LMLC.
D'ORL
NOTES SUR SON ÉTENDUE— SES PREMIERS ÉTABLISSEMENTS —
Sa population — LES MŒURS DE SES H'.IJITANTS —
SES productions
Avec une Carte par M. de Villeneuve,
ingénieur du Roi
ŒUVRE posthume DE *
Jn^L'ABBE L.-EJtOIS
Ancien curé de Maskinongé, membre de la Société
Historique de Québec^ de îa Société Royale
du Canada, etc.
QUÉBEC
imprimerie GÉNÉRALE AUGUSTIN CÔTÉ & C**
.695
ILE D'ORLÉANS
Enregistrd au bureau du Régistraire à Outaouais, en 1896, par Augustin
Coté et Cie, conformément à l'acte qui protège la propriété littéraire.
LMLI^
D'ORLÉANS
NOTES SIR SON ETENDUE — SES PREMIERS ETABLISSEMENTS-
SA POPILATION— LES MŒIRS DE SES HABITANTS —
SES PRODUCTIONS
Avec une Carte par M. de V illeneuve,
ing't'nieur du Roi
ŒUVRE POSTHUME DE
M. L'ABaÉ L.-E. BOIS
Ancien curé de A/nskinon^é, membre de la Société
Historique de Québec, de la Société loyale
du Canada, etc.
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QUEBEC
Imprimerie générale Augustin Côté & C* ,
«895
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NOTE DE L'ÉDITEUR
L y a six ans déjà, la presse signalait avec
regret la mort d'un prêtre éminent, écri-
vain modeste autant que savant remarquable, dont
les recherches et les travaux historiques, longtemps
ignorés du public, ont souvent fait Vétonnement
et l'admiration des Bibliophiles et des Antiquaires
du pays, et même de l'étranger.
Intelligence d'élite, servie par une mémoire
prodigieuse, travailleur infatiguable et énergique,
aussi attaché à sa nationalité que dévoué à son
ministère, l'abbé Bois avait, dès son début dans la
vie, fait, en quelque sorte, deux parts de son exis-
tence. Consacrant la première, la plus large, aux
devoirs absorbants du sacerdoce et aux œuvres de
charité vers lesquelles l'entraînait sa nature géné-
reuse, il avait voué la seconde à l'étude de la théo-
logie, des sciences et; de l'histoire, particulièrement
VI —
celle du Canada, dont il avait maintes fois par-
couru le cercle et rebattu les sentiers jusque dans
ses recoins les plus obscurs, n'ayant d'autre but et
d'autre ambition que de contribuer à en élargir le
cadre et à en rehausser l'éclat, au double point de
vue des intérêts religieux et temporels de ses
compatriotes.
Eloicrné des grands centres, des bibliothèques
et des archives publiques, il avait cependant réussi
à enrichir ses tiroirs et ses rayons d'une foule de
médailles et de pièces rares, d'autographes et de
bouquins précieux, de manuscrits et de pamphlets
introuvables aujourd'hui ; et ses cartons, gonflés
d'études inachevées, de biographies intéressantes,
de notes précieuses, puisées patiemment, pendant
cinquante ans, aux sources les plus authentiques,
et classifiées avec l'art du bénédictin, attiraient
vers le presbytère de Maskinongé l'élite de nos
hommes de lettres et de science, auxquels il per-
mettait de puiser à pleine main dans ce trésor
laboricusemçnt; accumulé, se trouvant sufhsam-
vn — •
ment récompensé de ses durs labeurs par le plaisir
qu'il éprouvaità aider un collaborateur et à obliger
un ami.
La mort l'a surpris avant qu'il ait eu le temps
de compléter les nombreuses études qu'il avait
commencées, entre autres, ses intéressantes Bio-
graphies des évêques du Canada, dans lesquelles
il avait traité avec une grande hauteur de vue, une
sagacité remarquable et une abondance de détails
pour la plupart inédits, des questions d'un ordre
très élevé se rattachant à l'histoire politique et
surtout à l'histoire ecclésiastique du pays.
Toutes ces richesses ne sont cependant pas per-
dues, car, en les léguant au séminaire de Nicolet, il
les a placées sous la triple protection de l'amitié,
de la religion et de la science, et les directeurs
éclairés de cette illustre maison, désireux de per-
pétuer la mémoire d'un bienfaiteur et de seconder
ses intentions, si non ses volontés, se feront un
devoir, nous en sommes convaincu, de livrer à la
publicité, sous unç forme qu squs unç autre, au
Vlll
moins les parties les plus importantes des œuvres
qui enrichissent maintenant leurs archives et leur
intéressante bibliothèque.
Il serait superflu de mentionner ici la pa.t active
et déterminante prise par l'abbé Bois à la publica-
tion des Relations des Jésiiités et de donner la
liste complète des ouvrages qu'il a publiés de son
vivant : Extraits du Livre de inon oncle, sur l'agri-
culture : Esquisse de la vie et des travaux de Afo-y
de Laval-Montmorency, avec portrait ; De Sillery,
Dambouroès, Mabane, Crespel, l'abbé Raimbault,
Vabbé Leproi. ", etc., etc. Il nous suffit de rappeler
qu'au nombre de ces derniers, nul ne fut mieux
accueilli et plus apprécié que son intéressante
étude sur \ Ile d'Orléans^ reproduite dans le feuille-
ton du Journal de Québec, en 1864. L'histoire
de cette Ile, publiée trois ans après, par le regretté
L.-P. Turcotte, ainsi que les brillants écrits du
professeur Hubert La Rue, ont encore contribué
à augmenter l'attrait de ce premier récit. Aussi,
cédant aux soUicitutiontj de ses amis, l'abbé Bois
t
IX
avait consenti, quelque temps avant son décès, à
le publier en volume, après l'avoir revu et corrigé,
et il avait, dans ce but, remis et donné son manus-
crit à son vieil ami, M' Augustin Côté, éditeur-
propriétaire du yoîirnal de Québec.
Le décès de l'auteur a retardé jusqu'à ce jour
l'impression de cet intéressant travail. Nous 1 of-
frons aujourd'hui au public, persuadé qu'il recevra
de sa part, sous cette forme rajeunie, l'accueil
bienveillant que lui témoignaient autrefois les lec-
teurs éclairés du yournal. Le nombre et l'impor-
tance des ouvrages historiques publiés depuis quel-
ques années par l'Etat, et par nos principaux écri-
vains, ont développé le goût de notre population
pour tout ce qui se rattache à l'histoire intime
du passé. D'ailleurs, son patriotisme éclairé suf-
firait à lui seul p>our lui faire apprécier le mérite
de ceux qui travaillent, avec autant de zèle que
de désintéressement, à réunir les matériaux épars
de notre histoire et dont les œuvres, comme les
pierres ciselées pour un temple en construction,
serviront, elles aussi, à orner et à agrandir celui
que la postérité reconnaissante a déjà dédié à la
mémoire des aïeux.
Nous offrons en même temps aux lecteurs une
véritable primeur: la carte la plus ancienne et la
plus complète de l'île d'Orléans. Elle date de
1689, et est l'œuvre de M. de Villeneuve, Ingé-
nieur du Roi en ce pays. Ce dernier demeura à
Québec de 1685 à 1693. Il nous a laissé plusieurs
autres travaux de ce genre devenus très rares
aujourd'hui : entre autres, un plan de la ville et
du château de Québec en 1685 ; un plan de
Québec assiégé par les Anglais en 1690, et trois
cartes des environs de la capitale, dessinées en
16S6, 1688 et 1689, [Bulletin des Recherches
Historiques, P'vol., pp. 36 et 37.)
Celui-ci reproduit, avec la plus grande exacti-
tude de détails, les rivages de l'Ile, ses caps, ses
pointes, ses ruisseaux, ses rivières. Il retrace
XI
aussi les lignes de division des paroisses, ainsi
que la course des chemins alors existants. Mais
ce qui le rend surtout extrêmement précieux, c'est
le soin et la précision avec lesquels il indique le
sice de chacune des habitations de l'Ile, qu'il
désigne par des numéros référant à un index qui
contient les noms de tous les habitants de cette
époque.
C'est presque une photographie de l'Ile, telle
qu'elle était il y a maintenant tout près de deux
cents ans.
PRÉFACE
DE L'auteur
Si l'on a pu dire que chaque pierre a sa chronique,
chaque mousse sa légende, il est encore plus vrai d'affir-
mer que chaque famille a aussi ses souvenirs, chaque
maison ses traditions, chaque localité ses annales parti-
culières et que l'ensemble des événements joyeux ou tristes
qu'elles rappellent, des époques brillantes ou sombres,
glorieuses ou tragiques dont elles ont été le témoin ou le
théâtre et dont le récit se transmet au coin du feu, de
génération en génération, constitue le charme le plus at-
trayant de l'histoire d'une population ou d'une localité.
L'île d'Orléans, connue des Français dès leurs pre-
miers voyages au Canada, située à quelques milles de
distance de la citadelle de Québec, ce vieux témoin des
luttes héroïques des deux nations les plus puissantes de
l'Europe, pour la possession exclusive de ce continent,
offre, elle aussi, aux lecteurs amis de leur pays, sinon des
pages mouvementées, remplies de prouesses et d'actions
d'éclat, au moins des mémoires précieux et intére sants,
non seulement pour ses habitants, mais même pour le
public en général, et qu'il devient de plus en plus impor-
i
XIV
tant de conserver en les mettanï: à l'abri de la pernicieuse
influence de l^indifférence et de l'oubli.
En 1860, Mr N. H. Bowen, notaire, fils du juge-en-chef
de la Cour supérieure, et membre de la Société littéraire et
historique de Québec, publiait un Essai d'une quarantaine
de pa^es auquel il donna pour titre : An Historical Sketch
of the Isle 0/ Orléans, being a paper read before the Literary
and Historical Society of Québec^ er-c. Cet opuscule, tiré à
un nombre limité d'exemplaires, est composé en grande
partie de citations réunies avec beaucoup de soin et sup-
pose celui qui le lit déjà amplement pourvu de connais-
sances historiques. L'auteur, généralement véridique et
impartial, ne présente à ses lecteurs ni railleries sur les
usages et les coutumes de l'Ile, ni observations offensantes
sur les mœurs et les croyances des bons insulaires.
Tout, au contraire, y respire le respect et la bienveil-
lance à leur égard. L intérêt éprouvé en lisant ce mémoire
fit regretter que, étant écrit en langue anglaise, il ne
pouvait guère être lu par ceux qu'il intéressait davantage,
et qui auraient aimé surtout à le conserver dans leurs
familles. C'est pour combler cette lacune et pour suppléer
cette omission que nous offrions aux lecteurs du Journal
de Québec, en 1864, quelques notes qui devaient servir de
— XV —
complément à l'œuvre de M^ Bowen. Ce travail n'avait
qu'un mérite, celui de démontrer qu'il s'en fallait de beau-
coup que la matière fut épuisée. Aussi, trois ans plus tard,
Mr L.-P. Turcotte, lui-même un enfant de l'Ile d'Orléans,
reprit le travail commencé et le publia sous une forme
qui le mit à la portée du public. Il nous fit part de sa dé-
cision au mois de mai 1867 par la lettre suivante :
Au Révérend Monsieur L.-E. Bois.
Monsieur,
Quelques personnes m'ont assuré que vous êtes le savant auteur
de la critique de la brochure de M. Bowen sur l'Ile d'Orléans, qui
a été publiée dans le feuilleton du Journal de Québec, en 1864. J'ai dit
l'auteur de la critique, je me trompe, vous êtes plutôt l'auteur d'une
véritable histoire de l'Ile, tant par le nombre des faits historiques
que par le grand nombre de notes qui accompag'nent votre excel-
lente critique. Si votre ouvrage eut été livré au public en bro-
chure, je n'aurais jamais entrepris la publication de cette Histoire
que j'ai l'honneur de vous présenter.
Je vous avouerai, irionsieur, que votre excellent travail m'a été
d'une grande utilité pour cette brochure. Sans lui, certainement,
plusieurs faits n'auraient pas été traités.
Vous avez donc, par votre ouvrage, contribué beaucoup à la com-
pléter et c'est en reconnaissance de ce secours que je vous prie
d'accepter le présent exemplaire do mon humble Histoire de l'Ile
d'Orléans,
J'ai l'honneur d'être, etc.,
L.-P. TlRCOTTE.
— xvî — ^
Nous laissâmes le jeune et industrieux écrivain jouir en
paix du fruit de son ouvrage. Mais vingt ans se sont
écoulés depuis cette époque, et la vente de son Histoire
étant depuis longtemps épuisée, nous cédons aux deman-
des qui nous sont adressées et nous livrons à la presse,
sous une forme nouvelle, l'œuvre à peine ébauchée dans
les colonnes du Journal de Québec, laissant aux lecteurs à
faire la part du mérite de chacun. Quelles que soient d'ail-
leurs les divergences d'opinions sur ce point, nous som-
mes satisfait que les amis des lettres et de l'histoire nous
seront, peut-être, reconnaissants d'avoir été le premier à
défricher et à ouvrir une voie dont l'importance et l'uti-
lité étaient alors loin d'être démontrées, mais qui a depuis
été rendue de plus en plus attrayante, tant par le travail in-
telligent de Mr Turcotte et les écrits patriotiques et humo-
ristiques du regretté Hubert LaRue, que par les nom-
breux ouvrages du même genre qui ont été publiés depuis.
LMLE D'ORLEANS
PRELIMINAIRE
DE toutes les îles qui partagent les eaux du Saint-
Laurent (celle de Montréal exceptée), il n'en est
pas qui captive autant l'attention, par le pittoresque de
sa situation, la variété de ses paysages, la fertilité de son
sol et le caractère propre de ses habitants, que celle qui
fut nommée d'abord l'Ile de Bacchus et que, depuis près
de trois siècles, on appelle l'Ile d'Orléans. Soit que le
touriste ou l'étranger contemple ses rivages gracieux ornés
d'une large ceinture de blanches maisons et d'élégantes
villas, ses champs fertiles, qui s'élèvent par des pentes
ondulées formant une espèce d'amphithéâtre recouvert de
jardins, de vergers, de prés verdoyants, et couronné par
les restes précieusement conservés de l'antique forêt; soit
qu'il tourne ses regards vers le sombre et majestueux cap
Tourmente, la superbe et bruyante chute Montmorency,
ou sur les riches campagnes de la rive sud du Saint-
Laurent, il voit se dérouler, devant ses yeux étonnés, une
succession aussi variée qu'inattendue de sites enchanteurs,
de perspectives gracieuses, d'horizons charmants et gran-
dioses qui le ravissent et le forcent d'admettre que cet
heureux coin de terre, négligé si longtemps par les citoyens
de Québec, est destiné, dans un avenir rapproché, à de-
venir pour cette dernière ville ce que Brocklyn est à la
capitale commerciale des Etats-Unis.
Située à moins de cinq milles de Québec, l'île d'Or-
léans a vingt-et-un milles de longueur sur environ cinq
milles dans sa plus grande largeur. Elle forme une éten-
due de terre de 70 milles carrés ou de 43,000 arpents en
superficie. Elle était autrefois couronnée à son extrémité
occidentale par un bosquet de pins qu'on appelait le nid
du Corbeau. Ses rivages, peu souvent escarpés, présen*
— 3 —
tent en différents endroits des rochers qui ne sont ni d'une
élévation, ni d'une étendue remarquable ; dans d'autres,
ils forment de larges prairies recouvertes en partie par la
marée. Du côté nord, le rivag-e est généralement plat et
boueux; du côté sud, il est presque partout couvert d'un
beau sable parsemé de loin en loin de petits récifs.
La description qu'on en lit au livre des Voyages de
Champlain (tome II, ch. 2), est bien exacte:
" Alors on suit le fond, côtoyant l'isle d'Orléans au sud,
qui a six lieues de longueur, et une et demie de large, en
des endroits quantité de bois de toutes les sortes, que
nous avons en France ; elle est très-belle, bordée de
prairies du costé du nord, qui inondent deux fois le jour.
Il y a plusieurs petits ruisseaux et sources de fontaines,
et quantité de vignes, qui sont en plusieurs endroits. Au
costé du nord de l'isle, il y a un autre passage, bien que,
en le chenal, il y aye au moindre enarult trois brasses
d'eaux ; cependant l'on rencontre quantité de pointes qui
avancent en la rivière, très dangereuse et de peu de louiage,
si ce n'est pour barques, et si faut faire les bordées cour-
tes. Entre l'isle et la terre du nort, il y a près de demie
lieue de large, mais le chenal est étroit, tout le pays du
nort est fort montueux. Le long de ces costes il y a
quantité de petites rivières qui la plupart assèchent de
basse mer { elles abondent en poisson de plusieurs sortes
et la chasse du gibier y est en nombre infinie. Comme
à risle et aux prairies du Cap Tourmente, très beau lieu
et plaisant à voir. De l'isle d'Orléans à Québec, il y a
une bonne grande lieue, y ayant de l'eau assez pour quel-
que vaisseau que ce soit. »<
Le sol de l'Ile est généralement très fertile. Aussi a-t-on
longtemps appelé cette dernière le grenier de Québec.
Ses habitants sont paisibles, sobres et industrieux. Grâce
à leurs habitudes d'économie, ils vivent, sinon dans l'ai-
sance, au moins dans une heureuse médiocrité, sur des
propriétés d'une étendue assez limitée. Ils fournissent aux
marchés de Québec tous les produits ordinaires du verger,
du jardin et de la ferme, entre autres, d'excellentes pom-
mes de terre, du beurre exquis et ce délicat fromage affiné
qui fait depuis si longtemps les délices des gourmets de
Québec, et leur permet de traiter avec une certaine hau-
teur le fromage de Brie, pourtant si vanté par tous les
gastronomes de France.
La vie de famille dans l'île d'Orléans a conservé le
cachet particulier et la simplicité des mœurs patriarcales
d'autrefois. Les relations sociales sont caractérisées par
l'urbanité, la cordialité et le respect que se témoignent en
toutes circonstances ceux qui, pendant deux siècles d'iso-
lement et de vie-à-part, ont fini par se considérer comme
les membres d'une seule et même famili.. La droiture
— 5 —
dans les transactions, l'honnêteté dans les rapports jour-
naliers, la sobriété y sont encore en honneur, et c'est aussi
au milieu de ses habitants que l'on retrouve cette franche
et cordiale hospitalité si vantée autrefois par les étran-
g-ers, et dont les traces disparaissent, hélas ! si rapidement
dans plusieurs parties de notre beau pays.
Quoique le territoire de l'Ile soit insuffisant pour fournir
des établissements à toute sa population, les familles qui
s'y sont originairement établies ont généralement résisté
au courant de l'émigration qui emportait forcément les
plus jeunes de leurs enfants vers les nouv^eaux centres de
colonisation, et les terres qui, depuis deux cents ans
passés, ont été transmises de père en fils sont encore en
grande partie occupées par les descendants des conces-
sionnaires primitifs.
Le R. P. de Charlevoix, qui y alla en 1720, (tome II,
ch. II,) dit qu' <• il trouva ce pays beau, les terres bonnes
et les habitans à leur aise. " Le morcellement des pro-
priétés y est presque inconnu. On se rappelle que, sous
le régime français, l'autorité s'opposait de toutes ses
forces à ce que les colons s'établissent sur des propriétés
de peu d'étendue. Par une ordonnance du 28 avril 1745,
le roi Louis XV défendit de construire des maisons sur
— 6 —
des pièces de terre de moins d'un arpent et demi de front,
sur trente de profondeur. Cinq brihitant'^ de l'île d'Or-
léans furent poursuivis pour contravention k ce règlement
et furent condamnés, le 12 janvier 1752, par l'intendant
François Bigot, k payer chacun cent francs d'amende aux
pauvres de leur paroisse respective et à démolir leurs
bâtisses dans un délai de quatre mois, (a)
Nous n'avons pas l'intention de nous arrêter aux chroni-
ques obscures qui, h des époques déjà reculées, faisaient
des habitants de l'Ile un peuple de sorciers. Cette fable
ridicule, née de l'ignorance, a cependant trouvé créance
chez des esprits réputés sérieux, entr'autres, le R. P. Char-
levoix, d'ordinaire si grave et si judicieux. {Journal crun
voyage de r Amérique, tome II, lettre II.) Les feux uue
l'on voyait courir sur les rivages de l'Ile, k certaines
heures de la nuit, et qui n'étaient rien autre chose que les
flambeaux dont les insul.iires se servaient pour visiter
leurs pêcheries, avaient donné lieu k ces suppositions bi-
zarres, que l'on aurait pu tout aussi bien appliquer aux culti-
vateurs des paroisses de Saint-V'alier, de l'Ange-Gardien,
du nord et du sud, puisqu'eux aussi faisaient le tout de
(a) Les noms de ces propriétaires étaient ; Pierre Lachance, sieur Curodeau,
J.-Hte Martel, forgeron, Jean-Marie fiante, tous de Saint-.lean, et le nomm^
ferrant, rabaretit-r de Saintc-I'aniillç. (2e vol. Kd, et Ord. 594.)
— 7 —
leurs pêches la nuit avec des lumières du même genre.
Peut-être, aussi, que l'ère de prospérité que l'on voyait
rég-ner dans les habitations des cultivateurs de l'île d'Or-
léans, portait-il à attribuer aux procédés magiques plutôt
qu'à un travail intelligent et assidu, les heureux résultats
d'un mode de culture plus suivi et mieux soigné. Quoi-
qu'il en soit, il ne se rencontre plus personne qui croie
aux pratiques de la magie chez ces insulaires, malgré qu'il
y en ait plus d'un, peut-être, qui jalouse leur bonheur, le
calme de leur existence et la paix de leurs foyers.
L'Ile est actuellement divisée en six paroisses : Saint-
Pierre, Sainte- Famille, Saint -François de Sales, Saint-
Jean-Baptiste, Saint-Laurent, appelée autrefois Saint-Paul,
et Sainte-Pétronille du bout de l'île, récemment formée
d'une partie de la paroisse de Saint -Laurent et d'une
partie de celle de Saint - Pierre. Nous ne comprenons
pas comment le Père de Charknoix a pu, de son temps, y
trouver six paroisses. {Histoire de la Xoiivellc-Fntucc, tome
III, p. 67.) Avait-il donc compté la paroisse qui est sous
le vocable de Saint-Pierre et do Saint-Paul, pour deux
paroisses distinctes? Ln jetant un coup d'œil sur la carte
de l'Ile d'Orléans, qui accompagne son Voyage historique^
pn voit cjue l'auteur place une église à Saint-François, et
— 8— •
une seconde à Argentenay ! Mais ceci est tout-à-faît
inexact, car il n'y eut jamais qu'une seule église dans la
paroisse de Saint-François.
Pour constituer autrefois ce qu'on appelait le comté
d'Orléans, on joignait à la belle et grande île de ce nom,
les îles Madame et aux Reaux. — On disait et on écrivait
anciennement isle aux Ruaux. — Cette dernière fut concé-
dée, en 1638, par le gouverneur de Montmagny, aux révé-
rends Pères Jésuites. Elle n'a qu'une superficie de deux
cent cinquante arpents environ.
Après l'extinction de cet Ordre précieux en cette colo-
nie, le gouvernement s'en empara et la revendit ensuite.
Elle a bien des fois changé de mains depuis. Le pro-
priétaire ne payait cependant qu'une rente bien faible pour
en avoir le profit, disait l'agent des biens des Jésuites,
lors de l'enquête établie par la Législature, en 1836. (Voir
le Journal de la Chambre cT Assemblée, ^^J^' Appendice,
tome III.)
Depuis l'Union des Canadas, l'Ile d'Orléans est réunie
h la cote de Beaupré, et forme un collège électoral, qui a
pour titre le comté de Montmorency, et, pour représentant
dans la Chambre d'Assemblée, l'honorable Joseph Cauchon,
un des plus anciens représentants du peuple en cette nro-
— 9 —
vince. Le premier député qui fut élu pour cette division
au parlement, établi en vertu de la Constitution de 1791,
fut Nicolas - Gaspard Boisseau, écuyer, qui représenta le
comté de 1792 à 1796; Jérôme Martineau, écuyer, lui
succéda et conserva son mandat jusqu'à sa mort, le 19
décembre 1809. Cet homme de bien ne dut la conserva-
tion de cette charge honorable, ni à l'ascendant d'un parti,
ni à l'influence de la fortune, mais simplement à sa probité
et à ses vertus civiques.
M. Charles Blouin le remplaça, de 1810 à 1819. Il mou-
rut à l'âge avancé de 91 ans, possédant encore toutes ses
facultés intellectuelles, et fut enterré dans l'église de
Saint-Jean, où il avait été chantre pendant plus de 60 ans.
Il était aveugle depuis treize ans. Puis MM. François
Quirouet, Cazeau, Godbout, Quesnei, remplirent succes-
sivement cette fonction importante jusqu en 1844, époque
à laquelle l'honorable député actuel du comté de Mont-
morency fut élu pour la première fois, par les électeurs
des paroisses de l'Ile.
10
II
ARRIVÉE DE CARTIER DANS L'JLE
La première mention qui est faite de l'Ile d'Orléans
dans V Histoire des Voyages de Jacques Cartier^ est à l'occa-
sion de son arrivée entre l'Ile et la côte du Nord, lors de
son second voyage, en 1535. Nous ne ferons que repro-
duire intégralement, pour la satisfaction du lecteur, la
page du Journal de l'intrépide voyageur. {Seamâ Voyage;
chapitre II.) . . " Le septième du dit mois (septembre 1535,)
nous partîmes de la dite isle (l'Ile aux Coudres), pour
aller .\ moni le dit fleuve, et vîmes quatorze isles, (île aux
Grues, île aux Oies, île Madame, etc.,) qui étaient dis-
tantes de la dite île aux Coudres de sept à huit lieues,
qui est le commencement de la terre et province de Ca-
nada : desquelles il \ vn a une grande d'environ dix lieues
de long et cinq de large, où il y a gens demeurant qui font
grande pêcherie de tous les poissons qui sont dans le dit
fleuve, selon les saisons, de quoy sera fait ci-après men-
tion. Nous estans posés, et î\ l'ancre, entre icelle grande
isle et la terre du Nord, fûmes k terre et portAmes les
— 11 —
deux hommes que nous avions pris le précédent voyage,
et trouvasmes plusieurs gens du pays, lesquels commen-
cèrent à fuir, et ne voulant approcher jusqu'à ce que les
deux hommes commencèrent à parler et lorsqu'ils
eurent connaissance d'eux, commencèrent à faire grande
chère, dansans et faisans plusieurs cérémonies, et vinrent
partie des principaux à nos bateaux, lesquels nous appor-
tèrent force anguilles et autres poissons, avec deux ou troic
charges de gros mil (blé-d'inde), qui est le pain duquel ils
vivent en la dite terre, et plusieurs gros melons .... m
Et, plus loin, il ajoute :
" .... Et fûmes, outre le dit fleuve, environ dix lieues,
costoyans la dite isle, et au bout d'iceile trouvasme un
afl'ourg d'eau fort beau et plaisant, n
Selon quelques écrivains du siècle dernier, — et cette
assertion a été répétée par ceux de nos jours, — Roberval
aurait fait revenir Cartier sur ses pas, pour commencer
un établissement dans l'île d'Orléans ; mais, selon d'autres,
f ette rencontre aurait eu lieu à Saint-Jean de Terreneuve,
e' c'est là qu'il se serait agi de faire des constructions (a).
Voici sur ce point le témoignage d'un contemporain de
Champlain.
(a) On sait qu'il s'arrêta il Kirpon et A d'autres postes. Une fie de la
passe qui conduit au Havre, porte encorç son nom.
— Ï2 —
Dans la Relation d'un voyage fait par le capitaine Da-
niel, de Dieppe, en 1629, rapportée à la fin de l'ouvrage,
Voyages de Champlain, tome II, p. 362, on lit :
I' .... En l'an 1541, il (Jacques Cartier) fit un autre
voyage comme lieutenant de messire Jean-François de la
Roque, sieur de Robert-Val, qui estait lieutenant-général
au dit pays, ce fut son troisième voyage où il demeura.
Ne pouvant vivre au pays avec les sauvages qui estaient
insupportables il s'en délibéra de s'en retourner au
printemps, ce qu'il fit en un vaisseau qu'il avait réservé,
et estant le travers de l'isle de Terreneuve, il fit rencontre
du sieur de Robert-Val, qui venait avec trois vaisseaux,
l'an 1542. Il fit retourner le dit Cartier k l'isle d'Or-
léans, où ils firent une habitation, et y estant demeurés
quelque temps l'on tient que Sa Majesté le demanda pour
quelques affaires importantes, et cette entreprise, peu à
peu, ne sortit aucun eff"et, pour n'y avoir apporté la vigi-
lance requise"
Au livre III, chap. 24, du i*^ vol. des Voyages de Cham-
plaitîy on lit :
'• Nous rangeasme l'île d'Orléans, du costé du sud, dis-
tante de la grande terre une lieue et demie, et du coté
nort demie lieue, contenant de long six lieues, et de large
une lieue ou lieue et demie par endroits. Pu costé nort,
elle est fort plaisante par la quantité de bois et de prairies
qu'il y a, mais il est fort dangereux d'y passer, p'iur la
quantité de pointes de rochers qui sont entre la grande
— 13 —
terre et l'Ile, où il y a quantité de beaux chesnes et de
noyers en quelques endroits, et à l'embouchure des vignes
et autres bois comme nous en avons en France. "
Jacques Cartier avait d'abord nommé cette île Bacchus,
et c'est lui-même qui, dans un voyage subséquent, en
1537, l'appela hle d'Orléans. Le sieur de Robertval la
désigne aussi sous ce nom en 1542. Plus tard, Champlain
donna à une autre île la dénomination de l'Isle de Bac-
chus. Il savait bien que le nom d'Isle d'Orléans avait
prévalu, et, dans ses écrits, il n'en parle que sous ce dernier
titre. (Voir tome II, livre II, chapitre 8, des Voyages de
Champlain :)
" Le i®' août, 1624, est arrivé à Québec, le sieur de
Caën, et, le 4, il fut au Cap Tourmente, qui lui avait été
donné par monseigneur de Montmorency, avec l'Isle d'Or-
léans et quelques autres îles adjacentes (a). "
Les naturels appelaient cette île Baccalaos, dit Lahon-
tan ; cependant, ce n'était pas \k son vrai nom. D'ailleurs,
on trouve que cette appellation était commune aux îles
de Terreneuve, du Cap-Breton et :'i d'autres ; mais on lit
quelque part qu'elle était appelée Afi'nigo, par les indi-
gènes, Ekti-mc-nonk^ c'est-.^-dire la grande Ile. Plus tard,
(a) On avait, longtemps avant cette époque, donné le nom d'Ile Saint-Lau-
rent  l'Ile du Cap-Breton.
1651, lorsque les Hurons s'y établirent, croyant échappai'
aux persécutions de leurs cruels et perfides ennemis, les
Iroquois, elle fut appelée Ile Sainte- Marie. (Voir Rela-
tions des Jésuites^ année 1661, page 9, édition de Québec.)
C'est probablement cette circonstance qui a porté à
dédier à Dieu, sous l'invocation de la bienheureuse vierge
Marie, la première chapelle qui fut construite en ce lieu.
Nous lisons encore dans des mémoires du temps, entre
autres, dans un Plan général des Paroisses on Missions^ fait
en 1686, qu'elle s'appelait Isle Saint-Laurent. C'est sous
cette dénomination qu'elle fut érigée en comté et ce titre
lui a été longtemps conservé dans les sctes publics.
Le Père Lejeune, dans la Relation briève du Voyage de
la Nouvelle- France, fait au mois d'avril, 1632, (p. 7, de
l'édition de Québec,) parle de cette île de Saint-Laurent,
sans dire d'où elle prend ce nom. Le Pè'^e Charlevoix,
Histoire de la Nouvelle-France, tome i^'', page 11, édit.
in-4, nous en parle en ces termes :
<•.... Huit lieues plus haut de l'Isle-aux-Coudres, Cartier
en trouva une plus belle et plus grande, toute couverte de
bois et de vignes : il l'appela Isle de Bacchus, mais ce nom
a été changé en celui d'Orléans. Après lui sont venus des
Normands qui ont arraché les vignes, et, à Bacchus, ont
substitué Pomone et Cérès : en effet, elle produit de bon
froment et d'excellents fruits, m
— 15 —
On commence aussi, en 1720, à y cultiver le tabac et il
n'est pas mauv'ais. (Voir Charlevoix, Journal historique
d'un voyage, etc., lettre II.)
Au printemps de 1536, Cartier vint ancrer au-dessous
de l'Ile d'Orléans, ainsi appelée, dit-il, en l'honneur d'un
membre de la famille royale de France, sans faire néan-
moins mention des motifs qui ont décidé l'illustre décou-
vreur à faire ce changfement. Thévet, Cosmographie uni-
verselle, livre 23, p. ICI I, est le premier qui nous ait révélé
que l'île a reçu cette dénomination, en Ihonneur et en sou-
venir du feu duc d'Orléans, mort en 1575. Il nous semble
qu'il est plus naturel de croire que le marin Breton, mû
par un sentiment de reconnaissance envers son bienfai-
teur, le roi François i^'"', a voulu appeler l'île du nom d'Or-
léans pour perpétuer en la Nouvelle-France le souvenir
de la maison d'Orléans, dont descendait l'illustre mo-
narque qui l'avait favorisé, et dont il avait même donné
le nom à d'autres établissements, comme France-Frime,
Mont-Royal, etc. Roberval avait aussi établi France-Roy.
Cartier avait encore nommé Cap-Royal, Cap-d'Orléans,
et autres lieux, d'après les noms ou les titres de l'illustre
bienfaiteur qui lui donnait des marques si multipliées de
son estime et de sa protection. De même, le sieur De
— i6 —
Monts, lieutenant du Roi, nomma plus tard Port-Royal
chez les Souriquois, aujourd'hui appelés Micmacs. Il serait
plus correct de dire que Jacques Cartier, qui avait fait un
voyage en Canada en 1541, eut la qualité de lieutenant du
sieur de Roberval à qui le roi donna la charge de lieute-
nant-général de toute l'Amérique. Et, en 1542, le sieur de
Roberval vint en personne au Canada, avec six vaisseaux
bien équipés de toutes choses nécessaires, et fit une habi-
tation à une isle près Québec qu'il nomma l'Isle d'Or-
\éains.-{MénKnres des Commissaires du Roy^ tomeV, p. 195.)
III
Première concession de l'Ile d'Orléans
L'auteur de V Essai sur V Ile d" Orléans , p. 6, affirme qu'elle
faisait d'abord partie de la seigneurie de Beaupré, et qu'elle
fut concédée par la compagnie de la Nouvelle-France au
sieur Castillon, le 15 janvier, 1636. Nous allons essayer
d'éclaircir ce point.
Antoine Cheffault, sieur de la Regnardière, d'abord avo-
cat au parlement de Paris, demeurant en la paroisse de
Saint-Jean-en-Grève, rue Sainte-Croix de la Bretonnière,
plus tard secrétaire de la compagnie de la Nouvelle-
-if-
France, et résidant à Québec, vers 1663, fut le premier
concessionnaire de la terre ou seigneurie appelée cfe Beau-
pré, parce qu'on y avait remarqué des prairies très éten-
dues vers le Cap-Tourmente et en deçà. Le gouverneur
du temps, monsieur de Montmagny, fut chargé de le
mettre en possession de cette grande étendue de terre.
Aux termes de ses lettres de concession, il était obligé d'y
établir, tous les ans, un certain nombre de familles. Mais
il essaya en vain d'amener de Frr.nce une colonie afin de
mettre en culture son vaste domaine. L'entreprise ne
réussit pas ; ses affaires mênies en souffrirent ; il négligea
Sa Seigneurie, et fut de plus obligé de s'en défaire, après
avoir vainement tenté de la faire exploiter par une asso-
ciation de marchands. Voilà ce que constatent les docu-
ments que nous avons sous les veux.
Le sieur Jacques Castillon, bourgeois de Paris, demeu-
rant rue de Monceaux, paroisse Saint-Gervais, (voir /e
Mercure Français, tome XIV, p. 246,) fut un des premiers
associés de la compagnie de la Nouvelle-France, et, pour
promouvoir l'œuvre de la colonisation avec plus de célé-
rité, il prit, en effet, en concession, l'Ile d'Orléans, au bu-
reau de la compagnie, le 15 janvier, 1636. [Mémoires des
Commissaires, tome V, page 88.) Ni Fun ni l'autre de ces
— là —
titres de concession ne fait mention de l'union de la sei-
gneurie de Beaupré à celle de l'Ile d'Orléans ; bien loin de
là, les deux concessionnaires prennent chacun un titre
séparé et distinct, le même jour.
Cependant, plus tard, MM. Cheffault et Castillon ayant
formé une société, avec six autres bourgeois de Paris,
savoir : F'rançois P'ouquet et Charles de Lauzon, conseil-
lers d'Etat ; Berruyer, écuyer, sieur de Manselmont, Rogé
Duhamel et Juchereau (a), pour l'exploitation des terres et
forêts de ces seigneuries, le faible profit, qui en provenait
annuellement, était partagé en huit parts. Olivier le Tardif,
jeune homme, originaire de Honfleur, sous-commis, qui,
dès 1624, servait de truchement à Champîain, — Voir Voya-
ges de Champîain, t. II, chap. 2 ad caicem,— était, en 1650,
agent et procureur de la compagnie de Beaupré, qui pos-
sédait alors les deux seigneuries de Beaupré et d'Orléans.
Enfin, en 1653, Jean de Lauzon était " procureur de la
compagnie et en baillait les terres."
Ces fiefs avaient reçu leurs noms des premiers proprié-
taires de l'Ile et des personnes qu'ils s'étaient associées
et que nous avons mentionnées plus haut. Dès qu'ils
eurent acquis, de la compagnie du Canada, la propriété de
(a) Juchereau était alors à Paris, mais il était passé en Canada dès 1634 ; il
y revint et y mourut à l'âge de go ans.
"- 19 —
rile et de la seigneurie de Beaupré, MM. Cheffault et
Castillon déclarèrent, par acte du 29 février, 1636, qu'ils
avaient obtenu cette concession pour eux-mêmes et pour
MM. François Fouquet et autres ci-dessus mentionnés.
C'est cette compagnie de Beaupré et d'Orléans qui, par
ses agents et procureurs, concéda les premières terres dans
les différentes circonscriptions, seigneuries ou fiefs, que
chacun des propriétaires secondaires avait désignés sous
des noms de familles qui faisaient revivre en la Nouvelle-
France le souvenir de lieux chers à ces grands seigneurs
ou à ceux qui s'y rendaient pour y faire des établissements.
On a vu que les premiers associés n'entrevoyant plus
les gros profits qu'ils avaient espérés de l'établissement
de ces grands domaines, renoncèrent à leurs droits de
1662 à 166S, en faveur de M'^nseigneur de Laval. DéjA
plusieurs des propriétaires primitifs avaient vendu leurs
parts ou les avaient aliénées pour des considérations
diverses.
Lorsqu'en 1662, au mois de février, Monseigneur de
Laval acheta du sieur Julien Fortin de Belle-Fontaine un
huitième de la propriété de la seigneurie de Beaupré et de
l'île d'Orléans, celui-ci déclara l'avoir acquise de Charles
de Lauzon, écuyer, seigneur de Charny.
■—26 —
En 1664, au mois d'août, Sa Grandeur l'évêque de Pétrée
acheta, moyennant la somme de 2,400 livres tournois, de
MM. Aubert de Lachenaye et Charles Bazire, marchands
de la dite ville de Québec, un quart de la seig^neurie de
Beaupré et de l'île d'Orléans. Il est dit que ces messieurs
représentent Jean Rozée de Saint -Martin, fils de Jean
Rozée, un des premiers associés de MM. Cheffault et Cas-
tillon. Cependant, dans l'acte de société, du 29 février
1636, Jean Rozée ne représentait qu'un huitième de la
propriété.
La veuve de F"rançois Fouquet avait fait donation, aux
Dames de l'Hôtel- Dieu de Québec, de son huitième de
la seigneurie qu'elle avait reçue de son mari. Plus, tard le
sieur Charles Aubert de Lachenaye acheta cette propriété
et la revendit, en août 1664, à M^r de Laval. Le même
bourgeois vendit, aussi le même jour, à mon dit Seigneur
de Pétrée, un autre huitième de cette seigneurie qu'il avait
acquis du sieur Olivier Le Tardif, déji'i mentionné.
Ce Le Tardif n'était pas un des huit associés pour l'éta-
blissement de l'Ile ni de la Seigneurie de Beaupré, ma's il
avait acheté, de MM. Cheffault et ses associés, la part
d'un des co-propriétaires qui se refusait de contribuer aux
— 21
déboursés que né::essitaient les dépenses pour divers tra-
vaux, quand il en était requis par les gérants.
Charles Duhamel, probablement fils de Jacques Duha-
mel, l'un des seigneurs primitifs associés k MM. Cheffault
et Castillon, vendit aussi la part qui lui revenait de la suc-
cession de son père, probablement an huitième, ;\ M^'^ de
Laval, le 20 août 1664. Cette vente fut négociée pareille-
ment par M. Aubert de Lachenaye.
Enfin, c'est en 1668, au mois de février, que la veuve
de S' Georges Berruyer, DUe Denyse Langlois, vendit au
même prélat In part de son époux. Le môme jour. Sa
Grandeur avait aussi acheté de S' Antoine Cheffault ses
droits, propriété et prétentions sur îj dernier huitième des
seigneuries de Beaupré et d'Orléans. L'acte en fut conclu
et passé h. Paris, entre les vendeurs sus-mentionnés et les
procureurs de l'Evéque.
Le peu de succès que rencontrèrent leurs efforts, a\ ait
ainsi décidé tous les associés h vendre leurs parts, les uns
après les autres. M^^''■ de Laval, le nouvel acquéreur, en
dota de suite le Séminaire de Québec, qu'il fondait vers
cette même époque. C'est k peu près aussi dans le même
temps que cet entreprenant et zélé pontife fondait, à .S:»int-
Joachim, une école, où les enfants des colons «^ui voulaient
— 22 —
se livrer à l'agriculture, apprenaient, avec la lecture, l'écri-
ture et le calcul, la manière de cultiver les terres, d'exploi-
ter les bois de construction et même quelques autres mé-
tiers. (De la Tour, Mémoires^ etc.)
L'Ile d'Orléans fut bientôt occupée. Cette assertion, les
écrivains la justifient par un extrait de la Relation des
RR. PP. Jésuites, année 1663, que nous reproduisons :
" L'Isle d'Orléans est remarquable par sa grandeur,
ayant plus de quinze lieues de tour. Elle est abondante
en grains, qui y viennent de toutes sortes, et avec tant de
facilité que le laboureur le fait (, grattt,r la terre, qui
ne laisse pas de lui donner tout ce qu'il veut ; et cela
durant quatorze ou quinze ans continuels, sans avoir
reposé. "
Puis .-"i la fin du paragraphe suivant, l'auteur, le Révé-
rend Père Jérôme Lalemant, ajoute :
" Cette belle Isle d'Orléans continue à se peupler d'un
bout ;'i l'autre. . . . ->
Quelques extraits \\\x Journal des Siipénvurs de la maison
(les /l'xa/les de Oiiéhee, plus explicites encore, trouvent
naturellement leur place ici.
Sous la date du 22 juin 1646, on y lit : " Le Père Bar-
thélémy V'imont va, à l'isle d'Orléans, choisir des prairies
pour les deux maisons religieuses, >•
— 23 —
14 janvier, 1648. — " Le Rév. Père de Quen est de retour
de la mission de Beauport, du Cap Tourmente et de l'Isle
d'Orléans. Il y trouve environ 240 communiants, u
3 juillet, 1653. — " Bénédiction de la chapelle de l'Isle
d'Orléans, sous le vocable de la Visitation de la Bienheu-
reuse Vierg;e Marie, par le Révérend Père Jérôme Lale-
mant. n
4 novembre, 1665. — " L'Evêque va en visite à '"Isle
d'Orléans, n
Déjà, en 1662, il avait visité la côte de Beaupré. E!t,
probablement, il revint à la ville épiscopale en passant
par l'île d'Orléans. L'intendant Talon, qui déploya un si
^rand empressement à faire défricher et k multiplier les
établissements en Canada et notamment h Québec et dans
ses environs, n'eût garde de négliger l'ile d'Orléans.
Aussi, du recensement général de 1666, il appert que si la
population de la ville était de 1655 personnes, elle attei-
gnait le chiffre de 471 dans l'Isle. Le Rév. Père de Char-
levoix, dans son Histoire de la Xoiivel le- Fni tnw tome III,
page 67, donne à l'Ile d'Orléans quatorze lieues de tour.
Avant lui, Boucher, dans son Histoire Xtitnrelle et vérita-
ble du Canada^ lui avait assignée une étendue plus grande.
Voici comment il s'exprime ;
— 24 —
" Une lieue au-dessous de Québec, la rivière se sépare
en deux, et forme la belle isle qu'on appelle Isle d'Orléans.
Elle a environ dix-huit lieues de tour, dans laquelle il y a
plusieurs habitans. ti
Remarquons que le capitaine Boucher écrivait en 1663 :
" Les terres y sont bonnes, ajoutait-il, il y a aussi quan-
tités de prairies le long de ses bords .1
Jacques Cartier lui assignait des bornes encore moins
acceptables : dix lieues de long sur cinq de large !
La Hontan, qui n'est pas des mieux renseignés, lui
donne sept lieues de long sur trois de large ! Et il ajoute,
dans ses Mémoires de V Amérique, tome i"', lettre 3'', " que
cette île appartient à un fermier-général de F'rance, qui en
retireroit mille écus de rente, s'il la fesait valoir lui-même ;
qu'elle est toute entourée d'habitations et qu'il s'y
recueille toutes sortes de grains." Notons que La Hontan
écrivait en 1684.
Le colonel Bouchette, dont les travaux sont si précieux,
dans sa Topographie du Canadd, publiée en 181 5, donne
h l'île d'Orléans vingt milles en longueur, sur cinq de
largeur. Cependant, si nous ouvrons son autre grand
ouvrage, Topographical Dictiomiry, de 1830, il n'accorde
à la même île que dix-neuf milles et demi en longueur, sur
cincj et demi en largeur.
2!
IV
Mgr de Laval en possession de l'Ile
Relation de ce qui s'est passé avant l'opération — De Berthelot —
Les familles Gaillard, Duchesnay et Durocher.
Nous avons dit, plus haut, qu'entre les années 1662 et
1668, la propriété de l'île d'Orléans passa aux mains de
Monseig-neur de Laval-Montmorency, qui l'acheta et la
donna au séminaire de Québec.
Il fallut avoir égard aux divers intérêts des associés de
la compagnie de Beaupré, dans les arrangements qui furent
pris avec eux, par l'Evéque, et c'est k ce partage de por-
tions de revenus, mais non pas de parts dans la seigneurie
que fait allusion le contrat de donation du 28 mars, 1674,
et surtout le titre donné, le 28 mars, môme année, h Mon-
seigneur rKvcquc, et enregistré aux archives de Québec,
au cahier ou registre des actes de F^oi et Hommage, sous
le N» 100, le 15 juin,i68i, intitulé : " Lettres d'affranchis-
sement et règlement de la seigneurie de Beaupré et de
celle de l'isle d'Orléans. "
Muni de cet acte. Monseigneur de Laval put transiger
avec M. Berthelot, qui le pressait d'effectuer un échange
— 2b —
avec lui. L'évêque de Québec, au nom du séminaire dont
il était le fondateur, changea, en effet, l'île d'Orléans, avec
maître François Berthelot, conseiller au parlement de Paris,
pour l'île Jésus. L'acte d'échange fut passé, à Paris, par
MM. Duparc et Carnot, le 24 avril, 1675. (a)
Ainsi, l'île, qui avait été antérieurement partagée en
fiefs et arrière-nefs, reprit son unité primitive et le pro-
priétaire n'eut plus k compter avec ceux de l'Ile Jésus, ni
avec les anciens seigneurs de la côte de Beaupré. Elle
fut érigée en fief noble, sous le nom de Comté de Saint-
Laurent, selon Charlevcix, ( Histoire de la Nouvelle- France .^
tome 3, p. 67,) en faveur du nouvel acquéreur François
Berthelot, secrétaire général de l'Artillerie, qualifié ail-
leurs de secrétaire des commandements de la Dauphine.
Quelques uns pensent que cette érection n'eût pas lieu
avant 1692. L'extrait suivant de l'arrêt du Roi, érigeant
rile en comté, en faveur du sieur Berthelot, " nostre con-
seiller, et secrétaire général de l'Artillerie, poudres et sal-
pêtre de France, daté du mois d'avril, 1676, -1 décide la
contestation péremptoirement. Au reste, les lignes sui-
vantes extraites des lettres-patentes elles-mêmes sont
formelles. Après avoir qualifié la dite ile de comté de Saint'
(a) L'île d'Orléans valait beaucoup m'us, aussi M. Berthelot paya çn souUç
au séminaire la somme de 25,000 francs,
-^27 —
Laurent, il est dit : 'i Pour le dit concessionnaire, ses héri-
tiers mâles, se qualifier comtes de Saint-Laurent en tous
actes, jouir des honneurs, prérogatives, armes, blazons,
rangs et prééminences et tout ainsi que les autres comtes
du royaume. "
M. Berthelot obtint les titres et privilèges de Fief Noble
pour son île de Saint-Laurent, érigée en comté, 'moyen-
nant la somme de dix mille écus qu'il paya au fisc. D'ail-
leurs, les Recueils (VEdits et Ordonnances Royaux, publiés
officiellement, contiennent des actes concernant les habi-
tants de l'île et comté de Saint-Laurent, dès l'année 1689.
Ajoutons, néanmoins, un paragraphe de l'Edit de création
qui nous expose l'état de l'Ile à cette époque (1676) :
" L'isle a sept lieues de longueur sur deux de largeur,
dont une bonne partie défrichée, et peuplée de plus de
mille personnes, qui composent quatre grandes paroisses,
dans lesquelles il y a une église entièrement construite, et
deux qui seront parfaites et achevées dans le courant de
la présente année, et la quatrième dans l'année prochaine :
de sorte que ce sont quatre gros bourgs et villages, dès
à présent formez, outre plusieurs fiefs considérables, et
de grande étendue dans la dicte Isle d'Orléans qui relè-
vent. . . .de la seigneurie de la dicte isle d'Orléans, dési-
rant reconnoistre et récompenser les services de Sieur. . .
— 28 —
avons estimé ne le pouvoir faire plus avantageusement
qu'en érigeant en titre de comté la dicte terre . . . . u
Le sieur Berthelot, dont on parle ici et qu'on trouve ap-
pelé ailleurs " de Berthelot, " avait épousé une demoiselle
Regnault de Duchi oud'Uchi, qui mourut le 26 juin, 1702.
MS'' de Saint-Valier {E^^tat présent de V Eglise)^ le mentionne
avec éloges et dit qu'il était connu dans tout le Canada,
par son zèle pour la décoration des églises, et par l'éta-
blissement de petites écoles pour les enfants. Un de ses
fils avait épousé la fille du mai'échal de Matignon. Ceci
nous donne occasion de mentionner que l'un de ses fils,
Louis, prit le titre de Berthelot de Saint- Laurent ; le second,
François-Michel, Ecuyer, seigneur de Rebrousseau, avait
comme son frère un agent ou procureur au Canada.
Aucun des descendants de ce Seigneur n'a résidé en cette
colonie.
Un mot maintenant sur l'Ile Jésus, que M^r de Laval
venait d'acquérir pour et au nom du séminaire de Québec.
L'Ile Jésus, d'abord appelée Ile de Montmagny, en l'hon-
neur du gouverneur de ce nom, avait été concédée le 3
novembre, 1672, par l'intendant Talon, au sieur Berthelot,
avec les îles aux Vaches. {Titres seigneuriaux,, 3« vol. p.
75.) Un titre-nouvel, plus récent, contient les renseign-
ements suivants ;
— ^9 —
" Le tout cédé à mon dit Sieur. . . . par M. Berthelot, le
24 avril, 1672, lequel M. Berthelot en était propriétaire
au moyen de la cession et délaissement qui lui avait été
faite par le Rév. Père Dablon, supérieur des missions de
la compagnie de Jésus en ce pays, suivant le contrat passé
le 7 novembre 1672, (par Becquet, N. P. à Québec,) en
conséquence de la concession qui lui en avait été faite par
M. Talbot, intendant en ce pays, le 27 octobre, 1676. " (a)
Le 25 février, 1702, M. Berthelot vendit sa seigneurie à
dame Charlotte-Françoise Juchereau, de la famille Du-
chesnay. Elle portait, suivant l'auteur de V Esquisse histo-
rique, le titre de comtesse de l'Ile de Saint-Laurent, et était
l'épouse non commune quant aux biens, de François de
la Forest, écuyer, capitaine d'une compagnie des troupes
du détachement de la marine entretenues, en ce pays, par
le Roi de France. Mais ce noble et brave officier ne tire
pas son illustration de son alliance avec la famille Juche-
reau. Parent du chevalier de Tonti, il prit part à divers
faits d'armes qui enrichissent nos annales et fut employé
dans diverses négociations importantes. C'est lui qui fut
choisi, après un combat glorieux, par MM. de la Duran-
taie, de Tonti et du Luth, pour porter cette heureuse nou-
(a) (Extrait du tître du 23 octobre, 1695, d'une nouvelle concession ratifiée
le 2 mai, 1702.)
— vo-
yelle au marquis de Denonville, gouverneur-général de la
colonie, (a)
En 1705, il était capitaine d'une compagnie de la marine.
D'Iberville le laissa, en 1695, gouverneur du fort Bourbon,
à la Baie d'Hudson, avec son frère, le brave de Navigny,
pour lieutenant. (Voir Charlevoix, Histoire de la Nouvelle-
France, tome II, p. 149, édition in-4'\) Deux ans après,
ils furent forcés de remettre ce fort presque démantelé aux
Anglais, qui, contrairement aux articles de la capitulation
stipulée, les firent prisonniers et les envoyèrent en Angle-
terre, de la Forest, Lemoyne, d'Iberville et leur troupe,
où ils furent retenus pendant quatre mois. De retour
au Canada, en 1700, M. de la Forest continua d'y servir
le roi. ( Ibid. to7ne 11^ p. 165.) Il fut subséquemment un
des gouverneurs de Catarakouï, et partout il servit les
intérêts et la cause de son souverain en brave et en héros.
Le 7 décembre, 1705, l'île et le comté de Saint-Laurent
d'Orléans, furent vendus à la poursuite du dit François
Berthelot, qui en reprit possession, conformément aux
conditions de la vente qu'il avait faite k la dame de la
Forest, le 25 février, 1702. Mais il ne voulut pas la con-
server, les frais d'administration en absorbant tous les
(a) Lettre de M^jr de Saint- Valier : Estât présent de l'Eglise de la Nouvelle-
Fiance, p. 93, édition de Québec.
-3i- .
fevenlis. Il la transporta, le 20 mars, 171 2, à M. Gaillard,
k Paris, devant maîtres Henry et Dutartre, pour 24,000
francs, argent monayé de France. De la famille Gaillard
elle passa aux mains, pour partie, de la famille Durocher
alliée aux Mauvide, dont les héritiers, à leur tour, cédèrent
leurs droits, à l'exception d'une portion de l'extrémité
nord-est, propriété de M. Poulin, (a) k feu Joseph Dra-
peau, écuyer, dans la famille duquel elle est restée jus-
qu'aujourd'hui.
M. Guillaume Gaillard, qui succéda k M. Berthelot,
conseiller du Roi au Conseil Supérieur de Québec, en
171 2, était un riche marchand de cette ville. Il avait ag^i,
pendant plusieurs années, comme procureur de M. Ber-
thelot, d'abord, et ensuite de ses fils, qui étaient devenus
propriétaires de l'Ile, par la mort de leur père. C'est
d'eux qu'il l'acheta, quand ils se décidèrent à la mettre en
vente, (b) Son fils, Jean-Baptiste Gaillard, signait Gaillard-
Saint-Laurent.
(a) Amable Durocher était, jusque vers la fin du siècle dernier, seigneur
de la plus grande partie de l'Ile d'Orléans. I.e lieutenant-colonel Leconipte
Dupré avait la propriété du Hef Argentenay, au bas de l'île.
(b) Guillaume Gaillard épousa Marie-Catherine Neveu. Il était membre du
Conseil Supérieur de Québec, seif;neur de l'île et du comté Saint-Laurent.
Son fils, Charles-François, épousa demoiselle Le Maître, le 20 d'août, 1725.
Dans un acte de Foi et Hommage, fait par Guillaume Gaillard, il déclare
qu'il est propriétaire de la motié de l'isle et du comté Saint-Laurent, comme
un conquet de la communauté qui a existé entre lui et dame Catherine Neveu,
— 32 —
Son fils, M. Joseph-Ambroise Gaillard, petit fils de Guil-
laume, ordonné prêtre, à Québec, par Monseigneur de
Saint- Valier, le 26 mai, 1726, mort curé de Saint-joseph
de Lanoraie, le 2 avril, 1771, avait été longtemps chanoine
de l'église cathédrale de Québec. Il avait desservi Sorel,
puis Lanoraie, où il avait succédé à M. Bazile Papin, de-
puis 1748 jusqu'à sa mort. Son âge n'a pas été mentionné
dans son acte de décès. En 1744, il était Seigneur de
l'île et comté de Saint-Laurent. Au Recueil des Edits et
Ordontiances, etc., publié à Québec, se trouve un arrêt du
Conseil Supérieur qui oblige les censitaires de cette île à
lui présenter leurs titres en son manoir, afin qu'il qiCil pûi
prêter foi et hommage. ( Edit. et Ord. etc., i']4'/ et suiv.J
La famille Durocher a laissé l'île d'Orléans depuis envi-
ron un siècle, pour s'établir dans le district de Montréal,
où elle s'est beaucoup multipliée. Le respectable curé de
Saint-Mathieu de Belœil, le Révd Père Durocher, de la
Congrégation des Oblats de Marie Immaculée, ses deux
frères prêtres, dont l'un est décédé en mai, 1852, leur
Il fait ensuite un état de sa famille, énumère ses enfants : Charles-François,
34 ans, Ambroise, 23, Jean-Baptiste, ig, qui sont propriétaires, ajoute-il, de
l'autre motié de l'île. Cependant nous lisons au Registre de Saint-Antoine
de la Rivière du Loup, année 1719 : Dimanche, 22 janvier, 1719, fut marié
Charles-François Gaillard, fils de M. Guillaume Gaillard, seigneur de l'Ile et
comté de Saint-Laurent, conseiller du Roy au Conseil Supérieur et de dame
Catherine Neveu, d'une part, et demoiselle Le Maître, fiile de, etc.
sœur, Révérende Sœur Eulalie Durocher, une des fonda-
trices de la Communauté des Sœurs des SS. NN. de Jésus
et de Marie, descendent des familles Durocher de l'île
d'Orléans. Elle s'établit à Saint - Antoine de la rivière
Chambly, avec bon nombre d'autres familles, qui y immi-
grèrent au même temps, et dont plusieurs conservent en-
core des rapports bien étroits avec les bons insulaires.
M. l'abbé Alexis Durocher, premier directeur du collège
de Nicolet, en 1804, et décédé à la Pointe-aux-Trembles,
dans l'île de Montréal, était aussi un des descendants des
seigneurs de l'île d'Orléans. Il est mort au mois de juin,
1835.
V
DES DIVISIONS DE L'ILE
Fiefs et Paroisses — Recensent ent.
La Seigneurie de l'île d'Orléans se divise aujourd'hui en
plusieurs fiefs et arrière-fiefs, qui reconnaissent un seigneur
primitif. Il est arrivé même qu'un seul seigneur a acquis
plusieurs des petits fiefs. Les fiefs de Beaulieu, de la Gro-
sardière, de Chevalerie, de la Tesserie, de la Regnar-
3
^ 34 —
dièrcj d'Argentenay (a), de Mesnu et autres, composent
les domaines de la famille Gourdeau, des héritiers Drapeau
et de la succession Poulin, etc.
Le fief de Beaulieu, possédé sans interruption depuis
plus de 200 ans par la famille Cîourdeau de Beaulieu, en
remontant jusqu'au premier concessionnaire, Jacques Ciour-
deau de Beaulieu, père, et Jacques Gourdeau, lils, négo-
ciant à Québec au commencement du siècle dernier, se
compose d'une étendue de terre de quarante arpents de
front, au nord de l'île d'Orléans, sur toute la largeur de la
dite Ile. .
Le fief ou plutôt l'arrière-fief de la Grosardière a aussi
appartenu à la famille Gourdeau. Aujourd'hui, il est la
propriété des héritiers Drapeau.
Le fief de la Regnardière n'a que quinze arpents de front.
Il a été concédé le 6 novembre, 1661.
Le fief de la Chevalerie a été, pendant un grand nom-
bre d'années, possédé par la famille Ri vérin. Il p.ppartient
aujourd'hui aux héritiers Drapeau. ^
Ajoutons que le fief Mesnu prend son nom de Jean-Bap-
tiste Peux rct, sieur de Mesnu, procureur fiscal à Québec;
(a) Arj^tMitenay. nom d'un petit bours en Chmipapne, aujourd'hui départe-
ment lie l'Yonne.
— 35 —
nommée cet emploi par la Compag^nie des Indes Occiden-
tales, dès le ic mai, 1666.
Il serait superflu d'entrer dans de plus ^«-rands détails
concernant chacune de ces divisions territoriales. Si ces
fiefs eussent été plus considérables, chacun d'eux aurait
été constitué en paroisse distincte, pourvu d'une église et
d'autres édifices publics ; car jusqu'ici on n'a pas connu
en cette province d'autre circonscription que la paroisse
d'abord, puis plus tard le tozviiship (canton). Mais après
tout, qu'importe le nom, puisque chaque paroisse avait son
système de voierie, sa desserte religieuse, ses officiers
publics et tout ce que requérait le bon fonctionnement des
lois, pour la sûreté et la tranquillité des individus ? Au
reste, l'île d'Orléans ayant l'avantage d'être à la proximité
de la ville, du centre des aft'aires du district, ces circons-
tances, jointes surtout aux bonnes dispositions des insu-
laires, ont toujours rendu facile au milieu d'eux le bon
fonctionnement dos lois.
Avant de rappeler l'histoire succincte et séparée de cha-
cune des paroisses de l'Ile, nous allons donner quelques
statistiques sur sa population et se^ produits, en général.
Si nous adoptions les opinions émises par lord Sinclair,
sur ce sujet, ni>us feriiMis des pages plus coirjplètes. Le
-36-
tloble Lord voulait qu'on énumérât, sous le titre de Statis-
tique, tout ce qui se rattache k la somme de bonheur dont
jouit le fermier, sur le lot que la fortune lui a assi«-né. Le
lecteur sent bien que nous n'avons pas les moyens d'en-
treprendre lui pareil travail. Aussi, nous nous contenterons
de donner les renseii^nements les plus usuels et les plus
nécessaires pour donner une idée aussi juste que possible
de la fertilité de son sol et de l'industrie de ses habitants.
Plusieurs rappctrts contenus dans les documents pubHcs
démontrent que, depuis long-temps, la superficie de l'Ile
ne peut suiiire à sa population. Située à peu de distance
de la capitale, où l'écoulement des denrées qu'elle produit
est très facile en toutes saisons, on comprend que la
nécessité seule a pu forcer quelques uns de ses cultiva-
teurs iise détacher de leurs familles, et à chercher fortune
ailleurs. Heureux encore, si, comme tant d'autres, ils ne
sont point allés demander à l'étranger le pain que le tra-
vail et l'économie devaient leur pr5curer dans leur propre
pays !
Kn 1666, suivant un recensement fait par ordre de l'in-
tendant Talon, la popuhition totale de l'île d'Orléans se
montait A 471 personnes.
En 1814, '«i population totale de l'île d'Orléans était
— 37 —
estimée à 4,000, nous dit le colonel Bouchette. (Topogra-
phie du Canada.) Douze ans plus tard, elle atteignait
5,000, chiffre qui paraissait exagéré. Le colonel Bouchette,
répondant aux investigations faites par i 'Assemblée Légis-
lative, en 1824, dans le but de faire un nouveau partage
de la province on collèges électoraux, afîlrma que la popu-
lation totale de l'île d'Orléans, qu'on se préparait ;\ ériger
en circonscription électorale distincte et séparée de la cote
du Nord, s'élevait A 4,082 âmes. En 1851, elle atteignait,
d'après un relevé officiel, 4.330, et, d'après le recensement
de 1852, elle ne dépassait pas 4,416.
Depuis dix ans, cette population a reçu un accroissement
peu considcrable. Le dernier recensement îa porte ;'i 4,^37
Ames.
Voici quels étaient les autres chiffres du recensement
de l'île d'Orléans, en 1827, quant aux produits agricoles :
blé, 31,924 minots ; avoine, 20,896; orge, 2,605; pois,
16,500; seigle, 3,165; sarrasin, 2,500; blé d'inde 315;
grains mêlés, 2,105; patates, iof>,o65 ; filasse, 115 ton-
neaux. Hnfui, on y avait mis 11,939 arpents de terre en
labour, et 27,o<ji arpents en prairies. En tout, 39,000
arpents de terre étaient, cette année-Ift, expliMt^e par l'ii -
Uustrie du fermier,
-38- ""
En 1852, le recensement de la population et des produits
agricoles de l'île d'Orléans donnait un résultat encore plus
satisfaisant. Nul doute que ces chiflfres seraient beaucoup
plus considérables, si on parvenait k se dépouiller devant
le commissaire recenseur de tout sentiment de défiance et
de soupçon ; et si on voulait comprendre, combien il est
important de faire connaître exactement nos ressources et
nos moyens, de nous compter, pour ainsi dire, et d'affir-
mer ainsi la nationalité canadienne.
Les autres recensements, qui ont eu lieu à des dates plus
récentes, constatent que la culture a continué de s'améliorer
en beaucoup d'endroits et que, par suite, la culture des
terrains des insulaires a donné un rendement plus consi-
dérable. L'élevage des animaux a aussi obtenu des succès
qui démontrent que les cultivateurs commencent h aban-
donner les vieilles routines du passé pour adopter les mé-
thodes nouvelles qui ont dcjh produit ailleurs des résultats
aussi satisfaisants que profitables.
39
VI
Fief de Beaulieu
Site superbe — L'Arbre sec — La S. Joseph, feu d'artifice — Gourdeau
de Beaulieu et Eléonore de Grand-^L'lison -Il brûle vif
dans sa maison, incendiée par un valet —
Supplice de ce dernier.
Le joli groupe de maisons qui frappent le premier les
regards du voyageur, h l'extrémité sud-ouest de l'Ile, se
trouve compris dans le fief de Beaulieu, et fait partie de
la paroisse de Saint-Pierre. Le point le plus éle\ é de la
rive, est l'endroit qu'occupait autrefois l'église de cette
paroisse, à environ une lieue et un quart du bout de l'île.
Le coup d'oeil, en ce lieu, est magnifique et enchanteur.
L'église de Saint-Pierre fut construite d'abord, à l'endroit
appelé Wlrdfr-srr, et, par suite, la paroisse porta long-
temps, la dénomination de Saint-Pierre de l'Arbre-sec.
Cette église a depuis été transportée ailleurs, sur une élé-
vation qui portait nom /rs Coteaux. Vis-/i-vis, mais du
côté sud, se trouve l'anse appelée Tfou Saint - Patrice*
Cette anse est mentionnée sous cette dénomination sur la
carte du sieur de Villeneuve, injjénieur du roi, dressée en
1689.
-40 —
Le fief de Beaulieu, qui occupe une longueur de qua-
rante arpents, sur toute la larg-eur de l'île, fut primitive-
ment concédé par Jacques Gourdeau, écuyer, sieur de
Beaulieu, le ler mars, 1652. Outre plusieurs qualités qui
faisaient de lui un brave gentilhomme, le sieur Gourdeau
était un habile artificier. Nos anciennes chroniques nous
en conservent un bon témoignage. ( Relations des Jésuites^
armée lôj'j. ) C'était à l'occasion de la fête de Saint Joseph,
père, patron et protecteur de la Nouvelle-France. On sait
que nos pères la considéraient comme l'une des plus gran-
des solennités, et qu'ils n'épargnaient rien de ce qui pou-
vait en réhausser l'éclat. Citons une page qui ne peut
qu'intéresser la curiosité du lecteur.
" D'vn costé on avait dressé \n pan, sur lequel parois-
sait le nom de saint Joseph en lumières ; au-dessus de
ce nom sacré brilloient quantité de chandelles ;\ feu d'où
partirent dixe-huict ou \ ingt petits serpenteaux, qui firent
merveille. On auoit mis derrière cette première inuention
quatorze grosses fusées, qu'on fit enleuer les \nes après
les autres, a\ec l'estonnement des François et bien plus
des saunages, qui n'auoient iamais rien \ eu de semblable ;
ils admiraient la pluie d'or, ou de feu, et les estoiles
retomboient de fort haut. I.e feu des fusées se portant
tantost tout droit, maintenant comme en arcade, et tou-
iours bien haut dedans l'air.
•' Assez proche de là, on auoit dressé vn petit chasteau,
— 41 —
fort bien proportionné et enrichi de diverses couleurs ; il
estoit flanqué de quatre tourelles remplies de chandelles k
feu, qui fesoient voir par leur clarté toute cette petite
batterie à descouvert. Il y auoit à l'entour de cette ma-
chine seize g-rosses lances à feu, reuestues de saussissons.
Aux quatre coins d'icelle, on voioit roues mouvantes et
vne autre plus grande au-dessus du chasteau, qui tour-
nait à l'entour d'vne croisée à feu, esclairée de quantité
de chandelles ardentes qui la faisoient paroistre comme
toute couverte de diamans. De plus, on avoit mis <i l'en-
tour de cette forteresse en égale distance, quatre grosses
trompes d'où l'on vit sauter treize douzaines de serpen-
teaux sortant six-ii-six avec vne iuste distance et quatre
douzaines de fusées, qui se dévoient jiilover douze à la
fois."
M. de Beaulieu était mariée» demoiselle Eléonore Grand-
Maison, veuve de M. Bondies, sieur de Beauregard. Vers
1660, mademoiselle de Grand-Maison épousait, en secondes
noces, h Québec, Fram^'ois de Chavigny, écuyer, sieur de
Berchereaux.
La maison qu'occupait le sieur Gourdeau de Beaulieu,
était bâtie eu pierres ; elle était longue, mais basse et
située ;i gauche, sur le premier plateau de l'Ile. Au mois
de mai, 1663, cet infortuné gentilhomme fut aj^sassiné
nuitamment, sur les 10 heures du soir, dans sa maison,
par un de ses valets, qui, selon les uns, voulait le dépouil-
— 42 —
1er, et, selon d'autres, ne désirait que se venger des répri-
mandes qu'il recevait très souvent, pour sa mauvaise
conduite, et notamment pour sa tendance à l'ivrognerie.
Pour cacher toute trace d'assassinat, le ipable eut
recours à un autre crime, il mit le feu à la maison qui, en
quelques heures, fut totalement incendiée. Le meutrier
ayant subi son procès, fut amené à conviction, et con-
damné à avoir le poing coupé, à être pendu, et son corps
fut jeté aux flammes. Cette sentence fut exécutée le 8
juin, même année. . s- ^ r
Nous empruntons à ce sujet quelques notes k l'excellent
travail: i' Notes sur les Registres de Notre-Dame de Qué-
bec, " page 36. Nous remonterons même h une autre
source pour avoir de plus amples détails, et jeter un plus
grand jour, sur ce lugubre épisode.
Le journal des Supérieurs des Jésuites est plus expli-
cite. Voici ce que nous y lisons :
" Mai, 1663. Le même jour (2g), sur les neuf ou dix
heures du soir, fut brûlé dans sa propre maison, à l'île
d'Orléans, le sieur de Beaulieu, avec un sien valet, par
accident du feu .... m
"Juin. Il se trouve que le feu, qui avait pris ;'i la maison
de sieur de Beaulieu, n'avait pas été causé par accident,
mais bien par la méchanceté d'un valet, après avoir tué
— 43 —
son maître et un autre valet, son camarade (a). Il fut con-
vaincu et condamné à avoir le poing coupé, à être pendu
et brûlé. Monsieur le gouverneur le baron d'Avaugour,
.se contenta de la mort à la potence, où, après avoir été
fouetté, il fut fusillé le 8 juin. >>
Il en était presque toujours ainsi sous le régime fran-
çais, les sentences étaient sévères, parfois cruelles, atroces
même, afin de faire une impression salutaire sur les esprits,
mais le chef du gouvernement y apportait tous les adou-
cissements possibles dans l'exécution.
François Gourdeau de Beaulieu était fils d'un procureur
du Roy, à Niort, dans le Poitou, au diocèse de !a Rochelle.
Il y avait 1 1 ans qu'il était marié à Eîéonore de Grand-
Maison lorsqu'arriva sa mort si tragique.
Nous avons dit que l'épouse de Gourdeau de Beaulieu,
était veuve de François de Chavigny, sieur de Berche-
reaux. Ce dernier était originaire de la paroisse de Créan-
cée, en Champagne, département de la Haute-Marne. En
1640 et 1647, il occupa un rang distingué dans la colonie,
il y prit en concession deux seigneuries, l'une k Sillery,
(a) C'était la répétition d'un crime cftniniis dix ans auparavant par deux
de ses serviteurs sur la personne de M. Claude Charron, marchand A Québec.
Le Journal des Jésuifes, sous la date du 29 avril lôs'?, nous informe que cet
honnête citoyen fut blessé A la jror^e d'un coup de pistolet, dans son habita-
tion à l'île d'Orléans, par ses deux serviteurs. C'est le même qui, en i66^, fut
élu érhevin de Québec, avec le sieur Jean Madry. — Voir lidt'fs et Ori/ort'
nance^ Royaux y Québec, tome II.
— 44 —
l'autre au-dessus. II remplaça quelque temps le gouv'er-
neur, lit-on quelque part. Cependant, au mois de mars
1652, ces mêmes propriétés furent transportées h son
épouse, " parce qu'il avait abandonné la colonie, qu'il y
avait cédé à sa fem.me tout ce qu'il possédait, et qu'il
laissait ses affaires dans un état d'incertitude, qui pouvait
empêcher d'autres particuliers de cultiver les dits lieux.'*
(Texte du contrat octroyé à son épouse.) Le sieur de Ber-
chereaux mourut peu de temps après avoir quitté la colo-
nie, vers 165 I.
Le quatrième mari de mademoiselle Eléonore de Grand-
Maison fut Jacques Cailhant, écuyer, sieur de la Tesserie,
un des ancêtres de la Gorg"endière, lieutenant du baron
d'Avaugour, gouverneur de cette colonie, et membre du
Conseil Supérieur de Québec, dès les premières années de
sa création. Dès 1648, il était membre du conseil d'admi-
nistration du gouverneur d'Aillebout.
Au mois d'août, 1666, l'intendant Talon envoya le sieur
de la Tesserie k la baie Saint-Paul, en qualité d'ingénieur
civil et de minéralogiste. Ce monsieur, dit le Rév. P. de
Charlevoix ( Histoire de la Nouvelle-France^ tom i*% page
300), découvrit une mine qui lui parut très abondante ; il
espéra même d'y trouver du cuivre et même de l'argent.
— 45 —
Dans le récit qu'il fit de son voyage, il remarqua que,
partout où il avait travaillé, le sol était encore remué et
bouleversé par suite du tremblement de terre de l'année
1663. Au mois de juillet, 1666, les RR. PP. Bescherfer et
Bailloquet, de la compagnie de Jésus, ayant été envoyés
en ambassade au fort d'Orange (Albany), M. de la Tes-
serie leur fut associé comme interprète. Ces différentes
missions, ainsi que son rang de conseiller à la Cour Sou-
veraine du pays, prouvent qu'il était pourvu de connais-
sances étendues et variées et qu'il jouissait d'une grande
estime en cette colonie.
Son épouse, mademoiselle Eléonore de Grand-Maison,
mourut en 1692, à l'âge de 70 ans. Elle avait été pendant
près de trente ans la femme de La Tesserie.
46-
VII
Paroisse de Saint-Pierre
Population — Curiosités naturelles — Pierre phénoménale — Route des
Prêtres — Echangée de reliques — M. de Franeheville — Les SS.
d'Esgly et Burke — Naufrage de M. Hébert.
L'ég-lise de Saint-Pierre, si riche en souvenirs religieux,
eut pour curé, pendant près de 40 ans, le vieil évêque
D'Esg-ly. (a) Il était le modérateur et le conseiller de
toute la population de l'île d'Orléans. Sa prudence et sa
fermeté, alliée à une familiarité noble, lui acquirent non-
seulement le respect, mais l'affection sincère des insulaires.
Bien des vertus et des mérites rehaussèrent la vie de ce
bon prêtre, que, dans des temps difficiles et nébuleux, on
choisit pour chef de l'ég-lise catholique au Canada.
Voyons les bornes de la paroisse de Saint-Pierre, telles
qu'elles sont indiquées dans l'ouvrage de M. Bouchette.
{Topo a-raphical Die fionarv of hland of Orléans, tome 3, p.
203.) Saint-Pierre a deux lieues et demie de long. Son
étendue est fixée par le règlement du 20 septembre, 1721,
(a) Mgr IVvêque d'Esj^ly, étant coadjuteur du titulaire de Québec, sous le
titre d'évêque de Dou}i;lée, desservait Saint- Pierre et Saint-Laurent en 1778,
Le Révérend M. P. Huot l'assistait comme vicaire, et M. Gilles Eudo était
curé de la paroisse de Sainte-Famille.
— 47 ~
Confirmé par arrêt de Sa Majesté, en son conseil d'Etat,
le 3 mars, 1722.
" L'étendue de la paroisse de Saint-Pierre et de Saint-
Paul, située en la dite isle et comté de Saint-Laurent, aussi
sur le bord du chenal du nord, sera de deux lieues et demie
k prendre du côté d'en bas, depuis la rivière du Pot-au-
Beurre, en remontant jusqu'au bout d'en haut de la dite
île, ensemble les profondeurs renfermées dans ces bornes,
telles qu'elles ont été concédées aux habitans de la dite
paroisse, par leurs contrats de concession, à l'exception
que si les concessionnaires du bout d'en haut de l'isle, éta-
blissaient leurs demeures du côté sud, ils seraient alors
paroissiens de Saint-Laurent, et paieraient dismes au curé
de Saint-Laurent. "
En 1684, il y avait à Saint-Pierre 34 familles, et 183
âmes. C'était une bien faible population. Le recensement
de 1861 la porte à 1,022 âmes. L'église paroissiale était
en bois, recouverte d'enduits ; c'est ce qu'on appelait alors
bâtisse en colombages. Elle n'avait que 52 pieds de
long, sur 22 de large. Cette bien modeste église était des-
servie par M. de Francheville, né à Québec, en 165 1, l'un
des élèves du collège des Jésuites, et condisciple du brave
Joliette, qui s'immortalisa par la découverte du Missis-
sipi. Ce bon prêtre, après avoir successivement desservi
Rivière-Ouelle, Beauport, Saint- Pierre, etc., mourut à
-4«-
l'hôpital Général de Montréal, le i6 août, 1713, ag"é seu-
lement de soixante-deux ans, mais épuisé par les travaux
d'un apostolat des plus ruineux.
On courait autrefois à Saint-Pierre pour voir un objet
de curiosité naturelle, qu'on ci^peXsàtle pied de Sai?i/-Roch.
A trois quarts de lieue du bout de l'île, on montrait une
pierre d'une conformation sin«-ulière. Elle était hï, irisant
au milieu d'im champ, paraissant mobile. A sa surface,
on faisait remarquer l'empreinte des deux pieds nus d'un
homme qui aurait couru du nord-ouest au sud-est, l'em-
preinte de la piste d'un chien, marchant dans la même
direction ; et de plus l'endroit où une canne aurait été
appuyée, par celui qui passait. Dans le temps où l'on
faisait circuler le bruit que l'île était envahie par les sor-
ciers, on ne manquait pas de dire que ces traces étaient
celles du Juif-Errant.
C'est du coté sud de l'île, et presque vis-i'i-vis l'église de
Saint-Pierre, que se trouve le Tfou Saint-Patrice, petit
havre s(!;r et commode, où mouillent, presque toujours,
quelques navires, qui attendent l'heure du départ pour les
lointains rivaj^^es. 0\\ a prétendu que ce crique avait été
appelé ainsi pur les .\ng^l;iis, après la cession du pays.
Mais il V, MU est pas ainsi, puisqu'on le trouve mentionné
— 49 —
sous ce terme, dès 1735, dans les lettres du R. Père Emma-
nuel Crespel, et ailleurs encore.
Un bon chemin tait le tour de l'île d'Orléans ; il est
assez bien entretenu, par les différentes municipalités qu'il
traverse. Vne allocation comparativement bien faible a été
accordé autrefois pour réparer la côte et la savane de la
paroisse de Sainte-F'amille.
La Route des prêtres, qui conduit de Saint -Pierre ii
Saint-Laurent, et qui traverse un riche massif d'érables
séculaires, nous rappelle l'histoire ci'une cérémonie reli-
gieuse imposante, qui eut lieu, ri cet endroit, il y a près de
deux siècles et que la tradition nous a conservée.
Vers la fin du dix-septième siècle, monseij^neur de Saint-
Valier fit *\ov\ à l'éj^lise de Sai:it-Paul, aujourd'hui Saint-
LaureiU, d'une relique, portion d'os d'un bras de l'apôtre
saint Paul. Quelques années après, le même évéque
chaui^ea le vocable de la paroisse, en celui de Saint-Lau-
rent, et \oulut que saint Pierre et saint Paul fussent hono-
rés dans l'église de Saint-Pierre, et qu'ils en fussent tous
deux les titulaires. >L Daurie, qui était alors curé de
Saint-Pierre, demanda à NL Poncelet, alors curé de Saint-
Laurent, la relique de saint Paul s'olTrant de îui remettre
en retour trois ossements de saint Clément, martvr.
— 50 —
L'Archidiacre M. de La Colombière, dans sa visite oflli-
cielle à Saint-Laurent, le 3 juillet, 1702, approuva cet
échangfe qui s'efFectua le 24 du même mois. La relique
de saint Paul fut déposée dans l'église de Saint-Pierre, où
elle devint l'objet d'une grande vénération.
Cet arrangement déplut néanmoins aux paroissiens de
Saint-Laurent, qui considéraient la sainte relique comme
une propriété inaliénable. Cependant, monseigneur de
Saint Valier, dans une lettre écrite de Paris, à M. Daurie,
le 17 mai, 1703, approuva ce qui avait été fait en disant :
" Je suis content d'apprendre que vous avez effectué
l'échange de la relique avec monsieur Frs Poncelet (a).
Quelques années plus tard, un paroissien de Saint-Laurent
reporta à Saint-Pierre la relique de saint Clément, et en
rapporta furti\ement la relique de saint Paul, qu'il phn;a
dans l'église de Saint-Laurent. Une contestation sérieuse
s'éle\ a alors, entre les habitants des deux paroisses. On
en appela au jugement de l'évêque de Québec, qui, après
mûre délibération, décida que chaque relique serait rendue
à son église respective. Il ordonna donc que la population
(il) l.f Révérend l'ère Poncelet dont il s'aj^it ici, était rrcollet du couvent
de Québ«"c. Il avait été ordonné prêtre le ao novemlire, i6qo, et mourut en
I713. il ne faut pas le confondre avec M. François l'oncelet, premier curé de
Saint-Ï.aiirent, décédé ;\ rilôpital-Ciénéral de (.>uélHH. A r.ijre de 42 ans,
«atteint d'une maladie cuntagicuM».
_ -1 —
de Saint-Pierre et celle de Saint-Laurent se rendraient au
milieu de la route des Prêtres, h un jour convenu, en
procession solennelle, et que là on échangerait les reliques,
qui seraient ensuite reportées, avec é<^ale solennité, cha-
cune dans leur église. "^
Tout ceci fut exécuté h la lettre ; et la g^rande croix qui
se trouve sur ce chemin, à mi-distance entre les deux
églises, indique l'endroit précis, où les habitants des deux
paroisses se rencontrèrent en cette mémorable circonstance.
Un personnage, non moins vénérable que l'éxèque
D'Esglv, a aussi ajouté quelque illustration à la petite
église de Saint-Pierre, bien qu'il n'ait lait qu'un séjour
miMnentané en cette paroisse. C'est Monseigneur l^d-
mond Burke, plus tard éxéque de Sion, /// />///-/ /////V/. ,
premier \icaire apostolique de la Nouvelle-lCcosse. Une
circonstance bien déplorable unit son ni>m à celui des
Mauvide, seigneurs de l'île, et celui du regretté curé de
Québec, feu messire .\ugustin-David Hubert, Celui-ci se
rendait, en compagnie de M. Laurent Mauvide, (a) dernier
seigneur de Saint-Jean de l'Ile, auprès de leur ami commun,
(a) Ce dcrnior it.iit flrvemi pr<if>ri«'la5rf de iptteH«'i;,'ti«»urîe par «on mariât:*»
avec une denioivll»- Mariann»- Durochcr. sn-iirdu sieur Amahle hurtjther Uuul
un a parlé |>I.ishanl, et de M. Ik'Ujamiu Durucher, etc.
: v"/'-^' ■■ . — 52 — ;:.,::,_.,,,;_.:
M. Ed. Burke, lorsque leur embarcation chariJ^ée au-delà
de toute prudence, se remplit d'eau tout-<i-coup et sombra
dans la rade. Ils furent tous deux enj^loutis dans les eaux
avec huit autres personnes, le 21 mai 1792.
La nouvelle de ce triste événement répandit aussitôt la
consternation dans tous les cœurs. La population entière
de l'Ile, oubliant les travaux pressants des semailles, vou-
lut donner une preuve de son attachement à la famille de
leur ancien seig'neur, en cherchant ses restes mortels ainsi
que ceux du vénérable curé qui l'accompagnait.
Les soldats de la i^arnison, notamment ceux du régi-
ment du duc de Kent, rivalisèrent de zèle avec les citoyens.
Le corps de messire Hubert fut retrouvé à la Pointe-Lé\ is.
et inhumé de g^rand matin, dans la chapelle de la Sainte-
Famillo, à l'éq-lise paroissiale de Québec, le 0 juin, qui était
le jour de la l'Y-te-Dieu. C'est ainsi que fut enlevé subite-
ment à l'aflection tie ses paroissiens, et à l'âge préma-
turé de quarante-un ans, ce digne prêtre, dont les vertus
égalaient le zèle et le dévouemenf pour le salut des âmes :
pastor lii/i'cfiis et amans. La mort, toujours terrible, ne
paraît jamais plus impitoyable que lorsqu'elle vient frapper
ainsi, comme d'un coup de foudre, un homme estimé et
chéri, et le ravit subitement à l'estime publique et aux plus
--- -.'- —53 —
douces affections. On dirait que, dans ces circonstances,
elle craint de se laisser toucher par les prières et les lar-
mes, en annon<;ant d'avance le coup qu'elle va frapper, si
la foi ne nous enscii^nait que ces malheurs sont presque
toujours des châtiments que Dieu nous envoie , our avoir
méprisé ses dons.
Voici comment un journal du temps raconte cet événe-
ment funeste :
"Lundi, 21 mai, 1792, vers midi et demi, une chaloupe pe-
samment chari^ée partit de cette ville pour l'île d'Orléans ;
ne pouvant tenir contre l'ai^itation des \ ai,''ues qui mena-
çaient de la submeri^er, ayant tenté de mettre à terre à la
Pointe-Lévis, prit une si t^rande quantité d'eau qu'elle
cala à fond à peu de distance du rivai^e, vis-à-vis l'endroit
nommé la cabane des Pères. De douze personnes qui
étaient dans la chaloupe, dix ont péri. Deux seulement
ont été sauvées par le prompt secours que leur ont porté
quelques habitans de la Pointe- Lévy, qui, au risque de
périr eux-mêmes dans cette louable tentative, ont sauvé
le pilote I.achance, propriétaire de la chaloupe et un jeune
homme. Ceux qui se sont noyés sont M. Hubert, curé
de Québec, MM. Mauvide, de S.iint-Jean, île d'Orléans,
Louis Portier, Joseph Poulin, Joseph Por^ues, Pierre Tur-
cotte, Catiche I^inet, Josephte Lachance, NLirie Lapointe
et Isabelle Portier. Ce déplorable accident, dont plu-
.sieurs pères de famille furent les victimes, affecta et aHlii^ea
.,^>^ ':- —54 —
plus particulièrement les citoyens de Québec, k cause de
la perte de M. Hubert, curé de cette ville, que ses qualités
estimables tant comme ecclésiastique que comme citoyen,
font universellement reg'retter. >•
— (Gazette de Québec, du 24 mai, 1792.)
VIII
Paroisse de Sainte- Famille
Recensement Beaux paysat^es, belles routes — Fêtes boeaj^ères —
Pêche et Chasse — Couvent des Sœurs de la Cong^rég^ation—
François Lamy, Toussaint Le Franc et Berthelot.
En laissant la paroisse de Saint-Pierre, on entre dans
celle de Sainte-Famille, après avoir tra\ erse le Pot-au-
Beurre, petit ruisseau auquel on a donné parfois la déno-
mination de rivière. Mgr Laval l'avait nommé ainsi. La
première concession de terre obtenue en cette paroisse,
remonte A 1666. \'ini4"t ans plus tard, environ 884 Ames,
composant 50 familles, formaient la population de cette
paroisse qui avait déjA son curé et son église. Cet édifice,
bâti en pierres, dès 167(1, par M. l'abbé Pommiers, avait
été élevé aux frais de divers particuliers de la colonie et
notamment avec l'aide de Mgr l'évèque de Québec, et des
directeurs du séminaire des Missions-Iùrangères de cettç
— 55 —
ville. C'était un édifice de quatre ving-t pieds v'e long- sur
environ trente-six de large, et couvert en paille. Ce n'était
pas au reste la seule église qui fut revêtue ainsi d'une toi-
ture en chaume : Charîesbourg et d'autres encore, aujour-
d'hui plus opulentes, ont porté dans l'origine les livrées de
la pauvreté. En 1686, on s'occupa néanmoins de renou-
veler cette couverture, et de lui en substituer une autre en
planches.
Quant au presbytère, il faut croire qu'il avait été bâti
avec beaucoup de ménagement, puisque déjà, \ers 1682, il
n'était plus logeable et que le curé, en attendant mieux,
était obligé de se retirer chez un particulier, circonstance
assez gênante pour les paroissiens eux-mêmes.
Par le règlement de 1721, confirmé par arrêt du Conseil
d'H!tat du 3 mars, 1722, n la paroisse de Sainte-Famille
doit avoir deux lieues et demie de long, en suivant le chenal
du nord, depuis la maison des représentants de Charles
Guérard, qui la sépare de la paroisse de Saint -Pierre,
jusqu'au ruisseau dit Pot-au-Beurre, ensemble des profon-
deurs renfermées dans ses bornes jusqu'au milieu de la
dite Ile."
M. Bouchette. d'accord sur ce point avec d'autres topo-
graphes, dit que la paroisse de la Sainte- Famille est la
■ ,■- ... _ -56- - ; ;:^.-, r-;-^
plus populeuse de l'Ile, et que les habitants y sont mieux
pourvus d'animaux, d'ustensiles d'agriculture, que ceux
des autres paroisses environnantes. En 1827, il se trouvait
sur cette paroisse 67 propriétaires de terres et seulement
douze occupants d'emplacements. En 1850, il y avait ici
propriétaires de biens-fonds. Aujourd'hui, la population
v est portée <i près de neuf cents âme^î.
Les terres ont généralement une lieue de profondeur,
s'étendant depuis le bord de l'eau, du côté du nord, et se
prolongeant jusqu'aux terres de Saint-Jean, au sud. Elles
sont généralement de deux arpents de front, mais le sol
est inférieur en qualité à celui de la paroisse de Saint-
Pierre, et même de plusieurs autres parties de l'Ile.
C'est aussi dans les limites de cette paroisse que se trou-
vent des batiuris et des savanes très renommées, où les
chasseurs de Québec et des env;tcns, se donnent rendez-
vous au printemps et à l'automne, pour la chasse des
canards, et surtout des outardes. Lh s'est accompli, dans
des temps déjà reculés, plus d'un brillant fait d'armes ; là,
plus d'un tireur habile et exercé, a jeté la mort d.ins les
rangs des volières d'oiseaux sauvages, qui venaient s'abat-
tre sur ces grèves ; et, si les échos de ces rives pouvaient
parler, ils nous rediraient avec orgueil, les noms alors
— 57--
fameux de nos Nemrod canadiens, dont les coups de fusil
allaient si bien au but, soit qu'il s'ag-it de chasser la sar-
celle, ou de faire mordre la poussière aux soldats ennemis !
Le chemin public, dans la paroisse de Sainte-Famille,
est toujours bien entretenu et les propriétaires des terres
s'y sont fait une réputation par leur zèle à le bien tenir en
bon ordre en hiver comme en été. Il y a une trentaine
d'années, la Lég^islature provinciale accorda environ ;^^300
pour élargir ce chemin, l'améliorer et surtout pour adou-
cir les pentes rapides de certaines côtes âpres et difficiles,
sur une étendue assez considérable, dont le bas aboutissait
à une savane. '■
Mais ce qui attire davantage les regards du philan-
thrope qui visite la paroisse de Sainte- Famille, c'est le
couvent ou école des filles, que dirigent en ce lieu les
Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame. C'est là qu'en
silence et sans ostentation, elles forment le cœur et l'esprit
de leurs élèves, respectueusement groupées autour d'elles
au nombre d'environ cinquante, chc'que année. Cette fon-
dation a rendu de grands services h la jeunesse de l'Ile
d'abord, puis à toute sa population. Combien de géné-
rations, depuis près da doux siècles, sont venues demander
aux bonnes Sœurs, une éducation soig'née et religieuse ?
- 58-
Il dut être bien vif le zèle qui portait à faire des sacrifices
aussi considérables, que ceux qui étaient exigés dans les
commencements de la colonie, pour une pareille entreprise,
alors que tout manquait. Cependant, comme le remarque
M. de Ransonnet, (Vt'e de Marg^uetite Bourgeois. Avignon,
1738.) la vénérable sœur Marguerite Bourgeois n'attendit
pas que les paroisses fussent en éta't de procurer, à ses
filles missionnaires, un fonds de subsistance honnête et
nécessaire ; il lui suffisait qu'il y eut du bien à faire.
L'esprit de zèle et d'obéissance qui les animait, la morti-
fication et la pauvreté dont elles faisaient profession, leur
tenaient lieu de tout.
Deux sœurs furent immédiatement envoyées à la mai-
son de la Sainte-Famille, la première était la sœur de
l'Assomption, (demoiselle Marie Barbier), la première
fille canadienne de naissance, qui se soit consacrée à Dieu
dans la Congrégation de Notre-Dame. C'était une de
ces âmes généreuses et candides, une de ces natures d'é-
lite, qui ne peuvent se faire au tumulte du monde. Pour
satisfaire son penchant à faire le bien, elle se voua au
service de Dieu et du prochain. ",
L'autre, qui fut chargée avec elle de fonder cette utile
mission, était la soeur .^nne (Mariç-Anne Thioux ou Vé-
' '^^ '-59— ■.: 'r: :,,.-/.:',:,■
rand). Elle était née en France. Malgré l'état avancé
de la saison (on était en automne), malgré le surcroît de
travail auquel la sœur Marguerite Bourgeois était obligée
de se livrer, pour le rétablissement de sa communauté,
malgré l'incertitude des moyens d'existence que les deux
pieuses filles devaient trouver à Sainte-Famille, leur digne
supérieure n'hésita cependant pas à se séparer de deux
compagnes utiles et qui auraient pu lui être d'un grand
secours, pour les envoyer \k où la Providence les appelait.
Sur le désir de Monseigneur de Saint-Valier, évêque de
Québec, elle céda aux sollicitations de M. Lamy, curé des
paroisses de Sainte -Famille et de Saint-François, et les
deux bonnes sœurs se mirent immédiatement en route
pour le lieu de leur destination. " C'était à la Saint- Mar-
tin, dit elle-même la sœur Barbier, il faisait froid et nous
n'avions pour nous deux qu'une couverture qui ne valait
presque rien, très peu de linge, point d'autres bardes que
ce qui pouvait nous couvrir fort légèrement. Pour moi,
je n'avais qu'une demi-robe et le reste à proportion. Nous
pensâmes geler de froid dans ce voyage, et j 'étais parfaite-
ment contente de ce que je commençais à souffrir.
" A notre arrivée <i Québec, nous ne manquâmes pas
d'humiliations ; tout nptre avoir était un petit paquet que
.■;/;,.■■, .•:, - — 6o —
nous portions fort à l'aise ; on se moqua de nous, et nous
fûmes fort humiliées de toute manière. On nous demanda
où étaient nos lits et notre équipag-e ; quelques-uns disaient
même que nous mourrions de faim chez nous, et qu'on
nous envoyait chercher fortune ailleurs. Je pensais mourir
ce jour là, le froid nous ayant si vivement saisies que nous
croyions être g-elées. Pour mon particulier, j'aurais eu de
la joie de mourir de froid, et je m'appliquais h consoler ma
compagne qui était demi-morte. Nous souffrîmes beau-
coup pendant ce premier hiver. Nous aurions dû mourir
de froid sans une protection particulière de Dieu.n
La maison qui devait les recevoir n'était pas encore
construite, les bonnes religieuses durent se retirer chez
une veuve, à douze ou quinze arpents de l'église, e^ y
passer l'hiver. Elles s'affligèrent beaucoup d'être oblit;
de vivre au milieu du tumulte du monde, et, l'une d'oiit-.
la sœur Barbier, disait qu'elle " se trouvait h\ comme dans
un enfer. Il Ajoutons à cela la distance considérable qu'elles
avaient à parcourir pour se rendre k l'église, d'où elles
revenaient souvent toutes mouillées et couvertes de gla-
çons, et nous aurons une idée du courage et des vertus
de ces femmes héroïques, qui savaient tout entreprendre
et tout souffrir, quand il s'agissait du salut des âmes.
Un jour qu'elles revenaient de la Sainte-Messe, au milieu
d'une tempête, la sœur Barbier tomba dans un fossé plein
— 6i —
de neig-e. Voici comment cet accident est raconté dans la
P7e de la Sœur Marie Barbier : n Ma compagne, dit-elle,
était bien loin devant moi, qui n'en pouvait plus. Je ne
pouvais me retirer de ce fossé, n'ayant plus de force, et la
neige me couvrant de plus en plus. Alors je priai le saint
Enfant-Jésus de m'aider, s'il voulait prolonger ma vie pour
sa gloire et pour me donner le temps de faire pénitence.
J'étais toute enfoncée dans la neige, et il ne paraissait
plus que l'extrémité de ma coiffe. Sa couleur noire fit
croire à quelques personnes du voisinage que c'était une
de leurs bêtes qui était tombée dans le fossé. Ils y accou-
rurent promptement, et m'ayant retirée de h'i, avec peine,
ils me laissèrent au bord du fossé, d'où j'eus bien de la
difficulté de me rendre àla maison. Cela, joint au grand
troid, et à toutes les incommodités que je ressentis durant
l'hyver, dans cette demeure, me fit contracter des infirmités
assez considérables. Pourvu que Dieu rn tire sa gloire
et que mon orgueil en soit écrasé, j'en suis contente. Les
miséricordes de Dieu à mon égard sont trop grandes ;
depuis ce temps-là, ce n'est que grâce sur grâce; qu'il en
soit béni éternellement ! n
en
Le fondateur de cette école, M. Lamy, qui a si bi
mérité des bons insulaires ; homme désintéressé et plein
— 62 —
d'abnég^ation, pensionnait dans une famille du voisinage de
l'église, parce que ses paroissiens étaient trop pauvres
pour construire une habitation, affectée à l'usage du
prêtre. Ils avaient bâti une église en pierres, mais les
citoyens de Québec, et surtout les directeurs du Séminaire,
y avaient contribué pour une large part. Un M. Toussaint
Le Franc légua, au piofit de la maison, une somme de
3,000 francs, à la charge, par les religieuses, de donner
une pension à une pauvre fille. ^
M. François Lamy, né vers .1640, arriva au pays en
1673, ^^ f"t nommé curé inamovible de Sainte-Famille,
en 1684, par l'évéque de Québec, ce qui le décida h fon-
der cette école de filles en sa paroisse. Le seigneur, M.
Berihelot, désireux de prendre part à la belle œuvre, leur
donna un arpent de terre, sur lequel on éleva une petite
maison en bois. Ce fut la première résidence des bonnes
sœurs. Huit ans plus tard, M. Lamy donna, pour l'entre-
tien du couvent, et pour y asseoir de nouvelles construc-
tions de dimensions plus grandes, une terre de trois arpents
de front, sur la profondeur de la moitié de l'Ile, a\ec
maison, granges, etc., etc. Le contrat de donation est
daté du 5 septembre, ]Ch)2. C'est sur cette nouvelle pro-
priété que l'on bâtit en pierre une demeure spacieuse et
- 63 -^
commode, appropriée autant que possible à sa destina-
tion.
M. Lamy mourut en 1715,
Des écrivains protestants ont trouvé des paroles obli-
geantes pour M. Lamy, et même pour les bonnes reli-
gieuses, ce qui ne rencontrerait certainement pas l'appro-
bation de ceux qui ne connaissent les actes de dévoue-
ment et de libéralité du clergé et des institutions catholi-
ques en cette province, que parce qu'ils en ont lu dans les
immondes compilations de Smith et consorts, qui, comme
la Junon de Juvénal, ''-\-- :''i':i.^y^-- :/': ^'' -'-^'\-'-'
" Dat veniam corvis, vexât censura columbas. «
Belles et saintes actions pourtant ! qui honorent la reli-
gion qui les a inspirées, et les Ames généreuses quî les ont
accomplies î La société en général sait, du moins, appré-
cier leur mérite, et l'H^lise emprunte les accents de la
reconnaissance et du respect, pour exalter leur œuvre.
Siml liic sua pruMuia laudi. , ....»*
\'lRtJ,
64-
IX
Paroisse de Saint-François de Sales
MagTiifiques points de vue — Les rivières — Chasse et Pêche-
François l.c Guorne Incursions d'Iroquois —
Enlèvement d un crucifix.
Le charmant fief, ou plutôt arrière-fief d'Arjj;'entenay,
l'un des plus considérables de l'île d'Orléans a été l'un des
premiers établis. Kn 1704, ce fief était la propriété de M.
Perrot ; mais l'établissement en était alors considérable-
ment avancé, puisque, dès 1684, il y avait trente familles,
tormant alots une population de 165 âmes.
Déjà ces couraj»"eux et religieux colons avaient éri'j'é
une modeste chapelle en bois de trente pieds de lonj^ueur
sur vin^'-t de !arjj;"eur. On n'avait pas encore sonj,'é h bâtir
un presbytère, le prêtre qui visitait les familles de cette
petite bourj^ade étant pourvu d'édifices un peu plus con-
venables à Sainte-Famille, y faisait ordinairement son
séjour.
Plus tard, le fief fut érij^é en paroisse, et l'humble cha-
pelle se trouva placée au ranj^- des éj^lises paroissiales.
" La paroisse de Saint - Fran«^'ois de Sales, contenant trois
- 65 -
lieues de long, dont une lieue et demie du côté du sud,
depuis la maison de Louis Gaulin, en descendant au bas
de l'Ile, et une lieue et demie du côté du chenal du nord,
en remontant le dit bout d'en bas, jusques et compris deux
arpents de front de l'habitation de Charles Guérard, en-
semble des profondeurs de la dite Ile renfermées dans les
dites bornes ; et la nouvelle église qu'il est nécessaire d'y
construire, sera au même lieu où est l'ancienne. "
Telles sont les bornes assignées ;'i la paroisse de Saint-
François, par le règlement du 20 septembre, 1721, confir-
mé par un arrêt du conseil d'Etat, le 3 mars, 1722.
Les terres ont généralement deux ou trois arpents de
front, sur cinquante-deux en profondeur. Elles sont en
bon état de culture et très productixes.
D'après k' recensement de 1S52. la population totale de
la paroisse de Saint-F'rançois ne dépassait guères 520
Ames ; cependant, il s'y trouvait 72 propriétaires ; et des
9, 197 arpents de terres qu'ils tenaient en concession, ils
en avaient labouré plus de 4,800, et le reste avait été laissé
en prairies, en jardins, forêts, etc. La récolte des grains
avait donné 648 minots de blé, 422 minots d'orge, 3,472
minots de seigle. 2,622 minots de pois et 10,418 minots
d'avoine. Les autres produits étaient dans la même pro-
5
— 66 —
portion. On y avait fait 5,350 livres de sucre, 10,50^
livres de beurre, et récolté 105,281 bottes de foin, outre
1,422 fromages qui vinrent cette année-là, comme d'ordi-
naire, provoquer, avec succès, le goût exquis de nos Lu-
cullus québécois.
Le recensement de 1861 donne à la population de cette
paroisse près de 600 âmes.
A Saint-François, se trouvent aussi d'excellentes places
de chasse, sur les grèves surtout : la Pointe aux Oignons,
la Pointe à la Caille, etc mais pourquoi commettre
des indiscrétions ? tous les chasseurs ne connais-
sent-ils pas ces endroits renommés ? D'ailleurs, ils n'ai-
ment pas qu'ils soient connus ! Il faut donc garder le
silence.
Claudite jam rivos pueri.
Cette paroisse semble n'avoir eu de desserte régulière
que depuis 1708. Au moins les plus anciens registres ne
remontent pas au delà de cette époque, m'assure-t-on.
Parmi les bons cures qui en ont eu la direction, il en est
un que jeunes et vieux aiment à mentionner. C'est M.
Le Guerne, dont les anciens aimaient k fredonner les chan-
sons, et dont les jeunes gens appréciaient mieux les faveurs.
M. F'ranvois Le Guerne, breton, originaire du diocèse
- 67 -
de Quimper, arriva à Québec, le 15 septembre 1751, et
mourut le 6 décembre, 178g. Il fut lorii^temps professeur
de littérature au petit séminaire de Québec, et rédig^ea plu-
sieurs cours qui révèlent le connaisseur. Poète et bon
poète, nous avons vu les productions de sa lyre enrichir
quelques cartons. Ce qu'il y a de plus louable encore
dans les œuvres de ce di^ne prêtre, c'est, me dit-on, qu'il
établit, par son testament, les directeurs du Séminaire,
ses légataires-universels, au profit de la jeunesse cana-
dienne. Cependant, une autre \ ersion m'apprend qu'il
abondonna son mobilier, ses livres et tout ce qu'il a\ait,
aux élèves du Séminaire, et que le tout leur fut équitable-
ment distribué. M. Le Guerne avait été employé, jusqu'en
1756, aux missions de l'Acadie. C'est h l'époque de la
dispersion de ce peuple pieux et infortuné, qu'il fut rap-
pelé dans l'intérieur, où il continua, de loin comme de
près, ociùs, ci'ù'ùs, à améliorer le sort de ces pauvres fa-
milles exilées de leurs foyers, et dispersées de loin en loin,
sur un rivaj^e étranj^er ; il eut plus d'une fois le bonheur
de leur être utile, et d'intéresser à leurs inisères les auto-
rités de la colonie.
Dj Saint-François, l'œil embrasse un horizon étendu et
magnifique, qui comprend, dans ses vastes proportions, une
— 68 —
partie de la terre du sud, les îles Madame, Aux Reaux, &c.,
le Cap Tourmente et les belles fermes de Saint-Joachim.
La rivière Dauphine, appelée loneftemps rivière Delphine,
et aujourd'hui parfois la Belle-fine^ une des plus considé-
rables de l'île, traverse la paroisse de Saint-François.
Ce serait bien ici le lieu de dire que toutes les rivières
de l'île, la rivière Saint-Patrice, la rivière Lafleur, la rivière
Maheu, la rivière Pot-au- Beurre portent assez impropre-
ment ce nom et qu'on s'éloignerait moins de la vérité,
en les nommant tout simplement cours-d'eau, car un bon
nombre ne sont pas suffisantes pour alimenter en tout
temps les dalles des quelques scieries qu'on trouve sur
leurs bords. Cependant, toutes ne sont pas exposées h.
subir au même degré les graves résultats de la sécheresse.
La rivière Maheu tire son nom d'un habitant de l'endroit,
autrefois établi sur les bords. Un pont relie les deux rives
bordées d'arbres antiques et de jolis bosquets qui donnent
à la campagne cet air de jeunesse et de fraîcheur qui ré-
jouit l'œil et rassérène le cœur du voyageur.
En i66î, les Iroquois causèrent de grands ravages dans
les cabanes que quelques Français avaient construites à
Argentenay, plus tard, Saint-François. Wiici comment le
journal des Supérieurs des RR. PF'. Jésuites relate le fait :
-69-
" i66i, le i8 juin, h 8 heures du matin, se commença le
massacre ou la capture de plusieurs personnes k Beaupré
et k l'isle d'Orléans, par les Iroquois venus de Tadoussac,
après le coup qu'ils avaient fait. On parla ce jour-là de
8 à Beaupré et de 3 à l'isle d'Orléans, ce qui se trouva
vrai."
On lit encore à ce sujet le passage suivant dans la Rela-
tion de 1662, par le même R. P. Lalemant, au chap. vu :
" Je ne saurais mieux terminer que par une rencontre
assez illustre, touchant un crucifix de deux pieds de haut
ou environ, que les Iroquois Ag-nieronnons enlevèrent en
l'an passé k Argentenay, dans l'île d'Orléans, quand ils y
firent les dégâts que nous avons racontés. Je ne sais si
ce fut par moquerie ou par estime qu'ils se saisirent de
cette image; quoy qu'il en soit, ils l'emportèrent jusques
dans leur pays et la faisaient voir dans leurs cabanes,
comme une des plus précieuses dépouilles des Français.
Garakontié, protecteur des Français, étaiit allé à Aquié,
la vit par hasard ; et comme il sa\'ait assez le respect que
nous portions à de semblables images, il no voulut pas
laisser profaner celle-lA. Il entreprend doi'.c de la racheter,
il fait lui beau présent pour cela, et, pour n'axoir pas do
refus, il fait lui éloge de ce crucifix, plus digne de sortir
de la bouche d'un prédicateur que d'un barbare : il l'obtient,
. et par la richesse de son présent et par l'éloquence de son
discours. Retourné qu'il fut ;'i Onontaghé, ti>ut triomphant
d'une si belle action, dont il ne connaissait pas tout le
mcrite, il place honoriibU'mcnt ce crucifix sur l'autel de la
— 70 —
petite chapelle où tous les jours les Français, les Hurons
et les Iroquois allaient lui rendre leurs hommages. Et
ainsi Dieu s'est voulu servir de la main d'un barbare pour
faire triompher sa croix, au milieu de la barbarie . . . . "
X
Paroisse de Saint-Jean
Paysages enchanteurs — Beaux chemins — Rivière Maheu — Ren-
contre des Iroquois sur ses bords — ^Mort de Jean Lauzon —
Famille du Sénéchal — Ruines de sa maison —
Industries — Pilotes — ^Cimetière.
La première paroisse que l'on rencontre après avoir
laissé Saint-François, est Saint-Jean-Baptiste. Elle a
plus de deux lieues de long-, s'étendant depuis la rivière
Maheu, d'un côté, jusqu'à la demeure des représentants
André Terrien, de l'autre. Ces limites sont reconnues par
le règlement du 21 septembre 1721, confirmé par un ar-
rêt du Conseil d'Etat, du 3 mars 1722.
" L'étendue de la paroisse de Saint-Jean, située en la
dite île et le comté Saint-Laurent, au bord du chenal du sud
sera de deux lieues et un quart, k prendre du côté d'en
bas, depuis et compris l'habitation d'André Terrien, en re-
montant, jusqu'à la rivière Maheu, ensemble des profon-
deurs renfermées dans ces bornes jusqu'à la moitié de la
dite île. "
— 71 —
La première église construite en cette localité, vers 1672,
n'était qu'un édifice en bois, de la grandeur d'une maison
ordinaire, fait en colombage comme on les faisait presque
toutes à cette époque. Elle avait 45 pieds de long, sur 20
de large, et n'était pas encore achevée en 1684. Remar-
quons aussi qu'il y avait k peine quinze ans qu'on y avait
commencé les premiers défrichements, et qu'on y comptait
alors guères plus de 175 individus. C'est vers 1669, au-
tant qu'il est possible d'en juger par les anciens titres, que
se firent les premiers établissements à Saint-Jean.
Les registres de cette paroisse qui pourraient nous
éclairer sur ce point, sont très incomplets, ayant été
gâtés par l'humidité, lorsqu'ils furent enfouis dans la terre
à l'époque de l'invasion. Ils sont tellement altérés qu'ils
sont parfois illisibles. - >v>- ^
Elle fut appelée Saint-Jean en souvenir du Sénéchal, le
fils aîné du gouverneur Jean de Lauzon. Une de ses
filles, Angélique, fut religieuse au monastère des Ursulines
et prit le nom de sœur Saint-Jean. Elle était la
troisième fille du Sénéchal ; un jeune garçon, Charles,
l'unique héritier de cette noble famille, mourut, jeune
encore, et ses biens patrimoniaux passèrent h la famille
Juchereau de Saint-Denis,
— 72 —
De Saint-Laurent à Saint-Jean, le chemin est toujours
beau et bien entretenu. Les églises de ces deux paroisses
sont <i deux lieues l'une de l'autre, sur le bord du fleuve
et le parcours d'une ëglise à l'autre se fait au milieu d'une
belle campagne, parsemée de champs magnifiques et de
jardins délicieux. Le paysage est partout enchanteur et
parfois grandiose, et les scènes v^ariées qui se déroulent
sous les yeux du touriste commandent l'admiration et la
reconnaissance pour l'auteur de toutes ces merveilles.
Les terres n'ont ici généralement qu'un arpent et demi
de front, sur trente en profondeur. Cependant, on en
retranche toujours quelques morceaux, chaque année, à
l'agriculture, pour augmenter le nombre des emplace-
ments, qui sont déjà très-nombreux en cette paroisse.
La plupart des maisons de ce village sont occupées par
des caboteurs, des pilotes, des constructeurs de chaloupes,
et par divers ouvriers en bois, en fer, en cuir, car il se
fabrique en cet endroit bien des articles utiles au cabo-
tage, tels que mâts, rames, voilures, etc. On y construit
même des esquifs qui ont eu une grande vogue.
Il n'est pas dans toute la province une seule paroisse qui
soit aussi souvent affligée par des accidents sur mer que
la petite paroisse de Saint-Jean, disait un de nos journaux.
— 73 —
en rapportant l'accident fatal qui avait causé la mort du
fils du capitaine F.-X. Dugal, en 1845. Presque toutes
les tempêtes plong'ent quelques-uns de ses habitants dans
le deuil, (a) La plus grande partie des victimes sont de
respectables pilotes.
Dans le cimetière du lieu à peine lit-on sur les épitaphes
les noms de deux ou trois de ces braves navigateurs qui
soient morts tranquillement au milieu de leur famille.
Sur les bords de la rivière Maheu, dont nous avons
déjà parlé, se trouvent les ruines de la maison de Jean de
Lauzon, grand sénéchal de la Nouvelle-France. La sei-
gneurie, ou terre de Charny, dont son frère Charles portait
le titre, était aussi dans l'île d'Orléans. On avait donné,
dans la famille de Lauzon, le titre de Charny à cette terre,
pour faire revivre, en Canada, le titre d'une terre ou sei-
gneurie que la famille de Lauzon possédait en Bourgogne,
de temps immémorial. •
(a) Voici les noms des malheureux qui ont eu les flots pour tombeau
depuis 1832 : M. Roussel, Jos. Paquet, Antoine Roussel, F.-X. Genest, 1S34,
Jos. Larivière, 1836, Pierre Forbes, Gilbert Fortier, Jos. Plante, 1837, Magloire
Paquet. Michel Forbes, 183S, Jos. Condreau. Geor^'es Genest, Jos. De-
scombes, Jos. Eniond, Ant. Gobeil, 183g, Etienne Tivierj^e, François Con
dreau, Jos. Johan, Jean Johan, Thos. Johan, Gabriel Pépin, Pierre Pépin,
Jos* Royer, Frs Rover. Pierre Rover, Ls Servant, Frs Pou'.iot, Frs Dupuis,
Pierre Dupuis, Laurent Paquet. Geo. Paquet. Moïse Pépin, Jacob Pedie,
Edouard I<jnace, J. Pouliot. Thos Pou'.iot. Joseph Gobeil, Thos Tremblay.
Amab. Paquet, J.-B. Turcot, Cécile Gosselin, 1841, Pierre Crépeau, Octave
Gobeil, 1842. J.-Bte Servant, Ma^jloire Crépeau. 1844, '^"t- Blouin, 1845, Hu-
bert Fortin, F.-X. Dugal. Total, 48 en 12 ans !
— 74— '■■•■.; :
Charles de Lauzon, sieur de Charny, était fils du gou-
verneur de la Nouvelle-France, Jean de Lauzon. Il arriva
au pays en octobre 1652, fut g^rand maître des eaux et
forêts de la Nouvelle-France, et gouverneur par intérim de
la colonie jusqu'en septembre 1657, avec le titre de com-
mandant j^énéral, place qu'en partant pour la France il
remit à M. Louis d'Aillebout qui se maintint à la tête de
l'administration jusqu'à l'arrivée de M. le vicomte d'Arg"on-
son, le 1 1 juillet, 16518. Etant repassé en France à cette
époque, il s'enrôla dans la milice du sanctuaire et fut
ordonné prêtre en 1659. A la demande de monseigneur
de Laval, il revint cette année même au Canada.
Jean de Lauzon, le sénéchal, était aussi un des fils du
gouverneur Jean de Lauzon que nous venons de mention-
ner, et qui fut, ;\ sa propre demande, appelé par le roi de
Fiance, à l'administration de cette colonie dont il avait
les intérêts à cœur. Le Sénéchal avait servi dans le
régiment de Guicnne, ou de Navarre, et dans celui de
Picardie, avant de se rendre au Canada avec son père.
Il fut revêtu de la charge de S'^néchal (a) qu'il exerça
ra) T.r<i Réfléchattx étaient appelés bAilTii^ . n rrrtains lieux. Ils arlmini«-
traient la justice au nom fle« ducs, qui «iV-taient ""^narés du |K)uv(iir et de
l'administration de la justice. n>ais qui ne la v A.v .it rendre d personne.
I^es lois de France attribuèrent aux Sénéchau.» t juifes ordinaires, la con-
nai^isancf des ras royaux et des causes d'appel. Ils succédèrent don»; ii l'autorité
-75-
seulement quelques années, ayant été tué, comme nous
l'avons déjà dit, par les Iroquois sur les rivages de l'île
d'Orléans.
Nous lisons dans un mémoire du temps au sujet de la
catastrophe qui le ravit à l'affection de ses concitoyens :
'• M. le sénéchal Jean de Lauzon fut tué par les Iroquois,
dans la rivière Maheu, où il était entré pour s'abriter
contre le gros vent du nord-est. Son corps fut ramené
le 24. "
Dans son Précis de P Histoire du Canada, M. de Belmont
est encore moins exact en disant : M. le Sénéchal fut tué,
et partie de sa famille. Ce qui est absolument incorrect.
Le Journal des Supérieurs des Jésuites est plus expli-
cite ; voici ce qu'il dit :
"1661, —22 juin. M. le Sénéchal étant parti un jour ou
deux auparavant avec 7 ou 8 autres, pour aller donner avis
;\ M. de I.'Espinay, son beau -frère, qui était allé h la
chasse quelques jours auparavant, du danger des Iroquois,
des ducs et des comtes, qui avaient l'administration de la justice et des finances,
et jujjeaient en dernier ressort jusrju'au temps où les parlements furent rendus
sédentaires. Les rois rrait^nant qu'ils n'usurpassent l'autorité comme les ducs,
leur otérent le maniement i\es finances, en nommant des intendants, des
jjouverneurs. On leur laissa, néanmoins, la conduite de l'arriére-ban, pour
marque de leur ancien pouvoir. L'exercice de la justice passa â leurs lieute-
nants. Il ne leur restait plus au tenips où il s'a^jit ici, que l'ixmneur de séance
A laudience, et celui de voir les sentences, les ju^jenients, etc., se jiorter en
leurs noms. Le Sénéchal était le jujje en cette colonie. I^ juridiction i^assa
partie au Conseil supérieur en ifc6v et partie aux mains de l'Intendant, nous
dit le R. r. de Charkvoix. {Histoire de la .Yuntei/e-Fraitcf, iomt Ul, p. 113.)
-.;,:_;;:,, -76- V-/'
le nord-est l'ayant empêché de passer outre, il s'en alla
s'eng-ager dans la petite rivière de René Maheu, où il fut
tué avec tout son équipage par les Iroquois. Les corps
furent ramenés le 24. "
Le registre des inhumations de la paroisse de Notre-
Dame de Québec, sous la date de 1661, 24 juin, nous in-
forme qu'il a été inhumé dans cette église, ainsi que Nicolas
Gouillard dit Bellerive, âgé de 20 ans, et Ignace Lévestre
Desrochers, âgé de 24 ans. Les corps de ceux qui furent
tués avec eux furent inhumés le même jour, au cimetière
de la même paroisse. Voici leurs noms: Elie Jacquet
Champagne, serviteur de demoiselle de Repentigny, Jac-
ques Penoche, Toussaint. . . . et François. . ., serviteurs de
monsieur Couillard, etc.
Le R. P. de Charlevoix (Histoire de la Nouvelle France^
tome i^"", p. 348), dit : " M. le sénéchal de la Nouvelle
France étant allé à l'isle d'Orléans, pour dégager son
beau-frère qui était investi dans sa maison, tomba dans
une embuscade. Les Iroquois qui le connaissaient, et qui
étaient fort aises d'avoir entre leurs mains un prisonnier
de cette importance, le ménagèrent d'abord, ne cherchant
qu'.^ le lasser ; mais voyant qu'il leur tuait trop de monde,
ils tirèrent sur lui et le tuèrent avant qu'aucun d'eux eût
osé l'approcher, n
— 77— '-.
Voilà commtnt périt, k la fleur de l'âg'^* un homme dont
les talents et les vertus étaient -' nécessaires dans un pays
comme celui-ci, où l'influence d'un grand nom, en honneur
à la Cour, suffisait souvent pour obtenir une faveur, -;u'on
aurait refusée longtemps aux prières et aux supplications
des humbles sujets. Son dernier acte fut un acte de dé-
vouement, et il tomba, comme tant d*autres martyrs de la
civilisation et de la charité, sous les coups de ses ennemis
féroces, disparus aujourd'hui de nos rivages» et dont on
chercherait vainement les traces. Ils ont été balayés de la
surface cîu sol qu'ils ava'ent abreuvé du sang des mission-
naires, et la marque de Caïn, gravée sur leurs fronts par
i ne main vengeresse, les a tous suivis jusqu'au tombeau.
Le beau-frère de M. le Sénéchal, mentionné ici par le R.
V. de Ch.'irlevoix, était Louis Hébert, sieur de l'Espinay.
On lira avec intérêt le récit du R. P. Jérôme Lalemant, de
!a compag lie Je Jésus, consigné dans la Relation des
Jésuites. Il fournit d'amples détails sur cet événement
douloureux, et même sur les premières années du digne
sujet de ses regrets.
Après avoir rapporté le massacre de 14 Français à Trois-
Rivîèrcs, par les Iroquois, le Révérend Père ajoute : -t
" .... Le mal n'a pas esté si long à Kebcc, mais plus violent
et plus sensible, et nous y avons fait une perte plus grande
incomparablement, (jue toutes celles qui ont précédé : c'est en
la personne de Monsieur de Lauzon, seneschai de cette Nou-
velle-France, homme de cœur et de re'solution, rompu dans
les guerres de ce pays-ci, sur qui nous fondions une bonne
partie de nos espérances, pour la destruction de l'Iroquois. Il
y a plus de trente ans que Monsieur son père ne cesse d'im-
moler ses ^oins pour l'establissement de ces nouvelles terres ;
il y perdit l'an passé un de ses enfans, en voicy encore un
qui donne sa vie pour la conservation d'un pais que le père
avoit, en (]uelque façon, fait naître.
" Ce brave jeune homme n'en i)ouvoit voir la destruction,
ny la désolation générale qu'y causoit l'ennemy par les meur-
tres et par les embrasemens, sans estre piqué d'un généreux
désir de lui donner la chasse, pour sauver le reste des François
qui estoient dans le danger.
" Il monte en chaloupe, luy huitième, et s'estant approché
d'une maison situét vers le milieu de l'Isle d'Orléans, dans
laquelle les Iroquois s'estoient mis en embu^cade, il fallut en
venir aux mains. Il y avoit sur le rivage un gros rocher, (pli
pouvait servir de boulevard à ceux qui s'en seroient emparez
les premiers ; de (^ucy s'appercevront bien les ennemis, ils
prennent chacun deux ou trois pièces de bois, et les joignant
ensemble, K s portent devant eux comme des mantelets à
répreuve des grands coups de fusil, que nos François déschar-
geoient continu 'llement sur eux. Mais ils ne les purent empes-
cher (le se saisir de ce poste avantageux d'où, comme d'une
tour dressée tout à dt^ssein, ils avoient sous leurs fusils et à
— 79 —
leur commandement la chaloupe, qui, par malheur, s'estant
eschouée sur le coste' qui regardoit ce rocher, présentait tout
son flanc à découvert aux Troquois, et leur mettoit en veiie
ceux qui s'en dévoient servir comme d'un retranchement.
•• Alors le combat commença tout de bon par les descharges
qui se faisoient de part et d'autre. Mais que pouvoient faire
nos gens, qui n'estoient (\ue huit contre (juarante, et tous dé-
couverts, contre ces furieux gabionnez derrière leur rocher ?
Reconnaissans donc bien qu'ils n'avoient de défense que leur
courage, et que l'extrémité où ils se voyoient les obligeoit de
songer plus au salut de leur âme qu'à la seureté de leur corps,
ils commencèrent l'attaque par la prière publique, (ju'ils firent
par trois fois, pendant (jue les ennemis, (jui, sentant bien leur
avantage, et qui se tenoient déjà victorieux, leur firent trois
sommations de se rendre, faisant mille belles promesses de
la vie.
" Mais, Monsieur le Seneschal, préférant une glorieuse mort
à une h nteuse captivité, refusa tous ces pourparlers, et ne
repondoit h ces semonce? que par la bouche de son fusil ; et
comme il s'y comportoit le plus chaudement ae tous, aussi fut-
il le premier tué, et peu après luy les autres François, sur les-
quels l'ennemy faisoit sa décharge en toute assurance, estant
couvert de ce gros rocher ; il n'en demeura qu'un en vie,
mais blessé au bras et à l'espaule, et mis hors de combat ; il
fut pris et mené par les vainqueurs dans leur pnis, pour y
estre la victime de leur fureur et de leur cruauté.
" Quand ces tristes nouvelles, (jue nous avons sceuës ])ar un
captif François, eschappé des mains des Iroquois, nous furent
— 8o —
apportées, on ne peut croire les regrets qu'eurent nos habî-
tans, de la perte de leur Seneschal, qu'ils aimoient unique-
ment, et qui faisoienl tant d'estat de son courage, qu'au moin-
dre signal qu'il donnoit, ils estoient tous en armes à ses costez
pour le suivre partout : il lv.\s gagnoit par une certaine fami-
liarité, avec laquelle il s'accommodoit à tous, en sorte qu'ils
estoient ravis de combattre sous un chef, dont ils faisoient une
estime merveilleuse, et avec raison.
" Monsieur le Duc d'Espernon l'avait conside'ré en France,
puisqu'à l'aage de dix-neuf à vingt ans, sortant de l'Académie ;
il l'avoit honoré de l'Enseigne Colonelle du Régiment de
Navarre, dans lequel et dans celuy de Picardie ayant seivy en
Flandres trois ou quatre campagnes ; il ne voulut jjoint se
séparer de Monsieur son père, que le Roy envoyait Gouver-
neur en la Nouvelle - France, ou ce brave (ieniilhomme a
rendu des preuves de sa vertu, donnant des marques de sa
générosité jusques au dernier soupir.
ti En suite de cette nouvelle, le desordre se tint de tous
costez, et le découragement laissoit presque tout en proye à
lennemi, ijui, comme maistre de la campagne, bruslait, tuoitet
enlevoit tout avec impunité. ... m
Cette incursion des barbares fut une de leurs dernières ;
aussi leur avait-elle coûté bien cher.
8r
>^»v
XI
Paroisse de Saint-Laurent
Orio-i„o du nom Beautés aj^restes-^Superbes vergers-Voie rive
* -'ne -;rro"Sa,„t-Patnce- Approche de la flotte an^lais^
Den.s de V ,tre-Descente de Wolfe- Alarme géneVale.
En laissant Saint-Jean, la première paroisse que ren-
contre le touriste quand il remonte vers l'extrémité nord
de l'île, est Saint-Laurent. Cette paroisse a deux lieues
et quart de Icn<,. Le paysage y est charmant la campagne
jolie, pleine d'agréments et de beautés agrestes, qu'une
nature vraiment riche a prodiguées sur tous les points.
Quel beau coup d'œil pottr le marin qui louvoie vis-A-vîs.
Ces nombreux et beaux vergers, ces hauts peupliers, ces
jolies habitations, ces coteaux élevés. . .... quelle réunion
d'objets variés et pittoresques !
Si nos occupations nous permettaient de faire encore une
course sur les rivages enchanteurs de l'île, nous ajoute-
rîons bien d'autres détails A nos souvenirs de vingt ans ;
nous rendnons compte de tu>s impressions et de nos obser-
vations en touriste ; et. si nous pensions intéresser le lec
teur, nous ne laisserions pas une pyrite, sans en donner le
— 82 --
nom et }es formes, pas une mousse, sans en faire l'examen,
pas un tronc d'arbre, pas une borne sans lui soutirer sa
légfende. Mais nous devons, pour le mom.ent, en narrateur
éloigné mais fidèle, nous contenter de relater de vieux
récits et de glaner les faits les plus importants enfouis déjà
depuis longtemps dans nos cartons.
La paroisse de Saint-Laurent fut d'abord érigée sous
le vocable de Saint-Paul ; mais les seigneurs de l'Ile,
désirant qu'il y eut une paroisse Saint-Laurent dans l'île
et comté de Saint-Laurent, il fut convenu, entre les auto-
rités, que le titre de la paroisse de Saint-Paul serait chan-
gé, et qu'elle prendrait pour patron Saint-Laurent, nom qui
convenait mieux :\ cette localité, qu'à celle qui l'avait
porté jusqu'alors : Saint-Laurent de la Durantaye, qu'on
appela depuis lors comme aujourd'hui, Saint-Michel, du
comté de Bellechasse. Il y a des exemples de change-
ments de cette sorte, effectués, soit pour appaiser des
différends, soit pour éviter la confusion. La paroisse de
Saint-Valier, par exemple, «.tait autrefois connue sous
la désignation de Saint - Philippe et Saint - Jacques, et
celle de Sainte-Anne de la Pérade, sous le nom de Saint-
Nicolas. ^
Les bornes de la ci-devant paroisse de Saint-Paul, main-
tenant Saint-Laurent, sont ainsi fixées, au livre des ins-
criptions léjjfales des paroisses. D'après le règ"lement du
20 septembre. 1721, confirmé par un arrêt du Conseil
d'Etat, du 3 mars, 1722, l'étendue de la paroisse de Saint-
Paul, située en la dite île et comté de Saint-Laurent, sera
de deux lieues et quart, à prendre, du côté d'en bas, depuis
la rivière Maheu en remontant sur le bord du chenal du
sud, jusqu'à et compris l'habitation de Pierre Gosselin,
ensemble des profondeurs renfermées dans ces bornes jus-
qu'au milieu de la dite île. •
On dit quelque part que les premières concessions de
terres en cette localité ne remontaient pas au-delà de 1698.
On aurait mieux fait de dire qu'au moins on ne trouvait
pas de titres plus anciens. Le temps a fait son œuvre,
voilà tout ; car les faits démentent cette assertion. En
effet, il y avait une église à Saint-Laurent en 1684. Mon-
seig'ncur de Saint- V'alier, qui écrivait en 1687, nous dit,
dans sa lettre : {Kstdf présent de V Eglise du Canada^ p.
21), (a) que le même prêtre desservait Saint-Jean, Saint-
Paul et Saint-Pierre, et que le curé de la paroisse de
Sainte-Eamille desserv ait Saint-François ; puis, il ajoute
qu'il en sera encore ainsi pendant plusieurs années, jusqu'à
(a) Chez Auj^ustin Côté et Cie., Québec.
— 84 — ♦
ce que le nombre des prêtres ait augmenté. On a plus
tard modifié cet arrangement, auquel cependant il a fallu
revenir quelquefois en différents temps.
Derrière la pointe Saint- Laurent, presque vis-à-vis
l'église de Saint- Pierre, mais du côté sud, se trouve le
havre appelé Trou Saint-Patrice^ que nous avons déjà men-
tionné dans ces notes. Nous reproduisons ici le témoi-
gnage que nous en donne feu le lieutenant-colonel Bou-
chette, arpenteur général, en sa Topographie du Canada,
p. 500, édition de 1815.
" C'est une crique sûre et bien abritée, où les vaisseaux
destinés aux pays étrangers, viennent ordinairement jeter
l'ancre, en attendant leurs instructions définitives pour
faire voile. "
Au Trou Saint-Patrice se trouve une grotte remarquable,
que les curieux ne manquent pas de visiter lorsqu'ils pas-
sent en cet endroit. Elle a perdu cependant beaucoup de
ses charmes et de son prestige depuis une trentaine d'an-
nées. Quoiqu'il en soit, grotte ou trou, n'aurait-elle pas
dans l'origine, donné son nom au bassin ?. . . .
Les rochers dont l'Ile est environnée sont, pour la plu-
part, d'argile schisteuse, mêlée de ce que les minéralo-
gistes allemands appelent îVaÂe, mais au trou Saint-Patrice
le caractère des couches se dessine mieux. Elles sont gêné-
- 85 -
. ralenient dans une position verticale; presque partout la
rrauwake ou gmy.sacke, comme on disait autrefois, pré-
• domine et forme sur les rives, des murs alignés, parallèles
les uns aux autres et peu élevés.
(a) Leur couleur est d'un gris verdâtre, et leur substance
semble être formée par des parties de silex ou de quartz,
enveloppés dans de l'argile et du sable, le tout pétrifié par
l'action du temps. Au reste, je laisse A messieurs lesgéo-
logues A éclairer le lecteur sur ce point. Mon respect pour
leur science ne me permettant pas d'entrer dans de plus
grands détails sur ce sujet, je reviens au genre descriptif.
Au-dessus de la ligne des hautes eaux, les ^cbers s'élè-
vent à une hauteur qui atteint quelquefois jusqu'à six et
même huit toises. Sur les rivages, se trouvent de la pierre
à bâtir, et, dans bien des endroits, de la pierre à chaux de
bonne qualité. On a même construit, en cert.aines parties
de l'île, des fourneaux où l'on fabrique de la chaux, que
les habitants de la côte du sud achètent en asseE grande
quantité.
C'est à Saint-Laurent que débarqua le général Wolfe, le
21 juin 1759, comme nou.s l'avons dit. En mettant pied
(ai La grauwake est une espice de nx-he formée des d^frit,, ■ 1 v»-
• —86 —
à terre près de l'ég-lise, l'illustre guerrier se dirigea vers
elle, et trouva, sur la principale porte, un placard adressé
Il aux officiers anglais, m les priant de respecter cet édifice.
Wolfe donna des ordres en conséquence, et le temple, qui
avait alors plus d'un siècle d'existence, fut conservé.
Cette église devenue, il y a quelques années, insuffi-
sante pour les besoins de la population, a été remplacée
par un nouvau temple, construit auprès de l'ancien, mais
sur de plus grandes dimensions. D'après ce que nous
affirment ceux qui l'ont \ isitée, la nouvelle église est un
nou\el embellissement pour l'île et elle ajoute beaucoup au
charmant coup-d'œil que ce lieu présente aux regards du
voyageur.
L'île d'Orléans, surtout l'extrémiié-est, fut le premier
théâtre des opérations du général Wolfe, en 1759. Ce
plateau si calme, était, à cette époque, très animé. Le
commandant français avait tenté, avant l'arrivée des trou-
pes anglaises, de fortifier l'Ile, mais pour des raisons qu'il
ne nous appartient pas de discuter ici, ce projet n'eut pas
de suites. D'ailleurs, nous aimons à faire place à un témoi-
gnage contemporain :
" Dès que la nouvelle fut arrivée à Québec que la flotte
anglaise, envoyée pour réduire la colonie, était réunie au
• -87-
bas du fleuve, l'alarme fut grande, car jusque là on n'avait
pas ajouté foi aux projets des Ani^lais. De bon printemps,
au commencement de mai, des ordres avaient été envovés
dans toutes les paroisses au-dessous de Québec, pour con-
traindre les cultivateurs et les chefs de famille de faire dans
les bois des lieux de refui»"e, et de les approvisionner, puis
de s'y rendre av-ec leurs enfans et tous les effets de mé-
nag'e, ustensiles de culture, bestiaux, et autres vivres dès
qu'on aurait la nouvelle de l'approche de î'onnemi. On fit
donc partir des courriers pour mettre ces ordres à exécu-
tion, avec injonction de faire évacuer entièrement l'île d'Or-
léans, l'île aux Coudres, etc.
" Ces ordres si précipités, et, sans doute, irréfléchis,
furent gauchement interprétés et bien mal exécutés. La
crainte, la peur et l'animosité, sont de fort mauvaises con-
seillères. La maladresse et la précipitation firent à des mil-
liers de propriétaires plus de tort que l'ennemi n'en aurait
pu faire. Nombre de familles ont été ruinées par cet em-
pressement inutile ; les trois-quarts des bestiaux périrent,
et de lonj^-temps les cultivateurs de l'islr aux Coudres et de
l'isle d'Orléans, qui renfermaient au moins cinq mille têtes
de jJ^ros bétail, ne se relevèrent de cette perte, sans parler
des personnes, femmes et enfans, qui malheureusement
périrent dans la bagarre, ayant été rassemblés à une extré-
mité de ces îles, sans qu'on eût auparavant procuré des
bateaux en ni»mbre suflîs.mt pour les transporter, ni sor^j^é
;\ y amasser des vivres pour les nourrir. On avait encore
moins pensé h y élever des abris pour leur retraite
" Vers le dix juin, on rapporta, à Québec, que les habi-
tans de l'isle d'Orlcans, avant d'évacuer î'isle, avaient
caché tout leur j^rain dans les bois, de telle façon néan-
moins qu'il était aisé de le trouver. L'autorité donna
aussitôt ordre de l'enlever ; mais à cette condition, toute-
fois, de le payer à ceux qui s'en déclareraient les proprié-
taires. La quantité de blé, ainsi reconnue, se monta à
20,000 minots, quantité vraiment prodig'ieuse h cette
saison, et pour une isle qui ne contenait pas 2,500 habi-
tans, sans compter les autres quantités cachées, en des
endroits qu'on ne put découvrir, ni ce que les particuliers
avaient dû emporter pour leur subsistance ....
Il On plaça un détachement dans l'isle d'Orléans. \'ers
le 20 juin, on fit reconn:utre les dispositions de l'ennemi,
et l'on y fit passer quatre canons ; mais ils ne furent d'au-
cune utilité. On prit en même temps le parti de renforcer
le détachement qui y avait été en\oyé, en y ajoutant de
cinq à six cents canadiens, et quelque troupes sauvai^es,
arrivées des pays d'en haut, soit pour empêcher les Anj^Iais
de mettre pied à terre, jusqu'à ce que leur flotte fût supé-
rieure, soit pour retarder seulement leur descente, lors-
qu'ils seraient en état de l'opérer, ti
Bientôt on s'aperçut c|ue les dispositions prises pour
causer quelques avaries aux vaisseaux ennemis, déjà à
l'ancre par le travers de l'île d'Orléans, devenaient toutes
infructueuses. Le i*' juillet, les Ani^lais.au nombre de neuf
à dix mille hommes, y débarquèient et y campèrent. M.
de Courtomanche, qui y était resté avec un détachement,
— 89 —
fit sa retraite le trois de juillet, sur une lettre reçue la veille,
de M. le marquis de Vaudreuil, qui lui intimait l'ordre
d'évacuer l'île, et de traverser à Beauport. On renou-
vela encore plusieurs fois le projet d'envoyer des troupes
dans l'île, mais il n'a jan.ais été exécuté avec succès.
Sous le g"ouvernement français, on avait établi une
suite de sij^^naux, k l'aide desquels on transmettait à
Québec \e3 nouvelles de ce qui se passait dans le bas du
fleuve, h peu près comme ceux entretenus depuis, par le
i^ouvernement ani^^lais, jusqu'à 1850. En 175S, on en
construisit trois : le premier ;'i Saint-André de l'Ilet-du-
PortajT^e, district de Kamouraska, et la i^arde en fut assi-
gnée «i M. de Léry ; le deuxième, établi sur une hauteur k
Kamouraska, était confié aux soins de M. de Montesson ;
et le troisième, placé sur l'île d'Orléans, était sous la direc-
tion de M. de Lanaudière. On les fit bientôt abattre dès
qu'ils ne purent plus servir k annoncer les vaisseaux fran-
çais.
De plus, comme pour monter de l'Ile-aux-Coudres h
Québec, il faut suivre, du côté du nord, un chenal qui
biaise, on avait, pour la commodité des marins, fait des
amarques dans les îles au moyen d'abattis, qui servaient à
les guider jusqu'il l'île d'Orléans, à rextrtmité de laquelle
— 90 —
ii y en avait une autre en pierres. On n av'ait pas encore
mis en usa^re le système des bouées. Pour tromper l'en-
nemi, on abattit le bois de l'île et on fit disparaître toutes
les auties amarques.
Malgré ces précautions, la flotte angolaise arriva sans
encombre à l'île d'Orléans. On a su depuis qu'un navi-
gateur français, Mathias Denis (de Vitré), (a) qui avait
lonj;-temps vécu en Canada, avait consenti, moyennant de
grandes promesses, à conduire, jusqu'à Québec, les vais-
seaux ennemis, et que quelques pilotes du bas du fleuve,
qu'on avait attirés en hissant le pavillon français, avaient
été détenus à bord et forcés de diriger les barques. La tra-
hison du premier, comme celle de tous les fourbes, ses
devanciers, ne lui fut guère profitable. Honni et repoussé
par ceux qu'il avait servis, il mourut pauvre et misérable,
à Londres, après avoir longtemps réclamé, mais en vain,
le prix de sa perfidie. C'est de son camp de l'île d'Orléans,
que le général anglais adressa au peuple Canadien, un
manifeste qui devait demeurer sans effet. En compagnie
des officiers du génie, l'intrépide W'olfe ayant jeté un
coup d'œil sur les fortifications de Québec, et sur les ou-
\ rages qui les protégeaient, résolut d'attaquer le camp
(a) Denis de \'itré était fils de I héud^re de \itré et de Marie-Josephine
Des Bergères.
— 91 —
retranche des Français, sur les hauteurs de Montmorency,
après avoir tenté inutilement un coup de main du côté
de la Pointe-Lévis.
C'est le 26 juillet, suivant Warburton, que Wolfe arriva
en face de l'île d'Orléans. Dans la nuit suivante quelques-
unes de ses troupes s'avancèrent à la faveur des ténèbres
jusqu'au nord de l'Ile, et y découvrirent un corps assez
nombreux d'habitants, occupés à brûler ce qui pouvait
être utile aux envahisseurs. .
Le 27, le débarquement s'opéra, près de l'église Saint-
Laurent. Le général Wolfe, après avoir essayé de réduire
Québec par un bombardement actif et prolongé, qui réduisit
en cendres une partie de la hautc-vtlle, après avoir incen-
dié la basse-ville tout entière, se décida à attaquer l'aile
gauche des Français, au sault de Montmorency. Il le fit
avec 8,000 hommes qu'il avait fait débarquer k l'Ange-
Gardien, le 31 juillet. Les batteries anglaises ouvrirent
leurs feux et les assaillants voulurent forcer les retranche-
ments ;• mais les décharges meurtrières des Français jet-
tèrent la frayeur dans les colonnes ennemies et tout aussi-
tôt il s'en suivit un affreux désordre. Repoussées sur tous
les points, elles se rembarquèrent dans une grande con-
— 92 —
fusion, malgré les cris et les ordres réitérés des chefs pour
rallier leurs troupes éperdues.
Ne pouvant s'emparer de la ville, les Anglais s'occu-
pèrent, pour se consoler de leur échec, à ravager les cam-
pagnes circonvoisines. On lit à ce sujet, k la page 5
du Journal de r Expédition sur le fleuve Saint- luiurent^
l'extrait suivant tiré du New-York Mercury :
" Le 23, nous reçusmes un bon renfort, c'était un renfort
de trois cents colons, (miliciens des colonies de la Nou-
velle-Angleterre), qui débarquèrent à l'isle d'Orléans.
" Le 25, trois compagnies de grenadiers et trois com-
pagnies d'infanterie légère, firent le tour de l'isle d'Orléans.
" Le 27, ils revinrent au camp.. . Ce qui restait de
troupes s'occupa l\ recueillir les effets pillés, dont s'était
emparé le peloton qui avait f lit le tour de l'isle. Leur butin
consistait généralement, A part quelque argent, en linges,
habillemens, etc. m
C'est aussi dans l'île d'Orléans que le général Wolfe
établit ses hôpitaux, pour les malades et pour les blessés.
En 1858, un siècle environ après la cession du pays,
les habits rouges firent de nouveau leur apparition dans
l'Ile, mais, cette fois, les insulaires ne furent p s obligés
de chercher un refuge dans les bois. Le gouvernement
militaire avait loué un terrain pour exercer les soldats au
tir la h. carabine. Le tir à la cible a toujours été consi-
— 93 —
déré comme une chose éminemment utile, pour l'instruc-
tion pratique des troupes ; mais avec les perfectionnements
nouveaux, apportés à la fabrique des armes à feu, cet
exercice est devenu indispensable. On sait qu'avec des
carabines rayées, il faut choisir son point de mire, selon
la distance h laquelle il faut tirer. Or l'habitude d'appré-
cier les distances à l'œil, ne peut s'acquérir que par des
essais souvent répétés.
XII
De l'Emplacement du Fort
Découverte de la Terre du Fort — Défrichements des Hurons sous
la garde du Père Garreau— Leur vie, leurs luttes avec l'Iro-
quois— Trou Saint-Patrice— Dissertations.
Il nous reste h rappeler brièvement les circonstances de
rétablissement des Hurons dans l'île d'Orléans et hi décou-
vert' de l'emplacement du Fort qu'ils y occupaient.
Il se rattache, en effet, à ce lieu beaucoup d'intérêt,
puisque là se trouvaient, il y a plus de deux siècles, un
certain nombre de fainilles huronnes, pauvres débris d'une
de ces puissantes nations qui couvraient autrefois le sol
du Canada. Toujours en butte aux persécutions incessantes
— 94 —
de ses perfides ennemis, les Iroquois, épuisée et presque
anéantie par des guerres continuelles et désastreuses, la
nation huronne chercha sa sûreté en se dispersant.
D'après l'avis des chefs qui n'avaient pu s'entendre sur
un projet d'ensemble, les guerriers des tribus, suivis de
leurs familles, se divisèrent en cinq bandes principales, dont
la première se retira dans les îles qui sont dans la partie
nord du lac Huron, surtout l'île Manitouline ; la seconde
troupe se joignit aux Iroquois ; la troisième alla occuper
l'île de Michillimakinac ; la quatrième demanda asile et
protection à la nation du Chat. Errieronnons, et la plus
grande partie de la cinquième se retira auprès des colons
français de Québec, avec ses missionnaires, vers l'année
1650, et le reste de leur troupe vint se réunir à eux quel-
ques années après.
C'est de cette cinquième bande, la seule qui ait presque
survécu jusqu'à nous, que nous avons à nous occuper.
Comme on ne pouvait leur donner place dans la ville
même, et qu'il était dangereux pour eux de demeurer hors
des murs, les Révérends Pères Jésuites, après avoir tenté
divers moyens d'accommodement avec les autorités civiles
de la colonie, achetèrent, en 1651, de madame Eléonore
de Grand - Maison, épouse de François de Chavigny,
écuyer, sieur de Berchereaux, dont on a parlé plus haut,
un lot de terre sur la Pointe de l'île d'Orléans, qu'ils par-
tagèrent également entre les chefs de familles hurons. Ils
construisirent dans le voisinage des huttes sauvages, une
maison de prière, une modeste résidence pour le mission-
naire, et en outre un fort en pieux, semblable à celui de
l'île Saint-Joseph, maintenant appelé Charity Islande h
sept lieues de Pennetanguishene, dans le lac Huron.
L'auteur de la brochure qui nous occupait, en 1864, pré-
tend avoir découvert l'emplacement où ce fort fut con-
struit. 11 n'y a pas de doute que la terre du Fort ne soit
celle qui fut achetée pour établir les Hurons. On en trouve
la position marquée avec exactitude, sur une carte de l'île
et comté de Saint-Laurent. Mais k quel endroit précis,
c'est là que gît la difficulté. Si ce fort eut été construit en
bois, il y a longtemps qu'il n'en existerait plus de vestiges ;
mais les écrivains conviennent qu'il fut construit exacte-
ment comme celui de Saint-Joseph, qui se composait d'un
mur de pierres de douze pieds de hauteur, flanqué de quatre
bastions dont on voit encore les ruines. (Voir Traduction
de la vie du Père Bressiani, par le Rév. P. Martin, p. 38).
Or, le fort de l'île d'Orléans étant exactement semblable,
doit avoir eu au moins des fondations en pierres et être
surmonté de pieux ! Adoptera qui voudra ce superbe raison-
nement, nous laissons à chacun pleine liberté sur ce point.
Mais nous ne croyons point devoir céder devant la puis-
sance d'une pareille logique, et nous aimons à croire que
personne ne nous en cherchera noise. Les deux forts
étaient semblables par les dimensions, par les formes, et
non pas par les matériaux, dit-on : et pourquoi sous les
pieux de ce fort en pieux, aurait-on mis un mur en pierres ?
Ici on ferait vainement appel à la science des architectes.
On ne construisait pas ainsi autrefois, je veux dire au temps,
dont il s'agit ici. D'ailleurs, les Jésuites n'en avaient pas
les moyens. A la fin du chapitre III, Relation de Vannée
16^2, par le R. P. Ragueneau, on lit :
" Nous avons aidé ces bonnes gens à défricher des
terres comme vous avez appris. Ils ont recueilly cette
année une assez bonne quantité de bled d'inde .... Nous
avons fait bastir vn Réduit ou espèce de Fort pour les
défendre contre les Iroquois ; il est à peu près de la
même grandeur de celuy qui estait aux Hurons au lieu
nommé Ahouendaé. Nous avons aussi fait dresser une
chapelle assez gentille, et une petite maison pour nous
loger. Les cabanes de nos bons néophytes sont tout au
près de nous, à l'abry du Fort. Les Iroquois nous obli-
gent de les secourir, etc. "
— 97 —
Dans la Relation de 16^6, chap. III, à propos du mas-
sacre des Hurons par les Iroquois, le R, P. Le Jeune dit :
" . . . . Le reste se sauvant dans notre maison enceinte
d'une palissade de bonne défense, etc. " Dans l'île de
Michillimakinac, en 1670, ils élevèrent une palissade de 25
pieds de haut, pour protég-er leur village, mais il n'est pas
parlé de murailles au-dessous.
Que l'auteur voulant faire une glacière ait découvert les
restes d'une muraille de cinq pieds d'épaisseur, recouverte
d'un pied de terre, et enveloppée d'épines et de jeunes
érable.-^, c'est ce que nous ne sentons aucune inclination à
contester. Mais de là en augurer que c'est l'enceinte d'un
fort, en conclure que le fort des Hurons a été construit
là, qu'il était en pierres, etc., c'est être très accommodant.
On pouvait tout aussi carrément dire que c'est le solage
d'une maison détruite par le temps, ou transportée ailleurs,
ou alléguer que ce sont les ruines d'un moulin.
Etablissons maintenant que les RR. PP. Jésuites déci-
dent les Hurons à se retirer sur la terre du Fort, et que
Madame de la Forest concède à d'autres individus et non
pas aux Jésuites, une autre terre du P^ort (Journal des RR.
PP. Jésuites, 1650.) : " Consulté pour savoir s'il fallait
loger et donner place aux Hurons sur nos terres de Heau-
7
port, il fut dit que oui, mais qu'il fallait que ce fussent les
familles les plus choisies et qu'il fallait se résoudre de faire
la dépense de 500 écus par an pour ce sujet.
; " 165 1, mars. — Les Hurons quittent Beauport pour l'isle
d'Orléans. "
Nous lisons encore au Journal des Supérieurs de la mai-
son des Jésuites que nous sommes heureux de pouvoir con-
sulter sur ce point :
" 1651, 19 mars. — Contrat avec Demoiselle de Grand-
Maison, pour les terres en faveur des Hurons qui vont
habiter l'isle d'Orléans. " >
Et plus bas : v ^ . ,
" 1651, 29 mars.- — Le Père Cliaumonot va demeurer à
l'isle d'Orléans. "
" Même année, 18 avril. — Partage des terres de demoi-
selle de Grand-Maison .... Les parts sont de trente à qua-
rante perches, sur un demi arpent. . . . Tout le monde est
content. . . . On commence à semer. ..."
Nous avons vu comment M. de la Forest avait laissé le
pays. Or, le i^"'' mars, 1652, madame Eléonore de Grand-
Maison représenta par requête au gouverneur Jean de
Lauzon, que son mari (François de la Forest), lui avait
abandonné tout ce qu'il possédait en cette colonie, laissant
ses affaires dans un état d'incertitude, etc. Sur les obser-
vations de la dite dame, le gouverneur décida que son
— 99 —
époux serait privé de ses biens, que ceux qui avaient pris
de lui des terres en concession les défricheraient, et il
disposa des terres et seigneuries qui lui appartenaient, en
faveur de la dite dame Eléonore de Grand-Maison, qui en
devait jouir selon les conditions faites à son époux.
Les PP. Jésuites ont donc concédé cette terre du Fort,
de madame de la P'orest, un an avant qu'elle fut autorisée
à en disposer. C'est en mars 1651, sous l'administration
du gouverneur d'Aillebout, et non dès 164g, comme on l'a
dit quelque part, que les sauvages Hurons furent conduits
par le Père Ragueneau sur la terre du Fort, et madame de
la Forest ne fut autorisée h jouir des biens délaissés par
son mari qu'en mars 1652. (Nous trouvons ailleurs des
renseignements encore plus étendus.)
En 1724, la terre du Fort, paroisse Saint-Pierre, fief
Beaulieu, appartenait à Pierre Noël. Dans le contrat qu'il
m
exhibe, devant le Conseil Supérieur, il est consigné que
cette terre n'avait que cent arpents en superficie, et il n'en
avait alors que soixante en sa possession. Or, par ces
titres, on voit qu'en 1652, demoiselle Eléonore de Grand-
Maison a concédé à Jacques Lévrier ces soixante arpents
de terre, c'est-à-dire, six arpents de front sur dix de pro-
fondeur, (a)
a Acte du 3 avril, ratifié le 6 décembre, même année, par Jacques Gourdeau.
V — lOO —
Voilà donc la terre du Fort concédée en 1652, à Jacques
Lévrier, et les révérends Pères Jésuites auraient acheté,
dès 165 1, la même terre de la même personne, mademoi-
selle Eléonore de Grand-Maison ! . . . .
Mais complétons les cent arpents dont elle se compose :
autrement on pourrait faire des objections. Les quarante
arpents qui devaient la compléter étaient, en 1657, et aupa-
ravant, en la possession de Pierre le Petit (a) qui la vendit,
au mois de mars même année, au sieur de Lauzon (b).
Ce lot mesurant quatre arpents de front, sur dix de pro-
fondeur, fut vendu par Louis de Lauzon, sieur de la Citière,
à Jean - Baptiste Peuvret, écuyer, sieur de Mesnu (c).
Le 12 novembre, 1671, le sieur de Mesnu la revendit à
Gabriel Gosselin.
Par un autre acte, on voit que Jean-Baptiste Peuvret
vendait.cent arpents de la terre dite du P'ort, à la pointe
de nie.
(a) D'où vient le nom de l'anse ;\ Petit, qui devait être appelée anse de le
Petit.
(b) I.miis de I.aiizon, écuyer, sieur de la Citière et de Gaudarville, qui se
noya deux ans après en revenant de l'île d'Orléans. Le Journal des Sup)é-
rieurs des Jésuites s'exprime ainsi sur ce sujet : "1659, mai 5. Versèrent
dans un canot venant de l'île d'Orléans par un pros vent du Nord-Est, M.
de la Citière, Larchevesque et Ibiérome."
(c) Jacques Peuvret, écuyer, éiMUisa le 15 juillet, 1659, madame Catherine
Nau, veuve depuis seulement deux mois et dix jours, de Louis de Lauzon,
sieur de la Citière.
— loi --
On pourrait donc inférer de l.i, que plusieurs dc'^ terres
du bout de la verdoyante île, portaient le nom de terres
du Fort, parce qu'elles avoisinaient l'emplacement du
Fort, ou parce qu'elles lui étaient absolument contigiies.
Dans tous les cas, cette appellation embrasse maintenant
une étendue trop considérable pour nous laisser l'espoir de
préciser exactement l'endroit occupé par le Fort des Mu-
rons. La pauvre muraille reste donc ce qu'elle était : les
ruines d'une maison, d'un moulin, peut-être aussi les restes
du Fort indiqué ; mais, en attendant des p-euves plus
complètes, nous nous abstiendrons de croire ;i la décou-
verte et d'adhérer aux sentiments du chroniqueur mo-
derne.
Veut-on maintenant suivre les sauvages dans l'Ile et con-
naître leur g'enre de vie. Ouvrons d'abord l'ouvrage de
Charlevoix. {Histoire de la Nouvelle-France, tome !♦*'', p.
317) et voir en quels termes il y parle de cette espèce de
réduction :
H .... Les Hurons étaient au nombre de six cei'ts dans
l'île d'Orléans, où ils commencèrent à s'entretenir de leurs
mains. Comme c'ét.iit la fleur des chrétiens de cette natioii,
qu'ils n'avaient point abandonné le Seigneur, on peut juger
de leur ferveur dans un temps où tout portait à la recon-
naissance envers celui qui mortifie et qui vi\ifie, toujours
pour le bien de ses élus .... "
— Ï02 —
Ecoutons encore le récit d'un témoin oculaire. C'est
leur infatig^able missionnaire, le pieux Joseph-Marie Chau-
monot, prêtre de la compagnie de Jésus, qui leur a rendu
de si importants services :
" . . . . J'avais passé onze ans au pays des Hurons avant
qu'il fut détruit par les Iroquois. Le Supérieur, voyant
le peu de sauvages, qui avaient échappés aux ennemis, eut
la charité de les inviter à descendre à Québec. Rendu en
cette ville, on me donna le soin de ces pauvres étrangers.
J'y hivernai avec eux et au printemps je les conduisis h l'île
d'Orléans sur les terres de notre compagnie. Ils y abatti-
rent du bois, semèrent du bled d'inde qui vint k merveille.
On paya des Frant^ais pour leur aider. De plus, nous
avions à nourrir tous ces sauvages, auxquels nous don-
nions chaque jour une qviantité plus ou moins grande
dépotages au riz, au bide d'iiule et j'i la viande, selon qu'ils
avaient travaillé ;\ leu»^ défrichement. Quelques-uns mur-
murèrent d'abord, pensant que nous \ oulions taire défricher
nos terres pour les retirer ensuite ; inais ils ne tardèrent
point î'i comprendre que, puisque nous les avions habillés
et nourris tout l'hiver à Québec, et puisqu'on leur avait
partagé même ce que nous avions de terre faite, nous ne
voulions pas les déloger. .Alors ils nous chargèrent de
bénédictions. La seconde année ils nous remercièrent
de leur a\oir montré à travailler, et recueillirent du ble-
d'inde autant qu'ils en avaient coutume d'en récolter en
leur pays. "
Les dépenses, auxquelles l'établissement de ces pauvres
— I03 —
sauvages entraîna la maison des Pères Jésuites, furent
très considérables. Le R. Père Rag-ueneau, dans la Rela-
tion de 1651, chap. III, nous parle en ces termes de ce
qu'on fit pour eux : " Deux de nos Pères s'y employent
avec des peines et des ferveurs qui méritent que Dieu ait
pitié de ces pauvres peuples. ... Il a- fallu les nourrir à nos
frais, cette première année, pour cela seul que nous n'en
avons pas esté quittes à huit mille livres, donnant avec
plaisir ce qu'on nous envoyé de France ; mais c'est une
charité bien employée, puisqu'elle n'a d'autre but que le
salut des âmes. "
M. Bowen, auquel nous ne prêterons aucune intention
mauvaise, conviendra cependant qu'il a eu tort de traduire
(p. 27 de son Opuscule) " huit mille livres, par eight iiun-
drcd. Il avouera aussi, sans difficulté, nous l'espérons du
moins, que le Révérend Père Joseph-Marie Chaumonot
fut le premier aumônier ou chapelain de la tribu de l'île,
et non les Pères Gareau et Rai^ueneau. Ce dernier était,
au contraire, en 1651. supérieur du Collège de Québec et
des Missions du Canada. "
Cependant, en 1652, le R. P. Raguencau alla résider à
l'île d'Orléans, comme il le dit à la ^\\\ du chapitre 111 de
la Relation de l'année 1652 : - Les Hurons sont en partie
— 104 —
à l'île d'Orléans, où ils demeurent avec le Rév. Père Ga-
reau et nous vivons <i demi à la hunmnc. "
Les relations du temps comportent maints témoignag-es
de la bonne conduite et de la piété des pauvres Hurons.
Leur foi vive et simple, leur obéissance toujours affec-
tueuse et empressée aux missionnaires qui étaient chargés
de leur éducation relii^ieuse, faisaient l'admiration de tout
le monde. On s'étonnait que ces hommes najjuères si
farouches, accoutumés k errer en liberté sur les fleuves et
au sein des vastes forêts, pussent oublier ainsi leur vie
nomade et aventureuse et s'astreindre à cultiver la terre
pour y trouver leur nourriture. Quelquefois, cependant,
leur indépendance naturelle se ranimait, les idées de chasse
et de courses lointaines venaient de temps en temps ré-
\ eiller leurs souvenirs ; et, plus d'une fois, la pensée leur
\ int de jeter là leurs instruments de culture et de s'élancer
avec leurs frêles canots sur les eaux du fleuve, pour cher-
cher ailleurs une vie plus conforme à leurs j^oûts. Mais
les Iroquois étaient là, j^^uettant leur proie, et leurs mis-
sionnaires, profitant de la crainte que ces ennemis leur
inspirait, et de l'ascendant que leur sollicitude et leurs
bienfaits leur donnaient au milieu d'eux, parvinrent à les
105
retenir et à leur inspirer peu à peu le goût de la vie séden-
taire et des travaux utiles.
XITI
Départ des Hurons pour la Ville
Leurs diverses stations à Québec et aux environs—Sympathies qu'ils
rencontrent — Di'^^ours de Taiaeronok h. la Supérieure des
Ursulines — Autre perfidie des Iroquois.
Après sept années environ de séjour dans l'île d'Orléans,
les Hurons demandèrent néanmoins k aller s'établir dans
Québec, sous la protection du canon du Fort, afin de n'être
plus exposés aux attaques de leurs ennemis. Le gouver-
neur, M. Louis d'Aillebout, accueillit leur demande et leur
accorda, pour asseoir leurs cabanes, un certain terrain où
ils demeurèrent pendant plusieurs années. Un ancien plan
de Québec, que nous avons sous les yeux, nous indique
les cabanes des Hurons. Elles étaient sur le terrain qu'oc-
cupent les maisons qui bornent la rue Huade, depuis en-
viron l'Hôtel Saint-Georges jusque vis-à-vis la cour de
l'église cathédrale. De h'i. ils passèrent h un endroit
appelé alors Notre-Dame des Anges, près Beauport. C'est
— io6 —
là que les retrouva leur ancien et bien-aimé missionnaire,
le R. P. Chaumonot, après quelques années d'absence.
Voici comment il nous en parle dans ses intéressants
mémoires :
" Ma mission militaire étant terminée (en 1666), on me
renvoya à mes Hurons établis alors en deçà de Beauport,
sur nos terres de Notre-Dame des Anges, à une lieue de
Québec. Mais il fallut bientôt les placer ailleurs pour les
mettre plus commodém.ent. On leur fit don de grands
champs (en 1668) à la côte Saint-Michel, h Notre-Dame
de Foye (Cap-Rouge), à cinq quarts de lieue de Québec.
Les Français abattaient les bois qu'ils vendaient à la ville
et les sauvages nettoyaient le lerrain. Ils en ont eu le
profit sept ans. La chapelle en ce lieu n'était que d'écorces
et trop petite pour contenir tous ces pauvres Hurons, de
sorte qu'il fallait dire deux messes les dimanches et fêtes..
" Six années après que nous fûmes établis à Notre-
Dame de Foye, le bois et la terre ct^mmençant à leur
manquer, il fallut transporter ce village plus loin de Qué-
bec et plus avant dans les forets. Eux-mêmes en choisi-
rent le lieu, dans la seigneurie Saint-Ciabriel, (à l'endroit
appelé aujourd'hui l'Ancienne- Lorette.) Alors j'écrivis les
raisons qui me portèrent h bâtir là une chapelle de Lorette
sur les dimensions de la ('usa Satita, appelée la maison de
Lorette, en Italie. Le père Dablon, recteur du collège, et
supérieur des missions du Canada, approuva mon dessein
et, ayant communiqué avec nos pères, conclût de bâtir la
— io7 —
chapelle en briques. Commencée en 1674, vers la Saint-
Jean, elle fut ouverte et bénite le 4 novembre, de la même
année. "
Les Hurons n'ocuppèrent ce lieu que pendant quelques
années. Le besoin de se rapprocher du bois, d'avoir des
endroits de chasse plus productifs, de l'eau plus salubre, et
leurs terres étant devenues épuisées faute d'engrais, leurs
chefs choisirent, à la fin de l'hiver 1693, un terrain appelé
depuis Lorette, parce qu'on y édifia une nouvelle chapelle
sous le nom de Notre-Dame de Lorette, semblable en
tout à celle qu'on venait de quitter. On groupa les ca-
banes autour d'une place quarrée, au milieu de laquelle
s'élevait le temple qu'ils venaient de bâtir suivant les
dimensions et les proportions de Notre-Dame de Lorette
en Italie. Ce qui fait que ces localités ont pris toutes
deux le nom de Lorette qu'elles portent encore aujourd'hui
• e^ que ces sauvages appelaient dans leur langage,
Malicbtion dasa, c'est-à-dire l'appartement de Marie, (a)
(a) M. Hovven, qui. à la pa^^-e 24 de son livret, nous rappelle les discours
éloquents des Hurons (qu'on jjeut lire A la pa^^e 45. du tome 22, Relations des
y<'.ç«/y« 1654, édition de Québec), probablement pour en finir avec eux, les
fait passer, à la })a{;e .1^, de l'île d'Orléans à Sainte-Foye et de Sainte-Foye à
Lorette où ils se trouvent encore. Mais il oublie dans ce trajet la station
que cette peuplade fit A Québec et son séjour A Heauport, avant de se rendre
à N.-l>. de Foye. Encore semble-t-il méconnaître la résidence de cette tribu
à l'Ancienne Lorette avant que ces derniers débris se soient fixés sur les bords
de la rivière Saint-Charles. ;\ l'endroit appelé aujourd'hui Jeune Lorette.
Comme on le voit la narration pèche par certains endroits et l'exactitude des
faits n'est pas toujours sa qiialité dominante.
:' — io8 — ,,; /;v---"
Certains volumes sont devenus très-rares, soit qu'ils
aient été tirés à petit nombre d'exemplaires, ou qu'ils aient
été perdus dans les diverses maisons religieuses de France,
lors des bouleversements amenés par les g-uerres des Calvi-
nistes, ou par les orages révolutionnaires. La grande
difficulté qu'on a éprouvée à s'en procurer une série com-
plète, a fait soupçonner que les gouverneurs, les inten-
dants, ou autres administrateurs de la colonie, auraient
réussi à faire détruire bon nombre d'exemplaires de cer-
taines années, et même à en supprimer la publication en
certains cas, parce que ces documents révélaient certains
faits qui compromettaient leur réputation. Avouons, néan-
moins, qu'il n'y a rien de plausible dans ces allégués, et
que nous ne trouvons rien qui puisse les justifier.
Quoiqu'il en soit, les pauvres débris de la nation huron-
ne, bien que sous Icgide titulaire de la compagnie de Jé-
sus, et assurée de la protection bien faible, il est vrai, du
gouverneur de la colonie, ne trouvèrent pas une grande
sécurité dans l'Ile. Les Iroquois n'abandonnèrent pas
aussi facilement leur proie ; et plusieurs tois ils vinrent
porter la désolation et la mort dans cette paisible retraite,
où quelques centaines de barbares, devenus chrétiens,
s'étaient réunis pour apprendre avec l'enseignement de là
foi, les connaissances et les bienfaits de la civilisation.
Le 15 mai 1656, les Iroquois s'approchèrent de î'îîe
d'Orléans, puis un matin, avant le lever du soleil, ces per-
fides et implacables ennemis tombèrent sur une troupe de
quatre-vingt-dix Hurons, de tout âge et des deux sexes,
qui travaillaient dans un champ, en tuèrent d'abord six,
lièrent les autres et les embarquèrent dans leurs canots.
Comme pour défier le gouverneur, ils passèrent devant
Québec, et firent chanter leurs prisonniers visà-\is du
fort. Tout le monde s'apitoyait sur le sort des malheu-
reuses victimes, mais personne ne put entreprendre de les
délivrer des mains de leurs féroces ravisseurs, qui les con-
duisirent jusque dans leur village, sans avoir été inquiétés
pendant leur voynge. Là les infortunés Hurons furent
brûlés pour la plupart, et ceux qui échappèrent à leurs
cruels traitements, furent distribués dans leurs cantons, et
retenus dans une rude captivité. (Charlevoix, Histoire de
la Nouvelle- France, tome r»" page 223.) On a blâmé le
gouverneur de Lauzon, d'avoir soufl'ert une telle insolence
de la part des barbares, mais les Hurons trop confiants,
s'étaient laissés surprendre, et pour les arracher des mains
de leurs sanguinaires ennemis, il eût fallu armer un bon
I lO
nombre d'hommes déterminés, et le gouverneur ne les
avaient pas sous la main. Eût-il pu les armer, le temps
de faire les préparatifs et de se procurer des embarcations
en nombre assez considérable aurait donné aux barbares
une avance plus que suffisante, pour rendre inutiles tous
les efforts de ceux qui les auraient poursuivis.
A l'occasion des citations des Mémoires ou Relations
des '5 aites, on répète encore de graves erreurs, en affir-
mant de nouveau que ces rapports annuels, les Relations,
n'avaient pas été rédigés pour être mis sous les yeux du
public, " writings which were never intended for the pu-
blic eye. i-
Nous croyons, bien au contraire, que les écrivains
auxquels était dévolu la tâche de rédiger ces mémoires,
savaient qu'ils seraient publiés. Avant qu'on eût imprimé
les Relations de la Nouvelle-France , on avait celles des
Missions des Indes-Orientales, etc. Ces publications, im-
primées pour édifier et pour instruire, étaient répandues
surtout dans les provinces du Nord de la France. On
en trouve la preuve dans les citations qui en sont faites
dans divers ouvrages, et encore mieux dans la permission
d'imprimer donnée à chaque livraison, pendant quarante
ans et plus ; et enfin par les démarches qu'on faisait auprès
i— m — ■
des autorités pour avoir le privilège de l'impression. Au
reste, voyez l'Extrait du '■ Privilège du Roy," à la suite de
la Relation de 1666.
Le Journal des Supérieurs des Jésuites rapporte encore
un autre fait de cette nature :
.. 1661. Le 18 juin, k huit heures du matin, se commença
le massacre de plusieurs personnes à Beaupré et à l'île
d'Orléans, par les Iroquois, venus de Tadoussac, après le
coup qu'ils avaient fait, f Vide Supra J. "
u On parlait ce jour là de huit personnes tuées à Beaupré
et de trois à l'île d'Orléans, ce qui s'est trouvé vrai. "
C'est ainsi que tombaient, tous les jours, sous les coups
de leurs cruels bourreaux, plusieurs de ces fervents néo-
phytes, dont la piété et la candeur faisaient l'admiration des
Français. Jadis, nation puissante et redoutable, son nom
commandait le respect et la crainte ; et, dans les luttes
sanglantes que se livraient, dans les forets encore vierges
du Canada, les peuples qui habitaient son sol, les guerriers
hurons avaient plus d'une fois remporté des victoires
signalées. Trop faibles, maintenant, pour lutter avec avan-
tage contre un ennemi toujours croissant, l'orgueil sau-
vage aima mieux accepter la séparation et l'exil que de
donnera son ennemi la satisfaction de les voir périr jus-
qu'au dernier. Une partie dit adieu à ses champs et à ses
forêts, et vint chercher la paix et le repos, sous la protec-
tion des hommes «-énéreux et dévoués qui leur avaient
donné un Dieu.
" A la défaite de leur pays, dit un des missionnaires de
l'époque, de 30 à 40 milles qu'ils étaient, la famine, la
gu^erre, et pardessus tout les Iroquois aidant, en avaient
anéanti la plus grande partie et dispersé le reste. " Dis-
sipata sunt ossa nosini, pouvaient-ils dire en toute vérité
avec le prophète. Cependant, ils n'oublièrent jamais les
services que leur avaient rendus les PP. Jésuites, même
avant leur établissement dans l'île.
Pour en donner un exemple, on emprunte ordinairement
au Révérend Père Ragueneau le récit de la belle conduite
des Hurons, lors de l'incendie du monastère des Ursu-
lines, au mois de décembre, 1650. [Relations des Jésuites,
année 1651.) _■,:■"'■-'■■■■"• .v •:;■-: -.^yj: 7// ^-^-.^-^r'v-v ;^_ - -;^';;
" Cet incendie me fait souvenir des ressentimens que
témoignèrent les Hurons, et des compassions qu'ils eurent
pour les Mères Ursulines, en cette occasion. La façon des
sauvages est de porter quelques présens publics pour con-
soler les personnes d'un plus grand mérite dans les mal-
heurs qui les ont accueilly. Nos Chrestiens hurons s'as-
semblèrent pour cet effet, et n'ayant point de plus grandes
richesses que deux colliers de porcelaine, chacun de douze
cents grains — ce sont les perles du païs — ils vont trouver
les Mères, qui pour lors s'estoient retiru-;es k l'Hospital, et
leur portent ces deux colliers pour leur en faire deux pré-
sens. " ■ . -'f ■ --■-
Vn capitaine, nommé Louys Taiaeronok, parla au nom
de tous ses compatriotes en ces termes :
" Vous voyez, sainctes filles, de pauvres carcasses, les
restes d'vn païs qui a esté florissant, et qui n'est plus : du
païs des Hurons. Nous auons esté déuorez et rongez
iusques aux os par la guerre et par la famine : ces carcasses
ne se tiennent debout qu'à cause que vous les soustenez ;
vous l'aviez appris par des lettres, et maintenant vous le
voyez de vos yeux, k quelle extrémité de misères nous
sommes venus. Regardez-nous de tous costez, et consi-
dérez s'il y a rien en nous qui ne nous oblige de pleurer
sur nous-mêmes, et de verser sans cesse des torrents de
larmes. Hélas, ce funeste accident qui vous est arrivé,
va rengregeant nos maux et renouvelant nos larmes, qui
commençaient k tarir. Avoir ueu réduite en cendres en
un moment cette belle maison de Jésus, cette maison de
charité, y auoir veu régner le feu sans respecter vos per-
sonnes toutes saintes qui y habitiez ; c'est ce qui nous
fait ressouvenir de l'incendie vniversel de toutes nos
maisons, de toutes nos bourgardes et de toute nostre
patrie. Faut-il donc que le feu nous suive ainsi partout ?
Pleurons, pleurons, mes chers compatriotes, ouy, pleurons
nos misères, qui de particulières sont deuenues com-
munes avec ces innocentes filles. Sainctes filles, vous
— 114 —
Scoîlà donc réduites à la mesme misère que vos pauvres
Hurons, pour qui vous avez eu des compassions si ten-
dres.
" Vous voilà sans patrie, sans maisons, sans provi-
sions et sans secours, sinon du Ciel, que jamais vous
ne perdrez de veuë. Nous sommes entrez icy dans le
dessein de vous y consoler, et autant que d'y venir, nous
sommes entrez dans vos cœurs, pour y reconnoistre ce qui
pourrait davantag^e les affliger depuis vostre incendie, afin
d'y apporter quelque remède. Si nous avions affaire à des
personnes semblables à nous, la coustume de nostre pais
eust esté de vous faire vn présent pour essuyer vos larmes,
et vn second pour affermir vostre courage ; mais nous
avons bien veu que vos courages n'ont iamais esté abat-
tus sous les ruines de cette maison, et pas \n de nous
n'a pu voir mesme vne demy larme qui ait paru dessus
vos yeux pour pleurer sur vous mesme à la veuë de
cette infortune. Vos cœurs ne s'attristent pas dans la part
des biens de la terre, nous les voyons trop eslevez dans
les désirs des biens du Ciel ; et ainsi de ce costé \h nous n'y
cherchons aucun remède. Nous ne craignons rien qu'vne
chose qui serait \ ii malheur pour nous ; nous craignons
que la nouvelle de l'accident qui vous est arrixé, estant
porté en France, ne soit sensible k vos parens plus qu';'i
vous-nscsmes ; nous craignons qu'ils ne vous rappellent et
que vous ne soyez attendries de leurs larmes.
'• Le moyen qu'vne mère puisse lire, sans pleurer, les
lettres qui luy feront sj^auoir que sa fille est demeurée sans
— 115 —
vestements, sans viures, sans lict, et sans les douceurs de
la vie, dans lesquelles vous avez esté esleuées dès vostre
ieunesse ; les premières pensées que la nature fournira à
ces mères toutes désolées, c'est de vous rappeler auprès
d'elles, et de se procurer à elles-mesmes la plus ijrande
consolation qu'elles puissent receuoir au monde, procurant
aussi vostre bien. Vn frère fera de mesme pour sa sœur,
vn oncle ou vne tante pour sa nièce, et ensuite nous
serons en dan^^er de vous perdre, et de perdre en vos per-
sonnes le secours que nous auions espéré pour l'instruction
de nos filles à la foy, dont nous avons commencé avec tant
de douceur de i^ouster les fruits. Courajj;"e ! Sainctes filles,
ne \ous laissez pas vaincre par l'amour des parens, et
faites paroistre aujourd'huy que la charité que \ ous avez
pour nous, est plus forte que les liens de la nature. Pour
atVermir en cela vos résolutions, voicy un présent de douze
cens j^rains de pourcelaine, qui enfoncera \ os pieds si a\ ant
dans la terre de ce païs, qu'aucun amour de vos parens ny
de \ ostre patrie ne les en puisse retirer ! Le second pré-
sent que nous vous prions d'aj»"réer, c'est d'un colier sem-
blable, de douze cens j^rains de pourcelaine, pour jeiler de
nouveaux fondemens à vu baslimenl tout nou\eau où
sera la maison de Jésus, la tnaison de prières, et oii seront
vos classes dans lesquelles vt>us puissiez instruire nos
petites filles huronnes. Ce sont là nos désirs, ce sont les
vostres, car, sans doute, vous ne pourriez mourir contentes,
si en mourant on vous pouvoit faire ce reproche, que pour •
lamour trop tendre de vos parens, vous n'eussiez pas aide
— ii6 —
au salut de tant d'âmes que vous avez aimées pour Dieu,
et qui seront v^ostre couronne dans le Ciel. "
Le Rév'érend Père ajoute h cette citation :
'■ Voilà la harangue que fit ce Capitaine huron, je n'y
adiouste rien, et mesme je n'y puis ioindre la g"race que
luy donnait le ton de sa \oix, et les regards de son visage.
La nature a son éloquence, et quoyqu ils soient barbares
ils n'ont pas dépouillé ny l'estre d'homme, ny la raison,
ny vne âme de mesme extraction que les nostres. "
Les Iroquois continuaient cependant leurs courses et
leurs ravages. Enhardis par le succès, ils ne craignaient
plus rien et faisaient tout trembler k la seule pensée de leur
approche. Les alarmes incessantes qu'ils causaient partout,
dans la colonie, avaient fini par lasser les F'rançais et
décourager complètement les Hurons. Enfin, le désas-
treux événement de samedi, 20 mai 1656, les accabla de
douleur et porta la consternation dans toutes les parties
du pays. C'est encore aux Relations des Jésuites que ce
récit est emprunté. Nous nous permettons seulement de
l'abréger en le reproduisant.
— Le 18 mai, 1656, ces perfides s'étant cachés dans le
bois, h 10 ou 12 lieues au-dessus de Québec, laissèrent passer
des Français qui montaient au pays des Onnontserons. . .
ils se jettent sur les canots qui font l'arrière-gardc, et
~ii7 —
maltraitent ceux qui les conduisent ; mais se voyant
menacés des Français, ils firent semblant de s être mépris.
Dans la nuit du 19 au 20 de may, ils descendirent sans
bruit, passant devant Québec sans être aperçus ; ils prirent
terre au-dessus de la bourgade des Hurons, et cachèrent
leurs canots dans la grande anse, un peu plus bas que la
terre du Fort. Le matin, tous les Hurons ayant assisté à
la messe, comme de coutume, sortirent pour le travail ;
les Iroquois se jetèrent sur eux, en massacrèrent quelques-
uns sur la place, et emmenèrent quelques captifs
La perte des Hurons fut de soixante-et-onze personnes,
avec un grand nombre de jeunes femmes qui étaient la
flewr de la colonie ! (Voir Relation de 1661, chap. HL)
La mission des Hurons, en 1669, fut réduite à un petit
nombre de personnes. Depuis que la paix est faite avec les
Iroquois, ils ont abandonné le fort qu'ils avaient dans une
grande place de Québec et se sont retirés dans les bois,
h une lieue et demie de cette ville pour y cultiver des
• champs ; ils y ont fait un bourg nouveau, et comme une
nouvelle colonie, (voir Relnfhti de iNx),) qui prit successi-
♦ ...
vement les noms de missions dos Hurons, missions Uc
r.Xnnonciation. Notre-Dame de Foye, puis enfin Sainte-
— ii8 —
Foye. On aimera à lire sur ce sujet l'extrait suivant de la
Relation de 1670, par le Révérend Père Le Me.cier.
t' L"an passé, on envoya A nostre Révd. Père Supérieur
vne statue de la bienheureuse Vierge, faite du chesne dans
lequel il y a plusieurs années on trouva vne image mira-
culeuse de Nostre-Dame de F'oye, près de la ville de Dinan,
au païs de Liège ; et comme ceux qui nous envoient cette
statue, avaient témoigné qu'ils souhaitaient qu'elle fust
placée en quelque chapelle, où les sauvages font ordinai-
rement leurs exercices de piété, .... le Révd. Père Supé-
rieur ne douta point, que la divine Providence ne luy eust
ménagé ce précieux don, pour vne petite église qu'on venait
d'achever dans \ne bourgade des Hurons, que Monsei-
gneur notre Evesque tivoit voulu qu'on dédiast à Nostre-
Dame, sous le titre de l'Annonciation, i' (\'oyez encore les
Relations de 1671, ch. 1\\) " La petite colonie huronne,
composée d'environ 150 âmes, est \\\\ reste des peuples
que la cruauté des Iroquois a épargnés. ... La providence
les a ramassez à la coste de Saint-Michel, fort peuplée
de Français. . . . Leur bourgade est située auprès de leur
chapelle, qu'ils ont bâtie conjointement avec les habitans
du lieu, où est honorée une image en bois de la sainte
Vierge, faite du bois d'un chesne, dans le cœur duquel il
s'en trouva, il y a soixante ans, une de pareille grandeur»
au bourg de Foye dans le pays de Liège, h. une lieue de la
ville de Dinan. "
Avenant le 5 décembre, i(k)6, les Hurons, par l'entre-
niise de leur missionnaire, le Révd. Père Ucrmain Dccou-
~ii9 —
vert, de la compagnie de Jésus, demandèrent h l'intendant
M. Bochard de Champii^ny, un autre terrain plus spacieux,
mieux complanté en bois de haute futaie.
Pauvre nation huronne ! elle a édifié les bons et paisi-
bles Français de l'île d^Orléans, puis elle se trouve encore
dispersée, assimilée à d'autres nations barbares qu'elle
a encouragé h embrasser le christianisme î Pour être
déchue comme nation, elle a été bien glorifiée car plu-
sieurs de ses enfants ont été élevés aux fonctions de l'apos-
tolat auprès des immenses tribus de la forêt et leurs prin-
cipes et leurs exemples ont conduit à la vraie Foi des mil-
liers de barbares.
XIV
REMARQUES
Sur les productions de l'Ilo eti u^ôiu'ral.
Dans l'île d'Orléans, comme généralement dans toutes
les autres parties du Bas-Canada, le cultivateur ne garde
d'animaux qu'autant qu'il lui en faut strictement pour
l'exploitation delà ferme. En 1827, il s'y trouvait 1.044
chevaux, r.fxp bœufs, 2,098 vaches, (\i)o^ moutons, et
près de 5,000 cochons. C'est dans la paroisse de Sainte-
I20 —
Famille, que se trouvent les fermes les mieux pourvues de
moutons et de vaches, mais surtout de porcs, et c'est cette
paroisse qui, eu égard k sa population, alimente le mieux
les marchés de Québec. n '
En 1852, le recensement constatait que sur 13,646 ar-
pents de terres concédées, 7,413 étaient mises en culture,
3,621 arpents étaient labourées et 3,707 avaient été laissées
en prairies; enfin, 6,233 arpents étaient en forêt de réserve.
A l'intérêt des récits historiques, l'île d'Orléans offre en-
core aux citoyens de Québec le plaisir d'agréables souve-
nirs et de douces réminiscences. Oui, en effet, aurait
perdu la mémoire des petites fêtes hocagères, des joyeux
festins pris soit sur la verte pelouse de l'île d'Orléans, soit
sur ses rives enchanteresses, ou dans la grande et large
chambre d'une de ces maisons hospitalières, où l'étranger
était toujours accueilli avec cordialité et respect? Quel-
ques fois,' en hiver, après une longue excursion ;'i la ra-
quette, sur le pont de l'Ile, si la fatigue ou le mauvais
temps forv;aient le marcheur aventureux ;'i chercher du
repos, il n'avait qu'à frapper à la porte du toit le plus
voisin, et il était certain d'y trouver bon feu, bonne mine,
et table ouverte. Le repas était rehaussé par les apprêts
de fruits confits, surtout de pomiîîSi* gelées, ;'i nulles
— 121 —
autres pareilles, tant la main qui les avait préparées y avait
apporté de soins. En été, on présentait au voyageur de
succulentes et douces prunes, auxquelles les touristes et
les chroniqueurs, n'ont pas accordé, je dois le dire, l'at-
tention qu'elles méritent.
Qui n'a pas entendu parler des prunes de l'île d'Orléans,
égales pour le moins à celles que vantait le poète (Rou-
cher) dans ses chants :
C'est la prune, conquise aux plaines de Damas.
Ces fruits, dont on ne compte pas moins de deux cents
cinquante variétés, dit-on, se trouvent en plus grande
abondance dans le district de Montréal que partout ail-
leurs, parce qu'ils y sont l'objet d'un système suivi de cul-
ture et d'exploitation. Aussi, en trouve-t-on de cent et
une espèces : perdrigon, violet, damas, damas musqué,
perdrigon-normand, reine-claude, petite reine-claude, im*
pératrice violette, impératrice blanche, etc. Mais, après
tout, suivant de bons connaisseurs, il faut en revenir aux
damas de l'île d'Orléans !
Ces prunes fraîches, petites, noirâtres, qui ont une peau
tendre et fine et d'un velouté à ravir, sont douces, fon-
dantes, et produisent un zest inexprimable au goûter. Kllcs
font rejeter bien loin les prunes rouges, les prunes d'au-
— 122 —
tomne, et tous ces pruneaux étrangers, ridés par la vieil-
lesse et que honnissait Martial :
Pruna peregrinae carie rug'osoe senectae.
; ;? Epig. m, xiii.
Les prunes de damas de l'île d'Orléans sont supérieures
.\ cejlps de Montréal. On en transporte, et en g^rande quan-
tité, dans toutes les parties du pays. De plus, les forêts
et les bocages de l'Ile fourrâssaient abondamment diverses
espèces de fruits sauvages, qui tous sont réellement d'une
saveur exquise. ., _ ,^ ;v'^'^r'v" ";■'■■ v^' ?:-'', '"-■:^;:"" ••.y;;^- •> ■■vi;.-- ;
La culture des pommes, autre délicieuse production de
l'île d'Orléans, dans un temps déjà bien reculé, passe pour
y être extrêmement négligée de nos jours. Elle y serait
plus profitable, dit-on, que partout ailleurs, ( Biblioth.
Canad. tome III, p. 75.) si on lui donnait plus de temps
et plus de soins. Autrefois, la bounissa aussi était floris-
sante en ces parages. Ne dirait-on pas qu'en changeant
de sol, elle n'a acquis une saveur comparativement meil-
leure que parce qu'elle a été cultivée avec plus d'art et plus
de soins ? Nul doute que les populations de l'île trouve-
raient un grand avantage en cultivant les pommiers de
leurs vergers, selon les notions reçues, et qu'elles se crée-
raient ainsi une excellente source de revenus.
— I23--
Un autre genre d'industrie, qui est à la fois la fortune
des pauvres et la jouissance des riches dans ces localités,
c'est la pêche. Tout autour de l'Ile, et dans les diverses
saisons de l'année, on peut la faire avec aise et profit. Le
bar, l'alose, l'anguille et plusieurs autres variétés de pois-
sons, sont pris au filet ou dans des pêcheries de diverses
formes.
Au côté nord, se tendent les pêches à l'anguille, et, au
sud, on trouve les endroits de pêche 16*^ plus fréquentés.
Presque tous les jours de l'année, nous voyons la ligne ou
le filet assurer au pêcheur attentif, la récompense de ses
soins et de sa peine. Quelle moisson d'aisance et de bon-
heur, pour une population si favorisée déjà sous tous les
autres rapports !
Puisse-t-elle ne jamais oublier qu'en la plaçant dans un
des climats les plus favorisés, la providence qui lui a
assuré le bonheur et la prospérité exige qu'elle se montre
reconnaissante de tous ses bienfaits.
Les sucreries d# l'île d'Orléans méritent une courte
mention. Considérables autrefois, elles étaient pour les
cultivateurs une source de revenus très productive. Il suffit
de remarquer qu'en 1827, on y fit 182,448 livres de sucre
d'érable, sans compter les sirops qu'on avait apportés aux
'-'".:--■•■'':'■'''':-. .. — 124 — .r ;\' "■"■■''- '"'
marchés, et ceux que chaque famille gardait pour son
usage et pour sa provision. Mais, peu à peu, les vastes
érables tombèrent sous la cognée du bûcheron ; le désir
de réaliser une somme plus ronde, en vendant son bois,
avait poussé l'impitoyable cultivateur {durus aratox) à cet
acte de destruction. i ; . .. ; ;^ . -
On fit passer triomphalement la charrue entre les troncs,
dépouilles des géants de la forêt, et k l'endroit même où
s'élevait depuis un temps immémorial l'antique cabane
à sucre, on vit croître et mûrir de copieuses moissons.
Assez souvent, cependant, ces terres, dépouillées d'ar-
bres, ne compensèrent pas, par l'abondance de leurs pro-
duits, la perte qu'on avait faite en détruisant une vieille
sucrerie. On sait, en effet, qu'en faisant disparaître les
bois, on dessèche trop vite une terre, qui se trouve alors
privée des rosées qu'ils appellent sur le sol, et trop expo-
sée aux ardeurs du soleil ou à l'inclémence des vents.
125
XV
Chantiers de l'Anse du Fort
Constructions lu Colombus et du Baron de Renfrew-~l>ia.n-
frages— Incendies à Québec— Briquerie.
L'intérêt qui se rattache à l'anse du Fort, ne cesse pas
là, un autre incident en a fait, il y a une trentaine d'an-
nées, une place d'affaires. Autour de vastes chantiers de
constructions, établis dans l'anse qui fait la devanture de
la terre du Fort, étaient groupées une foule de maison-
nettes, entremêlées dateliers de forgerons, de charpen-
tiers, etc., composant tout lattirail des grands établis-
sements de ce genre. On y construisit successivement
deux immenses navires, qui attirèrent longtemps l'atten-
tion des insulaires et des voyageurs qui se rendaient en
foule dans l'Ile. Les journaux du temps nous ont donné,
dans les deux langues, des détails sur ces entreprises
gigantesques. Au mois de juillet, 1824, le Mercury et la
disette de Québec, du 31 juillet, nous rapportent les dé-
tails de la mise à l'eau de ces immenses constructions.
Nous ne croyons mieux faire, au sujet de ces rois des
mers, comme on les appelait dans le temps, que de tra-
duire l'article de la Gazette de Québec de la même date :
— i:â6 —
" Le Colombus, qui mesure trois mille sept tonneaux de
registre, et que nous croyons être le plus grand vaisseau
qui ait jamais été bâti, a été lancé, hier matin, vers huit
heures, sans accident.
" La foule qui s'était portée sur les lieux de bon matin et
dès la veille, était aussi grande que nous en avons jamais
vu en Canada ; il ne pouvait pas y avoir moins de 5,000
personnes, sans compter un grand nombre qui s'étaient
rendus h la Poiate-Lévis, de l'autre côté du fleuve, qui est
large d'environ deux milles en cet endroit. Il y avait beau-
coup de personnes accourues d'autres parties de la pro-
vince. Sept bateaux à vapeur qui se trouvaient dans le
port, avaient été mis en réquisition pour transporter des
passagers et avaient pris poste auprès du chantier, et une
centaine de chaloupes et autres petites embarcations qui
s'étaient rendues de bonne heure, étaient disposées au
devant ; ce qui, avec l'activité des charpentiers, la beauté
des paysages environnants et la sérénité du jour, présen-
tait une scène tout à fait nouvelle dans ce pays, et sur
laquelle le pinceau de l'artiste aurait pu s'employer avec
avantage. Nous sommes informés qu'il en a été fait plu-
sieurs esquisses, par des messieurs qui s'étaient placés
à la Pointe-Lévis. ^ ^
'■ Le Colombus appartient à une compagnie de marchands
d'Ecosse, et a été bâti sous la direction d'un monsieur
Hood, jeune homme de Glascow, qui a montré beaucoup de
talent, et qui joint à la pratique une connaissance inti-
me de la théorie de l'art. Les inquiétudes sur le succès
d'une entreprise toute nouvelle, dont les difficultés ne
pouvaient pas être appréciées, et dans laquelle il y fallait
tant de capitaux, devaient être bien vives, et il a dû se
sentir soulagé beaucoup lorsqu'il en a vu le terme.
I- Le vaiseau se rendit par un mouvement égal et ma-
jestueux dans son élément, et n'avança pas à plus de
cent toises dans le fleuve. Pendant ce mouvement, la
musique du 68« régiment, qui était k terre, et celle du 71*
qui était à bord du Swiftsure, jouèrent le God save the
King-, ce qui fut suivi d'acclamations générales, et d'une
décharge de canon à terre et à bord des bateaux-à-vapeur,
" Le feu prit aux cadres, et se communiqua aux copeaux
à l'entour, mais il fut facilement éteint.
" Le vaisseau monta avec la marée, la distance d'un
mille et demi, où les bateaux-à-vapeur le Malsham, le
Swiftsure et le Sherbrooke lui furent attachés et le condui-
sirent à l'encrage, près du Sault de Montmorency, à en-
> viron six milles au-dessous et à la vue de cette ville. On
dit qu'il sera prêt à faire voile dans environ trois semaines.
Quoiqu'il ait une apparence un peu lourde, il est bâti très
solidement et ne tire à présent que treize pieds d'eau ; on
croit que, lorsqu'il sera prêt pour la mer, il ne tirera
guères plus de vingt pieds, et l'on voit tous les ans des
vaisseaux qui n'ont qu'un pont et qui tirent autant. I! a
quatre mâts avec un beaupré, comme les autres vaisseaux
et traversera l'Atlantique à la voile. 11 est commandé par
un marin expérimenté et son équipage, d'environ quatre-
vingt-dix hommes, est composé de matelots envoyés
d'Ecosse, l'automne et le printemps derniers.
" Voici ses dimensions exactes : longueur, 301 pieds six
pouces ; largeur, 50 pieds sept pouces ; profondeur, 29
pieds 4 pouces; port, 3,690 tonneaux et 32-94^.
" Les plus grands vaisseaux de la marine royale ont
environ 240 pieds de quille. Leur largeur et leur profon-
deur passent celle du Colunibus, mais leur tonnage est beau-
coup moindre : car des juges compétents nous disent que
le CoUimbus portera 9,000 tonneaux de bois quarré.
" Les capitaux déboursés dans ce pays, pour sa con-
struction, doivent être immenses ; des personnes expéri-
mentées comptent qu'il aura coûté au moins ,£'5 par ton-
neau, exclusivement des mâts et agrès. Il a procuré de
l'emploi à un grand nombre de charpentiers, et autres,
depuis neuf mois ; la demande qu'il y avait pour la con-
struction des autres vaisseaux a fait qu'ils ont eu de bons
gages, et pendant quelques tems jusqu'à deux piastres
par jour. M — ( Gazette de Québec. )
Un autre vaisseau de dimensions encore plus considé-
rables, fut immédiatement mis en construction sur le même
chantier, et par la même compagnie, (a) On y travailla
sans désemparer pendant dix ou onze mois, et le 10 juin
1825, quand on voulut le lancer dans son élément, le feu
ayant pris aux cadres, et d'autres légers accidents étant
survenus, on ne put le mettre i\ l'e.iu que le 25 du même
mois. On l'amena à (Québec, où il devint un objet de
(a) Sur les plans de M. Annesley.
' — 129 —
curiosité pour la foule. Peu de temps après, on le renvoya
au Sault Montmorency où il fut chargé de bois.
Voici les dimensions de ce vaisseau qui fut appelé le
Baron de Rcnfrav. Longueur 30g pieds, largeur 60 pieds,
profondeur 38 pieds ; en dehors 57. Il jaugeait près de
5,300. L'ancre seul pesait yoquiûLuux, le grand mât a\ait
75 pieds au-dessus du pont, la grande vergue, 73 pieds.
Le beaupré, 60 pieds, le câble, vingt-sept pouces de tour
et cent brasses de long. Trente tours du cabestan faisaient
un mille, vingt-neuf fois le tour du vaisseau faisait une
lieue. Il entra dans la construction de ce leviathan, 3,000
tonneaux de bois et 2,500 quintaux de fer.
On avait construit ces vaisseaux dans le but de les
défaire dès leur arrivée en Ecosse ou en Angleterre, et
d'exempter, par ce moyen, les droits sur les bois dont ils
étaient construits. Mais ces plans furent tiéiiuiés par la
Cour d'Amirauté, qui déclara qu'avant d'être défaits,
ils devaient faire au moins un voyage hors des ports de
l'Angleterre. Ces deux bâtiments traversèrent fort heu-
reusement la mer. Mais ils durèrent peu et ne rapportèrent
pas grand profit à leurs propriétaires. Le Columbiis s^
brisa en revenant au Canada. Le Baron ifc Rrnf'rew,
surpris dans la Tamise par un furieux coup de vent, le 21
9
— 1 30 —
octobre, 1825, fut totalement brisé sur les rochers de la
côte. Les vents et les courants entraînèrent sur le rivage,
entre Gravelines et Calais, une grande quantité de bois
provenant de la charge et des flancs même de ce vais-
seau.
Mais détournons nos regards de ces désastres, qui
aflfectèrent seulement quelques particuliers, pour contempler
une catastrophe qui plongea dans le malheur et la ruine
les deux tiers de la population de Québec. Le 28 mai, 1845,
une conflagration terrible avait réduit en cendres un des
faubourgs les plus populeux de la ville, la paroisse de
Saint-Roch. Nous n'entreprendrons pas de décrire la dé-
solation et la consternation que ce fléau avait répandues
partout. Plus de douze mille infortunés se trouvèrent sans
abri. Nombre de personnes périrent au milieu des flam-
mes ! Et, comme si tant d'infortunes n'avaient pas suffi,
un autre incendie, dans la nuit du 28 au 29 juin suivant,
ht disparaître au faubourg Saint-Jean, environ 1,300 mai-
sons. La charité publique vint au secours de ces pauvres
artligés ; chacun voulut contribuer de sa bourse et de sa
personne ; les secours étrangers même ne firent pas défaut;
mais l'automne avan^-ait, et il fallait songera reb.ltir. Pour
éviter autant que possible le danger du retour de pareilles
Ï31
incendies, on résolut de faire les nouvelles constructions en
pierres ou en briques. Mais comment s'en procurer ; tout
ce qu'il y avait de matériaux sur le marché, avait été en-
levé à des prix très élevés, et les pauvres étaient menacés
de ne pouvoir se loger pour l'hiver.
Heureusement, dès les premiers jours de juillet, MM.
Aubin et Smollenski avaient établi une usine pour fabri-
quer de la brique, à Saint-Pierre, île d'Orléans. Dalles,
corniches, carreaux, tuiles pour les toitures, tout devait
s'y manufacturer, et à v'n prix si modique qu'il aurait
interdit toute concurrence de la part de l'étranger. Ce-
pendant, les détails pour la mise en opération, les pluies
d'automne, les gelées de novembre, etc., entravèrent l'élan
des courageux entrepreneurs, qui firent néanmoins des
prodiges d'activité, pour répondre aux nombreuses de-
mandes qui leur étaient faites. Leur établissement, situé
aux pieds d'une petite colline, sur une terre argileuse qui
demandait peu d'opérations manuelles pour être employée,
se composait de vastes fours, i\c spacieux hangards ou
abris qui servaient à abriter les mouleurs et à préserver les
machines à l'aide desquelles on faisait une brique par mi-
nute. On pouvait livrer, dit-on, 43,000 briques par vingt-
quatre heures.
— 132 —
Les citoyens de Québec venaient en foule visiter cet
établissement qui allait ouvrir de nouvelles voies à l'indus-
trie, et préparer de nouvelles ressources aux travailleurs.
Au dire des connaisseurs, la terre était d'excellente qua-
lité, les appareils fonctionnaient avec une étonnante rapi-
dité ; peut-être même, pour atteindre ce dernier résultat,
avait-on trop simplifié les procédés. Quoiqu'il en soit,
l'entreprise n'eut pas le succès qu'on s'en était promis ;
l'encouragement manqua, et les travaux, après avoir langui
pendant quelque temps, furent arrêtés complètement en
1846.
:. Il est regrettable qu'une industrie de ce genre n'ait pu
se maintenir plus longtemps, car elle eût été d'une utilité
incontestable, et pour les habitants de l'île et pour la cité
qui l'avoisine. A l'aide de quelques modifications, on aurait
pu peut-être changer sa destination, et convertir l'usine
en manufacture ou fabriqua" de poteries. Mais soit défaut
de ressources, soit découragement, tout fut abandonné
comme cela arrive presque toujours, faute d'expérience ou
de calcul. ■, . ,
Nous n'avons pas cru devoir omettre ces deux derniers
faîts qui terminent notre récit, quoiqu'ils ne s'y rattcichent
pas d'une manière aussi directe que les autres, pour rap-
'^33
peler que deux grandes branches d'industrie : la construc-
tion des vaisseaux et la confection de la brique et de la
chaux, ont été cultivées dans l'Ile, il y a quelques années,
et qu'elles pourraient y devenir encore l'objet d'un com-
merce très étendu, sous la direction de quelques hommes
actifs et entreprenants, qui n'auraient qu'à donner l'ex-
emple pour engager les autres à les suivre.
XVI
CONCLUSION
Enfin, notre tache est achevée. Nous ne nous propo-
sions que de grouper quelques notes sur l'intéressante île
d'Orléans ; mais nos souvenirs historiques nous ont en-
traîné au-delà des bornes que nous nous étions tracées.
Nous en demandons bien pardon aux lecteurs, heureux
si, par l'intérêt des événements que nous relatons ici,
nous avons pu leur faire oublier la longueur de notre
récit. Nous n'avons pas eu l'intention de faire une des-
cription pompeuse de cet heureux coin de terre, ni de
demander à l'imagination de faire tous les frais de notre
travail. Il ne s'agissait pas, en effet, de chanter la déli-
cieuse vallée de Tampée, les pentes fleuries de l'Hymette,
— 134 —
ou les rives de l'Eurotas qui émurent jadis la sensibilité
des poètes. Nous savons, d'ailleurs, que le plus beau ciel
a ses orages, et le rivage le plus riant ses tristesses et
sa mélancolie. Mais sans dépasser les limites du réel, et
du vrai, nous croyons que les douceurs, les charmes et les
plaisirs variés qu'offre le séjour de l'île d'Orléans, en font
un des points les plus agréables de notre province. Sans
être un Bernardin de Saint-Pierre, si passionné pour les
frais paysages, et les vallons fleuris, ni un Delisle, qui
donnait k croire que l'Olympe enviait à la terre ses riantes
verdures :
O champs de la Limagne !
■ O champs aimés des Dieux 1
il faut avouer qu'à la campagne plus qu'ailleurs, brille la
grandeur et la puissance de Dieu, et que, comme le dit un
adage anglais : la campagne plutôt que la ville est l'œu-
vre du Créateur :
God made the country, and man made the town
Avant la cession du pays, les seigneurs fran(;ais, ou
plutôt les bourgeois et les rentiers de la capitale, allaient
passer h l'île d'Orléans la belle saison. C'était \h que se
réfugiaient, pendant les chaleurs de la canicule, bon nom-
bre de citadins, qui n'avaient pas de manoirs aux environs
de Québec.
— ^35 -
De nos jours, les choses sont bien changées! A part quel-
ques familles, qui ont conservé fidèlement les traditions
et les mœurs simples d'autrefois, on aime mieux aller cher-
cher au loin le repos et la santé. C'est à Cacouna, k Ri
mouski, au Bic, h Métis même, que dis-je ? C'est à Pictou,
à Shédiac, à Ristigouche qu'on croit humer l'air qui rend
immortel. C'est là qu'on va chercher des bains et des
sources, qui doivent remplacer celles d'Hypocrène et de
Jouvence. Si les goûts de nos pères s'étaient conservés,
l'île d'Orléans serait maintenant une terre enchantée, où
chacun aurait sa villa, coquettement encadrée d'arbres, de
jardins, de fleurs de toutes sortes, une espèce de terre
promise, où toutes les beautés de la nature et de l'art se
*
seraient données rendez-vous. Québec aurait eu alors,
comme New- York, son State n- 1 sland I Mais avec les allu-
res de nos messieurs du bon ton, avec les invitations si
séduisantes des touristes du bas du fleuve, il y a toute
apparence que la génération qui grandit autour de nous,
ne verra pas de sitôt la classe aisée y étaler tant de mer-
veilles.
On a dît et répété que, dans les premières années du
XVIIl»' siècle, et mC-me pendant une bonne partie de celui-
— 136 —
ci, l'île d'Orléans était une colonie pénale, un lieu d'exil
et de détention pour les délinquants.
C'est une assertion bien hasardée et contre laquelle les
documents historiques s'inscrivent en faux. Si nous con-
sultons les pages de notre histoire, il est impossible d'y
trouver la preuve de cette grave assertion. Il est vrai
que l'on peut citer quelques cas isolés de jugements ordon-
nant de conduire dans l'Ile des femmes qu'il fallait, pour
une cause ou une autre, mettre aux arrêts, mais il est clai-
rement démontré par les précautions prescrites par l'agent
de l'autorité, que ces personnes étaient placées chez de
braves familles, sous la garde de surveillants probes et
vigilants, pour un temps déterminé, afin de les ramener
plus promptément à leurs devoirs par l'exemple des vertus
chrétiennes qu'elles avaient constamment sous les yeux,
au milieu de cette population si sage et si religieuse. Il
n*y avait alors ni bureaux de police, ni prisons de réforme
pour y placer des sujets de ce genre. L'autorité ne doit pas
seulement punir, mais elle doit en même temps procéder
avec sagesse et entourer la victime de l'erreur des mesures
de prudence et de protection que prescrivent les conve-
nances, le sentiment.
Nous ne pouvons mieux terminer notre récit qu'en citant
— 137 —
un extrait des Mémoires de feu L.-J. Girouard, écuyer,
dans lesquels il peint, avec beaucoup de vérité, les mœurs
pures et pacifiques des habitants de l'Ile, au milieu des-
quels il avait passé les plus beaux jours de son adoles-
cense. Il avait résidé au presbytère de Sainte-Famille,
pendant plusieurs années, après la mort de son père, chez
le respectable monsieur Gatien, curé, son bienfaiteur de
tous les temps. On ne lira pas sans intérêt le jugement
que portait sur les bons insulaires cet homme estimable à
bien des titres, et longtemps regretté par ceux qui ont eu
l'avantage de le connaître :
" Les mœurs de ses habitans (de l'Ile), étaient d'ime
grande pureté. Jamais on n'y entendait parler de désor-
dres, et je n'ai jamais vu de gens plus religieux. De mon
temps, il n'y avait dans l'Ile, ni marchands, ni notaires, ni
médecins ? La plupart du tems les terres se trans-
mettaient de père en fils, tout au plus en vertu d'un testa-
ment que le père faisait faire à Québec, en allant vendre
ses denrées au marché. Voilà tout. \jx\ médecin eût été
encore plus inutile. Les sœurs du couvent de la Congré-
gation avaient quelques spécifiques, dont elles ne faisaient
ni commerce ni m\ stère ; puis un ratnanchenr {ix) tenait
lieu de chirurgien. Le marchand n'y aurait pas non plus
fait fortune. On s'habillait des étoffes du pays, fabriquées
k la maison ; et, quant aux articles nécessaires, outre ceux-
(a) Rebouteur.
— 138 —
là, on les achetait à Québec quand on y allait vendre son
grain, son beurre et ses autres produits. Cette innocence
de mœurs excluait naturellement toutes ces professions
qui vivent des malheurs ou des vices de la société. "
Mœurs simples et douces heureusement décrites dans
ces vers d'un poète :
Heureux celui qui sans soins ni soucis
Vit dans son modeste héritage !
L'envie et le chagrin n'attristent point ses nuits,
Il jouit de la paix du sage.
Heureux celui qui sait de ses troupeaux
Tirer vêtement et lainage :
Qui sait des champs tirer son pain, et des ormeaux,
L'hiver, le feu ; l'été, l'ombrage !
•■'^s^mÈX^m'ii-îmmmi^iMmm/'my:m@mm; ■
■MM
(Sa/r^ de la LcrniJê. c)i