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Full text of "L'Ile d'Orléans [microforme] : note sur son étendue, ses premiers établissements, sa population, les moeurs de ses habitants, ses productions"

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LMLC. 


D'ORL 


NOTES   SUR  SON  ÉTENDUE— SES  PREMIERS  ÉTABLISSEMENTS — 
Sa  population — LES   MŒURS  DE  SES  H'.IJITANTS — 

SES  productions 


Avec  une  Carte  par  M.  de  Villeneuve, 
ingénieur  du  Roi 


ŒUVRE  posthume  DE  * 

Jn^L'ABBE   L.-EJtOIS 

Ancien  curé  de  Maskinongé,  membre  de  la  Société 

Historique  de  Québec^  de  îa  Société  Royale 

du  Canada,  etc. 


QUÉBEC 


imprimerie   GÉNÉRALE  AUGUSTIN    CÔTÉ  &   C** 


.695 


ILE    D'ORLÉANS 


Enregistrd  au  bureau  du  Régistraire  à  Outaouais,  en  1896,  par  Augustin 
Coté  et  Cie,  conformément  à  l'acte  qui  protège  la  propriété  littéraire. 


LMLI^ 


D'ORLÉANS 


NOTES    SIR    SON    ETENDUE — SES    PREMIERS    ETABLISSEMENTS- 
SA  POPILATION— LES    MŒIRS  DE  SES  HABITANTS — 
SES    PRODUCTIONS 


Avec  une  Carte  par  M.  de  V  illeneuve, 
ing't'nieur  du  Roi 


ŒUVRE  POSTHUME  DE 

M.    L'ABaÉ    L.-E.    BOIS 

Ancien  curé  de  A/nskinon^é,  membre  de  la  Société 

Historique  de  Québec,  de  la  Société  loyale 

du  Canada,  etc. 


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QUEBEC 
Imprimerie  générale  Augustin  Côté  &  C*     , 

«895 


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NOTE  DE  L'ÉDITEUR 


L  y  a  six  ans  déjà,  la  presse  signalait  avec 
regret  la  mort  d'un  prêtre  éminent,  écri- 
vain modeste  autant  que  savant  remarquable,  dont 
les  recherches  et  les  travaux  historiques,  longtemps 
ignorés  du  public,  ont  souvent  fait  Vétonnement 
et  l'admiration  des  Bibliophiles  et  des  Antiquaires 
du  pays,  et  même  de  l'étranger. 

Intelligence  d'élite,  servie  par  une  mémoire 
prodigieuse,  travailleur  infatiguable  et  énergique, 
aussi  attaché  à  sa  nationalité  que  dévoué  à  son 
ministère,  l'abbé  Bois  avait,  dès  son  début  dans  la 
vie,  fait,  en  quelque  sorte,  deux  parts  de  son  exis- 
tence. Consacrant  la  première,  la  plus  large,  aux 
devoirs  absorbants  du  sacerdoce  et  aux  œuvres  de 
charité  vers  lesquelles  l'entraînait  sa  nature  géné- 
reuse, il  avait  voué  la  seconde  à  l'étude  de  la  théo- 
logie, des  sciences  et;  de  l'histoire,  particulièrement 


VI  — 


celle  du  Canada,  dont  il  avait  maintes  fois  par- 
couru le  cercle  et  rebattu  les  sentiers  jusque  dans 
ses  recoins  les  plus  obscurs,  n'ayant  d'autre  but  et 
d'autre  ambition  que  de  contribuer  à  en  élargir  le 
cadre  et  à  en  rehausser  l'éclat,  au  double  point  de 
vue  des  intérêts  religieux  et  temporels  de  ses 
compatriotes. 

Eloicrné  des  grands  centres,   des  bibliothèques 
et  des  archives  publiques,  il  avait  cependant  réussi 
à  enrichir  ses  tiroirs  et  ses  rayons  d'une  foule  de 
médailles   et   de  pièces  rares,  d'autographes  et  de 
bouquins  précieux,  de  manuscrits  et  de  pamphlets 
introuvables  aujourd'hui  ;  et  ses  cartons,  gonflés 
d'études  inachevées,  de  biographies  intéressantes, 
de  notes  précieuses,  puisées  patiemment,  pendant 
cinquante  ans,  aux  sources  les  plus  authentiques, 
et  classifiées  avec   l'art  du    bénédictin,    attiraient 
vers  le  presbytère  de    Maskinongé  l'élite  de  nos 
hommes  de  lettres  et  de  science,  auxquels  il  per- 
mettait de   puiser  à  pleine   main  dans  ce  trésor 
laboricusemçnt;  accumulé,   se  trouvant  sufhsam- 


vn  — • 


ment  récompensé  de  ses  durs  labeurs  par  le  plaisir 
qu'il  éprouvaità  aider  un  collaborateur  et  à  obliger 
un  ami. 

La  mort  l'a  surpris  avant  qu'il  ait  eu  le  temps 
de  compléter  les  nombreuses  études  qu'il  avait 
commencées,  entre  autres,  ses  intéressantes  Bio- 
graphies des  évêques  du  Canada,  dans  lesquelles 
il  avait  traité  avec  une  grande  hauteur  de  vue,  une 
sagacité  remarquable  et  une  abondance  de  détails 
pour  la  plupart  inédits,  des  questions  d'un  ordre 
très  élevé  se  rattachant  à  l'histoire  politique  et 
surtout  à  l'histoire  ecclésiastique  du  pays. 

Toutes  ces  richesses  ne  sont  cependant  pas  per- 
dues, car,  en  les  léguant  au  séminaire  de  Nicolet,  il 
les  a  placées  sous  la  triple  protection  de  l'amitié, 
de  la  religion  et  de  la  science,  et  les  directeurs 
éclairés  de  cette  illustre  maison,  désireux  de  per- 
pétuer la  mémoire  d'un  bienfaiteur  et  de  seconder 
ses  intentions,  si  non  ses  volontés,  se  feront  un 
devoir,  nous  en  sommes  convaincu,  de  livrer  à  la 
publicité,  sous  unç  forme  qu  squs  unç  autre,  au 


Vlll 


moins  les  parties  les  plus  importantes  des  œuvres 
qui  enrichissent  maintenant  leurs  archives  et  leur 
intéressante  bibliothèque. 

Il  serait  superflu  de  mentionner  ici  la  pa.t  active 
et  déterminante  prise  par  l'abbé  Bois  à  la  publica- 
tion des  Relations  des  Jésiiités  et  de  donner  la 
liste  complète  des  ouvrages  qu'il  a  publiés  de  son 
vivant  :  Extraits  du  Livre  de  inon  oncle,  sur  l'agri- 
culture :  Esquisse  de  la  vie  et  des  travaux  de  Afo-y 
de  Laval-Montmorency,  avec  portrait  ;  De  Sillery, 
Dambouroès,  Mabane,  Crespel,  l'abbé  Raimbault, 
Vabbé  Leproi.  ",  etc.,  etc.  Il  nous  suffit  de  rappeler 
qu'au  nombre  de  ces  derniers,  nul  ne  fut  mieux 
accueilli  et  plus  apprécié  que  son  intéressante 
étude  sur  \ Ile  d'Orléans^  reproduite  dans  le  feuille- 
ton du  Journal  de  Québec,  en  1864.  L'histoire 
de  cette  Ile,  publiée  trois  ans  après,  par  le  regretté 
L.-P.  Turcotte,  ainsi  que  les  brillants  écrits  du 
professeur  Hubert  La  Rue,  ont  encore  contribué 
à  augmenter  l'attrait  de  ce  premier  récit.  Aussi, 
cédant  aux  soUicitutiontj  de  ses  amis,  l'abbé  Bois 


t 

IX 


avait  consenti,  quelque  temps  avant  son  décès,  à 
le  publier  en  volume,  après  l'avoir  revu  et  corrigé, 
et  il  avait,  dans  ce  but,  remis  et  donné  son  manus- 
crit à  son  vieil  ami,  M'  Augustin  Côté,  éditeur- 
propriétaire  du  yoîirnal  de  Québec. 

Le  décès  de  l'auteur  a  retardé  jusqu'à  ce  jour 
l'impression  de  cet  intéressant  travail.  Nous  1  of- 
frons aujourd'hui  au  public,  persuadé  qu'il  recevra 
de  sa  part,  sous  cette  forme  rajeunie,  l'accueil 
bienveillant  que  lui  témoignaient  autrefois  les  lec- 
teurs éclairés  du  yournal.  Le  nombre  et  l'impor- 
tance des  ouvrages  historiques  publiés  depuis  quel- 
ques années  par  l'Etat,  et  par  nos  principaux  écri- 
vains, ont  développé  le  goût  de  notre  population 
pour  tout  ce  qui  se  rattache  à  l'histoire  intime 
du  passé.  D'ailleurs,  son  patriotisme  éclairé  suf- 
firait à  lui  seul  p>our  lui  faire  apprécier  le  mérite 
de  ceux  qui  travaillent,  avec  autant  de  zèle  que 
de  désintéressement,  à  réunir  les  matériaux  épars 
de  notre  histoire  et  dont  les  œuvres,  comme  les 
pierres  ciselées  pour  un  temple  en  construction, 


serviront,  elles  aussi,  à  orner  et  à  agrandir  celui 
que  la  postérité  reconnaissante  a  déjà  dédié  à  la 
mémoire  des  aïeux. 


Nous  offrons  en  même  temps  aux  lecteurs  une 
véritable  primeur:  la  carte  la  plus  ancienne  et  la 
plus  complète  de  l'île  d'Orléans.  Elle  date  de 
1689,  et  est  l'œuvre  de  M.  de  Villeneuve,  Ingé- 
nieur du  Roi  en  ce  pays.  Ce  dernier  demeura  à 
Québec  de  1685  à  1693.  Il  nous  a  laissé  plusieurs 
autres  travaux  de  ce  genre  devenus  très  rares 
aujourd'hui  :  entre  autres,  un  plan  de  la  ville  et 
du  château  de  Québec  en  1685  ;  un  plan  de 
Québec  assiégé  par  les  Anglais  en  1690,  et  trois 
cartes  des  environs  de  la  capitale,  dessinées  en 
16S6,  1688  et  1689,  [Bulletin  des  Recherches 
Historiques,  P'vol.,  pp.  36  et  37.) 

Celui-ci  reproduit,  avec  la  plus  grande  exacti- 
tude de  détails,  les  rivages  de  l'Ile,  ses  caps,  ses 
pointes,  ses    ruisseaux,    ses   rivières.     Il   retrace 


XI 


aussi  les  lignes  de  division  des  paroisses,  ainsi 
que  la  course  des  chemins  alors  existants.  Mais 
ce  qui  le  rend  surtout  extrêmement  précieux,  c'est 
le  soin  et  la  précision  avec  lesquels  il  indique  le 
sice  de  chacune  des  habitations  de  l'Ile,  qu'il 
désigne  par  des  numéros  référant  à  un  index  qui 
contient  les  noms  de  tous  les  habitants  de  cette 
époque. 

C'est  presque  une  photographie  de  l'Ile,  telle 
qu'elle  était  il  y  a  maintenant  tout  près  de  deux 
cents  ans. 


PRÉFACE 


DE  L'auteur 

Si  l'on  a  pu  dire  que  chaque  pierre  a  sa  chronique, 
chaque  mousse  sa  légende,  il  est  encore  plus  vrai  d'affir- 
mer que  chaque  famille  a  aussi  ses  souvenirs,  chaque 
maison  ses  traditions,  chaque  localité  ses  annales  parti- 
culières et  que  l'ensemble  des  événements  joyeux  ou  tristes 
qu'elles  rappellent,  des  époques  brillantes  ou  sombres, 
glorieuses  ou  tragiques  dont  elles  ont  été  le  témoin  ou  le 
théâtre  et  dont  le  récit  se  transmet  au  coin  du  feu,  de 
génération  en  génération,  constitue  le  charme  le  plus  at- 
trayant de  l'histoire  d'une  population  ou  d'une  localité. 

L'île  d'Orléans,  connue  des  Français  dès  leurs  pre- 
miers voyages  au  Canada,  située  à  quelques  milles  de 
distance  de  la  citadelle  de  Québec,  ce  vieux  témoin  des 
luttes  héroïques  des  deux  nations  les  plus  puissantes  de 
l'Europe,  pour  la  possession  exclusive  de  ce  continent, 
offre,  elle  aussi,  aux  lecteurs  amis  de  leur  pays,  sinon  des 
pages  mouvementées,  remplies  de  prouesses  et  d'actions 
d'éclat,  au  moins  des  mémoires  précieux  et  intére  sants, 
non  seulement  pour  ses  habitants,  mais  même  pour  le 
public  en  général,   et  qu'il  devient  de  plus  en  plus  impor- 


i 

XIV 


tant  de  conserver  en  les  mettanï:  à  l'abri  de  la  pernicieuse 
influence  de  l^indifférence  et  de  l'oubli. 

En  1860,  Mr  N.  H.  Bowen,  notaire,  fils  du  juge-en-chef 
de  la  Cour  supérieure,  et  membre  de  la  Société  littéraire  et 
historique  de  Québec,  publiait  un  Essai  d'une  quarantaine 
de  pa^es  auquel  il  donna  pour  titre  :  An  Historical  Sketch 
of  the  Isle  0/  Orléans,  being  a  paper  read  before  the  Literary 
and  Historical  Society  of  Québec^  er-c.  Cet  opuscule,  tiré  à 
un  nombre  limité  d'exemplaires,  est  composé  en  grande 
partie  de  citations  réunies  avec  beaucoup  de  soin  et  sup- 
pose celui  qui  le  lit  déjà  amplement  pourvu  de  connais- 
sances historiques.  L'auteur,  généralement  véridique  et 
impartial,  ne  présente  à  ses  lecteurs  ni  railleries  sur  les 
usages  et  les  coutumes  de  l'Ile,  ni  observations  offensantes 
sur  les  mœurs  et  les  croyances  des  bons  insulaires. 

Tout,  au  contraire,  y  respire  le  respect  et  la  bienveil- 
lance à  leur  égard.  L  intérêt  éprouvé  en  lisant  ce  mémoire 
fit  regretter  que,  étant  écrit  en  langue  anglaise,  il  ne 
pouvait  guère  être  lu  par  ceux  qu'il  intéressait  davantage, 
et  qui  auraient  aimé  surtout  à  le  conserver  dans  leurs 
familles.  C'est  pour  combler  cette  lacune  et  pour  suppléer 
cette  omission  que  nous  offrions  aux  lecteurs  du  Journal 
de  Québec,  en  1864,  quelques  notes  qui  devaient  servir  de 


—  XV  — 

complément  à  l'œuvre  de  M^  Bowen.  Ce  travail  n'avait 
qu'un  mérite,  celui  de  démontrer  qu'il  s'en  fallait  de  beau- 
coup que  la  matière  fut  épuisée.  Aussi,  trois  ans  plus  tard, 
Mr  L.-P.  Turcotte,  lui-même  un  enfant  de  l'Ile  d'Orléans, 
reprit  le  travail  commencé  et  le  publia  sous  une  forme 
qui  le  mit  à  la  portée  du  public.  Il  nous  fit  part  de  sa  dé- 
cision au  mois  de  mai  1867  par  la  lettre  suivante  : 

Au  Révérend  Monsieur  L.-E.  Bois. 
Monsieur, 

Quelques  personnes  m'ont  assuré  que  vous  êtes  le  savant  auteur 
de  la  critique  de  la  brochure  de  M.  Bowen  sur  l'Ile  d'Orléans,  qui 
a  été  publiée  dans  le  feuilleton  du  Journal  de  Québec,  en  1864.  J'ai  dit 
l'auteur  de  la  critique,  je  me  trompe,  vous  êtes  plutôt  l'auteur  d'une 
véritable  histoire  de  l'Ile,  tant  par  le  nombre  des  faits  historiques 
que  par  le  grand  nombre  de  notes  qui  accompag'nent  votre  excel- 
lente critique.  Si  votre  ouvrage  eut  été  livré  au  public  en  bro- 
chure, je  n'aurais  jamais  entrepris  la  publication  de  cette  Histoire 
que  j'ai  l'honneur  de  vous  présenter. 

Je  vous  avouerai,  irionsieur,  que  votre  excellent  travail  m'a  été 
d'une  grande  utilité  pour  cette  brochure.  Sans  lui,  certainement, 
plusieurs  faits  n'auraient  pas  été  traités. 

Vous  avez  donc,  par  votre  ouvrage,  contribué  beaucoup  à  la  com- 
pléter et  c'est  en  reconnaissance  de  ce  secours  que  je  vous  prie 
d'accepter  le  présent  exemplaire  do  mon  humble  Histoire  de  l'Ile 
d'Orléans, 

J'ai  l'honneur  d'être,  etc., 

L.-P.  TlRCOTTE. 


—  xvî  — ^ 

Nous  laissâmes  le  jeune  et  industrieux  écrivain  jouir  en 
paix  du  fruit  de  son  ouvrage.  Mais  vingt  ans  se  sont 
écoulés  depuis  cette  époque,  et  la  vente  de  son  Histoire 
étant  depuis  longtemps  épuisée,  nous  cédons  aux  deman- 
des qui  nous  sont  adressées  et  nous  livrons  à  la  presse, 
sous  une  forme  nouvelle,  l'œuvre  à  peine  ébauchée  dans 
les  colonnes  du  Journal  de  Québec,  laissant  aux  lecteurs  à 
faire  la  part  du  mérite  de  chacun.  Quelles  que  soient  d'ail- 
leurs les  divergences  d'opinions  sur  ce  point,  nous  som- 
mes satisfait  que  les  amis  des  lettres  et  de  l'histoire  nous 
seront,  peut-être,  reconnaissants  d'avoir  été  le  premier  à 
défricher  et  à  ouvrir  une  voie  dont  l'importance  et  l'uti- 
lité étaient  alors  loin  d'être  démontrées,  mais  qui  a  depuis 
été  rendue  de  plus  en  plus  attrayante,  tant  par  le  travail  in- 
telligent de  Mr  Turcotte  et  les  écrits  patriotiques  et  humo- 
ristiques du  regretté  Hubert  LaRue,  que  par  les  nom- 
breux ouvrages  du  même  genre  qui  ont  été  publiés  depuis. 


LMLE   D'ORLEANS 


PRELIMINAIRE 


DE  toutes  les  îles  qui  partagent  les  eaux  du  Saint- 
Laurent  (celle  de  Montréal  exceptée),  il  n'en  est 
pas  qui  captive  autant  l'attention,  par  le  pittoresque  de 
sa  situation,  la  variété  de  ses  paysages,  la  fertilité  de  son 
sol  et  le  caractère  propre  de  ses  habitants,  que  celle  qui 
fut  nommée  d'abord  l'Ile  de  Bacchus  et  que,  depuis  près 
de  trois  siècles,  on  appelle  l'Ile  d'Orléans.  Soit  que  le 
touriste  ou  l'étranger  contemple  ses  rivages  gracieux  ornés 


d'une  large  ceinture  de  blanches  maisons  et  d'élégantes 
villas,  ses  champs  fertiles,  qui  s'élèvent  par  des  pentes 
ondulées  formant  une  espèce  d'amphithéâtre  recouvert  de 
jardins,  de  vergers,  de  prés  verdoyants,  et  couronné  par 
les  restes  précieusement  conservés  de  l'antique  forêt;  soit 
qu'il  tourne  ses  regards  vers  le  sombre  et  majestueux  cap 
Tourmente,  la  superbe  et  bruyante  chute  Montmorency, 
ou  sur  les  riches  campagnes  de  la  rive  sud  du  Saint- 
Laurent,  il  voit  se  dérouler,  devant  ses  yeux  étonnés,  une 
succession  aussi  variée  qu'inattendue  de  sites  enchanteurs, 
de  perspectives  gracieuses,  d'horizons  charmants  et  gran- 
dioses qui  le  ravissent  et  le  forcent  d'admettre  que  cet 
heureux  coin  de  terre,  négligé  si  longtemps  par  les  citoyens 
de  Québec,  est  destiné,  dans  un  avenir  rapproché,  à  de- 
venir pour  cette  dernière  ville  ce  que  Brocklyn  est  à  la 
capitale  commerciale  des  Etats-Unis. 

Située  à  moins  de  cinq  milles  de  Québec,  l'île  d'Or- 
léans  a  vingt-et-un  milles  de  longueur  sur  environ  cinq 
milles  dans  sa  plus  grande  largeur.  Elle  forme  une  éten- 
due de  terre  de  70  milles  carrés  ou  de  43,000  arpents  en 
superficie.  Elle  était  autrefois  couronnée  à  son  extrémité 
occidentale  par  un  bosquet  de  pins  qu'on  appelait  le  nid 
du  Corbeau.     Ses  rivages,  peu  souvent  escarpés,  présen* 


—  3  — 
tent  en  différents  endroits  des  rochers  qui  ne  sont  ni  d'une 
élévation,  ni  d'une  étendue  remarquable  ;  dans  d'autres, 
ils  forment  de  larges  prairies  recouvertes  en  partie  par  la 
marée.  Du  côté  nord,  le  rivag-e  est  généralement  plat  et 
boueux;  du  côté  sud,  il  est  presque  partout  couvert  d'un 
beau  sable  parsemé  de  loin  en  loin  de  petits  récifs. 

La  description   qu'on   en   lit    au    livre  des  Voyages  de 

Champlain  (tome  II,  ch.  2),  est  bien  exacte: 

"  Alors  on  suit  le  fond,  côtoyant  l'isle  d'Orléans  au  sud, 
qui  a  six  lieues  de  longueur,  et  une  et  demie  de  large,  en 
des  endroits  quantité  de  bois  de  toutes  les  sortes,  que 
nous  avons  en  France  ;  elle  est  très-belle,  bordée  de 
prairies  du  costé  du  nord,  qui  inondent  deux  fois  le  jour. 
Il  y  a  plusieurs  petits  ruisseaux  et  sources  de  fontaines, 
et  quantité  de  vignes,  qui  sont  en  plusieurs  endroits.  Au 
costé  du  nord  de  l'isle,  il  y  a  un  autre  passage,  bien  que, 
en  le  chenal,  il  y  aye  au  moindre  enarult  trois  brasses 
d'eaux  ;  cependant  l'on  rencontre  quantité  de  pointes  qui 
avancent  en  la  rivière,  très  dangereuse  et  de  peu  de  louiage, 
si  ce  n'est  pour  barques,  et  si  faut  faire  les  bordées  cour- 
tes. Entre  l'isle  et  la  terre  du  nort,  il  y  a  près  de  demie 
lieue  de  large,  mais  le  chenal  est  étroit,  tout  le  pays  du 
nort  est  fort  montueux.  Le  long  de  ces  costes  il  y  a 
quantité  de  petites  rivières  qui  la  plupart  assèchent  de 
basse  mer  {  elles  abondent  en  poisson  de  plusieurs  sortes 
et  la  chasse  du  gibier  y  est  en  nombre  infinie.  Comme 
à  risle  et  aux  prairies  du  Cap  Tourmente,  très  beau  lieu 


et  plaisant  à  voir.  De  l'isle  d'Orléans  à  Québec,  il  y  a 
une  bonne  grande  lieue,  y  ayant  de  l'eau  assez  pour  quel- 
que vaisseau  que  ce  soit.  »< 

Le  sol  de  l'Ile  est  généralement  très  fertile.  Aussi  a-t-on 
longtemps  appelé  cette  dernière  le  grenier  de  Québec. 
Ses  habitants  sont  paisibles,  sobres  et  industrieux.  Grâce 
à  leurs  habitudes  d'économie,  ils  vivent,  sinon  dans  l'ai- 
sance, au  moins  dans  une  heureuse  médiocrité,  sur  des 
propriétés  d'une  étendue  assez  limitée.  Ils  fournissent  aux 
marchés  de  Québec  tous  les  produits  ordinaires  du  verger, 
du  jardin  et  de  la  ferme,  entre  autres,  d'excellentes  pom- 
mes de  terre,  du  beurre  exquis  et  ce  délicat  fromage  affiné 
qui  fait  depuis  si  longtemps  les  délices  des  gourmets  de 
Québec,  et  leur  permet  de  traiter  avec  une  certaine  hau- 
teur le  fromage  de  Brie,  pourtant  si  vanté  par  tous  les 
gastronomes  de  France. 

La  vie  de  famille  dans  l'île  d'Orléans  a  conservé  le 
cachet  particulier  et  la  simplicité  des  mœurs  patriarcales 
d'autrefois.  Les  relations  sociales  sont  caractérisées  par 
l'urbanité,  la  cordialité  et  le  respect  que  se  témoignent  en 
toutes  circonstances  ceux  qui,  pendant  deux  siècles  d'iso- 
lement et  de  vie-à-part,  ont  fini  par  se  considérer  comme 
les  membres  d'une  seule  et  même  famili..     La  droiture 


—  5  — 
dans  les  transactions,  l'honnêteté  dans  les  rapports  jour- 
naliers, la  sobriété  y  sont  encore  en  honneur,  et  c'est  aussi 
au  milieu  de  ses  habitants  que  l'on  retrouve  cette  franche 
et  cordiale  hospitalité  si  vantée  autrefois  par  les  étran- 
g-ers,  et  dont  les  traces  disparaissent,  hélas  !  si  rapidement 
dans  plusieurs  parties  de  notre  beau  pays. 

Quoique  le  territoire  de  l'Ile  soit  insuffisant  pour  fournir 
des  établissements  à  toute  sa  population,  les  familles  qui 
s'y  sont  originairement  établies  ont  généralement  résisté 
au  courant  de  l'émigration  qui  emportait  forcément  les 
plus  jeunes  de  leurs  enfants  vers  les  nouv^eaux  centres  de 
colonisation,  et  les  terres  qui,  depuis  deux  cents  ans 
passés,  ont  été  transmises  de  père  en  fils  sont  encore  en 
grande  partie  occupées  par  les  descendants  des  conces- 
sionnaires primitifs. 

Le  R.  P.  de  Charlevoix,  qui  y  alla  en  1720,  (tome  II, 
ch.  II,)  dit  qu'  <•  il  trouva  ce  pays  beau,  les  terres  bonnes 
et  les  habitans  à  leur  aise.  "  Le  morcellement  des  pro- 
priétés y  est  presque  inconnu.  On  se  rappelle  que,  sous 
le  régime  français,  l'autorité  s'opposait  de  toutes  ses 
forces  à  ce  que  les  colons  s'établissent  sur  des  propriétés 
de  peu  d'étendue.  Par  une  ordonnance  du  28  avril  1745, 
le  roi  Louis  XV  défendit  de  construire  des  maisons  sur 


—  6  — 

des  pièces  de  terre  de  moins  d'un  arpent  et  demi  de  front, 
sur  trente  de  profondeur.  Cinq  brihitant'^  de  l'île  d'Or- 
léans furent  poursuivis  pour  contravention  k  ce  règlement 
et  furent  condamnés,  le  12  janvier  1752,  par  l'intendant 
François  Bigot,  k  payer  chacun  cent  francs  d'amende  aux 
pauvres  de  leur  paroisse  respective  et  à  démolir  leurs 
bâtisses  dans  un  délai  de  quatre  mois,   (a) 

Nous  n'avons  pas  l'intention  de  nous  arrêter  aux  chroni- 
ques obscures  qui,  h  des  époques  déjà  reculées,  faisaient 
des  habitants  de  l'Ile  un  peuple  de  sorciers.  Cette  fable 
ridicule,  née  de  l'ignorance,  a  cependant  trouvé  créance 
chez  des  esprits  réputés  sérieux,  entr'autres,  le  R.  P.  Char- 
levoix,  d'ordinaire  si  grave  et  si  judicieux.  {Journal  crun 
voyage  de  r  Amérique,  tome  II,  lettre  II.)  Les  feux  uue 
l'on  voyait  courir  sur  les  rivages  de  l'Ile,  k  certaines 
heures  de  la  nuit,  et  qui  n'étaient  rien  autre  chose  que  les 
flambeaux  dont  les  insul.iires  se  servaient  pour  visiter 
leurs  pêcheries,  avaient  donné  lieu  k  ces  suppositions  bi- 
zarres, que  l'on  aurait  pu  tout  aussi  bien  appliquer  aux  culti- 
vateurs des  paroisses  de  Saint-V'alier,  de  l'Ange-Gardien, 
du  nord  et  du  sud,  puisqu'eux  aussi  faisaient  le  tout  de 


(a)  Les  noms  de  ces  propriétaires  étaient  ;  Pierre  Lachance,  sieur  Curodeau, 
J.-Hte  Martel,  forgeron,  Jean-Marie  fiante,  tous  de  Saint-.lean,  et  le  nomm^ 
ferrant,  rabaretit-r  de  Saintc-I'aniillç.     (2e  vol.  Kd,  et  Ord.  594.) 


—  7  — 
leurs  pêches  la  nuit  avec  des  lumières  du  même  genre. 
Peut-être,  aussi,  que  l'ère  de  prospérité  que  l'on  voyait 
rég-ner  dans  les  habitations  des  cultivateurs  de  l'île  d'Or- 
léans, portait-il  à  attribuer  aux  procédés  magiques  plutôt 
qu'à  un  travail  intelligent  et  assidu,  les  heureux  résultats 
d'un  mode  de  culture  plus  suivi  et  mieux  soigné.  Quoi- 
qu'il en  soit,  il  ne  se  rencontre  plus  personne  qui  croie 
aux  pratiques  de  la  magie  chez  ces  insulaires,  malgré  qu'il 
y  en  ait  plus  d'un,  peut-être,  qui  jalouse  leur  bonheur,  le 
calme  de  leur  existence  et  la  paix  de  leurs  foyers. 

L'Ile  est  actuellement  divisée  en  six  paroisses  :  Saint- 
Pierre,  Sainte- Famille,  Saint -François  de  Sales,  Saint- 
Jean-Baptiste,  Saint-Laurent,  appelée  autrefois  Saint-Paul, 
et  Sainte-Pétronille  du  bout  de  l'île,  récemment  formée 
d'une  partie  de  la  paroisse  de  Saint -Laurent  et  d'une 
partie  de  celle  de  Saint  -  Pierre.  Nous  ne  comprenons 
pas  comment  le  Père  de  Charknoix  a  pu,  de  son  temps,  y 
trouver  six  paroisses.  {Histoire  de  la  Xoiivellc-Fntucc,  tome 
III,  p.  67.)  Avait-il  donc  compté  la  paroisse  qui  est  sous 
le  vocable  de  Saint-Pierre  et  do  Saint-Paul,  pour  deux 
paroisses  distinctes?  Ln  jetant  un  coup  d'œil  sur  la  carte 
de  l'Ile  d'Orléans,  qui  accompagne  son  Voyage  historique^ 
pn  voit  cjue  l'auteur  place  une  église  à  Saint-François,  et 


—  8—  • 

une  seconde  à  Argentenay  !  Mais  ceci  est  tout-à-faît 
inexact,  car  il  n'y  eut  jamais  qu'une  seule  église  dans  la 
paroisse  de  Saint-François. 

Pour  constituer  autrefois  ce  qu'on  appelait  le  comté 
d'Orléans,  on  joignait  à  la  belle  et  grande  île  de  ce  nom, 
les  îles  Madame  et  aux  Reaux. — On  disait  et  on  écrivait 
anciennement  isle  aux  Ruaux. — Cette  dernière  fut  concé- 
dée, en  1638,  par  le  gouverneur  de  Montmagny,  aux  révé- 
rends Pères  Jésuites.  Elle  n'a  qu'une  superficie  de  deux 
cent  cinquante  arpents  environ. 

Après  l'extinction  de  cet  Ordre  précieux  en  cette  colo- 
nie, le  gouvernement  s'en  empara  et  la  revendit  ensuite. 
Elle  a  bien  des  fois  changé  de  mains  depuis.  Le  pro- 
priétaire ne  payait  cependant  qu'une  rente  bien  faible  pour 
en  avoir  le  profit,  disait  l'agent  des  biens  des  Jésuites, 
lors  de  l'enquête  établie  par  la  Législature,  en  1836.  (Voir 
le  Journal  de  la  Chambre  cT Assemblée,  ^^J^'  Appendice, 
tome  III.) 

Depuis  l'Union  des  Canadas,  l'Ile  d'Orléans  est  réunie 
h  la  cote  de  Beaupré,  et  forme  un  collège  électoral,  qui  a 
pour  titre  le  comté  de  Montmorency,  et,  pour  représentant 
dans  la  Chambre  d'Assemblée,  l'honorable  Joseph  Cauchon, 
un  des  plus  anciens  représentants  du  peuple  en  cette  nro- 


—  9  — 
vince.  Le  premier  député  qui  fut  élu  pour  cette  division 
au  parlement,  établi  en  vertu  de  la  Constitution  de  1791, 
fut  Nicolas  -  Gaspard  Boisseau,  écuyer,  qui  représenta  le 
comté  de  1792  à  1796;  Jérôme  Martineau,  écuyer,  lui 
succéda  et  conserva  son  mandat  jusqu'à  sa  mort,  le  19 
décembre  1809.  Cet  homme  de  bien  ne  dut  la  conserva- 
tion de  cette  charge  honorable,  ni  à  l'ascendant  d'un  parti, 
ni  à  l'influence  de  la  fortune,  mais  simplement  à  sa  probité 
et  à  ses  vertus  civiques. 

M.  Charles  Blouin  le  remplaça,  de  1810  à  1819.  Il  mou- 
rut à  l'âge  avancé  de  91  ans,  possédant  encore  toutes  ses 
facultés  intellectuelles,  et  fut  enterré  dans  l'église  de 
Saint-Jean,  où  il  avait  été  chantre  pendant  plus  de  60  ans. 
Il  était  aveugle  depuis  treize  ans.  Puis  MM.  François 
Quirouet,  Cazeau,  Godbout,  Quesnei,  remplirent  succes- 
sivement cette  fonction  importante  jusqu  en  1844,  époque 
à  laquelle  l'honorable  député  actuel  du  comté  de  Mont- 
morency fut  élu  pour  la  première  fois,  par  les  électeurs 
des  paroisses  de  l'Ile. 


10 


II 
ARRIVÉE  DE  CARTIER  DANS  L'JLE 


La  première  mention  qui  est  faite  de  l'Ile  d'Orléans 
dans  V Histoire  des  Voyages  de  Jacques  Cartier^  est  à  l'occa- 
sion de  son  arrivée  entre  l'Ile  et  la  côte  du  Nord,  lors  de 
son  second  voyage,  en  1535.  Nous  ne  ferons  que  repro- 
duire intégralement,  pour  la  satisfaction  du  lecteur,  la 
page  du  Journal  de  l'intrépide  voyageur.  {Seamâ  Voyage; 
chapitre  II.) .  .  "  Le  septième  du  dit  mois  (septembre  1535,) 
nous  partîmes  de  la  dite  isle  (l'Ile  aux  Coudres),  pour 
aller  .\  moni  le  dit  fleuve,  et  vîmes  quatorze  isles,  (île  aux 
Grues,  île  aux  Oies,  île  Madame,  etc.,)  qui  étaient  dis- 
tantes de  la  dite  île  aux  Coudres  de  sept  à  huit  lieues, 
qui  est  le  commencement  de  la  terre  et  province  de  Ca- 
nada :  desquelles  il  \  vn  a  une  grande  d'environ  dix  lieues 
de  long  et  cinq  de  large,  où  il  y  a  gens  demeurant  qui  font 
grande  pêcherie  de  tous  les  poissons  qui  sont  dans  le  dit 
fleuve,  selon  les  saisons,  de  quoy  sera  fait  ci-après  men- 
tion. Nous  estans  posés,  et  î\  l'ancre,  entre  icelle  grande 
isle  et  la  terre  du  Nord,  fûmes   k  terre  et  portAmes  les 


—  11  — 

deux  hommes  que  nous  avions  pris  le  précédent  voyage, 
et  trouvasmes  plusieurs  gens  du  pays,  lesquels  commen- 
cèrent à  fuir,  et  ne  voulant  approcher  jusqu'à  ce  que  les 

deux  hommes  commencèrent   à  parler et    lorsqu'ils 

eurent  connaissance  d'eux,  commencèrent  à  faire  grande 
chère,  dansans  et  faisans  plusieurs  cérémonies,  et  vinrent 
partie  des  principaux  à  nos  bateaux,  lesquels  nous  appor- 
tèrent force  anguilles  et  autres  poissons,  avec  deux  ou  troic 
charges  de  gros  mil  (blé-d'inde),  qui  est  le  pain  duquel  ils 
vivent  en  la  dite  terre,  et  plusieurs  gros  melons ....  m 
Et,  plus  loin,  il  ajoute  : 

"  ....  Et  fûmes,  outre  le  dit  fleuve,  environ  dix  lieues, 
costoyans  la  dite  isle,  et  au  bout  d'iceile  trouvasme  un 
afl'ourg  d'eau  fort  beau  et  plaisant,  n 

Selon   quelques   écrivains   du   siècle  dernier,  — et  cette 

assertion  a  été  répétée  par  ceux  de  nos  jours,  —  Roberval 

aurait  fait  revenir  Cartier  sur  ses  pas,  pour  commencer 

un  établissement  dans  l'île  d'Orléans  ;  mais,  selon  d'autres, 

f  ette  rencontre  aurait  eu  lieu  à  Saint-Jean  de  Terreneuve, 

e'  c'est  là  qu'il  se  serait  agi  de  faire  des  constructions  (a). 

Voici  sur  ce  point  le  témoignage  d'un  contemporain  de 

Champlain. 


(a)  On  sait  qu'il  s'arrêta  il   Kirpon  et  A  d'autres  postes.     Une  fie  de  la 
passe  qui  conduit  au  Havre,  porte  encorç  son  nom. 


—  Ï2  — 

Dans  la  Relation  d'un  voyage  fait  par  le  capitaine  Da- 
niel, de  Dieppe,  en  1629,  rapportée  à  la  fin  de  l'ouvrage, 
Voyages  de  Champlain,  tome  II,  p.  362,  on  lit  : 

I'  ....  En  l'an  1541,  il  (Jacques  Cartier)  fit  un  autre 
voyage  comme  lieutenant  de  messire  Jean-François  de  la 
Roque,  sieur  de  Robert-Val,  qui  estait  lieutenant-général 
au  dit  pays,  ce  fut  son  troisième  voyage  où  il  demeura. 
Ne  pouvant  vivre  au  pays  avec  les  sauvages  qui  estaient 

insupportables il  s'en  délibéra  de  s'en  retourner  au 

printemps,  ce  qu'il  fit  en  un  vaisseau  qu'il  avait  réservé, 
et  estant  le  travers  de  l'isle  de  Terreneuve,  il  fit  rencontre 
du  sieur  de  Robert-Val,  qui  venait  avec  trois  vaisseaux, 
l'an  1542.  Il  fit  retourner  le  dit  Cartier  k  l'isle  d'Or- 
léans, où  ils  firent  une  habitation,  et  y  estant  demeurés 
quelque  temps  l'on  tient  que  Sa  Majesté  le  demanda  pour 
quelques  affaires  importantes,  et  cette  entreprise,  peu  à 
peu,  ne  sortit  aucun  eff"et,  pour  n'y  avoir  apporté  la  vigi- 
lance requise" 

Au  livre  III,  chap.  24,  du  i*^  vol.  des  Voyages  de  Cham- 
plaitîy  on  lit  : 

'•  Nous  rangeasme  l'île  d'Orléans,  du  costé  du  sud,  dis- 
tante de  la  grande  terre  une  lieue  et  demie,  et  du  coté 
nort  demie  lieue,  contenant  de  long  six  lieues,  et  de  large 
une  lieue  ou  lieue  et  demie  par  endroits.  Pu  costé  nort, 
elle  est  fort  plaisante  par  la  quantité  de  bois  et  de  prairies 
qu'il  y  a,  mais  il  est  fort  dangereux  d'y  passer,  p'iur  la 
quantité  de  pointes  de  rochers  qui  sont  entre  la  grande 


—  13  — 

terre  et  l'Ile,  où  il  y  a  quantité  de  beaux  chesnes  et  de 
noyers  en  quelques  endroits,  et  à  l'embouchure  des  vignes 
et  autres  bois  comme  nous  en  avons  en  France.  " 

Jacques  Cartier  avait  d'abord  nommé  cette  île  Bacchus, 
et  c'est  lui-même  qui,  dans  un  voyage  subséquent,  en 
1537,  l'appela  hle  d'Orléans.  Le  sieur  de  Robertval  la 
désigne  aussi  sous  ce  nom  en  1542.  Plus  tard,  Champlain 
donna  à  une  autre  île  la  dénomination  de  l'Isle  de  Bac- 
chus. Il  savait  bien  que  le  nom  d'Isle  d'Orléans  avait 
prévalu,  et,  dans  ses  écrits,  il  n'en  parle  que  sous  ce  dernier 
titre.  (Voir  tome  II,  livre  II,  chapitre  8,  des  Voyages  de 
Champlain  :) 

"  Le  i®'  août,  1624,  est  arrivé  à  Québec,  le  sieur  de 
Caën,  et,  le  4,  il  fut  au  Cap  Tourmente,  qui  lui  avait  été 
donné  par  monseigneur  de  Montmorency,  avec  l'Isle  d'Or- 
léans et  quelques  autres  îles  adjacentes  (a).  " 

Les  naturels  appelaient  cette  île  Baccalaos,  dit  Lahon- 
tan  ;  cependant,  ce  n'était  pas  \k  son  vrai  nom.  D'ailleurs, 
on  trouve  que  cette  appellation  était  commune  aux  îles 
de  Terreneuve,  du  Cap-Breton  et  :'i  d'autres  ;  mais  on  lit 
quelque  part  qu'elle  était  appelée  Afi'nigo,  par  les  indi- 
gènes,  Ekti-mc-nonk^  c'est-.^-dire  la  grande  Ile.   Plus  tard, 


(a)  On  avait,  longtemps  avant  cette  époque,  donné  le  nom  d'Ile  Saint-Lau- 
rent   l'Ile  du  Cap-Breton. 


1651,  lorsque  les  Hurons  s'y  établirent,  croyant  échappai' 
aux  persécutions  de  leurs  cruels  et  perfides  ennemis,  les 
Iroquois,  elle  fut  appelée  Ile  Sainte- Marie.  (Voir  Rela- 
tions des  Jésuites^  année  1661,  page  9,   édition  de  Québec.) 

C'est  probablement  cette  circonstance  qui  a  porté  à 
dédier  à  Dieu,  sous  l'invocation  de  la  bienheureuse  vierge 
Marie,  la  première  chapelle  qui  fut  construite  en  ce  lieu. 
Nous  lisons  encore  dans  des  mémoires  du  temps,  entre 
autres,  dans  un  Plan  général  des  Paroisses  on  Missions^  fait 
en  1686,  qu'elle  s'appelait  Isle  Saint-Laurent.  C'est  sous 
cette  dénomination  qu'elle  fut  érigée  en  comté  et  ce  titre 
lui  a  été  longtemps  conservé  dans  les   sctes  publics. 

Le  Père  Lejeune,  dans  la  Relation  briève  du  Voyage  de 

la  Nouvelle- France,  fait  au  mois  d'avril,    1632,   (p.   7,  de 

l'édition  de  Québec,)  parle  de  cette  île  de  Saint-Laurent, 

sans  dire   d'où  elle  prend  ce  nom.    Le  Pè'^e   Charlevoix, 

Histoire  de  la  Nouvelle-France,   tome   i^'',  page    11,   édit. 

in-4,  nous  en  parle  en  ces  termes  : 

<•....  Huit  lieues  plus  haut  de  l'Isle-aux-Coudres,  Cartier 
en  trouva  une  plus  belle  et  plus  grande,  toute  couverte  de 
bois  et  de  vignes  :  il  l'appela  Isle  de  Bacchus,  mais  ce  nom 
a  été  changé  en  celui  d'Orléans.  Après  lui  sont  venus  des 
Normands  qui  ont  arraché  les  vignes,  et,  à  Bacchus,  ont 
substitué  Pomone  et  Cérès  :  en  effet,  elle  produit  de  bon 
froment  et  d'excellents  fruits,  m 


—  15  — 
On  commence  aussi,  en   1720,  à  y  cultiver  le  tabac  et  il 
n'est  pas  mauv'ais.     (Voir  Charlevoix,  Journal  historique 
d'un  voyage,  etc.,  lettre  II.) 

Au  printemps  de  1536,  Cartier  vint  ancrer  au-dessous 
de  l'Ile  d'Orléans,  ainsi  appelée,  dit-il,  en  l'honneur  d'un 
membre  de  la  famille  royale  de  France,  sans  faire  néan- 
moins mention  des  motifs  qui  ont  décidé  l'illustre  décou- 
vreur à  faire  ce  changfement.  Thévet,  Cosmographie  uni- 
verselle, livre  23,  p.  ICI  I,  est  le  premier  qui  nous  ait  révélé 
que  l'île  a  reçu  cette  dénomination,  en  Ihonneur  et  en  sou- 
venir du  feu  duc  d'Orléans,  mort  en  1575.  Il  nous  semble 
qu'il  est  plus  naturel  de  croire  que  le  marin  Breton,  mû 
par  un  sentiment  de  reconnaissance  envers  son  bienfai- 
teur, le  roi  François  i^'"',  a  voulu  appeler  l'île  du  nom  d'Or- 
léans pour  perpétuer  en  la  Nouvelle-France  le  souvenir 
de  la  maison  d'Orléans,  dont  descendait  l'illustre  mo- 
narque qui  l'avait  favorisé,  et  dont  il  avait  même  donné 
le  nom  à  d'autres  établissements,  comme  France-Frime, 
Mont-Royal,  etc.  Roberval  avait  aussi  établi  France-Roy. 
Cartier  avait  encore  nommé  Cap-Royal,  Cap-d'Orléans, 
et  autres  lieux,  d'après  les  noms  ou  les  titres  de  l'illustre 
bienfaiteur  qui  lui  donnait  des  marques  si  multipliées  de 
son  estime  et  de  sa  protection.     De  même,  le  sieur  De 


—  i6  — 

Monts,  lieutenant  du  Roi,  nomma  plus  tard  Port-Royal 
chez  les  Souriquois,  aujourd'hui  appelés  Micmacs.  Il  serait 
plus  correct  de  dire  que  Jacques  Cartier,  qui  avait  fait  un 
voyage  en  Canada  en  1541,  eut  la  qualité  de  lieutenant  du 
sieur  de  Roberval  à  qui  le  roi  donna  la  charge  de  lieute- 
nant-général de  toute  l'Amérique.  Et,  en  1542,  le  sieur  de 
Roberval  vint  en  personne  au  Canada,  avec  six  vaisseaux 
bien  équipés  de  toutes  choses  nécessaires,  et  fit  une  habi- 
tation à  une  isle  près  Québec  qu'il  nomma  l'Isle  d'Or- 
\éains.-{MénKnres  des  Commissaires  du  Roy^  tomeV,  p.  195.) 

III 

Première  concession  de  l'Ile  d'Orléans 

L'auteur  de  V Essai  sur  V Ile  d" Orléans ,  p.  6,  affirme  qu'elle 
faisait  d'abord  partie  de  la  seigneurie  de  Beaupré,  et  qu'elle 
fut  concédée  par  la  compagnie  de  la  Nouvelle-France  au 
sieur  Castillon,  le  15  janvier,  1636.  Nous  allons  essayer 
d'éclaircir  ce  point. 

Antoine  Cheffault,  sieur  de  la  Regnardière,  d'abord  avo- 
cat au  parlement  de  Paris,  demeurant  en  la  paroisse  de 
Saint-Jean-en-Grève,  rue  Sainte-Croix  de  la  Bretonnière, 
plus   tard    secrétaire    de   la   compagnie    de   la    Nouvelle- 


-if- 
France,   et  résidant  à  Québec,  vers  1663,  fut  le  premier 
concessionnaire  de  la  terre  ou  seigneurie  appelée  cfe  Beau- 
pré,  parce  qu'on  y  avait  remarqué  des  prairies  très  éten- 
dues vers  le  Cap-Tourmente  et  en  deçà.      Le  gouverneur 
du   temps,   monsieur    de    Montmagny,    fut    chargé   de   le 
mettre  en  possession   de  cette  grande  étendue  de  terre. 
Aux  termes  de  ses  lettres  de  concession,  il  était  obligé  d'y 
établir,  tous  les  ans,  un  certain  nombre  de  familles.    Mais 
il  essaya  en  vain  d'amener  de  Frr.nce  une  colonie   afin  de 
mettre   en  culture  son    vaste   domaine.       L'entreprise  ne 
réussit  pas  ;  ses  affaires  mênies  en  souffrirent  ;  il  négligea 
Sa  Seigneurie,  et  fut  de   plus  obligé   de  s'en  défaire,  après 
avoir  vainement  tenté  de  la  faire  exploiter  par  une  asso- 
ciation de  marchands.     Voilà  ce  que  constatent  les  docu- 
ments que  nous  avons  sous  les  veux. 

Le  sieur  Jacques  Castillon,  bourgeois  de  Paris,  demeu- 
rant rue  de  Monceaux,  paroisse  Saint-Gervais,  (voir  /e 
Mercure  Français,  tome  XIV,  p.  246,)  fut  un  des  premiers 
associés  de  la  compagnie  de  la  Nouvelle-France,  et,  pour 
promouvoir  l'œuvre  de  la  colonisation  avec  plus  de  célé- 
rité, il  prit,  en  effet,  en  concession,  l'Ile  d'Orléans,  au  bu- 
reau de  la  compagnie,  le  15  janvier,  1636.  [Mémoires  des 
Commissaires,  tome  V,  page  88.)     Ni  Fun  ni  l'autre  de  ces 


—  là  — 

titres  de  concession  ne  fait  mention  de  l'union  de  la  sei- 
gneurie de  Beaupré  à  celle  de  l'Ile  d'Orléans  ;  bien  loin  de 
là,  les  deux  concessionnaires  prennent  chacun  un  titre 
séparé  et  distinct,  le  même  jour. 

Cependant,  plus  tard,  MM.  Cheffault  et  Castillon  ayant 
formé  une  société,  avec  six  autres  bourgeois  de  Paris, 
savoir  :  F'rançois  P'ouquet  et  Charles  de  Lauzon,  conseil- 
lers d'Etat  ;  Berruyer,  écuyer,  sieur  de  Manselmont,  Rogé 
Duhamel  et  Juchereau  (a),  pour  l'exploitation  des  terres  et 
forêts  de  ces  seigneuries,  le  faible  profit,  qui  en  provenait 
annuellement,  était  partagé  en  huit  parts.  Olivier  le  Tardif, 
jeune  homme,  originaire  de  Honfleur,  sous-commis,  qui, 
dès  1624,  servait  de  truchement  à  Champîain, — Voir  Voya- 
ges  de  Champîain,  t.  II,  chap.  2  ad  caicem,— était,  en  1650, 
agent  et  procureur  de  la  compagnie  de  Beaupré,  qui  pos- 
sédait alors  les  deux  seigneuries  de  Beaupré  et  d'Orléans. 
Enfin,  en  1653,  Jean  de  Lauzon  était  "  procureur  de  la 
compagnie  et  en  baillait  les  terres." 

Ces  fiefs  avaient  reçu  leurs  noms  des  premiers  proprié- 
taires de  l'Ile  et  des  personnes  qu'ils  s'étaient  associées 
et  que  nous  avons  mentionnées  plus  haut.  Dès  qu'ils 
eurent  acquis,  de  la  compagnie  du  Canada,  la  propriété  de 

(a)  Juchereau  était  alors  à  Paris,  mais  il  était  passé  en  Canada  dès  1634  ;  il 
y  revint  et  y  mourut  à  l'âge  de  go  ans. 


"-  19  — 
rile  et  de  la  seigneurie  de  Beaupré,  MM.  Cheffault  et 
Castillon  déclarèrent,  par  acte  du  29  février,  1636,  qu'ils 
avaient  obtenu  cette  concession  pour  eux-mêmes  et  pour 
MM.  François  Fouquet  et  autres  ci-dessus  mentionnés. 
C'est  cette  compagnie  de  Beaupré  et  d'Orléans  qui,  par 
ses  agents  et  procureurs,  concéda  les  premières  terres  dans 
les  différentes  circonscriptions,  seigneuries  ou  fiefs,  que 
chacun  des  propriétaires  secondaires  avait  désignés  sous 
des  noms  de  familles  qui  faisaient  revivre  en  la  Nouvelle- 
France  le  souvenir  de  lieux  chers  à  ces  grands  seigneurs 
ou  à  ceux  qui  s'y  rendaient  pour  y  faire  des  établissements. 
On  a  vu  que  les  premiers  associés  n'entrevoyant  plus 
les  gros  profits  qu'ils  avaient  espérés  de  l'établissement 
de  ces  grands  domaines,  renoncèrent  à  leurs  droits  de 
1662  à  166S,  en  faveur  de  M'^nseigneur  de  Laval.  DéjA 
plusieurs  des  propriétaires  primitifs  avaient  vendu  leurs 
parts  ou  les  avaient  aliénées  pour  des  considérations 
diverses. 

Lorsqu'en  1662,  au  mois  de  février,  Monseigneur  de 
Laval  acheta  du  sieur  Julien  Fortin  de  Belle-Fontaine  un 
huitième  de  la  propriété  de  la  seigneurie  de  Beaupré  et  de 
l'île  d'Orléans,  celui-ci  déclara  l'avoir  acquise  de  Charles 
de  Lauzon,  écuyer,  seigneur  de  Charny. 


■—26  — 

En  1664,  au  mois  d'août,  Sa  Grandeur  l'évêque  de  Pétrée 
acheta,  moyennant  la  somme  de  2,400  livres  tournois,  de 
MM.  Aubert  de  Lachenaye  et  Charles  Bazire,  marchands 
de  la  dite  ville  de  Québec,  un  quart  de  la  seig^neurie  de 
Beaupré  et  de  l'île  d'Orléans.  Il  est  dit  que  ces  messieurs 
représentent  Jean  Rozée  de  Saint -Martin,  fils  de  Jean 
Rozée,  un  des  premiers  associés  de  MM.  Cheffault  et  Cas- 
tillon.  Cependant,  dans  l'acte  de  société,  du  29  février 
1636,  Jean  Rozée  ne  représentait  qu'un  huitième  de  la 
propriété. 

La  veuve  de  F"rançois  Fouquet  avait  fait  donation,  aux 
Dames  de  l'Hôtel- Dieu  de  Québec,  de  son  huitième  de 
la  seigneurie  qu'elle  avait  reçue  de  son  mari.  Plus,  tard  le 
sieur  Charles  Aubert  de  Lachenaye  acheta  cette  propriété 
et  la  revendit,  en  août  1664,  à  M^r  de  Laval.  Le  même 
bourgeois  vendit,  aussi  le  même  jour,  à  mon  dit  Seigneur 
de  Pétrée,  un  autre  huitième  de  cette  seigneurie  qu'il  avait 
acquis  du  sieur  Olivier  Le  Tardif,  déji'i  mentionné. 

Ce  Le  Tardif  n'était  pas  un  des  huit  associés  pour  l'éta- 
blissement de  l'Ile  ni  de  la  Seigneurie  de  Beaupré,  ma's  il 
avait  acheté,  de  MM.  Cheffault  et  ses  associés,  la  part 
d'un  des  co-propriétaires  qui  se  refusait  de  contribuer  aux 


—  21  

déboursés  que  né::essitaient  les  dépenses  pour  divers  tra- 
vaux, quand  il  en  était  requis  par  les  gérants. 

Charles  Duhamel,  probablement  fils  de  Jacques  Duha- 
mel, l'un  des  seigneurs  primitifs  associés  k  MM.  Cheffault 
et  Castillon,  vendit  aussi  la  part  qui  lui  revenait  de  la  suc- 
cession de  son  père,  probablement  an  huitième,  ;\  M^'^  de 
Laval,  le  20  août  1664.  Cette  vente  fut  négociée  pareille- 
ment par  M.  Aubert  de  Lachenaye. 

Enfin,  c'est  en  1668,  au  mois  de  février,  que  la  veuve 
de  S'  Georges  Berruyer,  DUe  Denyse  Langlois,  vendit  au 
même  prélat  In  part  de  son  époux.  Le  môme  jour.  Sa 
Grandeur  avait  aussi  acheté  de  S'  Antoine  Cheffault  ses 
droits,  propriété  et  prétentions  sur  îj  dernier  huitième  des 
seigneuries  de  Beaupré  et  d'Orléans.  L'acte  en  fut  conclu 
et  passé  h.  Paris,  entre  les  vendeurs  sus-mentionnés  et  les 
procureurs  de  l'Evéque. 

Le  peu  de  succès  que  rencontrèrent  leurs  efforts,  a\  ait 
ainsi  décidé  tous  les  associés  h  vendre  leurs  parts,  les  uns 
après  les  autres.  M^^''■  de  Laval,  le  nouvel  acquéreur,  en 
dota  de  suite  le  Séminaire  de  Québec,  qu'il  fondait  vers 
cette  même  époque.  C'est  k  peu  près  aussi  dans  le  même 
temps  que  cet  entreprenant  et  zélé  pontife  fondait,  à  .S:»int- 
Joachim,  une  école,  où  les  enfants  des  colons  «^ui  voulaient 


—  22  — 

se  livrer  à  l'agriculture,  apprenaient,  avec  la  lecture,  l'écri- 
ture et  le  calcul,  la  manière  de  cultiver  les  terres,  d'exploi- 
ter les  bois  de  construction  et  même  quelques  autres  mé- 
tiers.   (De  la  Tour,  Mémoires^  etc.) 

L'Ile  d'Orléans  fut  bientôt  occupée.  Cette  assertion,  les 
écrivains  la  justifient  par  un  extrait  de  la  Relation  des 
RR.  PP.  Jésuites,  année  1663,  que  nous  reproduisons  : 

"  L'Isle  d'Orléans  est  remarquable  par  sa  grandeur, 
ayant  plus  de  quinze  lieues  de  tour.  Elle  est  abondante 
en  grains,  qui  y  viennent  de  toutes  sortes,  et  avec  tant  de 
facilité  que  le  laboureur  le  fait  (,  grattt,r  la  terre,  qui 
ne  laisse  pas  de  lui  donner  tout  ce  qu'il  veut  ;  et  cela 
durant  quatorze  ou  quinze  ans  continuels,  sans  avoir 
reposé.  " 

Puis  .-"i  la  fin  du  paragraphe  suivant,  l'auteur,  le  Révé- 
rend Père  Jérôme  Lalemant,  ajoute  : 

"  Cette  belle  Isle  d'Orléans  continue  à  se  peupler  d'un 
bout  ;'i  l'autre.  .  .  .  -> 

Quelques  extraits  \\\x  Journal  des  Siipénvurs  de  la  maison 
(les  /l'xa/les  de  Oiiéhee,  plus  explicites  encore,  trouvent 
naturellement  leur  place  ici. 

Sous  la  date  du  22  juin  1646,  on  y  lit  :  "  Le  Père  Bar- 
thélémy V'imont  va,  à  l'isle  d'Orléans,  choisir  des  prairies 
pour  les  deux  maisons  religieuses,  >• 


—  23  — 
14  janvier,  1648. — "  Le  Rév.  Père  de  Quen  est  de  retour 
de  la  mission  de  Beauport,  du  Cap  Tourmente  et  de  l'Isle 
d'Orléans.      Il  y  trouve  environ  240  communiants,  u 

3  juillet,  1653. — "  Bénédiction  de  la  chapelle  de  l'Isle 
d'Orléans,  sous  le  vocable  de  la  Visitation  de  la  Bienheu- 
reuse Vierg;e  Marie,  par  le  Révérend  Père  Jérôme  Lale- 
mant.  n 

4  novembre,  1665. — "  L'Evêque  va  en  visite  à  '"Isle 
d'Orléans,  n 

Déjà,  en  1662,  il  avait  visité  la  côte  de  Beaupré.  E!t, 
probablement,  il  revint  à  la  ville  épiscopale  en  passant 
par  l'île  d'Orléans.  L'intendant  Talon,  qui  déploya  un  si 
^rand  empressement  à  faire  défricher  et  k  multiplier  les 
établissements  en  Canada  et  notamment  h  Québec  et  dans 
ses  environs,  n'eût  garde  de  négliger  l'ile  d'Orléans. 
Aussi,  du  recensement  général  de  1666,  il  appert  que  si  la 
population  de  la  ville  était  de  1655  personnes,  elle  attei- 
gnait le  chiffre  de  471  dans  l'Isle.  Le  Rév.  Père  de  Char- 
levoix,  dans  son  Histoire  de  la  Xoiivel le- Fni tnw  tome  III, 
page  67,  donne  à  l'Ile  d'Orléans  quatorze  lieues  de  tour. 
Avant  lui,  Boucher,  dans  son  Histoire  Xtitnrelle  et  vérita- 
ble du  Canada^  lui  avait  assignée  une  étendue  plus  grande. 
Voici  comment  il  s'exprime  ; 


—  24  — 

"  Une  lieue  au-dessous  de  Québec,  la  rivière  se  sépare 
en  deux,  et  forme  la  belle  isle  qu'on  appelle  Isle  d'Orléans. 
Elle  a  environ  dix-huit  lieues  de  tour,  dans  laquelle  il  y  a 
plusieurs  habitans.  ti 

Remarquons  que  le  capitaine  Boucher  écrivait  en  1663  : 

"  Les  terres  y  sont  bonnes,  ajoutait-il,  il  y  a  aussi  quan- 
tités de  prairies  le  long  de  ses  bords .1 

Jacques  Cartier  lui  assignait  des  bornes  encore  moins 

acceptables  :  dix  lieues  de  long  sur  cinq  de  large  ! 

La  Hontan,  qui    n'est  pas    des  mieux    renseignés,    lui 

donne  sept  lieues  de  long  sur  trois  de  large  !   Et  il  ajoute, 

dans  ses  Mémoires  de  V Amérique,  tome  i"', lettre  3'',  "  que 

cette  île  appartient  à  un  fermier-général  de  F'rance,  qui  en 

retireroit  mille  écus  de  rente,  s'il  la  fesait  valoir  lui-même  ; 

qu'elle  est  toute  entourée  d'habitations   et  qu'il  s'y 

recueille  toutes  sortes  de  grains."  Notons  que  La  Hontan 

écrivait  en  1684. 

Le  colonel  Bouchette,  dont  les  travaux  sont  si  précieux, 

dans  sa  Topographie  du   Canadd,  publiée  en   181 5,  donne 

h  l'île   d'Orléans   vingt    milles    en  longueur,   sur  cinq  de 

largeur.     Cependant,   si    nous   ouvrons   son   autre    grand 

ouvrage,    Topographical  Dictiomiry,  de    1830,  il  n'accorde 

à  la  même  île  que  dix-neuf  milles  et  demi  en  longueur,  sur 

cincj  et  demi  en  largeur. 


2! 


IV 


Mgr  de  Laval  en  possession  de  l'Ile 

Relation  de  ce  qui  s'est  passé  avant  l'opération — De  Berthelot — 
Les  familles  Gaillard,  Duchesnay  et  Durocher. 

Nous  avons  dit,  plus  haut,  qu'entre  les  années  1662  et 
1668,  la  propriété  de  l'île  d'Orléans  passa  aux  mains  de 
Monseig-neur  de  Laval-Montmorency,  qui  l'acheta  et  la 
donna  au  séminaire  de  Québec. 

Il  fallut  avoir  égard  aux  divers  intérêts  des  associés  de 
la  compagnie  de  Beaupré,  dans  les  arrangements  qui  furent 
pris  avec  eux,  par  l'Evéque,  et  c'est  k  ce  partage  de  por- 
tions de  revenus,  mais  non  pas  de  parts  dans  la  seigneurie 
que  fait  allusion  le  contrat  de  donation  du  28  mars,  1674, 
et  surtout  le  titre  donné,  le  28  mars,  môme  année,  h  Mon- 
seigneur rKvcquc,  et  enregistré  aux  archives  de  Québec, 
au  cahier  ou  registre  des  actes  de  F^oi  et  Hommage,  sous 
le  N»  100,  le  15  juin,i68i,  intitulé  :  "  Lettres  d'affranchis- 
sement et  règlement  de  la  seigneurie  de  Beaupré  et  de 
celle  de  l'isle  d'Orléans.  " 

Muni  de  cet  acte.  Monseigneur  de  Laval  put  transiger 
avec  M.  Berthelot,  qui  le  pressait  d'effectuer  un  échange 


—  2b  — 

avec  lui.  L'évêque  de  Québec,  au  nom  du  séminaire  dont 
il  était  le  fondateur,  changea,  en  effet,  l'île  d'Orléans,  avec 
maître  François  Berthelot,  conseiller  au  parlement  de  Paris, 
pour  l'île  Jésus.  L'acte  d'échange  fut  passé,  à  Paris,  par 
MM.  Duparc  et  Carnot,  le  24  avril,  1675.  (a) 

Ainsi,  l'île,  qui  avait  été  antérieurement  partagée  en 
fiefs  et  arrière-nefs,  reprit  son  unité  primitive  et  le  pro- 
priétaire n'eut  plus  k  compter  avec  ceux  de  l'Ile  Jésus,  ni 
avec  les  anciens  seigneurs  de  la  côte  de  Beaupré.  Elle 
fut  érigée  en  fief  noble,  sous  le  nom  de  Comté  de  Saint- 
Laurent,  selon  Charlevcix,  ( Histoire  de  la  Nouvelle- France .^ 
tome  3,  p.  67,)  en  faveur  du  nouvel  acquéreur  François 
Berthelot,  secrétaire  général  de  l'Artillerie,  qualifié  ail- 
leurs de  secrétaire  des  commandements  de  la  Dauphine. 
Quelques  uns  pensent  que  cette  érection  n'eût  pas  lieu 
avant  1692.  L'extrait  suivant  de  l'arrêt  du  Roi,  érigeant 
rile  en  comté,  en  faveur  du  sieur  Berthelot,  "  nostre  con- 
seiller, et  secrétaire  général  de  l'Artillerie,  poudres  et  sal- 
pêtre de  France,  daté  du  mois  d'avril,  1676,  -1  décide  la 
contestation  péremptoirement.  Au  reste,  les  lignes  sui- 
vantes extraites  des  lettres-patentes  elles-mêmes  sont 
formelles.   Après  avoir  qualifié  la  dite  ile  de  comté  de  Saint' 

(a)  L'île  d'Orléans  valait  beaucoup  m'us,  aussi  M.  Berthelot  paya  çn  souUç 
au  séminaire  la  somme  de  25,000  francs, 


-^27  — 

Laurent,  il  est  dit  :  'i  Pour  le  dit  concessionnaire,  ses  héri- 
tiers mâles,  se  qualifier  comtes  de  Saint-Laurent  en  tous 
actes,  jouir  des  honneurs,  prérogatives,  armes,  blazons, 
rangs  et  prééminences  et  tout  ainsi  que  les  autres  comtes 
du  royaume.  " 

M.  Berthelot  obtint  les  titres  et  privilèges  de  Fief  Noble 
pour  son  île  de  Saint-Laurent,  érigée  en  comté,  'moyen- 
nant la  somme  de  dix  mille  écus  qu'il  paya  au  fisc.  D'ail- 
leurs, les  Recueils  (VEdits  et  Ordonnances  Royaux,  publiés 
officiellement,  contiennent  des  actes  concernant  les  habi- 
tants de  l'île  et  comté  de  Saint-Laurent,  dès  l'année  1689. 
Ajoutons,  néanmoins,  un  paragraphe  de  l'Edit  de  création 
qui  nous  expose  l'état  de  l'Ile  à  cette  époque  (1676)  : 

"  L'isle  a  sept  lieues  de  longueur  sur  deux  de  largeur, 
dont  une  bonne  partie  défrichée,  et  peuplée  de  plus  de 
mille  personnes,  qui  composent  quatre  grandes  paroisses, 
dans  lesquelles  il  y  a  une  église  entièrement  construite,  et 
deux  qui  seront  parfaites  et  achevées  dans  le  courant  de 
la  présente  année,  et  la  quatrième  dans  l'année  prochaine  : 
de  sorte  que  ce  sont  quatre  gros  bourgs  et  villages,  dès 
à  présent  formez,  outre  plusieurs  fiefs  considérables,  et 
de  grande  étendue  dans  la  dicte  Isle  d'Orléans  qui  relè- 
vent.  .  .  .de  la  seigneurie  de  la  dicte  isle  d'Orléans,  dési- 
rant reconnoistre  et  récompenser  les  services  de  Sieur.    .  . 


—  28  — 

avons  estimé  ne   le  pouvoir  faire  plus  avantageusement 
qu'en  érigeant  en  titre  de  comté  la  dicte  terre .  .  .  .  u 

Le  sieur  Berthelot,  dont  on  parle  ici  et  qu'on  trouve  ap- 
pelé ailleurs  "  de  Berthelot,  "  avait  épousé  une  demoiselle 
Regnault  de  Duchi  oud'Uchi,  qui  mourut  le  26  juin,  1702. 
MS''  de  Saint-Valier  {E^^tat  présent  de  V Eglise)^  le  mentionne 
avec  éloges  et  dit  qu'il  était  connu  dans  tout  le  Canada, 
par  son  zèle  pour  la  décoration  des  églises,  et  par  l'éta- 
blissement de  petites  écoles  pour  les  enfants.  Un  de  ses 
fils  avait  épousé  la  fille  du  mai'échal  de  Matignon.  Ceci 
nous  donne  occasion  de  mentionner  que  l'un  de  ses  fils, 
Louis,  prit  le  titre  de  Berthelot  de  Saint- Laurent  ;  le  second, 
François-Michel,  Ecuyer,  seigneur  de  Rebrousseau,  avait 
comme  son  frère  un  agent  ou  procureur  au  Canada. 
Aucun  des  descendants  de  ce  Seigneur  n'a  résidé  en  cette 
colonie. 

Un  mot  maintenant  sur  l'Ile  Jésus,  que  M^r  de  Laval 
venait  d'acquérir  pour  et  au  nom  du  séminaire  de  Québec. 

L'Ile  Jésus,  d'abord  appelée  Ile  de  Montmagny,  en  l'hon- 
neur du  gouverneur  de  ce  nom,  avait  été  concédée  le  3 
novembre,  1672,  par  l'intendant  Talon,  au  sieur  Berthelot, 
avec  les  îles  aux  Vaches.  {Titres  seigneuriaux,,  3«  vol.  p. 
75.)  Un  titre-nouvel,  plus  récent,  contient  les  renseign- 
ements suivants  ; 


—  ^9  — 

"  Le  tout  cédé  à  mon  dit  Sieur.  .  .  .  par  M.  Berthelot,  le 
24  avril,  1672,  lequel  M.  Berthelot  en  était  propriétaire 
au  moyen  de  la  cession  et  délaissement  qui  lui  avait  été 
faite  par  le  Rév.  Père  Dablon,  supérieur  des  missions  de 
la  compagnie  de  Jésus  en  ce  pays,  suivant  le  contrat  passé 
le  7  novembre  1672,  (par  Becquet,  N.  P.  à  Québec,)  en 
conséquence  de  la  concession  qui  lui  en  avait  été  faite  par 
M.  Talbot,  intendant  en  ce  pays,  le  27  octobre,  1676.  "   (a) 

Le  25  février,  1702,  M.  Berthelot  vendit  sa  seigneurie  à 
dame  Charlotte-Françoise  Juchereau,  de  la  famille  Du- 
chesnay.  Elle  portait,  suivant  l'auteur  de  V Esquisse  histo- 
rique, le  titre  de  comtesse  de  l'Ile  de  Saint-Laurent,  et  était 
l'épouse  non  commune  quant  aux  biens,  de  François  de 
la  Forest,  écuyer,  capitaine  d'une  compagnie  des  troupes 
du  détachement  de  la  marine  entretenues,  en  ce  pays,  par 
le  Roi  de  France.  Mais  ce  noble  et  brave  officier  ne  tire 
pas  son  illustration  de  son  alliance  avec  la  famille  Juche- 
reau. Parent  du  chevalier  de  Tonti,  il  prit  part  à  divers 
faits  d'armes  qui  enrichissent  nos  annales  et  fut  employé 
dans  diverses  négociations  importantes.  C'est  lui  qui  fut 
choisi,  après  un  combat  glorieux,  par  MM.  de  la  Duran- 
taie,  de  Tonti  et  du  Luth,  pour  porter  cette  heureuse  nou- 

(a)  (Extrait  du  tître  du  23  octobre,  1695,  d'une  nouvelle  concession  ratifiée 
le  2  mai,  1702.) 


—  vo- 


yelle au  marquis  de  Denonville,  gouverneur-général  de  la 
colonie,  (a) 

En  1705,  il  était  capitaine  d'une  compagnie  de  la  marine. 
D'Iberville  le  laissa,  en  1695,  gouverneur  du  fort  Bourbon, 
à  la  Baie  d'Hudson,  avec  son  frère,  le  brave  de  Navigny, 
pour  lieutenant.  (Voir  Charlevoix,  Histoire  de  la  Nouvelle- 
France,  tome  II,  p.  149,  édition  in-4'\)  Deux  ans  après, 
ils  furent  forcés  de  remettre  ce  fort  presque  démantelé  aux 
Anglais,  qui,  contrairement  aux  articles  de  la  capitulation 
stipulée,  les  firent  prisonniers  et  les  envoyèrent  en  Angle- 
terre, de  la  Forest,  Lemoyne,  d'Iberville  et  leur  troupe, 
où  ils  furent  retenus  pendant  quatre  mois.  De  retour 
au  Canada,  en  1700,  M.  de  la  Forest  continua  d'y  servir 
le  roi.  ( Ibid.  to7ne  11^  p.  165.)  Il  fut  subséquemment  un 
des  gouverneurs  de  Catarakouï,  et  partout  il  servit  les 
intérêts  et  la  cause  de  son  souverain  en  brave  et  en  héros. 

Le  7  décembre,  1705,  l'île  et  le  comté  de  Saint-Laurent 
d'Orléans,  furent  vendus  à  la  poursuite  du  dit  François 
Berthelot,  qui  en  reprit  possession,  conformément  aux 
conditions  de  la  vente  qu'il  avait  faite  k  la  dame  de  la 
Forest,  le  25  février,  1702.  Mais  il  ne  voulut  pas  la  con- 
server, les  frais  d'administration    en  absorbant    tous  les 

(a)  Lettre  de  M^jr  de  Saint- Valier  :  Estât  présent  de  l'Eglise  de  la  Nouvelle- 
Fiance,  p.  93,  édition  de  Québec. 


-3i-  . 
fevenlis.  Il  la  transporta,  le  20  mars,  171 2,  à  M.  Gaillard, 
k  Paris,  devant  maîtres  Henry  et  Dutartre,  pour  24,000 
francs,  argent  monayé  de  France.  De  la  famille  Gaillard 
elle  passa  aux  mains,  pour  partie,  de  la  famille  Durocher 
alliée  aux  Mauvide,  dont  les  héritiers,  à  leur  tour,  cédèrent 
leurs  droits,  à  l'exception  d'une  portion  de  l'extrémité 
nord-est,  propriété  de  M.  Poulin,  (a)  k  feu  Joseph  Dra- 
peau, écuyer,  dans  la  famille  duquel  elle  est  restée  jus- 
qu'aujourd'hui. 

M.  Guillaume  Gaillard,  qui  succéda  k  M.  Berthelot, 
conseiller  du  Roi  au  Conseil  Supérieur  de  Québec,  en 
171 2,  était  un  riche  marchand  de  cette  ville.  Il  avait  ag^i, 
pendant  plusieurs  années,  comme  procureur  de  M.  Ber- 
thelot, d'abord,  et  ensuite  de  ses  fils,  qui  étaient  devenus 
propriétaires  de  l'Ile,  par  la  mort  de  leur  père.  C'est 
d'eux  qu'il  l'acheta,  quand  ils  se  décidèrent  à  la  mettre  en 
vente,  (b)  Son  fils,  Jean-Baptiste  Gaillard,  signait  Gaillard- 
Saint-Laurent. 

(a)  Amable  Durocher  était,  jusque  vers  la  fin  du  siècle  dernier,  seigneur 
de  la  plus  grande  partie  de  l'Ile  d'Orléans.  I.e  lieutenant-colonel  Leconipte 
Dupré  avait  la  propriété  du  Hef  Argentenay,  au  bas  de  l'île. 

(b)  Guillaume  Gaillard  épousa  Marie-Catherine  Neveu.  Il  était  membre  du 
Conseil  Supérieur  de  Québec,  seif;neur  de  l'île  et  du  comté  Saint-Laurent. 
Son  fils,  Charles-François,  épousa  demoiselle  Le  Maître,  le  20  d'août,  1725. 
Dans  un  acte  de  Foi  et  Hommage,  fait  par  Guillaume  Gaillard,  il  déclare 
qu'il  est  propriétaire  de  la  motié  de  l'isle  et  du  comté  Saint-Laurent,  comme 
un  conquet  de  la  communauté  qui  a  existé  entre  lui  et  dame  Catherine  Neveu, 


—  32  — 

Son  fils,  M.  Joseph-Ambroise  Gaillard,  petit  fils  de  Guil- 
laume, ordonné  prêtre,  à  Québec,  par  Monseigneur  de 
Saint- Valier,  le  26  mai,  1726,  mort  curé  de  Saint-joseph 
de  Lanoraie,  le  2  avril,  1771,  avait  été  longtemps  chanoine 
de  l'église  cathédrale  de  Québec.  Il  avait  desservi  Sorel, 
puis  Lanoraie,  où  il  avait  succédé  à  M.  Bazile  Papin,  de- 
puis 1748  jusqu'à  sa  mort.  Son  âge  n'a  pas  été  mentionné 
dans  son  acte  de  décès.  En  1744,  il  était  Seigneur  de 
l'île  et  comté  de  Saint-Laurent.  Au  Recueil  des  Edits  et 
Ordontiances,  etc.,  publié  à  Québec,  se  trouve  un  arrêt  du 
Conseil  Supérieur  qui  oblige  les  censitaires  de  cette  île  à 
lui  présenter  leurs  titres  en  son  manoir,  afin  qu'il  qiCil pûi 
prêter  foi  et  hommage.     ( Edit.  et  Ord.  etc.,  i']4'/  et  suiv.J 

La  famille  Durocher  a  laissé  l'île  d'Orléans  depuis  envi- 
ron un  siècle,  pour  s'établir  dans  le  district  de  Montréal, 
où  elle  s'est  beaucoup  multipliée.  Le  respectable  curé  de 
Saint-Mathieu  de  Belœil,  le  Révd  Père  Durocher,  de  la 
Congrégation  des  Oblats  de  Marie  Immaculée,  ses  deux 
frères  prêtres,    dont  l'un   est  décédé  en  mai,    1852,    leur 

Il  fait  ensuite  un  état  de  sa  famille,  énumère  ses  enfants  :  Charles-François, 
34  ans,  Ambroise,  23,  Jean-Baptiste,  ig,  qui  sont  propriétaires,  ajoute-il,  de 
l'autre  motié  de  l'île.  Cependant  nous  lisons  au  Registre  de  Saint-Antoine 
de  la  Rivière  du  Loup,  année  1719  :  Dimanche,  22  janvier,  1719,  fut  marié 
Charles-François  Gaillard,  fils  de  M.  Guillaume  Gaillard,  seigneur  de  l'Ile  et 
comté  de  Saint-Laurent,  conseiller  du  Roy  au  Conseil  Supérieur  et  de  dame 
Catherine  Neveu,  d'une  part,  et  demoiselle  Le  Maître,  fiile  de,  etc. 


sœur,  Révérende  Sœur  Eulalie  Durocher,  une  des  fonda- 
trices de  la  Communauté  des  Sœurs  des  SS.  NN.  de  Jésus 
et  de  Marie,  descendent  des  familles  Durocher  de  l'île 
d'Orléans.  Elle  s'établit  à  Saint  -  Antoine  de  la  rivière 
Chambly,  avec  bon  nombre  d'autres  familles,  qui  y  immi- 
grèrent au  même  temps,  et  dont  plusieurs  conservent  en- 
core des  rapports  bien  étroits  avec  les  bons  insulaires. 
M.  l'abbé  Alexis  Durocher,  premier  directeur  du  collège 
de  Nicolet,  en  1804,  et  décédé  à  la  Pointe-aux-Trembles, 
dans  l'île  de  Montréal,  était  aussi  un  des  descendants  des 
seigneurs  de  l'île  d'Orléans.  Il  est  mort  au  mois  de  juin, 
1835. 


V 


DES   DIVISIONS   DE   L'ILE 

Fiefs  et  Paroisses — Recensent ent. 

La  Seigneurie  de  l'île  d'Orléans  se  divise  aujourd'hui  en 

plusieurs  fiefs  et  arrière-fiefs,  qui  reconnaissent  un  seigneur 

primitif.      Il  est  arrivé  même  qu'un  seul  seigneur  a  acquis 

plusieurs  des  petits  fiefs.    Les  fiefs  de  Beaulieu,  de  la  Gro- 

sardière,   de        Chevalerie,  de  la  Tesserie,  de  la  Regnar- 
3 


^  34  — 
dièrcj  d'Argentenay  (a),  de  Mesnu   et  autres,   composent 
les  domaines  de  la  famille  Gourdeau,  des  héritiers  Drapeau 
et  de  la  succession  Poulin,  etc. 

Le  fief  de  Beaulieu,  possédé  sans  interruption  depuis 
plus  de  200  ans  par  la  famille  Cîourdeau  de  Beaulieu,  en 
remontant  jusqu'au  premier  concessionnaire,  Jacques  Ciour- 
deau  de  Beaulieu,  père,  et  Jacques  Gourdeau,  lils,  négo- 
ciant à  Québec  au  commencement  du  siècle  dernier,  se 
compose  d'une  étendue  de  terre  de  quarante  arpents  de 
front,  au  nord  de  l'île  d'Orléans,  sur  toute  la  largeur  de  la 
dite  Ile.  . 

Le  fief  ou  plutôt  l'arrière-fief  de  la  Grosardière  a  aussi 
appartenu  à  la  famille  Gourdeau.  Aujourd'hui,  il  est  la 
propriété  des  héritiers  Drapeau. 

Le  fief  de  la  Regnardière  n'a  que  quinze  arpents  de  front. 
Il  a  été  concédé  le  6  novembre,  1661. 

Le  fief  de  la  Chevalerie  a  été,  pendant  un  grand  nom- 
bre d'années,  possédé  par  la  famille  Ri  vérin.  Il  p.ppartient 
aujourd'hui  aux  héritiers  Drapeau.  ^ 

Ajoutons  que  le  fief  Mesnu  prend  son  nom  de  Jean-Bap- 
tiste Peux  rct,  sieur  de  Mesnu,  procureur  fiscal  à  Québec; 

(a)  Arj^tMitenay.  nom  d'un  petit  bours  en  Chmipapne,  aujourd'hui  départe- 
ment lie  l'Yonne. 


—  35  — 
nommée  cet  emploi  par  la  Compag^nie  des  Indes  Occiden- 
tales, dès  le  ic  mai,  1666. 

Il  serait  superflu  d'entrer  dans  de  plus  ^«-rands  détails 
concernant  chacune  de  ces  divisions  territoriales.  Si  ces 
fiefs  eussent  été  plus  considérables,  chacun  d'eux  aurait 
été  constitué  en  paroisse  distincte,  pourvu  d'une  église  et 
d'autres  édifices  publics  ;  car  jusqu'ici  on  n'a  pas  connu 
en  cette  province  d'autre  circonscription  que  la  paroisse 
d'abord,  puis  plus  tard  le  tozviiship  (canton).  Mais  après 
tout,  qu'importe  le  nom,  puisque  chaque  paroisse  avait  son 
système  de  voierie,  sa  desserte  religieuse,  ses  officiers 
publics  et  tout  ce  que  requérait  le  bon  fonctionnement  des 
lois,  pour  la  sûreté  et  la  tranquillité  des  individus  ?  Au 
reste,  l'île  d'Orléans  ayant  l'avantage  d'être  à  la  proximité 
de  la  ville,  du  centre  des  aft'aires  du  district,  ces  circons- 
tances, jointes  surtout  aux  bonnes  dispositions  des  insu- 
laires, ont  toujours  rendu  facile  au  milieu  d'eux  le  bon 
fonctionnement  dos  lois. 

Avant  de  rappeler  l'histoire  succincte  et  séparée  de  cha- 
cune des  paroisses  de  l'Ile,  nous  allons  donner  quelques 
statistiques  sur  sa  population  et  se^  produits,  en  général. 
Si  nous  adoptions  les  opinions  émises  par  lord  Sinclair, 
sur  ce  sujet,  ni>us  feriiMis  des  pages  plus  coirjplètes.      Le 


-36- 
tloble  Lord  voulait  qu'on  énumérât,  sous  le  titre  de  Statis- 
tique, tout  ce  qui  se  rattache  k  la  somme  de  bonheur  dont 
jouit  le  fermier,  sur  le  lot  que  la  fortune  lui  a  assi«-né.  Le 
lecteur  sent  bien  que  nous  n'avons  pas  les  moyens  d'en- 
treprendre lui  pareil  travail.  Aussi,  nous  nous  contenterons 
de  donner  les  renseii^nements  les  plus  usuels  et  les  plus 
nécessaires  pour  donner  une  idée  aussi  juste  que  possible 
de  la  fertilité  de  son  sol  et  de  l'industrie  de  ses  habitants. 

Plusieurs  rappctrts  contenus  dans  les  documents  pubHcs 
démontrent  que,  depuis  long-temps,  la  superficie  de  l'Ile 
ne  peut  suiiire  à  sa  population.  Située  à  peu  de  distance 
de  la  capitale,  où  l'écoulement  des  denrées  qu'elle  produit 
est  très  facile  en  toutes  saisons,  on  comprend  que  la 
nécessité  seule  a  pu  forcer  quelques  uns  de  ses  cultiva- 
teurs iise  détacher  de  leurs  familles,  et  à  chercher  fortune 
ailleurs.  Heureux  encore,  si,  comme  tant  d'autres,  ils  ne 
sont  point  allés  demander  à  l'étranger  le  pain  que  le  tra- 
vail et  l'économie  devaient  leur  pr5curer  dans  leur  propre 
pays  ! 

Kn  1666,  suivant  un  recensement  fait  par  ordre  de  l'in- 
tendant Talon,  la  popuhition  totale  de  l'île  d'Orléans  se 
montait  A  471  personnes. 

En   1814,  '«i   population  totale  de   l'île   d'Orléans  était 


—  37  — 
estimée  à  4,000,  nous  dit  le  colonel  Bouchette.  (Topogra- 
phie du  Canada.)  Douze  ans  plus  tard,  elle  atteignait 
5,000,  chiffre  qui  paraissait  exagéré.  Le  colonel  Bouchette, 
répondant  aux  investigations  faites  par  i 'Assemblée  Légis- 
lative, en  1824,  dans  le  but  de  faire  un  nouveau  partage 
de  la  province  on  collèges  électoraux,  afîlrma  que  la  popu- 
lation totale  de  l'île  d'Orléans,  qu'on  se  préparait  ;\  ériger 
en  circonscription  électorale  distincte  et  séparée  de  la  cote 
du  Nord,  s'élevait  A  4,082  âmes.  En  1851,  elle  atteignait, 
d'après  un  relevé  officiel,  4.330,  et,  d'après  le  recensement 
de  1852,  elle  ne  dépassait  pas  4,416. 

Depuis  dix  ans,  cette  population  a  reçu  un  accroissement 
peu  considcrable.  Le  dernier  recensement  îa  porte  ;'i  4,^37 
Ames. 

Voici  quels  étaient  les  autres  chiffres  du  recensement 
de  l'île  d'Orléans,  en  1827,  quant  aux  produits  agricoles  : 
blé,  31,924  minots  ;  avoine,  20,896;  orge,  2,605;  pois, 
16,500;  seigle,  3,165;  sarrasin,  2,500;  blé  d'inde  315; 
grains  mêlés,  2,105;  patates,  iof>,o65  ;  filasse,  115  ton- 
neaux. Hnfui,  on  y  avait  mis  11,939  arpents  de  terre  en 
labour,  et  27,o<ji  arpents  en  prairies.  En  tout,  39,000 
arpents  de  terre  étaient,  cette  année-Ift,  expliMt^e  par  l'ii  - 
Uustrie  du  fermier, 


-38-  "" 
En  1852,  le  recensement  de  la  population  et  des  produits 
agricoles  de  l'île  d'Orléans  donnait  un  résultat  encore  plus 
satisfaisant.  Nul  doute  que  ces  chiflfres  seraient  beaucoup 
plus  considérables,  si  on  parvenait  k  se  dépouiller  devant 
le  commissaire  recenseur  de  tout  sentiment  de  défiance  et 
de  soupçon  ;  et  si  on  voulait  comprendre,  combien  il  est 
important  de  faire  connaître  exactement  nos  ressources  et 
nos  moyens,  de  nous  compter,  pour  ainsi  dire,  et  d'affir- 
mer ainsi  la  nationalité  canadienne. 

Les  autres  recensements,  qui  ont  eu  lieu  à  des  dates  plus 
récentes,  constatent  que  la  culture  a  continué  de  s'améliorer 
en  beaucoup  d'endroits  et  que,  par  suite,  la  culture  des 
terrains  des  insulaires  a  donné  un  rendement  plus  consi- 
dérable. L'élevage  des  animaux  a  aussi  obtenu  des  succès 
qui  démontrent  que  les  cultivateurs  commencent  h  aban- 
donner les  vieilles  routines  du  passé  pour  adopter  les  mé- 
thodes nouvelles  qui  ont  dcjh  produit  ailleurs  des  résultats 
aussi  satisfaisants  que  profitables. 


39 


VI 


Fief  de  Beaulieu 

Site  superbe — L'Arbre  sec — La  S.  Joseph,  feu  d'artifice — Gourdeau 

de  Beaulieu  et  Eléonore  de  Grand-^L'lison   -Il  brûle  vif 

dans  sa  maison,  incendiée  par  un  valet — 

Supplice  de  ce  dernier. 

Le  joli  groupe  de  maisons  qui  frappent  le  premier  les 
regards  du  voyageur,  h  l'extrémité  sud-ouest  de  l'Ile,  se 
trouve    compris  dans  le  fief  de  Beaulieu,  et  fait  partie  de 
la  paroisse  de  Saint-Pierre.      Le  point  le  plus  éle\  é  de  la 
rive,    est  l'endroit  qu'occupait  autrefois  l'église  de  cette 
paroisse,  à  environ  une  lieue  et  un  quart  du  bout  de  l'île. 
Le  coup   d'oeil,  en  ce  lieu,  est  magnifique  et  enchanteur. 
L'église  de  Saint-Pierre  fut  construite  d'abord,  à  l'endroit 
appelé  Wlrdfr-srr,  et,  par   suite,    la   paroisse   porta   long- 
temps,   la    dénomination    de    Saint-Pierre  de  l'Arbre-sec. 
Cette  église  a  depuis  été  transportée  ailleurs,  sur  une  élé- 
vation qui    portait    nom  /rs  Coteaux.    Vis-/i-vis,   mais   du 
côté  sud,  se   trouve    l'anse  appelée    Tfou   Saint  -  Patrice* 
Cette  anse  est  mentionnée  sous  cette  dénomination  sur  la 
carte  du  sieur  de  Villeneuve,  injjénieur  du  roi,  dressée  en 
1689. 


-40  — 

Le  fief  de  Beaulieu,  qui  occupe  une  longueur  de  qua- 
rante arpents,  sur  toute  la  larg-eur  de  l'île,  fut  primitive- 
ment concédé  par  Jacques  Gourdeau,  écuyer,  sieur  de 
Beaulieu,  le  ler  mars,  1652.  Outre  plusieurs  qualités  qui 
faisaient  de  lui  un  brave  gentilhomme,  le  sieur  Gourdeau 
était  un  habile  artificier.  Nos  anciennes  chroniques  nous 
en  conservent  un  bon  témoignage.  (  Relations  des  Jésuites^ 
armée  lôj'j.  )  C'était  à  l'occasion  de  la  fête  de  Saint  Joseph, 
père,  patron  et  protecteur  de  la  Nouvelle-France.  On  sait 
que  nos  pères  la  considéraient  comme  l'une  des  plus  gran- 
des solennités,  et  qu'ils  n'épargnaient  rien  de  ce  qui  pou- 
vait en  réhausser  l'éclat.  Citons  une  page  qui  ne  peut 
qu'intéresser  la  curiosité  du  lecteur. 

"  D'vn  costé  on  avait  dressé  \n  pan,  sur  lequel  parois- 
sait  le  nom  de  saint  Joseph  en  lumières  ;  au-dessus  de 
ce  nom  sacré  brilloient  quantité  de  chandelles  ;\  feu  d'où 
partirent  dixe-huict  ou  \  ingt  petits  serpenteaux,  qui  firent 
merveille.  On  auoit  mis  derrière  cette  première  inuention 
quatorze  grosses  fusées,  qu'on  fit  enleuer  les  \nes  après 
les  autres,  a\ec  l'estonnement  des  François  et  bien  plus 
des  saunages,  qui  n'auoient  iamais  rien  \  eu  de  semblable  ; 
ils  admiraient  la  pluie  d'or,  ou  de  feu,  et  les  estoiles 
retomboient  de  fort  haut.  I.e  feu  des  fusées  se  portant 
tantost  tout  droit,  maintenant  comme  en  arcade,  et  tou- 
iours  bien  haut  dedans  l'air. 

•'  Assez  proche  de  là,  on  auoit  dressé  vn  petit  chasteau, 


—  41  — 

fort  bien  proportionné  et  enrichi  de  diverses  couleurs  ;  il 
estoit  flanqué  de  quatre  tourelles  remplies  de  chandelles  k 
feu,  qui  fesoient  voir  par  leur  clarté  toute  cette  petite 
batterie  à  descouvert.  Il  y  auoit  à  l'entour  de  cette  ma- 
chine seize  g-rosses  lances  à  feu,  reuestues  de  saussissons. 
Aux  quatre  coins  d'icelle,  on  voioit  roues  mouvantes  et 
vne  autre  plus  grande  au-dessus  du  chasteau,  qui  tour- 
nait à  l'entour  d'vne  croisée  à  feu,  esclairée  de  quantité 
de  chandelles  ardentes  qui  la  faisoient  paroistre  comme 
toute  couverte  de  diamans.  De  plus,  on  avoit  mis  <i  l'en- 
tour de  cette  forteresse  en  égale  distance,  quatre  grosses 
trompes  d'où  l'on  vit  sauter  treize  douzaines  de  serpen- 
teaux sortant  six-ii-six  avec  vne  iuste  distance  et  quatre 
douzaines  de  fusées,  qui  se  dévoient  jiilover  douze  à  la 
fois." 

M.  de  Beaulieu  était  mariée»  demoiselle  Eléonore  Grand- 
Maison,  veuve  de  M.  Bondies,  sieur  de  Beauregard.  Vers 
1660,  mademoiselle  de  Grand-Maison  épousait,  en  secondes 
noces,  h  Québec,  Fram^'ois  de  Chavigny,  écuyer,  sieur  de 
Berchereaux. 

La  maison  qu'occupait  le  sieur  Gourdeau  de  Beaulieu, 
était  bâtie  eu  pierres  ;  elle  était  longue,  mais  basse  et 
située  ;i  gauche,  sur  le  premier  plateau  de  l'Ile.  Au  mois 
de  mai,  1663,  cet  infortuné  gentilhomme  fut  aj^sassiné 
nuitamment,  sur  les  10  heures  du  soir,  dans  sa  maison, 
par  un  de  ses  valets,  qui,  selon  les  uns,  voulait  le  dépouil- 


—  42  — 

1er,  et,  selon  d'autres,  ne  désirait  que  se  venger  des  répri- 
mandes qu'il  recevait  très  souvent,  pour  sa  mauvaise 
conduite,  et  notamment  pour  sa  tendance  à  l'ivrognerie. 
Pour  cacher  toute  trace  d'assassinat,  le  ipable  eut 
recours  à  un  autre  crime,  il  mit  le  feu  à  la  maison  qui,  en 
quelques  heures,  fut  totalement  incendiée.  Le  meutrier 
ayant  subi  son  procès,  fut  amené  à  conviction,  et  con- 
damné à  avoir  le  poing  coupé,  à  être  pendu,  et  son  corps 
fut  jeté  aux  flammes.  Cette  sentence  fut  exécutée  le  8 
juin,  même  année.  .  s-  ^  r 

Nous  empruntons  à  ce  sujet  quelques  notes  k  l'excellent 
travail:  i'  Notes  sur  les  Registres  de  Notre-Dame  de  Qué- 
bec, "  page  36.  Nous  remonterons  même  h  une  autre 
source  pour  avoir  de  plus  amples  détails,  et  jeter  un  plus 
grand  jour,  sur  ce  lugubre  épisode. 

Le  journal  des  Supérieurs  des  Jésuites  est  plus  expli- 
cite.    Voici  ce  que  nous  y  lisons  : 

"  Mai,  1663.  Le  même  jour  (2g),  sur  les  neuf  ou  dix 
heures  du  soir,  fut  brûlé  dans  sa  propre  maison,  à  l'île 
d'Orléans,  le  sieur  de  Beaulieu,  avec  un  sien  valet,  par 
accident  du  feu  ....  m 

"Juin.  Il  se  trouve  que  le  feu,  qui  avait  pris  ;'i  la  maison 
de  sieur  de  Beaulieu,  n'avait  pas  été  causé  par  accident, 
mais  bien  par  la  méchanceté  d'un  valet,  après  avoir  tué 


—  43  — 

son  maître  et  un  autre  valet,  son  camarade  (a).  Il  fut  con- 
vaincu et  condamné  à  avoir  le  poing  coupé,  à  être  pendu 
et  brûlé.  Monsieur  le  gouverneur  le  baron  d'Avaugour, 
.se  contenta  de  la  mort  à  la  potence,  où,  après  avoir  été 
fouetté,  il  fut  fusillé  le  8  juin.  >> 

Il  en  était  presque  toujours  ainsi  sous  le  régime  fran- 
çais, les  sentences  étaient  sévères,  parfois  cruelles,  atroces 
même,  afin  de  faire  une  impression  salutaire  sur  les  esprits, 
mais  le  chef  du  gouvernement  y  apportait  tous  les  adou- 
cissements possibles  dans  l'exécution. 

François  Gourdeau  de  Beaulieu  était  fils  d'un  procureur 
du  Roy,  à  Niort,  dans  le  Poitou,  au  diocèse  de  !a  Rochelle. 
Il  y  avait  1 1  ans  qu'il  était  marié  à  Eîéonore  de  Grand- 
Maison  lorsqu'arriva  sa  mort  si  tragique. 

Nous  avons  dit  que  l'épouse  de  Gourdeau  de  Beaulieu, 
était  veuve  de  François  de  Chavigny,  sieur  de  Berche- 
reaux.  Ce  dernier  était  originaire  de  la  paroisse  de  Créan- 
cée,  en  Champagne,  département  de  la  Haute-Marne.  En 
1640  et  1647,  il  occupa  un  rang  distingué  dans  la  colonie, 
il  y  prit  en  concession  deux  seigneuries,  l'une   k  Sillery, 

(a)  C'était  la  répétition  d'un  crime  cftniniis  dix  ans  auparavant  par  deux 
de  ses  serviteurs  sur  la  personne  de  M.  Claude  Charron,  marchand  A  Québec. 
Le  Journal  des  Jésuifes,  sous  la  date  du  29  avril  lôs'?,  nous  informe  que  cet 
honnête  citoyen  fut  blessé  A  la  jror^e  d'un  coup  de  pistolet,  dans  son  habita- 
tion à  l'île  d'Orléans,  par  ses  deux  serviteurs.  C'est  le  même  qui,  en  i66^,  fut 
élu  érhevin  de  Québec,  avec  le  sieur  Jean  Madry. — Voir  lidt'fs  et  Ori/ort' 
nance^  Royaux  y  Québec,  tome  II. 


—  44  — 
l'autre  au-dessus.  II  remplaça  quelque  temps  le  gouv'er- 
neur,  lit-on  quelque  part.  Cependant,  au  mois  de  mars 
1652,  ces  mêmes  propriétés  furent  transportées  h  son 
épouse,  "  parce  qu'il  avait  abandonné  la  colonie,  qu'il  y 
avait  cédé  à  sa  fem.me  tout  ce  qu'il  possédait,  et  qu'il 
laissait  ses  affaires  dans  un  état  d'incertitude,  qui  pouvait 
empêcher  d'autres  particuliers  de  cultiver  les  dits  lieux.'* 
(Texte  du  contrat  octroyé  à  son  épouse.)  Le  sieur  de  Ber- 
chereaux  mourut  peu  de  temps  après  avoir  quitté  la  colo- 
nie, vers  165 I. 

Le  quatrième  mari  de  mademoiselle  Eléonore  de  Grand- 
Maison  fut  Jacques  Cailhant,  écuyer,  sieur  de  la  Tesserie, 
un  des  ancêtres  de  la  Gorg"endière,  lieutenant  du  baron 
d'Avaugour,  gouverneur  de  cette  colonie,  et  membre  du 
Conseil  Supérieur  de  Québec,  dès  les  premières  années  de 
sa  création.  Dès  1648,  il  était  membre  du  conseil  d'admi- 
nistration du  gouverneur  d'Aillebout. 

Au  mois  d'août,  1666,  l'intendant  Talon  envoya  le  sieur 
de  la  Tesserie  k  la  baie  Saint-Paul,  en  qualité  d'ingénieur 
civil  et  de  minéralogiste.  Ce  monsieur,  dit  le  Rév.  P.  de 
Charlevoix  ( Histoire  de  la  Nouvelle-France^  tom  i*%  page 
300),  découvrit  une  mine  qui  lui  parut  très  abondante  ;  il 
espéra  même  d'y  trouver  du  cuivre  et  même  de  l'argent. 


—  45  — 
Dans  le  récit  qu'il  fit  de  son  voyage,  il  remarqua  que, 
partout  où  il  avait  travaillé,  le  sol  était  encore  remué  et 
bouleversé  par  suite  du  tremblement  de  terre  de  l'année 
1663.  Au  mois  de  juillet,  1666,  les  RR.  PP.  Bescherfer  et 
Bailloquet,  de  la  compagnie  de  Jésus,  ayant  été  envoyés 
en  ambassade  au  fort  d'Orange  (Albany),  M.  de  la  Tes- 
serie  leur  fut  associé  comme  interprète.  Ces  différentes 
missions,  ainsi  que  son  rang  de  conseiller  à  la  Cour  Sou- 
veraine du  pays,  prouvent  qu'il  était  pourvu  de  connais- 
sances étendues  et  variées  et  qu'il  jouissait  d'une  grande 
estime  en  cette  colonie. 

Son  épouse,  mademoiselle  Eléonore  de  Grand-Maison, 
mourut  en  1692,  à  l'âge  de  70  ans.  Elle  avait  été  pendant 
près  de  trente  ans  la  femme  de  La  Tesserie. 


46- 


VII 


Paroisse  de  Saint-Pierre 

Population — Curiosités  naturelles — Pierre  phénoménale — Route  des 

Prêtres — Echangée  de  reliques — M.  de  Franeheville — Les  SS. 

d'Esgly  et  Burke — Naufrage  de  M.  Hébert. 

L'ég-lise  de  Saint-Pierre,  si  riche  en  souvenirs  religieux, 
eut  pour  curé,  pendant  près  de  40  ans,  le  vieil  évêque 
D'Esg-ly.  (a)  Il  était  le  modérateur  et  le  conseiller  de 
toute  la  population  de  l'île  d'Orléans.  Sa  prudence  et  sa 
fermeté,  alliée  à  une  familiarité  noble,  lui  acquirent  non- 
seulement  le  respect,  mais  l'affection  sincère  des  insulaires. 
Bien  des  vertus  et  des  mérites  rehaussèrent  la  vie  de  ce 
bon  prêtre,  que,  dans  des  temps  difficiles  et  nébuleux,  on 
choisit  pour  chef  de  l'ég-lise  catholique  au  Canada. 

Voyons  les  bornes  de  la  paroisse  de  Saint-Pierre,  telles 
qu'elles  sont  indiquées  dans  l'ouvrage  de  M.  Bouchette. 
{Topo a-raphical  Die fionarv  of  hland  of  Orléans,  tome  3,  p. 
203.)  Saint-Pierre  a  deux  lieues  et  demie  de  long.  Son 
étendue  est  fixée  par  le  règlement  du  20  septembre,  1721, 

(a)  Mgr  IVvêque  d'Esj^ly,  étant  coadjuteur  du  titulaire  de  Québec,  sous  le 
titre  d'évêque  de  Dou}i;lée,  desservait  Saint- Pierre  et  Saint-Laurent  en  1778, 
Le  Révérend  M.  P.  Huot  l'assistait  comme  vicaire,  et  M.  Gilles  Eudo  était 
curé  de  la  paroisse  de  Sainte-Famille. 


—  47  ~ 
Confirmé  par  arrêt  de  Sa  Majesté,  en  son   conseil  d'Etat, 
le  3  mars,  1722. 

"  L'étendue  de  la  paroisse  de  Saint-Pierre  et  de  Saint- 
Paul,  située  en  la  dite  isle  et  comté  de  Saint-Laurent,  aussi 
sur  le  bord  du  chenal  du  nord,  sera  de  deux  lieues  et  demie 
k  prendre  du  côté  d'en  bas,  depuis  la  rivière  du  Pot-au- 
Beurre,  en  remontant  jusqu'au  bout  d'en  haut  de  la  dite 
île,  ensemble  les  profondeurs  renfermées  dans  ces  bornes, 
telles  qu'elles  ont  été  concédées  aux  habitans  de  la  dite 
paroisse,  par  leurs  contrats  de  concession,  à  l'exception 
que  si  les  concessionnaires  du  bout  d'en  haut  de  l'isle,  éta- 
blissaient leurs  demeures  du  côté  sud,  ils  seraient  alors 
paroissiens  de  Saint-Laurent,  et  paieraient  dismes  au  curé 
de  Saint-Laurent.  " 

En  1684,  il  y  avait  à  Saint-Pierre  34  familles,  et  183 
âmes.  C'était  une  bien  faible  population.  Le  recensement 
de  1861  la  porte  à  1,022  âmes.  L'église  paroissiale  était 
en  bois,  recouverte  d'enduits  ;  c'est  ce  qu'on  appelait  alors 
bâtisse  en  colombages.  Elle  n'avait  que  52  pieds  de 
long,  sur  22  de  large.  Cette  bien  modeste  église  était  des- 
servie par  M.  de  Francheville,  né  à  Québec,  en  165 1,  l'un 
des  élèves  du  collège  des  Jésuites,  et  condisciple  du  brave 
Joliette,  qui  s'immortalisa  par  la  découverte  du  Missis- 
sipi.  Ce  bon  prêtre,  après  avoir  successivement  desservi 
Rivière-Ouelle,    Beauport,    Saint- Pierre,   etc.,    mourut   à 


-4«- 
l'hôpital   Général  de  Montréal,  le  i6  août,  1713,  ag"é  seu- 
lement de  soixante-deux  ans,  mais  épuisé  par  les  travaux 
d'un  apostolat  des  plus  ruineux. 

On  courait  autrefois  à  Saint-Pierre  pour  voir  un  objet 
de  curiosité  naturelle,  qu'on  ci^peXsàtle  pied  de  Sai?i/-Roch. 
A  trois  quarts  de  lieue  du  bout  de  l'île,  on  montrait  une 
pierre  d'une  conformation  sin«-ulière.  Elle  était  hï,  irisant 
au  milieu  d'im  champ,  paraissant  mobile.  A  sa  surface, 
on  faisait  remarquer  l'empreinte  des  deux  pieds  nus  d'un 
homme  qui  aurait  couru  du  nord-ouest  au  sud-est,  l'em- 
preinte de  la  piste  d'un  chien,  marchant  dans  la  même 
direction  ;  et  de  plus  l'endroit  où  une  canne  aurait  été 
appuyée,  par  celui  qui  passait.  Dans  le  temps  où  l'on 
faisait  circuler  le  bruit  que  l'île  était  envahie  par  les  sor- 
ciers, on  ne  manquait  pas  de  dire  que  ces  traces  étaient 
celles  du  Juif-Errant. 

C'est  du  coté  sud  de  l'île,  et  presque  vis-i'i-vis  l'église  de 
Saint-Pierre,  que  se  trouve  le  Tfou  Saint-Patrice,  petit 
havre  s(!;r  et  commode,  où  mouillent,  presque  toujours, 
quelques  navires,  qui  attendent  l'heure  du  départ  pour  les 
lointains  rivaj^^es.  0\\  a  prétendu  que  ce  crique  avait  été 
appelé  ainsi  pur  les  .\ng^l;iis,  après  la  cession  du  pays. 
Mais  il  V,  MU  est   pas  ainsi,   puisqu'on  le  trouve  mentionné 


—  49  — 
sous  ce  terme,  dès  1735,  dans  les  lettres  du  R.  Père  Emma- 
nuel Crespel,  et  ailleurs  encore. 

Un  bon  chemin  tait  le  tour  de  l'île  d'Orléans  ;  il  est 
assez  bien  entretenu,  par  les  différentes  municipalités  qu'il 
traverse.  Vne  allocation  comparativement  bien  faible  a  été 
accordé  autrefois  pour  réparer  la  côte  et  la  savane  de  la 
paroisse  de  Sainte-F'amille. 

La  Route  des  prêtres,  qui  conduit  de  Saint -Pierre  ii 
Saint-Laurent,  et  qui  traverse  un  riche  massif  d'érables 
séculaires,  nous  rappelle  l'histoire  ci'une  cérémonie  reli- 
gieuse imposante,  qui  eut  lieu,  ri  cet  endroit,  il  y  a  près  de 
deux  siècles  et  que  la  tradition  nous  a  conservée. 

Vers  la  fin  du  dix-septième  siècle,  monseij^neur  de  Saint- 
Valier  fit  *\ov\  à  l'éj^lise  de  Sai:it-Paul,  aujourd'hui  Saint- 
LaureiU,  d'une  relique,  portion  d'os  d'un  bras  de  l'apôtre 
saint  Paul.  Quelques  années  après,  le  même  évéque 
chaui^ea  le  vocable  de  la  paroisse,  en  celui  de  Saint-Lau- 
rent, et  \oulut  que  saint  Pierre  et  saint  Paul  fussent  hono- 
rés dans  l'église  de  Saint-Pierre,  et  qu'ils  en  fussent  tous 
deux  les  titulaires.  >L  Daurie,  qui  était  alors  curé  de 
Saint-Pierre,  demanda  à  NL  Poncelet,  alors  curé  de  Saint- 
Laurent,  la  relique  de  saint  Paul  s'olTrant  de  îui  remettre 
en    retour    trois    ossements    de    saint    Clément,    martvr. 


—  50  — 
L'Archidiacre  M.  de  La  Colombière,  dans  sa  visite  oflli- 
cielle  à  Saint-Laurent,  le  3  juillet,  1702,  approuva  cet 
échangfe  qui  s'efFectua  le  24  du  même  mois.  La  relique 
de  saint  Paul  fut  déposée  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  où 
elle  devint  l'objet  d'une  grande  vénération. 

Cet  arrangement  déplut  néanmoins  aux  paroissiens  de 
Saint-Laurent,  qui  considéraient  la  sainte  relique  comme 
une  propriété  inaliénable.  Cependant,  monseigneur  de 
Saint  Valier,  dans  une  lettre  écrite  de  Paris,  à  M.  Daurie, 
le  17  mai,  1703,  approuva  ce  qui  avait  été  fait  en  disant  : 
"  Je  suis  content  d'apprendre  que  vous  avez  effectué 
l'échange  de  la  relique  avec  monsieur  Frs  Poncelet  (a). 
Quelques  années  plus  tard,  un  paroissien  de  Saint-Laurent 
reporta  à  Saint-Pierre  la  relique  de  saint  Clément,  et  en 
rapporta  furti\ement  la  relique  de  saint  Paul,  qu'il  phn;a 
dans  l'église  de  Saint-Laurent.  Une  contestation  sérieuse 
s'éle\  a  alors,  entre  les  habitants  des  deux  paroisses.  On 
en  appela  au  jugement  de  l'évêque  de  Québec,  qui,  après 
mûre  délibération,  décida  que  chaque  relique  serait  rendue 
à  son  église  respective.    Il  ordonna  donc  que  la  population 

(il)  l.f  Révérend  l'ère  Poncelet  dont  il  s'aj^it  ici,  était  rrcollet  du  couvent 
de  Québ«"c.  Il  avait  été  ordonné  prêtre  le  ao  novemlire,  i6qo,  et  mourut  en 
I713.  il  ne  faut  pas  le  confondre  avec  M.  François  l'oncelet,  premier  curé  de 
Saint-Ï.aiirent,  décédé  ;\  rilôpital-Ciénéral  de  (.>uélHH.  A  r.ijre  de  42  ans, 
«atteint  d'une  maladie  cuntagicuM». 


_ -1  — 

de  Saint-Pierre  et  celle  de  Saint-Laurent  se  rendraient  au 
milieu  de  la  route  des  Prêtres,  h  un  jour  convenu,  en 
procession  solennelle,  et  que  là  on  échangerait  les  reliques, 
qui  seraient  ensuite  reportées,  avec  é<^ale  solennité,  cha- 
cune dans  leur  église.    "^ 

Tout  ceci  fut  exécuté  h  la  lettre  ;  et  la  g^rande  croix  qui 
se  trouve  sur  ce  chemin,  à  mi-distance  entre  les  deux 
églises,  indique  l'endroit  précis,  où  les  habitants  des  deux 
paroisses  se  rencontrèrent  en  cette  mémorable  circonstance. 

Un    personnage,     non    moins    vénérable    que     l'éxèque 

D'Esglv,   a   aussi    ajouté  quelque   illustration    à   la    petite 

église  de    Saint-Pierre,    bien    qu'il    n'ait    lait    qu'un  séjour 

miMnentané    en    cette    paroisse.      C'est    Monseigneur    l^d- 

mond   Burke,    plus  tard  éxéque   de    Sion,    ///   />///-/   /////V/. , 

premier  \icaire  apostolique   de   la    Nouvelle-lCcosse.     Une 

circonstance    bien    déplorable  unit    son    ni>m    à    celui    des 

Mauvide,    seigneurs  de  l'île,    et   celui  du  regretté  curé   de 

Québec,  feu  messire  .\ugustin-David  Hubert,     Celui-ci  se 

rendait,  en  compagnie  de  M.  Laurent  Mauvide,  (a)  dernier 

seigneur  de  Saint-Jean  de  l'Ile,  auprès  de  leur  ami  commun, 

(a)  Ce  dcrnior  it.iit  flrvemi  pr<if>ri«'la5rf  de  iptteH«'i;,'ti«»urîe  par  «on  mariât:*» 
avec  une  denioivll»-  Mariann»-  Durochcr.  sn-iirdu  sieur  Amahle  hurtjther  Uuul 
un  a  parlé  |>I.ishanl,  et  de  M.  Ik'Ujamiu  Durucher,  etc. 


:  v"/'-^'  ■■  .      —  52  —  ;:.,::,_.,,,;_.: 

M.  Ed.  Burke,  lorsque  leur  embarcation  chariJ^ée  au-delà 
de  toute  prudence,  se  remplit  d'eau  tout-<i-coup  et  sombra 
dans  la  rade.  Ils  furent  tous  deux  enj^loutis  dans  les  eaux 
avec  huit  autres  personnes,  le  21  mai  1792. 

La  nouvelle  de  ce  triste  événement  répandit  aussitôt  la 
consternation  dans  tous  les  cœurs.  La  population  entière 
de  l'Ile,  oubliant  les  travaux  pressants  des  semailles,  vou- 
lut donner  une  preuve  de  son  attachement  à  la  famille  de 
leur  ancien  seig'neur,  en  cherchant  ses  restes  mortels  ainsi 
que  ceux  du  vénérable  curé  qui  l'accompagnait. 

Les  soldats  de  la  i^arnison,  notamment  ceux  du  régi- 
ment du  duc  de  Kent,  rivalisèrent  de  zèle  avec  les  citoyens. 
Le  corps  de  messire  Hubert  fut  retrouvé  à  la  Pointe-Lé\  is. 
et  inhumé  de  g^rand  matin,  dans  la  chapelle  de  la  Sainte- 
Famillo,  à  l'éq-lise  paroissiale  de  Québec,  le  0  juin,  qui  était 
le  jour  de  la  l'Y-te-Dieu.  C'est  ainsi  que  fut  enlevé  subite- 
ment à  l'aflection  tie  ses  paroissiens,  et  à  l'âge  préma- 
turé de  quarante-un  ans,  ce  digne  prêtre,  dont  les  vertus 
égalaient  le  zèle  et  le  dévouemenf  pour  le  salut  des  âmes  : 
pastor  lii/i'cfiis  et  amans.  La  mort,  toujours  terrible,  ne 
paraît  jamais  plus  impitoyable  que  lorsqu'elle  vient  frapper 
ainsi,  comme  d'un  coup  de  foudre,  un  homme  estimé  et 
chéri,  et  le  ravit  subitement  à  l'estime  publique  et  aux  plus 


---  -.'-  —53  — 
douces  affections.  On  dirait  que,  dans  ces  circonstances, 
elle  craint  de  se  laisser  toucher  par  les  prières  et  les  lar- 
mes, en  annon<;ant  d'avance  le  coup  qu'elle  va  frapper,  si 
la  foi  ne  nous  enscii^nait  que  ces  malheurs  sont  presque 
toujours  des  châtiments  que  Dieu  nous  envoie  ,  our  avoir 
méprisé  ses  dons. 

Voici  comment  un  journal  du  temps  raconte  cet  événe- 
ment funeste  : 

"Lundi,  21  mai,  1792,  vers  midi  et  demi,  une  chaloupe  pe- 
samment chari^ée  partit  de  cette  ville  pour  l'île  d'Orléans  ; 
ne  pouvant  tenir  contre  l'ai^itation  des  \  ai,''ues  qui  mena- 
çaient de  la  submeri^er,  ayant  tenté  de  mettre  à  terre  à  la 
Pointe-Lévis,  prit  une  si  t^rande  quantité  d'eau  qu'elle 
cala  à  fond  à  peu  de  distance  du  rivai^e,  vis-à-vis  l'endroit 
nommé  la  cabane  des  Pères.  De  douze  personnes  qui 
étaient  dans  la  chaloupe,  dix  ont  péri.  Deux  seulement 
ont  été  sauvées  par  le  prompt  secours  que  leur  ont  porté 
quelques  habitans  de  la  Pointe- Lévy,  qui,  au  risque  de 
périr  eux-mêmes  dans  cette  louable  tentative,  ont  sauvé 
le  pilote  I.achance,  propriétaire  de  la  chaloupe  et  un  jeune 
homme.  Ceux  qui  se  sont  noyés  sont  M.  Hubert,  curé 
de  Québec,  MM.  Mauvide,  de  S.iint-Jean,  île  d'Orléans, 
Louis  Portier,  Joseph  Poulin,  Joseph  Por^ues,  Pierre  Tur- 
cotte, Catiche  I^inet,  Josephte  Lachance,  NLirie  Lapointe 
et  Isabelle  Portier.  Ce  déplorable  accident,  dont  plu- 
.sieurs  pères  de  famille  furent  les  victimes,  affecta  et  aHlii^ea 


.,^>^   ':-  —54  — 

plus  particulièrement  les  citoyens  de  Québec,  k  cause  de 
la  perte  de  M.  Hubert,  curé  de  cette  ville,  que  ses  qualités 
estimables  tant  comme  ecclésiastique  que  comme  citoyen, 
font  universellement  reg'retter.  >• 

— (Gazette  de  Québec,  du  24  mai,  1792.) 


VIII 


Paroisse  de  Sainte- Famille 

Recensement     Beaux  paysat^es,  belles  routes — Fêtes  boeaj^ères — 

Pêche  et  Chasse — Couvent  des  Sœurs  de  la  Cong^rég^ation— 

François  Lamy,  Toussaint  Le  Franc  et  Berthelot. 

En  laissant  la  paroisse  de  Saint-Pierre,  on  entre  dans 
celle  de  Sainte-Famille,  après  avoir  tra\  erse  le  Pot-au- 
Beurre,  petit  ruisseau  auquel  on  a  donné  parfois  la  déno- 
mination de  rivière.  Mgr  Laval  l'avait  nommé  ainsi.  La 
première  concession  de  terre  obtenue  en  cette  paroisse, 
remonte  A  1666.  \'ini4"t  ans  plus  tard,  environ  884  Ames, 
composant  50  familles,  formaient  la  population  de  cette 
paroisse  qui  avait  déjA  son  curé  et  son  église.  Cet  édifice, 
bâti  en  pierres,  dès  167(1,  par  M.  l'abbé  Pommiers,  avait 
été  élevé  aux  frais  de  divers  particuliers  de  la  colonie  et 
notamment  avec  l'aide  de  Mgr  l'évèque  de  Québec,  et  des 
directeurs  du  séminaire  des  Missions-Iùrangères  de  cettç 


—  55  — 
ville.  C'était  un  édifice  de  quatre  ving-t  pieds  v'e  long-  sur 
environ  trente-six  de  large,  et  couvert  en  paille.  Ce  n'était 
pas  au  reste  la  seule  église  qui  fut  revêtue  ainsi  d'une  toi- 
ture en  chaume  :  Charîesbourg  et  d'autres  encore,  aujour- 
d'hui plus  opulentes,  ont  porté  dans  l'origine  les  livrées  de 
la  pauvreté.  En  1686,  on  s'occupa  néanmoins  de  renou- 
veler cette  couverture,  et  de  lui  en  substituer  une  autre  en 
planches. 

Quant  au  presbytère,  il  faut  croire  qu'il  avait  été  bâti 
avec  beaucoup  de  ménagement,  puisque  déjà,  \ers  1682,  il 
n'était  plus  logeable  et  que  le  curé,  en  attendant  mieux, 
était  obligé  de  se  retirer  chez  un  particulier,  circonstance 
assez  gênante  pour  les  paroissiens  eux-mêmes. 

Par  le  règlement  de  1721,  confirmé  par  arrêt  du  Conseil 
d'H!tat  du  3  mars,  1722,  n  la  paroisse  de  Sainte-Famille 
doit  avoir  deux  lieues  et  demie  de  long,  en  suivant  le  chenal 
du  nord,  depuis  la  maison  des  représentants  de  Charles 
Guérard,  qui  la  sépare  de  la  paroisse  de  Saint -Pierre, 
jusqu'au  ruisseau  dit  Pot-au-Beurre,  ensemble  des  profon- 
deurs renfermées  dans  ses  bornes  jusqu'au  milieu  de  la 
dite  Ile." 

M.  Bouchette.  d'accord  sur  ce  point  avec  d'autres  topo- 
graphes,  dit  que  la  paroisse  de  la  Sainte- Famille  est   la 


■  ,■-      ...  _  -56-     -  ;  ;:^.-,    r-;-^ 

plus  populeuse  de  l'Ile,  et  que  les  habitants  y  sont  mieux 
pourvus  d'animaux,  d'ustensiles  d'agriculture,  que  ceux 
des  autres  paroisses  environnantes.  En  1827,  il  se  trouvait 
sur  cette  paroisse  67  propriétaires  de  terres  et  seulement 
douze  occupants  d'emplacements.  En  1850,  il  y  avait  ici 
propriétaires  de  biens-fonds.  Aujourd'hui,  la  population 
v  est  portée  <i  près  de  neuf  cents  âme^î. 

Les  terres  ont  généralement  une  lieue  de  profondeur, 
s'étendant  depuis  le  bord  de  l'eau,  du  côté  du  nord,  et  se 
prolongeant  jusqu'aux  terres  de  Saint-Jean,  au  sud.  Elles 
sont  généralement  de  deux  arpents  de  front,  mais  le  sol 
est  inférieur  en  qualité  à  celui  de  la  paroisse  de  Saint- 
Pierre,  et  même  de  plusieurs  autres  parties  de  l'Ile. 

C'est  aussi  dans  les  limites  de  cette  paroisse  que  se  trou- 
vent des  batiuris  et  des  savanes  très  renommées,  où  les 
chasseurs  de  Québec  et  des  env;tcns,  se  donnent  rendez- 
vous  au  printemps  et  à  l'automne,  pour  la  chasse  des 
canards,  et  surtout  des  outardes.  Lh  s'est  accompli,  dans 
des  temps  déjà  reculés,  plus  d'un  brillant  fait  d'armes  ;  là, 
plus  d'un  tireur  habile  et  exercé,  a  jeté  la  mort  d.ins  les 
rangs  des  volières  d'oiseaux  sauvages,  qui  venaient  s'abat- 
tre sur  ces  grèves  ;  et,  si  les  échos  de  ces  rives  pouvaient 
parler,   ils   nous   rediraient   avec   orgueil,    les   noms   alors 


—  57-- 
fameux  de  nos  Nemrod  canadiens,  dont  les  coups  de  fusil 
allaient  si  bien  au  but,  soit  qu'il  s'ag-it  de  chasser  la  sar- 
celle, ou  de  faire  mordre  la  poussière  aux  soldats  ennemis  ! 
Le  chemin  public,  dans  la  paroisse  de  Sainte-Famille, 
est  toujours  bien  entretenu  et  les  propriétaires  des  terres 
s'y  sont  fait  une  réputation  par  leur  zèle  à  le  bien  tenir  en 
bon  ordre  en  hiver  comme  en  été.  Il  y  a  une  trentaine 
d'années,  la  Lég^islature  provinciale  accorda  environ  ;^^300 
pour  élargir  ce  chemin,  l'améliorer  et  surtout  pour  adou- 
cir les  pentes  rapides  de  certaines  côtes  âpres  et  difficiles, 
sur  une  étendue  assez  considérable,  dont  le  bas  aboutissait 
à  une  savane.  '■ 

Mais  ce  qui  attire  davantage  les  regards  du  philan- 
thrope qui  visite  la  paroisse  de  Sainte- Famille,  c'est  le 
couvent  ou  école  des  filles,  que  dirigent  en  ce  lieu  les 
Sœurs  de  la  Congrégation  de  Notre-Dame.  C'est  là  qu'en 
silence  et  sans  ostentation,  elles  forment  le  cœur  et  l'esprit 
de  leurs  élèves,  respectueusement  groupées  autour  d'elles 
au  nombre  d'environ  cinquante,  chc'que  année.  Cette  fon- 
dation a  rendu  de  grands  services  h  la  jeunesse  de  l'Ile 
d'abord,  puis  à  toute  sa  population.  Combien  de  géné- 
rations, depuis  près  da  doux  siècles,  sont  venues  demander 
aux  bonnes  Sœurs,   une  éducation  soig'née  et  religieuse  ? 


-  58- 
Il  dut  être  bien  vif  le  zèle  qui  portait  à  faire  des  sacrifices 
aussi  considérables,  que  ceux  qui  étaient  exigés  dans  les 
commencements  de  la  colonie,  pour  une  pareille  entreprise, 
alors  que  tout  manquait.  Cependant,  comme  le  remarque 
M.  de  Ransonnet,  (Vt'e  de  Marg^uetite  Bourgeois.  Avignon, 
1738.)  la  vénérable  sœur  Marguerite  Bourgeois  n'attendit 
pas  que  les  paroisses  fussent  en  éta't  de  procurer,  à  ses 
filles  missionnaires,  un  fonds  de  subsistance  honnête  et 
nécessaire  ;  il  lui  suffisait  qu'il  y  eut  du  bien  à  faire. 
L'esprit  de  zèle  et  d'obéissance  qui  les  animait,  la  morti- 
fication et  la  pauvreté  dont  elles  faisaient  profession,  leur 
tenaient  lieu  de  tout. 

Deux  sœurs  furent  immédiatement  envoyées  à  la  mai- 
son de  la  Sainte-Famille,  la  première  était  la  sœur  de 
l'Assomption,  (demoiselle  Marie  Barbier),  la  première 
fille  canadienne  de  naissance,  qui  se  soit  consacrée  à  Dieu 
dans  la  Congrégation  de  Notre-Dame.  C'était  une  de 
ces  âmes  généreuses  et  candides,  une  de  ces  natures  d'é- 
lite, qui  ne  peuvent  se  faire  au  tumulte  du  monde.  Pour 
satisfaire  son  penchant  à  faire  le  bien,  elle  se  voua  au 
service  de  Dieu  et  du  prochain.  ", 

L'autre,  qui  fut  chargée  avec  elle  de  fonder  cette  utile 
mission,  était  la  soeur  .^nne  (Mariç-Anne  Thioux  ou  Vé- 


'     '^^      '-59—  ■.:  'r:  :,,.-/.:',:,■ 

rand).  Elle  était  née  en  France.  Malgré  l'état  avancé 
de  la  saison  (on  était  en  automne),  malgré  le  surcroît  de 
travail  auquel  la  sœur  Marguerite  Bourgeois  était  obligée 
de  se  livrer,  pour  le  rétablissement  de  sa  communauté, 
malgré  l'incertitude  des  moyens  d'existence  que  les  deux 
pieuses  filles  devaient  trouver  à  Sainte-Famille,  leur  digne 
supérieure  n'hésita  cependant  pas  à  se  séparer  de  deux 
compagnes  utiles  et  qui  auraient  pu  lui  être  d'un  grand 
secours,  pour  les  envoyer  \k  où  la  Providence  les  appelait. 

Sur  le  désir  de  Monseigneur  de  Saint-Valier,  évêque  de 
Québec,  elle  céda  aux  sollicitations  de  M.  Lamy,  curé  des 
paroisses  de  Sainte -Famille  et  de  Saint-François,  et  les 
deux  bonnes  sœurs  se  mirent  immédiatement  en  route 
pour  le  lieu  de  leur  destination.  "  C'était  à  la  Saint- Mar- 
tin, dit  elle-même  la  sœur  Barbier,  il  faisait  froid  et  nous 
n'avions  pour  nous  deux  qu'une  couverture  qui  ne  valait 
presque  rien,  très  peu  de  linge,  point  d'autres  bardes  que 
ce  qui  pouvait  nous  couvrir  fort  légèrement.  Pour  moi, 
je  n'avais  qu'une  demi-robe  et  le  reste  à  proportion.  Nous 
pensâmes  geler  de  froid  dans  ce  voyage,  et  j 'étais  parfaite- 
ment contente  de  ce  que  je  commençais  à  souffrir. 

"  A  notre  arrivée  <i  Québec,  nous  ne  manquâmes  pas 
d'humiliations  ;  tout  nptre  avoir  était  un  petit  paquet  que 


.■;/;,.■■,     .•:,     -  —  6o — 

nous  portions  fort  à  l'aise  ;  on  se  moqua  de  nous,  et  nous 
fûmes  fort  humiliées  de  toute  manière.  On  nous  demanda 
où  étaient  nos  lits  et  notre  équipag-e  ;  quelques-uns  disaient 
même  que  nous  mourrions  de  faim  chez  nous,  et  qu'on 
nous  envoyait  chercher  fortune  ailleurs.  Je  pensais  mourir 
ce  jour  là,  le  froid  nous  ayant  si  vivement  saisies  que  nous 
croyions  être  g-elées.  Pour  mon  particulier,  j'aurais  eu  de 
la  joie  de  mourir  de  froid,  et  je  m'appliquais  h  consoler  ma 
compagne  qui  était  demi-morte.  Nous  souffrîmes  beau- 
coup pendant  ce  premier  hiver.  Nous  aurions  dû  mourir 
de  froid  sans  une  protection  particulière  de  Dieu.n 

La  maison  qui  devait  les  recevoir  n'était  pas  encore 
construite,  les  bonnes  religieuses  durent  se  retirer  chez 
une  veuve,  à  douze  ou  quinze  arpents  de  l'église,  e^  y 
passer  l'hiver.  Elles  s'affligèrent  beaucoup  d'être  oblit; 
de  vivre  au  milieu  du  tumulte  du  monde,  et,  l'une  d'oiit-. 
la  sœur  Barbier,  disait  qu'elle  "  se  trouvait  h\  comme  dans 
un  enfer.  Il  Ajoutons  à  cela  la  distance  considérable  qu'elles 
avaient  à  parcourir  pour  se  rendre  k  l'église,  d'où  elles 
revenaient  souvent  toutes  mouillées  et  couvertes  de  gla- 
çons, et  nous  aurons  une  idée  du  courage  et  des  vertus 
de  ces  femmes  héroïques,  qui  savaient  tout  entreprendre 
et  tout  souffrir,  quand  il  s'agissait  du  salut  des  âmes. 

Un  jour  qu'elles  revenaient  de  la  Sainte-Messe,  au  milieu 
d'une  tempête,  la  sœur  Barbier  tomba  dans  un  fossé  plein 


—  6i  — 

de  neig-e.     Voici  comment  cet  accident  est  raconté  dans  la 
P7e  de  la  Sœur  Marie  Barbier  :   n  Ma  compagne,   dit-elle, 
était  bien  loin  devant  moi,    qui  n'en  pouvait  plus.     Je  ne 
pouvais  me  retirer  de  ce  fossé,  n'ayant  plus  de  force,  et  la 
neige  me  couvrant  de  plus  en  plus.      Alors  je  priai  le  saint 
Enfant-Jésus  de  m'aider,  s'il  voulait  prolonger  ma  vie  pour 
sa  gloire  et  pour  me  donner  le  temps  de  faire  pénitence. 
J'étais  toute  enfoncée  dans  la   neige,   et  il   ne   paraissait 
plus  que   l'extrémité  de    ma  coiffe.      Sa  couleur  noire  fit 
croire  à  quelques  personnes  du  voisinage  que  c'était  une 
de  leurs  bêtes  qui  était  tombée  dans  le  fossé.  Ils  y  accou- 
rurent promptement,    et  m'ayant  retirée  de  h'i,  avec  peine, 
ils   me   laissèrent  au  bord  du  fossé,   d'où  j'eus  bien  de  la 
difficulté   de  me  rendre  àla  maison.     Cela,  joint  au  grand 
troid,  et  à  toutes  les  incommodités  que  je  ressentis  durant 
l'hyver,  dans  cette  demeure,  me  fit  contracter  des  infirmités 
assez  considérables.     Pourvu  que  Dieu   rn  tire  sa  gloire 
et   que  mon  orgueil  en  soit  écrasé,  j'en  suis  contente.   Les 
miséricordes  de    Dieu   à   mon   égard  sont  trop  grandes  ; 
depuis   ce  temps-là,  ce  n'est  que  grâce  sur  grâce;  qu'il  en 
soit  béni  éternellement  !  n 


en 


Le  fondateur  de   cette   école,    M.    Lamy,  qui   a   si   bi 
mérité  des  bons  insulaires  ;  homme  désintéressé  et  plein 


—  62  — 

d'abnég^ation,  pensionnait  dans  une  famille  du  voisinage  de 
l'église,  parce  que  ses  paroissiens  étaient  trop  pauvres 
pour  construire  une  habitation,  affectée  à  l'usage  du 
prêtre.  Ils  avaient  bâti  une  église  en  pierres,  mais  les 
citoyens  de  Québec,  et  surtout  les  directeurs  du  Séminaire, 
y  avaient  contribué  pour  une  large  part.  Un  M.  Toussaint 
Le  Franc  légua,  au  piofit  de  la  maison,  une  somme  de 
3,000  francs,  à  la  charge,  par  les  religieuses,  de  donner 
une  pension  à  une  pauvre  fille.  ^ 

M.  François  Lamy,  né  vers  .1640,  arriva  au  pays  en 
1673,  ^^  f"t  nommé  curé  inamovible  de  Sainte-Famille, 
en  1684,  par  l'évéque  de  Québec,  ce  qui  le  décida  h  fon- 
der cette  école  de  filles  en  sa  paroisse.  Le  seigneur,  M. 
Berihelot,  désireux  de  prendre  part  à  la  belle  œuvre,  leur 
donna  un  arpent  de  terre,  sur  lequel  on  éleva  une  petite 
maison  en  bois.  Ce  fut  la  première  résidence  des  bonnes 
sœurs.  Huit  ans  plus  tard,  M.  Lamy  donna,  pour  l'entre- 
tien du  couvent,  et  pour  y  asseoir  de  nouvelles  construc- 
tions de  dimensions  plus  grandes,  une  terre  de  trois  arpents 
de  front,  sur  la  profondeur  de  la  moitié  de  l'Ile,  a\ec 
maison,  granges,  etc.,  etc.  Le  contrat  de  donation  est 
daté  du  5  septembre,  ]Ch)2.  C'est  sur  cette  nouvelle  pro- 
priété que  l'on  bâtit  en  pierre  une  demeure   spacieuse  et 


-  63  -^ 

commode,  appropriée  autant    que   possible   à   sa   destina- 
tion. 

M.  Lamy  mourut  en  1715, 

Des  écrivains  protestants   ont   trouvé  des  paroles  obli- 
geantes  pour   M.    Lamy,  et  même  pour   les    bonnes  reli- 
gieuses, ce  qui  ne  rencontrerait    certainement  pas  l'appro- 
bation  de  ceux  qui  ne  connaissent  les  actes   de  dévoue- 
ment et  de  libéralité  du  clergé  et  des  institutions  catholi- 
ques en  cette  province,  que  parce  qu'ils  en  ont  lu  dans  les 
immondes  compilations  de  Smith  et  consorts,  qui,  comme 
la  Junon  de  Juvénal,     ''-\-- :''i':i.^y^-- :/':  ^'' -'-^'\-'-' 
"  Dat  veniam  corvis,  vexât  censura  columbas.  « 
Belles  et  saintes  actions  pourtant  !  qui  honorent  la  reli- 
gion qui  les  a  inspirées,  et  les  Ames  généreuses  quî  les  ont 
accomplies  î  La  société  en  général  sait,  du  moins,  appré- 
cier   leur  mérite,   et  l'H^lise  emprunte  les  accents  de  la 
reconnaissance  et  du  respect,  pour  exalter  leur  œuvre. 

Siml  liic  sua  pruMuia  laudi. ,  ....»* 

\'lRtJ, 


64- 


IX 


Paroisse  de  Saint-François  de  Sales 

MagTiifiques  points  de  vue — Les  rivières — Chasse  et  Pêche- 
François  l.c  Guorne     Incursions  d'Iroquois — 
Enlèvement  d  un  crucifix. 

Le  charmant  fief,  ou  plutôt  arrière-fief  d'Arjj;'entenay, 
l'un  des  plus  considérables  de  l'île  d'Orléans  a  été  l'un  des 
premiers  établis.  Kn  1704,  ce  fief  était  la  propriété  de  M. 
Perrot  ;  mais  l'établissement  en  était  alors  considérable- 
ment avancé,  puisque,  dès  1684,  il  y  avait  trente  familles, 
tormant  alots  une  population  de  165  âmes. 

Déjà  ces  couraj»"eux  et  religieux  colons  avaient  éri'j'é 
une  modeste  chapelle  en  bois  de  trente  pieds  de  lonj^ueur 
sur  vin^'-t  de  !arjj;"eur.  On  n'avait  pas  encore  sonj,'é  h  bâtir 
un  presbytère,  le  prêtre  qui  visitait  les  familles  de  cette 
petite  bourj^ade  étant  pourvu  d'édifices  un  peu  plus  con- 
venables à  Sainte-Famille,  y  faisait  ordinairement  son 
séjour. 

Plus  tard,  le  fief  fut  érij^é  en  paroisse,  et  l'humble  cha- 
pelle se  trouva  placée  au  ranj^-  des  éj^lises  paroissiales. 
"  La  paroisse  de  Saint  -  Fran«^'ois  de  Sales,  contenant  trois 


-  65  - 

lieues  de  long,  dont  une  lieue  et  demie  du  côté  du  sud, 
depuis  la  maison  de  Louis  Gaulin,  en  descendant  au  bas 
de  l'Ile,  et  une  lieue  et  demie  du  côté  du  chenal  du  nord, 
en  remontant  le  dit  bout  d'en  bas,  jusques  et  compris  deux 
arpents  de  front  de  l'habitation  de  Charles  Guérard,  en- 
semble des  profondeurs  de  la  dite  Ile  renfermées  dans  les 
dites  bornes  ;  et  la  nouvelle  église  qu'il  est  nécessaire  d'y 
construire,  sera  au   même  lieu  où  est  l'ancienne.  " 

Telles  sont  les  bornes  assignées  ;'i  la  paroisse  de  Saint- 
François,  par  le  règlement  du  20  septembre,  1721,  confir- 
mé par  un  arrêt  du  conseil  d'Etat,  le  3  mars,  1722. 

Les  terres  ont  généralement  deux  ou  trois  arpents  de 
front,  sur  cinquante-deux  en  profondeur.  Elles  sont  en 
bon  état  de  culture  et  très  productixes. 

D'après  k'  recensement  de   1S52.  la  population  totale  de 

la    paroisse   de   Saint-F'rançois   ne   dépassait    guères    520 

Ames  ;  cependant,  il  s'y  trouvait   72  propriétaires  ;  et  des 

9, 197  arpents  de  terres  qu'ils  tenaient  en    concession,  ils 

en  avaient  labouré  plus  de  4,800,  et  le  reste  avait  été  laissé 

en  prairies,  en  jardins,  forêts,  etc.     La  récolte  des  grains 

avait  donné  648  minots  de  blé,  422  minots  d'orge,   3,472 

minots   de   seigle.    2,622  minots  de  pois    et  10,418  minots 

d'avoine.     Les  autres  produits  étaient  dans  la   même  pro- 
5 


—  66  — 

portion.  On  y  avait  fait  5,350  livres  de  sucre,  10,50^ 
livres  de  beurre,  et  récolté  105,281  bottes  de  foin,  outre 
1,422  fromages  qui  vinrent  cette  année-là,  comme  d'ordi- 
naire, provoquer,  avec  succès,  le  goût  exquis  de  nos  Lu- 
cullus  québécois. 

Le  recensement  de  1861  donne  à  la  population  de  cette 
paroisse  près  de  600  âmes. 

A  Saint-François,  se  trouvent  aussi  d'excellentes  places 
de  chasse,  sur  les  grèves  surtout  :  la  Pointe  aux  Oignons, 

la  Pointe  à  la  Caille,  etc mais  pourquoi  commettre 

des  indiscrétions  ? tous  les  chasseurs  ne  connais- 
sent-ils pas  ces  endroits  renommés  ?  D'ailleurs,  ils  n'ai- 
ment   pas    qu'ils   soient  connus  !   Il  faut    donc   garder  le 

silence. 

Claudite  jam  rivos  pueri. 

Cette  paroisse  semble  n'avoir  eu  de  desserte  régulière 
que  depuis  1708.  Au  moins  les  plus  anciens  registres  ne 
remontent  pas  au  delà  de  cette  époque,  m'assure-t-on. 

Parmi  les  bons  cures  qui  en  ont  eu  la  direction,  il  en  est 
un  que  jeunes  et  vieux  aiment  à  mentionner.  C'est  M. 
Le  Guerne,  dont  les  anciens  aimaient  k  fredonner  les  chan- 
sons, et  dont  les  jeunes  gens  appréciaient  mieux  les  faveurs. 

M.    F'ranvois  Le  Guerne,  breton,  originaire  du  diocèse 


-  67  - 

de  Quimper,  arriva  à  Québec,  le  15  septembre  1751,  et 
mourut  le  6  décembre,  178g.  Il  fut  lorii^temps  professeur 
de  littérature  au  petit  séminaire  de  Québec,  et  rédig^ea  plu- 
sieurs cours  qui  révèlent  le  connaisseur.  Poète  et  bon 
poète,  nous  avons  vu  les  productions  de  sa  lyre  enrichir 
quelques  cartons.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  louable  encore 
dans  les  œuvres  de  ce  di^ne  prêtre,  c'est,  me  dit-on,  qu'il 
établit,  par  son  testament,  les  directeurs  du  Séminaire, 
ses  légataires-universels,  au  profit  de  la  jeunesse  cana- 
dienne. Cependant,  une  autre  \  ersion  m'apprend  qu'il 
abondonna  son  mobilier,  ses  livres  et  tout  ce  qu'il  a\ait, 
aux  élèves  du  Séminaire,  et  que  le  tout  leur  fut  équitable- 
ment  distribué.  M.  Le  Guerne  avait  été  employé,  jusqu'en 
1756,  aux  missions  de  l'Acadie.  C'est  h  l'époque  de  la 
dispersion  de  ce  peuple  pieux  et  infortuné,  qu'il  fut  rap- 
pelé dans  l'intérieur,  où  il  continua,  de  loin  comme  de 
près,  ociùs,  ci'ù'ùs,  à  améliorer  le  sort  de  ces  pauvres  fa- 
milles exilées  de  leurs  foyers,  et  dispersées  de  loin  en  loin, 
sur  un  rivaj^e  étranj^er  ;  il  eut  plus  d'une  fois  le  bonheur 
de  leur  être  utile,  et  d'intéresser  à  leurs  inisères  les  auto- 
rités de  la  colonie. 

Dj  Saint-François,  l'œil  embrasse  un  horizon  étendu   et 
magnifique,  qui  comprend,  dans  ses  vastes  proportions,  une 


—  68  — 

partie  de  la  terre  du  sud,  les  îles  Madame,  Aux  Reaux,  &c., 
le  Cap  Tourmente  et  les  belles  fermes  de  Saint-Joachim. 
La  rivière  Dauphine,  appelée  loneftemps  rivière  Delphine, 
et  aujourd'hui  parfois  la  Belle-fine^  une  des  plus  considé- 
rables de  l'île,  traverse  la  paroisse  de  Saint-François. 

Ce  serait  bien  ici  le  lieu  de  dire  que  toutes  les  rivières 
de  l'île,  la  rivière  Saint-Patrice,  la  rivière  Lafleur,  la  rivière 
Maheu,  la  rivière  Pot-au- Beurre  portent  assez  impropre- 
ment ce  nom  et  qu'on  s'éloignerait  moins  de  la  vérité, 
en  les  nommant  tout  simplement  cours-d'eau,  car  un  bon 
nombre  ne  sont  pas  suffisantes  pour  alimenter  en  tout 
temps  les  dalles  des  quelques  scieries  qu'on  trouve  sur 
leurs  bords.  Cependant,  toutes  ne  sont  pas  exposées  h. 
subir  au  même  degré  les  graves  résultats  de  la  sécheresse. 
La  rivière  Maheu  tire  son  nom  d'un  habitant  de  l'endroit, 
autrefois  établi  sur  les  bords.  Un  pont  relie  les  deux  rives 
bordées  d'arbres  antiques  et  de  jolis  bosquets  qui  donnent 
à  la  campagne  cet  air  de  jeunesse  et  de  fraîcheur  qui  ré- 
jouit l'œil  et  rassérène  le  cœur  du  voyageur. 

En  i66î,  les  Iroquois  causèrent  de  grands  ravages  dans 
les  cabanes  que  quelques  Français  avaient  construites  à 
Argentenay,  plus  tard,  Saint-François.  Wiici  comment  le 
journal  des  Supérieurs  des  RR.  PF'.  Jésuites  relate  le  fait  : 


-69- 

"  i66i,  le  i8  juin,  h  8  heures  du  matin,  se  commença  le 
massacre  ou  la  capture  de  plusieurs  personnes  k  Beaupré 
et  k  l'isle  d'Orléans,  par  les  Iroquois  venus  de  Tadoussac, 
après  le  coup  qu'ils  avaient  fait.  On  parla  ce  jour-là  de 
8  à  Beaupré  et  de  3  à  l'isle  d'Orléans,  ce  qui  se  trouva 
vrai." 

On  lit  encore  à  ce  sujet  le  passage  suivant  dans  la  Rela- 
tion de  1662,  par  le  même  R.  P.  Lalemant,  au  chap.  vu  : 

"  Je  ne  saurais  mieux  terminer  que  par  une  rencontre 
assez  illustre,  touchant  un  crucifix  de  deux  pieds  de  haut 
ou  environ,  que  les  Iroquois  Ag-nieronnons  enlevèrent  en 
l'an  passé  k  Argentenay,  dans  l'île  d'Orléans,  quand  ils  y 
firent  les  dégâts  que  nous  avons  racontés.  Je  ne  sais  si 
ce  fut  par  moquerie  ou  par  estime  qu'ils  se  saisirent  de 
cette  image;  quoy  qu'il  en  soit,  ils  l'emportèrent  jusques 
dans  leur  pays  et  la  faisaient  voir  dans  leurs  cabanes, 
comme  une  des  plus  précieuses  dépouilles  des  Français. 
Garakontié,  protecteur  des  Français,  étaiit  allé  à  Aquié, 
la  vit  par  hasard  ;  et  comme  il  sa\'ait  assez  le  respect  que 
nous  portions  à  de  semblables  images,  il  no  voulut  pas 
laisser  profaner  celle-lA.  Il  entreprend  doi'.c  de  la  racheter, 
il  fait  lui  beau  présent  pour  cela,  et,  pour  n'axoir  pas  do 
refus,  il  fait  lui  éloge  de  ce  crucifix,  plus  digne  de  sortir 
de  la  bouche  d'un  prédicateur  que  d'un  barbare  :  il  l'obtient, 
.  et  par  la  richesse  de  son  présent  et  par  l'éloquence  de  son 
discours.  Retourné  qu'il  fut  ;'i  Onontaghé,  ti>ut  triomphant 
d'une  si  belle  action,  dont  il  ne  connaissait  pas  tout  le 
mcrite,  il  place  honoriibU'mcnt  ce  crucifix  sur  l'autel  de  la 


—  70  — 

petite  chapelle  où  tous  les  jours  les  Français,  les  Hurons 
et  les  Iroquois  allaient  lui  rendre  leurs  hommages.  Et 
ainsi  Dieu  s'est  voulu  servir  de  la  main  d'un  barbare  pour 
faire  triompher  sa  croix,  au  milieu  de  la  barbarie .  .  .  .  " 


X 


Paroisse  de  Saint-Jean 

Paysages  enchanteurs — Beaux  chemins — Rivière  Maheu — Ren- 
contre des  Iroquois  sur  ses  bords — ^Mort  de  Jean  Lauzon — 
Famille  du  Sénéchal — Ruines  de  sa  maison — 
Industries — Pilotes — ^Cimetière. 

La  première  paroisse  que  l'on  rencontre  après  avoir 
laissé  Saint-François,  est  Saint-Jean-Baptiste.  Elle  a 
plus  de  deux  lieues  de  long-,  s'étendant  depuis  la  rivière 
Maheu,  d'un  côté,  jusqu'à  la  demeure  des  représentants 
André  Terrien,  de  l'autre.  Ces  limites  sont  reconnues  par 
le  règlement  du  21  septembre  1721,  confirmé  par  un  ar- 
rêt du  Conseil  d'Etat,  du  3  mars  1722. 

"  L'étendue  de  la  paroisse  de  Saint-Jean,  située  en  la 
dite  île  et  le  comté  Saint-Laurent,  au  bord  du  chenal  du  sud 
sera  de  deux  lieues  et  un  quart,  k  prendre  du  côté  d'en 
bas,  depuis  et  compris  l'habitation  d'André  Terrien,  en  re- 
montant, jusqu'à  la  rivière  Maheu,  ensemble  des  profon- 
deurs renfermées  dans  ces  bornes  jusqu'à  la  moitié  de  la 
dite  île.  " 


—  71  — 
La  première  église  construite  en  cette  localité,  vers  1672, 
n'était  qu'un  édifice  en  bois,  de  la  grandeur  d'une  maison 
ordinaire,  fait  en  colombage  comme  on  les  faisait  presque 
toutes  à  cette  époque.  Elle  avait  45  pieds  de  long,  sur  20 
de  large,  et  n'était  pas  encore  achevée  en  1684.  Remar- 
quons aussi  qu'il  y  avait  k  peine  quinze  ans  qu'on  y  avait 
commencé  les  premiers  défrichements,  et  qu'on  y  comptait 
alors  guères  plus  de  175  individus.  C'est  vers  1669,  au- 
tant qu'il  est  possible  d'en  juger  par  les  anciens  titres,  que 
se  firent  les  premiers  établissements  à  Saint-Jean. 

Les  registres  de  cette  paroisse  qui  pourraient  nous 
éclairer  sur  ce  point,  sont  très  incomplets,  ayant  été 
gâtés  par  l'humidité,  lorsqu'ils  furent  enfouis  dans  la  terre 
à  l'époque  de  l'invasion.  Ils  sont  tellement  altérés  qu'ils 
sont  parfois  illisibles.     -  >v>-   ^ 

Elle  fut  appelée  Saint-Jean  en  souvenir  du  Sénéchal,  le 
fils  aîné  du  gouverneur  Jean  de  Lauzon.  Une  de  ses 
filles,  Angélique,  fut  religieuse  au  monastère  des  Ursulines 
et  prit  le  nom  de  sœur  Saint-Jean.  Elle  était  la 
troisième  fille  du  Sénéchal  ;  un  jeune  garçon,  Charles, 
l'unique  héritier  de  cette  noble  famille,  mourut,  jeune 
encore,  et  ses  biens  patrimoniaux  passèrent  h  la  famille 
Juchereau  de  Saint-Denis, 


—  72  — 
De  Saint-Laurent  à  Saint-Jean,  le  chemin  est  toujours 
beau  et  bien  entretenu.  Les  églises  de  ces  deux  paroisses 
sont  <i  deux  lieues  l'une  de  l'autre,  sur  le  bord  du  fleuve 
et  le  parcours  d'une  ëglise  à  l'autre  se  fait  au  milieu  d'une 
belle  campagne,  parsemée  de  champs  magnifiques  et  de 
jardins  délicieux.  Le  paysage  est  partout  enchanteur  et 
parfois  grandiose,  et  les  scènes  v^ariées  qui  se  déroulent 
sous  les  yeux  du  touriste  commandent  l'admiration  et  la 
reconnaissance  pour  l'auteur  de  toutes  ces  merveilles. 

Les  terres  n'ont  ici  généralement  qu'un  arpent  et  demi 
de  front,  sur  trente  en  profondeur.  Cependant,  on  en 
retranche  toujours  quelques  morceaux,  chaque  année,  à 
l'agriculture,  pour  augmenter  le  nombre  des  emplace- 
ments, qui  sont  déjà  très-nombreux  en  cette  paroisse. 

La  plupart  des  maisons  de  ce  village  sont  occupées  par 
des  caboteurs,  des  pilotes,  des  constructeurs  de  chaloupes, 
et  par  divers  ouvriers  en  bois,  en  fer,  en  cuir,  car  il  se 
fabrique  en  cet  endroit  bien  des  articles  utiles  au  cabo- 
tage, tels  que  mâts,  rames,  voilures,  etc.  On  y  construit 
même  des  esquifs  qui  ont  eu  une  grande  vogue. 

Il  n'est  pas  dans  toute  la  province  une  seule  paroisse  qui 
soit  aussi  souvent  affligée  par  des  accidents  sur  mer  que 
la  petite  paroisse  de  Saint-Jean,  disait  un  de  nos  journaux. 


—  73  — 

en  rapportant  l'accident  fatal  qui  avait  causé  la  mort  du 
fils  du  capitaine  F.-X.  Dugal,  en  1845.  Presque  toutes 
les  tempêtes  plong'ent  quelques-uns  de  ses  habitants  dans 
le  deuil,  (a)  La  plus  grande  partie  des  victimes  sont  de 
respectables  pilotes. 

Dans  le  cimetière  du  lieu  à  peine  lit-on  sur  les  épitaphes 
les  noms  de  deux  ou  trois  de  ces  braves  navigateurs  qui 
soient  morts  tranquillement  au  milieu  de  leur  famille. 

Sur  les  bords  de  la  rivière  Maheu,  dont  nous  avons 
déjà  parlé,  se  trouvent  les  ruines  de  la  maison  de  Jean  de 
Lauzon,  grand  sénéchal  de  la  Nouvelle-France.  La  sei- 
gneurie, ou  terre  de  Charny,  dont  son  frère  Charles  portait 
le  titre,  était  aussi  dans  l'île  d'Orléans.  On  avait  donné, 
dans  la  famille  de  Lauzon,  le  titre  de  Charny  à  cette  terre, 
pour  faire  revivre,  en  Canada,  le  titre  d'une  terre  ou  sei- 
gneurie que  la  famille  de  Lauzon  possédait  en  Bourgogne, 
de  temps  immémorial.  • 

(a)  Voici  les  noms  des  malheureux  qui  ont  eu  les  flots  pour  tombeau 
depuis  1832  :  M.  Roussel,  Jos.  Paquet,  Antoine  Roussel,  F.-X.  Genest,  1S34, 
Jos.  Larivière,  1836,  Pierre  Forbes,  Gilbert  Fortier,  Jos.  Plante,  1837,  Magloire 
Paquet.  Michel  Forbes,  183S,  Jos.  Condreau.  Geor^'es  Genest,  Jos.  De- 
scombes, Jos.  Eniond,  Ant.  Gobeil,  183g,  Etienne  Tivierj^e,  François  Con 
dreau,  Jos.  Johan,  Jean  Johan,  Thos.  Johan,  Gabriel  Pépin,  Pierre  Pépin, 
Jos*  Royer,  Frs  Rover.  Pierre  Rover,  Ls  Servant,  Frs  Pou'.iot,  Frs  Dupuis, 
Pierre  Dupuis,  Laurent  Paquet.  Geo.  Paquet.  Moïse  Pépin,  Jacob  Pedie, 
Edouard  I<jnace,  J.  Pouliot.  Thos  Pou'.iot.  Joseph  Gobeil,  Thos  Tremblay. 
Amab.  Paquet,  J.-B.  Turcot,  Cécile  Gosselin,  1841,  Pierre  Crépeau,  Octave 
Gobeil,  1842.  J.-Bte  Servant,  Ma^jloire  Crépeau.  1844,  '^"t-  Blouin,  1845,  Hu- 
bert Fortin,  F.-X.  Dugal.     Total,  48  en  12  ans  ! 


—  74—    '■■•■.;     : 

Charles  de  Lauzon,  sieur  de  Charny,  était  fils  du  gou- 
verneur de  la  Nouvelle-France,  Jean  de  Lauzon.  Il  arriva 
au  pays  en  octobre  1652,  fut  g^rand  maître  des  eaux  et 
forêts  de  la  Nouvelle-France,  et  gouverneur  par  intérim  de 
la  colonie  jusqu'en  septembre  1657,  avec  le  titre  de  com- 
mandant j^énéral,  place  qu'en  partant  pour  la  France  il 
remit  à  M.  Louis  d'Aillebout  qui  se  maintint  à  la  tête  de 
l'administration  jusqu'à  l'arrivée  de  M.  le  vicomte  d'Arg"on- 
son,  le  1 1  juillet,  16518.  Etant  repassé  en  France  à  cette 
époque,  il  s'enrôla  dans  la  milice  du  sanctuaire  et  fut 
ordonné  prêtre  en  1659.  A  la  demande  de  monseigneur 
de  Laval,  il  revint  cette  année  même  au  Canada. 

Jean  de  Lauzon,  le  sénéchal,  était  aussi  un  des  fils  du 
gouverneur  Jean  de  Lauzon  que  nous  venons  de  mention- 
ner, et  qui  fut,  ;\  sa  propre  demande,  appelé  par  le  roi  de 
Fiance,  à  l'administration  de  cette  colonie  dont  il  avait 
les  intérêts  à  cœur.  Le  Sénéchal  avait  servi  dans  le 
régiment  de  Guicnne,  ou  de  Navarre,  et  dans  celui  de 
Picardie,  avant  de  se  rendre  au  Canada  avec  son  père. 
Il  fut  revêtu  de  la  charge   de   S'^néchal   (a)   qu'il  exerça 

ra)  T.r<i  Réfléchattx  étaient  appelés  bAilTii^  .  n  rrrtains  lieux.  Ils  arlmini«- 
traient  la  justice  au  nom  fle«  ducs,  qui  «iV-taient  ""^narés  du  |K)uv(iir  et  de 
l'administration  de  la  justice.  n>ais  qui  ne  la  v  A.v  .it  rendre  d  personne. 
I^es  lois  de  France  attribuèrent  aux  Sénéchau.»  t  juifes  ordinaires,  la  con- 
nai^isancf  des  ras  royaux  et  des  causes  d'appel.  Ils  succédèrent  don»;  ii  l'autorité 


-75- 
seulement  quelques  années,   ayant  été  tué,    comme   nous 
l'avons  déjà  dit,  par  les   Iroquois  sur  les  rivages  de  l'île 
d'Orléans. 

Nous  lisons  dans  un  mémoire  du  temps  au  sujet  de  la 
catastrophe  qui  le  ravit  à  l'affection  de  ses  concitoyens  : 

'•  M.  le  sénéchal  Jean  de  Lauzon  fut  tué  par  les  Iroquois, 
dans  la  rivière  Maheu,  où  il  était  entré  pour  s'abriter 
contre  le  gros  vent  du  nord-est.  Son  corps  fut  ramené 
le  24.  " 

Dans  son  Précis  de  P Histoire  du  Canada,  M.  de  Belmont 
est  encore  moins  exact  en  disant  :  M.  le  Sénéchal  fut  tué, 
et  partie  de  sa  famille.  Ce  qui  est  absolument  incorrect. 

Le  Journal  des  Supérieurs  des  Jésuites  est  plus  expli- 
cite ;  voici  ce  qu'il  dit  : 

"1661,  —22  juin.  M.  le  Sénéchal  étant  parti  un  jour  ou 
deux  auparavant  avec  7  ou  8  autres,  pour  aller  donner  avis 
;\  M.  de  I.'Espinay,  son  beau -frère,  qui  était  allé  h  la 
chasse  quelques  jours  auparavant,  du  danger  des  Iroquois, 

des  ducs  et  des  comtes,  qui  avaient  l'administration  de  la  justice  et  des  finances, 
et  jujjeaient  en  dernier  ressort  jusrju'au  temps  où  les  parlements  furent  rendus 
sédentaires.  Les  rois  rrait^nant  qu'ils  n'usurpassent  l'autorité  comme  les  ducs, 
leur  otérent  le  maniement  i\es  finances,  en  nommant  des  intendants,  des 
jjouverneurs.  On  leur  laissa,  néanmoins,  la  conduite  de  l'arriére-ban,  pour 
marque  de  leur  ancien  pouvoir.  L'exercice  de  la  justice  passa  â  leurs  lieute- 
nants. Il  ne  leur  restait  plus  au  tenips  où  il  s'a^jit  ici,  que  l'ixmneur  de  séance 
A  laudience,  et  celui  de  voir  les  sentences,  les  ju^jenients,  etc.,  se  jiorter  en 
leurs  noms.  Le  Sénéchal  était  le  jujje  en  cette  colonie.  I^  juridiction  i^assa 
partie  au  Conseil  supérieur  en  ifc6v  et  partie  aux  mains  de  l'Intendant,  nous 
dit  le  R.  r.  de  Charkvoix.  {Histoire  de  la  .Yuntei/e-Fraitcf,  iomt  Ul,  p.  113.) 


-.;,:_;;:,,       -76-   V-/' 

le  nord-est  l'ayant  empêché  de  passer  outre,  il  s'en  alla 
s'eng-ager  dans  la  petite  rivière  de  René  Maheu,  où  il  fut 
tué  avec  tout  son  équipage  par  les  Iroquois.  Les  corps 
furent  ramenés  le  24.  " 

Le  registre  des  inhumations  de  la  paroisse  de  Notre- 
Dame  de  Québec,  sous  la  date  de  1661,  24  juin,  nous  in- 
forme qu'il  a  été  inhumé  dans  cette  église,  ainsi  que  Nicolas 
Gouillard  dit  Bellerive,  âgé  de  20  ans,  et  Ignace  Lévestre 
Desrochers,  âgé  de  24  ans.  Les  corps  de  ceux  qui  furent 
tués  avec  eux  furent  inhumés  le  même  jour,  au  cimetière 
de  la  même  paroisse.  Voici  leurs  noms:  Elie  Jacquet 
Champagne,  serviteur  de  demoiselle  de  Repentigny,  Jac- 
ques Penoche,  Toussaint.  .  .  .  et  François.  .  .,  serviteurs  de 
monsieur  Couillard,  etc. 

Le  R.  P.  de  Charlevoix  (Histoire  de  la  Nouvelle  France^ 
tome  i^"",  p.  348),  dit  :  "  M.  le  sénéchal  de  la  Nouvelle 
France  étant  allé  à  l'isle  d'Orléans,  pour  dégager  son 
beau-frère  qui  était  investi  dans  sa  maison,  tomba  dans 
une  embuscade.  Les  Iroquois  qui  le  connaissaient,  et  qui 
étaient  fort  aises  d'avoir  entre  leurs  mains  un  prisonnier 
de  cette  importance,  le  ménagèrent  d'abord,  ne  cherchant 
qu'.^  le  lasser  ;  mais  voyant  qu'il  leur  tuait  trop  de  monde, 
ils  tirèrent  sur  lui  et  le  tuèrent  avant  qu'aucun  d'eux  eût 
osé  l'approcher,  n 


—  77—  '-. 

Voilà  commtnt  périt,  k  la  fleur  de  l'âg'^*  un  homme  dont 
les  talents  et  les  vertus  étaient  -'  nécessaires  dans  un  pays 
comme  celui-ci,  où  l'influence  d'un  grand  nom,  en  honneur 
à  la  Cour,  suffisait  souvent  pour  obtenir  une  faveur,  -;u'on 
aurait  refusée  longtemps  aux  prières  et  aux  supplications 
des  humbles  sujets.  Son  dernier  acte  fut  un  acte  de  dé- 
vouement, et  il  tomba,  comme  tant  d*autres  martyrs  de  la 
civilisation  et  de  la  charité,  sous  les  coups  de  ses  ennemis 
féroces,  disparus  aujourd'hui  de  nos  rivages»  et  dont  on 
chercherait  vainement  les  traces.  Ils  ont  été  balayés  de  la 
surface  cîu  sol  qu'ils  ava'ent  abreuvé  du  sang  des  mission- 
naires, et  la  marque  de  Caïn,  gravée  sur  leurs  fronts  par 
i  ne  main  vengeresse,  les   a  tous  suivis  jusqu'au  tombeau. 

Le  beau-frère  de  M.  le  Sénéchal,  mentionné  ici  par  le  R. 
V.  de  Ch.'irlevoix,  était  Louis  Hébert,  sieur  de  l'Espinay. 
On  lira  avec  intérêt  le  récit  du  R.  P.  Jérôme  Lalemant,  de 
!a  compag  lie  Je  Jésus,  consigné  dans  la  Relation  des 
Jésuites.  Il  fournit  d'amples  détails  sur  cet  événement 
douloureux,  et  même  sur  les  premières  années  du  digne 
sujet  de  ses  regrets. 

Après  avoir  rapporté  le  massacre  de  14  Français  à  Trois- 

Rivîèrcs,  par  les  Iroquois,  le  Révérend  Père  ajoute  :         -t 

"  ....  Le  mal  n'a  pas  esté  si  long  à  Kebcc,  mais  plus  violent 


et  plus  sensible,  et  nous  y  avons  fait  une  perte  plus  grande 
incomparablement,  (jue  toutes  celles  qui  ont  précédé  :  c'est  en 
la  personne  de  Monsieur  de  Lauzon,  seneschai  de  cette  Nou- 
velle-France, homme  de  cœur  et  de  re'solution,  rompu  dans 
les  guerres  de  ce  pays-ci,  sur  qui  nous  fondions  une  bonne 
partie  de  nos  espérances,  pour  la  destruction  de  l'Iroquois.  Il 
y  a  plus  de  trente  ans  que  Monsieur  son  père  ne  cesse  d'im- 
moler ses  ^oins  pour  l'establissement  de  ces  nouvelles  terres  ; 
il  y  perdit  l'an  passé  un  de  ses  enfans,  en  voicy  encore  un 
qui  donne  sa  vie  pour  la  conservation  d'un  pais  que  le  père 
avoit,  en  (]uelque  façon,  fait  naître. 

"  Ce  brave  jeune  homme  n'en  i)ouvoit  voir  la  destruction, 
ny  la  désolation  générale  qu'y  causoit  l'ennemy  par  les  meur- 
tres et  par  les  embrasemens,  sans  estre  piqué  d'un  généreux 
désir  de  lui  donner  la  chasse,  pour  sauver  le  reste  des  François 
qui  estoient  dans  le  danger. 

"  Il  monte  en  chaloupe,  luy  huitième,  et  s'estant  approché 
d'une  maison  situét  vers  le  milieu  de  l'Isle  d'Orléans,  dans 
laquelle  les  Iroquois  s'estoient  mis  en  embu^cade,  il  fallut  en 
venir  aux  mains.  Il  y  avoit  sur  le  rivage  un  gros  rocher,  (pli 
pouvait  servir  de  boulevard  à  ceux  qui  s'en  seroient  emparez 
les  premiers  ;  de  (^ucy  s'appercevront  bien  les  ennemis,  ils 
prennent  chacun  deux  ou  trois  pièces  de  bois,  et  les  joignant 
ensemble,  K  s  portent  devant  eux  comme  des  mantelets  à 
répreuve  des  grands  coups  de  fusil,  que  nos  François  déschar- 
geoient  continu 'llement  sur  eux.  Mais  ils  ne  les  purent  empes- 
cher  (le  se  saisir  de  ce  poste  avantageux  d'où,  comme  d'une 
tour  dressée  tout  à  dt^ssein,  ils  avoient  sous  leurs  fusils  et  à 


—  79  — 

leur  commandement  la  chaloupe,  qui,  par  malheur,  s'estant 
eschouée  sur  le  coste'  qui  regardoit  ce  rocher,  présentait  tout 
son  flanc  à  découvert  aux  Troquois,  et  leur  mettoit  en  veiie 
ceux  qui  s'en  dévoient  servir  comme  d'un  retranchement. 

••  Alors  le  combat  commença  tout  de  bon  par  les  descharges 
qui  se  faisoient  de  part  et  d'autre.  Mais  que  pouvoient  faire 
nos  gens,  qui  n'estoient  (\ue  huit  contre  (juarante,  et  tous  dé- 
couverts, contre  ces  furieux  gabionnez  derrière  leur  rocher  ? 
Reconnaissans  donc  bien  qu'ils  n'avoient  de  défense  que  leur 
courage,  et  que  l'extrémité  où  ils  se  voyoient  les  obligeoit  de 
songer  plus  au  salut  de  leur  âme  qu'à  la  seureté  de  leur  corps, 
ils  commencèrent  l'attaque  par  la  prière  publique,  (ju'ils  firent 
par  trois  fois,  pendant  (jue  les  ennemis,  (jui,  sentant  bien  leur 
avantage,  et  qui  se  tenoient  déjà  victorieux,  leur  firent  trois 
sommations  de  se  rendre,  faisant  mille  belles  promesses  de 
la  vie. 

"  Mais,  Monsieur  le  Seneschal,  préférant  une  glorieuse  mort 
à  une  h  nteuse  captivité,  refusa  tous  ces  pourparlers,  et  ne 
repondoit  h  ces  semonce?  que  par  la  bouche  de  son  fusil  ;  et 
comme  il  s'y  comportoit  le  plus  chaudement  ae  tous,  aussi  fut- 
il  le  premier  tué,  et  peu  après  luy  les  autres  François,  sur  les- 
quels l'ennemy  faisoit  sa  décharge  en  toute  assurance,  estant 
couvert  de  ce  gros  rocher  ;  il  n'en  demeura  qu'un  en  vie, 
mais  blessé  au  bras  et  à  l'espaule,  et  mis  hors  de  combat  ;  il 
fut  pris  et  mené  par  les  vainqueurs  dans  leur  pnis,  pour  y 
estre  la  victime  de  leur  fureur  et  de  leur  cruauté. 

"  Quand  ces  tristes  nouvelles,  (jue  nous  avons  sceuës  ])ar  un 
captif  François,  eschappé  des  mains  des  Iroquois,  nous  furent 


—  8o  — 

apportées,  on  ne  peut  croire  les  regrets  qu'eurent  nos  habî- 
tans,  de  la  perte  de  leur  Seneschal,  qu'ils  aimoient  unique- 
ment, et  qui  faisoienl  tant  d'estat  de  son  courage,  qu'au  moin- 
dre signal  qu'il  donnoit,  ils  estoient  tous  en  armes  à  ses  costez 
pour  le  suivre  partout  :  il  lv.\s  gagnoit  par  une  certaine  fami- 
liarité, avec  laquelle  il  s'accommodoit  à  tous,  en  sorte  qu'ils 
estoient  ravis  de  combattre  sous  un  chef,  dont  ils  faisoient  une 
estime  merveilleuse,  et  avec  raison. 

"  Monsieur  le  Duc  d'Espernon  l'avait  conside'ré  en  France, 
puisqu'à  l'aage  de  dix-neuf  à  vingt  ans,  sortant  de  l'Académie  ; 
il  l'avoit  honoré  de  l'Enseigne  Colonelle  du  Régiment  de 
Navarre,  dans  lequel  et  dans  celuy  de  Picardie  ayant  seivy  en 
Flandres  trois  ou  quatre  campagnes  ;  il  ne  voulut  jjoint  se 
séparer  de  Monsieur  son  père,  que  le  Roy  envoyait  Gouver- 
neur en  la  Nouvelle  -  France,  ou  ce  brave  (ieniilhomme  a 
rendu  des  preuves  de  sa  vertu,  donnant  des  marques  de  sa 
générosité  jusques  au  dernier  soupir. 

ti  En  suite  de  cette  nouvelle,  le  desordre  se  tint  de  tous 
costez,  et  le  découragement  laissoit  presque  tout  en  proye  à 
lennemi,  ijui,  comme  maistre  de  la  campagne,  bruslait,  tuoitet 
enlevoit  tout  avec  impunité. ...  m 

Cette  incursion  des  barbares  fut  une  de  leurs  dernières  ; 

aussi  leur  avait-elle  coûté  bien  cher. 


8r 


>^»v 


XI 


Paroisse  de  Saint-Laurent 

Orio-i„o  du  nom     Beautés  aj^restes-^Superbes  vergers-Voie  rive 
*    -'ne  -;rro"Sa,„t-Patnce-  Approche  de  la  flotte  an^lais^ 
Den.s  de  V  ,tre-Descente  de  Wolfe- Alarme  géneVale. 

En  laissant  Saint-Jean,    la   première    paroisse    que  ren- 
contre  le  touriste  quand   il   remonte  vers  l'extrémité  nord 
de  l'île,   est   Saint-Laurent.    Cette   paroisse  a  deux  lieues 
et  quart  de  Icn<,.    Le  paysage  y  est  charmant    la  campagne 
jolie,   pleine    d'agréments  et   de  beautés  agrestes,    qu'une 
nature  vraiment  riche  a  prodiguées  sur  tous   les   points. 
Quel    beau  coup  d'œil  pottr  le  marin  qui  louvoie  vis-A-vîs. 
Ces  nombreux  et  beaux  vergers,   ces  hauts  peupliers,    ces 
jolies  habitations,  ces  coteaux  élevés.  .  ....  quelle  réunion 

d'objets  variés  et  pittoresques  ! 

Si  nos  occupations  nous  permettaient  de  faire  encore  une 
course  sur  les  rivages  enchanteurs  de  l'île,  nous  ajoute- 
rîons  bien  d'autres  détails  A  nos  souvenirs  de  vingt  ans  ; 
nous  rendnons  compte  de  tu>s  impressions  et  de  nos  obser- 
vations en  touriste  ;  et.  si  nous  pensions  intéresser  le  lec 
teur,  nous  ne  laisserions  pas  une  pyrite,  sans  en  donner  le 


—  82  -- 

nom  et  }es  formes,  pas  une  mousse,  sans  en  faire  l'examen, 
pas  un  tronc  d'arbre,  pas  une  borne  sans  lui  soutirer  sa 
légfende.  Mais  nous  devons,  pour  le  mom.ent,  en  narrateur 
éloigné  mais  fidèle,  nous  contenter  de  relater  de  vieux 
récits  et  de  glaner  les  faits  les  plus  importants  enfouis  déjà 
depuis  longtemps  dans  nos  cartons. 

La  paroisse  de  Saint-Laurent  fut  d'abord  érigée  sous 
le  vocable  de  Saint-Paul  ;  mais  les  seigneurs  de  l'Ile, 
désirant  qu'il  y  eut  une  paroisse  Saint-Laurent  dans  l'île 
et  comté  de  Saint-Laurent,  il  fut  convenu,  entre  les  auto- 
rités, que  le  titre  de  la  paroisse  de  Saint-Paul  serait  chan- 
gé, et  qu'elle  prendrait  pour  patron  Saint-Laurent,  nom  qui 
convenait  mieux  :\  cette  localité,  qu'à  celle  qui  l'avait 
porté  jusqu'alors  :  Saint-Laurent  de  la  Durantaye,  qu'on 
appela  depuis  lors  comme  aujourd'hui,  Saint-Michel,  du 
comté  de  Bellechasse.  Il  y  a  des  exemples  de  change- 
ments de  cette  sorte,  effectués,  soit  pour  appaiser  des 
différends,  soit  pour  éviter  la  confusion.  La  paroisse  de 
Saint-Valier,  par  exemple,  «.tait  autrefois  connue  sous 
la  désignation  de  Saint  -  Philippe  et  Saint  -  Jacques,  et 
celle  de  Sainte-Anne  de  la  Pérade,  sous  le  nom  de  Saint- 
Nicolas.  ^ 

Les  bornes  de  la  ci-devant  paroisse  de  Saint-Paul,  main- 


tenant  Saint-Laurent,  sont  ainsi  fixées,  au  livre  des  ins- 
criptions léjjfales  des  paroisses.  D'après  le  règ"lement  du 
20  septembre.  1721,  confirmé  par  un  arrêt  du  Conseil 
d'Etat,  du  3  mars,  1722,  l'étendue  de  la  paroisse  de  Saint- 
Paul,  située  en  la  dite  île  et  comté  de  Saint-Laurent,  sera 
de  deux  lieues  et  quart,  à  prendre,  du  côté  d'en  bas,  depuis 
la  rivière  Maheu  en  remontant  sur  le  bord  du  chenal  du 
sud,  jusqu'à  et  compris  l'habitation  de  Pierre  Gosselin, 
ensemble  des  profondeurs  renfermées  dans  ces  bornes  jus- 
qu'au milieu  de  la  dite  île.  • 

On  dit  quelque  part  que  les  premières  concessions  de 
terres  en  cette  localité  ne  remontaient  pas  au-delà  de  1698. 
On  aurait  mieux  fait  de  dire  qu'au  moins  on  ne  trouvait 
pas  de  titres  plus  anciens.  Le  temps  a  fait  son  œuvre, 
voilà  tout  ;  car  les  faits  démentent  cette  assertion.  En 
effet,  il  y  avait  une  église  à  Saint-Laurent  en  1684.  Mon- 
seig'ncur  de  Saint- V'alier,  qui  écrivait  en  1687,  nous  dit, 
dans  sa  lettre  :  {Kstdf  présent  de  V Eglise  du  Canada^  p. 
21),  (a)  que  le  même  prêtre  desservait  Saint-Jean,  Saint- 
Paul  et  Saint-Pierre,  et  que  le  curé  de  la  paroisse  de 
Sainte-Eamille  desserv  ait  Saint-François  ;  puis,  il  ajoute 
qu'il  en  sera  encore  ainsi  pendant  plusieurs  années,  jusqu'à 

(a)  Chez  Auj^ustin  Côté  et  Cie.,  Québec. 


—  84  —  ♦ 

ce  que  le  nombre  des  prêtres  ait  augmenté.  On  a  plus 
tard  modifié  cet  arrangement,  auquel  cependant  il  a  fallu 
revenir  quelquefois  en  différents  temps. 

Derrière  la  pointe  Saint- Laurent,  presque  vis-à-vis 
l'église  de  Saint- Pierre,  mais  du  côté  sud,  se  trouve  le 
havre  appelé  Trou  Saint-Patrice^  que  nous  avons  déjà  men- 
tionné dans  ces  notes.  Nous  reproduisons  ici  le  témoi- 
gnage que  nous  en  donne  feu  le  lieutenant-colonel  Bou- 
chette,  arpenteur  général,  en  sa  Topographie  du  Canada, 
p.  500,  édition  de  1815. 

"  C'est  une  crique  sûre  et  bien  abritée,  où  les  vaisseaux 
destinés  aux  pays  étrangers,  viennent  ordinairement  jeter 
l'ancre,  en  attendant  leurs  instructions  définitives  pour 
faire  voile.  " 

Au  Trou  Saint-Patrice  se  trouve  une  grotte  remarquable, 
que  les  curieux  ne  manquent  pas  de  visiter  lorsqu'ils  pas- 
sent en  cet  endroit.  Elle  a  perdu  cependant  beaucoup  de 
ses  charmes  et  de  son  prestige  depuis  une  trentaine  d'an- 
nées. Quoiqu'il  en  soit,  grotte  ou  trou,  n'aurait-elle  pas 
dans  l'origine,  donné  son  nom  au  bassin  ?.  .  .  . 

Les  rochers  dont  l'Ile  est  environnée  sont,  pour  la  plu- 
part, d'argile  schisteuse,  mêlée  de  ce  que  les  minéralo- 
gistes allemands  appelent  îVaÂe,  mais  au  trou  Saint-Patrice 
le  caractère  des  couches  se  dessine  mieux.  Elles  sont  gêné- 


-  85  - 
.    ralenient  dans  une  position  verticale;  presque  partout  la 
rrauwake  ou  gmy.sacke,  comme  on  disait  autrefois,   pré- 
•      domine  et  forme  sur  les  rives,  des  murs  alignés,  parallèles 
les  uns  aux  autres  et  peu  élevés. 

(a)  Leur  couleur  est  d'un  gris  verdâtre,  et  leur  substance 
semble  être  formée  par  des  parties  de  silex  ou  de  quartz, 
enveloppés  dans  de  l'argile  et  du  sable,  le  tout  pétrifié  par 
l'action  du  temps.     Au  reste,  je  laisse  A  messieurs  lesgéo- 
logues  A  éclairer  le  lecteur  sur  ce  point.  Mon  respect  pour 
leur  science  ne  me  permettant  pas  d'entrer  dans  de  plus 
grands  détails  sur  ce  sujet,  je  reviens  au  genre  descriptif. 
Au-dessus  de  la  ligne  des  hautes  eaux,  les  ^cbers  s'élè- 
vent  à  une  hauteur  qui  atteint  quelquefois  jusqu'à  six  et 
même  huit  toises.   Sur  les  rivages,  se  trouvent  de  la  pierre 
à  bâtir,  et,  dans  bien  des  endroits,  de  la  pierre  à  chaux  de 
bonne  qualité.    On  a  même  construit,    en  cert.aines  parties 
de  l'île,  des  fourneaux  où  l'on  fabrique  de  la  chaux,  que 
les  habitants  de  la  côte  du  sud  achètent  en  asseE  grande 
quantité. 

C'est  à  Saint-Laurent  que  débarqua  le  général  Wolfe,  le 
21  juin    1759,   comme   nou.s  l'avons  dit.      En  mettant  pied 

(ai  La  grauwake  est  une  espice  de  nx-he  formée  des  d^frit,,  ■   1     v»- 


•  —86  — 

à  terre  près  de  l'ég-lise,  l'illustre  guerrier  se  dirigea  vers 
elle,  et  trouva,  sur  la  principale  porte,  un  placard  adressé 
Il  aux  officiers  anglais,  m  les  priant  de  respecter  cet  édifice. 
Wolfe  donna  des  ordres  en  conséquence,  et  le  temple,  qui 
avait  alors  plus  d'un  siècle  d'existence,  fut  conservé. 

Cette  église  devenue,  il  y  a  quelques  années,  insuffi- 
sante pour  les  besoins  de  la  population,  a  été  remplacée 
par  un  nouvau  temple,  construit  auprès  de  l'ancien,  mais 
sur  de  plus  grandes  dimensions.  D'après  ce  que  nous 
affirment  ceux  qui  l'ont  \  isitée,  la  nouvelle  église  est  un 
nou\el  embellissement  pour  l'île  et  elle  ajoute  beaucoup  au 
charmant  coup-d'œil  que  ce  lieu  présente  aux  regards  du 
voyageur. 

L'île  d'Orléans,  surtout  l'extrémiié-est,  fut  le  premier 
théâtre  des  opérations  du  général  Wolfe,  en  1759.  Ce 
plateau  si  calme,  était,  à  cette  époque,  très  animé.  Le 
commandant  français  avait  tenté,  avant  l'arrivée  des  trou- 
pes anglaises,  de  fortifier  l'Ile,  mais  pour  des  raisons  qu'il 
ne  nous  appartient  pas  de  discuter  ici,  ce  projet  n'eut  pas 
de  suites.  D'ailleurs,  nous  aimons  à  faire  place  à  un  témoi- 
gnage contemporain  : 

"  Dès  que  la  nouvelle  fut  arrivée  à  Québec  que  la  flotte 
anglaise,  envoyée  pour  réduire  la  colonie,  était  réunie  au 


•  -87- 

bas  du  fleuve,  l'alarme  fut  grande,  car  jusque  là  on  n'avait 
pas  ajouté  foi  aux  projets  des  Ani^lais.  De  bon  printemps, 
au  commencement  de  mai,  des  ordres  avaient  été  envovés 
dans  toutes  les  paroisses  au-dessous  de  Québec,  pour  con- 
traindre les  cultivateurs  et  les  chefs  de  famille  de  faire  dans 
les  bois  des  lieux  de  refui»"e,  et  de  les  approvisionner,  puis 
de  s'y  rendre  av-ec  leurs  enfans  et  tous  les  effets  de  mé- 
nag'e,  ustensiles  de  culture,  bestiaux,  et  autres  vivres  dès 
qu'on  aurait  la  nouvelle  de  l'approche  de  î'onnemi.  On  fit 
donc  partir  des  courriers  pour  mettre  ces  ordres  à  exécu- 
tion, avec  injonction  de  faire  évacuer  entièrement  l'île  d'Or- 
léans, l'île  aux  Coudres,  etc. 

"  Ces  ordres  si  précipités,  et,  sans  doute,  irréfléchis, 
furent  gauchement  interprétés  et  bien  mal  exécutés.  La 
crainte,  la  peur  et  l'animosité,  sont  de  fort  mauvaises  con- 
seillères. La  maladresse  et  la  précipitation  firent  à  des  mil- 
liers de  propriétaires  plus  de  tort  que  l'ennemi  n'en  aurait 
pu  faire.  Nombre  de  familles  ont  été  ruinées  par  cet  em- 
pressement inutile  ;  les  trois-quarts  des  bestiaux  périrent, 
et  de  lonj^-temps  les  cultivateurs  de  l'islr  aux  Coudres  et  de 
l'isle  d'Orléans,  qui  renfermaient  au  moins  cinq  mille  têtes 
de  jJ^ros  bétail,  ne  se  relevèrent  de  cette  perte,  sans  parler 
des  personnes,  femmes  et  enfans,  qui  malheureusement 
périrent  dans  la  bagarre,  ayant  été  rassemblés  à  une  extré- 
mité de  ces  îles,  sans  qu'on  eût  auparavant  procuré  des 
bateaux  en  ni»mbre  suflîs.mt  pour  les  transporter,  ni  sor^j^é 
;\  y  amasser  des  vivres  pour  les  nourrir.  On  avait  encore 
moins  pensé  h  y  élever  des  abris  pour  leur  retraite 

"  Vers  le  dix  juin,  on  rapporta,  à  Québec,  que  les  habi- 


tans  de  l'isle  d'Orlcans,  avant  d'évacuer  î'isle,  avaient 
caché  tout  leur  j^rain  dans  les  bois,  de  telle  façon  néan- 
moins qu'il  était  aisé  de  le  trouver.  L'autorité  donna 
aussitôt  ordre  de  l'enlever  ;  mais  à  cette  condition,  toute- 
fois, de  le  payer  à  ceux  qui  s'en  déclareraient  les  proprié- 
taires. La  quantité  de  blé,  ainsi  reconnue,  se  monta  à 
20,000  minots,  quantité  vraiment  prodig'ieuse  h  cette 
saison,  et  pour  une  isle  qui  ne  contenait  pas  2,500  habi- 
tans,  sans  compter  les  autres  quantités  cachées,  en  des 
endroits  qu'on  ne  put  découvrir,  ni  ce  que  les  particuliers 
avaient  dû  emporter  pour  leur  subsistance .... 

Il  On  plaça  un  détachement  dans  l'isle  d'Orléans.  \'ers 
le  20  juin,  on  fit  reconn:utre  les  dispositions  de  l'ennemi, 
et  l'on  y  fit  passer  quatre  canons  ;  mais  ils  ne  furent  d'au- 
cune utilité.  On  prit  en  même  temps  le  parti  de  renforcer 
le  détachement  qui  y  avait  été  en\oyé,  en  y  ajoutant  de 
cinq  à  six  cents  canadiens,  et  quelque  troupes  sauvai^es, 
arrivées  des  pays  d'en  haut,  soit  pour  empêcher  les  Anj^Iais 
de  mettre  pied  à  terre,  jusqu'à  ce  que  leur  flotte  fût  supé- 
rieure, soit  pour  retarder  seulement  leur  descente,  lors- 
qu'ils seraient  en  état  de  l'opérer,  ti 

Bientôt  on  s'aperçut  c|ue  les  dispositions  prises  pour 
causer  quelques  avaries  aux  vaisseaux  ennemis,  déjà  à 
l'ancre  par  le  travers  de  l'île  d'Orléans,  devenaient  toutes 
infructueuses.  Le  i*' juillet,  les  Ani^lais.au  nombre  de  neuf 
à  dix  mille  hommes,  y  débarquèient  et  y  campèrent.  M. 
de  Courtomanche,  qui  y  était  resté  avec  un  détachement, 


—  89  — 
fit  sa  retraite  le  trois  de  juillet,  sur  une  lettre  reçue  la  veille, 
de  M.  le  marquis  de  Vaudreuil,  qui  lui  intimait  l'ordre 
d'évacuer  l'île,  et  de  traverser  à  Beauport.  On  renou- 
vela encore  plusieurs  fois  le  projet  d'envoyer  des  troupes 
dans  l'île,  mais  il  n'a  jan.ais  été  exécuté  avec  succès. 

Sous  le  g"ouvernement  français,  on  avait  établi  une 
suite  de  sij^^naux,  k  l'aide  desquels  on  transmettait  à 
Québec  \e3  nouvelles  de  ce  qui  se  passait  dans  le  bas  du 
fleuve,  h  peu  près  comme  ceux  entretenus  depuis,  par  le 
i^ouvernement  ani^^lais,  jusqu'à  1850.  En  175S,  on  en 
construisit  trois  :  le  premier  ;'i  Saint-André  de  l'Ilet-du- 
PortajT^e,  district  de  Kamouraska,  et  la  i^arde  en  fut  assi- 
gnée «i  M.  de  Léry  ;  le  deuxième,  établi  sur  une  hauteur  k 
Kamouraska,  était  confié  aux  soins  de  M.  de  Montesson  ; 
et  le  troisième,  placé  sur  l'île  d'Orléans,  était  sous  la  direc- 
tion de  M.  de  Lanaudière.  On  les  fit  bientôt  abattre  dès 
qu'ils  ne  purent  plus  servir  k  annoncer  les  vaisseaux  fran- 
çais. 

De  plus,  comme  pour  monter  de  l'Ile-aux-Coudres  h 
Québec,  il  faut  suivre,  du  côté  du  nord,  un  chenal  qui 
biaise,  on  avait,  pour  la  commodité  des  marins,  fait  des 
amarques  dans  les  îles  au  moyen  d'abattis,  qui  servaient  à 
les  guider  jusqu'il  l'île  d'Orléans,  à  rextrtmité  de  laquelle 


—  90  — 

ii  y  en  avait  une  autre  en  pierres.  On  n  av'ait  pas  encore 
mis  en  usa^re  le  système  des  bouées.  Pour  tromper  l'en- 
nemi, on  abattit  le  bois  de  l'île  et  on  fit  disparaître  toutes 
les  auties  amarques. 

Malgré  ces  précautions,  la  flotte  angolaise  arriva  sans 
encombre  à  l'île  d'Orléans.  On  a  su  depuis  qu'un  navi- 
gateur français,  Mathias  Denis  (de  Vitré),  (a)  qui  avait 
lonj;-temps  vécu  en  Canada,  avait  consenti,  moyennant  de 
grandes  promesses,  à  conduire,  jusqu'à  Québec,  les  vais- 
seaux ennemis,  et  que  quelques  pilotes  du  bas  du  fleuve, 
qu'on  avait  attirés  en  hissant  le  pavillon  français,  avaient 
été  détenus  à  bord  et  forcés  de  diriger  les  barques.  La  tra- 
hison du  premier,  comme  celle  de  tous  les  fourbes,  ses 
devanciers,  ne  lui  fut  guère  profitable.  Honni  et  repoussé 
par  ceux  qu'il  avait  servis,  il  mourut  pauvre  et  misérable, 
à  Londres,  après  avoir  longtemps  réclamé,  mais  en  vain, 
le  prix  de  sa  perfidie.  C'est  de  son  camp  de  l'île  d'Orléans, 
que  le  général  anglais  adressa  au  peuple  Canadien,  un 
manifeste  qui  devait  demeurer  sans  effet.  En  compagnie 
des  officiers  du  génie,  l'intrépide  W'olfe  ayant  jeté  un 
coup  d'œil  sur  les   fortifications  de  Québec,  et  sur  les  ou- 

\  rages   qui    les  protégeaient,    résolut   d'attaquer   le  camp 

(a)  Denis  de  \'itré  était  fils  de    I  héud^re  de  \itré  et  de   Marie-Josephine 
Des  Bergères. 


—  91  — 

retranche  des  Français,  sur  les  hauteurs  de  Montmorency, 
après  avoir  tenté  inutilement  un  coup  de  main  du  côté 
de   la  Pointe-Lévis. 

C'est  le  26  juillet,  suivant  Warburton,  que  Wolfe  arriva 
en  face  de  l'île  d'Orléans.  Dans  la  nuit  suivante  quelques- 
unes  de  ses  troupes  s'avancèrent  à  la  faveur  des  ténèbres 
jusqu'au  nord  de  l'Ile,  et  y  découvrirent  un  corps  assez 
nombreux  d'habitants,  occupés  à  brûler  ce  qui  pouvait 
être  utile  aux  envahisseurs.  . 

Le  27,  le  débarquement  s'opéra,  près  de  l'église  Saint- 
Laurent.  Le  général  Wolfe,  après  avoir  essayé  de  réduire 
Québec  par  un  bombardement  actif  et  prolongé,  qui  réduisit 
en  cendres  une  partie  de  la  hautc-vtlle,  après  avoir  incen- 
dié la  basse-ville  tout  entière,  se  décida  à  attaquer  l'aile 
gauche  des  Français,  au  sault  de  Montmorency.  Il  le  fit 
avec  8,000  hommes  qu'il  avait  fait  débarquer  k  l'Ange- 
Gardien,  le  31  juillet.  Les  batteries  anglaises  ouvrirent 
leurs  feux  et  les  assaillants  voulurent  forcer  les  retranche- 
ments ;•  mais  les  décharges  meurtrières  des  Français  jet- 
tèrent  la  frayeur  dans  les  colonnes  ennemies  et  tout  aussi- 
tôt il  s'en  suivit  un  affreux  désordre.  Repoussées  sur  tous 
les  points,  elles  se  rembarquèrent  dans  une  grande  con- 


—  92  — 

fusion,  malgré  les  cris  et  les  ordres  réitérés  des  chefs  pour 
rallier  leurs  troupes  éperdues. 

Ne  pouvant  s'emparer  de  la  ville,  les  Anglais  s'occu- 
pèrent, pour  se  consoler  de  leur  échec,  à  ravager  les  cam- 
pagnes circonvoisines.  On  lit  à  ce  sujet,  k  la  page  5 
du  Journal  de  r Expédition  sur  le  fleuve  Saint- luiurent^ 
l'extrait  suivant  tiré  du  New-York  Mercury  : 

"  Le  23,  nous  reçusmes  un  bon  renfort,  c'était  un  renfort 
de  trois  cents  colons,  (miliciens  des  colonies  de  la  Nou- 
velle-Angleterre), qui  débarquèrent  à  l'isle  d'Orléans. 

"  Le  25,  trois  compagnies  de  grenadiers  et  trois  com- 
pagnies d'infanterie  légère,  firent  le  tour  de  l'isle  d'Orléans. 

"  Le  27,  ils  revinrent  au  camp..  .  Ce  qui  restait  de 
troupes  s'occupa  l\  recueillir  les  effets  pillés,  dont  s'était 
emparé  le  peloton  qui  avait  f  lit  le  tour  de  l'isle.  Leur  butin 
consistait  généralement,  A  part  quelque  argent,  en  linges, 
habillemens,  etc.  m 

C'est  aussi  dans  l'île  d'Orléans  que  le  général  Wolfe 
établit  ses  hôpitaux,  pour  les  malades  et  pour  les  blessés. 

En  1858,  un  siècle  environ  après  la  cession  du  pays, 
les  habits  rouges  firent  de  nouveau  leur  apparition  dans 
l'Ile,  mais,  cette  fois,  les  insulaires  ne  furent  p  s  obligés 
de  chercher  un  refuge  dans  les  bois.  Le  gouvernement 
militaire  avait  loué  un  terrain  pour  exercer  les  soldats  au 
tir  la  h.  carabine.     Le  tir  à  la  cible  a  toujours  été  consi- 


—  93  — 
déré  comme  une  chose  éminemment  utile,  pour  l'instruc- 
tion pratique  des  troupes  ;  mais  avec  les  perfectionnements 
nouveaux,  apportés  à  la  fabrique  des  armes  à  feu,  cet 
exercice  est  devenu  indispensable.  On  sait  qu'avec  des 
carabines  rayées,  il  faut  choisir  son  point  de  mire,  selon 
la  distance  h  laquelle  il  faut  tirer.  Or  l'habitude  d'appré- 
cier les  distances  à  l'œil,  ne  peut  s'acquérir  que  par  des 
essais  souvent  répétés. 


XII 


De  l'Emplacement  du  Fort 

Découverte  de  la  Terre  du  Fort  — Défrichements  des  Hurons  sous 

la  garde  du  Père  Garreau— Leur  vie,  leurs  luttes  avec  l'Iro- 

quois— Trou  Saint-Patrice— Dissertations. 

Il  nous  reste  h  rappeler  brièvement  les  circonstances  de 
rétablissement  des  Hurons  dans  l'île  d'Orléans  et  hi  décou- 
vert' de  l'emplacement  du  Fort  qu'ils  y  occupaient. 

Il  se  rattache,  en  effet,  à  ce  lieu  beaucoup  d'intérêt, 
puisque  là  se  trouvaient,  il  y  a  plus  de  deux  siècles,  un 
certain  nombre  de  fainilles  huronnes,  pauvres  débris  d'une 
de  ces  puissantes  nations  qui  couvraient  autrefois  le  sol 
du  Canada.  Toujours  en  butte  aux  persécutions  incessantes 


—  94  — 
de  ses   perfides   ennemis,  les   Iroquois,    épuisée  et  presque 
anéantie  par  des  guerres  continuelles  et  désastreuses,   la 
nation  huronne  chercha  sa  sûreté  en  se  dispersant. 

D'après  l'avis  des  chefs  qui  n'avaient  pu  s'entendre  sur 
un  projet  d'ensemble,  les  guerriers  des  tribus,  suivis  de 
leurs  familles,  se  divisèrent  en  cinq  bandes  principales,  dont 
la  première  se  retira  dans  les  îles  qui  sont  dans  la  partie 
nord  du  lac  Huron,  surtout  l'île  Manitouline  ;  la  seconde 
troupe  se  joignit  aux  Iroquois  ;  la  troisième  alla  occuper 
l'île  de  Michillimakinac  ;  la  quatrième  demanda  asile  et 
protection  à  la  nation  du  Chat.  Errieronnons,  et  la  plus 
grande  partie  de  la  cinquième  se  retira  auprès  des  colons 
français  de  Québec,  avec  ses  missionnaires,  vers  l'année 
1650,  et  le  reste  de  leur  troupe  vint  se  réunir  à  eux  quel- 
ques années  après. 

C'est  de  cette  cinquième  bande,  la  seule  qui  ait  presque 
survécu  jusqu'à  nous,  que  nous  avons  à  nous  occuper. 

Comme  on  ne  pouvait  leur  donner  place  dans  la  ville 
même,  et  qu'il  était  dangereux  pour  eux  de  demeurer  hors 
des  murs,  les  Révérends  Pères  Jésuites,  après  avoir  tenté 
divers  moyens  d'accommodement  avec  les  autorités  civiles 
de  la  colonie,  achetèrent,  en  1651,  de  madame  Eléonore 
de    Grand  -  Maison,    épouse    de    François    de    Chavigny, 


écuyer,  sieur  de  Berchereaux,  dont  on  a  parlé  plus  haut, 
un  lot  de  terre  sur  la  Pointe  de  l'île  d'Orléans,  qu'ils  par- 
tagèrent également  entre  les  chefs  de  familles  hurons.  Ils 
construisirent  dans  le  voisinage  des  huttes  sauvages,  une 
maison  de  prière,  une  modeste  résidence  pour  le  mission- 
naire, et  en  outre  un  fort  en  pieux,  semblable  à  celui  de 
l'île  Saint-Joseph,  maintenant  appelé  Charity  Islande  h 
sept  lieues  de  Pennetanguishene,  dans  le  lac  Huron. 

L'auteur  de  la  brochure  qui  nous  occupait,  en  1864,  pré- 
tend avoir  découvert  l'emplacement  où  ce  fort  fut  con- 
struit. 11  n'y  a  pas  de  doute  que  la  terre  du  Fort  ne  soit 
celle  qui  fut  achetée  pour  établir  les  Hurons.  On  en  trouve 
la  position  marquée  avec  exactitude,  sur  une  carte  de  l'île 
et  comté  de  Saint-Laurent.  Mais  k  quel  endroit  précis, 
c'est  là  que  gît  la  difficulté.  Si  ce  fort  eut  été  construit  en 
bois,  il  y  a  longtemps  qu'il  n'en  existerait  plus  de  vestiges  ; 
mais  les  écrivains  conviennent  qu'il  fut  construit  exacte- 
ment comme  celui  de  Saint-Joseph,  qui  se  composait  d'un 
mur  de  pierres  de  douze  pieds  de  hauteur,  flanqué  de  quatre 
bastions  dont  on  voit  encore  les  ruines.  (Voir  Traduction 
de  la  vie  du  Père  Bressiani,  par  le  Rév.  P.  Martin,  p.  38). 
Or,  le  fort  de  l'île  d'Orléans  étant  exactement  semblable, 
doit  avoir  eu  au  moins  des  fondations  en  pierres  et  être 


surmonté  de  pieux  !  Adoptera  qui  voudra  ce  superbe  raison- 
nement, nous  laissons  à  chacun  pleine  liberté  sur  ce  point. 
Mais  nous  ne  croyons  point  devoir  céder  devant  la  puis- 
sance d'une  pareille  logique,  et  nous  aimons  à  croire  que 
personne  ne  nous  en  cherchera  noise.  Les  deux  forts 
étaient  semblables  par  les  dimensions,  par  les  formes,  et 
non  pas  par  les  matériaux,  dit-on  :  et  pourquoi  sous  les 
pieux  de  ce  fort  en  pieux,  aurait-on  mis  un  mur  en  pierres  ? 
Ici  on  ferait  vainement  appel  à  la  science  des  architectes. 
On  ne  construisait  pas  ainsi  autrefois,  je  veux  dire  au  temps, 
dont  il  s'agit  ici.  D'ailleurs,  les  Jésuites  n'en  avaient  pas 
les  moyens.  A  la  fin  du  chapitre  III,  Relation  de  Vannée 
16^2,  par  le  R.  P.  Ragueneau,  on  lit  : 

"  Nous  avons  aidé  ces  bonnes  gens  à  défricher  des 
terres  comme  vous  avez  appris.  Ils  ont  recueilly  cette 
année  une  assez  bonne  quantité  de  bled  d'inde ....  Nous 
avons  fait  bastir  vn  Réduit  ou  espèce  de  Fort  pour  les 
défendre  contre  les  Iroquois  ;  il  est  à  peu  près  de  la 
même  grandeur  de  celuy  qui  estait  aux  Hurons  au  lieu 
nommé  Ahouendaé.  Nous  avons  aussi  fait  dresser  une 
chapelle  assez  gentille,  et  une  petite  maison  pour  nous 
loger.  Les  cabanes  de  nos  bons  néophytes  sont  tout  au 
près  de  nous,  à  l'abry  du  Fort.  Les  Iroquois  nous  obli- 
gent de  les  secourir,  etc.  " 


—  97  — 

Dans  la  Relation  de  16^6,  chap.  III,  à  propos  du  mas- 
sacre des  Hurons  par  les  Iroquois,  le  R,  P.  Le  Jeune  dit  : 
"  .  .  .  .  Le  reste  se  sauvant  dans  notre  maison  enceinte 
d'une  palissade  de  bonne  défense,  etc.  "  Dans  l'île  de 
Michillimakinac,  en  1670,  ils  élevèrent  une  palissade  de  25 
pieds  de  haut,  pour  protég-er  leur  village,  mais  il  n'est  pas 
parlé  de  murailles  au-dessous. 

Que  l'auteur  voulant  faire  une  glacière  ait  découvert  les 
restes  d'une  muraille  de  cinq  pieds  d'épaisseur,  recouverte 
d'un  pied  de  terre,  et  enveloppée  d'épines  et  de  jeunes 
érable.-^,  c'est  ce  que  nous  ne  sentons  aucune  inclination  à 
contester.  Mais  de  là  en  augurer  que  c'est  l'enceinte  d'un 
fort,  en  conclure  que  le  fort  des  Hurons  a  été  construit 
là,  qu'il  était  en  pierres,  etc.,  c'est  être  très  accommodant. 
On  pouvait  tout  aussi  carrément  dire  que  c'est  le  solage 
d'une  maison  détruite  par  le  temps,  ou  transportée  ailleurs, 
ou  alléguer  que  ce  sont  les  ruines  d'un  moulin. 

Etablissons  maintenant  que  les  RR.  PP.  Jésuites  déci- 
dent les  Hurons  à  se  retirer  sur  la  terre  du  Fort,  et  que 
Madame  de  la  Forest  concède  à  d'autres  individus  et  non 
pas  aux  Jésuites,  une  autre  terre  du  P^ort  (Journal  des  RR. 
PP.   Jésuites,    1650.)  :    "  Consulté  pour    savoir  s'il  fallait 

loger  et  donner  place  aux  Hurons  sur  nos  terres  de  Heau- 
7 


port,  il  fut  dit  que  oui,  mais  qu'il  fallait  que  ce  fussent  les 

familles  les  plus  choisies  et  qu'il  fallait  se  résoudre  de  faire 

la  dépense  de  500  écus  par  an  pour  ce  sujet. 

;     "  165 1,  mars. — Les  Hurons  quittent  Beauport  pour  l'isle 
d'Orléans.  " 

Nous  lisons  encore  au  Journal  des  Supérieurs  de  la  mai- 
son des  Jésuites  que  nous  sommes  heureux  de  pouvoir  con- 
sulter sur  ce  point  : 

"  1651,  19  mars. — Contrat  avec  Demoiselle  de  Grand- 
Maison,  pour  les  terres  en  faveur  des  Hurons  qui  vont 
habiter  l'isle  d'Orléans.  "  > 

Et  plus  bas  :  v      ^  .  , 

"  1651,  29  mars.- — Le  Père  Cliaumonot  va  demeurer  à 
l'isle  d'Orléans.  " 

"  Même  année,  18  avril. — Partage  des  terres  de  demoi- 
selle de  Grand-Maison ....  Les  parts  sont  de  trente  à  qua- 
rante perches,  sur  un  demi  arpent.  .  .  .  Tout  le  monde  est 
content.  .  .  .  On  commence  à  semer.  ..." 

Nous  avons  vu  comment  M.  de  la  Forest  avait  laissé  le 
pays.  Or,  le  i^"''  mars,  1652,  madame  Eléonore  de  Grand- 
Maison  représenta  par  requête  au  gouverneur  Jean  de 
Lauzon,  que  son  mari  (François  de  la  Forest),  lui  avait 
abandonné  tout  ce  qu'il  possédait  en  cette  colonie,  laissant 
ses  affaires  dans  un  état  d'incertitude,  etc.  Sur  les  obser- 
vations de  la  dite  dame,  le   gouverneur   décida  que  son 


—  99  — 

époux  serait  privé  de  ses  biens,  que  ceux  qui  avaient  pris 
de  lui  des  terres  en  concession  les  défricheraient,  et  il 
disposa  des  terres  et  seigneuries  qui  lui  appartenaient,  en 
faveur  de  la  dite  dame  Eléonore  de  Grand-Maison,  qui  en 
devait  jouir  selon  les  conditions  faites  à  son  époux. 

Les  PP.  Jésuites  ont  donc  concédé  cette  terre  du  Fort, 
de  madame  de  la  P'orest,  un  an  avant  qu'elle  fut  autorisée 
à  en  disposer.  C'est  en  mars  1651,  sous  l'administration 
du  gouverneur  d'Aillebout,  et  non  dès  164g,  comme  on  l'a 
dit  quelque  part,  que  les  sauvages  Hurons  furent  conduits 
par  le  Père  Ragueneau  sur  la  terre  du  Fort,  et  madame  de 
la  Forest  ne  fut  autorisée  h  jouir  des  biens  délaissés  par 
son  mari  qu'en  mars  1652.  (Nous  trouvons  ailleurs  des 
renseignements  encore  plus  étendus.) 

En    1724,    la  terre  du  Fort,    paroisse  Saint-Pierre,    fief 
Beaulieu,  appartenait  à  Pierre  Noël.    Dans  le  contrat  qu'il 

m 

exhibe,  devant  le  Conseil  Supérieur,  il  est  consigné  que 
cette  terre  n'avait  que  cent  arpents  en  superficie,  et  il  n'en 
avait  alors  que  soixante  en  sa  possession.  Or,  par  ces 
titres,  on  voit  qu'en  1652,  demoiselle  Eléonore  de  Grand- 
Maison  a  concédé  à  Jacques  Lévrier  ces  soixante  arpents 
de  terre,  c'est-à-dire,  six  arpents  de  front  sur  dix  de  pro- 
fondeur,  (a) 

a    Acte  du  3  avril,  ratifié  le  6  décembre,  même  année,  par  Jacques  Gourdeau. 


V  —   lOO  — 

Voilà  donc  la  terre  du  Fort  concédée  en  1652,  à  Jacques 
Lévrier,  et  les  révérends  Pères  Jésuites  auraient  acheté, 
dès  165 1,  la  même  terre  de  la  même  personne,  mademoi- 
selle Eléonore  de  Grand-Maison  ! .  .  .  . 

Mais  complétons  les  cent  arpents  dont  elle  se  compose  : 
autrement  on  pourrait  faire  des  objections.  Les  quarante 
arpents  qui  devaient  la  compléter  étaient,  en  1657,  et  aupa- 
ravant, en  la  possession  de  Pierre  le  Petit  (a)  qui  la  vendit, 
au  mois  de  mars  même  année,  au  sieur  de  Lauzon  (b). 
Ce  lot  mesurant  quatre  arpents  de  front,  sur  dix  de  pro- 
fondeur, fut  vendu  par  Louis  de  Lauzon,  sieur  de  la  Citière, 
à  Jean  -  Baptiste  Peuvret,  écuyer,  sieur  de  Mesnu  (c). 
Le  12  novembre,  1671,  le  sieur  de  Mesnu  la  revendit  à 
Gabriel  Gosselin. 

Par  un  autre  acte,  on  voit  que  Jean-Baptiste  Peuvret 
vendait.cent  arpents  de  la  terre  dite  du  P'ort,  à  la  pointe 
de  nie. 

(a)  D'où  vient  le  nom  de  l'anse  ;\  Petit,  qui  devait  être  appelée  anse  de  le 
Petit. 

(b)  I.miis  de  I.aiizon,  écuyer,  sieur  de  la  Citière  et  de  Gaudarville,  qui  se 
noya  deux  ans  après  en  revenant  de  l'île  d'Orléans.  Le  Journal  des  Sup)é- 
rieurs  des  Jésuites  s'exprime  ainsi  sur  ce  sujet  :  "1659,  mai  5.  Versèrent 
dans  un  canot  venant  de  l'île  d'Orléans  par  un  pros  vent  du  Nord-Est,  M. 
de  la  Citière,  Larchevesque  et  Ibiérome." 

(c)  Jacques  Peuvret,  écuyer,  éiMUisa  le  15  juillet,  1659,  madame  Catherine 
Nau,  veuve  depuis  seulement  deux  mois  et  dix  jours,  de  Louis  de  Lauzon, 
sieur  de  la  Citière. 


—  loi  -- 

On  pourrait  donc  inférer  de  l.i,  que  plusieurs  dc'^  terres 
du  bout  de  la  verdoyante  île,  portaient  le  nom  de  terres 
du  Fort,  parce  qu'elles  avoisinaient  l'emplacement  du 
Fort,  ou  parce  qu'elles  lui  étaient  absolument  contigiies. 
Dans  tous  les  cas,  cette  appellation  embrasse  maintenant 
une  étendue  trop  considérable  pour  nous  laisser  l'espoir  de 
préciser  exactement  l'endroit  occupé  par  le  Fort  des  Mu- 
rons. La  pauvre  muraille  reste  donc  ce  qu'elle  était  :  les 
ruines  d'une  maison,  d'un  moulin,  peut-être  aussi  les  restes 
du  Fort  indiqué  ;  mais,  en  attendant  des  p-euves  plus 
complètes,  nous  nous  abstiendrons  de  croire  ;i  la  décou- 
verte et  d'adhérer  aux  sentiments  du  chroniqueur  mo- 
derne. 

Veut-on  maintenant  suivre  les  sauvages  dans  l'Ile  et  con- 
naître leur  g'enre  de  vie.  Ouvrons  d'abord  l'ouvrage  de 
Charlevoix.  {Histoire  de  la  Nouvelle-France,  tome  !♦*'',  p. 
317)  et  voir  en  quels  termes  il  y  parle  de  cette  espèce  de 
réduction  : 

H  ....  Les  Hurons  étaient  au  nombre  de  six  cei'ts  dans 
l'île  d'Orléans,  où  ils  commencèrent  à  s'entretenir  de  leurs 
mains.  Comme  c'ét.iit  la  fleur  des  chrétiens  de  cette  natioii, 
qu'ils  n'avaient  point  abandonné  le  Seigneur,  on  peut  juger 
de  leur  ferveur  dans  un  temps  où  tout  portait  à  la  recon- 
naissance envers  celui  qui  mortifie  et  qui  vi\ifie,  toujours 
pour  le  bien  de  ses  élus ....  " 


—  Ï02  — 

Ecoutons  encore  le  récit  d'un  témoin  oculaire.  C'est 
leur  infatig^able  missionnaire,  le  pieux  Joseph-Marie  Chau- 
monot,  prêtre  de  la  compagnie  de  Jésus,  qui  leur  a  rendu 
de  si  importants  services  : 

"  .  .  .  .  J'avais  passé  onze  ans  au  pays  des  Hurons  avant 
qu'il  fut  détruit  par  les  Iroquois.  Le  Supérieur,  voyant 
le  peu  de  sauvages,  qui  avaient  échappés  aux  ennemis,  eut 
la  charité  de  les  inviter  à  descendre  à  Québec.  Rendu  en 
cette  ville,  on  me  donna  le  soin  de  ces  pauvres  étrangers. 
J'y  hivernai  avec  eux  et  au  printemps  je  les  conduisis  h  l'île 
d'Orléans  sur  les  terres  de  notre  compagnie.  Ils  y  abatti- 
rent du  bois,  semèrent  du  bled  d'inde  qui  vint  k  merveille. 
On  paya  des  Frant^ais  pour  leur  aider.  De  plus,  nous 
avions  à  nourrir  tous  ces  sauvages,  auxquels  nous  don- 
nions chaque  jour  une  qviantité  plus  ou  moins  grande 
dépotages  au  riz,  au  bide  d'iiule  et  j'i  la  viande,  selon  qu'ils 
avaient  travaillé  ;\  leu»^  défrichement.  Quelques-uns  mur- 
murèrent d'abord,  pensant  que  nous  \  oulions  taire  défricher 
nos  terres  pour  les  retirer  ensuite  ;  inais  ils  ne  tardèrent 
point  î'i  comprendre  que,  puisque  nous  les  avions  habillés 
et  nourris  tout  l'hiver  à  Québec,  et  puisqu'on  leur  avait 
partagé  même  ce  que  nous  avions  de  terre  faite,  nous  ne 
voulions  pas  les  déloger.  .Alors  ils  nous  chargèrent  de 
bénédictions.  La  seconde  année  ils  nous  remercièrent 
de  leur  a\oir  montré  à  travailler,  et  recueillirent  du  ble- 
d'inde  autant  qu'ils  en  avaient  coutume  d'en  récolter  en 
leur  pays.  " 

Les  dépenses,  auxquelles  l'établissement  de  ces  pauvres 


—  I03  — 
sauvages  entraîna  la  maison  des  Pères  Jésuites,  furent 
très  considérables.  Le  R.  Père  Rag-ueneau,  dans  la  Rela- 
tion de  1651,  chap.  III,  nous  parle  en  ces  termes  de  ce 
qu'on  fit  pour  eux  :  "  Deux  de  nos  Pères  s'y  employent 
avec  des  peines  et  des  ferveurs  qui  méritent  que  Dieu  ait 
pitié  de  ces  pauvres  peuples.  ...  Il  a- fallu  les  nourrir  à  nos 
frais,  cette  première  année,  pour  cela  seul  que  nous  n'en 
avons  pas  esté  quittes  à  huit  mille  livres,  donnant  avec 
plaisir  ce  qu'on  nous  envoyé  de  France  ;  mais  c'est  une 
charité  bien  employée,  puisqu'elle  n'a  d'autre  but  que  le 
salut  des  âmes.  " 

M.  Bowen,  auquel  nous  ne  prêterons  aucune  intention 
mauvaise,  conviendra  cependant  qu'il  a  eu  tort  de  traduire 
(p.  27  de  son  Opuscule)  "  huit  mille  livres,  par  eight  iiun- 
drcd.  Il  avouera  aussi,  sans  difficulté,  nous  l'espérons  du 
moins,  que  le  Révérend  Père  Joseph-Marie  Chaumonot 
fut  le  premier  aumônier  ou  chapelain  de  la  tribu  de  l'île, 
et  non  les  Pères  Gareau  et  Rai^ueneau.  Ce  dernier  était, 
au  contraire,  en  1651.  supérieur  du  Collège  de  Québec  et 
des   Missions  du  Canada.  " 

Cependant,  en  1652,  le  R.  P.  Raguencau  alla  résider  à 
l'île  d'Orléans,  comme  il  le  dit  à  la  ^\\\  du  chapitre  111  de 
la  Relation  de  l'année  1652  :  -  Les  Hurons  sont  en  partie 


—  104  — 
à  l'île  d'Orléans,  où  ils  demeurent  avec  le  Rév.  Père  Ga- 
reau  et  nous  vivons  <i  demi  à  la  hunmnc.  " 

Les  relations  du  temps  comportent  maints  témoignag-es 
de  la  bonne  conduite  et  de  la  piété  des  pauvres  Hurons. 
Leur  foi  vive  et  simple,  leur  obéissance  toujours  affec- 
tueuse et  empressée  aux  missionnaires  qui  étaient  chargés 
de  leur  éducation  relii^ieuse,  faisaient  l'admiration  de  tout 
le  monde.  On  s'étonnait  que  ces  hommes  najjuères  si 
farouches,  accoutumés  k  errer  en  liberté  sur  les  fleuves  et 
au  sein  des  vastes  forêts,  pussent  oublier  ainsi  leur  vie 
nomade  et  aventureuse  et  s'astreindre  à  cultiver  la  terre 
pour  y  trouver  leur  nourriture.  Quelquefois,  cependant, 
leur  indépendance  naturelle  se  ranimait,  les  idées  de  chasse 
et  de  courses  lointaines  venaient  de  temps  en  temps  ré- 
\  eiller  leurs  souvenirs  ;  et,  plus  d'une  fois,  la  pensée  leur 
\  int  de  jeter  là  leurs  instruments  de  culture  et  de  s'élancer 
avec  leurs  frêles  canots  sur  les  eaux  du  fleuve,  pour  cher- 
cher ailleurs  une  vie  plus  conforme  à  leurs  j^oûts.  Mais 
les  Iroquois  étaient  là,  j^^uettant  leur  proie,  et  leurs  mis- 
sionnaires, profitant  de  la  crainte  que  ces  ennemis  leur 
inspirait,  et  de  l'ascendant  que  leur  sollicitude  et  leurs 
bienfaits  leur  donnaient  au  milieu  d'eux,  parvinrent  à  les 


105 


retenir  et  à  leur  inspirer  peu  à  peu  le  goût  de  la  vie  séden- 
taire et  des  travaux  utiles. 


XITI 


Départ  des  Hurons  pour  la  Ville 

Leurs  diverses  stations  à  Québec  et  aux  environs—Sympathies  qu'ils 

rencontrent — Di'^^ours  de  Taiaeronok  h.  la  Supérieure  des 

Ursulines — Autre  perfidie  des  Iroquois. 

Après  sept  années  environ  de  séjour  dans  l'île  d'Orléans, 
les  Hurons  demandèrent  néanmoins  k  aller  s'établir  dans 
Québec,  sous  la  protection  du  canon  du  Fort,  afin  de  n'être 
plus  exposés  aux  attaques  de  leurs  ennemis.  Le  gouver- 
neur, M.  Louis  d'Aillebout,  accueillit  leur  demande  et  leur 
accorda,  pour  asseoir  leurs  cabanes,  un  certain  terrain  où 
ils  demeurèrent  pendant  plusieurs  années.  Un  ancien  plan 
de  Québec,  que  nous  avons  sous  les  yeux,  nous  indique 
les  cabanes  des  Hurons.  Elles  étaient  sur  le  terrain  qu'oc- 
cupent les  maisons  qui  bornent  la  rue  Huade,  depuis  en- 
viron l'Hôtel  Saint-Georges  jusque  vis-à-vis  la  cour  de 
l'église  cathédrale.  De  h'i.  ils  passèrent  h  un  endroit 
appelé  alors  Notre-Dame  des  Anges,  près  Beauport.   C'est 


—  io6  — 

là  que  les  retrouva  leur  ancien  et  bien-aimé  missionnaire, 
le  R.  P.  Chaumonot,  après  quelques  années  d'absence. 

Voici  comment  il  nous  en  parle  dans  ses  intéressants 
mémoires  : 

"  Ma  mission  militaire  étant  terminée  (en  1666),  on  me 
renvoya  à  mes  Hurons  établis  alors  en  deçà  de  Beauport, 
sur  nos  terres  de  Notre-Dame  des  Anges,  à  une  lieue  de 
Québec.  Mais  il  fallut  bientôt  les  placer  ailleurs  pour  les 
mettre  plus  commodém.ent.  On  leur  fit  don  de  grands 
champs  (en  1668)  à  la  côte  Saint-Michel,  h  Notre-Dame 
de  Foye  (Cap-Rouge),  à  cinq  quarts  de  lieue  de  Québec. 
Les  Français  abattaient  les  bois  qu'ils  vendaient  à  la  ville 
et  les  sauvages  nettoyaient  le  lerrain.  Ils  en  ont  eu  le 
profit  sept  ans.  La  chapelle  en  ce  lieu  n'était  que  d'écorces 
et  trop  petite  pour  contenir  tous  ces  pauvres  Hurons,  de 
sorte  qu'il  fallait  dire  deux  messes  les  dimanches  et  fêtes.. 

"  Six  années  après  que  nous  fûmes  établis  à  Notre- 
Dame  de  Foye,  le  bois  et  la  terre  ct^mmençant  à  leur 
manquer,  il  fallut  transporter  ce  village  plus  loin  de  Qué- 
bec et  plus  avant  dans  les  forets.  Eux-mêmes  en  choisi- 
rent le  lieu,  dans  la  seigneurie  Saint-Ciabriel,  (à  l'endroit 
appelé  aujourd'hui  l'Ancienne- Lorette.)  Alors  j'écrivis  les 
raisons  qui  me  portèrent  h  bâtir  là  une  chapelle  de  Lorette 
sur  les  dimensions  de  la  ('usa  Satita,  appelée  la  maison  de 
Lorette,  en  Italie.  Le  père  Dablon,  recteur  du  collège,  et 
supérieur  des  missions  du  Canada,  approuva  mon  dessein 
et,  ayant  communiqué  avec  nos  pères,  conclût  de  bâtir  la 


—  io7  — 

chapelle  en  briques.  Commencée  en  1674,  vers  la  Saint- 
Jean,  elle  fut  ouverte  et  bénite  le  4  novembre,  de  la  même 
année.  " 

Les  Hurons  n'ocuppèrent  ce  lieu  que  pendant  quelques 
années.  Le  besoin  de  se  rapprocher  du  bois,  d'avoir  des 
endroits  de  chasse  plus  productifs,  de  l'eau  plus  salubre,  et 
leurs  terres  étant  devenues  épuisées  faute  d'engrais,  leurs 
chefs  choisirent,  à  la  fin  de  l'hiver  1693,  un  terrain  appelé 
depuis  Lorette,  parce  qu'on  y  édifia  une  nouvelle  chapelle 
sous  le  nom  de  Notre-Dame  de  Lorette,  semblable  en 
tout  à  celle  qu'on  venait  de  quitter.  On  groupa  les  ca- 
banes autour  d'une  place  quarrée,  au  milieu  de  laquelle 
s'élevait  le  temple  qu'ils  venaient  de  bâtir  suivant  les 
dimensions  et  les  proportions  de  Notre-Dame  de  Lorette 
en  Italie.  Ce  qui  fait  que  ces  localités  ont  pris  toutes 
deux  le  nom  de  Lorette  qu'elles  portent  encore  aujourd'hui 
•  e^  que  ces  sauvages  appelaient  dans  leur  langage, 
Malicbtion  dasa,  c'est-à-dire  l'appartement  de  Marie,   (a) 

(a)  M.  Hovven,  qui.  à  la  pa^^-e  24  de  son  livret,  nous  rappelle  les  discours 
éloquents  des  Hurons  (qu'on  jjeut  lire  A  la  pa^^e  45.  du  tome  22,  Relations  des 
y<'.ç«/y«  1654,  édition  de  Québec),  probablement  pour  en  finir  avec  eux,  les 
fait  passer,  à  la  })a{;e  .1^,  de  l'île  d'Orléans  à  Sainte-Foye  et  de  Sainte-Foye  à 
Lorette  où  ils  se  trouvent  encore.  Mais  il  oublie  dans  ce  trajet  la  station 
que  cette  peuplade  fit  A  Québec  et  son  séjour  A  Heauport,  avant  de  se  rendre 
à  N.-l>.  de  Foye.  Encore  semble-t-il  méconnaître  la  résidence  de  cette  tribu 
à  l'Ancienne  Lorette  avant  que  ces  derniers  débris  se  soient  fixés  sur  les  bords 
de  la  rivière  Saint-Charles.  ;\  l'endroit  appelé  aujourd'hui  Jeune  Lorette. 
Comme  on  le  voit  la  narration  pèche  par  certains  endroits  et  l'exactitude  des 
faits  n'est  pas  toujours  sa  qiialité  dominante. 


:'   —  io8  —    ,,;  /;v---" 

Certains  volumes  sont  devenus  très-rares,  soit  qu'ils 
aient  été  tirés  à  petit  nombre  d'exemplaires,  ou  qu'ils  aient 
été  perdus  dans  les  diverses  maisons  religieuses  de  France, 
lors  des  bouleversements  amenés  par  les  g-uerres  des  Calvi- 
nistes, ou  par  les  orages  révolutionnaires.  La  grande 
difficulté  qu'on  a  éprouvée  à  s'en  procurer  une  série  com- 
plète, a  fait  soupçonner  que  les  gouverneurs,  les  inten- 
dants, ou  autres  administrateurs  de  la  colonie,  auraient 
réussi  à  faire  détruire  bon  nombre  d'exemplaires  de  cer- 
taines années,  et  même  à  en  supprimer  la  publication  en 
certains  cas,  parce  que  ces  documents  révélaient  certains 
faits  qui  compromettaient  leur  réputation.  Avouons,  néan- 
moins, qu'il  n'y  a  rien  de  plausible  dans  ces  allégués,  et 
que  nous  ne  trouvons  rien  qui  puisse  les  justifier. 

Quoiqu'il  en  soit,  les  pauvres  débris  de  la  nation  huron- 
ne,  bien  que  sous  Icgide  titulaire  de  la  compagnie  de  Jé- 
sus, et  assurée  de  la  protection  bien  faible,  il  est  vrai,  du 
gouverneur  de  la  colonie,  ne  trouvèrent  pas  une  grande 
sécurité  dans  l'Ile.  Les  Iroquois  n'abandonnèrent  pas 
aussi  facilement  leur  proie  ;  et  plusieurs  tois  ils  vinrent 
porter  la  désolation  et  la  mort  dans  cette  paisible  retraite, 
où  quelques   centaines   de    barbares,    devenus   chrétiens, 


s'étaient  réunis  pour  apprendre  avec  l'enseignement  de  là 
foi,  les  connaissances  et  les  bienfaits  de  la  civilisation. 

Le  15  mai  1656,  les  Iroquois  s'approchèrent  de  î'îîe 
d'Orléans,  puis  un  matin,  avant  le  lever  du  soleil,  ces  per- 
fides  et  implacables  ennemis  tombèrent  sur  une  troupe  de 
quatre-vingt-dix  Hurons,  de  tout  âge  et  des  deux  sexes, 
qui  travaillaient  dans  un  champ,  en  tuèrent  d'abord  six, 
lièrent  les  autres  et  les  embarquèrent  dans  leurs  canots. 
Comme  pour  défier  le  gouverneur,  ils  passèrent  devant 
Québec,  et  firent  chanter  leurs  prisonniers  visà-\is  du 
fort.  Tout  le  monde  s'apitoyait  sur  le  sort  des  malheu- 
reuses victimes,  mais  personne  ne  put  entreprendre  de  les 
délivrer  des  mains  de  leurs  féroces  ravisseurs,  qui  les  con- 
duisirent jusque  dans  leur  village,  sans  avoir  été  inquiétés 
pendant  leur  voynge.  Là  les  infortunés  Hurons  furent 
brûlés  pour  la  plupart,  et  ceux  qui  échappèrent  à  leurs 
cruels  traitements,  furent  distribués  dans  leurs  cantons,  et 
retenus  dans  une  rude  captivité.  (Charlevoix,  Histoire  de 
la  Nouvelle- France,  tome  r»"  page  223.)  On  a  blâmé  le 
gouverneur  de  Lauzon,  d'avoir  soufl'ert  une  telle  insolence 
de  la  part  des  barbares,  mais  les  Hurons  trop  confiants, 
s'étaient  laissés  surprendre,  et  pour  les  arracher  des  mains 
de  leurs  sanguinaires  ennemis,   il   eût   fallu  armer  un  bon 


I  lO  

nombre  d'hommes  déterminés,  et  le  gouverneur  ne  les 
avaient  pas  sous  la  main.  Eût-il  pu  les  armer,  le  temps 
de  faire  les  préparatifs  et  de  se  procurer  des  embarcations 
en  nombre  assez  considérable  aurait  donné  aux  barbares 
une  avance  plus  que  suffisante,  pour  rendre  inutiles  tous 
les  efforts  de  ceux  qui  les  auraient  poursuivis. 

A  l'occasion  des  citations  des  Mémoires  ou  Relations 
des '5  aites,  on  répète  encore  de  graves  erreurs,  en  affir- 
mant de  nouveau  que  ces  rapports  annuels,  les  Relations, 
n'avaient  pas  été  rédigés  pour  être  mis  sous  les  yeux  du 
public,  "  writings  which  were  never  intended  for  the  pu- 
blic eye.  i- 

Nous  croyons,  bien  au  contraire,  que  les  écrivains 
auxquels  était  dévolu  la  tâche  de  rédiger  ces  mémoires, 
savaient  qu'ils  seraient  publiés.  Avant  qu'on  eût  imprimé 
les  Relations  de  la  Nouvelle-France ,  on  avait  celles  des 
Missions  des  Indes-Orientales,  etc.  Ces  publications,  im- 
primées pour  édifier  et  pour  instruire,  étaient  répandues 
surtout  dans  les  provinces  du  Nord  de  la  France.  On 
en  trouve  la  preuve  dans  les  citations  qui  en  sont  faites 
dans  divers  ouvrages,  et  encore  mieux  dans  la  permission 
d'imprimer  donnée  à  chaque  livraison,  pendant  quarante 
ans  et  plus  ;  et  enfin  par  les  démarches  qu'on  faisait  auprès 


i—  m  — ■ 

des  autorités   pour   avoir  le  privilège  de  l'impression.    Au 

reste,  voyez  l'Extrait  du  '■  Privilège  du  Roy,"  à  la  suite  de 

la  Relation  de  1666. 

Le  Journal  des  Supérieurs  des  Jésuites  rapporte  encore 

un  autre  fait  de  cette  nature  : 

..  1661.  Le  18  juin,  k  huit  heures  du  matin,  se  commença 

le  massacre  de  plusieurs  personnes   à  Beaupré  et   à  l'île 

d'Orléans,  par  les  Iroquois,  venus  de  Tadoussac,  après  le 

coup  qu'ils  avaient  fait,     f  Vide  Supra J.  " 

u  On  parlait  ce  jour  là  de  huit  personnes  tuées  à  Beaupré 

et  de  trois  à  l'île  d'Orléans,  ce  qui  s'est  trouvé  vrai.  " 
C'est  ainsi  que  tombaient,  tous  les  jours,  sous  les  coups 

de  leurs  cruels  bourreaux,  plusieurs  de  ces  fervents  néo- 
phytes, dont  la  piété  et  la  candeur  faisaient  l'admiration  des 
Français.  Jadis,  nation  puissante  et  redoutable,  son  nom 
commandait  le  respect  et  la  crainte  ;  et,  dans  les  luttes 
sanglantes  que  se  livraient,  dans  les  forets  encore  vierges 
du  Canada,  les  peuples  qui  habitaient  son  sol,  les  guerriers 
hurons  avaient  plus  d'une  fois  remporté  des  victoires 
signalées.  Trop  faibles,  maintenant,  pour  lutter  avec  avan- 
tage contre  un  ennemi  toujours  croissant,  l'orgueil  sau- 
vage aima  mieux  accepter  la  séparation  et  l'exil  que  de 
donnera  son  ennemi  la  satisfaction  de  les  voir  périr  jus- 
qu'au dernier.    Une  partie  dit  adieu  à  ses  champs  et  à  ses 


forêts,  et  vint  chercher  la  paix  et  le  repos,  sous  la  protec- 
tion des  hommes  «-énéreux  et  dévoués  qui  leur  avaient 
donné  un  Dieu. 

"  A  la  défaite  de  leur  pays,  dit  un  des  missionnaires  de 
l'époque,  de  30  à  40  milles  qu'ils  étaient,  la  famine,  la 
gu^erre,  et  pardessus  tout  les  Iroquois  aidant,  en  avaient 
anéanti  la  plus  grande  partie  et  dispersé  le  reste.  "  Dis- 
sipata  sunt  ossa  nosini,  pouvaient-ils  dire  en  toute  vérité 
avec  le  prophète.  Cependant,  ils  n'oublièrent  jamais  les 
services  que  leur  avaient  rendus  les  PP.  Jésuites,  même 
avant  leur  établissement  dans  l'île. 

Pour  en  donner  un  exemple,  on  emprunte  ordinairement 
au  Révérend  Père  Ragueneau  le  récit  de  la  belle  conduite 
des  Hurons,  lors  de  l'incendie  du  monastère  des  Ursu- 
lines,  au  mois  de  décembre,  1650.  [Relations  des  Jésuites, 
année  1651.)      _■,:■"'■-'■■■■"•  .v  •:;■-: -.^yj:  7//  ^-^-.^-^r'v-v    ;^_  - -;^';; 

"  Cet  incendie  me  fait  souvenir  des  ressentimens  que 
témoignèrent  les  Hurons,  et  des  compassions  qu'ils  eurent 
pour  les  Mères  Ursulines,  en  cette  occasion.  La  façon  des 
sauvages  est  de  porter  quelques  présens  publics  pour  con- 
soler les  personnes  d'un  plus  grand  mérite  dans  les  mal- 
heurs qui  les  ont  accueilly.  Nos  Chrestiens  hurons  s'as- 
semblèrent pour  cet  effet,  et  n'ayant  point  de  plus  grandes 
richesses  que  deux  colliers  de  porcelaine,  chacun  de  douze 


cents  grains — ce  sont  les  perles  du  païs — ils  vont  trouver 
les  Mères,  qui  pour  lors  s'estoient  retiru-;es  k  l'Hospital,  et 
leur  portent  ces  deux  colliers  pour  leur  en  faire  deux  pré- 
sens. "  ■  .  -'f  ■  --■- 

Vn  capitaine,   nommé  Louys  Taiaeronok,  parla  au  nom 
de  tous  ses  compatriotes  en  ces  termes  : 

"  Vous  voyez,  sainctes  filles,   de  pauvres  carcasses,  les 
restes  d'vn  païs  qui  a  esté  florissant,  et  qui  n'est  plus  :  du 
païs    des    Hurons.      Nous    auons    esté  déuorez  et  rongez 
iusques  aux  os  par  la  guerre  et  par  la  famine  :  ces  carcasses 
ne  se  tiennent  debout  qu'à  cause  que  vous  les  soustenez  ; 
vous  l'aviez  appris  par  des  lettres,  et  maintenant  vous  le 
voyez  de  vos  yeux,  k   quelle    extrémité    de    misères   nous 
sommes  venus.      Regardez-nous  de  tous  costez,  et    consi- 
dérez s'il  y  a  rien  en    nous  qui   ne  nous  oblige  de  pleurer 
sur  nous-mêmes,    et  de   verser  sans  cesse  des  torrents  de 
larmes.      Hélas,   ce  funeste  accident  qui  vous  est  arrivé, 
va  rengregeant  nos  maux  et  renouvelant  nos  larmes,  qui 
commençaient  k    tarir.     Avoir   ueu  réduite  en  cendres  en 
un  moment  cette  belle  maison   de  Jésus,   cette  maison  de 
charité,   y  auoir  veu  régner   le  feu  sans  respecter  vos  per- 
sonnes   toutes    saintes  qui   y   habitiez  ;   c'est  ce  qui  nous 
fait    ressouvenir  de    l'incendie    vniversel    de    toutes    nos 
maisons,    de    toutes    nos    bourgardes  et    de   toute  nostre 
patrie.      Faut-il  donc  que  le  feu  nous  suive   ainsi  partout  ? 
Pleurons,  pleurons,  mes  chers  compatriotes,  ouy,  pleurons 
nos   misères,    qui    de    particulières    sont    deuenues    com- 
munes  avec    ces    innocentes    filles.     Sainctes    filles,    vous 


—  114  — 

Scoîlà  donc  réduites  à  la  mesme  misère  que  vos  pauvres 
Hurons,  pour  qui  vous  avez  eu  des  compassions  si  ten- 
dres. 

"  Vous  voilà  sans  patrie,  sans  maisons,  sans  provi- 
sions et  sans  secours,  sinon  du  Ciel,  que  jamais  vous 
ne  perdrez  de  veuë.  Nous  sommes  entrez  icy  dans  le 
dessein  de  vous  y  consoler,  et  autant  que  d'y  venir,  nous 
sommes  entrez  dans  vos  cœurs,  pour  y  reconnoistre  ce  qui 
pourrait  davantag^e  les  affliger  depuis  vostre  incendie,  afin 
d'y  apporter  quelque  remède.  Si  nous  avions  affaire  à  des 
personnes  semblables  à  nous,  la  coustume  de  nostre  pais 
eust  esté  de  vous  faire  vn  présent  pour  essuyer  vos  larmes, 
et  vn  second  pour  affermir  vostre  courage  ;  mais  nous 
avons  bien  veu  que  vos  courages  n'ont  iamais  esté  abat- 
tus sous  les  ruines  de  cette  maison,  et  pas  \n  de  nous 
n'a  pu  voir  mesme  vne  demy  larme  qui  ait  paru  dessus 
vos  yeux  pour  pleurer  sur  vous  mesme  à  la  veuë  de 
cette  infortune.  Vos  cœurs  ne  s'attristent  pas  dans  la  part 
des  biens  de  la  terre,  nous  les  voyons  trop  eslevez  dans 
les  désirs  des  biens  du  Ciel  ;  et  ainsi  de  ce  costé  \h  nous  n'y 
cherchons  aucun  remède.  Nous  ne  craignons  rien  qu'vne 
chose  qui  serait  \  ii  malheur  pour  nous  ;  nous  craignons 
que  la  nouvelle  de  l'accident  qui  vous  est  arrixé,  estant 
porté  en  France,  ne  soit  sensible  k  vos  parens  plus  qu';'i 
vous-nscsmes  ;  nous  craignons  qu'ils  ne  vous  rappellent  et 
que  vous  ne  soyez  attendries  de  leurs  larmes. 

'•  Le  moyen  qu'vne    mère   puisse  lire,  sans  pleurer,    les 
lettres  qui  luy  feront  sj^auoir  que  sa  fille  est  demeurée  sans 


—  115  — 

vestements,  sans  viures,  sans  lict,  et  sans  les  douceurs  de 
la  vie,  dans  lesquelles  vous  avez  esté  esleuées  dès  vostre 
ieunesse  ;  les  premières  pensées  que  la  nature  fournira  à 
ces  mères  toutes  désolées,  c'est  de  vous  rappeler  auprès 
d'elles,  et  de  se  procurer  à  elles-mesmes  la  plus  ijrande 
consolation  qu'elles  puissent  receuoir  au  monde,  procurant 
aussi  vostre  bien.  Vn  frère  fera  de  mesme  pour  sa  sœur, 
vn  oncle  ou  vne  tante  pour  sa  nièce,  et  ensuite  nous 
serons  en  dan^^er  de  vous  perdre,  et  de  perdre  en  vos  per- 
sonnes le  secours  que  nous  auions  espéré  pour  l'instruction 
de  nos  filles  à  la  foy,  dont  nous  avons  commencé  avec  tant 
de  douceur  de  i^ouster  les  fruits.  Courajj;"e  !  Sainctes  filles, 
ne  \ous  laissez  pas  vaincre  par  l'amour  des  parens,  et 
faites  paroistre  aujourd'huy  que  la  charité  que  \  ous  avez 
pour  nous,  est  plus  forte  que  les  liens  de  la  nature.  Pour 
atVermir  en  cela  vos  résolutions,  voicy  un  présent  de  douze 
cens  j^rains  de  pourcelaine,  qui  enfoncera  \  os  pieds  si  a\  ant 
dans  la  terre  de  ce  païs,  qu'aucun  amour  de  vos  parens  ny 
de  \  ostre  patrie  ne  les  en  puisse  retirer  !  Le  second  pré- 
sent que  nous  vous  prions  d'aj»"réer,  c'est  d'un  colier  sem- 
blable, de  douze  cens  j^rains  de  pourcelaine,  pour  jeiler  de 
nouveaux  fondemens  à  vu  baslimenl  tout  nou\eau  où 
sera  la  maison  de  Jésus,  la  tnaison  de  prières,  et  oii  seront 
vos  classes  dans  lesquelles  vt>us  puissiez  instruire  nos 
petites  filles  huronnes.  Ce  sont  là  nos  désirs,  ce  sont  les 
vostres,  car,  sans  doute,  vous  ne  pourriez  mourir  contentes, 
si  en  mourant  on  vous  pouvoit  faire  ce  reproche,  que  pour  • 
lamour  trop  tendre  de  vos  parens,  vous  n'eussiez  pas  aide 


—  ii6  — 

au  salut  de  tant  d'âmes  que  vous  avez  aimées  pour    Dieu, 
et  qui  seront  v^ostre  couronne  dans  le  Ciel.  " 

Le  Rév'érend  Père  ajoute  h  cette  citation  : 

'■  Voilà  la  harangue  que  fit  ce  Capitaine  huron,  je  n'y 
adiouste  rien,  et  mesme  je  n'y  puis  ioindre  la  g"race  que 
luy  donnait  le  ton  de  sa  \oix,  et  les  regards  de  son  visage. 
La  nature  a  son  éloquence,  et  quoyqu  ils  soient  barbares 
ils  n'ont  pas  dépouillé  ny  l'estre  d'homme,  ny  la  raison, 
ny  vne  âme  de  mesme  extraction  que  les  nostres.  " 

Les  Iroquois  continuaient  cependant  leurs  courses  et 
leurs  ravages.  Enhardis  par  le  succès,  ils  ne  craignaient 
plus  rien  et  faisaient  tout  trembler  k  la  seule  pensée  de  leur 
approche.  Les  alarmes  incessantes  qu'ils  causaient  partout, 
dans  la  colonie,  avaient  fini  par  lasser  les  F'rançais  et 
décourager  complètement  les  Hurons.  Enfin,  le  désas- 
treux événement  de  samedi,  20  mai  1656,  les  accabla  de 
douleur  et  porta  la  consternation  dans  toutes  les  parties 
du  pays.  C'est  encore  aux  Relations  des  Jésuites  que  ce 
récit  est  emprunté.  Nous  nous  permettons  seulement  de 
l'abréger  en  le  reproduisant. 

—  Le   18  mai,  1656,  ces  perfides  s'étant  cachés  dans   le 
bois,  h  10  ou  12  lieues  au-dessus  de  Québec,  laissèrent  passer 
des  Français  qui  montaient  au  pays  des  Onnontserons.    . . 
ils    se  jettent  sur    les    canots   qui  font  l'arrière-gardc,    et 


~ii7  — 
maltraitent   ceux    qui    les    conduisent  ;    mais   se    voyant 
menacés  des  Français,  ils  firent  semblant  de  s  être  mépris. 
Dans  la  nuit  du   19  au  20  de  may,  ils  descendirent  sans 
bruit,  passant  devant  Québec  sans  être  aperçus  ;  ils  prirent 
terre  au-dessus  de  la  bourgade  des  Hurons,  et  cachèrent 
leurs  canots  dans  la  grande  anse,  un  peu  plus  bas  que  la 
terre  du   Fort.    Le  matin,  tous  les  Hurons  ayant  assisté  à 
la  messe,  comme  de  coutume,  sortirent   pour   le    travail  ; 
les  Iroquois  se  jetèrent  sur  eux,  en  massacrèrent  quelques- 
uns  sur  la  place,   et  emmenèrent  quelques  captifs 

La  perte  des  Hurons  fut  de  soixante-et-onze  personnes, 
avec  un  grand  nombre  de  jeunes  femmes  qui  étaient  la 
flewr  de  la  colonie  !    (Voir  Relation  de  1661,  chap.  HL) 

La  mission  des  Hurons,  en  1669,  fut  réduite  à  un  petit 
nombre  de  personnes.  Depuis  que  la  paix  est  faite  avec  les 
Iroquois,  ils  ont  abandonné  le  fort  qu'ils  avaient  dans  une 
grande  place  de  Québec  et  se  sont  retirés  dans  les  bois, 
h  une  lieue  et  demie  de  cette  ville  pour  y  cultiver  des 
•      champs  ;  ils  y   ont  fait  un  bourg  nouveau,  et  comme  une 

nouvelle  colonie,  (voir  Relnfhti  de  iNx),)  qui  prit  successi- 

♦  ... 

vement  les   noms  de  missions    dos    Hurons,   missions  Uc 

r.Xnnonciation.   Notre-Dame  de  Foye,  puis   enfin  Sainte- 


—  ii8  — 

Foye.    On  aimera  à  lire  sur  ce  sujet  l'extrait  suivant  de  la 

Relation  de  1670,  par  le  Révérend  Père  Le  Me.cier. 

t'  L"an  passé,  on  envoya  A  nostre  Révd.  Père  Supérieur 
vne  statue  de  la  bienheureuse  Vierge,  faite  du  chesne  dans 
lequel  il  y  a  plusieurs  années  on  trouva  vne  image  mira- 
culeuse de  Nostre-Dame  de  F'oye,  près  de  la  ville  de  Dinan, 
au  païs  de  Liège  ;  et  comme  ceux  qui  nous  envoient  cette 
statue,  avaient  témoigné  qu'ils  souhaitaient  qu'elle  fust 
placée  en  quelque  chapelle,  où  les  sauvages  font  ordinai- 
rement leurs  exercices  de  piété,  ....  le  Révd.  Père  Supé- 
rieur ne  douta  point,  que  la  divine  Providence  ne  luy  eust 
ménagé  ce  précieux  don,  pour  vne  petite  église  qu'on  venait 
d'achever  dans  \ne  bourgade  des  Hurons,  que  Monsei- 
gneur notre  Evesque  tivoit  voulu  qu'on  dédiast  à  Nostre- 
Dame,  sous  le  titre  de  l'Annonciation,  i'  (\'oyez  encore  les 
Relations  de  1671,  ch.  1\\)  "  La  petite  colonie  huronne, 
composée  d'environ  150  âmes,  est  \\\\  reste  des  peuples 
que  la  cruauté  des  Iroquois  a  épargnés.  ...  La  providence 
les  a  ramassez  à  la  coste  de  Saint-Michel,  fort  peuplée 
de  Français.  .  .  .  Leur  bourgade  est  située  auprès  de  leur 
chapelle,  qu'ils  ont  bâtie  conjointement  avec  les  habitans 
du  lieu,  où  est  honorée  une  image  en  bois  de  la  sainte 
Vierge,  faite  du  bois  d'un  chesne,  dans  le  cœur  duquel  il 
s'en  trouva,  il  y  a  soixante  ans,  une  de  pareille  grandeur» 
au  bourg  de  Foye  dans  le  pays  de  Liège,  h.  une  lieue  de  la 
ville  de  Dinan.  " 

Avenant   le   5  décembre,    i(k)6,    les   Hurons,  par  l'entre- 

niise  de  leur  missionnaire,  le  Révd.  Père  Ucrmain  Dccou- 


~ii9  — 

vert,  de  la  compagnie  de  Jésus,  demandèrent  h  l'intendant 
M.  Bochard  de  Champii^ny,  un  autre  terrain  plus  spacieux, 
mieux  complanté  en  bois  de  haute  futaie. 

Pauvre  nation  huronne  !  elle  a  édifié  les  bons  et  paisi- 
bles Français  de  l'île  d^Orléans,  puis  elle  se  trouve  encore 
dispersée,  assimilée  à  d'autres  nations  barbares  qu'elle 
a  encouragé  h  embrasser  le  christianisme  î  Pour  être 
déchue  comme  nation,  elle  a  été  bien  glorifiée  car  plu- 
sieurs de  ses  enfants  ont  été  élevés  aux  fonctions  de  l'apos- 
tolat auprès  des  immenses  tribus  de  la  forêt  et  leurs  prin- 
cipes et  leurs  exemples  ont  conduit  à  la  vraie  Foi  des  mil- 
liers de  barbares. 


XIV 


REMARQUES 

Sur  les  productions  de  l'Ilo  eti  u^ôiu'ral. 
Dans  l'île  d'Orléans,  comme  généralement  dans  toutes 
les  autres  parties  du  Bas-Canada,  le  cultivateur  ne  garde 
d'animaux  qu'autant  qu'il  lui  en  faut  strictement  pour 
l'exploitation  delà  ferme.  En  1827,  il  s'y  trouvait  1.044 
chevaux,  r.fxp  bœufs,  2,098  vaches,  (\i)o^  moutons,  et 
près  de  5,000  cochons.     C'est  dans  la  paroisse  de  Sainte- 


I20  — 

Famille,  que  se  trouvent  les  fermes  les  mieux  pourvues  de 
moutons  et  de  vaches,  mais  surtout  de  porcs,  et  c'est  cette 
paroisse  qui,  eu  égard  k  sa  population,  alimente  le  mieux 
les  marchés  de  Québec.  n  ' 

En  1852,  le  recensement  constatait  que  sur  13,646  ar- 
pents de  terres  concédées,  7,413  étaient  mises  en  culture, 
3,621  arpents  étaient  labourées  et  3,707  avaient  été  laissées 
en  prairies;  enfin,  6,233  arpents  étaient  en  forêt  de  réserve. 

A  l'intérêt  des  récits  historiques,  l'île  d'Orléans  offre  en- 
core aux  citoyens  de  Québec  le  plaisir  d'agréables  souve- 
nirs et  de  douces  réminiscences.  Oui,  en  effet,  aurait 
perdu  la  mémoire  des  petites  fêtes  hocagères,  des  joyeux 
festins  pris  soit  sur  la  verte  pelouse  de  l'île  d'Orléans,  soit 
sur  ses  rives  enchanteresses,  ou  dans  la  grande  et  large 
chambre  d'une  de  ces  maisons  hospitalières,  où  l'étranger 
était  toujours  accueilli  avec  cordialité  et  respect?  Quel- 
ques fois,'  en  hiver,  après  une  longue  excursion  ;'i  la  ra- 
quette, sur  le  pont  de  l'Ile,  si  la  fatigue  ou  le  mauvais 
temps  forv;aient  le  marcheur  aventureux  ;'i  chercher  du 
repos,  il  n'avait  qu'à  frapper  à  la  porte  du  toit  le  plus 
voisin,  et  il  était  certain  d'y  trouver  bon  feu,  bonne  mine, 
et  table  ouverte.  Le  repas  était  rehaussé  par  les  apprêts 
de   fruits   confits,    surtout    de    pomiîîSi*  gelées,    ;'i    nulles 


—  121  — 

autres  pareilles,  tant  la  main  qui  les  avait  préparées  y  avait 
apporté  de  soins.  En  été,  on  présentait  au  voyageur  de 
succulentes  et  douces  prunes,  auxquelles  les  touristes  et 
les  chroniqueurs,  n'ont  pas  accordé,  je  dois  le  dire,  l'at- 
tention qu'elles  méritent. 

Qui  n'a  pas  entendu  parler  des  prunes  de  l'île  d'Orléans, 
égales  pour  le  moins  à  celles  que  vantait  le  poète  (Rou- 
cher)  dans  ses  chants  : 

C'est  la  prune,  conquise  aux  plaines  de  Damas. 

Ces  fruits,  dont  on  ne  compte  pas  moins  de  deux  cents 
cinquante  variétés,  dit-on,  se  trouvent  en  plus  grande 
abondance  dans  le  district  de  Montréal  que  partout  ail- 
leurs, parce  qu'ils  y  sont  l'objet  d'un  système  suivi  de  cul- 
ture  et  d'exploitation.  Aussi,  en  trouve-t-on  de  cent  et 
une  espèces  :  perdrigon,  violet,  damas,  damas  musqué, 
perdrigon-normand,  reine-claude,  petite  reine-claude,  im* 
pératrice  violette,  impératrice  blanche,  etc.  Mais,  après 
tout,  suivant  de  bons  connaisseurs,  il  faut  en  revenir  aux 
damas  de  l'île  d'Orléans  ! 

Ces  prunes  fraîches,  petites,  noirâtres,  qui  ont  une  peau 
tendre  et  fine  et  d'un  velouté  à  ravir,  sont  douces,  fon- 
dantes, et  produisent  un  zest  inexprimable  au  goûter.  Kllcs 
font  rejeter  bien  loin  les  prunes  rouges,  les  prunes  d'au- 


—  122  — 

tomne,  et  tous  ces  pruneaux  étrangers,  ridés  par  la  vieil- 
lesse et  que  honnissait  Martial  : 

Pruna  peregrinae  carie  rug'osoe  senectae. 

;  ;?  Epig.  m,  xiii. 

Les  prunes  de  damas  de  l'île  d'Orléans  sont  supérieures 
.\  cejlps  de  Montréal.  On  en  transporte,  et  en  g^rande  quan- 
tité, dans  toutes  les  parties  du  pays.  De  plus,  les  forêts 
et  les  bocages  de  l'Ile  fourrâssaient  abondamment  diverses 
espèces  de  fruits  sauvages,  qui  tous  sont  réellement  d'une 
saveur  exquise.  .,  _  ,^  ;v'^'^r'v" ";■'■■  v^' ?:-'', '"-■:^;:""  ••.y;;^-  •>  ■■vi;.--  ; 

La  culture  des  pommes,  autre  délicieuse  production  de 
l'île  d'Orléans,  dans  un  temps  déjà  bien  reculé,  passe  pour 
y  être  extrêmement  négligée  de  nos  jours.  Elle  y  serait 
plus  profitable,  dit-on,  que  partout  ailleurs,  (  Biblioth. 
Canad.  tome  III,  p.  75.)  si  on  lui  donnait  plus  de  temps 
et  plus  de  soins.  Autrefois,  la  bounissa  aussi  était  floris- 
sante en  ces  parages.  Ne  dirait-on  pas  qu'en  changeant 
de  sol,  elle  n'a  acquis  une  saveur  comparativement  meil- 
leure que  parce  qu'elle  a  été  cultivée  avec  plus  d'art  et  plus 
de  soins  ?  Nul  doute  que  les  populations  de  l'île  trouve- 
raient un  grand  avantage  en  cultivant  les  pommiers  de 
leurs  vergers,  selon  les  notions  reçues,  et  qu'elles  se  crée- 
raient ainsi  une  excellente  source  de  revenus. 


—  I23-- 

Un  autre  genre  d'industrie,  qui  est  à  la  fois  la  fortune 
des  pauvres  et  la  jouissance  des  riches  dans  ces  localités, 
c'est  la  pêche.  Tout  autour  de  l'Ile,  et  dans  les  diverses 
saisons  de  l'année,  on  peut  la  faire  avec  aise  et  profit.  Le 
bar,  l'alose,  l'anguille  et  plusieurs  autres  variétés  de  pois- 
sons, sont  pris  au  filet  ou  dans  des  pêcheries  de  diverses 
formes. 

Au  côté  nord,  se  tendent  les  pêches  à  l'anguille,  et,  au 
sud,  on  trouve  les  endroits  de  pêche  16*^  plus  fréquentés. 
Presque  tous  les  jours  de  l'année,  nous  voyons  la  ligne  ou 
le  filet  assurer  au  pêcheur  attentif,  la  récompense  de  ses 
soins  et  de  sa  peine.  Quelle  moisson  d'aisance  et  de  bon- 
heur, pour  une  population  si  favorisée  déjà  sous  tous  les 
autres  rapports  ! 

Puisse-t-elle  ne  jamais  oublier  qu'en  la  plaçant  dans  un 
des  climats  les  plus  favorisés,  la  providence  qui  lui  a 
assuré  le  bonheur  et  la  prospérité  exige  qu'elle  se  montre 
reconnaissante  de  tous  ses  bienfaits. 

Les  sucreries  d#  l'île  d'Orléans  méritent  une  courte 
mention.  Considérables  autrefois,  elles  étaient  pour  les 
cultivateurs  une  source  de  revenus  très  productive.  Il  suffit 
de  remarquer  qu'en  1827,  on  y  fit  182,448  livres  de  sucre 
d'érable,  sans  compter  les  sirops  qu'on  avait  apportés  aux 


'-'".:--■•■'':'■'''':-.  ..     —  124  —  .r  ;\' "■"■■''- '"' 

marchés,  et  ceux  que  chaque  famille  gardait  pour  son 
usage  et  pour  sa  provision.  Mais,  peu  à  peu,  les  vastes 
érables  tombèrent  sous  la  cognée  du  bûcheron  ;  le  désir 
de  réaliser  une  somme  plus  ronde,  en  vendant  son  bois, 
avait  poussé  l'impitoyable  cultivateur  {durus  aratox)  à  cet 
acte  de  destruction.  i  ; .  ..  ;   ;^     .  - 

On  fit  passer  triomphalement  la  charrue  entre  les  troncs, 
dépouilles  des  géants  de  la  forêt,  et  k  l'endroit  même  où 
s'élevait  depuis  un  temps  immémorial  l'antique  cabane 
à  sucre,  on  vit  croître  et  mûrir  de  copieuses  moissons. 
Assez  souvent,  cependant,  ces  terres,  dépouillées  d'ar- 
bres, ne  compensèrent  pas,  par  l'abondance  de  leurs  pro- 
duits, la  perte  qu'on  avait  faite  en  détruisant  une  vieille 
sucrerie.  On  sait,  en  effet,  qu'en  faisant  disparaître  les 
bois,  on  dessèche  trop  vite  une  terre,  qui  se  trouve  alors 
privée  des  rosées  qu'ils  appellent  sur  le  sol,  et  trop  expo- 
sée aux  ardeurs  du  soleil  ou  à  l'inclémence  des  vents. 


125 


XV 


Chantiers  de  l'Anse  du  Fort 

Constructions  lu  Colombus  et  du  Baron  de  Renfrew-~l>ia.n- 
frages— Incendies  à  Québec— Briquerie. 

L'intérêt  qui  se  rattache  à  l'anse  du  Fort,  ne  cesse  pas 
là,  un  autre  incident  en  a  fait,  il  y  a  une  trentaine  d'an- 
nées, une  place  d'affaires.     Autour  de  vastes  chantiers  de 
constructions,  établis  dans  l'anse  qui  fait  la  devanture  de 
la  terre  du  Fort,   étaient  groupées  une  foule  de  maison- 
nettes,  entremêlées  dateliers  de  forgerons,    de    charpen- 
tiers,   etc.,  composant    tout  lattirail  des   grands  établis- 
sements  de  ce  genre.     On    y  construisit    successivement 
deux  immenses  navires,  qui  attirèrent  longtemps  l'atten- 
tion des  insulaires  et  des  voyageurs  qui  se  rendaient  en 
foule  dans  l'Ile.     Les  journaux  du  temps  nous  ont  donné, 
dans  les  deux   langues,    des    détails   sur    ces   entreprises 
gigantesques.      Au  mois  de  juillet,  1824,  le  Mercury  et  la 
disette  de  Québec,  du   31  juillet,  nous  rapportent  les  dé- 
tails de  la  mise  à  l'eau  de  ces  immenses   constructions. 
Nous  ne  croyons  mieux  faire,   au   sujet  de  ces   rois  des 
mers,  comme  on  les  appelait  dans  le  temps,   que  de  tra- 
duire l'article  de  la  Gazette  de  Québec  de  la  même  date  : 


—  i:â6  — 

"  Le  Colombus,  qui  mesure  trois  mille  sept  tonneaux  de 
registre,  et  que  nous  croyons  être  le  plus  grand  vaisseau 
qui  ait  jamais  été  bâti,  a  été  lancé,  hier  matin,  vers  huit 
heures,  sans  accident. 

"  La  foule  qui  s'était  portée  sur  les  lieux  de  bon  matin  et 
dès  la  veille,  était  aussi  grande  que  nous  en  avons  jamais 
vu  en  Canada  ;  il  ne  pouvait  pas  y  avoir  moins  de  5,000 
personnes,  sans  compter  un  grand  nombre  qui  s'étaient 
rendus  h  la  Poiate-Lévis,  de  l'autre  côté  du  fleuve,  qui  est 
large  d'environ  deux  milles  en  cet  endroit.  Il  y  avait  beau- 
coup de  personnes  accourues  d'autres  parties  de  la  pro- 
vince. Sept  bateaux  à  vapeur  qui  se  trouvaient  dans  le 
port,  avaient  été  mis  en  réquisition  pour  transporter  des 
passagers  et  avaient  pris  poste  auprès  du  chantier,  et  une 
centaine  de  chaloupes  et  autres  petites  embarcations  qui 
s'étaient  rendues  de  bonne  heure,  étaient  disposées  au 
devant  ;  ce  qui,  avec  l'activité  des  charpentiers,  la  beauté 
des  paysages  environnants  et  la  sérénité  du  jour,  présen- 
tait une  scène  tout  à  fait  nouvelle  dans  ce  pays,  et  sur 
laquelle  le  pinceau  de  l'artiste  aurait  pu  s'employer  avec 
avantage.  Nous  sommes  informés  qu'il  en  a  été  fait  plu- 
sieurs esquisses,  par  des  messieurs  qui  s'étaient  placés 
à  la  Pointe-Lévis.  ^      ^ 

'■  Le  Colombus  appartient  à  une  compagnie  de  marchands 
d'Ecosse,  et  a  été  bâti  sous  la  direction  d'un  monsieur 
Hood,  jeune  homme  de  Glascow,  qui  a  montré  beaucoup  de 
talent,  et  qui  joint  à  la  pratique  une  connaissance  inti- 
me de  la  théorie  de  l'art.  Les  inquiétudes  sur  le  succès 
d'une  entreprise    toute    nouvelle,    dont    les    difficultés    ne 


pouvaient  pas  être  appréciées,  et  dans  laquelle  il  y  fallait 
tant  de  capitaux,  devaient  être  bien  vives,  et  il  a  dû  se 
sentir  soulagé  beaucoup  lorsqu'il  en  a  vu  le  terme. 

I-  Le  vaiseau  se  rendit  par  un  mouvement  égal  et  ma- 
jestueux dans  son  élément,  et  n'avança  pas  à  plus  de 
cent  toises  dans  le  fleuve.  Pendant  ce  mouvement,  la 
musique  du  68«  régiment,  qui  était  k  terre,  et  celle  du  71* 
qui  était  à  bord  du  Swiftsure,  jouèrent  le  God  save  the 
King-,  ce  qui  fut  suivi  d'acclamations  générales,  et  d'une 
décharge  de  canon  à  terre  et  à  bord  des  bateaux-à-vapeur, 

"  Le  feu  prit  aux  cadres,  et  se  communiqua  aux  copeaux 
à  l'entour,  mais  il  fut  facilement  éteint. 

"  Le  vaisseau  monta  avec  la  marée,  la  distance  d'un 
mille  et  demi,  où  les  bateaux-à-vapeur  le  Malsham,  le 
Swiftsure  et  le  Sherbrooke  lui  furent  attachés  et  le  condui- 
sirent à  l'encrage,  près  du  Sault  de  Montmorency,  à  en- 
>  viron  six  milles  au-dessous  et  à  la  vue  de  cette  ville.  On 
dit  qu'il  sera  prêt  à  faire  voile  dans  environ  trois  semaines. 
Quoiqu'il  ait  une  apparence  un  peu  lourde,  il  est  bâti  très 
solidement  et  ne  tire  à  présent  que  treize  pieds  d'eau  ;  on 
croit  que,  lorsqu'il  sera  prêt  pour  la  mer,  il  ne  tirera 
guères  plus  de  vingt  pieds,  et  l'on  voit  tous  les  ans  des 
vaisseaux  qui  n'ont  qu'un  pont  et  qui  tirent  autant.  I!  a 
quatre  mâts  avec  un  beaupré,  comme  les  autres  vaisseaux 
et  traversera  l'Atlantique  à  la  voile.  11  est  commandé  par 
un  marin  expérimenté  et  son  équipage,  d'environ  quatre- 
vingt-dix  hommes,  est  composé  de  matelots  envoyés 
d'Ecosse,  l'automne  et  le  printemps  derniers. 


"  Voici  ses  dimensions  exactes  :  longueur,  301  pieds  six 
pouces  ;  largeur,  50  pieds  sept  pouces  ;  profondeur,  29 
pieds  4  pouces;  port,  3,690  tonneaux  et  32-94^. 

"  Les  plus  grands  vaisseaux  de  la  marine  royale  ont 
environ  240  pieds  de  quille.  Leur  largeur  et  leur  profon- 
deur passent  celle  du  Colunibus,  mais  leur  tonnage  est  beau- 
coup moindre  :  car  des  juges  compétents  nous  disent  que 
le  CoUimbus  portera  9,000  tonneaux  de  bois  quarré. 

"  Les  capitaux  déboursés  dans  ce  pays,  pour  sa  con- 
struction, doivent  être  immenses  ;  des  personnes  expéri- 
mentées comptent  qu'il  aura  coûté  au  moins  ,£'5  par  ton- 
neau, exclusivement  des  mâts  et  agrès.  Il  a  procuré  de 
l'emploi  à  un  grand  nombre  de  charpentiers,  et  autres, 
depuis  neuf  mois  ;  la  demande  qu'il  y  avait  pour  la  con- 
struction des  autres  vaisseaux  a  fait  qu'ils  ont  eu  de  bons 
gages,  et  pendant  quelques  tems  jusqu'à  deux  piastres 
par  jour.  M — ( Gazette  de  Québec.  ) 

Un  autre  vaisseau  de  dimensions  encore  plus  considé- 
rables, fut  immédiatement  mis  en  construction  sur  le  même 
chantier,  et  par  la  même  compagnie,  (a)  On  y  travailla 
sans  désemparer  pendant  dix  ou  onze  mois,  et  le  10  juin 
1825,  quand  on  voulut  le  lancer  dans  son  élément,  le  feu 
ayant  pris  aux  cadres,  et  d'autres  légers  accidents  étant 
survenus,  on  ne  put  le  mettre  i\  l'e.iu  que  le  25  du  même 
mois.    On  l'amena    à   (Québec,   où   il  devint   un    objet    de 

(a)  Sur  les  plans  de  M.  Annesley. 


' —  129  — 

curiosité  pour  la  foule.  Peu  de  temps  après,  on  le  renvoya 
au  Sault  Montmorency  où  il  fut  chargé  de  bois. 

Voici  les  dimensions  de  ce  vaisseau  qui  fut  appelé  le 
Baron  de  Rcnfrav.  Longueur  30g  pieds,  largeur  60  pieds, 
profondeur  38  pieds  ;  en  dehors  57.  Il  jaugeait  près  de 
5,300.  L'ancre  seul  pesait  yoquiûLuux,  le  grand  mât  a\ait 
75  pieds  au-dessus  du  pont,  la  grande  vergue,  73  pieds. 
Le  beaupré,  60  pieds,  le  câble,  vingt-sept  pouces  de  tour 
et  cent  brasses  de  long.  Trente  tours  du  cabestan  faisaient 
un  mille,  vingt-neuf  fois  le  tour  du  vaisseau  faisait  une 
lieue.  Il  entra  dans  la  construction  de  ce  leviathan,  3,000 
tonneaux  de  bois  et  2,500  quintaux  de  fer. 

On  avait  construit  ces  vaisseaux  dans  le  but  de  les 
défaire  dès  leur  arrivée  en  Ecosse  ou  en  Angleterre,  et 
d'exempter,  par  ce  moyen,  les  droits  sur  les  bois  dont  ils 
étaient  construits.  Mais  ces  plans  furent  tiéiiuiés  par  la 
Cour  d'Amirauté,  qui  déclara  qu'avant  d'être  défaits, 
ils  devaient  faire  au  moins  un  voyage  hors  des  ports  de 
l'Angleterre.  Ces  deux  bâtiments  traversèrent  fort  heu- 
reusement la  mer.  Mais  ils  durèrent  peu  et  ne  rapportèrent 
pas  grand  profit  à  leurs  propriétaires.  Le  Columbiis  s^ 
brisa    en    revenant    au    Canada.     Le    Baron   ifc    Rrnf'rew, 

surpris  dans  la  Tamise  par  un  furieux  coup  de  vent,  le  21 
9 


—  1 30  — 

octobre,  1825,  fut  totalement  brisé  sur  les  rochers  de  la 
côte.  Les  vents  et  les  courants  entraînèrent  sur  le  rivage, 
entre  Gravelines  et  Calais,  une  grande  quantité  de  bois 
provenant  de  la  charge  et  des  flancs  même  de  ce  vais- 
seau. 

Mais  détournons  nos  regards  de  ces  désastres,  qui 
aflfectèrent  seulement  quelques  particuliers,  pour  contempler 
une  catastrophe  qui  plongea  dans  le  malheur  et  la  ruine 
les  deux  tiers  de  la  population  de  Québec.  Le  28  mai,  1845, 
une  conflagration  terrible  avait  réduit  en  cendres  un  des 
faubourgs  les  plus  populeux  de  la  ville,  la  paroisse  de 
Saint-Roch.  Nous  n'entreprendrons  pas  de  décrire  la  dé- 
solation et  la  consternation  que  ce  fléau  avait  répandues 
partout.  Plus  de  douze  mille  infortunés  se  trouvèrent  sans 
abri.  Nombre  de  personnes  périrent  au  milieu  des  flam- 
mes !  Et,  comme  si  tant  d'infortunes  n'avaient  pas  suffi, 
un  autre  incendie,  dans  la  nuit  du  28  au  29  juin  suivant, 
ht  disparaître  au  faubourg  Saint-Jean,  environ  1,300  mai- 
sons. La  charité  publique  vint  au  secours  de  ces  pauvres 
artligés  ;  chacun  voulut  contribuer  de  sa  bourse  et  de  sa 
personne  ;  les  secours  étrangers  même  ne  firent  pas  défaut; 
mais  l'automne  avan^-ait,  et  il  fallait  songera  reb.ltir.  Pour 
éviter  autant  que  possible  le  danger  du  retour  de  pareilles 


Ï31 


incendies,  on  résolut  de  faire  les  nouvelles  constructions  en 
pierres  ou  en  briques.  Mais  comment  s'en  procurer  ;  tout 
ce  qu'il  y  avait  de  matériaux  sur  le  marché,  avait  été  en- 
levé à  des  prix  très  élevés,  et  les  pauvres  étaient  menacés 
de  ne  pouvoir  se  loger  pour  l'hiver. 

Heureusement,  dès  les  premiers  jours  de  juillet,  MM. 
Aubin  et  Smollenski  avaient  établi  une  usine  pour  fabri- 
quer de  la  brique,  à  Saint-Pierre,  île  d'Orléans.  Dalles, 
corniches,  carreaux,  tuiles  pour  les  toitures,  tout  devait 
s'y  manufacturer,  et  à  v'n  prix  si  modique  qu'il  aurait 
interdit  toute  concurrence  de  la  part  de  l'étranger.  Ce- 
pendant, les  détails  pour  la  mise  en  opération,  les  pluies 
d'automne,  les  gelées  de  novembre,  etc.,  entravèrent  l'élan 
des  courageux  entrepreneurs,  qui  firent  néanmoins  des 
prodiges  d'activité,  pour  répondre  aux  nombreuses  de- 
mandes qui  leur  étaient  faites.  Leur  établissement,  situé 
aux  pieds  d'une  petite  colline,  sur  une  terre  argileuse  qui 
demandait  peu  d'opérations  manuelles  pour  être  employée, 
se  composait  de  vastes  fours,  i\c  spacieux  hangards  ou 
abris  qui  servaient  à  abriter  les  mouleurs  et  à  préserver  les 
machines  à  l'aide  desquelles  on  faisait  une  brique  par  mi- 
nute. On  pouvait  livrer,  dit-on,  43,000  briques  par  vingt- 
quatre  heures. 


—  132  — 

Les  citoyens  de  Québec  venaient  en  foule  visiter  cet 
établissement  qui  allait  ouvrir  de  nouvelles  voies  à  l'indus- 
trie, et  préparer  de  nouvelles  ressources  aux  travailleurs. 
Au  dire  des  connaisseurs,  la  terre  était  d'excellente  qua- 
lité, les  appareils  fonctionnaient  avec  une  étonnante  rapi- 
dité ;  peut-être  même,  pour  atteindre  ce  dernier  résultat, 
avait-on  trop  simplifié  les  procédés.  Quoiqu'il  en  soit, 
l'entreprise  n'eut  pas  le  succès  qu'on  s'en  était  promis  ; 
l'encouragement  manqua,  et  les  travaux,  après  avoir  langui 
pendant  quelque  temps,  furent  arrêtés  complètement  en 
1846. 

:.  Il  est  regrettable  qu'une  industrie  de  ce  genre  n'ait  pu 
se  maintenir  plus  longtemps,  car  elle  eût  été  d'une  utilité 
incontestable,  et  pour  les  habitants  de  l'île  et  pour  la  cité 
qui  l'avoisine.  A  l'aide  de  quelques  modifications,  on  aurait 
pu  peut-être  changer  sa  destination,  et  convertir  l'usine 
en  manufacture  ou  fabriqua"  de  poteries.  Mais  soit  défaut 
de  ressources,  soit  découragement,  tout  fut  abandonné 
comme  cela  arrive  presque  toujours,  faute  d'expérience  ou 
de  calcul.  ■,  .  , 

Nous  n'avons  pas  cru  devoir  omettre  ces  deux  derniers 
faîts  qui  terminent  notre  récit,  quoiqu'ils  ne  s'y  rattcichent 
pas  d'une  manière  aussi  directe   que  les  autres,   pour  rap- 


'^33 


peler  que  deux  grandes  branches  d'industrie  :  la  construc- 
tion des  vaisseaux  et  la  confection  de  la  brique  et  de  la 
chaux,  ont  été  cultivées  dans  l'Ile,  il  y  a  quelques  années, 
et  qu'elles  pourraient  y  devenir  encore  l'objet  d'un  com- 
merce très  étendu,  sous  la  direction  de  quelques  hommes 
actifs  et  entreprenants,  qui  n'auraient  qu'à  donner  l'ex- 
emple pour  engager  les  autres  à  les  suivre. 


XVI 


CONCLUSION 

Enfin,  notre  tache  est  achevée.  Nous  ne  nous  propo- 
sions que  de  grouper  quelques  notes  sur  l'intéressante  île 
d'Orléans  ;  mais  nos  souvenirs  historiques  nous  ont  en- 
traîné  au-delà  des  bornes  que  nous  nous  étions  tracées. 
Nous  en  demandons  bien  pardon  aux  lecteurs,  heureux 
si,  par  l'intérêt  des  événements  que  nous  relatons  ici, 
nous  avons  pu  leur  faire  oublier  la  longueur  de  notre 
récit.  Nous  n'avons  pas  eu  l'intention  de  faire  une  des- 
cription pompeuse  de  cet  heureux  coin  de  terre,  ni  de 
demander  à  l'imagination  de  faire  tous  les  frais  de  notre 
travail.  Il  ne  s'agissait  pas,  en  effet,  de  chanter  la  déli- 
cieuse vallée  de  Tampée,  les  pentes  fleuries  de  l'Hymette, 


—  134  — 
ou  les  rives  de  l'Eurotas  qui  émurent  jadis  la  sensibilité 
des  poètes.  Nous  savons,  d'ailleurs,  que  le  plus  beau  ciel 
a  ses  orages,  et  le  rivage  le  plus  riant  ses  tristesses  et 
sa  mélancolie.  Mais  sans  dépasser  les  limites  du  réel,  et 
du  vrai,  nous  croyons  que  les  douceurs,  les  charmes  et  les 
plaisirs  variés  qu'offre  le  séjour  de  l'île  d'Orléans,  en  font 
un  des  points  les  plus  agréables  de  notre  province.  Sans 
être  un  Bernardin  de  Saint-Pierre,  si  passionné  pour  les 
frais  paysages,  et  les  vallons  fleuris,  ni  un  Delisle,  qui 
donnait  k  croire  que  l'Olympe  enviait  à  la  terre  ses  riantes 
verdures  : 

O  champs  de  la  Limagne  ! 
■  O  champs  aimés  des  Dieux  1 

il  faut  avouer  qu'à  la  campagne  plus  qu'ailleurs,  brille  la 
grandeur  et  la  puissance  de  Dieu,  et  que,  comme  le  dit  un 
adage  anglais  :  la  campagne  plutôt  que  la  ville  est  l'œu- 
vre du  Créateur  : 

God  made  the  country,  and  man  made  the  town 

Avant  la  cession  du  pays,  les  seigneurs  fran(;ais,  ou 
plutôt  les  bourgeois  et  les  rentiers  de  la  capitale,  allaient 
passer  h  l'île  d'Orléans  la  belle  saison.  C'était  \h  que  se 
réfugiaient,  pendant  les  chaleurs  de  la  canicule,  bon  nom- 
bre de  citadins,  qui  n'avaient  pas  de  manoirs  aux  environs 
de  Québec. 


—  ^35  - 

De  nos  jours,  les  choses  sont  bien  changées!  A  part  quel- 
ques familles,  qui  ont  conservé  fidèlement  les  traditions 
et  les  mœurs  simples  d'autrefois,  on  aime  mieux  aller  cher- 
cher au  loin  le  repos  et  la  santé.  C'est  à  Cacouna,  k  Ri 
mouski,  au  Bic,  h  Métis  même,  que  dis-je  ?  C'est  à  Pictou, 
à  Shédiac,  à  Ristigouche  qu'on  croit  humer  l'air  qui  rend 
immortel.  C'est  là  qu'on  va  chercher  des  bains  et  des 
sources,  qui  doivent  remplacer  celles  d'Hypocrène  et  de 
Jouvence.  Si  les  goûts  de  nos  pères  s'étaient  conservés, 
l'île  d'Orléans  serait  maintenant  une  terre  enchantée,  où 
chacun  aurait  sa  villa,  coquettement  encadrée  d'arbres,  de 
jardins,    de   fleurs  de  toutes  sortes,    une  espèce   de  terre 

promise,  où  toutes  les  beautés  de  la  nature  et  de  l'art  se 

* 

seraient  données  rendez-vous.  Québec  aurait  eu  alors, 
comme  New- York,  son  State n- 1 sland I  Mais  avec  les  allu- 
res de  nos  messieurs  du  bon  ton,  avec  les  invitations  si 
séduisantes  des  touristes  du  bas  du  fleuve,  il  y  a  toute 
apparence  que  la  génération  qui  grandit  autour  de  nous, 
ne  verra  pas  de  sitôt  la  classe  aisée  y  étaler  tant  de  mer- 
veilles. 

On   a  dît  et  répété  que,  dans  les  premières  années  du 
XVIIl»'  siècle,  et  mC-me  pendant  une  bonne  partie  de  celui- 


—  136  — 

ci,  l'île  d'Orléans  était  une  colonie  pénale,  un  lieu  d'exil 
et  de  détention  pour  les  délinquants. 

C'est  une  assertion  bien  hasardée  et  contre  laquelle  les 
documents  historiques  s'inscrivent  en  faux.  Si  nous  con- 
sultons les  pages  de  notre  histoire,  il  est  impossible  d'y 
trouver  la  preuve  de  cette  grave  assertion.  Il  est  vrai 
que  l'on  peut  citer  quelques  cas  isolés  de  jugements  ordon- 
nant de  conduire  dans  l'Ile  des  femmes  qu'il  fallait,  pour 
une  cause  ou  une  autre,  mettre  aux  arrêts,  mais  il  est  clai- 
rement démontré  par  les  précautions  prescrites  par  l'agent 
de  l'autorité,  que  ces  personnes  étaient  placées  chez  de 
braves  familles,  sous  la  garde  de  surveillants  probes  et 
vigilants,  pour  un  temps  déterminé,  afin  de  les  ramener 
plus  promptément  à  leurs  devoirs  par  l'exemple  des  vertus 
chrétiennes  qu'elles  avaient  constamment  sous  les  yeux, 
au  milieu  de  cette  population  si  sage  et  si  religieuse.  Il 
n*y  avait  alors  ni  bureaux  de  police,  ni  prisons  de  réforme 
pour  y  placer  des  sujets  de  ce  genre.  L'autorité  ne  doit  pas 
seulement  punir,  mais  elle  doit  en  même  temps  procéder 
avec  sagesse  et  entourer  la  victime  de  l'erreur  des  mesures 
de  prudence  et  de  protection  que  prescrivent  les  conve- 
nances, le  sentiment. 

Nous  ne  pouvons  mieux  terminer  notre  récit  qu'en  citant 


—  137  — 

un  extrait  des  Mémoires  de  feu  L.-J.  Girouard,  écuyer, 
dans  lesquels  il  peint,  avec  beaucoup  de  vérité,  les  mœurs 
pures  et  pacifiques  des  habitants  de  l'Ile,  au  milieu  des- 
quels il  avait  passé  les  plus  beaux  jours  de  son  adoles- 
cense.  Il  avait  résidé  au  presbytère  de  Sainte-Famille, 
pendant  plusieurs  années,  après  la  mort  de  son  père,  chez 
le  respectable  monsieur  Gatien,  curé,  son  bienfaiteur  de 
tous  les  temps.  On  ne  lira  pas  sans  intérêt  le  jugement 
que  portait  sur  les  bons  insulaires  cet  homme  estimable  à 
bien  des  titres,  et  longtemps  regretté  par  ceux  qui  ont  eu 
l'avantage  de  le  connaître  : 

"  Les  mœurs  de  ses  habitans  (de  l'Ile),  étaient  d'ime 
grande  pureté.  Jamais  on  n'y  entendait  parler  de  désor- 
dres, et  je  n'ai  jamais  vu  de  gens  plus  religieux.  De  mon 
temps,  il  n'y  avait  dans  l'Ile,  ni  marchands,  ni  notaires,  ni 
médecins  ? La  plupart  du  tems  les  terres  se  trans- 
mettaient de  père  en  fils,  tout  au  plus  en  vertu  d'un  testa- 
ment que  le  père  faisait  faire  à  Québec,  en  allant  vendre 
ses  denrées  au  marché.  Voilà  tout.  \jx\  médecin  eût  été 
encore  plus  inutile.  Les  sœurs  du  couvent  de  la  Congré- 
gation avaient  quelques  spécifiques,  dont  elles  ne  faisaient 
ni  commerce  ni  m\ stère  ;  puis  un  ratnanchenr  {ix)  tenait 
lieu  de  chirurgien.  Le  marchand  n'y  aurait  pas  non  plus 
fait  fortune.  On  s'habillait  des  étoffes  du  pays,  fabriquées 
k  la  maison  ;  et,  quant  aux  articles  nécessaires,  outre  ceux- 

(a)  Rebouteur. 


— 138  — 

là,  on  les  achetait  à  Québec  quand  on  y  allait  vendre  son 
grain,  son  beurre  et  ses  autres  produits.  Cette  innocence 
de  mœurs  excluait  naturellement  toutes  ces  professions 
qui  vivent  des  malheurs  ou  des  vices  de  la  société.  " 

Mœurs  simples  et  douces  heureusement  décrites  dans 

ces  vers  d'un  poète  : 

Heureux  celui  qui  sans  soins  ni  soucis 

Vit  dans  son  modeste  héritage  ! 
L'envie  et  le  chagrin  n'attristent  point  ses  nuits, 

Il  jouit  de  la  paix  du  sage. 

Heureux  celui  qui  sait  de  ses  troupeaux 

Tirer  vêtement  et  lainage  : 
Qui  sait  des  champs  tirer  son  pain,  et  des  ormeaux, 

L'hiver,  le  feu  ;  l'été,  l'ombrage  ! 


•■'^s^mÈX^m'ii-îmmmi^iMmm/'my:m@mm;  ■ 


■MM 


(Sa/r^     de    la     LcrniJê.       c)i