 
vêt avec bonheur et à-propos la forme des chorals. La 
couleur religieuse de ce chant se trouve parfiùte- 
ment justiâêe par l'intention des chanteurs de conju- 
rer le mauvais esprit. 

< Bien de plus naturel et de plus gracieux que la phrase 
de Marguerite si délicieusement dite par M** Carvalho h 
son entrée : Je ne suis demoiselle, ni belle. 

( Je ne puis me rappeler la forme ni l'accent du petit 
morceau chanté par Siebel cueillant des fleurs dans le 
jardin de Marguerite. 

( L'air suivant de Faust : Salut, demeure ehaatê «t 



n,g -ccT'GoOgIc 



SA VIS ET SES ŒUVEES 165 

pure, m'a, an contraire, beaucoup touché. C'est d'un beau 
sentimeQt, trSs vrai et tr&s profond. Le violon flolo qui 
accompagne le chant du ténor nuit peut-Stre plus qu'il 
ne sert à l'effet de l'ensemble, et je crois que Duprez 
avait raison, quand il dit un}our, ii propos d'une romance 
où un instrument aolo l'accompagnait ou plutôt l'impor- 
tunait dans l'orchestre : < Ce diable d'instrument, avec 
ses traita et ses variations, me tourmente comme une 
mouche qui bourdonnerait autour de ma tète et voudrait 
toujours se poser sur mon nez. d 

* Ici pourtant l'instrument solo n'exécute pas précisé- 
ment des traits et des variations ; il est même employé 
avec réserve. Quoi qu'il en soit, l'air, je le répète, est 
délicieux. On l'a applaudi, mais pas assez : il méritait 
de l'être vingt fois'davantage. 

t ... La chanson du roi de Thulé est écrite dans un des 
tons du plain-chant, ce qui lui donne un tournure gothi- 
que bien motivée; elle est interrompue par un court 
récitatif, et cette interruption ne me semble pas suffi- 
samment motivée : je voudrais entendre la jeune fille 
chanter tout droit sa vieille chanson. 

« .,. Mai^uerite chante un morceau doux et gracieux, 
après avoir essayé la parure qu'elle a trouvée dans un 
toSrot, et l'on entend en même temps des coups sourd» 
de cymbales et de grosse caisse . L'auteur a certainement 
eu ici une intention, mais je ne la devine pas. 

t Tout est bien frais, bien vrai, bien senti, dans le 
quatuor entre Méphisto, la vieille Marthe, Mai^uerite et 
Faust. Cette belle scène eût pu être mieux disposée pour 
la musique par les auteurs du lîbretto; telle qu'elle est, 
le compositeur l'a supérieurement rendue. Rien de plus 
dous que l'harmonie vocale, si ce n'est l'orchestration 
voilée qui l'accompagne .Cette isharmante demi-teinte, ce ■ 
crépuscule musical caressent l'auditeur, le charment, le 
fascinent peu h peu, et le remplissent d'une émotion qui 
va grandissant jusquli la fia. Et cette admîr^le pag« 



n,gti7cdT:G00glc 



160 CHABLES QOUNOD 

est couronnée par un monologue de Marguerite k sa 
fenêtre, où la pasaîoh de la jeune fille éclate à la péro- 
raison en élan de cœur d'uae grande éloquence. C'est li>, 
je cioia, te chef-d'œuvre de la partition. 

< Dans ce morceau où d'ingénieux enlacements 
enharmoniques amènent de ai beUea modulations, te 
timbre du cor et des flûtes est emplojé avec le plus 
grand bonheur. Dans un passage du morceau précédent, 
au contraire, à ces mots : Pétioité du ciel I l'intervention 
des trombones me parait moins heureuse. 

< Le troisième acte s'ouvre par la romance de Mar- 
guerite abandonnée. Elle est assise à son rouet et &le. 
De quoi s'agit-il? De la douleur profonde de la pauvre 
enfant, de son amour dédaigné, des angoiaaes de son 
cœur. Le musicien ne doit là songer à exprimer rien 
autre chose. Pourquoi donc avoir encore introduit dana 
l'accompagnement cette espèce de ronron qui veut 
imiter le bruit du rouet î Schubert fut peut-Stre excu- 
sable, dana un morceau de chant non destiné au tbéUre, 
de vouloir bien faire penser au rouet qu'on ne pouvait 
voir. (Si tant est que l'idée du rouet ait la moindre im- 
portance). Mais dans l'opéra, on le voit, Marguerite file 
en réalité; l'imitation n'est donc nullement nécessaire. 

Le chœur des compagnon de Valentin r Déposons ks 
armes, eat joli ; le thème de la marche, richement ins- 
trumenté d'ailleurs, manque de distinction. La phrase 
épisodique du milieu est ingénieusement accompagnée 
d'un dessin d'ophicléide au grave. Le crescendo de ren- 
trée qui ramène le thème devrait être, à mon sens, un 
peu plus long et faire attendre et désirer davantage 
l'explosion finale. 

1 Cette marche a été redemandée k grands cris, et l'on 
a peu applaudi l'air exquis de Faust au deuxième acte !!! 

» La sérénade de Méphistophélès est peu saillante. On 
a remarqué pluaieura psaaages d'une excellente intention. 
dramatique dans l'ensemble de la scène de la mort do 



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SA VIE ET SES (KDVBES 167 

Valentin. Celui ; Ce qui doit arriver arrive à Fheure dite, 
est accompagné de siaistres harmonies, puis les trom- 
bones jettent de beaux cria d'horreur, et l'enaeinble des 
cris du peuple tennîne supérieurement ce beau morcea^. 
C'est grandiose. La scène de l'église, avec l'orgue et les 
chants religieux mSlês aux imprécations de Méphisto, 
est supérieurement traitée. > 

■ Le cinquième acte est précidé d'an entr'acte instru- 
mental trop long. Ce n'est pas à minuit moins an quart, 
quand il a encore de si terribles choses à nous dire, que 
le compositeur doit s'amuser à faire jouer des solos de 
clarinette. 

Cet acte toutefois est fort court. La fameuse scène de 
Ift prison l'occupe presque seule. La tftcbe du musicien 
était ici bien difïïcile à remplir ; ce désespoir affreux, 
cette fille folle couchée sur la paille, ces cris désespé- 
rés, les supplications inutiles de Faust, tout cela est 
trop tendu, trop violemment, trop physiquement dou- 
loureux pour la musique. Puis, quand Méphistophélés 
survient et crie : < Hâtez-vous ! mes chevaux s'impa- 
tientent ! ï il faut une rapidité d'interjections, une 
accentuation brève, impérieuse, sifflante, sî Je puis ainsi 
parler, qu'on ne sait comment obtenir des chanteurs, 
surtout en France où ils filent des sons dans les récita- 
tifs pour dire : «oui ! non 1 tu mens ! viens donc ! > 
Apres quatre heures de musique, on éprouve toujours 
une grande fatigue. En conséquence, de cet acte, à dire 
vrai, je n'ai qu'une idée confuse et j'ai besoin de l'enten- 
dre k nouveau avant d'en parler. > 



Voici maintenant des fragments de l'articlo 
publié par Scudo, dans la Revue des Deux-Mon- 
des : — Les seules choses remarquables du 
premier acte, dit ie critique, sont : une petite 
symphonie pastorale qui annonce l'arrivée du 



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168 CUA.BLBS QOUNOb 

jour, un chœur matiual qui se chante derrière la 
coulisse, et quelques détails d'orchestre pendant 
la vision de Marguerite. Au second acte, le réci- 
tatif de Valeotin, 2iinsi que le chœur qui en forme 
la conclusion (chœur des épées), est de ce style 
solennel et court qui rappelle les oratorios 
d'Ha€ndel. La valse avec chœur est charmante et 
délicieusement instrumentée. Ce morceau, avec 
le chœur des vieillards, forme les deux parties 
saillantes du second acte. — 

La cavatine de Faust, au troisième acte, qui 
avait si profondément ému Berlioz, ne plaît pas à 
Scudo ; 

• L'air daoB lequel Faust s'efforce d'exprimer le ravia- 
Bementoù l'amisla vuede lajaunefllledont il va briser 
la destinée, n'a de remarqiiable qu'un accompagnement 
discret et délicat, où l'on distingue un Tiolon solo qui 
en suit les contours, mais le dessin de l'idée eât vagae 
et flotte incessamment entre la mélopée, et la mélodie 
proprement dite. C'est le défaut constant de U. Gou- 
nod. Tel est aussi le défaut qu'on peut reprocher à tout 
ce que chante Marguerite, lor'sque, rentrée dans sa petite 
maison, elle trouve la fatale cassette remplie des bijoux 
précieux dont elle se pare avec tant de bonheur. ■ 

Le quatuor du jardin lui sug-gère les restric- 
tions suivantes : 

• Comment M. Goanod a-t-il traité cette situation 
unique ? Comment a-t-îl fait parler ces quatre person- 
nages divisés en deux groupes, l'un composé de Marthe 
et Méphietophélès, exprimant le désabusement et la mo- 



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SA VIE ET SES ŒUVRE3 109 

querie ds 1& *ie, l'autre de Marguerite et de Faust, effeuil- 
lant la fleur de l'idëal et s'enivrant de ses parrums ? Le 
musicieu a-t-il trouvé un thâme saillant aur lequel il ait 
pu jeter toutes les fleura de ea fantaisie, tous les cris de 
son cœur, sans interrompre lefll du discours commencée 
A-t-il fait un de ces morceaux savants dont l'unité de 
conception n'empâche pas la variété des modes, un mor- 
ceau d'ensemble comme le trio du Pré aux Cltrc», le qua- 
tuor de Zampa et tant d'autres que Je pourrais citer ? 
Non, ce n'eat pas ainsi que procède le musicien, et dans 
toute la scène dont nous venons de parler on ne remar- 
que guère qu'uoe harmonie fine et choisie, et parfois des 
bouffées d'aooeuts et d'acuords d'une suavité pénétrante 
qui rappellent le style de Mozart. 

« Les mêmes qualités gracieuses et le mêmedéfautd'u- 
nité se retrouyent dans la scène d'amour qui suit entre 
Faust et Marguerite, qui se retire ^ns sa chambrette. 
Ce n'est pas uc duo, c'est un dialogue libre et passionné 
dont l'aceompagnement surtout renferme des harmonies 
et des sonorités raviasantes. • 



La marche, critiquée par Berlioz, est, an con- 
traire, approuvée par Scado. 

« Le chceur de Soldats qui accompagnent Valentin et 
qu'annonce une belle marche militaire, est un chef- 
d'ceuvre du genre. Le chœur est redemandé tous les 
soirs par le public charmé. Il n'en advient pas autant à 
la sérénade que Mé phi s top hélés veut ricaner à la porte 
de Marguerite, car c'est un morceau insignifiant, qui 
prouve décidément que le diable ne porte pas bonheur \ 
M. Oouuod. 

t Le trio du duel entre Valentin et Faust, aidé sour- 
noisement de Méphistophélds, aurait pu être d'une cou- 
12 



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170 CHABIES aOUNOD 

lear plus franche et plus satanique. Je préfSre la scène 
où Valentin expirant maudit sa sœur... Ce récitatif ha- 
letant de Valentin, avec les murmures du choeur qui en 
absorbe les éclats, est d'un bel effet sans donte, mais trop 
écourté et laissant à désirer un développement plus 
grandiose. A ce tableau pathétique en succède un autre 
qui en est la contre-partie : je veux parler de l'admirabla 
Bcàne qui représente Marguerite priant daas l'église, et 
qui, danslepoftme de Oœthe, est d'une beauté sublime. Il 
ne nous semble pas que M. Gounod ait tiré tout le parti 
possible du contraste que lui offrait cotte situation uni- 
que dont on a tant abusé depuis. Les reproches amers 
du mauvais esprit, les sanglots de la pauvre flUe repen- 
tante et le chœur invisible qui chante la terrible prose 
du Dits ira avec l'accompagnement de l'orgne, ne forment 
pas.dans la composition de U. Oonnod, un ensemble puis- 
sant à la hauteur de la conception du poète. Je louerai 
cependant le cri de ij^sérîcorde que pousse Marguerite 
éplorée... 

« Je ne trouve rien k signaler dans tont le cinquième 
acte que quelques passages du duo de la prison de Faust 
et Marguerite, particulièrement la terminaison en trio, 
lorsque Mêphiatophëlès vient presser le départ des 
deux amants. ■ 

Après avoir discuté les tendances du composi- 
teur et son interprétation musicale du person- 
nage de Méphistopbéiès, le critique de la Revue 
des Deux-Mondes ajoute : 

• Ce qu'on ne saurait trop louer dans l'œuvre de M. 
Gounod, c'est la distinction constante du style, c'est la 
goût parfait qui éclate dans les moindres détails de cette 
longue partition, c'est le coloris, l'élégance suprême et 
la sobriété discrète de l'instrumentation oîi se révèle la 
main d'un maître qui s'est abreuvé aux sources pures 
et sacrées. » 



njgtijçdavGôc^lG 



SA. VIB ET SES ŒUVRES 171 

Il conclut ainsi : 

' A. dire vrai, M. Gounod a fait une œuvre éminem- 
ment distinguée b côté de celte dont il a'est inspiré.iaais 
te musicien ne s'est point emparé de ta vaste conception 
du poète aUeraond; il n'a point aeeez râusai à s'approprier 
ia donnée épique de Oœtlie pour rendre tonte tentative 
nonvelte impossible .... 

■ .... On ne refera Jamais ta musique des Nozt» dt 
Figaro, ni le Bon Juan de Hozart, pas pIuB que le Frtyi- 
chuts et Robert b Diable, On pourra revenir au sujet de 
Faust, mais en tenant grand compte de la partition de 
H. Gounod qui renferme des parties exquises. * 

On voit, par ces deux comptes rendus, que 
Berlioz et Scudo avaient sur Faust des appré- 
ciations différentes, et que les deux critiques ne 
sont pas toujours d'accord avec l'opinion publi- 
que actuelle. Le cinquième act» reste incompris 
de l'un et de l'autre. 

Dans un article sur la Critique, article écrit 
par Gounod, et dont nous avons parlé au chapi- 
tre précédent, on lit les lignes suivantes ; « Un 
critique, dî primo cartello, M. Scudo, rendant 
compte de Faust, fît entr'autres remarques cel- 
le-ci : Nous ne dirons rien du cinquième acte, 
il n'existe pas ! Ce que je cite, on peut le véri- 
fier dans la Revue des Deux-Mondes, journal 
du haut duquel ce publiciste accrédité rendait 
alors des sentences avec un* autorité qui^ selon 
l'espression d'un de mes amis, ne tenait qu'à un 
fil, le fil de la Vierge, romance dont M. Scudo 
était l'auteur, et qui avait joui d'une certaine 
vogue. » 



n,g -ccT'GoogIc 



172 CHAULES aOTINOD 

Le feuilleton de Paul de Saint- Victor, dans la 
Presse, est très élogieux. Nous en extrayons le 
passaffe suivant, relatif à l'acte du jardin : 

< ... Au secoQd acte, si plein, si coloré, si émouvant, 
je préfère encore le troisième, et sa céltste monotonie. 
Nous sommes dsna le Jardin de Marguerite. Qui ne le 
reconnaît, pour s'y être mainte fois promené, en rive, ee 
jardin sacré?... ■ 

Plus loin ; 

• . . , , A-lors éclate le duo d'une ineffable ferveur. Ce 
n'est pas une séduction vulgaire qu'il exprime, mais le 
ravissement de la passion partagée, l'amour pieux comme 
l'adoration, et prenant à témoin les astres de sa pureté 
et de son ardeur. A ce beau songe, succède le réveil, la 
lutte de la vierge qui ee sent perdue, et supplie l'amant 
de partir. Faust va s'éloigner. Mêphistophélès le retient. 
Marguerite a regagné sa chambre, mais son cœur est 
plein, n laut qu'il déborde; elle ouvre sa fenêtre, et 
chante aux étoiles le Cantique det Cantiques de la parti- 
tion. L'hymne que contenait la présence du bien-aimé 
jaillit de son sein avec une entraînante effusion; il s'enfle, 
il s'exalte, il se grossit de larmes et d'émotions redou- 
blées..., il ferait éclater la poitrine de la jeune enfant, 
si Faust n'accourait recueillir sa dernière note sur ses 
lèvres...' 

Nous remarquons encore ce passage, à la fin 
du feuilleton : 

* La mélodie de M. Oounod ne se détache pas encore 
en saillie; elle reste engagée dans les vapeurs subtiles 
dont l'orchestration l'enveloppe, mais ce voile flottant 



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8A VIE ET 8BS ŒUVRES 173 

lui sied à ravir. Elle apparaît plus touchante, au fond de 
ce clair obscur.... > 



Et là journal la Presse, par la plume de Paul 
de Saint-Victor, désigruait l'auteur de Faust 
comme un des chefs de la jeune école. — (Presse, 
27 mars 1859.) 

C'était aussi l'avis de B. Jouvin : ■— Félicien 
David et Gounod, écrivait-il dans le Figaro, 
sont deux grands symphonistes ; Herculanum et 
Faust sont deux tentatives de rénovation musi- 
cale, d'une égale importance toutes deux. — Voici 
quelques extraits de l'article de B. Jouvin (mars 
1859) dans le Figaro, alors journal non. politique 
et bi-hebdomadaire : 

«. . . Nous voici dans le laboratoire du docteur Faust. 
La ritournelle instrumentale qui nous j introduit m'a 
semblé prendre bien des détours pour arriver jusque lit. 
Le musicien a attaqué son opéra, comme s'il eut eu & 
traiter une symphonie ; ce qui est toujours un tort. 
li'auditeur d'une symphonie est fait pour attendre. Le 
spectateur d'un opéra ne le sait pas, et ne le veut point. 
A l'exemple du public, qui a foi dans le grand talent 
deM.Oousod, je fais crédit au musicien jusqu'au second 
acte.... 

• Ce second acte est superbe. M.Gounod a payé ce qu'il 
devait d'arrérages au public, et ce qu'il se devait à lui- 
même. L'acte débute par trois chœurs d'une égale beauté 
s'enchaînant, se complétant tous les trois, mais se fai- 
sant contraste par le rhjthme,par la couleEr,par la situa- 
tion, etc . . . 

« Ce n'est pas sans un peu d'hésitation que j'aborde le 
troisième acte. Je reconnais, sans me faire prier, que le 



n,gti7cdT:G00glc 



174 CHARLEB OOUNOD 

compositeur a fait dea efforts prodig^ieux pour se mftia- 
tenir à la hauteur de la poésie de Qœthe. En étudiant 
Bs musique eu détail »t de près, il aembls qu'il y ait 
réussi. La ballade du roî de Thulé est d'un ton suave 
et d'un charma cxquia. L.a mélodie m'en a oemblé on 
pen vague, un peu Indécise; tranchons le mot, cherchée 
plutôt que trouva... Ce manque de souffle mélodique 
est spnsible surtout dans l'air que dit la jeune fille en 
admirant les diamants, vraî cadeau du diable... 

( Ce troisième a«te a paru monocorde et un p«u long. 
L'unit6 de couleur j est, si tous voulez, scrupuleuse' 
ment observée, maia il n'est pas de qualité qui, en 
s'exagérant, n« devienne us défaut. .. . ■ 

B. Jouvin n'aime pas la scène du jardin. Il 
lui préfère le deuxième et le quatrième actes. — 
Selon lui, le deuxième acte tout entier, et le 
quatrième acte, dans ses principales parties, 
«ont de nature à impressionner le public quel 
qu'il soit. Le reste de l'ouTrage est écrit dans 
une gamme plus tempérée. Pour bien le com- 
prendre, pour en apprécier les qualités, il . faut 
que l'auditeur ait une initiation préalable.— 

La Gasette musicale a plus d'enthousiasme 
que B. Jouvin pour le troisième acte : 

«... Le quatuor de la promenade est coupa d'une ma- 
nière très originale, ninai que la situation l'exigeait. Il 
s'; trouve des phrases très distinguées, et un ensembls 
vocal très court, mais très habilement dessiné. U est 
suivi d'un morceau de symphonie vivement coloré, où 
les violons, les harpes, les instrumenta à vent marient 
leurs sonorités diverses de la Taçon la plus pittoresque et 



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SA TIB ET SES ŒUVRES 175 

la plus cbarmante. Puis vient le duo d'amour : taUst- 
mo*. ... et on peu plus loin : nuit d'amour. . . Il ; ti 
là d'admirables Guntilènes, tendres, pleines de cette ter- 
rible ivresse de l'imagination et des sens qui fait taire la 
raison et encbalae la volonté. Ce beau morceau ne lais- 
serait rien Jr désirer si les rhjtluncs en étaient plus 
variés, ai Vandante n'y tenait- pas une aussi grande place. 
Alors, il produirait plus d'effet, maia, tel qu'il est, il en 
produit beaucoup. Ce troisième acte a un trds grand 
mérite. Il est bien- regrettable que l'auteur ne se soit pas 
tenu, dans les deux derniers, li ce niveau. Cependant on 
trouve encore au quatrième acte un beau chœur de sol- 
dats .... Après ce cbœur, la sérénade noaa a parti ml- 
diocre. Le trio qui suit ne vaut guère mieux. Le mor- 
ceau d'ensemble oii Valentin- expire, après avoir maudit 
si longuement sa sœur, est physiquement invraisem- 
blable, t 

La Hcêne de l'église ne plaît point au critiqua 
de la Gaiette Musicale, L. Durocher : 

t Tout ce que Uéphietophélès dit, dons cette scène, 
nous a paru, musicalement parlant, commua et décla- 
matoire, et le plain-^hant du tHcs tr» ne fait point 
d'efFet. 

t On nous permettra de ne signaler dans le Sabbat du 

Brocken que la chanson b boire de Faust Il ; a un 

moment ob de petits monstres hideux viennent gam- 
bader à quatre pattes sur la scène, . en poussant des 
hurlements qui ne répondent k aucune intonation. Ce 
n'est plus de lamusique. Quant au Irio ilaal, nous l'avons 
écouté, mais nous ne l'avons pas entendu. C'est ce qui 
arrive souvent au bout de ces opéras en cinq actes si 
erueffement.' bourrés de musique. » 

Le journal V Illustration ne s'était pas contenté 



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176 CHÀBLBI aOOKOD 

de publier un graud dessiu représentant la déco- 
ration de MM. Cambon et Thierry (deuxième 
tableau du cinquième acte); il inséra un loog 
compte rendu signé G. Héquet : 

( Le duo du troisiâme acte, dit G. Uéqnet, est trds 
vivement coloré, plein de passion et d'enivrement. Il est 
divisé en plusieurs parties, qui toutes ont pour thime 
□ne cantUéne élégante, expressive et largement déve- 
loppée ; et cependant il manque, — à mon avis, que je ne 
donne que pour ce qu'il vaut, — il iKanque k ce duo 
quelque chose. Et quoi? de la variété, des contrastes et 
l'animation que les mouvements rapides communiquent 
aux compositions musicales. Un andante k trois temps 
succède ou Tait place, je ne sais plus lequel, à un andanta 
à quatre tempe. Tous deux sont beaux ; mais l'un nuit à 
l'autre. Malgré le mérite qu'os ne peut contester aux 
différentes parties dont ce morceau est composé, l'en- 
semble ne me paraît pas irréprochable; on j voudrait 
un plan mieux arrêté, plus clair, plus facile k saisir 

c Ce troisième acte est évidemment le meilleur des 
cinq. II n^ a guâre à remarquer, dans le premier, qu'un 
petit air, dit par le hautbois, dans l'introduction qui 
tient lieu d'ouverture.,. L'évocation de Satan me paraît 
manquêe. Le duo de Faust avec Méphistophélàs n'est 
qu'un tissu de cris brutalement accompagnés. Il ne faut 
pas oublier pourtant la petite sj^phonie que l'orchestre 
exécute pend a ut l'apparition fantastique de Uarguerite... 

« ... Au second acte, Faust se mêle aux ébats d'une 
kermesse, accompagné de Méphistophélès qui s'empare 
du rôle principal, chante une chanson comique, offre 
aux buveurs du vin qui se change en feu, etc. Des sol- 
dats qui se trouvent là veulent punir le diable de ses 
mauvais tours, et leurs épées se brisent dansleurs mains. 
Ile les retournent alors.et en présentent les poignées en 
lorme de croix, en entonnant un chant religieux, un 



n,g -ccT'GoOgIc 



SA TIB GT SBS ŒUVRES 177 

cAora{,qui a beaucoup de o&rftctère et fait un grand effet. 
Le diable parti, le bal champStre commence. Il y a 
là une fort jolie valse, accompagnée par les voix, — un 
p«u trop fort, malheureusement. 

( Les deux derniers actes sont bien plus faibles que 
les trois premiers. Marguerite, abandonnée, s'est remise 
à son rouet, et chante, en filant, un air lamentable qui 
ennuie les auditeurs au lieu de les apitoyer sur son sort . 
Quand les soldats ont exécuté, au bruit des fanfares, le 
beau chœur dont j'ai parlé, Méphistophêlôs, qui a son 
projet, parait avec Faust, et chante, sous lesfeaêtres de 
la belle délaissée, une sérénade pire encore que sa 
chanson du second acte. Valentin, le frère de Margue- 
rite, qui est outré de sou déshonneur, car sa faute a eu 
toutes les conséquences que vous pouvez imaginer, sort 
l'épéa à la main, provoque Faust et tombe bientôt la 
poitrine percée de part en part. En cet état il se met à 
vociférer un grand air con coro où il accable sa sœur 
d'invectives, et lui lègue sa malédiction, trois ou quatre 
fois répétée. Cette scène est beaucoup trop prolongée, 
tant au point de vue dramatique qu'au point de vue 
musical. La situation est pénible, Marguerite n'y sait 
quelle contenance tenir, et l'air manque d'intérêt mélo- 
dique. 

< La scène de l'église n'a pas mieux inspiré le compo- 
siteur... etc. > 



Ëtj après d'autres critiques, le rédacteur musi- 
cal de V Illustration trouve que M°" Carvalho 
est peu à sa place dans le rôle de Marguerite t 

Le Journal amusant du 16 avril 1859, tout 
comme V Illustration, publia un dessin sur Faust. 
C'est un dessin de Nadar, au bas duquel on lit 
cette légende : — Après avoir paru avec succès 



n,gti7çdpïGaoglc 



178 CHAULES OOUNOD 

sur toutes les scènes, Faust, s'aperçoit qu'il a 
oublié les bravos sur la scèae du Théâtre-Lyrique. 
En avant la musique I — 

Le Diable à Paria, 21 mars 1859 : 

■ Nous RTOns eu beaucoup de Faust, dans ces derniers 
temps. Le nom de Gœthe a voltigé sur toutes les 
lèvres. Méphistophélàs est devenu à la mode ! Le Qnnd 
diable Allemand aemblait avoir chaussé les BoUet à 
BattUn (chanson que l'on chantait partout sur l'air des 
LascîerB), tant son succès a été grand. Les dames de 
Bréda Street, elles-rnSmea, au lieu de ee tirer les cartes, 
effeuillaient des marguerites, * 



Bans la Causerie du 26 mars 1859, Victor 
Cochinat reprochait à M. Carvalho les queues 
formidables qu'il ameutait chaque jour devant son 
théâtre ; ce qui gânait la promenade des rentiers. 

Dans l'Enir'acte, Albéric Second appelait le 
Théâtre-Lyrique : Le grand opéra du boulevard 
du Temple. 

Jules Noriac écrivait dans le Figaro-Pro- 
gramme du 21 mars 18âd : 

f Les morceaux les plus remarqués dans Fauil 
sont : Le choeur des Soldats et celui des Bourgeois ; 
l'entrevue de Faust et de Marguerite qui revient au 
dernier acte ; la romance du Roi de Thulé ; enfin le 
grand air chanté par M" Carvalho, et deux ou trois 
morceaux chantés par Balanqué. En somme, tout serait 
i louer dans l'ouvrage, si l'auteur avait le courage de 



n,gti:>cdT:GOOglC 



SA. VIE ET SES ŒUVBES 179 

recommencer le chœur des Sorcières et la sérénade de 
Mépbistophâlôs . Le chœur des Sorcières est une nullité. 
La sérénade, cette fille des Espagnee, est pastichée des 
auteurs germainH, si bien qu'on croirait volontiers «lu'il 
y a de la choucroute dans la mandoline du Diable... > 

Le Tintamarre (27 mare), lui aussi, voulait 
douner son avia sur Faust. Il consacre un article 
à l'opéra de Gounod pour célébrer le chœur des 
Soldats et la scène du portail. 

Le Charivari (28 mars) publie un long feuil- 
leton, sous forme humoristique. II y a trois opi- 
nions sur Faust, dit le rédacteur musical qui 
signe Paul Girard : 

* La première consiste à prononcer Faousi. Le parti 
Faouit se compose des admirateurs frénétiques . La 
seconde opinion : Fott. Le parti se compose des détrac- 
teurs. Le troisième parti dit : Faust. C'est le plus nom- 
breux ; c'est le parti des gens impartiaui. . . * 

Et le rédacteur fait dialoguer séparément ces 
trois partis entr'eux, après chaque entr'acte, sur 
le boulevard. Dialogua entre Fostistes : 

< C'est une sjmphonie. — Un oratorio. — La pièce se 
joue dans l'orchestre. — Toujours la même note ! — Rien 
que des andantcs. — Un allegro I Mon royaume pour un 
allegro!.... » 

Impressions d'un faoïisHsto sur le chœur des 
Soldats : 



n,gti7cdT:G00glc 



180 CHABLB3 GOUNOD 

c II 7 a U un ehœui et une marche qui lont des chere- 
d'<BUTre 1 C'est bien là l'entrain guerrier de l'Allemagne 
et du mojen-age !... Comme ce Faoast est beau..., etc. ■ 

Terminons là nos emprunts. Nous n'en finirions 
pas, ei noue reproduisions, par fragments, les 
comptes rendus des autres journaux, petits ou 
grands. En résumé, le succès de l'ouvrage fut 
douteux et contesté. La guerre d'Italie arriva, et 
les recettes tombèrent à 1,800 francs. 

Au mois de septembre 185d, Faust fut repris 
au Boulevard du Temple, pour la rentrée de 
M"" Carvalho et les débuts du ténor Guardi. 
Cette reprise ne fît pas grande sensation. Les 
journaux vanlèrent encore le chœur des Vieillards 
et le chœur des Soldats. — Ces morceaux, et 
quelques autres, disait la Gaseite musicale, sont 
d'uQe mélodie plus facile. Ils servent à détendre 
un peu l'attention, et l'on s'y repose agréable- 
ment, comme les Arabes dans leurs oasis. — 

Le ténor Guardi, le même qui avait dû jouer 
Faust à la création, tomba de nouveau malade. 
Cet artiste, fort bien de sa personne, n'avait pas 
une grande habitude du théâtre. Sa voix était 
assez étendue. On lui reprochait de la forcer, ce 
qui la rendait chevrottante . 

On voit que Guardi ne portait pas bonheur à 
Gounod. Cette indisposition interrompit encore 
une fois les représentations de Faust. Un mois 
après, on annons^a une seconde reprise avec le 
ténor Michot. Gounod avait composé tout exprès 



n,gti7cdT:G00glc 



SA. TIE ET SES ŒUVRES 181 

une nouvelle symphonie, au commencement du 
cinquième acte, pendant les fêtes de la nuit du 
Waipurgis. 

Eu 1860, M. Carralho quittait momentanément 
la direction duThéâtre-LjTique,et était remplacé 
par son secrétaire, M. Réty. Il faut croire qu'une 
reprise de Faust n'inspirait pas g'rande confiance 
au nouveau directeur, car, pendant les deux an- 
nées de son exploitation, l'opéra de Gounod ne 
figiira pas sur l'afBche. 

Ea 1862, Is 30 octobre, ent lieu l'inaugruration 
du nouveau Théâtre-Lyrique de la place du Châ- 
telet. Le spectacle commença par un Hymne à 
la Musique, composé par Gounod , pour la cir- 
constance, et chanté par tout le personnel du 
théâtre. M"" Visrdot et M"' Carvalho figuraient 
au milieu des chœurs :. De beaux effets d'or- 
chestre, disait-on, de nobles harmonies, mais 
aucune mélodie saillante. 

M. Carvalho rentrait comme directeur. Faust 
reparut avec lui. Monjauze remplissait le rôle du 
ténor. 

L'opéra revenait en quelque sorte de l'étran- 
ger. Faust, traduit eu plusieurs langues, avait 
été joué avec succès dans plusieurs villes d'Al- 
lemagne, et même en Italie. L'Italie, alors si 
rebelle à l'influence de l'art français, et si inhos- 
pitalière pour notre musique, avait acclamé, à 
Milan, l'œuvre de Gounod avec un réel élan d'ad- 
miration. 

C'est de cette reprise au Théâtre-Lyrique (place 



n,gti7cdT:G00glc 



188 CHARLES OOUNOD 

du CliÂtclet), en décembre 18C2 , que date 
véittablement, à Paria, le succès de Faust. L'ou- 
vrage fut représenté 70 fois pendant l'hiver, et 
resta toujours au répertoire. Le Lyrique ayant 
cessé d'exister, Faust émigra à l'Opéra. 

La mise en scène au nouveau tîtéâtre , avait 
subi quelques changements. On purgea le Wal- 
purgis de bon nombre d'horrenrs. Le fameux 
truc, par lequel l'église s'ouvrait d'elle-même , 
fut supprimé, à cause de l'exiguïté de la scène. 

Et que disaient les journaux, à l'occasion de 
cette reprise t Pas grand'chose de nouveau : On 
pensait cependant que Faust aurait plus de suc- 
cès qu'à la création, bien. que l'opéra, pris dans 
son ensemble, ne fut pas l'œuvre d'un mélodiste ! 
— Les deux années qui viennent de s'éconler 
depuis la première représentation de Faust, ne 
lui ont pas été favorables, écrit Scudo, dans la 
Revue des Deux-Mondes. Il ajoute : on peut 
louer au 2"' acte le chœur des Vieillards, et la 
la Valse... Au quatrième acte, on remarque le 
chœur des Soldats, et surtout le récit de Vatentin 
mourant, etc.... — 

Scudo donnait depuis longtemps des signes 
d'aliénation mentale. Â cette époque, il appro- 
chait de cette crise aiguë de folie furieuse qui 
devait l'emporter en 1864. Henri Blaze de Bary 
(fils), lui succéda à la Bévue des DeuX'Mondes, 
etGounod ne trouva pas dans cet écrivaio.fîls 
de traducteur, traducteur lui-mdme, un critique 
plus impartial que Scudo. Gounod tombait de 
Charybde en Scylla ! 



n,gti7cdT:G00glc 



SA. TIE ET SES ŒUVRES 183 

— Pourquoi, écrivait Blaze de Bury, cette 
reprise de Faust (septembre 1864, avec Michot), 
après l'échec de l'an passé ¥ {La Reine de Saba). 
C'est un siug^ulier succ&s qui court l'Europe, à 
la faveur de certaines circonstances extra-'mu- 
sicales.... — 

Après cela, croyez donc à l'infaillibilité de la 
critique ! 

Au mois de mars 1868, M. Carralho réunit à 
son exploitation la salle Ventadour. Le Théâtre- 
Italien lui était livré à de certains jours. C'est 
ainsi que Faust fut représenté comme spectacle 
d'inauguration pour l'exploitation nouvelle. Aux 
Italiens , M"" Carvalho remplissait le rôle do 
Marguerite ; Massy, celui de Faust ; Troy, Méphis- 
tophélès ; Barré, Valentin. 

A la fin de cette année 1868, les journaux an- 
noncèrent que Tcetivre de Gounod entrerait pro- 
chainement en répétition au Grand-Opéra. On 
disait encore que l'auteur était à Rome, mais 
qu'avant son départ, il avait remis au Directeur, 
M. Perrin, la musique d'un grand ballet destiné 
à être intercalé au cinquième acte, ainsi que la 
musique d'un nouveau morceau pour le rôle de 
Méphistophélès. 

La première représentation eut lieu à la salle 
de la rue Le Peletier, le 3 mars 1869. Les inter- 
prètes étaient : Colin (Faust) ; Faure (Méphisto- 
phélès) ; Devoyod (Valentin) ; Gaspard (Wagner) ; 
M"' Nilsson (Marguerite) ; M'" Mauduit (Siebel) ; 
M°" Besbordes (Marthe). 



n,gti7cdT:G00glc 



ISi CHARLES GOUNOD 

Splendide mise en scène I Les décors étaieat de 
Despléchin et Lavastre, Cambon, Rubé et Chape- 
ron. Le divertissement avait été réglé par Juata- 
mant. 

< Â l'Opéra, les auteurs supprimèrent naturelle- 
ment le dialogue parlé. Le musicien le remplaça 
par des récitatifs, qui d'ailleurs avaient été écrits 
en partie pour la traduction italienne. D'autres 
remaniements furent opérés. 

C'était la première fois que l'œuvre d'un com- 
positeur français, déjà jouée SUT un théâtre de 
musique, était admise k l'Opéra. Aussi, cette 
innovation avait-elle piqué la curiosité des 
artistes et du public. On se demandait si la par- 
tition, écrite pour le Théâtre-Lyrique, s'accom- 
moderait du vaste cadre de l'Opéra. On crai- 
gnait surtout que le rôle de Marguerite, tout 
rempli do fines ciselures et de charmants détails, 
ne se trouvât diminué, et en quelque sorte 
étouffé sous la coupole de- cette salle spacieuse. 
Les doutes furent vite dissipés. Les pages les 
plus intimes de l'œuvre ne perdirent rien de leur 
charme, et les parties dramatiques prirent des 
proportions tout à fait inattendues. C'est ainsi 
que la Valse, la scène de l'Eglise, la mort de 
Valentin (morceau bien chanté par Devoyod), et 
le trio final révélèrent des effets tout nouveaux. 
Par contre, quelques morceaux qui, chaque soir, 
au Théâtre-Lyrique, enlevaient les applaudisse- 
ments de toute la salle, furent beaucoup moins 
remarqués. Le chœur des Vieillards ne fut pas 



lyGOOgl^ 



SA VIB ET ËES ŒUVBRS 185 

bissé, et le chœur des Soldats ne remporta pas 
une grande yictoiro. Le nombre dos choristes- 
guerriers fut augmenté dans de telles propor-> 
tioDs, que les vociférations de ces robnstes soldats, 
jointes aux accompagnements des instrumenta 
de Saz, produisirent un assourdissant tapage. 
Gounod pouvait se croire encore à l'Orphéon. 

Un grand intérêt s'attachait à la nouvelle 
interprétation de l'ouvrage. M'" Nilsson jouait 
Marguerite. Pour la première fois, h Paris, on 
entendait une autre Marguerite que M°°* Car- 
valho. Les admirateurs de M"' NiUson ne durent 
pas être très satisfaits, car le succès qu'obtint 
ï'éminente cantatrice ne répondit pas à leur 
attente. L'accent étranger, dont elle n'avait pu 
encore se défaire, était pour elle un véritable 
obstacle. M"* Nilsson ne fit pas oublier M"* Car- 
valho qui reprit le rôle à la fin du mois d'avril 
suivant. 

Les premiers interprètes de Faust avalent été, 
à Paris, Barbot, Guardi, Michot, Massy, Mon- 
jauze et Colin. 

Colin est un des plus charmants ténors, que 
notre génération ait entendus. Doué d'une 
voix fraîche et sympathique, ce n'était pas un 
ténor de force, cOmme on dit en Province. 
Colin ne trouva pas dans la masse du public tout 
le succès qu'il aurait mérité. Mais il était très 
apprécié des gens de goût et des professeurs. 
Auber notamment avait pour lui des bravos 
presqu' enthousiastes. 



n,gti7ccT'G00glc 



186 CHABLB8 GOUNOD 

Les trois premières artistes qui, â Paris, rem' 
plirent le rôle de Marguerite, furent M"" Car- 
valtio, KilssOQ et Hisson. (M'" Hisson en octobre 
1869). Mais M"" Carvaiho s'est montrée de 
beaucoup supérieure & toutes les Marguerite qui 
lui ont succédé, ou qui oat chanté le. rôle soit en 
Province, soit à l'Etranger. 

Au Grand-Opéra, les honneurs de la soirée re- 
viennent à Faure. Jamais le rôle de Méphisto- 
phélès ne fut ni mieux joué, ni mieux chanté. Ja- 
mais Satan ne fut plus élégant. On le voit encore 
arrivant au premier acte , suivi par les reflets de 
lumière rouge, et disant : 

Me voici 1 d'où vient ta surprise 
Ne suis-je pas mis & ta guise ? 
L'épée BU cdté, la plume au chapeau, 
L'escarcelle pleine 

Et comme il était railleur, lorsque, dans l'acte 
du jardin, il donnait le bras à la vieille Marthe, 
et s'écriait, en se tournant vers le public : 

La voisine est un peu mûre ! 

Au cinquième acte, c'est Faure qui donnait le 
signal du nouveau ballet, composé par Gounod 
pour cette reprise. 

Sur un geste de Méphistophélès, les rochers 
du Broeken s'effondrent et découvrent les ruines 



n,g -ccT'GoOgIc 



SA. ViB ET SES ŒUVRES 187 

d'un palais gigaûtesque, et le ballet commencd 
après le chœur : 

Que les coupes s'emplisseat (1). 

Les courtisane» invitent Faust et Méphisto- 
phélès à prendre part au festin. Elles entourent 
Faust de leur séduction. Survient Phryné entiè- 
rement voilée. Feu à peu, les voiles tombent, et 
Fhryné apparat dans tout l'éclat de sa beauté, 
de cette beauté qui séduisait, l'Aréopage. Son 
triomphe excite la jalousie des courtisanes. La 
fôte dégénère en bacchanale effrénée. Les dan- 
seuses se réfugient sur leurs coussins, et Faust 
subjugué tend sa coupe àPhryné. 

Le ballet comprend sept mouvements : Alle- 
gro, mouvement de valse. — Adagio. — Allegro. — 
Moderato Maestoso. — Moderato con moto. — 
Allegretto. -Allegretto vivo; entrée de Phryné. 
. Ce divertissement était réglé avec le plus 
grand soin et monté avec le plus grand luxe. 
L'électricité avait déjà commencé à se montrer 
dans les théâtres. Ce soir-là, elle était de la 
partie. Les effets de lumière, ainsi que la richesse 
des costumes, éblouissaient la scène. Devant 
tant de séductions, . comment le Docteur Faust 
n'oubliaft-il pas complètement la pauvre Mar- 

(l) Le b&llet: s'intercale suivant l'indication de la page 
235 de la partition (4* édition). Il a été publié chei 
ChoudenB, en supplément. 



n,gti7cdT:G00glc 



186 CHARLES OOUNOD 

guérite ? M"" Fioretti et Laure Fonta étaient les 
étoiles de ce ballet, qui, au début, ne produisit 
pas tout le charme qu'il aurait dû produire. La 
critique, toujours sévère, fie fut pas unanime 
dans ses éloges. Cependant les airs de ce déli- 
cieux ballet sont ravissants, pleins d'inspiration, 
et bien adaptés au genre chorégraphique. Le 
temps a rendu justice à l'auteur, et le divertis- 
sement de Fau5^ le meilleur ballet que le com- 
positeur ait écrit, s'est imposé à l'admiration 
publique. 

Avant 1869, Faust avait déjà conquis une écla- 
tante renommée. Le grand Opéra raviva le suc- 
cès et plaça Gounod à t'apogée ds sa fortune 
musicale. L'auteur de Faust fut comme trans- 
porté sur un sommet dont les hauteurs ne pou- 
vaient plus être dépassées. Sa gloire était montée 
jusqu'au faîte. 

Faust avait été donné près de 350 fois aux 
théâtres du Boulevard du Temple, du Châtelet, 
et à la salle Ventadour. À l'Opéra, le nombre des 
représentations s'accrut rapidement. Depuis 1869, 
Faust est l'œuvre qui compte le plus grand nom- 
bre d'inâcriptions sur l'affiche* 

Le 4 novembre 1887, on célébrait en grande 
pompe la BOO"' représentation de l'ouvrage, à 
l'Opéra. La fête est complète. La salle est bril- 
lamment garnie. H. Jean de Reské, célèbre 
aujourd'hui par sa création de Roméo, remplit le 
rôle de Faust. Gounod occupe le pupitre du chef 
d'orchestre. A son entrée, le public se lève et 



n,gti7cdT:G00glc 



6A, VIE ET SBS ŒCVBKS 189 

racclame. C'est une avalanche d'applaudisse- 
ments qui dure plusieurs minutes; c'est uneapo- 
théose t Lorgnez bien partout dans la salle, et 
vous verrez, à l'amphithéâtre, M"* Georgina 
Weldon, qui, elle aussi, ne' ménage pas ses 
applaudissements. M°" Wèidon a gagné un pro- 
cès à Londres contre Gounod , mais elle u!en 
admire pas moins l'œuvre musicale de son adver- 
saire en justice. 

La veille, à la répétition générale, la Direction 
avait offert au compositeur un bâton d'ivoire, 
monté sur un manche d'or rouge massif, un man- 
che tout en or ciselé, comme la coupe da Roi de 
Thulé. Un des auteurs du livret avait voulu ap- 
porter son offrande. Il avait composé, à l'occa- 
sion de cette solennité, une pièce de vers qui de- 
vait être lue, sans musique, avant l'introduction 
instrumentale. Elle se compose de six strophes, 
et commence ainsi : 

L'art, dernier flls de l'homme, dpouaala nature. 

Beau mariage 1 

Gounod recula devant un pareil éloge. Il 
écrivit une lettre à M. Jules Barbier, le priant de 
lui épargner cet hommage : — Malgré toute la 
discrétion de ton cœur et de ton esprit, lui disait- 
il, cette pièce de beaux vers écrite à mon inten- 
tion , et récitée en public , devant moi, me 
donnerait une attitude et un semblant de compli- 
cité qu'on n'eût pas manqué de porter à mon 
passif. — 



n,gti7cdT:G00glc 



190 CHABLES aOITNOD 

Faust, à l'Opéra, cootlonera longi^mps encore 
le cours de son succès. Retournons maintenant 
en arrière. Voyons le sort que la proTÎnce et 
l'étranger avaient réservé au chef-d'oeuTre de 
Gonnod. 

L'acquéreur de la partition de Faust fut M. de 
Cboudens père. C'est lui qui lança Tourrage en 
province et & l'étranger. Gonnod a rendu justice 
au zèle infatigable de son éditeur, qui voulait 
faire la fortune de son opéra. Voici comment, 
dans un article déjà cité (1), l'auteur fait l'éloge 
de l'intelligence et des capacités commerciales 
de M. de Cboudens : 

> Nous Ornes avec M. de Choudens le meilleur des 
ménageB. Capacitâ commeTCiale de premier ordre, cane- 
tère aimable et facile, beaucoup d'esprit naturel, infini- 
méat de bon e^ns, activité infatigable, adresse prodi- 
gieuse avec tous lea dehors de la bonhomie pour vanter, 
pousser, lancer samarchandise; attentions... paternelles 
it venir voir dans mon cebinet s'il n'y hvait pas quelqne 
manuscrit (romance, duo, chœur, etc.), sur lequel il pût 
me donner une nouvelle preuve de son zèle et de son 
dévouement à mes œuvres ; tel fut l'ensemble de qualités 
et de vertus, dont la bienfaisante influence me parut 
devoir s'étendre sur le sort de mes œuvres et de mes 
intérêts... > 

Cependant, M. de Cboudens ue s'était pas 
rendu acquéreur de Fausi sans bésitation. En 
1859, Gounod n'avait pas, sous le rapport artis- 
tique, le puissant crédit qu'il a obtenu depuis. II 

(t) La itrnpriité artistique. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒVVSER 191 

avait frappé vainement à plusieurs portes, et les 
éditeurs de musique n'avaient pas montré d'em- 
pressement. Heugel père voulait bien traiter 
avec l'auteur. — La valse seule, disait-il, fera les 
frais. — Son associé craignit de tenter l'aventure ; 
— 11 est tout à fait inutile d'éditer des fours, 
répondait-il aux instances d'Heugel,— et celui- 
ci refusa, non sans regret, les propositions de 
Gounod. 

Gounod se désolait ! Sept représentations 
avaient été données au Théâtre-Lyrique; aucun 
acquéreur ne se présentait. C'est alors que, par 
l'intermédiaire d'un ami (Prosper Pascal), un 
éditeur obscur, M. de Choudens, se mit en avant, 
et consentit à entrer en pourparlers avec les 
auteurs de l'opéra. 

Prosper Pascal dut insister beaucoup pour dé- 
cider M. de Choudens, qui était pauvre. Son éta - 
blissement bien modeste était loin de présenter, 
en 1859, l'aspect luxueux de la maison actuelle 
du boulevard des Capucines. Et puis, faut-il le 
dire, M. de Choudens n'aimait pas Faust. Quand 
ses enfants n'étaient passages, la pénitence dont 
il les menaçait était de les conduire au Théâtre- 
Lyrique pour voir l'opéra de Gounod. Ces dispo- 
sitions changèrent tout de suite, après la signa- 
ture du contrat. L'éditeur devint fanatique de 
l'ceuvre, il s'y attacha comme à une planche d& 
salut, et résolut de la porter, sous son bras, aux 
quatre coins de l'Europe. Le prix de la vente de 
Faust fut très modique, sans proportion avec la 



n,gti7cdT:G00glc 



193 CHARLES GOtlNOD 

valeur de l'œuvre, valeur que le temps a consa- 
crée; mais il ne faut pas oublier que lea premières 
représentations avaient été données sans succès. 

La convention, dont voici le résumé, fut signée 
le 8 avril : M. de Cboudens devenait propriétaire 
de la pari;ition pour là France et la Belgique. 
La vente comprenait le droit de publier les mor- 
ceaux de chant séparés avec accompa^ement 
de piano, la partition piano et chant, la partition 
avec parties séparées à grand orchestre.Sùbrogê 
dans tous les droits des auteurs, M. de Choudens 
s'était en outre réservé la faculté de'publier tout 
arrangement de l'ouvrage pour quelqu'instru- 
ment que ce fût. 

Cette vente était consentie moyennant 3,000 
francs payés comptant,— 1,000 francs payables 
le 30 mai 1859, — 1,000 francs payables en diffé- 
rents termes à partir de la 50' représentation au 
Théâtre-Lyrique, — et cinq primes de 400 francs 
chacune, exigibles après cinq premières repré- 
sentations dans cinq villes de France ou de Bel- 
gique. En tout 10,000 francs, sur lesquels la part 
revenant à l'auteur de la musique , était de 
6,666 ft-ancs 66 cent, '^elle est la somme pour 
laquelle Gouuod aliénait, en 1859, la propriété de 
sa partition pour la France et la Belgique. 

Ce contrat fit surtout la fortune de l'éditeur. 
Mais il faut reconnaître que M. de Choudens, par 
son activité, par son entregent, par toutes ses 
iofluences, contribua personnellement à répandre 
Faust en France et dans les pays voisins. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 193 

Il se met en campagne. Les voyages commen- 
cent, et l'auteur accompagne partout son éditeur, 
à Marseille, à Bordeaux, à Rouen, & Lyon, Milan, 
Darmstadt, Hambourg, Berlin, Londres, Bruxel- 
les, Gand, Hanovre, etc., etc. 

( M. de Choudena, dit Gounod (1), me promenait, me ' 
montrait et m'exposait Je jouais simplement et naïve- 
ment, entre sbs mains, le rOle d'une affiche ou d'une 
grosse-caisse avec laquelle l'éditeur allait tambourinant 
sa marchandise à l'étranger. Je dirigeais des représen- 
tations, je faisais répéter mes ouvrages, je ne toQChais 
pas un sou de bénéfices, et, pendant ce temps-là, mon 
éditeur vendait ma musique et ma personne 

t Mon mariage commercial avec M. de Choudena dura 
ainsi jusqu'en 1871, c'est ii-dire douze ans, apris lesquels 
je dus dÎTorcer » 

Nous ne citons l'article de Gounod que par 
fragments. Nous ne voulons ni reproduire ses 
plaintes ou ses griefs contre son éditeur-proprié- 
taire pour la France et la Belgique, ni approfon- 
dir cette question purement commerciale qui 
n'intéresse pas le public. — Je trouve, disait 
Gounod, en ISTi, à M. de Choudens, que j'ai fait 
votre fortune et vos affaires, bien plus que vous 
n'avez fait les miennes ; je trouve quo mon nom 
existait avant le vôtre, et que le vôtre s'est fait 

parle mien — 11 y a là, dans les services 

réciproquement rendus, une proportion a établir. 
Cela ne nous regarde pas. Faust, il est vrai, a 

(1) De la PropriHé artistique. 



n,gti7cdT:G00glc 



' 194 CH&BLES aOUNOD 

fondé la maison Choudens. L'éditeur, de son 
côté, a travaillé utUement à la propagation de 
l'œuvre, et, par conséquent, à la renommée de 
son auteur. 

Dès 1860, l'opéra circula en France et à 
l'Etranger. En France, i! se répand par la vente 
de la partition piano et chant. Le cboaur des 
poldats résonne partout en province, à Marseille,- 
au mois de septembre 1859, à la distribution des 
prix du Conservatoire (I), et dans d'autres villes. 
Les sociétés chorales s'en emparent. Les repré- 
sentations de l'œuvre se succèdent dans les 
départements, notamment à Strasbourg, en mars 
1860, & Rouen, au mois d'avril de la même année. 
Au théâtre des Arts de Rouen, l'auteur, après la 
chute du rideau, est rappelé sur la scène. On 
rappelle ensuite le directeur, qui était alors 
M. Halanzier. 

A l'étranger, Faust est applaudi avec enthou- 
siasme. L'étranger, comme cela s'est vu plus 
tard pour Carmen, inaugure le succès, et impose, 
en quelque sorte, la reprise de Faust an nouveau 

(1) Bénêdict, profeeaeur de chant au Conservatoire de 
HaTseille eu 1863, et critique musical au joumBl 1a 
Sémaphore, a publié dans un de ses feuilletons, à propos 
des représentations données sur le théâtre de Marseille 
par M" Carvalho, d'intéressants renseignements sur 
les commencements de l'éminente cantatrice. Ces rensei' 
gnementa ont été reproduits dans Je dictionnaire da 
M. Pougin (supplément au dictionnaire de Fétis). Nous 
y renvoyons nos lecteurs. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA. TIE ET SES ŒUVRES 195 

Théâtre-Lyrique de la place du Châtelet. Nous 
sommes en 1862, et c'est h cette époque seule- 
ment que l'ouvragée de Gounod attire l'attention 
du public parisien. 

Bruxelles ouvre en 1861 sa nouvelle salle du 
Conservatoire, avec des fragments de Faust, en 
présence de l'auteur, vivement acclamé. A la 
même époque, l'opéra est représenté à Barmstadt 
avec un très g^tand succès ; à Yienne,pendant la 
saison 1861-1862 ; à Stuttgard.en 1861 ; à Milan, 
en novembre 1862. Faust, traduit dans toutes 
les langues, est joué partout. Â Berlin, les repré- 
sentations se succèdent rapidement, et attei- 
gnent, en quelques années, la centième, en 
novembre 1867. Centième à Dresde, en avril 
1885, etc., etc. 

A l'occasion de la reprise de Faust au Grand- 
Opéra de Paris, M. Reyer, dans le Journal des 
Débats, écrivait les liftes suivantes, au sujet 
des représentations de Faust en Allemagne. Le 
feuilleton est du 16 mars 1869. La date est à 
retenir : 

f Fautt, cet écria d'esquises mélodies, Faust l'œuvr» 
par ezcellBnce, Faust dont le succès s'est promené tran- 
quillement à travers les plus grandes et les plus petites 
capitales de l'Europe cÎTilisée, Faust qui a fait la ïortimo 
d'un fditenr, et qui eut suffi ^ la gloire d'un musicien, 
Fatuf, l'on des poèmes les plus întËressants, l'une des 
partitions les plus populaires de notre époque, Fauslqul 
charme à la fois les délicats et les profanes, Fautt dont 
les éditions sans cesse renouvelées sont épuisées sans 



n,gti7cdT:G00glc 



196 CHARLES GOUNOD 

cesse, Faust qui est sur tous les pi&nos et dans toutes lea ' 
bibliothèques, mais qu'une volonté intelligente a heu- 
reusement préservé de la profanation des orgues de Bar- 
barie, Faust que tous lea peuples ont applaudi et que tous 
les souverains ont récompensé (erceptë. Je crois, le roi 
de Bavière...). 

t En AJlemagne, on s'étonna d'abord, ou plutôt on 
ne s'étonna pas du tout de la témérité de ces deux 
auteurs français, qui venaient de tailler un libretto 
d'opéra dans le poème de Gœthe. Quant au musicien, 
on lui eut volontiers demandé aï, avant d'écrire sa par- 
tition, il avait seulement songé au Faust de Schumann, 
et à celui de Spohr. À Francfort principalement, il y eut 
beaucoup d'agitation panni les Docteurs.... Darmstadt 
est la première ville d'Allemagne qui tenta l'épreuve de 
la représentation. Cette épreuve fut on éclatant succès, 
aussi bien pour la partition que pour le poème. Le grand 
Duc, chaussé de ses bottes h l'écujère, arait donné le 
signal dea applaudi asem enta. Les Francfortois venus li 
Darmstadt arec des sentiments sinon hostiles, du moins 
peu bienveillants, s'en retournèrent surpris et charmés. 
Bientôt, dans le monde de ces petita Duchés Allemands, 
ou alors il y avait plua d'artistea que de aoldata, tandis 
que c'est le contraire aujourd'hui, le Maître de Chapelle 
recevait de son Souverain l'ordre de mettre à l'étude 
Faust de M. Oounod. Et il en était ainsi dans les grandes 
capitales, il Vienne comme à Berlin. C'est à Berlin sur- 
tout que j'ai vu représenter Fausfavec un très grand luxe 
de mise en scène, et avec une rare perfection » 

t— Un fait certain, c'est que le succès de Faust en 
Allemagne a puissamment aidé au succès de Faust i> 
Paris. Ces bons Allemands sont bien le peuple le plus 
hospitalier de l'Univers, et le plus sympathique aux 
talents de toute catégorie et de tous paja. Demandez à 
M. Crounod comment il a été regu en Allemagne, chaque 
fois qu'il j est allé diriger l'exécution d'une de ses 
œuvres « 



n,g -ccT'GoOgIc 



SA VIE ET BES ŒUVRES 197 

A Hambourg (la seconde ville de l'Empire), le 
succès est des plus significatifs. Un dilettante, 
qui,ea 1862, assistait aux représentations de 
Faust au Stadt-Théater, noas a raconté le fait 
suivant : L'enthousiasme produit par l'œuvre de 
Goanod fut indescriptible. L'auteur dirigeait l'or" 
chestre, et, à chaque instant, il était obligé de 
se lever et de répondre aux acclamations répétées 
du public. Après la représentation, on criait : 
Vive Gounod ! on criait aussi : Vive la France ! 
Le directeur, pour entretenir et fortifier le succès 
de Faust, fit installer à la façade de son théâtre 
un grand transparent lumineux, oiî l'on voyait, 
chaque soir, la France et l'Allemagne symboli- 
sées par deux femmes, drapées à l'antique, et qui 
se donnaient la main. 

Les temps sont bien changés ! On représente 
encore Faust à Hambourg et dans les grandes 
villes de l'Allemagne^ mais ne cherchez plus le 
transparent lumineux où la France et l'Allema- 
gne fraternisent en se donnant la main. 

Et maintenant, savez-vous pour quelle somme 
Gounod a vendu la propriété de sa partition en 
Allemagne? II demandait 3,000 francs à la mai- 
son Bote et Boock de Berlin. Ce chiffre était bien 
modeste. Eh! bien, les éditeurs marchandèrent. 
Finalement, ils payèrent 1,000 francs, laquelle 
somme devait être partagée entre Gounod et ses 
deux librettistes. 

L'Angleterre fut un peu plus généreuse. M. de 
Choudens patronna Gounodauprès cfeMM.Chap- 



n,gti7cdT:G00glc 



198 CH&KLBS OOUNOD 

pell, éditeurs à Londres, et ceux-ci coDaeutirect 
à acheter, moyennant 3,000 francs ; la partition 
pour l'Angleterre et les colonies.Gounod trouvait 
cela superbe! 

Une afEaire compliquée, c'est la question des 
droits d'auteur de Faust, en Angleterre. Nous 
n'en finirions pas, si nous voulions initier le lec- 
teur à tous ces détails. Il nous suffira de dire que 
par suite d'un retard de trois jours dans l'accom- 
plissement d'une simple formalité , Faust est 
tombé dans le domaine public. Faust, en An- 
gleterre, n'appartient pas à son auteur. Gounod 
a été dépossédé dès 1859. 

En effet, la convention internationale sur la 
propriété artistique entre la France et l'Angle- 
terre prescrivait à l'auteur ou à son représentant,- 
d'enregistrer et de déposer un exemplair» de 
l'ouvrage dans chacun des deux pays. Ces deux 
formalités, enregistrement et dépôt, inséparables 
l'une de l'autre , devaient être remplies dans un 
délai de trois mois, à partir du jour de la première 
publication dans l'un ou l'autre pays, sinon l'au- 
teur perdait tout droit à revendiquer la propriété 
de son œuvre. 

La convention ajoute que la date de première 
représentation ou d'exécution publique d'une 
œuvre musicale , est considérée comme date de 
première publication , et par conséquent comme 
point de départ du délai rigoureux de trois mois. 

Faus^ ayant été représenté le 19 mars 1859, 
l'auteur, ou son représentant, avait jusqu'au 19 



n,g-,-ccT:G00glc 



SA TIE ET 5EB ŒDYBES 199 

juin suivant pour enregistrer et déposer. Le 8 
avril, M. deChoudens devient propriétaire de la 
partition pour la France et la Belgique. Le 13 
juin, la partition piano et chant est prête, et, le 
même jour, l'éditeur écrit à M. Chappell, de Lon> 
dres, la lettre suivante : 

( J'ai l'avuitage de tous «.dresser ci-joint les deux 
actes signés par M. Gounod. La partition de Fatuï sera 
enregistrée demain au Ministère de l'Intérieur, k Paris. 
Vous pouvez donc déposer immédiatement et, à cet 
effet, je vous envoie, soua bande, deux exemplaires de 
ladite partition. 

« De Choddens. ■ 



Hélas ! M. Chappell ne se pressa . pas. Au lieu 
d'effectuer immédiatement, c'est-à-dire le 19juin, 
terme de rigueur, le dépôt et l'enregistrement 
de la partition, l'éditeur anglais attendit jusqu'au 
22 juin. Par ce retard de trois jours, Gounod 
perdait, à tout jamais, ses droits d'auteur sur 
Faust, en Angleterre ! Ainsi le voulait la Con- 
vention internationale, conclue pour protéger la 
propriété artistique dans les deux pays. 

Cette inexactitude prouve encore une fois que 
les artistes ne sont pas toujours des hommes 
pratiques en affaires. Au lieu de s'en rapporter 
à autrui, Gounod aurait mieux fait de surveiller, 
par lui-môme, l'accomplissement des formalités 
légales et de sauvegarder ses intérêts. Mais, 
dit-il, il ne connaissait pas la loi, la Loi que nul 



n,gti7cdT:G00glc 



200 CHABLBS OOUNOD 

u'eet ceusé ignorer, et il raconte (1) les tribula- 
tions, les difïïcaltéa, les ennuis qu'il eut à sup- 
porter dans ses relations avec M. Mapleson, direc- 
teur du théâtre de Sa Majesté, M. Gye, directeur 
do Covent-Gardeu, M. Gambart, un fondé de 
pouvoir spticial, les éditeurs, etc., etc. 

Chose singulière 1 Gonnod ne sachant pas que 
son œuvre était tombée dans le domaine public, 
avait, en 1863, vendu & M. Gye le privilège de 
jouer Faust pendant une période de 28 ans, 
moyennant une indemnité de 7,500 francs, pour 
sa part de compositeur. En 1873, il apprit qu'il 
avait vendu ce qui ne lui appartenait pas, et il 
restitua aussitôt au Directeur les 7,500 francs 
reçus. Avant cette restitution, M. Gye n'était 
pas content. Il s'imaginait, bien à tort, que Gou- 
nod l'avait trompé, et il disait ; — Si l'auteur de 
Faust n'est pas en prison, il le doit à ma charité! 

Le public de Londroo ne s'occupait guère de 
tous ces démêlés entre directeurs, auteur, édi- 
teurs et agents internationaux pour la propriété 
de l'art. Il lit toujours un excellent accueil à 
l'œuvre de Gonnod. 

Faust fut joué pour la première fois à Londres, 
pendant la saison de 1863, au théâtre de Sa 
Majesté. Quelque temps après, au mois de juillet 
de lamfime année.Coveut Garden le donnait à 



(<) Voyez l'article de Gounod sur la propriété arlisliqae. 
Voyez aussi les brochures anglaises publiées par M" 
WeldoD, notamment Les Affaires, pages 69 et suivnntes. 



n,gti7cdT:G00glc 



6A. TIE ET SES ŒUYRRS 301 

son tour, SOUS le titre de Fausi et Marguerite, 
avec un grand luxe de décors et de mise en scène. 
Les principaux interprètes étaient Faure, Tatn- 
berlicît, Graziani, Tagliafîco, M"" Carvalho-, 
M"" Nantier-Didié qui, dans le rôle de Siebel, 
chanta, au quatrième acte, la romance : Verser 
fos chagrins dans mon âme. 

Faust est resté au répertoire des théâtres an- 
glais, et les plus grands artistes s'y sont fait 
applaudir, notamment Mario et la Patti. (1) Plus 
tard, le chef-d'œuvre de Gounod traversa 
l'Atlantique, et partout, en Amérique comme en 
Europe, il a excité l'enthousiasme. Partout il 
s'est imposé sur les grandes scènes lyriques, et 
il jette ainsi, dans les deux mondes, le plus 
grand éclat sur l'art français. 

Ua pareil succès est bien dû à une œuvre qui, 
en dépit du temps, en dépit de la critique, et mal- 
gré des interprétations parfois bien médiocres, 
n'en conserve pas moins, une grande valeur 
musicale. 

Noos avons résumé plus haut les comptes 
rendus publiés, en 1859, après la première repré- 
sentation. Depuis cette époque, laCritique Musi- 
cale a continué à donner, sur l'oeuvre de Gounod, 
de nombreuses appréciations. Comme au début, 
les avis sont partagés : 

(t) La Patti a cbikuté ose foisit Paris le rOle de Uar- 
Caecite. 



n,gti7cdT:G00glc 



302 CRABLEg aoUNOD 

- Fétis, dans son dictionnaire des Musiciens, 
(Edition 1862), dit qae le rôle de Marguerite est 
d'une beauté achevée, et il ajoute : 

t Quelques parties du premier ncte, presque tout le 
second, et surtout te troisiëme, sont l'œuvre d'un talent 
de premier ordre... Malheureosement l'inspiration ne se 
soutient pas aprës la marche dn i" acte, et U, où corn- 
mencela partie sombre dn drame, elle abandonne le com- 
positeur. Lorsqu'il cherche la force, il ne trouve que le 
bruit. » 

Nouâ lisons dans le grand dictionnaire de mu- 
sique et des Musiciens de Grove, dictionnaire 
anglais terminé récemment et paru à Lon- 
dres ; 

« La partie fantastique de Faust n'est peut-3tre pas 
complètement satisfaisante. Les plus fortes situations 
dram&tiquea sont peut-être traitées avec moins d'art 
que celles qui touchent au genre élâgiaquo ou pittores- 
que, mais en dépit de ces objections, l'œnvre doit Stre 
classSe parmi celles qui font le plus grand honneur k 
l'Ecole Française. > 

M. Arthur Pougin, dans le journal VAri , du 8 
avril 1877 (Etude sur Gounod), fait l'éloge de 
Faust : 

. ( Jamais le mosicîen ne fat mieux inspira. L'acte do 
la Kermesse est nn tableau plein de lumière et de cha^ 
leur, d'une couleur blonde et resplendissante. L'acte du 
Jardin est d'une poésie vaporeuse et enchanteresse, et la 
passion j fait entendre des accents tour & tour pleins 
d'une molle langueur ou d'une énergie intense... » 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 303 

M. Camille Bellaigue a pris à tâche de renier 
ses devanciers à la Revue des Deux- Mondes, et 
de Tengpp Gounod de leurs amères critiques.Tou- 
tes les fois qu'il parle de Faust et de l'acte du 
Jardin, c'est en termes émus et pleins d'une juste 
admiration. 

Lisez l'étude de M. Claretie, sur Gounod : 

« Oounod, c'est le musicien de l'amour, alangui, mou- 
rant, et dont l'immense soupir s'en va se perdre dans 
l'infliii. .. C'est le poète amoureux d'an temps qui ne croit 
gudre k la poésie, et qui ne croit à l'amour qu'en mu- 
sique.,. 1 

Lisez encore les feuilletons et les publications 
de M. Oscar Comettant, l'ami du maître. Ce n'est 
plus de l'admiration, ce n'est plus de l'enthou- 
siasme, c'est du délire, c'est du fanatisme, et un 
fanatisme raisonné qui encense, avec conviction, 
toutes les productions de l'auteur de Faust. 

Mais cette large médaille, couverte, d'un cdté, 
d'inscriptions élogieiises, a aussi son revers. 

Les premiers coups , en debors de la Presse , 
paraissent avoir été portés par Léon Escudîer. Eu 
1863 , le succès de Faust était établi. Les édi- 
teurs quin'avaient pas voulu acheter la partition» 
et la maison E^cudier était de ce nombre, ne dis - 
simulaient pas leurs regrets. On avait laissé pren- 
dre à M. de Choudens une place enviée. Dans un 
opuscule publié à cette époque (Mes Souvenirs, 
1863), Léon Escudier essaye de plaisanter les 



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201 CHABLBS OOTINOD 

Toyages de M. Gdunod accompagné de son 
éditeur, eu de son Bamam : 

• Que demain Po&toiae, ou Landerneau, veuillent sa 
passer le caprice de faire jouer Faust aur leurs ecdnea ; 
an premier coup de Bifflet, ils sont sûrs de voir appa- 
raître U. Gounod et son Ealeb, fidua Achatet, l'un muni 
du bftton de directeur d'orchestre, l'autre portant la par- 
tition..., etc.* 

Les frères Bscudier auraient bien vontu, 
comme M. de Choudens, porter la partition «t 
encaisser les bénéfices 1 L'auteur de la brochure 
s'en prend ensuite à l'œuvre de Gounod : 

« Ses opEras ont la gravité pompense des morceaus 
académiques, le sombre 7 tient U place du grandiose, 
la travail celle de l'inspiration. Les ciselures de l'or- 
cbeatre cachent l'absence des mélodies, etc....» 

Plus loin : 

« M. Oonnod n'est pas un compositeur dramatique. 
Il «et avant tout un symphoniste d'un vrai mfirite. Ses 
qtélodies, quand i! j en a, sont écourtées et manquent 
de proportions. Il n'a pas la Sbre des passions. Veut-il 
être grand, il n'est qu'emphatique. Veut-il Stre instruit, 
il n'est que pédant , etc. > 

Plus loin encore : 

t Cet artiste manque essentiellement de ce qui cons- 
titue le vrai musicien, dans la plus grande acception du 
mot. n manque de nobles et puissantes inspirations. Il 
les remplace par le travail, par des idées préconçues, 
par des afféteries, par des ciselures intéressantes qui 
sont plutôt des arrangements que des idées 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIB ET SES ŒUVRES 205 

Et dire que si la maison Escudier avait édité 
Faust, Léon Escudier aurait présenté l'auteur 
comme le plus grand génie musical de ces der- 
niers temps I 

Parmiles détracteurs delà musique de Gounod, 
il faut citer uq graud nombre de Wagnériens, 
sinon tous. Wagner a écrit des volumes pour 
essayer de prouver que la musique italienne est 
sans valeur, que la musique française est ridicule 
dans Gounod, grotesque dans Âuber, etc. Il a dit 
que l'auteur de Faust avait fait de Mai^uorite 
une grisette amourachée, et qu'il avait amoindri 
ou manqué les principales situations du drame 
de Gœthe. 

H. Blaze de Bury (de la Revue des Deux- 
Mondes) apprécie Faust dans les termes suivants : 

■ J'étonnenda pent-^tre fort M. Gounod, ai je 

lui diaais que, tout en s'imaginaat composer d'une façon 
plua ou moina défluitivo la musique du poème de Ooettie, 

il dérivait un opéra italien de la meilleure école J'ù 

vu à peu près partout l'ouvrage de M. Oounod repré- 
aenté k Iltalienne, et, chose triale )t dire, U magique, à 
ce travestissement de l'idée de Oœtlie, la musique 
gagnait plutôt qu'elle ne perdait... * 

Faust une œuvre italienne ! Voilà une asser- 
tion d'autant plus étrange que d'autres critiques 
considèrent la partition comme étant inspirée de 
la musique allemande. Qui croire? N'a-t-on pas 
dit qu'en maints endroits de l'ouvrage, notam- 



n,gti7cdT:G00glc 



306 CHAULES COUNOD 

ment au premier et au troisième acte, Gonnod 
avait intercalé, adapté, copié des fragments 
empruntés à Mendelssofan et à Schumann. Cette 
opinion est mieux fondée, plus réfléchie que 
celle de Blaze de Bury, préoccupé de l'interpré- 
tation à l'Etranger plutôt que de la musique en 
elle-même. L'œuvre penche beaucoup plus du 
côté Allemand que du côté Italien. Ecoutez, par 
exemple, la fin du troisième acte, quand Mar- 
guerite chante à sa fenêtre et baille aux étoiles. 
Ce passage n'est-il pas imité de Schumann T 
Cela saute aux yeux, ou plutôt aux oreilles. Imi- 
tation heureuse, qu'il n'est pas donné à tout 
musicien de réussir avec autant d'à-propos et 
autant d'inspiration ! 

Gounod, comme nous l'avous fait remarquer 
dans notre premier chapitre, avait mis à profit 
son voyage de Lauréat de l'Institut. A l'Etran- 
ger, il s'était imprégné des belles compositions 
de Mendelssohn, alors presqu'iuconnues àParis. 
A la petite église des Missions Etrangères, te 
modeste maître de chapelle, qui touchait mille 
francs d'appointements par aunée, avait continué 
l'étude des maîtres allemands. Pourquoi, en écri- 
vant un sujet comme celui de Faust, n'aurait-il 
pas tiré parti de sa science, et de l'avantage 
incontestable qu'il avait sur beaucoup de musi- 
ciens français, à une époque où la Cavatine fleu- 
rissait, et oii le public voulait des airs, rien que 
des airs, toujours des airs. Si Gounod a voulu 
imiter Mendelssohn et Schumaun, il a bien fait, 



n,gti7cdT:G00glc 



EA. VIE Bt BBS ŒUVRES 207 

et, dans tous les cas, il a sa franciser la musi- 
qae allemande, il l'a mise & la portée des dilet- 
taati de 1859. Cette sorte de compromis révèle 
un art profond^im savoir-faire spécial, un accom- 
modement discret, qui, d'autre part, ne permet 
pas de nier l'inspiration personnelle du musicien: 

L'acte du Jardin est une pag^e admirable, et 
pourtant on l'a critiqué. Le quatuor a été consi: 
déré comme manqué, comme trop court. Pour- 
quoi ce blâme injuste, qui, parti inconsidérément 
des journaux publiés en 1859, se reproduit au- 
jourd'hui, comme par tradition ? Est-ce que 
l'intérêt scénique et musical ne porte pas avant 
tout sur le groupe de Faust et Marguerite ? Le 
Diable et la vieille Marthe, en complétant le 
quatuor, ne servent qu'à préparer le duo, et ils 
disparaissent au plus vite. Le quatuor est ce qu'il 
doit être. 

L'acte du Jardin dure longtemps. U se passe 
en flirtage, en séductions, en duo; l'action dra- 
matique n'est soutenue par aucun mouvement ; 
c'est de l'extase pendant plus d'une heure 1 Et 
cependant l'œuvre musicale, sans aucun autre 
secours que l'inspiration du maître, attache, 
émeut et captive profondément l'auditeur. Il y a 
là une progression toujours croissante qui abou- 
tit merveilleusement au morceau final. 

Que n'a-t-on pas dît encore sur la musique 
de Faust ? C'est de la musique des sens... C'est 
un mélange de mysticisme et d'érotisme... C'est 



,n,gti7rcT'G00glc 



208 CHARLES OOVNOD 

une œuvra ralis^ieuse composée sur uu buffet 
d'orgue... C'est la musique d'un talent subalterne 
surun livret de lorette, a écrit Wagner... etc. 

Môme dans l'orchestre, dit M. Camille Bel- 
laigue {Figaro du 1" décembre 1888), on sent 
l'amour, et M. Bellaigue ajoute : 

• Je connids, tttadis que Hai^uerite chante à sa fenS- 
tre, on contre-chant de flAte si doux, ai enveloppant, 
gull jostifle la brusque question du Haltre, on soir que 
nous écoutions Fouit ensemble, et qu'en entendant sou- 
pirer cette fl&te, il s'écria : Sens-tu des cbaveoz de fem- 
me autour de ton cou? > 

Aujourd'hui, si l'œuvre de Gounod est encore 
contestée par quelques-uns, elle est connue de 
tous, et chacun l'apprécie suivant ses goûts et 
ses tendances. Nous n'avons pas besoin d'ajou- 
ter par nos inutiles éloges à la juste admiration 
qu'a excitée partout cette belle partition. 

En terminant ce chapitre, constatons que 
Faust n'a pas épuisé sou grand succès, que l'ou- 
vrage est resté debout en France et en Allema- 
gne, malgré l'influence irrésistible des Brames 
Lyriques de Wagner. 

Faust, à notre sens, est le chef-d'œuvre 
de Gounod. Le maître produira encore de remar- - 
quables compositions, mais ces compositions 
n'égaleront pas la valeur musicale de l'œuvre à 
laquelle il doit sa renommée. 



lyGpqgIc 



ŒUVRES DRUHATIOUES DE ISfiO I 1870 



La Reine de Sabei.— Uireille.— Roimâo 
et JultettQ 



LA REINE DE SABA 

Pendant cette période de dix ans, de 1860 à 
1870, cinq opéras de Gounod furent représentés 
à. Paris, parmi lesquels Phitémon et Baucia et La 
Colombe, deux œuvres que nous avons précé- 
. demment analysées. Il nous reste à apprécier 
La Reine deSaba, Mireille et Bornéo et Juliette. 

La première représentation de La Reine de 
Saba eut lieu, dans la salle de la rae Le Pele- 
tier, le 28 février 1863. C'était le premier grand 
opéra joué sur cette vaste scène après le Tann- 
haûser (\ama.r8 1861). 

Le Tannhaûser, dont l'ouverture avait été exé- 
cutée, en 1850, aux concerts Sainte-Cécile, n'était 



-n,g -ccT'GoOgIc 



310 CHABLE6 aoUNOD 

pas pour "Wagner, un début à Paris. L'auteur, 
dans des séances musicales au Théâtre Italien, 
avait fait entendre, en 1860, une sélection de ses 
œuvres, notamment l'Ouverture du Vaisseau 
Fantôme, la Marche avec chœur du Tannhaûser, 
la romance de l'étoile, plusieurs fragments de 
Lohengrin, la marche des fiançailles, le prélude 
de Tristan et Yseuli, etc. Wagner n'était donc 
pas inconnu, et les polémiques allaient hon train. 
Les œuvres du Maître Allemand n'étaient pas 
en faveur à Paria où le besoin d'entendre des 
cavatines se faisait plus que jamais sentir. 

Or, les motifs, les cavatines n'abondaient pas 
dauB la Reine de Saba, et Gounod fut traité de 
Wagnérien. C'était alors le blâme le plus sévère 
qu'on pût infliger à un compositeur français. 

La Reine de Saba a été composée ou terminée 
en 1860 et 1861, presqu'au lendemain des repré- 
sentations de Faust. kMs&\ retrouve-t-on dans le 
nouvel opéra de Gounod, surtout dans Jes réci- 
tatifs, quelques formules de la musique de Faust. 

Quantau livret de MM. Barbier et Carré, il est 
tiré, en grande partie, d'une légende arabe, 
recueillie et publiée par Gérard de Nerval (1). 
I^ Reine de Saba, ou plutôt la Reine Balkis, nom 
primitivement réservé à l'opéra, arrive à Jérusa- 
lem, pour admirer les travaux fabuleux que fait 

(1) Ce sujet a été mis eu musique pour la première 
fois dans l'opéra de Gounod ; il a été traita depuis en 
ÂUemagne. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 211 

exécuter le Roi Soliman (et doq plus Salomon). 
Noos sommes ea pleine légr^nde biblique, mais 
cette légende n'a pas été exactement suivie par 
les auteurs du poèrae.On dirait mêmeque lelivret 
est une pièce politique, agrémentée, de ci de là, 
de formules socialistes. Les personnages sont 
nombreux : 

Adoniram , fort ténor, (Gueymard) ; — Soli- 
man, 1" basse, (Belval); — Amrou, 2"' ténor, 
(Grisy); — Phanor, baryton, (Marié); — Méthou- 
saël, bas&e, (Couloo); — Sadoc, basse, (Fnîret); — 
Balkia, chanteuse Falcon, (M" Gueymard); — 
Bénoni, 1" Dugazou, (M'" Hamakers) ; — Sarahil, 
duègne, (M"' Tarby). 

L'ouverture est remplacée par une simple 
introduction qui débute par une phrase confiée 
aux instruments de cuivre. C'est qu'il est ques- 
tion do Tubalkain dans l'opéra ! 

Au premier acte, Adoniram, le grand maître 
des travaux qui s'exécutent à Jérusalem , est 
seul dans son atelier. IL dit un récitatif sombre : 
Faiblesse de la race humaine / qui rappelle un 
peu la première scène de Faust, et qui amène 
l'air, en style de cantique : Inspirez-moi, race 
divine / Adonii-am est un ingénieur philosophe. 
11 considère les travaux de l'homme comme une 
tâche impuissante et vaine. Cependant, ce pré- 
cursenr d'Eiffel voudrait laisser quelque chose 
d'admirable, une œuvre gigantesque : 

Cette vasque aux puissants contouiB : la mer d'airaia \ 



n,gti7ccT:G00glc 



213 CHABLEB OÛHHOD 

La fonte de c'«t iSaonue bloc ee prépare. Le 
moule do sable est prât. 

Bénoni, élève d'Adoniram survient. Il annonce 
ft son maîtro l'arrÎTée de la Reine de Saba (Réci- 
tatif on duo), et il célèbre les channes de Balkia 
dans la romance : Comme la naissante aurore, 
dont l'heureuse mélodie rappelle encore la musi- 
que de Faust. 

Quatuor et trio : Maître ! notts demandons 
justice... Longue dispute en récitatif entre Ado- 
niram et trois ouvriers mécontents, Ffaanor, 
Amrou, Méthousaël. Ce sont trois émeutiers, et 
des émeutiers modernes. Ils demandent une 
augmentation de salaires, tout comme nos gré- 
vistes d'aujourd'hui. Le maître refuse et s'en va. 
Les ouvriers jurent de se venger. Ils commen- 
ceront par faire manquer la grande opération de 
la fonto de la mer d'airain. 

Le théâtre change, et représente une grande 
terrasse qui domino Jérusalem. Cortège et final, 
(Balkis, Adoniram, Soliman et chœur). Une mar- 
che d'allure bien carrée précède l'entrée de Soli- 
man et de BalHs. Récitatif entre le Roi et hi 
Reine. Celle-ci donne son anneau au Roi, avec 
une phrase musicale mélodieuse et charmante : 
Je sais que cet anneau m'engage à mon époux. 
Mais éblouie par le temple et par les embellisse- 
ments de la ville, elle demande à voir l'auteur 
de tous ces splendides travaux. Adoniram appa- 
raît, et la Reino de Saba, frappée du coup de 
foudre, comme la Grande Duchesse de Gérols- 



n,gti7cdT:G00glc 



SA TIE ET SES ŒOVRES 313 

tein à la vue du soldat Fritz, s'éprend pour le 
mîûtre ouvrier d'un amour aussi soudain que 
Tiolent. Pauvre Salomoo ! Je ne sais si tout cela 
est bien conforme à l'Ecriture. N'importe I Pen- 
dant le défilé, à grand spectacle, des corps de 
métiers, Balkis passe au cou d'Âdoniram un ma- 
firnifîqae collier de pierreries, et le chceur final 
chante : Hosannah I Etait-il possible, dans une 
inèce hébraïque, de proscrire ce motT 

lia fonte de la mer d'airain sur le plateau de 
Sion, lo haut-fourneau en feu, le grand moule de 
sable, tout cela fut supprimé avant la première 
représentation, soit par crainte d'inttendie, soit à 
cause de l'importance et de la longueur du ballet 
qui nécessitait une coupure. L'ouvrage fut ainsi 
réduit en quatre actes.(Le tableau de la mer d'ai- 
rain a été ajouté à la fin de la partition piano et 
chant). 

Le second acte s'ouvre sur un bois de cèdres, 
et débute par un charmant chœur chanté par les 
suivantes de Balkis : Déjà l'aube Tnaiinale. Des 
jeunes filles juives entrent en scène et dialoguent 
avec les Sabéennes. C'est le fameux chœur : 

Que Disa tous aceompa^e ! filles SabSennea I 

rentable bijou musical, petit chef-d'œuvre de 
grâce et de légèreté, où Gounod s'est révélé 
dans toute son originalité. 

■ Rien de plus ingënieui, dit Berlioz, que ce duo pour 



n,gti7cdT:G00glc 



314 CHARLES QOUNOD 

20 premiers et 20 seconds sopranos. Le tissu mélodique 
en est gracieux, et les développements ménagés avec un 
art esquis, aboutissent k une courte phrase finale qui a 
fait éclater les applandiBsementa de toute la salle, i 

Scudo, daoB la Revue des Densa- Mondes, se 
livre à un éreintement aussi complet qu'excessif 
de toute la partition. En parlant de ce chœur 
dialogué, il exprime ainsi son dédain : C'eatdu 
Verdi ! Dans ta bouche de Scudo, c'était une 
excommunication. 

Ce joli chœur des Juives et Sabéennes n'en est 
pas moins remarquable. Il a survécu à l'opéra. 

Suit le divertissement, qui, à la première 
représentation, ne dura pas moins d'une heure 
et un quart. Il contient douze mouvements très 
variés, dont les trois premiers sont dansés par les 
Juives. Viennent ensuite les Sabéennes. Les 
danseuses des deux nationalités se réunissent 
pour le final. On distingue notamment dans ce 
grand ballet une jolie et gracieuse valse, dansée 
par les Juives. Il faut remarquer aussi, à l'arrivée 
des Sabéennes, un court et charmant adagio, 
dans le style de Mendelssohn. 

La reiue avait donné le signal du Divertisse- 
ment. Elle avait prononcé la formule : Que la 
fête commence ! Mais tout à co'up la Reine inter- 
rompt les danses, et les jeunes filles reprennent 
le chœur pour quelques instants. 

Bestée seule, Balkis chante la cavatine : 

Plus grand dans son obscurité. 



n,gti7cdT:G00glc 



BX TIK BT SES ŒUVRES 315 

Ce morceau, comme le chcear dialog:ué, a 
survécu à l'opéra. C'est un chant large, bien 
développé. La Reine qui aime Adoniram, regrette 
d'avoir donné son anneau à Soliman, et d'avoir 
engagé sa foi. Quel délicieux passage que celui- 
ci, dans la cavatine : 

Funeste serment qui me lie 1 
Réaîgnfr-toi, mon cœur.— OnbUe ! 

Quoique trop long, le duo qui suit, entre 
Balkis et Adoniram, est poétique et émouvant. 
Adoniram se trouve indigne de l'amour de la 
Reine. N'a-t-il pas échoué dans la fonte de la 
mer d'airain I Bidkis le console, lui redonne l'es- 
poir, et chante une phrase bien musicale sur ces 
vers : 

Vainqueur, si j'ai po vous lourire, 
Je TOUS console malheureux. 



L'acte se termine par un quatuor d'un bel 
effet, écrit daim le style religieux (Balkis, Béno- 
ni, Sarahil, Adoniram) : O Tubalkain, monpère 1 

Avant ce quatuor, Bénoni était venu annoncer 
à son m^tre Adoniram que pendant la nuit les 
Djinns avaient réparé son ouvrage. La iner 
d'airain a subi une nouvelle fonte, et la t&cbe est 
achevée. Hosannah I Adoniram triomphant se 
trouve désormais digne de l'amour de Balkis. 
Récit et scène : Mon maître, gloire à toi ! 



n,gti7cdT:G00glc 



Au troisième acte, l'acMon se passe dans le 
palaisde Soliman. Chœur et danse : 

Solifflan notre Roi, va s'asseoir au festin, 
Près de Balkis 

Cavatine de Soliman ; sous tes pieds d'une 
femme. Le Roi se désole, car, depuis trois jours, 
Balkis cherche à l'éviter. 

Qaa.tu.oi (Hdtei-vous déparier), entre le Roi 
etles trois ouvriers grévistes.Ceux-ci apprennent 
à Soliman que Balkis le trahit avec Adoniram. 

Ce quatuor est tout naturellement suivi d'une 
entrevue entre les denx rivaux, entre Soliman et 
Adoniram, gui se menacent. Qu'est devenue la 
sagesse du grand roi Salomon 1 Les récitatifs de 
cette scène sont entrecoupés par une sorte de 
cbœnr religieux. 

Vient ensuite le grand duo de l'enÎTrement 
(Ballda et Soliman). La Reine grise Salomon, et 
lui reprend l'anneau qu'elle lui avait donné au 
premier acte. Cet anneau, elle le passera au doigt 
d' Adoniram mourant, à l'acte suivant. Ce duo, 
pendant lequel un chœur chante dans la coulisse, 
a para manqué. La situation était pourtant bien 
scénique, et favorable au musicien. 

Au quatrième et dernier acte, l'affreux ravin 
du Cédron. L'orage éclate. C'est dans ce site 
sauvage qu' Adoniram et Balkis se sont donné 
rendez-vous. Ils pouvaient ïaieux choisir. Ado- 
niram est seul au lever du rideau. Récitatif bien 



n,gti7cdT:G00glc 



SA Vnt ET SES ŒCVBEB 217 

accentué : Du Cédron j'entends gronder les 
flots. 

Âmcon, Fhanôr, Méthousaël, les trois conspi- 
rateurs, arrivent à l'improviste, et assassinent 
leur m^tre. Quatuor : 7^5 yeux ont su me recon- 
naître. Les meurtriers se sont enfuis. Balkis cmr- 
vient à son tour. Elle trouve son amant sur le 
point d'expirer. (Scène : La Foudre gronde). Le 
rôle de la Reine contient là de beaux accents 
dramatiques : Non tu ne peux mourir. Non tu 
ne mourras pas 1 Mais Adoniram meurt, pour 
renîdtre, il est vrai, presqu^aussitât dans une 
apothéose, où on le voit paraître sous l'égide de 
Tubalkain. Cette apothéose est précédée du Fi- 
nal ; O terreur ! O forfait t (Plaintes de Balkis 
et réponses du chœur). 

Ainsi finit ce drame burlesque, qui n'eut à 
Paris qne quinze représentations. La partition, 
bien que vivement attaquée par les critiques, fut 
considérée comme infiniment meilleure que la 
livret. L'orchestre, dans la Reine de Saba, se 
distingue constamment par la richesse des 
accompagnements. Mais on traita Gounod de 
compositeur à système ; on blâma la longueur 
des récitatifs, et la forme vague des mélodies. 
Dans cette sorte de Panthéisme musical, disait- 
on, les deux premiers actes valent mieux que les 
deux derniers. 

Berlioz fut élogieux dans son feuilleton. 
D'ailleurs sa critique fut toujours, au Journal des 
Débats, pleine de bieuTeilIauce pour Gounod et 



n,gti7cdT:G00glc 



218 CHARLES OOUNOD 

pour ses compositions. Aa fond, Berlioz faisait 
bien quelques réserves. Gounod ne marchait-il 
pas SUT ses terres ? N'était-ce pas un rival 
beureux qui s'emparait de ses sujets préférés, 
Faust, et Roméo? 

Berliozécrivaît le 2juin 1861 à son fils (Cor- 
respondance inédite) ; 

t Les Troyens Sont décidément admis k l'Opéra: Hais il 
7 a Qoanod et Qewaert à passer avant moi. Kn voilà 
pour deux ans. Gounod a passé sur le corps de Oewaert 
qui devait être joaë le premier. Et il» ne sont prêts ni 
l'un ni l'autre, et moi, je pourrais Stn mis en répétition 
demain, et Gounod ne pourra Stre Joné au plus tôt qu'en 
mars 1863 » 

Au même, le 5 mai 1862: 

* La chute de la Reine de Si^ a effarouché le Ministre 
qui ne sait plus quel parti prendre pour mettre à couvert 
as responsabilité. Il voudrait un opéra nouveau d'un 
maître consacré par de nombreux succès. Mais Mejerbeer 
ne veut pas, Halévy est mourant à Nice, Auber n'a rien 
fait. Le Ministre n'ose pas encore se prononcer en ma 
ntvenr. .. • 

La chute de la Beine de Saba fut complète — 
Faust, écrivait Léon Esctidier, a été l'Auster- 
litz de M. Gounod , la Reine de Saba a été son 
"Waterloo. — Gounod avait compté sur un. grand 
succès. Il fut très sensible à cet échec. Peu de 
temps après, un critique musical le rencontre à 
Bade : Vous ici, m^tre ! — Oui, répond Gounod, 



n,g -ccT'GoogIc 



SA VIE ai SKB ŒUVRES 219 

je voyage pour un deuil de famille. — Vous avez 
perdu un des vôtres ? ■— Hélas ! j'ai perdu une 
femme que j'avais beaucoup aimée, La Reine de 
Saba. 

Pour se consoler, Gounod fit un voyage en 
Italie, puis revint passer trois mois aax environs 
d'Arles, auprès de Mistral. Il en rapporta 
Mireille. 

La Reine de Saba n'avait pas réussi à Paris, 
mais il n'en fut pas de même à l'Etranger. 
L'œuvre fut accueillie avec faveur, d'abord à 
Bruxelles, au théâtre de la Monnaie, au mois de 
novembre 1862. Le tableau de la fente de la mer 
d'Airain avait été rétabli,et l'ouvrage fut joué en 
cinq actes. 

£u Âllemagne.ropéra eut plus de succès encore 
et fit fureur. La Reine de Saba fut jouée la 25 
janvier 1863 à Darmstadt, sur le théâtre Grand- 
Ducal. Presque tous les directeurs des grands- 
théâtres allemands assistaient à la représen- 
tation que le Grand Duc honorait de sa présence. 
Le deuxième acte (la mer d'Airain) produisit 
beaucoup d'eâfet, et, à la fin de la soirée, Gou- 
nod recevait des mains du Grand Duc la croix de 
son ordre, la croix de Philippe le Magnanime. 

.ëous le nom d'Irène, dit le grand dictionnairo 
anglais de Grove, une adaptation de la Reine 
de Saba a été donnée quelquefois à Londres. Le 
dictionnaire ajoute : Lair de la Reine du qua- 
trième acte a été depuis intercalé dans Faust. 

Au mois de mars 1876, après douze années 



n,gti7cdT:G00glc 



CBA.RLBS QOUNOD 



d'intervalle, l'ouvrage, repris à Bruxelles, re- 
trouTait, plua vif encore, son premier succès. 
Bruxelles était resté fidèle à Gounod. 



MIREILLE 

La partition de Mireille contient des pages 
d'une grande valeur musicale , mais l'œuvre est 
inégale, et elle ne se prête pas à une action scé- 
nique de longue darée. Aussi, l'opéra a~t-il eu 
plus de succès dans les salons qu'au théâtre. La 
chanson de Magali a été pour Jl/tVe(7/e ce que le 
chœur des Soldats avait été pour Fuust. Malheu- 
reusement la chanson de Magall n'a pas réussi h 
sauver la partition tout entière. 

Dès le début, l'œuvre fut considérée comme 
mal agencée pour la scène, et les diveis rema- 
niements apportés au livret et à la musique prou- 
vent que la Critique a eu raison sur ce point. Au 
lendemain de la première représentation , on 
faisait d'importantes coupures. Quelques mois 
après, l'opéra était repris, revn et diminué. En 
1874, on donnait Mireille à la salle Favart , avec 
de nouvelles modiâcations , en dépit de l'auteur 
qui n'était pas partisan de cette reprise. Gounod 
s'y opposa d'abord. Puis , par égard pour les hé- 



n,g -ccT'GoogIc 



BA TIB HT SBS ŒUVRES 221 

ritiors de Michel Carré (1), auteur du livret , il 
finit par y consentir , non sans protestations : — 
« Les modiâcatiODs apportées à mon ouvrage , 
disait-il , ouvrage dont le libretto n'est déjà paa 
bien vigoureux, ne sont ni de mon goût , ni de 
mon cru. ■ — 

Voilà donc un opéra qui, au dire de tous, et 
selon l'avia même de Gounod, n'a pas été pré- 
senté au public sous une forme définitivement 
arrêtée. Dans ces conditions, tout jugement sur 
l'ensemble de L'œuvre paraît prématuré, et man- 
que de bi&6. -Mireille attend encore une reprise, 
après une nouvelle refonte du livret et de la 
partition. Jusqu'ici, les diverses représentations 
n'ont été, pour ainfii dire, que des répétitions 
générales (2). 

Michel Carré a tiré son livret du poème de 
Frédéric Mistral, Mirèio, cette charmante idylle, 
qui a valu à son auteur une si grande et si juste 
renommée. Mirèio, écrit en langue provençale, 
était destiné à montrer toutes les ressources de 
ce bel idiome, et à peindre les mceurs de ceux 
qui ont l'habitude de s'en servir. Mistral ne 
l'avait composé que pour la Provence, que pour 
les villages des environs d'Arles. Mais le poème 
s'est étendu au delà des régions méridionales, il 

(1) Hiehel Carré, né en 1819 , mort à Argenteuil la 28 
Juin 1872. 

(2) A.U. moment où ce livre est composé, on annonce 
une reprise de Mireiilt k l'Opéra-Gomique. Nous parle- 
rons, s'il j a lieu, de la représesUon dans un appendice. 



n,gti7cdT:G00glc 



292 CHiStLES OOUNOD 

a passé nos frontières, et l'on ne compte plus 
anjourd'hui le nombre des traductions en langues 
étrang'ères, à l'aide desquelles il a pénétré jus- 
. qu'aux extrémités de l'univers. M. Rig'aud, l'an- 
cien Premier Président de la Cour d'Aix, constate 
ce succès universel en téie de sa traduction en 
vers français de Mirèio. — Comprenant parfai- 
tement l'idiome que parle Mireille, dit t'honorabte 
magistrat, et jaloux de la faire connaître & ceux 
qui ne le comprennent pas, j'ai pris cette gentille 
paysanne par la main, je l'ai revêtue du costume 
exigé pour paraître dans une société plus élevée, 
je l'ai exercée à balbutier de son mieux la seule 
langue qui j soit reçue, et, sous ce nouvel appa - 
reil, je la présente daca le monde. — 

Mirèio est un poème rustique qui transporte 
d'abord le lecteur dans lou mas di Valabrego, 
c'est-à-dire dans la ferme où babite Mireille 
auprès de son pAre, maître Ramon, et de sa mère, 
Jeanne-Marie. Les fermiers sontricbes. 

Maître Ambroise et son fils Vincent, tons deux 
pauvres vanniers, so sont attardés dans le désert 
pierreux de la Cran. Ils demandent l'hospitalité 
à la ferme. On leur donne à manger et à boire ; 
on les fait conter et chanter. Entr'autres choses, 
Vincent décrit le pèlerinage des Saintes et il 
termine ainsi : (Traduction de M. Rigaud) (1). 

Si le sort jaloux, infidèle 
Vous touchait jamais de son ailti. 
Vite aux Saintes ! C'est là qu'on guérit de tout mal. 



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SA. VIB ET SEB -ŒUVKES Sâ3 

Les Saiates- Maries formeat uq petit village, 
situé dans l'île de Camargue, au bord de la mer, 
entre les embouchures du Rhône. Une antique 
tradition y attire te 35 mai de chaque année une 
grande foule de pèlerins. Les Saintes-Mariés de 
la Mer sont les patronnes de la Provence. 

Mireille, attentive à ces récits, est séduite par 
la grâce du jeune homme, et sa passion éclate 
tout à coup- 

Nous sommes à l'époque des vers à soie. Mi- 
reille est à la feuille, par une belle matinée de 
printemps. Elle appelle Vincent qui, par hasard, 
passe au sentier voisin. Le vannier accourt, et 
monte à l'arbre pour aider la jeune fille à cueillir 
le mûrier. Les mains se rencontrent et se pres- 
sent. Les incidents se succèdent ; puis on décou- 
vre un nid de pimparrins, un nid de beaux pin- 
sons bleuâ ! Heureuse trouvaille, car, selon le 
proverbe, ceux qui trouvent à deux un nid sur 
un mûrier sont mariés dans l'année. 



Gentils oiseaux, que je vous baise 1 
Changez de nid, ne vous déplaise, 

dit Mireille, en coulant les petits pinsons dans 
son corsage. Mais les oiseaux se débattent. Elle 
s'écrie : « Vincent, viens les prendre, s 

Et pour remplacer le corsage. 

Imuginant une autre cage. 

Il présente en riant son bonnet de marin. 

Tout ce tableau dépeint par Mistral est des 



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224 CHARLBS OOUTfOD 

plus piqnaDtB et des plos poétiques. L'épisode de 
la branche rompue est délicieux. Les deux jeu- 
nes gem tombent à terre, dans les bras Tan de 
Tautre, et font le serment de s'épouser. Taren, la 
sorcière des Baux (ville minée), les a vos, et elle 
réprimandera Mireille. Quant à maître Ramon, il 
refuse de donner sa £lle à un pauvre vannier, à 
un raccommodeuT de corbeilles, alors que des 
prétendants plus riches se présentent. 

Ourias, tou toucado, le toucheur, c'eat-à-dire 
le dompteur de taureaux, est an de ces préten- 
dants. 11 rencontre Vincent, son rival heureux, 
et il te provoque. Vincent terrasse son adversaire 
et lui fait grâce. Mais Ourias suit son rival, et le 
frappe lâchement de son trident. Il le croit mort 
et s'enfuit épouvanté vers le Rhône. Il est minuit. 
Ourias appelle le passeur. Horrible traversée ! 
C'est la Dult de St-Médard pendant laquelle les 
ombres des noyés reviennent sur la terre, et for- 
ment une longue procession sur les rives du 
fleuve. Dans ce funèbre cortège, on distingue les 
ombres des jeunes filles qui se sont noyées par 
désespoir d'amour. Ourias est englouti. 

Vincent n'est que blessé. Mireille apprend les 
suites du combat. Son amant est eu danger, et 
elle se rappelle ses paroles : 

Se lou malur vous despoutento 
Courrês,courrès i Santo! Aurés lèu de Soûlas. 

La jeune fille quitte la maison paternelle, pour 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE BT SUS ŒUVBBB 235 

courir aux Saintes-Mariés; elle traverse on plein 
midi le désert de la Crau; la pauvre enfant, 
frappée par les ardeurs d'un soleil brûlant, de 
rimplacablo souleiado, expire, dans une extase, 
auprès de son bien-aîmé. 

Telle est, à traits rapides, la donnée du poème, 
en douze chants, que le poète a enrichi de si 
jolis détails et de descriptions si attachantes. Le 
sujet est simple : Une jeune fille riche, un jeune 
homme pauvre ; un amour contrarié ; mort ra- 
dieuse de la jeune fille atteinte par un coup de 
soleil. 

Sur cette donnée, Michel Carré a fait un livret 
en cinq actes, qu'il a été obligé de remplir par 
des scènes pittoresques, l'action faisant défaut. 
Le dialogue parlé est en vers. La première repré- 
sentation eut lieu au Théâtre-Lyrique le 19 
mars 1864. 

Personnages; Vincent, (ténor) Morini ; — 
Ourias, (baryton) Ismaël ; — maître Ramon, (Ire 
basse) Petit ; — Maître Ambroise, (3me basse), 
et le Passeur, Wartel; — Mireille, (soprano) M" 
Carvalho ;— La Sorcière Taven, et le pâtre 
Andreloun, (contralto) M°" Faure-Lefèvre ;— 
Vinceuette, sœur de Vincent, (Ire dugazon) 
M'" Reboux;— Clémence, jeune fille d'Arles, 
(2e dugazon) M'" Albrecht. 

Au premier acte, l'enclos des mûriers. C'est 
l'acte de la cueillette, et du duo entre Mireille 
et Vincent. 



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226 CHABLBS GOVKOD 

AU second acte, les arèaes d'Arles. Réunion 
joyeuse de bourgeois^ de jeunes Arlésiennes, et 
de paysans de la Provence. - La Farandole.— 
Mireille et Vincent chantent la chanson de Uagali 
(o Magali ma tant amado), cette jeune fille 
qu'on croyait rebelle à l'amour, (e que tombé 
pamens amouroso à soun tour). (1)— A la fin de 
l'acte, l'idylle cesse, le drame commence, et 
maître Ramon refuse d'accorder la main de sa 
fille à Vincent. 

Le troisième acte nous montre d'abord le Val 
d'Enfer. Ouriaa frappe Vincent de son trident. 
Second tableau : Le Rhône, scène fantastique. 
Fuite et mort d'Ourias. 

Au quatrième acte, la ferme de maître Ramon. 
Repas des moissonneurs. — Mireille apprend que 
Vincent est blessé ; elle court aux Saintes. — 
Le théâtre change, et représente la Cran, éclairée 
par un soleil ardent, — Chanson du pâtre Andro- 
loun. Celui-ci supplie Mireille de ne pas traver- 
eer la plaine, en affrontant les rayons de midi 
dont la blessure est mortelle. 

Au cinquième acte, l'église des Saintes-Mariés. 
Mort de Mireille. 

Les morceaux sont catalogués de la manière 
suivante dans la partition (2) (première édition). 

(1) On trouve à la fin du volume publié par M. Rigaud 
l'air populaire provençal de la Chansoa de Magali. 
(3) Lapartitioa est dédiée à S, M. Georges V, roi de 



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6A VIE ET SES ŒUVRES 227 

Ouverture. 

Premier aote : Introduction. — Chœur, Chan- 
tes, chantez magnanar elles. — Duo, (Mireille et 
Vincent) Vinceneite a votre âge... 

Deuxième acte : Farandole et chœur. — Chan- 
son de Mag-ali (Mireille et Vincent) La brise est 
douce et parfumée. — Chanson (Taven), Voicila 
saisoUj mignonne. — Air de Mireille : Trahir 
Vincent ! — Couplets d'Ourias ; Si les filles 
d'Arles sont reines... — Final : Le chef de 
famille autrefois. 

Troisième acte : Scène et chœur, (Ourias) Voici 
le val et Enfer !-~ Scène et duo (Vincent, Ou- 
rias), Us s'éloignent ! — Scène et chœur. Le 
Rhône ; (Ourias, le Passeur). 

Quatrième acte : Chœur, Amis, voici la mois- 
son faite ! — Musette. ■ — Chanson (Andreloun), 
Le jour se lève. — Cavatine (Mireille), Heureux 
petit berger. — Duo (Mireille, Taven), Ah! parle 
encore .' 

Cinquième acte : Marche et chœur. Vous qui 
du haut des deux... — Cavatine (Vincent): 
Mon cœur est plein d'un noir souci. — Final : 
Ah ! la voici ! c'est elle ! 

La partition contient, en supplément, l'air de 
Mireille (Voici la vaste plaine) qui fut supprimé 
à la représentation. 

Parmi les comptes rendus qui, au lendemain 
de la première représentation, firent l'éloge de 
l'œuvre, nous prendrons, dans le Journal des 



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228 CHABLEB OOUNOD 

i)^&a^8, le feuilletoa de J. d'Ortigue. Le critique 
avait habité la Provence. L'opéra do Mireille 
devait l'intéresser toat particulièrement. 

t L'oaverture, dit J. d'Ortigue, est une pastorale. 
L'introduction n-ius transporte dons un vaste horizon, la 
plaine de la Cran. Les cors ae répondent dans le loin- 
tain ; cela produit un bel effet. Les principaux motifs 
de l'allégro sont gracieux. Le mouvement maestoso de 
la fin est large et solennel. Il impressionne vivement. 

« Toute la scène de U cueillette, au début du premier 
acte, est charmante . Le chœur : Chantez, chantffx, magna- 
narelUt, est habilement coupé. Il rappelle le chœur dia- 
logué des Juives et des Sabéennes dans la Aetn« d» Saba. 
■ Le chant de la sorcière Tsven, Ecoutez-Us chanter et rire, 
est d'une phjsionomie tout à fait caractéristique. Ce 
premier acte, très court, se termine par la reprise du 
chœur des Uagnanarelles. 

( le second acte s'ouvre par la Farandole. C'est très 
animé, très vivant. Le tambourin et le galoubet sont 
sur leur estrade, mais pour les yeux seulement. L'oreille 
ne les entend pas . La timbale ne remplace qu'imparfai- 
tement les coups sourds et cadencés du tambourin, qui, 
sous les gammes aiguës du galoubet, bourdonnent dans 
une grande multitude, comme des pulsations de Joie 
populaire.— La chanson de Magali donne lieu à un duo 
entre Mireille et Vincent, dont le commencement est 
d'une grftce et d'une distinction exquises. L'oreille est 
d'abord un peu déroutée par l'altemation de la mesure 
neuf-huit et de la mesure aix-hmt ; mais elle s'y fait, et 
finit par trouver du plaisir k ce rhythme étrange. A 
mon avis, la chanson devrait se terminer là. Dans la 
seconde partie de ce duo, M. Gounod a voulu se montrer 
trop musicien. On a peine à suivre le fll méthodique 
dans cette série de modulations qui se succèdent. Le 
sujet même de la chanson imposait plus de simplicité. 



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SA VÎB BT SES ŒUVRES 239 

J'aime moins l'unisson qui termine le duo, bien que la 
réponse du chœar : l'amour myonne dans leur; yeux, soi t 
d'un effet ravissant. Après la reprise de la Farandole, 
vient une chanaon de Taven en ut mineur , que 
M"* Faure-Lefèvre cliante en ré. Le "Dasson 7 produit 
des accents d'une expression poignante. Cette chanson 
précède nn air de Mireille dont l'allégro est d'une beauté 
tonte classique. Cet air se termine par une progression 
trds dramatique de septiime&, sur ces paroles : A toi mon 
dm», je gtUs ta femme, Les couplets d'Ourias sont excel- 
lents et bien rhjthmés. Le Oual est traité de main de 
mattn. Les effets en sont nobles, touchants, éner- 
giques . 

• L'introduction instrumentale du troisiâme acte, le 
récit d'Ourias qui suit, sont d'une belle couleur, d'une 
couleur sombre et fantastique. L'air que chante Ourias, 
après avoir assassiné son rival. Ah ! qu'ai je fait ? j'ai 
peur... est expressif et richement orchestré. Il ; a un 
grand nombre d'inspirations pittoresques et poétiques 
dans la scène des nojés et des filles d'amour, icspira- 
tions d'an genre plus sjmphonique que dramatique. 

« Un chœur de moissonneurs ouvre le quatrième acte. 
Il est d'une allure très franche. Les ténors y montent 
jusqu'au la, avec une justesse parfeite. Ce morceau est 
coupé par un charmant chœur de jeunes garçons. Après 
un récit où maître Ramon exhale son courroux, on en- 
tend Mireille fredonner dons sa chambre la chanson de 
Magali sans accompagnement, et réduite au thème pri- 
mitif.— J'aimerais à insister sur le caractère virginal et 
tendre du duo de Mireille et de Vincenette ; sur l'air de 
Musette du Berger Andrelonn, air champêtre, charmant, 
fort bien trouvé, mais qui n'est pas plus provençal 
qu'autre chose; sur la chanson fort jolie du même 
berger. Quant k l'air de Mireille : Heureux petit Berger, 
on l'a fort applaudi, et avec raison, bien qu'il ne soit 
pas exempt de quelque prétention. Ce défaut se rencon- 
tre aussi dans la visioude Mireille. Hais le compositeur 



n,gti7cdT:G00glc 



230 CHARLES GOUXOD 

s'élâve k uue grande hauteur dans les dernières mesurea 
qui expriment l'extase de la pauvre victime. 

* La toile se lave, au cinquième acte, sur une belle et 
pompeuse marche religieuse. C'est le seul cliant popu- 
laire provençal qui ait trouvé grâce devant H. Goonod. 
Le motif de cette marche est en effet l'air du cantique 
de saint Gen, que le compositeur s'est approprié, en 
l'arrangeant pour la vois et pour l'orchestre. — Je citerai 
rapidement le touchant dialogue qui s'établit entre 
Mireille et Ramon, quand celui-ci pardonne; et le beau 
chceur : SainU ienste. — Quant au chant de Lauda Sion, 
j'avoue que j'ai peine k comprendre la r^son qui a déter- 
miné le chois de cette Prose. Par cela même que tout le 
monde catholique la chante, elle ne caractérise, en aucune 
manière, une cérémonie toute locale. Evidemment, M. 
Gounod ne s'est point montré soucieux de faire usage 
d'une foole d'airs provençaux, ceux du roi René, d'autres 
airs populaires, de cantiques, et surtout des noëls de 
Saboli, publiés il 7 a quelques années à Avignon.... ■ 

J. d'Ortigue insiste sur ce point ; L'auteur n'a 
pas donné à la musique de Mireille le cachet 
méridional, et la physionomie provençale. 

■ C'est un reproche, dit-il, que je fais & la musique, 
comme au libretto, comme à la mise en scène, aux dé- . 
cors, aux costumes.... Mais la musique considérée en 
elle-même, est très belle. C'est toujours de la vraie mu- 
sique, alors même que l'inspiration n'est pas celle de la 
situation, alors même que l'on peut bl&mer une instru- 
mentation trop chargée, une certaine nuance de recher- 
che. Hais que ne puis-je insister, comme je voudrais, 
sur toutes les beautés de l'ouvrage, sur l'élévation du 
style, tant de choses délicates, poétiques, senties, sur 
une orchestration toujours habile, toujours intéressante, 
et sur les effets d'ensemble d'un grandiose et d'une plé- 
nltnde admirables. .. 



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SA VIE El SES ŒUVRES 331 

Le compte rendu de la Gaseite musicale, 
tout en étant élogieux, fait quelques réserres : 
— Au premier acte, le duo des amoureux tient à 
3)eine sa place ; mais le chœur des Mag:nanarelles 
est ravissant. La mélodie est une des plus heu-r 
renses que Gounod ait trouvées pour un ensem- 
ble féminin, et l'on sait que Gouuod est doué 
d'un talent tout particulier pour les morceaux de 
ce genre. Le second acte est le plus robuste et 
le plus attachant de l'ouvrage. Le troisième et le 
quatrième ne sont, en quelque sorte, que deux 
solos, deux monologues. Tout le cinquième acte 
est uneadmirable reproduction du Pèlerinage des 
Saintes. Il y a là, comme aux deux actes précé- 
dents, un magnifique déploiement d'art pitto- 
resque. Le critique P. Smith ajoute : 

■ M. Gounod nous semble aToir profité de la leçon 
que U fle)'R« dt Saba lui a donnte . Dans MirtilU, il a fnit 
moins de cette musique imptrionnelU que l'école de 
l'avenir voudrait substituer a U tradition des Gluck, 
Mozart et de leurs héritiers. Cependant, il ne s'est pas 
encore assez défendu contre la fatale tendance à peindre 
des grisailles, au lieu de dessiner, de colorer des physio- 
nomies vivantes... Pour varier cette monotonie, M. Gou- 
nod a un procédé dont il se sert avec une habileté rare, 
c'est le chœur de femmes, ou bien le chœur dans la 
coulisse accompagné comme le chant des pifferari, ou 
bien encore la chanson du pâtre. ..' 

Le feuilleton de la Gazette musicale fait 
remarquer, en terminant, que le dialogue, dans 
Mireille, est en vers et que beaucoup de gens 
seraient capables de ne pas B'en douter. 



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S32 CH&BLBS OOUNOD 

A c6té des comptes rendus élogieux, signa- 
lons, parmi les critiques mécouteuts et gria- 
chenx, Azevedo, rédacteur musical à VOpinion 
nationale. Dans le chapitre précédent, nous fai- 
sions allosion aux détracteurs de la musique de 
Cionnod, et nous rangions dans ce nombre les 
admirateurs de la musique de Wagner. A. Aze- 
vedo n'était pas wagnérien. Rossini était son 
Dieu, et le culte est bien avouable. Mais le criti- 
que s'était donné la t&che d'attaquer toujours et 
quand mfime les œuvres de Gounod. Après la 
première représentation de Mireille, il publia un 
compte rendu aussi malveillant que sévère. 

(Opinion nationale des 22 et 30 mars 1864) : 

— Le livret, dit-il, n'est pas une pièce. Dans la 
partition, quelques hors'd'œnvre assez agréables 
ne rachètent pas l'emphase des mélopées mises 
dans la bouche de simples paysans. Azevedo 
énumère les hors-d'œuvre, c'est-à-dire la Cueil- 
lette au premier acte ; la Farandole et les couplets 
d'Ourias au second acte ; la Procession des ca- 
davres au troisième acte ; le chœur des Moisson* 
neura , la description musicale de la Crau, et la 
Chanson du pâtre au quatrième acte ; en6n, la 
Procession du cinquième acte. En tout, huit hors- 
d'œuvre, et il ajoute : 

« Dani Mireille, l'&ctioo est presque toujoura éludée. 
On pourrait comparer le livret h ce que les chucutiers 
somment un assortiment. Le hurs-d'œuvre plaît i 
M. Gounod. Il lui garde une profonde reconnaissance 



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SX VIE ET SES ŒUVRES 233 

ilepuia la Valse de Fatist, le cLœur des Vieillards, le 
chœur des Soldats, auxquels Faust doit, après Oœthe, le 
meilleur de son grand succès. . . > 

En résumé, Azevedo trouve que le sens dra- 
matique manque à la musique de Mireille dans 
la plupart des situations capitales : 

< Le premier chceur : Chantez, chantez Uagnanarellet, 
est frais, pimpant et agréable, sinon nouveau. Mais qu'y 
a-t-il de rustique et de provençal? On pourrait le faire 
chanter aussi bien et mieux il des couturières parisien- 
nes, en partie de campagne dans la forêt de Saint- 
Germain qu% des Magnanarelles du fond de la Provence. 
Le duo entre Uireille et Vincent devrait être un morceau 
capital, puisque l'amour de ces deux enfants est la base 
de la pièce. On n'y trouve que des mélodies prétentieuses 
et plates > 

— Le second acte, dit le critique, est le plus 
mouvementé de la pièce. La Farandole trouve 
grâce devant Azevedo. Elle est bien rhythmée. 
La chanson à deux voix (Magali) débute assez 
bien.... Les couplets de la Sorcière Taven n'ont 
rien de nouveau et rappellent plusieurs airs de 
vaudeville. — 

Et tout le reste du compté rendu est écrit 
dans le même sens, conçu dans le môme esprit 
de dénigrement : — Dans le final du deuxième 
acte, dit encore Azevedo, M. Gounod fait chan- 
ter maître Ramon en style de prophète d'Oratorio. 
Ce final se termine par un vacarme à la Verdi, 
etc. Les trois derniers actes seraient vides de 
scènes saisissantes. Dans la symphonie Le 
Rhône, Azevedo ne remarque qu'un joli solo de 



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234 CHARLES OOUNOD 

cor et quelques bons eflfets d'orchestre... La rava- 
tine an quatrième acte, heureux petit berger est 
bien tourmentée... Quant au cinquième acte, il 
est rempli par la marche de la procession qui est 
d'un bon caractère, par des ritournelles d'orgue, 
et par des cantiques. — 

Le critique de /'Opmion NationaleuQ montra 
pas plus de mesure, lors de la reprise de Mireille, 
au Théâtre-Lyrique, le 15 décembre 1864. Ses 
appréciations étaient empreintes de la même 
amertume. 

A cette reprise, l'opéra était donné, non plus 
en cinq actes, mais en trois actes. Lps réductions 
étaient importantes. Le premier et le second 
acte sont maintenus comme à la création, sauf 
un air de bravoure à trois temps ajouté au rôle 
de M"' Carvalho. Le troisième acte est retranché 
en entier. Il ne reste du quatrième acte ancien 
que la chanson du pâtre et les couplets de Mireille 
Heureux petit berger. La jeune fille ne chante 
plus ce joli morceau en plein soleil. Elle le dit à 
rombre,80us le toit paternel. C'est plus commode. 
Le dénouement est. changé. Mireille a donné 
rendez-vous à Vincent. C'est à l'église des 
Saintes qu'ils se retrouvent. Là, plus de coup de 
soleil meurtrier. Maître Ramon n'a qu'à dire à sa 
fille ; épouse Vincent ! et, n'en déplaise à Mistral, 
la jeune fille est remise immédiatement sur pied. 
Tout est bien qui finit bien. 

Au dernier acte (troisième acte nouveau), on 
ajouta un duo qui avait été composé pour les 
représentations de Londres. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA. VIE ET SES ŒUVRES 235 

Les rôles étaient un peu modifiés. Michot 
remplissait celui de Vincent. M"' Faure-Lefèvre 
conservait celui de Taven, et M"* Ugalùe prenait' 
le rôle épisodique du pâtre Andrelonn. 

Voici, selon la seconde édition de la partition, 
le catalogue des morceaux ; 

Ouverture. — Premier acte : Introduction. 
Chœur : Chantes, chantes, magnanaretles; — 
Ariette (Mireille) O légère hirondelle!— Duo : 
Vincenei^e a votre âge... 

Second acte, comme dans la première édition. 

Troisième scte : Musette. — Chanson (Andre- 
loun) Le jour se lève. — Cavatine (Mireille) Heu- 
reux petit berger. — I)uo (Mireille, Taven) Ah ! 
parle encore ! — Marche et chœur : Vous, qui, du 
haut des deux. — Cavatine (Vincent) Mon 
cœur est plein d'un noir souci. — I)uo (Mireille 
et Vincent) Ah ! la voici, c'est elle ! — Final : 
Grand Dieu ! quelle pâleur ! — La partition 
contient, en outre, comme supplément, les mor- 
ceaux du troisième acte (première édition), et 
l'air de Mireille : Voici la vaste plaine. 

L'Opéra-Comique reprit Mireille, le 10 novem- 
bre 1874. On suivit la première version en cinq 
actes, sauf les modifications suivantes : 

Les deux tableaux du troisième acte, suppri- 
més lors de la première reprise, furent rétablis, 
et l'on ajouta, au Val d'Enfer, un duo (entre 
Vincent et Oarias) qui avait été coupé avant la 
première représentation du 19 mars 1864. Dans 
e second tableau, le Rhône, on ne se contenta 



n,gti7cdT:G00t^lc 



236 CHARLES GOUNÛD 

plus de faire flotter des corps sur le fleuve. Oa 
porsa le fantastique, en faisant défller des spec- 
tres sur les rives. 

Au quatrième acte, le chœur des Moissonneurs 
fut abandonné. On y substitua le grand air de 
Mireille du second acte : Trahir Vincent! 

An dernier acte, Mireille ne meurt pas. Elle 
épouse Vincent, et les Saintes-Mariés président 
à cette union, qui n'a rien de commun avec le 
dénouement du poème provençal. • 

A rOpéra-Comique, les rôles étaient ainsi dis- 
tribués ; Vincent, Duchesne. — Ourias, Melchissé- 
dec. — Ramon, Ismaël.— Ambroise, et le Passeur, 
Dufriche. — Mireille, M°" Carvalho. — La sorcière 
Taven, et le Pâtre Andreloun, M"" Galli Marié. 
— Vincenette, M"" Chevalier.— Clémence, M"* 
Nadaud. 

L'opéra fut représenté pour la première fois à 
l'étranger, en juillet 1864, au théâtre de Sa Ma- 
jesté, à Londres. D'après les journaux anglais, 
l'œuvre fut accueillie froidement (1). Parmi les 



(1) Nous traduisons le passage suivant dans l'article 
Gounod du dictionnaire anglais de Grove : Le auccès de 
Uireille h Paris en 1864 eut pour cause la teinte de l'oeu- 
vre et surtout la splendide exécution de la part de M"" 
Carvalho, dont le rôle contient un des airs les plus 
remarquables des temps modernes (Mon cœur. . .) M" 
Faure-Lefevre et les autres artistes contribuèrent k for- 
mer un excellent ensemble. La partition est plus des- 
criptive et plus lyrique que dramatique. L'indrodution 
en est admirable. C'est un des morceaux favoris des 
concerts de chambre en Angleterre. 



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BA VIE ET SES ŒUVRES 237 

autres représentations de Mireille à l'étranger, 
mentionnons celles qui ont été données en 1874 
à St-Pétersbourg, et en 1876 à Bruxelles. 

£t ne quittons pas l'ouvrage de Gounod sans 
relever une appréciation étrange du critique do 
la Revue des Deux-Mondes, Blaze de Bury. — 
Dans Mireille, dit-il, l'auteur a essayé de rompre 
avec la tradition de Meyerbeer, pour se rallier 
aux théories de Wagner '. — Serait-ce à cauee 
de la mesure à cinq temps dans la chanson de 
Magali t A l'époque où Mireille fut représentée 
au Lyrique, le spectre de Wagner hantait l'es- 
prit de la plupart des critiques. Nous avons beau 
chercher, nous ne trouvons aucun point de rap- 
port entre les amours de Mireille et les amours 
de Brunehilde et d'Yseult. D'un autre côté, les 
poèmes subiraient diFficilement une comparaison 
quelconque; 



ROMÉO ET JULIETTE 

L'histoire tragique de Roméo et Juliette a été 
racontée par les auteurs italiens du XV° siècle. 
Au siècle suivant, la légende traversa les Alpes, 
et les auteurs français la reproduisirent. C'est 
ainsi que Pierre Boistuau écrivit une Nouvelle 
intitulée : Histoire de deux amants, qui mou- 
rurent en im même sépulcre, l'ttn de venin, 



n,gti7cdT:G00glc 



338 CHABLES aOUNUD 

l'autre de tristesse (1). On peut se convaincre, 
en liôant ce vieil auteur, que Shakspeare a suivi, 
épisode par épisode, la Nouvelle de Pierre Boîs- 
taau. Cela ne diminue en rien le génie Aa grand 
dramaturge anglais, dont la tragédie Roméo et 
Juliette a inspiré tant de musiciens. 

Berlioz, après trois épreuves infructueuses, 
avait enfin remporté, en 1830, le grand Prix de 
Eorae. L'année suivante, lo lauréat de l'Institut, 
la tête en feu, et pleine de Shakspeare, passe à 
Florence oii il apprend qu'on allait jouer le nou- 
vel opéra de Bellini, les Montaigus et les Capu- 
lets. II court au théâtre, et là il éprouve le désen- 
chantement le plus complet. Une grande et forte 
femme remplissait le rôle de Juliette, et une autre 
actrice, aussi petite que grêle, remplissait celui 
de Bornéo. — Mais, au nom de Dieu, écrit Berlioz 
dans ses Mémoires, est-il donc décidé queKoméo, 
l'amant de Juliette, doit paraître dépourvu des 
attributs de la virilité!... — 

La musique, sauf un duo, ne valait rien. Le 
livret de Félix Romani ne valait pas davantage. 
Bref, la déception fut si grande, que, dans ses 
Lettres intimef, Berlioz traite de petit polisson 
celui qui plus tard devait écrire la Somnambule 
et la A'onna. 
L'ouvrage de Bellini fut représenté à Paris, au 



(I) Un sait que, contrairement à la légende, le corpa 
de Juliette repose seul dans le cloître des Franciscains, 
à Vérone, Celui de Roméo a été enterré à Mantoue. 



n,g -ccT'GoOgIc 



SA Vm BT SES ŒUVBE3 239 

TUéàtre-ItalieD, qd 18.13, chanté par Giula et 
Giulita Grisi, et il fut repris, le 7 décembre 1859 
à l'Opéra (traduction de Nuitter). Les trois pre- 
miers actes revus et corrigés, étaient conservés. 
Le quatrième acte était emprunté à l'opéra de 
Vaccai, Giuleita e Romeo. Le public ne s'aperçut 
pas de ce singulier amalgame, l.e Romeo de 
Vaccai (Milan 1825) avait déjà été donné à Paris, 
en 1827, au Tbéâtre-ltalien. 

Citons encore, parmi les opéras écrits sur le 
mémo sujet, le Roméo de Dalayrac (ou Tout 
pour l'amour), Opéra-Comique 1792; — celui de 
Steibelt, paroles du vicomte de Ségur, représenté, 
en 1793, à Feydeau avec un très grand succès; — 
. celui de Ziogarelli (Milan 1796, Paris 1812), etc. ; 
— à une époque plus rapprochée, le Roméo de 
Marchetti (Trieste 1865) (1). 

Le sujtit de Roméo et Juliette, la plus belle 
histoire d'amour, a-t-on dit, qui ait été écrite 
pour le théâtre, devait inspirer naturoUement 
l'auteur de Faust. Son opéra fut représenté au 
Théâtre-Lyrique le 27 avril 1867. 

Goonod marchait encore sur les terres de 
Berlioz, auteur de la grande symphonie Roméo 
et Juliette, dédiée à Paganini, et Berlioz n'était 



(I) Les Amants de Vérone du marquis d'Ivr;, opéra en 
cinq actee, représenté à la aalle Ventadour le 12 octobre 
1878, avait été écrit avant le AonuJo de Goonod. Princi- 
paux interprètes : Capoul (Roméo) , M"* Heilbronn 
(Juliette), Taskin (frère Laurent), Durricha , M"* Lhéri- 
tier, etc. 



n,gti7cd3ï Google 



240 CHARLES GOUNOD 

pas content. Il écrivait le 11 juin 1867 à Humbert 
Ferrand (Lettres intimes) : 

• Vous n'avez pas tu les nombreux joumftux qui ont 
parlé de ma partition Roméo et JulUtt», à propos de l'opéra 
de Gounod, et cela d'une façon peu agréable pour lui. 
C'est un succès dont je ne me guis pas mâle (1) et qui na 
m'a pas peu étonné... » 

Malgré les journaux auxquels Berlioz faisait 
allusion, le succès de l'œuvre de Gounod fut 
réel et très vif. C'était la première fois qu'un 
opéra de l'auteur de Faust réussissait d'une 
manière aussi complète, à la première représen- 
tation. 

Au Théâtre-Lyrique, les rôles étaient ainsi 
distribués : Juliette (soprano) M"" Carvalho. — 
Stéphane (soprano) M"° Baram. — Gei-trude, la 
nourrice (mezzo-soprano) M"' Duclos.— Eoméo 
(ténor) Michot. — Tybalt (ténor) Puget. — Ben- 
volo (ténor) Laurent. — Mercutio (baryton) Barré. 
— Paris (baryton) Laveissière.— Grégorio (bary- 
ton) Troy jeune. — Capulet (basse-chantante) 
ïroy. — Frère Laurent (basse) Cazeaux. — Le Duc 
(basse) Wartel. — Frère Jean (basse) Neveu. 

MM. Barbier et Carré ont suivi assez fidèle- 
ment, dans leur livret, l'action du drame de 
Shakspeare, sauf quelques transpositions de 
scènes et quelques éliminations. 

(1) Le feuilleton du Journal des Débats fut écrit psr 
M. Reyer. 



n,g -ccT'GoOgIc 

/ 



SA VIE ET SES ŒUVRES 241 

L'ouverture instnimeutale, traversée par un 
motif fugué, est courte et d'un style élevé. Dès 
le commencement, on sent que l'auteur a voulu 
s'inspirer de Don Juan. Cette ouverture est in- 
terrompue par un prologue que chante le chœur. 
Le rideau se lève sur un tableau formé par les 
principaux personnages de la pièce. Tous les 
artistes qui interprètent les solos de la partition 
doivent figurer dans ce chœur. Le début est 
solennel et bien cadencé ; 

Vérone vit jadis deux familles rivales, 
Les Montaigue, les Capuiets... 

La musique s'éclaire, et prend une expression 
charmante sur ces vers ; 

Comme un rayon vermeil brille en un ciel d'ora^, 
Juliette parut et Roméo l'aima. 

et la teinte sombre reparaît ensuite, pour annon- 
cer le sort funeste des deux amants. Ce chœur, 
destiné à résumer l'action dramatique, se chante 
sans accompagnement. 11 est coupé, de deux en 
deux vers, par un accord d'orchestre. Le public 
fut vivement impressionné, à la première repré- 
sentation, par ce prologue, après lequel la toile se 
baisse pour la fia de l'ouverture (1). C'est unmor- 

(1) Le chœur-prologue devait être chanta derrière le 
rideau, comme dans le Pardon de Ptoermel. On ae décida 
pendant la répétition générale à présenter sut la scàns 
les personnages de la pièce. 



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243 CHARLES OUUMOD 

ceau d'orchestre qu'on entendra au quatrième et 
nu cinquième acte. 

Le début du premier acte est franc et bien 
rhythmé. Bal chez les Capulets, bal paré et ina«- 
qué. Premier chœur de sopranos, ténors et basses, 
L'heure s' envole..., auquel répond un chœur de 
t&iors et de basses, Cœur fantasque..., puis un 
antre chœur de sopranos, Nuit d'ivresse..., et le 
chœur général reprend : L'heure s'envole... Ces 
ensembles, coupés par un morceau d'orchestre en 
mouvement de mazurka, ont une distribution un 
peu analogue aux chœurs de la kermesse de 
Famt. 

Bientôt les principaux acteurs entrent en scè- 
ne. C'est d'abord Tybalt, le cousin de Juliette, et 
le comte Paris à qui la jeune tille est destinée. Le 
comte admire les splendeurs du bal. 

Vous n'en voyez pas la merveille, 

lui dit Tybalt. Cette merveille, c'est Juliette qui 
paraît au bras de son père, le seigneur Capulet. 
Celui-ci présente sa fille à ses invités. Ah ! qu'elle 
est belle ! murmurent les ténors, et ensuite les 
sopranos, dans un élan d'enthousiasme plein de 
grâce et de conviction. Juliette marque son en- 
trée nu bai par des fioritures. Le bruit des instrw 
ments joyeux l'enchante. Le seigneur Capulet, 
auquel répond le chœur ; Nargue des censeurs, 
(sopranos, ténors, basses), convie les jeunes gens 
à la danse, en chantant une mélodie on style de 
menuet '.Allons Jeunes "''"■s / 



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8A VIE ET SES ŒUVRES 243 

Les invités s'éloi^aeot. Kotnéo, un Montaigu, 
s'iutrodait au .milieu du bal des Capulets, accom- 
pagDé de ses amis Mevcutio et Benvolo. Il Idur 

recoinmaade la prudence Nul ne doit nous 

connaître. Sur ce conseil, Mercutio profite de 
l'absence des danseurs, et chante la ballade de ht 
reine Mab : 

Mab, la reine des mensongeft ! 

(?rand air bien conduit, dont l'accompagaenient 
varié imite tour à tour le vent, le galop du che- 
val, le coup de fouet, le bruit des batailles, etc. 
La mélodie devient calme et douce sur ces vers : 

Et toi qu'tm soupir effarouche, 
Quand tu reposes sur ta couclie.. . 

Mais Roméo a aperçu Juliette dont la beauté le 
fait tomber en extase : O trésor, digne des deux ! 

Mercutio l'entraîne au moment oii Juliette 
entre en scène pour chanter sa valse : 

Je veui vivre 
Dans le rêve qui m'eaivre. 

C'est un incident musical, sans grande portée, 
que l'auteur a placé là pour faire valoir le talent 
de virtuosité de M""' Carvalho (1). 

(]} On a plaisanté sur l'arrangement des paroles de la 
valse : Je (un, deux) veux, (un, deui) vi-i-i-vre-tu-tu- 
dans (un, deux) ie (un, deux) ri-é-é-ve-eu-eu. . . , etc. 



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244 CHARLEB OOUNOD 

La rencontre, dans le bal, de Roméo et de Ju- 
liette donne lieu au charmant madrigal à deux 
voix : Ange adorable, morceau empreint d'une 
passion douce mais convaincue, et où l'on retrou- 
ve toutes les gracieuses qualités de l'auteur des 
Mélodies. 

Final: Quelqu'unX c'est mon cousin Tybalt... 

Ici le drame commence. Les deux jeunes gens, 
épris l'un pour l'autre d'une passion aussi vive 
que subite, se reconnaissent. Roméo aime une 
Capulet! Juliette aime un Montaigu! Elle ex- 
prime ses craintes sur un accompagnement plain- 
tif de l'orchestre : Que le cercueil soit mon lit 
nwpim(/ Pour une première entrevue, ça n'est 
pas gai I 

Tybalt, de son côté, a reconnu Roméo, et, au 
moment où il s'élance pour le provoquer, Capu- 
let le retient : Laisse en paix ce jeune homme, 
dit-il à Tybalt, et il invite de nouveau les jeunes 
gens à la danse {Allons ! jeunes gens). La toile 
tombe sur le morceau d'orchestre en mouvement 
de Mazurke. 

Ce premier acte est mouvementé. Les récita- 
tifs sont bien faits. L'action se passe au bal, au 
milieu des aira de danse, Menuet, Valse, Mazur- 
ka. Je ne sais si en ce temps-là, à Vérone, on 
dansait la mazurke. Peu nous importe. Sur ces 
rhythmes, le début de l'opéra est net, cadencé, 
et très agréablement varié. 

Le second acte est la scène du balcon, dans le 
jardin de Capulet. Au lever du rideau, l'orches- 



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SA VIE ET SEB ŒUVRES 245 

tre exécute un délicieux andante repris plus tard, 
à la fin de l'acte. Roméo, à l'instar du docteur 
Faust, a pénétré dans le jardin de sa bien-aimée. 
Au loin, passent ses amis (ténors et basses), en 
chantant : 

Mystérieux et sombre, 
Roméo ne noua entend pas 1 

La fenêtre de Juliette s'est éclairée, la cava- 
tine du ténor commence : 

Ahllève-toi soleil I Fais p&lir les étoiles. 



C'est une extase, genre qneGounod sait si bien 
rendre en musique. Juliette, j'allais dire Mar- 
guerite, se met au balcon et murmure ce joli 
récitatif : 



Cher Roméo, dia-moi loyalement : je t'aime I 

La scène entre les deux amants (Hélas / moi 
le haïr !) est interrompue par l'arrivée d'une 
patrouille conduite par Gregorio, valet de Ca- 
pulet: Ce chœur, en forme syllabique, (Personne/ 
Personne !) chanté par les ténors et les basses 
fait une diversion agréable. La patrouille ren- 
contre la nourrice : Bonne nuit, charmante 
nourrice t Ce souhait nous remet en mémoire la 
jolie partition du Médecin malgré lui. 



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246 CHABLES OOUNOD 

Les valets oat disparu. Duo d'amour : 
nuit divine 1 je t'implore I 

Duo qui nous transporte au jardin de Margue- 
rite, dans Faust. On pourrait transposer les deux 
scènes des deux partitions. 

Marguerite disait à son séducteur : Ne brisez 
pas le cœur de Marguerite ! 

Juliette s'écrie : 

Ne me revois plus et mo laisse 

A. la douleur qui remplira mesjours. 

Dans ces deux duos, la musique reproduit les 
mômes accents, le môme genre d'inspiration. 
C'est ainsi que Roméo répond à Juliette : 

Ah ! ne fuis pas encore, laisse 

Lfiisse ta main s'oublier dans ma main. 

Tout ce charmant dialogue, sorte de Récitatif- 
mélodie, caractérise admirablement la musique 
de Gounod. Nous le répétons, c'est du Faust. 
Mais le duo de Roméo et Juliette ne finit pas 
comme le duo entre le Docteur et Marguerite. 
A Vérone, les deux amants unissent leurff voix 
pour chanter en sixtes : 

Que je voudrnie te dire adieu jusqu'à demain. 
Cet adieu (très retenu, quasi-audaQte), sou- 



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SA VIE ET SES ŒUVRES . 217 

vent répété, nous semble froid après la belle page 
qui précède. Mais n'essayons pas d'affaiblir les 
sentiments d'admiration que provoque ce passage, 
surtout chez les femmes. Effet de sixte ! 

Roméo resté seul murmure encore ce mot je 
t'aime, et l'orchestre exécute l'andante qui, au 
lever du rideau, sert de préambule, à cette scène 
si touchante. 

Après un morceau religieux exécuté par l'or- 
chestre, le premier tableau du troisième acte 
s'ouvre sur la cellule du frère Laurent, ce moiue 
qui, dans le drame, joue un peu le rôle de Mé- 
phistophélès. C'est le frère Laurent qui protège 
les amours de Roméo et de Juliette.Il commence 
par les marier en secret. 

Roméo, dans le récitatif : Mon père. Dieu vous 
garde ! fait connaître sa résolution. Il veut épou- 
ser Juliette. Quoi! Juliette Cajou/ef/ répond le 
moine- 
La jeune fille arrive, suivie de sa nourrice, et 
l'union secrète s'accomplit. 

Andante du frère Laurent, Toi gui fis l'homme 
à ton image, suivi de la scène du mariage (trio) 
et de Tensemble, en quatuor, O pur bonheur! ô 
joie immense! (Roméo, Juliette, frère Laurent, 
Geptrude).Touto cette scène,commele commande 
la situation , est empreinte d'un caractère 
solennel, et écrite en style d'église. 

Le théâtre change, et, pour faire contraste au 
tableau précédent, Stéphane, le page de Roméo, 



n,g -ccT'GoOgIc 



248 • CHARLES GÛUNÛD 

chante devant la maison des Capulets sa déli- 
cieuse chanson : 

Que faiS'tu, blAnchB tourterelle 
Dans ce nid de vautours t 

Nous sommes dans la rue ofi l'on va ferrailler. 
C'est le final des duels ; Ah .' voici nos gens ! Pre- 
mier engagement entre le page et Grégorio. 
Duel entre Tybalt et Mercutio. Celui-ci est tué. 
Alors Roméo, qui n'avait pas voulu rompre le fer 
avec Tybalt, son nouveau parent, se décide à 
venger son ami. Je ne suis pas un tâche, s'écrie- 
t-il. Il dégaine, et bientôt Tybalt est blessé à 
mort. Arrivée de Capulet, des partisans des deux 
maisons rivales, et du Duc de Vérone qui pro- 
nonce contre le meurtrier de Tybalt la sentence 
d'exil ; 

Tu quitteras la ville dès ce soir. 

Et Roméo s'écrie : 
L'exil ! Non I je mourrai, mais je veux la revoir. 

La toile tombe sur ce final, plein de mouve- 
ment et de chaleur, auquel semble présider de 
haut l'ombre du Commandeur tué par Don Juan. 
On retrouve dans cette scène de l'opéra de 
Gounod les formules classiques habituellement 
employées dans ces sortes de rencontres. 

Ce tableau produisit beaucoup d'effet sur l6 



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BA VIE ET BES ŒDVBEfi 249 

public, à la première représentation. Les deux 
premiers actes avaient été accueillis avec une 
certaine réserve. Les duels réveillèrent l'enthou- 
siasme des spectateurs, et cet enthousiasme ne 
fit que s'accroître à la scène suivante, c'est-à- 
dire à l'entrevue nocturne des deux époui. Le 
succès se décida, les applaudissements éclatèrent 
pour ne cesser qu'à la fin de la pièce. 

Au quatrième acte, Roméo est dans la chambre 
de Juliette. Avant de quitter Vérone, il a voula 
dire adieu à l'amante qui est devenue sa femme. 
Il fait nuit. Bientôt le jour éclairera les vitraux 
de la fenAtre pour avertir le jeune homme qu'il 
doit prendre le chemin de Mantone. 

Roméo est aux pieds de Juliette qui lui 
pardonne le meurtre de son cousin ïybalt ( Va ! 
je t'ai pardonné). Je t'aime, dit-elle, et le ténor 
répond : 

AJi ! redia-le ce mot ai doux. 

phrase musicale d'autant plus charmante, qu'elle 
rappelle la courte introduction du duo de Mar- 
guerite et de Faust, quand celui-ci dit à la jeune 
fille: Quoi ! je t'implore en vain. Laisse ma main 
s'oublier dans la tienne... 

On retrouve encore la note amoureuse de 
l'acte du jardin de Faust, dans l'ensemble que 
chantent Boméo et Juliette ; 

Nuit d'hymânée 

douce Quit d'amourl 



n,g -ccT'GoOgIc 



S50 CHARLES QOUNOD 

Tout à coup, l'alouette se fait entendre ! Cest 
le jour, c'est le signal dn départ. Jaliette retient 
encore Bornéo : 

Non ! nt para pas encor ! Ce n'est pu l'alouetta 
Dont le chaQt a frappé ton oreille inqaiète. 
C'est le dous rossignol, confident de l'amonr ! 

adorable inspiration masicale qae les deux 
époux chantent altematiTement arec un accent 
de passion toujours croissante, et sur un accom- 
pagnement très Tarie de l'orchestre. A la pre- 
mière représentation, le pubUc surpris etcbarmé, 
frissonnait chaque fois que revenait cette phrase. 
Et sur ces paroles : 

Ah I reste encore dans mes bras enlacés I 
Un jonr il sera doux à notre amour fidèle. 
De se ressouvenir de ses tourments passés. 



comme il faut admirer encore l'accent d'amour 
que Gounod sait si bien rendre dans ce genre de 
duo où souvent le récitatif chante comme une 
mélodie I 

Mais : il faut partir, hélas I Cet ensemble 
rappelle l& partes, partes vite ! que dit Margue- 
rite, dans i^ausï, à l'acte du Jardin. Roméo et 
Juliette se sont dit adieu, et le duo finit sur le 
morceau d'orchestre qui en a été le début, c'est- 
à-dire sur le morceau final de l'ouverture de 
l'opéra. 

Capulet, accompagné de Gertrude et du frère 



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SA VIE ET UB ŒUVRES 251 

Laurent, vient annoncer à sa fille que tout est 
prfit pour son mariage avec le Comte Paris. 
Quatuor : Ah I le ciel soit loué ! (Juliette Ger- 
trude, Capulet, frère Laurent), pendant lequel 
l'orchestre se distingue par la richesse des 
accompagnements. 

Resté seul avec Juliette, le moine lui remet le 
breuvage qui doit rendormir et répandre momen- 
tanément sur ses traits l'image de la mort. Cest 
sur une note tenue du frère Laurent et sur ces 
mots : 

Bientôt une pUeur livide efiteera 
LeB roses de votre via&ge. 

que commence à l'orchestre l'admirable andante 
servant d'accompagnement au récit du moine. 
Ce récit est un chef-d'œuvre de déclamation et 
l'accompagnement discret de l'orchestre donne à 
tonte la scène une réelle grandeur. Cette sorte 
de marche funèbre, que nous entendrons encore 
pendant le sommeil de Juliette, répand une nota 
lugubre et persistante. On dirait le glas d'une 
agonie 1 
Juliette prend le âacon, et le théâtre change (I). 

(1) Avant ce changement de décor, Juliette devait 
chanter ua air, l'air dit de la Coupe : Dieu I quel frition 
court dant me» veines ! et : Amour, ranime mon courage. 
Il a ât6 supprima avaot la première représentation. 
Ce morceau est à la fin de la partition piano et chant, eu 
supplément. Il fut rétabli incidemment, et plus tard, 
pour les représentations de M"* Heilbronn, à l'Opéra- 
Comique. M"* Isaac ne chanta pas, à la salle Favart, 
l'air de la Coupe. 



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S53 CHARLES ilOUNOD 

Au second tableau, tm terre-plein dans le 
jardin des Capulets. Au fond, le portail de la 
chapelle.— Marche ; cortège nuptial. L'harmonie 
qui est sur le théâtre répond à. l'orchestre. Las 
deux orchestres finissent par se fondre ensemble. 

Après la marche, suit l'épitbalame à huit voix : 
O Juliette, sois heureuse ! accompagné par un 
cboïur de sopranos, ténors et basses. (Gertrude, 
Juliette, Paris, Capulet, Manuela, Pépita, Angelo, 
Frère Laurent). Ce morceau d'ensemblo, sup- 
primé après plusieurs représentations auThé&tre- 
Lyrique, fut rétabli pour la reprise à l'Opéra- 
Comique. 

Chœur dansé : Frappes l'air, chants joyeux. 
(Sopranos, ténors, basses). 

Un prélude d'orgue se fait entendre dans la 
chapelle, prélude dont le motif accompagne 
ensuite le récit de Capulet : Ma fille, cède aux 
vœux du fiancé qui t'aime. Mais Juliette tombe 
comme inanimée, sous l'influence du breuvage 
merveilleux que lui a donné le frère Laurent. 
Coup de théâtre! La toile tombe pendant que le 
chœur s'écrie : Juste Dieu ! 

Dans le cinquième acte, l'auteur a sa ramener, 
de la façon la plus heureuse, quelques motifs de 
l'opéra, comme il l'avait déjà fait dans L'acte de 
la prison do Faust. 

L'orchestre exécute un entr'acte écrit en style 
religieux, et le rideau se lève sur une crypte 
souterraine. Le frère Laurent se tient près du tom- 
beau sur lequel Juliette est endormie. O funeste 



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SA. YIB ET SES ŒUVBES 253 

hasard ! Roméo, qu'il avait voulu avertir, n'a 
pas reçu sa lettre. Il sort pour envoyer un autre 
messager. 

Air du sommeil do Juliette, par l'orchestre. 
Nous l'avons entendu à l'acte précédent. L'effet 
en est superbe, et la situation est émouvante. 
Juliette est seule dans le caveau qu'éclaire mal 
une lampe funéraire, Roméo pénètre dans cette 
crypte dont il a brisé l'entrée. Il veut dire un 
dernier adieu à Juliette qu'il croit morte, décidé 
à périr à son tour, — Récitatif : Salut l tombeau 
sombre et silencieux ! mterrompa p3>T la reprise, 
à l'orchestre, du motif final de l'ouverture de 
l'opéra. 

Roméo vient de vider le flacon qui doit infail- 
liblement lui donner la mort, quand Juliette se 
réveille ! Cri du ténor ; Juliette est vivante 1 Duo 
pathétique : Viens, fuyons au bout du monde, 
dans lequel reviennent le motif du mariage et 
celui du duo de l'alouette. Le délire s'empare du 
jeune homme. Il tombe près du tombeau, et 
Juliette se frappant d'uu poignard (1), vient 
mourir aux pieds de Roméo. 

Ainsi finit cette belle et poétique partition que 
des opinions mûrement réfléchies et pleines 
d'autorité ont considérée comme le meilleur 
ouvrage dramatique du compositeur, Roméo et 
Juliette, a-t-on dit, est l'opéra de Gounod dans 



(1) Ah ! fortuné poignard! dit Juliette dans le livret de 
MM. Barbier et Carré. 



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S54 CHiLHLES OOUNOD 

lequel il y a le plua d'uQité et de qualités homo- 
gènes. Les morceaux de demi-caractère ne 
trahissent pas mdme la moindre faiblesse. 

Faudrait-il doue classer Roméo au premier 
rang, comme un ouvrage supérieur à Faust f 
Nous ne le pensons pas. Roméo, dans ses parties 
principales, est la transposition musicale de l'acU 
du j.i'din, et, si cette observation est vraie, quel 
plus bel éloge, pourrions-nous faire de la par- 
tition 1 L'opéra de Roméo et Juliette, compo- 
sition de grande valeur, est-il, comme Faust, 
une œuvre en quelque sorte initiale ? Non ! 
Plus d'unité, si l'on veut, mais parfois de la 
monotonie. On peut signaler d&m Faust quelques 
lacunes ou quelques inégalités. Soit I Mais il faut 
tenir compte de l'époque et des conditions dans 
lesquelles le chef-d'œuvre a été composé. De 
18&& à 1859, alors que les tendances musicales 
n'étaient pas ce qu'elles devinrent en 1867, 
Gonnod, au milieu des incertitudes, a été obligé 
d'écrire sous forme d'opéra-comique, c'est-à-dire 
avec du dialogue parlé, une partition dont les 
côtés saillants touchent au genre lyrique. C'était 
une grande difficulté à vaincre, et l'auteur a su 
la surmonter. 

Faust, en France, fut une sorte d'innovation, 
dont Roméo et Juliette n'est que .6 dé 'vé et la 
suite. 

Du Théâtre-Lyrique, Roméo passa d'abord à 
la Salle Ventadour, en 1868, lors de la double 
exploitation de M. Carvalho. 



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XI VIE BT SB5 CSUVRES 255 

Sn 1871> l'auteur et M. Halauzier s'étaieut 
entendus pour reprendre l'opéra à la salle de la 
rue Le Peletier. Le Directeur, M. Halauzier, 
désirait jouer Roméo qu'il avait mouté & Bor- 
deaux en 1869. Le projet dut être abandoaaé, et 
l'oBUTre fut représentée au Théâtre de l'Opéra - 
Comique, le 20 janvier 1873. Déjà, en 1869, des 
pourparlers avaient été entamés pour une reprise 
à la salle Favart. 

En 18^3, les rftles furent ainsi distribués : Ju- 
liette, M™ Carvalho. — Stéphane, M"* Ducasse. 
— Gertrude, M"' Decroix.— Roméo,Duchesne(l). 
— Tybalt, Bach.— Benvolo, Raoult. — Mercutio. 
E. Duvemoy. — Paris, Bernard. — Grégorio, 
Teste.— Capulet, Melchissédec.— Frère Laurent, 
Ismaël et Bouhy. — Le duc, Neveu. 

Gouuod.à cette époque, n'était pas en France. 
Il confia à Bizet le soin de diriger les répétitions. 
Au Théâtre-Lyrique, Roméo avait eu cent repré- 
sentations. Ce chiffre fut vite atteint {1er octobre 
1874) â rOpéra-Comique, oii l'œuvre ne quitta 
plus le répertoire. Les reprises succédaient aux 
reprises. Lorsqu'après l'iucendie de la salle Fa- 
vart, l'opéra-comique fut transporté sur la place 
du Châtelet, le théâtre ouvrit le 15 octobre 1887 
avec Roméo et Juliette. 

C'est le 28 novembre 1888 que l'œuvre fut don- 
née au Grand-Opéra, avec M"* Adelina Patti 



, V, Google 



356 CHARLES OOUNOD 

et Jeao de Roské. Brillanfes représentations, 
pendant lesquelles le succès du ténor sembla 
faire pâlir un peu l'étoile arrivée de Londres. La 
Juliette noavelle n'eflbça pas le souvenir de 
M"' Carvalho. 

Dès l'origine, la partition avait été exécntée 
BOUS forme de grand opéra. Aussi les change- 
ments apportés à l'œuvre.pour la reprise de I888j 
furent-ils peu importants. Signalons la Coda, 
ajoutée au Final des duels, après la sentence 
d'exil prononcée par le duc. Roméo chante le 
morceau : Ah Ijour de deuil... suivi de la reprise 
du chœur. — L'air de la coupe, et l'épithalame à 
huit vois n'ont pas été rétablis. — Au proiogiie, 
on a ménagé un grand effet de mise en scène. A 
la salle Favart, le rideau se levait sur le décor 
du premier acte, et l'on voyait les personnages 
de la pièce rangea devant des banquettes. A 
l'Opéra, la salle est d'abord plongée dans une 
obscurité profonde. Le rideau se lève à Tinsu des 
spectateurs. Tout à coup, des flots de lumière 
électrique éclairent les artistes fort bien groupés 
sur la scène. Après l'exécution du chœur, la 
lumière électrique cesse, et le tableau disparaît 
comme par enchantement. 

Quant au ballet nouveau , composé pour le 
grand Opéra, il forme à lui seul tout un tableau. 
Hélas ! ce n'est plus le ballet de Faust. N'en 
parlons que pour mémoire, car, si les costumes 
en sont riches la musique en est bien pau- 



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vre{l). Ce ballet, dansé par M'" Maûri, se compose 
de Bept numéros : (dansa des fleurs, danse des 
bijoux, danse delà fiancéâ,etc...).Il s'intercale au 
début du deuxième tableau du quatrième acte, 
avant le cortège et la marche nuptiale: (publié 
chez Choudens, en supplément à la partition). 

A l'Opéra, Gounod conduisit l'orchestre pen- 
dant plusieurs soirées. A la première représenta- 
tion, lorsque la jeune artiste, chargée du rôle du 
page, vint chanter : Que fais-tu, blanche tour- 
terelle, il y eut un petit incident. Le page, qui 
débutait, resta court un instant , par défaut de 
mémoire. Mais l'auteur était là. Gounod reprit 
ses fonctions de Maître de Chapelle. Il souMa la 
musique , il donna le ton comme autrefois à 
l'église des Missions Strangères , et la salle en- 
tière put entendre une phrase musicale dite en 
plein opéra par le compositeur lui-mfime. 

A cette première soirée, où le public donnait 
toute son attention à la Patti, on pouvait remar- 
quer dans la salle M"' Carvalho, qui occupait 
une baignoire. N'aurait-on pas dû aussi faire 
une ovation à la créatrice du rôle, à la vraie Ju- 
liette, à l'artiste qui avait si bien interprété les 
œuvres du maître. Aucun bouquet ne lui fut 
porté dans sa loge. Ce soir-là, Gounod oublia sa 
Juliette. 11 oublia aussi la première représenta- 



(1) Au mois d'avril 1889, on reprit à Bruxelles, au 
théâtre de la MoDDaie, Roméo et Juliette. On remplaça le 
ballet nouveau par le ballet de la Nonne Sanglante. 



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258 CUiLRLIS OûUHOD 

tion de 1867; Le leademaiD de la représentation 
de la Fatti, GouDod écrivait aus Directeurs de 
l'Opéra nne lettre de remerciements pour le zèle 
et le soin avec lesquels ils avaient monté sou 
ouvrage, et il ajoutait : 

( Nulle part an inonde, on ne saurait trouver na plus 
bel ensemble moaioal i^ue celui que tous m'avez offert, 
et je ne saurais oublier le luatre encore tout spécial que 
yous avez voulu y ajouter en présentant au public la 
fille de Capulet, sous lea traits de la grande artiste qu» 
les deux mondes ont ai Justement acclamée. » 



Voici quelle fut la distribution i. l'Opéra : 
Capulet, Belmas. — Roméo, Jean de Reské. — 
Frère Laurent, Edouard de Reské. — [pybalt, 
Muratet. — Paris, Warmbrodt. — Mercutio, Meï- 
chissédec. — Benvolo, Téqui.— Le Duc, Ballard. 

— Grégorio, Lambert. — Frère Jean, Crépaux. 

— Juliette, M"' Patti. — Stéfano, M"* Agussol. 

— Gertrude, M'" Canti. 

Après le départ de M°" Patti, le rôle de Ju- 
liette a été tenu par M""' Darclée, Eames et 
Lureau-Escalaïs. 

En Allemagne, Roméo et Juliette était repré- 
senté quelques mois après sa première appa- 
rition en France. A Darmstadt, on accueillit 
très favorablement la nouvelle œuvre, comme on 
avait accueilli Faust et la Reine de Saba. Les 
journaux ont publié une lettre très flatteuse 
pour Gounod, lettre dans laquelle un diplomate 



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SA. TIB ET SES ŒUVRES 259 

français, alors en résidence dans la capitale da 
Wurtemberg, rendait compte de la premier* 
représentation à Uarmstadt. 

Qaand Roméo fat représenté à Berlin, le succès 
fat plas réservé. A Berlin, Gounod eut quelques 
difficultés avec les éditeurs allemands. Ceux-ci, 
après la publication de la partition en Francs, 
éditèrent un grand nombre de contrefaçons de 
l'opéra. L'auteur et l'éditeur, M. de Choodens, 
durent porter plainte devant les autorités judi- 
ciaires de la Prusse. 

A Vienne, Bornéo fut représenté en 1868, à 
St-Pétersbourg en 1872, et plus tard à Londres. 

A cette époque, Gouuod était installé en 
Angleterre. En 1867-1868, il avait fait un séjour 
en Italie. Revenu en France, la guerre de 1870 
l'avait tenu éloigné de Paris assiégé. Il s'était 
réfugié en Angleterre, et il séjourna à Londres 
pendant plus de troia ans, période curieuse dans 
la vie du célèbre musicien. C'est là, dans le 
chapitre suivant, que nous allons rencontrer 
M°" Georgina "Weldon. 

Mais, avant de commencer ce chapitre, il con- 
vient de rappeler un petit événement musical, 
presque oublié aujourd'hui, et auquel Crounod fut 
mêlé dans le courant de l'année 1870. Je veux 
parler de la commission extra-parlementaire 
dont l'auteur de Faust fit partie, avec d'autres 
musiciens, commission composée d'éléments sin- 
gulièrement hétérogènes, et instituée en vertu 
d'une délibération du Corps Législatif. Nos dé- 



n,g -ccT'GoOgIc 



360 CHARLES OOtlNOD 

pûtes avaient entrepris de réformer l'enseigne- 
ment musical au Conservatoire. 

Les membres de cette commission étaient 
nombreux ; on les avait tassés pour ainsi dire. 
Citone d'abord : Auber , Gounod , Ambroise 
Thomas, Félicien David, Reyer, Reber, Gevaert, 
prince Poniatowski, Comettnnt, Augier, About, 
Théophile Gautier, Chais d'Est Ange, Legouvé, 
C. Doucet, Nogent St-Laurent, E. Thierry, B. 
Perrin, A. Second, etc. Le Sénat, la Chambredes 
Députés, l'Académie, leBarreau s'étaient glissés 
dans la maison, et coudoyaient la Musique. La 
presse quotidienne était largement représentée 
dans cette réunion choisie, notamment par 
MM.'Weiss,de Saint- Valry et Constant Guéroult, 
directeur de VOpinion Nationale, journal où 
Azevedo publiait sa critique musicale. Âzevedo 
qui avait éreinté dans ses feuilletons Faust, 
Mireille et Roméo, faisait aussi partie du céna- 
cle, et Gounod ne devait pas être flatté de ce 
voisinage. 

Le Président était Maurice Eicliard , ministre 
des Beaux-Arts. Son titre d'Excellence lui avait 
valu cet honneur, plus que sa compétence. 
Maurice Richard passa vite la main, ou plutôt 
son fauteuil à M- Camille Doucet. MM. Ferrand 
et de Beauchène remplissaient les fonctions do 
secrétaires, et M. E. Réty , celles de secrétaire- 
adjoint. 

La Commission tint ses séances hebdomadaires 
depuis le 13 avril jusqu'au 31 juillet 1870. La 



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SA VIE ET BES ŒUVRES 261 

pruerre interrompit ses travaux. Hâtons-nous de 
dire qu'ils n'ont pas été repris après la oonclusion 
de la paix. C'est une chance pour le Conserva- 
toire. 

Au Corps Législatif, la discussion sur la réfor- 
me projetée n'avait pas manqué d'être burlesque. 
Messieurs les députés n'entendaient rien 'à 
l'enseignement musical. Les séances de la Com- 
mission extra-parlementaire ne furent pas moins 
divertissantes. Nous regrettons de n'avoir pu 
prendre connaissance des procès-verbaux de 
ces réunions. Us sont, paraît-il, enfouis dans les 
archives du Ministère des Beaux-Àrte, et, dans 
tous les cas on ne les communiquerait pas au 
public. Ces curieux documents nous eussent 
permis de mentionner ici les opinions émises par 
Gounod, en 1870, sur l'Enseignement au Conser- 
vatoire. 

A défaut de ces procès-verbaux officiels, nous 
avons les indiscrétions de la presse. Il semble en 
résulter que la Commission s'était partagée en 
deux camps. D'un côté les littérateurs et les jour- 
nalistes qui, peu au courant de la question tech- 
nique, proposaient les réformes les plus hardies 
et les plus bizarres. De l'autre côté le camp des 
musiciens.Ceux-ci défendirent d'abord les statuts 
du Conservatoire; puis, trouvant devant eux des 
novateurs par trop incompétents, ils abandon- 
nèrent la partie. Leur absence rendit la discus- 
sion impuissante et stérile. Auber, comme Direc- 
teur du Conservatoire, était obligé d'assister & 



n,gti7cdT:G00glc 



262 CHÀBLBB OOCNOD 

toutes les réunions. Il siégeait calme et impassi- 
ble, parlant peu, opinant du bonnet, et répondant 
à peine aux observations qui lui étaient soumises. 
Qaelquefois un sourire moqueur se dessinait sur 
ses lèvres, et révélait son opinion sur les utopies 
proposées. 

About ne voulait-il pas que le Conservatoire, 
outre la Musique , enseignât la Grammaire, la 
Géographie, l'Arithmétique et le Dessin ! (Pour- 
quoi pas la gymnastique et l'équitation ?). Gué- 
rouit, invoquant l'ombre de Rousseau, réclama 
pour les classes de solfège l'adoption du système 
des chiffes. Et, à chaque séance, des proposi- 
tions du môme genre étaient mises à l'ordre du 
jour I On comprend dès lors le silence ironique 
d'Auber, et la désertion en masse des membres 
musiciens. Us en avaient assez des Philistins 
qu'on leur avait donnés pour collègues. 

Gounod ne paraît pas avoir pria une grande 
part aux discussions, sinon pour approuver, en 
principe, la création d'une classe spéciale oii les 
élèves appelés à concourir seraient examinés au 
pointdevuelitteraire.il désirait que les musi- 
ciens fussent initiés aux beautés de notre litté- 
rature. L'auteur de Faust ne perdit pas sou 
temps au sein de la commission. Il donna un des 
premiers l'exemple de la désertion. Dans le 
courant de l'été, il allait s'installer aux environs 
de Dieppe, pour travailler dans le calme et dans 
la retraite à sa partition de Polyeucte. 



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GOUIlOO l» meLETEflllE 



Georgina 'Weldon.— GalUa. 

Te.vistoolc-liou.ea,. — Soolâtée choi-alea. 

Éditeurs anglSLie. 



Cette -villégiature sur la côte normande ne fut 
pas de longue durée. Pendant que Gounod com- 
posait son Polyeucte, pendant qu'il râvait de 
Sévère, de Néarque, et de la femme idéale qui 
interpréterait le rôle de Pauline, les Allemands 
avaient envahi la France. Bientôt, la guerre s'é- 
tendit dans le nord.et l'auteur de Faust, exempté 
par son âge dn service militaire, alla chercher. 
un refuge en Angleterre. Il débarqua le 13 sep- 
tembre 1870. 

A Londres, Gounod prit un appartement qu'il 



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864 CHARLES GOUNOD 

occupa avec sa famille, et là il se remit au tra- 
vail. Les temps étaient durs, pour les musiciens 
surtout. Il fallait se procurer des ressources. 
nod s'arma de courage, et composa pour 
e. 

'ailleurs son arrivée en Angleterre ne pouvait 
er inaperçue. Le maître y était connu et 
•écié. Unéditeur anglais, M. Littleton, suc- 
eur de MM. Novello, Ewer et C°, vint lui 
i des offres et lui acheta plusieurs composi- 
s. Quelque temps après, l'administration de 
position Internationale qui se préparait à Lon- 
. pour 1871, proposa à Gounod de représenter 
t Français, en composant une œuvre nou- 
e dont l'exécution aurait lieu solennellement 
turde l'inauguration, c'est-à-dire le 1" mai. 
es quelques hésitations, et sur les vives ins- 
:es du Comité, Gounod donna son conseate- 
it et résolut de composer un ouvrage patrio- 
e intitulé Gallia. Il se mit à l'ceuvre, écri- 
t aussi des chœurs, des mélodies et des hym- 
Son existence à Londres était consacrée au 
ail, et, tout naturellement, le compositeur 
uentait les artistes anglais, ainsi que les 
stes français exilés comme lui de leur pays. 

e dimanche 26 février 1871, Gounod avait 
jé la soirée chez Jules Bénédict. On allait se 
rer, quand un Monsieur et une Dame entrè- 
; au salon. C'était un beau couple ! LeMon- 
ir, grand et vigoureux, réalisait le type 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 265 

accompli du gentleman anglais. Âir grave, tenae 
correcte. On l'appelait Capitaine. La femme était 
d'une beauté étrange. Figurez-vous, sur un corps 
de femme imposant, une tôte de jeune fille 
encadrée par une luxuriante chevelure blonde. 
Ud ovale régulier, de grands yeux doux et intel- 
ligents. Sous un front développé, un nez droit 
et finement ciselé. La bouche est petite, mais 
bien arquée. Une main blanche et aristocratique, 
une main d'enfant ! Bref, une de ces apparitions 
gracieuses et charmantes qui appellent l'atten- 
tion et attirent tous les regards. Cette femme-là 
n'est pas seulement une jolie femme, c'est quel- 
qu'un I A l'aspect agréable et féminin se joint je 
ne sais quoi de passionné et de vindicatif. 

« Ah ! mon cher Gounod, dit Jules Bénédict, 
voici M™ Weldon dont je vous ai parié. Chan- 
tez-lui quelque chose, et, à son tour, elle se fera 
entendre. Je crois que vous serez très satisfait. • 
M"" Weldon insista des yeux et du geste, et 
elle présenta son mari à Gounod. L'auteur de 
Faust s'inclina et, de ia meilleure grâce, se mit 
au piano. Il chanta plusieurs de ses mélodies, 
notamment A une jeune fille, paroles d'Emile 
Augier. M"* Weldon subit Is charme, et, dans 
son émotion, elle se prit à pleurer. Les larmes, 
dit-elle, devinrent un ruisseau, le ruisseau se 
changea en fleuve, le fleuve en torrent, le tout 
couronné par une belle atta^iue de nerfs. 
M"' Weldon s'était blottie dans un coin, der- 
rière les rideaux. Elle ne sortit de sa cachette 
qu'après le départ des invités. 



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266 CBARLBB GÔXntOÙ 

Cette rencontre de par hasard amena bientôt 
entre M. et M"' Weidon et Gounod dea relations 
suivies et familières. Jules Bénédict avait chape- 
ronné cette entrevue inconsciemment et sans se 
douter du drame intime qu'elle allait produire, 
drame qui a donné lieu à tant de récits, à tant de 
chroniques, et aussi à tant d'iaventions. 

Quel est donc le caractère de cette association 
entre deux artistes, de cette vie commune passée 
à Londres sous les frais ombrages d'nn hdtel 
historique, et qui dura plus de trois années 1 
Cette demeure était-elle un foyer parement 
amical T 

Nous n'avons pas à déchirer les voiles. Nons 
respectons la gloire de Gounod, et nous savons 
les égards que nous devons à une femme dis- 
tinguée. Tout cela est de la vie privée. Mais 
nons avons le droit d'examiner, dans ses détails 
extérieurs, cette aventure curieuse, oiî le négoce 
ne fut pas précisément négligé. Cette impression 
résulte pour nous des documents dont nous 
avons pris connaissance. Singulière histoire, qui 
fît dans le monde musical tout le tapage que 
vous savez I «C'est de la folie, disait le Gaulois 
dans un article signé d'Albert "Wolff le 24 août 
1874, c'est de la folie, soit! mais c'est la folie 
des hommes de talent ! • 

Les écrivains anglais, aussi prudents que dis- 
crets, sont très réservés au sujet de M"" Weidon. 
Le dictionnaire de Grove lui consacre quelques 
lignes, qui se terminent ainsi : ■... Les autres 



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SA VIE BT SEB ŒUVRES 267 

détails de l'existence et de la carrière de la can- 
tatrice n'ayant aucune connexité avec la musi- 
que, ne peuvent être traités dans ce diction- 
naire. » 

Pourquoi crier si vite schocking ! La carrière 
de M"" Weldon, unie pendant plus de trois aus à 
l'existence artistique d'un compositeur célèbre, 
appartient à l'Listoire, et, bien que les acteurs 
de la pièce, grands et petits rôles, tenants 
et aboutissants, soient encore vivants , nous 
pouvons, sans manquer aux convenances , 
nous étendre sur un point qui intéresse l'art 
musical. 

M"' Weldon n'est pas, comme on l'a dit, la 
première venue. Un artiste comme Gounod eût-il 
honoré d'une amitié aussi persistante une femme 
vulgaire? Non, et M°" Weldon, comme canta- 
trice, pouvait prétendre à bien des succès. « Ce 
n'est pas une petite voix de salon, a dit l'auteur 
de Faust, c'est au contraire un organe parfaite- 
ment en état de supporter la responsabilité d'un 
grand local. • La voix n'était donc pas ordinaire. 
« Ne la forcez jamais, disait Gounod à son amie, 
et posez toujours la note sur son pivot. » (1). 

Nous avons esquissé le pbysique de la canta- 
trice. Au moral, c'est une nature bizarre ; un 
mélange d'artiste et de ménagère. M"" Weldon 

(1) Mon Orphelinat, par M" Weldon. 3" volame, pa^aii 
15 et 69. 



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268 CHARLES GOUNOD 

cultive l'art du chant et le jardinage. Elle com- 
pose de la musique et bêche ses plates~bandes. 
Les boutures n'ont pas de secrets pour cette 
étrange Anglaise qui fait des traductions, des 
vers, qui écrit des poèmes, et en même temps 
scie son bois. Question d'hygiène I M"" Weldon 
se dit républicaine, et même communiste. Elle 
aime passionnément les animaux, surtout les 
carlins et les oiseaux. Ah 1 les carlins ! Elle 
ne s'en sépare jamais. Cœur sensible, d'une 
sensibilité nerveuse et au besoin doublée de 
rancune. 

« Tout en ayant le creur très tendre, a-t-elle 
écrit (1), j'ai le pouvoir et le vouloir de soutenir 
la lutte quand on m'attaque, et, si l'on croit à la 
phrénologie, mon front atteste un remarquable 
génie pour les combinaisons et les raisons des 
choses. » Sous ce rapport, elle ne considère pas 
Gounod à sa hauteur. Â propos de la lutte contre 
les éditeurs anglais, elle a dit : Gounod est un 
chicanier ; ce n'est pas un lutteur. 

M"" Weldon s'est bien dépeinte. Elle a le don 
du travail et de l'opiniâtreté. Elle est capable de 
l'affection la plus dévouée, comme de la ven- 
geance la mieux conçue. Trop souvent, le menu 
détail l'absorbe et la conduit à l'incohérence des 
idées. Ses brochures en sont la preuve. 

L'artiste qui devait avoir des démêlés avec la 
justice anglaise, connaît la procédure. C'est une 

(i) Mon Orphelinat. Vol. II, page 6Î. 



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6A TIB ET SSa ŒUVRES 260 

plaideuse acharnée. LesjourQaux de Londres 
l'ont représentée se rendant un jour à l'audience, 
montée sur un énorme bicycle, les clieveuz au 
vent, et vêtue d'un habit de soirée en satin noir. 
Tout dernièrement, en mai 1889, le tribunal de 
simple police de Bow-Street jugeait l'affaire de 
Pilotell contre Rochefort. Le rédacteur de l'In- 
transigeant était acquitté, et la foule poursuivait 
Pilotell. M°" Weldon recueillait Pilotell dans sa 
voiture. 

Ces bizarreries, et bien d'autres encore, rap- 
portées dans la presse, ont-elles été exagérées ? 
C'est possible. Il n'en est pas moins reconnu que 
M"' Weldon est un esprit exalté. C'est aussi un 
esprit mystique et superstitieux. Après avoir été 
spirite, M"' Georgina Weldon est aujourd'hui 
convertie à l'hypnotisme. Elle raconte longue- 
ment, dans ses brochures, ses visions. Souvent 
elle voit une grande lumière blanche. La mère 
de Gounod lui est apparue plusieurs fois pour lui 
dicter la ligne de conduite qu'elle devait suivre, 
et Auber, l'auteur de la Muette, correspond 
volontiers avec elle, du haut des cieux, par 
l'intermédiaire des tables tournantes ! Voilà 
certes un caractère qui sort du commun. Complé- 
tons le tableau par quelques détails biographi- 
ques: 

Georgina Weldon n'est pas une anglaise pro- 
prement dite. Son père était Gallois et sa mère 
de race Ecossaise. Son père, membre du Parle- 
ment, second fils de Morgan Thomas, était connu 



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270 CHARLES GOCNOD 

SOUS le nom de Morgan Tréherne (I). Elle naquit 
le 24 mai 1837 à Clapham près Londres, où habi- 
tait sa grand'mère Thomas. 

Son enfance s'écoala au milieu du luxe, -et la 
jeune fille reçut une éducation des plus com- 
plètes. Elle suivit des levons de Littérature, de 
Musique, de Peinture ; elle apprit le Français, 
l'Italien et l'Allemand. C'est elle-même qui nous 
initie aux détails de son instruction. Enfant, elle 
vécut en Italie. Sa famille installée, pendant l'hi- 
ver, à Florence, se serait liée avec la Princesse 
Matbilde. 

En 1858, elle fait la connaissance d'un jeune et 
bel officier du IS™* régiment de Hussards, Sir 
Harry Weldon. Le militaire était élégant, mais 
sans fortune. M"" Weldon nous le représente 
oommo un panier percé, qui, après avoir dissipé 
tout son avoir, voulait aller se faire casser la tête 
aux Indes. Miss Georgina s'opposa à ce noir 
dessein. Elle aimait ce beau cavalier âgé de 33 
ans. La jeune fille n'avait que 23 printemps. 
Malgré la défense formelle deson père, Georgina 
épousa le Capitaine, à la date du 31 avril 1860. 
Ce coup de tête lui fut fatal au point de vue 



(1) < — Ma famille, dit Georgina Weldon, était orgueil- 
leuse de son origine. Un certain chevalier, Sir, Gilbert 
Tréherne, avait, je croia épousé la fllle d'Edouard IV. 
Mon père se complaisait it parler de sa généalogie 
illustre. 11 disait être descendu en ligne directe des Plan- 
tagenets. • — (Mon Orphelinat, volume I", page 3).— 
M" Weldon serait-elle de race Rojale ? 



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BA TIB BT SES ŒUVRES 271 

pécuniaire. Son père ne voulut plus la revoir et 
la déshérita. Elle n'eut aucune dot, alors que ses 
sœurs recevaient en mariage chacune la somme 
de 175,000 francs. L'amour ue raisonne pas. 

Les jeunes époux virent bientôt tes difficultés 
surgir. Ils se retirèrent dans le nord du pays 
de Galles pour vivre avec économie. Fort heu- 
reusement peur le ménage, le Capitaine réalisa 
quelque temps après, et en plusieurs fois, un 
héritage, ce qui lui permit de continuer ses 
dépenses exagérées. Pour y subvenir, sa femme 
résolut de mettre à profit son talent de canta- 
trice. 

Déjà, l'artiste avait donné des concerts au Ca- 
nada, en 1861, pendant la guerre des Etats- 
Unis, au bénéfice des volontaires anglais, at lea 
journaux d'alors l'avaient surnommée le Napo- 
léon de la musique. Dans le pays de Galles, elle 
chanta au profit du régiment de son mari, et elle 
vint ensuite à Londres pour y embrasser la car- 
rière artistique. Elle était encouragée par Jules 
Bénédict, et par flullah. Pour s'habituer au pu- 
blic, elle s'engagea dans plusieurs Sociétés cho- 
ralea, notamment dans les chceurs d'Henry Les- 
lie. La presse ne lui fut pas favorable. Pourquoi 
ne faisait-on pas son éloge, pourquoi ne parlait- 
on pas d'elle? Voici comment M"" Weldon 
explique le silence que les journaux anglais gar- 
aient sur elle, sur sa personne, et sur son talent : 

« A ce moment-là, je ne me doutais pas que la musi- 
que est de la marchandise pure et simple. Cet art divis. 



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872 CHARLES GOUNOD 

du moment qu'on t'embrasse comme carri6re,de vient uite 
denrée sur laquelle les journalisteB, les éditeurs, tea 
agents de concert et de thé fttre prélèvent leurs impftts. 
Tous ces dons célestes, ces beautés divines passent à 
l'octroi de la poche du reporter, et à la douane du bure&u 
des annonces. D'une façon ou de l'autre, il fïtut finir par 
y laisser sa peau si l'on veut parvenir. Pour rëassir, il 
faut avoir des relations avec cette fange; et moi dame I... 
J'étais une dame bien née, comme il faut ; cela me 
révoltait. J'étais pour cette cohorte d'aventuneis une 
bë te noire, un chien galeuïl Une dame qui avait nne 
bonne réputation depuis tant d'années, il n'y avait pas 
l'espoir de lui voir un amant, il n'y aurait pas moyen de 
la séduire, pas moyen de faire du'chantage. Il fallait 
donc dire beaucoup de mal de son talent > 

Plus loin : 

« Etre la maîtresse d'un Duc, le tromper beaucoup, 
être une femme très dévergondée, boire du Champagne, 
fumer, tousser épuisée par des nuits d'orgie, voilà où 
on peut encore réussir. Quant aux hommes, eux, ils 
réussissent par les femmes. Ils font la (ïonnaîssance des 
femmes du grand monde bêtement éprises de leurs mol- 
lets, ou autre chose ■ 

Nous abrégeons cetta citation du livre do 
M'""WeIdon (1). Telle est, selon la cantatrice, 
la méthode à employer, en Angleterre, pour 
gagner la bienveillance des reporters, des criti- 
ques et du public de Londres. Je ne sais si cette 
opinion s'étend aux autres pays. Toujours est-il 

(1) Mon Orphelinat. Vol. 1", page 32. 



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8^ VIB BT SES ŒUVRES 373 

que le principal obstacle que l'artiste croie ayoir 
rencoQtré au début de sa carrière , ce fut la 
vertu. 

La passion de l'enseignement s'était déclarée 
chez elle. M»' Weldon prit des élèves à l'éduca- 
tion desquels elle se consacra avec un dévouer 
ment complet. D'abord les sieurs Jones, ensuite 
une jolie américaine Nina Gaëtano, et les frères 
Kawlings. L'enseignement du chant ne lui sufBt 
pas. Elle veut fonder un Orphelinat pour ensei- 
gner la musique à de malheureux enfants aban- 
donnés. Les orphelins seront recueillis dans un 
grand hôtel qui servira à la fois d'habitation 
et de Conservatoire de musique. 

Le 13 septembre 1870, le jour même où Gou- 
nod débarquait en Angleterre, M. et M°" Weldon 
visitaient Tavistock-House, (Tavistock-Square), 
dans le but de l'acheter. Le 3 décembre suivant, 
le contrat d'acquisition fut signé. La prise de 
possession n'eut lieu qu'au mois de mai 1871. 

Tavistock est une maison célèbre. Dickens 
l'avait habitée pendant dix ans. C'est un grand 
hôtel, situé dans un des beaux quartiers de Lon- 
dres, entouré d'arbres et enfoui dans la verdure 
des jardins. Au premier étage, il y avait un 
grand salon oîi Dickens faisait jouer la comédie. 
Ce salon qui, pour le romancier auglais, était 
un théâtre , devient une salle de concert. En 
achetant Tavistock, M- Weldon avait en quel- 
que sorte pris pour devise : Tout pour la mu- 
sique 1 



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974 CHi.BI.BS OOUKOD 

Geoi^na Weldon, nous l'avons dit, avait, dèa 
son en&nce, cultivé l'art du chant. Elle était 
bonne magicienne. Jusqu'en 1862, ses auteurs 
préférés étaient Bellini, Donizetti, Verdi et 
Bossini. Wagner, qu'elle avait très conscien- 
cieusement étudié, n'était pas son homme. La 
cantatrice, fidèle à l'école italienne, délaissa bien 
vite le Maître allemand. Quand elle entendit 
Faitst, à Londres, ce fut pour M"' Weldon une 
révélation. ËUe y trouva quelque chose de nou- 
veau, un charme qu'elle n'avait pas encore ree- 
senti. L'enthousiasme était sincère. Dèslors, elle 
ne voulut plus chanter que les œuvres de 
Gounod. M" Weldon eut des succès dans les sa- 
lons où elle chantait la musique de Faust d'une 
fagon originale. De la musique à l'auteur, il n'j 
avait plus qu'un pas. Voir Gounod 1 c'était pour 
l'artiste un rêve, une idée fixe t 

« On m'avait dit, écrit-elle (1), qu'il avait été 
trappiste, que c'était un jeune homme saint et 
silencieux. Il n'était pas étonnant que sa musique 
fut si pénétrée et si divine. Et puis on disait qu'il 
chantait Faufiï comme personne... » 

M"' Weldon était donc fort nerveuse, quand, le 
20 février 1871, elle entra dans le salon de Jules 
Bénédict, où elle espérait voir et entendre 
Gounod. Bénédict lui avait promis cette bonne 
fortune. A première vue, Georgina fut désap- 

(i) Mon Orphelinat, 1" vol., page 37. 



. ,, Google 



SA VIE ET SES ŒUVRES 275 

pointée. L'aspect du Maître, vôtu d'an complet 
brun, ne la séduisit pas tout d'abord. ■ Ce n'était 
pas un maigre et silencieux trappiste. » L'im- 
pression changea vite, dès que Gounod se mit i 
chanter. Le capitaine Weldon , alors héraut 
d'armes de la Reine, avait conservé tout son 
flegme. Pour sa femme ce fut autre chose. Ga- 
gnée par l'émotion, Georgina .comme nous l'avons 
dit, tombait dans une attaque de nerfs. 

Le lendemain, nouvelle rencontre fortuite I 
Gounod était allé entendre une répétition à la 
Société chorale de Leslie. Il fut tout surpris d'y 
trouver M"* Weldon qui chantait un solo de 
Mendelssobn. Ce fut au tour de Gounod de s'exta- 
sier. Il n'eut pas d'attaque de nerfs. Cela est 
réservé aux femmes, mais il fut frappé de la 
pureté de cette voix do soprano, et de la noble 
simplicité du style de l'artiste. Gounod fit à la 
jeune femme les plus chaleureux compliments. 

Le jour suivant, jour de réception chez le 
compositeur, la cantatrice vint faire visite. Cette 
fois, elle se présentait en solliciteuse. Elle 
demandait au Maître une lettre de recomman- 
dation pour dtre inscrite au programme d'un 
coucert donné au bénéfice des blessés français. 
La démarche ne se borna pas là. On se mit au 
piano. M"" Weldon chanta le rôle de Marguerite 
de Faust, Gounod prit la partie de ténor, et la 
partition fut lue d'un bout à l'autre. « Ce jour-là 
nous n'en lûmes pas davantage ! » L'auteur 
était ravi, et s'écriait ; Quelle voix étrange ! une 



n,gti7cdT:G00glc 



376 CHARLES OODNOD 

Toix des deux sexes ! Voilà la Pauline de mes 
rôves ! 

Les relations musicales si bien commencées se 
continuèrent (I). Elles devinrent amicales, et 
l'intimité s'accentua. Grounod fit à M. et à 
M*" Weldon quelques confidences sar la situation 
de ses affaires avec les éditeura anglais. Il écouta 
les conseils de l'nn et de l'autre, et ces conseils 
lui parurent très pratiques. Finalement, il se 
détermina à les prendre pour g^uides dans ses 
affaires d'intérêts. 

C'est ainsi que les sympathies réciproques 
devinrent plus cordiales. M°" Weldon était au 
comble du bonheur. Quelle auréole elle entre- 
voyait 1 S'attacher à la gloire musicale de 
l'homme dont elle admirait le génie, devenir la 
nymphe Egérie du m^tre, être l'interprète de 
ses œuvres, créer le rôle de Pauline dans 
Polyeucte ; d'autre part protéger le compositeur 
auprès des agents internationaux, des împressa- 
rios, des directeurs et des éditeurs ; fouder sous 
son patronage une Ecole de musique; tout cela 
était un rôve, un rôve doré dont la réalisation 
paraissait certaine. C'était la gloire; c'était aussi 
la fortune. Quant à M. WeldoD, il approuvait un 

(1) Chère AfEidame, écrivait Goanûd le 2 mars 1871 à 
M" Weldon, si je vous al fait quelque peu de bien, 
votre visite d'hier et votre lettre de ce matin m'en ont 
fait beaucoup : la dette est donc de mon c9té. Faïut, 
Roméo, leur auteur sont à la disposition de tout ce qa'H 
; a en vous de Marguerite et de Juiielle. 



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SA VIE ET BBS ŒUVBE8 277 

plan qui l'a^anchissait d6 bien des ennuis 
domestiques. Sa femme, absorbée par des occu- 
pations multiples, le laisserait enfin aller au 
Cercle fumer de bons cigares... 

Gounod, de son côté, semblait s'attacber de 
' plus en plus à la vie anglaise. Londres lui plai- 
sait par ses grandes solennités musicales. Son 
élégie GalHa avait été accueillie avec le plus 
grand entbousiasme. Les ovations avaient été 
prodiguées à. l'auteur, et une grande société 
chorale, la Société Royale d'Albert- Hall, se for- 
mait sous sa direction. L'exemple d'Hœndel le 
sollicitait peut-être! Après avoir rempli la France 
de sa renommée, pourquoi ne pas recommencer 
une carrière nouvelle en Angleterre, et ouvrir 
pour ses œuvres une ère encore plus brillante 
qu'en France t Cette idée, et d'autres circons- 
tances, lui firent peu à peu prendre la résolution 
de se fixer, pour un temps indéterminé, à Lon- 
dres. N'avait-il pas là de véritables amis, M. et 
M"" "Weldon qui, bien au courant des habi- 
tudes et des choses anglaises, lui ouvraient les 
yeux sur ses intérêts, et le protégeaient contre 
l'âpreté des éditeurs. Paris ne l'attirait plus, en 
présence de tous ces avantages 1 

Au mois de juin 1871, c'est M""* Weldon qui 
nous fournit ce renseignement, Gounod avait 
reçu une invitation à dîner de la part de M. 
Tbiera, D'après des avis officieux, M. Thiers vou- 
lait luiofiVir la succession d'Auber.comme Direc- 
teur du Conservatoim de Paris. Gounod déclina 



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S78 CHARLES OOUNOD 

cette invitation, et, le 19 du même mois, il vint 
s'installer comme pensionnaire à Tavistock , où 
il resta jusqu'au 31 juillet. Pendant ce temps, Il 
se livra à un travail assidu. La demeure lai plai- 
sait. El sa future Pauline était près de lui, toute 
prête à répéter le rôle au fur et à mesure de sa ' 
composition. C'est ainsi qu'il écrivit le Songe et 
le final du troisième acte de Polyeucte ; c'est 
ainsi qu'il orchestra une grande partie de son 
opéra, et qu'il réduisit,- en entier, le rôle de 
Pauline pour le piano.Iltravailla aussi h Rédemp- 
tion et écrivit un grand nombre de mélodies. 
M"' Weldon espérait débuter, en 1872,au Grand- 
Opéra de Paris, dans Polyeucte. Pour ses costu- 
mes, un artiste lui avait dessiné des modèles 
qu'elle avait envoyés aux colonies, pour les faire 
broder sur des étoffes indiennes. Ce temps-là fut 
la lune de miel du séjour de Gounod à Tavistock. 
Propriétaires et pensionnaire (1) s'entendaient 
entre eux à merveille. Tout le monde était 
content. Hélas '. les lunes de miel n'ont souvent 
qu'un quartier ! 

Le 31 juillet 1871 , Gounod se] rendit à Paris, 
oii il resta jusqu'au 1*' décembre suivant. L'au- 
teur de Polyeucte voulait préparer l'engagement 
de Georgina "Weldon à l'Opéra pour créer le rôle 
de Pauline.^Des pourparlers avec M. Halanzier 
eurent lieu à ce sujet, et , pour aplanir les dinî- 

(1) Gounod payait une pension mensuelle Jt M. et M"* 
Weldon. 



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SA VIE ET BBS ŒUVRES 379 

cultes d'an débat, le compositeur résolut de - 
présenter sa cantatrice au public parisien, dans 
son œuvre nouvelle, Gallia, 

Nous savons dans quelles conditions cette 
œuvre fut composée. L'auteur, pour représenter 
la France outragée par l'insolence de ses enne- 
mis, s'était souvenu de Jérusalem en ruines, des 
gémissements du prophète Jérémie, et, sur les 
premiers versets en latin des lamentations, il 
écrivit une élégie biblique, à laquelle il donna un 
titre de circonstance. « Cette composition, dit 
Gounod, me vint tout entière d'un seul bloc. Bile 
éclata dans mon cerveau comme une sorte 
d'obus. » 

Voici le titre de l'œuvre inscrit sur le manus- 
crit original de la partîtiop : Elégie biblique' avec 
chœurs, solis, orchestre et orgue, composée pour 
l'ouverture de VExposîtion internationale de 
Londres, et espécutée pour la première fois le 
I" mai 1871 dans Royal Albert-Hall, par 
Charles Gounod (1). 

(1) Quatre grandes compositiona avaient été deman- 
dées, à cette occnsion, à quatre artistes différents : 
Sullivan pour l'Angleterre, Oounod pour la France, 
Ferdinand Hiller pour l'AUemagne, Pinauti pour ITtalie. 

La partition a été vendue h la maison Novello de 
Londres, pour tous pays, Cno édition française, paroles 
de Oounod, a paru & Paris chez Ghoudens.— Le chœur 
dans Gallia se compose de 1"' et 2"" sopranos, ténors 
et basses. 



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280 CHARLES aoUNOD 

L'œuvre se divise en quatre parties : 

1* Introduction. — Cbœur ; La voilà seule, 
vide, la cité Reine des cités I Ses enfants 
pleurent nuit et jour dans ses murs désolés 

2> Soprano solo et chœur. 

Soprano solo ; Ses tribus plaintives ne 
viennent plus à tes temples saints chanter leurs 
cantiques. 

Keprise du cbœur sur les mêmes paroles. 

Soprano solo : Ses remparts ne sont que 
décombres.... Sous les fronts vierges plus de 
fleurs.... etc. 

3° Solo et chœur. 

Chœur : O mes frères qui passes sur la route 
voyez mes pleurs, ma misère !... Grâce, Dieu 
vengeur, pour tes enfants sans armes I Contre 
V insolent vainqueur, arme ton bras ! 

Pendant ce morceau, la voix de soprano s'en- 
tremêle au chœur et alterne avec lui. 

4° Final. 

Soprano solo : Jérusalem, Jérusalem, reviens 
vers le Seigneur ! 
Béponse du chœur sur les mêmes paroles. 

Cette Lamentation, écrite en style de cantate, 
fut exécutée au Conservatoire de Paris, le di- 
manche 29 octobre 1871, ainsi qu'au concert du 



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&k VIB ET SES ŒUVRES £81 

dimanche suivant W. Elle se distingue par la 
progression. Triste et monotone au débuts elle 
s'accentue avec l'intervention du chœur et le final 
se termine par une véritable explosion musicale : 
Jérusalem, Jérusalem l 

Le troisième morceau, où le soto et le chœut 
dialoguent pour se réunir ensuite en un ensem^ 
ble ; O mes frères, parut dtre la partie lu plus 
attachante. Les voix sont soutenues par des har- 
monies plaquées. 

M"" Weldon, chargée do la partie de soprano, 
n'eut pas à se plaindre de l'accueil réservé à son 
début par le public du Conservatoire. La plu- 
part des journaux lui furent favorables. Plus 
tard, la Presse parisienne devait être moins 
bienveillante à son égard. Sans présenter l'ar- 
tiste comme un prodige dans l'art du chant, on 
trouvait sa vois d'une justesse parfaite, voix 
étrange, d'un mince volume, fraîche, mais 
froide. L'artiste chantait avec sentiment. On 
remarqua notamment la tenue d'un si naturel 
aigu. 

M. E. Legouvé, en écrivant à Jules Bénédict, 
résumait ainsi ses impressions sur Gallia : , 

• M" Weldon est aiïivëe, la personne a plu. Son 
attitude réservée et de femme du monde a plu. Il n'f 
avait pas en elle l'apparence d'une femme de théâtre. 



(1) Gonnad, poar rcitculian an FraUcs, SI Inl-m 
ttist francsiM du Une litln. H. I. Barbier, qui av 
H rr*a<;ua, ne dtvait pis Jlr* content. 



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282 CHARLES QOUNOD 

Dès qu'elle a chanté, es. voix a paru bien timbrâe, sa 
manière de chanter naturelle, simple, et d'un bon style. 
Ella a eu beaucoup de succès dans son premier morceau. 
Dans le second, je crois, on aurait voulu un peu plus de 
force, et la voix a été forcâment étouffée aoua le chœur. 
JVjoutez qu'elle avait une peur affreuse! L'œuvre de 
Gounod a été aussi fort bien accueillie. Oe qui ma plaît 
lé plus, c'est llntroductÎQn que je trouve pleine de dé- 
solation. La note jetée par le cor seul produit un effet 
de'triatease navrante. J'aime beaucoup le premier moT' 
ceau de M" Weldon. Le dernier, quoique moins nouveau, 
est plein d'élan....* 

Dans le courant du mois de novembre 1871, 
deux auditions de Galiia furent données à 
rOpéra-Comique. La première fuis, la LaTnenta- 
f ton était accompagnée du Domino noir. L'œuvre 
d'Auber faisait opposition au chant patriotique. 
A la salle Favart, Galiia fut axécutée avec un 
certain luxe de décors et de costumes. Le théâtre 
représentait les ruines de Jérusalem ou de toute 
autre ville ancienne ou moderne. Au final, on 
voyait apparaître deux Génies auxquels s'adres- 
sent les cris d'espérance qui terminent la Lamen- 
tation. 

H°" Weldon eut moins peur à l'Opéra-Comique 
qu'au Conservatoire. Mais son costume biblique, 
au point de vue plastique, lui parut gênant : 

■ Dans mon cosliiïma, dit-elle (1), j'avais une énorme 
traîne. Il me fallait marcher à reculons, sans tomber, et 
rencontrer une borne sur laquelle je devais me trouver 

(I) Mon Ofphelinal, Tol. 1", page 33. 



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SA. VIB ET SES ŒUVBBR xHi 

assise sans l'avoir regardée... Les chieurs qui étaient 
derriôre moi détonnaient et ne me soutenaient pas. Os 
qui me tourmentait le plus, c'était ma traîne et ma 
borne ! Les choristes me semblaient bideux. C'était la 
première fois que je les voyais de près. Ils étaient hor- 
riblement grimés. Lorsqa'enSn, arrivée saine et sauve 
sur ma borne. Je devais regarder de côté pour contem- 
pler les Israélites, il me prenait envie de rire, en pensant 
que c'étaient ces gens-là que je devais appeler : Met 
friret \ Gallia était fatnlement déplacée k l'Opéra- 
Gomique. ■ (1) 

Et Georgina Weldon, dans son récit, ajoute 
qu'elle fit uD« grande impression. Elle prétend 
que Charles Blane et Jules Simon pleuraient. 
M. Weldon pleurait aussi. Choudens, dit-elle, 
était ravi. Dulocle, le directeur, lui déclarait 
qu'elle avait le génie du geste ! 

Georgina Weldon chanta encore uae fois 
Gallia k l'église St-Euetache, au mois de novem- 
bre. Elle rentra ensuite en Angleterre. Gounod 
revenait aussi à Londres, où l'appelaient des 
afeires d'intérêt, et la vie commune fut reprise 
à Tavistock. Bientôt, le musicien tomba malade, 
et cette circonstance resserra plus étroitement 
l'intimité qui existait entre Gounod et ses hôtes. 

(1) Georgina Weldon avait demandé à l'auteur d'arran- 
ger Gallia en pièce de musique religieuse. Gounod lui 
répondit i — Quant k arranger Gallia pour les églises, 
c'est impossible. Ce n'est bon ni pour orgue seul, ni 
pour les églises. C'est ce que c'est, et j'ai horreur des 
selles à tous chevaux. 



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384 CKARLBB OOUKOD 

Ceux-ci lai prodig^uèrent les soins les plus assidus 
et les plus empressés. L'auteur de Faust l'a 
reconnu lui-même, et a exprimé sa reconnais- 
sance. 

Les grands hommes sont souvent la proie des 
biographes, qui, pour montrer leur sujet en 
pantoufles et en robe de chambre, ouvrent toutes 
les portes, toutes les fenêtres, et, au besoin, 
cassent les vitres. Généralement, ils attendent la 
mortde leur héros; le culte est posthume. M"' Wel- 
don, dans un tout autre but, et par esprit de 
renf^eance, a publié, après sa brouille avec 
l'auteur de Fatfsf, le récit de ce qu'elle appelle 
sa Gounodyasée. Dans ce journal, la cantatrice 
se pose en victime, et elle raconte, jour par jour, 
la vie intime à Tavistock. Nous ne suivrons pas 
M"" Weldon dans son racontar. Le mobile est 
suspect. De cette lecture pénible, il semble résul- 
ter que le séjour de G-ounod à Londres a eu un 
caractère beaucoup plus commercial que roma- 
nesque. Gounod, au milieu des discussions, des 
lattes d'intérêts, des difficultés de tous frenres 
avec les éditeurs, n'a pas (>u, en Angleterre, une 
vie tranquille. Si les affaires musicales le rete- 
naient loin de son pays, la maladie l'empêcha, à 
plusieurs reprises, de quitter Tavistock que des 
soins par trop vigilants finissaient par lui rendre 
insupportable. Gounod était non seulement un 
ami, il était aussi un capital. M*"' Weldon.dans 
ses brochures, répète souvent que son principal 



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SA VIK ET BES ŒUVRES 285 

souci était de rendre à Gùupod la vie calme et 
heureuse. < Je voulais, dit-elle, qu'il fut toujours 
capable de composer. » Aussi, la sauté du 
Mettre était-elle surveillée de près. La moindre 
indisposition était un sujet d'inquiétude, et 
Gounod ne devait pas quitter la maison. M. Wel- 
don, excellent garde-malade, le ramenait bien 
vite aulogis lorsqu'il avait l'imprudence de sortir 
sous l'influence d'un rhume. 

Le retour de Gounod en France eut été le 
renversement de toutes les espérances. Le com- 
positeur parti, l'Institut musical de Tavistock 
allait s'effondrer. C'est ce que ne voulaient pas 
M. et M"' Weldon. 

En quoi consistait donc cet établissement T 
Dans un Orphelinat et dans le Chœur Gounod 
(Gounod's Choir). 

L'Orphelinat était à la fois une classe de musi- 
que et un asile. Le but de M"' Weldon était de 
recueillir et d'élever des enfants abandonnés. 
Elle les adoptait dès l'âge d'un an, et expéri- 
mentait sur eux sa méthode de chant. Geor- 
gina Weldon prétend qu'il faut rompre le gosier 
des babys, comme on rompt de bonne heure les 
membres des enfants destinés a l'acrobatie. Il 
est aussi nécessaire d'exercer, dès l'enfance, les 
organes vocaux que les doigts des instrumen- 
tistes, car l'enfant naît avec toutes les facultés 
nécessaires. Ces facultés, il faut savoir les déve- 
lopper. En un mot, la voix ne doit pas se former 
d'elle-même. Il vaut mieux provenir que d'avoir 
à réformer... 



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**^ 



CHARLES aOUNOD 



Je ne discuterai pas les mérites de cette mé- 
thode radicale et préventive. Cela rentre dans 
la question d'allaitement musical que Goanod a 
traitée de son côté, et dont nons avons parlé 
dans un chapitre précédent (1). Siir ce sujet, l'au- 
teur de Faust a consigné ses idées dans unopus- 
cule, et dans un journal intitulé Le Nouveau-Né, 
feuille périodique publiée par l'Institut musical 
de M. et M"' Oscar Comettant. Le Nouveau-Né 
n'a pas dépassé le jeune âge. Je crois que le 
journal n'existe plus. C'est dommage 1 Le Nou^ 
veau-Né était le manuel de la bonne mère, à 
laquelle on indiquait les soins à. donner à i'en- 
fant, au point de vue de la santé du corps, et au 
point de vue musical. Gounod, en écrivant dans 
Le Nouveau-Né sur Yallaitement musical, s'oc- 
cupait del'éducation de l'oreille du petit enfant, 
j^ma Weidon allait plus loin. Elle prétendait faire 
de ses marmots, à peine au sortir du sevrage, 
de véritables exécutants.EDe a produit à Londres, 
dans quelques séances musicales, une petite fille 
de deux ans qu'elle aurait mieux fait de garder à 
son Orphelinat de Tavistock. Bien que cette ins- 
titution eût son comité, ses médecins et môme 
ses chirurgiens honoraires, son auditeur des 
comptes {auditor) et son solicUor, je ne crois pas 
qu'elle ait jamais été bien prospère. Trois ou 
quatre mioches recueillis à Tavistock, et voilà 
tout! 

(1) Gounod éi 



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SA VIE ET SES ŒUVRES 287 

Le chœur Gounod (Gounod's Choir) était une 
idée plus sérieuse. Cette société d'amateurs, fon.- 
.dée sous le patronage du Maître, était dirigée 
par Georgina Weldon, chargée d'instruire «t de 
faire répéter les choristes. Chaque membre devait 
assister à un cours qui se tenait à Tavistock, dans 
la grande salle de Dickens. M. Weldon avait 
fait agrandir cette pièce et, plus tard, cela devint 
un chef de réclamation dans le procès intenté 
contre Gounod. 

Le chou- était réglementé par des statuts en 
treize articles. La cotisation est annuelle. Outre 
la classe de Georgina Weldon, des cours supé- 
rieurs ont lieu sous ta présidence de Gounod. 
L'association a son Comité, son Secrétaire, son 
Trésorier. 

iJ"" Weldon, comme administrateur délégué, 
subvient à tout. Quelle activité ! C'est elle qui, 
aux séances, range les dames selon leur taille, 
les place selon la couleur de leur costume et la 
disposition de leurs rubans. Quant aux faux che- 
veux, aux chignons abondants, ils sont absolu- 
ment proscrits. 

Le chœur Gounod devait donner chaque année 
cinq grandes séances publiques à St -James- 
Hall. La musique était publiée chez Smith, et 
fournie aux membres de la société au prix coû- 
tant. Smith ! Ce nom est à retenir. Nous allons 
voir bientôt cet éditeur mêlé à la querelle de 
Gounod et de M"" Weldon. 
M. Oscar Comettant, l'ancien directeur du 



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288 CBA.BLBS aOUNOD 

Nouveau-Né, noaa iaitie dans son feuilleton du 
Siècle, & la date du 5 mai 1873, au functionue— 
méat de ta société chorale. M. Comettaut noua 
fait entrer dans l'intimité de la maison. On n'âst 
jamais trahi que par les siôns : 

■ Je suis allé eette Bemaine à Londrea ftdre visita k 
l'auteur de Faust. Ooimod habite Tavistock-tlouse, ebe^ 
M. et M** Weldon qui sont pour le oompoalteur dea amis 
dévoués et des admirateurs passionnéa. La maison, da 
etjle grec, est vaate, meublée suivant les oonfortablefl 
habitudes anglaises, et enserrée dans la luxunaste ver- 
dure de deux beaux squares qui la fbnt reasembler à nu* 
agathe blanche entourée d'émeraudes 

< On a dit que Gounod se plaît plus à Londres qu'à - 
Paria. Cela n'est pas exaot. Qouaod se plaît dans la mai- 
son de ses amis à Londres, — qui n'est pas Londres, — 
parce que dans cette maison, où son &me est à l'aiseï il 
trouve avec la solitude du cloître, le mouvement artisti- 
que et la vie intelleotuelle. En effet, il est des heures 
dans la semaine où la solitaire mnison se remplit des 
harmonies d'un choeur d'hommes et de femmes, qui, sous 
la direotion de M" Weldon, viennent essayer lea œuvres 
encore inédites du Maître, que plus tard le public enten- 
dra dans des concerts périodiques donnés à Saint-James- 
Bail. 

( Taviatoolc, on le voH, est moins une maison qu'an 
temple de musique dont Gounod est le dieu. M" Wel- 
don l'ardente prâtresse, et U- Weldon Capàtre convaincu. 
Bt ce ne sont pas les fidèles qui manquent pour la célé- 
bration du culte de cette religion musicale. 

« J'ai assisté mardi dernier h la répétition générale 
de la messe brève en ui majeur, dédiée à rArcbeySqne de 
Weatminter, et j'ai pu constater que la Société chorale, 
fondée récemment par notre illustre compositeur, oC^it 
<éjit un ensemble très satisfaisant. Une centaine de ohan^ 



n,gti7cdT:G00glc 



SA. VIE ET ses ŒUVRES 389 

teurs, enfants, dames et demoiselles du monde, et gent- 
lemeo, ont dit cette œuvra nouvelle de Gonnod avec \m 
foi qui Boolàve les applaudi a Bernent s, h défaut de mon- 
tagnes. 

• M** Weldon avait conduit avec beaucoup d'autorité 
et de talent les chœurs de GaUia. Elle avait dit de sa 
yoix pure, sobre et admirablement posée, les «oti de 
cette composition patriotique. 

f On attendait le Maître pour oouduire au piano la 
Messe, et recevoir de lui les derniâres observations. 
Gouuod, assez soufiïant ce jour-là, descendit de son cabi- 
net de travail, qui est situé au second étage, au premier 
étage disposé en salle de concert, pouvant contenir envi- 
ron tW personnes. H se présenta en pantoufles et en 
bonnet de velours sur la tête. On applaudit, non pas la 
calotte, mais le cerveau qu'elle protège. La répétition de 
la messe commence.... L'auteur paraissait satisfait de 
ses interprètes. Il leur a prononcé un tpeeck presque sans 
accent.... » 

Où donnait à Tavistock des soirées plus inti- 
mes dont nous trouvons le compte rendu dans 
des journaux anglais amis de la maison. Voici 
quelques lignes d'un de ces articles : 

■ Tavistock est le rendez-vous des artistes de distinc- 
tion. Parmi les célébrités, j'ai rencontré Félicien David. 
Gounod, gai et spirituel, s'est mis au piano, et a exécuté 
la Marche funèbre d'une marionnelle. Ensuite, on a Joué 
une petite comédie de salon, dans laquelle Gounod rem- 
plissait un rôle de concierge. La baronne de. Katow, la 
violoncelliste it la mode, j assistait. ... * 

Beaucoup d'articles ont été publiés tant en 
France qu'en Angleterre, sur Tavistock et 



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290 CHARLK8 QOUNOD 

sur les concerts de Gounod. Il serait trop long de 
les reproduire, même par frag-ments. 

Les concerts donnés à Saint-James -Hall eu- 
rent lieu pendant deux saisons (1872-1873, et 
1873-1874). Au premier concert du 16 juillet 
1873, Gounod chanta lui-même au piano sa 
mélodie: The »ioîcî o/^ï/te«(Vierged'Athènes), 
écrite sur les paroles de Lord Byron. Georg-ina 
Weldon et Nina Gaëtano donnaient leur concours 
à cette séance. 

La première saison fut close par un concert au 
bénéfice de Gounod, fondateur et directeur de 
l'œuvre. Parmi les morceaux inscrits au pro- 
gramme figuraient les airs du ballet de Faust 
que le public anglais n'avait pas encore eu l'oc- 
casion d'entendre. 

Les concerts de Saint James-Hall, où l'on 
exécutait les œuvres récemment écrites par le 
Mî^tre, n'obtinrent pas tout le succès qu'on 
espérait. Les grands journaux de Londres, le 
Times notamment, n'aidèrent, ni par leurs récla- 
mes, ni par leurs critiques, l'Institution du 
GounocTs Choir. M"" Weldon s'en plaint amère- 
ment dans ses brochures. Elle attribue ce silence 
et cette indifférence de la presse anglaise à Tio- 
iluence hostile des éditeurs. 

GounodparutàLondres dans beaucoup d'autres 
concerts que nous ne pouvons énumérer. Citons 
le concert de Jules Bénédict, le 19 juin 1873, 
auquel Faure assistait. Georgina Weldon inter- 
préta les compositions de Gounod, et la Lucca 



.D;,gc,:GcTbgb-..çr 



SA VIE BT SES ŒOVUES 291 

celles de Faare. Vers la même époque, matinée 
musicale dans les salons Wilis, où l'on euteudit 
Gardoai, M"'"' Conneau et Weidon, Gounod diri- 
geait l'exécution de ses œuvres. Au mois d'août 
suivant, Gergina Weidon chantait une nouvelle 
composition religieiue de Gounod, au Crystal- 
Palace, etc. 

En 1872, Gonnod fit une tournée artistique en 
Belgique avec M. et M"' Weidon, Kina Gaôtano 
et le ténor Verrenrath. Au mois d'août, concert 
à Spa. L'aatour accompagne lui-même ses inter- 
prètes au piano. Le 20 octobre, grand concert 
au théâtre de la Monnaie. On exécute Galtia, la 
symphonie en m: bémol, et les airs du ballet de 
Faust. D'autres concerts sont donnés, et Gounod 
reçoit partout l'accueil le plus flatteur. 

Ces voyages étaient quelquefois agrémentés 
d'incidents. Nous avons dit combien M— _Wel- 
don aimait lus animaux. Elle ne marchait pas 
sans ses carlins ; en quoi elle était marquise. Elle 
les mettait aux bagages, bien arrimés dans des 
paniei^ spéciaux. Ainsi, on arrive à la gare de 
Bruxelles, de bon matin. Hélas 1 les paniers ne 
sont pas là. Les chiens ont suivi une faasse direc- 
tion. Grand désepoir de Georgina ! Elle veut 
télégraphier. Le télégraphe n'est pas encore 
ouvert au public. Et l'auteur de Faust restait, 
furieux, sur le quai. « Sacrés chiens, s'écriaît-il. 
Est-il rien d'insupportable comme une femme 
qui ne peut se passer de bêtes, d'oiseaux, de 



n,g -ccT'GoOgIc 



392 CHARLES OOUNOD 

carlins, àe grenouilles et de tortues 1 > Mats 
M" Weldon veut, à tout prii, retrouver ses 
chiens. Sans plus de façon, elle se fait conduire 
au palais du Roi des Belges ; elle demande 
M. Jules Devaux, chef de cabinet de Sa Majesté. 
M. Jules Devaux dormait encore. Qu'importe 1 II 
y a urgence, dit-elle. On réveille le chef du 
cabinet, qui, de bonne grâce, fait mettre le télé- 
graphe en mouvement. On retrouve les carlins 
qui avaient été mal bifurques. Ils reviennent 
sains et saufs, et Gounod, dont la juste colère 
était apaisée, se promène gaiement dans les rues 
de Bruxelles, suivi de cette petite meute. 

Pendant son séjour en Belgique, plusieurs 
journaux de Paris annoncèrent que Gounod 
s'était fait naturaliser Anglais. L'Evénement, 
dans un article signé Jules Claretie, demandait 
& l'auteur de FduâMe démentir cette nouvelle, 
t M. Gounod, disait le futur administrateur de 
la Comédie -Française, a cessé d'être ce qu'on 
peut appeler un Français pratiquant. • Le 
Gaulois taxait le compositeur d'ingratitude 
envers la France. Gounod répondit à M. Tarbé, 
directeur de ce journal, une lettre dont nous 
, extrayons le passage suivant : 

■ ... Ce que je puis dire, c'est que la notion de patrie 
n'est nullement, k mes yeux, une notion géographique ; 
c'est qu'on peut rester Français, et trSs Français, en 
vivant ailleurs qu'en France ; c'est qu'an homme appar- 
tient à son pajs par le nom qu'il en a reçu et qu'il 



n,gti7cdT:G00glc 



BA TIB ET SBB ŒUVRES S93 

t&che do lui laisser 1« plus honorable ot la plus illustre, 
•n retour de saoaiasaace; c'est qu'enfin Haendel a pasBfi 
trente ans de sa vie en Angleterre, comme Rossini et 
Me;erbeer en France, pour la gloire de lenr patrie... • 

On qaitta la Belgique à la fîa d'octobre 1872 
pour reTenir à Tavîstoek. Par un singTilier hasard, 
les carlins, au retour, furent perdus. Ou les avait 
encore mal aiguillés. 

Durant cette même année 1873, on demanda à 
GouQod de venir diriger à Strasbourg l' exécution 
de ses œuvres religieuses. Le compositeur 
refusa. « Strasbourg, disait-il, est au pouvoir des 
Prussiens, et je ne veux plus les voir t » M'étaient- 
ce pas les Allemands qui avaient incendié sa 
maison de Montretout t Gounod, dans sa lettre 
du 9 octobre 1871, écrivait : 

t . . .Savez-voua que Je viens de faire une triste décou- 
verte ? Le Requitm et le Kyrie de ma messe des morts 
(manuscrite et inédite) étaient lestés à Montretout, dans 
mon chalet, où ils ont dû être la proie des flammes. Il va 
Talloir que je les retrouve dans ma tSte et que je les 
recommence. Ainsi soit-il, et à la grflce du Pdre qui est 
aux Cienx I . , > 

L'ioameuble avait été incendié^ mais le manus- 
crit avait été, au préalable, sauvé du sinistre. On 
le trouve, quelque temps après, inscrit sur le 
catalogue d'une vente d'autographes qui eut lieu 
à Berlin. 

Nous ne parlerons qu'incidemment de la 



n,gti7cdT:G00glc 



^4 CHABLSS OOUNOD 

g^nde société chorale d'Albert' -Hall, dirigée par 
Gounod, et pour laquelle le mnsiciep a t^crlt ou 
arrangé un graud nombre de choeurs. Le premier 
concert eut lieu le 1" mai 1872, en présence de 
la reine Victoria et de toute la cour (1). La musi- 
que religieuse dominait dans le programme où 
ne figuraient que les ceuvres du Maître français. 
Bientôt des difficultés s'élevèrent entre le Direc- 
teur et les membres du Comité pour l'engage- 
ment des solistes. C'est une querelle qui ofEre peu . 
d'intérêt, et au sujet de laquelle M°" Weldon a 
écrit une brochure en anglais. La plume ne lui 
quitte pas les mains. Il y a Heu de penser que les 
commissaires voulaient exclure M°" Weldon de 
toute ingérence dans l'association. D'ua autre 
c&té, la cantatrice, toujours prête à la lutte, ne 
laissait jamais Gounod aller seul au comité d'Al- 
bert-Hall. Cette institution était son ennemie, et 
pouvait entraîner Gounod hors de son influence. 

On voit combien la vie du musicien était sur- 
menée à Londres. Le nombre des œuvres écrites 
en Angleterre atteste l'activité du compositeur. 
Koue en donnerons plus loin la liste. 

Mais toute cette énergie, tout ce labeur 
devaient se briser contre ta ligue des éditeurs 



(1) Georgina Weldon, dans son livre Musical reform. 
prétend que le Duc d'Edimbourg, auteur de plusieurs val- 
ses, se joignit plus tard à la ligue qui se forma contr* 
Gounod. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 295 

ang-lais. Ah ! les vieux amalêcites, comme on les 
appelait à Tavistock. Gounod, dans un article 
déjà cité (La propriété artistique), nous fait un 
tableau curieux du commerce musical à Londres. 
L'éditeur anglais est un être omnipotent. Il est 
l'organisateur des grands concerts, il est mar- 
chand de musique, il fait exécuter les œuvres de 
80n fonds par des artistes assermentés dont il 
s'assure la dépendance et le monopole.Cet entre- 
preneur centralise tout entre ses mains. Qui n'est 
pas avec lui ne peut rien produire. Le musicien 
est son prisonnier. Il y a là, dit Gounod, toute 
une stratégie qui vous enveloppe comme dans 
un blocus et qui vous tient par les affiches, les 
annonces, les comptes rendus des critiques, les 
chanteurs, les sociétés chorales, enfin par tous 
les bouts. L'auteur de Faust nous représente 
Londres comme une ville dont le vêtement est 
• une affiche, où la réclame (1) a pris un dévelop- 
pement excessif, et où, en matière musicale, 
l'éditeur est un maître arbitraire et tout-puissant. 
Et c'est contre cette puissance reconnue que 
Tavistock avait osé combattre ! Conseillé par 
Georgina Weldon, Gounod voulait entreprendre 
des concerts, en échappant au monopole et en 
s' adressant directement au public. Vains efforts ! 



(1) Tavistock avait été obligé de a© mettre au diapa- 
son. On avait acheté un attelage et une charrette qui 
circulait , dans Londres, couverte d'aiBchea , pour 
annoncer les concerts Gounod. 



n,gti7cdT:G00glc 



296 CHARLBS aoUNOb 

Lutte inutile I J'ai, dit Qounod, créé un éditeur ! 
C'était Smith eans doute, éditeur dont l'établis^ 
aement était bien modeste, et qui joue un r61e 
important dans les afiaires Weldon-Gouuod. 

Ce qui parait avoir rendu la situation plus dif- 
ficile pour Gounod, c'est l'intervention de M"' 
Weldon qui s'était constituée l'affent g^énéral etle 
représentant de Gounod pour tous paya.EUel'adit 
elle-même: J'ai été son secrétaire, son poète, son 
traducteur, j'ai vendu ses compositions, j'ai fait 
moi-môme des démarches chez tous les éditeurs, 
je me suis occupée des réclames. Je répondais 
pour lui eu Amérique, en Allemagne, en France. 
A Paris, lors des répétitions de Jeanne-d' Arc au 
théâtre de la Gaîté, c'est elle qui représente 
Gounod, et dicte ses volontés. Le maître s'était 
résigné à cette usurpation, tant il avait confiance 
dans les capacités commerciales de M^Weldou; 
mais la confiance ne devait pas durer. 

Nous avons dit plus haut que l'éditeur 
Lîttleton.peu de temps après l'arrivée de Gounod 
à Londres, s'était empressé d'aller voir le 
musicien, et lui avait offert d'éditer ses œuvres. 
« C'était, dit M"' Weldon, un des plus grands 
potentats de l'Angleterre qui daignait se rendre 
chez un vassal I » Gounod vassal d'un éditeur 1 

M. Littleton est en effet, en sa qualité de chef 
de la maison Novello, le plus important des 
éditeurs de toute l'Angleterre. Cette maison est 
un véritable gouvernemeut qui rayonneà Londres 



n,gti7cdT:G00glc 



8A TIB ET SES ŒUVRES 397 

et dans les ' provinces de la Grande Breta^e. 
Elle entretient des relations avec le clergé 
anglais. 

Dans cette situation, était-il de bonne politique 
d'engager la lutte contre un établissement aussi 
considérable t Georgina Weidon n'hésita pas & 
commencer les hostilités. Elle conseilla à Giianod 
de faire un procès à Littleton pour quelques 
démêlés que le compositeur avait eus avec 
l'éditeur. Gounod gagna ce premier procès. 

On changea d'éditeur, et on adopta le Royalty 
System (système des tantièmes). « Ce fut, a dit 
Gounod, le point de départ de toutes les diffi- 
cultés qui s'amoncelèrent autour de moi et de 
mes amis, les époux Weidon. » l^ous leâ éditeurs 
se liguèrent en masse contre Tavistock pour 
empêcher la vente d'une seule composition à 
tantième. 

Pourtant, selon l'opinion de Gounod, le sys- 
tème Royalty pandt être, en principei le plus 
Aquitable(l). 11 est basé sur le partage des bénéfi^ 
ses entre l'auteur et l'éditeur.sur la vente des œu- 
vres musicales. L'auteur prélève un tantième sur 
chaque exemplaire vendu et revêtu de sa griffe. 
Uais, ainsi que le prétend Gounod, la pratique, 
9n Angleterre, a changé la théorie. A Londres, 
en ne partage pas les béaéâces sur la vente, à 

(1) Ce sjetèmê a étâ refusé par la maison Ohoudeot. Il' 
est adopté par la maison Lemoine, l'éditeur actuel de 
GouDod. 



n,gti7cdT:G00glc 



598 CHARLES OOCNOD 

deux ; on les partage à trois, à quatre, et qnelque 
fois plus. Les chanteurs, les piaoistes traitent de 
leur côté avec l'éditeur, et participent aux béné- 
fices sur la vente des œuvres qu'Us interprètent. 
Cela diminue singulièrement la part de l'auteur. 

N'entrons pas dans tons les détails du com- 
merce musical anglais. Il nous sufBt d'indiquer 
le genre de difficultés auquel Grounod fut sou- 
mis. Tavistock changeait continuellement d'édi- 
tenr. Cétait une guerre acharnée I De Novelto, 
on passait chez Daff et Stevart, chez Chap- 
pell, etc. 

« Où se retourner pour un éditeur, écrit M*" 
Weldon t Tous avaient été poursuivis. Je me 
rappelais Smith qui avait proposé d'acheter deux 
mélodies et d'établir un magasin (1) », et la voilà 
qui prend Smith pour éditeur. Elle l'aide à ins- 
taller une boutique, et, sans prévenir Gonnod, 
elle lui prête de l'argent. 

Ce moyen de guerroyer contre les grandes 
maisons de Londres, de s'éditer en quelque sorte 
par un intermédiaire, ne fut pas conronné de 
succès. Georgina Weldon reproche à Smith 
d'avoir employé les bénéfices qae lui procurait 
la vente des œuvres de Gounod à la publication 
de ses propres compositions. Il paraît même qne 
les œuvres du Maître français , éditées chez 
Smith, portaient, sur le verso du cahier , le cata- 
logue de la musique composée par Smith lui- 

(1) Mon Orphelinat, vot. II, page» 73, 74. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIB ET SE9 ŒUVRES S99 

roSme. Bref, l'éditeur ne réglait pas avec Tavis- 
tock, et, lorsque Gounod quitta l'Angleterre, il 
était créancier sur l'éditeur d'une somme de 1200 
livres. 

Ajoutez à ces difficultés bien d'autres ennuis, 
notamment la malveillance des journaux, la sur- 
veillance de la police française autour de Tavi- 
stock, oïl l'on recevait quelquefois Jules Vallè8(l), 
enfin, et surtout, les pirateries de la contrefaçon 
musicale. Gounod s'indignait de voir les éditeurs 
faire fortune en vendant ses œuvres défigurées. 
Le compositear.par des procès, voulut faire cesser 
cet abus. Il les gagua. Bans d'autres instances 
judiciaires, il fut moins heureux. C'est ainsi que 
la maison Novello lui fit un procès pour diffama- 
tion, à la suite duquel Gounod fut condamné à 
payer à Littleton 50 fr. environ de dommages et 
intérêts. Le cas n'était pas bien grave. Dans une 
lettre adressée au Times, Gounod avait mis le 
public dans la confidence de ses démêlés avec 
les éditeurs, et il disait qu'il avait été refait par 
Littleton. Ce mot coûta cher, car, outre les 50 fr. 
de dommages et intérêts, les frais s'élevèrent k 
3,000 francs environ. Gounod déclara au juge 
qu'il préférait aller en prison plutôt que de payer, 
en argent, une condamnation qu'il ne croyait 
pas mériter. Il désirait même cette incarcération, 
espérant que cette rigueur soulèverait l'indigna- 

(1) Je me pUindm nu duc Decftze, dia»! Oeorgins 
Weldon. 



n,gti7cdT:G00glc 



300 CHAULES aoimoD 

tion du public contre les Éditeurs. Mais on paya 
la somme de Paris, et l'auteur de Faust u'eut 
pas l'avantage de subir à Londres 24 heures de 
prison. 

Que de tracas I que de tourments I Gounod en 
avait assez de l'Ang'Ieterre, de Tavistock, des 
époux Weldon, des Éditeurs anglais, de l'Orphe- 
linat et des sociétés chorales. Le hasard vint 
rompre la chaîne anglaise. 

Le mercredi 27 mai 1874, les hôtes de Tavis- 
tock se rendent à Blackhearth, près Londres, où 
ils avaient été invités par des amis. En route, un 
des carlins préférés de M"' Weldon se tord, en 
donnant des signes très accentués de la rage. 
Le petit chien est ramené à Londres par sa m^- 
tresse, pour recevoir les soins les plus empressés. 
Gounod reste seul à Blackhearth. Le soir,le Maî- 
tre tombe malade. Il éprouve une syncope qui 
efiraye les amis chez lesquels il reçoit l'hospita- 
lité. tJn télégramme est lancé à Paris. Les amis 
de Gounod, ses amis de Parie bien entendu, arri- 
vent en toute hâte à Blackhearth, et reprennent 
possession du Maître. Le retour en France est 
décidé. On écarte M™ Weldon, dont l'influence 
aurait pu faire changer cette résolution, et l'au- 
teur de Fams^ sous bonne escorte, rentre danssa 
patrie. Son indisposition n'avait eu aucune 
gravité. 

Mais il rentrait en France sans s'arrêter à 
Londres, et il laissait à Tavistock des objets qui 
lui étaient chers, notamment une collection de 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES CEUVREf) 30l 

dessins de son père, un grand nombrede manus- 
crits d'œuvres littéraires et musicales, la parti- 
tion de Georges Dandin, et celle de Pcdyeucte, 
précieux manuscrits qui vont donaer lieu à un» 
crise éclatante, et à de longs débats. Ca n'est 
passans difBcultés que l'auteur reprendra posses- 
sion de ses œuvres. 



CBuvrea ooi:npo86es à. Liondrea — X>ea Manus- 
orltS'— PubliOGitlona de Georglna'Wetdon.— > 
Z^e Prooâs. 

Nous avons fait connaître les relations artis- 
tiques de Gounod avec Georgina Weldon et les 
divers incidents de sa vie à Londres. Nous avons 
raconté aussi son départ précipité et son retour- 
en France. Le voilà rendu à la vie calme, ordon- 
née et tranquille; on peut croire que tout est 
fini. Hélas 1 non, tout n'était pas fini. Gounod 
va subir les conséquences de son séjour à Tavis- 
tock. Le chapitre que nous abordons sera le récit 
des hostilités de M" Weldon. Cette guerre im- 
pitoyable contre l'homme qui l'a délaissée s» 
divise en trois phases : d'abord les pourparlers 
amiables, ensuite l'intimidation par voie de bro- 
chures, enfin le procès. 



n,gti7cdT:G00glc 



302 CHARLES aoUNOD 

Retournons pour uDmomeat à Loadrea. Mal- 
pré ses ennuis et ses tracas de toutes sortes, le 
musicien, entraîné par l'amour de son art, n'avait 
cessé de travailler en Angleterre. Il avait pro-= 
duit un ifT9Jid nombre de composition^. « Je tra- 
vaUIe comme un nègre, et je ne sais comment 
mener de front tout ce qu'il faut foire», disait 
GQUQod dans une de ses lettres. Il écrivait encore : 
« Je pioche comme un cheval, je cours comme 
un cbat, et je tousse comme un bœu^ trois ani- 
maux en un seul. > Ses lettres toujours écrites 
en style familier et charmant, que nous regret- 
tons de ne pas reproduire, témoignent de ce la- 
beur constant et aobanié. 11 suffit de jeter les 
yeux sur la liste des ouvrages que le Maître a 
composés eu Angleterre jusqu'au mois de mai 
1874. Ces œuvres écrites, pour la plupart, sur 
des paroles anglaises, ont été, en partie, tradui- 
tes en français, et éditées à Paris par la maison 
X'emoine. Quelques-unes ont paru chez Gérard. 

Voici cette liste que nous dressons en nous 
aidant des brochures de M"* Weldon, le principal 
téipoin de ces productions ntusicales. 

Chobal Woeks : Te dev,in and Benedictus. — 
Mag.ïiifiçat and Nunc Dimittis. — Requiem. — 
Messe solennelle. — New organ offertory, —- 
Messe brève { SiS. Angeli custodes). — Pater 
noster. — Ave verum. — Vexilla Régis. —■ 
Hail gladdening light (antienne). — RuiSsiani 
ç.nthern. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 303 

La nier de Galilée: Symphonie et récit. Scène 
biblique, dédiée à M. Harry Weldoa. 
The Annunciation. Petit oratio. 

M"* Weldou nous appwud que Gounod avait 
eu le projet d'écrire une œuvre religieuse sur les 
quinze Mystères. V Annonciation en est la pre- 
mière partie. Un autre fragment : La Nativité, 
avait été écrit à Londres. Il résulte d'une lettre 
de M"" Weldon, publiée dans les journaux anglais 
an mois d'août 1885, que Mors et Vita, composé 
également à Londres, devait faire partie des 
Quinse Mystères. 

La Messe solennelle, mentionnée ci-dessus, 
fut répétée au Dôme le 6 février 1872. « Les cho- 
ristes, dit M"" Weldon (1), ne savaient pas la 
première note de leurs parties. Au lieu de 76 mu- 
siciens à l'orchestre, il n'y en avait que 29. Pas de 
cor ! Pas de hautbois ! Pas de grosse caisse ! 
Gounod était hors de lui. » 

Pour une autre œuvre musicale; La Messe 
msir«ïnenïaîe,ces ennuis n'étaient pasàcraindre. 
Gounod écrit à la date du 10 mars 1874 (2): « J'é- 
cris le commencement de ma Messe instrumen- 
tale. Bonne combinaison, très neuve, qui n'a pas 
de précédents. Excellent pour les concerts et les 
festivals. Orchestre seul. Pas d'ennui de chœurs, 
ni de solistes. Fameux ! Au surplus, on peut 

(1) ilfon Orphelinat, vol. I, page 71. 
Çl) Mim Orphelinat, vol. III, page 138. 



n,gti7cdT:G00glc 



304 CHÂBLSS OOUNOD 

introduire des voix, ad libitum. C'est à voir. En 
tous cas, l'idée fuadamentale est symphouique...» 

Arra»obdbyCh.Gounod: Belle è il ciell mélo- 
die de Chopin.— Chant du Jticoàite. — Deuat 
chants écossais. 

DuETB : Message of tke hreese.— La Sieata 
(sut les paroles de cette mélodie, des difficultés 
s'élevèrent entre l'auteur et l'éditeur Littleton). -^ 
Little Celandine ("pâquerette).-^ Barcarola. — 
Blessed is the man. 

RoT^L Albbrt'Hall ; Quatre volumes de 
chœurs arrangés po,ur cette société. 

Ilala : Composition écrite à l'occasion de la 
mort de Lfavid Livingstone, sur une poésie d« 
Lord Hougton. Mai i873. 

f Ce récit tn'a yiTement ému, dit Oounod. JTaj 
oublié, en le lisant, que je n'étais pas le compa-: 
triote du célèbre voyageur, ou plutôt je me suis 
figuré que je l'étais. J'ai écrit, sur cette poésie, 
une composition musicale que l'auteur des paro- 
les a bien voulu m'autoriser à publier, et qui 
sera^, du moins, un témoig:nage de sympathique 
admirat;oq pour une grande mémoire. » L'œuvre 
est dédiée à M"* "Weldon. Le cadre du morceau 
est restreint. Le prélade, destiné à peindre le 
deuil de ^A^gl6te^^e,e8t suivi d'une large phrase 
mélodique qui est comme un salut adressé aux 
piâoes de Livingstone. Une apothéose sympho- 



, V, Google 



SA VIE ET SJfS ŒUVRES 305 

uiqiie termine le morceau. Ilala a été chanté eu 
Angleterre et en Belgique par M"' Weldon. 

BioNDiNA : Sur les paroles du poète italien 
Zaffira, petit poème en douée chanta. L'œuvre 
déroule une action des plua poétiques, c'est-à- 
dire l'histoire d'un amour commençant par an 
aimable marivaudage et se terminant par le 
clraeliàre. Gounod a traduit en vers français 
la dédicace du poète italien : 

A Georgina Weldon. 

tJn poète a c&ebé sous'le nom de Blondine 
Le secret où son oceur s'était rérugié. 
Poiir donner à son rêve une image divine 
U te l'a dédié. 

Je te dédie aussi, cœur (Uvin, moae sustàre. 
Ces chants où j'ni pnrlé notre langue ^ tous deux. 
Prends-les, et donne-leur ta voix qui sur la terre 
Est un écho des Cieux, etc. 

Sacrbd Sonos. Songs. (Mélodies) : To god ye 
choir above, — 77»^ will be done. (Que ta 
volonté soit faite/) — Prière du soir. — The 
worker. (L'ouvrier). — Song of Soîomon). — 
Ruth'ssong. — Abrakam's request.— Oh! that 
wc two loere tnaying. — Evening song. — The 
better Land. (Pays bienheureux.) — Maid of 
Athens (1). (Vierge d'Athènes). — O happy 
home. (La fleur du foyer). -^ Boléro. — Loin 

(1) Sur la poéiie de lord Byron. 



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306 CHAULES aOUNOD 

du pays. — Ma belle amie est morte. (Lamenta). 
— Oh/ dille tu! — Mignonne, voici l'Avril. 
(April song). — The fountain mingles. — Wce's 
me. — There is dew. — Ifthou art sleeping. — 
Peacefully slumber ! — My true love hath my 
heart. — Go lovely rose. — Passed away. — 
When in the early mom. — Perche piangi. — 
Quanti mai. — La Fauvette (composed 1830.) — 
Si vous n'ouvres. — Queen of love. — The sea 
haih its pearles. — Heureux sera le jour. — 
Chidiock Tichborne. — Fragen. 

Paet sonos (mélodies séparées) : Omnipotens 
Lord. — Gitanella. — Brightstar of Eve. — Take 
me mother earth. — The farewell. — The bell. — 
Far from my native mountains. — Adanî could 
find.— Thewolfand the lamb. — yebanksand 
braes.— Sioeet baby. 

For piano: Dodelinette. — Maid of athens 
(transcriptiou). — Ivy.—La Venesiana. — Mar- 
che funèbre d'une marionnette. 

Ce dernier morceau, qui fut arrangé en ballet 
pour les représentations de Jeanne d'Arc au 
théâtre de la Gaîté, à Paris, avait été primiti- 
vement composé, sous forme de plaisanterie, et 
dans le but d'imiter la démarche d'un critique 
anglais. 

Les compositions que nous venons d'énuméref 
ne forment pas le catalogue complet des œuvres 
que Gounod a écrites en Angleterre. Il faut 



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SA VIE ET SES ŒUVBES 307 

ajouter à cette liste, notamment : Gallia, les 
partitions de Jeanne d'Arc, Potyeucte et Geor~ 
ges Dandin. L'auteur de Faust composa à 
Londres une partie de Rédemption. 

Voici, en outre, la liste partielle des œuvres 
manuscrites laissées à Tavistock, manuscrits que 
Gounod allait réclamer par l'intermédiaire de 
l'ambassade de France à Londres : 

Polyeucte, partition à grand orchestre, ina- 
chevée, mais tracée complète. —Fragmenta de 
Rédemption. — Adoration des Mages. — Messe 
de Requiem. — Messe Angeli Custodes.— Nouvel 
offertoire de la Messe solennelle, — Messe instru^ 
mentale. {Kyrie en entier ; Gloria et Credo 
commencés). — Miserere vocal, dédié à Car- 
peaux. — ■ Georges Dandin. — La Fête de Jupiter, 
frag-ment variante de la marche du 3*" acte de 
Polyeucte. — Manuscrits d'articles et notes 
manuscrites, etc., etc. 

Ces manuscrits, Gounod voulait les r'avoir, et 
c'est sur cette question que s'engage la lutte 
entre M" Weldon et le compositeur. Le débat 
est d'abord courtois et amical. On s'observe de 
part et d'autre. La correspondance, à ce sujet, 
nous fait assister à une discussion curieuse et 
intéressante : 

Gounod espère voir bientôt ses amis de Lon- 
dres, non plus en Angleterre, car, dit-il, il ne 



n,gti7cdT:G00glc 



308 CHABLES aOUNOD 

veut plus quitter la France. Le compositeur ne 
cesse de répéter que la vie publiq^ue ne lui offre 
plus d'attraits. Il prend pour dorise ; 

Monde, pour moi ta n'as plus rien. 

L'auteur de Polyeucte semble même se désin- 
téresser de son opéra. Toutefois il demande le 
renvoi de ses manuscrits. 

Cette idée de retraite était de nature & calmer 
le dépit de Georgina Weldon. Le midtre avait 
quitté Tavistock ; on pouvait croire qu'il avait 
en même temps renoncé à la gloire musicale. Les 
manuscrits deviendraient des œuvres posthumes» 
et leur possession en perdait quelque prix. 

Ce renoncement au grand art, bien qu'exprimé 
en toute sincérité au retour de Londres, ne devait 
pas se réaliser dans la suite, heureusement pour 
le public. Mais M*' Weldon ne s'était pas laissée 
convaincre. Elle savait bien que (îounod n'abdi- 
querait pas ainsi le succès. A Tavistock, on ne 
se faisait pas illusion. Le Maître était parti, le 
Maître ne reviendrait pas. L'Orphelinat, le chceur 
étaient désormais privés d un haut patronage, et 
tout allait sombrer I 

Il restait à M"* Weldon, dans sa prévoyance, 
une planche de salut : c'était de conserver le 
maniement des attires en Angleterre Elle vou- 
lait être l'Agent général de Gounod à Londres, 
elle voulait représenter le compositeur, et parti- 
ciper aux tantièmes. Telle était sa réserve, tel 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SB9 ŒUVRES 309 

était son calcul. Les pourparlers s'engagent sur 
ce point, et Georgina "Weldon comprend que les 
manuscrits qu'elle détient sont pour elle un gage. 
Ce gage met en quelque sorte Gounod en servi- 
tude. 

Les avantages qu'elle demandait ne lui étaient 
pas refusés, du moins en principe. Une entente 
fut proposée, mais elle ne put aboutir. A en 
croire un honorable soltcitor anglais, M. Taylor, 
qui s'interposa dans cette affaire, tes conditions 
offertes à Tavistock étaient fort acceptables. Le 
solicitor écrivait à M" Weldon, à la date du 22 
septembre 1874 : « Je suis sûr que si vous aviez 
suivi mes conseils à Paris, j'aurais pu tout 
arranger à l'amiable. » 

Les cartes furent bien vite brouillées.De cour- 
toise et amicale qu'elle était au début, la discus- 
sion devint bientôt acerbe. La crise arrivait à 
l'état aigu. Georgina Weldon en voulait surtout 
aux amis de Paris, qui, disait-elle, étaient venus 
enlever Gounod à Blackhearth, et qui avaient 
hypnotisé le Maître. 

Cependant Gounod réclamait toujours et vai- 
nement ses manuscrits. Ne pouvant les obtenir, 
il avait, au mois de juin 1874, adressé sa récla- 
mation à l'Ambassade de France à Londres. 
Cette tentative, par la voie diplomatique, resta 
infructueuse. Etait -elle opportune dans tous les 
cas? Simple commission, prétendait Gounod. Dé- 
marche offensante,ré pondait M"" Weldonl Celle- 
ci s'est défendue contre l'idée qu'on lui a prêtée 



n,gti7ccT:G00glc 



310 CBA.RLBS aoUNOD 

d'avoir voulu s'approprier les manuscrits du 
Maître. Aux demandes réitérées qui lui étaient 
adressées, elle répondait par une fin do non- 
recevoir. — Rendez-moi mes manuscrits, disait 
Gounod. — Viens tes prendre, répliquait-elle fiè- 
rement, comme Léouidas ! M."' Weldon avait fait 
le voyag-e de Paris pour les rendre à Grounod lui- 
même. Le compositeur n'ayant pas voulu la rece- 
voir, elle avait remporté à Londres ces cahiem 
précieux. En fait, elle voulait bieu les rendre, 
mais elle ne les rendait pas. 

Les instances redoublent de la part du maître. 
Georgina semble un jour s'exécuter. Elle expé- 
die à l'auteur de Faust un paquet. Etaient-ce 
les manuscrits? Etait-ce Polyeucfe ou Georges 
Dandin t Cruelle ironie ! Elle envoie quoi ? — la 
pipe du compositeur, une simple pipe en bois ! 
Car Gounod est fumeur, et même, comme M. de 
BuSbn, il a prisé le tabac en poudre. Lors de son 
Sf?jour à Londres, la- Reine Victoria lui avait 
fait don d'une tabatière en or. La pipe au lieu 
des manuscrits! Vous voyez la déconvenue et 
l'irritation de Gounod ! 

L'aigreur était réciproque. L'affaire Smith 
avait mis le comble au ressentiment de M"" 
Weldon. Smith, l'éditeur qu'elle avait inventé et 
subventionné, Smith, le débiteur de Gounod, 
était venu à Paris, et s'était abouché avec son 
Créancier. Smith la trahissait I Grande colère de 
M™ 'Weldon! L'éditeur deviendrait peut-ôtre 
son rival, et représenterait à Londres les intérêts 
du compositeur? 



n,gti7cdT:G00glc 



SA TIE 8T SES ŒUVRES 311 

Outre la dette de Smith, des questions de gra- 
vure, de planches et de tantièmes se mêlaient 
aux relations commerciales qui avaient existé 
entre Tavistock, Gounod et l'éditeur. Georgina 
Weldo;!, après le départ du Maître, voulait met- 
tre Smith sur le pavé, le faire déclarer en faillite, 
vendre son magasin. Gounod considérait cette 
rigueur comme un acte inutile et inhumain. Il 
offrit à Smith des concessions pour lui faciliter le 
paiement de sa dette, et cela n'arrangeait pas 
M" Weldon. 

« Cette vie de chiffres, de comptes, de délais, 
de complications de toutes sortes, m'étrangle, 
m'obsède, et il est temps d'y mettre un terme, •> 
écrivait Gounod, à la fin de juin 1874. 

' Dans le courant du mois de juillet, M. Taylor, 
le solicifor anglais, vient à Paris pour concilier 
les parties ; tout arrangement est impossible. Les 
propositions offertes sont repoussées par Geor- 
gina Weldon. De son côté l'avoué de Gounod 
exigeait, avant tout, la restitution des manus- 
crits. Alors M"* Weldon commence les menaces. 
Bile fait dire qne la partition de Polyeucte est 
entre les mnins d'une tierce personne, et qu'à la 
moindre démarche faite à Tavistock, l'opéra 
sera, sur son ordre, précipité immédiatement 
dans la mer. 

Nous pourrions ici nous donner carrière, et 
reproduire de curieux documents. Cela nous en- 
traînerait trop loin. La correspondance entre 
solicitors et avoués, et un grand nombre d'autres 



n,gti7cdT:G00glc 



SIS CHARLES OOUNOD 

lettres se troaveat dans le volame III (Afon 
Orphelinat), imprimé à Londres par M"" Wel- 
doQ. On prétend que Qounod, de son côté, 
consenre aussi beaucoup de lettres et de docu- 
ments; mais son dossier, qui n'est pas moins 
volumineux que celui de la partie adverse, est 
resté inédit. Le Maître n'a pas voulu discuter 
personnellement cette affaire plus litigieuse qae 
musicale. Il en a confié le soin à son ami, M. D., 
alors avoué près le Tribunal de la Seine. 

Le débat fut soustrait à la curiosité, ou plutôt 
à la malignité publique , jusqu'au mois d'août 
1874, époque où la Presse s'empara de l'incident. 
De nombreux articles parurent dans les journaux 
de Londres et de Paria. Les chroniqueurs exploi- 
taient la situation, et le public, les artistes-mu- 
siciens surtout, se livraient à des interprétations 
plus ou moins bienveillantes Parmi ces articles, 
signalons celui qui fut publié dans te Gaulois du 
S4 août 1874, sous la signature d'Albert Wolff. 
Le journal n'était pas tendre pour l'anglaise ; il 
ne l'était pas non plus pour Gounod. Cet article 
fut produit par Georgina Welden, comme un chef 
d'accusation contre le compositeur, quand vint le 
procès en dommages et intérêts. M"' Weldon se 
disait diffamée, et diffamée par Gounod lui-môme 
comme inspirateur d'une publicité hostile. Elle 
allait jusqu'à prétendre que le devoir de Gounod 
était de prendre la plume et de la défendre contre 
les attaques de la Presse. Elle incriminait lo 
silence du Maître I 



n,gti7cdT:G00glc 



BA VIE BT SES ŒUVSEB 313 

Quelques journaux de Londres publièrent des 
articles en faveur de M"' Weldon, notamment le 
Pall Mail Gasette (31 mai 1875). Les défenseurs 
de Georg'ina attaquaient Gounod pour complir-ité 
morale. Ils ne s'en prenaient non au signataire 
de l'article, non au gérant du journal ; ils s'en 
prenaient à l'inspirateur supposé de la diffama- 
tion. Eu résumé, je crois que Grounod aurait bien 
plus à se plaindre deâ publications anglaises, que 
Georgina Weldoa de quelques articles publiés 
dans lesjoumaux de Paris. 

Pendant toute cette guerre de journaux, que 
faisait l'auteur de Faust ? Il s'était remis au tra- 
Tail. On ne voulait pas lui rendre la partition de 
Po/^euc/e, on le menaçait même de la détruire. 
Eh I bien, il refaisait Polyeucte ; il retrouvait 
dans sa mémoire Tœuvre qu'il avait composée. 
En septembre 1875, il avait reconstitué son 
opéra. M"" Weldon n'avait pas prévu une riposte 
comme celle-là. 

Pourtant, elle en avait été informée.EUe avait 
reçu une lettre d'où nous extrayons le passage 
suivant : « ... Je dois vous dire aussi que Gou- 
nod s'est livré à un travail gigantesque et qu'il 
est parvenu à reconstituer complètement, de 
mémoire, toute sa partition de Polyeucte, à 
laquelle il ne manque plus que les airs de ballet 
et qu'il composera plus tard. J'ai vu, de mes pro- 
pres yeux vu, cette partition, et je l'ai parcou- 
rue... Gounod va maintenants' occuperdereeons- 
tituer Georges Dandin. » 



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314 CHA.KLBB QOUNOD 

Devant ce coup de maître, il fallait s'incliner. 
Geopgina Weldon se décide à renvoyer les ma- 
nuscrits. Qael est le mobile qai la fait agirT 
Pourquoi cette restitution tardive ï M°" Wel- 
don en a donné la raison à un correspondant du 
Gaulois qui était venuriuterviewer à Tavistock. 
Elle se prétend diffamée par la Presse parisien- 
ne ; ce qui ne l'empêche pas de recevoir les jour- 
nalistes (1). 

Le rédacteur du Gaulois lui pose des ques- 
tions. Elle répond : Je suis Spirite. La mère de 
Gounod m'est apparue plusieurs fois.Récemment, 
elle m'a priée de rendre les manuscrits à son 
fils. Dès le lendemain de cette vision, j'ai renvoyé 
le paquet à M. Oscar Comettant. 

C'est le spiritisme qui avait fait rendre les par- 
titions. En effet , vers le milieu du mois de sep- 
tembre 1875, M. Comettant traitait un soir, en 
famille, quelques-uns de ses amis, entr'autres 
MM. Emmanuel Gonzalès et Joncières. On était 
au dessert. Soudain le domestique apporte un 



• (1) Att mois d'octobre 1875, le Gaulois a publié plu- 
sieurs articles sur M" Weldon. Celle-ci avait remis 
imprudemment au correspondant du journal le m.nnus- 
crit d'une de ses brochures. C'est ainsi que le Gaulois 
publia quelques extraits de la correspondance intime, de 
Gounod, et la préface de Georges Dandin. 

Georgina Weldon subit la peine du talion. Elle ne put 
rentrer dans la possession de son manuscrit, qu'elle dut 
recommencer, comme Gounod avait recommencé Polyeucle. 
Le manuscrit de M" Weldon était moins précieux que la 
partition du grand opéra I 



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SA VIB ET SES ŒUVRES 315 

énorme paquet, scellé du timbre.de la poste an- 
glaise. Les invités flairent un plat de choix, une 
surprise ménagée, comme dessert , parl'amphy- 
iriou. C'est un plum-pudding gigantesque, 
s'écrie M. Joncières ! On ouvre. Ëtonnemeut gé- 
néral ! Le paquet renfermait miens qu'un plum- 
pudding, il contenait les manuscrits depuis si 
longtemps réclamés. 

Quand l'auteur de Polyeucte vint, quelques 
jours après , reprendre, chez M. Comettant, ses 
partitions, il fit un faux pas sur le perron de la 
maison de la rue Neuve-des-Mathurins et, en 
tombant, il se démit l'épaule. L'accident n'eut 
pas de suites graves. Le Maître fut soigné chez 
M. Comettant, et , au bout de quelque temps, il 
était rétabli. 

Cette restitution des m anascrits devait-elle 
être un traité de paix ? Pas du tout. Georgina 
"Weldon n'abandonne pas lalutte.EUe était venue 
à Paris pour intéresser les journaux à sa cause, 
et pour intenter un procès. Elle alla au bureau du 
Figaro, où l'on se contenta de recevoir galam- 
ment la postulante. « Tous ces messieurs ont été 
très complaisants pour moi, écrit M°" Weldon. » 
Néanmoins, le Figaro ne devint pas son allié. 

Elle eut des conférences avec des avocats. 
Son but était de faire comparaître Gounod à la 
barre du Tribunal de la Seine, de retourner son 
adversaire sur le gril et dans tons les sens. Le 
Barreau français ne lui fut pas plus favorable que 
la Presse : • De quoi.vous plaignez-vous, lui 



n,gti7ccT:G00glc 



316 CHARLES GOUNOO 

répondait-on ? Voas avez eu ce qae vous dési- 
riez. Votre nom est à tout jamais uni à celui 
du musicieo ! » Cela ne safôsait pas à la plai - 
gnaute. Mais devant les difficultés de procédure, 
elle renonce au procès à Paris, elle rentre en 
Angleterre et prépare une lutte d'un, nouveau 
genre. 

C'en était fini des escarmouches. La grande 
bataille allait commencer. M"* Weldon porte sa 
torche à Londres. — D'abord elle prévient les 
représentants de Gounod que, si l'on ne fait pas 
droit àses réclamations, elle écrira, pour le public, 
l'histoire de ses relations d'afeires avec le compo- 
siteur. < J'entreprendrai cette tâche à grand 
regret, dit-elle. Qu'on réfléchisse avant de refu- 
ser ce que je réclame, car mon livre une fois 
imprimé et soumis à Gounod, je no consentirai 
pas à en supprimer la publication, à moins de 75 
francs par page imprimée, outre les conditions' 
déjà demandées par moi... » (1) 

Gounod ne se laissa p39 émouvoir par les 
menaces. Il était décidé à poursuivre, en France, 
l'imprimeur des brochures. C'est donc à Londres 
que Georgina Weldon fit imprimer ses publica- 
tions. 

Que* le lecteur nous permette d'interrompre 
encore une fois, et pour un moment, notre récit, 
afin de mettre sous ses yeux les attaques suc- 

(1) Mon Orphelinat, vol. II, page 3. 



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SA VIE ET SES ŒUVRES 317 

cessives de M"' Weldon contre soq ancien ami. 
Cela ressemble à uae avalanche. 

Déjà, en 4875, une petite brochure avait paru 
à Paris, sous ce titre : La destruction de Po- 
lyeucte, mémoire Justificatif , in- 18 de 32 pages, 
brochure sans grand intérêt d'ailleurs, où quel- 
ques articles de journaux sont reproduits avec 
les réponses de Georgina Weidon. C'est la seule 
publication que Tavistock ait fait imprimer en 
France. Les autres brochures furent éditées à 
Londres, à partir de 1876, les unes en français, 
les autres en anglais. En voici la nomencla- 
ture : 

Mon orphelinat et Guhnod bh ANaLETEnHB. Trois volu- 
mes, CD français (texte serré). 

Volume I. L'Mtivié, — London 1882. William Reeres. 
Prix 6 fr, 30. — In-8' de 188 pages, racontant la relation 
de la vie commune à Tavistock (1). 

Volume II. Les apfacrbs. Prix 6 fr. 30. Sans date. In-8* 
de 160 pages, où l'auteur de la brochure, entr'autres ren- 
seignements, établit son compte par doit et avoir. C'est 
un long mémoire. Les chiffres se battent avec les chif- 
fres. Tenue des livres et comptabilité I 

Volume m. Lettrbs et docduehts. Sans date. Volume 
in-8' de 296 pages. Georgina Weidon, en le publiant, a 
oublié ce grand principe que les lettres intimes appar- 
tiennent & celui qui les a écrites, autant qu'à celai qui 
les a reçues. * Ce volume seul, dit-elle, m'a coûté plus 
de 3,000 francs, et je n'ose pas le vendre parce que la loi 



n,gti7cdT:G00glc 



318 CHARLBS GOONOD 

dérend qu'on vende des lettres privées . * Nous avons 
Ikit allusion à ce livre dans notre cl^apitre : Qoutfod écri- 
vain. 

Une Droohure, en langue anglaise, de "11 psffes, con- 
tient, outre la préface, des ezplicstions ou renvois 
répondant aux clùf^es intercalés dans les trois volumes 
précédents. 

Une autre livre, publié eu français, et en meilleur flraq^t 
(ais que les autres brochures, eut intitulé ; Autobioora- 
puiE DB QomfOD. Sans date. Prix 6 fr. Petit iiyS' de H& 
piages. Noue j avons fait de larges emprunts. Oe livre 
qui contient des articles écrits par Gounod , a paru 
avant : ifoq OrphtKnal. (Voir notre chapitre Clounod 
écrivain), 

(iSS autres publications sont écrites en langue an- 
glaise : Musical rbfobm, Gounod's Concerts, in-S» de 10^ 
pages. Sans date. Prix 2 h. 50. (Série d'articles de jour- 
naux anglais)^ 

Thb ouarrbl of THi Albbbt-H&u. Wiih Ciurlbs Qodnob, 
Windsor Oxley 1873. In-8' de 51 pages. 

HlNTZ FOA PROlNUNCUTIO.H IH SIHaiRa WltH PJtOPOSALS FOB i, 

lELF aupponTina Aq&dbuï 19 pages. Prix 1 shelling. In-S*. 
Première édition en ^872. pne autre édition en 1882. 
C'est un plaidoyer en faveur de la prononciation nette, 
du détachement et de l'accentuation exacte des sjllabea 
de chaque mot. Cette brochure s'adressa aux Anglais, 
(.es difficultés de leur langue ; sont analysées. Qeorgina 
Weldon formule cet axiome, hors de conteste ; Sans 
l'accentuation, point de salut ! 

An apceal Fon Qeobqina Wsldoh. Petite brochure de 
17 pages^ i^ubtiée en 1876. C'est un appel en faveur de 
l'Orphelinat. Nous j trouvons le non^ des personnes qui 
depuis 1870 ont souscrit pour l'institution. Papni ce% 



n,gti7cdT:G00glc 



BA VIE ET SES ŒUVRB3 310 

souscripteurs, noua voyons figurer : Qouuod, Dagobert 
Oppenheiin, Faure, Jules fiénédict, Oscar Comettant, etc. 

Meationnons encore : Lr Troisième Fadbt (?) par 
M"* Weldon, et the Histosy op ky Ouphanaob, in-8û de 
40 pages (1). 

Puisque nous parlons des livres de Georgina Weldon, 
nous indiquerons en même temps le titre de quelques- 
unes de ses compositions musicales : The Brook. — Ce 
l'etU Garçon el le Nid de Rougegarges. — Chant sur le Ber- 
ceau. ~ Choses du soir. — Le Chant du Passereau.— BaSn 
UD petit cahier de morceaux composêa pour l'Orphelinat, 
et dédiés aux enfants : Bye-to-land, — Babyland. — Bo- 
peep. — Sing a song of sixptnse. — Ce cahier contient en 
outre on morceau attribué ii Gounod ; One, two, buckle 
my shoe. 

Notre étude n'ayant pas pour objet l'oeuvre musicale 
de Georgina Weldon, nous n'insisterons pas sur ces 
productions anglaises, d'un caractère enfantin. 

Revenons au récit des hostilités. Tout en 
publiant ses brochures contre Gounod, l'auteur, 
pour mieux combattre son adversaire, avait fait 
de nouveaux voyages à Paris. Elle luttait de sa 
personne. La première fois, elle n'était pas venue 
sans crainte en France. Sou imagination était 
tellement exaltée, qu'elle avait eu peur d'être 

(1) Noua avons pris connaissance de deux brochures, 
écrites sur M"" Weldon, l'une de P. G. Stévena (étude 
biographique), The Iruth about Mrs Weldon (avec un 
portrait). Leicester 1886, 24 pages. — L'autre, publiée à 
Londres en 1S82, est le compte rendu par Charles Lunn, 
d'une conférence faite au sujet de la méthode d'ensei- 
gnement de M'" Weldon, in-8', 31 pages. 



n,gti7cdT:G00glc 



920 CUARLBe QOUNOD 

aasassinéo par les amisdeGounod! Peur chiméri- 
que. ■ J'ai, avant d'arriver à Paris, écrit au Préfet 
de police, dit-elle dans sue de ses brochures, (I) 
pour le snpplier do me placer sous sa surveillance 
toute particulière ; oe qui fait peut-âtre que je 
suis encore en vie pour écrire ce petit mémoire.! 
En 1877, elle se propose de donner des concerts à 
Paris. Dans une lettre adressée au Figaro (no- 
vembre), la cantatrice annonce.sur un ton de défi, 
qu'elle chantera beaucoup de musique de Gounod. 
Bu 1879, elle essaie encore de rallierta Presse et le 
public à sa cause, dans une conférence -^ Concert 
donnée rue de Valois, au Palais-^Royal. Les mor- 
ceaux de chant alternaient avec des spoech pro-- 
nonces en français, dans lesquels Tartiste-orateur 
racontait comment Gounod l'avait quittée. Elle 
voulait détruire les accusations dont elle était 
l'objet. Quelques amis du Mtûtre s'étaient glissés, 
par curiosité, dans le public peu nombreux de 
cette réunion. Ils furent reconnus, interpellés di-- 
rectement par la conférencière, et durent se re^ 
plier en bon ordre.pour éviter les foudres. Le Jour- 
nal des études psychologiques fi.t\& compte rendu 
de la séance. La psychologie n'a pourtant rien 
h, voir dans cette affaire. 

Lft guerre était dans son plein 1 La cantatrice 
allait enfin frapper le grand coup. Ce grand 
coup, c'était le procès I L'action fut intentée à 
Londres. 

(1) Iki,lTuelion de Polyeucte, 187S. 



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KA VIE ET SES ŒTJVBES 321 

La procédure commenne le 17 avril 1884. 
GeoFgina Weldoa fait inviter officieusement son 
adversaire à constituer un mandataire devant la 
justice ang-laise. Pas de réponse. Gounod se 
tient coi. Le 13 mai suivant, elle obtient du 
Tribunal' anglais l'autorisation d'assigner Gounod 
pour Libel, calomnies, dettes et rupture de 
contrat. Elle envoie à Paria, par la poste, p!a- 
sieure copies de l'assignation. Pas de réponse. 

Le 20 décembre, l'assignation est signifiée 
plus régulièrement, et, le 2 janvier 1885, un 
aolicitor se présente pour Gounod devant le 
Tribunal anglais. Le même jour, Georgina 
Weldon soumet à la cour du Ban de là Reine 
J'état de ses réclamations, longues conclusions 
motivées, développées en trente articles, ni plus 
ni moins. A défaut de la traduction littérale de 
cette longue pièce de procédure, qui prendrait 
plusieurs pages, voici le résumé des principaux 
griefs de la requérante : 

« Le défendeur a demeuré à Taviatock pendant trois 
VM, et a'est intéressé k IT.cole de musique foudée par 
Georgina Weldon. n a témoigné une grande admiration 
ponr le talent de la cantatrice, ainsi que le prouve une 
volumineuse correspondanoe, et il a promis h la deman- 
deresse de lui confier le rôle de Pauline, dans Polyeucte, 
s'obligeant à lui faire obtenir, pour cet opéra, et l'exclusion 
de toute autre chanteuse, un engagement à t'Â.cadémie 
Nationale de Musique a Paria. M" Veidon étudia ce rôle, 
y consacra son temps, son activité. — Le défendeur prit 
le titre d'imprésario de la plaignante. Il accepta ou re- 
fusa certains engagements qui lui étaient proposés. — 



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322 CHARLES aOUNOD 

Quelqae temps après son iustftllatioB à Tavistock, Ooo- 
nod tomba malade, ce qui occftsionna de la part de la 
demanderesse des soias assidus, et lui causa des dépen- 
ses pécuniaires. — A. la demande du défendeur, dit la 
requête, les époux Weldon avaient fait construire, à 
grands frais, dans leur hôtel une salle pour la sociâté 
chorale Gounwfackoir.— Toujours à la demande du défen- 
deur, il avait été convenu, en 187Î, que, seule, la deman- 
deresse chanterait enAngleterre la musique de Gaunod.Dès 
lors, Georgina Weldon avait refusé tous autres engage- 
ments. — Pendant trois ans,elle a été le secrétaire du com- 
positeur, s'occupant pourlui de la gravure de ses œuvres, 
et traitant avec les éditeurs. Go unod lui a promis, qu'après 
un bénéfice net de cent mille francs gngnés it Londres, 
Il donnerait k l'Orphelinat de Tavistock tous ses droits 
d'auteutpour les oeuvres musicales exécutées en Angle- 
terre. — n lui avait promis, en outre, de composer un 
recueil de trente chansons d'enfant, et un grand oratorio 
sur les paroles de l'Ecriture Sainte que M" Weldon de- 
vait désigner elle-même. Il s'était engagé encore à lui 
réserver, pour elle et ses élèves, l'interprétation en An- 
gleterre de Rédemption. 

a La plaignante déclare que, de sou côté, elle a fait le 
nécessaire pour remplir ses engagements. Le défendeur, 
au contraire, en quittant Tavistock.a rompu son contrat. 
D a abandonné l'Ecole de mueique & laquelle il avait 
promis son concours, il a fait jouer k Paris, le rôle de 
Pauline par M~ Krauss, il n'a pas écrit , sauf deux, les 
ouvrages qu'il s'était engagé k composer, il a fait exé- 
cuter k Birmingham, en 18S2, Bédemption sans la coopé- 
ration de la plaignante et de ses élèves, etc., etc. M" 
Weldon a perdu ainsi les avantages de sa profession 
artistique et elle a subi un grand préjudice. — En 18H, 
Gounod lui a fait réclamer, par l'Ambassade de France, 
des objets qu'elle était accusée de détenir indûment. La 
plaignante était menacée de poursuites judiciaires.— An 
mois d'aodt de la même année, Gounod fit publier, à 



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SA VIB HT BBS ŒUVRES 323 

Paria, Dotamment daoB le journnl le Gaulois, des articles 
diffamatoires contre M" Weldon, En 1876 et 1877, caUe- 
ci a été calomniée dans plusieurs lettres privées par 
le dérendeur. Oouuod l'a traitée d'aventurière devant le 
commissaire de police d'une section du 9" arrondisse- 
ment de Paris. En 188?, il a déclaré qu'il ne dirigerait 
pas en Angleterre Rédemption, si l'on na refusait pas Jt 
la plaignante l'entrée de la salle où l'oeuv» devait ètrs 
exécutée, 

• En conséquence. M" Weldon, pour les l^its ci- 
deasuB relatés, demande 30,00i) livres de dommages et 
Intérêts, plus 1,640 livres pour son travail de secrétaire 
pendant trois ans. « 

Ce qui ftiit, en bonne monnaie française, ta 
somme de 791,000 francs. Près d'un million! 
pans le monde des arts, n'est-ce pas un procès 
rare et curieux f 

Cette action judiciaire n'avait pas de limites. 
La plaignante aurait pu corser encore sa de- 
mande, Incriminer jusqu'à la pensée de l'auteur 
de Faust, et, sur oe chef, doubler le chiffre de 
ses reveudioations pécuniaires. Gounod laissa 
passer ces fantaisies. À l'audience du 17 janvier 
1885, le solicitor qui occupe pour lui, se borne à 
dénier les faits allégués par la demanderesse. Il 
invoque aussi le bénéfice de la prescription. 
M" "Weldon réplique. Elle est interrogée sous la 
foi du serment. Elle demande que la comparution 
pepsonnelie du défendeur soit ordonnée. Le 
solicitor de Gounod déclare se retirer du débat, 
et le jugement est remis à plusieurs mois, pour 
$tre rendu sur le rapport du Shérif. Enfin la 



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334 CHARLEB OOUNOD 

sentence est prononcée le 7 mai 1885 par la Cour 
des Shérif, et confirmée le 30 du même mois par 
la Haute Cour de Justice, Section du Ban de la 
Reine. Nous traduisons le texte de l'arrêt du 
30 mai : 

< Le défendear ajant retiré sad«mfuide, et une ordon- 
nance d'enquête, datée du 18 mars 1885, ajant été rendue 
k l'effet de faire établir par le ihérif de Middleaex les 
dommages et intérêts que la demanderesse est en droit 
de recouvrer, et ledit shérif ayant, par son rapport en 
date du 7 mai, estimé que leadits dommages devaient 
être fixés à 10,000 Livres, il est ordonné que la deman- 
deresse recouvrera contre Gounod la somme de 10,000 
Livres, et les fraia du procès qui seront taxés ultérieu- 
rement, t 



Coût, moins les frais, 250,000 francs. 

Cette décision judiciaire a été rendue, on le 
voit, sur le rapport du Shérif de Middlesex, et 
ce mag-istrat s'est livré à une enquête à laquelle 
le défendeur n'était pas représenté, puisque son 
aolicitor avait quitté le débat. 

Quelle est donc la portée de ce jugement? 
Comme nous ignorons la loi et la procédure 
anglaises, nous hésitons àl'apprécier, dans notre 
incompétence. Toutefois, il nous semble, à pre- 
mière vue, que cette décision n'est pas sans ana- 
logie avec notre jugement par défaut qui devient 
définitif, selon les circonstances. 

En France, la demanderesse se pourvut devant 
les tribunaux, pour obtenir, dans notre pays. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET ses ŒUVRES 325 

l'exécution du jugement prononcé à Londres. 
Mais elle abandonna sa demande, de sorte que le 
dernier mot n'a pas été dit sur le mérite de sa 
réclamation. 

En Angleterre, M"' Weldon ne paraît pas 
avoir tiré un grand bénéfice ï>écuniaire du juge- 
ment rendu à son profit, et dont elle avait avancé 
les frais. Lorsque la sentence fut prononcée, la 
demanderesse n'était pas libre. Depuis le mois 
d'avril 1885 elle subissait, dans la maison de 
détention d'Holloway, une peine de six mois 
d'emprisonnement à laquelle elle avait été 
condamnée pour avoir diffamé M. Rivière, chef 
d'orchestre de Her Majesty Théâtre, un de nos 
compatriotes fixé depuis longtemps à Londres. 
Mais du fond de sa cellule, tout en écrivant des 
pièces de théâtre, M°" "Weldon ne perdait pas 
de vue les 10,000 Livres de dommages et inté- 
rêts qui lui avaient été accordés par le jugement 
du 1 mai. Comme le nouvel oratorio de Gounod, 
Mors etvita, devait être exécuté prochainement 
au grand festival de Birmingham, la prison- 
nière adressa une requête au Lord Chief Justice 
pour que la recette fut saisie. Le magistrat 
refusa d'accorder l'autorisation demandée. Appel 
de cette décision au mois d'août, c'est-à-dire 
quelques jours avant le festival de Birmingham, 
Appel infructueux, La décision du Lord Chief 
Justice fut confirmée. Le jugement rendu 
au profit de Georgina Weldon restait lettre 
morte. 



n,gti7cdT:G00glc 



326 CHA.BLBS GOUNOD 

II était donc décidé que Gounod toucherait 
intégralement ses droits d'auteur sar Mors et 
Vita. L'auteur cependant ne se rendit pas à Lon- 
dres pour dirijfer, eu personne, l'exécution de 
son oratorio, comme il l'avait promis. Les édi- 
teurs et les organisateurs du festival n'étaient 
pas contents. On annonçait même qu'ils avaient 
l'intention de faire un nouveau procès à Gou- 
nod. Ce procès n'eut pas lieu. Comment pou- 
vait-on espérer la présence du compositeur à 
Londres ? Le jugement rendu contre lui l'avait 
profondément irrité. En outre, sa position en An- 
gleterre était difficile. Les juges, il est vrai, 
n'avaient pas autorisé la saisie des bénéfices du 
festival à Birmingham, mais Gounod courait 
risque d'être arrêté, sinon pour dettes, du moins 
pour n'avoir pas obéi au jugement. 

Son absence au festival de Birmingham pri va 
le public anglais d'une grande attraction. La 
recette s'en ressentit, {Août 1885). Quelques 
mois plus tard, en mars 1886, Mors et Vita était 
exécuté à l'Albert-Hall, en présence de la reine 
d'Angleterre. Cet auguste patronage avait suffi 
pour amener une affluence considérable. La 
recette s'éleva à la somme, prodigieuse de 
125,000 frnncs, le plus haut chiffre qu'ait jusqu'a- 
lors produit à Londres l'exécution d'un oratorio. 
Par cette audition spéciale, la Reine protestait en 
faveur du Maître français. C'était une délicate 
attention à laquelle s'associait le public ; c'était 
un témoignage flatteur pour Gounod, toujours 



n,gti7ccT:G00gk 



SA VIE HT SES ŒUVRES 327 

absent de Londres, car on a'avait pu le mettre à 
l'abri des formalités et des rig-ueurs de la loi. 
Depuis quelques mois, Georgina "Weldon était 
rendue à la liberté (1), et un solicitor l'avait 
priée de suspendre l'exécution du jugement do 
30 mai 1885, afin de permettre au compositeur de 
venir à Londres et de diriffer, à l' Albert-Hall, en 
présence de la Reine, l'exécution de Mors et Vita. 
M"' Weldon répondit : 

* Je suis plus qu'étonnée de votre impudence. Je suis, 
depuis ce luatin, de retour à Paris où, avec succès, j'ai 
tout mis en mouvement pour obtenir l'éxecution de mon 
verdict contre Gounod. S'il essaje de mettre les pieds 
en Angleterre, je le fais arrêter immédiatement! * 

Ce n'était pas gracieux pour la Reine. Sa 
Majesté, après l'exécution de Mors et Vita 
donnée en son honneur, adressa à l'auteur un 
télégramme de félicitations. L'Angleterre se 
réconciliait avec Gounod. Les éditeurs aussi. 
Comme Rédemption, la partition de Mors et 
Vita fut achetée 100,000 fr. par Littleton 
(Novello et C*). 

Georgina Weldon, fière de sou droit, droit tout 



(1) A sa sortie de prison, disent les journaux anglais, 
quelques personnes avaient fait une ovation à Oeorgina 
Weldon, On l'avait acclnmée, on avait dételé les ohevaui 
de sa voiture, et l'héroïne avait prononcé un discours, 
dans lequel elle annonçait, coram popuio, qu'elle était 
décidée à embiafiser la carrière dramatique. 






n,gti7cdT:G00glc 



328 CHABLE6 aoUNoe 

platonique, continuait la latte. Inutile de dire 
que le jugement rendu à Londres fut vivement 
attaqué par la presse paiisieone. ■ Gounod, dit le 
Figaro, nous a fait l'honneur de nous déclarer 
qu'il opposait le démenti le plus formel à des 
allégations que sa dignité lui interdisait de dis- 
cuter... » Henri Rochefort , dans Vlntrartsi- 
geant du Vi mai 1885, publiait, en termes viru- 
lents, un article intitulé : le procès Weldon, et 
commençant ainsi : 

« Les juges qui ont condamné le compositeur 
Gounod à 250,000 francs de dommages et intérêts 
à l'égard d'une vieille sorcière, n'ont pas jugé un 
procès ; ils ont accompli une vengeance... » et 
l'article, écrit dans le style gai et mordant que 
l'on conuEÛt bien, se répand en épitbètes peu 
flatteuses pour la demanderesse (1). Âa fond. 



(1) M~ Weldon ne laissa pas l'article de Rocliefort 
sans réponse. Le 19 mû, elle écrit une lettre au rédac- 
teur de yintransiyeanl, lettre que le journal n'a pas 
reproduite, et que nous trouvons dans une publication 
anglaise : Salut Social, feuille périodique éditée par 
M"* Weldon. Celle-ci, dans sa réponse, veut déniontrer 
que les ju^es anglais, en droit et en fait, ne pouvaient 
traiter autrement Gounod. Elle trouve indigne l'article 
de Rochefort qui l'a appelée vieille sorcière, vieille guenon, 
et qui l'a menacée de St-Lazare. A. son tour elle appelle 
Rochefort citoyen marquis, marquis rouge, VÂpolton de la 
lanterne. Elle lui dit encore qu'il ressemble à Troppmann, 
etc., etc. 



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SA VIE ET SES ŒUVRES 329 

Rochefort prend sérieusemeot la défense de 
Goanod. Lo compositeur lui répondait : 

t Cher monsieur Rochefort, 

• Je viens de lire le numéro de l'Intransigeant, dans le- 
quel TOUS venez de eigner une protestation énergique et 
courageuse contre le jugement plus inepte encore que 
Bcélérnt dont je viens d'Être victime devant ce qu'on ap* 
pelle dérisoirement la Justice en Angleterre! Je n'ai pas 
l'iionneur de voua connaître personnellement, et je vous 
suis absolun?ent étranger, sinon par mes œuvres : c'est 
donc en faveur de la vérité, avant tout, que votre voix 
B'est élevée. Mais je tiens à vous remercier publiquement 
d'un tSmoignaga public d'indignation dont ma cause et 
mon caractère bénéficient devant l'opinion de tous ceux 
qui pourraient se laisser piper par les arrêts de cette 
pseudo-justice de haineux et de pharisiens hjpocrites, 
VUprëa desquels le perfide Ulysse n'était qu'un gamin. 

« Prétendre de feindre et croire que mot je suis l'au- 
teur d'an article abominable écrit contre moi, il y a onze 
ans, non vrai 1 c'est du crime roulé dans l'ineptie. C'est 
un comble ! 

1 Voyez-vous, Satan passe généralement pour un 
malin. Eh bien ! c'est une erreur. Au fond, c'est un 
imbécile. Merci et tout à voue. > 

■ Ch. GOUNOD. . 

C'est le cas de répéter qu'on a 48 heures, et 
même plus, pour maudire ses juges. 

Georgina Weldon n'est pas g-uério du mal de 
la procédure. Rochefort, pour les motifs politi- 
ques que l'on sait, a été obligé de quitter la 
France. Il est actuellement installé à Londres, 



n,gti7cd3ï Google 



330 CHAItLEB aOUNOD 

dans la même ville que M"" Weldon. Celle-ci, au 
mois de mai 1889, manifestait la ferme intention 
de lui faire un procès pour l'article de l'Intran- 

siijeant (l). 

H faut plaindre M°" Weldon. Elle a failli jouer 
dans l'art un rôle important, elle a lutté avec 
persévérance, elle a vu s'entr'ouvrir la terre 
promise, et elle a échcuéau port. 

Elle avait {?agné son procès contre Gounod, 
mais, comme nous l'avons dit plus hau^, un pro- 
cès tout platonique. Ses tribulations n'étaient 
pas finies. Son mari, le mari lui-même, la quittait 
en juin 1875, et, dès ce moment, de graves en- 
nuis d'un ordre privé venaient l'assaillir. On 
voulait la faire passer pour folle. Des médecins 
aliénistes la visitèrent, et des gardiens de mai- 
son de fous essayèrent delà chasser de Tavistock. 
Des arrangements pécuniaires avaient été pris 
entre elle et M. Weldon. Ils ne furent pas exé- 
cutés. Une demande en divorce fut introduite 
devant la juridiction anglaise. Gounod n'étant 
pour rien dans cette affaire, ni dans d'autres pro- 
cès engagés à Londres, il serait cruel d'insister. 

Pendant quelques années, la cantatrice a conti- 
nué ses concerts, mais sans succès. Elle a tenu 
bon jusqu'au bout. Dans une lettre adressée 

(I) Le procès a eii lieu, et Roohefort a été condamné, 
en février 1890, à pajer à M"* Weldon 250 livres à« 
dommages et intérèta, soit 6,Î50 franca. 



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Bk VIB ET BES ŒUTRE3 331 

à la Presse anglaise, elle pousse ua cri de 



«... Pour le présent, dit-elle, je travaille activement 
h obtenir pour la Nation nne Cour d'appel ; tous aavez 
que j'ai cette cause & cœur depuis longtemps. Si j'étais 
Busse, je serais Nihiliste. Je n'ai qu'une idée en tête, la 
Bêforme. J'ai commencé par la rëTorme musicale. Ella 
m'a coûté tout au monde : la jeunesse, la beauté, le 
foyer, les amis, la fortune ; et elle m'a laissée ruinée. J'ai 
latte, lutté durement, etc... > 

Aujourd'hui Georgina "Weldon a abaudouaé la 
carrière artistique, elle a délaissé l'Enseigne- 
ment. Elle n'habite plus Tavistock, elle vit h 
Londres dans la retraite, réfugiée dans ses souve- 
nirs, s'occupant d'hypnotisme, et entourée de 
ses carlins. Les carlins sont plus fidèles que les 
musiciens. 



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ŒUVRES DRAMATIQUES DEPUIS 1870 



Les Deux Raine».— Jo&nna d'Arc— Clnq-Me.rs. 
Polye-uote.— Le Tribut de ZEimora. 



LES DEUX REINES 

Pendant la lune de miel de Tavistock-Hoase, . 
Georgina Weldon s'était bercée d'un rêve. Elle 
croyait avoir accaparé l'esprit de Goanod et son 
inspiration musicale. Gounod, disait-elle, ne pou- 
vait composer qu'à ses côtés,etsoussoninfluence. 
L'auteur de Faust ne tarda pas à dissiper 
cette illusion. Quelque temps après sa rentrée en 
France, il écrivait pour l'OpéraComique Cinq- 
Mars, oii se retrouvent toutes les qualités du 
Maître. Mais, avant Cinq-Mars, nous devons 



n,gti7cdT:G00glc 



334 CMARLEB aOUNOD 

nous occuper de deux œuvrea qui avaient été 
représentées à Paris, pendant le séjour à Londres : 
Les Deux Reines et Jeanne d'Arc. 

La partition des Deux Reines se compose de 
chœurs, de récitatifs et de morceaux sympho- 
uiques intercalés daos le drame en quatre actes 
et en vers de M. Ernest Legouvé. Cette pièce, 
qui paraît avoir été conçue en dehors de tonte 
idée de drame musical, devait être représentée 
au mois de mars 1865, au Théâtre-Lyrique, avec 
la Ristori pour principale iuterprèt-e. La Censure 
prononça l'interdit, parce que le drame touchait 
h un sujet délicat, la lutte du Pouvoir Pontifical 
contre Philippe-Auguste, c'est-à-dire contre la 
Royauté. Bien que l'action des Deux Reines 
nous reporte auMoyen-Age, laquestion Komaine 
donnait, en 1865, une sorte d'actualité à l'œuvre 
de M. Legouvé. Le Gouvernement s'e&aya des 
allusions. Il craignit que la querelle d*Innocent III 
avec le Roi de France ne provoquât, au 
théâtre, des manifestations politiques, et il em- 
pêcha la représentation. 

En 1865, la possession de Rome par l'Italie était 
en jeu. Au X[p sièle, le débat entre le Pape et 
le Roi avait moins de gravité. Philippe Auguste, 
comme beaucoup de princes de sou temps, était 
quelque peu bigame. Après avoir perdu sa pre- 
mière femme, il avait épousé logeburge, la sœur 
de Kanut, roi de Danemark, et il la répudiait le 
lendemain même de ses noces, pour se consoler 
avec Agnès de Méranie. Le Pape, au nom de la 



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BA VIE ET SES ŒUVRES i3a 

civilisation chrétienne, condamna publiquement 
ce scandale. II ne put vaincre la résistance 
opiniâtre du Roi, qu'en mettant la France sous 
l'interdit religieux. Les églises furent fermées. 
Cette mesure qui frappait tout le pays, fut plus 
efficace que l'excommunication. Piiilippe-Auguste 
céda devant le Pouvoir Pontifical, et, en obéis- 
sant au Pape, il reconquit tout son ascendant 
politique. 

C'est sur cette donnée historique, déjà traitée 
par Ponsard (1), que M. Legouvé a écrit son 
drame en vers académiques et bien frappés. Il a 
trouvé, dans un intéressant travail publié en 1840 
(Dictionnaire de l'École des Chartes), lelien roma- 
nesque de son action. Si le Hoi n'aime pas la prin- 
cesse de Danemark, s'il lui préfère Agnès, le 
Comte de Landresse, le légat, est amoureux de 
la Reine Ingebui^e. Une mèche de cheveux 
dérobée à la Souveraine, pendant son sommeil i 
est le prétexte de la répudiation. 

M. Legouvé, voyant sa pièce interdite, s'était 
adressé au Ministre de la maison de l'Empereur 
et des Beaux-Arts pour démontrer que Les Deux 
Reines n'avaient rien à faire avec la question 
Romaine. Sa lettre rappelle "un fait curieux et 
qu'il est bon do reproduire. Nous citons textuel- 
lement ; 

... En 1808, mon père écrivit un ouvrage drama- 
tique, intitulé La Mort d'Henri IV. La Censure, les Mînis- 



(1} Agnès de Mémnie. Odéon, 18-16, 



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336 CHABLBB OOUMOD 

trea opposârent un V«to absolu à la représeatatton d« i» 
pièce. Le brtiit de ce petit conflit arriva jusqu'il l'Empe- 
reur, qui se fit rendre oompte de l'affaire. Deux Joam 
«prâs, le veto était levé. Seulement l'Empereur demanda 
un changement à l'auteur. Henri IV, dans une scène 
avec Sully, disait ; j'ai peur! — Monsieur,dit l'Empereur 
^ mon père, il faut ûter ce mot-lb 1 — Pourquoi, Sire f 
les craintes d'Henri IV, )t ce moment, sont historiques. 
— Soit I Un souverain peut avoir peur, mais il ne doit 
jamais le dire. — Le mot fut ôté ; ce fut le seul. L'oa-^ 
vrage, représenté avec le plus grand eucoês, n'excita 
«ucan désordre. > 

En 1865, le veto fut maintenu pour Les Deuof 
fteines, et l'œuvre, à laquelle s'était associé Gou- 
Dod, ne fut pas représentée. Le Journal des 
Débats la publia sous ce titre : Les Deux Reines 
de France, pour la distinguer des Deux Beine& 
de Monpou, 

Quant â la musique de Gounod, elle resta 
provisoirement inédite. On l'entendit, il est vrai, 
dans une ou deux réunions privées, mais la 
partition, quoique gravée, ne fut pas mise en 
vente. L'éditeur, M. de Choudens, la gardait en 
çéserve. Il attendait le jour où l'œuvre pourrait, 
être donnée au théâtre. 

Les deux Reines de France ftirent représen- 
tées, pour la première fois, à la salle Yentadour, 
le 27 novembre 187i!, après quelques répétitions- 
trop hâtives pour la partie musicale. Les acteurs 
de la pièce étaient : Brésil, Berton père, Dupont- 
Vernon, M""Dica-Petit, Tholer, et pour le chant, 
Lut? (le joDgleur), Colonesse (le cardinal), deus 



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SA VIB ET SES ŒUVRES 337 

barytons. L'exécution chorale fut très médiocre. 
La faiblesse des ensembles contribua à modérer 
l'enthousiasme du public pour la partition qui 
n'obtint pas un grand succès. En TOici les 
morceaux : 

Au premier acte, nous sommes à Amiens, sur 
une place publique. Au fond, la chapelle Saint- 
Paul, où la Reine Ingeburge doit venir faire ses 
prières. C'est le jour de la confirmation du 
mariage que le Comte de Landresse, le légat, 
amoureux tout platonique de la princesse 
Danoise, a déjà signé par procuration. Le lever 
du rideau est précédé d'un prélude dont le début 
est écrit en style de choral. — Bénédiction de la 

chapelle par le Cardinal : O toi que l'univers 

C'est une invocation religieuse. — Ingeburge 
paraît accompagnée do sa suite. Chœur de jeunes 
Danoises : Un jour encore à vous servir, suivi 
du chœur des jeunes filles Françaises : Quevotre 
amitié nous console. La musique de ces deux 
chœurs de sopranos n'est remarquable que par 
son extrême simplicité. 

Philippe- Auguste a épousé Agnès, après avoir 
répudié Ingeburge. Celle-ci est enfermée à 
Etampes. L'action du second acte (Le palais du 
Roi à Paris) est interrompue par un long inter- 
mède musical, La bataille des vins (le jongleur 
et le chœur : ténors et basses). Il s'agit de décer- 
ner le prix au meilleur cru. Les juges, c'est-à- 
dire les dégustateurs, sont dans une salle voisine, 
ie chapelain du Roi préside le jury, et le jongleur 



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338 CHA.HLES GOUNOD 

désigne, en chantant, les difféi'ents vins qui 
défilent, en bouteilles, portés par des pages sur 
des plateaux. La musique de cet intermède est 
scéoique. Le chœur chante à plusieurs reprises 
un refrain humoristique et piquant : 

ut les jugea goatsieat, goûtaient. 
Ah I les bons juges que c'étaient ! 

Ce second acte est précédé d'un prélude doot le 
motif est emprunté à l'intermède. 

L'acte suivant ne contient pas de musique. 
Ingeburge est prisonnière dans le châteaa 
i!Etampes. Avant le lever du rideau, rorchestre 
exécute unentr'acte d'un caractère plaintif et 
d'un bel effet. 

Au quatrième et dernier acte, les morceaux de 
musique sont plus nombreux. Le théâtre repnî- 
sente le cloître d'une église fermée. Des pèlerins 
viennent demander en vain la bénédiction dti 
clergé, avant de partir pour la Terre Sainte. Mar- 
che et chœur ; sopranos, ténors, basses. L'or- 
chestre fait le chant, et les parties chorales n'évo- 
luent que sur quelques notes. Ce chœur était 
suivi de la bénédiction des Besaces, bel ensemble 
religieux qui fut supprimé à la représentation.— 
Scène de l'interdit. Une femme du peuple ; 
Depuis dix jours, je cours de ville en ville, et le 
chœur (sopranos, ténors, basses), grande scène 
écrite en style d'église. Le peuple, en prières, 
demande l'ouverture des édifices religieux. — Le 



n,gti7cdT:G00glc J 



SA. VIE ET SES ŒUVRES 339 

mélodrame, avec orgue dans la coulisse, a été 
supprimé à la représentation. — Grand Final : 
O mon Roi, du peuple qui i'aima. (Orchestre, 
orgue, chœur). Le Roi cède aux prières de son 
peuple, et un chœur d'Eosannah éclate de nou- 
veau au bruit des cloches. L'église va se rouvrir. 
Cette partition, où Gounod s'est efforcé de faire 
simple, fut exécutée, sauf quelques coupures et 
quelc^ues modifications insignifiantesitelle qu'elle 
avait été écrite en 1865. En s'opposant à la repré- 
sentation , le Gouvernement Impérial n'avait pas 
frappé d'interdit une des meilleures compositions 
du M^tre. Les Deux Reines n'ajoutent rien à 
la gloire musicale de Gounod , et nous croyons 
que l'Empereur Napoléon III, à l'exemple de 
Napoléon I"', aurait pu lever le veto de la Cen- 
sure. Les colonnes du Temple n'en eussent pas 
été ébranlées. 



JEANNE D'ARC e« 1873 bt bu 1890 
Troisième reprise de MIREILLE. Novehbbe 1889. 

La partition de Jeanne d'Arc est de beaucoup 
préférable àla partition des Z>«wx Reines. Jeanne 
d'Arc fut représentée à la Gaîté, le 8 novem- 
bre 1873, sous la direction d'Offenbach. L'auteur 
A^is, Belle Hélène, l'ancien chef d'orchestre du 



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3-tO CHARLES aOUNOD 

Théâtre-Français, qui avait battu la mesure aux 
représentations d'Ulysse en 1853, l'ancien maes- 
tro des BoufiFes-Pansiens, était redevenu direc- 
teur de théâtre. 

Au début de son exploitation à la Gaîté, en 
septembre 1873, il avait donna le Gascon, un 
drame de Barrière et Davyl, simple lever de 
rideau pour sa direction. Offenbach ne renonçait 
que provisoirement à la musique. Son idée fixe, 
en prenant possession de la Gaîté, avait été de 
remonter, avec un grand luxe de mise en scène, 
de décors et de ballets, son Orphée aux Enfers. 
Il préparait cette reprise avec un soin tout pater- 
nel. 

Jeanne d'Arc fut jouée après le Gascon. Pour 
Offenbach, c'était encore une pierre d'attente. 
Le directeur ne pensait qu'à Orphée et aux droits 
d'auteur quelui produirait le succès. A son grand 
étounement, Jeanne d'Arc avait été un triomphe 
qui renvoyait son opéra-bouffe aux calendes 
grecques. Cependant la troupe d'opérette était 
engagée, la pièce était sue et répétée depuis 
longtemps, Offenbach suspendit Jeanne d'Arc en 
plein succès. On faisait encore 5,000 francs de 
recettes. 

Jeanne d'Arc avait comme auteurs Gounod 
pour la musique, et M. Jules Barbier pour la 
pièce. Celui-ci avait abordé le théâtre avant son 
illustre collaborateur- musicien. M. Barbier s'oc- 
cupait déjà de littérature, alors que Gotinod, 
absorbé dans les pratiques religieuses, songeait 



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SA VIE ET SES ŒDVRES 341 

à entrer dans les ordres. M. Barbier débuta en 
1847 par un à-propos en vers qui précédait, au 
Théâtre-Français, la reprise du Don Juan de 
Molière. Le petit acte avait pour interprètes 
Rachel et M"* Brohan. L'Ombre de Molière en. 
était le titre. Ce début passa inaperçu, ou à peu 
près. 

Depuis 1847, l'écrivain a fourni au théâtre 
une longue carrière. On a dit qu'il faisait hon- 
nêtement, loyalement le vers, qu'il était plus 
versificateur que poète. C'est possible. Mais, par 
ce temps de défaillance poétique, le praticien, 
quand il est au courant des secrets de la prosodie, 
atteint vite le premier rang. S'il ne s'envole 
pas vers l'Olympe, l'Olympe descend vers 
lui. M. Barbier et son collaborateur en livrets, 
Michel Carré, ont eu le mérite de bien appro- 
prier leur poésie aux convenances musicales. 
Leurs livrets se prêtent à la bonne sonorité 
vocale, et c'est une qualité très appréciée des 
compositeurs et des interprètes. Tout bon 
poète n'est pas nécessairement bon libret- 
tiste. Emile Augier, dans Sapho, est poète, et 
poète inspiré, mais il n'est pas bon versificateur 
pour la musique. La facture du livret est une 
spécialité. 

Jeanne d'Arc n'est pas un livret d'opéra. C'est 
une tragédie-drame qui met en scène le person- 
nage populaire et guerrier de la Puceile d'Or- 
léans. La pièce suit la légende illustrée par Mi- 
chelet, et retrace, par une suite de tableaux, les 



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343 CRABLES OOtlNOD 

principaux épisodes de la vie de l'héroiae. Les 
personnages sont très nombreux. Citons, parmi 
les acteurs de la création, Angélo (Charles VU), 
Desrieuz (La Trémouille),Clénient-Just (Labire), 
CoUeuille (un grefHer), Lia Félix (Jeanne d'Arc), 
M'" Tessandier ( Agnès Sorel ), M"* Perret (le 
page Loys), etc. 

La partition comprend des morceaux sympho- 
niques, des chœurs, un ballet, deux morceaux de 
chant. 

Introduction ; au refrain pastoral du hautbois 
répond, sur la scène, le chant des violons. 

Le premier acte se passe dans la chaumière 
de la famille d'Arc.Au fond^dans la campagiie,des 
paysans fuyent l'invasion ennemie. Jeanne les 
accueille. Chœur : nous fuyons la patrie, (l" et 
S" sopranos, ténors, basses). Les fugitife déplo- 
rent les horreurs de la guerre. Crescendo des- 
criptif, qui se termine d'une façon saisissante 
par la phrase du début : nous fuyons lapatrie. 

La nuit est arrivée. Jeanne est seule. Elle en- 
tend le bruit des cloches (mélodrame). Elle s'a- 
genouille. Chœur dans la coulisse. C'est le final 
des voix : Jeanne/ Jeanne ! (Les deux Saintes ; 
sopranos, ténors). Cette scène est ingénieuse- 
ment conçue. Les deux Saintes alternent avec le 
chceur qu'un trémolo aigu des violons accom- 
pagne. L'appel réitéré des Saintes est soutenu 
par l'orgue, les cuivres et les cymbales. 

Jeanne éperdue jette an adieu désespéré à sa 
chaumière, et s'éloigne. Sa mission commence. 



n,gti7cd5yGoOglc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 343 

Second acte : la cour de Charles VII à CMnon. 
Chœur et ballade ( 1" et 3°°* sopranos, le page 
Loys). Le chœur invite le page à chanter la bal- 
lade du prisonnier, et le page obéit en s'accom- 
pagnant de ea guitare. L'air est écrit sur le mo- 
dèle des airs anciens (1). A lafin de l'acte, chœur 
d'une grande sonorité. Charles VII a reçu Jeanne. 
Bans cette entrevue, elle a réveillé, pour un 
instant, le patriotisme du Koi et de la Cour.Tous 
veulent suivre Jeanne d'Arc, à Orléans. Chœur: 
Dieu le veut! (sopranos, ténors, basses.) C'est 
une marche • militaire oîi les cuivres jouent un 
rôle important et oîi les voiï répètent ce cri 
patriotique : Nous délivrerons la Patrie! Dans 
ce final, l'auteur a introduit avec intention des 
fragments caractéristiques de la Marseillaise, 
AxiChant du Départ et d\i Chant des Girondins. 
Le patriotisme en musiq^ue ne défend pas l'ana- 
chronisme. 

Au troisième acte, les remparts d'Orléans. 
Chœur de soldats et couplets. (Une ribaude, 
M* Jean; sopranos, ténors, basses), Demain la 
bataille, etc. Ce chœur de soldats est très animé, 
et la chanson de défi : Anglais, rentres vos 
cornes, a de l'allure. L'accompagnement en est 
pittoresque. Après une ronde dansée, suit le 



(1) La partition mentionne encore, an second acte, les 
morceaux suivants : Chœur VexiUa Régis pendant la 
prière du Roi. — Entrée de la Cour. Menuet. — Mélo- 
drame. 



n,gti7ccT:G00glc 



344 CHARLES aoUNOD 

DivertiBsemeiit. A la Gi^té, on composa le ballet 
avec des airs de danse de la Nonne Sanglante, 
et on y intercala la Marche funèbre d'une ma^ 
rionnette, morceau très original et primitive- 
ment écrit pour le piano. Nous en avons parlé au 
chapitre précédent. Le sujet du ballet était la 
mort et l'exécution d'un énorme mannequin 
représentant un chevalier anglais. — A Orléans, 
on se préparait gaîmeut au combat. Mais, avant 
l'attaque, Jeanne veut implorer le secours de 
Dieu. Tout le monde s'agenouille. Chœur d'invo- 
cation (sopranos, ténors, basses.) Jeanne d'Are 
déclame une prière accompagnée par l'orchestre, 
et le chœur reprend : Viens, esprit créateur. Le 
début de ce chœur est écrit pour toutes les voix 
à l'unisson. 

Le quatrième acte se divise en deux tableaux. 
Le théâtre représente d'abord une terrasse domi- 
nant la ville de Reims. Chœur dialogué de fem- 
mes : Sans verser le sang, elle prend les villes. 

Ail second tableau, la cathédrale de Reims. 
Marche du sacre, précédée d'une fanfare, Noèl ! 
Noël ! L'orchestre exécute d'abord la marche que 
le chœur reprend. (1'" et 2™" sopranos, ténors, 
basses). Les cuivres imitent les cloches. 

Le cinquième acte se passe à Rouen. Jeanne 
est dans sa prison ; elle dort sur un grabat. Des 
soldats anglais jouent aux dés, et boivent : 

J'ai bonne espérance 
Mon dé gagnera. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET gsa ŒUVIŒ3 345 

Une lueur céleste vient éclairer la prisonnière 
endormie, et les deux Saintes réapparaissent. 
Leurs voix se mêlent au chaut bachique des 
soldats. Contraste saisissant! Il y a là une oppo- 
sition heureusement traitée, qui rappelle un peu 
le bel effet du Pré aux clercs (Ils vont jouer leur 
vie). 

Jeanne est condamnée. Ou la conduit au 
supplice. Le théâtre change et représente la 
place du Vieux Marché. Marche funèbre et 
chœur (1*" et 2°"' ténora, basses). La marche 
débute par un chant de clarinette et de basson 
qui se développe peu à peu. C'est de tradition. 
— Mélodrame. Le bûcher s'allume. — Grand final : 
Le feu l Le feu ! Chœur général : Les deux 
Saintes, le chœur invisible (sopranos), les soldats 
(ténors), bourgeois et moines (basses). 

Telle est la nomenclature de l'ouvrage. Cette 
partition, nous l'avons dit, fat composée eu 
Angleterre, alors que le Maître vivait en bonne 
intelligence avec M. et M"' "Weldon. C'est à 
eax que l'œuvre fut dédiée, et le manuscrit porte 
la mention suivante : 

« J'offre ce manuscrit à mes deux chers et courageax 
amis Henr; et Qeorgina Weldon, en souvenir du bftcher 
sur lequel la malveillance publique les fait brûler avec 
moi, depuis que j'ai le bonheur de les avoir pour amis, 
ô octobro 1873. » 

. Ch. GOUNOD. . 



Jeanne d'Arc a été reprise le 3 janvier 



1890 



n,gti7cdT:G00glc 



346 CHARLES OOUNOD 

au Ihéàtra de laPorte-Saint-Martin, avecSarah 
Bernhardt. Déjà, en 1885, au Cirque d'Hiver 
(concerts Godard) , l'ancienne aociétaîre de la 
Comédie Française avait déclamé le rôle de 
Jeanne d'Arc, et la partition avait été exécutée 
presque tout eotière.sous la direction de l'auteur. 
Bèa ce moment, Sarah Bernhardt désira vivement 
représenter la Pucelle d'Orléans au théâtre. 
C'est elle qui a présidé à cette brillante reprise à 
la Porte -Saint-Martin, où elle a remporté un 
véritable triomphe. Jamais, même avec Lia Félix, 
on n'avait mis plus d'héroïsme, plus d'élan, plus 
d'exaltation dans le rôle de Jeanne. L'enthou- 
siasme que Sarah Bernhardt a provoqué, a été tel, 
que la pièce, la mise en scène, la musique même 
de Gounod, ont moins impressionné le publie que 
le jeu de l'actrice. 

Le drame de M. Barbier a été un peu modifié, 
et la partition a subi quelques changements. 
Parmi les coupures, il faut regretter celle du 
ballet, et la coupure du chœur des soldats, au 
dernier acte : J'ai bonne espérance. Un autre 
chœur : Dieu le veut I final du second acte, a été 
supprimé. Cette prière est déclamée par Sarah 
Bernhardt pendant que l'orchestre accompagne 
en mélodrame. 

Gounod n'est pas le premier musicien que le 
sujet de Jeanne d'Arc ait inspiré. Si nous vou- 
lions dresser la liste complète des œuvres musi- 
cales écrites sur cette patriotique légende, il 



n,gti7cdT:G00glc 



Bi. VIH ET SES ŒUVRES 347 

nous faudrait remonter jusqu'au règ'ne do Cliar- 
los VII. Parmi ces nombreuses compositions, 
nous citerons celles de ; Rodolphe Kreutzer 1790, 
Weber {Bernard Anselme) 1806, Balfo 1839, Jean 
de Hoven 1841, Verdi 1845, Max Bruch 1859, 
Gilbert Duprez 1865, Georges Pfeiffer 1868, 
Mermet 1876, Tsuhaïkowsky 1879. 

Citons enfin la Jeanne d'Arc de Louis Lacom- 
be, œuvre inédite et qui avait été composée pour 
la fête du 8 mai à Orléans, lors de l'inaugura- 
tion de la statue de Foyatier. Le livret avait été 
écrit par un poète Orléanais, M. Jules Loiseleur, 
aujourd'hui bibliothécaire de la ville d'Orléans. 
Pourquoi l'œuvre ne fut-elle pas exécutée î 
Nous n'avons pas à le dire. Il y a des gens de 
talent dont la vie n'est qu'une lutte opiniâtre et 
ingrate contre le succès. Lacombe a été un de 
ces hommes là. On dit que sa Jeanne d'Arc run- 
ferme des beautés de premier ordre, et qu'elle 
rappellerait le succès de sa grande symphonie 
Sapho qui obtint le prix au concours de l'Expo- 
sition de 1878. Un jour prochain peut-être, la 
Jeanne d'Arc de Lacombe aura les applaudis- 
sements tardifs, mais éclatants du public. 

Quelques semaines avaot les représentations 
de Jeanne d'Arc h la Porte-St-Martin, l'Opéra- 
Comique de la place du Chatelet reprenait 
Mireille. L'œuvre de Gounod revenait sur la 
scène de Tancien Lyrique, ou elle avait paru 
pour la première fois, en cinq actes, le 19 mars 



n,gti7cdT:G00glc 



348 CHARLES GOUNOD 

1864. Reprise on trois actes, au m€me théâtre, le 
15 décembre suivant, Mireille avait été repré- 
sentée en cinq actes, et avec de nouvelles modi- 
fications, à la salle Favart, le 10 novembre 1874. 
Dans un chapitre précédent, nous avons résumé 
les trois premières versions de l'opéra. 

Le 29 novembre 1889, l' Opéra-Comique nous a 
donné une quatrième version de Mireille, et l'on 
doit considérer cette transformation comme défi- 
nitive, puisque, pour cette reprise, l'auteur a 
dirigé lui-même les répétitions. C'est une sorte 
de compromis entre la première partition en cinq 
actes et la représentation en trois actes du 15 
décembre 1864. 

L'œnvre est encore réduite en trois actes. Les 
deux premiers n'ont pas subi d'importantes mo- 
difications. Le troisième acte, dans un premier 
tableau, nous restitue le Val d'Enfer. A peine le 
terrible Ourias a-t-il frappé Vincent de son bâton 
ferré, que le théâtre change. Sans autre transi- 
tion que le coup de sifflet du machiuiste.la scène 
représente le désert de la Crau. L'église des 
Saintes, avec la procession, forme le dernier ta- 
bleau, et la pièce se termine bourgeoisement par 
le mariage de Mireille avec Vincent. 

Les divers remaniements de l'opéra font dispa- 
raître la scène fantastique du Rhône, et la scène 
des Moissonneurs. Le rôle de Vincenette est 
supprimé. Celui de la sorcière Taven prend plus 
d'importance. Il est bien tenu par M"" Chevalier, 
l'ancienne Vincenette de 1874, à la salle Favart. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 349 

_ Les rôles sont ainsi distribués : M'" Simonnet 
(Mireille).— Chevalier (Taven).— Auguez (Audre- 
louD). — Nazem (Clémence). — MM. Clément 
(Vincent).— Taskin (Ourias).— Fournets (Ramon), 
— et Maris (Ambroise). 

A l'origine, Mireille n'avait été jouée au 
Théâtre-Lyrique qu'une quinzaine de fois, et le 
public ne s'était pas montré beaucoup plus em- 
pressé aux représentations de 1874. Enfin, l'opéra 
de Gounod a obtenu en 1889 une juste et éclatante 
réparation. C'est un brillant succès que viennent 
consacrer actuellement de fructueuses représen- 
tations, et qui est dû surtout h la valeur musi- 
cale de l'œuvre. M™' Carvalho n'est plus là, et si 
les rôles sont convenablement rendus, l'inter- 
prétation nouvelle ne vaut pas, à beaucoup près, 
celle de 1864. Mireille a été remaniée, mais 
cette transformation ne donne pas au spectateur 
une satisfaction complète. Nous eussions préféré 
la partition primitive en cinq actes à la version 
de 1889. 



CINQ-MARS 

Le 5 avril 1877, dix ans après le grand succès 
de Roméo, Gounod fiit représenter à la salle Fa- 
vart Cing-Mars, opéra en quatre actes composé 
sur le livret de MM.Poirson et Gallet. Le Maître, 



n,gti7cdT:G00glc 



350 CRABLES OOUNOD 

qui depuis 1837 n'avait pas produit, au théâtre, 
une œuvre de lon^e baleine, faisait sa reotrée 
dans le monde musical. Aussi le nouvel ouvrage 
était-il attendu avec curiosité. La salle Favart 
ne contenait que 1,800 places, et plus de 10,000 
demandes , pour la première représentation , 
avaient été adressées à l'Opéra-Comique, où M. 
Carvalho venait de rentrer comme directeur. 
AprèB une longTie absence, Gounod et M.Carva- 
Ibo se retrouvaient à la salle Favart, et cette ren- 
contre faisait bien augurer du succès. Malheu- 
reusement,et parune injustice criante du public, 
les espérances ne se réalisèrent pas. On cbercba 
noise à l'auteur, on prétendit que Cinq-Mars 
était une œuvre ennuyeuse et monotone, qae 
c'était une improvisation trop rapide, et que la 
partition, composée en quelques semaines, avait 
été écrite avec précipitation. 

On pourrait d'abord répondre, avec Molière, 
que le temps ne fait rien à l'afifaire. L'ouvrage 
fut terminé à Cannes au commencement de l'an- 
née 1877, et il importe peu de savoir à quelle 
époque il avait été commencé. Nous avons peine 
à croire que cet opéra qui contient tant de 
riobesses,ait été pour ainsi dire bâclé en quelques 
jours. Gounod d'ailleurs avait autrefois songé à 
Cinq-Mars. Il avait même eu entre -les mains 
un livret très développé de Saint -Georges et de 
Leuven. C'est un sujet qu'il aflfectionnait. 

Le livret de MM. Gallet et Poirson a des pro- 
portions modestes. Les auteurs ont pria pour 



n..^G00gliig,. 



SA VIE ET SES ŒUVEEB 351 

canevas le roman d'Alfred de Vigny. Les amours 
du jeune d'EfQat et de la princesse Marie de 
Gonzague forment le nœud de l'intrigue. Mais le 
scénario, dans ses détails, laisse beaucoup trop 
à désirer. Ce n'est pas à la musique, c'est au 
livret qu'on pourrait adresser le reproche d'im- 
provisation. 

Voici les personnages, et les acteurs de la 
création : MÏâ.. Dereims, ténor, (Cinq-Mars). — 
Stephanne, baryton, (de Thou).— Giraudet, basse, 
(le père Joseph). — Barré, baryton, (Fontrailles).— 
Maris, basse, (le Roi).— Bernard, (le Chancelier). 
— Lefèvre (Montmort). ~ Davoust, (Eustache), 
etc. — M"" Chevrier, chanteuse Falcon, (la pria- 
cesse Marie). — Franck- Du vernoy, chanteuse 
légère,(Marion Delorme). — Périer, soprano, (Ni- 
non de Lenclos). — Lévy, soprano, (un Berger 
chantant).— M. Uorel, (un berger dansant). 

Le prélude instrumental est court et d'un 
caractère sombre. C'est sinistre et lugubre. Cette 
introduction, inspirée par le supplice de Cinq- 
Mars, se compose de deux mouvements lents, un 
adagio-molto, et une marche funèbre, heureuse- . 
ment reprise au troisième acte, en pleine forêt de 
Saint-Germain. 

Le premier acte se passe au château de la 
Maréchale, mère du marquis de Cinq -Mars. Le 
jeune marquis se dispose à partir pour occuper 
une haute fonction à la Cour de Louis XIIL Au 
lever du rideau, l'orchestre exécute un charmant 
allegro, pendant que les gentilshommes s'em- 



n,g -ccT'GoOgIc 



?53 CHj^RLKS oounod 

pressent autour de Ciuq-Mars, et le félicitent 
de sa nouvelle dignité. Les courtisans se divi- 
sent en deux groupes, les partisans du Cardinal 
et les partisans du Roi. 

Chœur de ténors et basses : A la Cour vous 
allej paraître. Les seigneurs recommandent au 
marquis de n'avoir qu'un maître : le Cardinal, 
disent les uns ; le Roi, disent les autres. Je 
.servirai les deux, répond gaiement Cinq-Mars. 
La musique de oetto première scène est gaie et 
spirituelle. Les gentilshommes prennent congé 
An marquis, et l'orchestre accompagne leur 
sortie de la Façon la plus gracieuse. 

Duo entre Cinq-Mars et de Thou : Henri, voua 
nous parliez là d'une voix légère. Cinq-Mars 
confesse ses amours. Il aime la princesse Marie 
de Gonzague. Sur cet aveu, l'orchestre indique 
discrètement le motif d'une délicieuse cantilène 
chantée par la princesse (Nuit resplendissante). 

Ici se place un incident dramatique. Les deux 
amis, Cinq-Mars et de Thou, sur une mélopée 
religieuse, lisent par hasard une page d'un livre 
placiS sur une table. C'est une terrible prophétie : 

Et leur sang se mêla dans le même tombeau. 
Ainsi soit-il I 



Ainsi soit-il ! répond le père Joseph d'un ton 
lugubre. Le père Joseph est le bras droit du 
Cardinal. Il est porteur de deux messages : l'un 
qui ordonne au marquis de rejoindre le Roi à 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIB ET SES ŒUVRES 353 

Perpignan, l'autre qui iavite la princesse Marie 
à se rendre à la Cour, oiî elle sera préseutée aux 
ambassadeurs polonais. De par la volonté du 
Cardinal, la princesse de Gonzague est fiancée 
au Hoî de Pologne. 

Reine I Elle sera reine! s'écrie le ebœur. 
Grand morceau d'ensemble (Marie, Cinq-Mars, 
de Thou, le Père Joseph, sopranos, ténors et 



Cinq-Mars sort désespéré. Ses amours sont 
contrariées dans leur fleur printanîôre. Un autre 
choeur (ténors et basses), au rhytbme vif, fait 
contraste à ce désespoir : 

Allez |>ar la nuit claire, 
Allez beau voyageur. 

Restée seule sur le théâtre, Marie exhale sa 
douleur dans quelques phrases de récitatif : Par 
quel trouble..., suivi de la cantilène : 

Nuit resplendissante et ailencieuBe.... 

adorable expansion musicale, qu'accompagne le 
murmure poétique de l'orchestre. Ou se croirait 
encore au jardin de Marguerite. Ce morceau a 
été inséré au quatrième recueil des Mélodies. 

L'acte finit par un duo entre Cinq-Mars et 
Marie. Ce duo, qui débute par un récit, s'animo 
et s'enflamme peu à peu. Le jeune homme 
exprime ses regrets dans ce joli passage que 



n,gti7cdT:G00glc 



354 CHARLES OOUKOD 

l'on eoteadra encore au dernier acte : Faul'il 
donc oublier ces beaux jours envolés l et les 
denx amants ee jurent fidélité pour la vie. 

Le second acte se divise en deux tableaux. Le 
théâtre représente d'abord les appartements du 
Roi à Saint-Germain. Marion et Ninon sont en 
Ecène. Chœur de ténors et de basses : A Marion 
Reine des belles, suivi de la chanson de Fon- 
trailles, avec refrain du chceur : 

On ne verra plus dans Paris 
Tant de plumes ni de moustaches. 

Cette chanson est d'une allure vive et spiri- 
tuelle. Le Cardinal veut exiler Marion. Quelle 
audace ! Le chœur se récrie : 

Gnrdons Marion et Ninon 
Et que le Cardinal en crève ! 

Cette petite révolte est interrompue par la 
passage du Roi, qui sort de ses appartements en 
compagnie de Cinq-Mars, le Grand Ecnyer. 
Gounod n'a pas fait chanter Louis XIII. Le Roi 
se borne à salner la Cour sur son passage, pen- 
dant qu'un morceau d'orchestre se fait entendre. 
C'est une marche courte et ravissante. La musi- 
que prend une tournure archaïque , et l'on 
voudrait que le Roi repassât, pour la reprise de 
cette élégante mélodie. Malheureusement le 
Roi a disparu dans la coulisse. Il a pris congé de 



n,gti7cdT:G00glc 



6A VIE ET SES ŒUVRES 355 

Cinq- Mars. La fortune du marquis a été rapide. 
Les courtisans s'empressent autour de lui : 

Ah ! monsieur le grand Ecijer, 
Permettez qu'on vous salue ! 

Cette salutation en chœur forme, au point de vue 
de la facture musicale, un ensemble très intéres- 
sant. Les ténors et les basses se répondent , les 
voix s'enchevêtrent , et concertent au milieu des 
dessins de l'orchestre. C'est un des morceaux les 
mieux réussis de la partition. 

Les courtisans se sont retirés. Cinq-Mars se 
retrouve avec Marie. Mélodieuse cavatine du 
ténor : Quand vous m'avez dit un jour : soyes 
fort. Le motif a servi d'introduction à l'acte. 

Mais survient le père Joseph, ce terrible re- 
présentant du Cardinal. Trio : ce( homme encor ! 
Les deux amants refusent d'obéir à ses ordres, et 
Cinq-Mars le congédie , sans respect, en le 
traitant de serpent ! 

Coup de théâtre ! Gammes chromatiques ! Le 
sort eu est jeté. La lutte est déclarée contre 
Richelieu I 

Second tableau : une salle brillamment éclairée 
chez Marion Belorme, la célèbre courtisane. Nous 
assistons à une fête, et ensuite à une conspira- 
tion contre le cardinal. Généralement, au théâtre, 
le complot et le ballet marchent de compagnie. 

Fontrailles apprend aux conjurés que Cinq- 
Mars est des leurs. Le Grand Ecujer viendra cette 



n,gti7cdT:G00glc 



356 CUABLBB GOUNOD 

nuit. L'orchestre accompagae d'un menuet ce 
dialog-ue parlé qui est suivi d'une courte scène 
musicale avec chœur. Foutrailles dirige tout à la 
fois ta fôte et le complot. 

Le divertissement va commencer, mais, avant 
le Ballet, Marion fait son entrée entourée de 
Bergères. Chœur de sopranos, ténors et basses : 

Belle dont le sourire 

Cet ensemble vocal est très pittoresque. Il se 
déroule sur une suite de septièmes majeures. 
Après le chœur, la bette Marion, dans un grand 
air à vocalises, trace le programme dn divertis- 
. sèment. Elle fait une longue descriptiondu Pays 
du Tendre. 

Le divertissement de Cinq-Mars sort do cadra 
ordinaire. Le chœur alterne avec la pantomime. 
C'est nne pastorale mêlée de danse et de chant ; 
Entrée des bergùres. — Chœur Amynthe est 
sauvage. — Entrées des Petits soins, des billets 
doux, des jolis vers, tout l'attirail amoureux du 
Pays du Tendre. 

La musique de ce ballet revêt une forme 
archaïque. Le hautbois concerte avec la flûte. 
L'entrée des jolis vers est accompagnée par nne 
brillante partie de cor. Un des deux bergers, le 
berger chantant, dit un sonnet : De vos traits 
mon âme est navrée, dont la mélodie rappelle 
celle du fabliau du Médecin malgré lui. U 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET skf; œuvres 357 

ballot se termine par un chœur dansé : Dans les 
fougères... (1) 

Les danses ont cessé pour faire place à la con- 
juration: Cinq-Mars, de Thon, Foatraillea, et le 
chœur de ténors et de basses, scène mouve- 
mentée, dont le récit est forcément imité des 
Huguenots. On ne peut plus conspirer en musi- 
f[ue sans s'inspirer de Meyerbeer. Cinq-Mars est 
un nouveau Saint-Bris, et le r61e de de Thou n'est 
pas sans analogie avec celui de Nevers. L'acte 
finit par un chœur d'un grand éclat : 

Sauvons le roi, stuvousla noblesse et la France. 
Délivrons le trOne et l'antel. 

Âu troisième acte, le Roi chasse à Saint- Ger- 
main. Le théâtre représente un carrefour de la 
forêt. Au fond, une petite chapelle où un prêtre a 
été amené par de Thou pour bénir secrètement 
l'union de Cinq-Mars avec Marie. Ici le livret est 
vraiment bien faible ! Les auteurs, pour précipi- 
ter l'action, font exécuter des entrées dans la 



(!) La musique du divertissement de Cinq-Mars fut exé- 
cutée le dimanche 2 avril 1682, au Concert Pasdelaup, 
duns un gr&nd Feitivat Gouttod, où l'auteur dirigeait l'or- 
chestre. Le programme se composait de fragments de 
Sapho, du Médecin malgré lui, de la Reine dt Saba, de la 
symphonie en ré majeur, etc. M~ Engall.y, MM. Mou- 
liérat, Paul Viardot et Lauwers prêtaient leur concours 
dans cette séance qui se termina, selon la tradition, par 
le Prélude de Bach, 



n,gti7cdT:G00glc 



35B CHABL8B OOUNOD 

chapelle et des sortitjs d'une invraisemblance 
presque ridicule, et la partie musicale s'en res- 
sent. On remarque cependant un Uallali fort 
ingénieusement encadré dans le drame. Ce troi- 
sième acte appartient surtout à Saint'Hubert. 

L'air de chasse précède le lever du rideau. -^ 
Chœur de ténors et de basses ; La fanfare 
éveillée. — Trio entre Cinq-Mars, de Thon et 
Marie : C'est le lieu du rendei-vous. Avant d'en- 
trer dans la chapelle, Cinq-Mars exprime sa joie 
amoureuse dans un air à formules italiennes : 
Ahl venez, que devant l'autel... Le père Joseph 
reparût. On dirait un diable à tabatière ! Il est 
terrible comme le Destin. Le moine donne des 
ordres pour l'arrestation de Cinq-Mars. Dialogue 
parlé pendant lequel l'orchestre exécute la mar- 
che funèbre de l'ouverture. 

Cette scène est suivie d'un grand air de basse, 
(Le père Joseph ; Tu t'en vas, confiant dans ta 
folle entreprisé), etd'uu duo entre le père Joseph 
et Marie : Madame, il faut m'entendre ! Le re- 
présentant du cardinal, par la menace, décide la 
princesse à abandonner Cinq-Mars. C'est pen- 
dant ce duo que l'air de chassa se fait entendre 
dans le lointain. La fanfare est en mi bémol, et à 
l'accord parfait vient s'ajouter, à la basse, une 
pédale en ré bémol qui, en formant un accord de 
triton, jette une note lugubre sur cette scène. Le 
procédé harmonique est simple; il n'est pas nou- 
veau, mais l'effet, bien ménagé par le composi- 
teur, est des plus dramatiques. 



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SA VIE ET SES ŒUVHES 359 

La chasse a envahi le théâtre. Chœur : Hal- 
lali! chasse superbe. Le Roi défile avec toute sa 
suite, pendant que l'orchestre exécute la marche 
du deuxième acte. Le rideau tombe sur la reprise 
de l'Hallali I 

Au quatrième et dernier acte, Cinq-Mara et de 
Thou sont enfermés dans le château de Pierre- 
Encise, à Lyon. Court prélude d'un caractère 
plaintif. — Ami, je faisais un beau rêve, dit 
Cinq-Mars à de Thou. L'infortuné marquis rêve 
à ses amours.Il oublie sa captivité, il oublie même 
l'arrêt de mort prononcé contre lui. Toutes sea 
pensées sont pour la princesse. Pendant le réci- 
tatif,, l'orchestre, dans une heureuse réminis- 
cence, répète le motif déjà entendu au premier 
acte : Faut-il donc oublier les beaux jours en- 
volés, et Cinq -Mars, en regardant le médaillon 
de Marie, chante la cavatine : 

chère et vivante imagée... 

La mélodie en est simple et touchante. Ce 
morceau s'enchaîne avec lo duo entre Cinq- 
Mars et la Princesse. On remarque une phrasd 
mélodique, empreinte d'une vive passion : 

A ta vois le ciel s'est ouvert. 

Marie a pu pénétrer dans le château. Elle a 
préparé la fuite des deux condamnés. Scène 
(Marie, Cinq-Mars, de Thou): Amis, plus de 



n,gti7cdT:G00glc 



360 CHAULES OODNOD 

^mtose. Hélaa ! il est trop tard. Les gens do 
justice vienaent s'emparer des deux condamnés 
qu'ils mènent au supplice.— Final (Cinq-Mars, 
, do Tbou, le père Joseph) dans lequel le passage 
dramatique du premier acte: Ainsi soit-il est 
reproduit. La scène se termine par un hymne 
religieux. Ces hymnes-là sont le triomphe de 
Gounod. 

L'opéra fut repris le 14 novembre 1877 avec 
quelques modifications. L'ouverture fut déve- 
loppée, le ballet fut raccourci, et l'on retrancha 
le grand air à roulades de Marion Delorme. 
L'auteur écrivit une cavatine pour le rôle de 
de Tbou au troisième acte, et il ajouta un 
larghetto au chœur final de la chasse. La distri- 
bution des rôles subit quelques changements. 
Stéphanne avait été remplacé par Strozzi, 
Barré par Fugère, M°" Frauck-Duvemoy par 
M"* Donadio-Fodor. 

Cinq-Mars, où le dialogue parlé inter\'ient de 
temps en temps, n'est cependant pas un opéra- 
comique, et n'est pas non plus un grand opéra. 
La partition flotte entre les deux genres. Le 
livret est médiocre, et l'interprétation fat insuf- 
fisante. Dereims et M"* Chevrier ne surent pas 
mettre en relief les beautés musicales de l'ou- 
vrage. Cinq-Mars n'eut qu'un succès d'estime. 
Il eut dû réussir avec éclat. 

Le public ne se délecte pas toujours à ce qui 
est beau ; .il a des aberrations. II ne comprit pas 



, ,y Google 



SA TIB ET SES ŒimtEa 361 

cette œnvre toute personnelle, délicate, et bien 
inspirée. Tout le monde connaît la dernière 
pensée de Weber. Eh î bien Cinq-Mars est la 
dernière pensée de Gouuod. 



Combien il est regrettable que Gounod n'ait 
pas composé sou Polyeucte aux beaux jours où 
il écrivait la partition de Faust ! Il eût produit 
sans doute un chef-d'œuvre. Le sujet de Po- 
lyeucte, où l'exaltation religieuse est si heureu- 
sement mêlée à l'amour profane, était bien fait 
pour enflammer sa nature de musicien. On atten- 
dait de lui un coup d'aile, et ce coup d'aile, Qou- 
nod ne l'a pas donné. 

Fendant longtemps, Gounod avait songé & 
Polyeucte. Mais il entreprit trop tard cette 
grande composition. Il était alors en Angleterre, 
tl acheva son ceruvre dans des temps troublés, en 
exU. volontaire, au milieu des vicissitudes, des 
soucis et des distractions de tous genres. Il ne 
s'appartenait plus. Son inspiration musicale su- 
bit nécessairement un temps d'arrêt, sinon des 
défaillances. Voilà pourquoi sa partition est si 
inégale. On retrouve là sans doute des pages 



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362 Cn&BLBS OOUNOD 

dignes da Haître, mais l'œuvre faiblit en maints 
endroits. Potyeuctene devait pas réussir. 

Les récitatif sont aussi nombreux que mono- 
tones. Ils ne se distinguent ni par la richesse 
mélodiquQ, ni même par l'invention. Trop de for- 
mules cimsacrées, et pas d'accents nouveaux. 

Et cependant Polyeucte est l'œuvre d'un mu- 
sicien consommé, une œuvre méditée, d'oii 
Tinsinration cpnteaae, et comme latente, se ma- 
nifeste par échappées. La partition contient des 
parties remarquables. 

Polyeucte est un grand oratorio avec des 
adaptations pour la scène de l'Opéra. L'Oratorio! 
Voilà un genre élevé qui compte de nombreux 
cheisfd'œuvre. Toutefois l'oratorio doit rester à 
sa place, c'est-à-dire au Concert. Il est un fait à 
constater. C'est que, de nos jours, la musique de 
Concert a envahi le Théâtre, comme la musique 
de Théâtre a envahi le Concert. Il en résulte une 
confusion. Beaucoup d'œuvres écrites par nos 
Mitres français contemporains et destinées à la 
scène, peuvent sans inconvénient se passer de 
toute action dramatique, et être interprétées par 
les artistes, le cahier à la main. Polyeucte est du 
nombre de ces ouvrages. L'auteur l'a avoué lui- 
môme à M. Reyer : (1) • Mou opéra, a dit Gou- 
nod, pourrait être exécuté sur une estrade de 
concert, par des acteurs en habit noir. » — Pour- 
quoi pas ? La partition, moins le ballet bien en- 
Ci) Voir le Journal du DébaU du là octobre 1876. 



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SA VIB BT BBS Œ0TRE8 363 

tendu, s'accommoderait de cette tranafonnation, 
et la musique, dans son austérité, j gagnerait 
peut-être. 

Cette partition à laquelle le monde musical 
s'intéressait depuis six ans, et dont nous avons 
raconté l'histoire, fut exécntée à l'Opéra le 7 
octobre 1878, au noilieu d'nn luxe inouï de mise 
en scène. Tant de richesses n'avaient pas été 
prodiguées au Poliuto de Donizetti qui fut re-^ 
présenté eur la scène de la rue Le Peletier, eii 
quatre actes^ le 10 avril 1840. L'ouvrage de 
Donizetti avait été composé en tnùs actes à Na- 
ples, en 1838, et le livret* esquissé par Nourrit,, 
avait pour auteur nn poète italien. Tout était 
prêt, quand la Censure napolitaine, considérant 
le sujet oofome dangereux pour l'ordre social, 
politique et religieux, s'opposa à la représenta- 
tion. Le Roi de Naples confirma la décision des 
Censeurs: « Polyencte est un saint, avait-il dît.. 
Laissons les saints au calendrier et ne les met- 
tons pas an théâtre. » L'année suivante, Doni- 
zetti porta sa partition en France et la fit rece- - 
voir à l'Opéra. Kourrit était mort. Ce fut Duprez 
qui créa le rôle de Poljencto. Le livret avait été. 
refait par Scribe et portait en titre : Les Mar- 
tyrs. En 1859, l'opéra reprit sa forme primitive, 
sous le titre de Poliuto ; il parut le 14 avril au 
Théâtre Italien. L'œuvre resta au répertoire. En 
1877, Tamberlick se faisait encore applaudir 
dans le fameux Credo, qui est une page remar- 
quable. 



n,gti7cd3ï Google 



364 CBABLBS OOimoD 

Comme Poliuto, le Polyeucte de 1878 est fait 
d'après la tragédie de Corneille, mais les libret- 
tistes, MU. Barbier et Carré ont, en quelques 
endroits, modifié l'action dramatique en vue des 
exigences d'une œuvre musicale. Il nous par^t 
inutile d'insister sur ces modifications et d'éta- 
blir, à ce point de vue, un parallèle entre la 
tragédie et le scénario. Le livret de Polyeucte 
est bien conçu. Il porte en tôte une note dans 
laquelle les auteurs déclarent qu'ils n'ont pas 
signalé les nombreux emprunts faits à Corneille. 
Ils ajoutent, dans leur modestie : « Il est trop 
aisé de le reconnaître. » 

Les rôles, en 1878, furent ainsi distribués : 
Polyeucte, fort ténor (Salomon). — Sévère, bary- 
ton (Lassalle). — Félis, gouverneur d'Arménie, 
père de Pauline, basse (Bérardi). — Néarque, 
baryton (Auguès). — Albin, grand-prôtre de 
Jupiter, basse (Menu). — Siméon, vieillard chré- 
tien, basse (Bataille). — Sextus, ténor léger 
(Bosqnin). — Un centurion, basse (Gaspard). — 
Pauline (M™ Krauss). — Stratonice, nourrice de 
Pauline, mezio-soprano (M'" Calderon). — La 
scène se passe à Mélitène, capitale de l'Arménie. 

La partition de Gounod n'a pour ainsi dire pas 
d'ouverture. Le prélude n'est qu'une mosaïque. 
Les motifs sont empruntés à l'opéra même, 
notamment une large phrase, qui, au cinquième 
acte, accompagnera Polyeucte au supplice. Cette 
introduction se termine par un choral rappelant 
le chant des chrétiens dans la deuxième partie 
du second acte. 



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SA. VIE ET SES ŒUVBES 365 

Premiei acte et premier tableau : la chambre 
do Faullne. Celle-ci est en prières devant l'autel 
des Dieux fanùUeis, pendant q^ue ses. suivantes 
chantent le chœur- .-■ 

Déjà dans l'aziu- des frieuz. 
A,ppanît de Pbœbâ te char tilenclBuXi 
C'est riieii>r& (lu trarail nocturne. 

Travail nocturne! Ce début poétique rfest 
pas heureux, bien que la musique le relè\te en- 
maints endroits. Ce premier chœur est empreii^ 
d'un oaraotâre retigiêttx. 

ftiuline quitte l'autel et raconte à Stratonice- 
unrôve qui l'épouvante. Bile a tu, en songe, la 
mort de Polyeucte, soa époux. Au récit de Pau- 
line s'entremêlent les exclamations des suivan- 
tes et de Stratonice. Après ce morceau, que semr 
Ue inspirer la scène du Commandeur dans Don 
Juan, le chœur du. début fait, à la xeprise, une 
charmant contraste. 

Polyeucfca paraît au fond du théâtre. Les sui- 
vantes se retirent. Duo entre les deux époux,, 
duo pl«n do ohalom* et de sentiment. L'orches- 
tration ao distingue par l'harmonie et les détails^ 
d'accompagnement. Pauline fait partà Polyeucto^ 
de ses craintes. Ua danger le menace : Pardon- 
nes si pour vous je tremble. 

C'est un motif, en forme de romance, chanté 
d'abord par Pauline, et repris ensuite à deux 
voix. Mais Polyeucte sort précipitamment pouc- 



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366 CHARLES OOUNOD 

rejoindre NéaFque, Néarque qui doit le convertir 
à la religion nouvelle. Hegreta de Pauline sou- 
tenus à l'oFctiestre par une pédale, sur les vers 
doConieille : 

Va ! NËglige m»8 pleurs; cours et te précipite 

An devEmt de la mort que les Dieux m'ont prédite... 

Pauline s'éloigne, et la décoration change à 
vue : Place publique, bientôt remplie par un 
superbe défilé d'opéra. Sévère, couvert d'une 
armure de guerre et monté sur un char, fait son 
entrée dans Mélitène. Fanfare, acclamation de la 
foule, marche triomphale avec chœur: Salut/ 
gloire à toi. 

Dans un récitatif imité de Robert le Diable, 
Sévère révèle les motifs qui l'amènent ; L'ordre 
de CEmpereur... Il vient, par un sacrifice, remer- 
cier les dieui d'une nouvelle victoire remportée 
par les armées romaines. Ce sacrifice n'est qu'un 
prétexte. Sévère veut revoir Pauline (1). Hélas! 
le héros apprend que Pauline est mariée avec 
Polyeuctel Efiîstde scène, et final en quatuor, 
avec chœur. (Félix, Polyeucte, Pauline, Sévère). 
Grande explosion musicale, où l'on remarque une 
belle progression ascendante. Le rideau tombe 
sur la reprise de la marche triomphale. 

(1) Je veux sacrifier, mais c'est & ses beautés 
Que Je Tiens immoler toutes mes volontés. 

( ÇoBrniuB. Acte II, Scint I). 



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a\ VIE BT SES CEUTBES 367' 

Le deuxième acte représente d'abord an jardin 
éclairé par le coucher du suleil.. D'an côté Ut 
temple de Vesta. Ce premier tableau s'ouvre pac 
UQ gracieux chœur de fête, chanté dans la cou- 
lisse. (Soprani, ténors, basses) : Que le myrte et 
la rose... Gounod :ezceUe dans M genre ana- 
créontique. Le triangle concerta agréablement 
avec la ûûte, l'acceat est folâtre, et le souvenir sq 
reporte sur le cbœur des Sabéennes, ou siix le 
chœar dee Bacchantes de Philémon. 

Sévère rei^e en scène. Le désespoir eat darut 
jnon cœur, dit-il, et il exprime sa douleur dans 
tmd cavatîne dont une partie fut retranchée & la 
seconde -représentation : Pour mettre à ses pieds 
ma gloire... Pauline pandt à son tour, mais pooc 
invoquer Vesta. Sévère se dérobe on instant. 
L'invocation est un morceau poétique, écrit dans, 
le st^le des anciens maîtres. 

 peine la prière est-elle finie qno Sévère 
s'élance vers Pauline. Grand duo : Soyez géné- 
reux^., un des morceaux qui forent le plus 
goûtés par le public de la première représenta- 
tion. La situation est dramatique et singulière.. 
■ Vous détestez votre époux, dit Sévère ? Non, 
répond Pauline,ye Caime\t Ce duo est d'une grâce 
langoureuse. Cest du théâtre. Quand les deux 
voix se réunissent, des imitations, en forme de 
canon, viennent produire un bel effet. Toutefois, 
la fin du morceau fut critiquée. Sévère et Pau-^ 
line se disent adieu sur un mouvement de 
Hiarche : Pur comme cette flamme ! 



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368 CHABLBB OODNOD 

La scène s'obscurcît. Le décor change. La lane 
a remplacé le soleil couchant, pour éclairer de 
«es p&les reflets la scène du baptême. Ce 
deuxième tableau est une des parties importantes 
de la partition. Nous sommes en plein oratorio. 
La fête chrétienne a pour cadre uq site sauvagre 
«vec des arbres et des rochers. C'est le lieu ou se 
rassemblent les chrétiens persécutés. Au fond 
coule une rÎTlère d'où l'on entei}âra la barcaroUe 
de Sextus. 

Sextus, jeune patricien, chante les Nymphes 
et les Nûades. Le morceau est aussi frais que 
distingué. Là, on retrouve l'auteur des mélodies, 
l'auteur de Venise et de Medjê. Rien de plus 
gracieux, rien de plus charmant que ce repos aa 
milieu du drame. Le motif se balance sur des 
accompagnements de harpe. Les harmonies de 
l'orchestre sont des plus pittoresques^ La barca- 
rolle commence dans la coulisse. Bientôt, on voit 
passer la barque. Sextus est entouré de femmes 
dont les poses nonchalantes n'annoncent ni la 
conversion, lù le martre. Le jeune patricien 
chante : 

Nymphes attentives 
Dans les roseaux. 

La barque a dispara ; la voix s'éloigne. Alors 
Siméon arrive comme qn conspirateur. Les chré- 
tiens et les femmes chrétiennes entrent en scène 
sur une marche religieuse. Cette marche s'en- 
phaînô avec la prière : Père céleste sois béni ! 



Si. TIE ET SES œtIVBBS 369 

dont chaque phrase, ou plutôt chaque verset est 
récité parSiméon et repris par le chœur. Nous 
sommes à l'église, et l'oratorio bat son plein. 

Le final du baptême, bien que très mouvementé, 
parut trop long. Le public habituel de l'Opéra, 
abonnés compris, n'est pas fait pour les Mystères. 
D^ la seconde représentation, on abrégea la fôte 
chrétienne. Cette fête a pour apothéose le 
baptême de Polyeucte. À ce moment solennel, 
Sévère, en témoin indiscret, passe au fond du 
théâtre. Sévère, le plus heureux des trois, a tout 
vu I le voile est levé. Les chrétiens sont impru- 
dents ; dans leurs assemblées, ils ne s'entourent 
pas de précautions sufBsantes. 

Le troisième acte, réservé au ballet, fait oppo- 
sition à la fête chrétienne. Il est entièrement 
profane. Comme les actes précédents, il se divisa 
en deux tableaux. La première partie (une salle 
du palais) no révèle rien de saillant au point de 
vue musical. Félix, le père de Pauline, préside 
un conseil oii s'agite la question du châtiment à 
infliger aux chrétiens. — Scène en quatuor : 
Oui t cette nuit encor... (Félix, Polyeucte, Albin, 
Sévère). — Cantilène de Sévèrej en deux mouve- 
ments, andante et larghetto : Quoi ! c'est peu de 
perdre Pauline / Sévère s'adresse à Polyeucto, 
et lui fait grâce. Vives, lui dit-il. — Duo entre 
Polyeucte et Néarque à la fin duquel les deux 
voix chantent ensemble dans un mouvement 
d'énergie : Allons briser ces dieux de pierre et 
de métal. 



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Sur ces mots, le décor chauffe. C'est une place 
toute BDguirlaadée. Au fond, le péristyle du 
temple de Jupiter. La fête païenne vient couper 
l'oratorio. La musique en est élégante et l'instru- 
mentation est pleine d'intérêt. Bien que l'épisode 
appartienne à une haute antiquité, le divertisse- 
ment contient une valse et une mazurka. Les 
Bomains ne mazurkaient pas. Peu importe 1 Le 
ballet est une des parties les plus réussies de la 
partition. 

n est précédé de la procession sacrée avec 
cbceur : Gloire au Maître du monde, brillant et 
long cortège de prêtres et de magistrats (1). 
Grand concours de peuple, le tout précédé par 
les traditionnels joueurs de flûte. La foule se 
range pour le ballet. 

Le divertissement comprend neuf mouve- 
ments, et se divise en quatre parties : Pan, Bel- 
lone, Venue, Bacchus 1 On remarqua surtout la 
gracieuse valse des Néréides, et la caressante 
mélodie qui accompagne l'apparition de Vénus. 
Vénus était représentée par M'" Maiiri, une 
étoile chorégraphique qui débutait alors à l'Opé- 
ra. Vénus avait la grâce, le sourire, le geste,, la 
taille fine et le pied bien cambré. Au dire des 
abonnés, M"° Maûri avait la jambe uu peu mai- 
gre. Mais, depuis Polyeucte, le mollet a pris 
l'embonpoint nécessaire. La danse ne fait pas. 

(1) En Angleterre, Oounod avait arrangé la Fête dt 
JupiUr, comme morceau de concert. 



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SA vœ ET SES (BUVBES 371 

maigrir, et M"" Maiiri, à qui nous devons de si 
gracieuses créations, est restée la prima dona 
du corps de ballet. 

Au théâtre, et non dans la partition, le diver- 
tissement de Polyeucte se termine d'une façon 
originale, sur un accord de septième diminuée 
dont la basse devient la première note du final 
de l'acte. 

Les événements se précipitent. Polyeucte et 
Néarque brisent les idoles, le grand-prôtre Albin 
abat Néarque d'un coup de hache, Sévère protè- 
ge Polyeucte et l'arrache à la mort. Ce final, bien 
conduit, est écrit Selon les fonuules d'usage. 

Les deux derniers actes sont fort courts. Au 
quatrième acte, Polyeucte dans sa prison chante 
les stances de Corneille : 

Source délicieuse en miaère; féconde. 

prière bien accentuée, où l'auteur fait répéter e'i 
reprise la strophe : 

Monde! pour moi tu n'as plus rieni 

Pauline vient supplier son époux de renoncer 
à la religion chrétienne. Duo : Il en est temps 
encore. Scène biblique. L'oratorio reprend ses 
droits. Polyeucte répond en psalmodiant l'Evan- 
gile. L'amour divin l'emporte sur l'amour profa- 
ne. Cher époux ! s'écrie Pauline, et Polyeucte, 
sur une note tenue, lit un passage sujr la nais- 



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373 CUABLK GOUMOD 

sance du Cbriat. L'orchestre éclaire le récit par 
unepastorale.Goanod a reproduit cet effet dans 
une pièce religieuse, la Communion des Saints, 
exécutée à la Société des Concerts du Conserva- 
toire le 19 avril 1889. 

Pauline n'est pas encore touchée de la grâce. 
Elle proteste. — Polyeucte reprend sa lecture. 
Cotte seconde partie du récit concerne la mort 
du Sauveur. L'orchestre s'anime et procède par 
gammes chromatiques. Toute cette scène est 
grandiose. 

Pauline résiste toujours, et Polyeucte, sur des 
vers empruntés à Corneille, adresse à Ûien une 
prière, reprise ensuite à deux voix. 

Sévère intervient. Le duo s'achève en trio : 
Sévère, tpous ici ! Pu trio, nous passons au 
quatuor, par l'arrivée de Félix qui envoie soa 
gendre à la mort. A la gloire ! répond Polyeucte, 
pendant que les soldats l'entr^nent, et que 
Pauline tombe aux genoux de son père, en 
criant : Grâce l 

Au cinquième acte, une place publique, âq 
fond, les arènes. Le peuple réclame la mort des 
chrétiens. Chœur : Les chrétiens à ta mort ! 
Polyeucte s'avance, entouré par les licteurs. Ua 
centurion donne lecture ,do l'arrêt q«i le 
condamne au supplice. Polyeucte, en face do 
trépas, entonne le Credo, morceau capital de 
l'acte, écrit nécessairement en style religieux. 
Qu^onlemène à la mort! répond, le chœur. 
Pauline se précipite et se déclare chrétienne. 



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SA TIE ET SES ŒUTBBS 373 

Elle se jette dans les bras de son époux. Là, te 
compositeur a ménagé un incident plein de 
charme, et qui fait contraste avec la musique de 
choral. Un cri du cœur jaillit des lèvres de 
Pauline, sur ces mots : 

Te revoir, et t'aimer, et te suivre... 

L'auteur de Faust reparaît dans la musique. 
Mais le choral vient éteindre cette lueur fugitive. 
Le Credo est repris à deux voix (Polyeucte, 
Pauline), entrecoupé par les cris de la foule : A 
la mort ! Les arfines s'ouvrent. On entraîne 
Polyeucte et Pauline au supplice, et le rideau 
tombe SUT la phrase si heureusement modulée 
dans l'ouverture. 

Polyeucte ne fut pas un succès. Les recettes 
n'indemnisèrent pas l'Opéra des sacrifices énor- 
mes auxquels avait donné lieu la mise en scène 
de l'ouvrage. En matière artistique , le bénéfice 
pécuniaire n'est pas un critérium; infaillible. 
Polyeucte ne passionna pas le public. Gounod au 
contraire s'était épris de son sujet. Sa correspon- 
dance intime témoigne de l'ardeur et do la 
conviction qu'il avait mises à composer son 
ceuvre. Noua y puisons les quelques passages 
suivants : 

■ 10 AOUT 1ST1. Je suis, en ce mcrment, en train d'ins- 

tramenter le songe de P&uline. C'est; bien întéreBSunt ! ■ 

t 17 AODT 1871. Je viens de terminer l'orchestration du 



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374 CHABLBS GOCNOD 

petit chœur de Côte qu'Harr; aime tant : Qiu la myrl» »t 
ta rott... Cela me met dana Pompéî , et de Ih h Capri , il 
n'j a pas loin. Mon cher Capri ! ■ 

• W AOUT 1871 . Je viens de reorcheatrer l'invocation à 
Veita, sana cependant changer one note à l'idée, ni à 
rharmouie ; mais les timbres sont modifiés. Voas verres 
quelle Jolie sonorité cela aura 1 J'ai orchestré le petit 
chœnr de fête, la cavatine de Sëvdre qui le suit, et 
mfdntenant Je tiens le grand duo de Paoline et Sévère 
qui vient après Veata. Si vous voyiez comme cela mar- 
che bien I Je suis tout heureux de sentir comme l'instru- 
mentation sera claire. ■ 

( 12 sBPToaaB 1871. Je me suis remis it l'orchestre de 
mon cher Potj/eucte. Je tiens en ce moment le duo du 
premier acte. Il est long, et je voudrais bien pouvoir 
l'aoliever avant de partir d'ici. S'il ne vient pas ^ mon 
gré, je prendrai celui que j'avais laissé en train en quit- 
tant Tronville... > 

■ 18 SGPTEMBBB 1871. Je suis en ce moment sur le 
premier duo (Pauline et Polyencte). Il est lODg, et cela 
demande du temps pour être orchestré. D'ailleurs, je 
n'orchestre pas avec des formules toutes fûtes d'avtotce, 
des recettes, des procédés de convention, des ficelles I 
Je tdche de faire parler les iaatraments, et cela aussi 
est de la composltioQ... etc. > 

Polyeucte, nous le répétons, o^ une œuvre 
qui mérita l'attention des musiciens. On sent 
chez l'anteur une application soutenue, un eff6rt 
constant vers le beau. Si l'eSbrt n'atteint pas 
toujours le but, si dans la carrière du M^tre 
l'ouTrage ne peut être considéré comme un 
progrès, Polyeucte ne fait cependant pas déchoir 
l'auteur de Faust. 



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SA VIB ET SES ŒOVKE& 



LE TRIBUT DE ZAMORA 

n serait plus exact d'intituler ce chapitre : 
Autour du Tribut de Zamora. Cette longue 
partition est l'ouvrage dramatique le moins inté- 
ressant, qu'ait produit Gounod, et nous trouvons 
inutile d'en faire l'analyse détaillée. La musique 
en est claire et limpide, trop limpide peut-être : ' 
elle se distingoie par un style mélodieux, par une 
facture correcte, mais le Tribut de Zamora fut 
considéré comme une œuvre rétrograde. Est-ce 
lassitude, est-ce au contraire une protestation du 
musicien contre l'école de Wagner ? Nous ne 
saurions'le dire. Gounod a composé quatre actes, 
entièrement écrits selon des formules tombées 
depuis longtemps en désuétude. Le Tribut de 
Zamora causa dans le public un étonnement 
général, nous pourrions presque dire une désil- 
lusion. Par îe style et par les formules, par les 
procédés et par la découpure des morceaux, la 
partition nous reporte à rancien régime. C'est un 
grand opéra conçu tantôt en opéra-comique, 
tantôt en opéra italien. Sous ce rapport, il n'y 
manque rien, pas même le traditionnel coup de 
cymbales frappé dans les ensembles, au point 
culminant du Crescendo, le Dsing /... après lequel 
tout s'apaise, tout diminue, comme daxts le beau 
sextuor de Lucie. 



n,gti7cdT:G00glc 



376 CIIABLE5 OOUNOD 

Cbose singulière I Oounod avait débuté en 
1851, à l'Opéra, par Sapho, et l'on avait deviné 
nn précurseur. Sapho, nous l'avons fait remar- 
quer, était en avance sur son temps. En 1881, 
dans le dernier ouvrage dramatique qu'il ait fait 
représenter, le musicien prend une direction 
inverse. Gtouuod compose une œuvre sous une 
forme qui nous rejette en arrière. Le Tribut de 
Zamora n'eut pas mfime ce qu'on appelle le 
succès d'estime. 

Cette partition, elle aussi, a son histoire, his- 
toire moins romanesque que celle de Polyeucte. 
Le livret, écrit par MM. Brésil et ûennery, avait 
séduit M. Halanzier, directeur de l'Opéra. II y 
trouvait, à tort ou à raison, des situations dra- 
matiques, bien faites pour favoriser la mise en 
scène et émotionner le spectateur. Il s'adressa 
d'abord à Verdi, et lui demanda de composer la 
musique. L'illustre maestro accepta en principe. 
Toutefois Verdi voulait acquérir le scénario, afin 
d'ôtre seul propriétaire de la pièce. Il offrit 4,000 
francs. On dit que M. Bennery, habitué à toucher 
de l'Ambigu de plus fortes sommes, refusa cette 
offre comme étant trop modique. Bref, on ne pat 
s'entendre. M. Halanzier se retourna vers Gounod 
qui s'empressa d'accepter et de se mettre à l'œu- 
vre. A la fin de l'année 1879, les principaux mor- 
ceaux étaient écrits, et l'auteur se proposait de 
terminer son œuvre pendant les répétitions. On 
allait commencer les éludes, quand le succes- 
seur de M. Halanzier, Vaucorbeil, s'aperçut que 



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SA. VIK BT SES ŒUVRES 377 

la partition était trop incomplète. Gounod de- 
manda un délai sur lequel on se mit d'accord. 

Par une lettre publiée dans lea journaux, et 
portant la date du 18 septembre 1879, Gounod 
déclarait qu'il désirait donner à son œuvre uu 
plus grand développement musical, et il deman- 
dait un sursis au Directeur de l'Opéra, ajoutant : 
• Vous êtes trop artiste et trop mon ami, pour 
ne pas être à l'unisson de mon désir... ■» Le même 
jour, Vaucorbeil répondait ; « Quels que soient 
les graves embarras que va me causer le retrait 
momentané de votre partition, la perfection de 
l'œuvre avant tout ! Je vous accorde donc le délai 
que vous me demandez. » 

Les études furent reprises au bout d'un an 
environ. Les répétitions furent très laborieuses. 
Après bien des hésitations, des retouches et des 
coupures, le Tribut de Zamora fut enfin repré- 
senté à l'Opéra le l" avril 1881. 

Les rOles étaient ainsi distribués : Ramire, Roi 
d'Oviédo (Giraudet). — Ben-Said, Ambassadeur 
du calife de Cordoue (Lassalle). — Hadjar, frère 
de Ben-Saïd (Melchissédec). — Manuel (Sellier). 
— Le Cadi (Sapin). — Hennosa, captive espagnole 
àCordoue (M'" Krauss). — X^ma, fiancée de 
Manuel (M'' Daram). — Iglésia, enfant trouvé 
(Mlle Janvier), etc. 

Noua serons bref au sujet de la partition. 
Nous nous bornerons à résumer l'intrigue de ce 
mélodrame oriental, et à indiquer, après chaque 
acte, le catalogue des morceaux. 



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378 CaAIlt,BS QOUNOD 

Ancien acteur de mélodrame, M. Brésil, qui a 
écrit le livret de Si fêtais Roi, est, avec M-Den- 
nery, l'autear du Tribut de Zamora. Nous ne 
savons à qui attribuer les vers du poème, si 
teutefoia on peut qualifier de poème un drame 
écrit sous une forme peuljrique.Les vers en effet 
semblent n'être que la parodie d'une œuvre 
poétique. C'est de la prose rimée. 

L'action se passe, au premier acte, sur ace 
place publique d'Oviedo, et, aux actes suivants, 
â Cordoue. Nous sommes en plein IX* siècle. 

X^ma, que l'on croit orpheline, ' est fiancée i 
Manuel, un jeune soldat espagnol. Selon l'nsag-e, 
on vient offrir des bouquets & la jeune fille, quand 
une fanfare se fait entendre. Ce sont les Arabes 
qui, sous la conduite de Ben-Saïd, envahissent 
le théâtre. Ils sont envoyés par le calife de Cor- 
doue pour réclamer le Tribut de Zamora, c'est-à- 
dfre le Tribut de cent viei^es que les Espagnols 
doivent payer pour la rançon de leur terrible 
défaite. Les Espagnols murmurent. Xaïma, 
vêtue en mariée, proteste plus énergiquement 
encore. Née parmi les Zamoriens, elle se rappelle 
la bataille, la mort de son père, l'enlèvement de 
sa mère parle vainqueur. Ces protestations ne 
peuvent fléchir le chef des Arabes, Ben-Saïd, 
qui s'éprend de Xaïma, et réclame de plus belle 
le Tribut. Les jeunes filles se rassemblent au son 
des cloches. On procède au tirage au sort. Fata- 
lité I Le nom de Xaïma sort le premier de l'urne. 
Ben-Saïd emmène la fiancée de Manuel, sous les 
yeux de son rival désespéré. 



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SA VIE ET SES ŒUVBES 379 

Catalogue du prbmiee acte : Prélude fugué.— 
Chœur d'introduction : Au vieux pays de Can- 
tabrie.—AnhBide de Manuel à sa fiancée ; O blanc 
bouquet de l'épousée. (Manuel XEuma). — Entrée 
des Arabes ; récitatif de Xaima. — Cavatiue de 
Ben-Saïd : Quel accent l Quel regard ! Une 
partie de cette cavatine a été retranchée à la 
représentation. — Duo des deux fiancés : Ojoie 
immense ! (Manuel.Xaîma). 

Chceur : Entendez-vous les cloches ailées, 
accompagné d'un carillon de trois notes, comme 
dans VArlésienne. Ce carillon à trois temps 
persiste, quand bien même la mesure, vers la fin 
du morceau, change et devient, pour l'orchestre 
et le chœur, une mesure à quatre temps. Ce 
mélange de rhythme produit un effet très original. 

Final : Quoi, vous oses proférer des menaces 
de mort! ('Ben-Saïd). — Le peuple se joint à 
Manuel pour chanter l'Hymne National : Debout 
enfants de VIbérie ! 

Au second acte, les Arabes attendent, devant 
Cordoue, l'arrivée des cent vierges. Hadjar, le 
frère deBen-Said, soldat et poète, dit une chan- 
son, une Kassidah. Il est interrompu par Her- 
mosa, une pauvre folle, captive de Zamora. C'est 
une Espagnole qui est échue par le sort à Ben- 
Saïd^mais elle est partout respectée,selon la pres- 
cription du Coran : 

Tiens pour saiata lea fous, sinon sois maudit I 



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380 CHABLBB GOUN'OD 

fien-Saïd fait son entrée triomphale avec son 
précieux Tribut. Manuel, déguisé en soldat arabe, 
a pu suivre incog^nito le convoi. A Cordoue, il est 
aussitôt reconnu par Hadjar, qu'il a épargné au- 
trefois dans un combat. Hadjar doit la vie au 
jeune Espagnol. Il le presse dans ses bras te le 
prend sous sa protection. Manuel lui avoue qu'il 
est venu pour racheter Xaïma, sa fiancée. La 
vente publique des cent vierges a lieu par le mi- 
nistère du Cadi. Un duel aux enchères s'engage 
entre Manuel et Ben-Saïd. Celui-ci reste le plus 
fort enchérisseur, Xaïcna.luî est adjugée , et il 
l'emmène dans son palais. 

Cataloque nu second acte : Chœur à quatre 
voix d'hommes, Fêtons; fêtons C anniversaire. — 
Chanson d'Hadjar : La flèche siffle l — Scène et 
air de la folie. (Hermosa). — Marche et chœur : 
Sonnei clairons. Arrivée du Tribut. — Duo : Je 
connais cet homme. (Manuel, Hadjar). — Marche 
des captives. — Chœur des acheteurs arabes : 
Ah 1 quelle moisson fortunée ! — Trio : Le temps 
des épreuves cruelles. (Xaïma Manuel, Hadjar). 
— Récit et scène ; seule en ce lieu ! (Hermosa 
Zaïma). — Final de la vente, et reprise de la 
marche. 

Le troisième acte se passe dans le Harem. 
C'est naturellement l'acte du ballet. Au lever du 
rideau, les femmes sont couchées sur des cous- 
sins. Ben-Said paraît avec Xaïma. Le chef arabe 
offre une fête à la jeune fille. Après le ballet. 



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SA VIE ET BES ŒUVRES Sèt 

Hadjar veut essayer de délivrer la prisonnière. 
II introduit Manuel dans le palais, présente à 
Ben-Saïd le soldat chrétien à qui il doit la vie, 
et supplie son frère de rendre Xaïma à son fiancé. 
Rien ne peut fléchir le chef arabe. Bei^Saïd et 
Manuel, les deux rivaux, sont en présence. Ils 
dégainent. Manuel est désarmé, et il va périr. 
XfULQia se précipite entre les combattants, et, 
grâce à ses prières, Ben-Saïd pardonne à son- 
adversaire. 

Vient ensuite la scène principale de la pièce, 
le grand duo entre Hermosa et Xaïma. La foll» 
raconte à la jeune fîUe les iocidents i» la bataille 
deZamora. Dans son délire, elle chante l'Hymne 
National, une sorte de Marseillaise. Les deux 
femmes échangent leurs souvenirs. Peu à peu, la 
folie d'Hermosa se dissipe. Elle reconnaît en 
Xaïma l'enfant qu'elle croyait avoir perdue. Coup 
de théâtre ! Ciel, ma mèref La jeune fille se jette 
dans les bras d'Hermosa, et le rideau tombe. 

CAIàLOOUE DU TROISIÈME ACTE. — ChœUr deS 

femmes du sérail : heureuse vie. — Ballet précédé 
d'une barcaroUe non chantée; l'orchestre l'exé- 
cute seul. Valse; danse Grecque, Arabe, Espa- 
nole et Italienne; Pas des guirlandes. Pas des 
pointes; toutes les herbes de la St-Jean. — Ro- 
mance de Ben-Saïd : Je m'efforce en vain de te 
plaire. Trio : (Manuel, Ben-Saïd, Hadjar), je 
veux ta fiancée. — Scène du duel, pendant la- 
quelle un chœur de soldats chante à l'unisson. — 
Grand duo final entre Hermosa et Xaïma. 



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382 CHARLES GODNOD 

Hermosa recoDDait sa fille, et cette scène est 
Traiment dramatique. M" Krausa, tragédienne 
et cantatrice à la fois, chante l'Hymne National 
avec des inflexions de voix différentes. Tant&t 
la Toix est éclatante, tantôt elle prend un accent 
sourd et lugubre. La mélodie est vulgaire; c'est 
un pas redoublé. Mais le jeu de l'artiste excita 
un tel enthousiasme à la première représenta- 
tion, que GouDod.qui dirigeait l'orchestre, tendit 
la main à son interprète par dessus le pupitre, au 
bruit des applaudissements do toute la salle. 

Au quatrième acte, les jardins de Ben-Saïd. 
Effet de lune. Manuel a escaladé le mur d'enceinte. 
Armé d'un poignard, il veut tuer sa fiancée, et 
se frapper ensuite. Hermosa vient déjouer ce noir 
dessein. Elle tente un dernier effort pour fléchir 
Ben-S^d. Elle l'implore en vain. Le chef arabe 
garde Xaïma, et il ordonne que Manuel soit 
reconduit immédiatement, sous bonne escorte, 
jusqu'à Oviedo. C'est alors qu'Hermosa, pour 
délivrer sa fille, s'empare du poignard de Manuel 
et le ploDge dans la poitrine de Ben-Saïd. Le 
Coran protège encore la pauvre folle, les soldats 
l'épargnent, et Manuel s'enfuit avec Xaïma en 
bénissant le Seigneur-Bieu. 

Catalogue du quatbième acte : Introduction ; 
et eavatine de Manuel : J'ai pu, la nuit venue. 
— Duo : (Xaïma, Manuel) Vois déjà les deux! — 
Komance d'Hermosa : Tu trouves donc que ce 
n'est pas asses f et trio (Xaïma, Hermosa, Ma- 



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BA. VIE ET SES ŒUVRES 383 

nuel).— ' Duo (Xaïma, Ben-S^d), et romance da 
Xaïma en deux couplets : Que les vœux tes plus 
doux. — Scène finale : Arrière la follet 

Le Tribut de Zamora fut reprù à l'Opéra, au 
mois de mars 1885. Sellier conservait le rôle qu'il 
avait créé. Les autres interprètes étaient M"* 
Dufrane dans le rôle d'Hermosa, M"* Isaac, MM. 
Melcbissédec, Caron, etc. Cette reprise n'eut pas 
pins de succès. L'impression générale resta la 
même. Mais la plupart des journaux se montrè- 
rent indulgents pour l'œuvre. II est curieux de 
relire les principaux feuilletons après la première 
représentation. Ou sent que les critiques ne veu- 
lent pas dire le fond de leur pensée. 

La Presse musicale, comme la Presse poli- 
tique, n'a pas toujours sa pleine liberté d'appré- 
ciation. Berlioz lui-même a avoué qu'il n'avait 
pas son franc-parler dans le Journal des Débats, 
et cependant, de tous les critiques, Berlioz est 
eelui qui se gênait le moins. Dans un précédent 
chapitre, nous avons fait allusion au feuilleton 
élogieuï qu'il avait publié sur la Reine de Saba, 
après la première représentation de cet opéra, ea 
1862. Eh ! bien, voici ce que Berlioz écrivait, à 
la môoie époque à son ami Morel : 

< Je voti9 écris aa milieu d'un de cas abominables 
feaîlletons, dont on ne sait comment se tirer. Je cherche 
h soutenir ce malheureux Gounod qui vient de faire un 
fiasco comme ou n'en Vit jamais. It n'y a rien dans sa 
Reine dt Saba, absolument rien I Comment soutenir C9 



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384 CHARLES GOVKOD 

qui n'a tii ou, ni miuoles? Kt pourt&nt, il faut que je 
trouve quelque chOBe k louer ! Le poème est au-dessous 
de tout. Cela n'a pas l'ombre d'iatérët ni de bon sens. 
Et c'est son troisième jiasoo 11 l'Opéra. (Saj>Ao, U tfimn» 
tanglante, la Raint it Saba). Bhl bien, U en fera on 
quatrième !...» 

Ce qui fait dire à M. ÂdolpUe Julien dii 
journal te Français : t Polyeucte est le quatrième 
ouvrage de M, Gounod représenté d'origine à 
l'Opéra. Berlioz avait préyu Polyeucte, mais il 
n'avait pas prévu le Tribut de Zamora. » 



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CtmPQSITIfflS RELIGIEUSES ET COMPOSITIONS DIVERSES. 
LES CATALOGUES ET LES EOtTEURS.— CONCLUSION- 



Laissons le Tribut de Zamora. Faisons un 
long retour en arrière pour revenir à Rome en 
1840, et retrouver Gounod pensionnaire do la 
Villa Médicis. 

A cette époque, l'art musical semblait primer 
les autres arts à l'Académie de France, dont 
Ingres était directeur. Tout fier de son talent de 
violoniste, le célèbre peintre préférait ÇLuelq^uefois 
son archet à ses pinceaux, et les concerts étaient 
fréquents à la Villa. Gounod était spécialement 
chargé d'organiser les séances de musique, et 
d'en composer les programmes, sous la condition 
expresse de proscrire les œuvres de Rossini. 
Ingres, comme on sait, avait pris en grippe la 
musique du maître italien. Il ne voulait rien 
entendre de lui, sauf le Barbier de Séville. 



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386 CHABLHS OOUNOD 

C'était le seul opéra qn'U pardonnait à Rossiaî. 
Tous les autres, y compris CuiUaume-Tell, 
horripilaient M. Ingres. Mais Gounod, en mali- 
cieux imprésario, trichait sur les prog;rammes. U 
attribuait h Mozart certaines oaavrea de Rossini, 
et Ingres, sons cette glorieuse étiquette, admi- 
rait s ns marchander. 

En 1840, le séjoar à Rome des lauréats do l'Ins- 
titut était d'autant plus agréable que M. et M"* 
Hensel étaient les hôtes assidus de la Villa 
Médicis. 

Fanny Mendelssohn, la sœur de Félix Mon- 
delssohn Bartholdy, avait épousé Guillaume 
Hensel, le peintre do la Cour du Roi de Prusse, 
et, en 1840, elle faisait un voyage à travers 
l'Italie, en compagnie de son mari. Les deux 
époux séjournèrent plusieurs mois à Rome, et ils 
recurent à l'Académie de France l'accueil le 
plus courtois et le plus chaleureux. Fanny était 
une musicienne accomplie. Femme charmante 
et distinguée, pianiste émérite, elle séduisit les 
jeunes lauréats qui s'empressaient autour d'elle, 
et lui faisaient une cour tout artistique. 

Parmi les plus chauds admirateurs de sou ta- 
lent et de son esprit, on remarquait d'abord Gou- 
nod, ensuite Bousquet etDugasseau. Nous con- 
naissons Bousquet, Prix de Rome pour la musi- 
que en 1838 (1). Quant à Dugasseau, peintre 
amateur, il a moins marqué dans les arts. Il était, 

(1) V. notre premier chapitre. 



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6A. VIE ET BES ŒUVRES 387 

dans ces dernières années , Conservateur du 
Musée de la ville du Mans. 

Gounod, Bousquet, Dugasseau formaient une 
trinité sur qui la nature éminemment artistique 
de Fauuy Mendelssohn exerçait un ascendant 
notable. Fanny trônait pour ainsi dire à la Villa. 

On a publié récemment à Paris la correspon- 
dance do M"" Hensel (1), où nous relevons las 
passages suivants relatifs à Gounod : 

• 23 AVHiL 1840 : ... On ne saurait s'imaginer un 
publie plus ftttentif que Gounod, Bousquet et Dugasseau ; 
ils se souviennent de chaque note que je leur ai jouée il 
j a quelques mois. . . Oounod est passionné pour la musi- 
que. Cn auditeur tel que lui est une bonne fortune. Mon 
petit air Vénitien l'enchante. Il a également une prédi- 
lection pour la romance en si mineur, faite ici à Rome 
pour le duo de Félix, son capricio en ta mineur, et surtout 
pour le concerto de Bach qu'il m'a fait Jouer et rejouer 
plus de dix fois. * 

Plus loin : 

■ Samedi soir, j'ai fait de la musique à mes hdtee, et 
leur ai joué entr'autrea choses le concerto de Bach. Ils 
ont beau le savoir par cœur, leur enthousiasme va cru- 
cendo. Ils m'ont serré et baisé les maina, particulière- 
ment Gounod qui est d'une expansion extraordinaire ! 
Il se trouve toujours il court d'expression, quand il veut 
me faire comprendre quelle influence j'exerce sur lui, et 
combien ma présence le rend heureux. Nos deux français 



(l) Fanny liendelaaohn , d'apris les mémoires de sni 
E. Sergy. Paris 1888.— V. aussi uns série d'articles pkrus à ce 
le Gaide tytutical de Bruxelles ea septembre et oelobre iSSB. 



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388 CHARLES OOUNOD 

forment ua contraste parAùt : Bousquet eat d'une sature 
c&lme et correcte ; Qounod est pusionné et romantique 
à l'excds. Notre musique allemande produit sur lui l'effet 
d'une bombe qui édatenùt dans une maison. Jugez du 
désarroi ! » 

* 8 iiÂi 1840 : Nos Français ont paaeê la soirée avec nous. 
Ils s'intitulent les trois caprices : Bousquet est le caprice 
en la, Gouaod le caprice en mi, et Dugasaeau le caprice 
en jj bémol... Quanta Qounod, la musique allemande 
le trouble et le rend h moitié Tou. En général, Gounod 
meparatt peu mfir encore. Je ne connais de lui qu'un 
scherzo de peu de valeur qu'il m'a demandé la permis- 
sion de m'offrtr. t 

■ 13 MAI 1840 : Je joue ainsi tout Pidélio et bien d'au- 
tres choses encore. J'exécute la sonate en ut mineur de 
Beetlioven. Gounod était fou d'enthousiasme, et il finit 
par crier ; Beethoven est un polisson! (1) Sur quoi ses 
amis, Jugeant qu'il était temps de le mettre au lit, l'em- 
menèrent. . . > 

Et, dans son délire, Gounod, plein d'ivresse 
musicale, se laissait conduire au lit, sans résis- 
tance. La chambre qn'il occupait à l'entresol 
donnait sur les jardins. C'est là, dans ce petit 
logement garni du piano traditionnel, que le 
futur auteur de Faust bq berçait de rêveries. 

A la Villa Médieis, on faisait des farces comme 
au collège. Que de fois les camarades de Gounod 
vinrent interrompre les pensées du jeune com- 
positeur I « Gounod, criait-on d'en bas, une 
femme vous demande I » Cette femme, c'était 



(1) Que le lecteur ne s'effarouche pas de ce mot de : 
folmon. C'était ou cri d'admiration! 



n,g -ccT'GoOgIc 



SA- TIE ET SES ŒUTUES 389 

UQ lauréat de llostitat, affublé d'un japon et 
couvert d'une mantille. Gounod s'était d'abord 
laissé prendre à cette plaisanterie. 11 avait 
ouvert sa fenêtre, et, après sa fenêtre, sa porte. 
La farce fut renouvelée, mais le compositeur se 
mit en méfiance. Il n'ouvrait plus ni porte, ni 
fenêtre. Il se calfeutrait. Un soir, il refusa de 
recevoir M. et M"" Hensel. II prenait Fanny 
Mendelssobn pour un Prix de Rome "déguisé. 

On ne s'ennuyait pas alors h l'Académie. 
Fanny appelait familièrement !e Uirectenr : Papa 
Ingres. « Il est an septième ciel, écrivait-elle, 
de pouvoir faire de la musique à cceur-joie, et 
d'accompagner les sonates deBeethoven.v Ingres 
de son cdté était plein de bienveillance et d'ami- 
tié pour ses jeunes pensionnaires. Il crayonnait 
Gounod, et il lui donnait le médaillon de Mozart, 
avec cette dédicace : à Charles Gounod, jeune 
compositeur déjà célèbre; souvenir affectueux 
d'Ingres. 

Aux séances musicales, et aux concerts impro- 
visés, se joignaient d'autres distractions. On 
excursionnait dans la campagne, aux environs 
de Rome. Gounod, aussi ardent que leste, montait 
aux arbres pour cueillir des fleurs qu'il offrait à 
Fanny. C'étaitle boute-en-train de ces parties 
champêtres. Un jour il tomba malade, et ne put 
se joindre à la promenade avec ses amis. « — Je 
l'ai regretté, écrit Fanny, car peu de personnes 
savent plus sincèrement et plus follement s'a- 
muser que lui.— » 



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390 CRABLEB OOCNOD 

Hélas t Fanny dut quitter bientôt la Villa 
Médicis pour continuer son voyage à travers 
l'Italie. La nouvelle de eon prochain départ caosa 
un véritable deuil dans toute l'Académie. De son 
c6té la jeune femme éprouvait un réel cbagrin à 
l'idée de se séparer de ses amis : 

■ .... Pour ne pat fondrt en tar met, écTÎt-éilo, ie me sma 
BBsise an pisuo et j'ai joué l'allégro de la Sonate en la 

majeur de Beethoven Bl&asser at Easelowskj ear- 

vinrent au moment où Qounod implorait à getwux la 

favenr d'entendre l'adagio de In Sonate en fa mineur 

Vers deux heures nos tiQtes se retirèrent ; nous étions 
très émus, & la fois lieureax et tristes. > 

En quittant la Villa, M"' Hensel, dans une de 
ses lettres, nous montre un Gounod tout pénétré 
de l'exaltation religieuse : 

( Bousquet nous a confié, chemin faisant, ses craintes 
au sujet de l'exaltation religieuse de Gounod depuis 

qu'il subit l'ascendant du père Lacordûre Dêj^, son 

éloquence av^t groupé, l'hiver dernier, autour de lui 
une partie de la jeunesse. Oounod, d'un caractère faible 
et d'une nature impressionnable, fut gagné dès l'abord 
par la parole vibrante de Lacordaire ; il vient de a'enrO- 
1er dans l'association dite de Jean l'EvangéUsU, exclusi- 
vement composée de jeunes artistes qui poursuivent la 
régénération de l'humanité parle moyen de l'art. L'asso- 
ciation s'est accrue d'un grand nombre de jeunes gens 
des premières familles romaines ; plusieurs d'entre eux 
ont renoncé à leur carrière pour entrer dans les ordres. 
Bousquet a l'impression que Gounod, lui aussi, est sur 
le point d'échanger la musique contre te froc. » 

C'est ainsi que Gounod, l'ancien, élève de 



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EA TIB BT SES ŒUVRES 391 

Lesueur, Gounod que nous avons vu à Paris, au 
collège Saint-Louis, annoter de musique tous ses 
cahiors d'écolier, avait subi à Rome le charme et 
l'ascendant de la femme. Fanuy l'avait initié 
aux chefs-d'œuvre de la musique allemande. Il 
était dominé en même temps par une influence 
bien opposée, celle du Père Lacordaire dont il 
suivait assidûment les conférences. Les olïïces de 
la chapelle Sixtine l'attiraient. Il y cherchait les 
émotions religieuses et les émotions musicales. 
Tout d'abord la musique liturgique ne fit pas sur 
lui une grande impression. Elle lui parut froide. 
C'est anti-sensuel, disait-il. Peu à peu, ces 
chants religieux l'étounent, lo troublent et le 
captivent. Le triomphe est complet. 

Gounod avait re^u un double choc, l'Eglise et 
le Monde, le Ciel et l'Enfer. Le compositeur, lui 
aussi, entend des voix intimes. Il est pénétré de 
ces accents mystiques. L'acte du jardin de 
FaMsfs'élabore dans sa pensée, et comme à son 
insu. Ce combat entre la vie religieuse et la vie 
mondaine, auquel nous avons déjà fait allusion, 
accentue les tendances de l'artiste, et modifie le 
physique même de l'homme. Gounod se façonne 
aux attitudes du moine, sans rien perdre de 
l'allure dégagée du Lauréat de l'Institut. C'est 
le Janusbi-fons des temps modernes, a dit un 
critique, et ce critique compare le musicien à un 
pèlerin encapuchonné, armé d'un bâton, s'en 
allant le longdes routes poudreuses pour implorer 
des indulgences à Rome. Le même critique, 



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393 CHABLES OOUNOD 

M. Arthur Haulhard.ajoute : « — Goanod a voulu 
tâter du petit collet... Où l'auraient mené ses 
velléités monastiqaesT Je ne sais. Sa vocation 
me paraît superâcielle. 11 est homme à organiser 
un cotillon dans un cloître. Je ne le vois pas 
enfermé à la Trappe. Au moment de prononcer 
le sacramentel : Frère, il faut mourir l il s'écrie- 
rait : Sœur, il faut danser I — et je suis bien 
honnête pour la sœur. — > 

Les convictions religieuses de Goaaod ont 
cependant paru toujours sincères. Le Maître a 
gardé quelque chose de l'apôtre, et de l'apôtre 
convertisseur. Sa science liturgique est des plus 
solides. Il a étonné le Père Didon par ses connais- 
sances en théologie. Le Révérend Père, à la suite 
d'un entretien qu'il avait eu avec l'auteur de 
Faust, s'écriait : Il est plus fort que mol I Gou- 
nodue se contente pas de disserter. Quelquefois 
il agit. Il fait des conversions. Gounod avait 
d'abord essayé de convertir Sarah Bernhardt au 
catholicisme. De ce côté, l'échec a été complet. 
Mais il a réussi à faire tomber la grâce divine 
sur le cœur de M'" Nevada. C'est sur ses instan- 
ces que la charmante virtuose a reçu l'eau du 
baptême, au mois de mare 1884, à l'église des 
Passionnistes de l'avenue Hoche. 

A l'heure actuelle, le M^tre semble se retran- 
cher dans la composition des œuvres religieuses. 
C'était le but qu'il s'était proposé au commence- 
inent de sa carrière. Dans notre premier chapi- 



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SA. TIB BT SBS Œ0TBBS 393 

tre, nous avons parlé de ses premiers ouvrages : 
C'est un Agnus Dei exécuté à Paris, à l'église 
Saiut-Roch, le 29 octobre 1838, le jour de l'auDÏ- 
versaire de la mort do Lesueur ; c'est une messe 
exécutée à Rome le U' Qi^ 1^41 à l'église Saiut- 
Loui0-des-Francais ; à Vienne une messe de 
Requiem à l'église Saint Charles, le 2 novembre 
1843. Nous avgns encore reproduit le compte 
rendu de Louis Viardot sur quelques composi- 
tions de Gounod inscrites au programme du 
concert donné & Londres le l^ janvier 1851. C'est 
un Sanctus et un Libéra me, œuvres de jeunesse 
qui ne tardèrent pas à repasser le détroit. 

Au mois de janvier 1852, le Sanctus et le 
Benediciiis étaient chantés au Concert Sajnte- 
Cécile par Gueymard , M"* Poinsot et le chœur. 
Le Sanctus fut considéré par la critique comme 
un morceau remarquable. On louait surtout le 
crescendo dont Louis Viardot avait fait l'éloge le 
18 janvier 1851, dans son feuilleton. Ce crescendo 
est marqué par les appels de la grosse-baisse, 
instrument peu liturgique, mais qui donne à cette 
composition religieuse un caractère mélodrama- 
tique. 

Nous relevftds encore aux programmes des 
Concerts Sainte-Cécile, un Ave verum chanté 
en 1852 par Masâet. Cedt un morceau pour 
ténor-solo , chœur et orchestre. La musique en 
est pleine de charme et de rêverie mystique. 
Quelque temps après, cet Ave verum était exé- 
cuté avec succès à Cologne. 



n,gti7cdT:G00glc 



394 CH&BLES dOUNOD 

■ Je ne crains pas <ie qualifier eette œuvre d'admirable, 
farîrait J. d'Ortlgue. Accents nobles et touchants , ex- 
pression Traie etpathâtique, Ëmotion pénétrante, parties 
vocales bien fondues entre elles ; instrumentation mys- 
térieuse, sobre d'effets, mais ricbe d'intentions. Toutes 
les qualités supérieorea s'; rencontrent. Pourquoi 1 
Parce que le compositeur ne cherche quli exprimer fidè- 
lement ce qu'il éprouve profondément... etc. » 

L'éloge est complet. 

L'année saivante, en 1853, Gounod dirigerait i 
l'église de St-Germam-l'Âuxerrois une messe à 
trois voix d'hommes composée pour les classes de 
l'orphéon. Cest la messe dite atix Orphéonistes. 
Les morceaux les plus remarqués furent l'O Sa- 
lutaris et VAgnus Dei. Noos avons parlé déjà 
de cette œuvre dans un chapitre préctîdentJ 
(V. Orphéon.) 

Au mois d'avril 1854, à Lyon, on exécutait au 
concert annuel de Greorges Hainl l'oratorio l'An- 
ge et Tobie. C'était une première audition et les 
critiques appréciaient très favorablement cette 
composition, où la science relevait avec éclat 
l'inspiration religieuse. 

Le concert des jeunes artistes hérita des mor- 
ceaux qui avaient été précédemment joués au 
concert Ste-Cécile. Le Sanctus et le Benedictus 
faisaient partie du répertoire ordinaire de la so- 
ciété dirigée par Paâieloup. Ce Sanrfws, exécuté 
pour la première fois à Londres en 1851, a été 
intercalé dans la messe solennelle de Ste-Cécile. 



n,g -ccT'GoOgIc 



SA. VIE ET SES ŒUVRES ■ 395 

Gouuod a composé cette messe pour le septième 
anniversaire célébré à l'église 9aint-Eustache le 
29 noveoïbre 1855 par l'Association des artistes 
musiciens (IJ. 

L'œuvre religieuse de Gounod est importante 
aussi bieo par la valeur musicale des composi- 
tions que par leur nombre. Ce nctmbre est consi- 
dérable.et nous ne pouvons nous arrêter sur cha- 
que ouvrage. Noiis tacherons, par de simples 
mentions, d'en donner un aperçu d'après lès 
catalogues qui vont suivre. 

Gounod a écrit pliisîeilrs me5ses,mais celle qu'il 
a composée en l'honneur de Ste-Ôécile (1855) 
doit surtout fi^er notre attention. Cette compo- 
sition est à l'Œuvre religieuse du Mîdtre ce que 
Faust est à son Œuvre dramatique. La messe de 
Ste-Cécile obtint un légitimé succès. On raconte 
que M. Poirson, l'ancien proviseur du collège 
St-Louis, qui avait si vertement répriipandé le 
jeune Gounod pour avoir couvert tdas ses 
cahieiï de notés et de portées musicales, était 
allé à St-Bustache écouter, derrière un pilier de 
l'église, la composition de son ancien élève. Le 
proviseur mélomane fut enthousiasmé, etj le soir 
même, Gounod recevait de son ancien directeur 



(1) La première mèsBe de Sainte-Cécile, exécutée h St- 
EiistaClie en 1S49, eat de Nièdermejer . C'est-^là belle 
messe en ti mineur. L'exemple de îjiedermejer avait 
été suivi, avant Oounod, par Âdolpbe Adam et AmbroiK 
Tttomas. ' 



n,gti7cdT:G00glc 



.396 CHABL8S OOCNOD 

ès-lettres ua billet ainsi couqu : • Bravo, cher 
homme, que j'ai connu enfant I ■ 

La messe solennelle de Ste-Cécila, 1« premier 
ouvrage de musique sacrée vraiment important 
que Gounod ait fait exécuter à Paris, passe peut 
une des meilleures compositions religieuses écri- 
tes dans ces derniers temps. J. d'Ortigue en est 
aussi enttiousiaste que M. Poirson. Voici les 
louanges que le critique du Journal des Débats 
adresse an compositeur : 

< Qoimod a la idénitude, la fécondité, la largeur, I'odc- 
tion, la aoblesse, le ctdme. Il a le sens des choees litur- 
giques et, je dini plus, il est convaincu ; il croit 1 Le 
Eyrit est une humble et touchante priàre, pleine d'émo- 
tion religieuse. Elle repose sur un dessin périodique des 
violons qai s'enroule giaeieusement sur luI-mSme. Le 
Gtoria est le premier que j'entends qui soit eonforme aa 
vru sens du texte. Je parle des compositeurs modernes, 

des plus illustres même Le Credo est le moneaa 

capital de l'ouvrage, et il doit ea être ainsi dans toutes 

les compositions de ce genre M. Ctoonod a eli l'idée 

d'écrire l'Offertoire pour orchestre leol... CTest on chef- 
d'œuvre de mélodie (mctTuuse, d'harmonie pénétrante, 
d'instrumentatioD exquise. Le Sanctu» ne le cède en rien 

aux belles parties de l'ouvrage h'Agnus Dei, sous le 

rapport du faire et de l'habileté est excellent. La céré- 
monie s'est termiaëe par le Domint salvum, sur lequel le 
compositeur a fait eateudre une mardw militsice qui 
s'agence à merveille avec le plain-chant dont elle est 
néanmoins indépendante; le tout Matenu par u&e soq> 
nerie des cuivres sur les deux notes ré mi, d'un brilUuU 
effet (1). * 

(1) Journal dei Dibfitt, Î7 dJcembru 181(5. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SEB ŒUVRES 397 

Scudo, dont l'esprit à cette époque était relatî- 
vement calme, fît, dans, la Gtuette Musicale et 
daa« la Revue des Deux-Mondes, l'éloge de 
cette messe. — Il remarque- particulièremeat le 
Credo, morceau largement développé qui ren- 
ferme des parties excellentes, entr'autres le Be- 
surexit. Il remarque aussi l'Offertoire intitulé : 
Prière intime. Ce prélude symphonique lui 
paraît traduire d'une manière très heureuse les 
sentiments qu'on doit éprouver à cet instant 
suprême — 

La messe de Ste-Cécile fut esécutée, comme 
nous l'avons dit, le 29 novembre 1855. Tilmant 
dirigeait l'orcliestre, et Gounod les chœurs. Le 
grand orgue était tenu par Batiste. Bussine, 
^ourdan et M'" Dussy interprétaient les solos. 
Une seconde audition eut Ûeu à St-Eustacbe 
!e 13 mars 1856, et, quelque temps après l'œuvre 
était exécutée à Notre-Dame. 

D^uis 1855, la messe solennelle de Gounod a 
fait son chemin dans le monde religieux. Les 
grandes c:athédrales, les églises, tes salles de 
concert ont accueilli , tant en France qu'à 
l'étranger, co bel ouvrage qui est uu des titres 
de gloire du compositeur. 

Noussommesen 1855. Â cettoépoque, Gounod 
travaille à sa partition de Faust. Pendant plu- 
sieurs années, l'art profane l'absorbe ; toutefois, 
il ne délaisse pas la musique sacrée. Plusieurs 
compositions religieuses furent exécutées h 
régÛsQ et dans les concerts. 



n,gti7cdT:G00glc 



398 CHARLES OODKOD 

Ea 1867, la presse musicale anaonçaît, pour 
le 6 juin, l'exécutioii de sa messe en ut mineur. 

Au mois de nsvembre 1876, à Saint-Eustacbe, 
Gounod dirigeait une œuvre nouvelle, sa messe 
do Sacré-Cœur, écrite pour quatre voix, solos, 
choGura et orchestre. Les journaux signalèrent 
les parties les plus remarquables de l'ouvrage, 
le Qui tollis,l9 Crucifixus, le Benedictus et la 
Communion (1). 

À Saint-Eustache, la foule était nombreuse. 
On raconte que l'enfant (Je chœur qui devait 
chanter un solo dans le Benedicftis, n'ayant pu 
pénétrer jusqu'au chœur, Gounod tira la m^- 
trise d'embarras. Le compositeur prit la voix de 
fausset et chanta lai-même le "Benedictus à. 
Saint-Euatache. 

La Messe du Sacré-Cœur produisit un grand 
effet à Anvers, où elle fut exécutée le 4 novembre 
1879, jour de la Saint- Charles. Le succès fut tel 
que le Conseil municipal d'Anvers décida que te 
nom de l'auteur gérait donné à une rue de la 
ville. 

. En 1882, Gounod adressa une lettre au Sénat 
pour demander le maintien du crédit affecté 
dans le budget aux maîtrises des cathédrales. 
C'est une éloquente protestation en faveur de 



(t) La Communion avait été exécutée en 1875, sous le 
titre inexact d'Offertoire, aux Concerts Pasdeloup. En 
1676, elle fit partie des programmes des Concerta da 
Çhatelet. 



n,gti7ccT:G00glc 



ex TIE ET SBS ŒUVRES 399 

renseignement du pl&in-chant. La Chambre des 
Députés avait supprimé le crédit, et le Sénat, 
malgré la lettre de Gouuod, ne crut pas devoir 
le rétablir. 

En 1885, le Maître composa, sur la demande 
de M" Clément, évêque de Constantine et d'H^p- 
pone, un Hymne à Saint Augustin. C'est un 
chœur i l'unisson, avec accompagnement de 
grand orgue. 

Le 35 mars de la mémo année, exécution h 
l'Eglise Métropolitaine de la troisième messe 
solennelle de Gounod (messe de Pâques). «Yoîlà 
une œu-vre faite avec conTÏctiou, avec indépen- 
dance, avec am^our, écrirait M- W^ber dîtns. son 
compte rendu du Temps. ». 

Au mois de juillet 1387, à Reims, exécution 
de la Messe à la mémoire de Jeanne (tArc, où 
routeur se rapproche du style de Palestrina, tout 
en employant les harntonies modernes. Cette 
messe est écrite pour solos, chœurs et oi^e. 
Elle se recommande autant par le style que par 
l'instrumentation. Les seuls instruments d'or- 
chestre emplayés.sont huit trompettes à piston, 
trois trombones et des harpes. Les morceaux 
sont courts. Pas de Credo, L'introduction est 
confiée aux cuivres, dont la sonorité puissante 
est soutenue par celle du, grand orgue. 

Dans cette messe, Gounod fait à l'église ce 
qu'il a fait au théâtre dans le Tribut de Zamora. 
Il abandonne sa première manière, et il vise à la 
simplicité. 



n,gti7cdT:G00glc 



400 GBABLBS aOUNOD 

Nous pourrions citer un grand nombre de piè- 
ces religieosea, chœurs, prières, motets, etc., 
composés par l'auteur de Faust. Cela nous en- 
traînerait trop loin. It faut aussi reconnaître la 
difficulté qu'on éprouve pour bien apprécier la 
•musique d'B^lise dans les détails de la composi-- 
tion. Ces œuvres, pour la plupart, sont écrites 
pour lesvo^x, Elles exigent l'audition (IJ. 



En outre de ses messes et de ses morceaux de 
musique sacrée, Gounod a produit deux grands 
oratorios, deux œuvres importantes : La Rédemp- 
tion et Mors et Vita. 

La Ridemption, trilogie sacrée, contient 24 
chœurs, 33 récitatifs, des solos, duos, trios, qua- 
tuors, et des morceaux d'orchestre. Gounod, & la 
fois poète etcompositeuTf çst l'auteur de la musi- 
que et des paroles. Il a dédié son œuvre à S. M. 
la Reine d'Angleterre. 

L^i Rédemption (n% B^écntéB en 1882 au festi- 
val de Birmingham. On sait que ce festival est 
une institution philanthropique, fondée en 1765 
daps le but de aBbyenir au:n besoins de l'hôpital 

(1) Due des derniàres composItionB religieuses de Goo- 
nod est la Communion det Saints, exécutée en 1889 aux 
concerts du Conservatoire. C'est un morceau d'un senti- 
ment doux et mystique, écrit pour soprano, avec quel- 
C|ueg mesures d'un chœur d'anges, chanté dans la cou- 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRER 401 

de la ville. La première séance eut lieu en 1768, à 
la chapelle St-Paul ; la seconde dix ans plus 
tard, et la troisième en 1784. Depuis cette époque 
les festivals se sont succédé de trois eu trois ans. 
Eu 1834 fut achevée la vaste salle destinée â 
grandes fêtes musicales, le town-hall, qui fi^ 
un rectanfïle, long carré contenant 2000 pi 
environ. C'est, paraît- il, une des meilleures g 
des salles qui existent. L'acoustique y est ex 
lente. La voix du chanteur, même dans ses m 
ces les plus délicates, ne perd aucun de ses eG 
et les eiaemblM ne produisent aucune confus 
On n'en peut pas dire autant de notre salle 
Tïocadéro. 

Le festival de Birmingham est encore trien 
Les organisateurs de ces magnifiques séai 
ont compris qu'il était prudent d'espacer ains 
concerts, qui, trop rapprochés auraient rai 
peut-être le zèle des souscripteurs. C'est une i 
table orgie musicale. Le concert dure de 11 1 
res du matin & 3 heures de l'après-midi, ] 
reprendre de 8 heures à 11 heures du soir. Oi 
a pour son argent. 

Afin de donner une idée de la composition 
l'orchestre, nous mentionnerons le nombre 
instruments à cordes. D'ordinaire, il est de 
La salle est pourvue d'un orgue gigantest 
œuvre du facteur anglais Hill. Les chœurs c 
prennent 95 sopranos, un grand nombre de c 
traltos, 95 ténors et 80 basses, en tout 370 c 
ristes environ. 



n,gti7cdT:G00glc 



402 CHABLBS QOirNOD 

C'est avec de pareils moyens d'exécution que 
La Rédemption fut donnée, pour la première 
fois, en Angleterre, sous la direction de l'auteur. 

La partition est précédée d'un commentaire de 
Gounod : « Cet ouvrage, dît-il, est l'expression 
des trois grands faits sur lesquels repose Tezis- 
tence de la Société chrétienne, et qui sont : 1" la 
Passion et la mort du Sauveur; 2° sa vie glorieuse 
sur la terre depuis sa Résurrection jusqu'à son 
Ascensîoa ; 3* la diffusion du christiaiiisme dans 
le monde par la mission apostolique. Ces trois 
parties de la trilogie soAt précédées d'un prolo- 
gue sur la Création, la chute de nos premiers 
parents et la promesse d'un libérateur. * 

Le prélude instrumental ^prim^ le chaos. 
Accords dissonants. Le prologue se termine par 
un choeur céleste. ■ Pans ce prologue, dit l'au- 
teur, apparaît par trois fois la mélodie typique 
de l'homme-Bieu -Rédempteur. » Cette mélodie 
reviendra encore dans l'Oratorio. Elle ne manque 
ni de noblesse, ni de grandeur. C'est sans doute 
pour produire un contraste que l'auteut a donné 
à cette phrase un accent et un caractère qui 
semblent plutôt convenir à un opéra qu'à une 
œuvre religieuse. 

La première partie, intitulée le Calvaire, con- 
tient notamment une marche instrumentale, 
la Montée au Calcaire, suivie d'un chœur de 
femmes dont la mélopée est accompagnée du 
Vexilla Régis. Cette mélopée se combine ensuite 
avec la marche précédemment entendue. Après 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE ET SES ŒUVRES 403 

le Crucifiement, Marie est au pied de la Croix. 
La complainte qu'elle chante est accompa- 
gnée du Stabat Mater. La mort de Jésus 
signalée par le tremblement de terre. L'orcl 
tre est chargé, par des successions harmooiqi 
d'imiter le bruit du cataclysme, et de doc 
l'impression des ténèbres. La première pa 
finit par un ohorat. C'est l'adoration de la Cr 
Deuxième partie : de la Résurrection à l'Asc 
sion. Elle s'ouvre pat un chœur prophétie 
Orchestre, orgue, solo de cor, appel? de tr* 
pette. Le chœur annonce la résurrection. L'ai 
apparaît aux saintes femmes agenouillées 
vant le tombeau. Mélopée ; 

Pourquoi parmi les morts eherchez-voas un Tivanl 

• Cette mélopée, dit l'auteur, est soutenue 
une combinaison harmonique dans laquelle 
dessus et les basses d'orchestre s'éloignent co 
tamment par une progression harmonique 
sens contraire, jusqu'au moment où sur ces n 
il est ressuscité, le chant et la basse franchiss 
subitement un espace de tierce, exprimant a: 
que le Christ, par sa puissance divine, a triom; 
du tombeau et de la servitude de la mort. » 

On voit quelle importance Gounod, dans 
passage, a donnée à l'intervalle de tierce t 

« A la fin de cette seconde partie, dit enc 
l'auteur dans son commentaire, neuvième et d 
nière apparition de la mélodie typique, empi 



n,gti7cdT:G00glc 



404 CHABLBS OOUNOD 

tant tout l'orchestre à l'aaisson et soateaae par 
les accords da grand orgue tout entier. • C'est 
l'Ascension. 

Cette seconde partie est écrite dans ua style 
plus Tigourenx que la première. Klle forme un 
heureux contraste. Quant i la dernière partie de 
la trilogie, elle est vraiment belle. 

Elle est intitulée : La Pentecôte. Le prélude 
instrumental en est délicieux. Le premier chœur, 
selon le commentaire de l'auteur, ■ est un hymne 
à la gloire, du dernier âge de l'humanité, qui 
verra régner sur la terre la grande fraternité 
par la paix et l'amour. ■ 

Hélas I La grande fraternité eziste-t-elleT Je 
crois bien que nous ne sommes pas encore arrivés 
à ce dernier âge de l'humanité, « sorte de der- 
nier paradis terrestre, dit Gounod, avant-goût de 
l'éternité bienheureuse. » 

Il y a dans la Pentecôte des pages remarqua- 
bles où reparlât la note tendre et caractéristique 
du musicien. Le numéro trois est l'hymne apos- 
tolique, un des morceaux les plus développés de 
la partition. Le chœur final est la glorification de 
la très Sainte Trinité dans les siècles des siècles. 

 la fin de son comaientaire, Gounod nous 
apprend en quelles circonstances il écrivit sa 
partition : « C'est, dit-il, pendant l'automne de 
l'année 1S67 que me vint la pensée de composer 
une œuvre musicale sur La Rédemption. J'en 
écrivis le librotto à Rome, où je passais deux 
mois de l'hiver 1867-186W chez mon ami Hébert, 



n,gti7cdT:G00glc 



BA. VIE BT SBfi (SUVBES 405 

peintre célèbre, alors Directeur da l'Académie de 
Franfie. Quant à la musique, je n'eu composais à 
cette époque que deux fragments : 1* La marche 
au Calvaire en entier ; 2* le début du premier 
morceau de la troisième partie : La Pentecôte. 
Ce ne fut que dooze ana plus tard que je termi- 
nais c6 travail si longtemps interrompu... ■ 

La Rédemption a été exécutée plusieurs fois 
en Angleterre (1). Elle fut donnée & Bruxelles, 
au Palais des Beaux-Arts, au mois d'avril 1883, 
et, pour la première fois à Paris, au mois d'avril 
1884, au Palais du Trocadéro. Les interprètes 
pour les soloB étaient : Fanre (Jésus); Ketten, 
ténor, professeur au Conservatoire de Genève, 
frère d'Henri Ketten; M"" Albani, venue exprès 
de Londres ; etKosine Blocb. (LaViei^e Marie). 

Mors et Vita (2), trilogie sacrée dédiée au Pape 
Léon Xni, eBt la suite de Rédemption. Mors 
et Vita fut exécutée en 1885 an Festival de 
Birmingham. Cette fois, Gounod n'était pas au 
pupitre. Nous connaissons les motifs impérieux 
qui l'empêchèrent alors de se rendre à Londres. 
Ce fut M. Richter qui dirigea l'orchestre. 

Comme dans Rédemption, l'auteur fait précé- 

<l) Editée & Londres psr la maison No?eUo. L& pajii- 
tîon piano et chant a paru en deux fiditiona. L'une sTea 
le texte français seul; l'autre avec le texte fran^ai» et 
)a traduction anglaise. Â Paris ebez Durand. 

(2) Editée à Londres, chez Novello. A Paris, ches 
Dorand. 



n,gti7cdT:G00glc 



406 CHAULES GOUNOD 

der sa partition d'un commentaire. • On sa 
demandera peut-être pourquoi j'ai placé dans le 
titre la Mort avant la Vie. C'est que, si dans 
l'ordre du temps, la Vie précède la Mort, dans 
l'ordre étemel c'est la Mort qui précède la Vie. 
La mort n'est que la fin de l'existence, c'est-à- 
dire ce qui meurt chaque jour ; elle n'est que la 
fin d'un mourir continuel, mais elle est le pre- 
mier instant, et comme la connaissance de ce 
qui ne meurt pas. » 

—L'auteur nous explique la signification qu'il 
donne à certains motifs typiques qui reviennent 
plusieurs fois dans son œuvre. Ce sOD,t quatre 
formules musicales : 1* Une phrase exprimant la 
terreur qu'inspire le sentiment de justice, «t par 
suite l'angoisse du châtiment.— 2" Seconde forme, 
celle des tristesses et des larmes qui devient, par 
l'emploi du mode majeur et par l'altération d'une 
simple note, la forme des consolations et des 
joies. — 3' La félicité des bienheureux. — 4" La 
quatrième forme, par sa triple superposition qui 
donne le cadre d'une quinte augmentée, annonce 
le réveil des morts. C'est l'e&ayante fanfare de 
la trompette angélique dont parle Saint Paul 
dans l'une de ses épîtres aux Corinthiens. — 

La Rédemption était composée sur au texte 
français, versi&é par Gounod lui-même. Le se- 
cond Oratorio est écrit sur des paroles latines 
empruntées à la liturgie de l'Eglise catholique, 
et à la Vulgate.Use divise en trois parties : Mors, 
Judicium, Vitot 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIB ET SES (EUVEKS 407 

D'abord un court prélude, ensuite une messe 
àeRequiem. Dans le prologue, la Mort est ex- 
primée par une phrase descendante de trois se- 
condes majeures, de ut à sol bémol. C'est le fa- 
meux intervalle de Triton, cette abomination 
de la désolation, que proscrivait la tonalité du 
plain-chant. Le morceau le plus important du 
Requiem est le Dies irœ. 

La seconde partie, Judicium , contient des 
effets plus larges, et nous pourrions dire plus 
pittoresques. Les trompettes du Jugement dernier 
viennent réveiller les morts, pendant que toutes 
les forces de l'orchestre sont mises en jeu. La 
plus belle page de la partition est intitulée Judex. 
L'arrivée du Divin Juge est décrite, à l'orchestre, 
par une large mélodie exécutée à l'nnisson par les 
instruments à cordes. Cette phrase se dé- 
ploie dans l'orchestre, et se heurte avec les motifs 
typiques. Elle s'épanouit dans un chœur gran- 
diose. 

Ce morceau excita le plus vif enthousiasme sur 
le public du Conservatoire- de Paris,aa concert du 
25 mars 1888, où une sélection de Mors et Vita 
fut donnée. 

La troisième partie, Vita (Jérusalem céleste), 
est traitée avec concision. Les trémolos, les har- 
pes, tous les moyens pom: traduire en musique 
la félicité céleste sont employés. Après un réci- 
tatif et une mélodie inspirée, écrite pour baryton, 
le chœur chante un Sanctua d'un caractère 
vraiment religieux. L'œuvre s'achève sur un 



n,gti7cdT:G00glc 



408 CHABLES OOUKOD 

final en forma de fague , et sur ces mots : 
Hosannah in excelsis. 

Mors et Vita fut esécatée pour la première 
fois à Paria, au mois de mars 1886, au Trocadéro, 
sous la direction de l'auteur. M'** £rauss et 
Conueau ; Faure et un ténor anglais, Lloyd, in- 
terprétaient les sotos. 

Au mois de mars de l'année suivante, l'Oratorio 
était entendu à Bordeaux, a^ plusieurs solennités 
musicales furent données en l'honnear du Mïdtre. 
A la suite d'un festival, un punch fut oSert à 
l'auteur de Faust. On porta des toasts, et M"* 
Terrestri récita une pièce de vers adressés à 
Gounod, pièce dans laquelle nous remarquons 
l'alexandrin suivant ; 

Ta chantas te veau d'or, sans jamais l'adorer. 

En effet, Gounod a chanté le Veau <£or dans 
le deuxième acte de Faust. Il l'a chanté aussi 
dans ses compositions religieuses. Je veux dire 
qu'il a fait retentir la note profane à l'église. 
D'un côté, B08 opéras sont remplis de morceaux 
d'un caractère religieux. De l'autte côté, sa 
musique sacrée empiète sur le domaine drama- 
tique. 

Cest ainsi que dans Rédemption, œuvre origi- 
nale et variée, l'auteur a fait de nombreux em- 
prunts aux rôles de Marguerite et de Juliette. 
Mors et Vita, ouvrage plus sévère, conçu sous 
une forme plus liturgique et par conséquent 
empreint d'une certaine monotonie , renferme 



n,g -ccT'GoogIc 



SA TIB BT SBS ŒDVRBS 409 

aassi des passages qui conviendraient au théâtre. 
Citons notamment le beau morceau intitulé 
Judex où le thème est exécuté par les instruments 
à cordes. Cest uii effet de scène qui rappelle le 
fameux unisson de V Africaine. 

On a dit, avec raison, que la musique de 6ou- 
nod exprimait la passion reli^euse, comme elle 
exprime les passions de la vie mondaine. Souvent 
la muse de l'auteur exalte sous la même inspi- 
ration l'amour divin et l'amour profane. Il y en a 
pour tous les goûts. Mais tous les compositeurs 
modernes en sont là ! Du moment où l'orchestre 
résonne dans les églises, le genre dramatique et 
le genre sacré se confondent inévitablement. 

La ligne de démarcation entre l'art religieux 
et l'art mondain semble difficile à établir. On a 
beaucoup disserté sur cette question délicate. 
Pourtant, en se plaçant à un point de vue rigou- 
reux, on peut marquer une distinction bien 
tranchée : La véritable musique religieuse, la 
seule qui convienne aux offices de la liturgie 
catholique, c'est le pur plaîn-chant, le plain- 
chant ecclésiastique, musique essentiellement 
vocale. En dehors du plain-chant, la cérémonie 
religieuse tourne au Festival, et tous les admi- 
rables chefs-d'œuvre que les compositeurs 
modernes ont écrits pour l'Eglise appartiennent 
au genre dramatique. Si ce n'est du Théâtre, 
c'est tout au moins de l'Oratorio, ou de la musi- 
que de Concert. 



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410 CHABLE8 GODNOD 

D*aatres compositions reli^euses de GouDod 
ont été insérées dans les Recueils de Mélodies. 
Ces recueils constituent une sélection du plus 
vif intérêt. On y trouve la vraie note du talent de 
Tauteurde Faust. Beaucoup de ces mélodies 
devenues populaires se distinguent par la pureté, 
par un charme expressif, par \me harmonie sobre 
et pénétrante. L'accent est personnel, et l'inspi- 
ration musicale déborde sous les formes les plus 
exquises. Qui n'admire ces cautilènes originales, 
dont nous avons déjà parlé : Le Soir, le Prin- 
tempSj le Vallon, Jésus de Nasareth f Et la 
romance si émue, si passionnée de Medjê ? Et 
V Envoi de fleurs sur les paroles d'Emile Augier ? 
Quoi de plus simple, de plus délicat, de plus 
persuasif ÇLue cette charmante phrase : Si Von 
veut savoir gui m'envoie 

Mais la mélodie qui nous semble primer toutes 
les autres, c'est Venise, idée musicale très carac- 
téristique, oîL apparaît une tendance vraiment 
géniale. 

Venise fait partie du premier volume des 
mélodies qui se compose ainsi : 

Les Champs (Béranger). — Seul/ La pensée 
des morts (Lamartine).— Ave Maria (prélude 
de Bach).— Le premier jour de mai (Panserat). 

— Oma belle rebelle ! (Baïf).— Aubade (Hugo). 

— Chant d'automne.— Le Lever (Musset).— 
Venise (Musset) — Sérénade (Hugo). — Le 
Vûi/on (Lamartine).— Le Juif-Errant (Béran- 
ger). — La Chanson du Printemps (Eugène 



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lA VIE ET SES (EUVHES 411 

Tourneux) —L'âme d'un Ange; La Rondi- 
netla (Th. de Banville).— Jésus de Nazareth..— 
Mon habit (Béranger). — Le Soir (Lamartine), 
intercalé dans Sapho. 

Ce premier volume contient en outre deux 
chœurs d' Ulysse, (le deuxième chœur des Naïades 
du premier acte ; le chœur des Snivantes 
fidèles du 3"* acte; chant d'Euricléo) ; et une 
cantilène qui avait été composée pour Philémon 
.et Baucis: Ni l'or, ni la grandeur.... 
Le deuxième recueil est non moins riche : 
A une jeune fille (Augier). — Marguerite 
(0. Pradèro). — Medjé (Barhier). — Envoi de 
fleurs (Aogier). — Si la mort est le but (Louise 
Bertin). — Solitude (Lamartine). — Tombes mes 
ailes (Legouré). — Boire à l'ombre (Aagier). — 
Noël (Barbier). — Donnes-moi cette fleur 
fGozlan et Barbier). — Au Printemps (1) 
(Barbier). — A une bourse (Augier). — Hymne à 
la nuit (Barbier). — Ce que je suis sans toi(L. de 
Peyre). — Primavera (Gautier). — Crépuscule. 
— Au départ, scène (Augier).— Au Rossignol 
(Lamartine). — Déesse ou femme (madrigal 
extrait de La Colombe). — Le Retour de Tobie 
(extrait de l'oratorio Tobie). ' 

Le troisième recueil contient plusieurs mélo- 
dies tirées des œuvres dramatiques : 
La Pâquerette (Dumas fils).— Sur la monta- 
it) Vieiie, BuÎTona les sentiers ombreux 
Oil s'égarent les amoureux. 



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413 CHARLES aoUNOD 

gne (Barbier). — A toi mon cœur (Barbier). — 
Mignon (Louis Gallet). — Où voulei-vous aller 
(Gantier).— Le Souvenir (Joseph Collin).— SZan- 
che Colombe (Extrait de la Colombe). — Jérusa- 
lem (fragment de Gallia).— Prends garde I (&dcr- 
bier). — Soi^ro (Barbier). —Le Calme (Extrait d« 
\^ Nonne sanglante : Un jour plus pur, 3" acte). 
— Aimon8-nou$ (Barbier).— Chanson du Pâtre 
{Sapho).—Je ne puis espérer {A.. Delpit). — Invo- 
cation (ouverture de Faust). — Chanter et souf- 
frir (A. Delpit). — Le Ciel a visité la Terre (C" 
de Ségnr). — Absence (C de Ségur). — Rêverie 
(Barbier) sur le ballet de Faust).— La Reine du 
matin (Extrait de la Reine de Saba : Comme la 
naissante aurore. 

Le quatrième recueil se compose presque en 
entier d'emprunts faits aux opéras : 

Le Banc de pierre (Paul de C!houdens).— Oi- 
seaux, taises-vous ! (fabliau du Médecin malgré 
lui). — Magali (Mireille) (1).— Notre-Dame des 
petits enfants (C" de Ségur). — Nuit silen- 
cieuse (1" acte de Cinq-Mars). — Qui vivra 
verra (Chanson de Stéphane au 2* acte de Ro— 
méo).—0 ma Lyre l stances de Sapho). —Ala 



(1) Ponrttnoi cette délicieuee ch&iiBon est-ella cbantée 
au théâtre avec des éclatB de voix et lur an rhjthme de 
pae redoublé î L'auteur, il est vrai, a marqué le mou- 
vement allegretto. Comme la mélodie gagnerait k être 
pour ainsi dire murmurée sur un mouvement moins 
rapide 1 



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SA. VIE ET BES ŒOVRRS 413 

Madone (Ange adorable... 1" acte de Roméo). 
—Sylvie (romance de Sylvie au 2* acte de la 
Colombe). — Sainte it^Tvsae (dernier acte de 
MireiUé).~Temp[e, ouvre-toi ! strophes (4' acte 
àess Deux- Reines).— Bacchanale (les Bacchantes 
de Philémon). — Pitié pour les larmes! (c'est !a 
belle supplication de Mireille aux pieds de son 
père, fin du 2' acte>. — La Salutation angéli- 
que.— Esclave et Reine (3* acte de la Reine de 
Saba). — Le nom de Marie (C de Séfçur). — 
Aimons, mes sœurs (3' acte de Sapho).— Parie- 
moi d'elle (Extrait de la Colombe). — Prière du 
soir(E. Manuel). — Le Départ du Mousse (Pierre 
Barbier). 

Ces ^[uatre recueils c(HDprennânt 80 m<»ceaux. 
Si l'on en défalque les emprunts. &its aux œuvres 
dramatiques et religieuses, on compte environ 
cinquante mélodies originales. Ces volumes 
édités par la maison Cheudeos (1> sont partout 
répandus. Ils fournissent chez les éditeurs ud 
riche répertoire pour l'abonnement à la lecture 
musicale. 

Depuis le séjour de Gounod en Angleterre, la 
maison Lemoine a édité un recueil de 20 mélo- 
dies que GouDod avait composées à Londres : 

Clos ta paupière. — La Fauvette. — Le pays 

(i) La Sérénade, Jésus de Nasarelh sont la propriété de 
U maison Lebeau. VAva Maria, Mon Habit appartiennent 
à la maûoQ Heugel. (Editions, séparées). 



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414 CHABLBS OOUNOD 

bienheureux. — Mon amour a mon cœur. — 
Chanson d'avril. — Heureux sera le jour. — 
Viens, les gasorts sont verts.^ Si vous n'ouvrez 
voire fenêtre. — Loin du pays. — Quanti mai. — 
A la brise. — La fleur du foyer. — Ma belle 
amie est morte. — L'ouvrier. — Que ta volonté 
soit faite. — Prière du soir. — Prière d'Abra- 
ham.— Les nias blancs. — Fleur des bois (duo). 
— Barcarola (duo). 

Gonnod est Tauteur de quelqaes-unes de ces 
poésiea : Le pays bienheureux; Loin du pays ; 
Que ta volonté soit faite ! 

DaDS ces cantilèues, plus récenunent écrites, 
la muse de l'auteur n'est pas inspirée comme 
dans les premières mélodies. Les Lilas blancs, 
notamment, valse chantée dédiée à la fille de 
Régnier, n'est certes pas la meilleure œuvre du 
volume. La charmante femme, à qui la mélodie 
est offerte, méritait mieux. On trouve cependant 
dans ce recueil de bien jolies choses. Citons par 
exemple : La Prière du soir, paroles de Ch. de 
Lifçny. La musique en est exquise : mélodie 
d'ua caractère discret et tendre, bien digne du 
compositeur qui a écrit Faust. Voici la dernière 
strophe : ' 

Bn&Q celle qu'ici j'adore 

Dans moa exil. 
Pais qu'au ciel je la retrouve encore. 

Ainsi soit-ill 

Si rallosîou s'applique à Georgîna Weldou, oa 



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SA VIE ET &EB ŒUVRES 415 

s« disputera quelque peu, U-haut, au sein mâme 
du Paradis, 

Gounod, onle voit, eat ua musiciâQ fécond. Que 
de productions, et quelle œuvre considérable 1 Le 
M^tre a écrit dans presque tous les genres. Ëa 
1862, à l'enterrement d'Halévy, il avait composa 
en rbonneur de sou ancien professeur, et sur un 
psaume de David, une des quatre strophes qui 
farent exécutées à la cérémonie religieuse. Les 
trois autres strophes avaient pour autears,Baztn, 
Victor Massé, Jules Cohen, tous élèves d'Halévy. 
— En 1869 , différentes œuvres de Gounod furent 
données à la Société des Concerts de l'Opéra, 
Société éphémère, dont les séances ne fureid; pas 
nombreuses.— Une cantate : A la Frontière, fut 
exécutée à l'Opéra le 8 août 1870. — Au mois de 
juin 1875, à l'inauguration de la statue de l'abbé 
de La Salle, fondateur de l'Institut des Ëcoles 
chrétiennes, on jouait à Rouen une cantate de 
Gounod, composée sur des paroles latines pour la 
cérémonie. — La môme année (mai 1875) , & une 
représentation de gala au bénéfice des Orphelins 
de la guerre, l'Opéra donnait une œuvre de cir- 
constance :Le Memorare du Soldat. — En 1876, 
Festival à l'Opéra , pour célébrer le centenaire 
de l'indépendance des Etats-Unis : Chœur de 
Gounod , La Liberté éclairant le Monde. 600 
exécutants , disait le programme. — En 1877, 
au Concert spirituel du Châtelet : Jésus sur la 
mer de Tibériade, psalmodie chorale. — La 



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416 CUA.RLE6 OOUNOD 

mfime anaée^ au Concert populaire, premiùre au- 
dition d'une saltarelle pour orchestre. — En 
1878, jour de l'inauguration de l'Expositioa, 
grande cantate : Vive la France. — En 1886, au 
Conservatoire : D'un cœur qui faime , duo 
composé sur les paroles de VEstker, de Racine, 
etc., etc. 

Nous ne pouvons tout mentionner. Le moyen 
le plus pratique de dresser une liste complète des 
nombreuses productions du Maître, serait de re- 
produire les catalogues des éditeurs, nomencla- 
ture qui serait trop longue. Nous nous bornerons 
à résumer quelques-uns de ces livres spéciaux. 



GouDod n'a pas facilement trouvé d'éditears, 
au début de sa carrière. Il a subi le sort commun. 
En 1851, SapAo est représentée sans succès. La 
reprise, en 1858, n'est pas plus heureuse , et les 
droits d'auteur, pour ces quelques représen- 
tations, ne procurent pas la fortune à l'auteur. 
« Quant à un éditeur, dit Gounod (Z)e la propriété 
artistique).., pas plus que dans le creux de ma 
main I » 

Après la représentation d'Ulysse, un éditeur se 
présenta : « Pour la première fois, continue Gou- 
nod, je vis briller dans ma nuit d'artiste ce rajon 
consolateur qu'on nomme un éditeur... Rien ne 
peut donner une idée de ma joie... Le sauveur eu 
question fut M. Escudier qui eut la générosité de 
m'acheter mon ouvrage pour rien!... Kienice 



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SA VIE ET SES ŒUVBBS 417 

n'était guère pour moi qui étais loin de roulor 
sur l'or... » 

Nestor Koqueplau avait monté Sapho à l'Opé- 
ra. 11 monta aussi La Nonne Sanglante. Mais, 
après quelques représentations de cet ouvrage, il 
fut remplacé, comme directeur, par Crosnier, et 
le premier acte de l'administration nouvelle fut 
de vétiver La Nonne Sanglante de l'affiche.» Tant 
que je serai directeur, disait Crosnier, je ne joue- 
rai pas une pareille saleié ! » Et Gounod de s'é- 
crier : encore un cbeval tué sous moi I 

La Nonne Sanglante ne trouva pas d'éditeur. 
Les frais de la partition piano et chant furent 
faits par M"* Zimmennann, et le volume, édité 
chez Brandus et Dufour, alla plus tard s'enfouir 
dans les magasins de-M. de Choudens. L'œuvre 
était classée. 

Noos arrivons à l'année 1855, époque à laquelle 
le musicien entreprend de composer Fausf. Nous 
savons par quelles circonstances le travail fut 
interrompu. (V, notre chapitre : Gounod écri- 
vain). Goimodahandonue son opéra pour écrire 
le Médecin malgré lui. Pour la première fois, un 
éditeur ofîre de l'argent. Colombier acheta cette 
partition 4,000 francs, sur lesquels un tiers reve- 
nait, non pas à Molière, mais aux librettistes. 

C'est en 1859 que M. de Choudens entra en 
relations avec l'auteur de Faust. Nous avons 
dit comment et à quelles conditions Fausi 
fut acheté (V. notre chapitre : Faust). A partir 
de cette époque, M. de Choudens fut jusqu'en 



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418 CHARLES aOUNOD 

18711' éditeur de Gouiiod(l). Sap^, Ulysse, la 
Nonne Sanglante passèrent dans la maison, ou ' 
furent édités aux frais de M°"< Ziaunermanu. Les 
autres opéras furent achetés aux prix sui~ 
vants. Du molos voici la part de l'auteur de la 
musique, ainsi qu'il résulte des renseignements 
extraits des brochures de M*" Weldon : 

Faust, Philémon, la Reine de Saba, 6,666 fr. 
pour chacun de ces ouvrages. — Mireille, 13,333 
fr. — Roméo, 33,333 fr. — Les deux Reines, 
5,000. — La Colombe, 3,000.— Ballet de Faust, 
2,000. — Tobie, 1,000. — Les mélodies auraient 
été achetées à 500 îr. pièce, et chaque duo 1,000 
francs (2). 

La maison Cboudens a en outre édité Gailia, 
Jeanne d'Arc, le Tribut de-Zamara, le nouveau 
ballet de Roméo, les quatre recueils de Mélo- 
dies. Elle a édité encore un volume de 15 duos, 
cinq recaeils d'airs de concours pour différentes 
voix, un recueil de 6 cantiques, ixa recueil de 
12 chœurs et une cantate : Le Temple de VHar~ 
monie (3); Les Couronnes, trois chœurs à 3 voix 
égales ; Les Martyrs, scène chantée. — Messe à 
deux voix égales. — Messe brève en ut majeur.— 
La symphooie en mi bémol (n° .2) (orchestre et 

(1) M. de Choudens père est mort eu novembre 1838, 
laiesuit deux âls MU. Àntonj et Paul de Ghoudens. 

(^)Sdan Orphelttiat. Les affaires, p. 53. 

(3) Ces recueils de duoa et chcenrs constituent une 
BÔlection des œuvres dramatiques et religieusea. 



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SA VIE ET SES ŒUVRES 419 

àrraa^ment pour piano) — et bon nombre d'au- 
tres pièces, des cantiques, des motets; marche 
pontificale, etc., etc. — Pour orgue ou harmo- 
nium, lao morceaux religieux destinés au ser- 
vice divin (2 volumes). C'est un arrangement qui 
fait passer en revue la musique de théâtre du 
Maître. Les mélodies profanes se transportent 
ainsi à l'Eglise en introït, offèi'tgitvs, élévations, 
communions, etc. Eu cherchant bien je crois 
qu'on trouverait des airs de baJUets transcrite à 
l'usage du service divin. Inutile d'ajouter que 
Gounod n'est pas complice de ces adaptations. — 
Un autre volume de 50 morceaux religieux. — 
Un volume de 153 chorals (Choix de chorals de 
J.— S. Bach, avec une préface). — Plusieurs pièces 
de musique vocale sans accompagnement, en- 
tr'autres le Chœur des Amis, et quelques mor- 
ceaux pour demoiselles et enfants, etc. 

Notre liste, nous le répétons, n'est pas une no- 
menclature exacte et chronologique. C'est un 
simple aperçu, et nous procéderons de même 
pour les autres éditeurs. Quant aux transcrip- 
tions, arrangements pour piano selon tous les 
degrés de force, selon toutes ■ les mains, ils se 
multiplient à l'infini. Cest une véritable inon- 
dation. 

L'éditeur Lebeau a publié un grand nombre 
d'œuvres religieuses du compositeur. Gounod 
était mfùtre de chapelle aux Missions Etrangè- 
res quand il entra en relations avec M. Lebeau 



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420 CBABLCS GOUNOD 

père. On conserve encore chez l'éditeur un petit 
oabier rempli d'annotations et de musique ma- 
nuscrite du m^tre de chapelle. C'est une pré- 
cieuse relique qu'il nous a été permis de feuille- 
ter, et où nous avons vu cette écriture ferme, 
tracée d'une main posée, soit à la plume, soit au 
crayon. Comme dans la plupart des manuscrits 
de Gounod, les ratures sont rares.On dirait l'cea- 
vre d'un copiste amoureux de calligraphie. 

Voici un aperçu du catalog^ue de la maison 
Lebeau : 

Musique chorale :-un grand nombre de chœurs 
généraux parmi lesquels : Tout Vunivers est 
plein desa magnificence. (Double chœur). — Vive 
l'Empereur ! — Près du fleuve étranger. (Super . 
flumina).— Dans cette êtable (Noël du XVIII* 
siècle). — Prière àMarie. — etc., etc. 

ChcBurs à quatre voix d'hommes : La Cigale et 
la Fourmi. — Le Corbeau et le Renard. — Hymne 
à ta France. — Chœur de chasseurs. — Le vin des 
(kiulois et ta Danse de l'Epée. — Chant des 
Compagnons.— Prière du soir et du matin. — 
etc., etc. 

Un grand nombre de chœurs à trois voix égales, 
destinés à célébrer l'Ecole et l'Enseignement : 
La Distribution des Prix. — Les Vacances. — 
L'Angetus. — Le Catéchisme. — L'Ecriture. — 
La Grammaire,— Le Dessin. — etc. 

Musique religieuse : Messe solennelle de 
Sainte-Cécile. — Messes chorales: n' I ,auxorphéo- 
nistes,à trois voix d' hommes ;n' 2, aux Sociétés 



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SA VIS ET SES ŒUVRES 421 

chorales, à quatre voix d'hommes; (réduite à 
trois vois égales) .— Messe funèbre. — Chcears 
religieux, pièces originales ou tirées des messes. 
— Un grand nombre d'O Salutaris , d'Ave 
Verum, Pater Noster, Domine Salvum, des 
Motets. — Les sept paroles du Christ, chœur à 
quatre voix. — Jésus de Nazareth.— etc., etc. 

Parmi les morceaux de piano, citons douze 
pièces : VAngelus. — Menuet. —Les Pifferari.-~ 
Musette. — Bald'enfants. — Sérénade. — Royal 
menuet. — Nazareth. — Prélude. — Invocation. — 
Pastorale. — Danse de l'épée. 

Pour piano, violon et orgue: Sérénade. — 
Hymne à Sainte-Cécile.— Quintette de cosi fan 
ïM^e (violoncelle). 

La maison Lebeau est propriétaire de la Séré- 
nade. Disons, en passant, que c'est une mine 
d'or pour l'éditeur. 

Une autre mine d'or appartient à la maison 
Heugel ; VAve Maria sur le prélude de Bach, 
morceau dont les arrangements de toutes sortes 
ont produit d'importants bénéfices. 

La maison Heugel a encore publié : Dapacem. 
—Invîolata, àdeux voix égales.— Ave verum, à 
deux voix. — Mon habit. — Deux vieux amis, — et 
La jeune religieuse de Schubert, transcription 
par Gounod pour violon, piano, orgue. 

A c6té de la maison Heugel, la maison Colom- 
bier où la partition du Médecin malgré lui a 



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482 CHAbLES OOUNOD 

été publiée ainsi que la première symphonie 
onr^(l). 

Un autre ouvrage moios counu a paru chez le 
même éditeur. C'est une Méthode de cor à pis- 
tons par Ch. Gounod, prix de Rome, in-folio de 
19 pages. Qui le croirait t L'auteur de Faust a 
commencé par écrire pour le piston I Dans un 
avant-propos, Gounod fait valoir les avantages 
de l'instrument, et il vante le cor à pistons fabri- 
qué par M. Raoul, facteur et fournisseur du Roi; 
ce qui donne une date à la publication de cette 
méthode. 

La partition de Cinq-Mars a été édités chez 
Crus, ainsi qu'une marche religieuse, et la 
Saltarelie. 

La partition de Jeanne d'Arc (S) a pour éditeur 
Gérard, (ancienne maison Meissonnier). Ilala, 
stances à Livingstone, a été également publié 
chez Gérard. 

Dans ces dernières années, l'auteur de Faust 
s'est intéressé à la carrière artistique de 
M"* Georges Palicot (Marie Schneckeuburger), 
élève de Gailmant et Delaborde. Avant de se 



(1) Arrangée pour le piano à quatre maias par Georges 
Biiet. 
(!) Partition piano et cbant arranerSa par Georges 



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SA VIE Eï SES ŒUVRES 423 

prodoire dans les Concerts, tant en France qu'à 
l'étranger, M"' Palîcot avait tenu par intérim les 
grandes orgues de S'*-Marie desBatignoUes et 
de la Trinité. Excellente musicienne, elle n'a pas 
voulu se confondre avec les nombreux virtuoses 
du piano. Elle s'est créé une spécialité, en Jouant 
avec un incontestable talent du piano-pédalier. 
Malgré les perfectionnements apportés récem- 
ment par les maisons Ërard et Pleyel à ce lourd 
instrument, le pédalier, aux basses brutales, nous 
parwit une annexe inutile au piano. Les doigts des 
pianistes nous sufBsent amplement. Que leurs 
pieds gardent le repos I Le pédalier est surtout 
utile comme terrain de préparation à l'étude du 
clavier de pédales du grand orgue. 

Gounod a voulu flatter la talent de M"* Palicot, 
»t il a écrit spécialement pour elle quelques 
pièces pour orchestre et piano-pédalier : Danse 
Roumaine, Hymne national russe ; et Suite 
Concertante. Pour piano-pédalier seul : Canso- 
netiaen ré, Choral et toccata en fa. 

La Fantaisie sur l'hymne national russe, 
publiée par l'éditeur Alphonse Leduc, a reçu 
plusieurs arrangements, notamment un arran- 
gement spécial, pour deux pianos, par Gounod. 

La Suite Concertante, éditée également chez 
Leduc, a été arrangée à doux pianos par Saint- 
Sagns, et pour piano seul par Pierué. Elle a été 
récemment transcrite pour piano à quatre mains 
par Charles de Bériot. 

Cette Suite Concertante, où l'on distingue en 



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424 CHARLES OODNOD 

maints endroits le style d'Hœndel et Mozart se 
divise en quatre parties ; Entrée de fête, La 
Chasse, Romance, Tarentelle. 

Gounod a composé quelques ouvrages de 
musique de chambre. Les abonnés du concert 
La Trompette, de la Société de musique de 
chambre pour instruments à vent (Salons 
Plejel), et du quatuor Mendels ont pu entendre 
ces compositions. Je citerai notamment un Qua- 
tuor, et un Nonetto, petite symphonie pour fiûte, 
2 hautbois, 2 clarinettes, 2 cors et 2 bassons. 

Le Maître a peu sacrifié au piano.Cependant il 
n'est pas l'ennemi acharné de cet instrument trop 
universel (1). Dans une de ses lettres intimes, et en 
parlant d'une de ses mélodies, l'auteur de Faust 
écrit ; ■ J'aime tant le piano là dedans ! On peut 
si bien le modérer et l'enrichir, sans dévorer la 
voix I » (Lettres et Documents, p. 47). 

Ne nous égarons pas à parler ici du piano, de 
ses pompes et ses œuvres, des services qu'il peut 
rendre, et du grave tort qu'il a porté à l'art. Ter- 
minons notre examen rapide des catalogues. 

(1) Dana denx opusculea publiés en 1884 et 1865 chec 
Dentn, nooB avoua easajé de démontrer l'influence per* 
nicieuse que le piano % exercé, parcertain8cOté8,sar l'Art 
Huaical : 
Origines, variationt tt avenir de notre lonatité. 
De la mauvaise in/tuence du piano fur tArt Musical. 
Etude SUT les inslrumenls à clavier : clavicordt, 
piano. 



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SA VIB BT SES ŒUVRES 425 

Chez réditeur Lemoine : 

Marche funèbre d'une Marionnette. — Dode- 
linette. — Vive la France. (Transcrit pour orches- 
tre militaire par Sellenick). — La partition de 
Polyeucte. — Jésus sur le lac Tibériade. — Messe 
du Sacré-Cœur de Jésus, à quatre voix. — Messe 
brève à quatre voix. — Miserere, chœur à quatre 
voix. — Passacaille. — Hymne à St-Augustin. 

— Petit Scherzo pour deux contrebasses. — Messe 
à la mémoire de Jeanne d'Arc. — La vision de 
Jeanne d'Arc. — (Violon et orgue, ou orchestre). 

— La Salutation angélique. — Ave Maria. — 
Etc. 

Biondina. — Le recueil de 20 mélodies dont 
nous avoQJS parlé plus haut, — et un grand 
nombre de mélodies séparées parmi lesquelles 
nous citerons : 

Viens mon cœur (Avec violoncelle). — V Ab- 
sent. — Chant des Sauveteurs bretons. — 
Réponse de Medjé. — Chanson de la Glu. — 
Les deux pigeons. — Elle sait ! — Dernières 
volontés. — Voix d' Alsace-Lorraiine. — Vierge 
<r Athènes. — Passiflora. — O Salutaris à trois 
voix. — Memorare (duo). — Le Loup et l'Agneau 
(quatre voix). Quelques cantiques ; plusieurs 
autres duos, chœurs, etc., etc. 

Nous en avons fini avec les catalogues. Nous 
devions les raprodaire par fragments, car ils nous 
montrent la variété et l'universalité de l'œuvre da 



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436 CBASLB8 OOUHOD 

GoDDod. Cet homme, ddpitis un demi-alècle, tra- 
yeUle opiniâtrement ; U a produit sans rel&che. 
Bien qu'à ce titre il mérite une attention toute 
particulière. 

C'est au colley que nous aTons pris le mtisi- 
cien, et nous avons soÎTi sa brillante carrière 
par nn examen plus analytique que ciitique de 
ses nombreux ouvrages. Noua avons été sobre 
d'appréciations personnelles. Pour conclure, nous 
observerons la même réserve. H ne nous con- 
vient pas de verser l'encens ou le blâme sar 
l'cBuvre musicale d'un artiste vivant, d'un musi- 
cien comme Gounod. 

plus tard, dans un long temps, je l'espère, 
lorsque le Maître aura disparu de la scène mnsi' 
cale, lorsque l'auteur de Faust appartiendra à la 
postérité, les biographes pourront saisir leur 
proie. Ils rendront leurs arrêts avec plus de 
liberté, plus d'autorité et pins dé désintéresse- 
ment. Si Bizet vivait encore , est-ce que la 
Critique rendrait à VArlésienne et à Carmen 
l'hommage qu'elle lui rend aujourd'hui? La Cri- 
tique contemporaine est oublieuse ou injuste; et 
elle se trompe si souvent 1 

Plus tard donc, on retracera d'une façon plus 
complète la vie de Gounod; on fera connaître 
des détails plus intéressants, des incidents 
curieux, et un grand nombre de particularités 
que nous avoiu voulu garder sous silence. L'exis- 
tence privée du musicien, son caractère, sea 
flauvrea seront étudiés d'une fagon pdus intime. 



n,gti7cdT:G00glc 



SA VIE BT SB3 ŒUVRES 427 

A quoi nous servirait-il aujourd'hui de répétât 
ce que tout le monde sait, de dire, par exemple, 
que Gounod a sa rue dans le XVUr arr(mdisse- 
ment de Paris, qu'il habite, au coin de la rue 
Montchanitt, avec son beau-frère le peintre 
Dubafe, un hôtel somptueux, dont la galerie da 
second étage est garnie d'objets d'art ? Si tou6 
pénétrez dans son cabinet de travail^ dans te 
Sanctuaire.Tous verrez, au fbnd, un orgue d'église 
il tuyaux. Ceat une salle de musique avec un 
grand piano à queue et une belle bibliothèque 
remplie d'œuvres littéraires et musicales. Près 
de la fenêtre, une table-bureau dans laquelle se 
dissimule un autre piano. Au moyen d'un truc, 
le clavier se découvre à volonté . 

C'est Ih que le Maître reçoit les visiteurs. Le 
jeudi est le jour réservé ans: étrangers. Ses amis 
sont accueillis chaque jour avec afi^ilité et bien- 
veillance. Dans cette immense {ûèce, on a vu 
bien souvent l'auteur de Faust vêtu de velours 
noir, le cou entouré d'une cravate ilottante, et 
les pieds emprisonnés dans de petits souliers de 
femme, car il y a toujours un peu de la femme 
chez Gounod. Sa conversation est charmante et 
persuasive. Le musicien est un causeur spirituel 
et éloquent. Sa |^ jsionomie est mobile, sa voix 
est douce, et quand il parle, on dirait de la 
mui»que. 

Gounod a deux enfants: son fîls Jean qui a 
épousé M"* Galand, fille du peintre décora- 
teur ; sa fiUe, Jeanne, qui, au xaoia de mars 



n,gti7cdT:G00glc 



438 CHARLES OOUNOD 

1886, a épousa M. te Baron de Lassus. Le Nonce 
du Pape a béni, à l'église Saint-François de 
Sales, l'union des jeunes mariés. M. Jean Gou- 
nod s'occupe de peinture. Son père, lui aussi, a, 
dii-on, manié quelque pen le pinceau et la pa~ 
iette. Mais la musique de Gounod vaut mieux, 
beaucoup mieux, que sa peinture. 

Qui n'a vu le maître soit au Théâtre, soit an 
Concert, soit le dimanche à l'église St-Âugostin 
à la messe d'une heure, pendant laquelle il reste 
prosterné, la tête cachée entre leâ deux mains ? 
Il prie, à moins qu'il ne compose! Qui ne connaît 
cette belle tôte couverte de cheveux blancs 7 C« 
n'est plus la figure du jeune lauréat de Flnstitut 
telle que l'a montrée Ingres. Un demi-siècle a 
passé I Ce n'est plus la tête représentée par plu- 
sieurs bustes, notamment par le buste de Car- 
peaux. La physionomie du musicien nous a été 
rendue de profil par le beau portrait d'^e De - 
launay. Là, Gounod semble plus recneUli. La 
pose est moins théâtrale que celle des portraits 
placés à l'étalage des éditeurs. Cest un Gounod 
plus intime. On sent là le rôveur et le poète. 

Ajoutons que le 9 août 1877 il a été promu 
commandeur de la Légion d'honneur, et Grand. 
Offîcier, en 1880, lors de la fête nationale du 14 
juillet. Depuis 1860, il a reçu un grand nombre 
de décorations étrangères. S'il existait une dis- 
tinction spéciale pour le Mérite Musical, Gounod 
devrait être grand chancelier de l'ordre. 

Que de renseignements nous pourrions encore 



n,gti7cdT:G00glc 



Sk VIE ET SES ŒUVRES 429 

roproduire sur cet homme émioeut non seule- 
ment en musique, mais en toutes choses, sur ce 
grand artiste qui a séduit, charmé, conquis toute 
une génération, et qui a eu tant d'imitateui 
Les imitateurs de la musique de Gounod ont é 
nombreux. Qu'ils sont éloignés du modèlt 
Saint-Saëns et Bizet, eux, ont suivi une vo 
indépendante. « Tout le monde fait de la musiqi 
de Gounod, écrivait un jour Reyer, mais jusqu 
présent, c'est encore celle de Gounod que 
préfère.» 

Enregristrerons-nous les reproches que l'on 
adressés, à un point de vue général, au comp( 
sitenr ? On a dit qu'il avait employé à satiété d 
formules et des procédés, comme la note tenu 
les unissons, les marches harmoniques. On a d 
que, dans son orchestre, les parties instrumei 
taies ne manquaient pas, pour obtenir certaii 
effets, d'envelopper le motif en se déroula: 
d'une manière invariable. On lui a reproché su 
tout de pratiquer avec excès ce que l'on appel 
en terme de métier la Rosalie, c'est-â-dire ( 
répéter plusieurs fois de suite le dessin mélod 
que, en progressions régulières, sur les degrés < 
la gamme. C'est une formule, une espèce d'im 
tation. Le mot Rosalienons viendrait d'un anci( 
chant populaire italien (Rosalia mia cara) doi 
la mélodie est édifiée sur ce principe, ou d'i 
refrain allemand, ou encore d'une chantéui 
appelée Rosalie, qui, selon Grétry, aurait mis 
la mode cet ornement vocal. Quelle que so 



n,gti7cd3ï Google 



430 CHARLES aODNOD 

l'étymologie da mot, la Rosalie a été employée 
par les plus grands miittres. Hœndel et Mozart 
ne l'ont pas dédaif^^ée. Elle est iohéreiite à l'art 
de la composition musicale, et, s'il est vrai que 
Gounod ait abusé de ce procédé, le maître a aoa- 
vent écrit des Roaalies empreintes d'une véritable 
inspiration. 

On a dit encore bien d'autres choses sur la 
musique de Gounod ; on a traité d'expédients ses 
cbœura de femmes, ses chansons de pâtre. 
Wagner prétendait que le compositeur avait 
recours à tous les moyens. 

Tout cela est le petit côté de la question. On 
aura beau critiquer les procédés et les formules, 
Gounod n'en reste pas moins l'auteur de Faust 
et du Médecin malgré lui. Son originalité est 
bien tranchée. Il la pnise non pas tant dans les 
moyens employés, ni dans sa science, que dans 
sa nature même. Les belles pages qu'il a écrites 
sont marquées par un accent tout personnel. Cet 
accent dérive à la fois de l'homme et du musicien. 
C'est l'accent de la prière, de l'extase, de l'ado- 
ration perpétuelle; c'est le sentiment de l'apo- 
théose, de la béatitude, sinon du désir.Cest aussi 
le charme, le rêve, la grâce légère, et, quand il 
le faut, le badinage. Un arrangement harmoni- 
que, d'an parfum doux et capiteux, vient parfois 
relever ce genre d'expansion musicale. L'acte du 
jardio, dans Faust, est une essence, un élixir 
concentré qui caractérise la musique du Maître. 
Gounod en a semé les gouttes sur ses composî- 



n,gti7cdT:G00glc 



BÂ VIE ET SES ŒUTBBS 431 

tioDS. Il y a, çà et là, dans ses œuvres, quelque 
chose du boudoir, et Toilà pourquoi sa musique 
plaît tant aux femmes. L'auteur de Faust a su 
lescoaquérir et les charmer. II s'est pour ainû 
dire mis dans leur être. On croirait qu'il a res- 
senti lui-môme, pour mieux les rendre, les im- 
pressions de la femme aimée, ou les ardeurs de la 
religieuse qui s'extasie et se dépense dans la 
contemplation. Musique amoureuse, soit ! Mais 
d'un amour discret, contenu, étouffé, et qui invo- 
que le Ciel. 

Une fois, te Maître a fait éclater le transport 
amoureux dans toute sa vigueur. C'est au troi- 
sième acte de Faust, quand Marguerite, à sa 
fenêtre, se livre toute ûrémissante à ses peosées, 
sous les rayons de la lune... H m'aime! dit la 
jeune fille, et toutes les voix de la nature sem- 
blent lui répéter ce mot magique. La passion 
déborde ; Ah! qu'il est doua; de vivre ! Margue- 
rite n'y tient plus. Elle appelle Faust : Viens ! 
crie-t-elle à son bien-aimé qui s'élance vers 
elle au milieu des harmonies savoureuses do 
l'orchestre. Voilà un morceau capital, où la mu- 
sique peint le Réalisme dans toute sa vérité, et 
dans toute sa force. On a prétendu que le genre 
de Gounod visait surtout au mysticisme. Dans 
tous les cas, ce n'est pas dans l'acte du Jardin. 

Le côté saillant et digne de remarque est cet 
accent personnel que nous avons essayé de défi - 
nir, et qui doit primer, dans l'examen de l'œuvre^ 
le côté scientifique, c'est-à-dire les moyens d'or- 



nigti7cdT:G00glc 



433 CHAKLBB aOUNOD 

chestre, les procédés harmoniqaes et les Rosalies. 
Cette note particulière a un mérite indéniable : 
elle émeut le public. La preuve en est dans la 
persistance du succès et de la faveur qui s'atta- 
chent aux principales compositions du Maître. 

Gounod est entré dans la vie artistique à une 
époque déjà éloignée de nous. Depuis ses débuts, 
de grandes choses se sont accomplies : Wagner 
s'est imposé en France, et ses œuvres, si différen- 
tes des oeuvres de Gounod, ont produit dans no- 
tre pays une impression retentissante et durable. 
Gounod a-t-il été atteint par cette Révolution 
dans l'art musical? A-tr-il changé sa manière? 
À-t-ii suivi de nouvelles tendances ? Non. Il est 
rivé à son œuvre par sa nature, et son œuvre est 
intacte. Tout en suivant le mouvement waguê- 
rien,ila gardé ses convictions musicales. Il n'a 
pas bronché. Gounod a continué partout etquand 
môme à faire de la musique de Gounod ; et le 
public, aussi bien en France qu'en Allemagne lui 
est resté fidèle. Quelque jugement que lui réserve 
la postérité, l'auteur de Faust aura jeté sur notre 
art contemporain un rayon lumineux , qui lui 
donne une place à part parmi les grands musi- 
ciens. 



n,gti7cdT:G00glc 



INDEX ALPHABÉTIQUE 





















Bakbiee 




Bazin 


BÉNÉracT 




Berlioz et la Reine de Saba 












Cabhé. 








(1) Cet ladei n'eal pu complet. Il remola seulement à i 
prlnclpsui ttaiiés dans ce livre. 



n,gti7cdT:G00glc 



434 IKDBX AtPHABBTTQnE 

Cakvalho I», l«, etc- 

Choudkns 1», 191, 199, il7, etc. 

Cl^BBTIB 37, IM 

Colis 185 

COLOMBIBR 417, 4St 

COMBTTANT M6, ISS, 11», M» 

Conservatoire M», i7« 

Cbosnibb *17 

Dandin (Georges). LiTrets en prose U(, Ils, 13< 

David (FéUdenJ 173. i$9 

Dklapobtb 78 

Deldevez SI 

DennBBY 876, S78 

DâSAUOUtBS 88 

DiDON (le Père) S9S 

Dickens S7S, S87 

DuOASSSAU 3Sfi 

DcuAH père 51 

ÉDITEURS ANQLAIS SSi 

• FRANÇAIS S6, Î8, *16 

ESCODIER 803, 416 

L'ÉVÉNEMENT SSS 

FauBB 186, Î90, 319 

Faust 139 

— A Londres IBB 

— Mieeen aoôna 1S9 

— Remaniements iSî 

— La Critique en 1S59 163 

— Reprise 180 

— Reprise au Châteiet 181 

-— A l'Étranger 181 

— Ventadour 183 

— A l'Opéra 188, 188 

— Ballet 186 

— En provlnoe et à l'étranger 180, 198 

— Traité avee Clioudens 198 

— Vente à l'étranger 197, etc. 

Lb FlOARO BIS, 3ÎB 

Le Gaulois 898, 3lî, 314, âis 

GERARD (îl 



n,g-,-ccT:G00glc 



INDEX ALPHABETIQUE 435 

Pages 

Oloux-Gloui (Air des) .93 

OouNOD : Sa famille S 

— Prix de Rome îi 

— Institut et Légion d'hoaneur. 84, 438 

— Qounod et la 9" symphonie: 1S3 

— Gounod et Berlioz )Î6 

— Gounod et Mozart , 137 

— Gotinod'B choir 387, eto. 

GrUS 433 

GUÉROULT ■. 36S 

Gtb (Covent-Garden) 300 

Halanzibr 194, 878 

Hal^vy 17, 56, (15 

HbuokL 19i, 431 

iNQBBS 38, ÏBB, !89 

JXANNE d'Asc: Reprise en 1890 , 34S 

Jugement anolaiS- Sî* 

Krauss (M") 383 

Lacombb (IJouis) 41, 847 

iACOHDAIHE 33, 391, 398 

LbbbAU 419 

LbCOCQ 57 

Leduc (Alphonse) 433 

LeoOUVÉ 381, 335 

LkMOINB 41Î, 435 

Lipicié H 

LïSUEUK 17 

LrTTLETON .- 364 

MaOALI 338, 413 

Les Martyrs 363 

MAiiRi (M'") 870 

MÉDITATION (Prflude de Bach) 71, 4îi 

MÉLODIES 34, 36, 410, etc. 

MendPLSSOHN ,...,,.., 35, 138, aOS 

Mbnpez-SSOhn (Fanny) 386, eto. 

Messe ORPHÉoNiquE ao, 894 

— Sainte-Cécile ■ 395 

— Sacré-Cœur 898 

— Jeanne d'Are 399, etc. 

MSlHODE DE COE A PISTONS. 4îî 



n,gti7cdT:G00glc 



436 INDBX ALPHABÉTIQUE 

Pagas 

UiBSiLLX : Reprùe en 1889 8i7 

Vissions étbanoèbe*, î8, *1» 

UouÈRB 97, 1(0 

Hors bt Vita. 815, «OB 

Mfiv*DA (M"*) B98 

NlEDKBMBYBB 39S 

Nina GaÊtano Î9û 

Lk Nouveau-né (Journal) !86 

Opfbnbach 66, 57, 8*0 

Orphéon 79, 894, etc. 

Palicot (M-> *M 

Pascal CProsper) 191 

Pabdeloup 55, 67 

Patti aoi, tss 

POIRSON 18, 895 

POLIOTO 363 

POLTBUCTB (UanoBcrit de).. 363, 378, 801, 811, 811, 821, et«. 

Piano *M 

Plano-pédalibr ii* 

EÉDEMPTION 311, 817, «0, StC, 

Reicha 14 

RiQAUD (Traduotlon de Miréîo) SU 

RlVlâRB 815 

RqcbefOBT 169, SÎ8, 819, 830. 

RouÉo A l'Opéba 1S5, etc. 

roqubplan *17 

La Rosaub (19 

Hotai-ty-Systrm 197 

Saint-Cloud (Incendie) 198 

Saint-Jambs-Hall 187, 190 

Sajnt-Sabns 76, ne, (13, (W 

8apho: Raprise en 188*. 80 

Schubert i«A 

SCHUMANN , 106 



SÉGUR Od" de) {jm; 

SÉRÉNADE 70, (il 

Simon (Abel> 78 

Simon (Jules) 188 

Smith 187, 896, 319 



n,gti7cdT:G00glc 



INDEX ALPHABETIQUE 

Symphonies 

TabnhaOsbr 

Tavjstock-Housb 

— L'Orphelinat 

— Soirées intimes 

— Chœur 

Théâtre Lïbhïue : Inauguration en I86î 

Thé ATBS Taitbout 

TaOMAâ (Ambroise) 

Valkntino 

Vbedi 

Veuillot 

ViABDOT (Louis} 

VlABDOT (M") 

Waqneb as, 137, 188, aoB, aos, tu 

Wbckerlin 

Weu>on (Geocgina) 181, 

— Sa méthode de chant 



— Ses publications 

— Ses conférences à Paris. . 

WlLEBM. 

WOLPP (Albert) 

YVAN LE TeBRIBLE 

ZlMMBBUAHN 



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T_A.BXjE 



Pbëf&cb 

LES COMMBNCBUBNTS DU MUSICIEN. - Le Conser- 
vatoire. — Rome. — Les MiEHiona Étrangères 

LES PREMIÈRES ŒUVRES DRAMATIQUES. -Sapho. 

— Ulysse. — La Nonne sanglante 

LES CONCERTS (de l8Si à 1861). - L'ORPHÉON i 

ŒUVRES COMPOSÉES SUR DES LIVRETS TIRÉS DE 

MOLIÈRE ET LA FONTAINE. - Le Médecin malgré 

lui. — Philémon et Baucis. — La Colombe. — Georges 

Dandin 

GOUNOD ÉCRIVAIN. (Padst avant les répétitions au 

Tbéâtre-Ljrique) t 

FAUST 1 

ŒUVRES DRAMATIQUES DE 1B60 A 187D. — La Reine 

de Saba. — Mireille. — Roméo et Juliette 3 

GOUNOD EN ANGLETERRE : 

!• Georgina Weldon.— GalUâ.— Tavistocb-House. — 
Sociétés choralea. — Éditeurs anglais î 

î" Œuvres composées à Londres.— Les manuscrits. — 

Publications de Georgina Weldon. — Le procès 3 

ŒUVRES DRAMATIQUES DEPUIS 1870. - Les deux 

Reines. ~ Jeanna d'Arc. — Cinq-Mars. — Polyeucte. 

— Le Tribut de Zamora ï 

COMPOSITIONS RELIGIEUSES ET COMPOSITIONS 

DIVERSES. - ^ES CATALOGUES HT LES ÉDI- 
TEURS. -CONCLUSION 3 

Index Alphabétique*. 



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Page 73, septième ligne : Alexandre Batta transporta.. 



Page 104, deuxième ligne : Il les épargnera du châti- 
ment... Liaex : Il leur épargnera le châtiment... 



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^■î 



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