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Full text of "Choix des poésies de Ronsard, Dubellay, Baïf, Belleau, Dubartas, Chassignet, Desportes, Regnier ..."

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RVARD COLLEGE LIBRARY 
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d of the CLASS OF. 1873 



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OTBÈ^IlIli 



CHOISIE, 

PAR une' société 







PARIS. 

BUREAU DE. LA BIBLIOTIliiQUE CHOISIE, 

KRB Fanon , H" 18; 

UÉQDlGrf ON-DAYARD , HCE di^s saikts pbbes, a" 10; 

BRIGON , RVB I>I1 yiECI COLOUtlBK, ?l ^^ I 9. 

1630. 







BMBi 



BIBLIOTHÈQUE 

CHOISIE - 



f 

PAB VNfi SOCIÉTÉ BB «BN8 BB LBTTBES, 

sous LA DIRECTION DE M. XAUEENTIE. 




V* SECTION. 

CHOIX DE POÉSIES. 



\ 



Tons les ouTrages publiée par la BiBUOTBftQoB 
ORoisia font la propriété des éditeurs ; chaque 
Tolome est empreint de son cachet : lecontse- 
facteur sera poursuiTi soÎTant la rigueur de» 
loU. 



CHOIX 



DES POÉSIES 

DE RONSARD, 



»•■-» 1 •- 



OOBBLLAV, BAÎF, BBLLSAU, DUBARTA8 , CflASSIGI^ 9> 
\ SKSPOSTKS, UEGiriBB; 

PEÉGlÊDi d'uNK iNTAODUGTIOIf 




tmprinierici de Béfhune. 

PARIS. 

BUREAU DE LA BIBLIOTHÈQUE CHOISIE» 

XUB rikov, r^ aS; 

MÉQUIGNQN-IIATARD « mCB dis SAiSTS-piiaB», r« io{ 

BRICOPf^ KDE on TiRtix-coLOiiBiBii , m" 19. 



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%W»M<W%»^^*<V»WIA^<»^^< » <<%MW^<»^>WVVVV<^WV»f»^<VWV»M^»V»W<WVV¥VV 



INTRODUCTION. 



Il s'agite actuellement en littérature une 
question fort importante : on demande si la 
poésie moderne peut retires quelque fruit de 
l'étude des écrivains françoâs y antérieurs au 
dix septième siècle. 

L'Académie des Jeux Floraux ayoit même in- 
diqué ce sujet pour son prix d'éloquence de 
cette année; et l'on sent bien que si une aca- 
N^émie de province hasarde une pareille que&- 
Nion , c'est que le statu quo de Malherbe et de 
. TBoileau menace terriblement ruine. 
/^ J'ignore si le procès-verbal annuel des Jeux 
» Floraux est déjà publié: à Paris nous ne le 
^ voyons guère ; mais un journal de provmce , 

A 



U INTRODUCTION. 

qui donnoit dernièrement quelques détails sur 
ce concours , nous apprend que le morceau 
couronné répondait affirmativenianl s^la ques- 
tion. . 

Elle y étoit vue de haut et traitée large- 
ment y comme on djt aujourd'hui : « Le moyen 
âge , s'écrioit le Lauréat , déborde sur nous 
par la litt^ature.... L'imagination peut seule 
rouvrir les sources du génie ; elle s'est préci- 
pitée sur les temps barbares ; elle y a cherché 
les vivantes puissances du moyen &ge ^ leckrifr- 
tianisme , la ehevalerie , les querelles retigidises, 
les rérolutioBS pofitiques ^ etc. » Mais ï accessit 
étoît d'un avis bien contraire; to«te la poésiie 
possible , à son sens ^ étoit contenue dam le 
grand siècle : au delà y rien que barbarie et 
confusion.... y quelques éplgrammes de Marot 
exceptées; rien que l'on pût comprendre avant 
Ronsard , et quatre vers de lisibles j tout aa 
plus , chez eelui-ci ( d'après Labarpe ). Puis 
V Accessit . tançoit vertement ces novateurs ré- 
trogmdes qui veulent nous i^oiener à l'eafance 
de la poésie y nous proposaolpotur modèlfisde» 



poètes i>flrbarê6 qui n'avoictit pas la moindre 
teinture des littératures anciennes, comme si les 
îniiaitables ^etttailis du siècle de Louis XIV 
n*étoient pas les seuls dignes d*étre imités ! 

Travaillez , jeunes lauréats , travaillez ; il se 
peut que chacun de vous ait raison : que l'Utt 
nous offre des compositions où revive tout ce 
mojen âge qu*il dépeint si bien , que Fautre 
surpasse ^ s'il peut , les illusCVes modèles qu'il 
se propose... Mais qu'il les surpasse, êntendet- 
vous? car il est impossible d'admettre une 
littârature qui ne soit pas progressive. Re- 
gardez~y à deux fois : c'est une terrible pré- 
tention que celle de perfectionner Racine , et 
cependant la question est là. 

Franchement , je vois chez le jeni^ n6'\'a- 
teur plus de conscience d'artiste , jointe à plua 
de modestie : il tespecte trop nos grands au- 
teurs pour se ha^rder dans le genre qu'ils 
ont si glorieusement occupé ; il se propose des 
modèles moins supérieurs dans uhe littérature 
peu frayée , et qui n'a atteint aucune* sorte de 
per£eetioii%' ces modèles, il peut sans trop d'*or- 



XT XMTAODUCTIOH. 

gueil espérer de le$ effacer , heareax s'il dotoît 
notre siècle d'une source féconde d'inspiration 
et commnniquoit à d'autres l'envie de le sur- 
passer lui-même dans cette entreprise. 

Car il faut Tayoner , avec tout le respect pos- 
sible pour les auteurs du grand siècle, ils ont 
trop resserré le cercle des compositions poéti- 
ques ; sûrs pour eux-mêmes de ne jamais man- 
quer d'espace et de matériaux , ils n'ont point 
songé à ceux qui leur succéderoient, ils ont 
dérobé leurs neveux^ selon l'expression du Mé- 
tromane : au point qu'il ne nous reste que deux 
partis à prendre , ou de les surpasser, ainsi que 
je vieus de dire, ou de poursuivre une littérature 
d'imitation seryilé qui ira jusqu'où elle pourra; 
c'est-à-dire qui ressemblera à cette suite de 
dessins si connue , où. par des copies successi- 
ves ^t dégradées , on parvient à faire du profil 
d'Apollon une tète hideuse de grenouille. 

De pareilles observations sont bien vieilles- , 
sans doute , mais il ne faut pas se lasser de les 
remettre devant les yeux du public , puisqu'il 
y a des gens qui ne se lassent pas de répéter 



xirraoDucTiolr. t 

les sophismes qu'elles ont réfutés depuis long- 
temps. £n général, on paroît trop craindre ^ 
en littérature, de redire sans cesse les 
bonnes raisons ; on écrit trop pour ceux qui 
savent;, et il arrive de là que les nouveaux au- 
diteurs qui surviennent tous les jours à cette 
grande querelle, ou ne comprennent point 
une discussion déjà avancée, ou s'indignent de 
voir tout à coup, et sans savoir pourquoi , re- 
mettre en question des principes adoptés de- 
puis des siècles. 

Il ne s'agit donc pas ( loin de nous une telle 
pensée 1 ) de déprécier le mérite de tant de 
grands écrivains à qui la France doit sa gloire*; 
mais n'espérant point de faire mieux qu'eux, 
de <:hercher à faire autrement ^ et d'abordev 
tous les genres de littérature dont ils ne se sont 
point emparés; 

Et ce n'est pas à dire qu'il faille pour cela 
imiter les étrangers. Mais seulement suivre 
l'exemple qu'ils nous ont donné , en étudiant 
profondément nos poètes primitifs , comme ils 
ont fait des leurs. 



iw** 



tl IMTEOBVCnOV. 

€âir toute littérature pràânhive est nationale, 
ii*étant ttéée que pour répondre à un besoin , 
et conformément au e<iractèfe et aux moeurs du 
peupla qui Tadopte ; d*où il suit que^ de mente 
qu'une graine contient un arbre entier, les 
premiers essais d'une littérature renferment 
tous les germes de son développement futur ^ 
de son développement complet et définitif. 

Il suffit pour faure comprendre ceci, de 
rappeler ce qui s'est passé chet nos voisins : 
après des littératures d'imitation )étrahgère, 
comme étoit notre littérature dite dassique, 
après le siècle de Pope et d'Adîsson , après ce- 
lui de Yieland et de Lessing, quelques gens à 
courte vue ont pu croire que tout étoit dit 
pour l'Angleterre et pour l'Allemagne.... 

Tout! excepté les chefs-d'œuvre de Walter- 
Scott el de Byron, excepté ceux de Schiller et 
de Goethe ; les uns , produits spontanés de leur 
époque et de leur sol; les autres, nouveaux 
et forts rejetons de la souche antique t tous 
abreuvés à la source des traditions, des ixispi-^ 
rations primitives de leur patrie, plutôt qu'à 
celle de rhypocrènc. 



ÏNtk ODÙCTIÔîr. VII 

Àînst, que personne lie dise à Vart : tu n^i^ 
ras pas plus loin! au siècle, tu ne peux dé- 
passée les siècles c^di t'bnt précède !.. C'est là ce 
que prétendoit l'antiquité en posant les bornes 
â*Hercule : le indyfen âge les a méprisées et il 
a découvert un mondé. 

Péof-êtrc ne rèste-t-il plus de inondés à dé- 
eotrrrft; peut-être le dohiaine de rintelligencé 
est41 au complet anjouM'h'ui et que Ton peut 
en faire lé fout, comme du globe : mais il né 
snfïif pas que tout soit découvert ; dans cé cas 
même, il faut cultiver, il faut perfectionner 
ce qui est resté inculte Ou itoparfait. Que de 
plaines existent que la culture aui^ôit rendues 
fécondes I que de riches matériaux , auxquels 
il n*a manqué que d'étré mis en œuvre par 
des mains habiles! que de rtiines de monu- 
ments inachevéSr... Voilà ce qui s'oflre à nous, 
et daiid notre patrie même , à nou^ qui nons 
étionis bornés si long-temps à dessiner magni- 
fiquement quelques jardins royaux , à les en - 
combrer de plantes et d*arbres étrangers con- 
servés à grandi frais , à les surcharger de dieux 



TOI ZNTEODUCTIOV. 

de pierre, k les décorer de jets d'eau et d*ar-- 
bres taillés en portiques. 

Mais arrêtons nous ici , de peur qu'en com- 
battant trop vivement le préjugé qui défend à 
la littérature françoise , comme mouvement 
rétrograde, un retour d'étude et d'investiga- 
tion vers son origine , nous ne paroissions nous 
escrimer contre un fantôme , ou frapper dans 
l'air comme Entelle : le principe étoit plus con-> 
testé au temps où un célèbre écrivain allemand 
envisageoit ainsi l'avenir de la poésie fran- 
çoise. 

» Si la poésie (nous traduisons M. Schl^el) , 
pouvoit plus tard refleurir en France, je crois 
que cela ne seroit point par l'imitation des 
Anglois ni d'aucun autre peuple; mais par un 
retour à l'esprit poétique en général, et en 
particulier à la littérature françoise des temps 
anciens. L'imitation ne conduira jamais la 
poésie d'une nation à son but définitif, et sur- 
tout l'imitation d'une littérature étrangère par- 
venue au pins grand développement intellec- 
tuel et moral dont elle est susceptible :. mais il 



y 



XNTRODUCmON. IX 

suffit à chaque peuple de remonter à la source 
de sa poésie y et à ses traditions populaires, 
pour y distinguer, et ce qui lui appartient en 
propre et ce qui lui appartient en commun 
avec les autres peuples. Ainsi ^ Tinspiration 
religieuse est ouverte à tous, et toujours il en 
sort une poésie nouvelle , convenable à tous 
les esprits et à tous les temps : c'est ce qu*a 
compris Lamartine, dont les ouvrages an- 
noncent à la France ime nouvelle ère poé- 
tique, etc. » 

Mais avions nous en bffet une littérature 
avant Malherbe ? observent quelques irrésolus, 
qui n*ont suivi de cours de littérature que celui 
de Laharpe. — Pour le vulgaire des lecteurs , 
non ! Pour ceux qui voudroient voir Rabelais 
et Montaigne mis en françois moderne ;. pour 
ceux à qui le style de La Fontaine et de Molière 
paroit tant soit peu négligé, non I Mais pour ces 
intrépides amateurs de poésie et de langue fran- 
çoise, que n'effraie pas un mot vieilli, que 
n'égaie pas une expression triviale ounaîve, que 
ne démontent point les oncques^ les ainçois 



X IRTaODITCTION. 

et les ores, oui ! Poar les étrangers qui ont 
poisé tant de fois à cette âonfoe, oni!... Du 
reste, ils ne Craignent point de le reconnoitre', 
et rient bien fort de Toir souyent ilos écrivains 
s'accuser humblement d*avoir pris chez eux 
des idées qu'eux mêmes ayoient déirobées à 
nos ancêtres. 

Mais avant d'allef plus loin , posons la ques- 
tion de manière à la faire mieux compretidre, 
et profitons pour cela de la division indiquée 
par M. Sainte-Beuve^ dans son excellent tableau 
de la poésie au seizième siècle , qui attribue à 
l'école de Ronsard , et non pas à Malherbe, 

' Tous les critiques étrangers s'accordent sm* ce 
point. Citons entre mille un passage d'une revue an- 
glaise, rapporté tout récemment parle Mercure, et 
qui faisoit partie d'un article où notre littérature 
étolt fort maltraitée : « Il seroit injuste cependant 
de ne point reconnoître que ce fut aux François que 
l'Europe dut sa première impulsion poétique , et que 
la littérature romane , qui dUtingae te génie de CEu^ 
rope moderne du génie classique de l'antiquité , naquit 
avec les trouveurs et les conteurs du nord de la 
France^ les jongleurs et les ménestrels de Provence. 



iNT^LoniiçTiair* xi 

rétabltsseniie^tdu systèoie cl9s»i(|Tie ea Fraace; 
on n'avoit pas ji^sques^-lÀ appuyé as^ez sur 
cette circanstance , à cai^e da peu de ca» qvie 
l'on faisoit, è^ tortj^ àfis poètes du seizième siècle^ 
Nous dirons donc maint eniint : exktoit-il- 
une littérature nationale ayant ^.onsard ? mais 
une littérature complète , capable par eUe-<^ 
même y et à elle seuJie, d'inspirer des bommes 
de génie 9 et d'alimenter de vastes conceptions? 
Une simple ^numération va nous prouver qu'elle 
existoit : qu'elk existoît, divisée en dei^x par- 
ties bien distinctes, comme la nation eUe-mème» 
et dont par conséquent Tune que les critiques 
allemands appellent lUtérature chevaleresque 
sembloit devoir son origine anx Kormands » 
aux Bretons, aux Provençaux et peut-être anx 
Francs (la noblesse s'en empara), dont l'autre, 
native du coçur même de la France , et es- 
sentiellement populaire est assez bien carac- 
térisée par l'épithète de gauloise. 

La première comprend ; les poëmes bîsto- 
riques , tels que les roupians de Bou ( KoUon ) 
et du Brut, la Philippide,le combat des trente 



Xn IlTTEODUGTIOir. 

Bretons , etc.; les poèmes chevaleresques , tels 
que le St.'-Gmal, Tristan , Peurtenopex, LancC" 
iot y etc. ; les poèmes allégoriques , tels que le 
roman de la Rose y du Renard y etc., et enfin 
toute la poésie légère, chansons, ballades, lais , 
chants royaux , plus la poésie provençale ou 
romane toute entière. 

La seconde comprend les mystères, mora- 
lités et farces (y compris Patelin); les fabliaux, 
contes, facéties, livres satyriques, noels, etc., 
toutes œuvres où le plaisant dominoit, mais 
qui ne laissent pas d'offrir souvent des mor- 
ceaux profonds ou sublimes , et des enseigne- 
mens d'une haute morale parmi des flots de 
gafté frivole, et licencieuse. 

Hé bien ! qui n'eut promis l'avenir à une 
littérature aussi forte, aussi variée dans ses 
élémens, et qui ne s'étonnera de la voir tout 
à coup renversée, presque sans combat, par 
une poignée de novateurs qui prétendoient 
ressusciter la Rome morte depuis seize cents 
ans , la Rome romaine , et la ramener victo- 
rieuse, avec ses costumes, ses formes et ses 



IlTTaODUCTION. XUI 

dieux , chez un peuple du nord , à moitié com- 
posé de nations germaniques, et dans une so- 
ciété toute chrétienne : ces noyateurs, c'étoient 
Ronsard et les poètes de son école ; le mou- 
vement imprimé par eux aux lettres s'est con- 
tinué jusqu'à nos jours. 

Ce seroit perdre de vue le plan de ce vo- 
lume que de nous occuper à faire l'histoire de 
la décadence de la haute poésie en France ; car 
elle étoit vraiment en décadence au siècle de 
Ronsard ; flétrie dans ses germes , morte sans 
avoir acquis le développement auquel elle 
sembloit destinée ; tout cela , parce qu'elle n'a* 
voit trouvé pour l'employer que des poètes de 
cour qui n'en tiroient que des chants de fêtes 
d'adulation et de fade galanterie; tout cela» 
faute d'hommes de génie qui sussent la com- 
prendre , et en mettre en œuvre les riches ma- 
tériaux. Ces hommes de génie se sont rencon- 
trés cependant chez les étrangers , et l'Italie 
surtout nous doit ses plus grands poètes du 
moyen âge : mais chez nous, à quoi avoient 
abouti les hautes promesses des douzième et 



XXV nrr&ODV€TTOir. 

treizîènie sièdes? A je ne sais quelle poésie rU 
dieule , oùia contrainte métrique, où des tours 
de force en fait de rime, tenoient Ken de 
couleur et de poésie; à de fades t/t obsciirs 
poèmes allégoriques, à des légendes lourdes 
et diffuses , à d*arides récits historiques rimé6| 
toiit cela recouvert d'un langage poétique, plus 
vieux de cent aas que la prose et le langage 
«suel 9 car les rimcurs d'alors imitoient si ser- 
vilement les poètes qui les a voient précédés , 
qu'ils en conservoient môme la langue suran- 
née. Aussi I tout le monde s'étoit dégoûté de 
la poésie dans les genres sérient, et l^on ne 
s'occupoit plus qu'à traduire les poèmes et ro- 
mans du donaième siècle dans cetfe prose qui 
crobsoit tous les jooes en grâce et en vigueur. 
Enfin, il fut décidé qoe la langue fraucoise 
n'étoit pas propre à la haute poésie, et les sa- 
vons se hâtèrent de profiter de cet arrêt, povnr 
prétendre qu'cm ne devoit pkis la traiter qu'en 
vers latins et en vers grecs. 

Quant à la poéaie populaire, grâce à Villon 
et a Marot ,. eUe avoîlr marché de front avec la 



iRTRODucneH. xr 

prose iilustrëe par les JoinTÎHe» les Frobsart 
et les Rabelais : mai^^ Marot éteint, son écok 
n'étoit pas de taille à le continuer : ce fut elle 
cependant qui opposa à ftonsard la plusse* 
rieuse résistance, et certes^ bien qu'elle se 
comptât plus d'hon»mes supérieurs , elle éloit 
aasett forte sur Tépi^ainme i lâ tenaille de 
MeUin ' , quipinçoit si fort Eonsard au milieu 
de sa gloire , a fait proyerbe. 

Je ne sais si le peu de phrases qtie je Tien» 
de hasarder suffit pour montrer la littérature 
d'alors dans cet état d'interrègne qui suit la 
mort d'un grand génie, ou la fin d'une brillante 
époque littéraire , comme cela s'est Vu plu- 
sieurs fois depuis; je ne sais si l'on se repré»- 
sente bien le troupeau des écrirains du second 
ordre se tournant inquiet à droite et à gauche 
et cherchant un guide : lés uns fidèles à la 
mémoire des grands hommes qui ne sont plus 
et laissant dans les rangs une place pour leut 
ombre; les autres tourmentés d'un vague dé- 

' Meliin de Saint-GelaU. 



XVI XNTEODUCTlOir. 

sir d'innoyation qui se produit en essais ri- 
dicules ; les plus sages faisant des théories et 
des tradactions.... Tout à coup un homme 
apparoft, à la voix forte , et dépassant la foule 
de la tête: celle-ci se sépare en deux partis, 
la lutte s'engage ; et le géant finit par triom- 
pher, jusqu'à ce qu'un plus adroit lui saute sur 
les épaules et soit seul proclamé très-grand. 

Mais n'anticipons pas : nous sommes en i549) 
et à peu de mois de distance apparoissent la 
défense et illustration de la langue frtinçoise * , 
et les premières odes pindariques de Pierre de 
Ronsard. 

La défense de la langue françoise, par J. 
Dubellay, l'un des compagnons et des élèves 
de Ronsard, est un manifeste contre ceux qui 
prétendoient que la langue françoise étoît 
trop pauvre pour là poésie, qu'il falloit la lais- 
ser au peuple , et n'écrire qu'en vers grecs et 
latins; Dubellay leur répond : « que les lan- 

■ Par I. D. B. A. ( Joachim Dubellay. ) Paris, Ar- 
Doul Angelier, 1649. Le privilège date de i548* 



nrTaoDtfCTioir. xvii 

gaes ne sont pas nées d'elles-mêmes en façon 
d'herbes, racines et arbres; les unes infirmes et 
débiles en leurs espérances; les autres saines 
et robustes, et plus aptes à porter le faix des 
conceptions humaines, mais que toute leur 
vertu est née au monde, du vouloir et arbitre 
des mortels. C'est pourquoi on ne doit ainsi 
louer une langue et blâmer l'autre , vu qu'elles 
viennent toutes d'une même source et origine : 
c'est la fantaisie des hommes; et ont. été for- 
mées d'un même jugement à une même fin : 
c'est pour signifier entre nous les conceptions 
et intelligences de l'esprit. Il est vrai que par 
succession de temps , les unes pour a^oir été 
plus curieusement réglées sont devenues plus 
riches que les autres; mais cela ne se doit at- 
tribuer à la félicité desdites langues ; mais au 
seul artifice et industrie des hommes. A ce 
propos , je ne puis assez blâmer la sotte arro* 
gance et témérité d'nucnns de notre nation, 
qui n'étant rien moins que grecs ou latins dé- 
prisent ou rejettent d'un sourcil plus que stoî- 
que, toutes choses écrites en François. » 



B* 



XVIII MTRODUCnOV. 

Il continue en prouvanl que la langue fran* 
çeUe ne doit pas être appelée barbare ^ et re^ 
cherche cependant pourquoi elle n'est pas si 
riche que les langues grecque et latine : « on 
le doit attribuer à Tignorançe de nos ancêtres ^ 
qui f ayant en plus grande recommandation le 
bien faire que le bien -dire, se sont prirés de la 
gloire de leurs bienfait^ y et nous du fruit de 
l'imitation d'iceux, et par le même moyen ^ 
nous ont laissé notre langue si pauvre et nue y 
qu'elle a besoin des omemens , et, s'il faut par- 
ler ainsi, des plumes d'autrui. Mais qui vou- 
droit dire que la grecque et romaine eussent 
toujours été en l'excellence qu'on les a vues au 
temps d'Horace et de Démosthène, de Virgile 
et de Cicéron? £t si ces auteurs eussent jugé 
que jamais pour quelque diligence et culture 
qu'on y eût pu faire , elles n'eussent su pro» 
duire plus grand fruit, se fassent-ils tant ef- 
forcés de les mettre au point où nous le&v 
voyons maintenant? Ainsi puis 'je dire de notre 
langue qui commence encore à fleurir, sanSv 
fructifier : cela , certainement y non pour le 



iirTROMjcnoif. XIX 

déàmt de sa nature» àusti apte à epgendref 
que les autres , nais par la faute de ceux qui 
l'ont eu en garde et ne l'ont euitivée à suffi** 
sance. Que si les anciens Romains eussent été 
aussi négligés à la <;ulture de leur langue, 
quand premièrement elle commença à pulluler; 
pour ceiHain , en si peu de temps elle ne fàt 
devenue si grande ; maïs eux en guise de boAs 
apiculteurs ^ l'ont premièrement transmuée 
d'un liA sauvage dans un lieu domestique ^ 
puis; afin que plutôt et mieux elle pàt fructi- 
fier, coupant à Tentour les iniïtiles rameaux ^ 
l'ont pour échange d'iceux restaurée de ra« 
meaux francs et domestiques , magistralement 
tirés de la langue grecque , lesquels soudaine-* 
ment se sont si bien entés et faits semblables 
à leurs troncs» que désormais ils n'apparois^ 
sent plus- adoptifs, mais naturels. » 

Suit une diatribe contre les traducteurs qui 
abondoient alors , comme il arrive toujours à 
de pareilles époques littéraires* Dubellay pré* 
tend « que ce labeur de traduire n'est pas un 
moyen suffisant pour élever notre vulgaire à 



XX INTRODUCTIOH. 

régal des aatres plus fameuses langues. Que 
faut-il donc ? Imiter ! imiter les Romsdns , 
comme ils ont fait des Grecs; comme Cicéron 
a imité Démosthène, et Virgile ^ Homère. » 

Nous venons de voir ce qu'il pense des fai- 
seurs de vers latins, et des traducteurs; Toicl 
maintenant pour les imitateurs de la vieille lit- 
térature : « £t certes , 'comme ce n'est point 
chose vicieuse, mais grandement louable, d'em- 
prunter d'une langue étrangère les sentences 
et les mots, et les approprier à la sienne : 
aussi, est-ce chose grandement à reprendre, 
voire odieuse à tout lecteur de libérale nature ,^ 
de voir en une même langue une telle imita- 
tion, comme celle d'aucuns savans mêmes, qui 
s'estiment être des meilleurs plus ils ressem- 
blent un Héroet ou un Marot. Je t'admoneste^ 
donc, ô toi, qui désires l'accroissement de ta- 
langue et veux y exceller , de n'imiter à pied 
levé , comme naguère a dit quelqu'un , les plus» 
fameux auteurs dlcelle; chose certainement 
aussi vicieuse , comme de nul profit à nôtres 
vulgaire, vu que ce n'est autre chose, sinom 
Ini donner ce qui étoît à lui. » 



UrTAODUCTIOir. XXI 

n jette un regard sar FaTenir et ne croit 
pas qu'il faille désespérer d'égaler les Grecs 
et les Romains : « Et conune Homère se plai- 
gnoit que de son temps les corps étoient trop 
petits, il ne faut point dire que les esprits mo- 
dernes ne sont à compara aux anciens; l'ar- 
chitecture , l'art du navigateur et autres in- 
yentions antiques, certainement sont admi- 
rables , et non si grandes toutefois qu'on doive 
«stimer les cieux et la nature d'y avoir dé- 
pensé toute leur vertu, vigueur et industrie. 
Je ne produirai pour témoins de ce que je dis 
rimprimerie, sœur des muses et dixième d'elles, 
et cette non moins admirable que pernicieuse 
foudre d'artillerie; avec tant d'autres non an- 
tiques inventions qui montrent véritablement 
que par le long cours des siècles, les esprits 
des hommes ne sont point si abâtardis qu'on 
voudroit bien dire. Mais j'entends encore quel* 
que opiniâtre s'écrier : ta langue tarde trop à 
recevoir sa perfection; et je dis que ce retar- 
dement ne prouve point qu'elle ne puisse la 
recevoir; je dis encore qu'elle se pourra te* 



XXII iHTftoovcrioir. 

nir certain de la garder lonffucment , f ayant 
acquise avec si longue peine : suivant la loi de 
nature qui a voulu qne tout arbre qui naft 
fleurit et fructifie bientôt , bi^itôt aussi vieil** 
Usse et meure, et ou contraire que celui là 
dure par longues années, qui a longuement 
travaillé à jeter ses racines. » 

Ici finit le premier livre oÀ i! n'a été encore 
question que de la langue et do style poétique : 
dans le second, la question est abordée plus 
franchement , et l'intention de renverser l'an- 
cienne littérature et d*y substituer les fonnes 
antiques est exprimée avec plus d*audace : 

« Je penserai avoir beaucoup mérité des 
miens si je leur montre seulement du doigt le 
chemin qu'ils doivent suivre pour atteindre à 
l'excellence des anciens : mettons donc pour le 
commencement ce que nous avons , ce me 
sçmble, assez prouvé au premier livre. C'est 
que sans l'imitation des Grecs et Romains, 
nous ne pouvons donner à notre langue Tex* 
cellence et lumière des autres plus fameuses. 
Je sais que beaucoup me reprendront d'avoii* 



INTROO<7GTIOir. XXHl 

osé| ie premier des Françoi», introduire quasi 
oae uouyelle poésie , ou ne se tiendroient plai* 
nement satisfaits, tant pour la brièveté dont 
j'ai Toulu user que pour là diversité des esprits 
dont les uns trouvent bon ce que- les antres 
trouvent mauvais. Marot me plait, dit quel* 
qu'un, parce qu'il est facile et ne s'éloigne 
point de la commune manière de parler; Héroët, 
dit quelqu'aatre , parce que tous ses vers sont 
doctes, graves et élaborés; les autres d'un 
autre se délectent. Quant à moi telle supersti- 
tion ne m'a point retiré de mon: entreprise, 
parce que j*ai toujours estimé notre poésie 
françoise être capable de qoehpie plus haut et 
merveilleux style que celui dont nous nous 
sommes si longuement contentés. Disons donc 
brièvement ce que nous semble de nos poètes 
François. 

« De tous les anciens poètes françois , quasi 
un seul, Guillaume de Loris et Jean de Meun% 
sont dignes d'être lus, non tant pour ce qu'il 

' Âatetirs dn romao de la Rote. 



XXIT IZrTROOUGTION. 

y ait en eux beaucoup de choses qui se dow 
yent imiter des modernes, que pour y yoii* 
quasi une première image de la langue Fran- 
çoise , yénérable pour son antiquité. Je ne 
doute poinrque tous les pères crîeroient la honte 
être perdue si j'osois reprendre ou émender 
quelque chose en ceux que jeunes ils ont appris, 
ce que je ne veux faire aussi; mais bien sou- 
tiens-je que celui-là est trop grand admirateur 
de Fancienneté qui veut défrauder les jeunes 
de leur gloire méritée : n'estimant rien , sinon 
ce que la mort a sacré, comme si le temps 
ainsi que les vins rendoit les poésies meilleures. 
Les plus récents , même ceux qui ont été nom- 
més par Clément Marot en une certaine épi- 
gramme à Salel , sont assez connus par leurs 
œuvres; j'y renvoie les lecteurs pour en faire 
jugement. » 

Il continue par quelques louanges et beau- 
coup de critiques des auteurs du temps , et re- 
vient à son premier dire , qu'il faut imiter les 
anciens, « et non point les auteurs f rançois, pour 
ce qu'en ceux-ci on ne sauroit prendre que 



iKTRODUCTIOir. XXV 

bien peu , comme la peau et la couleur, tandis 
qu'en ceux-là on peut prendre la chair, les os, 
les nerfs et le sang. » 

» Lis donc, et relis premièrement, ô poète 
futur, les exemplaires grecs et latins : puis, 
me laisse toutes ces vieilles poésies françoises 
aux jeux floraux de Toulouse et au Puy de 
Rouan : comme rondeaux, ballades, virelab, 
chants royaux, chansons et autres telles épice- 
ries qui corrompent le goût de notre langue, 
et ne serrent sinon à porter témoignage de notre 
ignorance. Jette-toi à ces plaisants épîgram-* 
mes , non point comme font aujourd'hui un tas 
de faiseurs de contes nouveaux qui en un dixain 
sont contens n'avoir rien dit qui vaille aux 
neuf premiers vers, pourvu qu'au dixième il y 
ait le petit mot pour rire, mais à l'imitation 
d'un Martial, ou de quelque autre bien ap- 
prouvé; si la lascivité ne te platt, mêle le pro- 
fitable avec le doux; distille avec un style cou- 
lant et non scabreux de tendres élégies, à 
l'exemple d'un Ovide, d'un Tîbulle et d'un 
Properce; y entremêlant quelquefois de ces 

c 



{ 



XXTI UTTHODUCTION* 

fables anciennes , non petit ornement de po^ie. 
€Iiante-moi ces odes inconnues encore de la 
langue françoise, d'un luth bien accordé au son 
de la lyre grecque et romaine , et qu'il n^ ait 
rien où apparoisse quelque vestige de rare et 
antique érudition. Qu^nt aux épitres , ce n*e&t 
un poème qui puisse grandement enrichir 
notre vulgaire, parce qu'elles sont volontiers 
de choses familières, et doniÈestiqueSy si tu- ne 
les voulois faire à l'imitation d'élégies comme 
Ovide, ou sentencieuses et graves comme Ho- 
race: autant te dis-je des satyres que les Fran- 
çois, je ne sais comment, ont nommé coqs à 
l'àne, auxquelles je te conseille aussi p<a 
t'exercer, si ce n'est a l'exemple d£s anciens 
en vers héroïques , et sous ce nom de satyre, 7 
taxer modestement les vices de ton temps et 
pardonner aux noms des. personnes vicieuses. 
Ju as pour ceci Horace , qui, selon Quîntilieu, 
tient le premier Heu euïre les satyriques. 
iSo/iae-oioi ces beasex sonnets <; non moins 

' Sonne-moi ces sonnets : Ceci est un trait du mao- 
wtAs goût d'alors , a\iquel le jeune noYateur n'a pu 



* INTIODVCTIOH. * XXTII 

doct« que plaisante invention italienne , pour 
lequel ta as Pétrarque et quelques modernes 
Ifaltens. Chanfee-moi d'nne musette bien réson- 
nante les plaisantes égloçues rustiques à Texem- 
pie de Théocrite et de Virgile. Quant aux co- 
médies et tragédies , si les rcns et les repu- ' 
bliques les vouloient restituer en leur ancienne 
dignité qu'ont usurpée les farces et moralités y 
je serois bien d* opinion que tu t*y employasses, 
et si ta le veux faire pour l'ornement de la 
langue, tu sais où ta en dois trouver les arche- 
types.» 

Je ne crois pas qu'on me reproche d'avoir 
cité tout entier ce chapitre oa la révolution 
littéraire est si audacieusement proclamée ; il 
est curieux d'assister à cette démolition com- 
plète d'une littérature du moyen âge, au profit 
de tous les genres de composition de l'anti- 

entièrement se soustraire. Nous trouvons plas haut: 
Distille avec un ttyle, Ronsard lui-même a cédé 
quelquefois à ce plaisir de jouer sur les mots : Dorât 
qui Ttdore le langage françois ; Mellin aux paroles de 
sim/ , etc. 



XXVIII • INTRODUCTION. 

qiiitë et la réaction analogue qui s*opère an- 
jourd'hui doit lui doqner un nouvel intérêt. 

Dubellay conseille encore l'introduction dans 
la langue françoise de mots composés du latin 
et du grec , recommandant principalement de 
s'en servir dans les arts et sîences libérales. 
U recommande , avec pluis de raison , Tétude 
du langage figuré dont la poésie françobe 
avoit jusqu'alors peu de connoissance ; il pro- 
pose de plus quelques nouvelles alliances de 
mots accueillies depuis presque toutes : a d'oser 
hardiment de l'infinitif pour le nom, comme 
Voiler y le chanter , le vivre ^ le mourir; de l'ad- 
jectif substantivé , comme le vide de Vair, le 
frais de V ombre , V épais des forêts ; des verbes 
et des participes, qui de leur nature n'ont 
point d*infinîtifs après eux , avec des infinitifs, 
comme : tremblant de mourir pour craignant 
de m^ourir, etc. Garde- toi encore de tomber en 
un vice commun , même aux plus excellens 
de notre langue ; c'est l'omission des articles. » 

« Je ne veux oublier l'én^endation , partie 
certes la plus utile de nos études ; son office 



ihtroductiov; zxix 

«si d'ajouter, 6ter, ou chaDger à loisir ce que 
la première impétuosité et ardeur d'écrire 
ji'aToit permis de faire ; il est nécessaire de re^ 
mettre à part nos écrits nouveaux nés, les re»> 
Yoir souvent, et en la manière des ours, leur 
donner forme , à force de lécher. Il ne faut 
pourtant y être trop superstitieux , ou , comme 
les éléphans, leurs petits, être dix ans à en&n- 
ter ses vers. Surtout nous convient avoir quel- 
ques gens savans et fidèles compagnons qui 
puissent connoître nos fautes et ne craignent 
pas de blesser notre papier avec leurs ongles. 
Encore te veux-je avertir de hanter quelquefois 
non-seulement les savans, mais aussi toutes sortes 
d'ouvriers et gens mécaniques, savoir leurs in- 
ventions, les noms des matières et termes usités 
en leurs arts et métiers pour tirer de là de belles 
comparaisons et descriptions de toutes choses» 
» Tous semble *t-il pas, messieurs, qui êtes 
si ennemis de votre langue , que notre poète 
ainsi armé puisse sortir en campagne, et se 
montrer sur les rangs avec les braves esca- 
drons grecs et romains. Et vous autres si mal 



o* 



i 



XXX UlTILODUCTIOir. 

é<{uipës, dont rignorance a donné le ridicule 
nom de rimeur à notre langue, oserez-rons 
bien endurer le soleU , la poudre et le dangc^ 
reux labeur de ce combat? Je suis d'avig que 
vous vous retiriez au bagage avec les pages et 
laquais y ou bien (car j*ai pitié de ▼eus) aous 
les frais ombrages 9 entre les dames et damoi- 
selles où vos beaux et mignons écrits , non 
de plus longue durée que votre Tie^ seront re- 
çus , admirés et adorés. Que plût aux Muses 
pour le bien que je yeux à notre langue que 
vos ineptes œuvres fussent bannies non sâi- 
lement, comme elles le sont des bibUotbè- 
ques des savans y mais de toute Ja France. » 

On voit que les disputes littéraires de ce 
temps n*éloient pas moins animées qu'elles le 
sont aujourd'hui; Dubellay s'écrie qu'il faudroit 
que tous les rois amateurs de leur langue» dé- 
fendissent d'impximer les œuvres de ces igno- 
rans^ 

« Obi combien je désire voir sécher ces 
printemps y châtier ces petites jeunesses, rabattre 
CCS coups d'essai y ia^vir ces fonudnes y bref abolir 
ces beaux titres suhisans pour dégoûter tout 



iVTRODucrrioir; xxxt 

lecteur sayant d^en lire dayantage! Je ne souhaite 
pas moins que ces dépourvus y ces humbles es^ 
pemnts, ces bannis de Liesse, ces esclaves , ces 
traverseurs ' y soient renvoyés k la table ronde, 
et ces belles petites deyises am gentilshommes^ 
et damoiselles , d'où on les a empruntées. Que 
dirai -je plus? Je supplie à Phébus Apollon, 
que la France , après ayoîr été si longuement 
stérile, grosse de lui, enfuite bientôt un poète 
dont le luth bien résonnant fasse tarir ces en- 
roués cornemuses, non autrement que les gre- 
nouilles quand on jette une pieire en leur ma- 
rais ' » 

' Allusion anz ridicules . surnoms que prenoient 
les poètes du temps : t* Humble espérant ( Jehan le 
Blond ] ; le Banni de Liesse ( François Habert ) ; tEs- 
eiave foritmé ( Michel d'Am boise ) ; le Traverseur tteè^ 
voies périlleuse» ( Jehan Bouchet ). Il y avoit eocore 
le Solitaire ( Jehan Gohorry ); l'Esperonnier de disei" 
pline ( Antoine de Sais ) » etc. , etc. 

'Il 8*agit là de Pierre de Ronsard , annoncé 
comme le Messie par ce nouveau St.- Jean. Dubellay 
iH-il voulu équÎToquer sur le prénom de Ronsard 
avec cette figure de la pierre^ Qe serait peul*êtr« 
aller trop loin que de le supposer. 



XXUI INTRODUCTION. 

Après une nouvelle exhortation aux Fran- 
çois d'écrire en leur lan^ie, Dubellay finit 
ainsi : « Or nous Yoici , grâce à Dieu , après 
beaucoup de périls et de flots étrangers , ren- 
due au port à sûreté. Nous avons échappé du 
milieu des Grecs et au travers des escadrons 
romains, pénétré jusqu'au sein de la Ffance, 
tant désirée France. Là , donc , François , mar- 
chez courageusement vers cette superbe cité 
romaine, et de ses serves dépouilles ornez 
vos temples et autels. Ne craignez plus ces oies 
criardes, ce fierManlie et ce traître Camille, 
qui sous ombre de bonne foi vous surprennent 
tous nus comptant la rançon du Capitole. 
Donnez en cette Grèce menteresse et y se- 
mez encore un coup la fameuse nation des 
Gallogrecs. Pillez-moi sans conscience les sacrés 
trésors de ce temple Delphique, ainsi que vous 
avez fait autrefois, et ne craignez plus ce muet 
Apollon ni ses faux oracles. Vous souvienne de 
votre ancienne Marseille, seconde Athènes; et 
de votre Hercule gallique tirant les peuples 
après lui par leurs oreilles avec une chaîne atta- 
cbée à sa langue. « 



IVTEODUCTXOir. XXX lU 

C'est tin Hyre bien remarquable que ce livre 
■de Dnbellay ; c'est un de ceux qui jettent le plus 
de jour sur l'histoire de la littérature françoise , 
et peut-être]] aussi le moins connu de tous les 
traités écrits sur ce sujet : je ne sache pas qu'au- 
cun auteur s'en soit servi depuis deux siècles , 
si ce n'est M. Saint e-Benye qui en a donné une 
analyse. Je n'aurois pas hasardé cette citation , 
beaucoup plus longue encore , si je ne la re^ 
gardois comme l'histoire la plus exacte que l'on 
puisse faire de l'école de Ronsard. 

£n effet, fout est là : à voir comme les ré-- 
formes préchées , les théories développées d.in$ 
la Défense et illustration de la langue française 
ont été fidèlement adoptées depuis et mises en 
pratique dans tous leurs points , il est même 
difficile de douter qu'elle ne soit l'œuvre de 
cette école toute entière : je veux dire de Ron- 
sard, Foutus deThiard, Rémi Belleau, Etienne 
Jodelle, J. Antoine de Baïf, qui joints à Du- 
bellay, composolent ce qu'on appela depuis la 
Pléiade ' . Du reste , la plupart de ces auteurs 

* Il est à remarquer qae VJilutiratUm ne parle qo- 



XXXIT IlfTEODDCSnOir. 

aroient déjà écrit beaucoup d'ouvtaf;es dans le 
système prêché par Dubellay , bien qu*ils ne les 
eussent point fait encore imprimer : de plus i| 
est question des odes dans Y Illustration ^ et 
Ronsard dit plus tard dans une préCaoe avoir 
le premier introduit le mot ode dans la langfue 
françoise ; ce qu*on n'a jamais contesté. 

Mais soit que ce livre ait été de plusieurs 
mains y soit qu'une seule plume ait exprimé le$ 
vœux et les doctrines de toute une associalion 
de poètes , il porte l'empreinte de la plus com- 
plète ignorance de Tancienne littérature fran- 
çoise ou de la plus criante injustice. Tout le mé- 
pris que Dubellay professe, à juste titre , envers 
les poètes de son temps imitateurs des vieux 
poètes 9 y est , à grand tc^^t , reporté aussi sur 
ceux-là qui n'en pouvoient mais. C'est comme 
si , aujourd'hui , on en vouloit aux auteurs du 
grand siècle de la platitude des rimeurs modex*- 
nés qui marchent sous leur invocation. 

minatirement d'aucun d'entre eux; ptasieurs cepeD* 
dant étoient déjà connus. Il ine semble que Dubellay 
n'auroit pas manqué de citer seç amis , s'il eût 
porté seul la parole, s 



iirraoBUCTioîT. xxxr 

Se peut-il que Dubellay, qui recommande si 
fort d'enter sur le tronc national prêt à p^rir 
des branches étrangères, ne songe point même 
qu'une meilleure culture puisse lui rendre la 
vie et ne le croie pas susceptible de porter des 
fruiU par lui-même. Il conseille de faire des 
mots d'après le grec et le latin , comme si les 
sources eussent manqué pour en composer de 
noureaux d'après le vieux François seul ; il 
appuie sur rintroduction des odes, élégies, 
satires , etc. , comme si toutes ces formes poé- 
dqnes n'iEivoient pas existé déjà sons d'autres 
noms ; du poème antique , comme si les chro- 
niques normandes et les romans chevaleres- 
ques n'en remplissoient pas toutes les condi- 
tions j appropriées de plus au caractère et à 
ITiistoîre du moyen âge ; de la tragédie , comme 
sll eut manqué aux mystères autre chose que 
d'être traités par des hommes de génie pour 
devenir la tragédie du moyen âge , plus libre et 
plus vraie que l'ancienne. Supposons en effet 
un instant les plus grands poètes étrangers et 
lei plus opposés au système classique de l'an- 



XXXYI IHtRODUCTIO*. 

tîqalté , nés en France au seizième siècle , et 
dans la même situation qae Dubellay et ses 
amis. Croyez-Yous qu'ils n'eussent pas été là , 
et avec les seules ressources et les élémens 
existans alors dans la littérature francoise , ce 
qu'ils furent à différentes époques et dans dîf- 
férenspays? Croyez-vous que TArioste n'eût 
pas aussi bien composé son Roland furieux 
avec nos fabliaux et nos poèmes cheyalere&- 
ques; Sbakespear , ses drames avec nos ro- 
mans , nos chroniques , nos farces et même 
nos mystères ; Le Tasse , sa Jérusalem , avec 
nos livres de chevalerie et les ébloubsantes 
couleurs poétiques de notre littérature ro- 
mane , etc. Mais les poètes de la réforme 
classique n'ctoient point de cette taille, et 
peut-être est-il injuste de vouloir [qu'ils aient 
vu dans l'ancienne littérature francoise , ce que 
ces grands hommes y ont vu, avec le regard 
du génie, et ce que nous n'y voyons aujour- 
d'hui sans doute que par eux. An ;moins rien 
ne peut-il justifier ce superbe dédain qui fait 
prononcer aux poètes de la Pléiade, qu'il n*y 



a absolument rien avant enx, n on seulement dans 
les genres sérieux , mais dans tous ; ne tenant 
pas plus compte de Rutebœuf que de Cliarles 
d'Anjou, de VUlon que de Charles d'Orléans 
de Clément Marot que de Saînt-Gelais , et de' 
Rabelais que de Jofnville et de Frol^iart 
dans la prose. Sans cette ardeur d'exclure , 
de ne rebâtir que sur des ruines , on ne 
peut '-'nier que l'étude et même Timitation 
momentanée de Jla littérature antique, s'eussent 
pu être , dans les circonstances d'alors , très 
favorables aux progrès de la nôtre et de notre 
langue aussi ; mais l'excès a tout gâté; de la 
forme on a passé au fond; on ne s'est pas contenté 
d'introduire le poème antique , on a youIu qu*il 
dit l'histoire des anciens et non la nôtre ; la 
tragédie , on a voulu qu'elle ne «i^ébrât que 
les infortunes des illustres familles d'QEdip« 
et d'Agamemnon : oq a amené la poésie à ne 
reconnoître et n'invoquer d'autres ^ieux ^ue 
ceux de la mythologie : en iin mot cette expé- 
dition présentée si adroitement par^ DubeHay 
^ïomme une cçnquéte sur )«s étrangers , n'a fait 



XXXVm ' INTRODUCTION. 

au contraire, que les amener vainqueurs dansnos 
murs ; elle a tendu à effacer petit à petit notre 
caractère de nation , à nous faire rougir de nos 
Images et même de notre langue au proât de 
Tantiquité, à nous amener, en unjnot, à ce 
çpiçble de ridicule , qu'au xix* siècle même 
nous représentions encore nos rois et nos 
liéros en coitumes romains , séduits que 
nous sommes par de fausses idées de goût et 
de convenance. Bon Dieu ! que diront un jour 
nos arrière-neveux en découvrant des pierres 
sépulchrales de chrétiens, qui portent pour lé- 
gende: Dus Mawibus ! * des monuments où il est 
inscrit : mdcccxxx ® anno , regwawtb ca&olo 

DECIMO PRJEFBCTU8 ET -«DILES POSUERUKT , ClC*. 

' Quelqaes-unes ne portent que s. m. au sonim^t de 
la légende ; mais il n'y en a peut-être pas le quart 
où ir ne soit question des mânes du défunt. Que 
d'observations de ce genre il y auroit encore à faire l 

'Écoutons Paul Courier, à propos des inscrip- 
tions latines : « Camçra compotorum leur ^laroissoit 
«be&ucoup |>lus beau que Ia Chambre des comptes: 
«cotte manie dura, et même n'a point passé ; des 



IHTKODUCTIOW. XXXIX 

Ne seront-îls pas fondes à croire qu'en i'aii i83q 
la domination romaine subsistoit encore en 
France ; de même qu'en lisant quelques lain* 
beaux échappés au temps de notre poésie , ils 
pourront se persuader que le paganisme étoit 
aussi notre religion dominante ? C'est certai- 
nement à ce défaut d'accord et de sympathie 
de la littérature classique avec nos moeurs et 
notre caractère natiçua! , qu'il faut attribuer , 
oatre lés ridicules anomalies que je Tiens de 
citer en partie , le peu de popularité quelle 
a obtenu. 

Voici une digression qui m'entraîne bien 
loin : j'y ai jeté au hasard quelques raisons 
déjà rebattues , il y en a des volumes de beau- 
coup meilleures ; et cependant que de gens re- 
fusent encore de s'y j^endre! Une tendance 
plus raisonnable se fait , il est vrai , remarquer 
depuis quelques années ' , on se met à Hre un 



»mct 



;riptioof noaf disent en mots de Gicéron qa ici 
•est le Marché-Neuf oo bien la Place-aux Veaux. » 

' 11 eat 4 eapérer que la révolution de 93 aura 



XL inT&OptXGTKMr- 

peu d'histoire de France ; et quand dans les 
collèges on sera parvenu à la savoir presque 
aflBsi bien que Thîstoire aoPkcîenne , et quand 
aussi on consacrera à l'étude* de la Icsgue 
fraoçoise quelques heures arrachées au grée 
et au latin , un grand progr^ i^ra sans doute 
aocompli pour l'esprit national, et peut*étre 
s'en suivra t^il moins de dédain pour la vieille 
littérature irançoise ^ car tout cela se tient. 

J'ai accusé l'école de Ronsard de nous avoir 
imposé une littérature classique quand nous 
pouvions fort bien nous en passer , et surtout 
. de nous l'avoir imposée si exclusive , si dédai- 
gneuse de tout le passé qui* étoit à nous ; mais 
à considérer ses travaux et ses innovations 

dcMiné lieu à la dernière .«xplosion de i'imitatioD des 
anciens , et que nous en aurons fini cette fois avec les 
Léonidàs, et les Brutus , et les Régulus,et les grandes 
Q^ei pîbdariques , et les consuls , et le» tribuns , et 
toute la défroque de la république romaine ajustée 
au xix<>' siècle; c'est quelque chose déjà pour daui 
qned*Avoir le coq gaulois en place de'l''aigle elas* 
sique. 



IKT&ODUCTION. XU 

SOU& un autre point de yme y eeiui des progrès 
du style et de la oouilem' poétique, il faut 
avouer cpe nous lui devons beaucoup de re^ 
connoissancer; il faut avouer que dans tous les 
genres qui ne demandent pas une grande force 
de création , dans tous les genre^i de poésie 
gracieuse et légère , elle a surpassé et les poètes 
qui ^avoient précédée , et bea^roup de ceux 
qui L'ont suivie. Dans ces sortes de composi- 
tions aussi riiaitation classique est moins sen- 
sible : les petites odes de Ronsard , par exem- 
ple , semblent la plupart inspirées plutôt par 
les chansons du xii" siècle qu'elles surpassent 
souvent epcore en' . naïveté et en fraîcheur ; 
se^sonnets aussi , et quelqiiitS'Unes de Ses élé- 
gies sont empreintes du véritable sentiment 
poétique, Â rare quoi qu'on dise, que tout le 
xviu* siècle, tout riche qu'il est en poésies di- 
verses, semble en être' absolument dénué. 

Mais pour faire sentir les immenses progrès 
que B-onsard a fait laire à la languer poétique , 
si pâle jusqu'à )td dans les genres sérieux , il 
est bon de donner une idée de ce qu'elle étoit 



x>* 



XLII INTRODUCTIOir* 

aa moment qu'il l'a prise. Pour cela , je trans- 
cris au hasard le début d'un poème publié la 
même année que ses odes pindariqaes , et par 
un des auteurs les plus estimés du temps. 
( Pandore , par Guillaumç de Tours. ) 

• 

O diea Phœbus , des saints poètes père , 

Du grand tonnapt la lignée tant clère ^ 

Qui sus ton chef à perruque dorée 

Portes les fleur» de Saphnes transmuée' 

Dans un laurier toujours verd qn'on blasonne y 

Gar tu t'en ceints » et en fais ta couronne, 

Viens , viens à nous , viens ici en la guise 

Qu*ea Héllcon , haute montagne sise 

Très hautement les doctes sieurs enseignes , 

Là des pieds nus dansantes auic enseignes 

De leur gaité» tout autour des autiers > 

De ton parent Jupiter et an tiers 

Toi réjoui de douce mélodie 

Les adoncp et de ta poésie ; ^ 

Sois ci présent , et au labeur et peine 

De toi chantant donne joyeus étreuAe 

De bien ditter -et lui donne faveur , 

Gar il nous plaitia fable qui n'est moindre 

D'aultres narrez intezer et la joindre 

Que bien dltta Âstreus sainct poète , etc. 



IlfTBODUCTION. XLIII 

£a vëdté f rien qui surpasse ces v^^s , dans 
toute la haute poésie d'alors; si quelqu'un en 
• doute , qu'il lise encore les hymnes de Marpt , 
de Marot si poète dans les geâres plaisans , et 
il yerra quel abimè existoit entr^ le style élevé 
et le style gracieux et naïf. Maintenant jugez 
de quelle admiration le public de i55o dût se 
sentir saisi en entendant des strophes pareilles 
à celles que je Tais citer , et qui faisoient partie 
d'une ode mndarique où le poète racoptoît la 
guerre des dieux contre les.titi^s '. 

Bellone eut la tête couTerte 
D'an d'hier , sur qui rechigiloit 
De Méduse la gueule ouverte , 
Qui pleine de Ihimmes grognoit; 

» 

' Cette ode étoit contenue dans le recueil intitulé: 
Les quatre premier» Li^es d'odes de P. de Ronsati^ 
vendomols , ensemble et son Boceaige ;^|'ari8^' Xi. Gavel- 
lat , i55o. 

Ronsard «voit déjà publié' séparétneot l'année 
précédente » Vffymne . de Franet »• Paris , Vascosan , . 
et V Hymne de la paix^ 6. Gaveilat, k^ig. Ces trois 
pièces très-rares ne «ont point indi<{aée8 sur le cata- 



XÏAV yiTRODUCTIOïr,. 

Es M deztre elle enta la hache 

Par qui le^ois sont irrités , 

Alors que , dépite 9 ell«|irrache 

Les vïeS^es tours de leurs cités I 
« 

Àdonc le Pèf^pnissfffit , , 

Qui de Dcrfs rc^idis s'eflPorce 1 
Ne mit en* oubli ^ ^ree . 
De sou foudre rougissant : 
Mi-courbant la tête m^ bas, 
Et bi^ haut leviiiat le bras^ 
Centre cmx guigna sa teoipête, ^ 
Laqiielle , eiv^es foudroyant , 
Siffloir, aigu-tonrnoya»t , 
Gomme un fuseau sur leur tête. 

De feu , les deux piliers du monde » ' 
Brûlés jnsqu'att fond, chanceloient : 
Le ciel ardoit , la terre et l'onde 
Tout pétillants étinceloient, etc* 

La langue est encore la même que dans le 
morceau cité plus liaul;mais quelle différence 
dans la vigueur du style et féchit de la pensée! 

logue de la BibHothëqàe royale , ce qui » fait com- 
mettre à toi|^ les bibliographes une erreur de date 
touchanl la publication des premiers écrit» do Bdd- 
•Vd. *t 



IRTEODUCTION. XIV 

Hé bien l veut-on saToir tout dHin coup à quoi 
s'en tenir sur les progrès (pke Ronsard a fait 
faire à la langue poétique, qu'on rapproche ce 
fragment, composé dans ses premières années, 
des vers suivons, composés dix' ans après, pour 
ravéaement au trône 'de Charles IX. Ce sont 
quelques-uns des conseils qu'il lui adresse : 

Ne'voiM montrez jamais pompeusement vêtu: 
L'habillement des rois est la «eole vertu : 
Que votre corps reluise en vertus glorieuses , 
Non par habits chargés de pierres précieuse^. 
D'amis plus que d'argent montrez-vous désireux » 
Les princes sans amis sont toujours malheureux ; 
Aimez les gens de bien , ayant toujours envie 
De ressembler à ceuK qui sont de bonne vie; 
Punissez les malins et les séditieux : 
Ne soyez po^t chagrin^ dépit, ni furieux, 
Mais honnête et gaillard , portant sur le visage 
De votce gentille Ame uu gontil témoignage. 

Or, sire^ pour autant g^ue nul n'a le pouvoir 
De châtier les rois qui font mal le4r devoir, 
Corrigez'vous vous-même,, afio que la justice 
De Dieu qui est plus gcand vos fautes ne punisse. 
Je dis ce puôsant Dieu , "dont la forcq est partout. 



XtiVI INTRODUCTION. 

Qm conduit l'onivers de l'on à l'autre bout, 
Et fait à tous humain» ses juatîces égales » 
AutaDt.aux laboureurs qu'aux personues royales. 
Cequel nous supplions vous tenir en sa loi, 
Et vous aimer autant qu'il fit David son roi , 
Et rendre comme à lui votre sceptre tranquille, 
Car sans l'aide de Dieu la force est inutile. 

On pourra juger d*après ces vers , dont le 
style est en général celui de tous les dîsèours 
de Ronsard, combien est ridicule Taccasation 
d'obscurité et de dureté qui depui^ deux siècles 
flétrit ses poésies^ et il nous sera de plus loisi- 
ble d*a¥ancer que La Harpe ne les avoit jamais 
lues , lorsqu'il s'écrie qu'on ne peat pas lire et 
comprendre quatre vers de suite de Ronsard» 
Qu'on me permette de citer encore une de ses 
élégies y qui sans être partout aussi pure que 
le morceau précédent , lui est supérieure y ce 
me semble , sous le rapport de la poésie : 

• A MARIE. 

Six ans étoient coulés, et la septième année 
Étoit presques entière en ses pas retournée , 



INTRODUCTION. XLYII 

Quand loin d'afieefioo de désir et d'amour, 

En pure Hberté je passois tout le jour, 

Et franc de tout souci quiUes âmes dévore. 

Je dormois dès le soir jusqu'au poiot de l'aurore ; 

Car seul , maître de moi, j'allois plein de loisir 

Où le pied me portoit, conduit de mon désir, 

Ayant toujours aux mai»s , pour me servir de guide, 

Aristote ou Platon, ou le docte Euripide, 

Mes bons hôtes muets, qui ne fâcheut famais ; 

Ainsi je les reprends , ainsi je les remets. 

O douce compagnie , et utile et honnête ! 

M 

Un autre «n caquetant m'étoordiroijt la tête. 

Puis , du livce ennuyé, je regardois les fleurs. 
Feuilles, tiges, rameaux, espèces et couleurs; 
Et Tentrecoupemeut de leurs forpaes diverses , 
Peintes de cent façons , jaunes , rouges et perses *. 
I^e me pouvant soûler^ ainsi qu'en uu tableau , 
D'admirer la nature et ce qu'acné a de beau , 
Et de dire en passant aux fleurettes éoloses : 
Celui est presque Dieu qui connoit toutes ofaoses > 
Écarté du vulgaire et loin des courtisans 
De fraude et de malice impudeos artisan*. 

Tantôt j'errois seulat par les forêts sauTages 

* Bleues. ^ 



XLVIII ilTTRODUCTION, 

Sur les bords émaUlés des peinturés rivages , 

Taatôt par les rochers reculés et déserts , 

Tantôt par les taillis, vert« maison des cerfs. 

J'aimois 1^ cours suivi d'une longue rivière , 

A voir onde^sur onde allonger sa carrière , 

Et flot à l'autre flot en roulant s'attacher ; 

Et penché sur le bords , me plaisoit d'y pêcher , 

Etant plus réjoui d'une chasse muette , 

Troubler des écaillés la demeure secrète , 

Tirer avec la ligne en tremblant emporté 

Le crédule poisson pria à Tbaim appâté , 

Qu'un graûd pr^ice n'est aise ^yant pris à la ^asse 

Un cerf qu'en hàletatft tout un jour il pourchasse : 

Heureux si vous eussiez d'un mutnel émoi 

Pris l'appât amoureux aussi bien comme moi.... 

Las 1 couché dessus l'herbe en mes discours je pense 

Que pour aimer i>eaucoup j'aî peu de récompense , 

Et que mettre son cœuif aux dames si avant , 

C'est vouloir peindre en l'onde et arrêter le vent. 

M*assurant toutefois qu'alors <pie Ifrjrieil âge 

Aura , coda me sorcier , <^angé votre visage , 

Et lorsque vos chev^z deviendront argentés , 

Et que vos yeux d'amour ne seront plus hantés , 

Que toujours vous aurez, quelque soin qui vous touche , 

En l'esprit mes écri|^, mon nom en votre bouche. 



INTRODUCTION. XLIX 

Le lec^ur floit être bî«n sarpris de me point 
renconUser Jià cette muse en français parlant 
grec et lutin contre laquelle Bmleau s'escrime 
si rudement, de fort biem^n^endre cepatoù 
que jargonnoit Ronsardià la cour des Valoi^^ 
et de ne le point trouver si éloigné qu'il croyoit 
du beaufrançois d'^ijourd'hui ; tf est qu'il n'est 
pas en littérature de plus étrange destinée que 
celle de Ronsard: idole d'un siècle ^claire; il- 
lustré de Tadmif^tion d'iiottiines tels que les 
de Thou,les L'Hospital, les Pasquier, les Sca- 
liger; proclsurné plus tard par Montaigne l'égal 
des plus grands poèleë anciens, traduit dans 
toutes les langues, entonré d'une considération 
telle, que le Tasse, «lans^ un voyage à Paris, 
ambitionaa l'avantage Se lai être présenté; Lo- 
noré à sa mort de funérailles presque royales 
et des regrets de la France entière , il seml^oit 
devoir, selon l'expression de M. Sainte-Beuve, 
entrer dans la postérité comme dans un temple. 
Non! la postérité est venue, et elle a convaincu 
le seiûème siècle de mensonge et de mauvais 
goût, elle a livré au rire et. à l'injure les mor- 

a 



I. niTEODUCTIOir. 

ceauz de Tidole brisée , et des dienx Nouveaux 
se sont substitués à la trop célèbre Pléiade en 
se parant de ses dépouilles. 

La Pléiade, soit : qu'importent tous ces poètes 
à la suite, qui sont Baïf , Bell eau , Pentbus, 
sous Ronsard; qui sont Racafi , Segrais, Sarra- 
zin, sons Malberbe; qui sont Desmabis, Bernis, 
Viliette, sous Voltaire, etc.. Mais pour Ronsard 
il y a encore une postérité : et aujourd'hui sur- 
tout qu'on remet tout en question, et que les 
hautes renommées sont pesées, comme les âmes 
aux enfecs, nues , dépouillées de foutes les pré- 
ventions, favorables ou non, avec lesquelles 
elles s'étaient présentées à nous, qui sait* si 
Malherbe se trouvera encore de poids à repré- 
senter le père Ae la poésie classique/ ce ne se^ 
roit point là le seul arrêt dé Boileau qu*auroit 
cassé l'avenir. 

Nous n'exprimons ici qu'un vœu de justice 
et d'ordre, selon nous, ei nous n'avons pas 
jugé l'école de Ronsard assez favorablement 
pour qu'on nous soupçonne de partialité. Si 
notre conviction est erronée , ce ne sera pas 



llCTaODUCTKMr. LI 

faute d'aToir examiné les pièc6|9 da procès, faute 
d*a¥oîr feuilleté des livres oxiUiés depuis près 
de trois cents ans. Si tous les auteurs d'histoires 
littéraires avoient eu cette conscience , On n'au- 
roit pas tu des erreurs grossières se perpétuer 
dans mitte Tolumes différem, composés les uns 
■sur les autres; on n'auroit pas tu des juge- 
mens définitifs se fonder sur d'aigres et par- 
tiales critiques échappées à racfaarnement mo- 
naentàné d'une lutte littéraire, ni de hautes 
réputations s'échafauder avec des œuvres ad- 
mirées sur parole. 

jNon, sans doute, nous ne sommes pas indul- 
gent envers Técole de Ronsard : et en effet , on *• 
ne peut que s'indigner, au premier abord , de 
Tespèce de despotisme qu'elle a introduit en 
littérature , de cet orgueil aTCc lequel elle pro- 
nonçoit le odiprcfanum vulgus d'Horace, re- 
poussant toute popularité comme une injure, 
et n'estimant rien que le noble, et sacrifiant 
toujours à l'art le naturel et le Trai. Ainsi au- 
cun poète n'a célébré davantage et la nature 
et le printemps que ne Tout fait ceux du sei- 



LU IHTRODUGTIOir. 

zième sièele , et'croyez^vous qulls aîent jmBais 
songé à demaocler de» inspirations à la nature 
et au printemps? Jamais ! Ils ne contentoient de 
rassembler ce que lUntiquité avoit dit de plus 
gracieux stkr ce sujet, ^t d*en composer un tout, 
digne d'être apprécié par les connoisseurs ; il 
arrivoit de là qu'ils se gardoient de leur mieux 
d'avoir une pensée à eux, et cela tst tellement 
yrai, ^ue les savans commentaires dont on ho- 
noroit leurs œuvres ne s'attachoient qu'à y dé- 
couvrir le plus possible d'ittiitatîons de i*anti< 
qnité. Ces poètes ressembloîent «A cela beau- 
(^oupà certains peintres qui ne composent leurs 
* tableaux que d*aprés ceux dès maîtres , imitant 
un bras jchez celui-ci , une tête chez cet autre, 
une draperie chez un troisième , le tout pour 
la .plus grande gloire de l'art, et qui traitent 
d'ignorans ceux qui se hasardent à leur de- 
mander s'il ne vaudroit pas mieux imiter tout 
bonnement la nature. 

Puis après ces réflexions qui vous affectent 
désagt^éableraent à la première lecture des 
œuvre» de la Pléiade , une lecture plus parti- 



INTEODUCBIOV. LUI 

cuUère tous réconeilie avec elle : les principes 
ne va^nt rien; Tensemble est défectueux , 
d'accord ; e^ux et ridicule ; nais on se laisse 
aller à admirer certaines parties des détails ; ce 
style primitif .«t yerdis6ant. assaisonne si bien 
de yieilles pensées déjA bannates chez let Grecs 
et les Ronains , qu'elles ost pour nous tout 
le charme de la nouTcauVé : quoi de plus re- 
battu, par exemple f que cette espèce de syl- 
logisme sur lequel eêt fondée l'odelette de 
Ron&ard : Mignonne y allons voir sî la rose , etc. 
Hé bien ! la mis^ en œuvre en a fait l'un des 
morceaux lai plus^ais et les plus gracieux de 
notre poésie légère. Celle de Belleau , intitulée : 
Avrils toute compod|ée au rMi^ d'idées cdtoi- 
munes , n'en rayit^as moins quiconque a de 
la poésie dans le cosor : qui pourroit dire en 
combien de façons est retournée dans beaucoup 
d'autrespièces l'ét^^ielle comparaison desfleurs 
et des amours qui ne durent qu'un printemps ; 
et tant ^'autres lieux communs ^e toutes les 
poésies fugitives na«s offrent encore aujour- 
d'hui ? Hé bien ! nous autres Fi^ançois , qui 



i* 



UV IHTRODUCTlOIf. 

attachons toujours moins de prLt aux. choses, 
qu'à la manière dont elles sont dites^ nous 
nous en laissons charmer, ainsi qpie d*an ac-> 
cord nAle fois entendu , si l'instrument qui le 
répète est m^dteuz. 

Voici pour la plus grande partie de Ticole 
de Ronsard ' ; la part du maître doit être plus 
vaste : tontes ses pensées à lui ne viennent pas 
de l'antiquité ; tout ne se borne pM dani ses 
écrits à la grâce et à la naïveté de l'expressioii: 
on tailleroit aisément chez hii plusieurs poètes 
fort remarquables et fort distincts , et peut-être 
suffiroit-il po\jir cela d'attribuer à (âiacun d'eux 
quelques ruinées successives de sa vie. Le poète 
pindarique se présente d'abord : c'est au style 
de celui-là qu'ont pu s'a4i:*esser avec le pliis 
de justice les reproches d'obscurité , d'hellé- 
nisme, de latinisme et d'enflure qui se sont 
perpétués sans examen juscj^u'à nous de notice 
en notice : l'étude des autres poètes du temps 

■ Noa, nou, occuperou, pl«. en déuil'de. dUTé- 
rena auteurs da xvi* siècle dans le ▼oluxne qui con- 
tiendra les poèaies de cqqx 4» xtii* , afin de marquer 
mieux la fiU&tion des écoles diverses eni^e elles.* 



• INT&ODUariOir. LT 

auroit cependant prouvé que ce style esâstoit 
avant hii : cette fureur de faite des mots d'a- 
près les anciens a clé attaquée par Rabelais , 
bien avant l'apparition dtr Ronsard , et de ses 
ainis ; an total il s'en trouve peu chez eux qui 
ne lussent en usage déjà. Leur principale 
affaire ëtoît fintroduction des formes classi- 
ques , .et bien qu'ils aient -«ussi recommandé 
celle des mots , il ne paroit pas qu'hits s'en 
soient occupés beaucoup, et qu'ils aient même 
employé les premiers ces doubles mots qu'on 
a représenté comme si fréqueps dans leur style. 

Voici venir maintenant le poète amoureux 
et anacréontique : à lui jfadressent les observa- 
tions faites une page plus haut, et c'est celui- 
là qui a le plus fait école : vers les derniers 
temps , il tourne à l'élégie , et là seulement peu 
de ses imitateurs ont pu l'atteindre , à cause 
de la supériorité avee laqiiflle il y manie l'a- 
lexandrin 9 employé fort peu avant lui 9 et 
qu'il a immensément perfectionné. 

Ceci nous conduit / à la dernière époque 
du talent de Ronsard , et ce me semble 
à la phis brillante , bien que la moins célébrée. 



LVI INT&ODUCTlOlf. 

Ses discours contieDnent en geimË Tépitre et 
la satire régulière, et mieux que toutceia une 
lierfection de style qui étonne plus' qu'on ne 
peut dire*. Mâb aussi combien peu ^ poètes 
Tont immédiatement suivi dans eett^ région 
supérieure! Régnier seulement s*j présente 
long-temps après , et on ne se AoHte guère de 
tout ce qu'il doit <à celui qu'il atouoit hau- 
tement' pour son maître. ' 
' Dans les discours surtout se déploie cet 
alexandrin fort et bien rempli , dont Cemeille 
eut depuis le scoret , et qui fait contrftster son 
^tyle avec celui de ^acin^ d'un^ manière si 
remarquable: il est singulier qjj^'un étranger, 
M. Schlegii, ait fait le preiçier cette observa- 
tion : «Je regarde coBvnç incontestable , dit-il , 
que le grand Corneille appartienne encore à 
certains égards , pour la langue surtout ,- à cette 
anci^ne école de Ronsard, ou du moins la 
rappelle souvent. » On se convaincre bien aisé- 
ment de eette vérité en lisant les discours de 
Ronsard, et surtout celui des misères du lemps^ 
Depuis peu d'années, quelques poètes, ei 



INTRODUCTION. LVII 

Victor Hugo surtout , paroissent ^yoit étudié 
cette versification énergique et briliante de 
Ronsai'd , dégoûtés cpi'ils étoient de l'autre : 
j'entends la versification mcMienne , si belle à 
son commencement, et que depuis on a tant usée 
et aplatie à fbrce de la limer et de la polir. 
Elle n'étoit point usée au contraive celle de 
Ronsard et de Corneille . mais rouillée seule- 
ment, faute d'avoir servi. 

Ronsard mort, après toute une vie de triom- 
phes incontestés , ses disciples, tels que les gé^ 
néraux d'Alexandre, se partagèrent tout son 
empire'^ et achevèrent paisiblement d'asservir 
ce moode littéraire, dont certainement sans 
lai ils n'eussent g^ fait la conquête. Mais, 
pour en conserver loqg-temps la possession , 
il eût fallu , ou qu'eux-mêmes ne fussent pas 
aussi secondaires qu'ils étoient, ou qu'un maî- 
tre nouveau étendit sur tous ces |ietits souve- 
rains une main révérée et protectrice. Cela ne 
fut pas ; et dès-lors on dût prévoii* , aux divi- 
sions qui éclatèrent, aux pr^enlions qui surgi- 
rent, à la froideur et à l'hésiratiofl ^a public en- 
Tersies œuvres nouvelles, Timmineuce d'une ré- 



LVHI INTAOUUCTIOir. 

Tolvtîon analogue àcelle de 16491 dont ^® g^stnû 
souvenir de Ronsard, qui survivoit encore craint 
de8 uns et vënéré du plus grand nombre^ pouvoit 
seul retarder Texplosion de quelqaes^années. 

Enfin iRBlherbe vint! et la lutte commença. 
Certes! il étoît alors beaucoup plus aisé que 
du temps de Ronsard et de Dubellay de fon- 
der en France une littérature originale : la 
langue poétique étoit toute faite, grâce à eux; 
et, bien que nous nous soyions élevé contre la 
poésie antique substituée par eux à une poésie 
du moyen âge , nous ne pensons pas que cela 
eût nui à un homme de génie, à un véritable 
réformateur venu immédiatement après eux ; 
cet bomme de génie ne se présenta pas : de là 
tout le v^l : I9. mouvement imprimé dans le 
sens classique, qui eût pu même étr£ de quel- 
que utilité comme secondaire , fut pernicieux', 
parce qu'il dorniog tout : la réforme prétendue 
de Malherbe ne consista absolument qu'à le 
régulariser , et c'est de cette opération qu'il a 
tiré toute sa gloire. 

' 11 ne s'agit dans tout ceci que de priacipes gé- 



INTRODUGTIOV. LIX 

On sexitoit bien- dès ce .temps -là combien 
cette réforme annoncée si pompeusement étoit 
mesquine^ et conçue d'après dje^ yues étroites. 
B.egnier surtout, Régnier , poèié d'une toute 
autre force que Malherbe,. et qui n'eut que le 
tort d'être trop modeste, et de 'se contenter 
d'exceller dans un genre i lui , sans se mettre 
h Ja tête d'aucune école , tance celle de Mal- 
herbe avec une sorte de mépris: 

Cependant leur savoir ne s'étend seul^ent 
Qu'à regratter un mot douteux au jilgement ; 
Prendre garde qu'un qui ne heut^e une diphtongue , 
Épier si des ver» la rin&e est brève on longue , 
Ou bien si la voyelle à Tautre s'nnissant , 
Ne rend pomt à l'oreille un vers trop languissant , 
£t laissant sur le verd le noble de l'ouvrage. 

( VoyAoutelai satire iatit.; le Critique outré,) 

Tout cela est très-vraL Malherbe réformoit en 
grammairien, en éplncheur de mots, et non 
pas en poète ; et , malgré toutes ses învectiTes 

néraux. Nous avan^qs que fe système classique 
9'6té fatal aux auteurs des deux siècles derniers, sans 
porter du reste aucune a^etote à leur gloire et au 
mérite de leurs écrits. 



LX IlWaODUCTlOir. 

contre Ronsai^d , il ne songeoit pas même qu'il 
y eàt à sortir du chemin qu'a voient frayé les 
poètes de la Pléiade, ni par un reftcmr à la 
vieille littératule nationale , ni par la création 
d'une littérature nouvelle, fondée sur les mœurs 
et les llesoins du temps, m qui , dans ces 
deux cas, eût probabUi^ient amené à un même 
résultat. Toute sa prétention à lui fut de puri- 
fier le fleuve qui couloit du limon qtte rouloient 
ses ondes , c^^qu'il ne put faire sans lui enlever 
aussi en partie Tor et les g#mes précieux qui 
s'y trouvoient mél)és : aussi voyez ce 4{u'a été la 
poésie après lui : je dis lu poésie. 

L'art, toujours l'art, froid, calculé, jamais 
de douce rêverie , jamais de véritable . senti- 
ment religieux , rien que la nature ait immé- 
diatement inspiré : le correct , le beau exclusi- 
vement; une noblesse uniforme de pensées ^ 
d'expression ; c'est Crésus qui a le don de 
changer en or tout ce qu'il touche. Décidé^ 
ment le branle est donné à la poésie classique : 
La Fontaine seul y résistera ,• aussi Boileau 
l*oubliera-t-il dans son art poétique. 



PIERRE DE RONSARD. 



[ERRE DE RONSABD. 



y^iify^yy^^^^ y^ ^i^vv^^/^^fw^^M^n^v^n^in^nnM^nM*^n/¥SN^nn/>iSi^nn^/s/sAn/\/\,vs/ 



ODES. 



ODE PREMIÈRE. 



A a. DAURAT. 



&oa 



Mon Daurat, nos ans coulent 
Comme les eaux qui roulent 
D'un cours sempiternel ; 
La Mort pour sa séquelle 
Nous ameine'ayec elle 
Un exil éternel. 

Nulle humaine prière 
Ne repousse en arrière 



p. DE RONSARD. 

Le bateau de Gharon , 
Quand l'aine nue arrive 
Vagabonde 6n la rWe 
De Styx et d'Acheron. 

Toutes choses mondaines » 

Qui Testent nerfs et veines , 

La mort égale prend , 

Soient pauvres ou soient princcr r 

Dessus toutes provinces 

Sa main large s'étend. 

Qu'à bon droit Prométhée» 
Pour sa fraude inventée , 
Souffre un tourment cruel l 
Qu'un aigle sur la roche 
Luy ronge d'un bec croche 
Son cœur perpétuel 1 

Depuis qu'il eut robée 
La flamme prohibée 
Pour les Dieux despi%«r^ 
Les f>andes incognues 
Des fièvres sont venue» 
Nostre terre habiter. 

Et la mort despiteute y 



ODES. 

Auparavant boiteuse , 
Fut légère d'aller; 
D'ailes mal ordonnées, 
Aux hommes non données, 
Dédale coupa l'air. 

La maudite Pandore 
Fut forgée , et encore 
Astrée s'env(Ja , 
Et la boite féconde 
Peupla le pauvre monde 
De tant de maux qu'il a. 






T. 



p. DE BONSA&D. 



ODE III. 



MiGMONifB, allons Toirsila rose 
Qui ce matin avoit desclose 
Sa robe de pourpre au soleil , 
A point perdu , ceste vesprée , 
Les plis de sa robe pourprée , 
Et son teint au vostre pareil. 

Las! voyez comme en peu d'espace. 
Mignonne , elle a dessus la place ^ 
Las i las 1 ses beautez laissé cheoir I 
O vrajement marastre nature , 
Puis qu'une telle fleur ne dure 
Que du matin jusques au soir 1 

Donc , si vous me croyez, Mignonne , 
Tandis que vostre âge fleuronoe 
En sa plus verte nouveauté , 
Cueillez, cueillez vostre jeunesse; 
Gomme à ceste fleur la vieillesse 
Fera ternir vostre beauté. 



ODZS. 



ODE IV. 



BsL Aubespin âcùrissaot. 

Verdissant 
Le long de ce beau rivage. 
Tu es Testu jusqu'au bas 

Des longs bras 
D'une lam branche sauvage* 

Deux camps de rouges fourmis 

Se sont mis 
En garnison sous ta souche ; 
Dans les pertuis de ton tronc. 

Tout du long , 
Les avettes ' ont leur couche. 

Le chantre rossignolet 

Nouvelet, , 
Courtisant sa bien-aimée y 
Pour ses amours alléger. 

Vient loger 
Tons les ans en ta ramée. 



1 Àbtiliu. 



{ 



lO p. DE RONSARD. 

Sur ta cime il fait son ny 

Tout un y 
De mousse et de fine soye , 
Où ses petits escloront , 

Qui seront 
' De mes mains la douce proye. 

t 

Or vy, gentil Aubespin , 

Yy sans fin ^ 
Yy sans que jamais tonnerre , 
Ou la Goignée , ou les vents, 

. Ou les temps , 
Te puissent ruer par terre. 






ODES. 1 1 



ODE V. 



Sdb tous parfums j'ayme la rose 
^ Dessur l'espine en may^desclose , 
Et l'odeur de la belle fleur 
Qui de sa première couleur 
Pare la terre quand la glace 
Et l'hyver au soleil font plaee. 

Les autres boutons vermeillets , 
La giroflée et -les œillets , 
Et le bel esmail qui varie 
L*bonneur gemmé d'une prairie , 
En mille lustres s'esclatant, , 
Ensemble ne me plaisent tant 
Que fait la rose pourperette , 
Et de mars la blanche fleurette . 

Que sçauray-je pour le doux flair 
Que je sens an moyen de l'air, 
Prier pour tous deux autre chose , 



-n 



{ 



12 P» DB RONSARD. ^ 

Sinon que toy , bouton de rose, 
Du teint de honte accompagné, 
Sois tousjours en may rebaigné 
De la rosée qui doux-glisse , 
Et jamais juin ne te fanisse? 

Ny à toy , fleurette de mars , 
Jamais rhyver,îors que tu pars 
Hors de la terre , ne te face 
Pancher morte dessus la place ; 
Ains tousjours , maugréla froideur, 
Puisse-tu de ta souëfTe odeur 
Nous annoncer que l*aa se vire 
Plus doux vers nous, et que Zéphyre , 
Après le tour dufascheux temps., 
Nous rameine le beau printemps. 






ODES. l3 



ODE VI. 



DE l'Élection pe son sépdlghbe. 



ÂKTRBSy et TOUS fontaines", 
De ces roches hautaines 
Qui tombez contre-bas 
D'uu glissant pas; 

Et TOUS , forêts et ondes 
Par ces prez vagabondes y ^ 
Et vous , rives et bois , 
Oyez ma vois. 

Quand le ciel et mon heure 
Jugeront que je meure, 
Ravi du beau séjour 
Du commun jour , 

Je défens qu'on ne rompe 
Le marbre pour la pompe 



1^ p. DE ROITSAIID. . 

De vouloir mon tombeau 
Bafltlr pins beaa : 

Mais bien je veux qu'un arbre 
M'ombrage en lieu d'un marbre y 
Arbre qui soit couvert 
Tousjours dé verd. 

De moi puisse la terre 
Engendrer un lierre, 
M'embrassant en maint tour 
Tout à l'entonr ; 

Et la vigne tortisse 
Mon sépulcbre embellisse, 
Faisant de toutes parts 
Un oml^re espars. 

Là viendront chaque année • 
A ma Teste ordonnée , 
Avecqoes leurs toreaux 
Les pastoureaux ; 

Puis ayans fait l'office 
Du dévot sacrifice , 
Parlans à l'Isle ainsi , 
Diront ceci : 



ODES. l5 

Que tu es reaonqmép 
D'estre tombe nommée 
D'un de qui l'univers 
Chante les ?«» ! 

Qui oncques en sa vie 
Né fut brûlé dVavie 
D'acquérir les honneurs 
Des grands seigneurs i 

Ny n'enseigna Tiisage 
De l'amoureux breuvage , 
Ny l'art des anciens 
Magiciens 1 

Mais bien à nos eampagnes 
Fit voir les Sœurs-compagnes 
Foulantes Therbe aux sons 
De ses chassons. 

i 

Car il fit à sa lyre 
Si bons accords eslîre , 
Qu'il orna de ses chants 
Nous et nos champs. 

La douce manno tombe 
A jamais sur sa tombe. 



XÇ p. DE RONSARD. 

Et rhumenr que produit 
En may la nuit. 

Tout à l'entour l'emmure 
L'herbe et l'eau qui mormure , 
L'un tousjours verdoyant. 
L'autre ondoyant. 

Et nous ayant mémoire 
De sa fameuse gloire , 
Luy ferons comme à Pan 
Honneur chaque an« 

Ainsi dira la troupe. 
Versant de mainte coupe 
Le sang d'un agnelet 
Avec du lait. 

Dessbr moy qui à l'heure 
Seray par la demeure 
Où les heureux espri» 
Ont leur pourpris. 

La gresle ne la nège 
N'ont tels lieux pour leur siège. 
Ne la foudre oncques là 
Ne dévala. 



OD£S. 17 

Mais bien constante y dure 
L'immortelle verdure , 
Et constant en tout temps / 

Le beau printemps. 



2. 



i8 



p. DE RONSARD. 



ODE VII. 



Ah Dieu 1 que malheureux nous sommes 1 
Ah Dieu 1 que de maux en uq temps 
Offensent la race des hommes 1 
Semblable aux fueiiles du printemps , 
Qui vertes dessus l'arbre croissent. 
Puis elles, l'automne suivant, 
Seiches à terre n'apparoissent 
Qu'un jouet remoqué du vent. 

Vrayement l'espérance est meschanle 
D'un faux masque elle nous déçoit , 
Et tousjours pipant elle enchante 
Le pauvre sot qui la reçoit ; 
Mais le sage , qui ne se fie 
Qu*en la plus seure vérité , 
Sçait que le tout dé nostrc vie 
N'est rien que pure vanité. 

Tandis que la crespe jouvence 

La fleur des beaux ans nous produit. 



ODRÇ. 19 

Jamais le jeune enfant ne pense 
A la Tieillesse qui le suit : 
Ne jamais l'homme heureux n'espère 
De se voir tomber en meschef , 
Sinon alors que la misère * 

Desjà Iny pend dessus le chef* 

Homme débile et misérable! 
Pauvre abusé ! ne sçaisT-tu pas 
Que la jeunesse est peu durable , 
Et que la mort guide nos pas , 
Et que nostre fangeuse masse 
tSi tost s'csTanonit en rien , 
Qu'à grand peine avons nous l'espace 
De gouster la douceur du bien? 

Le destin et la parque noire 
En tous âges sillent nos yeux : 
Jeunes et vieux ils meinent boire 
Les flots du lac oublivieux : 
Mesmes les rois , foudres de guerre , 
Despouilles de veines et d'os , 
Ainsi que vachers sons la terre 
Viendront eu thrône de Minos. 

C'est pitié que de nostre vie : 
Par les eaux l'avare marchant, 



7.0 P. DE RONSARD. 

Se voit sa chère ame ravie ; 
Le soiidart par le fer trenchant ; 
Geluy par un procès se mine , 
Et se bannis! da doux sommeil, 
Et l'antre acctieilly de famine 
Perd la Inmièrc du soleil. 

Bref, on ne foit chose qui vive 
Sans estre serve de douleur ; 
Mais sur tout la race chétive 
Des hommes foisonne en malheur. 
Du malheur nous sommes la proye : 
Aussi Fhœhus ne vouloit pas 
Pour eux à hon droit devant Troye 
Se mettre aux dangers des combats. 

Ah ! que maudite soit Tasnesse , 

Laquelle pour trouver de l'eau , 

Au serpent donna la jeunesse , 

Qui tous les ans change de peau l 

Jeunesse que le populaire 

De Jupiter avoit receu 

Pour loyer de n'avoir sçeu taire 

Le secret larrecin du feu. 

\ 

Dès ce jour devint enlaidie 
Par luy la santé des humains 



ODES. ai 



De TielUesse et de maladie 9 
Des hommes hostes iobomains : 
Et dès ce jour il fist entendre 
Le bruit de son foudre nouveau. 
Et depuis n'a cessé d*espandre 
Les dons de son mauvais tonneau. 



* 



2ft P. DE RONSARD. 



ODE VIIL 



A LA HAYE. 



Ckux qui semoicnt par sus leur dos 
De nostre grand' Mère les os 
Dans les déserts des vuides terres 
Pour r'animer le genre humain , 
Tousjours ne jettoient de lenr main 
La dure semence des pierres. 

Mais bien aucunefois ruoient 
Des diamans qui se muoient , 
Ghangeans leur dur en la naissance 
D'un peuple rare et précieux , 
Qui encore de ses ayeux 
Donne aujourd'huy la cognoissance. 



OD&S. . 23 

Ton beau rayon qui brille icy, 
Monstre qu'on diamant ainsi 
Muant en toy sa forme claire , 
L'estre semblable Va donné ; 
Car des pierres tu n*es point né 
Gomme fut ce gros populaire. 

Il a Tesprit dur et plombé , 
Tousjou^ vers la terre courbé , 
Jamais au beau ne dresse Taile : 
Le tien s'élètc sainctement ; 
Balancé d'un vol hautement 
Autour de tonte chose belle. 

Les Amours n'aiment tant les pleurs , 
La mousche ne sait tant les flenrs , 
Ne les Teinqueurs tant les courbnneji ,. 
La Haye y comme tu poursuis 
Les doctes Muses que ta suis 
Gomme tes plus chères mignonnes. 

Nul mieax que toy pàrmy les bois 
Ne contrefait lear belle vois. 
Et nul par les roches hautaines 
Ne les va mieux accompagnant, 
Ne mieux près d'elles se baignant 
- Sous le crystal de leurs fontaines. 



i 



<24 P* I>K AOnSARD. 



ODE IX. 



A LA FORET DE GASTINE. 



Couché soiw tea ombrages vers , 

Gastine , je te chante , 
Autant que lea Grecs par leurs vers 

La forest d'Ërymanthe. 

Car malin celer je ne puis 

A la race future 
De combien obligé je suis 

A ta belle verdure : 

Toy qui sous Tabri de tes bois 

Ravy d'espxit m'amuses ; 
Toy c[ui fais qu'à toutes les fois 
Me respondent le;8 Muses; 

Toy par qui de l'importun soin 
Tout franc je me délivre , 



ODES. a S 

liOrsqa'en toi je me pers bien loin , 
Parlant avec un livre. 

Tes boccages soient tosjours pleins 

D'amoureuses brigades 
De satyres et de sylvains , 

La crainte des Naïades ; 

En toj habite désormais 

Des Muses le collège , 
Et ton bois ne sente jamais 

La flamme sacrilège. 






- 2.6 P- D£ B.OVSABD. 



ODE X. 



A GUILLAUME DES AUTELS. 



Dbs Aotels, qui redore 
Le langage François , 
Oye ces vers qui honore 
Mon terroir'^vandômois. 

O terre fortunée , 
Des Muses le séjour I 
Que le cours de l'année 
Serëne d'un beau jour 1 

En toy le ciel non chiche , 
Prodiguant son bon-heur, 
A de la corne riche 
ReuTersé tout l'honneur. 

Deux longs tertres te ceignent, 
Qui de leur flanc hardi 



ODES. !I7 

Les aquilons contraignent 
Et les vents du midi. 

Sur l'un Gastine saincte , 
Mère des demy-dieux , 
Sa tête de verd peinte 
Envoyé jusqu'au^ cieux ; 

Et sur l'autre prend vie 
Maint beau cep dont le vin 
Porte bien peu d'envie 
Au vignoble angevin. 

Le Loir tard à la fuite 
En soy s'esbanoyant , 
D'eau lentement conduite 
Tes champs va tournoyant ; 

Et rend en prez fertile 
Le paya traversé 
Par l'bonneur qui distile 
De son limon versé. 

Bien qu'on n-'y voye querre 
Par flots injurieux 
De quelque estrange terre 
L'or tant laborieux ; 



28 P- DE 1L0N5AKD. 

Et la gemme peschée 
En l'Orient , si cher. 
Chez toy ne soit cherchée 
Par l'avare nocher. 

L'Inde pourtant ne peqse 
Te veincre : car les dieux 
D'une autre recompense 
Te fortunent bien mieux. 

La Justice grand'erre 
S'enfuyant d'icy bas , 
Imprima sur la terre 
Le dernier de ses pas ; 

£t s'encore à ceste heure 
De l'antique saison 
Quelque vertu demeure , 
Tu es bien sa maison. 

Bref, quelque part que j'erre , 
Tant le ciel m'y soit dous , 
Ce petit coin de terre 
Me rira par sus tous. 

Là je veux que la Parque 
Tranche mon fatal fil , 



OUES. 99 

Et m'envoye en la barque 
De perdurable exil ; 



Là te faudra respandre 
Maintes larmes parmy 
Les ombres et la cendre 
De Ronsard ton amy. 



o»3e:M|» 



( 



3o P' OB KOICSAKD. 



ODE XL 



Ybesohs ces roses en ce via , 
En ce bon yin Yersoas ces roses , 
Et boirons l'un à l'autre , afin 
Qu'an cœur nos tristesses encloses , 
Prennent en boivant quelque fin. 

La belle Rose du printemps , 
Aubert , admoneste les hommes 
Basser joyeusement le temps , 
Et , pendant que jeunes nous sommes» 
Esbattre la fleur de nos ans. 

Tout ainM qu'elle défleurit , 
Fanie en une matinée ; 
Ainsi nostre âge se flestrit , 
Las l et en moins d'une journée 
Le printemps d'un homme périt î 

Ne veis-tu pas hier Brin on 
Parlant et faisant bonne chère , 



ODES. 3l 

Qui , las I aujourd'hui n'est sinon 
Qu'un peu de poudre en une bierre 
Qui de luy n'a rien que le nom ? 

Nul ne desrobe son trémas : 
Gharon serre tout en sa nasse ; 
Rois et pauvres tombent là bas : 
Mais cependant le temps se passe , 
Rose , et je i^^e te chante pas! 

La Rose est Thonncur d'un pour pris, 
La Rose est des fleurs la plus belle , 
Et dessus toutes a le pris ; 
C'est pour cela que je l'appelle 
La violette de G y pris. 

La Rose est le bouquet d'Amour^ 
La Rose est le jeu des Chantes, 
La Rose blanchit tout autour 
Au matin de perles petites 
Qu'elle emprunte du poinct du jour. 

Est-il rien sans elle de beau F 
La Rose embellit tontes choses , 
Vénus de Roses a la peau , 
Et l'Aurore a les doigts de Rose? , 
Et le front le soleil nouveau. 



3a. P' DE &OVSARO. 

Que le mien en soit couroqaé. 
Ce m'ef t un Taurier de ?ietoire ; 
Sus , appelons le deui fois né ' , 
Le bon père , et le faisons boire. 
De cent Rose* environné. 

1 Baccbu». 






ODES. 33 



ODE XII. 



Ma douce jouvence e^t passée , 
Ma première force est cassée , 
J'ai la dent noire et le chef blanc , 
Mes nerfs sent dissons > et mes veines , 
Tant j'ai le corps^froid , ne sont pleines, 
Qcre d'nne eau ronsse «n lieu de sang. 

Adieu ma lyre , adieu fillettes , 
Jadis mes douces amourettes , 
Adieu je sens venir ma fin : 
Nul passetemps de ma jeunesse 
Ne m'accompagne en la vieillesse , 
Que le feu , le lict et le vin. 

• 

J'ai la teste toute estourdie 
De trop d'ans et de maladie , 
De tous coftes le soin me mord< 
Et soit que j'aille ou que je tarde , 
Tonsjours après moy je regarde 
Si je verray venir la mort , 



34 p. DE RONSARD. 

Qui doit , ce me semble, à toute heure 
Me mener là bas , où demeure 
Je ne sçay quel Pluton , qui tient 
Ouvert à tous Yenans un antre 
Où bien facilement on entre , 
Mais d'où jamais on ne revient. 






ODES. 35 



ODE XIII. 



La mercerie que je porte , 
Bertran , est bien d'une antre sorte 

•s 

Qne celle que Tusurier vend 
Dedans ses boutiques avares , 
Ou celles des Indes barbares 
Qui enflent l'orgueil du Levant. 

Ma douce navire immortelle 
Ne se charge de drogue telle : 
Et telle de moy tu n'attens , 
Ou si tu l'attends tu t'abuses : 
Je suis le trafiqueur des Muses , 
Et de leurs biens maistres du temps. 

Leur marchandise ne s'estalle 
Au plus offrant dans une halle, 
Leur bien en vente n'est point mis , 
Et pour l'or il ne s'abandonne : 
Sans plus , libéral je le donne 
A qui me plaist de mes amis. 



35 p. DE a01ISA.RD. 

Reçoy dooquç ceste largesse. 
Et croy que c'est une richease 
Qui par le temps ne s'use pas ; 
Mais contre le temps elle dure , 
Et de siècle en siècle plus dure. 
Ne donne point aux vers d'appas. 






OBA6. , ^7 



ace==aK9Beasr^Bsi 



ODE XIV. 



Mon neveu , sui la vertu : 
Le jeune homme revestu 
De la science honnorable 
Aux peuples en chacun lieu 
Apparoist un demi^dieu 
Pour son sçavoir vénérable. 

Sois courtois , sois généreux , 

Sois en guerre valeuVeux ; 

Aux petits né fais injures; ^ 

Mais, si un grand te fait tort , 

Souhaitte plustost la mort 

Que d'un seul point tu l'endures. 

■ 

Jamais en nulle saison 

Ne cagnarde en ta maison ; ^ 

Voy les terres estrangères : 

Faisant service à ton roy. 

Et garde tousjours la luy 

Que souloient garder tes pères. 

4' 



/ 



?,S p. DE ttOirSARI>. 

Ne sois menteur oy paillard, 
Yvrongae ny babillard ; 
Fay que ta jeqnesse caute] 
Soit vieille devant le temps ; 
/ Si bien ces vers tu entens, 

Tu ne feras jamais faute. 






ODES. ^9 



ODE XV. 



Lb8 Muses lièrent an joar 
De chaisoes de roses Amour , 
Et , pour le garder, le donnèrent 
Aux Grâces et à la Beauté , 
Qui , voyant sa desloyauté , 
Sus Parnasse l'emprisonuèrent. 

Si tost que Vénus l'entendit , 
Son beau ceston elle vendit 
A Vulcan , pour la délivrance 
De son enfant , et tout soudain , 
Ayant l'argent dedans la main, 
Fit aux Muses la révérence : 

Muses, déesses des chansons, 
Quand il faudroit quatre rançons 
Pour mon enfant , je les apporte : 
Délivrez mon fib prisonnier. 
Mais les Muses l'ont fait lier < 

D'une chaisns encore plus forte. 



4o p. DE ROHSAKD. 

Courage donques , amoarenz , 
Vous ne ^erez plus laugoureuz : 
Amour est au bout de ses ruses , 
Plus n'oseroit ce faux garçon 
Vous refuser quelque chanson , 
Puis qu'il est prisonnier des Muses. 






ODES. 4l 



ODE XVL 

SUR LA MORT 

DE 

MARGUERITE DE FRANCE, 



SOBUa DU ROT FRANÇOIS l*'. 



BiBH*HBiiaB08B et chaste cendre , 
Que la mort a fait descendre 
Deflflou» l'onbly du tombeau ! 
Tombeau qui vrayment enserre 
Tout ce qn'avoit nostre terre 
D'honneur , de grâce et de be»u ! 

Gomme ies herbes fleuries 
Sont les honaeurs des prairies, 
Et des près les ruisselets. 
De Torme la vigne aimée ^ 
Des bocages la ramée , 
Des champs les bled» bouvelets; 

4. 



4a p. DE RONSARD. 

Ainsi tu fuB , 6 priacesae I . 
( Âînçois plastost, ô déesse 1 ) 
Tu fus la perle et l'honneur 
Des princesses de nostrc âge. 
Soit en splendeur de lignage , 
Soit en biens , soit en bon-heur ! 

Il ne faut point qu*on te face 
Un sépnlchre qui embrasse 
Mille ;term es en un rond, 
Pompeux d'ouvrages antiques » 
Et brave en pilliers doriques 
Élevés à double front. 

L'airain , le marbre et le cuivre 
Font tant seulement revivre 
Ceux qui meurent sans renom , 
Et desquels la sépulture 
Presse sous mcsme closture 
Le corps , la vie et le nom. 

Mais toy, dont la renommée 
Porte d'une aile animée 
Par le monde tes valeurs , 
Mieux que ces jpoinctes superbes 
Te plaisent les douces herbes , 
Les fontaines et les fleurs. 



. ODK6. 4 3 

Yqns, pasteurs, que la Garonne 
D'un demi-tour environne, 
Au milieu de tos prez vers, 
Faites sa tombe nouvelle , 
Gravez un tableau sus elle 
Du long cercle de ces vers : 

Ici la Royne sommeille 
Des roynesla nompareillè. 
Qui si doucement cbanta , 
C'est la Royne Mabgokbitb, 
La plus belle fleur d'élite 
Qu'onque l'Aurore enfanta. 

Fui0 sonnez vos cornemuses, 
£t menez au bal les Muses 
En un cerne tout autour , 
Soit aux jours de la froidure , 
Ou quand la jeune verdure 
Fera son nouveau retour. 

Aux rais cornus de la lune 
Assemblez sous la nuict brune , 
Sur les bords d'un ruisselet , 
Vos nympbes et vos driades , 
Donnez-luy dix mille aubades 
An doux son du flageolet. 



44 p. DE AONSAKD. 

Tous les ans soit recouverte 
De gazon sa tombe verte, 
£t qu'un ruisseau murmurant , 
Neuf fois recourbant ses ondes, 
De neuf torcbes vagabondes 
Aille sa tombe emmurant. 

Dites à vos brebiettes : 
Fuyez-vous-en, camnsettes ; 
Gaigoez Tombre de ce bois ; 
Ne broutez en ceste prée : 
Toute rherbe en est sacrée 
 la nympbe de Valois. 

Dites qu'à tont jamais tombe 
La manne dessus sa-tombe ; 
Dites aux filles du ciel : 
Venez , mouscbes mesna^ères , 
Pliez vos ailes légères , 
Faites icy vostre miel. 

Dites-leur : troupes mignonnes , 
Que vos liqueurs seroîcnt bonnes, 
Si leur douceur égaloit 
' La douceur de sa parole , 
Lors que sa voix douce et moHe 
Plus douce que miel conloit ! 



OUES. 4^ 

Dites que les mains avares 
N'ont pillé des lieax barbares 
Telle MABGOBHrrB encor: 
Qui fat par son exceUence 
L'Orient de nostre Fraaot , 
Ses Indes et «on trésor. 

Ombragez d'herbe» la terre, 
Tapissez-la de lierre ; 
Plantez un eyprës aossi ; 
Et notez dedans k force , 
Sur la nouaillense «seorce 
De rechef ces Ters ici : 

Pasteurs , si quelqu^'un sonhète 
D'estre fait nouveau poëte , 
Dorme au frais de ces rameaux : 
Il le sera sans qu'il ronge 
Le laurier, ou qu'il se plonge 
Sous l'eau des tertres jumeaux. 

Semez après mille^roses, 
Mille fleurettes descloses , 
Versez du miel et du laict ; 
Et , pour annuel office , 
Respandez en sacrifice 
Le sang d'un blanc aignelet. 



46 p. DB &ONSA&D. 

Faites encore à sa gloire , 
Pour en fester la mémoire , 
Mille jeux et mille esbats : 
Tostre royne saincte et grande 
Du haut du ciel tous le commande 
Pasteurs , n'y f aillez donc pas. 

lô , iô , Mabgobritb , 
Soit que ton esprit habite 
Sur la nue , ou dans les champs 
Que le long oubli couronne , 
Oy ma lyre qui te sonne , 
Et favorise mes ^chants. 



ÉfcMift'fiii'ftl 



ODES. 



47 



ODE XVII. 



AU ROY HENRY II. 



Je te veux bastir une ode , 
I/a maçoonant à la mode 
De tes palais honorez , 
Qni pour parade ont Tentrée 
Et de porfire accoustrée. 
Et de haut» piliers dorez; 

Afin que le front de Tœuvre 
Du premier regard descœuvre' 
Tous les trésors du dedans. 
Je veux peiodre en t»elle «orte 
Tes vertus dessur la porte 
Merveille des regardans. 

Sur deux termes de mémoire 
Je veux graver la victoire 
Dont PAnglois fut combatu , 



4^ y- i>£ aoMSÂRD. 

Et veux encor y portraire 
Les batailles de ton père , 
Soustenu deta Yertu. 

Lorsque ton jeune courage 
S'opposa contre la rage 
De l'empereur despitë, 
Se Tentant d'avoir la foudre 
Dont il briseroit en poudre 
Paris , ta grande cité. 

Le conseil et la vaillance, 
Par une égale balance , ' 
Toujours veillent à l'entour 
Des affaires qui sont pleines 
D'un labyrinthe de peines, 
S'cntresuivans à leur toun 

Ce que la faveur céleste 
Par toy nous rend manifeste , 
Gomme n'ayant deAdaigné, 
Dès ta première jeunesse , 
De conseil et de prouesse 
Toujours estre accompagné. 

Aussi , prince , ta main forte 
A fait voir en mainte sorte 



ODES. 

L'impuissMce 'd'éviter 
Les efforts de ton armée , 
Quand ta colère enflammée 
Justement vent s'irriter. 

Dés Sœurs la plus ancienne 
Siur la xoche tbespieime , 
Dont je suis le citoyen," 
Me garde une voix hardie , 
Afin que brai/^e je die 
L'autbeor de ton sang troyen. 

De celle aux peuples estranges 
Je sooneray tes louanges , 
Lorsque ton bras belliqucur 
Aura foudroyé le monde , 
£t que Thétis de son onde 
Te 'confessera vainqueur. 

Les Muses ont à leur corde 
Deux tons divers : l'un s'accorde 
Aux trompettes, des grands rois ; 
L'autre, plus bas , ne s'alËe 
Qu'au luth mignard de Thalie^ 
Touché doQcement des dois. 

De «e bas ton je te chante 



49 



5o p. DE B.ONSAKD. 

Maiotenant , et si me vante 
De ne sonner jamais roy 
Qai en bonté te ressemble , 
Ne prince qui soit ensemble 
Si preux et sçavant que toy. 

Sus donc , FaAKci , ouvre la boucbe 
Au son du luth que je touche : 
Dy que le ciel t'a donné 
Un roy dispos à combattre, 
Et prompt par les lois d'abattre 
Le péché désordonné. 

Et toy, vendomoisc lyre , 
Mieux que devant faut eslire 
Un vers pour te marier^ ^ 
Afin que tu face croire 
Que véritable est la gloire 
Qu'on t'a voulu dédier. 

Tu resjouys uostre prince , 
Tu contentes sa province , 
Et mille furent espris 
De coQtrefaire ta grâce, 
Et, suivans ta mesmc trace « 
Ont voulu gaigner le prix. 



ODES. 5l 

Mais , 6 Phébus I authorise 
Mon chant et le favorise , 
Qui ose entonner le loz 
De ce grand roy qui t'honore , 
Et ses beaux blasons décore 
De l'arc qui charge ton dos. 

Et fay tant qae sa hautesse , 
Daigne voir ma petitesse , 
Qui vient des rives du Loir 
Criant sa force et justice , 
Afin que Page qui glisse. 
Ne les mette à nonchaloir; 

Et qui doit chanter la gloire 
De sa future victoire , 
' S'elle advient; car, en tout lieu , 
De la chose non tissue 
L'heureuse fin et l'issue 
Se cache en la main de Dien/ 



.'I 



DISCOURS. 



DISCOURS. 



VM>«VV«VVVVVVVVVVVVVVVV«VVWVVWVVVVVVVVVV«^VVVVWVV«^>VVVVVV\'VVVW wv 



A CHARLES IX. 



SiHB , ce n'est pas toat que d'estre roy de France , 
Jl faut que la vertu honore vostre enfance. 
Un roy, sans la vertu , porte le sceptre en vain , 
Qui ne luy sert sinon d'un fardeau dans la main. 

On conte que Thétis, la femme de Pélée, 
Après avoir la peau de son enfant bmslée , 
Ponr lé rendre immortel , le prit en son giron , 
Et de nuit l'emporta dans l'antre de Ghiron , 
Ghiron , noble centaure , afin de luy apprendre 
Les plus rares vertus dès sa jeunesse tendre , 
Et de science et d'art son Achille honorer : 
Un roy, pour estre grand , ne doit rien ignorer. 

Il ne doit seulement sçavoir l'art de la guerre, 

De garder les cités ou les ruer par terre ; 

Gar les princes mieux nés n'estiment leur vertu 



56 p. DE &01ISAK0. 

Procéder ny de sanfç ny de glaive pointu, 

Ny de barnois ferrés qai les peuples étonnent , 

Mais par les beaux mestiers que les Muses nous donneol. 

Quand les Muses, qui sont filles de Jupiter, 
Dont les roys sont issos , les roya daignent chanter > 
Elles les font marcher en toute révérence , 
Loin de leur majesté banissant l'ignorance ; 
Et leur sage leçon leur apprend à sçavoir 
Juger de leurs sujets seulement à les voir. 

Telle science sçut le jeune prince Achille; 
Puis sçavant et vaillant fît trébucher- Troïlle 
Sur le champ phrygien, et fit moarir encor 
Devant le mur troyen le magnanime Hector; 
Il tua Sarpedon , tua Fentasilée ,. 
Et par luy la cité d'ilion fut broslée. 

Gonnoiisex i'bonneste homme humblement reveato, 
Et discernez le vice imitant la vertu ; 
Puis sondez vostre cœur pour en vertus accioistre. 
Il faut, dit Apollon , soy-^nesme se connoistrei 
Geluy qui «e connoist est seul maistre de soy , 
Et sans avoir royaume if est vrayment un roy. 

Commences donc ainsi ; puis ai-tost que par Tige 
Vous seres homme fait de corps et da oonirage, 



DISCOURS. Sj 

Il faudra de Toua-mesmc apprendre à commander» 
A ouïr vos sujets, les voir, et demander, 
Les connoistre par nom , et leur faire justice , 
Honorer la vertu , et corriger le vice. 

\ 
Mal-heureux sont les roys qui fondent teinr appui 
Sur Taide d'un commis I qui par les yeux d^aufrny 
Voyant l'état du peuple, entendent par Toreillv 
D'un flatteur mensonger qui leur conte itferveiHel . 

Aussi, pour estre roy, vous ne devez penser 
Vouloir, comme un tyran ^ vos sujets offenser: 
Ainsi que nostre corps vostre corps est de boue. 
Des petits et des grands la fortune se joue : 
Tous les regrets mondains se font et se défont. 
Et au gré de fortune ils viennent et s'en vont , 
Et ne durent non plus qu^ine flamme allumée. 
Qui soudain est éprise et soudain consumée. 

Or, Sire, imitez Dieu, lequel vous a donné 
Le sceptre , et vous a fait un grand roy couronné. 
Faites miséricorde à celuy qui supplie ; 
Punissez l'orgoeilteux qui s'arme en sa folie ; 
Ne poussez par faveur un homme en dignité , 
Mais choisissez celuy qui l'aura mérité : 
Ne baillez, pour argent, ny états ny offices ; 
Ne donnez au hasard les vacans bénéfices; 



58 p. Dn RONSARD. 

Ne souffrez près de ▼ous ny flatteurs ny vanteurs. 
Fuyez ces plaisans fous qui ue sont que menteurs , 
Et n'endurez jamais que les langues légères 
Médisent des seigneurs des terres estra obères. 
Ne soyez point moqueur ny trop haut à la main , 
Vous souvenant toujours que vous estes humain ; 
Ayez autour de vous personnes vénérables, 
£t les oyez parler volontiers à vos tables. n 

Soyez leur auditeur, comme fut votre ayeul^ 
Ce grand François qui vit encores au cercueil. 

Ne souffrez que les grands blessent le populaire ; 
Ne souffrez que le peuple aux grands puisse déplaire ; 
Gouvernez vostre argent par sagesse et raison : 
Le prince qui ne peut gouverner sa maison , 
Sa femme , ses enfants et son bien domestique^ 
Ne sauroit gouverner une grand' république. 

Pensez long-temps avant que faire aucuns édits; 
Mais si-tost qu'ils seront devant le peuple dits, 
Qu'ils soient pour tout jamais d'invincible puissaoce, 
Autrement vos décrets sentiroient leur enfance. 
Ne vous montrez jamais pompeusement vestu ; 
L'habillement des roys est la seule vertu : 
Que vostre corps reluise en vertus glorieuses , 
Non par habits chargés de pierres précieuses. 



DISCOURS. 59 

D'amis plus que d'argent moustrez-TOus désireux : 
Les princes sans amis sont tousjours malheureux ; 
Aimez les gens de bien , ayant tousjours enWe 
De ressembler à ceux qui sont de bonne vie. 
Punissez les malins et les séditieux: 
Ne soyez point chagrin , despit ny furieux , 
Mais honneste et gaillard, portant sur le visage 
De vostre gentille âme un gentil témoignage. 

Or, Sire, pour autant que nul n'a le pouvoir 
De chastier les roys qui font mal leur devoir. 
Corrigez-vous vous-mesme , afin que la justice 
De Dieu qui est plus grand vos fautes ne punisse. ! 

Je di ce puissant Dieu ùont la force est partout , 
Qui conduit l'univers de l'un à l'autre bout. 
Et fait à tous humains ses justices égales, 
Autant aux laboureurs qu'aux personnes royales. 
Lequel nous supplions vous tenir en sa loy, 
Et vous aimer autant qu'il fit David son roy. 
Et rendre comme à luy vostre sceptre tranquille; 
Sans la faveur de Dieu , la force est iuutile. 



C- 



6a P- DE &ONSARD. 



ausrs 



A CATHERINE DE MÉÛICIS. 



PROMESSE. 



G'bstoit 9m point do joar que les songes certains 
D'un faux imaginer n'abusent les humains, 
Far la porte de corne entrez en nos pensées , 
Des labeurs {journaliers débiles et lassées, 
- Songes qui, sans tromper par une vanité , 
Dessous un voile obscur^monstrent la vérité. , 

Ainsy que je dormois, donnant repos à l'arme, 
En sooge m'apparut Timage d'une dame 
Qui monstroit à son port n'estre potut de bas liea , 
Ains sembloit^ à la voir, sœur ou femme d'un dieo. 

Ses cheveux estoient beaux , et les traits de sa face 
Monstroient diversement je ne scay quelle grâce 
Qui dontoit les plus fiers , et d'un tour de ses yeus 
Eust appaisc la mer et seréné es cieux. 



I 



DISCOURS. 6l 

!Elle portoit aa front une majeafc sainte , 
Sa bouche en souriant de roses estoit peinte : 
XlUe estoit vénérable , et quand elle parloit 
Un parler emmiellé de sa4è¥re couloit; 
Elle avoit le sein beau , la taille droite et belle ; 
IBt, soit qu'elle marchast, soit qu'on approchast d'elle, 
Soit riant, soit parlant, soit en mouvant le pas, 
Devisant , discourant, elle avait des apas. 
Des rets , des hameçons , et de la glu pour prendre 
Lies crédules esprits qui la vouloient attendre : 
Car on no peut foy^r , ai tost qu'on l'aperçoit , 
Que de son doux attrait prisonnier on ne soit : 
Tant elle a de moyens , d'engins et de manières 
Pour captiver à soy les âmes prisonnières ! 

Sa robe^estoit dorée & boutons par devant. 
Elle avoit en ses mains des ballons pleins de vent. 
Des sacs plein* de fumée, et des bouteilles pleines 
D'honneurs et de faveurs, et de paroles vaines: 
Si quelque homme ad visé les cassoit de la main , 
£n lieu d'un ferme corps n'en sortoit que du vain. 
Telle en fleure se void es toirens des vallées 
Quand le dos escumeux des ondes empoUées 
S'enflent dessons la plnye en bouteilles qui font 
XI ne monstre d'un rien, puis en rien se deffbnt. 

Autour de ceste nymphe erroit une grand' bande 

6' 



6*2 p. DE RONSARD. 

Qui d'uQ bruit importun mille choies demande ^ 
Seigneurs, soldats» marchans, courtisans, marinien; 
Les uns vont les premiers , les autres les derniers , 
Selon le bon visage et selon la caresse 
Que leur fait en riant cette brave déesse ; 
Elle allaicte un chacun d'espérance , et pourtant 
Sans estre contenté , chacun s'en va content ; 
Elle donne à ceux-ci tantost une accolade, 
Tantost un clin de teste, et tantost une œillade; 
Aux autres elle donne et faveurs et honneurs , 
Et de petits valets en fait de grands seigneurs. 

A son costé pendille une grande escarcelle 
Large , profonde , creuse , où ceste damoiselle 
Descouvroit sa boutique et en monstroit le front' 
Tout riche d'apparence , à la façon ^e font 
Les marchans plus rosés, afin qu'on eust envie , 
Voyant l'umbre du bien , de luj sacrer la vie. 
Dedans ceste escarcelle estoient les éveschez ; 
Abbayes, prieurez, marquisats et duchez, 
Gomtez, gouvernemens , pensions^ et bans ordre 
Pcndoit au fond du sac Saint-Nicbel et son ordre. 
Crédits , faveurs , honneurs , estats petits et hauts, 
Gonnestables et pairs, mareschauz, admiraux, 
Chanceliers , présidens , et autre maint office 
Qu'elle promet afin qu'on luy face service. 



DISCOURS. 63 

ToQs les peuples estoient envieux et ardans 
D'empoigner l'escarcelle et de fouiller dedans; 
Âdmirolent son enfleure , et avoient l'âme esmeue 
D'extrême ambition si tost qu'ils l'aToient veue, 
lis ne pensoient qu'en elle, et sans plus leurs desseins 
£stoient de la surprendre et d'y mettre les mains; 
Et pour ce ils accouroient autour de l'escarcelle 
Gomme guespes autour d'une grappe nouvelle : 
Quand quelqu'un murmuroit , la dame l'appaisoit , 
Car de sa gibecière un leurre elle faisoit, 
Qu'elle monstroit au peuple, et comme trop légère. 
Aux uns estoit marastre , aux autres estoit mère. 
L'un devenoit content sans attendre qu'un jour. 
L'autre attendoit vingt ans ( misérable séjour). 
L'autre dix, l'autre cinq, puis, afi lieu d'un office. 
Estât ou pension , remboursoit leur service 
Ou bien d'un Miendez , ou bien , // m'en souvient; 
Maia telle souvenance en souvenir ne vient. 

Le peuple ce pendant souffloit à grosse haleine , 
Qui suant , et pressant , et courant, mettoit peine 
De courtizer la Nymphe, et d'un cœur indonté. 
Sans craindre le travail luy pendoit au costé. 

£n pompe devant elle estoit dame fortune , 

Qui , sourde , aveugle , sotte , et sans raison aucune , 

Par le milieu du peuple à l'aventure alloit, 



64 P< D£ RONSikRl). 

Abaissant et baussant tons eeox qu'elle vouloit. 
Et folle et variable y et pleine de malice, 
Mesprisoit la vertu , et chéiissoit le vice. 

Au bruit de telle geikt ^ qui murmoroit plus haut 
Qu'uQ grand torrent d'hy ver^ )e m'esveille en sursaut, 
£t^ voyant près mon lict une dame si belle , 
Je m'enquiers de son; nom , et devise avec, elle : 

Déesse , approcbe-toy, conte-moy ta verto » 
D'où es-tu? d'où viens-tu ?et où te loges^tu l 
A voir tant seulement ta brave contenance». 
D'un pauvre laboureur tu n'as pris ta naisMOcet 
• Tes mains, ton fronts ta face, et tes yeux ne«OQt pas 
Semblables aux mortels qui naisMOt îei-bas. 

Ainsi je Itiy demande , et ainsi la déesse 

Me respond à son tour : Ami, je suis Ptomess» 

Dont le pouvoir bautain , superbe et spacieux 

Commande sur la mer, en la terre et aux cieia : 

La troupe qu« tu vois me suit à la parole» 

£t , pour un petit mot qui de ma bouche ?ole , 

Je suis crainte et servie , et si puis esbra^ler 

Le cœur des plus constans m'ayant ouy parler : 

J'habile ces palais et ces maisons royales. 

Je loge en ces-cbasteaux et en ces grandes salles 

Qui ont les soliveaux ai^ntez et dorez , 



Discours 65 

Superbes en piliers de marbre élabonrez ; 

Les rois, les empereurs, les seigneurs et les princes 

Ne peuvent rien sans moy : je garde leurs provinces, 

Je flatte leurs sujets ; et , puissante , je fais 

JLia guerre quand je veux , les trêves et la paix : 

Je détruy les cités, je perds les républiques. 

Je corrogaps la justiee et les loix politiques ; 

Je fay ce que je veux, tout treinble dessous moy. 

Et ma seule parole est plus forte qnSiQ roy. 

Le soldat pouiT moy seule abandonne sa vie. 
Celle du marinier des ondes est ravie , 
Flottant à mou service ; et tout homme sçavant. 
Pour penser m'acquérir, met la plume en avant. 
Le barbu philosophe en son coeur me désira , 
Le théologien en ma faveur respire , 
Le poëte est k moy, à moy riûstorien , 
L'architecte et le peintre , et le musieien. 
L'advocat en mon nom preste sa consoience ; 
Le brave courtisan se détniit de dépense , ' 
Xe sot protcnotttre icy vient pour m'aveir, 
Mesme Les cardinaux sont joyeux de me voir ; 
Le président, amy de la ioy plus sévère , 
Le grave conseiller m'estime et me révère. 

J'ay tousjours au costé pendu quelque importun , 
Je ne chasse personne , et retiens un chacun , 

6. 



66 P- DK HONSABD. 

Non pas également ; car les uns je colloque 

Aux suprêmes honneurs , des autres |e me mocque : 

Je les tiens en suspens ; puis , quand ils sont grisons. 

Mourir je les renvoyé auprès de leurs tisons :. 

Leji autres finement je déçcy d'une ruse , 

Les autres doucement je pipe d'une excuse ; 

Je flatte en commandant , et tellement je «çay 

Mesler bien à propos le faux avec le vray, 

Que, paissant un chacun d'une vaine espérance, 

Chacun est asseuré sans avoir asseurance. 

Or, si ta veux me suivre , et venir de ma part» 

Je n'useray vers toy de fraude ny de fard , 

Je te tiendray- parole , et auras en peu d'heure 

Gomme ceux que tu vois la fortune meilleure : 

Tu es trop écolier : laisse tout et me suy, 

Et deviens habile homme à l'exemple d'autrny. 

Je suis, je n'en mens point, bien aise quand je trompe 

Ces fardés courtisans enflés de trop de pompe , 

Qui toujours importons à mes oreilles sont ; 

Mais, honteuse , je porte une vergongne au front, 

Quand il me faut tromper par trop d'ingratitude 

Ou les hommes de guerre , ou les hommes d'étude; 

Les uns gardent le sceptre , et les autres des rois 

Éternisent l'honneur par une docte vois : 

Je crains plus les derniers, d'autant que blanche ou noire 

Ils font, comme il leur plait, des hommes la mémoire. 



OI6COTTRS. 67 

J'ay tous jours bon vouloir, mais toufjours je ue puis 
Contenter un chacun , tant quelquefois je suis 
D'affaires accablée ; et alors, comine sage, 
Je me sers au besoin d'un gracieux langage. 
Four retenir les coeurs des sujets ; autrement 
Je perdrois mon crédit en un petit moment. 

La parole, Ronsard^ est la seule magie : 

L'âme par la parole est conduite et régie; 

Et c'est le seul moyen qui mon nom fait vainqueur, 

Car tousjours la parole est maistresse du cœur. 

Dieu mesme, qui tout peut, ne sçauroit jamais faire 
Que sa volonté puisse à tons hommes complaire: 
L'un désire la pluye, et l'autre le beau temps. 
Et jamais ici bas on ne les void contens : 
Mais mne heure à la fin accomplit toutes choses; 
Tous jours une saison ne produit pas les roses , 
Et de tous les humains le sort n'est pas égal , 
]1 faut l'un après l'autre endurer bien et mal : 
Et l'homme qui se deult d'une telle ayanture 
Pèche contre les lois du ciel et de nature. 

Ainsi disoit Promesse ; et je Iny respondi : 

O visage effronté , impudent et hardi I 

Après m'avoir trompé quinze ans sans récompense 

De tant de beaux labeurs dont j'honore la France , 



68 P- DK RÔKfIAIlD. 

Me f eax-ta re-tromper ? Va-^'en , je te promets 

Par mon saioct Apollon de ne t'aimer jamais : 

Ce n'est pas d*aajourd*hay que ton fard }e décoQvre. 

Je t'ay mille fois veue en ces salles dn Louvre , 

Et tu m'as mille fois , par ton langage beau » 

pipé à Saint-Germain et à Fontainebleau , 

Et eaces grandes maisons superbes et royales , 

Où jamais on ne voit les promesses loyales. 

Pour ce va-t'en d'ici , car je te hay plus fort 

( Et cei-tes à bon droit ) que je ne hay ta mort. 

Tu as , comme une ingrate impudente et msée 

De tes apas trompeurs ma jeunesse abusée : 

Ta m'as nourri d'espoirs , tu m'as fait asseafer. 

Tu m'as fait espérer pour me désespérer. 

De toy, cruelle , ingrate , et digne de martyre , 

Qui me donnes la baye» et ne t'en fais que rire , 

Tu ne gardes jamais ny parole ny foy ; 

Ce n'est que piperie et mensonge que tox> 

Que fard , que vanité , et , pour les cœurs attraire, 

Tu penses d'une sorte , et parles au contraire. 

Tu as à ton service un tas de courtisans, 

De moqueurs, de flatteurs, de menteurs, de plaisans, 

Tes valets éhontez , qui sont faits à ta guise : 

L'un en faisant le fin toutes choses déguise, 

L'aqtre fait l'entendu , et l'autre le rusé : 

Ainsi l'homme de bien est tousjours abasé. 

Mal-heureux esirccluy qui te suit, pour se faire 



DISCOURS. 69 

Le jouet de ta fraade , et fable du ?ulgair«. 
Tatit s'en faut que je vuetlle à te» loix mè ranger. 
Que je ne Toudrois pas deux heoret te loger , 
Ny voir uj caresser. Sors d*ici , piperesse : 
Tu portes à grand tort Tétat d'une déesse. 

Ainsi tout furieux la nymphe je tançoîs , 
Quand elle me respond que j'estois un franfois , 
Inconstant et léger , et vrayment un poète , 
Qui a le cerTeau creux ejt la teste mal faite. 

Il faut, ce me disoik, corrompre Ion destin , 

Changer ton naturel , te lever au aaatin, 

Te coucher à mi.nuict , et apprendre à te taire, 

Et qui plus est , Ronsard , ^ n'esUe volontaire. 

Il faut les grands seigneurs courtiser et chercher. 

Venir à leur lever, venir à leur coucher. 

Se trouver à leur tahle , et dificourir un conte, 

Estre bon importun, et n'avoir point de honte. 

Voilà le vray chemin que tu dois retenir, 

Si tu veux promptement aux honneurs parvenir. 

Et non faire des vers , ou jouer^sur la lyre ; 

Ce sont pauvres mestiers dont on ne fait que rire. 

Au temps des rois passés j'avois lé front menteur. 
Le parler d'un trompeur, les yeux d'un affronteur. 
Maintenant je suis ferme et pleine d'asseurahce : 



^0 p. DE BONSARD. 

Car aujourd'bay la royne a toute ma paîssance ; 
Ell6 aie ccrar entier, magnaoîme et hautain , 
Et sa seule parole est un arrêt certain ; 
Sa bouche est un oracle, et sa voîk, prononcée 
Gomme çeïle d'un dieu, ne dément sa pensée; 
Ayant que de promettre, elle sOnge long-temps f 
Après avoir promis ses propos sont constans , 
Et l'importunité ne la sçauroit combattre ; 
Car de promettre à deux , ou à trois ou à quatre. 
C'est signe d'inconstance , et le cœur généreux 
Ne doit jamais promettre un mesme bien à deux. 

Geste royne , de biens et d'honneurs couronnée , 
Ne vent comme autrefois se voir importunée y 
Ou que par la prière on force son plaisir : 
Sa providence veut elle -mesme choisir 
Les hommes vertueux, et en crédit les mettre , 
Les faisant bien-heureux avant que leur promettre : 
Et c'est le vray moyen d'avoir des serviteurs , 
Et non pas d'avancer des sots ny des flatteurs , 
Qui sont autour des rois élevés en la sorte 
Qu'un marmouzet touffu , qui rechignant supporte , 
Ge semble, tout le fais d'une voûte , et combien 
Qu'il semble tout porter, son dos ne porte rien : 
Il ne fait que la mine , affreux d'ouverte gueule , 
La vonte de son poids se porte toute seule. 



DISCOUAS. 7 1 

Or, si la Muse a fait enfanter ton cerveau « 
Bstreiue sa grandeur d'un ouvrage Douveau ; 
Et tout ainsi qu'on void en mieux changer l'année. 
Tu pourras voir changer en mieux ta destinée. 

Ainsi disoit Promesse, et bien loin de mes yeux , 
S'enfuyant de mon lict , se perdit dans les cieux. 






72 



p. DB ROHSAaD. 



HARANGUE 

DU DUC DE GUISE 

AUX SOLDATS DE METZ, LE JOUR DE L* ASSAUT. 



So8^ courage , soldats l... Imitez vos ayeux : 
Encore Dieu nous aime , encore Dieu ses yeux 
]N'a détourné de nous ny de nostre entreprise, 
Ainçois plus que devant la Gaule favorise : 
La Gaule il favorise et favorisera 
Tant que nostre bon roy son gouverneur sera. 

Doncques ne craignez pas tel peuple de gendarmes ; 
Mais, «chacun se fiant plus en Dieu qu'en ses armes. 
Droit oppose sa pique au devant du guerrier 
Qui viendra sur la brèche au combat le premier ! 
Chacun de vous s'arrange en bon ordre en êa place^ 
Et , prodiguant sa vie , après la mort la fasse 
Plus claire que le jour ! Vous n'estes pas, soldars, 
Ignorans de garder la brèche des rem pars , 
Et les murs assiégés d'une effroyable bande ; 



DISCOURE. 7^ 

Encore il vou« souvient des murs de la Mirande 
Et de ceux-là de Parme, et vous sourient aussi 
De ceux-là de Péronne et. ceux de Landreci : 
Où tous Tos cnDemis qui tos forces tentèrent, 
Rien , sinon deshoni^ur, chez eux ne remportèrent. 
Nul n'aura par nos mains récompense ny prix. 
Si son lieu le premier sur la brèche il n'a pris : 
Fust-ii beau comme un ange , on par dessus la trope 
Appamst-il horrible en un corps de cyclope ; 
Snrmontast-il an cours le vent thréicien , 
Et de riches trésors le grand roy phrygien , 
Eu8t-il le bras de Mars, la langue de Mercure, 
Et se fust tout le ciel et toutela nature 
Empeschez pour le faire accompli en tout point , 
S'il n'est brave au combat je ne l'estime point. 

Non , je n'ignore pas qu'une belle victoire , 

D'âge en âge coulant , n'éternise la gloire 

Des hommes combattans soient jeunes ou soient vieux, 

Et , de terre enlevez , ne les envoie aux cieux ; 

Mais certes Enyon la guerrière déesse 

Cent fois plus que les vieux estime une jeunesse 

Qui brusle de combattre, et qui ne fait encor 

A l'entour du menton que jaunir d'un poil d'or. 

Geste jeunesse-là , mordant ses lèvres d'ire, 

Et , grinçant de fureur, à soy-mesme s'inspire 

Une âme valeureuse , et sent dedans le cœur 

«3 



I 



^4 p. UR IIOHS4RD. 

Je ne tçay quel effort qui desdaigne la peur* 
Cette )euDei8<*-lè , tousjours brave, s'essaye 
De se voir entrouvrir l'estomac d'une playe 9 
Combattant la première , et mieuK voudroit se voir 
Mourir dç mille morts qu'au dos la recevoir* 
C'est vergogne de voir couché dans la poussière 
Un jeuue homme fuyant , et navré par derrière , 
Ayant le dos béant d'ulcères apparensl 
Ceiuy vràyment honnit »e» fils et ses paréos 9 
Loogae fable du peuple, et la cruelle parque 
Passe son nom et luy dans une même barque. 
Mais celuy qui premier s'opposant à l'effort 
I^es vaillans ennemis, meurt d'une belle mort. 
Tenant encore au poing sa picque vengeresse ; 
A l'heure qu'on l'enterre , une dolente presse. 
Chantant du trépassé la gloire et les valeurs, 
Reschaufie e corps froid .d'une tiède eau de pleurs. 

Si quelqu'un delà troupe en combattant évite 
La mort cenl fuis cherchée^ et qu'ensemble il incite 
Son prochain compagnon à choquer vivement. 
Ou vràyment à mourir l'arme au poing bravement ; 
Le peuple dans la rue honorera sa face. 
Et venant au sénat , chacun luy fera place , 
L'bonorant comme un Dieu, et n'aura son pareil , 
Premier en la bataille , et premier au conseil. 



Le couard au contraire, enlaidy d'une honte » 
Ne sera rien sinon un populaire eonte» 
Et peut e»tre bapny de son païa aa\if , 
Poor sa couardeté , vagabond , fugitif, 
Portant ses fib au col » d'huis en huis ira querre 
Son misérable pain en quelque estrange terre 9 
Et de baillant vestu , et prif é de bonheur» 
N'osera plus hanter It» gens dignes d*bonnewr ; 
Et sa, race i jamais , fust-eile décorée ^ 
De noble biaajeux , sera desbonoiée. 

Pour ce , faites-vous preux : bien qu' soit ordonné 
Du naturel destin que tout ce qui est né 
Yestu d'os eX de nerfs» soit quelque jour la proye 
De la mort mange-toi^^ et que, meames à Troye 
Achille et Sarpédon » enians de dieux ^ n'ont pas. 
Non plas q^ue fit Theisite, évité le trespas. 

Monrons, amis, mourons! Il vaut mieux^ pour défendre 
Noos et nostre pais l'ame vaillante rendre , 
li'âme vaillante rendre au dessus du rempart» 
D'un grand coup de canon faussez de part en part , 
Ou d'nn g^and coup de pique accourcir nostre vie , 
Que languir vieux au lit y matiez de maladie. 

Courage donc , soldats I Ne craignez point la mort I 
La mort ne peut tuer l'homme vaillant et fort; 



^5 P* 1>K aONSA&D. 

Lr. mort unt seulement par les combats vient mordre 
Je ne scay quels couards qui n'osent tenir ordre. 
Tenez donques bon ordre , et gardez vostre rang , 
Pressez l'un contre l'autre , et collez flanc à flanc , 
Pied contre pied fichez , et teste contre teste , 
Bataillez bravement , et creste contre creste : 
Tienne le canonnier le cfenon comme il faut 
Dreitement contre ceux qui viendront à l'assaut ; 
Bref, que chacun de vous à son état regarde , 
Le hallebardier tienne au poing sa hallebarde , 
Sa pique le piquier, et le haquebutier 
Couché dessus le ventre , exerce son mestier. 

Or, si.quelqu'un de vous m'aperçoit le visage 

Tant soit pâle de peur, ou faillir de courage , 

J e ne veux qu'en flattant il me vienne excuser ; 

Ains , je luy veux donner congé de m'accuser. 

(Ce que n'advienne, ô Dieul que l'un de vons me face!) 

Car je ne veux icy, non non I tenir la place 

D'un prince seulement, mais d'un simple soldart , 

Couché tout le premier sur le front du rempart. 

lâaSA'AMCl 



DISCOURS. 77 



A CHARLES 



CARDINAL DE LORRAINE. 



JUSTICE. 



Oisu fit Daiatre Jastice en l'âge d'or çà bas, 
Qnaod le peuple ianoceat encor ne vîvoit pas 
Gomme il fait en péché, et qnand le vice encore 
N'avait passé les bords de la boite à Pandore; 
Qaand ces mots tien et mien en usage n'estoient , 
Et quand les laboureurs du soc ne tourmentoient 
Ulcérant par sillons, les entrailles encloses 
Des cbampsyqui produisaient de leur gré toutes choses; 
Et quand les mariniers ne pâlissoient encor 
Sur le dos de l^éthys pour amasser de l'or. 

Geste Justice adonc , bien qu'elle fust déesse, 
8'apparoissoit au peuple au milieu de la presse , 
Et en les caressant , les assembloit le jour. 



( 



78 p. Ml ROHSA&D. 

. Au milieu d'une rue , ou dans un carrefour, 
Les preschant et priant d'éviter la malice , 
Et de garder entre eux une saincte police ; 
Fuyr procès , débets « q«cr«lle', iaimitié 9 
Et d'aimer charité , paix , concorde et pitié. 
La loy n'estoit eooorea airain cngravéet 
Et le juge n'avoit sa chaire encor levée ' 
Haute dans un palais ; et debout au parquet , 
Encores ne vendoit l'advocat son caquet 
Pour damner Tinnoceiit et Marer le coupable. 

Cette seule déesse au pei^e vénérable 
Les faisoit gens de bien , et, sans- aucune peur. 
Des lois leur engravoit l'équité dans le cœur^ 
Qu'ils gardoient de leur gré ; mais toute chose passe, 
Et rien ferme ne dure en cesta terre basse. 

Si tost que La malice au monde eut commencé 
Son trac , et que jà l'or se monstroit effacé. 
Pâlissant en argent sa teinture première , 
" Plus Justice n'estoit aux hommes familière 
Gomme elle souloit estre , et ne vouloit hanter 
Le peuple qui desjà tendoit à se gaster^ 
Et plus visiblement le jour parmy la rue 
Les hommes ne preschoit : mais vestantuoe nue) 
Hurlante en -piteux cris , son visage voila , 
Et bien loing des citez es forests s'envola ; 



Discouns. 79 

Car elle de«d«|lgQoU d'«stre icy bas suivie 
Des hoiDiiie«^forligiMQ» de klir ptewière vie. 

Aussi tost que la aaict Us mbres aiaeitoit » 
Elle quittoit les bois , et pleurante venoit 
Crier sur le soiumet des villqa les plus bantfp » 
Pour effiroyer le peuple et reprendre ses £sintQ»« 
Tousjours le meoaçaat qu'U ne 1» verroit plus. 
Et qu'elle s'eji iroU à sob pare là swu 

« L'œil de Dieu, ce disoit , toutes choses cegai^de, 

• Il voit tout 9 il sait tout ^ et suc tant il pteod garde ; 

> Il sera- courrQucé de quoy vous me chasses : 
>Po«r ce i»pente£-vous de vos pèsbes passes; 

> Il voua fera pardon » il est Dieu débonnaire , 

> Et comfiiie les humains ne tient p as-s a colère : 
» Sinon , dq pis en pis, au feste parviendrez 

> De tout vice exécrable , et puis vovs apprendfcs 

• Après U chastiment de vos ânes «lesohaotas > 

» Combien les mains de|Dieu sont dures et tranchantes. 

Ainsi toute la nuict la Justice crioit 
Sur le haut des citez , qui le peuple efiroyoit » 
Et leur iaisoit tcçmhler le cœur en la poitrine, 
Craigiuant de leurs pèche» la vengeance divine* 
Mais ce peuple mourut ; et après hiy nssquit 
Un autre de son sang'qnl pkis meschant vesquit » 



8o p. DE KONSARD. 

Lon le siècle dé fer règoa par tout le monde , 
Et rOr que despiteux de la fosse profonde 
Ici haut envoya les Furies , à fin 
De pressurer au coeur des hommes leur venin. 

Adonc fraude et procès envahirent la terre , 
Foison , rancœur , débat , et l'homioide goerre , 
Qui , faisant craqueter le fer entre ses mains, 
Marchoit pesantement sur le chef des humains , 
Et tranchoit sons l'acier de sa hache meurtrière 
Des vieux siècles passez la concorde première. 
Ce que voyant Justice , ardente de fureur, 
Contre le meschant peuple empoisonné d'erreur. 
Qui , pour suivre discord* rompoit les lois tranquilles, 
Vint encores de nuict se planter sur les villes : 
Où plus , comme devant , le peuple ne pria. 
Mais d'une horrible voix hurlante s'escria 
Si effroyablement que les murs et les places 
Et les maisons trenibloient au bruit de ses menacées. 

«Meschant peuple avorton , disoit-elle , est-ce ainsi 
> Qu'à moy fille de Dieu tu rends un grand-merci 
>De t'avoir si long-temps couvé dessous mes ailes, 
>Tc nourrissant du laict de mes propres mammellci»! 

• Je m'envole de terre, adieu , meschant, adieu; 

• Adieu, peuple maudit; jet'asseure que Dieu 
9 Vengera mon départ d'une horrible tempeste. 



DISCOURS. Sx 

» Que jà desjà son bras eslance sur ta teste. / 

B Las I où tu soulois vivre en repos plantureux, 

sf Tu vivras désormais en travail^malhenreux ; 

» Il faudra que les boeufs aux champs tu aiguillonnes, 

ȣt que du soc aigu la terre tu sillonnes , 

9 !Et que soir et matin le labeur de^ta main 

» IVourrisse par sueur ta misérable faim : 

» Ponr la punition de tes fautes malines 

» Leschamps ne produiront que ronces et qn'espines : 

» Le printemps qui souloit te rire tous les jours , 

» Se changeant en hyver perdra son premier cours , 

»Et sera départi en vapeurs chaleureuses, 

» Qui halleront ton corps de fiâmes douloureuses , 

>Ea frimas et en pluye et en glace qui doit 

• Faire transir bien tost ton pauvre corps de froid. 

s Ton chef deviendra blanc en la fleur de jeunesse, 
» Et jamais n'atteindras les bornes de vieillesse , 
» Gomme ne méritant par ton faict vicieux 
sDe jouir longuement de la clarté des cieux. 
» Si peu que tu vivras tu vivras en moleste , 
» Et tousjours une fièvre , un catarre , une peste 
» Te suivront sans parler venans tons à la fois : 
» Dieu les faisant muets desrobera leur vois, 
» Afin que sans motdirc ils te happent à l'heure 
» Que tu estimeras ta vie estre plus seure. 

* Qui pis est , indigence et la faminje aussi 



I 



8s p. D8 RONSARD • 

» Hottes de ton hottel , te donneront souci. 

» Diea te fera niourir^aa oûlien des battilles 

• Acciblé l'un sur l'autre « et fera les murailles 
» De tes grandes citez dessous terre abysmer , 

» Et la foudre perdra tes uaTires eu tner. 

> Si le peuple m'enst creoe«il eust sans nulle peioa 

• Heureusement franchi ceste carrière humaine, 
»£t fust mort tout ainsi que ceux à qui les yeitx 

» S'endorment dans le Uct d'un sommeil gracieux : 

»Mais il vivra toujours en douleur asservie j 
» Fraudé des passetemps et des biens de la vie: 
» Puis à la fin la mort en tourment et en deuil 

• Dans un lict aogoissenx luy viendra fermer l'œil; 

> Qui plus est, ce grand Dieu qui de son cœur a cure, 

• Envoira »e» démons couverts de nue obscure 
» Par le monde espier les vicieux , à fin 

• De les fhîre mourir d'une mauvaise fin ; 

• Et lors un vain regret rongera ta poitrine, 

• Et ton cœur, deschîré d'une mordante épine, 
» De quoy tu m'as chassé au lieu de me chérir, 

• Qui te sonloîs ingrat , si chèrement nourrir. • 

Ainsy plenroit Justice , et d'une robe blanche 
Se voilant tout le chef|uaqu*au bas de la hanche , 
Avec ses autres sœurs, quittant ce val mondain 
Au ciel s'en retourna d^un vbi prompt et sondain. 



iiiscou&s. 83 



A LA HAYE. 



Si i'estois à renaîstre au Tentre de ma mère , 

( Ayant 9 comme j*ai fait, pratiqué la misère 

De ceste pauvre vie, et les maux journaliers 

Qui sont des cœurs liamainscompaignons familiers ), 

Et que la Parque dure ma filant me vint dire : 

Lequel, veux-tu, Ronsard, des animaux eslire. 

Pour vivre à ton plaisir 7 Certes j'aimerois mieux 

Revivre en un oiseau et voler par les cieux , 

Tout plein de liberté : avoir un beau plumage 

Bigarré de couleurs, et cbanter mon ramage 

De tailliz en taillis, 4e boissons en buissons. 

Et aux nympbes des bois apphuidre mes chansons. 

Et de mon bec cornu parmy les champs me paistre , 

Que par deux fois un homme en ce monde renaîstre. 

Taimerois mieux vestlrnn poisson escaillé, 
Et feadre de Téthys le séfour esmaillé 
De bleu meslé de pen , et du ply de l'eschine 
Flotter de vague en vague au gré de la marine ; 



84 ^' i>E noNsvRn. 

Puis, au plus chaud du jour sortaot du fond des eaux, 
Paresseui, me ranger aux monstrueux troupeaux 
Du vieil berger Protée, et dormir sur le sable» 
Que me voir derecl^/ef un homme misérable. 

J'aimerois mieux renaistre en un cerf bocager , 
Portant un arbre au front, ayant le corps léger 
Et les ergots fourchus , et seul et solitaire , 
Faire auprès de ma biche es buissons mon repaire , 
Saulter parmy les flenrs, errera mon plaisir. 
Et me laisser conduire à mon premier désir , 
Et la frescheur des bois et des fontaines suivre , 
Que me voir derechef en un homme revivre. 

De tous les animaux le plus lourd animal 

C'est l'homme^ le sujet d'infortune et de mal. 

Qui endure en vivant la peine que Tentale, 

Là bas endure mort dedans l'onde infernale. 

Et celle de Sisyphe et celle d'Iûon.' 

Vif, son enfer il porte, ou par ambition. 

Ou par crainte de mort, qui tousjours le tounneate» 

Et plus un mal finist et plus l'autre s'augmente. 

Toutefois à l'ouyr discrètement parler » 
Vous diriez que sa gloire au ciel s'en doit voler , 
Tant il fait en parlant de la beste entendue; 
Ignorant que les dieux luy ont trop cher vendae 



DISCOURS. ' 85 

Nostre pauvre raison qai malheareui le fait , 
D'autant que par-suj tons il s'estime parfait. 

Geste pauvre raison le conduit à la gnerre, 
Et dedans du sapin luy fait tourner la terre 
A la mercy du vent , et si luy fait encor 
Pour extrême malheur chercher les mines d'or : 
On le fait gouverneur des royales provinces, 
Et qui pis est le meine au service des princes : 
Lny apprend les mestiers dont il n'avoit besoin , 
Et comme d'un poinçon raigiiillonne de soin : 
Et, pour trop raisonner , misérable il demeure 
Sans se pouvoir garder qu'à la fin il ne meure. 

Au contraire , les cerfs qui n'ont point de raison , 
Les poissons, les oiseaux, sont, sans comparaison, 
Trop plus heureuxque nous, qui sans soin et sanspeine, 
Errent de tous costez où le plaisir les meine : 
Ils boivent de l'eau claire , et se paissent du fruict 
Que la terre sans art d'elle mesme a produict. 

Que sert ( dit Salomon ) toutes choses entendre , 
Rechercher la nature et la vouloir comprendre. 
Mourir dessus un livre et vouloir tout sçavoir , 
Vouloir parler de tout et toutes choses voir. 
Et vouloir nostre esprit par estude contraindre 
A monter jusqu'au ciel où il ne peut atteindre ? 

8» 



86 p. DE EOMSA&D. 

Tout n'est que Yanité et pure vanité : 

Tel désir est bourreau de nostre humanité. 

Car si nous cugnoissions nostre pauvre nature , 

Et que nous sommes faits d'une matière impure , 

Et mesme que le ciel se monstre amy plus dous » 

Et père plus bénin aux animaux qu'à nous. 

Qui pleurons en naissant » et qui par le supplice 

D'estre au berceau lies ( comme si ce f ust vice 

De sortir hors du ventre )» à vivre commençoos , 

Et tousjonrs en tourmens la vie nous passons. 

Las l si nous cognoissions que nous a'avons point d'ailes 

Pour voler au séjour des choses étemelles » 

Nous ne serions jamais soingueux ny curieux 

D'apprendre les secrets esloingnez de nos yeux : 

Ains contents de la terre et des traces humaines, 

Vivrions «ans affecter des choses si hautaines ! 

Mais que sçauroit voir l'homme au monde de nouveau? 
C'est tousjours mesme hyver et mesme renouveau , 
Mesme esté, mesme automne , et les mesmes année» 
Sont tousjours pas à pas par ordre retournées» 

Ce soleil qui reluit luy-mesme reluisoit. 
Quand le bon Josué son peuple conduisoit ; 
Et nostre lune aussi c'estoit la lune mesme , 
Qui Initoit à Noé : et la voûte suprême 
Du ciel qui tout contient , c'est ceste mesme-là ^ 
Où sur le char flambant Héiie s'envola. 



DISCOURS. ^„ 

Ce qui est a esté , et cela qu» doit eâtfe , • 

De ce qui est passé doit recevoir son esire ; 

Le fait sera deafait, et pois sera refait^ 

Et puis estant refait se verra redesAiif; 

Bref, ce n'est qu'incôastance et que pore mensoB^ 

De nostre pauvre vie ainçois de nostre songe. 

L'homme n'est que misère et doit mourir exprès. 

Afin que par sa mort un autre Wve après s 

L'un meurt , l'autre rçvit , et tOMJour» ls| oaissance 

Par la corruption engendre une autre essence. 

Mais tout ainsi , la Haye , honneur de nostre tempt. 
Qu'entre les animaux par les champs habitans , 
S'en trouvent qoelques^uns qui en pradencc valent 
Plus que leurs compaignons, et les hommes égalent 
De sagesse et d'esprit : souventc Ibis aussi , 
Entre cent mlllîoDs d'hommes qui sont fcy, 
S'en trouve quelques-uns qni dans leurs eœurs assemblent 
Tant de rares vertus, qu'aux grands dieux ils ressemblent. 
Comme toy bien appris , bien sage et bien discret , 
<îaî m'as diminué bien souvent le regret 
De vivre trop icy ; ear, qoand un soin me fasoke. 
Je me descouvre à toy, et mon cœur je te laschc. 

Lors de mes passions , desquelles je me deuls , 
Ta gouvernes la bride, et je vais où tu veux. 
Tout ainsi qu'il advient quand une tourbe esmue 



88 p. DE aOIfSARD. 

Qui de çji , qui de là mutine se remue , 
De courroux forcenée , et d'un bras furieux , 
Caillons , flames et dards , fait voler jusqu'aux cienx: 
Si de fortune alors un grave personnage 
Survient en telle esmeute , elle abat son courage , 
Et d'oreille dressée escoute et se tient coy, 
Voyant ce sage front paroistre devant soy. 
Qui doucement la tance, et d'un gracieux dire 
Flatte son cœur félon , et tempère son ire. 

Ainsi lors que mon sens , de ma raison vainqueur, I 
De mille passions me tourmente le cœur , 
Tu luy serres le frein , corriges son audace , 
Abaisses sa fureur, et le tiens en sa place ; 
Puis , me parlaut de Dieu , tu m'enlèves l'esprit 
A cognoistre par foy que c'est que Jésus-Christ , 
Et comme par sa mort de la mort nous délivre , 
Et par son sang nous fait éternellement vivre. 
En ce poinct de ta voix plus douce que le miel 
Tu me ravis du corps , et m'emportes au cidi , 
Tu rompts mes passions , et seul me fais cognoistre 
Que rien plussainct que l'homme au monde ne peut oaistn 



DISCOURS., 89 



A HENRI III. 



Tout le cœur me débat d'une frayeur oouyelle : 
J'entends dessus Parnasse Apollon qui m'appelle ; 
J'oy sa lyre et son arc branler à son co&té. 
Quelque part que mon pied vagabond 'koit porté. 
Ses lauriers me font place, et sens ma fantaisie 
Errante entre les dieux , se soûler d'ambroisie. 
Fuyez, peuple , fuyez ; des muses favory, 
J'entre, sacré poète, au palais de Henry 
Pour cbanter ses honneurs; afin que , dès l'aurore « 
De l'occident, de l'ours et du rivage more. 
Sa vertu soit cogncue , et qu'on cognoisse aussi 
Qu'un si grand prince avoit mes chansons en soucy. 

J'ay les yeux esblouis , tout le cerveau me tremble, 
J'ay l'estomac panthois , j'avise , ce, me semble , 
Sur le haut des citez une femme debout , 
Qui voit tout , qui oyt tout , et qui déclare tout. 
Elle a cent yeux au front, cent oreilles en teste ; 
Dans les voûtes du ciel son visage elle arreste , 

8. 



^0 p. DK aoirsARo. 

Et de ses pieds en terre elle presse les monts , 
Une trompette enflant de ses larges ponmons. 

Je Toy le peuple à foule accourir auprès d'elle ; 
Le peuple volontiers se paist d'une nouvelle. 
Elle va commencer : il m'en faut approcher ; 
Le temps ne se doit perdre , il n'y a rien si cher» 

Peuples qui m'escoutez pçnduz 4 ma parole , 
N'estimes mes propos d'une femme qui vole; 
Ma^is que chacun y donne aussi ferme crédit 
Que fi les chesnes vieux d'Épuré l'avoient dit. 

La déesse» ennemie aux testes trop superbes » 
Qui les grandeurs égale à la basseor des berbea. 
Qui dédaigne la pompe et le fard des humains, 
A cbastié l'orgueil des François paur leurs maxna» 

Eux , arrogans de voir leurs voiles trop enflées 
Di^ vent de la fortune heureusement soufflées, 
D'abonder insolens en succez de bon-heur, 
D'obscurcir leurs voisins d'empires et d'honneur^ 
Géans contre le ciel d'une audace trop grande , 
N'a voient crainte de Dieu qui aux sceptres commande ; 
Ains, contre sa grandeur obstinant le soucy^ 
Avoient contre sa main le courage endurcy. 



D1SG|»URS. ^ 91 

Quand la boone Adragtie, en Tengeant telfe injare. 

Citez contre citez de factions conjare , 

Fit le soc et le eootre en armes transibnner, 

De leurs Taisseaiix rompus pava tonte la mer, 

Les plaines, de leurs os , renversa tes maraSIeff, 

Bt mistlenr propre glaive en lenrs propres entrailtes; 

Si que leur sang vingt ans aux meurtres a fourny, 

Et David ne vit ono son peuple si puny. 

Maintenant la déesse incline à leur prière, * 
Douce , ne jette pins leurs plaintes en arrière ; 
Mais, pour guarir nos maux, nous fait présent d'un roy 
Qu'en lieu de Jupiter le ciel voudroît pour soy ; 
Qui , par mille vertus en son âme logées ^ 
Des roys ses devanciers les fautes a purgées. 
Ainsi qu'une victime expiant le forfait • 

Que le peuple a commis, et qiÀ'ellc n'a pas fait. 

Si tost le gouvernai ne tourne la navire 
Errante au gré du vent , que le peuple te vire 
Vers les mœurs de son prinjce , et tasche d'imiter 
Le roy qui va devant afin de l'invitçr* 
My prison, ny exil, ny la fière menace 
De la corde ou du feu , ny la loy ni la face 
I^u sénat empourpré ne poussent tant les cœurs 
Du peuple à la vertu , que font les bonnes mœurs 
Du prince vénérable , et quand le sceptre égale 



g2 p. DE EOVSARD. 

La bonne et juste vie à la force royale. 

Pour atteindre au sommet d'une telle équité » 

Il faut la piété joincte à la charité , 

Et la religion dont re-liez nous sommes » 

Tant elle est agréable et aux dieux et aux hommes 1 

La loy ( toile d'areigne ) est trop faible » et ne peut 
Le prince envelopper, si luy-mesme ne veut 
S'enrheter de bon cœur, la croyant estre faite 
De Dieu , et non de l'homme à plaisir contre&ite , 
S'il ne la garantit , si premier ne la suit , 
Si luy-mesme et les siens par elle ne conduit. 

Quand le jeune fénix sur son épaule tendre 

Porte le lict funèbre et l'odoreuse cendre y 

Reliques de son père , et plante en appareil 

Le tombeau paternel au temple du Soleil , 

Les oiseaux esbahis , en quelque part qu'il nage 

De ses ailes ramant, admirent son image , 

Non pour lui voir le corps de mille couleurs peint, 

Non pour le voir si beau, mais pour ce qu'il est saint^ 

Oiseau religieux aux maces de son père , 

Tant de la piété nature bonne mère 

A planté dès le naistre en Ta^r et dans les eaux 

La vivace semence ez cœurs des animaux l 



DISCOURS. gi^ 

Donques le peuple suit les traces de son maistrc ; 
Il pend de ses façons, il imite, et veut estre 
SoB disciple, et tousjours pour exemple l'avoir, 
Et se former eu luy ainsi qu'en un miroir. 

Gela que le soudart aux épaules ferrées , 

Que le cheval flanqué de bardes acérées 

Ne peut faire par force. Amour le fait seulet, 

Sans assembler ny camp ny vestir corselet ; 

Les vassaux et les roys de mutuels o£Bces 

Se combattent entre-eux, les vassaux par services. 

Les roys par la bonté ; lé peuple désarmé , 

Aime toujours son roy quand il s'en voit aimé. 

Il sert d'un franc vouloir , quand il n'est nécessaire 

Qu'on le face servir ; plus un roy débonnaire 

Luy veut lascher la bride , et moins il est outré. 

Plus luy-mesme la serre ^ et sert de son bon gré, . 

Se met la teste au joug, sous lequel il s'efforce, 

Qu'il secou'roit du col s'on luy mettoit par force. 

C'est alors que le prince en vertus va' devant. 
Qu'il monstre le chemin au peuple le suivant» 
Qu'il fait ce qu'il commande, et de la loy supresme 
Rend la rigueur plus douce , obéissant luy-mesme > 
Et tant il est d'honneur et de louange espoinct , 
Que pardonnant à tous ne se pardonne point. 



q4 p. de komsa&d. 

Quel Bojet ne seroit dévot et clutritable 
Sous OQ Toy piéteuz ? Quel rajet misérable y 
Vondroit de ses ayeux coniommer les thréaon 
Pour homme effémiaer par délices son corps 
D'habits pompeux de soye élabourez à peine , 
Quand le prince n'auroit qa'un vestement delaioe? 
Et qu'il retrancheroit par édîcts redoutes 
Les fertiles moissons des ordes voluptés. 

Car porter en son ftme une humble modestie , 
C'est à mon gré des roy s la meilleure partie. 
Le prince guerroyant doit partout foudroyer : 
Gehiy qui se maintient doit bien sonvent ployer. 
L'un tient la rame an poing, l'autre cspie à la hune; 
En l'un est la prudence , en l'autre est la fortune. 
Tousfoars l'humilité gaigne les cœars de tons ; 
Au contraire l'orgueil attise le courrons* 

Mais ainn que le jour desconvre tontes choses 
Qne l'ombre du sommeil en ses bras tenoit closes. 
Brigandages , larcins , et tout ce que la nuit 
Renferme de mauvais quand le soleil ne lait, ' 
Ainsi nous espérons que les guerres civiles. 
Licences de soldats , saccagemens de villea , 
Qui régnoient sans frayeur de vostre majesté, 
S'enfoiront esbloois devant vostre ciairté. 



DISCOURS. 9S 

Chacun d'un œil veillant vos actions contemple; 

Vous estes la lumière assise au front du temple. 

Si elle reluit bien , vos tre sceptre luira ; 

Si elle reiirit mal 5 le sceptre périra. 

11 faut. bien commencer : celuy qui bien commence , 

Son ouvrage entrepris de beaucoup il avance. 

Sire , commences bien à vostre advënement ; 

De tout acte la fin suit le commencement. 

Il faut bien enfourner ; car telle qu'est l'entrée , 

Volontiers telle fin s'est toujours rencontrée. 

Vous ne venec en France à passer une mer 
Qui soit tranquille et calme, et bonaceà ramer: 
Elle est du haut en bas de factions enflée , 
Et de religions diversement soufflée ; 
Elle a le comr mutin ; toatcfois il ue faut 
D'un baston violant corriger son défaut; 
Il faut avec le temps en son nens la réduire ; 
■D'un chastiment forcé 1« meschant devient pire* 

21 faut un bon timon pour se sçavoir guider, - 
Sien caMeutrer sa nef, sa voile bien guinder ; 
Xa certaine bonrsoUe est d'adoucir les tailles , 
Xstre amateur de pais , et non pas de batailles , 
Avoir un bon conseil , sa justice ordonner, 
S^ayer ses créanciers , janiais ne mftçonner , 
Estre sobre ^en habits , estre prince accointable» 



g6 P- DK RONSARD. 

Et n'ouïr ny flatteurs ny menteurs à sa table. 

On espère de tous comme d'un bon marchand , 

Qui un riche butin aux Indes va cherchant, 

Et retourne chargé d'une opulente proye , 

Heureux par^e travail d'uue si longue voye ; 

Il rapporte de Tor , et non pas de l'airain. 

Aussi vous auriez fait si long voyage en vain , 

Yeu le Rhin, le Danube , et la grande AUemaigoe, 

La Poloogne que Mars et l'hyver accompaigne. 

Vienne qui au ciel se brave de l'honneur 

D'avoir sçeu repousser le camp du Grand-Seigneur, 

Venise marinière et Ferrare la forte , 

Thurin qui fut François , et Savoye qui porte* 

Ainsi que fait Atlas , sur sa teste les cieux ; 

En vain vous auriez veu tant d'hommes, tant de lieaX}^ 

Si vuide de profit en une barque vaine 

Vous retourniez en France après si longue peine. 

Il faut faire, mon prince, ainsi qu'Ulysse fit. 

Qui des peuples cognus sut faire son profit. 

«■• 
Mais quoy ! prince inveincu , le sort ne m'a faitestre 
Si docte que je puisse enseigner .un tel maistre; 
En discours si hautains je ne doy m'empescher , 
Et ne veux faire ici l'office de prescher. 
Ma langue se taira ; vos sermons ordinaires , 
La complainte du peuple , et vos propres affaires 



DISCOURS. Q7 

Vous prescheront assez : ce papier seulement 
S*en-va vous saluer, et sçavoir humblement 
De vostre majesté, si vous, son nouveau maistre, 
lie pourrez par sa muse encores recognoistre. 

Il n'a pas l'Italie en poste traversé 

Sut un cheval poussif, suant et harassé , 

Qui a cent fois tombé son maistre par la course ; 

11 n'a vendu son bien afin d'enfler sa bourse , 

Pour vous aller trouver , et pour parler à vous , 

Pour vous baiser les mains , embrasser vos genous , 

Adorer vostre face ; il ne le saurait faire ; 

Son humeur fantastique est aux autres contraire; 

Ceux qui n'ont que le corps sont nez pour tels mestiers; 

Ceux qui n'ont que l'esprit ne le font volontiers. 

Je ne suis courtisan ny vendeur de fumées, 
le n'ay d'ambition les veines allumées, 
Je ne sçaurois mentir ; je ne puis embrasser 
Genous , ny baiser mains , ny suivre , ny presser , 
Adorer , bonneter : je suis trop fantastique ; 
Mon humeur d'escolier, ma liberté rustique. 
Me devroient excuser , si la simplicité 
Trouvoit aujourd'huy place entre la vanité. 

C'est à voua, mon grand prince, à supporter ma faute. 
Et me louer d'avoir l'âme buperbe et haute, 

..3 



^8 p. DE &ONSARD. 

Et l*e»pril nan servil , comme ayant de ^ell^y, 
Votttre père^ et de voua trente ans esté nourry. 

• 

Un, gentil chevalier qui aime de nature 
A nourrir des haras, s'il trouve d'aventure 
Un coursier généreux , qui, courant des premiers, 
Couronne son seigneur de palme et de lauriers, 
Et, couvert de sueur, d'escume et de poussière, 
Rapporte à la maison le prix de la carrière : 
Quand ses membres sont firoids , débiles et perclai, 
Que vieillesse l'assaut , que vieil il ne court plus , 
N'ayant rien du passé que la monstre honorable; 
Son bon maistre le loge au plus haut de l'estabie, 
Luy d«nne avoine et foin , soigneux de le panser, 
Et d'avoir bien servi le fait récompenser ; 
L'appelle par son nom , et si quelqu'un arrive, 
Dit : Voyez ce cheval dont l'haleine poussive 
Et d'ahan maintenant , bat ses flancs à l'entour, 
J'estois monté dessus an camp de Montcontoai, 
Je l'avais à Jarnae ; mais tout enfin se change. 
Et lors le vieil coursier qui entend sa louange, 
Bannissant et frappant la terre se sourit. 
Et bénit son seigneur qui ù bien le nourrit. 



# 



Discov&s. g9 



A PIERRE L'ESCOT. 



PcisQVB Dieu ne m'a fait pour supporter les armes» 
Et mourir tout sanglant au milieu des alarmes, 
En imitant les faits de mes premiers ayeux, 
Je ne veux cependant demeurer ocienx : 
Mais comme je pourray |e veux laisser mémoire 
Que j'allay sur Fardasse acquérir de la gloire » 
Afin que mon renom , des siècles non yeincu. 
Bêchante à mes neveux qn'antrefols j'ay resta 
Caressé d'Apollon et des muses aimées ^ 
Que j'ay plus que ma vie en mon âge estimées : 
Pour elles à trente ans j'avois le chef grîson^ 
Maigre , pâle , desfait , enclos en la prison 
D'une mélancholique et rhumatique estude. 
Renfrogné , mal courtois , sombre , pensif et rude> 
Afin qu'en me tuaot je peusse recevoir 
Quelque peu de renom pour un pen de tçavoir. 

le fussooventefois retancé de mon père, 

\oyant que j'aimois trop les deux filles d'Homère , 



lOO p. DE RONSARD. 

Et les enfans de ceox qui doctement ont sçeu 
Enfanter en papier ce qu'ils avoient conçeu ; 
Et me disoit ainsy : Paayre sot ! tu t'amuses 
A courtiser en vain Apollon et les muses : 
Que te sçauroit donner ce beau ohantre Apollon, 
Qu'une lyre , un archet , une corde , un fredon , 
Qui se répand au vent ainsi qu'une fumée. 
Ou comme poudre en l'air vainement consumée r 
Que te sçauroient donner les muses, qui n'ont rieQf 
Sinon autour du chef je ne sçais quel lien 
De myrte , de lierre , ou d'une amorce vaine 
Rallecher toutun jour au bord d'une fontaine ; 
Ou dedans un viel antre , afin d'y reposer, 
Ton cerveau mal rassis et béant composer 
Des vers qui te feront, comme plein de manie, 
Appeler un bon fol en toute comps^nie ? 

Laisse ce froid mestier, qui jamais en avant 
N'a poussé l'artizan , tant y fust-il sçavant ; 
Mais, avec sa fureur, qu'il appelle divine. 
Meurt tousjours accueilly d'une palle famine. 
Homère^ que tu tiens si souvent en les mains, 
Qu'en ton cerveau mal sain comme Dieu tu te peioi, 
N'eust jamais un liard : si bien que sa vielle 
Et sa muse, qu'on dit qui eust la voix si belle ^ 
Ne le sceurent nourrir, et falloit que sa fain 
D'huis en huis mendiast le misérable pain. 



DISCOURS. lOI 

liaisse-moy, pauvre sot 1 ceste science folle : 
Hante-inoy le palaû , carc8se>moy Barthole , 
£t d'une toîx dorée , au milieu d'un parquet , 
Aux dépens d'un paurre homme exerce ton caquet; 
Et, fumeux et sucux, d'une bouche tonnante. 
Devant un président mets-moy la langue en vente : 
On peut, par ce moyen, aux richesses monter, 
£t se faire du peuple en tous lieux bonneter. 

Oo bien embrasse-moy i'argenteuse science 
Dont le sage Hipocras eust tant d'expérience , 
Grand honneur de son isle ; encor que son mesticr 
Soit venu d'Apollon , il s'est fait héritier 
Des biens et des honneurs, et à la poésie , 
Sa sœur, n'a rien laissé qu une lyre moisie. 

Ainsi en me tançant mon père me disoit , 
Tantost , quand le soleil hors de l'eau conduisoit 
Ses coursiers galoppans par la pénible trette, 
Tantost quand, vers-ie soir, il plongeoit sa charrette^ 
Où la nuict , quand la lune, avec ses noirs chevaux , 
Creuse et pleine, reprend l'erre de ses travaux.. 

O qu'il est mal aisé de forcer la nature I 
Tousjours quelque génie, ou l'influence dure 
D'un astre nous invite, à saivre maugré tous 
Le dessein qu'en naissant il versa dessus uous. 

9' 



lOa P* D1£ RONSARD. 

Pour mebftce oa prière, on courtoise requeste 
Que mon père me fist , il ne sçeut de m* teste 
Oster la poétie « et plus il me tançoit , 
Plus à faire «des vers ma fureur me poussoit. 

Je n'a vois pas dooae ans qu'au profond des TsUées, 
Dans les hautes forests des hommes recollées , 
Dans les antres secrets de frayeur tout cooTers y 
Sans avoir soin de rien je composois mes vers : 
Écho me répondoit , et fantastiques fiées 
Autour de moj dansuient k cotes desgrafées. 

Je fus premièrement curieuK du latin; 

Mais voyant par effet que mon cruel destin 

Ne m'avoit deitrement pour le latin fait natstie , 

Je me fis tout François , aimant certes mieux estre 

En ma langue ou second , on le tiers , ou premier. 

Que d'estre sans honneur à Rome le demie?. 

Donc suivant ma nature aux tnuses incUnie , 
Sans contraindre ou forcer ma propre destinée , 
J 'enrichy nottre France , et pris en gré d'avoir, 
En servant mon pays , plus d'honneur que d'avoir. 



^ 



DISCOUM* 103 



s«aBBBs«BiaBBBaaHaaBMmaaaM 



DISCOURS 

DES M ISÈRBS DE GÉ TEMPS. 



A CATHERINE DE BIÉDICIS. 



Si depuis que le inonde a pris commencement. 
Le Tice d'âge en flge avoît accroissement, 
Cinq mille ans soDt passez que l'extrême malice 
Eust surmonté le peuple, et tout ne fust que vice. 
Mais puisque nous voyons les hommes en tous lieux 
Vivre l'un vertueux et l'autre vicieux , 
Il nous faut confesser que le vice difforme ' 
N'est pas victorieux ; mais suit la mesme forme 
Qu'il reçut dès le jour que l'homme fut vestn 
(Ainsi que d'tin habit) de vice et de vertu. 

Ny mesme la vertu ne s'est point augmentée ; 
Si elle s'augmentoit, sa force fust montée 



i 



I04 p. DE B.ONSA&D. 

Au plus haut période , et font seroit icy 
Vertu eoK et parfait : ce qui n'est pas ainsi. 

Or comme il plaist aux lois , aux princes et à l'Age, 

Quelquefois la vertu abonde davantage , 

Le vice quelquefois , et l'un en se haussant , 

Va de son compagnon le crédit rabaisssant , 

Puis il est rabaissé . afin que leur puissance 

Ne prenne entre le peuple une entière croissance. 

Ainsi plaist au Seigneur de nous exerciter. 
Et entre bien et mal laisser Thomme habiter. 
Gomme le marinier qui conduit son voyage 
Tantost par le beau temps et tantost par l'urage. 

Vous ( Royne ] dont l'esprit se repaist quelquefois 
De lire et d'escouter l'histoire des François , 
Vous savez ( en voyant tant de faits mémorables) 
Que les siècles passez ne fnreot pas semblables. 

Un tel roy fut cruel , l'autre ne le fut pas : 
L'ambition d'un tel causa mille débats ; 
Un tel fut ignorant , l'autre prudent et sage ; 
L'autre n'eut point de cœur^ l'autre trop de courage; 
Tels que furent les roys , tels furent les sujets ; 
Car les roys sont tousjours des peupLes les objets. 



DISCOVES. 105 

Il favt donc dès jeunesse instruire bien un prince, 
Afin qu'avec prudence il tienne sa province. 
11 faut premièrement qu'il ait devant les yeux 
LàSk crainte d'Qu seul Dieu , qu'il soit dévotienx 
Vers l'église approuvée, et que point il ne change 
La foy de ses ayeuls pour en prendre une estrange : 
Ainsi que nous voyons instruire nostre roy, 
Qai par vostre vertu n'a point changé de loy. 

LasI ma Dame, en ce temps que le cruel orage 

Menace les François d'un si piteux naufrage. 

Que la gresie et la pluye , et la fureur des cieux 

Ont irrité la mer des vents séditieux, 

Et que l'astre jumeau ne daigne plus reluire. 

Prenez le gouvernail de ce pauvre navire ; ' 

Et maugxé la tempeste , et le cruel effort 

De la mer et des vents, conduisez-lè à bon port. 

La France à jointes mains vous en prie et reprie , 
Lasl qui sera bien tost et proye et mocquerie 
Des princes estrangers , s'il ne vous plaist en bref 
Par vostre authorité appaiser son meschef. 

Ha ! que diront là bas sous les tombes poudreuses 
De tant de vaillants rois les âmes généreuses ? 
Que dira Pharamond , Glodion^t Glovis? 
Nos Pépins , nos Martels , nos Charles , nos Louis , 




I06 p. DE aONSARD. 

Qui de leur propre sang à touf périls de guene 
Ont acquis à leur fils une ai belle terre f 

Que diront tadt de ducs et tant d'hommes guerrier» 
Qui sont morts d'une playe au combat lea premieri} 
Et pour France ont souffert tant de labeurs eztrêflBei» 
La voyant aujourd'buy destruire parsoy-mesmest 

Us se repentiront d'avoir tant travaillé , 
Assailly* défendu , guerroyé , bataillé , 
Pour un peuple mutin , divisé de courage , 
Qui perd en se jovant un si bel héritage. • • •» 



M AD A MB y je serois oa de plomb ou de bois , 

Si moy^que la nature a fait naistre Françoîa» 

Aux races à venir je ne contois la peine 

Et l'extrême malheur dont notre France eat pleîae. 

1 

Je veux de siècle en siècle au monde publier» 
D'une plniue de fer sur un papier d'acier. 
Que ses propres enfants l'ont prise et dévestoe. 
Et jusques à la mort vilainement batue. 

Elle semble au marchand accueilli de malheur. 
Lequel au coing d'un bois, rencontre le voUeur, 



DISCOURS. 1 07 

^^uî coBtre l'estomac Iny tend la maia armée , 
Tant il a l'âme au corpf d'avarice aflf\imée l 

1!t n'est pas sealement content de luy piller ! 
lia bourse et le cheval; il le fait despouiller, 
lie bat et le tourmente , et d'une dague essaye 
De Iny chasser du corps l'ame par une playe; 
Fuis, en le voyant mort » se sourit de ses coups, 
£t le laisse manger aux mâtios et aux loups. 

Si est-ce que de Dieu la juste intelligence 

Court après le meurtrier et en prend la vengeance; 

£t dessus une rone^ après mille travaux , 

Sert aux bommes d'exemple et de proie aux corbeaux. 

Mais cesnouveadV chrestiens qui la France ont pillée. 
Volée , assassinée , è force dépouillée , 
Et de cent mille coups l'estomac ont battu 
( Gomme si brigandage estoit une vertu ), 
Tivent sans chastiment , et, à les ouyr dire, 
C'est Dieu qui les conduit , et ne s'en font que rire. 

Ils ont le cœur si haut ^ si superbe et si fier. 
Qu'ils osent an combat leur maistre desfier , 
Ils se disent de Dieu les mignons ; et au reste 
Qu'ils sont les héritiers du royaume céleste. 
Les pauvres insensés ! qui ne cognoissent pas 
Que Dieu , père commun des hommes d'ici-bas, 



t'IO p. DE ftOKSAliO. 

Et TlUeset chasteauz reoTerses contre-bsfs. 

Ell'f aToient de fio or les conroi^ies aux testes , 
Ce' sont Tos morions relnisaas par les crestes : 
Ell's aboient tout le corps de plastroos enfermez, 
Les irostres soDt tousjoùrs de corselets armez. 
Gomme d'un scorpion meurtrière estoit leur qaeoe, 
Meurtriersvos pistoleté , vos lUains et voslre veue : 
Perdant estoit leur maistrè , et le Tostre a perda 
Le sceptre que nos Rois avoient tant défendu. 
Vous reM6mblez encore à ces jeunes vipères. 
Qui ouvrent en naissant le ventre de leurs mères, 
Ainsi en avortant vous avez fait moiirrir 
La France rostre mère au Heu de la nourrir. 

De BèzP , je te prie , escoute ma parole 
Que tu estimeras d'ane personne folle : 
S'il te plaist toutefois de juger sainement. 
Après m'a voir ouy tu diras autrement. 

La terre qu'aujoard'huy tu remplis toute d'armes 
Et de nouveaux cbrestiens desguisez en gendarmes , 
(O traistre piété !} qui du pillage ardents 
Naissent dessous ta voix , tout ainsi que des dents 
Bu grand serpent thébain les hommes, qui muèrent 
Le limon en couteaux desquels s'entre^tuèrent, 
Et nez et demi-nez se firent tous périr , 



DISCOURS. I 1 I 

i qu'un mes me soleil les vît naisire et mourir*... 

)t n'est pas une terre allemande ou gothique , 
iy une région tartare nj scy tique : 
i'est celle où tu nasquxs, qui douce te récent 
i\on qu'à Yezelay ta mère te conceut , 
)eile qui t'a nonrry et qui t'a fait apprendre 
a scieuce et les arts dès ta jeunesse tendre , 
*our luj faire service et pour en bien user» 
It non, comme tu fais, afin (ilen abuser. 

U tu es envers elle enfant de bon courage , 
Tandis que tu le peux, rens-luy son nourrissage , 
Retire tes soldats , et au Lac Genevois 
[Comme chose exécrable) enfonce leurs harnois. 

fie presche plus en France uoe doctrine armée , 
Dn €farist empistolé tout noircy de fumée. 
)ai comme un Mehemet va portant en la main 
Ua large coutelas rouge de sang humain. 
Jcla déplaist à Dieu , cela déplaist au Prince : 
ZtÏM n'est qu'un appast qui tire la province 
i la sédition , laquelle dessous toi 
Pour avoir liberté ne voudra plus de roi. 



112 P. p£. RONSARD. 

« 

O heureuie la gent que U mort forluo^e 

A depuis neuf cents ans sous la tombe emmenée l 

Heureux les P*ri?» ▼wu» des bons siècles passai 

Qui sont sans varier en leur foy trespassez, 

Ains que de tant d'abus l'Église îmX malade l 

Qui n'ouïrent jamais parier d'QBcolampade , 

De Zuingle , de Buccher , de Lutter , 4© Calvin : 

Mais sans rien innover du service divin» 

Ont vescu longuement , puis d'una vie beureuse 

EivJésus ont rendu leur ame généreuse. 

Las, pauvre France, hèlas! comme une opinion 

Diverse a corrompu ta première union l 

Tes enfants qui devroient te garder, te travaillent, 

Et pour un poil de bouc entre eur-mesnaesbataUleol 

Et comme réprouve» d'un courage mescbant. 

Contre ton estomac tournent le fer tranchant. 



Madame , il faut chasser ces gourmundes Harpies, 
Je dy ces importuns , qui les griffes remplies 
De cent mille morceaux tendcn^ tousjours la mtio, 
Et tant plus ils sont saouls tant plus i?ieurwt de faia» 
Esponges de la cour, qui#«cccnt et qui tirent. 
Plus ils crèvent de biens , et plus ils en désirent. 

O vous, doctes prélats , poussez du Sabct-Bspril, 



DISCOUHS. Il3 

Qui estes assemblez an nom de Jiésvs-ChKist» 

Et taschez sâinc^ment par une Yoye utile » 

De conduire TÉglise à Paccord d'un concile, 

Vous mesmes les premierft, prélats, réformez-vous, 

£t comme vrais pasteurs faites la guerre aux loups : 

Chassez l'ambition , la richesse ezcessiTe , 

Arrachez de vos cœurs la jeunesse lascive , 

Soyez sçl>res k taJble , et sobres en propos « • • 

De vos troupeaux comnis cherchaB-mot le repos, 

Non ie vostre , prélats, car vostre vray ofice 

Est^prescher , remonstrer , et chastier le vîœ. 

Vos grandenrs , vos honneurs, vos gioitet despouillez. 
Soyez-moi de vertus non de soje babiller; 
Ayez chaste le corps , simple la conscience f 
Soit de nuyct , soit dé jour, apprenez la science : 
Gardez entre le peuple une humble dignité, 
Et joignez la douceur avec la gravité. 

Ne vous entremeslez des afiaires mondaines, 
Foyez la cour des rois et leurs faveurs soudaines « 
Qui périssent plutost qu'un brandon allumé 
Qu\>n void tantost reluire , et tantoat consumé. 

Allez faire la cour à vos pauvres ouailles 9 
Faites que vostrt^ voix entre par leurs oreilles , 

' 10. » 



1X4 p. DE RONSARD. 

enez-vous près du parc , et ne laissez entrer 
Les loups en vostre clos, faute de yous monstrer. 

Si de nous réforçier tous avez quelque envie , 
Réformés les premiers yob biens et vostre vie , 
Et alors le troupeau qui dessous vous vivra , 
Réformé comme vous de bon cœur vous suivra. 

Vous, juges des citez , qui d'une main égale 

Devriez administrer la justice royale , 

Cent et cent fois le jour mettez devant vos yeux 

Que l'eneur qui pullule en nos séditieux 

£st vostre seule faute : et sans vos entréprises , 

Que nos villes jamais^n'eussent esté surprises. 

Si vous eussiez puni par le glaive trenchant 
Le huguenot mutin , l'hérétique meschant , 
Le peuple fust en paix : mais vostre connivence 
A perdu la justice et l'empire de France. 

11 faut sans avoir peur des princes ny des roys , 
Tenir droit la balance y et ne trahir les lois 
De Dieu , qui sur le fait des justices prends garde ^ 
£t assis aux sommets des citez vous regarde : 
Il perce vos maisons de son œil tout- voyant^ 
£t grand juge , cognoist le juge fourvoyant 
Far présent alléché , ou ccluy qui par crainte 
Corrompt la majesté delà justice saincte. 



Discoiims. xi5 

£t vous nobles aussi, mes propos entendez, 
Qui faussenient séduits yous estes desbandex 
Du service de Dieu : yeuiliez tous recognoiftre> 
Servir vostre pais, et le roy Tostre maistre ; 
Posez les armes bas : espérez-vous bonnear 
D'avoir osté le sceptre au roy voatre seigneur r 
Et d'avoir desrobé par armes la prOTÎnca 
D'un jeune loy mineur vostre naturel prince 9 

Vos pères ont recea de nos rois ses ayeuz 

Les honneurs et les biens qui vous font glorieux, 

£t d'eux avez receu en titre la Noblesse , 

Poor avoir dessous eux monstre vostre prouesse , 

Suit chassant l'Espagnol, ou combattant rAnglots , 

AÛQ de maintenir le sceptre des François : 

Vous mesmes aujourd'huy le vodlez-voos destruire. 

Après que vostre sang en a fondé l'empire f 

Telle fureur n'est point aux tigres ny aux ours , > 

Qui s'entre -aiment l'un l'autre , et se donnent secours 

Et pour garder leur race en armes se remuent. 

Les François seulement se pillent et se tuent , « 

£t la terre en leur sang baignent de tous coates , 

Afin que d'auti-e main ils ne soient surmontez. 

La foy (ce dites-vous) noua fait prendre les armes ! 

Si la religion est cause des allarmes , 

Des meurtres et du sang que vous ycrscx icy. 



I l6 P> BK &OMSAR1). 

Hé 1 qui de telle foy voudroU aToir aoucy f 

Si par fer et par fea, par plomb , par poudre nùft 

Les tonges de Galvio doui Touleii &dre croire I 

Si vous eoMÎe&eité simpie» comme devant. 
Sans aller les faveurs des princes poorsoivaat : 
' Si vous n'eussiez parlé que d'ameader l'Églisa , 
Que d'oster les abus de l'avare prestriae » 
Je vous eusse suivi, et n'eusse pas esté 
Le moindre dessnivans qui voas ont aseonté. 

Mais voyant vos couteaux, vos soldats, voa geodiraeii 
Voyant que vous plantez vostre foy par les armss, 
Et que vous n'arçjs plus ceste simplicité 
Que vou» portiea au front en tonte humilité» 
J'ai pensé qve Satan, qui les hommes attise 
D'ambition » estoit chef de vostre entreprise. 

L'espérance de mieux » le désir de vous voir 

£n dignité plus hante et plus riche ea pouvoir, 

Vos haines , vos discords, voa querelles privées, 

Sont cause que vos mains sont de sang abranvéei, 

Non la religion, qui sans plus ae vous sert 

Que d'un masque emprunté qu'on void au descoufert, 

Et vous nobles aussi qui n'avez renoncée 
A la foy qui vous est par l'Église annoncée. 



siscpmis. 117 

8ou3tenez vostre roy, mettez luy derechef 
Le sceptre dans la maio , et la coaroone au chef, 
N'espargnez vostre gang , tos biens oy vostre vie } 
Heureux celai qdi meurt pour garder sa patrie \ 



^ 



ii8 p. Dx aoNSAao. 



RÉPONSE 

DE PIERRE DE RONSARD 

AUX INlUREâ ET CALOMNIES DE JE NE SÇAT 
QIJEL PRÉDICAICTEAU ET MINIST&EAU DE GB- 

NÀYE. 



QoOY? tu jappeu, mastio» à fia de m'efFroyer, 
Qui o'osoiB ny gronder, nj mordre» n'aboyer, 
Sans parole, santt vois» sans poumons» sanshtleioCi 
Quand ce grand duc ▼ivoit, ce laui*ier de Lorraine, 
Qu'en violant le droict et divin et humain, 
Tu a^ assassiné d'une traistreuse main. 
Et maintenant enflé par la mort d'un tel homme, 
Tu m»»dis de mon nom que la France renomme. 

Ton cœur bien qu'arrogant de peur devoit falUr , 
Au seul bruit de ce nom ^ me venant assaillir, 
Laborieux athlète et poudreux d'exercice , 



DISCOURS. 119 

}ui ne tremble jamais pour nn petit novice. 
Tes escrits sont tesinoins qoe tu m'as desrubé. 
Do fardeau du larcin ton dos est tout courbé : 
Tu en rougis de honte , et en ta conscience 
Père tu me cognois d'une telle science. 
)i quelque bonté loge encore dans cœur. 
Tu sens d'une furie une lente vigueur , 
Qn vengear aiguillon qui de toi ne s'absente 
D'avoir osé bla^mer la personne innocente ; 
^cachant bien que tu ments et que je ne suis point 
Des vices entaché dont ta rage me poingt. 

Or je te laisse en paix : car je ne veux descendre 
E)n Doise contre toj, ny moins les armes prendre : 
Tq es foible pour moi , si je veux escrimer 
Do baston qui me fait par l'Europe estimer. 
tfaissi ce grand guerrier, et grand soldat de Bèze, 
Se présente au combat, mon cœur sautera d'aize. 

D'an si fort enàemi je seray glorieux , 
It Dieu sçait qui des deux sera victorieux, 
ïardy je planteray mes pas dessus l'arène, 
'e roidiray mes pas, sbufflaqtà grosse balène, 
iit happant, et serrant, suant et haletant , 
)u matin jusqu'au soir je l'iray combattant , 
tans deslier les mains , ni cestes ni courrayes , 
}w tous deux ne soyons cnyvrés de nos playes. ' 



1 20 P. DÉ ROUftÀAtt. 

A luy »eal je dédre aa combat m'attacber ^ 
Je luy seray le tan ^ni le fera moacher 
_Forieaz par met vers, coBQme en «ne prairie i 
Oq Toid ua grand taureau forcené et fnrie 
Qui court et par rocheri^ par boû et par eitaugs, 
Quand le tan importun lui tourmente les flaocti 

Mais certes contre toy j'ay perdu le courage. 
Qui as rapetassé de mes wr» ton o«?ffage : 
Je m'assaadrois moy^mesue , et ton larcin a fait 
Que je suis demeuré conteot et satisfak. 

Toutesfois brèvement il me plaist de respondre 

A quelqu'un de tes points facileï à confondre : 

Et si tu as souci d'ouïr la vérité , 

Je jure du graed Dieu l'immense déité , 

Que je diray le vray sans fard oy sans injure : 

Car d'estre injurieux ce n'est pas ma nature ; 

Je te laisse cet art duquel tu as vescu , 

Et veux quant à ce point de toy estre veincu* 

Or sus, mon frère en Christ, tu disque je suis preaitrc' 
J'atteste l'Étemel que je le voodrois estre. 
Et avoir tout le chef et le dos empesché 
Dessous la petantcnr d'une bonne évesché : 
Lors j'auroy la couronne à bon droict sur la teste *. 
Qu'un rasoir blatichiroit le soir d'une grand'fesle « 



DISCOUAS. lai 

Ouverte , large , longue , allant jiMqves au front y 
En forme d'un croiMant qui toat ic courbe en rond. 

Je Bcrois réTéré , |e tîeodroii bonne table» 
Non vivant comme toy, ministre misérable , 
Pauvre sot prédicant, à qui l'ambition 
Dresse au cœnr une roue et te fait Ixion , 
Te fait dedans les eaax un altéré Tantale « 
Te fait soufirir la peine à ce voleur égale 
Qui renaonte et reponsse aux enfers un rocher 
Dont tu as pris ton nom : car qui voudroît chercher 
Dedans ton estomac , qni d'uu rocher approche , 
En Heu d'un cœur humain on verroit une roche : 
Tu es bien malheureux d'injurier celuy 
Qtû ne te fit jamais outrage ny ennuy. 

Mais afin qn'oo oogooisae an fray qu'en tes escoles 
Il n'y a que brocarda, qu'injures et paroles ^ 
Que nulle charité tt doctrine se sent ^ 
Disciple de Satan tu blasmes l'innocent. 

Laisse respondre ceux qne je touche en mon livre i 
tls ont l'esprit gaillard , ils me sauront poursuivre 
be couplet à couplet : tu leur fais déshonneur 
b'estre dèsstirieur gloire ainsi entrepreneur. 

^u fais du bon valet ^ ou l'esprit fantastique 



I^a p. DE HONSARD. 

De mes démont ponrsoil ton cerveau lunatique , 
Qui te rend lou-garoo (car , à ce que je voy. 
Tu as Tcu les rabas encore mieux que moy). 
Ou bien en releschant nâa brusqq^ poésie , 
La panique fureur ta cervelle a saisie. 

Si tu veux confesser que lou-garou tu sois , 
Hoste mélancoliq' des tombeaux et des croix. 
Pour te donner plaisir » Tray'mcnt je te confesse 
Que je suis prestre-raz, que j'ay dit la grand'messe : 
Mais devant que parler » il faut exorciser 
Ton démon qui te fait mes démons mesprîser. 

Fuyez , peuples ,fQye2, que personne n*Ap proche, 
Sanvez-vous en l'Église , allez sonner la cloche 
A son dru et menu , faites flamber du fea , 
Faites un cerne en rond , murmurez peu à peu 
Quelque basse oraison , et mettez en la bouche 
Sept ou neuf grains de 8el,'de peur qu'il ne vous touche. 

Le voicy, je le voy escnmant et bavant , 

Il se roule en arrière , il se roule eu avant. 

Affreux , hideux , bourbeux : une espaisse fumée 

Ondoyé de sa gorge en fiâmes allumée : 

11 a le diable au corps , ses yeux caves dedans , 

Sans prunelle et sans blanc* reluisent comme ardanif 

Qui par les nuicts d'hyverÀ fiâmes vagabondes, 



DISCOURS. I ft3 

En errant font noyer les passans daoa les ondes : 

Il a le mnseau tors et le dos hérUâé 

Ainsi qu'un gros niastin des dogues pelisse. 

Fuyez , peuples , fuyez : non , attendez la beste » 
Apportez ceste estoUe , il faut prendre sa teste , 
£t Iny serrer le col , il faut semer espais 
Sur luy de l'eau béniate avec na asperges^ 
Il faut faire des croix en long sur son eschine. 

Je tiens le monstre pris ; voyez comme il chemine 
Sur les pieds de derrière « et comme il ne vent pas. 
Rebellant àl'estoUe, accompagner mes pas 1 
Sus, sus^ prestres, frappez dessus la beste prise. 
Que par force on le traisne aux degrez de l'église,. 
Ainsi le gros mastin des enfers fut trainé , 
Quand il sentit son col par Alclde enchaîné : 
Mais si tost que du jour apperceut la lumière , 
Béant il s'accnla dedans une poussière ^ 
EtTeautrant son corps par l'espais des sablons > 
Tantost alloit avant, tantost à reculons : 
Fuis pousiûf se faisant trainer à toute force , 
Avoit en mille nœuds toute la chair eotorce , 
Tirant le col arrière : Hercule qui se mit 
En courroux, esirangla le mastia, qui vomit 
Do gosier suffoqué une bave escumeuse , 
Dont nasquit l'aoouit , herbe très-venimeuae. 



ia4 P* BI ROKtA&D. 

Aion ce kwp-garoa u» vcmo iramira y 

Qaaad de son estomac le diable a'enfuiza. 

Ha Dieu, qM est vilain 1 II rend desjà sa goige 

Aussi large qu'on void les soufflets d'une forge , 

Qu'un boitevz mareschal esf ente quand il i^ut 

Frapper à tour de bras sur l'enclume on fer cbaut 

Voyez combles d'bumeurB différentes hiy- sortent , 
Qui de son natu^t let qualités rapportent ? 
La rouge que Toylà le fit présomptueux , 
Gesfte verte le fit wntia tamultoei»* 
Et cttsls borne UT noif astre et triste de oaive 
Est celle qui pqipoit le* bonmes d'imposture : 
La rousK que voylè le faisoit impudent « 
Bonflbn , ÎB|Qrieni!, brocardeur et mordsKit, 
Et l'autre que voicy visquease , «spaiste et noire. 
Le rendoit par sot tous bargneni air Gonaktoiie. 
Je me faaohe de Voir ce mefcbant animal 
Vomir tant de Tcnlaa , to«l le doMr m 'eo fût mal. 

Je pense, à voir son front, qu'il n'* point de oerteUt, 
Je m'en vois luy sondei^ le cbef d'one ospnNiveMe : 
Certes il n'en a point , le fer est bien avant 
Et en lieu de cerveau ce n'est plein qœ de vent. 

Hélas j'en ay pitié , si faut-il qu'on le traitte. 
Il faut que ebcs Tony il fasse une diette , 



Discou&s. ia:> 

Ou bien que le greJBci , oonme nm Astolphe^ ctt btef 
Luy sonfle d'an cornet le teM dedans le cb«£, 

S'il veut 4«e la «anté pour jamais Uû revienne, 
11 faat que par neuf >oiir« seaUmeut il a'abatîeiine 
(Noi^ pap de manger cbiiir, ny de ^ire du via) 
Mais de lire et de croiri; aux œuvres de Calv», 
Abjurer son enreor fauaie et peraicieuse , 
ff e traîner plus au corps une ame injurieuse f 
Ne tourmenter plus Dieu d'opinions , et lors 
Sa première santé luy va rentrer au corps. 

Or 8US9 changeons propee, et parlans d*aaAra ckose. 
Tu du qu'une sonrdesse à mon oreille olose t 
Tu te i&ocqnes de waoy et me viens blasonner 
Pour un pauvre aoddeuit qno Dien me vent^nmiei. 

NoQvel évangéliste, îMensé, plein d^trage, 
Vray enfant de Satan , dy moy en quel passage 
Tu trouves qu'un chrestien (s'il n'est bien enragé) 
Se doive comme toi mocquer d'un affligé? 
Ta langue monstre bien aux brocards qu'elle rue 9 
Qae tu portes au corps une ame bien tortue , 
Qaoy? est-ce le profit, et le fruict que tu fais, 
En preschant l'Évangile où tu ne créas jamais ? 
Que tu te roocques bien de l'Escriture sainte , 
Ayant le cœnr meschant , et la parole feinte ! 

II. 

I 



120 P. DK ROlfSA&D. 

Quoy r mocquer l'aflBigé sans l'avoir irrité , 
Est-ce pas estre athée et pleia d'impiété ? 

Tu te plains d'autre part que ma vie est lascive ^ 
Ba délices , en jeax , en vices excessive : 
Tu mens meschantement, si tu m'avois suivy 
Deux mois , tu sçaurois bien en quel état je yj^ 
Or je veux que ma vie en écrit apparoisse « 
Afin que pour menteur un chacun te cognoisse. 

M'éveillant au matin , devant que faire rien 
J'invoque l'Eternel , le père de tout bien , 
Le priant humblement de me donner sa grâce y 
Et que le jour naissant sans l'offenser se passe : 
Qu'il chasse toute secte et toute erreur de moy. 
Qu'il me veuille garder en ma première foy. 
Sans entreprendre rien qui blesse ma province. 
Très-humble observateur des lotx et de mon Prince. 

Après je sors do lict et quand je suis vestu , 
Je me range à l'étude et apprens la vertu, 
Composant et lisant, suivant ma destinée, 
Qui s'est dès mon enfance aux Muses imclinée : 
Quatre ou cinq heures seul je m'arreste enfermé z- 
Puis sentant mon esprit de trop lire assommé , 
J'abandonne le livre et m'en vais à l'église ^ 
A'i retour pour plnisir »ioe heure je devise, 



I 



DISCOVBS. 1 27 

De là je Tiens disner faisant sobre repas, 
Je rends grâces à Dieu : au reste je m'esbas. 

Car si l'après-disnée est plaisante et sereine, 
Je m'en Tais poarmener tantost parmy la plaine, 
Tantost en un illage, et tantost en un bois, 
Et tantost par les lieux solitaires et cois. 
J'ayme fort les jardins qui sentent le saqyage, 
J'ayme le flot de l'eau qui gaxonille au rirage. 

Là , devisant sur Therbe avec on mien amy. 
Je me suis par les fleurs bien souvent endormy. 
A l'ombrage d'un saule , ou lisant dans un livre, 
J'ay chercbé le moyen de me faire reyivre'. 
Tout pur d'ambition , et des soucis cuisans , 
Misérables bourreaux d'un tas de médisans , 
Qui font (comme ravis) les prophètes en France > 
Pippans les grands seigneurs d'une belle apparence. 

Mais quand le ciel est triste et tout noir d'épaisseur , 
Et qu'il ne fait aux champs uy plaisant ny bien seur. 
Je cherche compagnie, où je joue à la prime. 
Je voltige , ou je saute , ou je lotte , ou j'escrime , 
Je dy le mot pour rira, et à la vérité 
Je ne loge chez moy trop de sévérité. 

Puis quand ia nuict bruoette a rangé les étoile». 



128 p. DK AOUSâRD. 

Eocoartiqaat ie ciel tt U t«rf« de voUq»> 
Saas foucy je me coQcbe > et U ktvaat le» yeux » 
Et la bouche et le cœur vers la voate des cieux. 
Je fais non ortison, priant la bonté bavtt 
De Tooloir pardonner doncemest à ma fente: 
Au reste je ne suis ny mutin ny meschant. 
Qui fais croire ma loy par le ^aîTe trencbaat ; 
Voilà oonme jevy s ai ta vie est raelUeiire» 
Je n'en anb envicai, et foit à le bonne heitfe* 



SONNETS 

ET 

POÉSIES DIVERSES. 



SONNETS 



ET 



POÉSIES DIVERSES. 



\ 



I. 



A MARIE STUART. 



ïlivcoBB que la mer de bien loin nous sépare , 
"Si est-ce que resclair de vostre beau soleil , 
De vostre œil qui n'a point au monde de pareil, 
Jamais loin de moii cœur par le temps ne s'égare. 

Hoyne qui enfermez une royne si rare, 
Adouc^sez vostre ire et changez de conseil : 



Le soleil se levant et allant au sommeil , 

Ne Toit point en la terre un acte si barbare < 

Peuples TOUS forli^nez , aux acmes nonchalants ^ 
De vos ajeox Renaulds , Lancelots et Rolanda , 
Qui preooicBt d*<i» grâad eœur poti'les dames querelle. 

. î 

Les gardoient, les sauvoient : mais vous n'avez, Fraoçobv 
Encore osé toucher ni vestir le harnois , 
Pour oster de sen^age une rojne si belle. 



SOVITEIS. l33 



n. 



' A CATHERINE DE MÉDIGIS. 



)ipnis 1« mort éa boft prioee aïoii naUtre , 
i^ostre mar^ , mon 8eîgiie«r et mon roy « 
l'ai tant receu de langneur et d'esmoy « 
(^l'avecques luy prescpM {e «ne wos entre. 

(Jn QovTcau deuil «b saôa cttiur je sens oaistre , 

Quand près àe vous , MadaBW » fé ■• Toy 

Sa Majesté , qui faisoit cas de moy, 

El foi ponr sien ane daignait racognoiitre. 

Bn regardant da toatea Incttioy, 
^e ne Toy rien que larmes et soucy ; 
Toute friatease a sa mort eotaiTÎe : 

Ses serviteurs portent noira couleur 
I^our son trépas , et je la porte au cœur , 
^on pour un an , mais pour toute la vie. 

ia4 



à 



l34 p. BE EOHSARD. 



m. 



Js reuz lire en trois jours l'Iliade d'Homère ; 
Et p((ar ce , Gorydoa , ferme bien l'hoir sur moi : 
Si rien me vient troubler , je t'assure ma foy, 
Tu sentiras combien pesante est ma colère. 

Je ne veux seulement que nostre chambrière 
Vienne faire mon lict, ton compagnon , ny toy: 
Je veux trois jours entiers demeurer à requoy, 
Pour folastrer après une semaine entière. 

Mais si quelqu'un venoit de la part de Gassandft* 
Ouvre luy tost la porte , et ne le fais attendre , 
Soudain entre en ma chambre et me vien accoustrcr 

Je veux tant seulement à luy seul me monstrer; 
Au reste , si un Dieu vouloit pour moi descendre 
Du ciel , ferme la porte et ne le laisse entrer. 



SONVETS. 



i35 



IV. 



A MARIE. 



^OAïf D Yous serez bien yieîlle , au soir, à la chandelle ,. 
assise auprès du feu , devisant et filant, 
)irez chantant mes vers , en vous esmerveillant/ 
lonsard me célébroit du temps que j'estois belle, 

^ors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle > 
)e8jà sous le labeur à demy sommeillant, 
}Qi an bruit de mon nom ne s'aille resveillaat» 
bénissant vostre nom de louange immortelle. 

^e seray sous la terre , et fantosme sans os 

' ar les ombres myrtheux je prendray mon repos , 

"ou8 serez an foyer une vieille accroupie , 

Regrettant mon amour et vostre fier desdain ; 
^i^ez, si m'en croyez , n'attendez à demain : 
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie. 



36 p. 1>B AORftA&D. 



V. 



Jk songeois assoupi de la Doict endormie , 
Qu'an sépulchre entre-ouvert s'apparoissoit à moi : 
La mort gisoit dedans toute palle d'effroy, 
Dessus estoit escrit : lb tgmbbau db m arib. 

Espouvanté du songe , en sursaut je m'escrie : 
Amour est donc sujet à nostre humaine loy ! 
Il a perdu son règne , et le meilleur de «oy 
Puisque par une mort sa puissance est périe. 

Je n'arois achevé , qu'au point du jour Yoicy 
Un passant à ma porte adeulé de soucy. 
Qui de la triste mort m'annonça la nouTelle. 

Preo courage, mon ame , il hnt suivre sa fin , 
Je l'enten dans le ciel comme elle nous appelle : 
Mes pieds avec les siens ont fait mesme chemin. 



* SONHETS. 187 



VI. 



GoMMs ott voit sur U brtDChf au moit de may la rose : 
So ta ïMe j^nnaote > en sa première fleur 
Rendre le ciel jaloux de sa vive couleur , 
Quand l'aube de ses pleurs au poinct do jour l'arrose 

lia grâce dans sa foeille et l'amour se repose , 
Embasmant les jardins et les arbres d'odeur : 
Mais battue ou de pluye , ou d'eicessive ardeur , 
Langaiasantc elle meurt fneiUe à fueilio desclose. 

Ainsi en ta premiàrc et jeune nouveauté , 
Quand la terre et le oiel henoroient ta beauté, 
La Parque t'a tuée, et cendre tu reposes. 

Pour obsèdes reçoy mes larmes et mes pleurs , 
C^ tase plein de iaict , ce panier plein de fleurs , 
Afin ^ue Tif et mort ton corps ne soif que roses. 



12. 



;^g p. 1>S BORSARD. 



vn. 



Jb Toy toosjoiin le traict de cette belle face 
Dont le corps est en terre , et l'esprit est anz cieaxi 
Soit qae je veille ou dorme , Âmonr îngéiiieaK 
En cent mille façons devant moi le repasse*^ 

Elle qui n'a souci de ceste terre basse , 
Et qui boit du nectar assise entre les dieux , 
Daigne sonveot revoir mon. estât soucieux « 
Et en songe appaiaer la mort qui me menace. 

Je songe que la nuîct elle me prend la main , 
Se faschant de me voir si lon^ç temps la survivre r 
Me tire, et fait semblant que de mon voile humain 

Vent rompre le fardeau pour estre plus délivre : 
Mais partant de mon lict son vol est si soudain 
Et si prompt vers le ciel , que |e ne la puis suivie* 



I 



SONlTEtS. )39 



MMMaBMHcs^^BeKsaBsaaBOas 



Vin. 



ÉPITAPHE DB MARIE. 



Gt reposent les os de ma belle Marie, 
Qui me fit pour Anjou qnitter mon Vandomois, 
Qui m'enivra le cœur au plusverd de mes mois, 
Qui fat toute mon tout , mon bien et mon enrie. 

£n sa tombe repose honneur et courtoisie , 

Et la jeone beauté qu'en l'ame je sentbis , 

£t le flambeau d'Amour , ses traicts et son carquois^ 

Et ensemble mon cœur, mes pensers et ma vie. 

Tu es , belle Marie , un bel astre des cieux : 
Les anges tous ravis se paissent de tes yeux , 
La terre te regrette , ô beauté sans seconde I 

Maintenant tu es vive , et je suis mort d'cnnuy : 

Mal-heureux qui se fie en l'attente d'autruy f 

Trois amis m'ont trompé, toy, l'amour et le monde» 



l40 p. I>£ iLOirSARQ. 



ÉLÉGIE 



;$Ut hk MOAT »p Wilim 



ÇiKX., que tu 9s xuftHçîetts l 
Qui eust pemi^ (|v« pe4 beaux yewL 
Qui we fiûsoiçut h douce gaerEe , 
Ces mains , ceste bouche et ce front 

Qui prirent mqa cœur el qui l'oiit» 
Ne fuM^nt maintenant que terre t 

U^9 i OÙ est ce 4oux parler , / 
Ce voir , cet oujr, cet aller, 
Ge rig qui me faisoft apprendre 
Que c'eit qu'aimer? hà| doux refu^l 
Ha , doux desdamfty vous n'este» plus, 
Vous n'estes plus qu'un peu de cendre I 

Hélas , où est ceste beauté , 

Ge printemps» ceste nouTeautè » 

Qui n'aura jamais de seconde I 



POÉSIES DIVERSES! l^l 

Du ciel tous les dons elle aToit : 
Aussi parfaite ne devoît 
Long-temps demenrer en ce monde. 

Je n'ay rrgret en son trespas , 
Comme prest de snÎYre ses pas. 
Du chef les arbres elle touche : 
Et je vy ! et je n'ay sinon 
Pour réconfort qne son beau nom , 
Qui si doux me sonne en !a bouche ! 

Toutesfois en moy je la sens 
Encore l'objet de mes sens 
Gomme à l'heure qn^elle estoît Yive : 
Ny mort ne me peut retarder , 
Ny tombeau ne me peut garder 
Que par penser je ne la suive. 

Si je n'eusse eu l'esprit chargé 
De vaine erreur, prenant congé 
De sa belle et vive figure, 
Oyant sa voix y qui sonnoit mieux 
Que de coostume , et ses beaux yeux , 
Qui reluisoient outre mesure ; 

Et son soupir qui m'embrasoit, v 

J 'eusse bien veu qu'cll' me disoit : 



i 



>4^. P* I>K &ONSA&]>. 

Or, soûle tuy de mon visage y 

Si jamais tu en eus soucj ; 

Tu ne me verras plus icy « 

Je m'en vay faire un long voyage l 

Depuis j'ay vescn de soucy» 
Et du regret qui m'a transy, 
Comblé de passionis estranges. 
Je ne desguise mes ennuis : 
Tu vois i'estat auquel je suis y 
Du ciel assise entre les anges. 

Hà ! belle ame tu es là haut I 

I 

Auprès du bien qui point ne faut y i 

De rien du monde désireuse , i 

En liberté, moy en prison : 
Encore n'est-ce pas raison ! 

Que tu sois seule bien-heureuse. 

Le sort doit tousjours estre égal ; 
Si j'ai pour toy souffert du mal , 
Tu me dois part de ta lumière ; 
Mais franche de mortel lien , 
Tu as seule emporté le bien , 
Ne me laissant que la misère. 

En ton âge le plus gaillard 



POÉSIES my ERSES. 143 

Tu as seul laissé ton Ronsard , 
Dans le oiel trop tost retournée , 
Perdant beauté , grâce et couleur , 
Tout ainsi qu'une belle fleur 
Qui ne vit qu'jine matinée. 






i44 r. DB moirsAiiD. 



L^ALOOETTE. 



GAIETÉ. 



Hé Dieu 1 que je porte d'en^w 
Aux plaisirs de ta douce vie , 
Alouette , qui de l'amour 
Dégoizes dès le point du jour , 
Secouant en l'air la rosée 
Dont ta plume est toute arrosée l 
Devant que Phébus soit levé 
Tu enlèves ton corps lavé 
Pour l'essuyer près de la nue, 
Trémoussant d'une aile menue ; 
Et te sourdant à petits bons , 
Tu dis en l'air de si doux sons 
Composez de ta tire lire , 
Qu'il n'est amant qui ne désire , 






POÉSIES DITEUSES. li^S 

T'oyaot «hatffe» étt i^enovTeati 
Gomme toy devenir oiseau. 

Quand ton chant t'a bien âmasée , 
De l'air tu tombes en Ihsée 
Qn'one jeune fillette àh soir 
De sa'quenottiltè iaisté dbieôjr , 
Quand au foyer elle semnKiine 
Frappant ton sein de 9od anreiHe , 
Et son tors f<isean délié 
Loin de sa nMin ronKe à «oa pfé : 
Ainsi tu roules , alouette , 
Ma doneeletté, mignonnette, 
Qui plus qu'on rossignol me plais 
Chantant en un bocage épais. 

Tu Tis san» offenser personne , 
Ton bec ianoceiift né moitfsoniiie - 
Le froment , comme ces oisean< 
Qui font aux hommes mille maut , 
Soit que le bled rongent en gerbe , 
Ou soit <|n^ l'égràinenten herbe : 
Mais tu vis par les sillons vers , 
De petits fouHnis et de vers , 
Ou d'une mouche 9 ou d'une achée , 
Tu portes aux tems la béiJhée , 
^ A tes fils non encore ailés , 

i3» 



l46 p. DE RONSARD. 

D'an blond duvet «mmantelé». 

A tort les fables de& poètes, 
Tous accusent , tous, alouette»» 
D'avoir vostre père bay 
Jadis jusqu'à l'avoir trahi , 
Coupant de sa teste royale 
La blonde perruque fatale y 
£n laquelle un poil il portoit 
En qui toute sa force estoit. 
Mais quoy, vous n'estes pas seulettes 
A qui la langue des poètes 
Ait fait grand tort : dedans les bois 
Le rossignol à haute voix , 
. Caché dessous quelque verdure , 
Se plaint d'eux , et leur dit injure. 
Si fait bien l'arondelle aussi, , 
Quand elle chante son coêù : 
Ne laissez pas pourtant de dire 
Mieux que devant la tirelire, 
Et faites crever par dépit 
Ces menteurs de ce qu'ils ont dit. 

Ne laissez pour cela de vivit 
Joyeusement , et de poursuivre 
A chaque retour du printemps 
Vos accoutumez passe-temps: 



P01BSIE8 DIVERSES. l47 

Ainsi j'amais la main pillarde ' 
D'une pastourelle mignarde , 
Farmy les sillons espiant 
Yostre nouTeau nid pépiant , 
Quand vous chantez ne le dérobe 
Ou dans sa cage ou sous sa robe. 

Vivez oiseaux , et vous haussez 
Tousjours en l'air , et annoncez 
De Tostre chant et de Tostre aile 
Que le printemps se renouvelle. 



|49 F- DE ROlliAmD* 



^s^a^nsacB 



LES DERNIERS VERS 



1>E 



FIEERB J>M ROrïSA(U>. 



STANCES. 



J*AY rarié ma vie en dévidant la^trame 
Que Glothon me filoit entre-malade et sain. 
Et tantôst la santé se logeoit en mon sein , 
Tantost la maladie , eztresme fléau de l'ame. 



La goutte jà vieillard me bonrrela les veines. 
Les muscles et les ner£s , exécrable douleur 1 
Monstrant en cent façons , par cent diverses peiol 
Que l'homme n'est sinon le subject de malheur. 



POI^IES DIVER&ES. l49 

Ki'au meurt en son printemps, l'antre attend la TieilleMe^ 
lie trespas est tout un , les accidens dÎTers : 
lie Tray thrésor de l'homme est la simple jenoesse , 
Xe reste de nos ans ne sont que des hyvers. 

Pour loDg-temps conserver telle richesse entière , 
Ne force ta natore , ains ensoy la raison : 
Fay l'amour et le Tin, des vices la matière. 
Grand loyer t'en demeure en la vieille saison. 

lia jeunesse des dieux aux hommes n'est donnée 
Pour gouspiller sa fleur : iûnsi qu'on voit fanir 
Lia rose par le chaud, ainsi mal gouvernée 
La jeunesse s'enfuit sans jamais revenir. 



i3. 



rOACHIM DUBELLAY. 



JOACHIM DUBELLAY. 



^lW ^ VV»V^VV^«*^'WWWV^VW»)V»W > A^W>^«»V^>%^V»%»<^>^^r%W»^V^<» 



DE L'IMMORTAI^ITÉ 



DES POÈTES. 



ODE. 



GsLui-ci quieit, par les dangers » 

L'honneur da fer vicUnfieos; 

Gelai-là , par flots étrao^ers , 

Le soin de l'or kborieiui; 
L'on anx clamevs do palais s'estadie; 
L'autre le vent de la faveur aModie. 



f 



Mais moi , que les Grâces chérissent. 
Je hais les biens que l'on adore , 
Je hais les honneurs qui périssent 
Et le soin qui les cœurs dévore : 



l54 JOACKIM DUBELLAT. 

Rien ne me plabt , fors ce qui peat déplaire 
Aa jogement da rude populaire. 

Les Unriers pris des fronts sçavans 
M'ont jà fait compagnon des dieux : 
Les ardens satyres suivans 
Les nymphes des rustiques lieux , 
Me font aimer, loin des connus rivages > 
La sainte horreur de leurs antres sauvages. 

Par le ciel errer je m'attends , 

D'une aisle encor non usitée i 

Et ne sera guère long-t^mps 

La terre par moi habitée. 
Plus grand qu'Envie , à ces superbes viQes 
Je laisserai leurs tempestes civiles. 

Je volerai depuis l'Aurore 
Jusqu'à la grand'mère des eaux; 
Et de rOurs à l'épaule more , 
Le plus blanc de tous les oiseaux. 
Je ne craindrai , sortant de ce beau joar» 
L*épaisse nuit du ténébreux séjour. 

De mourir ne suis en émoi , 
Selon la loi du sort humain ; 
Car la meilleure part de moi 



POÉSIES DITEBSK9. l55 

Ne craiat point la fatale main. 
Craigne la naort la Fortone et l'Envie , 
A qui les dieux n'ont donné qu'une vie ! 

Arrière tout funèbre chant , 

Arrière tout marbre et peinture;^ 

Mes cendres ne vont point cherchant 

Les vains honneurs de sépulture, 
Four n'estre errant cent ans à l'environ 
Des tristes bords de l'avare Achéron. 

Mon nom , du vil peuple inconnu. 

N'ira sons terre inhonoré ; 

Les sœurs du mont deux fois cornu 

M'ont d'un sépulcre décoré 
Qui ne craint point les aquilons pnifsans 9 
Ni le long cours des siècles renaissans. 



« 



l56 JOACHIM PUBELLAY. 



^- ■ '' ■" "■ 



LE RETOUR DU PRINTEMPS. 



K J. DAÛRAt. 



Db l'hiver U triste froidure 

Va sa rigueur adoucksant , 

Et des^eaux Técorce si dure 

Au doux Képhir amolLigsaAt. 
Les oiseaux par les boia 
Ouvrent à ceste fois 
Leurs gosiers étrécis : 
Et plus sous durs glassons 
Ne «entent les poissons 
Leurs manoirs raccourcis. 

La froide humeur des monts chenus 
Enfle déjà le cours des fleuves ; 
Déjà les cheveux sont venus 



90ésns DflTKBSVS. i57 

Aux forests si longuement vea^ea. 

La terre , an ciel ri«nt ^ 

Va son teint variant 

De mainte cooleur vive : 

Le cid , pour lui complaire , 

Orne sa face claire 
* De grand* beanf é 



Or, est temps qoe Fon se cooroniie 
De l'arbre à Yéous consacré , 
Ou que sa tête oo environae 
Des fleurs qui viennent ëe leur gré. 

Qu'on donne an vent aussi 

Cet importun souci 

Qui tant nous fait la guerre ; 

Que l'on aille sautant , 

Que l'on aille heurtant 

D'un pied libre !• iene. ' 

Voici déjà l'été qui tonne , 
Chasse le perdurable ver-; 
L'été, le fructueux automne; 
L'automne , le frileux hiver. 

Mais les lunes volages 

Réparent ces dommages; 

Et nous, hélas 1 nous, hommes» 

Quand descendons aux lieux 

'4' 



.l58 JOACHIK DUBBI.LAT. 

De DOS BDCPstres vievx, 
Ombre et pondre noas sommes. 

Pourquoi donc avons-nous envie 
Du soin qui les coeurs ronge et fend f 
' Le terme bref de notre vie 
Long espoir avoir nous défend. 
Ce que les destinées 
Nous donnent de journées, 
Estimons que c'est gain. 
Que sçais-tu si les cieux 
Octroiront à tes yeux 
De voir un lendemain F 



POESIES DIVERSES. l59 



ODE. 



QU'IL FAUT ÉCRIRE DANS SA LANGUE. 



Qui grec et latin veut ^écrire 
Semble un Icare , un Phaéton ; 
£t semble , à le voir, qu'il désire 
A la mer donner nouveau nom. 

Il y met de l'eau, ce me semble ,^ 
Et pareil ( peut-estre ) encore est 
A celui qui du bois assemble 
Pour le porter en la forest. 

Princesiseyje ne veux point suivre 
D'une telle mer les dangers , 
Aimant mieux entre les miens vivre 
Que mourir chez les étrangers. 



l6o JOACHIM DVBEIXAT. 

Blieaz vaut que les siens on précède , 
Le nom d'Achine Qonrsmvant , 
Que d'être ailleurs un Diomède , 
Voire un Thersite bien souvent. 

Quel siècle éteindra ta mémoire , 
O Boccace 1 Et quels durs hivers 
Pourront jamais sécher la gloire , 
Pétrarque » de tes lauriers verds 7 

Qui verra la vostre muette, 
Dante , Bembe , à l'esprit hautain ? 
Qui fera taire la musette 
Du pasteur IféapoUtain ? 

Le Lot , k Loir, TooTie et Garonne, 
A vos borda tons diiw le nom , 
De ceux que la docte couronne 
Éternise d'an haut reoooi^ 

Et moi ( si poiirtanl mon délire 
Ne me déçoit ) je te promets 9 
Loire , et je jure que ta lyre , 
Si je vi3 , ne mourra jimim* 



^i 



POESIES DIVSILS£«. l6l 



LA CHANSON 



DU VANNEUR DE BLÉ. 



A vous , troupe légère , 
Qui d'aisle passagère 
Far le monde votez. 
Et d'un sifflant murmure 
L'ombrageuse verdure 
Doucement esbranlez. 

J'offre ces violettes , 
Ces lys et ces fleurettes , 
Et ces roses ici , 
Ces vermeillettes roses , 
Tout fraîchement escloses , 
Et ces œiUets aussi : 

De vostre douce haleine 
Esventez ceste plaine , 

14. 



l6a lOACHIM DUBELLAT. 

EsYeDteE ce sëjoar , 
Cependant qae j'ahanne ' 
A mon blé que je fanne 
A la chaleur du jour. 

1 Je fctiftM, )« tnTaiUe. 



POÉSIES DIVERSES. l63 



SONNET. 



Las I ob est maintenant ce mespris de fortnne r 
Où est ce ccenr yainquenr de tonte adferfité , 
Cet honneste désir de rimmortatité » 
Et ceste belle flamme an peuple non commune? 

Oh sont ces doux plaisirs qn'an soir^sons la nuit brune^ 
Les muses me donnoient , alors qu'en liberté , 
Dessus le ferd tapis d'un rivage écarté , 
Je les menois danser an rayon de la lune f 

Maintenant la fortune est maistresse de moi , 
Et mon cœur, qui souloit estre maistre de soi> 
Est serf de mille maux et regrets qui m'ennuyent : 

De la postérité {e n'ai plus de souci , 

Geste divine ardeur, fe ne l'ai plus aussi, 

Et les muses de moi, comme estranges^ s'enfnyent* 



|64 JOACHIM DUBELL4T. 



SONNET. 



NoiTTSAP wenu, qui olierohe Ronfi «n Bomf t 
Et rieo de Rome çn Rome «'«perçoi» , , 
Ces vieux palais, ces vieux tvos que tu YeM« 
Et cet TÎeuK murs^ c'est oe que Rome on noaime. 

Yoi qnd orgueil » quelle ruine t ot çoDvme 
Celle qui mit le monde sou« iiet Ioûl» 
Pour dompter tout, se dompta qnelqvefols. 
Et devint proie au temps qui tout oontoiûBie^ 

Rome de Rome est le seal iiioaa«iie«t ; 
Et Rome , Rome, a vaintin seulteseiit* 
Le Tybre seul , qui vers la mer s'edloit , 

Reste de Rome; ah! moadaiae incongtanee l 
Ce qui est ferme est par le temps déiriûlj 
Et ce qui fuit au temps fait résbtanoè. 



POÉSIES DXVBBSfiS. l65 



BBS 



SONTVET. 



Ni la foMQr dt i« âsniae enraj^ée , 
Ni le tranchant âa fer Fictorieaz , 
Ni le dégât un soldait fàrieox , 
Qui tant de fois , Rome , t'a raccagéft; 

Ni coup sur coup tafortune cbaogét , 
Ni le ronger des siècles en'vîenx , 
Ni le dépit des hommes et des diem , 
Ni contre toi ta poissanoe raagèe) 

Ni Tébransler des Yeots impétnen 9 

Ni le sdébord de ce dieu toitnsoz 

Qui tattt de Ibis t'a couTert de son onde , 



N'ont teUement ton orgiiôl abaissé, 
Que la gfMMlear du rien qu'ils font 
Ne CasM enoor^émerveiUer le monde. 



l66 rOACHlM DUBELLAY. 



LE POÈTE CODRTISAN. 



Jb De Teux point ici du maistre d'Alexandre , 
Touchant l'art poétic , les préceptes t'apprendre : 
Tn n'apprendras de moi comment jouer il faut , 
Les misères des rois dessos un éc^affaud : 
Je ne t'enseigne l'art de l'humble comédie » 
Ni du méonien la muse plus hardie : 
Bref je ne montre ici, d'un Ters horacien , 
Les vices et vertus du poème ancien ; 
Je ne dépeins* aussi le poëte du vide ' ; 
La cour est mon auteur, mon exemple, mon guide 
Je te veux peindre ici, comme un bon artisan. 
De toutes ses couleurs l'Apollon courtisan , 
Oh la longueur surtout il convient que je fuie ; 
Car de tout long ouvrage à la cour on s'ennuie. 

Celui donc qui est né ( car il se faut tenter 
Avant que l'on se vienne à la cour présenter ) 
Pour ce gentil métier, il faut que , de jeunesse , 
Aux ruses et façons de la cour il se dresse^ 

1 AUnrion à Vida. 



POESIES DiYxasû. 167 

Ce précepte est commun ; car qui veot s'avancer 
A la coar , de boone heure il cooTÎent commencer. 

Je ne veux que long-temps à l'étude il pallisse; 
Je ne veux que resYeur sur le livre il yieillisse 9 
Feuilletant, studiant , tons les soirs et matins. 
Les exemplaires grecs et les auteurs latins ; 
Four un vers allonger que ses ongles il ronge 9 
Ou qu'il frappe sur table, ou qu'il resve, on qu'il songe, 
Se brouillant le cerveau de pensemens divers , 
Pour tirer de sa tête un misérable vers. 
Qui ne rapporte, ingrat! qu'une longue risée 
Partout où l'ignorance est plus autorisée. 

Toi donc qui as choisi le chemin le plus court , 
Pour être mis au rang des sçavans de la cour, 
Sans mascher le laurier , ni sans prendre la peine 
De songer au Parnasse , et boire à la fontaine 
Que le cheval volant de son pied fit jaillir. 
Faisant ce que |e dis tu ne pourras faillir. 

Je veux , en premier lieu , que , sans suivre la trace , 
Gomme font quelques-uns, d'un Pindare et Horace , 
Et sans vouloir , comme eux , voler si hautement , 
Ton simple naturel tu suives seulement. 
Ce procès tant mené , et qui encore dure , 
Lequel des deux vaut mieux ,^ ou l'art, on la nature. 



l^O jaAGHIX BUBBLLAT. 

Mais qui des grands seigneurs veut ac^éibh giU 
11 ne fant que les yers seulement il embrasse ; 
Il faut d'autres propos son style déguiser , 
Et ne leur faut toujours des lettres deviser. 
Bref, pour être en cet art des premiers de ton âgtti 
Si tu feux finement jouer ton personnage » 
Entre les courtisans du sçafant tu feras , 
Et entre les savans courtisan tu seras* 

Pour ce , te faut choisir matière conveDable, I 
Qui rende son auteur au lecteur agréable » ' 

Et qoi de leur plaisir t'apporte quelque fruit ; i 
Encore pourras-tu faire courir le bruit 
Que si tu n'en avois commandement du prince , 
Tu ne l'exposerois aux yeux de ta province 
Mais te contenterois de le tenir secret ; i 

Car ce que tu en fais est k ton grand regret. 

Et , à la vérité , la ruse coutumiére. 

Et la meilleure , c'est ne rien mettre en lumièic; 

Mais jugeant librement des oeuvres d'un chacao, 

Ne se rendre sujet au jugement d'aucun. 

De peur que quelque fol te rende la pareille , 

S'il gagne » comme toi » des grands princes l'orei 

Tel estoit de son temps le premier estimé , 
Duqnel si l'on eust In quelque ouvrage imprimer 



POLIES DIVSKSBS. 169 

MT 1« ve«t plm conlnt est le ytn ph» parfait. 

^8 qu'un DOUTeau poète à tai cour se préiente , 

: yeux qu'à l'aborder finement on le tente ; 

%Ty a'il est ignorant, tu sçanras bien choisir 

eu et temps à propoi poor en donner plaisir : 

a produiras partout ceste beste , et , en somme , 

ax dépens d'u^ tel sot ta seras galant homme. 

il est homme sçayant, il te faut dextrement 

3 mener par le nez , le louer sobrement , 

t: d'un petit souria et branlement de teste , 

evant les grands seigneurs j lui faire qnelqne feste; 

s présenter au roi • et dire qu^l fait bien , 

t qu'iia mérité qu'on lui fasse du bien. 

lus! , tenant toujours le {Pauvre homme sons bride, 

a te feras valoir en lui serTant de goide ; 

t combien que ta soi» d'envie èpoinçonné , 

a ne seras pour tel toutefois soupçonné. 

i te veux eaaeign«r un autre point nota ble , 
3ur ce que de la cour l'école c'est la table s 

ta veui proiopitemeat en honneur parrenir, 
est où plttji s«||emenit il te faut maintenif ; 
; faut touioMis avCM le petit mot pour rire ; 

faut des lieux communs qu'à tout propos on tire , 
asser ce qu'o»ne SQVMi et s« auOitnr sçavant 
1 ce qne. Top » lu ds9u« «a taoâi soirs devant. 



J. A. DE BAIF. 



i5. 



• • 



J. A. DE BAIF. 



n/w%/v^^*Annf*t*^n^^^fMtvw*M^^t*nn^*^^^/^nv^n^M¥V^0i^tfv^^^^tv*^^' 



LES ROSES. 



AU SIEUR GUIBERT. 



CoiBBBT^ qui la vertu chéris, 
Afin que l'âge à venir sache 
Que ma Muse ingrate ne cache 
Le nom de §ea plus favoris ; 
Prends de ses roses le chapeau , 
A qui ni chaleur ni gelée 
N'ostera ce qu'il a de beau 
Pour honorer ta renommée. 

Au mois que tout est en vigueur ^ 
Un jour que la blanche lumière 



17^ J* A. WB »àï». 

Poignoit, comme elle est coastumièrc, 
SoufiSanl la piqaante fraîcheur : 
J« m'en aUoif me prcuneDant 
Aùtoar des planches compassées ; 
Un chemin , pois Taatre prenant 
A travers les teÉtefe âtesâéOê, 

Je Tîs la rosée tenir 

Pendant sons les herbes penchantes > 

Et sur les cimes verdissantes 

Se concréer et contenir : 

Je vis sons la clarté nouvelle 

Les fraisches fleurs s'épanouir , 

Je vis les rosiers s'esjonir, 

Cultivés d'une façon belle. 

Mais en peu d'espace de temps, 
Les fleurons des roses naîssAntes , 
Di versement s'épanissântes 
Par compas se vont dépdrtànâ : 
L'un de l'étroit boutoii couvert , 
Se cache sous sa verte feuiHer, 
L'autre par le bout enlr^)iiverf 
Pousse l'écartate vermeille. 

Bientost après il a desclos 
Du bouton riant l'excellence ^ 



POÉSIES DIVERSES. 177 

Décelant la drne semence 
Du saffrao qu'il lenint eiièlos. 
Lui qui tantost resplendissant , 
Montrait toute sa chcrclure , - 
Le voici , pftle et flestris^attt , 
Qui perd rhonneof de sa feuillure. 

Je m'esmerveillois en pensant 
Gomme l'âge, ainsi larronnesse, 
Ravit la fuitive jeunesse 
Des roses vieilles en naissant : 
Quand voici l'incarnate fleur 
Ainsi que j'en parle s'efTenilley 
Et , couverte de sa rongenr , 
La terre',en éclate vermeille. 

De toutes ces formes l'effet 
Et tant de soudaines nuances , 
Et telles diverses naissances, 
Un jour les fait et les défait. 
O nature , nous nous plaignons 
Que des fleurs la grâce est si brève , 
Et qu'aussitost que les voyons'. 
Un malheur tes dons nous enlève. 

Un seul bien ces fleurettes ont, 
Combien qu'en peu de temps périssent , 



/ 



I7B .1. A. DB iSAJbP. 

Par iDccès elles refleurisseot. 
Et leur saÎBon pliu longae font ^ 
Fille , viens la rose cueillir 
Tandis que sa fie ur est nouvelle ; 
Souviens-toi qu'il te faut vieillir 
Et que tu flestriras comme elle. 



POisiES DIVERSES. I79 



A SOI-MESME. 



Baïf, si tu veux savoir 

Quel aToir 
Ponrroit bien heureux te rendre 
En ce douteux vivre-ci , 

Oy ceci. 
Et tu le pourras apprendre. 

O chétif 1 cet faéur , hélas 1 

Tu n'as pas ! 
Et ta fortune est trop dure ! 
Mais ce qu'on ne peut changer 

Est léger. 
Si constamment on l'endore. 

Un bien tout acquis trouver ; 

N'éproover , 
Pour l'avoir aucune peine : 
Un champ ne trompant ton tcbu 



i8o '• ^ 9B A^v* 

D'un boa feu 
Ta Diaûoo tayaBJonrt sereioe : 

N'avoir que faire au palais 

Ni aux plaids : 
Loin de cour, l'esprit tranquille , 
Les membres gaillards et forts 

En un corps 
Bien sain , dispos et agile. 

Geste simplcsse entre gess 

$e rangeao» 
Sous une amitié sortable i 
Un vivre passable et coî 

A reqiioi « 
Sans trop surcharger la table ; 

Passer gaiement lesMviksts , 

Hor&d'eiinQis; ' 
Toutefoii n'estre pas ivre : 
Un lict qui ne te déçoit; 

MaiB qui soit 
Chaste , et de noises délivre : 

Eatre content de ton bie» , 
Et plus 



PO]âsIES DITE&SES. 1 8 1 

Ne désirer ni prétendre ; 

Sans sonliaits , sans crainte anssi , 

flois souci, 
Ton heure dernière attendre* 



i6« 



l8a J. A. DE B^f* 



:s4 



AMOUR OISEAU. 



Un enfant oiseleor , jadis en un bocage , 
Giboyant aux oiseaux , vit dessus le braachage 
D'un houx, Amour assis; et l'ayant apperçu, 
Il a dedans son cœur un grand plaisir conçu : 
Car l'oiseau sembloit grand. Ses gluaux il apprestf 
L'attend, et le chevale , et guettant à sa queste, 
Tasche de l'asseurer, ainsi qu'il sauteloit. 
Enfin , il s'ennuya de quoi si mal alloit 
Toute sa chasse vaine ; et ses gluaux il rue , 
Et va vers un vieillard assis à la charrue , 
Qui lui a voit appris le mestier d'oiseleur; 
Se plaint et parle à lui^ lui conte son malhear; 
Lui monstre Amour branché. Le vieillard lui va dli 
Hochant son chef grison et se ridant de rire : 
« Lause , laisse , garçon , cesse de pourchasser 
La chasse que tu fais ; garde-toi de chasser 
Après un tel oiseau. Telle proie est mauvaise. 
Tant que tu la lairras , tu seras k ton aise ; 



POÉSIES DIVERSES. l83 

8 si è l'âge d'homme nne fois tu atteins , 
oiseau qui te fait, et de qui tu te plains 
ame trop sautelant, de son motif s'appreste > 
lant à Timpourvu , se planter sur ta teste. » 



• 



l84 '• A- DS BAÎF. 



LE CALCUL DE LA VIE. 



Tu as cent ans et davantage : 
Mais calcule de tout ton Age , 
Combien en eut ton créancier. 
Combien tes folles amourettes. 
Combien tes affaires secrètes , 
Combien ton pauvre tenancier. 

Combien tes procès ordinaires , 
Combien tes valets mercenaires , 
Combien ton aller et venir ; 
Ajoute aussi tes maladies , 
Ajoute encore tes folies. 
Si tu pouvois t'en souvenir : 

Et tout cela qui , sans usage , 
S'en est allé pour ton dommage : 
Si tout cela tu en rabas, 
Te verras avoir moins d'années 
Que tu ne t'en étois données , 
Et que tout jeune tu t'en vas. 



REMI BELLEAU. 



16. 



REMI BELLEAU. 



X^VWVVW WWVVVWWV ii\W\'VWVVVWW*WvW\'WVVWVWvVW 



ODE 



/WVWVVW 



POUR LA PAIX. 



QuiTTB le ciel , belle Astrce , 
En France tant désirée , 
Viens faire ici ton séjour 

A ton tour : 
Assez les flammes civiles 
Ont couru dedans nos villes y 
Sous le fer et la fureur ; 
Assez la pâle famine. 
Et la peste et la ruine , 
Ont ébranlé ton bonheur. 

Le rocher ni la tempeste 
Tousjoors ne pend sur la teste 
Du pilote pasliaaant. 
Frémissant : 



l88 REMI BELLEAU. 

La nue épaisse en fumée , 
Tousjours ne se fond armée 
De feu ) de soufre et d'éclair ; 
Quelquefois après l'orage , 
Elle fourbit le nuage 
Et le rend luisant et clair. 

Monstre nous ta face belle 
En ceste saison nouvelle; 
En pitié regarde nous 

D'un œil doux 1 
Que dans ta main que j'honore^ 
Au soir l'épi se redore l 
Viens plus gracieux encor 
Que n'est l'étoile qui guide 
Le soleil y quand par le vuide 
Il étend son crespe d'ori 

Que le ciel à ta Tenue 
Épanche une douce nue 
De parfums , et de senteurs ^ 

Et d'odeurs. 
De miel , de manne sucrée, 
Tant , que la France enivrée , 
Soit grosse d'un beau printemps 
D'un printemps qui tousjours dure , 



POÉSIES DIVERSES. 189 

Et qui surmonte l'injare 
Et les outrages du temps ! 

Sois donc, Seigneur, la défense 
Et le rempart de la France , 
Nourrissant nostre grand roi 

En ta loi , 
Et que dans ta main maistresse 
Croisse sa tendre jeunesse , 
Lui servant de guide encor 
Pour le dresser en la voie 
Gomme Apollon devant Troye 
S'avançoit devant Hector ! 






190 



SEVI BELLEAU. 



AMOUR 



PIGQUÉ DUNE MOUCHE A MIEL. 



ODE. 



Amocb ne voyoit pas enclose 
Eatre les replis de la rose 
Une moache à miel, quisoudaio 
En l'un de ses doigts le vint poindre : 
Le mignon commence à se plaindre , 
Voyant enfler sa blanche main. 

Aussi tost à Venus la belle 
Fuyant il voile à tire d'aile , 
Mère , dit-il , c'est fait de moi , 
C'en est fait , et faut qu'à ccste heure. 



POESIES DIVERSES. 1 9 1 

Navré jusques au cœur je meure , 
Si secouru ne avda de toi. 

Navré je suis eu ceste sorte , 

D'un petit serpenteau qui porte 

Deux ailerons dessus le dos , 

Aux champs une abeille on l'appelle : 

Voyez donc ma playe cruelle , 

Lasl il m'a picqué jusqu'à l'os. 

Mi^on (dist Vénus) ai la pointe 
D'une mouclie à miel » telle atteinte 
Droit au cœur (comme tu dis; fait. 
Combien sont navrez davantage 
Ceux qui «ont eapoinds de ta rage^ 
Et qui sont blessez de ton trait? 






19^ REMI BELLKAU 



AVRIL. 



Avril , l'hooneur et des bois 

Et des mois ; 
Avril , la douce espéraace - 
Des fruits qui , sous le coton 

Du bouton.. 
Nourrissent leur jeune enfance ; 

Avril , l'honneur des prez vers , 

Jaunes, pers» 
Qui, d'une humeur bigarrée, 
Émaillent de mille fleurs 

De couleurs 
Leur parure diaprée. 

Avril , l'honneur des Soupirs 

Des Zéphirs , 
Qui , sous le vent de leur aile , 
Dressent encore es forêts 



POÉSIES DIVERSES. | q3 

De doux rets , 
Poar ravir Flore la belle; 

Avril , c'est ta douce main 

Qui du sein 
De la nature desserre 
Une moisson de senteurs ' 

£t de fleurs 
Embasmant l'air et la terre • 

Avril , la grâce et le ris 

De Cypris 
Le flair et la douce haleine ; 
Avril , le parfum des dieux 

Qui des cieux 
Sentent l'odeur de la plaine : 

C'est toi, courtois et gentil, 

Qui d'exil 
Retires ces passagères , 
Ces arondelles qui vont 

Kt qui sont 
Du printemps les messagères. 

L'aubépine , et Téglantin , 

Et le thym, 
L'œillet, le lis, et les roses, 

X7« ' 



»94 



En ceste belle saison > 

A foisoD , 
Monstrent leurs robes escloses. 

Le geotil rossignolet > 

Doucelet , 
Découpe, deiMOus l'ombrage, 
Mille fredoas babillards, 

Fretillards, 
Au doux soQ de son ramage. 

Mai vantera ses fraischears , 

Ses fruits meurs , 
Et sa féconde rosée $ 
La manne, le sucre doux, 

Le miel roux 
Dont sa grftce est arrosée. 

Mais moi je donne ma rois 

A ce mois 
Qui prend le surnom de celle 
Qui de l'escumeuse mer 

Vit germer 
Sa naissance maternelle. 



DUBARTAS. 



DUBÂRTAS. 



VWWVWWVWVWVWWVWV\^«WVWWVWVWVW«WI^WVWVM)WVVVW«» 



DESCRIPTION 



DU JARDIN D'ÉDEN. 



Si je dis que tousjours , d'une face seraine , 
Le Ciel d'un seul coup d'œil embrassoit cette plaine- 
Que des rochers cambrés le doux miel distilloit ; 
Que le lait nourricier par les champs ruisseloit ; 
Que les ronces avoicnt mesme odeur que les roses ; 
Que tout terroir portoit en tout temps toutes choses » 
Et sous mesmes rameaux , cent et cent fruits divers 
Pendoicnt en mesme temps ni trop meurs ni trop vers» 
Que le plus aigu fruit et l'herbe plus amère 
Égaloit en douceur le sucre de Madère ; 

Si je dis que l'orage , en son cours violent 

Des fleuves ne souilloit le cristal doux-coulant , 

Fleuves qui surmontoient eu bon goust le breuvage 

>7- 



1 98 DUBARTA6. 

Q*ii du Cretois Gérathe honore le rivage. 
Que les sombres forêts des myrtes amoureux , 
Des prophètes lauriers , des palmiers généreux, 
Ne s'efTeuilloient jamais, aios leur nouveau feuillage 
Voûtoit mille berceaux , fertiles en ombrage , 
Où cent sortes d'oiseaux nuit et jour s'esbatoient , 
S'entrefaisoient l'amour , sauteloient, voletoient, 
Et mariant leurs tons aux doux accents des anges, 
Ghantoient et Theur d'Adam et de Dieu les louanges: 
Car pour lors les corbeaux , loriots et hibous 
Avoient des rossignols le chant doctement doux, 
Et les doux rossignob «voient la voix divine 
D'Orphée et d'Amphion, d'Arionetde Line... 

Si je dis que Phébus n'y faisoit arriver 
L'esté par son retour , par sa fuite l'hiver , 
Mais l'amoureux printemps tenoit tousjoors fleuries 
Des doux-fleurans vallons les riantes prairies ; 
Que le robuste Adam ne sentoit point son corps 
Aggravé des autans , ni roidi par les nords , 
Mais d'un doux ventelet l'haleine mnsqoétée , 
Goulant en la forest par l'Étemel plantée ^ 
Donnoit vigueur au corps, à la terre vei^eur , 
A la verdure fleurs , aux fleurs une aime odeur ; 
Qu'au jour la nuit prêtoit son humeur noarriciérc » 
Et le jour k la nuit moitié de sa lumière. 
Que la grcsie jamais n'attéroit les moissons ; 



POÉSIES DITERSB5. fg^ 

^ue les frimats, la neige ei les luisans glaçons 
^'enTieillissoient les champs; qu'an éclatant orage 
«ï'escarteloit les monts ; qu'on pluvieux ravage 
M 'amaigrissoit la terre » ains les champs produisoient 
ELies fécondes vapeurs qui leur face arrosoient , 
1 e ne pense mentir : plutost , honteux , j'accuse 
E3'lndoote pauvreté ma bégayante muse. 

2SÎ tu veux en deux mots la louer comme il faut , 
X>i8 qae c'est le portrait du paradis d'en haut , 
Où nostre ayeul avoit , 6 merveilles cstrangesl 
IHen pour entre-parleur, pour ministres losanges. 






aOO DUBA&TAS. 



LE DÉLUGE. 



L'amaa des eaux du ciel 9 joint à nos basses eaax, 
Des monts plus sourcilleux dérobant les coapeanir 
Auroit noyé ce tout , si , triomphant de l'onde , 
Noé n'eust comme enclos dans peu d'arbres le moude, 
Bâtissant une nef, et par mille travaux , 
Conservant là-dedans tout genre d'animaux. 
Ils n'y furent entrés, que dans l'obscure grotte 
Du matin roi des vents, le Tout puissant, garotte 
L'aquilon chasse-nue , et met pour quelque temps 
La bride sur le col aux forcenés autans. 
D'une aile toute moite ils commencent leur course; 
Chaque poil de leur barbe est une humide source, 
De nues une nuit enveloppe leur front ; 
Leur crin froid et neigeux , tout en pluie se fond , 
Et pressant de leur main l'épaisseur des nuages, 
Les font crever en pluie , en éclairs, en orages. 
Les torrents écumeux , les fleuves, les ruisseaux,. 
S'enflent en un moment : jà les confuses eaux 
Perdent leuts premiers bords, et dans la nier salée 



POisiES DIVERSES. 201 

Ravageant les moissoDs , courent bride avalée» 
I/a terre tremble toute , et tressaillant de peur. 
Dans ses veines ne laisse une goutte d'humeur: 
£t toi y toi-même « ô ciel! les écluses débondes 
De tes larges marets , pour dégorger les ondes 
Snr ta sœur, qui vivant, et sans honte et sans loi ,. 
Se plaisoit seulement à déplaire à ton roi. 

Jà la terre se perd , jà Nérée est sans marge ; 
Ltes fleuves ne vont plus se perdre en la mer large ; 
Eux-mêmes sont la mer; tant d* océans divers 
Ne font qu'un océan : même cet univers 
N'est rien qu'un grand étang, qui veut joindre son onde 
An demeurant des eaux répandu sur le monde. 
L'estourgeon côtoyant les cimes des châteaux 
S'esmerveille de voir tant de toits sous les eaux. 
Le manat^ le mular« s'allongent sur les croupes 
Oii naguère broutoient les sautelantes troupes 
Des chèvres porte-barbe , et les dauphins camus 
Des arbres montagnards rasent les chefs ramus. 
Rien ne sert au lévrier^ au cerf, à la tîgresse» 
Au lièvre , au cavalot , sa plus prompte vitesse : 
pins il cherche la terre , et plus et plus , hélas l 
Il la sent, effrayé, se perdre sous ses pas. 
L6 bièvre , la tortue , et le fier crocodile 3 
Qui jadis jouissoient d'un double domicile , 
N'ont que l'eau pour maison; les loups et les agneaux» 



202 DUBA&TAS. 

Les lions et les daims, vogoent dessus les eaux^ 
Flanc à flanc, sans soupçon. LeTautour , lliiroodelle, 
Après aroir long-temps combattu de leur aile 
Contre un trépas certain , enfin tombent lassé». 
N'ayant où se percher, dans les flots coarroi|cés. 
Quant aux pauvres humains, pendant que celui gagne 
La pointe d'une tour, l*autre d'une montagne. 
L'autre pressant un cèdre, ou des pieds , on des maioSf 
Gravit jusqu'aux sommets des rameaux incertains. 
Mais las ! les flots montans à mesure qu'ils montent 
Dès que leur chef parott , anasitM le surmontent; 
L'un flotte sur des ais , encore mi-dormant. 
L'autre de pieds et bras va sans cesse ramant , 
Ayant vu s'abîmer ses germaines , sa mère , 
Le plus cher de ses fils , sa compagne et son père : 
Mais enfin il se rend, jà las de trop ramer, 
A la discrétion de l'infidèle mer. 
Tout, tout meurt à ce coup : mais les Parques craellcs, 
Qui jadis, pour trancher les choses les pins belles, 
S'armoient de cent hamois, n'ontores pour bonrreani. 
Que les efforts baveux des bouillonnantes eaux. 
Tandis la sainte nef, sur l'échiné azurée 
Du superbe océan , navigeoit assurée , 
Bien que sans mat, sans rame, et loin, loin de tout port. 
Car l'Ëtemel étoit son pilote et son nord; 
Trois fois cinquante jours , le général naufrage 
Dévasta l'univers; enfin d'un tel ravage 



POÉSIES DIVERSES." 2o3 

L'Immortel attendri n'eut pas sonné sitôt 
La retraite des eaux , que soudain flot sur flot 
Elles vont s'écouler , tous les fleuTcs s'abaissent ; 
La mer rentre en prison , les montagnes renaissent; 
Les bois montrent déjà leurs limonneux rameaux , 
Jà la campagne croit par le décroit des eaux ; 
Et bref la seule main du Dieu darde-tonnerre 
Montre la terre ao ciel , et le ciel à la terre. 



2o6 DUBA&TAS. 

Lui redonner la vie au milieu du trépas ? 
Mais Dieu défend le meurtre; oui, Dieu ce tendre pil 
Ne déteste rien tant qu'un homme saaguinaire. 
Homme , ne sonde point les abîmes profonds 
Des jugemens de Dieu; ils n'ont rive ni fonds. 
Contiens-toi dans les bords d'une sobre sagesse; 
Admire seulement ce qu'encor la foiblesse 
De ta foi ne comprend : Dieu, ce maître des roii« 
Gomme législateur, est au-dessus des loix. 
Ha ! profane penser l et quoi don que F j'estime 
Qu'il désire, cruel , une humaine victime ? 
Qu'il se plaise à rôder, à l'entour d'un bûcher, 
Pour humer notre odeur et paître notre chair ! 
Non , non , il ne veut pas que l'innocent périsse, 
Il veut qu'un repentir serve de sacrifice. 
Démons, vous seuls mués en anges de clarté, 
Voulez faire mon Dieu auteur de cruauté. 

Gomme le pin soufflé et du nord et du not, 

Tantôt coule de-cà ,.de-là panche tantôt ; 

Et bruit en éclatant une vive racine ; 

Ici se brise une autre ; il s'élève, il s'incline, 

Jouet de deux tyrans , il veut et ne peut choit, 

Et chancellant , ne sait quel maître il doit avoir. 

Tel Âbram combattu par l'amour et le sèle, 

Est or' père inhumain ^ ores père fidèle , 

Ou l'esprit, ou la chair gagnant le plus hant liea, 



POÉSIES DIVERSES. 2O7 

Ht à tuer son fils , froid à déplaire à Dieu, 
fin il dit ainsi : C'est Dieu , c*est Dieu lui-même, 
e j'ai TU si sourent ; c'est ce bon Dieu qui m'aime' 
i garde , me soutient ; c'est sans doute sa voix , 
Toix même qui m'a consolé tant de fois; 
eu requiert de ma main ce triste sacrifice; . 
Faut , quoiqu'il en soit, qu'à sa voix j'obéisse, 
rs il marche au saint mont; et tremblant et sans voix, 
monte avec son fils chargé du sacré bois, 
on père , dit Isac, voici bien et la flamme , 
le bois desâéché, et la tranchante lame ; 
ais où est la victime ? Hé I monte , ô mon cher cœur, 
: remets , dit Abram, ce qui reste au Seigneur, 
ais las ! Âbram pâlit , sitôt que la victime 
ut attaché ses yeux à la pierreuse cime. 
t toi^ pauvre Isaac, tu portes sur ton dos 
î bois qui en brûlant doit consumer tes os , 
t tu te rends, hélas I sans être atteint de crime « 
'un même sacrifice et ministre et victime. 

rand Dieu , s'écrie Abram 1 ô père malheureux , 
[ais méchant tout ensemble, hé quel sort rigoureux 
ous pousse en cet abime , oh faut que misérable 
Dur être vraiment saint, je me rende coupable? 
1 marche néanmoins , et surmontant le mont , 
lonsolé par la foi . il serène son front ; 
ûnsi ni plus ni moins que l'étoile argentine, 



2oS DUBARTAï. 

Qui naguère a lavé >a face en la marine, 
li bâtit son autel , le bûcher est dressé , 
Et le bras de son fils d'une corde est pressé. 

Mon père , dit Isac , mon père, mon bon père , 
Eh quoi ? vous me montrez v«(re face sévère ! 
Mon père , hé 1 dites moi , quels apprêts sont ceci* 
O cruauté nouvelle I est-ce donques ainsi 
Que par moi vous devez être àyenl de ces prioces , 
Qui braves dompteront ces fertiles provinces, 
Et que je dois remplir , saintement glorieux. 
Ce bas monde de rois , et d'étoiles les cieoz f 
Mon père , écoutez-moi ; non , non , je ne désire 
Détourner , orateur , le tourment de votre ire : 
Moissonnez hardiment le grûn par vous semé ; 
Venez ; ûtez la vie à votre bien-aimé ; 
Enivrez de mon sang ce gazon exécrable ; 
Puisque ma mort vous plait , ma mort m'est agiéabie. 
Mais quel est mon forfait qui nous rende , ô rigueu- 
Moi la victime , et vous le sacrificatenr? 
Faites-moi souvenir d'une faute si grande. 
Afin qu'après, mon^Dieu, pardon je vous demude 
Afin que mon forfait soit pardonné par vous , 
Que vous viviez content, et que je meure absons. 

Mon fils, reprit Abram, non, ce n'est pas un crime, 
C'est le vouloir divin qui t'a rendu victime. 



POÉSIFS DIVERSES. 7.0C) 

ieu , notre Dieu t'appelle , et ne veux qu'ici-bas 
'u passes , en longueur , de la vie an trépas. 
^ue crains-ta , mon amour ? ô ma joie plus grande ! 
^ mon fils, que crains-tuf l'immortelle commande. 
>ocile8 à sa voix, ne nous informons pas 
jomment sage il fera germer de ton trépas 
Cant de sceptres promis ; celui qui t'a fait naître , 
Contre nature peut te redonner nn être. 
Reçois donc, ô mon fils, non pins mien, mais de Dieu, 
Et le dernier baiser, et le dernier adieu. 

BLa ! puisque Dieu le veut, que vous aussi, mon père, 
Le voulez , je le veux ; ô mort non tant sévère 
Qu'honorable pour moi ! viens t'en , bâte le pas ! 
Je vois les cieux ouverts , et Dieu me tend letf bras. 
Allons : couroos à lui , et d'un brave courage 
Soutenons la fureur d'un passager orage. 

Quoi? votre bras bésite à porter ces grands coups , 
Hé I ne me pleurez plus, je ne suis plus à vous ; 
J'étois à l'Éternel même avant ma naissance. 
Tous m'avez possédé par sa seule indulgence ; 
Vous reculez , si près d'une si belle fin I 
Vous voulez que mon col , eu fuyant votre main 
Avecque votre joug , le joug de Dieu secoue , 
Et que de sa parole impudent je me joue ? 
Où fuirai-jc sa main? Le ciel est sa maison, 



<|10 DUBARTAS. 

Son marche-pied la terre : et l'obscare prison 
Du peuple criminel, qui aux enfers soupire. 
Est la bute des traits que décoche son ire. 
De lui dépend mon heur, de lui dépend mon bien, 
Et je n'ai pour franchir antre autel que le sien. 
Hélas I ne pleurez plus , ce saint gazon demande 
Plus de sang que de pleurs ; il faut et que roffrtodt 
Et que l'offrant encor, poussés de piété. 
Rendent libre ce coup , fait par nécessité. 
Montrons que nous avons demeuré dans l'école 
Moi de TOUS , tous de Dieu , et qu'encor sa parole, 
Qui forma, qui soutient, qui conduit l'uniTen. 
Mène à son but le saint, et traîne le pervers. 
Celui qui n'aime Dieu plus que tonte sa race 
Entre les fils de Dieu ne mérite avoir place; 
Et qui veut labourer de Dieu le champ fécond 
Ne doit tourner jamais en arrière le front. 

Ainsi le père hébreu serène son visage , 
Et prononce ces mots : Courage, Abram, coongr- 
La chair, le monde, Adam, sont du toot morts en t(>< 
En toi vit seulement. Dieu , l'esprit et la foi. 

Abram ! s'écria Dieu, c'en est assez ; demeure; 
Rengaine ton acier : je no veux qa'Isac meure; 
J'ai de ta piété fait un essai parfait ; 
11 me suffit : je prends le vouloir pour l'effet. 



POESIES DIVERSES. 311 

ors Abram loue Dieu, sur le champ dés>enlaçe 
a trop chère Tictime , et remet, en sa place , 
n agneau qui ,■ conduit par miracle en ce lieu, 
ur Taiitei verdissant verse son sang à Dieu. 



ft'^'Mift'firfàBt 



aia DUBAUTAS. 



SONNET. 



Gb roc FOÛté par art , par natare ou par Tàge , 
Ce roc de Taracoa hébergea quelquefois 
Les géans qui rouloieat les montagacK de Foix, 
Dont taut d*08 excessifs rendent sûr tëmoigoage. 

Saturne, grand faucheur, tems constamment voiag^i 
Qui changes à ton gré et les mœurs et les loiS} 
?}on sans cause à deux fronts on t*a peint aatrcfop: 
Car tout change sous toi chaque heure de fisage. 

Jadis les fiers brigands , du pays plat bannis, 
Des bourgades chassés , dans les villes punis, 
Avaient tant seulement des grottes pour asjles. 

Ores ' les innocens, peureux , se vont cacher 
Ou dans un bois épais , ou sous un creux rocher, 
Et les plus grands voleurs commandent dans les vilick 

1 Maintenant. 



J. B. CHASSIGNET. 



J. B. CHASSIGNET. 



l/VVWVWVWWV^«V«iV\ WV VVW^A^WWWWVWWV'WVWVWVVWWWWVV . \ 



ODE SACRÉE. 



[>AiGifE me regarder des yeux delà clémence ; 
Se me corrige point , seigneur, dans ta vengeance > 
Et suspendd sur mon chef ton courroux endurci ; 
Mais touché des accents de ma plainte éplorée , 
Évoque , père doux, ma cause déplorée 
Du siège de justice au trosne de merci» 

Seigneur , si de tes mains les ouvrages nous sommes^ 
Pardonne aux criminels comme père des hommes. 
Et non point comme auteur de leur iniquité : 
Siéroit-il pas bien mieux à ta divine essence 
D*e£Pacer le péché par ta grande clémence 
Qu'effacer le pécheur par ta sévérité? 

rire-moi des langueurs qui me suivent sans nombre ^ 
Gomme les corps humains sont suivis de leur ombre ^ 
Plutost par ta bonté que par ton jugement ; 



2l8 1. B. GHASSIONBT. 



ODK SACREE. 



VoiS'Tir bied ces richards superbement restva 

De pourpre et d'escarlate , 
Qui donnent mille ébats à leur chair délicate, 
Mettant en leurs trésors leurs plus belles yertni. 

Le frère toutefois ne sauroit de la mort 

Sauvor son propre frère , 
Ni présenter à Dieu une offrande si chère , 
Qui réveille un mortel qui sous la tombe dort. 

L*inyiolable loi du destin lui desfend ; 

La mort aime carnage , 
Et frappe également l'ignorant et le sage, 
Le ppdent et le fol , le vieillard et Tenfant. 

Et puis ces malheureux qui tant ont fait de pas, 

Qui tant ont pris de peines 
Pour garder leurs trésors , délaissent leurs domaioei 
Aux mains d'un héritier qu'ils ne connoisseot pti« 



POÉSIES DIVrBSF.S. , '1 i ^ 

'8 jardins si bien faits, leur» parterres si beaux. 

Leur palais et leur grange 
lappeiit de Jeur main , et par un triste eschangc, 
ieu de leurs maiitons^ils peuplent des tombeaux. 

endant ils pensoient , perpétuant leur nom , 

Qu'éternels en leur» races , 
iourroient prolonger, jusqu'aux dernières traces 
monde consumé , leur gloire et leur renom. 

bras du Tout-puissant de l'enfer abymé 

Délivrera mon âme , 
recevant à soi aussi tost que la lame 
vomira mou corps de rccbef animé. 

is quand pour les méchants le jour s'esclipsera , 

De b'ur richesse altière 
ne remporteront que \va ais d'une bière, 
leur gloire au tombeau ne les assistera. 

soudain qu'ils ïcrout dans l'enfer àrrestés, 

Compagnons de leurs pères , 
•rès avoir quille leurs grandeurs passagères^ 
pleureront long-temps leurs courtes voluptés. 






320 '• B. GHASSIGUBT. 



ODE SAGRÉB. 



Son que du beau soleil la perruque empourprée 

Bedore de ses rais ceste basse contrée ; 

Soit que la nuit du monde eflTace les coolenn , 

J'exalterai le jour, ta louange sacrée , 

La nuit, je chanterai ta gprftce et tes valeurs. 

Quoi I les ingrats pescheurs, dépourvus de science, 
Ne se tourneront point devers ta sapience , 
Ne reconoaistront point tes hauts faits merveilleai: 
Innombrables hauts faits que par expérience, 
Tu révèle aux petits et cache aux orgueilleux. 

Ils ne connoistront pas que les ouvriers iniques 
De toute impiété , fleurissent magnifiques , 
Sur l'avril de leurs jours, enTichesse et splenâenr; 
Gomme on voit au printemps, es campagnes rustiqaef« 
Les herbes s'esmailler de grAce et de verdeur. 

Mais qu'ils meurent aussi au Janvier de leur âge , 



POESIES OIVEBSES. 211 

ans honneur, sans crédit , comme le verd herbag;e 
e fane au premier froid de l'hiver casanier , 
lorsqu'on le voit changer de teint et de TÎsage , 
;t perdre en un moment son lustre printannier* 

*oar moi, Seigneur , lavé dedans l'huile d'oËye 
Aa fsce reprendra une couleur plus Tive , 
ja bouche un teint plus gai, l'œil un ris plus gaillard, 
l'aurai le chef moins gris , la marche plus hastive» 
)'àge plus que de corps langoureux et vieillard. 

Cependant l'homme droit fleurira de la sorte 
(}u*anprès de Jéricho fleurit la palme forte, 
Que le cèdre fleurit au Liban bocageuz ; 
Le vent ni la chaleur aucun coup ne lui porte , 
V^erdoyant au milieu des hivers orageux. 

La plante qui prendra dans la maison divine 
Du Seigneur nostre Dieu , une ferme racine » 
Se vestira de fleurs, parera de rameaux, 
Sans redouter des vents la tempeste mutine. 
Ni le chaud de l'esté ni le desbord des eaux. 

Le cours du temps goulu ne i>ourra rien sur elle« 
La jeunesse sera sans vieillir éternelle ; 
Lci» oisillons du ciel y viendront faire bruit ;* 
Son ombre allégera le paysan qui pantelle , 

>9- 



%%2 J- »• CU4SS1GHBT. 

Donnaot en ta saison et la feailie et le fruit. 

Les plantes estendant leurs racines profoadcs, 
En la maison de Dieu engendreront , fécondes. 
Gomme leurs devanciers, un grand nombre d'enfanU. 
Sans que des ans rongeurs les courses vagabondes 
Effacent la verdeur de leurs chefs triomphant». 

Les enfants nouveaux-nés, admirant la sagesse 
De Dieu le créateur, annonceront sans cesse, 
Par les quatre climats de ce bas univers, 
La grandeur de ses faits « le fruit de sa promesse, 
Qui provignant les bons ; extirpe les pervers* 



WSaw»lBBV 



POKSIES Dn-EESES. 2^3 



ODE SACRÉE. 



:inla , Seigneur, ont fait contre tes Saint 
aptieux projets, maints sinistres desseins, 
Mainte noire entreprise ; 
eurs faux conseils, ce lacUeut, inhumains, 
lier tes conseils et pcidre Ion Égiibe* 

lilauts de Tyr, voire les Syriens, 
tnus au secours des peuples anciens 

Qui de Lot ont pris source , 
irant tous ensemble k trouver les moyens 
1er les Hébreux au milieu de leur course. 

cirant tous eubemble à fourrager leurs champs > 
ivr leurs cités, moissonner leurs maicbands 

Au traachaut de leurs glaivet> , 
Hier IturH autels et repeupler « wécUauts,. 
ibeiceauid'ur^ihelinset leurs couches de veuves. 

i vendange, Seigucur, ces nombreux bataillons , 
âme autrefois Moab vif sur les verds sillous 



234 '• ^' CHÂSSIGNET. 

MmMonDCr ses gens d'armes , 
Qatnd Gédéon yainqneor gagnant ses paTillcps, 
Divisa son butin et partagea ses armes. 

Vendange-les, Seigneur, de la même façon 
Qae tu fauchas jadis an torrent de Gisson 

Et Jabin et Sisarre , 
Qnand, i'épée au côté et la lance à l'arçon, 
lis menaçoient Isac d'un serrage barbare. 

Leurs bandes, autrefois si pompantes d'orgueil, 
Mortes parmi les champs sans larmes et sans deuili 

Restèrent diffamées, 
( Objet cruel à voir 1 ) et n'eurent pour cercueil 
Que le ventre glouton de b estes affamées. 

Précipite leur troupe , 6 Père tout puissant , 
Gomme du haut sommet d'un roc âpre et gtissaat 

Roule une forte roue, 
Gomme un festu de paille ou monte ou redescend, 
Sous le souffle divers de l'autan qui s'en Joue , 

Alors ils connoitront qu'à toi seul appartient 
Tout ce que la rondeur de la terre contretieot, 

Tout ce que l'air enserre , 
Tout ce que la mer même en ses vagues retient, 
T'appdant le Seigneur du ciel et de la terre. 



po^ttss DiTsusKs* aaS 



SONNET. 



tvez beau croupir en l'humaioe carrière» 
Qps de Tostre mort tous ne diminuerez ; 
lussi longuement endormis tous serea 
i vous estiez morts en voyant la lumière* 

i finit la vie, elle est toujours entière ; 
ue du temps futur mourant tous laisserez > 
:oit non plus à tous , que les ans expirez 
it d'être conceus au sein de Totre mère. 

meurt aTant son jour; peut-estre au mesme temps 
I TOUS rendes l'esprit , mille antres moiosconjtenta 
sentent de la mort l'homicide rudesse. 

stîmeries tous pas les pèlerins bien fous 
lUer sans sacan but f chétifs , et pensîez-TOus 
irriTer jamais là oh tous couriez sans cesse* 



2A6 j. b. ghassignet. 



aasBi 



SONNET. 



$Ai6-To que c'est de vivre f Aatant comme passer 
Un chemin tortnenx'; ore le pied te casse, 
Le genou s'affaiblist, le mouvement se lasse ; 
Et la soif vient le teint de la lèvre effacer. 

Tantost il t'y convient un tien ami laisser, 
Tantost enterrer l'autre ; ore il faut que tu passe 
Un torrent de douleur, et franchisses l'audace 
D'un rocher sourcilleux , fascheux à traverser. 

Parmi tant de destours , il faut prendre carrière 
Jusqu'au fort de la mort ; et fuyant .en arrière , 
Nous ne fuyons pourtant le trespas qui nous suit. 

Allons y à regret , l'Éternel nous y traisne ; 
Allons y dé boa cœur , sou vouloir nous y mène : 
Plutôt qu'estre traisné , mieux vaut estre conduit. 



PH. DESPORTES. 



PH. DESPORTES. 



4/W«WV% VM W\««VVWW««VW«WWMfMMW««>«% MMW«V«A%W«MM%«WVWVW« 



COMPLAINTE. 



La terre • nagnères glacée , 
Est or<» de verd tapieaée : 
Son 9eia est embelH de fleurs ; 
li'aîr est encore amoureQx d'elle ; 
Le ciel rit de la yoir si belle, 
Et moi j'en augmente mes pleurs. 

Ores l'amant sent dedans Tâme , 
Pleuvoir des beaux yeux de sa dame 
L'espoir, qui plus doucement point:, 
Et l'oeil , dont je pleure l'absence , 
M'a privé de toute espérance ; 
LasI je crains , et n'espère point 1 

O belle jeunesse du monde , 
Des désirs la source féconde, 

ao7 



d3o PW. DKSPO&TKS 

Mère des nouvelles amours, 
De tout runÎTers reconnue , 
Qae me sert ta douce Tenue , 
Si mon hiver dure toujours ? 

Reine des fleurs et de l'année , 
Toujours pompeuse et couronnée ; 
Doux soûlas des cœurs oppressés , 
Partout où tes grâces arrivent. 
Les jeux et les plaisirs te suivent : 
Les miens , où les as-tu laissés F 

Quand je vois tout le monde rire , 
C'est lors qu'à part je me retire , 
Tout morne , en quelque lieu caché , 
Gomme la veuve tourterelle , 
Perdant sa compagne 6déle , 
Se branche sur un tronc séché. 

Le soleil jamais ne m'éclaire ; 
Toujours une horreur solitaire 
Couvre mes yeux (|e son bandeau : 
Je ne vois rien que des ténèbres ; 
Je n'entends que des cris funèbres ; 
Je n'aime rien que le tombeau ! 



POÉSIES DITKRSBS. u3l 



CHANSON. 



O bienheureux qui peut passer sa vie 
Entre les siens, franc de haine et d'envie , 
Parmi les champs , les forêts et les bois , 
Loin du tumulte et du bruit populaire , 
Et qui ne vend sa liberté pour plaire 
Aux passions des princes et des rois l 

Il ne frémit quand la mer courroucée , 
Enfle ses flots, contrairement poussée 
Des vents émus soufflant horriblement, 
Et , quand la nuit à son aise il sommeille, 
Une trompette en sursaut ne l'éveille 
Pour l'envoyer du lit au monument. 

a) 

L'ambition son courage n'attise ; 

D'un fard trompeur soq âme il ne déguise ; 

II' ne se plaît à violer sa foi ; 

Les grands seigneurs sans cesse il n'importune 

Mais , en vivant content de sa fortune , 



23a »■• DBSPOaTKS. 

Il est M cour, sa favear et son roi. 

Je TOUS rends grftce 9 6 déités sacrées 

Des monts , des eaox » des forêts et des prées , 

Qui me prives de pensers soacieuK , 

Et qui rendez ma volonté contente , 

Chassant bien loin la misérable attente , 

Rt le désir des cœurs ambitieux! 

Dedans mes champs ma pensée est enclose; 
Si mon corps dort , mon esprit se repose ; 
Un soin cm/ei ne le ta dévorant : 
An pins matin la fraîcheur me soulage ; 
S'il fait trop chaud je me mets 4 l'ombrage » 
Et s'il fait froid je me chauffe en courant. 

Si je ne loge en ces maisons dorées > 
Au front superbe , aux voûtes peinturées 
D'aaur , d'émail , et de mille couleurs » 
Mon œil se patt des trésors de la plaine , 
Riche d'œilleta , de Ijs, de marjolaine , 
Et du beau teint des printanniéres fleurs. 

Dans les palais enflés de vaine pompe , 
L'ambition , la faveur qui nous trompe 9 . 
Et les soucis logent communément : 
Dedans nos champs se retirent les fées » 



PO^^IKS DITEESBS. 233 

Reines des bois» à tresses décoiffées» 
Les jeux, l'amour et le coAteatem^t. 

Ainsi Tiyant , rien n'est qui' ne m'agrée y 
J'ois des oiseaux la musique sacrée, 
Quand au matin ils bénissent les cieni ^ 
Et le doux son des bruyantes fontaines , 
Qui Tont coulant de ces rocb^s bautaînes, ^ 
Pour arroser nos prés délicieux. 

Que de plaisir de voir deux colombelles 
Bec contre bec , en trémoussant des ailes y 
Mille baisers se donner tour à tour F 
Puis tout ravi de leur grAce naïve , 
Dormir au frais d'une source d'eau TÎTe , 
Dont le doux bruit semble parler d'amour I 

Que de plaisir de voir sous la nuit brune , 
Quand le soleil a fait place à la lune , 
Au fond des bois les fées s'assembler , 
Montrer au vent leur face découverte. 
Danser, sauter , se donner cotte verte. 
Et sous leur pas tout l'herbage trembler 1 

Ainsi la nuit je contente mon âme : 
'Mais quand le jour de ses rais nous enflamme , 
3*es8aie encor mille autres jeux nouveaux : 



a34 '■• DKSFO&TBS. 

Oirenemeot met plaisirs j'entrelace; 
Tantost je pêche, oa je Tais à la chasse, 
Tantost je dresse embuscade aux oiseaux. 

Douces brebis , mes fidèles compagoes , 
Hayes , buissons ^ forêts , prés et montagnes , 
Soyez témoins de mon contentement. 
Et TOUS, ô dieux , faites , je tous supplie, 
Que cependant que durera ma vie , 
Je ne connoisse un autre changement. 



* 



POÉSIES DIVERSES. ^55 



A SAINTE AGATHE . 

Vierge ct martyre. 



Quel saîsbsement devoit prendre 
Les cœurs des botirreaux inhumains 9 
De ▼oir que ta jeunesse tendre 
Désarmât leurs cruelles mains? 
Plus s'accroît leur rage insensée , 
Plus se Toit ta force augmenter ; 
Des tourments tu n'es point lassée : 
Eux sont las de se tourmenter. 

Si rien te déplaît dn^supplice, 
C'est que tu l'estimes trop lent , 
Et le feu de ton sacrifice 
A ton gré n'est assez brûlant ; 
Aussi, dans ta chartre inhumaine ^ 
L'amant de ton cœur soubailé, 
Du triomphe honore ta peine, 
Et ta mort d'immortalilé. 



a36 PH. DKSPOATES. 



CHANSON. 



DouoB liberté désirée , 
Déesse , ob t'es-ta retirée , 
Me laissaot en captivité F 
Hélas 1 de moi ne te détourne 1 
Retourne , 6 liberté , retourne » 
Retourne^ ô do^ce liberté 1 

Ton départ m'a trop fait connoltre 
Le bonheur où je soulob^tre. 
Quand douce tu m^allois guidant » 
Hélas ! sans languir .davantage , 
Je devois , si j'eusse été sage , 
Perdre la vie en te perdant. 

Depuis que tu t'es éloignée , . 
Ma pauvre Ame est accompagnée 
De nùlie épineuses douleurs : 
Un feu s'est épris en mes veines , 
Et meê yeux , changés en fontaines. 
Versent du sang au lieu de pleurs. 



POisiSA DIYK&SES. 2 3^ 

Le rep<M ^ les {eux , la iiesie. 
Le peu de soin de U jeanefM» 
Et toos les plaisirs m'ont laine a 
Maintenant rien n« me peut plaire 9 ' 
Sinon, déTOt et solitaire ^ 
Adorer l'œil qai m'a blessé. 

D'antre sojet je ne compose ; 
Ma Qiain n'écrit pins d'antre chose ; 
Là, tont mon seovice est rendu ; 
Je ne puis suivre une antre voie ; 
Et le peu de temps que j'emploie 
Ailleurs, je l'estime perdu. 

Quel charme, ou quel dieu plein d'en fie, 

A changé ma première Tie, 

La comblant d'infidélité? 

Et toi liberté désirée , 

Déesse, où t'es-tu retirée? 

Retourne, 6 douce liberté. 

Les traits d'une jeune guerrière , 
Un port céleste , une lumière , 
Vn esprit de gloire animé , 
Haut discours , divines pensées , 
Et mille vertus amassées. 
Sont les sorciers qui m'ont charmé. 



238 PH. DESPO&TBS. 

Las 1 doac sans profit je t'appelle,. 
Liberté précieuse et belle ! 
Mon cœur est trop fort arrêté. 
En vain après toi |e soupire , 
Et crois que je te pois bien dire i 
Pour jamais adieu , liberté 1 



poistis ormsBS. nig 



D'UNE FONTAINE. 



Gbttb fontaine est froide , et son eau donz' coulante, 
A la couleur d'argent , semble parler d'kmour , 
Un herbage mollet reverdit tour à tour , 
Et les aunes font ombre à la chaleur brûlante. 

Le feuillage obéit à Zéphyr qui l'éTente} 
Soupirant amoureux en ce plaisant séjour : 
Le soleil clair de flamme est au milieu du jour, 
Et la terre se fend de l'ardeur violente. 

Passant , par le travail du long chemin lassé ; 
Brûlé de la chaleur, et de la soif pressé. 
Arrête en cette place où ton bonheur te. mène ; 

L'agréable repos ton corps délassera ; 
L'ombrage et le vent frais ton ardeur chassera » 
Et ta soîf te perdra dans l'eau de la Fontaine. 



a4o *B. ncspoKTBs. 



SONNET. 



IcAiB chût ici : le jeone andacieux , 
Qui pour voler au ciel eut assez de courage 1 
Ici tomba son corps dégarni de plumage , 
Laissant tous les grands cœurs de sa chute enn'evi. 

O bienheureux travail d'un esprit glorieux , 
Qui tire un si grand gain d'un si petit dommage ! 
O bienheureux malheur, plein de tant d'avantage 
Qu'il rende le vaincu des ans victorieux î 

Un chemin si nouveau n'étonna sa jeunesse ; 
Le pouvoir lui faillit , mais non la hardiesse ; 
Il eut, pour le brûler, des astres le plus beau. 

Il mourut poursuivant Une haute aventure , 
Le ciel fut son désir, la mer sa sépulture : 
Est-il plus beau dessein , on plus riche tombean ? 



poisns DiTsasBS. a4i 



SONNET. 



scRxHCHs qui Tondra les apparents honneurs, 
ts ponapes , les trésors, les faveurs variables, 
iê lieux haut-éle?ez , les palais remarquables , 
itraites de peosers, d'ennuis et de douleurs. 

time mieux voir un pré bien tapissé de fleurs , 
rrosè de ruisseaux au vif-argent semblables , 
t tout encourtiné de buissons délectables, 
)ur l'ombre et pour la soif durant les grant chaleurs. 

ï» franc d'ambition , je vois couler ma vie , 
lus envier aucun , sans qu'on me porte envie , 
oi de tous mes désirs , content de mon parti. 

t ne m'enivre point d'une vaine espérance, 
OTtune ne peut rien contre mon assurance, 
•t mon repos d'esprit n'est jamais diverti. 



ai7 






J. BERTAUT. 



J. BERTAUT. 



%00¥f^MyiMin^0*nnMiM^f¥t^^M^^M*^^n^tv^^^^iyy¥W¥^^^y^t^MV*A>^w*M^y^ 



ODE SACRÉE. 



BiBH heoreui eat celui qui, parmi les délices 
Dont le monda a sacré le poiaon de tes vîcea, 
Et paraat tant d'appÉta 4 mal faire aUéchants , 
Régît n prademment les désirs de son ftme , 
Qae nol secret remords son coarage n'eotaiiie 
Pour afoir angmenté le nombre des méchants. 

Qni n'admire en son cœar rien qui soit sons la lune ; 
Qai ne fait point hommage an sceptre de fortune ; 
Qol ne lui laisse aroir nul empire sur soi ; 
Qui vraiment et d'effet est ce qu'il Tent paroistre ; 
Qui de nnl maistrisé , de soi-mesme est le maistre » 
Régnant sur ses désirs, et leur donnant la loi; 

Qui , lisant jour et nuit des yeux de la pensée 
La loi du Tout-Puissaot en son finie tracée , 
Conçoit de beaux désirs , produit de beaux effets , 

21. 



i^ffi J. BERTAUT. 

Et de qui le courrage , abhrraot la vengeance , 
D'uD volontaire oubli noie en sa souvenance 
Les torts qu'il a reçus et les biens qu'il a faits l 

Cet bomme là ressemble à ces belles olives 
Qui du fameux Jourdain bordent les Tertes rives, 
Et de qui nul biver la beauté ne destruit : 
Les ruissclets d'eau vive autour d*eUes gasouilleot, 
Jamais leurs rameaux vertsieur printemps ne despoiL^ 
Et toujours il s'y trouve ou des fleurs ou du fruit. 

Nul effroi , nulle peur en sursaut ne l'éveille : 
Endormi , Dien le garde ; éveillé, le conseille; 
Conduit tous ses* desseins au port de son désir: 
Puis fait qu'en terminant son beureaae vieillesse, 
Ge qu'il semait en terre avec peine et tristesse, 
Il le recueille au ciel en repos et plaisir. 

Il n'en va pas ainsi de celui qui mesprise 
Et la loi du Seigneur et la voix de l'Église , 
Soi-mesme étant son dieu , son église et sa loi: 
Sa pluSi parfaite joie en douleurs est féconde; 
Et , bien qu'il sembk: avoirjson paradis au mondci 
Il porte, malheureux, son enfer dedans soi. 

Ni pompe , ni grandeur, ni gloire , ni puissance. 
Ne sçaurûient détourner le glaive de vengeance 



POÉSIES DITBESCS. 247 

idant dessus son chef anz mains de l'Éternel, 
qui l'inévitable et sévère justice 
t qu'il est à toute heure, en un même supplice, 
smoin, juge et bourreau , non moins que criminel. 

n 9 les fiers aquilons , de leur venteuse haleine , 
promènent pas mieux sur le dos d'une plaine 
paille rencontrée au champ du laboureur 

te Dieu le poursuivra sur le front de la terre^ 

Jamais son pouvoir, lui déclarant la guerre , 

lange sa patience en ardente fureur. 

jis , quand viendra le jour, le jour épouvantable , 
ù les peuples , jugés par sa bouche équitable , 
.>ront de leurs forfaits eux-mêmes desceleurs; 
lors le misérable , envoyé pour pasture 
a feu qui sert là bas aux âmes de torture , 
aira s«8 courts plaisirs d'éternelles douleurs. 



« 



a48 '• BBmvikUT. 



CHANSON. 



Lu oieox inexorables 
Me sont n rigoarenz*, 
Qae Je» plus misérables » 
Se comparant 4 moi , se tronveroient benreu. 

Mon Ut est de mes larmes 
Trempé toutes les units , 
Et ne peuvent ses charmes. 
Lors même ^e je dors , endormir mes ennnis. 

Si )e fais quelque songe , 
J'en sois épouvanté; 
Car même son mensonge 
Exprime de mes maux la triste vérité. 



Toute paix , toute joie 
A pris de moi congé , 



POESIES BLVSJlSIUi. ^49 

Laissant mon âme en proie 
cent mille soucis dont mon oœvr est TOngé. 

Llngratittide paye 
Ma fidèle amitié ; * 

La calomnie essaye 
rendre mes tourments indignes de pitié. 

En un cruel orage 
On me laisse périr; 
Et , courant au naufrage , 
e Toîs chacun me plaindre , et nul me secourir* 

Et ce qui rend plus dure 
La misère où je vi. 
C'est es maux que j'endure 
ift mémoire de l'heur que le ciel m'a ravi. 

Hélas I il ne me reste 
De mes contentemena 
Qu'un souTenir funeste , . v 

"jm me les convertit ^ toute heure en tourmens 

Le sort plein d'injustice 
M'ayant epfin rendu 
Ce reste un pur supplice , 
le serois plus heureux si j'avois tout perdu. 



-j 



aSo '• BE&TAUT. 

Félicité passée 
Qui ne peux revenir , 
Tourment de ma pensée , 
Que n'ai-je , en te perdant , perdu ' 



REGNIER. 



% v: 



REGNIER. 



'»^A%w<«v»^%»All¥»%%f%^'»M^^%¥»^»»^^<»%M>v»»v»»W»m>»»^«^»%M^» 



SATIRES. 



LA VIE DE LA COUR. 



[ABQeiSy que dois- je Faire en cette incertitade? 
^ois-je , las de coarir , me remettre à l'estade , 
ire Homère , Aristote , et , disciple nouveau , 
rianer ce que les Grecs ont de riche et de beau ; 
[estes de ces moissons que Ronsard et Desportes 
^nt remporté du champ sur leurs espaules fortes ; 
Qu'ils ont comme leur propre en lenr grange entassé , 
Ssgallant leurs honneurs aux honneurs du passé ? 
hi «i continuant à courtiser mon maistre , 
e me dois jusqu'au bout d'espérance repais tre , 
Ittirtisao morfondu, frénétique et resveur, 

2a' 



a 54 lEQVIEB. 

PortTtit de ta disgrâce et de la défaTeur ; 
PaU, MOI aToir du Mea , troablé de resverie , 
Movrir demu un eoffre en niievhosifeellerie , 
Eu Toscane, en Savoie, ou dans quelque autre U 
Sans pouTOtr faire paix ou tresse avecque Dieo \ 
Sans parler' je t'entends : il fiiqtt ànivre Torage ; 
Aussi bien on ne peut où choisir avantage. 
Nous vivons à tastoos , et dans ce monde ici ' 
Souvent avecq' travail -on poursuit du souci : 
Car les dieux , courrouces contre la race humaine/ 
Ont mis avecq' les biens la sueur et la peine. 
Le monde est iin brélaà o& tèut ekt coliftmdo. 
Tel pense avoir gaigné , qui souvent a perda ; 
Ainsi qu'en une blanque uù par hazard on tire ; 
Bt qui voudroit choisir souvent prendroit le pire: 
Tout despend du destin , qui , sans avoir égard, 
Les faveurs et l^ hiens en ce monde despart. 

/ Mais puisqu'il e^t aînn qi^e le sort qous emporte ^ 
Qui voudroit se bander contre une loi si foctef 
Suivons doncq' sa conduite en cet avei^lemeat; 
Qui pèche avecq' le ciel, pèche honorablement ; 
Car penser s'a(ri;ai;vcUr» c'est une re&verie : 
La liberté par sopge ^la terre est qhérie. 
Rien n'est libre en ce (ppnde^et plaque homme dqia 
Comtes , priac^., su^tiins^ 4e <m«lqae #D|i« plw gd 
Tous les hommes viTfnt^viKmi iqihas esclavwi 



Ljs sui^apl oe^'Uf 9ùn% îb dUfirctti d'aiilr«f îm ; 

un9 Ui» pQfftQillt 4'oiv tt 1m autresdè lier :. 
ts, n'en desplsifleans wcHjtyiûlaippUlésopber) 
kaat de beattx «s^riU qo^oiii IH tai kartescoècli 
sr 0'iAaookir l'w^t , nâ som que des pamfe» 

. joug Doqs fom^Bieft nom, «I n'a î&fBais esté 
»inme qii'^M ait ven ifinreJan plttiiie liberté. 

& Tain me retirant ^ncloa «a «ae e«tiid») 
tnserois-je laisser ,1e joug de servitude ; 
itanft serf du d^sir d'aypreadre el d4 sçaTOÎi^ 
s ne ferois sÂu^a q¥^ eèa«|per de devoir, 
'est ravrestdf^ sature» &I |»er!S0Bae oftce moad» 
e Bçauroit pctptrolei: sa sagi^Me profoode. 

4 

nia , qi^e peut-il servir aux upfftels ici bas p 
[arquis , d'estre sçavantSj ou de ne l'estre pas, 
i la scieace, pi|aTx« , affr^usD et nesprûiéB» 
ert aif peuple de lable, a«X plus gijaadade risées 
îi les gens de iatia dea sot» «Qat dénigrea * 
It si l'on n'est docteur sans preadre i^es degirez ? 
*ourTeu qu'on soit mocgaat^qu'qabrijde sa moustache» 
l a'on frise ses cheT^ox, q«'on poite on ffWîafi paaaobe, 
Ju'oD parle barragouin , et qu'on suive le vent » 
In ce temps d'aajo^'bnjii l'op n'es^qHatiCif^.'ifdTawt. 



a5& Ksomsa. i 

i 

]>■ ilècke lef mignons , fiU de la ponlle blaaclie^ 
Retiennent à lenr gré It fortune en la manche ; 
En cxedit edoTCS ils disposent de toat. 
Et n'entrepiement rien qu'ils n'en viennent à bat 
Mais qvoil me diras-^tn, il t'en faut autant faire; 
Qui ose a peu souvent la fortune contraire : 
Importune le lioavre et de |#nr et de noict : 
Peids ponr t'assujettir et la table et le Uct r 
Sois entrant , effronté ; et sans cesse importune : 
En ce temps l'impudence eslève la fortune. 

Il est vrai ; mais pourtant Je ne soir point d'avis 
De desgager mes {ours ponr les rendre asserris. 
Et soos un nomrel astre aller, nouveau pilote, 
Conduire en antre mer mon navire qoi flotte 
Entre l'espoir du bien , et la peur du danger 
De froisser mon attente en ce bord estranger. 

Car pour dire le Tray, c'est un pays eatrange. 
Où comme un vraiProtée à toute heure on sechange. 
Où les lois , par respect sages humainement, 
Confondent le loyer avecq' le chastiment ; 
Et ponr un mesme fait, de mesme inteltigense^ 
L'un est jnitîoié , l'antre aura léoompence. 

Car selon l'intèrest , le crédit on l'appui , 

Le crime se condamne et s'absoat anjourdlmi» 



SATIAES. ^5y 

e le dis sans confondre, en ces aigres remarqaeffy 
^a cSénience da roi , le miroir des nionarqaes, 
^ui , plus grand de Tertu , de cœur et de renom, 
(*est acquis de clément et la gloire et le nom. 

L>T, qnant à ton conseil qu'à la cour je m'engage , 
f ef n'en ai pas l'esprit , non plus que le courage. 
11 faut trop de sçaroir et de civilité , 
!Et , si j'ose en parler, trop de subtilité. 
Ce n'est pas mon humeur : je sun mélancolique ; 
J e ne suis point entrant ; ma façcMi est rustique ; 
"Et le surnom de bon me va-t-on reprochant, 
D'aatanI que je n'ai pas l'esprit d'estre meschant» 

£t puis , je ne sçanrois me forcer, ni me feindre ; 
Trop libre en volonté, je ne me puis contraindre»^ 
Je ne sçaurob flatter, et ne sçai point comment 
Il faut se taire aecort , ou parler faussement , 
Bénir les favoris de geste et de parolles. 
Parler de leurs ayenz au jour de GerizoUes, 
Ses hauts faits de leur race , et comme ils ont acquis^ 
Ce titre avecq' honneur de ducs et de marquis. 

Je n'ai point tant d'esprit pour tant de menterie. 
Et ne puis m'adonner à la cageollerie.... 

Il faut astre trop prompt, esrrire ii tous propo»,. 

2U. 



P«rdr« f09T ma MVM^t et toinipflA ^ repos. 
Pois ma m«s9 e$% trop cbMte, et j'ai trop de conia^ 
Je ne puis pouk autrui façonner un ouvrage. 
Pour moi j'ai de l» pour autant copuue il m'en faat : 
Le vol de mon dessein ne s'estend point si haut : 
De peu je suif content % encovo que luoo maîstre , 
S'il lui pUisoit an jour mou t^Taii ceoo|MM>itfTe, 
Peut autant qu'autre prinoe, et i^trop de majen 
D'eslever ma fortu^ et uie faire du l^iei^ 
Ainsi que sa uetuipe à la vertu faç^t^ 
Promet (|q« mou lai>euf «e doit es^ îputijba 
Et qu'il doit quelque jour» malgré I0 aûrt çui^uit, 
Mon aerrioe iioenrer d'un b#uneafee pr^seut ; 
Honneste, et convenable à ma basse fortune, 
Qui n'ahtaye et «"iMpire» al^si que la ooDuouna, 
Aprèe l'oc du Fécôu 1 ni ne teud aux benueurs 
Que Rome départit sMn vertus des aelgu^wf « 
Que me seit de m'asseoir le premier à U t^le. 
Si la faim d'en utoir me rend iasatiablfrt 
Et si le faix légeif d'Une dott^kévesçhé » 
Me reudaat lumnseoBtent, meMiad plut empescW; 
Si la gloffe et la ehsprge k la peÂue adoniiée 
Rend souz l'ambition mon ame infortunée F 
Et qua&d la servitude a priallioiAïue «u eolet , 
J'estime que le pHuOe est mOiUs que soh vaUt. 
C'est pourquoi je ne tends à fortune si grande : 
Loin de l'amlntieu, U rtifçu «necomievude* 



le prétends «voi^aDlroaboteytfmon 

un simple bénéfice, et quelque pea de nom , 

» de pouvoir yiyr« avec q««lqiie< asteoravce i 

de m'otttéir moi» bien ^verpo^att comcieacc. 

rs vraiot^eot heureux « lea UvresPe aiUctaai , 

rendroîA (non déûr et monaspiit coatoait* 

r sans le reveou Taatwle bdu» abuf», 

le corps ne se paist aux banquets de la muse. 

s mets août 4« 4$?;«oir diacourii' p%r raiéoii 

m me )'ame se mçot uu temps eu «$ priaMi; 

comme délîTré» eU^iuoot^ dhiu^ 

I ciel , lien d^ sou estre el de sou orî^ne ; 

>mme le ci«l mobilf , éteruel eu son 0Qqr<4« 

ûl les siècles , les ans , et les rn^s, et les jours; 

>iume bux quatre éléuieuts Us muiiétes eucluiiea 

onnent, oomme la mon, la yle A toutes choses; 

jmme premièrement lea hoututta diaperses 

tirent par l'harmonie eu troupes amassez ; 

t comme la mtliee» eu leur mu6 glisAè^ > 

roubla de nos Ayeux l'iunoceute pensée ^ 

'oii nasqnireut les lois , les honrgq» et lei clte^» 

our servir de g4Mirmette k l^urs nieschaqoét^A ; 

omme il# furent enfiu réduits soux un empire ; 

;t beaucoup d'autres plats , qui seroieut Uogs k dire. 

It quand ou en sçauroit c« que Platon eu sçait, 

larquis , tu n'eu serois pUii gius , ni plus refait. 

lar c'est uœ viaude «n esprit consommée y 



Légère à l'eftomtoh , aiiui que U famée. 

SçaU-to , pour sçftToir bien, ce qn'îl noos faut sçardij 
C'est s'affiner le goost , de cognoîstre et de voir , 
Apprendre dans le monde et lire dans la vie 
D'autres secrets plas fins que de philosophie. 
Et qa'aTecq' la science il font un bon esprit. 

Or entends à ce point ce qn*nn Grec en escrit r 
Jadis nn loup, dit -il, qoe la faim espoînçonne, 
Sortant hors de son fort rencontre nne lionne. 
Rugissante à l'abord, et qni monstroit aax dent» 
L'instftiable faim qu'elle aroit an-dedans. 
Furieuse elle approche ; et le loup qui Padrise, 
D'un langage flatteur lui parle et la coturtise : 
Car ce fut de tout temps que , ployant sod9 l'effort, 
Le petit cède an grand, et le foible au plus fort 

* 

Lui, dis- je , qui craignoit que , faute d'autie proie, 
La beste l'attaquast, ses ruses il emploie, 
Mais enfin le hazard si bien le secourut , 
Qu'un mulet gros et gras è leurs yeux apparut. 
Ils cheminent dispos., croyant la table preste, 
£t s'approchent tous deux assez près de la bestr. 
Le loup qui la cognoist , malin et deffiant. 
Lui regardant eux pieds, lui parloit en riant ; 
D'où es-tu ? qui cs-tu? quelle est ta noufriture,. 



SATIRES^. là&t 

t race , ta maison j ton maistre , ta natare? 

; mulet , étonné de ce nonteau discourt, 

e peur ingénieux j aux roses eat recours ; 

t, comme les Normands , sans lui respondre, Voire t 

ompère , ce dit-il, je n'ai point de mémoire, 

t comme sans esprit ma grand' mère me fit , 

uns m'en dire autre chose, au pied merescriyit, 

lOrs il lèTe la jambe au jarret ramassée ; 

\t d'un oeil innocent il couvroit sa pensée , 

»e tenant suspendu sur les pieds en avant : 

^e loup qui l'aperçoit se lève de devant, 

>'cxca8ant de ne lire avecq' ceste paroUe , 

2ue les loups de son temps n'alloient point àreseolle^ 

Juand la chaude lionne , à qui l'ardente faim 

Vlloit précipitant la rage et le dessein , 

J'approche, plus sçavante, en volonté de tire. 

Le mulet prend le temps, et du grand coup qu^il tirey 

Lui enfonee la teste j et d'une autre façon , 

Qu'elle ne sçavoit point , lui apprit sa leçon» 

AlIots le loup s'enfuit , voyant la beste morte, 

Et de son ignorance ainsi se reconforte : 

N*en desplaise aux docteurs, cordetiers, jacobins,. 

Pardîeu, les plus grands oiers ne sont pas les plus fins.. 



a$2 EEGSUm. 



LA POÉSIE 



TOUJOURS PAUVRE. 



MoTiH , la rnive eit morte , oa là finreni! povr dte. 
En vftin deMOi Pansuse Aîpolkm on a{»peUe, 
Ea vaia ptt» tè^ ▼«iUetf on ûc^v^att en dçaro^. 
Si fortuDt'/aa Mocqaes et s'otf ne peut avoir 
Ni honneur , ni crédit, non phii^ qae si not peioen 
Estoientftibles du peuple inutiles et vaincs. 
Or Ta , lopif a^toiia teste; et et joui< et de aaict 
PalUs dessus nn livra > à Fappétit d'un bAiiot 
Qui nous hooope ap^è^ que nous sommes aonf teire^ 
Et de te voir paré de trois brins de lierre. 
Comme s'il importoit , esfeaqt ombras Jâh-bas^, 
Que nostre nom veaçust, on qn'iitf ne vesousl pa^ 
Honneur h^s de siaisos, iauttle mérite, 
Qoé vivants noai9 ttabit , eti qui «Mtta oohjs profile ] 
Sans soin de l'avenir je te laisse le bien , 
Qui vient 4 contre-poil alors qu'on ne seot rien , 



SATIRES. !l63 

t que nostre vetjLn engendre Dostse bonté. 

loncq' par d'autres noyensà lu Qour familieM» 
*ar ▼îce , ou par vertu , acquerons]dea lauriers, 
'uifi qu'en ce monde ici on n'en fait diffèrenoe , 
îlt que souvent par l'un l'autre se récompense. 
ippreoons A mentir^ myiîs d'une antre façon 
Que ne fait GfflUope.i «uiib^Ugeantsa^bansen 
Du voile d'ujaie fftbU » afin que son myatëre 
Se soit ou v,eït4i vous., nico^u du vulgaire. 

Apprenons à iiKeiitir,<nos.plrcqpos desguîser, 

A trahir nos amis , nos ennemis baiser ; 

Faire la oeùr aux grands, et dans leurs antichambre». 

Le •cht^enu daiM la main, nouiteuir sur naawembres. 

Sans Q^r ni cracher , ni touasir y -ni s'asseoir , 

Et , nous couchant an jouri, leur donner le bon soir. 

Car puis que la ibrtune aveuglement dispose 

De tout,*peut estre enfio aurons-nous quelque chose 

Qui pourra destourucur l'ingrate adversité : 

Par uo bien incertain à tmtCMis débité , 

Gomme ces courtisans qui, s'en faisant accroire , 

N'ont :poînt d'«ntFe vertu, siuon de dire» Yoîre. 

Or, lainons doncq' U rause^ Apollon , et ses yfem 
Laissons le luth, la lyre , €ft c«s Qtfllls dirers 



[ 



DQDt Apollon nois flatte ; ingrate frénésie , 
Puif qae paoTre et qniàmande on voit la poésie, 
Ofa j'ai par tant de nnicts mon travail occupé. 
Mais quoi 1 je te pardonne ; et si ta m'as trompé, 
La honte en soit au siècle , où , virant d'âge en âge. 
Mon exemple rendra quelque antre esprit plot lage. 

Mais ponr moi , mon ami , je suis fort mnl payé 
D'avoir anivi cet art. Si j'eusse estudié 
Jeune , laborieux , sur no hanc à l'escole , 
Galien , Hippocrate, on Jason , on Bartfaole, 
Une cornette au col debout dans un parquet, 
A tort et à travers je vendrois mon caquet.... 

Il est vrai que le ciel, qui me regarda naistre, 
S'«st de mon jugement tousjours rendu le malstre; 
Et bien que, jeuoe enfant, mon père me tançast, 
Et de verges «oovent meschansons meoaçast , 
Me disant de dépit , et bouffi de coléro : 
Badin , quitte ces vers ; et que peosea tu faire? 
La mnse est inutile ; et si ton oncle a scea 
S'avancer par cet art , tu t'y verras decen. 

Un mesme astre toujours n'esclaire en ceatc terre : 
Man tout ardent de feux nous menace de guerre, 
Tout le monde frémit; et ces grands moavemeati 
Couvent en leurs foreurs de piteux changements. 



SATIRFS. 265 

Penfet-tu qae le Inth , et la lire des poètes 
S'accorde d'harmoaie aTecqoes les trompettes , 
Les fifres t les tambours , le canon » et le fer, 
Concert eitravagaot des musiques d'enfer F 
Tonte chose a son règne ; et dans quelques années 
D'un antre ail nous verrons les fières destinées. 

Les plus grands de ton temps ^ dans le sang aguerriSy 
Comme en Thrace seront brutalement nourris y 
Qui rudes n'aimeront la lyre de la muse 9 
If on plus qu'une TÏèle on qu'une cornemuse. 
Laisse donc ce mestier , et sage prens le soin 
De l'acquérir un art qui te serye au besoin. 

Je ne sçais , mon ami , par quelle prescience. 

Il eut de nos destins si claire cognoissance ; 

Mais pour moi , je sçai bien que , sans en faire cas , 

Je roesprisois son dire, et ne le croyols pas, 

Bien que mon bon démon sourent me dist le mesmel 

Mais quand la passion en nous est si eitresme, 

Les adTcrtissements n'ont ni force , ni lien , 

Et l'bomme croit à peine aux paroUes d'un Dieu. 

• 

Ainsi me tançoit-il d'une parolle esmeoe. 
Mais cominc t^n se tournant je le perdois de veue p 
Je perdis la mémoire avecqoes ses discours. 
Et res^eor m'égarai tout seul par les destours 

a3* 



sS6 mBomu. 

Des antratct det boîi, aArcvx ^ iolltaires» 

Où U mta«B , an idocÉMiiftj» Weaieîgnaftt ses mptktt 
H'apprenolt des semrettik «it^ «l'eiolMraffiint le le», 
De gloire. et tfe reooin teleifolt moD deapein» 
Iiiiime<ioieoGie» îngnAe et meaprMe , 
Qui aeii deliable an peuple , etanx^gniDda deriiéc! 

béer* aeiroit^oè pal , v» aaas ettoe avancé , 
L'on airoit entcet art ion^ftge éeapensé ; 
Aprèi nn vaîa boDoenr qee le teaaps liouf témt\ 
Et si motiu qm néant i'oa n'estimott in aniae. 
Eustcs-tn plot de&p , plat de sc&n , et phu d^aK 
Qoe JodeUe n''«DftoDcq% DespçMtea , ni Eonsaid, 
L'on te fera la moue , et pour fruict de ta peine: 
Ce n'esta •oe dii«<t-on; ^'un poète à le dunsaine. 

Car on «'a. pins le |;on»t œdiMe oq l'eut aatrefoik 
Apollon «at gef né pawr de sanTagea Icâs 
Qm retiennent aens IVirtja nature ofioaqqée. 
Et de.nH^nîbe figlire est sa beauté masquée. 
Si pour savoir former quatre x'ers ena poulies, 
Faine tonner des »ots joal joints et mal collei, 
Ami , l'on estoit poète, on verroit (cas estraDgesl) 
Les poètes plus espais qne mooehea «n vanduges. 

Or que dès t» jewçijie ApoUpn t'ait appris » 
Que GalUopemMme ah tracé tes eacrits. 



SATiftVfi. ^êj 

e le a«iw« 4'Atba les ^it mû, tof^ 1^ l^re , 
l'en l'autre Thegpéan oii ait daigné les. Use » 
i*ils tÎQQQ«ot da sçavoir de l'fia^ique leçon » 
«jn'ilft «QÎieiit im primer des maii^ de Pâtisson» f, 
«quelqu'un les regarde , et ne leur sert d'obstacle y 
itim^» mon a^ai» qae c'est uq grand mki^cJle. 

on a beavfair^ bieiii» ^t^emocsesos^rits 
3 civette « baiqjoi» , de wasc^ ^t d'ao^kure gris ; 
a 'ils soient pleins , relevez, et graves à l'oreille ; 
a'iU facent sourciller les doctes de merveillç t, 
e pense, peur cela» estre e«tiioé moins fol , 
t sans argent comptant qu'on te preste un Uool» 
y qu'on n'estime plus (bumeur extravagante ! ), 
a g^ros asne pourveu de mille escus de rente. 

Incore quelques grands , afin de faire voir , 
>e Mécène rivaux, qu'ils aiment le sçavoir , 
fous voyent de bon œil , et tenant une gaule , 
kinsi qu'à leurs chevaux nous en flattent l'espauie, 
i.vecqae8 bonne mine, et d'un langage doux 
^oua disent souriant : Bh bien , que faictes-vous ? 
Ivez-vous point sur vous quelque chanson nouvelle f 
l 'en vis ces jours passez de vous une si belle , 
(Jne c'est pour en mourir : ha ! ma foi , je vois bien 
(2ue vous ne m'aimez plus , fou» ne me donnez rien. 



a68 &KGiriBK. 

Mais OD lit 4 leart yeux , et dans leur conteaance, 
Qne la bouche ne parie ainsi qne l'ftme pense ; 
Et qoe c'est , mon ami , on grimoife et des mots 
Dont tons les conrtbans endorment les plus sots. 

Mais je ne m'apperçois qne, tranchant dn pread'homa^ 
Mon temps en cent caquets sottement je consomme; 
Qne mal instruit je porte en Bronage dn sel» 
Et mes coquilles vendre 4 ceux de Sainct-HîcfaeL 

Doncqnes, sans mettre enchère aux sottises du monde 
Ni gloser les humeurs de dame Frédegonde , 
Je dirai librement, pour finir en deux mots. 
Que la plus part des gens sont habilles en sots. 



SATIAES* 269 



a±tt 



LE GOUT PARTICDLIER 



DÉGIDE DE TOUT. 



Bkhtàut, c'est an grand cas, quoi que l'on paisse faire» 
Il n'est moyen qu'un homme à chasqa'uu puisse plaire, 
£t fnst-il plus parfaict que la perfection , 
L*humme Toit par les yeux de son affection. 
Chasqu'an fait à son sens, dont sa raison s'escrime; 
£t tel blasme en autrui ce de quoi je l'estime. 
Toot, suivant l'intellect, change d'ordre et de rang. 
Lies Mores aujourd'hui peignent le diable blanc. 
lie sel est doux aax uns, le sacre amer anx autres ; 
L'on reprend tes humeurs, ainsi qu'on fait lesnostres : 
Les critiques dn temps m'appellent desbaoché , 
Que je suis jour et nuict aux plaisirs attaché , 
Qne j'y perds mon esprit , mon ame et ma jeunesse; 
Les autres, au rebours^ accusent ta sagesse, 
£t ce hautain désir qui te fait mespriser 
Plaisirs, trésors, grandeurs , pour t'immortaliser; 

23. 



270 ihiuarm^ 

Et diient : O cfaètifiy qui > mooraot sur un livre, 
Peaie&9 secoods phénix, ea voa ceadres revivre » 
Qae YOUB ettei trompex en vottre propre erreur ! 
Gtr, et TOUS, et vos vers, vives par procureur. 
Un livret loot noial vit povr doiu ; et encore , 
Gomme la mort vous fait , la taigne le dévore. 
iDgprate vanité, dont l'homme ae repaist , 
Qui bAille apréa un bien qui sottement lui plaist ! 

Ainsi les actions aoi langues sont sujettes. 
Mais ces divers rapports sont de faibles sagettes, 
Qui blessent seulement ceux qui sont mal armci; 
Non pas les bons esprits, à vaincre acconstumex, 
Qni sçavent, avisez, avccques différence » 
Séparer le vray bien du fard de l'apparence. 
C'est un mal bien estrange au cerveau des hunuioi 1 
Qui, suivant ce qu'ils sont malades ou plus sains» 
Digèrent leur viande ; et selon leur nature , 
Ils prennent ou mauvaise ou bonne nourriture». 

Ce qui plaist à l'œil sain offense un chassieux ;, 
L*eau se jaunit en bile au corps d'un bilieux ; 
Le sang d'un hydropique en pituite se change^ 
Et l'estomach gasté pourrit tout ce qu'il mange^ 
De la douce liqueur rosoyante du ciel , 
L'une en fait le venin , et l'autre en fait le miel > 
Ainsi c'est la nature et rhumenr des personnes , 



SATiaBS. 97 1 

St^noD la qualité y qvi rend Ie# tfk^H* l|QoiX«f- 

• 

Or, saoB me tourmeater des divers appétits » 
Quels ils sont aux plus grands, et quels aux plus petitsn 
Je te Yeux discoarir comme je trouve estrange 
Le chemio d'où nous vient le blasme et la louange, 
!Et comme j'ai l'esprit de chimèrea brouillé 
Voyant qu'un More noif m'appelle barbouillé » 
Qoe les yeux de travers s'offencent que je lorgne » 
Et que les Qaiaze-vingts disent que je suis borgnç. 

Mon oncle m'a conté que 1 monstrant à Ronsard 
Tes vers estinoelants f t de lumière et d'art , 
Il ne sceut que reprendre en ton apprentissage , 
Sinon qu'il te jugeoit pour un poè|e trop sage* 

£t ores au contraire on m'objecte à péché 
Les humeurs qu'en ta muse il eust bien recherché. 
Aussi je m'esnierveilie , au feu que tu leceiies , . 
Qu'un esprit si rassis ait des fougues si belles : 
Car je tiens » comme lui, que le chaud élément 
Qui donne ceste pointe au vif entendement y 
Dont la verve s'escbauffe , et s'enflamme de sorte 
Que ce feu dans le ciel sur les aisles l'emporte , 
Soit le mesme qui rend le poète ardent et chaud , 
Subject à ses plaisirs , de courage si haut , 
Qu'il me^prisc le peuple et les choses comœunea. 



273 ftEGHXBR. 

Et , bravant let favean , se mocqae des fortaoet ^ 
Qai le fait, deabauché, frénétique » resvant. 
Porter la teste basse, et l'esprit dans le reat; 
Esgayer sa foreur parmi des précipices, 
fit plus qu'à la raison sujet à ses caprices. 

Faut-il doncq' à présent s'étonner ai je suis 

Enclin à des humeurs qu'esriter je ne pais. 

Où mon tempérament malgré moi me transporte. 

Et rend la raison foible où la nature est. forte F 

Mais que ce mal me dore il est bien mal aisé. 

L'homme ne se plaist pas d*estre toujours fraisé. 

Chaque asge a ses façons ; et change de nature, 

De sept ans en sept ans , nostre température : 

Selon qne le soleU se loge en ses maisons , 

Se tournent nos humeurs , ainsi que nos saisons,. 

Toute chose en vivant avec l'Âsge s'altère. 

Le desbaoché se rit des sermons de son père : 

Çt dans vingt et cinq ans venant à se changer, 

Retenu , vigilant, soigneux et ménager, 

De ces mêmes discours ses fils il admoneste, 

Qui ne font que s*eh rire et qu'en hocher la teste* 

Chaque asge a ses humeurs, son goust et ses plaisin^ 

Et, comme nostre poil , blanchissent nos désirs. 

Vature ne peut pas l'asge en l'àsge confondre : 
L'enfant qui sait desjà demander et respondre,s 



SATIRES. 2^3 

Qai marque aMirément la terre de Beti pas , 
Avecques ses pareils se plaist en ses esbats : 
Il fuit, il vient, il parle, il pleure, il saute d'aîse. 
Sans raison d'heure en heure il s'csoaeut et s'apaise. 



• 



Croissant l'asge en ayant , sans soin de gouverneur , 
Relevé, courageux, et cupide d'honneur, 
Il se plaist aux chevaux^ aux chiens, à la campagne; 
Facile an vice, il hait les vieux et les dèsdagne : 
Rade è qui le reprend , paresseux à son bien , 
Prodigue , despensier^ il ne conserve rîen ; 
Hautain , audacieux , conseiller de soi-raesme. 
Et d'un cœur obstiné se heurte à ce qu'il aime. 

L'asge au soin se tournant, homme fait, il acquiert 
Des biens et des amis , si le temps le requiert ; 
Il masque ses discours comme sur un théâtre ; 
Subtil, ambitieux, l'honneur il idolâtre : 
Son esprit avisé prévient le repentir» 
Bt se garde d'un lien difficile à sortir. 

Maints fascheux accidents surprennent sa vieillesse 
Soit qn'avecq' du souci gaignant de la richesse : 

. Il s'en deffend Tusage , et craint de s'en servir, 
Que tant plus il en a , moins s'en peut assouvir : 
Ou soit qu'avecq' froideur il face toute chose , 

. Imbédlle , doutehx , qui voudroit et qui n'ose , 



274 &BGHXS&. 

Dilayant, q«i tousjoiii» a l'oeil »ar l'avi 
De léger il n'espèce , et croit aa tooMalr ; 
Il parle de ton tempf .« difficile et aëvaëre. 
Geasarant la ieaaessft , uae des droicte de père. 
Il corrige ; il reprend , hargneux en ses façoni , 
Et vent que tous ses mots soîenl cotant d« leçeMs. 
Toilà doacq'a de par Dieu, coomaq- toime U t. 
Âiosi diversement aux hameuia asserae t 
Que chaïqne asge despart à chaque kommQ en Tivasl 
De son tempérament la qualité suivaat. 
Et moi qui ^ jeune encorS» en mes plaisirs m'es^sisi 
il faudcii que je change ; et » malgré qne }'•& aie» 
Plus soigneus devenu « plus froid et plus rassis» 
Que mes jeunes pensers cèdent aux vieux soocîi; 
Que j'en paie l'escot , rempli jusqu'à U gorge « 
Et que j'en rende «a jour les armes à saint GeoiS^*« 

Pferes des siècles vieux » exemples de la iiie. 
Dignes d'estre admires d'une honorable envie» 
(Si quelque beau désir vivoit encor ea noua). 
Nous voyant de U haut, pères , qu'en dites-Tons? 

Jadis , de vostre temps , la vertu simple et pan« 
Sans fard , sans fiction , imitoit sa natwe » 
Austère en ses façons» sévère en ses propos. 
Qui dans un labeur juste esgayoit son repos; 
D'hommes vous faisant dieux, vous palsioit H'nwhittP*! 



«ATiims. 275 

St doBDoit place «à «tel à v«itM fantasie. 
Xa lampe 4l« jon front partoMit toqs eftclairoit , 
JSt de loatet ArayettU iros «spriti aMeoroit ; 
Xt^ sanf -peitfer«o& •bîeas où le Tvlgaire pense , 
lEWe e^olt WMtre prix cW ? ostre récompease : 
Où la oostte ^aujourd^ui qu'on révère ici bag , 
Ta la nuiet 4aii8 le bal , et ëaase tes cinq pas , 
'Monte ttn cb<>Tâl de bois , fait demns des pommades; 

Tttlonne le genêt et -le drene aaz passades ; 

Chante des aif s nonreanx « invente des balets , 

Sçàit esorire et porter les ren et les poulets; 

A rosil^ousjoors au guet pour des tours de souplesse ; 

Glose sur les habits et sur la gentillesse ; 

Se plaist ft l'entretien , commente les bons mots. 

Et met à mesnie prix les sages et les sots. 

Et ce qui plus eocor m'empoisonne de rage , 
Est quand on charlatan relève son langage 9 
Et , de coquin , faisant le prince revestu , 
Bastit un para nymphe à sa belle vertu; 
Et qu'il n'est crocheteur, ni courtant de boutique , 
Qui n'estime à vertu l'art où sa main s'applique ; 
Et qui , paraphrasant sa gloire et son renom , 
Entre les vertueux ne veuille avoir du nom. 

Voili comme à présent chacun l'adultérise, 
Et forme une vertu comme il plaist à sa guise. 



Elle tsi comme aa marché daof les impressions .* 
Et , s'adjugeant anx laux de dos affeotioas , 
Fait que par le caprice 9 et noa par le mérite 9 
Le biasme et la louange au hasard se débite; 
'Et peut uo jeune sot , suiraot ce qu'il conçoit , 
Ou ce que par ses yeux son esprit en re^t » 
Donner son jugement, en dire ce qu'il pense» 
Et mettre sans respect nostre honneur en balance* 
Mais puisque c'est le femps, mesprîsant leammeon 
Du peuple » laissons là le monde en ses humeurs ; 
Et si sebn son goust un chacun en peut dire » 
Mon goust sera y Bertaut, de n'en faire que rire* 



/ 



SATIHES. 



277 



1 ' I I \ sasrsssoBa^saM 



L'IMPORTUN, 



ou LE FASGUEUX. 



tAHi.K8, de mes péchez j'ai bien fait pénitence. 
' toi , qui te cognois aux cas de conscience , 
^e si j'ai raison de penser estre absous. 
3yois nn de ces jours la messe à deux genoux , 
lisant mainte oraison, l'œil an ciel, les mains jointes, 
i cœur ouvert aux pleurs, et tout percé de pointes, 
l'un déTOt repentir eslaoçoit dedans moi , 
•emblant des peurs d'enfer, et tout bmslantde foi ; 
land un jeune frisé , relevé de moustache, 
3 galoche, de botte, et d'un ample panache, 
e Tint prendre, et médit, pensant dire un bon mot : 
>or un poète du temps , tous estes trop dévot, 
oi , civil, je me lève, et le bon jour lui donne. 
Ju'heurenx est le folastre , à la teste grisonne , 
ni bmiquement eust dit, avecq' une sangbien : 
ui bien pour vous, monsieur, qui ne croyes en Dieu ! ) 

a4^ 



97^ uioiuxm. 

Sotte diicfétioa 1 |e Toolat fiûre •ccroiie 
Qa'wuk poète n'eit bisane «t fMebeiix qu'aprts Ur 
Je baisse oa pen U teste, et, toat modestement 
Je loi fis à la mode no petit comptimeat. 
Loi , comme bien appris, le mesine me sçeot leniie 
Et ceste coortoisie à si haut prix me «'endre , 
Que j'aimerois bieiiiiiieiuc^chafigé d'Age et d'eaoïN 
Me voir à Rome pao^re entre les mains des jvàU. 

Après tons ces propos, qo'on se dît d'surÎTéef 
D'an fardeau si pesant ayant l'âme grevée , 
Je chanris 4e J'oceitto, et, demewant pensil^ 
L'eschioe j'alongeois comme on asne lélif , 
Minotant meMwver de ceste ttraanie ^ 
Il le inge à «espect. 1 sans céffèmonîe , 
Je TOUS snppli , dît-U , Tirons en compngaoM. 
A^yant, ainsi qu'an po(t,ies BMns^nrlvxeignoai, 
Il me pooMe^p «Ta^ ^ «ae présente la porte, 
Et, sans ijeqpecl des saincis «boEs Tèglîse il me poiu 
Aussi frqid fo'on jaloux qui voiftson corrîviL 
Sortis , il joe dmande : E^toi^TUBs à cbeval^ 
ATOft^iions.poinA îci qfwlqn'nn de TOstre tiovpe? 
JesnisAontsenUi pied^JUm^ dbm'oflUrlaaoïpe. 
Moi, poorm'en dépesllrer, Inidtie tant ^expiés: 
Je vons bniae Jc8«MÎns; jn<m'«a Tsisici^pcèi 
Ghes men omiledistper.<^««0 Dion 1 ie galand fasisaft 
J'ensois.fitmoipMFlp^anmevnb«arq«'oBMMi 



»7f 

aiiifie cheoir k teMt ? el bm-pett s'eut Mliif , 
xieftant par dépôt eD la iiidBk:moQ*sailiit , 
s Je n'allasse Ion. la teste. la pijSBièfe>4 
jetter du Poot-Nenf à bas en la rivière. 

«neible , il me traime en la cour da paiiaîss 
trouvant par kasard qnelqn'ttOr dé-MimlctBy 
l'appelle , et loi dit : Hotà ï ban 1 Lsidre^Ue» 
l'on lie m'attende point, je vais dSaner en WUe. 

en sçait si ce propos me traversa l'esprit 1 
icor n'est-ce pas tont : il tire^na long escrit, 
le voyant fe fréniis» Lors, sans cstgeoU^rib : 
onsicos, je ne mf'entends à la cblcanneriey 
3 lui df-je^ feignant l'avoir Tcn de tx avers, 
ussi n'en est-ce pas ; ce sont de mesobant» «sri, 
re catgoen qu'il cstoit véritable à sendive. ) 
ue , poov tner le temps , je m'effore* 4'eioritte; 
t pour un courtisan , quand vient l'oecasion» - 
e monstre que j'en sçaîs pour ma proriiâ^n^ 
l lit ; et se tournant brusquement par la place , 
les banquiers estonneasskimirateat s» gffimaée, 
it moosftroient en riant qnHla oeini ensiieni pas 
resté anr son minois quatre d onbles dnoato 
Que j'eusse bien donnés pour sortir de $m palte )• 
e l'esconte ; et duiant qne l'oieille: il ine flatte , 
Le bon Dlen smi eomoMyt), àeha^nefinde'tws • 



a^ KKGNIKB.. 

Toot exprèf je'diioU qoelqne mot de travers. 
Il ponnuit» oonobstant , d'une foreur plas gniDée, 
Et ne cessa jamaîf qa'il n'eiist fait sa légende. 

Me voyant froidement ses œa^reu ad voaer. 
Il les serre , et se met Ini-mesme à se loner : 
Doncq'9 ppnr on cavalier, n'est-ce pas quelque diae! 
Mais , monsieur» n'avez-roos jamais tu de ma proie! 
Moi de dire que si • tant je craignois qu'il eost 
Quelque proces-verbal qu'entendre il me fàUasL 
Encore, dites-moi, en rostre conscience. 
Pour un qui n'a dn-tont acquis nulle science, 
Ceci n'est-il pas rare f II est vrai , sur ma foi, 
Lui dis-|e sousriaat. Lors, se tournant vers moif 
M'accoUe à tour de bras , et, tout pétillant d'aiie, 
Doux comme une épousée, à la joue il me baise; 
Puis, me flattant l'espaule , il me fit librement 
L'bonneor que d'approuver mon petit jugement. 
Après ceste caresse il rentre de plus belle : 
Tantost il parle à l'on , tantost l'autre l'appelle.... 

Il vint À reparler dessus le bruict qui court. 
De la roine, du roi, des princes , de la cour; 
Que Paris est bien grand ; que le Pont-Neuf s'achèrci 
Si plus en paix qu'en guerre un empire s'eslère. 
Il vint à définir que c'estoit qu'amitié , 
Et tant d'autres vertus , que c'en estoit pitié. 



Satires* a8i 

tais il ne définit, tant il estoit novice » 

>ae rindiscrétion est un si fascheuz vice ^ 

}u'il Tant bien mieux mourir de rage ou de regret, 

^ue de vivre à la gesne avecq' un indiscret. 

k^andis que ces discours me donnaient la torture , 
fe sonde tous moyens pour voir si d'aventure 
Quelque bon accident eust pu m'en retirer , 
Bt m'empescher enfin de me désespérer. 

Voyant ao président, je lui parle d'affaire ;. 
S'il avoit des procez, qu'il estoit nécessaire 
D'estre toujours après ces messieurs bon neter ; 
Qu'il ne laissast pour moi de les solliciter; 
Quant à lui qa'ii estoit bomme d'intelligence. 
Qui sçavoit comme on perd son bien par négligence; 
Où marche l'intérest qu'il faut ouvrir les yeux. 
Haï non, monâeur, dit-il, j'aimerois beaucoup mieux 
Perdre tout ce que j'ai que votre compagnie ; 
Et se mist aussi-tost sur la cérémonie. 

Moi , qui n'aime à débattre en ces £adaises-U , 

Un temps sans lui parler ma langue vacila. 

Enfin je me remets sur les cajeolleries. 

Lui dis (comme le Yoi estoit aux Tuilleries) 

Ce qu'au Louvre on disoit qu^il feroit ce jouid'hui ; 

Qu'il devTOit se tenir tousjours auprès de lui. 



aiBs BEGVlBtt. 

Diea sçait cosibien alors it me dit de sottises , 
Parlant de ses hauts faits et et ses TaBlacttîses ; 
Qa'il avorf tant senrî , tant fÉit la faetSoa , 
Et n'avoit cependairt ënèime peiiskm : 
Mais qu'il se consoloit , en ce qa'aa moins Itûstoiit^ 
Gomme on fait son traraH , ne desroboit Ém gIo£re; 
Et s'y mit si avant , que je creu qne mes joars 
Dévoient plos tost finir qoe non pas ëoa dfteooiSb 

Mais comme Dieu voulut , après tant de demeoies. 
L'horloge du palais vint è frapper onze heores; 
Et lui , qui pour la soupe avoit Tesprit subtil, 
A quelle heure monsieur vostre oncle disné-f-ilf 
Alors peu s'en fallut, sans plus long-temps attendit^ 
Que de rage au gibet je ne m'allasse pendre. 
Encor* l'eussé-Je fait , estant desespéré ; 
Mais je crois que le ciel , contre moi conjuré. 
Voulut que s'accompllst ccst« aventure mienne 
Que me dist , jeune enfént, une Bobemièttiie: 
Ni la peste, la faim , le sdorbat ni la tousi, 
La fièvre, les venins , les larrons « ni les loas, 
Ne tueront cehti-ci ; mais l'importun lànga^ 
D'un fascheoi : qu'il s'en garde , estant gprtmd , sH est tf| 

Gomme il continuôit Cèste vieilie ohaBsoft , 
Voici venir quelqu'un d'^s8«i pauvre fkçoo. 
Il se porie au devant , lui patle, le cajeoie i 



lais cet antre , à la fin se monta de parole : 
IoD8iear,c'e8t troploDg-temp8..«Toutce que TOusToddrez.. 
'^oici l'arrest signé... Non, monsiear, vous viendrez.. .. 
^uand vons itérez dedans ^ tous serez à partie... 
St moi , qui cependant n'estois de la partie , 
'esquive doucement et m'en vais à grands pas, 
La queue en loup qui fuit, et les yeux contre-bas, 
lie cœur sautant de joie, et triste d'apparence. 
Depuis aux bons agens j'ai porté révérence « 
CoDctxae à des gens d'bonneur, par qpi le ciel TOuluf 
Que je receusse un )oar le bien de mon sahit. 

Mais 9 craignant d'encourir vers toi le mesme vice 
Que je blasme en autrui , je suis en ton service; 
Et pri Dieu qu'il nous garde en ce bas monde ici* 
De faim , d'un importun: de froid et de souci. 



a84 «BCHIEK. 



LE CRITIQUE OUTRÉ. 



Râpih, le farori d'ApoUon et des Mmea, 
Pendant qa'en leur meatier jour et naic^ tn t'ainiuef, 
£t que d'uD vers nombreux, non encore chanté , 
Tn te fiiis un chemin à rimmortalité , 
Moi , qui n'ai ni l'esprit ni l'haleine assez forte 
Pour te suivre de près et te servir d'escorte , 
Je me contenterai, sans me précipiter. 
D'admirer ton labeur, ne pouvant l'imiter ; 
Et pour me satisfaire au désir qui me reste 
De rendre cet hommage à chacun manifeste , 
Par ces vers j'en prends l'acte , afin que l'advenir 
De moi par ta vertu se puisse souvenir ; 
Et que ceste mémoire à jamais s'entretienne 
Que ma musc imparfaite eut en honneur la tienne: 
Et quic si j'eus l'esprit d'ignorance abbattu , 
Je l'eus au moins si bon, que j'aimai ta vertu: 
Contraire à ces resveors dont la muse insolente, 
Censurant les plus vieux, arrogamment se vante 
De reformer les vers , nOn les tiens seulement. 



SATIRES. a8S 

Mais ycalent déterrer les Grecs do monnment , 
Les Latins , les Hébreaz, et toute raatiqaaiUe; 
Et lear dire à leur nez qu'ils n'ont rien fait qui vaille. 
Ronsard en son mestier n'estoit qn'un apprentif , 
Il aToit le cerveau fantastique et rétif: 
Desportes n'est pas net ; Dubellay trop facile ; ^ 
Belleau ne parle pas comme on parle à la ville ; 
Il a des mots hargneux, bouffis et relevez, 
Qui du peuple aujourd'hui ne sont pas approuvez. 

Commentlil nous faut donq*, pour faire une oravre grande' 
Qui de la calomnie et du temps se deffende. 
Qui trouve quelque place entre les bons autheurs , 
Parler comme i sainct Jean parlent les crocheteursl 

£npore je le veux, pourveu qu'ils puissent faire 
Que ce beau sçavoir entre eu l'esprit du vulgaire, 
£t quand les crocheteuis seront poètes fameux , 
Alors, sans me fascher, je parlerai comme eux. 

Pensent-ils, des plus vieux offençant la mémoire. 
Par les mespris d'autrui s'acquérir de la gloire, 
Et^ pour quelque vieux mot, estrange, ou de travers , 
Prouver qu'ils ont raison de censurer leurs vers! 
( Alors qu'une œuvre brille et d'art et de science j 
La verve quelquefois s'esgaie en la licence. ) 



a86 

Il acmble , tm leurs ditooni» bâutMiif et ^léBéitfti, 
Qae le cberml Tolaml ne soit ftdt que pour em ; 
Que FhflDbue à kac ton aooorde m ¥iell6 ; 
Que U Booehe ém Gpec lean lèvres emmielle ; 
Qa'ili ont lenU icl*beB trouvé la phi aa ait. 
Et qne def hauts etprits le leor est le aénit; 
Que seuls des grands secvets îlf ont la» cognoftsaDce,* 
Et diient librement qne leur eipérieoee 
A rafiné les ren , Ibntastiqves dirameur. 
Ainsi que les Gascons ont fait lepoint-d'hoaDeor, 
Qu'eus tout senb du l>ién dire 6nf frouvé la métho<fe, 
Et que sien n^est parfaict s'il n'est fait A la mode. 

Cependant leur sçavoir ne /estend seulement 
Qu'à regratter un mot douteux au jugement, 
Prendre gatde qv^nn gui ne heurt» nne diphtoiçiif ; 
Espier si des vers la rime est brève^ ov longue , 
Ou bien si la voyelle à l'autre s'unissMit 
Ne rend point à l'oreille un vers trop languldimnt: 
Et laissent sur le verd le noble de l'ouTrage. 
Nul aigaôUon divin n'eslëve leur courage ; 
ils rampent bassement , ioibles d'inventions, 
Et n'osent , peu hardis, tenter les fiction*» 
Froids à l'imaginer : car» s'ils font quelqUe ehoie, 
C'est proser de la rime et rimer de la prose, 
Que l'art lime et relime , et po^j&e filrçott 
Qu'elle rend à l'oreille un agréable son ; 



SATIILBS. ^87 

Ls attifeat leurs mots, .eajoliv.eot lear phrase , 
Lffocteatlear discoai;« toutsi relevé d'act, 
Ht peignent lenrs défauts de couleuiv et de fard. 
Liissl je les compare à ces femmes jolies 
^ui par les affîquets se rendent e;mbelUes^ 
^ui , gentes en habits , et fades en façons , 
^AF.oii leur point coupé tendent leurs hameçons ; 
Oont .l'œil rit mollement a^ee afféterie , 
Bt de qui le |>arler n'est rien que flatterie ; 
De rubans piolez s'agencent proprement , 
Et toute leur beauté ne gtst qu'en l'ornement ; 
Leur visage reliût de ceruse et de pautre ; 
Propres en leur coiffure un poil ne passe l'autre. 

Mais les divins esprits., hautains et relevez , 

Qui des eaux d'HéUcon ont les sens abreuvez ; 

Ne sont tels : de chaleur leur ouvrage étincelle , 

De leurs vers tout divins la grftce est naturelle : 

Et c'est , comme on le voit , la parfaicte beauté , 

Qui, contente de soi., laisse la nouveauté 

Que l'art trouve au palais ou dans le blanc -d'Espagne: 

Rien que le naturel sa.gr&ce n'accompagne ; 

Son liront , lavé d'eau claire » esclate d'un beau teint , 

De roses et de lys la nature l'a peint ; 

Et laissant là Mercure ^t toutes ses malices, 

Les nonchalances sont ses plus grands artificen. 



/ 



988 AEGMIBE. 

ÙTf Rapiii • qtMOt à moi , je n*ai point tant d'espnL 
'Je Ttii le grand chemin qne mon onde m'apprit, 
Laissant là ces doctenn qoe les muses instmiseat 
En des arts tout nooreaaz : et, s'ils font, comme ilsdûe 
Oe ses fautes un livre aussi gros que le sien , 
Telles |e lea croirai quand ils auront du bien , 
Et que leur belle muse , à mordre si cuisante , 
Lenrdon'ra, comme à lui, dix mille escua de reote, 
De l'honneur, de l'estime , et quand par l'aniFen 
Sur le lut de David on chantera leurs rers. 

O débile raison ! où est ores ta bride F 
Où ce flambeau qui sert aux personnes de guide? 
Contre la passion trop foible est ton secours. 
Et souvent, courtisane « après elle tu cours; 
Et , savourant l'appftt qne ton âme ensorcelle, 
lu neTvis qu'à son goust , et ne vis que par elle. 
De là vient qu'un chascun , mesmes en son deffaot, 
Pense avoir de l'esprit plus qu'il ne lui en faut. 
Aussi rien n'est parti si bien par la nature 
Que le sens ; car chacun en a sa foumitore. 
Mais pour nous , moins hardis à croire à nos raisGos* 
Qui réglons nos esprits par lés comparaisons 
D'une chose avecq' l'autre , espluchous de la vie 
L'action qui doit eiM:re ou-blasmée on suivie ; 
Qui criblons le discours, au clyoîx se variant ; 
D'avecq' la fausseté la vérité triant; 



SATIRES. 289 

Tant que l'homuic le peut); qui fortnoDS nos ouvrages 
kux moules si parfaicts de ces grands personoages 
^ai, depuis deux mille ans, ont acquis le crédit 
^u'en v^rs rîed^ n'est parfiiiet que ce qu'ils en pnt dit; 
DevoDS-nous aujourd'hui , pour une erreur nouvelle 
Que ces clercs dévoyés forment en leur cervelle. 
Laisser légèrement la vieille opinion , 
Et , suivant leur avis, croire à leur passion. 

t ■ 

Pour i»o^ »,lfiS,btlgQeifots ponrroi^t faire miracles, 
Res:iusciter,les morts t rendre, .de vrais o^-ac^les » ; 
Que je QC poorrois pas croire ^ leur vérité. . 
En toute opinion je fuis la nouveauté. 
Aussi doit-çn plvistost inoiiter nos vieux père^| 
Que suivra ^p9 ^uv<eaux les nouvelles chimères. 
Be meçi^jga? | eu l'i^t d^vin de la Muse , doit-on 
Moins croire à l<eur esprit qu'à T-esprit de Flatoo. . 

Mais , Rapfçi^ à l^ur j^Ql^t si le^ ▼ ieax sont profajieH, 
Si Yirpie ».le Tasse et Eonsard ont j^ asnes, 
Sans perdre en ces discours le temps que nous perdons, 
AUoQQ coïomti e^x aux chapip^, et manjgjepps idl^ chardons. 



^"^p* 



a 5» 



ago MÎQHftE. 



LA FOLIE EST GÉNÉRALE. 



J 'ai pris cent et cent fcns U lanterne cq la maîo^ 
Cherchant en plein midi, parmi le genre booiaio. 
Un homme qui fnst homme et de faict et de mine, 
Et qui pnst des vertus passer par l'estamioe. 
Il n'est coin et recoin que je n'aye tenté. 
Depuis que la nature ici-bas m'a planté ; 
Mais tant plus je me lime , et plus je me rabote, 
Je crois qu'à mon adWs tout le mondé radote , 
Qu'il a la teste Tuide et sans dessus dessous. 
On qu'il faut qu'au rebours je sois l'un des plus foos: 
C'est de nostre folle un plaisant stratagesme. 
Se flattant f de juger les autres par soî>metmc« 

Ceux qui, pour voyager» s'embarquent dessus Peao 
Voyent aller la terre , et non pas leur Taiseau. 
Peut-estre, ainsi trompé, que faussement je juge. 
Toutesfois si les fous ont leur sens pour refuge , 
Je ne sois pas tenu de croire aux yenx d'antmy: 
Puis j'en sçay pour le moins autant ou plus que lui. 



SATI&fiS» 291 

i\A fort bien parlé, si L'oo.me vp^oit croire, 
:Xe présomption, tous m'enirrezsaus boire l 
is après , en cherchant , avoir autant coqru 
'aux advens de Noël fait le .moine bourra.. 
LMT retrouver un homme envers ^ni la satire j 
:s8 flatter, ne trouvast que mordro et que redire, ; 
1 sçust d'un choix prudent toute chose eçpluchcr, 
L foi, si ce n'est vous, je n'en veux plus c^hcrcher.. ; 

ce n'est point pour estre cslevé de fortune : 
LZ sages comme aux focs c'est chose assez commune ; / 
I e avance on chacun sans raison et sans choix-; 
fous sont ani. eschets les plus proches des rois. 



. j 



issi mon jugement sur cela ne se fonde ; 
1 compas des grandeurs je ne juge le monde: 
esclat de ces^-grandeurs ne m'esblonil les yeux. 
• nr estre dans le ciel je n'estime les dieux , 
ais pour s'y maintenir , et gouverner de sorte 
le ce tout en devoir règlement se comporte, 

que leur providence également conduit 
>ut ce que le soleil en la terre produit.. 

es hommes, tout ainsi , je ne puis recognoistre 

38 grands , mais bien ceuX'là qui méritent de l'estrç « , 

t de qui le mérite, indomtable'en vertu, 

3rce les accidens, et n'est point abattu* 

on plus que des farceurs je n'en puis faire conter 



Aiosi que Pvn ^deioend , on voit ijae Taotrc montf . 

Selon on j^us ou taoUki t{u« dure le ralet; 

Et l'habit ftlt , â&ns plas , le mairtre ou le valet. 

De mesme e«t d\s ces geoft doitt la grarnd^enr se jout 

Aujourd'hui gt«il|, tèflez , sUr le hamt de la roue , 

lit font nu pek^s^Anagé ; et demain renversez , 

Gbaento les met ao rang ies péchez e^cez. 

lia faveur est bizarre , à traiter indocile, 

Sans arrest , ioconstaute , et d'humeur diSciie; 

Avecq' distrétion il )a l^tit caresser : 

L'un la perd bïeo souveut pour !a trop embrasser, 

Ou pour s'y fier trop ; rauti^e , par insolence , 

Ou pour avoir trop peu ou trop de violence, 

Ou pour se la promettre ou «e là dénier : 

Enfin c'est un caprice estrange 2i ncïanier» 

Son amour est fragile et se rompt comme un vetrt^ 

Et fait auz plui matois donner du nez en terre. 

Pour moi je 0*at point veu , parmi tant d'avaacei, 
Soit de ces temps4ci , soit des siècles paatesi , 
Homme que la fortune ait tatché dlnfrodiKire, 
Qui dorant le bon vent ait sceu se bien conduire. 
Or d'eÉtre cinquante ans aux honneurs ealevé , 
Des' grands et despetits dignement approuvé , 
Et de sa vertu propre aux malheurs faire obsttclr. 
Je n'ai point vëo de sots âvoî^ folt ee miracle. 
Aussi, pour discerner le bien d'avecq' le mal » 



^oir tout , cogaoistre tout , d'un dil tousjours égal , 
fanier dcxtre ment les desseins de nos princes, 
Vespoadrc à tant de gens de diverses provinces , 
^stre des estrangers pour oracle tenu f 
?réYoii' tout accident avant qu'estre advenu , 
Destourner par prudence une mauvaise affaire , 
Ze n'est pas chose aisée , ou trop facile à feire. 
V^oilà comme on conserve avecqnës Jugement 
Ce qu'un autre dissipe et perd imprudemment. 
Quand on se brusle au feu que soi-mesme on attise , 
Ce n'est point accident, mais c'est une sottise. 
Nous sommes du bonheur d« nous mesme artisans. 
Et fabriquons nos jours ou fascheux , ou plaisans. 
La fortune est à nous, et n'est mauvaise ou bonne, 
Que selon qu'on la forme, ou bien qu'on se la donne. 

A ce point le malheur, ami comme ennemi , 
Trouvant au bord d'un puits qn enfant endormi , 
Eti risque d'y tomber, à son aide s'avahce> 
En lui parlant ainsi le resveille et le tauce : 
Sus, badin , levez-vous ; n vous tombiez dedans , 
De douleur vos pailîns ^ comme vous imprudens , 
Croyant en leur esprit que de tout je dispose , 
Biroient etk me blastnant que j'en serois la cause. 

Ainsi nous séduisant d'une fausse couleur, 
Souvent nous imputons nos fautes au malheur, 

25. 



Qui o'en peut mais : mais quoii l'on le prend à partie. 
Et chacma de son tort cherche la garantie ; 
Et nous pensona bien fins 9 soit véritable on faux , 
Qoand nous pouvons couvrir d'excuses nos deffauts. 
Mau afaitt qu'aux petits , aux plus grands personnages, 
Sondes tout jusqu'au fond : les fous ne sont pas sages. 

Or c'est un grand chemin jadis assez frayé » 

Qui des rimenrs françois ne fut oncq* essaye : 

Suivant les pas d'Horace entrant en la carrière , 

Je trouve des humeurs de diverse manière , 

Qui me ponrroient donner subject de me mocquer : 

Mais qu'est-il de besoin de les aller choquer? 

Chacun f ainsi que moi, sa raison fortifie , 

Et se forme à son goust une philosophie : 

Ils ont droit en leur cause ; et de la contester. 

Je ne suis chicaneur « et n'aime disputer. 

Galiet a sa raison; et qui croira son dire» 

Le hasard pour le moins lui promet un empire : 

Tootesfois au contraire estant léger et net , 

N'ayant que l'espérance et trois des au cornet , 

Gomme sur un bon fonds de rente et de recettes, 

Dessus sept ou quatorze , il assigne ses dettes , 

Et trouve sur cela qui lui fournit de quoi. 

Ils ont une raison qui n'est raison pour moi ; 

Que je ne puis comprendre > çt qui iiien rexanûac. > 



\ 



j 



SATlftES. '295 

st-cc TÎce OU vertu qui leur fiirear domine I 
'un , alléché d'espoir de gagaer viagt pour ceot , 
eriue l'œil à ta perte, et librement consent 
^ue l'antre le despooille , et ses meubles engage , 
lesme 9 s'il est besoin, baille son héritage. 

>r le plus sot d'entr'eaz je m'en rappocte à lui, 
?our l'un il perd son bien , l'antre celui d'autruL 
Ponrtant c'est un trafic qui suit tonsjours sa route, 
Dû bien moins qu'à la place on a fait banqueroate , 
Et qui , dans le brelan se maintient bravement , 
N'en desplaise aux arrests de nostre parlement. 

Pensez- vous , sans avoir ses raisons toutes prestes ,. 
Que le sieur de Provins persiste en ses requestes. 
Et qu'il ait , sans espoir d'estre mieux à la court, 
A son long balandran changé son manteau court , 
Bien que , depuis vingt ans sa grimace importune 
Ait à sa défaveur obstiné la fortune? 

Il n'est pas le Cousin , qui n'ait quelque raisou. 
De peur de réparer il laisse sa maison ; 
Que son iict ne défonce , il dort dessus la dure ; 
Et n'a , crainte du chaud , que l'air pour couverture 
INe se pouvant munir encontre tant de maux 
Dont l'air iotempéréfait guerre aux animaux , 
Gomme le chaud , le froid , Içs frimas et la pluie , 



2q6 KKGNIEB. 

Mille aolret «ecident, bonrremiix de noslre Tie ; 

Loi » selon n raiion , sous eux il s'est soumis , 

Et, forçant la nature, il les a pour amis. 

Il n'est point enrumé pour dormir sur la terre ; 

Son poolmon enfiammé ne tousse le caterre ; 

Il ne craint ni les dents ni les déflaxions , 

Et son corps a , tout sain , libres ses fonctions. 

En tottt indifférent, tout est à son usage* 

On dira qu'ail est fou ; je orm qa'il n'est pas sage; 

Qac Diogèoe aussi ftfst un fon de tout point, 

C'est ce que le Cousin , coinoie moi ne croît poiat. 

Ainsi oesie raison est une estrange beste : 

On Ta bonne selon qu'on a bonne la teste ; 

Qu'on imiigîae bien , du sens conamede l'œil , 

Pour grain ne prenant paille, ou Paris pour GorbeiUe. 



y 



SATIRES. a97 



9e=aa|EaaDi4a 



LE SOUPER RIDICULE. 



(Jn d« ces jours demiefs , p» des Iteax destonrnes > 
1 e m'en allois restant) le maotean sitr le nei, 
L'ame bizarrement de vapeurs occupée , 
Comme tin poôte qui prend les yers à la pippée : 
En ces songes profonds où flottoit mon esprit, 
Un homme par la main hazardément me prit. 
Ainsi qu'on pourrait prendre un dormeur par l'oreille 
Quand on veut qu'à minuit en sursaut il s'esTeille^ 
Je passe outre d'aguet, sans en faire semblant, 
"Eï m'en Tais à grands pas, tout froid et tout tremblant, 
Craignant de faire encor', avecq' ma patience , 
Des sottises d'antmi nouvelle pénitence. 
Tout courtois il me suit , et , d'un parler remis : 
Quoi l monsieur, est-ce ainsi qu'on traite ses amis^ 
Je m'arreste, contraint; d'une façon confuse , 
Grondant entre mes dents, je barbette une excuse. 
De vous dire son nom il ne garit de rien , 
Et vous jure au surplus qu'il est homme de bien ; 
Que son cœur convoiteux d'ambition ne crève, 



29S 

Bt pour set fkclioiu qu'il n^în point en Grève : 
Car il aime la France , et ne sonllriroit point. 
Le bon aeigneur qu'il est, qu'on la mîst en poorpoim. 
An compai da devoir il règle son courage , 
Et ne laisse en dépost pourtant sonradvantage. 
Selon le temps, il met ses partis en avant. 
Alors que le roi passe il gaigne le devant ; 
Et dans la gaUerie , encor' que tu loi parles. 
Il te laisse an roi Jean , et s'en court au rat Ghaii», 
Mesme aux plus avances demandant le ponrqucft. 
Il se met sur un pied, et sur le quant & moi ; 
Bt seroit bien fosché, le prince assis à table. 
Qu'un antre en fust plus prfes , on fist plus l'agréable; 
Qui plus suffisamment entrant sur le devis , 
Fist mieux le philosophe , on dist mieux son avis; 
Qui de chiens ou d'oiseaux eust plus d'expéiieocs, 
On qui dècidast mieux un cas de conscience: 
Pois dites, comme un sot, qu'il est sans passion. 

Sans gloser plus avant sur sa perfection, 
Aveeq' mains hauts di8coois,de chiens, d'oiseaux, de^^l 
Que les valets de pied sont fort sujets aux crottes ; 
Four bien faire du pain, il faut bien enfourner; 
Sidon Fèdre est venu« qu'il s'en peut retourner: 
Le cîel nous fit ce bien qu'encor^ d'asses bonne beau 
Nous vînmes au logis où ce monsieur demeore. 
Où , sans historier le tout pat le menu. 



SATIRES. %gg 

l me dit : Vous soyez, monslear, le bien>veou. 

.près (][aelqiies propos , saos propos et sans suite , 

Lvecq' on froid adie« je^miautc ma fuite » 

lus de peur d'accident que pardiscrétioD, 

l commence on seimûn de son affection , 

le rit» me prend, m'embrasse ayecq' cérémonie : 

)uoil TOBS ennuyez-Tons en nostre compagnie? 

(on , 'non , ma foi, dit-il , il n'ira pas ainsi ; 

St, puisque je vons Mens, tous sonperez «ci. 

e m'excuse ; il me force. O Dieux l qnelle injnstloel 

Llors , mais , las 1 trop tard je cogneo mon supplice : 

dais , pour l'avoir cogneu, je ne peus l'esviter , 

?ant le destin se plaist 4 me persécuter. 

l peine à ces propo» eût-il fermé la bouche, 
)u*il entre à l'estourdie un sot fait à la fourche , 
Ivà, , pour nous saluer , laissant cheoir son chapeau , 
«"it comme un entrechat avec un escabeau , 
trébuchant contre-bas , s'en va dcFant-derrière , 
St], grondant , se fascha qu'on estoît sans lumière. 
*our nons faire , sans rire , avaler ce beau saut , 
lie monsieur sur sa vene excuse ce défiant, 
2ae les gens de sçavoir ont la yisièrc tendre. 
L'autre , se relevant, devant nous te vint rendre , 
Moins honteux d'estre cheu que de s'cstre dressé ; 
Et lui demandast-il s'il s'estoit point blessé. 



BOO EKORIEB. 

Aprèt mille discours dignes d'on grand volume 
On appelle va valet ; la chaodeUc s'allume : 
Oa apporte la nappe, et aset-oa le couTert ; 
Et sais parmi ces gens comme nn hoBAme aans v 
Qui fait , en rechignant , aussi maigre visage 
Qn'nn Renard qne Bfartin porte au Louvre en sa ca 
Uo long-temps sans parler f e regm^geoîs d'eanai. 
Mais, n'estant point garand des sottises d'antrui, 
Je créas quil me falloit d'une manvaise affaire 
Bn prendre seulement ce qui m'en pou voit plaire. 
Ainsi, considérant ces hommes et lears soins, 
Si je n'en disois mot , je n'en pensois pas moins ; 
Et jugeai ce lourdaot, h son nés auteatiqne, 
Que c'estoitnn pédant, animal domestique^ 
De qui la mine rùgae , et le pailer copfbs. 
Les cheveux gias et longs, et lea sonrdls confus, 
Faisolent par leur sçari^r, comme il faisoit entendl« 
La figue sur le neE an pédant d'Alexandre. 

Lors je fus asseuré de <ee que j'avois creo, 
Qu'il n'est plus coortisan de la ooiûrt si recreo , 
Pour faire l'entendu, qu'il n'ait, pont- quoi qa'il railk 
Un poète, no astrologue, ou quelque pédsotaifle. 
Qui, durant ses amours, avec son bel esprit , 
Couche de ses faveurs lliistoire par escrit. 

Maintenant que l'on voit, et qoc je vous veux dire 



(fout ce qui se fit là digne d'une nature , 

^ e croirois faire tort à ce docteig: nouveau 

^i je ne lui donnois quelqut^s traicis dé^ pinceau. 

pliais estant mauvais pein^i^, ainsi que mauvais poète , 

fit que j'ai la cervelle et la main maladroite , 

,3 Muse ! je t'invoque. £mmielle-moi le bee , 

Et bande de tes mains les nerfs de ton rebec ; 

.baisse-moi là Pbœbns chercher son aventore ; 

Laisse-moi son Bémol » prend la olef de nature ; 

£t Tien » simple ^ sans fard, nue , et sans ornement, 

Pour accorder ma floste avecqf ton instrument. 

Di-moi comme sa race, autrefois ancienne, 

Dedans Rome accoucha d'une patricienne , 

D'où nasquit dix catons , et quatre-vingts prêteurs , 

Sans les historiens , et tous les orateurs. 

Mais non ; venons à lui , dont la maussade mine 

Ressemble un de ces dieux des couteaux de la Chine, 

Et dont les beaux discours , -plaisamment eslourdis, 

Ferbient crever de. rire un sainct du paradis. 

Son teint jaune, enfumé, de couleur de malade , 

Feroit donner au diable^et cemse et pommade; 

£t n'est blanc en Espaigne à qui ce cormoran 

Ne face renier la Iqi de PÀlcoran. 

Ses yeux, bordez de rouge, esgarez, sembloienteslre 

L'un à Montmartre, et l'autre au chastean de Bicestre : 

Toutefois, redressant leur entre-pas torto , 

Ils guidoient la jeunesse au chemin de vertu. 

269 



3o^ aEGVICR. 

Sott nés bant veleTè sembloit faire la niqac 
A rOYÎde 11 atOQ , an Scîpion Nasiqae » 
06 maints rubis balez , tons rougissants de vin , 
Moostrûent nn hac ma à la Pomme du pin 

Quant an reste da corps , U est de telle sorte 
Qu'il semble qae ses reins et son espaule forte 
Facent guerre à sa teste, et par rébellion 
Qu'ils eussent entassé Osse sur Pélion : 
Tellement qu'il n'a lien en tout son attelage 
Qui ne suive -au galop la trace du visage. 

Pour sa robe , elle fat antre qu'elle n'estoit 
Alors qu'Albert le Grand anz festes la portoit; 
Mais tousjours recousant pièce à pièce nouvelle , 
Depms trente ans c'est elle , et si ce n'est pas elle : 
Ainsi qae ce vaisseau des Grecs tant renommé , 
Qui survescut au temps qui l'avoit consommé. 
Une teigne affamée estoit sur ses espaules , 
Qui traçoit en arabe une carte des Gaules. 
Les pièces et les clous, semez de tous costez, 
Ueprésentoient les bourgs, les monts et les citez, 
Les filets séparez, qui se tenolt à peine, 
Imitoient les ruisseaux coulant dans une plaine. 
Les Alpes , en jurant , lui grimpoient au collet ; 
Et Savoi' qui plus bas ne pend qu'à un filet. 
Les puces et les poux, et telle autre quenaillc, 



SATIAES» ^o3 

kux plaines d'alentoar se mettoient eahataUle ,. 
}ui 9 les places d'^introî les armes nsurpant , 
je titre disputoieat an premier occupant , 

)r dessouz ceste robbe illustre et vénérable » 

I a voit un jupon , non celui de Gonstable , 

iif ais un qui pour un temps suivit l'arriëre^ban , 
]^aant en première nopce il servit de caban 
kn croniqueur Turpin , lors que par la campagne 
.1 portoit l'arbalestre au bon roi Gharlemagne* 
?our asseurer si c'est ou laine, ou soie , ou Lin ,,. 

II faut en devinaille estre maistre Gonin. 

Sa ceinture honorable, ainsi que ses jartières, 
Purent d'un drap du Seau, mais j'entends des lizières 
Qui sur maint cousturier jouèrent maint rollet ; 
tf ais pour l'heure présente ils sangloient le mulet. 

Un mouchoir et des gants, avecq' ignominie. 
Ainsi que des larrons pendus en compagnie , 
Lui pcndoient au costé, quisembloient , en lambeaux». 
Criery en se moquant : Vieux linges , vieux drapeaux,. 
De l'autre, brimballoit une clef fort honneste. 
Qui tire à sa cordelle une noix d'arbaleste» 

Ainsi ce personnage , en magnifique. arroy. 
Marchant pboetbxtim , s'en vint jusqucs à moi,. 



^04 KEGMlER.. 

Qui sentis fc son nez , à ses lèrres déeloses , 

Qu'il fleuroit bien plus fort m sis doq pas mieax que rrie 

11 me parle latin , il allègae , il discourt , 
Il réforme k son pied les humeurs de la court. 
Qu'il a pour enseigna une belle manière; 
Qu'en son globe il a tcu la matière première ; 
Qu'Épicure est ivtongne, Bippocraie on bparreso. 
Que Barthole et JTason ignorent le barreaa ; 
Que Virgile est passable, encor' qu'en queFqaes pêgts 
Il mérîtast an Lonrre estre chifflé des pages ; 
Que Pline est inégal , Térence un peu joli : 
Mais surtout il estime un langage poli. 

Ainsi sur chaque aotheur il trouve de quoy mordre. 

L'un n'a point de raison , et l'autre n'a point d'ordre; 

L'autre avorte avant temps des œuvres qu'il conçoit. 

Qr il vous prend Macrobe , et lui donne le fouet. 

Gicéroo , il s'en taist, d'autant que Ton le crie 

Le pain quotidien de la pédanterie. 

Quant à son jugement, il est plus que partit. 

Et l'immortalité n'aime que ce qu'il fait. 

Far hazard disputant, si quelqu'un lui réplique, 

Et qu'il soit à quia : Vous estes hérétique , 

Ou pour le moins fauteur ; ou , Vous ne sçavez point 

Ce qu'en mon manuscrit j'ai noté sur ce point. 



SATIRES. 3o5 

Comme il n'est rien de «m^ple, aussi rien n 'est d arable^ 
De pauvre od devient riohe, et d*heureux misérable. 
Tout se change : qui fit qu'on changea de discours. 

Après maint entretien , maint tours et maint retours, 

Un valet, se levant le chapeau de la teste , 

Nous vint dire tout haut que la souppe estoit preste » 

Je cogneu qu'il est vrai ce qu'Homère en escrit , 

Qu'il n'est rien qui si fort nous resveille l'esprit; 

Car j'eus, au son des plats, l'ame plus altérée , 

Qne ne l'auroit un chien au son de la curée. 

Mais , comme un jour d'hiver où le soleil reluit , 

Ma joie en moins d'un rien comme un esclair s'enfuit. 

Et le ciel , qui des dents me rit à la pareille , 

Me bailla gentiment le lièvre par l'oreille , 

Et comme en une monstre, où les passe-volants , 

Pour se monstrer soldats, sont les plus insolents ; 

Ainsi , parmi ces gens, un gros valet d'estable, 

Glorieux de porter les plats dessus la table , ^ 

D'un nez de majordome , et qui morgue la faim , 

Entra , serviette au bras, et fricassée en main ; 

Et , sans respect du lieu , du docteur , ni des sausscs , 

Heurtant table et tréteaux ,ver8a tout sur mes chausses . 

On le tance ; il s'excuse ; et moi, tout résolu , 

Puis qu'à mon dam le ciel l'avoit ainsi voulu , 

Je tourne en raillerie un si fascheux mystère , 

De sorte que monsieur m'obligea de s'en taire , 

26, 



3o6 mxGmEA. 

eut ce point on le lave ; et chaciin en son rang 
Se met dans nne chaire » ou 8*asRed snr on banc , 
Soivant on son mérite , on sa charge , on sa race. 
Des niais , sans prier, je me mets à la place , 
Où j'étois résolu, faisant autant que trois. 
De hoire et de manger comme aux Tcilies des rois. 
Mais à si beau dessein défaillant la matière , 
Je fus enfin contraint de rcmger ma litière , 
Comme un asne affamé , qui n'a chardons , ni foin. 
H 'ayant pour lors de quoi me saouler aa besoin. 

En forme d'eschiquîer les plats rangés sur table 
N'avoient ni le maintien ni la grâce accostable ; 
Et bien qne nos dinenrs mangeassent en sergents^ 
La TÏande pourtant ne prioit point les gens. 
Mon docteur de menestre ,'en sa mine altérée , 
Avoit deux fois autant de maios que Briarée; 
Et n'esroit , quel qull fnst , morceau dedans le pUt. 
Qii des yeux et des mains n'eust un escheq et mat. 

Devant moi justement on plante un grand potage, 
D*oii les moosches k jeun se sauvoient à la nage : 
Le b rouet estoit maigre ; et n'est Nostradamna, 
Qui, l'astrolabe en main ne demenrast camus. 
Si , par galaotcrie , on par sottise expresse , 
Il y pensoit trouver une estoile de graisse. 
Pour moi , si j'eusse été sur la mer du Levant » 



SATIRES. ^07 

Dii le vieux Louchali fendit si bien lc> vent , 
Quand Sainct-Marc s'habilla des enseignes de Thrace, 
Je la comparerois au golphe de Patrasse : 
Pour ce qu'on y Toyolt en mille et mille parts , 
Les mousches qui flottoient en guise de soldarts , 
Qui, morts, sembloient encor% dans les ondes salées, 
Embrasser les charbons des galères bruslées. 

« 

J'oi, cesemble, quelqu'un de ces nouveaux docteur» 
Qui d'estoc et de taiUe estrillent les autheurs 
Dire que ceste exemple est fort mal assortie. 
Homère, et non pas moi, t'en doit la garantie , 
Qui dedans ses escrits , en de certains effets , 
Les compare peut-estre aussi mal que je fais. 

Mais retournons à table , où l'esclanchë en cervelle 

Des dents et du chalan separoit la querelle : 

Et , sur la nappe allant de quartier en quartier. 

Plus dru qu'une navette au travers d'un mestier, 

Glissoit de main en main, où, sans perdre advantage , 

Ebrechant le Cousteau , tesmoignoit son courage : 

Et durant que brebis elle fut parmi nous , 

Elle sçeut bravement se défendre des loups; 

Et de se conserver elle mit si bon ordre , 

Que , morte de vieillesse , elle ne sa voit mordre. 



3o8 REGMIEB. 

A quoi) gloiitoD oiseaa, da ventre renaissant 
Dn fils du bon Japet, te vas-tu repaissant ? 
ÀMez, et trop long-temps, son poulmon tu gourmandes 
La faim se renouvelle au change des viandes. 
Laissant là ce larron , vien ici désormais 
Oii la tripailte est frite en cent sortes de mets. 
Or durant ce festin damoiscUe Famine , 
Avecq' son nez étique, et sa mourante mine , 
Ainsi que la cherté par esdict l'ordonna, 
Faisoit un beau discours dessus la Lezina ; 
Et , nous torchant le bec , alléguoit Simonide , 
Qui dit, pour estre sain, qa'il faut mascher à vaidc. 
Aur(>ste,àmanger peu, monsieur mangeoit d'autant 
Du vin qu*à la la tarerfae on ne payoit contaot ; 
Et se faschoit qu'un Jean, blessé de la logique, 
~Lui barbouilloit Pesprit d'un ebgo sophistique. 

£6miant,quantàmoi, du pain entre mes doigts, 
A tout ce qu'on disoit doucet je m'accordois , 
Leur voyant de piot la cervelle eschauflee, 
De peur, comme l'on dit , de courroucer la fée. 

Mais à tant d'accidents l'un sur l'autre amassez , 
Sçachant qu'il en falloit payer les pots cassez. 
De rage, sans parler je m'en mordois la lèvre ; 
Et n'est Job de dcspit , qui n'en eust pris la chêne. 
Car un limier boifeux , de galles damassé , 



S&TIÏIES. 3o9 

Qu'on avoit d*haâe chaude et de souffre graissé , 
Ainsi 5 comme nn verrat envelopjlé de fange , 
Qaand sons le corselet la crasse lui démange , 
Se bouchonne par-tout : de mesme ^ en pareil cas , 
Ce roogneux las d'aller, se ût)ttoit à mes bas ; 
Et , fust pour estriiler ses galles et ses crottes , 
De sa grâce il graissa mes chausses pour mes bottes, 
Et si digne façon que le fripier Martin, 
Avecq' sa malle-tache j perdroit son lalin. 

Ainsi qn'en ce despit le sang m'eschauffoit l'ame , 
Le monsieur son pédant à son aide reclame , 
Pour soudre l'argument ; quand d'un sçavaut parler 
II est qui fait la moue aux chimères en l'air. 
Le pédant tout fumeux de vin et de doctrine , 
Bespond, Dieu sait comment : le bon Jean se mutine: 
Et sembloit que la gloire, en ce gentil assaut, 
Fust à qui parleroit , non pas mienx, mais plus haut , 
Ne croyez eu parlant que l'un ou l'autre dorme. 
GommentI|vosire argument,dit l'un, n'est pas en forme 
L'antre, tout hors de sens : mais c'est vous, malautru , 
Qui faites le sçavant, et n'estes pas congru. 
L'autre : monsieur le sot, je vous ferai bien taire. 
Quoil comment ! Est ce ainsi qu'on frappe Despauterre 
Quelle incongniité ! Vous mentez par les dents. 

Mais vous? Ainsi ces gens, à se picquer ardents. 

S'en vindrent dn parler à tic tac , torche lorgne î 



!^IO &KGN1EE. 

Qaî caue le moseau ; qui son rival etborpue ; 
Qui jette un pain , on plat» une auiettc, un couteaa ; 
Qoi , ponr une rondache, empoigne un escabeau. 
L'on fait plus <(u'il ne peut; et l'autre plus qu'il n'ose. 
Et pense « en les voyant , Toir la métamoiphose 
Ob les ceataures saouz, an bourg atracien ,. 
Voulurent^ cbauds de reins , fisire nopces de chien; 
Et y cornus du bon père» encorner le Lapithe , 
Qui lenr fit 4 la fin enfiler la guérite » 
Qoand avecqnes des plats , des tréteaux , dei tifooi, 
Par force les chassant mi-morts de ses makoiu » 
Il les fit gentiment , après- la tragédie , 
De cheTaux devenir gros asnes d'Arcadie. 

Nos gens en ce combat n'estoient moins inhumains > 
Car chacun s'escrimoit et des pieds et des maini ; 
Et comme eux y tout sanglants en cesdocte»-alarme>« 
La fureur aveuglée en main leur mit des armes. 
Le bon Jean crie, au meurtre 1 et ce docteur, hannlll 
Le monsieur dit : Tout beau ; l'on appelle Girault. 
A ce nom , voyant l'homme et sa gentille trongne, 
En mémoire aussi-tost me tomba la Gaacongne : 
Je cours à mon manteau, je descends l'escalier, 
Et laisse avecq' ses gens monsieur le chevalier, 
Qni vouloit mettre barre entre ceste canaille. 
Ainsi , sans coup ferir, je sors de la bataille , 
l§aas parler de flambeau, ni sans faire autre brait. 



SATIRES. 3 1 1 

Croyez qu'il n^étoit pas^ O nuitl jalouse nuictl 
€ar il sembloit qu'on eust aveuglé la nature ; 
Et faisoit un noir brun , d'aussi bonne teinture 
Que jamais ou en vit sortir des Gob clins. 
ÂTgus pouvoit passer pour un des Quinze-vingts. 
Qui pis est , il pleuvoit d'une telle manière. 
Que les reins, par despit , me servoient de gouttière. 
Et du baut des maisons tomboit un tel dégoût , 
Que les cbiens altérez pouvoient boire debout. 



riif. 



VV\VVWVVVWVV\fVM/WV WWWVW«A«MA/VVV\WV\ VWW ^/VW/S VWWW^A/WV 



TABLE. 



Intboodctioh I 



PIERRE DE RONSARD. 



Ode prekDière,à J. Daurat • • • i 

Ode II. Le retour do Printemps 6 

Ode III. Mignonne, allôna tôît ai la roaei etc. 8 

Ode IV, à r Aube-Épine. 9 

Ode V« sàrlea Fleurs 11 

Ode y I. Ronsard choisit son sépulcre i3 

Ode VU , sûr les maux de la vie humaine. ... 18 

Ode VIII aa 

Ode IX , à la forêt de Gastine a4 

Ode X, à Des Autels 26 

Ode XI , sur la Rose. . » » 3o 



2^4 TA.BIi£. 

Ode XII. Adicnz de Ronsard aux plaisirs de 

la w ^ 

Ode XIll. EzccUeDGe da commerce des Muses. !^ 

Ode XIY. Conseils. . 3* 

Ode XV. Amour prisonnier des Mases. 3j 

Ode XTI , snr la mort de Margaerite de France, ii 

soear de François I*' 41 

Ode XVII, à Henri II 4; 



DISCOURS. 

Discours à Charles IX 5^ 

— • à Catherine de Médicis 60 

Harangue du duc de Guise aux soldats de Metz, 

le jour de l'assaut. ..• p 

Discours à Charles , cardinal de Lorraine. . . . ;: 

'- à La Haye. ....,••••• 83 

à Henri HI. i . . V 1 . «9 

4 Pierre TEscot. 1 . .. . 99 

^— à' Catherine de Médicis iw 

Réponse dé Roi^saVd 'aux' . Injures et aux ca- 
lomnies d*ùn m^iistré 4e GenèVe. • . . . . n^ 

SONNETS Vt 'POÈSCE^ 'dIVBASES. 



Sonnet î , à Marie-Stuart iJJ 

Sonnet II', à Catherine de Médicis ù'^ 



TABLE. a 35 

Sonnet III. Ronsard demande trois |ours de ao- 

litpd^e.. ....... ^ i56 

Sonnet IV, à Marie 1^7 

Sonnent Y. Songe i38 

Sonnet VI. Sar la mort de Marie 139 

Sonnet VII. Même sujet. • . . . i4o 

Sonnet VIII k Épitaphe de Marie.. i4i 

Elégie sur lamort de Marie i44 

Demiert Ters de Pierre de Ronsard^ Stances. • i4S 

JOAGHIM DUBELLAY. 

De l'Immortalité des poètes. Ode i33 

Le Retour da Printemps. • » i36 

Qa'ilfant écrire dans sa langue. Ode iSg 

La Gliansôn dn Vanneur de Blé. 161 

SoDDet 16s 

Autre sonnet. • i63 

Autre Sonnet • i65 

Le Poète Courtisan &66 

J. A. DE BAIF. 

Les Roses. An sieor Gaibert 176 

Baif , à Inî-méme 179 



S36 TABLE. 

Amour oûeaa ...- é 

Le caleal de la vie. ..•...-•«•• lï 



REMI BELLEAU. 



Ode popr la pau • . . . iS; 

Amoqr .pîqn^ d'vne pioQcbe à miel . • i^i^ 

Avril , i^i 

DUBARTAS. 

Description du jardin d'Éden 39S 

Le déloge.. 3Gc 

Le Sacrifice d'Abratam. M 

Sonnet. . . .' 3" 



J. B. GHASSIGNET. 

Ode sacrée .' n; 

Autre V. 2tS 

Antre • *^ 

Autre . î>^ 

Sonnet »i 

Autre. »ii 



TABLE. 3^7 



PH. DESPORTES. 

Complainte •.....••... 329 

[]!han80D ••• a3i 

\. Sainte Agathe , vierge et martyre a35 

[]hansoD aZ6 

lur une Fontaine 339 

bonnet « 340 

lutre. . a4x 

J. BERTAUT. 

3de sacrée 345 

hanson.. 34 



"^ 



REGNIER. 

SATIRES. 

lai Vie de la cour * 354 

La Poésie toujours pauvre. • • 363 

[iC goût particulier décide de tout 369 

Li'importun , ou le Fâcheux 377 

Le critique outré 384 

ûa folie est générale 390 

e Souper ridicule . 397 

FIN. 



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