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Full text of "Histoire du Canada [microforme] : depuis sa découverte jusqu'à nos jours"

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Photographie 

Sciences 
Corporation 


23  WeST  MAIN  STREET 

WEBSTER,  N.Y.  14580 

(716)  873-4503 


CIHM/ICMH 

Microfiche 

Séries. 


CIHIVl/ICIVIH 
Collection  de 
microfiches. 


Canadian  Institute  for  Historical  Microreproductions  /  Institut  canadien  de  microreproductions  historiques 


Technical  and  Bibliographie  Notes/Notes  techniques  et  bibliographiques 


The  Instituts  has  attempted  to  obtain  the  best 
original  cop*-  available  for  filming.  Features  of  this 
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L'Institut  a  microfilmé  le  meilleur  exemplaire 
qu'il  lui  a  été  possible  de  se  procurer.  Les  détails 
de  cet  exemplaire  qui  sont  peut-être  uniques  du 
point  de  vue  bibliographique,  qui  peuvent  modifier 
une  image  reproduite,  ou  qui  peuvent  exiger  une 
modification  dans  la  méthode  normale  de  filmage 
sont  indiqués  ci-dessous. 


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etc.,  ont  été  filmées  à  nouveau  de  façon  à 
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publiques  du  Canada 


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plus  grand  soin,  compte  tenu  de  la  condition  et 
de  la  netteté  de  l'exemplaire  filmé,  et  en 
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sion, or  the  back  cover  when  appropriate.  AH 
other  original  copies  are  filmed  beginning  on  the 
first  page  with  a  printed  or  illustrated  impres- 
sion, and  ending  on  the  last  page  with  a  printed 
or  illustrated  impression. 


Les  exemplaires  originaux  dont  la  couverture  en 
papier  est  imprimée  sont  filmés  en  commençant 
par  le  premier  plat  et  en  terminant  soit  par  la 
dernière  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration,  soit  par  le  second 
plat,  selon  le  cas.  Tous  les  autres  exemplaires 
originaux  sont  filmés  en  commençant  par  la 
première  page  qui  comporte  une  empreinte 
d'impression  ou  d'illustration  et  en  terminant  par 
la  dernière  page  qui  comporte  une  telle 
empreinte. 


The  last  recorded  frame  on  each  microfiche 
shall  contain  the  symbol  — ^(meaning  "CON- 
TINUED"),  or  the  symbol  V  (meaning  "END"), 
whichever  applies. 


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dernière  image  de  chaque  microfiche,  sel'in  lo 
cas:  le  symbole  -^  signifie  "A  SUIVRE",  le 
symbole  V  signifie  "FIN  ". 


Maps,  plates,  charts,  etc.,  may  be  filmed  at 
différent  réduction  ratios.  Those  too  large  to  be 
entirely  included  in  one  exposure  are  filmed 
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right  snd  top  to  bottom,  as  many  frames  as 
required.  The  foilowing  diagrams  iliustrate  the 
method: 


Les  cartes,  planches,  tableaux,  etc.,  peuvent  être 
filmés  à  des  taux  de  réduction  différents. 
Lorsque  le  document  est  trop  grand  pour  être 
rep.oduit  en  un  seul  cliché,  il  est  filmé  à  partir 
de  l'angle  supérieur  gauchv*.  de  gauche  à  droite, 
et  de  haut  en  bas,  en  prenant  le  nombre 
d'images  nécessaire.  Les  diagrammes  suivants 
illustrent  la  méthode. 


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2 

3 

1 

2 

3 

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CANADA 


PUBLIC  ARCHIVES 


ARCHIVES  PUBLIQUES 


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HISTOIRE 


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CANADA 


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HISTOIRE 


DU 


CANADA 


DEPUIS  SA  DECOUVERTE  JUSQU'A  NOS  JOUES. 


PAR 


F.  X.  GARNEAU. 


SECONDE  ÉDITION   CORRIGÉE   ET   AUGMENTÉE. 


TOME  SECOND. 


IMPRIMÉ  PAR  JOHN   LOVELL,  RUE  LA  MONTAGNE. 

18Ô2. 


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HISTOIRE 


DU 


CANADA. 


LITRE  SIXIEME. 


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CHAPITRE  I. 


ÉTABLISSEMENT  DE  LA  LOUISIANE. 

1683-1712. 

De  la  Louisiane. — Louis  XIV  met  plusieurs  vaisseaux  à  la  disposition  de  la 
Salle  pour  aller  y  fonder  un  établissement. — Départ  de  ce  voyageur  ;  ses 
difficultés  avec  le  commandant  de  la  âotille,  M.  de  Beaujeu.— L'on  passe 
devant  les  bouches  du  Mississipi  sans  les  apercevoir  et  l'on  parvient  jus- 
qu'à la  baie  de  Matagorda  (ou  St.-Bemard)  dans  le  pays  que  l'on  nomme 
aujourd'hui  le  Texas. — La  Salle  y  débarque  sa  colonie  et  y  bâtit  le  fort 
St.  Louis. — Conséquences  désastreuses  de  ses  divisions  avec  M.  de  Beau- 
jeu,  qui  s'en  retourne  en  Europe.— La  Salle  entrepre  A  plusieurs  expédi- 
tions inutiles  pour  trouver  le  Mississipi.— Grand  nombre  de  ses  compa- 
gnons y  périssent — Il  part  avec  une  partie  de  ceux  qui  lui  restent  pour  les 
Illinois,  afin  de  faire  demander  des  secours  en  France. — Il  est  assassiné.— • 
Sanglans  démêlés  entre  ses  meurtriers  ;  horreur  profonde  que  ces  scènes 
causent  aux  Sauvages. — Joutel  et  six  de  ses  compagnons  parviennent  aux 
Illinois. — Les  colons  laissés  au  Texas  sont  surpris  par  les  Indigènes  et 
tués  ou  emmenés  en  captivité. — Guerre  de  1689  et  paix  de  Riswick. — 
D'Iberville  reprend  l'entreprise  deja  Salle  en  1698,  et  porte  une  première 
colonie  canadienne  à  la  Louisiane  l'année  suivante;  établissement  de 
Biloxi  (1698.) — Apparition  des  Anglais  dans  le  Mississipi. — L«!S  Hugue- 
nots demandent  à  s'y  établir  et  sont  refusés. — Services  rendus  par  eux  à 
l'Union  américaine. — M.  de  Sauvole  lieutenant-gouverneur. — Sages  re- 
commandations du  fondateur  de  la  Louisiane  touchant  le  commerce  de 
cette  contrée.  Mines  d'or  et  d'argent  ;  illusions  dont  on  se  berce  à  ce 
sujet — Transplantation  des  colons  de  Biloxi  dans  la  baie  de  la  Mobile 
(1701.) — M.  de  Bien  ville  remplace  M.  de  Sauvole. — La  Mobil"  fait  des 
progrès.— Mort  de  d'Iberville  ;  caractère  et  exploits  de  ce  guerrier. — M. 
Diron  d'Artaguette  commissaire-ordonnateur  (1708.) — La  colonie  languit. 
—La  Louisiane  est  cédée  à  M.  Crozat  en  1712,  pour  16  ans. 

L'on  donnait  autrefois  le  nom  de  Louisiane  à  tout  le  pays  du 
golfe  du  Mexique,  qui  s'étend  de  la  baie  de  la  Mobile,  à  1'  ?st,  aux 
sources  des  rivières  qui  tombent  dans  le  Mississipi,  à  l'ouest, 


4, 


HISTUIRB  DU  CANADA. 


c'est-à-dire  jusqu'au  Nouveau-Mexique  et  à  l'ancien  royaume  do 
Léon.    Aujourd'hui  ce  vaste  territoire  est  divisô  en  plusieurs 
états:  le  Texas  à  l'occident,  depuis  le  Rio  Del  Norte  jusqu'à  la 
Sabine  ;  la  Louisiane  proprement  dite  au  centre,  depuis  cette 
dernière  rivière  jusqu'à  la  rivière  aux  Perles;  et  le  Mississipi  à 
l'est,  depuis  la  rivière  aux  Perles  jusqu'à  quelque  distance  à  l'onest 
de  la  baie  de  la  Mobile,  l'intervalle  qui  reste  jusqu'à  cetle  baie 
formant  partie  de  l'Alabama.     Au  nord  de  ces  états,  il  y  a  encore 
ceux  de  l'Arkansas,  du  Missouri,  de  l'IUinois,  etc.    A  l'époquo 
où  nous  sommes  arrivés  dans  cette  histoire,  toutes  ces  contrées 
étaient  inconnues.    Ferdinand  de  Soto,  voyageur  espagnol,  ancien 
compagnon  de  Pizarre,  n'avait  fait  que  les  traverser  à  l'intérieur 
en  1539-40  en  courant  après  un  nouveau  Pérou.    Parti  de  la 
baie  du  St.-Esprit  dans  la  Floride  avec  plus  de  1000  hommes  de 
troupes,  il  s'était  élevé  au  nord  jusqu'aux  Apalaches  ;  de  là  se 
tournant  vers  le  couchant,  il  avait  suivi  quelque  temps  le  pied  de 
ces  montagnes  pour  se  rabattre  vers  le  sud,  où  il  était  venu  tra- 
verser la  rivière  Tombeckbé  près  de  son  confluent  avec  celle 
d'Alabama  ;  il  s'était  dirigé  ensuite  vers  le  nord-ouest,  et  était 
allé  passer  le  Mississipi  au-dessus  de  la  rivière  des  Arkansas  ;  se 
tournant  encore  au  sud,  il  avait  franchi  la  rivière  Rouge  qui  avait 
étA  le  terme  de  sa  course,  et  sur  les  bords  de  laquelle  il  était 
mort  en  1542,  sans  avoir  trouvé  ce  qu'il  cherchait.    Moscosa, 
son  lieutenant,  l'ayant  remplacé,  avait  marché  vers  l'occident  dans 
l'intention  d'atteindre  le  Mexique  ;  mais  arrêté  par  les  monta- 
gnes, il  était  revenu  sur  ses  pas  et  était  descendu  vers  la  mer 
pour  se  rembarquer,  n'ayant  plus  que  350  hommes  avec  lu!.* 
De  cette  expédition  il  r/était  resté  que  de  vagues  souvenirs,  de 
môme  que  des  rares  voyages  entrepris  par  les  Espagnols  sur  les 
côtes  septentrionales  du  golfe. 

Nous  avons  vu  l'accueil  gracieux  que  la  Salle  avait  reçu  de 
Louis  XIV,  à  son  retour  de  la  découverte  de  l'embouchure  du 
Mississipi  en  1683.  I!  proposa  à  ce  monarque  d'unir  au  Canada 
la  vallée  qu'arrose  ce  grand  fleuve,  et  d'assurer  ainsi  à  la  France 


*  Carte  de  la  Louisiaiie,  eic,  1782,  par  G.  Delisle  de  l'Académie  fran- 
çaise ;  elle  se  trouve  dans  l'Itinéraire  de  la  Louisiane,  petit  vol.  sans  aucun 
mérite.  Garciiasso  de  la  Vega  :  Histoire  de  la  conquête  de  la  Floride  par 
Ferdinand  de  Soto,  traduction  de  P.  Richelet. 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


la  soir^crfiinetô  des  pays  intérieurs  situés  entre  la  mer  du  Nord 
et  le  golfe  du  Mexique.  Ce  vaste  et  superbe  projet  fut  bien 
accueilli  du  roi,  qui  aimait  tout  ce  qui  avait  de  la  grandeur,  et  la 
Salle  lui-môme  fut  chargé  de  le  mettre  à  exécution  en  colonisant 
la  Louisiane. 

Quatre  vaisseaux  furent  mis  à  sa  disposition,  sur  lesquels  il 
s'embarqua  avec  280  personnes  y  compris  les  équipages  ;  c'étaient 
des  soldats,  des  artisans,  des  volontaires,  plusieurs  Canadiens  et 
gentilshommes,  et  huit  missionnaires.  Cette  petite  escadre,  com- 
mandée par  M.  de  Beaujeu,  homme  vaniteux  et  jaloux,  mit  à  la 
voile  de  la  Rochelle  le  24  juillet  1684>.  A  peine  fut-elle  en  mer 
que  la  mésintelligence  se  mit  entre  les  deux  chefs.  Bientôt 
cette  mésintelligence  augmenta  d'heure  en  heure  et  dégénéra 
en  une  haine  invétérée  qui  eut  les  conséquences  les  plus  désas- 
treuses. La  premier  effet  de  cette  division,  fut  la  perte  d'un  des 
navires  enlevé  par  les  Espagnols  sous  l'île  de  St.-Domingue. 
Trompé  ensuite  par  la  direction  des  courans  du  golfe  mexicain, 
et  par  des  observations  faites  avec  des  instrumens  astronomiques 
inexacts,  l'on  se  crut  à  l'est  tandis  que  l'on  était  déjà  à  l'ouest  de 
la  principale  branche  du  Mississipi.  Les  terres  dépourvues 
d'arbres  et  plus  basses  même  que  ce  fleuve,  qui  n'est  retenu  dans 
Eon  lit  que  par  des  attérissemens  et  des  digues  naturelles  insuffi- 
santes dans  les  grandes  eaux  pour  empêcher  les  débordemens,  ne 
présentaient  au  bord  de  la  mer  aucune  marque  distinctive  aux 
Français  pour  les  guider.  Ils  passèrent  devant  les  bouches  du 
fleuve  sans  les  reconnaître.  Quelques  jours  après  cependant,  la 
Salle,  sur  les  indices  des  Sauvages  de  la  côte,  soupçonnant  quel- 
qu'erreur,  voulut  retourner  sur  ses  pas  ;  mais  Beaujeu,  qui  ne 
pouvait  se  faire  à  l'idée  d'être  commandé  par  un  homme  qui 
n'était  pas  militaire,  et  que  la  cour  avait  mis  au-dessus  de  lui 
malgré  ses  représentations,*  refusa  de  l'écouter. 

Il  continua  à  avancer  vers  l'ouest  jusqu'au  14  février,  que  l'on 
parvint,  sans  savoir  où  l'on  était,  dans  la  baie  de  St.-Bernard, 
aujourd'hui  de  Matagorda,  dans  le  Texas,  à  120  lieues  au-delà  du 
fleuve  que  l'on  cherchait.  La  Salle  ne  découvrant  aucune  trace 
du  Mississipi  prit  la  résolution  presque  désespérée  de  débar- 


Mfi 


'^■V.VÎÎ 


*  Lettre  de  M.  de  Beaujeu  au  ministre 
vol.  XL 


Spark's  American  Biography, 


6 


HISTOIRE  DU    CANADA. 


quer  son  mondo  là  où  il  était,  et  donna  Tonlrc  au  comman- 
dant d'un  dos  vaisseaux  d'entrer  dans  la  baie.  Celui-ci, 
faisant  semblant  d'obéir,  se  jeta  sur  les  rescifs,*  où  le  navire  et 
une  partie  de  la  cargaison  furent  perdus.  Ce  malheur  était  d'au- 
tant plus  grand  que  le  vaisseau  portait  les  munitions  de  guerre 
et  presque  tous  les  outils  et  les  objets  nécessaires  à  un  nouvel 
établissement. 

De  Bcaujeu,  loin  de  punir  le  coupable,  le  reçut  sur  son  bord 
pou:  le  soustraire  à  la  vengeance  de  la  Salle,  puis  après  avoir 
oncore  refusé  à  celui-ci  sous  des  prétextes  frivoles  diverses  choses 
pour  remplacer  celles  qui  avaient  été  perdues,  il  mit  à  la  v^oile  et 
abandonna  à  leur  sort,  le  l^  mars,  les  colons  au  nombre  d'environ 
cent  quatrevingts  sur  \o  plage  inconnue  où  le  hasard  les  avait 
conduits. 

Ces  colons  commencèrent  aussitôt  à  cultiver  la  terre  et  à  cons- 
truire un  fort  pour  se  mettre  à  l'abri  des  attaques  des  Indiens. 
Lorsque  ce  fort  fut  assez  avancé,  la  Salle  en  fit  commencer  un 
second  à  deux  lieues  plus  haut  sur  la  rivière  aux  Vaches  dans  un 
endroit  plus  avantageux  et  lui  donna  le  nom  de  St.-Louis,  ayant 
toujours  présent  à  la  pensée  celui  du  monarque  qui  le  protégeait. 
Placé  sur  une  éminence,  ce  fort  commandait  une  vue  superbe  sur 
la  campagne  et  sur  la  mer.  Cependant  à  mesure  que  le  temps 
avançait  on  s'y  trouvait  moins  bien  ;  les  grains  semés  périrent 
par  la  sécheresse  ou  le  dégât  deb  bêtes  sauvages,  et  la  plupart  des 
artisans  qu'on  avait  emmenés  ne  sachant  pas  leurs  métiers,  les 
constructions  marchaient  fort  lentement.  Les  nombreux  contre- 
temps qu'on  avait  déjà  éprouvés  avaient  mécontenté  ou  décou- 
ragé plusieurs  colons  ;  des  mutineries,  suscitées  par  le  turbulent 
Duhautjl'un  d'eux,  auraient  déjà  éclaté  et  comblé  la  mesure,  sans 
la  prudence  de  Joutel,  l'auteur  de  la  meilleure  relation  que  nous 
ayons  de  cette  expédition  malheureuse.  La  maladie  vint  à  son 
tour  aggraver  la  situation  et  enlever  les  hommes  les  plus  utiles. 
En  peu  de  temps  l'état  de  St.-Louis  devint  désespéré.  Par  sur- 
croît de  malheur,  les  Indigènes  prenaient  chaque  jour  une  atti- 
tude pluS;  nfienaçante.  La  Salle  dissimulait  ses  chagrins  et  ses 
inquiétudes  avec  sa  fermeté  ordinaire.  Le  premier  à  l'œuvre,  il 
donnait  l'exemple  du  travail  avec  un  visage  calme  et  serein. 

*  Joutel  :  Journal  historique. 


HISTOIRE   DU  CANADA. 


Les  reâsonrces  de  son  esprit  semblaient  se  multiplier  avec  les 
obstacles;  mais  malheureusement  son  naturel  s6vùre  devenait 
plu»  inflexible  tioua  cetio  apparence  de  sérénité  ;  et  dans  lo 
moment  où  ses  gens  s'épuisaient  de  fatigues,  il  punissait  les 
moindres  fautes  avec  la  dernière  rigueur.  Peu  compatissant  dans 
son  langage,  il  sortait  rarement  de  sa  bouche  une  parole  de  dou- 
ceur et  de  consolation  pour  ceux  qui  souffraient  avec  le  plus  de 
patience.  Une  tristesse  mortelle  finit  par  s'emparer  graduellement 
de  ses  gens,  qui  devenus  indilférens  à  tout,  semblaient  donner  par 
là  môme  plus  de  pri&e  à  la  maladie.  Une  trentaine  de  victimes 
succombèrent  à  ce  dégoût  fatal  de  la  vie.  Le  caractère  de  la 
Salle  n'a  que  trop  contribué  à  son  infortune.  Sa  fierté  dédai- 
gnait les  moyens  do  persuasion.  Un  autre  moins  capable,  moins 
juste  môme  que  lui,  mais  plus  insinuant  se  fut  emparé  des  cœurs 
et  eût  réussi  par  une  douceur  affable  là  où  il  échouait  par  uno 
inflexibilité  silencieuse. 

Le  pays  dans  lequel  on  se  trouvait,  partout  plat  et  uni,  possé- 
dait un  climat  sain  et  chaud,  un  air  pur,  un  ciel  serein  qui  don- 
nait rarement  de  la  pluie.  On  n'y  voyait  que  des  plaines  à  perte 
de  vue,  entrecoupées  de  rivières,  de  lacs  et  de  bocages  cham- 
pêtres et  rians.  Mais  dans  les  forêts,  sous  ces  palmiers  aux 
formes  si  sveltes  et  si  élancées,  erraient  des  léopards  et  des  tigres; 
dans  ces  rivières  si  lympidcs  circulaient  des  caïmans,  sorte  de 
crocodiles  féroces  qui  avaient  jusqu'à  vingt  pieds  de  long  et  qui 
en  chassaient  le  poisson.  Le  serpent  à  sonnette  rampait  aussi  sous 
l'herbe  dans  ces  belles  prairies  émaillées  de  fleurs  qui  charmaient 
les  regards  des  Français.  Une  multitude  de  peuplades  barbares 
erraient  dans  ces  contrées  où  la  nature  animée  faisait  contraste 
avec  la  nature  matérielle.  Charlevoix  appelle  Clamcoëtsles  Sau- 
vages qui  occupaient  le  littoral  de  la  mer.  Les  Cénis  étaient 
plus  reculés  dans  l'intérieur  et  allaient  tous  à  cheval,  se  servant 
du  mors  et  de  l'étrier  comme  les  Espagnols,  auxquels  ils  uvaient 
sans  doute  emprunté  cet  usage. 

La  Salle  songea  à  se  remettre  à  la  recherche  du  Mississipi.  Il 
fit  à  cet  effet  une  première  excursion  de  quelques  mois  du  côté 
du  Colorado,  dans  laquelle  il  perdit  plusieurs  de  ses  gens,  qui 
furent  massacrés  par  les  Sauvages,  ou  qui  périrent  dans  le  nau- 
frage de  la  Belle,  le  seul  bâtiment  qui  lui  restât  après  le  départ  de 


8 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


Beaujeu.  Une  seconde  excursion  qu'il  poussa  jusque  chez  le 
Cénis  ne  fut  pas  plus  heureuse  ;  et  nur  vingt  hommes  qui  l'avaient 
suivi,  il  n'en  ramen.  que  huit.  Les  maladies,  les  chagrins,  les 
accidens  faisaient  ea  même  temps  d'affreux  ravages  parmi  ses 
autres  compagnons.  Il  se  proposait  d'envoyer  chercher  des 
Svcours  dans  les  îles,  et  de  ranger  ensuite  le  ^olfe  du  lilexiquo 
jusqu'à  ce  qu'il  eût  trouvé  le  Mississipi  ;  n.ais  la  pert»^  de  son 
navire  rompit  tous  ses  plans,  et  d'ailleurs  ses  ressources  s'épui- 
saient chaque  jour.  Placé  à  six  ou  sept  cents  lieues  de  tout 
homme  civilisé,  il  ne  lui  restait  plus  qu'à  faire  demander  des 
secours  en  France  par  la  voie  du  Canada. 

Il  se  décida  à  rller  lui-même  aux  Illinois,  ce  qui  aurait 
été  une  faute  si  ta  présence  n'eût  pas  été  nécessaire  à  Québec 
pour  faire  taire  ses  opposans  toujours  prêts  à  déprécier  ce  qu'il 
faisait.  Il  partit  en  janvier  1687  avec  dix-sept  hommes,  laissant 
vingt  personnes  à  St.-Louis,  hommes,  femmes  et  enfans,  preuve 
qu'à  cette  époque  le  nombre  des  colons  était  déjà  réduit  de  180 
37.  Un  Canadien,  M.  le  Barbier,  y  fut  laissé  pour  commandant. 
"  Nous  nous  séparâmes  les  uns  des  autres,  dit  Joutel,  d'une  ma- 
nière si  tendre  et  si  triste,  qu'il  semblait  que  nous  avions  tous  le 
secret  pressentiment  que  nous  ne  nous  reverrions  jamais." 

La  marche  fut  lente  et  pénible.  Le  16  mars,  on  était  encore 
sur  l'un  des  afiluens  de  la  rivière  de  la  Trinité,  lorsqu'une  san- 
glante tragédie  vint  mettre  le  comble  aux  désastres  qui  avaient 
déjà  frappé  cette  entreprise.  Quelques  hommes  de  l'expédition 
à  la  tête  desquels  était  toujours  Duhaut,  s'étant  isolés  du  reste, 
eurent  un  démêlé  avec  un  neveu  de  la  Salle  nommé  Moragnet, 
qui  avait,  comme  son  oncle,  beaucoup  de  hauteur,  et  qu'ils  réso- 
lurent de  tuer,  lui  et  deux  de  leurs  compagnons  pour  cacher  leur 
forfait.  A  peine,  cependant,  avaient-ils  commis  ce  triple  assassinat 
que,  craignant  la  justice  de  la  Salle,  et  entraînés  d'ailleurs  par  la 
pente  du  crime,  ils  crurent  que  leur  vengeance  resterait  incomplète 
tant  que  ce  chef  lui-même  respirerait,  et  sa  mort  fut  aussi  résolue. 
La  Saile  ne  voyant  pas  revenir  son  neveu  et  ayant  quelque  soup- 
çon de  ce  qui  était  arrivé,  demanda  s'il  n'avait  pas  eu  quelque 
difficulté  avec  Duhaut.  Il  partit  pour  aller  à  sa  rencontre.  Les 
conspirateurs  l'appercevant  venir  de  loin,  chargèrent  leurs  armes, 
traversèrent  la  rivière  et  se  cachèrent  dans  les  hautes  herbes 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


9 


pour  l'attendre.  La  Salle  en  approchant  du  lieu  oii  ils  étaient, 
aperçut  deux  aigles  qui  planaient  au-dessus  de  sa  tête  comme  s'ils 
eussent  vu  quelque  proie  aux  environs  ;  il  tira  un  coup  de  fusil. 
TTn  des  conjurés  se  montra  aussitôt  et  la  Salle  marchant  vers  lui, 
lui  demanda  où  était  son  neveu  ;  tandis  que  ce  mallieurcux  lui 
Taisait  une  réponse  vague,  une  balle  frappa  la  Salle  à  la  tête  et 
l'étendit  par  telle  mortellement  blessé  et  sans  parole.  Le  P. 
Anastase  qui  se  trouvait  à  côté  de  lui,  crut  qu'on  allait  lui  faire 
subir  le  même  sort.  La  Salle  vécut  encore  une  heure  après  avoir 
été  frappé,  indiquant  en  serrant  la  main  au  P.  Anastase  agenouillé 
près  de  lui,  qu'il  comprenait  ce  que  lui  disait  le  pieux  mission- 
naire. Lorsqu'il  eut  rendu  le  dernier  soupir,  le  bon  père  l'enterra 
dans  une  fosse  creusée  sur  le  lieu  de  l'assassinat  au  milieu  du 
désert,  et  planta  une  croix  de  bois  sur  sa  tombe.  Ainsi  finit  celui 
que  l'on  peut  appeler,  peut-être,  le  premier  fondateur  du  Texas. 
M.  Sparks  place  le  théâtre  de  ce  drame  sanglant  sur  les  bords  de 
l'un  des  tributaires  de  la  ri'.  1ère  Brasos,  d'autres  le  mettent  dans 
le  voisinatre  de  la  rivière  de  la  Trinité. 

Les  meurtriers  se  saisirent  alors  du  commandement,  de  l'argent 
et  de  tout  ce  qu'il  y  avait,  et  la  caravane  se  remit  en  marche  ;  mais 
la  désunion  ne  tarda  pas  à  se  mettre  parmi  les  assassins.  Dans  une 
querelle  qu'ils  eurent  au  sujet  du  partage  des  dépouilles,  Duhaut 
et  le  chirurgien  Liotot,  les  deux  chefs  de  la  conspiration,  furent 
tués  par  leurs  complices  à  coups  de  pistolet.  Ces  scènes  épou- 
vantables commises  au  milieu  des  vastes  solitudes  qui  les  entou- 
raient, remplissaient  les  Sauvages  eux-mêmes  de  frayeur  et 
d'étonnement.  Après  ce  dernier  crime,  l'on  se  sépara  :  tous 
ceux  qui  s'étaient  compromis  restèrent  parmi  les  Indiens.  Les 
autres,  au  nombre  de  sept,  dont  :  Joutel,  le  P.  Anastase,  et  les 
Cavalier,  oncle  et  neveu,  continuèrent  leur  route  vers  les  Illinois 
où  ils  arrivèrent  au  fort  St.-Louis  le  l-i  septembre. 

Dans  l'intervalle  la  petite  colonie  qui  avait  été  laissée  dans 
la  baie  St.-Bernard,  subissait  une  catastrophe  encore  plus 
limeste.  Peu  de  temps  après  le  départ  de  la  Salle,  les  Sauvages 
attaquèrent  le  fort  à  l'improviste  et  en  massacrèrent  tous  les  habi- 
tans  à  l'exception  de  cinq  qu'ils  firent  prisonniers.  Ces  cinq 
personnes  avec  quelques  autres  compagnons  de  la  Salle,  qui 
avaient  déserté  avant  son  départ,  tombèrent  entre  les  mains  dos 


iU 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


Espagnols,  jaloux  de  l'entreprise  des  Français,  et  qui  avaient 
résolu  de  la  faire  échouer  s'il  était  possible.  Les  rapports  de  ces 
prisonniers  les  tranquillisèrent  ;  mais  ceux  qui  pouvaient  fournir 
des  renseignemens  furent  enfouis  dans  les  mines  du  Nouveau- 
Mexique.  Deux  jeunes  gens,  fils  d'un  Canadien  nommé  Talon, 
étant  d'un  âge  encore  trop  tendre  pour  avoir  pu  faire  des  obser- 
vations sur  le  pays,  touchèrent  la  générosité  du  vice-roi  mexicain 
qui  les  prit  sous  sa  protection  et  les  éleva  à  sa  cour.  Lorsqu'ils 
furent  plus  vieux,  il  les  fit  entrer  dans  la  marine  espagnole  ;  et 
après  diverses  aventures  plus  ou  moins  romanesques,  l'un  d'eux 
parvint  en  France. 

Telle  fut  la  malheureuse  issue  d'une  expédition  qui  avait  ins- 
piré les  plus  grandes  espérances  et  qui  aurait  probablement  réussi, 
si  l'on  se  fût  borné  à  former  un  établissement  là  où  l'on  était, 
sans  porter  pour  le  moment  son  attention  ailleurs.     Le  Texas  est 
un  des  plus  beaux  et  des  plus  fertiles  pays  du  monde,  mais  la 
Sal'e  commit  encore  ici  la  faute  qu'il  avait  déjà  faite  en  Canada; 
il  se  fit  suivre  par  trop  de  monde  dans  ses  courses  dans  l'in- 
térieur j    il   était  trop   remuant  ;    il   voulait  toujours   marcher 
au  lieu  de  rester  dans  l'établissement  commencé  au  Texas  et 
d'encourager  les  défrichemens  et  l'agriculture.     Quelques  auteurs 
lui  reprochent  aussi  d'avoir  perdu  de  vue  son  premier  dessein 
pour  prendre  connaissance  des  fabuleuses  mines  de  Sainte  Barbe  ; 
mais  rien  dans  Joutel  ni  dans  le  P.  Zénobe  *  ne  justifie  cette 
assertion.!     Au  reste,  il  paraît  que  le  génie  de  ce  voyageur 
célèbre  était  plus  propre  à  imaginer  et  à  établir  un  vaste  système 
commercial  dans  des  contrées  lointaines  qu'à  fonder  un  empire 
agricole.     Ses  idées  avaient  quelque  chose  de  grand  ;  et  les  plans 
qu'il  soumit  à  Louis  XIV  sont  basés  sur  des  calcula  exacts  et 
profonds  qui  en  font  le  précurseur  de  Dupleix. 

Nous  nous  sommes  étendu  sur  cette  expédition  malheureuse 
parcequ'elle  servit  de  prélude  à  celle  de  notre  compatriote  dans 
la  Louisiane  proprement  dite,  et  que  l'histoire  du  Canada  devait 

*  Le  P.  Chrétien  Leclerc  :  Premier  établissement  de  la  Foi  dans  la  Nou- 
velle-France. 

t  Au  contraire,  loin  de  se  rapprocher  des  Espagnols  il  s'en  éloigna.  Voici 
ce  qu'on  lit  dans  le  P.  Zénobe  :  "  ce  fut  ici  que  le  sieur  de  la  Salle  changea 
sa  route  du  nord-est  à  l'est  par  des  raisons  qu'il  ne  nous  dit  pas,  et  que  nous 
n'avons  jamais  pu  icaélrer.    Le  Mississipi  était  à  l'est  Je  lui. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


11 


cette  marque  de  reconnaissance  à  l'homme  qui  a  sacrifi6  sa  for- 
tune et  sa  vie  pour  la  cause  de  la  colonisation  française  en  Amé- 
rique ;  car  s'il  n'a  pas  fondé,  il  a  du  moins  beaucoup  accéléré 
l'établissement  de  la  Louisiane  aujourd'hui  si  florissante.    Chaque 
jour  ajoute  aussi  à  l'intérêt  de  l'histoire  de  ces  pères  du  Nouveau- 
Monde.     A  mesure  que  ce  continent  se  peuple,  que  les  anciennes 
colonies  si  pauvres,  si  humbles  à  leur  berceau,  se  changent  en 
états,  en  empires  indépendans,  le  nom  de  leurs  fondateurs  gran- 
dit ;  les  ombres  de  ces  nouveaux  Romulus  s'élèvent  sur  l'Amé- 
rique, et  en  animent  les  bornes  extrêmes  du  passé.  r      .  • 
La  fondation  de  la  Louisiane  comme  celle  du  Canada  devait 
être  accompagnée  de  beaucoup  de  vicissitudes  et  de  malheurs. 
L'expérience  d'un  siècle  n'avait  point  fait  changer  la  politique 
coloniale  de  la  France  ;   les  principes  larges  et  progressifs  de 
Colbert  étaient  mis  en  oubli  dans  le  temps  même  où  cet  établisse- 
ment commençait  à  naître  ;  et  la  pénurie  du  trésor  le  livra  à  un 
monopole  encore  plus  dur  que  celui  qui  pesait  sur  le  Canada. 
On  ne  saurait  trop  redire  à  la  France,  qui  cherche  aujourd'hui  à 
répandre  sa  race,  sa  langue  et  ses  institutions  en  Afrique,  ce  qui 
a  été  la  cause  de  la  ruine  de  ses  colonies  du  Nouveau-Monde,  où 
elle  aurait  dû  prédominer.     C'est  son  défaut  d'association  pour 
encourager  une  émigration  agricole  par  tous  les  moyens  légitimes , 
c'est  l'absence  de  liberté  politique  et  religieuse  qui  fit  exclure  du 
Canada  plusieurs  centaines  de  mille  huguenots  lorsqu'elle  n'avait 
pas  d'autres  colons  à  y  envoyer  ;    c'est  la  passion  des  armes 
répandue  parmi  les  colons,  enfin  c'est  toujours  la  faiblesse  com- 
parative du  commerce  et  de  la  marine  française.     Ce  qui  retarda 
la  Louisiane,  c'est  surtout  le  caractère  plus  commercial  qu'agri- 
cole qui  fut  donné  à  l'organisation  du  pays  dans  le  temps  môme 
où  la  France  perdait  ses  flottes  dans  la  guerre  de  la  succession 
d'Espagne,  et  avec  ses  flottes  son  commerce  maritime  naissant. 
On  choisit  pendant  longtemps  les  postes  de  la  contrée  qui  parais- 
saient plus  favorables  au  négoce  qu'à  l'agi 'culture.     On  n'aban- 
donna ce  système  qu'après  avoir  éprouvé  des  désastres  irrépa- 
rables.    Il  est  digne  de  remarque  que  le  gouvernement  anglais 
avait  voulu  comme  la  France  empêcher  ses  nationaux  de  former 
des  établissemens  dans  l'intérieur  du  pays  et  loin  de  la  mer.    Les 
motifs  de  cette  politique  sont  exprimés,  dit  M.  Barbé-Marbois, 


ti.'^-S 


\%\ 


12 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


dans  un  rapport  qui  ne  vit  le  jour  que  fort  tard.  "  Los  contrées 
de  l'ouest  sont  fertiles,  y  remarquait-on,  le  climat  en  est  tempéré, 
les  planteurs  s'y  établissent  sans  obstacles  ;  avec  peu  de  travail 
ils  pourraient  satisfaire  à  leurs  besoins  ;  ils  n'auraient  rien  à 
demander  à  P Angleterre,  et  pnint  de  retour  à  lui  offrir.''''  Mais 
leurs  libertés  et  leurs  institutions  politiques  neutralisaient  les  effets 
de  cette  conduite  intéressée. 

La  guerre  terminée  par  la  paix  de  Riswick,  avait  fait  oublier 
le  Texas  et  la  Louisiane  t  h.  France  ;  mais  la  beauté  de  ces  deux 
colonies  méridionales  y  avait  insensiblement  attiré  plusieurs  Ca- 
nadiens, qui  finirent  par  s'y  fixer  et  par  en  devenir  ainsi  les  pre- 
miers fondateurs.  Ils  s'étaient  établis  vers  les  bouches  du  Mis- 
sissipi  et  à  la  Mobile,  afin  d'être  plus  près  des  Iles  françaises 
pour  leur  commerce.  Aussitôt  que  la  tranquillité  lut  rétablie 
dans  les  deux  mondes,  la  cour  y  reporta  son  attention.  Les 
Espagnols  qui  regardèrent  de  tout  temps  l'Amérique  comme  leur 
patrimoine  exclusif,  avaient  vu  l'entreprise  de  la  Salle  d'un  œil 
de  jalousie  et  apprirent  sa  mort  et  la  dispersion  de  ses  gens  avec 
une  joie  qu'ils  ne  dissimulèrent  guère,  en  s'empressant  en  môme 
temps  de  prendre  possession  du  pays  pour  en  éloigner  les  Fran- 
çais.    Ils  visitèrent  dans  ce  but  différentes  parties  de  la  côte,  et 

choisirent  la  baie  de  Pensacola,  à  l'extrémité  occidentale  de  la 

» 

Floride,  pour  y  former  leur  établissement.     Ils  n'y  étaient  que 
depuis  peu  de  temps  lorsque  d'Iberville  parut. 

A  son  retour  de  la  baie  d'Hudson  en  1697,  ce  navigateur  avait 
proposé  au  ministère  de  reprendre  les  projets  formés  sur  la  Loui- 
siane, et  M.  de  Pontchartrain  s'était  empressé  d'agréer  ses  offres 
en  lui  donnant  deux  vaisseaux.  Il  partit  de  la  Rochelle  accom- 
pagné de  MM.  de  Sauvole  et  Bienville  en  i:eptembre  1698. 
Obligé  par  le  mauvais  temps  de  relâcher  à  Brest,  il  remit  à  la 
voile  à  la  fin  d'octobre  et  parvint  à  St.-Domingue  au  commence- 
ment de  décembre,  en  repartit  le  1  janvier  à  la  recherche  du 
Mississipi  qu'il  ne  put  a'ouver  d'abord.  Il  passa  par  Pensacola 
dont  les  Espagnols  lui  refusèrent  l'entrée,  par  la  baie  de  la  Mobile, 
revint  à  St.-Domingue,  et  plus  heureux  que  la  Salle,  trouva  enfin 
l'embouchure  du  fleuve  que  l'on  cherchait  depuis  si  longtemps, 
perdu  au  milieu  de  terres  basses  couvertes  de  roseaux.  On  salua 
le  nouveau  tributaire  de  l'Océan  au  chant  du  Te  Deunt  ;  on  le 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


13 


remonta  quelque  temps  en  appercevant  çà  et  là  des  naturels,  qui 
remirent  une 'lettre  de  Tonty  à  la  Salle  de  1686.  Après  s'être 
avancé  assez  loin,  l'on  revint  sur  ses  pas,  puis  on  remit  i  la  voile 
pour  l'Europe.  A  son  retour  en  Franco,  d'Iberville  fut  nommé 
gouverneur-général  de  la  nouvelle  contrée,  pour  laquelle  il  repar- 
tit avec  une  colonife  composée  presque  entièrement  de  Canadiens, 
qu'il  débarqua  dans  la  bjue  de  Biloxi  entre  le  Mississipi  et  Pen- 
sacola.  Ce  pays,  avec  un  climat  brûlant  et  un  sol  sablonneux  et 
aride,  présente  une  côte  de  quarante  lieues  d'étendue  où  aucun 
bâtiment  ne  peut  aborder  ;  l'on  ne  songeait  sans  doute  qu'aux 
avantages  d'un  commerce  momentané  en  choisissant  cette  situa- 
tion, et  l'on  croyait  que  les  inconvéniens  en  seraient  compensés  par 
la  facilité  des  communications  avec  les  Sauvages  voisins,  avec  les 
Espagnols,  avec  les  Iles  françaises  et  enfin  avec  l'Europe. 

C'est  à  son  retour  de  France  l'année  suivante  que  d'Iberville 
apprit  l'apparition  de  quelques  Anglais,  venant  de  la  mer,  sur  le 
Mississipi,  tandis  que  d'autres,  venant  par  terre  de  la  Caroline, 
s'étaient  avancés  jusque  chez  les  Chicaehas  sur  la  rivière  des 
Yasous.  L'attention  de  cette  nation  avait  été  attirée  sur  la  Loui- 
siane par  une  espèce  de  trahison  du  P.  Hennepin  *  qui,  en  dédiant 
au  roi  Guillaume  III  une  nouvelle  édition  de  son  voyage  en 
Amériqye,  dans  laquelle  il  donnait  les  découvertes  de  la  Salle 
pour  les  siennes  propres,  invitait  ce  prince  protestant  à  en  prendre 
possession  pour  sa  couronne  et  à  y  faire  prêcher  l'Evangile  aux 
infidèles.  Guillaume  goûtant  cette  suggestion,  avait  envoyé  trois 
bâtimens  chargés  de  Huguenots  pour  commencer  une  colonie  sur 
le  Mississipi  ;  ces  religionnaires  poussèrent  jusqu'à  la  province 
de  Panuca,  pour  se  concerter  avec  les  Espagnols  et  chasser  leurs 
compatriotes  catholiques  de  Biloxi  ;  f  mais  leur  projet  n'eut  point 
de  suite,  car  ceux-ci  éprouvèrent  à  peine  quelqu'opposition  de  la 
part  des  Espagnols  ;  et  plus  tard  les  rapports  d'amitié  et  d'intérêt 
qui  s'établirent  entre  les  deux  royaumes  au  commencement  du 
siècle  mirent  fin  aux  réclamations  de  la  cour  de  Madrid. 

Un  grand  nombre  de  Huguenots  s'étaient  établis  dans  la  Vir- 

•  Le  roi  de  France  donna  ordre  d'arrêter  ce  moine  s'il  se  présentait  en 
Canada  :  '  Correspondance  officielle. 
t  Univ.  History  XI  278. 


i,.:  1 


14 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


ginie  et  dans  plusieurs  autres  provinces  anglaises  depuis  la  révo-  . 
cation  de  l'édit  de  Nantes.  Ils  furent  une  grande  acquisition  pour 
la  Caroline.  Le  Massachusetts  leur  donna  le  droit  de  représen- 
tation dans  sa  législature.  Ils  fondèrent  plusieurs  villes  mainte- 
nant florissantes.  Ces  malheureux,  qui  n'avaient  pu  nerdre  le 
souvenir  de  leur  ancienne  patrie,  firent  prier  encore  joais  XIV 
de  leur  permettre  de  s'établir  dans  ses  domaines  ;  ils  lui  indi- 
quèrent la  Louisiane,  l'assurant  qu'ils  y  vivraient  en  sujets  sou- 
mis, qu'ils  ne  demandaient  que  la  liberté  de  conscience  ;  que  leur 
grand  nombre  rendrait  en  peu  d'années  ce  vaste  pays  florissant. 
Louis  XIV,  qui  s'attachait  d'autant  plus  à  son  sceptre  qu'il  appro- 
chait du  tombeau,  les  refusa.  "  Le  roi,  écrivit  Pontcharlrain,  n'a 
pas  expulsé  les  protestans  de  son  royaume  pour  en  faire  une 
république  en  Amérique."  Ils  renouvelèrent  encore  leur  de- 
mande sous  la  régence  du  duc  d'Orléans  ;  ce  prince  dissolu  fit  la 
même  réponse  que  son  oncle  le  feu  roi,  quoiqu'il  eût  fort  peu  de 
religion  d'aucune  sorte.  Ainsi  la  France,  on  ne  peut  trop  le 
redire,  qui  n'avait  point  de  colons  à  envoyer  en  Canada  ni  dans 
la  Louisiane,  refusait  encore  une  fois  la  seule  chance  de  fonder 
un  empire  de  ses  enfans  en  Amérique,  aimant  mieux  laisser  ce 
continent  à  une  nationalité  étrangère  qu'à  des  fils  apostasies. 

Donnons  comme  Canadiens  français  un  souvenir  à  ces  pros- 
crits, à  ces  hommes  qui  furent  peut-être  les  frères,  les  parens,  les 
amis,  les  concitoyens  de  nos  ancêtres,  et  qui  vinrent  comme  eux 
chercher  une  nouvelle  patrie  dans  ce  continent  encore  sauvage. 
"  Le  souvenir,  dit  un  américain,  des  services  distingués  que  leurs 
descendans  ont  rendus  à  notre  pays  et  à  la  cause  de  la  liberté  civile 
et  religieuse,  doit  augmenter  notre  respect  pour  les  émigrés  fran- 
çais, et  notre  intérêt  pour  leur  histoire.  M.  Gabi-iel  Manigault,  de 
la  Caroline  du  sud,  donna  au  pays  qui  avait  offert  un  asile  à  ses 
ancêtres,  $220,000  pour  soutenir  la  guerre  de  l'indépendance. 
Il  rendit  ce  service  au  commencement  de  la  lutte,  et  lorsque  per- 
sonne ne  pouvait  encore  dire  si  elle  se  terminerait  par  une  révolte 
ou  par  une  révolution.  Des  neuf  présidons  de  l'ancien  Congrès, 
qui  dirigèrent  les  Etats-Unis  pendant  la  guerre  de  la  révolution, 
trois  descendaient  de  réfugiés  protestans  français,  savoir  :  Henri 
Laurens,  de  la  Caroline  du  sud,  le  célèbre  Jean  Jay,  de  la  Nou- 


HISTOIRE  DU  CANADi. 


15 


vclle-York,  et  Elias  Boudinot,  du  Nouveau- Jersey."*  Un  autre 
de  leurs  descendans,  M.  Légaré,  est  mort  en  1843,  procureur- 
général  des  Etats-Unis  et  membre  conséquemment  de  l'adminis- 
tration de  Washington .f 

Cependant  d'Iberville  après  avoir  remonté  le  Misaissipi  jusque 
chez  les  Natchez,  où  il  projeta  de  bâtir  une  ville,  revint  à  Biloxi 
pour  y  établir  son  quartier  général.     Il  y  laissa  M.  de  Sauvole 

•  Memoîr  of  the  Fri^nch  Protestants  who  settled  at  Oxford,  M.assachusctts, 
^.  D.  1686,  with  a  sketch  of  the  entire  Historyof  the  protestants  of  France, 
by  A.  Holmes,  T.  D.,  Corresponding  Secretary  ;  Collection  of  the  Massa- 
chusetts Historical  Society,  vol.  II,  of  the  3rd  séries. 

t  Voici  d'après  le  Dr.  Kamsay  les  noms  des  principaux  Huguenots  qui 
vinrent  s'établir  dans  la  Caroline  après  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes,  et 
qui  ont  formé  les  souches  des  familles  aujourd'hui  existantes  les  plus  respec- 
tables de  cet  Etat. 


Bonneau, 

Dutarque, 

Gourdine, 

Neufville, 

Bonnetheau, 

De  la  Consilière, 

Guérin, 

Prioleau, 

Bordeaux, 

De  Leiseline, 

Herry, 

Peronneau, 

Benoist, 

Douxsaint, 

Huger, 

Perdrian, 

Boiseau, 

Du  Pont, 

Jeannerette, 

Porcher, 

Bocquet, 

Du  Bourdieu, 

Légaré, 

Postelle, 

Bacot, 

D'Harriette, 

Laurens, 

Peyre, 

Chevalier, 

Faucherand, 

La  Roche, 

Poyas, 

Cordes, 

Foissin, 

Lenud, 

Ravenel, 

Couterier, 

Foysoux, 

Lansac, 

Royer, 

Chasteignier, 

Gaillard, 

Marion, 

St.-Julien, 

Dupré, 

Gendron, 

Mazyck, 

Simon, 

Delysle, 

Gignilliat, 

Manigault, 

Serre, 

Dubose, 

Guérard, 

Mellechamp, 

Sarazin, 

Dubois. 

Godin, 

Mauzon, 

Trezeraut, 

De  veaux. 

Girardeau, 

Michau. 

Beaucoup  d'autres  noms  des  plus  respectables  ont  été  omis  ;  et  un  plus 
grand  nombre  encore  a  été  changé  pour  en  adapter  l'ortographe  à  la  pronon- 
ciation anglaise.  Ainsi  Beaudouin  s'écrit  aujourd'hui  Bow^doin.  Un 
membre  de  cette  famille  fut  gouverneur  du  Massachusetts  en  1785  et  6.  Les 
noms  des  principaux  émigrans  français  sont  ceux  de  Beumon  dont  parle  La- 
Hontan,  Boudinot,  Daillé,  Faneuil,  Huger,  Manigault,  Prioleau,  Laurens, 
etc.  Elias  Boudinot  fut  président  du  Congrès  en  1782,  directeur  de  l'Hôtel 
des  monnaies,  premier  président  de  la  société  biblique  américaine  dont  il  fut 
le  créateur.  Jay  fut  deux  fois  ambassadeur,  à  Paris  en  1783,  à  Londres  en 
1795  ;  il  fut  aussi  gouverneur  de  la  Nouvelle-York  et  Juge-en-chef  des 
Etats-Unis.  François  Manigault  s'est  très  distingué  dans  la  guerre  de  la 
révolution.  Prioleau  était  petit  fils  d'Antoine  Prioli,  élu  doge  de  Venise 
en  1618. 


>ïif 


16 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


pour  commandant,  et  écrivit  au  ministère  r,ue  les  hommes  d'ex- 
périence dans  les  affaires  de  l'Amériaue  étaient  d'opinion,  que 
jamais  on  n'établirait  la  Louisiane  sans  rendre  le  commerce  libre 
à  tous  les  marchands  du  royaume.  Le  gouvernement  pensait  alors 
tirer  de  grands  avantages  de  la  pèche  des  perles  et  de  la  vente  du 
poil  de  bison  que  l'on  disait  susceptible  d'être  filé  comme  la  laine. 
Les  rapports  sur  les  découvertes  de  mines  d'or,  d'argent  et  de 
cuivre  à  l'ouest  du  Mississipi,  ne  cessaient  point  non  plus  de  cir- 
culer, et  entretenaient  des  espérances  trop  éblouissantes  pour  ne 
pas  faire  constater  l'existence  de  quelques-unes  d'elles.  D'Iber- 
ville  envoya  M.  Lesueur,  son  parent,  pour  aller  prendre  posses- 
sion d'une  mine  de  cuivre  dans  la  rivière  Verte,  au  nord-ouest  du 
Sault-St.-Antoine,  que  la  trop  grande  distance  dans  l'intérieur 
força  bientôt  néanmoins  d'abandonner.  Quant  aux  prétendues 
mines  d'or  et  d'argent  qui  faisaient  tant  de  bruit,  mais  beaucoup 
plus  en  Europe  qu'en  Amérique,  elles  se  dissipèrent  peu  à  peu 
comme  les  illusions  qu'elles  avaient  fait  naître  ;  non  qu'il  n'en 
existât  pas  dans  ces  contrées,  mais  parce  qu'elles  n'étaient  pas 
encore  découvertes  ou  qu'elles  étaient  trop  éloignées  pour  être 
exploitées  avantageusement.  Nous  ne  dirons  donc  rien  de  ces 
expéditions,  qui,  ayant  été  inspirées  par  le  désir  d'un  gain  prodi- 
gieux, finissaient  le  plus  souvent  par  la  honte  et  la  ruine.  Tels 
furent  surtout  les  essaio  tentés  par  un  Portugais  nommé  Antoine, 
échappé  des  mines  du  Nouveau  Mexique,  et  que  l'on  employa 
pendant  quelque  temps  à  fouiller  sans  succès  le  sol  de  la  Loui- 
siane. Le  seul  résultat  fut  de  conduire  les  Français  de  proche  en 
proche  jusqu'à  la  source  des  affluens  du  Mississipi  dans  le  voisi- 
nage des  Montagnes-Rocheuses.  L'on  remonta  ainsi  la  rivière 
Rouge,  l'Arkansas  et  le  Missouri,  à  la  poursuite  de  richesses  qui 
fuyaient  sans  cesse  comme  les  mirages  du  désert. 

En  1701,  d'Iberville  commença  un  établissement  sur  la  rivière 
de  la  Mobile,  et  Bienville,  son  frère,  devenu  chef-résident  de  la 
colonie  par  la  mort  de  M.  de  Sauvole,  car  il  paraît  que  d'Iber- 
ville en  resta  toujours  gouverneur,  retira  les  habitans  des  sables 
arides  de  Biloxi  pour  les  transporter  dans  la  nouvelle  localité. 
Cette  rivière  n'était  navigable  que  pour  des  pirogues,  et  le  sol 
qu'elle  baignait  n'était  propice  qu'à  la  culture  du  tabac  ;  mais 
>•  suivant  le  système  d'alors,  qui  était  de  fixer  la  colonie  hors  du 
fleuve,"  on  voiûait  se  rapprocher  de  l'ile  Dauphine  ou  du  Mas- 


HISTOIRE  DU    CANADA. 


17 


sacre  tout  vis-à-vis,  dans  laquelle  se  trouvait  le  seul  port  d«  ces 
parages  qui  offrit  les  avantages  de  Biloxi  quant  à  la  proximité  des 
Espagnols,  des  Iles  et  de  l'Europe,  quoiqu'elle  fût  d'ailleurs  sau- 
vage et  stérile  ;  la  Mobile  devint  par  cette  nouvelle  résolution  le 
chef-lieu  de  la  Louisiane.  .ii'.- 

Petit  à  petit  cependant  la  Louisiane  se  peuplait  sous  k  protec- 
tion de  son  fondateur,  qui  ne  cessa  point  d'exercer  une  grande 
influence  sur  elle  jusqu'à  sa  mort  arrivée  en  1706.  D'Iberville 
expira  avec  la  réputation  d'un  des  plus  braves  et  des  plus  habiles 
officiers  de  la  marine  française.  Né  en  Canada  d'un  ancien 
colon  normand,  nommé  Lemoine,  il  avait  commencé  à  servir  son 
pays  dès  son  bas  âge,  ayant  fait  l'apprentissage  des  armes  dans 
une  rude  école,  nos  guerres  avec  les  Sauvages  et  avec  les  Anglais. 
Outre  l'intelligence  et  la  bravoure  nécessaires  partout  aux  chefs, 
il  fallait  en  Amérique  aux  chefs  comme  aux  soldats  une  force  de 
corps  infatigable  pour  résister  aux  maiches  prodigieuses  qu'on 
était  obligé  d'entreprendre  au  milieu  de  pays  incultes  dans  toutes 
les  saisons  de  l'année.  Il  fallait  savoir  manier  le  fusil  comme  la 
hache,  l'aviron  comme  l'épée.  Si  d'Iberville  excellait  dans  ce 
genre  de  guerre  si  difficile  et  si  meurtrier  sur  terre,  il  n'était  pas 
moins  habile  sur  mer,  et  s'il  fût  né  en  France,  il  serait  parvenu 
aux  plus  hauts  grades  de  la  marine  militaire.  Il  livra  une  foule 
de  combats  navals,  quelquefois  contre  des  forces  bien  supérieures, 
et  resta  toujours  victorieux.  Il  ravagea  deux  fois  la  partie 
anglaise  de  Terreneuve  et  prit  sa  capitale  ;  il  enleva  Pemaquid, 
conquit  la  baie  d'Hudson,  fonda  la  Louisiane,  et  termina  à  un  âge 
peu  avancé  sa  carrière  devant  la  Havane,  en  servant  glorieuse- 
ment sa  patrie  comme  chef  d'escadre.  Depuis  trois  ou  quatre 
ans  qu'il  avait  eu  la  fièvre  jaune  sa  santé  était  restée  chancelante. 
Sa  mort  fut  une  grande  perte  pour  la  Louisiane  qu'il  servait  puis- 
samment, surtout  à  la  cour  où  son  influence  était  grande.  Les 
colonies,  dit  Bancroft,  et  la  marine  française  perdirent  en  lui  un 
héros  digne  de  leurs  regrets.  C'est  au  marquis  de  Denonville  qui 
avait  su  apprécier  ses  talens,  qu'il  avait  dû  son  avancement  et  la 
faveur  du  roi.  Louis  XIV,  qui  aimait  déjà  sa  noblesse  naissante 
du  Canada,  l'avait  fait  de  capitaine  de  frégate  capitaine  de  vais- 
seau en  1702.* 


■-f 


•  Gazette  de  France  du  15  juillet  1702  j 
M,  A.  Berthelot. 


Noies  historiques  :  manuscrits  de 


16 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


Deux  ans  après  la  mort  de  cet  officier  ôminent,  M.  Diron 
d'Artaguette  vint  à  la  Louisiane  en  qualité  de  commissaire-ordon- 
nateur, charge  qui  correspondait  dans  les  colonies  naissantes  à 
celle  d'intendant  dans  les  ùtablisscmens  plus  avancùs,  et  qui  tenait 
à  la  fois,  comme  celle-ci,  du  civil  et  du  militaire.  Ce  nouveau 
fonctionnaire  travailla  avec  peu  de  succès  à  mettre  les  habitans 
en  {>tat  de  cultiver  le  sol.  Rien  ne  progressait  plus  ;  ni  la  popu- 
lation, ni  le  commerce,  ni  les  défrichemens.  Cependant  en 
Europe  on  avait  la  plus  haute  idée  du  pays.  Comme  on  voyait 
la  France  s'opiniâtrer  à  le  soutenir  au  milieu  d'une  guerre  désas- 
treuse, l'on  conjectura  qu'elle  en  tirait  des  secours  prodigieux,  et 
l'île  Dauphine  attira  dès  lors,  pour  comble  do  malheurs,  l'atten- 
tion des  corsaires  qui  la  ravagèrent  en  1711  ;  ils  causèrent  des 
dommages  au  gouvernement  et  aux  particuliers  pour  80,000 
francs. 

"  Une  colonie,  dit  Raynal,  fondée  sui  de  si  mauvaises  bases, 
ne  pouvait  prospérer.  La  mort  de  d'Iberville  acheva  d'éteindre 
le  peu  d'espoir  qui  restait  aux  plus  crédules.  On  voyait  la 
France  trop  occupée  d'une  guerre  malheureuse  pour  en  pouvoir 
attendre  des  secours.  Les  habitans  se  croyaient  à  la  veille  d'un 
abandon  total  ;  et  ceux  qui  se  flattaient  de  pouvoir  trouver  ailleurs 
un  asile,  s'empressaient  de  l'aller  chercher.  Il  ne  restait  que 
vingt-huit  familles,  plus  misérables  les  unes  que  les  autres,  lors- 
qu'on vit  avec  surprise  Crozat  demander  en  1712  et  obtenir  pour 
seize  ans  le  commerce  exclusif  de  la  Louisiane."  Mais  avant 
d'aller  plus  loin  dans  l'histoire  de  cette  contrée,  nous  allons 
reprendre  où  nous  l'avons  laissée  celle  du  Canada  que  la  guerre 
de  la  succession  d'Espagne  vint  troubler  avant  qu'il  eût  à  peine 
goûté  le  repos  dont  il  avait  tant  de  besoin,  après  la  lutte  achar- 
née qu'il  venait  de  soutenir  contre  les  colonies  anglaises  et  contre 
les  cinq  nations. 


CHAriTRE  II. 


TRAITÉ   D'UTRECHT. 
1701-1713. 

Une  colonie  canadienne  s'établit  au  Détroit,  malgré  les  Anglais  et  une  partie 
des  Indigènes. — Paix  de  quatre  ans. — Guerre  de  la  succession  d'Espagne. 
La  France  malheureuse  en  Europe  l'est  moins  en  Amérique. — Importance 
du  traité  de  Montréal;  ses  suites  heureuses  pour  le  Canada, — Neutralité 
de  l'ouest;  les  hostilités  se  renferment  dans  les  provinces  maritimes. — 
Faiblesse  de  l'Acadie. — Aff'  es  des  sauvages  occidentaux  ;  M.  de  Vau- 
dreuil  réussit  à  maintenir  la  paix  parmi  les  tribus  de  ces  contrées.— 
Ravage  commis  dans  la  Nouvelle-Angleterre  pur  les  Français  et  les  Abé- 
naquis.— Destruction  de  Deerlield  et  d'Haverhill  (1708), — Remontrances 
de  M.  Schuyler  à  M.  de  Vaudreuil  au  sujet  des  cruautés  commises  par 
nos  bandes  ;  réponse  de  ce  dernier.— Le  colonel  Church  ravage  l'Acadie 
(1704). — Le  colonel  March  assiège  deux  fois  Port-Royal  et  est  repoussé 
(1707). — Terreneuve  :  premières  hostilités;  M.  de  Subercase  échoue 
devant  le  fort  de  St.-Jean  (1705). — M.  de  St.-Ovide  surprend  avec  170 
hommes  en  1609  la  ville  de  St.-.Tean  défendue  par  près  de  1000  hom- 
mes et  48  bouches  ù  feu  et  s'en  empare. — Continuation  des  hostilités  ù 
Terreneuve. — Instances  des  colonies  anglaises  auprès  de  leur  métropole 
pour  l'engager  à  s'emparer  du  Canada. — Celle-ci  promet  une  flotte  en 
1709  et  1710,  et  la  flotte  ne  vient  pas. — Le  colonel  Nicholson  prend  Port- 
Royal  ;  diverses  interprétations  données  à  l'acte  de  capitulation  ;  la 
guerre  continue  en  Acadie  ;  elle  cesse. — Attachement  des  Acadiens  pour 

la  France Troisième  projet  contre  Québec;  plus  de  16  mille  hommes 

vont  attaquer  le  Canada  par  le  St.  Laurent  et  par  le  lac  Champlain  ;  les 
Iroquois  reprennent  les  armes. — Désastre  de  la  flotte  de  l'aminal  Walker 
aux  Sept-Ilcs  ;  les  ennemis  se  retirent. — Consternation  dans  les  colonies 
anglaises. — Massacre  des  Outagamis  qui  avaient  conspiré  contre  les  Fran- 
çais,— Rétablissement  de  Michilimackinac, — Suspension  des  hostilités 
dans  les  deux  mondes. — Traité  d'Utrecht  ;  la  France  cède  l'Acadie,  Ter- 
reneuve et  la  baie  d'Hudson  à  la  Grande-Bretagne. — Grandeur  et  humi- 
liation de  Louis  XIV  ;  décadence  de  la  monarchie. — Le  système  colonial 
français. 

Hennepin  avait  dit:  "  Ceux  qui  auront  le  bonheur  de  posséder 
un  jour  les  terres  de  cet  agréable  et  fertile  pays,  auront  de  l'obli- 
gation aux  voyageurs  qui  leur  en  ont  frayé  le  chemin,  et  qui  ont 
traversé  le  lac  Erié  pendant  cent  lieues  d'une  navigation  in- 
connue." Il  y  avait  vingt-deux  ano  que  ces  paroles  avaient  été 
proférées,  lorsque  M.  de  la  Motte  Cadillac  arriva  au  Détroit  avec 


IM 


20 


HISTOIRE    DU   CANADA. 


100  CannJicna  et  un  missionnaire  dans  le  mois  do  juin  1700, 
pour  y  former  un  établissement.  Les  colons  furent  enchantés  do 
la  beauté  du  pays  et  de  la  douceur  du  climat.  En  eflet,  la  nature 
s'est  plu  à  répandre  ses  charmes  dans  cette  contrée  délicieuse. 
Un  terrain  légèrement  ondulé,  des  prairies  verdoyantes,  des  forêts 
de  chêne,  d'érable,  de  platane  et  d'acacia;  des  rivières  d'une  lim- 
pidité rcmarcpiablc,  au  milieu  desquelles  les  îles  semblent  avoir 
été  jetées  comme  par  la  main  de  l'art  pour  enchanter  les  yeux, 
tel  est  le  tableau  qui  s'olTrit  à  leurs  regards  lorsqu'ils  entrèrent 
pour  la  première  fois  dans  cette  terre  découverte  par  leurs  pères. 
C'est  aujourd'hui  le  plus  ancien  établissement  de  l'Etat  du  Michi- 
gan,  et  la  plupart  des  fermes  y  sont  encore  entre  les  mains  des 
Canadiens  français  ou  do  leurs  descendans.  Des  pâturages  cou- 
verts de  troupeaux,  des  prairies,  des  guerèts  chargés  de  moissons, 
des  métairies,  des  résidences  magnifiques,  y  frappent  partout  les 
regards  du  voyageur. 

La  ville  du  Détroit  qui  a  subi  depuis  sa  fondation  toutes  les 
vicissitudes  des  villes  de  frontière,  et  qui  a  été  successivement 
possédée  par  plusieurs  maîtres,  renferme  maintenant  une  popu- 
lation de  22,000  âmes.  Fondée  par  les  Français,  elle  est  tombée 
sous  la  domination  anglaise  en  1760  ;  plus  tard  elle  a  été  cédée 
par  celle-ci  à  l'Union  américaine  à  la  suite  de  la  guerre  de  1812. 
Elle  a  conservé,  malgré  tous  ces  changemens,  le  caractère  de 
son  origine,  et  la  langue  française  y  est  toujours  en  usage.  Comme 
toutes  les  cités  fondées  par  le  grand  peuple  d'où  sortent  ses  habi- 
bitans,  et  qui  a  jalonné  l'Amérique  des  monumens  de  son  génie, 
le  Détroit  est  destiné  à  devenir  un  lieu  considérable  à  cause  do 
sa  situation  entre  le  lac  Huron  et  le  lac  Erié, 

Son  établissement  éprouva  d'abord  de  l'opposition  de  la  part 
des  Indigènes  et  surtout  des  Anglais,  qui  voyaient  avec  une  jalou- 
sie, que  le  temps  ne  faisait  qu'accroître,  leurs  éternels  rivaux 
s'asseoir  sur  les  rives  de  tous  les  lacs,  et  dans  toutes  les  plus  belles 
positions  qui  se  trouvaient  au  deux  extrémités  de  FAmérique  du 
Nord.  Ce  poste  devait  enlever  à  Michilimackinac  sa  plus  grande 
importance,  et  relier  le  Carftida  à  la  Louisiane.  Mais  à  peine 
venait-on  d'en  jeter  les  premiers  fondemens  qu'une  épidémie 
enleva  le  quart  de  la  population  de  Québec,  et  qu'il  fallut  ensuite 
courir  aux  armes. 


T 


HISTOraE   DU  CANADA. 


81 


La  paix  n'avait  duré  quo  quatre  ans  ;  c'était  bien  peu  pour 
réparer  les  maux  d'une  longue  guerre,  qui  avait  retardé  l'accroia- 
eement  de  toute  la  Nouvelle-France,  arrêté  le  commerce  et  lea 
défriclicmens,  fait  périr  beaucoup  de  monde  et  causé  l'abandon 
d'un  grand  nombre  d'habitations.  Dans  ces  quatre  années  cepen- 
dant, n.algré  1;  lassitude  générale  et  le  besoin  de  repos,  on  avait 
fondé  la  Louisiane  et  le  Détroit,  on  avait  surtout  signé  l'important 
traité  de  Montréal  avec  les  Indiens.  Les  protocoles  in»itile8 
ouverts  en  Europe  pour  l'ajustement  des  limites  de  l'Acadie 
n'avaient  occupé  que  le  cabinet  do  Versailles.  ,.(es  Canadiens 
croyaient  jouir  d'un  long  calme,  lorsque  la  mortù  ""harles  II  roi 
«l'Espagne,  sans  enfans,  arrivée  en  1700,  ralluma  la  guerre  dans 
les  deux  mondes.  La  posse  in  de  son  vaste  héritage  préoccu- 
pant avec  raison  la  politique,  plusieurs  traités  secrets  avaient  été 
conclus  entre  les  ditlérentes  puissances  européennes  dès  son 
vivant,  pour  partager  ses  dépouilles.  Les  Espagnols  qu'on  n'avait 
pas  consultés,  semblaient  devoir  subir  la  loi  de  l'étranger  comme 
s'ils  eussent  été  des  vaincus.  On  alla  jusqu'à  démembrer  leur 
monarchie  par  un  premier  traité  en  1699  ;  plus  tard  on  en  dis- 
posa une  seconde  lois  en  faisant  un  nouveau  partage.  Cette  con- 
duite, qui  blessait  l'honneur  de  ce  peuple  fier  et  jaloux  de  son 
indépendance,  violait  aussi  ses  droits  et  ses  intérêts  les  plus  chers. 
Menacé  à  la  fois  par  tant  de  prétendans  avides,  le  conseil  d'Etat 
de  Madrid  fut  d'avis  de  préférer  la  maison  de  France,  qui  avait 
d'ailleurs  pour  elle  les  droits  du  sang,  parceque  la  puissance  de 
Louis  XIV  semblait  une  garantie  pour  l'intégrité  de  la  monarchie. 
En  conséquence,  le  roi  moribond  légua  par  testament  tous  sea 
Etats  au  duc  d'Anjou,  le  second  fils  du  dauphin  et  petit-fils  du 
monarque  français. 

L'Europe  vit  avec  étonnement  un  Bourbon  monter  sur  le  trône 
espagnol.  Cet  événement  trompait  toutes  les  ambitions,  et  telle 
fut  la  surprise  qu'aucune  nation  ne  songea  d'abord  à  élever  la 
voix  pour  protester,  excepté  l'empereur  d'Autriche  qui  prit  lea 
armes  afin  de  conserver  un  sceptre  qui  échappait  de  sa  maison. 
La  i'rance  ne  pouvait  éviter  le  combat,  soit  qu'elle  refusât 
d'accepter  le  testament,  soit  qu'elle  s'en  tînt  au  dernier  traité. 
Ainsi  elle  se  trouvait  entraînée  malgré  elle  dans  une  guerre  qui 


1 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


1   i 


fut  la  seule  juste  peut-être  entreprise  par  Louis  XIV,  et  cependant 
la  seule  funeste  dans  son  long  et  glorieux  règne. 

Les  autres  cabinets,  qui  n'avaient  besoin  que  d'un  prétexte,  se 
liguèrent  avec  l'empereur  pour  détacher  de  la  monarchie  espa- 
gnole les  Etats  qu'elle  avait  en  Italie,  dans  le  but  de  rétablir 
l'équilibre  européen.  Ce  motif  tout  puissant  pour  Guillaume  III, 
n'aurait  pas  été  regardé  par  ses  sujets  tout-à-fait  du  même  œil 
après  sa  mort  arrivée  en  1702,  sans  une  démarche  du  roi  de 
France,  qui  insulta  au  dernier  point  la  nation  anglaise,  en  parais- 
sant intervenir  dans  ses  affaires  intérieures,  objet  sur  lequel  la 
jalousie  d'un  peuple  libre  est  toujours  très  grande.  Jacques  II 
étant  décédé,  Louis  XIV  donna  le  titre  de  roi  d'Angleterre  à  son 
fils,  après  être  convenu  du  contraire  avec  son  conseil.  Les 
prières  et  les  larmes  de  la  veuve  de  Jacques  appuyées  par 
madame  <le  Maintenon,  firent  changer  dit-on  la  détermination 
qui  avait  oté  prise.  Cette  dernière  avait  acquis  sur  le  vieux 
monarque  un  empire  qui  fut  plus  d'une  fois  fatal  au  royaume. 

"  Le  roi  de  France,  lisait  la  ville  de  Londres  à  ses  représen- 
tans,  se  donne  un  vice  roi  en  conférant  le  titre  de  notre  souverain 
i  un  prétendu  prince  de  Galles  :  notre  condition  serait  bien  mal- 
heureuse, si  nous  devions  être  gouvernés  au  gré  d'un  prince  qui 
a  employé  le  fer,  le  feu  et  les  galères  pour  détruire  les  protestans 
de  ses  Etats  ;  aurait-il  plus  d'humanité  pour  nous  que  pour  ses 
sujets."  Le  parlement  passa  un  acte  <l''attcinder  pour  déclarer 
le  prétendu  roi  Jacques  coupable  de  haute  trahison. 

Les  causes  de  cette  nouvelle  guerre  étaient,  comme  on  le  voit, 
tout-à-fait  étrangères  aux  intérêts  de  l'Amérique;  l'espoir  de  s'em- 
parer du  Canada  fut  peut-être  pour  quelque  chose  dans  la  réso- 
lution du  cabinet  de  Londres.  Quoiqu'il  en  soit,  les  colons  et  les 
Indiens  purent  de  nouveau  les  armes  les  uns  contre  les  outres 
comme  s'il  ne  s'était  agi  que  d'eux  seuls  ;  mais  cette  fois  les  hos- 
tilités furent  bien  moins  meurtrières  dans  le  Nouveau-Monde  que 
dans  la  guerre  de  1688.  Tandis  que  le  génie  de  Marlborough 
immortalise  le  règne  de  la  reine  Anne  par  des  victoires  en  Europe, 
l'Angleterre  voit  presque  toutes  ses  entreprises  se  terminer  en 
Amérique  par  des  défaites  et  des  désastres,  que  la  faiblesse  du 
Canada  n'ayant  encore  qu'une  population  de  18,000  âmes,  en  y 
comprenant  môme  l'Acadie,  à  opposer  aux  262,000  des  colonies 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


28 


anglaises,  *  laisse  heureusement  pour  elles  sans  résultat  perma- 
nent. Aussi  fut-ce  en  vain  que  les  Canadiens,  qui  ne  comptaient 
pas  les  forces  de  leurs  adversaires,  firent  proposer  à  Paris  la  con- 
quête de  la  Nouvelle-Angleterre.  La  cour  répondit  que  la  neu- 
tralité était  désirable  et  nécessaire,  et  que  le  gouverneur  devait 
travailler  à  disposer  tout  le  monde  à  la  maintenir.  D'Ibcrville 
demandait  seulement  en  1701, 1000  Canadiens  et  400  soldats  pour 
prendre  Boston  et  New- York,  qu'il  voulait  attaquer  l'hiver  par  la 
rivière  Chaudière,  on  le  refusa  faute  d  oyens  pour  subvenir  aux 
fraisde  cette  expédition.  Le  Massachusetts,  l'Acadie  et  Terreneuve 
furent  les  principaux  théâtres  des  hostilités.  Cette  derrière  îlo 
surtout  acquérait  de  jour  en  jour  une  si  grande  importance  que 
lorsque  l'Angleterre  fut  devenue  plus  forte  sur  mer  que  la  France, 
elle  songea  sérieusement  à  s'en  emparer  et  à  s'emparer  avec  elle  de 
toute  l'entrée  du  bassin  du  St.-Laurent,  base  de  la  puissance  fran- 
çaise dans  cette  partie  du  monde.  En  minant  cette  base  petit  à 
petit,  la  partie  supérieure  de  l'édifice  devait  crouler  au  premier 
choc.  Les  points  exposés  aux  coups  de  l'ennemi  devenaient  ainsi 
les  côtés  faibles  du  grand  système  colonial  de  Colbert. 

Pour  compenser  cette  faiblesse  du  côté  de  l'Atlantique,  l'on 
travaillait  activement  à  se  fortifier  dans  l'intérieur,  afin  que  l'on 
fût  comme  ces  places  de  guerre  que  l'art  a  rendues  redoutables 
au-dedans  tandis  que  le  dehors  à  peine  visible  semble  appe- 
ler les  coups  de  l'ennemi.  Le  traité  de  Montréal  et  l'établisse- 
ment du  Détroit  furent  dictés  par  cette  sage  politique.  Nos 
historiens  n'en  ont  pas  assez  senti  la  haute  portée  pour  notre 
préservation  territoriale,  portée  surtout  qui  donna  une  influence 
immense  aux  Français  sur  toutes  les  nations  indigènes,  en  établis- 


•  Humphreys  :  Hist.  Account. 
Nouvelle-Angleterre Marylaml 


Massachusetts 70,000  âmes 

Connecticut 30,000     " 

Rhode-Island  10,000     " 

New-Hampshire 10,000     " 


120,000 


25,000 

Jerseys 15,000 

Pennsylvanie 20,000 

Virginie 40,000 

Caroline  du  Nord 5,000 

Coroline  du  Sud 7,000 


times 


Colonies  centrales 142,000 

"       méridionales 120,000 

Nouvelle-York  30,000     "        

Total  262,000 


24. 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


sant  pour  elles  une  espèce  de  droit  public  dont  le  premier  fruit  fut 
de  paralyser  complètement  l'action  des  colonies  anglaises  dans  la 
présente  guerre.  Car  on  ne  doit  pas  attribuer  le  résultat  des 
traités  d'Utrecht  et  de  1763  à  l'élévation  du  drapeau  français  sur 
les  Apalaches;  mais  bien  à  la  supériorité  ♦lujours  croissante  de 
la  marine  et  de  la  population  anglaise  en  Amérique.  La  poli- 
tique française  y  éleva  en  quelques  jours  des  barrières  qu'il  fallut 
un  demi  siècle  pour  renverser,  et  qui  ne  l'auraient  jamais  été  si 
la  France  eût  eu  seulement  en  1755  les  vaisseaux  et  les  habiles 
officiers  de  mer  qui  assurèrent  le  triomphe  de  la  révolution  amé- 
ricaine vingt  ans  après. 

Depuis  le  traité  de  Montréal,  en  effet,  la  neutralité  des  Iroquois 
fut  assurée  ;  et  rien  ne  pouvait  être  plus  utile  à  la  colonie  que 
d'être  en  paix  avec  eux.  M.  de  Callières  leur  envoya  plusieurs 
missionnaires  qui  se  répandirent  dans  leurs  cantons  pour  les  dis- 
poser au  christianisme,  dissiper  leurs  préjugés  contre  les  Français, 
avertir  le  Canada  de  leurs  démarches,  travailler  à  les  gagner 
ou  à  se  faire  des  amis  parmi  eux,  enfin  déconcerter  \ëa  intrigues 
des  Anglais  peu  redoutables  de  ce  côté  lorsqu'ils  n'avaient  pas 
pour  eux  les  cantons.  La  Nouvelle-York  eut  beau  chercher  à 
leur  faire  renvoyer  ces  missionnaires,  elle  ne  réussit  qu'à  ébran- 
ler quelques  chefs,  et  à  étendre,  par  leur  cana.,  ses  intrigues 
jusque  parmi  les  nations  occidentales,  mais  elle  ne  put  jamais 
entraîner  aucun  de  ces  peuples  à  violer  le  traité. 

Le  gouverneur  rassuré  du  côté  du  couchant,  ne  demandait  à 
la  cour  que  quelques  recrues.  Sa  principale  inquiétude  venait 
alors  des  provinces  du  golfe,  l'Acadie  et  Terreneuve,  qui  n'avaient 
pas  assez  d'habitans  pour  faire  une  résistance  sérieuse,  et  qui 
étaient  menacées  d'après  le  bruit  courant,  par  des  forces  consi- 
dérables. Mais  il  apprit  bientôt  que  les  hostilités  des  Anglais 
s'étaient  bornées  à  la  prise  de  quelques  navires  de  pêcheurs  le 
long  des  côtes,  et  qu'il  était  fortement  question  à  Paris  d'achemi- 
ner sur  l'Acadie  une  émigration  assez  nombreuse  pour  défendre 
cette  province  et  en  assurer  la  possession  à  la  France,  projet 
formé  déjà  bien  des  fois  et  qui  n'eut  jamais  de  suite  pour  le  mal- 
heur de  tout  le  monde  ;  pour  le  malheur  de  la  France  qui  perdit 
ensuite  l'Acadie,  pour  celui  des  Acadiens  qui  furent  déportés  et 
disperses  en  divers  pays  ;  enfin  pour  celui  de  l'Angleterre  elle- 


1  ( 


;/ 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


M 


même  qui  se  déshonora  par  im  acte  d'autant  plus  cruel  qu'il  était 
commis  au  préjudice  d'un  peuple  dont  la  faiblesse  même  devait 
servir  de  protection.  Mais  dans  le  premier  moment,  M.  de 
Callières  crut  la  péninsule  acadienne  sauvée,  et  il  ne  se  préoccu- 
pait plus  que  de  la  province  qu'il  avait  sous  son  commandement 
immédiat,  lorsqu'il  tomba  malade  et  mourut  le  26  mai  1703, 
regretté  de  tout  un  pays  qu'il  servait  avec  diligence  et  talent 
depuis  plus  de  vingt  ans.  D  avait  été  nommé  au  gouvernement 
de  Montréal  sur  la  présentation  du  séminaire  de  St.-Sulpice 
revêtu  de  ce  droit  comme  seigneur  de  l'île,  et  en  remplacement, 
en  1684-,  de  Perrot,  destitué  pour  sa  violence,  corn'-  plus  tard 
il  perdit  l'administration  de  l'Acadie  par  sa  cujr  .  M.  de 
Callières  avait  succédé  en  qualité  de  second  officier  militaire  du 
pays,  à  M.  le  comte  de  Frontenac.  Son  administration  avait 
duré  quatre  ans  et  demi.  Ayant  fait  du  Canada  sa  patrie  adop- 
tive,  il  contribua  beaucoup  par  ses  actes  et  probablement  par  ses 
conseils  à  amener  la  France  à  mettre  cette  confiance  dans  les 
colona  que  les  Canadiens  ne  trahirent  jamais. 

Le  marquis  de  Vaudreuil,  gouverneur  de  Montréal,  fut  choisi  à 
la  demande  des  habitans  pour  tenir  les  rênes  de  la  Nouvelle- 
France.  Ce  ne  fut  pas  néanmoins  sans  quelque  répugnance,  car 
en  1706  le  ministre  tout  en  le  blâmant  de  montrer  trop  de  faiblesse 
pour  des  parens  auxquels  il  laissait  faire  la  traite  contre  les  ordon- 
nances, lui  écrivit  que  le  roi  avait  eu  de  la  peine  à  se  décider  à 
le  nommer  à  cette  haute  charge,  parceque  son  épouse  était  du 
pays.  L'on  verra  faire  plus  tard  les  mêmes  observations  à  l'oc- 
casion de  son  fils.  Mais  ce  principe  fut  sagement  abandonné,  et 
il  est  digne  de  remarque  que  la  cour  de  Versailles  suivit  en  cela 
une  conduite  contraire  à  celle  de  Londres  ;  car,  tandis  que  celle-ci 
cherchait  à  soustraire  aux  colonies  une  partie  de  leurs  libertés,  et 
leur  ôtait  le  droit  d'élire  leurs  gouverneurs,  la  France  se  faisait 
comme  une  règle  de  nommer  aux  fonctions  publiques  des  hommes 
nés  dans  ces  provinces  lointaines,  ou  qui  s'y  fussent  familiarisés 
par  une  longue  résidence. 

La  confédération  iroquoise  qui  était  alors  à  l'apogée  de  sa 
gloire,  voyait  les  Anglais  et  les  Français  briguer  son  alliance  et  se 
mettre  pour  ainsi  dire  à  ses  pieds,  ce  qui  plaisait  à  son  orgueil  et 
flattait  sa  barbare  ambition.     Elle  se  crut  l'arbitre  des  deux 


r  L 


/ 


26 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


peuples.  L'un  de  ses  chefs,  mécontent  de  la  guerre  qui  venait 
d'éclater,  disait  avec  une  fierté  naïve  :  "  Il  faut  que  les  Euro- 
péens aient  l'esprit  bien  mal  fait  j  ils  font  la  paix  entre  eux  et  un 
rien  leur  fait  reprendre  la  hache  ;  nous,  quand  nous  avons  fait  un 
traité,  il  nous  faut  des  raisons  puissantes  pour  le  rompre."  Ces 
paroles  qui  renfermaient  un  reproche,  faisaient  connaître  assez 
cependant  à  M.  de  Vaudreuil,  que  les  Iroquois  respecteraient  le 
traité  de  Montréal  au  moins  pour  le  présent.  Fidèles  à  leur 
ancienne  politique,  ils  voulaient  jouer  le  rôle  de  médiateurs,  et  ce 
dernier,  qui  avait  pénétré  leur  dessein^  en  avait  informé  le  roi, 
qui  lui  fit  répondre  que,  si  l'on  était  assuré  de  faire  la  guerre  avec 
succès,  sans  encourir  de  trop  grandes  dépenses,  il  fallait  rejeter 
les  propositions  de  la  confédération  de  comprendre  les  Anglais 
dans  la  neutralité  ;  sinon  ménager  cette  neutralité  pour  l'Amé- 
rique, mais  sans  passer  par  la  médiation  des  seuls  Iroquois. 

L'on  se  retrancha  dans  la  partie  occidentale  du  Canada  sur 
la  défensive.  Comme  on  était  trop  faible  pour  attaquer  les 
colonies  anglaises,  le  ministère  manda  au  gouverneur  de  mettre 
toute  sa  politique  à  maintenir  ses  alliés  en  paix  ensemble  et  à 
conserver  sur  eux  toute  son  influence,  double  tâche  qui  exigeait 
autant  de  dextérité  que  de  prudence.  M.  de  Vaudreuil  possé- 
dait ces  qualités  ;  il  connaissait  surtout  parfaitement  le  caractère 
des  Indiens  :  un  air  de  froide  réserve  de  sa  part  dans  certaines 
circonstances  qu'il  savait  choisir,  lui  ramenait  quelquefois  des 
tribus  prêtes  à  l'abandonner.  • 

-  Rassuré  du  côté  des  cinq  cantons,  il  tourna  ses  regards  vers  les 
contrées  occidentales,  où  les  Hurons  paraissaient  pencher  vers  les 
Anglais,  dans  le  même  temps  que  les  Outaouais  et  les  Miâmis 
chvsrchaient  à  guerroyer  avec  la  confédération  iroquoise,  dont  ils 
attaquèrent  même  quelques  bandes  près  de  Catarocoui.  La  paix 
courut  des  dangers  pendant  quelques  instans.  Les  Indiens  du 
Détroit  avaient  envoyé  des  députés  à  Albany .  Le  colonel  Schuy- 
ler,  l'homme  le  plus  actif  du  parti  de  la  guerre  dans  la  Nouvelle- 
York,  et  l'ennemi  le  plus  acharné  des  Français,  employait  toute 
son  influence  jusqu'à  compromettre  sa  fortune,  pour  rompre 
l'alliance  qui  existait  entre  le  Canada  et  les  Iroquois  ;  et  sans  les 
Abénaquis  il  allait  gagner  une  partie  de  ceux  qui  s'étaient  faits 
chrétiens  au  Sault-St.-Louis  et  à  la  Montagne  ;  il  avait  même 


(   ! 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


27 


réussi  par  ses  intrigues  qu'il  étendait  de  tous  côtés,  à  enga- 
ger, en  1704,  quelques  Sauvages  à  mettre  le  feu  au  Détroit  et  à 
disperser  les  colons  qui  s'y  étaient  établis.  Tout  annonçait  enfin 
une  crise,  peut-être  un  soulèvement  général.  Mais  une  fois  que 
M.  de  Vaudreuil  eût  entre  ses  mains  les  fils  de  toutes  ces  menées, 
il  sut  par  des  négociations  multipliées  et  conduites  avec  la  plus 
grande  adresse,  non-seulement  conjurer  l'orage  qui  le  menaçait, 
mais  tourner  les  armes  des  Iroquois  chrétiens  qui  avaient  été 
prêts  à  l'abandonner,  contre  les  Anglais  eux-mêmes  qui  les 
avaient  soulevés. 

Maintenir  les  nations  sauvages  en  paix  était  en  tout  temps 
chose  difiicile  ;  mais  c'était  presque  chose  impossible  lorsque  la 
France  et  l'Angleterre  avaient  les  armes  à  la  main.  Le  marquis 
de  Vaudreuil  ne  pouvait  donc  pas  espérer  une  longue  tranquillité 
dans  l'Ouest.  En  effet,  à  peine  venait-il  d'en  réconcilier  les  tribus 
ensemble  que  des  d-fficultés  s'élevèrent  tout-à-coup  en  1706  entre 
les  Outaouais  et  les  Miâmis  par  la  faute  de  M.  de  la  Motte  Cadil- 
lac, commandant  du  Détroit,  et  qui  manquèrent  d'allumer  la 
guerre  entre  la  première  de  ces  deux  nations  et  les  Français, 
ce  qui  aurait  probablement  fait  prendre  les  armes  aux  cinq 
cantons.  Les  Miâmis  tuèrent  quelques  Outaouais.  La  nation 
outaouaise  demanda  vengeance  à  Cadillac,  qui  répondit  qu'il  allait 
faire  informer.  Partant  quelques  jours  après  pour  Québec,  il  leur 
dit  que  tant  qu'ils  verraient  sa  femme  aux  milieu  d'eux,  ils  pour- 
raient demeurer  tranquilles  ;  mais  que  si  elle  partait,  il  ne  répon- 
dait pas  de  ce  qui  pourrait  arriver.  Ces  paroles  énigmatiques 
leur  parurent  une  menace  ;  ils  crurent  qu'on  voulait  les  punir 
d'avoir  attaqué  les  Iroquois  à  Catarocoui.  Les  paroles  et  la  con- 
duite de  l'enseigne  Bourgmont,  qui  vint  remplacer  temporaire- 
ment Tonti,  lieutenant  de  Cadillac,  ne  firent  que  les  confirmer 
dans  leur  idée  ;  et  lorsqu'il  leur  proposa  de  marcher  contre  les 
Sioux  avec  les  Hurons,  ils  crurent  qu'on  voulait  les  attirer  dans 
un  piège  pour  les  massacrer.  Un  accident  fortuit  vint  encore  les 
affermir  dans  leur  soupçon. 

Pendant  une  audience  un  Sauvage  battit  le  chien  de  Bourgmont 
qui  l'avait  mordu  à  la  jambe  ;  Bourgmont  outré  de  colère  se  jeta 
sur  lui  et  le  frappa  avec  tant  de  fureur  qu'il  en  mourut.  Cette 
atrocité  combla  la  mesure.     Ils  dissimulèrent  cependant  sur  le 


^-ffiiil 


28 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


moment  et  firent  mine  de  partir  ;  mais  ils  revinrent  aussitôt  sur 
leurs  pas,  attaquèrent  les  Miâmis  et  les  poursuivirent  jusqu'au 
fort,  qui  fut  obligé  de  tirer  sur  eux  pour  Icf  éloigner.  Nombre 
d'hommes  furent  tués  des  deux  côtés  avec  '"es  Français  et 

un  missionnaire,  le  P.  Constantin. 

La  nouvelle  de  cet  événement  jeta  M.  de  V  ..udreuil  dans  un 
embarras  extrême,  qu'augmenta  l'arrivée  d'une  députation  des 
cantons  qui  le  faisaient  prier  d'abandonner  à  leur  vengeance  ces 
Outaouais  perfides.  Il  commença  par  repousser  cette  demande 
à  laquelle  toutes  sortes  de  raisons  s'opposaient.  Il  exigea  ensuite 
des  ambassadeurs  outaouais  envoyés  auprès  de  lui  pour  expliquer 
leur  conduite,  qu'ils  lui  remissent  les  coupables  auxquels  Cadillac, 
de  retour  au  Détroit,  avait  eu  l'imprudence,  par  une  fausse  pitié, 
de  faire  grâce.  Mais  comment  les  saisir  1  Les  Miâmis  qui  vou- 
laient leurs  tètes  à  tout  prix,  outrés  de  ce  que  leur  vengeance 
restait  sans  satisfaction,  accusèrent  ce  commandant  de  trahison  et 
tuèrent  les  Français  qu'il  y  avait  dans  leur  bourgade.  Cadillac 
se  disposait  à  aller  les  punir  lorsqu'il  apprit  que  les  Hurons  et  les 
Iroquois  s'étaient  entendus  pour  faire  main  basse  sur  tous  les 
autres  Français  qui  se  trouvaient  dans  la  contrée.  Fores  lui  fut 
alors  de  dissimuler  faute  de  moyens  suffisans  pour  en  irf.poser  à 
toutes  ces  tribus.  Il  fit  une  paix  fourrée  avec  les  Miâmis  qui, 
méprisant  sa  faiblesse,  n'en  observèrent  point  les  conditions. 
Mais  cette  paix  avait  dans  le  moment  rompu  le  complot  des 
Indiens,  ce  qui  était  beaucoup  ;  et  dès  qu'il  vit  les  Miâmis  seuls, 
il  marcha  contre  eux  avec  quatre  cents  hommes  pour  venger  et 
leur  premier  crime  et  les  violations  du  traité  qui  les  avait  soustraits 
à  sa  colère.  Ces  barbares  complètement  battus  et  forcés  dans 
leurs  retranchemens,  durent  se  soumettre  sans  condition  à  la  clé- 
mence du  vainqueur. 

Tandis  que  le  gouverneur  tenait  ainsi  avec  une  main  souple  et 
expérimentée  les  rênes  de  cette  multitude  de  tribus  de  l'Ouest, 
qui  comme  des  chevaux  indomptés,  étaient  toujours  prêtes,  dans 
leur  folle  ardeur,  à  ce  jeter  les  unes  sur  les  autres,  il  ne  perdait 
pas  de  vue  les  Abénaquis  que  la  Nouvelle- Angleterre  cherchait  à 
lui  détacher.  Pour  contrecarrer  ces  intrigues  lorsqu'elles  allaient 
trop  loin,  il  fallait  quelquefois  jeter  ces  Sauvages  dans  une  guerre, 
chose  après  laquelle  ils  soupiraient  sans  cesse.     C'était  un 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


recours  extrême  ;  mais  la  sûreté,  l'existence  même  de  la  popu- 
lation française  était  une  raison  suprême  qui  faisait  taire  toutes 
les  autres. 

Des  relations  s'étant  secrètement  établies  entre  Boston  et  quel- 
ques Abénaquis  qui  venaient  d'y  conclure  la  paix,  M.  de  Vau- 
dreuil  forma  pour  la  rompre  une  bande  de  ces  Sauvages  sous  les 
ordres  de  M.  Beaubassin,  et,  après  y  avoir  joint  quelques  Fran- 
çais, la  lança  en  1703  du  côté  de  Boston.  Cette  horde  ravagea 
tout  depuis  Casco  jusqu'à  Wells,  "  Les  Sauvages,  dit  M.  Ban- 
croft,  divisés  par  bandes,  assaillirent  avec  les  Français  toutes  les 
places  fortifiées  et  toutes  les  maisons  de  cette  région  à  la  fois, 
n'épargnant,  selon  les  paroles  du  fidèle  chroniqueur,  ni  les  cheveux 
blancs  de  la  vieillesse,  ni  les  cris  de  l'enfant  sur  le  sein  de  sa  mère. 
La  cruauté  devint  un  art,  et  les  honneurs  récompensèrent  l'au- 
teur des  tortures  les.plus  rafinées.  Il  semblait  qu'à  la  porte  de 
chaque  habitation  un  Sauvage  caché  épiât  sa  proie.  Que  de 
personnes  furent  ainsi  soudainement  massacrées  ou  traînées  en 
captivité.  Si  des  hommes  armés,  las  de  leurs  attaques,  péné- 
traient dans  les  retraites  de  ces  barbares  insaisissables,  ils  ne  trou- 
vaient que  des  solitudes.  La  mort  planait  sur  les  frontières." 
L'excès  des  maux  donna  un  moment  d'énergie  à  ces  malheureux. 
Ils  attaquèrent  les'  Abénaquis  à  leur  tour  dans  l'automne  et  ne 
leur  accordèrent  aucune  merci.  Ils  massacrèrent  tous  ceux  qui 
tombèrent  entre  leurs  mains  jour  venger  à  la  fois  leur  cruauté  et 
la  trahison  dont  ils  prétendaient  avoir  été  les  victimes.  Les  Abé- 
naquis se  voyant  pressés  de  près,  firent  demander  des  secours  au 
gouverneur  canadien  qui  leur  envoya  dans  l'hiver  350  hommes 
dont  150  Sauvages  sous  les  ordres  d'Hertel  de  Rouville,  officier 
réformé.  Cette  bande  prenant  au  travers  des  bois  à  la  raquette, 
traversa  les  AUéghanys  et  tomba  dans  la  dernière  nuit  de  février 
sur  Deerfield,  bourgade  défendue  par  une  palissade  de  vingt  acres 
de  circuit.  Dans  cette  enceinte  se  trouvaient  encore  plusieurs 
maisons  entourées  d'une  ceinture  de  pieux.  Il  y  avait  quatre 
pieds  de  neige  sur  la  terre  et  le  vent  en  ayant  amoncelé  des  bancs 
jusqu'à  la  hauteur  des  palissades,  les  assaillans  avec  leurs  raquet- 
tes aux  pieds,  entrèrent  dans  la  place  comme  si  elle  n'avait  été 
protégée  par  aucun  obstacle.  Les  habitans  furent  tués  ou  pris 
et  la  bourgade  fut  livrée  aux  flammes.    La  plus  grande  partie  des 

B 


do 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


prisonniers  fut  emmenée  en  Canada,  où  malgré  le  cruel  système 
de  guerre  qu'on  suivait  à  cette  époque,  on  accueillait  toujours  bien 
ces  malheureux.  Les  enfans  et  les  jeunes  gens  pris  ainsi  étaient 
tendrement  traités  par  les  Canadiens  et  finissaient  souvent  par 
embrasser  le  catholicisme  et  se  fixer  dans  le  pays.  L'on  accor- 
dait à  ces  Anglais,  devenus  Français,  des  lettres  de  naturalité. 
Nos  archives  en  renferment  qui  contiennent  des  pages  entières 
de  noms.  • 

En  170é  une  nouvelle  expédition  fut  résolue  contre  la  Nouvelle- 
Angleterre  dans  un  grand  conseil  de  tous  les  chefs  sauvages 
chrétiens  tenu  à  Montréal.  Plus  de  cent  Canadiens  devaient 
s'y  joindre,  commandés  par  St.-Ours,  des  Chaillons  et  Hertel  de 
Rouville.  Mais  la  plupart  des  Indiens  ayant  refusé  de  marcher, 
deux  cents  hommes  seulement  se  mirent  en  route,  remontèrent  la 
rivière  St.-François,  passèrent  les  Alléghanys  par  les  Monta- 
gnes-Blanches, et  descendirent  dans  le  plat  pays  ennemi  en  se 
rapprochant  du  lac  Nikissipique  pour  donner  la  main  aux  Abé- 
naquis,  qui  ne  se  trouvèrent  pas  non  plus  au  rendez-vous  et  qui 
les  privèrent  ainsi  d'une  autre  partie  importante  de  leurs  forces 
pour  l'attaque  de  la  ville  de  Portsmouth,  sur  le  bord  de  la  mer. 
.  La  petite  colonne  trop  faible  alors  pour  se  porter  vers  Portsmouth, 
prit  le  parti  de  tomber  sur  Haverhill,  bourg  palissade  baigné  par 
les  eaux  d  j  Merrimac,  à  4  ou  500  milles  de  Québec.  On  venait 
d'y  envoyer  des  renforts,  et  on  y  était  conséquemment  sur  l'éveil. 
Rouville  ne  pouvant  plus  compter  sur  une  surprise,  passa  la  nuit 
avec  sa  bande  dans  la  forêt  voisine.  Le  lendemain  matin  ayant 
rangé  ses  gens  en  bataille,  il  exhorta  ceux  qui  p'^uvaient  avoir 
quelque  difiièrend  ensemble  à  se  réconcilier.  Ils  s'agenouillèrent 
ensuite  au  pied  des  arbres  qui  les  dérobaient  aux  regards  de 
l'ennemi,  puis  ils  marchèrent  à  l'attaque  du  fort.  Après  une 
vive  opposition  ils  l'enlevèrent  l'épée  et  la  hache  à  la  main.  Tout 
fut  saccagé.  Le  bruit  du  combat  ayant  répandu  l'alarme  au  loin, 
la  campagne  se  couvrit  bientôt  de  fantassins  et  de  cavaliers  qui 
cernèrent  les  Canadiens.  Il  fallut  se  battre  à  Parme  blanche  jus- 
qu'à ce  que  la  victoire,  longtemps  douteuse,  demeurât  enfin  à  ces 
derniers.  Hertel  'de  Chambly  et  Verchères,  deux  jeunes  officiers 
de  grande  espérance,  restèrent  sur  le  champ  de  bataille.     Les 

•  Registres  du  Conseil  supérieur. 


M 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


31 


vainqueurs  opérèrent  leur  retraite  assez  tranquillement.  En  pei- 
gnant ces  scènes  de  carnage  n'oublions  point  les  traits  de  l'huma- 
nité si  souvent  sacrifiée  dans  ces  cruelles  guerres. 

Parmi  les  prisonniera  qu'on  emmenait  se  trouvait  la  fille  du 
principal  habitant  de  Haverhill.  Ne  pouvant  supporter  les  fati- 
gues d'une  longue  marche,  elle  aurait  succombé  sans  un  jeune 
volontaire,  nommé  Dupuy,  de  Québec,  qui  la  porta  une  bonne 
partie  du  chemin  et  conserva  ainsi  ses  jours. 

Ces  attaques  répandaient  le  désespoir  dans  les  établissemens 
américains.  Schuyler  fit  au  nom  des  colonies  anglaises  les  remon- 
trances les  plus  vives  à  M.  de  Vaudreuil.  "  Je  n'ai  pu  me  dis- 
penser, ajoutait-il,  de  croire  qu'il  était  de  mon  devoir  envers  Dieu 
et  envers  mon  prochain  de  prévenir,  s'il  était  possible,  ces  cruau- 
tés barbares,  qui  n'ont  été  que  trop  souvent  exercées  sur  les 
malheureux  peuples."  Mais  en  même  temps  qu'il  élevait  la 
voix  au  nom  de  l'humanité  contre  les  excès  de  ces  guerriers 
farouches,  il  intriguait  lui-même  auprès  des  cantons  et  des  alliés 
français  pour  les  engager  à  rompre  leur  alliance  et  à  prendre  les 
armes  contre  le  Canada,  c'est-à-dire  à  faire  la  répétition  des 
scènes  dont  il  se  plaignait  lui-même  avec  tant  d'énergie.  Aussi 
a-t-on  pu  remarquer  avec  raison  que  Schuyler  était  assez  instruit 
de  tout  ce  qui  s'était  passé  depuis  cinquante  ans  dans  cette  partie 
de  l'Amérique,  pour  savoir  que  c'étaient  les  Anglais  qui  avaient 
réduit  le  Canada  à  la  dure  nécessité  de  laisser  agir  les  Sauvages 
comme  ils  le  faisaient  dans  la  Nouvelle- Angleterre  ;  qu'il  ne  pou- 
vait ignorer  non  plus  les  horreurs  auxquelles  s'étaient  portés  les 
Iroquois  à  leur  instigation  pendant  la  dernière  guerre;  qu'à 
Boston  même  les  Français  et  les  Abénaquis  retenus  prisonniers, 
étaient  traités  avec  une  inhumanité  peu  inférieure  à  cette  bar- 
barie dont  il  se  plaignait  si  amèrement,  et  que  les  Anglais  enfin 
avaient  plus  d'une  fois  violé  le  droit  des  gens  et  les  capitulations 
signées  dans  les  meilleures  formes  lorsque  les  prisonniers  de  cette 
nation  ne  recevaient  que  de  bons  traitemens  de  notre  part  et  de 
la  part  de  nos  alliés. 

Nous  avons  dit  que  le  fort  de  la  guerre  se  porta  sur  les  pro- 
vinces voisines  du  golfe.  M.  de  Brouillan,  gouverneur  de  Plai- 
sance, avait  remplacé  en  Acadie  le  chevalier  de  Villebon  mort 
au  mois  de  juillet  1700.    Il  avait  reçu  ordre  d'augmenter  les  for- 


32 


IIISTOmE   DU   CANADA. 


tifications  de  la  Hôve,  et  d'y  encourager  le  commerce  en  empo- 
chant, autant  que  possible,  les  Anglais  de  pêcher  sur  les  côtes. 
Ne  pouvant  espérer  de  secours  du  dehors,  il  fit  alliance  avec  les 
corsaires,  qui  firent  de  la  Hève  leur  lieu  de  refuge.  Les  affaires 
y  prirent  aussitôt  un  grand  accroissement,  et  l'argent  y  abonda  de 
toutes  parts;  ce  qui  lui  permit  de  récompenser  les  Indiens  qui 
faisaient  des  courses  dans  la  Nouvelle-Angleterre  pour  venger 
les  dégâts  que  les  vaisseaux  de  celle-ci  commettaient  à  leur  tour 
sur  les  côtes  acadiennes. 

Le  gouvernement  de  Boston,  voulant  user  do  représailles  pour 
le  massacre  de  Deerfield,  chargea  le  colonel  Church  d'aller  atta- 
quer l'Acadie.  Cet  officier  que  le  récit  des  ravages  des  Français 
avait  rempU  d'indignation,  était  venu  à  cheval,  malgré  son  grand 
âge,  d'une  distance  de  70  milles  pour  offrir  ses  services  au  gou- 
verneur Dudley.  Il  mit  à  la  voile  avec  550  soldats  sur  trois  vais- 
seaux, dont  un  de  48  canons,  quatorze  transports  et  trente-six 
berges,  et  tomba  d'abord  sur  les  établissemens  des  rivières  Penob- 
scot  et  Passamaquoddy,  où  il  mit  tout  à  feu  et  à  sang.  Delà  il 
cingla  vers  Port-Hoyal  dont  il  fut  repoussé  par  une  poignée 
d'hommes.  Il  voulut  ensuite  aller  surprendre  les  Mines  où  il  ne 
fut  pas  plus  heureux.  Sans  se  décourager  il  changea  de  tactique, 
et  recherchant  les  endroits  sans  défense,  il  dirigea  sa  course  vers  la 
rivière  d'Ipiguit  où  il  continua  ses  dévastations  sans  opposition. 
A  Beaubassin,  les  habitans,  prévenus  de  son  approche,  l'empo- 
chèrent malgré  leur  faiblesse  de  faire  beaucoup  de  mal.  Se 
retirant  lorsqu'il  éprouvait  de  l'opposition,  avançant  lorsqu'il  n'en 
rencontrait  point,  allant  d'un  Heu  à  un  autre,  il  fut  occupé  ainsi 
tout  Pété  à  une  expédition  qui  ne  produisit  d'autre  avantage 
qu'une  cinquantaine  de  prisonniers  de  tout  âge  et  de  tout  sexe, 
car  que  pouvait-il  y  avoir  à  piller  chez  les  pauvres  Acadiens  ? 
Mais  il  dévoila  la  faiblesse  de  cette  colonie.  La  facilité  avec 
laquelle  ses  côtes  avaient  été  insultées  engagea  les  Anglais  à  en 
tenter  la  conquête  trois  ans  après.  Mille  hommes  furent  levés 
dans  le  New-Hampshire,  le  Massachusetts  et  le  Rhode-Island,  et 
le  17  mai,  deux  régimens  sous  les  ordres  du  colonel  March 
arrivèrent  à  Port-Royal  sur  vingt-trois  transports  convoyés  par 
deux  vaisseaux  de  guerre. 

M.  de  Subercase  y  avait  succédé  à  M.  de  Brouillan  mort  l'an- 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


88 


née  précédente.  Cet  oflicier  arrivait  do  Terreneuve  où  il  s'était 
distingué  dans  la  guerre  de  cette  île.  L'ennemi  avait  i'ait  ses 
préparatila  avec  tant  de  secret  et  de  diligence  qu'il  fut  surpris  en 
quelque  sorte  dans  sa  ville,  ou  plutôt  dans  son  village  décoré  du 
nom  pompeux  do  capitale.  Les  murailles  tombaient  en  ruines. 
Pour  donner  le  temps  de  les  réparer,  il  disputa  le  terrain  pied  à 
pied  aux  1500  hommes  débarqués  du  côté  du  fort  et  aux  500 
mis  à  terre  du  côté  de  la  rivière.  Après  deux  ou  trois  jours  de 
tâtonnement  les  ennemis  se  rapprochant  investirent  la  place  et 
ouvrirent  la  tranchée.  Un  détachement  de  400  hommes  qu'ils 
avaient  envoyé  pour  tuer  les  bestiaux  dans  la  campagne,  fut 
abordé  par  le  baron  de  St.-Castin  à  la  tète  d'un  corps  d'habitans 
et  de  Sauvages  et  mis  en  déroute.  Le  sixième  jour  du  siège  on 
aperçut  beaucoup  de  mouvement  dans  la  tranchée  ;  ce  qui  fit 
soupçonner  que  les  assiégeans  formaient  quelque  dessein  pour 
la  nuit  suivante.  En  effet,  vers  les  10  heures  du  soir,  au  milieu 
du  profond  silence  qui  régnait  dans  la  ville  et  sur  les  remparts, 
un  bruit  sourd  causé  par  des  masses  d'hommes  en  mouvement, 
annonça  tout  à  coup  l'approche  des  colonnes  d'attaque.  On  était 
préparé.  Dès  qu'elles  furent  à  portée,  l'on  ouvrit  sur  elles  un 
feu  d'artillerie  et  de  mousqueterie  si  bien  nourri  qu'elles  recu- 
lèrent et  cherchèrent  un  abri  contre  les  balles  dans  les  ravins 
voisins,  dans  lesquels  elles  restèrent  tapies  la  journée  du  len- 
demain après  s'y  être  retranchées.  Le  baron  de  St.-Castin  et 
soixante  Canadiens  arrivés  quelques  heures  avant  les  Anglais, 
furent  d'un  grand  secours  ;  ce  fut  à  eux  principalement  que  Port- 
Royal  fut  redevable  de  sa  conservation. 

Le  surlendemain  de  l'assaut,  l'ennemi  leva  le  siège.  L'on  ne 
doutait  point  à  Boston  du  succès  de  l'entreprise,  et  on  y  avait 
même  fait  d'avance  des  réjouissances  publiques.  La  nouvelle  de 
la  retraite  des  troupes  y  causa  la  plus  vive  indignation.  Le  colo- 
nel March  qui  était  resté  avec  la  flotte  à  Kaskébé,  n'osant  paraître 
devant  ses  concitoyens,  reçut  l'ordre  de  ne  laisser  débarquer  per- 
sonne et  d'attendre  des  instructions  ultérieures.  Il  fut  résolu  de 
venger  sur  le  champ  l'échec  qu'on  venait  d'essuyer.  Trois  vais- 
seaux et  5  à  600  hommes  furent  ajoutés  à  l'escadre  de  March,  et, 
ainsi  renforcé,  dès  le  28  août  il  reparut  devant  Port-Royal.  La 
surprise  et  la  consternation  y  furent  au  comble  parmi  les  habitans, 


11 


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mi 


34. 


HISTOIRE   DU   CANAUA. 


qui  regardèrent  comme  une  témérité  de  vouloir  so  défendre 
contre  dos  forces  si  supériourea.  M.  de  Subercase  seul  ne  déses- 
péra point  ;  et  8t>n  assurance  releva  le  courage  des  troupes  ; 
après  le  premier  moment  de  stupeur  passé,  chacun  no  songea 
j)lu8  qu'à  remplir  fidèlement  son  devoir.  Les  ennemis  atten- 
dirent au  lendemain  pour  opérer  leur  débarquement  et  c'est  ce 
qui  sauva  la  ville  on  donnant  lo  temps  d'appeler  les  hommes  do 
la  campagne. 

Les  Anglais  descendirent  à  terre  du  côté  opposé  de  la  rivière 
et  s'y  fortifièrent.  Des  partis  que  Subercase  y  avait  détachés 
pour  les  surveiller,  les  empêchèrent  de  s'éloigner  de  leur  camp 
que  les  bombes  les  obligèrent  ensuite  d'évacuer.  Dans  une  mar- 
che ils  tombèrent  au  nombre  de  14  à  1500  dans  une  embuscade 
que  leur  avait  tendue  le  baron  de  St.-Castin  avec  150  hommes, 
et  (jui  détermina  leur  retraite  vers  le  second  camp  retranché  qu'ils 
avaient  formé.  Le  corps  du  chef  des  Abénaquis  fut  porté  à  420 
hommes,  dont  le  gouverneur  lui-môme  prit  le  commandement, 
pour  charger  l'ennemi  d<'  iju'il  voudrait  s'embarquer,  deôscin 
que  paraissait  indiquer  le  mouvement  des  chaloupes  de  la  flotte. 
Mais  un  olficier  brûlant  de  combattre,  commença  prématurément 
l'attaque  avec  quatre-vingts  hommes.  Il  emporta  d'assaut  un 
premier  retranchement.  Animé  par  ce  succès,  il  sauta  dans  un 
second,  où  il  fut  blessé  de  deux  coups  de  sabre.  Le  combat  ainsi 
engagé  il  fallut  le  continuer.  MM.  de  St.-Castin  et  Saillant  arri- 
vèrent pour  le  soutenir.  L'on  se  battit  corps  à  corps,  à  coup  de 
hache  et  de  crosse  dt>  fusil.  L'ennemi  fu^  repoussé  plus  de  cinq 
cents  verges  vers  pes  embarcations.  Honteux  de  fuir  devant  si 
peu  de  monde,  il  revint  sur  ses  pas  ;  mais  on  le  chargea  de  nou- 
veau avec  tant  de  vigueur  qu'il  fut  enfin  mis  en  pleine  déroute  et 
obligé  de  se  rembarquer  précipitamment. 

Le  jour  môme  une  partie  de  la  flotte  leva  l'ancre  et  le  lende- 
main le  reste  s'éloigna.,  Les  Anglais  avaient  éprouvé  de  grandes 
pertes  tant  par  les  combats  que  par  les  maladies.  Le  mauvais 
succès  de  cette  expédition  dispendieuse,  dont  ils  attendaient  un 
grand  résultat,  causa  un  mécontentement  général  dans  tout  le 
Massachusetts  ;  elle  augmenta  beaucoup  la  dette  publique  et 
blessa  l'amour  propre  national.  La  perte  des  Français  dans  les 
deux  siégea  fut  de  très  peu  de  chose. 


m 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


8» 


Tandis  que  l'Acatlie  et  la  Nouvelle-Angleterre  voyaient  ainsi 
les  bayonnettcs  et  la  hache  do  guerre  se  promener  sanglantes  et 
hautes  sur  leur  territoire  à  la  clarté  des  incendies,  les  régions  de 
Torreneurc  étaient  en  proie  aux  mômes  calamités. 

A  la  prcmiôro  rupture  de  la  paix,  les  Anglais  avaient  fait, 
comme  en  Acadie,  des  dégâts  considérables  sur  les  côtes  de  la 
partie  française  de  l'îlo.     Ce  ne  fut  qu'en  1703  que  l'on  pût 
commencer  à  prendre  sa  revanche.     D'abord  l'on  attaqua  et  prit 
d'assaut  en  plein  jour  le  Forillon,  poste  assez  important  où  quel- 
ques navires  furent   incendiés.     Dans   l'hiver  on   continua   les 
ravages  en  faisant  subir  de  grandes  pertes  au  commerce  de  l'en- 
nemi ;  mais  ce  n'étaient  là  que  les  préludes  d'attaques  beaucoup 
plus  sérieuses.     M.  de  Subercase,  (}ui  y  avait  remplacé  M.  de 
Brouillan  passé  au  gouvernement  de  l'Acadie,  avait  reprip,  avec 
l'agrément  de  la  cour,  le  plan  de  M.  d'Ibcrvillo  de  mettre  toute 
l'île  sous  la  domination  française  ;  et  pour  lui  en  faciliter  l'exécu- 
tion, le  roi  lui  av..it  permis  de  prendre  cent  Canadiens  et  douze 
officiers  commandés  par  M.  de  Beaucourt,  qui  débarquèrent  à  Tcr- 
reneuve  dans  l'automne.    Il  se  trouva  par  là  à  la  tôte  de  450 
hommes,  soldats,  Canadiens,  flibustiers  et  Sauvages,  tous  gens 
déterminés  et  accoutumés  à  faire  des  marches  d'hiver.     Il  se  mit 
en  campagne  le  15  février,  et  se  dirigea  vers  St.-Jcan.     Le 
26,  cette  troupe  intrépide  était  à  Rebou,  à  quelques  lieues  de  cette 
ville,  ayant  traversé  quatre  rivières  rapides  au  milieu  des  glaces 
qu'elles  charriaient,  et  soulTert  cruellement  du  froid.  Leshabitans 
cfirayés  en  voyant  paraître  ces  guerriers  que  les  obstacles  avaient 
rendus  plus  farouches,  tombèrent  à  genoux  dans  la   neige  et 
demandèrent  quartier.     Après  avoir  pris  deux  jours  de  repos  à 
Rebou,  Subercase  se  remit  en  chemin  et  parvint  près  de  St.-Jean 
vers  le  soir.     Quoiqu'il  fît  toujours  extrêmement  froid,  il  fut 
défendu  de  faire  du  feu  ;  chacun  se  chercha  un  gite  sous  des 
arbres  de  sapin  pour  s'abriter  un  peu.     Les  soldats  mirent  leurs 
souliers  sous  eux  pour  les  faire  dégeler  par  la  chaleur  de  leur  corps. 
Le  lendemain  on  se  présenta  devant  la  ville,  qu'on  prit  sans 
coup-férir.  Mais  les  deux  forts  qui  la  protégeaient  se  défendirent 
si  courageusement  qu'on  dut  les  abandonner.     Après  avoir  mis 
le  feu  à  St.-Jean,  *  les  Français  se  rejetèrent  sur  la  cam- 

•  American  Jnnals  :  Humphrey. 


'■■•'Il 

.m 


36 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


pagne  qu'ils  ravagèrent  en  tous  sens.  En  revenant  ils  brûlèrent 
le  bourg  du  Forillon,  épargné  l'année  précédente.  Montigny 
avec  une  partie  des  Canadiens  et  des  Sauvages  réduisit  ensuite 
en  cendre  tous  les  établissemens  de  la  côte.  La  terreur  était  si 
grande  parmi  les  pauvres  habitans,  qu'il  n'avait  que  la  peine  de 
recueillir  les  prisonniers.  Il  ne  resta  plus  aux  Anglais  à  Terre- 
neuve  que  l'île  de  la  Carbonnière  et  les  forts  de  St.-Jean,  que 
l'on  n'avait  pu  prendre.  Cette  irruption  toutefois  ne  fut  qu'un 
orage.  Le  calme  revenu,  les  flots  débordés  se  retirèrent,  on  enleva 
les  débris  qu'ils  avaient  faits,  et  tout  rentra  dans  l'ordre  accou- 
tumé. 

Trois  ans  étaient  à  peine  écoulés  cependant  depuis  l'expé- 
dition de  Subercasc,  que  St.-Ovide,  lieutenant  de  Plaisance, 
dont  M.  de  Costa  Bella  était  gouverneur,  proposa  à  ce  der- 
nier de  faire  une  nouvelle  tentative  sur  St.-Jean,  que  l'on  convoi- 
tait toujours  parceque  c'était  l'entrepôt  général  des  Anglais  dans 
l'île.  Il  offrait  d'exécuter  cette  entreprise  à  ses  propres  frais.  Sa 
proposition  étant  agréée  il  rassembla  environ  170  hommes  parmi 
lesquels  il  y  avait  des  Canadiens  et  des  soldats,  et  s'étant  mis  en 
route  sur  la  neige  le  14  décembre,  il  arriva  dans  la  nuit  du  1er 
janvier  1709  à  quelque  distance  de  la  place  qu'il  alla  reconnaître 
à  la  clarté  de  la  lune.  Après  cet  examen  il  fit  ses  préparatifs 
pour  donner  l'assaut,  et  l'on  se  remit  en  marche  en  s'excitant  les 
uns  les  autres.  On  fut  près  d'échouer  par  la  trahison  des  guides. 
M.  de  St.-Ovide  qui  était  en  tète  fut  découvert  à  trois  cents  pas 
des  premières  palissades,  d'où  on  lui  tira  des  coups  de  fusil  ;  mais 
sans  se  laisser  intimider  il  continua  toujours  d'avancer,  et  péné- 
tra ainsi  jusqu'à  un  chemin  couvert  qu'on  avait  oublié  de  fermer 
et  où  l'on  se  précipita  aux  cris  de  vive  le  roi  !  L'on  traversa  le 
fossé  malgré  le  feu  des  deux  forts  qui  blessa  dix  hommes.  On 
planta  deux  échelles  contre  les  remparts  qui  avaient  vingt  pieds 
de  haut  ;  St.-Ovide  monta  le  premier  suivi  de  six  hommes  dont 
trois  furent  grièvement  blessés  derrière  lui.  Au  même  instant, 
une  autre  colonne  atteignait  le  sommet  du  rempart  sur  un  autre 
point,  et  s'élançait  dans  la  place  conduite  par  les  Canadiens  Des- 
pensens,  Renaud,  du  Plessis,  la  Chesnaye,  d'Argenteuil,  d'Aille- 
bout  et  Johannis.  L'on  s'empara  du  corps  de  garde  et  de  la 
maison  du  gouverneur  qui  fut  fait  prisonnier  après  avoir  reçu 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


37 


trois  blessures.  Le  pont-levis  fut  baissé  et  le  reste  des  nssaillans 
entra.     Ce  n'est  qu'alors  que  l'ennemi  déposa  les  armes. 

Ainsi  en  moins  d'une  demi-heure  l'on  prit  deux  forts  qui 
auraient  pu  arrêter  une  armée  entière  ;  car  ils  étaient  garnis  de 
48  pièces  de  canons  et  mortiers,  et  défendus  par  plus  de  quatre- 
vingts  soldats  et  huit  cents  miliciens  bien  retranchés  ;  *  mais  la 
porte  souterraine  par  où  ceux-ci  devaient  passer,  se  trouva  si 
bien  fermée  qu'ils  ne  purent  l'enfoncer  assez  vite.  Il  restait  un 
troisième  fort  à  l'entrée  du  port,  gardé  par  une  compagnie  de 
soldats  qui  avait  des  vivres  pour  plusieurs  mois,  et  qui  était  muni 
de  canons,  de  mortiers  et  de  casemates  à  l'épreuve  des  uombes  ; 
il  se  rendit  néanmoins  au  bout  de  24  heures. 

M.  de  Sl.-Ovide  écrivit  immédiatement  en  France  et  au  gou- 
verneur, M.  de  Costa  Bella,  pour  annoncer  sa  conquête.  Ce 
dernier  fut  fort,  mécontent  de  ce  que  son  lieutenant  eût  pas  sur 
lui  d'écrire  directement  à  la  cour  sans  ordre  et  l'en  blâma.  Il 
e  /oya  une  frégate  pour  transporter  les  munitions  de  guerre,  les 
prisonniers  et  l'artillerie  de  St.-Jean  à  Plaisance,  en  lui  ordonnant 
à  lui-même  de  revenir  après  qu'il  aurait  détruit  les  fortifications. 
Le  roi  qui  avait  d'abord  approuvé  la  déiermination  de  M.  de 
Costa  Bella,  partagea  ensuite  le  sentiment  de  St.-Ovide,  qui  vou- 
lait que  l'on  gardât  St.-Jean,  mais  il  était  trcp  tard. 

L'île  de  Carbonnière  était  le  seul  poste  qui  restât  à  l'ennemi  à 
Terreneuve.  M.  de  Costa  Bella  ne  recevant  point  de  France  les 
secours  qu'on  lui  avait  promis  pour  en  faire  la  conquête,  organisa 
l'année  suivante  deux  détachemens,  qui  se  mirent  en  marche  l'un 
par  terre  et  l'autre  par  eau,  le  tout  sous  les  ordres  d'un  habitant 
de  Plaisance,  nommé  Gaspard  Bertrand.  Ils  parvinrent  à  la  baie 
de  la  Trinité  dans  le  voisinage  de  la  Carbonnière  sans  avoir  été 

*  IjCttres  du  -major  Lloyd  datées  octobre  et  novembre  1708,  c'est-à-dire  deux 
ou  trois  mois  avant  le  siège  et  consignées  dans  un  registre  manuscrit  qui  a 
appartenu  à  M.  Pawnall,  et  qui  se  trouve  maintenant  dans  les  archives  pro- 
vinciales. Co  registre  est  composé  principalement  d'extraits  des  procès  ver- 
baux du  Board  of  Colonies  and  plantations.  On  y  lit  ce  qui  suit  sur  la  situa- 
tion de  St.-Jean  alors: — "The  garrison  was  in  as  good  a  condition  as  he 
desired  ;  the  company  (80  men  besidei  the  officers)  was  complète;  there 
were  near  800  of  the  inhabitants  under  the  covert  of  the  fort  ;  and  ail  things 
were  in  as  good  posture,  etc.  Captain  Moody  and  others  say  that  there  were 
48  pièces  of  canon,  mortars,  &c.,  and  a  great  quantity  of  aramunitiou  of 
war." 


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38 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


découverts.  Ils  y  trouvèrent  une  frégate  de  30  pièces  de  canon 
et  de  cent  trente  hommes  d'équipage,  appelée  The  Valor  qui 
avait  convoyé  une  flotte  de  bâtimens  marchands.  Bertrand  en  la 
voyant  ne  put  étouffer  son  désir  de  corsaire,  et  résolut  d'en  tenter 
l'abordage.  Trois  chaloupes,  portant  chacune  vingt-cinq  hommes, 
s'y  dirigent  rapidement  à  force  de  rames  en  plein  jour.  Bertrand 
le  premier  saute  sur  le  pont.  En  un  instant  le  capitaine  anglais 
est  tué,  tous  les  officiers  sont  mis  hors  de  combat  et  l'équipage 
rejeté  entre  les  deux  ponts,  où  il  se  défend  longtemps  avec  vail- 
lance. C'est  alors  que  fut  tué  l'intrépide  Bertrand  ;  sa  mort  fit 
chanceler  sa  bande  ;  mais  un  de  ses  lieutenans  prit  aussitôt  sa 
place  et  l'on  se  rendit  enfin  maître  du  vaisseau.  Au  même 
instant  deux  corsaires,  l'un  de  22  canons  et  l'autre  de  18,  ayant 
été  informés  de  ce  qui  se  passait,  arrivèrent  à  pleines  voiles,  et 
chacun  prenant  un  côté  ils  se  mirent  à  canon  ner  la  frégate  que 
les  Français  venaient  de  prendre.  Mais  les  vainqueurs  trop  fati- 
gués pour  recommencer  un  second  combat,  coupèrent  les  câbles 
et  profitèrent  d'un  vent  favorable  pour  sortir  de  la  baie  sans  être 
poursuivis.  Le  détachement  venu  par  terre  se  jeta  alors  sur  les 
habitations,  les  pilla  et  retourna  à  Plaisance  chargé  de  butin,  de 
sorte  que  la  Carbonnière,  protégée  par  sa  situation  reculée,  échap- 
pa encore  une  fois  au  sort  qui  la  menaçait. 

Ainsi  les  Français  se  promenaient  en  vainqueurs  d'un  bout  à 
l'autre  de  l'île  depuis  presque  le  commencement  de  la  guerre 
sans  pouvoir,  vu  la  petitesse  de  leur  nombre,  s'en  assurer  la 
conservation.  Il  ne  leur  restait  que  la  gloire  d'avoir  déployé 
un  courage  admirable  et  empêché  peut-être  l'ennemi  de  venir 
les  attaquer  chez  eux.  Il  n'est  guère  permis  de  douter  que 
si  la  France  eût  été  maîtresse  des  mers,  toute  l'île  ne  fût  passée 
sous  sa  domination. 

Cependant  les  colonies  anglo-américaines  se  sentaient  humi- 
liées des  échecs  répétés  qu'elles  avaient  déjà  éprouvés  dans  cette 
guerre,  et  du  rôle  qu'elles  y  jouaient.  Terreneuvo  dévastée,  le 
Massachusetts  toujours  repoussé  de  l'Acadie,  la  Nouvelle- York  et 
les  provinces  centrales  cernées  par  les  Canadiens  et  leurs  non;- 
breux  alliés  et  n'osant  remuer  de  peur  d'exciter  l'ardeur  belli- 
queuse de  tous  ces  peuples,  telle  était  leur  situation  qui  blessait  à 
la  fois  leur  intérêt  et  leur  orgueil  national.    La  conquête  de  toute 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


3» 


lf\  Nouvelle-France  était  à  leurs  yeux  l'unique  moyen  d'en  pré- 
venir à  jamais  le  retour,  et  de  parvenir  à  cette  supériorité  qui 
leur  assurerait  tous  les  avantages  de  l'Amérique  et  de  la  paix  ; 
elles  ne  cessaient  point  de  faire  des  représentations  à  leur  métro- 
pole dans  ce  sens.  L'assemblée  de  la  Nouvelle- York  présenta 
une  adresse  à  la  reine  Anne  en  1709  dans  laquelle  elle  disait  : 
"  Nous  ne  pouvons  penser  sans  les  plus  grandes  appréhensions 
au  danger  qui  menacera  avec  le  temps  les  sujets  de  sa  Majesté 
dans  ces  contrées  ;  car  si  les  Français,  après  s'être  attaché  gra- 
duellement les  nombreuses  nations  indigènes  qui  les  habitent, 
tombaient  sur  les  colonies  de  votre  Majesté,  il  serait  presqu'im- 
possible  à  toutes  les  forces  que  la  Grande-Bretagne  pourrait  y 
porter  de  les  vaincre  ou  de  les  réduire."  Le  moment  paraissait 
propice  à  l'Angleterre  d'enlever  à  son  ancienne  rivale  ses  posses- 
sions d'outre-mer  ;  car  après  une  suite  de  revers  inouis,  la  France 
était  tombée  dans  un  état  de  prostration  complète  ;  ses  ressources 
étaient  épuisées,  son  crédit  anéanti  et  le  rigoureux  hiver  de  1709 
achevait  de  désespérer  la  nation  en  proie  à  une  famine  cruelle. 
C'était  le  moment  pour  l'Angleterre  de  se  rendre  aux  vœux  de 
ses  colonies  en  s'emparant  du  Canada  ;  et  pendant  que  Louis 
XIV  sollicitait  la  paix  de  ses  nombreux  ennemis  avec  de  vives 
instances,  elle  donnait  des  ordres  pour  s'assurer  d'une  des 
dépouilles  du  grand  roi. 

Le  colonel  Vetch  paraît  avoir  été  le  premier  auteur  de  cette 
nouvelle  entreprise.  Quelques  années  auparavant,  en  1705,  le 
gouverneur  du  Massachusetts,  M.  Dudley,  l'avait  envoyé  avec 
M.  Livingston  à  Québec,  pour  régler  l'échange  des  prisonniers  et 
proposer  à  M.  de  Vaudreuil  un  traité  de  neutralité  entre  la  Nou- 
velle-Angleterre et  la  Nouvelle-France,  traité  que  le  roi  avait 
trouvé  convenable  dans  le  temps  et  qu'il  avait  permis  môme  de 
conclure,  pourvu  que  la  gloire  et  l'honneur  de  la  nation  n'y  fus- 
sent pas  intéressés  et  qu'il  ne  donnât  lieu  à  aucun  commerce. 
Mais  cette  députation  n'était  qu'un  prétexte  pour  examiner  le 
pays  et  gagner  du  temps.  Plusieurs  émissaires  s'étaient  glissés 
en  Canada  à  la  faveur  de  cette  mission  pour  étudier  ses  forces 
et  ses  moyens  de  défense,  ce  qui  étant  parvenu  aux  oreilles  des 
ministres  à  Paris  attira  des  reproches  au  gouverneur  sur  sa  facilité 
inipolili<iue.     Vetch  lui-même  sonda  le  St. -Laurent  en  remontant 


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40 


ttlSTOmE  DU   CANADA. 


jusqu'à  la  capitale.  Après  quoi  il  proposa  au  ministère  anglais 
le  vieux  projet  de  conquérir  le  Canada  par  une  double  attaque 
par  mer  et  par  terre,  disant  que  le  succès  n'était  pas  douteux. 
En  effet  le  pays,  qui  n'avait  reçu  aucun  secours  de  France  depuis 
le  commencement  des  hostilités,  n'était  guère  capable  de  résister 
si  on  l'attaquait  sérieusement  ;  la  proposition  fut  donc  bien  reçue, 
et  l'on  se  mit  à  travailler  sans  délai  aux  préparatifs  de  la  cam- 
pagne. Le  plan  de  Vetch  fut  adopté.  Cinq  régimens  de  ligne 
auxquels  seraient  joints  douze  cents  miliciens  du  Massachusetts 
et  du  Rhode-Island,  devaient  opérer  par  le  fleuve  contre  Québec. 
Quatre  mille  hommes,  dont  moitié  Sauvages,  devaient  attaquer 
Montréal  par  le  lac  Champlain.  L'adjonction  de  tant  de  Sau- 
vages était  facile  dans  le  moment  parceque  le  colonel  Schuyler 
venait  de  réussir  à  faire  rompre  le  traité  qui  existait  entre  les 
Français  et  la  confédération  iroquoise,  et  à  engager  quatre  des 
cinq  cantons  à  prendre  part  à  la  campa^i ,,  qui  promettait  d'être 
aussi  profitable  que  glorieuse.  Toutes  les  colonies  anglaises 
étaient  dans  l'enthousiasme.  "  La  joie,  dit  un  de  leurs  historiens, 
animait  la  contenance  de  tout  le  monde  ;  il  n'y  avait  personne 
qui  ne  crût  que  la  conquête  du  Canada  ne  fût  achevée  avant 
l'automne."  On  ne  comptait  pour  rien  les  sacrifices,  et  c'est  à 
cette  occasion  que  le  Connecticut,  la  Nouvelle- York  et  le  Nou- 
veau-Jersey, dont  le  trésor  était  vide,  fabriquèrent  pour  la  pre- 
mière fois  du  papier-monnaie. 

L'année  de  terre  se  réunit  sur  les  bords  du  lac  Champlain  dans 
le  mois  de  juillet  sous  les  ordres  du  gouverneur  Nicholson  ;  elle 
commença  à  élever  des  forts,  des  blockhaus,  des  magasins,  et  à 
se  construire  une  multitude  de  bateaux  et  de  canots  pour  traver- 
ser le  lac.  Jamais  le  Canada  n'avait  vu  un  si  grand  déploiement 
de  forces  pour  sa  conquête.  En  faisant  l'énumération  de  leurs 
soldats  et  de  leurs  vaisseaux,  les  ennemis  se  croyaient  capable» 
de  chasser  les  Français  de  toute  l'Amérique  ;  car  leurs  troupes 
de  terre  dépassaient  du  double  celles  de  leurs  adversaires,  sans 
compter  leurs  forces  de  mer  qui  étaient  encore  aussi  considé- 
rables ;  ce  qui  faisait  quatre  contre  un. 

Tandis  que  les  Anglais  à  la  vue  de  leur  supériorité  numérique 
faisaient  des  rêve»  do  triomphe,  les  Canadiens  inquiets  et  silen- 
cieux se  préparaient  à  tenir  tête  à  l'orage.     L'ordre  fut  donné 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


41 


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d'armer  Québec  et  de  tenir  les  troupes  et  les  milices  prêtes  à 
marcher  au  premier  signal.  Les  Ibrces  totales  du  pays,  réguliers 
et  miliciens  en  âge  de  porter  les  armes,  s'élevaient  à  4150  hommes 
outre  700  matelots  et  Sauvages.  M.  de  Vaudreuil  était  monté 
lui-même  à  Montréal  dans  le  mois  de  janvier  pour  être  plus  près 
de  l'ennemi  et  envoyer  faire  diverses  reconnaissances  vers  le  lac 
Champlain  qui  pussent  l'informer  à  temps  de  ses  forces  et  de  ses 
mouvemens. 

Le  secrétuiie  d'état  anglais,  lord  Sunderland,  avait  écrit  à  Bos- 
ton de  se  tenir  prêt  à  marcher  au  premier  ordre  ;  que  les  troupes 
de  renfort  étaient  sur  le  point  de  s'embarquer  pour  l'Amérique. 
L'on  s'était  empressé  de  se  rendre  à  ses  injonctions  ;  même  avant 
le  temps  fixé  tout  était  préparé  pour  entrer  en  campagne  ;  mais 
personne  ne  parut  au  temps  dit,  et  après  une  longue  attente, 
durant  laquelle  on  s'était  perdu  en  conjectures,  les  murmuçcs  et 
les  maladies  éclatèrent  dans  l'armée  campée  sur  le  lac  Cham- 
plain. Peu  accoutumée  à  la  discipline,  elle  se  lassait  de  la  con- 
trainte et  de  la  sujétion  militaire  dans  laquelle  on  la  tenait, 
quoiqu'on  parvint  à  la  retenir  jusqu'à  la  fin  de  l'été  sans  qu'il 
arrivât  rien  d'Europe.  Alors  l'assemblée  de  la  Nouvelle-York 
ti-ouvant  la  saison  trop  avancée  pour  entrer  en  Canada,  pré- 
enta une  adresse  au  gouverneur,  pour  rappeler  les  milices 
dans  leurs  foyers;  Peu  de  temps  après,  l'on  apprit  la  prise 
du  général  Stanhope  avec  cinq  mille  Anglais  à  Brihuega,  et 
la  défaite  de  Stahremberg  le  lendemain  par  le  duc  de  Vendôme  à 
Villa-Viciosa  en  Portugal,  double  revers  qui  avait  obligé  la  cour 
de  Londres  d'envoyer  les  troupes  destinées  contre  Québec  au 
secours  des  alliés  dans  la  péninsule,  et  qui  expliqua  l'immobilité 
de  l'ennemi.  Ainsi  la  victoire  de  Villa-Viciosa  eut  le  double 
avantage  de  consolider  le  trône  de  Philippe  V  et  de  sauver  le 
Canada. 

Ce  qu'on  rapporte  de  l'empoisonnement  de  l'armée  de  Nichol- 
son  par  les  Iroquois  sur  le  lac  Champlain,  paraît  dénué  de  fonde- 
ment. Aucun  historien  américain  ne  parle  de  cette  circons- 
tance ;  et  deux  ans  après,  les  guerriers  de  ces  tribus  se  joignirent 
encore  aux  Anglais.  Il  est  probable  que  l'astuce  iroquoise  don- 
na naissance  à  ce  rapport  dans  un  but  politique.  Ces  barbares 
craignaient  et  haïssaient  également  leurs  deux  puissans  voisins  ; 


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4d 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


mais  ils  étaient  divisés  à  leur  sujet,  ou  plutôt  ils  voulaient  ména- 
ger l'un  et  l'autre  sans  laisser  percer  leurs  motifs.  En  consé- 
quence une  partie  de  la  confédération,  comme  les  Onnontagués, 
tenait  pour  les  Français,  et  l'autre  pour  leurs  adversaires.  La 
môme  tactique  fut  adoptée  l'année  suivance,  car  dans  l'hiver  les 
Onnongués  et  les  Agniers  envoyèrent  une  députation  en  Canada, 
où  l'on  n'était  pas  en  état  de  repousser  avec  dédain  les  excuses 
de  ces  belliqueux  supplians.  Le  gouverneur  tout  en  les  menaçant 
de  lâcher  ses  alliés  contre  eux  s'ils  bougeaient,  reçut  leurs 
ambassadeurs  de  manière  à  les  laisser  partir  satisfaits  de  leur 
accueil. 

Tandis  que  les  cantons  voyageaient  ainsi  d'un  camp  à  l'autre  et 
faisaient  des  assurances  trompeuses  aux  deux  partis,  le  colonel 
Nicholson  était  passé  en  Angleterre  pour  la  presser  de  reprendre 
son  projet  de  conquête,  ce  que  le  cabinet  de  Windsor  promit 
de  faire  au  printemps,  mais  n'exécuta  point,  car  aucune  flotte  ne 
parut.  Nicholson  revenu  en  Amérique  avec  cinq  ou  six  vaisseaux 
de  guerre,  dont  quatre  de  60  canons,  portant  un  régiment  de 
marine,  ayant  vainement  attendu  cette  flotte  jusqu'à  l'automne, 
se  vit  contraint  d'abondonner  encore  une  fois  son  entreprise  favo- 
rite. Mais  pour  ne  pas  achever  l'année  sans  exécuter  quelque 
chose,  il  suggéra  de  risquer  une  tentative  sur  l'Acadie*  avec  les 
forces  qu'on  avait.  On  lui  adjoignit  une  trentaine  de  vaisseaux 
ou  transports,  et  quatre  ou  cinq  bataillons  de  troupes  provinciales 
formant  3400  hommes  sans  compter  les  officiers,  et  il  fit  voile  le 
18  septembre  de  Boston.  Il  parvint  devant  Port-Royal  six  jours 
après,  et  opéra  son  débarquement  sans  rencontrer  d'opposition. 

M.  de  Subercase  n'avait  pu  trouver,  comme  on  l'a  dit,  d'autre 
moyen  de  se  maintenir  à  Port-Royal,  qu'en  s'alliant  avec  les 
flibustiers,  qui  éloignaient  l'ennemi  parleurs  courses,  entretenaient 
l'abondance  dans  la  ville  et  lui  fournissaient  de  quoi  faire  de  riches 
présens  aux  Sauvages.  Mais  ces  corsaires  l'abondonnèrent  nu 
moment  du  danger,  et  lui  môme  se  ce  luisit  ensuite  comme  s'il 
eût  voulu  provoquer  tout  ce  qui  arriva.  Il  voyait  depuis  long- 
temps l'orage  se  former  contre  lui.    Deux  fois  il  avait  repoussé 

•  Quelques  auteurs  disent  qu'il  devait  faire  cette  conquête  seul,  et  qu'en- 
suite les  forces  de  la  Grande-Bretagne  seraient  envoyées  pour  prendre 
tiuébec. 


HISTOraE   DU   CANADA. 


43 


l'ennemi  avec  une  poignée  de  braves  ;  mais  depuis  cette  époque 
glorieuse  un  changement  inexplicable  s'était  opéré  dans  ses  sen- 
timens.  On  aurait  dit  que  pour  se  venger  de  l'oubli  dans  lequel 
on  le  laissait  il  désirait  la  perte  du  pays  commis  à  ses  soins.  Il 
avait  reçu  quelques  recrues  de  France  et  des  secours  de  Québec, 
peu  considérables  il  est  vrai,  mais  qui  auraient  pu  lui  être  très 
utiles  dans  la  circonstance  ;  il  les  renvoya  sous  prétexte  de  ne 
pouvoir  s'accorder  avec  leurs  officiers,  qui,  le  leur  côté  se  plai- 
gnaient de  sa  manière  d'agir  à  leur  égard.  La  retraite  de  ces  ren- 
forts, la  mauvaise  disposition  des  habitans,  son  inaction  lors  de 
l'apparition  de  l'ennemi,  tout  cela  coïncidant  avec  le  départ  des 
flibustiers,  le  fit  soupçonner  dans  le  temps  de  trahison  ;  et,  mal- 
gré sa  justification  il  ne  put  jamais  reconquérir  la  pleine  confiance 
de  ses  compatriotes,  dont  plusieurs  ne  cessèrent  point  de  mettre 
en  doute  sa  fidélité.  '^-^ 

Qu'il  trahît  ou  non  son  devoir,  il  est  constant  qu'il  n'avait  pas 
deux  cents  hommes  de  garnison,  lorsque  le  colonel  Nicholson 
parut  devant  Port-Royal  avec  des  forces  dont  l'immense  dispro- 
portion était  un  hommage  éclatant  rendu  à  ses  talens  et  à  sa  bra- 
voure.   Il  se  laissa  bombarber  au  milieu  des  murmures  et  de  la 
désertion  de  ses  gens  jusqu'au  2  octobre,  qu'il  capitula.     La  gar- 
nison, épuisée  de  faim,  sortit  de  la  ville  au  nombre  de  156  soldats 
avec  les  honneurs  de  la  guerre.    Nicholson,  voyant  défiler  ce 
petit  nombre  d'hommes  au  visage  pâle  et  amaigri,  que  la  disette 
lui   aurait  livrés  à  discrétion,  regretta  de  s'être  trop   pressé 
de  signer  la  capitulation,  car  dès  le  lendemain  il  fut  obligé  de 
leur  faire  distribuer  des  vivres.     Les  soldats  et  les  habitans,  au 
nombre  de  481,  furent  transportés  à  la  Rochelle.     Subercase,  ne 
pouvant  emporter  les  mortiers  et  les  canons  réservés  par  un 
article  du  traité,  les  vendit  aux  Anglais  pour  payer  les  dettes  qu'il 
avait  contractées  au  nom  de  son  gouvernement.  Ainsi  Port-Royal 
gardé  par  200  soldats  minés  par  une  longue  famine,  tomba  devant 
une  flotte  de  36  voiles  et  quatre  mille  hommes  de  débarquement, 
supériorité  de  force  qui  rendait  le  sort  de  l'Acadie  inévitable. 

Les  vainqueurs  donnèrent  à  Port-Royal  le  nom  d'Annapolis,  en 
l'honneur  de  la  reine  Anne.  Cette  ville  pouvait  avoir  alors  une 
demi-lieue  d'étendue  en  tout  sens  ;  mais  les  maisons,  très-éloignées 
les  unes  des  autres,  n'étaient  que  de  mauvaises  huttes  avec  des 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


cheminées  en  terre  ;  l'église  ressemblait  plutôt  à  une  grange  qu'à 
un  temple.*    Telle  était  cette  capitale  qu'Halifax,  alors  simple 
pêcherie  connue  sous  le  nom  de  Chibouctou,  a  supplantée  depuis. 
L'expédition  de  Port-Royal  coûta  ^£23,000   à  la  Nouvelle- 
Angleterre,  que  le  parlement  impérial  lui  remboursa.     Le  colonel 
Vetch  resta  gouverneur  de  la  nouvelle  conquête  avec  450  hommes. 
Cependant  il  n'était  question  dans  le  traité  que  du  fort  de  Port- 
Royal  avec  le  territoire  qui  était  à  la  portée  de  son  canon  ; 
Nicholson  prétendit  avec  une  gravité  allectéc  qu'il  embrassait 
toute  la  province.    Ne  pouvant  s'entendre  Subercase  et  lui,  ils 
envoyèrent  des  députés  au  marquis  de  Vaudreuil  qui,  à  la  simple 
explication  des  faits,  exigea  l'exécution  de  la  capitulation  à  la 
lettre.     Le  député  anglais,  le  colonel  Livingston,  profita  de  l'occa- 
sion pour  se  plaindre  des  cruautés  qu'exerçaient  les  alliés  Fran- 
çais, menaçant,  s'ils  continuaient  leur  système  barbare,  de  faire 
exécuter  les  principaux  habitans  dô  l'Acadie.     M.  de  Vaudreuil 
lui  répondit  qu'on  n'était  pas  responsable  des  actes  des  Indiens  ; 
que  les  Anglais  ne  devaient  imputer  la  guerre  qu'à  ceux  qui 
avaient  refusé  la  neutralité  entre  les  deux  couronnes,!  et  que  s'ils 
mettaient  leur  menace  à  exécution,  il  userait  de  représailles  sur 
les  prisonniers  qu'il  avait  en  sa  possession.    Ne  se  contentant  pas 
de  communiquer  cette  réponse  à  l'envoyé  américain,  il  chargea 
MM.  de  Rouville  et  Dupuy  d'aller  la  porter  à  Boston,  avec  ordre 
d'observer  le  pays  dans  le  cas  où  il  serait  nécessaire  d'y  porter  la 
guerre.    Il  nomma  en  même  temps  le  baron  de  St.-Castin  son 
lieutenant  en  Acadie,  avec  mission  d'y  maintenir  le  reste  des 
habitans  dans  l'obéissance  à  la  France,  et  d'engager  les  mission- 
naires à  redoubler  de  zèle  pour  conserver  l'attachement  des  Sau- 
vages et  des  Acadiens,  chose  inutile  parceque  la  tyrannie  du  colo- 
nel Vetch  faisait  plus  à  cet  égard  que  les  prières  les  plus  pres- 
santes du  gouverneur  français.     L'infatigable  St.-Castin  du  reste 
continuait  toujours  les  hostilités  de  son  fort  de  Pentagoët.     Un 
détachement  de  40  Indiens  qu'il  avait  envoyé  en  c      5e,  tailla  en 

*  Etat  de  l'Acadie  en  1710  tel  que  décrit  par  un  Français  à  un  Jésuite  : 
The  travels  of  several  missionariea  of  the  society  of  Jésus,  etc. 

t  D'où  l'on  doit  conclure  que  c'est  la  Nouvelle-Angleterre  qui  a  refusé  le 
traité  de  neutralité  et  de  commerce  entre  les  deux  colonies,  proposé  par  M. 
de  Vaudreuil  :  voir  plus  haut. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


40 


pièces  un  corps  d'Anglais  beaucoup  plus  nombreux  expédié  pour 
brûler  dans  la  campagne  les  maisons  de  ceux  qui  refusaient  de  se 
soumettre  aux  vainqueurs  de  Port-Royal.  Cette  bande,  renforcée 
par  plusieurs  Canadiens  et  Français,  osa  investir  Port-Royal 
môme,  dont  la  garnison  se  trouvait  dans  le  moment  très  affaiblie 
par  les  maladies,*  et  on  allait  y  envoyer  de  Québec  le  marquis 
d'Alognies,  avec  1 1  officiers  et  200  hommes  choisis  lorsque  l'arri- 
vée de  la  flotte  de  l'amiral  Walker  dans  le  fleuve  St.-Laurent  fit 
contremander  ce  détachement,  qui  aurait  probablement  remis 
Port-Royal  sous  la  domination  de  ses  anciens  maîtres.f 

C'est  alors  seulement  que  la  majorité  des  Acadiens  fit  sa  sou- 
mission aux  Anglais,  qui,  suivant  leur  usage,  envoyaient  des 
troupes  pour  incendier  les  habitations  qui  refusaient  de  les  recon- 
naître. C'est  un  de  ces  partis  qui  fut  encore  atteint  et  anéanti 
par  les  Sauvages  dans  un  endroit  auquel  ce  massacre  a  fait  donner 
le  nom  de  l'Anse  du  Sang.  Ce  coup  de  main  fit  prendre  de  nou- 
veau les  armes  à  300  Acadiens,  qui,  avec  tous  les  Sauvages  qu'ils 
purent  rencontrer,  se  tinrent  prêts  à  tomber  sur  Port-Royal  dès 
que  le  gouverneur  de  Plaisance  leur  aurait  envoyé  un  chef 
capable  de  les  commander.  Mais  ce  gouverneur  les  fit  informer 
qu'il  avait  besoin  de  tout  son  monde,  et  qu'il  était  incapable  de 
laisser  partir  un  seul  officier.  Ils  durent  alors  abandonner  leur 
entreprise  et  se  soumettre  entièrement  pour  sauver  les  récoltes 
qui  constituaient  toute  leur  subsistance  de  l'année.  La  perte  de 
l'Acadie  fut  très  sensible  à  la  France,  malgré  son  état  d'abaisse- 
ment. M.  de  Pontchartrain,  ministre  de  la  marine,  écrivait  à  M. 
de  Beauharnais,  intendant  de  la  Rochelle  et  de  Rochefort  :  "  Je 
vous  ai  fait  assez  connaître  combien  il  est  important  de  reprendre 
Port-Royal  avant  que  les  ennemis  y  soient  solidement  établis. 
La  conservation  de  toute  l'Amérique  septentrionale  et  le  com- 
merce des  pêches  le  demandent  également  :  ce  sont  deux  objets 
qui  me  touchent  vivement,  et  je  ne  puis  trop  exciter  le  gouverneur 
et  l'intendant  de  la  Nouvelle-France  à  les  envisager  avec  les 
mêmes  yeux."    Le  ministre  aurait  voulu  que  le  Canada  se  char- 

*  D'après  le  rapport  des  déserteurs  les  deux  tiers  étaient  morts  ou  déser- 
tés. Voir  la  dépêche  [traduction]  interceptée  de  M.  l'Hermite  à  M.  do 
Pontchartrain  du  22  juillet  ITll,  dans  l'Appendice  du  Journal  de  l'expédi- 
tion de  l'anoiral  Walker. 

tibid. 


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ravi 


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*B 


46 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


goât  de  reconquérir  Port-Royal  avec  ses  seules  milices  et  le  peu 
de  troupes  dont  il  pouvait  disposer,  tandis  que  M.  de  Vaudreuil 
demandait  seulement  deux  vaisseaux  avec  ce  qu'ils  pourraient 
porter  d'hommes  et  de  munitions  pour  joindre  à  ses  forces,  et 
qu'on  ne  fut  pas  capable  de  les  lui  donner.  M.  de  Pontchartrain 
réduit  aux  expédiens  pour  accomplir  ses  vues,  voulut  former  alors 
en  France  une  société  de  marchands  assez  puissante  pour 
remettre  l'Acadie  soua  la  domination  du  roi,  et  y  former  des  éta- 
blissemens  solides  ;  mais  personne  ne  goûta  une  entreprise  dont 
les  avantages  ne  paraissaient  certains  que  pour  l'Etat,  et  rien  ne 
fut  fait  ;  ce  qui  n'empôcha  pas  cependant  les  fidèles  et  malheu- 
reux Acadiens,  si  dignes  d'un  meilleur  sort,  de  faire  dire  secrète- 
ment à  M.  de  Vaudreuil  que  le  roi  n'aurait  jamais  de  sujets  plus 
dévoués,  paroles  qui  auraient  dû  soulever  la  France  d'un  bout  à 
l'autre  pour  l'honneur  de  ce  noble  esprit  national  qui  fait  la  force 
et  la  véritable  grandeur  des  peuples. 

Après  la  prise  de  Port-Royal,  le  colonel  Nicholson  était  retourné 
à  Londres  pour  la  deux  ou  troisième  fois,  toujours  pour  presser 
l'Angleterre  de  conquérir  le  Canada,  qui  était  le  grand  boulevard 
des  Français  dans  l'Amérique  continentale,  et  pour  y  appuyer  les 
démarches  du  colonel  Schuyler  qui  y  avait  été  envoyé  l'année 
précédente,  par  la  Nouvelle- York,  dans  le  môme  but.  Cinq 
chefs  iroquois  l'accompagnaient.  Dans  un  discours  prononcé 
devant  la  reine  Anne,  ils  l'assurèrent  de  leur  fidélité,  et  deman- 
dèrent son  apnui  contre  leur  ennemi  commun.  La  Grande- 
Bretagne  n'eut  pas  de  peine  à  se  rendre  à  des  sollicitations  qui 
flattaient  ses  secrets  désirs.  M.  St.-John,  depuis  vicomte  de 
Bolingbroke,  homme  qui  avait  plus  d'imagination  que  d'esprit,  plus 
de  brillant  que  de  solide,  était  alors  ministre.  Il  promit  tout  ce 
que  l'on  voulut.  Il  s'intéressait  à  l'entreprise  comme  s'il  en  avait 
été  le  premier  auteur  et  se  vantait  d'en  avoir  formé  le  plan.  Il 
fit  faire  des  préparatifs  proportionnés  à  la  grandeur  du  projet. 
Le  chevalier  Hovenden  Walker  parvint  à  Boston  le  25  juin  1711 
avec  une  flotte  portant  un  bataillon  de  soldats  de  marine  et  sept 
régiraens  de  vétérans  tirés  de  l'armée  du  duc  de  Marlborough, 
BOUS  les  ordres  du  général  Hill,  frère  do  madame  Marsham,  qui 
avait  remplacé  la  duchesse  de  Marlborough  comme  favorite  de  la 
reine.    Lorsque  M.  St.-John  apprit  l'arrivée  de  la  flotte  à  Boston, 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


47 


il  écrivit  avec  triomphe  au  duc  d'Orrcry:  "vous  pouvez  être 
assuré  que  nous  sommes  maîtres  à  l'heure  qu'il  est  de  toute 
l'Amérique  septentrionale."  La  nouvelle  de  cette  arrivée,  atten- 
due avec  impatience  depuis  si  longtemps,  se  répandit  rapidement 
dans  toutes  les  colonies  anglaises,  et  fut  reçue  avec  des  transports 
d'ivresse  ;  l'assemblée  de  la  Nouvelle- York  vota  des  remercimens 
à  la  reine,  et  envoya  une  députation  pour  féliciter  le  colonel 
Nicholson  sur  le  succès  de  sa  mission.  Dans  l'espace  d'un  mois 
elles  mirent  deux  armées  sur  pied,  complètement  équipées  et 
approvisionnées.' 

Deux  régimens  de  troupes  provinciales  se  joignirent  aux  régu- 
liers du  général  Hill,  et  portèrent  son  armée  à  6500  fantassins 
munis  d'un  train  considérable  d'artillerie  et  de  toutes  sortes  de 
machines  de  guerre.  La  flotte  composée  de  88  vaisseaux  et  trans- 
ports, mit  à  la  voile  pour  Québec  le  30  juillet.  Peu  de  temps 
après  le  colonel  Nicholson  s'ébranla  de  son  côté  et  s'avança  jus- 
qu'à Albany  avec  quatre  mille  hommes  et  six  cents  Iroquois, 
pour  pénétrer  en  Canada  par  le  lac  Champlain  ;  c'était  le  plan 
d'invasion  de  1690.  Rendu  sur  les  bords  du  lac  St.-Sacrcment, 
il  s'arrêta  pour  attendre  l'arrivée  de  l'amiral  Walker  devant 
Québec.  Ce  pays  semblait  perdu  sans  ressource.f  Aux  quinze 
ou  seize  mille  soldats  et  matelots  qui  marchaient  pour  l'envahir, 

•  M.  (le  Costa  Bella  avait,  sur  l'ordre  de  la  cour,  envoyé  vainement  M.  de 
la  Ronde  à  Boston  pour  tâcher  de  dissuader  les  habitans  de  fournir  de  nou- 
veaux secours  à  la  flotte  anglaise  destinée  à  agir  contre  le  Canada.  Il  fallait 
que  M.  de  Pontchartrain  fiit  dans  une  grande  ignorance  des  sentimensde  ces 
habitans.  Lettre  interceptée  {traduction  de  M.  de  Costa  Bella  d  M.  de  Pont- 
chartrain du  23  juillet  1711,  laquelle  se  trouve  da/iis  V Appendice  de  la 
défense  de  l'amiral  Walker. 
t  Forces  du  Canada  en  1709. 

Gouvernement  de  Montréal, 1200  hommes  de  15  ù  70  ans. 

"  Trois-Rivières, 400 

««  Québec, 2200 

Troupes, 350 

Matelots  des  navires,...    200 
Sauvages, 500 


'..l'ii 


Documens  de  Parit. 


Total,. 


4850 


il, 


48 


HISTOIRE    DU   CANADA. 


il  avait  à  peint'  «îiiuj  mille  homnia.s  capaltlt"!  do  portée  len  ui'tiioH* 
à  opposjr:  'a  proviJeiico  le  sauva. 

La  priHti  de  Fort-Royal  avait  lait  une  Hcnsatiori  pénible  et  pro- 
fuiido  ru  Canada,  moins  à  cause  de  l'importance  de  ce  poste,  (pii 
6lait  réiillement  do  peu  de  chose  en  lui-même,  que  parce  ([u'elle 
dévoilait  d'un  côté  la  faiblesse  ou  l'apathie  de  la  Franco,  et  de 
l'autre  !a  détermination  des  colonies  anglaises  de  l'exclure  entiè- 
rement de  ce  continent.  Mais  lorsque  les  Canadiens  se  virent 
attaqués  de  tous  les  côtés,  loin  de  se  décourager,  ils  se  rappelèrent 
qu'ils  avaient  eux-mêmes  porté  plus  d'une  ibis  la  guerre  dans  le 
pays  de  leurs  envahisseurs,  qu'ils  avaient  vu  fuir  leurs  soldats 
devant  eux  dans  la  Nouvelle-York  et  dans  la  Nouvelle-Angleterre, 
*à  Terrencuve  et  dans  la  baie  d'Hudson,  et  leur  ancienne  énergie 
reprenant  son  empire,  à  la  voix  du  gouverneur  tout  le  monde 
courut  aux  armes. 

D'abord  M.  de  Vaudreuil,  pour  on  imposer  aux  Iroquoia  qui 
menaçaient  la  partie  supérieure  du  pays,  avait  mandé  les  Indiens 
occidentaux,  qui  descendirent  au  nombre  de  quatre  à  cinci  cents 
avec  M  .M.  de  St.-Pierre,  Tonti  et  quelques  autres  Canadiens. 
Il  avait  envoyé  en  môme  temps  dans  les  cantons  le  baron  de 
Longuouil  et  MM.  Joncaire  et  la  Chauvigneric  pour  y  appuyer  le 
parti  français  et  contrecarrer  l'elTet  des  intrigues  de  Schuyler,  en 
les  engageant  à  observer  la  neutralité.  Après  ces  préliminaires, 
il  donna  un  grand  festin  à  Montréal  à  huit  cents  Sauvages  alliés, 
qui  levèrent  la  hache  et  entonnèrent  le  chant  do  guerre  au  nom 
d'Ononthio.  Sans  perdre  de  temps,  le  gouverneur  descendit  à  Qué- 
bec, suivi  des  Abénaquis  établis  à  St.-François  et  à  Bécancour, 
p.d  commencement  de  la  gnerre,  pour  opposer  une  digue  aux 
irruptions  des  Iroquois.  Il  trouva  cette  ville  en  état  de  résister  à 
un  coup  de  main.  Il  y  avait  plus  de  100  pièces  de  canon  en 
batterie.  Les  rives  du  fleuve  au-dessous  de  Québ  ^  ''itaient  si 
bien  gardées,  que  l'ennerni  n'aurait  pu  y  opérer  de  ement 

dans  les  lieux  habités  sans  livrer  un  combat  r"  situation 

désavantageuse.     Au-dessus  il  ne  pouvait  {  .iventurer  au 

loin.     La   distribution  des  troupes  était  reg..        Chacun  avait 


♦Voir  la  liste  des  vaisseaux  de  guerre  dans  l'Appendice  du  Journal  ofthe 
Canada  Expédition  par  l'amiral  Walker.  Les  Annales  américaines  se 
trompent  eu  disant  08. 


HISTOmE   nu   CANADA. 


49 


Boii  poâlc  marqué,  où  il  devait  se  rendre  à  l'apparition  do  la  flotte 
qu'on  attendait  déjà  dcpui».  longtemps,  lorsqu'un  habitant  vint 
annoncer  un  soir  du  mois  de  septembre  qu'il  avait  vu  entre  i)0  et 
9G  voiles  dans  le  bas  du  fleuve. 

C'était  l'amiral  Walker  qui  remontait  le  St.-Laurent.  Il 
s'avançait  moins  comme  un  capitaine  (jui  entreprend  une  cam- 
pagne ditlicilo,  (jue  comme  un  conquérant  qui  n'a  (juo  de  l'aCiCS 
lauriers  à  recueillir.  L'attaque  de  Québec  n'entrait  pour  rien 
dans  les  préoccupations  de  son  esprit.  Il  ne  croyait  pas  môme 
qu'on  osât  s'y  défendre.  Il  n'était  occupé  que  de  l'hivernage  do 
ses  vaisseaux  dans  le  climat  rigoureux  où  il  allait  passer  l'hiver. 
Après  avoir  roulé  plusieurs  plans  dans  sa  tôte,  il  s'arrêta  à  celui- 
ci  :  il  ferait  dégréer  ses  vaisseaux  et  débarquer  tout  ce  qu'ils  por- 
taient, jusqu'à  leurs  mâts  ;  ensuite  il  les  ferait  monter  à  sec  sur 
le  rivage,  hors  de  l'atteinte  des  glaces,  à  l'aide  de  chameaux  et 
autres  puissans  appareils  ;  c'est  lui-même  qui  raconte  ses  inquié- 
tudes. Il  croyait  que  le  St.-Laurent  qui  a  près  de  cent  pieds  de 
profondeur  dans  le  port  de  Québec,  gelait  jusqu'au  fond  de  son 
lit  ;  mais  on  peut  être  physicien  médiocre  et  excellent  homme 
de  mer. 

Cependant  les  élémens  vinrent  tirer  bientôt  l'amiral  Walker 
de  ces  préoccupations  oiseuses.  Un  gros  vent  de  sud-est  s'éleva 
avec  une  brume  épaisse  qui  enveloppa  sa  Hotte  et  empocha  de 
rien  voir  ;  les  pilotes  ne  purent  plus  se  reconnaître.  Un  ancien 
navigateur  canadien,  retenu  prisonnier  à  bord  du  vaisseau  amiral, 
avertit  de  ne  pas  courir  trop  au  nord.  On  refusa  de  l'écouter. 
On  était  dans  la  nuit  du  22  août:  le  vent  augmentait  toujours. 
Deux  heures  après  cet  avertissement,  l'on  se  trouva  au  milieu 
d'îles  et  de  rescifs  dans  le  danger  le  plus  imminent,  et  personne 
ne  s'en  doutait.  Un  oflicier  de  l'armée  de  terre  qui  se  trouvait 
par  hasard  sur  le  pont  de  l'Edgar,  apercevant  tout-à-coup  des 
brisans  sur  sa  droite,  courut  en  informer  l'amiral,  qui  pensa  que 
c'était  la  peur  qui  le  faisait  agir  et  ne  voulut  pas  le  croire. 
L'officier  redescendit  une  seconde  fois,  en  le  priant  avec  instance 
de  monter,  que  l'on  voyait  des  écueils  de  toutes  parts.  "  Sur  ces 
importunités  répétées,  et  entendant  plus  de  bruit  et  de  mouve- 
ment qvi'à  l'ordinaire,  dit  l'amiral,  je  passai  ma  robe  de  chambre 
et  mes  pantouflles,  et  je  montai  sur  le  pont.    En  effet,  j'y  trouvai 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


tout  le  monde  dans  une  frayeur  et  une  confusion  étrange."  La 
direction  des  vaisseaux  fut  immédiatement  changée  ;  mais  huit 
transports  se  brisèrent  sur  l'île  aux  Œufs,  l'une  des  Sept-Iles,  et 
prés  de  neuf  cents  hommes  périrent  sur  les  dix-sept  cents  officiers 
et  soldats  qu'ils  portaient.  On  reconnut  ensuite  parmi  les  noyés, 
rejetés  sur  la  plage  par  les  vagues,  deux  compagnies  entières  des 
gardes  de  la  reine,  et  plusieurs  familles  écossaises  qui  venaient 
pour  s'établir  dans  le  pays.  L'on  trouva  aussi  un  grand  nombre 
de  copies  imprimées  d'un  manifeste  que  Charlevoix  rapporte  tout 
au  long,  et  dans  lequel  le  général  Hill  déclarait  les  Canadiens, 
auxquels  il  était  adressé,  sujets  anglais  en  vertu  de  la  découverte 
de  l'Amérique  septentrionale  par  Cabct,  la  France  yant  pos- 
sédé le  pays  qu'à  titre  de  fief  relevant  de  l'Angleterre  !  Jamais 
on  n'avait  fait  tant  de  dépense  d'es^  rit  que  dans  cette  guerre. 

Après  ce  désastre,  Walker  retourna  sur  ses  pas  et  alla  jeter 
l'ancre  dans  la  baie  des  Espagnols  au  Cap-Breton.  Comme  la 
traversée  de  Boston  avait  été  extrêmement  longue,  et  qu'il  ne 
restait  plus  de  vivres  que  pour  dix  semaines,  il  fut  décidé  à  l'una- 
nimité dans  un  conseil  de  guerre,  d'abandonner  l'entreprise  sur 
Québec,  et  sur  Plaisance  qui  devait  être  attaqué  ensuite,  et  de 
s'en  retourner  chacun  dans  son  pays,  les  Américains  à  Boston  et 
les  Anglais  en  Europe.  En  conséquence  de  cette  rétjlution,  la 
flotte  cing'a  vers  Portsmouth,  où  pour  justifier  le  proverbe  qu'un 
malheur  n'arrive  jamais  sans  un  autre,  le  vaisseau  amiral,  l'Edgar, 
de  70  canons,  sauta  et  entraîna  dans  sa  destruction  quatre  cents 
hommes,  outre  un  grand  nombre  de  personnes  qui  étaient  venues 
à  bord  pour  visiter  leurs  amis.  Dans  le  même  temps  le  Fever- 
eham  de  36  canons  et  trois  transports  qui  avaient  suivi  la  flotte, 
se  perdaient  dans  les  parages  du  fleuve  ou  du  golfe  St.-Laurent. 

La  nouvelle  de  la  retraite  des  Anglais  ayant  été  apportée  à 
Québec  par  des  pêcheurs  de  Gaspé,  le  gouverneur  renvoya  aus- 
sitAt  M.  de  Ramsay  à  Montréal  avec  six  cents  hommes,  et  y 
monta  lui-même  bientôt  après  avec  un  pareil  nombre  de  soldats. 
Il  forma  en  y  ajoutant  le  corps  de  troupes  resté  sous  les  ordres 
du  baron  de  Longueuil  pour  garder  le  haut  de  la  colonie,  une 
armée  de  trois  mille  fusils,  qu'il  plaça  auprès  de  Chambly  afin  de 
s'opposer  au  colonel  Nicholson  s'il  venait  à  déboucher  par  le  lac 
Champlain.    Mais  le  commandant  américain  en  apprenant  les 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


st 


malheurs  de  la  flotte,  s'était  hâté  de  décamper  avec  ses  troupes 
qui  reprenaient  pour  la  seconde  fois  depuis  deux  ans,  le  chemin 
de  leurs  provinces  sans  avoir  brûlé  une  amorce.  Alors  les 
craintes  du  Canada  passèrent  dans  les  colonies  anglaises  ;  la 
frayeur  s'empara  d'Albany  et  de  leurs  frontières.  On  s'em- 
pressa de  faire  réparer  les  forts  avancés  ;  on  retint  la  milice  sous 
les  armes,  on  travailla  de  tous  côtés  à  opposer  une  digue  au  tor- 
rent de  Canadiens  et  de  Sauvages  que  l'on  croyait  voir  déborder 
d'un  moment  à  l'autre.  .  ■   ^  ',  / 

Mais  on  ne  pensait  guère  en  Canada  à  réaliser  des  appréhen- 
sions rendues  plus  effrayantes  encore  par  la  peur.  On  était 
satisfait  d'avoir  été  délivré  d'un  danger  dont  l'on  avait  redouté  les 
suites,  et  qui  paraissait  encore  plus  grand  maintenant  qu'il  était 
passé  et  que  l'on  pouvait  en  mesurer  toute  l'étendue  avec  sang 
froid.  On  ne  voulait  point  le  braver  en  entreprenant  une  lutte 
aggressive  avec  des  forces  si  inférieures.  D'ailleurs  le  résultat 
devait  contenter,  les  provinces  anglaises  se  trouvant  après  tant 
de  dépenses,  à  la  fin  de  la  guerre,  accablées  de  dettes  et  réduites 
à  défendre  leurs  propres  foyers. 

C'est  pendant  que  l'Angleterre  dirigeait  ainsi  son  épée  droit 
au  cœur  de  la  puissance  française  dans  ce  continent  que  sa  poli- 
tique avait  armé  contre  elle,  par  l'intermédiaire  des  Iroquois,une 
nation  brave,  indomptable  et  féroce,  les  Outagamis,  vulgairement 
nommés  les  Renards,  qui  erraient  dans  les  savanes  à  l'ouest  du 
lac  Michigan.  Ils  vinrent  se  fixer  à  une  portée  de  pistolet  du 
fort  du  Détroit  pour  pouvoir  mieux  exécuter  leur  dessein.  «  Ce 
peuple  aussi  brave  que  l'Iroquois,  moins  politique,  beaucoup  plus 
féroce,  qu'il  n'avait  jamais  été  possible  ni  de  dompter,  ni  d'appri- 
voiser, et  qui  semblable  à  ces  insectes,  qui  paraissent  avoir  autant 
d'âmes  que  de  parties  de  leur  corps,  renaissent  pour  ainsi  dire 
après  leur  défaite,"  ce  peuple  se  trouvait  partout,  et  était  devenu 
l'objet  de  la  haine  de  toutes  les  nations  de  ce  continent.  Il  avait 
promis  de  brûler  le  Détroit,  et  de  massacrer  tous  les  Français  qui 
se  trouvaient  dans  ces  contrées.  Les  Kikapous  et  les  Mascontins 
étaient  entrés  dans  le  complot.  M.  Dubuisson,  o'i  commandait 
dans  cette  partie,  fut  informé  par  un  Outagami  chrctien  de  ce  que, 
d'ailleurs,  la  conduite  de  ces  barbares  ne  lui  laissait  que  trop 
entrevoir.    Ils  se  permettaient  depuis  quelque  temps  toutes  bjrtes 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


d'insolences,  volaient  et  pillaient  les  Français  qui  n'étaient  qu'une 
trentaine  dans  le  fort  et  qui  dissimulaient  jusqu'à  l'arrivée  de 
leurs  alliés  qu'ils  avaient  appelés  en  toute  hâte  auprès  d'eux, 
surtout  les  Hurons  et  les  Iroquois.  Dnbuisson  en  cas  d'attaque 
subite  préparait  ses  moyens  de  défense  sans  faire  de  bruit,  mon- 
taient des  canons,  perçaient  des  meurtrières,  là  où  il  y  en  avait 
besoin.  Mais  les  secours  demandés  arrivèrent  avant  le  coup. 
C'étaient  600  hommes,  Hurons,  Outaouais,  Illinois,  Missouris, 
Osages,  Saulteura,  Toutouatamis,  Sakis,  Malhomines,  etc.,  mar- 
chant en  ordre,  chaque  nation  avec  ses  enseignes  déployées,  et 
tous  portant  la  même  haine  à  l'ennemi  qu'ils  allaient  avoir  à 
combattre.  "  Nous  voici  autour  de  toi,  dirent-ils  au  commandant 
français,  tu  nous  as  rétirés  du  feu  des  Outagamis  il  y  a  douze 
lunes,  nous  venons  exposer  notre  vie  pour  ton  service  ;  nous 
mourrons  avec  plaisir  pour  notre  libérateur.  La  seule  grâce  que 
nous  te  demandons,  c'est  que  tu  prennes  soin  de  nos  femmes  et 
de  nos  enfans  si  nous  succombons,  et  que  tu  mettes  un  peu 
d'herbe  sur  nos  corps  afin  qu'ils  reposent  en  paix." 

Dubuisson  se  serait  contenté  d'éloigner  les  Outagamis  en  les 
forçant  de  retourner  dans  leurs  anciens  villages  ;  mais  les  Hurons 
ne  voulurent  pas  souffrir  qu'on  les  laissât  échapper.  Il  fallait  les 
attaquer  dans  le  fort  qu'ils  s'étaient  élevé  à  côté  de  celui  des 
Français,  et  qu'ils  défendirent  d'abord  avec  tant  de  résolution 
que  les  alliés  parlaient  de  se  retirer  si  Dubuisson  ne  les  eût  rani- 
més. Les  assiégés  étaient  surveillés  de  si  près  qu'ils  ne  pouvaient 
sortir  et  qu'ils  se  trouvèrent  au  bout  de  quelque  temps  sans  eau 
et  sans  vivres.  Ceux  qui  essayaient  de  s'en  procurer  étaient 
aussitôt  pris  par  les  Sauvages  qui  les  fusillaient,  les  tuaient  à 
coups  de  flèche  ou  les  gardaient  pour  les  brûler  à  loisir  et  par 
forme  de  passe-temps.  Réduits  à  la  dernière  extrémité,  on  n'en- 
tendait plus  à  la  fin  que  des  hurlemens  épouvantables  à  chaque 
coup  de  canon  que  l'on  tirait.  Déjà  soixante  à  quatre-vingts 
femmes  et  enfans  étaient  morts  de  faim  et  de  soif.  L'odeur  des 
cadavres  qu'ils  ne  pouvaient  enterrer  à  cause  du  feu  continuel 
dirigé  contre  eux,  empoisonnait  l'air  qu'ils  respiraient.  Ils  durent 
se  ïesoudre  à  demander  quartier.  L'envoyé  qui  portait  la  parole 
dit  à  Dubuisson  :  Mon  père,  je  te  parle  à  toi  et  à  toutes  les 
nations  qui  sont  devant  toi  ;  je  vous  demande  la  vie.    Elle  n'est 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


53 


plus  à  nous  ;  vous  êtes  les  maîtres  ;  les  esprits  nous  ont  aban- 
donnés. Je  vous  apporte  ma  chair  par  les  sept  esclaves  que  je 
mets  à  vos  pieds  ;  mais  ne  croyez  pas  que  je  craigne  de  mourir. 
C'est  la  vie  des  femmes  et  des  enfans  que  je  demande.  Faites 
luire  le  soleil,  je  vous  prie  ;  que  le  ciel  soit  beau  et  qu'à  l'avenir 
vous  prospériez.  Voici  les  colliers,  détachez  les  et  donnez-nous 
la  vie.  Vous  êtes  nos  petits  neveux,  ajouta-t-il  en  s'adressant 
aux  Sauvages,  dites  quelque  chose  qui  console  le  village  à  notre 
retour." 

Les  alliés  ne  voulurent  rien  accorder.  Ils  tirèrent  même 
Dubuisson  à  part  pour  lui  proposer  de  faire  casser  la  tête  à  quatre 
des  envoyés  qui  étaient  de  grands  chefs.  Ce  sont  eux,  dirent-ils, 
qui  sont  la  cause  de  la  résistance.  Mais  Dubuisson  s'y  opposa. 
Alors  les  assiégés  ne  songèrent  plus  qu'à  tromper  la  surveillance 
de  leurs  ennemis  pour  s'esquiver,  ce  qui  était  une  chance  très 
faible.  Ils  voulurent  profiter  d'une  nuit  orageuse  pour  sortir  du 
fort  ;  mais  atteints  à  quatre  lieues  de  là,  ils  se  rendirent  à  discré- 
tion aux  alliés  qui  ne  voulurent  point  accorder  de  grâce  et  en 
firent  un  massacre  général.  Tout  fut  égorgé,  hommes,  femmes  et 
enfans.*  On  n'avait  pas  encore  vu  une  pareille  tuerie  chez  les 
Indiens.  Ce  dénouement  ôta  tout  espoir  aux  Anglais  de  s'élever 
au  moins  pour  le  moment  dans  l'Ouest  sur  les  ruines  de  leurs 
rivaux.  Il  était  en  effet  d'une  importance  vitale  de  les  empêcher 
de  prendre  pied  dans  cette  partie  du  continent  ;  car  s'ils  deve- 
naient maîtres  de  ce  point,  la  communication  entre  le  Canada  et 
la  vallée  du  Mississipi  se  trouvait  coupée,  et  ces  deux  vastes 
provinces  tombaient  d'elles-mêmes  comme  les  branches  d'un 
arbre  qu'on  sépare  de  leur  tronc. 

Vers  la  même  époque  le  gouverneur  fit  rétablir  le  fort  Michili- 
mackinac  abandonné  depuis  quelques  années,  et  ajusta  tous  les 
sujets  de  mécontentement  qui  pouvaient  exister  entre  les  Fran- 
çais et  les  peuples  septentrionaux  et  occidentaux,  ou  entre  ces 
divers  peuples  eux-mêmes.  Il  savait  profiter  avec  une  rare  intel- 
ligence des  intérêts  des  uns  et  des  autres  pour  paralyser  les  efforts 
des  colonies  anglaises,  qui  faisaient  tout  ce  qu'elles  pouvaient  pour 

•  Attaque  du  Détroit  par  les  Mascoutins  et  les  Outagamis.  Rapport  de 
M.  Dubuisson  du  15  juin  1715.  Copie  manuscrite  obtenue  en  Frfince  par 
M.  Papineau. 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


les  détacher  de  la  France  ;  et  c'était  plus  avec  des  raisons  qu'il 
faisait  triompher  sa  politique  qu'avec  les  forces  dont  il  pouvait 
disposer.  Une  seule  imprudence  aurait  pu  soulever  la  confédé- 
ration iroquoise  au  commencement  de  la  guerre.  Par  une  atti- 
tude digne,  il  sut  conserver  le  respect  de  tous  les  peuples 
indigènes,  et  par  son  calme  et  sa  prudence,  dissimuler  sa  fai- 
blesse. 

Un  instant  en  1712,  le  bruit  se  répandit  que  l'Angleterre 
armait  encore  une  flotte  pour  assiéger  Québec  ;  mais  cette  nou- 
velle qui  se  trouva  fausse,  ne  servit  qu'à  prouver  le  dévouement 
des  habitans  de  cette  capitale.  Le  commerce  lui-même  montra 
son  patriotisme  en  avançant  cinquante  mille  écus  au  gouverneur 
pour  augmenter  les  fortifications  de  la  ville.  C'était  une  somme 
très  considérable  pour  le  pays  et  pour  le  temps.  Mais  le  sort  des 
colonies  françaises  se  décidait  alors  sur  un  autre  champ  de  bataille. 
La  guerre  en  Eiuope  touchait  à  sa  fin.  Dès  le  commencement 
de  1711  un  agent  de  Londres  avait  été  envoyé  secrètement  à 
Paris,  et  l'année  suivante  une  suspension  d'armes  qui  s'é- 
tendait aux  colonies  avait  été  signée  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre. 

Cette  révolution  dans  les  afihires  avait  été  amenée  d'abord  par 
la  disgrâce  de  la  favorite  de  la  reine  Anne,  la  duchesse  de  Marl- 
borough,  qui  entraîna  les  whigs  dans  sa  chute  ;  et  ensuite  par  la 
mort  de  l'empereur  Joseph  II,  qui  eut  pour  successeur  celui  qui 
disputait  le  trône  d'Espagne  au  duc  d'Anjou.  Les  alliés  furent 
peu  portés  après  cet  événement  à  donner  une  nouvelle  cou- 
ronne à  celui  qui  était  déjà  assez  puissant  avec  celle  de  l'em- 
pire. 

Malgré  la  retraite  des  Anglais,  le  prince  Eugène,  qui  comman- 
dait les  Autrichiens,  était  encore  supérieur  de  20,000  hommes  à 
l'armée  française  ;  et  les  conférences  d'Utrecht  ne  rassuraient 
point  la  France  épuisée  et  qui  n'osait  plus  croire  au  succès.  Louis 
XIV,  courbé  vers  la  tombe  et  voyant  périr  sans  s'ébranler  pres- 
que toute  sa  famille  en  pou  de  temps,  fit  preuve  d'une  grandeur 
d'âme  qui  l'élève  beaucoup  plus  dans  l'estime  des  hommes  que 
la  fierté  qu'il  déploya  dans  ses  jours  prospères.*  Il  annonça 

•  Ce  fut  le  sort  de  Louis  XIV,  de  voir  périr  en  France  toute  sa  famille  par 
des  morts  prématurées,  sa  femme  à  45  ans,  son  fils  unique  à  ÔO  ;  et  un  an 


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HISTCraE  DU   CANADA. 


6» 


qu'en  cas  de  nouveau  malheur,  il  convoquerait  toute  la  noblesse 
de  son  royaume,  qu'il  la  conduirait  à  l'ennemi  rftalgré  son  âge  de 
soixante-et-quatorze  ans,  et  qu'il  périrait  à  sa  tête.  Cette  réso- 
lution n'était  pas  une  menace  vaine:  on  a  vu  ce  que  peut  un 
peuple  qui  combat  pour  son  existence,  en  France  sous  Charles 
VII  et  en  1793,  et  plusieurs  fois  en  Amérique  depuis  1775. 

Ce  monarque  aurait  dû  pour  sa  renommée  mourir  avec  le 
siècle  dans  lequel  il  était  né  ;  car  le  suivant  devaiit  être  fatal  à  lui 
et  à  tous  les  siens.  En  effet  dès  le  début,  ce  siècle  est  marqué 
par  le  naufrage  de  la  gloire  de  ce  prince,  qui  fut  longtemps  le 
premier  de  la  terre  ;  et  la  fin  en  est  à  jamais  mémorable  par  la 
chute  d'un  trône  qu'il  avait  entouré  d'un  pouvoir  absolu,  et  par 
la  mort  violente  ou  la  dispersion  de  toute  sa  famille. 

Les  revers  de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne  et  le  traité 
d'Utrecht  précipitèrent  la  chute  de  la  puissance  française  en 
Amérique,  quoique  cette  chute  ait  été  produite  par  d'autres  cau- 
ses, comme  on  l'a  dit  plus  d'une  fois  ailleurs.  Par  ce  traité 
fameux  signé  le  11  avril  1713,  Louis  XIV  renonça  aux  droits 
qu'il  pouvait  avoir  sur  le  pays  des  Iroquois  et  céda  à  l'Angleterre 
la  baie  d'Hudson,  l'île  de  Terreneuve,  l'Acadie  avec  la  ville  de 
Port-Royal,  c'est-à-dire  tous  les  pays  situés  sur  le  littoral  de  l'At- 
lantique, sur  lequel  il  ne  resta  plus  à  la  France  que  l'embou- 
chure du  St.-Laurent  et  celle  du  Mississipi  dans  la  baie  du 
Mexique  ;  elle  se  réserva  seulement  le  droit  de  faire  sécher  le 
poisson  sur  une  partie  de  l'île  de  Terreneuve.     On  peut  juger, 

après  que  nous  eûmes  perdu  son  fils,  nous  vîmes  son  petit  fils  le  Dauphin, 
duc  de  Bourgogne,  la  Dauphine  sa  femme,  leur  fils  aîné  le  duc  de  Bretagne, 
portés  à  Saint-Denis  au  même  tombeau,  au  mois  d'avril  1712  ;  tandis  qne  le 
dernier  de  leurs  enfans,  monté  depuis  sur  le  trône,  était  dans  son  berceau, 
aux  portes  de  la  mort.  Le  duc  de  Berri,  frère  du  duc  de  Bourgogne,  les 
suivit  deux  ans  après  ;  et  sa  fille  dans  le  même  temps  passa  du  berceau  au 
cercueuil. 

Ce  temps  de  désolation  laissa  dans  les  cœurs  une  impression  si  profonde, 
que,  dans  la  minorité  de  Louis  XV,  j'ai  vu  plusieurs  personnes  qui  ne  par- 
laient de  ces  pertes  qu'en  versant  des  larmes.  Louis  XIV  dévorait  sa  douleur 
en  public  :  il  se  laissa  voir  à  l'ordinaire  ;  mais  en  secret  les  ressentimens  de 
tant  de  malheurs  le  pénétraient  et  lui  donnaient  des  convulsions.  Il  éprou- 
vait toutes  ces  pertes  domestiques  à  la  suite  d'une  guerre  malheureuse, 
avant  qu'il  fût  assuré  de  la  paix,  et  dans  un  tems  où  la  misère  désolait  le 
royaume.    On  ne  le  vit  pas  succomber  un  moment  à  ses  afflictions. 


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56 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


dit  Raynal,  combien  ces  sacrifices  marquaient  son  abaissement, 
et  combien  il  en  dut  coûter  à  sa  fiorté  de  céder  trois  possessions 
qui  formaient  avec  le  Canada,  l'immense  pays  connu  sous  le  nom 
glorieux  de  Nouvelle-France.  •  lit'    .-       j* 

Pendant  près  de  quarante  ans,  Louis  XIV  avait  dominé  l'Eu- 
rope conjurée  après  l'avoir  vancue  dans  trois  longues  et  sanglan- 
tes guerres.  Cette  période  avait  été  illustrée  par  de  grands  génies 
en  tous  genres,  et  par  les  plus  grands  capitaines  que  les  modernes 
eussent  encore  vus.   :    .^,,    -,  .-,!     ,       .^r   i^l 

"  L'Europe,  dit  un  historien,  s'était  armée  contre  lui,  et  il  avait 
résisté,  il  avait  grandi  encore.  Alors  il  se  laissa  donner  le  nom 
de  grand.  Le  duc  de  la  Feuillade  alla  plus  loin.  Il  entretint  un 
luminaire  devant  sa  statue,  comme  devant  un  autel.  On  croit  lire 
l'histoire  des  empereurs  romains.      ' 

"  La  brillante  littérature  de  cette  époqv.c  n'est  autre  chose 
qu'un  hymne  à  la  royauté.  La  voix  qui  couvre  les  autres  est 
celle  de  Bossuet.  C'est  ainsi  que  Bossuet  lui-même,  dans  son 
discours  sur  VHistoire  Universelle,  représente  les  rois  d'Egypte 
loués  par  le  prêtre  dans  les  temples  en  présence  des  dieux.  La 
première  époque  du  grand  règne,  celle  de  Descartes,  de  Port- 
Royal,  de  Pascal  et  de  Corneille,  n'avait  pas  présenté  cette  una- 
nimité ;  la  littérature  y  était  animée  encore  d'une  verve  plus  rude 
et  plus  libre.  Au  moment  où  nous  sommes  parvenus,  Molière 
vient  de  mourir  en  (1673),  Racine  a  donné  Phèdre  (1677),  La 
Fontaine  publie  les  six  derniers  livres  de  ses  Fables  (1678), 
madame  de  Sévigné  écrit  ses  Lettres,  Bossuet  médite  la  recon- 
naissance de  Dieu  et  de  soi-même,  et  prépare  le  discours  sur 
l'Histoire  Universelle  (1681).  L'abbé  de  Fénélon,  jeune  encore, 
simple  directeur  d'un  couvent  de  filles,  vit  sous  le  patronage  de 
Bossuet,  qui  le  croit  son  disciple.  Bossuet  mène  le  chœur  triom- 
phal du  grand  siècle,  en  pleine  sécurité  du  passé  et  de  l'avenir, 
entre  le  jansénisme  éclipsé  et  le  quiétisme  imminent,  entre  le 
sombre  Pascal  et  le  mystique  Fénélon.  Cependant  le  cartésia- 
nisme est  poussé  à  ses  conséquences  les  plus  formidables  ;  Malle- 
branche  fait  rentrer  l'intelligence  humaine  en  Dieu,  et  tout-à- 
l'heure  dans  cette  Hollande  protestante  en  lutte  avec  la  France 
catholique,  va  s'ouvrir  pour  l'absorption  commun  du  catholicisme, 
du  protestantisme,  de  la  liberté;  de  la  morale  de  Dieu  et  du 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


6T- 


monde,  le  gouffre  sans  fond  de  Spinosa."  La  première  dans  le 
domaine  de  l'esprit,  la  France  ouvrit  aussi  les  portes  du  18e  siècle 
comme  la  première  dans  celui  du  courage  ;  elle  allait  couronner 
ses  triomphes  en  faisant  monter  un  de  ses  princes  sur  le  trône 
d'Espagne.  Mais  elle  n'avait  plus  pour  diriger  ses  efforts  qu'un- 
vieux  roi  sur  son  déclin  et  une  femme  qu'il  avait  épousée  pour 
dissiper  la  tristesse  d'une  vie  dont  il  avait  épuisé  toutes  les  jouis- 
sances. Les  hommes  illustres  qui  l'avaient  couverte  de  tant  de 
gloire,  n'existaient  plus.  Les  esprits  perspicaces  voyaient  avec 
inquiétude  le  pays  entrer  dans  une  nouvelle  guerre.  Louis  XIV, 
devenu  dévot  sur  ses  vieux  jours,  vivait  retiré,  ne  connaissait 
plus  si  bien  les  hommes  ;  dans  sa  solitude  les  choses  ne  lui  paru- 
rent plus  sous  leur  véritable  aspect.  Madame  de  Maintenon 
n'avait  point  non  plus  le  génie  qu'il  faut  pour  manier  le  sceptre 
d'un  royaume  tel  que  celui  de  France  dans  un  temps  d'orages. 
Et  elle  fit  la  faute  de  nommer  Chamillard,  sa  créature,  pour  être 
premier  ministre,  homme  qui  malgré  son  honnêteté  était  fort  au- 
'dessous  de  cette  vaste  tâche.* 

Dès  lors  les  généraux  furent  mal  choisis  et  durent  souvent  leur 
nomination  à  la  faveur  ;  la  discipline  militaire  tomba  dans  un  relâ- 
chement funeste,  et  les  opérations  des  armées  furent  dirigées  par 
le  roi  et  Chamillard  du  fond  du  cabinet  de  madame  de  Maintenon. 
Tout  se  ressentit  de  ce  système  malheureux  ;  la  France  fut  ainsi 
conduite  en  quelques  années  du  comble  de  la  gloire  au  bord  de 
l'abîme. 

Le  traité  d'Utrecht  qui  blessa  si  profondément  l'amour  propre 
des  Français,  porta  le  premier  coup  à  leur  système  colonial.  A 
la  fin  du  mi  'itère  de  Colbert,  leurs  possessions  américaines 
s'étendaient  de  la  baie  d'Hudson  au  Mexique,  en  suivant  les  val- 
lées du  St.-Laurent  et  du  Mississipi,  et  renfermaient  dans  leurs 
limites  les  cinq  grands  lacs,  ou  plutôt  les  cinq  grandes  mers  inté- 
rieures du  continent,  et  deux  des  plus  grands  fleuves  du  monde. 
Par  le  traité  d'Utrecht  ils  perdirent  de  vastes  territoires,  précieux 
non  pas  tant  par  leur  population  ou  leur  fertilité,  que  par  l'impor- 
tance de  leurs  côtes  maritimes.  Ils  se  trouvèrent  dans  le  nord  re- 
poussés bien  !  )in  de  l'Atlantique.    Leurs  pertes  augmentant  d'au- 

•  Chamillard   était  dirigé  par  madame  de   Maintenon,  dit  quelqu'un, 
madame  de  Maiuteuon  par  Babbien,  sa  vieille  servante." 


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OV  HISTOIRE  BU   CANADA. 

tant  les  possessions  de  leurs  ennemis  déjà  beaucoup  trop  étendues 
en  Amérique.     Ce  premier  trébuchement  de  leur  puissance  colo- 
niale devait  avoir  une  bien  plus  grande  portée  qu'on  ne  l'imaginait 
encore.     C'était  l'affaiblissement  de  la  puissance  métropolitaine 
par  la  puissance  coloniale.  L'Angleterre  s'était  blessée  elle-même 
dans  cette  lutte  qui  lui  avait  assuré  un  triomphe,  et  cette  blessure 
devait  finir  par  être  mortelle,  parce  que  les  colonies  qui  avaient 
contribué  à  briser  le  réseau  que  la  France  avait  jeté  autour 
d'elles,  avaient  une  arrière  pensée  hostile  à  l'Angleterre  comme 
à  la  France,  qu'elles  confondaient  déjà  ensemble  dans  le  secret  de 
leur  politique  en  qualité  de  métropoles,  et  qu'elles  regardaient 
pour  cette  raison  comme  deux  ennemies  naturelles  et  irréconci- 
liables des  intérêts  américains,  arrière-pensée,  si  elles  l'ont  eue, 
qui  annonçait  une  grande  profondeur  de  vue   et  une  grande 
puissance  de  dissimulation.*     Trop  faibles  pour  marcher  encore 
au  grand  jour,  et  pour  surmonter  de  vive  force  les  entraves  qui 
devaient  les  arrêter  à  chaque  pas,  elles  cheminaient  vers  leur  but 
par  des  routes  cachées,  sachant  bien  que  le  système  colonial 
mettait  un  obstacle  insurmontable  à  leur  indépendance.    "  Les 
colons  anglais,  dit  Bancroft,  n'étaient  pas  simplement  les  colons 
de  l'Angleterre,  ils  formaient  partie  d'un  immense  système  colo- 
nial que  tous  les  pays  commerciaux  de  l'Europe  avaient  contribué 
à  former,  et  qui  renfermait  dans  ses  bras  puissans  toutes  les  parties 
du  globe.    La  question  de  l'indépendance  n'aurait  pas  été  une 
lutte  particulière  avec  l'Angleterre,  mais  une  révolution  dans  le 
commerce  et  dans  la  politique  du  monde  entier,  dans  les  fortunes 
actuelles  et  encore  plus  dans  l'avenir  des  sociétés.     Il  n'y  avait 
pas  encore  d'union  entre  les  établissemens  qui   hérissaient  le 
bord  de  l'Atlantique,  et  à  cette  époque,  une  seule  nation  en 
Europe  aurait  toléré,  mais  pas  une  n'aurait  favorisé,  une  insur- 
rection.   L'Espagne,  la  Belgique  espagnole,  la  Hollande,  l'Au- 

•  Ramsay,  auteur  d'une  Histoire  de  la  révolution  américaine,  attribue  cet 
événement  au  changement  de  politique  de  la  Grande-Bretagne,  qui  com- 
mença à  faire  peser  en  1764,  une  dure  oppression  sur  ses  colonies.  Quelques 
uns  pensent,  dit-il,  que  la  révolution  a  été  excitée  par  la  France  ;  d'autres  que 
les  colons,  une  fois  délivrés  du  dangereux  voisinage  de  cette  nation,  ne  son- 
gèrent plus  qu'à  obtenir  leur  indépendance  ;  mais,  suivant  lui,  l'égoïsme  du 
cœur  humain  est  suffisant  pour  expliquer  les  motifs  de  la  conduite  des  colons 
et  de  la  métropole,  sans  recourir  à  ces  opinions. 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


09 


triche  étaient  unies  à  l'Angleterre  contre  la  France,  qui,  par  la 
centralisation  de  sa  puissance  et  par  des  plans  d'agrandi^isement 
territorial  habilement  conçus,  ex;;itait  leur  inquiétude  et  leur  fai- 
sait craindre  de  la  voir  parvenir  à  la  monarchie  universelle.  Lors- 
que l'Autriche  et  la  Belgique  auraient  abandonné  leur  jçuerre 
héréditaire  contre  la  France,  lorsque  l'Espagne  et  la  Hollande, 
favorisées  par  la  neutralité  armée  du  Portugal,  de  la  Suède, 
du  Danemark,  de  la  Prusse  et  de  la  Russie,  se  réuniraient  à  la 
France  pour  réprimer  l'ambition  commerciale  de  l'Angleterre, 
alors,  mais  pas  avant,  l'indépendance  américaine  devenait  pos- 
sible." 

Ces  raisons  expliqueraient,  suivant  le  même  auteur,  les  motfs 
de  l'ardeur  que  les  colonies  anglaises  mettaient  dans  leurs  guerres 
contre  le  Canada  ;  c'était  pour  briser  le  système  qui  enchaînait 
les  colons  au  joug  de  l'Europe  ;  et  l'Europe,  trompée  par  de  faux 
calculs,  aveuglée  par  des  jalousies  et  des  rivalités  funestes,  tra- 
vaillait elle-même  à  l'accomplissement  de  leur  projet.  Nous  ne 
savons  si  les  profonds  calculs  que  l'on  prête  ainsi  aux  pères  de  l'in- 
dépendance du  Nouveau-Monde  sont  bien  fondés,  s'ils  eussent  déjà. 
à  cetie  époque  pressenti  si  clairement  leur  avenir,  car  l'on  doit  être 
très  sobre  dans  les  jugemens  que  l'on  porte  sur  les  motifs  de  con- 
duite des  peuples  à  leur  berceau.  "  Rien  n'est  plus  commun,  dit 
Michaud  dans  son  bel  ouvrage  de  l'Histoire  des  Croisades,  que 
d'attribuer  à  des  siècles  reculés  les  combinaisons  d'une  profonde 
politique.  Si  l'on  en  croyait  certains  écrivains,  c'est  à  l'enfance 
des  sociétés  qu'appartiendrait  l'expérience.*  Mais  qu'ils  entre- 
vissent ou  non  ce  qui  est  arrivé,  qu'ils  aient  travaillé  à  l'amener 
par  calcul  ou  par  hazard,  toujours  est-il  certain  que  les  colonies 
anglaises  suivaient  leur  instinct  et  une  pente  fort  naturelle  dans 
la  voie  où  la  providence  les  avait  placées.  Le  traité  d'Utrecht 
en  satisfaisant  une  partie  de  leurs  désirs,  augmentait  leurs  espé- 
rances futures.  Elles  jetèrent  surtout  un  cri  de  triomphe  lors- 
qu'elles virent  tomber  les  trois  plus  anciennes  branches  de  l'arbre 

•  Il  rappelle  à  ce  sujet  l'opinion  de  Montesquieu  :  "  Transporter  dans  les 
siècles  reculés  toutes  les  idées  du  siècle  où  l'on  vit,  c'est  des  sources  de  l'ur- 
reur  celle  qui  est  la  plus  féconde.  A  ces  gens  qui  veulent  rendre  modernes 
tous  les  siècles  anciens ,  Je  dirai  ce  que  les  prêtres  d'Egypte  dirent  à  bolon  : 
O  Âthiniem  !  vous  n'êtet  que  des  enfans." 


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60 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


colonial  français  :  cet  arbre  resta  comme  un  tronc  mutilé  par  la 
foudre  ;  mais  on  verra  que  ce  tronc  vigoureux,  enfoui  dans  les 
neiges  du  Canada,  était  encore  capable  de  lutter  contre  de  rudes 
tempêtes  et  d'obtenir  de  belles  victoires.  '-      •  - ■  *''■'  ■ 


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CHAPITRE  III. 


COLONISATION   DU    CAP-TRETON. 
1713-1744. 

Motifs  qui  engazent  le  gouvernement  à  établir  le  Cap-Breton. — Description 
de  cette  île,  à  laquelle  on  donne  le  nom  d'Ile- Royale. — Lu  nouvelle  colonie 
excite  la  jalousie  des  Anglais. — Projet  de  l'intendant,  M.  Raudot,  et  de 
son  fils  pour  en  faire  l'enfrei)ôl  ^îéuéral  de  la  Nouvelle-France,  en  1706. 
— Fondation  de  Louisbourg  par  M.  de  Costa  Bella — Comment  la  France 
se  ))roposc  de  peupler  l'île. — La  principale  industrie  des  habitans  est  la 
jêclie. — Commerce  qu'ils  font. — M.  de  St. -Ovide  remplace  M.  de  Costa 
Bella. — Les  habitans  de  l'Acadie,  maltraités  par  leurs  gouverneurs  et  tra- 
vaillés par  les  intrigues  des  Français,  menacent  d'émigrer  à  l'Ile-Royale. 
—  Le  comte  de  St-Pierre  forme  une  compagnie  à  Paris  en  1719,  pour  éta- 
blir l'île  St. -Jean,  voisine  du  Cap-Breton;  le  roi  concède  en  outre  à  cette 
compagnie  les  îles  iVIiscou  et  de  la  Magdeleine. — L'entreprise  échoue  par 
les  divisions  des  associés. 

Le  traité  d'Utrecht  arracha  des  mains  débiles  et  mourantes  de 
Louis  XIV  les  portes  du  Canada,  l'Acadie  et  l'île  de  Terreneuve. 
De  ce  traité  trop  fameux  date  le  déclin  de  la  monarchie  française, 
qui  marcha  dés  lors  précipitamment  vers  l'abîme  de  1792.  La 
nation  humiliée  parut  cependant  vouloir  faire  un  dernier  effort, 
pour  reprendre  vn  Amérique  la  position  avantageuse  qu'elle 
venait  de  perdre  ;  et  dans  ce  but  elle  projeta  un  système  colonial 
plus  vaste  encore  que  celui  qu'elle  avait  adopté  avant  la  guerre  ; 
c'était  de  profiter  de  l'heureuse  découverte  du  Mississipi  que  l'on 
venait  d'achever  pour  y  prendre  une  position  plus  forte  s'il  était 
possible  que  celle  que  l'on  avait  occupée  à  l'autre  extrémité  du 
continent.  Le  peuple  français  lui-même  montrait  bien  par  là 
qu'il  conservait  encore  toute  la  vigueur  et  toute  l'énergie  du  siècle 
précédent  ;  mais  le  gouvernement  n'avait  plus  ni  la  force  ni  les 
moyens  de  l'appuyer  dans  une  pareille  œuvre,  et  d'ailleurs  les 
circonstances  étaient  telles  qu'il  avait  assez  à  faire  pour  soutenir, 
à  l'exclusion  de  tout  le  reste,  les  intérêts  du  pouvoir  et  de  la 
dynastie  devenus  la  ba&e  du  système  nouveau.  Louis  XIV 
n'avait-il  pas,  par  le  traité  d'Utrecht,  acheté  le  trône  d'Espagne 
pour  sa  tamille  au  prix  de  plusieurs  de  ses  colonies,  c'est-à-dire, 
en  violant  l'intégrité  du  royaume  ? 


63 


HISTOinS   DU    CANADA. 


La  perte  des  deux  provinces  du  golfe  St. -Laurent,  laissait  le 
Canada  exposé  du  côté  de  la  mer  aux  attaques  de  la  puissance 
qui  le  touchait  déjà  du  côté  de  la  terre  ;  de  sorte  qu'en  cas  d'hos- 
tilité celle-ci  pouvait  empêcher  tout  secours  extérieur  d'y  par- 
venir, et  séparer  ainsi  Québec  de  sa  métropole.     Il  était  donc 
essentiel  pour  sa  défense  et  la  conservation  des  pêcheries,  de  se 
créer  un  nouveau  lieu  de  refuge  dans  les  mers  de  Terreneuve  et 
les  parages  du  St.-Laurent.     Il  nous  restait  encore  parmi  d'autres 
îles,  celle  du  Cap-Breton,  située  entre  l'Acadie  et  Terreneuve  les 
deux  provinces  cédées.     Cette  île  qu'on  avait  méprisée  jusqu'a- 
lors, et  que  l'on  se  trouvait  heureux  maintenant  de   posséder, 
pouvait  devenir  comme  une  double  épine  dans  le  flanc  des  nou- 
velles acquisitions  anglaises  qu'elle  séparait  en  deux.     On  planta 
donc  le  drapeau  français  sur  ses  rives  désertes,  et  on  y  commença 
des  fortifications  qui  annonçaient  par  leur  étendue  la  volonté  de 
protéger  elTicacement  l'entrée  du  St.-Laurent.     Mais  ces  travaux 
et  l'importance  que  le  Cap-Breton  prit  tout  à  coup  en  France,  y 
attirèrent  aussitôt  l'attention  de  l'Angleterre,  qui  avait  cru,  en 
s'emparant  de  l'Acadie  et  de  Terreneuve,  porter  un  coup  mortel 
à  la  Nouvelle-France.     Elle  vit  avec  surprise  envelopper  entière- 
ment ses  colonies,  et  s'élever  depuis  le  Cap-Breton  jusqu'aux 
sables  de  Biloxi  dans  la  Louisiane,  une  ceinture  de  forts  dont  les 
canons  menaçaient  tous  les  points  de  ses  vastes  frontières  colo- 
niales.    La  France  maîtresse  des  deux  grands  fleuves  de  l'Amé- 
rique septentrionale,  le  St.-Laurent  et  le  Mississipi,  qui  lui  assu- 
raient  la   plus   grande   partie   de  la  traite  avec  les  Sauvages, 
régnant  sur  deux  vallées  fertiles  de  mille  à  douze  cents  lieues  de 
développement,  dans  lesquelles  se  trouvaient  les  productions  de 
tous  les  climats,  la  France  pouvait  encore  acquérir  en  peu  d'an- 
nées assez  de  force  pour  y  être   inexpugnable.     Mais  cette 
tâche  demandait  une  direction  et  une  énergie  qu'il  était  inutile 
d'attendre  du  gouvernement.     Elle   demandait  surtout  l'envoi 
d'une  masse  Je  colons  capable  de  repousser  toute  aggression 
étrangère  sur  le  St.-Laurent  et  sur  le  Mississipi.    C'est  ce  qu'on  ne 
fit  pas.     On  crut  que  de  hautes  murailles  élevées  sur  une  plage 
solitaire  à  l'entrée   du  goife  St.-Laurent,   à   portée  de  canon 
des  vaisseaux  ennemis,  seraient  suffisantes  et  on   n'achemina 
point  d'émigration   en   Amérique.     C'était  répéter  l'oubli  du 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


68 


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Biècle  précédent,  et  inviter  l'Angleterre  et  ses  colonies  à  réunir,  à 
la  première  rupture,  leurs  efibrts  contre  le  nouveau  poste  du  Cap- 
Breton  et  môme  contre  toutes  les  possessions  françaises  de  l'Amé- 
rique du  Nord  ;  c'était  dire,  en  un  mot,  que  cette  rupture  ne  so 
ferait  pas  attendre  ;  mais  la  langueur  dans  laquelle  le  monarque  du 
Parc  aux  Cerfs  laissait  tomber  sa  puissance  i  milieu  des  dé- 
bauches, ne  permit  point  de  rien  entreprendre  pc  .,i'  faire  face  à  loua 
les  événemens  ;  ce  qui  fut  la  cause  des  désastres  dont  ces  belles  con- 
trées devinrent  le  théâtre  avant  de  passer  au:c  mains  de  l'étranger. 
Le  Cap-Breton,  situé  au  midi  de  l'île  de  Terreneuve,  dont  il 
est  séparé  par  une  des  bouches  du  St.-Laurent  de  15  à  16  lieues 
de  large,  a,  au  sud,  le  détroit  de  Canseau  d'une  lieue  de  traverse  à 
la  péninsule  acadienne,  et  à  l'ouest,  l'île  St.-Jean  ou  du  Prince- 
Edouard.  Sa  longueur  n'est  pas  tout  à  fait  de  50  lieues.  -  Sa 
ligure  à  peu  près  triangulaire  et  fort  irrégulière,  a  une  surface 
tellement  entrecoupée  de  lacs  et  de  rivières  que  les  deux  parties 
principales  ne  tiennent  ensemble  que  par  un  isthme  d'environ 
800  verges,  qui  sépare  le  port  de  Toulouse  où  est  situé  St.-Pierre, 
de  plusieurs  lacs  assez  considérables  dont  le  plus  grand  porte  le 
nom  de  Bras  d'Or.  Ces  lacs  se  déchargent  au  nord-est  dans  la 
mer. 

Le  climat  du  Cap-Breton  ressemble  à  celui  de  Québec  pour 
les  saisons,  mais  le  froid  y  est  moins  vif  en  hiver  à  cause  du  roi- 
einage  de  l'Océan,  dont  les  brumes  et  les  brouillards  voilent  sou- 
vent son  ciel  sans  altérer  sa  salubrité.  Le  sol  y  est  susceptible 
de  toutes  les  productions  du  bas  St.-Laurent,  et  les  montagnes  qui 
ont  leur  pente  au  sud,  peuvent  être  cultivées  jusqu'à  leur  som- 
met. Il  y  a  des  mines  de  charbon  de  terre  et  de  plâtre,  dont  une 
partie  amoncelée  par  bancs  au-dessus  du  sol,  est  plus  facile  à 
exploiter  que  celle  qu'il  faut  aller  chercher  dans  les  entrailles  de 
la  terre.  L'île  était  couverte  de  chênes,  de  pins,  d'érables,  de 
planes,  de  cèdres,  de  trembles,  tous  bois  propres  à  la  uonstruc- 
tion. 

Enfin  un  grand  nombre  d'excellens  ports,  tous  situés  du  côté 
de  la  pleine  mer,  complétaient  les  avantagea  de  cette  terre  avec  la 
chasse  et  la  pêche  qui  y  étaient  abondantes  alors.  Les  plus 
beauK  ports  étaient  ceux  de  Miray,  des  Espagnols,  de  Ste.-Anne  et 
surtout  celui  de  Louisbourg  qui  a  près  de  quatre  lieues  de  tour,  et 


64 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


dans  lequel  on  enire  par  un  passage  de  moins  de  quatre  cents 
verges  formé  par  deux  petites  îles.  Le  cap  Loremijec,  dont  on 
aperçoit  la  cîme  à  douze  lieues  de  distance,  indique  ce  passage  à 
la  navigation.  Le  port  de  Miray  qui  est  situé  au  nord  de  l'île 
Scatari,  peut  être  remonte  par  les  gros  vaisseaux  l'espace  de  six 
lieues,  et  celui  des  Espagnols,  aujourd'liui  Sydney,  qui  a  une 
entrée  d'environ  mille  pas  de  largeur,  se  partage  au  bout  d'une 
lieue,  en  deux  bras  de  trois  lieues  de  longueur  assez  profonds 
pour  faire  de  très  bons  havres. 

Le  Cap-Breton  n'avait  élé  fréquenté  jusqu'aux  dernières 
aimées  que  par  des  [iêchours  ou  des  traitans.  L'été,  les  premiers 
y  faisaient  sécher  leur  poisson,  l'hiver,  les  habitans  de  l'Acadie 
venaient  y  faire  !a  traite  des  pelleteries  avec  les  Lidiens.  Vers 
170o  Raudot,  intendant  de  la  Nouvelle-Fnnce.  envoya  au  minis- 
tère conjointement  avec  son  fils,  un  mémoire  sur  son  établisse- 
ment. Ce  mémoire  fort  circonstancié  nous  donne  une  opinion 
très  favorable  des  connaissances  de  ces  administrateurs.  Ils 
avaient  imaginé  un  nouveau  plan  pour  le  commerce  de  l'Amé- 
ri(|ue  du  Nord,  dans  lequel  le  Cap-Breton  devait  jouer  un  grand 
rôle  en  devenant  l'entrepôt  général  de  cette  partie  du  monde. 
L'idée  était  neuve  et  ingénieuse;  mais  elle  était  mise  au  jour 
dans  le  moment  le  moins  favorable  pour  être  bien  accueillie. 
Toutefois  elle  ne  fut  pas  entièrement  perdue  comme  on  le  verra 
plus  tard. 

Après  s'être  étendus  sur  les  motifs  qu'on  avait  eus  d'établir  le 
Canada  et  sur  le  commerce  de  pelleteries,  le  seul  dont  on  se  fût 
sérieusement  occupé  jusqu'alors,  et  auquel  on  avait  tout  sacrifié, 
ces  deux  administrateurs  disaient  que  le  temps  était  arrivé  de 
donner  une  nouvelle  base  au  négoce  de  la  Ntmvelle-France  ;  que 
la  traite  des  fourrures  devenait  de  jour  en  jour  moins  profitable  et 
cesserait  tôt  ou  tard,  que  d'ailleurs  elle  répandait  des  habitudes 
vicieuses  et  vagabondes  parmi  la  population,  qui  négligeait  la  cul- 
ture des  terres  pour  un  gain  trompeur;  qu'il  fallait  imiter  la  con- 
duite des  Américains  entre  laquelle  et  la  nôtre,  ils  faisaient  une 
co  iiparaison  dont  l'avantage  retournait  aux  premiers.  Ceux-là, 
répétaient-ils,  sans  s'amuser  à  voyager  si  loin  de  chez  eux  comme 
nous,  cultivent  leurs  terres,  établissent  des  manufactures,  des  ver- 
reries, ouvrent  des  mines,  construisent  des  navires  et  n'ont  jamais 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


es, 


regardé  les  pelleterieg  que  comme  un  accessoire.     Nous,  nous 
devrions  les  imiter  et  nous  livrer  à  un  commerce  plus  avantageux 
et  plus  durable  que  celui  que  nous  faisons  aujourd'hui.     Comme 
eux  encourageons  Pexportation  des  viandes  salées,  des  bois  de 
toutes  sortes,  du  goudron,  du  brai,  des  huiles,  du  poisson,  du 
chanvre,  du  lin,  du  fer,  du  cuivre,  etc.     A  mesure  que  le  chiffre 
des  exportations  s'élèvera,  celui  des  importations  suivra  une  mar- 
che ascendante  proportionnelle  ;  tout  le  monde  sera  occupé,  les 
denrées  et  les  marchandises  seront  abondantes,  et  par  conséquent 
à  meilleur  marché  ;  celte  activité  attirera  l'émigration,  au!j;men- 
tera  les  défrichemens,  développera  la  pêche  et  la  navigation,  et 
répandra  enfin  une  vie  nouvelle  dans  tous  les  établissemens  de 
cette  contrée  aujourd'hui  si  languissante.     Ils  démontraient  par 
un  raisonnement  parfaitement  conforme  aux  meilleurs  principes 
de  l'économie  poMtique  moderne,  les  avantages  qui  résulteraient 
de  cet  état  de  choses  pour  la  France  elle-même  ;  car  qu'on  ne 
dise  pas,  observaient-ils,  que  si   le   Cap-Breton  tire  du  Canada 
une  partie  de  ses  denrées  que  la  France  peut  lui  fournir,  c'est 
autant  de  défalqué  du  commerce  du  royaume;  celui-là  achètera 
d'autant  plus  de  marchandises  françaises  qu'il  vendra  de  produits 
de  son  propre  pays,  et  plus  les  manufactures  de  France  emploie- 
ront c'.  bras,  plus  sa  population  augmentera  et  plus  elle  consom- 
mera de  productions  agricoles.     Les  deux  Raudots  terminaient 
ce  long  document  en  insistant  avec  force  sur  la  nécessité  de  colo- 
niser le  Cap-Breton,  de  faire  un  dépôt  général  dans  cette  île  qui 
se  trouvait  entre  la  mère-patrie  et  l'Acadie,  Terreneuve  et  le 
Canada,  dans  le  centre  même  des  pêcheries.     Cette  île  pourrait 
fournir  de  son  cru,  ajoutaient-ils,  aux  unes  des  morues,  des  huiles, 
du   charbon   de   terre,   du   plâtre,    des    bois   de    construction  ; 
aux  autres,  des  marchandises  entreposées  venant  de  France, 
qu'elle  échangerait  contre  les  denrées  de  ces  diverses  provinces. 
11  y  a  plus,  disaient-ils  encore,  ce  n'est  pas  seulement  en  augmen 
tant  la  consommation  des  marchandises  en  Canada  que  l'établis- 
sement projeté  serait  utile  au  royaume,  on  pourrait  faire  passer 
aussi  des  vins,  des  eaux  de  vie,  des  toiles,  du  ruban,  des  taffetas, 
etc.,  aux  colonies  anglaises  qui  sont  très  peuplées  et  qui  en  achè- 
teraient beaucoup,  quand  même  ce  négoce  no  serait  pas  permis. 
En  un  mol  les  auteurs  du  mémoire  voulaient  faire  du  Cap-Bieton, 


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66 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


dans  les  limites  des  possessions  françaises,  ce  que  la  Grande-Bre- 
tagne est  aujourd'hui  pour  le  monde,  le  centre  du  commerce.*    Si 
nous  établissions   un  chemin  de   fer  entre  Halifax   et  l'extré- 
mité  supérieure  du  Canada,  le  projet  de  M.  Raudot  avec  la 
variante    cependant   d'Halifax    au  lieu   de   Louisbourg,   serait 
bien  près  de  sa  réalisation  puisque  la  différence  entre  les  deux 
entreprises  ne  tiendrait  qu'à  celle  des  circonstances  diverses  du 
transport  entre  ces  deux  époques.     En    1706  l'entrepôt   avait 
besoin  de  voies  liquides  pour  recevoir  et  expédier  dans  toutes  les 
directions  les  productions  et  les  marchandises.     Aujourd'hui  un 
entrepôt  peut-être  placé  aussi  bien   au  centre  d'un    continent 
qu'au  sein  d'une  mer,  parce  que  l'on  peut  sur  terre  faire  rayonner 
les  chemins  «le  fer  comme  les  vaisseaux  sur  l'Océan,  et  que  la 
vapeur  franchit  les  espaces  avec  plus  de  rapidité  encore  sur  ie 
premier  que  sur  le  dernier  élément.     Ce  projet,  MM.  Raudot 
voulaient  en  confier  l'exécution,  non  à  une  compagnie  toujours 
égoïste  et  sacrifiant  sans  cesse  l'avenir  au  présent,  mais  au  gou- 
vernement kii-môme  qu'il  priait  de  s'en  charger,  en  entrant  dans 
les  détails  les  plus  minutieux  pour  lui  en  démontrer  la  facilité  ; 
mais  la  guerre  que  la  France   soutenait  alors  contre  l'Europe 
entière  et  qui  absorbait  toute  l'énergie  et  toutes  les  ressources  du 
royaume,  avec  sa  jeunesse,  c'est-à-dire  avec  le  trop  plein  de  sa 
population,  ne  lui  laissait  ni  le  temps  ni  les  moyens  de  penser  à 
une  pareille  entreprise.     Après  la  guerre,  les  choses  ayant  subi 
des  altérations  profondes,  la  réalisation  du  projet  devenait  non 
seulement  utile,  mais  d'une  absolue  nécessité. 

L'on  commença  par  changer  le  nom  du  Cap-Breton  pour  lui 
donner  celui  d'Ile-Royale,  qu'il  n'a  conservé  que  durant  le  temps 
qu'il  BK'.  resté  entre  les  mains  des  Français.  L'on  choisit  ensuite 
pour  quartier  général  le  Havre  à  l'Anglais  dont  le  nom  fut  aussi 
remplacé  par  celui  de  Louisbourg.  Ce  port  situé  au  milieu  d'un 
terrain  stérile,  ne  pouvait  être  fortifié  qu'à  grands  frais,  parce  qu'il 
fallait  tirer  les  matériaux  de  fort  loin.  Bien  des  gens  auraient 
préféré  le  port  Ste.-Anne  plus  spacieux,  très  facile  à  rendre 
presqu'imprenable,  et  en  outre  entouré  d'un  pays  abondant  en 

•  Toutes  ces  suggestions  étaient  inutiles  quoique  fort  sages,  tant  qu'on 
n'aurait  pas  assez  d'habitans  pour  être  à  l'abri  de  la  conquête,  comme  on  l'a 
dit  tant  de  fois. 


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HISTOmS    DU   CANADA. 


67 


marbre  et  en  bois  de  commerce.  M.  de  Costa  Belle,  qui  venait 
de  perdre  son  gouvernement  de  Plaisance  cédé  aux  Anglais,  fut 
chargé  de  commencer  la  nouvelle  colonie  et  de  jeter  les  fonde- 
mens  de  Louisbourg. 

La  France  comptait  moins  sur  l'émigration  sortie  de  son  sein 
pour  peupler  l'île  et  la  ville  qu'elle  voulait  fonder,que  sur  ses  anciens 
sujets  de  l'Acadie  et  de  Terreneuve.  Elle  crut  que  leur  antipa- 
thie pour  leurs  nouveaux  maîtreslesengagerait  à  venir  s'y  établir  ; 
elle  les  y  invita  même  ainsi  que  les  Abénaquis,  comme  s'il  eût 
été  raisonnable  d'espérer  que  les  colons  allaient  encore  se  sacrifier 
pour  une  mère-patrie  qui  les  négligeait  ou  qui  ne  pouvait  les 
défendre.  Les  gouverneurs  anglais,  aveuglés  par  leurs  préjugés 
religieux  et  nationaux,  avaient  d'abord  mécontenté  par  de  mauvais 
traitemens  les  Acadiens,  qui,  dans  leur  désespoir,  menacèrent 
d'émigrer.  Mais  lorsque  ces  gouverneurs  apprirent  que  la  France 
allait  former  un  nouvel  établissement  à  côté  d'eux,  ils  se  hâtèrent 
de  changer  de  conduite  et  de  rassurer  les  colons  qui  allaient  les 
abandonner.  C'est  ainsi  que  la  Grande-Bretagne  se  conduisit 
envers  les  Canadiens  en  1774.  Lorsqu'elle  vit  ses  anciennes 
colonies  prendre  les  armes  contre  son  autorité,  elle  s'empressa  de 
leur  assurer  l'usage  de  leur  langue  et  de  leurs  institutions  natio- 
nales, pour  les  empocher  de  joindre  les  rebelles.  Plus  tard  cepen- 
dant, lorsqu'elle  crut  n'avoir  plus  besoin  d'eux,  elle  les  sacrifia  en 
les  soumettant  à  une  majorité  anglaise,  c'est-à-dire  aune  majorité 
différente,  de  langue,  de  lois  et  de  religion  ;  et  en  cela  elle  ne  fit 
que  répéter  ce  qu'elle  avait  déjà  fait  à  l'égard  des  malheureux 
Acadiens,  car  telle  est  la  justice  de  la  politique  métropolitaine 
entre  les  mains  de  laquelle  les  colons,  plus  que  tous  autres,  ne 
sont  qup  des  jouets,  une  marchandise. 

Les  Acadiens  rassurés,  comme  on  l'a  dit,  par  les  paroles  des 
gouverneurs  anglais,  ne  purent  se  résoudre  à  abandonner  leurs 
terres  sur  lesquelles  ils  jouissaient  d'une  douce  aisance,  et  se 
transmettaient  de  père  en  fils  les  mœurs  simples  et  patriarcales 
de  leurs  ancêtres.  Il  ne  s'en  trouva  qu'un  petit  nombre  qui  vou- 
lût émigrer,  les  uns  parce  qu'ils  ne  pouvaient  s'habituer  au  nou- 
veau joug,  les  autres  parce  qu'ils  avaient  peu  de  chose  à  perdre 
en  s'en  allant  ;  et  ils  vinrent  de  Terreneuve  et  de  l'Acadie  s'éta- 
blir à  Louisbourg  et  en  d'autres  endroits  de  l'île,  où  ils  formèrent 


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68 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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de  petits  villages  sans  ordre  et  dispersés  sur  le  rivage,  chanin 
choisissani  le  terrain  qui  lui  convenait  pour  la  culture  ou  la  poche. 

La  ville  de  Louisbourg  bâtie  en  bois  sur  une  lanj,'ue  de  terre 
qui  s'avance  dans  la  mer,  atteignit  une  denii-lieue  de  longueur 
dans  sa  plus  grande  prospérité.  Les  rares  maisons  de  ))ierre 
qu'on  y  voyait  appartenaient  au  gouvernement.  O.i  y  construisit 
des  cales,  c'est-à-dire  des  jetées,  qui  s'étendaient  au  loin  dans  le 
port,  pour  charger  et  décharger  les  navires.  Coniriie  le  principal 
objet  du  gouvernement  en  prenant  possession  de  l'île  était  de  s'y 
rendre  inexpugnable,  on  commença  à  fortifier  la  ville  en  17'i0. 
On  y  dépensa  des  sommes  énormes  qui  dépassèrent  trente-mil- 
lions, pour  protéger  les  pêcheries,  s'assurer  la  libre  communica- 
tion entre  la  France  et  le  Canada,  et  ouvrir  en  temps  de  guerre 
un  asile  aux  vaisseaux  venant  des  Indes  occidentales. 

La  pêche  formait  la  principale  industrie  des  habitans.  La 
traite  des  fourrures  qui  s'y  faisait  avec  quelques  î^'^auvages  Mic- 
macs était  peu  considérable.  La  population  du  Cap-Breton 
s'éleva  graduellement  à  4000  âmes.  Eile  était  presque  toute 
réunie  à  Louisbourg.  Il  n'y  avait  que  quelques  centaines  d'ha- 
bitans  dispersés  sur  les  côtes  à  de  grandes  distances  les  uns  des 
autres.  On  en  trouvait  moins  de  200  de  cette  ville  à  Toulouse, 
oti  un  pareil  nombre  à  peu  près  étaient  concentrés  et  s'occupaient 
de  culture,  alimentaient  la  capitale  de  denrées,  élevaient  des  ani- 
maux et  construisaient  des  bateaux  et  goélettes;  une  centaine 
habitaient  les  îles  rocheuses  et  arides  de  Madame,  quelques 
autres  s'étaient  répandus  sur  la  côte  à  l'Indienne,  à  la  baie  des 
Espagnols  (Sidney),  au  port  Dauphin  ainsi  qu'en  plusieurs  autres 
endroits  de  l'île.  Les  habitans  les  moins  aisés  employaient, 
suivant  Raynal,  deux  cents  chaloupes  à  la  pêche,  et  les  plus 
riches  cinquante  goélettes  de  trente  à  cinquante  tonneaux.  Les 
chaloupes  ne  quittaient  jamais  les  côtes  de  plus  de  quatre  ou  cinq 
lieues  ;  les  goélettes  allaient  jusque  sur  le  grand  banc  de  Terre- 
neuve  et  dans  l'automne  portaient  elles-mêmes  leurs  précieuses 
cargaisons  en  France  ou  dans  les  îles  de  l'archipel  du  Mexique. 
Dans  le  fait  l'Ile- 'lyale  n'était  qu'une  grande  pêcherie;  et  sa 
population,  composv^e  en  hiver  des  pêcheurs  fixes,  faisait  plus  que 
doubler  en  été  par  l'arrivée  de  ceux  de  l'Europe,  qui  s'éparpil- 
laient sur  les  grèves  pour  faire  sécher  leur  poisson.  Elle  recevait 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


69 


sa  subsistance  de  la  France  ou  des  Antilles.  Elle  tirait  de  la 
première  des  vivres,  des  boissons,  des  vête  mens  et  jusqu'à  ses 
meubles  ;  elle  faisait  ses  retours  en  envoyant  de  la  morue  dans 
une  partie  des  vaisseaux  qui  lui  apportaient  ces  marchandises,  le 
reste  allant  faire  la  pêche  pour  se  former  une  cargaison.  Elle 
expédiait  pour  les  Iles  vingt  ou  vingt-cinq  bâtimens  de  70  à  140 
ton  leaux  chargés  de  morue,  de  madriers,  de  planches,  de  mer- 
rai  i,  de  charbon  de  terre,  de  saumon,  de  maquereau  salé,  et  enfin 
d'hi  ;'e  de  poisson  ;  elle  en  rapportait  du  sucre,  du  café,  des  rums 
et  des  sirops.  Elle  parvint  à  créer  chez  elle  un  petit  commerce 
d'échange,  d'importation  et  d'exportation.  Ne  pouvant  consom- 
mer ce  T,'plle  recevait  de  France  et  des  Iles,  elle  en  cédait  une 
partie  au  Canada  et  une  autre  plus  considérable  à  la  Nouvelle- 
Angieterre,  qui  venait  les  chercher  dans  ses  navires  et  apportait 
en  paiement  des  fruits,  des  légumes,  des  bois,  des  briques,  des 
bestiaux,  et  par  contrebande,  des  farines  et  même  de  la  morue. 

Malgré  cette  apparente  prospérité,  la  plus  grande  partie  des 
habitans  languissait  dans  la  misère.  Comme  les  manufactures 
la  pêche  pour  un  riche  qu'elle  fait,  retient  des  milliers  d'hommes 
dans  l'indigence.  L'expérience  a  démontré  depuis  longtemps 
que  les  industries  qui  emploient  un  grand  nombre  de  bras,  ont 
toutes  le  même  inconvénient  grave,  la  pauvreté  excessive  des 
hommes  qu'elles  occupent.  Outre  cette  cause  à  laquelle  on  peut 
attribuer  une  partie  de  la  misère  des  colons  de  l'Ile-Royale,  les 
circonstances  dans  lesquelles  ils  étaient  venus  s'y  établir  avaient 
encore  augmenté  le  mal.  Fuyant  le  joug  étranger  en  Acadie  et  à 
Terreneuve,  ils  avaient  tout  sacrifié  pour  venir  vivre  et  mourir  sous 
le  drapeau  français,  sous  ce  drapeau  qu'ils  ne  pouvaient  oublier, 
qu'ils  ne  pouvaient  cesser  d'aimer  ;  ils  y  étaient  arrivés  dénués  de 
tout.  "  Dans  l'impuissance,  dit  l'historien  des  deux  Indes,  de  se 
pourvoir  d'ustensiles  et  des  premiers  moyens  de  pêches,  ils  les 
avaient  empruntés  à  un  intérêt  excessif.  Ceux  même  qui  n'avaient 
pas  eu  besoin  d'abord  de  ces  avances,  ne  tardèrent  pas  à  subir  la 
dure  loi  des  emprunts.  La  cherté  du  sel  et  des  vivres,  les  pêches 
malheureuses  les  y  réduisirent  peu  à  peu.  Des  secours  qu'il  fal- 
lait payer  vingt  à  vingt-cinq  pour  cent  par  année,  les  ruinèrent 
sans  ressource. 

Telle  est  à  chaque  instant  la  position  relative  de  l'indigent  qui 

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70 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


sollicite  des  secours,  et  du  citoyea  opulent  qui  ne  les  accorde  qu'à 
des  conditions  si  dures,  qu'elles  deviennent  en  peu  de  temps  fata- 
les à  l'emprunteur  et  au  créancier  ;  à  l'emprunteur,  à  qui  l'emploi 
du  secours  ne  peut  autant  rendre  qu'il  lui  a  coûté  ;  au  créancier, 
qui  finit  par  n'être  plus  payé  d'un  débiteur  que  son  usure  ne  tarde 
pas  à  rendre  insolvable.  Il  est  difficile  de  trouver  un  remède  à 
cet  inconvénient,  car  enfin  il  faut  que  le  préteur  ait  ses  sûretés, 
et  que  l'intérêt  de  la  somme  prêtée  soit  d'autant  plus  grand  que 
les  sûretés  sont  moindres." 

Le  gouvernement  du  Cap-Breton  et  de  St.-Jean  était  entière- 
ment modelé  sur  celui  du  Canada.  Le  commandant,  comme 
celui  de  la  Louisiane,  était  subordonné  au  gouverneur  général  de 
la  Nouvelle-France  résidant  à  Québec  ;  mais  vu  l'éloignement 
des  lieux,  ces  agens  secondaires  étaient  généralement  indépendans 
de  leur  principal.  Dans  ces  petites  colonies,  l'autorité  et  les  fonc- 
tions de  l'intendant  étaient  aussi  déférées  à  un  commissaire- 
ordonnateur,  fonctionnaire  qui  a  laissé  après  lui  en  Amérique  une 
réputation  peu  enviable. 

Le  fondateur  du  Cap-Breton  fut  remplacé  par  M.  de  St.-Ovide. 
En  1720,  l'Angleterre  nomma  pour  gouverneur  de  l'Acadie  et  de 
Terreneuve,  M.  Philippe  Richard,  qui  fut  bien  étonné  en  arrivant 
dans  son  gouvernement  de  trouver  les  anciens  habitans  français 
en  possession  de  leur  langue,  de  leur  religion,  de  leurs  lois,  et  en 
communication  journalière  avec  l'Ile-Royale  comme  s'ils  eussent 
encore  appartenu  à  la  France  ;  il  voulut  prendre  sur  le  champ 
des  mesures  pour  leur  anglification  en  masse,  croyant  le  moment 
venu  d'exéci''"r  ce  projet  sans  danger.  Il  commença  d'abord 
par  leur  inteiu  .e  tout  commerce  avec  le  Cap-Breton.  Il  leur  fit 
signifier  ensuite  qu'il  leur  donnait  quatre  mois  pour  prêter  le  ser- 
ment d'allégeance.  M.  de  St.-Ovide  informé  de  tout  ce  qui  se 
passait,  se  hâta  de  prévenir  les  habitans  que  s'ils  consentaient  à 
ce  qu'on  exigeait  d'eux,  ils  seraient  bientôt  privés  de  la  liberté  de 
professer  leur  religion  ;  que  leurs  enfans  abandonneraient  celle  de 
leurs  pères;  que  les  Anglais  les  traiteraient  en  esclaves,  parce  que 
leur  esprit  d'exclusion  et  leur  antipathie  naturelle  contre  les 
Français,  les  tiendraient  toujours  séparés  d'eux,  comme  les 
Huguenots,  tout  unis  qu'ils  étaient  à  ce  peuple  par  les  liens  de  la 
religion,  en  étaient  la   preuve.    Les  A.cadiens  n'avaient  pas 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


a 


attendu  ces  suggestions  de  leurs  anciens  compatriotes,  pour  répon- 
dre à  Richard  ;  ils  lui  avaient  représenté  qu''ils  étaient  restés  dana 
le  pays  à  la  condition  qu'ils  conserveraient  leurs  coutumes  et 
leurs  institutions  telles  qu'ils  l'entendraient  ;  que  sans  cela  ils  se 
seraient  retirés  en  Canada  ou  à  l'Ile-ïïoyale  comme  le  leur  per- 
mettait le  traité  d'Utrecht,  après  avoir  vendu  leurs  terrés  ;  que  là 
crainte  de  perdre  une  population  si  industrieuse  et  dé  dépeupler 
le  pays,  avait  engagé  le  gouvernement  d'alors  à  acquiescer  à  leur 
demande  ;  que  leur  demeure  avait  été  d'un  grand  avantage  pour 
les  Anglais  eux-mêmes,  parce  que  c'était  à  leur  considération  que 
les  Sauvages,  leurs  fidèles  alliés,  les  laissaient  en  repos,  ce  qui 
était  vrai.  Tls  laissèrent  entrevoir  aussi  à  l'imprudent  gouverneur 
que  s'il  persistait  à  mettre  son  projet  à  exécution  et  à  vouloir  les 
forcer  de  prêter  le  serment  de  fidélité,  ou  leur  ôter  leurs  pasteurs, 
il  pourrait  bien  exciter  une  insurrection  qui  deviendrait  formidable 
par  l'union  des  insurgés  avec  les  Indigènes  jusqu'à  la  rivière 
Kénébec.  Au  surplus  M.  de  St.-Ovide  avait  déjà  pris  des 
mesures  pour  faire  passer  les  Acadiens  dans  l'île  St.- Jean,  que 
l'on  se  proposait  aussi  d'établir.  En  présence  de  cette  opposition 
force  fut  à  Richard  d'abandonner  ses  projets  d'anglification.  Mais 
le  cabinet  de  Londres  ne  fit  qu'ajourner  sa  résolution.  L'orage 
ne  se  dissipa  alors  au-dessus  de  la  tête  des  malheureux  Acadiens 
que  pour  éclater  plus  tard  avec  plus  de  fureur  et  rendre  leur 
perte  plus  complète. 

Nous  avons  dit  que  le  gouvernement  français  avait  formé  le 
projet  d'établir  l'île  St.- Jean.  Cette  île  en  forme  d'arc  de  vingt- 
deux  lieues  de  long  sur  une  plus  ou  moins  de  large,  et  qui  est 
située  dans  le  voisinage  du  Cap-Breton,  dont  elle  peut  être  con- 
sidérée comme  une  annexe,  devait  être  en  effet  d'une  grande 
utilité.  Elle  possède  un  sol  fertile  et  des  pâturages  excellens. 
Jusqu'à  la  pacification  d'Utrecht  elle  avait  été  oubliée  comme 
l'Ile-Royale.  En  1719  il  se  forma  une  compagnie  avec  le 
double  projet  de  la  défricher  et  d'y  établir  de  grandes  pêcheries. 
C'était  à  l'époque  du  fameux  système  de  Law,  où  il  était  plus 
facile  de  trouver  des  fonds  que  de  leur  conserver  la  valeur  factice 
que  l'engouement  des  spéculateurs  y  avait  momentanément  atta- 
chée. Le  comte  de  St.-Pierre,  premier  écuyer  de  la  duchesse 
d'Orléans,  se  mit  à  la  tête  de  l'entreprise.    Le  roi  lui  concéda  les 


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72 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


îles  St.-Jean,  Miscou  et  de  la  Magdeleine.  Mais  malheureuse- 
ment l'intérêt  qui  avait  réuni  les  associés  les  divisa  aussitôt  ;  ils 
voulurent  tous  avoir  part  à  la  régie,  et  le  plus  grand  nombre 
n'avait  aucune  expérience  de  ces  sortes  d'entreprises  ;  il  va  sans 
dire  que  tout  échoua.  L'île  retomba  dans  l'oubli  d'où  on  l'avait 
momentanément  tiré  et  y  demeura  jusque  vers  1749,  que  les 
Acadiens,  fuyant  le  joug  anglais,  commencèrent  à  s'y  établir. 


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LIYRE  SEPTIEME. 


CHAPITRE  I. 


SYSTÈME  DE  LAW.— CONSPIRATION  DES  NATCHÉS. 

1712-1731. 

La  Louisiane,  ses  habitans  et  ses  limites. — M.  Crozat  en  prend  possession 
en  vertu  de  la  cession  du  roi. — M.  de  la  Motte  Cadillac,  gouverneur  ;  M. 
Duclos,  commissaire-ordonnateur. — Conseil  supérieur  établi  ;  introduction 
de  la  coutume  de  Paris. — M.  Crozat  veut  ouvrir  des  relations  commer- 
ciales avec  le  Mexique  ;  voyages  de  M.  Juchereau  de  St.-Denis  à  ce  sujet  ; 
il  échoue. — On  fait  la  traite  des  pelleteries  avec  les  Indigènes,  dont  une 
portion  embrasse  le  parti  des  Anglais  de  la  Virginie. — Les  Natchés  cons- 
pirent contre  les  Français  et  sont  punis. — Désenchantement  de  M.  Crozat 
touchant  la  Louisiane  ;  cette  province  décline  rapidement  sous  son  mono- 
pole ;  il  la  rend  (1717)  au  roi,  qui  la  concède  à  la  compagnie  d'Occident 
rétablie  par  Law. — Système  de  ce  fameux  financier. — M.  de  l'Espinay 
succède  à  M.  de  la  Motte  Cadillac,  et  M.  Hubert  à  M.  Duclos. — M.  de 
Bienville  remplace  bientôt  après  M.  de  l'Espinay. — La  Nouvelle-Orléans 
est  fondée  par  M.  de  Bienville  (1717.) — Nouvelle  organisation  de  la  colo- 
nie ;  moyen  que  l'on  prend  pour  la  peupler. — Terrible  famine  parmi  les 
colons  accumulés  à  Biloxi. — Divers  établissemens  des  Français. — Guerre 
avec  l'Espagne. — Hostilités  en  Amérique:  Pensacola,  île  Dauphine. — 
Paix.— Louis  XV  récompense  les  officiers  de  la  Louisiane^ — Traité  avec 
les  Chicachas  et  les  Natchés. — Ouragan  du  12  septembre  (1722.) — Mis- 
sionnaires.— Chute  du  système  de  Law. — La  Louisiane  passe  à  la  com- 
pagnie des  Indes. — Mauvaise  direction  de  cette  compagnie. — M.  Perrier, 
gouverneur. — Les  Indiens  forment  le  projet  de  détruire  les  Français  ; 
massacre  aux  Natchés  ;  le  complot  n'est  exécuté  que  partiellement.— 
Guerre  à  mort  faite  aux  Natchés  ;  ils  sont  anéantis,  1731. 

Les  premiers  colons  de  la  Louisiane  furent,  comme  on  l'a  vu, 
des  Canadiens.  Ce  petit  peuple  qui  habitait  l'extrémité  septen- 
trionale du  Nouveau-Monde,  sans  avoir  eu  presque  le  temps  de 
s'asseoir  sur  la  terre  qu'il  avait  défrichée,  courrait  déjà  à  l'aven- 
ture vers  des  contrées  nouvelles  ;  ses  enfans  jalonnaient  les  rives 
du  St.-Laurent  et  du  Mississipi  dans  un  espace  de  près  de  douze 
cents  lieues  !  Une  partie  disputait  les  bords  glacés  de  la  baie 
d'Hudson  aux  traitans  anglais,  tandis  qu'une  autre  guerroyait 


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74 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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avec  les  Espagnols  presque  sous  le  ciel  brûlant  des  tropiques. 
La  puissance  française  en  Amérique  semblait  reposer  sur  eux. 
Ils  se  multipliaient  avec  une  incroyable  énergie  pour  faire  face 
au  nord  et  au  sud.  Partout  pleins  de  dévouement  et  de  bonne 
volonté,  ils  se  sacrifiaient  inutilement  pour  faire  triompher  la  cause 
de  leur  patrie.  Au  nom  de  leur  roi,  ils  obéissaient  sans  calculer 
ni  les  sacrifices,  ni  les  conséquences,  et  nous  verrons  dans  le  cours 
de  ce  chapitre  que  c'est  à  eux  principalement  que  la  France  dut 
la  conservation  de  la  Louisiahe,  comme  c'était  à  eux  encore 
qu'elle  devait  celle  du  Canada  depuis  un  quart  de  siècle.  Mais 
le  flot  perpétuel  de  l'émigration  anglaise  devait  finir  par  l'empor- 
ter sur  l'oubli  de  la  France,  qui  ne  tirant  plus  d'émigrans  de  son 
sein,  dépeuplait  le  Canada  pour  peupler  les  bords  du  Mississipi. 
En  même  temps  qu'elle  fortifiait  le  Cap-Breton,  elle  s'occupait 
de  l'établissement  de  la  Louisiane,  dont  elle  réclamait  pour  terri- 
toire du  côté  du  sud  et  de  l'ouest  jusqu'à  la  rivière  Del  Norte,  et 
de  là  en  suivant  les  hauteurs  qui  séparent  cette  rivière  de  la  rivière 
Rouge  jusqu'aux  Montagnes-Rocheuses,  au  golfe  de  Californie  et 
à  la  mer  Pacifique  ;*  du  côté  de  l'est  toutes  les  terres  dont  les 
eaux  tombent  dans  le  Mississipi. 

La  Mobile  ne  conserva  guère  plus  longtemps  que  Biloxi  le 
titre  de  chef-lieu.  Les  désavantages  propres  à  cette  localité  la 
firent  abandonner  pour  l'île  Dauphine,  ou  du  Massacre,  ainsi 
nommée  à  cause  des  ossemens  humains,  restes  sans  doute  de 
quelque  tribu  détruite,  qu'on  trouva  ensevelis  sous  le  sol.  Quoique 
cette  île  très  basse  soit  couverte  d'un  sable  blanc  cristallin  si  brû- 
lant que  rien  n'y  pousse,  et  que  l'on  se  sente  saisi  à  son  aspect 
d'une  profonde  tristesse,  on  la  choisit  parce  qu'elle  possédait  un 
port. 

Le  gouvernement  absorbé  tout  entier  par  la  guerre  de  la  suc- 
cession d'Espagne,  ne  put  se  charger  de  l'établissement  de  la 
nouvelle  colonie  qti'il  abandonna  aux  efforts  des  particuliers.  Il 
existait  alors  à  Paris  un  négociant  habile  qui  avait  acquis  une 
vaste  fortune  dans  le  commerce  maritime.  Il  avait  rendu  des 
services  signalés  au  royaume  en  important  une  grande  quantité  de 
matières  d'or  et  d'argent  dans  un  temps  où  l'on  '  eirt  avait  très 
besoin.     Le  roi  l'avait  nommé  conseiller-secrétaire  de  la  maison 

♦  Carte  publiée  par  l'Académie  française. 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


75 


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et  couronne  de  France  au  ilépartomcnt  des  finances.  Ce  mar- 
chand était  M.  Crozat.  La  cour  lui  abandonna  en  1712,  pour 
seize  ans,  le  privilège  exclusif  du  commerce  de  la  Louisiane,  et 
en  pleine  propriété  l'exploitation  des  mines  de  cette  contrée  ; 
c'était  agir  contrairement  à  l'esprit  du  mémoire  de  M.  Raudot, 
dont  nous  avons  parlé  dans  le  dernier  chapitre.  M.  Crozat  qui 
n'avait  attribué  qu'à  un  système  vicieux  le  peu  de  succès  fait 
jui^qu'alors  sur  le  Mississipi,  se  mit  en  frais  d'utiliser  incessamment 
sa  gigantesque  concession. 

Louis  XIV  nomma  M.  de  la  Motte  Cadillac  gouverneur  en 
remplacement  de  M.  de  Muys,  mort  en  se  rendant  en  Amérique. 
M.  Duclos  eut  la  charge  de  commissaire-ordonnateur  à  la  place 
de  M.  d'Artaguette  rentré  en  France,  et  un  conseil  supérieur  fut 
établi  pour  trois  ans,  composé  de  ces  deux  fonctionnaires  et  d'un 
greffier  avec  pouvoir  de  s'adjoindre  des  membres.  Ce  conseil 
était  un  tribunal  général  pour  les  affaires  civiles  et  criminelles, 
grandes  ou  petites.  Il  devait  procéder  suivant  la  coutume  de 
Paris,  dont  les  lois  furent  seules  reconnues  dans  ce  pays  comme 
elles  l'étaient  déjà  en  Canada.  Cette  organisation  purement  des- 
potique, puisque  l'administration  militaire,  civile  et  judiciaire  se 
trouvait  réunie  dans  les  mêmes  mains,  ne  fait  qu'ajouter  un 
exemple  de  plus  à  ce  que  nous  avons  déjà  dit,  que  les  colonies 
françaises  furent  soumises  dans  l'origine  à  un  régime  militaire 
absolu. 

M.  de  la  Motte  Cadillac  débarqua  à  la  Louisiane  en  1713. 
Crozat  se  l'était  associé  pour  l'intéresser  à  son  commerce.  La 
nouvelle  colonie  devint  plus  que  jamais  une  exploitation  mercan- 
tile, absorbant  toute  l'attention  du  gouverneur.  Il  trouva  en  arri- 
vant que  les  colons  languissaient  plutôt  qu'ils  ne  vivaient  dans  un 
des  plus  beaux  pays  du  monde,  faute  d'avances  et  faute  de  débou- 
chés pour  leurs  denrées.  Après  avoir  jeté  les  yeux  autour  de 
lui,  il  chercha  à  établir  des  relations  avec  ses  voisins  ;  il  s'arrêta 
d'abord  aux  Espagnols.  Il  envoya  un  navire  chargé  de  marchan- 
dises à  Vera-Cruz.  Le  vice-roi  du  Mexique,  fidèle  aux  maximes 
exclusives  de  son  temps  et  de  son  pays,  défendit  le  débarquement 
et  ordonna  au  vaisseau  de  s'éloigner.  Malgré  le  mauvais  succès 
de  cette  première  tentative,  Cadillac  ne  se  découragea  pas,  et 
voulut  en  faire  une  seconde  par  terre.     Il  en  chargea  M.  Juche- 


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76 


HISTOmE   DU    CANADA. 


reau  do  St.-Dcnis,  un  des  voyageurs  canadiens  les  plus  intrépides, 
qui  était  à  la  Louisiane  depuis  quatorze  ans. 

St. -Denis  iitdeux  voyages  dans  le  Mexique,  qui  furent  remplis 
d'incidens  et  d'aventures  galantes  et  romanesques,  mais  qui  n'eu- 
rent pas  plus  de  résultat  l'un  que  l'autre.  Il  ne  fut  de  retour  du 
second  qu'en  avril  1719. 

Tandis  que  le  gouverneur  cherchait  ainsi  à  ouvrir  des  débou- 
chés avec  le  Mexique,  il  envoyait  faire  la  traite  chez  les  Natchés 
et  les  autres  nations  du  Mississipi,  où  ses  agens  trouvèrent  des 
Anglais  de  la  Virginie,  pour  lesquels  les  Chicachas  allaient  deve- 
nir de  nouveaux  Iroquois.  La  lutte  sourde  qui  existait  dans  lo 
nord  allait  se  répéter  dans  le  sud,  et  partager  les  Indigènes  entre 
les  deux  peuples  rivaux.  Bientôt  l'on  vit,  d'un  côté,  plusieurs 
tribus,  ayant  à  leur  tête  les  Alibamons  et  les  Chactas,  tomber  sur 
la  Caroline  pour  y  commettre  des  ravages  et  des  assassinats  ;  et, 
de  l'autre,  les  Natchés  tramer  la  destruction  des  Français,  qui  ne 
furent  sauvés  que  par  la  promptitude  et  la  vigueur  avec  lesquelles 
]d  gouverneur  sut  agir.  Mais  les  Natchés  furent  cruellement 
punis  de  leur  faute  ;  on  les  obligea  d'élever  de  leurs  propres  mains, 
au  miheu  de  leur  principal  village,  un  fort  pour  ceux-là  mêmes 
qu'ils  avaient  voulu  exterminer.  C'était  la  première  humiliation 
que  subissait  leur  grand  chef,  qui  prétendait  descendre  du  soleil, 
et  qui  en  portait  le  nom  avec  orgueil.  Ce  fort,  aujourd'hui  Nat- 
chez,  situé  sur  le  fleuve  Mississipi,  couronnait  un  cap  de  200 
pieds  d'élévation  ;  Bienville  lui  donna  le  nom  de  Rosalie  en  mé- 
moire de  madame  de  Pontchartrain,  dont  le  mari,  ministre  d'état, 
protégeait  la  famille  des  Lemoine  d'oiî  sortait  Bienville.  C'est 
l'année  suivante,  1715,  que  M.  du  Tisné  jeta  les  fondemens  de 
Natchitoches,  maintenant  l'une  des  villes  les  plus  florissantes  de 
l'Amérique. 

Cependant  les  grandes  espérances  que  Crozat  avait  conçues  de 
la  Louisiane,  s'étaient  dissipées  peu  à  peu  ;  il  y  avait  à  peine 
quatre  ans  qu'il  avait  cette  province  entre  les  mains,  et  déjà  son 
commerce  était  anéanti.  Le"  monopole  de  ce  grand  fermier  avait 
tout  frappé  de  mort.  Avant  sa  concession  il  s'y  faisait  quelques 
affaires.  Les  habitans  de  la  Mobile  et  dt  l'île  Dauphine  expor- 
taient des  provisions,  des  bois,  des  pelleteries  chez  les  Espagnols 
de  Pensacola,  dans  les  îles  de  la  Martinique,  de  St.-Domingue, 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


77 


et  en  Franco,  et  recevaient  en  retour  les  denrées  et  les  marchan- 
dises dont  ils  avaient  besoin  pour  leur  consommation  intérieure 
ou  pour  leur  trafic  avec  les  Indiens.  Crozat  n'y  eut  pas  plutôt 
fait  reconnaitre  son  privilège  que  cette  industrie  naisi<ante  languit 
et  mourut.  Les  vaisseaux  des  Iles  ne  parurent  plus;  il  fut  défendu 
d'aller  à  Pensacola  d'où  provenait  tout  le  numéraire  de  la  colonie, 
et  de  vendre  ses  marchandises  à  d'autres  qu'aux  agens  de  Crozat, 
qui  donnaient  les  prix  qu'ils  voulaient.  Celui  des  peilereries  fut 
fixé  si  bas  que  les  chasseurs  préférèrent  les  porter  en  Canada  ou 
dans  les  colonies  anglaises.  Le  concessionnaire,  à  l'aspect  de  la 
décadence  des  affaires,  n'en  voulut  pas  voir  la  cause  là  où  elle 
était  ;  il  adressa  représentations  sur  représentations  au  gouverne- 
ment qui  ne  les  écouta  point.  Enfin  épuisé  par  ses  avances  et 
trompé  dans  son  espoir  d'ouvrir  par  terre  et  par  merdes  commu- 
nications avec  le  Mexique  pour  y  verser  ses  marchandises  et  en 
tirer  des  métaux,  il  remit  son  privilège  plus  onéreux  que  profi- 
table au  roi,  qui  le  concéda  de  suite  à  la  compagnie  d'Occident, 
dont  le  succès  étonna  d'abord  toutes  les  nations. 

Un  aventurier  écossais  nommé  Jean  Law,  homme  plein  d'ima- 
gination et  d'audace,  cherchant  avec  avidité  l'occasion  d'attirer 
sur  lui  l'attention  de  l'Europe  par  quelque  grand  projet,  trouva 
dans  la  situation  financière  de  la  France,  un  moyen  de  parvenir 
au  but  qu'il  désirait.  Ayant  fait  une  étude  de  l'économie  politi- 
que dont  Turgot  et  Smith  devaient  faire  plus  tard  une  science,  il 
se  présenta  à  Péris  comme  le  sauveur  de  la  nation  et  le  restaurateur 
de  ses  finances  délabrées.  Quel  remède  inattendu  a-t-il  trouvé 
pour  combler  l'abîme  de  la  dette  nationale,  qui  devient  de  jour  en 
jour  plus  profond  malgré  tous  les  efforts  que  l'on  fait  pour  le  fer- 
mer ?  Le  papier  monnaie  et  les  mines  imaginaires  de  la  Louisiane. 
Le  pays  même  que  Crozat  vient  de  rejeter  avec  dégoût,  après  y 
avoir  perdu  des  sommes  considérables,  est  la  panacée  qui  doit 
produire  une  aussi  grande  merveille. 

Il  n'y  a  que  l'état  déplorable  de  la  France  à  cette  époque  qui 
ait  pu  entraîner  le  peuple,  le  roi  et  ses  ministres  dans  ces  illusions 
vers  lesquelles  ils  se  portèrent  avec  une  ardeur  qui  se  communi-- 
qua  à  d'autres  pays. 

"  Ponce  de  Léon  n'eut  pas  plutôt  abordé  à  la  Floride  en  1512, 
qu'il  se  répandit  dans  l'ancien  et  le  nouveau-monde  que  cette 


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78 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


région  était  remplie  de  métaux.  Ils  ne  furent  découverts  ni  par 
François  de  Cordoue,  ni  par  Velasquez  de  Ayllon,  ni  par  Pliilippe 
de  Narvaez,  ni  par  Ferdinand  de  Soto,  auoique  ces  honimes 
entreprenans  les  eussent  cherchés  pendant  trente  ans  avec  des 
fatigues  incroyables.  L'Espagne  avait  enfin  renoncé  à  ses  espé- 
rances ;  elle  n'avait  même  laissé  aucun  monument  de  ses  entre- 
prises ;  et  cependant  il  était  resté  vaguement  dans  l'opinion  des 
peuples  que  ces  contrées  renfermaient  des  trésors  immenses. 
Personne  ne  désignait  le  lieu  précis  où  ces  richesses  pouvaient 
être  ;  mais  cette  ignorance  même  servait  d'encouragement  à  l'ex- 
agération. Si  l'enthousiasme  se  refroidissait  par  intervalle,  ..e 
n'était  que  pour  occuper  plus  vivement  les  esprits  quelque  temps 
après.  Cette  disposition  générale  à  une  crédulité  avide,  pouvait 
devenir  un  merveilleux  instrument  dans  des  mains  habiles." 

Lavv  sut  mettre  ces  vagues  croyances  à  profit.  Ce  financier 
avait  commencé  ses  opérations  en  établissant  avec  la  permission 
du  régent  en  1716,  une  banque  possédant  un  capital  de  1200 
actions  de  mille  éous  chacune.  Cette  banque  dans  ces  sages 
limites,  augmenta  le  crédit  et  fit  un  grand  bien,  car  elle  pouvait 
laire  face  à  ses  obligations  assez  facilement:  maison  voulut  bien- 
tôt aller  plus  loin  ;  on  avait  toujours  les  yeux  tournés  vers  la 
Louisiane,  où  l'on  croyait  trouver  assez  d'or  pour  payer  les  dettes 
de  l'Etat.  Lavv  rétablit  en  1717  la  compagnie  u'Occidcnt  et  lui 
fit  donner  cette  province,  en  l'unissant  à  la  banque  et  en  lui  asso- 
ciant la  ferme  du  tabac  et  le  commerce  du  Sénégal.  Dans  la 
supposition  du  succès,  une  pareille  société  devait  dégénérer  en 
monopole.  Mais  à  cette  époque  on  était  incapable  de  juger  des 
avantages  ou  des  désavantages  de  ces  grandes  opérations  com- 
merciales ;  et  à  venir  jusqu'à  nos  jours,  les  opinions  des  hommes 
les  plus  éclairés  ont  été  opposées  et  contradictoires  sur  cette 
matière. 

Quoiqu'il  en  soit,  les  actions  de  la  compagnie  d'Occident  se 
payaient  en  billets  d'Etat  que  l'on  prenait  au  pair  quoiqu'ils  ne 
valussent  que  cinquante  pour  cent  dans  le  commerce.  Dans  un 
instant  le  capital  de  ÎOO  millions  fut  rempli  ;  chacun  s'empressait 
de  porter  un  papier  décrié,  croyant  le  voir  bientôt  racheté  er  bel 
or  de  la  Louisiane.  Les  créanciers  de  l'Etat  qui  entrevoyaient 
leur  ruine  dans  l'abaissement  graduel  des  finances,  se  prirent  à 


wmn 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


79 


cette  spéculation,  comme  à  leur  seul  moyen  de  salut.  Les  riches 
entraînés  par  le  désir  d'augmenter  leur  fortume,  s'y  lancèrent 
avec  des  rêves  dont  Lavv  avait  soin  de  nourrir  la  cupide  extrava- 
gance. "  Le  Mississipi  devint  un  centre  où  toutes  les  espérances, 
toutes  les  combinaisons  se  réunissaient.  Bientôt  des  hommes 
riches,  puissans,  et  qui  pour  la  plupart  passaient  pour  éclairés,  ne 
se  contentèrent  pas  de  participer  au  gain  général  d  i  monopole, 
ils  voulurent  avoir  des  propriétés  particulières  dans  une  région  qui 
passait  pour  le  meilleur  pays  du  monde.  Pour  l'exploitation  de 
ces  domaines,  il  fallait  des  bras  :  la  France,  la  Suisse  et  l'Alle- 
magne fournirent  avec  abondanc.  des  cultivateurs,  qui,  après  avoir 
travaillé  trois  ans  gratuitement  pour  cQlui  qui  aurait  fait  les  frais 
de  leur  transportation,  devaient  devenir  citoyens,  posséder  eux- 
mêmes  des  terres  et  les  défricher." 

Cependant  le  gouverneur  et  le  commissaire-ordonnateur  avaient 
été  changés.  M.  de  la  Motte  Cadillac  avait  eu  pour  successeur 
M.  de  l'Espinay  ;  M.  Duclos,  M.  Hubert  ;  mais  quelque  temps 
après  l'on  donna  à  ces  deux  fonctionnaires  un  supérieur  dans  la 
personne  de  M.  de  Bienville.  qui  fut  nommé  commandant 
général  de  toute  la  contrée.  Les  Français  occupaient  alors 
Biloxi,  l'île  Dauphine,  la  Mobile,  Nutchez  et  Natchitoches  sur  la 
Rivière-Rouge.  Ils  avaient  aussi  commencé  des  établissemens 
sur  plusieurs  autres  points.  Biloxi  était  redevenu  chef-lieu,  et  l'île 
Dauphine  qui  avait  perdu  son  port  peu  rpiv;s  son  établissement, 
par  un  coup  de  mer  qui  en  avait  fermé  l'entrée,  avait  été  aban- 
donnée pour  l'Ile  aux  Vaisseaux.  L'obstination  que  l'on  mettait 
à  demeurer  sur  une  côte  stérile,  pour  ne  pas  s'éloigner  de  la  mer, 
démontre  que  le  but  de  la  colonisation  avait  été  jusque  là  plutôt 
commercial  qu'agricole.  Enfin  l'on  commença  à  croire  que  les 
bords  du  Mississipi  présentaient  de  plus  grands  avantages  pour  la 
situation  d'une  capitale,  et  l'on  résolut  d'aller  chercher  un  asile 
sur  la  rive  gauche  de  ce  fleuve,  dans  un  endroit  que  B.;  nville  avait 
déjà  remarqué  à  trente  lieues  de  l'Océan.  Ce  gouverneur  avec 
quelques  pauvres  charpentiers  et  faux-sauniers  y  jeta,  en  1717, 
les  fondemens  d'une  ville  qui  est  aujourd'hui  comme  NatcM- 
toches,  l'une  des  plus  populeuses  et  des  plus  riches  du  Nouveau- 
Monde.  Il  lui  donna  le  nom  de  Nouvelle-Orléans  en  l'honneur 
du  duc  d'Orléans,  régent  du  royaume.    La  Louisiane  avait  eu 


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80 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


pour  fondateur  un  Canadien  illustre  dans  nos  annales;  la  capitale 
de  ce  beau  pays  allait  à  son  tour  devoir  également  son  existence 
à  un  de  nos  compatriotes.  M.  de  Pailloux  fut  nommé  gouver- 
neur de  la  nouvelle  ville,  où  arriva  l'année  suivante  un  vaisseau 
qui  fut  agréablement  surpris  de  trouver  seize  pieds  d'eau  dans 
l'endroit  le  moins  profond  du  Mississipi.  On  ne  croyait  pas  ce 
fleuve  navigable  si  haut  pour  les  gros  navires.  On  ne  trans- 
féra cependant  qu'en  1722  le  gouvernement  à  la  Nouvelle- 
Orléans.  On  ne  pouvait  se  résoudre  à  perdre  la  mer  de  vue  à 
la  Louisiane,  tandis  qu'en  Canada  l'on  cherchait  au  contraire  à 
s'en  éloigner  en  s'élevant  toujours  sur  le  St.-Laurent  pour  suivre 
la  traite  des  pelleteries  daos  les  forêts. 

La  compagnie  d'Occident  n'avait  pas  été  plutôt  en  possession 
de  cette  fertile  contrée  qu'elle  avait  travaillé  à  organiser  un  nou- 
veau gouvernement,  et  surtout  un  système  d'émigration  qui  put 
assurer  le  rapide  établissement  des  terres,  et  l'exploitation  des 
mines  abondantes  dont  les  précieuses  richesses  devaient  payer  la 
dette  nationale. 

Dans  la  nouvelle  organisation  Bienville  fut  maintenu  à  la  tête 
de  l'administration  comme  gouverneur-général  et  directeur  de  la 
compagnie  en  Amérique  ;  M.  de  Pailloux  fut  nommé  major- 
général  ;  Dugué  de  Boisbriand,  commandant  aux  Illinois,  et 
Diron,  frère  de  l'ancien  commissaire-ordonnateur,  inspecteur- 
général  des  troupes. 

La  Louisiane  avait  été  cédée  à  la  compagnie  en  1717  ;  dès  le 
printemps  suivant  huit  cents  colons  quittaient  la  Rochelle  sur 
trois  vaisseaux  pour  aller  s'y  établir.  Il  y  avait  parmi  eux  des 
gentilshommes  et  d'anciens  officiers,  au  nombre  desquels  était 
Lepage  Dupratz  qui  a  laissé  d'intéressans  mémoires  sur  les  évé- 
nemens  de  son  temp'^  dans  cette  contrée.  Cette  émigration  se 
dispersa  sur  différens  points.  Les  gentilshommes  étaient  partis 
avec  l'espoir  d'obtenir  des  seigneuries  en  concession,  et  d'in- 
troduire dans  la  nouvelle  province  une  hiérarchie  nobiliaii»; 
comme  il  s'en  formait  une  en  Canada.  Law  lui-môme  voulut 
donner  l'exemple.  Il  obtint  une  terre  de  quatre  lieues  en  carré, 
à  Arkansas,  qui  fut  érigée  en  duché  et  sur  laquelle  il  ache- 
mina quinze  cents  hommes.  Allemands  et  Provençaux,  pour  la 
peupler.    Il  se  proposait  de  faire  suivre  cette  première  émigra- 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


81 


tion  par  6000  Allemands  du  Palatinat,  lorsqu'on  1720  croula  sa 
puissance  éphémère  et  avec  elle  l'échafaudage  de  ses  magnifiques 
projeta  qui  laissèrent  sur  la  France  les  ruines  de  la  fortune  publique 
et  particulière.     Le  contrecoup  de  cette  grande  chute  financière, 
qui  n'avait  encore  rien  eu  de  pareil  chez  les  modernes,  ébranla 
profondément  la  jeune  colonie,  et  l'exposa  aux  désastres  les  plus 
déplorables.     Des  colons  rassemblés  à  grands  frais  plus  de  mille 
furent  perdus  avant  l'embarquement  à  Lorient.     "  Les  vaisseaux 
qui  portaient  le  reste  ne  firent  voile  des  ports  de  France  qu'en 
1721,  un  an  après  la  disgrâce  du  ministre  ;  et  il  ne  put  donner 
lui-même  aucune  attention  à  ce  débris  de  sa  fortune.     La  conces- 
sion fut  transportée  à  la  compagnie."     La  compagnie  ne  donna 
point  d'ordre  pour  faire  cesser  l'acheminement  des  colons  sur 
l'Amérique.     Une  fois  en  route  ces  malheureux  ne  pouvaient 
arrêter,  et  la  chute  du  système  les  laissait  sans  moyens  d'exis- 
tence.    On  les  entassait  sans  soin  et  sans  choix  dans  des  navires 
et  on  les  jetaient  sur  la  plage  de  Biloxi,  d'où  ils  se  transportaient 
comme  ils  pouvaient  dans  les  différens  heux  de  leur  destination. 
L'on  n'avait  pas  à  Biloxi  assez  d'embarcations  pour  suffire  à  les 
monter  sur  le  Mississipi.     Il  y  eut  ent     ibrement,  les  provisions 
manquèrent  et  la  disette  apparut  avec  toutes  ses  horreurs  ;  on 
n'eut  plus  pour  vivre  que  les  huîtres  que  l'on  péchait  sur  le  bord 
de  la  mer.     Plus  de  cinq  cents  personnes  moururent  de  faim. 
L'ennui  et  le  chagrin  en  conduisirent  beaucoup  d'autres  au  tom- 
beau.   La  mésintelligence,  la  discorde,  suite  ordinaire  du  malheur, 
s'empara  du  reste  ;  l'on  forma  des  complots,  et  l'on  vit  une  com- 
pagnie de  troupes  Suisses  qui  avait  reçu  ordre  de  se  rendre  à  la 
Nouvelle-Orléans,  passer,  officiers  en  tête,  à  la  Caroline  chez  les 
Anglais. 

Tant  de  désastres  firent  abandonner  enfin  Biloxi,  cette  rive 
funeste,  et  la  Nouvelle-Orléans  devint  définitivement  la  capitile 
de  la  Louisiane. 

Il  ne  faut  pas  croire  néanmoins  que  tous  ces  efforts,  tout  mal 
diiigés  qu'ils  fussent,  soient  demeurés  sans  fruit.  Nombre  d'établis- 
se  aens  commencés  alors,  au  milieu  du  deuil  et  des  larmes,  réus- 
sirent et  ont  pris  aujourd'hui  un  développement  considérable. 
Sans  doute  l'on  eût  pu  faire  mieux,  mais  Raynal  exagère  singu- 
lièrement le  mal.    Une  colonisation  forte,  permanente,  puissante, 


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82 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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s'opère  graduellement,  se  consolide  par  ses  propres  efforts  et  la 
jouissance  d'une  certaine  liberté.  Ne  fut-il  mort  personne  à 
Biloxi,  les  émigrans  eussent-ils  été  tous  des  cultivateurs  laborieux, 
intelligens,  persévérans,  et  l'on  sait  que  ces  qualités  manquaient 
à  un  grand  nombre,  le  succès  prodigieux  qu'on  attendait  ne  se 
serait  pas  encore  réalisé  :  on  a  vu  jusqu'à  quel  degré  on  avait 
élevé  les  espérances  de  la  France.  Il  n'y  avait  pas  jusqu'aux 
petits  maîtres  des  salons  de  Paris  qui  ne  fussent  pris  d'enthou- 
siasme. Les  mines  du  Mississipi  devaient  payer  la  dette  natio- 
nale ;  la  Louisiane  elle-même  dans  l'esprit  de  ces  faiseurs  de 
projets  allait  à  jour  donné  relever  le  commerce  français  et  former 
un  empire  capable  de  lutter  avec  celui  qui  se  formait  entre  elle 
et  le  Canada.  On  fut  trompé,  comme  on  devait  l'être,  dans  toutes 
ceo  espérances.  Le  désappointement  qu'on  en  éprouva  fit  une 
si  vive  impression  sur  les  esprits,  que  longtemps  après  il  influen- 
çait encore  la  plume  irritable  de  l'historien  des  deux  Indes,  et  que 
le  sage  Barbé-Marbois  ne  put  au  bout  d'un  siècle  échapper  tout- 
à-fait  à  l'impression  qu'il  avait  laissée  dans  sa  patrie. 

"  Dans  leur  appréciation  du  système  de  Lavv,  les  uns  comme 
M.  Barbé-Marbois,  disent  qu'après  avoir  persuadé  aux  gens  cré- 
dules que  la  monnaie  de  papier  peut,  avec  avantage,  tenir  lieu  des 
espèces  métalliques,  l'on  tira  de  ce  faux  principe  les  conséquen- 
ces les  plus  extravagantes,  qu'elles  furent  adoptées  par  l'ignorance 
et  la  cupidité,  et  peut-être  par  Law  lui -môme,  car  il  portait  de 
l'élévation  et  de  la  franchise  jusque  dans  ses  erreurs. 

"  Les  hommes  éclairés  résistèrent  cependant,  et  beaucoup  de 
membres  du  parlement  de  Paris  opposaient  à  ses  impostures  les 
leçons  de  l'expérience.  Vaine  sagesse  !  Jean  Law  parvint  à 
persuader  au  public  que  la  valeur  de  ses  actions  était  garantie  par 
des  richesses  inépuisables  que  recelaient  des  mines  voisines  du 
Mississipi.  Cea  chimères  appelées  du  nom  de  système  de  Law, 
ne  différaient  pas  beaucoup  de  celles  qu'on  s'est  efforcé  de  nos 
jours  de  reproduire  sous  le  nom  de  Crédit.  Quelques-uns  ont 
prétendu  que  tant  d'opérations  injustes,  tant  de  violations  des 
engagemens  les  plus  solennels,  étaient  le  résultat  d'un  dessein 
profondement  médité,  et  que  le  régent  n'y  avait  consenti  que 
pour  libérer  l'Etat  d'une  dette  dont  le  poids  était  devenu  insup- 
portable.   Nous  ne  pouvons  adopter  cette  explication.     Il  est 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


83 


plus  probable  qu'après  être  entré  dans  une  voie  pernicieuse,  ce 
prince  et  son  conseil  furent  conduits  de  faute  en  faute  à  pallier 
un  mal  par  un  mal  plus  grand  et  à  tromper  le  public  en  se  faisant 
illusion  à  eux-mêmes.  Si  au  contraire  ils  avaient  agi  par  suite 
d'une  mesure  préméditée,  il  y  aurait  encore  plus  de  honte  dans 
cet  artifice  que  dans  la  franche  iniquité  du  Directoire  de  France, 
quand  en  1797  il  réduisit  au  tiers  la  dette  publique." 

D'autres  ayant  Say  à  leur  tête,  attribuent  le  naufrage  du  systè- 
me à  une  autre  cause.  "  Les  gouvernemens  qui  ont  mis  en  cir- 
culation, dit  cet  économiste,  des  papiers-monnaies,  les  ont  toujours 
présentés  comme  des  billets  de  confiance,  de  purs  effets  de  com- 
merce, qu'ils  alTcctaient  de  regarder  comme  des  signes  représen- 
tatifs d'une  matière  pourvue  de  valeur  intrinsèque.  Tels  étaient 
les  billets  de  la  banque  formée,  en  1716,  par  l'Ecossais  Law,  sous 
'autorité  du  régent.     Ces  billets  étaient  ^insi  conçus  : 

La  banque  promet  de  payer  aie  porteur  à  vue.,.,  livres,  en 
monnaie  de  même  poids  et  au  même  titre  que  la  'monnaie  de  ce 
jour,  valeur  reçue,  à  Paris,  etc. 

La  banque,  qui  n'était  encore  qu'une  entreprise  particulière, 
payait  régulièrement  ses  billets  chaque  fois  qu'ils  lui  étaient  pré- 
sentés. Ils  n'étaient  point  encore  un  papier-monnaie.  Les 
choses  continuèrent  sur  ce  pied  jusqu'en  1719  et  tout  alla  bien.* 
A  cette  époque,  le  roi,  ou  plutôt  le  régent  remboursa  les  action- 
naires, prit  l'établissement  entre  ses  mains,  l'appela  banque 
royale,  et  les  billets  s'exprim  Jrent  ainsi  : 

"  La  banque  promet  de  payer  au  porteur  à  vue....  livres,  en 
ESPECES  d'argent,  Valeur  reçue  à  Paris,  etc. 

"  Ce  changement,  léger  en  apparence,  était  fondamental.  Les 
premiers  billets  stipulaient  une  quantité  fixe  d'argent,  celle  qu'on 
connaissait  au  moment  de  la  date  sous  la  dénomination  d'une 
livre.  Les  seconds  ne  stipulant  que  des  livres,  admettaient  tou- 
tes les  variations  qu'il  plairait  au  pouvoir  arbitraire  d'introduire 
dans  la  forme  et  la  matière  de  ce  qu'il  appellerait  toujours  du 
nom  de  livres.  On  nomma  cela  rendre  le  papier-monnaie ^a;e  : 
c'était  au  contraire  en  faire  une  monnaie  infiniment  plus  suscep- 
tible de  variations,  et  qui  varia  bien  déplorablement.     Law  s'op- 

•  Voyez  dans  Diitot,  volume  II,  page  200,  quels  furent  les  très  bons  effets 
du  système  dans  ses  commencemens. 


84. 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


posa  avec  force  à  ce  changement:  les  principes  furent  obligés  de 
céder  au  pouvoir,  et  les  fautes  du  pouvoir,  lorsqu'on  en  sentit  les 
fatales  conséquences,  furent  attribuées  à  la  fausseté  des  principes." 

Telles  sont  les  opinions  d'un  homme  d'état  et  d'un  économiste 
célèbre.  L'un  et  l'autre,  trop  exclusifs  dans  leurs  idées,  n'ont 
peut-être  pas  dit  toute  la  vérité.  Say,  ne  faisant  aucune  atten- 
tion aux  entreprises  étrangères  à  la  banque  de  Law,  semble  attri- 
buer uniquement  sa  catastrophe  à  l'altération  des  monnaies. 
Marbois  partant  d'un  autre  principe,  l'impute  à  la  base  chiméri- 
que donnée  à  cette  banque,  en  la  faisant  dépendre  du  succès  des 
compagnies  orientale  et  occidentale  rétablies  ou  formées  par  le 
financier  étranger.  On  pourrait  dire  plutôt  que  le  système  de 
Law  était  prématuré  pour  la  France  ;  et  qu'il  ne  pouvait  convenir 
qu'à  une  nation  très  commerçante  et  qui  fût  déjà  familière  avec 
les  opérations  financières  et  le  jeu  du  crédit  public.  Or  l'on  sait 
que  les  Français  en  général  ne  l'étaient  pas  à  cette  époque. 
C'était  là  la  grande  faute  du  système,  qui  commença  à  éclairer  la 
France,  dit  Voltaire,  en  la  bouleversant.  Avant  lui,  "  il  n'y  avait 
que  quelques  négocians  qui  eussent  des  idées  nettes  de  tout  ce  qui 
concerne  les  espèces,  leur  valeur  réelle,  leur  valeur  numéraire, 
leur  circulation,  le  change  avec  l'étranger,  le  crédit  public  ;  ces 
objets  occupèrent  la  régence  et  le  parlement. 

"  Adrien  de  INoailles  duc  et  pair,  et  depuis  maréchal  de 
France,  était  chef  du  conseil  des  finances Au  commence- 
ment de  ce  ministèrel'Etatavait  à  payer  900  milHons  d'arrérages  ; 
et  les  revenus  du  roi  ne  produisaient  pas  69  millions  à  30  francs 
le  marc.  Le  duc  de  Noailles  eut  recours  en  1716  à  l'établisse- 
ment d'une  chambre  de  justice  contre  les  financiers.  On  recher- 
cha les  fortunes  de  4410  personnes,  et  le  total  de  'eurs  taxes  fut 
environ  de  219  millions  400  mille  livres;  mais  âà  cette  somme 
immense,  il  ne  rentra  que  70  millions  dans  les  coffres  du  roi.  Il 
fallait  d'autres  ressources." 

On  s'adressa  au  commerce.  Il  était  peu  considérable  compa- 
rativement parlant  ;  les  guerres  l'avaient  ruiné,  on  voulut  le  faire 
grandir  tout-à-coup  en  formant  un  crédit  factice,  comme  si  le  com- 
merce était  fondé  sur  le  crédit  et  non  le  crédit  sur  le  commerce. 
On  oublia  qu'il  manquait  à  la  France  un  capital  réel,  très  réel  ; 
l'esprit  d'entreprise  et  d'industrie.    Law  avait  se.ti  le  vice  de  la 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


85 


situation,  c'est  pour  cela  qu'il  faisait  de  si  grands  efforts  pour  aug- 
menter le  négoce  du  royaume  en  activant  l'établissement  des  pos- 
sessions d'outre-mer.  Mais  les  ressources  dont  il  jetait  ainsi  la 
semence  allaient  venir  trop  tard  à  son  secours  ;  et  d'ailleurs  dans 
son  ardeur  fiévreuse,  il  s'en  était  laissé  imposer  sur  les  avantages 
que  présentait  le  Nouveau-Monde.  Il  crut  ou  feignit  de  croire 
que  la  Louisiane  renfermait  des  richesses  métalliques  inépuisa- 
bles et  capables  de  suppléer  à  tous  les  besoins.  Il  se  trompa. 
On  a  pu  voir  ce  qu'était  cette  contrée  et  ce  que  l'on  pouvait 
attendre  d'elle.  Force  fut  donc  à  Lavv,  faute  d'un  Pérou,  faute 
de  marchandises,  faute  d'industrie,  faute  enfin  d'autres  valeurs 
réelles,  d'asseoir  son  papier-monnaie  sur  le  numéraire  seulement 
qu'il  y  avait  en  France.  Or  ce  papier  il  fallut  l'augmenter,  on 
altéra  les  espèces  en  leur  donnant  une  valeur  factice  ;  de  là  la 
ruine  du  système;  cette  opération  absurde  amena  une  banque- 
route. L'on  s'aperçut  alors  que,  relativement  à  la  Louisiane  du 
moins,  le  système  était  fondé  sur  une  chimère. 

Après  cette  catastrophe  la  compagnie  d'Occident,  cessionnaire 
de  tous  les  droits  de  Law,  n'en  conserva  pas  moins  la  possession 
du  pays,  qu'elle  continua  de  gouverner  et  d'exploiter  comme  un 
monopole.  Ce  système  avait  déjà  coûté  25  millions.  "  Les 
administrateurs  de  l;,  compagnie  qui  faisait  ces  énormes  avances, 
avaient  la  folle  prétention  de  former  dans  la  capitale  de  la  France 
le  plan  des  entreprises  qui  convenaient  à  ce  nouveau  monde.  De 
leur  hôtel,  on  arrangeait,  on  façonnait,  on  dirigeait  chaque  habi- 
tant de  la  Louisiane  avec  les  gènes  et  les  entraves  qu'on  jugeait 
bien  ou  mal  favorables  au  monopole.  Pour  en  cacher  les  cala- 
mités on  violait,  on  interceptait  la  correspondance  avec  la 
France."  Les  morts  et  les  vivans,  disait  Lepage  Dupratz,  sont 
également  à  ménager  pour  ceux  qui  écrivent  les  histoires  moder- 
nes, et  la  vérité  que  l'on  connaît  est  d'une  délicatesse  à  exprimer 
qui  fait  tomber  la  plume  des  mains  de  ceux  qui  l'aiment.  Quant 
à  l'établissement  du  pays  par  l'émigration  des  classes  agricoles  de 
France,  outre  qu'il  n'y  avait  pas  de  surabondance  de  population, 
le  régime  féodal  y  mettait  obstacle.  Les  nobles  et  le  clergé,  pos- 
sesseurs du  sol  et  du  gouvernement,  n'avaient  garde  de  favoriser 
l'éloignement  des  cultivateurs,  et  d'acheminer  leurs  vassaux  dont  ils 
liraient  toute  leur  fortune  sur  le  Nouveau-Monde.     Aussi  très 

M 


86 


IIISTOIRE    DU    CANADA. 


peu  de  paysans  français  ont-ils  jamais  quitté  le  champ  paternel 
pour  venir  en  Amérique  à  aucune  époque.  En  un  mot,  rien  en 
France  au  commencement  du  dernier  siècle  n'était  capable  de 
donner  une  forte  impulsion  à  la  colonisation. 

Malgré  ces  entraves,  malgré  toutes  ces  fautes  et  les  malheurs 
qui  en  furent  la  suite,  l'on  fit  encore  plus  cependant  qu'on  n'aurait 
pu  l'espérer,  et  les  établissemens  formés  en  différens  endroits  de 
la  Louisiane,  assurèrent  la  possession  de  cette  province  à  la 
France.  L'hostilité  de  l'Espagne,  les  armes  des  Sauvages  et 
la  jalousie  dos  colonies  anglaises  ne  purent  lui  arracher  un  pays 
qu'el'        nserva  encore  longtemps  après  avoir  perdu  le  Canada. 

Ov  „  les  cinq  ou  six  principaux  établissemens  dont  on  a  parlé, 
dans  la  Louisiane,  l'on  en  avait  encore  commencé  d'autres  aux 
Yasous,  au  Baton-Rouge,  aux  Bayagoulas,  aux  Ecores-Blancs,  à 
la  Pointe-Coupée,  à  la  Rivière-Noire,  aux  Paska-Ogoulas  et  jus- 
que vers  les  Illinois.  C'était  occuper  le  pays  sur  une  grande 
échelle  ;  et  toutes  ces  diverses  plantations  se  maintinrent  et  fini- 
rent la  plupart  par  prospérer. 

Pendant  que  Law  était  tout  rempli  de  ses  opérations  finan- 
cières, des  événemens  survenus  en  Europe  avaient  mis  les  armes 
aux  mains  de  deux  nations  qui  semblaient  devoir  être  des  alliés 
inséparables,  depuis  le  traité  des  Pyrénées,  la  France  et  l'Es- 
pagne. Albéroni  fut  le  principal  auteur  de  cette  levée  de  bou- 
cliers funeste  pour  le  pays  qu'il  servait  et  pour  lui-même. 

Albéroni,  observe  un  auteur  moderne,  avait  les  projets  les  plus 
ambitieux  et  les  plus  vastes  ;  autrefois  prêtre  obscur  dans  l'Etat 
de  Parme,  espion  et  flatteur  du  duc  de  Vendôme,  qu'il  suivit  en 
Espagne,  il  était  parvenu  de  cette  vile  condition  à  la  plus  haute 
fortune  ;  il  était  cardinal  et  ministre  absolu  du  faible  Philippe  V, 
qu'il  gouvernait  de  concert  avec  la  reine^  et  voulait  relever  la  puis- 
sance espagnole  pour  accroître  la  sienne  ;  il  semblait  enfin  aspirer 
à  jouer  le  rôle  d'un  Richelieu.  L'Angleterre,  la  France,  l'Empire 
et  la  Hollande  conclurent  à  Londres  en  1718,  un  nouveau  traité 
qui  reçut  le  nom  de  quadruple  alliance.  L'empereur  y  renonça 
pour  lui-même  et  pour  ses  successeurs,  à  toute  prétention  à  la 
couronne  d'Espagne,  à  condition  que  Philippe  V  lui  restituerait 
la  Sicile  et  remettrait  la  Sardaigne  au  duc  de  Savoie.  On  somma 
le  roi  d'Espagne  d'accéder  à  ce  traité  dans  le  délai  de  trois  mois  ; 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


87 


mais  Albéroni  conspirait  alors  avec  la  duchesse  du  Maine  contre 
le  régent,  et  reçut  cette  proposition  avec  une  hauteur  insolente. 
Tout  était  préparé  pour  le  succès  de  son  projet  :  des  troupes 
espagnoles  devaient  être  jetées  en  Languedoc  et  en  Bretagne,  où 
existaient  déjà  des  germes  de  révolte  ;  on  s'emparerait  du  régent, 
qu'on  renfermerait  dans  une  forteresse  ;  on  convoquerait  les 
Etats-Généraux  ;  on  obtiendrait  l'annulation  des  traités  de  Lon- 
dres et  de  La  Haye  ;  on  ferait  déclarer  le  duc  d'Orléans  déchu 
de  son  droit  de  succession  à  la  couronne,  et  la  régence  serait 
déférée  à  Philippe  V,  qui  se  trouverait  alors  sur  les  premiers 
degrés  d'un  trône  auquel  il  tenait  bien  plus  qu'à  la  couronne  que 
son  aïeul  Louis  XIV  avait  placée  sur  sa  tête.  Le  prince  de 
Cellamare,  ambassadeur  d'Espagne,  était  l'agent  accrédité  de 
cette  conspiration,  dans  laquelle  la  duchesse  du  Maine  avait 
entraîné  quelques  grands  seigneurs  et  beaucoup  d'intrigans  subal- 
ternes. Tout  le  secret  de  l'affaire  fut  découvert  dans  les  papiers 
d'un  abbé  Porto-Carré ro,  qu'on  arrêta  sur  la  route  d'Espagne,  où 
il  se  rendait  pour  prendre  les  derniers  ordres  d' Albéroni. 

Le  régent  dès  qu'il  fut  instruit  du  complot  montra  la  plus 
grande  vigueur.  Il  fit  arrêter  l'ambassadeur  de  Philippe  V  ;  il  fit 
punir  les  complices  de  la  duchesse  du  Maine,  puis  il  déclara  la 
guerre  à  l'Espagne  qui  se  trouva  avoir  la  France  et  l'Angleterre 
sur  les  bras,  l'Angleterre  comme  signataire  du  traité  de  la  qua- 
druple alliance  et  parce  qu' Albéroni  avait  cherché  à  y  ranimer  le 
parti  du  prétendant,  le  prince  Charles,  auquel  il  avait  offert 
des  secours.  Les  Espagnols  furent  partout  malheureux  ;  ils 
furent  battus  sur  mer  par  les  Anglais,  et  sur  terre  par  les 
troupes  françaises  qui  envahirent  leur  pays,  conduites  par  le 
maréchal  de  Bervvick.  Ils  reçurent  aussi  des  échecs  en  Amé- 
rique, où  M.  de  Sérigny  fut  envoyé  avec  trois  vaisseaux  pour 
s'emparer  de  Pensacola  que  l'on  trouvait  trop  rapproché  de 
la  Louisiane,  et  que  d'ailleurs  l'on  convoitait  depuis  longtemps, 
parceque  c'était  le  seul  port  qu'il  y  eût  sur  toute  cette  côte  depuis 
le  Mississipi  jusqu'au  canal  de  Bahama.  Don  Jean  Pierre  Mata- 
moras  y  commandait.  Attaquée  en  1719  du  côté  de  terre 
par  700  Canadiens,  Français  et  Sauvages,  sous  les  ordres  ue  M. 
de  Chateauguay,  et  du  côté  de  la  mer  par  M.  de  Sérigny,  la 
place  se  rendit  après  quelque  résistance.     La  garnison  et  une 


88 


IIISTOmE    DU    CANADA. 


partie  des  hab'tans  furent  embarquées  sur  deux  navires  français 
pour  la  Havane.  Mais  ces  doux  navires  étant  tombés  en  route 
au  milieu  d'une  flotte  espagnole,  furent  enlevés  et  entrèrent 
comme  prises  là  où  ils  croyaient  paraître  en  vainqueurs. 

La  nouvelle  de  la  reildition  de  Pensacola  fit  une  grande  sensa- 
tion dans  la  Nouvelle-Espagne  et  au  Mexique.  Le  vice-roi,  le 
marquis  de  Valero,  résolut  aussitôt  de  reprendre  cette  ville.  Il 
mit  pour  cela  en  mouvement  toutes  les  forces  de  terre  et  de  mer 
dont  il  pouvait  disposer,  et  dès  le  mois  de  juin  don  ^  'phonse 
Carrascosa  paraissait  devant  ses  murs  avec  3  frégates,  12  navires 
et  9  balandres  portant  850  hommes  de  débarquement.  A  la  vue 
des  Espagnols,  une  partie  de  la  garnison  composée  de  déserteurs, 
de  faux-sauniers  et  autres  gens  de  cette  espèce,  passa  à  l'ennemi 
et  le  reste,  après  s'être  à  peine  défendu,  força  M.  de  Chateauguay 
à  se  rendre.  La  plupart  de  ces  misérables  entrèrent  ensuite  au 
service  des  Espagnols  pendant  que  les  autres  jetés  pieds  et 
poings  liés  au  fond  des  vaisseaux  étaient  emmenés  prisonniers. 
Don  Matamoras  fut  rétabli  dans  son  gouvernement  et  laissé  avec 
une  garnison  suflisante. 

Après  cette  victoire,  le  vice-roi  encouragé  par  la  facilité  avec 
laquelle  on  l'avait  remportée,  résolut  de  profiter  du  succès  pour 
chasser  les  Français  de  tout  le  golfe  du  Mexique.  Carrascosa 
tourna  en  conséquence  ses  voiles  vers  l'île  Dauphine  et  la  Mobile 
qu'il  croyait  prendre  sans  beaucoup  de  diflicultés  ;  mais  tous  ces 
projets  des  Espagnols  finirent  malheureusement.  D'abord  un 
détachement  des  troupes  de  Carrascosa  fut  défait  par  M.  de  Vilin- 
ville  à  la  Mobile,  ce  qui  l'obligea  d'abandonner  l'attaque  de  cette 
place  ;  ensuite  il  fut  repoussé  lui-même  à  Guillory,  ilôt  de  l'île 
Dauphine  autour  de  laquelle  il  roda  pendant  quatorze  jours 
comme  un  vautour  qui  épie  sa  proie.  Le  brave  Sérigny  déjoua 
tous  ses  mouvemens,  quoiqu'il  n'eût  pas  avec  lui  200  Canadiens 
et  le  même  nombre  de  Sauvages  sur  lesquels  il  put  compter,  le 
reste  de  ses  forces  se  composant  de  soldats  mal  disposés  qu'il 
osait  à  peine  risquer  devant  l'ennemi. 

Les  Espagnols  repoussés  dans  leurs  attaques  durent  s'attendre, 
suivant  l'usage  de  la  guerre,  à  se  voir  assaillis  à  leur  tour.  En 
effet,  le  comte  de  Champmêlin  arriva  avec  une  escadre  française 
pour  attaquer  Pensacola  par  mer  tandis  que  Bienville  l'attaquerait 


»' 


I 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


89 


par  terre  avec  ses  Canadiens  et  ses  Sauvages.  Carrascosa  revenu 
))oiir  proléger  la  place  avait  embossé  sa  Hotte  à  l'entrée  du  port 
et  hérissé  le  rivage  de  canons  ;  mais  après  deux  heures  et  demie 
de  combat,  tous  ses  vaisseaux  amenèrent  leurs  pavillons;  et  le 
lendemain,  la  ville  qui  avait  soutenu  une  lusillade  fort  vive  toute 
la  nuit  avec  Bienville,  fut  obligée  de  se  rendre  pour  prévenir  un 
assaut.  On  lit  douze  à  quinze  cents  prisonniers,  parmi  lesquels 
se  trouvaient  un  grand  nombre  d'olliciers.  On  démantela  une 
partie  des  fortifications  et  on  laissa  quelques  hommes  dans  le 
reste. 

C'est  après  cette  campagne  que  le  roi  crut  devoir  récompenser 
les  olTiciers  canadiens  qui  commandaient  à  la  Louisiane  depuis  sa 
fondation,  et  aux  eflbrts  desquels  on  devait  principalement  la  con- 
servation de  cette  colonie  ;  car  les  colons  européens,  concession- 
naires et  autres,  périssant  de  faim  ou  dé^'oûtés  du  pays,  avaient 
presque  tous  déserté,  surtout  les  soldats,  pour  se  réfugier  dans  les 
colonies  anglaises.  Cela  avait  été  si  loin  que  le  gouverneur  de  'a 
Caroline  avait  cru  devoir  en  informer  le  gouvernement  fran.^c  s. 
Les  principaux  chefs  canadiens  étaient  Bienville,  Sérigny,  St.- 
Denis,  Vilinville  et  Chateauguay.  "  Les  colons  les  plus  prospères, 
dit  Bancroft,  c'étaient  les  vigoureux  émigrans  du  Canada  qui 
n'avaient  guère  apporté  avec  eux  (|ue  leur  bâton  et  les  vètemens 
grossiers  qui  les  couvraient."  Renommés  par  leurs  mœurs  pai- 
sibles et  la  douceur  de  leur  caractère  dans  la  paix,  ils  formaient 
dans  la  guerre  une  milice  aussi  dévouée  qu'elle  était  redoutable. 
Louis  XV  nomma  M.  de  Sérigny  capitaine  de  vaisseau,  récom- 
pense qui  était  due  à  sa  valeur,  à  ses  talens  et  surtout  au  zèle 
avec  lequel  il  servait  l'Etat  depuis  son  enfance,  n'ayant  acquis  ses 
grades  que  par  quelqu'action  d'éclat  o\i  par  quekiue  service  impor- 
tant. St. -Denis  reçut  un  brevet  de  capitaine  et  la  croix  de  St.- 
Louis.  Chateauguay  enfin  lut  nommé  au  commandement  de  St.- 
Louis  de  la  Mobile.  La  guerre  tirait  alors  à  sa  fin.  Excitée 
par  un  ministre  ambitieux,  sans  motifs  raisonnables  qui  pussentla 
justifier,  elle  n'apporta,  comme  on  l'a  dit,  que  des  désastres  à 
l'Espagne.  La  paix  signée  le  17  février  1720,  mit  fin  à  cette 
querelle  de  famille.  Albéroni  disgracié,  fut  reconduit  sous  l'es- 
corte des  troupes  françaises  en  Italie,  où  il  acheva  sa  vie  dans 
Pobscuriti',  après  s'être  un  instant  bercé  de  l'espoir  de  changer 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


la  face  du  monde.  L'on  déposa  les  armes  en  Amérique  comme 
en  Europe,  et  le  port  de  Peneacola,  pour  lequel  on  se  battait 
depuis  trois  ans,  fut  rendu  aux  Espagnols. 

La  paix  avec  cette  nation  fut  suivie  de  près  par  celle  avec  les 
Chicachas  et  les  Natchés,  qui  avaient  profité  de  la  guerre  pour 
commettre  des  hostilités  dans  la  Louisiane.  Ces  heureux  événe- 
mens,  successivement  annoncés,  allaient  enfin  laisser  respirer  le 
pays  qui  ne  demandait  que  du  repos,  quand  un  ouragan  terrible 
éclata  le  12  septembre  1722,  et  répandit  partout  le  désespoir  et  la 
désolation.  La  mer  gonflée  par  l'impétuosité  du  vent,  franchit 
ses  limites  et  déborda  dans  la  campagne  brisant  tout  sur  son  pas- 
sage. La  Nouvelle-Orléans  et  Biloxi  furent  presque  renversés 
de  fond  en  comble. 

Jusqu'à  cette  époque,  le  gouvernement  ne  s'était  point  occupé 
du  soin  des  âmes  dans  la  Louisiane.  Le  pieux  Charievoix  qui 
arrivait  de  cette  contrée,  y  appela  l'attention  de  la  cour  en  1723. 
Les  intérêts  de  la  religion  et  de  la  politique,  les  idées  tradition- 
nelles, le  système  suivi  dans  la  Nouvelle-France,  tout  devait 
recommander  ce  sujet  important  au  bon  accueil  des  ministres. 
*<  Nous  avons  vu,  observe  cet  historien,  que  le  solut  des  Sauvages 
fut  toujours  le  principal  objet  que  se  proposèrent  nos  rois  partout 
où  ils  étendirent  leur  domination  dans  le  Nouveau-Monde,  et 
l'expérience  de  près  de  deux  siècles  nous  avait  fait  comprendre 
que  le  moyen  le  plus  sûr  de  nous  attacher  les  naturels  du  pays, 
était  de  les  gagner  à  Jésus-Christ.  On  ne  pouvait  ignorer  d'ail- 
leurs qu'indépendamment  même  du  fruit  que  les  ouvriers  évan- 
géliques  pouvaient  faire  parmi  eux,  la  seule  présence  d'un  homme 
respectable  par  son  caractère,  qui  entende  leur  langue,  qui  puisse 
observer  leurs  démarches,  et  qui  sache  en  gagnant  la  confiance 
de  quelques-uns  se  faire  instruire  de  leurs  desseins,  vaut  souvent 
mieux  qu'une  garnison  ;  on  peut  du  moins  y  suppléer,  et  donner 
le  temps  aux  gouverneurs  de  prendre  des  mesures  pour  déconcer- 
ter leurs  intrigues."  Cette  dernière  raison  fut  sans  doute  d'un 
aussi  grand  poids  que  la  première  auprès  du  voluptueux  régent 
et  d'une  partie  des  membres  de  la  compagnie  des  Indes,  à  cette 
époque  d'indifférence  et  d'incrédulité.  Des  Capucins  et  des 
Jésuites  furent  envoyés  pour  évangéliser  les  Indigènes,  surtout 
pour  les  disposer  favorablement  envers  les  Français. 


ikâk 


HISTOIRE    DU   CANADA. 


91 


L'an  1726  fut  le  dernier  de  l'administration  deBienville,  admi- 
nistration rendue  si  difficile  et  si  orageuse  par  les  désastres  des 
systèmes  de  Crozat  et  de  Law.  Ces  désastres  n'empêchèrent 
pas  néanmoins  les  Français  de  se  maintenir  dans  le  pays  et  de 
triompher  dans  la  guerre  avec  les  Espagnols.  Lorsque  Perrier, 
lieutenant  de  vaisseau,  arriva  au  mois  d'octobre  pour  remplacer 
BienviUe,  qui  passait  en  France,  il  trouva  la  Louitjiane  assez 
tranquille  ;  mais  elle  devait  s'empresser  de  jouir,  car  il  se  formait 
déjà  dans  le  silence  des  forêts  et  les  conciliabules  des  barbares  un 
orage  beaucoup  plus  terrible  que  tous  ceux  qu'elle  avait  eu  à  tra- 
verser jusqu'à  ce  jour,  et  qui  devait  l'ébranler  encore  plus  pro- 
fondément sur  sa  base  si  fragile. 

La  compagnie  d'Occident  avait  fait  place  à  la  compagnie  des 
Indes,  créée  en  1723,  et  dont  le  duc  d'Orléans  s'était  fait  déclarer 
gouverneur.  "  Le  privilège  embrassait  l'Asie,  l'Afrique  et  l'Amé- 
rique. On  voit  dans  les  délibérations  de  cette  association,  com- 
posée de  grands  seigneurs  et  de  marchands,  paraître  tour~à-tour 
l'Inde,  la  Chine,  les  comptoirs  du  Sénégal,  de  la  Barbarie,  les 
Antilles  et  le  Canada.  La  Louisiane  y  tient  un  rang  principal." 
Mais  "  on  cherche  en  vain  dan^  ses  actes  les  traces  du  grand 
dessein  colonial  formé  par  le  gouvernement.  On  trouve  presqu'à 
chaque  page  des  nombreux  registres  qui  contiennent  les  délibé- 
rations de  l'association,  des  tarifs  du  prix  assigné  au  tabac,  au  café 
et  à  toutes  les  denrées  soumises  au  privilège.  Ce  sont  des  dis- 
cours prononcés  en  assemblée  générale  pour  exposer  l'état  floris- 
sant des  affaires  de  la  compagnie,  et  on  finit  presque  toujours  par 
proposer  des  emprunts  qui  seront  garantis  par  un  fonds  d'amor- 
tissement. Mais  l'amortissement  était  illusoire  ;  les  dettes  s'ac- 
cumulèrent au  point  que  les  intérêts  ne  purent  être  payés,  même 
en  engageant  les  capitaux.  Des  bilans,  des  faillites,  des  litiges, 
et  une  multitude  de  documens,  prouvent  que  les  opérations,  rui- 
neuses pour  le  commerce,  ne  furent  profitables  qu'à  un  petit  nom- 
bre d'associés. 

"  Rien  d'utile  et  de  bon  ne  pouvait  en  effet  résulter  d'un  tel 
gouvernement.  Une  circonstance  prise  parmi  une  foule  d'autres, 
fera  juger  jusqu'où  purent  être  portés  les  abus. 

"  Le  gouverneur  et  l'intendant  de  la  Louisiane  étaient,  par 
leurs  fonctions,  comme  interposés  entre  la  compagnie  et  les  habi- 


m 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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tans  pour  modérer  lefi  prétentions  réciproques  et  empêcher  l'op- 
pression. Mais  ces  magistrats  étaient  nommés  par  lea  sociétaires 
eux-mêmes.  On  lit  dans  les  actes,  que  j)ou?-  attacher  aux  inté- 
rêts de  la  compagnie  le  gouverneur  et  Vintendant,  il  leur  est 
assigné  des  gratijkations  annuelles  et  des  remises  sur  les  envois 
de  denrées  en  France.  Les  suites  de  ce  régime  furent  funestes 
à  la  Louisiane  sans  enrichir  les  actionnaires." 

C'est  pendant  que  toutes  ces  transactions  occupaient  la  compa- 
gnie et  qu'elles  avaient  leur  contrecoup  dans  la  colonie,  que  les 
nations  indigènes  depuis  l'Ohio  jusqu'à  la  mer,formèrent  le  complot 
de  massacrer  tous  les  Français  répandus  au  milieu  d'eux.    Il  fallait 
peu  d'elforts  pour  faire  prendre  les  armes  aux  Sauvages  du  Mis- 
sissipi  contre  les  Européens,  qu'ils  regardaient  comme  des  étran- 
gers incommodes  et  exigeans,  ou  plutôt  comme  des  ennemis  qui, 
parlant  au  nom  de  l'autel  et  de  la  civilisation,  prétendaient  avoir 
droit  à  leur  pays,  et  les  traitaient  sérieusenient  de  rebelles  s'ils 
osaient  le  défendre,  car  la  religion  n'a  encore  pu  jusqu'à  présent, 
dominer  les  nations  comme  les  individus,  et  les  droits  moraux  des 
premières  sont  nulles  en  pratique  en  comparaison  des  derniers. 
D'abord  ces  Européens  se  conduisirent  bien  envers  les  naturels, 
qui  les  reçurent  à  bras  ouverts  ;  mais  à  mesure  qu'ils  augmen- 
taient en  nombre,  qu'ils  se  fortifiaient  au  milieu  d'eux,  leur  lan- 
gage devenait  plus  impératif  ;  ils  commencèrent  bientôt  à  vouloir 
exercer  une  suprématie  réelle  et  complète  malgré  les  protestations 
des  Indiens.     Il  en  fut  ainsi  parvout  où  ils  s'établirent,  c'est-à- 
dire  là  où  ils  ne  furent  pas  obligés  de  s'emparer  du  sol  les  armes 
à  la  main.     Les  Français,  grâce  à  la  franchise  de  leur  caractère, 
furent  toujours  bien  accueillis  et  en  général  toujours  aimés  des 
Sauvages.     Ils  ne  trouvèrent  d'ennemis  déclarés  que  dans  les 
Iroquois  et  les  Chicachas,  qui  ne  voulurent  voir  en  eux  que  les 
alliés  des  nations  avec  lesquelles  ils  étaient  eux-mêmes  en  guerre. 
Les  Français  en  effet  avaient  constamment  pour  politique  d'era- 
brasser  la  cause  des  tribus  au  milieu  desquelles  ils  venaient  s'é- 
tablir. 

On  sait  avec  quelle  jalousie  les  colonies  anglaises  les  voyaient 
s'étendre  le  long  du  St.-Laurent  et  sur  le  bord  des  grands  lacs. 
Cette  jalousie  n'eut  plus  de  bornes  lorsqu'elles  les  virent  prendre 
possession  de  l'immense  vallée  du  Mississipi.     Les  Chicachas  se 


psi^ 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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présentèrent  ici,  comme  les  Iroquois  sur  le  St.-Laurent,  pour  ser- 
vir leur  politique.  Elles  se  mirent  à  leur  inspirer  par  leurs  pro- 
pos des  sentimens  de  défiance  et  de  haine  contre  les  Français  ;  elles 
les  peignirent  comme  des  traitans  avides,  des  voisins  ambitieux,  qui 
les  dépouilleraient  tôt  ou  tard  de  leur  territoire.  Petit  à  petit  la 
crainte  et  la  colère  se  glissèrent  dans  le  cœur  de  ces  Sauvages 
naturellement  altiers  et  farouches,  et  ils  résolurent  de  se  défaire 
une  bonne  fois  de  ces  ambitieux  étrangers,  qui  semblaient  justifier 
tous  les  rapports  qu'on  leur  faisait,  en  augmentant  chaque  jour  le 
nombre  de  leurs  établissemens.  Ils  formèrent  un  complot  dont 
l'exécution  demandait  un  secret  inviolable,  une  dissimulation  pro- 
fonde, une  prudence  incessante  et  l'alliance  d'un  grand  nombre 
de  tribus,  pour  frapper  les  victimes  dans  tous  les  lieux  à  la  fois 
par  la  main  de  la  nation  même  au  milieu  de  laquelle  elles  pour- 
raient se  trouver.  Plusieurs  années  furent  employées  pour  mûrir 
et  étendre  la  conjuration.  Les  Chicachas  n'en  avaient  point  fait 
part  à  ceux  qui  étaient  trop  attachés  aux  Français  comme  les 
Illinois,  les  Arkansas,  les  Tonicas,  etc.,  n'espérant  point  les 
entraîner  avec  eux.  Toutes  les  autres  tribus  y  étaient  entrées  et 
devaient  frapper  le  même  jour  et  à  la  même  heure  dans  toute 
l'étendue  du  pays. 

Les  Français  ignorant  ce  qui  se  passait,  ne  songeaient  qu'à 
jouir  de  la  tranquillité  apparente  qui  régnait.  Les  conjurés  redou- 
blaient d'attention  pour  eux  afin  d'augmenter  leur  confiance  et 
leur  sécurité.  Les  Natchés  ne  cessaient  pas  de  leur  répéter 
qu'ils  n'avaient  point  d'alliés  plus  fidèles  ;  les  autres  nations  en 
faisaient  autant  ;  c'était  un  concert  continuel  d'assurances  d'amitié 
et  de  dévouement.  Bercés  par  ces  protestations  perfides,  les 
Français  sans  soupçon  dormaient  sur  un  abîme.  Heureusement, 
la  cupidité  des  Natchés  et  l'ambition  d'une  partie  des  Chactas, 
une  des  plus  nombreuses  nations  de  ce  continent,  voulant  tirer 
parti  trop  tôt  de  la  catastrophe,  trahirent  une  trame  si  bien 
ourdie  et  la  dévoilèrent  avant  qu'elle  put  s'exécuter  complète- 
ment. 

Le  jour  et  l'heure  du  massacre  avaient  été  pris.  Le  plus 
grand  établissement  français  était  chez  les  Natchés,  où  M.  de 
Chepar  commandait.  Quoique  cet  officier  se  fût  brouillé  avec 
les  naturels,  ceux-ci  protestaient  avec  cette  dissimulation  dont  Hb 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


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ont  pousse  Tart  si  loin,  qu'ils  étaient  ses  plus  fiJèles  amis,  et  ils  l'en 
avaient  s:  bien  persuadé,  que,  sur  des  bruits  sourds  de  l'existence 
de  quelque  complot,  il  fit  mettre  aux  fjrs  sept  habitans  qui  avaient 
demandé  à  s'armer  puur  éviter  toute  surprise  ;  il  porta  par  une 
étrange  fatalité,  la  confiance  jusqu'à  recevoir  les  Indiens  dans  le 
f  rt  et  leur  permettre  de  se  loger  chez  les  colons  et  môme  dans 
sa  propre  maison.  On  ne  voudrait  pas  croire  à  une  pareille  con- 
duite, ai  Charlevoix  ne  nous  l'attestait,  tant  elle  est  contraire  à 
celle  que/  es  Français  avaient  pour  règle  constante  de  tenir  avec 
les  Sauvages. 

Les  conspirateurs,  sous  divers  prétextes,  venaient  prendre  les 
postes  qui  leur  avaient  été  assignés  au  milieu  de  leurs  victimes. 
Pendant  qu'ils  attendaient  ainsi  distribués  1"  jour  de  l'exécution, 
des  bateaux  arrivèrent  aux  Natchés  chargés  de  marchandises 
pour  !a  garnison  et  pour  les  habitans.  L'avidité  des  barbares  lut 
excitée  ;  leurs  yeux  s'allumèrent  à  la  vue  de  ces  richesses  et  ils 
ne  purent  tenir  à  l'amour  du  pillage.  Oubliant  que  leur  précipi- 
tation allait  compromettre  le  massacre  général,  ils  résolurent  de 
frapper  sur  le  champ,  afin  de  s'emparer  des  cargaisons  avant  la 
di.stribution.  Pour  s'armer  ils  prétextèrent  une  chasse  voulant 
présenter,  disaient-ils,  du  gibier  au  commandant  pour  fêter  les 
hôtes  qui  venaient  de  lui  arriver;  ils  achetèrent  des  fusils  et  des 
munitions  des  habitans  et,  le  28  novembre  1729,  ils  se  répan- 
dirent de  grand  matin  dans  toutes  les  demeures  en  publiant  qu'ils 
partaient  pour  la  chasse,  et  en  ayant  soin  d'être  partout  plus  nom- 
breux que  les  Français.  Pour  pousser  le  déguisement  jusqu'au 
bout,  ils  entonnèrent  un  chant  en  l'honneur  de  M.  de  Chepar  et 
de  ËCs  hôtes.  Alors  il  se  fil  un  moment  de  silence  puis  trois 
coups  de  fusil  retentirent  successivement  devant  la  porte  de  ce 
commandant.  C'était  le  signal  d  i  massacre.  Les  Sauvages  fon- 
d.  rjnt  partout  sur  les  Français,  qui,  surpris  sans  armes  et  disper- 
sés au  milieu  de  leurs  assassins,  ne  purent  opposer  aucune  résis- 
tance ;  ils  ne  se  défendirent  qu'en  deux  endroits.  M.  de  la  Loire 
des  Ursins,  commis  principal  de  la  compagnie,  attaqué  à  peu  de 
distance  de  chez  lui,  tua  quatre  hommes  de  sa  main  avant  de 
succomber.  A  son  comptoir,  huit  houimes  qu'il  y  avait  laissés, 
eurent  le  temps  de  prendre  leurs  armes  j  ils  se  défendirent  fort 
lon|{^emp8,  mais,  ayant  perdu  six  de»  leurs,  lea  survivana  c4u»* 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


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sirent  à  s'échapper  ;  les  Natchés  eurent  huit  hommes  de  tués  dans 
cette  attaque.  Ainsi  leurs  i)ertes  se  bornèrent  à  une  douzaine 
d'hommes  tant  leurs  mesures  avaient  été  bien  prises.  En  moins 
d'un  instant  deux  cents  personnes  de  tout  âge  et  de  tout  sexe 
périrent  dans  cette  boucherie.  Une  vingtaine  seulement,  la  p'u- 
part  blessés,  avec  quelques  nègres  se  sauvèrent;  60  femmes,  l')0 
enfans  et  presqu'autant  de  noirs  restèrent  prisonniers,  une  partie 
pour  périr  dans  les  tourmens. 

Pendant  le  massucre,  le  chef  des  Natchés,  était  assis  sous  le 
hangard  à  tabac  de  hi  compagnie  attendant  tranquillement  la  fin 
de  cette  terrible  tragédie.  On  lui  apporta  d'abord  la  tête  de  M. 
de  Chepar,  qui  fut  placée  devant  lui,  puis  celles  des  princi- 
paux Français  qu'il  fit  ranger  autour,  enfin  les  autres  qu'il  fit 
mettre  en  piles.  De  temps  en  temps  on  recommençait  le  mas- 
sacre. On  ouvrit  le  t'.ein  des  femmes  enceintes,  on  égorgea 
presque  toutes  celles  qui  avaient  des  enfans  en  bas  âge, 
parcequ'elles  importunaient  par  leurs  cris  et  leurs  pleurs;  les 
autres  furent  jetées  en  esclavage  et  exposées  à  toute  la  brutalité 
de  ces  barbares  couverts  du  sang  de  leurs  pères,  de  leurs  maris 
ou  de  leurs  enfans.  On  leur  dit  que  la  même  chose  s'était  passée 
dans  toute  la  Louisiane  et  que  les  Anglais  allaient  venir  prendre 
leur  place. 

Tel  fut  le  massacre  du  28  novembre.  Raynal  raconte  diffé- 
remment la  cause  qui  fit  avancer  son  heure,  mais  sa  version 
quoique  plus  romantique  semble  par  cela  même  moins  probable. 
D'ailleurs  le  témoignage  de  l'historien  de  la  Nouvelle-France 
mérite  ici  le  plus  grand  poids.  Contemporain  des  événemens 
dont  il  venait  de  visiter  lui-même  le  théâtre,  et  ami  du  ministère 
qui  a  dû  lui  donner  communication  de  toutes  les  pièces,  il  a  été 
plus  qu'un  autre  en  état  d'écrire  la  vérité. 

La  nouvelle  de  cette  catastrophe  répandit  la  terreur  dans  toute  la 
contrée.  Le  gouverneur  Perrier  en  fut  instruit  le  2  décembre  à 
la  Nouvelle  Orléans.  Il  fit  partir  aussitôt  un  officier  pour  avertir 
les  habitans,  sur  les  deux  rives  du  Mississipi,  de  se  mettre  en 
garde,  et  en  môme  temps  pour  observer  les  petites  nations  épar- 
pillées sur  les  bords  de  ce  fleuve. 

Les  Chactas,  qui  n'étaient  entrés  dans  le  complot  que  pou- 
profiter  du  dénoûment,  ne  bougèrent  point.    Les  Natchés  qui 


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HISTOIBE    DU    CANADA. 


ignoraient  la  haine  que  cette  nation  ambitieuse  leur  portait  et  qui 
auraient  déjà  été  détruits  ou  asservis  par  elle  sans  la  crainte  des 
Français  qui  l'avaient  arrêtée  quelques  années  auparavant,8'étaient 
laissés  tromper  par  ses  insinuations  perfides.  Avec  une  politique 
astucieuse  mais  profonde,  les  Chactas  les  avaient  encouragés 
dans  leur  complot  pour  les  mettre  aux  prises  avec  les  Européens, 
se  faire  appeler  ensuite  au  secours  de  ceux-ci  et  avoir  par  là  l'oc- 
casion de  se  défaire  plus  facilement  d'eux.  L'événement  justifia 
leur  calcul. 

Perrier  n'avait  pas  pénétré  d'abord  cette  politique  ténébreuse, 
et  quand  bien  même  il  l'aurait  fait,  cela  ne  l'aurait  pas  empêché 
de  se  servir  des  armes  des'  Chactas  pour  venger  l'assassinat  des 
siens.  La  plupart  des  autres  tribus  qui  avaient  pris  part  au 
complot,  voyant  le  secret  éventé  et  les  colons  sur  leurs  gardes,  ne 
remuèrent  point.  Celles  qui  s'étaient  compromises  durent  s'at- 
tendre à  éprouver  toute  la  vengeance  des  Français,  et  en  effet 
elle?  ne  demandèrent  point  de  quartier.  Les  Yasous,  qui  avaient, 
au  début  de  l'insurrection,  surpris  le  fort  qui  était  au  milieu  d'eux 
et  égorgé  les  dix-sept  Français  qui  s  y  trouvaient,  furent  exter- 
minés. Les  Corrois  et  les  Tioux  subirent  le  même  sort.  Les 
Arkansas,  puissante  nation  de  tout  temps  fort  attachée  aux  Fran- 
çais, étaient  tombés  sur  les  premiers  et  en  avaient  fait  un  massa- 
cre général  ;  ils  poursuivirent  après  cela  les  Tioux  et  avec  tant 
d'acharnement  qu'ils  les  tuèrent  jusqu'au  dernier.  Ces  événe- 
mens,  la  réunion  d'un  corps  d'hommes  armés  aux  Tonicas,  les 
travaux  de  campagne  et  les  retranchcmens  exécutés  autour  des 
concessions,  tranquillisèrent  un  peu  les  colons,  dont  la  frayeur 
avait  été  si  grande,  que  Perrier  s'était  vu  obligé  de  faire  détruire 
par  des  nègres  une  trentaine  de  Chaouachas  qui  demeuraient  au- 
dessous  de  la  Nouvelle-Orléans,  et  dont  la  présence  faisait  trem- 
bler celte  ville  ! 

Après  ces  premières  opérations  et  les  mesures  adoptées  pour 
la  sûreté  des  habitans,  Perier  fit  monter  deux  vaisseaux  de  la 
compagnie  aux  Tonicas,  et  forma  sur  ce  point  pour  attaquer  les 
Natchés,  une  petite  armée  dont  il  donna  le  commandement  au 
major  Loubois,  n'osant  point  encore  quitter  lui-même  la  ville  le 
peuplp  ayant  quelques  appréhensions  sur  la  fidélité  des  noirs. 
Toutes  ces  démonstrations  avaient  fait  déjà  rentrer  dans  les  inlé- 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


VI 


rets  des  Français,  les  petites  nations  du  Mississlpi,  qui  s'en  étaient 
détachées.  Dès  lors  l'on  put  compter  sur  des  alliés  nombreux  ; 
on  n'avait  jamais  douttî  de  l'affeciion  des  Illinois,  des  Arkansas,  des 
Oflagoulas,  des  ToP'ci's,  et  l'on  était  sûr  maintenant  des  Nat- 
chitoches  qui  n'avaient  point  inquiété  St.-Denis,  et  des  Chac- 
tas  tout  en  armes  contre  les  Nat^nés.  La  Louisiane  était  sau- 
vée. 

Cette  nouvelle  attitude  dans  les  affaires  était  due  à  l'énergie  de 
son  chef.  Il  écrivait  au  ministère  le  18  mars  1730  :  "  Ne  jugez 
pas  de  mes  forces  par  le  parti  que  j'ai  pris  d'attaquer  nos  enne- 
mis; la  nécessité  m'y  a  contraint.  Je  voyais  la  consternation 
partout  et  la  peur  augmenter  tous  les  ^ours.  Dans  cet  état  j'ai 
caché  le  nombre  de  nos  ennemis  et  fait  croire  que  la  conspiration 
générale  était  une  chimère,  et  une  invention  des  Natchés  pour 
nous  empêcher  d'agir  contre  eux.  Si  j'avais  été  le  maître  de 
prendre  le  parti  le  plus  prudent,  je  me  serais  tenu  sur  la  défen- 
sive et  j'aurais  attendu  des  forces  de  France  pour  qu'on  ne  pût  pas 
me  reprocher  d'avoir  sacrifié  200  Français  de  5  à  600  que  je 
pouvais  avoir  pour  le  bas  du  fleuve.  L'événement  a  fait  voir 
que  ce  n'est  pas  toujor'-s  le  parti  le  plus  prudent  qu'il  faut 
prendre.  Nous  étions  dans  un  cas  où  il  fallait  des  remèdes 
violens,  et  tâcher  au  moins  de  faire  peur  si  noufj  ne  pouvions  pas 
faire  de  mal."  ♦■ 

Loubois  était  auxTonicas  avec  les  forces  destinées  à  agir  contre 
l'insurrection.  La  mauvaise  composition  des  troupes  qui  ser- 
vaient malgré  elles  et  ne  subissaient  qu'avec  peine  le  joug  de  la 
discipline,  apporta  dans  ses  mouvemens  une  lenteur  qui  était 
d'un  mauvais  augure.  Lesueur  arrivant  à  la  tète  de  800  Chactas, 
ne  le  trouvant  point  aux  Natchés,  attaqua  seul  ces  Sauvngcs  et 
remporta  sur  eux  une  victoire  complète.  Il  délivra  plus  de  200 
Français  ou  nègres.  L'ennemi  battu  se  relira  dans  ses  places 
fortifiées  devant  lesquelles  Loubois  n'arriva  que  le  8  février,  et 
alla  camper  autour  du  Temple  du  Soleil.  Le  siège  fut  mis  devant 
deux  forts  qu'on  attaqua  avec  du  canon,  mais  avec  tant  de  mol- 
lesse, que  le  temps  de  leur  reddition  paraissait  très  éloigné.  Les 
Chactas  fatigués  d'une  campagne  qui  durait  déjà  depuis  trop 
longtemps  à  leur  gré,  menacèrent  de  se  retii  r.  Ils  savaient 
qu'on  ne  pouvait  rien  entreprendre  sans  eux,  et  ils  affectaient  en 


98 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


conséquence  une  grande  indéponJancc.  Il  fnllut  accepter  les 
conditions  qu'ollVaient  lea  assiégés,  et  se  contenter  des  prison- 
niers qu'ils  avaient  en  leur  possession.  Dans  toute  la  colonie 
cette  conclusion  de  la  campagne  fut  regardée  comme  un  échec, 
et  attira  un  blàme  sévère  au  gouverneur.  Pcrrier  écrivit  à  la 
cour  pour  se  justifier,  que  les  habitans  commandés  par  MM. 
d'Arembourg  et  de  Laye  avaient  montré  beaucoup  do  bravoure 
et  de  bonne  volonté,  mais  que  les  soldats  s'étaient  fort  mal  con- 
duits ;  qu'il  était  bien  vrai  que  les  assiégés  étaient  réduits  à  !a 
di>rniére  extrémité,  et  que  deux  jours  de  plus  on  les  aurait  eus  la 
corde  au  cou  ;  mais  qu'on  se  voyait  toujours  au  moment  d'ôtre 
abandonné  par  les  Cbactali,  et  que  leur  départ  aurait  exposé  les 
Français  à  recevoir  un  échec  et  à  voir  brûler  leurs  femmes,  leurs 
eiifans  et  leurs  esclaves  comme  ils  en  étaient  menacés  par  les 
Sîiuvages.  Cependant  les  Chicachas  qui  tenaient  toujours  les 
fili  de  la  trame,  et  qui  avaient  voulu  engager  les  Arkansas  et 
noî  autres  alliés  à  entrer  dans  la  conspiration,  ne  levaient  point 
le  voile  qui  les  cachait  encore  ;  ils  se  contentaient  de  faire  agir 
secrètement  leur  influence.  Les  Chacias  eux-mêmes,  quoique 
toujours  sollicités  vivement  par  les  Anglais,  qui  accompagnaient 
leurs  démarches  de  riches  présens,  refusèrent  de  se  détacher  des 
colons  de  la  Louisiane,  et  jurèrent  une  fidélité  inviolable  à  Per- 
rier,  qui  s'était  rendu  à  la  Mobile  pour  s'aboucher  avec  eux  et 
contrecarrer  l'effet  de  ces  intrigues.  Les  secours  arrivés  de 
France  avaient  du  reste  beaucoup  contribué  à  raffermir  et  rendre 
plus  humbles  ces  Sauvages,  qui  se  regardaient  avec  quelque 
espèce  de  raison  comme  les  protecteurs  de  la  colonie. 

En  même  temps  la  retraite  de  M.  de  Loubois  avait  élevé  l'or- 
gueil des  Natchés,  qui  montraient  depuis  lors  une  hauteur  olTen- 
snnte.  Il  était  aisé  de  voir  qu'il  faudrait  bientôt  mettre  un  frein 
à  leur  ardeur  belTuiueuse.  Comme  à  tous  les  Indiens,  un  succès 
ou  un  demi-succès  'eur  taisait  concevoir  les  plus  folles  espé- 
rances; parceque  leurs  forteresses  n'avaient  pas  été  prises,  ils 
croyaient  faire  fuir  les  Français  devant  eux  comme  une  faible 
tribu.  Celte  erreur  fut  la  cause  de  leur  perte  ;  ils  commirent  des 
hostilités  qui  leur  attirèrent  sur  les  bras  une  guerre  mortelle.  Le 
gouverneur  forma  avec  los  renforts  qu'il  avnit  reçus  et  les  milices 
un  uurps  d'environ  bOO  hommeS;  qu'il  assembla  dans  le  m^is  de 


HTSTOIHE   DU    CANADA. 


99 


décembre  à  Boj'agoiilag.  Il  remonta  le  Mississipi  sur  tlea  berges 
el  parvint  jusque  sur  la  rivière  Noire,  qui  se  décharge  dans  la 
rivière  Rouge  à  dix  lieues  de  son  embouchure,  dans  le  sein  même 
do  leur  pays.  A  la  première  nouvelle  de  sa  marche,  la  division 
se  mit  parmi  les  malheureux  Natchés.  Au  lieu  de  réunir  leurs 
guerriers  ils  les  dispersèrent  ;  \me  partie  alla  chez  les  Chicachas, 
une  autre  resta  aux  environs  de  leur  ancienne  bourgade.  Quel- 
ques-uns se  retirèrent  chez  les  Ouatchitas,  un  plus  grand  nombie 
s'éparpilla  dans  le  pays  ()ar  bandes,  ou  se  tint  à  quelques  jour- 
nées de  distance  ;  le  reste  enfin  avec  le  Soleil  et  les  autres  prin- 
cipaux chefs  se  renferma  dans  le  fort  devant  lequel  les  Français 
vinrent  asseoir  leur  camp.  Intimidés  par  les  seuls  apprêts  de 
l'attaque,  ils  demandèrent  à  ouvrir  des  conférences.  Perrier 
retint  prisonniers  les  chefs  qu'on  lui  députa  pour  parlementer,  et 
surtout  le  Soleil,  qu'il  força  d'envoyer  un  ordre  aux  siens  de  sor- 
tir de  la  place  sans  armes.  Les  Natchés  refusèrent  d'abord 
d'obéir  à  leur  chef  privé  de  sa  liberté  ;  mais  une  partie  s'étant 
ensuite  rendue  à  ses  ordres,  les  autres,  voyant  tout  perdu,  ne 
songèrent  pais  qu'à  saisir  l'occasion  d'échapper;  ce  qu'ils  effec- 
tuèrent en  profitant  d'une  nuit  tempétueuse  pour  sortir  du  fort 
avec  les  femmes  et  les  enfans  et  se  dérober  à  la  poursuite  des 
Français. 

Peri'ier  de  retour  à  la  Nouvelle-Orléans,  envoya  en  esclavage  à 
St.-Domingue  tous  ceux  qu'il  ramenait  prisonniers  avec  leur 
grand  chef,  le  Soleil,  dont  la  famille  les  gouvernait  depuis  un 
temps  immémorial  et  qui  mourut  quelques  mois  après  au  cap 
Français.  Cette  conduite  irrita  profondément  les  restes  de  cette 
nation  orgueilleuse  et  cruelle,  à  qui  la  haine  et  le  désespoir  don- 
nèrent une  valeur  qu'on  ne  leur  avait  point  encore  connue.  Ils 
coururent  aux  armes,  ils  se  jetèrent  sur  les  Français  avec  fuLeur, 
ils  combattirent  vaillamment  ;  mais  ce  désespoir  ne  fit  qu'honorer 
leur  chute  et  révéler  du  moins  un  noble  cœur.  Ils  ne  purent 
lutter  longtemps  contre  leurs  vainqueurs,  et  presque  toutes  leurs 
bandes  furent  détruites.  St.-Denis  leur  fit  essuyer  la  plus  grande 
défaite  qu'ils  eussent  éprouvée  depuis  leur  déroute  par  Lesueur. 
Tous  les  chefs  y  périrent.  Après  tant  de  pertes  ils  disparurent 
comme  nation.  Ceux  qui  avaient  échappé  à  la  servitude  ou  au  feu 
se  réfugièrent  chez  lea  Chicachas  auxquels  ils  léguèrent  leur  haine 


100 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


et  leur  vengeance.  Ainsi  finit  une  guorre  qui  amena  une 
révolution  dans  les  affaires  de  la  compagnie  des  Indos,  et 
qui  fit  rétrocéder  au  roi  la  Louisiane  et  le  pays  des  Illinois  en 

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CHAPITRE  II. 


LIMITES. 
1713-1744. 

Etat  du  Canada  :  commerce,  finances,  justice,  éducation,  divisions  parois- 
siales, population,  délienscj. — i'Ian  de  M.  de  Vaudreuil  pour  l'accroisse- 
ment du  pays. — Déliniitatior  des  frontières  entre  les  colonies  françaises  et 
les  colonies  anglaises. — Perversion  du  droit  public  dans  le  Nouveau- 
jMonde  au  sujet  du  territoire. — Kivalilé  de  la  France  et  de  la  Graride- 
Bretajjne. — Différends  relatifs  aux  limites  de  leurs  posse^i'^ns. — Frontière 
de  l'Est  ou  de  l'Acadie.— Territoire  des  ALénaquis. —  Les  Américains 
veulent  s'en  emparer.— Assassinat  du  P.  Rasie.— Le  P.  Aubry  propose 
une  ligne  tirée  de  Beaubassin  à  la  source  de  l'Hudson.— Front  ère  de 
l'Ouest. — Piincipes  diflérens  invoqués  par  les  deux  nations;  ellesé  ablis- 
sent  des  torts  sur  les  territoires  lédamés  par  chacune  d'elles  réciprocjue- 
mtnt.— Luttes  d'emplétemens  ;  pié;entions  des  colonies  anglaises;  elles 
veulent  accaparer  la  traite  des  Indiens  — Plan  de  M .  Burnet. — Le  commerce 
est  défendu  avec  le  Canat'.a. — Ktablissemens  de  Niagara  par  les  Français 
et  d'JOswé^o  par  les  Anglais. — Plaintes  mutuelles  (ju'ils  s'adressent. — 
Fort  St.-FiéJéiic  élevé  par  M.  de  la  Corne  sur  le  lac  Champlain  ;  la 
contestation  dure  jus(]u'à  la  guerre  de  1744.— Progiès  du  Canada.  — Emi- 
gration ;  perte  du  vaisseau  le  Cliameau. —  Mort  de  M  de  Vaudrt-uil 
(1725);  qualités  de  ce  gouverneur.— M.  de  Beauharnoii  lui  succède. — 
M.  Dupuy,  intendant.— Son  caractère. — M.  de  St.  Vallier  second  é.ê^ue 
de  Québec  meurt;  difficultés  qui  s'élèvent  relativement  à  son  s.ége, 
portées  devant  le  Conseil  suj.érieur — Le  clergé  récuse  le  pouvoir  civil. -- 
Le  gouverneur  se  rallie  au  parti  clérical. — Il  veut  interdire  le  conseil,  qui 
repousse  ses  piélentions.— Il  donne  des  lettres  de  cachet  pour  exiler  ''"ux 
membres. —  L'intendant  fait  défense  d'obéir  à  ces  lettres. — Décision  du 
roi. — Le  cardinal  de  Fleury  premier  ministre. — M.  lupuy  est  rappelé. — 
Conduite  humiliante  du  Conseil. — Mutations  diverses  du  siège  épiscopal 
jusqu'à  l'élévation  de  M.  de  Pontbriant. — Soulèvement  des  Outagamis 
(1728)  ;  expéuition  des  Canadiens  ;  les  Sauvages  se  soumettent. — Voyages 
de  découverte  vers  la  mer  Pacifiqu'ï  ;  celui  de  M.  de  la  Vérandrye  en 
1738  ;  celui  de  MM.  Legardeur  de  St. -Pierre  et  Marin  quelques  2->nées 
apiés  ;  peu  de  succès  de  ces  entreprises. — Apparences  de  guerre  ;  M.  de 
Beauharnois  se  prépare  aux  hostilités. 

Nous  revenons  maintenant  au  Canada  dont  nous  reprenons  l'his- 
toire en  1715.  Après  une  guerre  de  vingt-cinq  ans,  qui  n'avait 
été  interrompue  que  par  quatre  ou  cinq  ie  paix,  les  Canadiens 
avaient  suspendu  à  leurs  chaumières  les  armes  honorées  parleur 
courage  à  la  défense  de  leur  patrie,  et  ils  avaient  reprit  paisible- 


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i^wtsgt. 


102 


HISTOIRE    DU    CANAD\. 


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ment  leurs  travaux  champêtres  abandonnés  déjà  tant  de  fois. 
Beaucoup  d'hommes  étaient  morts  sous  les  drapeaux.  Un  plus 
grand  nombre  encore  avaient  été  achominos  vers  les  dillérens 
postes  établis  sur  les  grands  lacs  et  dans  la  vallée  du  Mississipi, 
d'où  ils  ne  revinrent  jamais.  Cependant  malgré  ces  pertes  et  les 
troubles  du  temps,  malgré  surtout  la  nullité  de  l'émigration  de 
France,  quelques  comraerçans  par-ci  par-là  avec  quelques  rares 
soldats  formant  tout  ce  qui  ^'cn'iit  d'outre-mcr,  le  chilfrcdes  habi- 
tans  n'avait  pas  cessé  de  s'élever  «ïraduellement.  Après  la  guerre, 
il  dut  augmenter  encore  plus  rapidement,  et  en  effet,  sous  la  maiu 
douce  et  sage  de  M.  de  Vaudreuil,  le  pays  faisait  en  tout,  et  par 
ses  seuls  eflbrts,  des  progrès  considérables.  Ce  gouverneur,  qui 
revint  d'Europe  en  1716  où  il  avait  passé  deux  ans,  et  cpii  apporta 
dans  la  colonie  la  nouvelle  de  la  mort  de  Louis  XIV  et  l'ordre 
de  proclamer  son  successeur,  s'applitjua  avec  vigilance  à  guérir 
les  maux  du  passé.  Conduisant  avec  précaution  les  négociations 
avec  les  Iroquois,  comme  on  l'a  vu  ailleurs,  il  désarmait  ces 
barbares  et  les  détachait  tout-à-fait  dos  Anglais,  en  achevant  do 
les  persuader  que  leur  intérêt  était  de  rester  neutres  dans  les 
grandes  luttes  des  blancs  qui  les  entouraient  partout.  C'était 
assurer  la  tranquillité  des  Canadiens,  (]ui  purent  dès  lors  se  livrer 
à  l'agriculture  et  au  commerce,  libres  de  toutes  les  distractions 
qui  avaient  jusqu'ici  si  souvent  troublé  leurs  entreprises.  Aussi 
à  aucune  autre  époque,  excepté  sous  l'inlendance  de  Talon,  le 
commerce  ne  fut-il  l'objet  de  tant  desollicituile,  de  tant  de  décrets 
pour  le  régulan^•er  de  la  part  du  ])ouv(tir,  décrois  fortement 
empreints  si  l'on  veut  des  idées  du  temps,  d?  cet  esprit  exclusif 
qui  a  caractérisé  la  politique  des  mélro])oles,  mais  qui  aiuionçaient 
du  moins  qu'on  s'en  occupait. 

Un  des  grands  embarras  cjui  ne  cessaient  point  de  paralyser 
l'nction  du  gouvernement,  était  le  désordre  îles  finances  si  étroi- 
tement liées  dans  tous  les  pays  au  nétroce.  Les  questions  les 
plus  difficiles  à  régie/  sont  les  (luestions  (rament,  sm'tout  lorsi|ue 
le  crédit  est  ébranlé  ou  détruit.  Aujourd'liui  les  besoins  du  luxe 
et  des  améliorations  sont  si  grands,  si  pressans,  l'argent  est  si 
abondant  et  en  même  temps  si  concentré  (]ue  les  capitalistes 
courrcnt  d'eux-mêmes  au-devant  des  cmpriuiteurs  jiour  leur  four- 
ftir  dea  fonds  qui  ne  leur  sejont  peut-être  jamais  rendus  ;  ils  ne 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


103 


dermndenl  que  la  garnntic  de  l'intérêt  ;  et  l'adresse  des  financiers 
consiste  à  trouver  le  secret  d'en  payer  un  qui  soit  le  plus  bas  pos- 
sible. A  Pépoque  où  nous  sommes  parvenus,  il  n'en  était  pas 
ainsi  ;  les  capitaux  étaient  craintifs  et  exigeans,  le  crédit  pul)lic 
en  butte  à  toutes  sortes  d'abus  était  presque  nul,  surtout  en 
France.  De  là  les  ditlîcullés  que  rencontrait  l'Etat  depiiis 
quelques  années,  et  qui  précipitèrent  la  révolution  de  89.  La 
Canada  soulTrait  encore  plus  que  le  reste  du  royaume  de  cette 
pauvreté  de  plus  en  plus  funeste.  Détenteur  d'une  monnaie  de 
cartes  que  la  métropole,  sa  débitrice,  était  incapable  de  racheter, 
il  fut  obligé  de  sacrifier  la  moitié  de  sa  créance  pour  avoir  Tautre, 
ne  pouvant  attendre.  L'ajustement  de  cette  affaire  dont  nous 
parlerons  plus  en  détail  ailleurs,  prit  plusieurs  années  et  fut  une 
des  questions  dans  lesquelles  la  dignité  du  gouverneur  comme 
représentant  du  roi,  eut  le  plus  à  souffrir. 

La  chose  dont  le  Canada  avait  le  plus  de  besoin  après  le  règle- 
ment du  cours  monétaire,  c'était  la  réforme  de  l'organisation 
intérieure  rendue  nécessaire  par  l'accroissement  du  pays.  Les 
lois  demandaient  une  révision,  le  code  criminel  surtout  qui 
admettait  encore  l'application  de  la  question,  quoique  pour  l'hon- 
neur de  nos  triijunaux,  ils  eussent  rarement  recours  à  une  pra- 
tique (jui  déshonorait  à  la  fois  l'humanité  et  la  raison,  et  qui  était 
en  usage  alors  dans  presque  toutes  les  contrées  de  l'Furope. 
E'.le  existait  cependant  dans  notre  code,  on  pouvait  s'en  prévaloir, 
et  on  le  fit  jusque  dans  les  dernières  années  de  la  domination 
française.*     L'éducation  était  aussi  un  des  objets  les  plus  essen- 

•  l'rocétiures  judiciaires  déposées  aux  archives  provinciales.  Entre  autres 
cas,  nous  avons  remarqué  ceux  d'Antoine  Halle  et  du  nommé  Gaulet,  accu- 
sée de  vol  en  1730,  et  celui  de  Pierre  Beaudoin  dit  Cumberland,  soldat  de  la 
compagnie  de  Lacorne,  accusé  d'avoir  mis  le  feu  aux  Trois-Riviéres  en 
1752.  Ce  dernier  l'ut  déshabillé  et  mis  dans  des  brodequins,  espèce  de  torture 
qui  consistait  à  comprimer  les  jambes.  Le  nombre  des  questions  à  faire 
était  fixé,  et  à  chacune  d'elles  le  supplice  augmenté.  M.  Faribault  s'occupe 
à  recueillir  quelques-unes  de  ces  procédures,  et  à  les  mettre  en  ordre  pour 
les  conserver.  Rien  ne  sera  plus  propre  ù  l'étude  de  la  jurisprudence  cri- 
minelle sous  le  régime  français,  que  ces  pièces  authentiques.  Elles  révéle- 
ront à  un  homme  de  loi  les  qualités  bonnes  ou  mauvaises  de  cette  juris- 
prudence. Si  le  volume  des  écritures  est  un  signe  de  sa  bonté,  on  peut  dire 
vraimeut  que  le  droit  criminel  qui  régissait  nos  ancêtres  était  un  des  plus 
parfaits. 


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104 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


tiels  dont  on  pouvait  s'occuper.  En  1722,  M.  de  Vaudreuil  éta- 
blit hi'<  maîtres  d'éco'e  en  dllFércns  endroits  du  pays  pour  con- 
tribuer à  l'enseignement  avec  les  Jés^uites  et  les  Réi-ollcts.  L'agri- 
culture exigeait  également  des  améliorations.  Enfin  les  fortifi- 
cations de  Québec,  commencées  par  MM.  de  Beaucourt  et 
Levasscur,  et  disconlinuées  pour  vice  dans  les  plans,  furent 
reprises  en  1720  sur  ceux  de  M.  Cbaussegros  de  Léry,  ingénieur, 
approuvé  par  le  bureau  de  la  guerre.  Deux  ans  après  on  résolut 
de  ceindre  Montréal  d'un  mur  de  pierre  avec  bastions,  dépense 
(]ue  l'état  des  finances  du  royaume  obligea  de  faire  supporter  en 
partie  par  les  habitans  et  les  seigtieurs  de  la  ville. 

M.  de  "audreuil,  après  avoir  terminé  les  négociations  avec  les 
canlon^ ,  et  l'affaire  du  papier-mor'""'e,  décréta  une  nouvelle  divi- 
sion paroissiale  de  la  partie  établie  du  pays,  déjà  partagée  en 
trois  gouvernemens  :  Québec,  Trois-Rivières  et  Montréal.  On 
V  forma  quatrevingt-deux  paroisses,  dont  quarante-huit  sur  la 
rive  gauche  du  St.-Laurent  et  trente-quatre  sur  la  rive  droite. 
La  baie  St. -Paul  et  Kamouraska  étaient  les  deux  dernières  à 
l'est,  l'Ile-du-Pada  et  Chateauguay  à  l'ouest.  Cette  importante 
entreprise  fut  consommée  en  1722  par  un  arrêt  du  conseil  d'état 
enregistré  à  Québec. 

Une  autre  mesure  se  rattachait  à  la  division  territoriale,  la 
confection  d'un  recensement.  L'on  comptait,  d'après  celui 
de  lt)79,  10,000  âmes  alors  dans  toute  la  Nouvelle-France, 
dont  500  seulement  en  Acadie  ;  et  22,000  arpens  de  terre  en 
culture.  Huit  ans  plus  tard,  cette  population  n'avait  subi  qu'une 
augmentation  de  2,300  âmes.  M.  de  Vaudreuil  voulant  réparer 
un  oubli,  ordonna  de  faire  un  recensement  tous  les  ans  pendant 
quelques  années  avec  toute  la  précision  possible.  L'on  trouva 
par  celui  de  1721,  25,000  habitans  en  Canada,  dont  7,000  à 
Québec  et  3,000  à  Montréal.  62,000  arpens  de  terre  en  labour  et 
12,000  en  prairies.  Le  rendement  de  ces  62,000  arpens  de 
terre  atteignait  un  chiffre  considérable  ;  il  fut  dans  l'année  pré- 
citée de  282,700  minots  de  blé,  de  7,200  de  maïs,  57.4.00  de 
pois,  64,000  d'avoine,  4,500  d'orge  ;  de  48,000  livres  de  taiiac, 
54,600  de  lin  et  2,100  de  chanvre,  en  tout  416,000  minots  de 
grain  ou  6  3  minots  par  arpent,  outre  1  s  livre  de  tabac,  lin  ru 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


105 


clianvre.     Les  animaux  étaient  portés  à  59,000  têtes,  dont  5,600 
chevaux. 

Ce  dénombrement  montrait  que  près  de  la  moitié  de  la  popu- 
lation habitait  les  villes,  signe  que  Tagriculture  était  fort  né-fligée. 
Le  total  des  habilans  faisait  naître  aussi,  par  son  faible  chiflfie.de 
pénibles  réflexions.     Le  gouverneur  qui  prévdyait  tous  les  dan- 
gers du  voisinage  des  provinces  américaines,  dont  la  force  numé- 
rique devenait  de  plus  en  plus  redoutable,  appelait  sans  cesse 
l'attention  de  la  France  sur  C3  fait  qu'elle  ne  devait  plus  se  dissi- 
muler.    Dès  ni^,  il  écrivait  à  M.  de  Pontchartrain  :  "  l.e  Ca- 
nada n'a  actuellement  que  4,484'  habitans  en  état  de  porter  les 
armes  depuis  l'âge  de  cpiatorze  ans  justprà  soix..     i,  et  les  vingt- 
huit  compagnies  des  troupes  de  la  marine  que  le  roi  y  entretient, 
ne  font  en  tout  que  six  cent  vingt-huit  soldats.     Ce  peu  de  monde 
est  répandu  dans  une  étendu  î  de  cent  lieues.  Les  colonies  anglaises 
ont  soixnn'e  mille  hommes  en  état  do  porter  les  armes,  et  on  ne  peut 
douter  qu'à  la  première  rupture,  elles  ne  fassent  un  grand  elTort 
p.ur  s'emparer  du   Canada,  si  l'on   fait  réflexion   qu'à  l'artic'e 
XXII  des  instructions  données  par  la  ville  de  Londres  à  sea 
députés  au  prochain  parlemen),  il  est  dit  qu'ils  demanderont  aux 
ministres  du  gouvernement  précédent,  pour(]uoi  ils  ont  laissé  à  la 
France  le  Canada   et  l'île  du    Cap-Breton?"     Dans   son  désir 
d'augmenter  la  population,  il  proposa  inutilement  de  faire  du  Ca- 
nada une  colonie  pénale. 

Le  voluptueux  Louis  XV,  livré  aux  plaisirs  et  à  un  commerça 
d'esprit  puéril,  répondit  aux  remontrances  de  Vaudreuil  en  fai- 
sant quelques  efl'orts  qui  cessèrent  bientôt  tout-à-fait;  il  envova 
à  peine  quelques  émigrans,  et  les  fortiflcations  entreprises  aux 
deux  principales  villes  du  pays,  restèrent  incomplètes  au  point 
que  Montcalm,  trente  ans  après,  n'osa  passe  retirer  derrière  celles 
de  Québec  avec  son  armée,  quoiqu'elles  eussent  encore  été  aug- 
mentées. En  17'28  le  gouverneur  proposa  de  bâtir  une  citadelle 
dans  cotte  capitale  ;  on  se  contenta  de  lui  répondre  :  "  Les  Cana- 
diens n'aiment  pas  à  combattre  renfermés  ;  d'ailleurs  l'Etat  n'est 
pas  capable  de  faire  cette  dépense,  et  il  serait  dilficile  d'assiéger 
Québec,  dans  les  formes  et  de  s'en  rendre  maître." 

Pourtant  dans  le  moment  même  un  sujet  qui  dominait  tous  les 
autres,  et  qui  devait  être  tôt  ou  tard  une  cause  de  guerre,  inquié- 


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106 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


14^- 


tait  beaucoup  le  gouvernement  ;  la  question  des  frontières  était 
toujours  pendante  avec  l'Angleterre.  Les  ministres  y  revenaient 
ff;quemment  et  ave«'-  une  préoccupation  marquée.  On  avait 
d'immenses  contrées  à  défendre,  qui  se  trouvaient  encore  sans 
hahitans  ;  et  les  questions  de  limites,  on  le  sait,  sont  les  plus  diffi- 
ciles et  les  plus  délicates  à  régler,  et  si  elles  traînent  en  Umgueur, 
elles  s'embrouillent  de  plus  en  plus.  Le  langas^e  de  Ang'ais 
s'élevait  tous  les  jours  avec  le  chiffre  de  leur  populo  ion  coloniale. 
Leur  politique,  comme  celle  de  tous  les  gouvernemens,  ne 
comptait  qu'avec  les  obstacles  :  la  justice  entre  les  nations  est  une 
chose  arbitraire  qui  procède  de  l'expédience,  de  l'intérêt,  ou  de 
la  force  ;  ses  régies  n'ont  d'autorité  qu'autant  que  la  jalousie  des 
divers  peuples  les  uns  contre  les  autres  veille  au  maintien  de 
l'équilibre  de  leur  puissance  respective  ;  elle  a  pour  base  enfin  la 
crainte  ou  le  glaive. 

La  grandeur  des  projets  de  Louis  XIV  sur  l'Amérique  avait, 
comme  ceux  qu'il  avait  formés  sur  l'Europe,  effrayé  l'Angleterre, 
qui  chercha  à  les  faire  avorter,  ou  à  se  les  approprier  s'il  était 
possible.  Elle  disputa  aux  Français  leur  territoire,  h^ur  influence, 
la  traite  des  pelleteries:  elle  leur  disputa  aussi  l'alliance  des 
Indiens.  Si  la  période  qui  s'est  écoulée  de  1715  à  IT-ti,  n'est 
pas  encore  une  période  de  guerre  ouverte,  elle  e  t  une  époque 
de  lutte  politique  et  commerciale  extrêmement  vi  à  laquelle 
des  intérêts  de  jour  en  jour  plus  impérieux,  ne  laissent  point 
voir  de  terme.  Dans  les  premières  années  de  l'établissement  de 
l'Amérique,  les  questions  de  frontières  et  de  rivalité  mercantile 
n'avaient  pas  encore  surgi  ;  on  ne  connaissait  pas  comme  on  l'a 
déjà  observé,  toute  l'étendue  des  pays  dont  on  prenait  possession, 
et  il  ne  se  faisait  aucun  commerce  entre  eux.  Mais  au  bout  d'un 
siècle  et  demi,  les  étab!issemens  français,  anglais,  espagnols 
avaient  déjà  pris  assez  d'extension  pour  se  toucher  sur  plusieurs 
points,  et  pour  avoir  besoin  par  cela  môme  de  l'alliance  ou  des 
déj'ouilles  des  Indigènes,  pour  faire  iriompher  les  prétentions 
ririivelles  qu'ils  annonçaient  réciproquement  chaque  jour.  Les 
lois  internationales,  violées  dès  l'origine  dans  ce  continent  par  lea 
Européens,  y  étaient  partout  méconnues  et  sans  force.  Après 
que  le  pape  se  fut  arrogé  le  droit  de  donner  aux  chrétiens  lea 
terres  dea  infidèles,  tout  frein  fut  rompu  ;  car  quel  respect  pou- 


¥\'  '  ! 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


107 


vait-on  avoir  pour  un  principe  qu'on  avait  foulé  au  pied  dès  le 
premier  jour  dans  le  Nouveau- Monde  en  s'emparant  degré  ou 
de  force  d'un  sol  qui  était  déjà  possédé  par  de  nombreuses 
nations.  Aussi  l'Amérique  du  Nord  présenta-t-elle  bientôt  le 
spectacle  qu'olTrit  l'Europe  dans  la  première  moitié  de  l'ère  chré- 
tienne; une  guerre  sans  casse  renaissante  s'alluma  entre  les 
Européens  pour  la  possession  du  sol. 

Dans  un  tel  état  de  choses  rien  d'étonnant  qii'ils  eussent  une 
répugnance  extrême  à  se  lier  par  un  droit  public  quelconque;, on 
reconnaissant  certains  principes  qui  pussent  servir  de  guide  dans 
la  délimitation  de  leurs  territoires  respectifs;  mais  il  ne  purent 
éviter  d'en  avouer  quelques  uns,  car  la  raison  humaine  a  besoin 
de  suivre  certaines  règles  même  dans  ses  plus  grands  écarts. 
Quoique  ces  principes  fussent  peu  nombreux  et  môme  peu  stricts, 
on  voulut  encore  souvent  s'en  affranchir.  Après  avoir  reconnu 
que  la  simple  découverte  donnait  le  droit  de  propriété,  ensuite 
que  la  prise  de  possession  ajoutée  à  la  découverte,  était  néces- 
saire pour  conférer  ce  droit,  on  s'airêta  à  ceci,  que  la  possession 
actuelle  d'un  territoire,  auparavant  inoccupé,  inv^^stissait  seule  du 
droit  de  propriété.  L'Angleterre  et  la  France  adoptèretit  à  p. ni 
près  cette  interprétation,  soit  par  des  déclarations,  soit  par  des 
actes,  et  par  territoire  non  occupé  on  entendait  celui  qui  ne  l'était 
que  par  les  Sauvages.  Après  cette  exp'ication  il  sera  facile 
d'apprécier  les  différends  élevés  entre  les  deux  nations  relative- 
ment aux  frontières  de  leurs  colonies,  lorsqu'il  n'y  aura  qu3  l'ap- 
plication du  principe  à  faire.  Quant  aux  dilKcu!tcs  provenant  de 
l'interpréta'J  >n  différente  donnée  à  des  traités  spéciaux,  com  n.3 
dans  le  cas  des  limites  de  l'Acadie,  la  manière  la  plus  sûre  de 
montrer  la  vérité  sera  d'exposer  simplement  ics  faits. 

Après  le  traité  d'Utrecht  l'Angleterre  garda  l'Acadie  sans  en 
faire  reconnaître  les  limites,  et  ne  réclama  point  les  élahlissemens 
formés  le  long  de  la  baie  de  P\indy,  depuis  la  rivière  de  Kénébec 
jusqu'à  la  Péninsule.  Les  Français  restèrent  en  possession  delà 
rivière  St.-.lean  et  s'y  fortifièrent;  ils  continuèrent  d'occuper  de 
même  la  côte  des  Etchemins  jusqu'au  fleuve  St.-Laurenl  sans 
être  troublés  dans  leur  possession.  Telle  fut  quant  à  eux  la  con- 
duite de  la  Grande-Bretagne;  miis  à  l'égard  des  Al)énaquis,elle 
ea  suivit  une  autre,  et  la  Nouvelle-Angleterre  n'eut  pas  plutôt 


.Hi 


Nii 


108 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


reçu  le  traité  qu'elle  en  fit  part  à  ces  Savages,  en  leur  disant  que 
la  province  céJée,  c'est-à-dire  i'Acadie,  s'étendait  jusqu'à  sa 
propre  frontière.  Et  pour  les  accoutumer  en  même  temps  avoir 
des  Américains  et  les  détacher  des  missionnaires  français,  elle 
leur  en  envoya  un  de  sa  façon  et  de  sa  croyance.  Le  ministre 
protestant  s'établit  à  l'emboucliure  de  la  rivière  Kénél)ec,  où  il 
commença  son  œuvre  en  se  m' q^ant  djs  pratiques  catholiques. 

Le  P.  Rasle  qui  gouvernait  cette  mission  depuis  un  grand 
nombre  d'années,  n'eut  pas  plutôt  appris  ce  qui  se  passait,  qu'il 
résolut  de  venger  les  injures  faites  à  son  Eglise.  L  commença 
une  guerre  de  plume  avec  le  minisire  à  laquelle,  bien  entendu, 
les  Abénaquis  ne  comprirent  rien.  Mais  le  protestant  tomba 
dans  ses  discours  parlés  dans  la  vieille  ornière  das  injures  et  des 
accusations  d'idôlairie,  ce  qui  était  au  moins  une  maladresse  en 
présence  de  Sauvages  qui  comprennent  bien  mieux  une  religion 
dont  les  symboles  parlent  à  Tàme  qu'une  religiim  métaphysique 
qui  se  borne  à  quelcjucs  prières  sans  sacrifices  ni  actes  de  péni- 
tence. Le  jésuite  n'eut  pas  de  peine  à  l'emporter  sur  son  adver- 
saire, qui  fut  obi  gé  de  retourner  à  iios'on.  Les  Anglais  se  reje- 
tèrent alors  sur  le  commerce  qui  leur  était  toujours  bien  plus 
favorable,  et,  moyennant  certains  avantages,  ils  obtinrent  la  per- 
mission d'établir  des  comptoirs  sur  la  rivière  Kénébec.  Bientôt 
les  bords  de  cette  rivière  se  couvrirent  de  forts  et  de  maisons. 
Les  Sauvages  en  voyant  les  choses  marcher  si  vite,  commen- 
cèrent à  en  concevoir  des  craintes.  Ils  questionnèrent  leurs 
nouveaux  hôtes,  qui  se  croyant  assez  forts  pour  lever  le  masque, 
répondirent  que  la  France  leur  avait  cédé  le  pays.  S'apercevant 
alors,  mais  trop  tard,  (ju'ils  étaient  joués,  les  Abénaquis  refoulant 
pour  le  moment  leur  colère  au  fijnd  du  cœur,  envoyèrent  une 
députation  à  Québec  pour  savoir  de  M.  de  Vaulreuil  si  cela  était 
vrai.  Ce  gouverneur  répondit  que  le  traité  d'Utrecht  ne  faisait 
aucune  mention  de  leur  territoire.  Sur  quoi  ils  résolurent  aussi- 
tôt d'en  chasser  les  nouveaux  venus  les  armes  à  la  main.  C'est 
à  cette  occasion  qu'apprenant  les  prétentions  émises  par  la 
Grande-Bretagne,  la  France  proposa  en  1718  ou  19,  d'abandon- 
ner le  règlement  de  cette  question  à  des  commissaires,  qui  ne 
firent  rien. 

Les  Anglais  voyant  les  dispositions  des  Abénaquis,  songèrent 


Hit    vIRE  DU   CANADA. 


109 


à  se  procurer  des  otages  pour  répondre  de  leur  sûreté.  Ils 
employèrent  pour  celo  divers  moyens  qui  passèrent  pour  des 
trahisons  et  irritèrent  encore  davantage  le  cœur  de  ces  Sauvages. 
Le  gouverneur  de  la  Nouvelle-Angleterre  leur  fit  demander  une 
conférence  pour  terminer  leurs  difficultés  à  l'amiable  ;  mais  au 
lieu  d'y  aller  lui-même  il  fit  saisi.'  les  otages  qu'on  lui  a\ait  donnés 
pour  la  sûreté  de  sa  personne,  et  combla  par  là  la  mesure.  Ils 
auraient  pris  les  armes  sans  le  P.  de  la  Chasse,  supérieur  général 
des  missions  dans  ces  quartiers,  et  le  P.  Rasle,  qui  les  engagèrent 
à  écrire  à  Boston  pour  demander  les  otages  surpris,  et  sommer  les 
Anglais  de  sortir  du  pays  dans  les  deux  mois.  Cette  lettre  étant 
restée  sans  réponse,  le  marquis  de  Vaudreuil  eut  besoin  de  toute 
son  influence  pour  les  empêcher  de  commencer  les  hostilités  : 
cela  se  passait  en  1721. 

Dans  le  même  temps  les  Américains  attribuaient  l'antipathie 
des  naturels  aux  discours  des  Jésuites,  auxquels  ils  portaient  tou- 
jours une  haine  profonde.  Ils  crurent  surtout  que  le  P.  Rasle 
était  l'auteur  de  ce  qui  ne  devait  être  attribué  qu'à  leur  ambition  ; 
et  tandis  que  ce  Jésuite  usait  de  toute  son  influence  pour  empê- 
cher les  Abé  naquis  de  les  attaquer,  ils  met  aient  sa  tête  à  prix  et 
envoyaient  vainement  deux  cents  hommes  pour  le  saisir  dans  le 
village  indien  où  il  faisait  ordinairement  sa  résidence.  Ils  furent 
plus  heureux  à  l'égard  de  leur  chef,  le  baron  de  St.-Castin,  qui 
s'était  aussi  lui  attiré  leur  vengeance.  Il  demeurait  sur  le  bord 
de  la  mer.  Un  jour  du  mois  de  janvier  1721  un  vaisseau  bien 
connu  paraît  sur  la  côte  ;  il  y  monte  comme  il  faisait  quelquefois 
pour  visiter  le  capitaine,  et  dès  qu'il  est  à  bord  il  est  déclaré  pri- 
sonnier et  conduit  à  Boston  où  on  le  traite  en  criminel.  On  l'y 
retient  plusieurs  mois,  malgré  les  réclamations  de  M.  de  Vau- 
dreuil qui  parvient  enfin  à  le  faire  élargir.  Rendu  à  la  liberté 
St.-Castin  passa  peu  de  temps  après  en  France  pour  recueillir 
l'héritage  de  son  père  dans  le  Béarn,  d'où  il  ne  revint  point  en 
Amérique. 

A  la  nouvelle  de  l'enlèvement  de  leur  chef  les  Abénaquis,  si 
fiers  de  leur  liberté  que  l'un  d'eux  disait  à  un  envoyé  anglais  en 
1727  :  "  Je  n'entends  point  reconnaître  ton  roi  pour  mon  roi  et 
le  roi  de  mes  terres.  Dieu  a  voulu  que  le  Sauvage  n'eut  pas  de 
roi  et  qu'il  fut  maître  ea  commun,"  les  Abénaquis  levèrent  la 


110 


HISTOIRE   nu    CANADA. 


hnche  et  tliantèrenl  la  guerre  dans  toutes  les  irihus.  Ils  se  m'retil 
partout  en  campagne  et  incendièrent  tous  les  é1ablis^•ealens  de  la 
rivière  KénCiji'c,  sans  cependant  faire  de  mal  aux  personnes. 
C'était  dans  le  temps  même  (|ue  len  Ang'ais,  continuant  toujours 
d'attribuer  aux  conseils  du  F.  Rasle  ce  que  ces  Iiuliens  leur  fai- 
saient, formaient  un  nouveau  projet  pour  sVmiiaror  de  lui  mort 
ou  vif.  Connaissant  leur  ntlacluMuenl  pour  sa  persoime,  ils  n'en- 
vo^èrent  pas  moins  de  onze  cents  hommes  |)oiir  le  i;rei\dre  et 
l'étruire  Narantsouak,  grande  bourgade  qu'il  avat  foiniée  autour 
de  ta  chapelle.  Cerner  le  vilhige  entouré  d'épaisses  broustailles, 
IVnlever  et  le  livrer  aux  flammes  fut  l'afliurc-  d'un  instant.  Au 
premier  bruit,  le  vénérable  missionnaire  était  sorti  do  sa  demeure 
pour  voir  ce  que  c'était.  Les  assaillans  jetèrent  un  gratid  cri  en 
rapercevanl  et  le  couchèrent  en  joue.  ]l  tomba  sous  une  giêle 
de  lialles  avec  sept  I  idiens  qui  voulurent  lui  (aire  un  reinj  art  de 
leurs  corps.  Les  Aiig'ais  épuisèrent  ensuite  leur  vengeance  sur 
son  cadavre,  qu'ils  mutilèrent  d'une  manière  bar!  are.  puisse  reti- 
rèrent précipilanunent.  Le  premier  soin  des  Sauvages  en  ren- 
trant dans  leur  village,  et  tandis  (jue  les  femmes  cherchaient  de.s 
herbes  et  d.'s  p  nrites  pour  panser  les  bles^és,  lut  de  pleurer  sur 
leur  inforiunt  missioimaire.  Ils  le  trouvèrent  percé  de  mille 
coups,  la  cheve'ure  et  les  j'eux  remplis  de  boue,  les  o»  des  jambes 
fracassés.  Jamais  les  Sauvages  dont  on  e>a;:érait  si  fort  en 
toute  occasion  les  inhumanités,  ne  s'étaient  acharnés  ainsi  sur  les 
caJavres  de  leurs  ennemis. 

Li  guerre  après  cette  surprise,  continua  avec  une  vigueur  aug- 
mentée par  la  soif  d'une  vengeance  légitime,  et  presque  toujours 
à  l'avantage  des  Abénaquis.  M.  de  Vaudieuil  ne  pouvait  pas 
leur  donner  de  secours,  mais  il  n'empêchait  pas  les  tribus  sauvages 
de  le  faire,  en  leur  démontrant  (pie  les  Anglais  plus  nombreux 
étaient  plus  à  craindre  que  les  Français,  qui  au  contraire  contri- 
buaient par  leur  seule  présence,  malgré  leur  petit  nombre,  à  la 
conservation  de  l'mdépendance  de  toutes  les  nations  indigènes. 

En  172."),  ce  gouverneur  i\m  était  à  Montréal  vit  arriver  quatre 
députés  du  Massachusetts  et  de  la  Nouvelle-York,  MM.  Dudley, 
Taxter,  Atkinson  et  Schuyler,  pour  traiter  de  la  paix  avec  les 
Abénaquis,  dont  plusieurs  chefs  se  trouvaient  a'dors  dans  cette 
ville.    Après  avoir  remis  une  réponse  vague  pour  la  katisfaction 


HISTOmE    DU    CANAD\. 


111 


qu'il  avnil  dcmntulée  ds  la  mort  du  P.  Roale.  ils  cherchèrent  à 
entrer  riecrèleiuent  en  négociation  avec  les  Abénaiiiiis,  qui  repous- 
seront loutj  proi)o.sition,  et  voulurent  au  contraire  que  l'on  is^as- 
sennhlàt  chez  M.  tij  VaudrLMiil  pour  délihérer. 

L\)\\  y  tint  plusieurs  conférences,  où  Ton  discuta  la  (|UL'stion 
tl .'S  limites  et  cjlle  djs  ind jiiinités.  JVultimatuin  des  Sauvaiçes 
rut(iu''ils  conserveraient  pour  territoire  tout  c?.  quM  y  avait  à  partir 
(l'une  lieue  de  r>a(.o  à  aller  jusqu'à  Port-R.)yal,  et  que  la  mort  du 
P.  Rasle  et  les  doiuiuairi's  laits  pendant  la  gujrre  seraient  couverts 
par  d.'s  i)résens.  Les  Français,  en  uiettant  en  oiihli  ilans  cette 
cironatance  leurs  prétentions  sur  les  terres  haii^nées  par  les  eaux 
da  la  baie  de  Fondy,  ne  faisaient  que  reconnaître  l'indépendance 
des  Abénaquis,  comme  ils  avaient  reconnu  déjà  celle  des  Iroquois. 
Mais  il  était  facile  de  prévoir,  que  les  agens  anglais,  si  toutefois 
ils  étaient  autorisés  à  traiter,  n'accepteraient  point  de  pareilles 
bases.  En  effet  ils  se  contentèrent  de  répondre  qu'ils  fera-ent 
leur  rapport  à  Boston.  Ils  se  plaignirent  ensuite  des  secours  que 
l'on  avait  donnés  aux  Abénaquis  contre  la  foi  des  traités,  dont 
ils  réclamèrent  l'exécution  en  demandant  les  prisonniers  retenus 
en  Canada  Ils  faisaient  allusion  à  la  part  que  nos  Indiens 
avaient  prise  aux  hostilités. 

Le  gouvernement  qui  redoutait  le  rétabUssement  de  la  paix  et 
le  rapprochement  des  deuç  peuples,  vit  avec  plaisir  la  rupture 
des  conférences.  Le  ministère  avait  déjà  écrit  à  M.  Beaubarnois, 
qu'il  ne  pouvait  prendre  de  trop  justes  mesures  pour  em^iêchei-  tout 
accommodement  ;  mais  les  conférences  n'avaient  été  réellement 
qu'ajournées,  car  deux  ans  après,  en  1727,  un  traité  fut  conclu 
entre  les  parties  belligérantes  à  Kaskabé  avec  la  condition 
verbale  que  les  Abénaquis  resteraient  maîtres  de  leurs  terres 
et  auraient  la  liberté  de  suivre  le  parti  des  Français  ou  le  parti  des 
Anglais  en  cas  de  rupture  entre  les  deux  nations.  Lorsque  la 
nouvelle  de  ce  traité  parvint  à  Paris,  le  ministre  en  montra  beau- 
coup de  regret,  sentant  déjà  tout  le  danger  que  courrait  désormais 
le  Canada  s'il  était  attaqué  du  côté  de  la  mer.  Il  manda  qu'à 
tout  prix  les  missionnaires  conservassent  l'attachement  de  ces 
Sauvages  qui  servaient  de  barrière  du  côté  de  l'Acadie.*    Trop 

•  Charlevoix  était  de  la  même  opinion,  car  dans  une  lettre  qu'il  écrivit  tt 
la  duchesse  de  Lesdiguières  lorsqu'il  voyageait  en  Canada  huit  ans  après  le 


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112 


HISTOIRE   OU    CANADA. 


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d'intérêts  du  reste  leur  dictaient  cette  politique  pour  qu'ils  ne  la 
suivissent  pas.  Ce  ministre  enjoignit  aussi  de  peupler  le  bas  de  la 
colonie  au  lieu  des  pays  au-dessus  de  Montréal  pour  Être  en  état 
de  repousser  une  invasion  qui  ferait  plus  de  dommage  par  ce  côté 
ci  que  par  Tautre. 

Quant  à  la  délimitation  de  cette  fronti'ire,  que  le  P.  Aubry  avait 
proposé  de  fixer  en  tirant  une  ligue  de  Beaubassin  à  la  source  de 
la  rivière  Hudson,  il  paraît  qu'il  n'en  fut  plus  question  jusqu'à  la 
guerre  de  1744.  Ce  missionnaire  canadien,  illustré  parla  plume 
de  Chateaubriand  et  le  pinceau  de  Girodet,  était  dans  cette  con- 
trée en  1718.  Il  écrivait  que  l'Acadie  se  bornait  à  la  péninsule, 
et  que  si  on  abandonnait  les  Sauvages,  les  Anglais  porteraient 
aussitôt  leurs  frontières  jusqu'à  la  hauteur  des  terres  près  de 
Québec  et  de  Montréal.  L'humble  prédicateur  avait  prévu  les 
prétentions  du  cabinet  de  Londres  trente  ans  avant  leur  énoncia- 
tion.  La  faute  du  gouvernement  français  fut  de  n'avoir  pas  dis- 
tingué, par  une  ligne  de  division,  chacune  de  ses  provinces.  Il 
n'y  avait  pas  de  limites  tracées  et  connues  entre  l'Acadie  et  le 
Canada,  et  les  autorités  canadiennes  comme  celles  de  l'Acadie 
avaient  fréquemment  fait  acte  de  juridiction  pour  les  mêmes 
terres. 

Tel  fut  l'état  des  choses  du  côté  de  l'Acadie  jusqu'au  traité 
d'Aix-la-Chapelle.  Les  Français  établis  sur  la  rivière  St.-Jean, 
le  long  de  la  côte  des  Etchemins,  et  depuis  cette  côte  jusqu'au 
fleuve  St.-Laurent,  ceux  même  qui  habitaient  les  mines,  l'isthme 
et  les  pays  les  plus  voisins  du  territoire  cédé  à  la  Grande-Bre- 
tagne, ne  s'aperçurent  d'aucun  changement  dans  leur  état  ni  dans 
leurs  possessions.  Les  Anglais  ne  cherchèrent  ni  à  les  chasser 
du  pays  ni  à  les  obliger  à  prêter  serment  de  fidélité. 

Les  vues  et  les  prétentions  des  deux  peuples  n'étaient  pas 
moins  opposées  touchant  la  délimitation  de  leurs  frontières  au 
sud-ouest  de  la  vallée  du  St.-Laurent,  et  à  l'est  de  celle  du  Missis- 
sipi.  Mais  ici  la  question  se  simplifiait.  La  France  avait  posé 
pour  principe  que  les  vallées  découvertes  et  occupées  par  elle  lui 

traité  d'Utrecht,  il  s'exprime  ainsi.  "  Les  Abénaquis  ou  Cànibas  voisins  de 
la  Nouvelle-Angleterre  ont  pour  plus  proches  voisins  les  Etchemins  ou 
Malécites,  aux  environs  de  la  rivière  de  l'entagoët,  et  plus  à  l'est  sont  les 
Micmacs  ou  Souriquois,  dont  le  pays  propre  est  l'Acadie,  la  suite  de  la  côte 
(lu  Golfe  St.>Laureat  jusqu'à  Gaspé,"  etc 


r  ] 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


113 


appartenaient  avec  tontes  les  terres  arrosées  par  les  eanx  (|ni  y 
tomliiiicnt  ;  ainsi  elle  réelania  toujours  on  verni  tie  r».'t'e  rèji  i-  le 
pays  (les  Iroquois  jnsqn'à  <;e  ([u'elle  l'eût  alian  loniié  par  niic 
Blipulalion  expresse;  et  elle  prit  possession  île  rO'.i.o  tant  par 
droit  de  déconverte,  que  parce  (jue  cette  rivière  se  j  lait  dans  le 
Mississipi.  L'Angleterre  néanmoins,  (pioi(|no  plus  lent.:  à  péné- 
trer datis  l'intérienr  du  continent,  ne  voulut  jamais  adiU^îllro  e.' 
principe  dans  ses  négociations  pour  des  raisons  lacile.'^  à  appré- 
cier. A  défaut  de  princi|)e,  elle  se  relranrha.  pour  j,istitier  dans 
la  suite  ses  cnvaliissemens,  sur  le  niotif  de  la  sûreté  na)i.)nale,  et, 
suivant  l'accusation  consacrée,  sur  l'ambition  dangereuse  de  la 
F  unce. 

Partant  le  gouvernenaent  français  était  depuis  l'ouverture  du  18o 
siècle  comme  ces  vieillards  dont  le  génie  a  survécu  à  la  force. 
Les  grandes  conceptions  de  Henri  IV,  de  Richelieu,  de  Colhert,do 
Louis  XIV  sur  les  colonies,  se  conservaient  à  Paris;  elles  éclairaient 
ses  hommes  d'état,  qui  tâchaient  de  les  suivre;  mais  leurs  elforts 
échouaient  devant  le  vice  d'institutions  surannées  qui  étoulTaiL'nt 
à  la  fois  l'énergie  et  la  liberté,  l'industrie  et  l'émigration  ;  ils 
échouaient  surtout  devant  le  système  politique  de  la  France  en 
Europe  qui  l'obligeait  de  retenir  tous  ses  enfans  auprès  d'elle 
pour  résister  aux  formidables  coalitions  inspirées  par  l'effroi  de  sa 
puissance.  Faute  d'émigration,  il  fallait  donner  aux  établissc- 
inens  coloniaux,  un  caractère  presque  militaire  dans  l'intérêt  de 
leur  défense.  Beauséjour,  Niagara,  !e  fort  Duquesne  devinrent 
ainsi  des  avant-postes  de  soldats  ;  mais  cela  ne  pouvait  durer 
longtemps  tant  il  est  vrai  de  dire  que  les  colonies  d'une  nation  en 
Amérique  ne  pouvaient  se  maintenir  que  par  une  population  qui 
marchât  de  pair  pour  le  nombre  avec  la  population  des  colonies 
d'une  autre  nation. 

Par  le  traité  d'Utrecht,  la  France  avait  abandonné  les  droits 
qu'elle  prétendait  avoir  sur  le  territoire  de  la  confédération  iro- 
quoise.  C'était  un  abandon  plus  imaginaire  que  réel,  car  les 
cinq  cantons  n'avaient  jamais  cessé  de  se  regarder  comme 
peuples  libres  et  indépendans  ;  et  si  l'Angleterre  persistait  à  vou- 
loir les  soumettre  à  sa  souveraineté,  elle  s'en  faisait  des  ennemis 
irréconciliables.  La  France  avait  reconnu  depuis  longtemps 
cette  indépendance  en  refusant  de  négocier  avec  eux  par  l'inter- 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


riK'dir.irc  de  la  N'oiivi-Ilo-York,  ot  en  sgiuint  le  tiaitù  il'^  \I()iilréal 

ti.'  nuj. 

C^'peiulant   U'.-s  Français  ne  mainleiiuienl  diiis  le  liant  de  la 
vaTée  du  St.- Liureiit  et  ilans  le  Itat-sin  du  Mi.-sissi|)i  à  Taidedeln 
Ira'.te  et  de  leur  alliaMce  avec   les  lrd)Ufs  iiidieniies.     L'Aiiirle- 
terre  travaillait  ouvorleitieiit  et  seerèt(  iniMit  depuis  l<)nu;leiu|)s  à 
leui  enlever  l'une  et  Tautre.     Aucun  moyen  ne  l'ut  plus  ellleaee 
t|iio  celui  adopté  par  la   Ni>uvell»>Y()rk  on   17'20,  >iur  In  reeom- 
uiaiidation  de  son  gouverneur,  M.  Burnet,  et  qui  consistait  à  pro- 
hiber tout  conunerce  avec  le  Canada.     '•  Les  Français,  écrivait 
M.  Hunter,  gouverneur  de  la  province  anglaise,  au  bureau  du 
commerce  à  Londres,  les  Français  ont  des  torts  et  des  établisse- 
mens  sur  plusieurs  points  du  Mississipi  et  des  lies,  et  ils  réclament 
ces  contrées  et  le  commerce  qui  s'y  fait  comme  leur  propriété  ; 
si  ces  élablissemens  continuent  d'augmenter  et  de  prospérer,  ils 
menaceront  même  l'existence  des  plantations  anglaises  ...  je  ne 
sais  sur  quoi  ils  fondent  leur  droit,  et  je  ne  vois  de  moyen  de 
parer  au  mal  que  je  viens  de  signaler,  qu'en  leur  persuadant 
d'abandonner  le  pays.     Ce  qu'il  y  aura  ensuite  de  mieux  à  faire, 
ce  sera  d'étendre  nos  frontières  et  d'augmenter  le  nombre  de  nos 
soldats."* 

Le  gouverneur  Hunter  ne  cherche  point  à  s'autoriser  de  titres 
chimériques  pour  établir  un  droit  de  priorité  en  faveur  de  sa 
patrie  ;  il  se  contente  de  mentionner  ses  motifs  qui  sont  simple- 
ment des  motifs  d'intérêt:  l'intérêt  est  sa  règle,  car  de  droit, 
même  celui  de  possession,  même  celui  de  premier  occupant  qui 
dans  le  cas  actuel  est  le  meilleur,  il  n'en  reconnaît  aucun. 

M.  de  Vaudreuil  suivait  d'un  œil  attentif  tous  les  actes  de  ses 
voisins.  Il  vit  de  suite  toute  la  portée  de  la  recommandation  de 
Burnet,  et  du  statut  législatif  qui  fut  passé  pour  lui  donner  force 
de  loi.  Immédiatement  ii  se  mit  en  frais  d'en  contrecarrer  les 
conséquences.  La  Joncaire  reçut  ordre  en  1721  d'établir  un 
poste  à  Niagara,  du  côté  du  sud,  afin  d'empêcher  les  Anglais  de 
s'introduire  sur  les  lacs,  ou  d'attirer  le  commerce  de  ces  contrées 
à  Albany.  C'était  un  hoii.  me  intelligent  et  qui  possédait  à  un 
haut  degré  cette  éloquence  figurée  qui  charme  tant  les  Sauva- 
ges. Il  obtint  sant  difficulté  des  Tsonnonthouaus,  qui  l'avaient 
*  Lettre  du  9  juillet  1718  :  Documens  de  Lo.idres. 


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HlHTOinE  DU   CANADA. 


113 


nili)|)lé  et  qui  !e  i'.liérir'!<aicni  comme  un  de  leiirn  cMinpatriut.^H,  lu 
pei m  Hjiion  (l'«»uviir  un  comploir  ilaiis  Itnirpay*.  U.K!ilc|)iit.iti»)ii 
envoyé»' aiipiùs  lie:*  OniionttijiiiéH,  coiiipo  éc  du  luron  «I,'  L  m- 
pueiiil,  du  mnnpiis  de' Cnvairnal.  fi'?*  du  iroiivern.'iir,  et  de  deux 
îiiiiies  per.-onne.s  (il)lenait,  de  ^oll  côté,  ra>5ieiilimenldo  ce  caMt(  i» 
ai/  nouvel  etaljlis«emeiit.  Aussitôt  ipie  la  nouvelle  de  ce  qui  r^e  • 
pasriait  parvinl  à  Alliany,  liiiniel  éciiv'.t  pour  protester  contre 
celte  violation  du  iruité  d  l'irecht,  nu  gouverneur  conadien  qui  se 
conleiitn  de  répondre  ipie  N  agiira  avait  toujours  a|)parlenu  à  !u 
coi.roiine  de  France.  Huriiet,  ne  pouvant  olitenir  d'autre  satis- 
iacticiii,  et  ne  voulant  pas  niiiiettre  lui-inù.n;'  d'actes  d'iioï^tili  é, 
8*adreb^:a  aux  Loquois  poi  '-s  engager  à  expulser  les  Françairj 
par  la  t'orce.  Burnet  altacliail  une  gia.ide  importanco  au  poste 
de  N  .ara  qu'il  regardait  comme  funeste  à  la  politique  anglaise, 
lo.  parceipi'il  protcijeait  la  commuircation  du  Canada  avec  le 
JMississ'.pi  |)ar  fCliio,  c.mimuiiicalion  qu'il  voulait  interrompre"  à 
l'aide  de  ses  oKiés;  et  '-io.  parce  que,  si  les  Fiançai  y  menaient 
une  garnison  assez  i'orte,  ils  seiai«'nt  maîtres  du  pl^î^age  i\\t  lac 
Ontario;  tandis  qu'au  contraire  si  le  Tort  était  démoli,  les  Sauva- 
ges occ'denlaux  tomlieiaient  dans  la  dépendance  immédiate  des 
Aiigais.  Burnet  se  plaitiiiil  vivement  encoie  à  tous  les  cniitous, 
dont  il  parvint  à  mettre  (juatre  dans  ses  inféiéls;  mais  il  ne  jiut 
engager  les  Tsonnt  nthouans,  ni  à  renvoyer  la  Joncaire,  ni  à  lui 
jicrmettre  à  'ui-méme  de  s'établir  dans  leur  pays.  Alors  il  prit 
le  parti  d'ouvrir  un  comptoir  sur  cette  Irontièie,  et  choisit  ren- 
trée de  la  rivière  O^wégo  à  mi-cliemin  entre  N  agara  et  le  fort  de 
Fioiitenac,  vers  lequel  le  poste  de  la  Joncaire  devait  acliemiiier 
la  traile  f 


*  I  vvill  do  iny  ondeavours.  <î 'lit  M.  Burnet  nii  Eiii'taii  c!u  conimerce,  in 
thc  spriiiu;  witlioiit  comnuttiiig  hostility,  to  get  our  liidiiins  to  ileniolisli  il. 
Tiiis  plate  is  of  j^rcat  conséquence  Ibr  two  reuioiis,  Ist.  bccause  it  keeps  ll.e 
couui.uiiii'atioii  between  Canada  and  tiie  Mississipi  by  thc  river  Obio  opeii, 
which  eiso  our  Indiaus  would  be  able  lo  iiitereept  al  pleuhiire,  and  i!d.  it'  it 
shou  d  be  niade  a  tort  \\itli  soldiers  eiioujîh  in  it,  it  will  keep  our  Uidians 
iVorn  g()in;i  over  the  iiarrow  part  of  llie  Iake  Ontario  by  tli;s  only  pMss  ci' 
tlie  Indiaus  wilhoul  Icave  ol  ibe  French,  so  tliat  it  it  were  denioi.slied  llie 
far  ludians  would  dej;end  ou  us."— Duc u mens  de  Luiilns, 

t  Uocuuiens  de  Paris. —Journal  historique  de  Cliarlevoix. 


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116 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


Les  deux  notions  éfaieiit  ainsi  décidées  de  se  maintcnii*  dans 
les  |)()siti()ns  (|ii'olIcs  prenaient  ou  (|u\'lles  avaient  prises.  Louis 
XV  écrivait  de  sa  main  sur  un  mémoire  :  "  Le  poste  de  Niagara 
est  de  la  dernière  importance  pour  conserver  le  commerce  des 
pays  d'en  haut."  Il  ordonna  de  bâtir  un  fort  en  pierre  sur  Tem- 
p'aeeivieiit  de  e.'lui  (jue  Denonville  y  avait  élevt  autrefois,  il  ren- 
dii  libre  la  traite  de  l'eau  de  vie  chez  les  Sauvages,  comme  elle 
l'était  che/;  les  Anglais,  et  rétablit  la  vente  des  congés  qui  furent 
fixés  à  '200  livres.  En  même  temps  M.  de  Beauharnais  recevait 
instruclion  d'empêcher  aucun  étrangler  de  pénétrer  sur  le  terri- 
toire français,  s«it  pour  commercer,  soit  pour  étudier  le  pays  ;  et 
les  Anglais  de  rester  plus  de  deux  jours  à  Montréal.  Il  y  en 
avait  beaucoup  d'établis  dans  cette  ville,  ouvriers,  marchands  et 
autres.  Il  parait  que  leur  grand  nombre  avait  excité  les  soup- 
çons du  ixouvernement. 

Ij'>  duc  de  Ne\v-Cast!e,  ministre  anglais,  se  plaignait  alors  en 
vain  à  lu  cour  de  Versailles  de  l'établissement  de  Niagara.  De  son 
Cillé  U.iinet  éci.v;iit  une  lettre  (|ui  fut  remise  au  baron  de  Lon- 
guMnl.  irouveriieur  |)ar  intérim  après  la  mort  de  M.  de  Vaudreuil, 
par  M.  L.%''nirston  voyageant  ostensiblement  poin' son  éducation, 
niais  chai'iié  probablem  ^nt  de  (pieKpie  mission  secrète. 

Ne  recevant  aucune  réponse  favorable,  il  commença  à  se  for- 
tifier à  Oswéiro,  et  répondit  à  la  sommation  que  M.  de  Beauhar- 
nais lui  fit  porter  en  1727  de  se  retirer  de  ce  poste,  en  y  envoyant 
une  forte  garnison  pour  le  défendre  en  cas  d'attacpie.  Oswégo 
possédait  une  double  importance  pour  les  Anglais,  il  était  néces- 
saire à  leur  projet  de  s'emparer  de  la  traite  des  pelleteries,  et  il 
protégeait  les  établissemens  que  leurs  colons  formaient  entre 
l'Hudson  et  le  lac  Ontario. 

Ces  dilllcultés  et  ces  empiétrmens  amenaient  l'un  après  l'autre 
des  rcpiésailles.  Voyant  qu'il  ne  pouvait  déloger  Burnet  du 
pos-tc  (lu'il  occupait  s.ur  le  lac  Ontario,  Beauharnais  tourna  sa 
position  et  vint  élever  un  fort  vers  la  tête  du  lac  Champlain,  à  la 
pointe  à  la  Chevelure,  maintenant  Crown  Point.  Ce  lac,  comme 
l'on  sait,  qui  se  décharge  dans  le  St. -Laurent  par  la  rivière 
R  chelieii,  tire  ses  eaux  du  plateau  où  prend  sa  source  la  rivière 
Hudson  qui  va  se  jeter  du  côté  opposé  dans  la  mer,  à  New-York. 
I;Intouru  de  uonta^nuâ  vers  le  haut,  ses  l'ivcs  s'abaiescnt  graduelle- 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


17 


ment  à  mesure  qu'il  approche  de  St.-Jeon,  bourg  situé  à  son 
extrémité  inférieure.  M.  de  la  Corne,  officier  canadien  de  dis- 
tinction, appela  le  premier  l'attention  sur  l'importance  d'occuper 
ce  lac,  qui  doinait  entrée  dans  le  cœur  même  de  la  Nouvelle- 
York.  En  elTet,  de  la  Pointe  à  la  Chevelure  on  menaçait  à  la 
fois  Osvvégo,  Albany  et  la  Nouvelle-Angleterre  elle-même,  qui 
n'eut  pas  plutôt  appris  le  résolution  des  Français,  qu'elle  vota 
une  somme  d'argent  pour  envoyer,  avec  la  Nouvelle-York,  une 
ambassade  en  Canada,  chargée  de  faire  des  remontrances  à  M. 
de  Beauharnais  le  l'engager  à  abandonner  cette  position.  En 
même  temps  elle-  pressait  la  Nouvelle- York  d'exciter  l'opposition 
des  cinq  nations.  Mais  ses  démarches  n'eurent  aucune  suite,  et 
les  Français,  malgré  les  réclamations  et  les  menaces,  construi- 
sirent le  fort  St.-Frédéric,  qu'ils  gardèrent  jusqu'à  la  fin  de  leur 
domination  en  Amérique.  C'est  ainsi  que  dans  une  lutte  d'un 
nouveau  genre,  lutte  d'agressions  et  d'oppositions,  lutte  de 
sommations  et  de  contre-sommations,  les  deux  premières  monar- 
chies de  l'Europe  se  disputaient  pacifiquement,  pour  se  les  dis- 
puter ensuite  les  armes  à  la  main,  quelques  lambeaux  de  forêts 
où  déjà  germaient  sous  leurs  pas  le  républicanisme  et  l'indépen- 
dance absolue. 

Ces  transactions  graves  par  les  suites  qu'elles  devaient  avoir, 
se  passaient  entre  1715  et  174't.  Cependant,  à  la  faveur  de  la 
paix,  le  Canada  faisait  des  progrès  lents  si  l'on  veut,  parce  qu'ils 
n'étaient  dus  qu'à  l'accroissement  naturel  de  la  population  fixe, 
mais  constans  et  assurés.  Les  ravages  de  la  petite  vérole,  fléau 
qu'on  n'avait  pas  encore  appris  à  dompter,  et  qui  décima  à  plu- 
sieurs reprises  la  population  blanche  et  indigène,  n'interrompirent 
presque  point  ces  progrès.  Les  défricliemens  s'étendaient  petit 
à  petit,  les  campagnes  se  peuplaient,  les  habitans,  reposés  de  leurs 
anciens  combats,  avaient  pris  goût  à  des  occupations  paisibles 
plus  avantageuses  pour  eux  et  pour  le  pays. 

L'émigration  qui  avait  été  loin  de  suffire  à  combler  le  vide  que 
laissaient  ceux  qui  périssaient  dans  les  longues  et  dangereuses 
pérégrinations  entreprises  pour  la  traite  des  pelleleries  n'aug- 
mentait point.  En  1725  on  voulut  la  ranimer  un  peu.  Le  Cha- 
meau, vaisseau  du  roi,  partit  de  France  chargé  d'hommes  pour 
le  Canada.     Il  portait  M.  de  Chazel  q\ù  venait  remplacer  M. 

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HISTOIRE    DU    CANADA. 


Begon,  comme  intendant,  M.  de  Louvigny  nommé  au  gouverne- 
ment des  Trois-Rivières,  et  plusieurs  officiers,  ecclésiastiques  et 
marchanda,  colons  moins  précieux  par  le  nombre  que  par  les 
lumières  et  les  capitaux  qu'ils  apportaient;  malheureusement  ils 
ne  devaient  point  parvenir  à  leur  destination.  .  Une  horrible 
tempête  surprit  le  Cliameau  à  la  hauteur  de  Louisbourg,  à  l'entrée 
du  golfe  St.  Laurent,  et  le  jeta,  au  milieu  de  la  nuit,  sur  les  rescifs 
de  l'île  encore  sauvage  du  Cap-Breton,  où  il  se  brisa.  Personne 
ne  fut  sauvé.  Le  lendemain  la  côte  parut  jonchée  de  cadavres 
et  de  marchandises.  La  nouvelle  de  ce  désastre  fut  suivie  par 
une  perte  non  moins  sensible,  dans  la  personne  de  M.  de  Vau- 
dreuil,  qui  expira  le  10  octobre,  après  avoir  gouverné  le  pays 
durant  vingt-et-un  ans  avec  sagesse  et  l'approbation  du  peuple, 
dont  il  fut  sincèrement  regretté.  Son  administration  n'avait  été 
troublée  par  aucune  de  ces  querelles  qui  avaient  si  souvent  agité 
la  colonie,  et  divisé  les  grands  fonctionnaires  et  les  corps  publics  ; 
elle  fut  constamment  signalée  par  des  événemens  heureux,  dus 
en  grande  partie  à  sa  vigilance,  à  sa  fermeté,  à  sa  bonne  con- 
duite, et  aussi  au  succès  qui  accompagnait  presque  toutes  ses 
entreprises;  car  la  chance  entre  pour  beaucoiip  dans  les  événe- 
mens humains.  Son  succetiseur  le  marquis  de  Heauharnais,  fils 
naturel  de  Louis  XIV,  avait  déjà  été  intendant  à  Québec  après 
M.  de  Champigny.  Nommé  en  1705  à  la  direction  des  classes 
de  la  marine  en  France,  il  était  capitaine  de  vaisseau  lorsqu'il  fut 
choisi  par  Louis  XV  pour  être  mis  à  la  tête  du  gouvernement 
canadien.  Il  arriva  à  Québec  en  1726  et  prit  les  rênes  de  l'ad- 
ministration des  mains  du  baron  de  Longueuil  qui  les  tenait  par 
intérim. 

L'intendant  Begon,  que  M.  de  Chazel  venait  relever,  eut  pour 
successeur  M.  Dupuy,  maître  des  requêtes,  ancien  avocat  général 
au  conseil  du  roi,  et  fidèle  disciple  de  l'esprit  et  des  doctrines  des 
parlemens  de  France.  Il  ne  fut  pas  plutôt  entré  en  fontions, 
qu'il  voulut  augmenter  l'importance  du  conseil  supérieur  dans 
l'opinion  pubhque,  inspirer  à  ses  membres  les  sentimens  d'uu 
haut  respect  pour  leur  charge,  et  rafiermir  en  eux  cette  indépen- 
dance de  caractère  si  nécessaire  à  une  magistrature  intègre,  et 
qui  faisait  regarder  les  parlemens  français  comme  les  protecteurs 
et  les  défenseurs  nés  du  peuple.  Mais  les  circonstances  n'étaient 
pas  les  mêmes  en  Canada. 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


119 


Jaloux  des  droits  de  la  magistrature,  esclave  de  la  règle,  le 
nouvel  intendant  ne  fut  pas  longtemps  dans  le  pays  sans  se  voir 
aux  prises  avec  plusieurs  des  autorités  publiques,  accoutumées  à 
jouir  d'une  assez  grande  latitude  dans  leurs  actes,  et  à  exercer 
leurs  pouvoirs  plus  suivant  l'équité  ou  la  convenance  du  moment 
que  suivant  l'expression  rigide  de  la  lettre.  Le  premier  différend 
grave  qui  s'éleva  naquit  d'une  circonstance  fortuite,  la  mort  de 
l'évêque  de  Québec,  M.  de  St.-Vallier,  qui  avait  succédé  en  1680 
à  M.  de  Petrée,  forcé  à  la  retraite  par  son  grand  âge  et  ses  infir- 
mités. Cette  longue  querelle  que  nos  historiens  ont  ignorée,  car 
aucun  d'eux  n'en  fait  mention,  souleva  le  clergé  et  le  gouverneur 
contre  le  conseil  dirigé  par  M-  Dupuy.  En  général  le  gouver- 
neur et  l'intendant  étaient  o)  s  l'un  à  l'autre  ;  c'étaient  deux 
rivaux  attachés  ensemble  par  i  politique  royale  pour  s'observer, 
se  retenir,  se  juger;  si  l'un  était  plus  élevé  en  rang,  l'autre  pos- 
sédait plus  de  pouvoir  ;  si  le  premier  avait  pour  courtisans  les 
hommes  d'épée,  l'autre  avait  les  hommes  de  robe  et  les  adminis- 
trateurs subalternes  ;  mais  ce  système  en  rassurant  la  jalousie  du 
trône,  devait  désunir  à  jamais  ces  deux  grands  fonctionnaires, 
mal  que  rien  ne  pouvait  compenser.  Jusqu'à  présent  l'intendant 
s'est  rangé  avec  le  parti  clérical;  aujourd'hui  M.  Dupuy  va 
occuper  la  position  du  gouverneur  qui  s'est  rallié  au  clergé. 

L'évoque  mourut  en  décembre  1727,  pendant  l'absence  de  M. 
de  Mornay,  son  coadjuteur  depuis  1713.  M.  de  Lotbinière, 
archidiacre,  se  préparait  à  faire  les  obsèques  du  prélat,  en  sa 
qualité  de  grand  vicaire,  lorsque  le  chapitre  prétendit  que  ses 
fonctions  avaient  cessé  comme  tel  par  le  décès  de  l'évêque  ;  que 
le  siège  épiscopal  était  vacant,  et  que  c'était  au  chapitre  à  régler 
tout  ce  qui  avait  rapport  aux  funérailles  du  pontife  et  à  l'élection 
de  son  successeur. 

L'archidiacre  repoussa  cette  prétention  ;  et  sur  le  refus  que  l'on 
fit  d'obtempérer  aux  ordres  qu'il  donnait  en  sa  qualité  de  grand 
vicaire,  il  fit  assigner  devant  l'autorité  civile,  le  chapitre  pour 
répondre  de  sa  rébellion.  Celui-ci  se  contenta  de  déclarer  qu'il 
ne  reconnaissait  aucun  juge  en  Canada  capable  de  prendre  con- 
naissance des  motifs  du  différend  élevé  entre  lui  et  le  plaignant, 
qu'il  ne  pouvait  être  traduit  que  devant  l'official  du  diocèse,  et 
qu'il  en  appelait  au  roi  en  son  conseil  d'état.     C'était  l'ancienne 


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120 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


prétention  cléricale  de  récuser  les  tribunaux  civils  ordinaires. 
M.  Dupuy  la  traita  de  monstrueuse,  le  conseil  supérieur  tenant, 
disait-il,  en  ce  pays  la  place  des  parlemens  français,  qu'il  fallait 
reconnaître  avant  de  pouvoir  en  appeler  à  la  couronne.  Des 
scènes  tumultueuses  suivirent  ces  premières  altercations.  Le 
chapitre  se  rendit  à  la  tête  d'une  foule  de  peuple,  à  l'Hôpital- 
Général,  à  l'entrée  de  la  campagne,  où  était  déposé  le  corps  de 
l'évêque,  auprès  duquel  il  avait  été  défendu  aux  fidèles  d'aller 
prier  ;  il  entra  précipitamment  dans  la  chapelle,  manda  devant  lui 
la  supérieure  du  monastère,  la  suspendit  de  ses  fonctions  et  mit 
le  couvent  en  interdit,  pour  empêcher  la  cérémonie  des  obsèques. 
Tout  cela  dénotait  peu  de  respect  pour  la  mémoire  du  chef  ecclé- 
siastique que  l'on  venait  de  perdre,  et  rappelait  aux  plaisans 
quelques-unes  des  scènes  du  Lutrin. 

Le  conseil  supérieur  rendit  son  arrêt  dans  le  mois  de  janvier 
1728,  sur  la  vacance  du  siège  épiscopal.  Il  déclara  le  siège 
rempli  attendu  l'existence  de  M.  de  Mornay,  coadjuteur  et  suc- 
cesseur désigné  du  dernier  évéque,  lequel  avait  même  en  cette 
qualité  gouverné  les  missions  de  la  Louisiane.  Le  chapitre  se 
trouvait  par  cet  arrêt  privé  de  faire  aucun  acte  de  juridiction 
diocésaine.  Il  avait  bien  bravé  le  conseil  lors  des  obsèques,  à 
présent  que  l'on  était  à  l'important  de  l'affaire,  il  ne  balança  pas 
à  se  mettre  en  pleine  insurrection  contre  lui.  En  conséquence, 
M.  de  Tonnancourt,  chanoine  de  la  cathédrale,  monta  en  chaire 
le  jour  de  l'Epiphanie  avec  un  mandement  contre  l'intervention 
du  pouvoir  civil,  qu'il  lut  aux  fidèles,  aveu  ordre  à  tous  les  curés 
de  le  publier  au  prône  de  leurs  paroisses.  L'intendant  fit  infor- 
mer immédiatement  contre  le  chanoine  audacieux.  Toute  la 
rivalité  jalouse  qui  existait  en  France  entre  le  clergé  et  les  par- 
lemens toujours  quelque  peu  jansénistes  et  libéraux,  se  manifesta 
dans  cette  dispute,  qui  du  reste  n'eût  intéressé  que  la  chronique  re- 
ligieuse et  les  légistes  canoniques,  si,  à  cette  phase  de  son  progrès, 
le  gouverneur  ne  fût  intervenu  tout-à-coup  pour  interrompre  le 
cours  des  tribunaux.  M.  de  Beauharnais  alla  beaucoup  plus  loin 
que  M.  de  Frontenac  dans  cette  intervention  dangereuse.  Il  se 
rendit  au  conseil  avec  son  secrétaire  par  lequel  il  fit  lire  une 
ordonnance  interdisant  à  ce  corps  toute  procédure  ultérieure 
dans  l'affaire  du  clergé,  et  cassant  les  arrêta  qui  avaient  déjà  été 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


121 


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rendus.  Il  voulut  môme  imposer  silence  au  procureur-général. 
Cette  haute  cour  tint  en  cette  circonstance  grave,  une  conduite 
pleine  de  dignité.  Elle  ordonna  d'abord  au  secrétaire  du  gou- 
verneur de  se  retirer,  parcequ'il  ne  faisait  pas  partie  du  conseil  ; 
elle  protesta  ensuite  contre  l'insulte  faite  à  la  justice;  et, par  une 
déclaration  motivée  en  présence  du  gouverneur  lui-môme,  dans 
laquelle  elle  qualifia  ses  prétentions  de  téméraires  autant  que  nou- 
velles dans  la  colonie,  elle  décida  de  suite  de  faire  ses  plaintes  au 
roi  de  l'atteinte  portée  à  l'indépendance  et  à  l'autorité  des  tribu- 
naux. 

M.  de  Beauharnaiç  qui  ne  s'était  pas  attendu  peut-être  à  cet 
acte  de  vigueur,  sortit  irrité.     Il  fit  publier  à  la  tête  des  troupes 
et  des  milices  des  villes  et  des  compagnes,  son  ordonnance  d'in- 
terdiction avec  défense  de  recevoir  les  arrêts  du  conseil  sans  son 
ordre  exprès.     Le  conseil  répondit  par  une  contre-ordonnance 
dans  laquelle  on  trouve  ces  mots  :     "  Les  peuples  savent  bien  et 
depuis  longtemps  que  ceux  qui  ont  ici  l'autorité  du  prince  pour 
les  gouverner,  ne  peuvent  en  aucun  cas  se  traverser  en  leurs 
desseins  ;  et  que  dans  les  occasions  où  ils  sont  en  diversité  de 
sentimens  pour  les  choses  qu'ils  ordonnent  en  commun,  Tcxécu- 
tion  provisoire  du  projet  différemment  conçu,  dépend  du  district 
dans  lequel  il  doit  s'exécuter  ;  de  sorte  que  si  le  conseil  supérieur 
a  des  vues  différentes  d'un  gouverneur  général   en  chose   qui 
regarde  la  justice,  c'est  ce  que  le   conseil  ordonne  qui  doit  avoir 
son  exécution  ;  et  de  môme  s'il  y  a  diversité  de  sentiment  entre 
le  gouverneur  général  et  l'intendant  sur  des  choses  qui  les  regar- 
dent en  commun,  les  vues  du  gouverneur  général  prévaudron'  si 
ce  sont  choses  purement  confiées  à  ses  soins,  telle  qu'est  la  guerre 
et  la  discipUne  militaire  hors  de  laquelle,  étant  défendu  au  gou- 
verneur général  de  faire  aucune  ordonnance  telle  qu'elle  soit,  il 
ne  peut  jamais  faire  seul  qu'une  ordonnance  militaire.     Les 
ordonnances  de  l'intendant  doivent  de  même  s'exécuter  par  pro- 
vision, quand  ce  dont  il  s'agit  est  dans  l'étendue  de  ses  pouvoirs, 
qui  sont  la  justice,  la  police  et  les  finances,  sauf  à  rendre  compte 
au  roi  de  part  et  d'autre  chacun  en  son  particulier,  des  vues  diffé- 
rentes qu'ils  auront  eues,  à  l'effet  que  le  roi  les  confirme  ou  les 
réforme  à  son  gré.     Telle  est  l'économie  du  gouvernement  du 
Canada."» 

*  Le  gouverneur  et  lieutenant  général  dans  le  Canada  n'a  aucune  autorité 


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122 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


Le  conseil  maintint  la  position  qu'il  avait  prise,  et  sévit  contre 
les  rebelles.  Quelques  uns  de  ses  membres  cependant  furent 
gagnés  ou  intimidés  plus  tard  par  M.  de  Bcauharnais;  et  l'un 
d'eux,  le  nommé  Crc  nprés  avoir  voté  avec  ses  collègues, 

refusa  ensuite  de  rem,  (aines  fonctions  qu'ils  lui  déférèrent 

temporairement  dans  la  c.  iiduite  du  grand  procès  qui  les  occupait. 
On  l'interdit.  Cela  se  passait  le  6  avril.  Le  30  mars  les  troupes 
avaient  été  appelées  une  seconde  fois  sous  les  armes,  et  les  officiers 
avaient  déchiré  à  coups  d'épée  les  nouvelles  orJonnancesdu  con- 
seil. Le  gouverneur  persistant  dans  les  mesures  extrêmes  fit  ouvrir 
les  prisons  à  ceux  que  le  conseil  avait  fait  arrêter  et  les  reçut  au 
château  St.-Louis.  Il  mit  ensuite  aux  airêts  les  officiers  qui 
osèsent  désapprouver  sa  conduite,  et  adressa  de  Montréal  où  il 
était,  une  lettre  de  cachet  à  son  lieutenant  à  Québec,  pour  exiler 
les  deux  conseillers  les  plus  opiniâtres,  l'un,  M.  Gaillard,  à  Beau- 
pré, et  l'autre,  M.  d'Artigny,  à  Beaumont.  Cette  dernière  démar- 
che était  un  véritable  coup  d'état,  qui  était  heureusement  un  fait 
inouï  dans  le  pays.  Le  gouverneur  voulait  rendre  le  conseil 
incompétent  en  le  réduisant  à  moins  de  cinq  membres  actifs,  nom- 
bre nécessaire  pour  rendre  les  arrêts.  L'intendant  publia  aussitôt 
une  contre-ordonnance  en  sa  qualité  de  président,  seul  chargé  de 
convoquer  le  conseil,  pour  enjoindre  à  tous  ses  membres  de  rester 
à  leur  poste,  sous  peine  de  désobéissance,  et  de  ne  tenir  aucun 
compte  de  l'ordre  illégal  du  gouverneur. 

Le  conseil  se  trouva  ainsi  en  opposition  à  ce  dernier  et  à  la 
majorité  du  clergé.  Les  llécoUets  inclinant  ordinairement  pour 
le  pouvoir  civil,  se  rangèrent  cette  fois  avec  l'autorité  militaire  et 
ecclésiastique.  Les  Jésuites,  contre  leur  usage,  parurent  vouloir 
garder  la  neutralité,  et  observèrent  une  prudente  réserve.  Le 
roi  avait  été  saisi  de  l'affaire  dès  le  commencement,  et  l'on  sut 
bientôt  à  quoi  s'en  tenir  sur  la  conduite  que  suivrait  le  ministère. 
Ce  qui  se  passait  alors  en  France  était  d'ailleurs  un  avertissement 
suffisant  pour  les  plus  clairvoyans. 

Le  cardinal  de  Fleury  avait  remplacé  le  cardinal  Dubois  à  la 
tête  des  affaires.  Le  nouveau  ministre  tâchait  d'apaiser  les  trou- 
sur  les  cas  (l'amirauté,  et  nulle  direction  sur  les  officiers  cjui  rendent  la  jus- 
tice."— Rèjflement  de  1684  signé  du  roi  et  du  grand  Colbeit,  et  un  grand 
nombre  d'autres  règlemens  rendus  depuis  dans  le  même  sens. 


HIS-OIRE   DU    CAxNADA. 


123 


bles  religieux  qui  agitaient  le  royaume  à  l'occasion  de  la  bulle 
îoiigenitus.  Cette  bulle  proclamait  l'iiifaillibilitù  du  pape  ;  et  le 
cardinal  avait  promis  de  se  vouer  à  sa  défense  pour  obtenir  le 
cbapcau.  "  Comme  prêtre,  dit  un  auteur,  il  oublia  qu'il  ^e  devait 
à  la  France  et  non  à  la  cour  de  Rome  ;  il  se  fit  juge  opiniâtre  des 
consciences,  quand  il  ne  lallait  être  ([ue  conciliateur.  Il  avait  des 
vues  bornées,  peu  de  génie,  beaucoup  d'égoïsmo  ;  il  craignait  les 
Jésuites  et  les  servait  afin  de  ne  pas  les  avoir  pour  ennemis." 

Le  concile  provincial  d'Embrun  tenu  en  1727,  ayant  con- 
damné l'évoque  de  Senez,  accusé  d'avoir  attacpié  la  fameuse  bulle, 
le  parlement  et  le  barreau  s'élevèrent  contre  le  jugement,  le  par- 
lement qui  bravait  alors  la  cour  de  Ro.ne,  en  refusant  la  légende 
de  Grégoire  XII  béatifié  à  la  sollicitation  des  Jésuites,  et  qui  s'éle- 
vait devant  le  cardinal  comme  l'opposant  de  ses  vues.  On  con- 
çoit quelle  amertune  cette  conduite  laissait  dans  le  cœur  du 
ministre,  et  dans  quelle  disposition  d'esprit  il  reçut  la  nouvelle  des 
démêlés  entre  le  chapitre  et  le  conseil  supérieur  de  Québec 
image  du  parlement  de  Paris.  La  querelle  canadienne  se  con- 
fondit à  ses  yeux  avec  la  querelle  française.  Dupuy  fut  immé- 
diatement rappelé,  et  l'ordre  envoyé  au  conseil  supérieur  de  lever 
les  saisies  du  temporel  des  chanoines  et  du  curé  de  la  cathédrale, 
qu'il  avait  ordonnées  dans  le  cours  des  procédures. 

Il  y  eut  alors  dans  ce  corps  un  revirement  peu  honorable  pour 
son  ".ndépendance.  MM.  d'Artigny  et  Gaillard,  s'étant  présentés 
pour  y  prendre  place  comme  à  l'ordinaire,  furent  inlbrmés  par 
M.  Delino,  qui  le  présidait  en  l'absence  de  son  chef  disgracié, 
qu'ils  ne  pourraient  être  admis  jusqu'à  ce  que  le  roi  se  fût  pro- 
noncé sur  la  lettre  de  cachet  du  gouverneur.  Leur  suspension, 
car  c'en  était  une,  dura  jusqu'à  l'arrivée  du  nouvel  intendant,  M. 
Hocquart,  l'année  suivante,  qui  leur  permit  de  reprendre  leurs 
sièges,  pour  assoupir  l'afiairc  plus  vite. 

Telle  fut  cette  grande  querelle  dans  laquelle  le  conseil  finit  par 
jouer  le  rôle  servile  qui  ne  caractérise  que  trop  souvent  les  auto- 
rités coloniale!!.  Dupuy  avait  remis  sa  charge  aux  premiers  avis, 
afin  de  ne  point  portager  la  honte  de  ces  rétractations. 

Quant  à  l'élection  de  l'évoque,  la  position  prise  par  l'autorité 
civile  fut  maintenue,  puisque  M.  de  Mornay  succéda  à  M.  de  St.- 
Vallier  en  vertu  de  son  droit  de  second  dignitaire  du  diocèse. 


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124. 


HISTOIRE    DV    CANADA. 


Mais  il  ne  vint  point  en  Canada.     M.  Dosquct,  nommé  évêque 
de  Samos,  arrivé  avec  M.  Hocquart  en   1729,  y  fit  les  fonctions 
de  pontife  comme  coadjuleur  jusqu'en  1735,  époque  de  la  rési- 
gnation de  M.  de  Mornay  et  de  la  sienne.     M.  de  Pourroy  de 
rAul3erivières  choisi  pour  remplir  le  siège  vacant,  mourut  en 
arrivant  à  Québec  en  1739.     Enfin  M.  Dubreuil  de  Pontbriant, 
fut  élu  pour  le  remplacer.     C'est  le  premier  Canadien  qui  ait 
porté  la  mitre,  et  sa  nomination   interrompit  ces  mutations  fré- 
quentes qui  arrivaient  depuis  quelque  temps  au  siège  épiticopal. 
C'est  en  1728  que  tout  à  coup  le  bruit  du  tambour  retentit  sur  les 
places  publiques,  et  annonça  aux  liabitans  qu'il  se  passait  quel 
que   chose   d'inaccoutumé   parmi  les  peuplades  de  l'Occident, 
c'était  un  débris  d'une  des  nations  du  Michigan  qui  avait  repris 
les  armes,  les   Outagamis.     On   croyait   les   avoir   détruits   en 
1715,  et  dès  deux  ans  après  M.  de  Vaudreuil  avait  été  obligé 
do  faire   marcher  contre  eux  M.  de  Louvigny  avec   quelques 
hommes,  qui  les  avait  forcés  de  céder  leur  pays  à  la  France. 
Mais  ils  n'avaient  pu  rester  longtemps  tranquilles  ;  ils  s'étaient 
recrutés  et  avaient  repris  leurs  anciennes  habitudes  de  pillage. 
Ils  rôdaient  continuellement  dans  le  voisinage  des  postes  français, 
infestaient  de  brigandages  et  de  meurtres  les  rives  du  lac  Michi- 
gan et  les  routes  qui  conduisaient  du  Canada  à  la  Louisiane,  entra- 
vaient le  commerce  et  rendaient  les  chemins  impraticables  à  plus 
de  cinq  cents  lieues  à  la  ronde.     Ils  engagèrent  môme  plusieurs 
autres  tribus  à  suivre  leur  exemple.     M.  de  Beauharnais  poussé 
à  bout  jura  de  les  exterminer.     Mais  comment  saisir  des  hommes 
nomades,  qui  disparaissaient  dans  des  régions  inconnues   sans 
qu'on  pût  suivre  leur  trace  ? 

C'est  ce  que  l'on  essaya.  450  Canadiens  et  7  à  800  Sauvages, 
commandés  par  M.  de  Ligneris,  entrèrent  sur  leur  territoire.  Une 
portion  de  cette  petite  armée  s'était  mise  en  route,  au  commen- 
cement de  juin,  de  Montréal.  Elle  avait  remonté  la  rivière  des 
Oulaouais  en  canot,  traversé  le  lac  Nipissing  et  pénétré,  par  la 
rivière  aux  Français,  duns  le  lac  Huron,  où  les  Sauvages  qui 
devaient  former  le  reste  du  corps  l'avait  ralliée.  Le  corps  entier 
atteignit  Michilimackinac  le  1  août,  et  débarqua  le  14  à  Chicago, 
au  fond  du  Michigan,  après  deux  mois  et  neuf  jours  de  marche 
depuis  le  départ  de  Montréal. 


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HISTOIRE    DU   CANADA. 


125 


Les  premiers  ennemis  qu'il  eût  à  coniliattre,  furent  les  Mal- 
hoinincs  ou  Folles- Avoines,  ainsi  nommés  parce  qu'ils  se  nour- 
rissaient d'une  espèce  de  riz  qui  croît  en  abondance  dans  les 
plaines  marécageuses  situées  au  sud  du  lac  Supérieur.  Le  len- 
demain cette  tribu,  que  les  Outagamis  avaient  entraînée  dans  leur 
alliance,  se  présenta  rangée  en  bataille  sur  le  rivage  pour  s'oppo- 
ser au  débarquement  des  Français.  Mais  à  peine  leurs  canots 
eurent-ils  touché  la  terre,  que  les  Canadiens  et  leurs  alliés  saisis- 
sant leurs  haches  et  leurs  fusils,  s'élancèrent  vers  les  Malhomines 
avec  de  grands  cris.  La  mêlée  fut  extrêmement  vive,  mais  l'en- 
nemi, rompu  partout,  fut  complètement  défait  après  avoir  essuyé 
des  pertes  considérables. 

Le  bruit  de  l'arrivée  et  de  la  victoire  de  Ligneris  se  répandit 
au  loin  en  un  instant.  Toutes  les  tribus  prirent  la  fuite,  les  Outa- 
gamis les  premiers.  On  se  mit  à  leur  poursuite  ;  on  remonta  la 
rivière  aux  Renards  jusqu'à  sa  source,  on  s'avança  jusqu'à  leur 
dernier  asyle  sur  une  rivière  qui  tombe  dans  le  Ouisconsin,  à 
une  trentaine  de  lieues  du  Mississipi,  mais  on  ne  put  les  atteindre. 
Il  fallut  se  contenter  de  détruire  les  frêles  bourgades  qu'ils  s'étaient 
élevées  depuis  1715,  avec  les  dépôts  de  maïs  qui  s'y  trou- 
vaient, et  de  ravager  le  plat  pays  pour  leur  ôter  tout  moyen  de 
subsistance.  Pas  une  bourgade,  pas  une  cabane,  n'échappa  aux 
flammes.  Cette  irruption  brusque  et  dévastatrice,  dont  le  roi 
avait  cru  le  succès  douteux,  rendit,  pour  quelque  temps,  la  paix 
à  ces  contrées,  et  la  sûreté  aux  communications  entre  le  Canada 
et  la  Louisiane,  que  l'on  désirait  plus  que  jamais  rapprocher  l'un 
de  l'autre. 

Tandis  que  le  gouvernement  punissait  ainsi  le  soulèvement  des 
Sativages,  il  ne  perdait  pas  de  vue  l'honorable  mission  qu'il  s'était 
imposée,  la  découverte  et  l'exploration  de  l'intérieur  du  continent. 
On  avait  découvert  les  deux  grands  fleuves  et  tous  les  grands  lacs 
de  l'Amérique  du  Nord  ;  on  avait  remonté  à  une  grande  distance 
les  tributaires  du  Mississipi  qui  prennent  leurs  sources  dans  les 
Montagnes-Rocheuses  ;  on  ambitionnait  maintenant  la  gloire 
d'atteindre  la  mer  Pacifique,  qu'un  Sauvage  Yasou,  au  rapport  de 
Lepage  Dupratz,  avait  déjà  visitée.  Une  pareille  entreprise 
avait  été  formée  plusieurs  fois  chez  les  Français.  M.  de  Beau- 
harnais  voulut  s'en  occuper  sérieusement  et  l'accomplir.    Le 

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l'2ii 


HISTÛIKE    DU    CANADA. 


plus  (lifllcile  lui  semblait  fait,  car  l'on  supposait  alors  le  continent 
moins  large  au  nord  qu'il  ne  l'est  en  clVet  ;  et  que  la  mer,  au  lieu 
de  reculer  vers  l'ouest,  se  rapprochait  de  l'est  en  s'élevant  au 
pôle.  La  figure  de  l'extrémité  de  l'Amérique  du  Sud,  qui  finit 
en  pointe  à  la  terre  de  Feu,  et  la  longitude  de  la  partie  alors  con- 
nue des  côtes  occidentales  du  continent,  partie  qui  ne  venait 
guère  en  deçà  du  Mexique,  pouvaient  faire  tomber  dans  cette 
erreur. 

Le  gouverneur,  sous  l'inspiration  du  ministre,  M.  de  Mau- 
rcpas,  envoya  une  expédition  sous  la  conduite  de  M.  de  la 
Vérandrye,  qui  sans  posséder  l'énergique  persévérance  de  la 
Salle  et  de  Perrot,  avait  néanmoins  l'expérience  des  voyages,  et 
pouvait  faire  espérer  un  résultat  satisfaisant.  Il  partit  en  1738 
avec  ordre  de  prendre  possession  des  pays  qu'il  pourrait  décou- 
vrir au  nom  du  roi,  et  d'examiner  attentivement  les  avantages  que 
l'on  pourrait  retirer  d'une  communication  entre  le  Canada  ou  la 
Louisiane  et  l'océan  Pacifique.  Le  gouvernement  avait  intention 
de  prolonger  la  ligne  des  postes  de  traite  jusque  sur  cette  mer. 
Les  regards  des  Européens  sans  cesse  tournés  vers  l'Occident, 
semblaient  chercher  cette  terre  promise  qui  avait  embrasé  le 
génie  de  Colomb,  ce  ciel  mystérieux  qui  fuyait  toujours,  cl  vers 
lequel  une  puissance  secrète  semble  pousser  continuellement  la 
civilisation. 

La  Vérandrye  passa  par  le  lac  Supérieir;,  longea  le  pied  du 
lac  Winnipcg,  remonta  la  rivière  des  Assiniboils,  et  s'avança  vers 
les  Montagnes-Rocheuses  qu'il  n'atteignit  pas  cependant,  s'étant 
trouvé  mêlé  dans  une  guerre  avec  les  naturels  dans  laquelle  il 
perdit  une  partie  de  ses  gens,  et  fut  obligé  de  s'arrêter.  Ce 
voyageur  a  raconté  au  savant  suédois,  Kalm,  qui  visitait  le 
Canada  en  1749,  qu'il  avait  trouvé  dans  les  contrées  les  plus 
reculées  qu'il  avait  parcourues,  et  qu'il  supposait  à  900  lieues  de 
Montréal,  de  grosses  colonnes  de  pierre  d'un  seid  bloc,  quelque- 
fois appuyées  les  unes  contre  les  autres,  d'autres  fois  superposées 
comme  celles  d'un  mur  ;  que  ces  pierres  n'avaient  pu  être  dis- 
posées ainsi  que  de  main  d'homme,  et  qu'une  d'elles  était  sur- 
montée par  une  autre  fort  petite  n'ayant  qu'un  pied  de  long  sur 
quatre  ou  cinq  pouces  de  large,  portant  sur  deux  faces  des  carac- 
tères inconnus.     Cette  petite  pierre  fut  envoyée  au  secrétaire 


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HISTOIRE    nu    CANADA. 


V21 


(l'état,  à  Paris.  Plusieurs  des  Jésuites  qui  l'avaient  vue  en  Cu- 
iiaila,  dirent  à  Kalm  que  les  figures  qu'elle  portait  ressemblaient 
aux  caractères  tartarcs.  Les  Sauvages  ignoraient  par  qui  ces 
blocs  avaient  été  apportés  là,  et  disaient  qu'ils  y  étaient  depuis 
un  temps  immémorial.  L'origine  tartare  des  caractères  parait 
très  probable  à  Kalm,  et  servirait  à  confirmer  l'hypothèse  d'une 
émigration  asiatique  ([ui  serait  la  souche  d'au  moins  une  partit; 
des  Sauvages  de  l'Amérique. 

L'on  donna  aux  contrées  découvertes  par  la  Vérandrye,  le  nom 
de  **  Pays  de  la  mer  de  l'Ouest,"  parce  (jue  l'on  croyait  s'être 
arrêté  à  peu  de  distance  de  cette  mer  ;  et  on  y  établit  une  chaîne 
de  petits  postes  pour  contenir  les  Indigènes  et  faire  la  traite  des 
pelleteries.  Le  plus  reculé  fut  d'abord  celui  de  la  Reine,  à  100 
lieues  à  l'ouest  du  lac  Winnipeg  sur  la  rivière  des  Assiniboils; 
on  en  construisit  ensuite  trois  autres  en  gagnant  toujours  le  cou- 
chant ;  le  dernier  prit  le  nom  de  Paskoyac,  de  la  rivière  qui  pas- 
sait à  ses  pieds. 

Sous  l'administration  de  M.  de  la  Jonquière,  on  voulut  organi- 
ser une  nouvelle  expédition  pour  continuer  les  découvertes  et  faire 
la  traite.  L'intendant  Bigot  était  alors  en  Canada  ;  il  forma  dans 
ce  but  une  société  composée  du  gouverneur  et  de  lui-même,  de 
MM.  Bréard,  contrôleur  de  la  marine,  Legardeur  de  St.-Pierre, 
olficier  plein  de  bravoure  et  fort  aimé  des  Indiens,  et  de  Marin, 
capitaine  décrié  par  sa  cruauté,  mais  redouté  de  tous  ces  peuples. 
Ces  deux  derniers  furent  chargés  de  l'œuvre  double  de  l'associa- 
tion. Marin  devait  remonter  le  Missouri  jusqu'à  aa  source, et  de 
là  suivre  le  cotirs  de  la  première  rivière  sur  laquelle  il  tomberait, 
et  qui  irait  se  jeter  dans  l'océan  Pacifique.  St.-Pierre,  passant 
par  le  poste  de  la  Reine,  devait  aller  le  rejoindre  sur  le  bord  de 
cette  mer  à  une  certaine  latitude.  Mais  tout  cela  était  subor- 
donné à  la  spéculation  pour  laquelle  on  s'était  associé,  c'est-à- 
dire  que  bs  voyageurs  pourraient  interrompre  leur  marche  dés 
qu'ils  croiraient  avoir  amassé  assez  de  pelleteries  pour  les  char- 
ger. Ils  ne  furent  pas  loin,  et  s'en  revinrent  nantis  d'une  riche 
moisson.  Les  associés  firent  un  profit  énorme.  Smith  fait  mon- 
ter la  part  seule  du  gotiverneur  à  la  somme  de  300,000  francs. 
La  France  ne  retira  rien  de  cette  expédition,  dont  l'Etat  fit  tous 
les  frais. 


128 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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Mais  Papparenco  hostile  que  prenaient  les  relations  coloniales 
des  Français  et  des  Anglais,  devenait  do  plus  en  plus  menaçante, 
et  la  tournure  des  alFairos  en  Europe  n'annonçait  que  troj)  une 
rupture  prochaine  entre  les  deux  nations.  La  (juestion  des 
frontières,  tenue  en  suspens  par  l'impossibilité  de  concilier  les 
prétentions  avancées  de  part  et  d'autre,  laissait  du  reste  depuis 
longtemps  les  colons  dans  l'attente  d'une  guerre  plus  ou  moins 
éloignée.  M.  de  Beauharnais  avait  dès  113i  écrit  une  dépêche 
en  chilTres  au  ministre  pour  lui  exposer  la  situation  du  Canada  et 
les  mesures  à  prendre  pour  sa  défense.  Revenant  toujours  à  la 
nécessité  de  fortifier  Québec,  il  répétait  ce  qu'on  avait  dit  tant  de 
fois,  que  cette  ville  était  la  clef  du  paya  et  l'abord  des  secours 
venant  de  l'rance  ;  que  si  le»  ennemis  s'en  rendaient  maîtres  ils 
le  seraient  bientôt  de  toute  l'Amérique.  Cette  fois  le  roi  fit 
répondre  qu'il  serait  d'autant  plus  inutile  de  fortifier  Québec 
qu'on  ne  pourrait  le  faire  assez  solidement  pour  le  rendre  impre- 
V   ^le.     Le  pays  devait  accomplir  sej  destinées. 

En  1735  Raensalaer,  seigneur  d'Albany,  sous  prétexte  de 
voyager  pour  son  amusement,  mais  dans  la  prévision  de  la  reprise 
des  armes,  vint  en  Canada  et  informa  secrètement  le  gouverneur, 
que  dans  les  dernières  guerres  l'on  avait  ménagé  leur  pays, 
que  M.  de  Vaudreuil  avait  recommandé  à  ses  alliés  de  n'y  pas 
faire  de  courses,  que  la  Nouvelle-York  avait  fait  la  même  chose 
de  son  côté,  et  qu'elle  était  encore  disposée  à  en  user  de  même. 
En  1740  la  guerre  étant  devenue  encore  plus  imminente,  M.  de 
Beauharnais  fit  mettre,  sur  les  ordres  de  Paris,  les  forts  de  Cham- 
bly,  St.-Frédéric  et  Niagara  en  état  de  défense.  Il  travaillait  en 
même  temps  à  resserrer  les  liens  qui  unissaient  les  Sauvages  aux 
Français.  Il  tint  de  longues  conférences  avec  eux  en  1741, 
où  il  put  s'assurer  que,  s'ils  n'étaient  pas  tous  très  attachés 
à  notre  cause,  la  puissance  croissante  de  nos  voisins  excitait  assez 
cependant  leur  inquiétude  et  leur  jalousie  pour  leur  faire  préférer 
notre  alliance  à  la  leur.  L'on  faisait  hier;  de  ménager  ces  peuples 
qui,  d'après  un  dénombrement  exécuté  en  1736,  de  toutes  leurs 
tribus  depuis  les  Abénaquis  jusqu'aux  Mobiles,  comptaient  encore 
plus  de  15,000  guerriers. 


LIVRE  HUITIEME. 


CHAPITRE  I. 


COMMERCE. 
1608-1741. 

De  l'Amérique  et  de  ses  destinées. —  But  des  colonies  qui  y  ont  été  éta' 
blies. — Le  génie  commerçant  est  le  grand  trait  caractéristique  des  popula- 
tions du  Nouveau-Monde. — Commerce  canadien  :  cflbt  destructeur  de» 
guerres  sur  lui. — Il  s'accroît  cependant  avec  l'augmentation  de  la  popula- 
tion.— Son  origine  :  pêche  delà  morue. — Tiaite  des  pelleteries  de  tout 
temps  principale  branche  du  commerce  de  la  Nouvelle-France. — Elle  est 
abandonnée  au  monopole  des  particuliers  onde  compagnies  jusqu'en  1731, 
qu'elle  tombe  entre  les  mains  du  roi  pour  passer  en  celles  des  fermiers.— 
Nature,  profits,  grandeur,  conséquences  de  ce  négoce;  son  utilité  politi- 
que.— Rivalité  des  colonies  anglaises;  moyens  que  prend  jVI.  Burnet, 
gouverneur  de  la  Nouvelle-York,  pour  eidever  la  traite  aux  Français. — 
Lois  de  1720  et  do  1727. — Autres  branches  de  commerce  :  pêcheries,  com- 
bien elles  sont  négligées, — Bois  d'exportation. — Construction  des  vais- 
seaux.— Agriculture  ;  céréales  et  autres  produits  agricoles. — Jin-seng.— 
Exploitation  des  mines, — ChitFre  des  exportations  et  des  importations.— 
Québec,  entrepôt  général. — Manufactures  :  introduction  des  i.iuiiers  pour 
la  fabrication  des  toiles  et  des  draps  destinés  à  la  consommation  intérieure.— 
Salines. — Etablissement  des  postes  et  messageries  (1745). — Transport 
maritime. — Taxation  :  drorts  de  douane  imposés  fort  tard  et  très  modé- 
rés.— Systèmes  monétaires  introduits  dans  le  pays  ;  changemens  fréquens 
qu'ils  subissent  et  perturbations  qu'ils  causent. — Numéraire,  papier-mon- 
naie :  cartes,  ordonnances  ;  leur  dépréciation. — Faillite  du  trésor,  le 
papier  est  liquidé  avec  perte  de  5 [8  pour  les  colons  en  1 720. — Observations 
générales, — Le  Canadien  plus  militaire  que  marchand. — Le  trafic  est 
permis  aux  fonctionnaires  publics  ;  alTreux  abus  qui  en  résultent. — Lois 
de  commerce. — Etablissement  du  siège  de  l'Amirauté  en  1717  ;  et  d'une 
bourse  à  Québec  et  à  Montréal. — Syndic  des  marchands. — Le  gouverne- 
ment défavorable  à  l'introduction  de  l'esclavage  au  Canada. 

Si  la  découverte  du  Nouveau-Monde  a  exercé   une  influence 
salutaire  sur  la  destinée  des  Européens,*  elle  en  a  eu  une  bien 

I  "The  discovery  of  America  was,  in  this  way,  ofas   much  advantage 
to  Europe,  as  the  introduction  of  foreign  commerce  would  be  to  China.    It 


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130 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


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funeste  pour  les  nations  indiennes  qui  peuplaient  les  forêts  de 
l'Amérique.  Leur  amour  de  Tindépcndance,  leurs  mœurs  belli- 
queuses, leur  intrépidité  ont  retardé  et  retardent  encore  à  peine 
leur  ruine  (l'un  jour:  au  contact  de  la  civilisation  elles  tombent 
et  s'effacent  avec  plus  de  rapidité  encore  que  les  bois  mystérieux 
qui  leur  servaient  de  retraites,  et  bientôt,  pour  nous  servir  des 
paroles  poétiques  de  Lamennais,  elles  auront  disparu  sans  laisser 
plus  de  trace  que  les  brises  qui  passent  sur  les  savanes  et  que  les 
Ilots  poussés  par  une  force  invisible  entre  les  bancs  de  corail. 
En  moins  de  trois  siècles,  en  elTet,  elles  ont  disparu  d'une  grande 
partie  du  continent,  et  que  sont-elles  devenues  ?  Ce  n'est  pas  ici 
le  lieu  de  rechercher  les  causes  de  cet  anéantissement  de  tant  de 
peuples  dans  un  si  court  espace  de  temps  que  l'imagination  en 
est  étonnée,  cela  nous  mènerait  trop  loin,  et  d'ailleurs  nous  offri- 
rait des  images  trop  tristes  pour  l'orgueil  de  l'homme,  dont  les 
succès  sont  achetés  aux  dépens  de  ses  semblables.  Nous  aban- 
donnerons à  l'oubli  qui  les  couvre  ces  hécatombes  muettes  sur 
lesquelles  ne  s'élève  aucun  monument,  aucun  souvenir,  et  puis 
que  leur  histoire  garde  le  silence,  nous  tournerons  nos  regards  en 
plaignant  leur  destinée  vers  des  peuples  dont  les  grandes  actions 
ne  passeront  pas,  et  dont  la  hardiesse  et  le  génie  transportés  d'Eu- 
rope en  Amérique,  ont  donné  un  nouvel  essor  aux  progrès  de  la 
civilisation.  C'est  une  ère  incomparable  que  celle  de  l'établis- 
sement d'un  immense  et  fertile  continent  par  des  populations  qui 
foulant  aux  pieds  les  dépouilles  sociales  des  temps  passés,  ont  voulu 
inaugurer  une  arche  d'alliance  nouvelle,  une  société  sans  privilèges 
et  sans  exclusion.  Le  monde  n'avait  encore  rien  vu  de  semblable. 
Cette  nouvelle  organisation  doit-elle  atteindre  les  dernières  limites 
de  la  perfectibilité  humaine  î  On  le  croirait  si  les  passions  des 
hommes  n'étaient  partout  les  mêmes,  si  l'amour  des  richesses 
surtout  n'envahissait  aujourd'hui  toutes  les  pensées,  et  n'était 
devenu,  comme  celui  des  armes  au  moyen  âge,  la  première  idole 
de  l'Amérique.  Rien  n'y  entrave  les  lumières,  ni  vieux  préjugés, 
ni  vieilles  doctrines,  ni  institutions  antiques.  La  place  du  bon  et 
du  beau  est  libre.     Mais  le  désir  d'adoucir  le  sort  de  la  vie  maté- 


opened  a  large  rnarkct  for  the  produce  of'european  industry,  and  constantly 
provided  a  new  employrnent  for  that  stock  which  tliis  industry  accumulated." 
Brougham  :  Colonial  policy  of  the  European  powers. 


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lilriTOIRE   DU    CANADA. 


131 


rielle  s'est  emparé  de  nos  passions  et  domine  aujourd'hui  toutes 
les  âmes.  Le  temps  des  massacres  et  des  guerres  de  destruction 
pour  le  plaisir  de  se  détruire  disparaît  tous  les  jours  avec  la  bar- 
barie du  globe,  et  la  lutte  se  transporte  dans  la  carrière  où  le  prix 
convoité,  l'ambition  suprême,  sera  le  bonheur  de  posséder  les 
moyens  de  vivre  avec  luxe.  Quelle  sera  la  durée  de  cette  car- 
rière qui  mène  peut-être  trop  vite  à  la  siensualité,  on  n'en  sait 
rien. 

Le  commerce  commençait  déjà  à  prendre  de  l'essor.  L'éta- 
blissement de  l'Amérique  l'augmenta,  et  maintenant  il  embrasse 
tout,  et  du  rang  le  plus  humble  tend  continuellement  à  occuper 
la  première  place  et  à  exercer  la  plus  grande  influence  dans  la 
société.  Les  armes,  la  mitre  ont  tour  à  tour  exercé  leur  domi- 
nation sur  le  monde,  le  négoce  vient  leur  succéder.  S'il  ne 
parait  pas  aus?i  vénérable  ou  aussi  magnifique  que  ces  deux  anti- 
ques puissances,  il  veut  du  moins  régner  d'une  manière  absolue 
sur  toute  l'Amérique  ;  son  temps  paraît  arrivé  et  son  activité 
semble  destinée  à  précipiter  de  gré  ou  de  force  sous  son  joug  les 
contrées  dont  l'industrie  est  trop  lente  à  se  réveiller.  C'est  donc 
aux  peuples  et  aux  gouvcrnemens  à  se  préparer  pour  fournir  une 
carrière  qui  doit  les  mener  à  la  puissance  ;  témoin  les  Etats-Unis 
dont  les  progrès  ont  de  quoi  effrayer  les  ailles  nations  guerrières 
et  aristocratiques  de  l'Europe,  jusqu'à  ce  qu'enfin  le  pain  manquant 
par  la  double  action  de  la  centralisation  et  du  nombre,  la  faim 
arme  de  nouveau  les  hommes  les  uns  contre  les  autres  pour  le 
partage  des  dépouilles  terrestres,  et  ramène  le  règne  de  la  force 
et  de  l'épée. 

Mais  avant  de  parvenir  au  degré  de  grandeur  auquel  ce  con- 
tinent semble  devoir  atteindre,  il  a  dû  payer  tribut  et  soumission 
aux  métropoles  qui  l'ont  peuplé.  Il  a  dû  comme  l'enfant  recon- 
naître leur  autorité  jusqu'à  ce  qu'il  fût  adulte,  jusqu'à  ce  qu'il 
fût  homme  fait,  c'est  la  loi  de  la  nature.  C'est  à  ce  titre  et 
pour  l'indemniser  de  sa  protection,  que  l'enfant  travaille  pour  son 
père.  Aussi  l'Europe  a  dit  par  la  bouche  de  Montesquieu  : 
"  Les  colonies  qu'on  a  formées  au  delà  de  l'Océan  sont  sous  un 
genre  ae  dépendance  dont  on  ne  trouve  que  peu  d'exemples  dans 
les  colonies  anciennes,  soit  que  celles  d'aujourd'hui  relèvent  do 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


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l'Etat  môme,  ou  de  quelque  compagnie  commerçante  établie  dans 
cet  Etat. 

"  L'objet  de  ces  colonies  est  de  faire  le  commerce  à  de  meil- 
leures conditions  qu'on  ne  le  fait  avec  les  peuples  voisins,  avec 
lesquels  tous  les  avantages  sont  réciproques.  On  a  établi  que  la 
métropole  seule  pourrait  négocier  dans  la  colonie  ;  et  cela  avec 
grande  raison,  parce  que  le  but  de  l'établissement  a  été  l'exten- 
sion du  commerce,  non  la  fondation  d'une  ville  ou  d'un  nouvel 
empire. 

"  Ainsi  c'est  encore  une  loi  fondamentale  de  l'Europe,  que 
tout  commerce  avec  une  colonie  étrangère  est  regardé  comme  un 
pur  monopole  punissable  par  les  lois  du  pays  :  et  il  ne  faut  pas 
juger  de  cela  par  les  lois  et  les  exemples  des  anciens  peuples  * 
qui  n'y  sont  guère  applicables. 

"  Il  est  encore  reçu  que  le  commerce  établi  entre  ces  métro- 
poles n'entraîne  point  une  permission  pour  les  colonies  qui  restent 
toujours  en  état  de  prohibition." 

En  vain  la  Nouvelle-Angleterre  et  la  Virginie  diront  :  nous  ne 
fîimcs  point  fondées  par  des  spéculateurs  européens,  mais  par  des 
hommes  libres  qui  vinrent  se  réfugier  dans  les  forêts  du  Nouveau- 
Monde  pour  se  soustraire  aux  persécutions  de  leur  mère-patrie, 
et  y  cacher  leurs  lois  et  .leurs  autels,  l'Europe  répondra  :  la 
colonie  est  soumise  au  pouvoir  suprême  de  la  métropole. 

En  vain  le  Canada  dira:  j'ai  un  pacte  qui  fut  conquis  après 
eix  ans  d'une  lutte  acharnée,  et  scellé  avec  le  plus  pur  sang  de 
mes  enfans,  un  pacte  qui  me  garantit  l'usage  de  ma  religion  et  de 
ma  propriété,  c'est-à-dire  de  ma  langue,  de  mes  biens  et  des  lois 
qui  les  régissent,  l'Europe  répondra  :  la  colonie  est  soumise  au 
pouvoir  suprême  de  la  métropole. 

Le  traité  d'Utrecht  fut  suivi  d'une  période  de  paix  presque 
sans  exemple  dans  les  annales  du  Canada.  Depuis  son  établis- 
sement celte  colonie  avait  presque  toujours  eu  les  armes  à  la  main, 
pour  repousser  tantôt  les  Anglais,  tantôt  les  Indiens,  qui  venaient 
tour  à  tour  lui  disputer  un  héritage  couvert  de  ses  sueurs  et  de 
Bon  sang.  Cettp  <>;norre  semblait  devenir  plus  vive  à  mesure 
qu'elle  se  prolongeait.     Mais  il  vient  ua  temps  où  les  forces  et 

*  Exreptu  les  Carthaginois,  comms  on  voit  par  le  traité  qui  termina  la 
premiè  'e  guerre  punique. 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


133 


l'énergie  s'usent  et  s'épuisent  comme  les  passions.  Les  parties 
belligérantes  plus  affaiblies  encore  en  Amérique  qu'en  Europe, 
songèrent  enfin  à  poser  les  armes,  et  les  colons  depuis  si  longtemps 
victimes  de  ces  luttes  sanglantes,  purent  goûter  en  paix  le  fruit  de 
leurs  travaux  et  continuer  sans  interruption  à  développer  leurs 
établissement. 

Malgré  la  décadence  et  les  embarras  financiers  de  la  métropole, 
qui  réagissaient  sur  toutes  les  colonies  et  retardaient  leur  accrois- 
sement, par  î^a  seule  énergie  le  Canada  triomphait  des  désavan- 
tages de  sa  s.tuation,  dont  le  plus  grave  était  son  interdiction  aux 
marchandisefi  et  aux  vaisseaux  étrangers.  Mais  il  était  encore 
trop  faiblement  peuplé  pour  sentir  tout  ce  que  cette  tyrannie  avait 
d'oppressif,  tandis  que  les  colonies  anglaises,  non  seulement  en 
souffraient,  mais  songeaient  déjà  alors  aux  moyens  de  s'y  sous- 
traire. 

La  population  du  Canada  qui  était  en  1719  de  22,000  âmes, 
s'était  élevée  en  1741  à  près  de  50,000,  e*  les  exportations  qui 
ne  dépassaient  pas  cent  mille  écus  suivant  Eaynal,  montèrent  en 
174-9  à  1400  mille  francs. 

Les  Français  furent  probablement  les  premiers  qui  dotèrent 
l'Europe  de  la  pèche  de  la  morue.  Nous  avons  vu  au  commen- 
cement de  cet  ouvrage  que  presqu'aussitôt  après  la  découverte  de 
l'Amérique,  on  trouva  les  Basques,  les  Bretons  et  les  Normands 
faisant  tranquillement  la  poche  sur  les  bancs  de  Terreneuve  et  le 
long  des  côtes  du  Canada  ;  que  dès  1506  une  carte  du  St.  Lau- 
rent avait  été  tracée  par  un  habitant  de  Honfleur  nommé  Jean 
Denis.  Les  Anglais  dont  le  premier  bâtiment  expédié  vers  ces 
parages  remonte,  suivant  leurs  annales,  à  1517,  ne  s'y  montrèrent 
en  nombre  que  plus  tard.  Ils  apperçurent  dans  leur  premier 
voyage  une  cinquantaine  de  navires  français,  espagnols  et  portu- 
gais occupés  à  la  pèche.  En  1536  les  Français  la  faisaient  déjà 
sur  une  échelle  xjonsidérable,  et  en  1558  ils  employaient  une  tren- 
taine de  navires  à  celle  non  moins  lucrative  de  la  baleine.  A 
cette  époque  la  pèche  de  la  morue  occupait  100  navires  espagnols, 
50  portugais  et  10  seulement  anglais.  En  1615  les  Français  et 
les  Fortugais  parurent  v.voir  fait  moins  de  progrès  que  les  Anglais, 
car  tandis  que  les  premiers  expédiaient  400  bâtimens  à  Terre- 
neuve,  les  derniers  en  envoyaient  déjà  250.     Ils  faisaient  depuis 


I! 


134. 


HISTOIRE    ni    CANADA. 


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quelque  temps  les  plus  grands  efforts  pour  développer  ce  com- 
merce chez  eux.  Ils  passèrent  règlement  sur  règlement,  et 
finirent  enfin  p?!*  en  absorber  la  plus  forte  partie,  tout  en  augmen- 
tant dans  la  môme  proportion  le  nombre  de  leurs  matelots  et  en 
rendant  par  là  même  leur  marine  redoutable.  La  France  parta- 
geait alors  son  attention  entre  les  pelleteries  et  le  poisson.  La 
traite  des  fourrures  fut  encore  une  industrie  dont  elle  dota  le  monde, 
mais  une  industrie  dont  les  avantages  permanens  et  réels  ont  été 
souvent  mis  en  question  pour  ses  conséquences  démoralisatrices. 
Quoiqu'il  en  soit,  ce  commerce  fut  établi  par  des  pôdieurs,  qui 
s'approchant  des  côtes  du  Canada  et  de  l'Acadie,  commencèrent 
avec  les  Indigènes  un  trafic  qui  leur  rapporta  des  bénéfices  con- 
sidérables. Petit  à  petit  on  lia  des  relations  plus  intimes  avec 
eux  ;  plus  tard  on  voulut  avoir  un  pied  à  terre  dans  le  con- 
tinent même  que  l'on  s'était  contenté  jusque  là  de  côtoyer,  et  l'on 
y  éleva  des  co-iptoirs.  Deb  spéculateurs  riches  et  influens  en 
demandèrent  le  monopole  exclusif',  à  la  condition  d'y  porter  des 
colons  pour  établir  ces  contrées  nouvelles,  dont  l'on  pressentait 
vaguement  l'avenir,  et  l'obtinrent.  Ainsi  fut  introduite  la  domi- 
nation française  sur  une  portion  considérable  du  Nouveau-Monde. 
L'on  sait  par  quelles  mains  ce  monopole  avait  successivement 
passé  en  commençant  par  le  capitaine  Chauvin,  le  premier  qui 
l'ait  exercé  d'une  manière  réguUère  et  systématique,  au  début  du 
17e  siècle.  La  traite  fut  regardée  dans  tous  les  temps  comme  la 
branche  la  plus  importante  du  commerce  canadien,  et  il  paraît 
que  longtemps  même  avant  Chauvin,  elle  était  l'objet  d'un  pri- 
vilège accordé  à  plusieurs  personnes,  et  entre  autres,  à  Jacques 
Cartier  lui-même.  Mais  il  était  impossible  à  cette  époque  de 
faire  respecter  un  pareil  monopole,  qui  demeurait  conséqemment 
plus  nominal  que  réel.  Longtemps  encore  après  Henri  IV,  les 
traitans  et  les  pêcheurs,  les  pêcheurs  surtout,  jouissaient  d'une 
liberté  absolue,  et  les  villes  repoussaient  avec  énergie,  surtout  la 
Rochelle,  l'exclusion  que  le  commandeur  de  Chaste,  de  Monts  et  les 
de  Caën  voulurent  exercer  successivement  les  uns  après  les  autres 
jusqu'en  1627.  Alors  fut  formée  la  compagnie  des  cent  associés, 
à  laquelle  furent  cédées  à  perpétuité  la  Nouvelle-France  et  la 
Floride.  En  retour  des  charges  relatives  à  la  colonisation  dont 
nous  avons  parlé  en  son  lieu,  le  roi  lui  accorda,  pour  toujours,  le 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


135 


trafic  des  cuirs,  peaux  et  pelleteries,  et  pour  quinze  ans,  tout  autre 
commerce  par  terre  et  par  mer,  à  la  réserve  de  la  pêche  de  la 
morue  et  de  la  baleine  qui  resta  libre  à  tous  les  Français,  et  de  la 
traite  des  pelleteries  que  les  habitans  des  pays  cédés  purent  faire 
avec  les  Indigènes,  pourvu  qu'ils  vendissent  les  castors  à  ses  fac- 
teurs, à  raison  d'un  prix  fixe.  Il  fut  aussi  stipulé  que  toutes  les 
marchandises  manufacturées  dans  la  colonie  seraient  exemples 
de  droits  en  France  pendant  quinze  ans. 

Cette  compagnie  si  fameuse,  qui  avait  Richelieu  pour  chef, 
n'ayant  rempli  aucune  de  ses  obligations  touchant  la  colonisation, 
et  ayant  été  entraînée  dans  des  dépenses  qui  dépassaient  de  beau- 
coup ses  revenus,  restreignit  graduellement  ses  affaires  jusqu'à  ce 
qu'elles  devinsent  à  rien,  et  qu'elle  fût  obligée  elle-même  en  1663, 
ou  trente-six  ans  après  sa  création,  de  se  dissoudre  et  de  remettre 
ses  possessions  au  roi. 

Dès  l'année  suivante,  cependant,  se  forma  une  nouvelle  as- 
sociation qui  prit  le  nom  de  compagnie  des  Indes  occidentales, 
laquelle  subsista  jusqu'en  1674.  Elle  eut  en  concession  toutes 
les  colonies  françaises  de  l'Amérique,  et  toute  la  côte  d'Afrique 
depuis  le  Cap- Vert  jusqu'au  Cap  de  Bonne  Espérance,  avec 
le  privilège  exclusif  du  commerce,  la  pêche  toujours  exceptée, 
pendant  quarante  ans,  et  la  jouissance  des  droits  et  privilèges 
qui  avaient  été  accordés  aux  cent  associés.  Le  roi  lui  promit 
ime  prime  de  quarante  livres  par  tonneau,  sur  les  marchandises 
exportées  de  France  dans  les  colonies  ou  des  colonies  en  France. 
Los  marchandises  dont  les  droits  avaient  été  payés  à  l'entrée, 
pouvaient  être  ré-exportées  par  elle  à  l'étranger  en  franchise. 
Elle  n'avait  pas  non  plus  de  droits  à  payer  sur  les  vivres,  mu- 
nitions de  guerre  et  autres  objets  nécessaires  à  l'armement  de 
de  ses  vaisseaux. 

Le  commerce  d'importation  et  d'exportation  se  trouva  par  là 
arracha  de  nouveau  des  mains  des  colons  pour  être  livré  à  la 
nouvelle  compagnie  seule  à  l'exclusion  de  tous  autres.  Les  cent 
associés  avaient  joui  du  même  monopole  ;  mais  ils  avaient  été 
forcés  de  l'abolir  en  1645,  et  de  signer  un  traité  avec  le  député 
des  habitans  de  la  Nouvelle-France,  par  lequel  ils  leur  aban- 
donnaient la  traite  des  pelleteries  à  la  condition  qu'ils  acquit- 
teraient 1»  liste  civile  et  militaire  avec  toutes  les  autres  dépenses 


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136 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


d'administration.  Le  nouveau  privilège,  plus  exclusif  que 
celui  de  1627,  souleva  une  opposition  générale.  En  très  peu 
de  temps  les  marchandises  n'eurent  plus  de  prix  et  le  conseil 
souverain  fut  obligé  d'intervenir  pour  établir  un  tarif,  que  rendit 
inutile  la  sagacité  mercantile,  car  la  compagnie  et  ceux  qui  avaient 
encore  d'anciennes  marchandises,  refusèrent  de  les  vendre  aux 
taux  fixés  par  l'autorité,  et  elles  disparurent  du  xTiarché.  Il 
devint  bientôt  nécessaire  de  faire  cesser  un  état  da  choses  qui 
assujétissait  les  habitans  à  une  gène  affreuse  en  les  ruinant,  et 
en  1666  sur  le  rapport  de  Colbert  au  roi,  basé  siir  les  repré- 
sentations de  Talon  que  nous  avons  vues  ailleurs,  la  compagnie 
rendit  libres  le  commerce  avec  la  France  et  la  traite  des  fourrures. 
Mais  pour  s'indemniser  de  la  subvention  des  juges,  (|ui  fut  portée 
à  sa  charge,  et  qui  se  montait  à  48,9n0  livres,  elle  se  réserva  le 
droit  du  quart  sur  le  castor,  du  dixième  sur  les  orignaux  et  la 
traite  de  Tadoussac. 

Cette  compagnie,  malgré  les  vastes  domaines  livrés  à  son  ex- 
ploitation, ne  prospéra  point.  Soit  que  ses  opérations  fussent 
conduites  sans  prévoyance  et  sans  économie,  ou,  ce  qui  est  plus 
probable,  que  les  colonies  qu'on  lui  abandonnait  ne  fussent  pas 
assez  avancées  pour  alimenter  un  grand  commerce,  elle  se  trouva 
bientôt  grevée  d'une  dette  énorme.  Elle  employait  plus  de  cent 
navires.  Elle  devait  en  1614f,  trois  millions  523  mille  livres  ; 
cette  dette  avait  été  en  partie  occasionnée  par  la  guerre  qu'elle 
avait  eue  à  soutenir  contre  les  Anglais.  Le  capital  versé 
s'élevait  à  un  million  297  mille  livres  ;  de  sorte  que  la  caisse  se 
trouvait  débitrice  pour  quatre  millions  820  mille  livres.  L'actif 
de  la  compagnie  ne  dépassait  pas  un  million  47  mille  livres.  Sur 
les  suggestions  de  Colbert,  Louis  XÏV  remboursa  aux  actionnaires 
leur  mise,  se  chargea  du  paiement  des  trois  millions  523  mille 
livres,  supprima  la  société,  et  rendit  le  commerce  de  l'Amérique 
libre  à  tous  les  Français,  excepté  celui  du  castor. 

Le  droit  <'  quart  sur  les  castors  et  du  dixième  sur  les  orignaux 
fut  maintenu,  et  passa  entre  les  mains  du  gouvernement  qui  l'af- 
ferma immédiatement  à  M.  Oudiette.  Il  fut  défendu  de  porter 
le  castor  ailleurs  qu'à  ses  comptoirs  dans  la  colonie,  au  prix  fixé 
par  l'autorité.  Ce  prix  fut  d'abord  de  4  francs  10  sous,  la  livre  j 
mais  il  devint  bientôt  nécessaire  de  diviser  cette  marchandise  en 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


137 


Ire.  2de.  et  3me.  qualités,  ou  en  castor  gras,  demi  gras  et  sec,  et  do 
modifier  le  tarif  en  conséquence.  Le  fermier  payait  les  pelleteries 
que  lui  apportaient  les  habitans,cn  marchandises  ;  et  comme  il  n'y 
avait  que  lui  qui  pouvait  acheter  le  castor,  qui  formait  encore  la 
branche  la  p  us  importante  du  commerce  général,  il  se  trouvait 
par  là  môme  en  état  de  maîtriser  à  son  gré  tout  le  commerce  du 
pays.  Ce  qu'il  ne  manqua  pas  de  faire  au  détriment  général. 
Comme  il  était  maître  des  prix,  il  les  fixa  de  manière  qu'on  vit 
graduellement  baisser  celui  des  fourrures  chez  les  Sauvages  et 
hausser  celui  des  arides  que  les  Français  leur  donnaient  en 
retour,  tandis  que  dans  les  colonies  anglaises,  où  ce  trafic  était 
libre,  les  prix  suivaient  une  marche  contraire,  et  qu'on  y  payait 
les  pelleteries  deux  ou  trois  fois  plus  cher. 

M.  Oudielte  obtint  encore  la  ferme  des  droits  sur  les  vins, 
eaux-de-vie  et  tabacs,  qui  étaient  de  dix  pour  cent.  Plusieurs 
particuliers  prétendaient  en  être  exempts,  on  ne  dit  pas  pour  quels 
motifs  ;  mais  ils  furent  bientôt  obligés  de  se  soumettre  à  Tordre  du 
roi  avec  les  autres,  personne  ne  songeant  encore  sans  doute  à 
disputer  au  souverain  la  prérogative  de  taxer. 

Cette  ferme  exista  sans  modification  jusqu'en  1700,  le  tarif  du 
castor  et  des  marchandises  non  énumérées,  subissant  les  variations 
plus  ou  moins  bien  ou  mal  entendues  que  l'intérêt  du  fermier  par- 
venait à  faire  agréer  au  gouvernement.  Mais  à  cette  époque  les 
Canadiens  ne  pouvant  plus  supporter  la  tyrannie  de  ce  marchand, 
envoyèrent  des  députés  eu  France  pour  y  exposer  les  abus  du 
système  et  demander  un  remède.  -Le  ministre,  M.  de  Pontchar- 
train,  imagina  alors  une  société  qui  embrasserait  tous  les  habitang 
de  la  colonie.  Par  cet  expédient  on  satisferait  les  mécontens  en 
les  absorbant.  Mais  le  principe  vicieux  subsistait  toujours,  car 
on  ne  rétablissait  pas  la  concurrence  entre  les  citoyens  pour  exci- 
ter l'émulation  et  l'industrie;  et  l'avantage  de  la  liberté  commer- 
ciale allait  toujours  continuer  d'appartenir  aux  colonies  anglaises, 
rivales  de  plus  en  plus  dangereuses  du  Canada. 

Cependant  Louis  XIV  permit  de  porter  librement  tant  en 
France  qu'à  l'étranger  le  castor  provenant  des  traites  laites  en 
Amérique.  M.  Roddes,  devenu  après  M.  Oudiette  adjudica- 
taire de  la  ferme  des  pelleteries,  la  remit  à  M.  Pacaud,  l'un  des 
députés  de  la  colonie,  qui  s'obligea  en  cette  qualité  de  payer 


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HISTOIRE    DV    CANADA. 


70,000  livres  de  rente  annuelle,  et  de  composer  une  société  pour 
l'exploitation  de  cette  ferme,  dont  tous  les  Canadiens,  marchands 
et  autres,  feraient  partie.  Une  assemblée  générale  fut  convoquée 
par  le  gouverneur  et  l'intendant,  et  une  grande  association  mer- 
cantile se  forma  sous  le  nom  de  compagnie  du  Canada.  Les  plus 
petites  actions  étaient  de  50  livres  de  France.  Tout  marchand 
fut  tenu  d'y  entrer  à  peine  d'être  déchu  de  la  faculté  de  com- 
mercer. Les  seigneurs  de  paroisse  purent  en  devenir  membres 
avec  leurs  habitans.  La  compagnie  de  la  baie  du  Nord  (ou 
d'Hudson)  formée  quelque  temps  auparavant,  se  fondit  dans  la 
nouvelle  association,  qui  eut  la  traite  exclusive  du  castor,  et  qui 
obtint  aussi  que  le  commerce  de  cette  pelleterie  fût  sévèrement 
prohibé  avec  la  Nouvelle-York.  On  fit  enfin  un  nouveau  ta  .'if 
pour  le  castor,  dont  le  prix  baissait  continuellement  en  Fran  :e 
avec  la  qualité  de  celui  qu'on  y  envoyait. 

La  compagnie  du  Canada  fut  un  essai  infructueux,  qui  ne  pro- 
fita ni  aux  habitans  ni  au  commerce.  En  1706  ses  dettes  se 
montaient  déjà  à  1,812,000  francs;  elle  dut  se  dissoudre,  et 
céder  ses  privilèges  à  MM.  Aubert,  NeretetGayotqui  s'obligèrent 
de  payer  les  créanciers.  La  colonie  conserva  la  liberté  de  la 
traite  du  castor  dans  l'intérieur,  mais  sans  pouvoir  l'exporter  au 
dehors,  étant  obligée  de  porter  cette  pelleterie  aux  comptoirs  des 
nouveaux  cessionnaircs  qui  eurent  seuls  le  droit  de  l'envoyer  en 
France.  C'était  conserver  au  fi)nd  le  monopole  sous  un  nom 
déguisé  et  conséquemment  laisser  subsister  la  cause  du  mal. 

En  1715  furent  présentés  au  régent  du  royaume,  deux  mé- 
moires sur  les  abus  du  système  et  les  fautes  du  gouvernement, 
dans  lesquels  l'auteur  *  parlait  avec  la  plus  grande  hardiesse  et 
accusait  tout  le  monde  sans  épargner  même  les  gouverneurs  ni 
les  intendans.  Le  commerce  avec  les  Sauvages  -qui  avait  été 
pendant  longtemps,  disait-il,  le  plus  considérable,  était  bien  dimi- 
nué. La  construction  des  navires  se  faisait  encore  avec  assez  de 
succès  ainsi  que  la  culture  '  chanvre  et  du  lin  pour  les  cordages 
et  la  toile  ;  mais  il  se  plaignait  que  la  France  ne  se  servît  pas  du 
bois  de  ses  colonies  comme  l'Angleterre,  n'exploitât  pas  les  mines 

*  Mémoire  sur  l'état  présent  du  Canada  adressé  en  1715  à  son  altesse 
r-yale  le  duc  d'Orléans,  régent  de  France,  dans  le  conseil  de  marine.  Copi» 
sans  nom  d'auteur  apportée  de  Paris  par  M.  Papineuu. 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


189 


de  cuivre  du  lac  Huron,  et  qu'elle  permît  de  décrier  le  Canada 
ccmme  on  le  faisait  chez  elle  ;  que  s'il  ne  faisait  pas  plus  de 
pr:)grès,  ce  n'était  pas  la  faute  des  habitans  qui  avaient  intérêt 
à  i?e  qu'il  fût  établi  partout,  mais  bien  des  hommes  en  autorité, 
qi  i  négligeaient  de  faire  exécuter  les  ordonnances  sur  la  matière. 
Si  elles  avaient  été  observées,  la  compagnie  y  aurait  fait  passer, 
comme  elle  était  obligée  de  le  faire,  deux  à  trois  cents  colons  tous 
leM  ans  depuis  près  d'un  siècle.  Depuis  1663  surtout  rien  n'avait 
et  j  fait,  les  ministres  s'en  rapportant  aux  gouverneurs,  leurs  créa- 
tu'es  et  souvent  leurs  parens.  Les  vaisseaux  venus  depuis  1663 
ja  igeaient  au  moins  2000  tonneaux  par  année,  l'une  dans  l'autre, 
et  quoiqu'ils  fussent  tenus  d'amener  un  colon  par  chaque  dix  ton- 
neaux, ce  qui  aurait  donné  200  colons  par  an  ou  10,000  hommes 
à  ^enir  jusqu'à  ce  moment,  et  conséquemment  10,000  familles 
qii  se  seraient  au  moins  triplées  sans  qu'il  en  coûtât  un  sou  avi 
gouvernement,  aucun  n'observait  l'ordonnance  et  personne  ne 
s'en  occupait.  Les  intendans  étaient  indiiïércns  au  mal  comme 
au  bien  qui  arrivait,  parceque  le  pays  n'était  pour  eux  qu'un 
moyen  d'acquérir  des  richesses  et  de  parvenir  à  des  emplois 
importans  en  France.  Loin  de  recevoir  dés  colons,  le  Canada 
voyait  ses  habitans  le  quitter  pour  aller  faire  la  guerre  et  la  course 
dans  les  contrées  méridionales,  où  ils  périssaient  presque  tous 
victimes  du  climat,  ou  pour  aller  faire  la  traite  dans  les  bois. 
Outre  ces  causes  de  langueur  et  de  ruine,  il  y  en  avait  d'autres 
encore  plus  graves  pour  le  commerce,  comme  l'abaissement  du 
prix  du  castor  et  la  réduction  de  moitié  sur  la  monnaie  de  carte 
que  l'on  avait  mise  en  circulation  sans  édit  du  roi,  au  point  qu'il 
y  en  avait  pour  deux  millions  dehors  en  171'i  ;  qu'il  était  injuste 
de  faire  perdre  un  million  à  un  pays  par  suite  de  désordres  dont 
le  ministre,  M.  de  Pontchartrain  lui-même,  devait  être  respon- 
sable si  les  commandemens  du  roi  en  étaient  la  cause.  D'autres 
causes  d'inertie  ou  de  décadence  étaient  encore  signalées,  comme 
l'accaparement  de  la  plus  grande  partie  du  commerce  par  les 
chefs  de  la  colonie  ;  les  pertes  soulfertes  sur  mer  par  suite  des 
naufrages  et  de  la  guerre,  et  qui  s'élevaient  à  trois  millions  et 
demi  depuis  vingt-cinq  ans.  Le  hardi  censeur  finissait  enfin  par 
plier  le  régent  de  se  faire  rendre  compte  par  MM.  de  Vaudreuil, 
de  Beauharnais,  Raudot,  père  et  fils,  et  Begon  de  cette  monnaie  ; 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


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de  permettre  à  lin  dépiilédu  Canada  d'assister  à  l'examen  pour  la 
conservation  de  ses  intérôls,  et  en  attendant  de  pourvoir  au  paie- 
ment dos  lettres  de  change. 

Après  avoir  ainsi  exposé  les  abus  et  les  défauts  du  système,  l'au- 
teur suggérait  pour  remède  trois  choses:  nommer  trois  conseillers 
d'état  pour  recevoir  les  plaintes  des  Canadiens,  garder  les  gouver- 
neurs seulement  trois  ans  en  place  ou  tout  au  plus  six,  et  favoriser 
rémigration  de  France  en  Canada.  Les  gou"crneurs  et  les  inten- 
dans  faisaient  ce  qu'ils  voulaient,  parcequ'ils  savaient  que  rien 
n'en  parvenait  aux  oreilles  du  roi  et  que  leurs  désordres  demeu- 
raient secrets  ;  si  leurs  inférieurs  cherchaient  à  les  dévoiler, 
ils  étaient  immédiatement  opprimés  et  réduits  au  silence,  tandis 
que  leurs  alfidés  et  leurs  agens  étaient  élevés  et  récompensés. 

Il  est  rare  de  rencontrer  dans  les  documens  qui  nous  restent 
sur  l'histoire  de  cette  époque,  une  plume  qui  peignît  plus  au  vif 
les  plaies  du  temps,  indiquât  avec  plus  d'indépendance  les  défauts 
du  gouvernement,  et  citât  les  faits  avec  moins  de  gène.  Mais 
elle  exagère  en  quelques  points  les  erremens  des  hommes,  et  ne 
fait  pas  la  part  des  choses,  des  institutions  surtout,  assez  grande. 
L'organisation  du  gouvernement  canadien  était  comme  celle  de  la 
France  surannée  et  remplie  de  défauts  qui  mettaient  obstacle  à 
tout  progrès. 

Un  des  plus  graves,  c'était  de  suppléer  à  la  modicité  des  salaires 
par  des  congés  de  traite,  qui  faisaient  des  fonctionnaires  des 
spéculateurs,  et  des  spéculateurs  privilégiés  contre  lesquels  il  était 
impossible  au  simple  marchand  de  lutter  longtemps.  Mais  c'était 
un  usage  reçu,  et  sous  la  vieille  monarchie  tout  usage,  bon  ou 
mauvais,  devenait  un  dogme  immobile  comme  elle.  D'ailleurs 
les  finances  de  l'état  étaient  ruinées  ;  les  rois  employaient  toutes 
sortes  de  moyens  pour  payer  leurs  serviteurs,  redoutant  par  une 
espèce  d'effroi  instinctif,  la  réunion  des  ordres  de  la  nation  pour 
réformer  les  institutions  du  royaume  et  lui  rendre  son  antique 
vigueur. 

La  compagnie  d'Occident  formée  en  1717,  succéda  au  privi- 
lège expirant  de  M.  Aubert  et  de  ses  associés,  et  en  1723  la 
compagnie  des  Indes  à  cette  première,  qui  s'était  élevée  et  qui 
s'évanouit  avec  la  fortune  et  le  système  de  Lavv.  Elle  le  con- 
serva pour  la  Louisiane  et  le  pays  des  Illinois,  jusqu'à  la  fin  de 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


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1731,  époque  à  laquelle  ces  deux  contrées  rentrèrent  sous  lo 
régime  royal,  pour  y  demeurer  jusqu'à  la  fin  de  la  domination 
française. 

Ce  privilège  n'avait  pas  toujours  embrassé  les  découvertes 
faites  sur  les  lacs  et  dans  la  vallée  du  Mississipi,  car  on  a  pu  voir 
que  la  Salle,  par  exemple,  en  avait  obtenu  la  concession  en  1G75 
avec  le  fort  Frontenac.  Mais  plus  tard  la  Nouvelle-France  et  la 
Louisiane  furent  soumises  au  même  monopole  jusqu'après  la 
construction  du  fort  Ovvégo.  Alors  la  Nouvelle-York  faisant  une 
rude  concurrence  aux  comptoirs  de  Frontenac,  Toronto  et  Nia- 
gara, l'on  craignit  les  suites  des  liaisons  que  la  traite  pourrait  éta- 
blir entre  les  Sauvages  et  les  Anglais,  et  le  roi,  pour  y  parer, 
pi'H  ces  postes  entre  ses  mains,  expédient  à  l'aide  duquel  on  ré- 
ussit à  retenir  la  plus  grande  partie  du  comnr^erce  du  lac  Ontario 
en  payant  les  pelleteries  plus  cher  ;  mais  ce  système  avait  tous 
les  vices  d'un  trafic  artificiel  conduit  par  un  gouvernement.  Pri- 
vé de  l'œil  du  maître  et  abandonné  à  des  militaires,  il  entraîna 
des  dépenses  immenses  et  ne  rendit  aucun  profit.  Les  avances 
furent  faites  presqu'en  pure  perte.* 

Il  est  difficile  d'établir  avec  précision  la  valeur  annuelle  des  ex- 
portations de  pelleteries  à  cette  époque.  On  sait  seulement 
qu'elles  étaient  en  1667,  suivant  l'auteur  du  Mémoire  sur  l'état 
du  Canada,  de  550,000  francs  et  qu'elles  avaient  ensuite  graduel- 
lement augmenté  jusqu'au  chiffre  de  deux  millions.  D'après  un 
calcul  basé  sur  les  droits  payés  par  cette  marchandise  en  1754  et 
55,fait  par  ordre  du  général  Murrayf,  elles  seraient  tombées  dana 
la  première  de  ces  deux  années  à  1,547,885  livres,  et  dans  la  se- 
conde à  1,265,650  livres.  Mais  on  ajoute  que  les  registres  de 
douane  d'où  l'on  avait  tiré  ces  renseignemens,  étaient  très  confus 
et  irréguliers,  et  que  les  traitans  les  plus  intelligens  étaient  d'o- 
pinion, qu'année  commune  le  montant  des  fourrures  exportées 
atteignait  près  de  trois  millions  et  demi. 

D'abord  la  traite  se  fit  aux  entrepôts  de  la  compagnie,  où  les 
Sauvages  eux-mêmes,  qui  arrivaient  à  certaines  époques  de  l'an- 
née, portaient  leurs  pelleieries.     Après  Tadoussac,  après  Qué- 

*  Raynal.    Registre  de  l'intendant. 

t  Governor  Murray's  gênerai  Report  on  tke  ancient  government  and  ac 
tuai  state  of  tlie  province  of  Québec  in  1762. 


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143 


HisToinE  m;  canada. 


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bec,  après  les  Trois-Rivières,  Monlrûal  devint  et  demeura  le 
principal  comptoir.  On  voyait  les  Sauvages  arriver  au  mois  de 
juin  dans  leurs  canots  d'écorcc  chargés  de  pelleteries.  Leur 
nombre  grossissait  à  mesure  que  le  nom  français  s'étendait  au 
loin.  "  Lo  récit  de  l'accueil  qu'an  leur  avait  fait,  la  vue  de  ce 
qu'ils  avaient  reçu  en  échange  de  leurs  marchandises,  tout  aug- 
mentait le  concours.  Jamais  ils  ne  revenaient  vendre  leurs  pel- 
leteries sans  conduire  avec  eux  une  nouvelle  nation.  C'est  ainsi 
que  l'on  vit  so  former  une  espèce  de  foire  où  se  rendaient  tous  les 
peuples  de  ce  vaste  continent." 

Les  Sauvages  en  arrivant  se  campaient  près  de  la  ville,  s'éle- 
vaient des  tentes,  rangefacnt  leurs  canots  et  débarquaient  leurs 
fourrures.  Après  avoir  e>i  audience  publique  du  gouverneur,  ils 
portaient  leurs  fonrriires  au  comptoir  de  la  compagnie  ou  chez  les 
marchands  de  la  ville  qui  avaient  le  privilège  de  les  acheter  pour 
les  revendre  ensuite  à  cette  société.  Les  Sauvages  étaient  payés 
en  écarlatine,  vermillon,  couteaux,  poudre,  fusils,  etc.  Les 
autres,  en  marchandises  ou  en  récépissés  ou  reçus  qui  avaient 
cours  de  monnaie  dans  la  colonie,  et  qui  étaient  rachetés  par  des 
lettres  de  change  à  termes  que  les  agens  de  la  compagnie  tiraient 
sur  son  caissier  à  Paris.  Cela  dura  tant  que  les  Français  n'eurent 
point  de  concurrens  ;  mais  bientôt  les  Anglais  se  présentèrent 
sur  le  marché.  Ils  se  bornèrent  d'abord  au  pays  des  Iroquois, 
puis,  lorsqu'ils  l'eurent  épuisé  de  pelleteries,  ils  employèrent  ces 
Sauvages  eux-mêmes  pour  leurs  coureurs  de  bois  ou  ils  mar- 
chèrent à  leur  suite.  Ils  se  trouvèrent  en  communication  avec 
toutes  les  nations  établies  sur  les  rives  du  St.-Laurent  depuis  sa 
source,  et  sur  celles  de  ses  nombreux  tributaires.  "  Ce  peuple, 
dit  Raynal,  avait  des  avantages  infinis  pour  obtenir  des  préférences 
sur  le  Français  son  rival.  ^^  navigation  était  plus  facile,  et  dès- 
lors  ses  marchandises  s'of''  meilleur  marché.  Il  fabriquait 
seul  les  grosses  étoffe  enaient  mieux  au  goût  des  Sau- 
vages. Le  commt  castor  était  libre  chez  lui,  tandis  que 
chez  les  Français  il  v  it,  et  fut  toujours  asservi  à  la  tyrannie  du 
monopole.  C'est  avec  cette  liberté,  cette  facilité  qu'il  intercepta 
la  plus  grande  partie  des  marchandises  qui  faisaient  la  célébrité 
de  Montréal."  D'ailleurs  les  Anglais  payaient  les  pelleteries 
beaucoup  plus  cher.     "  Alors,  continue  le  même  auteur,  s'étendit 


HISTOIRE   bu    CANADA. 


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Bur  les  Françnin  »lu  Canada  un  usage  qu'ils  avaient  d'abord  res- 
eerré  dans  des  bornes  assez  étroites.  La  passion  de  courir  les 
bois,  qui  fut  celle  des  premiers  colons,  avait  6t6  sagement  res- 
treinte aux  limites  du  territoire  de  la  colonie.  Seulement  on  ac- 
cordait chaque  année  à  vingt-cinq  personnes  la  permission  le 
franchir  ces  bornes  pour  aller  faire  le  commerce  chez  les  Sau- 
vages. L'ascendant  que  prenait  la  Nou  elle- York  rendit  ces  con- 
gés beaucoup  plus  fréquens.  C'étaient  des  espèces  de  privilèges 
exclusifs  qu'on  exerçait  par  soi-même  ou  par  d'autres.  Ils  du- 
raient un  an  ou  môme  au-delà.  On  les  vendait  et  le  produit  en 
était  distribué,  par  le  gouverneur  de  la  colonie,  aux  officiers  ou  à 
leurs  veuves  et  à  leurs  enfans,aux  hôpitaux  ou  aux  missionnaires, 
à  ceux  qui  s'étaient  signalés  par  une  belle  action  ou  par  une  en- 
treprise utile,  quelquefois  enfin  aux  créatures  du  commandant  lui- 
même,  qui  vendait  les  permissions.  L'argent  qu'il  ne  donnait 
pas  ou  qu'il  voulait  bien  ne  pas  garder,  était  versé  dans  les  caisses 
publiques  ;  mais  il  ne  devait  compte  à  personne  de  cette  adminis- 
tration. 

"  Elle  eut  des  suites  funestes.  Plusieurs  de  ceux  qui  faisaient 
la  traite  se  fixaient  parmi  les  Sauvages  pour  se  soustraire  aux 
associés  dont  ils  avaient  négocié  les  marchandises.  Un  plus 
grand  nombre  encore  allaient  s'établir  chez  les  Anglais,  où  les 
profits  étaient  plus  considérables.  Sur  des  lacs  immenses,  souvent 
agités  de  violentes  tempêtes  ;  parmi  des  cascades  qui  rendent  si 
dangereuse  la  navigation  des  fleuves  les  plus  largeu  du  monde 
entier  ;  sous  le  poids  des  canots,  des  vivres,  des  marchandises 
qu'il  fallait  voiturer  sur  ses  épaules  dans  les  portages,  où  la  rapi- 
dité, le  peu  de  profondeur  des  eaux  obligent  de  quitter  les  rivières 
pour  aller  par  terre  ;  à  travers  tant  de  dangers  et  de  fatigues  on 
perdait  beaucoup  de  monde.  Il  en  périssait  dans  les  neiges  ou 
dans  les  glaces  ;  par  la  faim  ou  par  le  fer  de  l'ennemi.  Ceux  qui 
rentraient  dans  la  colonie  avec  un  bénéfice  de  six  ou  sept  pour 
cent,  ne  lui  devenaient  pas  toujours  plus  utiles,  soit  parce  qu'ils 
s'y  Hvraient  aux  plus  grands  excès,  soit  parceque  leur  exemple 
inspirait  le  dégoût  des  travaux  assidus.  Leurs  fortunes  subite- 
ment amassées,  disparaissaient  aussi  vite  :  semblables  à  ces  mon- 
tagnes mouvantes  qu'un  tourbillon  de  vent  élève  et  détruit  tout- 
à-coup  dans  les  plaines  sablonneuses  de  l'Afrique.     La  plupart 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


(le  ces  coureurs,  épuisés  par  les  fatigues  excessives  de  leur  ava- 
rice, par  les  débauches  d'une  vie  errante  et  libertine,  traînaient 
dans  l'indigence  et  dans  l'opprobre  une  vieillesse  prématurée." 

Ces  congés  qui  étaient  transportables  tombaient  souvent  dans 
le  commerce.  Donnant  permission  d'importer  jusqu'à  la  charge 
de  plusieurs  canots,  ils  se  revendaient  ordinairement  six  cents 
écus.  Shc  hommes  partaient  avec  mille  écus  de  marchandises 
qu'on  leur  avait  fait  payer  quinze  pour  cent  de  plus  que  le  cours 
du  marché,  et  revenaient  avec  quatre  canots  chargés  de  castors 
valant  huit  mille  écus.  Après  avoir  déduit  600  écus  pour  le 
congé,  1000  pour  les  marchnndises,  2560  pour  le  prêt  à  la  grosse 
aventure  ou  40  pour  cent  t. .  .es  6400  restant  que  le  marchand 
chargeait  pour  ses  avances,  le  résidu  appartenait  aux  coureurs  de 
bois.  Le  marchand  revendait  ensuite  le  castor  au  bureau  de  la 
compagnie  à  25  pour  cent  de  profit.  Il  est  inutile  de  dire  qu'avec 
un  pareil  système  et  de  pareils  bénéfices,  l'on  devait  finir  par 
rebuter  les  Sauvages  qui  en  étaient  les  victimes,  et  perdre  entiè- 
rement un  commerce  où  le  vendeur  primitif  voyait  sa  marchan- 
dise rapporter  après  qu'elle  était  sortie  de  ses  mains,  700  pour 
cent  de  profit  sans  qu'elle  eût  changé  d'état. 

Le  monopole  de  la  traite  se  bornait  au  castor  en  s'étendant 
quelquefois  à  l'orignal  depuis  1666.  A  partir  de  cette  innée, 
toutes  les  autres  pelleteries  dont  le  commerce  était  considérable, 
restèrent  libres  ou  soumises  momentanément,  comme  les  produits 
agricoles  et  les  marchandises,  à  des  lois  et  des  règlemens  coloniaux 
si  vagues  et  si  éphémères  qu'il  règne  dans  leur  histoire  beaucoup 
d'obscurité.  Les  actes  publics  et  les  jugemens  des  tribunaux 
renferment  une  foule  de  décrets  sur  cette  matière,  qui  peuvent 
faire  conclure  que  le  marchand  canadien  refusa  toujours  de  se  sou- 
mettre au  joug  que  voulait  lui  imposer  l'autorité  locale  ;  qu'il  n'a 
supporté  patiemment  que  son  exclusion  du  commerce  étranger 
iwec  le  monopole  de  l'exportation  du  castor  en  France,  et  que, 
sur  tout  le  reste,  il  prenait  une  liberté  fort  large. 

A  venir  jusqu'au  traité  de  1713,  la  plus  grande  partie  de  la 
traite  de  l'Amérique  était  entre  les  mains  des  Français.  Par  ce 
traité  ils  perdirent  entièrement  celle  de  la  baie  d'Kudson  ;  et  la 
Nouvelle-York  qui,  depuis  le  chevalier  Andros,  cherchait  à  leur 


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enlever  aussi  la  traite  de  l'Ouest  sans  beaucoup  de  succès,  vit 
tout-à-coup  ses  elTorls  couronnés  des  plus  heureux  résultats. 

Nous  avons  rapporté  ailleurs  comment  M.  Burnet,  qui  con- 
naissait de  quel  avantage  serait  pour  la  Grande-Bretagne  la  pos- 
session de  ce  commerce,  travailla  à  fermer  aux  Canadiens  l'entrée 
des  contrées  si  convoitées  de  l'Ouest,  et  comment  M.  de  Beau- 
harnais  l'avait  prévenu.     Voyons  maintenant  quel  fut  l'effet  des 
moyens  employés  par  l'agent  anglais  pour  parvenir  à  ce  grand 
but,  objet  constant  de  tous  ses  eflbrts.     Tout  semblait  favoriser  la 
Nouvelle-York,  situation  plus  rapprochée,  population  plus  nom- 
breuse et  plus  commerçante,  marchandises  plus  modiques.     Le 
Canada  n'avait  aucun  moyen  de  contrebalancer  ces  trois  avanta- 
ges.    Le  prix  des  marchandises  était  beaucoup  plus  élevé  à 
Québec  qu'à  Boston  ou  New-York,  de  même  que  le  fret  et  l'as- 
surance maritime.     Aussi  se  faisait-il  un  commerce  étendu  de 
contrebande  entre  Montréal  et  Albany.     L'on  tirait  d'Albany  les 
tissus  de  laine  avec  une  quantité  considérable  d'autres  marchan- 
dises qui  ne  servaient  point  au  négoce  avec  les  Sauvages.     Dans 
une  seule  année  le  Canada  reçut  900  pièces  d'écarlatine  pour  la 
traite,  outre  des  mousselines,  des  indiennes,  des  tavelles,  du  ver- 
mi'lon,  etc.     Que  faisait  alors  l'industrie  française]     Que  faisait 
surtout  la  compagnie  des  Indes  1     Elle  en  introduisait  annuelle- 
ment une  douzaine  de  cents  pièces  qu'elle  tirait  elle  même  de 
l'Angleterre  ;    et   elle   défendait   sévèrement   aux   autres    d'en 
importer  en  Canada.*     De  sorte  que  le  manufacturier  français 
était  pour  cet  article  comme  exclus  de  nos  marchés.     Le  traitant 
anglais  au  moyen  des  avantages  que  nous  venons  d'énumérer, 
souvendait  le  traitant  canadien.     Il  donnait  ses  marchandises  aux 
Indiens  pour  moitié  moins  cher,  faisait  le  double  de  profit,  et 
payait  encore  le  castor  trois  chelings  sterling  la  livre  tandis  que 
le  dernier  n'en  pouvait  donner  que  deux  francs. 

Quand  Burnet  prit  les  rênes  de  la  Nouvelle-York,  il  vit  du  pre- 
mier coup  d'oeil  qu'en  fermant  l'entrée  de  son  pays  aux  Canadiens, 
il  porterait  un  coup  mortel  à  leur  commerce,  et  qu'en  les  privant 
des  objets  qui  leur  étaient  absolument  nécessaires  pour  la  traite 
il  leur  enlèverait  un  mi  -chc  pour  leurs  pelleteries,  c'est-à-dire 

*  Mémoire  sur  la  traite  de  la  Province  de  la  Nouvelle- i'o,k,  inséré  dans 
l'histoire  des  cinq  nations  du  Canada,  p   •  C.  Colden. 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


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Albany  où  ils  vendaient  le  castor  le  double  de  ce  que  le  payait  la 
compagnie  des  Indes.  En  conséquence  il  fit  passer  en  17'20, 
par  forme  d'essai,  un  acte  législatif  pour  prohiber  pendant  trois 
ans  tout  commerce  avec  le  Canada  ;  et  en  1727,  on  s'empressa 
de  rendre  cet  acte  permanent.  L'effet  en  fut  aussi  prompt  que 
funeste  pour  les  Canadiens.  Les  tissus  de  laine  qui  s'étaient 
vendus  jusque  là  treize  louis  la  pièce,  à  Montréal,  montèrent  aus- 
sitôt à  vingt-cinq. 

Burnet,  marchant  toujours  vers  son  but,  fil  ouvrir  à  Osvvégo, 
sur  la  rive  méridionale  du  lac  Ontario,  un  comptoir  pour  attirer 
les  Sauvages  ;  c'était  le  complément  nécessaire  de  l'acte  législatif 
de  1720.  Les  traitans  français  ne  purent  plus  dès  lors  continuer 
la  concurrence,  et  le  roi,  quelques  années  après,  fut  obligé  de 
prendre  entre  ses  mains  les  postes  de  Frontenac,  Toronto  et 
[Niagara,  et  de  donner  les  marchandises  à  perte  pour  conserver 
avec  la  traite  des  pelleieries  l'alliance  des  Indigènes;  car  la  traite 
était  encore  plus  essentielle  pour  la  sûreté  des  possessions  fran- 
çaises et  le  succès  de  leur  politique,  que  pour  leur  prospérité 
commerciale. 

C'est  en  1727,  pendant  que  la  Nouvelle-York  excluait  ainsi  le 
Canada  de  ses  marchés,  que  le  roi  de  France  rendit  un  édit  sem- 
blable pour  exclure  à  son  tour  les  Anglais  de  ses  colonies.  Depuis 
plusieurs  années,  il  recommandait  de  défendre  sév^èrement  toute 
relation  avec  l'étranger,  mais  depuis  la  dernière  guerre  ces  ordres 
étaient  devenus  plus  fréquens  et  plus  impératifs  que  jamais. 
Rien  ne  prouve  mieux  combien  les  intérêts  coloniaux  les  plus 
chers  sont  souvent  sacrifiés  à  cette  législation  qui  courbe  sous  le 
même  niveau  le  Canada  et  l'Archipel  du  Mexique,  l'Amérique 
et  l'Asie,  sans  tenir  compte  de  la  différence  de  circonstances  et 
du  mal  fait  aux  uns  ou  aux  autres,  pourvu  que  le  résultat  géné- 
ral réponde  au  calcul  de  la  métropole. 

Presque  tous  les  postes  de  traite  français  devinrent  alors  privi- 
légiés; c'esl-à-dire  que  ceux  qui  les  obtenaient  avaient  le  droit 
exclusif  d'y  faire  le  commerce  de  pelleteries.  Ces  postes  se  don- 
naient, se  vendaient  ou  s'alTermaient,  et  dans  ces  trois  cas  le 
commerce  soullVait  également  de  leur  régie  ;  ils  étaient  loués 
communément  pour  trois  ans,  et  le  fermier  voulait  dans  ce  court 
espace  de  temps  faire  une  fortune  considérable  ;  le  moyen  qu'il 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


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prenait,  c'était  de  vendre  les  marchandises  qu'il  y  portait  un  prix 
excessif  et  d'acheter  les  pelleteries  au  plus  bas  possible,  dut-il 
pour  cela  tromper  les  Sauvages  ajjrès  les  avoir  enivrés.  En 
1754«,  on  avait  dans  le  poste  de  la  mer  d'Ouest  une  peau  de  cas- 
tor pour  quatre  grains  de  poivre,  et  on  a  retiré  jusqu'à  huit  cents 
francs  d'une  livre  de  vermillon  !  Il  était  évident  que  ce  com- 
merce allait  être  frappé  de  mort,  si  on  ne  réussissait  pas  à  rejeter 
les  colons  anglais  eu  dehors  des  vallées  du  St.-Laurent  et  du 
Mississipi  ;  et  déjà  même  il  était  trop  tard,  dans  l'opinion  de  bien 
des  gens,  qui  pensaient  que  l'on  aurait  dû  avoir  élevé  des  digues 
avant  le  débordement. 

Nous  nous  sommes  étendu  sur  la  traite  des  pelleteries,  parce 
que  des  motifs  de  politique  et  de  sécurité  nationale  s'y  trouvaient 
étroitement  liés  ;  c'était  la  traite  qui  fortifiait  et  perpétuait  l'alli- 
ance avec  les  Indigènes,  dont  nous  avons  plus  d'une  fois  signalé 
les  avantages  et  la  nécessité.  Quant  aux  autres  branches  du 
commerce  canadien,  il  ne  sera  pas  nécessaire  de  s'y  arrêter  si 
longtemps,  quoique  nous  n'en  oublierons  aucune  un  peu  impor- 
tante, puisque  le  commerce  forme  avec  l'agriculture,  la  grande 
occupation  de  toutes  les  classes  des  populations  américaines,  de- 
puis le  citoyen  le  plus  opulent  jusqu'au  citoyen  le  plus  humble. 

Après  la  traite  des  fourrures  venait  la  pêche.  Celle  de  la 
morue  et  de  la  baleine  resta  presque  entièrement  entre  les  mains 
des  Européens  ;  les  Canadiens  s'adonnèrent  plus  spécialement  à 
celle  du  loup-marin  et  du  marsouin  qui  fournissaient  d'excellentes 
huiles  pour  les  manufactures  et  l'éclairage.  Sept  ou  huit  loup- 
marins  donnaient  une  barrique  d'huile  ;  les  peaux  servaient  à 
différens  usages.  Cette  pêche  se  faisait  dans  le  fleuve  et  le  golfe 
St.-Laurent  et  sur  la  côte  du  Labrador,  où  le  gouvernement  affer- 
mait à  des  particuliers  pour  un  certain  nombre  d'années  des  por- 
tions de  grève,  des  îles  ou  des  côtes  entières.*  Il  fut  établi 
jusqu'à  quatorze  pêches  au  marsouin  en  bas  de  Québec  en  1722. 
L'on  exportait  dans  les  dernières  années  un  quantité  considérable 
d'huile  en  France  avec  des  salaisons  de  harengs  et  d'autres  pois- 
sons. Les  bois  auraient  dû  former  aussi  l'un  des  principaux 
articles  d'exportation,  mais  ce  commerce  ne  prit  jamais  beau- 

•II  afferma  la  baie  des  Esquimaux  à  la  veuve  Fournel  en  1749,  le  Labra- 
dor à  M.  d'Aillebout  en  1753. 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


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coup  de  développement,  non  plus  que  la  construction  des  navires, 
malgré  les  efforts  du  gouvernement  pour  l'encourager.  Le  ministre, 
M.Philipeaux,  recommandait  en  vain  en  1731,  de  redoubler  de  soin 
pour  exciter  les  habitans  à  construire  des  vaisseaux  de  commerce, 
afin  de  parvenir  à  diminuer  la  main  d'œuvre  et  de  permettre  d'en 
bâtir  pour  le  roi.  Il  fallut  que  Louis  XV  offrît  une  gratification 
de  500  francs  par  vaisseau  de  200  tonneaux  ;  150  francs  par 
bateau  de  30  à  60  tonneaux,  vendus  en  France  ou  dans  les  Iles, 
et  qu'il  fît  établir  lui-même  des  ateliers  de  construction  à  Québec, 
garnis  des  ouvriers  nécessaires  pour  bâtir  pour  sa  marine.  L'on 
reprochait  aux  navires  canadiens  de  coûter  beaucoup  plus  que 
ceux  qui  étaient  faits  en  France,  et  de  durer  moins  longtemps, 
attendu  que  le  chêne  dont  on  se  servait  était  tiré  des  lieux  bas  et 
humides,  et  qu'après  avoir  été  coupé  d'hiver,  on  le  mettait  l'été 
suivant  à  l'eau  pour  le  descendre  à  Québec,  pratique  qui  en  alté- 
rait la  bonté.  Malgré  les  encouragemens  la  construction  resta 
tellement  négligée,  que,  suivant  un  rapport  présenté  au  ministère, 
les  Anglais  fournissaient  une  partie  des  vaisseaux  servant  même 
à  la  navigation  intérieure  du  Canada  parce  qu'ils  les  donnaient  à 
meilleur  marché.  Talon  avait  vainement  introduit  la  culture  des 
chanvres  et  ouvert  des  chantiers  pour  la  préparation  des  bois. 
On  ne  sait,  dit  Raynal,  par  quelle  fatalité  tant  de  richesses  furent 
longtemps  négligées  ou  méprisées.  En  réfléchissant  un  peu 
Raynal  aurait  vu  que  la  vraie  cause  était  le  manque  de  bras,  le 
manque  de  population.  Aujourd'hui  les  chantiers  de  Québec 
occupent  plusieurs  milliers  d'hommes,  et  le  Canada  peut  soutenir 
la  concurrence  avec  aucune  autre  nation  du  monde. 

L'exploitation  des  mines  de  fer  ne  fut  commencée  aux  Trois- 
Rivières  que  vers  3737.  Elle  fut  d'abord  dirigée  d'une  manière 
peu  judicieuse.  Mais  en  1739  les  nouveaux  fermiers  étendirent 
et  perfectionnèrent  les  travaux,  et  produisirent  assez  de  fonte, 
pour  la  consommation  intérieure.  Il  en  fut  exporté  des  échan- 
tillons qui  furent  trouvés  d'une  qualité  supérieure.  Cette  forge 
subsiste  encore. 

Dès  le  temps  de  Cartier  les  rives  du  lac  Supérieur  étaient 
célèbres  parmi  les  indigènes  pour  leurs  mines  de  cuivre.  Les 
Sauvages  en  montrèrent  des  morceaux  à  ce  voyageur.  Les  rap- 
porta des  Français  confirmèrent  plus  tard  ceux  des  Sauvages. 


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HISTOIKE   DU   CANADA. 


149 


En  1738,  le  roi  envoya  deux  mineurs  allemands  nommés  Forster 
pour  ouvrir  celle  de  Chagouïa-mi-gong,*  entreprise  prématurée 
qui  lut  ensuite  abandonnée  sans  doute  à  cause  de  la  distance. 
Les  lettres  du  roi  qui  adressent  ces  deux  étrangers  à  l'intendant 
contiennent  des  recommandations  singulières  sur  la  manière  dont 
ils  doivent  être  traités.  Après  les  pelleteries,  après  le  poisson  et 
les  huiles,  venaient  les  céréales  qui  formaient  encore  un  arlicl' 
d'exportation  plus  important  que  le  bois.  Une  partie  était  con- 
sommée dans  le  pays  même  par  les  troupes  et  l'autre  exportée. 
Il  en  sortait  dans  les  bonnes  années  jusqu'à  80,000  minots  en 
farines  et  en  biscuits.f  Le  Canada  en  produisit  en  1734,  738,000 
minots,  outre  5,000  de  maïs,  63,000  de  pois,  et  3,400  d'orge.  La 
population  était  alors  de  37,000  habitans.^ 

Une  plante  célèbre  découverte  par  le  Jésuite  Lafitau  dans  nos 
forêrs,  vint  enrichir  un  instant  le  pays  d'un  nouvel  objet  d'expor- 
tation. Le  jin-seng  que  les  Chinois  tiraient  à  grands  frais  du 
nord  de  l'Asie,  fut  porté  des  bords  du  St.-Laurent  à  Canton.  Il 
fut  trouvé  excellent  et  vendu  très  cher  ;  une  livre  qui  ne  valait  à 
Québec  que  deux  francs  y  monta  jusqu'à  vingt-cinq.  Il  en  fut 
exporté  une  année  pour  500  mille  francs.  Le  haut  prix  que 
cette  racine  avait  atteint  excita  une  aveugle  cupidité.  On  la 
cueillit  au  mois  de  mai  au  lieu  du  mois  de  septembre,  on  la  fit 
sécher  au  four  au  lieu  de  la  faire  sécher  lentement  et  à  l'ombre  ; 
elle  ne  valut  plus  rien  aux  yeux  des  Chinois,  qui  cessèrent  d'eu 
acheter.  Ainsi  un  commerce  qui  promettait  de  devenir  une 
source  de  richesse,  tomba  et  s'éteignit  complètement  en  peu  d'an- 
nées. 

Québec  était  le  grand  entrepôt  du  Canada.  Cette  ville  envoyait 
annuellement  cinq  ou  six  bâtimens  à  la  pêche  du  loup-marin,  et 
à  peu  près  un  pareil  nombre  dans  les  Ile?  t  à  Louisbourg  char- 
gés de  farine,  lesquels  revenaient  avec  des  cargaisons  de  charbon, 
de  rum,  de  mêlasse,  de  café  et  de  sucre.  Elle  recevait  de 
France  une  trentaine  de  navires  formant  environ  9,000  tonneaux. 

Dans  les  temps  les  plus  florissans,  les  exportations  du  Canada 


•  Registre  de  l'intendant, 
t  Mémoire  attribué  à  M.  Hocquart  : 
historique  de  Québec, 
t  Recensement  :  correspond.  ofHc. 


Collection  de  la  Société  littéraire  et 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


ne  dépassèrent  pas  2,000,000  livres  en  pelleteries,  dont  800,000 
en  castor,  250,000  en  huile  de  loup-marin  et  de  marsouin  ; 
.  une  pareille  somme  en  farine  ou  pois,  et  150,000  livres  en  bois 
de  toutes  les  espèces.  Ces  objets  pouvaient  former  ainsi,  année 
commune,  une  valeur  de  2,650,000  livres.  Si  l'on  ajoute  à  cela 
une  somme  de  600,000  livres  pour  les  divers  autres  produits  et 
le  jin-seng  au  moment  de  sa  plus  grande  vogue,  on  aura  un  total 
de  3  millions  250  mille  livres. 

L'auteur  des  "  Considérations  sur  l'état  du  Canada  pendant  la 
guerre  de  1765,"  *  évaluait  alors  le  montant  des  exportati'^ns  à 
environ  deux  millions  et  demi,  et  celui  des  importations  à  huit 
millions  de  vente,  f  Comment  cet  immense  déficit  entre  l'im- 
portation et  l'exportation  était-il  comblé  1  Par  les  dépenses  que 
le  roi  faisait  dans  la  colonie,  et  qui  ont  été  nécessaires  de  tout 
temps  pour  rétablir  la  balance  du  commerce.  Elles  augmen- 
taient prodigieusement  dans  les  temps  de  guerre,  d'où  il  résulte 
qu'avant  celle  de  Sept  ans,  les  importations  devaient  rester  bien 
au-dessous  de  la  somme  de  huit  millions. 

L'importation  se  composait  de  vins,  d'eâux-de-vie,  d'épiceries, 
de  marchandises  sèches  de  toute  espèce,  dont  une  bonne  partie  de 
luxe,  car  le  luxe  était  grand  en  Canada  comparativement  à  sa 
richesse,  de  quincailleries,  de  potteries,  de  verreries,  etc. 

Il  ne  faut  pas  croire  néanmoins  que  cette  augmentation  rapide 
de  l'importation  (ùt  profitable  aux  négocians.  Les  temps  qu'elle 
signala  furent  ceux  d'une  dépression  générale  et  de  la  ruine 
d'un  grand  nombre  parmi  eux.  Le  roi  faisait  venir  une  partie 
des  marchandises  nécessaires  pour  le  service  militaire,  et  le  reste 
était  acheté  à  Québec  et  à  Montréal.  Mais  ces  achats  ne  se 
faisaient  pas  en  droiture  chez  le  négociant  ou  par  soumission  au 
rabais.  Les  fonctionnaires  qui  avaient  l'administration  des  four- 
nitures et  la  comptabilité,  s'étaient  secrètement  associés  ensemble, 
comme  nous  le  dirons  ailleurs,  et  spéculaient  sur  le  roi  et  sur  le 
commerce.  Sachant  d'avance  ce  que  le  service  demandait,  "  la 
grande  compagnie,"  comme  on  nommait  cette  société  occulte, 

•  Collection  de  la  Société  littéraire  et  historique. 

f  L'histoire  de  M.  Smith  contient  un  état  (V.  appendice  B.)  des  exporta- 
tions et  des  importations  de  ce  pays,  dont  les  chiffres  diffèrent  essentiellement 
de  ceux  de  l'auteur  des  Considérations. 


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HISTOIRE  DU   CANADA. 


101 


faisait  ses  achats  avant  que  le  public  eût  connaissance  des  besoins 
de  ce  service  ;  et  comme  ces  achats  étaient  considérables,  elle 
payait  souvent  15  à  20  au-dessous  du  cours,  et  ensuite  après 
avoir  accaparé  les  marchandises,  les  revendait  au  roi  à  25,  80,  et. 
jusqu'à  150  pour  cent  de  profit. 

Il  est  facile  de  concevoir  par  ce  qui  précède  que  le  commerce 
canadien  étant  peu  étendu,  ses  ressources  à  peine  utilisées,  la 
manque  de  récoltes,  les  irruptions  des  Sauvages,  les  guerres 
devaient  le  jeter  continuellement  dans  des  perturbations  pro- 
fondes et  rendre  le  prix  des  marchandises  excessif.  C'est  ce  qui 
porta  la  France,  malgré  la  répugnance  naturelle  des  métropoles 
à  permettre  l'établissement  des  manufactures  dans  leurs  colonies, 
à  autoriser,  a  recommander  même  en  Canada  la  fabrication  des 
toiles  et  autres  étoffes,  et  plus  tard  encore  en  1716,  lorsque  l'on 
était  devenu  plus  exclusif  que  jamais,  et  que  l'on  déclarait  qu'il 
ne  devait  pas  y  avoir  de  manufactures  en  Amérique,  parce 
qu'elles  nuiraient  à  celles  de. la  France,  à  renouveler  la  permis- 
sion d'en  établir  quelques-unes  pour  le  soulagement  des  pauvres. 
Le  roi  était  charmé  d'apprendre,  disait  le  ministre,  que  ses  sujets 
du  Canada  reconnussent  enfin  la  faute  qu'ils  avaient  faite,  en 
s'attachant  au  seul  commerce  des  pelleteries,  et  qu'ils  s'adonnas- 
sent sérieusement  à  l'exploitation  de  leurs  terres,  particulièrement 
à  la  culture  du  chanvre  et  du  lin.  Sa  Majesté  espérait  qu'ils 
parviendraient  bientôt  à  construire  des  vaisseaux  à  meilleur  mar- 
ché que  la  France,  et  à  faire  de  bons  établissemens  pour  la 
pèche  ;  qu'on  ne  pouvait  trop  les  y  exciter,  ni  leur  en  faciliter  les 
moyens  ;  mais  qu'il  ne  convenait  pas  pourtant  au  royaume  que  les 
manufactures  fussent  en  Amérique,  parceque  cela  porterait  pré- 
judice à  celles  de  France  ;  que  néanmoins  elle  ne  défendait  pas 
absolument  qu'il  ne  s'y  en  établit  quelques  unes  pour  le  soulage- 
ment des  pauvres. 

En  peu  de  temps  il  se  monta  des  métiers  pour  les  étoffes  de  fil 
et  de  laine  dans  toutes  les  maisons,  et  jusque  dans  le  manoir  du 
seigneur.  Depuis  cette  époque  la  population  des  campagnes  a 
eu  en  abondance  des  vêtemens  propres  à  ses  travaux  et  à  toutes 
les  saisons.  L'usage  s'en  est  conservé  et  s'en  répand  aujourd'hui 
même  jusque  dans  les  ètabliasemens  anglais. 


152 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


Cest  vcra  1746,  pendant  les  hostilités  avec  la  Grande-Bre- 
tagne, que  la  rareté  du  sel  fit  songer  à  en  fabriquer  en   Canada. 

La  guerre  y  avait  déjà  fait  naître  plusieurs  industries  utiles. 
Le  gouvernement  chargea  M.  Perthuis  d'établir  des  salines  à 
Kamouraska;  mais  cette  entreprise,  qui  aurait  pu  être  si  avanta- 
geuse pour  les  pêcheries  de  Terreneuve  et  du  golfe  St.  Laurent, 
ne  fut  point  continuée,  quoiqu'il  en  eut  déjà  existé  autrefois  dans 
le  pays,  qui  avaient  eu  du  succès."  i  ..    ;     : 

L'année  précédente  avait  été  témoin  d'une  grande  et  ulile 
amélioration,  l'introduction  des  postes  et  messageries  pour  le 
transport  des  lettres  et  des  voyageurs.  M.  Begcm,  intendant, 
accorda  à  M.  LanouUier  le  privilège  de  les  tenir  pendant  vingt 
années  entre  Québec  et  Montréal,  lui  imposant  en  même  temps 
un  tarif  de  charges  gradué  sur  les  distances.  Le  paj's  n'avait  pas 
encore  eu  d'institutions  postales,  il  n'a  pas  cessé  d'en  jouir  depuis. 

Nous  avons  dit  que  Québec  était  l'entrepôt  général  du  com- 
merce. Les  Normands  étant  les  premiers  qui  avaient  établi  ce 
commerce  en  fondant  la  colonie,  les  embarquemens  s'étaient  faits 
d'abord  au  Havre  de-Grace  et  à  Dieppe.  Dans  la  suite  la  Ro- 
chelle se  substitua  graduellement  à  ces  ports,  et  avant  la  fin  du 
siècle,  cetle  ville  fourni^sait  déjà  toutes  les  marchandisses  néces- 
saires à  la  consommation  du  pays  et  à  la  traite  avec  les  Sau- 
vages. Il  venait  aussi  des  vaisseaux  de  Bordeaux  et  de  Bayonne 
avec  des  vins,  des  caux-de-vie  et  du  tabac.  <      , 

Une  partie  de  ces  vaisseaux  prenaient  en  retour  des  charge- 
mens  de  pelleteries,  de  grains  et  de  bois.  Quelques  uns  allaient 
au  Cap-Breton  prendre  du  charbon  de  terre  pour  la  Martinique 
et  la  Guadeloupe,  où  il  s'en  consommait  beaucoup  dans  les  rafi- 
neries  de  sucre.  D'autres  s'en  retournaient  sur  lest  en  France, 
le  reste  arrêtait  aux  Iles  du  golfe  St .-Laurent,  pour  se  charger  de 
morue  à  Plaisance  et  dans  les  autres  pêcheries  Je  ces  parages. 
Plusieurs  marchands  de  Québec  étaient  déjà  assez  riches  du 
temps  de  la  Hontan  pour  avoir  plusieurs  vaisseaux  sur  la  mer. 

Il  était  d'usage  alors  de  ne  partir  de  l'Europe  pour  l'Amérique 

•  •'  M.  Denis,  a  French  gentleman,  says  that  excellent  sait  has  formerly 
been  made  in  Canada,  even  as  good  as  that  of  Brouage,  but  that  after  the 
experiment  had  been  made,  the  sait  pits  dug  for  that  purpose  had  been  filled 
up  to  the  great  préjudice  and  discrédit  of  the  colony."  Nalural  S[  àvil 
Hittory  tifUui  iVenck  JiOminians  m  North  fy  Sotêth  ^marim. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


153 


qu'à  la  fin  d'avril  ou  au  commencement  de  mai.  Dès  que  les 
maichandises  étaient  débarquéea  à  Québec,  les  marchands  des 
autres  villes  arrivaient  en  foule  pour  faire  leursachals,  qui  étaient 
embarqués  sur  des  berges  et  dirigés  vers  les  Trois-Rivières  et 
Montréal.  S'ils  payaient  en  pelleteries,  on  leur  vendait  à  meil- 
leur marché  que  s'ils  payaient  en  argent  ou  en  lettres  de  change, 
parce  qu'il  y  avait  un  profit  considérable  à  faire  sur  cet  article  en 
France.  Une  partie  des  achats  se  soldait  ainsi  en  fourrures,  que 
le  détailleur  recevait  des  habitans  ou  des  Sauvages.  Montréal 
et  les  Trois-Rivières  dépendaient  de  Québec,  dont  les  marchands 
avaient  sur  ces  places  un  grand  nombre  de  magasins  conduits  par 
des  associés  ou  des  commis.  Les  habitans  venaient  faire  leurs 
emplettes  dans  les  villes  deux  fois  par  année  ;  et  telles  étaient  la 
lenteur  et  la  difficulté  des  communications,  à  quoi  il  faut  ajouter 
sans  doute  le  poids  du  monopole,  que  les  marchandises  se  sont 
vendues  longtemps  jusqu'à  50  pour  cent  de  plus  à  Montréal  qu'à 
Québec. 

A  l'exception  des  vins  et  des  eaux-de-vie  qui  payaient  déjà 
un  droit  de  dix  pour  cent,  et  du  tabac  du  Brésil  grevé  de  cinq  sous 
par  livre,  aucun  autre  article  ne  fut  imposé  en  Canada  avant  la 
quatrième  guerre  avec  les  Anglais,  c'est-à-dire  avant  1748.  Alors 
Louis  XV  établit  par  un  édit  un  tarif  général  qui  frappa  d'un 
droit  de  ".rois  pour  cent  toutes  les  marchandises  entrantes  ou  sor- 
tantes. Il  y  fut  fait  cependant  des  exceptions  importantes  en  fa- 
veur de  l'agriculture,  de  la  pêche  et  du  commerce  des  bois.  Ainsi 
le  blé,  la  farine,  le  biscuit,  les  pois,  les  fèves,  le  maïs,  l'avoine, 
les  légumes,  le  bœuf  et  le  lard  salés,  les  graisses,  le  beurre, 
furent  laissés  libres  à  la  sortie  ;  les  denrées  et  les  marchandises 
nécessaires  à  la  traite  et  à  la  pèche  dans  le  fleuve  St.-Laurent,  à 
l'entrée  et  à  la  sortie  ;  les  cordages  et  le  sel  à  l'entrée  ;  les  che- 
vaux, les  vaisseaux  construits  en  Canada,  le  bardeau,  le  bois  de 
chêne  pour  la  construction  des  navires,  les  mâtures,  le  merrain, 
les  planches  et  les  madriers  de  toute  espèce,  le  chanvre  et  le 
hareng  salé,  à  la  sortie.  Ces  exceptions  étaient  commt  .  on  voit 
très  étendues  et  toutes  dans  l'intérêt  de  l'agriculture  et  des  indus- 
tries mentionnées  plus  haut.  Sur  les  représentations  des  habi- 
tans, le  roi  décida  encore  que  ce  tarif  n'aurait  d'effet  qu'après  la 
guerre. 


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154 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


Ainsi  de  1666  aux  dernières  années  de  la  domination  française 
en  Amérique,  les  marchandises  et  les  produits  agricoles  ne 
payèrent  aucun  droit  d'entrée  ni  de  sortie  en  Canada,  ni  en 
France,  excepté  les  vins,  eaux-de-vie  et  guildives  et  le  tabac  du 
Brésil.  Les  restrictions  du  commerce  canadien  étaient  seulement 
relatives  aux  rapports  avec  l'étranger  toujours  sévèrement  défen- 
dus, et  à  la  traite  du  castor  ;  et  encore  l'exclusion  touchant  celle- 
ci  n'était-elle  que  pour  l'exportation  en  France,  cardans  la  colo- 
nie le  marchand  pouvait  acheter  cette  pelleterie  du  Sauvage  pour 
la  revendre  ensuite,  au  taux  fixé  par  le  gouvernement,  au  comp- 
toir de  la  compagnie. 

Après  1753,  époque  de  la  mise  en  force  de  la  loi  d'impôt  dont 
l'on  vient  de  parler,  la  guildive  paya  24  livres  la  barique,  le  vin 
12,  les  eaux-de-vie  24  la  velte.  Il  paraît  que  le  tarif  pour  les 
marchandises  sèches  n'était  pas  exact,  et  que  certains  articles 
payaient  plus  et  d'autres  moins,  proportion  gardée  avec  les  trois 
pour  cent  qu'on  avait  voulu  imposer. 

Les  droits  d'entrée  et  de  sortie  produisaient  dans  les  temps  or- 
dinaires environ  300  mille  livres.  La  disposition  de  la  loi  de 
l'impôt  relative  à  l'obligation  de  payer  les  droits  au  comptant, 
gêna  le  marchand  sans  avantage  pour  la  chose  publique  et  porta 
un  grave  préjudice  au  commerce.  Dans  un  pays  où  l'on  est  obli- 
gé à  cause  de  l'hiver  de  faire  de  grands  amas  de  marchandises  qui 
restent  invendues  sur  les  tablettes  une  partie  de  l'année,  cette  loi 
était  plus  qu'injudicieuse  ;  elle  entraînait  une  nouvelle  charge  que 
le  consommateur  devait  payer,  car  l'on  sait  que  la  marchandise 
supporte  non  seulement  les  frais  qu'elle  occasionne,  mais  encore 
la  demeure  ou  l'intérêt  de  l'argent  qu'elle  coûte. 

Le  numéraire,  ce  nerf  du  trafic,  manquait  presque  totalement 
dans  les  commencemens  de  la  colonie.  Le  peu  qui  y  était 
apporté  par  les  émigrans  ou  autres,  en  ressortait  presqu'aussitôt, 
parce  que  le  pays  produisait  peu  et  n'exportait  encore  rien.  Les 
changemens  fréquens  que  l'on  fit  plus  tard  dans  le  cours  de  l'ar- 
gent, n'eurent  d'autre  effet  que  de  faire  languir  le  commerce  qui 
naissait  à  peine.  L'on  sait  qu'il  n'y  a  aucune  question  sur  laquelle 
il  soit  plus  facile  de  se  tromper,  que  la  question  des  monnaies. 
Le  besoin  d'argent  se  faisait  vivement  sentir  dans  les  îles  fran- 
çaises du  Mexique.     La  compagnie  des  Indes  occidentales  obtint 


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HISTOKiE   DU    CANADA. 


155 


la  permission  du  roi  d'y  faire  passer  en  1670  pour  100  mille 
francs  de  petites  espèces  maniuées  à  un  coin  particulier  ;  et  deux 
ans  après  cette  monnaie  ainsi  (jue  celle  de  France,  eut  cours  dans 
toutes  les  possessions  françaises  du  Nouveau-Monde  en  y  ajoutant 
un  quart  en  sus.  Malgré  cette  addition  de  ving-cinq  pour  cent 
qui  était  loin  d'être  exorbitante  pour  couvrir  la  dilTérence  du 
change  entre  Paris  et  Québec,  à  cette  époque  où  le  Canada 
exportait  encore  si  peu,  les  espèces  ne  cherchèrent  qu'à  sortir  du 
pays.  C'est  le  commerce  et  non  le  souverain  qui  règle  la  valeur 
de  l'argent  ;  le  prix  des  marchandises  monte  ou  baisse  avec  elle. 
L'expédient  ne  répondit  jioint  aux  avantages  qu'on  s'en  était 
promis.  Le  gouvernement  eut  alors  recours  à  un  papier  qu'il 
substitua  aux  espèces,  pour  payer  les  troupes  et  les  dépenses 
publiques.  Les  premières  émissions  fe  firent  après  1689.  Le 
papier  conserva  son  crédit  quelques  années,  et  les  marchands  le 
préféraient  aux  espèces  sonnantes;  mais  le  trésor,  dans  les 
embarras  de  la  guerre  de  la  succession  d'Espagne,  n'ayant  pu 
payer  les  lettres  de  change  tirées  sur  lui  par  la  colonie,  ce  papier 
tomba  dans  le  discrédit  et  troubla  profondément  toutes  les  affaires. 
Les  habitans,  réduits  au  désespoir,  firent  dire  en  vain  au  roi 
qu'ils  consentiraient  volontiers  à  en  perdre  une  moitié  si  Sa 
Majesté  voulait  bien  leur  faire  payer  l'autre.  Ce  papier  ne  fut 
liquidé  qu'en  1720,  avec  perte  de  cinq  huitièmes.  Louis  XV, 
se  vit  condamné  à  traiter  avec  ses  pauvres  sujets  canadiens 
comme  un  spéculateur  malheureux  ;  car  c'était  une  véritable 
banqueroute,  pronostic  obscur  de  celle  de  1758,  qui  devait  peser 
si  lourdement  sur  ce  pays,  et  de  cette  autre  plus  fameuse,  celle 
qui  compléta  le  grand  naufrage  de  la  monarchie  en  93. 

La  monnaie  de  carte  fut  abolie  en  1717,  et  le  numéraire  circula 
seul  avec  sa  valeur  intrinsèque  et  sans  augmentation  de  quart. 
L'on  tombait  d'un  extrême  dans  l'autre;  carie  numéraire  étant 
frappé  en  France,  le  coût  et  les  risques  du  transport  de  cette 
monnaie,  devaient  nécessairement  en  augmenter  la  valeur  en 
Canada  ;  cependant  le  mal  était  mons  grand  qu'en  le  fixant  trop 
haut  ;  car  il  devait  finir  par  prendre  sa  place  dans  l'échelle  comme 
une  marchandise,  et  tel  qu'il  doit  être  considéré  dans  un  bon  sys- 
tème monétaire. 

L'usage  exclusif  de  l'argent  ne  dura  pas  longtemps.    Le  com- 


196 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


merce  demanda  le  premier  le  rétabiiasemcnt  du  papier-monnaie 
plus  facile  de  transport  que  leH  espèces.  L'on  revint  aux  cartes 
avec  les  niômts  multiples  et  les  mômes  divisions.  Ce»  cartes 
portaient  Tempreinte  des  armes  de  France  et  de  Navarre,  et 
étaient  signées  par  le  gouverneur,  Pintendant  et  le  contrôleur;  il 
y  en  avait  de  1,  3,  6,  12  et  24  livres;  do  7,  10  et  15  sous,  et 
môme  de  6  deniers;  leurs  valeurs  réunies  n'excédaient  pas  un 
million.  "  Lorsque  cette  somme  ne  suflisait  pas,  dit  Kaynal,  pour 
les  besoins  publics,  on  y  suppléait  par  des  ordonnances  signées 
du  seul  intendant,  première  faute  ;  et  non  limitées  pour  le  nombre, 
abus  encore  plus  criant.  Les  moindres  étaient  de  vingt  sous,  et 
les  plus  considérables  de  cent  livres.  Ces  diflerens  papiers  cir- 
culaient dans  la  colonie  ;  ils  y  remplissaient  les  fonctions  d'argent 
jusqu'au  mois  d'octobre.  C'était  la  saison  la  plus  reculée  où  les 
vaisseaux  dussent  partir  du  Canada.  Alors  on  convertissait  tous 
ces  papiers  en  lettres  de  change  qui  devaient  être  acquittées  en 
France  par  le  gouvernement.  Mais  la  quantité  s'en  était  telle- 
ment accrue,  qu'en  1743  le  trésor  du  prince  n'y  pouvait  plus 
suffire,  et  qu'il  fallut  en  éloigner  le  paiement.  Une  guerre  mal- 
heureuse qui  survint  deux  ans  après  en  grossit  le  nombre,  au 
point  qu'elles  furent  décriées.  Bientôt  les  marchandises  montè- 
rent hors  de  prix,  et  comme  à  raison  des  dépenses  énormes  delà 
guerre,  le  grand  consommateur  était  le  roi,  ce  fut  lui  seul  qui 
supporta  le  discrédit  du  papier  et  le  préjudice  de  la  cherté.  Le 
ministère,  en  J759,  fut  forcé  de  suspendre  le  paiement  des  lettres 
de  change  jusqu'à  ce  qu'on  en  eût  démêlé  la  source  et  la  valeur 
réelle.     La  masse  en  était  effrayante. 

"  Les  dépenses  annuelles  du  gouvernement  pour  le  Canada, 
qui  ne  passaient  pas  400  mille  francs  en  1729,  et  qui,  avant  1749, 
ne  s'étaient  jamais  élevées  au-dessus  de  dix-sept  cent  mille  livres, 
n'eurent  plus  de  bornes  après  cette  époque."  Mais  n'anticipons 
pas  sur  l'ordre  du  temps. 

Dans  ce  système  monétaire,  le  Canada  n'était  détenteur  d'au- 
cune sécurité  réelle.  La  monnaie  est  ordinairement  un  signe  qui 
représente  une  valeur  réelle  et  qui  a  elle-même  une  valeur  intrin- 
sèque. En  Canada  elle  était  le  signe  du  signe.  On  n'y  voyait 
d'espèces  que  celles  qu'apportaient  les  troupes  et  les  officiers  des 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


157 


vaisoeaux,  ou  la  contrebande  avec  les  colonies  anglaises  ;  et  elles 
étaient  aussitôt  enlevées  pour  faire  de  la  vaisselle,  ou  être  ren- 
fermées dans  les  coffres  ou  envoyées  dans  les  Iles.  La  monnaie 
de  cartes  était  préférée  aux  ordonnances  parce  que  la  valeur  des 
premières  était  toujours  payée  toute  entière  en  lettres  de  change 
avant  les  secondes,  do  sorte  que  si  les  dépenses  du  gouvernement 
excédaient  le  mon*,  't  de  l'exercice  de  la  colonie,  Texcédant  était 
soldé  en  ordonnances  retirées  ensuite  par  ces  cartes  pour  les- 
quelles il  ne  pouvait  sortir  néanmoins  de  lettres  de  change  que 
l'année  suivante;  on  appelait  cela  faire  la  réduction.  ''  Dans  le 
courant  de  1754,  au  lieu  de  faire  une  réduction  qui  eut  été  trop 
forte,  on  délivra  des  lettres  de  change  pour  la  valeur  entière  des 
papiers  portés  au  trésor,  mais  payables  seulement,  partie  en  1754, 
partie  en  1755  et  partie  en  1756.  Alors  les  cartes  furent  con- 
fondues avec  Ies«rdonnanp**s  ;  on  ne  donna  pas  pour  leur  valeur 
de  lettres  de  change  à  plus  court  terme.  Il  est  même  à  présumer 
qu'on  a  cherché  à  anéantir  cette  monnaie,  le  trésorier  ne  s'en 
servant  plus  dans  les  paiemens.  Cette  opération  qui  n'occasion- 
nait qu'environ  six  pour  cent  de  différence  sur  les  paiemens  ordi- 
naires, fit  augmenter  les  marchandises  de  quinze  à  vingt  pour  cent 
et  la  main  d'œuvre  à  proportion. 

•*  Les  espèces,  poursuit  l'auteur  que  nous  citons  ici,  qui  sont 
venues  avec  les  troupes  de  France,  ont  produit  un  mauvais  effet. 
Le  roi  en  a  perdu  une  partie  dans  les  vaisseaux  le  Lys  et  l'Al- 
cide  ;  elles  ont  décrédité  le  papier  ;  la  guerre  n'était  pas  encore 
déclarée  lorsqu'elles  parurent  en  Canada,  et  on  croyait  avec  rai- 
son que  les  lettres  de  change  continueraient  à  être  tirées  pour  le 
terme  de  trois  ans  ;  les  négocians  donnèrent  donc  leurs  marchan- 
dises à  16  et  20  pour  cent  meilleur  marché  en  espèces  ;  on  trou- 
vait sept  francs  de  papier  pour  un  écu  de  six  francs.  Dès  que 
la  déclaration  de  la  guerre  a  été  publiée,  cet  avantage  a  diminué  ; 
les  négocians  n'ont  pas  osé  faire  des  retours  en  espèces  ;  il  en  a 
passé  quelques  parties  à  Gaspé  ;  !e  reste  est  entre  les  mains  de 
gens  qui  ne  font  point  de  remises  en  France  ;  ils  aiment  mieux 
perdre  quelque  chose,  et  le  garder  dans  leurs  coffres  en  effets  plus 
réels  que  des  cartes  et  des  ordonnances  ;  en  conséquence  ces 
papiers  ont  circulé  presque  seuls  dans  le  commerce  ;  ils  ont  été 

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HISTOinE    DL    CANADA. 


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portés  au  Irésor,  et  ont  augmenté  les  lettres  de  change  qu'on  a 
tirés,"  sur  le  gouvernement  à  Paris. 

Tel  fut  le  commerce  canadien  sous  le  règne  français,  assujeti 
d'un  côté  aux  entraves  dérivant  de  la  dépendance  coloniale  et 
jouissant  de  l'autre  de  la  plus  grande  liberté,  exclu  des  marchés 
étrangers  et  affranchi  en  général  de  tout  droit  et  de  toute  taxe  avec 
la  mère-patrie,  enfin  déclaré  libre  et  permis  à  tout  le  monde,  et 
soumis  en  plusieurs  circonstances  à  toutes  sortes  de  vexations  et 
de  monopoles.  Si  le  commerce  et  l'industrie  eussent  fleuri  en 
France,  si  les  vaisseaux  de  cette  nation  eussent  couvert  les  mers 
comme  ceux  de  la  Grande-Bretagne,  si  la  population  eut  été  con- 
sidérable, nul  doute  qu'avec  la  liberté  dont  jouissait  le  marchand 
canadien,  et  qui  était  large  pour  le  temps,  il  ne  fût  parvenu  à  une 
grande  prospérité.  Mais  que  pouvait  faire  le  Canada  sans  habi- 
tans,  exclu  du  roinmerce  étranger,  avec  ime  métropole  presque 
sans  marine  et  dont  le  gouvernement  était  en  pleine  décadence. 
Que  pouvait  faire  le  Canada,  malgré  la  liberté  dont  on  voulait  le 
faire  jouir  1  Ne  pou\'ant  atteindre  à  une  honnête  prospérité,  ni 
trouver  dans  ses  efforts  une  récompense  légitime  et  honorable,  il 
tourna  les  yeux  vers  une  carrière  où  l'honneurest  toujours  au  de- 
là du  danger,  et  non  le  bonnet  vert  de  la  banqueroute  mercantile. 
Le  Canadien,  inspiré  par  son  gouvernement,  sans  armée  régulière 
pour  le  protéger,  prit  le  fusil,  devint  soldat  et  contracta  ce  p^*' 
pour  les  armes  qui  nuisit  tant  dans  la  suite  au  développemf"  ^i 
au  progrès  du  pays.  On  eut  beau  déclarer  que  le  commerce  était 
libre  et  permis  à  tout  le  monde,  que  les  chefs  ne  sauraient  être 
trop  attentifs  à  favoriser  tous  les  établissemens  qui  pourraient  le 
faire  fleurir,  peu  de  personnes  s'y  livraient,  et  il  languissait. 

Il  est  une  autre  pratique  tenant  à  l'organisation  coloniale  qui  lui 
fut  aussi  très  préjudiciable  par  l'excès  qu'on  en  fit.  C'était  la 
permission  donnée  aux  employés  publics,  comme  on  l'a  mentionné 
ailleurs,  quelquefois  du  plus  haut  ran;^,  et  aux  magistrats  de  faire 
le  commerce  môme  avec  le  roi  dont  ils  étaient  les  serviteurs,  afin 
de  se  refaire  de  l'insutRsance  reconnue  de  leurs  appointemens. 
La  plupart  des  gouverneurs  généraux  et  particuliers  participèrent 
aux  profits  de  la  traite.*     Tout  le  monde  commerçait,  les  reli- 

•  Correspondance  officielle. — Mémoire  du  Sé.ninaire  ;  Lettres  de  Bagot  au 
miiiislre  ITnO. 


HISTOIRE    DU    CAiNADA. 


159 


gieux,  les  militaires,  comme  les  autres  citoyens.  Le  Séminaire 
trafiquait  avec  la  Nouvelle- York  et  avait  un  vaisseau  en  mer. 
Les  abus  devenaient  si  graves  que  Colbert  fut  obligé  vers  1676  de 
défendre  le  commerce  aux  fonctionnaires,  aux  ecclésiastiques,  et 
au  gouverneur  de  vendre  des  congés  de  traite.  Mais  les  défenses 
restèrent  bientôt  sans  effet.  Cet  usage  avait  pris  naissance  avec 
la  colonie,  fondée  et  gouvernée  pendant  longtemps  par  des  mar- 
chands, qui  conduisaient  à  la  fois  les  affaires  publiques  et  leur  né- 
goce. Il  fut  malheureusement  toléré  jusqu'aux  derniers  jours  du 
régime  français,  et  ouvrit  la  porte  aux  plus  funestes  et  aux  plus 
criminels  abus,  qui  atteignirent  leur  dernier  terme  dans  la  guerre 
de  la  conquête.  Ces  employés,  l'intendant  Bigot  à  '  r  tête, 
parvinrent  à  cette  époque  de  crise,  où  le  temps  ne  permettait 
point  de  porter  un  remède  aux  maux  de  l'intérieur,  à  accaparer 
toute  la  fourniture  du  roi,  qui  s'éleva  au  delà  de  15  millions  à  la 
fin  de  la  guerre.*  Pa;;  un  système  d'association  liabilement  mé- 
nagé, ils  achetaient  ou  vendaient,  comme  nous  l'avons  exposé 
tout  à  l'heure,  tout  ce  que  le  gouvernement  voulait  vendre  ou 
acheter.  Agissant  eux-mêmes  pour  le  roi,  il  est  facile  de  conce- 
voir que  les  articles  du  marchand  qui  n'était  pas  dans  leur  alli- 
ance, n'étaient  jamais  admis.  La  liberté  et  la  concurrence  si  né- 
cessaires au  commerce  furent  détruites,  ainsi  que  l'équilibre  des 
prix  que  l'association  fit  monter  à  un  degré  exorbitant,  malgré 
l'abondance  des  denrées  et  des  marchandises,  au  point  que  cette 
cherté  factice  devint  une  cause  de  disette  réelle. 

Le  vice  du  système  ne  s'était  pas  encore  manifesté  r^'une  ma- 
nière si  hideuse  ;  mais  il  avait  dû  produire  dans  tous  les  temps  un 
grand  mal,  et  causer  un  découragement  fatal  au  négociant  indus- 
trieux qui  ne  pouvait  lutter  avec  des  hommes  placés  dans  de  meil- 
leures conditions  que  lui.  Cela  n'est  pas  une  exagération,  car, 
selon  le  Mémoire  de  Bigot  lui-même  accusé  de  tous  ces  faits, 
c'était  le  roi  qui  faisait  les  plus  grandes  consommations  dans  les 
colonies  ;  et  c'était  avec  lui  principalement  qu'on  pouvait  ^aire 
un  commerce  d'une  certaine  importance. 

•  "  Si  on  calculait  toutes  les  marchandises  qui  sont  achetées  à  Québec,  à 
Montréal  et  dans  les  forts  pour  le  compte  du  roi,  on  trouverait  peut-être  le 


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double  de  ce  qu'il  en  est  entré  dans  la  colonie." 
ministit,  175!>. 


Dépêche  de  M.  Bisol  au 


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160 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


Un  pareil  système  devait,  surtout  aux  époques  de  guerre,  ruiner 
par  les  accaparemens,  tous  les  marchands  qui  n'étaient  pas  dans 
le  monopole  ;  et  si  ce  résultat  n'arriva  que  dans  la  guerre  de  la 
conquête,  c'est  que  l'honneur  et  l'intégrité  avaient  régné  jusque 
là  parmi  les  fonctionnaires. 

Le  commerce  canadien,  excepté  la  traite  des  pelleteries  et  le 
système  monétaire,  fut  l'objet  de  peu  de  règlemens  à  venir  jus- 
qu'au 18e.  siècle.  A  cette  époque  on  commença  à  s'occuper  de 
cette  matière.  Outre  les  lois  qui  concernent  la  liberté  du  trafic, 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut,  et  les  arrêts  du  conseil  supérieur 
et  de  l'intendant  qui  avaient  plus  immédiatement  rapport  à  la 
police  ou  à  des  cas  particuliers,  d'autres  lois  furent  promulguées 
en  difilérens  temps,  qui  eurent  aussi  leur  influence. 

La  première  est  le  règlement  relatif  aux  sièges  d'amirauté 
établis  dans  toutes  les  colonies  françaises  en  1717. 

Cette  institution  fut  revêtue  de  deux  caractères,  l'un  judiciaire 
et  l'autre  administratif,  que  se  partagent  aujourd'hui  la  cour  de 
l'amirauté  et  la  douane.  Comme  tribunal,  la  connaissance  de 
toutes  les  causes  maritimes  qui  durent  être  jugées  suivant  l'ordon- 
nance de  1681  et  les  autres  règlemens  en  vigueur  touchant  la 
marine,  lui  fut  déférée.  Comme  administration,  elle  eut  la  visite 
des  vaisseaux  arriv^ns  ou  partans,  et  le  pouvoir  exclusif  de  don- 
ner des  congés  à  tous  ceux  qui  faisaient  voile  pour  la  France, 
pour  les  autres  colonies  ou  pour  quelque  port  de  l'intérieur.  Ces 
congés  étaient  des  passavans,  et  chaque  vaisseau  était  tenu  d'en 
prendre  un  à  son  départ  et  de  le  faire  enregistrer  au  greffe  de 
l'amirauté.  Les  bâtimens  employés  au  cabotage  de  la  prcv  ce, 
n'étaient  obligés  que  d'en  prendre  un  par  an.  Il  fallait  en  outre 
le  consentement  du  gouverneur  aux  congés  pour  la  pêc'.:3  ou 
pour  les  navires  qui  menaient  des  passagers  en  France. 

La  seconde  fut  l'arrêt  de  la  même  année  qui  établit  une  bourse 
à  Québec  e*  une  autre  à  Montréal,  et  permit  aux  négocians  de 
s'y  assembler  tous  les  jours  pour  leurs  affaires  mercantiles. 
Cela  était  demandé  depuis  longtemps  par  le  commerce,  auquel 
l'on  accorda  aussi  la  nomination  d'un  agent  ou  syndic  pour  expo- 
ser ses  vœux  ou  défendre  ses  intérêts  auprès  du  gouvernement, 
chaque  fois  qu'il  y  aurait  besoin. 

Cet  agent  commercial  remplaça  probablement  le  syndic  des 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


161 


habitations,  dont  l'on  n'entendait  plus  parler,  et  dont  les  fonctions 
étaient  peut-être  déjà  tombées  en  désuétude. 

Quant  aux  lois  de  commerce  proprement  dites,  il  y  eut  cela  de 
singulier  qu'il  n'en  fut  promulgué  aucune  d'une  manière  formelle. 
Les  tribunaux  suivirent  l'ordonnance  du  commerce  ou  le  code 
Michaud,'  qui  était  la  loi  générale  du  royaume,  ainsi  que  les  y 
autorisaient  les  décrets  qui  les  constituaient.  Le  Canada  n'a  vu 
jusqu'à  ce  jour  inaugurer  dans  son  sein  par  Taulorité  législalive 
locale,  aucun  code  commercial  particulier.  A  défaut  de  lois  à 
cet  égard,  l'ordonnance  du  commerce  fut  introduite  en  vertu 
d'une  disposition  générale  de  l'édil  de  création  du  conseil  souve- 
rain en  1663  ;  et  cette  ordonnance  devint  parle  fait  et  la  coutume 
loi  du  pays.  Le  code  anglais  a  été  introduitdela  même  manière 
par  un  décret  de  la  métropole. 

Nous  ne  croyons  pas  devoir  omettre  de  mentionner  ici  une 
décision  du  gouvernement  français  qui  lui  fait  le  plus  grand  hon- 
neur. C'est  celle  relative  à  l'exclusion  des  esclaves  du  Canada, 
cette  colonie  que  Louis  XIV  aimait  par-dessus  toutes  les  autres  à 
cause  du  caractère  belliqueux  de  ses  habitans,  cette  colonie 
qu'il  voulait  former  à  l'image  de  la  France,  couvrir  d'une  brave 
noblesse  et  d'une  population  vraiment  nationale,  catholique,  fran- 
çaise, sans  mélange  de  race.  Dès  1688,  il  fut  proposé  d'y  intro- 
duire des  nègres.  Celte  proposition  ne  rencontra  aucun  appui 
dans  le  ministère,  qui  se  contenta  de  répondre  qu'il  craignait  que 
le  changement  de  climat  ne  les  fît  périr,  et  que  le  projet  ne  fût 
dès  lors  inutile.  C'était  assez  pour  faire  échouer  une  entreprise 
qui  aurait  greffé  sur  notre  société  la  grande  et  terrible  plaie  qui 
paralyse  la  force  d'une  portion  si  considérable  de  T'Tnion  amé- 
ricaine, l'esclavage,  cette  plaie  inconnue  sous  notre  ciel  du  nord 
qui,  s'il  est  souvent  voilé  par  les  nuages  de  la  tempête,  ne  voit 
du  moins  lever  vers  lui  que  des  fronts  libres  aux  jours  de  sa 
sérénité. 

Nous  nous  sommes  longuement  étendu  sur  des  faits  qui  n'ont 
pas  un  grand  attrait  pour  beaucoup  de  lecteurs  ;  mais  qui  n'en 
n'intéressaient  pas  moins  profondément  les  destinées  de  nos  pères, 
de  même  que  celles  que  la  providence  tenait  en  réserve  pour 
nous. 


J.  F.  Perrault  :— Extraits  ou  précédens  de  la  Prévôté  de  Québec,  1824. 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


L'on  voit  dans  ces  faits  l'opération  de  tout  un  système  et  ses 
conséquences.  Le  plan  est  large,  grandiose,  colossal  ;  mais  les 
convulsions  incessantes  de  ce  grand  tout  trahissent  sa  faiblesse. 

L'heure  arrive  où  la  Nouvelle-France  va  succomber.  Déjà 
tout  annonce  sa  décadence  ;  la  force  physique,  matérielle  va  rem- 
placer la  puissance  factice,  imaginaire,  les  combinaisons  intellec- 
tuelles des  Français,  qui  ont  montré,  il  faut  l'avouer,  le  savoir- 
faire  et  l'expérience  d'un  peuple  accoutumé  aux  grandes  affaires 
en  faisant  croire  si  longtemps  avec  des  bases  si  fragiles  à  un  vaste 
système  commercial. 


Cr  iPITEE  II. 


LOUISBOURG. 
1744-1748. 

Coalition  en  Europe  contre  Marie-Thérèse  pour  lui  ôter  l'empire  (1740.) 
—Le  Maréchal  de  Belle-Isle  y  fait  entrer  la  France. — L'Angleterre  se 
déclare  pour  l'impératrice  en  1744. — Hostilités  en  Amérique.— Ombrage 
que  Louisbourg  cause  aux  colonies  américaines. — Théâtre  de  la  guerre 
dans  ce  continent. — Les  deux  métropoles,  trop  engagées  en  Europe, 
laissent  les  colons  à  leurs  propres  forces. — Population  du  Cap-Breton  ; 
fortifications  et  garnison  de  Louisbourg. — Expédition  du  commandant 
Duvivier  à  Canseau  et  vers  Port-Royal. — Déprédations  des  corsaires. — 
Insurrection  de  la  garnison  de  Louisbourg. — La  Nouvelle-Angleterre,  sur 
la  proposition  de  M.  Shirley  en  profite  pour  attaquer  cette  Ibrteresse. — 
Le  Colonel  Pepperrell  s'embarque  avec  4,000  hommes,  et  va  y  mettre  le 
siège  par  terre  tandis  que  le  commodore  Warren  en  bloque  le  port. — Le 
commandant  français  rend  la  place. — Joie  générale  dans  les  colonies 
anglaises;  sensation  que  fait  cette  conquête. — La  population  de  Louisbourg 
est  transportée  en  France. — Projet  d'invasion  du  Canada;  qui  se  prépare  à 
tenir  tête  à  l'orage. — Escadre  du  duc  d'Anville  pour  reprendre  Louisbourg 
et  attaquer  les  colonies  anglaises.  (1746)  ;  elle  est  dispersée  par  une 
tempête. — Une  partie  atteint  Chibouctou  (Halifax)  avec  une  épidémie  à 
bord. — Mortalité  effrayante  parmi  les  soldats  et  les  matelots. — Mort  du 
duc  d'Anville. — M.  d'Estournelle  qui  lui  succède  se  perce  de  son  épée. — 
M.  de  la  Jonquière  persiste  à  attaquer  Port-Royal  ;  une  nouvelle  tempête 
disperse  les  débris  de  la  flotte. — Frayeur  et  armement  des  colonies  amé- 
ricaines.— M.  de  Ramsay  îissiége  Port-Royal. — Les  Canadiens  défont  le 
colonel  Noble  au  Grand-Pré,  Mines. — Ils  retournent  dans  leur  pays. — 
Les  frontières  anglaises  sont  attaquées,  les  forts  Massachusetts  et  Bridgman 
surpris  et  Saratoga  brûlé  ;  fuite  de  la  population. — Nouveaux  armemens 
de  la  France  ;  elle  perd  les  combats  navals  du  Cap-Finistère  et  de  Belle- 
Isle. — Marine  anglaise  et  française. — Faute  du  cardinal  Fleury  d'avoir 
laissé  dépérir  la  marine  en  France. — Le  comte  de  la  Galissonnière  gou- 
verneur du  Canada. — Cessation  des  hostilités  ;  traité  d'Aix-la-Chapelle 
(1748) — Suppression  de  l'insurrection  des  Miâmis. — Paix  générale. 

L'abaissement  de  la  maison  d'Autriche  est  un  des  grands  actes 
de  la  politique  de  Richelieu.  Quoiqu'il  eût  bien  diminué  sa 
puissance,  il  y  en  avait  en  France  qui  désiraient  la  faire  tomber 
encore  plus  bas.  Tel  était  le  maréchal  de  Belle-Isle  qui  exer- 
çait une  grande  influence  sur  la  cour  de  Versailles,  et  qui  voulait 
qu'on  profitât  de  l'avènement  de  Marie-Thérèse  à  la  couronne 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


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de  son  père,  l'empereur  Charles  VI,  pour  accomplir  ce  dessein. 
A  peine  cette  femme  illustre  et  si  digne  de  l'être,  eut-elle  pria 
possession  de  son  héritage,  qu'une  foule  de  prétendans,  comme 
l'électeur  de  Saxe,  l'électeur  de  Bavière,  le  roi  d'Espagne,  le  roi 
de  Prusse  le  grand  Frédéric,  le  roi  de  Sardaigne,  se  levèrent 
pour  réclamer  à  divers  titres  les  immenses  domaines  de  l'Au- 
triche. Le  maréchri  de  Belle-lsie  entraîna  la  France,  malgré 
l'opposition  du  cai  ''nal  de  Fleury,  premier  ministre,  dans  la 
coalition  contre  Mane-Thérèse  pour  soutenir  les  prétentions  do 
l'électeur  de  Bavière,  qui  aurait  été  beaucoup  plus  formidable 
qu'elle  s'il  eût  pu  réussir  à  la  dépouiller  de  ses  possessions.  L'on 
sait  quel  cri  de  patriotisme  sortit  du  sein  des  états  de  la  Hongrie 
lorsque  cette  princesse  se  présenta  avec  son  fila  dans  les  bras  au 
milieu  de  leur  assemblée,  et  invoqua  leur  secours  par  ces  paroles 
pleines  de  détresse  :  "  Je  viens  remettre  entre  vos  mains  la  fille 
et  le  fils  de  vos  roia."  Mourons  pour  notre  reine  !  s'écrièrent 
les  nobles  Hongrois  en  élevant  leurs  épées  vers  le  ciel. 

L'Angleterre  qui  avait  d'abord  gardé  la  neutralité,  ne  tarda  pas 
à  se  déclarer,  lorsqu'elle  vit  la  fermeté  avec  laquelle  l'impératrice 
faisait  tête  à  Forage,  et  jeta  son  épée  à  côté  de  la  sienne  dans  la 
balance.  C'était  commencer  les  hostilités  contre  la  France,  et 
allumer  la  guerre  en  Amérique. 

Les  colonies  anglaises  montraient  de  plus  en  plus  une  ambi- 
tion, une  inquiétude,  une  violence  républicaine  dont  la  singularité 
n'échappa  pas  tout-à-fait  dans  le  temps  à  la  sagacité  de  la  Grande- 
Bretagne,  et  qui  pouvait  faire  présager  déjà  ce  qu'elles  voudraient 
être  dans  l'avenir.  Le  parti  puritain  qui  avait  autrefois  gouverné 
l'ancienne  Angleterre,  avait  transporté  son  esprit  dans  la  nou- 
velle. Le  génie  de  ces  colons  semblait  prendre  de  la  grandeur 
lorsqu'ils  considéraient  les  immenses  et  belles  contrées  qu'ils 
avaient  en  partage,  et  il  n'est  guère  permis  de  douter  d'après  ce 
que  nous  avons  vu  d'eux  jusqu'à  ce  jour,  que  les  Etats-Unis 
voudront  remplir  complètement  leur  destinée.  Toutefois  à 
l'époque  de  cette  guerre,  il  paraissait  y  avoir  dans  les  diverses 
provinces  moins  de  zèle  pour  les  combats  que  de  coutume,  et 
celles  qui  étaient  voisines  du  Canada  surtout  semblaient  redouter 
les  hostilités.  Mais  la  moindre  circonstance  pouvait  rallumer  le 
feu  sous  la  cendre,  et  c'est  ce  qui  arriva. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


165 


En  Canada,  l'on  s'attendait  depuis  longtemps  à  la  reprise  des 
armes.  Les  forts  avancés  avaient  été  réparés  et  portés  sur  le 
pied  de  guerre,  les  garnisons  de  St.-Frédéric  et  de  Niagara  avaient 
été  augmentées  et  Québec  mis  en  état  de  défense,  du  moins 
autant  que  le  permettaient  les  quelques  barricades  et  batteries 
élevées  çà  et  là  sur  la  cime  du  cap  ou  au  pied  sur  le  port.  Des 
mesures  furent  prises  également  pour  chasser  tous  les  Anglais  de 
rOhio,  où  ils  commençaient  à  se  montrer  ;  et  M.  Guillet  avait 
été  chargé  de  rassembler  les  Sauvages  du  Nord  pour  tenter  une 
entreprise  qui  aurait  eu  sans  doute  du  retentissement  si  elle  avait 
pu  s'exécuter,  mais  que  l'on  ne  pouvait  guère  se  flatter  d'accom- 
plir, la  conquête  de  la  baie  d'Hudson. 

Du  reste  le  fort  de  la  guerre  devait  se  porter  sur  le  Cap-Breton 
et  la  péninsule  acadienne.  Le  cardinal  Fleury,  qui  détestait  la 
guerre,  laissa  le  Canada  à  ses  propres  forces.  La  Nouvelle- 
York,  de  son  côté,  exposée  la  première  aux  coups  de  ses  voisins, 
avait  envoyé  M.  Ransallaer  à  Québec  pour  proposer  un  traité 
secret  de  neutralité  entre  les  deux  pays.  L'on  ne  devait  donc 
pas  s'attendre  à  des  hostilités  bien  vives  sur  le  St.-Laurent,  du 
moins  pour  le  présent.  En  cas  d'offensive  le  premier  poste  à 
prendre  par  les  Canadiens  sur  cette  frontière  était  celui  d'Oswégo, 
et  M.  de  Beauharnais  n'osait  pas  le  faire,  d'abord  parce  que  la 
colonie  était  trop  faible  et  trop  dépourvue  de  tout  pour  aller  atta- 
quer l'ennemi  chez  lui,  et  en  second  lieu,  parce  qu'il  craignait 
l'opposition  des  Iroquoia  qu'il  tenait  à  garder  pour  amis.* 

Cependant  les  difficultés  entre  les  deux  nations  au  sujet  des 
frontières,  avaient  fait  croire  qu'à  la  première  rupture  elles  allaient 
se  porter  de  grands  coups,  et  qu'un  dénouement  tel  serait  donné 
à  la  question  des  limites,  qu'elle  serait  mise  en  repos  pour  long- 
temps. Mais  ni  l'Angleterre  ni  la  France,  trop  occupées  en 
Europe,  ne  songèrent  à  établir  un  champ  de  bataille  dans  le 
Nouveau- Monde.  Ce  furent  les  colons  eux-mêmes  qui  se  char- 
gèrent de  remplir  cette  portion  du  grand  drame,  et  qui  sans 
attendre  d'ordres  de  leurs  métropoles  se  mirent  en  mouve- 
ment. 

Le  Canada  n'avait  pas  mille  soldats  pour  défendre  tous  les 
postes  depuis  le  lac  Erié  jusqu'au  golfe  St.-Laurent  ;  mais  Louis- 


Documens  de  Paris. 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


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bourg,  comme  clef  des  possessions  françaises  du  côt6  de  la  mer, 
avait  une  garnison  de  sept  à  huit  cents  hommes. 

Ce  boulevard  devait  protéger  la  navigation  et  le  commerce. 
Sa  situation  favorable  entre  le  golfe  St.-Laurent,  les  bancs  et  l'île 
de  Terreneuve  et  l'Acadie,  lui  donnait  la  vue  sur  toutes  ces  terres 
et  sur  toutes  ces  mers.  Les  pieds  baignés  par  les  flots  de  l'Océan, 
il  était  ceint  d'un  rempart  en  pierre  de  30  à  36  pieds  de  hauteur 
et  d'un  fossé  de  80  pieds  de  large  du  côté  de  terre.  Il  était  encore 
défendu  par  deux  bastions,  deux  demi-bastions,  trois  batteries  de 
six  mortiers  et  percé  d'embrasures  pour  cent  quarante-huit  pièces 
de  canon.  Sur  l'île  à  l'entrée  du  port,  vis-à-vis  de  la  tour  de  la 
Lanterne,  on  avait  établi  une  batterie  à  fleur  d'eau  de  trente  pièces 
de  28,  et  au  fond  de  la  baie,  en  face  de  son  entrée,  à  un  quart  de 
lieue  de  la  ville,  ime  autre  de  trente  canons.  Cette  dernière  bat- 
terie commandait  le  fond  de  la  baie,  la  ville  et  la  mer.  L'on  com- 
muniquait de  la  ville  à  la  campagne  par  la  porte  de  l'Ouest,  et 
un  pont-levis  défendu  par  une  batterie  circulaire  de  seize  pièces 
de  24;.  L'on  tn-.vaillait  depuis  vingt-cinq  ans  à  ces  ouvrages,  qui 
étaient  défectueux  sous  le  rapport  de  la  solidité,  parceque  le  sable 
de  la  mer  dont  on  était  forcé  de  se  servir,  ne  convenait  point  à 
la  maçonnerie,  mais  ils  n'en  passaient  pas  moins  au  loin  pour  être 
formidables,  et  Louisbourg  avait  la  réputation  d'être  la  place  la 
plus  forte  de  l'Amérique.  On  le  disait  imprenable  quoique  les  forti- 
fications n'en  fussent  pas  achevées.  Cependant  il  en  était  de  ces 
fortifications  comme  de  bien  d'autres  dans  ce  continent,  qui  ont 
une  grande  réputation  au  loin,  et  qui  perdent  leur  redoutable  pres- 
tige dès  qu'elles  sont  attaquées.  Québec  avait  un  grand  renom  et 
Montcalm  n'osa  pas  attendre  l'ennemi  derrière  ses  murs.  Le  gou- 
verneur, le  comte  de  Raymond,  avait  fait  ouvrir  le  chemin  de 
Miré  qui  conduisait  au  port  de  Toulouse  dans  une  autre  partie  de 
l'île.  Ce  chemin,  avantageux  pour  le  commerce,  avait,  du  côté 
de  la  campagne,  affaibli  la  force  naturelle  de  Louisbourg,  protégée 
jusque-là  par  les  marais  et  les  aspéj  ités  du  sol,  en  permettant  d'ap- 
procher jusqu'au  pied  des  murailles.  A  la  faveur  de  sa  renom- 
mée, cette  forteresse  servait  de  retraite  aux  vaisseaux  canadiens 
qui  allaient  aux  Iles,  et  protégeait  une  nuée  de  corsaires  qui 
s'abattaient  sur  le  commerce  américain,  en  ruinant  les  pêches 
dans  les  temps  d'hostilités.     Les  colonies  anglaises  voyaient  donc 


Ifï 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


167 


avec  une  espèce  de  terreur  ces  sombres  murailles  de  Louisbourg, 
dont  les  tours  s'élevaient  au-dessus  des  mers  du  Nord  comme  dea 
géans  menaçans. 

Au  temps  de  la  guerre  de  HW  M.  Duquesnel  était  gouverneur 
du  Cap-Breton,  et  Bigot  commissaire-ordonnateur.  L'on  connaît 
peu  de  chose  sur  le  premier  ;  à  peine  son  nom  est-il  parvenu 
jusqu'à  nous.  Le  second  faisait  alors  au  Cap-Breton,  loin  de 
l'œil  de  ses  maîtres,  cet  apprentissage  d'opérations  commerciales 
dont  les  suites  devaient  être  si  fatales  à  toute  la  Nouvelle-France. 
On  entretenait  dans  l'île  huit  compagnies  françaises  de  70  hom- 
mes et  150  Suisses  du  régiment  de  Karrer,  en  tout  700  hommes 
quand  les  compagnies  étaient  complètes.  On  détachait  une 
compagnie  pour  l'île  St.-Jean.  une  autre  pour  la  batterie  royale, 
et  on  faisait  de  petits  détachemens  pour  garder  plusieurs  autres 
points  de  la  côte  ;  le  reste  formait  la  garnison  de  Louisbourg. 
C'étaient  là  toutes  les  forces  dont  l'on  pouvait  disposer  pour  gar- 
der l'entrée  de  la  vallée  du  St.-Laurent.  Les  colonies  anglaises 
n'étaient  guère  mieux  pourvues  de  troupes  que  celles  de  la  Nou- 
velle-France ;  mais  il  n'y  avait  point  de  comparaison  entre  le 
chiffre  de  leurs  habitans.  Confiantes  dans  leur  supériorité  numé- 
rique, ces  provinces  montraient  moins  d'empress"-ment  que  les 
Français  pour  courir  aux  armes,  ce  qui  faisait  que  ceux-ci  avaient 
presque  toujours  l'avantage  -du  premier  coup,  sachant  qu'ils 
devaient  suppléer  par  la  rapidité  à  ce  qui  leur  manquait  en  force 
réelle. 

L'on  reçut  à  Louisbourg  la  nouvelle  de  la  déclaration  de  guerre 
plusieurs  jours  avant  Boston.  Les  marchands  armèrent  sur  le 
champ  de  nombreux  corsaires,  qui  firent  des  conquêtes  précieuses 
et  s'enrichirent.  Bigot  possédait  pour  sa  part  plusieurs  vaisseaux 
armés  en  course,  les  uns  tout  seul,  les  autres  en  participation  avec 
des  associés.  Le  commerce  américain  désolé  par  ces  courses 
fit  des  pertes  considérables. 

Le  gouverneur  Duquesnel,  qui  connaissait  l'état  de  l'Acadie, 
que  l'Angleterre  abandonnait,  comme  avait  fait  la  France,  à  elle- 
même,  résolut  d'en  profiter.  Il  n'y  avait  que  quatre-vingts  hom- 
mes de  garnison  à  Annapolis,  et  les  fortifications  étaient  tellement 
tombées  en  ruines  que  les  bestiaux  montaient  par  les  fossés  pour 
paître  sur  les  remparts  écroulés.     Le  commandant  Duvivier  fut 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


chargé  de  former  un  détachement  de  8  à  900  hommes  tant  sol- 
dats que  miliciens,  de  s'embarquer  sur  quelques  petits  bâtimena 
qui  furent  mis  à  sa  disposition,  et  de  tomber  sur  l'Acadie  à  l'im- 
proviste. 

Le  premier  poste  qu'il  attaqua  fut  Canseau,  situé  à  l'extrémité 
Bud  du  détroit  dont  il  portait  le  nom.  Il  s'en  rendit  maître  après 
avoir  fait  prisonniers  les  habitans  et  la  garnison  composée  de 
quatre  compagnies  incomplètes  de  troupes,  et  le  brûla.  De  là  il 
ee  mit  en  marche,  mais  avec  lenteur,  pour  Annapolis  avec  une 
soixantaine  de  soldats  et  700  miliciens  et  Sauvages.  Rendu  aux 
Mines  il  s'arrêta  subitement  sans  que  l'on  sût  trop  pourquoi,  puis 
ensuite  se  retira  vers  le  Canada  après  avoir  fait  sommer  inutile- 
ment de  loin  Annapolis  de  se  rendre.  Cet  officier  fut  blâmé 
dans  le  temps  de  n'avoir  pas  marché  avec  plus  de  rapidité  sur 
cette  ville  pour  l'attaquer  dans  sa  première  surprise  ;  on  affirmait 
qu'il  s'en  serait  emparé  infailliblement,  car  déjà  les  principales 
familles  s'étaient  enfuies  à  Boston  avec  leurs  effets  les  plus  pré- 
cieux ;  que  dans  le  premier  moment,  elle  n'aurait  pu  résister  à 
un  assaut.  Il  y  aurait  trouvé  le  P.  Laloutre  qui  l'investis- 
sait avec  300  Indiens  du  Cap  de  Sable  et  de  St.-Jean,  accourus 
pour  prendre  part  à  cette  conquête.  Mais  le  délai  ayant  donné 
le  temps  aux  assiégés  de  recevoir  des  renforts,  les  Sauvages 
avaient  été  obligés  de  se  retirer. 

Dans  le  même  temps  les  corsaires,  après  avoir  désolé  la  ma- 
rine marchande  anglaise,  infestaient  les  côtes  de  Terreneuve,  in- 
commodaient les  petites  colonies  qui  y  étaient  dispersées,  et  me- 
naçaient même  Plaisance  malgré  ses  fortifications  et  ses  troupes. 
La  nouvelle  de  l'irruption  des  Français  en  Acadie  et  des  dépré- 
dations de  leurs  corsaires  à  Terreneuve,  arriva  presqu'en  même 
temps  à  Boston  que  celle  de  la  rupture  de  la  paix.  Toutes  les  co- 
lonies furent  dans  l'alarme  pour  leurs  frontières.  Elles  levèrent 
immédiatement  des  troupes  pour  garder  leurs  postes  avancés  du 
côté  du  Canada  ou  en  augmenter  les  garnisons.  Le  Massachu- 
setts fit  à  lui  seul  élever  une  chaîne  de  forts  de  la  rivière  Connec- 
ticut  aux  limites  de  la  Nouvelle- York.  Mais  tandis  qu'elles  pre- 
naient ainsi  à  la  hâte  les  mesures  de  sûreté  que  semblait  exiger  la 
première  attitude  de  leurs  ennemis,  il  se  passait  à  Louisbourg, 
dans  Le  sein  même  4u  boulevard  des  Français,  un  événement  qui 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


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les  tranquillisa  d'abord  un  peu,  et  qui  ensuite  leur  donna  probable- 
ment l'idée  d'aller  attaquer  cette  forteresse  elle-même.  Cet  évé- 
nement qui  aurait  été  grave  en  tout  autre  temps,  et  qui  l'était  dou- 
blement dans  les  circonstances  actuelles,  est  l'insurrection  de  la 
garnison,  qui  éclata  dans  les  derniers  jours  d'octobre  1744'. 

Faute  d'ouvriers,les  soldats  avaient  été  chargés  de  l'achèvement 
des  fortidcations.  Dans  les  derniers  temps,  il  paraît  qu'on  négli- 
geait de  payer  le  surplus  de  solde  que  ces  travaux  leur  valaient. 
Ils  se  plaignirent  d'abord  ;  ils  murmurèrent  ensuite,  sans  qu'on 
en  fit  aucun  cas.  /..lors  ils  résolurent  de  se  faire  justice  eux- 
mêmes,  et  éclatèrent  en  révolte  ouverte.  La  compagnie  Suisse 
la  première  donna  le  signal.  Ils  s'élirenl  des  officiers,  s'empa- 
rèrent des  casernes,  établirent  des  corps-de-gardes,  posèrent  des 
sentinelles  aux  magasins  du  roi  et  chez  le  commissaire-ordonna- 
teur Bigot,  auquel  ils  demandèrent  la  caisse  militaire  sans  oser  la 
prendre  néanmoins.  Ils  formulèrent  après  cela  des  plaintes  très 
vives  contre  leurs  officiers,  qu'ils  accusèrent  de  retenir  une  partie 
de  leur  paie,  de  leurs  habillemens  et  de  leur  subsistance.  Bigot 
n'ayant  rien  de  mieux  à  faire,  les  satisfit  sur  une  partie  de  ces 
points,  et  tout  l'hiver  il  employa  la  même  tactique  quand  ils  de- 
venaient trop  menaçans.  Depuis  plus  de  six  mois  la  garnison 
était  ainsi  en  pleine  rébellion  lorsque  l'ennemi  se  présenta  devant 
la  place. 

Le  bruit  de  ce  qui  se  passait  à  Louisbourg  s'était  répandu  ra- 
pidement jusque  dans  la  Nouvelle-Angleterre.  Le  gouverneur 
Shirley,  du  Massachusetts,  crut  que  l'on  ne  devait  pas  perdre  une 
si  belle  occasion  d'attaquer  un  poste  qui  portait  tant  de  préjudice 
à  leur  commerce  et  d'où  venaient  de  sortir  encore  les  troupes  qui 
avaient  brûlé  Canseau.  Il  écrivit  à  Londres  pour  proposer  au 
gouvernement  soit  de  faire  attaquer  lui-même  Louisbourg  dès  le 
petit  printemps  et  avant  que  cette  forteresse  eût  reçu  des  secours, 
soit  de  seconder  les  colons  qui  se  chargeraient  de  l'entreprise  si 
l'Angleterre  ne  le  faisait  pas.  Il  représentait  en  même  temps  que 
ce  poste  était  un  repaire  de  pirates  qui  désolaient  les  pêcheries  et 
interrompaient  le  commerce  ;  que  la  Nouvelle-Ecosse  serait  tou- 
jours en  danger  tant  que  cette  forteresse  appartiendrait  aux  Fran- 
çais, et  que  si  cette  province  venait  à  tomber  entre  leurs  mains 
l'on  aurait  six  ou  huit  mille  ennemis  de  plus  à  combattre  ;  qu'il 


il! 


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HISTOmE    DU    CANADA. 


était  de  la  plus  haute  importance  de  prendre  Louisbourg.  Shir- 
ley  ajoutait  qu'en  prenant  ce  boulevard  l'on  porterait  un  coup 
mortel  aux  pêcheries  françaises,  que  le  Cap-I3reton  était  la  clef 
du  Canada  et  protégeait  la  pêche  do  la  morue  qui  employait  par 
an  plus  de  500  petits  vaisseaux  de  Bayonne,  de  St.-Jean-de-Luz, 
du  Havre-de-Grace  et  d'autres  villes  ;  que  c'était  une  école  de 
matelots,  enfin  que  cetle  pêche  jointe  à  celle  pour  la  production 
des  huiles,  faisait  travailler  dix  mille  hommes  et  circuler  dix  mil- 
lions. Dans  le  mois  de  janvier  suivant  (1745)  sans  attendre 
de  réponse  de  Londres,  Shirley,  qui  avait  convoqué  la  législature 
du  Massachusetts,  informa  les  membres  qu'il  avait  une  commu- 
nication à  leur  faire,  mais  qu'il  exigeait  auparavant  le  secret  sous 
le  sceau  du  serment.  Après  cette  précaution,  il  leur  transmit 
par  message  la  proposition  d'attaquer  Louisbourg.  Elle  étonna 
d'abord  les  membres,  et  l'entreprise  i)arut  si  hasardeuse  qu'ils  la 
rejetèrent.  Mais  Shirley  sans  se  décourager  réussit  à  en  gagner 
quelques  uns  qui  firent  reprendre  la  mesure,  laquelle  après  de 
longues  discussions  passa  à  la  majorité  d'une  voix.  Immédiate- 
ment Shirley  écrivit  à  toutes  les  provinces  voisines  pour  leur 
demander  des  secours  en  hommes  et  en  argent,  et  pour  les  enga- 
ger à  mettre  un  embargo  sur  leurs  ports  afin  que  rien  ne  pût 
transpirer  du  projet  au  dehors.  Quoiqu'une  partie  seulement  de 
ces  provinces  répondît  à  son  appel,  en  peu  de  temps  on  eut  levé 
et  équipé  plus  de  4,000  hommes,  qui  s'embarquèrent  sous  les 
ordres  d'un  négociant  nommé  Pepperrell,  pour  le  Cap-Breton,  où 
ils  furent  arrêtés  trois  semaines  par  les  glaces  qui  entouraient 
l'île.  Le  Commodore  Warren  envoyé  d'Angleterre  avec  quatre 
vaisseaux  de  guerre  pour  bloquer  Louisbourg  du  côté  de  la  mer, 
les  rallia  à  Canseau  et  contribua  puissamment  au  succès  de  l'en- 
treprise. 

L'armée  débarqua  au  Chapeau-Rouge.  Elle  marcha  sans 
délai  sur  la  place  à  laquelle  elle  annonça  son  arrivée  par  de  grands 
cris.  Profitant  de  la  première  surprise,  le  colonel  Vaughan  alla 
incendier  dans  la  nuit  même,  de  l'autre  côté  de  la  baie,  les  maga- 
sins remplis  de  boissons  et  d'objets  de  marine  qui  s'y  trouvaient. 
L'officier  qui  commandait  la  batterie  royale  près  de  là,  soupçon- 
nant quelque  trahison,  l'abandonna  et  se  retira  sur  le  champ  dans 
la  ville,  premier  effet  de  la  méfiance  qu'avait  fait  naître  dans  les 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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officiera  Tétit  do  révolte  de  leurs  troupes.  La  garnison  était  alors 
composée  d'environ  GOO  soldats  et  800  habitans  qui  s'étaient 
armés  à  la  hâte. 

A  la  première  alarme,  le  général  Duchambon,  commandant,  la 
fit  rassembler  et  la  harangua  ;  il  en  appela  à  ses  scntimena,  lui 
représenta  que  l'arrivée  des  ennemis  lui  olTrait  une  occasion  favo- 
rable de  faire  oublier  le  passé  et  de  montrer  qu'elle  avait  encore 
le  cœur  français.    Ces  paroles  ranimèrent  le  patriotisme  d'hommes 
qui  n'étaient  qu'outrés  contre  les  injustices  de  leurs  supérieurs; 
ils  reconnurent  leur  faute  et  rentrèrent  aussitôt  dans  le  devoir, 
sacrifiant  leur  ressentiment  au  bien  de  la  patrie.     Mais  malheu- 
reusement les  otliciers  refusèrent  de  croire  à  la  sincérité  de  leurs 
dispositions,  et  cette  méfiance  fut  la  cause  de  la  perte  de  la  ville. 
Quoique  l'ennemi  se  fût  approché  de  Louisbourg  sans  opposi- 
tion, à  la  faveur  de  la  surprise,  son  succès  n'aurait  été  rien  moins 
qu'assuré  si  on  avait  fondu   sur  lui  pendant   qu'il   formait  son 
camp  et  commençait  à  ouvrir  ses  tranchées.     De  simples  milices, 
rassemblées  avec  précipitation,  commandées  par  des  marchands 
n'ayant  aucune  expérience  militaire,  auraient  été  déconcertées 
par  des  attaques  régulières  et  vigoureuses  ;  elles  n'auraient  pu 
résister  à  la  bayonnette  ;  un  premier  échec  les  aurait  découragées. 
Mais  on  s'obstina  à  croire  que  la  garnison  ne  demandait  à  faire 
des  sorties  que  pour  déserter  ;  et  on  la  tint  comme  prisonnière 
jusqu'à  ce  qu'une  si  mauvaise  défense  eût  réduit  la  ville  à  capi- 
tuler le  16  juin,  après  avoir  perdu  200  hommes.     L'île  entière 
suivit  le  sort  de  Louisbourg  son  unique  boulevard,  et  la  garnison 
avec  les  habitans  au  nombre  de  2,000  furent  transportés  à  Brest, 
où  l'on  fut  étonné  un  jour  de  voir  débarquer  une  colonie  entière 
de  Français,  que  les  vaisseaux  anglais  laissèrent  sur  le  rivage. 
Warren  qui  fermait  l'entrée  du  port  avec  sa  flotte,  venait  de 
prendre  un  vaisseau  de  64  canons  portant  560  hommes  qui  étaient 
envoyés  pour  relever  la  garnison.     Si  ce  renfort  eût  pu  y  péné- 
trer, Louisbourg  était  sauvé.    Les  Américains  qui  savent  allier  la 
ruse  avec  le  flegme,  laissèrent  flotter  encore  plusieurs  jours  le 
drapeau  blanc  sur  les  remparts  ;  et  plusieurs  vaisseaux  français 
richement  chargés,  trompés  par  ce  signe,  vinrent  se  jeter  au 
milieu  des  ennemis. 

Le  succès  de  l'expédition  de  Louisbourg,  qui  n'avait  coûté 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


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presqu'aucune  perte,  causa  de  la  surprise  en  Amérique  et  en 
Europe,  et  en  effet  ce  succès  devait  surprendre.  Pour  ceux  qui 
ignoraient  ce  qui  s'était  passé,  comment  croire  que  le  plan  de 
réduire  une  forteresse  régulière  formé  par  un  avocat,  exécuté  par 
un  marchand  à  la  iôte  d'un  corps  d'artisans  et  de  laboureurs,  eût 
pu  réussir  ;  et  pourtant  c'est  ce  qui  venait  d'avoir  lieu.  L'or- 
gueil européen  en  fut  blessé,  et  quoique  cette  conquête  mît  la 
Grande-Bretagne  en  état  d'acheter  la  paix,  elle  excita  sa  jalousie 
contre  les  colonies  qui  l'avaient  laite.*  Nous  verrons  dans  la 
prochaine  guerre  que  les  exploits  des  Canadiens  excitèrent  de 
même  l'envie  des  Français  et  jusqu  i  celle  du  général  Montcalm, 
et  que  cette  faiblesse  contribua  chez  ce  commandant  à  le  dégoû- 
ter d'une  lutte  au  succès  de  laquelle  il  fit  la  faute  grave  de  ne  pas 
croire  dès  le  commencement,  et  celle  encore  plus  grande  de 
répandre  cette  idée  parmi  ses  troupes. 

Tandis  que  les  vainqueurs  se  félicitaient,  et  '  ,u-ibuaient  eux- 
mêmes  dans  leur  étonnement  le  succès  qu'ils  venaient  de  rem- 
porter au  secours  d'une  providence  dont  la  main  avait  paru  d'une 
manière  trop  manifeste  dans*  tout  le  cours  de  l'entreprise  pour 
être  mise  en  doute,  la  nouvelle  de  la  prise  de  Louisbourg  parve- 
nait en  France  et  tempérait  un  peu  la  joie  que  causaient  la  célèbre 
victoire  de  Fontenoy  qu'on  venait  de  remporter  et  lu  conquête  de 
l'Italie  autrichienne.  A  Londres  la  perte  de  cette  bataille  et  le 
déba-quemcnt  du  prétendant,  le  prince  Edouard,  en  Ecosse,  ne 
permirent  guère  non  plus  d'exalter  le  fait  d'armes  américain. 
En  Canada  la  sensation  fut  profonde,  car  l'on  croyait  que  l'attaque 
de  Louisbourg  n'était  que  le  piélude  à  celle  de  Québec,  et  M.  de 
Beauharnais  fit  ses  préparatifs  pour  toutes  les  éventualités.  II 
présida  à  Montréal  une  assemblée  de  six  cents  Indiens  dft  diverses 
nations,  parmi  lesquels  il  y  avait  des  Iroquois  ;  tous  montraient 
les  meilleures  dispositions.  Il  fit  descendre  à  Québec  une  partie 
des  milices  et  des  Sauvages,  et  activa  l'achèvement  des  fortifiica- 
tions  de  la  ville  auxquelles  on  travaillait  déjà  depuis  si  longtemps, 
comme  si  les  travaux  qu'on  y  faisait  avaient  valu  la  peine. 

En  même  temps  il  écrivit  en  France  pour  presser  le  ministère 
de  reprendre  Louisbourg  e.  l'Aca  'ie,assuran„que  2,500  hommes 
suffu'aient  pour  faire  la  conquête  de  cette  dernière  province.     Il 

"  Jlmerican  Jlnnals. 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


173 


fallait  à  tout  prix  se  remparer  de  ces  deux  possessions  ;  c'était 
le  passage  du  golfe  qui  était  interrompu.  Les  Anglais  tiennent 
toujours  la  même  conduite,  ils  veulent  occuper  tous  les  passages 
et  ils  les  occupent  en  effet.  Envoyez  moi,  ajoutait-il,  des  munitions 
et  des  armes,  je  compte  sur  la  valeur  des  Canadiens  et  des  Sau- 
vages. La  conservation  du  Canada  est  l'objet  le  plus  important  ; 
si  une  fois  l'ennemi  en  devenait  le  maître,  il  faudrait  peut-être 
renoncer  pour  toujours  a  ce  continent.  La  piise  de  Louisbourg 
par  les  milices  de  la  Nouvelle-Angleterre  avait  piqué  l'amour- 
propre  des  Canadiens,  qui  brûlaient  de  se  mesurer  avec  ces  nou- 
veaux soldats. 

Mais  là  où  la  conquête  anglaise  fit  l'impression  la  plus  pénible, 
ce  fut  dans  l'Acadie  elle-même,  parmi  l'ancienne  population, 
abandonnée  des  Français  et  regardée  avec  défiance  par  les 
Anglais.  Le  présentiment  du  malheur  qui  devait  lui  arriver 
plus  tard  l'inquiétait  déjà.  Elle  venait  de  voir  la  populution 
du  Cap-Breton  déportée  toute  entière  en  France.  Elle  craignait 
une  plus  grande  infortune,  celle  d'être  enlevée  et  dispersée  en 
différens  exils.  Elle  fit  demander  au  gouverneur  à  Québec  s'il 
n'aurait  pas  de  terres  à  lui  donner  ;  et  celui-ci  fut  réduit  à  éluder 
cette  question  d'un  peuple  qui  méritait  à  un  si  haut  degré  la  bien- 
veillance de  la  France. 

Les  vives  instances  de  M.  de  Beauharnais  ne  restèrent  pas 
cependant  tou<  à  fait  sans  effet.  M.  de  Maurepas  dirigea  les 
préparatifs  d'un  armement  comme  on  n'en  avait  pas  encore  mis 
sur  pied  pour  l'Amérique.  Le  secret  de  sa  destination  fut  tenu 
caché  avec  le  plus  grand  soin.  Le  duc  d'Anville,  homme  de 
mer  dans  le  courage  et  l'habileté  duquel  on  avait  la  plus  grande 
confiance,  fut  choisi  pour  le  commander.  Il  était  de  la  maison 
de  la  Rochefoucault,  et  savait  allier,  dit  Voltaire,  à  la  bravoure 
cette  politesse  et  cette  douceur  de  mœurs  que  les  Français  seuls 
conservent  dans  la  rudesse  attachée  au  service  maritime.  Bigot, 
dont  le  nom  devait  être  associé  à  tous  les  malheurs  des  Français 
dans  ce  continent,  fut  nommé  intendant  de  la  flotte,  par  son  pro- 
tecteur le  ministre  de  la  marine.  Jamais  entreprise  n'avait  été 
combinée  avec  tant  de  sagesse  et  de  prudence  ;  tjus  les  événe- 
mens  possibles  semblaient  avoir  été  prévus.  La  flotte  consistait 
en  onze  vaisseaux  de  ligne  et  trente  autres  plus  petits  bltim'"ns  et 


"^^IffliStA,, 


174. 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


I 


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transports,  portant  3,000  hommes  de  débarquement  sous  les 
ordres  de  M.  de  Pomraeril,  maréchal  de  camp,  lesquels  devaient 
être  renforcés  par  600  Canadiens  et  autant  de  Sauvages.  Les 
Canadiens  s'embarquèrent  à  Québec  dans  les  premiers  jours  de 
juin. 

Il  n'y  avait  rien  en  Amérique  capable  de  résister  à  cette  force. 
Le  duc  d'Anville  avait  ordre  de  reprendre  et  démanteler  Louis- 
bourg,  enlever  Annapolis  et  y  laisser  garnison,  détruire  Boston, 
ravager  les  côtes  de  la  Nouvelle-Angleterre,  et  enfin  d'aller 
inquiéter  les  colonies  à  sucre  des  Anglais  dans  le  golfe  mexicain. 
Le  résultat  n'aurait  pas  été  douteux  sans  une  fatalité  qui  s'atta- 
chait alors  à  toutes  los  entreprises  françaises  dans  le  Nouveau- 
Monde,  môme  à  celles  qui  semblaient  les  mieux  combinées  pour 
en  assurer  le  succès.  Lorsqu'elles  étaient  au-dessus  des  efforts 
des  hommes,  elles  venaient  périr  sous  les  coups  des  élémens. 
Chibouctou  (Halifax)  en  Acadie  était  le  lieu  fixé  pour  le  rendez- 
vous  de  la  flotte.  La  traversée  calculée  à  six  semaines  fut  de  plus 
de  cent  jours.  Mais  enfin  on  était  à  la  vue  du  port  et  chacura 
commençait  à  se  livrer  à  ses  espérances  et  à  oublier  les  fatigues 
d'une  longue  traversée,  lorsqu'une  tempête  furieuse  surprend  les 
vaisseaux  et  les  disperse  ;  une  partie  est  obligée  de  relâcher  dans 
les  Antilles,  une  autre  en  France  ;  quelques  transports  périssent 
sur  l'île  de  Sable,  et  le  reste,  battu  par  les  vents  durant  dix  jours, 
ne  pénétre  qu'avec  peine  dans  le  port  qu'il  avait  été  si  près  de 
toucher,  et  dans  lequel  il  entre  maintenant  avec  une  épidémie  qui 
vient  d'éclater  à  bord  avec  une  violence  extrême.  L'on  se  hâte 
de  débarquer  les  malades  et  d'établir  des  hôpitaux  à  terre.  Les 
vivres  sont  consommés,  on  en  envoie  chercher  à  de  grandes  dis- 
tances. On  espérait  que  des  alimens  frais,  un  air  pur,  allaient 
apporter  quelque  soulagement  aux  hommes  entassés  dans  les 
entreponts  et  que  fauchait  la  mort.  Mais  l'air  de  la  terre  semble 
fournir  un  nouvel  aliment  aux  ravages  du  fléau.  La  mort 
emporte  les  soldats  et  les  matelots  \  r  centaines  ;  en  quelques 
jours  une  grande  partie  des  troi'.pes  succombe.  Pour  comble  de 
malheurs  la  contagion  se  communique  aux  fidèles  Abénaquis 
venus  pour  joindre  leurs  armes  à  celles  de  leurs  protecteurs,  et  en 
fait  périr  le  tiers.  Un  sombre  désespoir  s'empare  alors  de  tout 
le  monde.    L'on  oe  croit  marqué  par  la  fatalité.    M.  de  Conflans 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


175 


qui  avait  été  détaché  de  la  flotte  avec  trois  vaisseaux  de  ligne  et 
une  frégate  pour  convoyer  les  bâtimens  marchands  qui  s'en 
allaient  aux  Iles,  et  qui  avait  reçu  ordre  de  rallier 'M.  d'Anville 
à  la  hauteur  des  côtes  de  l'Acadie,  ne  parait  point.  Cet  officier 
du  reste  peu  habile,  avait  atteint  le  lieu  de  ralliement  avant  d'An- 
ville, et  après  avoir  croisé  quelque  temps  dans  les  eaux  de  la 
péninsule,  ne  voyant  rien  arriver,  il  avait  pris  le  parti  de  retourner 
en  France.  Ainsi  tout  manquait  ou  périssait  avant  qu'on  eût  vu 
l'ennemi.  L'Amiral  Townshend  informé  de  ce  qui  se  passait, 
se  tenait  au  loin  dans  un  moment  où  il  aurait  pu  anéantir  sans 
effort  toute  l'expédition  française.  Il  resta  immobile  au  Cap-Breton 
avec  son  escadre,  en  attendant  que  la  peste  eût  lâché  ses  malheu- 
reux adversaires  pour  les  attaquer  à  son  tour. 

Pendant  ce  temps  là  les  lettres  interceptées  ayant  annoncé  à 
ceux-ci  l'arrivée  de  l'escadre  anglaise,  on  tint  un  conseil  de 
guerre,  où  les  opinions  furent  partagées  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire. 
Le  duc  d'Anville  dont  le  caractère  altier  se  révoltait  sous  le  poids 
d'aussi  grands  malheurs,  mourut  presque  subitement.  M.  d'Es- 
tournelle  qui  le  remplaça  dans  le  commandement,  convoqua  un 
nouveau  nseil  et  proposa  d'abandonner  l'entreprise  pour  retour- 
ner en  France.  Cette  proposition  fut  repoussée  surtout  par  M. 
de  la  Jonquière,  troisième  en  grade.  Le  nouveau  commandant 
tomba  alors  dans  une  agitation  extrême,  la  fièvre  s'empara  de  lui, 
et  dans  son  délire  il  se  perça  de  son  épée.  Ces  scènes  tragiques 
rappelaient  les  désastres  de  la  retraite  des  Grecs  après  la  prise  de 
Troie. 

L'on  était  rendu  au  22  octobre,  et  depuis  les  quarante-deux 
jours  que  l'on  était  à  Chibouctou,  1,100  hommes  étaient  morts 
et  2,400  depuis  le  départ  de  l'escadre  de  France.  Sur  200 
malades  qui  furent  mis  sur  un  navire  pour  l'Europe  un  seul 
survécut  malgré  les  plus  grands  soins  dont  ils  furent  tous  entourés  ! 
Tant  de  pertes  ne  purent  encore  abattre  la  détermination  dea 
chefs.  Quoiqu'il  ne  restât  plus  que  quatre  vaisseaux  de  guerre, 
on  résolut  d'aller  assiéger  Port-Royal  ou  Annapolis.  On  remit  à 
la  voile  ;  mais  une  nouvelle  tempête  éclata  sur  ce  débris  de  la 
flotte  devant  le  Cap  de  Sable,  et  l'obligea  de  faire  route  pour  la 
France.  M.  de  Maurepas,  en  apprenant  tant  d'infortunes,  fit 
cette  réponse  pour  consoler  les  officiers  :  "  Quand  les  élémen» 


176 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


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commandent,  ils  peuvent  bien  diminuer  la  gloire  des  chefs  ;  mais 
ils  ne  diminuent  ni  leurs  travaux  ni  leur  mérite." 

Nous  avons  dit  que  600  Canadiens  et  autant  de  Sauvages 
devaient  se  joindre  aux  troupes  que  portait  la  flotte  du  duc  d'An- 
ville  ;  et  que  les  premiers  étaient  partis  de  Québec  sur  sept  bâti- 
mens  pour  l'Acadie.  Ce  renfort,  commandé  par  M.  de  Ramsay, 
débarqua  à  Beaubassin  dans  la  baie  de  Fondy,  et  fut  très  bien 
accueilli  par  les  habitans  qu'il  avait  mission  d'empêcher  de  com- 
muniquer avec  Port-Royal.  Toute  la  population  acadienne  flot- 
tait entre  l'espérance  et  la  crainte.  Elle  disait  que  si  les  projets 
des  Français  ne  réussissaient  pas,  elle  serait  perdue  sans  ressource 
parcequ'elle  avait  refusé  de  prendre  les  armes  pour  ses  nouveaux 
maîtres.  Mais  lorsqu'elle  reçut  la  nouvelle  de  l'arrivée  du  duc 
d'Anville  avec  son  puissant  armement  elle  se  crut  sauvée,  et  fit 
de  grandes  démonstrations  de  joie,  démonstrations  funestes  qu'elle 
devait  pleurer  dans  un  cruel  exil  et  dans  une  dispersion  plus 
cruelle  encore  !  M.  de  Ramsay,  après  avoir  attendu  longtemps 
en  vain  l'expédition  aux  Mines,  se  disposait  à  revenir  en  Canada, 
sur  les  ordres  de  M.  de  Beauharnais,  inquiet  des  grands  prépa- 
ratifs de  l'ennemi  du  côté  de  la  Nouvelle- York,  et  il  s'était  déjà 
mis  en  route  lorsqu'il  fut  rattrapé  par  un  envoyé  du  duc  d'An- 
ville, qui  le  fit  revenir  sur  ses  pas  avec  400  Canadiens.  Il  se 
rapprocha  de  Port-Royal,  qu'il  tint  bloqué  par  terre  quoique  la 
garnison  y  fût  de  6  à  700  hommes. 

Tandis  que  la  France  projetait  la  reprise  de  l'Acadie,  les 
esprits  étaient  pleins  d'enthousiasme  dans  les  colonies  anglaises 
sur  la  prise  de  Louisbourg.  Shirley  poursuivant  toujours  son 
but  d'expulser  entièrement  les  Français  du  continent,  eu  con- 
férait avec  le  chevalier  Peter  Warren  et  le  général  Pepperrell,  et 
suggérait  la  conquête  du  Canada  au  ministère  qui  finit  par  l'agréer, 
malgré  les  graves  préoccupations  que  donnait  alors  la  présence 
du  Prétendant  au  milieu  de  la  Grande-Bretagne.  Le  duc  de 
New-Castle  adressa  une  circulaire  aux  gouverneurs  de  toutes  les 
colonies  pour  leur  recommander  de  lever  autant  d'hommes  que 
possible  et  de  les  tenir  prêts  à  marcher  au  premier  ordre.  Le 
plan  du  cabinet  de  St.-James  était  toujours  d'attaquer  le  Canada 
à  la  fois  par  terre  et  par  mer.  Le  vice-amiral  Warrer  devait 
faire  voile  d'Europe  avec  un  corps  de  troupes  commandé  par  le 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


177 


général  St.-Clair,  prendre  en  passant  à  Louisbourg  les  milices  de 
la  Nouvelle-Angleterre  et  aller  mettre  le  siège  devant  Québec. 
Les  levées  de  la  Nouvelle- York  et  des  autres  provinces  devaient 
se  rassembler  à  Albany  et  marcher  sur  le  fort  St.-Frédéric  et 
Montréal.  On  avait  demandé  5,000  hommes  aux  colonies  et 
elles  en  votèrent  plus  de  8,000  tant  leur  ardeur  était  grande  ; 
mais  ni  flotte  ni  armée  ne  vinrent  d'Angleterre,  et  les  provinces 
furent  forcées  d'ajourner  une  entreprise  qui  était  devenue  depuis 
longtemps  une  idée  fixe  chez  elles.  Alors  pour  ne  pas  perdre 
entièrement  le  fruit  de  leurs  dépenses  elles  voulurent  enlever  le 
fort  St.-Frédéric,  sur  le  lac  Champlain,  et  M.  Clinton,  gouver- 
neur de  la  Nouvelle- York,  avait  déjà  réussi  à  engager  les  cinq 
cantons  à  prendre  les  armes,  lorsque  l'on  apprit  l'apparition  de 
Eamsay  à  Beaubassin,  et  que  les  Acadiens,  travaillés  par  ses 
intrigues,  menaçaient  de  se  soulever.  A  cette  nouvelle  l'expédi- 
tion de  St.-Frédéric  fut  aussitôt  abandonnée,  et  les  troupes  furent 
dirigées  en  toute  hâte  vers  l'Acadie  pour  couvrir  Annapolis,  dont 
la  reddition  aurait  entraîné  la  perte  de  toute  la  province. 

Mais  à  peine  ces  troupes  étaient-elles  en  route  qu'une  rumeur 
d'une  nature  infiniment  plus  grave  se  répandit  avec  rapidité  dans 
toutes  les  possessions  anglaises  et  y  causa  la  plus  grande  alarme. 
C'était  la  nouvelle  de  l'apparition  de  la  flotte  du  duc  d'Anville 
sur  les  côtes  de  l'Acadie  ;  elle  fut  connue  à  Boston  le  20  sep- 
tembre. Le  peuple,  qui  dans  son  triomphe  croyait  déjà  tenir 
tout  le  Canada  dans  ses  mains,  passa  alors  de  l'exaltation  à  l'épou- 
vante ;  car  l'armement  des  Français  paraissait  trop  formidable 
pour  avoir  seulement  la  reprise  do  Louisbourg  et  de  l'Acadie 
pour  objet,  et  l'on  devina  facilement  contre  qui  allaient  être  diri- 
gés ses  coups.  On  courut  partout  aux  armes  ;  6,400  hommes 
de  milices  accoururent  de  l'intérieur  au  secours  de  Boston  ;  6,000 
autres  se  tinrent  prêts  dans  le  Connecticut  à  y  marcher  au  pre- 
mier ordre.  Le  gouverneur  fut  investi  de  pouvoirs  illimités  pour 
fortifier  le  havre  de  la  ville  et  renforcer  les  ouvrages  de  la  cita- 
delle, dont  l'on  fit  une  des  plus  fortes  en  Amérique.  La  plus 
grande  activité  régnait  partout  pour  repousser  l'invasion  ;  mais 
tant  de  préparatifs  n'étaient  pas  nécessaires  comme  nous  l'avons 
vu.    La  fortune  s'était  chargée  de  changer  le  cours  de  l'orage. 

Pendant  ce  temps-là  Ramsay,  était  toujours  devant  Annapolis, 


178 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


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OÙ  il  avait  fait  une  centaine  de  prisonniers.  A  la  nouvelle 
de  la  seconde  dispersion  de  la  flotte  française,  il  dut  songer  à  se 
retirer.  Il  reprit  le  chemin  de  Beaubassin  afin  d'y  établir  ses 
quartiers  d'hiver,  la  saison  étant  trop  avancée  pour  retourner  en 
Canada  la  même  année.  Shirley,  inquiet  de  le  voir  si  proche  de 
la  capitale  acadienne,  envoya  un  nouveau  corps  de  troupes  du 
Massachusetts,  pour  en  renforcer  la  garnison  qui  avait  déjà  été 
augmentée  de  trois  compagnies  de  volontaires.  Le  gouverneur 
d'Annapolis,  M.  Mascarène,  demandait  1000  hommes  pour 
déloger  les  Français.  Une  partie  seulement,  environ  500,  sous 
les  ordres  du  colonel  Noble,  lui  fut  donnée  et  alla  prendre  position 
au  Grand-Pré  dans  les  Mines,  à  quelque  distance  de  Beaubassin 
et  de  Ramsay  lui-même.  Les  deux  corps  se  trouvaient  en  pré- 
sence, mais  séparés  l'un  de  l'autre  par  la  baie  de  Fondy.  Dans 
l'hiver  les  Français  voulurent  prévenir  l'ennemi.  Sur  la  propo- 
sition de  ses  officiers,  Ramsay  donna  300  Canadiens  et  Sauvages 
à  M.  Coulon  pour  aller  surprendre  le  colonel  Noble  dans  ses 
quartiers.  Pour  l'atteindre  il  fallait  faire  le  tour  de  la  baie,  et 
parcourir  au  milieu  des  neiges  et  des  bois  un  circuit  de  près  de 
soixante  lieues.  Sans  s'effrayer  de  la  distance  ni  de  la  saison,  le 
détachement  se  mit  en  marche  la  raquette  au  pied,  et  arriva 
exténué  de  fatigue  devant  les  cantonnemens  anglais  dans  le  mois 
de  février  1747.  Le  11  au  matin,  après  avoir  pris  un  moment 
de  repos,  sans  donner  à  l'ennemi  le  temps  de  se  reconnaître, 
Coulon  tomba  sur  lui  avec  une  extrême  vigueur,  le  surprit 
d'abord,  et  en  éprouva  ensuite  la  plus  grande  résistance.  Le  feu 
se  prolongea  avec  vivacité  jusqu'à  trois  heures  de  l'après-midi, 
que  la  victoire  se  déclara  enfin  pour  les  Canadiens.  Le  colonel 
Noble  fut  tué,  plus  du  tiers  de  ses  troupes  mis  hors  de  combat,  et 
le  reste,  ne  pouvant  fuir  à  cause  de  la  profondeur  de  la  neige, 
s'étant  réfugié  au  nombre  de  300  dans  une  grande  maison  fortifiée, 
dut  se  rendre  par  capitulation.  Ce  coup  de  main  fit  grand  bruit 
à  Boston,  et  fut  regardé  en  Angleterre  comme  l'un  des  plus  auda- 
cieux que  l'on  pût  entrej  .endrc,  pour  abattre  un  peu  l'orgueil 
des  vainqueurs  de  Louisbourg.* 

L'échec  du  Grand-Pré  n'était  pas  le  seul  néanmoins  qu'ils 


•  Gazette  de  Londres, 
du  Canada. 


Documns  de  Paris.    Chalmers  Annals,    Affaires 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


179 


éprouvaient  depuis  le  commencement  des  hostilités.  Leurs  froa- 
tiéres  étaient  cruellement  dévastées  par  les  bandes  qui  s'y  suc- 
cédaient avec  une  activité  incessante  depuis  l'automne  de  1745  ; 
quelquefois  il  y  en  avait  plusieurs  à  la  ibis  sur  pied.  Mais  au 
loin  l'éclat  de  la  conquête  du  Cap-Breton  avait  jeté  dans 
l'ombre  ces  petites  expéditions,  qui  à  la  longue  devaient  harasser 
cependant  beaucoup  l'ennemi.  On  en  comptait  jusqu'à  vingt- 
sept  depuis  le  commencement  de  la  guerre,  c'est-à-dire  depuis 
trois  ans.  Le  fort  Massachusetts  situé  à  cinq  lieues  au-dessus  de 
St.-Frédéric,  avait  été  enlevé  par  capitulation  par  M.  Rigaud  de 
Vaudreuil  à  la  tète  de  700  Canadiens  et  Sauvages,  qui  avaient 
ensuite  ravagé  quinze  lieues  de  pays  et  répandu  la  terreur  jusque 
dans  la  Nouvelle-Angleterre.  La  Corne  de  St.-Luc  avait  attaqué 
le  fort  Clinton  et  complètement  défait  un  détachement  anglais 
qu'il  avait  précipité  à  coups  de  hache  dans  une  rivière.  Saratoga 
avait  été  pris  et  la  population  massacrée.  Le  fort  Bridgeman, 
attaqué  par  de  Léry,  était  aussi  tombé  en  son  pouvoir,  enfin  les 
frontières  de  Boston  à  Albany  n'étaient  plus  tenables.  Le?  forts 
avancés  avaient  été  évacués  et  la  population  effrayée  courait 
chercher  un  refuge  dans  l'intérieur  pour  se  soustraire  à  ces  dévas- 
tations meurtrières.     Tel  était  l'état  des  choses  en  Amérique. 

A  Paris  où  aboutissaient  les  bonnes  comme  les  mauvaises  nou- 
velles, le  ministère  français  ne  fut  pas  découragé  par  les  désastres 
de  la  flotte  du  duc  d'Anville  ;  et  malgré  l'immense  infériorité 
numérique  de  la  marine  française  comparée  à  la  marine  anglaise, 
il  résolut  non-seulement  de  reprendre  l'expédition  que  les  élé- 
mens  et  la  peste  avaient  interrompue  d'une  manière  si  funeste 
l'année  précédente,  mais  encore  d'envoyer  un  armement  dans  les 
Indes  pour  soutenir  les  succès  que  M.  de  la  Bourdonnaie  venait 
d'y  remporter,  en  battant  l'amiral  Peyton  et  en  enlevant  Madras 
sur  la  côte  du  Coromandel.  En  conséquence,  deux  escadres 
furent  équipées  l'une  à  Brest  et  l'autre  à  Rochefo^  c  ;  celle  dite  du 
Canada,  la  plus  considérable  des  deux,  fut  mise  sous  les  ordres 
de  l'amiral  de  la  Jonquière,  qui  s'était  opposé  l'année  précédente 
au  retour  des  débris  de  la  flotte  du  duc  d'Anville  avant  d'avoir 
pris  Port-Royal,  et  sur  qui  était  retombé  le  commandement  après 
la  mort  de  M.  d'Estournelle  ;  celle  des  Indes  fut  donnée  à  M.  de 
St.-George.    Les  deux  escadres  réunies  formaient  six  vaisseaux 


180 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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de  haut  bord,  six  frégates  et  quatre  navires  armés  en  flûte  par  la 
compagnie  des  Indes  ;  elles  convoyaient  une  trentaine  de  bâti- 
inens  chargés  de  troupes,  de  provisions  et  de  marchandises  ;  elles 
devaient  aller  quelque  temps  de  conserve. 

L'Angleterre  n'avait  pas  plutôt  eu  connaissance  du  dessein 
des  Français,  qu'elle  avait  résolu  de  le  faire  échouer;  et  à  cet 
effet  elle  avait  chargé  les  amiraux  Anson  ei  Warren  avec  dix- 
sept  vaisseaux  d'intercepter  les  deux  escadres  françaises  et  de  les 
détruire  s'il  était  possible.     Ils   partirent  de  Portsmouth  et  les 
rencontrèrent  le  3  mai  à  la  hauteur  du  Cap-Finistère  en  Espagne. 
Aussitôt  M.  de  la  Jonquière  ordonna  aux  vaisseaux  de  ligne  de 
ralentir  leur  marche  et  de  se  ranger  en  bataille,  tandis  que  le 
convoi  devait  forcer  de  voile  vers  sa  destination  sous  la  protection 
des  frégates.     Ainsi  les  Français  osèrent  opposer  leurs  six  vais- 
seaux aux  dix-sept  des  Anglais  ;  ils  ne  pouvaient  guère  espérer 
de  vaincre,  ils  voulaient  seulement  gagner  du  temps  en  arrêtant 
l'ennemi.     Le  combat  s'engagea  et  continua  avec  un  acharnement 
égal.     Anson  et  Warren  manœuvraient  pour  envelopper  la  Jon- 
quière, et  celui-ci  pour  les  déjouer  ;  mais  après  des  efforts  long- 
temps indécis  les  vaisseaux  Français  se  trouvèrent  complètement 
cernés  ;  et,  accablés  sous  le  nombre,  ils  furent  obligés  l'un  après 
l'autre  d'amener  leur  pavillon.     Leur  perte  fut  de  700  hommes. 
Ce  fut  une  affaire  où  les  vaincus  s'illustrèrent  autant  que  les 
vainqueurs.     Anson  envoya   immédiatement  à  la  poursuite  du 
convoi  une  partie  de  ses  forces  qui  enleva  neuf  voiles.     L'on 
conduisit  à  Londres  22  charriots  chargés  de  l'or,  de  l'argent  et  des 
effets  pris  sur  la  flotte,  dont  la  défaite  priva  la  Nouvelle-France 
d'un  puissant  secours.     Le  marquis  de  la  Jonquière  avait  mon- 
tré beaucoup  de  talent  dans  le  combat.    Le  capitaine  du  vais- 
seau le  Windsor  s'exprimait    ainsi  dans  sa    lettre    sur  cette 
bataille  :  Je  n'ai  jamais  vu  une  meilleure  conduite  que  celle  du 
commandant  français,  et  pour  dire  la  vérité,  tous  les  officiers  de 
cette  7iation  ont  mx)7viré  un  grand  courage  ;  aucun  d'eux  ne  s^est 
reftdu  que  quatid  il  lui  a  été  absolument  impossible  de  tnanœu- 
vrer.     En  effet,  jamais  à  aucune  époque  la  marine  française  n'eut 
des  officiers  plus  habiles  ni  plus  braves  ;  ils  faisaient  partout  des 
prodiges  de  valeur  qui  étaient  souvent  couronnés  de  succès  ;  et 
lorsqu'ils  succombaient,  c'était  sous  la  grande  supériorité  numé- 


w; 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


181 


rlque  de  leurs  adversaires  ;  ce  qui  a  fait  dire  à  un  historien 
anglais  que  dans  cette  guerre  l'Angleterre  dut  plutôt  ses  victoires 
maritimes  au  nombre  de  ses  vaisseaux  qu'à  son  courage. 

Il  semblait,  observe  Voltaire  à  cette  occasion,  que  les  Anglais 
dussent  faire  de  plus  grandes  entreprises  maritimes.  Ils  avaient 
alors  six  vaisseaux  de  100  pièces  de  canon,  treize  de  90,  quinze 
de  80,  vingt-six  de  70,  trente-trois  de  60.  Il  y  en  avait  trente- 
sept  de  50  à  54  ;  et  au-dessous  de  cette  forme,  depuis  les  frégates 
de  40  canons  jusqu'aux  moindres,  on  en  comptait  jusqu'à  115. 
Ils  avaient  encore  quatorze  galiotes  à  bombes  et  six  brûlots. 
C'était  en  tout  deux  cent  soixante-et-trois  vaisseaux  de  guerre, 
indépendamment  des  corsaires  et  des  vaisseaux  de  transport. 
Cette  marine  avait  le  fond  de  quarante  mille  matelots.  Jamais 
aucune  nation  n'avait  eu  de  pareilles  forces.  Tous  ces  vaisseaux 
ne  pouvaient  être  armés  à  la  fois,  il  s'en  fallait  beaucoup.  Le 
nombre  des  soldats  était  trop  disproportionné  ;  mais  enfin  en  1747, 
les  Anglais  avaient  à  la  fois  une  flotte  dans  les  mers  d'Ecosse  et 
d'Irlande,  une  à  Spithead,  une  aux  Indes  orientales,  une  vers  la 
Jamaïque,  une  à  Antigoa,  et  ils  en  armaient  de  nouvelles  selon  le 
besoin. 

Il  fallait  que  la  France  luttât  pendant  tout  ce  temps  là  avec  envi- 
ron trente-cinq  vaisseaux.  Le  résultat  ne  pouvait  être  longtemps 
douteux.  Il  devenait  plus  difficile  de  jour  en  jour  de  soutenir  les 
colonies.  Si  on  ne  leur  envoyait  pas  de  gros  convois,  elles 
demeuraient  sans  secours  à  la  merci  des  flottes  anglaises.  Si  les 
convois  partaient  ou  de  France  ou  des  Iles,  ils  couraient  risque 
d'être  pris  avec  leurs  escortes. 

Après  la  bataille  sous  le  Cap-Finistère,  il  ne  restait  plus  aux 
Français  sur  l'Atlantique  que  sept  vaisseaux  de  guerre.  Ils 
furent  donnés  à  M.  de  l'Estanduère  pour  escorter  les  flottes  mar- 
chandes aux  Iles  de  l'Amérique,  et  furent  rencontrés  près  de 
Belle-Isle  par  l'amiral  Hawke  qui  en  avait  quatorze.  Le  combat, 
comme  au  Cap-Finistère,  fut  long  et  sanglant,  mais  les  guerriers 
français  étaient  réduits  à  ne  plus  combattre  que  pour  l'honneur. 
Deux  vaisseaux  seulement,  le  Tonnant  et  l'Intrépide,  sortirent  de 
cette  nouvelle  lutte  et  rentrèrent  à  Brest  comme  des  monceaux 
floltans  de  ruines  ;  mais  un  convoi  de  250  voiles  avait  été  sauvé. 
Le  premier  était  monté  par  l'amiral  lui-même  ;  le  second,  par 


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182 


HISTOIRE    DU   CANADA. 


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un  Canadien,  le  comte  de  Vaudreuil.  Ce  combat  est  célèbre 
dans  les  annales  de  la  marine  française  pour  la  résistance 
qu'offrit  le  Tonnant,  attaqué  quelque  temps  par  la  ligne  entière 
des  Anglais:  fatigués  de  leurs  elîbrts,  ceux-ci  le  considérant 
comme  une  proie  qui  ne  pouvait  les  fuir,  le  laissent  respirer  un 
moment  ;  puis  trompés  dans  leur  attente,  ils  recommencent  un 
combat  aussi  inutile  que  le  premier.  Il  parvint  à  leur  échapper 
remorqué  par  l'Intrépide  qui  avait  soutenu  une  pareille  lutte,  qui 
était  venu  partager  ses  dangers,  et  qui  eut  également  part  à  sa 
gloire.  L'amiral  anglais  fut  accusé  devant  une  cour  martiale 
pour  n'en  avoir  pas  fait  la  conquête.  Dans  ce  temps-là,  la 
Grande-Bretagne,  piquée  de  l'audace  de  ses  ennemis,  faisait  passer 
ses  amiraux  par  les  armes  s'ils  montraient  la  moindre  faiblesse. 

La  France  ne  resta  plus  alors  qu'avec  deux  vaisseaux  de 
giierre.  "  L'on  reconnut  dans  toute  son  étendue  la  faute  du  car- 
dinal de  Fleuri  d'avoir  négligé  la  marine,  indispensable  pour  les 
peuples  qui  veulent  avoir  des  colonies.  Cette  faute  était  difficile 
à  réparer.  Elle  était,  comme  l'événement  l'a  prouvé,  irrépa- 
rable pour  la  France.  La  marine  est  un  art  et  un  grand  art,  qui 
demande  une  longue  expérience."  L'Angleterre  le  savait  et  elle 
se  hâta  de  prendre  le  reste  des  possessions  françaises  dans  l'Amé- 
rique du  nord,  avant  de  donner  le  temps  à  son  ancienne  rivale  de 
rétablir  ses  flottes.  La  perte  du  Canada  est  imputable  en  partie 
à  cette  erreur,  qui  priva  la  mère-patrie  des  moyens  de  le  secourir 
lorsqu'il  eut  besoin  de  son  assistance. 

Le  marquis  de  la  Jonquière  devait  relever  M.  de  Beauharnais 
dans  le  gouvernement  de  la  Nouvelle-France  ;  sa  commission 
était  datée  de  1746,  et  il  avait  ordre  après  la  campagne  du  duc 
d'Anville,  de  se  rendre  à  Québec.  Fait  prisonnier  à  la  bataille 
du  Cap-Finistère,  il  eut  pour  remplaçant  durant  sa  captivité,  le 
comte  de  la  Galissonnière  ;  et  en  1748  le  roi  donna  pour  succes- 
seur à  M.  Hocquart,  intendant.  Bigot,  l'ancien  commissaire- 
ordonnateur  de  Louisbourg,  étendant  en  même  temps  sa  juridic- 
tion sur  toute  la  Nouvelle-France  et  sur  toute  la  Louisiane. 

Toutefois  si  la  France  était  malheureuse  sur  mer,  elle  obtenait 
de  grands  triomphes  sur  le  continent  de  l'Europe.  Les  victoires 
du  maréchal  de  Saxe,  qui  venait  encore  de  gagner  la  fameuse 
bataille  de  Laufeld  sur  le  duc  de  Curaberland  (1747),  avaient 


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HISTOIRE  DU   CANADA. 


183 


enfin  déterminé  les  alliés  à  faire  la  paix,  désirée  vivement  par 
tous  les  peuples  las  d'une  lutte  sanglante  et  ingrate.  Dès  le 
milieu  de  l'été  le  duc  de  Nevv-Castle  avait  envoyé  aux  colonies 
anglaises  l'ordre  de  licencier  leurs  troupes,  levées  d'abord  pour 
envahir  le  Canada,  retenues  ensuite  pour  s'opposer  à  l'invasion 
du  duc  d'Anville,  et  enfin  renvoyées  dans  leurs  cantons  par  la 
cessation  des  hostilités.  En  Canada  on  ne  s'attendait  pas  à  poser 
sitôt  les  armes.  L'annonce  de  l'envoi  d'un  armement  considé- 
rable sous  le  commandement  de  M.  de  la  Jonquiôre,  faisait  croire 
au  contraire  que  l'issue  de  la  guerre  était  encore  éloignée.  L'on 
pensait  même  que  l'ennemi  allait  renouveler  cette  année  son  pro- 
jet d'invasion,  et  les  habitans  des  compagnes  avaient  reçu  ordre, 
par  précaution,  de  se  retirer  dans  l'intérieur  des  terres  à  son 
approche,  et  ceux  de  l'île  d'Orléans  d'évacuer  l'île.  En  même 
temps,  sur  le  bruit  qui  s'était  répandu  que  le  fort  St.-Frédéric 
allait  être  attaqué,  le  major  des  Trois-Rivières  y  avait  marché 
avec  1200  hommes,  à  la  tête  desquels  il  était  al'é  défaire  dans  le 
voisinage  même  d' Albany,  un  cor  de  troupes  anglaises  qu'il  avait 
littéralement  anéanties,  quelques  hommes  seulement  s'en  étant 
échappés  avec  peine.  Ces  partis  de  guerre  se  succédaient  de 
manière  à  ce  qu'il  y  en  eût  toujours  sur  les  terres  de  l'ennemi, 
lorsque  sur  la  fin  de  l'été  les  nouvelles  apportées  d'Europe  par  le 
comte  de  la  Galissonnière,  qui  arriva  en  septembre  pour  prendre 
les  rênes  de  l'administration,  et  le  désarmement  des  colonies 
américaines,  ne  laissèrent  plus  de  doute  sur  la  cessation  prochaine 
des  hostilités.  La  paix  fut  signée  à  Aix-la-Chapelle  en  IT-iS. 
Le  marquis  de  St.-Sévérin,  l'un  des  plénipotentiaires  français, 
avait  déclaré  qu'il  venait  accomplir  les  paroles  de  son  maître, 
"  qui  voulait  faire  la  paix  non  en  marchand  mais  en  roi,"  paroles 
qui,  dans  la  bouche  de  Louis  XV,  renfermaient  moins  de  grandeur 
que  d'imprévoyance  et  de  légèreté.  Il  ne  fit  rien  pour  lui  et  fit 
tout  pour  ses  alliés.  Il  laissa  avec  une  aveugle  indifférence 
la  question  des  frontières  sans  solution  en  Amérique,  se  contentant 
de  stipuler  qu'elle  serait  réglée  par  des  commissaires.  On  avait 
fait  une  première  faute  de  ne  pas  préciser  celles  de  l'Acadie  en 
1712  et  13,  on  en  fit  une  seconde  plus  grande  encore  en  1748,  en 
abandonnant  cette  question  aux  chances  d'un  litige  dangereux, 
car  les  Anglais  ne  faisaient  que  gagner  à  cette  temporisation. 


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184. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


La  destruction  de  la  marine  française  dans  la  guerre  qui  venait 
de  finir,  augmentait  leurs  espérances  et  leur  désir  d'être  bientôt 
maîtres  de  tout  le  nord  du  NouveaU'-Monde.  Aussi  le  traité 
d'Aix-la-Chapelle,  l'un  des  plus  déplorables,  dit  un  auteur,  que 
la  diplomatie  française  ait  jamais  acceptés,  n'inspira  aucune  con- 
fiance et  ne  procura  qu'une  paix  armée.  Le  Cap-Breton  fut 
rendu  à  la  France  en  retour  de  Madras,  pris  aux  Indes  par  M. 
de  la  Bourdonnaie,  et  des  conquêtes  des  Français  dans  les  pays 
bas.  Ainsi  tout  se  trouva  placé  en  Amérique  sur  le  même  pied 
qu'avant  la  guerre,  excepté,  comme  on  l'a  dit,  que  Louis  XV 
n'avait  plus  de  marine  pour  y  protéger  ses  possessions.  La  nou- 
velle de  la  suspension  des  hostilités  entre  les  puissances  belligé- 
rantes, arriva  à  Québec  dans  le  même  temps  que  celle  du  réta- 
blissement de  la  tranquillité  des  pays  d'en  haut,  qui  avait  été 
momentanément  troublée  par  une  conspiration  des  Miâmis. 

Les  progrès  des  Européens  inspiraient  tous  les  jours  d  avantage 
des  soupçons  et  des  craintes  aux  Indigènes  de  l'ouest,  qui  cher- 
chaient à  s'isoler  de  ces  étrangers,  à  garder  la  neutralité,  ou 
même  à  les  détruire  s'il  était  possible.  Depuis  quelques  années 
ils  se  disaient  tout  bas  :  "  la  peau  rouge  ne  doit  pas  se  détruire 
entre  elle,  laissons  faire  la  peau  blanche  l'une  contre  l'autre." 
Les  Miàmis  plus  impatiens  que  les  autres  formèrent  en  1747  le 
complot  de  massacrer  tous  les  habitans  du  Détroit.  L'on  remar- 
quait en  même  temps  une  agitation  sourde  dans  toutes  les  autres 
nations  des  lacs,  qui  inquiétait  et  qui  fit  renforcer  la  garnison  de 
Michilimackinac.  Les  Miâmis  devaient  courir  aux  armes  une 
des  fêtes  de  la  Pentecôte.  Heureusement  une  vieille  femme  fort 
aitachée  aux  Français  vint  découvrir  toute  la  trame  au  comman- 
dant du  Détroit,  M.  de  Longueuil,  qui  prit  immédiatement  des 
mesures  pour  la  faire  avorter  ;  elles  suffirent  pour  en  imposer 
aux  barbares.  Il  ne  fut  tué  que  quelques  Français  isolés.  L'on 
prit  le  fort  des  Miàmis  dont  ils  avaient  eux-mêmes  brûlé  une 
partie  avant  de  fuir,  et  le  secours  qui  arriva  peu  après  du  bas  St.- 
Laurent,  acheva  de  les  intimider.  Ils  n'osèrent  plus  remuer  et 
la  Nouvelle-France  se  trouva  bientôt  en  paix  sur  toutes  ses  fron- 
^ères. 


CHAPITRE  III. 


COMMISSION   DES   FRONTIÈRES, 


1718-1755. 

La  paix  d'Aix-la-Chapelle  n'est  q'une  trêve. — L'Angleterre  profite  de  la 
ruine  de  la  marine  française  pour  étendre  les  frontières  de  ses  possessions 
en  Amérique. — M.  de  la  Galissonnière,  gouverneur  du  Canada. — Ses  plans 
pour  empêcher  les  Anglais  de  s'étendre,  adoptés  par  la  cour. — Prétentions 
de  ces  derniers. — Droit  de  découverte  et  de  possession  des  Français. — 
Politique  de  M.  de  la  Galissonnière,  la  meilleure  quant  aux  limites. — Emi- 
gration des  Acadiens  :  part  qu'y  prend  ce  gouverneur. — Il  ordonne  de 
bâtir  ou  relever  plusieurs  forts  dans  l'Ouest  ;  garnison  au  Détroit  ;  fon- 
dation d'Ogdensburgh  (1749).— Le  marquis  de  la  Jonquière  remplace  M. 
de  la  Galissonnière. — Projet  que  ce  dernier  propose  à  la  cour  pour  peupler 
le  Canada. — Appréciations  de  la  politique  de  son  prédécesseur  par  M.  de 
la  Jonquière  ;  le  ministre  lui  enjoint  de  la  suivre. — Le  chevalier  de  la 
Corne  et  le  major  Lawrence  s'avancent  vers  l'isthme  de  l'Acadie  et  s'y 
fortifient  ;  forts  Beauséjour  et  Gaspareaux,  Lawrence  et  des  Mines.^ 
Lord  Albemarle,  ambassadeur  britannique  à  Paris,  se  plaint  des  empiéte- 
mens  des  Français  (1750)  ;  réponse  de  M.  de  Puyzieulx. — La  France  se 
plaint  à  son  tour  des  hostilités  des  Anglais  sur  mer. — Etablissement  des 
Acadiens  dans  l'ile  St.-Jean  ;  leur  triste  situation. — Fondation  d'Hali<"ax 
(1749). — Une  commission  est  nommée  pour  régler  la  question  des  limites  : 
MM.  de  la  Gallisonnière  etde  Silhouette  pour  la  France  ;  MM.  Shirley  et 
Mildmay  pour  la  Grande-Bretagne. — Convention  préliminaire  :  tout  doit 
rester  dans  le  Statu  quo  jusqu'au  jugement  définitif. — Conférences  à 
Paris  ;  l'Angleterre  réclame  toute  la  rive  méridionale  du  St.-Laurent 
depuis  le  golfe  jusqu'à  Québec  ;  la  France  maintient  que  l'Acadie  suivant 
ses  anciennes  limites,  se  borne  au  territoire  qui  est  à  l'est  d'une  ligne  tirée 
dans  la  péninsule  de  l'entrée  d?  la  baie  de  Fondy  au  Cap  Canseau. — Notes 
raisonnées  à  l'appui  de  ces  prétentions  diverses. — Les  deux  parties  ne  se 
cèdent  rien. — Afl^aire  de  l'Ohio  ;  intrigues  des  Anglais  parmi  les  naturels 
de  cette  contrée,  et  des  Français  dans  les  cinq  cantons, — Traitans  de  la 
Virginie  arrêtés  et  envoyés  en  France. — Les  deux  nations  envoyent  des 
troupes  sur  l'Ohi"^  et  s'y  fortifient. — Le  gouverneur  fait  défense  aux 
Demoiselles  Desauniers  de  faire  la  traite  du  castor  au  Sault-St .-Louis  ; 
difficulté  que  cela  lui  suscite  avec  les  Jésuites, qui  se  plaignent  de  sa  con- 
duite à  la  cour,  de  la  part  qu'il  prend  lui  et  son  secrétaire  au  commerce  et 
de  son  népotisme. — Il  dédaigne  de  se  justifier. — Il  tombe  malade  et  meurt 
à  Québec  en  1752. — Son  origine,  sa  vie,  son  caractère. — Le  marquis  de 
Duquesne  lui  succède. — Aflfaire  (!e  l'Ohio  continuée.— Le  colonel  Wash- 
ington marche  pour  attaquer  le  fort  Duquesne. — Mort  de  Jumonville. — 


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186 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


Défaite  de  Washington  par  .M.  de  Villiers  au  fort  de  la  Nécessité  (1754) 
Plan  des  Anglais  pour  l'invajion  du  Canada  ;  assemblée  des  gouverneurs 
coloniaux  à  Albany. — Le  général  Braddock  est  envoyé  par  la  Grande- 
Bretagne  en  Amérique  avec  des  troupes. — le  baron  Dieskau  débarque 
à  Québec  avec  4  bataillons  [1755.] — Négociations  des  deux  cours  au  sujet 
de  l'Ohio. — Note  du  duc  de  Mirepoix  du  15  janvier  1755;  réponse  du 
cab\nel  de  Londres. — Nouv  allés  propositions  des  ministres  français  ;  l'An- 
gleterre élève  ses  demandes. — Prise  du  Lys  et  de  l'Alcide  par  l'amiral 
Boscawen. — La  France  déclare  la  guerre  à  l'Angleterre. 

La  paix  d'Aix-la-Chapelle  ne  fut  qu'une  trêve  ;  à  peine  les  hos- 
tilités cessèrent-elles  en  Amérique.  Les  colonies  anglaises  avaient 
suivi  avecle  plus  vif  intérêt  surtout  la  lutte  sur  l'Océan,  et  elles 
avaient  vu  détruire  avec  joie  les  derniers  débris  de  la  flotte  fran- 
çaise dans  le  combat  de  Belle-lsle,  où  elle  brilla  d'un  dernier 
éclat.  En  effet  la  manne  de  France  détruite,  qu'allaient  devenir 
SOS  possessions  d'outre-mer,  ce  grand,  ce  beau  système  colonial, 
qui  lui  assurait  une  si  vaste  portion  du  Nouveau-Monde  et  qui 
lui  coûtait  peut-être  moins  cher  que  les  caprices  des  maîtresses 
royales. 

Profitant  de  cette  heureuse  circonstance  les  colonies  améri- 
caines voulurent  reculer  aussitôt  leurs  frontières  au  loin.  Il  se 
forma  une  société  d'hommes  influens  de  la  Grande-Bretagne  et 
des  colonies,  pour  occuper  la  vallée  de  l'Ohio,  dans  laquelle  elle 
obtint  en  1749  une  concession  de  600,000  acres  de  terre.  Ce 
n'était  pas  la  première  fois  que  les  Anglais  enviaient  cette  fertile 
et  délicieuse  contrée.  Dès  1716,  M.  Spotsvi^ood,  gouverneur  de 
la  Virginie,  avait  proposé  d'y  acheter  un  territoire  des  Indigènes, 
et  de  former  une  association  pour  y  faire  la  traite  ;  mais  le  cabi- 
net de  Versailles  s'y  étant  opposé,  le  projet  avait  été  abandonné.* 
Dans  le  même  temps  les  journaux  de  Londres  annonçaient  qu'il 
était  question  de  porter  jusqu'au  fleuve  St.-Laurent  les  établisse- 
mens  que  l'on  devait  former  du  côté  de  l'Acadie,  et  on  ne  don- 
nait aucunes  bornes  à  d'autres  que  l'on  projetait  du  côté  de  la 
baie  d'Hudson.f  L'agitation  qui  régnait  à  cet  égard  ne  faisait 
que  confirmer  les  Français  dans  leurs  appréhensions  d'un  grand 
mouvement  agresseur  de  la  part  de  leurs  voisins.  M.  de  la 
Galissonnière  surtout  partageait  ces  craintes.     C'était  un  homme 

•  Univfrsal  History,  vol.  40. 

f  Mémoire,  etc.,  par  M.  de  Choiseul. 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


187 


de  mer  distingué,  et  qui  devait  plus  tard  se  rendre  célèbre  par  sa 
victoire  devant  l'île  de  Minorque  sur  l'amiral  Byng.     Il   était 
actif,  éclairé,  et  donnait  à  l'étude  des  sciences  le  temps  que  ne 
demandaient  point  ses  fonctions  publiques.     Il  ne  gouverna  le 
Canada  que  deux  ans,  mais  il  donna  dans  ce  court  espace  de 
temps,  une  forte  impulsion  à  l'administration  et  de  bons  conseils 
à  la  cour,  qui  eussent  peut-être  conservé  cette  belle  colonie  à  la 
France  s'ils  avaient  été  suivis.     En  prenant  les  rênes  du  gouver- 
nement, il  voulut  connaître  le  sol,  le  climat,  les  productions,  la 
population,  le  commerce  et  les  ressources  du  pays.     Il  porta  sur- 
tout dès  la  première  année  son  attention  sur  la  question  des  fron- 
tières qu'il  n'était  pas  possible  de  laisser  plus  longtemps  indécise. 
Il  promena  longtemps  ses  regards  sur  la  vaste  étendue  des  pos- 
sessions françaises,  en  étudia  minutieusement  les  points  forts  et 
faibles,  sonda  les  projets  de  ses  voisins,  et  finit  par  se  convaincre 
que  l'isthme  qui  joint  la  péninsule  acadienne  au  continent,  à  l'est, 
et  les  Apalaches  à  l'ouest,  étaient  les  deux  seuls  boulevards  de 
l'Amérique  française  ;  que  si  l'on  perdait  l'un,  les  Anglais  débor- 
daient jusqu'au  St.-Laurent  et  séparaient  le  Canada  de  la  mer  ; 
que  si  l'on  abandonnait  l'autre,  ils  se  répandaient  jusqu'aux  grands 
lacs  ei.  à  la  vallée  du  Mississipi,  isolaient  le  Canada  de  ce  fleuve, 
lui  enlevaient  l'alliance  des  Indiens  et  restreignaient  les  bornes  de 
ce  pays  au  pied  du  lac  Ontario.     Ce  résultat  était  inévitable  sui- 
vant lui,  d'après  le  développement  que  les  colonies  anglaises  pre- 
naient tous  les  jours.     Il  écrivit  au  ministère  que  les  établisse- 
mens  des  Illinois  avaient  d'abord  été  trop  prisés  et  qu'ils  ne 
l'étaient  plus  assez  ;  que  quoiqu'ils  ne  produisissent  rien  il  ne 
fallait  pas  les  abandonner,  parce  que  c'était  une  des  barrières  les 
mieux  placées  qu'on  put  opposer  à  l'ambition  des  Anglais  pour 
les  empêcher  de  pénétrer  dans  l'intérieur  ;  que  le  pays  bien  établi 
nous  rendrait  formidable  du  côté  du  Mississipi  ;  que  si  dans  la 
guerre  présente  on  avait  eu  quatre  à  cinq  cents  hommes  armés 
chez  les  Illinois,  non  seulement  on  n'y  aurait  pas  été  inquiété, 
mais  on  aurait  mené  jusque  dans  le  cœur  des  établisscmens  de 
l'ennemi  ces  mêmes  nations  qui  nous  insultaient  si  souvent  ;  enfin 
que  l'on  ne  devait  pas  se  flatter  que  le  Canada  et  la  Louisiane 
pussent  jamais  marcher  de  pair  avec  les  provinces  anglaises 
d'après  la  population  qu'elles  avaient  déjà. 


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HlfiTOIRE   DU   CJtolUfADA. 


On  a  beaucoup  blâmé  la  France  de  la  position  qu'elle  osa 
prendre  dans  la  question  des  frontières  ;  elle  a  môme  été  accusée 
par  les  siena  d'ambition  et  de  vivacité.     Voltaire  va  jusqu'à  dire 
qu'une  pareille  dispute,  élevée  entre  de  simples  commerçans, 
aurait  été   appaisée  en   deux  heures   par  des  arbitres;   mais 
qu'entre  des  couronnes  il  suffit  de  l'ambition  et  de  l'humeur  d'un 
simple  commissaire  pour  bouleverser  vingt  états,  comme  si  la  pos- 
session d'un  territoire  assez  spacieux  pour  former  trois  ou  quatre 
empires  comme  la  France,  comme  si  l'avenir  de  ces  magnifiques 
contrées,  couvertes  aujourd'hui  déjà  de  millions  d'habitans,  avait 
à  peine  mérité  l'attention  du  cabinet  de  Versailles.    Par  cela  seul 
que  la  Grande-Bretagne  montrait  tant  de  persistance,  ne  devait-on 
pas  être  au  moins  sur  ses  gardes  1     Le  mouvement  que  l'on  se 
donnait  en  Angleterre  et  dans  ses  colonies,  l'éclat  des  prépara- 
tifs que  l'on  faisait,  et  l'importance  des  projets  qu'ils  annonçaient 
n'étaient-ils  pas  de  nature  à  exciter  l'attention  du  Canada  et  de 
la  cour?    Mais  ce  n'est  qu'en  Canada  qu'on  paraissait  avoir  une 
inquiétude  sérieuse. 

Le  cabinet  de  St.-James  s'était  abstenu  jusqu'alors  de  formuler 
ses  prétentions  d'une  manière  précise  et  définie  ;  i'  ne  les  avait 
fait  connaître  que  par  son  action  négative,  c'est-à-dire  qu'il  n'avan- 
çait directement  rien  lui-même,  mais  qu'il  contestait  tout  aux 
Français  comme  on  l'a  vu  lorsque  ceux-ci  voulurent  s'établir  à 
Niagara  et  à  la  Pointe  à  la.  Chevelure,  et  continuer  leur  séjour  au 
milieu  des  Abénaquis  après  le  traité  d'Utrecht.  Tandis  qu'il 
déclarait  à  ces  Sauvages  que  tout  le  pays  appartenait  à  la  Grande- 
Bretagne  depuis  la  Nouvelle- Angleterre  jusqu'au  golfe  St.-Laurent, 
il  gardait  le  silence  vis-à-vis  de  la  France  sur  cette  prétention 
qu'il  devait  cependant  faire  valoir  plus  tard.*  Du  côté  de  l'ouest 
son  silence  avait  éié  encore  plus  expressif,  ou  plut'»t  il  avait 
reconnu  la  nullité  de  son  droit  en  refusant  de  sanctionner  la  for- 
mation d'une  compagnie  de  l'Ohio  en  1716.  Mais  les  choses 
avaient  bien  changé   depuis.     Le  traité  d'Utrecht  lui  donnait 

•  11  est  singulier  que  le  Conseil  Privé  recevait  du  Bureau  des  colonies  et 
plantations  en  1713,  et  par  conséquent  avani,  le  traité  précité,  un  rapport 
dans  lequel  on  disait,  "  que  le  Cap-Breton  avait  toujours  fait  partie  cl^  l'Â- 
cadie,  et  que  la  Nouvelle-Ecosse  comprenait  toute  l'Âcadie  bornée  par  la 
rivière  Ste. -Croix,  le  St.-Laurent  et  la  ntier."  Registres  d'extraits  des  pro- 
cès-verbaux du  Board  of  colonies  and  plantations  etc.,  déjà  cités  dans  ce  vol. 


HISTOIKG  DU   CANADA. 


189 


l'Acadie  ;  il  annonce  que  cette  province  s'étend  d'une  part  depuis 
la  rivière  Kénébec  jusqu'à  la  mer,  et  de  l'autre  depuis  la  baie  de 
Fondy  jusqu'au  St-Laurent.  Il  maintient  que  le  territoire  entre 
la  rivière  Kénébec  et  celle  de  Penobscot  en  se  prolongeant  en 
arrière  jusqu'à  Québec  et  au  St.-Laurent,  lui  a  toujours  appar- 
tenu, et  que  les  véritables  bornes  de  la  Nouvelle-Ecosse  ou  de 
l'Acadie,  suivant  ses  anciennes  limites,  sont  lo.  une  ligne  droite 
tirée  de  l'embouchure  de  la  rivière  Penobscot  au  fleuve  St.-Lau- 
rent ;  2o,  ce  fleuve  et  le  golfe  St.-Laurent  jusqu'à  l'Océan  au 
sud-ouest  du  Cap-Breton  ;  3o.  l'Océan  de  ce  point  à  l'embou- 
chure du  Penobscot.  Il  prétend  même  que  le  fleuve  St.-Laurent 
est  la  borne  la  plus  naturelle  et  la  plus  véritable  entre  les  posses- 
sions des  deux  peuples.  ,       i 

Le  pays  ainsi  réclamé  en  dehors  de  la  péninsule  acadienne 
avait  plus  de  trois  fois  l'étendue  de  la  Nouvelle-Ecosse  elle-même, 
et  commandait  le  golfe  et  l'embouchure  du  St.-Laurent.  C'était 
la  porte  du  Canada,  et  la  seule  par  où  l'on  pouvait  y  entrer  de 
l'Océan  en  hiver,  c'est-à-dire  pendant  cinq  mois  de  l'année. 

Le  territoire  que  l'Angleterre  disputait  aux  Français  au-delà 
des  Apalaches  était  encore  beaucoup  plus  précieux  pour  l'avenir. 

Le  bassin  de  l'Ohio  seul  jusqu'à  sa  décharge  dans  le  Mississipi, 
n'a  pas  moins  de  deux  cents  lieues  de  longueur  ;  mais  ce  n'en 
était  là  qu'une  faible  partie  ;  l'étendue  réclamée  n'était  pas  défi- 
nie ;  elle  n'avait  et  ne  pouvait  avoir  à  proprement  dire  aucune 
limite,  c'était  un  droit  occulte,  qui  devait  entraîner  avec  lui  la 
possession  des  immenses  contrées  représentées  sur  les  cartes  entre 
les  lacs  Ontario,  Erié,  Huron  et  Michigan,  le  haut  Mississipi  et 
les  Alléghanys,  et  qui  forment  maintenant  les  Etats  de  la  Nou- 
velle-York, de  la  Pennsylvanie,  de  l'Ohio,  du  Kentusky,  de  l'In- 
diana,  de  l'Illinois  et  les  territoires  qui  sont  de  chaque  côté  du 
lac  Michigan,  entre  les  lacs  Erié,  Huron  et  le  fleuve  Mississipi. 
Le  Canada  se  serait  trouvé  séparé  de  la  Louisiane  par  de  longues 
distances  et  complètement  muti'é.  Des  murs  de  Québec  et  de 
Montréal  on  aurait  pu  voir  flotter  le  drapeau  britannique  sur  la 
rive  droite  du  St.-Laurent.  De  pareils  sacrifices  équivalaient  à 
un  abandon  total  de  la  Nouvelle-France. 

En  présence  de  ces  prétentions  annoncées  à  la  possession  des 
pays  découverts  par  les  Français,  et  formant  partie  intégrante 

z 


190 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


des  territoires  occupés  par  eux  depuis  un  siècle  et  demi,  qu'avait 
à  faire  M.  de  la  Galissonnière,  sinon  à  maintenir  les  droits  de  sa 
patrie  1  Tous  les  mouvemens  qu'il  ordonna  sur  nos  frontières  lui 
auraient  été  dictés  par  la  nécessité  de  sa  situation,  s'il  n'avait  pas 
été  d'ailleurs  convaincu  lui  même  de  le-.ir  à  propos.  Mais  il  y  a 
plus.  L'article  9  du  traité  d'Aix-la-Chapelle  stipulait  positive- 
ment que  toutes  choses  seraient  remises  dans  le  même  état 
qu'elles  étaient  avant  la  guerre,  et  la  Grande-Bretagne  avait 
envoyé  deux  otages  à  Versailles  pour  répondre  de  la  remise  de 
Louisbourg  dans  l'île  du  Cap-Breton.  Or  la  France  avait  toujours 
occupé  le  pays  jusqu'à  l'isthme  de  la  péninsule  acadienne. 
L'érection  du  fort  St.-Jean  et  la  possession  du  Cap-Breton  immé- 
diatement après  le  traité  d'Utrecht  étaient  des  actes  publics, 
patens,  de  cette  occupation  dont  la  légitimité  semblait  avoir  été 
reconnue  par  le  silence  que  la  cour  de  Londres  avait  gardé  jus- 
qu'après le  traité  qui  venait  de  mettre  fin  à  la  guerre  ;  car  ce  ne 
fut  qu'alors  que  le  gouverneur  de  la  Nouvelle-Ecosse,  le  colonel 
Maicarène,  voulût  forcer  les  habitans  de  la  rivière  St.-Jean  à  prê- 
ter serment  de  âdélité  à  l'Angleterre  et  s'approprier  leur  pays.* 

Après  ce  que  l'on  vient  de  dire,  M.  de  la  Galissonnière  n'ayant 
point  de  discrétion  à  exercer,  devait  prendre  des  mesures  pour 
la  conservation  des  droits  de  la  France,  et  c'est  ce  qu'il  fit.  Il 
envoya  des  troupes,  et  donna  ses  ordres  pour  repousser  même 
par  la  force  les  Anglais  s'ils  tentaient  de  sortir  de  la  péninsule  et 
de  s'étendre  sur  le  continent  ;  il  écrivit  à  M.  Mascarène  à  la  fois 
pour  se  plaindre  de  sa  conduite  à  l'égard  des  habitans  de  St.-Jean, 
et  pour  l'engager  à  faire  cesser  les  hostilités  qui  avaient  continué 
contre  les  Abénaquis,quoique  ceux-ci  eussent  mis  bas  les  armes 
dès  que  le  traité  d'Aix-la-Chapelle  avait  été  connu.  Ces  plaintes 
donnèrent  lieu  à  une  série  de  lettres  assez  vives  que  s'écrivirent 
le  marquis  de  la  Jonquière  et  M.  Cornwallis,  qui  avaient  rem- 
placé, le  premier,  le  comte  de  la  Galissonnière,  et  le  second,  M. 
Mascarène,  en  1749. 

Cependant  jusque  là  le  gouvernement  français  était  dans  son 
droit.  Mais  M.  de  la  Galissonnière  avait  formé  un  projet  qu'il 
communiqua  à  la  cour,  et  qu'il  réussit  à  lui  faire  adopter,  qui 

•  Mémoire  du  duc  de  Chr  iseu!,  rniniatre  de  France. — Mémoire  anonyme 
«ur  1rs  aflfajres  du  Canada. 


.- J'ILJIJI  - 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


idi 


ne  pouvait  être  en  aucune  manière  justifiable.  C'était  d'engager 
les  Afadiens  à  abandonner  en  rnasae  la  péninsule  pour  venir 
s'établir  sur  la  rive  septentrionale  de  la  baie  de  Fondy.  Son  but 
était  d'abord  de  cotivrir  la  frontière  du  Canada  de  ce  côté  par 
une  population  dense  et  bien  affectionnée,  et  ensuite  de  réunir 
toute  la  poj.  lation  française  sous  le  même  drapeau.  L'exécution 
d'un  semblable  dessein  aurait  été  chose  difficile  en  tout  temps, 
dans  Pfctut  actuel  des  relations  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre, elle  avait  le  caractère  d'un  acte  de  déloyauté,  parce  que 
c'était  provoquer  la  désertion  aux  sujets  d'une  puissance  amie  ; 
car  quoique  pour  des  motifs  religieux  les  Acadiens  refusassent  de 
prêter  le  serment  du  test,  et  se  donnassent  pour  neutres,  ils  n'en 
étaient  pas  moins  aux  yeux  des  signataires  du  traité  d'Utrecht 
des  sujets  britanniques.  La  cour  affecta  à  ce  projet  d'émigration 
une  somme  assez  considérable,  et  les  missionnaires  français 
répandus  parmi  les  Acadiens,  blessés  dans  leurs  sentimens  reli- 
gieux par  la  soumission  à  un  gouvernement  protestant,  et  dans 
leur  amour  propre  national  par  K^ur  sujétion  à  un  joug  étranger, 
se  prêtèrent  volontiers  aux  vœux  de  leur  ancienne  patrie,  en 
quoi  ils  furent  trop  bien  secondés  par  les  Acadiens  eux-mêmes, 
entre  lesquels  st  leurs  vainqueurs  aucune  sympathie  ne  pouvait 
s'établir.  Les  deux  plus  puissans  motifs  qui  agissent  sur  le?, 
hommes,  la  religion  et  la  nationalité,  secondaient  les  vues  de  M. 
de  la  Galissoiinière.  Le  P.  Germain  à  Port-Royal  et  l'abbé  de 
Laloutre  à  Beaubassin  sont  ceux  qui  entrèrent  le  plus  avant  dans 
ce  projet,  et  qui  firent  les  plus  grands  efforts  pour  engager  les 
Acadiens  à  abandonner  leurs  terres  qui  formaient  toute  leur  for- 
tune. Lorsqu'il  fallut  quitter  pour  jamais  le  sol  qui  les  avait  vu 
naître  et  qui  renfermait  les  cendres  de  leurs  pères,  lorsque  l'heure 
vint  de  dire  un  dernier  adieu  aux  lieux  embellis  par  le  charme 
des  souvenirs  de  l'enfance,  le  cœur  manqua  à  ces  malheureux  qui 
éclatèrent  en  sanglots  ;  mais  ils  devaient  accomplir  leur  destinée, 
et  se  soumettre,  comme  bientôt  tous  les  autres  Français  de  l'Amé- 
rique, à  la  grande  supériorité  numérique  de  leurs  rivaux.  Cette 
émigration  commença  en  1748. 

Tandis  que  le  gouverneur  travaillait  ainsi  à  élever  à  l'est  une 
barrière  dans  l'isthme  de  la  Péninsule  pour  arrêter  les  Anglais,  il 
ne  mettait  pas  moins  d'activité  à  leur  fermer  l'entrée  de  la  vallée 


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192 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


de  l'Ohio  dans  l'ouest.  Cette  vallée  comprise  dans  les  lettres 
patentes  de  1712,  pour  l'établissement  de  la  Louisiane,  avait  tou- 
jours été  fréquentée  depuis  pour  passer  de  cîtte  province  en 
Canada.  Les  traitans  anglais  s'y  montrant  toujours,  M.  de  la 
Galissonnière  y  envoya  en  1748  M.  Celeron  de  Bienville  avec 
300  hommes  pour  les  expulser  tout  à  fait,  et  prendre  possession 
du  pays  d'une  manière  solennelle.  Bienville  planta  des  poteaux 
et  enterra  des  plaques  de  plomb  aux  armes  de  France  en  diffé- 
rens  endroits  de  la  contrée,  après  en  avoir  dressé  procès-verbal 
en  présence  des  tribus,  du  pays,  qui  ne  virent  pas  ces  formalités 
sans  inquiétude  et  sans  murmure.  Les  plus  hardies  s'expri- 
mèrent même  assez  librement.  Bienville  écrivit  en  même  temps 
au  gouverneur  de  la  Pennsylvanie  pour  l'informer  de  sa  mission 
et  le  prier  de  défendre  à  l'avenir  aux  habitans  de  sa  province 
d'aller  commercer  au-delà  des  Apalaches,  parcequ'il  avait  l'ex- 
presse injonction  de  les  arrêter  et  de  confisquer  leurs  marchan- 
dises s'ils  y  faisaient  la  traite.  M.  de  la  Galissonnière  était  alors 
en  correspondance  active  avec  les  gouverneurs  de  la  Nouvelle- 
Ecosse,  du  Massachusetts  et  de  la  Nouvelle- York  ;  il  envoyait, 
aussi  une  garnison  au  Détroit,  faisait  relever  le  fort  de  la  baie  des 
Fuans,  démantelé  par  Ligneris  lors  de  son  expédition  contre  les 
Outagamis,  ordonnait  d'en  bâtir  un  au  milieu  des  Sioux,  un 
autre  en  pierre  à  Toronto,  un  troisième  à  la  Présentatior  (0gd3n- 
uburgh),  sur  la  rive  droite  du  St.-Laurent  entre  Montréal  et 
Frontenac,  afin  d'être  plus  à  portée  dea  Iroquois  qu'il  voulait 
gagner  entièrement  à  la  France.  Ces  Sauvages  avaient  envoyé 
à  la  fin  de  1748  une  grande  députation  en  Canada  pour  protester 
de  nouveau  qu'ils  n'avulent  cédé  leurs  terres  à  personne  et  qu'ils 
voulaient  conserver  leur  indépendance  et  vivre  en  paix  avec  les 
deux  nations.  La  milice  n'avait  pas  échappé  non  plus  à  l'atten- 
tion du  gouverneur,  et  dès  son  arrivée  dans  le  pays,  il  avait 
envoyé  le  chevalier  Péan  pour  en  faire  la  revue  paroisse  par 
paroisse,  et  en  lever  des  rôles  exacts.  Elîe  pouvait  former  alors 
en  tout  une  force  de  10  à  12,000  hommes. 

C'est  au  milieu  de  ces  occupations,  et  des  efforts  qu'il  faisait 
«ans  cesse  pour  donner  quelqu'espèce  de  solidité  aux  frontières, 
quM  vit  arriver  à  la  fin  du  mois  d'août  1749,  le  marquis  de  la 
Jçnquiére  venant  le  remplacer  en  vertu  de  sa  commission  de 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


19S 


1746.     M.  de  la  Galissonniùre  lui  communiqua  tous  les  rensei- 
gnemens  qu'il  avait  pu  recueillir  sur  les  pays  qui  lui  étaient  con- 
fiés, et  lui  fit  part  de  ses  plans  et  de  ses  vues  sur  tout  ce  qu'il 
croyait  nécessaire  à  leur  sûreté  et  à  leur  conservation  avec  une 
patriotique  firanchise.     De  retour  en  France,  il  ne  cessa  point  de 
s'intéresser  au  Canada  avec  le  même  zèle  et  la  même  vigilance. 
Il  proposa  au  ministère  d'y  envoyer  10,000  paysans,  pour  peupler 
les  bords  des  lacs  et  le  haut  du  St.-Laurent  et  du  Mississipi.     A 
la  f'ii  de  1750,  il  lui  adressa  un  nouveau  mémoire  dans  lequel 
après  avoir  traité  de  i'utilité  des  colonies  et  des  objections  contre  la 
conservation  du  Canada  et  de  la  Louisiane  il  observait  que  si  la 
paix  paraissait  avoir  assoupi  la  jalousie  des  Anglais  en  Europe,  cette 
jalousie  éclattait  dans  toute  sa  fi)rce  en  Amérique  ;  que  si  on  n'y 
opposait  pas  des  barrières  capables  d'en  arrêter  les  effets,  l'Angle- 
terre se  mettrait  en  état  d'envahir  entièrement  les  colonies  fran- 
çaises au  commencement  de  la  première  guerre;  que  c'était  dans 
cette   vue   qu'elle  voulait  s'assurer  de  toutes  les   avenues  du 
Canada  ;  que  si  le  Canada  ne  prenait  pas  l'Acadie  à  la  première 
guerre,   cette  dernière  province  ferait  tomber  Louisbourg.     Il 
recommandait  en  conséquence  de  fortifier  Québec  et  Montréal,  et 
de  détruire  Oswégo,  d'empêcher  les  Anglais  de   s'établir  sur 
l'Ohio,  même  par  la  force  ;  et  déclarah  que  tout  devait  être  fait 
pour  augmenter  et  fortifier  le  Canada  et  la  Louisiane,  surtout  pour 
établir  solidement  les  environs  du  fort  St.-Frédéric,  les  postes  de 
Niagara,  du  Détroit  ei,  des  Illinois  ;•  et  que  l'on  devait  y  envoyer 
beaucoup  de  monde  afin  de  mettre  ceux  qui  en  avaient  l'adminis- 
tration en  état  de  travailler  en  même  temps  aux  différons  établis- 
semens  proposés. 

Ces  plans  de  M.  de  la  Galissonnière  qu'on  aurait  exécutés  avec 
de  l'énergie,  parurent  très  hardis  à  son  successeur,  qui  attendait 
probablement  peu  de  chose  du  gouvernement,  et  qui  en  consé- 
quence ne  crut  pas  devoir  les  suivre  tous,  particulièrement  ceux  qui 
avaient  rapport  à  l'Acadie,  de  peur  de  porter  ombrage  à  l'Angle- 
terre, attendu  que  des  commissaires  venaient  d'être  nommés  pour 
régler  les  différends  qui  existaient  entre  les  deux  nations.  Sa 
prudence  fut  taxée  à  Paris  de  timidité,  et  l'ordre  lui  fut  transmis 
de  garder  les  pays  dont  la  France  avait  toujours  été  en  posses- 

*  Documens  de  Paris. 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


sion.     Le  chevalier  do  la  Corne  qui  commandait  sur  cette  fron- 
tière, fut  en  môme  temps  chargé  de  choisir  un  endroit  en-deçà  de 
la  péninsule  pour  s'y  fortifier  et  recevoir  les  Acadiens.     Il  choisit 
d'abord  Chédiac  sur  le  golfe  St.-Laurent,  et  abandonna  ensuite 
cet  endroit  parcequ'il  était  trop  éloigné,  et  vint  prendre  position  à 
Chipodi  entrp  la  baie  Verte  et  la  baie  de  Chignectou.     M.  Corn- 
wallis,  nouveau  gouverneur  de  la  Nouvelle-Ecosse,  prétendant 
que  son  gouvernement  embrassait  non-seulement  la  péninsule 
acadienne,  mais  encore  l'isthme  et  la  côte  septentrionale  de  la 
baie  de  Fondy  avec  St.-Jean,  envoya  le  major  Lawrence  au 
printemps  de  1750  avec  400  hommes  pour  en  déloger  les  Fran- 
çais et  les  Sauvages,  ordonnant  en  môme  temps  d'intercepter  les 
vaisseaux  qui  apportoienl  des  vivres  de  Québec  aux  Acadiens 
ré<^jgiés.     A  l'approche  de  Lawrence  les  habitans  de  Beaubassin, 
encouragés  par  leur  missionnaire,  mirent  eux-mômes  le  feu  à  leur 
village  et  se  retirèrent  avec  leurs  femmes,  leurs  enfans  et  ce  qu'ils 
purent  emporter  de  leurs  effets,  derrière  la  rivière  qui  se  jette 
dans  la  baie  de  Chignectou.    Jamais  on  n'avait  vu  des  colons 
montrer  un  pareil  dévouement  à  leur  métropole.     Le  chevalier 
de  la  Corne  s'avança  avec  ses  forces,  et  planta  le  drapeau  français 
sur  la  rive  droite  de  cette  rivière,  déclarant  au  major  Lawrence 
qu'il  avait  ordre  de  lui  en  défendre  le  passage  jusqu'à  ce  que  la 
question  des  limites  fût  décidée.     Sur  cette  information  celui-ci 
se  retira  à  Beaubassin  et  y  éleva  sur  ses  ruines  encore  ''umantes 
un  fort  qui  reçut  son  nom  tandis  qu'il  en  faisait  commencer  un 
second  aux  Mines.     Les  Français  firent  construire  de  leur  côté 
le  fort  de  Beauséjour  sur  la  baie  de  Fondy,  et  celui  de  Gaspareaux 
dans  la  baie  Verte  sur  le  golfe  St.-Laurent  ;  on  fortifia  également 
la  rivière  St.-Jean,  et  l'on  resta  ainsi  en  position  l'arme  au  bras 
en  attendant  le  résultat  des  conférences  de  Paris. 

En  ce  temps  là  lord  Albemarle  était  ambassadeur  auprès  de  la 
cour  de  France.  Par  ordre  du  cabinet  de  Londres,  il  écrivit  en 
1750  au  marquis  de  Puyzieulx  pour  se  plaindre  des  empiétemens 
des  Français  en  Acadie.  Ce  dernier  répondit  au  bout  de 
quelques  jours,  que  Chipodi  était  sur  le  territoire  du  Canada 
comme  St.-Jean  ;  que  la  France  en  avait  toujours  été  en  posses- 
sion ,  et  que  les  habitans  ayant  été  menacés  par  les  Anglais,  M. 
de  la  Jonquière,  n'ayant  encore  reçu  aucun  ordre  de  6^,  cour, 


'•^s«. 


HIMTOIRE   DU   CANADA. 


19$ 


avait  cru  devoir  envoyer  des  forces  pour  les  protéger.  Le  7 
juillet,  le  môme  ambassadeur  représenta  au  marquis  de  Puyzieulx, 
que  les  Français  avaient  pris  possession  de  toute  cette  partie  do 
de  la  Nouvelle-Ecosse  qui  se  trouvait  depuis  la  rivière  Chignec- 
tou  jusqu'à  celle  de  St.-Jean  ;  qu'ils  avaient  brûlé  Bcaubassin  et 
en  avaient  organisé  les  habitans  en  compagnies  après  leur  avoir 
donné  des  armes  ;  que  le  chevalier  de  la  Corne  s'était  ainsi  formé 
un  corps  de  2,500  hommes  y  compris  ses  solJats  ;  qu'il  avait  fait 
avec  le  P.  de  Laloutre,  tantôt  des  promesses,  tantôt  des  menaces 
d'un  massacre  général  aux  habitans  de  l'Acadie  pour  les  forcer 
d'abandonner  leur  pays.  Il  protestait  ensuite  que  le  gouver- 
neur Cornwallis  n'avait  jamais  fait  ni  eu  dessein  de  faire  d'éta- 
blissement hors  des  limites  de  la  péninsule,  et  terminait  par 
demander  que  la  conduite  de  M.  de  la  Jonquière  fut  désavouée, 
que  ses  troupes  se  retirassent,  et  que  les  dommages  causés  par 
elles,  fussent  réparés.  Sur  ces  accusations  graves,  l'ordre  fut 
donné  d'écrire  sans  délai  pour  demander  au  gouverneur  canadien, 
des  informations  précises  sur  ce  qui  s'était  passé.  "  S'il  y  avait 
des  Français,  écrivit  M.  Rouillé,  qui  se  fussent  rendus  coupables 
des  excès  qui  font  l'objet  de  ces  plaintes,  ils  mériteraient  punition 
et  le  roi  en  ferait  un  exemple."  Au  mois  de  septembre  un 
mémoire  en  réponse  aux  plaintes  de  l'Angleterre  fut  remis  à  lord 
Albemarle,  dans  lequel  on  donnait  la  relation  des  mouvemens  du 
major  Lawrence  et  du  chevalier  de  la  Corne  avec  leur  entrevue, 
relation  qui  est  en  substance  à  peu  près  conforme  à  ce  qu'on  a 
rapporté  plus  haut.  En  1751,  ce  fut  le  tour  du  cabinet  de  Ver- 
sailles de  se  plaindre  ;  il  représenta  que  les  vaisseaux  de  guerre 
anglais  avaient  pris  jusque  dans  le  fond  du  golfe  St.-Laurent  des 
navires  français,  surtout  ceux  qui  portaient  des  vivres  pour  les  trou- 
pes qui  étaient  stationnées  le  long  de  la  baie  de  Fondy  ;  mais  la 
cour  de  Londres  ne  donnant  aucune  satisfaction,  le  marquis  de  la 
Jonquière  usa  de  représailles,  et  fit  arrêter  à  l'Ile-Royale  trois  ou 
quatre  bâtimens  anglais  qui  furent  confisqués. 

Cependant  plus  de  3000  habitans  avaient  déjà  émigré  de 
l'Acadie  dans  l'île  St.-Jean,  dont  l'étal)lissement  avait  été  aban- 
donné depuis  l'insuccès  de  M.  de  St.-Pierre,  et  sur  la  terre  ferme 
le  long  de  la  baie  de  Fondy.  Le  manque  de  récolte  et  les  casua- 
lités  de  la  guerre  laissèrent  tous  ces  malheureux  en  proie  à  une 


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HISTOIRE   DU    CANADA.. 


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disette  qui  régna  sans  discontiniia'.ion  jusqu'à  la  cession  du 
Canada,  sans  pouvoir  arrêter  le  cours  de  l'émigration.  L'arrivée  à 
Chibouctou  d'environ  3,800  colons  de  la  Grande-Bretagne,  qui 
fondèrent  la  v'Ile  d'Halifax  en  1749,  senxblait  au  contraire  avoir 
confirn.é  les  A>;adif  ns  dans  leur  xiétermination  ;  ils  se  dirigeaient 
partout,  sur  Québec,  sur  Madawaska,  et  dans  tous  les  lieux  qu'on 
voulait  bien  leur  indiquer,  pourvu  qu'ils  ne  fussent  pas  sous  la 
domination  anglaise.  Le  gouvernement  bitannique,  dont  cette 
fuite  extraordinaire  accusait  la  modération  et  la  justice,  en 
«prouva  un  profond  ressentiment,  dont  les  Acadiens  qui  étaient 
restés  dans  la  péninsule  se  ressentirent,  et  qui  influa  beaucoup 
sur  ses  dispositions  à  la  guerre.  Tels  étaient  les  èvéneménc 
insignifians  en  apparence,  qui  fournirent  dea  prétextes  pour  faire 
reprendre  les  arires  dans  les  deux  mondes. 

Tant  de  difficultés  avaient  induit  les  deux  cours  à  nommer  la 
commission  à  laquelle  faisait  allusion  le  traité  d'Aix-la-Chapelle, 
et  qui  fut  saisie  de  la  question  des  limites.  C'est  la  France  qui 
avait  pris  l'initiative.  Le  bruit  des  préparatifs  que  l'on  faisait  en 
Angleterre,  surtout  les  débats  qui  avaient  eu  lieu  dans  le  Parle- 
ment au  sujet  d'un  plan  proposé  par  M.  Obbs  touchant  la  traite 
de  la  Laie  d'Hudson,  dans  lequel  il  paraissait  vouloir  étendre  les 
frontières  très  avant  dans  le  Canada,  avaient  éveillé  ses  craintes  ; 
la  cour  de  Versailles  fit  remettre  par  son  chargé  d'affaires,  M. 
Durand,  à  celle  de  Londres,  au  mois  de  juin  1749,  un  mémoire 
ûans  lequel  elle  exposait  ses  droits  aux  territoires  en  dispute,  et 
proposait  de  nommer  des  commissaires  pour  régler  à  l'amiable  les 
limites  '.'es  colonies  respectives.  Cette  proposition  fut  acceptée  • 
'lù.tïB  le  mois  de  juillet  suivant,  et  les  commissaires  nommés,  MMt 
Shirley  et  Mildmay  de  la  part  de  l'Angleterre,  et  le  comte  de  la 
Galissonnière  et  M.  de  Silhouette  de  la  part  de  la  France,  s'as- 
semblèrent à  Paris.  Shirley  comme  la  Galissonnière  avait  été 
gouverneur  en  Amérique.  Outre  les  limites  de  l'Acadie,  ces 
commissaires  avaient  encore  d'autres  intérêts  à  régler  concernant 
les  îles  Caraïbes,  Ste.-Lurie,  Dominique,  St.-Vincent  et  Tabago, 
dont  les  deux  nations  se  disputaient  la  propriété. 

Une  des  principales  conditions  de  cette  commission,  c'est  que 
rien  ne  serait  innové  dans  les  pays  sur  le  sort  desquels  elle  devait 

*  Mémoire  de  la  cour  britannique  du  24  juillet  1749. 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


197 


prononcer.*  Les  mouvemens  du  chevalier  de  la  Corne  et  du 
major  Lawrence,  la  construction  des  forts  qu'ils  avaient  ordonnée 
dans  l'isthme  de  l'Acadie,  tout  cela  fut  regardé  par  les  deux  cours 
comme  des  violations  de  cette  condition  pour  lesquelles  elles  se 
demandèrent  et  se  donnèrent  réciproquement  des  explications, 
en  protestant  chaque  fois  de  leur  désir  sincère  de  conserver  la 
paix,  et  en  s'assurant  qu'elles  allaient  envoyer  des  ordres  à  leurs 
gouverneurs  de  ne  rien  entreprendre,  et  de  faire  cesser  toute 
espèce  d'hostilités.  •  > 

Les  commissaires  exposèrent  longuement  les  prétentions  de 
leurs  pays  respectifs.  La  Grande-Bretagne  réclamait  tout  le 
territoire  situé  entre  le  fleuve  et  le  golfe  St.-Laurent,  l'Atlantique 
et  une  ligne  tirée  de  la  rivière  Kénébec  à  ce  fleuve,  en  suivant 
la  parallèle  du  nord.  La  France  ne  lui  laissait  pas  même  la 
péninsule  acadienne  toute  entière,  puisqu'elle  en  réclamait  le 
côté  situé  sur  la  hiie  de  Fondy,  siuf  la  ville  de  Port-Royal  cédée 
nommément  par  le  traité.  Si  l'on  jette  un  moment  les  yeux  sur 
une  carte  géographique,  ''on  verra  que  les  prétentions  des  deux 
peuples  étaient  des  plus  opposées.  Outre  la  Nouvelle-Ecosse 
actuelle,  les  contrées  que  demandait  l'Angleterre  forment  aujour- 
d'hui la  plus  grande  partie  de  l'Etat  du  Maine,  tout  le  Nouveau- 
Brunswick,  une  portion  considérable  du  Bas-Canada,  et  le  Cap- 
Breton  avec  les  îles  adjacentes.  Après  renonciation  de  préten- 
tions si  opposées,  l'on  dut  conserver  peu  d'espoir  d'un  ajustement 
amical,  et  en  eifet  aucun  compromis  ne  paraît  avoir  été  offert. 
Les  deux  puissances  procédèrent  à  énumérer  les  titres  sur  les- 
quels elles  appuyaient  leurs  réclamations.  L'on  fouilla  dans 
l'histoire  de  l'Acadie  et  du  Canada  jusqu'à  leur  origine,  l'on  cita 
une  foule  de  documens,  l'on  apporta  des  preuves  nombreuses  de 
part  et  d'autre  ;  chacun  défendit  sa  cause  avec  adresse  et  habileté, 
mais  on  ne  put  se  convaincre  et  chaque  cabinet  resta  à  peu  près 
dans  la  position  qu'il  avait  prise  d'abord.  Pendant  cinq  ans  la 
commission  continua  ainsi  ses  négociations  à  Paris  tantôt  animées, 
tantôt  languissantes  ;  mais  il  n'en  résulta  que  trois  volumes  in 
quarto  de  mémoires  et  de  pièces  justificatives,  pour  embrouiller 

•  Mémoire  de  M.  de  Choiseul  contenant  le  précis  des  faits  avec  leurs  pièces 
justificatives  pour  servir  de  réponse  aux  obser  cations  envoyées  par  les  ministre^ 
d',dngleterre,  dans  les  cours  de  VEurope. 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


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les  questions  qu'elle  était  -hargée  de  régler,  sans  retarder  un 
moment  la  guerre  lorsque  ia  Grande-Bretagne  fut  prête. 

Cependant  si  les  mouvemens  qui  menaçaient  la  paix  avaient 
cessé  du  côté  de  PAcadie  pendant  les  négociations  des  commis- 
saires, il  n'en  était  pas  ainsi  dans  la  vallée  de  l'Ohio  ;  et  tandis 
que  l'on  croyait  que  la  guerre,  s'il  y  en  avait  une,  surgirait  de  la 
question  des  limites  de  l'Acadie,  elle  commençait,  contre  les  pré- 
visions de  l'Europe,  par  les  Virginiens  au  milieu  des  forêts  situées 
entre  le  Canada  et  la  Louisiane. 

M.  de  la  Jonquiôre  qui  gouvernait  la  Nouvelle-France  suivait, 
d'après  les  ordres  de  sa  cour,  le  plan  que  M.  de  la  Galissonnière 
avait  tracé,  pour  empêcher  les  Anglais  de  pénétrer  ;  .  le  terri- 
toire de  l'Ohio.  Mais  malgré  les  protestations  et  les  avertisse- 
mens,  la  Pennsylvanie  et  le  Maryland  continuaient  de  donner  des 
passepoits  à  leurs  traitans  pour  aller  au  delà  des  Apalaches,  où 
.  ils  excitaient  les  Indiens  contre  les  Français,  et  leur  distribuaient 
des  armes,  des  munitions  et  des  présens.  Trois  y  furent  arrêtés 
en  1750  et  envoyés  en  France  comme  prisonniers.  Par  repré- 
sailles les  Anglais  saisirent  un  pareil  nombre  de  Français  et  les 
emmenèrent  au  sud  des  Apalaches  ;  ce  qui  fut  l'occasion  d'une 
correspondance  entre  le  Canada  et  la  Nouvelle- York,  en  1751. 
Pendant  ce  temps  là  la  fermentation  allait  croissante  parmi  les 
Sauvages  de  l'Ohio  agités  par  toutes  ces  intrigues,  et  obligeait  le 
Canada,  ou  du  moins  lui  fournissait  le  prétexte  de  faire  marcher 
des  troupes  de  ce  côté  afin  de  les  contenir. 

Tandis  que  ces  barbares  étaient  ainsi  en  proie  aux  inspirations 
haineuses  des  Américains,  les  cinq  cantons  au  contraire  prêtaient 
l'oreille  à  celles  des  Français,  qui  s'étaient  encore  rapprochés 
d'eux  un  s'établissant  à  la  Présentation  ainsi  que  nous  l'avons 
rappoité.  L'abbé  Piquet,  que  M.  Hocquart  appelle  V Apôtre  des 
Iroqums  et  les  Anglais  nomment  le  Jésuite  de  POuest,  jouissait 
d'une  grande  influence  sur  ces  tribus.  M.  de  la  Joncaire,  celui- 
là  même  qui  avait  établi  le  poste  de  Niagara,  fut  chargé  d'aller 
résider  au  milieu  d'elles.  Le  but  des  Anglais  était  d'engager  les 
naturels  de  l'Ohio  à  en  chasser  les  Français,  et  celui  de  ces  der- 
niers d'engager  les  Iroquois  à  garder  la  neutralité  en  cas  de  guerre, 
car  ils  ne  pouvaient  pas  prétendre  encore  leur  faire  prendre  les 
armes  contre  leurs  anciens  alliés. 


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HISTOIRK   DU   CANADA. 


199 


Ainsi  tout  ce  qui  se  passait  en  Amérique  et  en  Europe  entre 
les  deux  couronnes,  laissait  peu  d'espérance  d'une  solution  heu- 
reuse de  leurs  difficultés.  Il  se  publiait  déjà  des  écrits  en  Angle- 
terre dans  lesquels  on  disait  qu'il  (allait  s'emparer  des  colonie*) 
françaises  avant  que  la  France  eût  relevé  sa  marine.  Dès  I75I, 
et  sur  ses  représentations,  M.  de  la  Jonquière  recevait  des  muni- 
tions de  guerre,  une  augmentation  des  troupes  de  marine,  et  des 
recrues  pour  remplacer  les  vieux  soldats.  H  faisait  renforcer  la 
garnison  du  Détroit,  et  envoyait  M.  de  Villiers  relever  M.  Ray- 
mond qui  commandait  dans  les  régions  des  lacs,  et  qui  mandait 
que  partout  les  nations  méridionales  se  déclaraient  pour  les  Anglais 
et  que  tout  était  dans  le  plus  grand  désordre. 

C'est  au  milieu  de  ces  apprêts  d'une  guerre  imminente  et  pro- 
chaine que  M.  de  la  Jonquière  atteignait  le  terme  de  sa  carrière, 
dont  les  derniers  jours  furent  troublés  par  de  pitoyables  querelles 
avec  les  Jésuites.  Ces  pères  faisaient  toujours  la  traite  dans  leur 
mission  du  Sault-St.-Juouis,  sous  le  nom  des  deux  demoiselles 
Desauniers,  et  envoyaient  leur  castor  à  Albany,  par  contrebande. 
Cet  exemple  était  imité  par  d'autres.  Le  directeur  de  la  com- 
pagnie des  Indes  se  plaignait  depuis  longtemps  de  cette  violation 
des  lois,  contraire  à  son  privilège,  sans  succès.  A  la  fin  M.  de  la 
Jonquière,  pressé  d'intervenir,  voulut  le  faire  cesser  et  sur  l'ordre 
que  le  roi  lui  transmit  pour  couper  court  au  mal,  il  fit  fermer  leur 
comptoir  du  Sault-St.-Louis. 

Ce  gouverneur  ne  fut  pas  sans  éprouver  le  ressentiment 
de  l'ordre  puissant  qu'il  venait  d'offenser.  On  écrivit  contre  lui 
aux  ministres,  on  l'accusa  de  s'être  emparé  du  commerce  des 
pays  d'en  haut,  de  faire  tyranniser  les  marchands  par  son  secré- 
taire, auquel  il  avait  donné  le  trafic  exclusif  de  l'eau-de-vie  chez 
les  Indiens  ;  de  donner  les  meilleurs  postes  à  ceux  qui  entraient 
en  société  avec  lui  ou  avec  ses  favoris.  Les  traflquans  qui 
n'auraient  pas  osé  prendre  l'initiative,  firent  écho  à  ces  accusations. 
Tant  de  plaintes  lui  attirèrent  les  reproches  de  la  cour.  Dans  sa 
réponse  il  affecta  de  garder  le  silence  fir  les  accusations,  tandis 
qu'il  faisait  un  pompeux  détail  de  ses  services,  insinuait  que 
l'Etat  lui  était  encore  redevable,  malgré  les  honneurs  et  les 
richesses  dont  il  en  avait  été  comblé,  et  demandait  son  rappel  ; 
mais  intérieuremeat  accablé  de  chagrin,  ses  blessures  se  rouvri- 


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200 


HISTOIRE  SU   CANADA. 


rent  et  il  expira  à  Québec  le  17  mai  1752,  à  l'âge  de  67  ans. 
Il  fut  enterré  dans  l'église  des  Récollets  à  côté  de  MM.  de  Fron- 
tenac et  de  Vaudreuil,  deux  de  ses  prédécesseurs. 

Il  était  né  dans  la  terre  de  la  Jonquière  en  Languedoc  en  1686, 
d'une  famille  originaire  de  la  Catalogne.  Il  avait  combattu  en 
Espagne  dans  la  guerre  de  la  succession,  avait  assisté  à  la  réduc- 
tion des  Cévennes,  et  à  la  défense  de  Toulon  assiégé  par  le  duc 
de  Savoie.  Il  avait  aussi  accompagné  Duguay-Trouin  à  Rio- 
Janeiro,  et  pris  part  au  combat  de  l'amiral  de  Court  contre  l'ami- 
ral Matthews  en  174<4^.  C'était  un  homme  de  grande  taille,  bien 
fait  de  sa  personne,  d'un  air  imposant,  d'un  courage  intrépide  ; 
mais  il  était,  dit-on,  peu  instruit  et  il  ternit  ses  grandes  actions 
par  un  défaut  qu'on  pardonne  rarement  à  un  fonctionnaire  public, 
l'avarice.  Il  avait  amassé  des  sommes  immenses  dans  ses 
voyages  ;  il  pouvait  mépriser  le  commerce  en  Canada,  et  il  ne  le 
fit  point,  ce  qui  empoisonna  les  dernières  années  de  sa  vie.  Il 
fit  venir  plusieurs  de  ses  neveux  de  France  pour  les  enrichir,  et 
n'ayant  pu  en  faire  nommer  un,  le  capitaine  De  Bonne  de  Miselle, 
adjudant  général,  il  lui  donna  une  seigneurie  et  lui  accorda  la 
traite  exclusive  du  Sault-Ste.-Marie.  Quoiqu'il  fût  riche  de  plu- 
sieurs millions,  il  se  refusa  pour  ainsi  dire  le  nécessaire  jusqu'à 
sa  mort.  On  rapporte  que  dans  sa  dernière  maladie,  il  fit  ôter 
des  bougies  qui  avaient  été  placées  près  de  son  lit,  et  les  fit  rem- 
placer par  des  chandelles  de  suif,  disant  "  qu'elles  coûtaient  moins 
cher  et  éclairaient  aussi  bien."  Malgré  ce  défaut,  la  France 
perdit  beaucoup  en  le  perdant  ;  car  c'était  un  de  ses  marins  les 
plus  habiles,  doué  de  cette  constance  indomptable  à  la  guerre 
d'autant  plus  précieuse  pour  elle,  qu'elle  luttait  alors  avec  des 
forces  inégales  sur  l'Océan.  Le  baron  de  Longueuil  administra 
pour  la  seconde  fois  par  intérim,  la  colonie  jusqu'à  l'arrivée  du 
marquis  Duquesne  de  Menneville  en  1752.  Ce  nouveau  gou- 
verneur, recommandé  au  roi  par  M.  de  la  Galissonnière,  était 
capitaine  de  vaisseau  et  de  la  maison  du  fameux  amiral  de 
Louis  XIV.  Ses  ordres  portaient  de  suivre  en  tout  la  con- 
duite de  ses  prédécesseurs,  c'est-à-dire  d'empêcher  les  Anglais 
de  passer  les  Apalaches  et  de  sortir  de  la  péninsule  acadienne, 
où  ils  avaient  déjà  quinze  à  seize  cents  hommes  de  troupes. 
La  guerre  devenait  de  plus  en  plus  imminente.    La  milice 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


201 


canadienne  fut  organisée  et  exercée  ;  on  augmenta  les  forlifica- 
tiong  de  Beauséjour;  on  achemina  des  troupes  sur  l'Ohio,  où 
Bigot  voulait  que  l'on  envoyât  2,000  hommes,  et  bâtit  trois  forts 
avec  plusieurs  magasins  d'entrepôt,  précautions  nécessaires  suivant 
lui  pour  assurer  la  possession  de  cette  contrée.     Les  troupes  se 
mirent  en  route  en  1753  sous  les  ordres  de  M.  Péan.     Les 
Anglais  en  faisaient  autant  de  leur  côté.     Les  Indigènes  sollicités 
par  les  deux  partis  ne  savaient  que  faire  ;  ils  étaient  surpris, 
troublés  de  voir  arriver  de  toutes  parts  des  soldats,  de  l'artillerie, 
des  munitions  de  toute  espèce,  au  milieu  de  leurs  forêts  jusque-là 
silencieuses.     Les  forts  de  la  Presqu'Isle  et  Machaux  s'élevèrent 
successivement  du  lac  Erié  en  gagnant  l'Ohio,  jusqu'à  ce  que  M. 
Legardeur  de  St.-Pierre  qui  y  commandait,  fut  notifié  de  se  retirer 
par  le  gouverneur  de  la  Virginia,,  qui  acheminait  de  son  côté  des 
troupes  sur  les  Apalaches.     M.  de  Contrecœur  venant  remplacer 
St.-Pierre,  s'avança  sans  tenir  compte  des  avertissemens  des 
Anglais,  avec  cinq  ou  six  cents  hommes,  fit  évacuer  un  petit  fort 
élevé  sur  sa  route  par  le  capitaine  Trent,  et  rendu  sur  les  bords 
de  l'Ohio,  commença  le  fort  Duquesne  en   1754".     En  même 
temps  l'ordre  était  donné  à  tous  les  commandans  répandus  dans 
ces  contrées  de  s'assurer  des  Sauvages  par  des  présens  ;  on  pla- 
çait des  détachemens  de  troupes  aux  forts  Machault  et  de  la 
Presqu'Isle  entre  le  fort  Duquesne  et  le  Détroit  ;  on  mettait  des 
vaisseaux  sur  les  chantiers  des  lacs  Erié  et  Ontario  pour  le  ser- 
vice des  transports,  et  le  gouverneur  de  la  Louisiane  informé  de 
tout  ce  qui  se  passait,  recevait  instruction  d'engager  les  Indiens 
de  son  gouvernement  à  joindre  leurs  forces  à  celles  qui  étaient 
sur  l'Ohio. 

C'est  au  milieu  de  tous  ces  préparatifs  que  M.  de  Contrecœur 
reçut  la  nouvelle  qu'un  corps  considérable  de  troupes  anglaises 
marchait  à  lui  sous  le  commandement  du  colonel  Washington. 
Il  chargea  aussitôt  M.  de  Jumonville  d'aller  à  sa  rencontre  pour 
lui  déclarer  qu'il  était  sur  le  territoire  français  et  le  sommer  de  se 
retirer.  Cet  officier  partit  avec  une  escorte  de  30  hommes,  et 
l'ordre  de  se  tenir  sur  ses  gardes  de  peur  de  surprise,  tout  étant 
en  confusion  dans  le  pays  et  les  Indigènes  ne  parlant  plus  que  de 
guerre  ;  il  choisissait  en  conséquence  ses  campemens  de  nuit  avec 
précaution.    Le  17  mai  au  soir  il  s'était  retiré  dans  un  vallon 


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202 


HISTOIRE  DU   CANADAt 


profond  et  obscur,  lorsque  des  Sauvages  qui  rôdaient  le  décou- 
vrirent et  en  informèrent  le  colonel  Washington,  qui  arrivait  dans 
le  voisinage  avec  ses  troupes.  A  cette  nouvelle  celui-ci  marcha 
tonte  la  nuit  pour  le  surprendre  et  le  lendemain  l'attaqua  préci- 
pitamment nu  point  du  jour,  sans  chercher  à  lui  faire  part  de  sa 
mission.  Jumonville  fut  tué  avec  neuf  hommes  de  s'  si  ite.  Les 
Français  prétendent  que  ce  député  fit  signe  qu'il  étaii  porteur 
d'une  lettre  de  son  commandant  ;  que  le  feu  cessa  et  que  ce  ne 
fut  qu'après  que  l'on  eût  commencé  la  lecture  de  la  sommation  que 
les  assaillans  se  remirent  à  tirer.  Washington  affirme  de  son  côté 
qu'il  était  à  la  tète  de  la  marche,  et  qu'aussitôt  que  les  Français 
le  virent,  ils  coururent  à  leurs  armes  sans  appeler,  ce  qu'il  aurait 
dû  entendre  s'ils  l'avaient  fait.  Il  est  probable  qu'il  y  a  du  vrai 
dans  les  deux  versions  ;  mais  que  l'attaque  fut  si  précipitée  qu'on 
ne  put  rien  démêler.  Washington  n'avançait  qu'en  tremblant  tant 
il  avait  peur  d'être  surpris,  et  il  voulait  tout  prévenir  même  en 
courant  le  risque  de  combattre  des  fantômes.  Ce  n'est  que  de 
cette  manière  qu'on  peut  expliquer  pourquoi  Washington  avec 
des  forces  si  supérieures  montra  une  si  grande  ardeur  pour  sur- 
prendre Jumonville  au  point  du  jour  comme  si  c'eût  été  un 
ennemi  fort  à  craindre  î  Au  reste  la  mort  de  Jumonville  n'amena 
pas  la  guerre,  car  déjà  elle  était  résolue,  mais  elle  la  précipita. 
Washington  continua  son  chemin  et  alla  construire  le  fort  palis- 
sade de  la  Nécessité  sur  la  rivière  Monongahéla  qui  se  jette  dans 
l'Ohio,  où  il  attendait  de  nouvelles  troupes  pour  aller  attaquer  le 
fort  Duquesne,  lorsqu'il  fut  attaqué  lui-même. 

Contrecœur  en  apprenant  la  mori  tragique  de  Jumonville  avait 
résolu  de  le  venger  sur  le  champ.  Il  donna  600  Canadiens  et 
100  Sauvages  •  à  M.  de  Villiers,  frère  de  la  victime.  Villiers  en 
arrivant  dans  le  voisinage  de  Washington  trouva  encore  quelques 
cadavres  du  combat,  et  les  Anglais  au  nombre  de  400  rangés  en 
bataille  dans  la  plaine  pour  le  recevoir.  A  ses  premiers  mou- 
vemens  ils  se  replièrent  sous  leurs  retranchemens  garnis  de  9 
pièces  de  canon,  où  il  fallut  les  attaquer  au  grand  jour  et  à  décou- 
vert. Le  feu  fut  extrêmement  violent  de  part  et  d'autre  pendant 
quelque  temps,  mais  les  Canadiens  combattaient  avec  tant  d'ar- 
deur qu'ils  éteignirent  celui  des  batteries  anglaises  avec  leur  seule 

*  Document  de  Paris. 


■»' --;— - 


HISTOIRE   DU    CANAD 


203 


mousquetterie,  et  après  dix  heures  de  lutte  obligèrent  les  assié- 
gés à  capituler  pour  éviter  un  assaut.  Les  vainqueurs  rasèrent 
le  fort,  brisèrent  les  canons  et  se  retirèrent  d'un  côté,  tandis  que 
les  Anglais  sortant  de  la  place  commencèrent  une  retraite  si  pré- 
cipitée de  l'autre  qu'ils  abandonnèrent  jusqu'à  leur  drapeau. 
Tels  sont  les  humbles  exploits  par  lesquels  le  fulur  conquérant 
des  libertés  américaines  commença  sa  carrière.  La  guerre  parut 
maintenant  plus  inévitable  que  jamais,  quoique  l'on  parlât  encore 
de  paix,  La  victoire  de  Villiers  fut  le  premier  acte  de  ce  grand 
drame  de  29  ans,  dans  lequel  la  puissance  française  et  anglaise 
devait  subir  de  si  terribles  échecs  en  Amérique. 

Que  faisait  alors  la  commission  des  frontières  à  Paris  ? 
Tandis  "  que  toutes  les  colonies  anglaises,  dit  le  duc  de  Choiseul, 
se  mettaient  en  mouvement  pour  exécuter  le  plan  de  l'invasion 
générale  du  Canada,  formé  et  arrêté  à  Londres,  les  commissaires 
britanniques  ne  paraissaient  s'occuper  que  du  soin  de  concourir 
avec  ceux  du  roi  à  un  plan  de  conciliation."  Mais  le  duc  de 
Choiseul  et  les  autres  membres  du  ministère  français,  ne  pou- 
vaient être  encore  les  dupes  de  cette  politique.  Ils  avaient  remar- 
qué la  persistance  des  Anglais  à  vouloir  pénétrer  dans  la  v  .liée 
de  l'Ohio,  et  c'est  en  conséquence  de  cette  persistance  et  de  l'agi- 
tation observée  parmi  les  Sauvages,  qu'ils  avaient  eux-mêmes 
ordonné  en  1742  et  3,  d'y  faire  passer  des  forces  et  d'établir  des 
forts  formant  chaîne  du  lac  Erié  à  cette  rivière,  et  en  1754  de 
rejeter  le  colonel  Washington  au-delà  des  Apalaches.  La  Grande- 
Bretagne  ne  laissait  plus  ses  commissaires  à  Paris  que  pour  con- 
server les  apparences  aux  yeux  de  l'Europe  et  du  gouvernement 
français,  dont  la  décrépitude  ne  permettait  guère  que  de  faibles 
efforts  pour  résister  à  l'orage  qui  se  formait.  Le  plus  grand 
sujet  d'anxiété  pour  le  cabinet  de  Versailles,  était  les  finances. 
Le  trésor  était  vide.  Déjà  depuis  plusieurs  années  il  murmurait 
contre  les  frais  du  Canada.  Lorsqu'il  fallût  faire  les  préparatifs 
de  la  guerre,  il  parla  bien  plus  fort  et  éclata  en  plaintes  ouvertes  ; 
chaque  vaisseau  apportait  des  reproches  amers  à  l'intendant,  sur 
l'excès  des  dépenses  ;  mais  peu  ou  point  de  soldats  pour  la 
défense  du  pays,  quoique  la  mort  de  Jumonville  et  la  capitulation 
de  Washington  fissent  alors  la  plus  grande  sensation  en  Europe. 
Le  peuple  français  exclus  par  la  nature  de  son  gouvernement  des 


II 


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V   V 


204. 


HISTotRE   DU   CANADA. 


affaires  publiquen,  et  qu'on  berçait  de  l'espoir  d'une  longue  conti- 
nuation de  paix,  dut  aussi  se  désabuser.     Il  fallait  faire  la  guerre. 
L'Angleterre  avait  envoyé  dés  l'année  précédente  l'ordre  aux 
gouverneurs  de  ses  colonies,  d'agir  de  concert  pour  leur  comiTiune 
et  mutuelle  défense.     Ces  gouverneurs  s'assemblèrent  au  nombre 
de  sept  à  Albany  et  signèrent  un  traité  de  paix  avec  les  Iroquois. 
L'on  dressa  en  même  temps  un  projet  d'union  fédérale  pour  que 
les  avis,  les  trésors  et  les  forces  des  diverses  provinces  fussent 
employés  dans  une  juste  proportion  contre  l'ennemi  commun. 
Le  gouvernement  général  de  la  confédération  devait  être  admi- 
nistré par  un  président  nommé  par  la  couronne,  et  par  un  grand 
conseil  choisi  par  les  diverses  assemblées  coloniales.     Le  prési- 
dent serait  investi  de  l'autorité  executive  et  posséderait  le  pouvoir 
législatif  concurremment  avec  le  conseil.     Il  devait  avoir  le  pou- 
voir de  faire  la  paix  et  la  guerre  avec  les  Sauvages,  de  lever  des 
troupes,  fortifier  les  villes,  imposer  des  taxes  sous   l'approba- 
tion du  roi,  nommer  les  officiers  civils  et  militaires.     Mais  ce 
projet  fut  rejeté  par  toutes  les  parties  pour  des  motifs  différons; 
par  les  colonies  parcequ'il  donnait  trop  d'autorité  au  président, 
et  par  la  couronne  parcequ'il  en  donnait  trop  aux  représentans  du 
peuple.     Comme  on  l'a  dit  ailleurs,  les  guerres  avec  le  Canada 
tendaient  continuellement  à  réunir  les  provinces  anglaises  en- 
semble, et  à  en  accoutumer  insensiblement  les  peuples  à  regarder 
le  gouvernement  fédéral  comme  le  meilleur  pour  tous.     Le  pro- 
jet de  la  convention  ayant  été  rejeté,  il  fut  résolu  alors  faute  de 
pouvoir  central,  de  faire  la  guerre  avec  les  troupes  régulières  de 
la  métropole,  auxquelles  les  troupes  coloniales  serviraient  d'auxi- 
liaires ;  et  en  même  temps  les  colons  votèrent  des  hommes  et  des 
subsides  aidés  de  l'Angleterre,  qui  fit  mettre  de  grosses  sommes  à 
leur  disposition,  et  leur  donna  pour  général  le  colonel  Braddock, 
qui  avait  servi  avec  distinction  sous  le  duc  de  Cumberland  dans 
les  guerres  d'Europe. 

Les  instructions  de  cet  officier  contenaient  un  plan  complet 
d'opérations  contre  le  Canada.'  Une  expédition  devait  mettre 
la  vallée  de  l'Ohio  sous  la  puissance  britannique  après  en  avoir 
chassé  les  Français.     Les  forts  St.-Frédéric,  sur  le  lac  Cham- 

•  Instructions  du  général  Braddock  du  25  mars  1754.  Lettres  du  colonel 
Napier  écrites  par  ordre  du  duc  de  Cumberland  au  général  Braddock. 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


plain,  Niagara,  au  pied  du  lac  Erié,  et  Beausèjour  dans  l'isthme 
de  l'Acadie,  devaient  être  attaqués  l'un  après  l'autre  ou  oimulta- 
nément,  selon  les  CTConstances.  Les  troupes  régulières  rassem- 
blées en  Irlande,  s'embarquèrent  sur  une  escadre  commandée 
par  l'amiral  Keppel,  chargé  de  seconder  sur  mer  les  efforts  que 
l'on  allait  faire  sur  terre.  Braddock  tint  en  arrivant  une  confé- 
rence en  Virginie  avec  tous  les  gouvernevs  de  province,  où  il 
fut  arrêté  qu'il  marcherait  lui-même  avec  les  troupes  régulières 
pour  prendre  le  fort  Duquesne  ;  que  le  gouverneur  Shirley  atta- 
querait le  fort  Niagara  avec  les  troupes  provinciales  ;  qu'un  autre 
corps,  tiré  des  provinces  du  nord  et  commandé  par  le  colonel 
Johnson,  tomberait  sur  le  fort  St.-Frédéric,  enfin  que  le  colo- 
nel Monckton  avec  les  milices  du  Massachusetts  prendrait  Beau- 
séjour  et  Gaspareaux.  Ces  arrangemens  arrêtés  on  ne  songea 
plus  qu'à  surprendre  le  Canada  en  précipitant  l'invasion. 

Quoiqu'on  eût  encore  écrit  de  Paris  que  les  vues  que  l'Angle- 
terre avait  fait  paraître  jusoue-là  pour  le  maintien  de  la  paix  ne 
permissent  pas  même  de  croire  qu'elle  eût  autorisé  les  mouve- 
mens  qui  faisaient  tant  de  bruit  du  côté  de  l'Ohio,  et  qu'il  y  eût 
encore  moins  d'apparence  qu'elle  en  eut  ordonné  de  semblable 
sur  les  autres  frontières,  on  n'était  pas  resté  inactif  en  présence  des 
préparatifs  des  Anglais  parmi  lesquels,  depuis  longtemps,  le  lan- 
gage des  journaux  et  les  discours  prononcés  dans  les  chambres, 
faisaient  assez  connaître  l'opinion  publique,  puissante  alors  comme 
aujourd'hui  sur  le  ministère  de  cette  nation.  Le  gouvernement 
rassembla  une  flotte  à  Brest  sous  le  commandement  du  comte 
Dubois  de  la  Motthe,  et  y  fit  embarquer  six  bataillons  de  vieilles 
troupes  formant  3,000  hommes,*  dont  deux  pour  Louisbourg  et 
quatre  pour  le  Canada.  Le  baron  Dieskau,  maréchal  de  camp, 
qui  s'était  distingué  sous  le  maréchal  de  Saxe,  les  commandait. 
Il  avait  pour  colonel  d'infanterie  M.  de  Rostaing,  et  pour  aide- 
major  le  chevalier  de  Montreuil.  Le  marquis  de  Duquesne 
demanda  son  rappel  pour  rentrer  dans  le  service  de  la  marine. 
Son  départ  ne  causa  aucun  regret,  quoiqu'il  eût  conduit  assez 
heureusement  les  affaires  publiques,  et  pourvu  avec  sagesse  à  tous 
les  besoins  de  la  colonie  ;  son  caractère  altier  et  hautain  l'avait 
empêché  de  devenir  populaire,  défaut  encore  plus  sensible  en 


Correspondance  officielle. 


B' 


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206 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


Amérique  qu'en  Europe,  attendu  l'égalité  plus  grande  des  rangs. 
Avant  de  partir  il  avait  voulu  rallier  à  la  France  dans  un  conseil 
secret  tenu  à  Montréal,  les  Iroquois  qui  cherchaient  toujours  à 
conserver  leur  indépendance  entre  les  deux  nations.  «  Nous 
avons  méconnu,  leur  dit  le  gouverneur,  votre  sang  quand  nous 
avons  appris  que  dans  des  conseils  secrets  en  présence  de  sept 
gouverneurs,  vous  avez  trahi  la  cause  du  roi  de  France  en  vous 
laissant  entraîner  par  les  mauvais  avis  des  Anglais,  pour  vous 
défaire  en  leur  faveur  de  la  Belle-Rivière,  malgré  le  temps  con- 
sidérable qu'il  y  a  que  la  France  en  est  en  possession.  Ignorez- 
vous  quelle  différence  il  y  a  entre  le  roi  de  France  et  l'Anglais  ; 
allez  voir  les  forts  que  le  roi  a  établis,  et  vous  y  verrez  que  la 
terre  sous  ses  murs  est  encore  un  lieu  de  chasse,  ne  s'étant  placé 
dans  les  endroits  que  nous  fréquentons  que  pour  vous  y  faciliter 
vos  besoins.  L'Anglais  au  contraire  n'est  pas  plutôt  en  posses- 
sion d'une  terre  que  le  gibier  est  forcé  de  déserter,  les  bois  tom- 
bent devant  eux,  la  terre  se  découvre  et  vous  ne  trouvez  à  peine 
chez  eux  de  quoi  vous  mettre  la  nuit  à  l'abri." 

Le  marquis  de  Duquesne  avait  jugé  là  en  peu  de  mots  la 
marche  des  deux  colonisations.  Son  successeur  fut  le  marquis 
de  Vaudreuil  de  Cavagnac,  gouverneur  de  la  Louisiane,  qui 
débarqua  à  Québec  au  commencement  de  l'été,  suivi  quelques 
jours  après  de  l'intendant  Bigot,  qui  venait  de  donner  à  Paris  des 
éclaircissemens  sur  la  situation  financiaire  du  Canada.  Ce  gou- 
verneur, troisième  fils  du  marquis  de  Vaudreuil,  successeur  de 
M.  de  Callières  au  cou  mencement  du  siècle,  fut  reçu  avec  de 
grandes  démonstrations  de  joie  par  les  Canadiens,  qui  le  regar- 
daient comme  leur  compatriote  et  qui  avaient  fait  demander  au 
roi  de  le  placer  à  la  tête  de  leur  gouvernement.  Ils  accoururent 
au  devant  de  lui  dans  l'espérance  qu'il  allait  faire  succéder  à  une 
situation  incertaine  ces  jours  fortunés  que  leur  rappelait  le  gou- 
vernement de  son  père. 

La  flotte  anglaise  qui  portait  le  général  Braddock  6^  ses  troupes, 
partie  au  commencement  de  janvier  1755  de  Cork,  arriva  à 
Williamsburgh  en  Virginie  le  20  février.  L'amiral  Dubois  de  la 
Motthe  ne  fit  voile  de  firest  qu'à  la  fin  d'avril,  ou  trois  mois 
après  Braddock,  avec  les  renforts,  les  munitions  et  le  matériel  de 
guerre  destinés  pour  le  Canada.    Ici  il  est  nécessaire  de  noter 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


207 


les  dates.  Le  gouvernement  de  Londres  résolut  de  faire  inter- 
cepter cette  escadre  par  l'amiral  Boscawen,  qui  fit  voile  de  Ply- 
mouth  le  27  avril. 

Dans  le  temps  même  où  ces  mouve.nens  avaient  lieu,  la  diplo- 
matie chercha  à  se  ressaisir  d'une  affaire  qui  devait  être  évidem- 
ment décidée  à  coups  de  canon.  Le  15  janvier  l'ambassadeur 
français.  M.  le  duc  de  Mirepoix,  avait  remis  une  note  à  la  cour 
de  Londres  proposant  de  défendre  toute  hostilité  entre  les  deux 
nations;  que  les  choses,  quant  au  territoire  de  l'Ohio,  fussent 
mises  dans  l'état  où  elles  étaient  avant  la  dernière  guerre  ;  quo 
les  prétentions  respectives  sur  ce  terrain,  fussent  à  l'amiable  défé- 
rées à  la  commission,  et  que  pour  dissiper  toute  impression 
d'inquiétude,  cette  cour  s'expliquât  sur  la  destination  et  les  motifs 
de  l'armement  qui  s'était  fait  en  Irlande. 

Le  cabinet  de  Londres  répondit  le  22  du  même  mois  en 
demandant  que  la  possession  du  territoire  de  l'Ohio,  ainsi  que  de 
tous  autres,  fût,  au  préalable,  remise  dans  le  même  état  où  elle 
était  avant  le  traité  d'Utrecht,  ce  qui  était  avancer  de  nouvelles 
prétentions  et  reculer  du  traité  d'Aix-la-Chapelle  au  traité 
d'Utrecht  ;  que  pour  ce  qui  était  de  l'armement,  la  défense  des 
droits  et  des  possessions  de  l'Angleterre  était  le  seul  but  de  celui 
qui  avait  été  envoyé  en  Amérique,  et  que  ce  n'était  pas  pour 
offenser  quelque  puissance  que  ce  fût,  ni  rien  faire  qui  pût  don- 
ner atteinte  à  la  paix  générale  qu'elle  l'avait  fait.  Le  duc  de 
Mirepoix  remit  une  réplique  le  6  février,  proposant  que  les  deux 
rois  ordonnassent  aux  gouverneurs  respectifs  de  s'abstenir  de 
toute  voie  de  fait  et  de  toute  nouvelle  entreprise  ;  que  les  choses 
fussent  remises  dans  l'état  où  elles  étaient  ou  devaient  être  avant 
la  dernière  guerre  dans  toute  l'étendue  de  l'Amérique  septentrio- 
nale, conformément  au  traité  d'Aix-la-Chapelle,  et  que  confor- 
mément à  ce  même  traité,  l'Angleterre  fit  instruire  la  commission 
établie  à  Paris  de  ses  prétentions,  et  des  fondemens  sur  lesquels 
elle  les  appuyait. 

Dans  la  suite  la  France  modifia  encore  ses  propositions,  et 
consentit  à  prendre  pour  règle  provisionnelle  l'état  où  se  trouvaient 
les  choses  après  le  traité  d'Utrecht,  c'est-à-dire  que  les  deux  nations 
évacueraient  tout  le  pays  situé  entre  l'Ohio  et  les  Apalaches.  C'é- 
tait revenir  sur  ses  pas  et  acquiescer  à  la  proposition  du  ministère 


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208 


HISTOmi  DU   CANADA. 


anglais  du  22  janvier  ;  elle  n'avait  aucun  doute  que  ces  conditions 
ne  fussent  acceptées,  d'autant  plus  que  le  cabinet  de  Lon  Ires 
venait  d'assurer  à  M.  de  Mirepoix  que  les  arinemens  faits  en 
Irlande,  et  la  flotte  qui  en  était  partie,  avaient  principalement 
pour  objet  de  maintenir  la  subordination  et  le  bon  ordre  dans  les 
colonies  anglaises.  Mais  ce  cabinet,  à  l'aspect  de  la  nouvelle 
attitude  de  la  France,  mit  en  avant  de  nouvelles  prétentions 
comme  s'il  avait  craint  un  arrangement,  et  le  7  mars  il  fit  remet- 
tre un  nouveau  projet  par  lequel  il  aurait  été  stipulé,  lo.  Que 
l'on  démolirait  non  seulement  les  forts  situés  entre  les  monts 
Apalaches  et  l'Ohio,  mais  que  l'on  détruirait  encore  fous  les  éta- 
blissemens  situés  entre  l'Ohio  et  la  rivière  Ouabache  ou  de  St.- 
Jérome  ;  2o.  Que  l'on  raserait  aussi  le  fort  de  Niagara  et  le 
fort  St.-Frédéric  sur  le  lac  Champlain  ;  et  qu'à  l'égard  des  lacs 
Ontario,  Erié  et  Champlain,  ils  n'appartiendraient  à  personne, 
mais  seraient  également  fréquentés  par  les  sujets  de  l'une  et 
l'autre  couronne,  qui  y  pourraient  librement  commercer  ;  3o. 
Que  l'on  accorderait  définitivement  à  l'Angleterre,  outre  la  partie 
contentieuse  de  la  presqu'île  au  nord  de  l'Acadie,  un  espace  de 
vingt  lieues  du  sud  au  nord,  dans  tout  le  pays  qui  s'étend  depuis 
la  rivière  de  Pentagoët  jusqu'au  golfe  St.-Laurent;  4<o.  Enfin, 
que  toute  la  rive  méridionale  du  fleuve  St.-Laurent  serait 
déclarée  n'appartenir  à  personne  et  demeurerait  inhabitée. 

A  ces  conditions,  l'Angleterre  voulait  bien  confier  aux  Com- 
missaires des  deux  nations  la  décision  du  surplus  de  ses  préten- 
tions. C'était  une  véritable  déclaration  de  guerre,  car  la  cour  de 
Versailles  ne  pouvait  accepter  des  conditions  qui  équivalaient  à 
la  perte  du  Canada,  et  qui  l'auraient  déshonorée  aux  yeux  du 
monde  entier.  Aussi  les  accueillit-elle  par  un  refus  absolu.' 
Les  négociations  se  prolongèrent  cependant,  nourries  par  de  nou- 
velles propositions,  jusqu'au  mois  de  juillet,  chaque  partie  pro- 
testant qu'elle  agissait  avec  candeur  et  confiance,  et  les  ministres 

•  Le  ministre  écrivit  alors  au  gouverneur  du  Canada  :  "  Quoiqu'il  en  soit, 
Sa  Majesté  est  très  résolue  de  soutenir  ses  droits  et  ses  possessions  contre  des 
prétentions  si  excessives  et  si  injustes  ;  et  quelque  soit  son  amour  pour  la 
paix,  elle  ne  fera  pour  la  conserver  que  les  sacrifices  qui  pourront  se  conci- 
lier avec  la  dignité  de  la  couronne  et  la  protection  qu'elle  doit  à  ses  sujets" 
[Documeni  <U  Paru}.    La  cour  était  de  bonne  foi  dans  ces  paroles. 


MISTOIRG   OU   CANADA. 


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de  la  Grande-Bretagne,  sur  l'inquiétude  causée  par  la  destination 
de  la  flotte  de  l'amiral  Boscawen,  assurant  à  ceux  de  France  que 
certainement  les  Anglais  ne  commenceraient  pas.  Le  duc  de 
New-Castle,  le  comte  de  Granville  et  le  chevalier  Robinson  dirent 
positivement  à  l'ambassadeur  français  qu'il  était  fau".  que  cet 
amiral  eût  ('es  ordres  ofTensifs.  Le  gouverneur  du  Canada,  qui 
s'était  embarqué  sur  un  des  vaisseaux  de  l'escadre  de  M.  de  la 
Motthe,  avait  de  son  côté  ordre  du  roi  de  n'en  venir  aune  guerre 
ouverte  que  quand  les  Anglais  auraient  effectivement  commis  des 
hostilités  caractérisées.» 

Cependant  l'amiral  Boscawen,  parti  le  27  >"ril  d'Angleterre, 
arrivait  sur  les  bancs  de  Terreneuve  avec  ses  onze  vrsseaux  à 
peu  près  dans  le  même  ips  que  la  flotte  française  de  M.  de  la 
Motthe,  sans  pouvoir  la  rencontrer  ;  mais  quelques-uns  des  vais- 
seaux de  cette  flotte  s'en  étant  séparés  depuis  plusieurs  jours, 
tombèrent  au  milieu  de  l'escadre  anglaise,  qui  enleva  le  Lys  et 
l'Alcide,  sur  lesquels  se  trouvaient  plusieurs  officiera  du  génie,  et 
huit  compagnies  de  troupes  formant  partie  des  3,000  hommes 
envoyés  en  Amérique.  M.  de  Choiseul  rapporte  que  M.  Hoc- 
quait  qui  co;nmandait  l'Alcide,  se  trouvant  à  portée  de  la  voix 
du  Dunkerque  de  60  canons,  fit  crier  en  Anglais  :  Sommes-nous 
en  paix  ou  en  guerre  ?  On  lui  répondit  nous  n'entendons  point  ; 
on  répéta  la  même  question  en  Français,  môme  réponse.  M. 
Hocquart  la  fit  lui-même  ;  le  capitaine  anglais  répondit  par  deux 
fois  la  paix,  la  paix.  D'autres  questions  s'échangeaient  encore 
lorsque  le  Dunkerque  lâcha  sa  bordée  à  demi-portée  de  pistolet 
tous  ses  canons  étant  chargés  à  deux  boulets  et  à  mitrailles. 
Bientôt  l'Alcide  et  le  Lys  furent  cernés  par  les  vaisseaux  de 
Boscawen  et  forcés  de  se  rendre  après  avoir  perdu  beaucoup  de 
monde,  et  entre  autres  officiers,  le  colonel  de  Rostaing.  La  guerre, 
dit  M.  Haliburton,  quoique  pas  formellement  déclarée,  fut  réelle- 
ment commencée  par  cet  événement  ;  mais  en  n'observant  pas  les 
formalités  ordinaires,  l'Angleterre  fut  accusée  de  fraude  et  de 
piraterie  par  les  puissances  neutres.  Immédiatement  après, 
trois  cents  bâtimens  marchands,  parcourant  les  mers  sur  la  foi  des 
traités,  furent  enlevés  comme  l'eussent  été  par  des  forbans  des 
navires  sans  défense.     Cette  perte  fut  immense  pour  la  France, 

*  Pocumens  de  Paris. 


■^ 


HISTOIRE  DU    CANADA. 

qui,  forcée  à  une  guerre  maritime,  se  vit  ainsi  privée  de  l'expé- 
rience irréparable  de  cinq  à  six  mille  matelots. 

La  nouvelle  de  la  prise  du  Lys  et  de  l'Alcide  arriva  à  Londres 
le  15  juillet.  Le  duc  de  Mirepoix  eut  immédiatement  une 
entrevue  avec  les  ministres  anglais,  qui  attribuèrent  ces  hostilités 
à  un  mal-entendu,  et  qui  lui  dirent  que  cet  événement  ne  devait 
point  rompre  la  négociation.  La  France,  accoutumée  à  compter 
avec  l'Europe,  se  voyait  ainsi  par  la  faiblesse  de  son  gouverne- 
ment, traitée  comme  une  nation  du  second  ou  du  troisième  ordre. 
La  cour  de  Versailles,  ne  pouvant  plus  se  faire  illusion,  rappela 
son  ambassadeur  et  1^  guerre  fut  déclarée  à  la  Grande-Bretagne. 


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LIYEE  NEUVIEME. 


;    CHAPITRE  I. 

GUERRE    DE    SEPT    ANS. 
1755-1     ",. 

Situation  des  esprits  en  France  et  en  Angleterre  à  l'époque  la  guerre  de 
Sept  ans. — La  France  change  sa  politique  extérieure  en  s'alliant  à  l'Au- 
triche qui  flatte  madame  de  Pompadour,  maîtresse  de  Louis  XV. — Popu- 
larité de  la  guerre  dans  la  Grande-Bretagne  et  dans  ses  colonies;  ses  im- 
menses armemens. — Extrême  faiblesse  numérique  des  forces  du  Ca- 
nada.— Plan  d'attaque  et  de  défense  de  ce  paya  ;  zèle  des  habitans. — 
Premières  opérations  de  la  campagne. — Un  corps  de  troupes,  parti  de 
Boston,  s'empare  de  Beauséjour  et  de  toute  la  péninsule  acadienne  ;  exil 
et  dispersion  des  Acadiens. — Le  général  Braddock  marche  sur  le  fort 
Duquesne  du  côté  du  lac  Erié  ;  M.  de  Beaujeu  va  au-devant  de  lui  ;  bataille 
de  la  Monongahéla  ;  défaite  complète  des  Anglais  et  mort  de  leur  général. 
— L'épouvante  se  répand  dans  leurs  colonies,  que  les  bandes  canadiennes 
et  les  sauvages  attaquent  sur  divers  points  en  commettant  de  grands  ravages 
et  faisant  beaucoup  de  prisonniers. — Armées  anglaises  destinées  à  atta- 
quer Niagara  au  pied  du  lac  Erié  et  St.  Frédéric  sur  le  lac  Champlain. — 
Le  colonel  Johnson  se  retranche  à  la  tête  du  lac  St. -Sacrement  (George). 
— Le  général  Dieskau  attaque  les  retranchemens  du  colonel  Johnson  ;  il 
est  repoussé  et  lui-même  tombe  blessé  entre  les  mains  de  l'ehnemi. — Le 
peuple  des  colonies  anglaises  murmure  contre  l'inactivité  de  Johnson  après 
cette  bataille  ;  réponse  de  ce  commandant. — Le  général  Shirley  aban- 
donne le  dessein  d'assiéger  Niagara.— Résultat  de  la  campagne. — Mau- 
vaises récoltes  en  Canada;  commencement  de  la  disette. — Préparatifs  de 
l'Angleterre  pour  la  prochaine  campagne. — Exposition  de  l'état  du  Ca- 
r.ada  ;  demande  de  secours  à  la  France. — Le  général  Montcalm  arrive  à 
Québec  dans  le  printemps  de  1756  avec  des  renforts, — Plan  d'opérations 
de  la  prochaine  campagne. — Disproportion  des  forces  des  deux  parties 
belligérantes  ;  projets  d'invasion  des  Anglais. 

Nous  avons  dit  que  la  France,  à  la  nouvelle  de  la  prise  du  Lys 
et  de  l'Alcide,  avait  rappelé  son  ambassadeur  de  Londres  et 
déclaré  la  guerre  à  la  Grande-Bretagne.  Cette  démarche,  comme 
on  le  verra  plus  tard,  ne  fut  prise  néanmoins  qu'après  un  délai  de 


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212 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


presqu'une  année.  L'indolent  Louis  XV  ne  pouvait  se  décider 
à  prendre  sérieusement  les  armes. 

Quelle  était  la  situation  de  la  France  à  cette  époque  1  Les 
principaux  ministres  étaient  le  comte  d'Argenson  pour  la  guerre, 
M.  Machault  pour  la  marine  et  les  colonies,  M.  Rouillé  pour  les 
affaires  étrangères,  lequel  fut  remplacé  c  <  1757  par  le  comte  de 
Bernis,  abbé  et  poëte  ;  mais  c'était  madame  de  Pompadour  qui 
gouvernait  ;  elle  changeait  les  généraux  et  les  ministres  au  gré  de 
ses  caprices.  Vingt-cinq  ministres  furent  appelés  au  conseil 
d'Eiat  et  renvoyés  de  1756  à  1763.  Ce  corps  variait  sans  cesse 
dit  Sismondi  ;  il  n'avait  ni  unité  ni  accord,  et  chaque  ministre 
agissait  indépendamment  des  autres.  La  nation,  du  reste,  était 
plus  occupée  de  vaines  disputes  religieuses  que  des  apprêts  du 
combat.  Le  parti  moliniste,  soutenu  par  les  Jésuites,  avait 
recommencé  la  persécution  contre  les  Jansénistes  ;  le  parlement 
voulut  interposer  son  autorité  pour  la  faire  cesser,  il  fut  dissous 
et  remplacé  par  une  clianibre  royale;  le  roi,  fatigué  à  la  fin 
de  ces  chicanes  oiseuses  qui  troublaient  et  affaiblissaient  son 
royaume,  ordonna  le  silence  et  rétablit  le  parlement. 

»*  Au  milieu  de  cette  petite  guerre,  le  philosophisme  gagnait. 
A  la  cour  même  il  avait  des  partisans  ;  le  roi,  tout  ennemi  qu'il 
était  des  idées  nouvelles,  avait  sa  petite  imprimerie,  et  imprimait 
lui  même  les  théories  économiques  de  son  médecin  Quesney,  qui 
proposait  un  impôt  unique,  portant  sur  la  terre  ;  la  noblesse  et  le 
clergé,  qui  étaient  les  principaux  propriétaires  du  sol,  eussent 
enfin  contribué.  Tous  ces  projets  aboutissaient  en  vaines  con- 
versations, les  vieilles  corporations  résistaient  ;  la  royauté,  caressée 
par  les  philosophes  qui  auraient  voulu  l'armer  contre  le  clergé, 
éprouvait  un  vague  effroi  à  l'aspect  de  leurs  progrès."  Tout, 
enfin,  était  en  mouvement  dans  les  idées  morales  comme  dan» 
les  idées  politiques.  Les  opinions  n'avaient  plus  d'harmonie,  et 
le  gouvernement  lui-même,  honteux  de  suivre  d'anciennes  tradi- 
tions, marchait  au  hasard  dans  une  route  nouvelle. 

C'est  ainsi  que,  par  le  fatal  traité  de  Versailles  de  1756,  il 
s'allie  avec  l'Autriche  qu'il  a  toujours  combattue,  et  se  laisse 
entraîner  dans  une  guerre  continentale  par  Marie-Thérèse  qui, 
voulant  reprendre  la  Silésie  au  roi  de  Prusse,  flatte  adroitement 
la  marquise  de  Pompadour,  avec  qui  elle  entretient  un  commerce 


11 


MiSTOIRE   DU    CANADA. 


213 


de  lettres,  et  qu'elle  appelle  ea  chère  amie.  Au  poids  d'une  lutte 
maritime  vint  ainsi  s'adjoindre  celui  d'une  lutte  sur  terre,  quoi- 
que l'expérience  eût  enseigné  depuis  longtemps  à  la  France 
qu'elle  devait  éviter  soigneusement  cette  alternative,  et  que 
Machault  s'efforçât  de  le  faire  comprendre  à  Louis  XV  ;  mais  la 
favorite  tenait  à  l'alliance  avec  l'impératrice-reine,  le  ministre  de 
la  guerre  et  les  courtisans,  étrangers  au  service  de  mer,  tenaient 
à  la  gloire  qui  s'offrait  à  eux  dans  les  armées  de  terre  ;  on  oublia 
la  guerre  avec  l'Angleterre,  la  seule  importante,  la  seule  où  l'on 
eût  été  provoqué,  et  l'on  dirigea  ses  principales  forces  vers  le 
nord  de  l'Europe,  abandonnant  presqu'à  elles-mêmes  les  vastes 
possessions  de  l'Amérique  septentrionale. 

De  l'autre  côté  de  la  Manche,  les  choses  xCi  t  point  dans 
cette  situation  qui  annonce  de  loin  une  révolu.  sociale.  La 
Grande-Bretagne  jouissait  de  l'état  le  plus  prospère  auquel  elle 
fût  encore  parvenue  ;  ses  colonies  du  Nouveau-Monde  faisaient 
des  progrès  immenses  en  toutes  choses  ;  et  là  comme  en  Angle- 
terre le  peuple  paraissait  unanime  et  satisfait.  Le  gouvernement 
assis  sur  les  larges  bases  de  la  liberté,  obéissait  à  l'opinion  publi- 
que, et,  en  suivant  les  instincts  du  pays,  assurait  pour  ainsi  dire 
d'avance  le  succès  de  ses  entreprises.  Aucune  guerre  n'avait 
été  plus  populaire  chez  les  Anglais  que  celle  qui  allait  commencer. 
M.  Fox,  depuis  lord  HoUand,  était  à  la  tête  des  affaires.  La 
chambre  des  communes  accorda  un  raiUion  de  louis  pour  aug- 
menter les  forces  de  terre  et  de  mer;  le  gouvernement  traita  avec 
le  roi  de  Prusse,  donna  des  subsides  au  roi  de  Pologne  et  à  l'électeur 
de  Bavière  pour  s'en  faire  des  alliés  et  contrebalancer  la  supé- 
riorité des  Français  sur  le  continent  européen,  où  il  avait  des 
craintes  pour  la  sûreté  du  Hanovre.  L'enrôlement  des  matelots 
fut  poussé  avec  une  vigueur  extrême,  et  tel  était  l'enthousiasme 
que  presque  toutes  les  villes  un  peu  importantes  se  cotisèrent 
pour  augmenter  la  prime  que  l'on  donnait  aux  soldats  et  aux 
marins  qui  venaient  offrir  leurs  services  volontairement  ;  et  qu'au 
lieu  d'un  million  que  le  gouvernement  voulait  lever  au  moyen 
d'une  loterie,  trois  millions  800  mille  louis  furent  souscrits  sur-le- 
champ  (Smollett). 

La  môme  ardeur  se  faisait  remarquer  dans  les  colonies.  La 
population  des  belles  provinces  de  l'Amérique  du  Nord  s'élevait 


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214* 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


en  1755,  suivant  les  calculs  de  Franklin,  à  un  million  200  mille 
âmes,  tandis  que  le  Canada,  le  Cap-Breton  et  la  Louisiane  en 
comptaient  à  peine,  réunis,  75  à  80  mille.  La  disproportion 
était  aussi  grande  dans  le  mouvement  de  leurs  affaires  mercantiles 
et  conséquemment  dans  leurs  richesses.  Leurs  exportations 
s'élevaient  en  1753  à  JE1,486,000  sterling,  et  leurs  importations  à 
£983,000,»  tandis  que  celles  du  Canada  étaient  de  je68,000  seu- 
lement ou  1,700,000  francs,  et  les  importations  de  £208,000, 
dont  une  forte  partie  étant  pour  le  compte  du  gouvernement,  ne 
passait  point  par  les  mains  des  marchands  du  pays.  Il  n'est  donc 
pas  étonnant  qu'elles  poussassent  leur  métropole  avec  tant  d'ar- 
deur à  la  guerre.  Franklin,  aussi  habile  politique  que  savant 
physicien,  était  le  principal  organe  de  leurs  griefs.  Celui  que 
Paris,  vingt-cinq  ans  après,  vit  appliqué  à  soulever  l'opinion  de 
la  France  et  de  toute  l'Europe  contre  l'Angleterre,  celui  que  le 
Canada  vit  venir  pour  révolutionner  ses  habitans  en  1776,  fut,  en 
1754,  le  promoteur  de  l'entreprise  contre  les  possessions  fran- 
çaises dans  le  nord  du  Nouveau- Monde.  Point  de  repos,  disait- 
il,  poitit  de  repos  à  espérer  pour  nos  treize  colonies,  tant  que  les 
Français  serant  maîtres  du  Canada  !     (Barbé-Marbois.) 

Les  forces  armées  des  deux  nations  belligérantes  durent  pré- 
senter en  Amérique,  et  elles  présentèrent  en  effet  sur  le  champ 
de  bataille  une  différence  non  moins  considérable  durant  tout  le 
cours  de  la  guerre.  Mais,  par  une  sage  prévoyance,  la  France, 
donnant  encore  des  signes  de  son  ancienne  supériorité  dans  la 
conduite  des  affaires  militaires,  avait  porté  loin  du  centre  du 
Canada  sa  ligne  défensive,  de  manière  à  obliger  l'ennemi  à  divi- 
ser ses  forces.  L'isthme  étroit  de  l'Acadie,  la  vallée  inconnue  et 
sauvage  de  l'Ohio,  la  gorge  montagneuse  du  lac  St.-Sacrement 
(George),  tels  furent  les  théâtres  épars  choisis  pour  les  opérations 
de  ses  soldats,  les  champs  de  bataille  séparés  par  de  grandes  dis- 
tances où  elle  retint  les  nombreuses  armées  de  l'ennemi  pendant 
cinq  ans  sans  pouvoir  être  forcée,  et  où  elle  leur  fit  essuyer  les 
plus  sanglantes  défaites  dont  l'Amérique  eût  encore  été  témoin. 
C'est  donc  à  tort  que  des  historiens  ont  blâmé  le  système  défensif 
adopté  dans  la  guerre  de  Sept  ans. 

Les  forces  régulières  du  Canada,  qui  ne  s'élevaient  pas  à  1000 

*  Encyclopédie  Méthodique. — American  Annals,  . 


HISTOIUE   DU   CANADA. 


215 


hommes,  furent  portées  en  1755  à  2,800  soldats  à  peu  près  par 
l'arrivée  des  quatre  bataillons  d'infanterie  sous  les  ordres  du  géné- 
ral Dieskau,  qui  avaient  été  demandés  dans  l'automne.  Les 
milices  avaient  été  armées,  et  l'on  continua  d'en  acheminer  de 
gros  détachemens  dans  les  postes  de  frontières,  de  sorte  que  l'on 
eût  bientôt  tant  en  campagne  et  les  garnisons  intérieures  que  dans 
les  forts  St.-Frédéric,  Frontenac,  Niagara,  ceux  de  l'Ohio  et  de 
l'isthme  acadien,  une  armée  de  7,000  hommes,  sans  compter  plus 
de  800  employés  aux  transports.  Cette  force  était  encore 
bien  insuffisante  pour  faire  face  à  celle  de  l'ennemi,  qui  avait  déjà 
15,000  soldats  sur  pied,  dont  3,000  pour  l'expédition  de  Beausé- 
jour,  2,200  pour  celle  du  fort  Duquesne,  1,500  pour  l'attaque  de 
Niagara,  et  5  à  6,000  pour  le  siège  du  fort  St.-Frédéric,  quatre 
entreprises  qu'il  voulait  exécuter  simultanément. 

Si  le  travail  secret  qui  se  faisait  dans  la  société  en  France  para- 
lysait l'énergie  de  la  nation  et  du  gouvernement,  en  Canada  les 
habitans,  livrés  a  l'agriculture  et  à  la  traite  des  pelleteries,  ne  por- 
taient point  leur  esprit  au-delà  de  ces  sphères  plus  humbles,  mais 
aussi  plus  propres  à  former  de  vigoureux  soldats.  Privés  par  la 
nature  de  leur  gouvernement  de  toute  part  à  l'administration 
publique,  ils  ne  songeaient  qu'à  l'exploitation  de  leurs  terres  ou  à 
la  chasse  de  ces  animaux  sauvages  qui  erraient  dans  leurs  forêts, 
et  dont  les  riches  fourrures  formaient  la  branche  la  plus  considé- 
rable de  leur  commerce.  Peu  nombreux,  ils  ne  pouvaient  espé- 
rer du  reste  que  leurs  conseils  ou  leur  influence  fussent  d'un 
grand  poids  sur  la  conduite  de  la  métropole.  Ils  lui  représen- 
tèrent le  danger  de  la  lutte  qui  allait  s'engager  et  prirent  les  armes 
avec  la  ferme  résolution  de  combattre  comme  si  la  France  eut 
fait  les  plus  grands  sacrifices  pour  les  soustraire  au  sort  qui  les 
menaçait.  Ils  ne  chancellèrent  jamais,  ils  montrèrent  jus- 
qu'à la  fin  une  constance  et  un  dévoûment  que  les  historiens 
français  n'ont  pas  toujours  su  apprécier,  mais  que  la  vérité  histo- 
rique, appuyée  sur  des  pièces  otficielles  irrécusables,  ne  permet 
plus  aujourd'hui  de  mettre  en  doute. 

La  saison  des  opérations  étant  arrivée,  des  deux  côtés  l'on 
se  mit  en  campagne.  M.  de  Vaudreuil,  ignorant  les  projets 
de  l'ennemi  achemina,  suivant  les  ordres  de  la  cour,  des  troupes 
sur  Frontenac  pour  attaquer  Oswégo,  poste  auquel  on  attachait 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


toujours,  avec  raison,  une  grande  importance.  Le  général  Dies- 
kau,  dont  le  maréchal  de  Saxe  avait  la  plus  haute  opinion,  devait 
conduire  cette  entreprise  avec  4,000  homn^  s  et  12  bouches  à  feu. 
Le  succès  lui  paraissait  assuré.    2,000  hoi  talent  déjà  partis 

de  Montréal  et  commençaient  à  arriver  u  .tenac  lorsque  la 
nouvelle  de  l'apparition  de  l'armée  du  colonci  Johnson  sur  le  lac 
St.-Sacrement,  en  fit  rappeler  une  partie.  Le  corps  ennemi  qui 
s'avançait  était  celui  qui  devait  agir  contre  St.-Frédéric.  Le  1er 
septembre,  le  général  Dieskau,  que  ce  contre-ordre  avait  singu- 
lièrement contrarié,  et  contre  l'opinion  duquel  il  avait  été  donné, 
se  trouva  à  la  tête  du  lac  Champlain  avec  1,500  Canadiens,  700 
soldats  et  800  Hurons,  Abénaquis  et  Népissings,  en  tout  3,000 
hommes.  C'était  assez  pour  arrêter  Johnson.  L'acheminement 
des  forces  fut  continué  sur  le  lac  Ontario.  Un  bataillon  monta 
jusqu'à  Niagara  avec  instruction  de  relever  les  ruines  de  ce  fort, 
composé  d'une  maison  palissadée  entourée  d'un  fossé,  et  de  s'y 
maintenir.  Un  autre  bataillon  se  campa  au  couchant  des  murs 
de  Frontenac.  A  la  fin  de  l'été  ces  trois  positions  importantes, 
St.-Frédéric,  Niagara  et  Frontenac,  paraissaient  suffisamment 
protégées. 

Dans  la  vallée  de  l'Ohio,  le  fort  Duquesne,  ouvrage  plein  de 
défauts  dans  sa  construction,  mais  commandé  par  M.  de  Contre- 
cœur, officier  expérimenté  et  fort  brave,  n'avait  qu'une  garnison 
de  200  hommes;  il  pouvait  cependant  attirer  à  lui  un  certain 
nombre  de  voyageurs  canadiens  et  quelques  sauvages.  Les 
autres  postes  répandus  dans  ces  régions  lointaines,  n'avaient  j)as 
proportionnellement  de  garnisons  plus  nombreuses.  Les  forêts  et 
la  distance  formaient  leur  plus  grande  protection. 

Du  côté  del'Acadie,  les  forts  Beauséjour  et  Gaspareaux  avaient 
pour  commandans,  le  premier,  M.  de  Vergor,  protégé  de  l'inten- 
dant Bigot,  et  le  second,  M.  de  Villeray.  Ces  officiers  avaient 
à  peine  150  soldats  à  leur  disposition  ;  en  cas  d'attaque,  ils 
devaient  compter  sur  l'aide  des  Acadiens  fixés  autour  d'eux  ou 
qui  erraient  dans  leur  voisinage,  comme  si  ces  pauvres  gens,  que  les 
Anglais  regardaient  comme  leurs  sujets,  étaient  bien  libres  d'agir. 

Des  qualres  expéditions  projetées  par  l'Angleterre  contre  le 
Canada,  la  première  en  mouvement  fut  celle  qui  était  chargée  de 
s'emparer  de  ces  derniers  postes.    Les  troupes  qui  la  composaient, 


HISTOIRB   DU   CANADA. 


217 


levées  dans  le  Massachusetts,  pouvaient  former  2,000  hommes 
commandés  par  le  colonel  Winslow,  personnage  influent  du  pays. 
Partie  de  Boston  le  20  mai,  elle  arriva  dans  quarante-et-un  navires 
le  1er  juin  à  Chignectou,  où  elle  débarqua  et  fut  renforcée  par 
300  réguliers.  Elle  marcha  aussitôt  avec  un  train  d'artillerie 
sur  Beauséjour.  Arrêtée  un  instant  sur  les  bords  de  la  rivière 
Messaguash  par  les  Français,  qui  y  avaient  élevé  un  blockhaus 
garni  de  canons,  et  qui,  après  une  heure  de  combat,  y  mirent  le 
feu  et  se  retirèrent,  elle  parvint  jusqu'à  Beauséjour,  repoussant 
devant  elle  un  petit  corps  d'Acadiens  que  M.  de  Vergor  nvait 
envoyé  défendre  une  hauteur  à  quelque  distance. 

Le  fort  de  Beauséjour  avait  alors  une  garnison  de  100  soldats 
et  d'environ  300  Acadiens.     Rien  n'y  était  à  l'épreuve  de  la 
bombe,  ni  la  poudrière,  ni  les  casemates.     Les  assiégeans  ayant 
ouvert  la  tranchée  le  12  juin,  le  16  la  place  se  rendit  par  capi- 
tulation, après  une  assez  molle  résistance,  la  seule  que  l'on 
pouvait  attendre  de  l'état  des  fortifications,  du  chef  inexpérimenté 
et  indolent  qui  commandait  la  défense,  et  de  la  crainte  des  habi- 
tans  d'être  passés  par  les  armes  s'ils  étaient  pris  en  combattant 
contre  l'Angleterre.    Il  fut  stipulé  que  les  troupes  sortiraient  avec 
les  honneurs  de  la  guerre  pour  être  transportées  à  Louisbourg,  et 
que  les  Acadiens  qui  avaient  combattu  avec  elles,  ne  seraient 
point  inquiétés.     Le  fort  Gaspareaux,  défendu  par  une  vingtaine 
de  soldats  et  quelques  hp.bitans,  se  rendit  aux  mêmes  conditions. 
Le  fort  Beauséjour  prit  I3  nom  de  fort  Cumberland,  et  le  major 
Scott  y  fut  laissé  pour  commandant.     Cet  officier  fit  désarmer  la 
population,  mais  ne  put  la  persuader  de  prêter  serment  de  fidélité 
à  George  II  ;  refus  qui  l'obligea  de  faire  prisonniers  tous  les  habi- 
tans  qu'il  put  attraper,  conformément  aux  ordres  du  général 
Hopson,  qui  avait  remplacé  M.  Cornwallis  en  qualité  de  gouver- 
neur de  l'Acadie. 

Après  cette  conquête,  les  vainqueurs  envoyèrent  trois  bâtimens 
de  guerre  dans  la  rivière  St.-Jean  pour  s'emparer  du  petit  fort 
que  les  Français  venaient  d'y  faire  élever  et  que  commandait  M. 
de  Boishébert.  Ce  dernier,  n'ayant  pas  assez  de  monde  pour  le 
défendre,  y  mit  le  feu  avant  l'arrivée  des  assaillans  et  se  retira. 
Mais,  ayant  été  informé  de  ce  qui  se  passait  à  Beauséjour,  au 
lieu  de  retraiter  sur  Québec,  il  s'avança  au  secours  des  Acadiens 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


du  fond  de  lîi  baie  de  Fondy,  qu'il  arma  et  avec  lesquels  il  battit 
ensuite  les  Anglais  en  différentes  rencontres.  Ces  avantages  ne 
purent  empêcher  cependant  qu'à  la  fin  ces  derniers  ne  brûlassent 
tous  les  établissemens,  et  ne  contraignissent  les  habitans  à  se  réfu- 
gier dans  les  bois,  et  plus  tard  àémigrcr  au  Cap-Breton,  à  l'île  St.- 
Jean,  à  Miramichi,  à  la  baie  des  Chaleurs,  à  Québec,  partout 
enfin  où  ils  pouvaient,  et  où  ils  portaient  le  spectacle  d'un  dévoû- 
ment  sans  bornes  et  d'une  misère  profonde. 

Tel  fut  le  succès  des  ennemis  dans  la  première  partie  de  leur 
plan  de  campagne.  Quoiqu'il  fût,  sous  le  rapport  militaire,  plus 
nominal  que  réel,  puisqu'ils  ne  purent  pas  avancer  plus  loin  du 
côté  de  l'Acadie,  où  des  bandes  armées  les  continrent,  la  nou- 
velle cependant  en  causa  un  vif  mécontentement  à  Paris,  surtout 
lorsqu'on  y  apprit  les  terribles  conséquences  qu'il  avait  eues  pour 
les  infortunés  Acadicns  si  dignes  d'un  meilleur  sort.  Le  roi 
écrivit  de  sa  propre  main  à  M.  de  Vaudreuil,de  faire  juger  rigou- 
reusement, par  un  i^onseil  de  guerre  qu'il  présiderait  en  personne, 
Vergor  et  de  Villeray,  ainsi  que  les  garnisons  qui  servaient  sous 
leurs  ordres.  Le  procès  eut  lieu  l'année  suivante  au  château 
St.-Louis,  mais  tous  les  accusés  furent  acquittés  à  l'unanimité.* 
L'évacuation  de  l'Acadie  laissa  à  la  merci  des  Anglais  les  habi- 
tans de  cette  province,  qui  portaient  le  nom  de  Neutres,  et  qui 
n'avaient  pu  se  résoudre  ni  à  abandonner  leur  terre  natale,  ni  à 
oublier  la  France.  Ce  qui  nous  reste  à  raconter  de  ce  peuple 
dont  le  temps  ne  diminue  pas  l'intérêt  qu'on  prend  à  ses  mal- 
heurs, semble  nous  reporter  aux  époques  barbares  de  l'histoire, 
alors  que  les  lois  de  la  justice  et  de  l'humanité  étaient  encore  à 
naître  avec  les  lumières  de  la  civilisation. 

Sur  15  à  18  mille  Acadiens  qu'il  y  avait  dans  la  péninsule  au 
commencement  de  leur  émigration,  il  n'en  restait  plus  qu'environ 

*  La  lettre  du  roi  est  du  20  février  1756.  Les  pièces  du  procès  son  dépo- 
sées à  la  bibliothèque  de  la  Société  littéraire  et  historique  de  Québec. 
"  On  eut,  dit  Montcalm,  principalement  égard  pour  le  fort  de  Beauséjour  à 
ce  que  les  Acadiens  avaient  forcé  le  commandant  à  capituler  pour  sauver 
leur  vie  ;  ils  avaient  prêté  autrefois  serment  de  fidélité  aux  Anglais  qui  les 
menaçaient  de  les  faire  pendre.  Quant  au  fort  de  Gaspareaux,  une  grande 
enceinte  avec  des  pieux  debout  où  il  n'y  avait  qu'un  officier  et  19  soldats, 
ne  pouvait  être  considérée  comme  un  fort  propre  à  soutenir  un  siège," — 
Lettre  au  ministre,  1757. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


219 


7,000  (les  plus  riches,  dont  les  mœurs  douces  ont  fourni  à  Raynal 
un  tableau  si  touchant. 

"  Peuple  simple  et  bon,  dit-il,  qui  n'aimait  pas  le  sang,  l'agri- 
culture était  son  occupation.  On  Tavait  établi  dans  des  terres 
basses,  et  repoussant  à  force  de  digues  la  mer  et  les  rivières  dont 
ces  plaines  étaient  couvertes.  Ces  marais  desséchés  donnaient 
du  froment,  du  seigle,  de  l'orge,  de  l'avoine  et  du  maïs.  On  y 
voyait  encore  une  grande  abondance  de  pommes  de  terre  dont 
l'usage  était  devenu  commun. 

"  D'immenses  prairies  étaient  couvertes  de  troupeaux  nom- 
breux ;  on  y  compta  jusqu'à  soixante  mille  bêtes  à  cornes.  La 
plupart  des  familles  avaient  plusieurs  chevaux,  quoique  le  labou- 
rage se  fît  avec  des  bœufs.  Les  habitations,  presque  toutes 
construites  de  bois,  étaient  fort  commodes  et  meublées  avec  la 
propreté  qu'on  trouve  quelquefois  chez  nos  laboureurs  d'Europe 
les  plus  aisés.  On  y  élevait  une  grande  quantité  de  volailles  do 
toutes  les  espèces.  Elles  servaient  à  varier  la  nourriture  des 
colons,  qui  était  généralement  saine  et  abondante.  Le  cidre  et 
la  bière  formaient  leur  boisson.  Ils  y  ajoutaient  quelquefois  de 
l'eau-de-vie  de  sucre. 

"  C'était  leur  lin,  leur  chanvre,  la  toison  de  leurs  brebis,  qui 
servaient  à  leur  habillement  ordinaire.  Ils  en  fabriquaient  des 
toiles  communes,  des  draps  grossiers.  Si  quelqu'un  d'entre  eux 
avait  un  peu  de  penchant  pour  le  luxe,  il  le  tirait  d'Annapolis  ou 
de  Louisbourg.  Ces  deux  villes  recevaient  en  retour  du  blé,  des 
bestiaux,  des  pe''eleries. 

"  Les  Français  neutres  n'avaient  pas  autre  chose  à  donner  à 
leurs  voisins.  Les  échanges  qu'ils  faisaient  entre  eux  étaient 
encore  moins  considérables,  parce  que  chaque  famille  avait  l'ha- 
bitude et  la  facilité  de  pourvoir  seule  à  tous  ses  besoins.  Aussi 
ne  connaissaient-ils  pas  l'usage  du  papier-monnaie,  si  répandu 
dans  l'Amérique  septentrionale.  Le  peu  d'argent  qui  s'était 
comme  glissé  dans  cette  colonie  n'y  donnait  point  l'activité  qui 
en  fait  le  véritable  prix. 

"  Leurs  mœurs  étaient  extrêmement  simples.  Il  n'y  eut  jamais 
de  cause  civile  ou  criminelle  assez  importante  pour  être  portée  à 
la  cour  de  justice  établie  à  Annapolis.  Les  petits  différends  qui 
pouvaient  s'élever  de  loin  en  loin  entre  les  colons  étaient  toujours 


si 


220 


HISTOIUE   DU    CANADA. 


terminés  à  l'amiable  par  les  anciens.     C'étaient  les  pasteurs  reli- 
gieux qui  dressaient  tous  les  actes,  qui  recevaient  tous  les  testa- 
mens.    Pour  ces  fonctions  profanes,  pour  celles  de  l'Eglise,  on  leur 
donnait  volontaireniont   la   vingt-septième    partie  des  récoltes. 
Elles  étaient  assez  abondantes  pour  laisser  plus  de  facu'té  que 
d'exercice  à  la  générosité.     On  ne  connaissait  pas  la  misère,  et  la 
bienfaisance  prévenait  la  mendicité.     Les  malheurs  étaient  pour 
ainsi  dire  réparés  avant  d'être  sentis.     Les  secours  étaient  offerts 
sans  ostentation  d'une  part  ;  ils  étaient  acceptés  sans  humiliation 
de  l'autre.     C'était  une  société  de  frères,  également  prêts  à  don- 
ner ou  à  recevoir  ce  qu'ils  croyaient  commun  à  tous  les  hommes. 
"  Cette  précieuse  harmonie  écartait  jusqu'à  ces  liaisons  de 
galanterie  qui  troublent  si  souvent  la  paix  des  familles.     On  ne 
vit  jamais  dans  cette  société  de  commerce  illicite  entre  les  deux 
sexes.     C'est  que  personne  n'y  languist^ait  dans  le  célibat.    Dès 
qu'un  jeune  homme  avait  atteint  V\  go  convenable  au  mariage,  on 
lui  bâtissait  une  maison,  on  défrichait,  on  ensemençait" des  terres 
autour  de  sa  demeure  ;  on  y  mettait  les  vivres  dont  il  avait  besoin 
pour  une  année.     Il  y  recevait  la  compagne  qu'il  avait  choisie, 
et  qui  lui  apportait  en  dot  des  troupeaux.     Cette  nouvelle  famille 
croissait  et  prospérait  à  l'exemple  des  autres.     Qui  est-ce  qui  ne 
sera  pas  touché  de  l'innocence  des  mœurs  et  de  la  tranquillité  de 
cette   heureuse  peuplade  ?   continue   l'éloquent    écrivait.     Qui 
est-ce  qui  ne  fera  pas  des  vœux  pour  la  durée  de  son  bonheur  1" 
Vains  souhaits  !     Hélas  !     La  guerre  de  1744  commença  ses 
infortunes  ;  celle  de  Sept  ans  consomma  sa  ruine  totale.    De- 
puis quelque  temps  les  agens  anglais  agissaient  avec  la  plus  grande 
rigueur  ;  les  tribunaux,  par  des  violations  flagrantes  de  la  loi,  par 
des  dénis  systématiques   de  justice,  étaient  devenus  pour  les 
pauvres  habitans  un  objet  à  la  fois  de  terreur  et  de  haine.     Le 
moindre  employé  voulait  que  sa  volonté  fût  obéie.    *'  Si  vous  ne 
fournissez  pas  de  bois  à  mes  troupes,  disait  un  capitaine  Murray, 
je  démolirai  vos  maisons  pour  en  faire  du  feu."     "  Si  vous  ne 
voulez  pas  prêter  le  serment  de  fidélité,  ajoutait  le  gouverneur 
Hopson,  je  vais  faire  pointer  mes  canons  sur  vos  villages."    Rien 
ne  pouvait  engager  ces  hommes  honorables  à  faire  un  acte  qui 
répugnait  à  leur  conscience,  et  que,  dans  l'opinion  de  bien  des 
gens,  l'Angleterre  n'avait  pas  même  le  droit  d'exiger.    "  Les 


l! 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


m 


Acadiens,  observe  M.  Haliburton,  n'étaient  pas  des  sujets  britan- 
niques, puisqu'ils  n'avaient  point  prôt6  le  serment  de  fidélité,  et 
ils  ne  pouvaient  être  conséquemment  regardés  comme  des 
rebelles  j  ils  ne  devaient  pas  être  non  plus  considérés  comme 
pribonniers  de  guerre,  ni  envoyés  en  France,  puisque  depuis  près 
d'un  demi-siècle  on  leur  laissait  leurs  possessions  à  la  simple  con- 
dition de  demeurer  neutres."  Mais  beaucoup  d'intrigans  et 
d'aventuriers  voyaient  leurs  belles  fermes  avec  envie  ;  quels 
beaux  héritages  !  et  par  conséquent  quel  appât  !  L'avarice,  sur- 
tout l'avarice  coupable  s'enflamme  vite.  Il  ne  lui  fut  pas  diffi- 
cile de  trouver  des  raisons  politiques  pour  justifier  l'expulsion  des 
Acadiens.  La  très  grande  majorité  n'avait  fait  aucun  acte  pour 
porter  atteinte  à  la  neutralité  ;  mais  dans  la  grande  catastrophe 
qui  se  préparait,  l'innocent  devait  être  enveloppé  avec  le  cou- 
pable. Pas  un  habitant  n'avait  mérité  grâce.  Leur  sort  fut 
décidé  dans  le  conseil  du  gouverneur  Lawrence,  auquel  assis- 
tèrent les  amiraux  Boscawen  et  Mostyn,  dont  les  flottes  croisaient 
sur  les  côtes.  Il  fut  résolu  de  disperser  dans  les  colonies  anglaises 
ce  qui  restait  de  ce  peuple  infortuné  j  et  ^fin  que  personne  ne 
put  échapper,  le  secret  le  plus  profond  fut  ordonné  jusqu'au 
moment  fixé  pour  l'enlèvement  qui  devait  avoir  lieu  le  même  jour 
et  à  la  même  heure  sur  tous  les  points  de  l'Acadie  à  la  fois.  On 
décida  aussi,  pour  rendre  le  succès  plus  complet,  de  réunir  les 
habitans  dans  les  principales  localités.  Des  proclamations  dres- 
sées avec  une  perfide  habileté,  les  invitèrent  à  s'assembler  dans 
certains  endroits  sous  les  peines  les  plus  rigoureuses.  Quatre 
cent  dix-huit  chefs  de  famille,  se  fiant  sur  la  foi  britannique,  se 
réunirent  ainsi  le  5  septembre  dans  l'église  du  Grand-Pré.  Le 
colonel  Winslow  s'y  rendit  avec  un  grand  appareil.  Là  il  leur 
montra  la  commission  qu'il  tenait  du  gouverneur^  et  leur  dit  qu'ils 
avaient  été  assemblés  pour  entendre  la  décision  Unale  du  roi  à 
leur  égai'd.  Il  leur  déclara  que,  quoique  ce  fût  pour  lui  un  devoir 
bien  pénible  à  remplir,  il  devait,  en  obéissance  à  ses  ordres, 
les  informer  "  que  leurs  terres  et  leurs  bestiaux  de  toutes  sortes 
étaient  confisqués  au  profit  de  la  couronne  avec  tous  leurs  autres 
effets,  excepté  leur  argent  et  leur  linge,  et  qu'ils  allaient  être  eux- 
mêmes  déportés  hors  de  la  province."  Aucun  motif  ne  fut 
donné  de  cette  décision,  et  il  n'en  pouvait  être  donné  aucun.     En 


"ri 


mm 


222 


HiSTOmS  DU   CANADA. 


Dleinc  civilisation  et  en  temps  de  calme  politique  et  religieux  une 
pareille  spoliation  n'était  point  qualifiable  et  devait,  comme  l'usu- 
rior,  dissimuler  son  forfait  par  le  silence.  Un  corps  do  troupes,  qui 
s'était  tenu  caché  jusque-là,  sortit  de  sa  retraite  et  cerna  Téglise  : 
les  habitans  surpris  et  sans  armes  ne  firent  aucune  résistance. 
Les  soldats  rassemblèrent  les  femmes  et  les  cnfans  ;  1023 
hommes,  femmes  et  enfans  se  trouvèrent  réunis  au  Grand-Pré 
seulement.  Leurs  bestiaux  consistaient  en  1269  bœufs,  1557 
vaches,  5007  veaux,  493  chevaux,  3690  moutons,  4197  cochons. 
Quelques  Acadiens  s'étant  échappés  dans  les  bois,  on  dévasta  lo 
pays  pour  les  empêcher  de  subsister.  Dans  les  Mines  l'on  brûla 
276  granges,  155  autres  petits  bâtimens,  onze  moulins  et  une 
église.  Ceux  qui  avaient  rendu  les  plus  grands  services  au  gou- 
vernement, comme  le  vieux  notaire  Le  Blanc,  qui  mourut  à  Phi- 
ladelphie de  chagrin  et  de  misère  en  cherchant  ses  fils  dispersés 
dans  les  provinces  anglaises,  ne  furent  pas  mieux  traités  que  ceux 
qui  avaient  favorisé  l''  Français.  On  ne  fit  aucune  disliaction. 
Il  fut  permis  aux  hommes  de  l'une  comme  de  l'autre  catégorie, 
et  c'est  le  seul  adoucissement  qu'on  leur  permit  avant  de  s'em- 
barquer, de  visiter,  dix  par  dix,  leurs  familles,  et  de  contempler 
pour  la  dernière  fois  ces  champs  naguère  si  calmes  et  si  heureux 
qui  les  avaient  vus  naître  et  qu'ils  ne  devaient  plus  revoir.  Le 
10  fut  fixé  pour  l'embarquement.  Une  résignation  calme  avait 
succédé  à  leur  premier  désespoir.  Mais  lorsqu'il  fallut  dire  un 
dernier  adieu  '.  leur  pays  pour  aller  vivre  dispersés  au  milieu 
d'une  population  étrangère  de  langue,  de  coutumes,  de  mœurs  et 
de  religion,  le  courage  abandonna  ces  malheureux,  qui  se  livrèrent 
à  la  plue  profonde  douleur.  En  violation  de  la  promesse  qui  leur 
avait  été  faite,  et,  par  un  rafinement  de  barbarie  sans  exemple, 
les  mêmes  familles  furent  séparées  et  dispersées  sur  différons 
vaisseaux.  Pour  les  embarquer,  on  rangea  les  prisonniers  sur  six 
de  front,  les  jeunes  gens  en  tête.  Ceux-ci  ayant  refusé  de  mar- 
cher, réclamant  l'exécution  de  la  promesse  d'être  embarqués 
avec  leurs  parens,  on  leur  répondit  en  faisant  avancer  contre  eux 
les  soldats  la  bayonnette  croisée.  Le  chemin  de  la  chapelle  du 
Grand-Pré  à  la  rivière  Gaspareaux  avait  un  mille  de  longueur; 
il  était  bordé  des  deux  côtés  de  femmes  et  d'enfans  qui,  à  genoux 
et  fondant  en  larmes,  les  encourageaient  en  leur  adressant  leurs 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


223 


bénédictions.  Cette  lugubre  procession  défila  lentement  en  priant 
et  en  chantant  des  hymncH.  Les  chefs  do  famille  marchaient 
après  les  jeunes  gens.  Enfin  la  procession  atteignit  le  rivage. 
Les  hommes  furent  mis  sur  des  vaisseaux,  les  femmes  et  les 
enfans  sur  d'autres,  pôle-môle,  sans  qu'on  prît  le  moindre  soin 
pour  leur  commoiité.  Des  gouvornemens  ont  commis  des  actes 
de  cruauté  dans  un  mouvement  de  colère  irréfiéchie  ;  mais  ils 
avaient  été  provoqués,  irrités  par  des  aggressions  et  des  attaques 
répétées  ;  il  n'y  a  pas  d'exemple  dans  les  temps  modernes  de  châ- 
timent infligé  sur  un  peuple  paisible  et  inofiensif  avec  autant  de 
calcul,  de  barbarie  et  de  sang-froid,  que  celui  dont  il  est  ici 
question. 

Tous  les  autres  établissemens  des  Acadiena  présentèrent  le 
môme  jour  et  à  la  môme  heure  le  môme  spectacle  de  désolation. 

Les  vaisseaux  chargés  de  leurs  nombreuses  victimes  firent  voile 
pour  les  différentes  provinces  où  ils  devaient  les  disperser.  Ils 
les  semèrent  sur  le  rivage  depuis  Boston  jusqu'à  la  Caroline  sans 
pain,  sans  protection,  les  abandonnant  à  la  charité  du  pays  où  ils 
pouvaieiit  se  trouver.  Pendant  de  longs  jours  après  leur  départ 
on  vit  leurs  bestiaux  s'assembler  autour  des  ruines  de  leurs  habi- 
tations, et  les  chiens  passer  les  nuits  à  pleurer  par  de  longs  hur- 
lemens  l'absence  de  leurs  maîtres.  Heureux  encore  dans  le.ir 
douleur,  ils  ignoraient  jusqu'à  quel  excès  l'avarice  et  l'ambition 
peuvent  porter  les  hommes. 

La  plupart  des  colons  anglais,  il  faut  le  dire  à  leur  honneur, 
reçurent  les  Acadiens  avec  humanité,  comme  pour  protester 
contre  la  rigueur  inexorable  de  leur  gouvernement.  Bene/et,  issu 
d'une  famille  française  bannie  à  la  révocation  de  l'édit  de  Nantes, 
les  accueillit  comme  des  frères  à  Philadelphie. 

Quelques-uns  de  ces  exilés  se  réfugièrent  ensuite  à  la  Louisiane  ; 
d'autres  à  la  Guyane  française,  et  des  Français,  bannis  eux- 
mêmes  à  Sinnamari,  y  trouvèrent  en  1798,  ime  famille  acadienne 
qui  les  accueillit  par  ces  paroles  hospitalières  :  "  Venez,  dit 
madame  Trion  à  l'un  d'eux,  nos  parens  furent  bannis  comme 
vous,  ils  nous  ont  appris  à  soulager  le  malheur:  venez,  nous 
éprouvons  du  plaisir  à  vous  offrir  dans  nos  cabanes  un  asile  et  des 
consolations." 

Dans  la  suite  les  Acadiens  ont  fondé  un  canton  dans  la  Loui- 


224 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


siane,  auquel  ils  ont  donné  le  nom  toujours  cher  tic  leur  ancienne 
patrie.  Louis  XV  lui-même,  touché  de  leur  fidélité,  fit  proposer 
en  vain  par  ses  ministres  à  ceux  de  l'Angleterre  d'envoyer  des 
vaisseaux  pour  les  ramasser  et  les  ramener  en  France.  M.  Gren- 
ville  s'empressa  de  répondre  :  "  Notre  acte  de  navigation  s'y 
oppose,  la  France  ne  peut  envoyer  de  vaisseaux  dans  nos  colo- 
nies," comme  si  cette  loi  avait  été  faite  pour  étouffer  tout  senti- 
ment d'humanité.  Néanmoins  quelques-uns  purent  parvenir  en 
France,  et  y  forment  aujourd'hui  deux  communes  florissantes,  où 
ils  ont  conservé  leurs  mœurs  paisibles  et  agrestes  dans  les  beaux 
oasis  verts  qui  parsèment  les  landes  de  Bordeaux.  Telle  fut 
l'expatriation  des  Acadiens. 

L'Angleterre  ne  retira  aucun  profit  de  cet  acte  de  politique 
jalouse  et  ombrageuse,  qui  fit  connaître  à  tous  les  colons  ce 
qu'était  la  pitié  métropolitaine,  et  qui  fournit  un  motif  de  plus 
aux  Canadiens,  s'ils  en  avaient  besoin,  pour  défendre  leur  pays 
avec  toute  l'énergie  dont  ils  étaient  capables. 

Tandis  que  le  fer  et  la  flamme  changeaient  en  déserts  les 
champs  les  plus  fertiles  de  l'Acadie,  le  général  Braddock  faisait 
ses  préparatifs  pour  rejeter  les  Français  au-delà  de  la  vallée  de 
l'Ohio  et  exécuter  la  seconde  partie  du  plan  d'invasion.     Wills' 
Creek  était  le  lieu  qu'il  avait  donné  pour  rendez-vous  à  ses 
troupes,  dans  le  voisinage  des  Apalaches.     Il  se  mit  en  marche 
aux  acclamations  de  la  population.     Sa  petite  armée  formait, avec 
les  baggages,  une  colonne  de  quatre  milles  de  longueur  5  elle  ne 
pouvait  avancer  que  fort  lentement  au  milieu  des  rivières,  des 
montagnes  et  des  forêts.    Le  temps  s'écoulait  ;  il  commençait  à 
craindre  de  ne  pouvoir  surprendre  le  fort  Duquesne,  où  il  savait 
qu'il  y  avait  peu  dé  monde.     Inquiet  de  plus  en  plus  il  prit  le 
parti,  pour  accélérer  sa  marche,  de  diviser  ses  forces  en  deux 
corps.    Il  laissa  1000  hommes  sous  les  ordres  du  colonel  Dunbar 
avec  les  gros  bagages  pour  le  suivre  avec  toute  la  célérité  possible, 
et  lui-même  il  se  mit  à  la  tête  du  second  corps,  composé  de  1,200 
hommes  d'élite  équippés  à  la  légère,  pour  prendre  les  devans  afin 
d'atteindre  le  point  désiré  avant  que  l'alarme  y  fut  répandue.    Le 
9  juillet  il  traversait  la  rivière  Monongahéla  à  trois  lieues  envi- 
ron du  fort  Duquesne,  et  longeait  avec  rapidité  sa  rive  méridio- 
nale se  comptant  déjà  maître  du  poste  français.    Washington, 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


225 


qui  servait  alors  avec  le  gracie  de  colonel  dans  son  état-major, 
aimait  à  raconter  qu'il  n'avait  jamais  vu  de  plus  beau  spectacle 
que  la  marche  des  troupes  dans  cette  mémorable  journée.  Tous 
les  soldats,  disait-il,  d'une  belle  tenue,  s'avançaient  en  colonnes, 
leurs  armes  d'acier  poli  étincelant  aux  rayons  du  soleil.  La 
rivière  coulait  tranquillement  à  leur  droite,  tandis  qu'à  leur  gauche 
d'immenses  forêts  les  ombrageaient  de  leur  solennelle  graadeur. 
Officiers  et  soldats,  personne  ne  doutait  du  succès;*  on  marchait 
comme  à  un  triomphe. 

A  midi  cette  troupe  si  fière  repassait  par  un  second  gué,  à  dix 
milles  du  fort  Duquesne,  sur  la  rive  opposée  de  la  Monongahéla, 
dans  une  plaine  unie,  élevée  de  quelques  pieds  seulement  au- 
dessus  de  l'eau  et  d'un  demi  mille  de  largeur.  A  l'extrémité  de 
cette  plaine  le  terrain  montait  légèrement  quelque  temps,  puis  se 
terminait  tout-à-coup  par  des  montagnes  très  hautes.  La  route 
du  gué  au  fort  français  traversait  la  plaine  et  cette  hauteur, 
puis  se  prolongeait  au  milieu  d'un  pays  inégal  et  couvert  de 
bois.  Le  colonel  Gage  formait  l'avanl-garde  avec  300  hommes 
de  troupes  de  ligne  ;  un  autre  détachement  de  200  hommes  sui- 
vait ;  le  général  venait  ensuite  avec  le  corps  principal  et  l'ar- 
tillerie. 

M.  de  Contrecœur  commandait,  comme  on  l'a  déjà  dit,  au  fort 
Dmjiiesne.  Un  des  partis  qu'il  tenait  en  campagne  pour  épier 
les  mouvemens  de  l'ennemi,  l'informa,  le  8,  que  les  Anglais  n'en 
étaient  plus  qu'à  six  lieues.  Il  se  décida  sur  le  champ  à  les 
attaquer  en  chemin,  et  alla  lui-môme  marquer  la  place  où  les 
troupes  devaient  s'embusquer.f  Le  lendemain  253  Canadiens, 
dont  13  officiers,  et  600  sauvages  sortaient  du  fort  Duquesne,  à 
8  heures  du  matin,  sous  les  ordres  de  M.  de  Beaujeu,  pour  aller 
attendre  au  lieu  indiqué  le  général  Braddock  et  tomber  sur  lui  à 
l'improviste.  Cette  troupe  descendait  le  terrain  légèrement 
incliné  qui  bordait  la  plaine  dont  l'on  a  parlé  tout-à-l'heure  dans 
le  môme  temps  que  le  colonel  Gage  commençait  à  le  monter. 
La  tôte  des  deux  colonnes  vint  subitement  en  contact  avant  que 
les  Français  pussent  atteindre  le  lieu  marqué  pour  l'embuscade. 

*  Vie,  correspondance  et  écrits  de  Washington. 
t  Documens  de  Paris. 


■\  I. 


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226 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


Ceux-ci  cependant  moins  troublés  par  cette  rencontre  imprévue 
que  les  Anglais,  ouvrirent  immédiatement  un  feu  très  vif  sur  eux 
qui  fit  replier  leur  avant-garde.  Ce  mouvement  rétrograde 
donna  le  temps  à  Beaujeu  de  range»"  âon  détachement  en  bataille, 
en  profitant  des  hautes  herbes  dont  la  terre  était  couverte  ;  il 
plaça  les  Canadiens  à  cheval  sur  le  chemin  en  front  de  la  colonne 
anglaise,  et  poussa  les  sauvages  en  avant  de  chaque  côté  de 
manière  à  former  un  demi-cercle.  Les  Anglais  revenus  de  leur 
première  surprise,  se  remirent  en  marche  en  se  dirigeant  vers  le 
centre  de  cette  ligne  concentrique  ;  mais  lorsqu'ils  arrivèrent 
près  des  Canadiens  ils  furent  assaillis  par  une  nouvelle  décharge 
de  mousqueterie  qui  les  arrêta  tout  court,  et  qui  fut  suivie  d'une 
autre  sur  le  flanc  droit  qui  les  jeta  en  confusion.  Après  quelques 
instans  néanmoins,  l'ordre  se  rétablit  un  peu  dans  leurs  rangs,  et  ils 
se  mirent  eux-mêmes  à  tirer  ;  leur  artillerie,  poussée  en  avant, 
ouvrit  aussi  son  feu;  ce  fut  dans  une  des  premières  décharges  de 
cette  arme  que  Beaujeu  fut  tué.  Dumas,  son  second,  prit  aussitôt 
le  commandement,  et  aidé  de  Ligneris  et  des  autres  ofliciers,  il 
tomba  avec  une  extrême  vigueur  sur  les  ennemis  dont  le  feu  de 
mousqueterie,  surtout  d'artillerie,avait  d'abord  ébranlé  les  sauvages 
peu  accoutumés  à  entendre  des  détonations  si  considérables.  Le 
combat  devint  alors  d'une  violence  extrême.  Les  sauvages  voyant 
les  Canadiens  tenir  ferme  en  front,  avaient  repris  avec  de  grands 
cris  leur  place  au  pied  des  arbres  qu'ils  avaient  abandonnés.  Les 
Anglais  firent  pendant  longtemps  bonne  contenance  et  môme  un 
mouvement  en  avant,  animés  par  leurs  officiers  qui  les  dirigeaient 
l'épée  à  la  main.  Mais  écrasés  sous  le  feu  le  plus  vif  qui  se 
resserait  de  plus  en  plus  autour  d'eux  favorisé  par  les  accidens 
du  terrain,  ils  finirent  par  tomber  dans  une  confusion  complète. 
Tous  les  corps  se  trouvèrent  serrés  les  uns  contre  les  autres  et 
confondus.  Les  soldats,  tirant  au  hasard  sans  se  reconnaître, 
tuaient  leurs  propres  officiers  et  leurs  camarades.  Dans  cette 
mêlée  les  milices  furent  les  seules  troupes  qui  montrèrent  quelque 
temps  du  calme  et  firent  preuve  d'autant  de  fermeté  que  de  bra- 
voure. Mais  elles  furent  obligées  à  la  fin  de  céder  au  torrent. 
Les  Français  n'eurent  plus  alors  qu'à  choisir  leurs  victimes  et  à 
tirer  de  sang-froid  sur  des  masses  confuses  tourbillonnant  sous  les 
balles,  et  que  le  général  Braddock  s'efiorçait  en  vain  de  former  en 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


227 


pelotons  et  en  colonnes,  comme  s'il  eût  été  dans  les  plaines  de  la 
Flandre.  Après  trois  heures  de  combat  la  tôte  de  la  colonne 
anglaise  abandonna  ses  canons  et  se  replia  en  désordre.  Prenant 
ce  mouvement  pour  une  fuite,  les  Canadiens  et  les  sauvages  abor- 
dèrent l'ennemi  la  hache  à  la  main,  et  l'enfoncèrent  de  toutes 
parts.  Alors  les  Anglais  lâchèrent  partout  le  pied  ;  on  les  pour- 
suivit à  travers  la  plaine  en  en  faisant  un  carnage  affreux  ;  ceux  qui 
ne  tombaient  pas  sous  le  fer  des  vainqueurs  allaient  se  noyer  dans 
la  Monongahéla  en  voulant  traverser  cette  rivière  à  la  nage.* 

Dumas  sachant  que  le  colonel  Dunbar  n'était  pas  loin,  et  ne 
pouvant  arracher  du  champ  de  bataille  les  Indiens  qui  se  livraient 
au  pillage,  fit  enfin  suspendre  la  poursuite. 

Le  carnage  avait  été  presque  sans  exemple  dans  les  annales  de 
la  guerre  moderne.f  Près  de  800  hommes  avaient  été  tués  ou 
blessés  sur  les  1200  qui  marchaient  à  la  suite  du  général  Brad- 
dock,  dont  63  officiers  sur  86.  Les  officiers  avaient  fait  des  efforts 
incroyables  pour  rallier  les  troupes  ;  plusieurs  s'étaient  fait  tncr 
de  désespoir.  A  l'exception  du  colonel  Washington,  tous  ceux 
qui  combattaient  à  cheval  avaient  été  tués  ou  blessés.  Le  général 
Braddock  lui-même,  après  avoir  eu  trois  chevaux  tués  sous  lui, 
avait  reçu  le  coup  mortel.  Le  malheureux  général  mourant,  fut 
mis  d'abord  dans  un  tombereau,  puis  à  cheval  et  enfin  porté  par 
les  soldats.  Il  expira  quatre  jours  après  la  bataille,  et  fut  enterré 
sur  le  bord  du  chemin  auprès  du  fort  de  la  Nécessité,  à  l'entrée 
du  désert.  C'était  un  officier  expérimenté,  plein  de  bravoure, 
mais  arrogant,  méprisant  son  ennemi,  les  milices  américaines  et 
les  Indiens.  Il  eut  la  mortification  de  voir,  avant  de  mourir,  ses 
réguliers  prendre  la  fuite  pendant  que  les  Virginiens  combattaient 
comme  de  vieux  soldats  avec  la  plus  grande  intrépidité. 

Les  troupes  en  déroute  rencontrèrent  le  colonel  Dunbar  à  4-0 
milles  de  la  Monongahéla  et  communiquèrent  leur  terreur  à  ses 
soldats.  Dans  un  instant  tout  se  débanda.  L'artillerie  fut  détruite  ; 
les  munitions  et  les  gros  bagages  furent  brûlés  sans  que  personne 
sut  par  l'ordre  de  qui,  et  tout  le  monde  se  mit  à  fuir,  ceux  qui 
avaient  combattu  comme  ceux  qui  n'avaient  pas  combattu.     La 

*  Mémoires  sur  la  dernière  guerre  de  l'AmériViue  septentrionale,  par  M. 
l'onchol. 
t  Sparks. 


228 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


discipline  et  le  calme  ne  se  rétablirent  un  peu  que  lorsque  les 
fuyards,  harassés,  éperdus,  arrivèrent  au  fort  Cumberland  dans 
les  Apalaches.  Le  colonel  Washington  écrivit  :  "  Nous  avons 
été  battus,  honteusement  battus  par  une  poignée  de  Français  qui 
ne  songeaient  qu'à  inquiéter  notre  marche.  Quelques  instans 
avant  l'action,  nous  croyions  nos  forces  presqu'égales  à  toutes 
celles  du  Canada  ;  et  cependant,  contre  toute  prol>abilité,  nous 
avons  été  complètement  défaits,  et  nous  avons  tout  perdu." 

Les  Français  firent  un  butin  considérable.  Tous  les  bagages 
des  vaincus,  leurs  vivres,  15  bouches  à  feu,  une  quantité  consi- 
dérable d'armes  et  de  munitions  de  guerre,  la  caisse  militaire  et 
tous  les  papiers  du  général  Broddock  qui  dévoilèrent  les  projets 
de  l'Angleterre,  et  que  le  duc  de  Choiseul  adressa  ensuite  dans 
un  mémoire  aux  diverses  cours  de  l'Europe,  tombèrent  entre 
leurs  mains.  Ils  trouvèrent  aussi  sur  le  champ  de  bataille,  au 
milieu  des  chariots  brisés,  4  à  500  chevaux  dont  une  partie  avait 
été  tuée  et  nageait  dans  le  sang  pèle  môle  avec  les  soldats  morts 
et  mourans. 

Cette  victoire  ne  coûta  aux  Français  qu'une  quarantaine  d'hom- 
mes, outre  la  perte  de  M.  de  Beaujeu  qui  fut  vivement  regretté 
par  les  Canadiens,  ses  compatriotes,  et  par  les  tribus  indiennes. 

Ainsi  se  termina  la  bataille  de  la  Monongahéla,  l'une  des  plus 
mémorables  de  l'histoire  américaine.  Les  troupes  battues  ne  se 
rassurèrent  complètement  qu'à  Philadelphie,  où  elles  prirent  leurs 
quartiers  d'hiver.  La  nouvelle  de  ce  désastre  jeta  les  colonies 
anglaises  dans  l'effroi  et  la  consternation.  Les  frontières  des 
provinces  de  la  Pennsylvanie,  du  Maryland  et  de  la  Virginie  furent 
abandonnées,  et  l'alarme  se  répandit  au-delà  des  montagnes  jusque 
dans  les  élablissemens  répandus  sur  les  bords  de  la  mer,  qui  crai- 
gnirent un  instant  d'être  attaqués.  Les  prédicateurs  montèrent 
dans  les  chaires  pour  rassurer  la  population  et  calmer  son  épou- 
vante. 

Le  gain  de  cette  bataille  assura  la  possession  de  l'Ohio  aux 
Français  pour  cette  campagne,  comme  la  défaite  du  colonel 
Washington,  au  fort  de  la  Nécessité,  la  leur  avait  assurée  l'année 
précédente. 

Tandis  que  ces  événemens  se  passaient  à  l'extrémité  méridio- 
nale du  Canada,  les  troupes  anglaises  chargées  d'en  attaquer  les 


/ 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


229 


parties  centrales,  c'est-à-dire  Niagara  et  St.-Frédéric,  se  réunis- 
saient à  Albany.  Elles  partirent  de  cette  ville  au  nombre  de  5  à 
6  mille  hommes  sous  les  ordres  du  général  Lyman,  pour  le  por- 
tage entre  la  rivière  Hudson  et  le  lac  St.-Sacrement,  suivies  du 
colonel  Johnson  qui  venait  avec  l'artillerie,  les  bateaux,  les  vivres 
et  tout  le  matériel  nécessaire  pour  le  siège  du  fort  St.-Frèdèric. 
Arrivé  au  portage,  le  général  Lyman  fit  commencer  le  fort 
Edouard,  sur  la  rive  gauche  de  l'Hudson,  pour  lui  servir  de  base 
d'opérat,  .i,  en  môme  temps  que  le  colonel  Johnson,  marchant 
toujours,  poussait  jusqu'à  la  tête  du  lac  St.-Sacrement  où  il  éta- 
blissait son  camp.  11  pressait  le  transport  des  bateaux  au  lac, 
impatient  d'aller  s'assurer  de  l'important  passage  de  Carillon 
avant  que  les  Français  s'y  fussent  fortifiés,  lorsqu'il  apprit  qu'ils 
venaient  eux-mêmes  pour  l'attaquer  dans  ses  retranchemens. 

Nous  avons  mentionné  ailleurs  l'inquiétude  que  l'apparition  de 
•Tohnson  sur  le  lac  St.-Sacrement  avait  causée  à  M.  de  Vaudreuil, 
et  que  ce  gouverneur  avait  fait  aussitôt  abandonner  l'attaque  d'Os- 
wégo  pour  s'opposer  à  ses  progrès.  C'est  en  conséquence  de 
cet  ordre  que  Dieskau  se  trouvait  le  1  septembre  à  St.-Frédéric 
avec  un  corps  de  3000  hommes.  Ce  général  attendait  une  occa- 
sion favorable  pour  agir,  lorsqu'il  fut  informé  que  les  ennemis  ne 
seraient  pas  encore  prêts  de  sitôt  à  marcher  en  avant,  que  le  fort 
Edouard  était  peu  avancé,  et  par  là  môme  assez  facile  à  prendre 
par  un  coup  de  main,  que  ce  poste  était  très  important  en  ce 
qu'il  renfermait  les  magasins  de  Johnson.  Dieskau  résolut  de 
profiter  de  ces  circonstances  pour  l'attaquer  sur  le  champ. 

Il  partit  de  St.-Frédéric  avec  ses  3000  hommes.  Rendu  à 
Carillon,  il  y  en  laissa  1,500  pour  assurer  sa  retraite  en  cas 
d'échec,  et  avec  le  reste,  composé  de  220  réguliers,  680  Cana- 
diens commandés  par  M.  de  Repentigny,  et  600  Sauvages  sous 
les  ordres  de  M.  de  St.-Pierre,  et  des  vivres  pour  huit  jours,  il 
continua  sa  route  malgré  l'^s  avertissemens  qu'on  lui  donna  que 
900  Américains  étaient  retranchés  sous  les  murs  de  la  place,  aver- 
tissement qu'il  négligea  parce  que,  comme  Braddock,  il  n'avait 
que  du  mépris  pour  la  milice.  Les  instructions  de  M.  de  Vau- 
dreuil lui  recommandaient  expressément  dans  tous  les  cas  de 
n'attaquer  qu'avec  toutes  ses  forces  réunies  sans  jamais  les  divi- 


i 


230 


HISTOIRE    DV    CANADA, 


l  1 


ser.*  Les  Canadiens  et  les  Sauvages  le  blâmèrent  de  laisser  la 
moitié  do  ses  soldats  à  Carillon.  Mais  Dieskau  brûlait  du  désir 
d'éclipser  par  quelque  action  d'éclat,  la  victoire  de  l'Ohio,  car 
déjà  l'on  voyait  naître  entre  les  troupes  du  pays  et  celles  do 
France,  une  jalousie  trop  encouragée  par  les  officiers  pour  ne  pas 
aller  toujours  en  augmentant.!  Craignant  qu'un  trop  grand 
nombre  d'hommes  ne  retardât  sa  marche,  il  négligea  des  conseils 
dont  l'oubli  fut  la  première  cause  de  sa  perte. 

Pour  dérober  sa  marche  et  éviter  le  corps  de  Johnson,  il  remonta 
par  le  lac  Champlain,  et  alla  débarquer  dans  la  baie  du  Grand- 
Marais  (South  Bay)  à  six  ou  huit  lieues  du  fort  Edouard.  Le  7 
septembre  il  couchait  sur  les  bords  de  l'Hudson,  à  une  lieue  des 
Anglais,  avec  l'intention  de  les  attaquer  le  lendemain  au  point  du 
jour,  lorsqu'à  la  sollicitation  des  Iroquois  du  Sault  St.-Louis,  les 
Sauvages  déjà  fort  mécontens  de  la  division  de  l'armée,  et  qui 
n'avaient  consenti  à  le  suivre  en  partant  de  Carillon,  que  sur  la 
promesse  que  les  troupes  laissées  en  arrière  allaient  joindre,  refu- 
sèrent tout  à  fait  de  marcher.  Ils  ajoutèrent  néanmoins  qu'ils 
étaient  prêts  à  le  suivre  à  l'attaque  du  camp  de  Johnson,  sur  le 
territoire  français,  le  fort  Edouard  étant  situé,  suivant  eux,  sur  le 
territoire  anglais  puisque  ses  eaux  se  versaient  dans  la  mer  par 
l'Hudson.  Cette  distinction  des  Troquois  était  au  surplus  con- 
forme à  leur  ancienne  politique  de  chercher  à  tenir  la  balance 
entre  les  deux  nations.  Les  Canadiens  voyant  la  résolution  des 
Sauvages,  appuyèrent  leur  suggestion.  Dès  lors  le  général  Dies- 
kau fut  obligé  de  se  conformer  à  leur  désir.  L'entreprise  contre 
le  fort  Edouard  fut  abandonnée,  et  le  lendemain  matin,  8,  l'on  se 
remit  en  marche,  sur  trois  colonnes,  les  réguliers  au  centre,  pour 
passer  les  montagnes  et  tomber  subitement  sur  Johnson  dont  on 
était  éloigné  de  cinq  lieues  environ. 

Celui-ci  qui  avait  2,500  hommes  avec  lui,  en  apprenant  le 
projet  des  Français  contre  le  fort  Edouard,  avait  détaché  le  matin 
môme,  en  vertu  d'une  résolutio  d'un  conseil  de  guerre  tenu  la 
veille,  le  colonel  Williams,  à  la  tête  de  1,200  hommes  dont  200 
Indiens,  pour  tendre  une  embuscade  aux  Français  à  leur  retour 

*  Instructions  de  M.  de  Vaudreuil  au  général  Dieskau  :  Correspondance 
officielle, 
t  Lettre  de  M-  de  LatbinL.K.  au  minùlre,  du  28  octobre  1755. 


HlSTOIRK   PU    CANADA. 


231 


(lu  fort  Etlouaid.  Dieakau  fut  averti  par  un  prisonnier,  à  quatre 
milles  du  camp  de  Johnson,  de  l'arrivée  de  ce  détachement  qui 
marchait  par  le  même  chemin  que  lui,  mais  en  sens  contraircr 
Il  fit  aussitôt  arrêter  la  colonne  du  centre,  poussa  les  deux  autres, 
c'est-à-dire  les  Canadiens,  qui  mirent  leurs  sacs  à  terre  pour  être 
plus  légers,  à  droite,  et  les  Sauvages  à  gauche,  trois  cents  pas  en 
avant,  avec  ordre  de  se  coucher  ventre  à  terre  au  milieu  du  bois, 
et  de  n'attaquer  l'ennemi  en  flanc  que  quand  ils  entendraient  le 
feu  du  centre-  Dans  cette  position,  il  a'tendit  les  Anglais,  qui 
venaient  ainsi  se  jeter  dans  le  piège  qu'ilj  allaient  tendre  eux- 
mêmes,  lorsque  les  Indiens  de  notre  gauche  se  découvrirent  avant 
le  temps  et  leur  firent  appercevoir  le  danger.  Dieskau  voyant 
l'embuscade  éventée,  fit  charger  aussitôt  les  troupes  et  les  Cana- 
diens pour  ne  pas  donner  à  l'ennemi  le  loisir  de  se  reconnaître  ; 
les  Sauvages  en  firent  autant,  et  se  battirent  avec  acharnement 
pour  venger  la  mort  de  leur  brave  commandant,  M.  de  St.- 
Pierre,  tué  par  un  Anglais  qu'ils  assommèrent  à  coups  de  hache. 
En  peu  de  temps  les  Anglais,  malgré  les  efforts  les  plus  vigoureux, 
furent  mis  en  pleine  déroute  avec  des  pertes  considérables,  et  en 
laissant  leur  commandant  et  le  fameux  chef  indien  Hendrich, 
parmi  les  morts.  On  les  poursuivit  vivement  ;  un  second  corps 
envoyé  à  leur  secours  ne  put  résister  à  l'élan  des  troupes  fran- 
çaises, et  fut  culbuté  aussi  en  un  instant.  Le  général  Dieskau 
voulait  profiter  du  désordre  pour  entrer  pêle-mêle  avec  les  fuyards 
dans  les  retranchemens  de  Johnson.  Mais  il  fallait  des  troupes 
plus  disciplinées  que  les  siennes  pour  exécuter  une  pareille 
manœuvre.  Les  Sauvages  et  une  partie  des  Canadiens  s'arrê- 
tèrent pour  recueillir  leurs  blessés,  et  se  reposer  après  ce  premier 
combat;  ils  étaient  exténués  de  fatigue,  ayant  été  obligés  de 
marcher  depuis  le  matin  à  travers  les  bois  et  les  broussailles  dans 
un  pays  âpre  et  difficile,  pour  couvrir  la  colonne  du  centre  qui 
suivait  le  chemin  battu  et  qui  était  conséquemment  moins  épui- 
sée. Les  chefs  indiens,  murmurant  tout  haut  contre  l'impré- 
voyance du  général,  firent  revenir  leurs  guerriers  sur  leurs  pas.' 
Dieskau,  qui  espérait  que  son  exemple  les  entraînerait,  ne  voulut 

•  Lettre  du  chevalier  Montreuil  au  ministre,  10  octobre  1755  :  "  La  moi- 
tié des  Sauvages  et  des  Canadiens  s'en  tinrent  à  leur  première  victoire." 


'4î'i 


m 


•il  y 


232 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


point  s'arrôter,  et  arriva  devant  les  retranchemens  de  Johnson  à 
11  heures  du  matin  avec  à  peine  la  moitié  de  ses  forces. 

Ces  retranchemens,  adossés  au  lac  et  érigés  sur  la  petite  émi- 
nence  sur  laquelle  fut  ensuite  bâti  le  fort  George,  dont  on  voit 
encore  les  ruines  à  la  droite  de  Caldwell,  étaient  formés  de 
bateaux,  de  chariots,  d'arbres  renversés,,  flanqués  de  deux  ruis- 
seaux coulant  sur  un  fond  marécageux,  et  couverts  d'artillerie. 
Les  Français  en  arrivant  sur  le  lac  St.-Sacrement,qui  se  prolonge 
d'une  manière  si  pittoresque  entre  des  montagnes  dont  quelques- 
imes  ont  près  de  2000  pieds  de  hauteur,  purent  les  appcrcevoir. 
Dieskau  se  dirigea  aussitôt  vers  leur  centre,  les  réguliers  à  droite 
et  les  Canadiens  à  gauche.  Une  halte  de  quelques  instans  ordon- 
née pour  se  former  à  150  verges,  donna  le  temps  aux  ennemis  de 
se  reconnaître  et  de  garnir  leurs  ouvrages.  L'attaque  commença 
avec  une  grande  vivacité.  Les  réguliers,  après  avoir  fait  un  feu 
de  pelotons  très  nourri,  s'élancèrent  à  la  bayonnette  pour  péné- 
trer dans  les  abattis  ;  mais  malgré  leur  intrépidité, ils  furent  rame- 
nés par  un  feu  de  mousqueterie  et  de  mitraille  à  bout  portant.  Ils 
se  reformèrent,  marchèrent  de  nouveau  à  l'escalade,  et  persistèrent 
dans  leurs  eflbrts  infructueux  depuis  midi  jusqu'à  deux  heures. 
Les  Canadiens  et  les  Sauvages  qui  avaient  suivi  le  général  Dies- 
kau,  ou  qui  vinrent  ensuite  le  rejoindre,  voyant  l'inutilité  de  ces 
tentatives,  se  répandirent  à  droite  dans  le  bois  et  à  gauche  sur  une 
petite  hauteur  qui  dominait  la  position  de  l'ennemi,  et  delà 
ouvrirent  un  feu  plongeant  dans  les  barricades  à  douze  ou  quinze 
pas  seulement  de  distance,*  et  le  continuèrent  avec  vivacité 
jusqu'à  la  fin  de  la  journée.  Le  général  français,  qui  se  tenait 
entre  les  réguliers  et  les  Canadiens,  résolut  de  faire  un  nouvel 
effort.  Il  se  mit  à  la  tête  des  soldats  et  tirant  son  épée  il  les  con- 
duisit lui-môme  à  l'assaut  ;  mais  on  vint  encore  échouer  au  pied 
des  retranchemens,  du  sommet  desquels  les  Anglais  choisissaient 

*  "  The  Regulars  marched  as  near  as  I  could  tell,  s'  jep  in  close  order, 
and  reached  aboiit  20  roda  in  lengtli.  The  Canadians.  -iid  Indians  at  the  left 
having  corne  helter-skelter,  the  woods  being  fui!  of  them,  running  with 
undaunted  courage  right  down  hill  uponus,  expectingto  make  us  flee  as  they 
had  before  donc  at  the ,  and  just  novv  did  to  our  men." 

Extrait  d'une  lettre  du  général  américain  Pomeroy,  alors  colonel  dans  les 
milices  de  New-York,  à  son  épouse,  en  date  du  10  septembre  1755. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


233 


leurs  victimes  et  tiraient  à  couvert  et  à  loisir.  C'est  pendant 
cette  attaque,  que  Dieskau,  retournant  vers  la  gauche  pour  ordon- 
ner aux  Canadiens  de  charger,  se  trouva,  sans  s'en  apercevoir,  si 
près  des  ennemis  qu'il  reçut  trois  coups  de  feu  presqu'en  mômo 
temps  qui  le  firent  tomber.  Le  chevalier  de  Montreuil  qui  se 
trouvait  près  de  lui,  et  qui  fut  aussi  atteint  d'une  balle  au  bras, 
l'aida  à  se  traîner  au  pied  d'un  arbre,  et  appela  deux  Canadiena 
pour  le  porter  hors  du  danger.  L'un  d'eux  fut  tuè  en  arrivant  et 
tomba  sur  les  jambes  du  général  ;  le  second  fut  en  môme  temps 
blessé.  Sans  se  troubler  Dieskau  ordonna  au  chevalier  d'aller  à 
la  droite  pour  ranimer  l'attaque  qui  se  ralentissait,  et  refusa  de  se 
laisser  emporter,  disant  :  "  que  le  lit  où  il  se  trouvait  était  aussi  bon 
pour  mourir  que  celui  que  l'on  voulait  lui  donner."  Il  se  fit 
apporter  sa  rcdingotte  et  sa  longue-vue  et  enjoignit  aux  Cana- 
diens qui  s'étaient  réunis  autour  de  lui  et  à  ses  domestiques  de 
s'éloigner.*  Dans  le  même  moment  une  partie  des  Canadiens  et 
des  Sauvages  se  repliait,  et  le  chevalier  de  Montreuil  cherchait  en 
vain  à  rallier  les  troupes  réduites  à  une  centaine  d'hommes,  et 
qui  en  faisaient  autant  ;  presque  tous  les  officiers  avaient  été  tués 
ou  blessés. 

L'action  durait  depuis  cinq  heures.  Les  Français  ne  furent  pas 
inquiétés  dans  leur  retraite.  Les  ennemis  avaient  été  tellement 
intimidés  par  la  furie  avec  laquelle  ils  avaient  été  attaqués,  qu'ils 
restèrent  dans  leurs  retranchemens,  à  l'exception  de  quelques 
hommes  qui  sautèrent  en  dehors.  L'un  d'eux  apercevant  le 
général  au  pied  d'un  arbre,  lui  tira  à  douze  pas  une  balle  qui  lui 
traversa  les  deux  cuisses  et  la  vessie.  Ce  soldat  le  fit  ensuite 
prisonnier.  C'était  vin  déserteur  canadien  établi  depuis  une 
dixaine  d'années  dans  la  Nouvelle-York. 

Cependant  le  chevalier  de  Montreuil  avait  réussi  à  rallier  une 
partie  des  troupes  à  500  pas  des  retranchemens  et  à  les  mettre 
dans  quelque  espèce  d'ordre. 

A  cet  instant  de  la  journée  tout  le  corps  français  de  1,500 
hommes  était  divisé  par  bandes  et  dispersé.  Une  partie  se  trou- 
vait encore  sur  le  champ  de  bataille  du  matin  ;  une  autre  était 
en  pleine  retraite  ;  le  chevaher  de  Montreuil  avec  un  troisième 

*  lielation  de  la  campagne  de  1755. — Lettre  du  baron  Dieskau  au  cheva- 
lier (lo  Montreuil,  en  date  de  Balh,  26  janvier  1758. 


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234 


HISTOmE   DU   CANADA. 


débris,  reprenait  le  chemin  du  Grand-Maraia  emmenant  avec  lui 
103  blessés  qu'il  avait  ramassés  :  enfin  le  reste,  Canadiens  et  Sau- 
vages toujours  en  possession  de  la  hauteur  sur  la  droite  des 
Anglais,  et  ignorant  ce  qui  se  passait  ailleurs,  continuait  à  faire  un 
feu  très  vif  dans  les  retranchemens.  Si  les  ennemis  s'étaient 
alors  jetés  tôte  baissée  sur  les  Français,  ils  auraient  pu  les  détruire 
en  détail.  Quelques  petites  bandes  seulement  tombèrent  dans 
les  détachemens  sortis  du  fort  Edouard  et  furent  dispersés.  Le 
chevalier  de  Montrcuil  arriva  au  bout  de  deux  jours  au  Grand- 
Marais  avec  sa  colonne  exténuée  de  faim  et  de  fatigue,  n'ayant 
pu  prendre,  de  peur  d'être  mis  entre  deux  feux,  les  sacs  posés  à 
terre  dans  le  premier  combat.  Il  y  trouva  une  autre  colenncqui 
y  était  arrivée  du  matin  aussi  sans  vivres.  Les  restes  de  l'ex- 
pédition se  réunirent  graduellement  et  on  se  rembarqua  pour 
retourner  à  Carillon. 

Les  pertes  furent  moins  considérables  qu'on  aurait  pu  le  croire, 
quoique  plus  de  310  hommes,  ou  la  moitié  environ  des  réguliers 
et  le  quart  des  Canadiens  et  des  Sauvages  qui  attaquèrent  les 
retranchemens,  furent  tués,  blessés  ou  faits  prisonniers,  dont  13 
officiers  sur  lesquels  il  y  avait  neuf  Canadiens.*  Celles  des 
Anglais,  essuyées  principalement  dans  la  déroute  du  corps  du 
colonel  Williams,  atteignirent  un  chifl're  plus  élevé.  Le  colonel 
Titcombe  fut  tué,  le  colonel  Johnson  ainsi  que  le  major  Nichoh 
furent  blessés  dans  les  retranchemens.  De  l'aveu  même  des 
vainqueurs,  oui  étaient  au  nombre  de  2,250  hommes,  ce  fut  à 
leurs  ouvrages  et  à  leur  artillerie  qu'ils  devaient  la  victoire,  les 
assaillans  n'ayant  point  de  canon.f 

Lorsque  le  baron  Dieskau  fut  amené  dans  le  camp  du  com- 
mandant anglais,  celui-ci,  avec  une  humanité  qui  l'honore,  le  fit 
transporter  dans  sa  tente  et  voulut  qu'il  fût  pansé  avant  lui.  Il 
porta  à  l'infortuné  général  toutes  les  attentions  qu'il  aurait  eues 
pour  un  ami,   et  que   Dieskau    n'oublia  jamais.     Ce  général 

•  Lettre  de  M.  Doreil  au  ministre,  20  octobre  1755. 

Lettre  du  général  Dieskau. 

t  "  Our  artillery  played  briskly  on  our  front  the  whole  time,  and  the 
breast  work  secured  our  men." — "  They  (French)  made  a  bold  attack  and 
muintained  it  bravely  ;  our  cannon  and  breast  work  saved  us." — "  We  were 
effective  about  2,200  at  the  time  of  the  engagement." — Documcns  du 
Lon'hes. 


mSTOIUE   DU    CANADA. 


235 


resta  prisonnier  jusqu'il  la  fin  de  la  guerre,  tantôt  à  New-York 
jus(|uY'n  1707  et  tantôt  en  Angleterre.  Il  languit  jusqu'en  1767 
qu'il  mourut  des  suites  de  ses  blessures,  à  Surcne,  prés  de  Paris. 

Comme  Braddock,  Dicskau  dut  tous  sca  malheurs  au  ridicule 
atiachement  pour  la  discipline  européenne,  et  au  mépris  qu'il  fit 
des  avis  du  gouverneur  et  des  olTiciers  canadiens  sur  la  manière 
de  combattre  en  Amérique.  Une  opiniâtreté  déplacée,  fondée 
sur  des  infimnations  inexactes,  et  le  peu  de  cas  qu'il  fiiisait  des 
troupes  américaines,  le  firent  persister  à  attaquer  avec  des  soldats 
fatigués  des  troupes  retranchées  et  deux  fois  plus  nombreuses  que 
les  siennes.  Il  y  sacrifia  l'élite  de  ses  soldats,  et  fit  perdre  aux 
Canadiens  la  confiance  qu'ils  pouvaient  avoir  dans  la  capacité 
des  ofliciers  européens.  On  écrivit  môme  au  ministre  "  qu'ils 
ne  marcheraient  plus  avec  la  môme  confiance  sous  les  ordres 
d'un  commandant  des  troupes  de  France  que  sous  ceux  des 
olTicicrs  de  la  colonie." 

L'échec  des  Français  releva  le  courage  des  provinces  anglaises 
abattu  par  la  sanglante  défaite  du  général  Braddock  :  mais  il 
n'eut  point  les  conséquences  qu'elles  en  attendaient.  Dans  le 
premier  moment  d'exaltation,  on  exagéra  singulièrement  l'avan- 
tage remporté.  On  en  fit  une  victoire  éclatante,  tandis  qu'on 
n'avait  repoussé  dans  le  fait  qu'un  coup  de  main  suggéré  par 
l'espoir  de  surprendre  les  magasins  d'approvisionnement  déposés 
au  fort  Edouard.  La  chambre  des  communes  vota  un  don  de 
jG5000  sterling  à  Johnson  et  le  roi  lui  conféra  le  titre  de  baronnet. 
Les  journaux  célébrèrent  à  l'envi  ses  talens  et  son  courage  y 
mais  leurs  louanges  n'ont  pas  été  confirmées  par  la  postérité. 

Le  public,  toujours  si  exigeant,  croyant  désormais  la  route  do 
Montréal  ouverte,  commença,  après  quelque  temps  d'attente,  à 
s'étonner  de  l'inacfivité  de  cet  officier.  Chacun  pensait  qu'il 
aurait  dû  au  moins  s'avancer  jusqu'à  St.-Frédéric.  L'ordre 
môme  lui  fut  transmis  dô  marcher  en  avant  pour  complaire  à 
l'opinion  publique.  Il  répondit  en  continuant  de  fortifier  son 
camp.  On  l'accusa  alors  de  plusieurs  fautes,  et  surtout  de  n'avoir 
pas  su  profiter  de  la  victoire  dans  la  crainte  pjut-ôtre,  ajoutaient 
quelques-uns,  d'exposer  les  lauriers  qu'il  venait  de  cueillir. 
Johnson  piqué  de  ces  déclamations  populaires,  écrivit  que  ses 
troupes  manquaient  des  choses  les  plus  nécessaires  pour  une  cam- 


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236 


HISTOIRE   DU    CANAHA. 


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pngnc,  qiio  d'nillourd  la  manière  avec  Inqucllo  Ica  Français  Ica 
avaient  atlaqucos,  leur  avait  imprime  une  telle  terreur,*  qu'elles 
KO  sentaient  Ibrt  peu  d'envie  d'aller  les  inquiéter  sur  leur  propre 
territoire.  Après  ces  explications,  l'armée  fut  licenciée.  On  no 
retint  que  GOO  hommes  pour  la  garde  du  fort  Edouard  et  du  camp 
du  lac  St.-Sacrcment,  auquel  on  donna  le  nom  de  fort  William- 
llcnry,  après  y  avoir  ajouté  des  travaux  qui  le  convertirent  en 
véritable  forteresse. 

La  nouvelle  de  la  défaite  de  Dieskau,  qui  avait  rempli  les  pro- 
vinces anglaises  do  joie,  jeta  le  Canada  pendanl  (jue'quc  temps 
dans  ime  grande  inciuiétude.  Le  gouverneur,  eensibk  à  l'impor- 
tance de  se  maintenir  à  la  tête  du  lac  Champ lain,  envoya  sur  le 
champ,  faute  d'ingénieurs  réguliers,  ceux  qui  devaient  venir  de 
France  ayant  été  pris  sur  le  Lys  et  l'Alcide,  M.  do  Lothiniùrc, 
pour  élever  im  fort  à  Carillon.  Il  transmit  en  même  temps 
l'ordre  aux  troupes  de  camper  dans  cette  position  importante,  afin 
d'être  à  portée  de  s'opposer  à  l'ennemi  s'il  venait  à  déboucher 
par  la  route  actuelle  de  Whiteliall,  ou  par  le  lac  St.-Sacrement, 
et  de  couvrir  le  poste  de  St.-Frédéric,  qui  était  la  clé  du  lac 
Champlain.  Mais  au  bout  de  quelques  semaines  l'on  eut  des 
j'cnseigncmens  sur  les  mouvemens  des  Anglais  qui  tranquillisèrent 
les  esprits.  L'on  apprit  d'abord  le  licenciement  de  l'armée  do 
Johnson,  et  ensuite  la  retraite  des  1,500  hommes  du  général 
Shirley,  destinés  à  faire  le  siège  de  Niagara.  Cet  olficier  général, 
n'ayant  pu  faire  tous  ses  préparatifs  dans  la  saison  convenable, 
avait  abandonné  cette  entreprise,  et  s'était  retiré  dans  l'intérieur 
après  avoir  laissé  700  hommes  au  colonel  Mercer  pour  garder 
Oswégo  et  bâtir  deux  nouveaux  forts  autour  de  cette  place.  Il 
j)araît  que  la  nouvelle  du  désastre  de  Braddock  avait  aussi  fort 
découragé  ses  soldats,  qui  s'étaient  mis  à  déserter  en  grand 
nombre  ;  que  les  cinq  nations  étaient  opposées  jerre  qui 

ruinait  leur  commerce,  et  enfin  que  l'arrivée  '^  .s  à  Fron- 

tenac et  à  Niagara  avait  dissipé  le  peu  d'  ..  restait  à  ces 

troupes  de  s'emparer  de  ces  postes  impo; 

Ainsi  les  trois  principales  attaques  des  Anglais  contre  les  forts 
Duquesne,  St.-Frédéric  et  Niagara,  avaient  échoué  à  la  fin  de  la 
campagne,  et  le  Canada  pouvait  s'estimer  heureux  d'un  résultat 

♦Minot  ;  Continuation  of  Ihc  Hlitory  of  MasmchuscUs  liay. 


HlfiTOinE    nu    CANADA. 


237 


qui  devait  dépasser  sph  plus  hautes  espérances,  vu  la  grande 
supériorité  numérique  do  ses  ennemis.  Les  troupes  françaises 
occupaient  toutes  les  positions  qu'elles  avaient  au  printemps, 
excepté  celle  de  Beauséjour,  dont  la  perte  n'eut,  comme  on  l'a 
déjà  dit,  aucune  influence  sur  le  sort  des  événcmens  militaires, 
puisque  M.  de  Boishébert,  qui  commandait  dans  cette  partie, 
n'avait  pas  cessé  de  s'y  maintenir. 

Mais  les  suites  de  ces  échecs  furent  désastreuses  pour  les  fron- 
tières américaines.  Les  armées  anglaises  ayant  été  défaites  ou 
obligées  de  retraiter,  la  bride  fut  lâchée  aux  bandes  canadiennes 
et  sauvages,  qui  dévastèrent  leurs  établissemens  depuis  la  Nou- 
velle-Ecosse jusqu'à  la  Virginie  avec  toute  la  vengeance  qu'ins- 
pirait la  guerre  injuste  qu'on  nous  faisait.  Plus  de  mille  habitans 
furent  massacrés  ou  traînés  en  captivité  par  ces  guerriers  redou- 
tables, qui,  comme  un  torrent  dévastateur,  ne  laissaient  que  des 
ruines  sur  leur  passage.  Les  populations  épouvantées  abandon- 
nèrent leurs  foyers,  et  allèrent  chercher  un  asile  dans  les  pro- 
vinces méridionales  ou  sur  les  bords  de  la  mer.  Toutes  le-i 
colonies  anglaises  étaient  dans  l'étonnement  en  voyant  le  résultat 
de  la  campagne.  "  Quatre  armées  étaient  sur  pied,  dit  Minot, 
un  de  leurs  historiens,  pour  repousser  les  empiétemens  des  Fran- 
çais ;  nos  côtes  étaient  gardées  par  la  flotte  du  brave  et  vigilant 
Boscawen  ;  nous  n'attendions  qu'un  signal  pour  noua  emparer  de 
la  Nouvelle-France.  Mais  quel  n'est  pas  notre  désappointement  ] 
On  a  réussi  en  Acadie,  il  est  vrai,  mais  Braddock  a  été  défait  ; 
mais  Niagara  et  St.-Frédéric  sont  encore  entre  les  mains  des 
Français;  mais  les  barbares  ravagent  nos  campagnes,  égorgent 
nos  habitans  ;  nos  provinces  sont  déchirées  par  les  factions  et  le 
désordre  règne  dans  nos  finances."  Les  préparatifs  pour  l'expé- 
dition contre  le  fort  St.-Frédéric  avaient  coûté  £80,000  à  la 
Nouvelle-Angleterre  seule,  outre  un  grand  nombre  de  réclama- 
tions qui  restaient  encore  à  régler.  Ces  provinces  se  voyaient 
donc  à  la  fin  de  l'année  exposées  à  tous  les  malheurs  d'une 
guerre  inspirée  par  leur  seule  ambition. 

La  saison  des  opérations  tirant  à  sa  fin,  les  troupes  françaises 
vinrent  prendre  leurs  cantonnemens  d'hiver  dans  les  environs  de 
Montréal.  La  sécurité  n'avait  pas  été  un  instant  troublée  dans 
l'intérieur  du  pays.     Le  contraste  avec  les  colonies  voisines  nous 


'm 


238 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


étaient  favorable  pour  le  moment.  Mais  l'avenir  paraissait  tou- 
jours menaçant  et  sombre.  Déjà  l'on  souffrait  depuis  quelque 
temps  de  la  rareté  des  vivres.  Le  manque  des  récoltes  dans  le 
gouvernement  de  Québec,  les  levées  considérables  de  grains  faites 
par  l'intendant  pour  la  subsistance  des  troupes,  des  Sauvages  et 
des  Acadiens  répandus  sur  les  rives  du  golfe  St.-Laurent  et  de  la 
baie  de  Fondy,  amenèrent  bientôt  une  disette  assez  sérieuse,  sur- 
tout parmi  les  habitans  pauvres  des  vi'les.  Ce  n'était  là  pourtant 
que  le  prélude  des  maux  et  des  privations  de  tous  genres  que 
devait  entraîner  cette  longue  et  cruelle  guerre. 

On  annonçait  déjà  que  l'Angleterre  devait  opérer  dans  la  pro- 
chaine campagne  avec  un  grand  accroissement  d  forces.  L'on 
ne  perdit  point  de  temps  en  Canada  pour  se  mettre  en  état  de 
bien  recevoir  les  ennemis,  et  m4me  d'aller  porter  la  guerre  chez 
eux  si  une  occasion  favorable  se  présentait.  Le  gouverneur  et 
l'intendant  demandèrent,  dans  leurs  dépêches  à  Paris,  des  secours 
en  hommes,  en  matériel  de  guerre  et  en  vivres.  Ils  comparaient 
la  situation  inégale  des  Français  et  des  Anglais  en  Amérique. 
Les  principaux  officiers  de  l'armée,  qui  correspondaient  avec  les 
ministres,  écrivaient  dans  le  môme  sens.  Plusieurs  d'entre  eux 
avaient  des  craintes  qu'ils  ne  cherchaient  pas  à  dissimuler:  "  La 
situation  de  la  colonie,  disait  M.  Doreil,  commiss?''re  général  des 
guerres,  est  critique  à  tous  égards;  elle  exige  de  prompts  et  de 
puissans  secours.  J'ose  même  assurer  que  si  l'on  n'en  envoie 
pas,  elle  courra  les  plus  grands  risques  dès  l'année  prochaine." 

Toutes  les  correspondances  faisaient  ressortir,  chacune  à  sa 
manière,  la  disproportion  des  deux  nations  dans  le  continent.  On 
demandait  surtout  un  général  expérimenté  pour  remplacer  le 
baron  Dieskau,  des  ingénieurs  qui  manquaient  totalement  et  des 
officiers  d'artillerie.  "  Il  faudrait,  observait  l'intendant,  plusieurs 
corps  en  campagne  le  printemps  prochain,  et  16  ou  1700  hommes 
de  troupes  de  terre  et  1000  ou  1200  hommes  de  celles  dj  la  colo- 
nie ne  suffiront  pas  ;  il  faut  toujours  garder  une  certaine  quantité 
des  dernières  pour  le  service  des  trois  villes  ;  il  en  faut  pour  les 
différens  postes.  Ainsi  ce  sont  les  Canadiens  qui  font  la  plus 
grande  partie  de  ces  armées,  sans  compter  1000  à  1200  qui  sont 
continuellement  occupés  aux  transports.  Les  Canadiens  étant 
ainsi  employés  à  l'armée  ne  labourent  point  leurs  terres  ancienne- 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


239 


ment  défrichées,  bien  loin  d'en  défricher  de  nouvelles.  Les 
levées  qu'on  va  en  faire  dépeupleront  encore  les  campagnes. 
Que  deviendra  la  colonie  1  Tout  y  manquera,  principalement  le 
blé.  On  avait  eu  jusqu'à  présent  l'attention  de  ne  faire  les  levées 
qu'après  le  labour  du  printemps.  tJe  ména^ment  ne  peut  plus 
avoir  lieu,  puisqu'on  fera  la  guerre  pendant  l'hiver,  et  que  les 
armées  doivent  être  rassemblées  dès  le  mois  d'avril.  De  plus,  les 
Canadiens  diminuent  beaucoup  ;  il  en  est  mort  un  grand  nombre 
de  fatigues  et  de  maladies.  Il  ne  faut,  ajoutait  l'intendant,  comp- 
ter sur  les  Sauvages  qu'autant  que  nous  serons  supérieurs,  et 
qu'on  fournira  à  tous  leurs  besoins."  Telle  était  déjà  la  gravité 
des  choses  à  la  fin  de  1755. 

Cependant  la  deuxième  année  d'hostilités  en  Amérique  allait 
finir,  et  les  deux  peuples  ne  s'étaient  pas  encore  adressés  des 
déclarations  formelles  de  guerre.  La  diplomatie  restait  toujours 
saisie  des  questions  en  litige.  Le  21  décembre,  M.  Rouillé, 
ministre  des  affaires  étrangères,  adressa  à  M.  Fox  une  lettre  dans 
laquelle  il  demandait  une  réparation  éclatante  des  insultes  faites 
au  pavillon  français  par  les  attaques  dont  il  avait  été  l'objet,  et 
déclarait  qu'il  regarderait  un  refus  comme  un  dessein  de  troubler 
le  repos  de  l'Europe.  Le  ministre  anglais  fit  une  réponse  moti- 
vée, en  déclarant  en  termes  modérés  mais  positifs,  qu'il  ne  pour- 
rait y  satisfaire  tant  que  la  chaîne  de  forts  élevés  au  nord-ouest 
des  Apalaches  subsisterait.  Après  ce  qui  avait  eu  lieu,  après  les 
longs  débats  surtout  dans  la  chambre  des  communes,  il  n'y  avait 
plus  d'entente  possible.  Louis  XV  fut  donc  obligé  de  vaincre 
ses  dangereuses  répugnances  et  de  se  résoudre  à  la  guerre. 
Dunkirque  fut  fortifié,  les  Anglais  eurent  ordre  de  sortir  de 
France,  leurs  vaisseaux  furent  saisis  dans  les  ports  ;  on  arma  des 
escadres  considérables,  oa  menaça  la  Grande-Bretagne  d'une 
descente.  Celle-ci  demanda  des  secours  à  la  Hollande  et  au 
Hanovre.  Mais  ces  menaces  cachaient  un  autre  projet,  que  le 
peuple  anglais  n'apprit  que  par  la  défaite  de  l'amiral  Byng  et  la 
prise  de  l'île  de  Minorque. 

L'Europe,  comme  l'Amérique,  ne  retentissait  plus  maintenant 
que  du  bruit  des  armes.  Le  17  mai  l'Anf'eterre  publia  une 
déclaration  de  guerre  contre  la  France,  qui  en  publia  une  à  son 
tour  contre  l'Angleterre  dans  le  mois  suivant.    Ces  actes  l 'étaient 


M 


I  sii 


240 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


qu'une  formalité  puérile,  dont  on  pouvait  se  dispenser.  Le  cang 
répandu  avait  déjà  parlé  un  langage  plus  solennel. 

Les  ministres  français  résolurent  d'envoyer  au  Canada  deux 
nouveaux  bataillons  comme  le  demandait  M,  de  Vaudreuil,  et  des 
recrues  pour  compléter  ceux  qui  y  étaient  déjà,  ainsi  que  des 
vivres  et  1,300,000  livres  en  numéraire.  L'envoi  d'argent  porta 
contre  toute  attente,  un  préjudice  grave  au  pays,  comme  nous 
l'avons  observé  en  parlant  de  son  commerce,  en  ce  que  sa  cir- 
culation fit  baisser  le  papier-monnaie  et  les  lettres  de  change  d'un 
quart. 

Le  roi  choisit  le  marquis  de  Montcalm,  maréchal  de  camp, 
pour  remplacer  le  général  Dieskau.  C'était  un  vieil  officier  qui 
comptait  35  ans  de  service  ;  il  avait  embrassé  l'état  militaire  en 
1721  à  l'âge  de  14  ans.  Il  avait  servi  en  Italie  et  en  Allemagne 
et  s'était  signalé  à  la  bataille  de  Plaisance  et  au  sanglant  combat 
de  l'Assielte,  où  il  était  colonel.  11  avait  reçu  cinq  blessures 
dans  ces  deux  actions.  Il  s'était  aussi  distingué  sous  le  maréchal 
de  Belle-Isle  dans  la  fameuse  retraite  de  Prague.  Mais  il  possé- 
dait tous  les  défauts  des  généraux  de  son  temps  ;  il  était  à  la  fois 
rempli  de  feu  et  de  nonchalance,  timide  dans  ses  mouvemens 
stratégiques  et  audacieux  au  combat  jusqu'à  négliger  les  régies  de 
la  plus  commune  prudence,  du  reste,  d'une  bravoure  personnelle 
à  toute  épreuve.  Il  s'embarqua  pour  le  Canada  avec  le  brigadier 
de  Levis,  officier  distingué,  M.  de  Bourlamarque,  colonel  du 
génie,  des  officiers  d'artillerie,  les  deux  bataillons  qu'on  y  envoyait, 
formant  1000  hommes,  et  400  recrues.  Le  général  Montcalm 
parvint  à  Québec  vers  le  milieu  de  mai  1756  ;  les  renforts  conti- 
nuèrent à  y  arriver  dans  le  cours  de  ce  mois  et  du  mois  de  juin, 
avec  les  vivres  et  les  munitions  de  guerre  qu'on  attendait  avec 
impatience.  Ces  renforts,  réunis  aux  seize  cents  soldats  des 
quatre  bataillons  reçus  l'année  précédente  et  aux  troupes  de  la 
colonie,  portaient  toute  l'armée  régulière  à  un  peu  plus  de  4000 
hommes  ;  et  ce  fut  à  peu  prés  toute  l'aide  qu'on  reçut  de  France 
pendant  cette  guerre. 

Montcalm  alla  rejoindre  le  gouverneur  à  Montréal,  où  il  se 
tenait  pour  être  plus  près  du  théâtre  des  hostilités.  Après  un 
examen  minutieux  de  la  situation  et  des  circonstances  du  pays,  il 
fut  arrêté  entre  ces  deux  chefs  d'établir  deux  camps  principaux, 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


241 


l'un  à  Carillon  et  l'autre  à  Frontenac,  afin  d'être  à  portée  d'ob- 
server les  deux  points  sur  lesquels  les  Anglais  commençaient  à 
rassembler  leurs  forces,  savoir  :  le  fort  Oswégo,  pour  opérer  par 
le  lac  Ontario,  et  le  fort  Edouard  sur  l'Hudson,  pour  opérer  par 
le  lac  Champlain.  Le  bataillon  de  Béarn  reçut  ordre  en  consé- 
quence de  s'avancer  jusqu'à  Niagara,  où  quelques  hommes 
avaient  été  laissés  l'automne  précédent,  et  que  M.  Pouchot, 
officier  d'infanterie  versé  dans  la  science  de  l'ingénieur,  fut 
chargé  de  fortifier.  Deux  autres  bataillons  furent  dirigés  sur 
Frontenac  avec  instruction  de  s'y  retrancher  et  de  donner  la 
main  à  1000  Canadiens  et  Sauvages  jetés  dans  l'espace  qu'il  y 
avait  entre  eux  et  Niagara.  M.  de  Bourlaraarque  fut  chargé  du 
commandement  de  cette  frontière.  Quant  à  Carillon,  3000 
hommes  dont  1500  réguliers,  s'y  trouvaient  réunis  à  la  fin  de 
juillet  sous  les  ordres  du  chevalier  de  Levis. 

Il  fut  envoyé  aussi  120  hommes  pour  la  protection  des  pêche- 
ries de  Gaspé,  et  M.  de  Boishébert  demeura  chargé  delà  défense 
de  la  frontière  du  côté  de  l'Acadie  avec  un  corps  de  Canadiens 
et  de  Sauvages.  Dans  l'ouest,  M.  Dumas  releva  M.  de  Contre- 
cœur au  fort  Duquesne,  et  M.  de  Belle-estre,  M.  Demuy  au 
Détroit.  Ces  commandans  avaient  pour  lieutenans  dans  les  difie- 
rens  postes,  MM.  de  Repentigny,  d'Anglade,  Hébert,  Beaubassin, 
etc.  3,500  Canadiens  et  Sauvages  étaient  répandus  sur  cette 
frontière  depuis  le  lac  Erié  jusqu'à  la  vallée  du  Mississipi  en 
suivant  la  ligne  de  l'Ohio  et  des  Illinois.  Les  forces  armées  pour 
la  défense  du  Canada  depuis  le  Cap-Breton  jusqu'aux  Illinois 
s'élevèrent  donc  dans  cette  campagne,  à  12,000  hommes  au  plus 
haut  chifire  ;  elles  étaient  beaucoup  moindres  lorsque  les  milices, 
après  leurs  expéditions  guerrières,  rentraient  dans  leurs  foyers 
pour  faire  les  semailles  ou  la  moisson  et  vaquer  aux  autres  travaux 
des  champs. 

La  forteresse  de  Louisbourg  qui  était  un  point  capital,  avait  à 
elle  seule  une  garnison  de  1100  hommes  ;  ce  qui  était  encore  trop 
peu  cependant.  On  le  sentit  à  la  cour,  et  on  voulut  y  envoyer  un 
renfort  de  600  hommes  sur  la  frégate  l' Arc-en-ciel.  Mais  ce 
vaisseau  fut  pris  par  la  croisière  anglaise  établie  sur  les  côtes  du 
Cap-Breton,  sous  les  ordres  du  capitaine  Spry. 

Tels  étaient  les  préparatifs  des  Français  pour  la  campagne  de 


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242 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


56.     Ceux  de  la  Grande-Bretagne  furent  beaucoup  plus  formi- 
dables. 

Elle  ne  voulut  rien  changer  à  son  plan  d'invasion  de  l'année 
précédente  ;  elle  vota  les  finances  et  les  soldats  qu'on  lui  demanda 
pour  laver  la  honte  de  la  défaite  du  général  Braddock  et  venger 
la  perte  de  l'île  de  Minorquedans  la  Méditerranée,  deux  événe- 
mens  qui  avaient  fait  une  sensation  considérable  en  Angleterre. 
L'Amérique,  principal  ihéâtre  des  opérations  militai res,fixa  surtout 
l'attention  des  peuples  britanniques,  qui  voyaient  là  leurs  futures 
conquêtes  et  le  siège  de  leur  domination  permanente.  Le  comte 
de  Loudoun,  vieil  officier  d'expérience,  fut  nommé  gouverneur  de 
la  Virginie  et  général  en  chef  des  armées  de  l'Amérique  du  nord. 
Le  général  Abercromby  y  fut  envoyé  avec  deux  nouveaux  régi- 
mens.  115,000  louis  sterling  furent  votés  par  la  chambre  des 
communes  pour  aider  les  colonies  à  armer  leurs  milices.  Les 
gouverneurs  des  diverses  provinces  s'assemblèrent  à  New- York, 
et  résolurent  de  lever  10,000  hommes  pour  prendre  le  fort  St.- 
Frédéric  et  s'assurer  du  commandement  du  lac  Champlain  ;  6,000 
hommes  pour  faire  le  siège  de  Niagara  et  couper  la  communica- 
tion de  la  vallée  de  l'Ohio  ;  3,000  hommes  pour  marcher  sur  le 
fort  Duquesne,  et  enfin  2,000  pour  faire  une  diversion  du  côté  de 
Québec,  en  remontant  la  rivière  Kénèbec,  traversant  les  Allégha- 
nys  et  descendant  la  rivière  Chaudière  qui  tombe  dans  le  St.- 
Laurent  à  quelques  milles  de  cette  ville,  et  tenir  tout  le  centre 
du  Canada  en  alarmes.  Ces  milices  devaient  former,  avec 
d'autres  petits  corps  volans  placés  sur  les  frontières,  une  armée 
d'environ  25,000  hommes  ou  le  double  de  celle  des  Français, 
outre  les  troupes  régulières.  Mais  malgré  cette  grande  augmen- 
tation de  forces,  et  les  flottes  nombreuses  qui  couvraient  les  mers 
de  ce  continent,  nous  allons  voir  que  la  campagne  de  1756  fut 
encore  plus  malheureuse  pour  l'Angleterre  que  les  Jeux  précé- 
dentes. 


n 


CHAPITRE  II. 


PRISE  D'OSWÊGO  ET  DE  WILLIAM-HENRY. 

1756-1757. 


f 


Alliances  indiennes  ;  les  cantons  iroquois  protestent  de  leur  neutralité. — 
Préparatifs  militaires. — Bandes  canadiennes    en  campagne  tout  l'hiver 
(1755-56)  ;  destruction  du  fort  Bull  et  dispersion  d'un  convoi  de  400  ba- 
teaux ennemis.— Commencement  de  désunion  entre  le  gouverneur  et  le 
général  Montcalm  au  sujet  de  l'entreprise  sur  Oswégo. — Siège  de  cette 
place. — La  garnison  abandonnée  du  général  Webb  capitule. — Butin  que 
l'on  fait. — Les  Sauvages  tuent  un  grand  nombre  de  prisonniers  ;  on  ne 
parvient  à  les  arrêter  qu'avec  beaucoup  de  peine. — Les  fortifications  d'Os- 
wégo  sont  rasées. — Joie  que  cette  victoire  répand  en  Canada. — Les 
Anglais  suspendent  toutes  leurs  opérations  pour  le  reste  d<>  la  campagne. — 
Les  Indiens  ravagent  leurs  provinces. — Les  Canadiens  enlèvent  Grenville 
à  20  lieues  de  Philadelphie. — Disette  en  Canada. — Arrivée  des  Acadiens 
qui  mouraient  de  faim. — Ils  se  dispersent  dans  le  pays. — Demande  de 
secours  en  France. — Augmentation  rapide  des  dépenses. — Montcalm  sug- 
gère d'attaquer  l'Acadie  au  lieu  des  forts  Edouard  et  William-Henry.^ 
Pitt  monte  au  timon  des  affaires  en  Angleterre  ;  nouveaux  efforts  de  cette 
puissance  en  1757. — Elle  forme  et  on  abandonne  en  chemin  le  dessein  de 
prendre  Louisbourg,  protégé  par  la  flotte  de  l'amiral  Dubois  de  la  Motthe. 
— Des  bandes  canadiennes  tiennent  la  campagne  pendant  l'hiver  ;  jNI.  de 
Rigaud,  à  la  tête  de  1,500  hommes,  détruit  les  environs  du  fort  William- 
Henry. — Les  tribus  indiennes  restent  fidèles  à  la  France,  qui  envoie  des 
secours. — Prise  de  William-Henry  après  un  siège  de  6  jours. — La  garnison 
forte  de  2,400  hommes,  met  bas  les  armes. — Les  prisonniers  sont  encore 
attaqués  à  l'improviste  par  les  Sauvages,  qui  en  massacrent  plusieurs,  les 
pillent  et  les  dispersent. — Le  fort  William-Henry  est  aussi  rasé. — La 
Disette  va  en  augmentant  en  Canada. — Murmures  des  troupes. — Les  dis- 
sentions deviennent  plus  visibles  entre  les  chefs  de  la  colonie. — Succès 
variés  de  la  France  dans  les  autres  parties  du  Monde. — Elle  ne  pei 
envoyer  que  quelques  recrues  en  Amérique. — L'Angleterre  y  porte  sou 
armée  à  50,000  hommes  dont  22,000  réguliers,  pour  la  campagne  de  1758. 

Dans  l'hiver  M.  de  Vaiidreuil  porta  son  attention  sur  l'importante 
affaire  des  alliances  indiennes,  surtout  celle  avec  les  cinq  nations, 
qui  cherchaient  à  conserver  la  neutralité  et  à  faire  respecter  l'in- 
légrité  de  leur  territoire.  Il  reçut  avec  une  grande  distinction  la 
députation  nombreuse  qu'elles  lui  envoyèrent,  et  les  assura  que 
son  plus  grand  désir  était  de  rester  en  bonne  intelligence  avec 


I  :. 


244. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


elles.  Cea  délégués  satisfaits  se  retirèrent  en  renouvelant  leurs 
protestations  pacifiques.  C'est  en  partie  pour  ne  pas  indisposer 
ces  peuples  que  le  gouverneur  fit  raser  les  fortifications  d'Oswégo, 
lorsque  l'on  s'empara  de  cette  place. 

La  saison  des  opérations  arrivait,  mais  l'ennemi  qui  avait  appris 
à  être  plus  circonspect,  ne  montrait  pas  pour  se  mettre  en  cam- 
pagne le  même  empressement  que  l'année  précédente.  La  levée 
de  ses  troupes  avait  éprouvé  aussi  beaucoup  de  délais  inévitables. 
Une  difficulté  d'étiquette  vint  les  accroître.  D'après  des  règles 
de  guerre  faites  à  Londres,  les  officiers  de  l'armée  régulière 
devaient  avoir  la  préséance  sur  ceux  de  la  milice  coloniale. 
Cette  distinction  causa  un  mécontentement  universel  parmi  la 
libre  et  fière  population  américaine.  Elle  repoussa  avec  dédain 
l'infériorité  que  l'on  voulait  lui  imposer,  et  lord  Loudoun  fut  obligé 
de  donner  satisfaction  à  une  exigence  qui  ne  paraissait  du  reste  que 
légitime.  Il  laissa  donc  subsister  l'organisation  militaire  que  les 
colonies  s'était  attribuée  au  commencement  de  la  guerre.  En 
Canada  les  mêmes  difficultés  se  présentèrent  ;  mais  la  sagesse 
du  gouvernement  les  fit  cesser  aussitôt.  M.  de  Vaudreuil,  qui 
était  l'ami  et  le  protecteur  des  Canadiens,  repoussa  toute  atteinte  à 
leurs  droits  et  à  l'usage  établi. 

L'inactivité  prolongée  des  Anglais,  qui  commençait  à  causer 
quelque  étonnement  en  Canada,  permit  de  mettre  à  exécution  un 
projet  conçu  dans  le  temps  de  la  construction  d'Oswégo,  cons- 
truction qu'on  avait  regardée  à  la  fois  comme  un  acte  d'hos- 
tilité et  comme  une  menace.  M.  de  Vaudreuil  ayant  la  prise  de 
ce  fort  à  cœur,  n'avait  fait  que  l'ajourner  l'année  précédente  ;  et 
dans  la  prévision  de  sa  réalisation  prochaine,  les  préparatifs 
étaient  faits  pour  l'exécuter.  Des  partis  avaient  été  tenus  tout 
l'hiver  en  campagne,  entre  Albany  et  ce  fort,  pour  détruire  les 
petits  postes  qu'on  y  aurait  élevés  et  pour  harceler  sans  cesse  les 
communications.  Dans  le  mois  de  mars,  M.  de  Léry,  à  la  tête 
de  300  hommes,  prit  u'"  magasin  considérable,  connu  sous  le 
nom  de  fort  Bull,  situé  entre  Schenectady  et  Oswégo.  On  y 
détruisit  une  immense  quantité  de  poudre  et  de  projectiles  de 
guerre,  dont  la  perte  retarda  beaucoup  les  mouvemens  de  l'ennemi. 
Le  fort  Bull  était  palissade  et  garni  de  meurtrières.  Sa  prise 
ofirit  ceci  de  singulier,  que  les  meurtrières  au  lieu  d'être  une  pro- 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


243 


tection  pour  la  garnison,  servirent  aux  assaillans  qui  s'en  empa- 
rèrent avant  que  la  garnison  put  s'y  placer,  et  tirèrent  par  ces 
ouvertures  du  dehors  en  dedans  de  l'enceinte.  Les  palissades 
ayant  été  coupées  à  coups  de  hache,  le  fort  fut  pris  d'assaut,  et 
tous  ceux  qui  le  défendaient  furent  passés  au  fil  de  l'épée. 

M.  de  Vaudreuil  envoya  dès  le  petit  printemps,  M.  de  Villiers 
avec  900  hommes  pour  observer  les  environs  d'Oswégo  et  inquié- 
ter les  Anglais.  Ce  détachement  eut  plusieurs  escarmouches. 
Le  3  juillet,  il  attaqua  un  convoi  de  3  à  400  bateaux  qui  revenait 
de  porter  des  armes  et  des  vivres  au  fort,  le  dispersa,  tua  beau- 
coup de  monde,  leva  des  chevelures  et  fit  quantité  de  prisonniers.* 

A  la  suite  de  ce  nouveau  succès  l'attaque  fut  définitivement 
résolue  et  les  troupes  reçurent  l'ordre  de  se  mettre  en  mouvement. 
C'est  alors  qne  le  public  crut  apercevoir  un  refroidissement 
entre  le  gouverneur  et  le  commandant  des  troupes.  Ces  deux 
chefs  qui  s'étaient  plus  d'abord  avaient  fini  par  se  méfier  et  s'éloi- 
gner l'un  de  l'autre.  La  différence  de  caractère  et  des  personnes 
intéressées  peut-être  à  les  diviser,  confirmèrent  encore  ce  mal- 
heureux penchant.  Il  n'y  eut  dans  les  commencemens  que  leurs 
amis  intimes  qui  s'aperçurent  de  ce  changement,  qui  devait  être 
si  funeste  dans  la  suite.  Plus  tard  cette  désunion  devint  appa- 
rente pour  to'it  le  monde. 

Montcalm,  pir  un  fatal  pressentiment,  ne  crut  jamais  au  suc- 
cès de  la  guerre,  comme  ses  lettres  ne  l'attestent  que  trop  ;  de  là 
une  apathie  qui  lui  aurait  fait  négliger  tout  mouvement  agresseur, 
sans  Vaudreuil,  qui,  soit  par  conviction,  soit  par  politique,  ne 
parut  au  contraire  jamais  désespérer,  et  conçut  et  fit  exécuter  les 
entreprises  les  plus  glorieuses  qui  aient  signalé  les  armes  françai- 
ses. Tei  >^;tait  cependant  le  progrès  des  idées  de  Montcalm  dans 
l'armée,  que  le  gouverneur  disait  dans  une  lettre  qu'il  adressait 

•  Lettre  de  M.  de  Montcalm  au  ministre,  du  20  juillet  1756.  Il  dit  que 
l'avantage  aurait  été  plus  considérable  si  les  Sauvages  n'avaient  pas  attaqué 
trop  tôt.  Lettre  de  M.  de  Vaudreuil,  du  30  août.  La  plupart  des  historiens 
américains  ne  parlent  point  de  cette  surprise.  Smollett  rapporte  que  les 
Anglais  étaient  commandés  par  le  colonel  Bradstreet,  qu'ils  défirent  com- 
plètement lours  assaillans  après  un  combat  de  trois  heures,  et  firent  70  pri- 
sonniers. Mais  Sismondi,  parlant  de  Smollett,  observe  qu'il  n'a  écrit  en 
général  que  sur  des  rapports  de  gazette  et  qu'il  mérite  peu  de  croyance, 
observation  vraie  pour  l'Amérique. 


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246 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


aux  ministres,  après  la  prise  d'Oswégo,  que  s'il  se  fût  arrêté  à 
tous  les  propos  inconsidérés  qu'on  tenait  à  ce  sujet,  il  aurait  été 
obligé  de  renoncer  à  une  entreprise  qui  devait  déranger  si  profon- 
dément tous  les  plans  des  généraux  anglais.  En  effet  Montcalm 
ne  l'approuvait  qu'à  demi  et  avait  des  doutes  sur  le  succès  ;  il 
s'exprimait  ainsi  dans  une  dépêche  :  •'*  L'objet  qui  me  fait  passer 
à  Frontenac,  est  un  objet  qui  m'a  paru  assez  militaire,  si  toutes 
les  parties  de  détail  sont  assez  bien  combinées,  et  je  pars  sans  en 
être  ni  assuré  ni  convaincu." 

Le  fort  Osvvégo,  bâti  par  les  Anglais  sur  la  rive  droite  du  lac 
Ontario  pour  protéger  leur  commerce  et  les  établissemens  qu'ils 
voulaient  former  entre  l'Hudson  et  ce  lac,  acquérait  en  temps  do 
guerre  une  double  importance  par  sa  position.  Il  servait  d'un 
côté  à  contenir  les  tribus  iroquoises,  et  menaçait  de  l'autre  les 
communications  entre  l'extrémité  inférieure  et  l'extrémité  supé- 
rieure du  Canada,  parce  que  les  Anglais  pouvaient,  de  ce  point, 
attaquer  le  fort  Frontenac  et  s'emparer  du  commandement  du  lac 
Ontario.  11  était  donc  important  de  se  rendre  maître  de  cette 
position,  et  de  les  rejeter  dans  la  vallée  de  l'Hudson.  C'est  ce 
que  le  gouvernement  français  avait  senti,  et  ce  que  M.  de  Vau- 
dreuil  voulut  exécuter. 

Ce  gouverneur,  qui  avait  dirigé  une  partie  des  préparatifs, 
avait  si  bien  pris  ses  mesures  que  l'armée  surprit  pour  ainsi  dire 
les  ennemis,  que  les  détachemens  tenus  aux  environs,  avaient 
empêchés  de  pousser  des  reconnaissances  au  loin.  Vaudreuil 
avait  réuni  3000  hommes  à  Carillon,  et  Montcalm  s'y  était  rendu 
avec  grand  bruit  pour  attirer  leurs  regards  de  ce  côté.  Tandis 
qu'ils  croyaient  encore  ce  général,  qu'ils  redoutaient,  sur  le  lac 
Champlain,  celui-ci  était  revenu  soudainement  à  Montréal  ;  et 
trois  jours  après,  le  21  juillet,  il  repartait  pour  aller  se  mettre  à 
la  tête  des  troupes  expéditionnaires  réunies  à  Frontenac,  sous  les 
soins  de  M.  de  Bourlamarque.  Un  camp  d'observation  avait  été 
formé  par  M.  de  Villiers  à  Niaouré,  à  15  lieues  d'Oswégo.  On 
en  donna  le  commandement  à  M.  de  Rigaud,  avec  ordre  de  pro- 
téger d'abord  le  débarquement  de  l'armée  sur  la  rive  méridionale 
du  lac,  et  ensuite  d'en  former  l'avant-garde.  Pour  ne  pas  éprou- 
ver d'obstacles  de  la  part  des  Iroquois,  une  partie  de  leurs  prin- 
cipaux guerriers  avait  été  attirée  à  Montréal,  et  une  autre  à 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


247 


Niagara,  où  ils  servaient  d'otages  pour  la  conduite  de  la  confédé- 
ration. On  avait  en  même  temps  placé  deux  barques  de  12  à 
16  canons  en  croisière  devant  Osv^régo,  et  établi  une  chaîne  de 
découvreurs  entre  ce  fort  et  Albany  pour  intercepter  les  couriers. 

Le  général  Montcalra  arriva  à  Frontenac  le  29  juillet.  Le  4> 
août  !a  première  division  de  l'expédition,  forte  de  deux  bataillons 
et  de  4  bouches  à  feu,  s'embarqua  et  atteignit  Niaouré  le  6.  La 
seconde  ou  dernière  division  y  arriva  le  8;  elle  était  formée  d'un 
bataillon  de  réguliers  et  d'un  corps  de  Canadiens,  avec  plus  de 
80  bateaux  chargés  d'artillerie,  de  bagages  et  de  vivres.  Ces 
troupes  réunies  formaient  environ  3,100  hommes,  dont  1,350 
réguliers,  1,500  Canadiens  et  soldats  de  la  colonie,  et  250  Sauva- 
ges." De  la  baie  de  Niaouré  l'armée,  pour  dérober  sa  marche, 
cheminait  de  nuit  seulement  et  se  retirait  le  jour  dans  les  bois  du 
rivage,  en  couvrant  les  bateaux  qui  servaient  à  la  transporter  de 
feuillages  épais,  et  parvint  ainsi  le  10,  dans  une  anse  à  une  demi- 
lieue  de  la  place  sans  presque  être  découverte,  sous  la  protection 
de  l'avant-garde,  qui  avait  continué  son  chemin  par  terre,  et  qui 
investit  le  lendemain  le  fort  Ontario. 

Les  ouvrages  défensifs  d'Osvvégo  consistaient  en  trois  forts  ;  le 
fort  Oswégo  proprement  dit,  dont  les  remparts  étaient  garnis  de 
18  pièces  de  canon  et  de  15  mortiers  ou  obusiers;  le  fort  Ontario 
élevé  tout  récemment  au  milieu  d'un  plateau  dans  l'angle  formé 
par  la  rivière  qui  avait  donné  son  nom  au  principal  fort,  et  le  lac, 
et  enfin  le  fort  George  situé  sur  une  hauteur  à  300  toises  de  celui 
d'Osvvégo  qu'il  dominait  ;  ce  dernier  n'était  qu'un  mauvais  retran- 
chement en  terre  garni  de  pieux,  et  défendu  par  quelques  pièces 
de  canon.  Ces  diverses  fortifications  avaient  une  garnison  de 
seize  à  dix-sept  cents  hommes  des  régimens  de  Shirley,  Pepper- 
rell  et  Schuyler,  noms  populaires  depuis  l'expédition  de  Louis- 
bourg.    Le  colonel  Mercer  les  commandait. 

Les  Français  ayant  établi  leur  camp  dans  l'anse  où  ils  avaient 
débarqué,  employèrent  les  journées  du  11  et  du  12  à  percer  un 
chemin  dans  un  bois  marécageux  jusqu'au  fort  Ontario,  pour  le 
passage  des  troupes  et  de  l'artillerie.  Le  colonel  de  Bourlamarque 
fut  chargé  de  la  direction  du  siège.  La  tranchée,  ouverte  à  90 
toises  de  ce  dernier  fort,  malgré  un  feu  d'artillerie  et  de  mousque- 

*  Les  auteurs  américains  disent  5000.    Nous  donnons  les  chiffres  officiels. 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


terie  très  vif  des  assiégés,  reçut  six  pièces  de  canon.  Le  colonel 
Mercer,  qui  s'était  transporté  dans  re  fort  de  sa  personne,  ne  vou- 
lant pas  attendre  l'assaut,  et  ayi;at  épuisé  ses  munitions,  fit 
enclouer  les  canons  et  l'évacua.  Les  Français  y  entrèrent  aussitôt. 
Mercer  envoya  alors  370  hommes  pour  tenir  la  communication 
ouverte  entre  le  fort  George,  où  commandait  le  colonel  Schuyler, 
et  le  fort  Osvvégo  où  il  se  retira  lui-môme.  Mais  M.  de  Rigaud 
ayant  passé  la  rivière  à  la  nage  avec  un  corps  de  Canadiens  et 
de  Sauvages  le  14  au  point  du  jour,  chassa  ces  troupes  et  s'établit 
entre  les  deux  forts,  jetant,  par  ce  mouvement  hardi,  l'intimidation 
parmi  les  assiégés  et  les  séparant  en  deux.  Cette  manœuvre  fut 
suivie  de  l'établissement  d'une  batterie  de  neuf  pièces  de  canon 
sur  l'escarpement  de  la  rivière,  du  côté  opposé  au  fort  Osvvégo, 
laquelle  ouvrant  un  feu  plongeant  dans  les  retranchemens  qu'il  y 
avait  autour  de  cette  place,  frappait  les  soldats  découverts  jus- 
qu'aux jenoux  et  leur  ota  toute  espérance  de  pouvoir  s'y  mainte- 
nir. A  sept  heures  du  matin  le  colonel  Mercer  fut  tué,  et 
quelques  heures  après  les  assiégés  demandèrent  à  capituler.  La 
rapidité  des  travaux  du  siège,  le  passage  audacieux  de  la  rivière 
qui  otait  aux  Anglais  toute  retraite,  la  mort  de  leur  comman- 
dant, tout  contribua  à  les  décider  à  prendre  une  résolution  que  les 
assiégeans  n'osaient  pas  espérer  sitôt,  car  les  assiégés  avaient  à 
peu  de  distance,  un  corps  de  2,000  hommes  sous  les  ordres  du 
général  Webb,  que  Montcalm  s'attendait  d'un  moment  à  l'autre  à 
voir  paraître,  et  qu'il  s'était  préparé,  du  reste,  à  bien  recevoir. 
Le  colonel  Mercer  avait  écrit  à  Webb,  le  12  à  4  heures  du  matin, 
pour  l'informer  de  sa  situation  et  l'appeler  à  son  secours  ;  2  heu- 
res après,  la  lettre  interceptée  était  remise  au  général  français, 
qui  pressa  davantage  les  travaux  du  siège.  Le  général  Webb 
apprit  en  route,  à  Wood's  Creek,  la  capitulation  d'Oswégo.  Il 
s'empressa  aussitôt  d'embarrasser  la  rivière,  et  de  rebrousser  che- 
min avec  une  précipitation  qui  tenait  presque  de  l'épouvante. 

La  capitulation  fut  signée  à  11  heures  du  matin.  Le  colonel 
Littlehales,  qui  avait  remplacé  le  colonel  Mercer,  resta  prisonnier 
avec  la  garnison  des  deux  forts  et  les  équipages  des  navires,  for- 
mant 1,400  soldats,  300  marins  et  ouvriers,  80  officiers  et  une 
centaine  de  femmes  et  d'enfans.  Les  troupes  posèrent  les  arn.^^s. 
Qn  prit  sept  bâtimens  de  8  à  18  canons,  200  bateaux,  107  pièces 


tfif£Xf i^^^t^msrawis: :i-:  .•;: 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


i£49 


de  canon,  14  mortiers,  730  fusils,  une  immense  quantitù  de  muni- 
tions de  guerre  et  de  bouche,  5  drapea-ix  et  la  caisse  militaire 
renfermant  18,000  francs.  Cette  belle  conquête  ne  coûta  que 
quelques  hommes.  Les  assiégés  avaient  perdu  environ  150  tués 
ou  blessés,  y  compris  plusieurs  soldats  qui  voulurent  se  sauver 
dans  les  bois  pendant  la  capitulation,  et  qui  tombèrent  sous  la 
hache  des  Indiens. 

Ces  barbares,  se  voyant  frustrés  du  pillage  de  la  place  con- 
quise, qu'un  assaut  leur  aurait  livré,  voulaient  à  toute  force  faire 
un  butin.  Ils  se  jetèrent  sur  les  prisonniers  isolés,  les  pillèrent 
ou  les  massacrèrent.  Ils  envahirent  les  hôpitaux  et  levèrent  la 
chevelure  à  une  partie  des  malades.  Une  centaine  d'hommes 
devinrent  leurs  victimes.  Le  général  Montcalm,  à  la  première 
alarme,  s'était  empressé  de  prendre  des  mesures  énergiques  pour 
faire  cesser  ces  sanglans  désordres  ;  mais  il  ne  put  réussir  qu'avec 
beaucoup  de  difficulté,  et  encore,  pour  satisfaire  les  Sauvages 
excités  par  la  soif  du  sang  qu'ils  venaient  de  verser,  fut-il  obligé 
de  leur  promettre  de  riches  présens.  "  Il  en  coûtera  au  roi  huit 
à  dix  mille  livres,  écrivit-il  au  ministre,  qui  nous  conserveront 
plus  que  jamais  l'affection  des  nations  ;  et  il  n'y  a  rien  que  je 
n'eusse  accordé  plutôt  que  de  faire  une  démarche  contraire  à  la 
bonne  foi  française." 

Toutes  le 3  fortifications  d'Osvvégo  furent  rasées,  suivant  les 
ordres  du  gouverneur,  en  présence  des  chefs  Iroquois,  qui  virent 
tomber  avec  la  satisfaction  la  plus  vive  ces  forts  élevés  au  milieu 
de  leurs  cantons,  et  qui  offusquaient  leur  amour-propre  national 
et  leur  jalousie.  Cette  détermination  était  d'une  sage  politique, 
attendu  que  l'on  manquait  de  forces  pour  y  laisser  une  garnison 
capable  de  se  maintenir  dans  cette  position  avancée  ayant  le  lac 
Ontario  à  dos. 

L'époque  de  la  moisson  appelait  depuis  quelque  temps  le  retour 
des  Canadiens  dans  leurs  foyers.  Le  gros  de  l'armée  se  rembar- 
qua avec  les  prisonniers  pour  retourner  en  Canada,  où  la  victoire 
de  Montcalm  causa  une  joie  universelle,  et  fut  l'occasion  de 
réjouissances  publiques.  Suivant  l'usage  un  Te  Deum  fut  chanté 
dans  les  églises  des  villes,  où  l'on  suspendit  avec  solennité  les 
drapeaux  pris  sur  l'ennemi  comme  des  trophées  propres  à  entre- 
tenir le  zèle  des  Canadiens  et  à  annoncer  surtout  l'éloignement 


250 


HISTOmE  DU   CANADA. 


du  danger.  Les  regrets  des  Anglais,  qui  regardèrent  la  perte 
d'Osvvégo  comme  l'événement  le  plus  désastreux  qui  put  leur 
arriver,  comme  un  malheur  national,  montraient  qu'on  n'avait 
pas  exagéré  cette  conquête.  Eu  effet  ils  suspendirent  aussitôt 
toutes  leurs  opérations  offensives,  le  général  Abercromby  accu- 
sant le  général  Schuyler  de  ne  pas  lui  avoir  fait  connaître  l'état 
de  la  place.  Le  général  Winslovv  reçut  ordre  de  ne  point  mar- 
cher sur  Carillon,  et  de  se  retrancher  de  manière  à  surveiller  les 
routes  du  lac  Champlain  et  d'Osvvégo.  Le  général  Webb  fut 
placé  au  portage  de  la  tète  du  lac  St.-Sacrement  avec  1,400 
hommes,  et  sir  William  Johnson,  avec  1000  miliciens,  à  German 
Flatts  sur  la  rivière  Hudson.  L'expédition  par  la  rivière  Chau- 
dière fut  abandonnée  ou  changée  en  course  de  maraudeurs  ;  enfin 
celle  qu'on  avait  projetée  contre  le  fort  Duquesne,  fut  ajournée  à 
lin  tenips  plus  propice.  Ces  mesures  de  précautions  occupèrent 
l'ennemi  le  reste' de  la  campagne. 

L'atla(jue  d'Osvvégo,  dont  la  conception  était  due  à  M.  de 
Vaudreuil  et  l'exécution  au  général  Montcalm,  fit  le  plus  grand 
honneur  à  ces  deux  hommes  ;  mais  le  succès  qui  l'avait  cou- 
ronnée ne  rétablit  point  entre  eux  une  amitié  franche  et  cordiale. 
Montcalm  parut  mécontent  et  morose  ;  et  comme  s'il  eût  regretté 
une  victoire  obtenue  contre  ses  prévisions,  il  écrivait  à  Paris: 
**  C'est  la  première  fois  qu'avec  3,000  hommes  et  moins  d'ar- 
tillerie qu'eux,  on  en  a  assiégé  1,800,  qui  pouvaient  prompte- 
ment  être  secourus  par  2,000,  et  qui  pouvaient  s'opposer  à  notre 
débarquement,  ayant  une  supériorité  de  marine  sur  le  lac  Onta- 
rio. Le  succès  a  été  au-delà  de  toute  attente.  La  conduite  que 
j'ai  tenue  à  cette  occasion,  et  les  dispositions  que  j'avais  arrêtées 
sont  si  fort  contre  les  règles  ordinaires,  que  l'audace  qui  a  été 
mise  dans  cette  entreprise  doit  passer  pour  de  la  témérité  en 
Europe  ;  aussi  je  vous  supplie,  monseigneur,  pour  toute  grâce 
d'assurer  sa  Majesté  que  si  jamais  elle  veut,  comme  je  l'espère, 
m'employer  dans  ses  armées,  je  me  conduirai  sur  des  principes 
différens."  Il  se  plaignit  encore  dans  l'automne  de  plusieurs 
petits  désagrémens  que  le  gouverneur  lui  aurait  fait  éprouver; 
que  lui  et  M.  de  Levis  recevaient  des  lettres  et  des  ordres  écrits 
avec  duplicité,  et  qui  feraient  retomber  le  blâme  sur  eux  en  cas 
d'échec  ;  que  les  Canadiens  n'avaient  ni  discipline,  ni  subordina- 


HISTOIUE   DU   CANADA. 


251 


tion,  etc.  Les  louanges  que  le  gouverneur  donnait  dans  acs 
dùpCchca  à  leur  bravoure,  avaient  cxcitù,  à  ce  qu'il  paraît,  la 
jalousie  des  troupes  régulières;  et  le  général  Montcalm  qui  n'au- 
rait pas  dédaigné  d'être  le  chef  du  parti  militaire,  et  qui  portait 
peut-être  déjà  les  yeux  sur  un  poste  plus  élevé  que  le  sien,  devint 
vis-à-vis  de  la  mère-patrie  l'organe  d'un  sj  ème  de  dénigrement, 
symptôme  lointain  de  la  désorganisation  sourde  qui  s'introduisait 
déjà  dans  tous  les  élémens  de  l'ancienne  monarchie. 

Comme  nous  venons  de  le  dire,  la  perte  d'Osvvégo  fit  suspendre 
aux  Anglais  toutes  leurs  opérations  pour  le  reste  delà  campagne, 
tant  sur  le  lac  Ontario  que  du  côté  de  l'Acadie.  Sur  le  lac  St.- 
Sacrement  les  hostilités  se-  bornèrent  à  quelques  escarmouches 
jusqu'à  l'automne,  où  les  troupes  françaises  rentrèrent  dans  l'in- 
térieur pour  prendre  leurs  quartiers  d'hiver,  laissant  quelques 
centaines  d'hommes  en  garnison  à  Carillon  et  à  St.-Frédéric  sous 
les  ordres  de  MM.  de  Lusignan  et  de  Gaspé. 

Du  côté  de  l'Ohio,  il  ne  se  passa  rien  non  plus  de  remarquable. 
Mais  les  irruptions  dévastatrices  avaient  continué  dans  la  Penn- 
sylvanie, le  Maryland  et  la  Virginie.  Plus  de  soixante  lieues  de 
pays  avaient  encore  été  abandonnées  cette  année  avec  les  récoltes 
et  les  bestiaux  par  les  habitans,  qui  s'étaient  enfuis  au-delà  des 
Montagnes-Bleues.  Les  milices  américaines,  habillées  et  tatouées 
à  la  manière  des  Indiens,  n'avaient  pu  arrêter  qu'un  instant  ces 
invasions  passagères  et  sanglantes.  On  eut  môme  des  craintes 
pour  la  sûreté  de  la  ville  de  Winchester.  Le  colonel  Washington, 
qui  commandait  sur  cette  frontière,  écrivit  dans  les  termes  les 
plus  pressans  au  gouverneur  de  la  Virginie  pour  lui  exposer  l'ex- 
trême désolation  qui  y  régnait:  "  Je  déclare  solennellement 
que  je  m'offrirais  volontiers  en  sacrifice  à  nos  barbares  ennemis,, 
si  cela  pouvait  contribuer  au  soulagement  du  peuple." 

M.  Dumas  avait  fait  enlever  aussi,  dans  le  mois  d'août,  le  fort 
Grenville  situé  seulement  à  vingt  lieues  de  Philadelphie.  Quel- 
que temps  auparavant,  Washington  avait  voulu  surprendre,  avec 
3  ou  400  hommes,  Astigué,  grosse  bourgade  des  Sauvages-Loups  ; 
et  il  avait  déjà  réussi  à  mettre  cette  tribu  en  fuite,  lorsque  rame- 
née à  la  charge  par  M.  de  la  Rocquetaillade  et  quelques  Cana- 
diens, el''  avait  mis  à  son  tour  les  Anglais  en  déroute,  et  les  avait 
dispersés  dans  les  bois. 


iiii 
'M 


252 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


Ainsi  partout  les  opérations  militaires  nous  avaient  été  favo- 
rables et  tout  l'honneur  en  appartenait  aux  armes  françaises,  car 
avec  moins  de  6,000  hommes  elles  avaient  paralysé  les  mouve- 
mens  de  près  de  12,000,  rassemblés  entre  l'Hudson  et  le  lac 
Ontario,  et  s'étaient  emparé  de  leur  plus  forte  place  de  guerre. 
Pour  récompenser  le  zèle  et  le  courage  des  troupes,  Louis  XV 
promut  à  un  grade  supérieur  ou  décora  de  la  croix  de  St.-Louis 
plusieurs  olTiciers. 

Si  Ton  avait  lieu  d'être  satisfait  de  leurs  services,  la  situation 
intérieure  du  pays  ne  permettait  guère  cependant  de  se  réjouir  de 
leurs  succès,  qui  retenaient  bien,  il  est  vrai,  la  guerre  au-delà  des 
frontières,  mais  qui  étaient  inutiles  pour  soulager  les  maux  du 
peuple.  Toute  l'attention  du  gouvernement  se  portait  alors  sur 
la  disette  qui  régnait,  et  qui  était  encore  plus  redoutable  que  le 
fer  des  Anglais.  Le  tableau  de  la  mioere  et  des  souflfrances  qui 
s'offraient  partout  dans  l'automne,  frappait  de  pressentimens 
sinistres  les  hommes  les  plus  résolus.  La  petite  vérole  venait  de 
faire  des  ravages  terribles,  qui  s'étaient  étendus  aux  tribus 
indijnnes.  Les  Abénaquis,  cette  nation  si  brave  et  si  fidèle  à  la 
France  et  au  catholicisme,  furent  presqu'entièrement  détruits  par 
le  fléau.  11  n'en  resta  (jue  quelques  débris,  qui  s'attachèrent  à 
la  cause  des  Anglais,  leurs  plus  proches  voisins.  Les  récoltes 
avaient  encore  manqué,  et,  sans  les  vivres  trouvés  à  Oswégo,  on 
ne  sait  ce  que  seraient  devenus  les  postes  de  Frontenac,  de  Nia- 
gara et  de  l'Ohio.  L'intendant  fut  obligé  de  faire  distribuer  du 
pain  au  peuple  des  villes  chez  les  boulangers,  à  qui  l'on  fournis- 
sait de  la  farine  des  magasins  du  roi.  Les  habitans  aifamés 
accouraient  en  foule  et  se  l'arrachaient  à  la  distribution.  Dans  le 
même  temps,  les  bâtimens  envoyés  à  Miramichi  pour  porter  des 
provisions  aux  Acadiens,  revenaient  chargés  de  ces  malheureux, 
qui  périssaient  de  misère  et  qui  ne  demandaient  que  des  armes  et 
du  pain  pour  prix  de  leur  dévoûment.  Leur  arrivée  .,e  fit 
qu'empirer  le  mal.  On  avait  plus  de  combattans  que  l'on  était 
capable  d'en  nourrir,  et  l'on  fut  obligé  de  donner  de  la  chair  de 
cheval  à  ces  pauvres  gens.  Un^  partie  mourut  de  la  petite 
vérole,  une  autre  fut  acheminée  dans  quelques  seigneuries  do 
Montréal  et  des  Trois-Rivières,  où  elle  fonda  les  paroisses 
de  l'Acadic,  Sl.-Jacque?,  Nicolet  et  Bécancour  ;  le  reste  traîna 


HISÏOIIIK    nu    CANADA. 


253 


pendant  quelque  temps  une  existence  misérable  dans  les  villes 
et  dans  les  campagnes,  où  il  finit  par  se  disperser  et  se  fondre. 
Enfin,  dans  le  mois  de  mai  1757,  le  mal  allant  toujours  en  aug- 
mentant, il  fallut  réduire  les  habitans  de  la  capitale,  depuis  quel- 
que temps  déjà  à  la  ration,  à  quatre  onces  de  pain  par  jour. 

On  adressa  de  toutes  parts  des  lettres  à  la  France  pour  y  appe- 
ler son  attention  la  plus  sérieuse.  Le  gouverneur,  les  ofliciers 
généraux,  l'intendant,  tous  demandaient  des  secours  pour  triom- 
pher et  de  la  famine  et  de  l'ennemi.  Le  succès  de  la  prochaine 
campagne  dépendra  surtout,  disait-on,  des  subsistances  qu'on  y 
enverra,  car  il  serait  triste  que,  faute  de  cette  prévoyance,  le 
Canada  fût  en  danger;  toutes  les  opérations  y  seront  subordon- 
nées. Quant  aux  renforts  de  soldats,  M.  de  Vaudreuil  deman- 
dait 2,000  hommes  si  l'Angleterre  ne  faisait  pas  passer  de  nou- 
velles troupes  en  Amérique,  sinon  un  nombre  proportionné  à  ce 
qu'elle  enverrait.  Les  réguliers  qui  restaient  à  la  fin  de  la  cam- 
pagne, sans  compter  les  troupes  de  la  colonie,  ne  formaient  guère 
plus  de  2,400  bayonnettes. 

Ces  demandes  continuelles  effrayaient  la  France.  Engagée 
dans  une  fausse  route,  elle  voyait  ses  finances  s'abîmer  dans  la 
guerre  d'Allemagne  et  d'Italie,  où  elle  n'avait  rien  à  gagner,  et 
ses  coffres  rester  vides  pour  faire  face  aux  dépenses  nécessaires 
à  la  conservation  du  Canada  et  à  l'intégrité  de  ses  possessions 
américaines.  Le  gouvernement  sentait  le  vice  de  sa  position,  et 
il  n'en  pouvait  sortir,  car  le  Canada  était  sacrifié  à  la  politique  de 
la  Pompadour.  Il  chicanait  sur  chaque  article  de  la  dépense. 
Il  observait  que  dans  les  temps  ordinaires  cette  colonie  ne  coû- 
tait à  la  France  que  10  à  12  cent  mille  livres  par  année,  et  que 
depuis  le  commencement  des  hostilités,  la  dépense  avait  monté 
graduellement  à  6,  puis  à  7,  puis  à  8  milhons  ;  que  dès  1756  la 
caisse  coloniale  se  trouvait  débitrice,  par  suite  de  ces  exercices 
extraordinaires,  de  14  millions,  dont  près  de  7  millions  en  lettres 
de  change  payables  l'année  suivante.  L'intendant  Bigot  mandait 
que  l'armée  avait  épuisé  les  magasins  de  tout  à  la  fin  de  56,  que 
les  dépenses  des  postes  de  l'Ohio  iraient  jusqu'à  2  ou  3  millions, 
et  que  celles  de  57  monteraient,  pour  tout  le  Canada,  à  7  millions 
au  moins.  Ces  demandes  faisaient  redouter  au  ministère  un  sur- 
croît encore  bien  plus  énorme.     Les  politiques  à  vues  courtes, 

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254. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


les  fôvoris  du  prirtce,  qui  participaient  à  ses  débauches  et  profi* 
taïent  de  seé  prodigalités,  s'écriaient  que  le  Canada,  ce  pays' de 
forêts  et  dé  déserts  glacés,  'coûtait  irtfiniment  plus' qu'il  ne  valait. 
On  ne  voyait  qu'une  question  d'argent   là  où  «e  trouvait  une 
question  de  puissance  maritime  et  de  grandeur  nationale.    La 
France  ou  jilutôft'  ses'  irtinistiies  oubliaient  jusqu'à  l'héroïsme'de 
ses  soldats  sur  cette  ten*e  lointaine,  ptour  fournir  aux  excès  scan- 
daleux des  maîtresses  royales.  '■    ■'■!•'!!■  ly^ 
'•'■■Tout  len  enjoignant  l'économie  la  pl'u«  sévère,  ils  ne  purent  se 
diépeni^er  d'envoyer  les  renforts  et  les  Récents  en  vivres  et' en 
inimilione  qui  avâieht  été  demandés.     C'est  après  cet  envoi  en 
1757  ^ue  l'approvisionnement  des  armées  qui,  jusque-là,  s'était 
fait  par  régie,  c'est-à-dîre  par  des  employés  qui   faisaient  les 
â'èhats,  fur  mis  en  entreprise^' sur  les  suggestions  présentées  par 
Bigot  pendant  quMl  était  en  France  en  55.     Cadet,  riche  boucher 
de  Québec,  devint  l'adjudicataire  des  fournitures  de  l'armée  et  do 
tous  les  postes  pour  neuf  ans.     Ce  système  qui  subsisiait  en 
France,  et  qui  était  adopté  pour  prévenir  les  abus,  contribua  au 
Contraire  à  les  multiplier  de  ce  côté-ci  de  l'océan  d'une  manière 
effrayantë^'Cdt^trfe  6ii"lè'Verfa  plustardV'''  v^i'^t.-!  •j:,^.!;,-;  oni;  ■'■.ii;:\> 
■•"*  Céfiétidiïnt  le  gériéral  JVtdhtlJalm  avait  suggéré  aux  ministres, 
àu'lieu  d'attaq"UéCile  fort 'William-Henry  et  le  fort  Edouard  dans 
sa  prochaine  campagne  comme  l'avait  proposé  M.  de  Vaudrcuil, 
deux  entrèptises  qu'il  considérait,  l'une  comme  dllfieile  et  l'autre 
cfomttiè  impossible,  dé  faire  plutôt  une  diversion  sur  l'Acadie  avec 
une  eàc^adi'e  et  des  troupes  dé  France,  auxquelles  on  joindrait 
2,500  Canadieris.     Ce  projet,  qui  avait  Sans  doute  do  l'audace, 
ne  fut  point  goûté,  doit  qWe  Ton  crut  le  succès  inutile  ou  trop 
doutètîx,  soit  qu'il  était  dangereuîi,  ainsi  que  le  fit  observer  M.  de 
Ijotbinière;,'de  'divisëf  lëis^lbrceg  du  Canada,  déjà  si  faibles,  pour 
fen'pbrtéf  une  j^àrficau  loin  darts  un  tettipe  où  ce  pays  était  tou- 
jours sérieuseiDént metiacé'J  ■''■'^''  (-^iioili-iu  il  idj  ,-.',(ii:iiiui,.i:i  y.j 
Dans  la  ffep6hise  que'reçîit' Mdrit<?almi,' on  lui  recommandait 
«rn'i'toù'f  de  faire  tout  ce  qxiî' dépendrait  de  lui  pour  ramener  la 
bohne  întelHgencte  '6nt>^o  les  froupeé  et  les  habitans  ;  et  de  se  rap- 
peler '(^u'il  •  était'  ég'alén'i'èhit  essentiel  de  bien '  traiter  les  alliés 
îrtdieh^,  fet'de'  rendi-e  à  leur 'bravoure  tous  lès  témoignages  dont 
ils  étaient  si  ja!loux.     Les  rapports  parvenus  à  Paris  sur  la  con* 


1 1 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


25a 


(luite'des  militaires,  dont  la  tendance  et  les  préteritiotis  se  manifes-) 
talent  assez,  du  reste,  dans  leurs  propres  lettrea,;  firent  sans  doute 
motiver  ces  sages  instructiona.  Quant  au  projet  de  M.  de  Vou- 
dreuil  sur  les  forts  William-Henry  et  Edouard,  on  n'adopta  aucune 
décision  définitive  pour  le  moments  '  'infijun;  'l,'- •.jp  jii;'  '.{t  i  C> 
•;-  Pendant  {Jue  la  France  ne:  songeait  ainsi  qu'à  prendre  de& 
mesures  djèfensives  pour  l'Amérique  du  nord,  PAjQgleterre,  hoa-i 
teuse  de  ses  défaites  de  la  dernièoo  campagnes  dans  les  dei»5ç 
mondes,' voulut  les  ivertger  dans  celle  qui  allait  s'ouvrir.  Pour 
se  réhabiliter  datas  l'épinioû  publique^  le  mitvistère  admit  dans  «otl 
sein  M.  Pitt,  devenu  fameux  depuis  sous  le  iiom  de  lord;  (Jhatham, 
et  MJ  Legge^  deux  hommes  regardés  comme  les  plius  iUûâtresi! 
citoyens  idu  royaume.  Il  fut  décidé  de  pousser'  la, guerre  avec  Igi 
plus  grande  vigueur.  '  Ddg  esèadres  et  des  troupes  de  renfort  coiDt 
sidérables  furent  envoyées len  Amérique;;  et  afin; d'empêcher  les 
colonies  françaises  de  recevoir  les  vivres  donti  on  savait  qu'elles 
avaient  un  i besoin  ipi"essant,  le  ïiarlement.  anglais  passa  une:  loi 
pour  défendre  l'exportation  de  provisions  hors  des  domaines  bri- 
tanniques. I  '■;<;.   .    t  (i; 

Le  bruit  se  répandit  aussi  en  '  Fbancei  qu'ilétait  question'  à 
Londres  d'attaquer  Louisbourg  ou  le  Canada  du  côté  de  la' mer. 
Pitt  voulait  obtenir  à  quelque  prioc  que  ce  ■  fût;  ;  la  supériorité  :  dians 
le  Nouveau- Monde  ;  on  ajoutait  quîil  devuit  y  envoyer:  10  mille 
hommes,  et  qu'il  triplerait  ces  forces,  s'il  le  fallait,  ipôûraceonjplir 
son  dessein.  :  Cela  ne  fit  point  changer  les  résplutions  dui  imihi*- 
tère  français  au  sujet  du  éhiffre^  des.  troupes;! à'  enyoyer;' ^t  c'est 
en  vnin  que  le  maréchal  de  Belle-isle  voulut-en  représenterf.Ie 
danger  dans  un  mémoire  qu'il  soumit  au  conseil  d^état  :  "Il  y>ià 
plusieurs  mois  que  j'insisteydisait.'il,  pour  que  nous  fassions  passer 
dn  Amérique,  indépendamment  des  rècrties  nécessaiires  i  pooc 
^compléter  les  troupes  dé  nos  colonie»  eï  de  nos  cégimens  français, 
les '4,000  hommes  du  sieur  Fiechep.'i: .  .  D  a  un  corps  distingué 
d'officiers,  pitesque  touà' gentilshommes,  dont  la  J»lu9' grande  partie 
se  propose  de  ne  jamais  retenir  en  Euro'pe,  non' plus  que  les  soli- 
dats,  ce  qui  fortifierait  beaucoup,  pour  le  présent  et  l'avenir,  les 
parties' de  ces  colonies  où  ces  troupes' seraient  destinéesk  ■.  .  .ije 
crois  ne  pouvoir  trop  insister.  L'on  se  repentira^  peut-^tré  -  trop 
tard  de  ne  l'avoir  pas  fiiit,  loraqii'il  n'y  auru  plus  de  remède.;  i.  Je 


\:'A 


256 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


conviens  que  la  dépense  de  transport  est  excessivement  chère  ; 
mais  je  pense  qu'il  vaudrait  encore  mieux  avoir  quelques  vais- 
seaux de  ligne  de  moins  et  se  mettre  en  toute  sûreté  pour  la  con- 
servation des  colonies." 

On  ne  sait  quelle  influence  ce  renfort  eût  exercé  sur  le  résultat 
des  opérations  militaires  de  59  ;  mais  il  est  déplorable  de  penser 
que  le  sort  du  Canada  ait  tenu  peut-être  à  la  chétive  somme 
qu'eut  coûté  le  transport  de  ces  troupes  en  Amérique  !  Le  con- 
seil se  contenta  d'envoyer  pour  protéger  Louisbourg,  une  escadre 
dans  les  parages  du  Cap-Breton  sous  les  ordres  de  M.  d'Aubigny, 
et  d'en  détacher  quelques  vaisseaux  sous  le  commandement  de  M. 
de  Montalais,  pour  croiser  dans  le  bas  du  St.-Laurent.  L'évé- 
nement prouva,  du  moins  pour  cette  année,  que  cette  escadre  qui 
couvrait  à  la  fois  Louisbourg  et  le  Canada,  était  le  meilleur 
secours  que  l'on  pût  nous  fournir,  si  en  effet  on  ne  pouvait,  comme 
l'on  disait,  en  fournir  que  d'une  sorte. 

Dans  cette  situation,  le  Canada  dut  rester  sur  la  défensive  pour 
attendre  les  événemens,  se  tenant  prêt  toutefois  à  profiter  des 
moindres  circonstances  favorables  qui  pourraient  se  présenter,  et 
ne  détachant  point  ses  regards  de  tous  les  mouvemens  que  faisaient 
ses  ennemis. 

Par  suite  du  nouveau  système  adopté  par  l'Angleterre  pour 
pousser  la  guerre  avec  vigueur,  lord  Loudoun  assembla  à  Boston, 
en  janvier  57,  les  gi  uverneurs  des  provinces  du  Nord,  la  Nou- 
velle-Ecosse comprise,  afin  de  s'entendre  sur  un  plan  d'opéra- 
tions pour  la  prochaine  campagne.  Le  plan  d'attaque  suivi  en 
55  et  56  fut  abandonné,  et  il  fut  résolu  de  réunir  ses  forces  au 
lieu  de  les  diviser  comme  on  avait  fait  jusque-là,  pour  les  porter 
sur  un  seu'  point  à  la  fois.  Louisbourg  qui  était  le  point  le  plus 
Baillant  des  possessions  françaises  du  côté  de  la  mer,  paraissait 
devoir  attirer  le  premier  l'attention  des  Anglais,  qui  l'avaient  vu 
élever  avec  une  extrême  jalousie,  comme  on  l'a  rapporté  ailleurs. 
Ils  furent  d'avis  de  commencer  par  là  et  de  se  rendre  maître  de 
ce  poste  qui  couvrait  l'entrée  du  St.-Laurent,  chaque  colonie 
fournissant  soi  contingent  de  soldats.  Des  levées  de  troupes 
furent  ordonnéfco  en  conséquence  dans  les  différentes  provinces, 
qui  s'empressèrent  de  faire  tous  les  autres  préparatifs  nécessaires. 
Afin  que  rien  ne  transpirât  du  projet  au  dehors,  on  mit  un  embargo 


HWTOIUE   DU    CANADA. 


257 


sur  lea  navires  qui  se  trouvaient  dans  les  ports  •  et  l'on  retint  les 
parlementaires  que  Louisbourg  avait  envcyi'  à  Boston.  Lsa 
garde  des  frontières  fut  confiée  aux  milices.  Washington  com- 
mandait toujours  celle  des  Apalaches.  Deux  ou  trois  mille 
réguliers  furent  laissés  en  garnison  dans  le  fort  William-Henry  à 
la  tête  du  lac  St.-Sacrement.  Au  mois  de  juillet  l'armée  anglaise 
se  montait,  tel  qu'il  avait  été  projeté,  à  plus  de  25,000  hommes, 
dont  près  de  15,000  réguliers,  sans  compter  de  nombreuses  mili- 
ces armées,  qui  pouvaient  marcher  au  premier  ordre. 

Lord  Loudoun  partit  de  New- York  le  20  juin  avec  6,000  hom- 
mes de  troupes  régulières  et  90  voiles  pour  Louisbourg.  Il  fut 
rejoint,  le  9  juillet,  à  Halifax  par  la  flotte  de  l'amiral  Holburneet 
cinq  lutres  mille  hommes  de  vieilles  troupes  ;  ce  qui  portait  l'ar- 
mée de  débarquement  à  11,000.  Mais  pendant  que  l'on  était 
encore  dans  ce  porl,  l'on  apprit  par  différentes  voies  à  la  fois  que 
l'amiral  Dubois  de  la  Motthe,  venant  de  Brest,  était  entré  dans  la 
rade  de  Louisbourg  avec  la  flotte  promise  dans  l'hiver  ;  qu'il  s'y 
trouvait  en  conséquence  17  vaisseaux  et  3  frégates  de  réunis,  et 
que  la  ville  était  défendue  par  6,000  soldats,  3,000  miliciens  et 
1,300  Sauvages.  A  cette  nouvelle,  lord  Loudoun  assembla  un 
conseil  de  guerre,  où  il  fut  convenu  d'un  commun  accord  d'aban- 
donner une  entreprise  qui  ne  promettait  plus  aucune  chance  de 
succès.  En  conséquence  les  troupes  de  débarquement  retour- 
nèrent à  New- York,  et  l'amiral  Holburne  cingla  vers  Louisbourg 
avec  15  vaisseaux,  4  frégates  et  un  brûlot  pour  observer  cette 
ville.  Mais  ayant  vu  en  approchant  de  cette  forteresse,  l'amiral 
français  donner  à  sa  flotte  le  signal  de  lever  l'ancre,  il  se  hâta  de 
rentrer  à  Halifax.  Il  revint  encore  en  septembre,  après  avoir 
reçu  un  renfort  de  quatre  vaisseaux  ;  M.  de  la  Motthe  à  son  tour 
plus  faible  que  son  adversaire,  ne  bougea  pas,  en  obéissance  aux 
ordres  positifs  de  la  cour  de  ne  pas  risquer  la  plus  belle  flotte  que 
la  France  eût  mise  sur  pied  depuis  1703.  Peu  de  temps  après 
une  horrible  tempête  éclata  sur  la  flotte  anglaise  et  la  mit  dans  le 
danger  le  plus  imminent.  Un  des  vaisseaux  fut  jeté  à  la  côte  et 
la  moitié  de  l'équipage  périt  dans  les  flots,  onze  autres  furent 
démâtés,  d'autres  furent  obligés  de  jeter  leurs  canons  à  la  mer,  et 
tous  rentrèrent  dans  les  ports  de  la  Grande-Bretagne  dans  l'état 
le  plus  pitoyable. 


n 


H  1 


258 


mSTOIRB  DU   CANADAw 


Malgrù  lia  disette  qui  régnait. en  Canada,  les  hostilités  n'avaient 
pas  cessé  durant  l'hivûr,  dont  le  froid  fut  d'une  rigueur  cstrôme. 
Dans  le  mois  de  janvier  un  détachemenl,  sorti  du  fort  William-' 
Henry,  fut  atteint  vers  Carillon  et  détruit.  Dans  le  mois  suivant 
le  général  Montcalm  forma  le  projet  do- détacher  850  hommes 
pour  surprendre  ce  fort  et  l'emporter ,  par  escalade.  Le,  gouver- 
neur crut  devoir  porter  ce  détachement  à  1,500  hommeS)  dont 
800  Gaaadiens,  450  réguliers  et  300  Indiertsy  et  en  donna  le 
commandement  à  M*  de  Ri'gnud,  au  grandi  mécontentement  de» 
olliciera  des  troupes  et  de  Montcalm  lui-même,  qui  aurait  dédire 
le  voir  .conférer  à  M.  de  Bourlnmarque.  Ge  corps  sè  mit  on 
marche  le  23  février,  traversa, les  lac»  Champlain  et  St.-Sacre- 
ment,  fit  60  lieuea  la  raquette  aux  /pieds,  portant  ses  vivres  sur 
des  traîneaux,  couchant  ati  milieu  idesi  neiges  sur  des  peanx 
d'ours,  à  l'abri  d'une  simple  toile;  Lq  18  marsilse  trouvait  près 
de  William-Henry.  Mais  après  avoii*  reconnu  la  foi'co' d©  la 
place,  M.  do  Rigaud  jugea  impossible'  de  l'enlever  d'un  coup  de 
raain  et  dut  se  borner  à  détruire  tout  ce  qu'il  y  avait  à  l'extérieur 
des  ouvrages.  Ge  qui  fut  èiéouté  sous  le  feu  des  Anglais,  mais 
avec  peu  de  perte,  daris  les  nuits  du  18  au  2Ô.  -350  bateaux,  4 
brigantins  de  10  k  li>  canons,  et  tous  les  moulins,  magasins  et 
maisons  qui  étaient  paljssadésj  devinrent; la  pr<)ié  des  flammes^ 
La  garnison  environnée  pourainsi  tlire  par  uneimerdé  feu  pen- 
dant quatre  jours,  ne  chercha  à  faire  â\ieurtc  sortie,  ni  à  s'opposer 
aux  dévastations  des  Français^  qui  né  laissèrent  debout  quo  le 
corps  nu  de  la  place.  La  retraite  de  ceux-ci  fut  marquée  parùiY 
événemen  'ù  s'est  renouvelé  à  l'arméede  Bonaparte  en  Egypte^ 
par  une  cciuse  peu  différente.  La  blancheur  éblouissante  do  la 
neige  frappa  d*uhe  espèce  d'opthalmre  le  tiers  du  iiétachement> 
que  l'on  fut  obligé  de  guider  par  la  ï»ain  le  reste  de  la  route; 
Mais  deux  jours  après  son  arrrvée,  les  hommes  avaient  recouvré 
la  vue  à  l'aide  de  remèdes  faciles.  •'   'j'-'J  '''■■-  '^  ""  *'■■  f;-'!'-'  ''i  -! 

Ges  différens  succès,  et  surtout  la  prise  d'Oswégo  dans  la  der- 
nière campagne,  maintenaient  toujours  les  tribus  indiennes  dans 
l'n  liance  de  la  France.  La  confédération  iroquoise,  malgré  les 
efforts  des  Anglais,  envoya  pour  la  secondé  fois  une  grande 
ambassade  à  Montréal,  afin  de  renouveler  ses  protestation* 
d'amitié  ;  on  la  reçut  en  présence  des  députés  ded  Nipifseings, 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


86â 


(les Algonquins, dGBPoutouatamisotUesGutaouàis.  Cesdùmons-i 
Irations  étaient  importantes  parce  qu'elles  tranquillissaient  lea 
esprits  sur  les  frontières,  qui  n'avaient  jkis  encore  été  sonsiblcf 
ment  troublées  ■  depuis  le  commencement  de  la  guerre,  grâcdà 
l'énergie  des  habitans  et  des  troupes.  i  ,  :  f 

*«■' Les  secours  en  hommes  que  le  gouverneur  avait  demandés  de 
France,  et  que,  par  de  nouvelles  dépêches  voyant  les  préparatifs 
des  Anglais,  il  avait  prié  de  porter  à  5,000  bayonnettes,  n'nrri^ 
vèrent  en  Câhàda  qu'en  petit  nombre  et  fort  tard.  Le  11  juillet 
on  n'avait  encore  l'eçu  que  600  soldats  et  très  peu  de  vivres.  Il 
ne  débarqua  à  Québec  dans  tout  le  cours  de  l'été  qu'environ 
1,500  hommes.  Ces  délais  jetèrent  des  entraves  dans  les  opé-r 
rations.  Après  avoir  envoyé  400  hommes  au  secours  du  fort 
Duquesne,  pour  la  sûreté  duquel  il  avait  quelque  crainte,  M.  de 
Vaudreuil  fit  acheminer,  dès  que  la  saison  le  permit,  des  troupes 
pour  garnir  la  frontière  du  lac  Champlain.  M.  de  Bourlamarquo 
y  réunit  2^000  hommes  à  Carillon.  Un  bataillon  fut  stationné  à 
St.^ean,  un  second  à  Chambly  :  deux  autres  gardaient  Québec 
et  Montréal.  Les  Canadiens  étaient  occupés  aux  travaux  des 
champs.  •  Sur  ces  entrefaites  la  houvelle  du  départ  de  lord 
Loudoun  de  New-York  pour  Louisbourg  détermina  les  chefs  à 
profiter  de  l'absence:  d'une  partie  des  forces  de  l'ennemi  pour 
reprendre  d'une  manière  plus  sé"ieuse  le  projet  sur  William* 
Henry,  dont  la  situation  mettait  toujours  les  Anglais  à. tine  petite 
journée  de  Carillon,  leur  donnait  le  commandement  du  lac  St.r- 
Sacrement  et  les  moyens  de  tomber  sur  nous  à  l'improviste. 
Pour  se  débarrasser  d'un  voisinage  aussi  dangereux,  il  fallait  le.i 
rejeter  sur  l'Hudson  ;  ce  que  l'on  décida  d'exécuter  sans  délai,  et 
sans  attendre  plus  longtemps  les  renforts  et  les  vivres  demandés 
en  Europe.!    ■  ■■  ,      ,'i'ii:.l(|   ij  .;..•;  j.',;  ..j--.  ■  :i 

A  l'appel  du  gouverneur  les  Canadiens  fournirent  des  soldats 
et  des  provisions  ;  ils  sentaieat  eux-mêmes  toute  l'utilité  de  cette 
entreprise.  Ils  se  dénantireàt  des ipctites  réserves  qu'ils  avaient 
jÊiites  pour  leurs  familles,  et  se  rédiiisitent  à  vivre  de  maïs  et  do 
légumes.^  "  On  ne  trouverait  obejî  eux,  écrivit  le  gouverneur  à 
laéour,im  farine^  ni  lard;  ils  se  sont  exécutés  avec  autant  de 
générosité  que  de  zèle  pour  le  service  du  roi."  L'on  travailla 
sans  bruit  aux  préparatifs,  et  toute  l'artillerie  était  rendue  à 


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260 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


Carillon  à  la  fin  de  juillet.  En  très  peu  de  temps  l'armée  desti- 
née à  l'expédition  fut  réunie.  Elle  consistait  en  3,000  réguliers, 
un  peu  plus  de  3,000  Canadiens,  et  16  à  18  cents  Sauvages  de 
32  tribus  différentes,  en  tout  7,600  hommes.  Les  succès  des 
bandes  qui  tenaient  la  campagne,  étaient  d'un  bon  augure.  Le 
lieutenant  Marin  avait  fait  des  prisonniers  et  levé  dos  chevelures 
jusque  sous  le  fort  Edouard,  dont  il  avait  provoqué  une  sortie  de 
2,000  hommes,  lligaud,  avec  un  détachement  de  400  hommes, 
avait  rencontré  sur  le  lac  St.-Sacrement  le  colonel  Parker  qui  le 
ùc"<cendait  à  la  tôte  de  22  berges  et  350  à  400  Américains  pour 
faire  >me  reconnaissance,  il  l'avait  attaqué,  lui  avait  pris  ou  coulé 
à  fond  20  berges,  tué  ou  noyé  160  hommes  et  enlevé  un  pareil 
nombre  de  prisonniers,  dont  5  officiers.  Après  ces  préludes,  le 
général  Montcalm  donna  le  signal  du  départ. 

L'avant-garde,  composé  de  grenadiers,  de  trois  brigades  cana- 
diennes et  de  600  Sauvages,  formant  2,800  hommes,  aux  ordres 
du  chevalier  de  Levis,  prit  la  route  de  terre  et  remonta  la  rive 
droite  du  lac  St.-Sacrement,  pour  protéger  la  marche  et  le  débar- 
(juement  du  reste  du  corps  expéditionnaire,  qui  suivait  par  eau 
avec  le  matériel  du  siège.     Elle  s'ébranla  le  30  juillet. 

Le  2  août  au  soir,  le  général  Montcalm  débarqua  avec  ses 
troupes  sous  la  protection  de  l'avant-garde  dans  une  petite  baie,  à 
une  lieue  de  William-Henry,  L'artillerie  arriva  le  lendemain 
matin.  Le  chevalier  de  Levis  s'avança  sur  le  chemin  du  fort 
Edouard  suivi  par  le  reste  de  l'armée  marchant  sur  trois  colonnes 
par  les  montagnes,  afin  de  reconnaître  la  position  des  ennemis  et 
d'intercepter  leurs  secours  ;  mais  la  garnison,  qui  n'était  que  de 
1500  hommes,  avait  reçu  la  veille  un  renfort  de  1,200  soldats, 
qui  la  portait  maintenant  à  2,700  combattans.  Les  troupes 
f'inçaises  défilèrent  par-derrière  la  place,  et,  en  l'investissant 
ainsi  que  le  camp  retranché  placé  sous  ses  murs  et  trop  fort  pour 
être  abordé  l'épée  à  la  main,  elles  appuyèrent  leur  gauche  au  lac, 
à  l'endroit  où  est  aujourd'hui  Caldvvell  et  où  devait  débarquer 
l'artillerie,  et  leur  droite  sur  les  hauteurs  du  côté  du  chemin  du 
fort  Edouard,  sur  lequel  elles  jetèrent  des  d/icouvreurs  pour  être 
instruites  à  temps  des  mouvemens  du  général  Webb,  qui  était  à 
cinq  ou  six  lieues  avec  4,000  hommes. 


HISTOIRE   DU  CANADA. 


261 


Le  colonel  de  Bourlamarque  fut  chargé  delà  direction  du  siège. 
Le  colonel  Monroe  commandait  le  fort. 

La  tranchée  fut  ouverte  le  4  à  8  heures  du  soir  à  "^50  toises, 
eous  un  feu  de  bombes  et  de  boulets  qui  ne  discontinua  plus 
jusqu'au  moment  de  la  reddition,  sauf  quelques  courts  intervalles. 
Le  lendemain,  sur  un  rapport  que  le  général  Webb  s'avançait 
avec  2,000  hommes,  le  chevalier  de  Levis  eut  ordre  de  marcher 
à  sa  rencontre,  et  Montcalm  se  préparait  à  le  suivre  pour  le  sou- 
tenir, lorsqu'il  lui  fut  remis  une  lettre  trouvée  sur  un  courrier  qui 
venait  d'ôtre  tué,  par  laquelle  le  général  Webb  mandait  au  colonel 
Monroe  que,  vu  la  situation  du  fort  Edouard,  il  ne  lui  paraissait 
pas  prudent  de  marcher  à  son  secours,  ni  de  lui  envoyer  de  ren- 
fort 5  que  les  Français  étaient  au  nombre  de  13,000  ;  qu'ils 
avaient  une  artillerie  considérable,  et  qu'il  lui  envoyait  ces  ren- 
seignemens  afin  qu'il  en  pût  profiter  pour  obtenir  la  meilleure 
capitulation  possible,  s'il  n'était  pas  capable  détenir  jusqu'à  l'arri- 
vée des  secours  demandés  d'Albany.  L'erreur  du  général  Webb 
sur  le  nombre  des  assiégeans  fit  précipiter  la  reddition  de  la  place. 
Le  6,  au  point  du  jour,  la  batterie  de  gauche  de  8  pièces  de  canon 
et  un  mortier  fut  démasquée  et  ouvrit  son  feu.  Celui  des  assié- 
gés était  toujours  très  vif.  Le  lendemain  une  nouvelle  batterie 
commença  à  tirer.  Le  général  français  fit  suspendre  alors  la 
canonnade,  et  chargea  un  de  ses  aides-de-camp,  le  jeune  Bou- 
gainville,  devenu  célèbre  depuis  par  son  voyage  autour  du  monde, 
d'aller  porter  au  colonel  Monroe  la  lettre  du  général  Webb.  Le 
commandant  anglais  répondit  qu'il  était  résolu  de  se  défendre 
jusqu'à  la  dernière  extrémité.  A  neuf  heures  le  feu  recom- 
mença aux  acclamations  des  Indiens,  qui  poussaient  de  grands 
cris  lorsque  les  projectiles  frappaient  les  murailles  des  assiégés. 
Vers  le  soir  ceux-ci  voulurent  faire  une  sortie  avec  500  hommes 
pour  s'ouvrir  une  communication  avec  le  fort  Edouard  ;  mais  M.  de 
Villiers  marcha  à  eux  avec  la  compagnie  franche  et  les  Sauvages 
et  les  repoussa,  après  leur  avoir  tué  une  cinquantaine  d'hommes 
et  enlevé  quelques  prisonniers.  Une  troisième  batterie  fut  com- 
mencée le  8  ;  on  y  travaillait  encore  lorsque  dans  l'après-midi 
l'on  vit  briller  des  armes  sur  le  haut  d'une  montagne  voisine,  en 
même  temps  que  l'on  observa  des  troupes  se  disposer  en  bataille 
et  beaucoup  de  mouvoment  dans  le  camp  retranché  du  fort.     Le 


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UISTOIHK    U\J    CANADA. 


rappel  fut  aussitôt  battu  ;  mais  après  quelques  coups  do  fusil,  les 
soldats  de  la  montagne  rcntrùrctit  dans  lo  bois  et  disparurent,  et 
le  9  au  malin  la  place  arbora  le  drapeau  blanc  et  demanda  à  capi- 
tuler. Les  conAn-ences  ne  furent  pas  longues.  Il  fut  convenu 
que  la  garnison  du  fort  et  du  camp  au  nombre  de  2,372  hommes, 
sortirait  avec  les  honneurs  de  la  guerre,  et  se  retirerait  dans  sou 
pays  avec  armes  et  bagages  et  une  pièce  de  canon  ;  qu'elle  no 
servirait  pondant  dix-huit  mois  ni  contre  les  Français  ni  contre 
leurs  alliés,  et  que  les  Français  et  les  Sauvages  retonus  prison- 
niers dans  les  colonies  anglaises,  seraient  renvoyés  à  Carillon  dans 
les  quatre  mois.  Le  défaut  de  vivres  empêcha  d'insister  pour  que 
la  garnison  restât  prisonnière  de  guerre. 

On  trouva  dans  le  fort  William-Henry  42  bouches  à  feu,  une 
immense  quantité  de  munitions  de  guerre,  des  vivres  pour  nourrir 
l'armée  six  semaines,  et  dans  la  rade  plusieurs  petits  bâtimens. 
La  perte  des  Français  fut  de  cinquante  et  quelques  hommes, 
celle  des  assiégés  d'environ  200. 

La  capitulation  fut  accompagnée,  comme  celle  d'Osvvégo,  d'un 
événement  toujours  regrettable,  mais  qu'il  était  presqu'impossiblo 
de  prévenir  complètement  du  moins  aux  yeux  de  ceux  qui  con- 
naissent quelles  étaient  les  mœurs  indépendantes  des  Sauvages. 
Les  Anglais,  du  reste,  furent  eux-mêmes  en  partie  la  cause  de  ce 
qui  leur  arriva,  ayant  négligé,  comme  M.  de  Bougainville,  d'après 
les  ordi'es  de  son  général,  les  en  avait  priés,  de  jeter  leurs  bois- 
sons pour  empêcher  les  Indiens  de  s'enivrer  lorsqu'ils  entreraient 
dans  la  place. 

La  garnison  devait  se  retirer  au  fort  Edouard.  Le  chevalier 
de  Levis  la  fit  partir  le  lendemain  matin  escortée  par  un  détache- 
ment de  troupes  réglées,  et  accompagnée  de  tous  les  interprètes 
des  guerriers  indiens.  Elle  n'eut  pas  fait  une  demi-lieue  que  les 
Sauvages,  mécontens  de  la  capitulation  qui  les  avait  privés  du 
pillage  comme  l'année  précédente,  et  excités  par  les  Abénaquis 
qui  en  voulaient  aux  Anglais,  prirent  par  les  bois,  tombèrent  sur 
les  prisonniers  à  l'improviste,  en  tuèrent  quelques-uns,  en  dépouil- 
lèrent un  grand  nombre  et  emmenèrent  le  reste  avec  eux. 
L'escorte  fit  tout  ce  qu'elle  put  pour  arrêter  ces  barbares,  et  eut 
même  des  soldats  tués  et  blessés.  Aussitôt  qu'il  fut  informé  de 
ce  qui  se  passait,  le  général  Montcalm  accourut  avec  presque 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


263 


tous  les  officiers.  Il  arracha  des  miln«  des  Sauvages  tous  les 
Anglais  qu'ils  retenaient  encore  et  fil  rentrer  dans  le  fort  ceux 
qui  s'étaient  échappés,  et  qui  ne  pouvaient  gagner  leur  destina- 
tion sans  péril.  Environ  600  de  ces  soldats  dispersés  dans  les 
bois,  continuèrent  h  arriver  pendant  plusieurs  jours  au  fort 
Edouard,  nus,  sans  armes,  épuisés  de  faim  et  de  fatigues.  Les 
Sauvages  en  emmenèrent  200  à  Montréal,  que  le  gouverneur 
retira  de  leurs  mains  en  payant  ])our  eux  de  fortes  rançons  ;  r)00 
étaient  rentrés  dans  le  fort  William-Henry.  Le  général  Mont- 
calm  fit  donner  des  habits  à  ceux  qui  avaient  été  dépouillés,  et 
les  renvoya  dans  leur  pays  sous  la  prolectiou  d'une  puissante 
escorte,  après  avoir  témoigné  tout  son  re!i;ret  do  ce  qui  venait 
d'avoir  lieu.  Ces  malheureux  désordres  dont  nous  venons  de 
retracer  le  tableau  exact,  laissèrent  un  vif  ressentiment  dans  le 
oœur  des  Anglais.  Mais  les  prisonniers  cux-mômes  ont  rendu 
cette  justice  à  leurs  vainqueurs,  qu'ils  avaient  fait  tout  ce 
que  l'on  pouvait  attendre  d'eux  pour  arrêter  le  mal,  et  qu'ila 
avaient  réussi  à  empêcher  de  bien  plus  grands  malheurs. 

Le  fort  William-Henry  fut  rasé  ainsi  que  le  camp  retranché, 
et  le  16  août  l'armée  se  rembarqua  sur  250  berges  pour  Carillon. 
Sans  la  nécessité  de  renvoyer  les  Sauvages  dans  leurs  tribus  et 
les  Canadiens  chez  eux  pour  faire  la  moisson,  on  eut  pu  inquiéter 
le  fort  Edouard.  Les  Américains  cux-mC'mes  étaient  si  persuadés 
que  c'était  là  le  dessein  des  Français,  que  toutes  leurs  milices, 
infanterie,  cavalerie  et  artillerie,  avaient  été  mises  en  réquisition 
jusqu'au  fond  du  Massachusetts,  et  que  les  habitans  à  l'ouest  de 
la  rivière  Connecticut,  avaient  eu  ordre  de  briser  leurs  voitures  à 
roues  et  de  faire  rentrer  leurs  bestiaux.  Il  est  inconcevable  dit 
Hutchinson,  que  quatre  ou  cinq  mille  hommes  aient  pu  causer 
tant  d'alarmes.  Cette  crainte  toutefois  n'était  pas  sans  fondement, 
car  les  instructions  du  gouverneur  àMontcalm  portaient  qu'après 
la  prise  de  William-Henry,  il  irait  attaquer  le  fort  Edouard  ;  mais 
la  crainte  de  manquer  de  vivres,  la  nécessité  de  renvoyer  les 
Canadiens  pour  faire  les  récoltes  et  les  dilTicultés  de  réduire  cette 
place,  défendue  par  une  garnison  nombreuse  et  à  portée  de  rece- 
voir de  prompts  secours,  avaient  empoché  ce  général  de  s'y  con- 
former, résolution  qui  fut  plus  tard  la  cause  de  difficultés  fort 
graves  entre  lui  et  M.  de  Vaudreuil.     Au  reste,  la  question  des 


ili 


264» 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


subsistances  étant  la  plus  importante  pour  le  Canada,  où  la  disette 
allait  toujours  en  augmentant,  le  trophée  le  plus  agréable  de  la 
nouvelle  conquête  fut  3,000  quarts  de  farine  et  de  lard  qu'on 
apporta  en  triomphe  à  Carillon,  et  qui  furent  prisés  à  Montréal  et 
à  Québec  à  l'égal  d'une  grande  victoire. 

Après  cette  campagne  l'armée  se  retira  dans  ses  lignes  jusque 
dans  l'automne,  qu'elle  alla  prendre  ses  quartiers  d'hiver  dans 
l'intérieur  du  pays. 

La  récolte  y  avait  entièrement  manqué.  II  y  avait  des 
paroisses  qui  avaient  à  peine  recueilli  de  quoi  faire  les  semailles. 
Les  blés  qui  avaient  la  plus  belle  apparence  sur  pied,  ne  rendirent 
aucun  aliment  à  cause  de  la  grande  quantité  de  pluie  qui  était 
tombée  dans  le  milieu  de  l'été.  L'on  craignit  dans  l'automne 
que  le  peuple  ne  manquât  totalement  de  pain  dès  le  mois  de  jan- 
vier. Par  précaution  l'on  mit  deux  cents  quarts  de  farine 
en  réserve  pour  la  nourriture  des  malades  dans  les  hôpitaux 
jusqu'au  mois  de  mai.  Les  maisons  religieuses  furent  réduites  à 
une  demi-livre  de  pain  par  tête  par  jour,  et  il  fut  proposé  de 
fournir  aux  habitans  des  villes  une  livre  de  bœuf,  de  cheval  ou  de 
morue  en  outre  du  quarteron  de  pain  qu'on  leur  distribuait  et  qui 
fut  jugé  insuffisant.  12  à  1,500  chevaux  furent  achetés  par 
l'intendant  pour  la  nourriture.  Faute  d'alimens  pour  les  troupes, 
on  les  répandit  dans  les  campagnes  chez  les  habitans,  que  l'on 
supposait  encore  les  mieux  pourvus  dans  la  disette  générale. 
On  ne  garda  dans  les  villes  que  ce  qu'il  fallait  pour  leur  garnison. 
A  la  fin  de  septembre  le  chevalier  de  Levis  ayant  reçu  ordre  de 
reluire  la  ration  des  soldats,  fut  informé  qu'ils  murmuraient  ;  il 
fit  rassembler  les  grenadiers  et  les  réprimanda  sévèrement  sur 
l'insubordination  qui  se  manifestait  parmi  les  troupes,  insubordi- 
nation qui  était  excitée,  à  ce  qu'il  paraît,  par  les  habitans  et 
par  les  soldats  de  la  colonie  eux-mêmes.  Il  leur  dit  que  le 
roi  les  avait  envoyés  pour  défendre  cette  contrée  non  seulement 
par  les  armes,  mais  encore  en  supportant  toutes  les  privations 
que  les  circonstances  demanderaient  ;  qu'il  fallait  se  regarder 
comme  dans  une  ville  assiégée  privée  de  tout  secours,  que  c'étaient 
aux  grenadiers  à  donner  l'exeraole,  et  qu'il  ferait  punir  toute 
marque  de  désobéissance  avec  la  plus  grande  sévérité.  Les 
murmures  cessèrent  pendant  quelque  temps.    Dans  le  mois 


HISTOIRE  DV   CANADA. 


265 


de  décembre  la  ration  ayant  été  de  nouveau  réduite  et  les  soldats 
obligés  de  manger  du  cheval,  la  garnison  de  Montréal  refusa  d'eu 
recevoir.  M.  do  Levis  les  fit  réunir  et  les  harangua  de  nouveau. 
Il  leur  ordonna  de  se  conformer  aux  ordres  qu'on  leur  donnait 
et  leur  dit  que  si  après  la  distribution  ils  avaient  quelque  repré- 
sentation à  lui  faire,  il  les  écouterait  volontiers.  Après  avoir  reçu 
leurs  rations,  ils  motivèrent  leurs  plaintes  avec  leur  franchise 
habituelle,  disant  pour  conclusion  que  la  chair  de  cheval  formait 
une  mauvaise  nourriture,  que  toutes  les  privations  retombaient 
sur  eux,  que  les  habitans  ne  se  privaient  de  rien,  et  qu'ils  ne  pen- 
saient pas  que  la  disette  fût  aussi  grande  dans  le  pays  qu'on  le 
disait. 

M.  de  Levis  répondit  à  tous  leurs  griefs.  Il  observa,  qu'ils 
avaient  été  mal  informés  de  l'état  de  la  colonie  ;  qu'il  y  avait 
long-temps  que  le  peuple  à  Québec,  ne  mangeait  pas  de  pain  ; 
que  tous  les  officiers  de  Québec  et  de  Montréal  n'en  avaient  qu'un 
quarteron  par  jour  ;  qu'il  y  avait  2,000  Acadiens  qui  n'avaient 
pour  toute  nourriture  que  de  la  morue  et  du  cheval  ;  et  qu'ils 
n'ignoraient  pas  que  les  troupes  avaient  mangé  de  ce  dernier  ali- 
ment au  siège  de  Prague.  Il  termina  en  les  assurant  que  les 
généraux  faisaient  tout  ce  qu'ils  pouvaient  pour  leur  procurer  le 
plus  de  bien-être  possible.  Ce  discours  parut  satisfaire  les  mutins, 
qui  se  retirèrent  dans  leurs  casernes  et  ne  firent  plus  de  repré- 
sentations. 

Au  commencement  d'avril,  l'on  fut  obligé  de  réduire  encore  la 
ration  des  habitans  de  Québec  et  de  la  fixer  à  2  onces  de  pain 
et  à  8  onces  de  lard  ou  de  morue.  On  voyait  des  hommes  tom- 
ber de  faiblesse  dans  les  rues  faute  de  nourriture. 

Tandis  que  le  pays  était  ainsi  en  proie  à  une  disette  que  sem- 
blait aggraver  encore  l'incertitude  de  l'avenir,  les  chefs  étaient 
toujours  divisés  par  des  dissentions  et  des  jalousies  malheureuses. 
Un  antagonisme  sourd  existait  entre  les  Canadiens  et  les 
Français,  provenant  en  partie  de  la  supériorité  que  l'homme  de 
la  métropole  s'arroge  sur  l'homme  de  la  colonie.  Ce  mal  n'était 
pas  propre  seulement  au  Canada.  Les  annales  des  provinces 
anglaises  de  cette  époque  sont  remplies  des  mômes  querelles 
occasionnées  par  la  môme  cause.  Le  général  Montcalm  se  plai- 
gnait avec  amertume  que  l'on  cherchait  à  le  déprécier  et  à  lui 


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HTSTOIRE    DU    CANADA. 


faire  perdre  de  sa  considération,  et  que  le  gouverneur  n'était  occupé 
que  du  soin  de  diminuer  la  part  que  les  troupes  de  terre  et  lui- 
môme  avaient  au  succès.     Chaque  année,  chaque  victoire  sem- 
blait  accroître   son   mécontentement.     Une  inquiétude  jalouse, 
v.ne  ambition  mal  satisfaite  tenaient  son  âme  sans  cesse  ouverte  à 
toutes  les  interprétations  de  la  malveillance.     Les  efforts  qu'il 
faisait  pour  flatter  le  soldat  et  captiver  la  popularité  des  Cana- 
diens, au  milieu  desquels  il  prenait  l'air  "  d'un  tribun  du  peuple," 
comme  il  le  disait  lui-même,  tandis  qu'il  les  dépréciait  dans  ses 
dépêches,  nous  portent  à  croire  qu'il  nourrissait  d'autres  vues 
que   celles  de  faire   reconnaître  ce  que  le  pays  devait  à  ses 
talens  et  au  courage  de  ses  troupes,  car  les  dépêches  du  gouver- 
îieur  rendaient  à  cet  égard  pleine  justice  au  général  et  aux  sol- 
dats.    Mais  Montcalni  qui  désirait  le  supplanter  et  ses  partisans, 
cachaient  soigneusement  leur  dessein,  se  bornant  pour  le  moiiiL'nt 
à  lui  faire  perdre,  par  leurs  propos  et  leurs  allusions,  la  confiance 
du  soldat,  des  habitans  et  des  Indiens  eux-mêmes,  à  tous  lesquels 
il  eut  certainement  été  cher,  s'ils  avaient  pu  pénétrer  les  senti- 
mens  qui  animaient  son  âme,  et  que  l'on  trouve  partout  exprimés 
dans  sa  correspondance  olFicielle,  sentimens  qui  éta-ent  d'autant 
plus  vrais,  que  cette  correspondance  ne  devait  pas  être  connue  de 
ceux  dont  elle  glorifiait  les  services. 

Cependant  les  ministres  à  Paris  furent  forcés  de  s'occuper  un 
peu  des  moyens  de  soulager  les  maux  que  l'on  souffrais  en  Canada, 
car  ils  savaient  que  le  cabinet  de  Londres  avait  ordonné  dans 
l'hiver  un  accroissement  de  préparatifs  beaucoup  plus  formidables 
encore  que  tous  ceux  des  années  précédentes.  Mais  la  faiblesse 
du  trouvernement  ne  permit  poiit  d''organiser  de  secours  capables 
d'y  faire  face  et  d'assurer  le  succès  pour  le  présent  et  pour  l'ave- 
nir. Les  dépenses  de  la  colonie  pour  57  avaient  de  beaucoup 
dépassé  les  exercices  accordés  ;  les  lettres  de  change  tirées  sur 
le  trésor  avaient  monté  à  12  millions  SiO  mille  francs.  La 
rumeur  publique  signalait  des  abus,  des  dilapidations  considé- 
ral)lcs  ;  mais  le  silence  des  cliefs  et  des  autres  officiers  civils  et 
militaires,  les  préoccupations  du  ministère,  la  vivacité  de  la  guerre 
ne  permettaient  point  de  faire  faire  une  investigation  pour  le  pré- 
sent. L'on  se  borna  à  des  rccornman  lations  d"éconcr>ie  et  de 
retranclicmcnt  auxquelles  les  besoins  croissans  de  la  guerre  no 


IIISTOIIIE   DJ    CANADA. 


'2tJ7 


permellaient  ^jas  de  se  conformer.  On  avait  prié  avec  instance 
d'envoyer  des  vivres.  Le  nouveau  ministre,  M.  de  Moras, 
expédia  16,000  quintaux  de  farine  et  12  tonneaux  de  blé,  indé- 
pendamment des  approvisionnemens  que  le  munitionnaire  Cadet 
uvait  demandés,  savoir:  66,000  >juintaux  de  farine.  L'ordre  fut 
transmis  en  même  temps  de  tirer  des  vivres  de  l'Ohio,  des  Illi- 
nois et  de  la  Louisiane.  Léo  secours  de  France  n'arrivèrent  que 
fort  tard  malgré  leur  départ  hâtif,  et  en  petite  quantité,  la  plu- 
part des  navires  qui  les  portaient  ayant  été  enlevés  en  mer  par 
les  ennemis  et  les  corsaires.  Ils  ne  commencèrent  à  paraître 
que  vers  la  fin  de  mai.  Ce  retard  avait  très  inciuiété  M.  de 
Vaudreuil,  qui,  appréhendant  quehpie  malheur,  avait  successive- 
ment expédié  trois  bâtimens  -"n  France  depuis  l'ouverture  de  la 
navigation  pour  presser  l'envoi.  Le  16  juin  il  n'y  avait  encore 
d'arrivés  qu'une  frégate  et  une  vingtaine  de  navires  avec  12,000 
quarts  de  farine. 

Quant  aux  secours  en  troupes  on  ne  devait  pas  en  attendre. 
Il  n'avait  pas  été  possible  d'en  faire  passer  en  Canada.  Malgré 
la  bonne  volonté  du  gouvernement,  le  maréchal  de  Belle-Isle, 
qui  prit  à  cette  épociue  le  portefeuille  de  la  guerre,  ne  put  y 
envoyer  que  quelques  mauvaises  recrues  pour  compléter  les 
bataillons  à  40  hommes  par  compagnie,  et  encore  n'en  arriva-t-il 
que  trois  ou  quatre  cents  dans  tout  le  cours  de  l'été.  La  Franco 
avait  éprouvé  des  vicissitudes  dans  la  campagne  de  57.  Alter- 
nativement victorieuse  et  vaincue  en  Europe,  elle  avait  été  heu- 
reuse en  Amérique  et  malheureuse  'ans  les  Indes  orientales. 
Les  ellbrts  qu'elle  avait  faits  pour  obtenir  la  supériorité  sur  terre  et 
sur  mer,  dirigés  par  l'esprit  capricieux  de  madame  de  Pompadour, 
qui,  à  tout  moment,  changeait  les  généraux  et  les  ministres  sans 
égard  à  leurs  talens  ni  à  leurs  succès,  avaient  épuisé  ses  forces 
en  détruisant  leur  harmonie  et  leur  unité.  Il  fallut  se  résigner, 
pour  la  campagne  suivante,  à  laisser  prendre  aux  Anglais  dans 
le  Nouveau-Monde  une  supériorité  numérique  double  de  celle 
qu'elle  avait  déjà  depuis  le  commencement  <le  'a  guerre.  Le  1 
mai  1758,  il  n'y  avait  toujours  en  Canada  que  huit  bataillons  de 
troupes  de  ligne  formant  seulement  3,781  hommes,  qui  avaient  été 
encore  obligés  de  se  recruter  dans  le  pays  pour  remplir  leurs  vides. 
Les  troupes  de  la  marine  et  des  colonies,  maintenues  de  la  môme 


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268 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


manière  à  îeur  cUiirre  de  l'année  précédente,  comptaient  2,000 
hommes,  en  tout  moins  de  6,000  réguliers  pour  défendre  500 
Ueues  de  frontière.  Il  était  évident  que  les  Canadiens  devaient 
former  la  majorité  d'une  armée  capable  de  s'opposer  avec  quel- 
que chance  de  succès  aux  forces  accablantes  de  l'ennemi. 

D'un  autre  côté,  les  échecs  des  Anglais  en  Amérique,  compen- 
sés par  leurs  victoires  dans  les  Indes,  ne  firent  que  les  exciter  à 
de  plus  grands  efforts  pour  écraser  par  la  force  seule  du  nombre 
les  défenseurs  du  Canada.  Cela  paraissait  d'autant  plus  facile 
que  leurs  finances  étaient  dans  l'état  le  plus  florissant,  et  que  leur 
supériorité  sur  l'océan  n'était  plus  contestée.  La  prise  d'Oswégo 
et  de  William-Henry  en  assurant  la  suprématie  des  lacs  Ontario 
et  St.-Sacrement  aux  Français,  avait  rendu  la  situation  de  leurs 
adversaires  dans  ce  continent  moins  bonne  après  quatre  années 
de  lutte  qu'elle  était  en  ^3.  Mais  le  génie  de  lord  Chathan, 
devenu  enfin  maître  des  conseils  de  la  Grande-Bretagne,  allait 
trancher  la  question  de  rivalité  entre  les  deux  peuples  dans  le 
Nouveau-Monde.  Il  voulait  que  sa  patrie  y  dominât  seule,  ne 
prévoyant  point  sans  doute  les  grands  événemens  de  1775,  et 
proposa  des  mesures  qui  devaient  finir  par  la  destruction  de  la 
iuiissance  française  sur  cette  portion  du  globe.  Il  augmenta 
rapidement  les  armées  de  terre  et  de  mer,  et  remplaça  lord. 
Loudoun  par  le  général  Abercromby  à  la  tête  de  l'armée  améri- 
caine. Il  lui  envoya  un  nouveau  renfort  de  12,000  hommes  de 
troupes  réglées  sous  les  ordres  du  général  Amherst,  et  invita 
toutes  les  colonies  à  armer  des  corps  aussi  nombreux  que  la  popu- 
lafion  pourrait  le  permettre.  En  peu  de  temps  le  nouveau  géné- 
ral-en-chef se  trouva  à  la  tète  de  50,000  hommes  dont  22,000 
réguliers,  outre  des  milices  nombreuses  non  comprises  dans  ce 
chiffre,  et  qui  portèrent,  dit-on,  les  conibattans  dans  les  provinces 
anglaises  à  plus  de  80,000  hommes.  C'était,  certes,  rendre  un 
hommage  éclatant  à  la  bravoure  française,  et  reconnaître  la  déter- 
mination invincible  des  défenseurs  du  Canada,  dont  ces  forces 
immenses  dépassaient  de  beaucoup  le  chiffre  de  la  popula  'on 
entière,  hommes,  femmes  et  enfans. 

C'est  avec  cette  disproportion  de  forces  que  les  deux  parties 
belligérantes  allaient  commencer  la  campagne  de  1758. 


CHAPITRE  III. 


.1: 


BATAILLE    DE    CARILLON. 

1758. 


Le  Canada  abandonné  de  la  France,  résout  de  combattre  jusqu'à  la  dernière 
extrémité. — Plan  de  campagne  de  l'Angleterre:  elle  se  propose  d'at+aqucr 
simultanément  Louisbourg,  Carillon  et  le  fort  Duquesne. — Prise  de  Louis- 
bourg  après  un  siège  mémorable,  et  invasion  de  l'île  St.-Jean;  les  vain» 
queurs  ravagent  les  établissemens  de  Gaspé  et  de  Mont-Louis. — Mesures 
défensives  du  Canada. — Marche  du  général  Abercromby  avec  une  armée 
de  16,000  hommes  sur  Carillon  défendu  par  moins  de  3,500  Français. — 
Bataille  de  Carillon  livrée  le  8  juillet. — Défaite  d* Abercromby  et  sa  fuite 
précipitée. — Le  colonel  Bradstreet  surprend  et  brûle  le  fort  Frontenac. — 
Le  général  Forbes  s'avance  contre  le  fort  Duquesne. — Défaite  du  major 
Grant. — Les  Français  brûlent  le  fort  Duquesne  et  se  retirent. — Vicissitudes 
de  la  guerre  dans  toutes  les  parties  du  monde. — Changement  de  ministres 
en  France. — Brouille  entre  le  général  Montcalm  et  le  gouverneur. — 
Observations  des  ministres  sur  les  dilapidations  du  Canada  et  reproches 
sévères  à  l'intendant  Bigot. — Intrigues  pour  faire  rappeler  M.  de  Vau- 
dreuil  et  nommer  Montcalm  gouverneur. — Les  ministres  décident  de  faire 
rentrer  ce  dernier  en  France  ;  le  roi  s'y  oppose. — Dépêches  conciliatrices 
envoyées  avec  des  récompenses  et  de  ^vanceraens. — On  n'expédie  point 
de  renforts. — Défection  des  nations  in  nnes,  qui  embrassent  la  cause  de 
l'Angleterre  par  le  traité  de  Eastou. — Cette  dernière  puissance  décide 
d'attaquer  Québec  avec  trois  armées  qui  se  réuniront  sous  les  murs  da 
cette  capitale. — Forces  du  Canada  et  moyens  défensifs  adoptés  pour  résis- 
ter à  cette  triple  invasion. 

Les  efforts  et  la  persévérance  de  la  Grande-Bretagne  pour  s'em- 
parer du  Canada,  durent  faire  croire  qu'elle  allait  l'envahir  cette 
a"-ée  par  tous  les  côtés  à  la  fois,  et  tâcher  de  terminer  la  guerre 
d'un  seul  coup  par  une  attaque  générale,  irrésistible  ;  qu'elle  voulait 
enfin  laver,  par  une  conquête  entière,  la  honte  de  toutes  ses 
défaites  passées.  Aussi  la  France  perdait-elle  tous  les  jours  l'es- 
poir de  conserver  cette  belle  contrée,  et  c'est  ce  qui  l'empêcha 
sans  doute  de  lui  envoyer  les  secours  dont  elle  avaitun  si  pressant 
besoin.  Mais  ses  défenseurs,  laissés  à  eux-mêmes,  ne  fléchirent 
pas  encore  devant  l'orage  qui  augmentait  chaque  année  de  fureur. 
«  Nous  combattrons,  écrivait  Montcalm  au  ministre,  nous  nous 
ensevelirons,  s'il  le  faut,  sous  les  ruines  de  la  colonie."    Il  faut 


270 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


ajoutait-on  encore,  que  tous  les  hommes  agiles  marchent  au  com- 
bat ;  que  les  officiers  civils,  les  prêtres,  les  moines,  les  femmes, 
les  enfans,  les  vieillards  fassent  les  travaux  des  champs,  et  que 
les  femmes  des  chefs  et  des  officiers  donnent  l'exemple.  Telle 
était  la  détermination  des  habitans  et  des  soldats  pour  la  défense 
commune. 

De  son  côté  l'Angleterre  avec  ses  forces  nombreuses,  que  par 
cela  même  elle  était  obligée  de  diviser,  décida  d'attaquer  simul- 
tanément Louisbourg  au  Cap-Breton,  Carillon  sur  le  lac  Cham- 
plain  et  la  route  de  Montréal  qu'elle  assiégerait  ensuite,  et  le  fort 
Duquesne  sur  l'Ohio.  14,000  hommes  et  une  escadre  considé- 
rable furent  chargés  de  la  première  entreprise  ;  16  à  18  mille 
hommes,  de  l'envahissement  du  Canada  par  le  lac  St.-Sacrement, 
et  enfin  9,000  hommes  de  la  conquête  de  l'Ohio.  On  était  loin 
ie  croire  à  Québec  à  des  armemens  aussi  formidables,  et  le  pays 
ne  fut  sauvé  que  par  la  victoire  de  Carillon,  où,  comme  à  Créci, 
les  vainqueurs  durent  repousser  une  armée  cinq  fois  plus  nom- 
breuse que  la  leur. 

Dans  le  printemps  les  troupes  françaises  après  quelque  délai 
causé  par  le  défaut  de  vivres,  allèrent  reprendre  leurs  positions 
sur  les  frontières  avec  l'ordre  de  tenir  constamment  des  partis  en 
campagne,  pour  inquiéter  l'ennemi,  l'obliger  à  diviser  ses  for- 
ces et  découvrir  autant  que  possible  quels  étaient  ses  desseins. 
3,000  hommes  se  rassemblèrent  ainsi  dans  le  voisinage  de  Carillon, 
et  à  peu  près  un  pareil  nombre  sur  le  lac  Ontario  et  au  fort  Nia- 
gara. Ces  mesures  prises,  l'on  attendit  les  événemens  pendant 
que  les  habitans  jetaient  sur  leurs  guérêts  le  peu  de  semence  qu'ils 
avaient  pu  dérober  à  la  faim. 

Dans  le  même  temps  les  Anglais  se  mettaient  partout  en  mou- 
vement. C'est  contre  Louisbourg  qu'ils  portèrent  leur  premier 
coup. 

L'amiral  Boscawen  fit  voile  d'Halifax,  le  28  mai,  à  la  tête  d'une 
escadre  de  20  vaisseaux  de  ligne,  18  frégates  et  un  grand  nombre 
de  transports  portant  l'armée  de  débarquement,  sous  les  ordres  du 
général  Amherst,  avec  un  train  considérable  d'artillerie,  et  arriva 
le  2  juin  devant  cette  forteresse.  Louisbourg,  outre  5  vaisseaux 
de  ligne  et  5  frégates  ancrés  dans  son  port,  avait  une  garnison  de 
2,100  hommes  de  troupes  régulières  et  de  600  miliciens  pour 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


271 


résister  à  des  forces  de  terre  et  de  mer  formant  réunies  plus  de 
30,000  hommes.  Le  gouverneur,  M.  de  Drucourt,  qui  avait 
remplacé  le  comte  de  Raymond  au  commencement  des  hostilités, 
résolut  de  faire  la  défense  la  plus  énergique,  et  s'il  n'était  pas 
secouru,  la  plus  longue  que  l'on  pût  attendre  de  l'état  de  la 
place  et  du  nombre  de  ses  défenseurs. 

Les  fortifications  de  Louisbourg  tombaient  partout  en  ruine 
faute  d'argent  pour  les  réparer.  Les  revêtemens  de  la  plupart 
des  courtines  étaient  entièrement  écroulés,  et  il  n'y  avait  qu'une 
casemate  et  une  poudrière  à  l'abri  des  bombes.  La  principale 
force  de  la  ville  consistait  dans  les  difficultés  du  débarquement  et 
dans  le  barrage  du  port.  Ce  qui  restait  debout  des  murailles  était 
d'une  construction  si  défectueuse,  à  cause  du  sable  de  la  mer 
dont  on  avait  été  obligé  de  se  servir  pour  les  bâtir,  et  qui  n'est 
point  propre  à  la  maçonnerie,  que  l'on  devait  craindre  l'effet  du 
boulet  sur  des  ouvrages  d'une  liaison  si  fragile.  Le  gouverneur 
jugea  donc  à  propos  de  s'opposer  nu  débarquement,  plutôt  que 
d'attendre  l'ennemi  derrière  ces  ruines.  Il  fortifia  tous  les  endroits 
faibles  de  la  côte  aux  environs  de  Louisbourg  jusqu'à  la  baie  de 
Gabarus,  qui  en  est  éloignée  d'une  demi-lieue,  et  où  la  flotte 
anglaise  avait  jeté  l'ancre.  L'anse  au  Cormoran  était  l'endroit  le 
plus  faible  de  cette  ligne.  Il  la  fit  étayer  d'un  bon  parapet  fortifié 
par  des  canons  dont  le  feu  se  soutenait  et  par  des  pierriers  d'un 
gros  calibre.  En  avant  il  fit  faire  un  abattis  d'arbres  si  serré 
qu'on  aurait  eu  bien  de  la  peine  à  y  passer,  quand  même  il  n'au- 
rait pas  été  défendu.  Cette  espèce  de  palissade,  qui  cachait  tous 
les  préparatifs  de  défei.se,  ne  paraissait  dans  l'éloignement  qu'une 
plaine  ondoyante.*  On  avait  placé  aussi  une  chaîne  de  bateaux 
le  long  du  rivage  depuis  le  Cap-Noir  jusqu'au  Cap-Blanc,  des 
troupes  irrégulières  dans  toute  cette  étendue  et  des  batteries  dans 
tous  les  lieux  où  la  descente  était  praticable. 

En  présence  de  ces  obstacles,  le  débarquement  était  une  opé- 
ration difficile  et  remplie  de  dangers.  Mais  comme  l'ennemi 
ne  pouvait  avoii  que  des  soupçons  sur  ceux  de  l'anse  au  Cor- 
moran, ce  fut  dans  cet  endroit-là  même  qu'il  entreprit  de  mettre 
pied  à  terre  le  8  juin.  Pour  tromper  la  vigilance  des  Français,  il 
prolongea  la  ligne  de  ses  vaisseaux  de  manière  à  envelopper  et 

•  Buynal. 


1. 


i; 


i.' 


272 


HISTOIRK   DU    CANADA. 


menacer  toute  la  côte,  et  feignant  de  débarquer  à  Laurembec  et 
sur  plusieurs  autres  points  du  littoral,  il  ï^ejcta  tout-à-coup  à  terre, 
en  trois  divisions,  dans  l'anse  au  Cormoran^  tandis  que  le  général 
Wolfe  faisait  gravir  un  peu  plus  loin  un  rocher  jugé  jusqu'alors 
inaccessible  par  une  centaine  d'hommes,  qui  s'y  maintinrent  mal- 
gré le  feu  de  quelques  habitans  et  de  quelques  Sauvages  accourus 
pour  les  attaquer. 

Le  gouverneur,  ne  laissant  que  300  hommes  dans  la  ville,  était 
sorti  avec  le  reste  de  la  garnison.  2,000  soldats  et  quelques 
Indiens  garnissaient  les  retranchemens  de  l'anse  au  Cormoran, 
sur  lesquels  les  troupes  comptaient  beaucoup  plus  que  sur  la  place. 
Les  assaillans  qui  ne  voyaient  point  le  piège  dans  lequel  ils  allaient 
tomber,  continuaient  à  descendre  à  terre.  La  colonie  aurait  été 
sauvée  si  on  leur  eût  laissé  le  temps  d'achever  leur  débarque- 
ment et  de  s'avancer  avec  la  confiance  de  ne  trouver  que  peu 
d'obstacles  à  forcer.  Alors,  accablés  tout-à-coup  par  le  feu  de 
l'artillerie  et  de  la  mousqueterie,  ils  eussent  infailliblement  péri 
sur  le  rivage  ou  dans  les  flots,  dans  la  précipitation  du  rembar- 
quement, car  la  mer  était  dans  cet  instant  fort  agitée.  Mais 
l'impétuosité  française,  dit  Raynal,  fit  échouer  toutes  les  précau- 
tions de  la  prudence.  A  peine  les  Anglais  avaient-ils  débarqué 
une  partie  de  leurs  soldats  et  se  préparaient-ils  à  faire  approcher 
l'autre  du  rivage,  qu'on  se  hâta  de  découvrir  le  piège  où  ils  allaient 
se  jeter.  Au  feu  brusque  et  précipité  qu'on  fit  sur  leurs  cha- 
loupes, et  plus  encore  à  l'empressement  qu'on  eût  de  déranger  les 
branches  d'arbres  qui  masquaient  les  forces  qu'on  avait  tant  d'in- 
térêt à  cacher,  ils  devinèrent  le  péril  et  l'évitèrent.  Revenant 
sur  leurs  pas,  ils  ne  virent  plus  d'autre  endroit  pour  descendre 
que  le  rocher  où  le  général  Wolfe  avait  envoyé  les  cent  hommes. 
Ce  général  occupé  du  soin  de  faire  rembarquer  les  troupes  et 
d'éloigner  les  bateaux,  ordonna  à  un  officier  de  s'y  rendre. 

Le  major  Scott  s'y  porte  aussitôt  avec  les  soldats  qu'il  com- 
mande. Sa  chaloupe  s'étant  enfoncée  dans  le  moment  qu'il 
mettait  pied  à  terre,  il  grimpe  sur  les  rochers  tout  seul.  Il  ne 
trouve  plus  que  dix  hommes  des  cent  qui  y  avaient  été  envoyés. 
Avec  ce  petit  nombre,  il  ne  laisse  pas  de  gagner  les  hauteurs.  A 
la  faveur  d'un  taillis  épais  il  se  maintient  avec  un  cou. âge 
héroïque  dans  ce  poste  important  contre  un  parti  de  Français  et 


HISTOmE   DU    CANADA. 


un 


de  Sauvagee  sept  fois  plus  nombreux.  Les  troupes  anglaises 
bravant  le  courroux  de  la  mer  et  le  feu  des  batteries  françaises 
qui  se  dirigent  maintenant  sur  ce  rocher,  achèvent  de  le  rendre 
maître  du  seul  point  qui  pouvait  assurer  leur  descente.  La  posi- 
tion des  Français  sur  le  rivage  dès  lors  ne  fut  plus  tenable.  Ils 
furent  tournés,  débordés  par  les  ennemis  qui  les  prirent  en  flanc 
et  enlevèrent  une  de  leurs  batteries.  Dans  le  môme  instant  le 
bruit  courut  que  le  général  Whitmore  était  débarqué  au  Cap- 
Blanc  et  q)i'il  allait  couper  de  la  ville  les  2,000  soldats  de  l'onse 
au  Cormoran.  L'on  trembla  pour  Louisbourg,  où  l'on  s'empressa 
de  rentrer,  après  avoir  perdu  deux  cents  tués  ou  prisonniers  dans 
cette  journée  funeste,  qui  décida  du  sort  du  Cap-Breton. 

Les  Français  n'eurent  plus  rien  à  faire  alors  qu'à  se  renfermer 
dans  la  ville  avec  peu  d'espérance  de  pouvoir  s'y  défendre  long- 
temps ;  mais  ils  pensaient  que  plus  ils  feraient  de  résistance  plus 
ils  retarderaient  l'attaque  que  les  ennemis  projetaient  de  faire 
contre  le  Canada,*  et  ils  refusèrent  la  permission  que  demandait 
le  commandant  des  cinq  vaisseaux  qu'il  y  avait  dans  le  port  do 
se  retirer. 

Les  Anglais  ne  perdirent  pas  un  moment  de  délai.  Le  12 
juin  le  général  Wolfe,  à  la  tète  de  2,000  hommes,  prit  possession 
de  la  batterie  du  Phare,  de  la  batterie  royale  et  des  autres  postes 
extérieurs  abandonnés  par  les  assiégés.  La  batterie  du  Phare 
était  importante  en  ce  qu'elle  commandait  le  port,  les  fortifica- 
tions de  la  ville  et  la  batterie  de  l'île  située  en  face.  Les  travaux 
du  siège  commencèrent  aussitôt.  La  défense  fut  soutenue  avec 
autant  de  courage  que  l'attaque  fut  conduite  avec  résolution. 
Sept  mille  hommes  au  plus,  en  y  comptant  les  matelots  des  vais- 
seaux de  guerre  et  le  régiment  de  Cambis  qui,  débarqué  au  port 
Dauphin,  pénétra  dans  la  ville  pendant  le  siège,  luttèrent  contre 
les  forces  quadruples  de  l'ennemi  pendant  deux  mois  avec  une 
opiniâtreté  et  une  patience  admirable. 

Les  assiégeans  avaient  porté  leiirs  lignes  à  300  toises  des 
murailles,  favorisés  par  le  terrain  qui  ofirait  des  protections  natu- 
relles à  leurs  batteries.  Ils  poussèrent  leurs  travaux  avec  la  plus 
grande  activité,  et  firent  échouer  toutes  les  sorties  que  tentèrent 
les  Français  non  moins  alertes  qu'eux.  Le  19  la  batterie  du 
•  Lettre  de  M.  de  Drucourt  au  ministre,  du  23  sept.  1758. 


ii; 


fl 


274 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


Phare,  placée  sur  une  hauteur  que  les  nasiégtd  pouvaient  à  peine 
atteindre,  commença  à  tirer.  Des  deux  côtés  le  feu  était  extrê- 
mement vif,  mais  les  Français  furent  obligés  de  rapprocher  leurs 
vaisseaux  de  600  verges  île  la  ville  pour  les  soustraire  aux  pro- 
jectiles de  l'ennemi,  qui  commençait  aussi  alors  à  bombarder  la 
muraille  du  côté  opposé  à  la  batterie  du  Phare.  Trois  nouvelles 
batteries  furent  successivement  établies  et  un  épaulcment  d'un 
quart  de  mille  de  longueur  fut  élevé  pour  faciliter  les  approches 
de  la  ville  par  une  raitre  colline  qui  la  commandait.  Le 29  juin, 
les  assiégés  craignant  que  la  flotte  anglaise  ne  s'emparât  du  port, 
coulèrent  deux  de  leurs  vaisseaux  et  deux  frégates  dans  la  partie 
la  )'  étroite  de  son  entrée.  Deux  jours  après  ils  y  coulèrent 
enc  .o  deux  frégates  dont  les  mâts  restèrent  hors  de  l'eau.  Ils 
continuaient  en  môme  temps  à  faire  des  Mjrties  et  un  feu  très  vif 
de  tous  les  remparts.  La  femme  du  gouverneur,  madame  de 
Drucourt,  s'est  acquise  un  nom  immortel  pendant  ce  siège  par 
son  héroïsme.  Pour  encourager  les  soldats,  elle  parcourait  les 
remparts  au  milieu  du  feu,  tirait  elle-même  tous  les  jours  plu- 
sieurs^ coups  de  canon,  donnait  des  récompenses  aux  artilleurs  les 
plus  adroits.  Elle  pansait  les  blessés,  relevait  leur  courage  par 
des  paroles  bienveillantes,  et  se  rendait  aussi  chère  au  soldat  par 
son  courage  que  par  les  vertus  plus  douces  qui  appartiennent  à 
son  sexe. 

Cependant  les  murailles  s'écroulaient  de  toutes  parts  sous  le  feu 
des  batteries  des  Anglais,  qui  faisaient  d'autant  plus  d'eflbrts  que 
leurs  adversaires  mettaient  de  vigueur  à  se  défondre.  Ceux-ci 
pouvaient  à  peine  sullire  à  boucher  les  plus  grandes  brèches, 
lorsque  le  21  juillet  un  boulet  mit  le  feu  à  l'un  des  cinq  vaisseaux 
de  guerre  qui  restaient  à  flot.  C'était  un  74  ;  il  sauta  et  en 
incendia  deux  autres  qui  étaient  près  de  lui  et  qui  furent  consu- 
més. Les  deux  derniers  échappèrent  ce  jour-là  aux  plus  grands 
périls,  étant  obligés  de  passer  entre  les  batteries  ennemies  et  le 
canon  des  vaisseaux  embrasés  que  le  feu  faisait  partir,  mais  ce  fut 
pour  tomber  quelque  temps  après  entre  les  mains  des  assiégeans, 
(jui  entrèrent  dans  le  port  pendant  une  nuit  fort  obscure,  les  sur- 
prirent, en  brûlèrent  un  et  emmenèrent  l'autre. 

Après  ce  dernier  coup,  les  Français  durent  songer  à  abandon- 
ner la  lutte.     Le  port  était  partout  ouvert  et  sans  défense  ;  on  n'y 


IIISTOIUE   UU    CANADA. 


i275 


voyait  plus  que  dos  débris  de  vaisseaux.  Les  fortifications  nY'taicnt 
plus  tenablcs  ;  toutes  les  batteries  des  remparts  étaient  rasùes  ;  il  res- 
tait à  peine  une  douzaine  de  pièces  de  canon  sur  leurs  affïïls,  et  la 
bruche  était  praticable  en  beaucoup  d'endroits,  tellement  que  les 
femmes,  après  le  siège,  entraient  par  ces  brèches  dans  la  ville. 
1,500  hommes  ou  le  tiers  de  la  garnison  avaient  été  tués  ou 
blessés.  L'on  s'attendait  d'une  heure  à  l'autre  à  voir  les  enne- 
mis monter  à  l'assaut.  Les  habitans,  qui  en  redoutaient  les  suites, 
pressèrent  le  gouverneur  à  capituler.  Celui-ci  n'espérant  plus 
de  secours  dut,  le  26  juillet,  accepter  les  conditions  du  vainqueur. 
Louisbourg  qui  n'était  plus  qu'un  monceau  de  ruines,  retomba 
ainsi  avec  les  îles  du  Cap-Breton  et  St.-Jean  pour  la  seconde  fois 
au  pouvoir  de  l'Angleterre.  La  garnison,  formant  avec  les  mate- 
lots 5,600  hommes,  resta  prisonnière  de  guerre  et  les  habitant 
furent  transportés  en  France. 

Cette  conquête  qui  coûta  aux  Anglais  400  hommes  mis  hors  de 
combat,  excita  des  réjouissances  extraordinaires  dans  la  Grande- 
Bretagne  et  dans  ses  colonies.  A  Londres  l'on  porta  les  trophées 
de  la  victoire  en  triomphe  du  palais  de  Kensington  à  l'église  St.- 
Paul  ;  l'on  rendit  des  actions  de  grâces  dans  toutes  les  églises 
avec  un  enthousiasme  excité  moins  pour  célébrer  une  conquête 
que  pour  faire  oublier  la  perte  de  la  bataille  de  Carillon,  dont  l'on 
venait  de  recevoir  la  nouvelle,  mais  qui  ne  fut  rendue  publique 
qu'après  celle  de  la  prise  de  Louisbourg,  car  cette  ville  n'était 
après  tout  qu'une  misérable  bicoque.* 

Après  cet  exploit,  la  flotte  anglaise  alla  se  mettre  en  possession 
de  l'île  St.-Jean,  et  détruire  les  établissemens  de  Gaspé  et  de 
Mont-Louis,  formés  dans  le  golfe  St.-Laurent  par  des  Acadiens 
et  de  pauvres  pêcheurs  qu'elle  emmena.  Elle  fit  aussi  une  ten- 
tative contre  Miramichi,  puis  se  retira  vers  la  mi-octobre.  Dans 
le  même  temps  d'autres  Anglais  construisaient  de  petits  forts, 
comme  pour  s'y  établir  à  demeure,  dans  la  partie  septentrionale 

•  "  Louisbourg  is  a  Utile  place  and  has  but  one  casemetit  in  it,  hardly  big 
enougli  to  hold  the  women.  Our  artillery  made  a  havock  amongthem  (the 
garrisoii)  and  soon  opeued  the  rempart  :  in  two  days  more  \ve  should  cer- 
tainly  hâve  carricd  it.  If  this  force  had  been  properly  managed,  there  was 
an  end  of  th'î  french  colony  in  North  America,  in  one  campaign,  for  \ve 
havc,  exclusive  of  scamen  and  mariners,  near  to  forty  thoi'sand  men  in 
anus." — Lettre  du  général  Wolfe  à  son  oncle  lemajor  Wolje, 27  juillet  1758. 


276 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


de  la  baie  de  Fondy.  La  destruction  de  Louiabourg  et  la  perte 
du  Cap-Breton  laissèrent  le  Canada  sans  défense  du  côté  de  la 
mer,  et  ouvrirent  le  chen\in  de  Québec  aux  ennemis  pour  l'année 
suivante. 

Mais  tandis  que  le  général  Amherst  et  l'amiral  Boscawen  cueil- 
laient des  lauriers  dans  l'île  du  Cap-Breton  sur  le  bord  de  la  mer, 
le  général  Abercromby,  tapi  au  fond  du  lac  St.-Sacrement,  sur  la 
frontière  centrale  du  Canada,  dévorait  dans  l'immobilité  et  le 
silence  la  honte  de  la  cruelle  défaite  qu'il  venait  d'essuyer. 

Ce  général  qui  s'était  réservé  pour  lui-môme  le  commandement 
de  l'armée  qui  devait  agir  sur  le  lac  Champlain,  parce  que  c'était, 
dans  le  plan  de  campagne,  la  principale  opération,  avait  réuni  ses 
forcen,  composées  de  7,000  hommes  de  troupes  réglées  et  de 
9,000  hommes  de  troupes  provinciales,  dans  les  environs  du  lac 
St.-Sacrement,  où  le  colonel  Johnson  vint  le  joindre  avec  quatre 
ou  cinq  cents  Sauvages.  Cette  armée  qui  avait  pour  mission  de 
franchir  tous  les  obstacles  qu'offrait  la  route  de  Montréal,  faisait  ses 
prépara'.lfs  pour  attaquer  les  lignes  françaises.  M.  de  Vaudreuil  no 
doutait  point  qu'avec  les  forces  considérables  de  l'ennemi  Carillon 
ne  fût  attaqué  môme  après  le  départ  du  général  Amherst  pour 
Louidbourg.  N'ayant  pas  encore  reçu  de  vivres  de  France, 
il  cr.it  (;ue  le  meilleur  moyen  de  défendre  cette  frontière,  c'était 
de  faire  une  diversion.  C'est  pourquoi  il  persistait  dans  le  plan 
qu'il  avait  formé  de  jeter  un  gros  corps  sur  la  rive  méridionale  du 
lac  Ontario,  lo  pour  faire  prononcer  définitivement  les  Iroquois 
contre  l'Angleterre,  2o  pour  empêcher  le  rétablissement  d'Os- 
vvégo,  3o  entin  pour  faire  une  irruption  vers  Schenectady  et  obliger 
l'ennemi  à  se  retirer  du  lac  Champlain.  Cette  démonstration,  à 
la  fois  politique  et  militaire,  était  une  opération  fort  délicate. 
800  soldats  et  2,200  Canadiens  et  Sauvages  des  tribus  de  l'Ouest 
furent  donnés  au  chevalier  de  Levis  pour  l'accomplir;  mais  au 
moment  où  il  allait  se  mettre  en  chemin,  des  nouvelles  de  M.  de 
Bourlamarque,  qui  commandait  sur  la  frontière  du  lac  St.-Sacre- 
ratnt,  apprirent  que  le  général  Abercromby,  avec  une  armée  nom- 
breuse et  déjà  rendue  au  fort  Edouard,  était  sur  le  point  d'envahir 
le  Canada.  Le  départ  du  chevalier  de  Levis  fut  aussitôt  contre- 
mandé,  et  le  général  Montcalm,  après  quelques  démêlés  avec  le 
gouverneur  au  sujet  de  ses  instruction^,  partit  de  Montréal  avec 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


277 


M.  (le  Pont-Leroy,  ingénieur  en  chef,  le  24  juin  pour  aller  se 
mettre  à  la  tôte  des  troupes  à  Carillon,  où  il  arriva  le  30.  Trois 
mille  soldats  s'y  trouvaient  rassemblés.  Il  parut  surpris  que  les 
Anglais  fussent  déjà  prêts  à  descendre  le  lac  St.-Sacrement, 
quoique  depuis  le  printemps  il  appelât  lui-môme  l'attention  sur  le 
fort  Edouard,  et  pressât  d'envoyer  des  renforts  à  M.  de  Bourla- 
marque  pour  faire  face  à  tous  les  événemens.  Il  manda  sans 
délai  ce  qui  se  passait  au  gouverneur,  qui  fit  hâter  la  marche  des 
secours  qu'il  envoyait  et  qui  étaient  déjà  en  chemin,  à  savoir  : 
1,600  Canadiens,  des  Sauvages,  et  400  réguliers  sous  les  ordres 
du  chevalier  de  Levis.  M.  de  Vaudreuil  expédia  en  même 
temps  l'ordre  aux  milices  de  précipiter  leur  marche;  il  était 
impossible  que  ces  secours  pussent  arriver  avant  quelques  semai- 
nes. Une  petite  partie  seulement  put  atteindre  Carillon  à  marches 
forcées  avant  la  bataille. 

Le  1  juillet  le  général  Montcalm  se  porta  en  avant,  échelonnant 
ses  troupes  depuis  le  fort  Carillon  jusqu'au  pied  du  lac  St.-Sacre- 
ment, pour  en  imposer  à  l'ennemi  et  s'opposer  à  son  débar- 
quement. 

Dans  le  môme  temps,  5  juillet,  celui-ci  s'embarquait  à  la  tôte 
du  lac  sur  neuf  cents  berges  et  cent  trente  bateaux,  précédés  de 
nombreux  radeaux  garnis  de  canons,  nouvelle  espèce  de  batterie 
flottante.  Il  se  mit  en  mouvement  pour  le  descendre.  "  Le  ciel 
était  extrêmement  pur,  dit  le  Dr.  Dw^ight,  et  le  temps  superbe  ; 
la  flotte  avançait  avec  une  exacte  régularité  au  son  d'une  belle 
musique  guerrière.  Les  drapeaux  flottaient  étincelans  aux  rayons 
du  soleil,  et  l'anticipation  d'un  triomphe  futur  brillait  dans  tous  les 
yeux.  Le  ciel,  la  terre^  et  tout  ce  qui  nous  environnait  présen- 
taient un  spectacle  enchanteur.  Le  soleil,  depuis  qu'il  brillait 
dans  les  cieux,  avait  rarement  éclairé  tant  de  beauté  et  tant  de 
magnificence." 

L'avant-garde,  forte  de  6,000  hommes,  commandée  par  lord 
Howe,  atteignit  le  pied  du  lac  le  6  au  matin,  et  débarqua  au 
Camp-Brûlé.  M.  de  Bourlamarque  se  replia  à  son  approche  à  la 
Chute,  où  était  le  général  Montcalm,  après  avoir  attendu  vaine- 
ment M.  de  Trépézée  qu'il  avait  détaché  en  avant  en  observation 
sur  la  Montagne-Pelée  avec  300  hommes.  Cet  officier,  voyant 
paraître  les  ennemis,  voulut  rejoindre  M.  de  Bourlamarque,  mais 


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(716)  872-4503 


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278 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


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s'étant  égaré  dans  les  bois,  il  perdit  du  temps,  et  au  lieu  de  trou- 
ver les  Français  là  où  il  les  avait  laissés,  il  se  vit  tout-à-coup 
cerné  par  l'avant-garde  ennemie,  qui  l'attaqua  sans  lui  donner  le 
temps  de  se  reconnaître,  et  tua,  prit  ou  noya  les  deux  tiers  de  son 
détachement.  L'autre  tiers  qui  formait  son  arrière-garde  et  qui 
avait  pris  une  autre  route  parvint,  le  7,  sans  mésaventure  à  la 
Chute,  où  M.  de  Trépézée  fut  apporté  mortellement  blessé  avec 
un  autre  officier.  C'est  dans  cette  escarmouche  que  fut  tué  lord 
Howe,  jeune  officier  anglais  plein  d'espérance,  et  dont  la  perte 
fut  vivement  regrettée  par  ses  compatriotes. 

Les  desseins  et  la  force  de  l'ennemi  étaient  maintenant  pleine- 
ment connus  ;  le  général  Montcalm  fit  lever  le  camp  de  la  Chute, 
et  sous  la  protection  des  troupes  de  la  colonie  et  de  quatre  à  cinq 
cents  Canadiens  qui  venaient  d'arriver,  défila  vers  les  hauteurs  de 
Carillon  qu'il  avait  choisies  pour  livrer  bataille,  étant  décidé 
quelle  que  fût  la  disproportion  des  deux  armées,  de  ne  point 
abandonner  l'entrée  du  Canada  sans  combattre.  Il  avait  d'abord 
paru  incliner  pour  St.-Frédéric  ;  mais  M.  de  Lotbinière,  qu'il 
consulta,  et  qui  connaissait  très  bien  le  pays,  avait  recommandé 
les  hauteurs  de  Carillon  que  les  ennemis,  suivant  lui,  ne  pourraient 
passer  tant  qu'elles  seraient  occupées,  et  qu'il  était  facile  de  for- 
tifier par  des  retranchemens  sous  le  canon  du  fort  ;  tandis  que 
les  travaux  qu'il  faudrait  faire  pour  se  couvrir  à  St.-Frédéric, 
prendraient  deux  mois,  et  que  d'ailleurs  Carillon  passé,  l'ennemi 
pourrait  descendre  le  lac  Champlain  et  laisser  cette  place  der- 
rière lui.  Le  général,  sentant  la  force  de  ces  raisons,  arrivé  sur 
ces  hauteurs  devenues  si  célèbres,  fit  cesser  le  mouvement  rétro- 
grade des  troupes,  et  leur  donna  ordre  de  prendre  position  en 
avant  du  fort,  et  de  s'y  retrancher. 

Les  hauteurs  de  Carillon  sont  situées  dans  l'angle  formé  par  la 
décharge  du  lac  St.-Sacreraent  nommée  rivière  à  la  Chute,  et  le 
lac  Champlain  dans  lequel  elle  va  jeter  ses  eaux.  Ces  buttes, 
du  reste,  peu  élevées,  et  qui  ont  leur  point  culminant  au  sommet 
de  l'angle  lui-même,  s'abaissent  vers  leur  base,  se  terminant  en 
pente  douce  avant  d'arriver  au  lac,  et  en  pente  plus  abrupte  en 
arrivant  à  la  rivière  à  la  Chute,  sur  le  bord  de  laquelle  règne  un 
petit  fond  d'environ  vingt-cinq  toises  de  largeur.  A  l'extrémité 
de  l'angle,  sur  le  bord  de  l'escarpement,  se  trouvait  une  petite 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


ii79 


redoute  dont  le  feu  rayonnait  sur  le  lac  et  la  rivière,  et  enfilait  la 
pente  du  terrain  le  long  de  ce  cours  d'eau.  Cette  rédoute  se 
reliait  nar  un  parapet,  au  fort  Carillon  dont  l'on  voit  encore  lea 
ruines.  Ce  fort  qui  pouvait  contenir  trois  ou  quatre  cents  hom- 
mes, placé  dans  le  milieu  de  l'angle,  dominait  le  centre  et  la  droite 
du  plateau,  ainsi  que  la  plaine  au  pied  du  côté  du  lac  Champlain 
et  de  la  rivière  St.-Frédéric.  L'armée  passa  la  nuit  du  6  au  7 
au  bivouac.  Les  feux  de  l'ennemi  indiquaient  qu'il  était  en  force 
au  portage.  Les  retranchemens  formés  par  angles  entrans  et 
sortans,  commencés  le  6  au  soir  et  continués  le  7  avec  la  plus 
grande  activité,  prenaient  au  fort,  suivaient  quelque  temps  la  crête 
des  hauteurs  du  côté  de  la  rivière  à  la  Chute,  puis  tournaient  à 
droite  pour  traverser  l'angle  à  sa  base,  en  suivant  les  sinuosités  d'uno 
gorge  à  double  rampe  peu  profonde  qui  traverse  le  plateau,  et  enfin 
descendaient  dans  le  bas  fond  qui  s'étend  iusqu'au  lac.  Ils  pou- 
vaient avoir  six  cents  verges  de  développement,  et  cinq  pieds  de 
hauteur  ;  ils  étaient  formés  d'arbres  ronds  posés  les  urlB  contre  les 
autres,  avec  les  grosses  branches  coupées  en  pointes  placées  en 
avant  en  manière  de  chevaux  de  frise.  Chaque  bataillon,  ayant  en 
arrivant  pris  la  place  qu'il  devait  occuper  dans  l'action,  faisait  la 
partie  du  retranchement  destinée  à  le  protéger.  Tout  le  monde 
travaillait  avec  une  ardeur  incroyable.  Les  Canadiens  qui 
n'avaient  pu  recevoir  de  haches  plutôt,  ne  commencèrent  leur 
abatis,  dans  le  bas  fond  du  côté  du  lac  Champlain  où  leur  position 
fut  marquée,  que  dans  l'après-midi  ;  ils  l'achevèrent  le  lendemain 
au  milieu  du  jour  au  moment  où  les  Anglais  paraissaient.  Le 
pays  en  avant  étant  couvert  'le  bois,  le  général  Montcalm  fit  abat- 
tre les  arbres  jusqu'à  une  certaine  distance,  pour  voir  déboucher 
l'ennemi  à  découvert  et  de  plus  loin. 

Dans  le  même  temps  le  général  Abercromby  était  débarqué 
avec  toute  son  armée.  Il  apprit  par  des  prisonniers  que  les 
Français  se  retranchaient  pour  attendre  un  renfort  de  3,000  hom- 
mes que  devait  leur  amener  le  chevalier  de  Levia  ;  ce  qui  le 
fit  décider  à  les  attaquer  avant  la  jonction  de  ce  corps  ;  et  sur 
le  rapport  d'un  ingénieur  envoyé  en  reconnaissance,  que  leurs 
ouvrages  n'étaient  pas  achevés,  il  se  mit  aussitôt  en  mou- 
vement poussant  son  avant-garde,  sous  les  ordres  du  colonel 


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HISTOIRE  DU  CANADA. 


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Bradstreet,  le  7  au  soir,  jusqu'à  700  toises  des  Français  ;  et  des 
deux  côtés  l'on  se  prépara  pour  l'affaire  du  lendemain. 

L'armée  anglaise,  défalcation  faite  de  quelques  centaines 
d'hommes  laissés  à  la  Chute  et  à  la  garde  des  bateaux  au  pied  du 
lac,  était  encore  composée  de  plus  de  15,000  soldats  d'élite  com- 
mandés par  des  officiers  expérimentés,  marchant  au  combat  avec 
toute  la  confiance  que  donne  une  grande  supériorité  numérique. 
L'armée  française  ne  comptait  que  3,600  hommes  dont  450 
Canadiens  ou  soldats  de  la  marine  :  il  n'y  avait  pas  de  Sauvages. 
Trois  cents  hommes  furent  chargés  de  la  garde  du  fort,  et  3,300 
de  la  défense  des  retranchemens,  que  leur  peu  d'étendue  permit 
de  garnir  sur  trois  hommes  de  hauteur.  L'ordre  fut  donné  à 
chaque  bataillon  de  tenir  en  réserve  sa  compagnie  de  grenadiers 
et  un  piquet  de  soldats  rangés  en  arrière  et  prêts  à  se  porter  où 
le  besoin  le  demanderait.  Le  chevalier  de  Levis  arrivé  du  matin 
même  de  sa  personne,  fut  chargé  du  commandement  de  l'aile 
droite,  ayant  sous  lui  les  Canadiens  formant  l'extrême  droite  sous 
les  ordres  de  M.  de  Raymond  ;  M.  de  Bourlamarque  eut  le 
commandement  de  l'aile  gauche.  Le  général  Montcalm  se 
réserva  celui  du  centre.     Tel  fut  l'ordre  de  bataille  des  Français. 

A  midi  et  demi,  les  gardes  avancées  rentrèrent  dans  les  lignes 
en  fusillant  avec  les  troupes  légères  anglaises.  Un  coup  de  canon 
tiré  du  fort,  donna  le  signal  aux  troupes  de  border  les  ouvrages. 

Le  général  Abercromby  forma  son  armée  en  quatre  colonnes 
pour  attaquer  tous  les  points  à  la  fois.  Les  grenadiers  et 
l'élite  des  soldats,  choisis  pour  composer  la  tête  des  colonnes, 
eurent  l'ordre  de  s'élancer  contre  les  retranchemens  la  bayonnette 
au  bout  du  fusil,  et  de  ne  tirer  que  quand  ils  auraient  sauté  dedans. 
En  même  temps  un  certain  nombre  de  berges  devait  descendre  la 
rivière  à  la  Chute  pour  menacer  le  flanc  gauche  des  Français. 
A  une  heure  les  colonnes  ennemies  se  mirent  en  mouvement, 
entremêlées  de  troupes  légères  parmi  lesquelles  il  y  avait  des 
Indiens.  Ces  Sauvages  couverts  par  les  arbreS;  ouvrirent  le  feu 
le  plus  meurtrier  dès  qu'ils  furent  à  portée.  Les  colonnes  sorti- 
rent du  bois,  descendirent  dans  la  gorge  en  avant  des  retranche- 
mens, et  s'avancèrent  avec  une  assurance  et  un  ordre  admirable, 
les  deux  premières  contre  la  gauche  des  Français,  !a  troisième 
contre  leur  centre  et  la  dernière  contre  leur  droite  en  suivant  le 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


281 


pied  du  coteau  dans  le  bas  fond  où  se  trouvaient  les  Canadiens. 
Le  feu  commença  par  la  colonne  de  droite,  et  s'étendit  graduelle- 
ment d'une  colonne  à  l'autre  jusqu'à  celle  de  gauche,  qui  chercha 
à  pénétrer  dans  les  ouvrages  par  le  flanc  droit  du  chevalier 
de  Levis.     Cet  officier,  voyant  le  dessein  de  cette  colonne,  com- 
posée de  montagnards  écossais  et  de  grenadiers,  ordonna  aux 
Canadiens  de  faire  une  sortie,  et  de  l'attaquer  en  flanc.     Cette 
attaque  réussit  si  bien,  que  le  feu  des  Canadiens  joint  à  celui  des 
deux  bataillons  placés  sur  le  coteau,  l'obligea  de  se  jeter  sur  celle 
qui  était  à  sa  droite,  afin  d'éviter  un  double  feu  de  flanc.     Les 
quatre  colonnes,  forcées  de  converger  un  peu  en  avançant,  soit 
pour  protéger  leurs  flancs,  soit  pour  atteindre  le  point  d'attaque, 
se  trouvèrent  réunies  en  débouchant  sur  les  hauteurs.    Dans  le 
môme  moment,  une  trentaine  de  berges  se  présentaient  sur  la 
rivière  à  la  Chute  pour  menacer  la  gauche  des  Français.   Quelques 
coups  de  canon  tirés  du  fort,  qui  en  coulèrent  deux  bas,  et 
quelques  hommes  envoyés  sur  le  rivage,  suffirent  pour  les  mettre 
en  fuite.     Le  général  Montcalm  avait  donné  ses  ordres  pour  lais- 
ser avancer  les  ennemis  jusqu'à  vingt  pas  des  retranchemens. 
Cet  ordre  fut  ponctuellement  exécuté.    Lorsqu'ils  arrivèrent  à  la 
distance  indiquée,  la  mousqueterie  assaillit  ces  masses  compactes 
avec  un  effijt  si  prompt  et  si  terrible  qu'elles  tressaillirent,  chan- 
celleront et  tombèrent  en  désordre.    Forcées  de  reculer  un  instant, 
eUes  se  remirent  néanmoins  aussitôt,  et  revinrent  à  la  charge  ; 
mais,  oubliant  leur  consigne,  elles  commencèrent  à  tirer.    Le  feu 
devint  alors  d'une  vivacité  extrême  sur  toute  la  ligne  et  se  pro- 
longea fort  long-temps,  jusqu'à  ce  qu'enfin  après  les  plus  grands 
eflbrts,  les  assaillans  furent  obligés  de  lâcher  le  pied  une  seconde 
fois,  ne  laissant  le  terrain  jonché  de  leurs  cadavres.   Ils  s'arrêtèrent 
à  quelque  distance  pour  prendre  haleine  et  se  réorganiser  ;  ils 
reformèrent  leurs  colonnes  et  après  quelques  instans  se  précipi- 
tèrent de  nouveau  sur  les  retranchemens  malgré  le  feu  le  plus  vif 
et  le  plus  soutenu  qu'on  eût  jamais  vu.    Le  général  Montcalm 
s'exposait  comme  le  dernier  des  soldats.    Du  centre  où  il  s'était 
placé,  il  se  portait  pour  donner  ses  ordres  ou  mener  des  secours, 
sur  les  points  qui  périclitaient.    Après  des  eflbrts  inouis,  les  assail- 
lons furent  encore  repoussés. 

Etonné  de  plus  en  plus  d'une  résistance  si  opiniâtre,  le  général 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


Abcrcromby,  qui  avait  cru  que  rien  n'oserait  tenir  devant  lui  avec 
les  forces  accablantes  qu'il  avait  à  sa  disposition,  ne  pouvait  se 
persuader  qu'il  échouerait  devant  un  ennemi  si  inférieur  en 
nombre,  et  pensait  que  quelque  fût  le  courage  des  Françjais,  ils  fini- 
raient par  se  lasser  d'une  lutte  dont  la  violence  et  la  durée  no 
feraient  qu'empirer  leur  perte.  Il  résolut  donc  de  continuer  ses 
attaques  avec  la  plus  grande  énergie  jusqu'à  ce  qu'il  eût  triom- 
phé ;  et  depuis  une  heure  jusqu'à  cinq  ses  troupes  revinrent  six 
fois  à  la  charge,  et  furent  repoussées  chaque  fois  avec  de  grandes 
pertes.  Les  fragiles  remparts  qui  protégeaient  les  Français  pri- 
rent en  feu  à  diverses  reprises  dans  le  cours  de  l'action. 

Les  colonnes  ennemies  n'ayant  pu  réussir  dans  les  premières 
attaques  faites  simultanément  sur  le  centre  et  sur  les  deux  aîles  de 
Montcalm,  se  joignirent  pour  faire  des  efforts  commuii?  ;  elles 
assaillirent  ainsi  réunies  tantôt  la  droite,  tantôt  le  centre,  tantôt  la 
gauche  des  Français  sans  plus  de  succès.  C'est  contre  la  droite 
qu'elles  s'acharnèrent  le  plus  longtemps,  et  où  le  combat  fu.,  le 
plus  meurtrier.  Les  grenadiers  et  les  montagnards  écossais  con- 
tinuèrent à  charger  pendant  trois  heures  consécutives  sans  se 
rebuter  ni  se  rompre.  Les  derniers  surtout,  commandés  par  lord 
John  Murray,  se  couvrirent  de  gloire.  Ils  formaient  la  tête 
d'une  colonne  presqu'en  face  des  Canadiens.  Leur  costume 
léger  et  pittoresque  se  distinguait  entre  tous  les  autres  au  milieu 
du  feu  et  de  la  fumée.  Ils  perdirent  la  moitié  de  leurs  soldats  et 
vingt-cinq  officiers  tués  ou  grièvement  blessés.  Mais  enfin  cette 
attaque  fut  repoussée  comme  les  autres,  et  les  efforts  des  assail- 
lans  échouèrent  encore  une  fois  devant  l'intrépidité  calme  mais 
opiniâtre  des  troupes  françaises.  Pendant  ces  différentes  charges 
les  Canadiens  firent  encore  plusieurs  sorties  sur  les  flancs  de  l'en- 
nemi et  enlevèrent  des  prisonniers. 

A  cinq  heures  et  demie  le  général  Abercromby,  n'osant  plus 
conserver  d'espérance,  fit  retirer  toutes  ses  colonnes  dans  le  bois 
pour  leur  faire  reprendre  haleine,  et  faire  une  dernièi  3  tentative 
avant  de  se  retirer  tout-à-fait.  Une  heure  après  elles  reparurent 
et  commencèrent  une  attaque  générale  sur  tous  les  points  à  la 
fois  de  la  ligne  française.  Toutes  les  troupes  y  prir'^nt  part,  mais 
elles  rencontrèrent  la  même  opposition  que  dans  les  autres  ;  et 
après  des  efforts  inutiles,  elles  durent  abandonner  définitivement 


HISTOIRE  DU  C\NADA. 


283 


la  victoire  à  leurs  adversaires.     Les  Anglais  se  retirèrent  en  se 
couvrant  d'une  nuée  de  tirailleurs  dont  le  feu  avec  celui  des  Cana- 
diens qui  sortirent  à  leur  poursuite,  se  prolongea  jusqu'à  la  nuit. 
Les  troupes  françaises  étaient  épuisées  de  fatigues,  mais  ivres 
de  joie.    Le  général  Montcalm,  accompagné  du  chevalier  de  Levis 
et  de  son  état-major,  en  parcourut  les  rangs,  et  les  remercia  au 
nom  du  roi  de  la  conduite  qu'elles  avaient  tenue  dans  cette  glo- 
rieuse journée,  l'une  des  plus  mémorables  dans  les  fastes  de  la 
valeur  française.     Ne  pouvant  croire  cependant  à  la  retraite  défi- 
nitive des  Anglais,  et  s'attendant  à  un  nouveau  combat  pour  le 
lendemain,  il  donna  ses  ordres  et  fit  ses  préparatifs  en  consé- 
quence.    Les  troupes  passèrent  la  nuit  dans  leurs  positions  ;  elles 
nettoyèrent  leurs  armes,  et  se  mirent  dès  le  point  du  jour  à  per- 
fectionner les  retranchemens  qu'elles  renforcèrent  de  deux  batte- 
ries, l'une  à  droite  de  quatre  pièces  de  canon  «t  l'autre  à  gauche 
de  six.     Au  bout  de  quelques  heures  d'attente,  ne  voyant  point 
paraître  d'ennemis,  le  général  Montcalm  envoya  à  la  découverte 
des  détachemens,  qui  s'avancèrent  jusqu'à  quelque  distance  de 
la  Chute,  et  brûlèrent  un  retranchement  que  les  Anglais  avaient 
commencé  à  y  élever  et  qu'ils  avaient  abandonné.     Le  lende- 
main, 10,  le  chevalier  de  Levis  poussa  jusqu'au  pied  du  lac  St.- 
Sacrement  avec  les  grenadiers,  les  volontaires  et  des  Canadiens  ; 
il  ne  trouva  que  des  marques  de  la  fuite  précipitée  d'Abercromby. 
Dans  la  nuit  même  qui  avait  suivi  la  bataille,  le  général  anglais 
avait  continué  son  mouvement  rétrograde  vers  le  lac,  et  ce  mou- 
vement'était  devenu  une  véritable  fuite.    Il  avait  abandonné  sur 
les  chemins  ses  outils,  une  partie  de  ses  bagages,  un  grand  nombre 
de  blessés,  qui  furent  ramassés  par  le  chevalier  de  Levis,  et  s'était 
rembarqué  à  la  hâte  le  lendemain  à  la  première  lueur  du  jour, 
après  avoir  jeté  ses  vivres  à  l'eau. 

Telle  fut  la  bataille  de  Carillon,  où  3,600  hommes  avaient  lutté 
victorieusement  pendant  plus  de  six  heures  contre  15,000  soldats 
d'élite.  Le  gain  de  cette  journée  mémorable  accrut  singulière- 
ment la  réputation  de  Montcalm,  que  la  victoire  s'était  plu  à  cou- 
ronner depuis  qu'il  était  en  Amérique,  et  augmenta  encore  sa 
popularité  parmi  les  soldats.  L'on  n'avait  perdu  que  337  hovnmes 
dont  37  officiers,  au  nombre  desquels  se  trouvaient  M.  de  Bour- 
laraarque  dangereusement  blessé  à  l'épaule,  et  M.  de  Bougain- 


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284. 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


ville,  promu  récomiiient  au  grade  d'aide-marécaal  des  logis.  Lo 
chevalier  de  Levis  reçut  plusieurs  balles  dans  ses  habits  et  dans 
son  chapeau.  Les  pertes  des  Anglair.  furent  considérables.  Ils 
avouèrent  eux-mêmes  2,000  hommes  tués  et  blessés  dont  126 
officiers  ;  toutes  les  correspondances  françaises  les  portent  de  4" 
à  5  mille. 

Abercromby  remonta  le  lac  St.-Sacrement  avec  autant  de  pré- 
cipitation qu'il  en  avait  mis  pour  l'atteindre  de  Carillon,  et  en 
arrivant  à  la  tête  de  ce  lac,  il  se  retrancha  fortement  dans  le  camp 
qu'il  avait  occupé  avant  sa  courte  campagne,  écrivant  en  même 
temps  au  général  Amherst  à  Louisbourg  pour  lui  ordonner  de 
venir  le  rejoindre  sans  délai.  Celui-ci,  de  retour  à  Boston  le  13 
septembre  seulement,  se  mit  en  marche  pour  Albany  avec  4,500 
hommes.  Mais  la  saison  était  déjà  trop  avancée  pour  faire  une 
nouvelle  tentativef  cette  année,  si  toutefois  on  en  avait  le  projet, 
et  l'invasion  du  Canada  fut  ajournée  à  un  temps  plus  propice  Au 
reste  le  passage  de  Carillon  aurait  été  encore  plus  difficile  à  for- 
cer que  la  première  fois,  parce  que  les  retranchemens  qui  ne 
consistaient  qu'en  arbres  renversés  le  8  juillet,  avaient  été  refaits 
depuis  en  terre  et  flanqués  de  redoutes  couvertes  de  canons.  Des 
bandes  canadiennes  et  sauvages  battaient  la  campagne,  et  tenaient 
Montcalm  au  courant  de  tout  ce  qui  se  passait  dans  l'armée 
anglaise,  dont  elles  allaient  attaquer  les  détachemens  et  les  con- 
vois jusque  sous  les  murs  du  fort  Edouard,  dans  le  voisinage 
duquel  M.  de  St.-Luc  en  prit  un  de  150  voitures. 

Cependant  la  grande  supériorité  numérique  des  "ennemis 
faisait  que  leurs  pertes  étaient  à  peine  sensibles  et  qu'ils  se  rele- 
vaient plus  forts  et  plus  redoutables  après  chaque  défaite,  tandis 
que  les  succès  des  Français  les  affaiblissaient  réellement;  et  que 
chaque  victoire  diminuait  leurs  moyens  de  résistance  et  les 
chances  d'un  s'^ccès  définitif. 

Aussi  le  général  Abercromby  apprenant  que  son  mouvement 
sur  Carillon  avait  fait  contremander  l'ordre  donné  au  chevalier 
de  Levis  de  se  porter  à  Oswégo,  et  que  le  fort  Frortenac,  entre- 
pôt de  la  marine  française  sur  le  lac  Ontario,  se  trouvait  pres- 
qu'abandonné,  ordonna  au  colonel  Bradstreet  de  prendre  3,000 
hommes  et  11  bouches  à  feu,  et  de  tâcher  de  surprendre  ce  poste 
important,  qui  ne  ^^'attendait  point  dans  le  moment  à  une  pareille 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


285 


attaque.  Cet  ofTicier  partit  sans  bruit  du  camp  anglais,  descendit 
la  rivière  Osvvégo,  traversa  le  lac  Ontario,  au  pied,  et  parut  sou- 
dainement devant  la  place  le  25  août.  Elle  n'était  gardée  que 
par  70  hommes  sous  les  ordres  de  M.  de  Noyan,  qui  osa  cepen- 
dant se  défendre  dans  ce  mauvais  poste,  et  attendre  pour  se  rendre 
que  les  bombes  fissent  voler  le  fort  en  éclats.  Outre  beaucoup 
de  cant  is,  de  petites  arnres  et  une  grande  quantité  de  vivres  et 
cl_-  marchandises  trouvés  dans  son  enceinte,  les  vainqueurs  prirent 
à  Tancre  dans  le  port  neuf  barques  armées,  reste  des  trophées  de 
la  conquête  d'Oswégo.  Après  avoir  chargé  tout  ce  qu'ils  purent 
emporter  sur  leurs  vaisseaux,  ils  renvoyèrent  la  garnison  sur 
parole,  brûlèrent  les  ouvrages  et  les  barques,  à  l'exception  de 
deux,  et  reprirent  le  chemin  de  leur  pays  où  ils  rétablirent  l'an- 
cien fort  de  Bull. 

Cette  expédition,  exécutée  avec  autant  de  bonheur  que  d'ha- 
bileté, fit  le  plus  grand  honneur  au  colonel  Bradstreet,  et  jeta  un 
moment  le  Canada  dans  une  grande  inquiétude  pour  la  sûreté  de 
la  partie  supérieure  du  pays,  et  le  commandement  du  lac  Ontario, 
que  les  Français  croyaient  avoir  perdu  avec  l'escadrille  de  Fron- 
tenac. La  possession  de  ce  point  paraissait  si  importante,  que 
M.  de  Vaudreuil,  à  la  première  nouvel'e  de  l'apparition  du  colo- 
nel Bradstreet,  fit  battre  la  générale  et  chargea  le  major  de  Mont- 
léal,  M.  Duplessis,  de  prendre  1,500  Canadiens,  qui  laissèrent  là 
leurs  récoltes,  et  tous  les  Sauvages  qu'il  pourrait  rassenibler,  et 
d'aller  à  marches  forcées  à  son  secours  ;  mais*  cet  officier  apprit 
en  chemin,  à  la  Présentation,  que  le  poste  dont  l'on  redoutait  la 
perte,  venait  de  capituler.  Il  crut  devoir  attendre  de  nouveaux 
ordres  du  gouverneur,  qui  lui  fit  détacher  600  hommes  pour  ren- 
forcer la  garnison  de  Niagara,  et  manda  le  général  Montcalm  à 
Montréal,  pour  délibérer  sur  ce  qu'il  y  avait  à  faire  dans  les  cir- 
constances pénibles  dans  lesquelles  la  chute  de  Louisbourg  que 
l'on  venait  d'apprendre,  et  la  destruction  de  Frontenac,  mettaient 
le  pays.  Il  fut  résolu  par  ces  deux  chefs  de  rétablir  ce  dernier 
fort,  de  reprendre  Niagara  s'il  était  tombé  au  pouvoir  de  l'ennemi, 
comme  on  le  craignait,  n'étant  gardé  que  par  quelques  hommes, 
et  d'attaquer  Oswégo  si  les  Anglais  cherchaient  à  en  relever  les 
fortifications.  Le  chevalier  de  Levis  fut  désigné  pour  comman- 
der cette  partie  des  frontières  et  M.  de  Pont-Leroy,  ingén  „ur, 

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HiSTOIUE    DU    CANADA. 


pour  relever  les  murs  do  Frontenac,  dont  la  saison  força  d'ajour- 
ner les  travaux  à  l'année  suivante. 

Si  la  supériorité  du  nombre  assurait  ainsi  aux  Anglais  les  avan- 
tages de  la  campagne  dans  la  partie  de  la  Nouvelle  France  qui 
était  la  plus  voisine  de  la  mer,  la  mémo  cause  produisait  le  même 
résultat  dans  la  vallée  de  TOhio,  où  les  succès  des  Français 
lurent  insufliflans  pour  suppléer  à  leur  faiblesse.  Comme  on  l'a 
déjà  dit,  c'est  le  général  Forbes  qui  devait  diriger  les  opérations 
de  l'ennemi  sur  cette  frontière.  Son  armée  composée  de  régu- 
liers sous  le  colonel  Bouquet  et  de  milices  virginiennes  sous  le 
colonel  Washington,  se  réunit  au  nombre  de  6,000  hommes  après 
bien  des  délais  à  Raystown  à  30  lieues  du  fort  Duqucsne,  qu'elle 
devait  attaquer.  Mais  le  triste  souvenir  de  la  défaite  du  général 
Braddock,  tout  frais  encore  dans  la  mémoire,  fit  choisir  une  route 
nouvelle  pour  traverser  les  montagnes.  A  la  mi-septembre  cette 
armée  n'était  encore  qu'à  Loyal-Hanna,  où  elle  éleva  un  fort,  à 
45  milles  du  poste  français.  Avant  ue  se  remettre  en  chemin,  le 
général  Forbes  jugea  à  propos  de  détacher  de  son  armée  800 
soldats  sous  les  ordres  du  major  G>'ant,  pour  aller  reconnaître  ce 
poste.  Cet  officier  parvint,  par  une  marche  fort  secrète,  à  un 
quart  de  lieue  du  fort  Duquesne  sans  être  découvert.  Son  inten- 
tion était  d'attaquer  dans  la  nuit  les  Indiens  qui  se  tenaient  ordi- 
nairement campés  autour  de  la  place  ;  mais  les  feux  allumés 
devant  leurs  cabanes,  qui  devaient  lui  indiquer  leur  véritable 
position,  étaient  éteints  lorsqu'il  arriva,  et  il  dut  sans  avoir  rien 
fait  se  retirer  au  point  du  jour  sur  la  crête  d'une  montagne  voisine 
où  il  fut  aperçu  des  Français  avec  surprise.  M.  de  Ligneris, 
successeur  de  M.  Dumas,  assembla  aussitôt  les  Canadiens  et  les 
troupes  de  la  colonie  au  nombre  de  7  à  800,  et  les  mit  sous  les 
ordres  de  M.  Aubry,  qui  marcha  droit  aux  ennemis  dans  la  mon- 
tagne, les  attaqua  brusquement  et  les  rejeta  en  bas  dans  la  plaine 
fort  en  désordre.  Les  Sauvages  qui  s'étaient  retirés  d'abord  au-delà 
de  la  rivière  pour  ne  pas  être  surpris,  en  voyant  les  Anglais 
repoussés,  revinrent  sur  leurs  pas  et  se  réunirent  aux  Canadiens. 
La  déroule  des  ennemis  devint  alors  complète  ;  ils  furent  disper- 
sés et  perdirent  300  hommes  tués  ou  blessés,  et  cent  et  quelcpios 
prisonniers,  au  nombre  desquels  se  trouvèrent  v'mgt  ollicicrs  y 
compris  le  major  Grant  lui-même.  ^ 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


287 


La  nnuvollc  de  ce  désastre  trouva  le  général  Forbes  à  Loyal- 
llanna,  d'où  il  n'avait  pas  l)ougc.  On  était  en  novembre  ;  la 
saison  des  gelées  était  venue,  et  la  neige  commençait  à  blanchir 
la  cime  des  collines.  Il  fut  décidé  dans  un  conseil  de  guerre  de 
remettre  l'attaque  du  fort  Duquesne  à  l'année  suivante  ;  mal- 
heureusement des  prisonniers  révélèrent  sur  ces  entrefaites  la 
situation  des  Français.  Les  Sauvages  alliés  avaient  repris  le 
chemin  de  leurs  bourgades,  et  les  secours  venus  des  postes  du 
Détroit  et  des  Illinois,  comptant  les  ennemis  en  pleine  retraite, 
s'étaient  retirés,  de  sorte  qu'à  peine  restait-il  500  hommes  dans  ce 
poste  important.  A  cette  nouvelle  on  changea  d'avis  ;  le  géné- 
ral Forbes,  laissant  derrière  lui  ses  tentes  et  ses  gros  bagages, 
s'avança  à  marches  forcées  vers  la  place  avec  toutes  ses  troupes. 
M.  de  Ligneris,  hors  d'état  de  se  défendre  contre  des  forces  aussi 
supérieures,  et  n'attendant  plus  aucun  secours,  embarqua  son  artil- 
lerie sur  l'Ohio  pour  les  Illinois,  brûla  le  fort,  et  se  retira  avec  sa 
garnison  dans  celui  de  Machault  du  côté  du  lac  Erié.  Le  géné- 
ral Forbes  ne  trouva  en  arrivant  que  l'emplacement  sur  lequel 
avait  existé  ce  fort  fameux  qui  avait  tant  offusqué  l'Angleterre. 
Il  voulut  néanmoins  e*^  changer  le  nom,  et  en  l'honneur  du 
ministre,  M.  Pitt,  il  donna  à  cet  amas  de  cendre  celui  de  Pitts- 
burgh,  qu'il  a  conservé,  mais  qui  e«t  devenu  aujourd'hui  une  ville 
belle,  riche  et  florissante. 

Partout  maintenant  la  saison  du  repos  était  arrivée,  et  les 
troupes  des  deux  côtés  des  frontières  avaient  pris  ou  s'en  allaient 
p  endre  leurs  quartiers  d'hiver.  Les  deux  armées  opposantes  sur 
le  lac  St.-Sacrement,  après  avoir  reçu  l'une  et  l'autre  des  renforts 
que  leur  inactivité  rendit  inutiles,  s'étaient  aussi  mises  en  chemin 
pour  leurs  cantonnemens,  celle  du  général  Abercromby,  après 
avoir  incendié  les  barraques  et  les  retranchemens  qu'elle  avait 
élevés  à  la  tôte  du  lac  St.-Sacrement. 

L'avantage  des  opérattons  de  la  campagne,  la  cinquième 
depuis  le  commencement  des  hostilités,  resta  aux  Anglais  en 
Amérique  ;  ils  se  trouvèrent  maîtres  dans  l'automne  de  Louis- 
bourg  et  de  l'île  St.-Jean  ;  ils  avaient  brûlé  les  côtes  de  Gaspé  et 
pris  pied  sur  la  rive  septentrionale  de  la  baie  de  Fondy;  ils 
avaient  détruit  le  fort  Frontenac  et  forcé  enfin  les  Français  d'aban- 
donner avec  le  fort  Duquesne  cette  verdoyante  et  délicieuse  vallée 


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288 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


de  l'Ohio,  aux  eaux  de  laquelle  ils  s'étaient  plu  à  donner  le  nom 
de  Belle-Riviôre.  Mais  on  peut  dire  que  la  gloire  des  armes 
appartenait  à  la  France.  Partout  ses  soldats  avaient  eu  à  lutter 
contre  des  forces  très  supérieures  ;  supérieures  de  plus  de  trois 
contre  un  à  Louisbourg,  de  près  de  cinq  contre  un  à  Carillon  ! 
Jan^tils  ils  ne  s'étaient  battus  avec  plus  de  dévouement  et  plus 
d'intrépidité.  Si  les  chefs  commirent  quelquefois  des  fautes,  on 
doit  dire  qu'elles  ne  changèrent  rien  à  un  dénouement  devenu 
inévitable,  et  dont  l'histoire  doit  laisser  peser  la  responsabilité  sur 
la  caducité  du  gouvernement  de  la  métropole.  Le  Canada, 
^abandonné  à  la  double  attaque  de  la  famine  et  de  l'épée,  ne 
pouvait  résister  toujours  si  celle-ci  ne  faisait  face  elle-même  à 
l'Angleterre  sur  .os  mers,  qui  apportaient  chaque  année  des 
armées  entières  à  nos  adversaires  déjà  beaucoup  trop  puissans. 

Dans  les  autres  parties  du  monde,  la  France  avait  été  plus 
heureuse.  Dans  les  Indes,  ses  flottes  s'étaient  emparé  de  Gon- 
deloue,  où  dix  frégates  anglaises  avaient  été  brûlées  ;  elles  avaient 
pris  le  fort  David  sur  la  côte  de  Pondichéri  et  Divicoté.  Après 
avoir  échoué  devant  Raga,  elles  avaient  enlevé  Arcate,  capitale 
de  la  Nobabie.  Si  des  combats  navals  livrés  à  l'amiral  Pocock 
étaient  restés  indécis,  en  Europe,  quoique  ses  succès  eussent 
été  mêlés  de  revers,  sa  position  n'était  pas  pire.  Ses  victoires 
balançaient  ses  défaites  en  Allemagne,  et  le  duc  d'Aiguillon,  ayant 
rejoint  les  Anglais  qui  tentaient  depuis  quelq"'e  temps  des  débar- 
quemens  en  France,  avait  anéanti  leur  arrière-garde  à  St.-Cast. 
Tant  d'efforts  cependant  pour  soutenir  la  guerre  sur  terre  et  sur 
mer  dans  toutes  les  parties  du  globe,  avaient  achevé  d'épuiser  le 
trésor.  Pitt  le  savait,  et  il  redoublait  d'énergie  pour  détruire  ou 
paralyser  complètement  les  forces  de  la  France  dans  le  Nouveau- 
Monde.  Les  embarras  des  finances  et  l'aspect  de  l'avenir  ame- 
nèrent un  nouveau  changement  de  ministère  à  Paris.  M.  Ber- 
ryer  remplaça  M.  de  Moras  au  bureau  de  la  marine  et  des  colo- 
nies ;  le  maréchal  de  Belle-lsle,  le  marquis  de  Paulmy  au  bureau 
de  la  guerre;  et  le  duc  de  Choiseul,  le  cardinal  de  Bernis,  à  celui 
des  affaires  étrangères.  Ce  changement  annonça  le  triomphe  du 
parti  de  la  guerre  à  la  cour.  Mais  les  affaires  militaires  n'en 
réussirent  pas  mieux  ;  au  contraire,  l'on  va  voir  les  désastres 
s'accroître  de  jour  en  jour.    Quant  au  Canada,  le  nouveau 


MISromE   DU   CANADA. 


;289 


ministère  parut  lui  Être  moins  Ihvorable  encore  que  l'ancien,  et  si 
le  ujénùral  Montcuiiu  eût  un  ami  dans  le  maréclia!  de  Belle-Isle, 
Bigot  eut  un  censeur  sùvôre  dans  SI.  Berryer,  qui  parut  i)iua 
occupé  du  soin  d'apurer  les  comptes  de  l'intendant,  que  d'envoyer 
les  secours  de  tous  genres  dont  ce  pays  avait  besoin. 

En  effet,  les  soldats  et  les  vivres  mancjuaient  toujours.  Un  j 
partie  de  la  population  avait  été  arrachée  à  l'agriculture  pour  le» 
exigences  de  la  guerre,  et  la  terre  étai*  restée  sans  laboureurs  ;  co 
qui  nécessitait  des  importations  de  céréa.es  encore  plus  considé- 
rables que  dans  les  années  précédentes.  D'un  autre  côté,  les 
hostilités  sur  mer  rendaient  les  importations  plus  dilRciles,  et  il 
fallait  ménager  le  temps  des  cultivateurs  et  régler  les  opération? 
militaires  de  manière  à  pouvoir  en  laisser  libre  le  plus  grand 
nombre  possible  pour  le  temps  des  semailles  et  de  la  moisson  : 
ainsi  la  guerre  et  la  culture  s'entrenuisaient,  et  toutes  deux  mar- 
chaient ensemble  vers  une  ruine  commune. 

Dès  le  mois  d'octobre  le  gouverneur  et  l'intendant  avaient  écrit 
au  ministre  pour  l'avertir  que  le  projet  des  Anglais  était  d'assié- 
ger Québec  l'année  suivante  avec  une  armée  formidable  :  et  que 
d'après  les  progrès  qu'ils  avaient  faits  dans  la  campagne  actuelle, 
si  le  Canada  ne  recevait  point  de  secours,  attaqué  de  toutes  parts, 
il  devait  finir  par  succomber;  que  l'on  n'avait  que  10,00C 
hommes  à  opposer  aux  forces  de  l'ennemi,  parce  qu'il  fallait  en 
réserver  4,000  pour  les  transports  et  les  garnisons  des  forts  Nia- 
gara, Frontenac,  de  la  Présentation,  etc.  "  Il  ne  faut  pas  comp- 
ter sur  les  habitans,  ajoutaient-ils,  ils  sont  exténués  par  les 
marches  continuelles.  Ce  sont  -^ux  qui  font  toutes  les  décou- 
vertes de  l'armée.  Leurs  terres  ne  sont  point  cultivées  à  n;  ntié. 
Leurs  maisons  tombent  en  ruine.  Ils  sont  toujours  en  campagne, 
abandonnant  et  femmes  et  enfans,  qui  pour  l'ordinaire  sont  sans 

pain Il  n'y  aura  point  de  culture  cette  année  faute  de 

cultivateurs."  Ils  observaient  encore  que  l'on  serait  forcé  de  dis- 
tribuer du  bœuf  ou  du  cheval  aux  pauvres  à  bas  prix.  Les 
demandes  du  munitionnaire  en  France  en  comestibles  seuls 
devaient  occuper  35  navires  de  3  à  400  tonneaux. 

Toutes  les  correspondances  confirmaient  ce  triste  et  trop  fidèle 
tableau  de  la  colonie  tracé  par  le  gouverneur  et  l'intendant.  M. 
de  Bougainville  s'embarqua  à  Québec  pour  Paris,  chargé  d'aller 


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HISTOIRE  DU    CANADA. 


roprùscnter  à  la  cour  la  nécessité  de  faire  un  grand  cfTort  pour 
épargner  au  pays  le  sort  qvii  le  menaçait;  le  commissaire  des 
guerres,  M.  Doreil,  qui  repassait  aussi  en  Europe,  devait  appuyer 
les  représentations  de  Bougainville. 

De::  sollicitations  si  pressantes  restèrent  sans  résultat.  Dans 
leur  impuis.iance  de  secourir  une  si  noble  contrée  qu'ils  allaient 
perdre,  les  ministres,  le  cœur  rempli  de  douloureux  regrets,  écla- 
tèrent en  reproches  amers  contre  l'intendant  sur  les  dépenses 
excessives  du  Canada,  qu'ils  attribraient  à  sa  négligence,  comme 
pour  se  justifier  eux-mêmes  aux  yeux  de  la  France  de  la  situation 
malheureuse  où  l'on  se  trouvait.  Berryer  écrivait  à  ce  fonction- 
naire le  19  janvier  1759,  que  la  fortune  de  ceux  qui  avaient  suivi 
ses  ordres,  rendait  son  administration  suspecte  ;  plus  tard  encore, 
le  29  août,  .e  ministre  informé  quo  le  tirage  des  lettres  de  ciiange 
allait  mo.iter  pour  1759  de  31  à  33  millions,  lui  reprochait  (jue 
les  dépenses  étaient  faites  sans  ordre,  souvent  sans  nécessité,  tou- 
jours sans  économie,  et  terminait  par  ces  mots:  *<  On  vous  attri- 
bue directement  d'avoir  gêné  le  commerce  dans  le  libre  appro- 
visionnement de  la  colonie  ;  le  munitionnaire  général  s'est  rendu 
maître  de  tout,  et  donne  à  tout  le  prix  qu'il  veut;  vous  avez 
vous-même  fait  acheter  pour  le  compte  du  roi,  de  la  seconde  et 
troisième  main,  ce  que  vous  auriez  pu  vous  procurer  de  la  pre- 
mière à  moitié  meilleur  marché  ;  vous  avez  fait  la  fortune  des 
personnes  qui  ont  des  relations  avec  vous  par  les  intérêts  que  vous 
avez  fait  prendre  dans  ces  achats  ou  dans  d'autres  entreprises  ; 
vous  tenez  l'état  le  plus  splendide  et  le  plus  grand  jeu  au  milieu 

de  la  misère  publique Je  vous  prie  de  faire  de  très 

sérieuses  réflexions  sur  la  façon  dont  l'administration  qui  vous 
est  confiée  a  été  conduite  jusqu'à  présent.  Cela  est  plus  impor- 
tant que  peut-être  vous  ne  le  pensez.'''' 

Cette  dépêche  qui  semblait  mettre  à  nu  les  spéculations  secrè- 
tes de  l'intendant,  le  trouva  impassible  en  apparence  5  mais  inté- 
rieurement pénétré  de  crainte  et  d'humiliation,  il  se  vit  découvert 
et  flétri  aux  yeux  de  ses  maîtres.  Une  seconde  dépêche  répé- 
tait les  mêmes  reproches  et  comportait  des  menaces  encore  plus 
explicites  et  plus  directes.  C'était  tout  ce  qui  pouvait  être  fait 
dans  le  moment  ;  les  événemcns  se  pressaient  avec  trop  de  rapidité 
pour  permettre  de  porter  remède  à  des  abus,  dont  la  cause,  soi- 


HISTOinE    DV    CANADA. 


291 


gneusement  cachée,  exigeait  une  investigation  attentive  et  minu- 
tieuse. 

Les  obstacles  et  les  malheurs  aigrissent  le  caractùrc  des  hom- 
mes et  finissent  souvent  par  allumer  dans  les  cœurs  les  plus  nobles 
des  passions  funestes.  La  division  entre  lo  gouverneur  et  le 
général  Montcalm,  dont  l'on  a  déjà  parlé,  prit  un  caractère  plus 
grave  après  la  bataille  de  Carillon  ;  et  il  paraît  qu'à  la  cour,  où 
aboutissaient  les  accusations  et  les  récriminations,  l'on  crut  s'a- 
percevoir que  cette  malheureuse  affaire  dégèlerait  en  intrigue, 
dont  Doreil  était  l'agent  secret,  et  le  gouverneur  devait  élre  la 
victime.  La  rentrée  de  Doreil  en  France  ne  fut  peut-être  pas 
entièrement  étrangère  à  cette  menée. 

Le  général  Montcalm  et  ses  partisans  accusaient  M.  de  Vau- 
dreuil  d'avoir  exposé  l'armée  à  une  complète  destruction,  en  la 
dispersant  sur  le  lac  Ontario  et  au  pied  du  lac  St.-Sacrement,  et 
en  n'appelant  pas  les  Canadiens  et  les  Sauvages  sous  les  armes, 
pour  être  prêts  à  se  porter  sur  les  points  qui  pourraient  être 
menacés.     Il  est  bon  d'observer  qu'avant  le  8  juillet  leurs  cor- 
respondances étaient  très  circonspectes,  contenaient  peu  de  siif- 
gessions,  n'exprimaient  que  des  doutes,  et  que  Montcalm  lui- 
môme  croyait  l'ennemi  si  peu  préparé   à  entrer  en  campagne, 
.ju'il  mit  six  jours  à  se  rendre  de  Montréal  à  Carillon.     Après  la 
bataille,  ce  général  écrivit  au  ministre  que  les  mesures  du  gou- 
verneur l'avaient  exposé  sans  forces  suffisantes  aux  coups  de 
l'ennemi  ;  mais  que  puisque  la  victoire  avait  réparé  cette  faute, 
ce  qui  le  flattait  le  plus,  c'est  que  les  troupes  régulières  n'en  par- 
tageaient  la  gloire   avec  personne,  observation  peu  généreuse 
qu'explicpient  du  reste  les  jalousies  que  nous  avons  signalées  déjà 
plusieurs  fois.     Puis  après  avoir  sollicité  les  grâces  que  méritait 
une  armée   si  brave,  il  ajoutait:  "  Pour  moi,  je  ne  vous  en 
demande  pas  d'autre  que  de  me  faire  accorder  par  le  roi  mon 
retour;  ma  santé  s'use,  ma  bourse  s'épuise.     Je  devrai  à  la  fin 
de  l'année  dix  mille  écus  au  trésorier  de  la  colonie,  et  plus  que 
tout  encore,  les  désagrémens,  les  contra  lictions  (jue  j'éprouve, 
l'impossibilité  où  je  suis  de  faire  le  bien  et  d'empêcher  le  mal, 
me  déterminent  de  supplier  avec  instance  sa  Majesté  de  m'ac- 
corder  cette  grâce,  la  seule  que  j'ambitionne."     Doreil,  son  con- 
fident, qui  ne  se  croyait  pas  tenu  d'observer  la  même  réserve, 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


critiquait  depuis  lo  'etcmps,  avec  une  extrême  vivacité,  tous  les 
actes  de  l'administration.  Depuis  le  dernier  succès  surtout,  il  ne 
mettait  plus  de  mesure  dans  ses  paroles  :  "  La  négligence,  l'igno- 
rance, la  lenteur  et  l'opiniâtreté  du  gouverneur,  disait-il,  ont  pensé 

perdre  la  colonie l'ineptie,  l'intrigue, le  mensonge, l'avidité, 

la  feront  sans  doute  périr."  Et  comme  la  commune  renommée 
attribuait  aux  Canadiens  une  grande  part  dans  les  victoires  obte- 
tenues  dans  le  cours  de  la  guerre,  et  que  le  roi  pouvait  croire  au 
dévouement  de  ce  peuple,  il  informait  le  ministre  que  le  général 
Montcalm  lui  avait  écrit  confidentiellement  que  les  Canadiens 
qu'il  y  avait  à  la  batail'  3  de  Carillon  s'étaient  conduits  fort  médio- 
crement de  même  que  les  troupes  de  la  colonie,  quoiqu'il  eût  dit 
le  contraire  dans  le  rapport  officiel  transmis  à  Taris.  Après  plu- 
sieurs lettres  écrites  dans  les  mômes  termes  d'accusation  et  de 
calomnie,  Doreil  croyant  avoir  bien  disposé  les  ministres  à  son 
dessein,  les  invita  enfin  dans  une  dernière  dépêche  plus  violente 
encore  que  les  autres,  à  changer  le  gouverneur,  et  à  choisir  le 
général  Montcalm  pour  le  remplacer.  "  Si  la  guerre  doit  durer 
encore  ou  non,  disait-il,  si  l'on  veut  sauver  ou  établir  le  Canada 
solidement,  que  sa  Majesté  lui  en  confie  le  gouvernement.  Il 
possède  la  science  politique,  comme  les  talens  militaires.  Homme 
de  cabinet  comme  de  détails,  il  est  grand  travailleur,  juste,  désin- 
téressé jusqu'au  scrupule,  clairvoyant,  actif,  et  n'a  en  vue  que  le 

bien;  en  un  mot,  il  est  homme  vertueux  et  universel 

Quand  M.  de  Vaudreuil,  aurait  de  pareils  talens  en  partage,  il 
aurait  toujours  un  défaut  originel,  il  est  Canadien^ 

Toutes  ces  intrigues,  qui  n'étaient  pas  assez  secrètes  pour  qu'il 
n'en  transpirât  pas  quelque  chose  même  dans  le  public,  parve- 
naient à  la  connaissance  du  gouverneur.  Déjà  les  officiers  et  les 
soldats  de  l'armée  attaquaient,  critiquaient  tout  haut  sa  conduite 
dans  leurs  propos,  et  lui  attribuaient  la  détresse  et  les  malheurs 
dont  ils  étaient  les  victimes.  Il  voulut  mettre  un  terme  à  un  état 
de  chose  qui  pouvait  avoir  les  suites  les  plus  fâcheuses  ;  mais  il 
n'échappa  point  lui-même  à  la  passion  qui  animait  ses  ennemis. 
Dans  une  lettre  pleine  de  récriminations  qu'il  adressa  à  Paris,  il 
demanda  le  rappel  de  Montcalm,  disant  que  ce  général  manquait 
des  qualités  nécessaires  pour  faire  la  guerre  du  Canada  ;  qu'il 
fallait  beaucoup  de  douceur  et  de  patience  pour  commander  les 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


293 


Canadiens  et  les  Sauvages,  et  que  Montcalm  n'en  avait  point 
et  finissait  par  désigner  le  chevalier  de  Levis  pour  lui  succéder 
dans  le  commandement  des  troupes. 

Ces  malheureuses  querelles  embarrassèrent  beaucoup  les  minis- 
tres. Une  note  fut  dressée  et  soumise  au  conseil  d'état  pour 
rappeler  Montcalm,  comme  il  le  demandait  lui-même,  avec  le 
titre  de  lieutenant-général,  et  le  remplacer  par  le  chevalier  de 
Levis  avec  le  grade  de  maréchal  de  camp.  Mais  le  roi,  après 
réflexion,  n'approuva  point  cet  arrangement,  et  les  choses  restè- 
rent comme  elles  étaient.  L'on  pensa  peut-être  qu'il  serait  dan- 
gereux, d'une  part,  d'oter  au  pays  un  général  aimé  du  soldat  et  qui 
avait  toujours  été  victorieux  ;  et  de  l'autre,  de  changer  un  gouvc 
neur  qui  avait  obtenu  des  Canadiens  tous  les  sacrifices  de  sang  et 
d'argent  que  l'on  pouvait  attendre  du  peuple  le  plus  dévoué,  sans 
qu'ils  eussent  fait  entendre  seulement  un  murmure.  Le  système 
de  deux  chefs  presqu'aussi  puissans  l'un  que  l'autre  était  sans 
doute  défectueux.  L'on  aurait  du  avoir  nommé  dès  le  début  de 
la  guerre  un  che'' civil  capable  d'être  aussi  chef  militaire  et  de 
commander  l'armée.  Des  dépêches  conciliantes  furent  adressées 
au  gouverneur  et  au  général,  à  qui  les  ministres,  au  nom  du  roi, 
recommandèrent  vivement  l'union  et  la  concorde,  chose  d'une 
absolue  nécessité  dans  les  circonstances  où  l'on  se  trouvait.  Dana 
le  printem])s  M.  de  Bougainville  arriva  à  Québec  avec  ses  mains 
pleines  de  récompenses.  M.  de  Vaudreuil  était  nommé  grand'- 
croix  de  l'ordre  de  St.-Louis;  M.  de  Montcalm  commandeur  du 
même  ordre  et  lieutenant-général  ;  M.  de  Levis  maréchal  de 
camp  ;  Bourlamarque  et  de  Sènezergues,  brigadiers  ;  Bougain- 
ville colonel,  enfin  Dumas,  major-général  et  inspecteur  des  trou- 
pes de  la  marine.  Des  croix  et  des  avancemens  étaient  aussi 
accordés  à  beaucoup  d'officiers  de  grades  inférieurs.  Ces  récom- 
penses, surtout  les  pressantes  recommandations  des  ministres 
rapprochèrent  les  deux  chefs  sans  les  réconcilier. 

Quant  aux  secours  à  attendre  de  la  métropole,  le  ministre  do 
la  guerre  donnait  peu  d'espoir.  M.  de  Montcalm  lui  avait  mandé 
qu'à  moins  d'un  bonheur  inattendu,  d'une  grande  diversion  sur 
les  colonies  anglaises  par  mer,  ou  de  grandes  fautes  de  la  part  do 
l'ennemi,  le  Canada  serait  pris  dans  la  campagne  de  59  et  sûre- 
ment dans  la  suivante,  les  Anglais  ayant  60,000  honiiAes  sur 


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294 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


pied  tandis  que  les  Français  en  avaient  10  à  11  mille  au  plus. 
Ce  ministre  l'informa  qu'il  ne  devait  pas  espérer  de  recevoir  de 
troupes  de  renfort  :  "  Outre  qu'elles  augmenteraient  la  disette  des 
vivres  que  vous  n'avez  que  trop  éprouvée  jusqu'à  présent,  il 
serait  fort  à  craindre  qu'elles  ne  fussent  interceptées  par  les  An- 
glais dans  le  passuge  ;  et  comme  le  roi  ne  pourrait  jamais  vous 
envoyer  dos  secours  proportionnés  aux  forces  que  les  Anglais  sont 
en  état  de  vous  opposer,  les  efforts  que  l'on  ferait  ici  pour  vius 
en  procurer  n'auraient  d'autre  effet  que  d'exciter  le  ministère  le 
Londres  à  en  f  !''r  de  plus  considérables  pour  conserver  la  supé- 
i.';orité  qu'il  s'est  acquise  dans  cette  partie  du  continent."  *  En 
effet,  600  recrues,  deux  frégates  et  12  à  15  navires  du  commerce 
appartenant  la  plupart  au  raunitionnaire  avec  des  marchandises 
et  des  vivres,  furent  tout  ce  qui  entra  dans  le  port  de  Québec 
avant  l'apparition  de  la  flotte  ennemie.  Quoique  cette  cniuluite 
déliât  les  Canadiens  de  la  fidélité  qu'ils  devaient  à  la  France, 
puisqu'elle  reconnaissait  elle-même  la  supériorité  absolue  de 
l'ennemi  en  Amérique,  pas  un  cependant  ne  parla  de  rendre  les 
armes  ;  ils  avaient  encore  du  sang  à  verser  et  des  sacrifices  à  faire 
pour  cette  ancienne  patrie  d'où  sortaient  leurs  pères,  et  s'il  y  eut 
des  paroles  de  découragement,  elles  partirent  plutôt  des  rangs  de 
l'armée  régulière  que  de  ceux  des  colons. 

Le  gouvernement  britannique  n'ignorait  point  à  quel  éta'  de 
détresse  était  réduit  le  Canada;  ce  qui  fut  un  motif  de  plus  pouc 
lui  de  redoubler  de  vigueur.  Tl  demanda  et  obtint  de  la  chambre 
des  communes  tout  ce  qui  était  nécessaire,  en  hommes,  en  argent 
et  en  vaisseaux,  pour  mener  à  bonne  fin  l'entreprise  glorieuse 
qu'il  avait  commencée.  Si  les  progrès  faits  jusque  là  étaient  peu 
brillans,  ils  étaient  du  moins  solides  et  assurés  ;  le  chemin  de 
Québec,  celui  de  Niagara  et  du  Cai'ada  occidental  étaient  ouverts. 
Les  diverses  tribus  de  ces  contrées  étaient  acquises.  Voulant 
prévenir  le  moment  de  la  chute  de  la  puissance  française,  et 
s'assurer  de  l'amitié  de  l'Angleterre  avant  qu'il  fût  trop  tard,  elles 
avaient  signé  avec  elle  un  traité  de  paix  dans  le  mois  d'octobre 
précédent,  à  Easlon,  où  s'étaient  exprès  rendus  sir  William 
Johnson  et  plusieurs  gouverneurs,accorapagnés  d'un  grand  nombre 
des  personnes  les  plus  marquantes  des  provinces.     Ainsi  se  bri- 

•  Lettre  du  19  février  1759. 


HISTOIRE    DU   CANADA. 


2d5 


sait  chaque  jour  cet  admirable  système  des  alliances  indiennes 
fondé  par  Champlain  et  organisé  par  Talon  et  Frontenac.  Le 
traité  d'Easton  prépara  la  voie,  suivant  SmoUett,  aux  opérations 
militaires  qui  furent  projetées  contre  le  Canada  pour  la  célèbre 
campagne  de  59. 

Comme  l'année  précédente,  l'Angleterre  persista  dans  son 
plan  d'envahir  le  Canada  à  la  fois  par  le  centre  et  par  ses  deux 
extrémités.  L'immensité  de  ses  forces  l'obligeait  toujours  à  les 
diviser;  car,  réunies,  elles  se  seraient  nui  et  une  partie  serf.it 
restée  inutile.  Louisbourg  étant  pris,  Québec  était  la  seconde 
ville  à  attaquer  du  côté  de  la  mer,  et  sous  les  murs  de  laquelle 
les  trois  armées  envahissantes  devaient  se  réunir  pour  enlever  de 
vive  force  ce  dernier  boulevard  des  Français  dans  le  continent. 
Le  général  Amherst,  à  qui  la  chambre  des  communes  avait  voté 
des  remercîmens  comme  à  l'amiral  Boscawen,  pour  la  conquête 
de  Louisbourg,  fut  chargé  du  commandement  de  l'armée  anglaise 
à  la  place  du  général  Abercromby  rappelé  après  la  bataille  de 
Carillon.  Un  corps  de  dix  mille  hommes  fut  mis  sous  les  ordres 
du  général  Wolfe,  jeune  officier  qui  s'était  distingué  par  son  acti- 
vité et  par  son  audace  au  siège  de  Louisbourg,  pour  remonter  le 
St.-Laurent  et  assiéger  Québec  ;  un  corps  de  douze  mille  hommes, 
commandé  par  le  général-en-chef  lui-même,  devait  tenter  pour 
la  troisième  fois  le  passage  du  lac  Champlain,  descendre  la  rivière 
Richelieu  et  le  St.-Laurent,  et  se  réunir  à  celle  de  Wolfe.  Enfin 
le  général  Prideaux  avec  un  troisième  corps  composé  de  troupes 
régulières  et  provinciales  et  de  plusieurs  milliers  d'Indiens  sous 
les  ordres  de  sir  William  Johnson,  était  chargé  de  prendre  Niagara, 
de  descendre  le  lac  Ontario,  enlever,  chemin  faisant,  Montréal, 
et  venir  se  joindre  aussi  lui  aux  deux  armées  déjà  rendues  sous 
les  murailles  de  la  capitale  canadienne.  Un  quatrième  corps 
moins  considérable  devait,  sous  les  ordres  du  colonel  Stanwix, 
battre  la  campagne,  enlever  les  petits  forts  qui  se  trouveraient  sur 
sa  route  et  purger  d'ennemis  les  rives  du  lac  Ontario.  Outre  ces 
forces,  qui  composaient  un  total  de  plus  de  30,000  hommes  avec 
des  parcs  d'artillerie  formidables  et  toutes  sortes  de  machines 
de  guerre,  les  amiraux  Sounders,  Durell  et  Holmes  firent  voile 
d'Angleterre  avec  une  escadre  de  20  vaisseaux  de  ligne,  10  fré- 
gates, 18  autres  bâtimens  plus  petits  que  rallièrent  en  chemin  un 


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296  HISTOIRE  DU  CANADA. 

grand  nombre  d'autrea,  pour  transporter  l'armée  du  général  Wo!fe 
de  Louisbourg  à  Québec  et  couvrir  le  siège  de  cette  ville  du  côté 
de  la  mer:  cette  flotte  ne  portait  pas  moins  de  18,000  matelots 
et  soldats  de  marine.  Si,  à  cela,  l'on  ajoute  encore  les  troupe? 
nombreuses  destinées  à  la  garde  des  colonies  anglaises  elles- 
mêmes,  on  voit  que  l'estimation  des  forces  de  l'ennemi,  faite  par 
le  général  Montcalm,  n'était  pas  loin  de  la  -.  èf  té,  et  que  la  con- 
quête du  Canada  avait  obligé  ses  envahisseurs  à  armer  trois  fois 
plus  d'hommes  pour  le  soumettre  que  ce  pays  comptait  dans  son 
sein  de  soldats  et  d'habitans  capables  de  porter  les  armes,*  fait 
qui  témoigne  de  la  crainte  que  ces  braves,  si  faibles  en  nombre, 
avaient  inspirée  à  leurs  ennemis. 

En  vue  de  ces  immenses  préparatifs,  l'on  fit  faire  dans  l'hiver 
le  dénombrement  des  hommes  capables  de  servir;  il  s'en  trouva 
15,000-j-  de  l'âge  de  16  à  60  ans.  Les  troupes  régulières  mon- 
tèrent seulement  à  5,300  hommes  après  l'arrivée  des  600  recrues 
dont  nous  avons  parlé  plus  haut.|  On  sait  que  depuis  l'origine 
toute  la  population  était  armée  en  Canada.  Le  20  mai  le  gou- 
verneur adressa  une  circulaire  aux  capitaines  de  milice  pour  les 
prévenir  de  tenir  leurs  compagnies  prêtes  à  marcher  au  premier 
ordre,  chaque  homme  portant  des  vivres  pour  six  jours.  Dans 
le  mois  d'avril  le  peuple  avait  été  averti  de  l'orage  qui  allait 
fondre  sur  lui,  et  l'évêque  avait  ordonné  des  prières  publiques 

•  Les  journaux  des  colonies  anglaises  portaient  leurs  forces  de  terre  à 
60,000  hommes.  "  L'Angleterre  a  actuellement  plus  de  troupes  en  mouve- 
ment dans  ce  continent  que  le  Canada  ne  contient  d'habitans,  en  comprenant 
les  vieillards,  les  femmes  et  les  enfans.  Quel  moyen  de  pouvoir  résister  à 
cette  multitude." — Lettre  de  M.  Doreil,  commissaire  des  guerres,  au 
ministre, 

t  Gouvernement  de  Québec 7,511 

"  Trois-Rivières 1,313  ' 

"  Montréal 6,405 

15,229  hommes. 

\ 

t  8  bataillons  de  ligne 3,200 

2       "       de  la  marine  et  des  colonies .    .    .    .    1,500 

Rflcrues 600 


5,300 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


297 


dans  toutes  les  églises  où  les  habitans  &o  portèrent  en  foule  comme 
ils  allaient  bientôt  se  porter  au  conbat. 

Dès  le  petit  printemps  le  capitaine  Pouchot  partit  pour  Niagara 
avec  300  hommes,  réguliers  et  Canadiens,  et  l'ordre  de  réparer 
les  ouvrages  de  ce  fort,  de  s'y  défendre  s'il  était  ailaqué,  et  s'il  ne 
l'était  pas,  de  soutenir  les  postes  du  voisinage  de  l'Ohio.  et  de 
prendre  même  Toffensive  s'il  se  présentait  une  occasion  favorable 
de  le  faire  avec  quelque  chance  de  succès.  Quelques  barques 
avaient  été  construites  dans  l'hiver  à  la  Présentation.  M.  de  Cor- 
bière reçut  ordre  de  les  prendre  et  d'aller  relever  les  ruines  du 
fort  Frontenac  pour  ressaisir  la  supériorité  sur  le  lac  Ontario. 
On  avait  préparé  aussi  d'autres  petits  bâtimens  au  pied  du  lac 
Champlain,  pour  protéger  les  communications  avec  St.-Frédéric 
et  Carillon,  et,  dans  tous  les  cas,  pour  aider  à  la  défense  du  fort 
St.-Jean.  2,600  hommes  environ  s'échelonnèrent  dès  que  la 
saison  le  permit,  sur  cette  frontière  depuis  Chambly  jusqu'au 
pied  du  lac  St.-Sacroment,  sous  les  ordres  du  brigadier  Bourla- 
marque.  Cet  officier  devait  faire  travailler  aux  retranchemens 
de  Carillon  qui  n'étaient  pas  encore  finis;  mais  les  nouvelles 
apportées  par  le  colonel  Bougainville  ayant  fait  supposer  que 
Québec  était  le  point  le  plus  menacé,  l'ordre  lui  fut  tr'nsmis,  si 
l'ennemi  se  présentait  en  nombre,  d'abandonner  les  positions  de 
Carillon  et  de  St.-Frédéric  après  en  avoir  fait  sauter  les  fortifi- 
cations, et  de  se  replier  sur  l'île  aux  Noix.  Le  chevalier  de  la 
Corne,  chargé  de  tenir  la  campagne  a  pied  du  lac  Ontario  avec 
1,200  hommes,  devait  aussi  lui,  s'il  était  forcé,  se  retirer  à  la  tête 
des  rapides  du  St.-Laurent  au-dessous  de  la  Présentation,  et  là 
faire  ferme  contenance.  Ces  précautions  prises,  le  surplus  des 
troupes  resta  dans  ses  quartiers,  se  tenant  prêt  à  marcher  au  pre- 
mier ordre.  Le  gouverneur  et  les  généraux  Montcalm  et  Levis 
attendirent  à  Montréal  que  l'ennemi  se  mît  en  campagne,  pour 
voir  où  il  faudrait  se  porter,  car  sa  supériorité  forçait  à  recevoir  la 
loi  de  lui  pour  les  mouvemens.  Le  général  Montcalm  souffrait 
de  cette  inaction.  Il  trouvait  que  les  dispositions  pour  la  défense 
de  Québec  étaient  trop  tardives,  ce  qui  était  vrai,  c'est-à-dire 
qu'il  y  a  longtemps  que  la  France  aurait  du  avoir  fait  fortifier 
cette  ville  pour  la  mettre  à  l'abri  d'un  coup  de  main.  Mainte- 
nant il  était  trop  tard.    Québec  était  moins  fort  que  plusieurs 


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298 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


autres  postes.  M.  de  Vaudreuil,  portant  les  yeux  sur  tous 
les  points  menacés,  n'osait  se  décider  encore,  d'autant  plus  que 
toutes  les  armées  anglaises  devaient  agir  simultanément,  et  il 
attendait  qu'elles  s'ébranlassent  pour  marcher  à  la  première  qui 
paraîtrait. 


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LIVRE  DIXIEMir. 


CHAPITRE  I. 

VICTOIRE  DE  MONTMORENCY  ET  PREMIÈRE 
BATAILLE  D'ABRAHAM. 

,  REDDITION   DE    QUÉBEC. 

1750. 

Invasion  du  Canada. — Moyens  défonsifs  qu'on  adopte. — L'armée  française 
se  retranche  à  Beauport,  en  face  de  Québec. — Arrivée  de  la  flotte  enne- 
mie.— Les  troupes  anglaises  débarquent  à  l'île  d'Orléans. —Manifeste  du 
général  Wolfe  aux  Canadiens. — Ce  général,  jugeant  trop  hasardeux  d'at- 
taquer le  camp  français,  décide  de  bombarder  la  capitale  et  de  ravager  les 
campagnes. — La  ville  est  incendiée. — Attaque  des  lignes  françaises  à 
Montmorency. — Wolfe  repoussé,  rentre  accablé  dans  son  camp  et  tombe 
malade.— Il  tente  vainement  de  se  mettre  en  communication  avec  le 
général  Amherst  sur  le  lac  Champlain. — Les  autres  généraux  lui  suggè- 
rent de  s'emparer  des  hauteurs  d'Abraham  par  surprise  afin  de  forcer  les 
Français  à  sortir  de  leur  camp. — Le  général  Montcalm  envoie  des  troupes 
pour  garder  la  rive  gauche  du  St.-Laureut  depuis  Québec  jusqu'à  Jacques 
Cartier. — Grand  nombre  de  Canadiens,  croyant  le  danger  passé,  quittent 
l'arméiî  pour  aller  vaquer  aux  travaux  des  champs. — Du  côté  du  lac 
Champlain  M.  de  Bourlamarque  fait  sauter  les  forts  Carillon  et^t. -Fré- 
déric, et  se  replie  à  l'île  aux  Noix  devant  le  général  Amherst  qui  s'avance 
avec  12,000  hommes.— Le  corps  du  général  anglais  Prideuux,  opérant 
vers  le  lac  Erié,  prend  le  fort  Niagara  et  force  les  Français  à  se  retirer  à 
la  présentation  au-dessous  du  lac  Ontario. — Les  Anglais  surprennent  les 
hauteurs  d'Abraham  le  13  septembre. — Première  bataille  qui  s'y  livre  et 
défaite  des  Français. — Mort  de  Montcalm  :  capitulation  de  Québec. — Le 
général  de  Levis  prend  le  commandement  de  l'armée  et  veut  livrer  une 
seconde  bataille  ;  mais  en  apprenant  la  reddition  de  la  ville  il  se  retire  à 
Jacques  Cartier  et  s'y  fortifie. — L'armée  anglaise,  renfermée  dans  Qué- 
bec, fait  ses  préparatifs  pour  y  ^jasser  l'hiver. — Demande  de  secours  en 
France  pour  reprendre  c^tA  ^'ilie. 

Tandis  que  le  gouverneur  et  les  généraux  étaient  à  Montréal, 
l'on  reçut  des  dépêches  de  la  France  qui  déterminèrent  le  départ 
de  Montcalm  pour  Québec,  où  il  arriva  le  22  mai,  suivi  bientôt 
après  de  M.  de  Vaudreuil  et  du  chevalier  de  Levis.  Les  navires 
d'Europe  confirmaient  le  rapport  qu'une  flotte  anglaise  était  en 


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300 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


route  pour  cette  capitale,  qui  devenait  dès  lors  le  principal  ponit 
à  défendre.  Le  28  un  courrier  annonça  l'apparition  de  cette 
flotte  au  Bic.  Les  événemens  se  précipitaient.  L'on  redoubla 
d'activité  pour  la  défense.  Afin  de  retarder  l'approche  de  l'en- 
nemi, les  bouées  et  autres  indications  servant  à  la  navigation  du 
St.-Laurent,  furent  enlevées,  et  l'on  prépara  des  machines  incen- 
diaires, des  brûlots,  pour  lancer  contre  leurs  vaisseaux  lorsqu'ils 
paraîtraient  en  vue  du  port.  L'on  achemina  aussi  les  vivres  et 
les  archives  publiques  sur  les  Trois-Riviéres,  réservant  seulement 
dans  Québec  ce  qu'il  fallait  pour  nourrir  l'armée  et  le  peuple 
pendant  un  mois.  On  leva  le  peu  de  céréales  qui  restait  dans 
les  campagnes  de  la  partie  supérieure  du  pays,  à  l'aide  de  l'argent 
avancé  par  les  officiers  de  l'armée,  et  on  plaça  à  Montréal  les 
magasins  pour  l'équipement  des  troupes.  Enfin  des  marchandises 
furent  achetées  pour  donner  en  présent  aux  tribus  indiennes  de 
Niagara  et  du  Détroit,  restées  attachées  à  la  France  ou  qui  dissi- 
mulaient leur  traité  avec  les  Anglais,  dans  le  but  de  les  induire  à 
garder  au  moins  la  neutralité. 

Ces  premiers  points  réglés,  l'on  s'occupa  de  l'organisation  de 
l'armée  et  de  la  défense  de  Québec,  dont  la  perte  devait  en  .rainer 
celle  de  tout  le  Canada.  D'abord  quant  à  cette  ville  elle-même, 
elle  ne  fut  point  jugée  tenable  ni  même  à  l'abri  d'un  coup  de 
main  du  côté  de  la  campagne,  où  le  rempart  commencé, dépourvu 
de  parapet,  d'embrasures  et  de  canons,  n'avait  que  six  à  sept 
pieds  de  hauteur,  et  n'était  protégé  extérieurement  par  aucun 
fossé  ni  glacis  ;  et  d'un  commun  accord,  il  fut  décidé  de  la  cou- 
vrir par  un  camp  retranché  où  les  troupes  prendraient  position. 

Québec  est  bâti,  comme  on  l'a  dit  ailleurs,  à  l'extrémité  d'un 
promontoire  qui  se  termine  du  côté  opposé,  au  bout  de  12  milles, 
par  un  escarpement  dont  le  pied  est  baigné  par  la  rivière  du 
Cap-Rouge.  A  l'est  et  au  sud  de  ce  promontoire  le  St.-Laurent, 
large  d'un  mille  au  moins,  roule  des  flots  profonds  ;  au  nord  règne 
la  belle  vallée  St.-Charles,  qui  forme  un  bassin  de  3  à  4  milles 
de  large  en  arrivant  au  fleuve  et  que  chaqiie  marée  recouvre 
d'eau  l'espace  d'un  petit  mille  du  côté  de  Québec  et  de  plus  de 
4  milles  le  long  de  Beauport  et  de  la  Canardière.  A  marée  basse 
le  cours  d'eau  qui  descend  dans  cette  vallée  est  guéable.  Le 
promontoire  très  escarpé  du  côté  du  fleuve,  et  haut  de  100  à  300 


«|8T9Wfi  DU  ÇAÇlADA. 


801 


pieds,  ôtait  regardé  comme  inaccessible  surtout  dans  l'endroit 
qu'occupait  la  ville*  Les  points  les  plus  faibles  en  face  du  port 
furent  garnis  de  murailles  et  de  palissades,  et  les  communications 
entre  les  parties  hautes  et  basses  coupées  et  défendues  par  de 
Tartillerie.  On  pensait  que  des  batteries  placées  sur  les  quais  de 
la  basse-ville  et  sur  l'escarpement  de  la  haute,  dont  le  feu  se  croi- 
serait sur  le  port  et  le  bassin,  seraient  suffisantes  pour  empêcher 
aucun  vaisseau  de  remonter  le  fleuve  au-dessus.  Il  ne  restait 
donc  plus  dans  cette  hypothèse,  qu'à  défendre  l'entrée  de  la 
rivière  St.-Charles  et  à  fortifier  le  rivage  de  la  Canardière  et  do 
Beauport  jusqu'au  sault  de  la  rivière  Montmorency,  et  ensuite  le 
côté  droit  de  ce  cours  d'eau,  qui  descend  des  montagnes  et  coupe 
la  communication  de  la  rive  gauche  du  St.-Laurent  par  une  suite 
de  cascades  jusqu'à  la  grande  cataracte  qu'il  forme  en  se  jetant 
dans  le  fleuve  d'une  hauteur  de  260  pieds. 

On  barra  la  rivière  St.-Charles  au  fond  du  bassin,  vis-à-vis  de 
la  porte  du  Palais,  avec  des  mâtures  enchaînées  les  unes  aux 
autres,  retenues  par  des  ancres  et  protégées  par  cinq  bateaux 
placés  en  avant,  portant  chacun  une  pièce  de  canon.  En  arrière 
de  ce  barrage,  on  coula  deux  navires  marchands  pour  y  établir 
une  batterie  de  gros  calibre  rayonnant  sur  le  bassin.  La  rive 
droite  de  la  rivière  St.-Charles,  depuis  la  porte  du  Palais  jusqu'au 
pont  de  bateaux  établi  à  l'endroit  où  aboutissaient  les  routes  de 
Beauport  et  Charlesbourg,  fut  bordée  de  retranchemens  sur  les- 
quels on  plaça  aussi  de  l'artillerie  pour  défendre  l'entrée  de 
St.-Roch  et  empêcher  l'ennemi  de  s'emparer  par  surprise  des 
hauteurs  de  Québec.  La  position  de  l'armée  fut  marquée  de  ce 
pont  communiquant  à  la  ville  et  dont  les  têtes  étaient  défendues 
par  des  ouvrages  à  corne,  jusqu'à  la  rivière  Montmorency,  et  dèp 
que  les  troupes  eurent  passé  du  côté  droit  de  la  rivière  St.-Charlep, 
où  elles  s'étaient  d'abord  retranchées,  dans  leur  nouvelle  position, 
du  côté  gauche,  elles  se  couvrirent  de  retranchemens  qui  suivaient 
les  sinuosités  du  rivage,  et  qu'elles  flanquèrent  de  redoutes  gar- 
nies de  canons  dans  les  endroits  où  la  descente  paraissait  facile. 

•  "  Il  n'y  a  pas  lieu  de  croire,  dit  l'ordre  de  bataille  du  10  juin,  que  les 
ennemis  pensent  à  tenter  à  passer  devant  la  ville  et  à  faire  le  débarquement 
à  l'anse  des  Mères  ;  et  tant  que  les  frégates  subsisteront,  nous  n'avons  du 
moins  rien  à  craindre  pour  cette  partie.'' 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


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Dans  le  centre  de  cette  ligne,  à  l'ennbonchure  de  la  rivière  Beau- 
port,  on  établit  encore  une  batterie  flottante  de  12  bouches  à  feu. 

La  petite  flottille  qui  restait,  c'est-à-dire  les  deux  fr'^gates,  les 
bateaux  et  les  brûlots,  fut  mise  sous  les  ordres  du  capitaine  Vau- 
quelin.  On  posa  des  gardes  de  distance  en  distance  au  pied  de 
la  falaise  le  long  du  fleuve  depuis  la  ville  jusqu'au  dessus  du 
Foulon,  où  une  rampe  avait  été  pratiquée  pour  communiquer 
avec  le  plateau  au  fond  des  plaines  d'Abraham.  Une  petite 
redoute  avec  du  canon  gardait  cette  issue.  Tels  sont  les  pré- 
paratifs de  défense  que  l'on  fit  à  Québec  et  dans  les  envi- 
rons. 

Dans  ce  plan,  supposant  toujours  le  fleuve  infranchissable 
devant  Québec,  et  l'armée  de  Bcanport  trop  solidement  établie 
pour  être  forcée,  il  ne  restait  plus  à  l'armée  envahissante  qu'à 
débarquer  sur  la  rive  droite  du  St.-Laurenl,  la  remonter  une  cer- 
taine distance,  traverser  ensuite  sur  la  rive  gauche  et  la  descendre 
pour  venir  prendre  l'armée  française  à  revers  en  l'attaquant  par 
les  routes  de  Charlesbourg  et  de  Bourg- Royal.  C'était  une  opéra- 
tion difficile  et  sans  doute  jugée  impraticable  à  cette  époque,  la 
retraite  étant  impossible  en  cas  d'échec. 

L'armée  française  grossissait  chaque  jour  par  l'arrivée  des 
milices  de  toutes  les  parties  du  pays.  Il  ne  resta  bientôt  plus 
dans  les  campagnes  que  des  vieillards,  des  femmes  et  des  enfans. 
Tous  les  hommes  en  état  de  porter  les  armes  étaient  à  Québec, 
à  Carillon,  sur  le  lac  Ontario,  à  Niagara  et  dans  les  postes  du  lac 
Erié  et  de  la  partie  de  la  vallée  de  l'Ohio  qui  restait  encore  aux 
Français. 

Par  l'ordre  de  bataille,  la  droite  de  l'armée,  composée  des 
milices  des  gouvernemens  de  Québec  et  des  Trois-Rivières,  for- 
mant 4,380  hommes  sous  les  ordres  de  MM.  de  St.-Ours  et  de 
Bonne,  occupait  la  Canardière  ;  le  centre,  fort  de  cinq  bataillons 
de  réguliers  comptant  2,000  combattans,  sous  les  ordres  du  briga- 
dier de  Sènezergues,  gardait  l'espace  compris  entre  la  rivière  et 
l'église  de  Beauport,  et  la  gauche,  formée  des  milices  du  gou- 
vernement de  Montréal  au  nombre  de  3,450  hommes,  sous  le 
commandement  de  MM.  Prud'homme  et  d'Herbin,  s'étendait 
depuis  cette  église  jusqu'à  la  rivière  Montmorency.  Le  général 
de  Levis  commandait  la  gauche  et  le  colonel  de  Fougainville  la 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


303 


droite.  Le  général  on  chef  se  réserva  lo  centre,  où  il  établit  son 
quartier-général.  Un  corps  de  réserve,  composé  de  1,400  sol- 
dats de  la  colonie,  350  liommes  de  cavalerie  et  450  Sauvages,  en 
tout  2,200  combattans,  commandé  par  M.  de  Boishébert  revenu 
des  frontières  de  l'Acadie,  prit  position  en  arrière  du  centre  de 
l'armée  sur  les  hauteurs  de  Beauport.  Si  à  ces  forces  l'on  ajoute 
ia  garnison  de  Québec  formée  de  ses  habitans  et  comptant  650 
hommes  aux  ordres  de  M.  de  Ramesay,  et  les  marins,  l'on  aura 
un  grand  total  de  13,000  combattans.  "  On  n'avait  pas  compté, 
dit  un  témoin  oculaire,  sur  une  armée  aussi  forte,  parce  qu'on  ne 
s'était  pas  attendu  à  avoir  un  si  grand  nombre  de  Canadiens;  on 
n'avait  eu  intention  d'assembler  que  les  1  .  mmes  en  état  de  sou- 
tenir les  fatigues  de  la  guerre  ;  mais  il  ré^  •  H  une  telle  émulation 
dans  ce  peuple  que  ''on  vit  arriver  au  camp  des  Vieillards  de  80 
ans  et  des  enfans  d«  .2  à  13!  qui  ne  voulurent  jamais  profiter 
de  l'exemption  accordée  à  leur  âge;  jamais  sujets  ne  furent  plus 
dignes  des  bontés  de  leur  souverain  soit  par  leur  constance  dans 
le  travail,  soit  par  leur  patience  dans  les  peines  et  les  misères 
qui,  dans  ce  pays,  ont  été  extrêmes;  ils  étaient  dans  l'armée 
exposés  à  toutes  les  corvées."  , 

L'on  oitendit  les  ennemis  dans  cette  position  aussi  imposante 
qu'on  avait  pu  la  rendre.  Le  gouverneur  et  les  officiers  de  l'ad- 
ministration laissèrent  la  ville  et  se  retirèrent  à  Beauport.  Les 
principales  familles  gagnèrent  les  campagnes  emportant  avec 
elles  ce  qu'elles  avaient  de  plus  précieux. 

Cependant  les  vaisseaux  anglais  que  l'on  avait  vus  au  Bic,  et 
dont  l'immobilité  dans  cette  partie  du  fleuve  avait  fini  par  sur- 
prendre, n'était  qu'une  avant-garde  commandée  par  l'amiral 
Durell  et  envoyée  de  Louisbourg  pour  intercepter  les  secours 
venant  de  France.  Une  puissante  escadre,  sous  les  ordres  de 
l'amiral  Saunders,  avait  fait  voile  dans  le  mois  de  février  pour 
aller  prendre  l'armée  du  général  Wolfe  à  Louisbourg  et  la  trans- 
porter à  Québec.  Ayant  trouvé  le  port  de  Louisbourg  fermé 
par  les  glaces,  elle  avait  été  en  attendre  la  débâcle  à  Hali- 
fax. A  son  retour  Wolfe  s'y  embarqua  avec  huit  régimens  de 
ligne,  deux  bataillons  de  fusiliers  royal-américains,  les  trois  com- 
pagnies de  grenadiers  de  Louisbourg,  trois  compagnies  de  chas- 


3' 


304 


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MlSXOIUli:   DU    CANADA. 


seurs  (rangers),  une  brigade  'le  soldats  du  génie,  1000  soldais  de 
marine,  formant  en  tout  11,000  hommes  environ.* 

Le  général  Wolfe  était  urt  jeune  officier  do  talens  qui  brûlait 
du  désir  de  se  distinguer  par  des  actions  d'éclat.  Le  duc  de  Bed- 
ford  lui  avait  donné  un  emploi  assez  considérable  en  Irlande  ;  il 
l'avait  quitté  pour  prendre  part  à  la  guerre,  abandonnant  son 
avancement  à  la  fortune.  Elle  a  été  peu  favorable  à  ma  famille, 
écrivàit-il,  mais  pour  moi  elle  m'a  souri  quelquefois  et  m'a  fait 
participer  à  ses  faveurs.  Je  me  remets  entièrement  à  sa  discré- 
tion." Sa  conduite  au  ôiége  de  Louisbourg  attira  l'attention  sur 
lui,  et  le  fit  choisir  pour  commander  l'expédition  de  Québec,  qui 
demandait  à  là  fois  de  l'activité,  de  la  hardiesse  et  de  la  prudence. 
On  lui  donna  des  lieutenàns  animés  de  la  même  ambition  que  lui. 
»  Les  brigadiers  Monckton,  Townshend  et  Murray,  quoiqu'encore 
toù^  trois  dans  la  fleur  de  l'âge,  avaient  étudié  la  guerre  avec  fruit, 
t  s'ils  étaient  jeunes  en  années  ils  étaient  déjà  vieux  par  l'ex- 
périertee  des  combats.  Wolfe  était  le  fils  d'un  ancien  major- 
général  qui  avait  servi  avec  quelque  distinction.  Les  trois  autres 
appartenaient  à  la  noblesse  :  Townshend  à  l'ordre  de  la  pairie. 
Ils  partirent  le  cœur  rempli  d'émulation  et  d'espérance.  "  Si  le 
général  Montcalm,  s'écriait  Wolfe,  est  capable  de  frustrer  nos 
efforts  encore  cette  année,  il  pourra  passer  pour  un  officier  habile, 
ou  la  colonie  a  des  ressources  que  l'on  ne  connaît  pas,  ou  enfin 
nos  généraux  sont  plus  mauvais  que  de  coutume." 

L'escadre  forte  de  20  vaisseaux  de  ligne,  d'un  pareil  nortbre 
de  frégates  et  autres  bâtimens  de  guerre  plus  petits,  suivie  d'une 
multitude  de  transports,  remonta  le  St.-Laurent  et  atteignit  l'île 
d'Orléana  flans  accident  le  25  juin.  On  fut  étoimé  dans  le  pays 
de  l'heureuse  fortune  de  cette  flotte,  qui  avait  su  éviter  tous  les 
périls  de  la  navigation  du  fleuve.  On  a  ignoré  jusqu'à  nos  jours 
que  le  commandant  d'une  frégate  françaiîie,  Denis  de  Vitré,  fait 
prisonnier  pendant  la  guerre,  avait  été  forcé  de  lui  servir  de 
pilote  jusqu'à  Québec,  sa  patrie,  trahison  dont  il  fut  récompensé 
Tpâr  un  grade  au  service  de  l'Angleterre.  Bientôt  l'ennemi 
eut  près  de  30,000  hommes  de  terre  et  de  mer  devant  cette 
ville.     L'armée  anglaise  débarqua  en   deux  divisions  sur  l'île 

•  Les  ordonnances  de  paiement  prouvent  qu'elle  était  d'au  moins  10,000 
.  hommes  y  compris  les  officiers,  outre  les  soldats  de  marine. 


HlâTOIRK    DU   CANADA. 


305 


d'Orléans  évacuée  de  la  veille  par  les  habitans,  et  vint  prendre 
position  à  son  extrémité  supérieure  en  face  de  Québec  et  du 
camp  de  Beauport.  Le  général  Wolfe  adressa  un  manifeste  au 
peuple  canadien  qui  devait  demeurer  sans  effet.  L'escadre 
anglaise  se  réunit  graduellement  sous  cette  île,  et  commença  à 
faire  reconnaître  le  bassin  et  la  rade  de  la  ville.  Le  capitaine 
Cook,  qui  s'est  depuis  immortalisé  par  ses  voj'ages  de  découverte, 
fut  employé  à  ce  service.  11  est  digne  de  remarque  que  les  deux 
premiers  navigateurs  qui  aient  fait  le  tour  du  globe,  Cook  et  Bou- 
gainville,  se  trouvaient  alors  sous  les  murs  de  Québec. 

Pendant  ces  reconnaissar  -",  les  Français  préparèrent  les 
brûlots  qu'ils  tenaient  en  rése.ve  pour  les  lancer  contre  la  flotte 
anglaise  toujours  groupée  sous  l'île  d'Orléans.  Le  28  juin  le 
vent  paraissant  favorable,  sept  brûlots  de  3  à  400  tonneaux  furent 
lâchés,  mais  le  feu  y  ayant  été  mis  trop  tôt,  les  ennemis  eurent  le 
temps  d'en  changer  la  direction  en  les  remorquant  au  large  de 
leurs  vaisseaux,  qui  en  furent  quittes  pour  la  peur.  Un  mois 
après  on  lança  les  radeaux  enflammés,  qui  se  consumèrent  avec 
le  même  résultat  ;  de  sorte  que  ces  machines,  dans  le  fond  rare- 
ment dangereuses,  mais  auxquelles  l'imagination  populaire  attri- 
bue toujours  un  effet  extraordinai»*e,  s'évanouirent  en  fumée,  et 
débarrassèrent  l'ennemi  de  l'inquiétude  qu'elles  pouvaient  lui 
causer. 

Le  général  Wolfe  cependant  après  avoir  examiné  la  situation 
de  la  ville  et  de  l'armée  française,  trouva  les  difficultés  de  son 
entreprise  plus  grandes  qu'il  ne  les  avait  supposées  d'abord.  D'un 
côté  un  ville  bâtie  sur  un  rocher  qui  paraissait  inaccessible,  de 
l'autre  une  armée  nombreuse  fortement  retranchée  pour  en 
défendre  l'approche.  Ses  tâtonnemens  dévoilèrent  au  général 
Montcalm  l'indécision  de  ses  plans  et  le  confirmèrent  dans  sa 
résolution  de  rester  immobile  dans  son  camp  de  Beauport.  Ne 
pouvant  approcher  de  Québec,  Wolfe  résolut,  en  attendant  qu'il 
eût  découvert  quelque  point  vulnérable  pour  attaquer  son  adver- 
saire, de  bombarder  la  ville  et  de  dévaster  les  campagnes  dans 
l'espoir  d'obliger  les  Canadiens  à  s'éloigner  pour  aller  mettre  leurs 
familles  et  leurs  effets  en  sûreté. 

Une  partie  de  l'armée  anglaise  qui  était  débarquée  sur  l'île 
d'Orléans,  traversa  à  cet  effet  à  la  Pointe-Lévy  le  30  juin,  et  y 


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306 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


prit  position  en  face  de  la  ville  après  avoir  délogé  un  petit  corps 
de  Canadiens  et  de  Sauvages  qui  y  avait  été  placé  en  observation  ; 
c'était  ce  que  le  général  Montcalm  appréhendait  le  plus  et  ne 
pouvait  empêcher  à  cause  de  la  nature  des  lieux.  N'osant  risquer 
un  gros  corps  au-delà  du  fleuve,  il  donna,  lorsqu'il  vit  les  prépa- 
ratifs de  l'ennemi  pour  le  bombardement,  14  ou  1,500  hommes 
de  toutes  sortes  à  M.  Dumas  pour  tâcher  de  surprendre  et  de 
détruire  les  ouvrages  et  les  batteries  que  le  général  Monkton  y 
avait  fait  élever.  Cet  officier  traversa  le  fleuve  au  sault  de  la 
Chaudière  dans  la  nuit  du  12  au  13  juillet  et  se  mit  en  marche  sur 
deux  colonnes  ;  mais  dans  l'obscurité  une  colonne  devança  l'autre 
en  passant  un  bois,  et  celle  qui  se  trouvait  en  arrière,  apercevant 
tout-à-coup  des  troupes  devant  elle,  les  prit  pour  les  ennemis  et 
les  attaqua.  La  première  colonne  se  voyant  assaillie  par-derrière 
brusquement,  se  crut  coupée,  riposta,  tomba  en  désordre  et,  saisie 
d'une  terreur  panique,  prit  la  fuite,  entraînant  la  seconde  après 
elle.  Dès  6  heures  du  malin  le  détachement  avait  repassé  le 
fleuve.  Or  a  donné  à  cette  échaffburée  le  nom  de  Coup  des 
écoliers,  parce  que  les  élèves  des  écoles  qui  formaient  partie  du 
détachement,  furent  la  cause  première  de  la  méprise. 

C'est  dans  la  même  nuit  que  les  batteries  de  la  Pointe-Lévy 
ouvrirent  leur  feu  sur  la  ville.  L'on  dut  voir  alors  que  les  assié- 
geans  ne  reculeraient  devant  aucune  mesure  extrême,  et  que  les 
lois  de  la  guerre  seraient  suivies  avec  la  dernière  rigueur,  car  ce 
bombardement  était  inutile  pour  avancer  la  conquête.  Mais  ce 
n'était  que  le  commencement  d'un  système  de  dévastations  qui, 
en  Europe,  eût  attiré  sur  son  auteur  l'animadversion  des  peuples, 
et  dont  l'exemple  donné  autrefois  en  Allemagne  par  Turenne  a 
été  blâmé  par  tous  les  historiens  anglais.  Les  premiers  projec- 
tiles qui  tombèrent  sur  cette  cité  dont  chaque  maison  pouvait 
être  distinguée  de  l'ennemi,  fit  fuir  les  habitans,  d'abord  derrière 
les  remparts  du  côté  des  faubourgs,  et  ensuite  dans  les  cam- 
pagnes. On  retira  les  poudres,  et  une  partie  de  la  garnison  s'or- 
ganisa en  sapeurs-pompiers  pour  éteindre  les  incendies.  Dans 
l'espace  d'un  mois  les  plus  belles  maisons  avec  la  cathédrale 
devinrent  la  proie  des  flammes.  La  basse-ville  fut  entièrement 
incendiée  dans  la  nuit  du  8  au  9  août.  La  plus  grande  et  la  plus 
riche  portion  de  Québec  ne  fut  plus  qu'un  monceau  de  ruines,  et 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


307 


quantité  de  citoyens  riches  auparavant  se  trouvèrent  par  ces 
désastres  réduits  à  l'indigence.  Bon  nombre  de  personnes  aussi 
furent  tuées.  Le  canon  des  remparts  était  inutile.  La  distance, 
plus  d'un  mille  Jiar-dessus  le  fleuve,  était  trop  grande  pour  qu'il 
pût  incommoder  les  batteries  anglaises  invisibles  à  l'œil  nu  au 
travers  des  bois  et  des  broussailles  qui  les  masquaient. 

Après  avoir  détruit  la  ville,  le  général  Wolfe  se  rejeta  sur  les 
campagnes.  Il  fit  brûler  toutes  les  paroisses  depuis  l'Ange- 
Gardien  au  levant  du  sault  Montmorency  jusqu'aux  montagnes 
du  cap  Tourmente  et  couper  les  arbres  fruitiers.  Il  fit  subir  le 
même  sort  à  la  Malbaie,  à  la  baie  St.-Paul  et  aux  paroisses  de 
St.-Nicolas  et  de  Ste.-Croix  sur  la  rive  droite  du  St.-Laurent,  à 
quelques  lieues  au-dessus  de  Québec.  L'île  d'Orléans  fut  égale- 
ment incendiée  d'un  bout  à  l'autre.  On  c!  3ait  la  nuit  pour 
commettre  ces  ravages,  que  l'on  portait  ai.  sur  les  deux  rives 
de  ce  grand  fleuve  partout  où  l'on  pouvait  mettre  le  pied  ;  on 
enlevait  les  femmes  et  les  enfans,  les  vivres  et  les  bestiaux.  Plus 
la  saison  avançait  plus  on  se  livrait  à  celte  guerre  de  brigandages 
par  vengeance  des  échecs  qu'on  éprouvait  et  pour  effrayer  la 
population.  Un  détachement  de  300  hommes  sous  les  ordres  du 
capitaine  Montgomery,  envoyé  à  St.-Joachim  où  quelques  habi- 
tans  se  mirent  en  défense,  y  commit  les  plus  grandes  cruautés. 
Les  prisonniers  furent  massacrés  de  sang-froid  et  de  la  manière 
la  plus  barbare.*  Du  camp  de  Beauport  l'on  apercevait  à  la  fois 
les  embràsemens  de  la  côte  de  Beaupré,  de  l'île  d'Orléans  et 
d'une  partie  de  la  rive  droite  du  fleuve. 

Ces  dévastations,  dans  lesquelles  plus  de  1,400  maisons  furent 
incendiées  dans  les  cdmpagnes,f  n'avançaient  pas  cependant  le 

*  "  There  were  several  of  the  ennemy  killed  and  wounded,  and  a  few 
prisonners  taken,  ail  of  whom  the  barbarous  Capt.  Montgomery  who  com- 
manded  us,  ordered  to  be  butchered  in  a  most  inhutnan  and  cruel  manner." 
&c. — "  Manuscript  Journal  relating  to  the  opérations  before  Québec  in 
1759,  kept  by  Colonel  Malcohn  Fraser,  then  lieutenant  ofthe  18th  {Fraseras 
Highlanders.) 

•(•  "  VVe  burned  and  destroyed  upwards  of  1,400  fine  farm  houses,  for  we 
during  the  siège  were  masters  of  a  great  part  of  tlieir  country  along  shore, 
and  parties  were  almost  continually  kept  out  ravaging  the  country  ;  so  that 
'ils  tho't  it  will  take  them  half  a  century  to  recover  the  damage."— .4  Jour- 
nal of  the  expédition  up  the  river  St.-Lawrence,  ^c,  publié  dans  le  "New- 


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RISTOIRS   DU   CANADA. 


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but  de  la  guerre.  Les  Français  ne  bougeaient  pas.  Après  tant 
de  délais  et  de  ravages  inutiles,  Wolfe  ne  voyant  point  d'autre  alter- 
native que  d'attaquer  la  position^du  général  Montcalm  par  son  flanc 
gauche,  fit  passer  le  gros  de  son  armée  de  l'île  d'Oflèans  à  l'Ange- 
Gardien,  et  chercher  des  gués  pour  franchir  la  rivière  Montmo- 
rency. Montcalm  avait  fait  reconnaître  et  fortifier  ceux  qui 
existaient.  Frustré  de  ce  côté,  le  général  anglais  dut  tourner  son 
attention  ailleurs.  Il  ordonna  à  quelques  vaisseaux  de  tâcher  de 
remonter  au-dessus  de  la  ville.  S'il  pouvait  mettre  son  armée  à 
terre  au  couchant  de  Québec,  la  position  du  général  Montcalm 
était  tournée,  car  toute  la  force  de  cette  position  consistait  dans 
l'impossibilité  de  ce  passage  et  les  Français  devaient  changer  aus- 
sitôt leur  ordre  de  bataille.  Profitant  du  vent,  Wolfe  mit  à  la 
voile  le  18  juillet  avec  deux  vaisseaux  de  guerre,  deux  chaloupes 
armées  et  deux  transports,  et  malgré  les  boulets  il  passa  au-deusus 
de  Québec  avec  la  plus  grande  facilité  en  serrant  de  près  le 
rivage  de  la  Pointe-Lévy.  Mais  exaviien  fait  de  la  côte  il  trouva 
que  le  débarquement. entre  la  ville  et  le  Cap-Rouge  serait  une 
opération  trop  chanceuse  et  après  avoir  poussé  un  détachement 
jusqu'à  la  Pointe-aux-Trerables  pour  faire  des  prisonniers,  il 
ne  vit  plus  d'autre  parti  à  prendre  que  d'aborder  de  front  les 
retranchemens  des  Français  ou  de  se  retirer.  Il  n'osa  point 
débarquer  au-dessus  de  la  rivière  du  Cap-Rouge,  on  ne  sait  trop 
pour  quelle  raison  ;  car  dès  qu'il  aurait  eu  pris  terre  là  comme 
plus  bas,  Montcalm  était  toujours  pris  à  revers  et  devait  aban- 
donner sa  position.  L'attaque  de  la  droite  et  du  centre  des  Fran- 
çais présentant  trop  de  dangers,  Wolfe  décida  de  borner  ses  efforts 
à  leur  gauche,  en  l'attaquant  en  front  par  le  fleuve  St.-Laurent  et 
en  flanc  par  la  rivière  Montmorency.  Voici  quelles  furent  ses 
dispositions. 

York  Mercury  du  31  décembre  1759.  Et  cependant  un  écrivain  du  temps, 
parlant  de  la  conduite  de  M.  de  Contades  et  du  maréchal  Richelieu  en  Alle- 
magne par  opposition  à  celle  du  général  Wolfe  en  Canada,  ajoute  :  "  But 
(said  the  late  gênerai  Wolfe)  Britons  Lreathe  higher  sentiments  of  humanity 
and  listen  to  the  merciful  dictâtes  of  the  Christian  Religion,  which  was  veri- 
fied  in  the  brave  soldiers  whom  he  led  on  to  conquest  by  their  shewing  more 
of  the  true  Christian  spirit  than  the  subjects  of  His  Most  Christian  Majesty 
can  prétend  to."    Il  est  impossible  de  pousser  la  naïveté  plus  loin. 


HI8T0IRE   DU   CANADA. 


309 


La  rive  gauche  du  Montmorency  qu'il  occupait  étant  près  du 
fleuve  plus  élevée  que  la  rive  droite,  il  y  fit  augmenter  les  batteries 
qu'il  y  avait  déjà  et  qui  enfilaient  par-dessus  la  rivière  les  retran- 
chemens  des  Français.  Le  nombre  des  canons,  mortiers  ou 
obusiers  fut  porté  à  plus  de  60.  Il  fit  échouer  ensuite  sur  les 
récifs  deux  transports  portant  chacun  14  pièces  de  canon,  l'un  i 
droite  et  l'autre  à  gauche  d'une  petite  redoute  en  terre  élevée  sur 
le  rivage,  au  pied  de  la  route  de  Courville,  pour  défendre  à  la  fois 
l'entrée  de  cette  route  qui  conduisait  sur  la  hauteur  occupée  par 
les  Français  et  le  passage  du  gué  de  Montmorency  en  bas  de  la 
chute.  Le  feu  de  ces  deux  transports  devait  se  croiser  sur  cette 
redoute,  la  réduire  au  silence  et  couvrir  la  marche  des  assaillana 
sur  ce  point  accessible  de  notre  ligne.  Le  Centurion  de  soixante 
canons  vint  ensuite  se  placer  vis-à-vis  de  la  chute,  le  plus 
près  possible,  pour  protéger  le  passage  du  gué  aux  troupes  qui 
devaient  descendre  du  camp  de  l'Ange-Gardien.  Ainsi  118 
bouches  à  feu  devaient  tonner  contre  l'aile  gauche  de  l'armée  de 
Monicalm.  Vers  midi,  le  31  juillet,  elles  commencèrent  à  tirer. 
Dans  le  même  temps  le  général  Wolfe  formait  ses  colonnes  d'at- 
taque. Plus  de  1,500  berges  étaient  en  mouvement  sur  le  bassin 
de  Québec.  1,200  grenadiers  et  une  partie  de  la  brigade  du 
général  Monkton  s'embarquèrent  à  la  Pointe-Lévy  pour  venir 
débarquer  entre  le  Centurion  et  les  transports  échoués.  La 
seconde  colonne,  composée  des  brigades  Murray  et  Townshend, 
descendit  des  hauteurs  de  l'Ange-Gardien  pour  venir,  par  le  gué, 
se  réunir  à  la  première  colonne  au  pied  de  la  route  de  Courville, 
afin  d'aborder  ensemble  cette  route  et  les  retranchemens  qui 
l'avoisinaient.  Ces  deux  corps  formaient  6,000  hommes.  Un 
troisième  corps  de  2,000  soldats  chargé  de  remonter  la  rive 
gauche  du  Montmorency,  devait  franchir  cette  rivière  à  un  gué 
situé  à  une  lieue  environ  de  la  chute,  et  qui  était  gardé  par  un 
détachement  sous  les  ordres  de  M.  de  Repentigny.  A  une  heure 
ces  troi>-  colonnes  étaient  en  marche  pour  exécuter  un  plan  d'at- 
taque qui  aurait  été  beaucoup  trop  compliqué  pour  des  troupes 
moins  disciplinées  que  celles  du  général  Wolfe. 

Le  général  INIontcalm,  quelque  temps  incertain  sur  le  point  qui 
allait  être  assailli,  avait  envoyé  ses  ordres  sur  toute  la  ligne  pour 
se  tenir  prêt  à  repousser  les  ennemis  partout  où  ils  se  présente- 


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310 


MISTOÏKJC    DU    CANADA, 


raient  ;   mais  bientôt  leurs   mouvemens  firent  connaître  le  lieu 
précis  où  ils  voulaient  débarquer  et  où  le  général  de  Levis  se 
prépara  à  les  bien  recevoir.     Après?  avoir  détaché  500  hommes 
au  secours  de  M.  de  Rcpentigny.        un  autre  petit  parti   pour, 
suivre  le  mouvement  du  corps  ang  i  allait  tenter  le  passage 

du  gué  du  Montmorency,  il  fit  demau  r  quelques  bataillons  de 
réguliers  du  centre  pour  le  soutenir  en  cas  de  besoin.  Le  géné- 
ral Montcalm  vint  à  deux  heures  examiner  la  situation  de  sa 
gauche;  il  parcourut  les  lignes,  approuva  les  dispositions  du  che- 
valier de  Levis,  donna  de  nouveaux  ordres  et  retourna  au  centre 
afin  d'être  à  portée  d'observer  ce  qui  se  passait  partout.  Trois 
bataillons  avec  quelques  Canadiens  des  Trois-Riviôres  vinrent 
renforcer  cette  aile  ;  la  plus  grande  partie  se  plaça  en  réserve  sur 
la  grande  route  de  Bcauport  et  le  reste  fut  acheminé  sur  le  gué 
défendu  par  M.  de  Repentigny.  Cet  officier  avait  été  allaqué 
par  la  colonne  anglaise  avec  assez  de  vivacité  ;  mais  il  l'avait 
forcé  d'abandonner  son  entrepriye  après  lui  avoir  mis  quelques 
hommes  hors  de  combat.  La  retraite  de  ce  corps  permit  aux 
renforts  qui  arrivaient  à  M.  de  Repentigny  de  rebrousser  chemin 
et  de  revenir  sur  le  théâtre  de  la  principale  attaque. 

La  colonne  de  la  Pointe-Lévy  cependant  qui  venait  sur  les 
berges,  sous  les  ordres  du  général  Wolfe  lui-même,  après  avoir 
fait  beaucoup  de  mouvemens  divers  comme  pour  tromper  les 
Français  sur  le  véritable  point  où  elle  voulait  opérer  sa  descente, 
se  dirigea  enfin  vers  les  transports  échoués  ;  en  arrivant  la  marée 
étant  basse  une  partie  des  berges  fut  arrêtée  par  une  chaîne  de 
cailloux  et  de  galets,  qui  la  retint  quelque  temps  et  causa  quelque 
désordre  ;  le  général  en  chef  ayant  fait  surmonter  bientôt  tous  les 
obstacles,  1200  grenadiers  appuyés  de  200  hommes  d'autres 
troupes  sautèrent  à  terre  sur  une  plage  spacieuse  et  unie,  où  ils 
devaient  se  former  en  quatre  divisions  et  marcher  soutenus  par  la 
brigade  Monkton  débarquée  derrière  eux.  Par  quelque  malen- 
tendu cet  ordre  ne  fut  pas  ponctuellement  exécuté.  Ils  se  mirent 
en  colonne  ;  et  suivis,  mais  de  trop  loin,  par  la  brigade  Monckton 
rangée  en  trois  divisions,  ils  marchèrent  sur  la  redoute  qui  gardait 
l'entrée  de  la  roule  de  Courviile,  au  son  d'une  musique  guerrière. 
La  redoute  avait  été  évacuée.  Les  grenadiers  s'y  arrêtèrent  et 
se  formèrent  en  colonnes  d'attaque  pour  assaillir  les  retranchemena 


HISTOIRE    OU    CANADA. 


SU 


qui  étaient  à  une  petite  portée  de  fusil,  tandis  que  toutes  les  batte- 
ries enneiriies,  redoublant  de  vigueur,  faisaient  pleuvoir  depuis  midi 
sur  les  Canadiens  qui  défendaient  cette  partie  de  la  ligne  fran- 
çaise, une  grêle  de  bombes  et  de  boulets  que  ceux-ci  essuyaient 
avec  la  plus  grande  patience  et  la  plus  grande  fermeté.  Lors- 
que les  assaillans  furent  formés,  ils  s'ébranlèrent  la  bayonnette 
au  bout  du  fusil  pour  aborder  les  retranchemens.  Leur  cos- 
tume et  leur  attitude  contrastaient  singulièrement  avec  l'ap- 
parence de  leurs  adversaires,  enveloppés  d'une  légère  capote 
fortement  serrée  autour  des  reins  et  n'ayant,  pour  suppléer  à  leur 
discipline,  que  leur  courage  et  la  justesse  remarquable  de  leur 
tir.  Ils  attendirent  froidement  que  l'ennemi  atteignit  le  pied  du 
coteau,  à  quelques  verges  seulement  de  leur  ligne,  pour  les  cou- 
cher en  joue.  Alors*  ils  lâchèrent  des  décharges  si  rapides  et 
et  si  meurtrières  qu'en  peu  de  temps  les  deux  colonnes  an- 
glaises furent  jetées  en  désordre,  et  que  malgré  les  efforts  de 
leurs  officiers,  elles  prirent  toutes  la  fuite  pêle-mêle  pour  aller 
chercher  un  abri  derrière  la  redoute,  où  elles  ne  purent  jamais 
être  reformées  et  ensuite  derrière  le  reste  de  leur  armée  déployée 
xm  peu  plus  loin.  Au  même  moment  survint  un  violent  orage  de 
pluie  et  de  tonnerre,  qui  déroba  les  combattans  à  la  vue  les  uns 
des  autres  pendant  quelque  temps,  et  dont  le  bruit  plus  imposant 
et  plus  vaste,  fit  taire  celui  de  la  bataille.  Lorsque  la  tempête 
fut  passée  et  que  le  brouillard  se  fut  dissipé,  les  Canadiens  aper- 
çurent les  ennemi  H  qui  se  rembarquaient  avec  leurs  blessés,  après 
avoir  mis  le  feu  aux  deux  transports  échoués,  se  retirant  comme 
ils  étaient  venus,  les  uns  dans  leurs  berges  et  les  autres  par  le 
gué  de  la  rivière  Montmorency.  Le  feu  de  leur  nombreuse  artil- 
lerie, à  laquelle  on  n'avait  pu  répondre  qu'avec  une  dixaine  de 
pièces  de  canon,  qui  avaient  incommodé  cependant  beaucoup  les 
troupes  de  débarquement,  dura  sans  discontinuer  jusqu'au  soir,  et 
l'on  estime  qu'elle  tira  3000  coups  de  canon  dans  cette  journée. 
La  perte  des  Français,  causée  presqu'entièrement  par  cette  arme, 
fut  peu  considérable,  si  Ion  considère  qu'ils  furent  plus  de  six 
heures  exposés  à  une  grêle  de  projectiles.    Les  ennemis  eurent 

•  " Their  small  arms,  in  their  trenches,  lay  cool  tiil  they  were  sure 

of  their  mark  ;  they  Ihen  poured  their  small  shotlikeshowersof  hall,  which 
caused  our  brave  grenadiers  to  fall  very  fast." — Journal  d'un  officier  anglais. 


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313 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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environ  500  hommes  hors  de  combat  dont  un  grand  nombre      \ 
d'officiers. 

La  victoire  remportée  à  Montmorency  fut  due  principalement 
aux  judicieuses  dispositions  et  à  l'activité  du  chevalier  de  Levis, 
qui  avec  moins  de  troupes  immédiatement  sous  la  main  que  le 
général  Wolfe,  sut  néanmoins  en  réunir  un  plus  grand  nombre 
que  lui  au  point  d'attaque.  Quand  bien  même  les  grenadiers 
anglais  auraient  franchi  le  retranchement,  il  est  encore  fort  dou- 
teux s'ils  eussent  pu  réussir  à  gagner  la  victoire  appuyés  du  reste 
de  leur  armée.  Le  terrain  de  la  grève  au  chemin  de  Beauport 
e'élevant  en  cet  endroit  par  petits  gradins  ou  pentes  assez  incli- 
nées, entrecoupées  transvei  salement  de  ravins  entre  lesquels 
serpente  la  route  de  Courville,  offrait  un  théâtre  très  favorable  au 
tirailleur  canadien.  De  plus,  les  bataillons  de  réguliers  qui  étaient 
de  réserve  en  arrière  étaient  prêts  à  marcher  à  son  secours  s'il 
en  eut  eu  besoin. 

Le  général  Wolfe  rentra  dans  son  camp  accablé  de  l'échec 
qu'il  venait  d'éprouver.  Son  imagination  envisageait  avec  une 
espèce  d'effroi  l'impression  que  sa  défaite  allait  causer  en  Angle- 
terre, et  les  propos  malveillans  que  l'on  tiendrait  sans  doute  sur 
l'audace  qu'il  avait  eue  de  se  charger  d'une  entreprise  qui  était 
au-dessus  de  ses  forces.  Il  voyait  dans  un  moment  s'évanouir 
tous  ses  rêves  d'ambition  et  de  gloire,  et  la  fortune  entre  les  mains 
de  laquelle  il  avait  confié  son  avenir,  l'abandonner  presque  aux 
premiers  pas  qu'il  faisait  sous  ses  auspices.  Il  semblerait  que 
son  esprit  n'avait  plus  sa  lucidité  ordinaire,  quand  on  le  voit, 
après  avoir  perdu  tout  espoir  de  forcer  le  camp  du  général  Mont- 
calm,  détacher  sérieusement  le  général  Murray  avec  douze  cents 
hommes,  pour  détruire  la  flotille  française  aux  Trois-Rivières  et 
s'ouvrir  une  communication  avec  le  général  Amherst  sur  le  lac 
Champlain.  Murray  partit  avec  300  berges;  mais  il  s'avança 
peu  avant  dans  le  pays.  Repoussé  deux  fois  à  la  Pointe-aux- 
Trembles  par  le  colonel  de  Bougainville  à  la  tête  de  1,000  homme» 
détachés  de  l'armée  pour  suivre  ses  mouvemens,  il  débarqua  à 
Ste.-Croix,  qu'il  incendia  comme  nous  l'avons  rapporté  ailleurs. 
De  là  il  se  jeta  sur  Deschambault  où  il  pilla  et  brûla  les  équipages 
des  officiers  français,  et  se  retira  ensuite  précipitamment  sans 
avoir  pu  accomplir  l'objet  de  sa  mission  ;  mais  non  sans  avoir 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


313 


considérablement  inquiété  Montcalm,  qui,  à  la  première  nouvelle 
de  ces  incursions,  se  mit  en  chemin  incognito  pour  Jacques  Car- 
tier, craignant  que  les  Anglais  ne  s'emparassent  de  cette  riviùio 
et  ne  coupassent  le  pays  en  deux  en  se  fortifiant  dans  cett;î  posi- 
tion importante;  rendu  à  la  Pointe-aux-Trembles  ayant  appris 
leur  retraite  il  revint  sur  se  pas. 

Après  ce  nouvel  échec,  une  maladie  dont  le  général  Wolfe 
portait  le  germe  depuis  longtemps,  favorisé  par  les  fatigues  du 
corps  et  les  inquiétudes  de  l'esprit,  se  développa  toul-à-coup  et  le 
mit  aux  portes  du  tombeau.  Lorsqu'il  fut  assez  bien  rétabli  pour 
pouvoir  s'occuper  d'affaires,  il  adressa  une  longue  dépêche  à  son 
gouvernement  dans  laquelle  il  exposa  tous  les  obstacles  contre 
lesquels  il  avait  à  lutter,  les  regrets  cuisans  qu'il  éprouvait  du 
peu  de  succès  de  ses  efforts,  et  dans  laquelle  respirait  en 
même  temps  ce  dévoûment  pour  la  patrie  qui  animait  à  un  si 
haut  degré  l'âme  de  ce  guerrier.  On  fut  plus  touché  en  Angle- 
terre de  la  douleur  du  jeune  commandant  que  de  l'échec  des 
armes  de  la  nation. 

L'esprit  de  Wolfe  avait  fléchi  comme  son  corps,  sous  le  poids 
de  sa  situation,  qui  ne  lui  laissait  plus  que  le  choix  des  difficultés, 
comme  il  le  disait  lui-même.  Il  appela  à  son  secours  l'aide  de 
ses  lieutenans,  dont  nous  avons  déjà  fait  connaître  les  talens  et  le 
caractère.  Il  les  invita  à  considérer  quel  était,  dans  leur  opinion, 
le  meilleur  plan  à  suivre  pour  attaquer  le  général  Montcalm  avec 
quelque  chance  de  succès,  leur  faisant  part  en  même  temps  de 
son  a  ■',  qui  était  de  renouveler  l'attaque  de  l'aile  gauche  du 
camp  de  Beauport,  et  de  dévaster  et  ruiner  le  pays  autant  que 
cela  serait  possible  sans  nuire  à  la  principale  opération  de  la 
campagne. 

Les  généraux  Monckton,  Townshend  et  Murray  répondirent 
le  29  août  qu'une  nouvelle  attaque  du  camp  de  Beauport  serait 
une  entreprise  fort  hasardeuse  ;  que,  suivant  eux,  le  moyen  le 
plus  sûr  de  frapper  un  coup  décisif,  serait  de  se  retirer  sur  la  rive 
droite  du  St.-Laurent,  de  la  remonter  quelque  distance  et  de  tra- 
verser de  nouveau  sur  la  rive  gauche,  afin  de  porteries  opérations 
au-dessus  de  la  ville.  "  Si  nous  réussissons,  disaient  ces  géné- 
raux, à  nous  maintenir  dans  cette  nouvelle  position,  nous  force- 
rons le  général  Montcalm  à  combattre  là  où  nous  voudrons  ;  nous 


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314 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


Fcma  entre  lui  et  ses  mngasins,  entre  son  camp  et  l'armée  qui 
n'oppose  au  général  Amherst.     S'il  nous  otTre  la  bataille  et  qu'il 
la  penlc,  Québec  et  probablement  tout  le  Canada  tomberont  entre 
nos   mains,   avantage   plus   grand    que   celui   que  l'on  pourrait 
attendre  d'une  victoire  à  Beauport  ;  s'il  traverse  la  rivière  St.- 
Chn "les  avec  des  forces  sulFisantes  pour  s'opposer  à  cette  opéra- 
tion, le  camp  de  Beauport  ainsi  alFaibli  pourra  être  attaqué  plus 
facilement."     Les  forces  navales  des  Anglais  en  leur  assurant  la 
possession  du  fleuve,  mettaient  le  général  Wolfe  à  môme  de  porter 
ses  troupes  sur  tous  les  points  accessibles.     Le  plan  des  trois 
généraux  anglais  fut  approuvé  par  leur  chef,  et  les  ordres  néces- 
saires furent  donnés  pour  le  mettre  sans  délai  à  exécution.  On  no 
parlait  point  de  donner  l'assaut  à  Québec  par  le   port;  on  avait 
reconnu  que  cette  tentative  aurait  été  plus  que  téméraire. 
V     Après  cette  décision,  les  Anglais  levèrent  leur  camp  du  snult 
Montmorency   ou  de  l'Ange-Gardien    sans  être  inquiétés  dans 
leur  retraite,  chose  que  l'on  reprocha  ensuite  au  général  Mont- 
calm  comme  une  faute,  et  les  troupes  et  l'artillerie  furent  trans- 
portées à  la  Pointe-Lévy  le  3  septembre.     Le  bombardement  de 
la  ville  et  les  ravages  des  campagnes  étaient  les  seules  entreprises 
dans  lesqvielles  les  ennemis  eussent  encore  réussi,  entreprises  qui 
étaient  elles-mêmes  une  espèce  d'hommage,  mais   d'hommage 
terrible  rendu  à  l'opiniâtreté  des  défenseurs  du  Canada. 

Le  général  Montcalm  voyant  que  l'ennemi  allait  maintenant 
porter  son  attention  au-dessus  de  Québec,  s'occupa  de  la  garde  de  la 
rive  gauche  du  fleuve  sur  laquelle  est  située  cette  ville.  Tl  envoya 
un  bataillon  camper  sur  les  hauteurs  d'Abraham  pour  se  porter 
au  besoin  soit  dans  la  place,  soit  du  côté  de  Sillerj^  soit  du  côté 
de  la  rivière  St.-Charles;  mais  le  malheur  voulut  qu'on  le  retirât 
deux  jours  après.  Il  donna  encore  au  colonel  de  Bougainville 
chargé  du  commandement  de  cette  rive,  1000  hommes  tant  régu- 
liers que  miliciens  au  nombre  desquels  se  trouvaient  cinq  compa- 
gnies de  grenadiers  et  la  cavalerie  ;  il  fit  renforcer  aussi  les  gardes 
placées  sur  le  rivage  entre  la  ville  et  le  Cap-Rouge.  Inquiet  de 
plus  en  plus,  il  trouva  bientôt  ces  troupes  trop  faibles  en  voyant  les 
vaisseaux  anglais  s'étendre  de  Sillery  à  la  Pointe-aux-Trembles. 
Craignant  pour  la  sûreté  de  ses  vivres,  il  envoya  de  nouveaux 
renforts  à  Bougainville  dont  presque  tous  les  Sauvages  de  l'armée 


HlSTOinS    DU    CANADA. 


315 


avaient  rejoint  le  détachement.  Cet  oflicier  ae  trouva  bientôt 
avoir  à  SCS  ordres,  en  y  comprenant  les  Indiens,  3000  hommes 
répandus  depuis  Sillery  jusqu'à  la  Pointe-aux-Tremhles  ;  c'était 
l'élite  des  troupes.  On  lui  réitéra  l'ordre  de  coiuiiiucr  à  suivre 
attentivement  tous  les  mouvemcns  de  l'ennemi,  qui  dei)iiis 
plusieurs  jours,  menaçait  à  la  fois  le  camp  de  Beauport,  la  villo 
et  les  magasins  de  l'armée. 

Jusqu'à  ce  moment  les  choses  avaient  assez  bonne  apparence 
du  côté  de  Québec  ;  mais  les  nouvelles  que  l'on  recevait  du  lac 
Champlain  et  du  lac  Ontario  n'étaient  pas  fort  rassurantes.     Le 
chef  de  brigade  Bourlamarque,  qui  commandait  sur  la  frontiéro 
du  lac  Champlain  ;  avait,  comme  on  l'a  vu,  bous  ses  ordres  trois 
bataillons  de  troupes  réglées,  300    hommes  tirés  de  ceux  qui 
étaient  à  l'armée  de  Québec,  et  800  Canadiens,  en  tout  2,300 
hommes.     D'après  les  ordres  de  Paris,  il  devait  se  replier  si  l'en- 
nemi se  présentait  avec  des  forces  supérieures.     Le  général  en 
chef  des  armées  anglaises,  lord  Amherst,  devait  opérer  de  ce 
côté  avec  des  forces  imposantes.     Le  souvenir  do  la  sanglante 
défaite  de  Carillon  encore  tout  frais  dans  la  mémoire,  ne  fit  que 
l'engager  à  augmenter  de  précautions.     Ce  général  arriva  le  3 
mai  à  Albany,  où  il  rassembla  son  armée,  et  d'où  il  dirigea  tous 
les  préparalits  de  la  campagne.     Le  6  juin  il  vint  camper  au  fort 
Edouard,  chaque  régiment  se  couvrant  d'un  blochaus  tant  il  crai-  , 
gnait  les  surprises  des  Français,  et  le  21  il  se  porta  avec  6,000 
soldats  à  la  tête  du  lac  St.-Sacrement,  où  son  ingénieur  en  chef, 
le  colonel  Montresor,  traça  le  plan  du  fort  "George  sur  une  émi- 
nence  à  quelque  distance  du  lac  et  de  l'emplacement  qu'avait 
occupé  celui  de  William-Henry.     Le  général  Amherst  y  avant 
réuni  toutes  ses  troupes,  s'embarqua  le  21  juillet  avec  15  batcil- 
Ions  formant  12,000  hommes,  dont  .^),700  réguliers,  et  54  bouches 
à  feu,  et  vint  débarquer  au  pied  du  lac  sans  opposition.     Après 
quelques  petites  escarmouches  d'avant-garde,  il  parvint  au  bout 
de  deux  jours  en  vue  du  fort  Carillon,  où  M.  de  Bourlamarque 
s'était  réplié  en  bon  ordre,  et  fit  mine  de  vouloir  se  défendre 
pour  couvrir  sa  retraite.    Le  lendemain  les  Français  se  replièrent 
sur  le  fort  St.-Frédéric  laissant  400  hommes  dans  le  fort  Carillon, 
qui  l'évacuèrent  le  26  en  faisant  sauter  une  partie  des  fortifi- 
cations.    Cette  importante  position  ne  coûta  qu'une  soixantaine 


,  1 


ma 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


d'hommoa  aux  Anglais.  Boiirlatnarquo  craignant  (Pôtre  loiirné 
jiar  l'ennemi,  cjui  luisait  des  berges  et  des  radeaux  pour  cl-scendro 
le  lac,  fit  sauter  aussi  le  fort  St.-Frédéric  et  se  retira  à  l'île  aux 
Noix.  Aussitôt,  le  4  août,  le  général  Amlierst  se  porta  avec  le 
gros  do  son  armée  dans  le  poste  évacué,  et  y  fit  élever  un  nouveau 
fort  auquel  fut  donné  le  nom  do  Crown  Point,  pour  protéger 
cette  partie  contre  les  irruptions  des  bandes  canadiennes.  En 
môme  temps,  voulant  obtenir  la  supériorité  sur  le  lac  Champlain, 
il  donna  l'ordre  de  construire  des  vaisseaux  et  de  relever  les  bar- 
ques françaises  qui  avaient  été  coulées  avant  l'évacuation  do 
Carillon  :  cela  le  retint  jvisqu'au  mois  d'octobre.  De  son  côté,  le 
chef  de  brigade  Bourlamarque  retiré  à  l'île  aux  Noix  et  s'attcndant 
à  être  attaqué  d'un  moment  à  l'autre,  prenait  tous  les  moyens  de 
retarder  la  marche  de  l'ennemi,  soit  par  des  embarras  dans  le  bas 
du  lac,  soit  par  des  fortifications  sur  l'î^e  où  il  était  lui-môme. 
Mais  là  comme  à  Québec  l'on  regardait  cette  frontière  comme 
perdue  si  le  géi  ■'•rai  Amherst  montrait  un  peu  de  vigueur. 

Les  nouvelLd  du  lac  Ontario  et  de  l'îiagara  éiciiont  encore  plus 
mauvaises.  Le  capitaine  Pouchot,  qui, était  parti  pour  le  dernier 
poste  l'automne  précédent,  et  qui  n'avait  pu  aller  au-delà  de  la 
Présentation,  fut  chargé  de  s'y  rendre  dès  le  petit  printemps  afin 
de  relever  M.  de  Vassan.  Il  partit  de  Montréal  à  la  fin  de  mars 
avec  environ  300  réguliers  et  Canadiens,  attendit  à  la  Présentation 
deux  corvettes  do  10  pièces  de  canon  que  l'on  se  hâta  d'achever, 
et  parv"nt  le  30  avril  à  Niagara.  Il  commença  aussitôt  à  faire 
travailler  aux  réparations  de  la  place,  dont  les  murailles  étaient  en 
ruine  et  les  lossés  presque  comblés.  Chargé  de  faire  replier  les 
postes  de  l'Ohio  s'ils  étaient  attaqués,  et  n'entendant  parler  d'aucun 
mouvement  de  ce  côté,  il  envoya  un  renfort  avec  des  vivres  et 
des  marchandises  à  Machault,  où  commandait  M.  de  Ligneris,  se 
proposant  de  faire  détruire  les  forts  de  Pittsburgh  et  de  Loyal- 
Hanau  si  l'occasion  s'en  présentait,  La  plus  grande  fermentation 
régnait  toujours  pendant  ce  temps  là  parmi  les  tribus  sauvages  de 
l'Ohio  et  des  lacs,  parce  qu'il  y  en  avait  qui  s'obstinaient  à  tenir 
pour  les  Français  malgré  les  traités  conclus  avec  les  Anglais. 
Les  succès  de  ces  derniers  allaient  donner  une  solution  défi- 
nitive à  tous  ces  débats,  dans  lesquels  perçaient  les  doutes,  les 
inquiétudes,  les  projets  des  Indiens  pour  l'avenir.     Ktourdis  par 


IIISTOlllK    OU    CANADA. 


M  17 


tout  ce  qui  se  passait  sous  leurs  yeux,  ils  so  voyaient  écrasùs  par 
les  deux  grandes  nations  bclligùrantea  sans  oser  les  oflenscr.  Lo 
commandant  do  Niagara  eut  do  nombreuses  conférences  avec  ce.i 
tribus  sans  (ju'il  en  résultât  rien  d'important.  Les  cinq  nations 
80  rapprochaient  complètement  des  Anglais  ;  de  sorte  qu'il  no 
pouvait  avoir  de  renscignemens  exacts  sur  leurs  mouvemens,  et 
il  les  croyait  encore  loin  de  lui,  lorsque  le  G  juillet  ils  arrivèrent 
dans  son  voisinage. 

Suivant  le  plan  général  adopté  par  l'Angleterre  pour  les  opé- 
rations de  la  campagne,  une  armée  devait  aller  mettre  le  siégo 
devant  Niagara.  Le  chef  de  brigade  Prideaux  fut  chargé  de 
cette  entreprise.  11  partit  de  Schenectady  le  20  mai  à  la  tôte  do 
cinq  bataillons,  dont  deux  de  troupes  réglées,  un  détachement 
d'artillerie  et  un  corps  considérable  de  Sauvages  sous  les  ordres  de 
sir  William  Johnson.  Il  laissa  à  Osvvégo,  en  passant,  le  colonel 
Haldimand  pour  y  bâtir  un  fort,  s'embarqua  sur  le  lac  Ontario  le 
1er  julK-it  et  vint  débarquer  à  six  milles  de  Niagara  sans  être 
aperçu. 

Ce  fort,  bâti  sur  une  pointe  de  terre  étroite,  était  facile  à 
investir.  Le  commandant  Pouchot  venait  de  finir  les  remparts; 
mais  les  batteries  des  bastions  qui  étaient  à  barbette,  n'étai'înt  pas 
encore  terminées.  Il  les  forma  de  tonneaux  remplis  de  terre. 
Il  renforça  par  des  blindages  une  grande  maison  du  côté  du  lac 
pour  y  établir  des  hôpitaux,  et  couvrit  par  d'autres  ouvrages  les 
magasins  à  poudre.  La  garnison  était  composée  d'un  peu  moins 
de  500  hommes.*  Aussitôt  qu'il  se  fût  assuré  de  la  présenc'-î  de 
l'ennemi,  il  expédia  un  courrier  pour  ordonner  à  Chabert  au  fort 
du  Portage,  à  de  Ligneris  au  fort  Machault  et  aux  autres  comman- 
dans  du  Détroit  et  des.  postes  de  la  Presqu'île,  Venango  et  Le 
Bœuf,  de  se  replier  sur  Niagara  avec  ce  qu'ils  auraient  de  Fran- 
çais et  de  Sauvages.  Ainsi  on  abandonnait  encore  une  autre 
vaste  étendue  de  territoire  et  l'un  des  plus  beaux  pays  du  inonde. 
Chabert  brûla  «on  fort  et  atteignit  Niagara  le  10  juillet.  Dans  la 
nuit  même  les  assiégeans  commencèrent  une  parallèle  à  300 
toises  des  murailles.  Du  13  au  22  ils  ouvrirent  successivement 
le  feu  de  plusieurs  batteries  de  mortiers  et  de  canons,  et  parvin- 

*  Mémoires  sur  la  dernière  guerre  de  V Amérique  septentrionale,  etc.,  par 
Touchot,  1771. 


il 

M' 


318 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


rent  au  corps  même  de  la  place.  La  mort  de  leur  commandant, 
le  général  Prideaux,  tué  par  un  mortier  qui  éclata,  ne  ralentit 
point  leurs  travaux,  que  sir  William  Johnson  qui  le  remplaça  en 
attendant  son  successeur,  poussa  avec  la  plus  grande  vigueur 
malgré  la  vivacité  du  feu  des  assiégés.  Bientôt  les  bastions  du 
fort  furent  en  ruine  et  les  batteries  complètement  rasées.  L'on 
était  réduit  à  faire  des  embrasures  avec  des  paquets  de  pelleterieis, 
et  à  bourrer  les  canons  avec  des  couvertes  et  des  chemises,  faute 
d'autres  matières.  Cependant  le  feu  de  l'ennemi  augmentait  à 
chaque  moment  de  force  et  d'efficacité,  et  les  murailles  s'écrou- 
laient de  toutes  parts.  Déjà  la  brèche  était  praticable  sur  un 
large  front,  et  on  n'avait  qu'un  homme  par  dix  pieds  pour  garnir 
celui  d'attaque.  Depuis  17  jours  personne  ne  s'était  couché  : 
un  grand  nombre  d'hommes  était  hors  de  combat.  On  n'atten- 
dait plus  enfin  de  salut  que  des  renforts  demandés  et  qui  arri- 
vaient des  postes  supérieurs.  Le  23  Pouchot  avait  reçu  des 
lettres  d'Aubry,  commandant  du  Détroit,  et  de  Ligneris,  qui  l'in- 
formaient qu'on  arrivait  à  son  secours  avec  600  Français,  dont 
300  tirés  des  Illinois,  et  1000  Indiens.  Malheureusement  l'en- 
nemi savait  tout  ce  qui  se  passait  chez  les  assiégés  par  la  perfidie 
des  courriers  d'Aubry  et  de  Ligneris,  qui  avaient  même  eu  une 
entrevue  avec  les  Sauvages  alliés  des  Anglais,  à  laquelle  Johnson 
avait  assisté.  Celui-ci,  informé  par  eux  de  l'approche  de  ces 
secours,  résolut  de  leur  tendre  une  embuscade  pour  les  intercej)- 
ter.  Il  plaça  à  cet  effet  la  plus  grande  partie  de  ses  troupes  sur 
la  gauche  du  chemin  conduisant  de  la  chute  au  fort  de  Niagara, 
derrière  des  abatis  d'arbres  qui  les  cachaient  complètement,  et 
attendit  ainsi  embusqués  les  Français,  qui  après  avoir  laissé  150 
hommes  au  pied  du  lac  Erié  pour  la  garde  des  bateaux,  s'avan- 
çaient sans  soupçon  au  nombre  de  450,  outre  le  millier  de  Sau- 
vages, lorsque  des  ennemis  furent  tout-à-coup  signalés.  A  la  vue 
des  Iroquois  anglais,  les  Sauvages  refusèrent  de  marcher  en 
avant  sous  prétexte  de  pactiser  avec  les  guerriers  des  cantons. 
Quoiqu'abandonnés  ainsi  de  leur  principale  force,  Aubry  et  de 
Ligneris  ne  crurent -pas  devoir  interrompre  leur  marche.  Igno- 
rant l'embuscade  qu'on  leur  avait  tendue  et  croyant  que  les  Sau- 
vages qu'on  apercevait  n'étaient  que  des  hommes  isolés,  ils  con- 
tinuaient à  cheminer  rapidement  dans  un  sentier  étroit  lorsqu'ils 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


319 


dôcouvrircnl  de  plus  grandes  forces  devant  eux.  Ils  voulurent 
alors  mettre  leurs  troupes  en  bataille,  mais  le  temps  et  l'espace 
leur  manquèrent.  Au  premier  choc  ils  forcèrent  les  Anglais 
sortis  de  l'abatis  pour  les  attaquer  à  y  rentrer  précipitamment, 
et  ils  allaient  les  y  charger  à  leur  tour  lorsqu'ils  se  virent  assaillis 
de  front  :t  de  flanc  par  près  de  2,000  hommes.  La  queue  de 
leur  colonne,  incapable  de  résister,  se  replia  et  laissa  la  tête 
exposée  aux  coups  de  l'ennemi,  qui  dirigea  sur  elle  tout  son  feu 
et  l'écrasa.  Une  cinquantaine  d'hommes  seulement  restèrent 
debout  et  essayèrent  de  se  retirer  en  combattant;  ils  furent 
chargés  à  la  bayonnette  et  la  plus  grande  partie  resta  sur  la  place. 
Le  reste  fut  poursuivi  avec  vigueur.  Les  Indiens,  qui  avaient 
refusé  de  combattre,  furent  exposés  comme  les  vaincus  à  toute  la 
vengeance  de  l'ennemi,  et  un  grand  nombre  tomba  sous  ses  coups 
dans  les  bois.  Presque  tous  les  officiers  furent  tués,  blessés  ou 
faits  prisonniers.  Aubry,  Ligneris  et  plusieurs  autres  chefs  tom- 
bèrent blessés  entre  les  mains  des  Anglais.  Ce  qui  échappa  au 
massacre  atteignit  le  détachement  de  M.  de  Rocheblave,  et  tous 
ensemble  ils  rétrogradèrent  vers  le  Détroit  et  les  autres  postes  de 
l'Ouest. 

Après  ce  désastre,  Pouchot  reçut  de  sir  William  Johnson  une 
liste  des  officiers  tombés  en  son  pouvoir.  Ne  pouvant  croire 
tout  ce  qui  venait  de  se  passer,  il  envoya  un  officier  pour  s'assu- 
rer de  la  vérité.  Le  doute  n'étant  plus  possible,  la  garnison 
réduite  du  tiers  et  épuisée  de  fatigues  dut  accepter  la  capitulation 
honorable  que  lui  offi-ait  Johnson,  désireux  de  se  rendre  maître  de 
la  place  avant  l'arrivée  du  général  Gage,  déjà  en  chemin  pour 
vfsnir  remnlaccr  le  général  Pridreaux. 

Niagara  était  le  poste  fortifié  le  plus  considérable  du  Canada 
et  le  plus  important  des  lacs  par  sa  situation.  Sa  perte  sépara 
les  lacs  supérieurs  du  bas  de  la  province,  et  les  Français  se  trou- 
vèrent par  cet  événement  refoulés  d'un  côté  jusqu'au  Détroit, 
et  de  l'autre  jusqu'aux  rapides  du  St.-Laurent  au-dessus  de 
Montréal,  le  fort  Frontenac,  faute  de  temps,  n'ayant  pas  été 
relevé.  La  possession  du  lac  Ontorio  appartint  de  ce  moment 
aux  ennemis.  Les  progrès  des  Anglais  jetaient  naturellement 
M.  de  Vaudreuil  dans  une  grande  perplexité.  Dans  la  situation 
critique  où  l'on  se  trouvait,  il  fallait  donner  un  peu  à  la  fortune. 


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320 


HlSTOlUli    Ut    CANADA. 


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Il  résolut  d'envoyer  le  chevalier  de  Levis  faire  un  tour  d'inspec- 
tion vers  le  haut  du  pays,  afin  d'examiner  et  d'ordonner  ce  qu'il 
conviendrait  de  faire  pour  retarder  la  marche  de  l'ennemi  tant 
sur  le  St.-Laurent  que  sur  le  lac  Champlain.  On  lui  donna  800 
hommes,  tirés  de  l'armée  de  Beaupart  dont  100  réguliers,  pour 
renforcer  M.  de  la  Corne,  qui  commandait  au-dessus  du  lac  St.- 
François.  Il  partit  le  9  août  de  Québec  et  laissa,  en  passant  à 
Montréal,  400  hommes  pour  aider  à  récolter  les  grains  en  atten- 
dant qu'on  eût  des  nouvelles  positives  de  la  marche  des  Anglais, 
encourageant  en  môme  temps  les  femmes,  les  religieuses,  les 
moines,  les  prêtres  et  généralement  tout  le  monde  de  la  ville  à 
prendre  part  aux  travaux  de  la  moisson,  dont  dépendait  le  isalut 
commun  pour  les  subsistances.  Cet  officier  général  poussa  sa 
reconnaissance  jusqu'à  Frontenac,  examina  tout,  indiqua  les 
endroits  qu'il  fallait  défendre  ou  fortifier  depuis  le  lac  Ontario 
jusqu'à  Montréal,  et  ordonna  à  M.  de  la  Corne  de  disputer  le 
terrain  pied  à  pied  aux  Anglais  que  l'on  savait  avoir  6,000 
hommes  sur  cette  ligne. 

Le  chevalier  de  Levis  visita  ensuite  le  lac  Champlain,  où  il 
approuva  tout  ce  que  le  chef  de  brigade  Bourlamarquc  avait 
fait. 

Il  était  de  retour  à  Montréal  de})uis  le  11  septembre,  lorsque 
le  15,  à  6  heures  du  matin,  il  reçut  un  courrier  extraordinaire  du 
marquis  de  Vaudreuil,  qui  lui  apprenait  le  funeste  résultat  de  la 
bataille  d'Abraham  du  13  septembre,  la  mort  du  général  Mont- 
calm,  et  qui  lui  apportait  l'ordre  de  descendre  au  plus  vite  pour 
prendre  le  commandement  de  l'armée. 

M.  de  Bougainville  épiait  toujours  les  mouvemens  des  Anglais 
devant  cette  ville.  Ceux-ci  faisaient  divers  mouvemens  pour 
cacher  leur  véritable  dessein.  Le  7,  le  8  et  le  9  septembre  une 
douzaine  de  vaisseaux  remontèrent  le  fleuve  avec  une  grande 
partie  de  l'armée  et  jetèrent  l'ancre  au  Cap-Kouge,  envoyant 
simultanément  des  détachemens  sur  divers  points  du  rivage  pour 
diviser  l'attention  des  Français.  La  moitié  de  ces  troupes  fut 
débarquée  sur  la  rive  droite  du  St.-Laurent,  pendant  que  les 
officiers  examinaient  attentivement  la  rive  gauche,  de  Québec  au 
Cap-Rouge,  et  découvraient  le  chemin  qui  conduisait  de  l'anse  du 
Foulon  au  fond  des  plaines  d'Abraham.     Dans  le  même  temps 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


321 


ils  apprenaient  qu'un  convoi  de  vivres  pour  Québec  devait  passer 
dans  la  nuit  du  12  au  13. 

Depuis  que  les  Anglais  étaient  maîtres  du  fleuve  au-dessus  de 
la  capitale,  l'approvisionnement  de  l'armée  était  devenu  pres- 
qu'impossible  par  eau.  On  dut  faire  venir  les  vivres  des  magasins 
de  Batiscan  et  des  Trois-Riviôres  par  terre,  et  comme  il  n'était 
resté  que  des  enfans  en  bas  âge,  des  femmes  et  des  vieillards 
auxquels  leurs  infirmités  n'avaient  pas  permis  de  prendre  les 
armes,  c'était  avec  le  secours  de  bras  si  faibles  qu'il  fallait  opérer 
le  transport.  L'on  charria  sur  271  charrettes  de  Batiscan  à 
l'armée,  18  lieues,  700  quarts  de  lard  et  de  farine,  la  subsistance 
de  12  à  15  jours  ;  mais  l'on  fut  effrayé  des  difficultés  que  ce 
service  entraînait;  beaucoup  de  charrettes  étaient  déjà  brisées; 
les  femmes  et  les  enfans  qui  les  conduisaient,  rebutés  d'un  travail 
si  rude,  ne  laissaient  point  espérer  qu'ils  pussent  le  soutenir 
long-temps,  et  les  hommes  revenus  de  l'armée  ne  pouvaient 
abandonner  les  travaux  des  champs  qui  pressaient.  Ou  essaya 
donc  de  se  servir  encore  une  fois  de  la  voie  du  fleuve  toute 
hasardeuse  qu'elle  était  pour  faire  descendre  des  vivres,  et  c'est  à 
la  suite  de  cette  résolution  qu'avait  été  expédié  le  convoi  dont 
Ton  vient  de  parler.  Malheureusement  les  prisonniers  commu- 
niquèrent la  conâigne  que  les  bateaux  de  ce  convoi  devaient 
donner  en  passant  aux  sentinelles  placées  sur  le  rivage.  Le 
général  Wolfe  s'empressa  de  profiter  de  cette  heureuse  circons- 
tance pour  jeter  son  armée  à  terre  dans  l'anse  du  Foulon  et 
s'emparer  des  hauteurs  voisines.  Pour  mieux  cacher  son  dessein  il 
donna  des  ordres  .pour  que  d'une  part,  un  grand  nombre  de  barques 
fissent  des  mouvemens  en  face  du  camp  de  Beauport  comme  s'il 
s'agissait  d'opérer  une  descente,  et  que  de  l'autre,  .les  vaisseaux 
restés  au  Cap-Rouge  fissent  des  démonstrations  vers  St. -Augustin, 
afin  d'attirer  l'attention  du  colonel  de  Bougainville  de  ce  côté. 
Ces  ordres  donnés,  il  ne  songea  plus  qu'à  opérer  son  débarquement. 
Le  13,  à  une  heure  du  matin,  une  partie  des  troupes  rembarquées 
de  la  veille  sur  les  vaisseaux,  descendit  dans  des  bateaux  plats  et 
se  laissa  dériver  dans  le  plus  grand  silence  par  une  nuit  fort  noire 
avec  le  reflux  de  la  marée  le  long  du  rivage  jusqu'au  Foulon,  les 
officiers  parlant  français  ayant  été  choisis  pour  répondre  au  qui- 
vive  des  sentinelles,  qui,  dans  l'obscurité,  laissèrent  passer  ces 


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322 


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bateaux  croyant,  que  c'était  le  convoi  do  vivres  atlenilu.  Les 
vaisseaux  de  l'amiral  Holmes  les  suivaient  à  trois  quarts  d'heure 
de  distance  avec  le  reste  des  troupes.  Rendus  au  point  indiciué 
les  Anglais  débarquèrent  sans  coup  lerir.  L'infanterie  légère, 
eu  mettant  pied  à  terre  avec  le  général  Wolfe  à  sa  tète,  s'empara 
du  poste  qui  déiendail  le  pied  du  chemin  conduisant  au  sommet 
do  la  falaise,  gravit  l'escarpement  qui  n'est  pas  assez  abrupte,  dans 
cet  endroit  pour  empêcher  les  arbres  de  pousser,  et  parvenu  sur 
le  plateau,  surprit  et  dispersa  après  quelques  coups  de  fusil  la 
garde  qui  y  était  placée  et  dont  le  commandant  fut  pris  dans  son 
lit.  Pendant  ce  temps-là  les  bateaux  retournés  aux  vaisseaux 
ramenaient  le  reste  des  troupes  sous  les  ordres  du  général 
Tovvnsbend.  Au  jour  l'armée  anglaise  était  en  bataille  sur  les 
plaines  d'Abraham. 

M.  de  Vaudreuil  reçut  la  nouvelle  inattendue  de  ce  débarque- 
ment à  6  heures  du  matin  ;  elle  fut  aussitôt  communiquée  au 
général  Montcalm  qui  ne  pou  lit  y  croire.  Il  pensait  que  c'é- 
tait quelque  détachement  isolé  qui  s'était  aventuré  jusque-là  par 
hasard  comme  l'on  en  avait  vu  en  d'autres  endroits  des  bords  du 
St.-Laurent  ;  et,  emporté  par  sa  vivacité  ordinaire,  il  se  mit  on 
marche  avec  une  portion  seulement  de  ses  troupes,  sans  môme 
faire  part  de  ses  dispositions  au  gouverneur,  laissant  1,500  hom- 
mes pour  la  garde  du  camp  de  Beauport  et  les  artilleurs  répan- 
dus sur  la  ligne  des  retranchemens. 

Dans  ce  moment,  l'armée  de  Beauport  se  trouvait  réduite  à 
6,000  combattans  environ  par  les  corps  qu'on  en  avait  détachés.* 
Dans  sa  plus  grande  force  elle  avait  été  de  13,000  hommes. 
800  étaient  partis  avec  le  chevahcr  de  Levis.  Le  colonel  Bou- 
gainville  en  avait  3,000  avec  lui,  tous  soldats  d'élite  outre  la  cava- 
lerie. La  garnison  de  Québec  qui  ne  prit  point  de  part  à  la 
bataille  qui  suivit,  comptait  7  à  800  hommes  ;  enfin,  un  grand 
nombre  de  Canadiens  avait  obtenu  la  permission  d'aller  faire 
les  récoltes,  tandis  que  les  plus  âgés  et  les  plus  jeunes  croyant  le 
danger  passé  étaient  retournés  chez  eux  ;  de  sorte  que  l'armée 
était  réduite  de  plus  de  moitié.  Le  général  Montcalm  prit  avec 
lui  4,500  hommes  f  et  laissa  le  reste  dans  le  camp.     Ces  trou- 

*  Documens  de  l'aris. 
t  Ibid. 


niSTOlUE    DU    CANADA. 


323 


pes  défilèrent  par  le  pont  de  bateaux  établi  sur  la  rivière  St.- 
Charles,  entrèrent  dans  la  ville  par  la  porte  du  Palais  au  nord,  !;i 
traversèrent  et  sortirent  par  les  portes  St. -Jean  et  St.-Louis  à 
l'ouest  du  côté  des  plaines  d'Abraham,  où  elles  arrivèrent  à  huit 
heures  à  la  vue  de  l'ennemi.  Montcalm  aperçut  non  sans  éton- 
nement  toute  l'armée  anglaise  rangée  en  bataille  prête  à  le  rece- 
voir. Emporté  par  une  précipitation  funeste,  il  résolut  de  brus- 
que l'attaque,  malgré  tous  les  avis  contraires  qu'on  put  lui  donner, 
surtout  son  major  général  le  chevalier  de  Montreuil,  qui  lui  repré- 
senta qu'il  n'était  pas  en  état  d'attaquer  avec  le  peu  de  monde 
qu'il  avait  sous  la  main,  et  l'ordre  positif  du  gouverneur,  qui  lui 
mandait,  par  un  billet,  d'attendre  pour  commencer  qu'il  eût  réuni 
toutes  ses  forces,  et  qu'il  marchait  lui-même  à  soii  secours  avec 
les  troupes  qu'il  avait  laissées  pour  la  garde  du  camp.  Soit  suite 
de  la  division  qui  séparait  ces  deux  hommes,  soit  que  ce  général 
craignît,  comme  il  le  donna  pour  raison,  que  les  Anglais  ne  se 
retranchassent  là  où  ils  étaient,  ce  qu'ils  avaient  déjà  commencé 
à  faire,  et  ne  se  rendissent  par  là  inexpugnables,  il  donna  l'ordre 
du  combat.  Les  Anglais  étaient  deux  contre  un  ;  ils  comptaient 
plus  de  8,000  hommes  présens  sous  les  armes.*  Mais  Montcalm 
aimait  à  braver  la  fortune,  elle  pouvait  couronner  encore  son 
audace  comme  elle  l'avait  fait  à  Carillon  où  elle  lui  avait  donné 
la  victoire  sur  15,000  hommes  avec  moins  de  4,000. 

Il  rangea  ses  troupes  en  bataille  sur  une  seule  ligne  de  trois 
hommes  de  profondeur,  la  droite  sur  le  chemin  de  Ste.-Foy  et  la 
gauche  sur  le  chemin  de  St.-Louis,  sans  corps  de  réserve.  Les 
réguliers,  dont  les  grenadiers  étaient  avec  M.  de  Bougainville, 
formaient  cette  ligne.  Les  milices  et  quelques  Sauvages  furent 
jetés  sur  les  deux  ailes.  Puis  sans  donner  le  temps  de  prendre 
haleine,  il  donna  l'ordre  de  marcher  en  avant.  On  s'avança  si 
précipitamment  que  les  rangs  se  rompirent  et  que  les  bataillons 
se  trouvèrent  en  avant  les  uns  des  autres  de  manière  à  faire  croire 
aux  ennemis  qu'on  s'avançait  en  colonnes,  surtout  le  centre. 

L'armée  du  général  Wolfe  était  rangée  en  carré  en  face  des 
buttes  à  Neveu  qui  lui  cachaient  la  ville,  et  s'ajipuyait  à  une 
petite  émincnce  sur  le  bord  de  l'escarpement  du   St. -Laurent. 

•  Le  24  décembre  les  10  régimcus  anglais  l'urmaicnt  encore  8201  sans 
compter  les  officiers. 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


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Un  côté  faisait  face  à  ces  buttes;  un  autre  regardait  le  chemin  de 
Sto.-Foy,  le  long  duquel  il  était  rangé,  et  le  troisième  était  tourné 
voru  le  bois  de  Siilery.  Wolfe  avait  fait  commencer  une  ligne  de 
jietites  redoutes  en  terre  le  long  du  chemin  de  Ste.-Foy,  laquelle 
se  prolongeait  en  demi-cercle  en  arrière.  Six  régimens  formaient 
le  côté  du  carré  faisant  face  à  la  ville  avec  les  grenadiers  de 
Louisbourg  et  deux  pièces  de  canon.  Trois  gros  régimens  formés 
en  potence  garnissaient  les  deux  autres  côtés.  Les  montagnards 
écossais  en  formaient  partie  avec  deux  pièces  de  canon.  C'était 
le  78e  régiment  fort  à  lui  seul  de  quinze  à  seize  cents  hommes. 
Un  autre  régiment  placé  en  réserve  dans  le  centre  des  lignes  était 
distribué  en  huit  divisions  pour  se  porter  là  où  le  besoin  l'exige- 
rait. 

L'action  commença  par  les  tirailleurs  canadiens  et  quelques 
Sauvages.     Ils  assaillirent  d'un  feu  très  vif  la  ligne  anglaise  qui 
essuya  cette  mousqueterie  sans  s'ébranler,  mais  en  faisant  des 
pertes.     Le  général  Wolfe  qui  savait  que  la  retraite  était  impos- 
sible s'il  était  battu,  parcourait  les  rangs  de  son  armée,  animait  les 
soldats,  faisait  mettre  deux  balles  dans  les  fusils  et  ordonnait  de 
ne  tirer  que  lorsque  les  Français  seraient  à  vingt  pas.     Ceux-ci 
qui  avaient  perdu  toute  leur  consistance  lorsqu'ils  arrivèrent  à  leur 
portéa,  ouvrirent  irrégulièrement,  et  dans  quelques  bataillons  de 
trop  loin,  un  feu  de  pelotons  qui  fit  peu  d'effet.     Ils  ne  conti- 
nuèrent pas  moins  cependant  d'avancer  ;  mais  en  arrivant  à  qua- 
rante pas  de  leurs  adversaires,  ils  furent  reçus  par  un  feu  si  meur- 
trier que  dans  le  désordre  où  ils  étaient  déjà,  il  fut  impossible  de 
régulariser  leurs  mouvemens,  et  en  peu  de  temps  tout  tomba  dans 
la  plus  étrange  confusion.     Le  général  Wolfe  saisit  ce  moment 
pour  charger  à  son  tour,  et,  quoique  déjà  blessé  au  poignet  par  un 
tirailleur,  il  prit  ses  grenadiers  pour  aborder  les  Français  à  la 
bayonnette,  lorsqu'ayant  à  peine  fait  quelques  pas  il  fut  atteint 
(l'une  seconde  balle  qui  lui  traversa  la  poitrine.     On  le  porta  en 
arrière,  et  ses  troupes,  dont   .a  plupart  ignorèrent  sa  mort  jus- 
qu'après la  bataille,  continuant  leur  mouvement  offensif  se  mirent 
à  la  poursuite  des  Français,  dont  une  partie,  saisie  d'une  terreur 
panique,  lâchait  le  pied  dans  le  moment  môme  pèle-môle,  malgré 
les  efforts  du  général  Montcalm  et  des  principaux  officiers  pour 
arrêter  le  désordre.     Une  des  personnes  qui  étaient  auprès  do 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


325 


Wolfe  «'étant  écriée:  Us  fuient  !  Qui?  demanda  le  géné- 
ral mourant,  sa  figure  s'animant  tout-à-coup.  Les  Français! 
lui  répondit-on.  Quoi  déjà!  alors  je  meurs  content,  dit  ce 
héros,  et  il  expira. 

Presqu'en  même  temps  le  colonel  Carleton  était  blessé  à  la 
tête,  et  le  chef  de  brigade  Monkton,  atteint  d'un  coup  de  feu, 
quittait  le  champ  de  bataille  et  le  commandement  de  l'armée  au 
général  Tovvnshend,  troisième  en  g.'ade,  et  chargé  du  comman- 
dement de  la  gauche. 

Les  vainqueurs  pressaient  alors  les  fuyards  de  toutes  parts  à  la 
bayonnette  ou  le  sabre  à  la  main.  La  résistance  ne  venait  guère 
plus  que  des  tirailleurs.  Le  chef  de  brigade  M.  Sènezergues  et 
le  baron  de  St.-Ours,  qui  remplissait  le  même  grade  dans 
celte  bataille,  tombèrent  mortellement  blessés  au  pouvoir  des 
ennemis.  Le  général  Montcalm,  qui  avait  déjà  reçu  deux 
blessures,  faisait  tous  ses  efforts  pour  rallier  ses  troupes  et  régu- 
lariser la  retraite  ;  il  se  trouvait  entre  la  porte  St.-Louis  et  les 
buttes  à  Neveu,  lorsqu'un  nouveau  coup  de  feu  dans  les  reins  le 
jeta  blessé  mortellement  en  bas  de  son  cheval.  Il  fut  emporté 
dans  la  ville,  où  se  jetait  une  partie  des  Français,  tandis  que 
l'autre,  la  plus  considérable,  fuyait  vers  le  pont  de  bateaux  de  la 
rivière  St.-Charles.  Le  gouverneur  arriva  de  Beauport  au 
moment  où  les  troupes  se  débandaient.  Il  rallia  mille  Canadiens 
entre  les  portes  St.-Jean  et  St.-Louis,  avec  lesquels  il  arrêta  par 
un  feu  très  nourri  quelque  temps  l'ennemi  et  sauva  les  fuyards.' 
La  déroute  ne  fut  totale  que  parmi  les  troupes  réglées.  Les 
Canadiens  combattirent  toujours  quoiqu'on  retraitant  ;  et  ils  for- 
cèrent à  la  faveur  des  petits  bois  dont  ils  étaient  environnés, 
plusieurs  corps  anglais  à  plier,  et  ne  cédèrent  enfin  qu'à  la  supé- 
riorité du  nombre.  C'est  dans  cette  résistance  que  les  vainqueurs 
éprouvèrent  les  plus  grandes  pertes.  Trois  cents  montagnards 
écossais,  revenant  de  la  poursuite  vers  la  rivière  St.-Charles, 
furent  ainsi  attaqués  par  eux  sur  le  coteau  Ste.-Geneviève  et 
obligés  de  reculer  jusqu'à  ce  quv^  deux  régimens  envoyés  à  leur 
secours  vinssent  les  dégager. 

Le  colonel  de  Bougainville  qui  était  au  Cap-Rouge,  ne  reçut 
qu'à  8  heures  du  matin  l'ordre  de  miirchersur  les  plaines  d'Abra- 

•  Dépêches  de  M.  de  Vaudreuil  et  de  quelques  autres  officiers  au  ministre. 


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NISTOlRii:   DU    CANADA. 


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ham  ;  il  se  mit  immédiatement  en  chemin  avec  à-peu-près  la 
moitié  de  ses  troupes  à  cause  de  leur  dispersion  jusqu'à  la  Pointe- 
aux-Trembles, mais  n'ayant  pu  arriver  assez  tôt  pour  prendre 
part  à  l'action,  et  voyant  tout  perdu  lorsqu'il  atteignit  les  derrières 
du  champ  de  bataille,  il  se  retira.  Les  Anglais  ne  jugèrent  pas 
à  propos  de  profiter  de  la  confusion  de  leurs  adversaires  pour  péné  • 
trer  dans  Québec,  ou  s'emparer  du  camp  de  Beauport,  que  purent 
regagner  ensuite  les  troupes  qui  s'étaient  retirées  dans  la  ville. 

Telle  lut  l'issue  de  la  première  bataille  d'Abraham  qui  décida 
de  la  possession  d'une  contrée  presqu'aussi  vaste  que  la  moitié 
de  l'Europe.  La  perte  des  Français  dans  cette  fatale  journée  fut 
considérable  ;  elle  se  monta  à  près  de  mille  hommes  y  compris 
250  prisonniers  qui  tombèrent  entre  les  mains  des  vainqueurs 
avec  la  plupart  des  blessés.  Trois  officiers  généraux  moururent 
de  leurs  blessures.  Celle  des  Anglais  s'éleva  à  un  peu  moins 
de  700  hommes,  parmi  lesquels  se  trouvaient  les  principaux 
officiers  de  l'armée,  outre  le  général  en  chef. 

Le  général  Montcalm,  reconnut,  mais  trop  tard,  la  faute  qu'il 
avait  faite.  Il  pouvait  attendre  l'arrivée  du  colonel  Bougainville 
et  tirer  la  garnison  de  la  ville  et  les  corps  qu'il  avait  laissés  dans 
le  camp,  et  avec  toutes  ces  forces  réunies  attaquer  les  ennemis 
en  tête  et  en  queue  comme  Wolfe  semblait  l'avoir  appréhendé 
en  rangeant  son  armée  en  carré.  Il  pouvait  aussi  se  retrancher 
sur  les  buttes  à  Neveu,  et,  comme  la  saison  était  avancée,  attendre 
les  Anglais  dans  ses  lignes  en  épiant  tous  leurs  mouvemens,  ce 
qui  les  aurait  mis  dans  l'obligation  de  combattre  avec  désavan- 
tage, car  le  temps  les  pressait.  Après  ces  premières  fautes,  il 
en  commit  une  autre  presqu'aussi  grave  en  rangeant  son  armée 
sur  une  seule  ligne,  sans  se  donner  le  temps  de  tirer  l'artillerie 
de  campagne  qu'il  y  avait  dans  la  ville  afin  de  contrebalancer 
l'infériorité  de  ses  troupes  sous  le  rapport  de  la  discipline  et  du 
nombre.  On  lui  reproche  encore,  son  armée  étant  partielle- 
ment composée  de  milices,  d'avoir  voul'  /ombattre  en  bataille 
rangée.  On  dit  "  qu'il  devait  attendre  i  onnemi  et  profiter  de  la 
nature  du  terrain  pour  placer  par  pelotons  dans  les  bouquets  de 
broussailles  dont  il  était  environné  les  Canadiens,  qui  arrangés  de 
la  sorte,  surpassaient  par  l'adresse  avec  laquelle  ils  tiraient  toutes 
les  troupes  de  l'univers." 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


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Quoiqu'il  en  soit  de  ces  fautes,  il  sembla  qu'il  les  avait  suffi- 
samment expiées  par  sa  mort  ;  et  devant  ses  dépouilles  funèbres 
on  ne  voulut  se  rappeler  que  ses  triomphes  et  sa  bravoure.     Les 
Canadiens  et  les  Français  pleurèrent  sa  perte  comme  un  malheur 
public.     Il  avait  su  acquérir  une  grande  influence  sur  les  uns  et 
sur  les  autres  par  la  vivacité   de  sa  parole  et  l'entraînement  de 
son  courage.     On  ne  croyait  que  lui  capable  de  livrer  une  bataille 
et  de  la  gagner.     On  semblait  ignorer  qu'il  restait  un  officier 
général  supérieur  à  lui,  sous  bien  des  rapports,  le  chevalier  de 
Levis.     MontcaUn  rendit  le  dernier  soupir  le  lendemain  matin 
au  château  St.-Louis,  et  fut  enterxé  le  même  soir,  à  la  clarté  des 
flambeaux,  dans  l'église  conventvelle  des  Ursulines  en  présence 
de  quelques  officiers.     Montcalm  avait  montré  en  Canada  toutes 
les  qualités  et  tous  les  défauts  qu'on  avait  déjà  remarqués  en  lui. 
Il  était  plus  brillant  par  les  avantages  d'une  mémoire  ornée  que 
profond  dans  l'art  de  la  guerre  ;  brave  mais  peu  entreprenant,  il 
négligea  la  discipline  des  troupes  et  ne  proposa  jamais  aucune 
entreprise  importante.     Il  ne  voulait  pas  attaquer  Oswégo  s'il 
n'y  eût  été  forcé  pour  ainsi  dire  par  les  reproches  que  lui  fit  sur 
sa  timidité,  M.  de  Rigaud,  homme  d'un  esprit  borné,  mais  officier 
plein  de  valeur  et  d'audace,  accoutumé  à  la  guerre  des  bois  ;  il 
aurait  abandonné  aussi  le  siège  du  fort  William-Henry  sans  le 
chevalier  de  Levis,  et  encore  devant  Québec,  dans  le  printemps, 
n'osant  se  flatter  de  pouvoir  résister  au  premier  effiart  du  général 
Wolfe,  il  parlait  de  lui  abandonner  cette  place  dans  le  moment 
même  qu'il  en  faisait  dépendre  le  sort  du  Canada.     Ses  divisions 
avec  le  gouverneur  dont  il  afiectait  de  dédaigner  les  avis,  eurent 
des  suites  déplorables.     La  popularité  qu'il  avait  su  acquérir 
parmi  les  habitans  et  les  soldats  l'avait  rendu  de  plus  en  plus 
indépendant  du  chef  de  la  colonie.     Il  n'avait  cessé  de  le  décrier 
auprès  de  ceux  qui  formaient  sa  société  ;  il  le  traitait  d'homme 
incapable,  irrésolu,  sans  foi,  et  par  un  artifice  qui  ne  réussit  que 
trop  souvent,  il  établissait  sa  réputation  en  ruinant  celle  de  son 
supérieur.     Du  reste,  il  avait  de  l'esprit,  le  goût  de  l'étude,  et  des 
connaissances  étendues  qui  le  firent  admettre  peu  de  temps  avant 
sa  mort  à  l'académie  royale  des  inscriptions  et  belles  lettres  de 
Paris.     Il  aimait  le  luxe  et  était  désintéressé.     Il  devait  au  trésor 
10,000  écus  qu'il  avait  empruntés  pour  soutenir  son  rang  et  sou- 


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32S 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


lager  ses  officiers  dans  la  disette  de  tout  où  l'on  se  trouvait  en 
Canada.  Son  ambition  et  le  désir  trop  peu  caché  de  supplanter 
M.  de  Vaudreuil,  furent  une  des  causes  de  la  désunion  à  laquelle 
on  peut  attribuer  principalement  le  désastre  que  l'on  venait  d'es- 
suyer. 

Le  soir  même  de  la  bataille,  le  gouverneur  tint  un  conseil  de 
guerre  où  toi'»  les  officiers  opinèrent  pour  se  retirer  derrière  la 
rivière  Jacques  Cartier,  afin  de  conserver  une  ligne  de  retraite  et 
la  communication  *avec  les  magasins  de  l'armée,  motif  qui  avait 
pu  contribuer  à  déterminer  la  conduite  du  général  Montcalm  le 
matin.  Le  gouverneur,  l'intendant  et  le  colonel  Bougainville 
étaient  d'une  opinion  contraire,  et  voulaient  tenter  une  seconde 
fois  le  sort  des  armes  ;  mais  la  majorité  l'emporta.  Montcalm, 
que  l'on  consulta,  répondit  qu'il  restait  trois  partis  à  prendre,  à 
savoir  :  attaquer  l'ennemi  une  seconde  fois,  se  retirer  à  Jacques 
Cartier  ou  capituler  pour  toute  la  colonie. 

Le  marquis  de  Vaudreuil,  après  cette  résolution,  envoya  120 
soldats  pour  renforcer  la  garnison  de  Québec  toute  composée  de 
citoyens  et  de  matelots,  lesquels  avaient  été  engagés  pendant  la 
bataille  avec  les  batteries  de  la  Pointe-Lévy,  et  écnvit  à  M.  de 
Ramesay  pour  le  prévenir  de  ne  pas  attend.-e  que  l'ennemi 
l'emportât  d'assaut,  et  d'arborer  le  drapeau  blanc  aussitôt  qu'il 
manquerait  de  vivres.  L'armée  craignant  à  tout  instant  d'être 
coupée  de  ses  magasins,  commença  sa  retraite  à  l'entrée  de  la 
nuit.  Afin  qu'on  ne  s'aperçût  pas  de  ce  funeste  mouvement, 
elle  laissa  le  camp  de  Beauport  tendu,  les  tentes  debout,  abandonna 
faute  de  moyens  de  transport,  une  partie  des  bagages,  l'artillerie 
et  les  munitions,  et  défila  dans  le  plus  profond  silence  par  la  jeune 
et  l'ancienne  Lorette,  traversa  St.-Augustin  et  arriva  à  la  Pointe- 
aux-Tremb!es  le  14  au  soir.  Le  colonel  Bougainville,  comman- 
dant l'arrière-garde,  s'établit  à  St.-Augustin.  Ce  mouvement 
était  fatal  de  toute  manière  ;  il  laissait  Québec  à  lui-même  sans 
Boldats  et  sans  provisions  de  bouche;  il  exposait  l'a.inée  à 
l'anéantissement,  parce  que  l'on  ne  devait  pas  s'attendre  que  les 
miliciens  de  cette  partie  abandonneraient  leurs  familles  sans 
pain,  leurs  récoltes  encore  sur  pied  là  où  elles  n'avaient  pas  été 
ravagées,  pour  aller  on  ne  savait  où.  Aussi  la  désertion  fut-elle 
considérable  ;  les  cultivateurs  quittaient  les  drapeaux  poui-  rentrer 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


32U 


dans  leurs  foyers,  et  beaucoup  d'autres  pour  piller  dans  les  cam- 
pagnes. Le  lendemain  on  atteignit  Jacques  Cartier,  et  Tarriùre- 
garde  la  IVmte-aux-Trembles,  où  l'on  résolu!  d'attendre  le 
chevalier  de  Levis  qui  descendait  en  toute  hâte,  comme  on  l'a  dit 
plus  haut. 

Il  arriva  le  17.  En  parlant  de  Montréal  il  avait  envoyé  ses 
ordres  sur  les  frontières  de  l'Ouest  pour  la  subsistance  des  troupes, 
subsistance  qui  manquait  sans  cesse,  et  pour  l'acheminement 
immédiat  sur  l'armée  battue  des  outils,  de  l'artillerie  et  des  muni- 
tions de  guerre  et  de  bouche  qui  pouvaient  être  disponibles.  Il 
eut  en  rejoignant  le  quartier  général,  une  entrevue  avec  le 
gouverneur,  et  lui  représenta  qu'il  fallait  absolument  arrêter  la 
retraite  ;  que  pour  empêcher  la  désertion  et  mettre  fin  au  désordre 
qui  régnait,  le  seul  moyen  était  de  marcher  en  avant  ;  qua  l'on 
devait  tout  hasarder  pour  prévenir  la  prise  de  Québec,  et  dans  le 
cas  extrême  en  faire  sortir  la  population  et  détruire  la  ville  afin 
d'empêcher  l'ennemi  d'y  passer  l'hiver,  résolution  patriotique  qui, 
mise  à  exécution,  eût  pu  sauver  le  Canada.  Il  observa  que  les 
Anglais  n'étaient  pas  assez  nombreux  pour  garder  la  circonvalla- 
tion  de  la  place  et  empêcher  d'y  communiquer  ;  qu'il  fallait  se 
rassembler  et  faire  ses  dis|)ositions  pour  les  menacer  ;  profiter  des 
bois  du  Cap-Rouge,  de  Ste.-Foy  et  de  St.-Michel  pour  s'appro- 
cher d'eux,  et,  s'ils  venaient,  pour  les  combattre,  parce  que  se 
trouvant  entre  deux  feux  ils  n'oseraient  pas  faire  de  siège  ;  qu'il 
y  avait  raison  de  croire  qu'ils  viendraient  attaquer  ;  que  si  l'on 
était  battu,  l'on  retraiterait  sur  le  haut  de  la  rivière  du  Cap-Rouge 
en  laissant  un  gros  détachement  dans  le  bas,  et  en  facilitant  la 
sortie  de  la  garnison  après  qu'elle  aurait  incendié  la  ville  ;  qu'un 
mouvement  offensif  arrêterait  la  désertion  des  habitans,  et  ferait 
revenir  un  grand  nombre  de  ceux  du  gouvernement  de  Québec. 
Le  marquis  de  Vaudreuil  approuva  tout,  et  ces  deux  chefs  dépê- 
chèrent sur-le-champ  des  courriers  au  commandant  de  la  place 
pour  l'informer  que  l'on  marchait  à  son  secours.  Le  départ  de 
l'armée  elle-même  fut  différé  au  lendemain  faute  de  vivres. 
Comme  l'on  savait  que  la  ville  en  manquait  aussi,  M.  de  la 
Rochebeaucourt  fut  chargé  d'y  pénétrer  avec  cent  chevaux  portant 
des  sacs  de  biscuit  ;  û  fit  part  aux  habitans  du  retour  des  troupes, 
qui  vinrent  coucher  le   18,  le  corps  principal  à  la  Pointe-aux- 


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330' 


HISTOIRS    DT;    CANADA. 


Trembles  et  M.  de  Bougainvillo  avec  l'avant-garde  sur  le  haut  de 
la  rivière  du  Cap-Rouge. 

Le  général  do  Levis  prenait  le  commandement  do  l'armée  au 
moment  où  les  nlVaires  étaient  dans  une  situation  désespérée  ; 
mais  c'était  un  de  ces  hommes  dont  les  circonstances  d.iflicilcs 
font  ressortir  avec  éclat  les  talens  et  l'énergie.  Il  était  né  au 
château  d'Ajac  en  Languedoc,  de  l'une  des  plus  anciennes  mai- 
sons de  France.  Entré  de  bonne  heure  au  service,  il  s'était  fait 
remarquer  par  son  activité  et  sa  bravoure.  En  Canada  il  avait 
montré  un  esprit  sobre,  réfléchi,  attentif  à  ses  devoirs  et  sévèro 
pour  la  discipline  des  troupes,  (jualité  assez  ra';e  à  cette  époque 
dans  les  armées  françaises  ;  et  la  suitJ  des  événemcns  prouva 
que  si  le  résultat  ne  fut  pas  plus  favoraole,  la  fe.ute  n'en  pouvait 
rejaillir  sur  lui. 

Le  lendemain  19,  il  marcha  sur  Lorette  et  M.  de  Bougainville 
sur  la  rivière  St.-Charles,  où  celui-ci  apprit  que  la  ville  venait  de 
se  rendre  malgré  les  ordres  positifs  qui  avaient  été  envoyés  au 
commandant  de  rompre  les  négociations,  et  la  réponse  de  cet 
officier  qu'il  allait  s'y  conformer.  Cette  nouvelle  parvint  au 
général  en  chef  à  St.-Augustin.  Il  ne  put  contciiir  son  indignation 
et  l'exprima  dans  les  termes  les  plus  amers.  Mais  le  mal  était 
sans  remède.  "* 

L'abandon  du  camp  de  Beauport  avait  jeté  la  désolation  dans 
la  ville.  Les  négocians,  nationaux  et  forains,  qui  composaient  les 
officiers  de  milice,  s'assemblèrent  chez  M.  Daine,  lieutenant- 
général  de  police  et  maire  de  Québec,*  et  présentèrent  à  M.  de 
Ramesay  une  requête  pour  l'engager  à  capituler.f  Cet  officier 
interprétant  d'une  manière  trop  large  les  instructions  du  gouver- 
neur de  ne  pas  attendre  l'assaut  pour  se  rendre,  eut  la  faiblesse 
de  consentir  à  cette  demande. 


ngtemps  on  n'en 

jui  faire  sortir  ce 

i/ijs  réel  de  lieutenant 


*  On  voit  apparaître  ici  tout-à-coup  un  maire, 
entendait  plus  parler.     Il  fallait  un  grand  é'"' 
nom  totalement  éclipsé  par  le  titre  plus  •' 
de  police. 

t  "  Mémoire  du  sieur  de  Ramesay,  clievu..^r  de  l'ordre  royal  et  militaire 
de  St.-Louis,  ci-devant  lieutenant  pour  le  Roy,  commandant  à  Québec,  au 
sujet  de  la  reddition  de  cette  ville,  qui  a  été  suivie  de  la  capitulation  du  18 
sept.  1759 — présenté  à  la  cour  après  son  retour  en  France."  Manuscrit; 
copie  apportée  de  Paris  et  tirée  des  archives  du  gouvernement. 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


331 


La  reddition  de  Québec  fut  la  conséquence  du  découragement 
que  les  propos  inconsidérés  de  Montcalrn  avaient  répandu  i)aruu 
les  troupes.  Un  seul  des  olliciers  de  la  garnison,  M.  de  l'icd- 
inont,  jeune  homme  dont  le  nom  mérite  d'être  conservé,  se 
déclara  dans  le  conseil  de  guerre  pour  la  défense  jusqu'à  la  dernière 
extrémité.  Quoicpie  l'on  manquât  de  vivres,  ([uc  par  la  négli- 
gence de  la  métropole  les  fortifications  n'eussent  été  que  com- 
mencées et  que  l'on  pût  être  facilement  enlevé  d'un  coup  de 
main,  l'ennemi  n'avait  encore  rien  fait  qui  put  faire  craindre  un 
assaut,  et  l'on  savait  que  le  général  de  Levis  arrivait. 

En  etTet  les  Anglais  ne  songeaient  point  à  emporter  Québec 
par  escalade.  Immédiatement  après  la  bataille  ils  achevèrent 
les  redoutes  qu'ils  avaient  commencées  autour  de  leur  camp,  et 
se  mirent  en  frais  d'élever  des  batteries  sur  les  buttes  à  Neveu  en 
face  du  rempart  qu'elles  commandent  dans  sa  plus  grande  lon- 
gueur, pour  le  battre  en  brèche.  Il  leur  fallait  encore  deux  ou 
trois  jours  pour  mettre  en  état  de  tirer  ces  batteries,  qui  auraient 
consisté  en  60  pièces  de  canon  et  .^8  mortiers,  lorsqu'ils  virent 
avec  surprise  arborer  le  drapeau  blanc.  La  garnison  à  l'aspect 
d'une  colonne  de  troupes  en  marche  et  des  plus  gros  vaisseaux 
de  la  flotte  anglaise  qui  s'avançaient,  s'était  crû  menacée  d'une 
double  attaque  du  côté  de  la  campagne  et  du  côté  du  port,  et 
inspirée  par  l'intérêt  mercantile,  s'était  empressée  de  proposer 
une  capitulation,  dont  le  général  Tovvnshend  accepta  tous  les 
articles  excepté  le  premier,  qui  portait  que  la  garnison  sortirait 
avec  les  honneurs  de  la  guerre  et  huit  pièces  de  canon  pour  aller 
rejoindre  l'armée  française  à  Jacques  Cartier,  et  qui  fut  modifié 
de  manière  à  ce  qu'elle  fût  transportée  en  France.  Le  lende- 
main, 18  septembre,  la  ville  fut  remise  aux  assiégeans  qui 
furent  obligés  de  fournir  six  boucauts  de  biscuit  pour  la  nourri- 
ture du  peuple  et  de  4  à  500  blessés  dans  les  hôpitaux,  qui 
n'avaient  rien  eu  à  manger  depuis  24'  heures.  Par  les  termes  de 
cette  capitulation  les  habitans  étaient  maintenus  dans  leurs  privi- 
lèges et  la  propriété  de  leurs  biens  avec  le  libre  exercice  de  leur 
religion  jusqu'à  la  paix  définitive.  Ainsi  la  faiblesse  d'un 
conseil  de  guerre,  composé  d'olficiers  subalternes,  rendit  irrépa- 
ra!)les  les  suites  d'un  échec  (jui  aurait  pu  être  réparé. 

Malgré  la  perte  de  leur  capitale,  que  les  habitans  attribuèrent 


1 


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332 


HISTOm£   DU    CANADA. 


à  la  trahison,  "  ces  braves  gens,  dit  Sismondi,  aussi  Français  de 
coeur  que  s'ils  avaient  vécu  au  milieu  de.  la  France,"  ne  s'aban- 
donnèrent point.  Quoique  Québec  eût  été  détruit  par  un  bom- 
bardement continuel  de  deuK  mois,  que  les  côtes  de  Beaupré  et 
l'île  d'Orléans,  ainsi  que  36  lieues  de  pays  établi,  contenant  19 
paroisses  sur  la  rive  droite  du  fleuve,  eussent  été  incendiées  pen- 
dant que  la  population  mâle  était  à  l'armée  ;  que  les  habitans 
eussent  perdu  leurs  hardes,  leurs  meubles,  leurs  instrumens  d'agri- 
culture et  presque  tous  leurs  chevaux  et  tous  leurs  bestiaux,  et 
fussent  obligés  en  retournant  sur  leurs  terres  avec  leurs  femmes 
et  leurs  enfans  de  s'y  cabaner  à  la  façon  des  Indiens  ;  quoi 
qu'aussi  un  grand  nombre  d'iiabitans  de  Ql  ;c  et  des  campagnes, 
faute  de  vivres,  se  trouvassent  dans  la  nécessité  d'émigrer  dans 
les  gouvernemens  des  Ti  ois-Rivières  et  de  Montréal  pour  y  trou- 
ver des  secours  ;  enfin,  malgré  tous  ces  désastres  et  qu'ils  redou- 
tassent les  Sauvages  encore  plus  que  l'ennemi  lui-même,  ils  ne 
parlèrent  point  de  se  rendre,  et  demandèrent  à  marcher  de  nou- 
veau au  combat  :  c'était  l'opiniâtreté  vendéenne,  c'était  la  déter- 
mination indomptable  de  cette  race  à  laquelle  appartiennent  la 
plupart  des  Canadiens,  et  dont  Napoléon  appréciait  tant  la  bra- 
voure, le  caractère  et  le  dévoûment  sans  borne. 

En  apprenant  la  reddition  de  la  capitale,  ie  général  de  Levis 
ne  vit  point  d'autre  parti  à  prendre  pour  le  moment  que  de  se 
fortifier  sur  la  rivière  Jacques  Cartier,  à  neuf  lieues  de  distance, 
où  il  rétrograda  en  laissant  quelques  petits  détachemens  sur  diffé- 
rens  points  de  sa  route.  Il  fit  commencer  un  fort  sur  la  rive 
droite  de  cette  rivière  qui  le  couvrait  et  dont  le  passage  était 
facile  à  défendre.  L'armée  resta  ainsi  dans  sa  nouvelle  posi- 
tion jusqu'à  la  fin  de  la  campagne,  M.  de  Vaudreuil  ayant  trans- 
porté le  siège  du  gouvernement  à  Montréal,  où  il  s'était  retiré 
lui-même.  Les  Canadiens  regagnèrent  leurs  foyers  dans  les  der- 
niers jours  d'octobre.  Peu  de  temps  après  les  troupes  quittèrent 
de  toutes  parts  les  frontières  pour  venir  prendre  leurs  quartiers 
d'hiver  dans  les  gouvernemens  de  Montréal  et  des  Trois-Rivières. 
On  laissa  seulement  de  petits  détachemens  dans  les  postes  avan- 
cés, dont  la  position  indique  ce  qui  restait  à  la  France  à  la  fin  de 
59  de  ces  immenses  territoires  qu'elle  était  naguère  encore  si 
fière  de  posséder.    300  hommes  reatèrent  chargés  de  la  garde 


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HISTOIRE  DU  CANADA. 


333 


du  fort  de  Levis  entre  la  Présentation  et  la  tête  des  rapides  du 
St.-Laurent  aux  ordres  de  M.  Desandrouins,  ingénieur;  400 
hommes,  commandés  par  M.  de  Lusignan,  eurent  ordre  de  se 
maintenir  à  l'île  aux  Noix  dans  le  lac  Charaplain,  où  le  général 
Amherst  n'avait  fait  aucun  progrès,  lesquels  devaient  être  soute- 
nus par  300  autres  placés  à  St.-Jean  ;  et  enfin  600  hommes 
furent  laissés  à  Jacques  Cartier  sous  le  commandement  de  M. 
Dumas,  major-général  des  troupes  de  la  marine,  dont  2  à  300 
jetés  en  avant  à  la  Pointe-aux-Trembles  sous  les  ordres  de  M, 
de  Repentigny. 

Après  avoir  ainsi  réglé  la  disposition  de  ses  troupes  pour  l'hiver, , 
le  général  de  Levis  rejoignit  le  gouverneur  à  Montréal  le  14 
novembre,  et  tous  deux  députèrent  avec  leurs  dépêches  le  com- 
mandant d'artillerie  Lemercier  à  Paris,  pour  instruire  le  roi  de  la 
situation  du  Canada  et  des  secours  dont  il  avait  besoin.  Cet  offi- 
cier s'embarqua  à  Montréal  dans  un  navire  qui  parvint  en  France 
sans  accident,  après  être  passé  devant  Québec  inaperçu. 

Après  la  capitulation  de  Québec,  les  troupes  anglaises  restèrent 
campées  dans  les  environs  en  attendant  qu'on  eût  pourvu  à  leur 
logement  dans  l'intérieur.  Elles  ne  songèrent  point  à  pousser 
plus  loin  leur  succès  pour  cette  année.  Il  fut  résolu  de  relever 
ou  de  réparer  sans  délai  500  maisons,  et  de  garder  toute  l'armée 
pour  former  la  garnison  de  la  ville  jusqu'à  la  prochaine  cam- 
pagne, sauf  les  trois  compagnies  de  grenadiers  de  Louisbourg  et 
cinq  compagnies  de  rangers,  qui  se  rembarquèrent  sur  la  flotte, 
et  firent  voile  pour  l'Angleterre  ou  les  anciennes  colonies.  Le 
général  Murray  fut  nommé  gouverneur  de  Québec.  La  garnison 
se  composait  le  24  décembre,  après  le  départ  des  huit  compa- 
gnies dont  l'on  vient  de  parler,  de  8,200  hommes  de  troupes  de 
ligne  sans  compter  les  officiers,  l'artillerie,  et  les  rangers  qui  res- 
tèrent, le  tout  formant  encore  plusieurs  centaines  de  combattans.* 

•  M.  Smith  dans  son  histoire  du  Canada  dit  5,000,  quoique  les  auteurs 
qu'il  a  suivis  presque  textuellement,  Knox  et  Mante,  disent  plus  de  7,000 
hommes.  J'ai  découvert  récemment  dans  les  archives  du  secrétariat  pro- 
vincial à  Québec  un  registre  des  ordonnances  de  paiement  des  troupes  sous 
les  ordres  du  général  Murray,  qui  doit  fixer  désoT  lais  cette  question.  Ces 
ordonnances  contiennent  le  chiffre  exact  de  chaque  régiment,  sauf  les  officiers  ; 
et  voici  ce  qu'il  était  le  24  décembre  1759  : 


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334» 


HISTOIKE    DU    CANADA. 


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Elle  se  mit  de  suite  en  frais  de  débarquer  de  la  flotte  des  vivres 
pour  une  année,  les  munitions  et  tout  le  matériel  de  guerre  néces- 
saire ;  de  déblayer  les  rues,  de  niveler  les  redoutes  élevées  dans 
les  plaines  d'Abraham  et  d'eu  élever  d'autres  en  face  du  rempart 
sur  le  sommet  de  la  falaise  qui  borde  le  St.-Laurent,  enfin,  de 
fortifier  le  rempart  déjà  existant,  et  de  le  couvrir  d'artillerie  pour 
pouvoir  soutenir  un  siège  en  cas  de  besoin.  '"■'■  '-•'  •  ■ 

Tel  fut  le  résultat  de  la  campagne  de  59.  Les  Français  se 
trouvaient  resserrés  entre  Québec,  la  tète  du  lac  Champlain  et 
Frontenac,  coupés  de  la  mer  et  manquant  de  tout,  soldats,  argent, 
munitions  de  guerre  et  de  bouche.  Les  deux  armées  anglaises 
qui  avaient  attaqué  le  Canada  par  mer  et  parterre  ne  se  trouvaient 
plus  qu'à  environ  70  lieues  l'une  de  l'autre,  et  prêtes  à  tomber 
sur  le  centre  du  pays  le  printemps  suivant  avec  un  grand  accrois- 
sement de  forces.  Le  général  Amherst  qui  s'était  avancé  jusqu'au 
fort  St.-Frédéric,  n'avait  pu  pénétrer  au-delà.  Il  laissa  de  fortes 
garnisons  à  Crown-Point  et  au  fort  Carillon,  dont  il  avait  relevé 
les  ruines  et  changé  le  roai  pour  celui  de  Ticondéroga,  et  alla 
passer  l'hiver  à  New-York,  pour  être  à  portée  de  communiquer 
plus  facilement  avec  la  métropole  et  les  différentes  colonies  sur 
le  plan  d'opérations  de  la  prochaine  campagne. 

Quant  au  Détroit  et  aux  autres  postes  supérieurs,  ils  étaient 
encore,  il  est  vrai,  en  notre  pouvoir;  mais  par  la  perte  de  Fronte- 
nac, ils  ne  devaient  plus  attendre  de  secours  que  de  la  Louisiane, 
qui  devint  dès  lors  leur  point  d''appui  et  leur  seule  ligne  de  retraite 
en  cas  de  malheur. 


Hommes. 

47e  régiment 680 

35e        "       876 

43a        "       693 

58e       , 653 

78e  (montagnards  écos- 
«ftis) .1377 


Hommes. 

2d  bataillon  de  fusiliers 871 

3e        "  "     930 

28e  régiment 623 

48e        "  "     882 

15e        "       619 


8,204 


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CHAPITRE  II. 


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SECONDE  BATAILLE  D'ABRAHAM  ET  DERNIÈRE 
VICTOIRE  DES  FRANÇAIS. 

CESSION  DU   CANADA    A    l'aNGLETERUE   ET    DE    LA    LOUISIANE 
,  A   l'eSPAGNE. 

1760-1763. 

Sentimens  divers  que  la  prise  de  Québec  cause  en  Angleterre  et  en  France. 
— Les  ministres  de  Louis  XV  abandonnent  le  Canada  à  lui-même. — 
La  Grande-Bretagne  organise  trois  armées  pour  achever  sa  conquête.— 
Mesures  que  l'on  adopte  pour  résister  à  cette  triple  invasion. — Forets  re- 
latives des  Français  et  des  Anglais. — Le  général  de  Lavis  marche  sur 
Québec. — Seconde  bataille  d'Abraham. — Défaite  complète  de  l'armée 
anglaise,  qui  se  renferme  dans  la  ville  et  que  les  Français  assiègent  en 
attendant  les  secours  qu'ils  avaient  demandés  de  France. — Persuasion  où 
l'on  est  dans  les  deux  armées  que  le  Canada  restera  à  celle  qui  recevra  les 
premiers  renforts. — Arrivée  d'une  flotte  anglaise. — Le  général  de  Levis 
lève  le  siège  et  commence  sa  retraite  sur  Montréal  ;  le  défaut  de  vivres 
l'oblige  de  renvoyer  les  milices  et  de  disperser  les  troupes  régulières.— 
Etat  des  frontières  du  côté  des  lacs  Champlain  et  Ontario. — Les  ennemis 
se  mettent  en  mouvement  pour  attaquer  jNIontréal. — Le  général  Murray 
s'avance  de  Québec  avec  4,000  hommes  ;  le  chef  de  brigade  Haviland 
avec  un  corps  presqu'aussi  nombreux  descend  le  lac  Champlain  et  le 
général  Amherst  part  du  lac  Ontario  avec  11,000  soldats  et  Indiens. — Les 
Français  se  retirent  et  se  concentrent  sur  Montréal  au  nombre  de  3,500 
soldats. — Impossibilité  d'une  plus  longue  résistance  et  capitulation  géné- 
rale.— Triomphe  et  réjouissances  de  l'Angleterre. — Procès  et  condamna- 
tion des  dilapidateurs  du  Canada  à  Paris. — Situation  des  Canadiens. 

Pertes  immenses  qu'ils  font  sur  les  ordonnances  et  lettres  de  change  du 
gouvernement  déchu. — Continuation  de  la  guerre  dans  les  autres  parties 
du  monde;  paix  de  1763,  par  laquelle  le  Canada  est  cédé  à  l'Angleterre 
et  la  Louisiane  à  l'Espagne. — Tableau  de  la  France  au  temps  de  ce  traité 
trop  fameux,  par  Sismondi. 

Après  les  défaites  que  l'Angleterre  essuyait  depuis  cinq  ans  en 
Canada,  la  nouvelle  de  la  prise  de  Québec,  ce  lieu  fort  si 
renommé  du  Nouveau-Monde,  la  remplit  de  joie.  Londres  et 
les  principales  villes  du  royaume  présentèrent  des  adresses  de 
félicitation  au  chef  de  l'état,  dont  Pitt  dut  s'applaudir  en  secret, 
parce  que  c'était  à  lui  qu'en  revenait  la  plus  grande  gloire.    Le 


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336 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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parlement  ordonna  que  les  cendres  du  héros  à  qui  l'on  devait  une 
si  brillante  conquête,  fussent  déposées  dans  le  temple  de  West-  . 
minster  au  milieu  des  grands  hommes  de  la  patrie,  et  qu'un 
monument  y  fut  élevé  à  sa  mémoire.  Il  vota  des  remercîmens 
aux  généraux  et  aux  amiraux  qui  avaient  fait  partie  de  l'expé- 
dition, et  le  roi  ordonna  que  des  actions  de  grâce  publiques  fus- 
sent rendues  dans  tout  l'empire. 

En  France,  où  le  peuple  exclu  du  gouvernement,  ne  pouvait 
manifester  ses  sentimens  sur  la  honte  des  actes  du  pouvoir  que 
par  le  mépris  qu'il  avait  pour  ceux  qui  en  étaient  chargés,  il  y  a 
long-temps  que  l'on  avait  perdu  l'espoir  de  conserver  ces  belles 
contrées  pour  la  défense  desquelles  tant  de  sang  et  tant  d'héroïsme 
n'étaient  plus  qu'un  sacrifice  dans  le  grand  désastre  qui  allait  ter- 
miner l'un  des  derniers  drames  de  la  vieille  monarchie.  La  perte 
du  boulevard  de  l'Amérique  française  et  la  mort  de  Montcalm  ne 
surprirent  point,  mais  elles  firent  une  impression  pénible  dans  le 
public.  A  la  cour  de  Louis  XV  énervée  par  des  orgies,  l'on 
regarda  la  partie  comme  si  bien  perdue  que  l'on  ne  pensa  guère 
à  secourir  ces  sentinelles  avancées,  qui  voulaient  encore  com- 
battre, sinon  pour  triompher  du  moins  pour  sauvegarder  l'hon- 
neur national  et  reconquérir  la  supériorité  des  armes. 

"  L'Europe  entière  aussi,  dit  Raynal,  crut  que  la  prise  de 
Québec  finissait  la  grande  querelle  de  l'Amérique  septentrionale. 
Personne  n'imaginait  qu'une  poignée  de  Français,  qui  manquaient 
de  tout,  à  qui  la  fortune  même  semblait  interdire  jusqu'à  l'espé- 
rance, osassent  songer  à  retarder  une  destinée  inévitable."  On 
ne  connaissait  pas  leur  courage,  leur  dévoûment  et  les  glorieux 
combats  qu'ils  avaient  Hvrés  et  qu'ils  pouvaient  livrer  encore  dans 
ces  contrées  lointaines  où,  oubliés  du  reste  du  monde,  ils  ver- 
saient généreusement  leur  sang  pour  leur  pays.  On  ignorait  que 
cette  guerre  était  une  guerre  de  races,  qu'on  ne  poserait  les 
armes  que  lorsque  l'on  serait  enveloppé,  écrasé  par  les  masses 
ennemies,  et  que  jusque-là  l'on  ne  voulait  })a8  perdre  espérance. 

Les  Canadiens  qui  croyaient  que  le  gouvernement  allait  ou  du 
moins  devait  faire  les  plus  grands  efforts  pour  les  arracher  au  sort 
qui  les  menaçait,  furent  trompés  dans  leur  attente.  M.  Lemer- 
cier  en  arrivant  à  Paris,  trouva  le  ministre  de  la  guerre,  le  maré- 
chal de  Belle-Isle  expirant.    Après  sa  mort  le  portefeuille  passa 


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HISTOIRE  DU  CANADA. 


337 


aux  mains  du  duc  de  Choiseul  déjà  chargé  de  celui  des  affaires 
étrangères.     Lemercier  comme  les  officiers  de  la  garnison  de 
Québec  qui  l'avaient  précédé,  donnèrent  au  ministre  tous  les 
renseignemens  qu'il  pouvait  désirer  sur  la  situation  désespérée 
du  Canada.     Les  dépêches  demandaient  des  secours  de  toute 
espèce,  vivres,  munitions  de  guerre  et  recrues  ;  elles  informaient 
la  cour  que  l'on  avait  formé  le  projet  de  reprendre  la  capitale, 
et  que  le  succès  était  certain  si  les  secours  que  l'on  deman- 
dait arrivaient  avant  ceux   des  Anglais.     Mais  malheureuse- 
ment cette  demande  était  faite  dans  le  moment  même  où,  par  le 
désordre  prolongé  des  finances,  le  trésor  se  trouvait  hors  d'état  de 
faire  face  à  ses  obligations  les  plus  nécessaires.     Les  administra- 
teurs continuellement  changés  ne  pouvaient  trouver  de  remède 
pour  arrêter  un  mal  qui  allait  toujours  en  augmentant.     Chacun 
venait  avec  son  plan  et  était  remplacé  avant  qu'il  eût  à  peine  eu 
le  temps  de  commencer  à  le  mettre  à  exécution  ;  et  dès  qu'il 
parlait  de  soumettre  la  noblesse  et  le  clergé  à  l'impôt  comme  le 
peuple,  il  était  repoussé  avec  haine  et  renversé.    L'absence  de 
patriotisme  dans  les  classes  les  plus  élevées  de  la  société  rendait 
ainsi  le  mal  incurable,  et  exposait  la  nation  à  tous  les  malheurs, 
surtout  à  la  perte  de  cette  grande  réputation  militaire  qui  faisait 
encore  la  force  et  la  gloire,  par  le  souvenir,  de  cette  noblesse  sen- 
suelle et  dégénérée  qui  ne  voulait  rien  faire  pour  le  salut  commun  ; 
car  par  un  effort  uniforme  et  général,  l'on  pouvait  se  remettre 
facilement  sur  un  bon  pied,  puisque  plus  tard,  suivant  M.  de 
Necker,*  les  dépenses  publiques  étant  de  610  millions  en  ITSé, 
et  les  revenus  de  près  de  585  millions,  alors  que  la  noblesse  et  le 
clergé,  possesseurs   d'une  grande  partie  du  territoire,  étaient 
encore  exempts  de  l'impôt,  en  rendant  ces  deux  classes  si  '  'ches 
contribuables,  et  en  développant  les  immenses  ressources  du 
pays,  le   déficit  annuel  pouvait  être  plus  que  comblé.    Mais 
l'égoïsme  devait  tout  perdre. 

M.  de  Silhouette,  qui  avait  succédé  à  M.  de  Boulogne  aux 
finances,  vint  échouer  devant  l'opposition  que  firent  à  son  projet 

*  De  l'administration  des  finances  de  la  France.  Les  intérêts  de  la  dette 
publique  étaient  alors  de  207  millions  de  francs,  ou  égaux  à  ceux  de  l'An- 
gleterre à  la  même  époque  (1784).  Aujourd'hui  la  dette  de  l'Angleterre 
est  double  ou  triple  de  celle  de  la  France. 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


de  subvention  territoriale  qui  aurait  atteint  tous  les  propriétaires 
fonciers,  les  classes  privilégiées,  et  il  fut  remplacé  par  M.  Bertin, 
financier  médiocre,  mais  plus  docile  aux  vœux  de  la  cour  et  de 
la  noblesse.     Celui-ci  ne  put  ni  ramener  l'ordre  dans  les  finances, 
ni  trouver  moyen  de  fournir  quelques  jours  encore  aux  besoins 
les  plus  pressans  du  service  public.     Les  lettres  de  change  tirées 
par  le  Canada  sur  le  trésor  à  Paris  ne  purent  être  payées,  cir- 
constance aussi  fâcheuse  pour  ce  pays  que  la  perte  d'une  bataille, 
et  qui  devait  avoir  le  plus  grand  retentissement.    Dans  cet  état 
de  choses  il  est  facile  de  concevoir  que  l'énergique  résolution  de 
reprendre  Québec  dût  trouver  peu  d'écho  à  Versailles,  où  les 
courtisans  regardaient  la  possession  du  Canada  plutôt  comme  une 
charge  que  comme  un  avantage.    Dans  l'épuisement  où  l'on  se 
trouvait,   c'est   tout  ce  que  l'on  put  faire  que  d'envoyer  400 
hommes  et  la  charge  de  trois  ou  quatre  navires  en  munitions  du 
guerre  et  de  bouche,  sous  la  protection  d'une  frégate,  qui  s'étant 
amusée  à  enlever,  chemin  faisant,  treize   ou   quatorze  voiles 
anglaises,  finit  par  être  obligée  elle-même  de  se  jeter  dans  la  Baie 
des  Chaleurs  à  l'entrée  du  golfe  St.-Laurent,  et  par  y  être  brûlée 
avec  son  convoi  et  ses  prises  par  le  capitaine  Byron  qui  croisait 
dans  ces  parages.     Cet  officier  qui  avait  une  flotte  nombreuse, 
détruisit  aussi  un  amas  de  cabanes  décoré  du  nom  fameux  de 
Nouvelle-Rochelle,  élevé  par  des  réfugiés  acadiens  et  quelques 
pauvres  pêcheurs  sous  la  protection  de  deux  petites  batteries 
placées  sur  un  rocher. 

En  envoyant  ces  secours  inutiles,  car  ils  étaient  tout-à-fait 
insuffisans  au  Canada,  les  ministres  adressèrent  aux  divers  chefs 
de  la  colonie  des  dépêches  qu'ils  ne  reçurent  que  dans  le  mois  de 
juin,  pour  leur  recommander  de  disputer  le  pays  pied  à  pied  et 
de  soutenir  jusqu'au  bout  l'honneur  des  armes  françaises  à  quel- 
qu'extrémité  que  les  affaires  pussent  être  réduites,  comme  si  des 
gens  qui  périssaient  accablés  sous  le  nombre,  avaient  besoin  des 
paroles  d'encouragcnent  et  non  de  secours  réels  et  efficaces. 

Le  gouvernement  de  la  Grande-Bretagne,  aiguillonné  et  sou- 
tenu par  la  voix  puissante  du  peuple,  tenait  alors  une  conduite 
bien  différente.  Il  obtint  du  parlement  tous  les  subsides  qu'il 
voulut  pour  continuer  la  guerre  avec  vigueur.  Des  flottes  consi- 
dérables couvrirent  les  mers  de  l'Europe,  des  Indes  et  de  l'Ame- 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


339 


rique.  Il  fut  résolu  de  barrer  le  chemin  du  Canada  à  la  France, 
et  d'employer  à  cet  effet  des  forces  telles  que  celle-ci  ne  put  con- 
server dans  l'état  où  elle  se  trouvait,  le  moindre  espoir  d'y  faire 
parvenir  les  secours  nécessaires  pour  rétablir  sa  suprématie  dans 
cette  partie  du  monde  ;  et  c'est  à  la  suite  de  cks  accroissemens 
de  forces  que  le  petit  convoi,  dont  l'on  vient  de  parler,  vit  fondre 
sur  lui  pas  moins  de  onze  vaisseaux  de  guerre  en  entrant  dans  le 
St.-Laurent. 

Derrière  ce  rempart  qui  couvrait  l'Amérique  et  la  séparait  de 
la  France,  l'Angleterre  organisa,  comme  l'année  précédente,  trois 
armées  pour  achever  d'abattre  une  puissance  qu'elle  combattait 
depuis  qu'elle  avait  planté  son  drapeau  dans  ce  continent,  et  que 
sa  grande  supériorité  numérique  mettait  enfin  à  sa  disposition. 
Toutes  les  provinces  américaines  ne  cessaient  point  non  plus  de 
montrer  leur  zèle  pour  l'accomplissement  d'une  conquête  qu'elles 
sollicitaient  depuis  si  longtemps.  Les  différentes  législatures  colo- 
niales votèrent  les  hommes  et  l'argent  qu'on  leur  demanda  avec 
d'autant  plus  d'empressement  que  l'on  touchait  au  succès  définitif. 
Ces  trois  armées  devaient  marcher  pour  se  réunir  à  Montréal  et 
enlever  ce  dernier  point  qui  résistait  encore  à  leurs  armes. 

La  garnison  renfermée  dans  Québec  devait  être  renforcée  à 
l'ouverture  de  la  campagne  pour  remonter  le  St.-Laurent.  Le 
chef  de  brigade  Haviland  devait  réunir  ses  troupes  sur  le  lac 
Champlain,  forcer  le  passage  de  l'île  aux  Noix  et  St.-Jean,  et 
marcher  sur  le  point  indiqué  ;  enfin,  le  général  Amherst  devait 
assembler  une  armée  nombreuse  à  Osvvégo,  descendre  le  fleuve 
St.-Laurent,  enlever  chemin  faisant  tous  les  postes  qu'il  trouverait 
sur  F 'n  passage,  et  se  réunir  aux  deux  autres  corps  devant  Mont- 
réal. Les  Français  n'ignoraient  pas  les  préparatifs  de  leurs  enne- 
mis, et  le  gouverneur  ainsi  que  le  général  de  Levis  ne  songeaient 
qu'au  moyen  de  les  prévenir  par  une  attaque  subite  contre  le 
poste  central  où  ils  avaient  pris  pied,  à  savoir  Québec,  pour  être 
prêts  à  donner  la  main  aux  secours  qu'ils  avaient  demandés,  et 
de  l'arrivée  desquels  avant  ceux  des  Anglais,  dépendait  désormais 
le  salut  du  pays.  -  .    r  -    >.    - 

L'on  avait  d'abord  résolu  d'attaquer  Québec  dans  l'hiver  ; 
mais  il  fallut  ajourner  l'exécution  au  printemps.  Ce  délai  fut 
employé  à  réorganiser  l'armée,  à  ramasser  des  vivres,  à  préparer 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


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lea  embarcations  nécessaires  pour  descendre  le  fleuve  à  la  débâcle 
des  glaces.  Malgré  les  plus  grands  efforts,  l'on  ne  put  réunir  un 
matériel  suffisant  pour  faire  un  siège.  L'on  manquait  de  grosse 
artillerie  et  il  y  avait  peu  de  poudre.  Cependant  l'on  ne  déses- 
pérait pas  de  réussir  soit  à  la  faveur  d'une  surprise,  soit  à  l'aide 
des  secours  attendus. 

Afin  d'empêcher  l'ennemi  de  pénétrer  le  projet  et  surtout 
de  soutenir  le  courage  des  habitans  et  de  fatiguer  la  garnison 
anglaise,  l'on  tint  des  partis  dehors  tout  l'hiver. 

Le  général  Murray  ne  négligeait  rien  de  son  côté  pour  se 
mettre  en  état  de  repousser  toutes  les  tentatives  jusqu'à  la  cam- 
pagne suivante.  Il  était  abondamment  pourvu  d'artillerie,  de 
munitions  de  guerre  et  de  bouche,  et  il  commandait  les  meilleures 
troupes  de  l'Angleterre.  Il  ne  fut  pas  plutôt  établi  dans  la  ville 
qu'il  adressa  une  proclamation  aux  Canadiens  pour  leur  repré- 
senter l'inutilité  d'une  plus  longue  résistance  et  tous  les  malheurs 
qui  seraient  la  suite  d'une  opposition  devenue  sans  objet.  Onze 
paroisses  environnantes  abandonnées  de  l'armée  française,  vin- 
rent faire  leur  soumission  et  prêter  le  serment  de  fidélité.  Les 
maisons  avaient  été  incendiées  et  les  femmes  et  les  enfants  qui 
s'étaient  réfugiés  dans  les  bois  que  l'hiver  allait  rendre  inhabi- 
tables, ne  laissaient  pas  d'autre  parti  à  prendre,  pour  les  empê- 
cher de  périr  de  froid  et  de  misère.  Les  habitans  de  Miramichi, 
Richibouctou  et  autres  lieux  du  golfe  St.-Laurent,  subissant  la 
même  nécessité,  s'étaient  déjà  rendus  au  colonel  Frye,  comman- 
dant anglais  du  fort  Cumberland  à  Chignectou. 

Le  général  Murray  cependant  avait  porté  ses  avant-postes  à 
Lorette  et  à  Ste.-Foy,  à  deux  ou  trois  lieues  de  la  ville,  et  la 
guerre  d'escarmouches  ne  discontinuait  presque  point,  malgré  la 
rigueur  de  la  saison.  La  garnison  fut  occupée  toute  l'hiver  à 
charrier  du  bois  de  chauffage  du  Cap-Rouge,  à  faire  de  petites 
expéditions,  ou  à  travailler  aux  fortifications  de  la  ville,  qu'après 
des  travaux  inouïs  l'on  mit  en  état  de  soutenir  un  siège,  en  ache- 
vant les  remparts  que  l'on  couvrit  de  mortiers  et  de  canons  d'un 
gros  caUbre,  et  en  terminant  les  redoutes  dont  on  a  parlé  et  qui 
étaient  au  nombre  de  huit.  On  exécutait  ces  travaux  malgré  les 
maladies  qui  s'étaient  mises  dans  les  troupes,  surtout  le  scorbut, 
et  qui  enlevèrent  du  24  décembre  au  24  avril  près  de  500  hommes. 


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HISTOIRE    DU    CANATÎA. 


341 


De  leur  côté  les  Français,  outre  les  fatigues  de  cette  petite 
guerre,  souffraient  de  plus  en  plus  de  la  disette.  Le  général  de 
Levis  dispersa  ses  troupes  en  quartier  d'hiver  chez  les  habitans 
dans  les  différentes  paroisses  des  gouvernemens  des  Trois-Rivières 
et  do  Montréal,  faute  de  provisions  pour  leur  subsistance  dans 
une  seule  localité,  et  il  commença  immédiatement  ses  préparatifs 
pour  l'entreprise  qu'il  méditait,  une  défense  opiâtre,  comme  il  le 
disait  dans  un  mémoire  qu'il  présenta  au  gouverneur,  ne  pouvant 
qu'être  avantageuse  à  l'état  en  occupant  les  forces  de  l'ennemi  en 
Amérique,  et  honorable  pour  les  armes  françaises. 

Pour  ranimer  le  courage  de  la  population,  pour  l'engager  sur- 
tout à  faire  de  nouveaux  efforts  et  de  nouveaux  sacrifices,  on  invo- 
qua la  voix  solennelle  de  l'église,  qui  ne  devait  pas  rester  sans 
écho  chez  un  peuple  profondément  religieux.  L'évêque,  M. 
Dubreuil  de  Pontbriand,  donna  à  Montréal,  où  il  s'était  réfugié, 
un  mandement  au  commencement  de  l'hiver,  dans  lequel  on 
trouve  ces  mots  :  "  Vous  n'oublierez  pas  dans  vos  prières  ceux 
qui  se  sont  sacrifiés  pour  la  défense  de  la  patrie  ;  le  nom  de  l'il- 
lustre Montcalm,  celui  de  tant  d'officiers  respectables,  ceux  du 

soldat  et  du  milicien  ne  sortiront  point  de  votre  mémoire 

vous  prierez  pour  le  repos  de  leurs  âmes."  II  y  a  quelque  chose 
de  singulièrement  grave  dans  ces  paroles  funèbres  auxquelles  la 
religion  donne  un  si  grand  caractère.  Cet  appel  aux  prières  des 
fidèles  pour  les  braves  qui  étaient  morts  en  combattant  pour  la 
défense  de  leur  religion,  de  leurs  lois,  de  leurs  foyers,  au  moment 
où  l'on  parlait  de  reprendre  les  armes,  dut  ranimer  s'il  était 
nécessaire  le  sentiment  national  et  augmenter  l'énergie  des  guer- 
riers qui  se  défendaient  depuis  si  longtemps  et  avec  tant  d'obs- 
tination contre  les  forces  toujours  croissantes  de  l'ennemi.  Quant 
aux  troupes  régulières  elles-mêmes,  si  elles  ne  combattaient  plus 
que  pour  l'honneur  leurs  vœux  pouvaient  être  encore  remplis. 

Après  bien  des  efforts  l'on  réussit  à  ramasser  assez  de  subsis- 
tances pour  nourrir  l'armée  encore  quelque  temps  lorsqu'elle 
serait  réunie.  Au  mois  d'avril  elle  se  trouva  prête  à  entrer  en 
campagne  ;  l'on  n'attendait  plus  quj  la  débâcle  des  glaces. 

Les  troupes  régulières,  surtout  les  grenadiers,  avaient  été 
recrutés  à  même  les  deux  bataillons  de  la  colonie  ;  elles  formaient 
avec  ceux-ci  3,600  hommes.    Les  milices  appelées  à  prendre 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


part  à  l'expédition  s'élevèrent  à  un  peu  plus  de  3,000  fusils,  y 
compris  270  Sauvages.  Cette  armée,  composée  de  plus  de 
moitié  de  Canadiens,  parce  qu'ion  en  avait  fait  entrer  un  grand 
nombre  dans  les  régimens  réguliers  faute  de  recrues  européennes, 
n'atteignait  pas  encore  7,000  combattans.  C'est  tout  ce  que  l'on 
pouvait  approvisionner  et  réunir  pour  marcher  sur  Québec,  les 
habitans  de  cette  partie,  c'est-à-dire  ceux  qui  n'avaient  pas  fait 
leur  soumission  à  l'ennemi,  ne  pouvant  rejoindre  qu'après  l'in- 
vestissement de  la  place,  et  le  reste  de  ceux  de  Montréal  et  des 
Trois-Rivières  étant  nécessaire  pour  ensemencer  les  terres  et 
pour  pourvoir  à  la  défense  des  frontières  du  côté  des  lacs  Cham- 
plain  et  Ontario.* 

Sans  attendre  que  la  navigation  du  fleuve  fût  entièrement 
ouverte,  le  général  de  Levis  envoya,  le  16  et  le  17  avril,  l'ordre 
aux  troupes  de  lever  leurs  quartiers  d'hiver  et  de  se  mettre  en 
marche,  celles  qui  se  trouvaient  les  plus  rapprochées  de  Québec 
par  terre  et  les  autres  par  eau.  Les  champs  étaient  encore  cou- 
verts de  neige,  et  le  St.-Laurent  dont  les  rives  étaient  bordées 
de  glaces  fixes,  chariait  au  centre  avec  le  flux  et  le  reflux  de  la 
marée  celles  qui  étaient  mobiles.  Le  général  de  Levis  mit  à 
l'ordre  du  jour  que  pour  son  honneur,  la  gloire  des  armes  et  le 
salut  du  pays,  l'armée  devait  chercher  à  réparer  la  perte  de  la 
journée  du  13  septembre,  et  se  reppeler  que  c'étaient  les  mêmes 
ennemis  qu'elle  avait  eu  à  combattre  à  Oswégo,  au  fort  George 
et  à  Carillon.  Les  troupes  chez  lesquelles  ces  noms  réveillaient 
des  souvenirs  si  glorieux  s'ébranlèrent  le  20.  Celles  qui  descen- 
daient par  eau  furent  embarquées  sur  les  deux  frégates  escortant 
les  petits  vaisseaux  qui  portaient  l'artillerie,  les  vivres  et  les  fas- 
cines pour  le  siège.  Les  glaces  augmentant  à  mesure  que  l'on 
descendait,  l'on  fut  obligé  de  mettre  les  troupes  à  terre  à  la  Pointe- 
aux-Trembles.    Une  partie  seulement  de  l'artillerie  put  atteindre 

•  Extraits  des  instructions  du  gouverneur  au  chevalier  de  Levis  : 
"  Nous  avons,  après  bien  des  soins,  réuni  toutes  les  ressources  de  la  colo- 
nie en  comestibles  et  munitions  de  guerre  ;  les  unes  et  les  autres  sont  très 
médiocres  pour  ne  pas  dire  insuffisantes,  aussi  usons-nous  de  tous  les  expé- 
diens  que  notre  zèle  peut  nous  suggérer  pour  y  suppléer. 

"  Nos  forces  consistent  en  environ  3,500  hommes  de  troupes,  J,900  mili- 
ciens des  gouvernemens  de  Montréal  et  des  Trois-Rivières  et  environ  400 
Sauvages  de  différentes  nations. 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


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St.-Augustin  et  ensuite  le  Foulon  La  journée  du  25  fut 
employée  à  réunir  l'armée  à  la  Pointe-aux-Trembles  et  l'avant- 
garde,  sous  les  ordres  du  chef  de  brigadr  Bourlamarque,  se  mit  en 
mouvement  le  lendemain. 

Le  temps  pressait.  M.  de  Levis  voulait  surprendre  les  ennemis. 
Ayant  reconnu  l'impossibilité  de  traverser  la  rivière  du  Cap- 
Rouge  à  son  embouchure  où  la  rive  du  côté  de  Québec  haute  et 
escarpée,  était  gardée  par  des  soldats,  il  résolut  de  la  tourner  et 
d'aller  franchir  ce  cours  d'eau  à  deux  lieues  plus  haut,  à  Lorette, 
à  la  peine  d'avoir  à  déboucher  par  les  marais  de  la  Suède  pour 
gagner  les  hauteurs  de  Ste.-Foy. 

Le  chef  de  brigade  Bourlamarque  rétablit  les  ponts  de  cette 
rivière  que  les  Anglais  avaient  rompus  à  son  approche,  et  poussa 
les  troupes  en  avant,  faisant  évacuer  le  poste  qu'ils  avait  établi 
à  l'ancienne  Lorette.  Le  général  de  Lévis  qui  arriva  dans 
ce  moment,  s'étant  aperçu  qu'on  avait  négligé  de  rompre  une 
chaussée  de  bois  qui  traversait  une  partie  des  marais  de  la  Suède, 
en  fit  occuper  la  tète  aussitôt  par  les  Sauvages.  L'avant-garde 
atteignit  ces  marais  à  l'entrée  de  la  nuit,  les  traversa  sans  s'arrê- 
ter malgré  un  orage  de  pluie  et  de  tonnerre  inusité  dans  cette 
saison,  et  prit  possession  des  maisons  qui  étaient  au-delà,  n'étant 
plus  sépaiée  de  l'ennemi  que  par  un  bois  d'une  petite  demi-lieue 
de  profondeur.  Au  point  du  jour,  le  26,  elle  passa  ce  bois  et  se 
présenta  à  la  vue  des  Anglais,  dont  le  général  de  Levis  alla 
reconnaître  la  position,  tandis  que  le  reste  de  ses  troupes  qui  avait 
marché  toute  la  nuit  pour  ainsi  dire  à  la  clarté  des  éclairs,  tra- 
versait le  marais  et  se  formait  en  face. 

L'armée  française  n'avait  pu  cependant  marcher  assez  secrète- 
ment ni  assez  rapidement  pour  surprendre  Québec.  Quoiqu'on 
eût  répandu  à  dessein  tout  l'hiver  le  bruit  que  l'on  allait  descendre 
incessamment  avec  une  armée  de  12  à  15  mille  hommes  afin 
que  lorsque  ce  bruit  serait  vrai  il  fit  moins  d'impression  et  laissât 
du  doute,  le  général  Murray  ne  le  repoussant  pas  entièrement, 
se  tenait  prêt  pour  tous  les  événemens.  Dans  le  mois  d'avril  ce 
bruit  prenant  plus  de  consistance,  il  crut  devoir  se  débarrasser  de 
la  population  de  la  ville,  qui  aurait  pu  lui  devenir  à  charge  dans 
un  siège,  et  l'informa  le  21  qu'elle  eût  à  s'éloigner  dans  les  trois 
jours  avec  les  effets  qu'elle  pourrait  emporter.     Cet  ordre  fut 


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HISTOIRE    UU    CANADA. 


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exécuté  le  24.  Les  soldats  de  la  garniiton,  quoiqu^accoutumés  à 
toutes  les  horreurs  de  la  guerre,  no  purent  voir  sans  émotion  ces 
infortunés  s'éloigner  de  leurs  murailles  suivis  de  leurs  femmes  et 
de  leurs  enfans  sans  savoir  où  aller  chercher  un  gîte  dans  un  pays 
dévasté  et  réduit  à  la  dernière  misère.  Le  général  Murray  fit 
ensuite  rompre  les  ponts  de  la  rivière  du  Cap-Rouge  ainsi  qu'on 
l'a  rapporté,  et  envoya  des  troupes  pour  observer  les  mouvemcns 
des  Français  s'ils  se  présentaient.  Après  ces  mesures  de  pré- 
caution, il  attendit  pour  agir  selon  les  circonstances.  Ce  sont  ces 
troupes  que  le  général  de  Levis  voyait  devant  lui  sur  les  hauteurs 
de  Ste.-Foy.  Elles  étaient  au  nombre  de  2,500  à  3,000  hommes 
avec  quelques  pièces  de  canon,  et  s'étendaient  depuis  l'église  de 
Ste.-Foy  jusqu'à  la  gauche  de  la  route  de  la  Suède,  par  où  mon- 
taient les  Français  pour  déboucher  sur  le  plateau. 

Le  bois  d'où  ceux-ci  sortaient,  pouvait  être  à  200  toises  de  la 
ligne  ennemie,  et  comme  il  était  marécageux  et  qu'on  ne  pouvait 
en  déboucher  que  par  le  grand  chemin,  l'espace  compris  entre  ce 
uois  et  les  Anglais  n'étant  pas  assez  étendu  pour  leur  permettre 
de  se  former  et  de  marcher  à  l'attaque  sans  s'exposer  à  un  com- 
bat désavantageux,  la  situation  du  général  de  Levis  devenait 
difficile,  car  le  coteau  Ste.-Geneviève  et  la  rivière  St.-Charles 
lui  barraient  le  chemin  pour  marcher  sur  Québec  par  la  route  de 
St.-Ambroise  ou  de  Charlesbourg,  coteau  que  l'ennemi  pouvait 
atteindre  avant  lui  n'ayant  que  la  corde  de  l'arc  à  parcourir.  Il 
décida  de  s'étabhr  sur  le  chemin  de  Ste.-Foy  par  une  marche  de 
flanc.  Aussitôt  que  le  jour  fut  tombé,  il  fit  défiler  ses  troupes 
par  sa  droite  le  long  de  la  lisière  du  bois  jusqu'à  ce  qu'il  eût 
dépassé  le  front  des  Anglais  et  tourné  leur  flanc  gauche  ;  si  cette 
manœuvre  réussissait,  il  obtenait  non  seulement  une  position 
avantageuse,  mais  il  pouvait  couper  encore  le  corps  placé  en 
observation  à  l'embouchure  de  la  rivière  du  Cap-Ilouge  ;  le 
nnauvais  temps  et  la  difficulté  de  la  marche  dans  cette  saison  ne 
permirent  point  aux  soldats  déjà  très  fatigués,  d'opérer  ce  mou- 
vement avec  toute  la  célérité  désirable.  Le  lendemain  matin  le 
général  Murray  qui  s'était  transporté  sur  les  lieux,  eut  le  temps 
de  faire  retirer  ses  troupes  du  Cap-Rouge  en  sacrifiant  son 
matériel.  Se  voyant  poursuivi  de  trop  près  il  l'enferma  malgré 
une  fusillade  et  quelques  coups  de  canon  dans  l'église  de  Ste.- 


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IIISTOIHG    UU    CANADA. 


345 


Foy,  y  fit  mettre  le  feu  et  opéra  sa  retraite  vers  la  ville,  laissant 
encore  plusieurs  pièces  do  campagne  entre  les  mains  des  Fran- 
çais, et  le  général  do  Levis  maître  d'un  champ  de  bataille  qu'il 
aurait  pu  avoir  beaucoup  de  peine  à  obtenir. 

Les  cavaliers  français  suivirent  le  louvement  rétrograde  de 
Murray,  escarmouchant  avec  son  arr-  /e-garde  jusqu'au  moulin 
de  Dumont,  à  une  demi-lieue  des  remparts  de  la  ville,  où  il  laissa 
un  gros  détachement  avec  ordre  de  ten!r  ferme  jusqu'à  la  nuit. 
Les  troupes  françaises  se  logèrent  dans  les  maisons  depuis  l'église 
jusqu'à  ce  moulin,  occupant  un  espace  de  cinq  quarts  de  lieue. 
Le  temps  était  toujours  affreux,  la  pluie  continuant  à  tomber  par 
torrens,  ce  qui  retardait  beaucoup  la  marche  de  l'armée. 

Dans  la  nuit,  les  Anglais  évacuèrent  le  moulin,  se  replièrent 
sur  les  buttes  à  Neveu  et  commencèrent  à  ::'y  retrancher.  Au 
point  du  jour  le  général  de  Levis  fit  occuper  le  moulin  qui  venait 
d'être  abandonné  et  les  plaines  d'Abraham  jusqu'au  fleuve  par 
son  avant-garde,  pour  couvrir  l'anse  du  Foulon,  où  les  bâtimens 
chargés  des  vivres,  de  l'artillerie  et  des  bagages,  qui  n'avaient  pas 
effectué  leur  déchargement  à  St.-Augustin,  avaient  reçu  ordre  de 
descendre.  Pendant  que  l'on  débarquerait  ces  effets  le  28, 
l'armée  devait  se  reposer  pour  être  en  état  d'attaquer  les  buttes  à 
Neveu  le  lendemain  et  de  rejeter  les  Anglais  dans  la  place. 

Cependant  Murray  n'avait  pas  été  plutôt  rentré  dans  la  ville 
qu'il  avait  résolu,  au  lieu  d'attendre  les  Français  derrière  ses 
murailles,  de  se  porter  en  avant  avec  toutes  ses  troupes  dans  l'in- 
tention soit  de  livrer  bataille  si  l'occasion  s'en  présentait,  soit  de 
se  fortifier  sur  les  buttes  à  Neveu  s'ils  paraissaient  trop  nombreux  ; 
car  le  rapport  d'un  de  leurs  canonniers  tombé  sur  une  glace 
flottante  en  débarquant,  et  recueilli  gelé  et  mourant  par  des  soldats, 
ne  lui  permettait  plus  de  douter  que  toute  l'armée  dont  il  était 
menacé  depuis  si  longtemps,  arrivait  enfin.  Il  sortit  de  la 
ville  le  2S  au  matin  à  la  tête  de  toute  la  garnison,*  dont  les  troupes 
de  ligne  seules,  quoique  réduites  de  490  hommes  par  les  maladies 
pendant  l'hiver,  comptaient  encore  7,714  combattans  non  com- 

*  "  On  the  28th  April,  about  8 o'clock  in  the  morniiig,  the  whole  gairison, 
exclusive  of  the  guards.  .  .  .  marcliecl  out  of  town  with  20  pièces  ol'  field 
artillery." — Manuscrit  de  Fraser. 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


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pris  les  officiers.*  Il  ne  laissa  dans  la  place  que  les  soldais 
nécessaires  à  sa  garde  et  quelques  centaines  de  malades,  plus  de 
mille  en  convalescence  étant  venus  reprendre  volontairement 
leurs  rangs  sous  les  drapeaux,  et  il  s'avança  ainsi  avec  à-peu-près 
six  mille  hommes  et  22  bouches  à  feu  sur  deux  colonnes. 

Le  général  de  Levis  qui  s'était  porté  en  avant  de  sa  personne 
avec  son  état-major  pour  reconnaître  la  position  des  Anglais  sur 
les  buttes  à  Neveu,  n'eut  pas  plutôt  aperçu  ce  mouvement  qu'il 
envoya  l'ordre  à  ses  troupes  de  hâter  leur  marche  pour  se  rendre 
sur  les  plaines  d'Abraham.-  Le  général  anglais  ne  voyant  encore 
que  la  tête  de  l'armée  française  d'arrivée,  et  que  cette  armée  ne 
paraissait  pas  s'attendre  à  livrer  bataille  ce  jour-là,  décida  de 
l'attaquer  immédiatement  pendant  qu'elle  était  dans  le  désordre 


•  Suivant  les  ordonnances  de  paiement  pour  leur  solde  expirée  le  24  avril, 
ou  4  jours  avant  la  2de  bataille  d'Abraham,  ordonnances  dont  voici  une  copie 
textuelle  pour  le  78e  régiment  (montagnards  écossais)  : 

By  the  Honble.  James  Murray,  Esq., 
Governor  of  Québec,  etc. 
You  are  hereby  required  and  directed  out  of  such  monies  as  shall  coma  to 
your  hands  for  the  subsistence  of  His  Majesty's  forces  under  my  command, 
to  pay  or  cause  to  be  paid  to  Liuut.  James  Henderson,  Dy,  Paymaster  of 
His  Majesty's  78th  Regt.  of  Foot  or  his  assigns,  the  sum  of  two  thousand 
one  hundred  and  sixty  three  pounds  nineteen  shillings  and  six  pence  ster- 
ling, being  for  subsistence  ot  said  Régiment  between  the   24th  day  of 
February  and  the  24th  day  of  April  1760,  both  days  inclusive,  as  p.  account 
annexcd,  and  for  so  doing  this  with  the  acquittance  of  the  said  Lieut.  James 
Henderson  or  his  assigns  shall  be  to  you  a  sufficient  vv'arrant  and  discharge. 
Given  under  my  hand,  at  Québec,  this  27th  day  of  november  1760. 

Signed  Jas.  Murray. 

H.  T.  Cramahe'. 


Counters. 
To  Robert  Porter,  Esq., 

Dy.  Paymaster  General. 

56  Sergeants  @  Is 

56  Corporals  @  8d 

28  Drumrs.    @  8d 

1195  Private     @  6d 


diem £2  16  0 

"  1   17  4 

2  18  8 

"  29  17  6 


1335 


Total  for  one  day 35    9    6 


Total  for  60  days  £2163  19    6 

Signed  Jas.  Henderson, 

Lt.  and  Dy.  Paymaster  78th  Régiment. 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


34.7 


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de  la  marche  ;  mais  il  avait  affaire  à  un  homme  de  tête  et  d'un 
sang-froid  qu'il  était  fort  difficile  de  troubler.  Il  rangea  ses  troupea 
en  bataille  en  avant  des  buttes  à  Neveu,  sa  droite  au  coteau  Ste.- 
Geneviève  et  sa  gauche  à  la  falaise  qui  borde  le  St.-Laurent,  sa 
ligne  occupant  un  petit  quart  de  lieu  de  développement.  Quatre 
régimens,  sous  les  ordres  du  colonel  Burton,  formaient  la  droite 
à  cheval  sur  le  chemin  de  Ste.-Foy  ;  quatre  autres  avec  les  mon- 
tagnards écossais,  sous  les  ordres  du  colonel  Fraser,  formaient  la 
gauche  à  cheval  sur  le  chemin  de  St.-Louis.  Deux  bataillons 
étaient  placés  en  réserve.  Outre  ces  deux  bataillons  le  flanc 
droit  de  l'armée  était  couvert  par  un  corps  d'infanterie  légère 
BOUS  les  ordres  du  major  Dalling  ;  et  le  flanc  gauche  par  la  com- 
pagnie des  rangers  du  capitaine  Huzzen  et  cent  volontaires 
conduits  par  le  capitaine  Macdonald.  Le  général  Murray  donna 
ensuite  l'ordre  de  marcher  en  avant. 

L'avant-garde  française  composée  de  dix  compagnies  de  grena- 
diers s'étaient  mise  en  bataille,  une  partie  sur  la  droite  dans  une 
redoute  élevée  par  les  Anglais  l'année  précédente  au  levant  de 
la  côte  du  Foulon,  une  partie  sur  la  gauche  dans  le  moulin  de 
Dumont,  la  maison,  la  tannerie  et  les  autres  bâtimens  qui  l'envi- 
ronnaient, sur  le  chemin  de  Ste.-Foy.  Le  reste  de  l'armée  appre- 
nant ce  qui  se  passait  avait  précipité  le  pas  en  se  resserrant  en 
avançant,  et  les  trois  brigades  de  la  droite  étaient  déjà  formées 
lorsque  les  Anglais  commencèrent  l'attaque  avec  une  grande 
vivacité,  la  mitraille  de  leur  nombreuse  artillerie  poussée  rapide- 
ment en  avant  faisant  de  terribles  ravages  dans  les  rangs  des 
Français,  qui  n'avaient  encore  que  leurs  petites  armes  pour  y 
répondre. 

Le  général  Murray  sentant  l'importance  de  s'emparer  du  mou- 
lin de  Dumont  qui  couvrait  l'issue  par  laquelle  les  Français 
venant  par  la  chaussée  de  Ste.-Foy,  entraient  sur  le  champ  de 
bataille,  le  fit  attaquer  par  des  forces  supérieures.  Il  espérait 
qu'en  écrasant  les  cinq  compagnies  de  grenadiers  qui  le  défendaient, 
il  pourrait  tomber  ensuite  au  milieu  des  troupes  en  marche,  les 
refouler  devant  lui  et  couper  l'aile  droite  engagée  sur  le  chemin 
de  St.-Louis. 

Levis  prévenant  son  dessein,  fit  retirer  sa  droite  à  l'entrée  du 
bois  qui  était  derrière  elle,  et  abandonner  le  moulin  de  Dumont 


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niSTOIRE    DU    CANADA. 


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par  les  grenadiers,  qui  se  replièrent  afin  d'abréger  la  distance  à 
parcourir  par  les  brigades  arrivantes.  C'est  dans  ce  moment 
que  le  chef  de  brigade  Bourlamarque  fut  grièvement  blessé  par 
un  coup  de  canon  qui  tua  son  cheval  sous  lui.  Les  troupes  res- 
tées sans  recevoir  d'ordre,  voyant  les  grenadiers  engagés  dans  un 
combat  furieux  et  inégal,  prirent  d'elles-mêmes  le  parti  d'aller 
les  soutenir  et  se  mirent  en  ligne  au  moment  où  l'ennemi  portait 
sur  ce  point  une  grande  partie  de  ses  forces  et  presque  toute  son 
artillerie  ;  les  canons  et  les  obusiers  chargés  à  boulet  et  à  mitraille, 
labouraient  l'espace  qu'occupait  cette  aile  qui  s'ébranla  sous  le 
feu  le  plus  meurtrier.  Les  grenadiers  remarchèrent  en  avant, 
reprirent  le  moulin  après  une  lutte  opiniâtre  et  s'y  maintinrent. 
Ces  braves  soldats,  commandés  par  le  capitaine  d'Aiguebelles, 
périrent  presque  tous  dans  cette  journée. 

Pendant  que  ces  événeraens  se  passaient  à  la  gauche,  le  géué- 
de  Levis  faisait  reprendre  par  les  troupes  de  ^a  droite  la  redoute 
qu'elles  avaient  abandonnée  pour  se  replier.  Les  Canadiens  de 
la  brigade  de  la  Reine  qui  occupaient  cette  redoute  et  le  petit  bois 
de  pins  sur  le  bord  du  cap,  reprirent  leur  terrain  et  chargèrent 
bientôt  à  leur  tour,  appuyés  par  M.  de  St.-Luc  et  quelques  Sau- 
vages. Le  combat  devint  alors  non  moins  violent  dans  cette 
partie  de  la  ligne  qu'à  la  gauche.  Toutes  les  t/oupes  étaient  arri- 
vées, et  le  feu  était  des  plus  vifs  des  deux  côtés.  L'on  voyait 
les  milices  charger  leurs  armes  couchées,  se  relever  après  les 
décharges  de  l'artillerie  ennemie  et  se  précipiter  en  avant  pour 
fusiller  les  canonniers  sur  leurs  pièces.  Celles  de  Montréal  com- 
battaient avec  un  courage  admirable,  surtout  le  bataillon  commandé 
par  le  brave  colonel  Rhéaume,  qui  fut  tué.  M.  de  Repentigny 
(|ui  commandait  cette  brigade  placée  dans  le  centre  de  la  ligne 
française,  repoussa  plusieurs  charges  et  ralentit  par  sa  fermeté  et 
la  vivacité  de  oon  feu  la  poursuite  des  ennemis  contre  les  grena- 
diers de  la  gauche,  et  ensuite,  en  les  couvrant,  leur  facilita  les 
moyens  de  remarcher  en  avant  ;  enfin,  cette  brigade  fut  la  seule 
(pii  maintint  toujours  son  terrein  pendant  cette  lutte  acharnée. 

Cependant  l'attaque  qui  avait  mis  les  Anglais  momentanément 
en  possession  des  positions  occupées  par  l'avant-garde  des  Fran- 
çais au  commencement  de  la  bataille,  avait  été  repoussée,  et 
ceux-ci  avaient  partout  regagné  leur  terrain.     Ainsi  le  mouve- 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


349 


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ment  offensif  du  général  Murray  par  le  chemin  de  Ste.-Foy  se 
trouvait  échoué,  et  cet  échec  allait  permettre  aux  Français  d'atta- 
quer à  leur  tour. 

Le  général  de  Levis  ayant  observé  que  les  Anglais  avaient  affai- 
bli leur  gauche  pour  porter  de  plus  grandes  forces  sur  leur  droite, 
résolut  sur-le-champ  d'en  profiter.  Il  alla  ordonner  à  ses  troupes 
de  l'aborder  à  la  bayonnelte,  et  de  tâcher  de  la  rejeter  du  chemin 
St.-Louis  sur  celui  de  Ste.-Foy,  afin  de  culbuter  en  la  prenant  en 
flanc  toute  l'armée  anglaise  en  bas  du  coteau  Ste.-Geneviève  et 
de  lui  couper  la  retraite  sur  la  ville.  Le  colonel  Poularier,  mar- 
cha en  avant  à  la  tête  de  la  brigade  Royal-Roussillon,  aborda  les 
Anglais  et  les  traversant  de  part  en  part,  les  mit  complètement  en 
fuite.  Dans  le  même  temps  leurs  troupes  légères  étaient  mises 
en  déroute,  et  les  fuyards  se  jetant  en  avant  et  en  arrière  de  leur 
centre,  interrompaient  son  feu.  Levis  profita  de  ce  désordre 
pour  faire  charger  sa  gauche,  qui  enfonça  à  son  tour  la  droite  de 
l'ennemi,  la  poussa  de  front  devant  elle,  etla  mit  dans  une  déroute 
complète. 

Alors  l'on  se  mit  partout  à  la  poursuite  ;  mais  le  peu  de  dis- 
tance qu'il  y  avait  à  aller  à  la  ville,  et  la  fuite  précipitée  des 
Anglais  ne  permirent  point  de  les  rejeter  sur  la  rivière  St.- 
Charles.  Le  général  de  Levis  aurait  pu  exécuter  son  dessein 
malgré  cela,  peut-être,  sans  un  ordre  mal  rendu  par  un  officier 
qu'il  chargea  d'aller  dire  à  la  brigade  de  la  Reine  de  soutenir  la 
charge  de  celle  de  Royal-Roussillon  à  la  droite,  et  qui,  au  lieu  de 
lui  faire  faire  ce  mouvement,  la  fit  placer  derrière  l'aile  gauche. 
Sans  cette  erreur  les  ennemis  auraient  été  enveloppés,  et  on  leur 
aurait  vraisemblablement  coupé  la  retraite  sur  la  ville. 

Quoiqu'il  en  soit,  ils  laissèrent  entre  les  mains  des  vainqueurs 
toute  leur  artillerie,  leurs  munitions,  les  outils  qu'ils  avaient  appor- 
tés pour  se  retrancher  et  une  partie  de  leurs  blessés.  Leurs 
pertes  étaient  considérables  ;  près  du  quart  de  leurs  soldats  avait 
été  tué  ou  mis  hors  de  combat.  Si  les  Français  moins  fatigués, 
eussent  pu,  en  les  poursuivant  toujours  avec  vigueur,  attaquer  la 
ville  avant  de  lui  donner  le  temps  de  se  reconnaître,  elle  serait 
probablement  retombée  sous  la  domination  de  ses  anciens  maîtres 
(Knox)  ;  car  telle  était  la  confusion  qu'ils  oublièrent  de  garnir  les 
remparts,  que  les  sentinelles  abandonnèrent  leurs  postes,  que  les 

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HISTOIRS   DU    CANADA. 


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fuyards  allaient  se  réfugier  jusque  dans  la  basse-ville,  et  que  les 
portes  même  restèrent  quelque  temps  ouvertes.  Mais  il  était 
impossible  d'exiger  plus  des  vainqueurs  qu'ils  n'avaient  fait.  Ils 
n'avaient  pu  opposer  sur  le  champ  de  bataille  aux  22  bouches  à 
feu  de  l'ennemi  que  les  trois  petites  pièces  de  canon  qu'ils  avaient 
fait  passer  avec  peine  sur  les  marais  de  la  Suède.  Ils  avaient 
fait  aussi  de  grandes  pertes,  ayant  été  obligés  de  se  former  sous 
le  feu  et  de  rester  longtemps  dans  l'inaction.  Ils  comptaient  cent 
quatre  officiers  tués  ou  blessés,  dont  près  de  moitié  Canadiens, 
parmi  lesquels  se  trouvaient  un  chef  de  brigade,  six  commandans 
de  bataillon  et  le  commandant  des  Sauvages,  chiffre  qui  aurait 
dépassé  les  proportions  ordinaires,  surtout  parmi  les  réguliers, 
comparativement  aux  simples  soldats,  si  les  compagnies,  quoique 
réduites  à  une  trentaine  d'hommes,  n'avaient  toujours  conservé 
le  môme  nombre  d'officiers. 

Les  deux  armées  étaient  à  peu  près  d'égale  force  sur  le  champ 
de  bataille  en  conséquence  des  détachemens  que  Levis  avait  du 
laisser  pour  la  garde  de  l'artillerie,  des  bateaux  et  du  pont  de  la 
rivière  Jacques  Cartier,  position  importante  sur  la  ligne  de  retraite 
en  cas  d'échec. 

Les  Sauvages  qui,  sauf  quelques-uns,  n'avaient  pris  comme  la 
cavalerie  aucune  part  à  l'action,  et  s'étaient  tenus  dans  le  bois  en 
arrière,  se  répandirent  sur  le  champ  de  bataille  pendant  que  les 
Français  étaient  à  la  poursuite  des  fuyards,  et  assommèrent 
quantité  de  blessés  anglais,  dont  l'on  trouva  ensuite  les  chevelures 
étendues  sur  les  buissons  voisins.  Aussitôt  que  le  général 
de  Levis  fut  informé  de  ces  massacres,  il  prit  les  mesuras  les  plus 
vigoureuses  pour  les  faire  cesser.  Trois  mille  hommes  avaient 
été  atteints  par  le  feu  dans  un  espace  comparativement  resserré. 
L'eau  et  la  neige  qui  couvraient  encore  le  sol  par  endrjit  étaient 
rougi  es  de  sang  que  la  terre  gelée  ne  pouvait  boire,  et  ces  mal- 
heureux nageaient  dans  des  mares  livides  où  l'on  s'enfonçait 
jusqu'à  mi-jambe. 

Le  tr"nsport  des  blessés  prit  beaucoup  de  temps  et  achevé  de 
peindre  u  drame  de  cette  journée.  Les  blessés  franc  ais  furent 
portés  à  l'hôpital-général,  à  une  assez  grande  distance  par  les 
détours  qu'il  fallait  faire  pour  s'y  rendre.  "  Il  faudrait  une  autre 
iplume  que  la  tnienne,  écrivait  une  religieuse  de  cet  hôpital  à  une 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


851 


coramunauté  en  France,  pour  peindre  L  horreurg  que  nous 
eûmes  à  voir  et  à  entendre  pendant  vingt-quatre  heures  que  dura 
leur  transport,  les  cris  des  mourans  et  la  douleur  des  intéressés. 
Il  faut  dans  ces  momens  une  force  au-dessus  de  la  nature  pour 
pouvoir  se  soutenir  sans  mourir. 

"  Après  avoir  dressé  plus  de  cinq  cents  lits  que  nous  avions 
eus  des  magasins  du  roi,  il  restait  encore  autant  de  ces  pauvres 
malheureux  à  placer.  Nos  granges  et  nos  étables  en  étaient 
remplies ....  Nous  avions  dans  nos  infirmeries  soixante-et- 
douze  officiers  dont  trente-trois  moururent.  On  ne  voyait  que 
bras  et  jambes  coupés.  Pour  surcroit  d'affliction,  le  linge  nous 
n.  anqua  ;  nous  fûmes  obligées  de  donner  nos  draps  et  nos  che- 
mises .... 

"  Il  n'en  était  pas  de  cette  bataille  comme  de  la  première  ; 
nous  ne  pouvions  espérer  de  secours  des  hospitalières  de  Québec, 
...  les  Anglais  s'étant  emparés  de  leur  maison  ainsi  que  de  celles 
des  Ursulines  et  des  particuliers  pour  loger  leurs  blessés  qui 
étaient  encore  en  plus  grand  nombre  (^'ue  les  nôtres.  11  noua 
vint  encore  une  vingtaine  d'officiers  des  leurs  qu'ils  n'eurent  pas 
le  temps  d'enlever,  et  dont  il  fallut  aussi  se  charger .  .  .  ." 

Après  l'action  qui  avait  duré  trois  heures,  les  Français  occu- 
pèrent les  buttes  à  Neveu,  et  établirent  leur  camp  dans  ces  mêmes 
plaines  où  ils  venaient  de  venger  si  glorieusement  leur  défaite  de 
l'année  dernière. 

Dès  le  lendemain  les  travaux  du  siège  furent  commencés.  Il 
fut  décidé  de  couronner,  par  une  parallèle,  les  hauteurs  en  face 
des  trois  bastions  supérieurs  de  la  ville,  et  d'y  élever  des  batteries 
en  attendant  l'arrivée  de  la  grosse  artillerie  et  de  la  poudre  que 
l'on  avait  fait  demander  en  France.  M.  Dupont-Leroy,  ingé- 
nieur en  chef,  fut  chargé  de  la  direction  du  siège.  Quatre  batte- 
ries furent  successivement  établies  sur  ces  buttes,  outre  une  cin- 
quième qu'on  plaça  sur  la  rive  gauche  de  la  rivière  St.-Charles 
pour  prendre  le  rempart  à  revers.  Les  quatre  premières  coû- 
tèrent beaucoup  de  travail,  parce  que  cheminant  sur  le  roc  vif,  il 
fal'ait  apporter  la  terre  d'une  grande  distance  dans  des  sacs  pour 
former  leurs  épaulemens  ainsi  que  ceux  des  parallèles.  Ce  ne 
fut  que  le  11  mai  qu'elles  purent  ouvrir  leur  feu  ;  mais  l'éloigne- 
ment  et  la  faiblesse  des  pièces  laissaient  peu  d'espoir  de  faire 


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HISTOmS   DU    CANADA. 


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brèche  si  le  revêtement  du  rempart  avait  quelque  solidité.  D'ail- 
leurs le  feu  de  la  place  était  bien  supérieur. 

En  se  renfermant  dans  Québec,  le  général  Murray  résolut 
d'opposer  la  plus  vigoureuse  résistance  jusqu'à  l'arrivée  de  la 
flotte  anglaise,  vers  laquelle  il  expédia  en  toute  hâte  un  vaisseau 
pour  l'informer  de  l'arrivée  des  Français.  11  adressa  ces  paroles 
à  ses  troupes  :  "  Si  la  journée  du  28  avril  a  été  malheureuse 
pour  les  armes  britanniques,  les  affaires  ne  sont  pas  assez  déses- 
pérées pour  ôter  tout  espoir.  Je  connais  par  expérience  la  bra- 
voure des  soldats  que  je  commande,  et  je  suis  convaincu  qu'ils 
feront  tous  leurs  efforts  pour  regagner  ce  qu'ils  ont  perdu.  Une 
flotte  est  attendue  et  des  renforts  nous  arrivent.  J'invite  les  offi- 
ciers et  les  soldats  à  supporter  leurs  fatigues  avec  patience,  et  je 
les  supplie  de  s'exposer  de  bon  cœur  à  tous  les  périls  ;  c'est  un 
devoir  qu'ils  doivent  à  leur  roi,  à  leur  pays,  et  qu'ils  se  doivent 
aussi  à  eux-mêmes." 

Il  fit  ensuite  continuer  sans  relâche  les  travaux  pour  augmenter 
les  fortifications  de  la  ville  du  côté  de  la  campagne  ;   il  fit  ouvrir 
de  nouvelles  embrasures  dans  les  remparts  derrière  lesquels 
campa  son  armée,  fit  renforcer  le  parapet  qui  les  couvrait  par  un 
remblai  de  fascines  et  de  terre,  et  y  établit  près  de  140  pièces  de 
canon,  la  plupart  d'un  gros  calibre,  qu'il  prit  des  batteries  du 
côté  du  port  devenues  inutiles.     Les  projectiles  de  cette  ligne  de 
feu  formidable  labouraient  partout  les  environs  du  camp  français 
jusqu'à  deux  milles  de  distance.    Les  assiégeans  n'avaient  pour 
y  répondre  que  15  bouches  à  feu,  avec  lesquelles  ils  avaient  dû 
com      ncer  le  siège  et  qui  ne  furent  en  état  de  tirer,  comme  on 
l'a  dit,  que  le  11  mai.    La  plus  grande  partie  de  ces  pièces,  d'un 
très  petit  calibre,  fut  hors  de  service  en  très  peu  de  temps,  et 
bientôt  le  manque  de  munitions  obligea  de  ne  tirer  que  20  coups 
par  pièce  dans  les  24  heures.     Tout  ce  que  les  Français  pou- 
vaient faire,  c'était  de  garder  leurs  lignes  en  attendant  les  secours 
d'Europe.     Mais  le  délai  qui  s'écoulait  faisait  craindre  chaque 
jour  davantage  pour  leur  sûreté.    De  leur  côté  les  assiégés,  mal- 
gré leurs  remparts  et  leur  nombreuse  artillerie,  n'attendaient  de 
salut  que  de  l'arrivée  de  leur  flotte  avant  celle  de  leurs  adver- 
saires.    Ainsi  de  part  et  d'autre  la  croyance  générale  était  que 
la  ville  resterait  au  premier  drapeau  qui  paraîtrait  dans  le  port. 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


353 


Les  circonstances  étaient  telles  pour  nous,  dit  Knox,  que  si  la 
flotte  française  fût  entrée  la  première  dans  le  fleuve  la  place 
serait  retombée  au  pouvoir  de  ses  anciens  maîtres.  Aussi  tout 
le  monde,  assiégés  et  assiégeans,  tournait-il  avec  la  plus  grande 
anxiété  les  yeux  vers  le  bas  du  fleuve,  d'où  chacun  espé- 
rait voir  venir  son  salut.  La  puissance  sur  terre  dans  cette 
contrée  lointaine  se  trouvant  ainsi  en  équilibre,  celui  qui  possé- 
dait le  sceptre  des  mers  devait,  en  le  déposant  dans  le  plateau, 
faire  pencher  la  balance  de  son  côté,  et  les  vastes  contrées  de  la 
Nouvelle-France  devenaient  son  glorieux  partage. 

Le  9  mai  une  frégate  entra  dans  le  port.     Telles  étaient  les 
espérances  et  les  craintes  des  troupes  que  "  nous  restâmes,  dit 
l'écrivain  que  nous  venons  de  citer,  quelque  temps  en  suspens, 
n'ayant  pas  assez  d'yeux  pour  la  regarder  ;  mais  nous  fûmes 
bientôt  convaincus   qu'elle   était  anglaise  quoiqu'il  y  eût  des 
gens  parmi  nous  qui,  ayant  leurs  motifs  pour  paraître  sages,  cher- 
chaient à  tempérer  notre  joie  en  soutenant  obstinément  le  con- 
traire jusqu'à  ce  que  le  vaisseau  ayant  salué  la  place  de  21  coups 
de  canon  et  mis  son  canot  à  l'eau,  tous  les  doutes  disparurent. 
L'on  ne  peut  exprimer  l'allégresse  qui  transporta  alors  la  garni- 
son.    Officiers  et  soldats  montèrent  sur  les  remparts  faisant  face 
aux  Français,  et  poussèrent  pendant  plus  d'une  heure  des  hou- 
ras  continuels,  en  élevant  leurs  chapeaux  en  l'air.     La  ville,  le 
camp  ennemi,  le   port  et  les  campagnes  voisines  à   plusieurs 
lieues  de  distance,  retentirent  de  nos  cris  et  du  roulement  de  nos 
canons  ;  car  le  soldat,  dans  le  délire  de  sa  joie,  ne  se  lassa  point 
de  tirer  pendant  un  temps  considérable  ;  enfin,  il  est  impossible 
de  se  faire  une  idée  de  notre  allégresse  si  l'on  n'a  pas  souffert  les 
extrémités  d'un  siège,  et  si  l'on  ne  s'est  pas  vu  avec  de  braves 
amis  et  de  braves  compatriotes  voué  à  une  mort  cruelle."     Si  la 
joie  était  sans  borne  parmi  les  assiégés,  l'événement  qui  la  cau- 
sait devait  diminuer  dans  la  même  proportion  les  espérances  des 
assiégeans.     Cependant  la  frégate  qui  venait  d'arriver  pouvait 
être  un  vaisseau  isolé,  et  ils  ne  voulurent  pas  encore  perdre  cou- 
rage.    Ce  ne  fut  que  deux  jours  après  que  leurs  batteries  ouvri- 
rent leur  feu  contre  la  ville.     Le    15,  deux  autres  vaisseaux 
anglais  entrèrent  dans  le  port.     Alors  le  général  de  Levis  dut  se 
préparer  pour  le  pire  et  se  décider  à  lever  le  siège  de  peur  d'être 


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354 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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coupé  dans  sa  ligne  de  retraite  et  de  perdre  ses  magasins,  car  les 
ennemis  se  trouvaient  maintenant  plus  forts  sur  le  fleuve  que  les 
Français,  qui  n'avaient  pour  vaisseaux  de  haut  bord  que  deux 
frégates  dépourvues  d'artillerie  et  d'équipage,  lesquelles  furent 
prises  ou  forcées  de  s'échouer.  M.  de  Vauquelin,  qui  les  com- 
mandait tomba  les  armes  à  la  main  et  couvert  d'honorables  bles- 
sures au  pouvoir  de  l'ennemi  après  une  lutte  de  deux  heures 
soutenue  vis-à-vis  de  la  Pointe-aux-Trembles,  contre  plusieurs 
frégates.  Presque  tous  ses  officiers  furent  tués  ou  blessés  ainsi 
qu'une  grande  partie  du  faible  équipage  de  l'Atalante,  à  bord  de 
laquelle  il  avait  arboré  son  pavillon,  qu'il  ne  voulut  point  amenai. 

L'armée  assiégeante  décampa  dans  la  nuit  du  16  au  17  mai, 
après  avoir  jeté  en  bas  de  la  falaise  du  Foulon  une  partie  de 
l'artillerie  de  siège  qu'elle  ne  pouvait  emporter.  Elle  ne  fut  point 
poursuivie  dans  sa  retraite.  Ainsi  finit  cette  courte  mais  auda- 
cieuse campagne,  qui,  proportionnellement  au  nombre  des  com- 
battans,  avait  coûté  tant  de  sang  «t  tant  de  travaux,  et  qui  avait 
achevé  d'épuiser  les  magasins  de  l'armée.  L'on  peut  dire  que 
de  ce  moment  la  cause  française  fut  définitivement  perdue  ;  perdue 
non  par  le  défaut  de  résolution  et  de  persévérance  comme  le 
prouvaient  la  longueur  et  les  victoires  de  cette  guerre,  mais  par 
l'abandon  absolu  de  la  métropole. 

Le  général  de  Levis  ne  pouvant  plus,  faute  de  vivres,  tenir  ses 
troupes  réunies,  les  dispersa  dans  les  campagnes  pour  leur  sub- 
sistance. Il  laissa  1,500  hommes  de  la  Pointe-aux-Trembles  à 
Jacques  Cartier,  sous  les  ordres  de  M.  Dumas,  pour  observer  la 
garnison  de  Québec.  Telle  était  la  situation  du  Canada  du  côté 
de  la  mer  à  la  fin  de  juin. 

A  l'autre  extrémité  rien  d'important  ne  s'était  encore  passé. 
Dès  le  commencement  d'avril,  M.  de  Bougainville  était  allé  à 
l'île  aux  Noix  prendre  le  commandement  de  la  frontière  du  lac 
Champlain  ;  et  le  capitaine  Pouchot,  fait  prisonnier  à  Niagara  et 
qui  venait  d'être  échangé,  avait  remplacé  au  fort  de  Levis  M. 
Desandrouins  appelé  à  prendre  part  comme  officier  du  génie  à 
l'expédition  de  Québec.  Le  fort  de  Levis  était  bâti  dans  une  île 
un  peu  au-dessous  de  la  Présentation,  à  la  tête  des  rapides  du  St.- 
Laurent.  Après  la  levée  du  siège  de  Québec,  500  hommes 
furent  envoyés  sur  la  frontière  du  lac  Champlain,  et  un  pareil 


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HISTOIRB  DU   CANADA. 


353 


nombre  à  la  tête  des  rapides  du  St.-Laurent  aux  ordres  du  cheva- 
lier de  la  Corne.  A  cette  époque,  les  forces  nui  gardaient  le 
territoire  qui  restait  encore  aux  Français,  étaient  réparties  comme 
suit  :  8  à  900  hommes  défendaient  la  tête  des  rapides  du  St.- 
Laurent  au-dessus  de  Montréal;  1,200  hommes  la  frontière  du 
lac  Champlain,et  1,500  surveillaient  la  garnison  de  Québec.  Le 
reste  des  Canadiens,  tout  étant  désormais  perdu,  avait  repris 
tristement  le  chemin  de  leurs  foyers  pour  y  disputer  avec  le 
soldat  mourant  de  faim  quelques  lambeaux  de  nourriture.  Déci- 
més, ruinés  par  cette  longue  guerre,  ils  venaient  de  perdre  leur 
dernière  espérance  en  apprenant  que  non  seulement  il  ne  leur 
arriverait  aucun  secours  de  France,  mais  que  le  trésor  du 
royaume  était  incapable  pour  le  moment  de  payer  les  avances 
qu'ils  avaient  faites  au  gouvernement,  et  qu'en  conséquence  on 
était  forcé  de  suspendre  le  paiement  des  lettres  de  change 
tirées  par  le  Canada.  Le  gouverneur  et  l'intendant  les  informè- 
rent de  cette  résolution  par  une  circulaire,  où  ils  les  assuraient 
que  les  lettres  de  change  tirées  en  57  et  58  seraient  payées  trois 
mois  après  la  paix  avec  intérêt,  celles  tirées  en  59  dans  les  dix- 
huit  mois,  et  que  les  billets  de  cai>se  ou  ordonnances  seraient 
acquittés  aussitôt  que  les  circonstances  le  permettraient.  Cette 
nouvelle  fut  comme  un  coup  de  foudre  pour  ces  malheureux,  à 
qui  l'on  devait  plus  de  40,000,000  de  francs  ;  il  y  en  avait  à 
peine  un  qui  n'était  pas  créancier  de  l'état.  "  Le  papier  qui 
nous  reste,  écrivit  M.  de  Levis  au  ministre,  est  entièremeut 
décrédité,  et  tous  les  habitans  sont  dans  le  désespoir.  Ils  ont 
tout  sacrifié  paur  la  conservatio7i  du  Canada.  Ils  se  trouvent 
actuellement  ruinés,  sans  ressources  ;  nous  ne  négligeons  rien 
pour  rétablir  la  confiance."  C'est  dans  celte  lettre  que  le  général 
français  informait  le  ministre  qu'il  était  hors  d'état  de  tenir  la 
campagne,  que  vivres  et  munitions,  tout  manquait,  que  les  batail- 
lons réguliers  n'ayant  plus  assez  d'officiers  et  de  vieux  soldats,  ne 
composaient  plus  qu'environ  3,100  comlattans,y  compris  les  900 
soldats  de  la  colonie. 

Le  général  de  Levis  alla  inspecter  lui-même  la  frontière  du  lac 
Champlain  qu'il  fit  renforcer  d'uu  nouveau  bataillon,  et  parcourut 
le  pays  en  profitant  de  la  confiance  que  lui  témoignaient  les  habi- 
tans pour  ranimer  leur  zèle  et  leur  courage,  calmer  leurs  alarmes 


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Bur  le  papier  du  gouvernement,  et  pour  les  engager  à  fournir 
des  vivres.  Il  n'y  avait  plus  de  poudre  que  pour  un  combat,  et 
les  Anglais  étaient  en  campagne  avec  trois  armées  nombreuses 
marchant  sur  Montréal,  l'une  venant  de  Québec,  la  seconde  du 
lac  Champlain  et  la  troisième  d'Oswégo  au  pied  du  lac  Ontario. 
La  première  qui  s'était  mise  en  mouvement  était  celle  du 
général  Murray.  L'arrivée  des  trois  vaisseaux  anglais  pendant 
que  les  Français  faisaient  le  siège  de  leur  capitale  perdue,  fut 
suivie  le  18  mai  de  celle  de  la  flotte  de  lord  Colville,  qui  porta 
les  forces  navales  anglaises  devant  cette  ville  à  six  vaisseaux  de 
ligne  et  huit  frégates  ou  sloops  de  guerre  ;  mais  les  renforts  de 
soldats  attendus  ne  parurent  que  dans  le  mois  de  juillet  sous  les 
ordres  de  lord  RoUo.  Le  14  de  ce  mois  le  général  Murray,  lais- 
sant des  forces  considérables  à  Québec,  s'embarqua  avec  une 
partie  de  ses  troupes  sur  une  escadrille  de  trente-deux  voiles,  deux 
à  trois  cents  berges  et  neuf  batteries  flottantes,  pour  remonter  le 
St.-Laurent.  11  laissa  derrière  lui  le  fort  Jacques  Cartier,  que 
défendait  le  marquis  d'Albergotti  avec  200  hommes,  et  qui  se 
rendit  dans  le  mois  de  septembre  au  colonel  Fraser,  venu  pour 
l'attaquer  avec  1000  hommes.  A  Sorel,  Murray  fut  rejoint  par 
lord  Rollo  et  deux  régimcns.  Dans  les  derniers  jours  d'août  il 
n'était  encore  rendu  qu'à  Varennes,  où,  plus  circonspect  que 
jamais  depuis  la  journée  du  28  avril,  il  résolut  d'attendre  l'arrivée 
du  général  Amherst  et  du  chef  de  brigade  Haviland.  Il  avait 
été  informé  que  le  général  de  Levis  avait  réuni  les  détachemens 
qui  s'étaient  repliés  depuis  Jacques-Cartier  pour  ne  pas  être 
débordé,  et  qu'il  épiait  l'occasion  d'attaquer  les  Anglais  séparé- 
ment s'il  pouvait  le  faire  avec  avantage. 
St.-Laurent,  Murray  escarmouchant  ça  et 
mission  de  quelques  paroisses,  et  en  avait  brûlé  d'autres  comme 
Sorel,  où  il  y  avait  un  petit  camp  retranché  qu'il  n'avait  pas  jugé 
à  propos  d'attaquer.  A  Varennes,  il  fit  publier  qu'il  brûlerait  les 
villages  qui  ne  rendraient  pas  les  armes,  et  que  les  Canadiens  qui 
étaient  entrés  dans  les  bataillons  réguliers  subiraier»'  le  sort  des 
troupes  françaises  et  seraient  transportés  en  France.  Les  armées 
du  général  Amherst  et  du  brigadier  Haviland  approchaient  alors 
de  Montréal.  Cette  menace  eut  l'effet  désiré,  et  400  hommes 
de  la  seule  paroisse  de  Boucherville  vinrent  prêter  le  serment  de 


En   remontant  le 
à  avait  reçu  la  sou- 


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HISTOIRE   DU   CANADA. 


85t 


fidélité.  De  toutes  paris  les  milices  voyant  tout  perdu  déposaient 
les  armes,  et  les  réguliers,  laissés  sans  pain,  réduits  au  désespoir, 
désertaient  en  grand  nombre.  Le  7  septembre  l'armée  d'Havi- 
land  parut,  ce  qui  fut  le  signal  pour  le  peu  d'Indiens  qui  tenaient 
encore  pour  les  Français  de  les  abandonner  tout-i-fait. 

Haviland  était  parti  le  11  août  du  fort  St.-Frédéric,  sur  le  lac 
Champlain,  avec  3,500  hommes.  Le  colonel  Bougainville  s'était 
retiré  devant  lui,  abandonnant  successivement  l'île  aux  Noix, 
St.-Jean,  et  les  autres  petits  postes,  de  m'.nière  que  l'ennemi 
atteignit  Longueuil  sans  coup  férir  et  put  donner  la  main  aux 
troupes  du  général  Murray. 

La  principale  armée  était  celle  d'Amherst.  Ce  général  arriva 
de  Schenectady  à  Oswégo  le  9  juillet,  avec  une  partie  de  ses 
forces,  et  fut  rejoint  bientôt  après  par  son  arrière-garde  aux 
ordres  du  chef  de  brigade  Gage.  Cette  armée,  consistant  en 
11,000  hommes  dont  700  Indiens,  s'embarqua  du  7  au  10  août 
pour  descendre  le  St.-Laurent  ;  elle  arriva  devant  le  fort  de 
Levis,  qu'elle  investit  complètement  le  20.  Le  commandant 
Pouchot  abandonné  des  Sauvages,  ne  restait  plus  qu'avec  200 
hommes,  le  gros  des  Français  de  ce  côté  étant  aux  Cèdres  sous 
les  ordres  du  chevalier  de  la  Corne  ;  il  soutint  néanmoins  un 
siège  de  six  jours  ;  et  ce  n'est  qu'après  avoir  repoussé  un  assaut^ 
vu  ses  retranchemens  détruits,  ses  batteries  ruinées,  tous  ses  offi- 
ciers et  le  tiers  de  la  garnison  tués  ou  blessés,  qu'il  voulut  bien 
se  rendre,  ayant  eu  l'honneur  d'arrêter  avec  200  hommes  un« 
armée  de  11,000  pendant  12  jours. 

Le  général  Amherst  se  remit  en  route  le  31  août.  La  des- 
cente des  rapides  était  une  opération  dangereuse,  mais  cette  voie 
avait  été  choisie  pour  couper  toute  issue  aux  Français,  qui 
avaient  parlé  de  retraiter,  s'ils  étaient  forcés,  de  Montréal  au 
Détroit  et  du  Détroit  à  la  Louisiane.  Il  perdit  dans  les  rapides  des 
Cèdres  64>  berges  et  88  hommes,  et  parvint,  le  chevalier  de  la 
Corne  reculant  toujours  devant  lui,  sans  autre  accident  le  6  sep- 
tembre à  la  Chine,  où  il  débarqua  à  quatre  lieues  de  Montréal, 
dont  il  investit  le  côté  du  couchant  le  soir  même.  Il  avait  reçu 
on  descendant  la  soumission  des  populations  qui  se  trouvaient  su^ 
son  passage.  Les  deux  autres  armées  qui  l'attendaient,  inves- 
tirent la  ville  du  côté  opposé  le  8,  et  formèrent  réunies  à  la 


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HlHTOIHli    DU    CANADA. 


première  plus  de  17,000  hommes  munis  d'une  artillerie  formi- 
dable. 

Montréal,  bâti  sur  le  côté  sud  do  l'île  de  ce  nom,  entre  ime 
montagne  et  le  St.-Laurent,  était  entourré  d'un  simple  mur  de 
deux  à  trois  pieds  d'épaisseur  construit  pour  en  imposer  aux 
Indiens,  et  capable  seulement  de  résister  aux  flèches  «t  aux 
petites  armes.  Ce  mur,  protégé  par  un  fossé,  était  garni  de  six 
à  sept  petites  pièces  de  canon.  Une  batterie  d'un  môme  nom- 
bre de  pièces  rongées  par  la  rouille,  couronnait  une  petite  émi- 
nence  dans  l'enceinte  de  la  ville.  Telles  étaient  les  fortifications 
qui  couvraient  les  divers  débris  de  l'armée  française  réduite  avec 
les  habitans  restés  sous  les  drapeaux  à  3,000  hommes  environ, 
outre  les  500  soldats  placés  dans  l'île  Ste.-Hélène  vis-à-vis.  On 
n'avait  plus  de  vivres  que  pour  quinze  jours. 

Dans  la  nuit  du  6  au  7  septembre  M.  de  Vaudreuil  assembla 
im  conseil  de  guerre.  L'intendant  Bigot  y  lut  un  mémoire  sur 
l'état  de  la  colonie  et  un  projet  de  capitulation.  Tout  le  monde 
fut  d'avis  qu'il  convenait  de  préférer  une  capitulation  avantageuse 
aux  peuples  et  honorable  aux  troupes  à  une  défense  qui  ne  pou- 
vait retarder  que  de  quelques  jours  la  perte  du  pays  ;  et  le  matin 
le  colonel  Bougainville  fut  chargé  d'aller  proposer  aux  ennemis 
une  suspension  d'armes  d'un  mois.  Cette  demande  ayant  été 
refusée,  il  retourna  offrir  la  capitulation  dont  l'on  vient  de  parler 
et  qui  se  composait  de  55  articles.  Le  général  Amherst  accorda 
presque  tout  ce  que  l'on  demandait,  excepté  la  neutralité  perpé- 
tuelle des  Canadiens  et  les  honneurs  de  la  guerre  pour  les  troupes. 
Ce  dernier  refus  blessa  profondément  le  général  de  Levis,  qui 
voulut  se  retirer  dans  l'île  Ste.-Hélène  pour  s'y  défendre  jusqu'à 
la  dernière  extrémité,  et  qui  ne  posa  les  armes  que  sur  l'ordre 
formel  du  gouverneur.  La  capitulation  fut  signée  le  8  sep- 
tembre. 

Par  cet  acte  célèbre,  le  Canada  passa  définitivement  au 
pouvoir  de  l'Angleterre.  Le  libre  exercice  de  la  religion  catho- 
lique fut  garanti  aux  habitans.  Les  séminaires  et  les  commu- 
nautés religieuses  de  femmes  furent  maintenus  dans  la  possession 
de  leurs  biens,  constitutions  et  privilèges  ;  mais  le  même  avantage 
fut  refusé  aux  Jésuites,  aux  Franciscains  et  aux  Sulpiciens  jusqu'à 
ce  que  Iç  roi  d'Angleterre  eût  fait  connaître  ses  intentions  à  leur 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


35» 


égard.  La  môme  réserve  fut  fuite  pour  les  dîmes.  Quant  aux 
lois,  usages  et  coutumes  du  pays,  il  fut  répondu  que  les  Canadiens 
seraient  sujets  du  roi,  paroles  qui  avaient  un  sens  beaucoup  plua 
étendu  que  ce  peuple  ne  se  l'imaginait  alors,  et  que  son  ignorance 
des  institutions  représentatives  lui  fit  négliger  d'invoquer  pour 
entrer  en  possession  des  droits  dont  il  n'avait  pas  encore  joui,  à 
savoir  :  la  votation  des  impôts,  la  participation  à  la  confection  des 
lois  et  le  jugement  par  jury.  11  en  fut  de  môme  du  37e  article 
de  la  capitulation  inséré  pour  tranquilliser  les  fortunes  particu< 
lières,  mais  dans  lequel  les  seigneurs  eurent  l'adresse  de  faire 
confirmer  la  conservation  de  leurs  droits  féodaux,  nobles  et  non 
nobles  ;  du  moins  ces  droits  paraissent  sauvegardés  par  les  termes 
dans  lesquels  l'article  est  couché. 

Les  Anglais  prirent  possession  de  Montréal  le  jour  môme.  Le 
gouverneur,  M.  de  Vaudreuil,  le  général  de  Levis,  les  troupes,  les 
officiers  de  l'administration  civile  et  militaire  s'embarquèrent  pour 
la  France,  après  qu'on  eût  expédié  l'ordre  à  M.  de  Belestre, 
commandant  du  Détroit,  où  trois  ou  quatre  cents  familles  cana- 
diennes étaient  établies,  ainsi  qu'aux  chefs  des  autres  postes  qui 
se  trouvaient  dans  ces  contrées,  de  les  remettre  au  major  Rogers, 
fameux  partisan,  ou  aux  officiers  députés  par  lui.  Il  repassa 
ainsi  en  Europe  environ  185  officiers,  2,400  artilleurs  ou  soldats 
de  terre  et  de  la  colonie  y  compris  les  blessés  et  les  invalides,  et 
un  peu  plus  de  500  matelots,  domestiques,  femmes  et  enfans  ;  le 
reste,  5  à  600  soldats,  canadiens  ou  français  mariés  dans  le  pays 
ou  qui  y  avaient  pria  des  terres,  ayant  abandonné  les  drapeaux 
pour  ne  pas  quitter  l'Amérique.  Ces  chiffires  prouvent  à  la  fois 
les  cruels  ravages  de  cette  guerre,  la  faiblesse  des  secours  envoyés 
par  la  métropole  et  l'immense  supériorité  numérique  du  vain- 
queur. Les  citoyens  les  plus  marquans  abandonnèrent  aussi  le 
pays.  L'on  encouragea  leur  émigration,  celle  des  officiers  cana- 
diens surtout  dont  l'on  désirait  se  débarrasser,  et  qui  furent 
vivement  sollicités  de  passer  en  France.  Le  Canada  perdit  par 
cet  exil  volontaire  une  population  précieuse  par  l'expérience,  par 
les  lumières  et  par  la  connaissance  des  affaires  publiques  et 
commerciales. 

Ainsi  au  commencement  de  1761,  la  domination  française  avait 
cessé  d'existsr  dans  toute  l'étendue  du  Canada  après  avoir  duré 


1.4     ! 


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360 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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un  siècle  et  demi.  En  quittant  cette  contrée,  M.  de  Vaudreuil 
rendit  cet  hommage  à  ses  habitans  dans  une  lettre  aux  ministres 
de  Louis  XV  :  "  Avec  ce  beau  et  vaste  pays,  la  France  perd 
70,000  âmes  dont  l'espèce  est  d'autant  plus  rare  que  jamais 
peuples  n'ont  été  aussi  dociles,  aussi  braves  et  aussi  attachés  à 
leur  prince.  Les  vexations  qu'ils  ont  éprouvées  depuis  plusieurs 
années,  et  particulièrement  depuis  les  cinq  dernières  avant  la 
reddition  de  Québec,  sans  murmurer  ni  oser  faire  parvenir 
leurs  justes  plaintes  au  pied  du  trône,  prouvent  assez  leur 
docilité." 

Quant  aux  troupes,  la  simple  exposition  de  leurs  combats  et  de 
leurs  travaux  suffit  pour  faire  leur  éloge.  Jamais  la  France  n'a 
eu  de  soldats  plus  intrépides  ni  plus  dévoués.  Dix  faibles  batail- 
lons, obligés  le  plus  souvent  de  se  recruter  dans  le  pays  même 
faute  de  secours  d'Europe,  eurent  à  défendre  un  pays  qui  s'éten- 
dait depuis  l'Acadie  jusqu'au  lac  Erié,  et  à  lutter  contre  le" 
troupes  dix  fois  plus  nombreuses  que  les  Anglais  amenèrent  an 
combat.  Bien  peu  de  ces  braves  gens  revirent  leur  patrie  où 
leur  dernier  général  rendit  pleine  justice  à  leur  mérite.  "  Ils 
ont  fait  des  prodiges  de  valeur,  écrivit-il  au  .ninistre,  ils  ont  donné, 
comme  les  habitans  eux-mêmes,  des  preuves  réitérées,  surtout  le 
28  avril,  que  la  conservation  du  Canada  ue  pouvait  dépendre  ni 
de  leur  zèle  ni  de  leur  courage  ;  et  c'est  une  puite  des  malheurs 
et  de  la  fatalité  auxquels  depuis  quelque  temps  ce  pays  était  en 
butte,  que  les  secouid  envoyé?  de  France  ne  soient  pas  arrivés 
dans  le  moment  critique.  Quelques  médiocres  qu'ils  fussent, 
joints  au  dernier  succès,  ils  auraient  déterminé  la  reprise  de 
Québec."  C'est  dans  cette  dépêche  qu'il  observait  que  le  gou- 
verneur avait  mis  en  usage  jusqu'au  dernier  moment,  toutes  les 
ressources  dont  la  prudence  et  l'expérience  humaines  pouvaient 
être  capables. 

Ce  général,  en  rentrant  en  France,  passa  à  l'armée  d'Alle- 
magne, où  il  assista  à  la  bataille  de  Johannesberg,  gagnée  en  1762 
par  le  prince  de  Condé  sur  le  fameux  Guillaume  de  Brunswick. 
Après  la  guerre,  il  fut  nommé  au  gouvernement  de  la  province 
d'Artois,  créé  maréchal  de  Freice  en  1783,  et  duc  l'année  sui- 
vante. Il  mourut  trois  ans  aprè?  à  ArraS;  où  il  j'éiuit  rendu 
pour  tenir  les  états  de  cette  province,  qui  lui  décernèrent  de 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


361 


magnifiques  obsèques  et  lui  firent  ériger  un  monument  dans  la 
cathédrale  de  la  ville. 

Sa  conduite  en  Canada,  surtout  après  la  mort  de  Montcalm, 
suffit  pour  nous  donner  l'idée  la  plus  avantageuse  de  ses  talens 
militaires.  Sa  présence  au  combat  semblait  assurer  le  succès. 
L'on  gagna  toutes  les  batailles  où  il  assista  ;  et  nous  osons  pres- 
qu' assurer  que  s'il  eût  été  à  Québec  le  13  septembre,  le  résultat 
de  cette  journée  eut  été  bien  différent  ;  il  aurait  eu  assez 
d'influence  sur  Montcalm  pour  l'empêcher  de  combattre  avant  la 
réunion  de  toutes  les  troupes.  Il  était  peut-être  le  seul  homme 
capable  de  sauver  le  pays.  Sa  prudence  du  reste  Pempêcha 
toujours  d'entrer  dans  cjb  malheureuses  querelles  qui  désunirent 
Vaudreuil  et  Montcalm,  et  s'il  n'avait  pas  la  vivacité  du  dernier, 
il  avait  ce  qui  est  beaucoup  plus  précieux  pour  commander  une 
armée,  le  jugement,  la  fermeté,  le  coup-d'œil  militaire  et  enfin  le 
bonheur  de  la  victoire. 

M.  de  Bourlamarque  mourut  en  64,  gouverneur  de  la  Guade- 
loupe. Quant  au  colonel  de  Bougainville,  chacun  sait  qu'il  prit 
une  part  glorieuse,  comme  officier  supérieur,  aux  campagnes  de 
la  marine  française  dans  la  guerre  de  la  révolution  américaine,  et 
qu'il  s'est  surtout  illustré  par  son  voyage  autour  du  monde  et  ses 
découvertes  géographiques. 

La  nouvelle  de  la  soumission  totale  du  Canada  fut  accueillie  en 
Angleterre  avec  les  mêmes  démonstrations  de  joie  que  celle  de 
la  reddition  de  Québec.  Le  roi  uonna  des  gratifications  aux  offi- 
ciers qui  apportèrent  les  dépêches  confirmant  cet  heureux  évé- 
nement. En  France,  le  gouvernement  s'attendait  depuis  long- 
temps à  ce  qui  arrivait,  puisqu'il  avait  envoyé  des  instructions 
pour  obtenir  les  conditions  les  plus  avantageuses  en  faveur  des 
colons,  premières  victimes  de  ce  grand  désastre  national.  Maia 
la  masse  de  la  nation,  qui  ignorait  à  quel  état  de  faiblesse  était 
réduit  tout  le  (système  colonial,  fut  vivement  émue  de  la  perte  de 
sa  plus  belle  et  de  sa  plus  ancienne  coL  lie  ;  elle  se  sentit  la 
rougeur  au  front  et  le  remords  au  cœur  en  voyant  passer  sous  le 
joug  étranger  60,000  de  ses  enfans,  parlant  la  même  langue, 
vivant  sous  les  mêmes  lois  qu'elle,  et  qui  s'étaient  .acrifiés  inu- 
tilement depuis  sept  ans  pour  éviter  une  destinée  qu'un  meil- 
leur gouvernement  eût  conjurée  ;  elle  se  contînt  néanmoins  aux 


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36a 


HISTOIRE   DV   CANADA. 


yeux  de  l'univers  ;  elle  chercha  un  prétexte  pour  voile'"  sa 
défaite,  et  le  gouvernement,  comme  il  faisait  dans  le  même  temps 
pour  les  Indes  en  sacrifiant  M.  de  Lally,  lui  jeta  encore  pour  la 
satisfaire  de  nouvelles  victimes  dans  la  personne  de  fonction- 
naires innocena  ou  d'obcurs  prévaricateurs.  La  plupart  des 
administrateurs  du  Canada,  eu  débarquant  en  France,  furent 
livrés  à  la  vindicte  publique  et  traînés  devant  une  commission 
judiciaire  du  Châtelet  de  Paris. 

L'intendant  Bigot,  comme  chef  de  l'administration  des  finances 
et  des  subsistances  des  armées,  fut  celui  qui  éprouva  le  premier 
la  colère  vraie  ou  simulée  du  ministère,  mais  qui  était  pourtant 
bien  fondée.  Un  cri  universel  s'était  élevé  contre  ce  fonction- 
naire parmi  ceux  qui  s'intéressaient  aux  possessions  coloniales  j 
tous  les  Canadiens,  disait-on,  sont  prêts  à  déposer  des  malversa- 
tions qui  s'étaient  commises.  Lorsque  Bigot  se  présenta  à  Ver- 
sailles, M.  Berryer  l'accueillit  par  des  paroles  de  disgrâces  et  de 
reproches.  "  C'est  vous,  lui  dit-il,  qui  avez  perdu  la  colonie. 
Vous  y  avez  fait  des  dépenses  énormes  ;  vous  vous  êtes  permis 
le  commerce  ;  votre  fortune  est  immense votre  adminis- 
tration a  été  infidèle,  elle  est  coupable."  L'intenriant  essaya 
vainement  de  se  justùer.  Disgracié,  il  se  retira  à  Bordeaux,  où, 
ayant  appris  quelques  mois  après  qu'il  était  question  de  l'arrêter, 
il  revint  à  Paris  pour  tâcher  de  conjurer  l'orage  ;  mais  toutes  les 
issues  du  pouvoir  lui  furent  fernr.ées,  et  quatre  jours  après,  le  17 
novembre  1761,  il  fut  jeté  à  la  Bastille  où  il  resta  onze  mois 
entiers  sans  communiquer  avec  personne.  En  même  temps, 
vingt  autres  prévenu,  à  titre  de  complices,  subirent  le  môme 
sort,  et  plus  de  trente  furent  décrétés  de  prise  de  corps  comme 
contumaces.  Le  conseil  d'état  ordonna  au  Châtelet  d'instruire 
leur  procès  criminellement,  à  eux  et  à  leurs  adhérons. 

Le  gouverneur  lui-même,  M.  de  Vaudreuil,  n'échappa  pas 
à  la  disgrâce  de  la  Bastille,  qu'il  dut  peut-être  autant  aux  insinua- 
tions des  anciens  partisans  du  général  Montcalm  qu'à  cel'^s  plus 
perfides  encore  de  Bigot.  La  procédure  de  la  part  du  mii.istère 
public  fut  conduite  avec  la  plus  grande  activité,  et  dura  depuis  le 
mois  de  décembre  61  jusqu'à  la  fin  de  mars  63.  Les  accusés 
obtinrent  en  octobre  62  des  conseils  pour  préparer  leurs  défenses. 
Le  marquis  de  Vaudreuil  avait  gouverné  le  Canada  durant  l'épo- 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


363 


que  la  plus  difficile  de  son  histoire,  et  il  avait  mis  en  usage  jus- 
qu'au dernier  moment  toutes  les  ressources  dont  la  prudence  et 
l'expérience  humaines  peuvent  être  capables  comme  le  mandait 
l'évêque  de  Québec  au  gouvernement.*     Il  entrait  pauvre  en 
France  après  avoir  servi  le  roi  cinquante-six  ans, dont  une  partie 
comme  gouverneur  des  Trois-Rivières  et  de  la  Louisiane.     Il 
avait  acquis  des  plantations  dans  cette  demlôre  province,  qu'il 
avait  été  obligé  de  vendre  pour  soutenir  la  dignité  de  son  rang  en 
Canada.     Il  avait  même  sacrifié,  comme  Montcalm  et  le  général 
de  Levis,  ses  appointemens  pour  subvenir  aux  besoins  publics  à 
la  fin  de  la  guerre.     Ainsi  toute  sa  fortune,  comme  il  le  disait 
lui-même,  consistait  dans  l'espérance  des  bienfaits  du  roi.    Aussi 
sa  défense  fut-elle  pleine  de  dignité.     Il  ne  fit  que  repousser  les 
insinuations  des  vrais  coupables,  et  dédaignant  de  se  justifier  lui- 
même,  il  éleva  la  voix  en  faveur  des  otficiers  canadiens  que  Bigot 
avait  accusés.     "  Elevé  en  Canada,  il  les  connaissait,  disait-il,  et 
il  soutenait  qu'ils  étaient  presque  tous  d'une  probité  aussi  éprouvée 
que  leur  valeur.     En  général,  les  Canadiens  semblent  être  nés 
soldats  ;  une  éducation  mâle  et  toute  militaire  les  endurcit  de 
bonne  heure  à  la  fatigue  et  au  'langer.     Le  détail  de  leurs  expé- 
ditions, de  leurs  voyages,  de  k  urs  entreprises,  de  leurs  négocia- 
tions avec  les  naturels  du  pays,  offre  des  miracles  de  courage, 
d'activité,  de  patience  dans  la  disette,  de  sang-froid  dans  le  péril, 
de  docilité  aux  ordres  des  généraux,  qui  ont  coûté  la  vie  à  plu- 
sieurs sans  jamais  ralentir  le  zèle  des  autres.     Ces  comraan- 
dans  intrépides,  avec  une  poignée  de  Canadiens  et  quelques 
guerriers  Sauvages,  ont  souvent  déconcerté  les  projets,  ruiné  les 
préparatifs,  ravagé  les  provinces  et  battu  les  troupes  des  Anglais 
huit  à  dix  fois  pîus  nombreuses  que  leurs  détachemens.     Ces 
talens,  étaient  précieux  dans  un  pays  dont  les  frontières  étaient 
si  vastes,"  e.  il  terminait  en  déclarant  "  qu'il  manquerait  à  ce 
qu'il  devait  à  ces  généreux  guerriers,  à  l'état  et  à  lui-même,  s'il 
ne  publiait  leurs  services,  leurs  talens  et  Lur  innocence."     L'on 
peut  dire  aussi,  en  confirmation  de   ces  paroles,  que  tous  les 
officiers  canadiens  de  l'ordre  militaire  qui  restèrent  dans  le  pays 
après  la  capitulation,  se  trouvèrent  beaucoup  plus  pauvres  qu'a- 
vant la  guerre,  et  que  dans  ceux  de  l'ordre  civil,  on  n'en  remarqua 
*  Lettre  de  l'évêque  de  Québec  au  ministre. 


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364 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


point  qui  se  fussent  enrichis,  à  l'exception  du  contumace  Desche- 
naux, secrétaire  de  l'intendant,  et  de  quelques  spéculateurs  obs- 
curs qui  lui  servaient  d'instrumens,  et  dont  la  fortune  acquise  au 
milieu  des  désastres  et  de  la  ruine  publique,  a  attaché  à  leurs 
noms  une  flétrissure  ineifaçable.  Enfm,  le  président  de  la  com- 
mission, assisté  de  vingt-cinq  conseillers  au  Chàtelet,  rendit,  le 
10  décembre  1763,  son  arrêt  contre  les  accusés.  Le  marquis 
de  Vaudreuil,  qui  mourut  l'année  suivante  moins  des  suites  de 
l'âge  que  des  chagrins  causés  par  l'ingratitude  du  gouvernement, 
fut  déchargé  de  l'accusation  avec  cinq  autres.  Bigot  fut  banni  à 
perpétuité  du  royaume,  et  ses  biens  furent  confisqués.  Le  reste 
des  accusés  fut  condamné  à  des  bannissemens,  à  des  confiscations 
ou  à  des  restitutions  plus  ou  moins  considérables,  qui  s'élevèrent 
en  totalité  à  11  millions  400  mille  francs,  ou  leur  jugement  fut 
remis  jusqu'à  plus  ample  informé. 

Il  est  indubitable  que  de  grandes  dilapidations  avaient  eu  lieu  ; 
mais  elles  ont  été  beaucoup  exagérées,  comme  on  peut  s'en  con- 
vaincre en  comparant  les  dépenses  du  Canada  à  celles  des  colo- 
nies anglaises  dans  cette  guerre.  La  levée  et  l'entretien  de 
7,000  hommes  coûtèrent  en  1758  au  Massachusetts,  180,000  louis 
sterling,  outre  30,000  louis  pour  la  défense  de  la  frontière,  en  tout 
5,250,000  francs.  Dès  la  première  année  de  la  guerre,  le 
Canada  eut  une  armée  aussi  nombreuse  à  nourrir,  sans  compter 
une  partie  des  Acadiens.  Cette  armée,  sans  augmenter  beau- 
coup jusqu'en  1759,  eut  à  faire  face  aux  forces  bien  supérieures 
de  l'ennemi,  et  à  se  transporter  continuellement  à  de  grandes 
distances  pour  les  repousser  sur  différens  points  d'une  frontière 
qui  s'étendait  du  golfe  St.-Laurent  au  Mississipi.  Les  frais  de 
transport  dans  l'état  où  étaient  alors  les  communications,  devaient 
être  énormes.  Bientôt  aussi  la  disette  des  vivres  et  des  mar- 
phandises,  causée  d'une  part  par  la  suprématie  de  l'ennemi  sur 
les  mers,  qui  interrompait  les  communications  avec  la  France,  et 
de  l'autre  par  l'abandon  dans  lequel  resta  une  partie  des  terres 
par  suite  de  l'enlèvement  des  habitans  pour  le  service  militaire, 
vint  décupler  les  dépenses  en  conséquence  de  la  hausse  exorbi- 
tante des  prix  de  toutes  choses.  Aussi  ces  dépenses  montèrent- 
elles  fort  rapidement.  De  1,700,000  livres  qu'elles  étaient  en 
1749,  elles  s'élevèrent   succesaivement  d'année    en  année  à 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


365 


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2,100,000,2,700,000,  4,900,000,  5,300,000,  4,450,000,  6,]00,- 
000,  11,300,000,  19,250,000,  27,900,000,  26,000,000  fr.,  et  pour 
les  huit  premiers  mois  de  1760  à  13,500,000  ;  en  tout,  à  plus  de 
123  millions. 

De  cette  somme  il  restait  dû  par  l'état  80  millions,  dont  41 
millions  aux  Canadiens  :  34  millions  en  ordonnances  et  7  mil- 
lions en  lettres  de  change.     La  créance  des  Canadiens,  immense 
pour  le  pays,  fut  prcsqu'entièrement  perdue.     Des  marchands  et 
des  officiers  de  l'armée  anglaise  achetèrent  à  vil  prix  une  partie 
de  ces  papiers,  en  revendirent  une  portion  à  des  facteurs  français 
eur  la  place  de  Londres  pour  de  l'argent  comptant,  et  ayant 
ensuite,  par  leur  influence  auprès  de  leur  gouvernement,  fait 
stipuler  au  traité  de  63  un  dédommagement  de  3  millions  600 
mille  francs  pour  la  réduction  opérée  par  la  France  de  la  moitié 
sur  les  lettres  de  change  et  des  trois  quarts  sur  les  ordonnances, 
réduction  qui  avait  eu  l'eflet  de  faire  perdre  d'un  seul  coup  29 
millions  aux  Canadiens  sur  leurs  créances,  ces  marchands  et  ces 
officiers  furent  les  seuls  qui  retirèrent  quelque  profit  de  ce  dédom- 
magement.    Le  papier  dont  les  Canadiens  étaient  encore  nantis 
resta  longtemps  sans  valeur  ;  enfin  en  1765,  ils  furent  invités  à 
en  faire  la  déclaration  à  des  commissaires  préposés  à  cet  eflet  et 
à  en  laisser  des  bordereaux  entre  leurs  mains  pour  être  envoyés 
en  Angleterre.*     1,639  dépôts  de  bordereaux  furent  faits,  se 
montant  à  une  somme  considérable  ;  mais,  livrée  à  l'agiotage, 
cette  somme  fut  pesque  toute  absorbée  par  des  spéculateurs 
pour  des   valeurs   nominales.     En    mars   1766,   une  nouvelle 
convention  fut  signée  entre  les  agens  de  France  et  d'Angleterre 
pour  liquider  ce  qui  restait  du  papier  du  Canada.     11  fut  arrêté 
qu'il  serait  soldé  en  reconnaissances  ou  contrats  de  rente  à  4^ 
pour  cent  d'intérêt,  lesquels  suivraient,  pour  le  remboursement, 
le  sort  des  autres  dettes  de  l'état.    De  tout  cela  l'on  peut  con- 
clure, premièrement,  que  la  guerre  du  Canada  n'occasionna  pas 
cet  épuisement  de  la  France  auquel  ses  ministres  ont  bien  voulu 
attribuer  la  plupart  de  ses  malheurs,  comme  moyen  de  justifica- 
tion sans  doute,  puisqu'une  très  petite  partie  de  la  dépense  fut 

*  Récapitulation  générale  des  bordereaux  ;  Registre  déposé  aux  archives 
provinciales  â  Québec. 

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366 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


11,  -, 


soldée  pendant  qu'elle  avait  encore  les  armes  à  la  main  ;  et  en 
second  lieu,  que  l'accusation  portée  contre  les  fonctionnaires  de 
la  colonie  avait  pour  objet  principalement  de  faire  retomber  sur 
eux  et  non  sur  les  ministres,  véritables  auteurs  des  désastres,  la 
responsabilité  des  événemens  et  la  haine  do  la  nation. 

Depuis  58  surtout,  la  fortune  semblait  vouloir  accabler  la 
France.  Elle  n'éprouvait  que  des  revers  sur  terre  et  sur  mer 
dans  toutes  les  parties  du  monde.  Le  trésor  étant  vide,  des  négo- 
ciations furent  tentées  inutilement  avec  l'Angleterre.  Le  duc  de 
Choiseul,  qui  venait  d'être  nommé  ministre  de  la  guerre  et  qui 
exerçait  réellement  les  pouvoirs  de  premier  ministre,  entraîna 
l'Espagne  dans  les  hostilités  par  le  traité  de  61,  connu  sous  le 
nom  de  pacte  de  famille  ;  mais  les  désastres  militaires  et  les 
malheurs  publics  ne  cessèrent  point  pour  cela  de  s'accroître  ; 
l'Espagne  perdit  Cuba,  Manille,  douze  vaisseaux  de  ligne  et  cent 
millions  de  prises  ;  pour  la  France  il  lui  restait  à  peine  une 
colonie  en  Amérique  ou  ailleurs,  et  elle  n'avait  rien  gagné  en 
Europe.  Grâce  à  la  médiation  de  la  Sardaigne,  aux  dispositions 
pacifiques  de  lord  Bute  qui  était  parvenu  à  éloigner  Pitt  d'un 
cabinet  qu'il  ne  gouvernait  plus,  et  peut-être  aussi  à  la  diversion 
sur  le  Portugal,  allié  de  l'Angleterre,  et  que  l'Espagne  et  la  France 
attaquèrent  dans  la  vue  d'en  faire  un  objet  de  compensation,  les 
préliminaires  de  la  paix  furent  signés  à  Fontainebleau  le  3 
novembre  62  entre  les  cours  de  France,  d'Espagne  et  d'Angle- 
terre, et  la  paix  définitive  à  Paris  entre  ces  trois  nations  et  le 
Portugal  le  10  février  suivant.  La  France  céda  entre  autres 
territoires  à  la  Grande-Bretagne  le  Canada  et  toutes  les  îles  du 
golfe  St.-Laurent,  eauf  les  îles  St.-Pierre  et  Miquelon  réservées 
pour  l'usage  de  ses  pécheurs,  et  à  l'Espagne  la  Louisiane  en 
échange  de  la  Floride  et  de  la  baie  de  Pensacola  qu'elle  aban- 
donnait aux  Anglais,  le  Mississipi  devant  former  la  limite  entre 
les  deux  nations.  La  seule  autre  stipulation  qui  regarde  le  Canada 
fut  celle  par  laquelle  l'Angleterre  déclara  que  les  Canadiens 
jouiraient  du  libre  exercice  de  leur  religion.  Le  silence  fut  gardé 
sur  l'article  de  leurs  lois,  attendu  probaHement  qu'en  devenant 
sujets  anglais,  ils  devenaient  participant  du  pouvoir  législatif, 
tandis  que  le  catholicisme,  frappé  alors  de  réprobation  par  la 


i'I 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


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constitution  de  l'état,  avait  besoin  d'une  stipulation  expresse  pour 
devenir  un  droit. 

La  Louisiane,  qui  subissait  le  sort  du  Canada,  n'avait  pas  ét6 
conquise.  Elle  avait  joui  même  d'assez  de  tranquillité  pendant 
tout  le  temps  de  la  guerre.  Depuis  1731,  où  nous  avons  laissé  son 
histoire,  cette  contrée  qui  avait  inspiré  tant  d'espérance,  avait 
commencé  à  prospérer.  La  guerre  avec  les  Natchés  qui  avait 
achevé  d'épuiser  la  compagnie  des  Indes  créée  on  1723,  l'avait 
forcée  de  remettre  huit  ans  après  la  Louisiane  au  roi,  qui  y  avait 
rendu  le  commerce  libre,.  Ce  beau  pays,  jouissant  de  plus  de 
liberté,  vit  la  population,  les  établissem.ens,  le  commerce  aug- 
menter d'abord  lentement  et  ensuite  avec  plus  de  rapidité.  C'est 
alors  que  l'esprit  de  changement  vint  encore  planer  sur  cette 
terre  à  peine  habitée,  et  qui  avait  déjà  subi  tant  de  révolutions 
dans  son  administration.  Le  gouvernement  français  voulut  réa- 
liser le  vieux  projet  formé  dans  le  siècle  précédent,  d'unir 
ensemble  le  Canada  et  la  Louisiane  pour  fermer  aux  Anglais  les 
régions  mystérieuses  de  l'Ouest,  et  les  retenir  sur  les  bords  de 
la  mer  atlantique.  Le  manque  d'habitans,  les  impossibilités 
physiques,  les  immenses  contrées  sauvages  qui  séparaient  ces 
deux  pays,  rendirent  ce  projet  inexécutable.  Après  la  paix  de 
1748  la  France  sembla  s'occuper  encore  une  fois  sérieusement 
de  la  colonisation  de  la  Louisiane.  Quoique  ses  mesures  ne 
fussent  pas  toujours  heureuses,  et  malgré  les  fausses  notions  de 
la  plupart  des  administrateurs  venus  d'Europe  pour  la  gouverner, 
malgré  aussi  les  désordres  qu'apportaient  dans  le  commerce  et 
les  finances,  des  émissions  imprudentes  d'ordonnances  et  de 
papier-monnaie  qui  tombaient  bientôt  dans  l'agiotage  et  le  dis- 
crédit, cette  colonie  faisait  des  progrès  assez  rapides  à  la  faveur 
de  la  paix  qui  y  régnait.  Mais  le  calme  dont  elle  jouissait  n'était 
qu'un  repos  trompeur.  Au  moment  où  elle  croyait  avoir  atteint 
le  plus  haut  degré  de  prospérité  auquel  elle  fut  parvenue  depuis 
sa  fondation,  elle  se  vit  tout-à-coup  frappée  des  plus  grands  mal- 
heurs qui  puissent  atteindre  un  peuple,  la  sujétion  étrangère  et  le 
partage  de  son  territoire  entre  différentes  nations." 

*  La  Nouvelle-Orléans,  quoique  située  sur  la  rive  gauche  du  Mississipi, 
fut  attachée  jusqu'au  lac  Pontchartrain  au  territoire  cédé  à  l'Espagne. 


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368 


HISTOIRE    nu    CANADA. 


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Lorsque  le  gouverneur  de  cette  contrée,  M.  irAbadle,  reçut  do 
Louis  XV,  en  (M-,  l'ordre  do  communiquer  le  traité  de  Paris  aux 
colons,  il  en  fut  si  alUigé  qu'il  mourut  de  chagrin.  Son  successeur, 
M.  Aubry,  chargé  d'accomplir  cette  triste  mission,  laissa  passer 
du  temps.  Les  Louisianais  consternés  firent  des  représentations 
en  France  dans  les  termes  les  plus  pressans  et  les  plus  pathéti- 
ques ;  et  lorsque  les  Espagnols  se  présentèrent,  en  GS,  avec  leur 
chef,  Don  Antonio  d'Ulloa,  homme  sage  et  modéré,  pour  prendre 
possession  du  pays,  ils  les  forcèrent  de  se  rembaniuer,  préfendant 
qu'on  n'avait  pas  droit  de  les  céder  sans  leur  consentement,  et 
que  d'ailleurs  ils  n'avaient  aucun  titre  de  leur  cour.  Louis  XV 
dut  alors  les  faire  informer  que  la  cession  était  irrévocal)lc. 
L'année  suivante  le  général  espagni>i  O'Reilly  arriva  avec  3,000 
hommes.  Ils  voulurent  s'opposer  à  son  débarquement,  mais  les 
magistrats  réussirent  à  les  apaiser,  et  le  procureur-général 
Lafreniere  alla  le  recevoir  et  l'assurer  de  la  soumission  des  habi- 
tans.  O'Reilly  montra  d'abord  beaucoup  de  bonté,  maintint  les 
anciennes  lois  et  entraîna  la  multitude  par  sa  conduite.  JNIaiscea 
apparences  de  justice  n'avaient  pour  but  que  de  mieux  cacher 
ses  desseins  ou  les  instructions  de  sa  cour.  Il  fallut  enfin  lever  le 
masque,  changer  les  lois  qu'il  avait  paru  d'abord  respecter,  et 
bouleverser  toute  l'administration  intérieure.  Lafreniere  et  les 
tribunaux  protestèrent  contre  ces  changemens.  O'Reilly  profita 
de  cette  opposition  pour  commettre,  dit  Barbé-Marbois,  des 
"  actes  de  violence  et  de  férocité  qu'il  confondait  avec  ceux  d'une 
sage  fermeté."  Il  convoqua  douze  députés  du  peuple  pour  fixer 
le  code  de  lois.  Ces  délégués  se  réunirent  chez  lui,  et  l'atten- 
daient pour  commencer  leurs  délibérations,  lorsque  les  portes  de 
la  salle  s'ouvrirent  et  O'Reilly  parut  à  la  tète  d'ime  troupe  de  sol- 
dats qui  saisissant  les  députés,  les  chargèrent  de  chaînes  et  les 
jetèrent  dans  les  cachots.  Six  d'entre  eux  furent  fusillés  par 
ordre  de  ce  gouverneur  sanguinaire.  Lafreniere,  avant  de  subir 
son  supplice,  protesta  de  son  innocence,  et  encouragea  ses  com- 
patriotes à  mourir  avec  fermeté.  Il  chargea  Noyan  d'envoyer 
son  écharpe  à  sa  femme  pour  la  remettre  à  son  fils  quand  il  aurait 
vingt  ans,  et  commanda  lui-même  le  feu  aux  soldats,  abandonnant 
à  ses  remords  le  perfide  Espagnol  qui  leur  avait  tendu  un  piège 


\rV**ir- 


M 


inSTOITlE   DU    CANADA. 


369 


pour  lc3  perdre.     Les  six  autres  furent  envoyés  dans  les  donjons 
de  Culia. 

Tel  est  l'événement  tragi(|ue  qui  marqua  le  passage  de  la  Loui- 
siane sous  une  domination  étrangère.  Il  ne  resta  plus  rien  à  la 
France  dans  l'Amérique  du  nord  (lue  quelques  rochers  nuageux 
et  stériles  répandus  sur  les  bords  de  la  mer  de  Tcrrcncuve  ;  der- 
nier débris  d\m  empire  écroulé,  qui  surnageaient  sur  les  flots  d'une 
mer  déjà  fatiguée  du  joug  do  l'Europe. 

"  Depuis  le  traité  de  Brctigny,  dit  Sismondi,  la  France  n'avait 
point  conclu  de  paix  aussi  humiliante  que  celle  qu'elle  venait  de 
signer  à  Paris,  pour  terminer  la  guerre  de  Sept  ans.  Aujourd'hui 
que  nous  connaissons  mieux  les  vastes  et  riches  pays  qu'elle 
venait  d'abandonner  en  Amérique,  que  nous  y  voyons  naître  et 
grandir  des  nations  puissantes,  que  ses  enfans  qui  se  sont  mainte- 
nus et  qui  ont  prospéré  à  Québec,  à  Montréal  cl  à  la  Nouvelle- 
Orléans,  attestent  l'importance  des  colonies  auxquelles  elle  renon- 
çait, cet  abandon  d'un  pays  appelé  à  de  si  hautes  destinées  paraît 
plus  désastreux  encore.  Toutefois  ce  n'est  point  une  raison  pour 
blâmer  les  ministres  qui  négocièrent  ou  qui  signèrent  la  paix  do 
17G3.  Elle  était  sage,  elle  était  nécessaire,  elle  était  aussi  avan- 
tageuse que  les  circonstances  pouvaient  le  permettre.  Les  Fran- 
çais n'avaient  réussi  dans  rien  de  ce  qu'ils  s'étaient  proposé  par 
la  guerre  de  Sept  ans;  ils  avaient  éprouvé  les  plus  sanglantes 
défaites  et  s'ils  s'obstinaient  à  la  guerre,  ils  avaient  tout  lieu  de 
s'attendre  à  dos  revers  plus  accablans  encore  ;  jamais  leurs  géné- 
raux n'avaient  paru  plus  universellement  dépourvus  de  talens  ; 
jamais  leurs  soldats,  toujours  également  braves,  n'avaient  été 
plus  pauvres,  plus  mal  tenus,  plus  soulTrans,  n'avaient  eu  moins 
de  confiance  en  leurs  chefs,  et,  en  raison  de  leur  mauvaise  disci- 
pline, moins  de  confiance  en  eux-mêmes  ;  jamais  la  France 
n'avait  inspiré  moins  de  crainte  à  ses  ennemis.  En  implorant 
l'assistance  de  l'Espagne,  elle  n'avait  fait  que  l'entraîner  dans  sa 
ruine  et  une  campagne  de  plus  pouvait  faire  perdre  à  son  alliée 
ses  plus  importantes  colonies. 

"  Quelque  désastreuse  que  fut  la  paix,  on  n'entrevoit  point  dans 
les  mémoires  du  temps,  que  la  France  se  sentit  huniiliée  ;  Bachau- 
mont  semble  n'y  voir  autre  chose  que  le  sujet  qu'elle  fournit  aux 


370 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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poëtcs  pour  des  vers  do  fôlicilation  et  des  divcrtisscmenspour  les 
théâtres.  A  chaque  page  on  sent,  en  lisant  ses  mémoires,  à  quel 
point  la  France  était  devenue  indiflërente  à  sa  politi(iue,  à  sa 
puissance,  à  sa  gloire.  Ceux  môme  qui  prenaient  plus  d'intérêt 
aux  alTaires  publiques,  oubliaient  les  Français  du  Canada  et  de  la 
Louisiane  qui  multipliaient  en  silence  dans  les  bois,  qui  s'asso- 
ciaient avec  les  Sauvages,  mais  qui  ne  fournissaient  ni  impôt  au  fisc, 
ni  soldats  aux  armées,  ni  marchandises  coloniales  au  commerce. 
Les  petits  établisscmens  pour  la  poche  de  la  morue,  à  Saint- 
Pierre  et  à  Miquelon,  les  petites  îles  de  Grenade,  de  Saint- 
V^incent,  de  la  Dominique,  de  Tabago,  cédées  à  l'Angleterre, 
paraissaient  aux  yeux  des  armateurs  de  St.-Malo,  de  Nantes  et 
de  Bordeaux,  beaucoup  plus  importantes  que  tout  le  Canada  et 
toute  l'Acadie. 

"  D'ailleurs,  la  nation  s'était  accoutumée  à  se  séparer  toujours 
de  plus  en  plus  de  son  gouvernement,  en  raison  môme  de  ce  que 
ses  écrivains  avaient  commencé  à  aborder  les  études  politiques. 
C'était  l'époque  ou  la  secte  des  économistes  se  donnait  le  plus 
de  mouvement,  depuis  que  le  marquis  de  Mirabeau  avait  publié, 
en  1755,  son  Ami  des  Iwmmes;  la  secte  des  encyclopédistes  se 
montrait  plus  puissante  encore,  et  la  publication  de  son  immense 
ouvrage  était  devenue  une  affaire  d'état  ;  enfin  J.  J.  Rousseau,  qui 
déjà,  en  1753,  avait  touché  aux  bases  mômes  de  la  société 
humaine  dans  son  Discours  sur  l'origine  de  Vinégalité  parmi  les 
hommes,  publiait  alors  VEmilc  et  le  Contrat  social  ;  tous  les 
esprits  étaient  en  mouvement  sur  les  plus  hautes  questions  de 
l'organisation  publique,  mais  les  Français  n'avaient  pu  s'en  occu- 
per sans  être  frappés  de  la  déraison^  de  l'absurdité  de  leur  propre 
administration  dans  toutes  ses  parties  ;  de  l'exclusion  donnée  au 
tiers-état  à  tous  les  grades  de  l'armée,  qui  ôtait  aux  soldats  toute 
émulation  ;  des  fardeaux  accablans  de  la  taille  et  de  la  corvée  qui 
ruinaient  les  campagnes  et  empêchaient  tout  progrès  de  l'agricul- 
ture j  de  la  tyrannie  des  intendans  et  des  subdélégués  dans  les 
provinces  ,  de  la  cruauté  de  la  justice  criminelle,  procédant  par 
le  secret  et  la  torture,  et  se  terminant  par  des  supplices  atroces, 
souvent  non  mérités  ;  du  désordre  enfin  et  de  la  confusion  des 
finances,  où  personne  ne  pouvait  plus  se  reconnaître.    C'est 


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HISTOIRE   DU    CANADA. 


371 


ainsi  que  tous  les  Français  capables  de  réfléchir  et  de  sentir,  tous 
ceux  qui  formaient  l'opinion  publique  s'étaient  accoutumés  à  se 
nourrir  de  l'espérance  d'une  réforme  fondamentale  ;  ils  prenaient 
pour  la  France  l'honneur  de  ses  nobles  inspirations,  et  ils  laissaient 
à  son  gouvernement,  ou  plutôt  au  roi  toute  la  honte  de  ses  revers 
conséquence  inévitable  des  fautes  dont  elle  avait  à  gémir,  des 
vices  de  l'homme  insouciant,  sans  honneur  et  sans  désir  du  bien 
qui  ne  régnait  que  pour  satisfaire  à  ses  appétits  grossiers  et  ceux 
de  ses  maîtresses."* 

Il  y  en  eut  qui  ne  virent  dans  la  perte  du  Canada  qu'un 
grand  pas  de  lait  vers  la  ruine  de  cette  tyrannie  inerte  et  sensuelle. 
La  décadence  de  l'ancien  régime  monarchique  était  visible,  mais 
elle  pouvait  se  prolonger  longtemps.  Un  événement  comme 
celui  qui  venait  d'arriver  en  Amérique  devait  la  précipiter,  et  les 
penseurs  qui  voulaient  une  réformation  complète  dans  l'organisa- 
tion sociale,  et  qui  voulaient  appuyer  cette  régénération  sur  la 
liberté,  oublièrent  le  malheur  présent  de  la  nation  et  r-Tprirent 
la  foule  par  des  applaudissemens  qui  profanaient  à  leui  o  yeux  le 
culte  sacré  de  la  patrie.  Voltaire,  retiré  à  Ferney,  célébra  le 
triomphe  des  Anglais  à  Québec  par  un  banquet,  non  comme  le 
triomphe  de  l'Angleterre  sur  la  France,  mais  comme  le  triomphe 
de  la  liberté  sur  le  despotisme.  Il  prévoyait  que  la  perte  du 
Canada  serait  la  délivrance  des  colonies  anglaises,  et  par  suite 
ralTranchissement  de  toute  l'Amérique.  Après  le  banquet,  la 
compagnie  se  retira  dans  une  gallerie  terminée  par  un  théâtre 
élégant  où  l'on  joua  le  "  Patriote  insulaire,"  pièce  remplie  de  sen- 
ttmens  chaleureux  pour  la  liberté.  Voltaire  parut  lui-même  dans 
le  principal  rôle.  Après  la  pièce  les  fenêtres  de  la  galerie  s'ou- 
vrirent et  l'on  vit  une  cour  spacieuse  illuminée  et  ornée  de 
trophées  sauvages.  On  fit  partir  un  magnifique  feu  d'artifice  au 
bruit  d'une  musique  guerrière.  L'étoile  de  St.-George  lançait 
des  fusées  au-dessous  desquelles  on  voyait  représentée  la  cataracte 
de  Niagara,  f 

*  "  On  ne  peut  qu'être  frappé  ici,  écrivait  !e  21  i'évrier  1765  le  ministre 
anglais  à  Paris,  du  désordre  visible  des  affaires  publiques  et  du  déclin  de 
l'autorité  royale." — Raumer,  Bertraye,  etc. 

Histoire  des  Français. 

t  Publié  jldvertiser  de  Londres  du  23  novembre  1759. 


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372 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


Ce  spectacle  singulier  donné  par  un  Français  a  quelque  chose 
de  sinistre.  C'est  le  rire  effréné  d'une  haine  plus  forte  que  le 
malheur  ;  mais  ce  rire  effrayant  a  reçu  depuis  son  explication 
dans  les  bouleversemens  et  les  vengeances  à  jamais  mémorables 
de  93.  La  cause  des  Canadiens  fut  vengée  dans  des  flots  de 
sang.  Mais  hélas!  la  France  ne  pouvait  plus  rien  pour  des 
enfans  abandonnés  sur  les  bords  du  St.-Laurent  ;  et  un  peu  plus 
tard  elle  en  avait  perdu  le  souvenir. 


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LIVKE  ONZIEME. 

CHAPITRE  I. 


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DESPOTISME  MILITAIRE.— ABOLITION  ET  RÉTA- 
BLISSEMENT DES  ANCIENNES  LOIS. 

.   :,,,,  U60-1774.     ,  ,,„!,; 

Cessation  des  hostilités  ;  les  Canadiens  rentrent  dans  leurs  foyers.— Régime 
militaire  et  loi  martiale. — Cession  du  Canada  à  l'Angleterre. — Emigration 
de  Canadiens  en  France. — Les  lois  françaises  sont  abolies  et  la  religion 
catholique  est  seulement  toléi-ée. — Le  général  Murray  remplace  le 
général  Amherst. — Etablissement  d'un  conseil  exécutif,  législatif  et 
judiciaire. — Division  du  Canada  en  deux  districts,  et  introduction  des  lois 
anglaises. — Murmure  des  habitans. — Les  colons  anglais  demandent  une 
chambre  élective  dont  les  Canadiens  seraient  exclus,  et  accusent  de  tyran- 

,  nie  le  général  Murray,  qui  repasse  en  Europe. — Soulèvement  des  Indiens 
occidentaux. — Le  général  Caileton  gouverneur, — Il  change  U  conseil. — 
Le  peuple  continue  son  opposition  aux  lois  nouvelles. — Remontrances. — 
Rapports  de  MM.  Yorke,  de  Grey,  Marriott,  Wedderburn  et  Thurlow, 
oiRciers  de  la  couronne,  sur  les  grieft  des  Canadiens. — Rétablissement 
des  lois  françaises. — Nouvelle  demande  d'un  gouvernement  représentatif 
avec  l'exclusion  des  catholiques. — Pétitions  des  Canadieus  et  des  Anglais. 
.—Le  conseil  législatif  de  74  est  établi.  ,  -  , ., 

Les  Canadiens  qui  n'avaient  pas  quitté  l'armée  aprèa  le  siège  de 
Québec,  l'abandonnèrent  tout  à  fait  lors  de  la  capitulation  de 
Montréal,  et  la  paix  la  plus  profonde  régna  bientôt  dans  tout  le 
pays.  L'on  ne  se  serait  pas  aperçu  que  l'on  sortait  d'une  longue 
et  sanglante  guerre,  si  tant  de  dévastations  n'avaient  été  commises, 
surtout  dans  le  gouvernement  de  Québec,  où  il  ne  restait  plus 
que  des  ruines  et  des  cendres.  Ce  district  avait  été  occupé  pen- 
dant deux  ans  par  des  armées  hostiles  ;  la  capitale  avait  été 
assiégée  deux  fois,  bombardée  et  presqu'anéantie  ;  les  environs  qui 
avaient  servi  de  théâtre  à  trois  batailles  portaient  toutes  les  traces 
d'une  lutte  acharnée.  Les  habitans  ruinés,  décimés  par  le  feu 
sur  tant  de  champs  de  bataille,  ne  songèrent  plus  qu'à  se  ren- 
fermer dans  leurs  terres  pour  réparer  leurs  pertes  ;  et,  s'isolant 


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374 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


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de  leurs  nouveaux  maîtres,  ils  parurent  vouloir  à  la  faveur  de  leur 
régime  paroissial,  se  livrer  exclusivement  à  l'agriculture. 

Les  vainqueurs  s'occupèrent  des  moyens  de  mettre  en  sûreté 
leur  précieuse  conquêit.  Le  général  Amherst  fit  choix  des  trou- 
pes qui  devaient  rester  pour  en  faire  la  garde,  et  renvoya  le  reste 
on  Europe  ou  dans  les  autres  colonies.  Il  traita  le  Canada  en 
pays  barbare  sans  gouvernement  régulier  et  sans  lois.  Il  le 
divisa  en  trois  départemens  correspondant  aux  trois  divisions  du 
régime  français  et  le  mit  sous  la  loi  martiale.  Le  général  Mur- 
ray  fut  placé  à  Québec,  le  général  Gage  à  Montréal  et  le  colonel 
Burton  aux  Trois-Rivières.  Le  général  Amherst  revêtu  du  titre 
de  gouverneur-général,  après  avoir  laissé  ses  instructions  à  ces 
gouverneurs  particuliers,  partit  pour  New- York. 

Murray  établit  un  conseil  militaire  composé  de  sept  officiers  de 
l'armée,  siégeant  deux  fois  par  semaine,  pour  la  décision  des 
afiaires  civiles  ou  criminelles  les  plus  importantes,  se  réservant  les 
autres  pour  les  juger  lui-même  sans  appel,  et  laissant  la  connais- 
sance des  afiaires  de  police  dans  les  campagnes  aux  comman- 
dans  des  localités.  Le  général  Gage  adoucit  un  peu  ce  système. 
arbitraire  dans  les  limites  de  sa  juridiction.  Il  autorisa  les  capi- 
taines de  paroisse  à  terminer  les  différends  qui  pourraient  surve- 
nir entre  leurs  compatriotes,  avec  droit  d'appel  au  commandant 
militaire  du  lieu  ou  à  lui-même  ;  il  s'adoucit  encore  plus  tard  et 
divisa  son  gouvernement  en  ^inq  arrondissemens,  dans  chacun 
desquels  il  établit  une  cour  de  justice  composée  au  plus  de  sept 
et  au  moins  de  cinq  officiers  de  milice,  tenant  audience  tous  les 
quinze  jours,  et  relevant  selon  la  localité,  de  l'un  des  trois  conseils 
de  guerre  établis  à  Montréal,  à  Varennes,  à  St.-Sulpice,  et  formés 
d'officiers  de  l'armée  régulière.  De  toutes  ces  cours  il  y  avait 
appel  à  lui-môme,  par  qui,  du  reste,  les  sentences  en  matières 
criminelles  devaient  être  confirmées  et  pouvaient  être  changées 
ou  remises  totalement.  Les  Canadiens  au  moyen  de  leur;  officiers 
de  milice,  se  trouvèrent  ainsi  avoir  part  à  l'administration  de  la  jus- 
tice dans  le  gouvernement  de  Montréal.  Dans  celui  de  Québec, 
ils  n'y  participèrent  que  par  deux  hommes  de  loi  tirés  de  leur 
sein,  nommés  procureurs-généraux  '  t  commissaires  auprès  du 
tribunal  militaire  établi  dans  la  capitale,  l'un  pour  la  rive  gauche, 


"iS. 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


375 


et  l'autre  pour  la  rive  droite  du  St.-Laurent.    Aux  Trois-Rivièrea 
le  même  système  à-peu-près  fut  adopté. 

Ce  régime  purement  militaire  était  une  violation  directe  des 
capitulations,  qui  garantissaient  aux  Canadiens  les  droits  de  sujets 
anglais,  droits  par  lesquels  leurs  lois  ne  pouvaient  être  changées, 
ni  leurs  personnes  soustraites  à  leurs  juges  naturels  sans  leur  con- 
sentement. Ainsi,  lorsqu'ils  comptaient  jouir  d'un  gouvernement 
légal  à  l'ombre  de  la  paix,  ils  virent  leurs  tribunaux  abolis,  leurs 
juges  repoussés,  leurs  lois  méconnues  ou  mises  en  oubli  et 
toute  leur  organisation  sociale  entièrement  bouleversée  pour 
faire  place  à  la  plus  abjecte  tyrannie,  celle  de  l'état  de  siège 
et  des  cours  martiales.  Rien  ne  contribua  plus  à  isoler  le  gou- 
vernement de  la  population  que  cette  conduite  répudiée  depuis 
longtemps  du  droit  public  et  de  l'usage  des  nations.  Ne  con- 
naissant ni  la  langue,  ni  les  coutumes,  ni  le  caractère  du  peuple 
conquérant,  les  Canadiens  repoussèrent  les  juges  éperonnés  qui 
s'élevaient  au  milieu  d'eux  sans  même  offrir  le  gage  de  la  science, 
et  sans  se  plaindre,  car  ils  étaient  peu  accoutumés  à  solliciter,  ils 
arrangeaient  leurs  différends  ensemble  ou  recouraient  à  l'aide  du 
curé  et  des  notables  du  lieu,  dont  l'influence  augmenta  par-là 
même  dans  chaque  paroisse.  Par  un  heureux  effet  des  circons- 
tances le  peuple  et  le  clergé  se  trouvèrent  complètement  unis 
d'intérêt  et  de  sentiment,  et  sous  le  règne  de  l'épée  l'expression 
de  la  morale  évangélique  devint  la  loi  de  cette  population  ferme- 
ment unie  par  l'instinct  de  sa  conservation.  ■  ' 

Cette  organisation  militaire  qui  témoigne  de  la  crainte  qu'avait 
inspirée  la  résistance  du  Canada,  fut  approuvée  par  l'Angleterre, 
à  condition  qu'elle^  ne  subsisterait  que  jusqu'au  rétablissement  de 
la  paix  ;  et  qu'alors,  si  le  pays  lui  restait,  un  gouvernement  civil 
régulier  serait  établi.  L'on  demeura  quatre  ans  sous  la  loi  mar- 
tiale. Cette  époque  est  connue  dans  nos  annales  sous  le  nom  de 
Règne  militaire. 

Cependant  les  Canadiens  persistaient  à  croire  que  la  France 
ne  les  abandonnerait  pas,  et  qu'elle  se  ferait  rendre  la  colonie  à  la 
paix,  en  donnant,  s'il  était  nécessaire,  quelqu'équi valent.  Le 
clergé  qui  n'avait  pas  toujours  la  même  confiance,  ne  perdant 
point  de  vue  ses  intérêts  dans  toutes  les  éventualités  qui  pou- 
vf  '.ent  se  présenter,  rédigea  un  mémoire  sur  les  affaires  religieuses 


376 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


pour  être  adressé  aux  ducs  de  Bedford  et  de  Nivernois  pendant 
la  discussion  du  traité  de  paix.  Il  réclamait  la  garantie  de 
l'évêché  titulaire  et  du  chapitre  de  Québec  ainsi  que  celle  du 
séminaire.  "  L'évêque  titulaire,  disait-il,  tient  ses  pouvoirs  et  sa 
juridiction  de  sa  place  même  ;  sitôt  qu'il  a  été  confirmé  par  le 
pape,  il  n'est  plus  revocable  à  sa  volonté."  Il  suggérait  de  faire 
élire  l'évêque  par  le  chapitre  sous  le  plaiaer  du  roi  comme  on 
faisait  autrefois  dans  l'éghse  et  comme  l'on  fait  encore  en 
Allemagne.  .,  ,  ■      ';.       . 

Le  peuple  garda  le  silence  sur  ses  droits. 

On  ne  sait  quel  fut  l'effet  de  ces  réclamations  sur  l'Angleterre. 
Mais  après  trois  longues  années  passées  entre  la  crainte  et  l'es- 
pérance, les  habitans  durent  se  détrompt^'  toute-à-làit,  et  voir  leur 
destinée  fixée  à  celle  de  cette  puissance  par  le  traité  de  63, 
qui  lui  assura  la  possession  du  Canada,  et  détermina  une  nou- 
velle émigration.  Les  marchands,  les  hommes  de  loi,  les  anciens 
fonctionnaires,  enfin  la  plupart  des  notables  qui  pouvaient 
se  trouver  encore  dans  le  pays,  passèrent  en  France  après  avoir 
vendu  ou  même  abandonné  des  biens  qui  ont  été  jusqu'à  nos 
jours  un  objet  de  litige  entre  leurs  descendans.  Il  ne  resta  dans 
les  vil'es  que  quelques  rares  employés  subalternes,  quelques  arti- 
sans, à  peine  un  marchand,  et  les  corps  religieux.  Cette  émi- 
gration ne  s'étendit  point  aux  campagnes  où  le  sol  attachait  la 
population. 

La  France,  en  voyant  débarquer  sur  ses  bords  ces  émigrana 
qui  ne  pouvaient  se  séparer  d'elle,  fut  touchée  de  leur  dévoûment. 
Elle  les  favorisa,  les  accusillit  dans  les  administrations,  dans  la 
marine,  dans  les  années  ;  elle  récompensa  leur  zèle  et  leur  cou- 
rage par  de  hauts  grades.  Plusieurs  furent  nommés  au  gouver- 
nement de  ses  possessions  lointaines.  M.  de  Repentigny,  'a't 
marquis  et  plus  tard  brigadier  des  armées,  fut  gouverneur  du 
Sénégal  sur  les  côtes  d'Afrique  et  de  Mahé  dans  les  Indes  orien- 
tales, où  il  mourut  en  1776.  M.  Dumas  qui  avait  remplacé  M. 
de  Beaujeu  dans  le  commandement  des  Canadiens  à  la  bataille 
de  la  Monongahéla,  eut  le  gouver  ement  des  îles  de  France  et 
de  fiourbon.  Un  M.  de  Beaujeu  qui  s'était  déjà  distingué  en 
plusieurs  rencontres,  accompagna  Lapeyrouse  comme  aide-major- 
génértl  à  la  conquête  des  établissemens  de  la  baie  d'Hudson  en 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


377 


1782,  et  fut  ensuite  un  des  80  gentilshommes  qui  défendirent  si 
héroïquement  la  redoute  de  Bethune  contre  les   républicains 
français  en  1793.     On  peut  mentionner  aussi  le  marquis  de  Vil- 
leray,  capitaine  dans  les  gardes   du   corps,  et  M.  Juchercau 
(Duchesnay),  lieutenant-colonel  d'artillerie  et  commandant  de  la 
place  de  Charleville,  où  il  fut  tué  dans  une  sédition  populaire  en 
1792.     D'autres  servirent  avec  distinction  dans  la  marine,  comme 
M.  Legardeur,  comle  de  Tilly,  MM.  Pellegrin,  de  l'Echelle,  La 
Corne  compagnon  d'armes  et  ami  du  fameux  bailli  de  SufTren, 
qui  tous  commandèrent  avec  honneur  des  vaisseaux  français  e* 
acquirent  un  nom  considéré  dans  la  marine.    Le  comte  de  Vau- 
drsuil  y  obtint  le  grade  d'amiral  dans  la  guerre  de  la  révolution 
américaine,  pendant  laquelle  il  détruisit  les  établissemens  anglais 
du  Sénégal  et  rendit  cette  colonie  à  sa  patrie.    Jacques  Bedout, 
natif  de  Québec,  parvint  à  celui  de  contre-amiral.     Il  était  capi- 
taine de  vaisseau  quand,  par  le  combat  sous  l'île  de  Croix  en 
1796,  il  mérita  cet  éloge  de  Fox  dans  la  chambre  des  communes  : 
"  Le  capitaine  du  Tigre,  combattant  pour  l'honneur  de  sa  patrie, 
a  rivalisé  en  mépris  pour  la  mort  avec  les  héros  de  la  Grèce  et 
de  Rome  :  il  a  été  fait  prisonnier,  mais  couvert  de  gloire  et  de 
blessures."*    Le  général  (de)  Léry,  officier  avant  1789,  et  qui 
a  fait  toutes  les  campagnes  de  la  révolution  et  de  l'empire,  com- 
mandait en  chef  le  génie  à  l'armée  d'Espagne,  où  il  montra  un 
talent  consommé  à  la  défense  de  Badajoz  qu'il  dirigea  en  per- 
tonne.    Il  gagna  à  la  bataille  d'Austerlitz  le  cordon  de  grand 
oiHcier  de  la  Légion  d'honneur,  et  Napoléon,  qui  l'avait  déjà 
nommé  baron,  lui  confia  le  commandement  du  génie  dans  la 
campagne  de  France  en  1814.     D'autres  officiers  qui  formaient 
comme  une  petite  colonie  canadienne  dans  la  Touraine,  y  vécu- 
rent d'une  pension  que  leur  fit  le  gouvernement. 

Ceux  qui  restèrent  en  Canada  durent,  suivant  la  promesse  de 
leur  nouvelle  métropole,  espérer  jouir  enfin  d'un  gouvernement 
régulier.  Quoique  l'on  eût  fini,  sous  le  régime  militaire,  par 
adopter  la  jurisprudence  française  et  par  jugei  suivant  les  lois  et 
dans  la  langue  du  pays,  cela  n'offrait  aucune  garantie  durable. 
Pour  faire  connaître  leurs  vœux  et  prendre  la  défense  de  leurs 
intérêts,  ils  envoyèrent  des  agens    à  Londres.     M.   Etienne 

*  Tableau  dea  deux  Canadas,  par  M.  I.  Lebrun. 


II. 


\ 


378 


HISTOIRE  DU    CANADA. 


Charrest  chargé  d'agir  avec  les  grands  vicaires  de  Québec  au 
sujet  de  l'article  du  traité  de  paix  qui  concernait  la  religion,  écri- 
vit plusieurs  lettres  au  comte  d'Halifax.  Il  réclama  le  maintien 
de  l'organisation  ecclésiastique,  le  rétablissement  du  droit  français, 
se  plaignit  de  la  justice  militaire,  de  ses  délai?,  recommanda  le 
règlement  des  ordonnances  et  autres  papiers  dus  par  la  France, 
la  prolongation  des  délais  pour  les  liquider,  délais  trop  courts 
pour  les  détenteurs  Canadiens  qui  étaient  obligés  de  les  vendre  à 
leur  ruine  à  des  marchands  qui  n'en  donnaient  que  ce  qu'ils 
voulaient.* 

Les  agens  religieux  renouvelaient  de  leur  côté  la  demande  de 
la  conservation  de  l'évêché.  Ds  offraient  de  loger  l'évêque  au 
séminaire  dont  il  serait  le  supérieur,  et  dont  les  prêtres  devenus 
chanoines  formeraient  son  chapitre.  "  C'est  un  usage  universelle- 
ment établi,  disaient-ils,  dans  toute  église,  qu'il  n'y  a  point  d'évêque 
titulaire  sans  chapitre." 

Le  gouvernement  tout  en  faisant  ses  objections  et  refusant  de 
reconnaître  l'évêque  sans  vouloir  le  troubler  pourtant,  ne  paraissait 
pas  disposé  à  montrer  beaucoup  de  rigueur.  Il  s'occupait  alors 
de  l'organisation  d'une  administration  régulière  et  permanente, 
qui  loin  d'alléger  le  fardeau  qui  pesait  sur  le  pays,  devait  le  rendre 
encore  plus  intolérable.  Chaque  jour  les  Canadiens  sentaient 
davantage  toute  la  grandeur  des  malheurs  de  la  sujétion  étrangère, 
et  que  les  sacrifices  qu'ils  avaient  faits  n'étaient  rien  en  compa- 
raison des  souffrances  et  des  humiliations  qui  se  préparaient  pour 
eux  et  pour  leur  postérité.  D'abord  l'Angleterre  voulut  répudier 
tout  ce  qui  était  français,  et  enlever  même  aux  habitans  les  avan- 
tages naturels  qu'offrait  l'étendue  de  leur  pays  pour  établir 
leurs  enfans.  Elle  démembra  leur  territoire.  Le  Labrador, 
depuis  la  rivière  St.-Jean  jusqu'à  la  baie  d'Hudson,  l'île  d'Anti- 
costi,  l'île  de  la  Magdeleine,  furent  annexés  au  gouvernement  de 
Terreneuve  ;  les  îles  St.-Jean  et  du  Cap-Breton,  à  la  Nouvelle- 
Ecosse  ;  les  terres  des  grands  lacs  aux  colonies  voisines.  Bientôt 
encore  le  Nouveau-Brunswick  fut  distrait  pour  prendre  le  nom 
qu'il  porte  aujourd'hui  et  une  administration  particulière. 

Du.  territoire,  l'on  passa  aux  lois  ;  et  le  roi,  de  sa  propre  auto- 

•  rJanuàcrits  de  l'Archevêché  de  Québec. — Lettres  du  16  et  du  27  janvier 
176^. 


^^ 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


370 


rite,  tout  en  déclarant  qu'il  serait  convoqué  des  assemblées 
représentatives  aussitôt  que  les  circonstances  le  permettraient, 
abolit  d'un  seul  coup  toutes  les  lois  anciennes  si  précises,  si 
claires,  si  sages,  j:  jur  y  substituer  les  lois  anglaises,  amas  conlua 
d'actes  du  parlement  et  de  décisions  judiciaires  enveloppées  dans 
des  formes  compliquées  et  barbares  dont  la  justice  n'a  pu  encore 
se  débarrasser  même  en  Angleterre,  malgré  les  efforts  de  ses  plus 
grands  jurisconsultes  ;  et  cette  abolition  était  faite  pour  assurer  la 
protection  et  le  bénéfice  des  lois  du  royaume  à  ceux  de  ses  sujets 
qui  iraient  s'établir  dans  la  nouvelle  conquête.*  C'était  renouve- 
ler l'attentat  contre  les  Acadiens,  s'il  est  vrai  de  dire  que  la 
patrie  n'est  pas  dans  l'enceinte  d'une  ville,  dans  les  bornes  d'une 
province,  mais  bien  dans  les  affections  et  les  liens  de  famille,  dans 
les  lois,  dans  les  mœurs  et  les  usages  d'un  peuple.  Personne  dans 
la  Grande-Bretagne  n'éleva  la  voix  contre  un  pareil  acte  de  tyran- 
nie, qui  privait  une  population  établie  de  ses  lois  et  de  sa  pro- 
priété, pour  une  immigration  qni  n'avait  pas  encore  commencé 
et  qui  n'arriverait  peut-être  jamais.f  L'ordre  avait  été  donné 
aussi  dans  les  instructions  royalesf  d'exiger  un  serment  de  fidélité. 
M.  Goldfrap,  sécréta'. e  du  gouverneur,  écrivait  encore  aux 
curés  trois  ans  après,  que  s'ils  refusaient  de  le  prêter,  ils  devaient 
se  préparer  à  sortir  du  Canada,  que  c'étaient  les  commandemens 
précis  du  roi  ;  les  habitans  qui  négligeraient  de  souscrire  la  décla- 
ration d'abjuration  subiraient  le  même  sort.  On  voulait  encore 
faire  répudier  aux  Canadiens  le  prince  de  Galles  qui  se  prétendait 
roi  d'Angleterre  sous  le  nom  de  Jacques  trois,  et  qu'ils  ne  connais- 
saient pas  plus  sous  un  nom  que  sous  l'autre.  Murray  avait  été 
en  même  temps  nommé  gouverneur-général  en  remplacement  de 
lord  Amherst  repassé  en  Europe  l'année  précédente,  et  qui  quoi 
qu'absent  peut  être  regardé  comme  le  premier  gouverneur  anglais 

•  "  Inthis  Court  (the  Superior  Court)  His  Majesty'sChief  Justice  présides 
with  power  and  authority  to  détermine  ail  criminal  and  civil  cases  agreeable 
to  the  laws  of  England, and  to  the  ordiiances  of  this  province." — Ordon.  du 
17  sept.  1764. 

■f  C'est  ce  qu'un  écrivain  osa  appeler  plus  tard  un  acte  de  bienfaisance  et 
de  politique  :  Political  Annals  of  Lower-Canada,  being  a  review  ofthe  Poli- 
tical  and  Législative  History  of  that  province,  4rc.,  bv  a  British  Settler.— 
{M.  Fleming,  marchand  de  Montréal.) 

t  Du  7  décembre  1763. 


'M 


380 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


de  ce  pays,  Gage,  Murray,  Burton  et  ensuite  llaldimand  qui 
remplaça  celui-ci  aux  Troia-Rivières,  promu  an  gouvernement 
de  Montréal,  n'ayant  agi  qu'en  sous  ordre  sous  lui.  Le  nouveau 
gouverneur,  en  obéissance  à  ses  instructions,  forma  un  nouveau 
conseil,  investi  conjointement  avec  lui,  des  pouvoirs  exécutif, 
législatif  et  judiciaire.  Il  ne  lui  manquait  que  le  droit  d'imposer 
des  taxes.  Ce  corps  devait  être  composé  des  lieutenans  gouver- 
neurs de  Montréal  et  des  Trois-Rivières,  du  juge  en  chef,  de 
l'inspecteur-général  des  douanes  et  de  huit  personnes  choi- 
sies parmi  les  habitans  les  plus  considérables.  Il  n'en  prit 
qu'un  seul  du  pays,  homme  obscur  et  sans  influence  choisi  pour 
faire  nombre.  Une  exclusion  jalouse  et  haineuse  avait  dicté  les 
instructions  de  la  métropole,  et  c'est  dans  ce  document  funeste 
que  prit  naissance  la  profonde  antipathie  de  race  remarquée  do 
nos  jours  par  lord'Durham,  et  qui  lui  a  servi  de  prétexte  pour 
recommander  le  rappel  de  l'acte  de  91,  et  la  réunion  de  tout  le 
Canada  sous  un  môme  gouvernement,  pour  noyer  tout-à-fait  les 
Canadiens  dans  une  majorité  anglaise. 

Ce  qui  restait  du  pays  subit  une  nouvelle  division,  et  fut  partagé 
en  deux  districts  séparés  par  les  rivières  St.-Maurice  et  St.- 
François,  afin  que  comme  il  n'y  avait  pas  de  pretestans  aux 
Trois-Rivières  pour  faire  des  magistrats,  ceux  de  Montréal  et  de 
Québec  pussent  tenir  les  sessioi.s  trimestrielles  de  cette  petite 
ville,*  parceque  malgré  les  traités,  l'on  cherchait  tant  que  l'on 
pouvait  à  introduire  en  Canada  la  loi  qui  frappait  les  Catholiques 
d'interdiction  politique.  Toute  l'ancienne  administration  judi- 
ciaire fut  en  même  temps  refondue.  On  érigea  une  cour  supé- 
rieure, civile  et  criminelle,  sous  le  nom  de  Cour  du  banc  du  roi, 
et  une  cour  inférieure  pour  les  petites  causes  dite  Cour  des 
plaidoyers  communs,  toutes  deux  calquées  sur  celles  de  l'Angle- 
terre, et  tenues  de  rendre  leurs  décisions  conformément  aux  lois 
anglaises,  excepté  seulement  dans  les  causes  pendantes  entie 
Canadiens  commencées  avant  le  1er  octobre  17b4.  Les  juges 
devaient"  être  nommés  par  la  majorité  du  Conseil  et  confirmés 
par  l'Angleterre.  Le  conseil  devait  servir  lui-même  de  cour 
d'appel  sous  la  révision  du  Conseil  Privé  du  roi.f 

•  Procès-verbaux  du  Conseil  Exécutif, 
t  Proçès-verbaux  du  Conseil  Exécutif. 


HISTOIRE    DO    CANADA. 


381 


Si  les  Canadiens  accueillirent  favorablement  les  lois  criminelles 
de  leur  nouvelle  métropole,  qu'ils  connaissaient  déjà  un  peu,  et  son 
code  de  commerce  calqué  en  grande  partie  sur  celui  de  France, 
publié  sous  le  grand  Colbert,  ils  repoussèrent  universellement  les 
nouvelles  lois  civiles,  qui  n'ont  servi  qu'à  favoriser  la  centralisa- 
lion  de  la  propriété  foncière  en  Angleterre,  et  il  s'éloignèrent  des 
tribunaux  où  on  les  administrait. 

Le  conseil  par  qui  l'on  faisait  décréter  tous  ces  changemens, 
discuta  et  passa  une  fouis  d'ordonnances  pour  régler  le  cour» 
monétaire,  obliger  les  propriétaires  à  enregistrer  les  titres  primi- 
tifs de  leurs  terres,  régler  les  lettres  de  change,  défendre  de  laisser 
le  pays  sans  permission,  fixer  l'âge  do  majorité,  statuer  sur  les 
crimes  de  trahison  et  félonie,  et  régler  la  police. 

Il  fut  question  aussi  d'organiser  une  grande  lotterie  de  10,000  bil- 
lets formant  en  totalité  je20,000  pour  rebâtir  la  cathédrale  incen- 
diée pendant  le  siège.  Pour  intéresser  les  lords  de  la  trésorerie, 
rarchevôque  de  Cantorbery,  l'évèque  de  Londres,  la  société  bibli- 
que,* on  proposait  de  leur  envoyer  une  copie  d'un  projet  qui 
annonçait  assez  clairement  le  dessein  de  s'emparer  des  biens 
religieux  des  Canadiens. 

En  môme  temps  le  bureau  du  commerce  nommait  un  agent, 
M.  Kneller,  pour  administrer  ceux  des  jésuites. 

On  ne  cessait  point  de  surveiller  attentivement  pendant  ce 
temps  là  la  population,  dont  on  paraissait  redouter  beaucoup  les 
mouvemens.  Au  commencement  de  65,  sur  la  demande  pré- 
sentée par  MM.  Amiot  et  Boisseau,  de  permettre  à  leurs  com- 
patriotes de  s'assembler,  le  conseil  n'y  consentit  qu'à  condition, 
que  deux  de  ses  membres  seraient  présens  avec  pouvoir  do  dis- 
soudre la  réunion  qui  ne  pourrait  avoir  lieu  qu'à  Québec.  L'an- 
née suivante  une  pareille  demande  faite  par  M.  Hertel  de  Rou- 
ville  pour  les  seigneurs  de  Montréal,  ne  fut  accordée  qu'à  la 
même  condition.  Le  général  Burton  qui  n'en  était  pas  prévenu, 
en  écrivit  aussitôt  aux  magistrats,  qui  lui  répondirent  que  tout 
était  dans  l'ordre.  En  tout  cas  répliqua  le  général  inquiet,  si 
vous  avez  besoin  de  secours  je  vous  en  enverrai  immédiatement.f 

Rien  d'étonnant  qu'avec  un  pareil  système  de  tyrannie  et  de 

•  Procés-verbaux  du  conseil  exécutif. 
t  Procès-verbaux  du  conseil  exécutif. 


M 


M 
m  '. 


382 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


bouleversement,  on  ne  tremblât  de  voir  la  victime  abattue  in- 
surger de  désespoir.  L'on  aperçut  en  eiïbt  do  l'inquiétude  dans 
les  esprits  ;  des  murmures,  sourds  d'abord, éclatèrent  ensuite  dana 
toutes  Ijs  classes.  Ceux  qui  connaissaient  les  Canadiens  de  tout 
temps  si  soumis  aux  lois,  commencèrent  à  craindre  les  suites  de 
ce  mécontentement  profond,  surtout  lorsqu'ils  les  virent  critiquer- 
tout  haut  les  actes  du  gouvernement,  et  montrer  une  hardiesse 
qu'on  ne  leur  avait  jamais  vue.  Le  général  Murray,  quoique 
sévère,  était  un  homme  honorable  et  qui  avait  un  bon  cœur.  Il 
aimait  ces  Canadiens  dociles  à  l'autorité  comme  de  vieux  soldats, 
dont  la  plus  grande  partie  avai;  contracté  les  habitudes  dans  les 
armées,  ces  habitans  braves  au  feu  et  simples  dans  leurs  mœurs, 
une  sympathie  née  dans  les  horreurs  de  la  guerre  le  portait  à 
compatir  à  leur  situation,  tandis  que  les  réminiscences  do  son 
propre  pays,  les  malheurs  de  ces  belliqueux  enfans  des  montagnes 
d'Ecosse  si  fidèles  à  leurs  anciens  princes,  augmentaient  chez  lui 
ces  sentimens  d'humanité  qui  honorent  plus  souvent  le  guerrier 
que  le  politique,  réduit  à  exploiter,  la  plupart  du  temps,  les  préju- 
gés populaires  les  moiiis  raisonnables.  Le  général  Murray,  pour 
tranquiUiser  les  esprits,  rendit  une  ordonnance  portant  que  dana 
les  procès  relatifs  à  la  tenurc  des  terres  et  aux  successions,  l'on 
suivrait  les  lois  et  coutumes  en  usage  dans  le  pays  sous  la  domi- 
nation française.  C'était  revenir  à  la  légalité,  car  si  l'Angleterre 
avait  le  droit  de  changer  les  lois,  sau?  l'agrément  des  habitans,  elle 
ne  pouvait  le  faire  que  par  un  acte  de  son  parlement  ;  ce  qui  fit 
dire  plus  tard  à  Mazères,  en  citant  la  conduite  de  Guillaume  le 
conquérant  et  d'Edouard  I  relativement  à  l'Angleterre  elle-même 
et  au  pays  de  Galles,  que  les  lois  anglaises  n'avaient  pas  été 
légalement  introduites  en  Canada,  le  roi  et  le  parlement,  et  non  le 
roi  seul,  étant  la  législature  propre  de  cette  colonie,  et  que  par 
conséquent  les  lois  françaises  y  étaient  encore  en  vigueur.* 

Là  situation  de  cet  administrateur  était  des  plus  difficiles.     En 
face  du  peuple  agreste  et  militaire  qu'il  était  appelé  à  gouverner,  < 
et  qui  avait  plus  de  franchise  que  de  souplesse  dans  l'expression 

"  •  A  plan  for  settling  the  laws  nnd  Ihe  administration  of  Justice  in  the 
province  of  Québec,"  précédé  de  •'  A  view  of  the  civil  government  and 
administration  of  Justice  in  the^  province  of  Canada  while  it  was  subject  to 
the  crown  of  France,"  par  Mazères,  Manuscrit, 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


383 


i 


:to 


de  ses  scntlmcns,  il  était  obligé  d'agir  avec  un  entourage  de  fonc- 
tionnaires qui  le  faisait  rougir  chaque  jour.  Une  nuée  d'aventu- 
riers, d'intrigans,  de  valets,  s'était  abattue  si  r  le  Canada  à  la 
suite  des  trou])e.s  anglaises  et  de  la  capitui  ilion  do  Montréal.' 
Des  marcliands  d'une  réputation  suspecte,  des  cabaretiers  com- 
posaient la  classe  lu  plus  nombreuse.  Les  hommes  probes  et 
honorables  formaient  l'exception.  C'est  avec  ces  instrumena 
qu'il  était  chargé  de  dénationaliser  le  pays,  et  d'établir  des 
lois  et  des  institutions  nouvelles  à  la  place  des  anciennes  j 
de  répéter  enfin  en  Canada  ce  qu'on  avait  faii  en  Irlande,  éloi- 
gner les  natifs  du  gouvernement  pour  les  remplacer  par  des 
hommes  inconnus.  Il  s'était  déjà  aperçu  que  ce  projet  était 
impossible,  et  il  avait  dû  s'en  écarter.  Pour  se  conformer  néan- 
moins à  ses  instructions,  il  convoqua  les  représentans  du  peuple 
en  ass-embléc  législative  pour  la  forme,  car  il  savait  que  les  mem- 
bres canadiens  refuseraient  de  prêter  le  serment  du  test  comme 
catholiques,  et  il  était  décidé  à  ne  pas  y  admettre  les  protestans 
seuls,  comme  ils  le  demandaient  ;  la  chambre  ne  siégea  point. 
Tous  les  fonctionnaires  publics,  les  juges,  lesjurc^  étaient  Anglais 
et  protestans.  Les  protestans  voulurent  même  (aire  exécuter  les 
lois  qui  avaient  été  décrétées  contre  les  catholiques  en  Angle- 
terre. "  Ils  formulèrent,  dit  lord  Thurlow,  un  acte  d'accusation 
générale  contre  tous  les  habitans  de  la  colonie  parce  qu'ils  étaient 
papistes."  Les  capitulations  et  les  traités  garantissaient  le  libre 
exercice  de  la  religion  catholique.  Les  armes  n'avaieiit  été 
posées  qu'à  cette  condition  expresse  ;  et  ils  voulaient  n'accorder 
aux  Canadiens  qu'une  simple  tolérance  comme  celle  des  catho- 
liques en  Angleterre,  tolérance  dont  ils  auraient  joui  quand  bien 
même  il  n'y  aurait  eu  aucune  stipulation  ;  et  sous  prétexte  do 
religion,  ils  'urent  exclus  des  charges  publiques. 

Oii  voulut  aller  encore  plus  loin.  Une  Université  d'Angle- 
terre proposa  le  système  suivant  pour  l'affaiblissement  du  culte 
romain  :  "  Ne  parler  jamais  contre  le  papisme  en  public,  mais  le 
miner  sourdement  ;  engager  les  personnes  du  sexe  à  épouser  des 
protestans  ;  ne  point  disputer  avec  Ips  gens  d'église  et  se  défier 
des  Jésuites  et  des  Sulpiciens  ;  ne  pas  presser  le  serment  d'al- 
légeance, appât  auquel  la  lie  seule  du  clergé  mordait;  réduire 

•  Dépêches  de  Murray. 


384 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


l'évêquo  à  l'indigence  ;  fomenter  la  division  entre  lui  et  les  prê- 
tres ;  exclure  les  Eu/cpéens  de  l'épiscopat  ainsi  que  les  naturels 
du  pays  qui  avaient  du  mérite  et  qui  pourraient  maintenir  les 
anciennes  idées  ^  si  on  conservait  un  collège,  en  exclure  les 
Jésuites  et  les  Sulpiciens,  les  Européens  et  ceux  qui  auraient 
étudié  sous  eux,  afin  que  sans  secours  étra.iger  le  papisme 
s'er^evelît  sous  ses  propres  ruines  ;  rendre  les  cérémonies  reli- 
gieuses qui  frappent  le  peuple  ridicules  ;  empêcher  les  cathé- 
chismes  ;  faire  grand  cas  de  ceux  qui  ne  feraient  aucune  instruc- 
tion au  peuple;  les  entraîner  au  plaisir  et  les  dégoûter  d'entendre 
les  confessions  ;  louer  les  curés  luxueux,  leur  table,  leurs  équi- 
pages, leurs  divertissemens,  excuser  leur  intempérance,  les  porter 
à  violer  le  célibat  qui  en  imposait  aux  simples,  tourner  les  pré- 
dicateurs en  ridicule." 

Le  chapelain  de  la  garnison  qui  était  le  ministre  des  protestang 
de  Québec,  parlant  d'une  manière  plus  précise  qu'on  ne  l'avait 
fait  jusque  là,  voulut  engager  formellement  le  conseil  à  prendre 
possession  de  l'évéché  catholique  pour  l'évêque  de  Londres, 
avec  toutes  les  propriétés  qui  en  dépendaient,  et  de  lui  en  donner 
la  jouissance  à  lui  et  à  ses  successeurs.  Quant  aux  biens  des 
Bociétés  religieuses,  les  lords  de  la  trésorerie  devant  cet  appât  qui 
les  tentait  toujours,  écrivaient  au  receveur-général  Mills  dans 
leurs  instructions  de  1765  :  que  vu  que  leurs  terres  particulière- 
ment celles  des  Jésuites  faisaient  ou  allaient  faire  partie  du 
revenu  de  la  couronne,  il  tachât  par  arrangement  conclu  avec  les 
personnes  intéressées,  d'en  prendre  possession  en  leur  accordant 
telle  pension  viagère  qu'il  jugerait  convenable,  et  qu'il  eût  soin 
que  les  terres  n'échappassent  point  au  roi  par  séquestration  ou 
aliénation. 

L'inauguration  du  nouveau  système  fit  surgir  une  légion 
d'hommes  de  lois  et  de  suppôts  de  cours  comme  de  dessous  terre. 
Inconnus  des  Canadiens,  ils  se  plaçaient  aux  abords  des  tribu- 
naux pour  attirer  les  regards  des  plaideurs.  C'était  le  système 
préconisé  comme  propre  à  anglifier  le  pays  et  à  le  rendre  britan- 
nique de  fait  comme  de  nom.  Le  général  Murray,  dégoûté  de 
la  tâche  dont  on  l'avait  chargé,  ne  put  dissimuler  sa  mauvaise 
humeur  au  ministère.  "  Le  gouvernement  civil  établi,  dit-il,  il 
fallut  faire  des  magistrats  et  prendre  des  jurés  parmi  quatre  cent 


^m 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


385 


cinquante  commerçans,  artisans  et  fermierg  méprisables,  princi- 
palement par  leur  ignorance.     Il  ne  sérail  pas  raisonnable  do 
supposer  qu'ils  résistèrent  à  l'enivrement  du  pouvoir  mis  entre 
leurs  mains  contre  leur  attente,  et  qu'ils  ne  s'empressèrent  pas 
de  faire  voir  combien  ils  étaient  habiles  à  l'exercer.    Ils  haïs- 
saient la  noblesse  canadien  ,ie,  à  cause  dosa  naissance,  et  parce 
qu'elle  avait  des  titres  à  leur  respect  :  ils  détestaient  les  habitans, 
parce  qu'ils  les  voyaient  soustraits  à  l'oppression  dont  ils  les 
avaient  menacés."     La  représentation  des  grands  jurés  de  Qué- 
bec, tous  Anglais  et  protestans,  que  les  catholiques  étaient  une 
nuisance  à  cause  de  leur  religion,  confirme  pleinement  la  vérité 
de    ces    observations.     Le  mauvais    choix    des    fonctionnaires 
envoyés    d'Europe   ne    faisait    qu'augmenter    les    inquétiidcs. 
C'étaient,  comme  on  l'a  dit,  des  gens  sans  mœurs  et  sans  talens. 
Le  juge  en  chef  Gregory  tiré  du  fond  d'une  prison  pour  être  placé 
à  la  tôle  de  la  justice,  ignorait  le  droit  civil  et  la  langue  française. 
Le  procureur-général  n'était  guère  mieux  qualifié.    Les  places 
de   secrétaire  provincial,  de  greffier  du  conseil,  de  régistrateur, 
de  prévôt-maréchal,  furent  données  à  des  favoris,  qui  les  louèrent 
aux  plus  ofTrans  !     Enfin  l'Angleterre  semblait  avoir  pris  plaisir 
à  choisir  ce  qu'il  y  avait  de  plus  vil  ou  de  plus  incapable  pour 
inaugurer  le  système  qui  devait  changer  la  face  du  Canada,  ou 
'  peut-être  ne  l'avait-elle  fait  que  parce  qu'elle  n'avait  pu  trouver 
d'hommes  plus  instruits  et  plus  honorables  qui  voulussent  se 
charger  d'une  pareille  mission. 

,  Le  gouverneur  fut  bientôt  obligé  de  suspendre  le  juge  en  chef 
de  ses  fonctions,  et  de  le  renvoyer  en  Angleterre.  Un  chirurgien 
de  la  garnison  et  un  capitaine  en  retraite  étaient  juges  des  plai- 
doyers communs,  cumulant  avec  cela  plusieurs  autres  charges 
qui  portaient  leurs  appointemens  à  un  chiffre  considérable. 

Malgré  toutes  les  concessions  faites  à  leurs  prétentions,  ces 
étrangers  avides  n'étaient  pas  encore  satisfaits  ;  ils  voulaient  avoir 
un  gouvernement  représentatif,  pour  posséder  dans  toute  leur 
plénitude  ces  droits  qu'ils  tenaient  de  leur  naissance  disaient-ils, 
et  qu'ils  portaient  avec  eux  partout  où  ils  allaient.  Mais  tout  en 
accusant  le  système  existant  de  despotisme,  ils  ne  voulaient  pas 
laisser  les  Canadiens  profiter  des  avantages  qu'ils  réclamaient 
avec  tant  d'impatience  pour  eux-mêmes.   Ils  voulaient  être  seuls 


•  fi 


1  'êi. 


386 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


ék  leurs  et  seuls  éligibles  en  vertu  de  la  loi  anglaise  qui  frappait 
les  catholiques  a'interdiction  politique.  Les  plus  modérés  môme 
croyaient  que  cette  loi  était  en  force  à  Québec  comme  à  Londres, 
regardant  la  reconnaissance  du  catholicisme  dans  le  traité  de 
Versailles  comme  une  de  ces  conventions  illusoires  qu'on  viole  sans 
déshonneur.  Ceux  qui  en  savaient  plus  long  voulaient  profiter  des 
préjugés  do  l'Angleterre  pour  faire  mettre  tout  simplement  les 
traités  de  coté  et  faire  du  Canada  une  nouvelle  Irlande.  Cette 
doctrine  aurait  beaucoup  empiré  la  situation  des  Canadiens,  déjà 
assez  triste  ;  mais  la  dill'ércnce  des  temps,  des  lieux,  des  clr  'cons- 
tances ne  permettait  plus  guère  cette  politique  aventureuse  et 
funeste.  N'espérant  donc  \.  at  influencer  assez  le  général 
Murray  pour  le  porter  à  favoriser  leurs  vues  exclusives,  ils  por- 
tèrent à  Londres  des  accusations  contre  son  administration,  et 
excitèrent  des  disSentions  dans  la  colonie,  où  l'on  vit  tout-à-coup 
le?  villes  remplies  de  trouble  et  de  confusion,  et  les  gouvernans  et 
leurs  partisans  se  quereller  entre  eUx.  Murray  fut  accusé  de 
favoriser  le  parti  miUtaire,  et  excités  par  ses  ennemis,  les  mar- 
chands de  Londres  présentèrent  une  pétition  au  Bureau  du 
Commerce  contre  son  administration  et  en  faveur  d'une  chambre 
élective.  Les  choses  en  vinrent  au  point  qu'il  fallut  le  rappeler 
en  le  sacrifiant  plutôt  à  la  sympathie  qu'il  semblait  porter  aux 
Canadiens  qu'à  des  abus  de  pouvoir.  Il  repondit  au  conseil  qui 
lui  présenta  une  adresse  à  l'occasion  de  son  départ  ;  "  qu'il  espé- 
rait que  le  gouvernement  de  son  successeur  ne  serait  pas  troublé 
par  les  ressentimens  contre  les  auteurs  des  injustes  calomnies 
qu'on  avait  entassées  contre  lui-même."  Repassé  à  Londres,  il 
n'eut  besoin  que  de  mettre  devant  les  ministres  le  recensement 
qu'il  avait  fait  faire  de  la  population  en  65,  pour  démontrer  l'ab- 
surdité d'exclure  les  catholiques  du  gouvernement,  puisque  d'après 
ce  recensement  il  n'y  avait  que  500  protestans  sur  69,275  habi- 
tans.*  Le  comité  du  conseil  privé  du  roi,  chargé  de  conduire 
l'investigation,  lit  rapport  en  67  que  les  charges  portées  contre 
lui  étaient  mal  fondées  ;  mais  son  acquittement  ne  le  fit  point 
revenir  en  Canada. 

•  Il  n'y  avait  que  36  familles  protestantes  dans  les  campagnes.  En  1765, 
il  n'y  avait  que  136  protestans  dans  le  district  de  Montréal;  Etat  officiel 
dretsé  sur  les  rapports  des  Juges  de  Paix  déposé  aux  archives  provinciales. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


387 


■4 


C'est  sous  l'administration  du  général  Murray  que  les  Indiens 
occidentaux  cherchèrent  à  se  soulever.     Les  Français  étaient  à 
peine  sortis  de  l'Amérique  que  ces  peuplades  barbares  avaient 
senti  toute  la  force  de  l'oh%!rvation  qui  leur  avait  été  faite  tant 
fois,  qu'elles  perdraient  leur  influence  politique  et  leur  indépen- 
dance du  moment  qu'une  seule  nation  européenne  dominerait  dans 
ce  continent.     Ponthiac,  chef  outaouais,  brave,  expérimenté,  et 
ennemi  mortel  des  Anglais  qu'il  avait  poursuivis  avec  acharne- 
ment durant  toute  la  dernière  guerre,  forma  le  projet  de   les 
chasser  des  bords  des  lacs,  et  entraîna  dans  '  '  vaste  complot  les 
Hurons,  les  Outaouais,  les  Chippaouais,   les   Pouteouatamis   et 
d'autres  tribus  que  les  Anglais  avaient  négligé  de  traiter  avec  la 
considération  que   les   Français  leur   montraient,  et  que  cette 
espèce   de  mépris  avait   choquées.     Il    tint  le  Détroit  assiégé 
plusieurs  mois  sans  pouvoir  le  prendre.  Il  se  proposait  d'y  établir 
le  siège  de  sa  domination  et  de  former  le  nœud  d'uiae  puissante 
confédération  indienne,  qui  aurait  contenu  les  blancs  au  Niagara 
et  aux  Apalaches.     Ses  alliés  s'emparèrent  de  Michilimackinac 
par  surprise  et  en  massacrèrent  la  garnison.     Sept  à  huit  postes 
anglais,  Sandusky,  St.-Joseph,  Miamis, Presqu'île,  Venango,  tom- 
bèrent entre  les  mains  de  ces  barbaFcs,  qui  ravagèrent  les  frontières 
de  la  Pennsylvanie  et  de  la  Virginie,  et  repoussèrent  un  détache- 
ment de  troupes  à  Bloody-Bridge  ;  deux  mille  personnes  furent 
massacrées  ou  emmenées  en  captivité  par  ces  barbares  ;  un  aussi 
grand  nombre  furent  obligés  d'abandonner  les  frontières  pour  aller 
chercher  un  lieu  de  sûreté  dans  l'intérieur.     Mais  le  projet  de 
Ponthiac  était  trop  vaste  pour  ses  forces.     Les  confédérés,  battus 
à  Bushy-Run  par  le  colonel  Bouquet,  éprouvèrent  encore  d'autres 
échecs  qui  les  obligèrent  à  faire  la  paix  à  Osvvégo  en  66,  avant 
l'arrivée  des  600  Canadiens  que  le  général  Murray  envoyait  au 
secours  de  leurs  compatriotes  du  Détroit.  Ponthiac  se  retira  aveo 
sa  famille  dans  l'intérieur.     En  69  il  vint  aux  Illinois.     11  régnait 
alors  beaucoup  d'agitation  parmi  les  Indiens.     Les  Anglais  soup- 
çonnant les  intentions  de  ce  chef  célèbre,  un  de  leurs  coureurs 
de  bois  nommé  Williamson  le  fit   assassiner  dans  la  forôt  de 
Cahokia  vis-à-vis  de  St.-Louis.* 


■m 


î  ei  • 


•  Historyof  the  ConspiracyofPontiac  andthe  war  ol"  the  North  Americaa 
tribes  agaiast  the  English  colonies  after  the  conquest  of  Canada,  by  Francis 
Parkman,  jr.,  Boston  1851. 


388 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


C'est  60U3  l'administration  de  Murray  que  fut  introduite  la 
première  presse  et  que  fut  commencée  la  publication  du  premier 
journal  qu'on  ait  vus  en  Canada.  La  Gazette  de  Quibec,  qui 
subsiste  encore,  parut  pour  la  premi#e  fois  en  langue  française 
et  anglaise  le  21  juin  1764,  soutenue  par  150  abonnés  dont  moitié 
canadiens.  Timide  à  son  berceau,  cette  feuille  se  permit  rare- 
ment pendant  longtemps  des  observations  sur  la  politique  du  jour  ; 
elle  se  bornait  à  recueillir  les  nouvelles  étra  igères,  à  noter  les 
principaux  événemens  et  à  garder  un  silence  de  commande  sur 
rout  le  reste,  ce  qui  fait  qu'on  y  cherche  en  vain  un  reflet  de  l'o- 
pinion publique  dans  tout  le  reste  du  dernier  siècle. 

Et  pourtant  il  se  passait  alors  dans  le  parlement  de  la  Grande- 
Bretagne  une  loi  qui  devait  avoir  un  immense  retentissement  et 
finir  par  armer  toute  l'Amérique  septentrionale.  Il  s'agissait  de 
taxer  les  colonies  sans  leur  consentement.  L'Angleterre,  prétex- 
tant l'augmentation  de  la  dette  nationale  par  suite  de  la  dernière 
guerre,  voulut  saisir  cette  occasion  pour  passer  l'acte  du  timbre, 
et  faire  admettre  le  principe  par  ses  sujets  américains.  Toutes 
les  anciennes  colonies  protestèrent  ;  le  Canada  et  la  Nouvelle- 
Ecosse  gardèrent  seuls  le  silence  ou  ne  firent  qu'une  résistance 
passive. 

Le  Canada  était  plus  alors  occupé  de  l'arrivée  lu  nouvel  évêque, 
M.  Jean  Olivier  Briand,  que  de  la  prétention  i  institutionnelle 
de  la  Grande-Bretagne.  M.  de  Pontbriand,  son  prédécesseur,  était 
mort  à  Montréal  en  1760.  Dans  le  bruit  des  armes  cet  événe- 
ment était  passé  inaperçu.  Le  chapitre  de  Québec  voulut  élire, 
pour  le  remplacer  trois  ans  après,  M.  Montgolfier,  frère  du  célèbre 
inventeur  du  balon,  et  supérieur  du  séminaire  de  St.-Sulpice  de 
Montréal.  Jlais  le  gouvernement  ayant  fait  des  objections  à  sa 
nomination,  soit  parcequ'il  n'était  pas  né  en  Canada  ou  parce- 
que  ses  scntimens  étaient  trop  vifs  pour  la  France,  il  renonça  à 
cette  charge  par  une  déclaration  qu'il  donna  à  Québec  l'année 
suivante,  et  indiqua  M.  Briand,  chanoine  et  grand-vicaire  du 
du  diocèse,  pour  remplir  le  siège  épiscopal,  auquel  d'ailleurs  sem- 
blaient l'appeler  ses  lumière'9  et  ses  vertus.  Cet  ecclésiastique 
obtint  l'agrément  de  George  III  en  passant  à  Londres  pour  aller 
se  faire  sacrer  évéque  à  Paris. 
Les  difficultéa  qui  commençaient  alors  à  naître  avec  lea  autres 


HISTOIRE    nu    CANADA. 


389 


H' 3 


colonies,  détcrniinèrenl  vers  ce  temps-ci  l'Angleterre  à  suivre  une 
politique  un  peu  plus  libérale.     Inquiète  de  plus  en  plus  de  l'agi- 
talion  qui  se  manifestait  dans  la  plupart  des  provinces  américaines 
et  surtout  de  ce  qui  venait  de  se  passer  en  Canada,  elle  crut 
devoir  modifier  le  système  qu'elle  avait  établi  dans  cette  contrée. 
Elle  changea  les  principaux  fonctionnaires.     Le  général  Carie- 
ton  y  arriva  comme  lieutenant-gouverneur  en  66,  avec  un  nou- 
veau juge  en  chef,  M.  Hay,  et  un  nouveau  procureur-général, 
ce  dernier  fils  d'un  réfugié  français,  M.  Mazères,  qui  dut  sa  nomi- 
nation à  un  trait  qu'un  ami  avait  raconté  de  lui  au  ministre,  lord 
Shelburne,  et  qui  valut  à  cet  avocat  célèbre  jes  faveurs  du  gou- 
vernement le  reste  de  ses  jours.*    Le  nouveau  gouverneur  prit 
les  rênes  de  l'administration  des  mains  du  conseiller  Irving,  qui 
les  tenait  depuis  le  départ  du  général  Murray,  quelques  semaines 
auparavant  ;  et  l'un  de  ses  premiers  actes  fut  de  retrancher  de 
son  conseil  le  même  Irving  et  im  autre  fonctionnaire,  favori  de 
son   prcdécesseur.f    II  négligea  pareillement  plusieurs  autres 
anciens  membres,  qui  crurent  devoir  faire  des  représentations 
sans  pouvoir  le  rendre  pour  cela  moins  dédaigneux  dans  ses 
paroles  que  dans  sa  conduite.     Il  leur  répondit  qu'il  consulterait 
ceux  qu'il  croirait  capable  de  lui  donner  les  meilleurs  avis  ;  qu'il 
prendrait  l'opinion  des  amis  de  la  vérité,  de  la  franchise,  de 
l'équité,  du  bons  sens,  bien  qu'ils  ne  fussent  pas  du  conseil,  des 
hommes  enfin  qui  préféraient  le  bien  du  roi  et  de  ses  sujets  à  des 
affections  désordonnées,  à  des  vues  de  parti,  à  des  intérêts  per- 
sonnels, serviles.     Les    conseillers  auxquels  s'adressaient  ces 
insinuations  indirectes,  mais  poignantes,  jugèrent   à   propos  de 
ployer  la  tête  et  de  laisser  passer  l'orage  en  attendant  un  temps 
plus  favorable  pour  la  relever  et  faire  valoir  leurs  prétentions, 
sachant  bien  que  le  gouverneur  n'est  qu'un  chef  passager  dont  le 
caractère  change  avec  chaque  titulaire,  tandis  que  le  conseil, avec 
un  peu  de  prudence,  peut,  à  la  longue,  maintenir  sa  position  en 
ayant  soin  seulement  de  savoir  saluer  chaque  astre  nouveau  qui 
apparaît  dans  le  ciel  politique  et  s'effacer  momentanément  devant 
sa  volonté  trop  décidée. 

•  Dumont. 

f  C'était  Mabaiie.  A  peu  près  dans  le  même  temps  un  nommé  Kluck, 
greffier  de  la  Cour  des  plaidoyers  communs  était  destitué  pour  extorsion. 
Irving  était  un  major.  Mabaue  un  chirurgien  de  régiment. 


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390 


HISTOIRE   DU   CANADA^ 


L'arrivée  du  général  Carleton  n'apporta  pas  immédiatenienl, 
comme  on  Pespérait,  de  remède  à  la  confusion  extrême  qui 
régnait  toujours  par  suite  du  régime  extraordinaire  qu'on  laissait 
encore  subsister.  *        , 

Tout  faibles  qu'ils  étaient  numériquement,  les  Canadiens  res- 
taient calmes  et  fermes  dr  ^ant  l'oppression  que  leurs  ennemis 
voulaient  toujours  faire  ^ieser  sur  eux.  On  leur  avait  donné  les 
lois  criminelles  anglaises,  cette  arme  défensive,  mais  puissante  de 
la  liberté  ;  mais  on  les  administrait  dans  une  langue  qu'ils  ne 
connaissaient  pas,  et  on  persistait  à  leur  refuser  le  droit  d'Être 
jurés  et  de  remplir  des  charges  publiques  sous  prétexte  dt 
nationalité  et  de  religion,  n'admettant  à  cette  règle  que  des  excep- 
tions fort  rares  et  prouvant  au  monde  que  les  lois  dont  on  était  si 
fier  devant  l'étranger;  étaient  fondées  non  sur  le  sentiment  de  la 
fraternité,  mais  sur  l'égoïsme  sectaire  et  national.  En  présence 
de  cet  esprit  d'exclusion,  le  peuple  en  masse  continua  son  oppo- 
sition négative,  tandis  qu'une  partie  des  citoyens  les  plus  notables 
avait,  dès  avant  le  départ  du  général  Murray,  envoyé  des  repré- 
sentations très  pressantes  au  gouvernement  à  Londres.*  Les 
Canadiens  espéraient  que  dans  une  cause  aussi  sainte  qu'était  la 
leur,  ils  ne  resteraient  pas  absolument  sans  amis.  En  effet,  il 
s'en  présenta  pour  protester  avec  eux  contre  l'asserviesement 
auquel  on  voulait  les  soumettre.  Des  Anglais  éclairés  qui  con- 
naissaient l'effet  démoralisateur  de  toute  violation  des  règles  de 
la  justice,  se  réunirent  à  eux.  Leurs  plaintes  communes,  sou- 
mises d'abord  au  Bureau  des  Plantations,  furent  ensuite  renvoyées 
aux  procureur  et  solliciteur-généraux,  MM.  Yorke  et  de  Grey, 
et  en  attendant  leur  rapport,  l'ordonnance  de  64  fut  désavouée 
et  remplacée  par  une  autre  qui  donnait  aux  Canadiens  le  droit 
d'être  jurés  dans  les  cas  spécifiés,  et  les  rendait  admissibles  au 
barreau  sous  certaines  restrictions. 

Le  travail  de  MM.  Yorke  et  de  Grey  fut  présenté  dans  le  mois 
d'avril  66.  Ils  reconnurent  tous  les  défauts  du  système  de  64,  et 
attribuèrent  les  désordres  qui  en  étaient  résultés  à  deux  causes 

*  Le  détail  de  ces  luttes,  de  ces  remontrances,  de  ces  pétitions  et  contre- 
pétitions  peut  paraître  trop  minutieux  au  commun  des  lecteurs  ;  mais  on 
doit  se  rappeler  que  nos  pères  combattaient  pour  nous  comme  pour  eux- 
mêmes,  et  que  leurs  efforts,  pour  améliorer  notre  destinée,  ne  doivent  point 
eortir  de  notre  mémoire. 


:îistoire  du  canada. 


391 


principales .  1  ).  La  tentative  d'administrer  la  justice  sans  le 
concours  des  habitans,  dans  des  formes  nouvelles  et  une  langue 
qui  leur  était  étrangère,  d'où  il  arrivait  que  les  parties  n'enten- 
daient rien  à  ce  qui  était  plaidé  et  jugé,  faute  d'avocats  pour 
conduire  leurs  causes,  de  jurés  pour  décider  et  de  juges  parlant 
le  français  pour  déclarer  qjelle  était  la  loi  et  prononcer  le  juge- 
ment ;  ce  qui  produisait  les  maux  réels  de  l'oppression,  de  l'igno- 
rance et  de  la  corruption  ;  ou,  ce  qui  est  presque  la  môme  chose 
en  matière  de  gouvernement,  le  soupçon  et  la  croyance  qu'ils 
existent.  2o.  L'alarme  causée  par  l'interprétation  donnée  à  la 
proclamation  de  63,  que  l'intention  était  d'abolir  d'un  seul  coup 
au  moyen  des  juges  et  autres  officiers  de  justice  nouvellement 
nommés,  les  lois  et  les  coutumes  du  pays,  et  cela,  non  pas  tant 
pour  assurer  l'avantage  des  lois  anglaises  aux  nouveaux  sujets,  et 
de  protéger  d'une  manière  plus  efficace  leurs  personnes,  leurs 
biens  et  leur  liberté,  qufe  pour  leur  imposer  sans  nécessité  des 
règles  arbitraires  et  nouvelles  qui  avaient  l'effist  de  confondre  et 
renverser  leurs  droits  au  lieu  de  les  maintenir. 

Ils  approuvaient  aussi,  avec  de  légères  modifications,  le  nouveau 
système  de  judicature  proposé  par  les  lords-commissaires,  sauf 
sur  un  seid  point  dont  nous  parlerons  tout-à-l'heure.  Ce  système 
consistait  à  diviser  la  province  en  trois  départemens  judiciaires, 
et  à  établir  "  une  cour  de  chancellerie,  composée  du  gouverneur 
et  de  son  conseil  q\^  servirait  en  même  temps  de  cour  d'appel, 
dont  le  conseil  à  Londres  pourrait  reviser  les  jugemens  ;  une 
cour  supérieure  composée  d'un  juge  en  chef  et  de  trois  juges 
puînés,  sachant  la  langue  française,  l'un  d'eux  les  lois  du  pays,  et 
tous  étant  tenus  de  conférer,  de  temps  à  autre,  avec  les  avocats 
canadiens  les  plus  recommandables,"  pour  se  mettre  au  fait  de 
l'ancienne  jurisprudence. 

Après  avoir  recommandé  encoie  de  nommer  quelques  Cana- 
diens dans  la  magistrature,  les  rapporteurs  voyant  que  l'on  persis- 
tait à  retenir  les  lois  anglaises  dans  la  nouvelle  organisation, 
observèrent  que  c'était  "  une  maxime  reconnue  de  droit  public, 
qu'un  peuple  conquis  conserve  ses  lois  jusqu'à  ce  que  le  vain- 
queur en  proclame  de  nouvelles,  et  que  c'était  agir  d'une  manié  3 
oppressive  et  violente  que  de  changer  soudainement  les  lois  et  les 
usages  d'un  pays  établi  :  c'est  pourquoi  les  conquérans  qui  agis- 


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39*2 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


sent  avec  sagesse,  après  avoir  pourvu  à  la  sûreté  de  leur  domina- 
tion, procèdent  lentenient  et  laissent  à  leurs  nouveaux  sujets 
toutes  les  coutumes  qui  sont  indifférentes  de  leur  nature,  surtout 
celles  qui  régissent  la  propriété  et  en  assurent  l'existence.  Il 
est  d'autant  plus  essentiel  de  suivre  une  pareille  politique  en 
Canada,  que  c'est,  disaient-ils,  une  grande  et  ancienne  colonie, 
établie  depuis  très  long-temps,  et  améliorée  par  des  Français.  .  . 
On  ne  pourrait  y  introduire  tout-à-coup  les  lois  anglaises  de  pro- 
priété, avec  le  mode  anglais  de  transport  et  d'aliénation,  le  droit 
de  succéder  et  la  manière  de  contracter  et  d'interpréter  les  con- 
ventions sans  une  injustice  manifeste  et  sans  occasionner  la  plus 
grande  confusion.  Les  Anglais  qui  achètent  des  biens  dans  cette 
pro/ince,  peuvent  et  doivent  se  conformer  aux  lois  qui  les  régis- 
sent comme  on  fait  en  certaines  parties  du  royaume  et  en  d'au- 
tres possessions  de  la  couronne.  Les  juges  anglais  envoyés  d'ici 
peuvent,  à  l'aide  des  gens  de  lois  et  des  Canadiens  éclairés,  se 
mettre  facilement  au  fait  de  ces  lois,  et  juger  d'après  les  coutumes 
du  pays  comme  on  juge  d'après  la  coutume  de  Normandie  les 
causes  de  Jersey  et  de  Guertiesey."  Les  rapporteurs  enfin  finis- 
saient par  suggérer  de  rétablir  les  lois  civiles  françaises  en  auto- 
risant les  juges  à  faire  des  règles  pour  la  conduite  des  procédures 
dans  les  différens  tribunaux. 

Malgré  les  raisons  de  haute  politique,  sans  parler  de  celles  de 
la  justice  plus  lentement  écoutées,  qui  avaient  motivé  leurs  con- 
clusions, les  recommandations  de  ces  deux  jurisconsultes  éminens 
restèrent  comme  celles  du  Bureau  des  Plantations  pour  le  moment 
sans  effet.  Les  intrigues  des  gens  intéressés  au  maintien  du 
nouveau  système,  et  les  préjugés  d'une  grande  portion  du  peuple 
anglais  contre  les  habitans  de  cette  colonie  à  cause  de  leur  double 
qualité  de  Français  et  de  cathodiques  formaient  des  obstacles  trop 
difficiles  à  vaincre.  Mais  la  métropole  ne  pouvait  laisser  les 
choses  dans  l'état  où  elles  étaient,  et  elle  chargea  l'année  suivante 
le  gouverneur  de  s'enquérir  avec  l'aide  de  son  conseil  de  l'adminis- 
tration de  la  justice  afin  d'indiquer  les  changemens  que  deman- 
dait vraiment  le  bien  du  pays.  L'investigation  fort  longue  qui 
eut  lieu  ne  fit  que  signaler  de  nouveau  les  nombreux  inconvé- 
niens  du  nouveau  régime  et  l'extrême  confusion  qui  continuait 
^e  règneri  puisque  les  meilleurs  jurisconsultes  étaient  partagés 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


393 


sur  la  question  de  savoir  quelles  lois  étaient  vraiment  en  force. 
Les  recommandations  par  lesquelles  il  fallait  conclure  renouve- 
lèrent les  embarras  des  investigateurs,  tant  la  tyrannie  qui  veut  se 
voiler  du  manteau  de  la  justice,  a  d'obstacles  à  vaincre  lors  môme 
que  sa  victime  est  faible  et  qu'elle  est  elle-même  suprême  et  toute- 
puissante.  L'on  revenait  toujours  à  la  division  de  la  province 
en  trois  districts  ;  mais,  aprô?  avoir  suggéré  de  donner  à  chacune 
de  ces  divisions  un  juge  avec  un  assistant  canadien  pour  expli- 
quer la  loi,  sans  voix  délibérative,  un  shérif  et  un  procureur 
du  roi,  l'on  proposait  pour  mettre  fin  à  l'incertitude  touchant  les 
lois,  quatre  modes  différens  tout  en  déclarant  que  l'on  était  inca- 
pable de  dire  quel  était  celui  qui  devait  avoir  la  préfère. :ce  : 
lo  Faire  un  code  nouveau  et  abolir  les  lois  françaises  et  anglaises. 
2o  Rétablir  purement  et  simplement  les  anciennes  lois,  en  y  ajou- 
tant les  parties  du  code  criminel  anglais  les  plus  favorables  à  la 
liberté  du  sujet.  Enfin  3o  et  Jo  établir  les  lois  anglaises  seules 
avec  des  exceptions  en  faveur  de  quelques-unes  des  anciennes 
coutumes.  Le  gouverneur  ne  voulut  point  approuver  ce  rapport 
et  en  fit  un  autre  plus  conforme  aux  vœux  des  Canadiens,  dans 
lequel  il  recommanda  la  conservation  des  lois  criminelles  anglaises, 
et  le  rétablissement  pur  et  simple  de  toutes  les  lois  civiles  fran- 
çaises en  vigueur  avant  la  conquête.  Le  juge  en  chef  Hey  et  le 
procureur-général  Mazères  ne  partageant  pas  cette  opinion, 
firent  chacun  un  rapport  à  part  suggérant  de  conserver  des 
anciennes  lois  toutes  celles  qui  regardaient  la  tennre,  l'aliénation, 
le  douaire,  les  successions  et  la  distribution  des  biens  des  per- 
sonnes mortes  sans  testament.  Ces  divers  rapports  furent  trans- 
mis en  Angleterre  avec  toutes  les  pièces  justificafives  et  ren- 
voyés en  70  par  le  conseil  d'état  à  un  comité  spécial  qui,  après 
avoir  délibéré  sur  ces  documens,  sur  un  autre  rapport  que 
lui  avaient  fait  les  lords-commissaires  en  69,  et  sur  les  pétitions 
des  Canadiens  contre  l'état  de  choses  actuel,  recommanda  de 
donner  tous  ces  papiers  à  l'avocat  du  roi  et  aux  procureur  et  sol- 
liciteur généraux  pour  dresser  un  code  civil  et  criminel  conve- 
nable au  paya,  en  profitant  de  la  présence  de  son  gouverneur  en 
Angleterre.  MM.  Marriott,  Thurlow  et  Wedderburne  remplissaient 
alors  ces  ditTérentes  charges,  et  passaient  pour  des  hommes 
éminena  dans  la  science  du  droit.     Ils  présentèrent  leur  travail 


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HISTOIRE   nu    CANADA. 


en  72  et  73,  mais  ils  dilTéraient  les  uns  des  autres  sur  plusieurs 
points,  tout  en  concluant  a-peu-près  do  la  môme  maniiirc,  excepté 
Marriott  qui  en  était  venu  à  un  résultat  opposé.  Marriott  pensait 
que  l'établissement  d'une  assemblée  représentative  était  préma- 
turé chez  un  peuple  illettré  malgré  son  collège  des  Jésuites; 
qu'il  fallait  établir  un  conseil  législatif  nommé  par  la  couronne  et 
composé  de  protestans  seuls,  et  non  de  protestans  et  de  catholi- 
ques ou  de  Canadiens  comme  le  recommandait  le  Bureau  du 
Commerce;  que  l'on  devait  conserver  aussi  le  code  criminel 
anglais,  mais  permettre  l'usage  des  langues  française  et  anglais? 
indifféremment  dans  lesquelles  seraient  promulgués  toutes  les 
actes  publics  ;  que  par  le  36e  article  de  la  capitulation  de  Montréal, 
l'xVngleterre  s'était  obligée  de  respecter  la  propriété  et  les  lois  sous 
la  sauve-garde  desquelles  elle  est  placée,  et  que  conséquemment 
sa  tenure  et  toutes  les  lois  qui  la  concernaient  devaient  être 
maintenues  ;  que  le  silence  du  traité  de  Versailles  n'annulait 
point,  suivant  lui,  la  capitulation  de  Montréal  aux  yeux  du  droit 
des  nations,  parce  que  c'était  un  pacte  national  conclu  person- 
nellement avec  les  habitans  eux-mêmes  en  considération  de  la 
cessation  de  toute  résistance  ;  puis  tout  en  reconnaissant  ainsi  les 
titres  sur  lesquels  le  Canada  s'appuyait,  il  ajoutait  que  néanmoins 
le  parlement  impérial  avait  le  droit  de  changer  ces  lois,  sophisme 
par  lequel  il  détruisait  tout  ce  qu'il  venait  de  dire  ;  que  si  la 
coutume  de  Paris  était  maintenue,  il  fallait  l'appeler  coutume  du 
Canada  pour  effacer  de  l'esprit  des  habitans  jusqu'aux  idées 
d'attachement  qu'ils  pourraient  conserver  pour  la  France  ;  et 
que  pour  celte  raison  il  convenait  peut-être  d'en  changer  une 
partie  afin  de  l'assimiler  aux  lois  anglaises,  tout  devant  tendre 
vers  l'anglification  et  le  protestantisme  ;  que  s'il  fallait  admettre 
le  culte  catholique,  on  devait  en  bannir  les  doctrines  et  ne  pas 
lui  donner  plus  de  privilèges  en  Canada  qu'il  n'en  avait  en 
Angleterre  ;  qu'il  ne  devait  pas  y  avoir  d'évôque  ;  que  le  diocèse 
pouvait  être  gouverné  par  un  grand-vicaire  élu  par  un  chapitre 
et  les  curés  de  paroisses,  ou  un  surintendant  ecclésiastique  nommé 
par  le  roi,  et  dont  le  pouvoir  se  bornerait  à  l'ordination  des 
prêtres  ;  que  toutes  les  communautés  religieuses  d'hommes  et  de 
femmes  devaient  être  abolies  après  l'extinction  des  membres 
actuels,  et  leurs  biens  restitués  à  la  couronne  pour  être  employés 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


995 


ail  soutien  des  cultea  et  à  l'éducation  de  la  jeunesse  sans  distinc- 
tion do  croyances  ;  que  les  cures  devaient  ôtrc  rendues  fixes,  maig 
que  le  chapitre  de  Québec  devait  être  maintenu,  contre  l'opinion 
du  Bureau  de  Commerce  qui  s'était  prononcé  pour  son  abolition, 
abolition  qui  eut  lieu  quelques  années  après,  en  73,  sous  prétexte 
de  manque  do  prêtres  au  siège  de  l'évoque,  de  difficulté  d'en 
appeler  les  campagnes  pour  les  assemblées  capitulaires,  et  de 
pénurie  de  la  caisse  épiscopale  privée  de  ses  plus  grands  revenus 
par  la  conquête.  Marriott  pensait  qu'il  fallait  conserver  le  cha- 
pitre afin  que  les  canonicats  fussent  de  petites  douceurs  entre  les 
mains  du  gouvernement  pour  récompenser  la  fidélité  des  prêtres 
qui  montreraient  du  zèle  pourl'Angleterre,  les  motifs  des  hommes 
dans  leurs  actions  étant  l'intérêt  et  richesse,  disait-il,  et  la  consé- 
quence, leur  dépendance  ;  que  les  processions  et  les  autres 
pompes  religieuses  devaient  être  défendues  dans  les  rues,  les  biens 
du  séminaire  St.-Sulpice  réunis  à  ceux  de  la  couronne,  et  les 
fêtes  abolies,  excepté  celles  de  Noël  et  du  Vendredi  Saint  ;  que 
les  dîmes  devaient  être  payées  au  receveur-général  pour  être  dis- 
tribuées en  proportions  égales  entre  les  membres  du  clergé  pro- 
testant et  du  clergé  catholique  qui  se  conformeraient  aux  doctrines 
de  l'église  anglicane  ;  enfin  le  système  de  Marriott,  c'était  le 
système  de  l'Irlande,  car  la  iyrannie  s'exerce  aussi  bien  au  nom 
de  la  religion  que  de  la  nécessité.  Les  lords-commissaires  du 
Commerce  avaient  déjà  fait  la  môme  suggestion,  en  ajoutant  que 
les  églises  devaient  servir  alternativement  au  culte  protestant  et 
au  culte  catholique,  double  emploi  auquel  Marriott  était  opposé, 
excepté  pour  les  cures  des  villes  à  la  collation  desquelles  le  géné- 
ral Murray  avait  reçu  ordre  dans  le  temps  d'admettre  les 
ministres  protestans  et  entre  autres,  M.  Montmollin,  à  Québec, 
mais  ordre  que  la  politique  l'avait  empêché  de  mettre  à  exécution. 
Dans  ce  long  rapport,  Marriot  ne  laisse  pas  échapper  un  mot, 
pas  une  pensée  d'adoucissement  pour  le  sort  des  Canadiens  : 
c'est  un  long  cri  de  proscription  contre  leurs  usages,  leurs  lois,  et 
leur  religion  ;  son  hostilité  n'est  contenue  en  quelques  points  que 
par  certaines  règles  d'expédience  et  certaines  raisons  de  nécessité, 
qu'il  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître  pour  le  moment,  en 
attendant  toutefois  que  leur  dispensation  devienne  chose  possible 
et  dès  lors  chose  justifiable. 


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lUSTOlRE    DU    CANADA. 


Le  Bolliciteur-général  Wcddcrbume,  depuis  cl'-ncelior  d'An- 
gleterre sous  lo  nom  de  lord  Loughborough,  guidé  pnr  des  princi- 
pes d'un  ordre  plus  élevé  et  plus  philosophique,  montra  aus^i  plus 
do  modération  et  plus  de  justice  dans  ses  suggestions.  Il  s'étendit 
Bur  la  forme  du  gouvernement  et  sur  la  religion  des  habitans, 
parce  que  l'une  et  l'autre  devaient,  nécessairement  suivant  lui, 
exercer  une  grande  influence  sur  les  lois  civiles  et  criminelles  qui 
seraient  données,  et  tout  en  déclarant  qu'il  serait  imprudent  do 
conférer  une  constitution  élective  aux  Canadiens,  il   reconnut 
qu'ils  avaient  des  droits  qu'il  fallait  respecter,  ce  qu'on  n'avait  pas 
fait  encore,  et  qu'on  devait  leur  donner  un  gouvernement  équitable. 
"  Le  gouvernement  établi  après  le  traité  de  63,  dit-il,  n'est  ni 
militaire,  ni  civil  ;  et  il  est  évident  qu'il  n'a  pas  été  fait  pour  durer. 
Il  faudrait  créer  un  conseil  revêtu  du  pouvoir  de  faire  des  ordon- 
nances pour  le  bon  gouvernement  du  pays,  mais  privé  du  droit 
de  taxer,  droit  que  le  parlement  impérial  pourrait  se  réserver  à 
lui-même;  permettre  le  libre  exercice  de  la  religion  catholique 
en  abolissant  dans  le  temporel  de  l'Eg'.ise  ce  qui  était  incompati- 
ble avec  la  souveraineté  et  le  gouvernement  comme  la  juridiction 
ecclésiastique  de  Home  ;  rendre  les  cures  fixes,  et  en  donner  la 
collation  au  roi  ;  séculariser  les  ordres  monastiques  des  hommes 
et  tolérer  ceux  des  femmes  ;  conserver  le  code  civil  français  et  la 
loi  criminelle  anglaise  avec  des  modifications  ;  établir  un  système 
do  judicatureà-pcu-près  semblable  à  celui  que  le  conseil  canadien 
avait  recommandé  ;  enfin,  sans  négliger  entièrement  les  préjugés 
des    habitans  ainsi   que  ceux  des  émigrans  anglais,  quoique  la 
bonne  politique  obligeât  de  montrer  plus  d'attention  aux  premiers, 
qu'aux  seconds,  non  seulement  parce  qu'ils  étaient  plus  nombreux, 
mais  parce  qu'il  fi'était  pas  de  ^intérêt  de  la  G-rande-Bretagne 
de  voir  établir  beaucoup  d'Anglais  en  Canada,  reconnaître  aux 
Canadiens  le  droit  de  jouir  de  toutes  celles  de  leurs  anciennes  lois 
qui  n'étaient  pas  incompatibles  avec  les  principes  du  nouveau 
gouvernement,  vu  que  leurs  propriétés  leur  étant  garanties,  les 
lois  qui  les  définissaient,  les  créaient,  les  modifiaient,  devaient 
aussi  leur  être  conservées,  autrement  leurs  propriétés  so  rédui- 
raient à  la  simple  possession  de  ce  dont  ils  pouvaient  jouir  person- 
nellement. 

Thurlovv,  alors  procureur-général  et  qui  a  été  depuis  l'un  des 


HISTOIRE    OU    CANADA. 


397 


chanceliers  les  plus  émincns  do  l'Angleterre,  et,  malgré  les  diffô- 
rens  reproches  qu'on  lui  fail,  l'un  de  se»  juges  los  plus  inilôpcndans, 
avait  la  réputation  d'ôtrc  en  politicpio  plutôt  conservateur  que 
libéral,  et  plutôt  hostile  (jue  favorable  aux  libertés  des  colonies. 
Il  se  montra  cependant  l'ami  lo  plus  gônéretix  des  Canadiens, 
qui  n'avaient  personne  dans  la  métropole  pour  les  défendre. 
Sans  faire  de  recommandations  spéciales  en  leur  faveur,  il  invoqua 
des  principes  plus  larges  et  plus  humains  qu'aucjn  autre  homme 
d'état  anglais.  S'appuyant  sur  cette  sage  philosophie  qui  a 
distingué  les  écrivains  modernes  les  plus  célèbres,  sur  cette 
philosophie  qui  a  c  ibattu  le  droit  do  la  force  et  défendu 
celui  de  la  raison  et  t*  'a  justice,  qui  a  appelé  la  sympathie  des 
hommes  sur  les  opprimés  et  a  haine  des  générations  sur  lea 
•resseurs,  il  soutint  tout  ce  qu'il  y  avait  de  juste,  d'humain,  de 
politique  dans  lea  suggestions  qui  avaient  été  faites  depuis  64, 
touchant  la  constitution  qu'il  convenait  de  donner  au  Canada. 

Après  avoir  passé  en  revue  les  plans  proposés  pour  le  gou- 
vernement, la  religion  et  les  lois  de  ce  pays,  les  changemens 
qu'on  avait  voulu  introduire,  et  les  opinions  contraires  qui  exis- 
taient sur  toutes  ces  questions  fondamentales,  il  déclara  qu'igno- 
rant de  quelle  manière  le  roi  avait  intention  de  les  régler,  il  ne 
pouvait  faire  aucune  suggestion  spéciale  ;  mais  que  néanmoins  il 
se  permettrait  d'indiquer  les  principes  que  l'on  devait  suivre  si 
on  voulait  toucher  à  ses  lois. 

"  D'après  le  droit  des  gens,  dit-il,  les  Canadiens  paraissent 
avoir  celui  de  jouir  de  leurs  propriétés  comme  ils  en  jouissaient 
lors  de  la  capitulation  et  du  traité  de  paix,  avec  tous  les  attributs 
et  incidens  de  tenure,  ainsi  que  de  leur  liberté  personnelle,  toutes 
choses  pour  lesquelles  ils  doivent  s'attendre  à  la  protection  de  la 
couronne. 

"  Par  une  conséquence  qui  semble  nécessaire,  toutes  les  lois 
qui  concernent  la  création,  la  définition  et  la  protection  de  cette 
propriété  doivent  être  maintenues.  En  introduire  d  autres,  ce 
serait,  comme  le  disent  très  bien  MM.  Yorke  et  de  Groy,  tendre 
à  confondre  et  renverser  les  droits  au  lieu  de  les  maintenir. 

"  Là  où  certaines  formes  de  justice  civile  ont  été  établies 
depuis  long  temps,  les  hommes  ont  eu  des  occasions  fréquentes 
de  sentir  eux-mêmes  et  d'observer  chez  les  autres  la  puissance 


,  ## 


398 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


coercitive  de  la  loi.  La  force  de  ces  exemples  va  encore  plus 
loin  ;  elle  laisse  une  impression  sur  les  opinions  courantes  des 
hommes,  et  les  arrête  dans  leurs  actions  ;  ceux  qui  n'ont  jamais 
vu  d'exemples  ou  connu  les  lois  d'où  ces  exemples  procèdent, 
acquièrent  encore  une  sorte  de  connaissance  traditionnelle  des 
effets  et  des  conséquences  légales  de  leurs  actes,  suffisante  et  en 
même  temps  absolument  nécessaire  pour  les  affaires  ordinaires 
de  la  vie.  Il  est  facile  de  concevoir  d'après  cela  quel  trouble 
infini  doit  occasionner  l'introduction  de  nouvelles  mesures  de  jus- 
tice :  le  doute  et  l'incertitude  dans  les  transactions,  le  désappointe- 
ment et  les  pertes  dans  le  résultat. 

"  La  même  observation  s'applique  avec  encore  plus  de  force 
aux  lois  criminelles  dans  la  proportion  que  l'exemple  est  plus 
frappant  et  que  les  conséquences  sont  plus  importantes.  La 
consternation  générale  qui  résulte  d'une  sujétion  soudaine  à  un 
nouveau  système  doit  durer  longtemps  malgré  le  relâchement  ou 
la  douceur  du  code. 

"  De  ces  observations  je  conclus  donc,  que  de  nouveaux  sujets 
acquis  par  droit  de  conquête  doivent  attendre  de  la  bonté  et  de  la 
justice  de  leur  conquérant  la  conservation  de  toutes  leurs  anciennes 
ois  ;  et  ils  n'ont  pas  moins,  ce  semble,  raison  de  l'attendre  de  sa 
sagesse.  Il  est  de  l'intérêt  du  conquérant  de  laisser  ses  nouveaux 
sujets  dans  le  plus  haut  degré  de  tranquillité  privée  et  de  sécurité 
personnelle  comme  dans  la  plus  grande  persuasion  de  leur  réalité, 
sans  fournir  inutilement  des  causes  de  plainte,  de  mécontentement 
et  de  manque  de  respect  à  la  nouvelle  souveraineté.  Le  meilleur 
moy^n  d'assurer  la  paix  et  l'ordre,  c'est  de  les  laisser  dans  leurs 
habitudes  d'obéissance  aux  lois  aux  quelles  ils  sont  accoutumés,  et 
non  de  les  forcer  à  suivre  des  lois  dont  ils  n'ont  jamais  entendu 
parler  ;  et  si  le  vieux  syst«ime  se  trouve  plus  parfait  que  tout  ce 
que  l'ingénuité  humaine  peut  espérer  d'y  substituer,  plors  la 
balance  l'emporte  entièrement  en  sa  faveur. 

"  L'on  doit  d'ailleurs  se  rappeler  que  le  projet  du  gouvernement 
et  des  lois  du  Canada  a  été  conçu  par  une  cour  sage,  à  une  épo- 
que de  calme,  exempte  de  passions  particulières  et  de  préjugés 
publics.  Des  principes  d'humanité  et  des  vues  d'éJat  ont  présidé 
au  choix  du  plan  le  plus  propre  au  développement  d'une  colonie 
florissante.    Ce  plan  a  été  perfectionné  de  temps  à  autre  par  la 


/- 


1  '.*H 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


399 


sagesse  et  l'expérience  des  jours  qui  se  succédaient,  afin  del'em- 
pôcher  de  tomber  en  décrépitude  ou  de  devenir  impropre  à  l'état 
progressif  de  la  province."  Cet  homme  d'état  terminait  en 
ajoutant  que,  quoique  ses  observations  pussent  être  considérées 
comme  justes  en  général,  l'on  pouvait  néanmoins  supposer  des 
circonstances  où  les  exceptions  et  les  restrictions  devenaient 
nécessaires,  mais  les  changemens  imposés  par  ces  circonstances 
ne  devaient  se  faire  que  pour  des  raisons  d'une  nécessité  positive 
et  insurmc^nble  que  la  véritable  sagesse  ne  pouvait  négliger  ni 
mettre  en  ubli,  et  non  do  cette  nécessité  idéale  que  des  spé- 
culateurs ingénieux  pouvaient  toujours  créer  par  des  suppositions 
possibles,  des  inférences  incertaines  et  des  argumens  forcés;  non 
de  la  nécessité  d'assimiler  un  pays  conquis,  en  fait  de  lois  et  de 
gouvernement,  à  la  métropole  ou  à  d'anciennes  provinces  que 
d'autres  accidens  ont  attachées  à  l'empire,  pour  le  plaisir  de 
créer  une  harmonie,  une  uniformité  dans  ses  différentes  parties 
qu'il  est,  suivant  moi,  impossible  d'atteindre,  et  qui,  d'ailleurs, 
serait  inutile  si  l'on  y  réussissait;  non  de  la  nécessité  d'ôter 
à  l'argumentation  d'un  avocat  la  faculté  d'invoquer  les  savantes 
décisions  du  parlement  de  Paris,  de  peur  d'entretenir  chez  les 
Canadiens  le  souvenir  historique  de  l'origine  de  leurs  lois  ;  non 
de  la  nécessité  de  satisfaire  les  espérances  impossibles  de  cette 
poignée  d'Anglais  dépourvus  de  tout  principe,  que  les  acci- 
dens conduisent  en  Canada  et  qui  croyent  trouver  là  les  diffé- 
rentes lois  des  difTérens  pays  d'où  ils  viennent;  non  enfin, 
d'aucune  de  ces  espèces  de  nécessité  qu'il  avait  entendu  alléguer 
pour  abolir  les  lois  et  le  gouvernement  de  cette  colonie.  La 
logique  pressante  et  sarcastique  de  Thurlow  aida  puissamment  la 
cause  des  Canadiens.  . 

Le  conseil  d'état  fut  en  possession  de  tous  ces  rapports  en  73. 
Depuis  neuf  ans  l'Angleterre  cherchait  partout  des  motifs  capables 
de  justifier  aux  yeux  des  nations  et  de  la  conscience  publique 
Tabolition  des  lois  et  peut-être  de  la  religion  d'un  peuple  auquel 
elle  les  avait  garanties  par  les  traités  ;  et  l'on  ne  hasarde  rien  de 
trop  en  disant  que  la  justice  et  la  générosité  de  l'éloquent  plai- 
doyer de  Thurlow  eussent  été  peine  perdu,  et  que  le  Canada 
serait  passé  sous  la  domination  d'une  poignée  d'étrangers,  ayant 
une  religion,  une  langue,  des  lois  et  des  usages  totalement  diffërens 


I 


m. 


400 


HISTOIRE   DU   CANADA. 


de  ceux  de  ses  habitans,  sans  l'attitude  hostile  des  autres  colonies 
qui  commençaient  à  faire  craindre  à  l'Angleterre  la  perte  de  toute 
l'Amérique  du  nord.*  Cette  métropole  différa  de  donner  son 
dernier  mot  jusqu'en  74<,  alors  que  la  solution  pacifique  de  ses 
difficultés  avec  ces  colonies  parut  plus  éloignée  et  plus  probléma- 
tique que  jararis.  La  révolution  qui  sauva  les  libertés  améri- 
caines, força  ainsi  l'Angleterre  à  laisser  aux  Canadiens  leurs 
institutions  et  leurs  lois,  en  un  mot  à  leur  rendre  justice,  afin 
d'avoir  au  moins  une  province  pour  elle  dans  le  Nouveau-Monde. 

Depuis  quelque  temps  la  patience  des  Canadiens  et  la  violence 
du  parti  anglais  auquel  aboutissait  par  contre  coup  le  choc  des 
agitations  des  autres  provinces,  formaient  un  contraste  qui  faisait 
réfléchir  le  cabinet  de  Londres.  Les  Anglais  remplissaient  la 
magistrature  p  les  magistrats  de  Montréal  non  moins  turbulens 
que  le  reste  de  leurs  compatriotes,  avaient  été  accusés  dans  lo 
temps  devant  le  conseil  qui  les  avait  sommés  de  comparaître 
devant  lui  à  Québec  pour  se  justifier. 

L'un  d'eux,  le  nommé  Walker,  au  lieu  de  se  défendre,  avait 
été  jusqu'à  protester  contre  les  actes  du  gouverneur  et  de  ce  con- 
seil ;  ce  qui  avait  fait  dire  au  procureur-général  Suckling  qu'une 
pareille  audace  était  un  crime  ;  que  le  protêt  était  un  libelle  faux, 
scandaleux,  séditieux,  et  qui  frappait  à  la  base  du  gouvernement. 

C'est  alors  que  pour  consoler  un  peu  les  Canadiens  l'on  sus- 
pendit l'exécution  des  instructions  royales  qui  portaient  de  chas- 
ser du  pays  tous  les  habitans  qui  refuseraient  de  prêter  le  ser- 
ment d'abjuration.  Trois  ans  plus  tard,  les  ministres  revenant 
peu  à  peu  sur  leurs  pas,  permirent  de  concéder  des  terres  en  sei- 
gneurie. 

Le  temps  arrivait  où  l'Angleterre  mieux  éclairée  sur  ses 
intérêts  allait  annoncer  formellement  son  changement  de  politique 
et  faire  connaître  la  voie  nouvelle  qu'elle  entendait  suivre  dans 
l'administration. 

Le  parti  extrême  de  la  proscription  en  était  furieux  et  poussait 
de  hautes  clameurs.  Mazères,  de  retour  à  Londres  depuis  trois 
ou  quatre  ans,  était  son  homme  de  confiance  et  son  agent.     Cet 

•  Le  pamphlétaire  Flemming  dit  :  The  government  consultée!  governor 
Carleton  as  to  the  means  of  cxciting  the  zealous  coojjeration  of  ihe  leaders 
of  the  French  Canadians,  when  he  suggested  the  restoration  of  french  law." 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


401 


homme  dont  la  famille  avait  tant  souffert  du  fanatisme  religieux 
dans  son  ancienne  patrie,  consentait  à  devenir  comme  Marriott 
lui-même  l'avocat  des  prescripteurs  canadiens  dans  sa  patrie 
adoptive,  et  pour  cela  il  marchait  dans  deux  voies  que  l'histoire 
n'a  pas  bien  éclaicies.     D'une  part,  dans  un  rapport  qu'il  adres- 
sait en  Angleterre  il  faisait  une  revue  assez  favorable  des  lois 
canadiennes,  et  dans  ses  tôte-à-tête  avec  les  agens  chargés  de  les 
défendre,  il  embrassait  également  leur  cause  avec  chaleur  selon 
Du  Calvet  ;  de  l'autre,  les  nombreux  papiers  imprimés  sous  sa 
direction  et  qui  forment  plusieurs  volumes,  nous  le  montrent 
sinon  comme  entièrement  hostile  à  toutes  leurs  institutions  civiles 
et  religieuses,  du  moins         -ne  peu  zélé  pour  la  conservation  de 
ces  conditions  essentiel        i  leur  bonheur.     Entre   ces   contra- 
dictions quelques  personnes  instruites  cherchant  une  solution  dans 
ses  volumineux  écrits,  et  surtout  dans  le  Canadian  Freelwldcr, 
pensent  qu'il  voulait  plutôt  amener  les  fanatiques  qu'il  servait, 
par  une  chaîne  de  raisonnemens  dont  ils  ne  voyaient  pas  bien  la 
conséquence,  mais  dont  ils  ne  pourraient  ensuite  se  dégager,  à  un 
but  souvent  opposé  à  celui  qu'ils  voulaient  atteindre;  d'autres, 
ennemis  de  toutes  ces  circonlocutions,  n'y  veulent  voir  que  les 
allées  et  venues  d'un  intrigant.     Quoi   qu'il  en  soit,  Mazères 
informa  ceux  qu'il  représentait  de  la  décision  probable  du  gou- 
vernement touchant  le  Canada.     A  cette  nouvelle,  voyant  la 
tournure  que  prenaient  les  affaires,  et  le  désir  du  roi  de  s'attacher 
les  Canadiens  pour  la  lutte  qui  se  préparait  en  Amérique,  les 
protestans  crurent  qu'il  était  temps  de  faire  des  démonstrations 
plus   vigoureuses,  et  de  demander  enfin   formellement  l'accom- 
plissement des  promesses  de  63,  c'est-à-dire  l'octroi  d'une  cons- 
titution   Hbre.     Ils  tinrent  plusieurs  assemblées    pour  adopter 
des  pétitions  au  roi.     La  première  n'était  composée  que  d'une 
quarantaine    de    personnes.     Ils    nommèrent     deux     comités, 
l'un  jiour  Québec  et  l'autre  pour  Montréal,  et   invitèrent  les 
Canadiens  à  se  joindre  à  eux,  ce  que  ceux-ci  déclinèrent  de  faire 
pour  de  bonnes  raisons.     En  effet,  dans  tous  leurs  procédés,  ils 
ne  cessaient  point  de  dissimuler  un  point  capital,  la  religion.     La 
chambre  que  le  général  Murray  avait  convoquée  en  64,  n'avait 
pu  rien  faire  parce  que  les  membres  canadiens  avaient  refusé  de 
prêter  le  serment  du  test.     Ils  croyaient  que  si  le  parlement 


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1i02 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


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impérial  en  accordait  une  autre  les  protestana  auraient  toujours 
seuls  le  droit  d'y  siéger,  attendu  que  l'inégibilité  des  catholiques 
était  une  des  maximes  fondamentales  de  la  constitution  anglaise  ; 
et  dans  cette  conviction  la  conclusion  de  leur  requête  qui  gardait 
le  silence  sur  cet  article  n'exposait  rien  de   leurs   prétensions. 
Mais  les  catholiques  qui  connainsaient  parfaitement  leur  pensée 
secrète,  exigèrent,  avant  toute  chose,  que  le  roi  fût  formellement 
prié   d'y  admettre  sans  distinction  de  religion,  les  catholiques 
comme  les  protestans.     Alors  forcés  de  s'expliquer,  ils  refusèrent 
cette  demande,  et  c'est  ce  refus  qui  fut  la  véritable  cause  pour 
laquelle  les  Canadiens,  qui  auraient  désiré  avoir  un  gouverne- 
ment représentatif,  ne  voulurent  pas  les  joindre.     Quelques-uns 
se  seraient  rendus  peut-être  ;  mais  les  autres  refusèrent  absolu- 
ment toute  concession  à  cet  égard,  persuadés  plus  que  jamais, 
que  le  but  des  pétitionnaires  était  de  soutenir  le  principe  de  l'ex- 
clusion tout  en  se  prévalant   de  leurs  signatures,   prévision  que 
l'événement  justifia,  puisque  Mazères,  parlant  ensuite  en  leur  nom, 
s'opposa  à  ce  qu'on  admit  les  catholiques  dans  le  conseil  législa- 
tif établi  par  l'acte  de  74.     Après  ce  refus  ils  adressèrent  leurs 
pétitions  à  M.  Cramahé,  lieutenant-gouverneur,  pour  le  prier  de 
convoquer  une  assemblée  des  représentans  du  peuple.     Celui- 
ci  répondit  que  c'était  une  question  trop  importante  pour  lui  ou 
pour  le  conseil  à  résoudre  ;  que  l'Angleterre  allait  s'occuper  des 
affaires  canadiennes  et  qu'il  allait  transmettre  leurs  demandes  au 
ministère.*     Les  protestans,  réduits  à  agir  seuls,  firent  de  nou- 
velles représentations  qu'ils  envoyèrent  à  leur  agent,  élevé  depuis 
son  retour  à  Londres  à  l'office  de  Cursitor,  baron  de  l'échiquier, 
pour  les  présenter  au  roi.     Par  ces  pétitions  signées  de  148  per- 
sonnes seulement,  dont  trois  Canadiens  protestans,  ils  demandaient 
en  termes  généraux  la  convocation  d'une  assemblée  représenta- 
tive de  telle  forme  et  manière  que  le  roi  jugerait  convenable  ; 
mais  en  même  temps  ils  en  adressaient  une  autre  au  comte  de 
Darmouth,  l'un  des  secrétaires  d'état,  pour  l'engager  à  s'intéresser 
en  leur  faveur,  et  l'informer  que  le  conseil  et  le  gouverneur  pas- 
saient des  ordonnances  contraires  aux  lois  anglaises  ;  que  le  paya 
manquait  de  ministres  protestans,  que  le  séminaire  de  Québec 
ouvrait  des  classes  pour  l'éducation  de  la  jeunesse,  ce  qui  était 

•  Procès- verbaux  du  Conseil  Exécutif,  1773. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


403 


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d'autant  plus  alarmant  que  les  professeurs  proteslans  en  étaient 
exclus.  Ils  écrivirent  aussi  aux.  principaux  marchands  de 
Londres  pour  les  prier  de  seconder  leur  démarche.  Ils  tenaient 
tant  à  leur  système  d'anglification  que,  même  encore  plusieurs 
années  après  en  82,  le  conseiller  Finlay  suggérait  d'établir  des 
écoles  anglaises  dans  les  paroisses  et  de  défendre  l'usage  du  fran- 
çais dans  les  cours  de  justice  après  un  certain  nombre  d'années. 

Mazères,  sachant  que  les  ministres  ne  voulaient  pas  donner 
d'assemblée  représentative  aux  catholiques,  et  qu'ils  allaient  se 
borner  pour  le  moment  à  un  conseil  législatif  nommé  par  le  roi, 
leur  suggéra  de  le  former  de  31  membres  inamovibles,  de  ne  le 
faire  assembler  qu'après  convocation  publique,  de  donner  aux 
membres  le  droit  d'introduire  des  bills  et  de  voter  comme  ils  l'en- 
tendraient, mais  non  celui  d'imposer  des  taxes,  et  enfin  de  n'y 
admettre  toujours  que  les protestans. 

Tandis  que  le  parti  protestant  demandait  ainsi  le  sceptre  du 
pouvoir  pour  lui,  et  l'esclavage  pour  les  catholiques,  ceux-ci 
ne  restaient  pas  oisifs.  Ils  ne  cessaient  point  par  ton  les  moyens 
qu'ils  avaient  à  leur  disposition  de  travailler  à  détruire  les  préju- 
gés de  l'Angleterre  contre  eux,  préjugés  que  leurs  ennemis 
cherchaient  continuellement  à  envenimer  par  leurs  écrits  et  par 
leurs  discours.  Ils  avaient  aussi  les  yeux  sur  ce  qui  se  passait 
dans  les  provinces  voisines.  Ils  ne  manquaient  pas  d'hommes 
capables  de  juger  sainement  de  leur  situation  et  de  celle  des 
intérêts  métropolitains  dans  ce  continent,  comme  le  prouve  le 
mémoire  prophétique  cité  dans  le  discours  placé  en  tête  de  cet 
ouvrage.  Si  on  s'en  rappelle,  ce  mémoire  exposait  avec  une 
grande  force  de  logique,  qu'il  était  nécessaire  pour  l'Angleterre, 
si  elle  voulait  se  maintenir  en  Canada,  d'accorder  aux  habitans 
de  cette  contrée  tous  les  privilèges  d'hommes  libres  ;  qu'elle  devait 
favoriser  leur  religion  et  non  la  détruire,  par  le  moyen  sourd, 
mais  infaillible  des  exclusions  ;  et  que  ce  ne  serait  pas  avoir  la 
liberté  d'être  catholique  que  de  ne  pouvoir  l'être  sans  perdre  tout 
ce  qui  pouvait  attacher  les  hommes  à  la  patrie.  Ils  tinrent  des 
assemblées  et  signèrent,  dans  le  mois  de  décembre  73,  une  péti- 
tion qui  s'exprimait  en  ces  termes  :  "  Dans  l'année  64,  Votre 
Majesté  daigna  faire  cesser  le  gouvernement  militaire  dans  cette 
colonie  pour  y  introduire  le  gouvernement  civil.     Et  dès  l'époquo 


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404 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


de  ce  changement  nous  commençâmes  à  nous  apercevoir  des 
inconvéniens  qui  résultaient  des  lois  britanniques,  qui  nous  étaient 
jusqu'alors  inconnues.  Nos  anciens  citoyens,  qui  avaient  réglé 
sans  frais  nos  '"'cultes,  lurent  remerciés:  cette  milice  qui  se 
faisait  une  glo:  porter  ce  beau  nom  sous  votre  empire,  fut 
supprimée.  Ou  is  accorda,  à  la  vérité,  le  droit  d'être  jurés  ; 
mais,  en  même  temps,  on  nous  fit  éprouver  qu'il  y  avait  des 
obstacles  pour  nous  à  la  possession  des  emplois.  On  parla  d'in- 
troduire les  lois  d'Angleterre,  infiniment  sages  et  utiles  pour  la 
mère-patrie,  mais  qui  ne  pourraient  s'allier  avec  nos  coutumes 
sans  renverser  nos  fortunes  et  détruire  entièrement  nos  posses- 
sions          V  *  .   . 

"  Daignez,  illustre  et  généreux  monarque,  ajoutaient  les  Cana- 
diens, dissiper  ces  craintes  en  nous  accordant  nos  anciennes  lois, 
privilèges  et  coutumes,  avec  les  limites  du  Canada  telles  qu'elles 
étaient  ci-devant.     Daignez  répandre  également  vos  bontés  sur 

tous  vos  sujets  sans   distinction et   nous   accorder,   en 

commun   avec  les  autres,  les   droits  et  privilèges   de   citoyens 

anglais  ;  alojs nous  serons  toujours  prêts  à  les  sacrifier 

pour  la  gloire  de  notre  prince  et  le  bien  de  notre  patrie." 

Cette  requête  qui  passa  pour  l'expression  de  la  généralité  des 
Canadiens,  ne  fut  signée  cependant  que  par  une  très  petite  partie 
des  seigneurs  et  de  la  classe  bourgeoise  des  villes,  qui  pouvaient 
espérer  d'être  représentés  dans  le  corps  législatif  qui  serait  donné 
au  pays.  Il  y  a  lieu  de  croire  aussi  que  le  clergé  partagea  les 
sentimens  des  pétitionnaires,  quoique,  suivant  son  usage,  s'il  fit 
des  représentations,  il  le  fit  secrètement.  Le  peuple  ne  sortit 
point  de  son  immobilité,  et  la  croyance  que  les  remontrances  qui 
se  firent  alors  venaient  de  lui,  n'a  aucun  fondement.  Il  ne  fit 
aucune  démonstration  publique.  Dans  sa  méfiance,  il  présumait 
avec  raison  qu'il  n'obtiendrait  aucune  concession  de  l'Angleterre, 
puisque  le  parti  whig  ou  libéral  d'alors  dans  le  parlement  britan- 
nique, auquel  il  aurait  pu  s'adresser,  était  celui-là  môme  qui 
appelait  avec  le  plus  de  force  la  proscription  de  tout  ce  qui  était 
français  en  Canada,  exceptant  à  peine  la  religion.  Il  laissa  donc 
faire  les  seigneurs  et  leurs  amis,  qui  demandaient  du  moins  tout 
ce  qu'il  aurait  demandé  lui-même,  s'ils  ne  demandaient  pas 
autant,  et  qui  avaient  plus  de  chance  de  se  faire  écouter,  en  ce 


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HISTOIRE    DU    CANADA. 


405 


que  leur  cause  devait  exciter  quelque  sympathie  parmi  les  torys 
anglais,  qui  possédaient  le  pouvoir  et  qui  formaient  les  classes 
privilégiées  de  la  métropole,  dont  ils  étaient  l'image  dans  la 
colonie. 

Leur  langage,  du  reste,  empreint  d'un  profond  respect  pour  le 
trône,  contrastait  avec  celui  de  leurs  adversaires.  Ils  ne  cher- 
chaient point  à  dépouiller  personne  de  ses  droits  tout  en  invo- 
quant le  nom  de  la  liberté  ;  ils  ne  demandaient  point  la  proscrip- 
tion de  toute  une  race  parce  que  sa  croyance  religieuse  différait 
de  la  leur  ;  ils  voulaient  seulement  jouir  en  commun  avec  les 
autres  des  droits  et  des  privilèges  que  la  qualité  d'Anglais  leur 
donnait  aux  yeux  du  droit  commun.  Cette  requête  fut  accom- 
pagnée d'un  mémoire  dans  lequel  les  pétitionnaires  réclamaient 
aussi  le  droit  de  participer  aux  emplois  civils  et  militaires,  droit 
contre  lequel  Mazères,  parlant  au  nom  de  son  parti,  se  prononça 
ensuite  fortement.  Ils  observaient  encore  que  la  limite  du 
Canada  fixée  à  la  parallèle  1-5,  à  quinze  lieues  seulement  de 
Montréal,  resserrait  trop  le  pays  de  ce  côté,  et  leur  enlevait  les 
meilleures  terres  ;  que  les  pays  d'en  haut,  embrassant  le  Détroit 
et  Michilimakinac,  devaient  être  restitués  au  Canada  jusqu'au 
Mississipi,  pour  les  besoins  de  la  traite  des  pelleteries,  de  môme  que 
la  côte  du  Labrador  pour  ceux  de  la  pêche.  Ils  ajoutaient  que 
la  colonie,  par  les  fléaux,  les  calamités  de  la  guerre  et  les  fré- 
quens  incendies  qu'elle  avait  essuyés,  n'était  pas  encore  en  état 
de  payer  ses  dépenses,  et  conséquemment  d'avoir  une  chambre 
d'assemblée  ;  qu'un  conseil  plus  nombreux  qu'il  n'avait  été  jus- 
que là,  composé  d'anciens  et  de  nouveaux  sujets,  serait  beaucoup 

plus  à  propos enfin,  qu'ils  espéraient  d'autant  plus  cette 

grâce  que  les  nouveaux  sujets  possédaient  plus  des  dix  dou- 
zièmes des  seigneuries  et  presque  toutes  les  terres  en  roture. 

La  déclaration  relative  à  la  chambre  d'assemblée,  a  été  invo- 
quée depuis  pour  accuser  les  signataires  canadiens  de  vues 
étroites  et  intéressées.  Mais  ceux-ci  voyant  qu'il  était  impos- 
sible d'obtenir  une  chambre  élective  où,  contrairement  à  la 
constitution  anglaise,  les  catholiques  pussent  être  admis,  préfé- 
rèrent sagement  assurer  la  conservation  de  leur  religion  et  de 
leurs  lois  en  demandant  un  simple  conseil  législatif  à  la  nomina- 
tion du  roi,  qu'une  chambre  élective  dont  ils  auraient  été  exclus, 


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406 


HISTOIRB   DU    CANADA. 


et  qui  eût  été  composée  d'ennemis  déclarés  de  leur  langue  et 
de  toutes  leurs  institutions  sociales,  d'hommes  enfin  qui,  dans  le 
moment  même,  voulaient  les  exclure  des  emplois  publics,  et  qui 
auraient  sans  doute  signalé  l'existence  du  régime  représentatif 
par  la  proscription  de  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  cher  et  de  plus 
vénérable  parmi  les  hommes,  la  religion,  les  lois  et  la  nationalité. 

Les  demandes  des  Canadiens  furent  accueillies  comme  elles 
devaient  l'être  dans  les  circonstances  où  se  trouvait  l'Angleterre 
par  rapport  à  l'Amérique,  et  servirent  de  base  à  l'acte  de  74,  qui 
formait,  du  reste,  partie  d'un  plan  beaucoup  plus  vaste  puisqu'il 
embrassait  toutes  les  colonies  anglaises  de  ce  continent.  La  puis- 
sance croissante  de  ces  colonies  effrayait  de  plus  en  plus  l'Angle- 
terre, et  leur  attitude  depuis  la  paix,  exposée  brièvement  dans  le 
chapitre  suivant,  fera  connaître  assez  les  vrais  motifs  de  sa 
politique  au  sujet  du  Canada.  En  même  temps  pour  consoler 
de  son  échec  le  parti  de  la  proscription,  Mazères  lui  écrivait 
"  qu'il  pensait  que  les  habitans  seraient  plus  heureux  de  là  à  sept 
ou  huit  ans  sous  le  gouvernement  établi  par  l'acte  de  74,  que 
sous  l'influence  d'une  assemblée  où  les  papistes  auraient  été 
admis,"  paroles  qui  le  font  mieux  connaître  que  tout  ce  que  l'on 
pourrait  dire.  De  son  côté  le  gouvernement  transforma  en  76  le 
collège  des  Jésuites  en  casernes  pour  les  troupes.  Cet  ordre 
célèbre  avait  été  obligé  de  renvoyer  ses  professeurs  pendant  le 
siège  de  Québec  en  59.  Il  ne  put  reprendre  que  les  écoles  élé- 
mentaires après  la  guerre,  écoles  qu'il  continua  jusqu'au  moment 
où  le  gouvernement  s'empara  de  ses  biens.  Deux  ans  après,  le 
palais  de  l'évêchè  passa  aussi  aux  mains  du  pouvoir  civil  qui 
accorda  une  rémunération  annuelle  de  JE150  à  l'èvêque. 

Ces  actes  n'annonçaient  aucune  disposition  favorable  pour 
l'avenir,  quoique  le  catholicisme  ne  cessât  point  d'être  toléré 
et  que  le  gouvernement  semblât  manifester  de  plus  en  plus  le 
désir  d'entrer  dans  une  voie  plus  libérale.  Mais  ce  désir  tenait 
à  des  circonstances  extérieures  qui  portaient  les  ministres  à  se 
relâcher  plus  ou  moins  de  la  rigueur  de  leur  système  pour  obtenir 
les  bonnes  grâces  des  Canadiens  en  présence  de  la  révolte  dea 
putres  colonies,  et  non  à  leurs  principes  ou  à  leur  libéralité. 


CHAPITRIE  IL 

RÉVOLUTION   AMÉRICAINE. 


1775. 

Difficultés  entre  l'Angleterre  et  ses  anciennes  colonies:  leurs  causes. — Divi- 
sions dans  le  parlement  impérial  à  ce  sujet. — Avènement  de  lord  North  au 
ministère. — Troubles  à  Boston. — Mesures  coercitives  de  la  métropole,  qui 
cherche  à  s'attacher  le  Canada  par  des  concessions. — Pétitions  opposées 
des  Canadiens  et  des  Anglais  ;  motifs  des  délais  pour  décider  entre  les 
deux  partis. — Acte  de  74  dit  de  Québec  ;  débats  dans  la  chambre  des 
communes. — Congrès  de  Philadelphie  ;  il  met  l'acte  de  Québec  au  nombre 
de  ses  griefs. — Ses  adresses  à  l'Angleterre  et  aux  Canadiens. — Le  générai 
Carleton  revient  en  Canada. — Sentimens  des  Canadiens  sur  la  lutte  qui  se 
prépare. — Premières  hostilités. — Surprise  de  Carillon,  St.-Frédéric  et  St.- 
Jean. — Guerre  civile. — Bataille  de  Bunker's  hill. — Envahissement  du 
Canada. — Montgomery  et  Arnold  marchent  sur  Québec  au  milieu  des 
populations  qui  se  joignent  à  eux  ou  restent  neutres  :  Montréal  et  les 
Trois-Rivières  tombent  en  leur  pouvoir. — Le  gouverneur  rentre  en  fugitif 
dans  la  capitale  devant  laquelle  les  insurgés  mettent  le  siège. 

Toùxes  les  colonies  de  l'Amérique  septentrionale  étaient  en 
rupture  ouverte  avec  l'Angleterre,  et  marchaient  à  grands  pas 
vers  la  révolution  qui  devait  assurer  leur  indépendance.  Depuis 
celle  de  1690,  qui  avait  opéré  de  si  grands  changemens  dans  leurs 
constitutions,  l'Angleterre  n'avait  pas  cessé  de  chercher  à  res- 
treindre leurs  privilèges,  surtout  ceux  de  leur  commerce.  Nous 
avons  vu  dans  une  autre  partie  de  cet  ouvrage  la  cause  qui  avait 
amené  ces  changemens,  et  le  caractère  des  habitans  de  ces 
anciennes  provinces,  unis  de  sentimens  et  de  principes  au  parti 
républicain  des  temps  de  Cromwell.  Il  ne  sera  donc  pas  éton- 
nant de  les  voir  aujourd'hui  repousser  les  prétentions  d'une 
métropole  devenue  beaucoup  plus  monarchique  qu'elle  ne  l'avait 
été  autrefois.  Après  l'acte  de  navigation  passé  pour  restreindre 
la  marine  des  colonies,  elle  avait  défendu  en  1732  l'exportation 
des  chapeaux  et  des  tissus  de  laine  d'une  province  à  l'autre, 
l'importation  l'année  suivante  du  sucre,  du  rum  et  de  la  mélasse 
sans  payer  des  droits  exorbitans,  et  en  1750  l'établissement 
d'usines  de  laminage  des  métaux,  et  la  coupe  des  bois  de  pin  et 
sapin  dans  les  forêts.  Enfin  elle  voulait  exercer  une  autorité 
incontestable  et  illimitée  sur  toutes  ses  colonies,  et  il  fallait 


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408 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


abuser  élrangemont  de  son  intelligenco  pour  refuser  de  reconnaî- 
tre ce  droit,  disait  un  membre  du  parlement,  qui  ajoutait  que  la 
trahison  et  la  révolte  étaient  des  fruits  propres  et  particuliers  au 
soi  du  Nouveau-Monde.  Les  opinions  avaient  varié  en  Améri- 
que sur  ces  grandes  questions  suivant  les  temps  et  les  circons- 
tances. La  Nouvelle-Angleterre,  pour  ne  point  paraître  soumise 
à  la  Grande-Bretagne,  lorsqu'elle  acquiesçait  à  un  acte  du  parle- 
ment impérial,  imprimait  à  cet  acte  un  caractère  particulier  en  le 
promulguant  comme  s'il  venait  d'elle-même.  Les  autres  provinces 
inspirées  par  les  mômes  scntimens  avaient  toujours  vu  avec 
répugnance  les  prétentions  métropolitaines  et  si  elles  s'y  étaient 
soumises  quelquefois  en  silence,  c'est  parce  qu'elles  ne  s'étaient 
pas  crues  assez  fortes  pour  y  résister  ;  mais  leur  jiuissance  aug- 
mentait tous  les  jours.  Leur  population  qui  était  de  262,000 
âmes,  vers  1700,  s'élevait  déjà  en  1774,  à  3  millions.  Après  le 
traité  de  63  qui  laissait  l'Angleterre  seule  dominatrice  dans  l'A- 
mérique du  nord,  sa  politique  y  devint  encore  plus  restrictive  et 
plus  exigeante.  Elle  voulut  y  rendre  son  pouvoir  presqu'absolu 
et  en  tirer  un  revenu  direct  pour  l'aider  à  payer  l'intérêt  de  la 
dette  nationale  qu'elle  avait  fort  accrue  par  la  guerre  du  Canada, 
qui  avait  coûté  aussi  deux  millions  et  demi  aux  Américains.  On 
avait  déjà  suggéré  ce  projet  à  Walpole,  qui  avait  répondu  :  "  J'ai 
contre  moi  toute  la  vieille  Angleterre,  voulez-vous  encore  que  la 
jeune  devienne  mon  ennemie  1"  Le  ministre  Grenville  qui 
tenait  plus  à  garder  sa  place  que  son  prédécesseur,  proposa  en 
parlement,  contre  son  propre  jugement  et  pour  complaire  à 
George  III,  les  résolutions  qui  devaient  servir  de  base  à  l'acte  du 
timbre  :  elles  furent  adoptées  sans  opposition  dans  le  mois  de 
mars  64. 

Toutes  les  colonies  protestèrent  contre  la  prétention  de  les 
taxer.  Si,  disaient  les  hommes  austères  du  Massachusetts,  si 
cette  prétention  d'imposer  les  colonies  à  son  profit  et  à  sa  con- 
venance venait  à  réussir,  il  en  résulterait  un  système  d'oppres- 
sion qui  bientôt  deviendrait  insupportable,  car  une  fois  établi  il 
serait  presque  impossible  de  s'en  délivrer,  ni  même  de  le  modi- 
fier. Nous  ne  sommes  pas  représentés  dans  le  parlement  anglais  : 
qui  empêcherait  la  chambre  des  communes  de  chercher  à  se 
soulager  à  nos  dépens  du  poids  des  impôts  ?    Et,  du  reste,  en 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


409 


notre  qualité  de  sujet»  anglais  nous  soutenons  que  nous  ne  pou- 
vons être  taxés  que  par  nos  propres  rcpréseiitans. 

Les  Américains  avaient  d'ailleurs  d'autres  sujets  de  plainte. 
L'aspect  d'une  force  militaire  permanente  dans  leur  pays  lea 
gênait  beaucoup  ;  l'augmentation  des  salaires  accordés  aux  jugea 
leur  paraissait  un  moyen  adroit  de  diminuer  leur  indépendance  ; 
les  gouverneurs  de  provinces  qui  n'étaient  plus  nommés  comme 
autrefois  par  les  habitans,  se  montraient  aussi  toujours  disposés  i 
prendre  des  mesures  arbitraires.  Malgré  l'opposition  que  sou- 
leva le  projet  de  taxer  lea  colons,  les  résolutions  de  Grenville 
furent  incorporées  dans  un  acte  que  le  parlement  impérial  passa 
l'année  suivante  pour  établir  au-delà  des  mers  les  mêmes  droits 
de  timbre  que  dans  la  Grande-lirctagne.  Franklin,  agent  du 
Massachusetts  à  Londres,  écrivit  aux  colonies  :  "  Le  soleil  de  la 
liberté  est  passé  sous  l'horison,  il  faut  que  vous  allumiez  les  flam- 
beaux de  l'industrie  et  de  l'économie."  Quoiqu'il  reçût  vers 
cette  époque  une  vaste  concession  de  terre  avec  quelques  autres 
personnes,  sur  l'Ohio,*  Franklin  marchait  toujours  avec  le  parti 
le  plus  avancé  des  colonies.  Les  Américains  résolurent  de  ne 
faire  aucun  usage  des  marchandises  anglaises,  ce  qui  efiraya  lea 
les  marchands  de  la  métropole  et  les  rallia  aux  partisans  de  la 
cause  américaine.  La  Virginie,  sous  l'inspiration  du  célèbre 
patriote  Patrick  Henry,  commença  l'opposition  à  l'acte  du 
timbre.  Par  les  résolutions  qu'il  présenta  à  la  chambre  et  qui 
passèrent  après  de  longs  débats,  il  fut  déclaré  que  le  peuple 
n'était  pas  tenu  d'obéir  aux  lois  d'impôt  qui  n'étaient  pas  votées 
par  ses  représentans,  et  que  tout  homme  qui  soutiendrait  le  con- 
traire était  l'ennemi  des  colonies.  Dans  la  chaleur  de  la  discus- 
sion, il  parla  avec  la  plus  grande  hardiesse.  Faisant  allusion  au 
sort  des  tyrans  :  "César,  dit-il,  a  eu  son  Brutus,  Charles  I  son 

Cromwell,  et  George  III Ici  il  s'arrêta  au  miheu  des  cris  de 

trahison  !  trahison  ! ....  et  George  III,  continua-t-il,  pourra  pro- 
fiter de  leur  exemple.  Si  c'est  là  de  la  trahison,  qu'on  me  le  fasse 
voir."  Il  y  eut  des  émeutes  en  plusieurs  endroits  et  surtout  à 
Boston,  où  la  population  démolit  le  bureau  du  timbre.  A  Phila- 
delphie, lorsque  le  vaisseau  qui  apportait  le  papier  timbré  entra 
dans  le  port,  les  navires  hissèrent  leurs  pavillons  à  mi-mât,  et  les 

•  E.  B.  O-Callaghan's  Documentary  history  of  the  State  of  New-York. 


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410 


HISTOIRE    DV    CANADA. 


cloches,  enveloppées  do  crôpe  noir,  sonnèrent  lugubrement 
jiisqu'aii  soir.  Enfin,  un  congrès  composé  des  députés  de  la  plus 
grande  partie  des  provinces,  s'assembla  à  New- York  et  vota  une 
déclaration  de  droits  et  des  pétitions  au  parlement  impérial 
contre  la  prétention  do  la  métropole.  L'opposition  devint  si 
formidable  que  les  préposés  du  timbre  furent  partout  contraints 
de  renoncer  publiquement  à  leurs  fonctions  et  de  retourner  en 
Europe.  Les  ofliciers  de  la  justice,  les  avocats,  etc.,  s'enga- 
gèrent à  suspendre  tout  exercice  de  leurs  charges  plutôt  que  de 
se  soumettre  au  nouvel  impôt.  La  populace  brûlait  les  marchan- 
dises estampillées  sur  le  rivage  au  milieu  des  cris  de  joie.  Les 
marchands  cessèrent  tout  commerce  avec  l'Angleterre.  En 
même  temps  que  ces  mesures  donnait  l'impulsion  à  l'industrie 
locale,  le  commerce  de  la  métropole  tombait  dans  une  stagnation 
ruineuse,  qui  jettait  le  gouvernement  impérial  dans  le  plus 
grand  embarras,  quelques  ministmo  penchant  pour  la  coercition, 
'es  autres  pour  les  tempéramer.a. 

Le  parlement  anglais  s'ouvrit  en  66  sous  les  auspicos  les  plus 
sombres.  La  misère  et  le  mécontentement  agitaient  tout  l'empire. 
Menacé  d'ure  révolution,  le  ministère  proposa  lui-même,  appuyé 
par  Pitt  et  Burke,  de  rapporter,  en  stipulant  une  réserve  de  droits, 
l'acte  qui  avait  allumé  la  colère  des  colonies.  Les  débats  où  les 
orateurs  des  deux  partis  se  surpassèrent  par  la  hauteur  et  la 
beauté  de  l'éloquence  portée  alors  à  son  comble  dans  le  sénat 
anglais,  furent  très  longs  ;  mais  ils  se  terminèrent  à  l'avantage 
des  ministres.  Pour  se  populariser  davantage,  ils  firent  passer 
plusieurs  lois  toutes  favorables  au  commerce  colonial,  et  obtinrent 
de  la  France  la  liquidation  des  papiers  du  Canada  dûs  depuis  la 
cession. 

Le  rapport  de  la  loi  du  timbre,  reçu  avec  joie  en  Aftiérique,  y 
suspendit  quelque  temps  l'opposition  hostile  qui  s'y  était  mani- 
festée ;  mais  bientôt  d'autres  difficultés  s'élevèrent  entre  le  gou- 
verneur et  l'assemblée  du  Massachusetts.  Le  ministère  Grenville 
était  tombé,  et  Pitt,  devenu  lord  Chatam,  était  remonté  aux 
affaires.  Par  une  de  ces  inconséquences  qui  ne  s'expliquent  que 
par  l'ambition  ou  la  faiblesse  des  hommes,  les  nouveaux  ministres, 
dont  plusieurs  s'étaient  exprimés  avec  tant  de  force  contre  le 
droit  de  taxer  les  colonies,  surtout  lord  Chatam,  proposèrent  en 


HISTOIRE    DU   CANADA. 


411 


67  d'imposer  le  verre,  le  thé,  le  papier,  importés  en  Amé- 
rique. Leur  proposition  fut  convertie  en  loi  ;  et  afin  d'effrayer 
les  colons,  le  parlement  impérial  suspendit  par  le  môme  acte 
l'assemblée  représentative  de  la  Nouvelle- York,  qui  refusait  de 
reconnaître  sur  ce  point  la  juridiction  de  la  (xrande-Bretagne  ; 
preuve  nouvelle  que  les  prétendus  amis  des  colonies  dans  les 
métropoles  sont  souvent  mus  moins  par  sentiment  de  justice  en 
leur  faveur,  que  par  esprit  d'ambition  et  d'opposition  aux  ministres 
du  jour. 

Bientôt  après  le  ministère  Graflon,  composé,  suivant  Junius, 
de  déserteurs  de  tous  les  partis,  remplaça  celui  de  lord  Chaîam, 
qui  conserva  lui-môme  cependant  son  poste  dans  ce  remaniement, 
mais  qui  avait  déjà  perdu  toute  sa  popularité.  Le  nouveau  pro- 
jet de  taxation  éprouva  encore  plus  d'opposition  en  Amérique 
que  l'acte  du  timbre.  Le  Massachusetts  donna  le  premier  l'ex- 
emple de  la  résistance,  et  forma  une  convenlion  générale.  L'ar- 
rivée du  général  Gage  avec  quatre  régifnens  et  un  détachement 
d'artillerie  fit  suspendre  un  instant  ces  démonstrations  ;  mais  le 
feu  couvait  sous  la  cendre,  et  était  entretenu  par  les  associations 
qui  s'étaient  formées  dans  toutes  les  provinces.  Les  nouvelles 
mesures  de  la  métropole  précipitaient  tes  événemens.  Le  parle- 
ment vota  une  adresse  au  roi  pour  l'autoriser  à  envoyer  une 
commission  spéciale  à  Boston,  chargée  de  juger  les  opposans 
comme  coupables  de  haute  trahison.  On  croyait  pouvoir  les 
intimider  et  les  amis  du  gouvernement  pensaient  ainsi.  Sir 
William  Johnson  écrivait  à  lord"  Hillsborough  en  1769.  "  J'offre 
humblement  mes  obéissances  les  plus  respectueuses  pour  le  dis- 
cours du  trône  et  les  adresses  que  j'ai  eu  l'honneur  de  recevoir  ; 
la  fermeté  de  la  première  et  l'unanimité  des  dernières  me  cau- 
sent une  grande  satisfaction  et  me  donnent  raison  d'espérer  que  les 
malheureuses  mésintelligences  excitées  par  les  fanatiques  turbu- 
lens  de  ce  pays  se  termineront  promptement  d'une  manière  com- 
patible avec  l'honneur  de  la  couronne  3t  le  vrai  bonheur  du 
peuple.*  C'est  ainsi  que  dans  tous  les  temps  on  se  trompe  sur  les 
événemens  de  l'avenir.  Malgré  les  espérances  de  Johnson,  les 
colons  résolurent  encore  une  fois  de  suspendre  leurs  relations  com- 

•  E.  B.  O'Callaghan's  Documentary  History  of  the  state  of  New-York 
vol.  II  p.  933. 


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412 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


merciales  avec  l'Angleterre,  dont  les  exportations  en  Amérique 
diminuèrent  cette  seule  année  de  740,000  louis.  Ce  résultat  alar- 
ma de  nouveau  les  marchands  anglais,  et  le  ministère  se  vit  con- 
traint d'annoncer  qu'il  allait  proposer  la  révocation  de  la  nouvelle 
loi  d'impôt  sur  tous  les  articles  qui  y  étaient  mentionnés,  excepté 
le  thé  conservé  comme  marque  du  droit  de  souveraineté.  C'était 
à  la  fois  annoncer  sa  faiblesse  et  laisser  subsister  le  germe  des 
discordes. 

Sur  ces  entrefaites,  en  70,  lord  North  prit  en  main  la  direction 
des  affaires.     Il  fit  passer  la  proposition  de  son  prédécesseur  en 
loi.     Dans  le  même  temps  des  troubles  sérieux  avaient  éclaté  à 
Boston  entre  les  citoyens  et  les  soldats,  et  l'on  n'avait  pu  les 
appaiser  qu'en  faisant  sortir  ceux-ci  de  la  ville.     L'alarme  gagnait 
toutes  les  provinces  et  toutes  les  classes  ;  l'on  jetait  les  yeux  sur 
l'avenir  avec  inquiétude  ;  mais  la  grande  majorité  des  colons  était 
décidée  à  défendre  leurs  droits  les  armes  à  la  main  s'il  était 
nécessaire.     Ils  organisaient  partout  leur  résistance.     Devenus 
plus  modérés  dans  la  forme,  ils  ne  voulaient  rien  abandonner  du 
fond,  et  ils  étaient  prêts  à  subir  tous  les  sacrifices  pour  assurer  le 
triomphe  de  leur  cause.     Le  Massachusetts  donnait  l'exemple, 
dirigé  par  Otis,  Adam  et  Hancock.    Il  fut  aisé  bientôt  de  prévoir 
que  ni  l'Angleterre,  ni  l'Amérique  ne  céderaient  rien  de  leurs 
prétentions,  et  que  de  la  plume  il  faudrait  en  appeler  à  l'épée. 
En  73  le  parler.ient  impérial  passa  un  acte  pour  autoriser  la  com- 
pagnie des  Indes  orientales  à  porter  du  thé  en  Amérique  à  la 
charge  de  payer  les  droits  imposés  par  l'acte  de  67.     Aussitôt 
dans  plusieurs  provinces  on  força  les  consignataires   de   cette 
denrée  à  renoncer  à  leurs  entrepôts.     A  Boston  l'on  se  saisit  de 
la  personne  des  entreposeurs,  et  on  promena  dans  les  rues  les 
plus  rebelles,  le  corps  enduit  de  goudron  et  couvert  de  plumes  ; 
on  détruisit  ou  l'on  jeta  à  l'eau  trois  cargaisons  de  thé.     L'on 
commit  les  mêmes  désordres  en  d'autres  endroits.     Lord  North, 
impatienté  de  tant  d'audace,  voulut  punir  les  Bostonais,  et  intro- 
duisit un  bill  dans  la  chambre  des  communes  pour  tenir  leur  ville 
rebelle  en  état  de  blocus.     Il  défendait  de  prendre  terre  dans  le 
port,  d'y   charger  ou  décharger  des  navires,  d'y   recevoir   ou 
apporter  des  marchandises  :  ce  bill  éprouva  une  vive  opposi- 
tion, mais  il  passa.    "  Détruisez,  détruisez,   disait  l'un  de  ses 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


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approbateurs,  ce  repaire  d'insectes  mallaisans."  Deux  autres  lois 
de  coercition,  dirigées  contre  l'Amérique,  lurent  encore  présen- 
tées par  le  ministère.  Dans  l'un  on  lestreignait  les  libertés  du 
Massachusetts,  et  déclarait  contraires  a  ax  lois  toutes  les  assem- 
blées publiques  non  spécialement  autoiisées  par  le  gouverneur  ; 
dans  l'autre,  on  mettait  à  l'abri  de  toutes  recherches  les  officiers 
(jui  se  serviraient  de  la  force  jusqu'à  tuer  pour  ihi'-e  exécuter  la 
loi  ou  apaisjcr  les  émeutes.  C'était  ce  qu'on  appelait  en  Canada, 
après  les  troubles  de  1838,  un.  bill  d'indemnité,  ingénieuse  fiction 
inventée  pour  légaliser  la  tyrannie.  La  passation  de  ces  deux 
derniers  bills  n'éprouva  pas  moins  d'opposition  que  le  premier. 
Fox,  le  colonel  Barré,  Burke,  Chatam  s'élevèrent  contre  ces 
mesures.  "  Nous  avons  passé  le  Rubicon,  dit-on,  dans  la 
chambre  haute  :  le  mot  d'ordre  autour  de  nous,  c'est  :  Delenda 
Carthago.  Eh  bien  !  prenez-y  garde,  s'écriait  Barré.  Les 
finances  de  la  France  sont  aujourd'hui  dans  un  état  florissant; 
vous  la  verrez  intervenir  dans  nos  querelles  avec  l'Amérique,  en 
laveur  des  Américains."  En  effet,  Choiseul  avait  habilement 
préparé  à  sa  patrie  les  moyens  de  tirer  une  vengeance  éclatante 
de  la  perte  du  Canada.  Un  autre  orateur  mit  encore  plus  de 
véhémence  dans  ses  paroles:  "J'espère,  dit-il,  que  les  Améri- 
cains résisteront  de  tout  leur  pouvoir  à  ces  lois  de  destruction  ;  je 
le  désire  au  moins.  S'ils  ne  le  fi>nt  pas,  je  les  regarderai  comme 
les  plus  vils  de  tous  les  esclaves."  Enfin,  le  ministère  proposa 
un  quatrième  bill„l'acte  de  74,  pour  réorganiser  le  gouvernement 
du  Canada,  nommé  alors  province  de  Québec.  C'était  le  com- 
plément du  grand  plan  d'administration  imaginé  pour  l'Amérique. 
Ce  bill  qui  imposait  un  gouvernement  absolu  à  cette  province, 
acheva  de  persuader  les  anciennes  colonies  des  arrière-pensées 
de  l'Angleterre  contre  leurs  libertés,  surtout  lorsqu'elles  portaient 
les  yeux  vers  le  passé  et  jugeaient  sa  politique  rétrograde  depuis 
1690.  La  passation  d'une  pareille  loi  était  un  indice  menaçant 
pour  l'avenir.  Aussi  poussèrent-elles  de  hauts  cris.  Elles  pro- 
testèrent surtout  contre  la  reconnaissance  du  catholicisme  comme 
religion  établie  en  Canada,  plus  probablement  par  politique,  con- 
naissant les  vieux  préjugés  de  l'Angleterre  contre  cette  religionj 
que  par  motif  de  conscience,  puisqu'elles  admirent  elles-mêmes 


II. 


,** 


414 


HISTOIRE  DU   CANADA. 


peu  (le  temps  après  les  catholiques  au  droit  de  citoyenneté  dans 
leur  révolution. 

L'on  connaît  déjà  tous  les  plans  successivement  proposés 
depuis  63  pour  gouverner  le  Canada  ;  les  tentatives  avortées 
pour  en  mettre  quelques-uns  à  exécution,  les  investigations  et  les 
nombreux  rapports  présentés  par  les  principaux  fonctionnaires 
de  la  colonie,  le  Bureau  du  Commerce  et  des  Plantations  et  les 
officiers  de  la  couronne  ;  les  requêtes  des  colons  eux-mêmes, 
français  et  anglais,  pour  demander  un  meilleur  gouvernement, 
enfin  la  prétention  mise  en  avant  par  ces  derniers  d'exclure  les 
catholiques  des  emplois  publics  et  des  chambres,  prétention  qui 
a  été,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  la  cause  première  de  l'anti- 
pathie de  races  existant  en  ce  pays,  et  qui  n'a  fait  que  donner 
plus  de  vitalité  à  la  nationalité  franco-canadienne.  Toutes  ces 
pièces  avaient  été  soumises  aux  délibérations  du  conseil  d'état. 
Dès  67  la  chambre  des  lords  avait  déclaré  qu'il  était  nécessaire 
de  renouveler  le  gouvernement  canadien  pour  le  rendre  plus  par- 
fait et  plus  propre  au  pays  pour  lequel  il  était  destiné.  Le 
Bureau  du  Commerce  avait  même  appelé  auprès  do  lui  le  gou- 
verneur Carleton  pour  s'aider  de  ses  lumières  et  de  son  expé- 
rience dans  cette  tâche  difficile.  En  64  l'esprit  du  gouverne- 
ment anglais  était  complètement  hostile  aux  Canadiens  ;  en  74, 
les  choses  avaient  changé  ;  ses  préjugés  s'étaient  tournés  contre 
les  Américains  et  les  chambres  d'assemblées  coloniales.  L'in- 
térêt triomphait  de  l'ignorance  et  de  la  passion.  L'abolition  per- 
manente des  anciennes  institutions  devait  avoir  infailliblement 
l'effet  de  réunir  les  Canadiens  aux  mécontens  des  autres  colonies; 
on  le  savait  et  on  retarda  en  conséquence  le  règlement  de  leur 
question  d'année  en  année  jusqu'à  ce  qu'on  se  vît  obligé  de  sévir 
contre  le  Massachusetts  et  les  provinces  du  sud.  Ainsi  le  réta- 
blissement des  lois  françaises  dépendit  long  temps  du  résultat 
de  la  tentative  de  taxer  les  colonies.  L'opposition  invincible 
de  celles-ci  contribua  à  décider  le  ministère  à  écouter  les 
remontrances  des  Canadiens.  Et  en  se  rendant  à  leurs  vœux,  il 
servait  doublement  sa  politique  ;  il  attachait  le  clergé  et  la 
noblesse  à  la  cause  de  la  métropole,  et  amenait  le  peuple  à 
reconnaître  sa  suprématie  en  matière  de  taxation  ;  car  dans 
l'opinion   des   Canadiens  cette  reconnaissance  était   un   faible 


n 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


415 


"i 


dédommagement  pour  leur  conservation  et  leur  participation  au 
partage  des  droits  politiques  accordés  aux  autres  sujets  anglais, 
qui  voulaient  follement  les  en  exclure. 

Le  comte  de  Dartmouth,  secrétaire  des  colonies,  introduisit 
donc  l'acte  de  74  dans  la  chambre  des  lords,  qui  l'adopta  sans 
opposition.     Ce  bill  reculait  de  toutes  parts  les  limites  de  la  pro- 
vince de  Québec  telles  que  fixées  dix  ans  auparavant,  de  manière 
à  les  étendre  d'un  côté  à  la  Nouvelle-Angleterre,  à  la  Pennsylva- 
nie, à  la  Nouvelle-York,  à  l'Ohio  et  à  la  rive  gauche  du  Mississipi, 
et  de  l'autre  jusqu'au  territoire  de  la  Compagnie  de  la  baie 
d'Hudson.*    Il  conservait  aux  catholiques  les  droits  que  leur 
avait  assurés  la  capitulation,  et  les  dispensait  du  serment  du  test  ; 
il  rétablissait  les  anciennes  lois  civiles  avec  la  liberté  de  tester  de 
tous  ses  biens,  et  confirmait  les  lois  criminelles  anglaises.     Enfin 
il  donnait  à  la  province  un  conseil  de  17  membres  au  m<  ins  et 
de  23  au  plus  catholiques  ou  protestan..,  qui  exercerait,  au  nom 
du  prince  et  sous  son  veto,  tous  les  droits  d'une  administration 
supérieure  moins  celui  d'imposer  des  taxes,  si  ce  n'est  pour  l'en- 
tretien des  chemins  et  des  édifices  publics.    Le  roi  se  réservait  le 
privilège  d'instituer  des  cours  de  justice  civiles,  criminelles  ou 
ecclésiastiques.     Si  ce  projet  de  loi  passa  à  l'unanimité  dans  la 
chambre  des  lords,  il  n'en  fut  pas  ainsi  dans  celle  des  communes, 
où  il   souleva  une  violente  opposition.     Les  débats  durèrent 
plusieurs  jours.     Les  marchanda  de  Londres  poussés  par  leurs 
compatriotes  d'outre-mer,  jettèrent  de  grandes  clameurs,  firent  des 
remontrances  pressantes  et  employèrent  l'éloquence  d'un  avocat 
pour  défendre  leur  cause  à  la  barre  des  communes,  qui  voulurent 
entendre  aussi  des  témoins.    Le  gouverneur  Carleton  qui  rendit 
un  excellent  témoignage  des  Canadiens,  le  juge-en-chef  Hey, 
MM.  de  Lotbinière,  Mazères  et  Marriott  furent  interrogés.    Ce 
dernier  se  trouva  dans  une  situation  singulière.    Ne  pouvant,  à 
cause  de  sa  charge  d'avocat  du  roi,  s'opposer  au  biil  du  ministère, 
il  dut  éluder  toules  les  questions  qu'on  lui  posa,  pour  ne  pas  con- 

•  Eii  1775  un  projet  de  pacification  des  colonies  fut  proposé  par  Franklin 
au  ministère.  Il  y  demandait  que  l'acte  de  Québec  fut  rapporté,  et  qu'un 
gouvernement  libre  fut  établi  en  Canada.  Les  ministres  répondirent  que 
cet  acte  pourrait  être  amendé  de  manière  à  réduire  la  province  à  ses 
anciennes  limites,  c'est-à-dire  à  celles  fixées  par  la  proclamation  de  1764.— 
(Ramsay,  History  ofthe  American  Révolution), 


m 


■UG 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


tredirc  son  rapport  au  conseil  d'état  dont  nous  avons  parlé 
ailleuis,  et  qui  était  sur  plusieurs  points  contraire  au  projet  do 
loi  ;  il  se  tira  de  ce  mauvais  pas  avec  une  présence  d'esprit 
admirable,  mais  en  montrant  que  le  sort  d'un  peuple  colonial  peut 
être  le  jouet  d'un  bon  mot. 

Parmi  les  membres  qui  s'opposèrent  au  bill,  se  trouvaient 
Townshend,  Burke,  Fox  et  le  colonel  Barré.  La  j)lupart  s'éle- 
vèrent contre  le  rétablissement  des  lois  françaises  et  le  libre 
exercice  delà  religion  catboliquc.  Ils  auraient  voulu  une  cliambre 
représentative  ;  mais  à  la  manière  dont  ils  s'exprimaient  et  àleurt* 
réticences  étudiées,  on  ne  devait  pas  espérer  d'y  voir  admettre 
de  catholiques.  C'était  la  liberté  de  tyranniser  les  Canadiens 
qu'ils  voulaient  donner  à  une  poignée  d'aventuriers.  Telles  sont 
les  contradictions  des  hommes  que  les  amis  de  la  cause  des 
libertés  an;.io-américaines  dans  le  parlement  impérial,  étaient 
précisémcn'  ceux-là  même  qui  demandaient  avec  le  plus  d'ardeur 
l'asservissement  politique  des  Canadiens.  Fox  fut  le  seul  dont 
la  noble  parole  s'éleva  au-dessus  des  préjugés  vulgaires  et  natio- 
naux. "  Je  suis  porté  à  croire,  dit-il,  d'après  toutes  les  informa- 
tions que  j'ai  obtenues,  qu'il  convient  de  donner  une  chambre 

représentative  au  Canada Je  dois  dire  que  les  Canadiens 

sont  le  premier  objet  de  mon  attention,  et  je  maintiens  que  leur 
bonheur  et  leurs  libertés  sont  les  objets  propres  qui  doivent  former 
le  premier   principe  du  bill  ;  mais  de  quelle  manière  leur  assurer 

ces  avantages  sans   une   chambre,  je   l'ignore Jusqu'à 

présent  je  n'ai  pas  entendu  donner  une  seule  raison  contre  l'éta- 
bhssement  d'une  assemblée.  Nous  avons  ouï  dire  beaucoup  de 
choses  sur  le  danger  qu'il  y  aurait  de  mettre  une  portion  du 
pouvoir  entre  les  mains  des  Canadiens  ;  mais  comme  des  person- 
nes de  la  plus  grande  conséquence  dans  la  colonie  sont,  dit-on 
attachées  aux  lois  et  aux  coutumes  françaises,  en  préférant  un 
conseil  législatif  à  une  assemblée,  ne  mettons-nous  pas  le  pouvoir 
dans  les  mains  de  ceux  qui  chérissent  le  plus  le  gouvernement 
français?  Personne  n'a  dit  que  la  religion  des  Canadiens  put- 
être  un  obstacle  à  l'octroi  d'une  assemblée  représentative,  et 
j'espère  ne  jamais  entendre  faire  une  pareille  objection  ;  car  celui 
qui  a  conversé  avec  des  catholiques,  ne  voudra  jamais  croire  qu'il 
y  a  quelque  chose  dans  leurs  vues  d'incompatible  avec  les  priiï- 


HISTOIRE    nu    CANADA. 


417 


cipes  de  la  liberté  politique.     Les  i)rincipes  de  la  liberté  politi- 
que,  quoique  inusités  dausi  les  pays  cat!u)lique.i,   y   sont  aussi 
chéris  et  révérés  par  le  peuple  que  dans  les  pays  protestans. 
S'il  y  avait  du  danger,  je  le  craindrais  plutôt  des  hautes  classes) 
que  des  classes  intérieures."     Le  premier  ministre,  lord  North, 
répliqua  aussitôt  :    "  Est-il  sûr  pour  l'Angleterre,  car  c'est  l'An- 
gleterre  que   nous  devons   considérer,  de   mettre   le   principal 
pouvoir  entre  les  mains  d'une  assemblée  de  sujets  catholiques  1 
Je  conviens  avec  l'iionorable  monsieur  que  les  catholiques  peuvent 
être  honnêtes,  capables,  dignes,  intelligcns,  avoir  des  idées  très 
justes  sur  la  liberté  politi([ue;  mais  je  dois  dire  qu'il  y  a  quelque 
chose  dans  cette  religion  qui  fait  qu'il  ne  serait  pas  prudent  pour 
un  gouvernement  protestant  d'établir  une  assemblée  composée 
entièrement  de  catholiques"'.     Il  est  certain  que  la  religion  fut 
un  des  motifs  ostensibles  qui  empochèrent  le  gouvernement  de 
nous  donner  alors  une  chambre  élective,  comme  la  crainte  de 
voir  les  Canadiens  joindre  leur  cause  à  celle  des  Américains, 
l'engagea  à  leur  restituer  leurs  lois. 

La  restitution  de  ces  lois  et  le  libre  exercice  de  leur  religion 
étaient  deux  choses  si  justes  et  si  naturelles  en  elles-mêmes  que 
l'opposition  ne  pouvait  guère  les  attaquer  de  front  :  "  Quoi,  disait 
lord  Thurlow,  ce  que  vous  prétendez,  ce  serait  Pextrême  misère. 
Pour  rendre  l'acquisition  profitable  et  sure,  voici  la  conduite  qu'il 
faut  suivre.  L'on  doit  changer  les  lois  qui  ont  rapport  à  la  sou- 
veraineté française,  et  les  remplacer  par  celles  qu'exige  la  nou- 
velle souveraineté  ;  mais  pour  toutes  les  autres  lois,  toutes  les 
autres  coutumes  ou  institutions  qui  sont  indifférentes  aux  rapports 
qui  doivent  exister  entre  le  sujet  et  le  souverain,  l'humanité,  la 
justice,  la  sagesse,  tout  conspire  à  vous  engager  à  les  laisser  aux 
habitans  comme  auparavant Maison  dit  que  les  Anglais  por- 
tent avec  eux  leur  constitution  poUtique  partout  où  ils  vont,  et  que 

c'est  les  opprimer  que  de  les  priver  d'aucune  de  leurs  lois 

moi  j'affirme  que  si  un  Anglais  va  dans  un  pays  conquis  par  sa 
patrie,  il  n'y  porte  pas  les  diverses  idées  des  lois  qui  doivent  y 
prévaloir  du  moment  qu'il  y  met  le  pied,  car  soutenir  une  pareille 
prétention  serait  aussi  raisonnable  que  de  soutenir  celle  que 
cpiand  un  Anglais  va  à  Guernesay,  les  lois  de  la  ville  de  Londres 

*  Cavcndii<k''s  Debatcs. 


m^ 


•H8 


mSTOlUK    UL'    CANADA. 


l'y  SU  vent."  L'opposition  fit  une  guerre  de  chicanes.  Quant 
à  rétablissement  d'un  conseil  à  la  nomination  du  roi  au  lieu  d'une 
chambre  représentative,  elle  avait  un  champ  superbe  devant  elle. 
Fox  sut  en  profiter  ;  mais  la  plupart  des  membres  de  l'opposi- 
tion parlèrent  avec  un  embarras  évident,  gênés  sans  doute  par 
leurs  préjugés  religieux  ;  et  après  que  lord  North  eut  donné  son 
opinion  sur  le  danger  d'une  chambre  catholique,  l'un  d'eux,  M. 
Pulteney,  s'écria  maladroitement  :  '*  Mais  parce  que  l'on  ne 
peut  pas  donner  la  meilleure  espèce  d'assemblée  possible,  à  cause 
de  la  supériorité  des  catholiques,  il  ne  s'en  suit  pas  que  l'on  ne 
puisse  pas  en  donner  du  tout."  Il  voulait  mettre  ceux-ci  sur  un 
pied  d'infériorité  relativement  à  leur  nombre,  et  rompre  l'égalité 
des  droits.  C'était  demander  des  privilèges  spéciaux  pour  les 
protestans  ;  dès  lors  la  justice  était  violée  et  l'opposition  perdit 
sa  force  dans  le  débat  sur  ce  point,  car  elle  ne  pouvait  plus  en 
appeler  à  la  fidélité  des  colons  anglais,  puisque  ces  mêmes  colons 
s'armaient  alors  de  toutes  parts  contre  leur  métropole  ;  et  quant 
à  l'assertion  que  l'on  voulait  répandre  le  culte  catholique  en 
Amérique  et  ruiner  la  religion  de  l'état,  elle  ne  méritait  pas  d'être 
repoussée. 

Le  bill  fut  donc  adopté  après  avoir  subi  quelques  amendemens, 
que  la  chambre  des  lords  approuva  malgré  l'éloquence  de  Cha- 
tam,  qui  qualifia  le  projet  de  cruel,  oppressif  et  odieux,  et  qui 
en  appela  vainement  aux  évêques  d'Angleterre  pour  qu'ils  s'éle- 
vassent avec  lui  contre  un  acte  qui  tendait  à  établir  une  religion 
ennemie  dans  un  pays  plus  étendu  que  la  Grande-Bretagne. 
Ainsi,  notre  langue  et  nos  lois  finissaient  par  se  relever  de  leur 
chute,  comme  la  môme  chose  s'était  vue  autrefois  en  Angleterre 
même,  où  la  langue  légale  fut,  après  la  conquête  normande,  fran- 
çaise puis  latine,  et  enfin  celle  du  peuple  vaincu,  l'anglaise, 
*'  grande  et  salutaire  innovation  sans  doute,  dit  lord  Brougham, 
très  critiquée  et  très  redoutée  de  son  temps." 

La  vil!  de  Londres  n'eut  pas  plutôt  appris  la  passation  de  l'acte 
de  74,  qu'elle  s'assembla  et  présenta  une  adresse  au  roi  pour  le 
prier  d'y  refuser  sa  sanction.  Elle  disait  que  ce  bill  renversait 
les  grands  principes  fondamentaux  de  la  constitution  britannique  ; 
que  les  lois  françaises  ne  donnaient  aucune  sécurité  pour  les  per- 
sonnes et  les  biens  ;  que  le  bill  violait  la  promesse  faite  par  la 


V- 

W. 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


419 


proclamation  de  63,  d'établir  les  lois  anglaises  j  que  la  religion 
-holique  était  idolâtre  et  sanguinaire,  et  que  Sa  Majesté  et  sa 
famille  avaient  été  appelées,  comme  protestans,  sur  le  trône  de 
l'Angleterre  pour  remplacer  les  Stuart  catholiques  ;  que  le  pou- 
voir législatif  était  placé  entre  les  mains  de  conseillers  amovibles 
nommés  par  la  couronne,  etc.  Le  lord-maire,  accompagné  do 
plusieurs  aldermen  et  de  plus  de  150  conseillers  de  la  cité,  se 
présenta  au  palais  St.-James  avec  son  adresse.  Le  grand  Cham- 
bellan parut  et  l'informa  que  le  roi  ne  pouvait  prendre  connais- 
sance d'un  projet  de  loi  passé  par  les  deux  chambres  avant  qu'il 
eût  été  soumis  à  son  assentiment,  et  qu'il  ne  devait  pas  par  con- 
séquent attendre  d'autre  réponse.  George  III  partait  dans  le 
moment  même  pour  aller  proroger  le  parlement  à  Westminster. 
Il  sanctionna  le  bill  en  observant  "  qu'il  était  fondé  sur  les  prin- 
cipes de  justice  et  d'humanité  les  plus  manifestes,  et  qu'il  ne 
doutait  pas  qu'il  n'eut  le  meilleur  effet  pour  calmer  l'inquiétude  et 
accroître  le  bonheur  de  ses  sujets  canadiens."  Cette  lemarque 
adoucit  dans  l'esprit  de  ceux-ci  l'amertume  des  sentimens  expri- 
més par  l'opposition  à  leur  égard.  Une  autre  loi  fut  passée  pour 
abolir  les  anciens  droits  de  douane,  qui  constituaient  les  seuls 
impôts  établis  par  les  Français  en  ce  pays,  et  pour  en  substituer 
d'autres  sur  les  boissons,  afin  de  faire  face  aux  dépenses  portées 
au  budjet  pour  l'administration  civile  et  judiciaire. 

Mazères  écrivit  aussitôt  aux  protestans  du  Canada  pour  les 
informer  de  tout  ce  q^ii  s'était  passé.  On  s'assembla  et  l'on 
résolut  de  présenter  des  adresses  aux  trois  branches  du  parle- 
ment impérial,  pour  demander  la  révocation  immédiate  de  la 
nouvelle  loi  organique.  Dans  celle  à  la  chambre  des  communes, 
les  pétitionnaires  cherchèrent  à  accroître  leur  importance  et  à 
déprécier  celle  de  leurs  adversaires,  qu'ils  voulaient  dominer  à 
toute  force,  et  prétendirent,  sans  même  trop  voiler  leur  but,  que 
les  75,000  Canadiens  devaient  se  soumettre  aux  lois,  qu'eux,  qui 
n'étaient  que  3,000,  voudraient  bien  trouver  bonnes  et  convena- 
bles. Les  Canadiens  s'apercevaient  tous  les  jours  qu'ils  avaient 
eu  grande  raison  de  refuser  une  chambre  représentative  compo- 
sée exclusivement  de  protestans. 

L'agitation  de  ce  parti  pour  faire  rapporter  l'acte  en  question, 
se  communiqua  aux  Canadiens,  qui  se  réunirent  et  se  pronon- 


420 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


curent  dans  le  sens  contraire.  Il  parut,  à  la  fin  de  décembre, 
une  lettre  anonyme  qui  renfermait  en  peu  de  mots  leurs  senti- 
mens  sur  le  débat  du  jour,  et  qui  fit  assez  de  sensation  pour  que 
Mazéres  crût  devoir  la  réfuter  longuement  devant  l'Angleterre 
dans  les  deux  volumes  qu'il  publia  en  75,  à  l'appui  des  préten- 
tions du  parti  qu'il  représentait.  Cette  lettre,  écrite  sans  art, 
mais  avec  sincérité,  et  qui  circula  parmi  la  population  canadienne, 
fit  une  grande  impression  :  "  Quelques  Anglais,  disait-elle,  tra- 
vaillent à  nous  indisposer  contre  les  derniers  actes  du  parlement 
qui  règlent  le  gouvernement  de  cette  province.  Ils  déclament 
surfout  contre  l'introduction  de  la  loi  française,  qu'ils  vous  repré- 
sentent comme  favorisant  la  tyrannie.  Leurs  émissaires  répan- 
dent parmi  les  personnes  peu  instruites,  que  nous  allons  voir 
revivre  les  lettres  de  cachet  ;  qu'on  nous  enlèvera  nos  biens 
malgré  nous  ;  qu'on  nous  traînera  à  la  guerre  et  dans  les  prisons; 
qu'on  nous  accablera  d'impôts  ;  que  la  justice  sera  administrée 
d'une  manière  arbitraire  ;  que  nos  gouverneurs  seront  despoti- 
ques; que  la  loi  anglaise  nous  eût  été  plus  avantageuse  ;  mais  la 
fausseté  de  ces  imputations  ne  saute-t-elle  pas  aux  yeuxî  Y  a-t-il 
quelque  connexion  entre  les  lois  françaises  et  les  lettres  de  cachet, 
les  prisons,  la  guerre,  les  impôts,  le  despotisme  des  gouverneurs? 
— Sous  cette  loi,  à  la  vérité,  nos  procès  ne  seront  plus  décidés 
par  un  corps  de  jurés,  où  président  souvent  l'ignorance  et  la  par- 
tialité. Mais  sera-ce  un  mal  1 — La  justice  anglaise  est-elle 
moins  coûteuse  1 — Aimeriez-vous  que  vos  enfans  héritassent  à 
l'anglaise,  tout  à  l'aîné,  rien  aux  cadets? — Seriez-vous  bien  aise 
qu'on  vous  concédât  vos  terres  aux  taux  de  l'Angleterre? — 
Voudriez-vous  payer  la  dîme  à  dixième  gerbe,  comme  en  Angle- 
terre?— La  loi  française  n'est-elle  pas  écrite  dans  une  langue  que 
vous  entendez  1 — La  loi  française  a  donc  pour  vous  toutes  sortes 
d'avantages  :  et  les  Anglais  judicieux,  tels  qu'il  s'en  trouve  un 
«rrand  nombre  dans  \?  iOnie,  conviennent  qu'on  ne  pourra  nous 
la  refuser  avec  équiti>. 

"  Aussi  n'est-ce  pas  là  le  point  qui  choque  davantage  ces 
citoyens  envieux  dans  les  actes  du  parlement,  dont  ils  voudraient 
obtenir  la  révocation.  Le  voici  ce  point  qu'ils  vous  cachent, 
mais  qui  se  révèle  malgré  eux.  L'un  de  ces  actes  non  seulement 
vous  permet  le  libre  exercice  de  la  religion  catholique,  mais  il 


HISTOIRE    nu    CANADA. 


4.21 


vous  dispense  ilo  sonncns  qui  y  sont  contraires  ;  et,  par  là,  il  vous 
ouvre  une  porte  aux  emplois  et  nux  charges  de  la  province. 
Voilà  ce  (pii  les  révolte  !  voilà  ce  qui  les  fait  dire  dans  les  papiers 
publics  :  "  Que  c'est  un  acte  détestciMc,  abominable,  qui  autorise 
une  religion  sanguinaire,  qui  répand  imrtoiit  Vim/piété,  les 
meurtres,  la  rébellion.''^  Ces  exi)ressions  violentes  nous  mar- 
quent leur  caractère,  et  lo  chagrin  qu'ils  ont  de  n'avoir  point  une 
assemblée,  dont  ils  se  proposaient  de  vous  exclure  en  exigeant  de 
vous  des  sermens  que  votre  religion  ne  vous  aurait  pas  permis  de 
prêter,  comme  ils  ont  fait  à  la  Crrenade. 

'*  Par  ce  moyen  ils  se  seraient  vus  seuls  maîtres  de  régler  tous 
vos  intérêts,  civils,  politiques  et  religieux.  Vous  pouvez  vous 
instruire  de  leurs  desseins  en  lisant  les  adresses  qu'ils  ont  envoyées 
à  Londres.  Ils  y  représentent  au  ro'i  :  "  Que  les  sujets  protestans 
sont  en  assez  grand  nombre  en  cette  province  pour  y  établir  une 
nssemblée."  Ce  mot  nous  les  démasque.  Une  poignée  d'hommes, 
que  le  commerce  avantageux  qu'ils  ont  fait  avec  nous  vient,  pour 
la  plupart,  de  tirer  de  la  poussière,  veulent  devenir  nos  maîtres 
et  vous  réduire  à  l'esclavage  le  plus  dur.  Je  le  répèle.  Je  ne 
parle  que  des  Anglais  du  comité  de  Montréal  et  de  quelques 
marchands  de  Québec,  qui  demandent  la  ^évocation  de  cet  acte. 
11  faut  que  ces  gens-là  nous  croient  bien  simples  et  bien  aveugles 
sur  nos  propres  intérêts,  pour  nous  proposer  de  nous  opposer  à 

un  acte  que  nous  avions  demandé On  parle  de  la  levée 

d'un  régiment  canadien.  On  se  sert  de  cette  circonstance  pour 
vous  dire  qu'on  vous  forcera  à  vous  enrôler  et  à  aller  faire  la 
guerre  au  loin  :  et,  d'un  bienfait  qu'on  a  sollicité  pour  vous,  on 
vous  en  fait  un  objet  de  terreur.  Serait-ce  donc  un  malheur  pr-.ur 
la  colonie  s'il  y  avait  un  régiment  canadien  de  quatre  à  cinq 
cents  hommes,  dont  tous  les  officiers  seraient  Canadiens  ?  Cela 
ne  rendrait-il  pas  à  quantité  de  familles  respectables  un  lustre  qui 
rejaillirait  sur  toute  la  colonie  ?  On  augure  mal  de  votre  courage 
puisqu'on  cherche  à  vous  eflrayer  par-là."  Cette  logique  pressée 
était  sans  réplique. 

Cependant  lord  Cambden  présenta  à  ia  chambre  haute  dans  le 
mois  de  mai  75,  la  pétition  des  protestans  et  introduisit  un  projet 
de  loi  pour  révoquer  l'acte  de  l'année  précédente.  Mais  ce  pro- 
jet fut  rejeté  sur  motion  du  comte  de  Darlmoutli,  ufmistre  des 


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422 


HISTOIRE    DU   CANADA. 


colonieH.     La  inùme  tentative  laite  dans  la  cliainbre  des  com- 
munes par  sir  George  Savile,  éprouva  le  môme  sort. 

Tandis  que  l'acte  de  Québec  tendait  ainsi  à  concilier  les 
Canadiens  à  l'Angleterre,  l'acte  qui  ordonnait  la  fermeture  du 
port  de  Boston,  portait  jusqu'à  leur  dernier  degré  la  colère  et 
l'indignation  des  autres  colonies.  L'assemblée  de  Boston  nomma 
un  comité  pour  convoquer  un  congrus  général,  et  un  autre  pour 
tracer  au  peuple  des  règles  de  conduite  sous  forme  de  recom- 
mandation. On  invitait  en  même  temps  les  hahitans  à  discon- 
tinuer l'usage  du  thé  et  des  autres  articles  de  la  Grande-Bretagne, 
jusqu'à  ce  qu'on  eût  obtenu  justice.  Le  congrès  s'assembla  dans 
le  mois  de  septembre  à  Philadelphie,  et  siégea  j'isqu'au  26  oc- 
tobre ;  douze  provinces  contenant  près  de  trois  millions  d'hommes, 
y  étaient  représentées  par  leurs  députés  ;  il  n'y  manquait  que 
ceux  du  Canada  et  c'  '  la  Géorgie  pour  embrasser  toutes  les  colo- 
nies anglaises  du  continent.  Le  congrès  commença  par  faire 
une  déclaration  des  droits  de  l'homme,  préface  obligée  de  toutes  les 
révolutions.  Il  adopta  ensuite  diverses  résolutions,  dans  les- 
quelles il  exposa  avec  détail  les  griefs  des  colons,  au  nombre 
desquels  fut  placé  l'acte  du  Canada  que  venait  de  passer  le  par- 
lement impérial;  acte,  disait-on,  avec  un  sérieux  affecté,  qui 
reconnaît  la  religion  catholique,  abolit  le  système  équitable  des 
lois  anglaises,  et  proclame,  vu  la  différence  de  religion,  de  lois  et 
de  gouvernement,  la  tyrannie  en  Canada  au  grand  danger  des 
colonies  voisines,  ces  colonies  qui  ont  contribué  de  leur  sang  et 
de  leur  argent  à  sa  conquête.  "  Nous  ne  pouvions,  disait-il 
encore  insensément,  nous  empêcher  d'être  étonné  qu'un  parle- 
ment britannique  ait  jamais  consenti  à  permettre  une  religion  qui 
a  inondé  l'Angleterre  de  sang,  et  qui  a  répandu  l'impiété,  l'hypo- 
crisie, la  persécution,  le  meurtre  et  la  révolte  dans  toutes  les  par- 
ties du  monde."  Ce  langage  n'aurait  été  que  fanatique  si  ceux 
qui  le  tenaient  eussent  été  sérieux  ;  il  était  insensé  et  puérile 
dans  la  bouche  d'hommes  qui  songeaient  déjà  à  inviter  les  Cana- 
diens à  embrasser  leur  cause  pour  conquérir  avec  eux  l'indépen- 
dance de  l'Amérique.  Cette  déclaration  relative  à  l'acte  de  14> 
était  donc  fort  inconsidérée  ;  elle  ne  produisit  aucun  bien  en 
Angleterre,  et  fit  perdre  peut-être  le  Canada  à  la  cause  de  la 
confédération.     Si  le  congrès  s'en  fût  tenu  à  une  protestation 


HISTOIRE    nr    CANADA. 


423 


coiili'c  ce  (jii  il  y  avait  d'inconstitutionnel  dans  col  acte,  contre 
l'établissement,  par  exemple,  d'une  législature  nommée  exclusi- 
vement par  la  couronne,  il  aurait  atteint  son  but  ;  mais  en  se 
déclarant  contre  les  lois  françaises  et  contre  le  catholicisme,  il 
armait  nécessairement  contre  lui  la  population  canadienne,  et 
violait  lui-môme  ces  règles  de  justice  éternelle  sur  lesquelles  il 
voulait  asseoir  sa  déclaration  des  droits  de  l'homme. 

Le  congrès  résolut  aussi  de  cesser  toute  relation  commerciale 
avec  l'Angleterre.  Il  procéda  ensuite  à  la  rédaction  de  trois 
adresses,  l'une  au  roi,  l'autre  au  peuple  de  la  Grande-Bretagne 
pour  justifier  l'attitude  qu'il  avait  prise,  et  'a  troisième  aux  Cana- 
diens dans  laquelle  il  exprima  des  sentimens  tout  contraires  à  ceux 
qu'il  venait  de  mettre  au  jour  dans  les  résolutions  dont  nous 
venons  de  parler.  Il  cherchait  à  leur  démontrer  tous  les  avan- 
tages d'une  constitution  libre,  à  les  préjuger  contre  la  forme  du 
gouvernement  qu'on  venait  de  leur  donner,  en  disant  qu'il  y  avait 
une  grande  différence  entre  la  constitution  que  le  parlement  leur 
avait  imposée  et  celle  qu'ils  devaient  avoir. 

Il  invoquait  le  témoignage  de  Montesquieu,  homme  de  leur  race, 
pour  condamner  cette  nouvelle  constitution,  et  les  exhortait  à  se 
joindre  aux  autres  colonies  pour  la  défense  de  leurs  droits  com- 
muns, en  entrant  dans  le  pacte  social  formé  sur  le  grand  principe 
d'une  égale  liberté,  et  en  envoyant  des  délégués  pour  les  repré- 
senter au  congrès  qui  devait  s'assembler  prochainement.  "  Sai- 
sissez, disait-il,  saisissez  l'occasion  que  la  Providence  elle-même 
vous  présente  ;  si  vous  agissez  de  façon  à  conserver  votre  hberté, 
vous  serez  effectivement  libres.  Nous  connaissons  trop  la  géné- 
rosité des  sentimens  qui  distinguent  votre  nation  pour  présumer 
que  la  différence  de  religion  puisse  préjudicier  à  votre  amitié 
pour  nous.  Vous  n'ignorez  pas  qu'il  est  de  la  nature  de  la  liberté 
d'élever  au-dessus  de  toute  faiblesse  ceux  que  son  amour  unit 
pour  la  même  cause.  Les  cantons  suisses  fournissent  une  preuve 
mémorable  de  cette  vérité  :  ils  sont  composés  de  catholiques  et 
de  protestans,  et  cependant  ils  jouissent  d'une  paix  parfaite,  et 
par  cette  concorde  qui  constitue  et  maintient  leur  liberté,  ils  sont 
en  état  de  défier  et  môme  de  détruire  tout  tyran  qui  voudrait  la 
leur  ravir." 

Le  langage  du  congrès  était  l'ien  changé  à  l'égard  de?  Cana- 


,  I',   :v 


4M 


HtSTOlRË   OU    CANADA. 


tliens.  Mai8  quoique  son  ailrcHPO  contint  probablemcnl  sa  vérita- 
ble pensée,  elle  ne  put  détruiio  ciitiùrement  l'cflct  de  la  léBolution 
dont  on  a  parlé  i)lus  haut.  No  sachant  à  quelle  version  ajouter 
foi,  la  plupart  dea  meilleurs  amis  de  la  cause  de  la  liberté  restè- 
rent indifférens  ou  refuseront  do  prendre  part  à  la  lutte  qui 
commençait.  Beaucoup  d'autres,  regagnés  par  l'acte  de  74-, 
promirent  de  rester  fidùles  à  l'Angleterre  et  tinrent  parole.  Ainsi 
une  seule  pensée  de  proscription,  mise  au  jour  avec  légèreté,  fut 
cause  que  la  confédération  américaine  perdit  le  Canada,  et 
qu'elle  vit  la  dangereuse  puissance  de  son  ancienne  métropole  se 
consolider  dans  le  nord  pour  peser  sur  elle  de  tout  son  poids,  et 
la  menacer  sans  cesse  de  ses  guerrières  légions. 

Le  général  Carlcton  revint  en  Canada  pour  reprrndre  les 
rênes  de  son  gouvernement  dans  le  mois  d'octobre  74-.  Il  inau- 
gura la  nouvelle  constitution,  et  forma  un  conseil  législatif  con- 
forme à  ses  dispositions.  Il  le  composa  de  vingt-trois  membres, 
dont  deux  tiers  de  proteslans  et  un  tiers  de  catholiques,  qui  furent 
assermentés  le  17  août  de  l'année  suivante,  siégèrent  deux  ou 
trois  fois  et  furent  ajournés.  Plusieurs  Canadiens  furent  élevés 
aussi  aux  charges  publiques  jusqu'alors  remplies  exclusivement 
par  des  Anglais  ou  des  Suisses,  excepté  celles  de  grand-voyer  et 
de  secrétaire  français,  parce  qu'il  fallait  des  hommes  versés  dans 
la  langue  et  les  usages  du  pays  pour  les  remplir  et  que  d'ailleurs, 
étant  presque  nominales  elles  donnaient  peu  de  chose.  Mais  le 
pays  dut  s'apercevoir  que  ce  n'était  que  par  politique  que  l'on 
faisait  partager  ainsi  aux  Canadiens  quelques-unes  des  faveurs 
du  gouvernement  ;  que  malgré  le  changement  de  constitution,  ils 
seraient  toujours  exclus  des  principaux  emplois,  et  que  pour  le 
petit  nombre  de  ceux  qu'on  leur  abandonnerait,  l'on  aurait  soin 
de  choisir  des  instrumr  ^'""iles,  dont  la  conduite  ferait  assez 
voir  à  quelles  condit'  acquisition  avait  été  faite.     Cela 

parut  surtout  da»-  ...  des  personnes  qui  devaient  remplir 

des  fonctions  jui  j.     Mais  à  peine  le  gouverneur  avait-il  eu 

le  temps  de  prenuic  connaissance  de  l'état  du  pays,  dont  il  était 
absent  depuis  plusieurs  années,  et  de  compléter  les  arrangemens 
rendus  nécessaires  par  l'acte  de  74,  que  son  attention  fut  appelée 
Bur  les  frontières  et  la  propagande  que  les  Américains  cherchaient 
à  faire  en  Canada,  où  l'adresse  du  congrès  avait  pénétré  par 
plusieurs  voies  à  la  fuis. 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


435 


Les  grands  noms  de  liberté  et  d'indépendance  nationale  ont 
toujours  trouvé  du  retentissement  dans  les  âmes  nolilcs  et  géné- 
reuses ;  un  cœur  haut  placé  ne  les  entend  jamais  prononcer  sans 
une  émotion  profonde,  car  c'est  un  sentiment  naturel  et  vrai.  Le 
citoyen  policé  do  Rome,  le  pâtre  grossier  do  la  Suisse  sentent  do 
la  même  manière  à  cet  égard.  L'adresse  du  congrès,  malgré 
l'imprévoyance  d'une  partie  de  sa  rédaction,  fit  la  plus  grande 
sensation  parmi  les  Canadiens,  surtout  de  la  campagne,  et  parmi 
les  Anglais  des  villes,  lesquels  n'espérant  plus  dominer  exclusive- 
ment, songèrent  pour  la  plupart  à  devenir  révolutionnaires.  La 
situation  du  général  Cnrleton  devint  excessivement  diflicile. 
Heureusement  pour  lui,  le  clergé  et  la  noblesse  avaient  été  invio- 
lablement  attachés  à  l'Angleterre  par  la  confirmation  de  la  tenure 
seigneuriale  et  de  la  dîme,  deux  institutions  qu'ils  n'espéraient 
pas  conserver  dans  le  mouvement  niveleur  d'une  révolution,  et 
avec  ces  deux  classes  marchait  la  bourgeoisie  des  villes  peu  riche 
et  peu  nombreuse. 

Le  catholicisme  a  toujours  eu  une  répugnance  extrême  pour 
les  républiques.  Persécuté  par  le  peuple  juif  où  il  est  né  et  qui 
a  crucifié  l'homme  Dieu  son  auteur,  il  fut  dans  la  suite  protégé 
par  les  empereurs  romains  et  revêtît  dans  son  organisation  les 
formes  absolues  de  l'empire  sans  perdre  le  prestige  des  mystères 
orientaux.  Les  traditions  de  l'ordre  du  clergé,  dit  M.  Augustin 
Thierry  dans  les  considérations  sur  l'histoire  de  France  placées 
à  la  tète  de  ses  récits  des  temps  mérovingiens,  étaient  demeurées 
purement  romains  ;  le  droit  romain  revivait  dans  les  canons  des 
conciles  et  réglait  toute  la  procédure  des  tribunaux  ecclésiasti- 
ques. Quant  à  la  nature  primitive  du  gouvernement  et  à  sa 
constitution  essentielle,  le  clergé  supérieur  ou  inférieur,  sauf  de 
rares  exceptions,  n'avait  qu'une  doctrine,  celle  de  l'autorité 
royale  universelle  et  absolue,  de  la  protection  de  tous  par  le  roi  et 
par  la  loi,  de  l'égalité  civile  dérivant  de  la  fraternité  chrétienne. 
11  avait  conservé  sous  des  formes  religieuses  l'idée  impériale  de 
l'unité  de  puissance  publique."  A  ces  motifs  purement  politiques 
le  clergé  et  le  peuple  canadien  en  avaient  joint  un  autre  aussi 
puissant,  c'était  la  crainte  d'exposer  leur  religion  et  leur  nationa- 
lité en  entrant  dans  une  confédération  républicaine  à  la  fois 
anglaise  et  protestante,  crainte  qui  n'était  pas  chimérique  puis- 


li 


4.Î6 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


qu'elle  achève  de  les  noyer  à  la  Louisiane.  Ils  résolurent  donc 
de  s'opposer  à  toutes  ses  attaques  et  de  défendre  leur  pays  pour 
le  conserver  à  l'Angleterre,  à  l'Angleterre,  monarchique  située  à 
mille  lieues  d'eux,  et  par  cela  môme  moins  menaçante  pour  leur 
existence. 

Une  partie  des  Canadiens  dégoûtée  donc  par  la  déclaration 
intempestive  du  congrès  contre  la  religion  catholique  et  les  lois 
françaises,  conservant  encore  dans  son  cœur  cette  haine  contre 
les  Anglais  quels  qu'ils  fussent  qu'elle  avait  contractée  dans  nos 
longues  guerres  et  confondant  dans  sa  pensée  ceux  du  Canada 
avec  ceux  des  pays  vo'  Ins,  ne  voyait  chez  les  uns  et  les  autres 
qu'une  même  race  d'u,.i7resseurs  turbulens  et  ambitieux.  Infor- 
mé de  ces  sentimens,  le  gouverneur  dut  croire  que  la  majorité  de 
la  population,  mue  ainsi  par  des  motifs  diffcrens  et  par  l'estime 
personnelle  qu'elle  lui  portait,  serait  opposée  aux  colonies  amé- 
ricaines, ou  du  moins  désirerait  conserver  la  neutralité  dans  une 
querelle  de  frères,  à  la  pacification  de  laquelle  elle  pouvait  penser 
que  l'on  finirait  peut-être  par  le  sacrifier  comme  nous  venons  de 
le  voir  après  les  troupes  de  1837. 

On  avait  donné,  du  reste,  les  plus  grandes  espérances  au  géné- 
ral Carleton.  Plusieurs  seigneurs  lui  avaient  promis  de  marcher 
contre  les  rebelles  à  la  tête  de  leurs  censitaires  ;  mais  ils  avaient 
promis  plus  qu'ils  ne  pouvaient  tenir.  Lorsqu'ils  voulurent  les 
assembler  pour  leur  expliquer  l'état  des  colonies  anglaises  et  ce 
qu'on  attendait  d'eux,  ils  virent  bien  que  le  peuple  n'avait  pas 
encore  oublié  sitôt  la  conduite  tenue  à  son  égard  depuis  la  con- 
quête, et  qu'il  n'était  pas  disposé,  malgré  ses  motifs  de  méfiance, 
à  prendre  les  armes  contre  ceux  qui  combattaient  pour  la  liberté  de 
leur  pays,  ni  à  défendre  avec  le  même  dévoûment  le  drapeau  britan- 
nique que  le  drapeau  des  nôtres  comme  ils  désignaient  le  drapeau 
français  dans  leur  simple  mais  (' nergique  langage.  Quelques-uns 
seulement  répondirent  à  l'appel  et  montraient  de  la  bonne  volonté  ; 
le  plus  grand  nombre  déclara  nettement  qu'il  ne  se  croyait 
pas  tenu  d'être  de  l'opinion  des  seigneurs,  et  qu'il  ne  porterait  pas 
les  armes  contre  les  provinciaux.  "  Nous  ne  connaissons,  dirent- 
ils,  ni  la  cause,  ni  le  résultat  de  leur  difiérend  :  nous  nous  mon- 
trerons loyaux  et  fidèles  sujets  par  une  conduite  paisible  et  par 
notre  soumission  au  gouvernement  sous  lequel  nous  nous  trouvons  ; 


HISTOIRE  DU  CANADA. 


4.27 


mais  il  est  incompatible  dans  notre  état  et  notre  condition  de 
prendre  parti  dans  la  lutte  actuelle."  Quelques  jeunes  seigneurs 
plus  indiscrets  qu'éclairés,  voulurent  les  menacer  dans  quelques 
endroits  ;  on  leur  fit  comprendre  que  cette  conduite  avait  des 
dangers  pour  eux,  et  ils  furent  obligés  de  s'enfuir  précipitam- 
ment. 

Cependant  les  événemens  prenaient  tous  les  jours  de  la  gra- 
vité ;  et  loin  de  songer  à  aller  attaquer  les  Américains  dans  leur 
pays  comme  il  avait  intention  de  le  faire  avec  les  troupes  et  les 
Canadiens  s'ils  avaient  montré  de  la  bonne  volonté,  le  gouver- 
neur se  vit  tout-à-coup  menacé  d'une  invasion  par  l'une  des 
armées  rebelles.  Le  sang  avait  déjà  coulé  dans  im  conflit  à 
Lexington  et  à  Concord  dans  le  mois  d'avril  75,  et  les  troupes 
avaient  perdu  près  de  300  hommes.  Les  populations  des  pro- 
vinces couraient  partout  aux  armes,  et  s'emparaient  des  forts,  des 
vivres  et  des  arr^enaux.  Le  colonel  Ethon  Allen,  aidé  du  colo- 
nel Arnold,  surprit  ainsi  le  fort  Carillon  gardé  par  une  cinquan- 
taine d'hommes,  et  y  trouva  plus  de  118  pièces  de  canon  ;  c'était 
une  acquisition  précieuse.  Le  colonel  Warner  s'empara  à  son 
tour  du  fort  St.-Frédéric  de  la  même  manière  et  acheva  de  rendre 
les  insurgés  maîtres  du  lac  Champlain  dès  le  début  des  hostilités 
sans  avoir  essuyé  de  pertes.  Le  fort  St.-Jean  tomba  aussi  entre 
leurs  mains;  mais  il  fut  repris  le  surlendemain  par  M.  Picoté  de 
Belleslre  à  la  tête  de  80  volontaires  canadiens.  Le  congrès 
s'était  réuni  à  Philadelphie  le  10  de  juin  et  voyant  que  la  mère- 
patrie,  loin  de  revenir  sur  ses  pas,  était  décidée  à  faire  triompher 
sa  politique  par  la  force  des  armes,  il  prit  sur-le-champ, encouragé 
par  les  premiers  succès  obtenus,  les  mesures  les  plus  énergiques 
pour  résister  à  ses  prétentions.  IjC  ministère  anglais  pour  avoir 
l'opinion  du  peuple  de  la  métropole  sur  cette  grande  question, 
avait  dissous  le  parlement.  Les  nouvelles  chambres  répondirent 
au  discours  d'ouverture  qu'elles  soutiendraient  le  roi  dans  ses 
elTorts  pour  maintenir  la  suprématie  de  la  législature  impériale. 
Des  remarques  outrageantes  furent  faites  en  même  temps  sur  la 
bravoure  des  Américaii  ■!  dans  les  débats  qui  eurent  lieu  à  l'oc- 
casion d'une  demande  de  soldats  pour  porter  l'armée  du  général 
Gage,  à  Boston,  à  10  mille  hom  les,  armée  suffisante,  dit  un 
ministre,  pour  faire  rentrer  dans  le  devoir  de  lâches  colons. 


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4:28 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


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Franklin,  après  avoir  fait  de  vains  cITorts  pour  ramener  l'Angle- 
terre à  (les  sentimens  plus  pacifiques,  rentra  clans  sa  patrie,  où  il 
prêta  encore  le  secours  de  ses  luuiières  à  ses  concitoyens  dans 
une  lutte  qu'il  avait  inutilement  travaillé  à  prévenir.  Peu  de 
temps  après  les  généraux  Howe,  Burgoyne  et  Clinton  arrivèrent 
d'Europe  avec  des  renforts. 

Le  congrès  ordonna  de  mettre  toutes  les  provinces  en  état  de 
défense,  de  bloquer  l'armée  anglaise  qui  était  à  Boston  et  de  for- 
mer une  armée  continentale,  dont  le  commandement  en  chef  fut 
donné  au  général  Washington.  Et  afin  de  dissuader  les  Cana- 
diens de  coopérer  avec  les  Anglais,  il  leur  transmit  une  nouvelle 
adresse  pour  leur  démontrer  la  tendance  pernicieuse  de  l'acte  de 
Québec,  et  pour  excuser  la  prise  de  Carillon  et  de  St'-Frédéric 
devenue  nécessaire  pour  le  salut  de  la  cause  commune. 

Pendant  qu'il  siégeait  encore  se  livra,  le  16  juin,  la  bataille  de 
Bunkers  Hill,  où  le  général  Gage  n'emporta  les  retranchemens 
des  insurgés,  moitié  moins  forts  que  lui  en  nombre,  qu'au  troi- 
sième assaut,  et  après  avoir  fait  des  pertes  considérables.  Cette 
affaire  fut  la  plus  sanglante  et  la  mieux  disputée  de  toute  la 
guerre  et  remplit  les  Américains  de  confiance  en  eux-mêmes. 
Elle  les  vengea  aussi  des  insultes  du  parlement  impérial,  et  apprit 
aux  troupes  anglaises  à  respecter  leur  courage.  Le  colonel 
Arnold  qui  avait  assisté  à  la  prise  de  Carillon,  proposa  aussitôt 
au  congrès  d'envahir  le  Canada  et  promit  avec  2,000  hommes, 
de  s'emparer  du  pays.  Le  congrès,  croyant  qu'il  allait  être  atta- 
qué de  ce  côté  par  le  général  Carleton,  jugea  que  le  meilleur 
moyen  de  prévenir  une  invasion  était  d'en  faire  une  lui-même, 
et  de  marcher  sur  Québec  dont  le  chemin  était  ouvert  à  ses 
armes  par  la  suprématie  qu'il  avait  acquise  sur  le  lac  Cham- 
plain.  Cette  audacieuse  entreprise  devait  changer  la  guerre  de 
défensive  qu'elle  était  en  guerre  offensive.  Il  était  du  reste  d'au- 
tant plus  porté  à  embrasser  ce  parti  qu'il  était  informé  que  les 
Canadiens,  excepté  la  noblesse  et  le  clergé,  étaient  aussi  mécon-  . 
tens  du  nouvel  ordre  de  chose  que  les  colons  anglais  eux-mêmes, 
et  que  les  soldats  du  congrès  seraient  reçus  plutôt  en  libérateurs 
qu'en  ennemis.  Le  général  Schuyler  avait  été  nommé  au  com- 
mandement de  la  division  du  Nord.  Le  congrès  lui  ordonna  de 
s'emparer  de  St.-Jean,  Montréal  et  d'autres  parties  du  Canada, 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


429 


b1  la  chose  était  possible  et  ne  niéconlentait  pas  les  habitans. 
L'on  prévoyait  qu'à  cette  nouvelle  le  général  Carleton  sortirait 
de  Québec  avec  ses  troupes  pour  défendre  les  frontières  du  lac 
CliampUiin,  et  que  Québec,  qui  était  la  clef  du  pays,  deviendrait 
dès  lors  une  conquête  facile  à  faire  puisqu'il  n'était  pas  probable 
qu'on  pût  envoyer  de  renforts  d'Angleterre  avant  l'hiver  et  l'in- 
terruption du  fleuve  St.-Laurent  par  les  glaces.     Si  ces  prévi- 
sions so  réalisaient,  même  en  partie,  l'on  devait  faire  une  tentative 
sur  cette  ville,  en  détachant  un  corps  qui  pénétrerait  par  les  rivières 
Kénéhec  et  Chaudière  pour  surprendre  cette  ville.     Si  l'entre- 
prise ne  réussissait  pas,  l'on  comptait  toujours  forcer  le  général 
Carleton  à  revenir  sur  ses  pas   pour  protéger  sa  capitale,  ce  qui 
laisserait  sans  défense  les  frontières  méridionales  canadiennes,  et 
les  exposerait  aux  courses  des  troupes   américaines   comman- 
dées   par  ies  généraux  Schuyler  et  Montgomery.*     En   effet 
ceux-ci   débarquèrent  sous  le  fort  St.-Jean,  dans  le  mois  de 
septembre,  à   la   tête  d'environ    1000  hommes  ;    après    avoir 
reconnu  la  force  de  la  place  qu'ils  trouvèrent  bien  gardée,  et  reçu 
plusieurs  petits  échecs  de  la  part  d'une  bande  de  Sauvages  com- 
mandée par  les  frères  de  Lorimier,  ils  se  retirèrent  à  l'île  aux 
Noix.     En  entrant  dans  le  pays  ils  avaient  adressé  aux  Cana- 
diens une  proclamation  pour  les  informer  qu'ils  venaient  de  la 
part  du  congrès  leur  faire  restituer  comme  sujets  britanniques  les 
droits  dont  ils   avaient   été    injustement  dépouillés,  et  dont  ils 
devaient  jouir  quelle  que  fut  leur  religion,  et  que  leur  armée 
uniquement  destinée  à  agir  contre  les  troupes  royales,  respecte- 
rait leurs  personnes,  leurs  biens,  leur  liberté,  leurs  autels.     Cette 
proclamation  fut  répandue  partout  dans  les  campagnes. 

Le  gouverneur  Carleton  cependant,  aux  premières  nouvelles 
de  l'invasion,  avait  acheminé  des  troupes  vers  le  lac  Champlain. 
Il  n'y  avait  dans  le  pays  que  les  deux  régimens  dont  l'on  vient 
de  parler,  qui  formaient  environ  800  hommes.     Les  habitans  du 

*  Ce  dernier  était  le  même  Montgomery  qui  servait  dans  l'armée  du  géné- 
ral WoUe  en  1750,  et  qui  commandait  le  détachement  anglais  envoyé  pour 
brûler  St.-Joachim.  Après  la  guerre,  il  s'était  établi  dans  la  Nouvelle- 
York,  où  il  avait  épousé  une  Américaine.  Dans  les  difficultés  qui  survin- 
rent entre  les  colonies  et  l'Angleterre,  il  embrassa  le  parti  des  premières,  et 
comme  ancien  oJIicier,  il  l'ut  élevé  aux  plus  hauts  grades  de  l'armée  révolu- 
tionnaire. 


'fiiA 


430 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


bas  de  la  province,  indifférens  à  tout  ce  qui  se  passait,  restaient 
tranquilles;  ceux  du  haut,  plus  rapproclus  du  théâtre  des  évé- 
nemens,  chancellaient  et  paraissaient  pencher  du  côté  delà  révo- 
lution ;  mais  pour  les  motifs  que  nous  avons  exposés  plus  haut, 
ils  désiraient  garder  également  la  neutralité.  Quant  aux  Anglais 
que  l'on  mettait  dans  la  balance  avec  les  Canadiens  lorsqu'il 
s'agissait  des  laveurs  de  la  métropole,  ils  ne  comptaient  point  dans 
la  lutte  actuelle,  à  cause  de  la  petitesse  de  leur  nombre  ;  d'ailleurs, 
la  plupart  tenaient  ouvertement  ou  secrètement  i)our  le  congrès,* 
et  l'on  n'ignorait  pas  leurs  conciliabules  à  Québec  et  à  Montréal. 
Tel  était  l'état  des  esprits  lorsque  le  gouverneur  proclama,  le  9 
juin,  la  loi  martiale  et  appela  la  milice  sous  les  armes  pour 
repousser  l'invasion  et  maintenir  la  paix  intérieure.  Cette 
mesure  inattendue  et  sans  exemple  encore  en  Canada,  eut  le 
plus  mauvais  effet.  M.  de  la  Corne  ayant  menacé  quelques 
paroisses  de  coercition,  elles  se  mirent  en  défense  au  passage  de 
Lachenaye.  En  préjugeant  les  opinions,  en  proférant  des  menaces 
on  alarma  les  indifférens,  et  l'on  forçait  ceux  qui  pouvaient  s'être 
compromis,  à  se  déclarer.  On  invoqua  aussi  le  secours  du  sacer- 
doce. L'évêque  de  Québec,  qui  venait  de  recevoir  une  pension 
de  £200  du  gouvernement,  adressa  une  circulaire  aux  catho- 
liques de  son  diocèse  pour  les  exhorter  à  soutenir  la  cause  de 
l'Angleterre,  menaçant  d'excommunication  tous  ceux  qui  se  mon- 
treraient rébelles.  Ni  la  proclamation,  ni  la  circulaire  ne  purent 
laire  sortir  les  habitans  de  leur  indifférence.  La  vérité  est  que 
le  gouvernement  qui  avait  leur  sympathie,  n'était  plus  en  Amé- 
rique :  la  seule  vue  d'un  drapeau  fleurdelisé  eut  profondément 
agité  tous  ces  cœurs  en  apparence  si  apathiques. 

La  population  restant  sourde  à  ses  appels,  le  gouverneur  pro- 
posa de  lever  des  corps  de  volontaires  pour  servir  jusqu'à  la  fin 
de  la  guerre.  11  ofi'rit  les  conditions  les  plus  avantageuses  ;  on 
promettait  à  chaque  soldat  200  arpens  de  terre  ;  cinquante  de 
plus,  s'il  était  marié,  et  cinquante  pour  chacun  de  ses  enfans  ; 
son  engagement  durerait  jusqu'à  la  fin  des  hostilités,  et  les  terres 
ainsi  données  seraient  exemptes  de  toutes  charges  pendant  vingt 

•Manuscrit  de  Sanguinet,  avocat  de  Montréal. — Tournais  of  Ihe  Provin- 
cial Congress,  provincial  convention,  committee  of  safety,  &c.,  of  the  state 
of  New-York,  vol.  II, 


HISTOIUi:    DU    CANADA. 


431 


ans.  Ces  offres  firent  peu  de  prosélytes,  et  Carleton  se  vit  forcé 
de  chercher  ailleurs  des  secours.  Il  envoya  des  émissaires  chez 
les  Sauvages  ;  il  s'adressa  particuliùreinent  aux  cantons  Iroquois. 
Quinze  années  de  paix  avaient  fortifié  cette  confédération  qui 
reprenait  sou  ascendant  sur  les  autres  tribus  indigènes  ;  son 
exemple  pouvait  les  entraîner  et  procurer  à  la  Grande-Bretagne 
d'autres  auxiliaires.  Mais  il  fallait  de  l'adresse  et  de  puissans 
moyens  de  séduction  pour  déterminer  les  Iroquois  à  prendre  part 
à  une  guerre  où  ils  n'avaient  aucun  intérêt  direct,  aucun  motif 
de  préférence  pour  l'un  ou  l'autre  parti.  Les  vieillards  regar- 
daient ces  débats  et  les  combats  sanglans  qui  devaient  s'en  suivre 
comme  une  expiation  des  maux  que  les  Européens  leur  avaient 
faits.  "  Voilà,  disaient-ils,  la  guerre  allumée  entre  les  hommes  de 
la  même  nation  :  ils  se  disputent  les  champs  qu'ils  nous  ont  ravis. 
Pourquoi  embrasserions-nous  leurs  querelles,  et  quel  ami,  quel 
ennemi  aurions-nous  à  choisir?  Quand  les  hommes  rouges  se 
font  la  guerre,  les  hommes  blancs  viennent-ils  se  joindre  à  l'un 
des  partis  ?  Non  ;  ils  laissent  nos  tribus  s'affaiblir  et  se  détruire 
l'une  par  l'autre  :  ils  attendent  que  la  terre,  baignée  de  notre  sang, 
ait  perdu  ses  habitans  pour  la  saisir.  Laissons-les,  à  leur  tour, 
épuiser  leurs  forces  et  s'anéantir  ;  nous  recouvrerons  quand  ils 
ne  seront  plus,  les  forêts,  les  montagnes  et  les  lacs  qui  appar- 
tinrent à  nos  ancêtres." 

C'était  ainsi  que  M.  Cazeau,  partisan  actif  du  congrès, 
leur  parlait,  ou  leur  faisait  dire  par  ses  émissaires  :  "  C'est  une 
guerre  de  frères  ;  après  la  réconciliation,  vous  resteriez  ennemis 
des  uns  et  des  autres."  Mais  le  '.hevali<^'-  Johnson,  un  nommé 
Campbell  et  M.  de  Saint-Luc  les  travaillaient  dans  un  sens  con- 
traire, et  ils  se  firent  surtout  écouter  des  jeunes  gens.  Campbell 
leur  prodigua  les  présens  ;  l'or  fit  son  effet,  et  Johnson  détermina 
la  plupart  des  chefs  de  guerre  à  descendre  à  Montréal  prendre  la 
hache.  Ils  s'obligèrent  à  entrer  en  campagne  aux  premières 
feuilles  de  l'année  suivante  lorsque  les  Anglais  auraient  terminé 
les  préparatifs  de  guerre  qu'ils  avaient  commencés  ;  et  c'est  pen- 
dant que  le  gouverneur  était  à  Montréal,  en  juillet,  que  le  colonel 
Guy  Johnson  y  arriva  avec  un  corps  d'iroquois  pour  lui  repré- 
senter la  nécessité  de  mettre  les  Sauvages  en  mouvement,  parce 
que  ces  peuples  n'étaient  pas  accoutumés   à  rester  longtemps 


432 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


inactifa  en  temps  d'hostilités.  Il  répondit  que  ses  forces  régu- 
lières étaient  très  faibles,  que  le  pays  dépendait  de  la  milice  cana- 
dienne pour  sa  défense,  qu'il  espérait  être  capable  d'en  réunir 
bientôt  un  corps  assez  considérable,  et  qu'il  fallait  en  attendant 
amuser  les  Sauvages,  ne  jugeant  pas  qu'il  fut  prudent  de  sortir 
encore  de  la  province.* 

Dans  le  mois  de  septembre  il  eut  intention  d'aller  au  secours 
de  St.-Jean  s'il  pouvait  réunir  assez  d'habitans  des  dis*""cts  <^es 
Trois-Rivières  et  de  Montréal  ;  mais  on  a  déjà  pu  voir  qu'il  ne 
devait  pas  espérer  de  les  trouver  disposés  pour  cela.  Les 
paroisses  de  la  rivière  Chambly  allant  plus  loin  qu'elles  n'avaient 
d'abord  pensé,  étaient  déjà  emportées  par  le  torrent,  et  s'étaient 
déclarées  pour  les  Américains  ;  elles  avaient  même  envoyé  des 
émissaires  dans  toutes  les  autres  paroisstts  pour  les  engager  à  en 
faire  autant,  et  les  presser  de  ne  point  s'opposer  à  ceux  qui 
venaient  pour  renverser  l'oppression  britannique.  Presque  tout 
le  district  des  Trois-Rivières  refusa  de  marcher  à  l'ordre  du  gou- 
verneur. Les  royalistes,  au  nombre  de  quelques  centaines, 
répondirent  à  son  appel  en  se  rendant  à  Montréal  ;  mais  s'étant 
aperçus  ensuite  que  le  gouverneur  paraissait  douter  de  leur  fidé- 
lité, la  plupart  s'en  retournèrent  dans  leurs  foyers.  Les  habitans 
de  Chambly  se  réunirent  aux  insurgés  américains  commandés 
par  les  majors  Brown  et  Levingston,  détachés  par  le  général 
Montgomery  pour  prendre  le  fort  qu'il  y  avait  au  milieu  d'eux  ; 
on  se  présenta  devant  la  place,  qui  fut  lâchement  livrée  après  un 
jour  et  demi  de  siège,  par  le  major  Stopford,  quoique  les  murailles 
n'eussent  pas  été  endommagées,  que  la  garnison,  nombreuse  com- 
parativement, n'eût  pas  perdu  un  seul  homme,  et  que  ce  poste  fût 
abondamment  pourvu  de  tout.f  II  livra  ses  armes  et  ses  drapeaux 
aux  vainqueurs,  qui  trouvèrent  dans  le  fort  17  bouches  à  feu  et 
une  grande  quantité  de  poudre,  dont  le  général  Montgomery  man- 
quait presque  totalement.  Cette  conquête  inattendue  mit  ce  géné- 
ral en  état  de  continuer  plus  vigoureusement  le  siège  de  St.-Jean, 
que,  sans  cela,  il  aurait  été  peut-être  obligé  de  lever.    Après  la 

•  Extracts  from  the  Records  of  Indian  Transactions  under  thesuperinten- 
dency  of  Colonel  Guy  Carleton,  during  the  year  1775. 

t  Journal  tenu  pendant  le  siège  du  fort  St. -Jean  par  un  de  ses  défenseurs, 
M.  Antoine  Foucher.  v  > 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


433 


prise  de  Chambly,  les  habitans  de  ce  lieu  allèrent  renforcer  son 
armée.     Ainsi  cette  guerre,  par  la  division  des  Canadiens,  pre- 
nait le  caractère  d'une  guerre  civile.     La  majorité  des  Anglais 
tenait  dans  l'automne,  ouvertement  ou  secrètement,  pour  la  cause 
américaine.     Une  partie  nombreuse  des  habitans  des  campagne^; 
l'avait  embrassée  ou  faisait  des  vœux  pour  son  succès  ;  les  autres, 
en  plus  petit  nombre,  voulaient  rester  neutres.     Seuls  le  clergé 
et  les  seigneurs  avec  une  portion  de  la   bourgeoisie  des  villes 
demeurèrent  franchement  attachés  à  l'Angleterre,  et  l'influence 
cléricale  réussit  à  maintenir  la  majorité  des  Canadiens  dans  la 
neutralité.     Aussi  peut-on  dire  que  c'est  le  clergé  qui  fut,  à  cette 
époque,  le  véritable  sauveur  des  intérêts  métropolitains  dans  la 
colonie. 

Le  gouverneur  voulait  secourir  à  tout  prix  St.-Jean,  misérable 
bicoque  où  une  partie  de  la  garnison  n'avait  que  des  barraques 
en  planches  pour  se  mettre  à  l'abri,  mais  qui  était  cependant  Ja 
clef  de  la  froniière  de  ce  côté  ;  il  ordonna  au  colonel  McLean,  qui 
commandait  à  Québec,  de  lever  des  milices  et  de  monter  à  Sorel, 
où  il  irait  le  joindre.     Cet  officier  arriva  au  lieu  fixé  avec  environ 
300  hommes,  la  plupart  Canadiens,    qui   commencèrent  aussi- 
tôt à  déserter.     Le  gouverneur  avait  réuni   de  son  côté  800 
hommes  près  de  lui,  sous  les  ordres  de  M.  de  Beaujeu  ;  mais  au 
lieu  de  descendre  à  Sorel,  il  voulut  traverser  à  Longueuil  sur  la 
rive  droite  du  St.-Laurent,  en  présence  d'un  petit  corps  améri- 
cain avantageusement  placé  ;  puis  craignant  ensuite  la  défection 
de  ses  gens,  il  se  retira  après  avoir  reçu  quelques  coups  de  fusils 
et  de  canon  en  passant  près  du  rivage,  laissant  aux  mains  de  l'en- 
nemi les  Canadiens  et  les  Sauvages  qui  avaient  sauté  téméraire- 
ment à  terre  sans  être  sûrs  d'être  soutenus.     Le  colonel  McLean 
qui  avait  reçu  ordre  en  même  temps  de  marcher  vers  St.-Jean 
s'avança  jusqu'à  St,-Denis  ;  là  trouvant  les  ponts  rompus  et  les 
paroisses  soulevées,  il  jugea  à  propos  de  rétrograder  jusqu'au 
point  d'où  il  était  parti,  et  où  ses  gens,  gagnés  par  les  émissaires 
de  Chambly,  l'abandonnèrent  presque  tous  ;  ce  qui  l'obligea  de  se 
retirer  au  plus  vite  à  Québec,  après  avoir  fait  enlever  les  armes 
et  les  poudres  qu'il  y  avait  à  Sorel  et  aux  Trois-Rivières.     Le 
fort  St.-Jean  n'ayant  plus  d'espoir  d'être  secouru,  s'était  rendu 
le  3,  après  45  jours  de  siège.     La  garnison  au  nombre  de  500 


M 


^ 


434. 


HISTOIRE   DU    CANADA. 


hommes,  sortie  avec  les  honneurs  de  la  guerre,  6tait  demeurée 
prisonnière,  le  vainqueur  permettant  aux  oiriciers  des  troupes  et 
aux  volontaires  canadiens  de  garder  leurs  armes  comme  un 
témoignage  honorable  de  leur  courage. 

Les  succès  inespérés  qui  couronnaient  ainsi  la  cause  des 
Américains  dès  son  début,  leur  coûtèrent  à  peine  quelques  soldats, 
en  comptant  môme  ceux  qu'ils  perdirent  à  la  Longue-Pointe  près 
de  Montréal,  lorsque  le  colonel  Allen  et  le  major  Brovvn  voulurent 
surprendre  cette  ville  à  la  tète  de  300  hommes,  en  l'attaquant 
des  deux  côtés  à  la  fois  et  en  profitant  des  intelligences  qu'ils 
avaient  dans  ses  murs.     Cette  entreprise  hardie  manqua  faute  de 
pouvoir  coordonner  les  mouvemens.     Allen  seul  put  traverser 
dans  l'île  à  la  tète  de  110  hommes.     Rencontré  par  le  major 
Carden,  sorti  de  Montréal  avec  300  volontaires  canadiens  et  une 
soixantaine  de  soldats  et  de  miliciens  anglais,*  il  fut  cerné,  battu 
et  fait  prisonnier  avec  une  partie  de  ses  gens,  et  lui-môme  envoyé 
en  Angleterre  chargé  de  chaînes.     Pendant  le  combat  les  géné- 
raux Carluton  et  Prescott  se  tenaient  dans  la  cour  des  casernes 
de  la  ville  avec  le  reste  des  troupes,  le  sac  sur  le  dos,  prêts  à 
s'embarquer  pour  Québec  si  les  royalistes  étaient  battus.     Cette 
victoire  ne  retarda  néanmoins  la  retraite  du  gouverneur  que  de 
quelques  jours  ;  car  le  général  Motitgoraery  n'avait  pas  été  plutôt 
maître  de  St.-Jean  qu'il  avait  poussé  ses  troupes  en  avant  vers 
Montréal,   Sorel  et  les  Trois-Rivières,  et  ces  troupes  avaient 
marché  avec  tant  de  rapidité  qu'elles  avaient  failli  le  surprendre 
sur  plusieurs  points  de  sa  route.     La  défection  des  habitani^-^  et  la 
retraite  du  colonel  McLean  l'avaient  laissé  presque  sans  défen- 
seurs au  milieu  de  cette  ville.     Se  voyant  abandonné,  il  s'était 
jeté  sur  quelques  petits  bâtimens  dans  le  port  avec  une  centaine 
d'officiers  et  soldats  et  quelques  habitans  pour  descendre  à  Québec 
lorsque  des  vents  contraires  l'arrêtèrent  à  La  Valtrie,  à  quelques 
lieues  de  Montréal,  et  le  danger  augmentant,  l'obligèrent   à  se 
déguiser  en  villageois  et  à  monter  sur  la  berge  à  rames  d'un 

•  Metnoir  of  colonel  Ethan  Allen. — Une  trentaine  de  marchands  anglais 
Beulement  voulurent  marcher,  les  autres  refusèrent  :  Mémoires  de  Sanguinet. 

"  C'est  là,  dit  ce  royaliste,  où  l'on  reconnut  le  plus  ouvertement  les 

traîtres."— (iMcnuscriO-  ,  -; 


HISTOIRE    DU    CANADA. 


43» 


cabottcur,  le  capitaine  liouchette,  pour  continuer  rapidement  sa 
route  au  milieu  de  la  nuit.  Il  ne  s'arrêta  que  quelques  heures  en 
passant  aux  Trois-Riviùres,où  il  parut  en  fugitif  comme  le  colonel 
McLean  quelques  jours  auparavant,  et  seulement  accompagné 
du  chevalier  de  Niverville  et  de  M.  de  Lanaudière,  et  en  repartit 
au  moment  où  les  Amé''icains  allaient  y  entrer.* 

Pendant  que  le  gouverneur  était  en  fuite,  Montréal  avait  ouvert 
ses  portes  au  général  Montgomery,  à  qui  les  faubourgs  protestè- 
rent de  leur  sympathie  pour  la  cause  de  la  révolution. 

La  ville  des  Trois-Rivières,  dépourvue  de  soldats,  suivit  l'ex- 
emple de  Montréal.  Les  citoyens  envoyèrent  des  députés 
demander  au  général  américain  de  les  traiter  comme  il  avait 
traité  ceux  de  Montréal.  Montgomery  répondit  par  écrit  qu'il 
était  mortifié  qu'ils  eussent  des  craintes  pour  leurs  propriétés  ; 
qu'il  était  persuadé  que  les  troupes  continentales  ne  se  rendraient 
jamais  coupables  même  d'une  imputation  d'oppression  ;  qu'il 
était  venu  pour  conserver  non  pour  détruire,  et  que  si  la  Provi- 
dence continuait  à  favoriser  ses  armes,  il  espérait  que  cette  pro- 
vince heureuse  jouirait  bientôt  d'un  gouvernement  libre.  Une 
partie  de  la  population  anglaise  se  joignit  alors  aux  insurgés,  et 
les  Canadiens,  ralliés  à  la  révolution,  désarmèrent  les  royalistes 
de  cette  petite  ville.  Les  Américains  qui  descendaient  à  Qué- 
bec dans  la  flotille  qui  avait  descendu  le  gouverneur  à  la  Valtric, 
et  qu'ils  avaient  enlevée  sans  coup-férir,  rencontrèrent  le  corps 
du  général  Arnold  à  la  Pointe-aux-Trembles.  Le  colonel  Arnold 
qui  trahit  ensuite  la  cause  de  sa  patrie,  avait  été  marchand  de 
chevaux.  Il  tenait  de  la  nature  un  corps  robuste,  un  esprit 
ardent,  un  cœur  inaccessible  à  la  crainte.  Dans  les  circons- 
tances fâcheuses  où  il  s'était  souvent  trouvé,  il  avait  acquis  une 
assez  jçrandc  connaissance  des  hommes,  qualité  qui  compensait 
chez  lui  le  défaut  d'éducation.  Une  grande  réputation  ''e  cou- 
rage et  de  talens  militaires  le  fit  choisir  par  Washingion  pour 
commander  le  coi'ps  qui  devait  se  détacher  de  son  armée  devant 
Boston,  et  pénétrer  par  la  rivière  Kénébec  et  la  rivière  Chau- 
dière jusqu'à  Québec,  suivant  le  plan  dont  on  a  parlé  plus  haut. 
Ses  instructions  comme  celles  du  général  Montgomery,  étaient 

*  Journal  tenu  aux  Trois-Rivières  en  1775-6  par  M.  Badeaux,  notaire  et 
royaliste. — {Manuscrit.) 


533 


•fv  ^' 


436 


mSTOlUE    DU    CANADA. 


politiques,  pércmptoirea  et  pleines  d'humanité.  On  lui  défen- 
dait do  troubler  eous  aucun  prétexte  la  tranquillité  des  Canadiens 
ni  de  blesser  leurs  préjugés.  On  lui  ordonnait  de  respecter  leurs 
observances  religieuses,  de  payer  libéralement  toutes  les  choses 
dont  il  pourrait  avoir  besoin,  et  de  punir  avec  rigueur  les  soldats 
qui  commettraient  des  désordres.  Il  devait  poursuivre  et  harce- 
ler les  troupes  anglaises  et  prendre  garde  de  faire  quelque 
chose  qui  pût  rendre  le  peuple  hostile  à  la  cause  américaine.  Il 
mit  six  semaines  à  traverser  la  chaîne  des  Alléghanys  et  à  se 
rendre  de  Cambridge  à  Québec.  Il  traversa  le  fleuve  audessus 
de  cette  ville,  au  Foulon,eti)arut  le  13  novembre,  dans  les  plaines 
d'Abraham  avec  650  hommes  seulement  sur  plus  de  1000, 
infanterie,  artillerie  et  carabiniers,  avec  lesquels  il  s'était  mis  en 
route.  Obligé  de  traverser  un  pays  complètement  sauvage  et  de 
suivre  des  rivières  remplies  de  rapides  et  de  dangers,  il  n'avait 
pu  surmonter  tous  ces  obstacles  qu'en  sacrifiant  la  plus  grande 
partie  de  ses  munitions  et  de  son  bagage,  et  en  se  réduisant  à 
vivre  de  fruits  sauvages  et  de  feuilles  d'arbres.  Arrivé  à  la 
source  de  la  rivière  Kéuébec,  il  renvoya  les  malades  et  tous  ceux 
qui  ne  se  sentaient  pas  la  force  ou  le  courage  de  le  suivre  plus 
loin.  Tiop  faible  pour  attaquer  Québec  seul,  il  remonta  la  rive 
gauche  du  St.-Laurent  jusqu'à  la  Pointe-aux-Trembles  pour  opé- 
rer sa  jonction  avec  le  général  Montgomery  qui  descendait  suivi 
do  quelques  cf^ntaines  d'hommes  seulement.  Les  deux  corps 
réunis  ne  formant  encore,  qu'environ  1000  à  1200  soldats,  se  rap- 
prochèrent aussitôt  de  la  capitale  canadienne,  qu'ils  investirent 
dana  les  premiers  jours  de  décembre. 

Le  gouverneur  y  était  rentré  le  13  du  mois  précédent,  après 
avoir  manqué  une  troisième  fois  d'être  pris  à  la  Pointe-aux- 
Trembles,  où  il  avait  voulu  mettre  pied  à  terre,  et  n'avait  eu  que 
le  temps  de  se  sauver  pour  échapper  aux  troupes  du  colonel 
Arnold  qui  pé>nétraient  dans  ce  village.  Il  trouva  la  population 
de  la  ville  partagée  en  deux  camps,  et  fort  indécise  sur  le  parti 
qu'elle  devait  embrasser.  Il  y  avait  eu  déjà  plusieurs  assem- 
blées. Le  12  novembre  il  s'en  était  tenu  une  dans  la  chapelle 
du  palais  épisoopal,  pour  discuter  la  question  de  savoir  si  l'on 
devait  défendre  la  ville.  Le  colonel  McLean  qui  arrivait,  apprit 
en  débarquant  qu'elle  délilx^rait  ;  il  entra  dans   la  chapelle  et 


M,, 


IIIHTOIHE    DU    CANADA. 


487 


trouva  un  nommo  Williams,  le  premier  signataire  de  la  pétition 
des  marchands  anglais  de  Tli  au  roi,  qui  tâchait,  du  haut  de  la 
chaire  où  il  était  monté,  de  persuader  aux  habitans  de  livrer  la 
ville  aux  armes  du  congrès  ;  le  colonel  McLcan  le  fit  descendre, 
dissuada  l'assemblée  de  suivre  un  aussi  lâche  conseil  et  la  con- 
gédia. Le  bruit  courait  alors  qu>?  les  citoyens  anglais  avaient 
préparé  une  capitulation  pour  l'offri.*  au  colonel  Arnold.  Aussitôt 
que  le  gouverneur  fut  rentré  dans  Québec  il  fit  tout  ce  qu'il  put 
pour  mettre  cette  ville  en  état  de  défense,  et  pour  encourager  les 
citoyens  à  faire  leur  devoir  en  restant  fidèles  au  gouvernement. 
Il  assembla  la  milice  bourgeoise  et  en  parcourut  les  rangs  en  com- 
mençant par  les  Canadiens  qui  occupaient  la  droite,  et  auxquels 
il  demanda  s'ils  étaient  résolus  de  se  défendre  en  bons  et  loyaux 
sujets  ;  tous  répondirent  affirmativement  par  des  acclamations  ; 
les  miliciens  anglais  en  firent  ensuite  autant.  Mais  comme  il 
restait  encore  quantité  de  gens  mal  affectionnés  qui  désiraient  le 
succès  de  la  révolution,  le  gouverneur  ordonna,  le  22  novembre, 
à  tous  ceux  qui  ne  voulaient  pas  prendre  les  armes  de  sortir  de 
la  ville,  voulant  se  mettre  à  l'abri  de  la  trahison  et  se  débarrasser 
des  bouches  inutiles.  Quantité  de  marchands  anglais,  Adam 
Lymburner  à  leur  tête,  se  retirèrent  alors  à  l'île  d'Orléans,  à 
Charlebourg  et  dans  d'autres  campagnes  en  attendant,  pour  crier 
vive  le  roi  ou  vive  la  ligue,  le  résultat  de  la  lutte. 


!  Il 


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APPENDICE. 

Page  104.— Etat  Asar  ,t  du  contenu  au  Rolle  dea  familles  de  la  colonie 
de  la  Nouvelle*Fraace. 

1666. 

Québec 655 

Beaupré 678 

Beauport 173    / 

Isle  d'Orléans : 471     . 

St.-Jean,St.-Fran(oiset.St.-MicheL...... 156 

Sillery 217 

NostieDame-des-Anges,  et  Rivière  de  St.-Charles  118 

Coste  de  Lauzon 6 

Montréal 584 

Trois-Rivières 461 

,    ,•            Total 3,418  > 

Etat  du  nombre  des  hommes  capables  de  porter  les  Jii.  »o  c 

armes,  depuis  16  ans  jusques  à  60.„t.. 1,344 

Il  y  a  sans  doute  quelques  omissions  dans  le  rolle  des  familles,  qui  seront 

réformées  durant  l'hiver  de  la  présente  année  1666.  .....  H„id 

(Signé) 

■r -f-^  TALON. 


RKCINBEMElfT   FAIT   EN   LA  NOUVELLE   FRANCE   EN 

1734. 

Eglises 102 

Curés  et  Missionnaires 83     ' 

Presbytères 76 

Prêtres  et  Chanoines... 32 

Jésuites 18 

Récollets 27 

Religieuses  de  l'Hôtel-Dieu 97 

Ursulines 80 

Religieuses  de  l'Hôpital-Général,  et  Frères  ) 

Charrons ) 

Soeurs  de  la  Congrégation 96 


1^ 


i  i*l 


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HO 


APPENDICE. 


Moulins  à  blé 118 

"       à  scie , 52 

Familles 6,422 

Hommes  au-dessus  de  50  ans 1,718' 

"        au-dessous  de  50    " 4,588 

«        abseus 430 

Femmes  et  veuves 6,593 

Garçons  au-dessus  de  15  ans..... 3,805 

"        au-dessous  de   15    "  8,342 

Filles      au-dessus  de  15    " 3,654 

"        au-dessous  de  15    " 8,122_ 

Terres  en  valeur,  arpens ^ 163,111 

Prairies 17,657 

Blé  français,  minots 737,892 

"    d'Inde  5,223 

Pois 


.37,252 


63,549 


Avoine 163,988 

Orge  3,462 

Tabac,  livres 166,054 

Lin           "    92,246         ' 

Chanvre  "     2,221 

Chevaux , 5,056 

Bestesà  cornes, 33,179 

Moutons 19,815 

Cochons 23,646 

Armes  à  feu ,, 6,619 

Epées 784 

N.  B. — Ce  recensement  a  été  fait  avec  toute  l'exactitude  possible ,'  et  on 
le  croit  le  plus  exact  qui  ait  été  envoyé  jusques  ici. 


(B) 

P.  150. — Etat  du  montant  des  importations  et  des  exportations  annuelle» 
du  Canada  entre  les  années  1749  et  1755  inclusivement. 

ANNEES.  LITRES. 

1749  Importations 5,682,090 

Exportation*. 1,414,900 

Différence 4,267,190 

1750  Importations 5,154,861 

■  Exportations 1^337,000 

Différence 3,817,861 


mm 


441 


APPENDICE. 

1851  Importations 4  439  4^^ 

Exportations I,515i932 

Différence 2  923  558 

1752  Importations 6,047,820  '      ' 

Exportations 1,554,400 

,Y^,  ,        ,  ,.  Différence 4,493,420 

1753  Importations 5,195,733 

Exportations 1,706,130 

,-.,,         ,  ,.  Différence 3,489,603 

1754  Importations 5  147  621 

Exportations..... Zï.ZZ'.  l',576',616 

,    .  ,,  .  Différence ^571 ,005 

Arrivages — Vaisseaux  venant  de  France 32 

"      des  Iles 10 

"      de  Louisbourg  et  de  ) 

l'Acadie! }  11 

53 

1755  Importations 5,203,272 

Exportations 1,515,730 

3,687,542 


1 
i 


1 


CHAPITRE  IL 

TRAITÉ  d'utrecht. — 1701-1713. 

Une  colonie  canadienne  s'établit  au  Détroit  malgré  les  Anglais  et  une  partie 
des  Indigènes. — Paix  de  quatre  ans.— Guerre  de  la  succession  d'Espagne. 


SOMMAIRES. 


LIVRE  SIXIEME. 

CHAPITRE  I. 


ÉTABLISSEMENT  DE   LA   LOUISIANE. — 1683-1712. 

De  la  Louisiane. — Louis  XIV  met  plusieurs  vaisseaux  à  la  disposition  de  la 
Salle  pour  aller  y  fonder  un  établissement. — Départ  de  ce  voyageur  ;  ses 
difficultés  avec  le  commandant  de  la  flotille,  M.  de  Beaujeu. — L'on  passe 
devant  les  bouches  du  Mississipi  sans  les  apercevoir  et  l'on  parvient  jus- 
qu'à la  baie  de  Matagorda  (ou  St.-Bernard)  dans  le  pays  que  l'on  nomme 
aujourd'hui  le  Texas. — La  Salle  y  débarque  sa  colonie  et  y  bâtit  le  fort 
St.  Louis. — Conséquences  désastreuses  de  ses  divisions  avec  M.  de  Beau- 
jeu,  qui  s'en  retourne  en  Europe. — ^La  Salle  entreprend  plusieurs  expédi- 
tions inutiles  pour  trouver  le  Mississipi. — Grand  nombre  de  ses  compa- 
gnons y  périssent — Il  part  avec  une  partie  de  ceux  qui  lui  restent  pour  les 
Illinois,  afin  de  faire  demander  des  secours  en  France. — Il  est  assassiné. — 
Sanglans  démêlés  entre  ses  meurtriers  ;  horreur  profonde  que  ces  scènes 
causent  aux  Sauvages. — Joutel  et  six  de  ses  compagnons  parviennent  aux 
Illinois. — Les  colons  laissés  au  Texas  sont  surpris  par  les  Indigènes  et 
tués  ou  emmenés  en  captivité. — Guerre  de  1689  et  paix  de  Riswick, — 
D'Iberville  reprend  l'entreprise  de  la  Salle  en  1698,  et  porte  une  première 
colonie  canadienne  à  la  Louisiane  l'année  suivante;  établissement  de 
Biloxi  (1698.) — Apparition  des  Anglais  dans  le  Mississipi. — Les  Hugue- 
nots demandent  a  s'y  établir  et  sont  refusés. — Services  rendus  par  eux  à 
l'Union  américaine. — M.  de  Sauvole  lieutenant-gouverneur. — Sages  re- 
commandations du  fondateur  de  la  Louisiane  touchant  le  commerce  de 
cette  contrée. — Mines  d'or  et  d'argent  ;  illusions  dont  on  se  berce  à  ce 
sujet. — Transplantation  des  colons  de  Biloxi  dans  la  baie  de  la  Mobile 
(1701.) — M.  de  Bienville  remplace  M.  de  Sauvole. — La  Mobile  fait  des 
progrès. — Mort  de  d'Iberville  ;  caractère  et  exploits  de  ce  guerrier. — M. 
Diron  d'Artaguette  commissaire-ordonnateur  (1708.) — La  colonie  languit. 
—La  Louisiane  est  cédée  à  M.  Crozat  en  1712,  pour  16  ans p.  3. 


Il 
I 


I 


444. 


SOMMAIRES. 


La  Franco  inalheurense  en  Europe  l'est  moins  en  Amérique. — Importance 
du  traité  de  Montréal  ;  ses  suites  heureuses  pour  le  Canada. — Neutralité 
de  l'ouest;  les  hostilités  se  renferment  dans  les  provinces  maritimes. — 
Faiblesse  [de  l'Acadie. — Affaires  des  sauvages  occidentaux  ;  M.  de  Vau- 
dreuil  réussit  à  maintenir  la  paix  parmi  les  tribus  de  ces  contrées. — 
Ravage  commis  dans  la  Nouvelle- Angleterre  par  les  Français  et  les  Abé- 
naquis.— Destruction  de  Deerlield  et  d'Haverhill  (1708). — Remontrances 
de  M.  Schuyler  à  M.  de  Vaudreuil  au  sujet  des  cruautés  commises  par 
nos  bandes  ;  réponse  de  ce  dernier.— Le  colonel  CLurch  ravage  l'Acadie 
(1704). — Le  colonel  March  assiège  deux  fois  Port-Royal  et  est  repoussé 
(1707). — Terreneuve  :  premières  hostilités  ;  M.  de  Subercase  échoue 
devant  le  fort  de  St.-Jean  (1705). — M.  de  St.-Ovide  surprend  avec  170 
hommes  en  1609  la  ville  de  St.-Jean  défendue  par  près  de  1000  hom- 
mes et  48  bouches  à  feu  et  s'en  empare. — Continuation  des  hostilités  à 
Terreneuve. — Instances  des  colonies  anglaises  auprès  de  leur  métropole 
pour  l'engager  à  s'emparer  du  Canada. — Celle-ci  promet  une  ilotte  en 
1709  et  1710,  et  la  flotte  ne  vient  pas. — Le  colonel  Nicholson  prend  Port- 
Royal  ;  diverses  interprétations  données  à  l'acte  de  capitulation  ;  la 
guerre  continue  en  Acadie  ;  elle  cesse. — Attachement  des  Acadiens  pour 

la  France Troisième  projet  contre  Québec;  plus  de  16  mille  hommes 

vont  attaquer  le  Canada  par  le  St.  Laurent  et  par  le  lac  Champlain  ;  les 
Iroquois  reprennent  les  armes. — Désastre  de  la  flotte  de  l'aminal  Walker 
aux  Sept-Iles  ;  les  ennemis  se  retirent, — Consternation  dans  les  colonies 
anglaises. — Massacre  des  Outagamis  qui  avaient  conspiré  contre  les  Fran- 
çais.— Rétablissement  de  Michilimackinac. — Suspension  des  hostilités 
dans  les  deux  mondes. — Traité  d'Utrecht  ;  la  France  cède  l'Acadie,  Ter- 
reneuve et  la  baie  d'Hudson  à  la  Grande-Bretagne. — Grandeur  et  humi- 
liation de  Louis  XIV  ;  décadence  de  la  monarchie. — Le  système  colonial 
français p.  19. 


CHAPITRE  m. 


COLONISATION    DU    CAP-BRETON. — 1713-1744. 

Motifs  qui  engagent  le  gouvernement  à  établir  le  Cap- Breton. — Description 
de  cette  île,  à  laquelle  on  donne  le  nom  d'Ile-Royjde. — La  nouvelle  colonie 
excite  la  jalousie  des  Anglais. — Projet  de  l'intendant,  M.  Raudot,  et  de 
son  flis  pour  en  faire  l'entrepôt  général  de  la  Nouvelle-France,  en  1706. 
— Fondation  de  Louisbourg  par  M.  de  Costa  Bella. — Comment  la  France 
se  propose  de  peupler  l'île. — La  principale  industrie  des  habilans  est  la 
pêche. — Commerce  qu'ils  font. — M.  de  St.-Ovide  remplace  M.  de  Costa 
Bella. — Les  habitans  de  l'Acadie,  maltraités  par  leurs  gouverneurs  et  tra- 
vaillés par  les  intrigues  des  Français,  menacent  d'émigrer  à  l'Ilo-Royalo. 
— Le  comte  de  St. -Pierre  forme  une  compagnie  li  Paris  en  1719,  pour  éta- 


SOMMAIPES 


445 


lilir  I  lie  Si.-Jtiin,  Vi)i.-5iiic  lin  Cup-Iiictnii  ;  li;  roi  concnile  eu  outre  à  celle 
••ompagiiio  les  îles  ATiscou  et  de  la  Magdcleiiu^. — L'entreprise  échoue  pur 
les  divisions  (les  associés p.  61, 


MVUK  SKP'PIKMK. 

(-"HArriKK  I. 

SYSTÈME  1)K  l.AW. — CONSPIRATION  DES  NATCHfiS. — ^17l'2-1731. 

J-a  Louisiane,  Ses  liabitun.s  et  ses  limites. — M.  Crnzat  en  prend  possi'ssiou 
en  vertu  de  la  (cession  du  roi. — M.  de  la  Mottf;  Cadillac,  {gouverneur  ;  M. 
Duclos,  coniujissaire-nrdonnateur. — Conseil  supérieiu' établi  ;  introduction 
de  la  coutunfc  de  Paris. — AL  ('rozal  veut  ouvrir  d(!s  relations  commer- 
ciales avec  le  M(!.\ii(ue;  voyai^es  de  M.  JnchereaudeSt.-Denisàcesujet ; 
il  érlioMc. — Ou  l'ail  la  traite  des  pelleteries  avot  les  Indigènes,  dont  une 
jiortifrti  enibrassi;  lo  iiartides  Any;lais  de  la  Virj!:inie. — Les  Natchés  cons- 
pirent contre  les  Français  et  sont  punis. — Uésenchantement  de  M.  Crozat 
louchant  la  Louisiane  ;  cette  province  décline  rapidement  sous  son  mono- 
pole ;  il  la  rend  (I7I7)  au  roi,  <|ui  la  concède  à  la  compagnie  d'Occi<lent 
létablie  i)ar  Law. — Système  de  ce  l'ameux  linancier, — M.  de  l'Esiiinay 
succède  à  M.  de  la  Motte  Cadillac,  et  j\L  Hubert  à  M.  Uuclos. — M.  de 
Hieuville  lenipiacr  bientôt  après  RI.  de  riCsjtinay. — La  Nouvelle-Orléans 
est  l'ondée  par  Al.  de  Bienviile  (1717.) — Nouvelle  organisation  de  la  colo- 
nie ;  moyen  ([ue  l'on  prend  pour  la  peupler, — Terrible  lamine  parmi  les 
•  ■olons  accnuiulés  à  iiiloxi. — Divers-établissenu'us  des  Français. — Guerre 
avec  i'Rsiiagne. — Hostilités  en  Aniéri(|ue:  l'ensacola,  île  Dauphine. — 
l'aix.— Louis  XV  récompense  les  olticiers  de  la  Louisiane. — Traité  avec 
les  Cbicachas  i;t  les  Natchés. — Ouragan  du  12  septembre  (1722.) — Mis- 
.sionnaires. — Chute  du  système  de  Law. — La  Louisiane  passe  à  la  com- 
pagnie des  Indes. — Mauvaise  direction  de  cette  compagnie. — M.  Perrier, 
gouverneur. — Les  Indiens  forment  le  projet  de  détruire  les  Français; 
nias.sacri'  aux  Natchés;  le  coiniiiol  n'est  exécuté  (pie  partiellement. — 
<i'uene  à  nujrt  laile  aux  Natchés  ;  ils  sont  anéantis,  1731 p.  73. 

CHAPITRE  il. 


LIMITES— 1713-1744. 

Klat  du  Caïuida  :  couunerce,  linaïu'cs,  justice,  éducation,  divisions  parois 
siales,  population,  défenses. — Plan  de  M.  de  Vaudreuil  pour   l'accroiss(; 

,,  •# 


'.*»V— *** 


446 


SOMMAIRES. 


itiL'nt  du  pays. — Délimitation  des  Irontiùrrs  entre  les  colonies  i'rançriiscs  et 
les  colonies  anglaises. — Perversion  du  droit  publie  dans  le  Nouveau- 
Monde  au  sujet  du  territoire. — Rivalité  de  la  Franco  et  de  la  Girandc- 
Jîretagne. — Différends  relatifs  aux  limites  de  leurs  possessions. — Frontière 
de  l'Est  ou  de  l'Acadie. — Territoire  des  Al)éna(iuis. — Les  Américains 
veideiit  s'en  emparer. — Assassinat  du  1'.  Ilaslo. — Le  P.  Aubry  propose 
luie  lii^ne  tirée  de  Bcaubassin  à  la  source  de  l'ITudson. — Frontière  de 
l'Ouest. — Principes  diflerens  invoqués  par  les  deux  nations  ;  elles  établis- 
sent des  forts  sur  les  territoires  réclamés  par  chacune  d'elles  réciproque- 
ment.— Luttes  d'empiétemens  ;  prétentions  des  colonies  anglaises  ;  elles 
veulent  accaparer  la  traite  des  Indiens. — Plan  de  M .  Burnet. — Le  commerce 
est  défendu  avec  le  Canada. — Etablissemens  de  Niagara  par  les  Français 
et  d'Eswégo  par  les  Anglais. — Plaintes  mutuelles  qu'ils  s'adressent. — 
Fort  St.-Frédéric  élevé  par  M.  de  la  Corne  sur  le  lac  Champlain  ;  la 
contestation  dure  jusqu'à  la  guerre  de  1744. — Progrès  du  Canada. — Emi- 
gration ;  perte  du  vaisseau  le  Chameau. — Mort  de  M.  de  Vaudreuil 
(1725);  qualités  de  ce  gouverneur. — M.  de  Beauharnois  lui  succède. — 
M.  Dupuy,  intendant. — Son  caractère. — M.  de  St.  Vallier  second  évoque 
de  Québec  meurt  ;  dffficultés  qui  s'élèvent  relativement  à  son  siège, 

portées  devant  le  Conseil  supérieur Le  clergé  récuse  le  pouvoir  civil. — 

Le  gouverneur  se  rallie  au  parti  clérical. — Il  veut  interdire  le  conseil,  qui 
repousse  ses  prétentions. — Il  donne  des  lettres  de  cachet  pour  exiler  deux 
membres. — L'intendant  fait  défense  d'obéir  à  ces  lettres. — Décision  du 
roi. — Le  cardinal  de  Fleury  premier  ministre. — M.  Dupuy  est  rappelé. — 
Conduite  humiliante  du  Conseil. — Mutations  diverses  du  siège  épiscopal 
jusqu'à  l'élévation  de  M.  de  Pontbriant. — Soulèvement  des  Outagamis 
(1728)  ;  expédition  des  Canadiens  ;  les  Sauvages  se  soumettent. — Voyages 
de  découverte  vers  la  mer  Pacifique  ;  celui  de  M.  de  la  Vérandrye  en 
1738  ;  celui  de  MM.  Legardeur  de  St. -Pierre  et  Marin  quelques  années 
après  ;  peu  de  succès  de  ces  entreprises. — Apparences  de  guerre  ;  M.  dt- 
Beauharnois  se  prépare  aux  hostilités p.   101. 


i    i''  > 


LIVRE  HUITIEME. 

CHAPITRE  I. 


COMMERCE 1608-17M. 

De  l'Amérique  et  de  ses  destinées. — But  des  colonies  cpii  y  ont  été  éta- 
blies.— Le  génie  commerçant  est  le  grand  trait  caractéristiciuedes  popula- 
tions du  Nouveau-Monde. — Commerce  canaiiien  :  effe'.  destructeur  des 
guerres  sur  lui. — Il  s'accroît  cependant  avec  l'augmentation  de  la  popula- 
tion.—Son  origine  :  pêche  de  la  morue. — Traite  des  pelleteries  de  tout 


SUiMMAlRU:;. 


•147 


temps  principale  Itranche  du  commerce  de  la  Nouvelle- Franco. — Elle  est 
abandonnée  au  monopole  des  particuliers  onde  compagnies  jus(iii'en  1731 , 
qu'elle  lonibe  entre  les  mains  du  roi  pour  passer  en  celles  des  fermiers. — 
Nature,  profits,  grandeur,  conséquences  de  ce  négoce;  son  utilité  politi- 
t[uo. — Rivalité  des  colonies  anglaises;  moyens  que  prend  M.  Burnet, 
gouverneur  de  la  Nouvelle-York,  pour  enlever  la  traite  aux  Français. — 
Lois  de  1720  et  de  1727. — Autres  branches  de  commerce  :  pêcheries,  com- 
bien elles  sont  négligées, — Bois  d'exportation. — Construction  des  vais- 
seaux.— Agriculture  ;  céréales  et  autres  produits  agricoles. — Jin-seng. — 
Exploitation  des  mines. — Chiffre  des  exportations  et  des  importations. — 
Québec,  entrepôt  général. — Manufactures  :  introduction  des  métiers  pour 
la  fabrication  des  toiles  et  des  draps  destinés  à  la  consommation  intérieure.— 
Salines. — Etal)lissement  des  postes  et  messageries  (1745). — Transport 
maritime. — Taxation  :  droits  de  douane  imposés  fort  tard  et  très  modé- 
rés.— Systèmes  monétaires  introduits  dans  le  pays  ;  changemens  fréquens 
qu'ils  subissent  et  perturbations  qu'ils  causent. — Numéraire,  papier-mon- 
naie :  cartes,  ordonnances  ;  leur  dépréciation. — Faillite  du  trésor,  1« 
papier  est  liquidé  avec  perte  de  3[8  pour  les  colons  en  1720. — Observations 
générales, — Le  Canadien  plus  militaire  que  marchand. — Le  trafic  est. 
permis  aux  fonctionnaires  publics  ;  alTreux  abus  qui  en  résultent. — Lois 
di!  commerce. — Etablissement  du  siège  de  l'Amirauté  en  1717  ;  et  d'une 
bourse  à  Québec  et  à  Montréal. — Syndic  des  marchands. — Le  gouverne- 
ment défavorable  à  l'introduction  de  l'es>clavage  au  Canada....  p.  133. 


CHAPITRE  IL 


I 


!» 


LOUIS30UUG. — m^-mS.    '' 


Coalition  en  Europe  contre  Marie-Thérèse  pour  lui  ôter  l'empire  (1740.) 
— Le  Maréchal  de  Belle-Isie  y  fait  entrer  la  France. — L'Angleterre  se 
déchire  pour  l'impératrice  en  1744. — Hostilités  en  Amérique. — Ombrage 
(pie  Louisbourg  cause  aux  colonies  américaines. — Théâtre  de  lu  guerre 
dans  ce  continent. — Les  deux  métropoles,  trop  engagées  en  Europe, 
laissent  les  colons  à  leurs  propres  forces. — Population  du  Cap-Breton  ; 
torlifications  et  garnison  de  Louisbourg. — Expédition  du  commandant 
Duvivier  à  Canseau  et  vers  Port-Royal. — Déprédations  des  corsaires. — 
Insurrection  de  la  garnison  de  Louisbourg. — La  Nouvelle- Angleterre,  sur 
la  proi)osition  de  M.  Shirley  en  profite  pour  attaquer  cette  forteresse.—- 
Le  Colonel  Pep[)errell  s'embarque  avec  4,000  hommes,  et  va  y  mettre  le 
siège  pur  terre  tandis  que  le  commodore  Warren  en  bloque  le  port. — Le 
commandant  français  rend  la  place. — Joie  générale  dans  les  colonies 
anglaises;  sensation  que  fait  cette  conquête. — La  populalionde  Louisbourg 
esf  transportée  en  Fiance. — Projet  d'invasion  du  Canada  qui  se  prépare  à 


\  I 


ys 


SOMJMAtKKS. 


tenir  tète  à  l'orage. — Escadre  du  iliic  d'Anville  pour  reprendre  Loiiisbourg 
et  attaquer  lus  colonies  anglaises,  (lilfi)  ;  elle  est  disjjcrsoe  par  une 
tempête. — Une  partie  atteint  Cliibrtiiclou  (Halifax)  avec  une  épidémie  à 
hord.— Mortalité  effrayante  paimi  les  soldats  et  les  matelot».— Mort  du 
duc  d'Anville. — M.  d'Estournclle  qui  lui  succède  se  perce  de  son  épée. — 
M.  de  la  Jonquière  persiste  à  attacpu.'r  Port-Royal  ;  tnie  nouvelle  tcmjjcle 
disperse  les  débris  de  la  Hotte. — Frayeur  et  armement  des  colonies  amé- 
ricaines.— M.  de  Ramsay  assiège  Port-Royal. — Les  Canadiens  dél'onl  lo 
colonel  Noble  au  Grand-Pré,  Mines. — Ils  retournent  dans  leur  [wys. — 
Les  frontières  anglaises  sont  attaquées,  les  forts  Massachusetts  et  Bridgman 
surpris  et  Saratoga  brûlé  ;  fuite  de  la  population. — Nouveaux  armemens 
de  la  France  ;  elle  perd  les  combats  navals  du  Cap-Finistère  et  de  Ik'll»- 
Isle. — Marine  anglaise  et  française. —  Faute  du  cardinal  Fleury  d'avoir 
laissé  dépérir  la  marine  en  Fnuice. — Le  comte  de  la  («alissonniére  gou- 
verneur du  Canada. — Cessation  ili's  hnslilités  ;  traité  d'Aix-la-ClmpelIn 
(17  If*). — Suppression  de  Pinsurrect ion  des  \liâmis, — Paix  générale,  p.  IH.l, 


CHAPITRK    m. 


COMMISSION    DES    FRONTIÈRES. —  I7i8-I7f);'). 

iiii  paix  d'Aix-la-Chapelle  n'est  q'une  trêve. — L'Angleterre  profile  de  lu. 
ruine  de  la  marine  française  pour  étendre  les  frontières  île  ces  possessions 
en  Amérique. — M.  de  la  (Jalisi-i)nnière,gouverneur(lu  Canada. — Ses  i)lan« 
pour  empêcher  les  Anglais  de  s'élendi(\  adoptés  par  la  mur. — PrélentiouM 
<le  ces  derniers. — Droit  de  «lécouverle  et  de  possession  des  Français. — 
Politique  de  M.  de  laGalissonnicre,  la  meilleure  quant  aux  limites. —  émi- 
gration des  Acadiens  :  part  qu'y  prend  ce  gouverneur. — Il  ordoinie  de 
l)âtir  ou  relever  plusieurs  forts  dans  l'Ouest  ;  garnison  au  Détroit  ;  fon- 
dation d'Ogdensburgh  (1719).— Le  marquis  de  la  Jonquière  remplace  M. 
de  la  Galissonnière. — Projet  que  ce  dornier  propose  à  la  cour  pour  peupler 
le  Canada. — Appréciations  de  la  politique  de  son  prédécesseur  par  M.  di- 
la  Jonquière  ;  le  ministre  lui  enjoint  de  la  suivre. — Le  chevalier  de  la 
Corne  et  le  major  Lawrence  s'avancent  vers  l'isthme  de  l'Acadie  et  s'y 
fortifient  ;  forts  Beauséjour  et  Gaspareaux,  Lawrence  et  des  Mines. — 
(iord  Albemarle,  ambassadeur  britamiiciue  à  Paris,  se  plaint  des  enipiéte- 
mens  des  Français  (17.'')0)  ;  réponse  de  M.  de  Puyzieulx. — La  France  se 
plaint  à  son  tour  des  hostilités  des  Anglais  sur  mer. — Ktablisseirient  des 
Acadiens  dans  l'ile  St.-Jean  ;  lem-  triste  situation. — Fondation  d'Halifa.s 
(1749). — Une  commission  est  nommée  pour  régler  la  question  des  limites  : 
MM.  de  la  Gallisonnière  et  de  Silhouette  pour  la  France  ;  ]MM.  Shirley  et 
Mildmay  pour  la  Grande-Bretagne, — Convention  préliminaire  :  tout  doit 
rester  dans  le  Stalu  quo  jusqu'au  jugement  définitif. — Conférences  à 


(•OMMAIKKS. 


449 


P.iris;  l'AiiKlotciTc    lôc.laitic   toute    la    rive   moiidioiiiilc  «lu   St.-Laiirciit 
flopuis  le  tçnll'e  jusqu'il  QuébiT  ;  '  i  France  muiiitu'Ut  (iiic  TAciulie  suivant 
SOS  anciennes  limites,  se  home  au  territoire  ([ui  esta  l'est  d'une  ligne  tirée 
dans  la  péninsule  de  l'entrée  de  la  baie  de  Foiuly  au  Ca[)  Canseau.— Notes 
raisonuées  à  l'aiipui  de  ces  prétentions  diverses. — Les  deux  jjarties  ne  se 
cèdent  rien. — Affaire!  de  l'Ohio  ;  intrigues  {\es  Anglais  parmi  les  naturels 
de  cette  contrée,  et  des  Français  dans  les  cin(|  cantons. — Traitans  de  la 
Virfçinie   arrêtés  et   envoyés  en  France. — Les  deux  nations  envoyent  des 
iroupes   siu-   l'Ohio  et   s'y    Cortilieut. — Le  j^ouverneur   l'uit  délense  aux 
Demoiselles  Desauniers  de  faire  la  traite  du   castor  au   Sault-St.-Louis  ; 
ditflcidté  que  cela  lui  suscite  avec  les  Jésuites,  qui  se  ])lai!^nent  de  sa  con- 
duite à  la  cour,  de  la  part  ([u'il  prend  lui  et  son  secrélaiie  an  commerce  et 
de  sou  népotisme. — FI  dédaigne  de  se  justilier. —  Il  tombe  malade  et  meurt 
à  Québec   en    17.'J2. — Son  origine,  sa  vie,  sou  caractère. — Le  manjuis  de 
l)n(|uesne   lui   succède. — Atl'aire  <le  l'Ohio  contijnié(!. — Le  colonel  Wash- 
ington marche  iiour  attaquer  le  fort  Duquesne, — Mort  de  .lumonville. — 
Déliiile  lie  Washington  i)ar  AT.de  Villiers  au  fort  de  la  Nécessité  (I7.t1) 
Plan  des  Anglais  poiu'  l'invasion  du  CUuiada  ;  assend)lée  des  gouverneurs 
coloniaux   à   Albany. — J^e  général    Uraddock  est  envoyé  par  la  Grande- 
Bretagne  eu  Améri<|iie  avec  des  Iroupes. —  \jO  baron  Dieskau  débarque 
il  (Québec  avec  4  bataillons  [  l^nf).] — Négociations  d(!s  deux  cours  au  sujet 
de  l'Ohio. — Note  i\u  duc  de?  Mirepoix  du  IT)  janvier  17;'),^;  réponse  du 
cabinet  de  Londres. — Nouvelles  propositions  des  ministres  iraii(;ais;  l'An- 
gleterre élève  ses  demimdes. — Prise  (hi  Lys  et  de  l'Alcitle  par  l'iimiral 
Boscaweii. — La  France  déclare  la  guérie  il  l'Angleterre p.  JS!). 


/ 


r.rVKE   NKUVIEMK. 


CliAl'ITKM  I. 


GUliKUK    DE    SliTT    ANS.^ — 17r);V17r)(). 


Situation  des  esprits  en  France  et  en  Angleterre  à  l'époque  la  guerre  de 
Sept  ans. — La  France  chiingo  sa  politique  extérieure  en  s'alliant  il  l'Au- 
triche qui  Hatte  madame  de  l'ompadoiir,  maîtresse  de  Louis  XV. — Popn- 
liirité  de  la  guerre  dans  la  (irande-Bretaj^ne  et  dans  ses  colonies;  ses  im- 
menses arméniens. — Extrême  faiblesse  numériiiue  des  forces  du  Ca- 
nada.— riiui  d'attaque  et  de  défense  de  ce  jmys  ;  zèle  des  habitans. — 
l'remièr(!s  opérations  de  la  campagne. — Un  corps  de  troupes,  parti  de 
lîoston,  s'emi)ari'  do  Beauséjour  et  de  toute  la  péninsule  aciidieiine  ;  exil 
et  dispersion  des  Acadiens. — Le  général  Braddock  marche  sur  le  Ibrt 
Duquesne  du  côté  du  lac  Erié  ;  M.  de  Beaujeu  va  au-devant  de  i'ii  ;  bataille 
de  la  Monongahéla;  défaite  complète  des  Anglais  et  mort  de  leur  général. 
— L'épouvante  se  ré^iand  dans  leurs  colonies,  que  le?  bandes  c;inadi':.iuei? 


480 


SOMMAIRES. 


rt  U'3  Sauvages  attaqneiil  sur  divers  jioints  en  comniettiuU  de  grands  rava^jea 
et  faisiuit  beaucoup  de  prisonniers. — Arnnées  anglaises  destinées  à  atta- 
quer Niagara  au  pied  du  lae  Erié  et  St.  Frédéric  sur  le  lac  Champlain. — 
Le  colonel  Johnson  se  retranche  it  la  tête  du  lac  St.-Sacrenient  ((/eorge). 
—Le  général  Dicskau  attaque  les  retrancheniens  du  colonel  Johnson  ;  il 
est  repoussé  et  lui-même  tombe  blessé  entre  les  mains  de  l'ennemi. — Le 
peuple  des  colonies  anglaises  murmure  contre  l'inactivité  de  Johnson  après 
cette  bataille  ;  réponse  de  ce  commandant. — Le  général  Siiirley  aban- 
donne le  dessein  d'assiéger  Niagara. — Résultat  do  la  campagne. — Mau- 
vaises récoltes  en  Canada;  commencement  de  la  discite. — Préparatifs  de 
l'Angleterre  pour  la  prochaine  campagne. — Exposition  de  l'état  du  Ca- 
tiada;  demande  de  secours  à  la  France. — Le  général  IMontcalm  arrive  à 
Québec  dans  le  ])rintemps  de  1756  avec  des  renforts, — Plan  d'opérations 
de  la  prochaine  campagne. — Disproportion  des  forces  des  deux  parties 
belligérantes;  projets  d'invasion  des  Anglais p.  211. 


CHAPITKE  n. 


PRISE   d'oSWÉGO    et    de    WILLIAM-HENRY. — 17r)()-1757. 

Alliances  indiennes  ;  les  cantons  iroquois  protestent  de  leur  neutralité. — 
Préparatifs  militaires. — Bandes  canadiennes  en  campagne  tout  l'hiver 
(17ij5-.')tJ)  ;  ilestiiiction  du  Ibrt  Bull  et  disi)ersIon  d'un  convoi  de  400  ba- 
teaux ennemis. — Conjmi.'ucement  de  désunion  entre  If  gouverneur  et  le 
général  Montcalm  au  sujet  de  l'entreprise  siu-  Osvvégo.— Siège  de  cette 
place.-— La  garnison  abandonnée  du  général  Webb  cajiitule. — Bulin  qut; 
l'on  l'ait. — Les  Sauvages  tuent  un  grand  nombre  de  prisonniers  ;  on  ne 
parvient  à  les  arroler  qu'avec  beaucoup  de  peine. — Les  fortifications  d'Os- 
wégo  sont  rasées. — Joie  que  celte  victoire  répand  en  Canada. — Les 
Anglais  suspendent  toutes  leurs  opérations  pour  le  reste  de  la  campagne. — 
Les  Indiens  ravagent  leurs  provinces. — Les  Canadiens  enlèvent  Grenville 
à  20  lieues  de  Philadelphie. — Disette  en  Canada. — Arrivée  des  Acadiens 
qui  mouraient  de  faim. — Ils  se  disjjcrbcnt  dans  le  pays. — Denian<le  de 
secours  en  France. — Augmentation  rapide  des  dépenses. — Montcalm  sug- 
gère d'attaquer  l'Acadie  au  lieu  des  forts  Edouard  et  Wibiam-Henry. — 
Pitt  monte  au  timon  des  affaires  en  Angleterre  ;  nouveaux  efforts  de  cette 
puissance  en  1757. — Elle  forme  et  on  abandonne  en  chemin  le  dessein  de 
prendre  Louisbourg,  protégé  par  la  flotte  de  l'amiral  Dubois  de  la  Motthe. 
— Des  bandes  canadiennes  tiennent  la  campagne  pendant  l'hiver  ;  INf.  de 
Uigaud,  à  la  tête  de  1,500  hommes,  détruit  les  environs  du  fort  William- 
Henry. — Les  tribus  indiennes  restent  fidèles  à  la  France,»  qui  envoie  des 
secours. — Prise  de  William-Henry  après  un  siège  de  6  jours. — La  garnison 
forte  de  2,400  hommes,  met  bas  les  armes.— Les  prisonniers  sont  encore 
attaqués  à  l'improviste  par  les  Sauvages,  qui  en  massacrent  plusieurs,  les 


SOMMA  ITIES. 


451 


pillenf  t't  les  dispersent.— Lo  i'oil  Williiim-Henry  est  aussi  ruF«. — Lu 
Disi.'tto  va  en  miKmentant  en  Canadii. — Miiinmres  des  troupes.— Les  dis- 
sentions  deviennent  plus  visibles  entre  les  chefs  de  la  colonie. — Sucées 
variés  île  la  France  dans  les  autres  jiarties  du  Monde. — Elle  ne  peut 
envoyer  rpie  quelcjucs  recrues  en  Arn«jri(iiip. — L'Anj;;Ieterre  y  porte  soi» 
armée  à  .^)0,00()  hommes  dont   22,(){J0   réj,'uliers,  poin-  la  «anipasçne  de 


1758. 


p.  ',M;i. 


CHAPITRE  III. 

BATAILLE    Dlî    CARILLON. — 1758. 

Lo  Canada  abandonné  de  la  France,  résout  de  combattre  jusqu'à  la  dernière 
i!Xtri'-rnité. — Plan  de  campai^ne  do  l'Angleleire  :  elle  se  propose  d'alla<iuer 
simultanément  Louisbourg,  Carillon  et  le  fort  Duquesne. — Prisedo  f^ouis- 
boury  après  un  siège  mémorable,  et  invasion  de  l'île  St. -Jean  ;  les  vain- 
([ueiirs  ravagent  les  établissemens  de  (îaspé  et  de  Mont-Louis. — Mesures 
défensives  du  Canada. — iMarche  du  général  Abercrondjy  avec  unn  armée 
de  16,()()()  hommes  sur  Carillon  défendu  par  moins  de  3,r)00  Français. — 
lîiitaiUe  de  Carillon  livrée  le  8  juillet. — Uél'aite  d'Abercromby  et  sa  fuite 
précipitée. — Le  colonel  Bradstreet  surprend  et  brûle  le  fort  Fiontenac. — 
Le  général  Forbes  s'avance  contre  le  fort  Duquesne. — Défaite  du  major 
Orant. — Les  Français  brûlent  le  fort  Duquesne  et  se  refirent. — Vicissitudes 
de  la  guerre  dans  toutes  les  parties  du  monde. — Changement  de  ministres 
en  France. —  Brouille  entre  le  général  Montcalm  et  le  goiiverneur.- 
Observatioiis  des  ministres  sur  les  dilapidations  du  Canada  et  reproclic-i 
sévères  à  l'intendant  Bigot. — Intrigues  pour  faire  rappeler  M.  de  Vau- 
dreuil  et  nommer  Montcalm  gouverneur. — Les  ministres  décident  de  faire 
rentrer  ce  dernier  en  France  ;  le  roi  s'y  oppose. — Déjiêches  conciliatrices 
envoyées  avec  des  récompenses  et  des  avancemcns. — On  n'expédie  point 
de  renforts. — Défection  des  nations  indiennes,  qui  embrassent  la  cause  de 
l'Angleterre  par  le  traité  de  Easton. — Cette  dernière  juiissance  décide 
d'attaquer  Québec  avec  trois  armées  qui  se  réuniront  sous  les  murs  de 
«•ette  capitale. — Forces  du  Canada  et  moyens  défensifs  adoptés  jwur  résis- 
ter à  cette  triple  invasion p.  269, 


/l 


LIVRE  DIXIEME. 


CHAPITRE.  I. 

VICTOIRE    DE    MONTMORENCY    ET  PREMIÈRE    BATAILLE    d'aBRA- 

HAM. REDDITION     DE    QUÉBEC. 1759. 

Invasion  du  Canada. — Moyens  défensifs  qu'on  adopte. — L'armée  française 
se  retranche  à  Beauport,  en  face  de  Québec. — Arrivée  de  la  Hotte  enne- 
mie.— Les  troupes  anglaises  débarquent  à  l'île  d'Orléans. — Manifeste  du 
général  Wolfe  aux  Canadiens. — Ce  général,  jugeant  trop  hasardeux  d'at- 


452 


SOMMAIUKS. 


lii(lU(M'l('  piimj)  tViiii(;iiis,  docidc  ilc  lioniN^mlcr  la  i'a|iitiil(,'  cl  de  i'uvai!;ei-  les 
l'unipau^nes. —  La  ville  est.  iiicciidiôc. — Altaiiufî  des  lignes  l'iuiiçaiscs  ti 
Montmorency. — WolCe  repoussé,  rentre  accablé  dans  son  camp  et  tonilx- 
malade. — Il  tente  vainement  de  se  inettre  en  coiimiunicatioii  avec  le 
général  Amherst  sur  le  lac  (Jhamplain. — Les  autres  fjénéraux  lui  «n>;;;è- 
lent  (le  s'emparer  des  hauteurs  d'Abraliam  par  surprise  u/in  de  forcer  les 
{'"liiiiçais  à  sortir  de  leur  camp. — f.i' tié\\6rii\  Monicalm  envoie  des  Iroupes 
|Hinr  j^arder  la  rive  j^auclie  du  St.-Liiuient  ilepuis  (Québec  juscpi'à  Jac(|ucs 
Cartier.— !<îrand  nombre  de  Canadiens,  croyant  le  danfçer  passé,  ipiitlt^nl 
l'armé  ;  jwur  aller  vatpier  aux  travaux  des  champs. —  Du  colé  du  lac 
Clianiplain  AL  de  IJourlamarque  lait  sauter  les  loris  Carillou  et  !St.-Fré- 
déric,  et  se  replie  à  l'île  aux  Noi.x  devant  lejçénéral  Amherst  (jui  s'avance 
avec  I2,()()()  honuMcs. — L(!  corps  du  ijéiuMal  anglais  l'rideaux,  o[)éraut 
vers  le  lac  F.rié,  prend  le  Ibrt  Nia:{ara  et  force  les  Français  à  se  retirti-  à 
\a  présentation  au-dessous  du  lac  Ontario. — Les  Ani;lais  sur|)rennent  les 
hauteurs  d'Abraliam  le  l'.i  .septembre, — Première  bataille  ipii  s'y  livre  et 
délaite  des  Français. — Mort  de  .Montcalm  :  capitulation  de  Québec. — Le 
général  de  Levis  prend  le  commandement  do  l'armée  et  veut  livrer  une 
seconde  bataille;  mais  eu  apprenant  la  reddition  de  la  ville  il  se  retire  li 
.lacqurs  Cartier  et  s'y  iorlilie. — L'armée  anglaise,  renlermée  dans  (Qué- 
bec, l'ait  ses  préparatifs  pour  y  pa'sser  l'hiver. —  Demande  de  secours  en 
France  pour  reprendre  cette  ville j).  2W. 


(UL\1'ITUE  il 


SECONDE    BATAILLE     d'aBRAIIAM     ET   DKRNIERK    VICTOIRE    DES 
FRANÇAIS. — CESSION    DU     CANADA     A     L'aNGLETERRÈ    KT    DR 

LA    LOUISIANE  A  l'espagne. 1760-17G3. 


Sentimens  divers  que  la  prise  de  Québec  cause  en  Angleterre  et  en  France. 
— Les  ministres  do  Louis  XV  abandonnent  le  Canada  à  lui-même. — 
La  (jîrande-Bretagne  organise  trois  armées  pouj-  achever  sa  conquête. — 
Mesures  que  l'on  adopte  pour  résister  à  cette  triple  invasion. — Forc(-s  re- 
latives des  Français  et  des  Anglais. — Le  général  de  Levis  marche  sur 
Québec. — Seconde  hataille  d'Abraham. — Défaite  complète  de  l'armée 
anglaise,  qui  se  renferme  dans  la  ville  et  que  les  Français  assiègent  en 
attendant  les  secours  <]u'ils  avaient  demandés  de  France. — Persuasion  où 
l'on  est  dans  les  deux  armées  que  le  Canada  restera  à  celle  qui  recevra  les 
premiers  renforts. — Arrivée  d'une  flotte  anglaise. — Le  général  de  Levis 
lève  le  siège  et  commence  sa  retraite  sur  Montréal  ;  le  défaut  de  vivres 
l'oblige  de  renvoyer  les  milices  et  de  disperser  les  troupes  régulières. — 
Etat  des  frontières  du  côté  des  lacs  Champlain  et  Ontario, — Les  ennemis 
se  mettent  en  mouvement  pour  attaquer  Montréal,— Le  général  Murray 


soMM.\mi:s. 


453 


M'avance  du  Québec  avec  1,000  hommes  ;  le  chel'  de  brigade  Havilaïul 
ovcc  un  corps  presqu'aussi  nombreux  descend  lo  lao  Champlain  et  le 
f^énésal  Amherst  part  du  lac  Ontario  avec  1 1 ,000  soldats  et  Indiens. — Les 
Français  se  retirent  et  se  concentrent  sur  Montréal  au  nombre  de  3,500 
soldats. — Impossibilité  d'une  plus  longue  résistance  et  capitulation  géné- 
rale.— Triomphe  et  réjouissances  de  l'Angleterre. — Procès  et  condamna- 
tion des  dilapidateurs  du  Canada  à  Paris. — Situation  des  Canadiens. — 
Pertes  immenses  qu'ils  font  sur  les  ordonnances  et  lettres  do  chaniçe  du 
gouvernement  déchu.— Continuation  de  la  guerre  dans  les  autres  parties 
du  momie;  paix  de  1763,  par  laquelle  le  Canada  est  cédé  à  l'Angleterre 
et  la  Louisiane  à  l'Espagne. — Tableau  de  la  France  au  temps  de  ce  traité 
trop  fameux,  par  Sismondi p.  335. 


LIVRE  ONZIEME. 


CHAPITRE  I. 

DESPOTISME    MILITAIRE. — ABOLITION    ET   RÉTABLISSEMENT  DES 
ANCIENNES    LOIS. — 1760-1774. 

Cessation  des  hostilités  ;  les  Canadiens  rentrent  dans  leurs  foyers.— Régime 
militaire  et  loi  martiale. — Cession  du  Canada  à  l'Angleterre. — Emigration 
de  Canadiens  en  France. — Les  lois  françaises  sont  abolies  et  la  religion 
catholique  est  seulement  tolérée. — Le  général  Murray  remplace  le 
général  Amherst. — Etablissement  d'un  conseil  exécutif,  législatif  et 
judiciaire. — Division  du  Canada  en  deux  districts,  et  introduction  des  lois 
anglaises. — Murmure  des  habitans. — Les  colons  anglais  demandent  une 
chambre  élective  dont  les  Canadiens  seraient  exclus,  et  accusent  de  tyran- 
nie le  général  Murray,  qui  repasse  en  Europe. — Soulèvement  des  Indiens 
occidentaux. — Le  général  Carleton  gouverneur. — Il  change  le  conseil. — 
Le  peuple  continue  son  opposition  aux  lois  nouvelles. — Remontrances. — 
Rapports  de  MM.  Yorke,  de  Grey,  Marriott,  Wedderburn  et  Thurlovif, 
oITiciers  de  la  couronne,  sur  les  griefs  des  Canadiens. — Rétablissement 
des  lois  françaises. — Nouvelle  demande  d'un  gouvernement  représentatif 
avec  l'exclusion  des  catholiciues. — Pétitions  des  Canadiens  et  des  Anglais. 
— Le  conseil  législatif  de  71  est  établi p.  373. 


li 


CHAPITRE  II. 


llliVOÏ.UTION    AMERICAINE. — 1770. 

Di(li<'ultés  entre  l'Angleterre  et  ses  anciennes  colonies  :  leurs  causes. — Divi- 
sions dans  le  parlement  impéiialà  ce  sujet. — Avènement  de  lordNorth  au 
ministère. — Troubles  à  Boston. — Mesures  coercitives  de  la  métropole,  qui 


H 


#* 


454. 


SOMMAIHES. 


Il 


cherche  ù  s'attacher  le  Canada  par  des  concessions. — Pétitions  opposées 
des  Canadiens  et  des  Anglais  ;  motifs  des  délais  pour  décider  entre  les 
deux  partis. — Acte  de  74  dit  de  Québec  ;  débats  dans  la  chambre  des 
communes. — Congrès  de  Philadelphie  ;  il  met  l'acte  de  Québsc  au  nombre 
de  ses  griefs.  —Ses  adresses  à  l'Angleterre  et  aux  Canadiens. — Le  général 
Carleton  revient  en  Canada. — Sentimens  des  Canadiens  sur  la  lutte  qui  se 
prépare. — Premières  hostilités. — Surprise  de  Carillon,  St.-Frédéric  et  St.- 
Jean. — Guerre  civile. — Bataille  de  Bunker's  hill, — Envahitsement  du 
Canada. — Montgomery  et  Arnold  marchent  sur  Québec  au  milieu  des 
populations  qui  se  joignent  à  eux  ou  restent  neutres  :  Montréal  et  les 
Trois-Rivières  tombent  en  leur  pouvoir. — Le  gouverneur  rentre  en  fugitif 
dans  la  capitale  devant  laquelle  Its  insurgée  mettent  le  siège...  p.  407. 


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