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Full text of "La pêche aux marsouins dans 1e fleuve St. Laurent [microforme] : pré cis historique, moeurs et capture du marsouin, préparation de ses dépouilles, huiles et cuirs"

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PÊCHE  AUX  MARSOUINS 


DANS  LE  FLEUVE  St.  LAURENT. 


PRÉCIS  HISTORIQUE — MŒURS  ET  CAPTURE 

DU  MARSOUIN — PRÉPARATION  D..  SES 

DÉPOUILLES — HUILES  ET  CUIRS. 


MONTREAL: 

TYPOGRAPHIE  DE  "L'OPINION  PUBLIQUE," 
No.  319  Rue  St.  Antoine. 


1873 


(Là 


LA 


PÊCHE  AUX  MARSOUINS 


DANS  LE  FLEUVE  St.  LAURENT 


-»0»<CK>- 


PRÊCIS    HISTORIQUE — MŒURS  ET  CAPTURE    DD    MàRSOUlN — PREPARA- 
TION DK  SES  DÉPOUILLES — ^HUILES  ET  CUIRS. 


Les  voyageurs  qui  parconront  lo  8aint-ljanront  entre  la  tra- 
ViTSo  do  Saint-Roch  et  lo  Golfe,  observent  un  speet-acle  aussi 
curieux  qu'intéressant,  et  tout  particulier  à  notre  fleuve  et  à  ses 
parages  :  c'est  la  vue  des  troupeaux  de  marsouins  qui  viennent 
respirer  et  se  jouer  à  la  surface  de  l'eau.  Durant  les  beaux 
jours,  lorsque  le  temps  est  calme,  et  qu'ils  ne  sont  effrayés  par 
aucun  bruit,  on  les  voit  nager  autour  des  embarcations,  et  l'on 
entend  distinctement  le  sourd  ronflement  de  leur  respiration. 

L'éclatante  blancheur  de  leur  peau  contraste  avec  le  vert 
sombre  des  flots,  et  les  fait  paraître  comme  des  glaçons  cou- 
verts de  neige.  Quand  ils  se  montrent,  on  voit  d'abord  leur 
tôte  ronde,  puis  un  jet  d'eau  qu'ils  lancent  de  leur  soufflet  à 
quelques  pieds  en  l'air,  et  successivement  leur  cou  et  leur  dos. 
Quelquefois  on  aperçoit  la  femelle  portant  son  petit  sur  sa 
queue  ;  celui-ci,  qui  ett  d'un  gris  bleu,  semble  se  tenir  ferme- 
ment attaché,  comme  s'il  faisait  le  vide  entre  lui  et  sa  mère. 
Lorsque  celle-ci  a  deux  petits,  on  les  voit  appuyés  de  chaque 
côté  de  ses  nageoires.  Au  reste,  ils  paraissent  avoir  la  faculté 
d'adhérer  solidement  sur  toutes  les  parties  de  leur  mère.  On 
observe  sonlemcnt  que,  pendant  qu'elle  les  allaite,  elle  se 


>-4  — 

penche  d'un  côté  en  nageant.  Son  lait  est  abondant  et  épais 
il  ressemble  assez  à  celui  de  la  vache,  auquel  serait  mêlé  une 
assez  forte  dose  de  carbonate  de  soude  ;  ce  qui  donne  une  sa- 
veur alcaline. 

Rien  n'est  étrange  et  singulier  comme  d'entendre,  durant  le 
silence  de  la  nuit,  leurs  puissants  soupirs  qui  s'élèvent  à 
chaque  instant  de  tous  les  points  de  l'horizon. 

Le  marsouin  n'appartient  pas  au  genre  des  poisson?.  C'est 
un  manimifôre  de  la  famille  des  souffleurs,  et  de  l'espèce  des 
dauphins,  que  les  naturalistes  désignent  sous  le  nom  de  mar- 
souins globiceps,  ou  à  tête  arrondie.  Comme  le  dauphin,  il  a 
deux  nageoires  ;  et  la  queue  posée  horizontalement.  Il  ne  se 
rencontre,  paraît-il,  que  dans  les  parages  du  Saint-Laurent  et 
de  la  Baie  d'Hudson.  Sa  longueur  varie  de  quinze  à  vingt 
pieds.  On  en  a  capturé  quelques-uns  qui  meauraient  jusqu'à 
vingt-cinq  pieds.  Son  oreille  est  presque  imperceptible.  C'est 
une  légère  cavité  qui  n'est  guère  plus  grosse  qu'une  tête  d'é- 
pingle ;  cependant  il  a  l'ouïe  extrêmement  délicate,  et  le 
moindre  bruit  l'effraie. 

On  croit  que  les  marsouins  vivent  très- vieux.  Du  moins,  si 
l'on  observe  les  dents  de  ceux  qui  paraissent  les  plus  âgés,  on 
constate  qu'elles  sont  extrêmement  usées,  quoique  leur  émail 
soit  très-dur,  et  que  la  nourriture  ordinaire  du  marsouin,  com- 
posée do  petits  poissons,  soit  d'une  nature  qui  offre  peu  de  ré- 
sistance à  l'action  de  ses  mâchoires. 

II. 

La  capture  de  ce  superbe  cétacô  dut  tenter  l'avidité  des  an- 
ciens habitants  de  la  Nouvelle-France.  A'issi  voit-on  que  la 
pêche  du  marsouin  a  commencé  à  être  faite  ChB  l'année  1705. 
Ce  fut  le  hasard  qui  fit  découvrir  aux  colons  que  le  marsouin 
pouvait  se  prendre  dans  les  tentures  de  pêche.  Les  premiers 
que  l'on  prit  furent  trouvés  dans  des  pêches  aux  harengs,  où  ils 
étaient  entrés  en  poursuivant  le  petit  poisson.  Il  y  a  une 
trentaine  d'années,  quel<iues-uns  ont  encore  été  capturés  de  la 
sorte  à  la  Bivière-Ouelle. 

C'est  à  la  pointe  formée  par  cotte  rivière  et  par  le  fleuve 


—  5  — 

Saint-Laurent  que  furent  tendues  les  premières  pêches  aux 
marsouins  ;  et  depuis  on  n'a  jamais  cessé  d'y  tendre  ;  cette  in- 
dustrie ayant  toujours  été  fort  lucrative. 

La  première  concession  de  la  pêche  aux  marsouins  fut  faite, 
le  vingt  juillet  1707,  à  six  habitants  de  cette  paroisse  par  l'in- 
tendant Raudot.  Voici  le  texte  de  cette  concession  : 

*'  Jean  Delavoyé,  Etienne  Bouchard,  Pierre  Soucy,  Jacques 
"  Gagnon,  Pierre  Boucher  et  François  Gauvin  nous  ayant  ex- 
"  posé  qu'étant  habitants  de  la  Boutheillerie,  sur  la  Rivière- 
"  Quelle,  proche  voisins  les  uns  des  autres,  qu'ils  se  seraient 
"  unis  ensemble  pour  faire  la  pêche  du  marsouin  dans  la  de- 
"  vanture  de  leurs  terres  à  la  pointe  de  la  dite  Rivière-Ouelle 
"  qui  est  un  endroit  très-propre  pour  faire  la  dite  pêche,  la- 
"  quelle  même  ils  ont  commencé  depuis  deux  ans,  et  ce  suivant 
♦'  le  droit  de  pêche  qu'ils  ont  par  leur  contrat  de  concession,  et 
"  comme  quoy  qu'ils  usent  de  leur  droit,  ils  pourraient  être 
"  troublés  dans  l'exercice  de  la  dite  pêche,  ils  nous  demandent 
"  qu'il  nous  plaise  les  autoriser  pour  continuer  la  dite  entre- 
"  prise.  Le  Sieur  de  Boishébert,  seigneur  de  la  dite  Terre  do 
"  la  Boutheillerie,  entendu,  qui  nous  a  dii^  que  par  leur  contnit 
*'  de  concession  le  dit  droit  de  pêche  leur  avait  été  accordé  et 
"  qu'il  ne  s'opposait  point  à  leur  demande,  à  laquelle  ayant 
"  égard, — 

"  Nous  autorisons  l'uuion  faite  entre  les  sus-nommés  pour 
"  faire  la  pêche  au  marsouin  dans  la  devanture  de  leurs  habi- 
"  tations,  défendons  de  les  y  troubler  à  peine  de  tout  dommage 
"  et  intérêt. 

«  Fait  àQuébec  ce  vingt  juillet,  1707. 

«  (Signé)  Raudot." 

Les  six  premières  parts  de  la  pêche  passèrent  successivement 
aux  descendants  des  propriétaires,  et  furent  subdivisées  parmi 
un  si  grand  nombre  de  familles  que,  de  nos  jours,  il  était  à  peu 
près  impossible  de  retracer  les  droits  de  chacun.  C'est  afin  de 
se  reconnaître  au  milieu  de  cette  confusion,  et  de  constater  les 
titres  des  différents  propriétaires,  que  la  société  de  la  pêche 
s'est  constituée  en  corporation  légale  par  un  acte  de  la  législa- 
ture de  la  Province  de  Québec  passé  en  1870. 


—  6  — 

On  doit  remarquer  à  la  louange  de  cette  société  que  depuis 
lus  d'un  siècle  et  demi  qu'elle  subsiste,  jamais  aucun  procès 
n'est  venu  troubler  la  paix  parmi  un  si  grand  nombre  d'asso- 
ciés. C'est  un  fait  qui  vient  en  contradiction  avec  la  réputa- 
tion chicanière  acquise  à  la  race  normande,  dont  la  plupart  des 
Canadiens  tirent  leur  origine. 

Le  dixième  des  huiles  provenant  de  la  pêche,  que  les  sei- 
gneurs de  la  Riviôre-Ouelle  ont  toujours  perçu  depuis  1*748,  no 
relève  pas,  comme  on  serait  porté  à  le  croire,  du  droit  féodal  ; 
car  le  droit  de  pêche  avait  été  concédé  aux  censitaires  en  même 
temps  que  leurs  terres.  Mais  à  la  suite  d'une  contestation  sur- 
venue entre  eux  et  les  pêcheurs  de  l'anse  de  Sainte-Anne  au 
sujet  de  kurs  limites  mutuelles,  ils  eurent  recours,  pour  obtenir 
justice,  à  l'influence  de  la  seigneuresse,  madame  de  Boishébert, 
veuve  du  fils  du  premier  seigneur  de  la  Rivière-Ouelle,  M.  de 
la  Bouteillerie.  Ce  fut  en  considération  des  services  qu'elle 
leur  avait  rendus  en  cette  occasion,  et  de  l'engagement  qu'elle 
prit  de  les  protéger  à  l'avenir,  tant  par  elle-même  que  par  ses 
héritiers  dans  la  seigneurie,  que  les  propriétaires  de  la  pêche 
lui  abandonnèrent  le  privilège  du  dixième  des  huiles  dont  les 
seigneurs  ont  joui  jusqu'à  nos  jours. 

Il  existe,  parmi  les  papiers  de  la  pêche,  une  ordonnance  du 
trop  fameux  intendant  Bigot,  pour  réprimer  certains  abus,  et 
dont  quelques  dispositions  assez  singulières  méritent  d'être 
connues  : 

**  Sur  les  représentations  qui  nous  ont  étc  faites  par  les  sei- 
"  gneurs  de  la  llivière-Ouelle  que  les  habitants  de  la  dite  costo 
"  vont  tirer  des  coups  de  fusils  sur  une  pointe  à  laquelle  il  a 
"  établi  une  pêche  à  marsouin,  et  y  mettent  même  leurs  bes- 
«  tîaux,  sans  aucun  droit,  ce  qui  lui  cause  un  tort  considérable, 
"  attendu  que  le  poisson  s'éloigne  de  la  dite  pointe  :  nous  fai- 
"  sons  défense  aux  habitants  du  dit  lieu  de  la  Rivière-Ouelle  et 
"  à  tous  les  autres  d'aller  tirer  des  coups  de  fusils  sur  la  dite 
«  pointe  et  d'y  mettre  leurs  bestiaux,  à  peine  contre  les  contre- 
"  venane  de  confiscation  des  bestiaux  et  en  outre  do  vingt 
"  livres  d'amende  contre  les  propriétaires  des  dits  bestiaux  et 
'  contre  lus  chasseurs,  applicable  à  la  fabrique  de  la  paroisse. 


—  7  — 

"  Sera  la  présente  ordonnance  lue  et  publiée  à  la  porte  de 
"  l'église  du  lieu. 

'<  Fait  à  Québec  le  22  juin,  1752. 

(Signé,)  Bigot." 

Quelques  spéculateurs  anglais,  entre  autre  MM.  Lymburner 
et  Crawford  de  Québec,  prirent  à  bail,  le  25  janvier  1798,  la 
pêche  de  la  Rivière-Ouelle.  Mais  comme  ils  ne  surveillèrent 
pas  par  eux-mêmes  les  opérations,  ils  firent  des  pertes  consi- 
dérables qui  furent  une  des  causes  do  leur  faillite,  et  qui  les 
contraignirent  à  résilier  leur  contrat  en  1804. 

Les  désordres  auxquels  se  livrèrent,  à  la  pointe  de  la  Kivière- 
Ouelle,  les  agents  des  bourgeois  de  Québec,  comme  on  les  appe^ 
lait,  sont  restés  célèbres  dans  la  mémoire  des  habitants  du  lieu. 
Ils  ont  fourni  de  texte  à  plusieurs  légendes,  plus  ou  moins  fan- 
tastiques, qui  ont  défrayé,  pendant  longtemps,  les  imaginations 
superstitieuses,  et  qu'on  se  plait  à  raconter,  le  soir  au  coin  du 
feu,  pour  amuser  les  Jeunesses.  Plusieurs  anciens  prétendaient 
avoir  entendu  le  bruit  d'orgies  diaboliques  qui  se  prolongèrent 
même  après  le  départ  des  employés  de  la  compagnie  anglaise. 

La  maison  de  la  Pointe  a  été  regardée,  longtemps  après^ 
comme  une  habitation  redoutable,  et  hantée,  selon  Tidée  d'un 
grand  nombre  de  gens.  Il  y  avait  alors  peu  de  personnes  qui 
eussent  osé  y  coucher  seules  la  nuit.  L'isolement  de  cette  mai- 
son près  du  fleuve  à  l'extrémité  de  la  Pointe,  ombragée  encore 
aujourd'hui  par  la  forêt,  et  le  passage  fréquent  des  Sauvages 
qui  avaient  l'habitude  d'y  venir  camper,  ont  contribué  à  entre- 
tenir ces  mystérieux  souvenirs. 

Les  associés  de  la  pêche  ont  réussi  à  discréditer  les  fables  qui 
ont  eu  cours  pendant  bien  des  années,  mais  en  expiation  des 
scandales  commis  par  les  étrangers,  et  pour  attirer  la  protection 
du  ciel  sur  leurs  travaux,  ils  ne  manquent  jamais  de  faire  bénir 
la  pêche,  chaque  printemps.  Leurs  pieuses  croyances  su  ré- 
vèlent encore  par  les  croix  qui  sont  plantées  ça  et  là  le  long  du 
rivage. 

Nous  dirons  plus  loin  les  luttes  sanglantes  que  nos  pêcheurs 
font,  sur  la  grève,  contre  leurs  captifs  aquatiques.  Remarquons, 
en  passant,  que  cette  Pointe  n'a  pas  toujours  été  témoin  de  com- 


—  8  — 

bats  auasi  pacifiques.  En  1690  entr'autros,  un  détachement  de 
la  flotte  anglaise  qui  remonluit  le  flt3uve,  y  avait  fait  une  des- 
cente, les  habitants  s'armèrent  en  toute  hûte,  et,  conduits  par 
lem*  brave  curé,  M.  de  Francheville,  armé  comme  eux  du  mous- 
quet, ils  assaillirent  vigoureusement  les  ennemis,  et  les  for- 
cèretit  à  se  rembarquer  plus  vite  qu'ils  n'étaient  venus. 

Voici  la  manière  originale  ilont  ce  fait  est  raconté  dans  une 
relation  de  l'époque  : 

"  Les  ennemis  s'étaient  fliattés  de  mettre  à  terre  sans  oppo- 
"  sition.  Lorsqu'ils  lurent  aux  premières  habitations,  ils 
*'  crurent  qu'il  n'y  avait  qu'à  débarquer  et  se  mettre  à  table. 
"  Ils  furent  surpris  que,  pour  la  première  entrée,  on  leur  servit 
"  une  salve  de  coups  de  fusils.  A  la  Rivière-Ouelle,  le  sieur 
"  de  Francheville,  curé,  prit  un  capot  bleu,  un  tapebord  eu 
'*  tète,  un  fusil  en  bon  état,  se  mit  h  la  tôte  de  ses  paroissiens, 
"  firent  plusieurs  décharges  sur  les  chaloupes,  qui  furent  con- 
**  traintes  de  se  retirer  au  large  av  'c  pertes." 

A  différentes  époques,  on  a  essayé  de  prendre  le  marsouin, 
sur  plusieurs  endroits  de  la  cote,  et  particulièrement  aux  îles  <io 
Kamouraska  et  dans  l'anse  de  Sainte-Anne  de  la  Pocatière  ; 
mais  aucun  de  ces  essais  n'a  été  assez  productif  pour  encoura- 
ger h  les  continuer  d'une  manière  permanente.  11  faut  cepen- 
dant excepter  l'île  aux  Condres,  oîi  l'on  a  toujours  tendu  depuis 
assez  longtemps,  ù  peu  d'interruptions  près.  Mais  comme  ii 
croît  peu  de  bois  franc  dans  l'île,  les  pcch  'urs  sont  obligés  do 
se  servir  d'arbres  de  sapin  et  d'épinette  garnies  de  leurs  bran- 
ches, qu'il  faut  attacher  ensemble,  afin  qu'ils  puissent  résister 
au  courant.  Cette  manière  de  construire  la  pêche  étant  plus 
coûteuse  que  celle  en  usage  à  la  fUvière-Oiielle,  les  profits  y 
sont  moins  considcrables. 

Dans  ces  derniers  temps,  on  a  fait  diverses  tentatives  pour 
noyer  le  marsouin  au  moyen  de  rets,  mais  le  pntit  nombre  qu'on 
a  réussi  à  prendre  de  la  sorte  n'a  pu  suffire  à  donner  du  crédit  à 
ce  nouveau  procédé 

Les  savants  des  Etats-Unis  ont  fait,  dans  ces  dernières 
années,  des  études  spéciales  sur  notre  marsouin. 

En  1860,  la  célèbre  société  am.  icaiue,  connue  sous  le  nom 


—  9  — 

de  Smithsonian  Institute^  a  fait  préparer  et  transporter  un  sque- 
lette de  marsouin  destiné  à  son  musée  d'histoire  naturelle  ;  et 
cette  même  année,  elle  devait  envoyer  un  de  ces  préparateurs, 
pour  faire  empailler  un  spécimen. 

Il  y  a  quelques  années  des  Américains  de  Boston  ont  acheté 
un  marsouin  vivant  qu'ils  ont  transporté  par  les  chars,  dans 
une  vaste  caisse  remplie  d'eau  et  de  varech.  Il  a  été  exposé 
dans  un  immense  bassin  construit  en  verre,  oii  il  a  excité  la 
curiosité  de  la  foule  ;  malheureusement  il  est  mort  peu  do  temps 
après  son  arrivée  à  Boston. 

Un  autre  a  été  conservé  vivant,  pendant  dix-huit  mois,  à 
New- York  au  musée  de  Baruum,  oii  des  milliers  de  visiteurs 
l'ont  vu  traîner  une  nacelle  dans  son  aquarium. 

III 

La  pêche  aux  marsouins  de  la  Riviére-Ouelle  est  construite 
au  moyen  de  perches  de  dix-huit  à  vingt  pieds  de  longueur, 
plantées  à  environ  un  pied  et  demi  les  unes  des  autres,  jr  la 
grève  qui,  en  cet  endroit,  assèche  à  environ  un  mille  et  demi 
de  la  ligne  de  la  haute  marée.  La  tenture  de  la  pêche  exige, 
chaque  année,  l'emploi  de  7200  perches.  Du  temps  des  ôowr- 
geois,  on  liait  ces  perches  entre  elles  par  un  double  rang  do 
cordes  ;  mais  l'expérience  a  prouvé  que  cette  précaution  était 
superflue. 

Le  demi-cercle,  que  forme  la  pêche,  a  trente-huit  arpents,  ou 
un  mille  et  un  tiers  de  longueur  ;  et  se  termine,  à  cinq  arpents 
du  bout  de  la  Pointe,  par  uae  courbe  plus  rentrante,  qu'on 
appelle  le  raccroc. 

Cette  ouverture  sert  do  porte  &  la  poche.  On  a  coutume  de 
la  tendre  du  huit  au  vingt-cinq  d'avril,  époque  vers  laquelle 
arrivent  le  caplan  et  l'éperlan  qui  viennent  frayer  le  long  de  la 
grève.  Comme  ces  petits  poissons  forment  l'une  des  premières 
et  la  plus  abondante  pâture  du  marsouin,  au  printemps,  c'est 
alors  qu'il  s'approche  de  terre  et  se  met  à  leur  poursuite. 
L'heure  de  la  marée  montante  est  le  moment  du  fraie  ;  c'est 
aussi  l'heure  de  son  repas.  Il  est  maigre  et  affamé,  lorsqu'il 
fait  son  apparition,  et  il  se  gorge  d'aliments  avec  une  telle-  - 


—  10  — 

racitè  qu'en  huit  ou  dix  jours,  il  acquiert  cinq  ou  six  pouces  de 
graisse,  et  quelquefois  jusqu'à  huit  pouces.  Cette  graisse  le 
recouvre  tout  ntier  d'une  enveloppe  que  les  pêcheurs  nomment 
capot.  On  explique  la  promptitude  avec  laquelle  il  prend  cet 
énorme  embonpoint  par  la  facilité  d'assimilation  qu'offre  sa 
nourriture,  et  par  le  développement  considérable  de  son  appa- 
reil digestif. 

Les  propriétés  soporifiques  du  caplan  et  de  l'éperlan  sont  fort 
connues  ;  il  n'est  donc  point  surprenant  que  le  marsouin,  après 
b'en  être  repu,  éprouve  une  langueur  et  une  somnolence  qui 
le  rendent  insouciant  et  plus  facile  à  capturer.  Les  pêcheurs 
redoutent  ceux  qu'ils  appellent  les  savants  ou  coureurs  de 
loches  :  ce  sont  do  vieux  marsouins,  vrais  renards  de  mer,  qui 
ont  échappé  à  plus  d'un  danger,  et  qui  passent  au  travers  des 
perches  sans  aucune  crainte.  On  en  voit  qui  se  tiennent  à 
l'entrée  de  la  pêche,  qai  donnent  l'alarme  aux  troupeaux  avec 
une  étonnante  sagacité,  et  qui  souvent  les  empêchent  de  s'y 
engager.  S'ils  ne  réussissent  pas  à  les  arrêter,  ils  leur  servent 
de  guide,  et  trop  souvent  les  entraînent  à  leur  suite  au  travers 
des  perches.  Ces  savants  ne  peuvent  être  capturés  que  lorsqu'ils 
sont  devenus  extrêmement  gras  et  stupides  par  l'excès  de  leur 
gloutonnerie. 

Le  spectacle  qu'offrent  les  troupeaux  de  marsouins,  à  l'heur 
où  ils  pèchent  en  côtoyant  le  rivage,  est  unique  dans  son  genre 
Quand  on  a,  une  fois,  contemplé  une  pareille  scène,  on  no  l'ou- 
blie plus. 

Au  mois  de  mai  dernier,  plusieurs  personnes  de  l'endroit  en 
ont  été  témoin  dans  les  circonstances  les  plus  favorables.  La 
journée  qu'elles  avaient  choisie  pour  aller  se  placer  sur  les  ro- 
chers du  bout  do  la  Pointe,  afin  d'y  jouir  de  ce  spectacle,  était 
magnifique;  et  ces  superbes  cétacés  se  montraient  avec  una 
abondance  qui  ne  s'était  pas  vue  depuis  longtemps  :  ils  four- 
millnient  dans  l'anse  de  Sainte-Anne,  et  dans  l'embouchure  do 
la  Riviôre-Ouclle.  A  la  fin  du  montant,  on  les  voyait  doubler 
la  Pointe  par  bandes  nombreuses,  en  suivant  leur  course  ordi- 
naire ;  ils  longeaient  les  rochers,  en  avalant,  avec  avidité,  le 
polit  poisson,  dont  l'eau  était  littôralcmont  épaissie.    Comme 


—  11  — 

la  mer  a  peu  de  profondeur  en  cet  endroit,  ils  nageaient  presque 
toujours  à  la  surface,  et  si  près  de  la  grève,  qu'il  eût  été  facile 
de  les  atteindre  d'un  jet  de  pierre.  La  nappe  du  fleuve  en  était 
toute  blanche.  Les  jets  d'eau  qu'ils  lançaient  de  leur  évent  en 
poussant  leur  souffle,  retombaient  en  courbes  gracieuses,  et  se 
dispersaient  en  gouttelettes  qui  étînnelaient  comme  des  dia- 
mants au  soleil. 

C'est  en  poursuivant  ainsi  leur  proie,  que  les  marsouins,  de- 
venus indolents  et  endormis,  s'engagent,  sans  soupçonner  aucun 
danger,  dans  la  porte  de  la  pêche.  Dès  qu'ils  l'ont  franchie, 
l'instinct  leur  fait  prendre  le  large  pour  chercher  l'eau  pro- 
fonde. Ils  traversent  ainsi  la  pêche  en  diagonale,  et  rencon- 
trent les  perches,  dont  la  longue  ûle  leur  parait  comme  une 
muraille,  et  dont  les  extrémités,  a^^itées  par  le  courant,  s'entre- 
choquent et  les  effraient.  Alors  ils  se  détournent  et  remontent 
le  long  de  l'aile  du  large  dans  l'espoir  de  trouver  une  issue.  La 
courbure  de  la  pêche  les  ramène  peu  à  peu  vers  le  raccroc  ; 
mais  quand  ils  s'en  approchent,  ils  s'aperçoivent  que,  là,  l'eau 
est  moins  profonde.  Ils  retournent  donc  vers  le  fond  de  la 
pêche,  où  ils  rencontrent  les  mêmes  obstacles.  Dès  lors,  ils 
sont  complètement  écartés,  deviennent  effrayés,  et  ne  se  mon- 
trent  plus  guère  à  la  surface  de  l'eau.  Après  quelques  nou- 
velles tentatives  d'évasion,  ils  se  réfugient  ordinairement  dans 
les  deux  endroits  les  plus  profonds,  la  mare-plaie  et  la  mare-creuse. 
Ils  nagent  alors  lentement,  et,  selon  l'expression  des  pêcheurs, 
ils  n'avancent  plus  qu'à  la  sonde.  Pendant  ce  temps,  la  maréo 
se  retire  rapidement. 

A  l'époque  des  grandes  mers,  les  marsouins  échouent,  et  il 
est  très-facile  de  les  tuer  ;  mais  dorant  leë  petites  mers,  l'eau 
baisse  beaucoup  moins,  et  ils  peuvent  nager  sur  une  grande 
étendue.  Alors  la  chasse  que  leur  livrent  les  pêcheurs  est  un 
spectacle  des  plus  émouvants.  Les  hommes  qui  font  le  quart 
sur  le  rivage,  ordinairement  au  nombre  de  six,  descendent 
dans  des  canots  en  suivant  le  bord  extérieur  de  la  pèche.  Ils 
franchissent  les  perches  du  côté  du  large,  et  se  mettent  à  la 
poursuite  des  captifs.  Quand  ils  sont  en  grand  nombre,  il  faut 
Bo  hûtcr  de  les  tuer  pour  ne  pas  être  surpris  par  la  marée  mon- 


—  12  — 

tante.  On  en  a  pris  autrefois  jusqu'à  cinq  cents  dans  une  même 
marée,  et  dix-huit  cents  durant  la  même  saison.  II  y  a  trois 
ans,  cent-un  marsouins  ont  été  tués  de  nuit  dans  une  même 
marée  par  quatre  hommes  seulement  ;  ce  qui  est  regardé  comme 
un  exploit  peu  ordinaire.  Ceux-ci  ne  s'attendant  pas  à  une  si 
forte  prise,  n'avaient  pas  eu  le  temps  d'envoyer  chercher  du 
secours. 

Les  pêcheurs  sont  armés  de  harpons  et  d^èspontons.  Le  har- 
pon est  un  dard  muni  d'oreillettes  qui  s'ouvrent  quand  on  veut 
le  retirer.  Il  est  lonef  d'environ  deux  pieds  et  attaché  à  une 
courroie.  Il  se  termine  par  une  douille  dans  laquelle  on  en- 
fonce un  manche  de  bois  mobile.  L'esponton  est  un  dard  ordi- 
naire fixé  à  un  manche  de  sept  ou  huit  pieds.  Les  harpon- 
neurs  lancent  le  harpon  parfois  à  une  bonne  distance,  et  l'en- 
foncent dans  le  flanc  du  marsouin.  Celui-ci  se  sentant  piqué, 
bondit  à  la  surface  de  l'eau,  plonge  et  se  roule  pour  se  débar- 
rasser du  trait  qui  le  blesse,  et  s'enfuit  de  toute  sa  vitebse,  en- 
traînant à  sa  suite  le  canot  par  la  corde,  dont  un  bout  est  fixé 
au  harpon,  et  l'autre  est  retenu  par  un  des  harponneurs  du  canot. 

Une  course  effrénée  s'engas^e  en  ce  moment  ;  le  canot,  em- 
porté avec  violence,  touche  h  peine  la  surface  des  flots  qui 
bouillonnent  sous  les  énormes  coups  de  queue  du  monstre 
marin.  L'eau,  en  peu  d'instants,  devient  toute  rougie  ;  car  lo 
marsouin  a  une  quantité  prodigieuse  de  sang  qui  varie  do  huit 
à  dix  gallons.  Bientôt  il  commence  à  se  fatiguer  ;  alors  on  se 
rapproche  de  lui  en  retirant  dans  le  canot  une  partie  de  la  corde. 
Le  harponneur,  debout  sur  l'avant,  lance  l'esponton,  dès  qu'il 
se  voit  à  une  bonne  portée.  Poussé  par  une  main  vigoureuse 
et  exercée,  le  trait  perce  parfois  l'animal  de  part  en  part,  et  lo 
sang  rejaillit  jusqu'à  deux  et  trois  pieds  hors  de  l'eau.  Malgré 
ces  pertes  énormes,  le  marsouin  s'agite  encore  longtemps  avant 
d'expirer,  si  ses  blessures  n'ont  pas  attaqué  la  moelle  épiniî're. 
Le  moyen  le  plus  expéditif  pour  le  tuer,  est  de  lui  enfoncer 
l'esponton  immédiatement  en  arrière  du  soufflet,  ce  qui  lui 
rompt  l'épine  dorsale. 

Qu'on  se  figure,  si  l'on  peut,  l'animation  qie  présente  la 
pêche  AUX  marsouins,  lorsqu'il  y  on  a  une  centaine  dans  les 


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mares,  qao  vingt-cinq  ou  trente  hommes  sont  à  leur  poursuite, 
que  cinq  ou  six  canots  traînés,  par  les  marsouins,  sillonnent  la 
pêche  en  tous  sens,  que  les  espontons  sont  lancés  de  toutes 
parts,  et  que  les  hommes  sont  tout  couverts  du  sang  qui  jaillit 
à  flots.  Au  milieu  des  clameurs  des  combattants  et  des  sile- 
ments  plaintifs  que  poussent  les  marsouins  blessés,  quelques  har- 
ponneurs  sautent  sur  leur  doB,  d'autres  s'élancent  à  la  mer  jus* 
qu'aux  épaules,  et  brandissent  les  espontons,  semant  partout  le 
carnage  et  la  mort.  L'enceinte  de  la  pêche  ressemble,  à  la  fin 
de  cette  lutte,  à  un  lac  de  sang. 

Il  y  a  quelques  années,  les  passagers  d'un  steamer  européen 
furent  témoins  d'une  pareille  scène,  et  manifestèrent  leur  en- 
thousiasme en  faisant  tirer  une  salve  de  coups  de  canon. 

Le  marsouin  ne  cherche  jamais  à  se  défendre,  il  ne  songe 
qu'à  fuir,  et  comme  il  est  de  nature  essentiellement  mouton- 
nière, il  ne  se  sépare  point  du  troupeau.  Si  parfois  il  renverse 
un  canot,  ou  quelques  hommes,  d'un  coup  de  queue,  ce  n'est 
que  par  hasard  et  dans  sa  fuite. 

On  a  été  souvent  témoin,  au  milieu  du  massacre  de  ces 
pauvres  animaux,  de  scènes  de  dévouement  maternel  vraiment 
touchantes  :  des  mères,  dont  les  nourrissons  étaient  enfermés 
dans  la  pêche,  se  sont  laissées  échouer  et  tuer  en  dehors  des 
perches,  plutôt  que  d'abandonner  leurs  petits. 

On  cite  comme  un  fait  exceptionnel  un  accident  arrivé  à 
l'un  des  harponnéurs  :  il  fut  mordu  à  la  jambe  par  un  marsouin 
blessé,  et  traîné  à  une  distance  considérable  ;  mais  sans  doute 
l'animal  à  l'agonie  n'avait  saisi  cet  objet  qu'au  hasard. 

Un  autre  harponne  ur,  après  avoir  frappé  de  son  arme,  s'é- 
tant  obstiné  à  la  retenir,  fut  lancé  en  l'air  par  le  marsouin  qui 
se  retourna  subitement  et  le  fit  retomber  dans  l'eau  la  tête  la 
première,  aux  grands  éclats  de  rire  de  ses  compagnons. 

Aussitôt  que  tous  les  marsouins  ont  été  tués,  un  signal  con- 
venu est  fait  du  large  aux  hommes  du  rivage  pour  leur  indi- 
quer le  nombre  de  marsouins  capturés,  afin  qu'on  leur  expédie 
les  chevaux  nécessaires  pour  les  traîner  à  terre  sur  de  grosses 
menoireê.  Pour  y  attacher  les  marsouins,  on  leur  perce  la  queue 
d'un  trou  d'environ  deux  pouces  de  diamètre,  par  où  l'on  passe 


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des  courroies.  Il  faut  se  lulter  dans  ce  travail  ;  car  la  marôo 
commence  déjà  à  monter.  Si  l'on  n'a  pas  assez  de  chevaux,  ou 
si  le  temps  manque  pour  emmener  tous  les  marsouins  à  terre, 
on  a  recours  h  un  ancien  msde  d'ancrage  appelé  Barbe  de  Chatte. 
Il  consiste  k  fixer  dans  la  vase  huit  à  dix  perches,  formant  une 
croix  de  Saint-André,  sur  laquelle  sont  liés  les  marsouins,  où 
ils  restent  jusqu'à  la  marée  suivante. 

Lorsque  toutes  les  charges  sont  formées,  profitant  du  flottage 
de  la  marée,  chacun  des  chevaux,  dirigé  par  des  passes  connues 
traîne  depuis  un  jusqu'à  cinq  marsouins,  si  les  conducteurs 
ne  sont  pas  effrayés  par  la  rapidité  du  montant  qui  facilite 
leur  marche. 

IV. 

L'opération  du  dépècement  se  fait  immédiatement  sur  le 
sable  du  rivage.  Le  marsouin  est  tourné  sur  le  dos,  et  quatre 
dépéceurs,  armés  de  longs  couteaux,  le  fendent  depuis  la  queue 
jusqu'au  cou.  Une  coupe  transversale  est  faite  autour  de  la 
tête.  De  larges  incisions  séparent  le  lard  de  la  chair.  Le  sque- 
lette est  ensuite  rejeté  de  côté  et  le  capot,  ainsi  séparé,  est 
fendu  en  deux  dans  sa  longueur.  On  enfonce  des  crochets  do" 
fer  aux  extrémités  de  chacune  des  parties  qui  sont  traînées  par 
des  chevaux  jusqu'à  proximité  des  hangars.  Un  plan  incliné 
reçoit  ensuite  le  capot  que  des  crochets,  fixés  ù  un  rouleau,  re- 
tiennent par  l'extrémité  inférieure.  Un  dépo<*eur  détache  le 
lard  de  la  peau  qu'on  replie  autour  du  rouleau.  A  mesure  quo 
le  lard  retombe  sur  le  plan  incliné,  on  le  coupe  en  larges  mor- 
ceaux auxquels  on  donne  le  nom  anglais  de  flike  ;  et  on  les 
jette  dans  de  vastes  cuves.  L'huile  qui  coulo  sur  le  plan  est 
reçue  dans  des  auges. 

Les  pauvres  ne  manquent  jamais  de  venir  quérir  leur  part 
de  la  pêche  ;  et  la  charité  proverbiale  de  la  société  ne  les  renvoie 
jamais  les  mains  vides  :  chacun  s'en  retourne  avec  une  flique 
dans  sa  chaudière,  ou  accrochée  au  bout  d'une  petite  branchp. 
Les  associés  sont  convaincus  que  le  succès  de  leurs  travaux  dé- 
pend des  largesses  qu'ils  font  à  Dieu  ;  et  leur  générosité  mé- 
tVle  réellement  ses  bénédictions. 


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Les  morceaux  do  graisse  sont  subdivisés  en  petites  parties 
au  moyen  d'une  machine,  et  jetés  dans  les  bouilloires.  L'huile 
qu'on  en  retire  est  fort  recherchée  à  cause  de  sa  limpidité,  et 
surtout  de  ses  qualités  lubréfiantes.  Elle  est  encore  excellente 
pour  l'éclairage  :  un  lampion  flottant  brûle  jusqu'à  soixante- 
douze  heures  sans  s'éteindre. 

A  défaut  d'un  nombre  suffisant  de  futailles  pour  recueillir  les 

huiles,  on  se  servait  autrefois  d'une  espèce  d'outrés  confec 

tionnée  avec  l'estomac  des  marsouins  préparé  à  cet  e5fet,  et 

qu'on  nommait  ouiskouis,  sans  doute  d'après  un  mot  sauvage. 

Un  marsouin  donne  jusqu'à  trois  cents  pots,  (une  barrique 
et  demie)  d'huile. 

Dans  les  années  de  grande  abondance,  quand  il  y  avait  deux 
et  trois  cents  marsouins  étendus  à  la  fois  sur  le  sable  de  la 
grève,  une  quantité  énorme  d'huile  se  perdait,  et  coulait  en 
ruisseaux  dans  l'anse  du  Grand  Dégras  et  dans  celle  du  Petit 
Dégras  qui  l'avoisine. 

On  aura  une  idée  des  profits  que  la  pêche  de  la  Rivière - 
Quelle  a  rapportés  à  ses  actionnaires  par  le  fait  que  l'huile  s'est 
vendue  à  un  prix  qui  a  varié  de  cent  à  deux  cents  piastres  la 
barrique.  Au  reste,  il  y  aurait  un  article  à  écrire  sur  les 
richesses  côtières  de  la  Pointe,  dont  ils  sont  les  propriétaires. 
Outre  le  marsouin,  le  poisson  de  différentes  espèces,  y  abonde. 
On  attribue  cette  fertilité  à  la  situation  de  ce  promontoire  qui 
s'avance  dans  le  fleuve  entre  des  anses  profondes  :  il  projette 
à  une  lieue  environ  au  large  de  celle  de  Sainte-Anne. 

Dans  le  seul  automne  de  1870,  plus  de  cent  mille  anguilles 
ont  été  prises  sur  ce  littoral  et  dans  son  voisinage  immédiat. 

La  peau  du  marsouin,  dont  il  nous  reste  à  parler,  est  revêtuo 
d'un  limoi  ou  couche  gélatineuse  qui  s'enlève  facilement  par 
la  macération.  Ce  limon  est  lui-môme  recouvert  d'une  pelli- 
cule transparente  et  délicate  assez  semblable  au  papier  de  soie  : 
elle  se  détache  aisément. 

La  peau  du  marsouin  est  très-épaisse  et  d'une  force  extraor- 
dinaire, qu'elle  soit  verte  ou  corroyée.  Comme  ce  cuir  n'a  pas 
de  grain,  il  acquiert  un  poli  superbe. 

Le  corroyage  et  le  tannage  de  ce  cuir  sont  dus  à  l'eeprit  do 


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recherches  et  d'entreprises  de  feu  M.  C.  Tôtu,  de  la  Rivière- 
Ouelle.  Les  premiers  essais  de  ce  procédé  furent  faits  il  y  a 
une  vingtaine  d'années,  et  obtinrent  un  plein  succès.  L'inven- 
tion de  M.  Tôtu  a  été  brevetée,  et  a  reçu  l'honneur  d'une  mé- 
daille et  d'une  mention  honorable  aux  expositions  universelles 
de  Londres  et  de  Paris. 


15  juin  1873.