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Photographie
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Canadian Institute for Historical Microreproductions / Institut canadien de microreproductions historiques
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D
D
n
n
D
n
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Cartes géographiques en couleur
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Planches et/ou illustrations en couleur
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Pages de couleur
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I I Pages detached/
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J
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32X
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plus grand soin, compte tenu de la condition et
de la netteté de l'exemplaire filmé, et en
conformité avec les conditions du contrat de
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beginning with the front cover and ending on
the last page with a printed or illustrated impres-
sion, or the back cover when appropriate. AH
other original copies are filmed beginning on the
first page with a printed or illustrated impres-
sion, and ending on the last page with a printed
or illustrated impression.
Les exemplaires originaux dont la couverture en
papier est imprimée sont filmés en commençant
par le premier plat et en terminant soit par la
dernière page qui comporte une empreinte
d'impression ou d'illustration, soit par le second
plat, selon le cas. Tous les autres exemplaires
originaux sont filmés en commençant par la
première page qui comporte une empreinte
d'impression ou d'illustration et en terminant par
la dernière page qui comporte une telle
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The last recorded frame on each microfiche
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TINUED"), or the symbol V (meaning "END"),
whichever applies.
Un des symboles suivants apparaîtra sur la
dernière image de chaque microfiche, sel'in lo
cas: le symbole -^ signifie "A SUIVRE", le
symbole V signifie "FIN ".
Maps, plates, charts, etc., may be filmed at
différent réduction ratios. Those too large to be
entirely included in one exposure are filmed
beginning in the upper left hand corner, left to
right snd top to bottom, as many frames as
required. The foilowing diagrams iliustrate the
method:
Les cartes, planches, tableaux, etc., peuvent être
filmés à des taux de réduction différents.
Lorsque le document est trop grand pour être
rep.oduit en un seul cliché, il est filmé à partir
de l'angle supérieur gauchv*. de gauche à droite,
et de haut en bas, en prenant le nombre
d'images nécessaire. Les diagrammes suivants
illustrent la méthode.
1
2
3
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2
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CANADA
PUBLIC ARCHIVES
ARCHIVES PUBLIQUES
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HISTOIRE
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CANADA
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HISTOIRE
DU
CANADA
DEPUIS SA DECOUVERTE JUSQU'A NOS JOUES.
PAR
F. X. GARNEAU.
SECONDE ÉDITION CORRIGÉE ET AUGMENTÉE.
TOME SECOND.
IMPRIMÉ PAR JOHN LOVELL, RUE LA MONTAGNE.
18Ô2.
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J&7/6'
HISTOIRE
DU
CANADA.
LITRE SIXIEME.
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CHAPITRE I.
ÉTABLISSEMENT DE LA LOUISIANE.
1683-1712.
De la Louisiane. — Louis XIV met plusieurs vaisseaux à la disposition de la
Salle pour aller y fonder un établissement. — Départ de ce voyageur ; ses
difficultés avec le commandant de la âotille, M. de Beaujeu.— L'on passe
devant les bouches du Mississipi sans les apercevoir et l'on parvient jus-
qu'à la baie de Matagorda (ou St.-Bemard) dans le pays que l'on nomme
aujourd'hui le Texas. — La Salle y débarque sa colonie et y bâtit le fort
St. Louis. — Conséquences désastreuses de ses divisions avec M. de Beau-
jeu, qui s'en retourne en Europe.— La Salle entrepre A plusieurs expédi-
tions inutiles pour trouver le Mississipi.— Grand nombre de ses compa-
gnons y périssent — Il part avec une partie de ceux qui lui restent pour les
Illinois, afin de faire demander des secours en France. — Il est assassiné.— •
Sanglans démêlés entre ses meurtriers ; horreur profonde que ces scènes
causent aux Sauvages. — Joutel et six de ses compagnons parviennent aux
Illinois. — Les colons laissés au Texas sont surpris par les Indigènes et
tués ou emmenés en captivité. — Guerre de 1689 et paix de Riswick. —
D'Iberville reprend l'entreprise deja Salle en 1698, et porte une première
colonie canadienne à la Louisiane l'année suivante; établissement de
Biloxi (1698.) — Apparition des Anglais dans le Mississipi. — L«!S Hugue-
nots demandent à s'y établir et sont refusés. — Services rendus par eux à
l'Union américaine. — M. de Sauvole lieutenant-gouverneur. — Sages re-
commandations du fondateur de la Louisiane touchant le commerce de
cette contrée. Mines d'or et d'argent ; illusions dont on se berce à ce
sujet — Transplantation des colons de Biloxi dans la baie de la Mobile
(1701.) — M. de Bien ville remplace M. de Sauvole. — La Mobil" fait des
progrès.— Mort de d'Iberville ; caractère et exploits de ce guerrier. — M.
Diron d'Artaguette commissaire-ordonnateur (1708.) — La colonie languit.
—La Louisiane est cédée à M. Crozat en 1712, pour 16 ans.
L'on donnait autrefois le nom de Louisiane à tout le pays du
golfe du Mexique, qui s'étend de la baie de la Mobile, à 1' ?st, aux
sources des rivières qui tombent dans le Mississipi, à l'ouest,
4,
HISTUIRB DU CANADA.
c'est-à-dire jusqu'au Nouveau-Mexique et à l'ancien royaume do
Léon. Aujourd'hui ce vaste territoire est divisô en plusieurs
états: le Texas à l'occident, depuis le Rio Del Norte jusqu'à la
Sabine ; la Louisiane proprement dite au centre, depuis cette
dernière rivière jusqu'à la rivière aux Perles; et le Mississipi à
l'est, depuis la rivière aux Perles jusqu'à quelque distance à l'onest
de la baie de la Mobile, l'intervalle qui reste jusqu'à cetle baie
formant partie de l'Alabama. Au nord de ces états, il y a encore
ceux de l'Arkansas, du Missouri, de l'IUinois, etc. A l'époquo
où nous sommes arrivés dans cette histoire, toutes ces contrées
étaient inconnues. Ferdinand de Soto, voyageur espagnol, ancien
compagnon de Pizarre, n'avait fait que les traverser à l'intérieur
en 1539-40 en courant après un nouveau Pérou. Parti de la
baie du St.-Esprit dans la Floride avec plus de 1000 hommes de
troupes, il s'était élevé au nord jusqu'aux Apalaches ; de là se
tournant vers le couchant, il avait suivi quelque temps le pied de
ces montagnes pour se rabattre vers le sud, où il était venu tra-
verser la rivière Tombeckbé près de son confluent avec celle
d'Alabama ; il s'était dirigé ensuite vers le nord-ouest, et était
allé passer le Mississipi au-dessus de la rivière des Arkansas ; se
tournant encore au sud, il avait franchi la rivière Rouge qui avait
étA le terme de sa course, et sur les bords de laquelle il était
mort en 1542, sans avoir trouvé ce qu'il cherchait. Moscosa,
son lieutenant, l'ayant remplacé, avait marché vers l'occident dans
l'intention d'atteindre le Mexique ; mais arrêté par les monta-
gnes, il était revenu sur ses pas et était descendu vers la mer
pour se rembarquer, n'ayant plus que 350 hommes avec lu!.*
De cette expédition il r/était resté que de vagues souvenirs, de
môme que des rares voyages entrepris par les Espagnols sur les
côtes septentrionales du golfe.
Nous avons vu l'accueil gracieux que la Salle avait reçu de
Louis XIV, à son retour de la découverte de l'embouchure du
Mississipi en 1683. I! proposa à ce monarque d'unir au Canada
la vallée qu'arrose ce grand fleuve, et d'assurer ainsi à la France
* Carte de la Louisiaiie, eic, 1782, par G. Delisle de l'Académie fran-
çaise ; elle se trouve dans l'Itinéraire de la Louisiane, petit vol. sans aucun
mérite. Garciiasso de la Vega : Histoire de la conquête de la Floride par
Ferdinand de Soto, traduction de P. Richelet.
HISTOIRE DU CANADA.
la soir^crfiinetô des pays intérieurs situés entre la mer du Nord
et le golfe du Mexique. Ce vaste et superbe projet fut bien
accueilli du roi, qui aimait tout ce qui avait de la grandeur, et la
Salle lui-môme fut chargé de le mettre à exécution en colonisant
la Louisiane.
Quatre vaisseaux furent mis à sa disposition, sur lesquels il
s'embarqua avec 280 personnes y compris les équipages ; c'étaient
des soldats, des artisans, des volontaires, plusieurs Canadiens et
gentilshommes, et huit missionnaires. Cette petite escadre, com-
mandée par M. de Beaujeu, homme vaniteux et jaloux, mit à la
voile de la Rochelle le 24 juillet 1684>. A peine fut-elle en mer
que la mésintelligence se mit entre les deux chefs. Bientôt
cette mésintelligence augmenta d'heure en heure et dégénéra
en une haine invétérée qui eut les conséquences les plus désas-
treuses. La premier effet de cette division, fut la perte d'un des
navires enlevé par les Espagnols sous l'île de St.-Domingue.
Trompé ensuite par la direction des courans du golfe mexicain,
et par des observations faites avec des instrumens astronomiques
inexacts, l'on se crut à l'est tandis que l'on était déjà à l'ouest de
la principale branche du Mississipi. Les terres dépourvues
d'arbres et plus basses même que ce fleuve, qui n'est retenu dans
Eon lit que par des attérissemens et des digues naturelles insuffi-
santes dans les grandes eaux pour empêcher les débordemens, ne
présentaient au bord de la mer aucune marque distinctive aux
Français pour les guider. Ils passèrent devant les bouches du
fleuve sans les reconnaître. Quelques jours après cependant, la
Salle, sur les indices des Sauvages de la côte, soupçonnant quel-
qu'erreur, voulut retourner sur ses pas ; mais Beaujeu, qui ne
pouvait se faire à l'idée d'être commandé par un homme qui
n'était pas militaire, et que la cour avait mis au-dessus de lui
malgré ses représentations,* refusa de l'écouter.
Il continua à avancer vers l'ouest jusqu'au 14 février, que l'on
parvint, sans savoir où l'on était, dans la baie de St.-Bernard,
aujourd'hui de Matagorda, dans le Texas, à 120 lieues au-delà du
fleuve que l'on cherchait. La Salle ne découvrant aucune trace
du Mississipi prit la résolution presque désespérée de débar-
Mfi
'^■V.VÎÎ
* Lettre de M. de Beaujeu au ministre
vol. XL
Spark's American Biography,
6
HISTOIRE DU CANADA.
quer son mondo là où il était, et donna Tonlrc au comman-
dant d'un dos vaisseaux d'entrer dans la baie. Celui-ci,
faisant semblant d'obéir, se jeta sur les rescifs,* où le navire et
une partie de la cargaison furent perdus. Ce malheur était d'au-
tant plus grand que le vaisseau portait les munitions de guerre
et presque tous les outils et les objets nécessaires à un nouvel
établissement.
De Bcaujeu, loin de punir le coupable, le reçut sur son bord
pou: le soustraire à la vengeance de la Salle, puis après avoir
oncore refusé à celui-ci sous des prétextes frivoles diverses choses
pour remplacer celles qui avaient été perdues, il mit à la v^oile et
abandonna à leur sort, le l^ mars, les colons au nombre d'environ
cent quatrevingts sur \o plage inconnue où le hasard les avait
conduits.
Ces colons commencèrent aussitôt à cultiver la terre et à cons-
truire un fort pour se mettre à l'abri des attaques des Indiens.
Lorsque ce fort fut assez avancé, la Salle en fit commencer un
second à deux lieues plus haut sur la rivière aux Vaches dans un
endroit plus avantageux et lui donna le nom de St.-Louis, ayant
toujours présent à la pensée celui du monarque qui le protégeait.
Placé sur une éminence, ce fort commandait une vue superbe sur
la campagne et sur la mer. Cependant à mesure que le temps
avançait on s'y trouvait moins bien ; les grains semés périrent
par la sécheresse ou le dégât deb bêtes sauvages, et la plupart des
artisans qu'on avait emmenés ne sachant pas leurs métiers, les
constructions marchaient fort lentement. Les nombreux contre-
temps qu'on avait déjà éprouvés avaient mécontenté ou décou-
ragé plusieurs colons ; des mutineries, suscitées par le turbulent
Duhautjl'un d'eux, auraient déjà éclaté et comblé la mesure, sans
la prudence de Joutel, l'auteur de la meilleure relation que nous
ayons de cette expédition malheureuse. La maladie vint à son
tour aggraver la situation et enlever les hommes les plus utiles.
En peu de temps l'état de St.-Louis devint désespéré. Par sur-
croît de malheur, les Indigènes prenaient chaque jour une atti-
tude pluS; nfienaçante. La Salle dissimulait ses chagrins et ses
inquiétudes avec sa fermeté ordinaire. Le premier à l'œuvre, il
donnait l'exemple du travail avec un visage calme et serein.
* Joutel : Journal historique.
HISTOIRE DU CANADA.
Les reâsonrces de son esprit semblaient se multiplier avec les
obstacles; mais malheureusement son naturel s6vùre devenait
plu» inflexible tioua cetio apparence de sérénité ; et dans lo
moment où ses gens s'épuisaient de fatigues, il punissait les
moindres fautes avec la dernière rigueur. Peu compatissant dans
son langage, il sortait rarement de sa bouche une parole de dou-
ceur et de consolation pour ceux qui souffraient avec le plus de
patience. Une tristesse mortelle finit par s'emparer graduellement
de ses gens, qui devenus indilférens à tout, semblaient donner par
là môme plus de pri&e à la maladie. Une trentaine de victimes
succombèrent à ce dégoût fatal de la vie. Le caractère de la
Salle n'a que trop contribué à son infortune. Sa fierté dédai-
gnait les moyens do persuasion. Un autre moins capable, moins
juste môme que lui, mais plus insinuant se fut emparé des cœurs
et eût réussi par une douceur affable là où il échouait par uno
inflexibilité silencieuse.
Le pays dans lequel on se trouvait, partout plat et uni, possé-
dait un climat sain et chaud, un air pur, un ciel serein qui don-
nait rarement de la pluie. On n'y voyait que des plaines à perte
de vue, entrecoupées de rivières, de lacs et de bocages cham-
pêtres et rians. Mais dans les forêts, sous ces palmiers aux
formes si sveltes et si élancées, erraient des léopards et des tigres;
dans ces rivières si lympidcs circulaient des caïmans, sorte de
crocodiles féroces qui avaient jusqu'à vingt pieds de long et qui
en chassaient le poisson. Le serpent à sonnette rampait aussi sous
l'herbe dans ces belles prairies émaillées de fleurs qui charmaient
les regards des Français. Une multitude de peuplades barbares
erraient dans ces contrées où la nature animée faisait contraste
avec la nature matérielle. Charlevoix appelle Clamcoëtsles Sau-
vages qui occupaient le littoral de la mer. Les Cénis étaient
plus reculés dans l'intérieur et allaient tous à cheval, se servant
du mors et de l'étrier comme les Espagnols, auxquels ils uvaient
sans doute emprunté cet usage.
La Salle songea à se remettre à la recherche du Mississipi. Il
fit à cet effet une première excursion de quelques mois du côté
du Colorado, dans laquelle il perdit plusieurs de ses gens, qui
furent massacrés par les Sauvages, ou qui périrent dans le nau-
frage de la Belle, le seul bâtiment qui lui restât après le départ de
8
HISTOIRE DU CANADA.
Beaujeu. Une seconde excursion qu'il poussa jusque chez le
Cénis ne fut pas plus heureuse ; et nur vingt hommes qui l'avaient
suivi, il n'en ramen. que huit. Les maladies, les chagrins, les
accidens faisaient ea même temps d'affreux ravages parmi ses
autres compagnons. Il se proposait d'envoyer chercher des
Svcours dans les îles, et de ranger ensuite le ^olfe du lilexiquo
jusqu'à ce qu'il eût trouvé le Mississipi ; n.ais la pert»^ de son
navire rompit tous ses plans, et d'ailleurs ses ressources s'épui-
saient chaque jour. Placé à six ou sept cents lieues de tout
homme civilisé, il ne lui restait plus qu'à faire demander des
secours en France par la voie du Canada.
Il se décida à rller lui-même aux Illinois, ce qui aurait
été une faute si ta présence n'eût pas été nécessaire à Québec
pour faire taire ses opposans toujours prêts à déprécier ce qu'il
faisait. Il partit en janvier 1687 avec dix-sept hommes, laissant
vingt personnes à St.-Louis, hommes, femmes et enfans, preuve
qu'à cette époque le nombre des colons était déjà réduit de 180
37. Un Canadien, M. le Barbier, y fut laissé pour commandant.
" Nous nous séparâmes les uns des autres, dit Joutel, d'une ma-
nière si tendre et si triste, qu'il semblait que nous avions tous le
secret pressentiment que nous ne nous reverrions jamais."
La marche fut lente et pénible. Le 16 mars, on était encore
sur l'un des afiluens de la rivière de la Trinité, lorsqu'une san-
glante tragédie vint mettre le comble aux désastres qui avaient
déjà frappé cette entreprise. Quelques hommes de l'expédition
à la tête desquels était toujours Duhaut, s'étant isolés du reste,
eurent un démêlé avec un neveu de la Salle nommé Moragnet,
qui avait, comme son oncle, beaucoup de hauteur, et qu'ils réso-
lurent de tuer, lui et deux de leurs compagnons pour cacher leur
forfait. A peine, cependant, avaient-ils commis ce triple assassinat
que, craignant la justice de la Salle, et entraînés d'ailleurs par la
pente du crime, ils crurent que leur vengeance resterait incomplète
tant que ce chef lui-même respirerait, et sa mort fut aussi résolue.
La Saile ne voyant pas revenir son neveu et ayant quelque soup-
çon de ce qui était arrivé, demanda s'il n'avait pas eu quelque
difficulté avec Duhaut. Il partit pour aller à sa rencontre. Les
conspirateurs l'appercevant venir de loin, chargèrent leurs armes,
traversèrent la rivière et se cachèrent dans les hautes herbes
HISTOIRE DU CANADA.
9
pour l'attendre. La Salle en approchant du lieu oii ils étaient,
aperçut deux aigles qui planaient au-dessus de sa tête comme s'ils
eussent vu quelque proie aux environs ; il tira un coup de fusil.
TTn des conjurés se montra aussitôt et la Salle marchant vers lui,
lui demanda où était son neveu ; tandis que ce mallieurcux lui
Taisait une réponse vague, une balle frappa la Salle à la tête et
l'étendit par telle mortellement blessé et sans parole. Le P.
Anastase qui se trouvait à côté de lui, crut qu'on allait lui faire
subir le même sort. La Salle vécut encore une heure après avoir
été frappé, indiquant en serrant la main au P. Anastase agenouillé
près de lui, qu'il comprenait ce que lui disait le pieux mission-
naire. Lorsqu'il eut rendu le dernier soupir, le bon père l'enterra
dans une fosse creusée sur le lieu de l'assassinat au milieu du
désert, et planta une croix de bois sur sa tombe. Ainsi finit celui
que l'on peut appeler, peut-être, le premier fondateur du Texas.
M. Sparks place le théâtre de ce drame sanglant sur les bords de
l'un des tributaires de la ri'. 1ère Brasos, d'autres le mettent dans
le voisinatre de la rivière de la Trinité.
Les meurtriers se saisirent alors du commandement, de l'argent
et de tout ce qu'il y avait, et la caravane se remit en marche ; mais
la désunion ne tarda pas à se mettre parmi les assassins. Dans une
querelle qu'ils eurent au sujet du partage des dépouilles, Duhaut
et le chirurgien Liotot, les deux chefs de la conspiration, furent
tués par leurs complices à coups de pistolet. Ces scènes épou-
vantables commises au milieu des vastes solitudes qui les entou-
raient, remplissaient les Sauvages eux-mêmes de frayeur et
d'étonnement. Après ce dernier crime, l'on se sépara : tous
ceux qui s'étaient compromis restèrent parmi les Indiens. Les
autres, au nombre de sept, dont : Joutel, le P. Anastase, et les
Cavalier, oncle et neveu, continuèrent leur route vers les Illinois
où ils arrivèrent au fort St.-Louis le l-i septembre.
Dans l'intervalle la petite colonie qui avait été laissée dans
la baie St.-Bernard, subissait une catastrophe encore plus
limeste. Peu de temps après le départ de la Salle, les Sauvages
attaquèrent le fort à l'improviste et en massacrèrent tous les habi-
tans à l'exception de cinq qu'ils firent prisonniers. Ces cinq
personnes avec quelques autres compagnons de la Salle, qui
avaient déserté avant son départ, tombèrent entre les mains dos
iU
HISTOIRE DU CANADA.
Espagnols, jaloux de l'entreprise des Français, et qui avaient
résolu de la faire échouer s'il était possible. Les rapports de ces
prisonniers les tranquillisèrent ; mais ceux qui pouvaient fournir
des renseignemens furent enfouis dans les mines du Nouveau-
Mexique. Deux jeunes gens, fils d'un Canadien nommé Talon,
étant d'un âge encore trop tendre pour avoir pu faire des obser-
vations sur le pays, touchèrent la générosité du vice-roi mexicain
qui les prit sous sa protection et les éleva à sa cour. Lorsqu'ils
furent plus vieux, il les fit entrer dans la marine espagnole ; et
après diverses aventures plus ou moins romanesques, l'un d'eux
parvint en France.
Telle fut la malheureuse issue d'une expédition qui avait ins-
piré les plus grandes espérances et qui aurait probablement réussi,
si l'on se fût borné à former un établissement là où l'on était,
sans porter pour le moment son attention ailleurs. Le Texas est
un des plus beaux et des plus fertiles pays du monde, mais la
Sal'e commit encore ici la faute qu'il avait déjà faite en Canada;
il se fit suivre par trop de monde dans ses courses dans l'in-
térieur j il était trop remuant ; il voulait toujours marcher
au lieu de rester dans l'établissement commencé au Texas et
d'encourager les défrichemens et l'agriculture. Quelques auteurs
lui reprochent aussi d'avoir perdu de vue son premier dessein
pour prendre connaissance des fabuleuses mines de Sainte Barbe ;
mais rien dans Joutel ni dans le P. Zénobe * ne justifie cette
assertion.! Au reste, il paraît que le génie de ce voyageur
célèbre était plus propre à imaginer et à établir un vaste système
commercial dans des contrées lointaines qu'à fonder un empire
agricole. Ses idées avaient quelque chose de grand ; et les plans
qu'il soumit à Louis XIV sont basés sur des calcula exacts et
profonds qui en font le précurseur de Dupleix.
Nous nous sommes étendu sur cette expédition malheureuse
parcequ'elle servit de prélude à celle de notre compatriote dans
la Louisiane proprement dite, et que l'histoire du Canada devait
* Le P. Chrétien Leclerc : Premier établissement de la Foi dans la Nou-
velle-France.
t Au contraire, loin de se rapprocher des Espagnols il s'en éloigna. Voici
ce qu'on lit dans le P. Zénobe : " ce fut ici que le sieur de la Salle changea
sa route du nord-est à l'est par des raisons qu'il ne nous dit pas, et que nous
n'avons jamais pu icaélrer. Le Mississipi était à l'est Je lui.
HISTOIRE DU CANADA.
11
cette marque de reconnaissance à l'homme qui a sacrifi6 sa for-
tune et sa vie pour la cause de la colonisation française en Amé-
rique ; car s'il n'a pas fondé, il a du moins beaucoup accéléré
l'établissement de la Louisiane aujourd'hui si florissante. Chaque
jour ajoute aussi à l'intérêt de l'histoire de ces pères du Nouveau-
Monde. A mesure que ce continent se peuple, que les anciennes
colonies si pauvres, si humbles à leur berceau, se changent en
états, en empires indépendans, le nom de leurs fondateurs gran-
dit ; les ombres de ces nouveaux Romulus s'élèvent sur l'Amé-
rique, et en animent les bornes extrêmes du passé. r . •
La fondation de la Louisiane comme celle du Canada devait
être accompagnée de beaucoup de vicissitudes et de malheurs.
L'expérience d'un siècle n'avait point fait changer la politique
coloniale de la France ; les principes larges et progressifs de
Colbert étaient mis en oubli dans le temps même où cet établisse-
ment commençait à naître ; et la pénurie du trésor le livra à un
monopole encore plus dur que celui qui pesait sur le Canada.
On ne saurait trop redire à la France, qui cherche aujourd'hui à
répandre sa race, sa langue et ses institutions en Afrique, ce qui
a été la cause de la ruine de ses colonies du Nouveau-Monde, où
elle aurait dû prédominer. C'est son défaut d'association pour
encourager une émigration agricole par tous les moyens légitimes ,
c'est l'absence de liberté politique et religieuse qui fit exclure du
Canada plusieurs centaines de mille huguenots lorsqu'elle n'avait
pas d'autres colons à y envoyer ; c'est la passion des armes
répandue parmi les colons, enfin c'est toujours la faiblesse com-
parative du commerce et de la marine française. Ce qui retarda
la Louisiane, c'est surtout le caractère plus commercial qu'agri-
cole qui fut donné à l'organisation du pays dans le temps môme
où la France perdait ses flottes dans la guerre de la succession
d'Espagne, et avec ses flottes son commerce maritime naissant.
On choisit pendant longtemps les postes de la contrée qui parais-
saient plus favorables au négoce qu'à l'agi 'culture. On n'aban-
donna ce système qu'après avoir éprouvé des désastres irrépa-
rables. Il est digne de remarque que le gouvernement anglais
avait voulu comme la France empêcher ses nationaux de former
des établissemens dans l'intérieur du pays et loin de la mer. Les
motifs de cette politique sont exprimés, dit M. Barbé-Marbois,
ti.'^-S
\%\
12
HISTOIRE DU CANADA.
dans un rapport qui ne vit le jour que fort tard. " Los contrées
de l'ouest sont fertiles, y remarquait-on, le climat en est tempéré,
les planteurs s'y établissent sans obstacles ; avec peu de travail
ils pourraient satisfaire à leurs besoins ; ils n'auraient rien à
demander à P Angleterre, et pnint de retour à lui offrir.'''' Mais
leurs libertés et leurs institutions politiques neutralisaient les effets
de cette conduite intéressée.
La guerre terminée par la paix de Riswick, avait fait oublier
le Texas et la Louisiane t h. France ; mais la beauté de ces deux
colonies méridionales y avait insensiblement attiré plusieurs Ca-
nadiens, qui finirent par s'y fixer et par en devenir ainsi les pre-
miers fondateurs. Ils s'étaient établis vers les bouches du Mis-
sissipi et à la Mobile, afin d'être plus près des Iles françaises
pour leur commerce. Aussitôt que la tranquillité lut rétablie
dans les deux mondes, la cour y reporta son attention. Les
Espagnols qui regardèrent de tout temps l'Amérique comme leur
patrimoine exclusif, avaient vu l'entreprise de la Salle d'un œil
de jalousie et apprirent sa mort et la dispersion de ses gens avec
une joie qu'ils ne dissimulèrent guère, en s'empressant en môme
temps de prendre possession du pays pour en éloigner les Fran-
çais. Ils visitèrent dans ce but différentes parties de la côte, et
choisirent la baie de Pensacola, à l'extrémité occidentale de la
»
Floride, pour y former leur établissement. Ils n'y étaient que
depuis peu de temps lorsque d'Iberville parut.
A son retour de la baie d'Hudson en 1697, ce navigateur avait
proposé au ministère de reprendre les projets formés sur la Loui-
siane, et M. de Pontchartrain s'était empressé d'agréer ses offres
en lui donnant deux vaisseaux. Il partit de la Rochelle accom-
pagné de MM. de Sauvole et Bienville en i:eptembre 1698.
Obligé par le mauvais temps de relâcher à Brest, il remit à la
voile à la fin d'octobre et parvint à St.-Domingue au commence-
ment de décembre, en repartit le 1 janvier à la recherche du
Mississipi qu'il ne put a'ouver d'abord. Il passa par Pensacola
dont les Espagnols lui refusèrent l'entrée, par la baie de la Mobile,
revint à St.-Domingue, et plus heureux que la Salle, trouva enfin
l'embouchure du fleuve que l'on cherchait depuis si longtemps,
perdu au milieu de terres basses couvertes de roseaux. On salua
le nouveau tributaire de l'Océan au chant du Te Deunt ; on le
HISTOIRE DU CANADA.
13
remonta quelque temps en appercevant çà et là des naturels, qui
remirent une 'lettre de Tonty à la Salle de 1686. Après s'être
avancé assez loin, l'on revint sur ses pas, puis on remit i la voile
pour l'Europe. A son retour en Franco, d'Iberville fut nommé
gouverneur-général de la nouvelle contrée, pour laquelle il repar-
tit avec une colonife composée presque entièrement de Canadiens,
qu'il débarqua dans la bjue de Biloxi entre le Mississipi et Pen-
sacola. Ce pays, avec un climat brûlant et un sol sablonneux et
aride, présente une côte de quarante lieues d'étendue où aucun
bâtiment ne peut aborder ; l'on ne songeait sans doute qu'aux
avantages d'un commerce momentané en choisissant cette situa-
tion, et l'on croyait que les inconvéniens en seraient compensés par
la facilité des communications avec les Sauvages voisins, avec les
Espagnols, avec les Iles françaises et enfin avec l'Europe.
C'est à son retour de France l'année suivante que d'Iberville
apprit l'apparition de quelques Anglais, venant de la mer, sur le
Mississipi, tandis que d'autres, venant par terre de la Caroline,
s'étaient avancés jusque chez les Chicaehas sur la rivière des
Yasous. L'attention de cette nation avait été attirée sur la Loui-
siane par une espèce de trahison du P. Hennepin * qui, en dédiant
au roi Guillaume III une nouvelle édition de son voyage en
Amériqye, dans laquelle il donnait les découvertes de la Salle
pour les siennes propres, invitait ce prince protestant à en prendre
possession pour sa couronne et à y faire prêcher l'Evangile aux
infidèles. Guillaume goûtant cette suggestion, avait envoyé trois
bâtimens chargés de Huguenots pour commencer une colonie sur
le Mississipi ; ces religionnaires poussèrent jusqu'à la province
de Panuca, pour se concerter avec les Espagnols et chasser leurs
compatriotes catholiques de Biloxi ; f mais leur projet n'eut point
de suite, car ceux-ci éprouvèrent à peine quelqu'opposition de la
part des Espagnols ; et plus tard les rapports d'amitié et d'intérêt
qui s'établirent entre les deux royaumes au commencement du
siècle mirent fin aux réclamations de la cour de Madrid.
Un grand nombre de Huguenots s'étaient établis dans la Vir-
• Le roi de France donna ordre d'arrêter ce moine s'il se présentait en
Canada : ' Correspondance officielle.
t Univ. History XI 278.
i,.: 1
14
HISTOIRE DU CANADA.
ginie et dans plusieurs autres provinces anglaises depuis la révo- .
cation de l'édit de Nantes. Ils furent une grande acquisition pour
la Caroline. Le Massachusetts leur donna le droit de représen-
tation dans sa législature. Ils fondèrent plusieurs villes mainte-
nant florissantes. Ces malheureux, qui n'avaient pu nerdre le
souvenir de leur ancienne patrie, firent prier encore joais XIV
de leur permettre de s'établir dans ses domaines ; ils lui indi-
quèrent la Louisiane, l'assurant qu'ils y vivraient en sujets sou-
mis, qu'ils ne demandaient que la liberté de conscience ; que leur
grand nombre rendrait en peu d'années ce vaste pays florissant.
Louis XIV, qui s'attachait d'autant plus à son sceptre qu'il appro-
chait du tombeau, les refusa. " Le roi, écrivit Pontcharlrain, n'a
pas expulsé les protestans de son royaume pour en faire une
république en Amérique." Ils renouvelèrent encore leur de-
mande sous la régence du duc d'Orléans ; ce prince dissolu fit la
même réponse que son oncle le feu roi, quoiqu'il eût fort peu de
religion d'aucune sorte. Ainsi la France, on ne peut trop le
redire, qui n'avait point de colons à envoyer en Canada ni dans
la Louisiane, refusait encore une fois la seule chance de fonder
un empire de ses enfans en Amérique, aimant mieux laisser ce
continent à une nationalité étrangère qu'à des fils apostasies.
Donnons comme Canadiens français un souvenir à ces pros-
crits, à ces hommes qui furent peut-être les frères, les parens, les
amis, les concitoyens de nos ancêtres, et qui vinrent comme eux
chercher une nouvelle patrie dans ce continent encore sauvage.
" Le souvenir, dit un américain, des services distingués que leurs
descendans ont rendus à notre pays et à la cause de la liberté civile
et religieuse, doit augmenter notre respect pour les émigrés fran-
çais, et notre intérêt pour leur histoire. M. Gabi-iel Manigault, de
la Caroline du sud, donna au pays qui avait offert un asile à ses
ancêtres, $220,000 pour soutenir la guerre de l'indépendance.
Il rendit ce service au commencement de la lutte, et lorsque per-
sonne ne pouvait encore dire si elle se terminerait par une révolte
ou par une révolution. Des neuf présidons de l'ancien Congrès,
qui dirigèrent les Etats-Unis pendant la guerre de la révolution,
trois descendaient de réfugiés protestans français, savoir : Henri
Laurens, de la Caroline du sud, le célèbre Jean Jay, de la Nou-
HISTOIRE DU CANADi.
15
vclle-York, et Elias Boudinot, du Nouveau- Jersey."* Un autre
de leurs descendans, M. Légaré, est mort en 1843, procureur-
général des Etats-Unis et membre conséquemment de l'adminis-
tration de Washington .f
Cependant d'Iberville après avoir remonté le Misaissipi jusque
chez les Natchez, où il projeta de bâtir une ville, revint à Biloxi
pour y établir son quartier général. Il y laissa M. de Sauvole
• Memoîr of the Fri^nch Protestants who settled at Oxford, M.assachusctts,
^. D. 1686, with a sketch of the entire Historyof the protestants of France,
by A. Holmes, T. D., Corresponding Secretary ; Collection of the Massa-
chusetts Historical Society, vol. II, of the 3rd séries.
t Voici d'après le Dr. Kamsay les noms des principaux Huguenots qui
vinrent s'établir dans la Caroline après la révocation de l'édit de Nantes, et
qui ont formé les souches des familles aujourd'hui existantes les plus respec-
tables de cet Etat.
Bonneau,
Dutarque,
Gourdine,
Neufville,
Bonnetheau,
De la Consilière,
Guérin,
Prioleau,
Bordeaux,
De Leiseline,
Herry,
Peronneau,
Benoist,
Douxsaint,
Huger,
Perdrian,
Boiseau,
Du Pont,
Jeannerette,
Porcher,
Bocquet,
Du Bourdieu,
Légaré,
Postelle,
Bacot,
D'Harriette,
Laurens,
Peyre,
Chevalier,
Faucherand,
La Roche,
Poyas,
Cordes,
Foissin,
Lenud,
Ravenel,
Couterier,
Foysoux,
Lansac,
Royer,
Chasteignier,
Gaillard,
Marion,
St.-Julien,
Dupré,
Gendron,
Mazyck,
Simon,
Delysle,
Gignilliat,
Manigault,
Serre,
Dubose,
Guérard,
Mellechamp,
Sarazin,
Dubois.
Godin,
Mauzon,
Trezeraut,
De veaux.
Girardeau,
Michau.
Beaucoup d'autres noms des plus respectables ont été omis ; et un plus
grand nombre encore a été changé pour en adapter l'ortographe à la pronon-
ciation anglaise. Ainsi Beaudouin s'écrit aujourd'hui Bow^doin. Un
membre de cette famille fut gouverneur du Massachusetts en 1785 et 6. Les
noms des principaux émigrans français sont ceux de Beumon dont parle La-
Hontan, Boudinot, Daillé, Faneuil, Huger, Manigault, Prioleau, Laurens,
etc. Elias Boudinot fut président du Congrès en 1782, directeur de l'Hôtel
des monnaies, premier président de la société biblique américaine dont il fut
le créateur. Jay fut deux fois ambassadeur, à Paris en 1783, à Londres en
1795 ; il fut aussi gouverneur de la Nouvelle-York et Juge-en-chef des
Etats-Unis. François Manigault s'est très distingué dans la guerre de la
révolution. Prioleau était petit fils d'Antoine Prioli, élu doge de Venise
en 1618.
>ïif
16
HISTOIRE DU CANADA.
pour commandant, et écrivit au ministère r,ue les hommes d'ex-
périence dans les affaires de l'Amériaue étaient d'opinion, que
jamais on n'établirait la Louisiane sans rendre le commerce libre
à tous les marchands du royaume. Le gouvernement pensait alors
tirer de grands avantages de la pèche des perles et de la vente du
poil de bison que l'on disait susceptible d'être filé comme la laine.
Les rapports sur les découvertes de mines d'or, d'argent et de
cuivre à l'ouest du Mississipi, ne cessaient point non plus de cir-
culer, et entretenaient des espérances trop éblouissantes pour ne
pas faire constater l'existence de quelques-unes d'elles. D'Iber-
ville envoya M. Lesueur, son parent, pour aller prendre posses-
sion d'une mine de cuivre dans la rivière Verte, au nord-ouest du
Sault-St.-Antoine, que la trop grande distance dans l'intérieur
força bientôt néanmoins d'abandonner. Quant aux prétendues
mines d'or et d'argent qui faisaient tant de bruit, mais beaucoup
plus en Europe qu'en Amérique, elles se dissipèrent peu à peu
comme les illusions qu'elles avaient fait naître ; non qu'il n'en
existât pas dans ces contrées, mais parce qu'elles n'étaient pas
encore découvertes ou qu'elles étaient trop éloignées pour être
exploitées avantageusement. Nous ne dirons donc rien de ces
expéditions, qui, ayant été inspirées par le désir d'un gain prodi-
gieux, finissaient le plus souvent par la honte et la ruine. Tels
furent surtout les essaio tentés par un Portugais nommé Antoine,
échappé des mines du Nouveau Mexique, et que l'on employa
pendant quelque temps à fouiller sans succès le sol de la Loui-
siane. Le seul résultat fut de conduire les Français de proche en
proche jusqu'à la source des affluens du Mississipi dans le voisi-
nage des Montagnes-Rocheuses. L'on remonta ainsi la rivière
Rouge, l'Arkansas et le Missouri, à la poursuite de richesses qui
fuyaient sans cesse comme les mirages du désert.
En 1701, d'Iberville commença un établissement sur la rivière
de la Mobile, et Bienville, son frère, devenu chef-résident de la
colonie par la mort de M. de Sauvole, car il paraît que d'Iber-
ville en resta toujours gouverneur, retira les habitans des sables
arides de Biloxi pour les transporter dans la nouvelle localité.
Cette rivière n'était navigable que pour des pirogues, et le sol
qu'elle baignait n'était propice qu'à la culture du tabac ; mais
>• suivant le système d'alors, qui était de fixer la colonie hors du
fleuve," on voiûait se rapprocher de l'ile Dauphine ou du Mas-
HISTOIRE DU CANADA.
17
sacre tout vis-à-vis, dans laquelle se trouvait le seul port d« ces
parages qui offrit les avantages de Biloxi quant à la proximité des
Espagnols, des Iles et de l'Europe, quoiqu'elle fût d'ailleurs sau-
vage et stérile ; la Mobile devint par cette nouvelle résolution le
chef-lieu de la Louisiane. .ii'.-
Petit à petit cependant la Louisiane se peuplait sous k protec-
tion de son fondateur, qui ne cessa point d'exercer une grande
influence sur elle jusqu'à sa mort arrivée en 1706. D'Iberville
expira avec la réputation d'un des plus braves et des plus habiles
officiers de la marine française. Né en Canada d'un ancien
colon normand, nommé Lemoine, il avait commencé à servir son
pays dès son bas âge, ayant fait l'apprentissage des armes dans
une rude école, nos guerres avec les Sauvages et avec les Anglais.
Outre l'intelligence et la bravoure nécessaires partout aux chefs,
il fallait en Amérique aux chefs comme aux soldats une force de
corps infatigable pour résister aux maiches prodigieuses qu'on
était obligé d'entreprendre au milieu de pays incultes dans toutes
les saisons de l'année. Il fallait savoir manier le fusil comme la
hache, l'aviron comme l'épée. Si d'Iberville excellait dans ce
genre de guerre si difficile et si meurtrier sur terre, il n'était pas
moins habile sur mer, et s'il fût né en France, il serait parvenu
aux plus hauts grades de la marine militaire. Il livra une foule
de combats navals, quelquefois contre des forces bien supérieures,
et resta toujours victorieux. Il ravagea deux fois la partie
anglaise de Terreneuve et prit sa capitale ; il enleva Pemaquid,
conquit la baie d'Hudson, fonda la Louisiane, et termina à un âge
peu avancé sa carrière devant la Havane, en servant glorieuse-
ment sa patrie comme chef d'escadre. Depuis trois ou quatre
ans qu'il avait eu la fièvre jaune sa santé était restée chancelante.
Sa mort fut une grande perte pour la Louisiane qu'il servait puis-
samment, surtout à la cour où son influence était grande. Les
colonies, dit Bancroft, et la marine française perdirent en lui un
héros digne de leurs regrets. C'est au marquis de Denonville qui
avait su apprécier ses talens, qu'il avait dû son avancement et la
faveur du roi. Louis XIV, qui aimait déjà sa noblesse naissante
du Canada, l'avait fait de capitaine de frégate capitaine de vais-
seau en 1702.*
■-f
• Gazette de France du 15 juillet 1702 j
M, A. Berthelot.
Noies historiques : manuscrits de
16
HISTOIRE DU CANADA.
Deux ans après la mort de cet officier ôminent, M. Diron
d'Artaguette vint à la Louisiane en qualité de commissaire-ordon-
nateur, charge qui correspondait dans les colonies naissantes à
celle d'intendant dans les ùtablisscmens plus avancùs, et qui tenait
à la fois, comme celle-ci, du civil et du militaire. Ce nouveau
fonctionnaire travailla avec peu de succès à mettre les habitans
en {>tat de cultiver le sol. Rien ne progressait plus ; ni la popu-
lation, ni le commerce, ni les défrichemens. Cependant en
Europe on avait la plus haute idée du pays. Comme on voyait
la France s'opiniâtrer à le soutenir au milieu d'une guerre désas-
treuse, l'on conjectura qu'elle en tirait des secours prodigieux, et
l'île Dauphine attira dès lors, pour comble do malheurs, l'atten-
tion des corsaires qui la ravagèrent en 1711 ; ils causèrent des
dommages au gouvernement et aux particuliers pour 80,000
francs.
" Une colonie, dit Raynal, fondée sui de si mauvaises bases,
ne pouvait prospérer. La mort de d'Iberville acheva d'éteindre
le peu d'espoir qui restait aux plus crédules. On voyait la
France trop occupée d'une guerre malheureuse pour en pouvoir
attendre des secours. Les habitans se croyaient à la veille d'un
abandon total ; et ceux qui se flattaient de pouvoir trouver ailleurs
un asile, s'empressaient de l'aller chercher. Il ne restait que
vingt-huit familles, plus misérables les unes que les autres, lors-
qu'on vit avec surprise Crozat demander en 1712 et obtenir pour
seize ans le commerce exclusif de la Louisiane." Mais avant
d'aller plus loin dans l'histoire de cette contrée, nous allons
reprendre où nous l'avons laissée celle du Canada que la guerre
de la succession d'Espagne vint troubler avant qu'il eût à peine
goûté le repos dont il avait tant de besoin, après la lutte achar-
née qu'il venait de soutenir contre les colonies anglaises et contre
les cinq nations.
CHAriTRE II.
TRAITÉ D'UTRECHT.
1701-1713.
Une colonie canadienne s'établit au Détroit, malgré les Anglais et une partie
des Indigènes. — Paix de quatre ans. — Guerre de la succession d'Espagne.
La France malheureuse en Europe l'est moins en Amérique. — Importance
du traité de Montréal; ses suites heureuses pour le Canada, — Neutralité
de l'ouest; les hostilités se renferment dans les provinces maritimes. —
Faiblesse de l'Acadie. — Aff' es des sauvages occidentaux ; M. de Vau-
dreuil réussit à maintenir la paix parmi les tribus de ces contrées.—
Ravage commis dans la Nouvelle-Angleterre pur les Français et les Abé-
naquis.— Destruction de Deerlield et d'Haverhill (1708), — Remontrances
de M. Schuyler à M. de Vaudreuil au sujet des cruautés commises par
nos bandes ; réponse de ce dernier.— Le colonel Church ravage l'Acadie
(1704). — Le colonel March assiège deux fois Port-Royal et est repoussé
(1707). — Terreneuve : premières hostilités; M. de Subercase échoue
devant le fort de St.-Jean (1705). — M. de St.-Ovide surprend avec 170
hommes en 1609 la ville de St.-.Tean défendue par près de 1000 hom-
mes et 48 bouches ù feu et s'en empare. — Continuation des hostilités ù
Terreneuve. — Instances des colonies anglaises auprès de leur métropole
pour l'engager à s'emparer du Canada. — Celle-ci promet une flotte en
1709 et 1710, et la flotte ne vient pas. — Le colonel Nicholson prend Port-
Royal ; diverses interprétations données à l'acte de capitulation ; la
guerre continue en Acadie ; elle cesse. — Attachement des Acadiens pour
la France Troisième projet contre Québec; plus de 16 mille hommes
vont attaquer le Canada par le St. Laurent et par le lac Champlain ; les
Iroquois reprennent les armes. — Désastre de la flotte de l'aminal Walker
aux Sept-Ilcs ; les ennemis se retirent. — Consternation dans les colonies
anglaises. — Massacre des Outagamis qui avaient conspiré contre les Fran-
çais,— Rétablissement de Michilimackinac, — Suspension des hostilités
dans les deux mondes. — Traité d'Utrecht ; la France cède l'Acadie, Ter-
reneuve et la baie d'Hudson à la Grande-Bretagne. — Grandeur et humi-
liation de Louis XIV ; décadence de la monarchie. — Le système colonial
français.
Hennepin avait dit: " Ceux qui auront le bonheur de posséder
un jour les terres de cet agréable et fertile pays, auront de l'obli-
gation aux voyageurs qui leur en ont frayé le chemin, et qui ont
traversé le lac Erié pendant cent lieues d'une navigation in-
connue." Il y avait vingt-deux ano que ces paroles avaient été
proférées, lorsque M. de la Motte Cadillac arriva au Détroit avec
IM
20
HISTOIRE DU CANADA.
100 CannJicna et un missionnaire dans le mois do juin 1700,
pour y former un établissement. Les colons furent enchantés do
la beauté du pays et de la douceur du climat. En eflet, la nature
s'est plu à répandre ses charmes dans cette contrée délicieuse.
Un terrain légèrement ondulé, des prairies verdoyantes, des forêts
de chêne, d'érable, de platane et d'acacia; des rivières d'une lim-
pidité rcmarcpiablc, au milieu desquelles les îles semblent avoir
été jetées comme par la main de l'art pour enchanter les yeux,
tel est le tableau qui s'olTrit à leurs regards lorsqu'ils entrèrent
pour la première fois dans cette terre découverte par leurs pères.
C'est aujourd'hui le plus ancien établissement de l'Etat du Michi-
gan, et la plupart des fermes y sont encore entre les mains des
Canadiens français ou do leurs descendans. Des pâturages cou-
verts de troupeaux, des prairies, des guerèts chargés de moissons,
des métairies, des résidences magnifiques, y frappent partout les
regards du voyageur.
La ville du Détroit qui a subi depuis sa fondation toutes les
vicissitudes des villes de frontière, et qui a été successivement
possédée par plusieurs maîtres, renferme maintenant une popu-
lation de 22,000 âmes. Fondée par les Français, elle est tombée
sous la domination anglaise en 1760 ; plus tard elle a été cédée
par celle-ci à l'Union américaine à la suite de la guerre de 1812.
Elle a conservé, malgré tous ces changemens, le caractère de
son origine, et la langue française y est toujours en usage. Comme
toutes les cités fondées par le grand peuple d'où sortent ses habi-
bitans, et qui a jalonné l'Amérique des monumens de son génie,
le Détroit est destiné à devenir un lieu considérable à cause do
sa situation entre le lac Huron et le lac Erié,
Son établissement éprouva d'abord de l'opposition de la part
des Indigènes et surtout des Anglais, qui voyaient avec une jalou-
sie, que le temps ne faisait qu'accroître, leurs éternels rivaux
s'asseoir sur les rives de tous les lacs, et dans toutes les plus belles
positions qui se trouvaient au deux extrémités de FAmérique du
Nord. Ce poste devait enlever à Michilimackinac sa plus grande
importance, et relier le Carftida à la Louisiane. Mais à peine
venait-on d'en jeter les premiers fondemens qu'une épidémie
enleva le quart de la population de Québec, et qu'il fallut ensuite
courir aux armes.
T
HISTOraE DU CANADA.
81
La paix n'avait duré quo quatre ans ; c'était bien peu pour
réparer les maux d'une longue guerre, qui avait retardé l'accroia-
eement de toute la Nouvelle-France, arrêté le commerce et lea
défriclicmens, fait périr beaucoup de monde et causé l'abandon
d'un grand nombre d'habitations. Dans ces quatre années cepen-
dant, n.algré 1; lassitude générale et le besoin de repos, on avait
fondé la Louisiane et le Détroit, on avait surtout signé l'important
traité de Montréal avec les Indiens. Les protocoles in»itile8
ouverts en Europe pour l'ajustement des limites de l'Acadie
n'avaient occupé que le cabinet do Versailles. ,.(es Canadiens
croyaient jouir d'un long calme, lorsque la mortù ""harles II roi
«l'Espagne, sans enfans, arrivée en 1700, ralluma la guerre dans
les deux mondes. La posse in de son vaste héritage préoccu-
pant avec raison la politique, plusieurs traités secrets avaient été
conclus entre les ditlérentes puissances européennes dès son
vivant, pour partager ses dépouilles. Les Espagnols qu'on n'avait
pas consultés, semblaient devoir subir la loi de l'étranger comme
s'ils eussent été des vaincus. On alla jusqu'à démembrer leur
monarchie par un premier traité en 1699 ; plus tard on en dis-
posa une seconde lois en faisant un nouveau partage. Cette con-
duite, qui blessait l'honneur de ce peuple fier et jaloux de son
indépendance, violait aussi ses droits et ses intérêts les plus chers.
Menacé à la fois par tant de prétendans avides, le conseil d'Etat
de Madrid fut d'avis de préférer la maison de France, qui avait
d'ailleurs pour elle les droits du sang, parceque la puissance de
Louis XIV semblait une garantie pour l'intégrité de la monarchie.
En conséquence, le roi moribond légua par testament tous sea
Etats au duc d'Anjou, le second fils du dauphin et petit-fils du
monarque français.
L'Europe vit avec étonnement un Bourbon monter sur le trône
espagnol. Cet événement trompait toutes les ambitions, et telle
fut la surprise qu'aucune nation ne songea d'abord à élever la
voix pour protester, excepté l'empereur d'Autriche qui prit lea
armes afin de conserver un sceptre qui échappait de sa maison.
La i'rance ne pouvait éviter le combat, soit qu'elle refusât
d'accepter le testament, soit qu'elle s'en tînt au dernier traité.
Ainsi elle se trouvait entraînée malgré elle dans une guerre qui
1
«ïl
.^
oo
HISTOIRE DU CANADA.
1 i
fut la seule juste peut-être entreprise par Louis XIV, et cependant
la seule funeste dans son long et glorieux règne.
Les autres cabinets, qui n'avaient besoin que d'un prétexte, se
liguèrent avec l'empereur pour détacher de la monarchie espa-
gnole les Etats qu'elle avait en Italie, dans le but de rétablir
l'équilibre européen. Ce motif tout puissant pour Guillaume III,
n'aurait pas été regardé par ses sujets tout-à-fait du même œil
après sa mort arrivée en 1702, sans une démarche du roi de
France, qui insulta au dernier point la nation anglaise, en parais-
sant intervenir dans ses affaires intérieures, objet sur lequel la
jalousie d'un peuple libre est toujours très grande. Jacques II
étant décédé, Louis XIV donna le titre de roi d'Angleterre à son
fils, après être convenu du contraire avec son conseil. Les
prières et les larmes de la veuve de Jacques appuyées par
madame <le Maintenon, firent changer dit-on la détermination
qui avait oté prise. Cette dernière avait acquis sur le vieux
monarque un empire qui fut plus d'une fois fatal au royaume.
" Le roi de France, lisait la ville de Londres à ses représen-
tans, se donne un vice roi en conférant le titre de notre souverain
i un prétendu prince de Galles : notre condition serait bien mal-
heureuse, si nous devions être gouvernés au gré d'un prince qui
a employé le fer, le feu et les galères pour détruire les protestans
de ses Etats ; aurait-il plus d'humanité pour nous que pour ses
sujets." Le parlement passa un acte <l''attcinder pour déclarer
le prétendu roi Jacques coupable de haute trahison.
Les causes de cette nouvelle guerre étaient, comme on le voit,
tout-à-fait étrangères aux intérêts de l'Amérique; l'espoir de s'em-
parer du Canada fut peut-être pour quelque chose dans la réso-
lution du cabinet de Londres. Quoiqu'il en soit, les colons et les
Indiens purent de nouveau les armes les uns contre les outres
comme s'il ne s'était agi que d'eux seuls ; mais cette fois les hos-
tilités furent bien moins meurtrières dans le Nouveau-Monde que
dans la guerre de 1688. Tandis que le génie de Marlborough
immortalise le règne de la reine Anne par des victoires en Europe,
l'Angleterre voit presque toutes ses entreprises se terminer en
Amérique par des défaites et des désastres, que la faiblesse du
Canada n'ayant encore qu'une population de 18,000 âmes, en y
comprenant môme l'Acadie, à opposer aux 262,000 des colonies
HISTOIRE DU CANADA.
28
anglaises, * laisse heureusement pour elles sans résultat perma-
nent. Aussi fut-ce en vain que les Canadiens, qui ne comptaient
pas les forces de leurs adversaires, firent proposer à Paris la con-
quête de la Nouvelle-Angleterre. La cour répondit que la neu-
tralité était désirable et nécessaire, et que le gouverneur devait
travailler à disposer tout le monde à la maintenir. D'Ibcrville
demandait seulement en 1701, 1000 Canadiens et 400 soldats pour
prendre Boston et New- York, qu'il voulait attaquer l'hiver par la
rivière Chaudière, on le refusa faute d oyens pour subvenir aux
fraisde cette expédition. Le Massachusetts, l'Acadie et Terreneuve
furent les principaux théâtres des hostilités. Cette derrière îlo
surtout acquérait de jour en jour une si grande importance que
lorsque l'Angleterre fut devenue plus forte sur mer que la France,
elle songea sérieusement à s'en emparer et à s'emparer avec elle de
toute l'entrée du bassin du St.-Laurent, base de la puissance fran-
çaise dans cette partie du monde. En minant cette base petit à
petit, la partie supérieure de l'édifice devait crouler au premier
choc. Les points exposés aux coups de l'ennemi devenaient ainsi
les côtés faibles du grand système colonial de Colbert.
Pour compenser cette faiblesse du côté de l'Atlantique, l'on
travaillait activement à se fortifier dans l'intérieur, afin que l'on
fût comme ces places de guerre que l'art a rendues redoutables
au-dedans tandis que le dehors à peine visible semble appe-
ler les coups de l'ennemi. Le traité de Montréal et l'établisse-
ment du Détroit furent dictés par cette sage politique. Nos
historiens n'en ont pas assez senti la haute portée pour notre
préservation territoriale, portée surtout qui donna une influence
immense aux Français sur toutes les nations indigènes, en établis-
• Humphreys : Hist. Account.
Nouvelle-Angleterre Marylaml
Massachusetts 70,000 âmes
Connecticut 30,000 "
Rhode-Island 10,000 "
New-Hampshire 10,000 "
120,000
25,000
Jerseys 15,000
Pennsylvanie 20,000
Virginie 40,000
Caroline du Nord 5,000
Coroline du Sud 7,000
times
Colonies centrales 142,000
" méridionales 120,000
Nouvelle-York 30,000 "
Total 262,000
24.
HISTOIRE DU CANADA.
sant pour elles une espèce de droit public dont le premier fruit fut
de paralyser complètement l'action des colonies anglaises dans la
présente guerre. Car on ne doit pas attribuer le résultat des
traités d'Utrecht et de 1763 à l'élévation du drapeau français sur
les Apalaches; mais bien à la supériorité ♦lujours croissante de
la marine et de la population anglaise en Amérique. La poli-
tique française y éleva en quelques jours des barrières qu'il fallut
un demi siècle pour renverser, et qui ne l'auraient jamais été si
la France eût eu seulement en 1755 les vaisseaux et les habiles
officiers de mer qui assurèrent le triomphe de la révolution amé-
ricaine vingt ans après.
Depuis le traité de Montréal, en effet, la neutralité des Iroquois
fut assurée ; et rien ne pouvait être plus utile à la colonie que
d'être en paix avec eux. M. de Callières leur envoya plusieurs
missionnaires qui se répandirent dans leurs cantons pour les dis-
poser au christianisme, dissiper leurs préjugés contre les Français,
avertir le Canada de leurs démarches, travailler à les gagner
ou à se faire des amis parmi eux, enfin déconcerter \ëa intrigues
des Anglais peu redoutables de ce côté lorsqu'ils n'avaient pas
pour eux les cantons. La Nouvelle-York eut beau chercher à
leur faire renvoyer ces missionnaires, elle ne réussit qu'à ébran-
ler quelques chefs, et à étendre, par leur cana., ses intrigues
jusque parmi les nations occidentales, mais elle ne put jamais
entraîner aucun de ces peuples à violer le traité.
Le gouverneur rassuré du côté du couchant, ne demandait à
la cour que quelques recrues. Sa principale inquiétude venait
alors des provinces du golfe, l'Acadie et Terreneuve, qui n'avaient
pas assez d'habitans pour faire une résistance sérieuse, et qui
étaient menacées d'après le bruit courant, par des forces consi-
dérables. Mais il apprit bientôt que les hostilités des Anglais
s'étaient bornées à la prise de quelques navires de pêcheurs le
long des côtes, et qu'il était fortement question à Paris d'achemi-
ner sur l'Acadie une émigration assez nombreuse pour défendre
cette province et en assurer la possession à la France, projet
formé déjà bien des fois et qui n'eut jamais de suite pour le mal-
heur de tout le monde ; pour le malheur de la France qui perdit
ensuite l'Acadie, pour celui des Acadiens qui furent déportés et
disperses en divers pays ; enfin pour celui de l'Angleterre elle-
1 (
;/
HISTOIRE DU CANADA.
M
même qui se déshonora par im acte d'autant plus cruel qu'il était
commis au préjudice d'un peuple dont la faiblesse même devait
servir de protection. Mais dans le premier moment, M. de
Callières crut la péninsule acadienne sauvée, et il ne se préoccu-
pait plus que de la province qu'il avait sous son commandement
immédiat, lorsqu'il tomba malade et mourut le 26 mai 1703,
regretté de tout un pays qu'il servait avec diligence et talent
depuis plus de vingt ans. D avait été nommé au gouvernement
de Montréal sur la présentation du séminaire de St.-Sulpice
revêtu de ce droit comme seigneur de l'île, et en remplacement,
en 1684-, de Perrot, destitué pour sa violence, corn'- plus tard
il perdit l'administration de l'Acadie par sa cujr . M. de
Callières avait succédé en qualité de second officier militaire du
pays, à M. le comte de Frontenac. Son administration avait
duré quatre ans et demi. Ayant fait du Canada sa patrie adop-
tive, il contribua beaucoup par ses actes et probablement par ses
conseils à amener la France à mettre cette confiance dans les
colona que les Canadiens ne trahirent jamais.
Le marquis de Vaudreuil, gouverneur de Montréal, fut choisi à
la demande des habitans pour tenir les rênes de la Nouvelle-
France. Ce ne fut pas néanmoins sans quelque répugnance, car
en 1706 le ministre tout en le blâmant de montrer trop de faiblesse
pour des parens auxquels il laissait faire la traite contre les ordon-
nances, lui écrivit que le roi avait eu de la peine à se décider à
le nommer à cette haute charge, parceque son épouse était du
pays. L'on verra faire plus tard les mêmes observations à l'oc-
casion de son fils. Mais ce principe fut sagement abandonné, et
il est digne de remarque que la cour de Versailles suivit en cela
une conduite contraire à celle de Londres ; car, tandis que celle-ci
cherchait à soustraire aux colonies une partie de leurs libertés, et
leur ôtait le droit d'élire leurs gouverneurs, la France se faisait
comme une règle de nommer aux fonctions publiques des hommes
nés dans ces provinces lointaines, ou qui s'y fussent familiarisés
par une longue résidence.
La confédération iroquoise qui était alors à l'apogée de sa
gloire, voyait les Anglais et les Français briguer son alliance et se
mettre pour ainsi dire à ses pieds, ce qui plaisait à son orgueil et
flattait sa barbare ambition. Elle se crut l'arbitre des deux
r L
/
26
HISTOIRE DU CANADA.
peuples. L'un de ses chefs, mécontent de la guerre qui venait
d'éclater, disait avec une fierté naïve : " Il faut que les Euro-
péens aient l'esprit bien mal fait j ils font la paix entre eux et un
rien leur fait reprendre la hache ; nous, quand nous avons fait un
traité, il nous faut des raisons puissantes pour le rompre." Ces
paroles qui renfermaient un reproche, faisaient connaître assez
cependant à M. de Vaudreuil, que les Iroquois respecteraient le
traité de Montréal au moins pour le présent. Fidèles à leur
ancienne politique, ils voulaient jouer le rôle de médiateurs, et ce
dernier, qui avait pénétré leur dessein^ en avait informé le roi,
qui lui fit répondre que, si l'on était assuré de faire la guerre avec
succès, sans encourir de trop grandes dépenses, il fallait rejeter
les propositions de la confédération de comprendre les Anglais
dans la neutralité ; sinon ménager cette neutralité pour l'Amé-
rique, mais sans passer par la médiation des seuls Iroquois.
L'on se retrancha dans la partie occidentale du Canada sur
la défensive. Comme on était trop faible pour attaquer les
colonies anglaises, le ministère manda au gouverneur de mettre
toute sa politique à maintenir ses alliés en paix ensemble et à
conserver sur eux toute son influence, double tâche qui exigeait
autant de dextérité que de prudence. M. de Vaudreuil possé-
dait ces qualités ; il connaissait surtout parfaitement le caractère
des Indiens : un air de froide réserve de sa part dans certaines
circonstances qu'il savait choisir, lui ramenait quelquefois des
tribus prêtes à l'abandonner. •
- Rassuré du côté des cinq cantons, il tourna ses regards vers les
contrées occidentales, où les Hurons paraissaient pencher vers les
Anglais, dans le même temps que les Outaouais et les Miâmis
chvsrchaient à guerroyer avec la confédération iroquoise, dont ils
attaquèrent même quelques bandes près de Catarocoui. La paix
courut des dangers pendant quelques instans. Les Indiens du
Détroit avaient envoyé des députés à Albany . Le colonel Schuy-
ler, l'homme le plus actif du parti de la guerre dans la Nouvelle-
York, et l'ennemi le plus acharné des Français, employait toute
son influence jusqu'à compromettre sa fortune, pour rompre
l'alliance qui existait entre le Canada et les Iroquois ; et sans les
Abénaquis il allait gagner une partie de ceux qui s'étaient faits
chrétiens au Sault-St.-Louis et à la Montagne ; il avait même
( !
HISTOIRE DU CANADA.
27
réussi par ses intrigues qu'il étendait de tous côtés, à enga-
ger, en 1704, quelques Sauvages à mettre le feu au Détroit et à
disperser les colons qui s'y étaient établis. Tout annonçait enfin
une crise, peut-être un soulèvement général. Mais une fois que
M. de Vaudreuil eût entre ses mains les fils de toutes ces menées,
il sut par des négociations multipliées et conduites avec la plus
grande adresse, non-seulement conjurer l'orage qui le menaçait,
mais tourner les armes des Iroquois chrétiens qui avaient été
prêts à l'abandonner, contre les Anglais eux-mêmes qui les
avaient soulevés.
Maintenir les nations sauvages en paix était en tout temps
chose difiicile ; mais c'était presque chose impossible lorsque la
France et l'Angleterre avaient les armes à la main. Le marquis
de Vaudreuil ne pouvait donc pas espérer une longue tranquillité
dans l'Ouest. En effet, à peine venait-il d'en réconcilier les tribus
ensemble que des d-fficultés s'élevèrent tout-à-coup en 1706 entre
les Outaouais et les Miâmis par la faute de M. de la Motte Cadil-
lac, commandant du Détroit, et qui manquèrent d'allumer la
guerre entre la première de ces deux nations et les Français,
ce qui aurait probablement fait prendre les armes aux cinq
cantons. Les Miâmis tuèrent quelques Outaouais. La nation
outaouaise demanda vengeance à Cadillac, qui répondit qu'il allait
faire informer. Partant quelques jours après pour Québec, il leur
dit que tant qu'ils verraient sa femme aux milieu d'eux, ils pour-
raient demeurer tranquilles ; mais que si elle partait, il ne répon-
dait pas de ce qui pourrait arriver. Ces paroles énigmatiques
leur parurent une menace ; ils crurent qu'on voulait les punir
d'avoir attaqué les Iroquois à Catarocoui. Les paroles et la con-
duite de l'enseigne Bourgmont, qui vint remplacer temporaire-
ment Tonti, lieutenant de Cadillac, ne firent que les confirmer
dans leur idée ; et lorsqu'il leur proposa de marcher contre les
Sioux avec les Hurons, ils crurent qu'on voulait les attirer dans
un piège pour les massacrer. Un accident fortuit vint encore les
affermir dans leur soupçon.
Pendant une audience un Sauvage battit le chien de Bourgmont
qui l'avait mordu à la jambe ; Bourgmont outré de colère se jeta
sur lui et le frappa avec tant de fureur qu'il en mourut. Cette
atrocité combla la mesure. Ils dissimulèrent cependant sur le
^-ffiiil
28
HISTOIRE DU CANADA.
moment et firent mine de partir ; mais ils revinrent aussitôt sur
leurs pas, attaquèrent les Miâmis et les poursuivirent jusqu'au
fort, qui fut obligé de tirer sur eux pour Icf éloigner. Nombre
d'hommes furent tués des deux côtés avec '"es Français et
un missionnaire, le P. Constantin.
La nouvelle de cet événement jeta M. de V ..udreuil dans un
embarras extrême, qu'augmenta l'arrivée d'une députation des
cantons qui le faisaient prier d'abandonner à leur vengeance ces
Outaouais perfides. Il commença par repousser cette demande
à laquelle toutes sortes de raisons s'opposaient. Il exigea ensuite
des ambassadeurs outaouais envoyés auprès de lui pour expliquer
leur conduite, qu'ils lui remissent les coupables auxquels Cadillac,
de retour au Détroit, avait eu l'imprudence, par une fausse pitié,
de faire grâce. Mais comment les saisir 1 Les Miâmis qui vou-
laient leurs tètes à tout prix, outrés de ce que leur vengeance
restait sans satisfaction, accusèrent ce commandant de trahison et
tuèrent les Français qu'il y avait dans leur bourgade. Cadillac
se disposait à aller les punir lorsqu'il apprit que les Hurons et les
Iroquois s'étaient entendus pour faire main basse sur tous les
autres Français qui se trouvaient dans la contrée. Fores lui fut
alors de dissimuler faute de moyens suffisans pour en irf.poser à
toutes ces tribus. Il fit une paix fourrée avec les Miâmis qui,
méprisant sa faiblesse, n'en observèrent point les conditions.
Mais cette paix avait dans le moment rompu le complot des
Indiens, ce qui était beaucoup ; et dès qu'il vit les Miâmis seuls,
il marcha contre eux avec quatre cents hommes pour venger et
leur premier crime et les violations du traité qui les avait soustraits
à sa colère. Ces barbares complètement battus et forcés dans
leurs retranchemens, durent se soumettre sans condition à la clé-
mence du vainqueur.
Tandis que le gouverneur tenait ainsi avec une main souple et
expérimentée les rênes de cette multitude de tribus de l'Ouest,
qui comme des chevaux indomptés, étaient toujours prêtes, dans
leur folle ardeur, à ce jeter les unes sur les autres, il ne perdait
pas de vue les Abénaquis que la Nouvelle- Angleterre cherchait à
lui détacher. Pour contrecarrer ces intrigues lorsqu'elles allaient
trop loin, il fallait quelquefois jeter ces Sauvages dans une guerre,
chose après laquelle ils soupiraient sans cesse. C'était un
HISTOIRE DU CANADA.
recours extrême ; mais la sûreté, l'existence même de la popu-
lation française était une raison suprême qui faisait taire toutes
les autres.
Des relations s'étant secrètement établies entre Boston et quel-
ques Abénaquis qui venaient d'y conclure la paix, M. de Vau-
dreuil forma pour la rompre une bande de ces Sauvages sous les
ordres de M. Beaubassin, et, après y avoir joint quelques Fran-
çais, la lança en 1703 du côté de Boston. Cette horde ravagea
tout depuis Casco jusqu'à Wells, " Les Sauvages, dit M. Ban-
croft, divisés par bandes, assaillirent avec les Français toutes les
places fortifiées et toutes les maisons de cette région à la fois,
n'épargnant, selon les paroles du fidèle chroniqueur, ni les cheveux
blancs de la vieillesse, ni les cris de l'enfant sur le sein de sa mère.
La cruauté devint un art, et les honneurs récompensèrent l'au-
teur des tortures les.plus rafinées. Il semblait qu'à la porte de
chaque habitation un Sauvage caché épiât sa proie. Que de
personnes furent ainsi soudainement massacrées ou traînées en
captivité. Si des hommes armés, las de leurs attaques, péné-
traient dans les retraites de ces barbares insaisissables, ils ne trou-
vaient que des solitudes. La mort planait sur les frontières."
L'excès des maux donna un moment d'énergie à ces malheureux.
Ils attaquèrent les' Abénaquis à leur tour dans l'automne et ne
leur accordèrent aucune merci. Ils massacrèrent tous ceux qui
tombèrent entre leurs mains jour venger à la fois leur cruauté et
la trahison dont ils prétendaient avoir été les victimes. Les Abé-
naquis se voyant pressés de près, firent demander des secours au
gouverneur canadien qui leur envoya dans l'hiver 350 hommes
dont 150 Sauvages sous les ordres d'Hertel de Rouville, officier
réformé. Cette bande prenant au travers des bois à la raquette,
traversa les AUéghanys et tomba dans la dernière nuit de février
sur Deerfield, bourgade défendue par une palissade de vingt acres
de circuit. Dans cette enceinte se trouvaient encore plusieurs
maisons entourées d'une ceinture de pieux. Il y avait quatre
pieds de neige sur la terre et le vent en ayant amoncelé des bancs
jusqu'à la hauteur des palissades, les assaillans avec leurs raquet-
tes aux pieds, entrèrent dans la place comme si elle n'avait été
protégée par aucun obstacle. Les habitans furent tués ou pris
et la bourgade fut livrée aux flammes. La plus grande partie des
B
do
HISTOIRE DU CANADA.
prisonniers fut emmenée en Canada, où malgré le cruel système
de guerre qu'on suivait à cette époque, on accueillait toujours bien
ces malheureux. Les enfans et les jeunes gens pris ainsi étaient
tendrement traités par les Canadiens et finissaient souvent par
embrasser le catholicisme et se fixer dans le pays. L'on accor-
dait à ces Anglais, devenus Français, des lettres de naturalité.
Nos archives en renferment qui contiennent des pages entières
de noms. •
En 170é une nouvelle expédition fut résolue contre la Nouvelle-
Angleterre dans un grand conseil de tous les chefs sauvages
chrétiens tenu à Montréal. Plus de cent Canadiens devaient
s'y joindre, commandés par St.-Ours, des Chaillons et Hertel de
Rouville. Mais la plupart des Indiens ayant refusé de marcher,
deux cents hommes seulement se mirent en route, remontèrent la
rivière St.-François, passèrent les Alléghanys par les Monta-
gnes-Blanches, et descendirent dans le plat pays ennemi en se
rapprochant du lac Nikissipique pour donner la main aux Abé-
naquis, qui ne se trouvèrent pas non plus au rendez-vous et qui
les privèrent ainsi d'une autre partie importante de leurs forces
pour l'attaque de la ville de Portsmouth, sur le bord de la mer.
. La petite colonne trop faible alors pour se porter vers Portsmouth,
prit le parti de tomber sur Haverhill, bourg palissade baigné par
les eaux d j Merrimac, à 4 ou 500 milles de Québec. On venait
d'y envoyer des renforts, et on y était conséquemment sur l'éveil.
Rouville ne pouvant plus compter sur une surprise, passa la nuit
avec sa bande dans la forêt voisine. Le lendemain matin ayant
rangé ses gens en bataille, il exhorta ceux qui p'^uvaient avoir
quelque difiièrend ensemble à se réconcilier. Ils s'agenouillèrent
ensuite au pied des arbres qui les dérobaient aux regards de
l'ennemi, puis ils marchèrent à l'attaque du fort. Après une
vive opposition ils l'enlevèrent l'épée et la hache à la main. Tout
fut saccagé. Le bruit du combat ayant répandu l'alarme au loin,
la campagne se couvrit bientôt de fantassins et de cavaliers qui
cernèrent les Canadiens. Il fallut se battre à Parme blanche jus-
qu'à ce que la victoire, longtemps douteuse, demeurât enfin à ces
derniers. Hertel 'de Chambly et Verchères, deux jeunes officiers
de grande espérance, restèrent sur le champ de bataille. Les
• Registres du Conseil supérieur.
M
HISTOIRE DU CANADA.
31
vainqueurs opérèrent leur retraite assez tranquillement. En pei-
gnant ces scènes de carnage n'oublions point les traits de l'huma-
nité si souvent sacrifiée dans ces cruelles guerres.
Parmi les prisonniera qu'on emmenait se trouvait la fille du
principal habitant de Haverhill. Ne pouvant supporter les fati-
gues d'une longue marche, elle aurait succombé sans un jeune
volontaire, nommé Dupuy, de Québec, qui la porta une bonne
partie du chemin et conserva ainsi ses jours.
Ces attaques répandaient le désespoir dans les établissemens
américains. Schuyler fit au nom des colonies anglaises les remon-
trances les plus vives à M. de Vaudreuil. " Je n'ai pu me dis-
penser, ajoutait-il, de croire qu'il était de mon devoir envers Dieu
et envers mon prochain de prévenir, s'il était possible, ces cruau-
tés barbares, qui n'ont été que trop souvent exercées sur les
malheureux peuples." Mais en même temps qu'il élevait la
voix au nom de l'humanité contre les excès de ces guerriers
farouches, il intriguait lui-même auprès des cantons et des alliés
français pour les engager à rompre leur alliance et à prendre les
armes contre le Canada, c'est-à-dire à faire la répétition des
scènes dont il se plaignait lui-même avec tant d'énergie. Aussi
a-t-on pu remarquer avec raison que Schuyler était assez instruit
de tout ce qui s'était passé depuis cinquante ans dans cette partie
de l'Amérique, pour savoir que c'étaient les Anglais qui avaient
réduit le Canada à la dure nécessité de laisser agir les Sauvages
comme ils le faisaient dans la Nouvelle- Angleterre ; qu'il ne pou-
vait ignorer non plus les horreurs auxquelles s'étaient portés les
Iroquois à leur instigation pendant la dernière guerre; qu'à
Boston même les Français et les Abénaquis retenus prisonniers,
étaient traités avec une inhumanité peu inférieure à cette bar-
barie dont il se plaignait si amèrement, et que les Anglais enfin
avaient plus d'une fois violé le droit des gens et les capitulations
signées dans les meilleures formes lorsque les prisonniers de cette
nation ne recevaient que de bons traitemens de notre part et de
la part de nos alliés.
Nous avons dit que le fort de la guerre se porta sur les pro-
vinces voisines du golfe. M. de Brouillan, gouverneur de Plai-
sance, avait remplacé en Acadie le chevalier de Villebon mort
au mois de juillet 1700. Il avait reçu ordre d'augmenter les for-
32
IIISTOmE DU CANADA.
tifications de la Hôve, et d'y encourager le commerce en empo-
chant, autant que possible, les Anglais de pêcher sur les côtes.
Ne pouvant espérer de secours du dehors, il fit alliance avec les
corsaires, qui firent de la Hève leur lieu de refuge. Les affaires
y prirent aussitôt un grand accroissement, et l'argent y abonda de
toutes parts; ce qui lui permit de récompenser les Indiens qui
faisaient des courses dans la Nouvelle-Angleterre pour venger
les dégâts que les vaisseaux de celle-ci commettaient à leur tour
sur les côtes acadiennes.
Le gouvernement de Boston, voulant user do représailles pour
le massacre de Deerfield, chargea le colonel Church d'aller atta-
quer l'Acadie. Cet officier que le récit des ravages des Français
avait rempU d'indignation, était venu à cheval, malgré son grand
âge, d'une distance de 70 milles pour offrir ses services au gou-
verneur Dudley. Il mit à la voile avec 550 soldats sur trois vais-
seaux, dont un de 48 canons, quatorze transports et trente-six
berges, et tomba d'abord sur les établissemens des rivières Penob-
scot et Passamaquoddy, où il mit tout à feu et à sang. Delà il
cingla vers Port-Hoyal dont il fut repoussé par une poignée
d'hommes. Il voulut ensuite aller surprendre les Mines où il ne
fut pas plus heureux. Sans se décourager il changea de tactique,
et recherchant les endroits sans défense, il dirigea sa course vers la
rivière d'Ipiguit où il continua ses dévastations sans opposition.
A Beaubassin, les habitans, prévenus de son approche, l'empo-
chèrent malgré leur faiblesse de faire beaucoup de mal. Se
retirant lorsqu'il éprouvait de l'opposition, avançant lorsqu'il n'en
rencontrait point, allant d'un Heu à un autre, il fut occupé ainsi
tout Pété à une expédition qui ne produisit d'autre avantage
qu'une cinquantaine de prisonniers de tout âge et de tout sexe,
car que pouvait-il y avoir à piller chez les pauvres Acadiens ?
Mais il dévoila la faiblesse de cette colonie. La facilité avec
laquelle ses côtes avaient été insultées engagea les Anglais à en
tenter la conquête trois ans après. Mille hommes furent levés
dans le New-Hampshire, le Massachusetts et le Rhode-Island, et
le 17 mai, deux régimens sous les ordres du colonel March
arrivèrent à Port-Royal sur vingt-trois transports convoyés par
deux vaisseaux de guerre.
M. de Subercase y avait succédé à M. de Brouillan mort l'an-
HISTOIRE DU CANADA.
88
née précédente. Cet oflicier arrivait do Terreneuve où il s'était
distingué dans la guerre de cette île. L'ennemi avait i'ait ses
préparatila avec tant de secret et de diligence qu'il fut surpris en
quelque sorte dans sa ville, ou plutôt dans son village décoré du
nom pompeux do capitale. Les murailles tombaient en ruines.
Pour donner le temps de les réparer, il disputa le terrain pied à
pied aux 1500 hommes débarqués du côté du fort et aux 500
mis à terre du côté de la rivière. Après deux ou trois jours de
tâtonnement les ennemis se rapprochant investirent la place et
ouvrirent la tranchée. Un détachement de 400 hommes qu'ils
avaient envoyé pour tuer les bestiaux dans la campagne, fut
abordé par le baron de St.-Castin à la tète d'un corps d'habitans
et de Sauvages et mis en déroute. Le sixième jour du siège on
aperçut beaucoup de mouvement dans la tranchée ; ce qui fit
soupçonner que les assiégeans formaient quelque dessein pour
la nuit suivante. En effet, vers les 10 heures du soir, au milieu
du profond silence qui régnait dans la ville et sur les remparts,
un bruit sourd causé par des masses d'hommes en mouvement,
annonça tout à coup l'approche des colonnes d'attaque. On était
préparé. Dès qu'elles furent à portée, l'on ouvrit sur elles un
feu d'artillerie et de mousqueterie si bien nourri qu'elles recu-
lèrent et cherchèrent un abri contre les balles dans les ravins
voisins, dans lesquels elles restèrent tapies la journée du len-
demain après s'y être retranchées. Le baron de St.-Castin et
soixante Canadiens arrivés quelques heures avant les Anglais,
furent d'un grand secours ; ce fut à eux principalement que Port-
Royal fut redevable de sa conservation.
Le surlendemain de l'assaut, l'ennemi leva le siège. L'on ne
doutait point à Boston du succès de l'entreprise, et on y avait
même fait d'avance des réjouissances publiques. La nouvelle de
la retraite des troupes y causa la plus vive indignation. Le colo-
nel March qui était resté avec la flotte à Kaskébé, n'osant paraître
devant ses concitoyens, reçut l'ordre de ne laisser débarquer per-
sonne et d'attendre des instructions ultérieures. Il fut résolu de
venger sur le champ l'échec qu'on venait d'essuyer. Trois vais-
seaux et 5 à 600 hommes furent ajoutés à l'escadre de March, et,
ainsi renforcé, dès le 28 août il reparut devant Port-Royal. La
surprise et la consternation y furent au comble parmi les habitans,
11
t :â
mi
34.
HISTOIRE DU CANAUA.
qui regardèrent comme une témérité de vouloir so défendre
contre dos forces si supériourea. M. de Subercase seul ne déses-
péra point ; et 8t>n assurance releva le courage des troupes ;
après le premier moment de stupeur passé, chacun no songea
j)lu8 qu'à remplir fidèlement son devoir. Les ennemis atten-
dirent au lendemain pour opérer leur débarquement et c'est ce
qui sauva la ville on donnant lo temps d'appeler les hommes do
la campagne.
Les Anglais descendirent à terre du côté opposé de la rivière
et s'y fortifièrent. Des partis que Subercase y avait détachés
pour les surveiller, les empêchèrent de s'éloigner de leur camp
que les bombes les obligèrent ensuite d'évacuer. Dans une mar-
che ils tombèrent au nombre de 14 à 1500 dans une embuscade
que leur avait tendue le baron de St.-Castin avec 150 hommes,
et (jui détermina leur retraite vers le second camp retranché qu'ils
avaient formé. Le corps du chef des Abénaquis fut porté à 420
hommes, dont le gouverneur lui-môme prit le commandement,
pour charger l'ennemi d<' iju'il voudrait s'embarquer, deôscin
que paraissait indiquer le mouvement des chaloupes de la flotte.
Mais un olficier brûlant de combattre, commença prématurément
l'attaque avec quatre-vingts hommes. Il emporta d'assaut un
premier retranchement. Animé par ce succès, il sauta dans un
second, où il fut blessé de deux coups de sabre. Le combat ainsi
engagé il fallut le continuer. MM. de St.-Castin et Saillant arri-
vèrent pour le soutenir. L'on se battit corps à corps, à coup de
hache et de crosse dt> fusil. L'ennemi fu^ repoussé plus de cinq
cents verges vers pes embarcations. Honteux de fuir devant si
peu de monde, il revint sur ses pas ; mais on le chargea de nou-
veau avec tant de vigueur qu'il fut enfin mis en pleine déroute et
obligé de se rembarquer précipitamment.
Le jour môme une partie de la flotte leva l'ancre et le lende-
main le reste s'éloigna., Les Anglais avaient éprouvé de grandes
pertes tant par les combats que par les maladies. Le mauvais
succès de cette expédition dispendieuse, dont ils attendaient un
grand résultat, causa un mécontentement général dans tout le
Massachusetts ; elle augmenta beaucoup la dette publique et
blessa l'amour propre national. La perte des Français dans les
deux siégea fut de très peu de chose.
m
HISTOIRE DU CANADA.
8»
Tandis que l'Acatlie et la Nouvelle-Angleterre voyaient ainsi
les bayonnettcs et la hache do guerre se promener sanglantes et
hautes sur leur territoire à la clarté des incendies, les régions de
Torreneurc étaient en proie aux mômes calamités.
A la prcmiôro rupture de la paix, les Anglais avaient fait,
comme en Acadie, des dégâts considérables sur les côtes de la
partie française de l'îlo. Ce ne fut qu'en 1703 que l'on pût
commencer à prendre sa revanche. D'abord l'on attaqua et prit
d'assaut en plein jour le Forillon, poste assez important où quel-
ques navires furent incendiés. Dans l'hiver on continua les
ravages en faisant subir de grandes pertes au commerce de l'en-
nemi ; mais ce n'étaient là que les préludes d'attaques beaucoup
plus sérieuses. M. de Subercase, (}ui y avait remplacé M. de
Brouillan passé au gouvernement de l'Acadie, avait reprip, avec
l'agrément de la cour, le plan de M. d'Ibcrvillo de mettre toute
l'île sous la domination française ; et pour lui en faciliter l'exécu-
tion, le roi lui av..it permis de prendre cent Canadiens et douze
officiers commandés par M. de Beaucourt, qui débarquèrent à Tcr-
reneuve dans l'automne. Il se trouva par là à la tôte de 450
hommes, soldats, Canadiens, flibustiers et Sauvages, tous gens
déterminés et accoutumés à faire des marches d'hiver. Il se mit
en campagne le 15 février, et se dirigea vers St.-Jcan. Le
26, cette troupe intrépide était à Rebou, à quelques lieues de cette
ville, ayant traversé quatre rivières rapides au milieu des glaces
qu'elles charriaient, et soulTert cruellement du froid. Leshabitans
cfirayés en voyant paraître ces guerriers que les obstacles avaient
rendus plus farouches, tombèrent à genoux dans la neige et
demandèrent quartier. Après avoir pris deux jours de repos à
Rebou, Subercase se remit en chemin et parvint près de St.-Jean
vers le soir. Quoiqu'il fît toujours extrêmement froid, il fut
défendu de faire du feu ; chacun se chercha un gite sous des
arbres de sapin pour s'abriter un peu. Les soldats mirent leurs
souliers sous eux pour les faire dégeler par la chaleur de leur corps.
Le lendemain on se présenta devant la ville, qu'on prit sans
coup-férir. Mais les deux forts qui la protégeaient se défendirent
si courageusement qu'on dut les abandonner. Après avoir mis
le feu à St.-Jean, * les Français se rejetèrent sur la cam-
• American Jnnals : Humphrey.
'■■•'Il
.m
36
HISTOIRE DU CANADA.
pagne qu'ils ravagèrent en tous sens. En revenant ils brûlèrent
le bourg du Forillon, épargné l'année précédente. Montigny
avec une partie des Canadiens et des Sauvages réduisit ensuite
en cendre tous les établissemens de la côte. La terreur était si
grande parmi les pauvres habitans, qu'il n'avait que la peine de
recueillir les prisonniers. Il ne resta plus aux Anglais à Terre-
neuve que l'île de la Carbonnière et les forts de St.-Jean, que
l'on n'avait pu prendre. Cette irruption toutefois ne fut qu'un
orage. Le calme revenu, les flots débordés se retirèrent, on enleva
les débris qu'ils avaient faits, et tout rentra dans l'ordre accou-
tumé.
Trois ans étaient à peine écoulés cependant depuis l'expé-
dition de Subercasc, que St.-Ovide, lieutenant de Plaisance,
dont M. de Costa Bella était gouverneur, proposa à ce der-
nier de faire une nouvelle tentative sur St.-Jean, que l'on convoi-
tait toujours parceque c'était l'entrepôt général des Anglais dans
l'île. Il offrait d'exécuter cette entreprise à ses propres frais. Sa
proposition étant agréée il rassembla environ 170 hommes parmi
lesquels il y avait des Canadiens et des soldats, et s'étant mis en
route sur la neige le 14 décembre, il arriva dans la nuit du 1er
janvier 1709 à quelque distance de la place qu'il alla reconnaître
à la clarté de la lune. Après cet examen il fit ses préparatifs
pour donner l'assaut, et l'on se remit en marche en s'excitant les
uns les autres. On fut près d'échouer par la trahison des guides.
M. de St.-Ovide qui était en tète fut découvert à trois cents pas
des premières palissades, d'où on lui tira des coups de fusil ; mais
sans se laisser intimider il continua toujours d'avancer, et péné-
tra ainsi jusqu'à un chemin couvert qu'on avait oublié de fermer
et où l'on se précipita aux cris de vive le roi ! L'on traversa le
fossé malgré le feu des deux forts qui blessa dix hommes. On
planta deux échelles contre les remparts qui avaient vingt pieds
de haut ; St.-Ovide monta le premier suivi de six hommes dont
trois furent grièvement blessés derrière lui. Au même instant,
une autre colonne atteignait le sommet du rempart sur un autre
point, et s'élançait dans la place conduite par les Canadiens Des-
pensens, Renaud, du Plessis, la Chesnaye, d'Argenteuil, d'Aille-
bout et Johannis. L'on s'empara du corps de garde et de la
maison du gouverneur qui fut fait prisonnier après avoir reçu
HISTOIRE DU CANADA.
37
trois blessures. Le pont-levis fut baissé et le reste des nssaillans
entra. Ce n'est qu'alors que l'ennemi déposa les armes.
Ainsi en moins d'une demi-heure l'on prit deux forts qui
auraient pu arrêter une armée entière ; car ils étaient garnis de
48 pièces de canons et mortiers, et défendus par plus de quatre-
vingts soldats et huit cents miliciens bien retranchés ; * mais la
porte souterraine par où ceux-ci devaient passer, se trouva si
bien fermée qu'ils ne purent l'enfoncer assez vite. Il restait un
troisième fort à l'entrée du port, gardé par une compagnie de
soldats qui avait des vivres pour plusieurs mois, et qui était muni
de canons, de mortiers et de casemates à l'épreuve des uombes ;
il se rendit néanmoins au bout de 24 heures.
M. de Sl.-Ovide écrivit immédiatement en France et au gou-
verneur, M. de Costa Bella, pour annoncer sa conquête. Ce
dernier fut fort, mécontent de ce que son lieutenant eût pas sur
lui d'écrire directement à la cour sans ordre et l'en blâma. Il
e /oya une frégate pour transporter les munitions de guerre, les
prisonniers et l'artillerie de St.-Jean à Plaisance, en lui ordonnant
à lui-même de revenir après qu'il aurait détruit les fortifications.
Le roi qui avait d'abord approuvé la déiermination de M. de
Costa Bella, partagea ensuite le sentiment de St.-Ovide, qui vou-
lait que l'on gardât St.-Jean, mais il était trcp tard.
L'île de Carbonnière était le seul poste qui restât à l'ennemi à
Terreneuve. M. de Costa Bella ne recevant point de France les
secours qu'on lui avait promis pour en faire la conquête, organisa
l'année suivante deux détachemens, qui se mirent en marche l'un
par terre et l'autre par eau, le tout sous les ordres d'un habitant
de Plaisance, nommé Gaspard Bertrand. Ils parvinrent à la baie
de la Trinité dans le voisinage de la Carbonnière sans avoir été
* IjCttres du -major Lloyd datées octobre et novembre 1708, c'est-à-dire deux
ou trois mois avant le siège et consignées dans un registre manuscrit qui a
appartenu à M. Pawnall, et qui se trouve maintenant dans les archives pro-
vinciales. Co registre est composé principalement d'extraits des procès ver-
baux du Board of Colonies and plantations. On y lit ce qui suit sur la situa-
tion de St.-Jean alors: — "The garrison was in as good a condition as he
desired ; the company (80 men besidei the officers) was complète; there
were near 800 of the inhabitants under the covert of the fort ; and ail things
were in as good posture, etc. Captain Moody and others say that there were
48 pièces of canon, mortars, &c., and a great quantity of aramunitiou of
war."
'M
'Ma
•£'"
.;p.- v.-i
38
HISTOIRE DU CANADA.
découverts. Ils y trouvèrent une frégate de 30 pièces de canon
et de cent trente hommes d'équipage, appelée The Valor qui
avait convoyé une flotte de bâtimens marchands. Bertrand en la
voyant ne put étouffer son désir de corsaire, et résolut d'en tenter
l'abordage. Trois chaloupes, portant chacune vingt-cinq hommes,
s'y dirigent rapidement à force de rames en plein jour. Bertrand
le premier saute sur le pont. En un instant le capitaine anglais
est tué, tous les officiers sont mis hors de combat et l'équipage
rejeté entre les deux ponts, où il se défend longtemps avec vail-
lance. C'est alors que fut tué l'intrépide Bertrand ; sa mort fit
chanceler sa bande ; mais un de ses lieutenans prit aussitôt sa
place et l'on se rendit enfin maître du vaisseau. Au même
instant deux corsaires, l'un de 22 canons et l'autre de 18, ayant
été informés de ce qui se passait, arrivèrent à pleines voiles, et
chacun prenant un côté ils se mirent à canon ner la frégate que
les Français venaient de prendre. Mais les vainqueurs trop fati-
gués pour recommencer un second combat, coupèrent les câbles
et profitèrent d'un vent favorable pour sortir de la baie sans être
poursuivis. Le détachement venu par terre se jeta alors sur les
habitations, les pilla et retourna à Plaisance chargé de butin, de
sorte que la Carbonnière, protégée par sa situation reculée, échap-
pa encore une fois au sort qui la menaçait.
Ainsi les Français se promenaient en vainqueurs d'un bout à
l'autre de l'île depuis presque le commencement de la guerre
sans pouvoir, vu la petitesse de leur nombre, s'en assurer la
conservation. Il ne leur restait que la gloire d'avoir déployé
un courage admirable et empêché peut-être l'ennemi de venir
les attaquer chez eux. Il n'est guère permis de douter que
si la France eût été maîtresse des mers, toute l'île ne fût passée
sous sa domination.
Cependant les colonies anglo-américaines se sentaient humi-
liées des échecs répétés qu'elles avaient déjà éprouvés dans cette
guerre, et du rôle qu'elles y jouaient. Terreneuvo dévastée, le
Massachusetts toujours repoussé de l'Acadie, la Nouvelle- York et
les provinces centrales cernées par les Canadiens et leurs non;-
breux alliés et n'osant remuer de peur d'exciter l'ardeur belli-
queuse de tous ces peuples, telle était leur situation qui blessait à
la fois leur intérêt et leur orgueil national. La conquête de toute
HISTOIRE DU CANADA.
3»
lf\ Nouvelle-France était à leurs yeux l'unique moyen d'en pré-
venir à jamais le retour, et de parvenir à cette supériorité qui
leur assurerait tous les avantages de l'Amérique et de la paix ;
elles ne cessaient point de faire des représentations à leur métro-
pole dans ce sens. L'assemblée de la Nouvelle- York présenta
une adresse à la reine Anne en 1709 dans laquelle elle disait :
" Nous ne pouvons penser sans les plus grandes appréhensions
au danger qui menacera avec le temps les sujets de sa Majesté
dans ces contrées ; car si les Français, après s'être attaché gra-
duellement les nombreuses nations indigènes qui les habitent,
tombaient sur les colonies de votre Majesté, il serait presqu'im-
possible à toutes les forces que la Grande-Bretagne pourrait y
porter de les vaincre ou de les réduire." Le moment paraissait
propice à l'Angleterre d'enlever à son ancienne rivale ses posses-
sions d'outre-mer ; car après une suite de revers inouis, la France
était tombée dans un état de prostration complète ; ses ressources
étaient épuisées, son crédit anéanti et le rigoureux hiver de 1709
achevait de désespérer la nation en proie à une famine cruelle.
C'était le moment pour l'Angleterre de se rendre aux vœux de
ses colonies en s'emparant du Canada ; et pendant que Louis
XIV sollicitait la paix de ses nombreux ennemis avec de vives
instances, elle donnait des ordres pour s'assurer d'une des
dépouilles du grand roi.
Le colonel Vetch paraît avoir été le premier auteur de cette
nouvelle entreprise. Quelques années auparavant, en 1705, le
gouverneur du Massachusetts, M. Dudley, l'avait envoyé avec
M. Livingston à Québec, pour régler l'échange des prisonniers et
proposer à M. de Vaudreuil un traité de neutralité entre la Nou-
velle-Angleterre et la Nouvelle-France, traité que le roi avait
trouvé convenable dans le temps et qu'il avait permis môme de
conclure, pourvu que la gloire et l'honneur de la nation n'y fus-
sent pas intéressés et qu'il ne donnât lieu à aucun commerce.
Mais cette députation n'était qu'un prétexte pour examiner le
pays et gagner du temps. Plusieurs émissaires s'étaient glissés
en Canada à la faveur de cette mission pour étudier ses forces
et ses moyens de défense, ce qui étant parvenu aux oreilles des
ministres à Paris attira des reproches au gouverneur sur sa facilité
inipolili<iue. Vetch lui-même sonda le St. -Laurent en remontant
If
flî
•^ii
40
ttlSTOmE DU CANADA.
jusqu'à la capitale. Après quoi il proposa au ministère anglais
le vieux projet de conquérir le Canada par une double attaque
par mer et par terre, disant que le succès n'était pas douteux.
En effet le pays, qui n'avait reçu aucun secours de France depuis
le commencement des hostilités, n'était guère capable de résister
si on l'attaquait sérieusement ; la proposition fut donc bien reçue,
et l'on se mit à travailler sans délai aux préparatifs de la cam-
pagne. Le plan de Vetch fut adopté. Cinq régimens de ligne
auxquels seraient joints douze cents miliciens du Massachusetts
et du Rhode-Island, devaient opérer par le fleuve contre Québec.
Quatre mille hommes, dont moitié Sauvages, devaient attaquer
Montréal par le lac Champlain. L'adjonction de tant de Sau-
vages était facile dans le moment parceque le colonel Schuyler
venait de réussir à faire rompre le traité qui existait entre les
Français et la confédération iroquoise, et à engager quatre des
cinq cantons à prendre part à la campa^i ,, qui promettait d'être
aussi profitable que glorieuse. Toutes les colonies anglaises
étaient dans l'enthousiasme. " La joie, dit un de leurs historiens,
animait la contenance de tout le monde ; il n'y avait personne
qui ne crût que la conquête du Canada ne fût achevée avant
l'automne." On ne comptait pour rien les sacrifices, et c'est à
cette occasion que le Connecticut, la Nouvelle- York et le Nou-
veau-Jersey, dont le trésor était vide, fabriquèrent pour la pre-
mière fois du papier-monnaie.
L'année de terre se réunit sur les bords du lac Champlain dans
le mois de juillet sous les ordres du gouverneur Nicholson ; elle
commença à élever des forts, des blockhaus, des magasins, et à
se construire une multitude de bateaux et de canots pour traver-
ser le lac. Jamais le Canada n'avait vu un si grand déploiement
de forces pour sa conquête. En faisant l'énumération de leurs
soldats et de leurs vaisseaux, les ennemis se croyaient capable»
de chasser les Français de toute l'Amérique ; car leurs troupes
de terre dépassaient du double celles de leurs adversaires, sans
compter leurs forces de mer qui étaient encore aussi considé-
rables ; ce qui faisait quatre contre un.
Tandis que les Anglais à la vue de leur supériorité numérique
faisaient des rêve» do triomphe, les Canadiens inquiets et silen-
cieux se préparaient à tenir tête à l'orage. L'ordre fut donné
HISTOIRE DU CANADA.
41
<Ui
d'armer Québec et de tenir les troupes et les milices prêtes à
marcher au premier signal. Les Ibrces totales du pays, réguliers
et miliciens en âge de porter les armes, s'élevaient à 4150 hommes
outre 700 matelots et Sauvages. M. de Vaudreuil était monté
lui-même à Montréal dans le mois de janvier pour être plus près
de l'ennemi et envoyer faire diverses reconnaissances vers le lac
Champlain qui pussent l'informer à temps de ses forces et de ses
mouvemens.
Le secrétuiie d'état anglais, lord Sunderland, avait écrit à Bos-
ton de se tenir prêt à marcher au premier ordre ; que les troupes
de renfort étaient sur le point de s'embarquer pour l'Amérique.
L'on s'était empressé de se rendre à ses injonctions ; même avant
le temps fixé tout était préparé pour entrer en campagne ; mais
personne ne parut au temps dit, et après une longue attente,
durant laquelle on s'était perdu en conjectures, les murmuçcs et
les maladies éclatèrent dans l'armée campée sur le lac Cham-
plain. Peu accoutumée à la discipline, elle se lassait de la con-
trainte et de la sujétion militaire dans laquelle on la tenait,
quoiqu'on parvint à la retenir jusqu'à la fin de l'été sans qu'il
arrivât rien d'Europe. Alors l'assemblée de la Nouvelle-York
ti-ouvant la saison trop avancée pour entrer en Canada, pré-
enta une adresse au gouverneur, pour rappeler les milices
dans leurs foyers; Peu de temps après, l'on apprit la prise
du général Stanhope avec cinq mille Anglais à Brihuega, et
la défaite de Stahremberg le lendemain par le duc de Vendôme à
Villa-Viciosa en Portugal, double revers qui avait obligé la cour
de Londres d'envoyer les troupes destinées contre Québec au
secours des alliés dans la péninsule, et qui expliqua l'immobilité
de l'ennemi. Ainsi la victoire de Villa-Viciosa eut le double
avantage de consolider le trône de Philippe V et de sauver le
Canada.
Ce qu'on rapporte de l'empoisonnement de l'armée de Nichol-
son par les Iroquois sur le lac Champlain, paraît dénué de fonde-
ment. Aucun historien américain ne parle de cette circons-
tance ; et deux ans après, les guerriers de ces tribus se joignirent
encore aux Anglais. Il est probable que l'astuce iroquoise don-
na naissance à ce rapport dans un but politique. Ces barbares
craignaient et haïssaient également leurs deux puissans voisins ;
'm
>■
4d
HISTOIRE DU CANADA.
mais ils étaient divisés à leur sujet, ou plutôt ils voulaient ména-
ger l'un et l'autre sans laisser percer leurs motifs. En consé-
quence une partie de la confédération, comme les Onnontagués,
tenait pour les Français, et l'autre pour leurs adversaires. La
môme tactique fut adoptée l'année suivance, car dans l'hiver les
Onnongués et les Agniers envoyèrent une députation en Canada,
où l'on n'était pas en état de repousser avec dédain les excuses
de ces belliqueux supplians. Le gouverneur tout en les menaçant
de lâcher ses alliés contre eux s'ils bougeaient, reçut leurs
ambassadeurs de manière à les laisser partir satisfaits de leur
accueil.
Tandis que les cantons voyageaient ainsi d'un camp à l'autre et
faisaient des assurances trompeuses aux deux partis, le colonel
Nicholson était passé en Angleterre pour la presser de reprendre
son projet de conquête, ce que le cabinet de Windsor promit
de faire au printemps, mais n'exécuta point, car aucune flotte ne
parut. Nicholson revenu en Amérique avec cinq ou six vaisseaux
de guerre, dont quatre de 60 canons, portant un régiment de
marine, ayant vainement attendu cette flotte jusqu'à l'automne,
se vit contraint d'abondonner encore une fois son entreprise favo-
rite. Mais pour ne pas achever l'année sans exécuter quelque
chose, il suggéra de risquer une tentative sur l'Acadie* avec les
forces qu'on avait. On lui adjoignit une trentaine de vaisseaux
ou transports, et quatre ou cinq bataillons de troupes provinciales
formant 3400 hommes sans compter les officiers, et il fit voile le
18 septembre de Boston. Il parvint devant Port-Royal six jours
après, et opéra son débarquement sans rencontrer d'opposition.
M. de Subercase n'avait pu trouver, comme on l'a dit, d'autre
moyen de se maintenir à Port-Royal, qu'en s'alliant avec les
flibustiers, qui éloignaient l'ennemi parleurs courses, entretenaient
l'abondance dans la ville et lui fournissaient de quoi faire de riches
présens aux Sauvages. Mais ces corsaires l'abondonnèrent nu
moment du danger, et lui môme se ce luisit ensuite comme s'il
eût voulu provoquer tout ce qui arriva. Il voyait depuis long-
temps l'orage se former contre lui. Deux fois il avait repoussé
• Quelques auteurs disent qu'il devait faire cette conquête seul, et qu'en-
suite les forces de la Grande-Bretagne seraient envoyées pour prendre
tiuébec.
HISTOraE DU CANADA.
43
l'ennemi avec une poignée de braves ; mais depuis cette époque
glorieuse un changement inexplicable s'était opéré dans ses sen-
timens. On aurait dit que pour se venger de l'oubli dans lequel
on le laissait il désirait la perte du pays commis à ses soins. Il
avait reçu quelques recrues de France et des secours de Québec,
peu considérables il est vrai, mais qui auraient pu lui être très
utiles dans la circonstance ; il les renvoya sous prétexte de ne
pouvoir s'accorder avec leurs officiers, qui, le leur côté se plai-
gnaient de sa manière d'agir à leur égard. La retraite de ces ren-
forts, la mauvaise disposition des habitans, son inaction lors de
l'apparition de l'ennemi, tout cela coïncidant avec le départ des
flibustiers, le fit soupçonner dans le temps de trahison ; et, mal-
gré sa justification il ne put jamais reconquérir la pleine confiance
de ses compatriotes, dont plusieurs ne cessèrent point de mettre
en doute sa fidélité. '^-^
Qu'il trahît ou non son devoir, il est constant qu'il n'avait pas
deux cents hommes de garnison, lorsque le colonel Nicholson
parut devant Port-Royal avec des forces dont l'immense dispro-
portion était un hommage éclatant rendu à ses talens et à sa bra-
voure. Il se laissa bombarber au milieu des murmures et de la
désertion de ses gens jusqu'au 2 octobre, qu'il capitula. La gar-
nison, épuisée de faim, sortit de la ville au nombre de 156 soldats
avec les honneurs de la guerre. Nicholson, voyant défiler ce
petit nombre d'hommes au visage pâle et amaigri, que la disette
lui aurait livrés à discrétion, regretta de s'être trop pressé
de signer la capitulation, car dès le lendemain il fut obligé de
leur faire distribuer des vivres. Les soldats et les habitans, au
nombre de 481, furent transportés à la Rochelle. Subercase, ne
pouvant emporter les mortiers et les canons réservés par un
article du traité, les vendit aux Anglais pour payer les dettes qu'il
avait contractées au nom de son gouvernement. Ainsi Port-Royal
gardé par 200 soldats minés par une longue famine, tomba devant
une flotte de 36 voiles et quatre mille hommes de débarquement,
supériorité de force qui rendait le sort de l'Acadie inévitable.
Les vainqueurs donnèrent à Port-Royal le nom d'Annapolis, en
l'honneur de la reine Anne. Cette ville pouvait avoir alors une
demi-lieue d'étendue en tout sens ; mais les maisons, très-éloignées
les unes des autres, n'étaient que de mauvaises huttes avec des
■■'•'.■•^tf
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HISTOIRE DU CANADA.
cheminées en terre ; l'église ressemblait plutôt à une grange qu'à
un temple.* Telle était cette capitale qu'Halifax, alors simple
pêcherie connue sous le nom de Chibouctou, a supplantée depuis.
L'expédition de Port-Royal coûta ^£23,000 à la Nouvelle-
Angleterre, que le parlement impérial lui remboursa. Le colonel
Vetch resta gouverneur de la nouvelle conquête avec 450 hommes.
Cependant il n'était question dans le traité que du fort de Port-
Royal avec le territoire qui était à la portée de son canon ;
Nicholson prétendit avec une gravité allectéc qu'il embrassait
toute la province. Ne pouvant s'entendre Subercase et lui, ils
envoyèrent des députés au marquis de Vaudreuil qui, à la simple
explication des faits, exigea l'exécution de la capitulation à la
lettre. Le député anglais, le colonel Livingston, profita de l'occa-
sion pour se plaindre des cruautés qu'exerçaient les alliés Fran-
çais, menaçant, s'ils continuaient leur système barbare, de faire
exécuter les principaux habitans dô l'Acadie. M. de Vaudreuil
lui répondit qu'on n'était pas responsable des actes des Indiens ;
que les Anglais ne devaient imputer la guerre qu'à ceux qui
avaient refusé la neutralité entre les deux couronnes,! et que s'ils
mettaient leur menace à exécution, il userait de représailles sur
les prisonniers qu'il avait en sa possession. Ne se contentant pas
de communiquer cette réponse à l'envoyé américain, il chargea
MM. de Rouville et Dupuy d'aller la porter à Boston, avec ordre
d'observer le pays dans le cas où il serait nécessaire d'y porter la
guerre. Il nomma en même temps le baron de St.-Castin son
lieutenant en Acadie, avec mission d'y maintenir le reste des
habitans dans l'obéissance à la France, et d'engager les mission-
naires à redoubler de zèle pour conserver l'attachement des Sau-
vages et des Acadiens, chose inutile parceque la tyrannie du colo-
nel Vetch faisait plus à cet égard que les prières les plus pres-
santes du gouverneur français. L'infatigable St.-Castin du reste
continuait toujours les hostilités de son fort de Pentagoët. Un
détachement de 40 Indiens qu'il avait envoyé en c 5e, tailla en
* Etat de l'Acadie en 1710 tel que décrit par un Français à un Jésuite :
The travels of several missionariea of the society of Jésus, etc.
t D'où l'on doit conclure que c'est la Nouvelle-Angleterre qui a refusé le
traité de neutralité et de commerce entre les deux colonies, proposé par M.
de Vaudreuil : voir plus haut.
HISTOIRE DU CANADA.
40
pièces un corps d'Anglais beaucoup plus nombreux expédié pour
brûler dans la campagne les maisons de ceux qui refusaient de se
soumettre aux vainqueurs de Port-Royal. Cette bande, renforcée
par plusieurs Canadiens et Français, osa investir Port-Royal
môme, dont la garnison se trouvait dans le moment très affaiblie
par les maladies,* et on allait y envoyer de Québec le marquis
d'Alognies, avec 1 1 officiers et 200 hommes choisis lorsque l'arri-
vée de la flotte de l'amiral Walker dans le fleuve St.-Laurent fit
contremander ce détachement, qui aurait probablement remis
Port-Royal sous la domination de ses anciens maîtres.f
C'est alors seulement que la majorité des Acadiens fit sa sou-
mission aux Anglais, qui, suivant leur usage, envoyaient des
troupes pour incendier les habitations qui refusaient de les recon-
naître. C'est un de ces partis qui fut encore atteint et anéanti
par les Sauvages dans un endroit auquel ce massacre a fait donner
le nom de l'Anse du Sang. Ce coup de main fit prendre de nou-
veau les armes à 300 Acadiens, qui, avec tous les Sauvages qu'ils
purent rencontrer, se tinrent prêts à tomber sur Port-Royal dès
que le gouverneur de Plaisance leur aurait envoyé un chef
capable de les commander. Mais ce gouverneur les fit informer
qu'il avait besoin de tout son monde, et qu'il était incapable de
laisser partir un seul officier. Ils durent alors abandonner leur
entreprise et se soumettre entièrement pour sauver les récoltes
qui constituaient toute leur subsistance de l'année. La perte de
l'Acadie fut très sensible à la France, malgré son état d'abaisse-
ment. M. de Pontchartrain, ministre de la marine, écrivait à M.
de Beauharnais, intendant de la Rochelle et de Rochefort : " Je
vous ai fait assez connaître combien il est important de reprendre
Port-Royal avant que les ennemis y soient solidement établis.
La conservation de toute l'Amérique septentrionale et le com-
merce des pêches le demandent également : ce sont deux objets
qui me touchent vivement, et je ne puis trop exciter le gouverneur
et l'intendant de la Nouvelle-France à les envisager avec les
mêmes yeux." Le ministre aurait voulu que le Canada se char-
* D'après le rapport des déserteurs les deux tiers étaient morts ou déser-
tés. Voir la dépêche [traduction] interceptée de M. l'Hermite à M. do
Pontchartrain du 22 juillet ITll, dans l'Appendice du Journal de l'expédi-
tion de l'anoiral Walker.
tibid.
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*B
46
HISTOIRE DU CANADA.
goât de reconquérir Port-Royal avec ses seules milices et le peu
de troupes dont il pouvait disposer, tandis que M. de Vaudreuil
demandait seulement deux vaisseaux avec ce qu'ils pourraient
porter d'hommes et de munitions pour joindre à ses forces, et
qu'on ne fut pas capable de les lui donner. M. de Pontchartrain
réduit aux expédiens pour accomplir ses vues, voulut former alors
en France une société de marchands assez puissante pour
remettre l'Acadie soua la domination du roi, et y former des éta-
blissemens solides ; mais personne ne goûta une entreprise dont
les avantages ne paraissaient certains que pour l'Etat, et rien ne
fut fait ; ce qui n'empôcha pas cependant les fidèles et malheu-
reux Acadiens, si dignes d'un meilleur sort, de faire dire secrète-
ment à M. de Vaudreuil que le roi n'aurait jamais de sujets plus
dévoués, paroles qui auraient dû soulever la France d'un bout à
l'autre pour l'honneur de ce noble esprit national qui fait la force
et la véritable grandeur des peuples.
Après la prise de Port-Royal, le colonel Nicholson était retourné
à Londres pour la deux ou troisième fois, toujours pour presser
l'Angleterre de conquérir le Canada, qui était le grand boulevard
des Français dans l'Amérique continentale, et pour y appuyer les
démarches du colonel Schuyler qui y avait été envoyé l'année
précédente, par la Nouvelle- York, dans le môme but. Cinq
chefs iroquois l'accompagnaient. Dans un discours prononcé
devant la reine Anne, ils l'assurèrent de leur fidélité, et deman-
dèrent son apnui contre leur ennemi commun. La Grande-
Bretagne n'eut pas de peine à se rendre à des sollicitations qui
flattaient ses secrets désirs. M. St.-John, depuis vicomte de
Bolingbroke, homme qui avait plus d'imagination que d'esprit, plus
de brillant que de solide, était alors ministre. Il promit tout ce
que l'on voulut. Il s'intéressait à l'entreprise comme s'il en avait
été le premier auteur et se vantait d'en avoir formé le plan. Il
fit faire des préparatifs proportionnés à la grandeur du projet.
Le chevalier Hovenden Walker parvint à Boston le 25 juin 1711
avec une flotte portant un bataillon de soldats de marine et sept
régiraens de vétérans tirés de l'armée du duc de Marlborough,
BOUS les ordres du général Hill, frère do madame Marsham, qui
avait remplacé la duchesse de Marlborough comme favorite de la
reine. Lorsque M. St.-John apprit l'arrivée de la flotte à Boston,
HISTOIRE DU CANADA.
47
il écrivit avec triomphe au duc d'Orrcry: "vous pouvez être
assuré que nous sommes maîtres à l'heure qu'il est de toute
l'Amérique septentrionale." La nouvelle de cette arrivée, atten-
due avec impatience depuis si longtemps, se répandit rapidement
dans toutes les colonies anglaises, et fut reçue avec des transports
d'ivresse ; l'assemblée de la Nouvelle- York vota des remercimens
à la reine, et envoya une députation pour féliciter le colonel
Nicholson sur le succès de sa mission. Dans l'espace d'un mois
elles mirent deux armées sur pied, complètement équipées et
approvisionnées.'
Deux régimens de troupes provinciales se joignirent aux régu-
liers du général Hill, et portèrent son armée à 6500 fantassins
munis d'un train considérable d'artillerie et de toutes sortes de
machines de guerre. La flotte composée de 88 vaisseaux et trans-
ports, mit à la voile pour Québec le 30 juillet. Peu de temps
après le colonel Nicholson s'ébranla de son côté et s'avança jus-
qu'à Albany avec quatre mille hommes et six cents Iroquois,
pour pénétrer en Canada par le lac Champlain ; c'était le plan
d'invasion de 1690. Rendu sur les bords du lac St.-Sacrcment,
il s'arrêta pour attendre l'arrivée de l'amiral Walker devant
Québec. Ce pays semblait perdu sans ressource.f Aux quinze
ou seize mille soldats et matelots qui marchaient pour l'envahir,
• M. (le Costa Bella avait, sur l'ordre de la cour, envoyé vainement M. de
la Ronde à Boston pour tâcher de dissuader les habitans de fournir de nou-
veaux secours à la flotte anglaise destinée à agir contre le Canada. Il fallait
que M. de Pontchartrain fiit dans une grande ignorance des sentimensde ces
habitans. Lettre interceptée {traduction de M. de Costa Bella d M. de Pont-
chartrain du 23 juillet 1711, laquelle se trouve da/iis V Appendice de la
défense de l'amiral Walker.
t Forces du Canada en 1709.
Gouvernement de Montréal, 1200 hommes de 15 ù 70 ans.
" Trois-Rivières, 400
«« Québec, 2200
Troupes, 350
Matelots des navires,... 200
Sauvages, 500
'..l'ii
Documens de Parit.
Total,.
4850
il,
48
HISTOIRE DU CANADA.
il avait à peint' «îiiuj mille homnia.s capaltlt"! do portée len ui'tiioH*
à opposjr: 'a proviJeiico le sauva.
La priHti de Fort-Royal avait lait une Hcnsatiori pénible et pro-
fuiido ru Canada, moins à cause de l'importance de ce poste, (pii
6lait réiillement do peu de chose en lui-même, que parce ([u'elle
dévoilait d'un côté la faiblesse ou l'apathie de la Franco, et de
l'autre !a détermination des colonies anglaises de l'exclure entiè-
rement de ce continent. Mais lorsque les Canadiens se virent
attaqués de tous les côtés, loin de se décourager, ils se rappelèrent
qu'ils avaient eux-mêmes porté plus d'une ibis la guerre dans le
pays de leurs envahisseurs, qu'ils avaient vu fuir leurs soldats
devant eux dans la Nouvelle-York et dans la Nouvelle-Angleterre,
*à Terrencuve et dans la baie d'Hudson, et leur ancienne énergie
reprenant son empire, à la voix du gouverneur tout le monde
courut aux armes.
D'abord M. de Vaudreuil, pour on imposer aux Iroquoia qui
menaçaient la partie supérieure du pays, avait mandé les Indiens
occidentaux, qui descendirent au nombre de quatre à cinci cents
avec M .M. de St.-Pierre, Tonti et quelques autres Canadiens.
Il avait envoyé en môme temps dans les cantons le baron de
Longuouil et MM. Joncaire et la Chauvigneric pour y appuyer le
parti français et contrecarrer l'elTet des intrigues de Schuyler, en
les engageant à observer la neutralité. Après ces préliminaires,
il donna un grand festin à Montréal à huit cents Sauvages alliés,
qui levèrent la hache et entonnèrent le chant do guerre au nom
d'Ononthio. Sans perdre de temps, le gouverneur descendit à Qué-
bec, suivi des Abénaquis établis à St.-François et à Bécancour,
p.d commencement de la gnerre, pour opposer une digue aux
irruptions des Iroquois. Il trouva cette ville en état de résister à
un coup de main. Il y avait plus de 100 pièces de canon en
batterie. Les rives du fleuve au-dessous de Québ ^ ''itaient si
bien gardées, que l'ennerni n'aurait pu y opérer de ement
dans les lieux habités sans livrer un combat r" situation
désavantageuse. Au-dessus il ne pouvait { .iventurer au
loin. La distribution des troupes était reg.. Chacun avait
♦Voir la liste des vaisseaux de guerre dans l'Appendice du Journal ofthe
Canada Expédition par l'amiral Walker. Les Annales américaines se
trompent eu disant 08.
HISTOmE nu CANADA.
49
Boii poâlc marqué, où il devait se rendre à l'apparition do la flotte
qu'on attendait déjà dcpui». longtemps, lorsqu'un habitant vint
annoncer un soir du mois de septembre qu'il avait vu entre i)0 et
9G voiles dans le bas du fleuve.
C'était l'amiral Walker qui remontait le St.-Laurent. Il
s'avançait moins comme un capitaine (jui entreprend une cam-
pagne ditlicilo, (jue comme un conquérant qui n'a (juo de l'aCiCS
lauriers à recueillir. L'attaque de Québec n'entrait pour rien
dans les préoccupations de son esprit. Il ne croyait pas môme
qu'on osât s'y défendre. Il n'était occupé que de l'hivernage do
ses vaisseaux dans le climat rigoureux où il allait passer l'hiver.
Après avoir roulé plusieurs plans dans sa tôte, il s'arrêta à celui-
ci : il ferait dégréer ses vaisseaux et débarquer tout ce qu'ils por-
taient, jusqu'à leurs mâts ; ensuite il les ferait monter à sec sur
le rivage, hors de l'atteinte des glaces, à l'aide de chameaux et
autres puissans appareils ; c'est lui-même qui raconte ses inquié-
tudes. Il croyait que le St.-Laurent qui a près de cent pieds de
profondeur dans le port de Québec, gelait jusqu'au fond de son
lit ; mais on peut être physicien médiocre et excellent homme
de mer.
Cependant les élémens vinrent tirer bientôt l'amiral Walker
de ces préoccupations oiseuses. Un gros vent de sud-est s'éleva
avec une brume épaisse qui enveloppa sa Hotte et empocha de
rien voir ; les pilotes ne purent plus se reconnaître. Un ancien
navigateur canadien, retenu prisonnier à bord du vaisseau amiral,
avertit de ne pas courir trop au nord. On refusa de l'écouter.
On était dans la nuit du 22 août: le vent augmentait toujours.
Deux heures après cet avertissement, l'on se trouva au milieu
d'îles et de rescifs dans le danger le plus imminent, et personne
ne s'en doutait. Un oflicier de l'armée de terre qui se trouvait
par hasard sur le pont de l'Edgar, apercevant tout-à-coup des
brisans sur sa droite, courut en informer l'amiral, qui pensa que
c'était la peur qui le faisait agir et ne voulut pas le croire.
L'officier redescendit une seconde fois, en le priant avec instance
de monter, que l'on voyait des écueils de toutes parts. " Sur ces
importunités répétées, et entendant plus de bruit et de mouve-
ment qvi'à l'ordinaire, dit l'amiral, je passai ma robe de chambre
et mes pantouflles, et je montai sur le pont. En effet, j'y trouvai
HISTOIRE DU CANADA.
tout le monde dans une frayeur et une confusion étrange." La
direction des vaisseaux fut immédiatement changée ; mais huit
transports se brisèrent sur l'île aux Œufs, l'une des Sept-Iles, et
prés de neuf cents hommes périrent sur les dix-sept cents officiers
et soldats qu'ils portaient. On reconnut ensuite parmi les noyés,
rejetés sur la plage par les vagues, deux compagnies entières des
gardes de la reine, et plusieurs familles écossaises qui venaient
pour s'établir dans le pays. L'on trouva aussi un grand nombre
de copies imprimées d'un manifeste que Charlevoix rapporte tout
au long, et dans lequel le général Hill déclarait les Canadiens,
auxquels il était adressé, sujets anglais en vertu de la découverte
de l'Amérique septentrionale par Cabct, la France yant pos-
sédé le pays qu'à titre de fief relevant de l'Angleterre ! Jamais
on n'avait fait tant de dépense d'es^ rit que dans cette guerre.
Après ce désastre, Walker retourna sur ses pas et alla jeter
l'ancre dans la baie des Espagnols au Cap-Breton. Comme la
traversée de Boston avait été extrêmement longue, et qu'il ne
restait plus de vivres que pour dix semaines, il fut décidé à l'una-
nimité dans un conseil de guerre, d'abandonner l'entreprise sur
Québec, et sur Plaisance qui devait être attaqué ensuite, et de
s'en retourner chacun dans son pays, les Américains à Boston et
les Anglais en Europe. En conséquence de cette rétjlution, la
flotte cing'a vers Portsmouth, où pour justifier le proverbe qu'un
malheur n'arrive jamais sans un autre, le vaisseau amiral, l'Edgar,
de 70 canons, sauta et entraîna dans sa destruction quatre cents
hommes, outre un grand nombre de personnes qui étaient venues
à bord pour visiter leurs amis. Dans le même temps le Fever-
eham de 36 canons et trois transports qui avaient suivi la flotte,
se perdaient dans les parages du fleuve ou du golfe St.-Laurent.
La nouvelle de la retraite des Anglais ayant été apportée à
Québec par des pêcheurs de Gaspé, le gouverneur renvoya aus-
sitAt M. de Ramsay à Montréal avec six cents hommes, et y
monta lui-même bientôt après avec un pareil nombre de soldats.
Il forma en y ajoutant le corps de troupes resté sous les ordres
du baron de Longueuil pour garder le haut de la colonie, une
armée de trois mille fusils, qu'il plaça auprès de Chambly afin de
s'opposer au colonel Nicholson s'il venait à déboucher par le lac
Champlain. Mais le commandant américain en apprenant les
HISTOIRE DU CANADA.
st
malheurs de la flotte, s'était hâté de décamper avec ses troupes
qui reprenaient pour la seconde fois depuis deux ans, le chemin
de leurs provinces sans avoir brûlé une amorce. Alors les
craintes du Canada passèrent dans les colonies anglaises ; la
frayeur s'empara d'Albany et de leurs frontières. On s'em-
pressa de faire réparer les forts avancés ; on retint la milice sous
les armes, on travailla de tous côtés à opposer une digue au tor-
rent de Canadiens et de Sauvages que l'on croyait voir déborder
d'un moment à l'autre. . ■ ^ ', /
Mais on ne pensait guère en Canada à réaliser des appréhen-
sions rendues plus effrayantes encore par la peur. On était
satisfait d'avoir été délivré d'un danger dont l'on avait redouté les
suites, et qui paraissait encore plus grand maintenant qu'il était
passé et que l'on pouvait en mesurer toute l'étendue avec sang
froid. On ne voulait point le braver en entreprenant une lutte
aggressive avec des forces si inférieures. D'ailleurs le résultat
devait contenter, les provinces anglaises se trouvant après tant
de dépenses, à la fin de la guerre, accablées de dettes et réduites
à défendre leurs propres foyers.
C'est pendant que l'Angleterre dirigeait ainsi son épée droit
au cœur de la puissance française dans ce continent que sa poli-
tique avait armé contre elle, par l'intermédiaire des Iroquois,une
nation brave, indomptable et féroce, les Outagamis, vulgairement
nommés les Renards, qui erraient dans les savanes à l'ouest du
lac Michigan. Ils vinrent se fixer à une portée de pistolet du
fort du Détroit pour pouvoir mieux exécuter leur dessein. « Ce
peuple aussi brave que l'Iroquois, moins politique, beaucoup plus
féroce, qu'il n'avait jamais été possible ni de dompter, ni d'appri-
voiser, et qui semblable à ces insectes, qui paraissent avoir autant
d'âmes que de parties de leur corps, renaissent pour ainsi dire
après leur défaite," ce peuple se trouvait partout, et était devenu
l'objet de la haine de toutes les nations de ce continent. Il avait
promis de brûler le Détroit, et de massacrer tous les Français qui
se trouvaient dans ces contrées. Les Kikapous et les Mascontins
étaient entrés dans le complot. M. Dubuisson, o'i commandait
dans cette partie, fut informé par un Outagami chrctien de ce que,
d'ailleurs, la conduite de ces barbares ne lui laissait que trop
entrevoir. Ils se permettaient depuis quelque temps toutes bjrtes
'I
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HISTOIRE DU CANADA.
d'insolences, volaient et pillaient les Français qui n'étaient qu'une
trentaine dans le fort et qui dissimulaient jusqu'à l'arrivée de
leurs alliés qu'ils avaient appelés en toute hâte auprès d'eux,
surtout les Hurons et les Iroquois. Dnbuisson en cas d'attaque
subite préparait ses moyens de défense sans faire de bruit, mon-
taient des canons, perçaient des meurtrières, là où il y en avait
besoin. Mais les secours demandés arrivèrent avant le coup.
C'étaient 600 hommes, Hurons, Outaouais, Illinois, Missouris,
Osages, Saulteura, Toutouatamis, Sakis, Malhomines, etc., mar-
chant en ordre, chaque nation avec ses enseignes déployées, et
tous portant la même haine à l'ennemi qu'ils allaient avoir à
combattre. " Nous voici autour de toi, dirent-ils au commandant
français, tu nous as rétirés du feu des Outagamis il y a douze
lunes, nous venons exposer notre vie pour ton service ; nous
mourrons avec plaisir pour notre libérateur. La seule grâce que
nous te demandons, c'est que tu prennes soin de nos femmes et
de nos enfans si nous succombons, et que tu mettes un peu
d'herbe sur nos corps afin qu'ils reposent en paix."
Dubuisson se serait contenté d'éloigner les Outagamis en les
forçant de retourner dans leurs anciens villages ; mais les Hurons
ne voulurent pas souffrir qu'on les laissât échapper. Il fallait les
attaquer dans le fort qu'ils s'étaient élevé à côté de celui des
Français, et qu'ils défendirent d'abord avec tant de résolution
que les alliés parlaient de se retirer si Dubuisson ne les eût rani-
més. Les assiégés étaient surveillés de si près qu'ils ne pouvaient
sortir et qu'ils se trouvèrent au bout de quelque temps sans eau
et sans vivres. Ceux qui essayaient de s'en procurer étaient
aussitôt pris par les Sauvages qui les fusillaient, les tuaient à
coups de flèche ou les gardaient pour les brûler à loisir et par
forme de passe-temps. Réduits à la dernière extrémité, on n'en-
tendait plus à la fin que des hurlemens épouvantables à chaque
coup de canon que l'on tirait. Déjà soixante à quatre-vingts
femmes et enfans étaient morts de faim et de soif. L'odeur des
cadavres qu'ils ne pouvaient enterrer à cause du feu continuel
dirigé contre eux, empoisonnait l'air qu'ils respiraient. Ils durent
se ïesoudre à demander quartier. L'envoyé qui portait la parole
dit à Dubuisson : Mon père, je te parle à toi et à toutes les
nations qui sont devant toi ; je vous demande la vie. Elle n'est
HISTOIRE DU CANADA.
53
plus à nous ; vous êtes les maîtres ; les esprits nous ont aban-
donnés. Je vous apporte ma chair par les sept esclaves que je
mets à vos pieds ; mais ne croyez pas que je craigne de mourir.
C'est la vie des femmes et des enfans que je demande. Faites
luire le soleil, je vous prie ; que le ciel soit beau et qu'à l'avenir
vous prospériez. Voici les colliers, détachez les et donnez-nous
la vie. Vous êtes nos petits neveux, ajouta-t-il en s'adressant
aux Sauvages, dites quelque chose qui console le village à notre
retour."
Les alliés ne voulurent rien accorder. Ils tirèrent même
Dubuisson à part pour lui proposer de faire casser la tête à quatre
des envoyés qui étaient de grands chefs. Ce sont eux, dirent-ils,
qui sont la cause de la résistance. Mais Dubuisson s'y opposa.
Alors les assiégés ne songèrent plus qu'à tromper la surveillance
de leurs ennemis pour s'esquiver, ce qui était une chance très
faible. Ils voulurent profiter d'une nuit orageuse pour sortir du
fort ; mais atteints à quatre lieues de là, ils se rendirent à discré-
tion aux alliés qui ne voulurent point accorder de grâce et en
firent un massacre général. Tout fut égorgé, hommes, femmes et
enfans.* On n'avait pas encore vu une pareille tuerie chez les
Indiens. Ce dénouement ôta tout espoir aux Anglais de s'élever
au moins pour le moment dans l'Ouest sur les ruines de leurs
rivaux. Il était en effet d'une importance vitale de les empêcher
de prendre pied dans cette partie du continent ; car s'ils deve-
naient maîtres de ce point, la communication entre le Canada et
la vallée du Mississipi se trouvait coupée, et ces deux vastes
provinces tombaient d'elles-mêmes comme les branches d'un
arbre qu'on sépare de leur tronc.
Vers la même époque le gouverneur fit rétablir le fort Michili-
mackinac abandonné depuis quelques années, et ajusta tous les
sujets de mécontentement qui pouvaient exister entre les Fran-
çais et les peuples septentrionaux et occidentaux, ou entre ces
divers peuples eux-mêmes. Il savait profiter avec une rare intel-
ligence des intérêts des uns et des autres pour paralyser les efforts
des colonies anglaises, qui faisaient tout ce qu'elles pouvaient pour
• Attaque du Détroit par les Mascoutins et les Outagamis. Rapport de
M. Dubuisson du 15 juin 1715. Copie manuscrite obtenue en Frfince par
M. Papineau.
;:it
..'il'
&4)
HISTOIRE DU CANADA.
les détacher de la France ; et c'était plus avec des raisons qu'il
faisait triompher sa politique qu'avec les forces dont il pouvait
disposer. Une seule imprudence aurait pu soulever la confédé-
ration iroquoise au commencement de la guerre. Par une atti-
tude digne, il sut conserver le respect de tous les peuples
indigènes, et par son calme et sa prudence, dissimuler sa fai-
blesse.
Un instant en 1712, le bruit se répandit que l'Angleterre
armait encore une flotte pour assiéger Québec ; mais cette nou-
velle qui se trouva fausse, ne servit qu'à prouver le dévouement
des habitans de cette capitale. Le commerce lui-même montra
son patriotisme en avançant cinquante mille écus au gouverneur
pour augmenter les fortifications de la ville. C'était une somme
très considérable pour le pays et pour le temps. Mais le sort des
colonies françaises se décidait alors sur un autre champ de bataille.
La guerre en Eiuope touchait à sa fin. Dès le commencement
de 1711 un agent de Londres avait été envoyé secrètement à
Paris, et l'année suivante une suspension d'armes qui s'é-
tendait aux colonies avait été signée entre la France et l'Angle-
terre.
Cette révolution dans les afihires avait été amenée d'abord par
la disgrâce de la favorite de la reine Anne, la duchesse de Marl-
borough, qui entraîna les whigs dans sa chute ; et ensuite par la
mort de l'empereur Joseph II, qui eut pour successeur celui qui
disputait le trône d'Espagne au duc d'Anjou. Les alliés furent
peu portés après cet événement à donner une nouvelle cou-
ronne à celui qui était déjà assez puissant avec celle de l'em-
pire.
Malgré la retraite des Anglais, le prince Eugène, qui comman-
dait les Autrichiens, était encore supérieur de 20,000 hommes à
l'armée française ; et les conférences d'Utrecht ne rassuraient
point la France épuisée et qui n'osait plus croire au succès. Louis
XIV, courbé vers la tombe et voyant périr sans s'ébranler pres-
que toute sa famille en pou de temps, fit preuve d'une grandeur
d'âme qui l'élève beaucoup plus dans l'estime des hommes que
la fierté qu'il déploya dans ses jours prospères.* Il annonça
• Ce fut le sort de Louis XIV, de voir périr en France toute sa famille par
des morts prématurées, sa femme à 45 ans, son fils unique à ÔO ; et un an
/
HISTCraE DU CANADA.
6»
qu'en cas de nouveau malheur, il convoquerait toute la noblesse
de son royaume, qu'il la conduirait à l'ennemi rftalgré son âge de
soixante-et-quatorze ans, et qu'il périrait à sa tête. Cette réso-
lution n'était pas une menace vaine: on a vu ce que peut un
peuple qui combat pour son existence, en France sous Charles
VII et en 1793, et plusieurs fois en Amérique depuis 1775.
Ce monarque aurait dû pour sa renommée mourir avec le
siècle dans lequel il était né ; car le suivant devaiit être fatal à lui
et à tous les siens. En effet dès le début, ce siècle est marqué
par le naufrage de la gloire de ce prince, qui fut longtemps le
premier de la terre ; et la fin en est à jamais mémorable par la
chute d'un trône qu'il avait entouré d'un pouvoir absolu, et par
la mort violente ou la dispersion de toute sa famille.
Les revers de la guerre de la succession d'Espagne et le traité
d'Utrecht précipitèrent la chute de la puissance française en
Amérique, quoique cette chute ait été produite par d'autres cau-
ses, comme on l'a dit plus d'une fois ailleurs. Par ce traité
fameux signé le 11 avril 1713, Louis XIV renonça aux droits
qu'il pouvait avoir sur le pays des Iroquois et céda à l'Angleterre
la baie d'Hudson, l'île de Terreneuve, l'Acadie avec la ville de
Port-Royal, c'est-à-dire tous les pays situés sur le littoral de l'At-
lantique, sur lequel il ne resta plus à la France que l'embou-
chure du St.-Laurent et celle du Mississipi dans la baie du
Mexique ; elle se réserva seulement le droit de faire sécher le
poisson sur une partie de l'île de Terreneuve. On peut juger,
après que nous eûmes perdu son fils, nous vîmes son petit fils le Dauphin,
duc de Bourgogne, la Dauphine sa femme, leur fils aîné le duc de Bretagne,
portés à Saint-Denis au même tombeau, au mois d'avril 1712 ; tandis qne le
dernier de leurs enfans, monté depuis sur le trône, était dans son berceau,
aux portes de la mort. Le duc de Berri, frère du duc de Bourgogne, les
suivit deux ans après ; et sa fille dans le même temps passa du berceau au
cercueuil.
Ce temps de désolation laissa dans les cœurs une impression si profonde,
que, dans la minorité de Louis XV, j'ai vu plusieurs personnes qui ne par-
laient de ces pertes qu'en versant des larmes. Louis XIV dévorait sa douleur
en public : il se laissa voir à l'ordinaire ; mais en secret les ressentimens de
tant de malheurs le pénétraient et lui donnaient des convulsions. Il éprou-
vait toutes ces pertes domestiques à la suite d'une guerre malheureuse,
avant qu'il fût assuré de la paix, et dans un tems où la misère désolait le
royaume. On ne le vit pas succomber un moment à ses afflictions.
> «i
11
56
HISTOIRE DU CANADA.
dit Raynal, combien ces sacrifices marquaient son abaissement,
et combien il en dut coûter à sa fiorté de céder trois possessions
qui formaient avec le Canada, l'immense pays connu sous le nom
glorieux de Nouvelle-France. • lit' .- j*
Pendant près de quarante ans, Louis XIV avait dominé l'Eu-
rope conjurée après l'avoir vancue dans trois longues et sanglan-
tes guerres. Cette période avait été illustrée par de grands génies
en tous genres, et par les plus grands capitaines que les modernes
eussent encore vus. : .^,, -, .-,! , .^r i^l
" L'Europe, dit un historien, s'était armée contre lui, et il avait
résisté, il avait grandi encore. Alors il se laissa donner le nom
de grand. Le duc de la Feuillade alla plus loin. Il entretint un
luminaire devant sa statue, comme devant un autel. On croit lire
l'histoire des empereurs romains. '
" La brillante littérature de cette époqv.c n'est autre chose
qu'un hymne à la royauté. La voix qui couvre les autres est
celle de Bossuet. C'est ainsi que Bossuet lui-même, dans son
discours sur VHistoire Universelle, représente les rois d'Egypte
loués par le prêtre dans les temples en présence des dieux. La
première époque du grand règne, celle de Descartes, de Port-
Royal, de Pascal et de Corneille, n'avait pas présenté cette una-
nimité ; la littérature y était animée encore d'une verve plus rude
et plus libre. Au moment où nous sommes parvenus, Molière
vient de mourir en (1673), Racine a donné Phèdre (1677), La
Fontaine publie les six derniers livres de ses Fables (1678),
madame de Sévigné écrit ses Lettres, Bossuet médite la recon-
naissance de Dieu et de soi-même, et prépare le discours sur
l'Histoire Universelle (1681). L'abbé de Fénélon, jeune encore,
simple directeur d'un couvent de filles, vit sous le patronage de
Bossuet, qui le croit son disciple. Bossuet mène le chœur triom-
phal du grand siècle, en pleine sécurité du passé et de l'avenir,
entre le jansénisme éclipsé et le quiétisme imminent, entre le
sombre Pascal et le mystique Fénélon. Cependant le cartésia-
nisme est poussé à ses conséquences les plus formidables ; Malle-
branche fait rentrer l'intelligence humaine en Dieu, et tout-à-
l'heure dans cette Hollande protestante en lutte avec la France
catholique, va s'ouvrir pour l'absorption commun du catholicisme,
du protestantisme, de la liberté; de la morale de Dieu et du
HISTOIRE DU CANADA.
6T-
monde, le gouffre sans fond de Spinosa." La première dans le
domaine de l'esprit, la France ouvrit aussi les portes du 18e siècle
comme la première dans celui du courage ; elle allait couronner
ses triomphes en faisant monter un de ses princes sur le trône
d'Espagne. Mais elle n'avait plus pour diriger ses efforts qu'un-
vieux roi sur son déclin et une femme qu'il avait épousée pour
dissiper la tristesse d'une vie dont il avait épuisé toutes les jouis-
sances. Les hommes illustres qui l'avaient couverte de tant de
gloire, n'existaient plus. Les esprits perspicaces voyaient avec
inquiétude le pays entrer dans une nouvelle guerre. Louis XIV,
devenu dévot sur ses vieux jours, vivait retiré, ne connaissait
plus si bien les hommes ; dans sa solitude les choses ne lui paru-
rent plus sous leur véritable aspect. Madame de Maintenon
n'avait point non plus le génie qu'il faut pour manier le sceptre
d'un royaume tel que celui de France dans un temps d'orages.
Et elle fit la faute de nommer Chamillard, sa créature, pour être
premier ministre, homme qui malgré son honnêteté était fort au-
'dessous de cette vaste tâche.*
Dès lors les généraux furent mal choisis et durent souvent leur
nomination à la faveur ; la discipline militaire tomba dans un relâ-
chement funeste, et les opérations des armées furent dirigées par
le roi et Chamillard du fond du cabinet de madame de Maintenon.
Tout se ressentit de ce système malheureux ; la France fut ainsi
conduite en quelques années du comble de la gloire au bord de
l'abîme.
Le traité d'Utrecht qui blessa si profondément l'amour propre
des Français, porta le premier coup à leur système colonial. A
la fin du mi 'itère de Colbert, leurs possessions américaines
s'étendaient de la baie d'Hudson au Mexique, en suivant les val-
lées du St.-Laurent et du Mississipi, et renfermaient dans leurs
limites les cinq grands lacs, ou plutôt les cinq grandes mers inté-
rieures du continent, et deux des plus grands fleuves du monde.
Par le traité d'Utrecht ils perdirent de vastes territoires, précieux
non pas tant par leur population ou leur fertilité, que par l'impor-
tance de leurs côtes maritimes. Ils se trouvèrent dans le nord re-
poussés bien ! )in de l'Atlantique. Leurs pertes augmentant d'au-
• Chamillard était dirigé par madame de Maintenon, dit quelqu'un,
madame de Maiuteuon par Babbien, sa vieille servante."
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OV HISTOIRE BU CANADA.
tant les possessions de leurs ennemis déjà beaucoup trop étendues
en Amérique. Ce premier trébuchement de leur puissance colo-
niale devait avoir une bien plus grande portée qu'on ne l'imaginait
encore. C'était l'affaiblissement de la puissance métropolitaine
par la puissance coloniale. L'Angleterre s'était blessée elle-même
dans cette lutte qui lui avait assuré un triomphe, et cette blessure
devait finir par être mortelle, parce que les colonies qui avaient
contribué à briser le réseau que la France avait jeté autour
d'elles, avaient une arrière pensée hostile à l'Angleterre comme
à la France, qu'elles confondaient déjà ensemble dans le secret de
leur politique en qualité de métropoles, et qu'elles regardaient
pour cette raison comme deux ennemies naturelles et irréconci-
liables des intérêts américains, arrière-pensée, si elles l'ont eue,
qui annonçait une grande profondeur de vue et une grande
puissance de dissimulation.* Trop faibles pour marcher encore
au grand jour, et pour surmonter de vive force les entraves qui
devaient les arrêter à chaque pas, elles cheminaient vers leur but
par des routes cachées, sachant bien que le système colonial
mettait un obstacle insurmontable à leur indépendance. " Les
colons anglais, dit Bancroft, n'étaient pas simplement les colons
de l'Angleterre, ils formaient partie d'un immense système colo-
nial que tous les pays commerciaux de l'Europe avaient contribué
à former, et qui renfermait dans ses bras puissans toutes les parties
du globe. La question de l'indépendance n'aurait pas été une
lutte particulière avec l'Angleterre, mais une révolution dans le
commerce et dans la politique du monde entier, dans les fortunes
actuelles et encore plus dans l'avenir des sociétés. Il n'y avait
pas encore d'union entre les établissemens qui hérissaient le
bord de l'Atlantique, et à cette époque, une seule nation en
Europe aurait toléré, mais pas une n'aurait favorisé, une insur-
rection. L'Espagne, la Belgique espagnole, la Hollande, l'Au-
• Ramsay, auteur d'une Histoire de la révolution américaine, attribue cet
événement au changement de politique de la Grande-Bretagne, qui com-
mença à faire peser en 1764, une dure oppression sur ses colonies. Quelques
uns pensent, dit-il, que la révolution a été excitée par la France ; d'autres que
les colons, une fois délivrés du dangereux voisinage de cette nation, ne son-
gèrent plus qu'à obtenir leur indépendance ; mais, suivant lui, l'égoïsme du
cœur humain est suffisant pour expliquer les motifs de la conduite des colons
et de la métropole, sans recourir à ces opinions.
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I
HISTOIRE DU CANADA.
09
triche étaient unies à l'Angleterre contre la France, qui, par la
centralisation de sa puissance et par des plans d'agrandi^isement
territorial habilement conçus, ex;;itait leur inquiétude et leur fai-
sait craindre de la voir parvenir à la monarchie universelle. Lors-
que l'Autriche et la Belgique auraient abandonné leur jçuerre
héréditaire contre la France, lorsque l'Espagne et la Hollande,
favorisées par la neutralité armée du Portugal, de la Suède,
du Danemark, de la Prusse et de la Russie, se réuniraient à la
France pour réprimer l'ambition commerciale de l'Angleterre,
alors, mais pas avant, l'indépendance américaine devenait pos-
sible."
Ces raisons expliqueraient, suivant le même auteur, les motfs
de l'ardeur que les colonies anglaises mettaient dans leurs guerres
contre le Canada ; c'était pour briser le système qui enchaînait
les colons au joug de l'Europe ; et l'Europe, trompée par de faux
calculs, aveuglée par des jalousies et des rivalités funestes, tra-
vaillait elle-même à l'accomplissement de leur projet. Nous ne
savons si les profonds calculs que l'on prête ainsi aux pères de l'in-
dépendance du Nouveau-Monde sont bien fondés, s'ils eussent déjà.
à cetie époque pressenti si clairement leur avenir, car l'on doit être
très sobre dans les jugemens que l'on porte sur les motifs de con-
duite des peuples à leur berceau. " Rien n'est plus commun, dit
Michaud dans son bel ouvrage de l'Histoire des Croisades, que
d'attribuer à des siècles reculés les combinaisons d'une profonde
politique. Si l'on en croyait certains écrivains, c'est à l'enfance
des sociétés qu'appartiendrait l'expérience.* Mais qu'ils entre-
vissent ou non ce qui est arrivé, qu'ils aient travaillé à l'amener
par calcul ou par hazard, toujours est-il certain que les colonies
anglaises suivaient leur instinct et une pente fort naturelle dans
la voie où la providence les avait placées. Le traité d'Utrecht
en satisfaisant une partie de leurs désirs, augmentait leurs espé-
rances futures. Elles jetèrent surtout un cri de triomphe lors-
qu'elles virent tomber les trois plus anciennes branches de l'arbre
• Il rappelle à ce sujet l'opinion de Montesquieu : " Transporter dans les
siècles reculés toutes les idées du siècle où l'on vit, c'est des sources de l'ur-
reur celle qui est la plus féconde. A ces gens qui veulent rendre modernes
tous les siècles anciens , Je dirai ce que les prêtres d'Egypte dirent à bolon :
O Âthiniem ! vous n'êtet que des enfans."
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71
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60
HISTOIRE DU CANADA.
colonial français : cet arbre resta comme un tronc mutilé par la
foudre ; mais on verra que ce tronc vigoureux, enfoui dans les
neiges du Canada, était encore capable de lutter contre de rudes
tempêtes et d'obtenir de belles victoires. '- • - ■ *''■' ■
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CHAPITRE III.
COLONISATION DU CAP-TRETON.
1713-1744.
Motifs qui engazent le gouvernement à établir le Cap-Breton. — Description
de cette île, à laquelle on donne le nom d'Ile- Royale. — Lu nouvelle colonie
excite la jalousie des Anglais. — Projet de l'intendant, M. Raudot, et de
son fils pour en faire l'enfrei)ôl ^îéuéral de la Nouvelle-France, en 1706.
— Fondation de Louisbourg par M. de Costa Bella — Comment la France
se ))roposc de peupler l'île. — La principale industrie des habitans est la
jêclie. — Commerce qu'ils font. — M. de St. -Ovide remplace M. de Costa
Bella. — Les habitans de l'Acadie, maltraités par leurs gouverneurs et tra-
vaillés par les intrigues des Français, menacent d'émigrer à l'Ile-Royale.
— Le comte de St-Pierre forme une compagnie à Paris en 1719, pour éta-
blir l'île St. -Jean, voisine du Cap-Breton; le roi concède en outre à cette
compagnie les îles iVIiscou et de la Magdeleine. — L'entreprise échoue par
les divisions des associés.
Le traité d'Utrecht arracha des mains débiles et mourantes de
Louis XIV les portes du Canada, l'Acadie et l'île de Terreneuve.
De ce traité trop fameux date le déclin de la monarchie française,
qui marcha dés lors précipitamment vers l'abîme de 1792. La
nation humiliée parut cependant vouloir faire un dernier effort,
pour reprendre vn Amérique la position avantageuse qu'elle
venait de perdre ; et dans ce but elle projeta un système colonial
plus vaste encore que celui qu'elle avait adopté avant la guerre ;
c'était de profiter de l'heureuse découverte du Mississipi que l'on
venait d'achever pour y prendre une position plus forte s'il était
possible que celle que l'on avait occupée à l'autre extrémité du
continent. Le peuple français lui-même montrait bien par là
qu'il conservait encore toute la vigueur et toute l'énergie du siècle
précédent ; mais le gouvernement n'avait plus ni la force ni les
moyens de l'appuyer dans une pareille œuvre, et d'ailleurs les
circonstances étaient telles qu'il avait assez à faire pour soutenir,
à l'exclusion de tout le reste, les intérêts du pouvoir et de la
dynastie devenus la ba&e du système nouveau. Louis XIV
n'avait-il pas, par le traité d'Utrecht, acheté le trône d'Espagne
pour sa tamille au prix de plusieurs de ses colonies, c'est-à-dire,
en violant l'intégrité du royaume ?
63
HISTOinS DU CANADA.
La perte des deux provinces du golfe St. -Laurent, laissait le
Canada exposé du côté de la mer aux attaques de la puissance
qui le touchait déjà du côté de la terre ; de sorte qu'en cas d'hos-
tilité celle-ci pouvait empêcher tout secours extérieur d'y par-
venir, et séparer ainsi Québec de sa métropole. Il était donc
essentiel pour sa défense et la conservation des pêcheries, de se
créer un nouveau lieu de refuge dans les mers de Terreneuve et
les parages du St.-Laurent. Il nous restait encore parmi d'autres
îles, celle du Cap-Breton, située entre l'Acadie et Terreneuve les
deux provinces cédées. Cette île qu'on avait méprisée jusqu'a-
lors, et que l'on se trouvait heureux maintenant de posséder,
pouvait devenir comme une double épine dans le flanc des nou-
velles acquisitions anglaises qu'elle séparait en deux. On planta
donc le drapeau français sur ses rives désertes, et on y commença
des fortifications qui annonçaient par leur étendue la volonté de
protéger elTicacement l'entrée du St.-Laurent. Mais ces travaux
et l'importance que le Cap-Breton prit tout à coup en France, y
attirèrent aussitôt l'attention de l'Angleterre, qui avait cru, en
s'emparant de l'Acadie et de Terreneuve, porter un coup mortel
à la Nouvelle-France. Elle vit avec surprise envelopper entière-
ment ses colonies, et s'élever depuis le Cap-Breton jusqu'aux
sables de Biloxi dans la Louisiane, une ceinture de forts dont les
canons menaçaient tous les points de ses vastes frontières colo-
niales. La France maîtresse des deux grands fleuves de l'Amé-
rique septentrionale, le St.-Laurent et le Mississipi, qui lui assu-
raient la plus grande partie de la traite avec les Sauvages,
régnant sur deux vallées fertiles de mille à douze cents lieues de
développement, dans lesquelles se trouvaient les productions de
tous les climats, la France pouvait encore acquérir en peu d'an-
nées assez de force pour y être inexpugnable. Mais cette
tâche demandait une direction et une énergie qu'il était inutile
d'attendre du gouvernement. Elle demandait surtout l'envoi
d'une masse Je colons capable de repousser toute aggression
étrangère sur le St.-Laurent et sur le Mississipi. C'est ce qu'on ne
fit pas. On crut que de hautes murailles élevées sur une plage
solitaire à l'entrée du goife St.-Laurent, à portée de canon
des vaisseaux ennemis, seraient suffisantes et on n'achemina
point d'émigration en Amérique. C'était répéter l'oubli du
HISTOIRE DU CANADA.
68
'C
Biècle précédent, et inviter l'Angleterre et ses colonies à réunir, à
la première rupture, leurs efibrts contre le nouveau poste du Cap-
Breton et môme contre toutes les possessions françaises de l'Amé-
rique du Nord ; c'était dire, en un mot, que cette rupture ne so
ferait pas attendre ; mais la langueur dans laquelle le monarque du
Parc aux Cerfs laissait tomber sa puissance i milieu des dé-
bauches, ne permit point de rien entreprendre pc .,i' faire face à loua
les événemens ; ce qui fut la cause des désastres dont ces belles con-
trées devinrent le théâtre avant de passer au:c mains de l'étranger.
Le Cap-Breton, situé au midi de l'île de Terreneuve, dont il
est séparé par une des bouches du St.-Laurent de 15 à 16 lieues
de large, a, au sud, le détroit de Canseau d'une lieue de traverse à
la péninsule acadienne, et à l'ouest, l'île St.-Jean ou du Prince-
Edouard. Sa longueur n'est pas tout à fait de 50 lieues. - Sa
ligure à peu près triangulaire et fort irrégulière, a une surface
tellement entrecoupée de lacs et de rivières que les deux parties
principales ne tiennent ensemble que par un isthme d'environ
800 verges, qui sépare le port de Toulouse où est situé St.-Pierre,
de plusieurs lacs assez considérables dont le plus grand porte le
nom de Bras d'Or. Ces lacs se déchargent au nord-est dans la
mer.
Le climat du Cap-Breton ressemble à celui de Québec pour
les saisons, mais le froid y est moins vif en hiver à cause du roi-
einage de l'Océan, dont les brumes et les brouillards voilent sou-
vent son ciel sans altérer sa salubrité. Le sol y est susceptible
de toutes les productions du bas St.-Laurent, et les montagnes qui
ont leur pente au sud, peuvent être cultivées jusqu'à leur som-
met. Il y a des mines de charbon de terre et de plâtre, dont une
partie amoncelée par bancs au-dessus du sol, est plus facile à
exploiter que celle qu'il faut aller chercher dans les entrailles de
la terre. L'île était couverte de chênes, de pins, d'érables, de
planes, de cèdres, de trembles, tous bois propres à la uonstruc-
tion.
Enfin un grand nombre d'excellens ports, tous situés du côté
de la pleine mer, complétaient les avantagea de cette terre avec la
chasse et la pêche qui y étaient abondantes alors. Les plus
beauK ports étaient ceux de Miray, des Espagnols, de Ste.-Anne et
surtout celui de Louisbourg qui a près de quatre lieues de tour, et
64
HISTOIRE DU CANADA.
dans lequel on enire par un passage de moins de quatre cents
verges formé par deux petites îles. Le cap Loremijec, dont on
aperçoit la cîme à douze lieues de distance, indique ce passage à
la navigation. Le port de Miray qui est situé au nord de l'île
Scatari, peut être remonte par les gros vaisseaux l'espace de six
lieues, et celui des Espagnols, aujourd'liui Sydney, qui a une
entrée d'environ mille pas de largeur, se partage au bout d'une
lieue, en deux bras de trois lieues de longueur assez profonds
pour faire de très bons havres.
Le Cap-Breton n'avait élé fréquenté jusqu'aux dernières
aimées que par des [iêchours ou des traitans. L'été, les premiers
y faisaient sécher leur poisson, l'hiver, les habitans de l'Acadie
venaient y faire !a traite des pelleteries avec les Lidiens. Vers
170o Raudot, intendant de la Nouvelle-Fnnce. envoya au minis-
tère conjointement avec son fils, un mémoire sur son établisse-
ment. Ce mémoire fort circonstancié nous donne une opinion
très favorable des connaissances de ces administrateurs. Ils
avaient imaginé un nouveau plan pour le commerce de l'Amé-
ri(|ue du Nord, dans lequel le Cap-Breton devait jouer un grand
rôle en devenant l'entrepôt général de cette partie du monde.
L'idée était neuve et ingénieuse; mais elle était mise au jour
dans le moment le moins favorable pour être bien accueillie.
Toutefois elle ne fut pas entièrement perdue comme on le verra
plus tard.
Après s'être étendus sur les motifs qu'on avait eus d'établir le
Canada et sur le commerce de pelleteries, le seul dont on se fût
sérieusement occupé jusqu'alors, et auquel on avait tout sacrifié,
ces deux administrateurs disaient que le temps était arrivé de
donner une nouvelle base au négoce de la Ntmvelle-France ; que
la traite des fourrures devenait de jour en jour moins profitable et
cesserait tôt ou tard, que d'ailleurs elle répandait des habitudes
vicieuses et vagabondes parmi la population, qui négligeait la cul-
ture des terres pour un gain trompeur; qu'il fallait imiter la con-
duite des Américains entre laquelle et la nôtre, ils faisaient une
co iiparaison dont l'avantage retournait aux premiers. Ceux-là,
répétaient-ils, sans s'amuser à voyager si loin de chez eux comme
nous, cultivent leurs terres, établissent des manufactures, des ver-
reries, ouvrent des mines, construisent des navires et n'ont jamais
HISTOIRE DU CANADA.
es,
regardé les pelleterieg que comme un accessoire. Nous, nous
devrions les imiter et nous livrer à un commerce plus avantageux
et plus durable que celui que nous faisons aujourd'hui. Comme
eux encourageons Pexportation des viandes salées, des bois de
toutes sortes, du goudron, du brai, des huiles, du poisson, du
chanvre, du lin, du fer, du cuivre, etc. A mesure que le chiffre
des exportations s'élèvera, celui des importations suivra une mar-
che ascendante proportionnelle ; tout le monde sera occupé, les
denrées et les marchandises seront abondantes, et par conséquent
à meilleur marché ; celte activité attirera l'émigration, au!j;men-
tera les défrichemens, développera la pêche et la navigation, et
répandra enfin une vie nouvelle dans tous les établissemens de
cette contrée aujourd'hui si languissante. Ils démontraient par
un raisonnement parfaitement conforme aux meilleurs principes
de l'économie poMtique moderne, les avantages qui résulteraient
de cet état de choses pour la France elle-même ; car qu'on ne
dise pas, observaient-ils, que si le Cap-Breton tire du Canada
une partie de ses denrées que la France peut lui fournir, c'est
autant de défalqué du commerce du royaume; celui-là achètera
d'autant plus de marchandises françaises qu'il vendra de produits
de son propre pays, et plus les manufactures de France emploie-
ront c'. bras, plus sa population augmentera et plus elle consom-
mera de productions agricoles. Les deux Raudots terminaient
ce long document en insistant avec force sur la nécessité de colo-
niser le Cap-Breton, de faire un dépôt général dans cette île qui
se trouvait entre la mère-patrie et l'Acadie, Terreneuve et le
Canada, dans le centre même des pêcheries. Cette île pourrait
fournir de son cru, ajoutaient-ils, aux unes des morues, des huiles,
du charbon de terre, du plâtre, des bois de construction ;
aux autres, des marchandises entreposées venant de France,
qu'elle échangerait contre les denrées de ces diverses provinces.
11 y a plus, disaient-ils encore, ce n'est pas seulement en augmen
tant la consommation des marchandises en Canada que l'établis-
sement projeté serait utile au royaume, on pourrait faire passer
aussi des vins, des eaux de vie, des toiles, du ruban, des taffetas,
etc., aux colonies anglaises qui sont très peuplées et qui en achè-
teraient beaucoup, quand même ce négoce no serait pas permis.
En un mol les auteurs du mémoire voulaient faire du Cap-Bieton,
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66
HISTOIRE DU CANADA.
dans les limites des possessions françaises, ce que la Grande-Bre-
tagne est aujourd'hui pour le monde, le centre du commerce.* Si
nous établissions un chemin de fer entre Halifax et l'extré-
mité supérieure du Canada, le projet de M. Raudot avec la
variante cependant d'Halifax au lieu de Louisbourg, serait
bien près de sa réalisation puisque la différence entre les deux
entreprises ne tiendrait qu'à celle des circonstances diverses du
transport entre ces deux époques. En 1706 l'entrepôt avait
besoin de voies liquides pour recevoir et expédier dans toutes les
directions les productions et les marchandises. Aujourd'hui un
entrepôt peut-être placé aussi bien au centre d'un continent
qu'au sein d'une mer, parce que l'on peut sur terre faire rayonner
les chemins «le fer comme les vaisseaux sur l'Océan, et que la
vapeur franchit les espaces avec plus de rapidité encore sur ie
premier que sur le dernier élément. Ce projet, MM. Raudot
voulaient en confier l'exécution, non à une compagnie toujours
égoïste et sacrifiant sans cesse l'avenir au présent, mais au gou-
vernement kii-môme qu'il priait de s'en charger, en entrant dans
les détails les plus minutieux pour lui en démontrer la facilité ;
mais la guerre que la France soutenait alors contre l'Europe
entière et qui absorbait toute l'énergie et toutes les ressources du
royaume, avec sa jeunesse, c'est-à-dire avec le trop plein de sa
population, ne lui laissait ni le temps ni les moyens de penser à
une pareille entreprise. Après la guerre, les choses ayant subi
des altérations profondes, la réalisation du projet devenait non
seulement utile, mais d'une absolue nécessité.
L'on commença par changer le nom du Cap-Breton pour lui
donner celui d'Ile-Royale, qu'il n'a conservé que durant le temps
qu'il BK'. resté entre les mains des Français. L'on choisit ensuite
pour quartier général le Havre à l'Anglais dont le nom fut aussi
remplacé par celui de Louisbourg. Ce port situé au milieu d'un
terrain stérile, ne pouvait être fortifié qu'à grands frais, parce qu'il
fallait tirer les matériaux de fort loin. Bien des gens auraient
préféré le port Ste.-Anne plus spacieux, très facile à rendre
presqu'imprenable, et en outre entouré d'un pays abondant en
• Toutes ces suggestions étaient inutiles quoique fort sages, tant qu'on
n'aurait pas assez d'habitans pour être à l'abri de la conquête, comme on l'a
dit tant de fois.
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HISTOmS DU CANADA.
67
marbre et en bois de commerce. M. de Costa Belle, qui venait
de perdre son gouvernement de Plaisance cédé aux Anglais, fut
chargé de commencer la nouvelle colonie et de jeter les fonde-
mens de Louisbourg.
La France comptait moins sur l'émigration sortie de son sein
pour peupler l'île et la ville qu'elle voulait fonder,que sur ses anciens
sujets de l'Acadie et de Terreneuve. Elle crut que leur antipa-
thie pour leurs nouveaux maîtreslesengagerait à venir s'y établir ;
elle les y invita même ainsi que les Abénaquis, comme s'il eût
été raisonnable d'espérer que les colons allaient encore se sacrifier
pour une mère-patrie qui les négligeait ou qui ne pouvait les
défendre. Les gouverneurs anglais, aveuglés par leurs préjugés
religieux et nationaux, avaient d'abord mécontenté par de mauvais
traitemens les Acadiens, qui, dans leur désespoir, menacèrent
d'émigrer. Mais lorsque ces gouverneurs apprirent que la France
allait former un nouvel établissement à côté d'eux, ils se hâtèrent
de changer de conduite et de rassurer les colons qui allaient les
abandonner. C'est ainsi que la Grande-Bretagne se conduisit
envers les Canadiens en 1774. Lorsqu'elle vit ses anciennes
colonies prendre les armes contre son autorité, elle s'empressa de
leur assurer l'usage de leur langue et de leurs institutions natio-
nales, pour les empocher de joindre les rebelles. Plus tard cepen-
dant, lorsqu'elle crut n'avoir plus besoin d'eux, elle les sacrifia en
les soumettant à une majorité anglaise, c'est-à-dire aune majorité
différente, de langue, de lois et de religion ; et en cela elle ne fit
que répéter ce qu'elle avait déjà fait à l'égard des malheureux
Acadiens, car telle est la justice de la politique métropolitaine
entre les mains de laquelle les colons, plus que tous autres, ne
sont qup des jouets, une marchandise.
Les Acadiens rassurés, comme on l'a dit, par les paroles des
gouverneurs anglais, ne purent se résoudre à abandonner leurs
terres sur lesquelles ils jouissaient d'une douce aisance, et se
transmettaient de père en fils les mœurs simples et patriarcales
de leurs ancêtres. Il ne s'en trouva qu'un petit nombre qui vou-
lût émigrer, les uns parce qu'ils ne pouvaient s'habituer au nou-
veau joug, les autres parce qu'ils avaient peu de chose à perdre
en s'en allant ; et ils vinrent de Terreneuve et de l'Acadie s'éta-
blir à Louisbourg et en d'autres endroits de l'île, où ils formèrent
( ♦■
^
68
HISTOIRE DU CANADA.
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de petits villages sans ordre et dispersés sur le rivage, chanin
choisissani le terrain qui lui convenait pour la culture ou la poche.
La ville de Louisbourg bâtie en bois sur une lanj,'ue de terre
qui s'avance dans la mer, atteignit une denii-lieue de longueur
dans sa plus grande prospérité. Les rares maisons de ))ierre
qu'on y voyait appartenaient au gouvernement. O.i y construisit
des cales, c'est-à-dire des jetées, qui s'étendaient au loin dans le
port, pour charger et décharger les navires. Coniriie le principal
objet du gouvernement en prenant possession de l'île était de s'y
rendre inexpugnable, on commença à fortifier la ville en 17'i0.
On y dépensa des sommes énormes qui dépassèrent trente-mil-
lions, pour protéger les pêcheries, s'assurer la libre communica-
tion entre la France et le Canada, et ouvrir en temps de guerre
un asile aux vaisseaux venant des Indes occidentales.
La pêche formait la principale industrie des habitans. La
traite des fourrures qui s'y faisait avec quelques î^'^auvages Mic-
macs était peu considérable. La population du Cap-Breton
s'éleva graduellement à 4000 âmes. Eile était presque toute
réunie à Louisbourg. Il n'y avait que quelques centaines d'ha-
bitans dispersés sur les côtes à de grandes distances les uns des
autres. On en trouvait moins de 200 de cette ville à Toulouse,
oti un pareil nombre à peu près étaient concentrés et s'occupaient
de culture, alimentaient la capitale de denrées, élevaient des ani-
maux et construisaient des bateaux et goélettes; une centaine
habitaient les îles rocheuses et arides de Madame, quelques
autres s'étaient répandus sur la côte à l'Indienne, à la baie des
Espagnols (Sidney), au port Dauphin ainsi qu'en plusieurs autres
endroits de l'île. Les habitans les moins aisés employaient,
suivant Raynal, deux cents chaloupes à la pêche, et les plus
riches cinquante goélettes de trente à cinquante tonneaux. Les
chaloupes ne quittaient jamais les côtes de plus de quatre ou cinq
lieues ; les goélettes allaient jusque sur le grand banc de Terre-
neuve et dans l'automne portaient elles-mêmes leurs précieuses
cargaisons en France ou dans les îles de l'archipel du Mexique.
Dans le fait l'Ile- 'lyale n'était qu'une grande pêcherie; et sa
population, composv^e en hiver des pêcheurs fixes, faisait plus que
doubler en été par l'arrivée de ceux de l'Europe, qui s'éparpil-
laient sur les grèves pour faire sécher leur poisson. Elle recevait
HISTOIRE DU CANADA.
69
sa subsistance de la France ou des Antilles. Elle tirait de la
première des vivres, des boissons, des vête mens et jusqu'à ses
meubles ; elle faisait ses retours en envoyant de la morue dans
une partie des vaisseaux qui lui apportaient ces marchandises, le
reste allant faire la pêche pour se former une cargaison. Elle
expédiait pour les Iles vingt ou vingt-cinq bâtimens de 70 à 140
ton leaux chargés de morue, de madriers, de planches, de mer-
rai i, de charbon de terre, de saumon, de maquereau salé, et enfin
d'hi ;'e de poisson ; elle en rapportait du sucre, du café, des rums
et des sirops. Elle parvint à créer chez elle un petit commerce
d'échange, d'importation et d'exportation. Ne pouvant consom-
mer ce T,'plle recevait de France et des Iles, elle en cédait une
partie au Canada et une autre plus considérable à la Nouvelle-
Angieterre, qui venait les chercher dans ses navires et apportait
en paiement des fruits, des légumes, des bois, des briques, des
bestiaux, et par contrebande, des farines et même de la morue.
Malgré cette apparente prospérité, la plus grande partie des
habitans languissait dans la misère. Comme les manufactures
la pêche pour un riche qu'elle fait, retient des milliers d'hommes
dans l'indigence. L'expérience a démontré depuis longtemps
que les industries qui emploient un grand nombre de bras, ont
toutes le même inconvénient grave, la pauvreté excessive des
hommes qu'elles occupent. Outre cette cause à laquelle on peut
attribuer une partie de la misère des colons de l'Ile-Royale, les
circonstances dans lesquelles ils étaient venus s'y établir avaient
encore augmenté le mal. Fuyant le joug étranger en Acadie et à
Terreneuve, ils avaient tout sacrifié pour venir vivre et mourir sous
le drapeau français, sous ce drapeau qu'ils ne pouvaient oublier,
qu'ils ne pouvaient cesser d'aimer ; ils y étaient arrivés dénués de
tout. " Dans l'impuissance, dit l'historien des deux Indes, de se
pourvoir d'ustensiles et des premiers moyens de pêches, ils les
avaient empruntés à un intérêt excessif. Ceux même qui n'avaient
pas eu besoin d'abord de ces avances, ne tardèrent pas à subir la
dure loi des emprunts. La cherté du sel et des vivres, les pêches
malheureuses les y réduisirent peu à peu. Des secours qu'il fal-
lait payer vingt à vingt-cinq pour cent par année, les ruinèrent
sans ressource.
Telle est à chaque instant la position relative de l'indigent qui
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70
HISTOIRE DU CANADA.
sollicite des secours, et du citoyea opulent qui ne les accorde qu'à
des conditions si dures, qu'elles deviennent en peu de temps fata-
les à l'emprunteur et au créancier ; à l'emprunteur, à qui l'emploi
du secours ne peut autant rendre qu'il lui a coûté ; au créancier,
qui finit par n'être plus payé d'un débiteur que son usure ne tarde
pas à rendre insolvable. Il est difficile de trouver un remède à
cet inconvénient, car enfin il faut que le préteur ait ses sûretés,
et que l'intérêt de la somme prêtée soit d'autant plus grand que
les sûretés sont moindres."
Le gouvernement du Cap-Breton et de St.-Jean était entière-
ment modelé sur celui du Canada. Le commandant, comme
celui de la Louisiane, était subordonné au gouverneur général de
la Nouvelle-France résidant à Québec ; mais vu l'éloignement
des lieux, ces agens secondaires étaient généralement indépendans
de leur principal. Dans ces petites colonies, l'autorité et les fonc-
tions de l'intendant étaient aussi déférées à un commissaire-
ordonnateur, fonctionnaire qui a laissé après lui en Amérique une
réputation peu enviable.
Le fondateur du Cap-Breton fut remplacé par M. de St.-Ovide.
En 1720, l'Angleterre nomma pour gouverneur de l'Acadie et de
Terreneuve, M. Philippe Richard, qui fut bien étonné en arrivant
dans son gouvernement de trouver les anciens habitans français
en possession de leur langue, de leur religion, de leurs lois, et en
communication journalière avec l'Ile-Royale comme s'ils eussent
encore appartenu à la France ; il voulut prendre sur le champ
des mesures pour leur anglification en masse, croyant le moment
venu d'exéci''"r ce projet sans danger. Il commença d'abord
par leur inteiu .e tout commerce avec le Cap-Breton. Il leur fit
signifier ensuite qu'il leur donnait quatre mois pour prêter le ser-
ment d'allégeance. M. de St.-Ovide informé de tout ce qui se
passait, se hâta de prévenir les habitans que s'ils consentaient à
ce qu'on exigeait d'eux, ils seraient bientôt privés de la liberté de
professer leur religion ; que leurs enfans abandonneraient celle de
leurs pères; que les Anglais les traiteraient en esclaves, parce que
leur esprit d'exclusion et leur antipathie naturelle contre les
Français, les tiendraient toujours séparés d'eux, comme les
Huguenots, tout unis qu'ils étaient à ce peuple par les liens de la
religion, en étaient la preuve. Les A.cadiens n'avaient pas
]•■"
HISTOIRE DU CANADA.
a
attendu ces suggestions de leurs anciens compatriotes, pour répon-
dre à Richard ; ils lui avaient représenté qu''ils étaient restés dana
le pays à la condition qu'ils conserveraient leurs coutumes et
leurs institutions telles qu'ils l'entendraient ; que sans cela ils se
seraient retirés en Canada ou à l'Ile-ïïoyale comme le leur per-
mettait le traité d'Utrecht, après avoir vendu leurs terrés ; que là
crainte de perdre une population si industrieuse et dé dépeupler
le pays, avait engagé le gouvernement d'alors à acquiescer à leur
demande ; que leur demeure avait été d'un grand avantage pour
les Anglais eux-mêmes, parce que c'était à leur considération que
les Sauvages, leurs fidèles alliés, les laissaient en repos, ce qui
était vrai. Tls laissèrent entrevoir aussi à l'imprudent gouverneur
que s'il persistait à mettre son projet à exécution et à vouloir les
forcer de prêter le serment de fidélité, ou leur ôter leurs pasteurs,
il pourrait bien exciter une insurrection qui deviendrait formidable
par l'union des insurgés avec les Indigènes jusqu'à la rivière
Kénébec. Au surplus M. de St.-Ovide avait déjà pris des
mesures pour faire passer les Acadiens dans l'île St.- Jean, que
l'on se proposait aussi d'établir. En présence de cette opposition
force fut à Richard d'abandonner ses projets d'anglification. Mais
le cabinet de Londres ne fit qu'ajourner sa résolution. L'orage
ne se dissipa alors au-dessus de la tête des malheureux Acadiens
que pour éclater plus tard avec plus de fureur et rendre leur
perte plus complète.
Nous avons dit que le gouvernement français avait formé le
projet d'établir l'île St.- Jean. Cette île en forme d'arc de vingt-
deux lieues de long sur une plus ou moins de large, et qui est
située dans le voisinage du Cap-Breton, dont elle peut être con-
sidérée comme une annexe, devait être en effet d'une grande
utilité. Elle possède un sol fertile et des pâturages excellens.
Jusqu'à la pacification d'Utrecht elle avait été oubliée comme
l'Ile-Royale. En 1719 il se forma une compagnie avec le
double projet de la défricher et d'y établir de grandes pêcheries.
C'était à l'époque du fameux système de Law, où il était plus
facile de trouver des fonds que de leur conserver la valeur factice
que l'engouement des spéculateurs y avait momentanément atta-
chée. Le comte de St.-Pierre, premier écuyer de la duchesse
d'Orléans, se mit à la tête de l'entreprise. Le roi lui concéda les
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72
HISTOIRE DU CANADA.
îles St.-Jean, Miscou et de la Magdeleine. Mais malheureuse-
ment l'intérêt qui avait réuni les associés les divisa aussitôt ; ils
voulurent tous avoir part à la régie, et le plus grand nombre
n'avait aucune expérience de ces sortes d'entreprises ; il va sans
dire que tout échoua. L'île retomba dans l'oubli d'où on l'avait
momentanément tiré et y demeura jusque vers 1749, que les
Acadiens, fuyant le joug anglais, commencèrent à s'y établir.
; i
LIYRE SEPTIEME.
CHAPITRE I.
SYSTÈME DE LAW.— CONSPIRATION DES NATCHÉS.
1712-1731.
La Louisiane, ses habitans et ses limites. — M. Crozat en prend possession
en vertu de la cession du roi. — M. de la Motte Cadillac, gouverneur ; M.
Duclos, commissaire-ordonnateur. — Conseil supérieur établi ; introduction
de la coutume de Paris. — M. Crozat veut ouvrir des relations commer-
ciales avec le Mexique ; voyages de M. Juchereau de St.-Denis à ce sujet ;
il échoue. — On fait la traite des pelleteries avec les Indigènes, dont une
portion embrasse le parti des Anglais de la Virginie. — Les Natchés cons-
pirent contre les Français et sont punis. — Désenchantement de M. Crozat
touchant la Louisiane ; cette province décline rapidement sous son mono-
pole ; il la rend (1717) au roi, qui la concède à la compagnie d'Occident
rétablie par Law. — Système de ce fameux financier. — M. de l'Espinay
succède à M. de la Motte Cadillac, et M. Hubert à M. Duclos. — M. de
Bienville remplace bientôt après M. de l'Espinay. — La Nouvelle-Orléans
est fondée par M. de Bienville (1717.) — Nouvelle organisation de la colo-
nie ; moyen que l'on prend pour la peupler. — Terrible famine parmi les
colons accumulés à Biloxi. — Divers établissemens des Français. — Guerre
avec l'Espagne. — Hostilités en Amérique: Pensacola, île Dauphine. —
Paix.— Louis XV récompense les officiers de la Louisiane^ — Traité avec
les Chicachas et les Natchés. — Ouragan du 12 septembre (1722.) — Mis-
sionnaires.— Chute du système de Law. — La Louisiane passe à la com-
pagnie des Indes. — Mauvaise direction de cette compagnie. — M. Perrier,
gouverneur. — Les Indiens forment le projet de détruire les Français ;
massacre aux Natchés ; le complot n'est exécuté que partiellement.—
Guerre à mort faite aux Natchés ; ils sont anéantis, 1731.
Les premiers colons de la Louisiane furent, comme on l'a vu,
des Canadiens. Ce petit peuple qui habitait l'extrémité septen-
trionale du Nouveau-Monde, sans avoir eu presque le temps de
s'asseoir sur la terre qu'il avait défrichée, courrait déjà à l'aven-
ture vers des contrées nouvelles ; ses enfans jalonnaient les rives
du St.-Laurent et du Mississipi dans un espace de près de douze
cents lieues ! Une partie disputait les bords glacés de la baie
d'Hudson aux traitans anglais, tandis qu'une autre guerroyait
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74
HISTOIRE DU CANADA.
i
avec les Espagnols presque sous le ciel brûlant des tropiques.
La puissance française en Amérique semblait reposer sur eux.
Ils se multipliaient avec une incroyable énergie pour faire face
au nord et au sud. Partout pleins de dévouement et de bonne
volonté, ils se sacrifiaient inutilement pour faire triompher la cause
de leur patrie. Au nom de leur roi, ils obéissaient sans calculer
ni les sacrifices, ni les conséquences, et nous verrons dans le cours
de ce chapitre que c'est à eux principalement que la France dut
la conservation de la Louisiahe, comme c'était à eux encore
qu'elle devait celle du Canada depuis un quart de siècle. Mais
le flot perpétuel de l'émigration anglaise devait finir par l'empor-
ter sur l'oubli de la France, qui ne tirant plus d'émigrans de son
sein, dépeuplait le Canada pour peupler les bords du Mississipi.
En même temps qu'elle fortifiait le Cap-Breton, elle s'occupait
de l'établissement de la Louisiane, dont elle réclamait pour terri-
toire du côté du sud et de l'ouest jusqu'à la rivière Del Norte, et
de là en suivant les hauteurs qui séparent cette rivière de la rivière
Rouge jusqu'aux Montagnes-Rocheuses, au golfe de Californie et
à la mer Pacifique ;* du côté de l'est toutes les terres dont les
eaux tombent dans le Mississipi.
La Mobile ne conserva guère plus longtemps que Biloxi le
titre de chef-lieu. Les désavantages propres à cette localité la
firent abandonner pour l'île Dauphine, ou du Massacre, ainsi
nommée à cause des ossemens humains, restes sans doute de
quelque tribu détruite, qu'on trouva ensevelis sous le sol. Quoique
cette île très basse soit couverte d'un sable blanc cristallin si brû-
lant que rien n'y pousse, et que l'on se sente saisi à son aspect
d'une profonde tristesse, on la choisit parce qu'elle possédait un
port.
Le gouvernement absorbé tout entier par la guerre de la suc-
cession d'Espagne, ne put se charger de l'établissement de la
nouvelle colonie qti'il abandonna aux efforts des particuliers. Il
existait alors à Paris un négociant habile qui avait acquis une
vaste fortune dans le commerce maritime. Il avait rendu des
services signalés au royaume en important une grande quantité de
matières d'or et d'argent dans un temps où l'on ' eirt avait très
besoin. Le roi l'avait nommé conseiller-secrétaire de la maison
♦ Carte publiée par l'Académie française.
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HISTOIRE DU CANADA.
75
M
et couronne de France au ilépartomcnt des finances. Ce mar-
chand était M. Crozat. La cour lui abandonna en 1712, pour
seize ans, le privilège exclusif du commerce de la Louisiane, et
en pleine propriété l'exploitation des mines de cette contrée ;
c'était agir contrairement à l'esprit du mémoire de M. Raudot,
dont nous avons parlé dans le dernier chapitre. M. Crozat qui
n'avait attribué qu'à un système vicieux le peu de succès fait
jui^qu'alors sur le Mississipi, se mit en frais d'utiliser incessamment
sa gigantesque concession.
Louis XIV nomma M. de la Motte Cadillac gouverneur en
remplacement de M. de Muys, mort en se rendant en Amérique.
M. Duclos eut la charge de commissaire-ordonnateur à la place
de M. d'Artaguette rentré en France, et un conseil supérieur fut
établi pour trois ans, composé de ces deux fonctionnaires et d'un
greffier avec pouvoir de s'adjoindre des membres. Ce conseil
était un tribunal général pour les affaires civiles et criminelles,
grandes ou petites. Il devait procéder suivant la coutume de
Paris, dont les lois furent seules reconnues dans ce pays comme
elles l'étaient déjà en Canada. Cette organisation purement des-
potique, puisque l'administration militaire, civile et judiciaire se
trouvait réunie dans les mêmes mains, ne fait qu'ajouter un
exemple de plus à ce que nous avons déjà dit, que les colonies
françaises furent soumises dans l'origine à un régime militaire
absolu.
M. de la Motte Cadillac débarqua à la Louisiane en 1713.
Crozat se l'était associé pour l'intéresser à son commerce. La
nouvelle colonie devint plus que jamais une exploitation mercan-
tile, absorbant toute l'attention du gouverneur. Il trouva en arri-
vant que les colons languissaient plutôt qu'ils ne vivaient dans un
des plus beaux pays du monde, faute d'avances et faute de débou-
chés pour leurs denrées. Après avoir jeté les yeux autour de
lui, il chercha à établir des relations avec ses voisins ; il s'arrêta
d'abord aux Espagnols. Il envoya un navire chargé de marchan-
dises à Vera-Cruz. Le vice-roi du Mexique, fidèle aux maximes
exclusives de son temps et de son pays, défendit le débarquement
et ordonna au vaisseau de s'éloigner. Malgré le mauvais succès
de cette première tentative, Cadillac ne se découragea pas, et
voulut en faire une seconde par terre. Il en chargea M. Juche-
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76
HISTOmE DU CANADA.
reau do St.-Dcnis, un des voyageurs canadiens les plus intrépides,
qui était à la Louisiane depuis quatorze ans.
St. -Denis iitdeux voyages dans le Mexique, qui furent remplis
d'incidens et d'aventures galantes et romanesques, mais qui n'eu-
rent pas plus de résultat l'un que l'autre. Il ne fut de retour du
second qu'en avril 1719.
Tandis que le gouverneur cherchait ainsi à ouvrir des débou-
chés avec le Mexique, il envoyait faire la traite chez les Natchés
et les autres nations du Mississipi, où ses agens trouvèrent des
Anglais de la Virginie, pour lesquels les Chicachas allaient deve-
nir de nouveaux Iroquois. La lutte sourde qui existait dans lo
nord allait se répéter dans le sud, et partager les Indigènes entre
les deux peuples rivaux. Bientôt l'on vit, d'un côté, plusieurs
tribus, ayant à leur tête les Alibamons et les Chactas, tomber sur
la Caroline pour y commettre des ravages et des assassinats ; et,
de l'autre, les Natchés tramer la destruction des Français, qui ne
furent sauvés que par la promptitude et la vigueur avec lesquelles
]d gouverneur sut agir. Mais les Natchés furent cruellement
punis de leur faute ; on les obligea d'élever de leurs propres mains,
au miheu de leur principal village, un fort pour ceux-là mêmes
qu'ils avaient voulu exterminer. C'était la première humiliation
que subissait leur grand chef, qui prétendait descendre du soleil,
et qui en portait le nom avec orgueil. Ce fort, aujourd'hui Nat-
chez, situé sur le fleuve Mississipi, couronnait un cap de 200
pieds d'élévation ; Bienville lui donna le nom de Rosalie en mé-
moire de madame de Pontchartrain, dont le mari, ministre d'état,
protégeait la famille des Lemoine d'oiî sortait Bienville. C'est
l'année suivante, 1715, que M. du Tisné jeta les fondemens de
Natchitoches, maintenant l'une des villes les plus florissantes de
l'Amérique.
Cependant les grandes espérances que Crozat avait conçues de
la Louisiane, s'étaient dissipées peu à peu ; il y avait à peine
quatre ans qu'il avait cette province entre les mains, et déjà son
commerce était anéanti. Le" monopole de ce grand fermier avait
tout frappé de mort. Avant sa concession il s'y faisait quelques
affaires. Les habitans de la Mobile et dt l'île Dauphine expor-
taient des provisions, des bois, des pelleteries chez les Espagnols
de Pensacola, dans les îles de la Martinique, de St.-Domingue,
HISTOIRE DU CANADA.
77
et en Franco, et recevaient en retour les denrées et les marchan-
dises dont ils avaient besoin pour leur consommation intérieure
ou pour leur trafic avec les Indiens. Crozat n'y eut pas plutôt
fait reconnaitre son privilège que cette industrie naisi<ante languit
et mourut. Les vaisseaux des Iles ne parurent plus; il fut défendu
d'aller à Pensacola d'où provenait tout le numéraire de la colonie,
et de vendre ses marchandises à d'autres qu'aux agens de Crozat,
qui donnaient les prix qu'ils voulaient. Celui des peilereries fut
fixé si bas que les chasseurs préférèrent les porter en Canada ou
dans les colonies anglaises. Le concessionnaire, à l'aspect de la
décadence des affaires, n'en voulut pas voir la cause là où elle
était ; il adressa représentations sur représentations au gouverne-
ment qui ne les écouta point. Enfin épuisé par ses avances et
trompé dans son espoir d'ouvrir par terre et par merdes commu-
nications avec le Mexique pour y verser ses marchandises et en
tirer des métaux, il remit son privilège plus onéreux que profi-
table au roi, qui le concéda de suite à la compagnie d'Occident,
dont le succès étonna d'abord toutes les nations.
Un aventurier écossais nommé Jean Law, homme plein d'ima-
gination et d'audace, cherchant avec avidité l'occasion d'attirer
sur lui l'attention de l'Europe par quelque grand projet, trouva
dans la situation financière de la France, un moyen de parvenir
au but qu'il désirait. Ayant fait une étude de l'économie politi-
que dont Turgot et Smith devaient faire plus tard une science, il
se présenta à Péris comme le sauveur de la nation et le restaurateur
de ses finances délabrées. Quel remède inattendu a-t-il trouvé
pour combler l'abîme de la dette nationale, qui devient de jour en
jour plus profond malgré tous les efforts que l'on fait pour le fer-
mer ? Le papier monnaie et les mines imaginaires de la Louisiane.
Le pays même que Crozat vient de rejeter avec dégoût, après y
avoir perdu des sommes considérables, est la panacée qui doit
produire une aussi grande merveille.
Il n'y a que l'état déplorable de la France à cette époque qui
ait pu entraîner le peuple, le roi et ses ministres dans ces illusions
vers lesquelles ils se portèrent avec une ardeur qui se communi--
qua à d'autres pays.
" Ponce de Léon n'eut pas plutôt abordé à la Floride en 1512,
qu'il se répandit dans l'ancien et le nouveau-monde que cette
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78
HISTOIRE DU CANADA.
région était remplie de métaux. Ils ne furent découverts ni par
François de Cordoue, ni par Velasquez de Ayllon, ni par Pliilippe
de Narvaez, ni par Ferdinand de Soto, auoique ces honimes
entreprenans les eussent cherchés pendant trente ans avec des
fatigues incroyables. L'Espagne avait enfin renoncé à ses espé-
rances ; elle n'avait même laissé aucun monument de ses entre-
prises ; et cependant il était resté vaguement dans l'opinion des
peuples que ces contrées renfermaient des trésors immenses.
Personne ne désignait le lieu précis où ces richesses pouvaient
être ; mais cette ignorance même servait d'encouragement à l'ex-
agération. Si l'enthousiasme se refroidissait par intervalle, ..e
n'était que pour occuper plus vivement les esprits quelque temps
après. Cette disposition générale à une crédulité avide, pouvait
devenir un merveilleux instrument dans des mains habiles."
Lavv sut mettre ces vagues croyances à profit. Ce financier
avait commencé ses opérations en établissant avec la permission
du régent en 1716, une banque possédant un capital de 1200
actions de mille éous chacune. Cette banque dans ces sages
limites, augmenta le crédit et fit un grand bien, car elle pouvait
laire face à ses obligations assez facilement: maison voulut bien-
tôt aller plus loin ; on avait toujours les yeux tournés vers la
Louisiane, où l'on croyait trouver assez d'or pour payer les dettes
de l'Etat. Lavv rétablit en 1717 la compagnie u'Occidcnt et lui
fit donner cette province, en l'unissant à la banque et en lui asso-
ciant la ferme du tabac et le commerce du Sénégal. Dans la
supposition du succès, une pareille société devait dégénérer en
monopole. Mais à cette époque on était incapable de juger des
avantages ou des désavantages de ces grandes opérations com-
merciales ; et à venir jusqu'à nos jours, les opinions des hommes
les plus éclairés ont été opposées et contradictoires sur cette
matière.
Quoiqu'il en soit, les actions de la compagnie d'Occident se
payaient en billets d'Etat que l'on prenait au pair quoiqu'ils ne
valussent que cinquante pour cent dans le commerce. Dans un
instant le capital de ÎOO millions fut rempli ; chacun s'empressait
de porter un papier décrié, croyant le voir bientôt racheté er bel
or de la Louisiane. Les créanciers de l'Etat qui entrevoyaient
leur ruine dans l'abaissement graduel des finances, se prirent à
wmn
HISTOIRE DU CANADA.
79
cette spéculation, comme à leur seul moyen de salut. Les riches
entraînés par le désir d'augmenter leur fortume, s'y lancèrent
avec des rêves dont Lavv avait soin de nourrir la cupide extrava-
gance. " Le Mississipi devint un centre où toutes les espérances,
toutes les combinaisons se réunissaient. Bientôt des hommes
riches, puissans, et qui pour la plupart passaient pour éclairés, ne
se contentèrent pas de participer au gain général d i monopole,
ils voulurent avoir des propriétés particulières dans une région qui
passait pour le meilleur pays du monde. Pour l'exploitation de
ces domaines, il fallait des bras : la France, la Suisse et l'Alle-
magne fournirent avec abondanc. des cultivateurs, qui, après avoir
travaillé trois ans gratuitement pour cQlui qui aurait fait les frais
de leur transportation, devaient devenir citoyens, posséder eux-
mêmes des terres et les défricher."
Cependant le gouverneur et le commissaire-ordonnateur avaient
été changés. M. de la Motte Cadillac avait eu pour successeur
M. de l'Espinay ; M. Duclos, M. Hubert ; mais quelque temps
après l'on donna à ces deux fonctionnaires un supérieur dans la
personne de M. de Bienville. qui fut nommé commandant
général de toute la contrée. Les Français occupaient alors
Biloxi, l'île Dauphine, la Mobile, Nutchez et Natchitoches sur la
Rivière-Rouge. Ils avaient aussi commencé des établissemens
sur plusieurs autres points. Biloxi était redevenu chef-lieu, et l'île
Dauphine qui avait perdu son port peu rpiv;s son établissement,
par un coup de mer qui en avait fermé l'entrée, avait été aban-
donnée pour l'Ile aux Vaisseaux. L'obstination que l'on mettait
à demeurer sur une côte stérile, pour ne pas s'éloigner de la mer,
démontre que le but de la colonisation avait été jusque là plutôt
commercial qu'agricole. Enfin l'on commença à croire que les
bords du Mississipi présentaient de plus grands avantages pour la
situation d'une capitale, et l'on résolut d'aller chercher un asile
sur la rive gauche de ce fleuve, dans un endroit que B.; nville avait
déjà remarqué à trente lieues de l'Océan. Ce gouverneur avec
quelques pauvres charpentiers et faux-sauniers y jeta, en 1717,
les fondemens d'une ville qui est aujourd'hui comme NatcM-
toches, l'une des plus populeuses et des plus riches du Nouveau-
Monde. Il lui donna le nom de Nouvelle-Orléans en l'honneur
du duc d'Orléans, régent du royaume. La Louisiane avait eu
'W
80
HISTOIRE DU CANADA.
pour fondateur un Canadien illustre dans nos annales; la capitale
de ce beau pays allait à son tour devoir également son existence
à un de nos compatriotes. M. de Pailloux fut nommé gouver-
neur de la nouvelle ville, où arriva l'année suivante un vaisseau
qui fut agréablement surpris de trouver seize pieds d'eau dans
l'endroit le moins profond du Mississipi. On ne croyait pas ce
fleuve navigable si haut pour les gros navires. On ne trans-
féra cependant qu'en 1722 le gouvernement à la Nouvelle-
Orléans. On ne pouvait se résoudre à perdre la mer de vue à
la Louisiane, tandis qu'en Canada l'on cherchait au contraire à
s'en éloigner en s'élevant toujours sur le St.-Laurent pour suivre
la traite des pelleteries daos les forêts.
La compagnie d'Occident n'avait pas été plutôt en possession
de cette fertile contrée qu'elle avait travaillé à organiser un nou-
veau gouvernement, et surtout un système d'émigration qui put
assurer le rapide établissement des terres, et l'exploitation des
mines abondantes dont les précieuses richesses devaient payer la
dette nationale.
Dans la nouvelle organisation Bienville fut maintenu à la tête
de l'administration comme gouverneur-général et directeur de la
compagnie en Amérique ; M. de Pailloux fut nommé major-
général ; Dugué de Boisbriand, commandant aux Illinois, et
Diron, frère de l'ancien commissaire-ordonnateur, inspecteur-
général des troupes.
La Louisiane avait été cédée à la compagnie en 1717 ; dès le
printemps suivant huit cents colons quittaient la Rochelle sur
trois vaisseaux pour aller s'y établir. Il y avait parmi eux des
gentilshommes et d'anciens officiers, au nombre desquels était
Lepage Dupratz qui a laissé d'intéressans mémoires sur les évé-
nemens de son temp'^ dans cette contrée. Cette émigration se
dispersa sur différens points. Les gentilshommes étaient partis
avec l'espoir d'obtenir des seigneuries en concession, et d'in-
troduire dans la nouvelle province une hiérarchie nobiliaii»;
comme il s'en formait une en Canada. Law lui-môme voulut
donner l'exemple. Il obtint une terre de quatre lieues en carré,
à Arkansas, qui fut érigée en duché et sur laquelle il ache-
mina quinze cents hommes. Allemands et Provençaux, pour la
peupler. Il se proposait de faire suivre cette première émigra-
HISTOIRE DU CANADA.
81
tion par 6000 Allemands du Palatinat, lorsqu'on 1720 croula sa
puissance éphémère et avec elle l'échafaudage de ses magnifiques
projeta qui laissèrent sur la France les ruines de la fortune publique
et particulière. Le contrecoup de cette grande chute financière,
qui n'avait encore rien eu de pareil chez les modernes, ébranla
profondément la jeune colonie, et l'exposa aux désastres les plus
déplorables. Des colons rassemblés à grands frais plus de mille
furent perdus avant l'embarquement à Lorient. " Les vaisseaux
qui portaient le reste ne firent voile des ports de France qu'en
1721, un an après la disgrâce du ministre ; et il ne put donner
lui-même aucune attention à ce débris de sa fortune. La conces-
sion fut transportée à la compagnie." La compagnie ne donna
point d'ordre pour faire cesser l'acheminement des colons sur
l'Amérique. Une fois en route ces malheureux ne pouvaient
arrêter, et la chute du système les laissait sans moyens d'exis-
tence. On les entassait sans soin et sans choix dans des navires
et on les jetaient sur la plage de Biloxi, d'où ils se transportaient
comme ils pouvaient dans les différens heux de leur destination.
L'on n'avait pas à Biloxi assez d'embarcations pour suffire à les
monter sur le Mississipi. Il y eut ent ibrement, les provisions
manquèrent et la disette apparut avec toutes ses horreurs ; on
n'eut plus pour vivre que les huîtres que l'on péchait sur le bord
de la mer. Plus de cinq cents personnes moururent de faim.
L'ennui et le chagrin en conduisirent beaucoup d'autres au tom-
beau. La mésintelligence, la discorde, suite ordinaire du malheur,
s'empara du reste ; l'on forma des complots, et l'on vit une com-
pagnie de troupes Suisses qui avait reçu ordre de se rendre à la
Nouvelle-Orléans, passer, officiers en tête, à la Caroline chez les
Anglais.
Tant de désastres firent abandonner enfin Biloxi, cette rive
funeste, et la Nouvelle-Orléans devint définitivement la capitile
de la Louisiane.
Il ne faut pas croire néanmoins que tous ces efforts, tout mal
diiigés qu'ils fussent, soient demeurés sans fruit. Nombre d'établis-
se aens commencés alors, au milieu du deuil et des larmes, réus-
sirent et ont pris aujourd'hui un développement considérable.
Sans doute l'on eût pu faire mieux, mais Raynal exagère singu-
lièrement le mal. Une colonisation forte, permanente, puissante,
m
i,.
82
HISTOIRE DU CANADA.
! M
s'opère graduellement, se consolide par ses propres efforts et la
jouissance d'une certaine liberté. Ne fut-il mort personne à
Biloxi, les émigrans eussent-ils été tous des cultivateurs laborieux,
intelligens, persévérans, et l'on sait que ces qualités manquaient
à un grand nombre, le succès prodigieux qu'on attendait ne se
serait pas encore réalisé : on a vu jusqu'à quel degré on avait
élevé les espérances de la France. Il n'y avait pas jusqu'aux
petits maîtres des salons de Paris qui ne fussent pris d'enthou-
siasme. Les mines du Mississipi devaient payer la dette natio-
nale ; la Louisiane elle-même dans l'esprit de ces faiseurs de
projets allait à jour donné relever le commerce français et former
un empire capable de lutter avec celui qui se formait entre elle
et le Canada. On fut trompé, comme on devait l'être, dans toutes
ceo espérances. Le désappointement qu'on en éprouva fit une
si vive impression sur les esprits, que longtemps après il influen-
çait encore la plume irritable de l'historien des deux Indes, et que
le sage Barbé-Marbois ne put au bout d'un siècle échapper tout-
à-fait à l'impression qu'il avait laissée dans sa patrie.
" Dans leur appréciation du système de Lavv, les uns comme
M. Barbé-Marbois, disent qu'après avoir persuadé aux gens cré-
dules que la monnaie de papier peut, avec avantage, tenir lieu des
espèces métalliques, l'on tira de ce faux principe les conséquen-
ces les plus extravagantes, qu'elles furent adoptées par l'ignorance
et la cupidité, et peut-être par Law lui -môme, car il portait de
l'élévation et de la franchise jusque dans ses erreurs.
" Les hommes éclairés résistèrent cependant, et beaucoup de
membres du parlement de Paris opposaient à ses impostures les
leçons de l'expérience. Vaine sagesse ! Jean Law parvint à
persuader au public que la valeur de ses actions était garantie par
des richesses inépuisables que recelaient des mines voisines du
Mississipi. Cea chimères appelées du nom de système de Law,
ne différaient pas beaucoup de celles qu'on s'est efforcé de nos
jours de reproduire sous le nom de Crédit. Quelques-uns ont
prétendu que tant d'opérations injustes, tant de violations des
engagemens les plus solennels, étaient le résultat d'un dessein
profondement médité, et que le régent n'y avait consenti que
pour libérer l'Etat d'une dette dont le poids était devenu insup-
portable. Nous ne pouvons adopter cette explication. Il est
HISTOIRE DU CANADA.
83
plus probable qu'après être entré dans une voie pernicieuse, ce
prince et son conseil furent conduits de faute en faute à pallier
un mal par un mal plus grand et à tromper le public en se faisant
illusion à eux-mêmes. Si au contraire ils avaient agi par suite
d'une mesure préméditée, il y aurait encore plus de honte dans
cet artifice que dans la franche iniquité du Directoire de France,
quand en 1797 il réduisit au tiers la dette publique."
D'autres ayant Say à leur tête, attribuent le naufrage du systè-
me à une autre cause. " Les gouvernemens qui ont mis en cir-
culation, dit cet économiste, des papiers-monnaies, les ont toujours
présentés comme des billets de confiance, de purs effets de com-
merce, qu'ils alTcctaient de regarder comme des signes représen-
tatifs d'une matière pourvue de valeur intrinsèque. Tels étaient
les billets de la banque formée, en 1716, par l'Ecossais Law, sous
'autorité du régent. Ces billets étaient ^insi conçus :
La banque promet de payer aie porteur à vue.,., livres, en
monnaie de même poids et au même titre que la 'monnaie de ce
jour, valeur reçue, à Paris, etc.
La banque, qui n'était encore qu'une entreprise particulière,
payait régulièrement ses billets chaque fois qu'ils lui étaient pré-
sentés. Ils n'étaient point encore un papier-monnaie. Les
choses continuèrent sur ce pied jusqu'en 1719 et tout alla bien.*
A cette époque, le roi, ou plutôt le régent remboursa les action-
naires, prit l'établissement entre ses mains, l'appela banque
royale, et les billets s'exprim Jrent ainsi :
" La banque promet de payer au porteur à vue.... livres, en
ESPECES d'argent, Valeur reçue à Paris, etc.
" Ce changement, léger en apparence, était fondamental. Les
premiers billets stipulaient une quantité fixe d'argent, celle qu'on
connaissait au moment de la date sous la dénomination d'une
livre. Les seconds ne stipulant que des livres, admettaient tou-
tes les variations qu'il plairait au pouvoir arbitraire d'introduire
dans la forme et la matière de ce qu'il appellerait toujours du
nom de livres. On nomma cela rendre le papier-monnaie ^a;e :
c'était au contraire en faire une monnaie infiniment plus suscep-
tible de variations, et qui varia bien déplorablement. Law s'op-
• Voyez dans Diitot, volume II, page 200, quels furent les très bons effets
du système dans ses commencemens.
84.
HISTOIRE DU CANADA.
posa avec force à ce changement: les principes furent obligés de
céder au pouvoir, et les fautes du pouvoir, lorsqu'on en sentit les
fatales conséquences, furent attribuées à la fausseté des principes."
Telles sont les opinions d'un homme d'état et d'un économiste
célèbre. L'un et l'autre, trop exclusifs dans leurs idées, n'ont
peut-être pas dit toute la vérité. Say, ne faisant aucune atten-
tion aux entreprises étrangères à la banque de Law, semble attri-
buer uniquement sa catastrophe à l'altération des monnaies.
Marbois partant d'un autre principe, l'impute à la base chiméri-
que donnée à cette banque, en la faisant dépendre du succès des
compagnies orientale et occidentale rétablies ou formées par le
financier étranger. On pourrait dire plutôt que le système de
Law était prématuré pour la France ; et qu'il ne pouvait convenir
qu'à une nation très commerçante et qui fût déjà familière avec
les opérations financières et le jeu du crédit public. Or l'on sait
que les Français en général ne l'étaient pas à cette époque.
C'était là la grande faute du système, qui commença à éclairer la
France, dit Voltaire, en la bouleversant. Avant lui, " il n'y avait
que quelques négocians qui eussent des idées nettes de tout ce qui
concerne les espèces, leur valeur réelle, leur valeur numéraire,
leur circulation, le change avec l'étranger, le crédit public ; ces
objets occupèrent la régence et le parlement.
" Adrien de INoailles duc et pair, et depuis maréchal de
France, était chef du conseil des finances Au commence-
ment de ce ministèrel'Etatavait à payer 900 milHons d'arrérages ;
et les revenus du roi ne produisaient pas 69 millions à 30 francs
le marc. Le duc de Noailles eut recours en 1716 à l'établisse-
ment d'une chambre de justice contre les financiers. On recher-
cha les fortunes de 4410 personnes, et le total de 'eurs taxes fut
environ de 219 millions 400 mille livres; mais âà cette somme
immense, il ne rentra que 70 millions dans les coffres du roi. Il
fallait d'autres ressources."
On s'adressa au commerce. Il était peu considérable compa-
rativement parlant ; les guerres l'avaient ruiné, on voulut le faire
grandir tout-à-coup en formant un crédit factice, comme si le com-
merce était fondé sur le crédit et non le crédit sur le commerce.
On oublia qu'il manquait à la France un capital réel, très réel ;
l'esprit d'entreprise et d'industrie. Law avait se.ti le vice de la
HISTOIRE DU CANADA.
85
situation, c'est pour cela qu'il faisait de si grands efforts pour aug-
menter le négoce du royaume en activant l'établissement des pos-
sessions d'outre-mer. Mais les ressources dont il jetait ainsi la
semence allaient venir trop tard à son secours ; et d'ailleurs dans
son ardeur fiévreuse, il s'en était laissé imposer sur les avantages
que présentait le Nouveau-Monde. Il crut ou feignit de croire
que la Louisiane renfermait des richesses métalliques inépuisa-
bles et capables de suppléer à tous les besoins. Il se trompa.
On a pu voir ce qu'était cette contrée et ce que l'on pouvait
attendre d'elle. Force fut donc à Lavv, faute d'un Pérou, faute
de marchandises, faute d'industrie, faute enfin d'autres valeurs
réelles, d'asseoir son papier-monnaie sur le numéraire seulement
qu'il y avait en France. Or ce papier il fallut l'augmenter, on
altéra les espèces en leur donnant une valeur factice ; de là la
ruine du système; cette opération absurde amena une banque-
route. L'on s'aperçut alors que, relativement à la Louisiane du
moins, le système était fondé sur une chimère.
Après cette catastrophe la compagnie d'Occident, cessionnaire
de tous les droits de Law, n'en conserva pas moins la possession
du pays, qu'elle continua de gouverner et d'exploiter comme un
monopole. Ce système avait déjà coûté 25 millions. " Les
administrateurs de l;, compagnie qui faisait ces énormes avances,
avaient la folle prétention de former dans la capitale de la France
le plan des entreprises qui convenaient à ce nouveau monde. De
leur hôtel, on arrangeait, on façonnait, on dirigeait chaque habi-
tant de la Louisiane avec les gènes et les entraves qu'on jugeait
bien ou mal favorables au monopole. Pour en cacher les cala-
mités on violait, on interceptait la correspondance avec la
France." Les morts et les vivans, disait Lepage Dupratz, sont
également à ménager pour ceux qui écrivent les histoires moder-
nes, et la vérité que l'on connaît est d'une délicatesse à exprimer
qui fait tomber la plume des mains de ceux qui l'aiment. Quant
à l'établissement du pays par l'émigration des classes agricoles de
France, outre qu'il n'y avait pas de surabondance de population,
le régime féodal y mettait obstacle. Les nobles et le clergé, pos-
sesseurs du sol et du gouvernement, n'avaient garde de favoriser
l'éloignement des cultivateurs, et d'acheminer leurs vassaux dont ils
liraient toute leur fortune sur le Nouveau-Monde. Aussi très
M
86
IIISTOIRE DU CANADA.
peu de paysans français ont-ils jamais quitté le champ paternel
pour venir en Amérique à aucune époque. En un mot, rien en
France au commencement du dernier siècle n'était capable de
donner une forte impulsion à la colonisation.
Malgré ces entraves, malgré toutes ces fautes et les malheurs
qui en furent la suite, l'on fit encore plus cependant qu'on n'aurait
pu l'espérer, et les établissemens formés en différens endroits de
la Louisiane, assurèrent la possession de cette province à la
France. L'hostilité de l'Espagne, les armes des Sauvages et
la jalousie dos colonies anglaises ne purent lui arracher un pays
qu'el' nserva encore longtemps après avoir perdu le Canada.
Ov „ les cinq ou six principaux établissemens dont on a parlé,
dans la Louisiane, l'on en avait encore commencé d'autres aux
Yasous, au Baton-Rouge, aux Bayagoulas, aux Ecores-Blancs, à
la Pointe-Coupée, à la Rivière-Noire, aux Paska-Ogoulas et jus-
que vers les Illinois. C'était occuper le pays sur une grande
échelle ; et toutes ces diverses plantations se maintinrent et fini-
rent la plupart par prospérer.
Pendant que Law était tout rempli de ses opérations finan-
cières, des événemens survenus en Europe avaient mis les armes
aux mains de deux nations qui semblaient devoir être des alliés
inséparables, depuis le traité des Pyrénées, la France et l'Es-
pagne. Albéroni fut le principal auteur de cette levée de bou-
cliers funeste pour le pays qu'il servait et pour lui-même.
Albéroni, observe un auteur moderne, avait les projets les plus
ambitieux et les plus vastes ; autrefois prêtre obscur dans l'Etat
de Parme, espion et flatteur du duc de Vendôme, qu'il suivit en
Espagne, il était parvenu de cette vile condition à la plus haute
fortune ; il était cardinal et ministre absolu du faible Philippe V,
qu'il gouvernait de concert avec la reine^ et voulait relever la puis-
sance espagnole pour accroître la sienne ; il semblait enfin aspirer
à jouer le rôle d'un Richelieu. L'Angleterre, la France, l'Empire
et la Hollande conclurent à Londres en 1718, un nouveau traité
qui reçut le nom de quadruple alliance. L'empereur y renonça
pour lui-même et pour ses successeurs, à toute prétention à la
couronne d'Espagne, à condition que Philippe V lui restituerait
la Sicile et remettrait la Sardaigne au duc de Savoie. On somma
le roi d'Espagne d'accéder à ce traité dans le délai de trois mois ;
HISTOIRE DU CANADA.
87
mais Albéroni conspirait alors avec la duchesse du Maine contre
le régent, et reçut cette proposition avec une hauteur insolente.
Tout était préparé pour le succès de son projet : des troupes
espagnoles devaient être jetées en Languedoc et en Bretagne, où
existaient déjà des germes de révolte ; on s'emparerait du régent,
qu'on renfermerait dans une forteresse ; on convoquerait les
Etats-Généraux ; on obtiendrait l'annulation des traités de Lon-
dres et de La Haye ; on ferait déclarer le duc d'Orléans déchu
de son droit de succession à la couronne, et la régence serait
déférée à Philippe V, qui se trouverait alors sur les premiers
degrés d'un trône auquel il tenait bien plus qu'à la couronne que
son aïeul Louis XIV avait placée sur sa tête. Le prince de
Cellamare, ambassadeur d'Espagne, était l'agent accrédité de
cette conspiration, dans laquelle la duchesse du Maine avait
entraîné quelques grands seigneurs et beaucoup d'intrigans subal-
ternes. Tout le secret de l'affaire fut découvert dans les papiers
d'un abbé Porto-Carré ro, qu'on arrêta sur la route d'Espagne, où
il se rendait pour prendre les derniers ordres d' Albéroni.
Le régent dès qu'il fut instruit du complot montra la plus
grande vigueur. Il fit arrêter l'ambassadeur de Philippe V ; il fit
punir les complices de la duchesse du Maine, puis il déclara la
guerre à l'Espagne qui se trouva avoir la France et l'Angleterre
sur les bras, l'Angleterre comme signataire du traité de la qua-
druple alliance et parce qu' Albéroni avait cherché à y ranimer le
parti du prétendant, le prince Charles, auquel il avait offert
des secours. Les Espagnols furent partout malheureux ; ils
furent battus sur mer par les Anglais, et sur terre par les
troupes françaises qui envahirent leur pays, conduites par le
maréchal de Bervvick. Ils reçurent aussi des échecs en Amé-
rique, où M. de Sérigny fut envoyé avec trois vaisseaux pour
s'emparer de Pensacola que l'on trouvait trop rapproché de
la Louisiane, et que d'ailleurs l'on convoitait depuis longtemps,
parceque c'était le seul port qu'il y eût sur toute cette côte depuis
le Mississipi jusqu'au canal de Bahama. Don Jean Pierre Mata-
moras y commandait. Attaquée en 1719 du côté de terre
par 700 Canadiens, Français et Sauvages, sous les ordres ue M.
de Chateauguay, et du côté de la mer par M. de Sérigny, la
place se rendit après quelque résistance. La garnison et une
88
IIISTOmE DU CANADA.
partie des hab'tans furent embarquées sur deux navires français
pour la Havane. Mais ces doux navires étant tombés en route
au milieu d'une flotte espagnole, furent enlevés et entrèrent
comme prises là où ils croyaient paraître en vainqueurs.
La nouvelle de la reildition de Pensacola fit une grande sensa-
tion dans la Nouvelle-Espagne et au Mexique. Le vice-roi, le
marquis de Valero, résolut aussitôt de reprendre cette ville. Il
mit pour cela en mouvement toutes les forces de terre et de mer
dont il pouvait disposer, et dès le mois de juin don ^ 'phonse
Carrascosa paraissait devant ses murs avec 3 frégates, 12 navires
et 9 balandres portant 850 hommes de débarquement. A la vue
des Espagnols, une partie de la garnison composée de déserteurs,
de faux-sauniers et autres gens de cette espèce, passa à l'ennemi
et le reste, après s'être à peine défendu, força M. de Chateauguay
à se rendre. La plupart de ces misérables entrèrent ensuite au
service des Espagnols pendant que les autres jetés pieds et
poings liés au fond des vaisseaux étaient emmenés prisonniers.
Don Matamoras fut rétabli dans son gouvernement et laissé avec
une garnison suflisante.
Après cette victoire, le vice-roi encouragé par la facilité avec
laquelle on l'avait remportée, résolut de profiter du succès pour
chasser les Français de tout le golfe du Mexique. Carrascosa
tourna en conséquence ses voiles vers l'île Dauphine et la Mobile
qu'il croyait prendre sans beaucoup de diflicultés ; mais tous ces
projets des Espagnols finirent malheureusement. D'abord un
détachement des troupes de Carrascosa fut défait par M. de Vilin-
ville à la Mobile, ce qui l'obligea d'abandonner l'attaque de cette
place ; ensuite il fut repoussé lui-même à Guillory, ilôt de l'île
Dauphine autour de laquelle il roda pendant quatorze jours
comme un vautour qui épie sa proie. Le brave Sérigny déjoua
tous ses mouvemens, quoiqu'il n'eût pas avec lui 200 Canadiens
et le même nombre de Sauvages sur lesquels il put compter, le
reste de ses forces se composant de soldats mal disposés qu'il
osait à peine risquer devant l'ennemi.
Les Espagnols repoussés dans leurs attaques durent s'attendre,
suivant l'usage de la guerre, à se voir assaillis à leur tour. En
effet, le comte de Champmêlin arriva avec une escadre française
pour attaquer Pensacola par mer tandis que Bienville l'attaquerait
»'
I
HISTOIRE DU CANADA.
89
par terre avec ses Canadiens et ses Sauvages. Carrascosa revenu
))oiir proléger la place avait embossé sa Hotte à l'entrée du port
et hérissé le rivage de canons ; mais après deux heures et demie
de combat, tous ses vaisseaux amenèrent leurs pavillons; et le
lendemain, la ville qui avait soutenu une lusillade fort vive toute
la nuit avec Bienville, fut obligée de se rendre pour prévenir un
assaut. On lit douze à quinze cents prisonniers, parmi lesquels
se trouvaient un grand nombre d'olliciers. On démantela une
partie des fortifications et on laissa quelques hommes dans le
reste.
C'est après cette campagne que le roi crut devoir récompenser
les olTiciers canadiens qui commandaient à la Louisiane depuis sa
fondation, et aux eflbrts desquels on devait principalement la con-
servation de cette colonie ; car les colons européens, concession-
naires et autres, périssant de faim ou dé^'oûtés du pays, avaient
presque tous déserté, surtout les soldats, pour se réfugier dans les
colonies anglaises. Cela avait été si loin que le gouverneur de 'a
Caroline avait cru devoir en informer le gouvernement fran.^c s.
Les principaux chefs canadiens étaient Bienville, Sérigny, St.-
Denis, Vilinville et Chateauguay. " Les colons les plus prospères,
dit Bancroft, c'étaient les vigoureux émigrans du Canada qui
n'avaient guère apporté avec eux (|ue leur bâton et les vètemens
grossiers qui les couvraient." Renommés par leurs mœurs pai-
sibles et la douceur de leur caractère dans la paix, ils formaient
dans la guerre une milice aussi dévouée qu'elle était redoutable.
Louis XV nomma M. de Sérigny capitaine de vaisseau, récom-
pense qui était due à sa valeur, à ses talens et surtout au zèle
avec lequel il servait l'Etat depuis son enfance, n'ayant acquis ses
grades que par quelqu'action d'éclat o\i par quekiue service impor-
tant. St. -Denis reçut un brevet de capitaine et la croix de St.-
Louis. Chateauguay enfin lut nommé au commandement de St.-
Louis de la Mobile. La guerre tirait alors à sa fin. Excitée
par un ministre ambitieux, sans motifs raisonnables qui pussentla
justifier, elle n'apporta, comme on l'a dit, que des désastres à
l'Espagne. La paix signée le 17 février 1720, mit fin à cette
querelle de famille. Albéroni disgracié, fut reconduit sous l'es-
corte des troupes françaises en Italie, où il acheva sa vie dans
Pobscuriti', après s'être un instant bercé de l'espoir de changer
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HISTOIRE DU CANADA.
la face du monde. L'on déposa les armes en Amérique comme
en Europe, et le port de Peneacola, pour lequel on se battait
depuis trois ans, fut rendu aux Espagnols.
La paix avec cette nation fut suivie de près par celle avec les
Chicachas et les Natchés, qui avaient profité de la guerre pour
commettre des hostilités dans la Louisiane. Ces heureux événe-
mens, successivement annoncés, allaient enfin laisser respirer le
pays qui ne demandait que du repos, quand un ouragan terrible
éclata le 12 septembre 1722, et répandit partout le désespoir et la
désolation. La mer gonflée par l'impétuosité du vent, franchit
ses limites et déborda dans la campagne brisant tout sur son pas-
sage. La Nouvelle-Orléans et Biloxi furent presque renversés
de fond en comble.
Jusqu'à cette époque, le gouvernement ne s'était point occupé
du soin des âmes dans la Louisiane. Le pieux Charievoix qui
arrivait de cette contrée, y appela l'attention de la cour en 1723.
Les intérêts de la religion et de la politique, les idées tradition-
nelles, le système suivi dans la Nouvelle-France, tout devait
recommander ce sujet important au bon accueil des ministres.
*< Nous avons vu, observe cet historien, que le solut des Sauvages
fut toujours le principal objet que se proposèrent nos rois partout
où ils étendirent leur domination dans le Nouveau-Monde, et
l'expérience de près de deux siècles nous avait fait comprendre
que le moyen le plus sûr de nous attacher les naturels du pays,
était de les gagner à Jésus-Christ. On ne pouvait ignorer d'ail-
leurs qu'indépendamment même du fruit que les ouvriers évan-
géliques pouvaient faire parmi eux, la seule présence d'un homme
respectable par son caractère, qui entende leur langue, qui puisse
observer leurs démarches, et qui sache en gagnant la confiance
de quelques-uns se faire instruire de leurs desseins, vaut souvent
mieux qu'une garnison ; on peut du moins y suppléer, et donner
le temps aux gouverneurs de prendre des mesures pour déconcer-
ter leurs intrigues." Cette dernière raison fut sans doute d'un
aussi grand poids que la première auprès du voluptueux régent
et d'une partie des membres de la compagnie des Indes, à cette
époque d'indifférence et d'incrédulité. Des Capucins et des
Jésuites furent envoyés pour évangéliser les Indigènes, surtout
pour les disposer favorablement envers les Français.
ikâk
HISTOIRE DU CANADA.
91
L'an 1726 fut le dernier de l'administration deBienville, admi-
nistration rendue si difficile et si orageuse par les désastres des
systèmes de Crozat et de Law. Ces désastres n'empêchèrent
pas néanmoins les Français de se maintenir dans le pays et de
triompher dans la guerre avec les Espagnols. Lorsque Perrier,
lieutenant de vaisseau, arriva au mois d'octobre pour remplacer
BienviUe, qui passait en France, il trouva la Louitjiane assez
tranquille ; mais elle devait s'empresser de jouir, car il se formait
déjà dans le silence des forêts et les conciliabules des barbares un
orage beaucoup plus terrible que tous ceux qu'elle avait eu à tra-
verser jusqu'à ce jour, et qui devait l'ébranler encore plus pro-
fondément sur sa base si fragile.
La compagnie d'Occident avait fait place à la compagnie des
Indes, créée en 1723, et dont le duc d'Orléans s'était fait déclarer
gouverneur. " Le privilège embrassait l'Asie, l'Afrique et l'Amé-
rique. On voit dans les délibérations de cette association, com-
posée de grands seigneurs et de marchands, paraître tour~à-tour
l'Inde, la Chine, les comptoirs du Sénégal, de la Barbarie, les
Antilles et le Canada. La Louisiane y tient un rang principal."
Mais " on cherche en vain dan^ ses actes les traces du grand
dessein colonial formé par le gouvernement. On trouve presqu'à
chaque page des nombreux registres qui contiennent les délibé-
rations de l'association, des tarifs du prix assigné au tabac, au café
et à toutes les denrées soumises au privilège. Ce sont des dis-
cours prononcés en assemblée générale pour exposer l'état floris-
sant des affaires de la compagnie, et on finit presque toujours par
proposer des emprunts qui seront garantis par un fonds d'amor-
tissement. Mais l'amortissement était illusoire ; les dettes s'ac-
cumulèrent au point que les intérêts ne purent être payés, même
en engageant les capitaux. Des bilans, des faillites, des litiges,
et une multitude de documens, prouvent que les opérations, rui-
neuses pour le commerce, ne furent profitables qu'à un petit nom-
bre d'associés.
" Rien d'utile et de bon ne pouvait en effet résulter d'un tel
gouvernement. Une circonstance prise parmi une foule d'autres,
fera juger jusqu'où purent être portés les abus.
" Le gouverneur et l'intendant de la Louisiane étaient, par
leurs fonctions, comme interposés entre la compagnie et les habi-
m
HISTOIRE DU CANADA.
.1 ii'' '
M"
tans pour modérer lefi prétentions réciproques et empêcher l'op-
pression. Mais ces magistrats étaient nommés par lea sociétaires
eux-mêmes. On lit dans les actes, que j)ou?- attacher aux inté-
rêts de la compagnie le gouverneur et Vintendant, il leur est
assigné des gratijkations annuelles et des remises sur les envois
de denrées en France. Les suites de ce régime furent funestes
à la Louisiane sans enrichir les actionnaires."
C'est pendant que toutes ces transactions occupaient la compa-
gnie et qu'elles avaient leur contrecoup dans la colonie, que les
nations indigènes depuis l'Ohio jusqu'à la mer,formèrent le complot
de massacrer tous les Français répandus au milieu d'eux. Il fallait
peu d'elforts pour faire prendre les armes aux Sauvages du Mis-
sissipi contre les Européens, qu'ils regardaient comme des étran-
gers incommodes et exigeans, ou plutôt comme des ennemis qui,
parlant au nom de l'autel et de la civilisation, prétendaient avoir
droit à leur pays, et les traitaient sérieusenient de rebelles s'ils
osaient le défendre, car la religion n'a encore pu jusqu'à présent,
dominer les nations comme les individus, et les droits moraux des
premières sont nulles en pratique en comparaison des derniers.
D'abord ces Européens se conduisirent bien envers les naturels,
qui les reçurent à bras ouverts ; mais à mesure qu'ils augmen-
taient en nombre, qu'ils se fortifiaient au milieu d'eux, leur lan-
gage devenait plus impératif ; ils commencèrent bientôt à vouloir
exercer une suprématie réelle et complète malgré les protestations
des Indiens. Il en fut ainsi parvout où ils s'établirent, c'est-à-
dire là où ils ne furent pas obligés de s'emparer du sol les armes
à la main. Les Français, grâce à la franchise de leur caractère,
furent toujours bien accueillis et en général toujours aimés des
Sauvages. Ils ne trouvèrent d'ennemis déclarés que dans les
Iroquois et les Chicachas, qui ne voulurent voir en eux que les
alliés des nations avec lesquelles ils étaient eux-mêmes en guerre.
Les Français en effet avaient constamment pour politique d'era-
brasser la cause des tribus au milieu desquelles ils venaient s'é-
tablir.
On sait avec quelle jalousie les colonies anglaises les voyaient
s'étendre le long du St.-Laurent et sur le bord des grands lacs.
Cette jalousie n'eut plus de bornes lorsqu'elles les virent prendre
possession de l'immense vallée du Mississipi. Les Chicachas se
psi^
HISTOIRE DU CANADA.
93
présentèrent ici, comme les Iroquois sur le St.-Laurent, pour ser-
vir leur politique. Elles se mirent à leur inspirer par leurs pro-
pos des sentimens de défiance et de haine contre les Français ; elles
les peignirent comme des traitans avides, des voisins ambitieux, qui
les dépouilleraient tôt ou tard de leur territoire. Petit à petit la
crainte et la colère se glissèrent dans le cœur de ces Sauvages
naturellement altiers et farouches, et ils résolurent de se défaire
une bonne fois de ces ambitieux étrangers, qui semblaient justifier
tous les rapports qu'on leur faisait, en augmentant chaque jour le
nombre de leurs établissemens. Ils formèrent un complot dont
l'exécution demandait un secret inviolable, une dissimulation pro-
fonde, une prudence incessante et l'alliance d'un grand nombre
de tribus, pour frapper les victimes dans tous les lieux à la fois
par la main de la nation même au milieu de laquelle elles pour-
raient se trouver. Plusieurs années furent employées pour mûrir
et étendre la conjuration. Les Chicachas n'en avaient point fait
part à ceux qui étaient trop attachés aux Français comme les
Illinois, les Arkansas, les Tonicas, etc., n'espérant point les
entraîner avec eux. Toutes les autres tribus y étaient entrées et
devaient frapper le même jour et à la même heure dans toute
l'étendue du pays.
Les Français ignorant ce qui se passait, ne songeaient qu'à
jouir de la tranquillité apparente qui régnait. Les conjurés redou-
blaient d'attention pour eux afin d'augmenter leur confiance et
leur sécurité. Les Natchés ne cessaient pas de leur répéter
qu'ils n'avaient point d'alliés plus fidèles ; les autres nations en
faisaient autant ; c'était un concert continuel d'assurances d'amitié
et de dévouement. Bercés par ces protestations perfides, les
Français sans soupçon dormaient sur un abîme. Heureusement,
la cupidité des Natchés et l'ambition d'une partie des Chactas,
une des plus nombreuses nations de ce continent, voulant tirer
parti trop tôt de la catastrophe, trahirent une trame si bien
ourdie et la dévoilèrent avant qu'elle put s'exécuter complète-
ment.
Le jour et l'heure du massacre avaient été pris. Le plus
grand établissement français était chez les Natchés, où M. de
Chepar commandait. Quoique cet officier se fût brouillé avec
les naturels, ceux-ci protestaient avec cette dissimulation dont Hb
» !'
1 <( '
I» 1 V;
HISTOIRE DU CANADA.
M
ii.»!»J
ont pousse Tart si loin, qu'ils étaient ses plus fiJèles amis, et ils l'en
avaient s: bien persuadé, que, sur des bruits sourds de l'existence
de quelque complot, il fit mettre aux fjrs sept habitans qui avaient
demandé à s'armer puur éviter toute surprise ; il porta par une
étrange fatalité, la confiance jusqu'à recevoir les Indiens dans le
f rt et leur permettre de se loger chez les colons et môme dans
sa propre maison. On ne voudrait pas croire à une pareille con-
duite, ai Charlevoix ne nous l'attestait, tant elle est contraire à
celle que/ es Français avaient pour règle constante de tenir avec
les Sauvages.
Les conspirateurs, sous divers prétextes, venaient prendre les
postes qui leur avaient été assignés au milieu de leurs victimes.
Pendant qu'ils attendaient ainsi distribués 1" jour de l'exécution,
des bateaux arrivèrent aux Natchés chargés de marchandises
pour !a garnison et pour les habitans. L'avidité des barbares lut
excitée ; leurs yeux s'allumèrent à la vue de ces richesses et ils
ne purent tenir à l'amour du pillage. Oubliant que leur précipi-
tation allait compromettre le massacre général, ils résolurent de
frapper sur le champ, afin de s'emparer des cargaisons avant la
di.stribution. Pour s'armer ils prétextèrent une chasse voulant
présenter, disaient-ils, du gibier au commandant pour fêter les
hôtes qui venaient de lui arriver; ils achetèrent des fusils et des
munitions des habitans et, le 28 novembre 1729, ils se répan-
dirent de grand matin dans toutes les demeures en publiant qu'ils
partaient pour la chasse, et en ayant soin d'être partout plus nom-
breux que les Français. Pour pousser le déguisement jusqu'au
bout, ils entonnèrent un chant en l'honneur de M. de Chepar et
de ËCs hôtes. Alors il se fil un moment de silence puis trois
coups de fusil retentirent successivement devant la porte de ce
commandant. C'était le signal d i massacre. Les Sauvages fon-
d. rjnt partout sur les Français, qui, surpris sans armes et disper-
sés au milieu de leurs assassins, ne purent opposer aucune résis-
tance ; ils ne se défendirent qu'en deux endroits. M. de la Loire
des Ursins, commis principal de la compagnie, attaqué à peu de
distance de chez lui, tua quatre hommes de sa main avant de
succomber. A son comptoir, huit houimes qu'il y avait laissés,
eurent le temps de prendre leurs armes j ils se défendirent fort
lon|{^emp8, mais, ayant perdu six de» leurs, lea survivana c4u»*
.î
HISTOIRE DU CANADA.
93
sirent à s'échapper ; les Natchés eurent huit hommes de tués dans
cette attaque. Ainsi leurs i)ertes se bornèrent à une douzaine
d'hommes tant leurs mesures avaient été bien prises. En moins
d'un instant deux cents personnes de tout âge et de tout sexe
périrent dans cette boucherie. Une vingtaine seulement, la p'u-
part blessés, avec quelques nègres se sauvèrent; 60 femmes, l')0
enfans et presqu'autant de noirs restèrent prisonniers, une partie
pour périr dans les tourmens.
Pendant le massucre, le chef des Natchés, était assis sous le
hangard à tabac de hi compagnie attendant tranquillement la fin
de cette terrible tragédie. On lui apporta d'abord la tête de M.
de Chepar, qui fut placée devant lui, puis celles des princi-
paux Français qu'il fit ranger autour, enfin les autres qu'il fit
mettre en piles. De temps en temps on recommençait le mas-
sacre. On ouvrit le t'.ein des femmes enceintes, on égorgea
presque toutes celles qui avaient des enfans en bas âge,
parcequ'elles importunaient par leurs cris et leurs pleurs; les
autres furent jetées en esclavage et exposées à toute la brutalité
de ces barbares couverts du sang de leurs pères, de leurs maris
ou de leurs enfans. On leur dit que la même chose s'était passée
dans toute la Louisiane et que les Anglais allaient venir prendre
leur place.
Tel fut le massacre du 28 novembre. Raynal raconte diffé-
remment la cause qui fit avancer son heure, mais sa version
quoique plus romantique semble par cela même moins probable.
D'ailleurs le témoignage de l'historien de la Nouvelle-France
mérite ici le plus grand poids. Contemporain des événemens
dont il venait de visiter lui-même le théâtre, et ami du ministère
qui a dû lui donner communication de toutes les pièces, il a été
plus qu'un autre en état d'écrire la vérité.
La nouvelle de cette catastrophe répandit la terreur dans toute la
contrée. Le gouverneur Perrier en fut instruit le 2 décembre à
la Nouvelle Orléans. Il fit partir aussitôt un officier pour avertir
les habitans, sur les deux rives du Mississipi, de se mettre en
garde, et en môme temps pour observer les petites nations épar-
pillées sur les bords de ce fleuve.
Les Chactas, qui n'étaient entrés dans le complot que pou-
profiter du dénoûment, ne bougèrent point. Les Natchés qui
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HISTOIBE DU CANADA.
ignoraient la haine que cette nation ambitieuse leur portait et qui
auraient déjà été détruits ou asservis par elle sans la crainte des
Français qui l'avaient arrêtée quelques années auparavant,8'étaient
laissés tromper par ses insinuations perfides. Avec une politique
astucieuse mais profonde, les Chactas les avaient encouragés
dans leur complot pour les mettre aux prises avec les Européens,
se faire appeler ensuite au secours de ceux-ci et avoir par là l'oc-
casion de se défaire plus facilement d'eux. L'événement justifia
leur calcul.
Perrier n'avait pas pénétré d'abord cette politique ténébreuse,
et quand bien même il l'aurait fait, cela ne l'aurait pas empêché
de se servir des armes des' Chactas pour venger l'assassinat des
siens. La plupart des autres tribus qui avaient pris part au
complot, voyant le secret éventé et les colons sur leurs gardes, ne
remuèrent point. Celles qui s'étaient compromises durent s'at-
tendre à éprouver toute la vengeance des Français, et en effet
elle? ne demandèrent point de quartier. Les Yasous, qui avaient,
au début de l'insurrection, surpris le fort qui était au milieu d'eux
et égorgé les dix-sept Français qui s y trouvaient, furent exter-
minés. Les Corrois et les Tioux subirent le même sort. Les
Arkansas, puissante nation de tout temps fort attachée aux Fran-
çais, étaient tombés sur les premiers et en avaient fait un massa-
cre général ; ils poursuivirent après cela les Tioux et avec tant
d'acharnement qu'ils les tuèrent jusqu'au dernier. Ces événe-
mens, la réunion d'un corps d'hommes armés aux Tonicas, les
travaux de campagne et les retranchcmens exécutés autour des
concessions, tranquillisèrent un peu les colons, dont la frayeur
avait été si grande, que Perrier s'était vu obligé de faire détruire
par des nègres une trentaine de Chaouachas qui demeuraient au-
dessous de la Nouvelle-Orléans, et dont la présence faisait trem-
bler celte ville !
Après ces premières opérations et les mesures adoptées pour
la sûreté des habitans, Perier fit monter deux vaisseaux de la
compagnie aux Tonicas, et forma sur ce point pour attaquer les
Natchés, une petite armée dont il donna le commandement au
major Loubois, n'osant point encore quitter lui-même la ville le
peuplp ayant quelques appréhensions sur la fidélité des noirs.
Toutes ces démonstrations avaient fait déjà rentrer dans les inlé-
HISTOIRE DU CANADA.
VI
rets des Français, les petites nations du Mississlpi, qui s'en étaient
détachées. Dès lors l'on put compter sur des alliés nombreux ;
on n'avait jamais douttî de l'affeciion des Illinois, des Arkansas, des
Oflagoulas, des ToP'ci's, et l'on était sûr maintenant des Nat-
chitoches qui n'avaient point inquiété St.-Denis, et des Chac-
tas tout en armes contre les Nat^nés. La Louisiane était sau-
vée.
Cette nouvelle attitude dans les affaires était due à l'énergie de
son chef. Il écrivait au ministère le 18 mars 1730 : " Ne jugez
pas de mes forces par le parti que j'ai pris d'attaquer nos enne-
mis; la nécessité m'y a contraint. Je voyais la consternation
partout et la peur augmenter tous les ^ours. Dans cet état j'ai
caché le nombre de nos ennemis et fait croire que la conspiration
générale était une chimère, et une invention des Natchés pour
nous empêcher d'agir contre eux. Si j'avais été le maître de
prendre le parti le plus prudent, je me serais tenu sur la défen-
sive et j'aurais attendu des forces de France pour qu'on ne pût pas
me reprocher d'avoir sacrifié 200 Français de 5 à 600 que je
pouvais avoir pour le bas du fleuve. L'événement a fait voir
que ce n'est pas toujor'-s le parti le plus prudent qu'il faut
prendre. Nous étions dans un cas où il fallait des remèdes
violens, et tâcher au moins de faire peur si noufj ne pouvions pas
faire de mal." ♦■
Loubois était auxTonicas avec les forces destinées à agir contre
l'insurrection. La mauvaise composition des troupes qui ser-
vaient malgré elles et ne subissaient qu'avec peine le joug de la
discipline, apporta dans ses mouvemens une lenteur qui était
d'un mauvais augure. Lesueur arrivant à la tète de 800 Chactas,
ne le trouvant point aux Natchés, attaqua seul ces Sauvngcs et
remporta sur eux une victoire complète. Il délivra plus de 200
Français ou nègres. L'ennemi battu se relira dans ses places
fortifiées devant lesquelles Loubois n'arriva que le 8 février, et
alla camper autour du Temple du Soleil. Le siège fut mis devant
deux forts qu'on attaqua avec du canon, mais avec tant de mol-
lesse, que le temps de leur reddition paraissait très éloigné. Les
Chactas fatigués d'une campagne qui durait déjà depuis trop
longtemps à leur gré, menacèrent de se retii r. Ils savaient
qu'on ne pouvait rien entreprendre sans eux, et ils affectaient en
98
HISTOIRE DU CANADA.
conséquence une grande indéponJancc. Il fnllut accepter les
conditions qu'ollVaient lea assiégés, et se contenter des prison-
niers qu'ils avaient en leur possession. Dans toute la colonie
cette conclusion de la campagne fut regardée comme un échec,
et attira un blàme sévère au gouverneur. Pcrrier écrivit à la
cour pour se justifier, que les habitans commandés par MM.
d'Arembourg et de Laye avaient montré beaucoup do bravoure
et de bonne volonté, mais que les soldats s'étaient fort mal con-
duits ; qu'il était bien vrai que les assiégés étaient réduits à !a
di>rniére extrémité, et que deux jours de plus on les aurait eus la
corde au cou ; mais qu'on se voyait toujours au moment d'ôtre
abandonné par les Cbactali, et que leur départ aurait exposé les
Français à recevoir un échec et à voir brûler leurs femmes, leurs
eiifans et leurs esclaves comme ils en étaient menacés par les
Sîiuvages. Cependant les Chicachas qui tenaient toujours les
fili de la trame, et qui avaient voulu engager les Arkansas et
noî autres alliés à entrer dans la conspiration, ne levaient point
le voile qui les cachait encore ; ils se contentaient de faire agir
secrètement leur influence. Les Chacias eux-mêmes, quoique
toujours sollicités vivement par les Anglais, qui accompagnaient
leurs démarches de riches présens, refusèrent de se détacher des
colons de la Louisiane, et jurèrent une fidélité inviolable à Per-
rier, qui s'était rendu à la Mobile pour s'aboucher avec eux et
contrecarrer l'effet de ces intrigues. Les secours arrivés de
France avaient du reste beaucoup contribué à raffermir et rendre
plus humbles ces Sauvages, qui se regardaient avec quelque
espèce de raison comme les protecteurs de la colonie.
En même temps la retraite de M. de Loubois avait élevé l'or-
gueil des Natchés, qui montraient depuis lors une hauteur olTen-
snnte. Il était aisé de voir qu'il faudrait bientôt mettre un frein
à leur ardeur belTuiueuse. Comme à tous les Indiens, un succès
ou un demi-succès 'eur taisait concevoir les plus folles espé-
rances; parceque leurs forteresses n'avaient pas été prises, ils
croyaient faire fuir les Français devant eux comme une faible
tribu. Celte erreur fut la cause de leur perte ; ils commirent des
hostilités qui leur attirèrent sur les bras une guerre mortelle. Le
gouverneur forma avec los renforts qu'il avnit reçus et les milices
un uurps d'environ bOO hommeS; qu'il assembla dans le m^is de
HTSTOIHE DU CANADA.
99
décembre à Boj'agoiilag. Il remonta le Mississipi sur tlea berges
el parvint jusque sur la rivière Noire, qui se décharge dans la
rivière Rouge à dix lieues de son embouchure, dans le sein même
do leur pays. A la première nouvelle de sa marche, la division
se mit parmi les malheureux Natchés. Au lieu de réunir leurs
guerriers ils les dispersèrent ; \me partie alla chez les Chicachas,
une autre resta aux environs de leur ancienne bourgade. Quel-
ques-uns se retirèrent chez les Ouatchitas, un plus grand nombie
s'éparpilla dans le pays ()ar bandes, ou se tint à quelques jour-
nées de distance ; le reste enfin avec le Soleil et les autres prin-
cipaux chefs se renferma dans le fort devant lequel les Français
vinrent asseoir leur camp. Intimidés par les seuls apprêts de
l'attaque, ils demandèrent à ouvrir des conférences. Perrier
retint prisonniers les chefs qu'on lui députa pour parlementer, et
surtout le Soleil, qu'il força d'envoyer un ordre aux siens de sor-
tir de la place sans armes. Les Natchés refusèrent d'abord
d'obéir à leur chef privé de sa liberté ; mais une partie s'étant
ensuite rendue à ses ordres, les autres, voyant tout perdu, ne
songèrent pais qu'à saisir l'occasion d'échapper; ce qu'ils effec-
tuèrent en profitant d'une nuit tempétueuse pour sortir du fort
avec les femmes et les enfans et se dérober à la poursuite des
Français.
Peri'ier de retour à la Nouvelle-Orléans, envoya en esclavage à
St.-Domingue tous ceux qu'il ramenait prisonniers avec leur
grand chef, le Soleil, dont la famille les gouvernait depuis un
temps immémorial et qui mourut quelques mois après au cap
Français. Cette conduite irrita profondément les restes de cette
nation orgueilleuse et cruelle, à qui la haine et le désespoir don-
nèrent une valeur qu'on ne leur avait point encore connue. Ils
coururent aux armes, ils se jetèrent sur les Français avec fuLeur,
ils combattirent vaillamment ; mais ce désespoir ne fit qu'honorer
leur chute et révéler du moins un noble cœur. Ils ne purent
lutter longtemps contre leurs vainqueurs, et presque toutes leurs
bandes furent détruites. St.-Denis leur fit essuyer la plus grande
défaite qu'ils eussent éprouvée depuis leur déroute par Lesueur.
Tous les chefs y périrent. Après tant de pertes ils disparurent
comme nation. Ceux qui avaient échappé à la servitude ou au feu
se réfugièrent chez lea Chicachas auxquels ils léguèrent leur haine
100
HISTOIRE DU CANADA.
et leur vengeance. Ainsi finit une guorre qui amena une
révolution dans les affaires de la compagnie des Indos, et
qui fit rétrocéder au roi la Louisiane et le pays des Illinois en
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CHAPITRE II.
LIMITES.
1713-1744.
Etat du Canada : commerce, finances, justice, éducation, divisions parois-
siales, population, délienscj. — i'Ian de M. de Vaudreuil pour l'accroisse-
ment du pays. — Déliniitatior des frontières entre les colonies françaises et
les colonies anglaises. — Perversion du droit public dans le Nouveau-
jMonde au sujet du territoire. — Kivalilé de la France et de la Graride-
Bretajjne. — Différends relatifs aux limites de leurs posse^i'^ns. — Frontière
de l'Est ou de l'Acadie.— Territoire des ALénaquis. — Les Américains
veulent s'en emparer.— Assassinat du P. Rasie.— Le P. Aubry propose
une ligne tirée de Beaubassin à la source de l'Hudson.— Front ère de
l'Ouest. — Piincipes diflérens invoqués par les deux nations; ellesé ablis-
sent des torts sur les territoires lédamés par chacune d'elles réciprocjue-
mtnt.— Luttes d'emplétemens ; pié;entions des colonies anglaises; elles
veulent accaparer la traite des Indiens — Plan de M . Burnet. — Le commerce
est défendu avec le Canat'.a. — Ktablissemens de Niagara par les Français
et d'JOswé^o par les Anglais. — Plaintes mutuelles (ju'ils s'adressent. —
Fort St.-FiéJéiic élevé par M. de la Corne sur le lac Champlain ; la
contestation dure jus(]u'à la guerre de 1744.— Progiès du Canada. — Emi-
gration ; perte du vaisseau le Cliameau. — Mort de M de Vaudrt-uil
(1725); qualités de ce gouverneur.— M. de Beauharnoii lui succède. —
M. Dupuy, intendant.— Son caractère. — M. de St. Vallier second é.ê^ue
de Québec meurt; difficultés qui s'élèvent relativement à son s.ége,
portées devant le Conseil suj.érieur — Le clergé récuse le pouvoir civil. --
Le gouverneur se rallie au parti clérical. — Il veut interdire le conseil, qui
repousse ses piélentions.— Il donne des lettres de cachet pour exiler ''"ux
membres. — L'intendant fait défense d'obéir à ces lettres. — Décision du
roi. — Le cardinal de Fleury premier ministre. — M. lupuy est rappelé. —
Conduite humiliante du Conseil. — Mutations diverses du siège épiscopal
jusqu'à l'élévation de M. de Pontbriant. — Soulèvement des Outagamis
(1728) ; expéuition des Canadiens ; les Sauvages se soumettent. — Voyages
de découverte vers la mer Pacifiqu'ï ; celui de M. de la Vérandrye en
1738 ; celui de MM. Legardeur de St. -Pierre et Marin quelques 2->nées
apiés ; peu de succès de ces entreprises. — Apparences de guerre ; M. de
Beauharnois se prépare aux hostilités.
Nous revenons maintenant au Canada dont nous reprenons l'his-
toire en 1715. Après une guerre de vingt-cinq ans, qui n'avait
été interrompue que par quatre ou cinq ie paix, les Canadiens
avaient suspendu à leurs chaumières les armes honorées parleur
courage à la défense de leur patrie, et ils avaient reprit paisible-
^,.,,
i^wtsgt.
102
HISTOIRE DU CANAD\.
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ment leurs travaux champêtres abandonnés déjà tant de fois.
Beaucoup d'hommes étaient morts sous les drapeaux. Un plus
grand nombre encore avaient été achominos vers les dillérens
postes établis sur les grands lacs et dans la vallée du Mississipi,
d'où ils ne revinrent jamais. Cependant malgré ces pertes et les
troubles du temps, malgré surtout la nullité de l'émigration de
France, quelques comraerçans par-ci par-là avec quelques rares
soldats formant tout ce qui ^'cn'iit d'outre-mcr, le chilfrcdes habi-
tans n'avait pas cessé de s'élever «ïraduellement. Après la guerre,
il dut augmenter encore plus rapidement, et en effet, sous la maiu
douce et sage de M. de Vaudreuil, le pays faisait en tout, et par
ses seuls eflbrts, des progrès considérables. Ce gouverneur, qui
revint d'Europe en 1716 où il avait passé deux ans, et cpii apporta
dans la colonie la nouvelle de la mort de Louis XIV et l'ordre
de proclamer son successeur, s'applitjua avec vigilance à guérir
les maux du passé. Conduisant avec précaution les négociations
avec les Iroquois, comme on l'a vu ailleurs, il désarmait ces
barbares et les détachait tout-à-fait dos Anglais, en achevant do
les persuader que leur intérêt était de rester neutres dans les
grandes luttes des blancs qui les entouraient partout. C'était
assurer la tranquillité des Canadiens, (]ui purent dès lors se livrer
à l'agriculture et au commerce, libres de toutes les distractions
qui avaient jusqu'ici si souvent troublé leurs entreprises. Aussi
à aucune autre époque, excepté sous l'inlendance de Talon, le
commerce ne fut-il l'objet de tant desollicituile, de tant de décrets
pour le régulan^•er de la part du ])ouv(tir, décrois fortement
empreints si l'on veut des idées du temps, d? cet esprit exclusif
qui a caractérisé la politique des mélro])oles, mais qui aiuionçaient
du moins qu'on s'en occupait.
Un des grands embarras cjui ne cessaient point de paralyser
l'nction du gouvernement, était le désordre îles finances si étroi-
tement liées dans tous les pays au nétroce. Les questions les
plus difficiles à régie/ sont les (luestions (rament, sm'tout lorsi|ue
le crédit est ébranlé ou détruit. Aujourd'liui les besoins du luxe
et des améliorations sont si grands, si pressans, l'argent est si
abondant et en même temps si concentré (]ue les capitalistes
courrcnt d'eux-mêmes au-devant des cmpriuiteurs jiour leur four-
ftir dea fonds qui ne leur sejont peut-être jamais rendus ; ils ne
HISTOIRE DU CANADA.
103
dermndenl que la garnntic de l'intérêt ; et l'adresse des financiers
consiste à trouver le secret d'en payer un qui soit le plus bas pos-
sible. A Pépoque où nous sommes parvenus, il n'en était pas
ainsi ; les capitaux étaient craintifs et exigeans, le crédit pul)lic
en butte à toutes sortes d'abus était presque nul, surtout en
France. De là les ditlîcullés que rencontrait l'Etat depiiis
quelques années, et qui précipitèrent la révolution de 89. La
Canada soulTrait encore plus que le reste du royaume de cette
pauvreté de plus en plus funeste. Détenteur d'une monnaie de
cartes que la métropole, sa débitrice, était incapable de racheter,
il fut obligé de sacrifier la moitié de sa créance pour avoir Tautre,
ne pouvant attendre. L'ajustement de cette affaire dont nous
parlerons plus en détail ailleurs, prit plusieurs années et fut une
des questions dans lesquelles la dignité du gouverneur comme
représentant du roi, eut le plus à souffrir.
La chose dont le Canada avait le plus de besoin après le règle-
ment du cours monétaire, c'était la réforme de l'organisation
intérieure rendue nécessaire par l'accroissement du pays. Les
lois demandaient une révision, le code criminel surtout qui
admettait encore l'application de la question, quoique pour l'hon-
neur de nos triijunaux, ils eussent rarement recours à une pra-
tique (jui déshonorait à la fois l'humanité et la raison, et qui était
en usage alors dans presque toutes les contrées de l'Furope.
E'.le existait cependant dans notre code, on pouvait s'en prévaloir,
et on le fit jusque dans les dernières années de la domination
française.* L'éducation était aussi un des objets les plus essen-
• l'rocétiures judiciaires déposées aux archives provinciales. Entre autres
cas, nous avons remarqué ceux d'Antoine Halle et du nommé Gaulet, accu-
sée de vol en 1730, et celui de Pierre Beaudoin dit Cumberland, soldat de la
compagnie de Lacorne, accusé d'avoir mis le feu aux Trois-Riviéres en
1752. Ce dernier l'ut déshabillé et mis dans des brodequins, espèce de torture
qui consistait à comprimer les jambes. Le nombre des questions à faire
était fixé, et à chacune d'elles le supplice augmenté. M. Faribault s'occupe
à recueillir quelques-unes de ces procédures, et à les mettre en ordre pour
les conserver. Rien ne sera plus propre ù l'étude de la jurisprudence cri-
minelle sous le régime français, que ces pièces authentiques. Elles révéle-
ront à un homme de loi les qualités bonnes ou mauvaises de cette juris-
prudence. Si le volume des écritures est un signe de sa bonté, on peut dire
vraimeut que le droit criminel qui régissait nos ancêtres était un des plus
parfaits.
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104
HISTOIRE DU CANADA.
tiels dont on pouvait s'occuper. En 1722, M. de Vaudreuil éta-
blit hi'< maîtres d'éco'e en dllFércns endroits du pays pour con-
tribuer à l'enseignement avec les Jés^uites et les Réi-ollcts. L'agri-
culture exigeait également des améliorations. Enfin les fortifi-
cations de Québec, commencées par MM. de Beaucourt et
Levasscur, et disconlinuées pour vice dans les plans, furent
reprises en 1720 sur ceux de M. Cbaussegros de Léry, ingénieur,
approuvé par le bureau de la guerre. Deux ans après on résolut
de ceindre Montréal d'un mur de pierre avec bastions, dépense
(]ue l'état des finances du royaume obligea de faire supporter en
partie par les habitans et les seigtieurs de la ville.
M. de "audreuil, après avoir terminé les négociations avec les
canlon^ , et l'affaire du papier-mor'""'e, décréta une nouvelle divi-
sion paroissiale de la partie établie du pays, déjà partagée en
trois gouvernemens : Québec, Trois-Rivières et Montréal. On
V forma quatrevingt-deux paroisses, dont quarante-huit sur la
rive gauche du St.-Laurent et trente-quatre sur la rive droite.
La baie St. -Paul et Kamouraska étaient les deux dernières à
l'est, l'Ile-du-Pada et Chateauguay à l'ouest. Cette importante
entreprise fut consommée en 1722 par un arrêt du conseil d'état
enregistré à Québec.
Une autre mesure se rattachait à la division territoriale, la
confection d'un recensement. L'on comptait, d'après celui
de lt)79, 10,000 âmes alors dans toute la Nouvelle-France,
dont 500 seulement en Acadie ; et 22,000 arpens de terre en
culture. Huit ans plus tard, cette population n'avait subi qu'une
augmentation de 2,300 âmes. M. de Vaudreuil voulant réparer
un oubli, ordonna de faire un recensement tous les ans pendant
quelques années avec toute la précision possible. L'on trouva
par celui de 1721, 25,000 habitans en Canada, dont 7,000 à
Québec et 3,000 à Montréal. 62,000 arpens de terre en labour et
12,000 en prairies. Le rendement de ces 62,000 arpens de
terre atteignait un chiffre considérable ; il fut dans l'année pré-
citée de 282,700 minots de blé, de 7,200 de maïs, 57.4.00 de
pois, 64,000 d'avoine, 4,500 d'orge ; de 48,000 livres de taiiac,
54,600 de lin et 2,100 de chanvre, en tout 416,000 minots de
grain ou 6 3 minots par arpent, outre 1 s livre de tabac, lin ru
HISTOIRE DU CANADA.
105
clianvre. Les animaux étaient portés à 59,000 têtes, dont 5,600
chevaux.
Ce dénombrement montrait que près de la moitié de la popu-
lation habitait les villes, signe que Tagriculture était fort né-fligée.
Le total des habilans faisait naître aussi, par son faible chiflfie.de
pénibles réflexions. Le gouverneur qui prévdyait tous les dan-
gers du voisinage des provinces américaines, dont la force numé-
rique devenait de plus en plus redoutable, appelait sans cesse
l'attention de la France sur C3 fait qu'elle ne devait plus se dissi-
muler. Dès ni^, il écrivait à M. de Pontchartrain : " l.e Ca-
nada n'a actuellement que 4,484' habitans en état de porter les
armes depuis l'âge de cpiatorze ans justprà soix.. i, et les vingt-
huit compagnies des troupes de la marine que le roi y entretient,
ne font en tout que six cent vingt-huit soldats. Ce peu de monde
est répandu dans une étendu î de cent lieues. Les colonies anglaises
ont soixnn'e mille hommes en état do porter les armes, et on ne peut
douter qu'à la première rupture, elles ne fassent un grand elTort
p.ur s'emparer du Canada, si l'on fait réflexion qu'à l'artic'e
XXII des instructions données par la ville de Londres à sea
députés au prochain parlemen), il est dit qu'ils demanderont aux
ministres du gouvernement précédent, pour(]uoi ils ont laissé à la
France le Canada et l'île du Cap-Breton?" Dans son désir
d'augmenter la population, il proposa inutilement de faire du Ca-
nada une colonie pénale.
Le voluptueux Louis XV, livré aux plaisirs et à un commerça
d'esprit puéril, répondit aux remontrances de Vaudreuil en fai-
sant quelques efl'orts qui cessèrent bientôt tout-à-fait; il envova
à peine quelques émigrans, et les fortiflcations entreprises aux
deux principales villes du pays, restèrent incomplètes au point
que Montcalm, trente ans après, n'osa passe retirer derrière celles
de Québec avec son armée, quoiqu'elles eussent encore été aug-
mentées. En 17'28 le gouverneur proposa de bâtir une citadelle
dans cotte capitale ; on se contenta de lui répondre : " Les Cana-
diens n'aiment pas à combattre renfermés ; d'ailleurs l'Etat n'est
pas capable de faire cette dépense, et il serait dilficile d'assiéger
Québec, dans les formes et de s'en rendre maître."
Pourtant dans le moment même un sujet qui dominait tous les
autres, et qui devait être tôt ou tard une cause de guerre, inquié-
■Vj II
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106
HISTOIRE DU CANADA.
14^-
tait beaucoup le gouvernement ; la question des frontières était
toujours pendante avec l'Angleterre. Les ministres y revenaient
ff;quemment et ave«'- une préoccupation marquée. On avait
d'immenses contrées à défendre, qui se trouvaient encore sans
hahitans ; et les questions de limites, on le sait, sont les plus diffi-
ciles et les plus délicates à régler, et si elles traînent en Umgueur,
elles s'embrouillent de plus en plus. Le langas^e de Ang'ais
s'élevait tous les jours avec le chiffre de leur populo ion coloniale.
Leur politique, comme celle de tous les gouvernemens, ne
comptait qu'avec les obstacles : la justice entre les nations est une
chose arbitraire qui procède de l'expédience, de l'intérêt, ou de
la force ; ses régies n'ont d'autorité qu'autant que la jalousie des
divers peuples les uns contre les autres veille au maintien de
l'équilibre de leur puissance respective ; elle a pour base enfin la
crainte ou le glaive.
La grandeur des projets de Louis XIV sur l'Amérique avait,
comme ceux qu'il avait formés sur l'Europe, effrayé l'Angleterre,
qui chercha à les faire avorter, ou à se les approprier s'il était
possible. Elle disputa aux Français leur territoire, h^ur influence,
la traite des pelleteries: elle leur disputa aussi l'alliance des
Indiens. Si la période qui s'est écoulée de 1715 à IT-ti, n'est
pas encore une période de guerre ouverte, elle e t une époque
de lutte politique et commerciale extrêmement vi à laquelle
des intérêts de jour en jour plus impérieux, ne laissent point
voir de terme. Dans les premières années de l'établissement de
l'Amérique, les questions de frontières et de rivalité mercantile
n'avaient pas encore surgi ; on ne connaissait pas comme on l'a
déjà observé, toute l'étendue des pays dont on prenait possession,
et il ne se faisait aucun commerce entre eux. Mais au bout d'un
siècle et demi, les étab!issemens français, anglais, espagnols
avaient déjà pris assez d'extension pour se toucher sur plusieurs
points, et pour avoir besoin par cela môme de l'alliance ou des
déj'ouilles des Indigènes, pour faire iriompher les prétentions
ririivelles qu'ils annonçaient réciproquement chaque jour. Les
lois internationales, violées dès l'origine dans ce continent par lea
Européens, y étaient partout méconnues et sans force. Après
que le pape se fut arrogé le droit de donner aux chrétiens lea
terres dea infidèles, tout frein fut rompu ; car quel respect pou-
¥\' ' !
HISTOIRE DU CANADA.
107
vait-on avoir pour un principe qu'on avait foulé au pied dès le
premier jour dans le Nouveau- Monde en s'emparant degré ou
de force d'un sol qui était déjà possédé par de nombreuses
nations. Aussi l'Amérique du Nord présenta-t-elle bientôt le
spectacle qu'olTrit l'Europe dans la première moitié de l'ère chré-
tienne; une guerre sans casse renaissante s'alluma entre les
Européens pour la possession du sol.
Dans un tel état de choses rien d'étonnant qii'ils eussent une
répugnance extrême à se lier par un droit public quelconque;, on
reconnaissant certains principes qui pussent servir de guide dans
la délimitation de leurs territoires respectifs; mais il ne purent
éviter d'en avouer quelques uns, car la raison humaine a besoin
de suivre certaines règles même dans ses plus grands écarts.
Quoique ces principes fussent peu nombreux et môme peu stricts,
on voulut encore souvent s'en affranchir. Après avoir reconnu
que la simple découverte donnait le droit de propriété, ensuite
que la prise de possession ajoutée à la découverte, était néces-
saire pour conférer ce droit, on s'airêta à ceci, que la possession
actuelle d'un territoire, auparavant inoccupé, inv^^stissait seule du
droit de propriété. L'Angleterre et la France adoptèretit à p. ni
près cette interprétation, soit par des déclarations, soit par des
actes, et par territoire non occupé on entendait celui qui ne l'était
que par les Sauvages. Après cette exp'ication il sera facile
d'apprécier les différends élevés entre les deux nations relative-
ment aux frontières de leurs colonies, lorsqu'il n'y aura qu3 l'ap-
plication du principe à faire. Quant aux dilKcu!tcs provenant de
l'interpréta'J >n différente donnée à des traités spéciaux, com n.3
dans le cas des limites de l'Acadie, la manière la plus sûre de
montrer la vérité sera d'exposer simplement ics faits.
Après le traité d'Utrecht l'Angleterre garda l'Acadie sans en
faire reconnaître les limites, et ne réclama point les élahlissemens
formés le long de la baie de P\indy, depuis la rivière de Kénébec
jusqu'à la Péninsule. Les Français restèrent en possession delà
rivière St.-.lean et s'y fortifièrent; ils continuèrent d'occuper de
même la côte des Etchemins jusqu'au fleuve St.-Laurenl sans
être troublés dans leur possession. Telle fut quant à eux la con-
duite de la Grande-Bretagne; miis à l'égard des Al)énaquis,elle
ea suivit une autre, et la Nouvelle-Angleterre n'eut pas plutôt
.Hi
Nii
108
HISTOIRE DU CANADA.
reçu le traité qu'elle en fit part à ces Savages, en leur disant que
la province céJée, c'est-à-dire i'Acadie, s'étendait jusqu'à sa
propre frontière. Et pour les accoutumer en même temps avoir
des Américains et les détacher des missionnaires français, elle
leur en envoya un de sa façon et de sa croyance. Le ministre
protestant s'établit à l'emboucliure de la rivière Kénél)ec, où il
commença son œuvre en se m' q^ant djs pratiques catholiques.
Le P. Rasle qui gouvernait cette mission depuis un grand
nombre d'années, n'eut pas plutôt appris ce qui se passait, qu'il
résolut de venger les injures faites à son Eglise. L commença
une guerre de plume avec le minisire à laquelle, bien entendu,
les Abénaquis ne comprirent rien. Mais le protestant tomba
dans ses discours parlés dans la vieille ornière das injures et des
accusations d'idôlairie, ce qui était au moins une maladresse en
présence de Sauvages qui comprennent bien mieux une religion
dont les symboles parlent à Tàme qu'une religiim métaphysique
qui se borne à quelcjucs prières sans sacrifices ni actes de péni-
tence. Le jésuite n'eut pas de peine à l'emporter sur son adver-
saire, qui fut obi gé de retourner à iios'on. Les Anglais se reje-
tèrent alors sur le commerce qui leur était toujours bien plus
favorable, et, moyennant certains avantages, ils obtinrent la per-
mission d'établir des comptoirs sur la rivière Kénébec. Bientôt
les bords de cette rivière se couvrirent de forts et de maisons.
Les Sauvages en voyant les choses marcher si vite, commen-
cèrent à en concevoir des craintes. Ils questionnèrent leurs
nouveaux hôtes, qui se croyant assez forts pour lever le masque,
répondirent que la France leur avait cédé le pays. S'apercevant
alors, mais trop tard, (ju'ils étaient joués, les Abénaquis refoulant
pour le moment leur colère au fijnd du cœur, envoyèrent une
députation à Québec pour savoir de M. de Vaulreuil si cela était
vrai. Ce gouverneur répondit que le traité d'Utrecht ne faisait
aucune mention de leur territoire. Sur quoi ils résolurent aussi-
tôt d'en chasser les nouveaux venus les armes à la main. C'est
à cette occasion qu'apprenant les prétentions émises par la
Grande-Bretagne, la France proposa en 1718 ou 19, d'abandon-
ner le règlement de cette question à des commissaires, qui ne
firent rien.
Les Anglais voyant les dispositions des Abénaquis, songèrent
Hit vIRE DU CANADA.
109
à se procurer des otages pour répondre de leur sûreté. Ils
employèrent pour celo divers moyens qui passèrent pour des
trahisons et irritèrent encore davantage le cœur de ces Sauvages.
Le gouverneur de la Nouvelle-Angleterre leur fit demander une
conférence pour terminer leurs difficultés à l'amiable ; mais au
lieu d'y aller lui-même il fit saisi.' les otages qu'on lui a\ait donnés
pour la sûreté de sa personne, et combla par là la mesure. Ils
auraient pris les armes sans le P. de la Chasse, supérieur général
des missions dans ces quartiers, et le P. Rasle, qui les engagèrent
à écrire à Boston pour demander les otages surpris, et sommer les
Anglais de sortir du pays dans les deux mois. Cette lettre étant
restée sans réponse, le marquis de Vaudreuil eut besoin de toute
son influence pour les empêcher de commencer les hostilités :
cela se passait en 1721.
Dans le même temps les Américains attribuaient l'antipathie
des naturels aux discours des Jésuites, auxquels ils portaient tou-
jours une haine profonde. Ils crurent surtout que le P. Rasle
était l'auteur de ce qui ne devait être attribué qu'à leur ambition ;
et tandis que ce Jésuite usait de toute son influence pour empê-
cher les Abé naquis de les attaquer, ils met aient sa tête à prix et
envoyaient vainement deux cents hommes pour le saisir dans le
village indien où il faisait ordinairement sa résidence. Ils furent
plus heureux à l'égard de leur chef, le baron de St.-Castin, qui
s'était aussi lui attiré leur vengeance. Il demeurait sur le bord
de la mer. Un jour du mois de janvier 1721 un vaisseau bien
connu paraît sur la côte ; il y monte comme il faisait quelquefois
pour visiter le capitaine, et dès qu'il est à bord il est déclaré pri-
sonnier et conduit à Boston où on le traite en criminel. On l'y
retient plusieurs mois, malgré les réclamations de M. de Vau-
dreuil qui parvient enfin à le faire élargir. Rendu à la liberté
St.-Castin passa peu de temps après en France pour recueillir
l'héritage de son père dans le Béarn, d'où il ne revint point en
Amérique.
A la nouvelle de l'enlèvement de leur chef les Abénaquis, si
fiers de leur liberté que l'un d'eux disait à un envoyé anglais en
1727 : " Je n'entends point reconnaître ton roi pour mon roi et
le roi de mes terres. Dieu a voulu que le Sauvage n'eut pas de
roi et qu'il fut maître ea commun," les Abénaquis levèrent la
110
HISTOIRE nu CANADA.
hnche et tliantèrenl la guerre dans toutes les irihus. Ils se m'retil
partout en campagne et incendièrent tous les é1ablis^•ealens de la
rivière KénCiji'c, sans cependant faire de mal aux personnes.
C'était dans le temps même (|ue len Ang'ais, continuant toujours
d'attribuer aux conseils du F. Rasle ce que ces Iiuliens leur fai-
saient, formaient un nouveau projet pour sVmiiaror de lui mort
ou vif. Connaissant leur ntlacluMuenl pour sa persoime, ils n'en-
vo^èrent pas moins de onze cents hommes |)oiir le i;rei\dre et
l'étruire Narantsouak, grande bourgade qu'il avat foiniée autour
de ta chapelle. Cerner le vilhige entouré d'épaisses broustailles,
IVnlever et le livrer aux flammes fut l'afliurc- d'un instant. Au
premier bruit, le vénérable missionnaire était sorti do sa demeure
pour voir ce que c'était. Les assaillans jetèrent un gratid cri en
rapercevanl et le couchèrent en joue. ]l tomba sous une giêle
de lialles avec sept I idiens qui voulurent lui (aire un reinj art de
leurs corps. Les Aiig'ais épuisèrent ensuite leur vengeance sur
son cadavre, qu'ils mutilèrent d'une manière bar! are. puisse reti-
rèrent précipilanunent. Le premier soin des Sauvages en ren-
trant dans leur village, et tandis (jue les femmes cherchaient de.s
herbes et d.'s p nrites pour panser les bles^és, lut de pleurer sur
leur inforiunt missioimaire. Ils le trouvèrent percé de mille
coups, la cheve'ure et les j'eux remplis de boue, les o» des jambes
fracassés. Jamais les Sauvages dont on e>a;:érait si fort en
toute occasion les inhumanités, ne s'étaient acharnés ainsi sur les
caJavres de leurs ennemis.
Li guerre après cette surprise, continua avec une vigueur aug-
mentée par la soif d'une vengeance légitime, et presque toujours
à l'avantage des Abénaquis. M. de Vaudieuil ne pouvait pas
leur donner de secours, mais il n'empêchait pas les tribus sauvages
de le faire, en leur démontrant (pie les Anglais plus nombreux
étaient plus à craindre que les Français, qui au contraire contri-
buaient par leur seule présence, malgré leur petit nombre, à la
conservation de l'mdépendance de toutes les nations indigènes.
En 172."), ce gouverneur i\m était à Montréal vit arriver quatre
députés du Massachusetts et de la Nouvelle-York, MM. Dudley,
Taxter, Atkinson et Schuyler, pour traiter de la paix avec les
Abénaquis, dont plusieurs chefs se trouvaient a'dors dans cette
ville. Après avoir remis une réponse vague pour la katisfaction
HISTOmE DU CANAD\.
111
qu'il avnil dcmntulée ds la mort du P. Roale. ils cherchèrent à
entrer riecrèleiuent en négociation avec les Abénaiiiiis, qui repous-
seront loutj proi)o.sition, et voulurent au contraire que l'on is^as-
sennhlàt chez M. tij VaudrLMiil pour délihérer.
L\)\\ y tint plusieurs conférences, où Ton discuta la (|UL'stion
tl .'S limites et cjlle djs ind jiiinités. JVultimatuin des Sauvaiçes
rut(iu''ils conserveraient pour territoire tout c?. quM y avait à partir
(l'une lieue de r>a(.o à aller jusqu'à Port-R.)yal, et que la mort du
P. Rasle et les doiuiuairi's laits pendant la gujrre seraient couverts
par d.'s i)résens. Les Français, en uiettant en oiihli ilans cette
cironatance leurs prétentions sur les terres haii^nées par les eaux
da la baie de Fondy, ne faisaient que reconnaître l'indépendance
des Abénaquis, comme ils avaient reconnu déjà celle des Iroquois.
Mais il était facile de prévoir, que les agens anglais, si toutefois
ils étaient autorisés à traiter, n'accepteraient point de pareilles
bases. En effet ils se contentèrent de répondre qu'ils fera-ent
leur rapport à Boston. Ils se plaignirent ensuite des secours que
l'on avait donnés aux Abénaquis contre la foi des traités, dont
ils réclamèrent l'exécution en demandant les prisonniers retenus
en Canada Ils faisaient allusion à la part que nos Indiens
avaient prise aux hostilités.
Le gouvernement qui redoutait le rétabUssement de la paix et
le rapprochement des deuç peuples, vit avec plaisir la rupture
des conférences. Le ministère avait déjà écrit à M. Beaubarnois,
qu'il ne pouvait prendre de trop justes mesures pour em^iêchei- tout
accommodement ; mais les conférences n'avaient été réellement
qu'ajournées, car deux ans après, en 1727, un traité fut conclu
entre les parties belligérantes à Kaskabé avec la condition
verbale que les Abénaquis resteraient maîtres de leurs terres
et auraient la liberté de suivre le parti des Français ou le parti des
Anglais en cas de rupture entre les deux nations. Lorsque la
nouvelle de ce traité parvint à Paris, le ministre en montra beau-
coup de regret, sentant déjà tout le danger que courrait désormais
le Canada s'il était attaqué du côté de la mer. Il manda qu'à
tout prix les missionnaires conservassent l'attachement de ces
Sauvages qui servaient de barrière du côté de l'Acadie.* Trop
• Charlevoix était de la même opinion, car dans une lettre qu'il écrivit tt
la duchesse de Lesdiguières lorsqu'il voyageait en Canada huit ans après le
■I''
.;-. Il
112
HISTOIRE OU CANADA.
I
5 li
t
d'intérêts du reste leur dictaient cette politique pour qu'ils ne la
suivissent pas. Ce ministre enjoignit aussi de peupler le bas de la
colonie au lieu des pays au-dessus de Montréal pour Être en état
de repousser une invasion qui ferait plus de dommage par ce côté
ci que par Tautre.
Quant à la délimitation de cette fronti'ire, que le P. Aubry avait
proposé de fixer en tirant une ligue de Beaubassin à la source de
la rivière Hudson, il paraît qu'il n'en fut plus question jusqu'à la
guerre de 1744. Ce missionnaire canadien, illustré parla plume
de Chateaubriand et le pinceau de Girodet, était dans cette con-
trée en 1718. Il écrivait que l'Acadie se bornait à la péninsule,
et que si on abandonnait les Sauvages, les Anglais porteraient
aussitôt leurs frontières jusqu'à la hauteur des terres près de
Québec et de Montréal. L'humble prédicateur avait prévu les
prétentions du cabinet de Londres trente ans avant leur énoncia-
tion. La faute du gouvernement français fut de n'avoir pas dis-
tingué, par une ligne de division, chacune de ses provinces. Il
n'y avait pas de limites tracées et connues entre l'Acadie et le
Canada, et les autorités canadiennes comme celles de l'Acadie
avaient fréquemment fait acte de juridiction pour les mêmes
terres.
Tel fut l'état des choses du côté de l'Acadie jusqu'au traité
d'Aix-la-Chapelle. Les Français établis sur la rivière St.-Jean,
le long de la côte des Etchemins, et depuis cette côte jusqu'au
fleuve St.-Laurent, ceux même qui habitaient les mines, l'isthme
et les pays les plus voisins du territoire cédé à la Grande-Bre-
tagne, ne s'aperçurent d'aucun changement dans leur état ni dans
leurs possessions. Les Anglais ne cherchèrent ni à les chasser
du pays ni à les obliger à prêter serment de fidélité.
Les vues et les prétentions des deux peuples n'étaient pas
moins opposées touchant la délimitation de leurs frontières au
sud-ouest de la vallée du St.-Laurent, et à l'est de celle du Missis-
sipi. Mais ici la question se simplifiait. La France avait posé
pour principe que les vallées découvertes et occupées par elle lui
traité d'Utrecht, il s'exprime ainsi. " Les Abénaquis ou Cànibas voisins de
la Nouvelle-Angleterre ont pour plus proches voisins les Etchemins ou
Malécites, aux environs de la rivière de l'entagoët, et plus à l'est sont les
Micmacs ou Souriquois, dont le pays propre est l'Acadie, la suite de la côte
(lu Golfe St.>Laureat jusqu'à Gaspé," etc
r ]
HISTOIRE DU CANADA.
113
appartenaient avec tontes les terres arrosées par les eanx (|ni y
tomliiiicnt ; ainsi elle réelania toujours on verni tie r».'t'e rèji i- le
pays (les Iroquois jnsqn'à <;e ([u'elle l'eût alian loniié par niic
Blipulalion expresse; et elle prit possession île rO'.i.o tant par
droit de déconverte, que parce (jue cette rivière se j lait dans le
Mississipi. L'Angleterre néanmoins, (pioi(|no plus lent.: à péné-
trer datis l'intérienr du continent, ne voulut jamais adiU^îllro e.'
principe dans ses négociations pour des raisons lacile.'^ à appré-
cier. A défaut de princi|)e, elle se relranrha. pour j,istitier dans
la suite ses cnvaliissemens, sur le niotif de la sûreté na)i.)nale, et,
suivant l'accusation consacrée, sur l'ambition dangereuse de la
F unce.
Partant le gouvernenaent français était depuis l'ouverture du 18o
siècle comme ces vieillards dont le génie a survécu à la force.
Les grandes conceptions de Henri IV, de Richelieu, de Colhert,do
Louis XIV sur les colonies, se conservaient à Paris; elles éclairaient
ses hommes d'état, qui tâchaient de les suivre; mais leurs elforts
échouaient devant le vice d'institutions surannées qui étoulTaiL'nt
à la fois l'énergie et la liberté, l'industrie et l'émigration ; ils
échouaient surtout devant le système politique de la France en
Europe qui l'obligeait de retenir tous ses enfans auprès d'elle
pour résister aux formidables coalitions inspirées par l'effroi de sa
puissance. Faute d'émigration, il fallait donner aux établissc-
inens coloniaux, un caractère presque militaire dans l'intérêt de
leur défense. Beauséjour, Niagara, !e fort Duquesne devinrent
ainsi des avant-postes de soldats ; mais cela ne pouvait durer
longtemps tant il est vrai de dire que les colonies d'une nation en
Amérique ne pouvaient se maintenir que par une population qui
marchât de pair pour le nombre avec la population des colonies
d'une autre nation.
Par le traité d'Utrecht, la France avait abandonné les droits
qu'elle prétendait avoir sur le territoire de la confédération iro-
quoise. C'était un abandon plus imaginaire que réel, car les
cinq cantons n'avaient jamais cessé de se regarder comme
peuples libres et indépendans ; et si l'Angleterre persistait à vou-
loir les soumettre à sa souveraineté, elle s'en faisait des ennemis
irréconciliables. La France avait reconnu depuis longtemps
cette indépendance en refusant de négocier avec eux par l'inter-
r
il
'i
m
HISTOIRE DU CANADA.
riK'dir.irc de la N'oiivi-Ilo-York, ot en sgiuint le tiaitù il'^ \I()iilréal
ti.' nuj.
C^'peiulant U'.-s Français ne mainleiiuienl diiis le liant de la
vaTée du St.- Liureiit et ilans le Itat-sin du Mi.-sissi|)i à Taidedeln
Ira'.te et de leur alliaMce avec les lrd)Ufs iiidieniies. L'Aiiirle-
terre travaillait ouvorleitieiit et seerèt( iniMit depuis l<)nu;leiu|)s à
leui enlever l'une et Tautre. Aucun moyen ne l'ut plus ellleaee
t|iio celui adopté par la Ni>uvell»>Y()rk on 17'20, >iur In reeom-
uiaiidation de son gouverneur, M. Burnet, et qui consistait à pro-
hiber tout conunerce avec le Canada. '• Les Français, écrivait
M. Hunter, gouverneur de la province anglaise, au bureau du
commerce à Londres, les Français ont des torts et des établisse-
mens sur plusieurs points du Mississipi et des lies, et ils réclament
ces contrées et le commerce qui s'y fait comme leur propriété ;
si ces élablissemens continuent d'augmenter et de prospérer, ils
menaceront même l'existence des plantations anglaises ... je ne
sais sur quoi ils fondent leur droit, et je ne vois de moyen de
parer au mal que je viens de signaler, qu'en leur persuadant
d'abandonner le pays. Ce qu'il y aura ensuite de mieux à faire,
ce sera d'étendre nos frontières et d'augmenter le nombre de nos
soldats."*
Le gouverneur Hunter ne cherche point à s'autoriser de titres
chimériques pour établir un droit de priorité en faveur de sa
patrie ; il se contente de mentionner ses motifs qui sont simple-
ment des motifs d'intérêt: l'intérêt est sa règle, car de droit,
même celui de possession, même celui de premier occupant qui
dans le cas actuel est le meilleur, il n'en reconnaît aucun.
M. de Vaudreuil suivait d'un œil attentif tous les actes de ses
voisins. Il vit de suite toute la portée de la recommandation de
Burnet, et du statut législatif qui fut passé pour lui donner force
de loi. Immédiatement ii se mit en frais d'en contrecarrer les
conséquences. La Joncaire reçut ordre en 1721 d'établir un
poste à Niagara, du côté du sud, afin d'empêcher les Anglais de
s'introduire sur les lacs, ou d'attirer le commerce de ces contrées
à Albany. C'était un hoii. me intelligent et qui possédait à un
haut degré cette éloquence figurée qui charme tant les Sauva-
ges. Il obtint sant difficulté des Tsonnonthouaus, qui l'avaient
* Lettre du 9 juillet 1718 : Documens de Lo.idres.
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HlHTOinE DU CANADA.
113
nili)|)lé et qui !e i'.liérir'!<aicni comme un de leiirn cMinpatriut.^H, lu
pei m Hjiion (l'«»uviir un comploir ilaiis Itnirpay*. U.K!ilc|)iit.iti»)ii
envoyé»' aiipiùs lie:* OniionttijiiiéH, coiiipo éc du luron «I,' L m-
pueiiil, du mnnpiis de' Cnvairnal. fi'?* du iroiivern.'iir, et de deux
îiiiiies per.-onne.s (il)lenait, de ^oll côté, ra>5ieiilimenldo ce caMt( i»
ai/ nouvel etaljlis«emeiit. Aussitôt ipie la nouvelle de ce qui r^e •
pasriait parvinl à Alliany, liiiniel éciiv'.t pour protester contre
celte violation du iruité d l'irecht, nu gouverneur conadien qui se
conleiitn de répondre ipie N agiira avait toujours a|)parlenu à !u
coi.roiine de France. Huriiet, ne pouvant olitenir d'autre satis-
iacticiii, et ne voulant pas niiiiettre lui-inù.n;' d'actes d'iioï^tili é,
8*adreb^:a aux Loquois poi '-s engager à expulser les Françairj
par la t'orce. Burnet altacliail une gia.ide importanco au poste
de N .ara qu'il regardait comme funeste à la politique anglaise,
lo. parceipi'il protcijeait la commuircation du Canada avec le
JMississ'.pi |)ar fCliio, c.mimuiiicalion qu'il voulait interrompre" à
l'aide de ses oKiés; et '-io. parce que, si les Fiançai y menaient
une garnison assez i'orte, ils seiai«'nt maîtres du pl^î^age i\\t lac
Ontario; tandis qu'au contraire si le Tort était démoli, les Sauva-
ges occ'denlaux tomlieiaient dans la dépendance immédiate des
Aiigais. Burnet se plaitiiiil vivement encoie à tous les cniitous,
dont il parvint à mettre (juatre dans ses inféiéls; mais il ne jiut
engager les Tsonnt nthouans, ni à renvoyer la Joncaire, ni à lui
jicrmettre à 'ui-méme de s'établir dans leur pays. Alors il prit
le parti d'ouvrir un comptoir sur cette Irontièie, et choisit ren-
trée de la rivière O^wégo à mi-cliemin entre N agara et le fort de
Fioiitenac, vers lequel le poste de la Joncaire devait acliemiiier
la traile f
* I vvill do iny ondeavours. <î 'lit M. Burnet nii Eiii'taii c!u conimerce, in
thc spriiiu; witlioiit comnuttiiig hostility, to get our liidiiins to ileniolisli il.
Tiiis plate is of j^rcat conséquence Ibr two reuioiis, Ist. bccause it keeps ll.e
couui.uiiii'atioii between Canada and tiie Mississipi by thc river Obio opeii,
which eiso our Indiaus would be able lo iiitereept al pleuhiire, and i!d. it' it
shou d be niade a tort \\itli soldiers eiioujîh in it, it will keep our Uidians
iVorn g()in;i over the iiarrow part of llie Iake Ontario by tli;s only pMss ci'
tlie Indiaus wilhoul Icave ol ibe French, so tliat it it were denioi.slied llie
far ludians would dej;end ou us."— Duc u mens de Luiilns,
t Uocuuiens de Paris. —Journal historique de Cliarlevoix.
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116
HISTOIRE DU CANADA.
Les deux notions éfaieiit ainsi décidées de se maintcnii* dans
les |)()siti()ns (|ii'olIcs prenaient ou (|u\'lles avaient prises. Louis
XV écrivait de sa main sur un mémoire : " Le poste de Niagara
est de la dernière importance pour conserver le commerce des
pays d'en haut." Il ordonna de bâtir un fort en pierre sur Tem-
p'aeeivieiit de e.'lui (jue Denonville y avait élevt autrefois, il ren-
dii libre la traite de l'eau de vie chez les Sauvages, comme elle
l'était che/; les Anglais, et rétablit la vente des congés qui furent
fixés à '200 livres. En même temps M. de Beauharnais recevait
instruclion d'empêcher aucun étrangler de pénétrer sur le terri-
toire français, s«it pour commercer, soit pour étudier le pays ; et
les Anglais de rester plus de deux jours à Montréal. Il y en
avait beaucoup d'établis dans cette ville, ouvriers, marchands et
autres. Il parait que leur grand nombre avait excité les soup-
çons du ixouvernement.
Ij'> duc de Ne\v-Cast!e, ministre anglais, se plaignait alors en
vain à lu cour de Versailles de l'établissement de Niagara. De son
Cillé U.iinet éci.v;iit une lettre (|ui fut remise au baron de Lon-
guMnl. irouveriieur |)ar intérim après la mort de M. de Vaudreuil,
par M. L.%''nirston voyageant ostensiblement poin' son éducation,
niais chai'iié probablem ^nt de (pieKpie mission secrète.
Ne recevant aucune réponse favorable, il commença à se for-
tifier à Oswéiro, et répondit à la sommation que M. de Beauhar-
nais lui fit porter en 1727 de se retirer de ce poste, en y envoyant
une forte garnison pour le défendre en cas d'attacpie. Oswégo
possédait une double importance pour les Anglais, il était néces-
saire à leur projet de s'emparer de la traite des pelleteries, et il
protégeait les établissemens que leurs colons formaient entre
l'Hudson et le lac Ontario.
Ces dilllcultés et ces empiétrmens amenaient l'un après l'autre
des rcpiésailles. Voyant qu'il ne pouvait déloger Burnet du
pos-tc (lu'il occupait s.ur le lac Ontario, Beauharnais tourna sa
position et vint élever un fort vers la tête du lac Champlain, à la
pointe à la Chevelure, maintenant Crown Point. Ce lac, comme
l'on sait, qui se décharge dans le St. -Laurent par la rivière
R chelieii, tire ses eaux du plateau où prend sa source la rivière
Hudson qui va se jeter du côté opposé dans la mer, à New-York.
I;Intouru de uonta^nuâ vers le haut, ses l'ivcs s'abaiescnt graduelle-
HISTOIRE DU CANADA.
17
ment à mesure qu'il approche de St.-Jeon, bourg situé à son
extrémité inférieure. M. de la Corne, officier canadien de dis-
tinction, appela le premier l'attention sur l'importance d'occuper
ce lac, qui doinait entrée dans le cœur même de la Nouvelle-
York. En elTet, de la Pointe à la Chevelure on menaçait à la
fois Osvvégo, Albany et la Nouvelle-Angleterre elle-même, qui
n'eut pas plutôt appris le résolution des Français, qu'elle vota
une somme d'argent pour envoyer, avec la Nouvelle-York, une
ambassade en Canada, chargée de faire des remontrances à M.
de Beauharnais le l'engager à abandonner cette position. En
même temps elle- pressait la Nouvelle- York d'exciter l'opposition
des cinq nations. Mais ses démarches n'eurent aucune suite, et
les Français, malgré les réclamations et les menaces, construi-
sirent le fort St.-Frédéric, qu'ils gardèrent jusqu'à la fin de leur
domination en Amérique. C'est ainsi que dans une lutte d'un
nouveau genre, lutte d'agressions et d'oppositions, lutte de
sommations et de contre-sommations, les deux premières monar-
chies de l'Europe se disputaient pacifiquement, pour se les dis-
puter ensuite les armes à la main, quelques lambeaux de forêts
où déjà germaient sous leurs pas le républicanisme et l'indépen-
dance absolue.
Ces transactions graves par les suites qu'elles devaient avoir,
se passaient entre 1715 et 174't. Cependant, à la faveur de la
paix, le Canada faisait des progrès lents si l'on veut, parce qu'ils
n'étaient dus qu'à l'accroissement naturel de la population fixe,
mais constans et assurés. Les ravages de la petite vérole, fléau
qu'on n'avait pas encore appris à dompter, et qui décima à plu-
sieurs reprises la population blanche et indigène, n'interrompirent
presque point ces progrès. Les défricliemens s'étendaient petit
à petit, les campagnes se peuplaient, les habitans, reposés de leurs
anciens combats, avaient pris goût à des occupations paisibles
plus avantageuses pour eux et pour le pays.
L'émigration qui avait été loin de suffire à combler le vide que
laissaient ceux qui périssaient dans les longues et dangereuses
pérégrinations entreprises pour la traite des pelleleries n'aug-
mentait point. En 1725 on voulut la ranimer un peu. Le Cha-
meau, vaisseau du roi, partit de France chargé d'hommes pour
le Canada. Il portait M. de Chazel q\ù venait remplacer M.
Q
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118
HISTOIRE DU CANADA.
Begon, comme intendant, M. de Louvigny nommé au gouverne-
ment des Trois-Rivières, et plusieurs officiers, ecclésiastiques et
marchanda, colons moins précieux par le nombre que par les
lumières et les capitaux qu'ils apportaient; malheureusement ils
ne devaient point parvenir à leur destination. . Une horrible
tempête surprit le Cliameau à la hauteur de Louisbourg, à l'entrée
du golfe St. Laurent, et le jeta, au milieu de la nuit, sur les rescifs
de l'île encore sauvage du Cap-Breton, où il se brisa. Personne
ne fut sauvé. Le lendemain la côte parut jonchée de cadavres
et de marchandises. La nouvelle de ce désastre fut suivie par
une perte non moins sensible, dans la personne de M. de Vau-
dreuil, qui expira le 10 octobre, après avoir gouverné le pays
durant vingt-et-un ans avec sagesse et l'approbation du peuple,
dont il fut sincèrement regretté. Son administration n'avait été
troublée par aucune de ces querelles qui avaient si souvent agité
la colonie, et divisé les grands fonctionnaires et les corps publics ;
elle fut constamment signalée par des événemens heureux, dus
en grande partie à sa vigilance, à sa fermeté, à sa bonne con-
duite, et aussi au succès qui accompagnait presque toutes ses
entreprises; car la chance entre pour beaucoiip dans les événe-
mens humains. Son succetiseur le marquis de Heauharnais, fils
naturel de Louis XIV, avait déjà été intendant à Québec après
M. de Champigny. Nommé en 1705 à la direction des classes
de la marine en France, il était capitaine de vaisseau lorsqu'il fut
choisi par Louis XV pour être mis à la tête du gouvernement
canadien. Il arriva à Québec en 1726 et prit les rênes de l'ad-
ministration des mains du baron de Longueuil qui les tenait par
intérim.
L'intendant Begon, que M. de Chazel venait relever, eut pour
successeur M. Dupuy, maître des requêtes, ancien avocat général
au conseil du roi, et fidèle disciple de l'esprit et des doctrines des
parlemens de France. Il ne fut pas plutôt entré en fontions,
qu'il voulut augmenter l'importance du conseil supérieur dans
l'opinion pubhque, inspirer à ses membres les sentimens d'uu
haut respect pour leur charge, et rafiermir en eux cette indépen-
dance de caractère si nécessaire à une magistrature intègre, et
qui faisait regarder les parlemens français comme les protecteurs
et les défenseurs nés du peuple. Mais les circonstances n'étaient
pas les mêmes en Canada.
HISTOIRE DU CANADA.
119
Jaloux des droits de la magistrature, esclave de la règle, le
nouvel intendant ne fut pas longtemps dans le pays sans se voir
aux prises avec plusieurs des autorités publiques, accoutumées à
jouir d'une assez grande latitude dans leurs actes, et à exercer
leurs pouvoirs plus suivant l'équité ou la convenance du moment
que suivant l'expression rigide de la lettre. Le premier différend
grave qui s'éleva naquit d'une circonstance fortuite, la mort de
l'évêque de Québec, M. de St.-Vallier, qui avait succédé en 1680
à M. de Petrée, forcé à la retraite par son grand âge et ses infir-
mités. Cette longue querelle que nos historiens ont ignorée, car
aucun d'eux n'en fait mention, souleva le clergé et le gouverneur
contre le conseil dirigé par M- Dupuy. En général le gouver-
neur et l'intendant étaient o) s l'un à l'autre ; c'étaient deux
rivaux attachés ensemble par i politique royale pour s'observer,
se retenir, se juger; si l'un était plus élevé en rang, l'autre pos-
sédait plus de pouvoir ; si le premier avait pour courtisans les
hommes d'épée, l'autre avait les hommes de robe et les adminis-
trateurs subalternes ; mais ce système en rassurant la jalousie du
trône, devait désunir à jamais ces deux grands fonctionnaires,
mal que rien ne pouvait compenser. Jusqu'à présent l'intendant
s'est rangé avec le parti clérical; aujourd'hui M. Dupuy va
occuper la position du gouverneur qui s'est rallié au clergé.
L'évoque mourut en décembre 1727, pendant l'absence de M.
de Mornay, son coadjuteur depuis 1713. M. de Lotbinière,
archidiacre, se préparait à faire les obsèques du prélat, en sa
qualité de grand vicaire, lorsque le chapitre prétendit que ses
fonctions avaient cessé comme tel par le décès de l'évêque ; que
le siège épiscopal était vacant, et que c'était au chapitre à régler
tout ce qui avait rapport aux funérailles du pontife et à l'élection
de son successeur.
L'archidiacre repoussa cette prétention ; et sur le refus que l'on
fit d'obtempérer aux ordres qu'il donnait en sa qualité de grand
vicaire, il fit assigner devant l'autorité civile, le chapitre pour
répondre de sa rébellion. Celui-ci se contenta de déclarer qu'il
ne reconnaissait aucun juge en Canada capable de prendre con-
naissance des motifs du différend élevé entre lui et le plaignant,
qu'il ne pouvait être traduit que devant l'official du diocèse, et
qu'il en appelait au roi en son conseil d'état. C'était l'ancienne
'M
120
HISTOIRE DU CANADA.
prétention cléricale de récuser les tribunaux civils ordinaires.
M. Dupuy la traita de monstrueuse, le conseil supérieur tenant,
disait-il, en ce pays la place des parlemens français, qu'il fallait
reconnaître avant de pouvoir en appeler à la couronne. Des
scènes tumultueuses suivirent ces premières altercations. Le
chapitre se rendit à la tête d'une foule de peuple, à l'Hôpital-
Général, à l'entrée de la campagne, où était déposé le corps de
l'évêque, auprès duquel il avait été défendu aux fidèles d'aller
prier ; il entra précipitamment dans la chapelle, manda devant lui
la supérieure du monastère, la suspendit de ses fonctions et mit
le couvent en interdit, pour empêcher la cérémonie des obsèques.
Tout cela dénotait peu de respect pour la mémoire du chef ecclé-
siastique que l'on venait de perdre, et rappelait aux plaisans
quelques-unes des scènes du Lutrin.
Le conseil supérieur rendit son arrêt dans le mois de janvier
1728, sur la vacance du siège épiscopal. Il déclara le siège
rempli attendu l'existence de M. de Mornay, coadjuteur et suc-
cesseur désigné du dernier évéque, lequel avait même en cette
qualité gouverné les missions de la Louisiane. Le chapitre se
trouvait par cet arrêt privé de faire aucun acte de juridiction
diocésaine. Il avait bien bravé le conseil lors des obsèques, à
présent que l'on était à l'important de l'affaire, il ne balança pas
à se mettre en pleine insurrection contre lui. En conséquence,
M. de Tonnancourt, chanoine de la cathédrale, monta en chaire
le jour de l'Epiphanie avec un mandement contre l'intervention
du pouvoir civil, qu'il lut aux fidèles, aveu ordre à tous les curés
de le publier au prône de leurs paroisses. L'intendant fit infor-
mer immédiatement contre le chanoine audacieux. Toute la
rivalité jalouse qui existait en France entre le clergé et les par-
lemens toujours quelque peu jansénistes et libéraux, se manifesta
dans cette dispute, qui du reste n'eût intéressé que la chronique re-
ligieuse et les légistes canoniques, si, à cette phase de son progrès,
le gouverneur ne fût intervenu tout-à-coup pour interrompre le
cours des tribunaux. M. de Beauharnais alla beaucoup plus loin
que M. de Frontenac dans cette intervention dangereuse. Il se
rendit au conseil avec son secrétaire par lequel il fit lire une
ordonnance interdisant à ce corps toute procédure ultérieure
dans l'affaire du clergé, et cassant les arrêta qui avaient déjà été
HISTOIRE DU CANADA.
121
T
rendus. Il voulut môme imposer silence au procureur-général.
Cette haute cour tint en cette circonstance grave, une conduite
pleine de dignité. Elle ordonna d'abord au secrétaire du gou-
verneur de se retirer, parcequ'il ne faisait pas partie du conseil ;
elle protesta ensuite contre l'insulte faite à la justice; et, par une
déclaration motivée en présence du gouverneur lui-môme, dans
laquelle elle qualifia ses prétentions de téméraires autant que nou-
velles dans la colonie, elle décida de suite de faire ses plaintes au
roi de l'atteinte portée à l'indépendance et à l'autorité des tribu-
naux.
M. de Beauharnaiç qui ne s'était pas attendu peut-être à cet
acte de vigueur, sortit irrité. Il fit publier à la tête des troupes
et des milices des villes et des compagnes, son ordonnance d'in-
terdiction avec défense de recevoir les arrêts du conseil sans son
ordre exprès. Le conseil répondit par une contre-ordonnance
dans laquelle on trouve ces mots : " Les peuples savent bien et
depuis longtemps que ceux qui ont ici l'autorité du prince pour
les gouverner, ne peuvent en aucun cas se traverser en leurs
desseins ; et que dans les occasions où ils sont en diversité de
sentimens pour les choses qu'ils ordonnent en commun, Tcxécu-
tion provisoire du projet différemment conçu, dépend du district
dans lequel il doit s'exécuter ; de sorte que si le conseil supérieur
a des vues différentes d'un gouverneur général en chose qui
regarde la justice, c'est ce que le conseil ordonne qui doit avoir
son exécution ; et de môme s'il y a diversité de sentiment entre
le gouverneur général et l'intendant sur des choses qui les regar-
dent en commun, les vues du gouverneur général prévaudron' si
ce sont choses purement confiées à ses soins, telle qu'est la guerre
et la discipUne militaire hors de laquelle, étant défendu au gou-
verneur général de faire aucune ordonnance telle qu'elle soit, il
ne peut jamais faire seul qu'une ordonnance militaire. Les
ordonnances de l'intendant doivent de même s'exécuter par pro-
vision, quand ce dont il s'agit est dans l'étendue de ses pouvoirs,
qui sont la justice, la police et les finances, sauf à rendre compte
au roi de part et d'autre chacun en son particulier, des vues diffé-
rentes qu'ils auront eues, à l'effet que le roi les confirme ou les
réforme à son gré. Telle est l'économie du gouvernement du
Canada."»
* Le gouverneur et lieutenant général dans le Canada n'a aucune autorité
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122
HISTOIRE DU CANADA.
Le conseil maintint la position qu'il avait prise, et sévit contre
les rebelles. Quelques uns de ses membres cependant furent
gagnés ou intimidés plus tard par M. de Bcauharnais; et l'un
d'eux, le nommé Crc nprés avoir voté avec ses collègues,
refusa ensuite de rem, (aines fonctions qu'ils lui déférèrent
temporairement dans la c. iiduite du grand procès qui les occupait.
On l'interdit. Cela se passait le 6 avril. Le 30 mars les troupes
avaient été appelées une seconde fois sous les armes, et les officiers
avaient déchiré à coups d'épée les nouvelles orJonnancesdu con-
seil. Le gouverneur persistant dans les mesures extrêmes fit ouvrir
les prisons à ceux que le conseil avait fait arrêter et les reçut au
château St.-Louis. Il mit ensuite aux airêts les officiers qui
osèsent désapprouver sa conduite, et adressa de Montréal où il
était, une lettre de cachet à son lieutenant à Québec, pour exiler
les deux conseillers les plus opiniâtres, l'un, M. Gaillard, à Beau-
pré, et l'autre, M. d'Artigny, à Beaumont. Cette dernière démar-
che était un véritable coup d'état, qui était heureusement un fait
inouï dans le pays. Le gouverneur voulait rendre le conseil
incompétent en le réduisant à moins de cinq membres actifs, nom-
bre nécessaire pour rendre les arrêts. L'intendant publia aussitôt
une contre-ordonnance en sa qualité de président, seul chargé de
convoquer le conseil, pour enjoindre à tous ses membres de rester
à leur poste, sous peine de désobéissance, et de ne tenir aucun
compte de l'ordre illégal du gouverneur.
Le conseil se trouva ainsi en opposition à ce dernier et à la
majorité du clergé. Les llécoUets inclinant ordinairement pour
le pouvoir civil, se rangèrent cette fois avec l'autorité militaire et
ecclésiastique. Les Jésuites, contre leur usage, parurent vouloir
garder la neutralité, et observèrent une prudente réserve. Le
roi avait été saisi de l'affaire dès le commencement, et l'on sut
bientôt à quoi s'en tenir sur la conduite que suivrait le ministère.
Ce qui se passait alors en France était d'ailleurs un avertissement
suffisant pour les plus clairvoyans.
Le cardinal de Fleury avait remplacé le cardinal Dubois à la
tête des affaires. Le nouveau ministre tâchait d'apaiser les trou-
sur les cas (l'amirauté, et nulle direction sur les officiers cjui rendent la jus-
tice."— Rèjflement de 1684 signé du roi et du grand Colbeit, et un grand
nombre d'autres règlemens rendus depuis dans le même sens.
HIS-OIRE DU CAxNADA.
123
bles religieux qui agitaient le royaume à l'occasion de la bulle
îoiigenitus. Cette bulle proclamait l'iiifaillibilitù du pape ; et le
cardinal avait promis de se vouer à sa défense pour obtenir le
cbapcau. " Comme prêtre, dit un auteur, il oublia qu'il ^e devait
à la France et non à la cour de Rome ; il se fit juge opiniâtre des
consciences, quand il ne lallait être ([ue conciliateur. Il avait des
vues bornées, peu de génie, beaucoup d'égoïsmo ; il craignait les
Jésuites et les servait afin de ne pas les avoir pour ennemis."
Le concile provincial d'Embrun tenu en 1727, ayant con-
damné l'évoque de Senez, accusé d'avoir attacpié la fameuse bulle,
le parlement et le barreau s'élevèrent contre le jugement, le par-
lement qui bravait alors la cour de Ro.ne, en refusant la légende
de Grégoire XII béatifié à la sollicitation des Jésuites, et qui s'éle-
vait devant le cardinal comme l'opposant de ses vues. On con-
çoit quelle amertune cette conduite laissait dans le cœur du
ministre, et dans quelle disposition d'esprit il reçut la nouvelle des
démêlés entre le chapitre et le conseil supérieur de Québec
image du parlement de Paris. La querelle canadienne se con-
fondit à ses yeux avec la querelle française. Dupuy fut immé-
diatement rappelé, et l'ordre envoyé au conseil supérieur de lever
les saisies du temporel des chanoines et du curé de la cathédrale,
qu'il avait ordonnées dans le cours des procédures.
Il y eut alors dans ce corps un revirement peu honorable pour
son ".ndépendance. MM. d'Artigny et Gaillard, s'étant présentés
pour y prendre place comme à l'ordinaire, furent inlbrmés par
M. Delino, qui le présidait en l'absence de son chef disgracié,
qu'ils ne pourraient être admis jusqu'à ce que le roi se fût pro-
noncé sur la lettre de cachet du gouverneur. Leur suspension,
car c'en était une, dura jusqu'à l'arrivée du nouvel intendant, M.
Hocquart, l'année suivante, qui leur permit de reprendre leurs
sièges, pour assoupir l'afiairc plus vite.
Telle fut cette grande querelle dans laquelle le conseil finit par
jouer le rôle servile qui ne caractérise que trop souvent les auto-
rités coloniale!!. Dupuy avait remis sa charge aux premiers avis,
afin de ne point portager la honte de ces rétractations.
Quant à l'élection de l'évoque, la position prise par l'autorité
civile fut maintenue, puisque M. de Mornay succéda à M. de St.-
Vallier en vertu de son droit de second dignitaire du diocèse.
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124.
HISTOIRE DV CANADA.
Mais il ne vint point en Canada. M. Dosquct, nommé évêque
de Samos, arrivé avec M. Hocquart en 1729, y fit les fonctions
de pontife comme coadjuleur jusqu'en 1735, époque de la rési-
gnation de M. de Mornay et de la sienne. M. de Pourroy de
rAul3erivières choisi pour remplir le siège vacant, mourut en
arrivant à Québec en 1739. Enfin M. Dubreuil de Pontbriant,
fut élu pour le remplacer. C'est le premier Canadien qui ait
porté la mitre, et sa nomination interrompit ces mutations fré-
quentes qui arrivaient depuis quelque temps au siège épiticopal.
C'est en 1728 que tout à coup le bruit du tambour retentit sur les
places publiques, et annonça aux liabitans qu'il se passait quel
que chose d'inaccoutumé parmi les peuplades de l'Occident,
c'était un débris d'une des nations du Michigan qui avait repris
les armes, les Outagamis. On croyait les avoir détruits en
1715, et dès deux ans après M. de Vaudreuil avait été obligé
do faire marcher contre eux M. de Louvigny avec quelques
hommes, qui les avait forcés de céder leur pays à la France.
Mais ils n'avaient pu rester longtemps tranquilles ; ils s'étaient
recrutés et avaient repris leurs anciennes habitudes de pillage.
Ils rôdaient continuellement dans le voisinage des postes français,
infestaient de brigandages et de meurtres les rives du lac Michi-
gan et les routes qui conduisaient du Canada à la Louisiane, entra-
vaient le commerce et rendaient les chemins impraticables à plus
de cinq cents lieues à la ronde. Ils engagèrent môme plusieurs
autres tribus à suivre leur exemple. M. de Beauharnais poussé
à bout jura de les exterminer. Mais comment saisir des hommes
nomades, qui disparaissaient dans des régions inconnues sans
qu'on pût suivre leur trace ?
C'est ce que l'on essaya. 450 Canadiens et 7 à 800 Sauvages,
commandés par M. de Ligneris, entrèrent sur leur territoire. Une
portion de cette petite armée s'était mise en route, au commen-
cement de juin, de Montréal. Elle avait remonté la rivière des
Oulaouais en canot, traversé le lac Nipissing et pénétré, par la
rivière aux Français, duns le lac Huron, où les Sauvages qui
devaient former le reste du corps l'avait ralliée. Le corps entier
atteignit Michilimackinac le 1 août, et débarqua le 14 à Chicago,
au fond du Michigan, après deux mois et neuf jours de marche
depuis le départ de Montréal.
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HISTOIRE DU CANADA.
125
Les premiers ennemis qu'il eût à coniliattre, furent les Mal-
hoinincs ou Folles- Avoines, ainsi nommés parce qu'ils se nour-
rissaient d'une espèce de riz qui croît en abondance dans les
plaines marécageuses situées au sud du lac Supérieur. Le len-
demain cette tribu, que les Outagamis avaient entraînée dans leur
alliance, se présenta rangée en bataille sur le rivage pour s'oppo-
ser au débarquement des Français. Mais à peine leurs canots
eurent-ils touché la terre, que les Canadiens et leurs alliés saisis-
sant leurs haches et leurs fusils, s'élancèrent vers les Malhomines
avec de grands cris. La mêlée fut extrêmement vive, mais l'en-
nemi, rompu partout, fut complètement défait après avoir essuyé
des pertes considérables.
Le bruit de l'arrivée et de la victoire de Ligneris se répandit
au loin en un instant. Toutes les tribus prirent la fuite, les Outa-
gamis les premiers. On se mit à leur poursuite ; on remonta la
rivière aux Renards jusqu'à sa source, on s'avança jusqu'à leur
dernier asyle sur une rivière qui tombe dans le Ouisconsin, à
une trentaine de lieues du Mississipi, mais on ne put les atteindre.
Il fallut se contenter de détruire les frêles bourgades qu'ils s'étaient
élevées depuis 1715, avec les dépôts de maïs qui s'y trou-
vaient, et de ravager le plat pays pour leur ôter tout moyen de
subsistance. Pas une bourgade, pas une cabane, n'échappa aux
flammes. Cette irruption brusque et dévastatrice, dont le roi
avait cru le succès douteux, rendit, pour quelque temps, la paix
à ces contrées, et la sûreté aux communications entre le Canada
et la Louisiane, que l'on désirait plus que jamais rapprocher l'un
de l'autre.
Tandis que le gouvernement punissait ainsi le soulèvement des
Sativages, il ne perdait pas de vue l'honorable mission qu'il s'était
imposée, la découverte et l'exploration de l'intérieur du continent.
On avait découvert les deux grands fleuves et tous les grands lacs
de l'Amérique du Nord ; on avait remonté à une grande distance
les tributaires du Mississipi qui prennent leurs sources dans les
Montagnes-Rocheuses ; on ambitionnait maintenant la gloire
d'atteindre la mer Pacifique, qu'un Sauvage Yasou, au rapport de
Lepage Dupratz, avait déjà visitée. Une pareille entreprise
avait été formée plusieurs fois chez les Français. M. de Beau-
harnais voulut s'en occuper sérieusement et l'accomplir. Le
R
w
l'2ii
HISTÛIKE DU CANADA.
plus (lifllcile lui semblait fait, car l'on supposait alors le continent
moins large au nord qu'il ne l'est en clVet ; et que la mer, au lieu
de reculer vers l'ouest, se rapprochait de l'est en s'élevant au
pôle. La figure de l'extrémité de l'Amérique du Sud, qui finit
en pointe à la terre de Feu, et la longitude de la partie alors con-
nue des côtes occidentales du continent, partie qui ne venait
guère en deçà du Mexique, pouvaient faire tomber dans cette
erreur.
Le gouverneur, sous l'inspiration du ministre, M. de Mau-
rcpas, envoya une expédition sous la conduite de M. de la
Vérandrye, qui sans posséder l'énergique persévérance de la
Salle et de Perrot, avait néanmoins l'expérience des voyages, et
pouvait faire espérer un résultat satisfaisant. Il partit en 1738
avec ordre de prendre possession des pays qu'il pourrait décou-
vrir au nom du roi, et d'examiner attentivement les avantages que
l'on pourrait retirer d'une communication entre le Canada ou la
Louisiane et l'océan Pacifique. Le gouvernement avait intention
de prolonger la ligne des postes de traite jusque sur cette mer.
Les regards des Européens sans cesse tournés vers l'Occident,
semblaient chercher cette terre promise qui avait embrasé le
génie de Colomb, ce ciel mystérieux qui fuyait toujours, cl vers
lequel une puissance secrète semble pousser continuellement la
civilisation.
La Vérandrye passa par le lac Supérieir;, longea le pied du
lac Winnipcg, remonta la rivière des Assiniboils, et s'avança vers
les Montagnes-Rocheuses qu'il n'atteignit pas cependant, s'étant
trouvé mêlé dans une guerre avec les naturels dans laquelle il
perdit une partie de ses gens, et fut obligé de s'arrêter. Ce
voyageur a raconté au savant suédois, Kalm, qui visitait le
Canada en 1749, qu'il avait trouvé dans les contrées les plus
reculées qu'il avait parcourues, et qu'il supposait à 900 lieues de
Montréal, de grosses colonnes de pierre d'un seid bloc, quelque-
fois appuyées les unes contre les autres, d'autres fois superposées
comme celles d'un mur ; que ces pierres n'avaient pu être dis-
posées ainsi que de main d'homme, et qu'une d'elles était sur-
montée par une autre fort petite n'ayant qu'un pied de long sur
quatre ou cinq pouces de large, portant sur deux faces des carac-
tères inconnus. Cette petite pierre fut envoyée au secrétaire
:/m
HISTOIRE nu CANADA.
V21
(l'état, à Paris. Plusieurs des Jésuites qui l'avaient vue en Cu-
iiaila, dirent à Kalm que les figures qu'elle portait ressemblaient
aux caractères tartarcs. Les Sauvages ignoraient par qui ces
blocs avaient été apportés là, et disaient qu'ils y étaient depuis
un temps immémorial. L'origine tartare des caractères parait
très probable à Kalm, et servirait à confirmer l'hypothèse d'une
émigration asiatique ([ui serait la souche d'au moins une partit;
des Sauvages de l'Amérique.
L'on donna aux contrées découvertes par la Vérandrye, le nom
de ** Pays de la mer de l'Ouest," parce (jue l'on croyait s'être
arrêté à peu de distance de cette mer ; et on y établit une chaîne
de petits postes pour contenir les Indigènes et faire la traite des
pelleteries. Le plus reculé fut d'abord celui de la Reine, à 100
lieues à l'ouest du lac Winnipeg sur la rivière des Assiniboils;
on en construisit ensuite trois autres en gagnant toujours le cou-
chant ; le dernier prit le nom de Paskoyac, de la rivière qui pas-
sait à ses pieds.
Sous l'administration de M. de la Jonquière, on voulut organi-
ser une nouvelle expédition pour continuer les découvertes et faire
la traite. L'intendant Bigot était alors en Canada ; il forma dans
ce but une société composée du gouverneur et de lui-même, de
MM. Bréard, contrôleur de la marine, Legardeur de St.-Pierre,
olficier plein de bravoure et fort aimé des Indiens, et de Marin,
capitaine décrié par sa cruauté, mais redouté de tous ces peuples.
Ces deux derniers furent chargés de l'œuvre double de l'associa-
tion. Marin devait remonter le Missouri jusqu'à aa source, et de
là suivre le cotirs de la première rivière sur laquelle il tomberait,
et qui irait se jeter dans l'océan Pacifique. St.-Pierre, passant
par le poste de la Reine, devait aller le rejoindre sur le bord de
cette mer à une certaine latitude. Mais tout cela était subor-
donné à la spéculation pour laquelle on s'était associé, c'est-à-
dire que bs voyageurs pourraient interrompre leur marche dés
qu'ils croiraient avoir amassé assez de pelleteries pour les char-
ger. Ils ne furent pas loin, et s'en revinrent nantis d'une riche
moisson. Les associés firent un profit énorme. Smith fait mon-
ter la part seule du gotiverneur à la somme de 300,000 francs.
La France ne retira rien de cette expédition, dont l'Etat fit tous
les frais.
128
HISTOIRE DU CANADA.
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Mais Papparenco hostile que prenaient les relations coloniales
des Français et des Anglais, devenait do plus en plus menaçante,
et la tournure des alFairos en Europe n'annonçait que troj) une
rupture prochaine entre les deux nations. La (juestion des
frontières, tenue en suspens par l'impossibilité de concilier les
prétentions avancées de part et d'autre, laissait du reste depuis
longtemps les colons dans l'attente d'une guerre plus ou moins
éloignée. M. de Beauharnais avait dès 113i écrit une dépêche
en chilTres au ministre pour lui exposer la situation du Canada et
les mesures à prendre pour sa défense. Revenant toujours à la
nécessité de fortifier Québec, il répétait ce qu'on avait dit tant de
fois, que cette ville était la clef du paya et l'abord des secours
venant de l'rance ; que si le» ennemis s'en rendaient maîtres ils
le seraient bientôt de toute l'Amérique. Cette fois le roi fit
répondre qu'il serait d'autant plus inutile de fortifier Québec
qu'on ne pourrait le faire assez solidement pour le rendre impre-
V ^le. Le pays devait accomplir sej destinées.
En 1735 Raensalaer, seigneur d'Albany, sous prétexte de
voyager pour son amusement, mais dans la prévision de la reprise
des armes, vint en Canada et informa secrètement le gouverneur,
que dans les dernières guerres l'on avait ménagé leur pays,
que M. de Vaudreuil avait recommandé à ses alliés de n'y pas
faire de courses, que la Nouvelle-York avait fait la même chose
de son côté, et qu'elle était encore disposée à en user de même.
En 1740 la guerre étant devenue encore plus imminente, M. de
Beauharnais fit mettre, sur les ordres de Paris, les forts de Cham-
bly, St.-Frédéric et Niagara en état de défense. Il travaillait en
même temps à resserrer les liens qui unissaient les Sauvages aux
Français. Il tint de longues conférences avec eux en 1741,
où il put s'assurer que, s'ils n'étaient pas tous très attachés
à notre cause, la puissance croissante de nos voisins excitait assez
cependant leur inquiétude et leur jalousie pour leur faire préférer
notre alliance à la leur. L'on faisait hier; de ménager ces peuples
qui, d'après un dénombrement exécuté en 1736, de toutes leurs
tribus depuis les Abénaquis jusqu'aux Mobiles, comptaient encore
plus de 15,000 guerriers.
LIVRE HUITIEME.
CHAPITRE I.
COMMERCE.
1608-1741.
De l'Amérique et de ses destinées. — But des colonies qui y ont été éta'
blies. — Le génie commerçant est le grand trait caractéristique des popula-
tions du Nouveau-Monde. — Commerce canadien : cflbt destructeur de»
guerres sur lui. — Il s'accroît cependant avec l'augmentation de la popula-
tion.— Son origine : pêche delà morue. — Tiaite des pelleteries de tout
temps principale branche du commerce de la Nouvelle-France. — Elle est
abandonnée au monopole des particuliers onde compagnies jusqu'en 1731,
qu'elle tombe entre les mains du roi pour passer en celles des fermiers.—
Nature, profits, grandeur, conséquences de ce négoce; son utilité politi-
que.— Rivalité des colonies anglaises; moyens que prend jVI. Burnet,
gouverneur de la Nouvelle-York, pour eidever la traite aux Français. —
Lois de 1720 et do 1727. — Autres branches de commerce : pêcheries, com-
bien elles sont négligées, — Bois d'exportation. — Construction des vais-
seaux.— Agriculture ; céréales et autres produits agricoles. — Jin-seng.—
Exploitation des mines, — ChitFre des exportations et des importations.—
Québec, entrepôt général. — Manufactures : introduction des i.iuiiers pour
la fabrication des toiles et des draps destinés à la consommation intérieure.—
Salines. — Etablissement des postes et messageries (1745). — Transport
maritime. — Taxation : drorts de douane imposés fort tard et très modé-
rés.— Systèmes monétaires introduits dans le pays ; changemens fréquens
qu'ils subissent et perturbations qu'ils causent. — Numéraire, papier-mon-
naie : cartes, ordonnances ; leur dépréciation. — Faillite du trésor, le
papier est liquidé avec perte de 5 [8 pour les colons en 1 720. — Observations
générales, — Le Canadien plus militaire que marchand. — Le trafic est
permis aux fonctionnaires publics ; alTreux abus qui en résultent. — Lois
de commerce. — Etablissement du siège de l'Amirauté en 1717 ; et d'une
bourse à Québec et à Montréal. — Syndic des marchands. — Le gouverne-
ment défavorable à l'introduction de l'esclavage au Canada.
Si la découverte du Nouveau-Monde a exercé une influence
salutaire sur la destinée des Européens,* elle en a eu une bien
I "The discovery of America was, in this way, ofas much advantage
to Europe, as the introduction of foreign commerce would be to China. It
tm-
130
HISTOIRE DU CANADA.
i
funeste pour les nations indiennes qui peuplaient les forêts de
l'Amérique. Leur amour de Tindépcndance, leurs mœurs belli-
queuses, leur intrépidité ont retardé et retardent encore à peine
leur ruine (l'un jour: au contact de la civilisation elles tombent
et s'effacent avec plus de rapidité encore que les bois mystérieux
qui leur servaient de retraites, et bientôt, pour nous servir des
paroles poétiques de Lamennais, elles auront disparu sans laisser
plus de trace que les brises qui passent sur les savanes et que les
Ilots poussés par une force invisible entre les bancs de corail.
En moins de trois siècles, en elTet, elles ont disparu d'une grande
partie du continent, et que sont-elles devenues ? Ce n'est pas ici
le lieu de rechercher les causes de cet anéantissement de tant de
peuples dans un si court espace de temps que l'imagination en
est étonnée, cela nous mènerait trop loin, et d'ailleurs nous offri-
rait des images trop tristes pour l'orgueil de l'homme, dont les
succès sont achetés aux dépens de ses semblables. Nous aban-
donnerons à l'oubli qui les couvre ces hécatombes muettes sur
lesquelles ne s'élève aucun monument, aucun souvenir, et puis
que leur histoire garde le silence, nous tournerons nos regards en
plaignant leur destinée vers des peuples dont les grandes actions
ne passeront pas, et dont la hardiesse et le génie transportés d'Eu-
rope en Amérique, ont donné un nouvel essor aux progrès de la
civilisation. C'est une ère incomparable que celle de l'établis-
sement d'un immense et fertile continent par des populations qui
foulant aux pieds les dépouilles sociales des temps passés, ont voulu
inaugurer une arche d'alliance nouvelle, une société sans privilèges
et sans exclusion. Le monde n'avait encore rien vu de semblable.
Cette nouvelle organisation doit-elle atteindre les dernières limites
de la perfectibilité humaine î On le croirait si les passions des
hommes n'étaient partout les mêmes, si l'amour des richesses
surtout n'envahissait aujourd'hui toutes les pensées, et n'était
devenu, comme celui des armes au moyen âge, la première idole
de l'Amérique. Rien n'y entrave les lumières, ni vieux préjugés,
ni vieilles doctrines, ni institutions antiques. La place du bon et
du beau est libre. Mais le désir d'adoucir le sort de la vie maté-
opened a large rnarkct for the produce of'european industry, and constantly
provided a new employrnent for that stock which tliis industry accumulated."
Brougham : Colonial policy of the European powers.
m
lilriTOIRE DU CANADA.
131
rielle s'est emparé de nos passions et domine aujourd'hui toutes
les âmes. Le temps des massacres et des guerres de destruction
pour le plaisir de se détruire disparaît tous les jours avec la bar-
barie du globe, et la lutte se transporte dans la carrière où le prix
convoité, l'ambition suprême, sera le bonheur de posséder les
moyens de vivre avec luxe. Quelle sera la durée de cette car-
rière qui mène peut-être trop vite à la siensualité, on n'en sait
rien.
Le commerce commençait déjà à prendre de l'essor. L'éta-
blissement de l'Amérique l'augmenta, et maintenant il embrasse
tout, et du rang le plus humble tend continuellement à occuper
la première place et à exercer la plus grande influence dans la
société. Les armes, la mitre ont tour à tour exercé leur domi-
nation sur le monde, le négoce vient leur succéder. S'il ne
parait pas aus?i vénérable ou aussi magnifique que ces deux anti-
ques puissances, il veut du moins régner d'une manière absolue
sur toute l'Amérique ; son temps paraît arrivé et son activité
semble destinée à précipiter de gré ou de force sous son joug les
contrées dont l'industrie est trop lente à se réveiller. C'est donc
aux peuples et aux gouvcrnemens à se préparer pour fournir une
carrière qui doit les mener à la puissance ; témoin les Etats-Unis
dont les progrès ont de quoi effrayer les ailles nations guerrières
et aristocratiques de l'Europe, jusqu'à ce qu'enfin le pain manquant
par la double action de la centralisation et du nombre, la faim
arme de nouveau les hommes les uns contre les autres pour le
partage des dépouilles terrestres, et ramène le règne de la force
et de l'épée.
Mais avant de parvenir au degré de grandeur auquel ce con-
tinent semble devoir atteindre, il a dû payer tribut et soumission
aux métropoles qui l'ont peuplé. Il a dû comme l'enfant recon-
naître leur autorité jusqu'à ce qu'il fût adulte, jusqu'à ce qu'il
fût homme fait, c'est la loi de la nature. C'est à ce titre et
pour l'indemniser de sa protection, que l'enfant travaille pour son
père. Aussi l'Europe a dit par la bouche de Montesquieu :
" Les colonies qu'on a formées au delà de l'Océan sont sous un
genre ae dépendance dont on ne trouve que peu d'exemples dans
les colonies anciennes, soit que celles d'aujourd'hui relèvent do
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132
HISTOIRE DU CANADA.
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l'Etat môme, ou de quelque compagnie commerçante établie dans
cet Etat.
" L'objet de ces colonies est de faire le commerce à de meil-
leures conditions qu'on ne le fait avec les peuples voisins, avec
lesquels tous les avantages sont réciproques. On a établi que la
métropole seule pourrait négocier dans la colonie ; et cela avec
grande raison, parce que le but de l'établissement a été l'exten-
sion du commerce, non la fondation d'une ville ou d'un nouvel
empire.
" Ainsi c'est encore une loi fondamentale de l'Europe, que
tout commerce avec une colonie étrangère est regardé comme un
pur monopole punissable par les lois du pays : et il ne faut pas
juger de cela par les lois et les exemples des anciens peuples *
qui n'y sont guère applicables.
" Il est encore reçu que le commerce établi entre ces métro-
poles n'entraîne point une permission pour les colonies qui restent
toujours en état de prohibition."
En vain la Nouvelle-Angleterre et la Virginie diront : nous ne
fîimcs point fondées par des spéculateurs européens, mais par des
hommes libres qui vinrent se réfugier dans les forêts du Nouveau-
Monde pour se soustraire aux persécutions de leur mère-patrie,
et y cacher leurs lois et .leurs autels, l'Europe répondra : la
colonie est soumise au pouvoir suprême de la métropole.
En vain le Canada dira: j'ai un pacte qui fut conquis après
eix ans d'une lutte acharnée, et scellé avec le plus pur sang de
mes enfans, un pacte qui me garantit l'usage de ma religion et de
ma propriété, c'est-à-dire de ma langue, de mes biens et des lois
qui les régissent, l'Europe répondra : la colonie est soumise au
pouvoir suprême de la métropole.
Le traité d'Utrecht fut suivi d'une période de paix presque
sans exemple dans les annales du Canada. Depuis son établis-
sement celte colonie avait presque toujours eu les armes à la main,
pour repousser tantôt les Anglais, tantôt les Indiens, qui venaient
tour à tour lui disputer un héritage couvert de ses sueurs et de
Bon sang. Cettp <>;norre semblait devenir plus vive à mesure
qu'elle se prolongeait. Mais il vient ua temps où les forces et
* Exreptu les Carthaginois, comms on voit par le traité qui termina la
premiè 'e guerre punique.
HISTOIRE DU CANADA.
133
l'énergie s'usent et s'épuisent comme les passions. Les parties
belligérantes plus affaiblies encore en Amérique qu'en Europe,
songèrent enfin à poser les armes, et les colons depuis si longtemps
victimes de ces luttes sanglantes, purent goûter en paix le fruit de
leurs travaux et continuer sans interruption à développer leurs
établissement.
Malgré la décadence et les embarras financiers de la métropole,
qui réagissaient sur toutes les colonies et retardaient leur accrois-
sement, par î^a seule énergie le Canada triomphait des désavan-
tages de sa s.tuation, dont le plus grave était son interdiction aux
marchandisefi et aux vaisseaux étrangers. Mais il était encore
trop faiblement peuplé pour sentir tout ce que cette tyrannie avait
d'oppressif, tandis que les colonies anglaises, non seulement en
souffraient, mais songeaient déjà alors aux moyens de s'y sous-
traire.
La population du Canada qui était en 1719 de 22,000 âmes,
s'était élevée en 1741 à près de 50,000, e* les exportations qui
ne dépassaient pas cent mille écus suivant Eaynal, montèrent en
174-9 à 1400 mille francs.
Les Français furent probablement les premiers qui dotèrent
l'Europe de la pèche de la morue. Nous avons vu au commen-
cement de cet ouvrage que presqu'aussitôt après la découverte de
l'Amérique, on trouva les Basques, les Bretons et les Normands
faisant tranquillement la poche sur les bancs de Terreneuve et le
long des côtes du Canada ; que dès 1506 une carte du St. Lau-
rent avait été tracée par un habitant de Honfleur nommé Jean
Denis. Les Anglais dont le premier bâtiment expédié vers ces
parages remonte, suivant leurs annales, à 1517, ne s'y montrèrent
en nombre que plus tard. Ils apperçurent dans leur premier
voyage une cinquantaine de navires français, espagnols et portu-
gais occupés à la pèche. En 1536 les Français la faisaient déjà
sur une échelle xjonsidérable, et en 1558 ils employaient une tren-
taine de navires à celle non moins lucrative de la baleine. A
cette époque la pèche de la morue occupait 100 navires espagnols,
50 portugais et 10 seulement anglais. En 1615 les Français et
les Fortugais parurent v.voir fait moins de progrès que les Anglais,
car tandis que les premiers expédiaient 400 bâtimens à Terre-
neuve, les derniers en envoyaient déjà 250. Ils faisaient depuis
I!
134.
HISTOIRE ni CANADA.
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quelque temps les plus grands efforts pour développer ce com-
merce chez eux. Ils passèrent règlement sur règlement, et
finirent enfin p?!* en absorber la plus forte partie, tout en augmen-
tant dans la môme proportion le nombre de leurs matelots et en
rendant par là même leur marine redoutable. La France parta-
geait alors son attention entre les pelleteries et le poisson. La
traite des fourrures fut encore une industrie dont elle dota le monde,
mais une industrie dont les avantages permanens et réels ont été
souvent mis en question pour ses conséquences démoralisatrices.
Quoiqu'il en soit, ce commerce fut établi par des pôdieurs, qui
s'approchant des côtes du Canada et de l'Acadie, commencèrent
avec les Indigènes un trafic qui leur rapporta des bénéfices con-
sidérables. Petit à petit on lia des relations plus intimes avec
eux ; plus tard on voulut avoir un pied à terre dans le con-
tinent même que l'on s'était contenté jusque là de côtoyer, et l'on
y éleva des co-iptoirs. Deb spéculateurs riches et influens en
demandèrent le monopole exclusif', à la condition d'y porter des
colons pour établir ces contrées nouvelles, dont l'on pressentait
vaguement l'avenir, et l'obtinrent. Ainsi fut introduite la domi-
nation française sur une portion considérable du Nouveau-Monde.
L'on sait par quelles mains ce monopole avait successivement
passé en commençant par le capitaine Chauvin, le premier qui
l'ait exercé d'une manière réguUère et systématique, au début du
17e siècle. La traite fut regardée dans tous les temps comme la
branche la plus importante du commerce canadien, et il paraît
que longtemps même avant Chauvin, elle était l'objet d'un pri-
vilège accordé à plusieurs personnes, et entre autres, à Jacques
Cartier lui-même. Mais il était impossible à cette époque de
faire respecter un pareil monopole, qui demeurait conséqemment
plus nominal que réel. Longtemps encore après Henri IV, les
traitans et les pêcheurs, les pêcheurs surtout, jouissaient d'une
liberté absolue, et les villes repoussaient avec énergie, surtout la
Rochelle, l'exclusion que le commandeur de Chaste, de Monts et les
de Caën voulurent exercer successivement les uns après les autres
jusqu'en 1627. Alors fut formée la compagnie des cent associés,
à laquelle furent cédées à perpétuité la Nouvelle-France et la
Floride. En retour des charges relatives à la colonisation dont
nous avons parlé en son lieu, le roi lui accorda, pour toujours, le
HISTOIRE DU CANADA.
135
trafic des cuirs, peaux et pelleteries, et pour quinze ans, tout autre
commerce par terre et par mer, à la réserve de la pêche de la
morue et de la baleine qui resta libre à tous les Français, et de la
traite des pelleteries que les habitans des pays cédés purent faire
avec les Indigènes, pourvu qu'ils vendissent les castors à ses fac-
teurs, à raison d'un prix fixe. Il fut aussi stipulé que toutes les
marchandises manufacturées dans la colonie seraient exemples
de droits en France pendant quinze ans.
Cette compagnie si fameuse, qui avait Richelieu pour chef,
n'ayant rempli aucune de ses obligations touchant la colonisation,
et ayant été entraînée dans des dépenses qui dépassaient de beau-
coup ses revenus, restreignit graduellement ses affaires jusqu'à ce
qu'elles devinsent à rien, et qu'elle fût obligée elle-même en 1663,
ou trente-six ans après sa création, de se dissoudre et de remettre
ses possessions au roi.
Dès l'année suivante, cependant, se forma une nouvelle as-
sociation qui prit le nom de compagnie des Indes occidentales,
laquelle subsista jusqu'en 1674. Elle eut en concession toutes
les colonies françaises de l'Amérique, et toute la côte d'Afrique
depuis le Cap- Vert jusqu'au Cap de Bonne Espérance, avec
le privilège exclusif du commerce, la pêche toujours exceptée,
pendant quarante ans, et la jouissance des droits et privilèges
qui avaient été accordés aux cent associés. Le roi lui promit
ime prime de quarante livres par tonneau, sur les marchandises
exportées de France dans les colonies ou des colonies en France.
Los marchandises dont les droits avaient été payés à l'entrée,
pouvaient être ré-exportées par elle à l'étranger en franchise.
Elle n'avait pas non plus de droits à payer sur les vivres, mu-
nitions de guerre et autres objets nécessaires à l'armement de
de ses vaisseaux.
Le commerce d'importation et d'exportation se trouva par là
arracha de nouveau des mains des colons pour être livré à la
nouvelle compagnie seule à l'exclusion de tous autres. Les cent
associés avaient joui du même monopole ; mais ils avaient été
forcés de l'abolir en 1645, et de signer un traité avec le député
des habitans de la Nouvelle-France, par lequel ils leur aban-
donnaient la traite des pelleteries à la condition qu'ils acquit-
teraient 1» liste civile et militaire avec toutes les autres dépenses
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136
HISTOIRE DU CANADA.
d'administration. Le nouveau privilège, plus exclusif que
celui de 1627, souleva une opposition générale. En très peu
de temps les marchandises n'eurent plus de prix et le conseil
souverain fut obligé d'intervenir pour établir un tarif, que rendit
inutile la sagacité mercantile, car la compagnie et ceux qui avaient
encore d'anciennes marchandises, refusèrent de les vendre aux
taux fixés par l'autorité, et elles disparurent du xTiarché. Il
devint bientôt nécessaire de faire cesser un état da choses qui
assujétissait les habitans à une gène affreuse en les ruinant, et
en 1666 sur le rapport de Colbert au roi, basé siir les repré-
sentations de Talon que nous avons vues ailleurs, la compagnie
rendit libres le commerce avec la France et la traite des fourrures.
Mais pour s'indemniser de la subvention des juges, (|ui fut portée
à sa charge, et qui se montait à 48,9n0 livres, elle se réserva le
droit du quart sur le castor, du dixième sur les orignaux et la
traite de Tadoussac.
Cette compagnie, malgré les vastes domaines livrés à son ex-
ploitation, ne prospéra point. Soit que ses opérations fussent
conduites sans prévoyance et sans économie, ou, ce qui est plus
probable, que les colonies qu'on lui abandonnait ne fussent pas
assez avancées pour alimenter un grand commerce, elle se trouva
bientôt grevée d'une dette énorme. Elle employait plus de cent
navires. Elle devait en 1614f, trois millions 523 mille livres ;
cette dette avait été en partie occasionnée par la guerre qu'elle
avait eue à soutenir contre les Anglais. Le capital versé
s'élevait à un million 297 mille livres ; de sorte que la caisse se
trouvait débitrice pour quatre millions 820 mille livres. L'actif
de la compagnie ne dépassait pas un million 47 mille livres. Sur
les suggestions de Colbert, Louis XÏV remboursa aux actionnaires
leur mise, se chargea du paiement des trois millions 523 mille
livres, supprima la société, et rendit le commerce de l'Amérique
libre à tous les Français, excepté celui du castor.
Le droit <' quart sur les castors et du dixième sur les orignaux
fut maintenu, et passa entre les mains du gouvernement qui l'af-
ferma immédiatement à M. Oudiette. Il fut défendu de porter
le castor ailleurs qu'à ses comptoirs dans la colonie, au prix fixé
par l'autorité. Ce prix fut d'abord de 4 francs 10 sous, la livre j
mais il devint bientôt nécessaire de diviser cette marchandise en
i.\ 'i
HISTOIRE DU CANADA.
137
Ire. 2de. et 3me. qualités, ou en castor gras, demi gras et sec, et do
modifier le tarif en conséquence. Le fermier payait les pelleteries
que lui apportaient les habitans,cn marchandises ; et comme il n'y
avait que lui qui pouvait acheter le castor, qui formait encore la
branche la p us importante du commerce général, il se trouvait
par là môme en état de maîtriser à son gré tout le commerce du
pays. Ce qu'il ne manqua pas de faire au détriment général.
Comme il était maître des prix, il les fixa de manière qu'on vit
graduellement baisser celui des fourrures chez les Sauvages et
hausser celui des arides que les Français leur donnaient en
retour, tandis que dans les colonies anglaises, où ce trafic était
libre, les prix suivaient une marche contraire, et qu'on y payait
les pelleteries deux ou trois fois plus cher.
M. Oudielte obtint encore la ferme des droits sur les vins,
eaux-de-vie et tabacs, qui étaient de dix pour cent. Plusieurs
particuliers prétendaient en être exempts, on ne dit pas pour quels
motifs ; mais ils furent bientôt obligés de se soumettre à Tordre du
roi avec les autres, personne ne songeant encore sans doute à
disputer au souverain la prérogative de taxer.
Cette ferme exista sans modification jusqu'en 1700, le tarif du
castor et des marchandises non énumérées, subissant les variations
plus ou moins bien ou mal entendues que l'intérêt du fermier par-
venait à faire agréer au gouvernement. Mais à cette époque les
Canadiens ne pouvant plus supporter la tyrannie de ce marchand,
envoyèrent des députés eu France pour y exposer les abus du
système et demander un remède. -Le ministre, M. de Pontchar-
train, imagina alors une société qui embrasserait tous les habitang
de la colonie. Par cet expédient on satisferait les mécontens en
les absorbant. Mais le principe vicieux subsistait toujours, car
on ne rétablissait pas la concurrence entre les citoyens pour exci-
ter l'émulation et l'industrie; et l'avantage de la liberté commer-
ciale allait toujours continuer d'appartenir aux colonies anglaises,
rivales de plus en plus dangereuses du Canada.
Cependant Louis XIV permit de porter librement tant en
France qu'à l'étranger le castor provenant des traites laites en
Amérique. M. Roddes, devenu après M. Oudiette adjudica-
taire de la ferme des pelleteries, la remit à M. Pacaud, l'un des
députés de la colonie, qui s'obligea en cette qualité de payer
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13S
HISTOIRE DV CANADA.
70,000 livres de rente annuelle, et de composer une société pour
l'exploitation de cette ferme, dont tous les Canadiens, marchands
et autres, feraient partie. Une assemblée générale fut convoquée
par le gouverneur et l'intendant, et une grande association mer-
cantile se forma sous le nom de compagnie du Canada. Les plus
petites actions étaient de 50 livres de France. Tout marchand
fut tenu d'y entrer à peine d'être déchu de la faculté de com-
mercer. Les seigneurs de paroisse purent en devenir membres
avec leurs habitans. La compagnie de la baie du Nord (ou
d'Hudson) formée quelque temps auparavant, se fondit dans la
nouvelle association, qui eut la traite exclusive du castor, et qui
obtint aussi que le commerce de cette pelleterie fût sévèrement
prohibé avec la Nouvelle-York. On fit enfin un nouveau ta .'if
pour le castor, dont le prix baissait continuellement en Fran :e
avec la qualité de celui qu'on y envoyait.
La compagnie du Canada fut un essai infructueux, qui ne pro-
fita ni aux habitans ni au commerce. En 1706 ses dettes se
montaient déjà à 1,812,000 francs; elle dut se dissoudre, et
céder ses privilèges à MM. Aubert, NeretetGayotqui s'obligèrent
de payer les créanciers. La colonie conserva la liberté de la
traite du castor dans l'intérieur, mais sans pouvoir l'exporter au
dehors, étant obligée de porter cette pelleterie aux comptoirs des
nouveaux cessionnaircs qui eurent seuls le droit de l'envoyer en
France. C'était conserver au fi)nd le monopole sous un nom
déguisé et conséquemment laisser subsister la cause du mal.
En 1715 furent présentés au régent du royaume, deux mé-
moires sur les abus du système et les fautes du gouvernement,
dans lesquels l'auteur * parlait avec la plus grande hardiesse et
accusait tout le monde sans épargner même les gouverneurs ni
les intendans. Le commerce avec les Sauvages -qui avait été
pendant longtemps, disait-il, le plus considérable, était bien dimi-
nué. La construction des navires se faisait encore avec assez de
succès ainsi que la culture ' chanvre et du lin pour les cordages
et la toile ; mais il se plaignait que la France ne se servît pas du
bois de ses colonies comme l'Angleterre, n'exploitât pas les mines
* Mémoire sur l'état présent du Canada adressé en 1715 à son altesse
r-yale le duc d'Orléans, régent de France, dans le conseil de marine. Copi»
sans nom d'auteur apportée de Paris par M. Papineuu.
HISTOIRE DU CANADA.
189
de cuivre du lac Huron, et qu'elle permît de décrier le Canada
ccmme on le faisait chez elle ; que s'il ne faisait pas plus de
pr:)grès, ce n'était pas la faute des habitans qui avaient intérêt
à i?e qu'il fût établi partout, mais bien des hommes en autorité,
qi i négligeaient de faire exécuter les ordonnances sur la matière.
Si elles avaient été observées, la compagnie y aurait fait passer,
comme elle était obligée de le faire, deux à trois cents colons tous
leM ans depuis près d'un siècle. Depuis 1663 surtout rien n'avait
et j fait, les ministres s'en rapportant aux gouverneurs, leurs créa-
tu'es et souvent leurs parens. Les vaisseaux venus depuis 1663
ja igeaient au moins 2000 tonneaux par année, l'une dans l'autre,
et quoiqu'ils fussent tenus d'amener un colon par chaque dix ton-
neaux, ce qui aurait donné 200 colons par an ou 10,000 hommes
à ^enir jusqu'à ce moment, et conséquemment 10,000 familles
qii se seraient au moins triplées sans qu'il en coûtât un sou avi
gouvernement, aucun n'observait l'ordonnance et personne ne
s'en occupait. Les intendans étaient indiiïércns au mal comme
au bien qui arrivait, parceque le pays n'était pour eux qu'un
moyen d'acquérir des richesses et de parvenir à des emplois
importans en France. Loin de recevoir dés colons, le Canada
voyait ses habitans le quitter pour aller faire la guerre et la course
dans les contrées méridionales, où ils périssaient presque tous
victimes du climat, ou pour aller faire la traite dans les bois.
Outre ces causes de langueur et de ruine, il y en avait d'autres
encore plus graves pour le commerce, comme l'abaissement du
prix du castor et la réduction de moitié sur la monnaie de carte
que l'on avait mise en circulation sans édit du roi, au point qu'il
y en avait pour deux millions dehors en 171'i ; qu'il était injuste
de faire perdre un million à un pays par suite de désordres dont
le ministre, M. de Pontchartrain lui-même, devait être respon-
sable si les commandemens du roi en étaient la cause. D'autres
causes d'inertie ou de décadence étaient encore signalées, comme
l'accaparement de la plus grande partie du commerce par les
chefs de la colonie ; les pertes soulfertes sur mer par suite des
naufrages et de la guerre, et qui s'élevaient à trois millions et
demi depuis vingt-cinq ans. Le hardi censeur finissait enfin par
plier le régent de se faire rendre compte par MM. de Vaudreuil,
de Beauharnais, Raudot, père et fils, et Begon de cette monnaie ;
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140
HISTOIRE DU CANADA.
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de permettre à lin dépiilédu Canada d'assister à l'examen pour la
conservation de ses intérôls, et en attendant de pourvoir au paie-
ment dos lettres de change.
Après avoir ainsi exposé les abus et les défauts du système, l'au-
teur suggérait pour remède trois choses: nommer trois conseillers
d'état pour recevoir les plaintes des Canadiens, garder les gouver-
neurs seulement trois ans en place ou tout au plus six, et favoriser
rémigration de France en Canada. Les gou"crneurs et les inten-
dans faisaient ce qu'ils voulaient, parcequ'ils savaient que rien
n'en parvenait aux oreilles du roi et que leurs désordres demeu-
raient secrets ; si leurs inférieurs cherchaient à les dévoiler,
ils étaient immédiatement opprimés et réduits au silence, tandis
que leurs alfidés et leurs agens étaient élevés et récompensés.
Il est rare de rencontrer dans les documens qui nous restent
sur l'histoire de cette époque, une plume qui peignît plus au vif
les plaies du temps, indiquât avec plus d'indépendance les défauts
du gouvernement, et citât les faits avec moins de gène. Mais
elle exagère en quelques points les erremens des hommes, et ne
fait pas la part des choses, des institutions surtout, assez grande.
L'organisation du gouvernement canadien était comme celle de la
France surannée et remplie de défauts qui mettaient obstacle à
tout progrès.
Un des plus graves, c'était de suppléer à la modicité des salaires
par des congés de traite, qui faisaient des fonctionnaires des
spéculateurs, et des spéculateurs privilégiés contre lesquels il était
impossible au simple marchand de lutter longtemps. Mais c'était
un usage reçu, et sous la vieille monarchie tout usage, bon ou
mauvais, devenait un dogme immobile comme elle. D'ailleurs
les finances de l'état étaient ruinées ; les rois employaient toutes
sortes de moyens pour payer leurs serviteurs, redoutant par une
espèce d'effroi instinctif, la réunion des ordres de la nation pour
réformer les institutions du royaume et lui rendre son antique
vigueur.
La compagnie d'Occident formée en 1717, succéda au privi-
lège expirant de M. Aubert et de ses associés, et en 1723 la
compagnie des Indes à cette première, qui s'était élevée et qui
s'évanouit avec la fortune et le système de Lavv. Elle le con-
serva pour la Louisiane et le pays des Illinois, jusqu'à la fin de
HISTOIRE DU CANADA.
Hl
1731, époque à laquelle ces deux contrées rentrèrent sous lo
régime royal, pour y demeurer jusqu'à la fin de la domination
française.
Ce privilège n'avait pas toujours embrassé les découvertes
faites sur les lacs et dans la vallée du Mississipi, car on a pu voir
que la Salle, par exemple, en avait obtenu la concession en 1G75
avec le fort Frontenac. Mais plus tard la Nouvelle-France et la
Louisiane furent soumises au même monopole jusqu'après la
construction du fort Ovvégo. Alors la Nouvelle-York faisant une
rude concurrence aux comptoirs de Frontenac, Toronto et Nia-
gara, l'on craignit les suites des liaisons que la traite pourrait éta-
blir entre les Sauvages et les Anglais, et le roi, pour y parer,
pi'H ces postes entre ses mains, expédient à l'aide duquel on ré-
ussit à retenir la plus grande partie du comnr^erce du lac Ontario
en payant les pelleteries plus cher ; mais ce système avait tous
les vices d'un trafic artificiel conduit par un gouvernement. Pri-
vé de l'œil du maître et abandonné à des militaires, il entraîna
des dépenses immenses et ne rendit aucun profit. Les avances
furent faites presqu'en pure perte.*
Il est difficile d'établir avec précision la valeur annuelle des ex-
portations de pelleteries à cette époque. On sait seulement
qu'elles étaient en 1667, suivant l'auteur du Mémoire sur l'état
du Canada, de 550,000 francs et qu'elles avaient ensuite graduel-
lement augmenté jusqu'au chiffre de deux millions. D'après un
calcul basé sur les droits payés par cette marchandise en 1754 et
55,fait par ordre du général Murrayf, elles seraient tombées dana
la première de ces deux années à 1,547,885 livres, et dans la se-
conde à 1,265,650 livres. Mais on ajoute que les registres de
douane d'où l'on avait tiré ces renseignemens, étaient très confus
et irréguliers, et que les traitans les plus intelligens étaient d'o-
pinion, qu'année commune le montant des fourrures exportées
atteignait près de trois millions et demi.
D'abord la traite se fit aux entrepôts de la compagnie, où les
Sauvages eux-mêmes, qui arrivaient à certaines époques de l'an-
née, portaient leurs pelleieries. Après Tadoussac, après Qué-
* Raynal. Registre de l'intendant.
t Governor Murray's gênerai Report on tke ancient government and ac
tuai state of tlie province of Québec in 1762.
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HisToinE m; canada.
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bec, après les Trois-Rivières, Monlrûal devint et demeura le
principal comptoir. On voyait les Sauvages arriver au mois de
juin dans leurs canots d'écorcc chargés de pelleteries. Leur
nombre grossissait à mesure que le nom français s'étendait au
loin. " Lo récit de l'accueil qu'an leur avait fait, la vue de ce
qu'ils avaient reçu en échange de leurs marchandises, tout aug-
mentait le concours. Jamais ils ne revenaient vendre leurs pel-
leteries sans conduire avec eux une nouvelle nation. C'est ainsi
que l'on vit so former une espèce de foire où se rendaient tous les
peuples de ce vaste continent."
Les Sauvages en arrivant se campaient près de la ville, s'éle-
vaient des tentes, rangefacnt leurs canots et débarquaient leurs
fourrures. Après avoir e>i audience publique du gouverneur, ils
portaient leurs fonrriires au comptoir de la compagnie ou chez les
marchands de la ville qui avaient le privilège de les acheter pour
les revendre ensuite à cette société. Les Sauvages étaient payés
en écarlatine, vermillon, couteaux, poudre, fusils, etc. Les
autres, en marchandises ou en récépissés ou reçus qui avaient
cours de monnaie dans la colonie, et qui étaient rachetés par des
lettres de change à termes que les agens de la compagnie tiraient
sur son caissier à Paris. Cela dura tant que les Français n'eurent
point de concurrens ; mais bientôt les Anglais se présentèrent
sur le marché. Ils se bornèrent d'abord au pays des Iroquois,
puis, lorsqu'ils l'eurent épuisé de pelleteries, ils employèrent ces
Sauvages eux-mêmes pour leurs coureurs de bois ou ils mar-
chèrent à leur suite. Ils se trouvèrent en communication avec
toutes les nations établies sur les rives du St.-Laurent depuis sa
source, et sur celles de ses nombreux tributaires. " Ce peuple,
dit Raynal, avait des avantages infinis pour obtenir des préférences
sur le Français son rival. ^^ navigation était plus facile, et dès-
lors ses marchandises s'of'' meilleur marché. Il fabriquait
seul les grosses étoffe enaient mieux au goût des Sau-
vages. Le commt castor était libre chez lui, tandis que
chez les Français il v it, et fut toujours asservi à la tyrannie du
monopole. C'est avec cette liberté, cette facilité qu'il intercepta
la plus grande partie des marchandises qui faisaient la célébrité
de Montréal." D'ailleurs les Anglais payaient les pelleteries
beaucoup plus cher. " Alors, continue le même auteur, s'étendit
HISTOIRE bu CANADA.
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Bur les Françnin »lu Canada un usage qu'ils avaient d'abord res-
eerré dans des bornes assez étroites. La passion de courir les
bois, qui fut celle des premiers colons, avait 6t6 sagement res-
treinte aux limites du territoire de la colonie. Seulement on ac-
cordait chaque année à vingt-cinq personnes la permission le
franchir ces bornes pour aller faire le commerce chez les Sau-
vages. L'ascendant que prenait la Nou elle- York rendit ces con-
gés beaucoup plus fréquens. C'étaient des espèces de privilèges
exclusifs qu'on exerçait par soi-même ou par d'autres. Ils du-
raient un an ou môme au-delà. On les vendait et le produit en
était distribué, par le gouverneur de la colonie, aux officiers ou à
leurs veuves et à leurs enfans,aux hôpitaux ou aux missionnaires,
à ceux qui s'étaient signalés par une belle action ou par une en-
treprise utile, quelquefois enfin aux créatures du commandant lui-
même, qui vendait les permissions. L'argent qu'il ne donnait
pas ou qu'il voulait bien ne pas garder, était versé dans les caisses
publiques ; mais il ne devait compte à personne de cette adminis-
tration.
" Elle eut des suites funestes. Plusieurs de ceux qui faisaient
la traite se fixaient parmi les Sauvages pour se soustraire aux
associés dont ils avaient négocié les marchandises. Un plus
grand nombre encore allaient s'établir chez les Anglais, où les
profits étaient plus considérables. Sur des lacs immenses, souvent
agités de violentes tempêtes ; parmi des cascades qui rendent si
dangereuse la navigation des fleuves les plus largeu du monde
entier ; sous le poids des canots, des vivres, des marchandises
qu'il fallait voiturer sur ses épaules dans les portages, où la rapi-
dité, le peu de profondeur des eaux obligent de quitter les rivières
pour aller par terre ; à travers tant de dangers et de fatigues on
perdait beaucoup de monde. Il en périssait dans les neiges ou
dans les glaces ; par la faim ou par le fer de l'ennemi. Ceux qui
rentraient dans la colonie avec un bénéfice de six ou sept pour
cent, ne lui devenaient pas toujours plus utiles, soit parce qu'ils
s'y Hvraient aux plus grands excès, soit parceque leur exemple
inspirait le dégoût des travaux assidus. Leurs fortunes subite-
ment amassées, disparaissaient aussi vite : semblables à ces mon-
tagnes mouvantes qu'un tourbillon de vent élève et détruit tout-
à-coup dans les plaines sablonneuses de l'Afrique. La plupart
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144
HISTOIRE DU CANADA.
(le ces coureurs, épuisés par les fatigues excessives de leur ava-
rice, par les débauches d'une vie errante et libertine, traînaient
dans l'indigence et dans l'opprobre une vieillesse prématurée."
Ces congés qui étaient transportables tombaient souvent dans
le commerce. Donnant permission d'importer jusqu'à la charge
de plusieurs canots, ils se revendaient ordinairement six cents
écus. Shc hommes partaient avec mille écus de marchandises
qu'on leur avait fait payer quinze pour cent de plus que le cours
du marché, et revenaient avec quatre canots chargés de castors
valant huit mille écus. Après avoir déduit 600 écus pour le
congé, 1000 pour les marchnndises, 2560 pour le prêt à la grosse
aventure ou 40 pour cent t. . .es 6400 restant que le marchand
chargeait pour ses avances, le résidu appartenait aux coureurs de
bois. Le marchand revendait ensuite le castor au bureau de la
compagnie à 25 pour cent de profit. Il est inutile de dire qu'avec
un pareil système et de pareils bénéfices, l'on devait finir par
rebuter les Sauvages qui en étaient les victimes, et perdre entiè-
rement un commerce où le vendeur primitif voyait sa marchan-
dise rapporter après qu'elle était sortie de ses mains, 700 pour
cent de profit sans qu'elle eût changé d'état.
Le monopole de la traite se bornait au castor en s'étendant
quelquefois à l'orignal depuis 1666. A partir de cette innée,
toutes les autres pelleteries dont le commerce était considérable,
restèrent libres ou soumises momentanément, comme les produits
agricoles et les marchandises, à des lois et des règlemens coloniaux
si vagues et si éphémères qu'il règne dans leur histoire beaucoup
d'obscurité. Les actes publics et les jugemens des tribunaux
renferment une foule de décrets sur cette matière, qui peuvent
faire conclure que le marchand canadien refusa toujours de se sou-
mettre au joug que voulait lui imposer l'autorité locale ; qu'il n'a
supporté patiemment que son exclusion du commerce étranger
iwec le monopole de l'exportation du castor en France, et que,
sur tout le reste, il prenait une liberté fort large.
A venir jusqu'au traité de 1713, la plus grande partie de la
traite de l'Amérique était entre les mains des Français. Par ce
traité ils perdirent entièrement celle de la baie d'Kudson ; et la
Nouvelle-York qui, depuis le chevalier Andros, cherchait à leur
m
HISTOIRE DU CANADA.
149
enlever aussi la traite de l'Ouest sans beaucoup de succès, vit
tout-à-coup ses elTorls couronnés des plus heureux résultats.
Nous avons rapporté ailleurs comment M. Burnet, qui con-
naissait de quel avantage serait pour la Grande-Bretagne la pos-
session de ce commerce, travailla à fermer aux Canadiens l'entrée
des contrées si convoitées de l'Ouest, et comment M. de Beau-
harnais l'avait prévenu. Voyons maintenant quel fut l'effet des
moyens employés par l'agent anglais pour parvenir à ce grand
but, objet constant de tous ses eflbrts. Tout semblait favoriser la
Nouvelle-York, situation plus rapprochée, population plus nom-
breuse et plus commerçante, marchandises plus modiques. Le
Canada n'avait aucun moyen de contrebalancer ces trois avanta-
ges. Le prix des marchandises était beaucoup plus élevé à
Québec qu'à Boston ou New-York, de même que le fret et l'as-
surance maritime. Aussi se faisait-il un commerce étendu de
contrebande entre Montréal et Albany. L'on tirait d'Albany les
tissus de laine avec une quantité considérable d'autres marchan-
dises qui ne servaient point au négoce avec les Sauvages. Dans
une seule année le Canada reçut 900 pièces d'écarlatine pour la
traite, outre des mousselines, des indiennes, des tavelles, du ver-
mi'lon, etc. Que faisait alors l'industrie française] Que faisait
surtout la compagnie des Indes 1 Elle en introduisait annuelle-
ment une douzaine de cents pièces qu'elle tirait elle même de
l'Angleterre ; et elle défendait sévèrement aux autres d'en
importer en Canada.* De sorte que le manufacturier français
était pour cet article comme exclus de nos marchés. Le traitant
anglais au moyen des avantages que nous venons d'énumérer,
souvendait le traitant canadien. Il donnait ses marchandises aux
Indiens pour moitié moins cher, faisait le double de profit, et
payait encore le castor trois chelings sterling la livre tandis que
le dernier n'en pouvait donner que deux francs.
Quand Burnet prit les rênes de la Nouvelle-York, il vit du pre-
mier coup d'oeil qu'en fermant l'entrée de son pays aux Canadiens,
il porterait un coup mortel à leur commerce, et qu'en les privant
des objets qui leur étaient absolument nécessaires pour la traite
il leur enlèverait un mi -chc pour leurs pelleteries, c'est-à-dire
* Mémoire sur la traite de la Province de la Nouvelle- i'o,k, inséré dans
l'histoire des cinq nations du Canada, p • C. Colden.
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HISTOIRE DU CANADA.
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Albany où ils vendaient le castor le double de ce que le payait la
compagnie des Indes. En conséquence il fit passer en 17'20,
par forme d'essai, un acte législatif pour prohiber pendant trois
ans tout commerce avec le Canada ; et en 1727, on s'empressa
de rendre cet acte permanent. L'effet en fut aussi prompt que
funeste pour les Canadiens. Les tissus de laine qui s'étaient
vendus jusque là treize louis la pièce, à Montréal, montèrent aus-
sitôt à vingt-cinq.
Burnet, marchant toujours vers son but, fil ouvrir à Osvvégo,
sur la rive méridionale du lac Ontario, un comptoir pour attirer
les Sauvages ; c'était le complément nécessaire de l'acte législatif
de 1720. Les traitans français ne purent plus dès lors continuer
la concurrence, et le roi, quelques années après, fut obligé de
prendre entre ses mains les postes de Frontenac, Toronto et
[Niagara, et de donner les marchandises à perte pour conserver
avec la traite des pelleieries l'alliance des Indigènes; car la traite
était encore plus essentielle pour la sûreté des possessions fran-
çaises et le succès de leur politique, que pour leur prospérité
commerciale.
C'est en 1727, pendant que la Nouvelle-York excluait ainsi le
Canada de ses marchés, que le roi de France rendit un édit sem-
blable pour exclure à son tour les Anglais de ses colonies. Depuis
plusieurs années, il recommandait de défendre sév^èrement toute
relation avec l'étranger, mais depuis la dernière guerre ces ordres
étaient devenus plus fréquens et plus impératifs que jamais.
Rien ne prouve mieux combien les intérêts coloniaux les plus
chers sont souvent sacrifiés à cette législation qui courbe sous le
même niveau le Canada et l'Archipel du Mexique, l'Amérique
et l'Asie, sans tenir compte de la différence de circonstances et
du mal fait aux uns ou aux autres, pourvu que le résultat géné-
ral réponde au calcul de la métropole.
Presque tous les postes de traite français devinrent alors privi-
légiés; c'esl-à-dire que ceux qui les obtenaient avaient le droit
exclusif d'y faire le commerce de pelleteries. Ces postes se don-
naient, se vendaient ou s'alTermaient, et dans ces trois cas le
commerce soullVait également de leur régie ; ils étaient loués
communément pour trois ans, et le fermier voulait dans ce court
espace de temps faire une fortune considérable ; le moyen qu'il
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HISTOIRE DU CANADA.
147
prenait, c'était de vendre les marchandises qu'il y portait un prix
excessif et d'acheter les pelleteries au plus bas possible, dut-il
pour cela tromper les Sauvages ajjrès les avoir enivrés. En
1754«, on avait dans le poste de la mer d'Ouest une peau de cas-
tor pour quatre grains de poivre, et on a retiré jusqu'à huit cents
francs d'une livre de vermillon ! Il était évident que ce com-
merce allait être frappé de mort, si on ne réussissait pas à rejeter
les colons anglais eu dehors des vallées du St.-Laurent et du
Mississipi ; et déjà même il était trop tard, dans l'opinion de bien
des gens, qui pensaient que l'on aurait dû avoir élevé des digues
avant le débordement.
Nous nous sommes étendu sur la traite des pelleteries, parce
que des motifs de politique et de sécurité nationale s'y trouvaient
étroitement liés ; c'était la traite qui fortifiait et perpétuait l'alli-
ance avec les Indigènes, dont nous avons plus d'une fois signalé
les avantages et la nécessité. Quant aux autres branches du
commerce canadien, il ne sera pas nécessaire de s'y arrêter si
longtemps, quoique nous n'en oublierons aucune un peu impor-
tante, puisque le commerce forme avec l'agriculture, la grande
occupation de toutes les classes des populations américaines, de-
puis le citoyen le plus opulent jusqu'au citoyen le plus humble.
Après la traite des fourrures venait la pêche. Celle de la
morue et de la baleine resta presque entièrement entre les mains
des Européens ; les Canadiens s'adonnèrent plus spécialement à
celle du loup-marin et du marsouin qui fournissaient d'excellentes
huiles pour les manufactures et l'éclairage. Sept ou huit loup-
marins donnaient une barrique d'huile ; les peaux servaient à
différens usages. Cette pêche se faisait dans le fleuve et le golfe
St.-Laurent et sur la côte du Labrador, où le gouvernement affer-
mait à des particuliers pour un certain nombre d'années des por-
tions de grève, des îles ou des côtes entières.* Il fut établi
jusqu'à quatorze pêches au marsouin en bas de Québec en 1722.
L'on exportait dans les dernières années un quantité considérable
d'huile en France avec des salaisons de harengs et d'autres pois-
sons. Les bois auraient dû former aussi l'un des principaux
articles d'exportation, mais ce commerce ne prit jamais beau-
•II afferma la baie des Esquimaux à la veuve Fournel en 1749, le Labra-
dor à M. d'Aillebout en 1753.
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HISTOIRE DU CANADA.
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coup de développement, non plus que la construction des navires,
malgré les efforts du gouvernement pour l'encourager. Le ministre,
M.Philipeaux, recommandait en vain en 1731, de redoubler de soin
pour exciter les habitans à construire des vaisseaux de commerce,
afin de parvenir à diminuer la main d'œuvre et de permettre d'en
bâtir pour le roi. Il fallut que Louis XV offrît une gratification
de 500 francs par vaisseau de 200 tonneaux ; 150 francs par
bateau de 30 à 60 tonneaux, vendus en France ou dans les Iles,
et qu'il fît établir lui-même des ateliers de construction à Québec,
garnis des ouvriers nécessaires pour bâtir pour sa marine. L'on
reprochait aux navires canadiens de coûter beaucoup plus que
ceux qui étaient faits en France, et de durer moins longtemps,
attendu que le chêne dont on se servait était tiré des lieux bas et
humides, et qu'après avoir été coupé d'hiver, on le mettait l'été
suivant à l'eau pour le descendre à Québec, pratique qui en alté-
rait la bonté. Malgré les encouragemens la construction resta
tellement négligée, que, suivant un rapport présenté au ministère,
les Anglais fournissaient une partie des vaisseaux servant même
à la navigation intérieure du Canada parce qu'ils les donnaient à
meilleur marché. Talon avait vainement introduit la culture des
chanvres et ouvert des chantiers pour la préparation des bois.
On ne sait, dit Raynal, par quelle fatalité tant de richesses furent
longtemps négligées ou méprisées. En réfléchissant un peu
Raynal aurait vu que la vraie cause était le manque de bras, le
manque de population. Aujourd'hui les chantiers de Québec
occupent plusieurs milliers d'hommes, et le Canada peut soutenir
la concurrence avec aucune autre nation du monde.
L'exploitation des mines de fer ne fut commencée aux Trois-
Rivières que vers 3737. Elle fut d'abord dirigée d'une manière
peu judicieuse. Mais en 1739 les nouveaux fermiers étendirent
et perfectionnèrent les travaux, et produisirent assez de fonte,
pour la consommation intérieure. Il en fut exporté des échan-
tillons qui furent trouvés d'une qualité supérieure. Cette forge
subsiste encore.
Dès le temps de Cartier les rives du lac Supérieur étaient
célèbres parmi les indigènes pour leurs mines de cuivre. Les
Sauvages en montrèrent des morceaux à ce voyageur. Les rap-
porta des Français confirmèrent plus tard ceux des Sauvages.
li llii!'
HISTOIKE DU CANADA.
149
En 1738, le roi envoya deux mineurs allemands nommés Forster
pour ouvrir celle de Chagouïa-mi-gong,* entreprise prématurée
qui lut ensuite abandonnée sans doute à cause de la distance.
Les lettres du roi qui adressent ces deux étrangers à l'intendant
contiennent des recommandations singulières sur la manière dont
ils doivent être traités. Après les pelleteries, après le poisson et
les huiles, venaient les céréales qui formaient encore un arlicl'
d'exportation plus important que le bois. Une partie était con-
sommée dans le pays même par les troupes et l'autre exportée.
Il en sortait dans les bonnes années jusqu'à 80,000 minots en
farines et en biscuits.f Le Canada en produisit en 1734, 738,000
minots, outre 5,000 de maïs, 63,000 de pois, et 3,400 d'orge. La
population était alors de 37,000 habitans.^
Une plante célèbre découverte par le Jésuite Lafitau dans nos
forêrs, vint enrichir un instant le pays d'un nouvel objet d'expor-
tation. Le jin-seng que les Chinois tiraient à grands frais du
nord de l'Asie, fut porté des bords du St.-Laurent à Canton. Il
fut trouvé excellent et vendu très cher ; une livre qui ne valait à
Québec que deux francs y monta jusqu'à vingt-cinq. Il en fut
exporté une année pour 500 mille francs. Le haut prix que
cette racine avait atteint excita une aveugle cupidité. On la
cueillit au mois de mai au lieu du mois de septembre, on la fit
sécher au four au lieu de la faire sécher lentement et à l'ombre ;
elle ne valut plus rien aux yeux des Chinois, qui cessèrent d'eu
acheter. Ainsi un commerce qui promettait de devenir une
source de richesse, tomba et s'éteignit complètement en peu d'an-
nées.
Québec était le grand entrepôt du Canada. Cette ville envoyait
annuellement cinq ou six bâtimens à la pêche du loup-marin, et
à peu près un pareil nombre dans les Ile? t à Louisbourg char-
gés de farine, lesquels revenaient avec des cargaisons de charbon,
de rum, de mêlasse, de café et de sucre. Elle recevait de
France une trentaine de navires formant environ 9,000 tonneaux.
Dans les temps les plus florissans, les exportations du Canada
• Registre de l'intendant,
t Mémoire attribué à M. Hocquart :
historique de Québec,
t Recensement : correspond. ofHc.
Collection de la Société littéraire et
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HISTOIRE DU CANADA.
ne dépassèrent pas 2,000,000 livres en pelleteries, dont 800,000
en castor, 250,000 en huile de loup-marin et de marsouin ;
. une pareille somme en farine ou pois, et 150,000 livres en bois
de toutes les espèces. Ces objets pouvaient former ainsi, année
commune, une valeur de 2,650,000 livres. Si l'on ajoute à cela
une somme de 600,000 livres pour les divers autres produits et
le jin-seng au moment de sa plus grande vogue, on aura un total
de 3 millions 250 mille livres.
L'auteur des " Considérations sur l'état du Canada pendant la
guerre de 1765," * évaluait alors le montant des exportati'^ns à
environ deux millions et demi, et celui des importations à huit
millions de vente, f Comment cet immense déficit entre l'im-
portation et l'exportation était-il comblé 1 Par les dépenses que
le roi faisait dans la colonie, et qui ont été nécessaires de tout
temps pour rétablir la balance du commerce. Elles augmen-
taient prodigieusement dans les temps de guerre, d'où il résulte
qu'avant celle de Sept ans, les importations devaient rester bien
au-dessous de la somme de huit millions.
L'importation se composait de vins, d'eâux-de-vie, d'épiceries,
de marchandises sèches de toute espèce, dont une bonne partie de
luxe, car le luxe était grand en Canada comparativement à sa
richesse, de quincailleries, de potteries, de verreries, etc.
Il ne faut pas croire néanmoins que cette augmentation rapide
de l'importation (ùt profitable aux négocians. Les temps qu'elle
signala furent ceux d'une dépression générale et de la ruine
d'un grand nombre parmi eux. Le roi faisait venir une partie
des marchandises nécessaires pour le service militaire, et le reste
était acheté à Québec et à Montréal. Mais ces achats ne se
faisaient pas en droiture chez le négociant ou par soumission au
rabais. Les fonctionnaires qui avaient l'administration des four-
nitures et la comptabilité, s'étaient secrètement associés ensemble,
comme nous le dirons ailleurs, et spéculaient sur le roi et sur le
commerce. Sachant d'avance ce que le service demandait, " la
grande compagnie," comme on nommait cette société occulte,
• Collection de la Société littéraire et historique.
f L'histoire de M. Smith contient un état (V. appendice B.) des exporta-
tions et des importations de ce pays, dont les chiffres diffèrent essentiellement
de ceux de l'auteur des Considérations.
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HISTOIRE DU CANADA.
101
faisait ses achats avant que le public eût connaissance des besoins
de ce service ; et comme ces achats étaient considérables, elle
payait souvent 15 à 20 au-dessous du cours, et ensuite après
avoir accaparé les marchandises, les revendait au roi à 25, 80, et.
jusqu'à 150 pour cent de profit.
Il est facile de concevoir par ce qui précède que le commerce
canadien étant peu étendu, ses ressources à peine utilisées, la
manque de récoltes, les irruptions des Sauvages, les guerres
devaient le jeter continuellement dans des perturbations pro-
fondes et rendre le prix des marchandises excessif. C'est ce qui
porta la France, malgré la répugnance naturelle des métropoles
à permettre l'établissement des manufactures dans leurs colonies,
à autoriser, a recommander même en Canada la fabrication des
toiles et autres étoffes, et plus tard encore en 1716, lorsque l'on
était devenu plus exclusif que jamais, et que l'on déclarait qu'il
ne devait pas y avoir de manufactures en Amérique, parce
qu'elles nuiraient à celles de. la France, à renouveler la permis-
sion d'en établir quelques-unes pour le soulagement des pauvres.
Le roi était charmé d'apprendre, disait le ministre, que ses sujets
du Canada reconnussent enfin la faute qu'ils avaient faite, en
s'attachant au seul commerce des pelleteries, et qu'ils s'adonnas-
sent sérieusement à l'exploitation de leurs terres, particulièrement
à la culture du chanvre et du lin. Sa Majesté espérait qu'ils
parviendraient bientôt à construire des vaisseaux à meilleur mar-
ché que la France, et à faire de bons établissemens pour la
pèche ; qu'on ne pouvait trop les y exciter, ni leur en faciliter les
moyens ; mais qu'il ne convenait pas pourtant au royaume que les
manufactures fussent en Amérique, parceque cela porterait pré-
judice à celles de France ; que néanmoins elle ne défendait pas
absolument qu'il ne s'y en établit quelques unes pour le soulage-
ment des pauvres.
En peu de temps il se monta des métiers pour les étoffes de fil
et de laine dans toutes les maisons, et jusque dans le manoir du
seigneur. Depuis cette époque la population des campagnes a
eu en abondance des vêtemens propres à ses travaux et à toutes
les saisons. L'usage s'en est conservé et s'en répand aujourd'hui
même jusque dans les ètabliasemens anglais.
152
HISTOIRE DU CANADA.
Cest vcra 1746, pendant les hostilités avec la Grande-Bre-
tagne, que la rareté du sel fit songer à en fabriquer en Canada.
La guerre y avait déjà fait naître plusieurs industries utiles.
Le gouvernement chargea M. Perthuis d'établir des salines à
Kamouraska; mais cette entreprise, qui aurait pu être si avanta-
geuse pour les pêcheries de Terreneuve et du golfe St. Laurent,
ne fut point continuée, quoiqu'il en eut déjà existé autrefois dans
le pays, qui avaient eu du succès." i .. ; :
L'année précédente avait été témoin d'une grande et ulile
amélioration, l'introduction des postes et messageries pour le
transport des lettres et des voyageurs. M. Begcm, intendant,
accorda à M. LanouUier le privilège de les tenir pendant vingt
années entre Québec et Montréal, lui imposant en même temps
un tarif de charges gradué sur les distances. Le paj's n'avait pas
encore eu d'institutions postales, il n'a pas cessé d'en jouir depuis.
Nous avons dit que Québec était l'entrepôt général du com-
merce. Les Normands étant les premiers qui avaient établi ce
commerce en fondant la colonie, les embarquemens s'étaient faits
d'abord au Havre de-Grace et à Dieppe. Dans la suite la Ro-
chelle se substitua graduellement à ces ports, et avant la fin du
siècle, cetle ville fourni^sait déjà toutes les marchandisses néces-
saires à la consommation du pays et à la traite avec les Sau-
vages. Il venait aussi des vaisseaux de Bordeaux et de Bayonne
avec des vins, des caux-de-vie et du tabac. < ,
Une partie de ces vaisseaux prenaient en retour des charge-
mens de pelleteries, de grains et de bois. Quelques uns allaient
au Cap-Breton prendre du charbon de terre pour la Martinique
et la Guadeloupe, où il s'en consommait beaucoup dans les rafi-
neries de sucre. D'autres s'en retournaient sur lest en France,
le reste arrêtait aux Iles du golfe St .-Laurent, pour se charger de
morue à Plaisance et dans les autres pêcheries Je ces parages.
Plusieurs marchands de Québec étaient déjà assez riches du
temps de la Hontan pour avoir plusieurs vaisseaux sur la mer.
Il était d'usage alors de ne partir de l'Europe pour l'Amérique
• •' M. Denis, a French gentleman, says that excellent sait has formerly
been made in Canada, even as good as that of Brouage, but that after the
experiment had been made, the sait pits dug for that purpose had been filled
up to the great préjudice and discrédit of the colony." Nalural S[ àvil
Hittory tifUui iVenck JiOminians m North fy Sotêth ^marim.
HISTOIRE DU CANADA.
153
qu'à la fin d'avril ou au commencement de mai. Dès que les
maichandises étaient débarquéea à Québec, les marchands des
autres villes arrivaient en foule pour faire leursachals, qui étaient
embarqués sur des berges et dirigés vers les Trois-Rivières et
Montréal. S'ils payaient en pelleteries, on leur vendait à meil-
leur marché que s'ils payaient en argent ou en lettres de change,
parce qu'il y avait un profit considérable à faire sur cet article en
France. Une partie des achats se soldait ainsi en fourrures, que
le détailleur recevait des habitans ou des Sauvages. Montréal
et les Trois-Rivières dépendaient de Québec, dont les marchands
avaient sur ces places un grand nombre de magasins conduits par
des associés ou des commis. Les habitans venaient faire leurs
emplettes dans les villes deux fois par année ; et telles étaient la
lenteur et la difficulté des communications, à quoi il faut ajouter
sans doute le poids du monopole, que les marchandises se sont
vendues longtemps jusqu'à 50 pour cent de plus à Montréal qu'à
Québec.
A l'exception des vins et des eaux-de-vie qui payaient déjà
un droit de dix pour cent, et du tabac du Brésil grevé de cinq sous
par livre, aucun autre article ne fut imposé en Canada avant la
quatrième guerre avec les Anglais, c'est-à-dire avant 1748. Alors
Louis XV établit par un édit un tarif général qui frappa d'un
droit de ".rois pour cent toutes les marchandises entrantes ou sor-
tantes. Il y fut fait cependant des exceptions importantes en fa-
veur de l'agriculture, de la pêche et du commerce des bois. Ainsi
le blé, la farine, le biscuit, les pois, les fèves, le maïs, l'avoine,
les légumes, le bœuf et le lard salés, les graisses, le beurre,
furent laissés libres à la sortie ; les denrées et les marchandises
nécessaires à la traite et à la pèche dans le fleuve St.-Laurent, à
l'entrée et à la sortie ; les cordages et le sel à l'entrée ; les che-
vaux, les vaisseaux construits en Canada, le bardeau, le bois de
chêne pour la construction des navires, les mâtures, le merrain,
les planches et les madriers de toute espèce, le chanvre et le
hareng salé, à la sortie. Ces exceptions étaient commt . on voit
très étendues et toutes dans l'intérêt de l'agriculture et des indus-
tries mentionnées plus haut. Sur les représentations des habi-
tans, le roi décida encore que ce tarif n'aurait d'effet qu'après la
guerre.
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â:
154
HISTOIRE DU CANADA.
Ainsi de 1666 aux dernières années de la domination française
en Amérique, les marchandises et les produits agricoles ne
payèrent aucun droit d'entrée ni de sortie en Canada, ni en
France, excepté les vins, eaux-de-vie et guildives et le tabac du
Brésil. Les restrictions du commerce canadien étaient seulement
relatives aux rapports avec l'étranger toujours sévèrement défen-
dus, et à la traite du castor ; et encore l'exclusion touchant celle-
ci n'était-elle que pour l'exportation en France, cardans la colo-
nie le marchand pouvait acheter cette pelleterie du Sauvage pour
la revendre ensuite, au taux fixé par le gouvernement, au comp-
toir de la compagnie.
Après 1753, époque de la mise en force de la loi d'impôt dont
l'on vient de parler, la guildive paya 24 livres la barique, le vin
12, les eaux-de-vie 24 la velte. Il paraît que le tarif pour les
marchandises sèches n'était pas exact, et que certains articles
payaient plus et d'autres moins, proportion gardée avec les trois
pour cent qu'on avait voulu imposer.
Les droits d'entrée et de sortie produisaient dans les temps or-
dinaires environ 300 mille livres. La disposition de la loi de
l'impôt relative à l'obligation de payer les droits au comptant,
gêna le marchand sans avantage pour la chose publique et porta
un grave préjudice au commerce. Dans un pays où l'on est obli-
gé à cause de l'hiver de faire de grands amas de marchandises qui
restent invendues sur les tablettes une partie de l'année, cette loi
était plus qu'injudicieuse ; elle entraînait une nouvelle charge que
le consommateur devait payer, car l'on sait que la marchandise
supporte non seulement les frais qu'elle occasionne, mais encore
la demeure ou l'intérêt de l'argent qu'elle coûte.
Le numéraire, ce nerf du trafic, manquait presque totalement
dans les commencemens de la colonie. Le peu qui y était
apporté par les émigrans ou autres, en ressortait presqu'aussitôt,
parce que le pays produisait peu et n'exportait encore rien. Les
changemens fréquens que l'on fit plus tard dans le cours de l'ar-
gent, n'eurent d'autre effet que de faire languir le commerce qui
naissait à peine. L'on sait qu'il n'y a aucune question sur laquelle
il soit plus facile de se tromper, que la question des monnaies.
Le besoin d'argent se faisait vivement sentir dans les îles fran-
çaises du Mexique. La compagnie des Indes occidentales obtint
m
HISTOKiE DU CANADA.
155
la permission du roi d'y faire passer en 1670 pour 100 mille
francs de petites espèces maniuées à un coin particulier ; et deux
ans après cette monnaie ainsi (jue celle de France, eut cours dans
toutes les possessions françaises du Nouveau-Monde en y ajoutant
un quart en sus. Malgré cette addition de ving-cinq pour cent
qui était loin d'être exorbitante pour couvrir la dilTérence du
change entre Paris et Québec, à cette époque où le Canada
exportait encore si peu, les espèces ne cherchèrent qu'à sortir du
pays. C'est le commerce et non le souverain qui règle la valeur
de l'argent ; le prix des marchandises monte ou baisse avec elle.
L'expédient ne répondit jioint aux avantages qu'on s'en était
promis. Le gouvernement eut alors recours à un papier qu'il
substitua aux espèces, pour payer les troupes et les dépenses
publiques. Les premières émissions fe firent après 1689. Le
papier conserva son crédit quelques années, et les marchands le
préféraient aux espèces sonnantes; mais le trésor, dans les
embarras de la guerre de la succession d'Espagne, n'ayant pu
payer les lettres de change tirées sur lui par la colonie, ce papier
tomba dans le discrédit et troubla profondément toutes les affaires.
Les habitans, réduits au désespoir, firent dire en vain au roi
qu'ils consentiraient volontiers à en perdre une moitié si Sa
Majesté voulait bien leur faire payer l'autre. Ce papier ne fut
liquidé qu'en 1720, avec perte de cinq huitièmes. Louis XV,
se vit condamné à traiter avec ses pauvres sujets canadiens
comme un spéculateur malheureux ; car c'était une véritable
banqueroute, pronostic obscur de celle de 1758, qui devait peser
si lourdement sur ce pays, et de cette autre plus fameuse, celle
qui compléta le grand naufrage de la monarchie en 93.
La monnaie de carte fut abolie en 1717, et le numéraire circula
seul avec sa valeur intrinsèque et sans augmentation de quart.
L'on tombait d'un extrême dans l'autre; carie numéraire étant
frappé en France, le coût et les risques du transport de cette
monnaie, devaient nécessairement en augmenter la valeur en
Canada ; cependant le mal était mons grand qu'en le fixant trop
haut ; car il devait finir par prendre sa place dans l'échelle comme
une marchandise, et tel qu'il doit être considéré dans un bon sys-
tème monétaire.
L'usage exclusif de l'argent ne dura pas longtemps. Le com-
196
HISTOIRE DU CANADA.
merce demanda le premier le rétabiiasemcnt du papier-monnaie
plus facile de transport que leH espèces. L'on revint aux cartes
avec les niômts multiples et les mômes divisions. Ce» cartes
portaient Tempreinte des armes de France et de Navarre, et
étaient signées par le gouverneur, Pintendant et le contrôleur; il
y en avait de 1, 3, 6, 12 et 24 livres; do 7, 10 et 15 sous, et
môme de 6 deniers; leurs valeurs réunies n'excédaient pas un
million. " Lorsque cette somme ne suflisait pas, dit Kaynal, pour
les besoins publics, on y suppléait par des ordonnances signées
du seul intendant, première faute ; et non limitées pour le nombre,
abus encore plus criant. Les moindres étaient de vingt sous, et
les plus considérables de cent livres. Ces diflerens papiers cir-
culaient dans la colonie ; ils y remplissaient les fonctions d'argent
jusqu'au mois d'octobre. C'était la saison la plus reculée où les
vaisseaux dussent partir du Canada. Alors on convertissait tous
ces papiers en lettres de change qui devaient être acquittées en
France par le gouvernement. Mais la quantité s'en était telle-
ment accrue, qu'en 1743 le trésor du prince n'y pouvait plus
suffire, et qu'il fallut en éloigner le paiement. Une guerre mal-
heureuse qui survint deux ans après en grossit le nombre, au
point qu'elles furent décriées. Bientôt les marchandises montè-
rent hors de prix, et comme à raison des dépenses énormes delà
guerre, le grand consommateur était le roi, ce fut lui seul qui
supporta le discrédit du papier et le préjudice de la cherté. Le
ministère, en J759, fut forcé de suspendre le paiement des lettres
de change jusqu'à ce qu'on en eût démêlé la source et la valeur
réelle. La masse en était effrayante.
" Les dépenses annuelles du gouvernement pour le Canada,
qui ne passaient pas 400 mille francs en 1729, et qui, avant 1749,
ne s'étaient jamais élevées au-dessus de dix-sept cent mille livres,
n'eurent plus de bornes après cette époque." Mais n'anticipons
pas sur l'ordre du temps.
Dans ce système monétaire, le Canada n'était détenteur d'au-
cune sécurité réelle. La monnaie est ordinairement un signe qui
représente une valeur réelle et qui a elle-même une valeur intrin-
sèque. En Canada elle était le signe du signe. On n'y voyait
d'espèces que celles qu'apportaient les troupes et les officiers des
HISTOIRE DU CANADA.
157
vaisoeaux, ou la contrebande avec les colonies anglaises ; et elles
étaient aussitôt enlevées pour faire de la vaisselle, ou être ren-
fermées dans les coffres ou envoyées dans les Iles. La monnaie
de cartes était préférée aux ordonnances parce que la valeur des
premières était toujours payée toute entière en lettres de change
avant les secondes, do sorte que si les dépenses du gouvernement
excédaient le mon*, 't de l'exercice de la colonie, Texcédant était
soldé en ordonnances retirées ensuite par ces cartes pour les-
quelles il ne pouvait sortir néanmoins de lettres de change que
l'année suivante; on appelait cela faire la réduction. '' Dans le
courant de 1754, au lieu de faire une réduction qui eut été trop
forte, on délivra des lettres de change pour la valeur entière des
papiers portés au trésor, mais payables seulement, partie en 1754,
partie en 1755 et partie en 1756. Alors les cartes furent con-
fondues avec Ies«rdonnanp**s ; on ne donna pas pour leur valeur
de lettres de change à plus court terme. Il est même à présumer
qu'on a cherché à anéantir cette monnaie, le trésorier ne s'en
servant plus dans les paiemens. Cette opération qui n'occasion-
nait qu'environ six pour cent de différence sur les paiemens ordi-
naires, fit augmenter les marchandises de quinze à vingt pour cent
et la main d'œuvre à proportion.
•* Les espèces, poursuit l'auteur que nous citons ici, qui sont
venues avec les troupes de France, ont produit un mauvais effet.
Le roi en a perdu une partie dans les vaisseaux le Lys et l'Al-
cide ; elles ont décrédité le papier ; la guerre n'était pas encore
déclarée lorsqu'elles parurent en Canada, et on croyait avec rai-
son que les lettres de change continueraient à être tirées pour le
terme de trois ans ; les négocians donnèrent donc leurs marchan-
dises à 16 et 20 pour cent meilleur marché en espèces ; on trou-
vait sept francs de papier pour un écu de six francs. Dès que
la déclaration de la guerre a été publiée, cet avantage a diminué ;
les négocians n'ont pas osé faire des retours en espèces ; il en a
passé quelques parties à Gaspé ; !e reste est entre les mains de
gens qui ne font point de remises en France ; ils aiment mieux
perdre quelque chose, et le garder dans leurs coffres en effets plus
réels que des cartes et des ordonnances ; en conséquence ces
papiers ont circulé presque seuls dans le commerce ; ils ont été
V
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158
HISTOinE DL CANADA.
iura
portés au Irésor, et ont augmenté les lettres de change qu'on a
tirés," sur le gouvernement à Paris.
Tel fut le commerce canadien sous le règne français, assujeti
d'un côté aux entraves dérivant de la dépendance coloniale et
jouissant de l'autre de la plus grande liberté, exclu des marchés
étrangers et affranchi en général de tout droit et de toute taxe avec
la mère-patrie, enfin déclaré libre et permis à tout le monde, et
soumis en plusieurs circonstances à toutes sortes de vexations et
de monopoles. Si le commerce et l'industrie eussent fleuri en
France, si les vaisseaux de cette nation eussent couvert les mers
comme ceux de la Grande-Bretagne, si la population eut été con-
sidérable, nul doute qu'avec la liberté dont jouissait le marchand
canadien, et qui était large pour le temps, il ne fût parvenu à une
grande prospérité. Mais que pouvait faire le Canada sans habi-
tans, exclu du roinmerce étranger, avec ime métropole presque
sans marine et dont le gouvernement était en pleine décadence.
Que pouvait faire le Canada, malgré la liberté dont on voulait le
faire jouir 1 Ne pou\'ant atteindre à une honnête prospérité, ni
trouver dans ses efforts une récompense légitime et honorable, il
tourna les yeux vers une carrière où l'honneurest toujours au de-
là du danger, et non le bonnet vert de la banqueroute mercantile.
Le Canadien, inspiré par son gouvernement, sans armée régulière
pour le protéger, prit le fusil, devint soldat et contracta ce p^*'
pour les armes qui nuisit tant dans la suite au développemf" ^i
au progrès du pays. On eut beau déclarer que le commerce était
libre et permis à tout le monde, que les chefs ne sauraient être
trop attentifs à favoriser tous les établissemens qui pourraient le
faire fleurir, peu de personnes s'y livraient, et il languissait.
Il est une autre pratique tenant à l'organisation coloniale qui lui
fut aussi très préjudiciable par l'excès qu'on en fit. C'était la
permission donnée aux employés publics, comme on l'a mentionné
ailleurs, quelquefois du plus haut ran;^, et aux magistrats de faire
le commerce môme avec le roi dont ils étaient les serviteurs, afin
de se refaire de l'insutRsance reconnue de leurs appointemens.
La plupart des gouverneurs généraux et particuliers participèrent
aux profits de la traite.* Tout le monde commerçait, les reli-
• Correspondance officielle. — Mémoire du Sé.ninaire ; Lettres de Bagot au
miiiislre ITnO.
HISTOIRE DU CAiNADA.
159
gieux, les militaires, comme les autres citoyens. Le Séminaire
trafiquait avec la Nouvelle- York et avait un vaisseau en mer.
Les abus devenaient si graves que Colbert fut obligé vers 1676 de
défendre le commerce aux fonctionnaires, aux ecclésiastiques, et
au gouverneur de vendre des congés de traite. Mais les défenses
restèrent bientôt sans effet. Cet usage avait pris naissance avec
la colonie, fondée et gouvernée pendant longtemps par des mar-
chands, qui conduisaient à la fois les affaires publiques et leur né-
goce. Il fut malheureusement toléré jusqu'aux derniers jours du
régime français, et ouvrit la porte aux plus funestes et aux plus
criminels abus, qui atteignirent leur dernier terme dans la guerre
de la conquête. Ces employés, l'intendant Bigot à ' r tête,
parvinrent à cette époque de crise, où le temps ne permettait
point de porter un remède aux maux de l'intérieur, à accaparer
toute la fourniture du roi, qui s'éleva au delà de 15 millions à la
fin de la guerre.* Pa;; un système d'association liabilement mé-
nagé, ils achetaient ou vendaient, comme nous l'avons exposé
tout à l'heure, tout ce que le gouvernement voulait vendre ou
acheter. Agissant eux-mêmes pour le roi, il est facile de conce-
voir que les articles du marchand qui n'était pas dans leur alli-
ance, n'étaient jamais admis. La liberté et la concurrence si né-
cessaires au commerce furent détruites, ainsi que l'équilibre des
prix que l'association fit monter à un degré exorbitant, malgré
l'abondance des denrées et des marchandises, au point que cette
cherté factice devint une cause de disette réelle.
Le vice du système ne s'était pas encore manifesté r^'une ma-
nière si hideuse ; mais il avait dû produire dans tous les temps un
grand mal, et causer un découragement fatal au négociant indus-
trieux qui ne pouvait lutter avec des hommes placés dans de meil-
leures conditions que lui. Cela n'est pas une exagération, car,
selon le Mémoire de Bigot lui-même accusé de tous ces faits,
c'était le roi qui faisait les plus grandes consommations dans les
colonies ; et c'était avec lui principalement qu'on pouvait ^aire
un commerce d'une certaine importance.
• " Si on calculait toutes les marchandises qui sont achetées à Québec, à
Montréal et dans les forts pour le compte du roi, on trouverait peut-être le
S.
double de ce qu'il en est entré dans la colonie."
ministit, 175!>.
Dépêche de M. Bisol au
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160
HISTOIRE DU CANADA.
Un pareil système devait, surtout aux époques de guerre, ruiner
par les accaparemens, tous les marchands qui n'étaient pas dans
le monopole ; et si ce résultat n'arriva que dans la guerre de la
conquête, c'est que l'honneur et l'intégrité avaient régné jusque
là parmi les fonctionnaires.
Le commerce canadien, excepté la traite des pelleteries et le
système monétaire, fut l'objet de peu de règlemens à venir jus-
qu'au 18e. siècle. A cette époque on commença à s'occuper de
cette matière. Outre les lois qui concernent la liberté du trafic,
dont nous avons parlé plus haut, et les arrêts du conseil supérieur
et de l'intendant qui avaient plus immédiatement rapport à la
police ou à des cas particuliers, d'autres lois furent promulguées
en difilérens temps, qui eurent aussi leur influence.
La première est le règlement relatif aux sièges d'amirauté
établis dans toutes les colonies françaises en 1717.
Cette institution fut revêtue de deux caractères, l'un judiciaire
et l'autre administratif, que se partagent aujourd'hui la cour de
l'amirauté et la douane. Comme tribunal, la connaissance de
toutes les causes maritimes qui durent être jugées suivant l'ordon-
nance de 1681 et les autres règlemens en vigueur touchant la
marine, lui fut déférée. Comme administration, elle eut la visite
des vaisseaux arriv^ns ou partans, et le pouvoir exclusif de don-
ner des congés à tous ceux qui faisaient voile pour la France,
pour les autres colonies ou pour quelque port de l'intérieur. Ces
congés étaient des passavans, et chaque vaisseau était tenu d'en
prendre un à son départ et de le faire enregistrer au greffe de
l'amirauté. Les bâtimens employés au cabotage de la prcv ce,
n'étaient obligés que d'en prendre un par an. Il fallait en outre
le consentement du gouverneur aux congés pour la pêc'.:3 ou
pour les navires qui menaient des passagers en France.
La seconde fut l'arrêt de la même année qui établit une bourse
à Québec e* une autre à Montréal, et permit aux négocians de
s'y assembler tous les jours pour leurs affaires mercantiles.
Cela était demandé depuis longtemps par le commerce, auquel
l'on accorda aussi la nomination d'un agent ou syndic pour expo-
ser ses vœux ou défendre ses intérêts auprès du gouvernement,
chaque fois qu'il y aurait besoin.
Cet agent commercial remplaça probablement le syndic des
HISTOIRE DU CANADA.
161
habitations, dont l'on n'entendait plus parler, et dont les fonctions
étaient peut-être déjà tombées en désuétude.
Quant aux lois de commerce proprement dites, il y eut cela de
singulier qu'il n'en fut promulgué aucune d'une manière formelle.
Les tribunaux suivirent l'ordonnance du commerce ou le code
Michaud,' qui était la loi générale du royaume, ainsi que les y
autorisaient les décrets qui les constituaient. Le Canada n'a vu
jusqu'à ce jour inaugurer dans son sein par Taulorité législalive
locale, aucun code commercial particulier. A défaut de lois à
cet égard, l'ordonnance du commerce fut introduite en vertu
d'une disposition générale de l'édil de création du conseil souve-
rain en 1663 ; et cette ordonnance devint parle fait et la coutume
loi du pays. Le code anglais a été introduitdela même manière
par un décret de la métropole.
Nous ne croyons pas devoir omettre de mentionner ici une
décision du gouvernement français qui lui fait le plus grand hon-
neur. C'est celle relative à l'exclusion des esclaves du Canada,
cette colonie que Louis XIV aimait par-dessus toutes les autres à
cause du caractère belliqueux de ses habitans, cette colonie
qu'il voulait former à l'image de la France, couvrir d'une brave
noblesse et d'une population vraiment nationale, catholique, fran-
çaise, sans mélange de race. Dès 1688, il fut proposé d'y intro-
duire des nègres. Celte proposition ne rencontra aucun appui
dans le ministère, qui se contenta de répondre qu'il craignait que
le changement de climat ne les fît périr, et que le projet ne fût
dès lors inutile. C'était assez pour faire échouer une entreprise
qui aurait greffé sur notre société la grande et terrible plaie qui
paralyse la force d'une portion si considérable de T'Tnion amé-
ricaine, l'esclavage, cette plaie inconnue sous notre ciel du nord
qui, s'il est souvent voilé par les nuages de la tempête, ne voit
du moins lever vers lui que des fronts libres aux jours de sa
sérénité.
Nous nous sommes longuement étendu sur des faits qui n'ont
pas un grand attrait pour beaucoup de lecteurs ; mais qui n'en
n'intéressaient pas moins profondément les destinées de nos pères,
de même que celles que la providence tenait en réserve pour
nous.
J. F. Perrault :— Extraits ou précédens de la Prévôté de Québec, 1824.
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162
HISTOIRE DU CANADA.
L'on voit dans ces faits l'opération de tout un système et ses
conséquences. Le plan est large, grandiose, colossal ; mais les
convulsions incessantes de ce grand tout trahissent sa faiblesse.
L'heure arrive où la Nouvelle-France va succomber. Déjà
tout annonce sa décadence ; la force physique, matérielle va rem-
placer la puissance factice, imaginaire, les combinaisons intellec-
tuelles des Français, qui ont montré, il faut l'avouer, le savoir-
faire et l'expérience d'un peuple accoutumé aux grandes affaires
en faisant croire si longtemps avec des bases si fragiles à un vaste
système commercial.
Cr iPITEE II.
LOUISBOURG.
1744-1748.
Coalition en Europe contre Marie-Thérèse pour lui ôter l'empire (1740.)
—Le Maréchal de Belle-Isle y fait entrer la France. — L'Angleterre se
déclare pour l'impératrice en 1744. — Hostilités en Amérique.— Ombrage
que Louisbourg cause aux colonies américaines. — Théâtre de la guerre
dans ce continent. — Les deux métropoles, trop engagées en Europe,
laissent les colons à leurs propres forces. — Population du Cap-Breton ;
fortifications et garnison de Louisbourg. — Expédition du commandant
Duvivier à Canseau et vers Port-Royal. — Déprédations des corsaires. —
Insurrection de la garnison de Louisbourg. — La Nouvelle-Angleterre, sur
la proposition de M. Shirley en profite pour attaquer cette Ibrteresse. —
Le Colonel Pepperrell s'embarque avec 4,000 hommes, et va y mettre le
siège par terre tandis que le commodore Warren en bloque le port. — Le
commandant français rend la place. — Joie générale dans les colonies
anglaises; sensation que fait cette conquête. — La population de Louisbourg
est transportée en France. — Projet d'invasion du Canada; qui se prépare à
tenir tête à l'orage. — Escadre du duc d'Anville pour reprendre Louisbourg
et attaquer les colonies anglaises. (1746) ; elle est dispersée par une
tempête. — Une partie atteint Chibouctou (Halifax) avec une épidémie à
bord. — Mortalité effrayante parmi les soldats et les matelots. — Mort du
duc d'Anville. — M. d'Estournelle qui lui succède se perce de son épée. —
M. de la Jonquière persiste à attaquer Port-Royal ; une nouvelle tempête
disperse les débris de la flotte. — Frayeur et armement des colonies amé-
ricaines.— M. de Ramsay îissiége Port-Royal. — Les Canadiens défont le
colonel Noble au Grand-Pré, Mines. — Ils retournent dans leur pays. —
Les frontières anglaises sont attaquées, les forts Massachusetts et Bridgman
surpris et Saratoga brûlé ; fuite de la population. — Nouveaux armemens
de la France ; elle perd les combats navals du Cap-Finistère et de Belle-
Isle. — Marine anglaise et française. — Faute du cardinal Fleury d'avoir
laissé dépérir la marine en France. — Le comte de la Galissonnière gou-
verneur du Canada. — Cessation des hostilités ; traité d'Aix-la-Chapelle
(1748) — Suppression de l'insurrection des Miâmis. — Paix générale.
L'abaissement de la maison d'Autriche est un des grands actes
de la politique de Richelieu. Quoiqu'il eût bien diminué sa
puissance, il y en avait en France qui désiraient la faire tomber
encore plus bas. Tel était le maréchal de Belle-Isle qui exer-
çait une grande influence sur la cour de Versailles, et qui voulait
qu'on profitât de l'avènement de Marie-Thérèse à la couronne
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164
HISTOIRE DU CANADA.
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de son père, l'empereur Charles VI, pour accomplir ce dessein.
A peine cette femme illustre et si digne de l'être, eut-elle pria
possession de son héritage, qu'une foule de prétendans, comme
l'électeur de Saxe, l'électeur de Bavière, le roi d'Espagne, le roi
de Prusse le grand Frédéric, le roi de Sardaigne, se levèrent
pour réclamer à divers titres les immenses domaines de l'Au-
triche. Le maréchri de Belle-lsie entraîna la France, malgré
l'opposition du cai ''nal de Fleury, premier ministre, dans la
coalition contre Mane-Thérèse pour soutenir les prétentions do
l'électeur de Bavière, qui aurait été beaucoup plus formidable
qu'elle s'il eût pu réussir à la dépouiller de ses possessions. L'on
sait quel cri de patriotisme sortit du sein des états de la Hongrie
lorsque cette princesse se présenta avec son fila dans les bras au
milieu de leur assemblée, et invoqua leur secours par ces paroles
pleines de détresse : " Je viens remettre entre vos mains la fille
et le fils de vos roia." Mourons pour notre reine ! s'écrièrent
les nobles Hongrois en élevant leurs épées vers le ciel.
L'Angleterre qui avait d'abord gardé la neutralité, ne tarda pas
à se déclarer, lorsqu'elle vit la fermeté avec laquelle l'impératrice
faisait tête à Forage, et jeta son épée à côté de la sienne dans la
balance. C'était commencer les hostilités contre la France, et
allumer la guerre en Amérique.
Les colonies anglaises montraient de plus en plus une ambi-
tion, une inquiétude, une violence républicaine dont la singularité
n'échappa pas tout-à-fait dans le temps à la sagacité de la Grande-
Bretagne, et qui pouvait faire présager déjà ce qu'elles voudraient
être dans l'avenir. Le parti puritain qui avait autrefois gouverné
l'ancienne Angleterre, avait transporté son esprit dans la nou-
velle. Le génie de ces colons semblait prendre de la grandeur
lorsqu'ils considéraient les immenses et belles contrées qu'ils
avaient en partage, et il n'est guère permis de douter d'après ce
que nous avons vu d'eux jusqu'à ce jour, que les Etats-Unis
voudront remplir complètement leur destinée. Toutefois à
l'époque de cette guerre, il paraissait y avoir dans les diverses
provinces moins de zèle pour les combats que de coutume, et
celles qui étaient voisines du Canada surtout semblaient redouter
les hostilités. Mais la moindre circonstance pouvait rallumer le
feu sous la cendre, et c'est ce qui arriva.
HISTOIRE DU CANADA.
165
En Canada, l'on s'attendait depuis longtemps à la reprise des
armes. Les forts avancés avaient été réparés et portés sur le
pied de guerre, les garnisons de St.-Frédéric et de Niagara avaient
été augmentées et Québec mis en état de défense, du moins
autant que le permettaient les quelques barricades et batteries
élevées çà et là sur la cime du cap ou au pied sur le port. Des
mesures furent prises également pour chasser tous les Anglais de
rOhio, où ils commençaient à se montrer ; et M. Guillet avait
été chargé de rassembler les Sauvages du Nord pour tenter une
entreprise qui aurait eu sans doute du retentissement si elle avait
pu s'exécuter, mais que l'on ne pouvait guère se flatter d'accom-
plir, la conquête de la baie d'Hudson.
Du reste le fort de la guerre devait se porter sur le Cap-Breton
et la péninsule acadienne. Le cardinal Fleury, qui détestait la
guerre, laissa le Canada à ses propres forces. La Nouvelle-
York, de son côté, exposée la première aux coups de ses voisins,
avait envoyé M. Ransallaer à Québec pour proposer un traité
secret de neutralité entre les deux pays. L'on ne devait donc
pas s'attendre à des hostilités bien vives sur le St.-Laurent, du
moins pour le présent. En cas d'offensive le premier poste à
prendre par les Canadiens sur cette frontière était celui d'Oswégo,
et M. de Beauharnais n'osait pas le faire, d'abord parce que la
colonie était trop faible et trop dépourvue de tout pour aller atta-
quer l'ennemi chez lui, et en second lieu, parce qu'il craignait
l'opposition des Iroquoia qu'il tenait à garder pour amis.*
Cependant les difficultés entre les deux nations au sujet des
frontières, avaient fait croire qu'à la première rupture elles allaient
se porter de grands coups, et qu'un dénouement tel serait donné
à la question des limites, qu'elle serait mise en repos pour long-
temps. Mais ni l'Angleterre ni la France, trop occupées en
Europe, ne songèrent à établir un champ de bataille dans le
Nouveau- Monde. Ce furent les colons eux-mêmes qui se char-
gèrent de remplir cette portion du grand drame, et qui sans
attendre d'ordres de leurs métropoles se mirent en mouve-
ment.
Le Canada n'avait pas mille soldats pour défendre tous les
postes depuis le lac Erié jusqu'au golfe St.-Laurent ; mais Louis-
Documens de Paris.
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166
HISTOIRE DU CANADA.
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bourg, comme clef des possessions françaises du côt6 de la mer,
avait une garnison de sept à huit cents hommes.
Ce boulevard devait protéger la navigation et le commerce.
Sa situation favorable entre le golfe St.-Laurent, les bancs et l'île
de Terreneuve et l'Acadie, lui donnait la vue sur toutes ces terres
et sur toutes ces mers. Les pieds baignés par les flots de l'Océan,
il était ceint d'un rempart en pierre de 30 à 36 pieds de hauteur
et d'un fossé de 80 pieds de large du côté de terre. Il était encore
défendu par deux bastions, deux demi-bastions, trois batteries de
six mortiers et percé d'embrasures pour cent quarante-huit pièces
de canon. Sur l'île à l'entrée du port, vis-à-vis de la tour de la
Lanterne, on avait établi une batterie à fleur d'eau de trente pièces
de 28, et au fond de la baie, en face de son entrée, à un quart de
lieue de la ville, ime autre de trente canons. Cette dernière bat-
terie commandait le fond de la baie, la ville et la mer. L'on com-
muniquait de la ville à la campagne par la porte de l'Ouest, et
un pont-levis défendu par une batterie circulaire de seize pièces
de 24;. L'on tn-.vaillait depuis vingt-cinq ans à ces ouvrages, qui
étaient défectueux sous le rapport de la solidité, parceque le sable
de la mer dont on était forcé de se servir, ne convenait point à
la maçonnerie, mais ils n'en passaient pas moins au loin pour être
formidables, et Louisbourg avait la réputation d'être la place la
plus forte de l'Amérique. On le disait imprenable quoique les forti-
fications n'en fussent pas achevées. Cependant il en était de ces
fortifications comme de bien d'autres dans ce continent, qui ont
une grande réputation au loin, et qui perdent leur redoutable pres-
tige dès qu'elles sont attaquées. Québec avait un grand renom et
Montcalm n'osa pas attendre l'ennemi derrière ses murs. Le gou-
verneur, le comte de Raymond, avait fait ouvrir le chemin de
Miré qui conduisait au port de Toulouse dans une autre partie de
l'île. Ce chemin, avantageux pour le commerce, avait, du côté
de la campagne, affaibli la force naturelle de Louisbourg, protégée
jusque-là par les marais et les aspéj ités du sol, en permettant d'ap-
procher jusqu'au pied des murailles. A la faveur de sa renom-
mée, cette forteresse servait de retraite aux vaisseaux canadiens
qui allaient aux Iles, et protégeait une nuée de corsaires qui
s'abattaient sur le commerce américain, en ruinant les pêches
dans les temps d'hostilités. Les colonies anglaises voyaient donc
Ifï
HISTOIRE DU CANADA.
167
avec une espèce de terreur ces sombres murailles de Louisbourg,
dont les tours s'élevaient au-dessus des mers du Nord comme dea
géans menaçans.
Au temps de la guerre de HW M. Duquesnel était gouverneur
du Cap-Breton, et Bigot commissaire-ordonnateur. L'on connaît
peu de chose sur le premier ; à peine son nom est-il parvenu
jusqu'à nous. Le second faisait alors au Cap-Breton, loin de
l'œil de ses maîtres, cet apprentissage d'opérations commerciales
dont les suites devaient être si fatales à toute la Nouvelle-France.
On entretenait dans l'île huit compagnies françaises de 70 hom-
mes et 150 Suisses du régiment de Karrer, en tout 700 hommes
quand les compagnies étaient complètes. On détachait une
compagnie pour l'île St.-Jean. une autre pour la batterie royale,
et on faisait de petits détachemens pour garder plusieurs autres
points de la côte ; le reste formait la garnison de Louisbourg.
C'étaient là toutes les forces dont l'on pouvait disposer pour gar-
der l'entrée de la vallée du St.-Laurent. Les colonies anglaises
n'étaient guère mieux pourvues de troupes que celles de la Nou-
velle-France ; mais il n'y avait point de comparaison entre le
chiffre de leurs habitans. Confiantes dans leur supériorité numé-
rique, ces provinces montraient moins d'empress"-ment que les
Français pour courir aux armes, ce qui faisait que ceux-ci avaient
presque toujours l'avantage -du premier coup, sachant qu'ils
devaient suppléer par la rapidité à ce qui leur manquait en force
réelle.
L'on reçut à Louisbourg la nouvelle de la déclaration de guerre
plusieurs jours avant Boston. Les marchands armèrent sur le
champ de nombreux corsaires, qui firent des conquêtes précieuses
et s'enrichirent. Bigot possédait pour sa part plusieurs vaisseaux
armés en course, les uns tout seul, les autres en participation avec
des associés. Le commerce américain désolé par ces courses
fit des pertes considérables.
Le gouverneur Duquesnel, qui connaissait l'état de l'Acadie,
que l'Angleterre abandonnait, comme avait fait la France, à elle-
même, résolut d'en profiter. Il n'y avait que quatre-vingts hom-
mes de garnison à Annapolis, et les fortifications étaient tellement
tombées en ruines que les bestiaux montaient par les fossés pour
paître sur les remparts écroulés. Le commandant Duvivier fut
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■trf
168
HISTOIRE DU CANADA.
chargé de former un détachement de 8 à 900 hommes tant sol-
dats que miliciens, de s'embarquer sur quelques petits bâtimena
qui furent mis à sa disposition, et de tomber sur l'Acadie à l'im-
proviste.
Le premier poste qu'il attaqua fut Canseau, situé à l'extrémité
Bud du détroit dont il portait le nom. Il s'en rendit maître après
avoir fait prisonniers les habitans et la garnison composée de
quatre compagnies incomplètes de troupes, et le brûla. De là il
ee mit en marche, mais avec lenteur, pour Annapolis avec une
soixantaine de soldats et 700 miliciens et Sauvages. Rendu aux
Mines il s'arrêta subitement sans que l'on sût trop pourquoi, puis
ensuite se retira vers le Canada après avoir fait sommer inutile-
ment de loin Annapolis de se rendre. Cet officier fut blâmé
dans le temps de n'avoir pas marché avec plus de rapidité sur
cette ville pour l'attaquer dans sa première surprise ; on affirmait
qu'il s'en serait emparé infailliblement, car déjà les principales
familles s'étaient enfuies à Boston avec leurs effets les plus pré-
cieux ; que dans le premier moment, elle n'aurait pu résister à
un assaut. Il y aurait trouvé le P. Laloutre qui l'investis-
sait avec 300 Indiens du Cap de Sable et de St.-Jean, accourus
pour prendre part à cette conquête. Mais le délai ayant donné
le temps aux assiégés de recevoir des renforts, les Sauvages
avaient été obligés de se retirer.
Dans le même temps les corsaires, après avoir désolé la ma-
rine marchande anglaise, infestaient les côtes de Terreneuve, in-
commodaient les petites colonies qui y étaient dispersées, et me-
naçaient même Plaisance malgré ses fortifications et ses troupes.
La nouvelle de l'irruption des Français en Acadie et des dépré-
dations de leurs corsaires à Terreneuve, arriva presqu'en même
temps à Boston que celle de la rupture de la paix. Toutes les co-
lonies furent dans l'alarme pour leurs frontières. Elles levèrent
immédiatement des troupes pour garder leurs postes avancés du
côté du Canada ou en augmenter les garnisons. Le Massachu-
setts fit à lui seul élever une chaîne de forts de la rivière Connec-
ticut aux limites de la Nouvelle- York. Mais tandis qu'elles pre-
naient ainsi à la hâte les mesures de sûreté que semblait exiger la
première attitude de leurs ennemis, il se passait à Louisbourg,
dans Le sein même 4u boulevard des Français, un événement qui
HISTOIRE DU CANADA.
169
les tranquillisa d'abord un peu, et qui ensuite leur donna probable-
ment l'idée d'aller attaquer cette forteresse elle-même. Cet évé-
nement qui aurait été grave en tout autre temps, et qui l'était dou-
blement dans les circonstances actuelles, est l'insurrection de la
garnison, qui éclata dans les derniers jours d'octobre 1744'.
Faute d'ouvriers,les soldats avaient été chargés de l'achèvement
des fortidcations. Dans les derniers temps, il paraît qu'on négli-
geait de payer le surplus de solde que ces travaux leur valaient.
Ils se plaignirent d'abord ; ils murmurèrent ensuite, sans qu'on
en fit aucun cas. /..lors ils résolurent de se faire justice eux-
mêmes, et éclatèrent en révolte ouverte. La compagnie Suisse
la première donna le signal. Ils s'élirenl des officiers, s'empa-
rèrent des casernes, établirent des corps-de-gardes, posèrent des
sentinelles aux magasins du roi et chez le commissaire-ordonna-
teur Bigot, auquel ils demandèrent la caisse militaire sans oser la
prendre néanmoins. Ils formulèrent après cela des plaintes très
vives contre leurs officiers, qu'ils accusèrent de retenir une partie
de leur paie, de leurs habillemens et de leur subsistance. Bigot
n'ayant rien de mieux à faire, les satisfit sur une partie de ces
points, et tout l'hiver il employa la même tactique quand ils de-
venaient trop menaçans. Depuis plus de six mois la garnison
était ainsi en pleine rébellion lorsque l'ennemi se présenta devant
la place.
Le bruit de ce qui se passait à Louisbourg s'était répandu ra-
pidement jusque dans la Nouvelle-Angleterre. Le gouverneur
Shirley, du Massachusetts, crut que l'on ne devait pas perdre une
si belle occasion d'attaquer un poste qui portait tant de préjudice
à leur commerce et d'où venaient de sortir encore les troupes qui
avaient brûlé Canseau. Il écrivit à Londres pour proposer au
gouvernement soit de faire attaquer lui-même Louisbourg dès le
petit printemps et avant que cette forteresse eût reçu des secours,
soit de seconder les colons qui se chargeraient de l'entreprise si
l'Angleterre ne le faisait pas. Il représentait en même temps que
ce poste était un repaire de pirates qui désolaient les pêcheries et
interrompaient le commerce ; que la Nouvelle-Ecosse serait tou-
jours en danger tant que cette forteresse appartiendrait aux Fran-
çais, et que si cette province venait à tomber entre leurs mains
l'on aurait six ou huit mille ennemis de plus à combattre ; qu'il
il!
170
HISTOmE DU CANADA.
était de la plus haute importance de prendre Louisbourg. Shir-
ley ajoutait qu'en prenant ce boulevard l'on porterait un coup
mortel aux pêcheries françaises, que le Cap-I3reton était la clef
du Canada et protégeait la pêche do la morue qui employait par
an plus de 500 petits vaisseaux de Bayonne, de St.-Jean-de-Luz,
du Havre-de-Grace et d'autres villes ; que c'était une école de
matelots, enfin que cetle pêche jointe à celle pour la production
des huiles, faisait travailler dix mille hommes et circuler dix mil-
lions. Dans le mois de janvier suivant (1745) sans attendre
de réponse de Londres, Shirley, qui avait convoqué la législature
du Massachusetts, informa les membres qu'il avait une commu-
nication à leur faire, mais qu'il exigeait auparavant le secret sous
le sceau du serment. Après cette précaution, il leur transmit
par message la proposition d'attaquer Louisbourg. Elle étonna
d'abord les membres, et l'entreprise i)arut si hasardeuse qu'ils la
rejetèrent. Mais Shirley sans se décourager réussit à en gagner
quelques uns qui firent reprendre la mesure, laquelle après de
longues discussions passa à la majorité d'une voix. Immédiate-
ment Shirley écrivit à toutes les provinces voisines pour leur
demander des secours en hommes et en argent, et pour les enga-
ger à mettre un embargo sur leurs ports afin que rien ne pût
transpirer du projet au dehors. Quoiqu'une partie seulement de
ces provinces répondît à son appel, en peu de temps on eut levé
et équipé plus de 4,000 hommes, qui s'embarquèrent sous les
ordres d'un négociant nommé Pepperrell, pour le Cap-Breton, où
ils furent arrêtés trois semaines par les glaces qui entouraient
l'île. Le Commodore Warren envoyé d'Angleterre avec quatre
vaisseaux de guerre pour bloquer Louisbourg du côté de la mer,
les rallia à Canseau et contribua puissamment au succès de l'en-
treprise.
L'armée débarqua au Chapeau-Rouge. Elle marcha sans
délai sur la place à laquelle elle annonça son arrivée par de grands
cris. Profitant de la première surprise, le colonel Vaughan alla
incendier dans la nuit même, de l'autre côté de la baie, les maga-
sins remplis de boissons et d'objets de marine qui s'y trouvaient.
L'officier qui commandait la batterie royale près de là, soupçon-
nant quelque trahison, l'abandonna et se retira sur le champ dans
la ville, premier effet de la méfiance qu'avait fait naître dans les
HISTOIRE DU CANADA.
171
officiera Tétit do révolte de leurs troupes. La garnison était alors
composée d'environ GOO soldats et 800 habitans qui s'étaient
armés à la hâte.
A la première alarme, le général Duchambon, commandant, la
fit rassembler et la harangua ; il en appela à ses scntimena, lui
représenta que l'arrivée des ennemis lui olTrait une occasion favo-
rable de faire oublier le passé et de montrer qu'elle avait encore
le cœur français. Ces paroles ranimèrent le patriotisme d'hommes
qui n'étaient qu'outrés contre les injustices de leurs supérieurs;
ils reconnurent leur faute et rentrèrent aussitôt dans le devoir,
sacrifiant leur ressentiment au bien de la patrie. Mais malheu-
reusement les otliciers refusèrent de croire à la sincérité de leurs
dispositions, et cette méfiance fut la cause de la perte de la ville.
Quoique l'ennemi se fût approché de Louisbourg sans opposi-
tion, à la faveur de la surprise, son succès n'aurait été rien moins
qu'assuré si on avait fondu sur lui pendant qu'il formait son
camp et commençait à ouvrir ses tranchées. De simples milices,
rassemblées avec précipitation, commandées par des marchands
n'ayant aucune expérience militaire, auraient été déconcertées
par des attaques régulières et vigoureuses ; elles n'auraient pu
résister à la bayonnette ; un premier échec les aurait découragées.
Mais on s'obstina à croire que la garnison ne demandait à faire
des sorties que pour déserter ; et on la tint comme prisonnière
jusqu'à ce qu'une si mauvaise défense eût réduit la ville à capi-
tuler le 16 juin, après avoir perdu 200 hommes. L'île entière
suivit le sort de Louisbourg son unique boulevard, et la garnison
avec les habitans au nombre de 2,000 furent transportés à Brest,
où l'on fut étonné un jour de voir débarquer une colonie entière
de Français, que les vaisseaux anglais laissèrent sur le rivage.
Warren qui fermait l'entrée du port avec sa flotte, venait de
prendre un vaisseau de 64 canons portant 560 hommes qui étaient
envoyés pour relever la garnison. Si ce renfort eût pu y péné-
trer, Louisbourg était sauvé. Les Américains qui savent allier la
ruse avec le flegme, laissèrent flotter encore plusieurs jours le
drapeau blanc sur les remparts ; et plusieurs vaisseaux français
richement chargés, trompés par ce signe, vinrent se jeter au
milieu des ennemis.
Le succès de l'expédition de Louisbourg, qui n'avait coûté
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172
HISTOIRE DU CANADA.
£
li
presqu'aucune perte, causa de la surprise en Amérique et en
Europe, et en effet ce succès devait surprendre. Pour ceux qui
ignoraient ce qui s'était passé, comment croire que le plan de
réduire une forteresse régulière formé par un avocat, exécuté par
un marchand à la iôte d'un corps d'artisans et de laboureurs, eût
pu réussir ; et pourtant c'est ce qui venait d'avoir lieu. L'or-
gueil européen en fut blessé, et quoique cette conquête mît la
Grande-Bretagne en état d'acheter la paix, elle excita sa jalousie
contre les colonies qui l'avaient laite.* Nous verrons dans la
prochaine guerre que les exploits des Canadiens excitèrent de
même l'envie des Français et jusqu i celle du général Montcalm,
et que cette faiblesse contribua chez ce commandant à le dégoû-
ter d'une lutte au succès de laquelle il fit la faute grave de ne pas
croire dès le commencement, et celle encore plus grande de
répandre cette idée parmi ses troupes.
Tandis que les vainqueurs se félicitaient, et ' ,u-ibuaient eux-
mêmes dans leur étonnement le succès qu'ils venaient de rem-
porter au secours d'une providence dont la main avait paru d'une
manière trop manifeste dans* tout le cours de l'entreprise pour
être mise en doute, la nouvelle de la prise de Louisbourg parve-
nait en France et tempérait un peu la joie que causaient la célèbre
victoire de Fontenoy qu'on venait de remporter et lu conquête de
l'Italie autrichienne. A Londres la perte de cette bataille et le
déba-quemcnt du prétendant, le prince Edouard, en Ecosse, ne
permirent guère non plus d'exalter le fait d'armes américain.
En Canada la sensation fut profonde, car l'on croyait que l'attaque
de Louisbourg n'était que le piélude à celle de Québec, et M. de
Beauharnais fit ses préparatifs pour toutes les éventualités. II
présida à Montréal une assemblée de six cents Indiens dft diverses
nations, parmi lesquels il y avait des Iroquois ; tous montraient
les meilleures dispositions. Il fit descendre à Québec une partie
des milices et des Sauvages, et activa l'achèvement des fortifiica-
tions de la ville auxquelles on travaillait déjà depuis si longtemps,
comme si les travaux qu'on y faisait avaient valu la peine.
En même temps il écrivit en France pour presser le ministère
de reprendre Louisbourg e. l'Aca 'ie,assuran„que 2,500 hommes
suffu'aient pour faire la conquête de cette dernière province. Il
" Jlmerican Jlnnals.
fts-
HISTOIRE DU CANADA.
173
fallait à tout prix se remparer de ces deux possessions ; c'était
le passage du golfe qui était interrompu. Les Anglais tiennent
toujours la même conduite, ils veulent occuper tous les passages
et ils les occupent en effet. Envoyez moi, ajoutait-il, des munitions
et des armes, je compte sur la valeur des Canadiens et des Sau-
vages. La conservation du Canada est l'objet le plus important ;
si une fois l'ennemi en devenait le maître, il faudrait peut-être
renoncer pour toujours a ce continent. La piise de Louisbourg
par les milices de la Nouvelle-Angleterre avait piqué l'amour-
propre des Canadiens, qui brûlaient de se mesurer avec ces nou-
veaux soldats.
Mais là où la conquête anglaise fit l'impression la plus pénible,
ce fut dans l'Acadie elle-même, parmi l'ancienne population,
abandonnée des Français et regardée avec défiance par les
Anglais. Le présentiment du malheur qui devait lui arriver
plus tard l'inquiétait déjà. Elle venait de voir la populution
du Cap-Breton déportée toute entière en France. Elle craignait
une plus grande infortune, celle d'être enlevée et dispersée en
différens exils. Elle fit demander au gouverneur à Québec s'il
n'aurait pas de terres à lui donner ; et celui-ci fut réduit à éluder
cette question d'un peuple qui méritait à un si haut degré la bien-
veillance de la France.
Les vives instances de M. de Beauharnais ne restèrent pas
cependant tou< à fait sans effet. M. de Maurepas dirigea les
préparatifs d'un armement comme on n'en avait pas encore mis
sur pied pour l'Amérique. Le secret de sa destination fut tenu
caché avec le plus grand soin. Le duc d'Anville, homme de
mer dans le courage et l'habileté duquel on avait la plus grande
confiance, fut choisi pour le commander. Il était de la maison
de la Rochefoucault, et savait allier, dit Voltaire, à la bravoure
cette politesse et cette douceur de mœurs que les Français seuls
conservent dans la rudesse attachée au service maritime. Bigot,
dont le nom devait être associé à tous les malheurs des Français
dans ce continent, fut nommé intendant de la flotte, par son pro-
tecteur le ministre de la marine. Jamais entreprise n'avait été
combinée avec tant de sagesse et de prudence ; tjus les événe-
mens possibles semblaient avoir été prévus. La flotte consistait
en onze vaisseaux de ligne et trente autres plus petits bltim'"ns et
"^^IffliStA,,
174.
HISTOIRE DU CANADA.
I
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transports, portant 3,000 hommes de débarquement sous les
ordres de M. de Pomraeril, maréchal de camp, lesquels devaient
être renforcés par 600 Canadiens et autant de Sauvages. Les
Canadiens s'embarquèrent à Québec dans les premiers jours de
juin.
Il n'y avait rien en Amérique capable de résister à cette force.
Le duc d'Anville avait ordre de reprendre et démanteler Louis-
bourg, enlever Annapolis et y laisser garnison, détruire Boston,
ravager les côtes de la Nouvelle-Angleterre, et enfin d'aller
inquiéter les colonies à sucre des Anglais dans le golfe mexicain.
Le résultat n'aurait pas été douteux sans une fatalité qui s'atta-
chait alors à toutes los entreprises françaises dans le Nouveau-
Monde, môme à celles qui semblaient les mieux combinées pour
en assurer le succès. Lorsqu'elles étaient au-dessus des efforts
des hommes, elles venaient périr sous les coups des élémens.
Chibouctou (Halifax) en Acadie était le lieu fixé pour le rendez-
vous de la flotte. La traversée calculée à six semaines fut de plus
de cent jours. Mais enfin on était à la vue du port et chacura
commençait à se livrer à ses espérances et à oublier les fatigues
d'une longue traversée, lorsqu'une tempête furieuse surprend les
vaisseaux et les disperse ; une partie est obligée de relâcher dans
les Antilles, une autre en France ; quelques transports périssent
sur l'île de Sable, et le reste, battu par les vents durant dix jours,
ne pénétre qu'avec peine dans le port qu'il avait été si près de
toucher, et dans lequel il entre maintenant avec une épidémie qui
vient d'éclater à bord avec une violence extrême. L'on se hâte
de débarquer les malades et d'établir des hôpitaux à terre. Les
vivres sont consommés, on en envoie chercher à de grandes dis-
tances. On espérait que des alimens frais, un air pur, allaient
apporter quelque soulagement aux hommes entassés dans les
entreponts et que fauchait la mort. Mais l'air de la terre semble
fournir un nouvel aliment aux ravages du fléau. La mort
emporte les soldats et les matelots \ r centaines ; en quelques
jours une grande partie des troi'.pes succombe. Pour comble de
malheurs la contagion se communique aux fidèles Abénaquis
venus pour joindre leurs armes à celles de leurs protecteurs, et en
fait périr le tiers. Un sombre désespoir s'empare alors de tout
le monde. L'on oe croit marqué par la fatalité. M. de Conflans
HISTOIRE DU CANADA.
175
qui avait été détaché de la flotte avec trois vaisseaux de ligne et
une frégate pour convoyer les bâtimens marchands qui s'en
allaient aux Iles, et qui avait reçu ordre de rallier 'M. d'Anville
à la hauteur des côtes de l'Acadie, ne parait point. Cet officier
du reste peu habile, avait atteint le lieu de ralliement avant d'An-
ville, et après avoir croisé quelque temps dans les eaux de la
péninsule, ne voyant rien arriver, il avait pris le parti de retourner
en France. Ainsi tout manquait ou périssait avant qu'on eût vu
l'ennemi. L'Amiral Townshend informé de ce qui se passait,
se tenait au loin dans un moment où il aurait pu anéantir sans
effort toute l'expédition française. Il resta immobile au Cap-Breton
avec son escadre, en attendant que la peste eût lâché ses malheu-
reux adversaires pour les attaquer à son tour.
Pendant ce temps là les lettres interceptées ayant annoncé à
ceux-ci l'arrivée de l'escadre anglaise, on tint un conseil de
guerre, où les opinions furent partagées sur ce qu'il y avait à faire.
Le duc d'Anville dont le caractère altier se révoltait sous le poids
d'aussi grands malheurs, mourut presque subitement. M. d'Es-
tournelle qui le remplaça dans le commandement, convoqua un
nouveau nseil et proposa d'abandonner l'entreprise pour retour-
ner en France. Cette proposition fut repoussée surtout par M.
de la Jonquière, troisième en grade. Le nouveau commandant
tomba alors dans une agitation extrême, la fièvre s'empara de lui,
et dans son délire il se perça de son épée. Ces scènes tragiques
rappelaient les désastres de la retraite des Grecs après la prise de
Troie.
L'on était rendu au 22 octobre, et depuis les quarante-deux
jours que l'on était à Chibouctou, 1,100 hommes étaient morts
et 2,400 depuis le départ de l'escadre de France. Sur 200
malades qui furent mis sur un navire pour l'Europe un seul
survécut malgré les plus grands soins dont ils furent tous entourés !
Tant de pertes ne purent encore abattre la détermination dea
chefs. Quoiqu'il ne restât plus que quatre vaisseaux de guerre,
on résolut d'aller assiéger Port-Royal ou Annapolis. On remit à
la voile ; mais une nouvelle tempête éclata sur ce débris de la
flotte devant le Cap de Sable, et l'obligea de faire route pour la
France. M. de Maurepas, en apprenant tant d'infortunes, fit
cette réponse pour consoler les officiers : " Quand les élémen»
176
HISTOIRE DU CANADA.
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commandent, ils peuvent bien diminuer la gloire des chefs ; mais
ils ne diminuent ni leurs travaux ni leur mérite."
Nous avons dit que 600 Canadiens et autant de Sauvages
devaient se joindre aux troupes que portait la flotte du duc d'An-
ville ; et que les premiers étaient partis de Québec sur sept bâti-
mens pour l'Acadie. Ce renfort, commandé par M. de Ramsay,
débarqua à Beaubassin dans la baie de Fondy, et fut très bien
accueilli par les habitans qu'il avait mission d'empêcher de com-
muniquer avec Port-Royal. Toute la population acadienne flot-
tait entre l'espérance et la crainte. Elle disait que si les projets
des Français ne réussissaient pas, elle serait perdue sans ressource
parcequ'elle avait refusé de prendre les armes pour ses nouveaux
maîtres. Mais lorsqu'elle reçut la nouvelle de l'arrivée du duc
d'Anville avec son puissant armement elle se crut sauvée, et fit
de grandes démonstrations de joie, démonstrations funestes qu'elle
devait pleurer dans un cruel exil et dans une dispersion plus
cruelle encore ! M. de Ramsay, après avoir attendu longtemps
en vain l'expédition aux Mines, se disposait à revenir en Canada,
sur les ordres de M. de Beauharnais, inquiet des grands prépa-
ratifs de l'ennemi du côté de la Nouvelle- York, et il s'était déjà
mis en route lorsqu'il fut rattrapé par un envoyé du duc d'An-
ville, qui le fit revenir sur ses pas avec 400 Canadiens. Il se
rapprocha de Port-Royal, qu'il tint bloqué par terre quoique la
garnison y fût de 6 à 700 hommes.
Tandis que la France projetait la reprise de l'Acadie, les
esprits étaient pleins d'enthousiasme dans les colonies anglaises
sur la prise de Louisbourg. Shirley poursuivant toujours son
but d'expulser entièrement les Français du continent, eu con-
férait avec le chevalier Peter Warren et le général Pepperrell, et
suggérait la conquête du Canada au ministère qui finit par l'agréer,
malgré les graves préoccupations que donnait alors la présence
du Prétendant au milieu de la Grande-Bretagne. Le duc de
New-Castle adressa une circulaire aux gouverneurs de toutes les
colonies pour leur recommander de lever autant d'hommes que
possible et de les tenir prêts à marcher au premier ordre. Le
plan du cabinet de St.-James était toujours d'attaquer le Canada
à la fois par terre et par mer. Le vice-amiral Warrer devait
faire voile d'Europe avec un corps de troupes commandé par le
HISTOIRE DU CANADA.
177
général St.-Clair, prendre en passant à Louisbourg les milices de
la Nouvelle-Angleterre et aller mettre le siège devant Québec.
Les levées de la Nouvelle- York et des autres provinces devaient
se rassembler à Albany et marcher sur le fort St.-Frédéric et
Montréal. On avait demandé 5,000 hommes aux colonies et
elles en votèrent plus de 8,000 tant leur ardeur était grande ;
mais ni flotte ni armée ne vinrent d'Angleterre, et les provinces
furent forcées d'ajourner une entreprise qui était devenue depuis
longtemps une idée fixe chez elles. Alors pour ne pas perdre
entièrement le fruit de leurs dépenses elles voulurent enlever le
fort St.-Frédéric, sur le lac Champlain, et M. Clinton, gouver-
neur de la Nouvelle- York, avait déjà réussi à engager les cinq
cantons à prendre les armes, lorsque l'on apprit l'apparition de
Eamsay à Beaubassin, et que les Acadiens, travaillés par ses
intrigues, menaçaient de se soulever. A cette nouvelle l'expédi-
tion de St.-Frédéric fut aussitôt abandonnée, et les troupes furent
dirigées en toute hâte vers l'Acadie pour couvrir Annapolis, dont
la reddition aurait entraîné la perte de toute la province.
Mais à peine ces troupes étaient-elles en route qu'une rumeur
d'une nature infiniment plus grave se répandit avec rapidité dans
toutes les possessions anglaises et y causa la plus grande alarme.
C'était la nouvelle de l'apparition de la flotte du duc d'Anville
sur les côtes de l'Acadie ; elle fut connue à Boston le 20 sep-
tembre. Le peuple, qui dans son triomphe croyait déjà tenir
tout le Canada dans ses mains, passa alors de l'exaltation à l'épou-
vante ; car l'armement des Français paraissait trop formidable
pour avoir seulement la reprise do Louisbourg et de l'Acadie
pour objet, et l'on devina facilement contre qui allaient être diri-
gés ses coups. On courut partout aux armes ; 6,400 hommes
de milices accoururent de l'intérieur au secours de Boston ; 6,000
autres se tinrent prêts dans le Connecticut à y marcher au pre-
mier ordre. Le gouverneur fut investi de pouvoirs illimités pour
fortifier le havre de la ville et renforcer les ouvrages de la cita-
delle, dont l'on fit une des plus fortes en Amérique. La plus
grande activité régnait partout pour repousser l'invasion ; mais
tant de préparatifs n'étaient pas nécessaires comme nous l'avons
vu. La fortune s'était chargée de changer le cours de l'orage.
Pendant ce temps-là Ramsay, était toujours devant Annapolis,
178
HISTOIRE DU CANADA.
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1:
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lie :
OÙ il avait fait une centaine de prisonniers. A la nouvelle
de la seconde dispersion de la flotte française, il dut songer à se
retirer. Il reprit le chemin de Beaubassin afin d'y établir ses
quartiers d'hiver, la saison étant trop avancée pour retourner en
Canada la même année. Shirley, inquiet de le voir si proche de
la capitale acadienne, envoya un nouveau corps de troupes du
Massachusetts, pour en renforcer la garnison qui avait déjà été
augmentée de trois compagnies de volontaires. Le gouverneur
d'Annapolis, M. Mascarène, demandait 1000 hommes pour
déloger les Français. Une partie seulement, environ 500, sous
les ordres du colonel Noble, lui fut donnée et alla prendre position
au Grand-Pré dans les Mines, à quelque distance de Beaubassin
et de Ramsay lui-même. Les deux corps se trouvaient en pré-
sence, mais séparés l'un de l'autre par la baie de Fondy. Dans
l'hiver les Français voulurent prévenir l'ennemi. Sur la propo-
sition de ses officiers, Ramsay donna 300 Canadiens et Sauvages
à M. Coulon pour aller surprendre le colonel Noble dans ses
quartiers. Pour l'atteindre il fallait faire le tour de la baie, et
parcourir au milieu des neiges et des bois un circuit de près de
soixante lieues. Sans s'effrayer de la distance ni de la saison, le
détachement se mit en marche la raquette au pied, et arriva
exténué de fatigue devant les cantonnemens anglais dans le mois
de février 1747. Le 11 au matin, après avoir pris un moment
de repos, sans donner à l'ennemi le temps de se reconnaître,
Coulon tomba sur lui avec une extrême vigueur, le surprit
d'abord, et en éprouva ensuite la plus grande résistance. Le feu
se prolongea avec vivacité jusqu'à trois heures de l'après-midi,
que la victoire se déclara enfin pour les Canadiens. Le colonel
Noble fut tué, plus du tiers de ses troupes mis hors de combat, et
le reste, ne pouvant fuir à cause de la profondeur de la neige,
s'étant réfugié au nombre de 300 dans une grande maison fortifiée,
dut se rendre par capitulation. Ce coup de main fit grand bruit
à Boston, et fut regardé en Angleterre comme l'un des plus auda-
cieux que l'on pût entrej .endrc, pour abattre un peu l'orgueil
des vainqueurs de Louisbourg.*
L'échec du Grand-Pré n'était pas le seul néanmoins qu'ils
• Gazette de Londres,
du Canada.
Documns de Paris. Chalmers Annals, Affaires
HISTOIRE DU CANADA.
179
éprouvaient depuis le commencement des hostilités. Leurs froa-
tiéres étaient cruellement dévastées par les bandes qui s'y suc-
cédaient avec une activité incessante depuis l'automne de 1745 ;
quelquefois il y en avait plusieurs à la ibis sur pied. Mais au
loin l'éclat de la conquête du Cap-Breton avait jeté dans
l'ombre ces petites expéditions, qui à la longue devaient harasser
cependant beaucoup l'ennemi. On en comptait jusqu'à vingt-
sept depuis le commencement de la guerre, c'est-à-dire depuis
trois ans. Le fort Massachusetts situé à cinq lieues au-dessus de
St.-Frédéric, avait été enlevé par capitulation par M. Rigaud de
Vaudreuil à la tète de 700 Canadiens et Sauvages, qui avaient
ensuite ravagé quinze lieues de pays et répandu la terreur jusque
dans la Nouvelle-Angleterre. La Corne de St.-Luc avait attaqué
le fort Clinton et complètement défait un détachement anglais
qu'il avait précipité à coups de hache dans une rivière. Saratoga
avait été pris et la population massacrée. Le fort Bridgeman,
attaqué par de Léry, était aussi tombé en son pouvoir, enfin les
frontières de Boston à Albany n'étaient plus tenables. Le? forts
avancés avaient été évacués et la population effrayée courait
chercher un refuge dans l'intérieur pour se soustraire à ces dévas-
tations meurtrières. Tel était l'état des choses en Amérique.
A Paris où aboutissaient les bonnes comme les mauvaises nou-
velles, le ministère français ne fut pas découragé par les désastres
de la flotte du duc d'Anville ; et malgré l'immense infériorité
numérique de la marine française comparée à la marine anglaise,
il résolut non-seulement de reprendre l'expédition que les élé-
mens et la peste avaient interrompue d'une manière si funeste
l'année précédente, mais encore d'envoyer un armement dans les
Indes pour soutenir les succès que M. de la Bourdonnaie venait
d'y remporter, en battant l'amiral Peyton et en enlevant Madras
sur la côte du Coromandel. En conséquence, deux escadres
furent équipées l'une à Brest et l'autre à Rochefo^ c ; celle dite du
Canada, la plus considérable des deux, fut mise sous les ordres
de l'amiral de la Jonquière, qui s'était opposé l'année précédente
au retour des débris de la flotte du duc d'Anville avant d'avoir
pris Port-Royal, et sur qui était retombé le commandement après
la mort de M. d'Estournelle ; celle des Indes fut donnée à M. de
St.-George. Les deux escadres réunies formaient six vaisseaux
180
HISTOIRE DU CANADA.
Ir#'
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de haut bord, six frégates et quatre navires armés en flûte par la
compagnie des Indes ; elles convoyaient une trentaine de bâti-
inens chargés de troupes, de provisions et de marchandises ; elles
devaient aller quelque temps de conserve.
L'Angleterre n'avait pas plutôt eu connaissance du dessein
des Français, qu'elle avait résolu de le faire échouer; et à cet
effet elle avait chargé les amiraux Anson ei Warren avec dix-
sept vaisseaux d'intercepter les deux escadres françaises et de les
détruire s'il était possible. Ils partirent de Portsmouth et les
rencontrèrent le 3 mai à la hauteur du Cap-Finistère en Espagne.
Aussitôt M. de la Jonquière ordonna aux vaisseaux de ligne de
ralentir leur marche et de se ranger en bataille, tandis que le
convoi devait forcer de voile vers sa destination sous la protection
des frégates. Ainsi les Français osèrent opposer leurs six vais-
seaux aux dix-sept des Anglais ; ils ne pouvaient guère espérer
de vaincre, ils voulaient seulement gagner du temps en arrêtant
l'ennemi. Le combat s'engagea et continua avec un acharnement
égal. Anson et Warren manœuvraient pour envelopper la Jon-
quière, et celui-ci pour les déjouer ; mais après des efforts long-
temps indécis les vaisseaux Français se trouvèrent complètement
cernés ; et, accablés sous le nombre, ils furent obligés l'un après
l'autre d'amener leur pavillon. Leur perte fut de 700 hommes.
Ce fut une affaire où les vaincus s'illustrèrent autant que les
vainqueurs. Anson envoya immédiatement à la poursuite du
convoi une partie de ses forces qui enleva neuf voiles. L'on
conduisit à Londres 22 charriots chargés de l'or, de l'argent et des
effets pris sur la flotte, dont la défaite priva la Nouvelle-France
d'un puissant secours. Le marquis de la Jonquière avait mon-
tré beaucoup de talent dans le combat. Le capitaine du vais-
seau le Windsor s'exprimait ainsi dans sa lettre sur cette
bataille : Je n'ai jamais vu une meilleure conduite que celle du
commandant français, et pour dire la vérité, tous les officiers de
cette 7iation ont mx)7viré un grand courage ; aucun d'eux ne s^est
reftdu que quatid il lui a été absolument impossible de tnanœu-
vrer. En effet, jamais à aucune époque la marine française n'eut
des officiers plus habiles ni plus braves ; ils faisaient partout des
prodiges de valeur qui étaient souvent couronnés de succès ; et
lorsqu'ils succombaient, c'était sous la grande supériorité numé-
w;
^
HISTOIRE DU CANADA.
181
rlque de leurs adversaires ; ce qui a fait dire à un historien
anglais que dans cette guerre l'Angleterre dut plutôt ses victoires
maritimes au nombre de ses vaisseaux qu'à son courage.
Il semblait, observe Voltaire à cette occasion, que les Anglais
dussent faire de plus grandes entreprises maritimes. Ils avaient
alors six vaisseaux de 100 pièces de canon, treize de 90, quinze
de 80, vingt-six de 70, trente-trois de 60. Il y en avait trente-
sept de 50 à 54 ; et au-dessous de cette forme, depuis les frégates
de 40 canons jusqu'aux moindres, on en comptait jusqu'à 115.
Ils avaient encore quatorze galiotes à bombes et six brûlots.
C'était en tout deux cent soixante-et-trois vaisseaux de guerre,
indépendamment des corsaires et des vaisseaux de transport.
Cette marine avait le fond de quarante mille matelots. Jamais
aucune nation n'avait eu de pareilles forces. Tous ces vaisseaux
ne pouvaient être armés à la fois, il s'en fallait beaucoup. Le
nombre des soldats était trop disproportionné ; mais enfin en 1747,
les Anglais avaient à la fois une flotte dans les mers d'Ecosse et
d'Irlande, une à Spithead, une aux Indes orientales, une vers la
Jamaïque, une à Antigoa, et ils en armaient de nouvelles selon le
besoin.
Il fallait que la France luttât pendant tout ce temps là avec envi-
ron trente-cinq vaisseaux. Le résultat ne pouvait être longtemps
douteux. Il devenait plus difficile de jour en jour de soutenir les
colonies. Si on ne leur envoyait pas de gros convois, elles
demeuraient sans secours à la merci des flottes anglaises. Si les
convois partaient ou de France ou des Iles, ils couraient risque
d'être pris avec leurs escortes.
Après la bataille sous le Cap-Finistère, il ne restait plus aux
Français sur l'Atlantique que sept vaisseaux de guerre. Ils
furent donnés à M. de l'Estanduère pour escorter les flottes mar-
chandes aux Iles de l'Amérique, et furent rencontrés près de
Belle-Isle par l'amiral Hawke qui en avait quatorze. Le combat,
comme au Cap-Finistère, fut long et sanglant, mais les guerriers
français étaient réduits à ne plus combattre que pour l'honneur.
Deux vaisseaux seulement, le Tonnant et l'Intrépide, sortirent de
cette nouvelle lutte et rentrèrent à Brest comme des monceaux
floltans de ruines ; mais un convoi de 250 voiles avait été sauvé.
Le premier était monté par l'amiral lui-même ; le second, par
" fil
7^
1
182
HISTOIRE DU CANADA.
I' . 4-
un Canadien, le comte de Vaudreuil. Ce combat est célèbre
dans les annales de la marine française pour la résistance
qu'offrit le Tonnant, attaqué quelque temps par la ligne entière
des Anglais: fatigués de leurs elîbrts, ceux-ci le considérant
comme une proie qui ne pouvait les fuir, le laissent respirer un
moment ; puis trompés dans leur attente, ils recommencent un
combat aussi inutile que le premier. Il parvint à leur échapper
remorqué par l'Intrépide qui avait soutenu une pareille lutte, qui
était venu partager ses dangers, et qui eut également part à sa
gloire. L'amiral anglais fut accusé devant une cour martiale
pour n'en avoir pas fait la conquête. Dans ce temps-là, la
Grande-Bretagne, piquée de l'audace de ses ennemis, faisait passer
ses amiraux par les armes s'ils montraient la moindre faiblesse.
La France ne resta plus alors qu'avec deux vaisseaux de
giierre. " L'on reconnut dans toute son étendue la faute du car-
dinal de Fleuri d'avoir négligé la marine, indispensable pour les
peuples qui veulent avoir des colonies. Cette faute était difficile
à réparer. Elle était, comme l'événement l'a prouvé, irrépa-
rable pour la France. La marine est un art et un grand art, qui
demande une longue expérience." L'Angleterre le savait et elle
se hâta de prendre le reste des possessions françaises dans l'Amé-
rique du nord, avant de donner le temps à son ancienne rivale de
rétablir ses flottes. La perte du Canada est imputable en partie
à cette erreur, qui priva la mère-patrie des moyens de le secourir
lorsqu'il eut besoin de son assistance.
Le marquis de la Jonquière devait relever M. de Beauharnais
dans le gouvernement de la Nouvelle-France ; sa commission
était datée de 1746, et il avait ordre après la campagne du duc
d'Anville, de se rendre à Québec. Fait prisonnier à la bataille
du Cap-Finistère, il eut pour remplaçant durant sa captivité, le
comte de la Galissonnière ; et en 1748 le roi donna pour succes-
seur à M. Hocquart, intendant. Bigot, l'ancien commissaire-
ordonnateur de Louisbourg, étendant en même temps sa juridic-
tion sur toute la Nouvelle-France et sur toute la Louisiane.
Toutefois si la France était malheureuse sur mer, elle obtenait
de grands triomphes sur le continent de l'Europe. Les victoires
du maréchal de Saxe, qui venait encore de gagner la fameuse
bataille de Laufeld sur le duc de Curaberland (1747), avaient
lia
T
HISTOIRE DU CANADA.
183
enfin déterminé les alliés à faire la paix, désirée vivement par
tous les peuples las d'une lutte sanglante et ingrate. Dès le
milieu de l'été le duc de Nevv-Castle avait envoyé aux colonies
anglaises l'ordre de licencier leurs troupes, levées d'abord pour
envahir le Canada, retenues ensuite pour s'opposer à l'invasion
du duc d'Anville, et enfin renvoyées dans leurs cantons par la
cessation des hostilités. En Canada on ne s'attendait pas à poser
sitôt les armes. L'annonce de l'envoi d'un armement considé-
rable sous le commandement de M. de la Jonquiôre, faisait croire
au contraire que l'issue de la guerre était encore éloignée. L'on
pensait même que l'ennemi allait renouveler cette année son pro-
jet d'invasion, et les habitans des compagnes avaient reçu ordre,
par précaution, de se retirer dans l'intérieur des terres à son
approche, et ceux de l'île d'Orléans d'évacuer l'île. En même
temps, sur le bruit qui s'était répandu que le fort St.-Frédéric
allait être attaqué, le major des Trois-Rivières y avait marché
avec 1200 hommes, à la tête desquels il était al'é défaire dans le
voisinage même d' Albany, un cor de troupes anglaises qu'il avait
littéralement anéanties, quelques hommes seulement s'en étant
échappés avec peine. Ces partis de guerre se succédaient de
manière à ce qu'il y en eût toujours sur les terres de l'ennemi,
lorsque sur la fin de l'été les nouvelles apportées d'Europe par le
comte de la Galissonnière, qui arriva en septembre pour prendre
les rênes de l'administration, et le désarmement des colonies
américaines, ne laissèrent plus de doute sur la cessation prochaine
des hostilités. La paix fut signée à Aix-la-Chapelle en IT-iS.
Le marquis de St.-Sévérin, l'un des plénipotentiaires français,
avait déclaré qu'il venait accomplir les paroles de son maître,
" qui voulait faire la paix non en marchand mais en roi," paroles
qui, dans la bouche de Louis XV, renfermaient moins de grandeur
que d'imprévoyance et de légèreté. Il ne fit rien pour lui et fit
tout pour ses alliés. Il laissa avec une aveugle indifférence
la question des frontières sans solution en Amérique, se contentant
de stipuler qu'elle serait réglée par des commissaires. On avait
fait une première faute de ne pas préciser celles de l'Acadie en
1712 et 13, on en fit une seconde plus grande encore en 1748, en
abandonnant cette question aux chances d'un litige dangereux,
car les Anglais ne faisaient que gagner à cette temporisation.
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184.
HISTOIRE DU CANADA.
La destruction de la marine française dans la guerre qui venait
de finir, augmentait leurs espérances et leur désir d'être bientôt
maîtres de tout le nord du NouveaU'-Monde. Aussi le traité
d'Aix-la-Chapelle, l'un des plus déplorables, dit un auteur, que
la diplomatie française ait jamais acceptés, n'inspira aucune con-
fiance et ne procura qu'une paix armée. Le Cap-Breton fut
rendu à la France en retour de Madras, pris aux Indes par M.
de la Bourdonnaie, et des conquêtes des Français dans les pays
bas. Ainsi tout se trouva placé en Amérique sur le même pied
qu'avant la guerre, excepté, comme on l'a dit, que Louis XV
n'avait plus de marine pour y protéger ses possessions. La nou-
velle de la suspension des hostilités entre les puissances belligé-
rantes, arriva à Québec dans le même temps que celle du réta-
blissement de la tranquillité des pays d'en haut, qui avait été
momentanément troublée par une conspiration des Miâmis.
Les progrès des Européens inspiraient tous les jours d avantage
des soupçons et des craintes aux Indigènes de l'ouest, qui cher-
chaient à s'isoler de ces étrangers, à garder la neutralité, ou
même à les détruire s'il était possible. Depuis quelques années
ils se disaient tout bas : " la peau rouge ne doit pas se détruire
entre elle, laissons faire la peau blanche l'une contre l'autre."
Les Miàmis plus impatiens que les autres formèrent en 1747 le
complot de massacrer tous les habitans du Détroit. L'on remar-
quait en même temps une agitation sourde dans toutes les autres
nations des lacs, qui inquiétait et qui fit renforcer la garnison de
Michilimackinac. Les Miâmis devaient courir aux armes une
des fêtes de la Pentecôte. Heureusement une vieille femme fort
aitachée aux Français vint découvrir toute la trame au comman-
dant du Détroit, M. de Longueuil, qui prit immédiatement des
mesures pour la faire avorter ; elles suffirent pour en imposer
aux barbares. Il ne fut tué que quelques Français isolés. L'on
prit le fort des Miàmis dont ils avaient eux-mêmes brûlé une
partie avant de fuir, et le secours qui arriva peu après du bas St.-
Laurent, acheva de les intimider. Ils n'osèrent plus remuer et
la Nouvelle-France se trouva bientôt en paix sur toutes ses fron-
^ères.
CHAPITRE III.
COMMISSION DES FRONTIÈRES,
1718-1755.
La paix d'Aix-la-Chapelle n'est q'une trêve. — L'Angleterre profite de la
ruine de la marine française pour étendre les frontières de ses possessions
en Amérique. — M. de la Galissonnière, gouverneur du Canada. — Ses plans
pour empêcher les Anglais de s'étendre, adoptés par la cour. — Prétentions
de ces derniers. — Droit de découverte et de possession des Français. —
Politique de M. de la Galissonnière, la meilleure quant aux limites. — Emi-
gration des Acadiens : part qu'y prend ce gouverneur. — Il ordonne de
bâtir ou relever plusieurs forts dans l'Ouest ; garnison au Détroit ; fon-
dation d'Ogdensburgh (1749).— Le marquis de la Jonquière remplace M.
de la Galissonnière. — Projet que ce dernier propose à la cour pour peupler
le Canada. — Appréciations de la politique de son prédécesseur par M. de
la Jonquière ; le ministre lui enjoint de la suivre. — Le chevalier de la
Corne et le major Lawrence s'avancent vers l'isthme de l'Acadie et s'y
fortifient ; forts Beauséjour et Gaspareaux, Lawrence et des Mines.^
Lord Albemarle, ambassadeur britannique à Paris, se plaint des empiéte-
mens des Français (1750) ; réponse de M. de Puyzieulx. — La France se
plaint à son tour des hostilités des Anglais sur mer. — Etablissement des
Acadiens dans l'ile St.-Jean ; leur triste situation. — Fondation d'Hali<"ax
(1749). — Une commission est nommée pour régler la question des limites :
MM. de la Gallisonnière etde Silhouette pour la France ; MM. Shirley et
Mildmay pour la Grande-Bretagne. — Convention préliminaire : tout doit
rester dans le Statu quo jusqu'au jugement définitif. — Conférences à
Paris ; l'Angleterre réclame toute la rive méridionale du St.-Laurent
depuis le golfe jusqu'à Québec ; la France maintient que l'Acadie suivant
ses anciennes limites, se borne au territoire qui est à l'est d'une ligne tirée
dans la péninsule de l'entrée d? la baie de Fondy au Cap Canseau. — Notes
raisonnées à l'appui de ces prétentions diverses. — Les deux parties ne se
cèdent rien. — Afl^aire de l'Ohio ; intrigues des Anglais parmi les naturels
de cette contrée, et des Français dans les cinq cantons, — Traitans de la
Virginie arrêtés et envoyés en France. — Les deux nations envoyent des
troupes sur l'Ohi"^ et s'y fortifient. — Le gouverneur fait défense aux
Demoiselles Desauniers de faire la traite du castor au Sault-St .-Louis ;
difficulté que cela lui suscite avec les Jésuites, qui se plaignent de sa con-
duite à la cour, de la part qu'il prend lui et son secrétaire au commerce et
de son népotisme. — Il dédaigne de se justifier. — Il tombe malade et meurt
à Québec en 1752. — Son origine, sa vie, son caractère. — Le marquis de
Duquesne lui succède. — Aflfaire (!e l'Ohio continuée.— Le colonel Wash-
ington marche pour attaquer le fort Duquesne. — Mort de Jumonville. —
i'h r !
186
HISTOIRE DU CANADA.
Défaite de Washington par .M. de Villiers au fort de la Nécessité (1754)
Plan des Anglais pour l'invajion du Canada ; assemblée des gouverneurs
coloniaux à Albany. — Le général Braddock est envoyé par la Grande-
Bretagne en Amérique avec des troupes. — le baron Dieskau débarque
à Québec avec 4 bataillons [1755.] — Négociations des deux cours au sujet
de l'Ohio. — Note du duc de Mirepoix du 15 janvier 1755; réponse du
cab\nel de Londres. — Nouv allés propositions des ministres français ; l'An-
gleterre élève ses demandes. — Prise du Lys et de l'Alcide par l'amiral
Boscawen. — La France déclare la guerre à l'Angleterre.
La paix d'Aix-la-Chapelle ne fut qu'une trêve ; à peine les hos-
tilités cessèrent-elles en Amérique. Les colonies anglaises avaient
suivi avecle plus vif intérêt surtout la lutte sur l'Océan, et elles
avaient vu détruire avec joie les derniers débris de la flotte fran-
çaise dans le combat de Belle-lsle, où elle brilla d'un dernier
éclat. En effet la manne de France détruite, qu'allaient devenir
SOS possessions d'outre-mer, ce grand, ce beau système colonial,
qui lui assurait une si vaste portion du Nouveau-Monde et qui
lui coûtait peut-être moins cher que les caprices des maîtresses
royales.
Profitant de cette heureuse circonstance les colonies améri-
caines voulurent reculer aussitôt leurs frontières au loin. Il se
forma une société d'hommes influens de la Grande-Bretagne et
des colonies, pour occuper la vallée de l'Ohio, dans laquelle elle
obtint en 1749 une concession de 600,000 acres de terre. Ce
n'était pas la première fois que les Anglais enviaient cette fertile
et délicieuse contrée. Dès 1716, M. Spotsvi^ood, gouverneur de
la Virginie, avait proposé d'y acheter un territoire des Indigènes,
et de former une association pour y faire la traite ; mais le cabi-
net de Versailles s'y étant opposé, le projet avait été abandonné.*
Dans le même temps les journaux de Londres annonçaient qu'il
était question de porter jusqu'au fleuve St.-Laurent les établisse-
mens que l'on devait former du côté de l'Acadie, et on ne don-
nait aucunes bornes à d'autres que l'on projetait du côté de la
baie d'Hudson.f L'agitation qui régnait à cet égard ne faisait
que confirmer les Français dans leurs appréhensions d'un grand
mouvement agresseur de la part de leurs voisins. M. de la
Galissonnière surtout partageait ces craintes. C'était un homme
• Univfrsal History, vol. 40.
f Mémoire, etc., par M. de Choiseul.
HISTOIRE DU CANADA.
187
de mer distingué, et qui devait plus tard se rendre célèbre par sa
victoire devant l'île de Minorque sur l'amiral Byng. Il était
actif, éclairé, et donnait à l'étude des sciences le temps que ne
demandaient point ses fonctions publiques. Il ne gouverna le
Canada que deux ans, mais il donna dans ce court espace de
temps, une forte impulsion à l'administration et de bons conseils
à la cour, qui eussent peut-être conservé cette belle colonie à la
France s'ils avaient été suivis. En prenant les rênes du gouver-
nement, il voulut connaître le sol, le climat, les productions, la
population, le commerce et les ressources du pays. Il porta sur-
tout dès la première année son attention sur la question des fron-
tières qu'il n'était pas possible de laisser plus longtemps indécise.
Il promena longtemps ses regards sur la vaste étendue des pos-
sessions françaises, en étudia minutieusement les points forts et
faibles, sonda les projets de ses voisins, et finit par se convaincre
que l'isthme qui joint la péninsule acadienne au continent, à l'est,
et les Apalaches à l'ouest, étaient les deux seuls boulevards de
l'Amérique française ; que si l'on perdait l'un, les Anglais débor-
daient jusqu'au St.-Laurent et séparaient le Canada de la mer ;
que si l'on abandonnait l'autre, ils se répandaient jusqu'aux grands
lacs ei. à la vallée du Mississipi, isolaient le Canada de ce fleuve,
lui enlevaient l'alliance des Indiens et restreignaient les bornes de
ce pays au pied du lac Ontario. Ce résultat était inévitable sui-
vant lui, d'après le développement que les colonies anglaises pre-
naient tous les jours. Il écrivit au ministère que les établisse-
mens des Illinois avaient d'abord été trop prisés et qu'ils ne
l'étaient plus assez ; que quoiqu'ils ne produisissent rien il ne
fallait pas les abandonner, parce que c'était une des barrières les
mieux placées qu'on put opposer à l'ambition des Anglais pour
les empêcher de pénétrer dans l'intérieur ; que le pays bien établi
nous rendrait formidable du côté du Mississipi ; que si dans la
guerre présente on avait eu quatre à cinq cents hommes armés
chez les Illinois, non seulement on n'y aurait pas été inquiété,
mais on aurait mené jusque dans le cœur des établisscmens de
l'ennemi ces mêmes nations qui nous insultaient si souvent ; enfin
que l'on ne devait pas se flatter que le Canada et la Louisiane
pussent jamais marcher de pair avec les provinces anglaises
d'après la population qu'elles avaient déjà.
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188
HlfiTOIRE DU CJtolUfADA.
On a beaucoup blâmé la France de la position qu'elle osa
prendre dans la question des frontières ; elle a môme été accusée
par les siena d'ambition et de vivacité. Voltaire va jusqu'à dire
qu'une pareille dispute, élevée entre de simples commerçans,
aurait été appaisée en deux heures par des arbitres; mais
qu'entre des couronnes il suffit de l'ambition et de l'humeur d'un
simple commissaire pour bouleverser vingt états, comme si la pos-
session d'un territoire assez spacieux pour former trois ou quatre
empires comme la France, comme si l'avenir de ces magnifiques
contrées, couvertes aujourd'hui déjà de millions d'habitans, avait
à peine mérité l'attention du cabinet de Versailles. Par cela seul
que la Grande-Bretagne montrait tant de persistance, ne devait-on
pas être au moins sur ses gardes 1 Le mouvement que l'on se
donnait en Angleterre et dans ses colonies, l'éclat des prépara-
tifs que l'on faisait, et l'importance des projets qu'ils annonçaient
n'étaient-ils pas de nature à exciter l'attention du Canada et de
la cour? Mais ce n'est qu'en Canada qu'on paraissait avoir une
inquiétude sérieuse.
Le cabinet de St.-James s'était abstenu jusqu'alors de formuler
ses prétentions d'une manière précise et définie ; i' ne les avait
fait connaître que par son action négative, c'est-à-dire qu'il n'avan-
çait directement rien lui-même, mais qu'il contestait tout aux
Français comme on l'a vu lorsque ceux-ci voulurent s'établir à
Niagara et à la Pointe à la. Chevelure, et continuer leur séjour au
milieu des Abénaquis après le traité d'Utrecht. Tandis qu'il
déclarait à ces Sauvages que tout le pays appartenait à la Grande-
Bretagne depuis la Nouvelle- Angleterre jusqu'au golfe St.-Laurent,
il gardait le silence vis-à-vis de la France sur cette prétention
qu'il devait cependant faire valoir plus tard.* Du côté de l'ouest
son silence avait éié encore plus expressif, ou plut'»t il avait
reconnu la nullité de son droit en refusant de sanctionner la for-
mation d'une compagnie de l'Ohio en 1716. Mais les choses
avaient bien changé depuis. Le traité d'Utrecht lui donnait
• 11 est singulier que le Conseil Privé recevait du Bureau des colonies et
plantations en 1713, et par conséquent avani, le traité précité, un rapport
dans lequel on disait, " que le Cap-Breton avait toujours fait partie cl^ l'Â-
cadie, et que la Nouvelle-Ecosse comprenait toute l'Âcadie bornée par la
rivière Ste. -Croix, le St.-Laurent et la ntier." Registres d'extraits des pro-
cès-verbaux du Board of colonies and plantations etc., déjà cités dans ce vol.
HISTOIKG DU CANADA.
189
l'Acadie ; il annonce que cette province s'étend d'une part depuis
la rivière Kénébec jusqu'à la mer, et de l'autre depuis la baie de
Fondy jusqu'au St-Laurent. Il maintient que le territoire entre
la rivière Kénébec et celle de Penobscot en se prolongeant en
arrière jusqu'à Québec et au St.-Laurent, lui a toujours appar-
tenu, et que les véritables bornes de la Nouvelle-Ecosse ou de
l'Acadie, suivant ses anciennes limites, sont lo. une ligne droite
tirée de l'embouchure de la rivière Penobscot au fleuve St.-Lau-
rent ; 2o, ce fleuve et le golfe St.-Laurent jusqu'à l'Océan au
sud-ouest du Cap-Breton ; 3o. l'Océan de ce point à l'embou-
chure du Penobscot. Il prétend même que le fleuve St.-Laurent
est la borne la plus naturelle et la plus véritable entre les posses-
sions des deux peuples. , i
Le pays ainsi réclamé en dehors de la péninsule acadienne
avait plus de trois fois l'étendue de la Nouvelle-Ecosse elle-même,
et commandait le golfe et l'embouchure du St.-Laurent. C'était
la porte du Canada, et la seule par où l'on pouvait y entrer de
l'Océan en hiver, c'est-à-dire pendant cinq mois de l'année.
Le territoire que l'Angleterre disputait aux Français au-delà
des Apalaches était encore beaucoup plus précieux pour l'avenir.
Le bassin de l'Ohio seul jusqu'à sa décharge dans le Mississipi,
n'a pas moins de deux cents lieues de longueur ; mais ce n'en
était là qu'une faible partie ; l'étendue réclamée n'était pas défi-
nie ; elle n'avait et ne pouvait avoir à proprement dire aucune
limite, c'était un droit occulte, qui devait entraîner avec lui la
possession des immenses contrées représentées sur les cartes entre
les lacs Ontario, Erié, Huron et Michigan, le haut Mississipi et
les Alléghanys, et qui forment maintenant les Etats de la Nou-
velle-York, de la Pennsylvanie, de l'Ohio, du Kentusky, de l'In-
diana, de l'Illinois et les territoires qui sont de chaque côté du
lac Michigan, entre les lacs Erié, Huron et le fleuve Mississipi.
Le Canada se serait trouvé séparé de la Louisiane par de longues
distances et complètement muti'é. Des murs de Québec et de
Montréal on aurait pu voir flotter le drapeau britannique sur la
rive droite du St.-Laurent. De pareils sacrifices équivalaient à
un abandon total de la Nouvelle-France.
En présence de ces prétentions annoncées à la possession des
pays découverts par les Français, et formant partie intégrante
z
190
HISTOIRE DU CANADA.
des territoires occupés par eux depuis un siècle et demi, qu'avait
à faire M. de la Galissonnière, sinon à maintenir les droits de sa
patrie 1 Tous les mouvemens qu'il ordonna sur nos frontières lui
auraient été dictés par la nécessité de sa situation, s'il n'avait pas
été d'ailleurs convaincu lui même de le-.ir à propos. Mais il y a
plus. L'article 9 du traité d'Aix-la-Chapelle stipulait positive-
ment que toutes choses seraient remises dans le même état
qu'elles étaient avant la guerre, et la Grande-Bretagne avait
envoyé deux otages à Versailles pour répondre de la remise de
Louisbourg dans l'île du Cap-Breton. Or la France avait toujours
occupé le pays jusqu'à l'isthme de la péninsule acadienne.
L'érection du fort St.-Jean et la possession du Cap-Breton immé-
diatement après le traité d'Utrecht étaient des actes publics,
patens, de cette occupation dont la légitimité semblait avoir été
reconnue par le silence que la cour de Londres avait gardé jus-
qu'après le traité qui venait de mettre fin à la guerre ; car ce ne
fut qu'alors que le gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, le colonel
Maicarène, voulût forcer les habitans de la rivière St.-Jean à prê-
ter serment de âdélité à l'Angleterre et s'approprier leur pays.*
Après ce que l'on vient de dire, M. de la Galissonnière n'ayant
point de discrétion à exercer, devait prendre des mesures pour
la conservation des droits de la France, et c'est ce qu'il fit. Il
envoya des troupes, et donna ses ordres pour repousser même
par la force les Anglais s'ils tentaient de sortir de la péninsule et
de s'étendre sur le continent ; il écrivit à M. Mascarène à la fois
pour se plaindre de sa conduite à l'égard des habitans de St.-Jean,
et pour l'engager à faire cesser les hostilités qui avaient continué
contre les Abénaquis,quoique ceux-ci eussent mis bas les armes
dès que le traité d'Aix-la-Chapelle avait été connu. Ces plaintes
donnèrent lieu à une série de lettres assez vives que s'écrivirent
le marquis de la Jonquière et M. Cornwallis, qui avaient rem-
placé, le premier, le comte de la Galissonnière, et le second, M.
Mascarène, en 1749.
Cependant jusque là le gouvernement français était dans son
droit. Mais M. de la Galissonnière avait formé un projet qu'il
communiqua à la cour, et qu'il réussit à lui faire adopter, qui
• Mémoire du duc de Chr iseu!, rniniatre de France. — Mémoire anonyme
«ur 1rs aflfajres du Canada.
.- J'ILJIJI -
HISTOIRE DU CANADA.
idi
ne pouvait être en aucune manière justifiable. C'était d'engager
les Afadiens à abandonner en rnasae la péninsule pour venir
s'établir sur la rive septentrionale de la baie de Fondy. Son but
était d'abord de cotivrir la frontière du Canada de ce côté par
une population dense et bien affectionnée, et ensuite de réunir
toute la poj. lation française sous le même drapeau. L'exécution
d'un semblable dessein aurait été chose difficile en tout temps,
dans Pfctut actuel des relations entre la France et l'Angle-
terre, elle avait le caractère d'un acte de déloyauté, parce que
c'était provoquer la désertion aux sujets d'une puissance amie ;
car quoique pour des motifs religieux les Acadiens refusassent de
prêter le serment du test, et se donnassent pour neutres, ils n'en
étaient pas moins aux yeux des signataires du traité d'Utrecht
des sujets britanniques. La cour affecta à ce projet d'émigration
une somme assez considérable, et les missionnaires français
répandus parmi les Acadiens, blessés dans leurs sentimens reli-
gieux par la soumission à un gouvernement protestant, et dans
leur amour propre national par K^ur sujétion à un joug étranger,
se prêtèrent volontiers aux vœux de leur ancienne patrie, en
quoi ils furent trop bien secondés par les Acadiens eux-mêmes,
entre lesquels st leurs vainqueurs aucune sympathie ne pouvait
s'établir. Les deux plus puissans motifs qui agissent sur le?,
hommes, la religion et la nationalité, secondaient les vues de M.
de la Galissoiinière. Le P. Germain à Port-Royal et l'abbé de
Laloutre à Beaubassin sont ceux qui entrèrent le plus avant dans
ce projet, et qui firent les plus grands efforts pour engager les
Acadiens à abandonner leurs terres qui formaient toute leur for-
tune. Lorsqu'il fallut quitter pour jamais le sol qui les avait vu
naître et qui renfermait les cendres de leurs pères, lorsque l'heure
vint de dire un dernier adieu aux lieux embellis par le charme
des souvenirs de l'enfance, le cœur manqua à ces malheureux qui
éclatèrent en sanglots ; mais ils devaient accomplir leur destinée,
et se soumettre, comme bientôt tous les autres Français de l'Amé-
rique, à la grande supériorité numérique de leurs rivaux. Cette
émigration commença en 1748.
Tandis que le gouverneur travaillait ainsi à élever à l'est une
barrière dans l'isthme de la Péninsule pour arrêter les Anglais, il
ne mettait pas moins d'activité à leur fermer l'entrée de la vallée
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192
HISTOIRE DU CANADA.
de l'Ohio dans l'ouest. Cette vallée comprise dans les lettres
patentes de 1712, pour l'établissement de la Louisiane, avait tou-
jours été fréquentée depuis pour passer de cîtte province en
Canada. Les traitans anglais s'y montrant toujours, M. de la
Galissonnière y envoya en 1748 M. Celeron de Bienville avec
300 hommes pour les expulser tout à fait, et prendre possession
du pays d'une manière solennelle. Bienville planta des poteaux
et enterra des plaques de plomb aux armes de France en diffé-
rens endroits de la contrée, après en avoir dressé procès-verbal
en présence des tribus, du pays, qui ne virent pas ces formalités
sans inquiétude et sans murmure. Les plus hardies s'expri-
mèrent même assez librement. Bienville écrivit en même temps
au gouverneur de la Pennsylvanie pour l'informer de sa mission
et le prier de défendre à l'avenir aux habitans de sa province
d'aller commercer au-delà des Apalaches, parcequ'il avait l'ex-
presse injonction de les arrêter et de confisquer leurs marchan-
dises s'ils y faisaient la traite. M. de la Galissonnière était alors
en correspondance active avec les gouverneurs de la Nouvelle-
Ecosse, du Massachusetts et de la Nouvelle- York ; il envoyait,
aussi une garnison au Détroit, faisait relever le fort de la baie des
Fuans, démantelé par Ligneris lors de son expédition contre les
Outagamis, ordonnait d'en bâtir un au milieu des Sioux, un
autre en pierre à Toronto, un troisième à la Présentatior (0gd3n-
uburgh), sur la rive droite du St.-Laurent entre Montréal et
Frontenac, afin d'être plus à portée dea Iroquois qu'il voulait
gagner entièrement à la France. Ces Sauvages avaient envoyé
à la fin de 1748 une grande députation en Canada pour protester
de nouveau qu'ils n'avulent cédé leurs terres à personne et qu'ils
voulaient conserver leur indépendance et vivre en paix avec les
deux nations. La milice n'avait pas échappé non plus à l'atten-
tion du gouverneur, et dès son arrivée dans le pays, il avait
envoyé le chevalier Péan pour en faire la revue paroisse par
paroisse, et en lever des rôles exacts. Elîe pouvait former alors
en tout une force de 10 à 12,000 hommes.
C'est au milieu de ces occupations, et des efforts qu'il faisait
«ans cesse pour donner quelqu'espèce de solidité aux frontières,
quM vit arriver à la fin du mois d'août 1749, le marquis de la
Jçnquiére venant le remplacer en vertu de sa commission de
HISTOIRE DU CANADA.
19S
1746. M. de la Galissonniùre lui communiqua tous les rensei-
gnemens qu'il avait pu recueillir sur les pays qui lui étaient con-
fiés, et lui fit part de ses plans et de ses vues sur tout ce qu'il
croyait nécessaire à leur sûreté et à leur conservation avec une
patriotique firanchise. De retour en France, il ne cessa point de
s'intéresser au Canada avec le même zèle et la même vigilance.
Il proposa au ministère d'y envoyer 10,000 paysans, pour peupler
les bords des lacs et le haut du St.-Laurent et du Mississipi. A
la f'ii de 1750, il lui adressa un nouveau mémoire dans lequel
après avoir traité de i'utilité des colonies et des objections contre la
conservation du Canada et de la Louisiane il observait que si la
paix paraissait avoir assoupi la jalousie des Anglais en Europe, cette
jalousie éclattait dans toute sa fi)rce en Amérique ; que si on n'y
opposait pas des barrières capables d'en arrêter les effets, l'Angle-
terre se mettrait en état d'envahir entièrement les colonies fran-
çaises au commencement de la première guerre; que c'était dans
cette vue qu'elle voulait s'assurer de toutes les avenues du
Canada ; que si le Canada ne prenait pas l'Acadie à la première
guerre, cette dernière province ferait tomber Louisbourg. Il
recommandait en conséquence de fortifier Québec et Montréal, et
de détruire Oswégo, d'empêcher les Anglais de s'établir sur
l'Ohio, même par la force ; et déclarah que tout devait être fait
pour augmenter et fortifier le Canada et la Louisiane, surtout pour
établir solidement les environs du fort St.-Frédéric, les postes de
Niagara, du Détroit ei, des Illinois ;• et que l'on devait y envoyer
beaucoup de monde afin de mettre ceux qui en avaient l'adminis-
tration en état de travailler en même temps aux différons établis-
semens proposés.
Ces plans de M. de la Galissonnière qu'on aurait exécutés avec
de l'énergie, parurent très hardis à son successeur, qui attendait
probablement peu de chose du gouvernement, et qui en consé-
quence ne crut pas devoir les suivre tous, particulièrement ceux qui
avaient rapport à l'Acadie, de peur de porter ombrage à l'Angle-
terre, attendu que des commissaires venaient d'être nommés pour
régler les différends qui existaient entre les deux nations. Sa
prudence fut taxée à Paris de timidité, et l'ordre lui fut transmis
de garder les pays dont la France avait toujours été en posses-
* Documens de Paris.
m
M
fié
HISTOIRE DU CANADA.
sion. Le chevalier do la Corne qui commandait sur cette fron-
tière, fut en môme temps chargé de choisir un endroit en-deçà de
la péninsule pour s'y fortifier et recevoir les Acadiens. Il choisit
d'abord Chédiac sur le golfe St.-Laurent, et abandonna ensuite
cet endroit parcequ'il était trop éloigné, et vint prendre position à
Chipodi entrp la baie Verte et la baie de Chignectou. M. Corn-
wallis, nouveau gouverneur de la Nouvelle-Ecosse, prétendant
que son gouvernement embrassait non-seulement la péninsule
acadienne, mais encore l'isthme et la côte septentrionale de la
baie de Fondy avec St.-Jean, envoya le major Lawrence au
printemps de 1750 avec 400 hommes pour en déloger les Fran-
çais et les Sauvages, ordonnant en môme temps d'intercepter les
vaisseaux qui apportoienl des vivres de Québec aux Acadiens
ré<^jgiés. A l'approche de Lawrence les habitans de Beaubassin,
encouragés par leur missionnaire, mirent eux-mômes le feu à leur
village et se retirèrent avec leurs femmes, leurs enfans et ce qu'ils
purent emporter de leurs effets, derrière la rivière qui se jette
dans la baie de Chignectou. Jamais on n'avait vu des colons
montrer un pareil dévouement à leur métropole. Le chevalier
de la Corne s'avança avec ses forces, et planta le drapeau français
sur la rive droite de cette rivière, déclarant au major Lawrence
qu'il avait ordre de lui en défendre le passage jusqu'à ce que la
question des limites fût décidée. Sur cette information celui-ci
se retira à Beaubassin et y éleva sur ses ruines encore ''umantes
un fort qui reçut son nom tandis qu'il en faisait commencer un
second aux Mines. Les Français firent construire de leur côté
le fort de Beauséjour sur la baie de Fondy, et celui de Gaspareaux
dans la baie Verte sur le golfe St.-Laurent ; on fortifia également
la rivière St.-Jean, et l'on resta ainsi en position l'arme au bras
en attendant le résultat des conférences de Paris.
En ce temps là lord Albemarle était ambassadeur auprès de la
cour de France. Par ordre du cabinet de Londres, il écrivit en
1750 au marquis de Puyzieulx pour se plaindre des empiétemens
des Français en Acadie. Ce dernier répondit au bout de
quelques jours, que Chipodi était sur le territoire du Canada
comme St.-Jean ; que la France en avait toujours été en posses-
sion , et que les habitans ayant été menacés par les Anglais, M.
de la Jonquière, n'ayant encore reçu aucun ordre de 6^, cour,
'•^s«.
HIMTOIRE DU CANADA.
19$
avait cru devoir envoyer des forces pour les protéger. Le 7
juillet, le môme ambassadeur représenta au marquis de Puyzieulx,
que les Français avaient pris possession de toute cette partie do
de la Nouvelle-Ecosse qui se trouvait depuis la rivière Chignec-
tou jusqu'à celle de St.-Jean ; qu'ils avaient brûlé Bcaubassin et
en avaient organisé les habitans en compagnies après leur avoir
donné des armes ; que le chevalier de la Corne s'était ainsi formé
un corps de 2,500 hommes y compris ses solJats ; qu'il avait fait
avec le P. de Laloutre, tantôt des promesses, tantôt des menaces
d'un massacre général aux habitans de l'Acadie pour les forcer
d'abandonner leur pays. Il protestait ensuite que le gouver-
neur Cornwallis n'avait jamais fait ni eu dessein de faire d'éta-
blissement hors des limites de la péninsule, et terminait par
demander que la conduite de M. de la Jonquière fut désavouée,
que ses troupes se retirassent, et que les dommages causés par
elles, fussent réparés. Sur ces accusations graves, l'ordre fut
donné d'écrire sans délai pour demander au gouverneur canadien,
des informations précises sur ce qui s'était passé. " S'il y avait
des Français, écrivit M. Rouillé, qui se fussent rendus coupables
des excès qui font l'objet de ces plaintes, ils mériteraient punition
et le roi en ferait un exemple." Au mois de septembre un
mémoire en réponse aux plaintes de l'Angleterre fut remis à lord
Albemarle, dans lequel on donnait la relation des mouvemens du
major Lawrence et du chevalier de la Corne avec leur entrevue,
relation qui est en substance à peu près conforme à ce qu'on a
rapporté plus haut. En 1751, ce fut le tour du cabinet de Ver-
sailles de se plaindre ; il représenta que les vaisseaux de guerre
anglais avaient pris jusque dans le fond du golfe St.-Laurent des
navires français, surtout ceux qui portaient des vivres pour les trou-
pes qui étaient stationnées le long de la baie de Fondy ; mais la
cour de Londres ne donnant aucune satisfaction, le marquis de la
Jonquière usa de représailles, et fit arrêter à l'Ile-Royale trois ou
quatre bâtimens anglais qui furent confisqués.
Cependant plus de 3000 habitans avaient déjà émigré de
l'Acadie dans l'île St.-Jean, dont l'étal)lissement avait été aban-
donné depuis l'insuccès de M. de St.-Pierre, et sur la terre ferme
le long de la baie de Fondy. Le manque de récolte et les casua-
lités de la guerre laissèrent tous ces malheureux en proie à une
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HISTOIRE DU CANADA..
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disette qui régna sans discontiniia'.ion jusqu'à la cession du
Canada, sans pouvoir arrêter le cours de l'émigration. L'arrivée à
Chibouctou d'environ 3,800 colons de la Grande-Bretagne, qui
fondèrent la v'Ile d'Halifax en 1749, senxblait au contraire avoir
confirn.é les A>;adif ns dans leur xiétermination ; ils se dirigeaient
partout, sur Québec, sur Madawaska, et dans tous les lieux qu'on
voulait bien leur indiquer, pourvu qu'ils ne fussent pas sous la
domination anglaise. Le gouvernement bitannique, dont cette
fuite extraordinaire accusait la modération et la justice, en
«prouva un profond ressentiment, dont les Acadiens qui étaient
restés dans la péninsule se ressentirent, et qui influa beaucoup
sur ses dispositions à la guerre. Tels étaient les èvéneménc
insignifians en apparence, qui fournirent dea prétextes pour faire
reprendre les arires dans les deux mondes.
Tant de difficultés avaient induit les deux cours à nommer la
commission à laquelle faisait allusion le traité d'Aix-la-Chapelle,
et qui fut saisie de la question des limites. C'est la France qui
avait pris l'initiative. Le bruit des préparatifs que l'on faisait en
Angleterre, surtout les débats qui avaient eu lieu dans le Parle-
ment au sujet d'un plan proposé par M. Obbs touchant la traite
de la Laie d'Hudson, dans lequel il paraissait vouloir étendre les
frontières très avant dans le Canada, avaient éveillé ses craintes ;
la cour de Versailles fit remettre par son chargé d'affaires, M.
Durand, à celle de Londres, au mois de juin 1749, un mémoire
ûans lequel elle exposait ses droits aux territoires en dispute, et
proposait de nommer des commissaires pour régler à l'amiable les
limites '.'es colonies respectives. Cette proposition fut acceptée •
'lù.tïB le mois de juillet suivant, et les commissaires nommés, MMt
Shirley et Mildmay de la part de l'Angleterre, et le comte de la
Galissonnière et M. de Silhouette de la part de la France, s'as-
semblèrent à Paris. Shirley comme la Galissonnière avait été
gouverneur en Amérique. Outre les limites de l'Acadie, ces
commissaires avaient encore d'autres intérêts à régler concernant
les îles Caraïbes, Ste.-Lurie, Dominique, St.-Vincent et Tabago,
dont les deux nations se disputaient la propriété.
Une des principales conditions de cette commission, c'est que
rien ne serait innové dans les pays sur le sort desquels elle devait
* Mémoire de la cour britannique du 24 juillet 1749.
HISTOIRE DU CANADA.
197
prononcer.* Les mouvemens du chevalier de la Corne et du
major Lawrence, la construction des forts qu'ils avaient ordonnée
dans l'isthme de l'Acadie, tout cela fut regardé par les deux cours
comme des violations de cette condition pour lesquelles elles se
demandèrent et se donnèrent réciproquement des explications,
en protestant chaque fois de leur désir sincère de conserver la
paix, et en s'assurant qu'elles allaient envoyer des ordres à leurs
gouverneurs de ne rien entreprendre, et de faire cesser toute
espèce d'hostilités. • >
Les commissaires exposèrent longuement les prétentions de
leurs pays respectifs. La Grande-Bretagne réclamait tout le
territoire situé entre le fleuve et le golfe St.-Laurent, l'Atlantique
et une ligne tirée de la rivière Kénébec à ce fleuve, en suivant
la parallèle du nord. La France ne lui laissait pas même la
péninsule acadienne toute entière, puisqu'elle en réclamait le
côté situé sur la hiie de Fondy, siuf la ville de Port-Royal cédée
nommément par le traité. Si l'on jette un moment les yeux sur
une carte géographique, ''on verra que les prétentions des deux
peuples étaient des plus opposées. Outre la Nouvelle-Ecosse
actuelle, les contrées que demandait l'Angleterre forment aujour-
d'hui la plus grande partie de l'Etat du Maine, tout le Nouveau-
Brunswick, une portion considérable du Bas-Canada, et le Cap-
Breton avec les îles adjacentes. Après renonciation de préten-
tions si opposées, l'on dut conserver peu d'espoir d'un ajustement
amical, et en eifet aucun compromis ne paraît avoir été offert.
Les deux puissances procédèrent à énumérer les titres sur les-
quels elles appuyaient leurs réclamations. L'on fouilla dans
l'histoire de l'Acadie et du Canada jusqu'à leur origine, l'on cita
une foule de documens, l'on apporta des preuves nombreuses de
part et d'autre ; chacun défendit sa cause avec adresse et habileté,
mais on ne put se convaincre et chaque cabinet resta à peu près
dans la position qu'il avait prise d'abord. Pendant cinq ans la
commission continua ainsi ses négociations à Paris tantôt animées,
tantôt languissantes ; mais il n'en résulta que trois volumes in
quarto de mémoires et de pièces justificatives, pour embrouiller
• Mémoire de M. de Choiseul contenant le précis des faits avec leurs pièces
justificatives pour servir de réponse aux obser cations envoyées par les ministre^
d',dngleterre, dans les cours de VEurope.
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I 'l;f
193
HISTOIRE DU CANADA.
1
les questions qu'elle était -hargée de régler, sans retarder un
moment la guerre lorsque ia Grande-Bretagne fut prête.
Cependant si les mouvemens qui menaçaient la paix avaient
cessé du côté de PAcadie pendant les négociations des commis-
saires, il n'en était pas ainsi dans la vallée de l'Ohio ; et tandis
que l'on croyait que la guerre, s'il y en avait une, surgirait de la
question des limites de l'Acadie, elle commençait, contre les pré-
visions de l'Europe, par les Virginiens au milieu des forêts situées
entre le Canada et la Louisiane.
M. de la Jonquiôre qui gouvernait la Nouvelle-France suivait,
d'après les ordres de sa cour, le plan que M. de la Galissonnière
avait tracé, pour empêcher les Anglais de pénétrer ; . le terri-
toire de l'Ohio. Mais malgré les protestations et les avertisse-
mens, la Pennsylvanie et le Maryland continuaient de donner des
passepoits à leurs traitans pour aller au delà des Apalaches, où
. ils excitaient les Indiens contre les Français, et leur distribuaient
des armes, des munitions et des présens. Trois y furent arrêtés
en 1750 et envoyés en France comme prisonniers. Par repré-
sailles les Anglais saisirent un pareil nombre de Français et les
emmenèrent au sud des Apalaches ; ce qui fut l'occasion d'une
correspondance entre le Canada et la Nouvelle- York, en 1751.
Pendant ce temps là la fermentation allait croissante parmi les
Sauvages de l'Ohio agités par toutes ces intrigues, et obligeait le
Canada, ou du moins lui fournissait le prétexte de faire marcher
des troupes de ce côté afin de les contenir.
Tandis que ces barbares étaient ainsi en proie aux inspirations
haineuses des Américains, les cinq cantons au contraire prêtaient
l'oreille à celles des Français, qui s'étaient encore rapprochés
d'eux un s'établissant à la Présentation ainsi que nous l'avons
rappoité. L'abbé Piquet, que M. Hocquart appelle V Apôtre des
Iroqums et les Anglais nomment le Jésuite de POuest, jouissait
d'une grande influence sur ces tribus. M. de la Joncaire, celui-
là même qui avait établi le poste de Niagara, fut chargé d'aller
résider au milieu d'elles. Le but des Anglais était d'engager les
naturels de l'Ohio à en chasser les Français, et celui de ces der-
niers d'engager les Iroquois à garder la neutralité en cas de guerre,
car ils ne pouvaient pas prétendre encore leur faire prendre les
armes contre leurs anciens alliés.
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HISTOIRK DU CANADA.
199
Ainsi tout ce qui se passait en Amérique et en Europe entre
les deux couronnes, laissait peu d'espérance d'une solution heu-
reuse de leurs difficultés. Il se publiait déjà des écrits en Angle-
terre dans lesquels on disait qu'il (allait s'emparer des colonie*)
françaises avant que la France eût relevé sa marine. Dès I75I,
et sur ses représentations, M. de la Jonquière recevait des muni-
tions de guerre, une augmentation des troupes de marine, et des
recrues pour remplacer les vieux soldats. H faisait renforcer la
garnison du Détroit, et envoyait M. de Villiers relever M. Ray-
mond qui commandait dans les régions des lacs, et qui mandait
que partout les nations méridionales se déclaraient pour les Anglais
et que tout était dans le plus grand désordre.
C'est au milieu de ces apprêts d'une guerre imminente et pro-
chaine que M. de la Jonquière atteignait le terme de sa carrière,
dont les derniers jours furent troublés par de pitoyables querelles
avec les Jésuites. Ces pères faisaient toujours la traite dans leur
mission du Sault-St.-Juouis, sous le nom des deux demoiselles
Desauniers, et envoyaient leur castor à Albany, par contrebande.
Cet exemple était imité par d'autres. Le directeur de la com-
pagnie des Indes se plaignait depuis longtemps de cette violation
des lois, contraire à son privilège, sans succès. A la fin M. de la
Jonquière, pressé d'intervenir, voulut le faire cesser et sur l'ordre
que le roi lui transmit pour couper court au mal, il fit fermer leur
comptoir du Sault-St.-Louis.
Ce gouverneur ne fut pas sans éprouver le ressentiment
de l'ordre puissant qu'il venait d'offenser. On écrivit contre lui
aux ministres, on l'accusa de s'être emparé du commerce des
pays d'en haut, de faire tyranniser les marchands par son secré-
taire, auquel il avait donné le trafic exclusif de l'eau-de-vie chez
les Indiens ; de donner les meilleurs postes à ceux qui entraient
en société avec lui ou avec ses favoris. Les traflquans qui
n'auraient pas osé prendre l'initiative, firent écho à ces accusations.
Tant de plaintes lui attirèrent les reproches de la cour. Dans sa
réponse il affecta de garder le silence fir les accusations, tandis
qu'il faisait un pompeux détail de ses services, insinuait que
l'Etat lui était encore redevable, malgré les honneurs et les
richesses dont il en avait été comblé, et demandait son rappel ;
mais intérieuremeat accablé de chagrin, ses blessures se rouvri-
l'^Nfâ
M .3
3. I'
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il
200
HISTOIRE SU CANADA.
rent et il expira à Québec le 17 mai 1752, à l'âge de 67 ans.
Il fut enterré dans l'église des Récollets à côté de MM. de Fron-
tenac et de Vaudreuil, deux de ses prédécesseurs.
Il était né dans la terre de la Jonquière en Languedoc en 1686,
d'une famille originaire de la Catalogne. Il avait combattu en
Espagne dans la guerre de la succession, avait assisté à la réduc-
tion des Cévennes, et à la défense de Toulon assiégé par le duc
de Savoie. Il avait aussi accompagné Duguay-Trouin à Rio-
Janeiro, et pris part au combat de l'amiral de Court contre l'ami-
ral Matthews en 174<4^. C'était un homme de grande taille, bien
fait de sa personne, d'un air imposant, d'un courage intrépide ;
mais il était, dit-on, peu instruit et il ternit ses grandes actions
par un défaut qu'on pardonne rarement à un fonctionnaire public,
l'avarice. Il avait amassé des sommes immenses dans ses
voyages ; il pouvait mépriser le commerce en Canada, et il ne le
fit point, ce qui empoisonna les dernières années de sa vie. Il
fit venir plusieurs de ses neveux de France pour les enrichir, et
n'ayant pu en faire nommer un, le capitaine De Bonne de Miselle,
adjudant général, il lui donna une seigneurie et lui accorda la
traite exclusive du Sault-Ste.-Marie. Quoiqu'il fût riche de plu-
sieurs millions, il se refusa pour ainsi dire le nécessaire jusqu'à
sa mort. On rapporte que dans sa dernière maladie, il fit ôter
des bougies qui avaient été placées près de son lit, et les fit rem-
placer par des chandelles de suif, disant " qu'elles coûtaient moins
cher et éclairaient aussi bien." Malgré ce défaut, la France
perdit beaucoup en le perdant ; car c'était un de ses marins les
plus habiles, doué de cette constance indomptable à la guerre
d'autant plus précieuse pour elle, qu'elle luttait alors avec des
forces inégales sur l'Océan. Le baron de Longueuil administra
pour la seconde fois par intérim, la colonie jusqu'à l'arrivée du
marquis Duquesne de Menneville en 1752. Ce nouveau gou-
verneur, recommandé au roi par M. de la Galissonnière, était
capitaine de vaisseau et de la maison du fameux amiral de
Louis XIV. Ses ordres portaient de suivre en tout la con-
duite de ses prédécesseurs, c'est-à-dire d'empêcher les Anglais
de passer les Apalaches et de sortir de la péninsule acadienne,
où ils avaient déjà quinze à seize cents hommes de troupes.
La guerre devenait de plus en plus imminente. La milice
HISTOIRE DU CANADA.
201
canadienne fut organisée et exercée ; on augmenta les forlifica-
tiong de Beauséjour; on achemina des troupes sur l'Ohio, où
Bigot voulait que l'on envoyât 2,000 hommes, et bâtit trois forts
avec plusieurs magasins d'entrepôt, précautions nécessaires suivant
lui pour assurer la possession de cette contrée. Les troupes se
mirent en route en 1753 sous les ordres de M. Péan. Les
Anglais en faisaient autant de leur côté. Les Indigènes sollicités
par les deux partis ne savaient que faire ; ils étaient surpris,
troublés de voir arriver de toutes parts des soldats, de l'artillerie,
des munitions de toute espèce, au milieu de leurs forêts jusque-là
silencieuses. Les forts de la Presqu'Isle et Machaux s'élevèrent
successivement du lac Erié en gagnant l'Ohio, jusqu'à ce que M.
Legardeur de St.-Pierre qui y commandait, fut notifié de se retirer
par le gouverneur de la Virginia,, qui acheminait de son côté des
troupes sur les Apalaches. M. de Contrecœur venant remplacer
St.-Pierre, s'avança sans tenir compte des avertissemens des
Anglais, avec cinq ou six cents hommes, fit évacuer un petit fort
élevé sur sa route par le capitaine Trent, et rendu sur les bords
de l'Ohio, commença le fort Duquesne en 1754". En même
temps l'ordre était donné à tous les commandans répandus dans
ces contrées de s'assurer des Sauvages par des présens ; on pla-
çait des détachemens de troupes aux forts Machault et de la
Presqu'Isle entre le fort Duquesne et le Détroit ; on mettait des
vaisseaux sur les chantiers des lacs Erié et Ontario pour le ser-
vice des transports, et le gouverneur de la Louisiane informé de
tout ce qui se passait, recevait instruction d'engager les Indiens
de son gouvernement à joindre leurs forces à celles qui étaient
sur l'Ohio.
C'est au milieu de tous ces préparatifs que M. de Contrecœur
reçut la nouvelle qu'un corps considérable de troupes anglaises
marchait à lui sous le commandement du colonel Washington.
Il chargea aussitôt M. de Jumonville d'aller à sa rencontre pour
lui déclarer qu'il était sur le territoire français et le sommer de se
retirer. Cet officier partit avec une escorte de 30 hommes, et
l'ordre de se tenir sur ses gardes de peur de surprise, tout étant
en confusion dans le pays et les Indigènes ne parlant plus que de
guerre ; il choisissait en conséquence ses campemens de nuit avec
précaution. Le 17 mai au soir il s'était retiré dans un vallon
Vi
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202
HISTOIRE DU CANADAt
profond et obscur, lorsque des Sauvages qui rôdaient le décou-
vrirent et en informèrent le colonel Washington, qui arrivait dans
le voisinage avec ses troupes. A cette nouvelle celui-ci marcha
tonte la nuit pour le surprendre et le lendemain l'attaqua préci-
pitamment nu point du jour, sans chercher à lui faire part de sa
mission. Jumonville fut tué avec neuf hommes de s' si ite. Les
Français prétendent que ce député fit signe qu'il étaii porteur
d'une lettre de son commandant ; que le feu cessa et que ce ne
fut qu'après que l'on eût commencé la lecture de la sommation que
les assaillans se remirent à tirer. Washington affirme de son côté
qu'il était à la tète de la marche, et qu'aussitôt que les Français
le virent, ils coururent à leurs armes sans appeler, ce qu'il aurait
dû entendre s'ils l'avaient fait. Il est probable qu'il y a du vrai
dans les deux versions ; mais que l'attaque fut si précipitée qu'on
ne put rien démêler. Washington n'avançait qu'en tremblant tant
il avait peur d'être surpris, et il voulait tout prévenir même en
courant le risque de combattre des fantômes. Ce n'est que de
cette manière qu'on peut expliquer pourquoi Washington avec
des forces si supérieures montra une si grande ardeur pour sur-
prendre Jumonville au point du jour comme si c'eût été un
ennemi fort à craindre î Au reste la mort de Jumonville n'amena
pas la guerre, car déjà elle était résolue, mais elle la précipita.
Washington continua son chemin et alla construire le fort palis-
sade de la Nécessité sur la rivière Monongahéla qui se jette dans
l'Ohio, où il attendait de nouvelles troupes pour aller attaquer le
fort Duquesne, lorsqu'il fut attaqué lui-même.
Contrecœur en apprenant la mori tragique de Jumonville avait
résolu de le venger sur le champ. Il donna 600 Canadiens et
100 Sauvages • à M. de Villiers, frère de la victime. Villiers en
arrivant dans le voisinage de Washington trouva encore quelques
cadavres du combat, et les Anglais au nombre de 400 rangés en
bataille dans la plaine pour le recevoir. A ses premiers mou-
vemens ils se replièrent sous leurs retranchemens garnis de 9
pièces de canon, où il fallut les attaquer au grand jour et à décou-
vert. Le feu fut extrêmement violent de part et d'autre pendant
quelque temps, mais les Canadiens combattaient avec tant d'ar-
deur qu'ils éteignirent celui des batteries anglaises avec leur seule
* Document de Paris.
■»' --;— -
HISTOIRE DU CANAD
203
mousquetterie, et après dix heures de lutte obligèrent les assié-
gés à capituler pour éviter un assaut. Les vainqueurs rasèrent
le fort, brisèrent les canons et se retirèrent d'un côté, tandis que
les Anglais sortant de la place commencèrent une retraite si pré-
cipitée de l'autre qu'ils abandonnèrent jusqu'à leur drapeau.
Tels sont les humbles exploits par lesquels le fulur conquérant
des libertés américaines commença sa carrière. La guerre parut
maintenant plus inévitable que jamais, quoique l'on parlât encore
de paix, La victoire de Villiers fut le premier acte de ce grand
drame de 29 ans, dans lequel la puissance française et anglaise
devait subir de si terribles échecs en Amérique.
Que faisait alors la commission des frontières à Paris ?
Tandis " que toutes les colonies anglaises, dit le duc de Choiseul,
se mettaient en mouvement pour exécuter le plan de l'invasion
générale du Canada, formé et arrêté à Londres, les commissaires
britanniques ne paraissaient s'occuper que du soin de concourir
avec ceux du roi à un plan de conciliation." Mais le duc de
Choiseul et les autres membres du ministère français, ne pou-
vaient être encore les dupes de cette politique. Ils avaient remar-
qué la persistance des Anglais à vouloir pénétrer dans la v .liée
de l'Ohio, et c'est en conséquence de cette persistance et de l'agi-
tation observée parmi les Sauvages, qu'ils avaient eux-mêmes
ordonné en 1742 et 3, d'y faire passer des forces et d'établir des
forts formant chaîne du lac Erié à cette rivière, et en 1754 de
rejeter le colonel Washington au-delà des Apalaches. La Grande-
Bretagne ne laissait plus ses commissaires à Paris que pour con-
server les apparences aux yeux de l'Europe et du gouvernement
français, dont la décrépitude ne permettait guère que de faibles
efforts pour résister à l'orage qui se formait. Le plus grand
sujet d'anxiété pour le cabinet de Versailles, était les finances.
Le trésor était vide. Déjà depuis plusieurs années il murmurait
contre les frais du Canada. Lorsqu'il fallût faire les préparatifs
de la guerre, il parla bien plus fort et éclata en plaintes ouvertes ;
chaque vaisseau apportait des reproches amers à l'intendant, sur
l'excès des dépenses ; mais peu ou point de soldats pour la
défense du pays, quoique la mort de Jumonville et la capitulation
de Washington fissent alors la plus grande sensation en Europe.
Le peuple français exclus par la nature de son gouvernement des
II
H
V V
204.
HISTotRE DU CANADA.
affaires publiquen, et qu'on berçait de l'espoir d'une longue conti-
nuation de paix, dut aussi se désabuser. Il fallait faire la guerre.
L'Angleterre avait envoyé dés l'année précédente l'ordre aux
gouverneurs de ses colonies, d'agir de concert pour leur comiTiune
et mutuelle défense. Ces gouverneurs s'assemblèrent au nombre
de sept à Albany et signèrent un traité de paix avec les Iroquois.
L'on dressa en même temps un projet d'union fédérale pour que
les avis, les trésors et les forces des diverses provinces fussent
employés dans une juste proportion contre l'ennemi commun.
Le gouvernement général de la confédération devait être admi-
nistré par un président nommé par la couronne, et par un grand
conseil choisi par les diverses assemblées coloniales. Le prési-
dent serait investi de l'autorité executive et posséderait le pouvoir
législatif concurremment avec le conseil. Il devait avoir le pou-
voir de faire la paix et la guerre avec les Sauvages, de lever des
troupes, fortifier les villes, imposer des taxes sous l'approba-
tion du roi, nommer les officiers civils et militaires. Mais ce
projet fut rejeté par toutes les parties pour des motifs différons;
par les colonies parcequ'il donnait trop d'autorité au président,
et par la couronne parcequ'il en donnait trop aux représentans du
peuple. Comme on l'a dit ailleurs, les guerres avec le Canada
tendaient continuellement à réunir les provinces anglaises en-
semble, et à en accoutumer insensiblement les peuples à regarder
le gouvernement fédéral comme le meilleur pour tous. Le pro-
jet de la convention ayant été rejeté, il fut résolu alors faute de
pouvoir central, de faire la guerre avec les troupes régulières de
la métropole, auxquelles les troupes coloniales serviraient d'auxi-
liaires ; et en même temps les colons votèrent des hommes et des
subsides aidés de l'Angleterre, qui fit mettre de grosses sommes à
leur disposition, et leur donna pour général le colonel Braddock,
qui avait servi avec distinction sous le duc de Cumberland dans
les guerres d'Europe.
Les instructions de cet officier contenaient un plan complet
d'opérations contre le Canada.' Une expédition devait mettre
la vallée de l'Ohio sous la puissance britannique après en avoir
chassé les Français. Les forts St.-Frédéric, sur le lac Cham-
• Instructions du général Braddock du 25 mars 1754. Lettres du colonel
Napier écrites par ordre du duc de Cumberland au général Braddock.
HISTOIRE DU CANADA.
plain, Niagara, au pied du lac Erié, et Beausèjour dans l'isthme
de l'Acadie, devaient être attaqués l'un après l'autre ou oimulta-
nément, selon les CTConstances. Les troupes régulières rassem-
blées en Irlande, s'embarquèrent sur une escadre commandée
par l'amiral Keppel, chargé de seconder sur mer les efforts que
l'on allait faire sur terre. Braddock tint en arrivant une confé-
rence en Virginie avec tous les gouvernevs de province, où il
fut arrêté qu'il marcherait lui-même avec les troupes régulières
pour prendre le fort Duquesne ; que le gouverneur Shirley atta-
querait le fort Niagara avec les troupes provinciales ; qu'un autre
corps, tiré des provinces du nord et commandé par le colonel
Johnson, tomberait sur le fort St.-Frédéric, enfin que le colo-
nel Monckton avec les milices du Massachusetts prendrait Beau-
séjour et Gaspareaux. Ces arrangemens arrêtés on ne songea
plus qu'à surprendre le Canada en précipitant l'invasion.
Quoiqu'on eût encore écrit de Paris que les vues que l'Angle-
terre avait fait paraître jusoue-là pour le maintien de la paix ne
permissent pas même de croire qu'elle eût autorisé les mouve-
mens qui faisaient tant de bruit du côté de l'Ohio, et qu'il y eût
encore moins d'apparence qu'elle en eut ordonné de semblable
sur les autres frontières, on n'était pas resté inactif en présence des
préparatifs des Anglais parmi lesquels, depuis longtemps, le lan-
gage des journaux et les discours prononcés dans les chambres,
faisaient assez connaître l'opinion publique, puissante alors comme
aujourd'hui sur le ministère de cette nation. Le gouvernement
rassembla une flotte à Brest sous le commandement du comte
Dubois de la Motthe, et y fit embarquer six bataillons de vieilles
troupes formant 3,000 hommes,* dont deux pour Louisbourg et
quatre pour le Canada. Le baron Dieskau, maréchal de camp,
qui s'était distingué sous le maréchal de Saxe, les commandait.
Il avait pour colonel d'infanterie M. de Rostaing, et pour aide-
major le chevalier de Montreuil. Le marquis de Duquesne
demanda son rappel pour rentrer dans le service de la marine.
Son départ ne causa aucun regret, quoiqu'il eût conduit assez
heureusement les affaires publiques, et pourvu avec sagesse à tous
les besoins de la colonie ; son caractère altier et hautain l'avait
empêché de devenir populaire, défaut encore plus sensible en
Correspondance officielle.
B'
î
206
HISTOIRE DU CANADA.
Amérique qu'en Europe, attendu l'égalité plus grande des rangs.
Avant de partir il avait voulu rallier à la France dans un conseil
secret tenu à Montréal, les Iroquois qui cherchaient toujours à
conserver leur indépendance entre les deux nations. « Nous
avons méconnu, leur dit le gouverneur, votre sang quand nous
avons appris que dans des conseils secrets en présence de sept
gouverneurs, vous avez trahi la cause du roi de France en vous
laissant entraîner par les mauvais avis des Anglais, pour vous
défaire en leur faveur de la Belle-Rivière, malgré le temps con-
sidérable qu'il y a que la France en est en possession. Ignorez-
vous quelle différence il y a entre le roi de France et l'Anglais ;
allez voir les forts que le roi a établis, et vous y verrez que la
terre sous ses murs est encore un lieu de chasse, ne s'étant placé
dans les endroits que nous fréquentons que pour vous y faciliter
vos besoins. L'Anglais au contraire n'est pas plutôt en posses-
sion d'une terre que le gibier est forcé de déserter, les bois tom-
bent devant eux, la terre se découvre et vous ne trouvez à peine
chez eux de quoi vous mettre la nuit à l'abri."
Le marquis de Duquesne avait jugé là en peu de mots la
marche des deux colonisations. Son successeur fut le marquis
de Vaudreuil de Cavagnac, gouverneur de la Louisiane, qui
débarqua à Québec au commencement de l'été, suivi quelques
jours après de l'intendant Bigot, qui venait de donner à Paris des
éclaircissemens sur la situation financiaire du Canada. Ce gou-
verneur, troisième fils du marquis de Vaudreuil, successeur de
M. de Callières au cou mencement du siècle, fut reçu avec de
grandes démonstrations de joie par les Canadiens, qui le regar-
daient comme leur compatriote et qui avaient fait demander au
roi de le placer à la tête de leur gouvernement. Ils accoururent
au devant de lui dans l'espérance qu'il allait faire succéder à une
situation incertaine ces jours fortunés que leur rappelait le gou-
vernement de son père.
La flotte anglaise qui portait le général Braddock 6^ ses troupes,
partie au commencement de janvier 1755 de Cork, arriva à
Williamsburgh en Virginie le 20 février. L'amiral Dubois de la
Motthe ne fit voile de firest qu'à la fin d'avril, ou trois mois
après Braddock, avec les renforts, les munitions et le matériel de
guerre destinés pour le Canada. Ici il est nécessaire de noter
HISTOIRE DU CANADA.
207
les dates. Le gouvernement de Londres résolut de faire inter-
cepter cette escadre par l'amiral Boscawen, qui fit voile de Ply-
mouth le 27 avril.
Dans le temps même où ces mouve.nens avaient lieu, la diplo-
matie chercha à se ressaisir d'une affaire qui devait être évidem-
ment décidée à coups de canon. Le 15 janvier l'ambassadeur
français. M. le duc de Mirepoix, avait remis une note à la cour
de Londres proposant de défendre toute hostilité entre les deux
nations; que les choses, quant au territoire de l'Ohio, fussent
mises dans l'état où elles étaient avant la dernière guerre ; quo
les prétentions respectives sur ce terrain, fussent à l'amiable défé-
rées à la commission, et que pour dissiper toute impression
d'inquiétude, cette cour s'expliquât sur la destination et les motifs
de l'armement qui s'était fait en Irlande.
Le cabinet de Londres répondit le 22 du même mois en
demandant que la possession du territoire de l'Ohio, ainsi que de
tous autres, fût, au préalable, remise dans le même état où elle
était avant le traité d'Utrecht, ce qui était avancer de nouvelles
prétentions et reculer du traité d'Aix-la-Chapelle au traité
d'Utrecht ; que pour ce qui était de l'armement, la défense des
droits et des possessions de l'Angleterre était le seul but de celui
qui avait été envoyé en Amérique, et que ce n'était pas pour
offenser quelque puissance que ce fût, ni rien faire qui pût don-
ner atteinte à la paix générale qu'elle l'avait fait. Le duc de
Mirepoix remit une réplique le 6 février, proposant que les deux
rois ordonnassent aux gouverneurs respectifs de s'abstenir de
toute voie de fait et de toute nouvelle entreprise ; que les choses
fussent remises dans l'état où elles étaient ou devaient être avant
la dernière guerre dans toute l'étendue de l'Amérique septentrio-
nale, conformément au traité d'Aix-la-Chapelle, et que confor-
mément à ce même traité, l'Angleterre fit instruire la commission
établie à Paris de ses prétentions, et des fondemens sur lesquels
elle les appuyait.
Dans la suite la France modifia encore ses propositions, et
consentit à prendre pour règle provisionnelle l'état où se trouvaient
les choses après le traité d'Utrecht, c'est-à-dire que les deux nations
évacueraient tout le pays situé entre l'Ohio et les Apalaches. C'é-
tait revenir sur ses pas et acquiescer à la proposition du ministère
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208
HISTOmi DU CANADA.
anglais du 22 janvier ; elle n'avait aucun doute que ces conditions
ne fussent acceptées, d'autant plus que le cabinet de Lon Ires
venait d'assurer à M. de Mirepoix que les arinemens faits en
Irlande, et la flotte qui en était partie, avaient principalement
pour objet de maintenir la subordination et le bon ordre dans les
colonies anglaises. Mais ce cabinet, à l'aspect de la nouvelle
attitude de la France, mit en avant de nouvelles prétentions
comme s'il avait craint un arrangement, et le 7 mars il fit remet-
tre un nouveau projet par lequel il aurait été stipulé, lo. Que
l'on démolirait non seulement les forts situés entre les monts
Apalaches et l'Ohio, mais que l'on détruirait encore fous les éta-
blissemens situés entre l'Ohio et la rivière Ouabache ou de St.-
Jérome ; 2o. Que l'on raserait aussi le fort de Niagara et le
fort St.-Frédéric sur le lac Champlain ; et qu'à l'égard des lacs
Ontario, Erié et Champlain, ils n'appartiendraient à personne,
mais seraient également fréquentés par les sujets de l'une et
l'autre couronne, qui y pourraient librement commercer ; 3o.
Que l'on accorderait définitivement à l'Angleterre, outre la partie
contentieuse de la presqu'île au nord de l'Acadie, un espace de
vingt lieues du sud au nord, dans tout le pays qui s'étend depuis
la rivière de Pentagoët jusqu'au golfe St.-Laurent; 4<o. Enfin,
que toute la rive méridionale du fleuve St.-Laurent serait
déclarée n'appartenir à personne et demeurerait inhabitée.
A ces conditions, l'Angleterre voulait bien confier aux Com-
missaires des deux nations la décision du surplus de ses préten-
tions. C'était une véritable déclaration de guerre, car la cour de
Versailles ne pouvait accepter des conditions qui équivalaient à
la perte du Canada, et qui l'auraient déshonorée aux yeux du
monde entier. Aussi les accueillit-elle par un refus absolu.'
Les négociations se prolongèrent cependant, nourries par de nou-
velles propositions, jusqu'au mois de juillet, chaque partie pro-
testant qu'elle agissait avec candeur et confiance, et les ministres
• Le ministre écrivit alors au gouverneur du Canada : " Quoiqu'il en soit,
Sa Majesté est très résolue de soutenir ses droits et ses possessions contre des
prétentions si excessives et si injustes ; et quelque soit son amour pour la
paix, elle ne fera pour la conserver que les sacrifices qui pourront se conci-
lier avec la dignité de la couronne et la protection qu'elle doit à ses sujets"
[Documeni <U Paru}. La cour était de bonne foi dans ces paroles.
MISTOIRG OU CANADA.
sè#
de la Grande-Bretagne, sur l'inquiétude causée par la destination
de la flotte de l'amiral Boscawen, assurant à ceux de France que
certainement les Anglais ne commenceraient pas. Le duc de
New-Castle, le comte de Granville et le chevalier Robinson dirent
positivement à l'ambassadeur français qu'il était fau". que cet
amiral eût ('es ordres ofTensifs. Le gouverneur du Canada, qui
s'était embarqué sur un des vaisseaux de l'escadre de M. de la
Motthe, avait de son côté ordre du roi de n'en venir aune guerre
ouverte que quand les Anglais auraient effectivement commis des
hostilités caractérisées.»
Cependant l'amiral Boscawen, parti le 27 >"ril d'Angleterre,
arrivait sur les bancs de Terreneuve avec ses onze vrsseaux à
peu près dans le même ips que la flotte française de M. de la
Motthe, sans pouvoir la rencontrer ; mais quelques-uns des vais-
seaux de cette flotte s'en étant séparés depuis plusieurs jours,
tombèrent au milieu de l'escadre anglaise, qui enleva le Lys et
l'Alcide, sur lesquels se trouvaient plusieurs officiera du génie, et
huit compagnies de troupes formant partie des 3,000 hommes
envoyés en Amérique. M. de Choiseul rapporte que M. Hoc-
quait qui co;nmandait l'Alcide, se trouvant à portée de la voix
du Dunkerque de 60 canons, fit crier en Anglais : Sommes-nous
en paix ou en guerre ? On lui répondit nous n'entendons point ;
on répéta la même question en Français, môme réponse. M.
Hocquart la fit lui-même ; le capitaine anglais répondit par deux
fois la paix, la paix. D'autres questions s'échangeaient encore
lorsque le Dunkerque lâcha sa bordée à demi-portée de pistolet
tous ses canons étant chargés à deux boulets et à mitrailles.
Bientôt l'Alcide et le Lys furent cernés par les vaisseaux de
Boscawen et forcés de se rendre après avoir perdu beaucoup de
monde, et entre autres officiers, le colonel de Rostaing. La guerre,
dit M. Haliburton, quoique pas formellement déclarée, fut réelle-
ment commencée par cet événement ; mais en n'observant pas les
formalités ordinaires, l'Angleterre fut accusée de fraude et de
piraterie par les puissances neutres. Immédiatement après,
trois cents bâtimens marchands, parcourant les mers sur la foi des
traités, furent enlevés comme l'eussent été par des forbans des
navires sans défense. Cette perte fut immense pour la France,
* Pocumens de Paris.
■^
HISTOIRE DU CANADA.
qui, forcée à une guerre maritime, se vit ainsi privée de l'expé-
rience irréparable de cinq à six mille matelots.
La nouvelle de la prise du Lys et de l'Alcide arriva à Londres
le 15 juillet. Le duc de Mirepoix eut immédiatement une
entrevue avec les ministres anglais, qui attribuèrent ces hostilités
à un mal-entendu, et qui lui dirent que cet événement ne devait
point rompre la négociation. La France, accoutumée à compter
avec l'Europe, se voyait ainsi par la faiblesse de son gouverne-
ment, traitée comme une nation du second ou du troisième ordre.
La cour de Versailles, ne pouvant plus se faire illusion, rappela
son ambassadeur et 1^ guerre fut déclarée à la Grande-Bretagne.
1'!
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../:/
LIYEE NEUVIEME.
; CHAPITRE I.
GUERRE DE SEPT ANS.
1755-1 ",.
Situation des esprits en France et en Angleterre à l'époque la guerre de
Sept ans. — La France change sa politique extérieure en s'alliant à l'Au-
triche qui flatte madame de Pompadour, maîtresse de Louis XV. — Popu-
larité de la guerre dans la Grande-Bretagne et dans ses colonies; ses im-
menses armemens. — Extrême faiblesse numérique des forces du Ca-
nada.— Plan d'attaque et de défense de ce paya ; zèle des habitans. —
Premières opérations de la campagne. — Un corps de troupes, parti de
Boston, s'empare de Beauséjour et de toute la péninsule acadienne ; exil
et dispersion des Acadiens. — Le général Braddock marche sur le fort
Duquesne du côté du lac Erié ; M. de Beaujeu va au-devant de lui ; bataille
de la Monongahéla ; défaite complète des Anglais et mort de leur général.
— L'épouvante se répand dans leurs colonies, que les bandes canadiennes
et les sauvages attaquent sur divers points en commettant de grands ravages
et faisant beaucoup de prisonniers. — Armées anglaises destinées à atta-
quer Niagara au pied du lac Erié et St. Frédéric sur le lac Champlain. —
Le colonel Johnson se retranche à la tête du lac St. -Sacrement (George).
— Le général Dieskau attaque les retranchemens du colonel Johnson ; il
est repoussé et lui-même tombe blessé entre les mains de l'ehnemi. — Le
peuple des colonies anglaises murmure contre l'inactivité de Johnson après
cette bataille ; réponse de ce commandant. — Le général Shirley aban-
donne le dessein d'assiéger Niagara.— Résultat de la campagne. — Mau-
vaises récoltes en Canada; commencement de la disette. — Préparatifs de
l'Angleterre pour la prochaine campagne. — Exposition de l'état du Ca-
r.ada ; demande de secours à la France. — Le général Montcalm arrive à
Québec dans le printemps de 1756 avec des renforts, — Plan d'opérations
de la prochaine campagne. — Disproportion des forces des deux parties
belligérantes ; projets d'invasion des Anglais.
Nous avons dit que la France, à la nouvelle de la prise du Lys
et de l'Alcide, avait rappelé son ambassadeur de Londres et
déclaré la guerre à la Grande-Bretagne. Cette démarche, comme
on le verra plus tard, ne fut prise néanmoins qu'après un délai de
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212
HISTOIRE DU CANADA.
presqu'une année. L'indolent Louis XV ne pouvait se décider
à prendre sérieusement les armes.
Quelle était la situation de la France à cette époque 1 Les
principaux ministres étaient le comte d'Argenson pour la guerre,
M. Machault pour la marine et les colonies, M. Rouillé pour les
affaires étrangères, lequel fut remplacé c < 1757 par le comte de
Bernis, abbé et poëte ; mais c'était madame de Pompadour qui
gouvernait ; elle changeait les généraux et les ministres au gré de
ses caprices. Vingt-cinq ministres furent appelés au conseil
d'Eiat et renvoyés de 1756 à 1763. Ce corps variait sans cesse
dit Sismondi ; il n'avait ni unité ni accord, et chaque ministre
agissait indépendamment des autres. La nation, du reste, était
plus occupée de vaines disputes religieuses que des apprêts du
combat. Le parti moliniste, soutenu par les Jésuites, avait
recommencé la persécution contre les Jansénistes ; le parlement
voulut interposer son autorité pour la faire cesser, il fut dissous
et remplacé par une clianibre royale; le roi, fatigué à la fin
de ces chicanes oiseuses qui troublaient et affaiblissaient son
royaume, ordonna le silence et rétablit le parlement.
»* Au milieu de cette petite guerre, le philosophisme gagnait.
A la cour même il avait des partisans ; le roi, tout ennemi qu'il
était des idées nouvelles, avait sa petite imprimerie, et imprimait
lui même les théories économiques de son médecin Quesney, qui
proposait un impôt unique, portant sur la terre ; la noblesse et le
clergé, qui étaient les principaux propriétaires du sol, eussent
enfin contribué. Tous ces projets aboutissaient en vaines con-
versations, les vieilles corporations résistaient ; la royauté, caressée
par les philosophes qui auraient voulu l'armer contre le clergé,
éprouvait un vague effroi à l'aspect de leurs progrès." Tout,
enfin, était en mouvement dans les idées morales comme dan»
les idées politiques. Les opinions n'avaient plus d'harmonie, et
le gouvernement lui-même, honteux de suivre d'anciennes tradi-
tions, marchait au hasard dans une route nouvelle.
C'est ainsi que, par le fatal traité de Versailles de 1756, il
s'allie avec l'Autriche qu'il a toujours combattue, et se laisse
entraîner dans une guerre continentale par Marie-Thérèse qui,
voulant reprendre la Silésie au roi de Prusse, flatte adroitement
la marquise de Pompadour, avec qui elle entretient un commerce
11
MiSTOIRE DU CANADA.
213
de lettres, et qu'elle appelle ea chère amie. Au poids d'une lutte
maritime vint ainsi s'adjoindre celui d'une lutte sur terre, quoi-
que l'expérience eût enseigné depuis longtemps à la France
qu'elle devait éviter soigneusement cette alternative, et que
Machault s'efforçât de le faire comprendre à Louis XV ; mais la
favorite tenait à l'alliance avec l'impératrice-reine, le ministre de
la guerre et les courtisans, étrangers au service de mer, tenaient
à la gloire qui s'offrait à eux dans les armées de terre ; on oublia
la guerre avec l'Angleterre, la seule importante, la seule où l'on
eût été provoqué, et l'on dirigea ses principales forces vers le
nord de l'Europe, abandonnant presqu'à elles-mêmes les vastes
possessions de l'Amérique septentrionale.
De l'autre côté de la Manche, les choses xCi t point dans
cette situation qui annonce de loin une révolu. sociale. La
Grande-Bretagne jouissait de l'état le plus prospère auquel elle
fût encore parvenue ; ses colonies du Nouveau-Monde faisaient
des progrès immenses en toutes choses ; et là comme en Angle-
terre le peuple paraissait unanime et satisfait. Le gouvernement
assis sur les larges bases de la liberté, obéissait à l'opinion publi-
que, et, en suivant les instincts du pays, assurait pour ainsi dire
d'avance le succès de ses entreprises. Aucune guerre n'avait
été plus populaire chez les Anglais que celle qui allait commencer.
M. Fox, depuis lord HoUand, était à la tête des affaires. La
chambre des communes accorda un raiUion de louis pour aug-
menter les forces de terre et de mer; le gouvernement traita avec
le roi de Prusse, donna des subsides au roi de Pologne et à l'électeur
de Bavière pour s'en faire des alliés et contrebalancer la supé-
riorité des Français sur le continent européen, où il avait des
craintes pour la sûreté du Hanovre. L'enrôlement des matelots
fut poussé avec une vigueur extrême, et tel était l'enthousiasme
que presque toutes les villes un peu importantes se cotisèrent
pour augmenter la prime que l'on donnait aux soldats et aux
marins qui venaient offrir leurs services volontairement ; et qu'au
lieu d'un million que le gouvernement voulait lever au moyen
d'une loterie, trois millions 800 mille louis furent souscrits sur-le-
champ (Smollett).
La môme ardeur se faisait remarquer dans les colonies. La
population des belles provinces de l'Amérique du Nord s'élevait
J(£
*i
214*
HISTOIRE DU CANADA.
en 1755, suivant les calculs de Franklin, à un million 200 mille
âmes, tandis que le Canada, le Cap-Breton et la Louisiane en
comptaient à peine, réunis, 75 à 80 mille. La disproportion
était aussi grande dans le mouvement de leurs affaires mercantiles
et conséquemment dans leurs richesses. Leurs exportations
s'élevaient en 1753 à JE1,486,000 sterling, et leurs importations à
£983,000,» tandis que celles du Canada étaient de je68,000 seu-
lement ou 1,700,000 francs, et les importations de £208,000,
dont une forte partie étant pour le compte du gouvernement, ne
passait point par les mains des marchands du pays. Il n'est donc
pas étonnant qu'elles poussassent leur métropole avec tant d'ar-
deur à la guerre. Franklin, aussi habile politique que savant
physicien, était le principal organe de leurs griefs. Celui que
Paris, vingt-cinq ans après, vit appliqué à soulever l'opinion de
la France et de toute l'Europe contre l'Angleterre, celui que le
Canada vit venir pour révolutionner ses habitans en 1776, fut, en
1754, le promoteur de l'entreprise contre les possessions fran-
çaises dans le nord du Nouveau- Monde. Point de repos, disait-
il, poitit de repos à espérer pour nos treize colonies, tant que les
Français serant maîtres du Canada ! (Barbé-Marbois.)
Les forces armées des deux nations belligérantes durent pré-
senter en Amérique, et elles présentèrent en effet sur le champ
de bataille une différence non moins considérable durant tout le
cours de la guerre. Mais, par une sage prévoyance, la France,
donnant encore des signes de son ancienne supériorité dans la
conduite des affaires militaires, avait porté loin du centre du
Canada sa ligne défensive, de manière à obliger l'ennemi à divi-
ser ses forces. L'isthme étroit de l'Acadie, la vallée inconnue et
sauvage de l'Ohio, la gorge montagneuse du lac St.-Sacrement
(George), tels furent les théâtres épars choisis pour les opérations
de ses soldats, les champs de bataille séparés par de grandes dis-
tances où elle retint les nombreuses armées de l'ennemi pendant
cinq ans sans pouvoir être forcée, et où elle leur fit essuyer les
plus sanglantes défaites dont l'Amérique eût encore été témoin.
C'est donc à tort que des historiens ont blâmé le système défensif
adopté dans la guerre de Sept ans.
Les forces régulières du Canada, qui ne s'élevaient pas à 1000
* Encyclopédie Méthodique. — American Annals, .
HISTOIUE DU CANADA.
215
hommes, furent portées en 1755 à 2,800 soldats à peu près par
l'arrivée des quatre bataillons d'infanterie sous les ordres du géné-
ral Dieskau, qui avaient été demandés dans l'automne. Les
milices avaient été armées, et l'on continua d'en acheminer de
gros détachemens dans les postes de frontières, de sorte que l'on
eût bientôt tant en campagne et les garnisons intérieures que dans
les forts St.-Frédéric, Frontenac, Niagara, ceux de l'Ohio et de
l'isthme acadien, une armée de 7,000 hommes, sans compter plus
de 800 employés aux transports. Cette force était encore
bien insuffisante pour faire face à celle de l'ennemi, qui avait déjà
15,000 soldats sur pied, dont 3,000 pour l'expédition de Beausé-
jour, 2,200 pour celle du fort Duquesne, 1,500 pour l'attaque de
Niagara, et 5 à 6,000 pour le siège du fort St.-Frédéric, quatre
entreprises qu'il voulait exécuter simultanément.
Si le travail secret qui se faisait dans la société en France para-
lysait l'énergie de la nation et du gouvernement, en Canada les
habitans, livrés a l'agriculture et à la traite des pelleteries, ne por-
taient point leur esprit au-delà de ces sphères plus humbles, mais
aussi plus propres à former de vigoureux soldats. Privés par la
nature de leur gouvernement de toute part à l'administration
publique, ils ne songeaient qu'à l'exploitation de leurs terres ou à
la chasse de ces animaux sauvages qui erraient dans leurs forêts,
et dont les riches fourrures formaient la branche la plus considé-
rable de leur commerce. Peu nombreux, ils ne pouvaient espé-
rer du reste que leurs conseils ou leur influence fussent d'un
grand poids sur la conduite de la métropole. Ils lui représen-
tèrent le danger de la lutte qui allait s'engager et prirent les armes
avec la ferme résolution de combattre comme si la France eut
fait les plus grands sacrifices pour les soustraire au sort qui les
menaçait. Ils ne chancellèrent jamais, ils montrèrent jus-
qu'à la fin une constance et un dévoûment que les historiens
français n'ont pas toujours su apprécier, mais que la vérité histo-
rique, appuyée sur des pièces otficielles irrécusables, ne permet
plus aujourd'hui de mettre en doute.
La saison des opérations étant arrivée, des deux côtés l'on
se mit en campagne. M. de Vaudreuil, ignorant les projets
de l'ennemi achemina, suivant les ordres de la cour, des troupes
sur Frontenac pour attaquer Oswégo, poste auquel on attachait
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216
HISTOIRE DU CANADA.
toujours, avec raison, une grande importance. Le général Dies-
kau, dont le maréchal de Saxe avait la plus haute opinion, devait
conduire cette entreprise avec 4,000 homn^ s et 12 bouches à feu.
Le succès lui paraissait assuré. 2,000 hoi talent déjà partis
de Montréal et commençaient à arriver u .tenac lorsque la
nouvelle de l'apparition de l'armée du colonci Johnson sur le lac
St.-Sacrement, en fit rappeler une partie. Le corps ennemi qui
s'avançait était celui qui devait agir contre St.-Frédéric. Le 1er
septembre, le général Dieskau, que ce contre-ordre avait singu-
lièrement contrarié, et contre l'opinion duquel il avait été donné,
se trouva à la tête du lac Champlain avec 1,500 Canadiens, 700
soldats et 800 Hurons, Abénaquis et Népissings, en tout 3,000
hommes. C'était assez pour arrêter Johnson. L'acheminement
des forces fut continué sur le lac Ontario. Un bataillon monta
jusqu'à Niagara avec instruction de relever les ruines de ce fort,
composé d'une maison palissadée entourée d'un fossé, et de s'y
maintenir. Un autre bataillon se campa au couchant des murs
de Frontenac. A la fin de l'été ces trois positions importantes,
St.-Frédéric, Niagara et Frontenac, paraissaient suffisamment
protégées.
Dans la vallée de l'Ohio, le fort Duquesne, ouvrage plein de
défauts dans sa construction, mais commandé par M. de Contre-
cœur, officier expérimenté et fort brave, n'avait qu'une garnison
de 200 hommes; il pouvait cependant attirer à lui un certain
nombre de voyageurs canadiens et quelques sauvages. Les
autres postes répandus dans ces régions lointaines, n'avaient j)as
proportionnellement de garnisons plus nombreuses. Les forêts et
la distance formaient leur plus grande protection.
Du côté del'Acadie, les forts Beauséjour et Gaspareaux avaient
pour commandans, le premier, M. de Vergor, protégé de l'inten-
dant Bigot, et le second, M. de Villeray. Ces officiers avaient
à peine 150 soldats à leur disposition ; en cas d'attaque, ils
devaient compter sur l'aide des Acadiens fixés autour d'eux ou
qui erraient dans leur voisinage, comme si ces pauvres gens, que les
Anglais regardaient comme leurs sujets, étaient bien libres d'agir.
Des qualres expéditions projetées par l'Angleterre contre le
Canada, la première en mouvement fut celle qui était chargée de
s'emparer de ces derniers postes. Les troupes qui la composaient,
HISTOIRB DU CANADA.
217
levées dans le Massachusetts, pouvaient former 2,000 hommes
commandés par le colonel Winslow, personnage influent du pays.
Partie de Boston le 20 mai, elle arriva dans quarante-et-un navires
le 1er juin à Chignectou, où elle débarqua et fut renforcée par
300 réguliers. Elle marcha aussitôt avec un train d'artillerie
sur Beauséjour. Arrêtée un instant sur les bords de la rivière
Messaguash par les Français, qui y avaient élevé un blockhaus
garni de canons, et qui, après une heure de combat, y mirent le
feu et se retirèrent, elle parvint jusqu'à Beauséjour, repoussant
devant elle un petit corps d'Acadiens que M. de Vergor nvait
envoyé défendre une hauteur à quelque distance.
Le fort de Beauséjour avait alors une garnison de 100 soldats
et d'environ 300 Acadiens. Rien n'y était à l'épreuve de la
bombe, ni la poudrière, ni les casemates. Les assiégeans ayant
ouvert la tranchée le 12 juin, le 16 la place se rendit par capi-
tulation, après une assez molle résistance, la seule que l'on
pouvait attendre de l'état des fortifications, du chef inexpérimenté
et indolent qui commandait la défense, et de la crainte des habi-
tans d'être passés par les armes s'ils étaient pris en combattant
contre l'Angleterre. Il fut stipulé que les troupes sortiraient avec
les honneurs de la guerre pour être transportées à Louisbourg, et
que les Acadiens qui avaient combattu avec elles, ne seraient
point inquiétés. Le fort Gaspareaux, défendu par une vingtaine
de soldats et quelques hp.bitans, se rendit aux mêmes conditions.
Le fort Beauséjour prit I3 nom de fort Cumberland, et le major
Scott y fut laissé pour commandant. Cet officier fit désarmer la
population, mais ne put la persuader de prêter serment de fidélité
à George II ; refus qui l'obligea de faire prisonniers tous les habi-
tans qu'il put attraper, conformément aux ordres du général
Hopson, qui avait remplacé M. Cornwallis en qualité de gouver-
neur de l'Acadie.
Après cette conquête, les vainqueurs envoyèrent trois bâtimens
de guerre dans la rivière St.-Jean pour s'emparer du petit fort
que les Français venaient d'y faire élever et que commandait M.
de Boishébert. Ce dernier, n'ayant pas assez de monde pour le
défendre, y mit le feu avant l'arrivée des assaillans et se retira.
Mais, ayant été informé de ce qui se passait à Beauséjour, au
lieu de retraiter sur Québec, il s'avança au secours des Acadiens
vpi
1
ï.r
218
HISTOIRE DU CANADA.
du fond de lîi baie de Fondy, qu'il arma et avec lesquels il battit
ensuite les Anglais en différentes rencontres. Ces avantages ne
purent empêcher cependant qu'à la fin ces derniers ne brûlassent
tous les établissemens, et ne contraignissent les habitans à se réfu-
gier dans les bois, et plus tard àémigrcr au Cap-Breton, à l'île St.-
Jean, à Miramichi, à la baie des Chaleurs, à Québec, partout
enfin où ils pouvaient, et où ils portaient le spectacle d'un dévoû-
ment sans bornes et d'une misère profonde.
Tel fut le succès des ennemis dans la première partie de leur
plan de campagne. Quoiqu'il fût, sous le rapport militaire, plus
nominal que réel, puisqu'ils ne purent pas avancer plus loin du
côté de l'Acadie, où des bandes armées les continrent, la nou-
velle cependant en causa un vif mécontentement à Paris, surtout
lorsqu'on y apprit les terribles conséquences qu'il avait eues pour
les infortunés Acadicns si dignes d'un meilleur sort. Le roi
écrivit de sa propre main à M. de Vaudreuil,de faire juger rigou-
reusement, par un i^onseil de guerre qu'il présiderait en personne,
Vergor et de Villeray, ainsi que les garnisons qui servaient sous
leurs ordres. Le procès eut lieu l'année suivante au château
St.-Louis, mais tous les accusés furent acquittés à l'unanimité.*
L'évacuation de l'Acadie laissa à la merci des Anglais les habi-
tans de cette province, qui portaient le nom de Neutres, et qui
n'avaient pu se résoudre ni à abandonner leur terre natale, ni à
oublier la France. Ce qui nous reste à raconter de ce peuple
dont le temps ne diminue pas l'intérêt qu'on prend à ses mal-
heurs, semble nous reporter aux époques barbares de l'histoire,
alors que les lois de la justice et de l'humanité étaient encore à
naître avec les lumières de la civilisation.
Sur 15 à 18 mille Acadiens qu'il y avait dans la péninsule au
commencement de leur émigration, il n'en restait plus qu'environ
* La lettre du roi est du 20 février 1756. Les pièces du procès son dépo-
sées à la bibliothèque de la Société littéraire et historique de Québec.
" On eut, dit Montcalm, principalement égard pour le fort de Beauséjour à
ce que les Acadiens avaient forcé le commandant à capituler pour sauver
leur vie ; ils avaient prêté autrefois serment de fidélité aux Anglais qui les
menaçaient de les faire pendre. Quant au fort de Gaspareaux, une grande
enceinte avec des pieux debout où il n'y avait qu'un officier et 19 soldats,
ne pouvait être considérée comme un fort propre à soutenir un siège," —
Lettre au ministre, 1757.
HISTOIRE DU CANADA.
219
7,000 (les plus riches, dont les mœurs douces ont fourni à Raynal
un tableau si touchant.
" Peuple simple et bon, dit-il, qui n'aimait pas le sang, l'agri-
culture était son occupation. On Tavait établi dans des terres
basses, et repoussant à force de digues la mer et les rivières dont
ces plaines étaient couvertes. Ces marais desséchés donnaient
du froment, du seigle, de l'orge, de l'avoine et du maïs. On y
voyait encore une grande abondance de pommes de terre dont
l'usage était devenu commun.
" D'immenses prairies étaient couvertes de troupeaux nom-
breux ; on y compta jusqu'à soixante mille bêtes à cornes. La
plupart des familles avaient plusieurs chevaux, quoique le labou-
rage se fît avec des bœufs. Les habitations, presque toutes
construites de bois, étaient fort commodes et meublées avec la
propreté qu'on trouve quelquefois chez nos laboureurs d'Europe
les plus aisés. On y élevait une grande quantité de volailles do
toutes les espèces. Elles servaient à varier la nourriture des
colons, qui était généralement saine et abondante. Le cidre et
la bière formaient leur boisson. Ils y ajoutaient quelquefois de
l'eau-de-vie de sucre.
" C'était leur lin, leur chanvre, la toison de leurs brebis, qui
servaient à leur habillement ordinaire. Ils en fabriquaient des
toiles communes, des draps grossiers. Si quelqu'un d'entre eux
avait un peu de penchant pour le luxe, il le tirait d'Annapolis ou
de Louisbourg. Ces deux villes recevaient en retour du blé, des
bestiaux, des pe''eleries.
" Les Français neutres n'avaient pas autre chose à donner à
leurs voisins. Les échanges qu'ils faisaient entre eux étaient
encore moins considérables, parce que chaque famille avait l'ha-
bitude et la facilité de pourvoir seule à tous ses besoins. Aussi
ne connaissaient-ils pas l'usage du papier-monnaie, si répandu
dans l'Amérique septentrionale. Le peu d'argent qui s'était
comme glissé dans cette colonie n'y donnait point l'activité qui
en fait le véritable prix.
" Leurs mœurs étaient extrêmement simples. Il n'y eut jamais
de cause civile ou criminelle assez importante pour être portée à
la cour de justice établie à Annapolis. Les petits différends qui
pouvaient s'élever de loin en loin entre les colons étaient toujours
si
220
HISTOIUE DU CANADA.
terminés à l'amiable par les anciens. C'étaient les pasteurs reli-
gieux qui dressaient tous les actes, qui recevaient tous les testa-
mens. Pour ces fonctions profanes, pour celles de l'Eglise, on leur
donnait volontaireniont la vingt-septième partie des récoltes.
Elles étaient assez abondantes pour laisser plus de facu'té que
d'exercice à la générosité. On ne connaissait pas la misère, et la
bienfaisance prévenait la mendicité. Les malheurs étaient pour
ainsi dire réparés avant d'être sentis. Les secours étaient offerts
sans ostentation d'une part ; ils étaient acceptés sans humiliation
de l'autre. C'était une société de frères, également prêts à don-
ner ou à recevoir ce qu'ils croyaient commun à tous les hommes.
" Cette précieuse harmonie écartait jusqu'à ces liaisons de
galanterie qui troublent si souvent la paix des familles. On ne
vit jamais dans cette société de commerce illicite entre les deux
sexes. C'est que personne n'y languist^ait dans le célibat. Dès
qu'un jeune homme avait atteint V\ go convenable au mariage, on
lui bâtissait une maison, on défrichait, on ensemençait" des terres
autour de sa demeure ; on y mettait les vivres dont il avait besoin
pour une année. Il y recevait la compagne qu'il avait choisie,
et qui lui apportait en dot des troupeaux. Cette nouvelle famille
croissait et prospérait à l'exemple des autres. Qui est-ce qui ne
sera pas touché de l'innocence des mœurs et de la tranquillité de
cette heureuse peuplade ? continue l'éloquent écrivait. Qui
est-ce qui ne fera pas des vœux pour la durée de son bonheur 1"
Vains souhaits ! Hélas ! La guerre de 1744 commença ses
infortunes ; celle de Sept ans consomma sa ruine totale. De-
puis quelque temps les agens anglais agissaient avec la plus grande
rigueur ; les tribunaux, par des violations flagrantes de la loi, par
des dénis systématiques de justice, étaient devenus pour les
pauvres habitans un objet à la fois de terreur et de haine. Le
moindre employé voulait que sa volonté fût obéie. *' Si vous ne
fournissez pas de bois à mes troupes, disait un capitaine Murray,
je démolirai vos maisons pour en faire du feu." " Si vous ne
voulez pas prêter le serment de fidélité, ajoutait le gouverneur
Hopson, je vais faire pointer mes canons sur vos villages." Rien
ne pouvait engager ces hommes honorables à faire un acte qui
répugnait à leur conscience, et que, dans l'opinion de bien des
gens, l'Angleterre n'avait pas même le droit d'exiger. " Les
l!
HISTOIRE DU CANADA.
m
Acadiens, observe M. Haliburton, n'étaient pas des sujets britan-
niques, puisqu'ils n'avaient point prôt6 le serment de fidélité, et
ils ne pouvaient être conséquemment regardés comme des
rebelles j ils ne devaient pas être non plus considérés comme
pribonniers de guerre, ni envoyés en France, puisque depuis près
d'un demi-siècle on leur laissait leurs possessions à la simple con-
dition de demeurer neutres." Mais beaucoup d'intrigans et
d'aventuriers voyaient leurs belles fermes avec envie ; quels
beaux héritages ! et par conséquent quel appât ! L'avarice, sur-
tout l'avarice coupable s'enflamme vite. Il ne lui fut pas diffi-
cile de trouver des raisons politiques pour justifier l'expulsion des
Acadiens. La très grande majorité n'avait fait aucun acte pour
porter atteinte à la neutralité ; mais dans la grande catastrophe
qui se préparait, l'innocent devait être enveloppé avec le cou-
pable. Pas un habitant n'avait mérité grâce. Leur sort fut
décidé dans le conseil du gouverneur Lawrence, auquel assis-
tèrent les amiraux Boscawen et Mostyn, dont les flottes croisaient
sur les côtes. Il fut résolu de disperser dans les colonies anglaises
ce qui restait de ce peuple infortuné j et ^fin que personne ne
put échapper, le secret le plus profond fut ordonné jusqu'au
moment fixé pour l'enlèvement qui devait avoir lieu le même jour
et à la même heure sur tous les points de l'Acadie à la fois. On
décida aussi, pour rendre le succès plus complet, de réunir les
habitans dans les principales localités. Des proclamations dres-
sées avec une perfide habileté, les invitèrent à s'assembler dans
certains endroits sous les peines les plus rigoureuses. Quatre
cent dix-huit chefs de famille, se fiant sur la foi britannique, se
réunirent ainsi le 5 septembre dans l'église du Grand-Pré. Le
colonel Winslow s'y rendit avec un grand appareil. Là il leur
montra la commission qu'il tenait du gouverneur^ et leur dit qu'ils
avaient été assemblés pour entendre la décision Unale du roi à
leur égai'd. Il leur déclara que, quoique ce fût pour lui un devoir
bien pénible à remplir, il devait, en obéissance à ses ordres,
les informer " que leurs terres et leurs bestiaux de toutes sortes
étaient confisqués au profit de la couronne avec tous leurs autres
effets, excepté leur argent et leur linge, et qu'ils allaient être eux-
mêmes déportés hors de la province." Aucun motif ne fut
donné de cette décision, et il n'en pouvait être donné aucun. En
"ri
mm
222
HiSTOmS DU CANADA.
Dleinc civilisation et en temps de calme politique et religieux une
pareille spoliation n'était point qualifiable et devait, comme l'usu-
rior, dissimuler son forfait par le silence. Un corps do troupes, qui
s'était tenu caché jusque-là, sortit de sa retraite et cerna Téglise :
les habitans surpris et sans armes ne firent aucune résistance.
Les soldats rassemblèrent les femmes et les cnfans ; 1023
hommes, femmes et enfans se trouvèrent réunis au Grand-Pré
seulement. Leurs bestiaux consistaient en 1269 bœufs, 1557
vaches, 5007 veaux, 493 chevaux, 3690 moutons, 4197 cochons.
Quelques Acadiens s'étant échappés dans les bois, on dévasta lo
pays pour les empêcher de subsister. Dans les Mines l'on brûla
276 granges, 155 autres petits bâtimens, onze moulins et une
église. Ceux qui avaient rendu les plus grands services au gou-
vernement, comme le vieux notaire Le Blanc, qui mourut à Phi-
ladelphie de chagrin et de misère en cherchant ses fils dispersés
dans les provinces anglaises, ne furent pas mieux traités que ceux
qui avaient favorisé l'' Français. On ne fit aucune disliaction.
Il fut permis aux hommes de l'une comme de l'autre catégorie,
et c'est le seul adoucissement qu'on leur permit avant de s'em-
barquer, de visiter, dix par dix, leurs familles, et de contempler
pour la dernière fois ces champs naguère si calmes et si heureux
qui les avaient vus naître et qu'ils ne devaient plus revoir. Le
10 fut fixé pour l'embarquement. Une résignation calme avait
succédé à leur premier désespoir. Mais lorsqu'il fallut dire un
dernier adieu '. leur pays pour aller vivre dispersés au milieu
d'une population étrangère de langue, de coutumes, de mœurs et
de religion, le courage abandonna ces malheureux, qui se livrèrent
à la plue profonde douleur. En violation de la promesse qui leur
avait été faite, et, par un rafinement de barbarie sans exemple,
les mêmes familles furent séparées et dispersées sur différons
vaisseaux. Pour les embarquer, on rangea les prisonniers sur six
de front, les jeunes gens en tête. Ceux-ci ayant refusé de mar-
cher, réclamant l'exécution de la promesse d'être embarqués
avec leurs parens, on leur répondit en faisant avancer contre eux
les soldats la bayonnette croisée. Le chemin de la chapelle du
Grand-Pré à la rivière Gaspareaux avait un mille de longueur;
il était bordé des deux côtés de femmes et d'enfans qui, à genoux
et fondant en larmes, les encourageaient en leur adressant leurs
HISTOIRE DU CANADA.
223
bénédictions. Cette lugubre procession défila lentement en priant
et en chantant des hymncH. Les chefs do famille marchaient
après les jeunes gens. Enfin la procession atteignit le rivage.
Les hommes furent mis sur des vaisseaux, les femmes et les
enfans sur d'autres, pôle-môle, sans qu'on prît le moindre soin
pour leur commoiité. Des gouvornemens ont commis des actes
de cruauté dans un mouvement de colère irréfiéchie ; mais ils
avaient été provoqués, irrités par des aggressions et des attaques
répétées ; il n'y a pas d'exemple dans les temps modernes de châ-
timent infligé sur un peuple paisible et inofiensif avec autant de
calcul, de barbarie et de sang-froid, que celui dont il est ici
question.
Tous les autres établissemens des Acadiena présentèrent le
môme jour et à la môme heure le môme spectacle de désolation.
Les vaisseaux chargés de leurs nombreuses victimes firent voile
pour les différentes provinces où ils devaient les disperser. Ils
les semèrent sur le rivage depuis Boston jusqu'à la Caroline sans
pain, sans protection, les abandonnant à la charité du pays où ils
pouvaieiit se trouver. Pendant de longs jours après leur départ
on vit leurs bestiaux s'assembler autour des ruines de leurs habi-
tations, et les chiens passer les nuits à pleurer par de longs hur-
lemens l'absence de leurs maîtres. Heureux encore dans le.ir
douleur, ils ignoraient jusqu'à quel excès l'avarice et l'ambition
peuvent porter les hommes.
La plupart des colons anglais, il faut le dire à leur honneur,
reçurent les Acadiens avec humanité, comme pour protester
contre la rigueur inexorable de leur gouvernement. Bene/et, issu
d'une famille française bannie à la révocation de l'édit de Nantes,
les accueillit comme des frères à Philadelphie.
Quelques-uns de ces exilés se réfugièrent ensuite à la Louisiane ;
d'autres à la Guyane française, et des Français, bannis eux-
mêmes à Sinnamari, y trouvèrent en 1798, ime famille acadienne
qui les accueillit par ces paroles hospitalières : " Venez, dit
madame Trion à l'un d'eux, nos parens furent bannis comme
vous, ils nous ont appris à soulager le malheur: venez, nous
éprouvons du plaisir à vous offrir dans nos cabanes un asile et des
consolations."
Dans la suite les Acadiens ont fondé un canton dans la Loui-
224
HISTOIRE DU CANADA.
siane, auquel ils ont donné le nom toujours cher tic leur ancienne
patrie. Louis XV lui-même, touché de leur fidélité, fit proposer
en vain par ses ministres à ceux de l'Angleterre d'envoyer des
vaisseaux pour les ramasser et les ramener en France. M. Gren-
ville s'empressa de répondre : " Notre acte de navigation s'y
oppose, la France ne peut envoyer de vaisseaux dans nos colo-
nies," comme si cette loi avait été faite pour étouffer tout senti-
ment d'humanité. Néanmoins quelques-uns purent parvenir en
France, et y forment aujourd'hui deux communes florissantes, où
ils ont conservé leurs mœurs paisibles et agrestes dans les beaux
oasis verts qui parsèment les landes de Bordeaux. Telle fut
l'expatriation des Acadiens.
L'Angleterre ne retira aucun profit de cet acte de politique
jalouse et ombrageuse, qui fit connaître à tous les colons ce
qu'était la pitié métropolitaine, et qui fournit un motif de plus
aux Canadiens, s'ils en avaient besoin, pour défendre leur pays
avec toute l'énergie dont ils étaient capables.
Tandis que le fer et la flamme changeaient en déserts les
champs les plus fertiles de l'Acadie, le général Braddock faisait
ses préparatifs pour rejeter les Français au-delà de la vallée de
l'Ohio et exécuter la seconde partie du plan d'invasion. Wills'
Creek était le lieu qu'il avait donné pour rendez-vous à ses
troupes, dans le voisinage des Apalaches. Il se mit en marche
aux acclamations de la population. Sa petite armée formait, avec
les baggages, une colonne de quatre milles de longueur 5 elle ne
pouvait avancer que fort lentement au milieu des rivières, des
montagnes et des forêts. Le temps s'écoulait ; il commençait à
craindre de ne pouvoir surprendre le fort Duquesne, où il savait
qu'il y avait peu dé monde. Inquiet de plus en plus il prit le
parti, pour accélérer sa marche, de diviser ses forces en deux
corps. Il laissa 1000 hommes sous les ordres du colonel Dunbar
avec les gros bagages pour le suivre avec toute la célérité possible,
et lui-même il se mit à la tête du second corps, composé de 1,200
hommes d'élite équippés à la légère, pour prendre les devans afin
d'atteindre le point désiré avant que l'alarme y fut répandue. Le
9 juillet il traversait la rivière Monongahéla à trois lieues envi-
ron du fort Duquesne, et longeait avec rapidité sa rive méridio-
nale se comptant déjà maître du poste français. Washington,
HISTOIRE DU CANADA.
225
qui servait alors avec le gracie de colonel dans son état-major,
aimait à raconter qu'il n'avait jamais vu de plus beau spectacle
que la marche des troupes dans cette mémorable journée. Tous
les soldats, disait-il, d'une belle tenue, s'avançaient en colonnes,
leurs armes d'acier poli étincelant aux rayons du soleil. La
rivière coulait tranquillement à leur droite, tandis qu'à leur gauche
d'immenses forêts les ombrageaient de leur solennelle graadeur.
Officiers et soldats, personne ne doutait du succès;* on marchait
comme à un triomphe.
A midi cette troupe si fière repassait par un second gué, à dix
milles du fort Duquesne, sur la rive opposée de la Monongahéla,
dans une plaine unie, élevée de quelques pieds seulement au-
dessus de l'eau et d'un demi mille de largeur. A l'extrémité de
cette plaine le terrain montait légèrement quelque temps, puis se
terminait tout-à-coup par des montagnes très hautes. La route
du gué au fort français traversait la plaine et cette hauteur,
puis se prolongeait au milieu d'un pays inégal et couvert de
bois. Le colonel Gage formait l'avanl-garde avec 300 hommes
de troupes de ligne ; un autre détachement de 200 hommes sui-
vait ; le général venait ensuite avec le corps principal et l'ar-
tillerie.
M. de Contrecœur commandait, comme on l'a déjà dit, au fort
Dmjiiesne. Un des partis qu'il tenait en campagne pour épier
les mouvemens de l'ennemi, l'informa, le 8, que les Anglais n'en
étaient plus qu'à six lieues. Il se décida sur le champ à les
attaquer en chemin, et alla lui-môme marquer la place où les
troupes devaient s'embusquer.f Le lendemain 253 Canadiens,
dont 13 officiers, et 600 sauvages sortaient du fort Duquesne, à
8 heures du matin, sous les ordres de M. de Beaujeu, pour aller
attendre au lieu indiqué le général Braddock et tomber sur lui à
l'improviste. Cette troupe descendait le terrain légèrement
incliné qui bordait la plaine dont l'on a parlé tout-à-l'heure dans
le môme temps que le colonel Gage commençait à le monter.
La tôte des deux colonnes vint subitement en contact avant que
les Français pussent atteindre le lieu marqué pour l'embuscade.
* Vie, correspondance et écrits de Washington.
t Documens de Paris.
■\ I.
'■^l
)m
226
HISTOIRE DU CANADA.
Ceux-ci cependant moins troublés par cette rencontre imprévue
que les Anglais, ouvrirent immédiatement un feu très vif sur eux
qui fit replier leur avant-garde. Ce mouvement rétrograde
donna le temps à Beaujeu de range»" âon détachement en bataille,
en profitant des hautes herbes dont la terre était couverte ; il
plaça les Canadiens à cheval sur le chemin en front de la colonne
anglaise, et poussa les sauvages en avant de chaque côté de
manière à former un demi-cercle. Les Anglais revenus de leur
première surprise, se remirent en marche en se dirigeant vers le
centre de cette ligne concentrique ; mais lorsqu'ils arrivèrent
près des Canadiens ils furent assaillis par une nouvelle décharge
de mousqueterie qui les arrêta tout court, et qui fut suivie d'une
autre sur le flanc droit qui les jeta en confusion. Après quelques
instans néanmoins, l'ordre se rétablit un peu dans leurs rangs, et ils
se mirent eux-mêmes à tirer ; leur artillerie, poussée en avant,
ouvrit aussi son feu; ce fut dans une des premières décharges de
cette arme que Beaujeu fut tué. Dumas, son second, prit aussitôt
le commandement, et aidé de Ligneris et des autres ofliciers, il
tomba avec une extrême vigueur sur les ennemis dont le feu de
mousqueterie, surtout d'artillerie,avait d'abord ébranlé les sauvages
peu accoutumés à entendre des détonations si considérables. Le
combat devint alors d'une violence extrême. Les sauvages voyant
les Canadiens tenir ferme en front, avaient repris avec de grands
cris leur place au pied des arbres qu'ils avaient abandonnés. Les
Anglais firent pendant longtemps bonne contenance et môme un
mouvement en avant, animés par leurs officiers qui les dirigeaient
l'épée à la main. Mais écrasés sous le feu le plus vif qui se
resserait de plus en plus autour d'eux favorisé par les accidens
du terrain, ils finirent par tomber dans une confusion complète.
Tous les corps se trouvèrent serrés les uns contre les autres et
confondus. Les soldats, tirant au hasard sans se reconnaître,
tuaient leurs propres officiers et leurs camarades. Dans cette
mêlée les milices furent les seules troupes qui montrèrent quelque
temps du calme et firent preuve d'autant de fermeté que de bra-
voure. Mais elles furent obligées à la fin de céder au torrent.
Les Français n'eurent plus alors qu'à choisir leurs victimes et à
tirer de sang-froid sur des masses confuses tourbillonnant sous les
balles, et que le général Braddock s'efiorçait en vain de former en
HISTOIRE DU CANADA.
227
pelotons et en colonnes, comme s'il eût été dans les plaines de la
Flandre. Après trois heures de combat la tôte de la colonne
anglaise abandonna ses canons et se replia en désordre. Prenant
ce mouvement pour une fuite, les Canadiens et les sauvages abor-
dèrent l'ennemi la hache à la main, et l'enfoncèrent de toutes
parts. Alors les Anglais lâchèrent partout le pied ; on les pour-
suivit à travers la plaine en en faisant un carnage affreux ; ceux qui
ne tombaient pas sous le fer des vainqueurs allaient se noyer dans
la Monongahéla en voulant traverser cette rivière à la nage.*
Dumas sachant que le colonel Dunbar n'était pas loin, et ne
pouvant arracher du champ de bataille les Indiens qui se livraient
au pillage, fit enfin suspendre la poursuite.
Le carnage avait été presque sans exemple dans les annales de
la guerre moderne.f Près de 800 hommes avaient été tués ou
blessés sur les 1200 qui marchaient à la suite du général Brad-
dock, dont 63 officiers sur 86. Les officiers avaient fait des efforts
incroyables pour rallier les troupes ; plusieurs s'étaient fait tncr
de désespoir. A l'exception du colonel Washington, tous ceux
qui combattaient à cheval avaient été tués ou blessés. Le général
Braddock lui-même, après avoir eu trois chevaux tués sous lui,
avait reçu le coup mortel. Le malheureux général mourant, fut
mis d'abord dans un tombereau, puis à cheval et enfin porté par
les soldats. Il expira quatre jours après la bataille, et fut enterré
sur le bord du chemin auprès du fort de la Nécessité, à l'entrée
du désert. C'était un officier expérimenté, plein de bravoure,
mais arrogant, méprisant son ennemi, les milices américaines et
les Indiens. Il eut la mortification de voir, avant de mourir, ses
réguliers prendre la fuite pendant que les Virginiens combattaient
comme de vieux soldats avec la plus grande intrépidité.
Les troupes en déroute rencontrèrent le colonel Dunbar à 4-0
milles de la Monongahéla et communiquèrent leur terreur à ses
soldats. Dans un instant tout se débanda. L'artillerie fut détruite ;
les munitions et les gros bagages furent brûlés sans que personne
sut par l'ordre de qui, et tout le monde se mit à fuir, ceux qui
avaient combattu comme ceux qui n'avaient pas combattu. La
* Mémoires sur la dernière guerre de l'AmériViue septentrionale, par M.
l'onchol.
t Sparks.
228
HISTOIRE DU CANADA.
discipline et le calme ne se rétablirent un peu que lorsque les
fuyards, harassés, éperdus, arrivèrent au fort Cumberland dans
les Apalaches. Le colonel Washington écrivit : " Nous avons
été battus, honteusement battus par une poignée de Français qui
ne songeaient qu'à inquiéter notre marche. Quelques instans
avant l'action, nous croyions nos forces presqu'égales à toutes
celles du Canada ; et cependant, contre toute prol>abilité, nous
avons été complètement défaits, et nous avons tout perdu."
Les Français firent un butin considérable. Tous les bagages
des vaincus, leurs vivres, 15 bouches à feu, une quantité consi-
dérable d'armes et de munitions de guerre, la caisse militaire et
tous les papiers du général Broddock qui dévoilèrent les projets
de l'Angleterre, et que le duc de Choiseul adressa ensuite dans
un mémoire aux diverses cours de l'Europe, tombèrent entre
leurs mains. Ils trouvèrent aussi sur le champ de bataille, au
milieu des chariots brisés, 4 à 500 chevaux dont une partie avait
été tuée et nageait dans le sang pèle môle avec les soldats morts
et mourans.
Cette victoire ne coûta aux Français qu'une quarantaine d'hom-
mes, outre la perte de M. de Beaujeu qui fut vivement regretté
par les Canadiens, ses compatriotes, et par les tribus indiennes.
Ainsi se termina la bataille de la Monongahéla, l'une des plus
mémorables de l'histoire américaine. Les troupes battues ne se
rassurèrent complètement qu'à Philadelphie, où elles prirent leurs
quartiers d'hiver. La nouvelle de ce désastre jeta les colonies
anglaises dans l'effroi et la consternation. Les frontières des
provinces de la Pennsylvanie, du Maryland et de la Virginie furent
abandonnées, et l'alarme se répandit au-delà des montagnes jusque
dans les élablissemens répandus sur les bords de la mer, qui crai-
gnirent un instant d'être attaqués. Les prédicateurs montèrent
dans les chaires pour rassurer la population et calmer son épou-
vante.
Le gain de cette bataille assura la possession de l'Ohio aux
Français pour cette campagne, comme la défaite du colonel
Washington, au fort de la Nécessité, la leur avait assurée l'année
précédente.
Tandis que ces événemens se passaient à l'extrémité méridio-
nale du Canada, les troupes anglaises chargées d'en attaquer les
/
HISTOIRE DU CANADA.
229
parties centrales, c'est-à-dire Niagara et St.-Frédéric, se réunis-
saient à Albany. Elles partirent de cette ville au nombre de 5 à
6 mille hommes sous les ordres du général Lyman, pour le por-
tage entre la rivière Hudson et le lac St.-Sacrement, suivies du
colonel Johnson qui venait avec l'artillerie, les bateaux, les vivres
et tout le matériel nécessaire pour le siège du fort St.-Frèdèric.
Arrivé au portage, le général Lyman fit commencer le fort
Edouard, sur la rive gauche de l'Hudson, pour lui servir de base
d'opérat, .i, en môme temps que le colonel Johnson, marchant
toujours, poussait jusqu'à la tête du lac St.-Sacrement où il éta-
blissait son camp. 11 pressait le transport des bateaux au lac,
impatient d'aller s'assurer de l'important passage de Carillon
avant que les Français s'y fussent fortifiés, lorsqu'il apprit qu'ils
venaient eux-mêmes pour l'attaquer dans ses retranchemens.
Nous avons mentionné ailleurs l'inquiétude que l'apparition de
•Tohnson sur le lac St.-Sacrement avait causée à M. de Vaudreuil,
et que ce gouverneur avait fait aussitôt abandonner l'attaque d'Os-
wégo pour s'opposer à ses progrès. C'est en conséquence de
cet ordre que Dieskau se trouvait le 1 septembre à St.-Frédéric
avec un corps de 3000 hommes. Ce général attendait une occa-
sion favorable pour agir, lorsqu'il fut informé que les ennemis ne
seraient pas encore prêts de sitôt à marcher en avant, que le fort
Edouard était peu avancé, et par là môme assez facile à prendre
par un coup de main, que ce poste était très important en ce
qu'il renfermait les magasins de Johnson. Dieskau résolut de
profiter de ces circonstances pour l'attaquer sur le champ.
Il partit de St.-Frédéric avec ses 3000 hommes. Rendu à
Carillon, il y en laissa 1,500 pour assurer sa retraite en cas
d'échec, et avec le reste, composé de 220 réguliers, 680 Cana-
diens commandés par M. de Repentigny, et 600 Sauvages sous
les ordres de M. de St.-Pierre, et des vivres pour huit jours, il
continua sa route malgré l'^s avertissemens qu'on lui donna que
900 Américains étaient retranchés sous les murs de la place, aver-
tissement qu'il négligea parce que, comme Braddock, il n'avait
que du mépris pour la milice. Les instructions de M. de Vau-
dreuil lui recommandaient expressément dans tous les cas de
n'attaquer qu'avec toutes ses forces réunies sans jamais les divi-
i
230
HISTOIRE DV CANADA,
l 1
ser.* Les Canadiens et les Sauvages le blâmèrent de laisser la
moitié do ses soldats à Carillon. Mais Dieskau brûlait du désir
d'éclipser par quelque action d'éclat, la victoire de l'Ohio, car
déjà l'on voyait naître entre les troupes du pays et celles do
France, une jalousie trop encouragée par les officiers pour ne pas
aller toujours en augmentant.! Craignant qu'un trop grand
nombre d'hommes ne retardât sa marche, il négligea des conseils
dont l'oubli fut la première cause de sa perte.
Pour dérober sa marche et éviter le corps de Johnson, il remonta
par le lac Champlain, et alla débarquer dans la baie du Grand-
Marais (South Bay) à six ou huit lieues du fort Edouard. Le 7
septembre il couchait sur les bords de l'Hudson, à une lieue des
Anglais, avec l'intention de les attaquer le lendemain au point du
jour, lorsqu'à la sollicitation des Iroquois du Sault St.-Louis, les
Sauvages déjà fort mécontens de la division de l'armée, et qui
n'avaient consenti à le suivre en partant de Carillon, que sur la
promesse que les troupes laissées en arrière allaient joindre, refu-
sèrent tout à fait de marcher. Ils ajoutèrent néanmoins qu'ils
étaient prêts à le suivre à l'attaque du camp de Johnson, sur le
territoire français, le fort Edouard étant situé, suivant eux, sur le
territoire anglais puisque ses eaux se versaient dans la mer par
l'Hudson. Cette distinction des Troquois était au surplus con-
forme à leur ancienne politique de chercher à tenir la balance
entre les deux nations. Les Canadiens voyant la résolution des
Sauvages, appuyèrent leur suggestion. Dès lors le général Dies-
kau fut obligé de se conformer à leur désir. L'entreprise contre
le fort Edouard fut abandonnée, et le lendemain matin, 8, l'on se
remit en marche, sur trois colonnes, les réguliers au centre, pour
passer les montagnes et tomber subitement sur Johnson dont on
était éloigné de cinq lieues environ.
Celui-ci qui avait 2,500 hommes avec lui, en apprenant le
projet des Français contre le fort Edouard, avait détaché le matin
môme, en vertu d'une résolutio d'un conseil de guerre tenu la
veille, le colonel Williams, à la tête de 1,200 hommes dont 200
Indiens, pour tendre une embuscade aux Français à leur retour
* Instructions de M. de Vaudreuil au général Dieskau : Correspondance
officielle,
t Lettre de M- de LatbinL.K. au minùlre, du 28 octobre 1755.
HlSTOIRK PU CANADA.
231
(lu fort Etlouaid. Dieakau fut averti par un prisonnier, à quatre
milles du camp de Johnson, de l'arrivée de ce détachement qui
marchait par le même chemin que lui, mais en sens contraircr
Il fit aussitôt arrêter la colonne du centre, poussa les deux autres,
c'est-à-dire les Canadiens, qui mirent leurs sacs à terre pour être
plus légers, à droite, et les Sauvages à gauche, trois cents pas en
avant, avec ordre de se coucher ventre à terre au milieu du bois,
et de n'attaquer l'ennemi en flanc que quand ils entendraient le
feu du centre- Dans cette position, il a'tendit les Anglais, qui
venaient ainsi se jeter dans le piège qu'ilj allaient tendre eux-
mêmes, lorsque les Indiens de notre gauche se découvrirent avant
le temps et leur firent appercevoir le danger. Dieskau voyant
l'embuscade éventée, fit charger aussitôt les troupes et les Cana-
diens pour ne pas donner à l'ennemi le loisir de se reconnaître ;
les Sauvages en firent autant, et se battirent avec acharnement
pour venger la mort de leur brave commandant, M. de St.-
Pierre, tué par un Anglais qu'ils assommèrent à coups de hache.
En peu de temps les Anglais, malgré les efforts les plus vigoureux,
furent mis en pleine déroute avec des pertes considérables, et en
laissant leur commandant et le fameux chef indien Hendrich,
parmi les morts. On les poursuivit vivement ; un second corps
envoyé à leur secours ne put résister à l'élan des troupes fran-
çaises, et fut culbuté aussi en un instant. Le général Dieskau
voulait profiter du désordre pour entrer pêle-mêle avec les fuyards
dans les retranchemens de Johnson. Mais il fallait des troupes
plus disciplinées que les siennes pour exécuter une pareille
manœuvre. Les Sauvages et une partie des Canadiens s'arrê-
tèrent pour recueillir leurs blessés, et se reposer après ce premier
combat; ils étaient exténués de fatigue, ayant été obligés de
marcher depuis le matin à travers les bois et les broussailles dans
un pays âpre et difficile, pour couvrir la colonne du centre qui
suivait le chemin battu et qui était conséquemment moins épui-
sée. Les chefs indiens, murmurant tout haut contre l'impré-
voyance du général, firent revenir leurs guerriers sur leurs pas.'
Dieskau, qui espérait que son exemple les entraînerait, ne voulut
• Lettre du chevalier Montreuil au ministre, 10 octobre 1755 : " La moi-
tié des Sauvages et des Canadiens s'en tinrent à leur première victoire."
'4î'i
m
•il y
232
HISTOIRE DU CANADA.
point s'arrôter, et arriva devant les retranchemens de Johnson à
11 heures du matin avec à peine la moitié de ses forces.
Ces retranchemens, adossés au lac et érigés sur la petite émi-
nence sur laquelle fut ensuite bâti le fort George, dont on voit
encore les ruines à la droite de Caldwell, étaient formés de
bateaux, de chariots, d'arbres renversés,, flanqués de deux ruis-
seaux coulant sur un fond marécageux, et couverts d'artillerie.
Les Français en arrivant sur le lac St.-Sacrement,qui se prolonge
d'une manière si pittoresque entre des montagnes dont quelques-
imes ont près de 2000 pieds de hauteur, purent les appcrcevoir.
Dieskau se dirigea aussitôt vers leur centre, les réguliers à droite
et les Canadiens à gauche. Une halte de quelques instans ordon-
née pour se former à 150 verges, donna le temps aux ennemis de
se reconnaître et de garnir leurs ouvrages. L'attaque commença
avec une grande vivacité. Les réguliers, après avoir fait un feu
de pelotons très nourri, s'élancèrent à la bayonnette pour péné-
trer dans les abattis ; mais malgré leur intrépidité, ils furent rame-
nés par un feu de mousqueterie et de mitraille à bout portant. Ils
se reformèrent, marchèrent de nouveau à l'escalade, et persistèrent
dans leurs eflbrts infructueux depuis midi jusqu'à deux heures.
Les Canadiens et les Sauvages qui avaient suivi le général Dies-
kau, ou qui vinrent ensuite le rejoindre, voyant l'inutilité de ces
tentatives, se répandirent à droite dans le bois et à gauche sur une
petite hauteur qui dominait la position de l'ennemi, et delà
ouvrirent un feu plongeant dans les barricades à douze ou quinze
pas seulement de distance,* et le continuèrent avec vivacité
jusqu'à la fin de la journée. Le général français, qui se tenait
entre les réguliers et les Canadiens, résolut de faire un nouvel
effort. Il se mit à la tête des soldats et tirant son épée il les con-
duisit lui-môme à l'assaut ; mais on vint encore échouer au pied
des retranchemens, du sommet desquels les Anglais choisissaient
* " The Regulars marched as near as I could tell, s' jep in close order,
and reached aboiit 20 roda in lengtli. The Canadians. -iid Indians at the left
having corne helter-skelter, the woods being fui! of them, running with
undaunted courage right down hill uponus, expectingto make us flee as they
had before donc at the , and just novv did to our men."
Extrait d'une lettre du général américain Pomeroy, alors colonel dans les
milices de New-York, à son épouse, en date du 10 septembre 1755.
HISTOIRE DU CANADA.
233
leurs victimes et tiraient à couvert et à loisir. C'est pendant
cette attaque, que Dieskau, retournant vers la gauche pour ordon-
ner aux Canadiens de charger, se trouva, sans s'en apercevoir, si
près des ennemis qu'il reçut trois coups de feu presqu'en mômo
temps qui le firent tomber. Le chevalier de Montreuil qui se
trouvait près de lui, et qui fut aussi atteint d'une balle au bras,
l'aida à se traîner au pied d'un arbre, et appela deux Canadiena
pour le porter hors du danger. L'un d'eux fut tuè en arrivant et
tomba sur les jambes du général ; le second fut en môme temps
blessé. Sans se troubler Dieskau ordonna au chevalier d'aller à
la droite pour ranimer l'attaque qui se ralentissait, et refusa de se
laisser emporter, disant : " que le lit où il se trouvait était aussi bon
pour mourir que celui que l'on voulait lui donner." Il se fit
apporter sa rcdingotte et sa longue-vue et enjoignit aux Cana-
diens qui s'étaient réunis autour de lui et à ses domestiques de
s'éloigner.* Dans le même moment une partie des Canadiens et
des Sauvages se repliait, et le chevalier de Montreuil cherchait en
vain à rallier les troupes réduites à une centaine d'hommes, et
qui en faisaient autant ; presque tous les officiers avaient été tués
ou blessés.
L'action durait depuis cinq heures. Les Français ne furent pas
inquiétés dans leur retraite. Les ennemis avaient été tellement
intimidés par la furie avec laquelle ils avaient été attaqués, qu'ils
restèrent dans leurs retranchemens, à l'exception de quelques
hommes qui sautèrent en dehors. L'un d'eux apercevant le
général au pied d'un arbre, lui tira à douze pas une balle qui lui
traversa les deux cuisses et la vessie. Ce soldat le fit ensuite
prisonnier. C'était vin déserteur canadien établi depuis une
dixaine d'années dans la Nouvelle-York.
Cependant le chevalier de Montreuil avait réussi à rallier une
partie des troupes à 500 pas des retranchemens et à les mettre
dans quelque espèce d'ordre.
A cet instant de la journée tout le corps français de 1,500
hommes était divisé par bandes et dispersé. Une partie se trou-
vait encore sur le champ de bataille du matin ; une autre était
en pleine retraite ; le chevaher de Montreuil avec un troisième
* lielation de la campagne de 1755. — Lettre du baron Dieskau au cheva-
lier (lo Montreuil, en date de Balh, 26 janvier 1758.
lit'
: -A w i
;rii
M^ii
234
HISTOmE DU CANADA.
débris, reprenait le chemin du Grand-Maraia emmenant avec lui
103 blessés qu'il avait ramassés : enfin le reste, Canadiens et Sau-
vages toujours en possession de la hauteur sur la droite des
Anglais, et ignorant ce qui se passait ailleurs, continuait à faire un
feu très vif dans les retranchemens. Si les ennemis s'étaient
alors jetés tôte baissée sur les Français, ils auraient pu les détruire
en détail. Quelques petites bandes seulement tombèrent dans
les détachemens sortis du fort Edouard et furent dispersés. Le
chevalier de Montrcuil arriva au bout de deux jours au Grand-
Marais avec sa colonne exténuée de faim et de fatigue, n'ayant
pu prendre, de peur d'être mis entre deux feux, les sacs posés à
terre dans le premier combat. Il y trouva une autre colenncqui
y était arrivée du matin aussi sans vivres. Les restes de l'ex-
pédition se réunirent graduellement et on se rembarqua pour
retourner à Carillon.
Les pertes furent moins considérables qu'on aurait pu le croire,
quoique plus de 310 hommes, ou la moitié environ des réguliers
et le quart des Canadiens et des Sauvages qui attaquèrent les
retranchemens, furent tués, blessés ou faits prisonniers, dont 13
officiers sur lesquels il y avait neuf Canadiens.* Celles des
Anglais, essuyées principalement dans la déroute du corps du
colonel Williams, atteignirent un chifl're plus élevé. Le colonel
Titcombe fut tué, le colonel Johnson ainsi que le major Nichoh
furent blessés dans les retranchemens. De l'aveu même des
vainqueurs, oui étaient au nombre de 2,250 hommes, ce fut à
leurs ouvrages et à leur artillerie qu'ils devaient la victoire, les
assaillans n'ayant point de canon.f
Lorsque le baron Dieskau fut amené dans le camp du com-
mandant anglais, celui-ci, avec une humanité qui l'honore, le fit
transporter dans sa tente et voulut qu'il fût pansé avant lui. Il
porta à l'infortuné général toutes les attentions qu'il aurait eues
pour un ami, et que Dieskau n'oublia jamais. Ce général
• Lettre de M. Doreil au ministre, 20 octobre 1755.
Lettre du général Dieskau.
t " Our artillery played briskly on our front the whole time, and the
breast work secured our men." — " They (French) made a bold attack and
muintained it bravely ; our cannon and breast work saved us." — " We were
effective about 2,200 at the time of the engagement." — Documcns du
Lon'hes.
mSTOIUE DU CANADA.
235
resta prisonnier jusqu'il la fin de la guerre, tantôt à New-York
jus(|uY'n 1707 et tantôt en Angleterre. Il languit jusqu'en 1767
qu'il mourut des suites de ses blessures, à Surcne, prés de Paris.
Comme Braddock, Dicskau dut tous sca malheurs au ridicule
atiachement pour la discipline européenne, et au mépris qu'il fit
des avis du gouverneur et des olTiciers canadiens sur la manière
de combattre en Amérique. Une opiniâtreté déplacée, fondée
sur des infimnations inexactes, et le peu de cas qu'il fiiisait des
troupes américaines, le firent persister à attaquer avec des soldats
fatigués des troupes retranchées et deux fois plus nombreuses que
les siennes. Il y sacrifia l'élite de ses soldats, et fit perdre aux
Canadiens la confiance qu'ils pouvaient avoir dans la capacité
des ofliciers européens. On écrivit môme au ministre " qu'ils
ne marcheraient plus avec la môme confiance sous les ordres
d'un commandant des troupes de France que sous ceux des
olTicicrs de la colonie."
L'échec des Français releva le courage des provinces anglaises
abattu par la sanglante défaite du général Braddock : mais il
n'eut point les conséquences qu'elles en attendaient. Dans le
premier moment d'exaltation, on exagéra singulièrement l'avan-
tage remporté. On en fit une victoire éclatante, tandis qu'on
n'avait repoussé dans le fait qu'un coup de main suggéré par
l'espoir de surprendre les magasins d'approvisionnement déposés
au fort Edouard. La chambre des communes vota un don de
jG5000 sterling à Johnson et le roi lui conféra le titre de baronnet.
Les journaux célébrèrent à l'envi ses talens et son courage y
mais leurs louanges n'ont pas été confirmées par la postérité.
Le public, toujours si exigeant, croyant désormais la route do
Montréal ouverte, commença, après quelque temps d'attente, à
s'étonner de l'inacfivité de cet officier. Chacun pensait qu'il
aurait dû au moins s'avancer jusqu'à St.-Frédéric. L'ordre
môme lui fut transmis dô marcher en avant pour complaire à
l'opinion publique. Il répondit en continuant de fortifier son
camp. On l'accusa alors de plusieurs fautes, et surtout de n'avoir
pas su profiter de la victoire dans la crainte pjut-ôtre, ajoutaient
quelques-uns, d'exposer les lauriers qu'il venait de cueillir.
Johnson piqué de ces déclamations populaires, écrivit que ses
troupes manquaient des choses les plus nécessaires pour une cam-
il,. 5
i'-. i«
f
.■^ H
236
HISTOIRE DU CANAHA.
I
pngnc, qiio d'nillourd la manière avec Inqucllo Ica Français Ica
avaient atlaqucos, leur avait imprime une telle terreur,* qu'elles
KO sentaient Ibrt peu d'envie d'aller les inquiéter sur leur propre
territoire. Après ces explications, l'armée fut licenciée. On no
retint que GOO hommes pour la garde du fort Edouard et du camp
du lac St.-Sacrcment, auquel on donna le nom de fort William-
llcnry, après y avoir ajouté des travaux qui le convertirent en
véritable forteresse.
La nouvelle de la défaite de Dieskau, qui avait rempli les pro-
vinces anglaises do joie, jeta le Canada pendanl (jue'quc temps
dans ime grande inciuiétude. Le gouverneur, eensibk à l'impor-
tance de se maintenir à la tête du lac Champ lain, envoya sur le
champ, faute d'ingénieurs réguliers, ceux qui devaient venir de
France ayant été pris sur le Lys et l'Alcide, M. do Lothiniùrc,
pour élever im fort à Carillon. Il transmit en même temps
l'ordre aux troupes de camper dans cette position importante, afin
d'être à portée de s'opposer à l'ennemi s'il venait à déboucher
par la route actuelle de Whiteliall, ou par le lac St.-Sacrement,
et de couvrir le poste de St.-Frédéric, qui était la clé du lac
Champlain. Mais au bout de quelques semaines l'on eut des
j'cnseigncmens sur les mouvemens des Anglais qui tranquillisèrent
les esprits. L'on apprit d'abord le licenciement de l'armée do
Johnson, et ensuite la retraite des 1,500 hommes du général
Shirley, destinés à faire le siège de Niagara. Cet olficier général,
n'ayant pu faire tous ses préparatifs dans la saison convenable,
avait abandonné cette entreprise, et s'était retiré dans l'intérieur
après avoir laissé 700 hommes au colonel Mercer pour garder
Oswégo et bâtir deux nouveaux forts autour de cette place. Il
j)araît que la nouvelle du désastre de Braddock avait aussi fort
découragé ses soldats, qui s'étaient mis à déserter en grand
nombre ; que les cinq nations étaient opposées jerre qui
ruinait leur commerce, et enfin que l'arrivée '^ .s à Fron-
tenac et à Niagara avait dissipé le peu d' .. restait à ces
troupes de s'emparer de ces postes impo;
Ainsi les trois principales attaques des Anglais contre les forts
Duquesne, St.-Frédéric et Niagara, avaient échoué à la fin de la
campagne, et le Canada pouvait s'estimer heureux d'un résultat
♦Minot ; Continuation of Ihc Hlitory of MasmchuscUs liay.
HlfiTOinE nu CANADA.
237
qui devait dépasser sph plus hautes espérances, vu la grande
supériorité numérique do ses ennemis. Les troupes françaises
occupaient toutes les positions qu'elles avaient au printemps,
excepté celle de Beauséjour, dont la perte n'eut, comme on l'a
déjà dit, aucune influence sur le sort des événcmens militaires,
puisque M. de Boishébert, qui commandait dans cette partie,
n'avait pas cessé de s'y maintenir.
Mais les suites de ces échecs furent désastreuses pour les fron-
tières américaines. Les armées anglaises ayant été défaites ou
obligées de retraiter, la bride fut lâchée aux bandes canadiennes
et sauvages, qui dévastèrent leurs établissemens depuis la Nou-
velle-Ecosse jusqu'à la Virginie avec toute la vengeance qu'ins-
pirait la guerre injuste qu'on nous faisait. Plus de mille habitans
furent massacrés ou traînés en captivité par ces guerriers redou-
tables, qui, comme un torrent dévastateur, ne laissaient que des
ruines sur leur passage. Les populations épouvantées abandon-
nèrent leurs foyers, et allèrent chercher un asile dans les pro-
vinces méridionales ou sur les bords de la mer. Toutes le-i
colonies anglaises étaient dans l'étonnement en voyant le résultat
de la campagne. " Quatre armées étaient sur pied, dit Minot,
un de leurs historiens, pour repousser les empiétemens des Fran-
çais ; nos côtes étaient gardées par la flotte du brave et vigilant
Boscawen ; nous n'attendions qu'un signal pour noua emparer de
la Nouvelle-France. Mais quel n'est pas notre désappointement ]
On a réussi en Acadie, il est vrai, mais Braddock a été défait ;
mais Niagara et St.-Frédéric sont encore entre les mains des
Français; mais les barbares ravagent nos campagnes, égorgent
nos habitans ; nos provinces sont déchirées par les factions et le
désordre règne dans nos finances." Les préparatifs pour l'expé-
dition contre le fort St.-Frédéric avaient coûté £80,000 à la
Nouvelle-Angleterre seule, outre un grand nombre de réclama-
tions qui restaient encore à régler. Ces provinces se voyaient
donc à la fin de l'année exposées à tous les malheurs d'une
guerre inspirée par leur seule ambition.
La saison des opérations tirant à sa fin, les troupes françaises
vinrent prendre leurs cantonnemens d'hiver dans les environs de
Montréal. La sécurité n'avait pas été un instant troublée dans
l'intérieur du pays. Le contraste avec les colonies voisines nous
'm
238
HISTOIRE DU CANADA.
étaient favorable pour le moment. Mais l'avenir paraissait tou-
jours menaçant et sombre. Déjà l'on souffrait depuis quelque
temps de la rareté des vivres. Le manque des récoltes dans le
gouvernement de Québec, les levées considérables de grains faites
par l'intendant pour la subsistance des troupes, des Sauvages et
des Acadiens répandus sur les rives du golfe St.-Laurent et de la
baie de Fondy, amenèrent bientôt une disette assez sérieuse, sur-
tout parmi les habitans pauvres des vi'les. Ce n'était là pourtant
que le prélude des maux et des privations de tous genres que
devait entraîner cette longue et cruelle guerre.
On annonçait déjà que l'Angleterre devait opérer dans la pro-
chaine campagne avec un grand accroissement d forces. L'on
ne perdit point de temps en Canada pour se mettre en état de
bien recevoir les ennemis, et m4me d'aller porter la guerre chez
eux si une occasion favorable se présentait. Le gouverneur et
l'intendant demandèrent, dans leurs dépêches à Paris, des secours
en hommes, en matériel de guerre et en vivres. Ils comparaient
la situation inégale des Français et des Anglais en Amérique.
Les principaux officiers de l'armée, qui correspondaient avec les
ministres, écrivaient dans le môme sens. Plusieurs d'entre eux
avaient des craintes qu'ils ne cherchaient pas à dissimuler: " La
situation de la colonie, disait M. Doreil, commiss?''re général des
guerres, est critique à tous égards; elle exige de prompts et de
puissans secours. J'ose même assurer que si l'on n'en envoie
pas, elle courra les plus grands risques dès l'année prochaine."
Toutes les correspondances faisaient ressortir, chacune à sa
manière, la disproportion des deux nations dans le continent. On
demandait surtout un général expérimenté pour remplacer le
baron Dieskau, des ingénieurs qui manquaient totalement et des
officiers d'artillerie. " Il faudrait, observait l'intendant, plusieurs
corps en campagne le printemps prochain, et 16 ou 1700 hommes
de troupes de terre et 1000 ou 1200 hommes de celles dj la colo-
nie ne suffiront pas ; il faut toujours garder une certaine quantité
des dernières pour le service des trois villes ; il en faut pour les
différens postes. Ainsi ce sont les Canadiens qui font la plus
grande partie de ces armées, sans compter 1000 à 1200 qui sont
continuellement occupés aux transports. Les Canadiens étant
ainsi employés à l'armée ne labourent point leurs terres ancienne-
HISTOIRE DU CANADA.
239
ment défrichées, bien loin d'en défricher de nouvelles. Les
levées qu'on va en faire dépeupleront encore les campagnes.
Que deviendra la colonie 1 Tout y manquera, principalement le
blé. On avait eu jusqu'à présent l'attention de ne faire les levées
qu'après le labour du printemps. tJe ména^ment ne peut plus
avoir lieu, puisqu'on fera la guerre pendant l'hiver, et que les
armées doivent être rassemblées dès le mois d'avril. De plus, les
Canadiens diminuent beaucoup ; il en est mort un grand nombre
de fatigues et de maladies. Il ne faut, ajoutait l'intendant, comp-
ter sur les Sauvages qu'autant que nous serons supérieurs, et
qu'on fournira à tous leurs besoins." Telle était déjà la gravité
des choses à la fin de 1755.
Cependant la deuxième année d'hostilités en Amérique allait
finir, et les deux peuples ne s'étaient pas encore adressés des
déclarations formelles de guerre. La diplomatie restait toujours
saisie des questions en litige. Le 21 décembre, M. Rouillé,
ministre des affaires étrangères, adressa à M. Fox une lettre dans
laquelle il demandait une réparation éclatante des insultes faites
au pavillon français par les attaques dont il avait été l'objet, et
déclarait qu'il regarderait un refus comme un dessein de troubler
le repos de l'Europe. Le ministre anglais fit une réponse moti-
vée, en déclarant en termes modérés mais positifs, qu'il ne pour-
rait y satisfaire tant que la chaîne de forts élevés au nord-ouest
des Apalaches subsisterait. Après ce qui avait eu lieu, après les
longs débats surtout dans la chambre des communes, il n'y avait
plus d'entente possible. Louis XV fut donc obligé de vaincre
ses dangereuses répugnances et de se résoudre à la guerre.
Dunkirque fut fortifié, les Anglais eurent ordre de sortir de
France, leurs vaisseaux furent saisis dans les ports ; on arma des
escadres considérables, oa menaça la Grande-Bretagne d'une
descente. Celle-ci demanda des secours à la Hollande et au
Hanovre. Mais ces menaces cachaient un autre projet, que le
peuple anglais n'apprit que par la défaite de l'amiral Byng et la
prise de l'île de Minorque.
L'Europe, comme l'Amérique, ne retentissait plus maintenant
que du bruit des armes. Le 17 mai l'Anf'eterre publia une
déclaration de guerre contre la France, qui en publia une à son
tour contre l'Angleterre dans le mois suivant. Ces actes l 'étaient
M
I sii
240
HISTOIRE DU CANADA.
qu'une formalité puérile, dont on pouvait se dispenser. Le cang
répandu avait déjà parlé un langage plus solennel.
Les ministres français résolurent d'envoyer au Canada deux
nouveaux bataillons comme le demandait M, de Vaudreuil, et des
recrues pour compléter ceux qui y étaient déjà, ainsi que des
vivres et 1,300,000 livres en numéraire. L'envoi d'argent porta
contre toute attente, un préjudice grave au pays, comme nous
l'avons observé en parlant de son commerce, en ce que sa cir-
culation fit baisser le papier-monnaie et les lettres de change d'un
quart.
Le roi choisit le marquis de Montcalm, maréchal de camp,
pour remplacer le général Dieskau. C'était un vieil officier qui
comptait 35 ans de service ; il avait embrassé l'état militaire en
1721 à l'âge de 14 ans. Il avait servi en Italie et en Allemagne
et s'était signalé à la bataille de Plaisance et au sanglant combat
de l'Assielte, où il était colonel. 11 avait reçu cinq blessures
dans ces deux actions. Il s'était aussi distingué sous le maréchal
de Belle-Isle dans la fameuse retraite de Prague. Mais il possé-
dait tous les défauts des généraux de son temps ; il était à la fois
rempli de feu et de nonchalance, timide dans ses mouvemens
stratégiques et audacieux au combat jusqu'à négliger les régies de
la plus commune prudence, du reste, d'une bravoure personnelle
à toute épreuve. Il s'embarqua pour le Canada avec le brigadier
de Levis, officier distingué, M. de Bourlamarque, colonel du
génie, des officiers d'artillerie, les deux bataillons qu'on y envoyait,
formant 1000 hommes, et 400 recrues. Le général Montcalm
parvint à Québec vers le milieu de mai 1756 ; les renforts conti-
nuèrent à y arriver dans le cours de ce mois et du mois de juin,
avec les vivres et les munitions de guerre qu'on attendait avec
impatience. Ces renforts, réunis aux seize cents soldats des
quatre bataillons reçus l'année précédente et aux troupes de la
colonie, portaient toute l'armée régulière à un peu plus de 4000
hommes ; et ce fut à peu prés toute l'aide qu'on reçut de France
pendant cette guerre.
Montcalm alla rejoindre le gouverneur à Montréal, où il se
tenait pour être plus près du théâtre des hostilités. Après un
examen minutieux de la situation et des circonstances du pays, il
fut arrêté entre ces deux chefs d'établir deux camps principaux,
HISTOIRE DU CANADA.
241
l'un à Carillon et l'autre à Frontenac, afin d'être à portée d'ob-
server les deux points sur lesquels les Anglais commençaient à
rassembler leurs forces, savoir : le fort Oswégo, pour opérer par
le lac Ontario, et le fort Edouard sur l'Hudson, pour opérer par
le lac Champlain. Le bataillon de Béarn reçut ordre en consé-
quence de s'avancer jusqu'à Niagara, où quelques hommes
avaient été laissés l'automne précédent, et que M. Pouchot,
officier d'infanterie versé dans la science de l'ingénieur, fut
chargé de fortifier. Deux autres bataillons furent dirigés sur
Frontenac avec instruction de s'y retrancher et de donner la
main à 1000 Canadiens et Sauvages jetés dans l'espace qu'il y
avait entre eux et Niagara. M. de Bourlaraarque fut chargé du
commandement de cette frontière. Quant à Carillon, 3000
hommes dont 1500 réguliers, s'y trouvaient réunis à la fin de
juillet sous les ordres du chevalier de Levis.
Il fut envoyé aussi 120 hommes pour la protection des pêche-
ries de Gaspé, et M. de Boishébert demeura chargé delà défense
de la frontière du côté de l'Acadie avec un corps de Canadiens
et de Sauvages. Dans l'ouest, M. Dumas releva M. de Contre-
cœur au fort Duquesne, et M. de Belle-estre, M. Demuy au
Détroit. Ces commandans avaient pour lieutenans dans les difie-
rens postes, MM. de Repentigny, d'Anglade, Hébert, Beaubassin,
etc. 3,500 Canadiens et Sauvages étaient répandus sur cette
frontière depuis le lac Erié jusqu'à la vallée du Mississipi en
suivant la ligne de l'Ohio et des Illinois. Les forces armées pour
la défense du Canada depuis le Cap-Breton jusqu'aux Illinois
s'élevèrent donc dans cette campagne, à 12,000 hommes au plus
haut chifire ; elles étaient beaucoup moindres lorsque les milices,
après leurs expéditions guerrières, rentraient dans leurs foyers
pour faire les semailles ou la moisson et vaquer aux autres travaux
des champs.
La forteresse de Louisbourg qui était un point capital, avait à
elle seule une garnison de 1100 hommes ; ce qui était encore trop
peu cependant. On le sentit à la cour, et on voulut y envoyer un
renfort de 600 hommes sur la frégate l' Arc-en-ciel. Mais ce
vaisseau fut pris par la croisière anglaise établie sur les côtes du
Cap-Breton, sous les ordres du capitaine Spry.
Tels étaient les préparatifs des Français pour la campagne de
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242
HISTOIRE DU CANADA.
56. Ceux de la Grande-Bretagne furent beaucoup plus formi-
dables.
Elle ne voulut rien changer à son plan d'invasion de l'année
précédente ; elle vota les finances et les soldats qu'on lui demanda
pour laver la honte de la défaite du général Braddock et venger
la perte de l'île de Minorquedans la Méditerranée, deux événe-
mens qui avaient fait une sensation considérable en Angleterre.
L'Amérique, principal ihéâtre des opérations militai res,fixa surtout
l'attention des peuples britanniques, qui voyaient là leurs futures
conquêtes et le siège de leur domination permanente. Le comte
de Loudoun, vieil officier d'expérience, fut nommé gouverneur de
la Virginie et général en chef des armées de l'Amérique du nord.
Le général Abercromby y fut envoyé avec deux nouveaux régi-
mens. 115,000 louis sterling furent votés par la chambre des
communes pour aider les colonies à armer leurs milices. Les
gouverneurs des diverses provinces s'assemblèrent à New- York,
et résolurent de lever 10,000 hommes pour prendre le fort St.-
Frédéric et s'assurer du commandement du lac Champlain ; 6,000
hommes pour faire le siège de Niagara et couper la communica-
tion de la vallée de l'Ohio ; 3,000 hommes pour marcher sur le
fort Duquesne, et enfin 2,000 pour faire une diversion du côté de
Québec, en remontant la rivière Kénèbec, traversant les Allégha-
nys et descendant la rivière Chaudière qui tombe dans le St.-
Laurent à quelques milles de cette ville, et tenir tout le centre
du Canada en alarmes. Ces milices devaient former, avec
d'autres petits corps volans placés sur les frontières, une armée
d'environ 25,000 hommes ou le double de celle des Français,
outre les troupes régulières. Mais malgré cette grande augmen-
tation de forces, et les flottes nombreuses qui couvraient les mers
de ce continent, nous allons voir que la campagne de 1756 fut
encore plus malheureuse pour l'Angleterre que les Jeux précé-
dentes.
n
CHAPITRE II.
PRISE D'OSWÊGO ET DE WILLIAM-HENRY.
1756-1757.
f
Alliances indiennes ; les cantons iroquois protestent de leur neutralité. —
Préparatifs militaires. — Bandes canadiennes en campagne tout l'hiver
(1755-56) ; destruction du fort Bull et dispersion d'un convoi de 400 ba-
teaux ennemis.— Commencement de désunion entre le gouverneur et le
général Montcalm au sujet de l'entreprise sur Oswégo. — Siège de cette
place. — La garnison abandonnée du général Webb capitule. — Butin que
l'on fait. — Les Sauvages tuent un grand nombre de prisonniers ; on ne
parvient à les arrêter qu'avec beaucoup de peine. — Les fortifications d'Os-
wégo sont rasées. — Joie que cette victoire répand en Canada. — Les
Anglais suspendent toutes leurs opérations pour le reste d<> la campagne. —
Les Indiens ravagent leurs provinces. — Les Canadiens enlèvent Grenville
à 20 lieues de Philadelphie. — Disette en Canada. — Arrivée des Acadiens
qui mouraient de faim. — Ils se dispersent dans le pays. — Demande de
secours en France. — Augmentation rapide des dépenses. — Montcalm sug-
gère d'attaquer l'Acadie au lieu des forts Edouard et William-Henry.^
Pitt monte au timon des affaires en Angleterre ; nouveaux efforts de cette
puissance en 1757. — Elle forme et on abandonne en chemin le dessein de
prendre Louisbourg, protégé par la flotte de l'amiral Dubois de la Motthe.
— Des bandes canadiennes tiennent la campagne pendant l'hiver ; jNI. de
Rigaud, à la tête de 1,500 hommes, détruit les environs du fort William-
Henry. — Les tribus indiennes restent fidèles à la France, qui envoie des
secours. — Prise de William-Henry après un siège de 6 jours. — La garnison
forte de 2,400 hommes, met bas les armes. — Les prisonniers sont encore
attaqués à l'improviste par les Sauvages, qui en massacrent plusieurs, les
pillent et les dispersent. — Le fort William-Henry est aussi rasé. — La
Disette va en augmentant en Canada. — Murmures des troupes. — Les dis-
sentions deviennent plus visibles entre les chefs de la colonie. — Succès
variés de la France dans les autres parties du Monde. — Elle ne pei
envoyer que quelques recrues en Amérique. — L'Angleterre y porte sou
armée à 50,000 hommes dont 22,000 réguliers, pour la campagne de 1758.
Dans l'hiver M. de Vaiidreuil porta son attention sur l'importante
affaire des alliances indiennes, surtout celle avec les cinq nations,
qui cherchaient à conserver la neutralité et à faire respecter l'in-
légrité de leur territoire. Il reçut avec une grande distinction la
députation nombreuse qu'elles lui envoyèrent, et les assura que
son plus grand désir était de rester en bonne intelligence avec
I :.
244.
HISTOIRE DU CANADA.
elles. Cea délégués satisfaits se retirèrent en renouvelant leurs
protestations pacifiques. C'est en partie pour ne pas indisposer
ces peuples que le gouverneur fit raser les fortifications d'Oswégo,
lorsque l'on s'empara de cette place.
La saison des opérations arrivait, mais l'ennemi qui avait appris
à être plus circonspect, ne montrait pas pour se mettre en cam-
pagne le même empressement que l'année précédente. La levée
de ses troupes avait éprouvé aussi beaucoup de délais inévitables.
Une difficulté d'étiquette vint les accroître. D'après des règles
de guerre faites à Londres, les officiers de l'armée régulière
devaient avoir la préséance sur ceux de la milice coloniale.
Cette distinction causa un mécontentement universel parmi la
libre et fière population américaine. Elle repoussa avec dédain
l'infériorité que l'on voulait lui imposer, et lord Loudoun fut obligé
de donner satisfaction à une exigence qui ne paraissait du reste que
légitime. Il laissa donc subsister l'organisation militaire que les
colonies s'était attribuée au commencement de la guerre. En
Canada les mêmes difficultés se présentèrent ; mais la sagesse
du gouvernement les fit cesser aussitôt. M. de Vaudreuil, qui
était l'ami et le protecteur des Canadiens, repoussa toute atteinte à
leurs droits et à l'usage établi.
L'inactivité prolongée des Anglais, qui commençait à causer
quelque étonnement en Canada, permit de mettre à exécution un
projet conçu dans le temps de la construction d'Oswégo, cons-
truction qu'on avait regardée à la fois comme un acte d'hos-
tilité et comme une menace. M. de Vaudreuil ayant la prise de
ce fort à cœur, n'avait fait que l'ajourner l'année précédente ; et
dans la prévision de sa réalisation prochaine, les préparatifs
étaient faits pour l'exécuter. Des partis avaient été tenus tout
l'hiver en campagne, entre Albany et ce fort, pour détruire les
petits postes qu'on y aurait élevés et pour harceler sans cesse les
communications. Dans le mois de mars, M. de Léry, à la tête
de 300 hommes, prit u'" magasin considérable, connu sous le
nom de fort Bull, situé entre Schenectady et Oswégo. On y
détruisit une immense quantité de poudre et de projectiles de
guerre, dont la perte retarda beaucoup les mouvemens de l'ennemi.
Le fort Bull était palissade et garni de meurtrières. Sa prise
ofirit ceci de singulier, que les meurtrières au lieu d'être une pro-
w
mm
HISTOIRE DU CANADA.
243
tection pour la garnison, servirent aux assaillans qui s'en empa-
rèrent avant que la garnison put s'y placer, et tirèrent par ces
ouvertures du dehors en dedans de l'enceinte. Les palissades
ayant été coupées à coups de hache, le fort fut pris d'assaut, et
tous ceux qui le défendaient furent passés au fil de l'épée.
M. de Vaudreuil envoya dès le petit printemps, M. de Villiers
avec 900 hommes pour observer les environs d'Oswégo et inquié-
ter les Anglais. Ce détachement eut plusieurs escarmouches.
Le 3 juillet, il attaqua un convoi de 3 à 400 bateaux qui revenait
de porter des armes et des vivres au fort, le dispersa, tua beau-
coup de monde, leva des chevelures et fit quantité de prisonniers.*
A la suite de ce nouveau succès l'attaque fut définitivement
résolue et les troupes reçurent l'ordre de se mettre en mouvement.
C'est alors qne le public crut apercevoir un refroidissement
entre le gouverneur et le commandant des troupes. Ces deux
chefs qui s'étaient plus d'abord avaient fini par se méfier et s'éloi-
gner l'un de l'autre. La différence de caractère et des personnes
intéressées peut-être à les diviser, confirmèrent encore ce mal-
heureux penchant. Il n'y eut dans les commencemens que leurs
amis intimes qui s'aperçurent de ce changement, qui devait être
si funeste dans la suite. Plus tard cette désunion devint appa-
rente pour to'it le monde.
Montcalm, pir un fatal pressentiment, ne crut jamais au suc-
cès de la guerre, comme ses lettres ne l'attestent que trop ; de là
une apathie qui lui aurait fait négliger tout mouvement agresseur,
sans Vaudreuil, qui, soit par conviction, soit par politique, ne
parut au contraire jamais désespérer, et conçut et fit exécuter les
entreprises les plus glorieuses qui aient signalé les armes françai-
ses. Tei >^;tait cependant le progrès des idées de Montcalm dans
l'armée, que le gouverneur disait dans une lettre qu'il adressait
• Lettre de M. de Montcalm au ministre, du 20 juillet 1756. Il dit que
l'avantage aurait été plus considérable si les Sauvages n'avaient pas attaqué
trop tôt. Lettre de M. de Vaudreuil, du 30 août. La plupart des historiens
américains ne parlent point de cette surprise. Smollett rapporte que les
Anglais étaient commandés par le colonel Bradstreet, qu'ils défirent com-
plètement lours assaillans après un combat de trois heures, et firent 70 pri-
sonniers. Mais Sismondi, parlant de Smollett, observe qu'il n'a écrit en
général que sur des rapports de gazette et qu'il mérite peu de croyance,
observation vraie pour l'Amérique.
1 i ■ ^Vi
246
HISTOIRE DU CANADA.
aux ministres, après la prise d'Oswégo, que s'il se fût arrêté à
tous les propos inconsidérés qu'on tenait à ce sujet, il aurait été
obligé de renoncer à une entreprise qui devait déranger si profon-
dément tous les plans des généraux anglais. En effet Montcalm
ne l'approuvait qu'à demi et avait des doutes sur le succès ; il
s'exprimait ainsi dans une dépêche : •'* L'objet qui me fait passer
à Frontenac, est un objet qui m'a paru assez militaire, si toutes
les parties de détail sont assez bien combinées, et je pars sans en
être ni assuré ni convaincu."
Le fort Osvvégo, bâti par les Anglais sur la rive droite du lac
Ontario pour protéger leur commerce et les établissemens qu'ils
voulaient former entre l'Hudson et ce lac, acquérait en temps do
guerre une double importance par sa position. Il servait d'un
côté à contenir les tribus iroquoises, et menaçait de l'autre les
communications entre l'extrémité inférieure et l'extrémité supé-
rieure du Canada, parce que les Anglais pouvaient, de ce point,
attaquer le fort Frontenac et s'emparer du commandement du lac
Ontario. 11 était donc important de se rendre maître de cette
position, et de les rejeter dans la vallée de l'Hudson. C'est ce
que le gouvernement français avait senti, et ce que M. de Vau-
dreuil voulut exécuter.
Ce gouverneur, qui avait dirigé une partie des préparatifs,
avait si bien pris ses mesures que l'armée surprit pour ainsi dire
les ennemis, que les détachemens tenus aux environs, avaient
empêchés de pousser des reconnaissances au loin. Vaudreuil
avait réuni 3000 hommes à Carillon, et Montcalm s'y était rendu
avec grand bruit pour attirer leurs regards de ce côté. Tandis
qu'ils croyaient encore ce général, qu'ils redoutaient, sur le lac
Champlain, celui-ci était revenu soudainement à Montréal ; et
trois jours après, le 21 juillet, il repartait pour aller se mettre à
la tête des troupes expéditionnaires réunies à Frontenac, sous les
soins de M. de Bourlamarque. Un camp d'observation avait été
formé par M. de Villiers à Niaouré, à 15 lieues d'Oswégo. On
en donna le commandement à M. de Rigaud, avec ordre de pro-
téger d'abord le débarquement de l'armée sur la rive méridionale
du lac, et ensuite d'en former l'avant-garde. Pour ne pas éprou-
ver d'obstacles de la part des Iroquois, une partie de leurs prin-
cipaux guerriers avait été attirée à Montréal, et une autre à
HISTOIRE DU CANADA.
247
Niagara, où ils servaient d'otages pour la conduite de la confédé-
ration. On avait en même temps placé deux barques de 12 à
16 canons en croisière devant Osv^régo, et établi une chaîne de
découvreurs entre ce fort et Albany pour intercepter les couriers.
Le général Montcalra arriva à Frontenac le 29 juillet. Le 4>
août !a première division de l'expédition, forte de deux bataillons
et de 4 bouches à feu, s'embarqua et atteignit Niaouré le 6. La
seconde ou dernière division y arriva le 8; elle était formée d'un
bataillon de réguliers et d'un corps de Canadiens, avec plus de
80 bateaux chargés d'artillerie, de bagages et de vivres. Ces
troupes réunies formaient environ 3,100 hommes, dont 1,350
réguliers, 1,500 Canadiens et soldats de la colonie, et 250 Sauva-
ges." De la baie de Niaouré l'armée, pour dérober sa marche,
cheminait de nuit seulement et se retirait le jour dans les bois du
rivage, en couvrant les bateaux qui servaient à la transporter de
feuillages épais, et parvint ainsi le 10, dans une anse à une demi-
lieue de la place sans presque être découverte, sous la protection
de l'avant-garde, qui avait continué son chemin par terre, et qui
investit le lendemain le fort Ontario.
Les ouvrages défensifs d'Osvvégo consistaient en trois forts ; le
fort Oswégo proprement dit, dont les remparts étaient garnis de
18 pièces de canon et de 15 mortiers ou obusiers; le fort Ontario
élevé tout récemment au milieu d'un plateau dans l'angle formé
par la rivière qui avait donné son nom au principal fort, et le lac,
et enfin le fort George situé sur une hauteur à 300 toises de celui
d'Osvvégo qu'il dominait ; ce dernier n'était qu'un mauvais retran-
chement en terre garni de pieux, et défendu par quelques pièces
de canon. Ces diverses fortifications avaient une garnison de
seize à dix-sept cents hommes des régimens de Shirley, Pepper-
rell et Schuyler, noms populaires depuis l'expédition de Louis-
bourg. Le colonel Mercer les commandait.
Les Français ayant établi leur camp dans l'anse où ils avaient
débarqué, employèrent les journées du 11 et du 12 à percer un
chemin dans un bois marécageux jusqu'au fort Ontario, pour le
passage des troupes et de l'artillerie. Le colonel de Bourlamarque
fut chargé de la direction du siège. La tranchée, ouverte à 90
toises de ce dernier fort, malgré un feu d'artillerie et de mousque-
* Les auteurs américains disent 5000. Nous donnons les chiffres officiels.
i'iM
::s ..a
:248
HISTOIRE DU CANADA.
terie très vif des assiégés, reçut six pièces de canon. Le colonel
Mercer, qui s'était transporté dans re fort de sa personne, ne vou-
lant pas attendre l'assaut, et ayi;at épuisé ses munitions, fit
enclouer les canons et l'évacua. Les Français y entrèrent aussitôt.
Mercer envoya alors 370 hommes pour tenir la communication
ouverte entre le fort George, où commandait le colonel Schuyler,
et le fort Osvvégo où il se retira lui-môme. Mais M. de Rigaud
ayant passé la rivière à la nage avec un corps de Canadiens et
de Sauvages le 14 au point du jour, chassa ces troupes et s'établit
entre les deux forts, jetant, par ce mouvement hardi, l'intimidation
parmi les assiégés et les séparant en deux. Cette manœuvre fut
suivie de l'établissement d'une batterie de neuf pièces de canon
sur l'escarpement de la rivière, du côté opposé au fort Osvvégo,
laquelle ouvrant un feu plongeant dans les retranchemens qu'il y
avait autour de cette place, frappait les soldats découverts jus-
qu'aux jenoux et leur ota toute espérance de pouvoir s'y mainte-
nir. A sept heures du matin le colonel Mercer fut tué, et
quelques heures après les assiégés demandèrent à capituler. La
rapidité des travaux du siège, le passage audacieux de la rivière
qui otait aux Anglais toute retraite, la mort de leur comman-
dant, tout contribua à les décider à prendre une résolution que les
assiégeans n'osaient pas espérer sitôt, car les assiégés avaient à
peu de distance, un corps de 2,000 hommes sous les ordres du
général Webb, que Montcalm s'attendait d'un moment à l'autre à
voir paraître, et qu'il s'était préparé, du reste, à bien recevoir.
Le colonel Mercer avait écrit à Webb, le 12 à 4 heures du matin,
pour l'informer de sa situation et l'appeler à son secours ; 2 heu-
res après, la lettre interceptée était remise au général français,
qui pressa davantage les travaux du siège. Le général Webb
apprit en route, à Wood's Creek, la capitulation d'Oswégo. Il
s'empressa aussitôt d'embarrasser la rivière, et de rebrousser che-
min avec une précipitation qui tenait presque de l'épouvante.
La capitulation fut signée à 11 heures du matin. Le colonel
Littlehales, qui avait remplacé le colonel Mercer, resta prisonnier
avec la garnison des deux forts et les équipages des navires, for-
mant 1,400 soldats, 300 marins et ouvriers, 80 officiers et une
centaine de femmes et d'enfans. Les troupes posèrent les arn.^^s.
Qn prit sept bâtimens de 8 à 18 canons, 200 bateaux, 107 pièces
tfif£Xf i^^^t^msrawis: :i-: .•;:
HISTOIRE DU CANADA.
i£49
de canon, 14 mortiers, 730 fusils, une immense quantitù de muni-
tions de guerre et de bouche, 5 drapea-ix et la caisse militaire
renfermant 18,000 francs. Cette belle conquête ne coûta que
quelques hommes. Les assiégés avaient perdu environ 150 tués
ou blessés, y compris plusieurs soldats qui voulurent se sauver
dans les bois pendant la capitulation, et qui tombèrent sous la
hache des Indiens.
Ces barbares, se voyant frustrés du pillage de la place con-
quise, qu'un assaut leur aurait livré, voulaient à toute force faire
un butin. Ils se jetèrent sur les prisonniers isolés, les pillèrent
ou les massacrèrent. Ils envahirent les hôpitaux et levèrent la
chevelure à une partie des malades. Une centaine d'hommes
devinrent leurs victimes. Le général Montcalm, à la première
alarme, s'était empressé de prendre des mesures énergiques pour
faire cesser ces sanglans désordres ; mais il ne put réussir qu'avec
beaucoup de difficulté, et encore, pour satisfaire les Sauvages
excités par la soif du sang qu'ils venaient de verser, fut-il obligé
de leur promettre de riches présens. " Il en coûtera au roi huit
à dix mille livres, écrivit-il au ministre, qui nous conserveront
plus que jamais l'affection des nations ; et il n'y a rien que je
n'eusse accordé plutôt que de faire une démarche contraire à la
bonne foi française."
Toutes le 3 fortifications d'Osvvégo furent rasées, suivant les
ordres du gouverneur, en présence des chefs Iroquois, qui virent
tomber avec la satisfaction la plus vive ces forts élevés au milieu
de leurs cantons, et qui offusquaient leur amour-propre national
et leur jalousie. Cette détermination était d'une sage politique,
attendu que l'on manquait de forces pour y laisser une garnison
capable de se maintenir dans cette position avancée ayant le lac
Ontario à dos.
L'époque de la moisson appelait depuis quelque temps le retour
des Canadiens dans leurs foyers. Le gros de l'armée se rembar-
qua avec les prisonniers pour retourner en Canada, où la victoire
de Montcalm causa une joie universelle, et fut l'occasion de
réjouissances publiques. Suivant l'usage un Te Deum fut chanté
dans les églises des villes, où l'on suspendit avec solennité les
drapeaux pris sur l'ennemi comme des trophées propres à entre-
tenir le zèle des Canadiens et à annoncer surtout l'éloignement
250
HISTOmE DU CANADA.
du danger. Les regrets des Anglais, qui regardèrent la perte
d'Osvvégo comme l'événement le plus désastreux qui put leur
arriver, comme un malheur national, montraient qu'on n'avait
pas exagéré cette conquête. Eu effet ils suspendirent aussitôt
toutes leurs opérations offensives, le général Abercromby accu-
sant le général Schuyler de ne pas lui avoir fait connaître l'état
de la place. Le général Winslovv reçut ordre de ne point mar-
cher sur Carillon, et de se retrancher de manière à surveiller les
routes du lac Champlain et d'Osvvégo. Le général Webb fut
placé au portage de la tète du lac St.-Sacrement avec 1,400
hommes, et sir William Johnson, avec 1000 miliciens, à German
Flatts sur la rivière Hudson. L'expédition par la rivière Chau-
dière fut abandonnée ou changée en course de maraudeurs ; enfin
celle qu'on avait projetée contre le fort Duquesne, fut ajournée à
lin tenips plus propice. Ces mesures de précautions occupèrent
l'ennemi le reste' de la campagne.
L'atla(jue d'Osvvégo, dont la conception était due à M. de
Vaudreuil et l'exécution au général Montcalm, fit le plus grand
honneur à ces deux hommes ; mais le succès qui l'avait cou-
ronnée ne rétablit point entre eux une amitié franche et cordiale.
Montcalm parut mécontent et morose ; et comme s'il eût regretté
une victoire obtenue contre ses prévisions, il écrivait à Paris:
** C'est la première fois qu'avec 3,000 hommes et moins d'ar-
tillerie qu'eux, on en a assiégé 1,800, qui pouvaient prompte-
ment être secourus par 2,000, et qui pouvaient s'opposer à notre
débarquement, ayant une supériorité de marine sur le lac Onta-
rio. Le succès a été au-delà de toute attente. La conduite que
j'ai tenue à cette occasion, et les dispositions que j'avais arrêtées
sont si fort contre les règles ordinaires, que l'audace qui a été
mise dans cette entreprise doit passer pour de la témérité en
Europe ; aussi je vous supplie, monseigneur, pour toute grâce
d'assurer sa Majesté que si jamais elle veut, comme je l'espère,
m'employer dans ses armées, je me conduirai sur des principes
différens." Il se plaignit encore dans l'automne de plusieurs
petits désagrémens que le gouverneur lui aurait fait éprouver;
que lui et M. de Levis recevaient des lettres et des ordres écrits
avec duplicité, et qui feraient retomber le blâme sur eux en cas
d'échec ; que les Canadiens n'avaient ni discipline, ni subordina-
HISTOIUE DU CANADA.
251
tion, etc. Les louanges que le gouverneur donnait dans acs
dùpCchca à leur bravoure, avaient cxcitù, à ce qu'il paraît, la
jalousie des troupes régulières; et le général Montcalm qui n'au-
rait pas dédaigné d'être le chef du parti militaire, et qui portait
peut-être déjà les yeux sur un poste plus élevé que le sien, devint
vis-à-vis de la mère-patrie l'organe d'un sj ème de dénigrement,
symptôme lointain de la désorganisation sourde qui s'introduisait
déjà dans tous les élémens de l'ancienne monarchie.
Comme nous venons de le dire, la perte d'Osvvégo fit suspendre
aux Anglais toutes leurs opérations pour le reste delà campagne,
tant sur le lac Ontario que du côté de l'Acadie. Sur le lac St.-
Sacrement les hostilités se- bornèrent à quelques escarmouches
jusqu'à l'automne, où les troupes françaises rentrèrent dans l'in-
térieur pour prendre leurs quartiers d'hiver, laissant quelques
centaines d'hommes en garnison à Carillon et à St.-Frédéric sous
les ordres de MM. de Lusignan et de Gaspé.
Du côté de l'Ohio, il ne se passa rien non plus de remarquable.
Mais les irruptions dévastatrices avaient continué dans la Penn-
sylvanie, le Maryland et la Virginie. Plus de soixante lieues de
pays avaient encore été abandonnées cette année avec les récoltes
et les bestiaux par les habitans, qui s'étaient enfuis au-delà des
Montagnes-Bleues. Les milices américaines, habillées et tatouées
à la manière des Indiens, n'avaient pu arrêter qu'un instant ces
invasions passagères et sanglantes. On eut môme des craintes
pour la sûreté de la ville de Winchester. Le colonel Washington,
qui commandait sur cette frontière, écrivit dans les termes les
plus pressans au gouverneur de la Virginie pour lui exposer l'ex-
trême désolation qui y régnait: " Je déclare solennellement
que je m'offrirais volontiers en sacrifice à nos barbares ennemis,,
si cela pouvait contribuer au soulagement du peuple."
M. Dumas avait fait enlever aussi, dans le mois d'août, le fort
Grenville situé seulement à vingt lieues de Philadelphie. Quel-
que temps auparavant, Washington avait voulu surprendre, avec
3 ou 400 hommes, Astigué, grosse bourgade des Sauvages-Loups ;
et il avait déjà réussi à mettre cette tribu en fuite, lorsque rame-
née à la charge par M. de la Rocquetaillade et quelques Cana-
diens, el'' avait mis à son tour les Anglais en déroute, et les avait
dispersés dans les bois.
iiii
'M
252
HISTOIRE DU CANADA.
Ainsi partout les opérations militaires nous avaient été favo-
rables et tout l'honneur en appartenait aux armes françaises, car
avec moins de 6,000 hommes elles avaient paralysé les mouve-
mens de près de 12,000, rassemblés entre l'Hudson et le lac
Ontario, et s'étaient emparé de leur plus forte place de guerre.
Pour récompenser le zèle et le courage des troupes, Louis XV
promut à un grade supérieur ou décora de la croix de St.-Louis
plusieurs olTiciers.
Si Ton avait lieu d'être satisfait de leurs services, la situation
intérieure du pays ne permettait guère cependant de se réjouir de
leurs succès, qui retenaient bien, il est vrai, la guerre au-delà des
frontières, mais qui étaient inutiles pour soulager les maux du
peuple. Toute l'attention du gouvernement se portait alors sur
la disette qui régnait, et qui était encore plus redoutable que le
fer des Anglais. Le tableau de la mioere et des souflfrances qui
s'offraient partout dans l'automne, frappait de pressentimens
sinistres les hommes les plus résolus. La petite vérole venait de
faire des ravages terribles, qui s'étaient étendus aux tribus
indijnnes. Les Abénaquis, cette nation si brave et si fidèle à la
France et au catholicisme, furent presqu'entièrement détruits par
le fléau. 11 n'en resta (jue quelques débris, qui s'attachèrent à
la cause des Anglais, leurs plus proches voisins. Les récoltes
avaient encore manqué, et, sans les vivres trouvés à Oswégo, on
ne sait ce que seraient devenus les postes de Frontenac, de Nia-
gara et de l'Ohio. L'intendant fut obligé de faire distribuer du
pain au peuple des villes chez les boulangers, à qui l'on fournis-
sait de la farine des magasins du roi. Les habitans aifamés
accouraient en foule et se l'arrachaient à la distribution. Dans le
même temps, les bâtimens envoyés à Miramichi pour porter des
provisions aux Acadiens, revenaient chargés de ces malheureux,
qui périssaient de misère et qui ne demandaient que des armes et
du pain pour prix de leur dévoûment. Leur arrivée .,e fit
qu'empirer le mal. On avait plus de combattans que l'on était
capable d'en nourrir, et l'on fut obligé de donner de la chair de
cheval à ces pauvres gens. Un^ partie mourut de la petite
vérole, une autre fut acheminée dans quelques seigneuries do
Montréal et des Trois-Rivières, où elle fonda les paroisses
de l'Acadic, Sl.-Jacque?, Nicolet et Bécancour ; le reste traîna
HISÏOIIIK nu CANADA.
253
pendant quelque temps une existence misérable dans les villes
et dans les campagnes, où il finit par se disperser et se fondre.
Enfin, dans le mois de mai 1757, le mal allant toujours en aug-
mentant, il fallut réduire les habitans de la capitale, depuis quel-
que temps déjà à la ration, à quatre onces de pain par jour.
On adressa de toutes parts des lettres à la France pour y appe-
ler son attention la plus sérieuse. Le gouverneur, les ofliciers
généraux, l'intendant, tous demandaient des secours pour triom-
pher et de la famine et de l'ennemi. Le succès de la prochaine
campagne dépendra surtout, disait-on, des subsistances qu'on y
enverra, car il serait triste que, faute de cette prévoyance, le
Canada fût en danger; toutes les opérations y seront subordon-
nées. Quant aux renforts de soldats, M. de Vaudreuil deman-
dait 2,000 hommes si l'Angleterre ne faisait pas passer de nou-
velles troupes en Amérique, sinon un nombre proportionné à ce
qu'elle enverrait. Les réguliers qui restaient à la fin de la cam-
pagne, sans compter les troupes de la colonie, ne formaient guère
plus de 2,400 bayonnettes.
Ces demandes continuelles effrayaient la France. Engagée
dans une fausse route, elle voyait ses finances s'abîmer dans la
guerre d'Allemagne et d'Italie, où elle n'avait rien à gagner, et
ses coffres rester vides pour faire face aux dépenses nécessaires
à la conservation du Canada et à l'intégrité de ses possessions
américaines. Le gouvernement sentait le vice de sa position, et
il n'en pouvait sortir, car le Canada était sacrifié à la politique de
la Pompadour. Il chicanait sur chaque article de la dépense.
Il observait que dans les temps ordinaires cette colonie ne coû-
tait à la France que 10 à 12 cent mille livres par année, et que
depuis le commencement des hostilités, la dépense avait monté
graduellement à 6, puis à 7, puis à 8 milhons ; que dès 1756 la
caisse coloniale se trouvait débitrice, par suite de ces exercices
extraordinaires, de 14 millions, dont près de 7 millions en lettres
de change payables l'année suivante. L'intendant Bigot mandait
que l'armée avait épuisé les magasins de tout à la fin de 56, que
les dépenses des postes de l'Ohio iraient jusqu'à 2 ou 3 millions,
et que celles de 57 monteraient, pour tout le Canada, à 7 millions
au moins. Ces demandes faisaient redouter au ministère un sur-
croît encore bien plus énorme. Les politiques à vues courtes,
H*
r'i;
}\\ .'■
254.
HISTOIRE DU CANADA.
les fôvoris du prirtce, qui participaient à ses débauches et profi*
taïent de seé prodigalités, s'écriaient que le Canada, ce pays' de
forêts et dé déserts glacés, 'coûtait irtfiniment plus' qu'il ne valait.
On ne voyait qu'une question d'argent là où «e trouvait une
question de puissance maritime et de grandeur nationale. La
France ou jilutôft' ses' irtinistiies oubliaient jusqu'à l'héroïsme'de
ses soldats sur cette ten*e lointaine, ptour fournir aux excès scan-
daleux des maîtresses royales. '■ ■'■!•'!!■ ly^
'•'■■Tout len enjoignant l'économie la pl'u« sévère, ils ne purent se
diépeni^er d'envoyer les renforts et les Récents en vivres et' en
inimilione qui avâieht été demandés. C'est après cet envoi en
1757 ^ue l'approvisionnement des armées qui, jusque-là, s'était
fait par régie, c'est-à-dîre par des employés qui faisaient les
â'èhats, fur mis en entreprise^' sur les suggestions présentées par
Bigot pendant quMl était en France en 55. Cadet, riche boucher
de Québec, devint l'adjudicataire des fournitures de l'armée et do
tous les postes pour neuf ans. Ce système qui subsisiait en
France, et qui était adopté pour prévenir les abus, contribua au
Contraire à les multiplier de ce côté-ci de l'océan d'une manière
effrayantë^'Cdt^trfe 6ii"lè'Verfa plustardV''' v^i'^t.-! •j:,^.!;,-; oni; ■'■.ii;:\>
■•"* Céfiétidiïnt le gériéral JVtdhtlJalm avait suggéré aux ministres,
àu'lieu d'attaq"UéCile fort 'William-Henry et le fort Edouard dans
sa prochaine campagne comme l'avait proposé M. de Vaudrcuil,
deux entrèptises qu'il considérait, l'une comme dllfieile et l'autre
cfomttiè impossible, dé faire plutôt une diversion sur l'Acadie avec
une eàc^adi'e et des troupes dé France, auxquelles on joindrait
2,500 Canadieris. Ce projet, qui avait Sans doute do l'audace,
ne fut point goûté, doit qWe Ton crut le succès inutile ou trop
doutètîx, soit qu'il était dangereuîi, ainsi que le fit observer M. de
Ijotbinière;,'de 'divisëf lëis^lbrceg du Canada, déjà si faibles, pour
fen'pbrtéf une j^àrficau loin darts un tettipe où ce pays était tou-
jours sérieuseiDént metiacé'J ■''■'^'' (-^iioili-iu il idj ,-.',(ii:iiiui,.i:i y.j
Dans la ffep6hise que'reçîit' Mdrit<?almi,' on lui recommandait
«rn'i'toù'f de faire tout ce qxiî' dépendrait de lui pour ramener la
bohne întelHgencte '6nt>^o les froupeé et les habitans ; et de se rap-
peler '(^u'il • était' ég'alén'i'èhit essentiel de bien ' traiter les alliés
îrtdieh^, fet'de' rendi-e à leur 'bravoure tous lès témoignages dont
ils étaient si ja!loux. Les rapports parvenus à Paris sur la con*
1 1
HISTOIRE DU CANADA.
25a
(luite'des militaires, dont la tendance et les préteritiotis se manifes-)
talent assez, du reste, dans leurs propres lettrea,; firent sans doute
motiver ces sages instructiona. Quant au projet de M. de Vou-
dreuil sur les forts William-Henry et Edouard, on n'adopta aucune
décision définitive pour le moments ' 'infijun; 'l,'- •.jp jii;' '.{t i C>
•;- Pendant {Jue la France ne: songeait ainsi qu'à prendre de&
mesures djèfensives pour l'Amérique du nord, PAjQgleterre, hoa-i
teuse de ses défaites de la dernièoo campagnes dans les dei»5ç
mondes,' voulut les ivertger dans celle qui allait s'ouvrir. Pour
se réhabiliter datas l'épinioû publique^ le mitvistère admit dans «otl
sein M. Pitt, devenu fameux depuis sous le iiom de lord; (Jhatham,
et MJ Legge^ deux hommes regardés comme les plius iUûâtresi!
citoyens idu royaume. Il fut décidé de pousser' la, guerre avec Igi
plus grande vigueur. ' Ddg esèadres et des troupes de renfort coiDt
sidérables furent envoyées len Amérique;; et afin; d'empêcher les
colonies françaises de recevoir les vivres donti on savait qu'elles
avaient un i besoin ipi"essant, le ïiarlement. anglais passa une: loi
pour défendre l'exportation de provisions hors des domaines bri-
tanniques. I '■;<;. . t (i;
Le bruit se répandit aussi en ' Fbancei qu'ilétait question' à
Londres d'attaquer Louisbourg ou le Canada du côté de la' mer.
Pitt voulait obtenir à quelque prioc que ce ■ fût; ; la supériorité : dians
le Nouveau- Monde ; on ajoutait quîil devuit y envoyer: 10 mille
hommes, et qu'il triplerait ces forces, s'il le fallait, ipôûraceonjplir
son dessein. : Cela ne fit point changer les résplutions dui imihi*-
tère français au sujet du éhiffre^ des. troupes;! à' enyoyer;' ^t c'est
en vnin que le maréchal de Belle-isle voulut-en représenterf.Ie
danger dans un mémoire qu'il soumit au conseil d^état : "Il y>ià
plusieurs mois que j'insisteydisait.'il, pour que nous fassions passer
dn Amérique, indépendamment des rècrties nécessaiires i pooc
^compléter les troupes dé nos colonie» eï de nos cégimens français,
les '4,000 hommes du sieur Fiechep.'i: . . D a un corps distingué
d'officiers, pitesque touà' gentilshommes, dont la J»lu9' grande partie
se propose de ne jamais retenir en Euro'pe, non' plus que les soli-
dats, ce qui fortifierait beaucoup, pour le présent et l'avenir, les
parties' de ces colonies où ces troupes' seraient destinéesk ■. . .ije
crois ne pouvoir trop insister. L'on se repentira^ peut-^tré - trop
tard de ne l'avoir pas fiiit, loraqii'il n'y auru plus de remède.; i. Je
\:'A
256
HISTOIRE DU CANADA.
conviens que la dépense de transport est excessivement chère ;
mais je pense qu'il vaudrait encore mieux avoir quelques vais-
seaux de ligne de moins et se mettre en toute sûreté pour la con-
servation des colonies."
On ne sait quelle influence ce renfort eût exercé sur le résultat
des opérations militaires de 59 ; mais il est déplorable de penser
que le sort du Canada ait tenu peut-être à la chétive somme
qu'eut coûté le transport de ces troupes en Amérique ! Le con-
seil se contenta d'envoyer pour protéger Louisbourg, une escadre
dans les parages du Cap-Breton sous les ordres de M. d'Aubigny,
et d'en détacher quelques vaisseaux sous le commandement de M.
de Montalais, pour croiser dans le bas du St.-Laurent. L'évé-
nement prouva, du moins pour cette année, que cette escadre qui
couvrait à la fois Louisbourg et le Canada, était le meilleur
secours que l'on pût nous fournir, si en effet on ne pouvait, comme
l'on disait, en fournir que d'une sorte.
Dans cette situation, le Canada dut rester sur la défensive pour
attendre les événemens, se tenant prêt toutefois à profiter des
moindres circonstances favorables qui pourraient se présenter, et
ne détachant point ses regards de tous les mouvemens que faisaient
ses ennemis.
Par suite du nouveau système adopté par l'Angleterre pour
pousser la guerre avec vigueur, lord Loudoun assembla à Boston,
en janvier 57, les gi uverneurs des provinces du Nord, la Nou-
velle-Ecosse comprise, afin de s'entendre sur un plan d'opéra-
tions pour la prochaine campagne. Le plan d'attaque suivi en
55 et 56 fut abandonné, et il fut résolu de réunir ses forces au
lieu de les diviser comme on avait fait jusque-là, pour les porter
sur un seu' point à la fois. Louisbourg qui était le point le plus
Baillant des possessions françaises du côté de la mer, paraissait
devoir attirer le premier l'attention des Anglais, qui l'avaient vu
élever avec une extrême jalousie, comme on l'a rapporté ailleurs.
Ils furent d'avis de commencer par là et de se rendre maître de
ce poste qui couvrait l'entrée du St.-Laurent, chaque colonie
fournissant soi contingent de soldats. Des levées de troupes
furent ordonnéfco en conséquence dans les différentes provinces,
qui s'empressèrent de faire tous les autres préparatifs nécessaires.
Afin que rien ne transpirât du projet au dehors, on mit un embargo
HWTOIUE DU CANADA.
257
sur lea navires qui se trouvaient dans les ports • et l'on retint les
parlementaires que Louisbourg avait envcyi' à Boston. Lsa
garde des frontières fut confiée aux milices. Washington com-
mandait toujours celle des Apalaches. Deux ou trois mille
réguliers furent laissés en garnison dans le fort William-Henry à
la tête du lac St.-Sacrement. Au mois de juillet l'armée anglaise
se montait, tel qu'il avait été projeté, à plus de 25,000 hommes,
dont près de 15,000 réguliers, sans compter de nombreuses mili-
ces armées, qui pouvaient marcher au premier ordre.
Lord Loudoun partit de New- York le 20 juin avec 6,000 hom-
mes de troupes régulières et 90 voiles pour Louisbourg. Il fut
rejoint, le 9 juillet, à Halifax par la flotte de l'amiral Holburneet
cinq lutres mille hommes de vieilles troupes ; ce qui portait l'ar-
mée de débarquement à 11,000. Mais pendant que l'on était
encore dans ce porl, l'on apprit par différentes voies à la fois que
l'amiral Dubois de la Motthe, venant de Brest, était entré dans la
rade de Louisbourg avec la flotte promise dans l'hiver ; qu'il s'y
trouvait en conséquence 17 vaisseaux et 3 frégates de réunis, et
que la ville était défendue par 6,000 soldats, 3,000 miliciens et
1,300 Sauvages. A cette nouvelle, lord Loudoun assembla un
conseil de guerre, où il fut convenu d'un commun accord d'aban-
donner une entreprise qui ne promettait plus aucune chance de
succès. En conséquence les troupes de débarquement retour-
nèrent à New- York, et l'amiral Holburne cingla vers Louisbourg
avec 15 vaisseaux, 4 frégates et un brûlot pour observer cette
ville. Mais ayant vu en approchant de cette forteresse, l'amiral
français donner à sa flotte le signal de lever l'ancre, il se hâta de
rentrer à Halifax. Il revint encore en septembre, après avoir
reçu un renfort de quatre vaisseaux ; M. de la Motthe à son tour
plus faible que son adversaire, ne bougea pas, en obéissance aux
ordres positifs de la cour de ne pas risquer la plus belle flotte que
la France eût mise sur pied depuis 1703. Peu de temps après
une horrible tempête éclata sur la flotte anglaise et la mit dans le
danger le plus imminent. Un des vaisseaux fut jeté à la côte et
la moitié de l'équipage périt dans les flots, onze autres furent
démâtés, d'autres furent obligés de jeter leurs canons à la mer, et
tous rentrèrent dans les ports de la Grande-Bretagne dans l'état
le plus pitoyable.
n
H 1
258
mSTOIRB DU CANADAw
Malgrù lia disette qui régnait. en Canada, les hostilités n'avaient
pas cessé durant l'hivûr, dont le froid fut d'une rigueur cstrôme.
Dans le mois de janvier un détachemenl, sorti du fort William-'
Henry, fut atteint vers Carillon et détruit. Dans le mois suivant
le général Montcalm forma le projet do- détacher 850 hommes
pour surprendre ce fort et l'emporter , par escalade. Le, gouver-
neur crut devoir porter ce détachement à 1,500 hommeS) dont
800 Gaaadiens, 450 réguliers et 300 Indiertsy et en donna le
commandement à M* de Ri'gnud, au grandi mécontentement de»
olliciera des troupes et de Montcalm lui-même, qui aurait dédire
le voir .conférer à M. de Bourlnmarque. Ge corps sè mit on
marche le 23 février, traversa, les lac» Champlain et St.-Sacre-
ment, fit 60 lieuea la raquette aux /pieds, portant ses vivres sur
des traîneaux, couchant ati milieu idesi neiges sur des peanx
d'ours, à l'abri d'une simple toile; Lq 18 marsilse trouvait près
de William-Henry. Mais après avoii* reconnu la foi'co' d© la
place, M. do Rigaud jugea impossible' de l'enlever d'un coup de
raain et dut se borner à détruire tout ce qu'il y avait à l'extérieur
des ouvrages. Ge qui fut èiéouté sous le feu des Anglais, mais
avec peu de perte, daris les nuits du 18 au 2Ô. -350 bateaux, 4
brigantins de 10 k li> canons, et tous les moulins, magasins et
maisons qui étaient paljssadésj devinrent; la pr<)ié des flammes^
La garnison environnée pourainsi tlire par uneimerdé feu pen-
dant quatre jours, ne chercha à faire â\ieurtc sortie, ni à s'opposer
aux dévastations des Français^ qui né laissèrent debout quo le
corps nu de la place. La retraite de ceux-ci fut marquée parùiY
événemen 'ù s'est renouvelé à l'arméede Bonaparte en Egypte^
par une cciuse peu différente. La blancheur éblouissante do la
neige frappa d*uhe espèce d'opthalmre le tiers du iiétachement>
que l'on fut obligé de guider par la ï»ain le reste de la route;
Mais deux jours après son arrrvée, les hommes avaient recouvré
la vue à l'aide de remèdes faciles. •' 'j'-'J '''■■- '^ "" *'■■ f;-'!'-' ''i -!
Ges différens succès, et surtout la prise d'Oswégo dans la der-
nière campagne, maintenaient toujours les tribus indiennes dans
l'n liance de la France. La confédération iroquoise, malgré les
efforts des Anglais, envoya pour la secondé fois une grande
ambassade à Montréal, afin de renouveler ses protestation*
d'amitié ; on la reçut en présence des députés ded Nipifseings,
HISTOIRE DU CANADA.
86â
(les Algonquins, dGBPoutouatamisotUesGutaouàis. Cesdùmons-i
Irations étaient importantes parce qu'elles tranquillissaient lea
esprits sur les frontières, qui n'avaient jkis encore été sonsiblcf
ment troublées ■ depuis le commencement de la guerre, grâcdà
l'énergie des habitans et des troupes. i , : f
*«■' Les secours en hommes que le gouverneur avait demandés de
France, et que, par de nouvelles dépêches voyant les préparatifs
des Anglais, il avait prié de porter à 5,000 bayonnettes, n'nrri^
vèrent en Câhàda qu'en petit nombre et fort tard. Le 11 juillet
on n'avait encore l'eçu que 600 soldats et très peu de vivres. Il
ne débarqua à Québec dans tout le cours de l'été qu'environ
1,500 hommes. Ces délais jetèrent des entraves dans les opé-r
rations. Après avoir envoyé 400 hommes au secours du fort
Duquesne, pour la sûreté duquel il avait quelque crainte, M. de
Vaudreuil fit acheminer, dès que la saison le permit, des troupes
pour garnir la frontière du lac Champlain. M. de Bourlamarquo
y réunit 2^000 hommes à Carillon. Un bataillon fut stationné à
St.^ean, un second à Chambly : deux autres gardaient Québec
et Montréal. Les Canadiens étaient occupés aux travaux des
champs. • Sur ces entrefaites la houvelle du départ de lord
Loudoun de New-York pour Louisbourg détermina les chefs à
profiter de l'absence: d'une partie des forces de l'ennemi pour
reprendre d'une manière plus sé"ieuse le projet sur William*
Henry, dont la situation mettait toujours les Anglais à. tine petite
journée de Carillon, leur donnait le commandement du lac St.r-
Sacrement et les moyens de tomber sur nous à l'improviste.
Pour se débarrasser d'un voisinage aussi dangereux, il fallait le.i
rejeter sur l'Hudson ; ce que l'on décida d'exécuter sans délai, et
sans attendre plus longtemps les renforts et les vivres demandés
en Europe.! ■ ■■ , ,'i'ii:.l(| ij .;..•; j.',; ..j--. ■ :i
A l'appel du gouverneur les Canadiens fournirent des soldats
et des provisions ; ils sentaieat eux-mêmes toute l'utilité de cette
entreprise. Ils se dénantireàt des ipctites réserves qu'ils avaient
jÊiites pour leurs familles, et se rédiiisitent à vivre de maïs et do
légumes.^ " On ne trouverait obejî eux, écrivit le gouverneur à
laéour,im farine^ ni lard; ils se sont exécutés avec autant de
générosité que de zèle pour le service du roi." L'on travailla
sans bruit aux préparatifs, et toute l'artillerie était rendue à
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260
HISTOIRE DU CANADA.
Carillon à la fin de juillet. En très peu de temps l'armée desti-
née à l'expédition fut réunie. Elle consistait en 3,000 réguliers,
un peu plus de 3,000 Canadiens, et 16 à 18 cents Sauvages de
32 tribus différentes, en tout 7,600 hommes. Les succès des
bandes qui tenaient la campagne, étaient d'un bon augure. Le
lieutenant Marin avait fait des prisonniers et levé dos chevelures
jusque sous le fort Edouard, dont il avait provoqué une sortie de
2,000 hommes, lligaud, avec un détachement de 400 hommes,
avait rencontré sur le lac St.-Sacrement le colonel Parker qui le
ùc"<cendait à la tôte de 22 berges et 350 à 400 Américains pour
faire >me reconnaissance, il l'avait attaqué, lui avait pris ou coulé
à fond 20 berges, tué ou noyé 160 hommes et enlevé un pareil
nombre de prisonniers, dont 5 officiers. Après ces préludes, le
général Montcalm donna le signal du départ.
L'avant-garde, composé de grenadiers, de trois brigades cana-
diennes et de 600 Sauvages, formant 2,800 hommes, aux ordres
du chevalier de Levis, prit la route de terre et remonta la rive
droite du lac St.-Sacrement, pour protéger la marche et le débar-
(juement du reste du corps expéditionnaire, qui suivait par eau
avec le matériel du siège. Elle s'ébranla le 30 juillet.
Le 2 août au soir, le général Montcalm débarqua avec ses
troupes sous la protection de l'avant-garde dans une petite baie, à
une lieue de William-Henry, L'artillerie arriva le lendemain
matin. Le chevalier de Levis s'avança sur le chemin du fort
Edouard suivi par le reste de l'armée marchant sur trois colonnes
par les montagnes, afin de reconnaître la position des ennemis et
d'intercepter leurs secours ; mais la garnison, qui n'était que de
1500 hommes, avait reçu la veille un renfort de 1,200 soldats,
qui la portait maintenant à 2,700 combattans. Les troupes
f'inçaises défilèrent par-derrière la place, et, en l'investissant
ainsi que le camp retranché placé sous ses murs et trop fort pour
être abordé l'épée à la main, elles appuyèrent leur gauche au lac,
à l'endroit où est aujourd'hui Caldvvell et où devait débarquer
l'artillerie, et leur droite sur les hauteurs du côté du chemin du
fort Edouard, sur lequel elles jetèrent des d/icouvreurs pour être
instruites à temps des mouvemens du général Webb, qui était à
cinq ou six lieues avec 4,000 hommes.
HISTOIRE DU CANADA.
261
Le colonel de Bourlamarque fut chargé delà direction du siège.
Le colonel Monroe commandait le fort.
La tranchée fut ouverte le 4 à 8 heures du soir à "^50 toises,
eous un feu de bombes et de boulets qui ne discontinua plus
jusqu'au moment de la reddition, sauf quelques courts intervalles.
Le lendemain, sur un rapport que le général Webb s'avançait
avec 2,000 hommes, le chevalier de Levis eut ordre de marcher
à sa rencontre, et Montcalm se préparait à le suivre pour le sou-
tenir, lorsqu'il lui fut remis une lettre trouvée sur un courrier qui
venait d'ôtre tué, par laquelle le général Webb mandait au colonel
Monroe que, vu la situation du fort Edouard, il ne lui paraissait
pas prudent de marcher à son secours, ni de lui envoyer de ren-
fort 5 que les Français étaient au nombre de 13,000 ; qu'ils
avaient une artillerie considérable, et qu'il lui envoyait ces ren-
seignemens afin qu'il en pût profiter pour obtenir la meilleure
capitulation possible, s'il n'était pas capable détenir jusqu'à l'arri-
vée des secours demandés d'Albany. L'erreur du général Webb
sur le nombre des assiégeans fit précipiter la reddition de la place.
Le 6, au point du jour, la batterie de gauche de 8 pièces de canon
et un mortier fut démasquée et ouvrit son feu. Celui des assié-
gés était toujours très vif. Le lendemain une nouvelle batterie
commença à tirer. Le général français fit suspendre alors la
canonnade, et chargea un de ses aides-de-camp, le jeune Bou-
gainville, devenu célèbre depuis par son voyage autour du monde,
d'aller porter au colonel Monroe la lettre du général Webb. Le
commandant anglais répondit qu'il était résolu de se défendre
jusqu'à la dernière extrémité. A neuf heures le feu recom-
mença aux acclamations des Indiens, qui poussaient de grands
cris lorsque les projectiles frappaient les murailles des assiégés.
Vers le soir ceux-ci voulurent faire une sortie avec 500 hommes
pour s'ouvrir une communication avec le fort Edouard ; mais M. de
Villiers marcha à eux avec la compagnie franche et les Sauvages
et les repoussa, après leur avoir tué une cinquantaine d'hommes
et enlevé quelques prisonniers. Une troisième batterie fut com-
mencée le 8 ; on y travaillait encore lorsque dans l'après-midi
l'on vit briller des armes sur le haut d'une montagne voisine, en
même temps que l'on observa des troupes se disposer en bataille
et beaucoup de mouvoment dans le camp retranché du fort. Le
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UISTOIHK U\J CANADA.
rappel fut aussitôt battu ; mais après quelques coups do fusil, les
soldats de la montagne rcntrùrctit dans lo bois et disparurent, et
le 9 au malin la place arbora le drapeau blanc et demanda à capi-
tuler. Les conAn-ences ne furent pas longues. Il fut convenu
que la garnison du fort et du camp au nombre de 2,372 hommes,
sortirait avec les honneurs de la guerre, et se retirerait dans sou
pays avec armes et bagages et une pièce de canon ; qu'elle no
servirait pondant dix-huit mois ni contre les Français ni contre
leurs alliés, et que les Français et les Sauvages retonus prison-
niers dans les colonies anglaises, seraient renvoyés à Carillon dans
les quatre mois. Le défaut de vivres empêcha d'insister pour que
la garnison restât prisonnière de guerre.
On trouva dans le fort William-Henry 42 bouches à feu, une
immense quantité de munitions de guerre, des vivres pour nourrir
l'armée six semaines, et dans la rade plusieurs petits bâtimens.
La perte des Français fut de cinquante et quelques hommes,
celle des assiégés d'environ 200.
La capitulation fut accompagnée, comme celle d'Osvvégo, d'un
événement toujours regrettable, mais qu'il était presqu'impossiblo
de prévenir complètement du moins aux yeux de ceux qui con-
naissent quelles étaient les mœurs indépendantes des Sauvages.
Les Anglais, du reste, furent eux-mêmes en partie la cause de ce
qui leur arriva, ayant négligé, comme M. de Bougainville, d'après
les ordi'es de son général, les en avait priés, de jeter leurs bois-
sons pour empêcher les Indiens de s'enivrer lorsqu'ils entreraient
dans la place.
La garnison devait se retirer au fort Edouard. Le chevalier
de Levis la fit partir le lendemain matin escortée par un détache-
ment de troupes réglées, et accompagnée de tous les interprètes
des guerriers indiens. Elle n'eut pas fait une demi-lieue que les
Sauvages, mécontens de la capitulation qui les avait privés du
pillage comme l'année précédente, et excités par les Abénaquis
qui en voulaient aux Anglais, prirent par les bois, tombèrent sur
les prisonniers à l'improviste, en tuèrent quelques-uns, en dépouil-
lèrent un grand nombre et emmenèrent le reste avec eux.
L'escorte fit tout ce qu'elle put pour arrêter ces barbares, et eut
même des soldats tués et blessés. Aussitôt qu'il fut informé de
ce qui se passait, le général Montcalm accourut avec presque
HISTOIRE DU CANADA.
263
tous les officiers. Il arracha des miln« des Sauvages tous les
Anglais qu'ils retenaient encore et fil rentrer dans le fort ceux
qui s'étaient échappés, et qui ne pouvaient gagner leur destina-
tion sans péril. Environ 600 de ces soldats dispersés dans les
bois, continuèrent h arriver pendant plusieurs jours au fort
Edouard, nus, sans armes, épuisés de faim et de fatigues. Les
Sauvages en emmenèrent 200 à Montréal, que le gouverneur
retira de leurs mains en payant ])our eux de fortes rançons ; r)00
étaient rentrés dans le fort William-Henry. Le général Mont-
calm fit donner des habits à ceux qui avaient été dépouillés, et
les renvoya dans leur pays sous la prolectiou d'une puissante
escorte, après avoir témoigné tout son re!i;ret do ce qui venait
d'avoir lieu. Ces malheureux désordres dont nous venons de
retracer le tableau exact, laissèrent un vif ressentiment dans le
oœur des Anglais. Mais les prisonniers cux-mômes ont rendu
cette justice à leurs vainqueurs, qu'ils avaient fait tout ce
que l'on pouvait attendre d'eux pour arrêter le mal, et qu'ila
avaient réussi à empêcher de bien plus grands malheurs.
Le fort William-Henry fut rasé ainsi que le camp retranché,
et le 16 août l'armée se rembarqua sur 250 berges pour Carillon.
Sans la nécessité de renvoyer les Sauvages dans leurs tribus et
les Canadiens chez eux pour faire la moisson, on eut pu inquiéter
le fort Edouard. Les Américains cux-mC'mes étaient si persuadés
que c'était là le dessein des Français, que toutes leurs milices,
infanterie, cavalerie et artillerie, avaient été mises en réquisition
jusqu'au fond du Massachusetts, et que les habitans à l'ouest de
la rivière Connecticut, avaient eu ordre de briser leurs voitures à
roues et de faire rentrer leurs bestiaux. Il est inconcevable dit
Hutchinson, que quatre ou cinq mille hommes aient pu causer
tant d'alarmes. Cette crainte toutefois n'était pas sans fondement,
car les instructions du gouverneur àMontcalm portaient qu'après
la prise de William-Henry, il irait attaquer le fort Edouard ; mais
la crainte de manquer de vivres, la nécessité de renvoyer les
Canadiens pour faire les récoltes et les dilTicultés de réduire cette
place, défendue par une garnison nombreuse et à portée de rece-
voir de prompts secours, avaient empoché ce général de s'y con-
former, résolution qui fut plus tard la cause de difficultés fort
graves entre lui et M. de Vaudreuil. Au reste, la question des
ili
264»
HISTOIRE DU CANADA.
subsistances étant la plus importante pour le Canada, où la disette
allait toujours en augmentant, le trophée le plus agréable de la
nouvelle conquête fut 3,000 quarts de farine et de lard qu'on
apporta en triomphe à Carillon, et qui furent prisés à Montréal et
à Québec à l'égal d'une grande victoire.
Après cette campagne l'armée se retira dans ses lignes jusque
dans l'automne, qu'elle alla prendre ses quartiers d'hiver dans
l'intérieur du pays.
La récolte y avait entièrement manqué. II y avait des
paroisses qui avaient à peine recueilli de quoi faire les semailles.
Les blés qui avaient la plus belle apparence sur pied, ne rendirent
aucun aliment à cause de la grande quantité de pluie qui était
tombée dans le milieu de l'été. L'on craignit dans l'automne
que le peuple ne manquât totalement de pain dès le mois de jan-
vier. Par précaution l'on mit deux cents quarts de farine
en réserve pour la nourriture des malades dans les hôpitaux
jusqu'au mois de mai. Les maisons religieuses furent réduites à
une demi-livre de pain par tête par jour, et il fut proposé de
fournir aux habitans des villes une livre de bœuf, de cheval ou de
morue en outre du quarteron de pain qu'on leur distribuait et qui
fut jugé insuffisant. 12 à 1,500 chevaux furent achetés par
l'intendant pour la nourriture. Faute d'alimens pour les troupes,
on les répandit dans les campagnes chez les habitans, que l'on
supposait encore les mieux pourvus dans la disette générale.
On ne garda dans les villes que ce qu'il fallait pour leur garnison.
A la fin de septembre le chevalier de Levis ayant reçu ordre de
reluire la ration des soldats, fut informé qu'ils murmuraient ; il
fit rassembler les grenadiers et les réprimanda sévèrement sur
l'insubordination qui se manifestait parmi les troupes, insubordi-
nation qui était excitée, à ce qu'il paraît, par les habitans et
par les soldats de la colonie eux-mêmes. Il leur dit que le
roi les avait envoyés pour défendre cette contrée non seulement
par les armes, mais encore en supportant toutes les privations
que les circonstances demanderaient ; qu'il fallait se regarder
comme dans une ville assiégée privée de tout secours, que c'étaient
aux grenadiers à donner l'exeraole, et qu'il ferait punir toute
marque de désobéissance avec la plus grande sévérité. Les
murmures cessèrent pendant quelque temps. Dans le mois
HISTOIRE DV CANADA.
265
de décembre la ration ayant été de nouveau réduite et les soldats
obligés de manger du cheval, la garnison de Montréal refusa d'eu
recevoir. M. do Levis les fit réunir et les harangua de nouveau.
Il leur ordonna de se conformer aux ordres qu'on leur donnait
et leur dit que si après la distribution ils avaient quelque repré-
sentation à lui faire, il les écouterait volontiers. Après avoir reçu
leurs rations, ils motivèrent leurs plaintes avec leur franchise
habituelle, disant pour conclusion que la chair de cheval formait
une mauvaise nourriture, que toutes les privations retombaient
sur eux, que les habitans ne se privaient de rien, et qu'ils ne pen-
saient pas que la disette fût aussi grande dans le pays qu'on le
disait.
M. de Levis répondit à tous leurs griefs. Il observa, qu'ils
avaient été mal informés de l'état de la colonie ; qu'il y avait
long-temps que le peuple à Québec, ne mangeait pas de pain ;
que tous les officiers de Québec et de Montréal n'en avaient qu'un
quarteron par jour ; qu'il y avait 2,000 Acadiens qui n'avaient
pour toute nourriture que de la morue et du cheval ; et qu'ils
n'ignoraient pas que les troupes avaient mangé de ce dernier ali-
ment au siège de Prague. Il termina en les assurant que les
généraux faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour leur procurer le
plus de bien-être possible. Ce discours parut satisfaire les mutins,
qui se retirèrent dans leurs casernes et ne firent plus de repré-
sentations.
Au commencement d'avril, l'on fut obligé de réduire encore la
ration des habitans de Québec et de la fixer à 2 onces de pain
et à 8 onces de lard ou de morue. On voyait des hommes tom-
ber de faiblesse dans les rues faute de nourriture.
Tandis que le pays était ainsi en proie à une disette que sem-
blait aggraver encore l'incertitude de l'avenir, les chefs étaient
toujours divisés par des dissentions et des jalousies malheureuses.
Un antagonisme sourd existait entre les Canadiens et les
Français, provenant en partie de la supériorité que l'homme de
la métropole s'arroge sur l'homme de la colonie. Ce mal n'était
pas propre seulement au Canada. Les annales des provinces
anglaises de cette époque sont remplies des mômes querelles
occasionnées par la môme cause. Le général Montcalm se plai-
gnait avec amertume que l'on cherchait à le déprécier et à lui
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26G
HTSTOIRE DU CANADA.
faire perdre de sa considération, et que le gouverneur n'était occupé
que du soin de diminuer la part que les troupes de terre et lui-
môme avaient au succès. Chaque année, chaque victoire sem-
blait accroître son mécontentement. Une inquiétude jalouse,
v.ne ambition mal satisfaite tenaient son âme sans cesse ouverte à
toutes les interprétations de la malveillance. Les efforts qu'il
faisait pour flatter le soldat et captiver la popularité des Cana-
diens, au milieu desquels il prenait l'air " d'un tribun du peuple,"
comme il le disait lui-même, tandis qu'il les dépréciait dans ses
dépêches, nous portent à croire qu'il nourrissait d'autres vues
que celles de faire reconnaître ce que le pays devait à ses
talens et au courage de ses troupes, car les dépêches du gouver-
îieur rendaient à cet égard pleine justice au général et aux sol-
dats. Mais Montcalni qui désirait le supplanter et ses partisans,
cachaient soigneusement leur dessein, se bornant pour le moiiiL'nt
à lui faire perdre, par leurs propos et leurs allusions, la confiance
du soldat, des habitans et des Indiens eux-mêmes, à tous lesquels
il eut certainement été cher, s'ils avaient pu pénétrer les senti-
mens qui animaient son âme, et que l'on trouve partout exprimés
dans sa correspondance olFicielle, sentimens qui éta-ent d'autant
plus vrais, que cette correspondance ne devait pas être connue de
ceux dont elle glorifiait les services.
Cependant les ministres à Paris furent forcés de s'occuper un
peu des moyens de soulager les maux que l'on souffrais en Canada,
car ils savaient que le cabinet de Londres avait ordonné dans
l'hiver un accroissement de préparatifs beaucoup plus formidables
encore que tous ceux des années précédentes. Mais la faiblesse
du trouvernement ne permit poiit d''organiser de secours capables
d'y faire face et d'assurer le succès pour le présent et pour l'ave-
nir. Les dépenses de la colonie pour 57 avaient de beaucoup
dépassé les exercices accordés ; les lettres de change tirées sur
le trésor avaient monté à 12 millions SiO mille francs. La
rumeur publique signalait des abus, des dilapidations considé-
ral)lcs ; mais le silence des cliefs et des autres officiers civils et
militaires, les préoccupations du ministère, la vivacité de la guerre
ne permettaient point de faire faire une investigation pour le pré-
sent. L'on se borna à des rccornman lations d"éconcr>ie et de
retranclicmcnt auxquelles les besoins croissans de la guerre no
IIISTOIIIE DJ CANADA.
'2tJ7
permellaient ^jas de se conformer. On avait prié avec instance
d'envoyer des vivres. Le nouveau ministre, M. de Moras,
expédia 16,000 quintaux de farine et 12 tonneaux de blé, indé-
pendamment des approvisionnemens que le munitionnaire Cadet
uvait demandés, savoir: 66,000 >juintaux de farine. L'ordre fut
transmis en même temps de tirer des vivres de l'Ohio, des Illi-
nois et de la Louisiane. Léo secours de France n'arrivèrent que
fort tard malgré leur départ hâtif, et en petite quantité, la plu-
part des navires qui les portaient ayant été enlevés en mer par
les ennemis et les corsaires. Ils ne commencèrent à paraître
que vers la fin de mai. Ce retard avait très inciuiété M. de
Vaudreuil, qui, appréhendant quehpie malheur, avait successive-
ment expédié trois bâtimens -"n France depuis l'ouverture de la
navigation pour presser l'envoi. Le 16 juin il n'y avait encore
d'arrivés qu'une frégate et une vingtaine de navires avec 12,000
quarts de farine.
Quant aux secours en troupes on ne devait pas en attendre.
Il n'avait pas été possible d'en faire passer en Canada. Malgré
la bonne volonté du gouvernement, le maréchal de Belle-Isle,
qui prit à cette épociue le portefeuille de la guerre, ne put y
envoyer que quelques mauvaises recrues pour compléter les
bataillons à 40 hommes par compagnie, et encore n'en arriva-t-il
que trois ou quatre cents dans tout le cours de l'été. La Franco
avait éprouvé des vicissitudes dans la campagne de 57. Alter-
nativement victorieuse et vaincue en Europe, elle avait été heu-
reuse en Amérique et malheureuse 'ans les Indes orientales.
Les ellbrts qu'elle avait faits pour obtenir la supériorité sur terre et
sur mer, dirigés par l'esprit capricieux de madame de Pompadour,
qui, à tout moment, changeait les généraux et les ministres sans
égard à leurs talens ni à leurs succès, avaient épuisé ses forces
en détruisant leur harmonie et leur unité. Il fallut se résigner,
pour la campagne suivante, à laisser prendre aux Anglais dans
le Nouveau-Monde une supériorité numérique double de celle
qu'elle avait déjà depuis le commencement <le 'a guerre. Le 1
mai 1758, il n'y avait toujours en Canada que huit bataillons de
troupes de ligne formant seulement 3,781 hommes, qui avaient été
encore obligés de se recruter dans le pays pour remplir leurs vides.
Les troupes de la marine et des colonies, maintenues de la môme
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268
HISTOIRE DU CANADA.
manière à îeur cUiirre de l'année précédente, comptaient 2,000
hommes, en tout moins de 6,000 réguliers pour défendre 500
Ueues de frontière. Il était évident que les Canadiens devaient
former la majorité d'une armée capable de s'opposer avec quel-
que chance de succès aux forces accablantes de l'ennemi.
D'un autre côté, les échecs des Anglais en Amérique, compen-
sés par leurs victoires dans les Indes, ne firent que les exciter à
de plus grands efforts pour écraser par la force seule du nombre
les défenseurs du Canada. Cela paraissait d'autant plus facile
que leurs finances étaient dans l'état le plus florissant, et que leur
supériorité sur l'océan n'était plus contestée. La prise d'Oswégo
et de William-Henry en assurant la suprématie des lacs Ontario
et St.-Sacrement aux Français, avait rendu la situation de leurs
adversaires dans ce continent moins bonne après quatre années
de lutte qu'elle était en ^3. Mais le génie de lord Chathan,
devenu enfin maître des conseils de la Grande-Bretagne, allait
trancher la question de rivalité entre les deux peuples dans le
Nouveau-Monde. Il voulait que sa patrie y dominât seule, ne
prévoyant point sans doute les grands événemens de 1775, et
proposa des mesures qui devaient finir par la destruction de la
iuiissance française sur cette portion du globe. Il augmenta
rapidement les armées de terre et de mer, et remplaça lord.
Loudoun par le général Abercromby à la tête de l'armée améri-
caine. Il lui envoya un nouveau renfort de 12,000 hommes de
troupes réglées sous les ordres du général Amherst, et invita
toutes les colonies à armer des corps aussi nombreux que la popu-
lafion pourrait le permettre. En peu de temps le nouveau géné-
ral-en-chef se trouva à la tète de 50,000 hommes dont 22,000
réguliers, outre des milices nombreuses non comprises dans ce
chiffre, et qui portèrent, dit-on, les conibattans dans les provinces
anglaises à plus de 80,000 hommes. C'était, certes, rendre un
hommage éclatant à la bravoure française, et reconnaître la déter-
mination invincible des défenseurs du Canada, dont ces forces
immenses dépassaient de beaucoup le chiffre de la popula 'on
entière, hommes, femmes et enfans.
C'est avec cette disproportion de forces que les deux parties
belligérantes allaient commencer la campagne de 1758.
CHAPITRE III.
.1:
BATAILLE DE CARILLON.
1758.
Le Canada abandonné de la France, résout de combattre jusqu'à la dernière
extrémité. — Plan de campagne de l'Angleterre: elle se propose d'at+aqucr
simultanément Louisbourg, Carillon et le fort Duquesne. — Prise de Louis-
bourg après un siège mémorable, et invasion de l'île St.-Jean; les vain»
queurs ravagent les établissemens de Gaspé et de Mont-Louis. — Mesures
défensives du Canada. — Marche du général Abercromby avec une armée
de 16,000 hommes sur Carillon défendu par moins de 3,500 Français. —
Bataille de Carillon livrée le 8 juillet. — Défaite d* Abercromby et sa fuite
précipitée. — Le colonel Bradstreet surprend et brûle le fort Frontenac. —
Le général Forbes s'avance contre le fort Duquesne. — Défaite du major
Grant. — Les Français brûlent le fort Duquesne et se retirent. — Vicissitudes
de la guerre dans toutes les parties du monde. — Changement de ministres
en France. — Brouille entre le général Montcalm et le gouverneur. —
Observations des ministres sur les dilapidations du Canada et reproches
sévères à l'intendant Bigot. — Intrigues pour faire rappeler M. de Vau-
dreuil et nommer Montcalm gouverneur. — Les ministres décident de faire
rentrer ce dernier en France ; le roi s'y oppose. — Dépêches conciliatrices
envoyées avec des récompenses et de ^vanceraens. — On n'expédie point
de renforts. — Défection des nations in nnes, qui embrassent la cause de
l'Angleterre par le traité de Eastou. — Cette dernière puissance décide
d'attaquer Québec avec trois armées qui se réuniront sous les murs da
cette capitale. — Forces du Canada et moyens défensifs adoptés pour résis-
ter à cette triple invasion.
Les efforts et la persévérance de la Grande-Bretagne pour s'em-
parer du Canada, durent faire croire qu'elle allait l'envahir cette
a"-ée par tous les côtés à la fois, et tâcher de terminer la guerre
d'un seul coup par une attaque générale, irrésistible ; qu'elle voulait
enfin laver, par une conquête entière, la honte de toutes ses
défaites passées. Aussi la France perdait-elle tous les jours l'es-
poir de conserver cette belle contrée, et c'est ce qui l'empêcha
sans doute de lui envoyer les secours dont elle avaitun si pressant
besoin. Mais ses défenseurs, laissés à eux-mêmes, ne fléchirent
pas encore devant l'orage qui augmentait chaque année de fureur.
« Nous combattrons, écrivait Montcalm au ministre, nous nous
ensevelirons, s'il le faut, sous les ruines de la colonie." Il faut
270
HISTOIRE DU CANADA.
ajoutait-on encore, que tous les hommes agiles marchent au com-
bat ; que les officiers civils, les prêtres, les moines, les femmes,
les enfans, les vieillards fassent les travaux des champs, et que
les femmes des chefs et des officiers donnent l'exemple. Telle
était la détermination des habitans et des soldats pour la défense
commune.
De son côté l'Angleterre avec ses forces nombreuses, que par
cela même elle était obligée de diviser, décida d'attaquer simul-
tanément Louisbourg au Cap-Breton, Carillon sur le lac Cham-
plain et la route de Montréal qu'elle assiégerait ensuite, et le fort
Duquesne sur l'Ohio. 14,000 hommes et une escadre considé-
rable furent chargés de la première entreprise ; 16 à 18 mille
hommes, de l'envahissement du Canada par le lac St.-Sacrement,
et enfin 9,000 hommes de la conquête de l'Ohio. On était loin
ie croire à Québec à des armemens aussi formidables, et le pays
ne fut sauvé que par la victoire de Carillon, où, comme à Créci,
les vainqueurs durent repousser une armée cinq fois plus nom-
breuse que la leur.
Dans le printemps les troupes françaises après quelque délai
causé par le défaut de vivres, allèrent reprendre leurs positions
sur les frontières avec l'ordre de tenir constamment des partis en
campagne, pour inquiéter l'ennemi, l'obliger à diviser ses for-
ces et découvrir autant que possible quels étaient ses desseins.
3,000 hommes se rassemblèrent ainsi dans le voisinage de Carillon,
et à peu près un pareil nombre sur le lac Ontario et au fort Nia-
gara. Ces mesures prises, l'on attendit les événemens pendant
que les habitans jetaient sur leurs guérêts le peu de semence qu'ils
avaient pu dérober à la faim.
Dans le même temps les Anglais se mettaient partout en mou-
vement. C'est contre Louisbourg qu'ils portèrent leur premier
coup.
L'amiral Boscawen fit voile d'Halifax, le 28 mai, à la tête d'une
escadre de 20 vaisseaux de ligne, 18 frégates et un grand nombre
de transports portant l'armée de débarquement, sous les ordres du
général Amherst, avec un train considérable d'artillerie, et arriva
le 2 juin devant cette forteresse. Louisbourg, outre 5 vaisseaux
de ligne et 5 frégates ancrés dans son port, avait une garnison de
2,100 hommes de troupes régulières et de 600 miliciens pour
HISTOIRE DU CANADA.
271
résister à des forces de terre et de mer formant réunies plus de
30,000 hommes. Le gouverneur, M. de Drucourt, qui avait
remplacé le comte de Raymond au commencement des hostilités,
résolut de faire la défense la plus énergique, et s'il n'était pas
secouru, la plus longue que l'on pût attendre de l'état de la
place et du nombre de ses défenseurs.
Les fortifications de Louisbourg tombaient partout en ruine
faute d'argent pour les réparer. Les revêtemens de la plupart
des courtines étaient entièrement écroulés, et il n'y avait qu'une
casemate et une poudrière à l'abri des bombes. La principale
force de la ville consistait dans les difficultés du débarquement et
dans le barrage du port. Ce qui restait debout des murailles était
d'une construction si défectueuse, à cause du sable de la mer
dont on avait été obligé de se servir pour les bâtir, et qui n'est
point propre à la maçonnerie, que l'on devait craindre l'effet du
boulet sur des ouvrages d'une liaison si fragile. Le gouverneur
jugea donc à propos de s'opposer nu débarquement, plutôt que
d'attendre l'ennemi derrière ces ruines. Il fortifia tous les endroits
faibles de la côte aux environs de Louisbourg jusqu'à la baie de
Gabarus, qui en est éloignée d'une demi-lieue, et où la flotte
anglaise avait jeté l'ancre. L'anse au Cormoran était l'endroit le
plus faible de cette ligne. Il la fit étayer d'un bon parapet fortifié
par des canons dont le feu se soutenait et par des pierriers d'un
gros calibre. En avant il fit faire un abattis d'arbres si serré
qu'on aurait eu bien de la peine à y passer, quand même il n'au-
rait pas été défendu. Cette espèce de palissade, qui cachait tous
les préparatifs de défei.se, ne paraissait dans l'éloignement qu'une
plaine ondoyante.* On avait placé aussi une chaîne de bateaux
le long du rivage depuis le Cap-Noir jusqu'au Cap-Blanc, des
troupes irrégulières dans toute cette étendue et des batteries dans
tous les lieux où la descente était praticable.
En présence de ces obstacles, le débarquement était une opé-
ration difficile et remplie de dangers. Mais comme l'ennemi
ne pouvait avoii que des soupçons sur ceux de l'anse au Cor-
moran, ce fut dans cet endroit-là même qu'il entreprit de mettre
pied à terre le 8 juin. Pour tromper la vigilance des Français, il
prolongea la ligne de ses vaisseaux de manière à envelopper et
• Buynal.
1.
i;
i.'
272
HISTOIRK DU CANADA.
menacer toute la côte, et feignant de débarquer à Laurembec et
sur plusieurs autres points du littoral, il ï^ejcta tout-à-coup à terre,
en trois divisions, dans l'anse au Cormoran^ tandis que le général
Wolfe faisait gravir un peu plus loin un rocher jugé jusqu'alors
inaccessible par une centaine d'hommes, qui s'y maintinrent mal-
gré le feu de quelques habitans et de quelques Sauvages accourus
pour les attaquer.
Le gouverneur, ne laissant que 300 hommes dans la ville, était
sorti avec le reste de la garnison. 2,000 soldats et quelques
Indiens garnissaient les retranchemens de l'anse au Cormoran,
sur lesquels les troupes comptaient beaucoup plus que sur la place.
Les assaillans qui ne voyaient point le piège dans lequel ils allaient
tomber, continuaient à descendre à terre. La colonie aurait été
sauvée si on leur eût laissé le temps d'achever leur débarque-
ment et de s'avancer avec la confiance de ne trouver que peu
d'obstacles à forcer. Alors, accablés tout-à-coup par le feu de
l'artillerie et de la mousqueterie, ils eussent infailliblement péri
sur le rivage ou dans les flots, dans la précipitation du rembar-
quement, car la mer était dans cet instant fort agitée. Mais
l'impétuosité française, dit Raynal, fit échouer toutes les précau-
tions de la prudence. A peine les Anglais avaient-ils débarqué
une partie de leurs soldats et se préparaient-ils à faire approcher
l'autre du rivage, qu'on se hâta de découvrir le piège où ils allaient
se jeter. Au feu brusque et précipité qu'on fit sur leurs cha-
loupes, et plus encore à l'empressement qu'on eût de déranger les
branches d'arbres qui masquaient les forces qu'on avait tant d'in-
térêt à cacher, ils devinèrent le péril et l'évitèrent. Revenant
sur leurs pas, ils ne virent plus d'autre endroit pour descendre
que le rocher où le général Wolfe avait envoyé les cent hommes.
Ce général occupé du soin de faire rembarquer les troupes et
d'éloigner les bateaux, ordonna à un officier de s'y rendre.
Le major Scott s'y porte aussitôt avec les soldats qu'il com-
mande. Sa chaloupe s'étant enfoncée dans le moment qu'il
mettait pied à terre, il grimpe sur les rochers tout seul. Il ne
trouve plus que dix hommes des cent qui y avaient été envoyés.
Avec ce petit nombre, il ne laisse pas de gagner les hauteurs. A
la faveur d'un taillis épais il se maintient avec un cou. âge
héroïque dans ce poste important contre un parti de Français et
HISTOmE DU CANADA.
un
de Sauvagee sept fois plus nombreux. Les troupes anglaises
bravant le courroux de la mer et le feu des batteries françaises
qui se dirigent maintenant sur ce rocher, achèvent de le rendre
maître du seul point qui pouvait assurer leur descente. La posi-
tion des Français sur le rivage dès lors ne fut plus tenable. Ils
furent tournés, débordés par les ennemis qui les prirent en flanc
et enlevèrent une de leurs batteries. Dans le môme instant le
bruit courut que le général Whitmore était débarqué au Cap-
Blanc et q)i'il allait couper de la ville les 2,000 soldats de l'onse
au Cormoran. L'on trembla pour Louisbourg, où l'on s'empressa
de rentrer, après avoir perdu deux cents tués ou prisonniers dans
cette journée funeste, qui décida du sort du Cap-Breton.
Les Français n'eurent plus rien à faire alors qu'à se renfermer
dans la ville avec peu d'espérance de pouvoir s'y défendre long-
temps ; mais ils pensaient que plus ils feraient de résistance plus
ils retarderaient l'attaque que les ennemis projetaient de faire
contre le Canada,* et ils refusèrent la permission que demandait
le commandant des cinq vaisseaux qu'il y avait dans le port do
se retirer.
Les Anglais ne perdirent pas un moment de délai. Le 12
juin le général Wolfe, à la tète de 2,000 hommes, prit possession
de la batterie du Phare, de la batterie royale et des autres postes
extérieurs abandonnés par les assiégés. La batterie du Phare
était importante en ce qu'elle commandait le port, les fortifica-
tions de la ville et la batterie de l'île située en face. Les travaux
du siège commencèrent aussitôt. La défense fut soutenue avec
autant de courage que l'attaque fut conduite avec résolution.
Sept mille hommes au plus, en y comptant les matelots des vais-
seaux de guerre et le régiment de Cambis qui, débarqué au port
Dauphin, pénétra dans la ville pendant le siège, luttèrent contre
les forces quadruples de l'ennemi pendant deux mois avec une
opiniâtreté et une patience admirable.
Les assiégeans avaient porté leiirs lignes à 300 toises des
murailles, favorisés par le terrain qui ofirait des protections natu-
relles à leurs batteries. Ils poussèrent leurs travaux avec la plus
grande activité, et firent échouer toutes les sorties que tentèrent
les Français non moins alertes qu'eux. Le 19 la batterie du
• Lettre de M. de Drucourt au ministre, du 23 sept. 1758.
ii;
fl
274
HISTOIRE DU CANADA.
Phare, placée sur une hauteur que les nasiégtd pouvaient à peine
atteindre, commença à tirer. Des deux côtés le feu était extrê-
mement vif, mais les Français furent obligés de rapprocher leurs
vaisseaux de 600 verges île la ville pour les soustraire aux pro-
jectiles de l'ennemi, qui commençait aussi alors à bombarder la
muraille du côté opposé à la batterie du Phare. Trois nouvelles
batteries furent successivement établies et un épaulcment d'un
quart de mille de longueur fut élevé pour faciliter les approches
de la ville par une raitre colline qui la commandait. Le 29 juin,
les assiégés craignant que la flotte anglaise ne s'emparât du port,
coulèrent deux de leurs vaisseaux et deux frégates dans la partie
la )' étroite de son entrée. Deux jours après ils y coulèrent
enc .o deux frégates dont les mâts restèrent hors de l'eau. Ils
continuaient en môme temps à faire des Mjrties et un feu très vif
de tous les remparts. La femme du gouverneur, madame de
Drucourt, s'est acquise un nom immortel pendant ce siège par
son héroïsme. Pour encourager les soldats, elle parcourait les
remparts au milieu du feu, tirait elle-même tous les jours plu-
sieurs^ coups de canon, donnait des récompenses aux artilleurs les
plus adroits. Elle pansait les blessés, relevait leur courage par
des paroles bienveillantes, et se rendait aussi chère au soldat par
son courage que par les vertus plus douces qui appartiennent à
son sexe.
Cependant les murailles s'écroulaient de toutes parts sous le feu
des batteries des Anglais, qui faisaient d'autant plus d'eflbrts que
leurs adversaires mettaient de vigueur à se défondre. Ceux-ci
pouvaient à peine sullire à boucher les plus grandes brèches,
lorsque le 21 juillet un boulet mit le feu à l'un des cinq vaisseaux
de guerre qui restaient à flot. C'était un 74 ; il sauta et en
incendia deux autres qui étaient près de lui et qui furent consu-
més. Les deux derniers échappèrent ce jour-là aux plus grands
périls, étant obligés de passer entre les batteries ennemies et le
canon des vaisseaux embrasés que le feu faisait partir, mais ce fut
pour tomber quelque temps après entre les mains des assiégeans,
(jui entrèrent dans le port pendant une nuit fort obscure, les sur-
prirent, en brûlèrent un et emmenèrent l'autre.
Après ce dernier coup, les Français durent songer à abandon-
ner la lutte. Le port était partout ouvert et sans défense ; on n'y
IIISTOIUE UU CANADA.
i275
voyait plus que dos débris de vaisseaux. Les fortifications nY'taicnt
plus tenablcs ; toutes les batteries des remparts étaient rasùes ; il res-
tait à peine une douzaine de pièces de canon sur leurs affïïls, et la
bruche était praticable en beaucoup d'endroits, tellement que les
femmes, après le siège, entraient par ces brèches dans la ville.
1,500 hommes ou le tiers de la garnison avaient été tués ou
blessés. L'on s'attendait d'une heure à l'autre à voir les enne-
mis monter à l'assaut. Les habitans, qui en redoutaient les suites,
pressèrent le gouverneur à capituler. Celui-ci n'espérant plus
de secours dut, le 26 juillet, accepter les conditions du vainqueur.
Louisbourg qui n'était plus qu'un monceau de ruines, retomba
ainsi avec les îles du Cap-Breton et St.-Jean pour la seconde fois
au pouvoir de l'Angleterre. La garnison, formant avec les mate-
lots 5,600 hommes, resta prisonnière de guerre et les habitant
furent transportés en France.
Cette conquête qui coûta aux Anglais 400 hommes mis hors de
combat, excita des réjouissances extraordinaires dans la Grande-
Bretagne et dans ses colonies. A Londres l'on porta les trophées
de la victoire en triomphe du palais de Kensington à l'église St.-
Paul ; l'on rendit des actions de grâces dans toutes les églises
avec un enthousiasme excité moins pour célébrer une conquête
que pour faire oublier la perte de la bataille de Carillon, dont l'on
venait de recevoir la nouvelle, mais qui ne fut rendue publique
qu'après celle de la prise de Louisbourg, car cette ville n'était
après tout qu'une misérable bicoque.*
Après cet exploit, la flotte anglaise alla se mettre en possession
de l'île St.-Jean, et détruire les établissemens de Gaspé et de
Mont-Louis, formés dans le golfe St.-Laurent par des Acadiens
et de pauvres pêcheurs qu'elle emmena. Elle fit aussi une ten-
tative contre Miramichi, puis se retira vers la mi-octobre. Dans
le même temps d'autres Anglais construisaient de petits forts,
comme pour s'y établir à demeure, dans la partie septentrionale
• " Louisbourg is a Utile place and has but one casemetit in it, hardly big
enougli to hold the women. Our artillery made a havock amongthem (the
garrisoii) and soon opeued the rempart : in two days more \ve should cer-
tainly hâve carricd it. If this force had been properly managed, there was
an end of th'î french colony in North America, in one campaign, for \ve
havc, exclusive of scamen and mariners, near to forty thoi'sand men in
anus." — Lettre du général Wolfe à son oncle lemajor Wolje, 27 juillet 1758.
276
HISTOIRE DU CANADA.
de la baie de Fondy. La destruction de Louiabourg et la perte
du Cap-Breton laissèrent le Canada sans défense du côté de la
mer, et ouvrirent le chen\in de Québec aux ennemis pour l'année
suivante.
Mais tandis que le général Amherst et l'amiral Boscawen cueil-
laient des lauriers dans l'île du Cap-Breton sur le bord de la mer,
le général Abercromby, tapi au fond du lac St.-Sacrement, sur la
frontière centrale du Canada, dévorait dans l'immobilité et le
silence la honte de la cruelle défaite qu'il venait d'essuyer.
Ce général qui s'était réservé pour lui-môme le commandement
de l'armée qui devait agir sur le lac Champlain, parce que c'était,
dans le plan de campagne, la principale opération, avait réuni ses
forcen, composées de 7,000 hommes de troupes réglées et de
9,000 hommes de troupes provinciales, dans les environs du lac
St.-Sacrement, où le colonel Johnson vint le joindre avec quatre
ou cinq cents Sauvages. Cette armée qui avait pour mission de
franchir tous les obstacles qu'offrait la route de Montréal, faisait ses
prépara'.lfs pour attaquer les lignes françaises. M. de Vaudreuil no
doutait point qu'avec les forces considérables de l'ennemi Carillon
ne fût attaqué môme après le départ du général Amherst pour
Louidbourg. N'ayant pas encore reçu de vivres de France,
il cr.it (;ue le meilleur moyen de défendre cette frontière, c'était
de faire une diversion. C'est pourquoi il persistait dans le plan
qu'il avait formé de jeter un gros corps sur la rive méridionale du
lac Ontario, lo pour faire prononcer définitivement les Iroquois
contre l'Angleterre, 2o pour empêcher le rétablissement d'Os-
vvégo, 3o entin pour faire une irruption vers Schenectady et obliger
l'ennemi à se retirer du lac Champlain. Cette démonstration, à
la fois politique et militaire, était une opération fort délicate.
800 soldats et 2,200 Canadiens et Sauvages des tribus de l'Ouest
furent donnés au chevalier de Levis pour l'accomplir; mais au
moment où il allait se mettre en chemin, des nouvelles de M. de
Bourlamarque, qui commandait sur la frontière du lac St.-Sacre-
ratnt, apprirent que le général Abercromby, avec une armée nom-
breuse et déjà rendue au fort Edouard, était sur le point d'envahir
le Canada. Le départ du chevalier de Levis fut aussitôt contre-
mandé, et le général Montcalm, après quelques démêlés avec le
gouverneur au sujet de ses instruction^, partit de Montréal avec
HISTOIRE DU CANADA.
277
M. (le Pont-Leroy, ingénieur en chef, le 24 juin pour aller se
mettre à la tôte des troupes à Carillon, où il arriva le 30. Trois
mille soldats s'y trouvaient rassemblés. Il parut surpris que les
Anglais fussent déjà prêts à descendre le lac St.-Sacrement,
quoique depuis le printemps il appelât lui-môme l'attention sur le
fort Edouard, et pressât d'envoyer des renforts à M. de Bourla-
marque pour faire face à tous les événemens. Il manda sans
délai ce qui se passait au gouverneur, qui fit hâter la marche des
secours qu'il envoyait et qui étaient déjà en chemin, à savoir :
1,600 Canadiens, des Sauvages, et 400 réguliers sous les ordres
du chevalier de Levis. M. de Vaudreuil expédia en même
temps l'ordre aux milices de précipiter leur marche; il était
impossible que ces secours pussent arriver avant quelques semai-
nes. Une petite partie seulement put atteindre Carillon à marches
forcées avant la bataille.
Le 1 juillet le général Montcalm se porta en avant, échelonnant
ses troupes depuis le fort Carillon jusqu'au pied du lac St.-Sacre-
ment, pour en imposer à l'ennemi et s'opposer à son débar-
quement.
Dans le môme temps, 5 juillet, celui-ci s'embarquait à la tôte
du lac sur neuf cents berges et cent trente bateaux, précédés de
nombreux radeaux garnis de canons, nouvelle espèce de batterie
flottante. Il se mit en mouvement pour le descendre. " Le ciel
était extrêmement pur, dit le Dr. Dw^ight, et le temps superbe ;
la flotte avançait avec une exacte régularité au son d'une belle
musique guerrière. Les drapeaux flottaient étincelans aux rayons
du soleil, et l'anticipation d'un triomphe futur brillait dans tous les
yeux. Le ciel, la terre^ et tout ce qui nous environnait présen-
taient un spectacle enchanteur. Le soleil, depuis qu'il brillait
dans les cieux, avait rarement éclairé tant de beauté et tant de
magnificence."
L'avant-garde, forte de 6,000 hommes, commandée par lord
Howe, atteignit le pied du lac le 6 au matin, et débarqua au
Camp-Brûlé. M. de Bourlamarque se replia à son approche à la
Chute, où était le général Montcalm, après avoir attendu vaine-
ment M. de Trépézée qu'il avait détaché en avant en observation
sur la Montagne-Pelée avec 300 hommes. Cet officier, voyant
paraître les ennemis, voulut rejoindre M. de Bourlamarque, mais
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278
HISTOIRE DU CANADA.
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s'étant égaré dans les bois, il perdit du temps, et au lieu de trou-
ver les Français là où il les avait laissés, il se vit tout-à-coup
cerné par l'avant-garde ennemie, qui l'attaqua sans lui donner le
temps de se reconnaître, et tua, prit ou noya les deux tiers de son
détachement. L'autre tiers qui formait son arrière-garde et qui
avait pris une autre route parvint, le 7, sans mésaventure à la
Chute, où M. de Trépézée fut apporté mortellement blessé avec
un autre officier. C'est dans cette escarmouche que fut tué lord
Howe, jeune officier anglais plein d'espérance, et dont la perte
fut vivement regrettée par ses compatriotes.
Les desseins et la force de l'ennemi étaient maintenant pleine-
ment connus ; le général Montcalm fit lever le camp de la Chute,
et sous la protection des troupes de la colonie et de quatre à cinq
cents Canadiens qui venaient d'arriver, défila vers les hauteurs de
Carillon qu'il avait choisies pour livrer bataille, étant décidé
quelle que fût la disproportion des deux armées, de ne point
abandonner l'entrée du Canada sans combattre. Il avait d'abord
paru incliner pour St.-Frédéric ; mais M. de Lotbinière, qu'il
consulta, et qui connaissait très bien le pays, avait recommandé
les hauteurs de Carillon que les ennemis, suivant lui, ne pourraient
passer tant qu'elles seraient occupées, et qu'il était facile de for-
tifier par des retranchemens sous le canon du fort ; tandis que
les travaux qu'il faudrait faire pour se couvrir à St.-Frédéric,
prendraient deux mois, et que d'ailleurs Carillon passé, l'ennemi
pourrait descendre le lac Champlain et laisser cette place der-
rière lui. Le général, sentant la force de ces raisons, arrivé sur
ces hauteurs devenues si célèbres, fit cesser le mouvement rétro-
grade des troupes, et leur donna ordre de prendre position en
avant du fort, et de s'y retrancher.
Les hauteurs de Carillon sont situées dans l'angle formé par la
décharge du lac St.-Sacreraent nommée rivière à la Chute, et le
lac Champlain dans lequel elle va jeter ses eaux. Ces buttes,
du reste, peu élevées, et qui ont leur point culminant au sommet
de l'angle lui-même, s'abaissent vers leur base, se terminant en
pente douce avant d'arriver au lac, et en pente plus abrupte en
arrivant à la rivière à la Chute, sur le bord de laquelle règne un
petit fond d'environ vingt-cinq toises de largeur. A l'extrémité
de l'angle, sur le bord de l'escarpement, se trouvait une petite
HISTOIRE DU CANADA.
ii79
redoute dont le feu rayonnait sur le lac et la rivière, et enfilait la
pente du terrain le long de ce cours d'eau. Cette rédoute se
reliait nar un parapet, au fort Carillon dont l'on voit encore lea
ruines. Ce fort qui pouvait contenir trois ou quatre cents hom-
mes, placé dans le milieu de l'angle, dominait le centre et la droite
du plateau, ainsi que la plaine au pied du côté du lac Champlain
et de la rivière St.-Frédéric. L'armée passa la nuit du 6 au 7
au bivouac. Les feux de l'ennemi indiquaient qu'il était en force
au portage. Les retranchemens formés par angles entrans et
sortans, commencés le 6 au soir et continués le 7 avec la plus
grande activité, prenaient au fort, suivaient quelque temps la crête
des hauteurs du côté de la rivière à la Chute, puis tournaient à
droite pour traverser l'angle à sa base, en suivant les sinuosités d'uno
gorge à double rampe peu profonde qui traverse le plateau, et enfin
descendaient dans le bas fond qui s'étend iusqu'au lac. Ils pou-
vaient avoir six cents verges de développement, et cinq pieds de
hauteur ; ils étaient formés d'arbres ronds posés les urlB contre les
autres, avec les grosses branches coupées en pointes placées en
avant en manière de chevaux de frise. Chaque bataillon, ayant en
arrivant pris la place qu'il devait occuper dans l'action, faisait la
partie du retranchement destinée à le protéger. Tout le monde
travaillait avec une ardeur incroyable. Les Canadiens qui
n'avaient pu recevoir de haches plutôt, ne commencèrent leur
abatis, dans le bas fond du côté du lac Champlain où leur position
fut marquée, que dans l'après-midi ; ils l'achevèrent le lendemain
au milieu du jour au moment où les Anglais paraissaient. Le
pays en avant étant couvert 'le bois, le général Montcalm fit abat-
tre les arbres jusqu'à une certaine distance, pour voir déboucher
l'ennemi à découvert et de plus loin.
Dans le même temps le général Abercromby était débarqué
avec toute son armée. Il apprit par des prisonniers que les
Français se retranchaient pour attendre un renfort de 3,000 hom-
mes que devait leur amener le chevalier de Levia ; ce qui le
fit décider à les attaquer avant la jonction de ce corps ; et sur
le rapport d'un ingénieur envoyé en reconnaissance, que leurs
ouvrages n'étaient pas achevés, il se mit aussitôt en mou-
vement poussant son avant-garde, sous les ordres du colonel
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280
HISTOIRE DU CANADA.
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Bradstreet, le 7 au soir, jusqu'à 700 toises des Français ; et des
deux côtés l'on se prépara pour l'affaire du lendemain.
L'armée anglaise, défalcation faite de quelques centaines
d'hommes laissés à la Chute et à la garde des bateaux au pied du
lac, était encore composée de plus de 15,000 soldats d'élite com-
mandés par des officiers expérimentés, marchant au combat avec
toute la confiance que donne une grande supériorité numérique.
L'armée française ne comptait que 3,600 hommes dont 450
Canadiens ou soldats de la marine : il n'y avait pas de Sauvages.
Trois cents hommes furent chargés de la garde du fort, et 3,300
de la défense des retranchemens, que leur peu d'étendue permit
de garnir sur trois hommes de hauteur. L'ordre fut donné à
chaque bataillon de tenir en réserve sa compagnie de grenadiers
et un piquet de soldats rangés en arrière et prêts à se porter où
le besoin le demanderait. Le chevalier de Levis arrivé du matin
même de sa personne, fut chargé du commandement de l'aile
droite, ayant sous lui les Canadiens formant l'extrême droite sous
les ordres de M. de Raymond ; M. de Bourlamarque eut le
commandement de l'aile gauche. Le général Montcalm se
réserva celui du centre. Tel fut l'ordre de bataille des Français.
A midi et demi, les gardes avancées rentrèrent dans les lignes
en fusillant avec les troupes légères anglaises. Un coup de canon
tiré du fort, donna le signal aux troupes de border les ouvrages.
Le général Abercromby forma son armée en quatre colonnes
pour attaquer tous les points à la fois. Les grenadiers et
l'élite des soldats, choisis pour composer la tête des colonnes,
eurent l'ordre de s'élancer contre les retranchemens la bayonnette
au bout du fusil, et de ne tirer que quand ils auraient sauté dedans.
En même temps un certain nombre de berges devait descendre la
rivière à la Chute pour menacer le flanc gauche des Français.
A une heure les colonnes ennemies se mirent en mouvement,
entremêlées de troupes légères parmi lesquelles il y avait des
Indiens. Ces Sauvages couverts par les arbreS; ouvrirent le feu
le plus meurtrier dès qu'ils furent à portée. Les colonnes sorti-
rent du bois, descendirent dans la gorge en avant des retranche-
mens, et s'avancèrent avec une assurance et un ordre admirable,
les deux premières contre la gauche des Français, !a troisième
contre leur centre et la dernière contre leur droite en suivant le
J^
HISTOIRE DU CANADA.
281
pied du coteau dans le bas fond où se trouvaient les Canadiens.
Le feu commença par la colonne de droite, et s'étendit graduelle-
ment d'une colonne à l'autre jusqu'à celle de gauche, qui chercha
à pénétrer dans les ouvrages par le flanc droit du chevalier
de Levis. Cet officier, voyant le dessein de cette colonne, com-
posée de montagnards écossais et de grenadiers, ordonna aux
Canadiens de faire une sortie, et de l'attaquer en flanc. Cette
attaque réussit si bien, que le feu des Canadiens joint à celui des
deux bataillons placés sur le coteau, l'obligea de se jeter sur celle
qui était à sa droite, afin d'éviter un double feu de flanc. Les
quatre colonnes, forcées de converger un peu en avançant, soit
pour protéger leurs flancs, soit pour atteindre le point d'attaque,
se trouvèrent réunies en débouchant sur les hauteurs. Dans le
môme moment, une trentaine de berges se présentaient sur la
rivière à la Chute pour menacer la gauche des Français. Quelques
coups de canon tirés du fort, qui en coulèrent deux bas, et
quelques hommes envoyés sur le rivage, suffirent pour les mettre
en fuite. Le général Montcalm avait donné ses ordres pour lais-
ser avancer les ennemis jusqu'à vingt pas des retranchemens.
Cet ordre fut ponctuellement exécuté. Lorsqu'ils arrivèrent à la
distance indiquée, la mousqueterie assaillit ces masses compactes
avec un effijt si prompt et si terrible qu'elles tressaillirent, chan-
celleront et tombèrent en désordre. Forcées de reculer un instant,
eUes se remirent néanmoins aussitôt, et revinrent à la charge ;
mais, oubliant leur consigne, elles commencèrent à tirer. Le feu
devint alors d'une vivacité extrême sur toute la ligne et se pro-
longea fort long-temps, jusqu'à ce qu'enfin après les plus grands
eflbrts, les assaillans furent obligés de lâcher le pied une seconde
fois, ne laissant le terrain jonché de leurs cadavres. Ils s'arrêtèrent
à quelque distance pour prendre haleine et se réorganiser ; ils
reformèrent leurs colonnes et après quelques instans se précipi-
tèrent de nouveau sur les retranchemens malgré le feu le plus vif
et le plus soutenu qu'on eût jamais vu. Le général Montcalm
s'exposait comme le dernier des soldats. Du centre où il s'était
placé, il se portait pour donner ses ordres ou mener des secours,
sur les points qui périclitaient. Après des eflbrts inouis, les assail-
lons furent encore repoussés.
Etonné de plus en plus d'une résistance si opiniâtre, le général
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283
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HISTOIRE DU CANADA.
Abcrcromby, qui avait cru que rien n'oserait tenir devant lui avec
les forces accablantes qu'il avait à sa disposition, ne pouvait se
persuader qu'il échouerait devant un ennemi si inférieur en
nombre, et pensait que quelque fût le courage des Françjais, ils fini-
raient par se lasser d'une lutte dont la violence et la durée no
feraient qu'empirer leur perte. Il résolut donc de continuer ses
attaques avec la plus grande énergie jusqu'à ce qu'il eût triom-
phé ; et depuis une heure jusqu'à cinq ses troupes revinrent six
fois à la charge, et furent repoussées chaque fois avec de grandes
pertes. Les fragiles remparts qui protégeaient les Français pri-
rent en feu à diverses reprises dans le cours de l'action.
Les colonnes ennemies n'ayant pu réussir dans les premières
attaques faites simultanément sur le centre et sur les deux aîles de
Montcalm, se joignirent pour faire des efforts commuii? ; elles
assaillirent ainsi réunies tantôt la droite, tantôt le centre, tantôt la
gauche des Français sans plus de succès. C'est contre la droite
qu'elles s'acharnèrent le plus longtemps, et où le combat fu., le
plus meurtrier. Les grenadiers et les montagnards écossais con-
tinuèrent à charger pendant trois heures consécutives sans se
rebuter ni se rompre. Les derniers surtout, commandés par lord
John Murray, se couvrirent de gloire. Ils formaient la tête
d'une colonne presqu'en face des Canadiens. Leur costume
léger et pittoresque se distinguait entre tous les autres au milieu
du feu et de la fumée. Ils perdirent la moitié de leurs soldats et
vingt-cinq officiers tués ou grièvement blessés. Mais enfin cette
attaque fut repoussée comme les autres, et les efforts des assail-
lans échouèrent encore une fois devant l'intrépidité calme mais
opiniâtre des troupes françaises. Pendant ces différentes charges
les Canadiens firent encore plusieurs sorties sur les flancs de l'en-
nemi et enlevèrent des prisonniers.
A cinq heures et demie le général Abercromby, n'osant plus
conserver d'espérance, fit retirer toutes ses colonnes dans le bois
pour leur faire reprendre haleine, et faire une dernièi 3 tentative
avant de se retirer tout-à-fait. Une heure après elles reparurent
et commencèrent une attaque générale sur tous les points à la
fois de la ligne française. Toutes les troupes y prir'^nt part, mais
elles rencontrèrent la même opposition que dans les autres ; et
après des efforts inutiles, elles durent abandonner définitivement
HISTOIRE DU C\NADA.
283
la victoire à leurs adversaires. Les Anglais se retirèrent en se
couvrant d'une nuée de tirailleurs dont le feu avec celui des Cana-
diens qui sortirent à leur poursuite, se prolongea jusqu'à la nuit.
Les troupes françaises étaient épuisées de fatigues, mais ivres
de joie. Le général Montcalm, accompagné du chevalier de Levis
et de son état-major, en parcourut les rangs, et les remercia au
nom du roi de la conduite qu'elles avaient tenue dans cette glo-
rieuse journée, l'une des plus mémorables dans les fastes de la
valeur française. Ne pouvant croire cependant à la retraite défi-
nitive des Anglais, et s'attendant à un nouveau combat pour le
lendemain, il donna ses ordres et fit ses préparatifs en consé-
quence. Les troupes passèrent la nuit dans leurs positions ; elles
nettoyèrent leurs armes, et se mirent dès le point du jour à per-
fectionner les retranchemens qu'elles renforcèrent de deux batte-
ries, l'une à droite de quatre pièces de canon «t l'autre à gauche
de six. Au bout de quelques heures d'attente, ne voyant point
paraître d'ennemis, le général Montcalm envoya à la découverte
des détachemens, qui s'avancèrent jusqu'à quelque distance de
la Chute, et brûlèrent un retranchement que les Anglais avaient
commencé à y élever et qu'ils avaient abandonné. Le lende-
main, 10, le chevalier de Levis poussa jusqu'au pied du lac St.-
Sacrement avec les grenadiers, les volontaires et des Canadiens ;
il ne trouva que des marques de la fuite précipitée d'Abercromby.
Dans la nuit même qui avait suivi la bataille, le général anglais
avait continué son mouvement rétrograde vers le lac, et ce mou-
vement'était devenu une véritable fuite. Il avait abandonné sur
les chemins ses outils, une partie de ses bagages, un grand nombre
de blessés, qui furent ramassés par le chevalier de Levis, et s'était
rembarqué à la hâte le lendemain à la première lueur du jour,
après avoir jeté ses vivres à l'eau.
Telle fut la bataille de Carillon, où 3,600 hommes avaient lutté
victorieusement pendant plus de six heures contre 15,000 soldats
d'élite. Le gain de cette journée mémorable accrut singulière-
ment la réputation de Montcalm, que la victoire s'était plu à cou-
ronner depuis qu'il était en Amérique, et augmenta encore sa
popularité parmi les soldats. L'on n'avait perdu que 337 hovnmes
dont 37 officiers, au nombre desquels se trouvaient M. de Bour-
laraarque dangereusement blessé à l'épaule, et M. de Bougain-
-PI
éV'
284.
HISTOIRE DU CANADA.
ville, promu récomiiient au grade d'aide-marécaal des logis. Lo
chevalier de Levis reçut plusieurs balles dans ses habits et dans
son chapeau. Les pertes des Anglair. furent considérables. Ils
avouèrent eux-mêmes 2,000 hommes tués et blessés dont 126
officiers ; toutes les correspondances françaises les portent de 4"
à 5 mille.
Abercromby remonta le lac St.-Sacrement avec autant de pré-
cipitation qu'il en avait mis pour l'atteindre de Carillon, et en
arrivant à la tête de ce lac, il se retrancha fortement dans le camp
qu'il avait occupé avant sa courte campagne, écrivant en même
temps au général Amherst à Louisbourg pour lui ordonner de
venir le rejoindre sans délai. Celui-ci, de retour à Boston le 13
septembre seulement, se mit en marche pour Albany avec 4,500
hommes. Mais la saison était déjà trop avancée pour faire une
nouvelle tentativef cette année, si toutefois on en avait le projet,
et l'invasion du Canada fut ajournée à un temps plus propice Au
reste le passage de Carillon aurait été encore plus difficile à for-
cer que la première fois, parce que les retranchemens qui ne
consistaient qu'en arbres renversés le 8 juillet, avaient été refaits
depuis en terre et flanqués de redoutes couvertes de canons. Des
bandes canadiennes et sauvages battaient la campagne, et tenaient
Montcalm au courant de tout ce qui se passait dans l'armée
anglaise, dont elles allaient attaquer les détachemens et les con-
vois jusque sous les murs du fort Edouard, dans le voisinage
duquel M. de St.-Luc en prit un de 150 voitures.
Cependant la grande supériorité numérique des "ennemis
faisait que leurs pertes étaient à peine sensibles et qu'ils se rele-
vaient plus forts et plus redoutables après chaque défaite, tandis
que les succès des Français les affaiblissaient réellement; et que
chaque victoire diminuait leurs moyens de résistance et les
chances d'un s'^ccès définitif.
Aussi le général Abercromby apprenant que son mouvement
sur Carillon avait fait contremander l'ordre donné au chevalier
de Levis de se porter à Oswégo, et que le fort Frortenac, entre-
pôt de la marine française sur le lac Ontario, se trouvait pres-
qu'abandonné, ordonna au colonel Bradstreet de prendre 3,000
hommes et 11 bouches à feu, et de tâcher de surprendre ce poste
important, qui ne ^^'attendait point dans le moment à une pareille
HISTOIRE DU CANADA.
285
attaque. Cet ofTicier partit sans bruit du camp anglais, descendit
la rivière Osvvégo, traversa le lac Ontario, au pied, et parut sou-
dainement devant la place le 25 août. Elle n'était gardée que
par 70 hommes sous les ordres de M. de Noyan, qui osa cepen-
dant se défendre dans ce mauvais poste, et attendre pour se rendre
que les bombes fissent voler le fort en éclats. Outre beaucoup
de cant is, de petites arnres et une grande quantité de vivres et
cl_- marchandises trouvés dans son enceinte, les vainqueurs prirent
à Tancre dans le port neuf barques armées, reste des trophées de
la conquête d'Oswégo. Après avoir chargé tout ce qu'ils purent
emporter sur leurs vaisseaux, ils renvoyèrent la garnison sur
parole, brûlèrent les ouvrages et les barques, à l'exception de
deux, et reprirent le chemin de leur pays où ils rétablirent l'an-
cien fort de Bull.
Cette expédition, exécutée avec autant de bonheur que d'ha-
bileté, fit le plus grand honneur au colonel Bradstreet, et jeta un
moment le Canada dans une grande inquiétude pour la sûreté de
la partie supérieure du pays, et le commandement du lac Ontario,
que les Français croyaient avoir perdu avec l'escadrille de Fron-
tenac. La possession de ce point paraissait si importante, que
M. de Vaudreuil, à la première nouvel'e de l'apparition du colo-
nel Bradstreet, fit battre la générale et chargea le major de Mont-
léal, M. Duplessis, de prendre 1,500 Canadiens, qui laissèrent là
leurs récoltes, et tous les Sauvages qu'il pourrait rassenibler, et
d'aller à marches forcées à son secours ; mais* cet officier apprit
en chemin, à la Présentation, que le poste dont l'on redoutait la
perte, venait de capituler. Il crut devoir attendre de nouveaux
ordres du gouverneur, qui lui fit détacher 600 hommes pour ren-
forcer la garnison de Niagara, et manda le général Montcalm à
Montréal, pour délibérer sur ce qu'il y avait à faire dans les cir-
constances pénibles dans lesquelles la chute de Louisbourg que
l'on venait d'apprendre, et la destruction de Frontenac, mettaient
le pays. Il fut résolu par ces deux chefs de rétablir ce dernier
fort, de reprendre Niagara s'il était tombé au pouvoir de l'ennemi,
comme on le craignait, n'étant gardé que par quelques hommes,
et d'attaquer Oswégo si les Anglais cherchaient à en relever les
fortifications. Le chevalier de Levis fut désigné pour comman-
der cette partie des frontières et M. de Pont-Leroy, ingén „ur,
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HiSTOIUE DU CANADA.
pour relever les murs do Frontenac, dont la saison força d'ajour-
ner les travaux à l'année suivante.
Si la supériorité du nombre assurait ainsi aux Anglais les avan-
tages de la campagne dans la partie de la Nouvelle France qui
était la plus voisine de la mer, la mémo cause produisait le même
résultat dans la vallée de TOhio, où les succès des Français
lurent insufliflans pour suppléer à leur faiblesse. Comme on l'a
déjà dit, c'est le général Forbes qui devait diriger les opérations
de l'ennemi sur cette frontière. Son armée composée de régu-
liers sous le colonel Bouquet et de milices virginiennes sous le
colonel Washington, se réunit au nombre de 6,000 hommes après
bien des délais à Raystown à 30 lieues du fort Duqucsne, qu'elle
devait attaquer. Mais le triste souvenir de la défaite du général
Braddock, tout frais encore dans la mémoire, fit choisir une route
nouvelle pour traverser les montagnes. A la mi-septembre cette
armée n'était encore qu'à Loyal-Hanna, où elle éleva un fort, à
45 milles du poste français. Avant ue se remettre en chemin, le
général Forbes jugea à propos de détacher de son armée 800
soldats sous les ordres du major G>'ant, pour aller reconnaître ce
poste. Cet officier parvint, par une marche fort secrète, à un
quart de lieue du fort Duquesne sans être découvert. Son inten-
tion était d'attaquer dans la nuit les Indiens qui se tenaient ordi-
nairement campés autour de la place ; mais les feux allumés
devant leurs cabanes, qui devaient lui indiquer leur véritable
position, étaient éteints lorsqu'il arriva, et il dut sans avoir rien
fait se retirer au point du jour sur la crête d'une montagne voisine
où il fut aperçu des Français avec surprise. M. de Ligneris,
successeur de M. Dumas, assembla aussitôt les Canadiens et les
troupes de la colonie au nombre de 7 à 800, et les mit sous les
ordres de M. Aubry, qui marcha droit aux ennemis dans la mon-
tagne, les attaqua brusquement et les rejeta en bas dans la plaine
fort en désordre. Les Sauvages qui s'étaient retirés d'abord au-delà
de la rivière pour ne pas être surpris, en voyant les Anglais
repoussés, revinrent sur leurs pas et se réunirent aux Canadiens.
La déroule des ennemis devint alors complète ; ils furent disper-
sés et perdirent 300 hommes tués ou blessés, et cent et quelcpios
prisonniers, au nombre desquels se trouvèrent v'mgt ollicicrs y
compris le major Grant lui-même. ^
HISTOIRE DU CANADA.
287
La nnuvollc de ce désastre trouva le général Forbes à Loyal-
llanna, d'où il n'avait pas l)ougc. On était en novembre ; la
saison des gelées était venue, et la neige commençait à blanchir
la cime des collines. Il fut décidé dans un conseil de guerre de
remettre l'attaque du fort Duquesne à l'année suivante ; mal-
heureusement des prisonniers révélèrent sur ces entrefaites la
situation des Français. Les Sauvages alliés avaient repris le
chemin de leurs bourgades, et les secours venus des postes du
Détroit et des Illinois, comptant les ennemis en pleine retraite,
s'étaient retirés, de sorte qu'à peine restait-il 500 hommes dans ce
poste important. A cette nouvelle on changea d'avis ; le géné-
ral Forbes, laissant derrière lui ses tentes et ses gros bagages,
s'avança à marches forcées vers la place avec toutes ses troupes.
M. de Ligneris, hors d'état de se défendre contre des forces aussi
supérieures, et n'attendant plus aucun secours, embarqua son artil-
lerie sur l'Ohio pour les Illinois, brûla le fort, et se retira avec sa
garnison dans celui de Machault du côté du lac Erié. Le géné-
ral Forbes ne trouva en arrivant que l'emplacement sur lequel
avait existé ce fort fameux qui avait tant offusqué l'Angleterre.
Il voulut néanmoins e*^ changer le nom, et en l'honneur du
ministre, M. Pitt, il donna à cet amas de cendre celui de Pitts-
burgh, qu'il a conservé, mais qui e«t devenu aujourd'hui une ville
belle, riche et florissante.
Partout maintenant la saison du repos était arrivée, et les
troupes des deux côtés des frontières avaient pris ou s'en allaient
p endre leurs quartiers d'hiver. Les deux armées opposantes sur
le lac St.-Sacrement, après avoir reçu l'une et l'autre des renforts
que leur inactivité rendit inutiles, s'étaient aussi mises en chemin
pour leurs cantonnemens, celle du général Abercromby, après
avoir incendié les barraques et les retranchemens qu'elle avait
élevés à la tôte du lac St.-Sacrement.
L'avantage des opérattons de la campagne, la cinquième
depuis le commencement des hostilités, resta aux Anglais en
Amérique ; ils se trouvèrent maîtres dans l'automne de Louis-
bourg et de l'île St.-Jean ; ils avaient brûlé les côtes de Gaspé et
pris pied sur la rive septentrionale de la baie de Fondy; ils
avaient détruit le fort Frontenac et forcé enfin les Français d'aban-
donner avec le fort Duquesne cette verdoyante et délicieuse vallée
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288
HISTOIRE DU CANADA.
de l'Ohio, aux eaux de laquelle ils s'étaient plu à donner le nom
de Belle-Riviôre. Mais on peut dire que la gloire des armes
appartenait à la France. Partout ses soldats avaient eu à lutter
contre des forces très supérieures ; supérieures de plus de trois
contre un à Louisbourg, de près de cinq contre un à Carillon !
Jan^tils ils ne s'étaient battus avec plus de dévouement et plus
d'intrépidité. Si les chefs commirent quelquefois des fautes, on
doit dire qu'elles ne changèrent rien à un dénouement devenu
inévitable, et dont l'histoire doit laisser peser la responsabilité sur
la caducité du gouvernement de la métropole. Le Canada,
^abandonné à la double attaque de la famine et de l'épée, ne
pouvait résister toujours si celle-ci ne faisait face elle-même à
l'Angleterre sur .os mers, qui apportaient chaque année des
armées entières à nos adversaires déjà beaucoup trop puissans.
Dans les autres parties du monde, la France avait été plus
heureuse. Dans les Indes, ses flottes s'étaient emparé de Gon-
deloue, où dix frégates anglaises avaient été brûlées ; elles avaient
pris le fort David sur la côte de Pondichéri et Divicoté. Après
avoir échoué devant Raga, elles avaient enlevé Arcate, capitale
de la Nobabie. Si des combats navals livrés à l'amiral Pocock
étaient restés indécis, en Europe, quoique ses succès eussent
été mêlés de revers, sa position n'était pas pire. Ses victoires
balançaient ses défaites en Allemagne, et le duc d'Aiguillon, ayant
rejoint les Anglais qui tentaient depuis quelq"'e temps des débar-
quemens en France, avait anéanti leur arrière-garde à St.-Cast.
Tant d'efforts cependant pour soutenir la guerre sur terre et sur
mer dans toutes les parties du globe, avaient achevé d'épuiser le
trésor. Pitt le savait, et il redoublait d'énergie pour détruire ou
paralyser complètement les forces de la France dans le Nouveau-
Monde. Les embarras des finances et l'aspect de l'avenir ame-
nèrent un nouveau changement de ministère à Paris. M. Ber-
ryer remplaça M. de Moras au bureau de la marine et des colo-
nies ; le maréchal de Belle-lsle, le marquis de Paulmy au bureau
de la guerre; et le duc de Choiseul, le cardinal de Bernis, à celui
des affaires étrangères. Ce changement annonça le triomphe du
parti de la guerre à la cour. Mais les affaires militaires n'en
réussirent pas mieux ; au contraire, l'on va voir les désastres
s'accroître de jour en jour. Quant au Canada, le nouveau
MISromE DU CANADA.
;289
ministère parut lui Être moins Ihvorable encore que l'ancien, et si
le ujénùral Montcuiiu eût un ami dans le maréclia! de Belle-Isle,
Bigot eut un censeur sùvôre dans SI. Berryer, qui parut i)iua
occupé du soin d'apurer les comptes de l'intendant, que d'envoyer
les secours de tous genres dont ce pays avait besoin.
En effet, les soldats et les vivres mancjuaient toujours. Un j
partie de la population avait été arrachée à l'agriculture pour le»
exigences de la guerre, et la terre étai* restée sans laboureurs ; co
qui nécessitait des importations de céréa.es encore plus considé-
rables que dans les années précédentes. D'un autre côté, les
hostilités sur mer rendaient les importations plus dilRciles, et il
fallait ménager le temps des cultivateurs et régler les opération?
militaires de manière à pouvoir en laisser libre le plus grand
nombre possible pour le temps des semailles et de la moisson :
ainsi la guerre et la culture s'entrenuisaient, et toutes deux mar-
chaient ensemble vers une ruine commune.
Dès le mois d'octobre le gouverneur et l'intendant avaient écrit
au ministre pour l'avertir que le projet des Anglais était d'assié-
ger Québec l'année suivante avec une armée formidable : et que
d'après les progrès qu'ils avaient faits dans la campagne actuelle,
si le Canada ne recevait point de secours, attaqué de toutes parts,
il devait finir par succomber; que l'on n'avait que 10,00C
hommes à opposer aux forces de l'ennemi, parce qu'il fallait en
réserver 4,000 pour les transports et les garnisons des forts Nia-
gara, Frontenac, de la Présentation, etc. " Il ne faut pas comp-
ter sur les habitans, ajoutaient-ils, ils sont exténués par les
marches continuelles. Ce sont -^ux qui font toutes les décou-
vertes de l'armée. Leurs terres ne sont point cultivées à n; ntié.
Leurs maisons tombent en ruine. Ils sont toujours en campagne,
abandonnant et femmes et enfans, qui pour l'ordinaire sont sans
pain Il n'y aura point de culture cette année faute de
cultivateurs." Ils observaient encore que l'on serait forcé de dis-
tribuer du bœuf ou du cheval aux pauvres à bas prix. Les
demandes du munitionnaire en France en comestibles seuls
devaient occuper 35 navires de 3 à 400 tonneaux.
Toutes les correspondances confirmaient ce triste et trop fidèle
tableau de la colonie tracé par le gouverneur et l'intendant. M.
de Bougainville s'embarqua à Québec pour Paris, chargé d'aller
r.
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SSI^.
HISTOIRE DU CANADA.
roprùscnter à la cour la nécessité de faire un grand cfTort pour
épargner au pays le sort qvii le menaçait; le commissaire des
guerres, M. Doreil, qui repassait aussi en Europe, devait appuyer
les représentations de Bougainville.
De:: sollicitations si pressantes restèrent sans résultat. Dans
leur impuis.iance de secourir une si noble contrée qu'ils allaient
perdre, les ministres, le cœur rempli de douloureux regrets, écla-
tèrent en reproches amers contre l'intendant sur les dépenses
excessives du Canada, qu'ils attribraient à sa négligence, comme
pour se justifier eux-mêmes aux yeux de la France de la situation
malheureuse où l'on se trouvait. Berryer écrivait à ce fonction-
naire le 19 janvier 1759, que la fortune de ceux qui avaient suivi
ses ordres, rendait son administration suspecte ; plus tard encore,
le 29 août, .e ministre informé quo le tirage des lettres de ciiange
allait mo.iter pour 1759 de 31 à 33 millions, lui reprochait (jue
les dépenses étaient faites sans ordre, souvent sans nécessité, tou-
jours sans économie, et terminait par ces mots: *< On vous attri-
bue directement d'avoir gêné le commerce dans le libre appro-
visionnement de la colonie ; le munitionnaire général s'est rendu
maître de tout, et donne à tout le prix qu'il veut; vous avez
vous-même fait acheter pour le compte du roi, de la seconde et
troisième main, ce que vous auriez pu vous procurer de la pre-
mière à moitié meilleur marché ; vous avez fait la fortune des
personnes qui ont des relations avec vous par les intérêts que vous
avez fait prendre dans ces achats ou dans d'autres entreprises ;
vous tenez l'état le plus splendide et le plus grand jeu au milieu
de la misère publique Je vous prie de faire de très
sérieuses réflexions sur la façon dont l'administration qui vous
est confiée a été conduite jusqu'à présent. Cela est plus impor-
tant que peut-être vous ne le pensez.''''
Cette dépêche qui semblait mettre à nu les spéculations secrè-
tes de l'intendant, le trouva impassible en apparence 5 mais inté-
rieurement pénétré de crainte et d'humiliation, il se vit découvert
et flétri aux yeux de ses maîtres. Une seconde dépêche répé-
tait les mêmes reproches et comportait des menaces encore plus
explicites et plus directes. C'était tout ce qui pouvait être fait
dans le moment ; les événemcns se pressaient avec trop de rapidité
pour permettre de porter remède à des abus, dont la cause, soi-
HISTOinE DV CANADA.
291
gneusement cachée, exigeait une investigation attentive et minu-
tieuse.
Les obstacles et les malheurs aigrissent le caractùrc des hom-
mes et finissent souvent par allumer dans les cœurs les plus nobles
des passions funestes. La division entre lo gouverneur et le
général Montcalm, dont l'on a déjà parlé, prit un caractère plus
grave après la bataille de Carillon ; et il paraît qu'à la cour, où
aboutissaient les accusations et les récriminations, l'on crut s'a-
percevoir que cette malheureuse affaire dégèlerait en intrigue,
dont Doreil était l'agent secret, et le gouverneur devait élre la
victime. La rentrée de Doreil en France ne fut peut-être pas
entièrement étrangère à cette menée.
Le général Montcalm et ses partisans accusaient M. de Vau-
dreuil d'avoir exposé l'armée à une complète destruction, en la
dispersant sur le lac Ontario et au pied du lac St.-Sacrement, et
en n'appelant pas les Canadiens et les Sauvages sous les armes,
pour être prêts à se porter sur les points qui pourraient être
menacés. Il est bon d'observer qu'avant le 8 juillet leurs cor-
respondances étaient très circonspectes, contenaient peu de siif-
gessions, n'exprimaient que des doutes, et que Montcalm lui-
môme croyait l'ennemi si peu préparé à entrer en campagne,
.ju'il mit six jours à se rendre de Montréal à Carillon. Après la
bataille, ce général écrivit au ministre que les mesures du gou-
verneur l'avaient exposé sans forces suffisantes aux coups de
l'ennemi ; mais que puisque la victoire avait réparé cette faute,
ce qui le flattait le plus, c'est que les troupes régulières n'en par-
tageaient la gloire avec personne, observation peu généreuse
qu'explicpient du reste les jalousies que nous avons signalées déjà
plusieurs fois. Puis après avoir sollicité les grâces que méritait
une armée si brave, il ajoutait: " Pour moi, je ne vous en
demande pas d'autre que de me faire accorder par le roi mon
retour; ma santé s'use, ma bourse s'épuise. Je devrai à la fin
de l'année dix mille écus au trésorier de la colonie, et plus que
tout encore, les désagrémens, les contra lictions (jue j'éprouve,
l'impossibilité où je suis de faire le bien et d'empêcher le mal,
me déterminent de supplier avec instance sa Majesté de m'ac-
corder cette grâce, la seule que j'ambitionne." Doreil, son con-
fident, qui ne se croyait pas tenu d'observer la même réserve,
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HISTOIRE DU CANADA.
critiquait depuis lo 'etcmps, avec une extrême vivacité, tous les
actes de l'administration. Depuis le dernier succès surtout, il ne
mettait plus de mesure dans ses paroles : " La négligence, l'igno-
rance, la lenteur et l'opiniâtreté du gouverneur, disait-il, ont pensé
perdre la colonie l'ineptie, l'intrigue, le mensonge, l'avidité,
la feront sans doute périr." Et comme la commune renommée
attribuait aux Canadiens une grande part dans les victoires obte-
tenues dans le cours de la guerre, et que le roi pouvait croire au
dévouement de ce peuple, il informait le ministre que le général
Montcalm lui avait écrit confidentiellement que les Canadiens
qu'il y avait à la batail' 3 de Carillon s'étaient conduits fort médio-
crement de même que les troupes de la colonie, quoiqu'il eût dit
le contraire dans le rapport officiel transmis à Taris. Après plu-
sieurs lettres écrites dans les mômes termes d'accusation et de
calomnie, Doreil croyant avoir bien disposé les ministres à son
dessein, les invita enfin dans une dernière dépêche plus violente
encore que les autres, à changer le gouverneur, et à choisir le
général Montcalm pour le remplacer. " Si la guerre doit durer
encore ou non, disait-il, si l'on veut sauver ou établir le Canada
solidement, que sa Majesté lui en confie le gouvernement. Il
possède la science politique, comme les talens militaires. Homme
de cabinet comme de détails, il est grand travailleur, juste, désin-
téressé jusqu'au scrupule, clairvoyant, actif, et n'a en vue que le
bien; en un mot, il est homme vertueux et universel
Quand M. de Vaudreuil, aurait de pareils talens en partage, il
aurait toujours un défaut originel, il est Canadien^
Toutes ces intrigues, qui n'étaient pas assez secrètes pour qu'il
n'en transpirât pas quelque chose même dans le public, parve-
naient à la connaissance du gouverneur. Déjà les officiers et les
soldats de l'armée attaquaient, critiquaient tout haut sa conduite
dans leurs propos, et lui attribuaient la détresse et les malheurs
dont ils étaient les victimes. Il voulut mettre un terme à un état
de chose qui pouvait avoir les suites les plus fâcheuses ; mais il
n'échappa point lui-même à la passion qui animait ses ennemis.
Dans une lettre pleine de récriminations qu'il adressa à Paris, il
demanda le rappel de Montcalm, disant que ce général manquait
des qualités nécessaires pour faire la guerre du Canada ; qu'il
fallait beaucoup de douceur et de patience pour commander les
HISTOIRE DU CANADA.
293
Canadiens et les Sauvages, et que Montcalm n'en avait point
et finissait par désigner le chevalier de Levis pour lui succéder
dans le commandement des troupes.
Ces malheureuses querelles embarrassèrent beaucoup les minis-
tres. Une note fut dressée et soumise au conseil d'état pour
rappeler Montcalm, comme il le demandait lui-même, avec le
titre de lieutenant-général, et le remplacer par le chevalier de
Levis avec le grade de maréchal de camp. Mais le roi, après
réflexion, n'approuva point cet arrangement, et les choses restè-
rent comme elles étaient. L'on pensa peut-être qu'il serait dan-
gereux, d'une part, d'oter au pays un général aimé du soldat et qui
avait toujours été victorieux ; et de l'autre, de changer un gouvc
neur qui avait obtenu des Canadiens tous les sacrifices de sang et
d'argent que l'on pouvait attendre du peuple le plus dévoué, sans
qu'ils eussent fait entendre seulement un murmure. Le système
de deux chefs presqu'aussi puissans l'un que l'autre était sans
doute défectueux. L'on aurait du avoir nommé dès le début de
la guerre un che'' civil capable d'être aussi chef militaire et de
commander l'armée. Des dépêches conciliantes furent adressées
au gouverneur et au général, à qui les ministres, au nom du roi,
recommandèrent vivement l'union et la concorde, chose d'une
absolue nécessité dans les circonstances où l'on se trouvait. Dana
le printem])s M. de Bougainville arriva à Québec avec ses mains
pleines de récompenses. M. de Vaudreuil était nommé grand'-
croix de l'ordre de St.-Louis; M. de Montcalm commandeur du
même ordre et lieutenant-général ; M. de Levis maréchal de
camp ; Bourlamarque et de Sènezergues, brigadiers ; Bougain-
ville colonel, enfin Dumas, major-général et inspecteur des trou-
pes de la marine. Des croix et des avancemens étaient aussi
accordés à beaucoup d'officiers de grades inférieurs. Ces récom-
penses, surtout les pressantes recommandations des ministres
rapprochèrent les deux chefs sans les réconcilier.
Quant aux secours à attendre de la métropole, le ministre do
la guerre donnait peu d'espoir. M. de Montcalm lui avait mandé
qu'à moins d'un bonheur inattendu, d'une grande diversion sur
les colonies anglaises par mer, ou de grandes fautes de la part do
l'ennemi, le Canada serait pris dans la campagne de 59 et sûre-
ment dans la suivante, les Anglais ayant 60,000 honiiAes sur
•■■>;?'»
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294
HISTOIRE DU CANADA.
pied tandis que les Français en avaient 10 à 11 mille au plus.
Ce ministre l'informa qu'il ne devait pas espérer de recevoir de
troupes de renfort : " Outre qu'elles augmenteraient la disette des
vivres que vous n'avez que trop éprouvée jusqu'à présent, il
serait fort à craindre qu'elles ne fussent interceptées par les An-
glais dans le passuge ; et comme le roi ne pourrait jamais vous
envoyer dos secours proportionnés aux forces que les Anglais sont
en état de vous opposer, les efforts que l'on ferait ici pour vius
en procurer n'auraient d'autre effet que d'exciter le ministère le
Londres à en f !''r de plus considérables pour conserver la supé-
i.';orité qu'il s'est acquise dans cette partie du continent." * En
effet, 600 recrues, deux frégates et 12 à 15 navires du commerce
appartenant la plupart au raunitionnaire avec des marchandises
et des vivres, furent tout ce qui entra dans le port de Québec
avant l'apparition de la flotte ennemie. Quoique cette cniuluite
déliât les Canadiens de la fidélité qu'ils devaient à la France,
puisqu'elle reconnaissait elle-même la supériorité absolue de
l'ennemi en Amérique, pas un cependant ne parla de rendre les
armes ; ils avaient encore du sang à verser et des sacrifices à faire
pour cette ancienne patrie d'où sortaient leurs pères, et s'il y eut
des paroles de découragement, elles partirent plutôt des rangs de
l'armée régulière que de ceux des colons.
Le gouvernement britannique n'ignorait point à quel éta' de
détresse était réduit le Canada; ce qui fut un motif de plus pouc
lui de redoubler de vigueur. Tl demanda et obtint de la chambre
des communes tout ce qui était nécessaire, en hommes, en argent
et en vaisseaux, pour mener à bonne fin l'entreprise glorieuse
qu'il avait commencée. Si les progrès faits jusque là étaient peu
brillans, ils étaient du moins solides et assurés ; le chemin de
Québec, celui de Niagara et du Cai'ada occidental étaient ouverts.
Les diverses tribus de ces contrées étaient acquises. Voulant
prévenir le moment de la chute de la puissance française, et
s'assurer de l'amitié de l'Angleterre avant qu'il fût trop tard, elles
avaient signé avec elle un traité de paix dans le mois d'octobre
précédent, à Easlon, où s'étaient exprès rendus sir William
Johnson et plusieurs gouverneurs,accorapagnés d'un grand nombre
des personnes les plus marquantes des provinces. Ainsi se bri-
• Lettre du 19 février 1759.
HISTOIRE DU CANADA.
2d5
sait chaque jour cet admirable système des alliances indiennes
fondé par Champlain et organisé par Talon et Frontenac. Le
traité d'Easton prépara la voie, suivant SmoUett, aux opérations
militaires qui furent projetées contre le Canada pour la célèbre
campagne de 59.
Comme l'année précédente, l'Angleterre persista dans son
plan d'envahir le Canada à la fois par le centre et par ses deux
extrémités. L'immensité de ses forces l'obligeait toujours à les
diviser; car, réunies, elles se seraient nui et une partie serf.it
restée inutile. Louisbourg étant pris, Québec était la seconde
ville à attaquer du côté de la mer, et sous les murs de laquelle
les trois armées envahissantes devaient se réunir pour enlever de
vive force ce dernier boulevard des Français dans le continent.
Le général Amherst, à qui la chambre des communes avait voté
des remercîmens comme à l'amiral Boscawen, pour la conquête
de Louisbourg, fut chargé du commandement de l'armée anglaise
à la place du général Abercromby rappelé après la bataille de
Carillon. Un corps de dix mille hommes fut mis sous les ordres
du général Wolfe, jeune officier qui s'était distingué par son acti-
vité et par son audace au siège de Louisbourg, pour remonter le
St.-Laurent et assiéger Québec ; un corps de douze mille hommes,
commandé par le général-en-chef lui-même, devait tenter pour
la troisième fois le passage du lac Champlain, descendre la rivière
Richelieu et le St.-Laurent, et se réunir à celle de Wolfe. Enfin
le général Prideaux avec un troisième corps composé de troupes
régulières et provinciales et de plusieurs milliers d'Indiens sous
les ordres de sir William Johnson, était chargé de prendre Niagara,
de descendre le lac Ontario, enlever, chemin faisant, Montréal,
et venir se joindre aussi lui aux deux armées déjà rendues sous
les murailles de la capitale canadienne. Un quatrième corps
moins considérable devait, sous les ordres du colonel Stanwix,
battre la campagne, enlever les petits forts qui se trouveraient sur
sa route et purger d'ennemis les rives du lac Ontario. Outre ces
forces, qui composaient un total de plus de 30,000 hommes avec
des parcs d'artillerie formidables et toutes sortes de machines
de guerre, les amiraux Sounders, Durell et Holmes firent voile
d'Angleterre avec une escadre de 20 vaisseaux de ligne, 10 fré-
gates, 18 autres bâtimens plus petits que rallièrent en chemin un
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I!
296 HISTOIRE DU CANADA.
grand nombre d'autrea, pour transporter l'armée du général Wo!fe
de Louisbourg à Québec et couvrir le siège de cette ville du côté
de la mer: cette flotte ne portait pas moins de 18,000 matelots
et soldats de marine. Si, à cela, l'on ajoute encore les troupe?
nombreuses destinées à la garde des colonies anglaises elles-
mêmes, on voit que l'estimation des forces de l'ennemi, faite par
le général Montcalm, n'était pas loin de la -. èf té, et que la con-
quête du Canada avait obligé ses envahisseurs à armer trois fois
plus d'hommes pour le soumettre que ce pays comptait dans son
sein de soldats et d'habitans capables de porter les armes,* fait
qui témoigne de la crainte que ces braves, si faibles en nombre,
avaient inspirée à leurs ennemis.
En vue de ces immenses préparatifs, l'on fit faire dans l'hiver
le dénombrement des hommes capables de servir; il s'en trouva
15,000-j- de l'âge de 16 à 60 ans. Les troupes régulières mon-
tèrent seulement à 5,300 hommes après l'arrivée des 600 recrues
dont nous avons parlé plus haut.| On sait que depuis l'origine
toute la population était armée en Canada. Le 20 mai le gou-
verneur adressa une circulaire aux capitaines de milice pour les
prévenir de tenir leurs compagnies prêtes à marcher au premier
ordre, chaque homme portant des vivres pour six jours. Dans
le mois d'avril le peuple avait été averti de l'orage qui allait
fondre sur lui, et l'évêque avait ordonné des prières publiques
• Les journaux des colonies anglaises portaient leurs forces de terre à
60,000 hommes. " L'Angleterre a actuellement plus de troupes en mouve-
ment dans ce continent que le Canada ne contient d'habitans, en comprenant
les vieillards, les femmes et les enfans. Quel moyen de pouvoir résister à
cette multitude." — Lettre de M. Doreil, commissaire des guerres, au
ministre,
t Gouvernement de Québec 7,511
" Trois-Rivières 1,313 '
" Montréal 6,405
15,229 hommes.
\
t 8 bataillons de ligne 3,200
2 " de la marine et des colonies . . . . 1,500
Rflcrues 600
5,300
HISTOIRE DU CANADA.
297
dans toutes les églises où les habitans &o portèrent en foule comme
ils allaient bientôt se porter au conbat.
Dès le petit printemps le capitaine Pouchot partit pour Niagara
avec 300 hommes, réguliers et Canadiens, et l'ordre de réparer
les ouvrages de ce fort, de s'y défendre s'il était ailaqué, et s'il ne
l'était pas, de soutenir les postes du voisinage de l'Ohio. et de
prendre même Toffensive s'il se présentait une occasion favorable
de le faire avec quelque chance de succès. Quelques barques
avaient été construites dans l'hiver à la Présentation. M. de Cor-
bière reçut ordre de les prendre et d'aller relever les ruines du
fort Frontenac pour ressaisir la supériorité sur le lac Ontario.
On avait préparé aussi d'autres petits bâtimens au pied du lac
Champlain, pour protéger les communications avec St.-Frédéric
et Carillon, et, dans tous les cas, pour aider à la défense du fort
St.-Jean. 2,600 hommes environ s'échelonnèrent dès que la
saison le permit, sur cette frontière depuis Chambly jusqu'au
pied du lac St.-Sacroment, sous les ordres du brigadier Bourla-
marque. Cet officier devait faire travailler aux retranchemens
de Carillon qui n'étaient pas encore finis; mais les nouvelles
apportées par le colonel Bougainville ayant fait supposer que
Québec était le point le plus menacé, l'ordre lui fut tr'nsmis, si
l'ennemi se présentait en nombre, d'abandonner les positions de
Carillon et de St.-Frédéric après en avoir fait sauter les fortifi-
cations, et de se replier sur l'île aux Noix. Le chevalier de la
Corne, chargé de tenir la campagne a pied du lac Ontario avec
1,200 hommes, devait aussi lui, s'il était forcé, se retirer à la tête
des rapides du St.-Laurent au-dessous de la Présentation, et là
faire ferme contenance. Ces précautions prises, le surplus des
troupes resta dans ses quartiers, se tenant prêt à marcher au pre-
mier ordre. Le gouverneur et les généraux Montcalm et Levis
attendirent à Montréal que l'ennemi se mît en campagne, pour
voir où il faudrait se porter, car sa supériorité forçait à recevoir la
loi de lui pour les mouvemens. Le général Montcalm souffrait
de cette inaction. Il trouvait que les dispositions pour la défense
de Québec étaient trop tardives, ce qui était vrai, c'est-à-dire
qu'il y a longtemps que la France aurait du avoir fait fortifier
cette ville pour la mettre à l'abri d'un coup de main. Mainte-
nant il était trop tard. Québec était moins fort que plusieurs
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298
HISTOIRE DU CANADA.
autres postes. M. de Vaudreuil, portant les yeux sur tous
les points menacés, n'osait se décider encore, d'autant plus que
toutes les armées anglaises devaient agir simultanément, et il
attendait qu'elles s'ébranlassent pour marcher à la première qui
paraîtrait.
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LIVRE DIXIEMir.
CHAPITRE I.
VICTOIRE DE MONTMORENCY ET PREMIÈRE
BATAILLE D'ABRAHAM.
, REDDITION DE QUÉBEC.
1750.
Invasion du Canada. — Moyens défonsifs qu'on adopte. — L'armée française
se retranche à Beauport, en face de Québec. — Arrivée de la flotte enne-
mie.— Les troupes anglaises débarquent à l'île d'Orléans. —Manifeste du
général Wolfe aux Canadiens. — Ce général, jugeant trop hasardeux d'at-
taquer le camp français, décide de bombarder la capitale et de ravager les
campagnes. — La ville est incendiée. — Attaque des lignes françaises à
Montmorency. — Wolfe repoussé, rentre accablé dans son camp et tombe
malade.— Il tente vainement de se mettre en communication avec le
général Amherst sur le lac Champlain. — Les autres généraux lui suggè-
rent de s'emparer des hauteurs d'Abraham par surprise afin de forcer les
Français à sortir de leur camp. — Le général Montcalm envoie des troupes
pour garder la rive gauche du St.-Laureut depuis Québec jusqu'à Jacques
Cartier. — Grand nombre de Canadiens, croyant le danger passé, quittent
l'arméiî pour aller vaquer aux travaux des champs. — Du côté du lac
Champlain M. de Bourlamarque fait sauter les forts Carillon et^t. -Fré-
déric, et se replie à l'île aux Noix devant le général Amherst qui s'avance
avec 12,000 hommes.— Le corps du général anglais Prideuux, opérant
vers le lac Erié, prend le fort Niagara et force les Français à se retirer à
la présentation au-dessous du lac Ontario. — Les Anglais surprennent les
hauteurs d'Abraham le 13 septembre. — Première bataille qui s'y livre et
défaite des Français. — Mort de Montcalm : capitulation de Québec. — Le
général de Levis prend le commandement de l'armée et veut livrer une
seconde bataille ; mais en apprenant la reddition de la ville il se retire à
Jacques Cartier et s'y fortifie. — L'armée anglaise, renfermée dans Qué-
bec, fait ses préparatifs pour y ^jasser l'hiver. — Demande de secours en
France pour reprendre c^tA ^'ilie.
Tandis que le gouverneur et les généraux étaient à Montréal,
l'on reçut des dépêches de la France qui déterminèrent le départ
de Montcalm pour Québec, où il arriva le 22 mai, suivi bientôt
après de M. de Vaudreuil et du chevalier de Levis. Les navires
d'Europe confirmaient le rapport qu'une flotte anglaise était en
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300
HISTOIRE DU CANADA.
route pour cette capitale, qui devenait dès lors le principal ponit
à défendre. Le 28 un courrier annonça l'apparition de cette
flotte au Bic. Les événemens se précipitaient. L'on redoubla
d'activité pour la défense. Afin de retarder l'approche de l'en-
nemi, les bouées et autres indications servant à la navigation du
St.-Laurent, furent enlevées, et l'on prépara des machines incen-
diaires, des brûlots, pour lancer contre leurs vaisseaux lorsqu'ils
paraîtraient en vue du port. L'on achemina aussi les vivres et
les archives publiques sur les Trois-Riviéres, réservant seulement
dans Québec ce qu'il fallait pour nourrir l'armée et le peuple
pendant un mois. On leva le peu de céréales qui restait dans
les campagnes de la partie supérieure du pays, à l'aide de l'argent
avancé par les officiers de l'armée, et on plaça à Montréal les
magasins pour l'équipement des troupes. Enfin des marchandises
furent achetées pour donner en présent aux tribus indiennes de
Niagara et du Détroit, restées attachées à la France ou qui dissi-
mulaient leur traité avec les Anglais, dans le but de les induire à
garder au moins la neutralité.
Ces premiers points réglés, l'on s'occupa de l'organisation de
l'armée et de la défense de Québec, dont la perte devait en .rainer
celle de tout le Canada. D'abord quant à cette ville elle-même,
elle ne fut point jugée tenable ni même à l'abri d'un coup de
main du côté de la campagne, où le rempart commencé, dépourvu
de parapet, d'embrasures et de canons, n'avait que six à sept
pieds de hauteur, et n'était protégé extérieurement par aucun
fossé ni glacis ; et d'un commun accord, il fut décidé de la cou-
vrir par un camp retranché où les troupes prendraient position.
Québec est bâti, comme on l'a dit ailleurs, à l'extrémité d'un
promontoire qui se termine du côté opposé, au bout de 12 milles,
par un escarpement dont le pied est baigné par la rivière du
Cap-Rouge. A l'est et au sud de ce promontoire le St.-Laurent,
large d'un mille au moins, roule des flots profonds ; au nord règne
la belle vallée St.-Charles, qui forme un bassin de 3 à 4 milles
de large en arrivant au fleuve et que chaqiie marée recouvre
d'eau l'espace d'un petit mille du côté de Québec et de plus de
4 milles le long de Beauport et de la Canardière. A marée basse
le cours d'eau qui descend dans cette vallée est guéable. Le
promontoire très escarpé du côté du fleuve, et haut de 100 à 300
«|8T9Wfi DU ÇAÇlADA.
801
pieds, ôtait regardé comme inaccessible surtout dans l'endroit
qu'occupait la ville* Les points les plus faibles en face du port
furent garnis de murailles et de palissades, et les communications
entre les parties hautes et basses coupées et défendues par de
Tartillerie. On pensait que des batteries placées sur les quais de
la basse-ville et sur l'escarpement de la haute, dont le feu se croi-
serait sur le port et le bassin, seraient suffisantes pour empêcher
aucun vaisseau de remonter le fleuve au-dessus. Il ne restait
donc plus dans cette hypothèse, qu'à défendre l'entrée de la
rivière St.-Charles et à fortifier le rivage de la Canardière et do
Beauport jusqu'au sault de la rivière Montmorency, et ensuite le
côté droit de ce cours d'eau, qui descend des montagnes et coupe
la communication de la rive gauche du St.-Laurent par une suite
de cascades jusqu'à la grande cataracte qu'il forme en se jetant
dans le fleuve d'une hauteur de 260 pieds.
On barra la rivière St.-Charles au fond du bassin, vis-à-vis de
la porte du Palais, avec des mâtures enchaînées les unes aux
autres, retenues par des ancres et protégées par cinq bateaux
placés en avant, portant chacun une pièce de canon. En arrière
de ce barrage, on coula deux navires marchands pour y établir
une batterie de gros calibre rayonnant sur le bassin. La rive
droite de la rivière St.-Charles, depuis la porte du Palais jusqu'au
pont de bateaux établi à l'endroit où aboutissaient les routes de
Beauport et Charlesbourg, fut bordée de retranchemens sur les-
quels on plaça aussi de l'artillerie pour défendre l'entrée de
St.-Roch et empêcher l'ennemi de s'emparer par surprise des
hauteurs de Québec. La position de l'armée fut marquée de ce
pont communiquant à la ville et dont les têtes étaient défendues
par des ouvrages à corne, jusqu'à la rivière Montmorency, et dèp
que les troupes eurent passé du côté droit de la rivière St.-Charlep,
où elles s'étaient d'abord retranchées, dans leur nouvelle position,
du côté gauche, elles se couvrirent de retranchemens qui suivaient
les sinuosités du rivage, et qu'elles flanquèrent de redoutes gar-
nies de canons dans les endroits où la descente paraissait facile.
• " Il n'y a pas lieu de croire, dit l'ordre de bataille du 10 juin, que les
ennemis pensent à tenter à passer devant la ville et à faire le débarquement
à l'anse des Mères ; et tant que les frégates subsisteront, nous n'avons du
moins rien à craindre pour cette partie.''
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HISTOIRE DU CANADA.
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Dans le centre de cette ligne, à l'ennbonchure de la rivière Beau-
port, on établit encore une batterie flottante de 12 bouches à feu.
La petite flottille qui restait, c'est-à-dire les deux fr'^gates, les
bateaux et les brûlots, fut mise sous les ordres du capitaine Vau-
quelin. On posa des gardes de distance en distance au pied de
la falaise le long du fleuve depuis la ville jusqu'au dessus du
Foulon, où une rampe avait été pratiquée pour communiquer
avec le plateau au fond des plaines d'Abraham. Une petite
redoute avec du canon gardait cette issue. Tels sont les pré-
paratifs de défense que l'on fit à Québec et dans les envi-
rons.
Dans ce plan, supposant toujours le fleuve infranchissable
devant Québec, et l'armée de Bcanport trop solidement établie
pour être forcée, il ne restait plus à l'armée envahissante qu'à
débarquer sur la rive droite du St.-Laurenl, la remonter une cer-
taine distance, traverser ensuite sur la rive gauche et la descendre
pour venir prendre l'armée française à revers en l'attaquant par
les routes de Charlesbourg et de Bourg- Royal. C'était une opéra-
tion difficile et sans doute jugée impraticable à cette époque, la
retraite étant impossible en cas d'échec.
L'armée française grossissait chaque jour par l'arrivée des
milices de toutes les parties du pays. Il ne resta bientôt plus
dans les campagnes que des vieillards, des femmes et des enfans.
Tous les hommes en état de porter les armes étaient à Québec,
à Carillon, sur le lac Ontario, à Niagara et dans les postes du lac
Erié et de la partie de la vallée de l'Ohio qui restait encore aux
Français.
Par l'ordre de bataille, la droite de l'armée, composée des
milices des gouvernemens de Québec et des Trois-Rivières, for-
mant 4,380 hommes sous les ordres de MM. de St.-Ours et de
Bonne, occupait la Canardière ; le centre, fort de cinq bataillons
de réguliers comptant 2,000 combattans, sous les ordres du briga-
dier de Sènezergues, gardait l'espace compris entre la rivière et
l'église de Beauport, et la gauche, formée des milices du gou-
vernement de Montréal au nombre de 3,450 hommes, sous le
commandement de MM. Prud'homme et d'Herbin, s'étendait
depuis cette église jusqu'à la rivière Montmorency. Le général
de Levis commandait la gauche et le colonel de Fougainville la
HISTOIRE DU CANADA.
303
droite. Le général on chef se réserva lo centre, où il établit son
quartier-général. Un corps de réserve, composé de 1,400 sol-
dats de la colonie, 350 liommes de cavalerie et 450 Sauvages, en
tout 2,200 combattans, commandé par M. de Boishébert revenu
des frontières de l'Acadie, prit position en arrière du centre de
l'armée sur les hauteurs de Beauport. Si à ces forces l'on ajoute
ia garnison de Québec formée de ses habitans et comptant 650
hommes aux ordres de M. de Ramesay, et les marins, l'on aura
un grand total de 13,000 combattans. " On n'avait pas compté,
dit un témoin oculaire, sur une armée aussi forte, parce qu'on ne
s'était pas attendu à avoir un si grand nombre de Canadiens; on
n'avait eu intention d'assembler que les 1 . mmes en état de sou-
tenir les fatigues de la guerre ; mais il ré^ • H une telle émulation
dans ce peuple que ''on vit arriver au camp des Vieillards de 80
ans et des enfans d« .2 à 13! qui ne voulurent jamais profiter
de l'exemption accordée à leur âge; jamais sujets ne furent plus
dignes des bontés de leur souverain soit par leur constance dans
le travail, soit par leur patience dans les peines et les misères
qui, dans ce pays, ont été extrêmes; ils étaient dans l'armée
exposés à toutes les corvées." ,
L'on oitendit les ennemis dans cette position aussi imposante
qu'on avait pu la rendre. Le gouverneur et les officiers de l'ad-
ministration laissèrent la ville et se retirèrent à Beauport. Les
principales familles gagnèrent les campagnes emportant avec
elles ce qu'elles avaient de plus précieux.
Cependant les vaisseaux anglais que l'on avait vus au Bic, et
dont l'immobilité dans cette partie du fleuve avait fini par sur-
prendre, n'était qu'une avant-garde commandée par l'amiral
Durell et envoyée de Louisbourg pour intercepter les secours
venant de France. Une puissante escadre, sous les ordres de
l'amiral Saunders, avait fait voile dans le mois de février pour
aller prendre l'armée du général Wolfe à Louisbourg et la trans-
porter à Québec. Ayant trouvé le port de Louisbourg fermé
par les glaces, elle avait été en attendre la débâcle à Hali-
fax. A son retour Wolfe s'y embarqua avec huit régimens de
ligne, deux bataillons de fusiliers royal-américains, les trois com-
pagnies de grenadiers de Louisbourg, trois compagnies de chas-
3'
304
^ i
MlSXOIUli: DU CANADA.
seurs (rangers), une brigade 'le soldats du génie, 1000 soldais de
marine, formant en tout 11,000 hommes environ.*
Le général Wolfe était urt jeune officier do talens qui brûlait
du désir de se distinguer par des actions d'éclat. Le duc de Bed-
ford lui avait donné un emploi assez considérable en Irlande ; il
l'avait quitté pour prendre part à la guerre, abandonnant son
avancement à la fortune. Elle a été peu favorable à ma famille,
écrivàit-il, mais pour moi elle m'a souri quelquefois et m'a fait
participer à ses faveurs. Je me remets entièrement à sa discré-
tion." Sa conduite au ôiége de Louisbourg attira l'attention sur
lui, et le fit choisir pour commander l'expédition de Québec, qui
demandait à là fois de l'activité, de la hardiesse et de la prudence.
On lui donna des lieutenàns animés de la même ambition que lui.
» Les brigadiers Monckton, Townshend et Murray, quoiqu'encore
toù^ trois dans la fleur de l'âge, avaient étudié la guerre avec fruit,
t s'ils étaient jeunes en années ils étaient déjà vieux par l'ex-
périertee des combats. Wolfe était le fils d'un ancien major-
général qui avait servi avec quelque distinction. Les trois autres
appartenaient à la noblesse : Townshend à l'ordre de la pairie.
Ils partirent le cœur rempli d'émulation et d'espérance. " Si le
général Montcalm, s'écriait Wolfe, est capable de frustrer nos
efforts encore cette année, il pourra passer pour un officier habile,
ou la colonie a des ressources que l'on ne connaît pas, ou enfin
nos généraux sont plus mauvais que de coutume."
L'escadre forte de 20 vaisseaux de ligne, d'un pareil nortbre
de frégates et autres bâtimens de guerre plus petits, suivie d'une
multitude de transports, remonta le St.-Laurent et atteignit l'île
d'Orléana flans accident le 25 juin. On fut étoimé dans le pays
de l'heureuse fortune de cette flotte, qui avait su éviter tous les
périls de la navigation du fleuve. On a ignoré jusqu'à nos jours
que le commandant d'une frégate françaiîie, Denis de Vitré, fait
prisonnier pendant la guerre, avait été forcé de lui servir de
pilote jusqu'à Québec, sa patrie, trahison dont il fut récompensé
Tpâr un grade au service de l'Angleterre. Bientôt l'ennemi
eut près de 30,000 hommes de terre et de mer devant cette
ville. L'armée anglaise débarqua en deux divisions sur l'île
• Les ordonnances de paiement prouvent qu'elle était d'au moins 10,000
. hommes y compris les officiers, outre les soldats de marine.
HlâTOIRK DU CANADA.
305
d'Orléans évacuée de la veille par les habitans, et vint prendre
position à son extrémité supérieure en face de Québec et du
camp de Beauport. Le général Wolfe adressa un manifeste au
peuple canadien qui devait demeurer sans effet. L'escadre
anglaise se réunit graduellement sous cette île, et commença à
faire reconnaître le bassin et la rade de la ville. Le capitaine
Cook, qui s'est depuis immortalisé par ses voj'ages de découverte,
fut employé à ce service. 11 est digne de remarque que les deux
premiers navigateurs qui aient fait le tour du globe, Cook et Bou-
gainville, se trouvaient alors sous les murs de Québec.
Pendant ces reconnaissar -", les Français préparèrent les
brûlots qu'ils tenaient en rése.ve pour les lancer contre la flotte
anglaise toujours groupée sous l'île d'Orléans. Le 28 juin le
vent paraissant favorable, sept brûlots de 3 à 400 tonneaux furent
lâchés, mais le feu y ayant été mis trop tôt, les ennemis eurent le
temps d'en changer la direction en les remorquant au large de
leurs vaisseaux, qui en furent quittes pour la peur. Un mois
après on lança les radeaux enflammés, qui se consumèrent avec
le même résultat ; de sorte que ces machines, dans le fond rare-
ment dangereuses, mais auxquelles l'imagination populaire attri-
bue toujours un effet extraordinai»*e, s'évanouirent en fumée, et
débarrassèrent l'ennemi de l'inquiétude qu'elles pouvaient lui
causer.
Le général Wolfe cependant après avoir examiné la situation
de la ville et de l'armée française, trouva les difficultés de son
entreprise plus grandes qu'il ne les avait supposées d'abord. D'un
côté un ville bâtie sur un rocher qui paraissait inaccessible, de
l'autre une armée nombreuse fortement retranchée pour en
défendre l'approche. Ses tâtonnemens dévoilèrent au général
Montcalm l'indécision de ses plans et le confirmèrent dans sa
résolution de rester immobile dans son camp de Beauport. Ne
pouvant approcher de Québec, Wolfe résolut, en attendant qu'il
eût découvert quelque point vulnérable pour attaquer son adver-
saire, de bombarder la ville et de dévaster les campagnes dans
l'espoir d'obliger les Canadiens à s'éloigner pour aller mettre leurs
familles et leurs effets en sûreté.
Une partie de l'armée anglaise qui était débarquée sur l'île
d'Orléans, traversa à cet effet à la Pointe-Lévy le 30 juin, et y
\i ' ' .
'^m^é
306
HISTOIRE DU CANADA.
prit position en face de la ville après avoir délogé un petit corps
de Canadiens et de Sauvages qui y avait été placé en observation ;
c'était ce que le général Montcalm appréhendait le plus et ne
pouvait empêcher à cause de la nature des lieux. N'osant risquer
un gros corps au-delà du fleuve, il donna, lorsqu'il vit les prépa-
ratifs de l'ennemi pour le bombardement, 14 ou 1,500 hommes
de toutes sortes à M. Dumas pour tâcher de surprendre et de
détruire les ouvrages et les batteries que le général Monkton y
avait fait élever. Cet officier traversa le fleuve au sault de la
Chaudière dans la nuit du 12 au 13 juillet et se mit en marche sur
deux colonnes ; mais dans l'obscurité une colonne devança l'autre
en passant un bois, et celle qui se trouvait en arrière, apercevant
tout-à-coup des troupes devant elle, les prit pour les ennemis et
les attaqua. La première colonne se voyant assaillie par-derrière
brusquement, se crut coupée, riposta, tomba en désordre et, saisie
d'une terreur panique, prit la fuite, entraînant la seconde après
elle. Dès 6 heures du malin le détachement avait repassé le
fleuve. Or a donné à cette échaffburée le nom de Coup des
écoliers, parce que les élèves des écoles qui formaient partie du
détachement, furent la cause première de la méprise.
C'est dans la même nuit que les batteries de la Pointe-Lévy
ouvrirent leur feu sur la ville. L'on dut voir alors que les assié-
geans ne reculeraient devant aucune mesure extrême, et que les
lois de la guerre seraient suivies avec la dernière rigueur, car ce
bombardement était inutile pour avancer la conquête. Mais ce
n'était que le commencement d'un système de dévastations qui,
en Europe, eût attiré sur son auteur l'animadversion des peuples,
et dont l'exemple donné autrefois en Allemagne par Turenne a
été blâmé par tous les historiens anglais. Les premiers projec-
tiles qui tombèrent sur cette cité dont chaque maison pouvait
être distinguée de l'ennemi, fit fuir les habitans, d'abord derrière
les remparts du côté des faubourgs, et ensuite dans les cam-
pagnes. On retira les poudres, et une partie de la garnison s'or-
ganisa en sapeurs-pompiers pour éteindre les incendies. Dans
l'espace d'un mois les plus belles maisons avec la cathédrale
devinrent la proie des flammes. La basse-ville fut entièrement
incendiée dans la nuit du 8 au 9 août. La plus grande et la plus
riche portion de Québec ne fut plus qu'un monceau de ruines, et
HISTOIRE DU CANADA.
307
quantité de citoyens riches auparavant se trouvèrent par ces
désastres réduits à l'indigence. Bon nombre de personnes aussi
furent tuées. Le canon des remparts était inutile. La distance,
plus d'un mille Jiar-dessus le fleuve, était trop grande pour qu'il
pût incommoder les batteries anglaises invisibles à l'œil nu au
travers des bois et des broussailles qui les masquaient.
Après avoir détruit la ville, le général Wolfe se rejeta sur les
campagnes. Il fit brûler toutes les paroisses depuis l'Ange-
Gardien au levant du sault Montmorency jusqu'aux montagnes
du cap Tourmente et couper les arbres fruitiers. Il fit subir le
même sort à la Malbaie, à la baie St.-Paul et aux paroisses de
St.-Nicolas et de Ste.-Croix sur la rive droite du St.-Laurent, à
quelques lieues au-dessus de Québec. L'île d'Orléans fut égale-
ment incendiée d'un bout à l'autre. On c! 3ait la nuit pour
commettre ces ravages, que l'on portait ai. sur les deux rives
de ce grand fleuve partout où l'on pouvait mettre le pied ; on
enlevait les femmes et les enfans, les vivres et les bestiaux. Plus
la saison avançait plus on se livrait à celte guerre de brigandages
par vengeance des échecs qu'on éprouvait et pour effrayer la
population. Un détachement de 300 hommes sous les ordres du
capitaine Montgomery, envoyé à St.-Joachim où quelques habi-
tans se mirent en défense, y commit les plus grandes cruautés.
Les prisonniers furent massacrés de sang-froid et de la manière
la plus barbare.* Du camp de Beauport l'on apercevait à la fois
les embràsemens de la côte de Beaupré, de l'île d'Orléans et
d'une partie de la rive droite du fleuve.
Ces dévastations, dans lesquelles plus de 1,400 maisons furent
incendiées dans les cdmpagnes,f n'avançaient pas cependant le
* " There were several of the ennemy killed and wounded, and a few
prisonners taken, ail of whom the barbarous Capt. Montgomery who com-
manded us, ordered to be butchered in a most inhutnan and cruel manner."
&c. — " Manuscript Journal relating to the opérations before Québec in
1759, kept by Colonel Malcohn Fraser, then lieutenant ofthe 18th {Fraseras
Highlanders.)
•(• " VVe burned and destroyed upwards of 1,400 fine farm houses, for we
during the siège were masters of a great part of tlieir country along shore,
and parties were almost continually kept out ravaging the country ; so that
'ils tho't it will take them half a century to recover the damage."— .4 Jour-
nal of the expédition up the river St.-Lawrence, ^c, publié dans le "New-
mèmi
W .. !
M
1!
RISTOIRS DU CANADA.
:rr;
but de la guerre. Les Français ne bougeaient pas. Après tant
de délais et de ravages inutiles, Wolfe ne voyant point d'autre alter-
native que d'attaquer la position^du général Montcalm par son flanc
gauche, fit passer le gros de son armée de l'île d'Oflèans à l'Ange-
Gardien, et chercher des gués pour franchir la rivière Montmo-
rency. Montcalm avait fait reconnaître et fortifier ceux qui
existaient. Frustré de ce côté, le général anglais dut tourner son
attention ailleurs. Il ordonna à quelques vaisseaux de tâcher de
remonter au-dessus de la ville. S'il pouvait mettre son armée à
terre au couchant de Québec, la position du général Montcalm
était tournée, car toute la force de cette position consistait dans
l'impossibilité de ce passage et les Français devaient changer aus-
sitôt leur ordre de bataille. Profitant du vent, Wolfe mit à la
voile le 18 juillet avec deux vaisseaux de guerre, deux chaloupes
armées et deux transports, et malgré les boulets il passa au-deusus
de Québec avec la plus grande facilité en serrant de près le
rivage de la Pointe-Lévy. Mais exaviien fait de la côte il trouva
que le débarquement. entre la ville et le Cap-Rouge serait une
opération trop chanceuse et après avoir poussé un détachement
jusqu'à la Pointe-aux-Trerables pour faire des prisonniers, il
ne vit plus d'autre parti à prendre que d'aborder de front les
retranchemens des Français ou de se retirer. Il n'osa point
débarquer au-dessus de la rivière du Cap-Rouge, on ne sait trop
pour quelle raison ; car dès qu'il aurait eu pris terre là comme
plus bas, Montcalm était toujours pris à revers et devait aban-
donner sa position. L'attaque de la droite et du centre des Fran-
çais présentant trop de dangers, Wolfe décida de borner ses efforts
à leur gauche, en l'attaquant en front par le fleuve St.-Laurent et
en flanc par la rivière Montmorency. Voici quelles furent ses
dispositions.
York Mercury du 31 décembre 1759. Et cependant un écrivain du temps,
parlant de la conduite de M. de Contades et du maréchal Richelieu en Alle-
magne par opposition à celle du général Wolfe en Canada, ajoute : " But
(said the late gênerai Wolfe) Britons Lreathe higher sentiments of humanity
and listen to the merciful dictâtes of the Christian Religion, which was veri-
fied in the brave soldiers whom he led on to conquest by their shewing more
of the true Christian spirit than the subjects of His Most Christian Majesty
can prétend to." Il est impossible de pousser la naïveté plus loin.
HI8T0IRE DU CANADA.
309
La rive gauche du Montmorency qu'il occupait étant près du
fleuve plus élevée que la rive droite, il y fit augmenter les batteries
qu'il y avait déjà et qui enfilaient par-dessus la rivière les retran-
chemens des Français. Le nombre des canons, mortiers ou
obusiers fut porté à plus de 60. Il fit échouer ensuite sur les
récifs deux transports portant chacun 14 pièces de canon, l'un i
droite et l'autre à gauche d'une petite redoute en terre élevée sur
le rivage, au pied de la route de Courville, pour défendre à la fois
l'entrée de cette route qui conduisait sur la hauteur occupée par
les Français et le passage du gué de Montmorency en bas de la
chute. Le feu de ces deux transports devait se croiser sur cette
redoute, la réduire au silence et couvrir la marche des assaillana
sur ce point accessible de notre ligne. Le Centurion de soixante
canons vint ensuite se placer vis-à-vis de la chute, le plus
près possible, pour protéger le passage du gué aux troupes qui
devaient descendre du camp de l'Ange-Gardien. Ainsi 118
bouches à feu devaient tonner contre l'aile gauche de l'armée de
Monicalm. Vers midi, le 31 juillet, elles commencèrent à tirer.
Dans le même temps le général Wolfe formait ses colonnes d'at-
taque. Plus de 1,500 berges étaient en mouvement sur le bassin
de Québec. 1,200 grenadiers et une partie de la brigade du
général Monkton s'embarquèrent à la Pointe-Lévy pour venir
débarquer entre le Centurion et les transports échoués. La
seconde colonne, composée des brigades Murray et Townshend,
descendit des hauteurs de l'Ange-Gardien pour venir, par le gué,
se réunir à la première colonne au pied de la route de Courville,
afin d'aborder ensemble cette route et les retranchemens qui
l'avoisinaient. Ces deux corps formaient 6,000 hommes. Un
troisième corps de 2,000 soldats chargé de remonter la rive
gauche du Montmorency, devait franchir cette rivière à un gué
situé à une lieue environ de la chute, et qui était gardé par un
détachement sous les ordres de M. de Repentigny. A une heure
ces troi>- colonnes étaient en marche pour exécuter un plan d'at-
taque qui aurait été beaucoup trop compliqué pour des troupes
moins disciplinées que celles du général Wolfe.
Le général INIontcalm, quelque temps incertain sur le point qui
allait être assailli, avait envoyé ses ordres sur toute la ligne pour
se tenir prêt à repousser les ennemis partout où ils se présente-
ras
tm
ir-'n
'■; fi
310
MISTOÏKJC DU CANADA,
raient ; mais bientôt leurs mouvemens firent connaître le lieu
précis où ils voulaient débarquer et où le général de Levis se
prépara à les bien recevoir. Après? avoir détaché 500 hommes
au secours de M. de Rcpentigny. un autre petit parti pour,
suivre le mouvement du corps ang i allait tenter le passage
du gué du Montmorency, il fit demau r quelques bataillons de
réguliers du centre pour le soutenir en cas de besoin. Le géné-
ral Montcalm vint à deux heures examiner la situation de sa
gauche; il parcourut les lignes, approuva les dispositions du che-
valier de Levis, donna de nouveaux ordres et retourna au centre
afin d'être à portée d'observer ce qui se passait partout. Trois
bataillons avec quelques Canadiens des Trois-Riviôres vinrent
renforcer cette aile ; la plus grande partie se plaça en réserve sur
la grande route de Bcauport et le reste fut acheminé sur le gué
défendu par M. de Repentigny. Cet officier avait été allaqué
par la colonne anglaise avec assez de vivacité ; mais il l'avait
forcé d'abandonner son entrepriye après lui avoir mis quelques
hommes hors de combat. La retraite de ce corps permit aux
renforts qui arrivaient à M. de Repentigny de rebrousser chemin
et de revenir sur le théâtre de la principale attaque.
La colonne de la Pointe-Lévy cependant qui venait sur les
berges, sous les ordres du général Wolfe lui-même, après avoir
fait beaucoup de mouvemens divers comme pour tromper les
Français sur le véritable point où elle voulait opérer sa descente,
se dirigea enfin vers les transports échoués ; en arrivant la marée
étant basse une partie des berges fut arrêtée par une chaîne de
cailloux et de galets, qui la retint quelque temps et causa quelque
désordre ; le général en chef ayant fait surmonter bientôt tous les
obstacles, 1200 grenadiers appuyés de 200 hommes d'autres
troupes sautèrent à terre sur une plage spacieuse et unie, où ils
devaient se former en quatre divisions et marcher soutenus par la
brigade Monkton débarquée derrière eux. Par quelque malen-
tendu cet ordre ne fut pas ponctuellement exécuté. Ils se mirent
en colonne ; et suivis, mais de trop loin, par la brigade Monckton
rangée en trois divisions, ils marchèrent sur la redoute qui gardait
l'entrée de la roule de Courviile, au son d'une musique guerrière.
La redoute avait été évacuée. Les grenadiers s'y arrêtèrent et
se formèrent en colonnes d'attaque pour assaillir les retranchemena
HISTOIRE OU CANADA.
SU
qui étaient à une petite portée de fusil, tandis que toutes les batte-
ries enneiriies, redoublant de vigueur, faisaient pleuvoir depuis midi
sur les Canadiens qui défendaient cette partie de la ligne fran-
çaise, une grêle de bombes et de boulets que ceux-ci essuyaient
avec la plus grande patience et la plus grande fermeté. Lors-
que les assaillans furent formés, ils s'ébranlèrent la bayonnette
au bout du fusil pour aborder les retranchemens. Leur cos-
tume et leur attitude contrastaient singulièrement avec l'ap-
parence de leurs adversaires, enveloppés d'une légère capote
fortement serrée autour des reins et n'ayant, pour suppléer à leur
discipline, que leur courage et la justesse remarquable de leur
tir. Ils attendirent froidement que l'ennemi atteignit le pied du
coteau, à quelques verges seulement de leur ligne, pour les cou-
cher en joue. Alors* ils lâchèrent des décharges si rapides et
et si meurtrières qu'en peu de temps les deux colonnes an-
glaises furent jetées en désordre, et que malgré les efforts de
leurs officiers, elles prirent toutes la fuite pêle-mêle pour aller
chercher un abri derrière la redoute, où elles ne purent jamais
être reformées et ensuite derrière le reste de leur armée déployée
xm peu plus loin. Au même moment survint un violent orage de
pluie et de tonnerre, qui déroba les combattans à la vue les uns
des autres pendant quelque temps, et dont le bruit plus imposant
et plus vaste, fit taire celui de la bataille. Lorsque la tempête
fut passée et que le brouillard se fut dissipé, les Canadiens aper-
çurent les ennemi H qui se rembarquaient avec leurs blessés, après
avoir mis le feu aux deux transports échoués, se retirant comme
ils étaient venus, les uns dans leurs berges et les autres par le
gué de la rivière Montmorency. Le feu de leur nombreuse artil-
lerie, à laquelle on n'avait pu répondre qu'avec une dixaine de
pièces de canon, qui avaient incommodé cependant beaucoup les
troupes de débarquement, dura sans discontinuer jusqu'au soir, et
l'on estime qu'elle tira 3000 coups de canon dans cette journée.
La perte des Français, causée presqu'entièrement par cette arme,
fut peu considérable, si Ion considère qu'ils furent plus de six
heures exposés à une grêle de projectiles. Les ennemis eurent
• " Their small arms, in their trenches, lay cool tiil they were sure
of their mark ; they Ihen poured their small shotlikeshowersof hall, which
caused our brave grenadiers to fall very fast." — Journal d'un officier anglais.
Ui-
Un
il ;Vij:j
l'.'l
313
HISTOIRE DU CANADA.
V i
ih
I :
il
environ 500 hommes hors de combat dont un grand nombre \
d'officiers.
La victoire remportée à Montmorency fut due principalement
aux judicieuses dispositions et à l'activité du chevalier de Levis,
qui avec moins de troupes immédiatement sous la main que le
général Wolfe, sut néanmoins en réunir un plus grand nombre
que lui au point d'attaque. Quand bien même les grenadiers
anglais auraient franchi le retranchement, il est encore fort dou-
teux s'ils eussent pu réussir à gagner la victoire appuyés du reste
de leur armée. Le terrain de la grève au chemin de Beauport
e'élevant en cet endroit par petits gradins ou pentes assez incli-
nées, entrecoupées transvei salement de ravins entre lesquels
serpente la route de Courville, offrait un théâtre très favorable au
tirailleur canadien. De plus, les bataillons de réguliers qui étaient
de réserve en arrière étaient prêts à marcher à son secours s'il
en eut eu besoin.
Le général Wolfe rentra dans son camp accablé de l'échec
qu'il venait d'éprouver. Son imagination envisageait avec une
espèce d'effroi l'impression que sa défaite allait causer en Angle-
terre, et les propos malveillans que l'on tiendrait sans doute sur
l'audace qu'il avait eue de se charger d'une entreprise qui était
au-dessus de ses forces. Il voyait dans un moment s'évanouir
tous ses rêves d'ambition et de gloire, et la fortune entre les mains
de laquelle il avait confié son avenir, l'abandonner presque aux
premiers pas qu'il faisait sous ses auspices. Il semblerait que
son esprit n'avait plus sa lucidité ordinaire, quand on le voit,
après avoir perdu tout espoir de forcer le camp du général Mont-
calm, détacher sérieusement le général Murray avec douze cents
hommes, pour détruire la flotille française aux Trois-Rivières et
s'ouvrir une communication avec le général Amherst sur le lac
Champlain. Murray partit avec 300 berges; mais il s'avança
peu avant dans le pays. Repoussé deux fois à la Pointe-aux-
Trembles par le colonel de Bougainville à la tête de 1,000 homme»
détachés de l'armée pour suivre ses mouvemens, il débarqua à
Ste.-Croix, qu'il incendia comme nous l'avons rapporté ailleurs.
De là il se jeta sur Deschambault où il pilla et brûla les équipages
des officiers français, et se retira ensuite précipitamment sans
avoir pu accomplir l'objet de sa mission ; mais non sans avoir
HISTOIRE DU CANADA.
313
considérablement inquiété Montcalm, qui, à la première nouvelle
de ces incursions, se mit en chemin incognito pour Jacques Car-
tier, craignant que les Anglais ne s'emparassent de cette riviùio
et ne coupassent le pays en deux en se fortifiant dans cett;î posi-
tion importante; rendu à la Pointe-aux-Trembles ayant appris
leur retraite il revint sur se pas.
Après ce nouvel échec, une maladie dont le général Wolfe
portait le germe depuis longtemps, favorisé par les fatigues du
corps et les inquiétudes de l'esprit, se développa toul-à-coup et le
mit aux portes du tombeau. Lorsqu'il fut assez bien rétabli pour
pouvoir s'occuper d'affaires, il adressa une longue dépêche à son
gouvernement dans laquelle il exposa tous les obstacles contre
lesquels il avait à lutter, les regrets cuisans qu'il éprouvait du
peu de succès de ses efforts, et dans laquelle respirait en
même temps ce dévoûment pour la patrie qui animait à un si
haut degré l'âme de ce guerrier. On fut plus touché en Angle-
terre de la douleur du jeune commandant que de l'échec des
armes de la nation.
L'esprit de Wolfe avait fléchi comme son corps, sous le poids
de sa situation, qui ne lui laissait plus que le choix des difficultés,
comme il le disait lui-même. Il appela à son secours l'aide de
ses lieutenans, dont nous avons déjà fait connaître les talens et le
caractère. Il les invita à considérer quel était, dans leur opinion,
le meilleur plan à suivre pour attaquer le général Montcalm avec
quelque chance de succès, leur faisant part en même temps de
son a ■', qui était de renouveler l'attaque de l'aile gauche du
camp de Beauport, et de dévaster et ruiner le pays autant que
cela serait possible sans nuire à la principale opération de la
campagne.
Les généraux Monckton, Townshend et Murray répondirent
le 29 août qu'une nouvelle attaque du camp de Beauport serait
une entreprise fort hasardeuse ; que, suivant eux, le moyen le
plus sûr de frapper un coup décisif, serait de se retirer sur la rive
droite du St.-Laurent, de la remonter quelque distance et de tra-
verser de nouveau sur la rive gauche, afin de porteries opérations
au-dessus de la ville. " Si nous réussissons, disaient ces géné-
raux, à nous maintenir dans cette nouvelle position, nous force-
rons le général Montcalm à combattre là où nous voudrons ; nous
*:o^
% :,:.
H.l'j
314
HISTOIRE DU CANADA.
Fcma entre lui et ses mngasins, entre son camp et l'armée qui
n'oppose au général Amherst. S'il nous otTre la bataille et qu'il
la penlc, Québec et probablement tout le Canada tomberont entre
nos mains, avantage plus grand que celui que l'on pourrait
attendre d'une victoire à Beauport ; s'il traverse la rivière St.-
Chn "les avec des forces sulFisantes pour s'opposer à cette opéra-
tion, le camp de Beauport ainsi alFaibli pourra être attaqué plus
facilement." Les forces navales des Anglais en leur assurant la
possession du fleuve, mettaient le général Wolfe à môme de porter
ses troupes sur tous les points accessibles. Le plan des trois
généraux anglais fut approuvé par leur chef, et les ordres néces-
saires furent donnés pour le mettre sans délai à exécution. On no
parlait point de donner l'assaut à Québec par le port; on avait
reconnu que cette tentative aurait été plus que téméraire.
V Après cette décision, les Anglais levèrent leur camp du snult
Montmorency ou de l'Ange-Gardien sans être inquiétés dans
leur retraite, chose que l'on reprocha ensuite au général Mont-
calm comme une faute, et les troupes et l'artillerie furent trans-
portées à la Pointe-Lévy le 3 septembre. Le bombardement de
la ville et les ravages des campagnes étaient les seules entreprises
dans lesqvielles les ennemis eussent encore réussi, entreprises qui
étaient elles-mêmes une espèce d'hommage, mais d'hommage
terrible rendu à l'opiniâtreté des défenseurs du Canada.
Le général Montcalm voyant que l'ennemi allait maintenant
porter son attention au-dessus de Québec, s'occupa de la garde de la
rive gauche du fleuve sur laquelle est située cette ville. Tl envoya
un bataillon camper sur les hauteurs d'Abraham pour se porter
au besoin soit dans la place, soit du côté de Sillerj^ soit du côté
de la rivière St.-Charles; mais le malheur voulut qu'on le retirât
deux jours après. Il donna encore au colonel de Bougainville
chargé du commandement de cette rive, 1000 hommes tant régu-
liers que miliciens au nombre desquels se trouvaient cinq compa-
gnies de grenadiers et la cavalerie ; il fit renforcer aussi les gardes
placées sur le rivage entre la ville et le Cap-Rouge. Inquiet de
plus en plus, il trouva bientôt ces troupes trop faibles en voyant les
vaisseaux anglais s'étendre de Sillery à la Pointe-aux-Trembles.
Craignant pour la sûreté de ses vivres, il envoya de nouveaux
renforts à Bougainville dont presque tous les Sauvages de l'armée
HlSTOinS DU CANADA.
315
avaient rejoint le détachement. Cet oflicier ae trouva bientôt
avoir à SCS ordres, en y comprenant les Indiens, 3000 hommes
répandus depuis Sillery jusqu'à la Pointe-aux-Tremhles ; c'était
l'élite des troupes. On lui réitéra l'ordre de coiuiiiucr à suivre
attentivement tous les mouvemcns de l'ennemi, qui dei)iiis
plusieurs jours, menaçait à la fois le camp de Beauport, la villo
et les magasins de l'armée.
Jusqu'à ce moment les choses avaient assez bonne apparence
du côté de Québec ; mais les nouvelles que l'on recevait du lac
Champlain et du lac Ontario n'étaient pas fort rassurantes. Le
chef de brigade Bourlamarque, qui commandait sur la frontiéro
du lac Champlain ; avait, comme on l'a vu, bous ses ordres trois
bataillons de troupes réglées, 300 hommes tirés de ceux qui
étaient à l'armée de Québec, et 800 Canadiens, en tout 2,300
hommes. D'après les ordres de Paris, il devait se replier si l'en-
nemi se présentait avec des forces supérieures. Le général en
chef des armées anglaises, lord Amherst, devait opérer de ce
côté avec des forces imposantes. Le souvenir do la sanglante
défaite de Carillon encore tout frais dans la mémoire, ne fit que
l'engager à augmenter de précautions. Ce général arriva le 3
mai à Albany, où il rassembla son armée, et d'où il dirigea tous
les préparalits de la campagne. Le 6 juin il vint camper au fort
Edouard, chaque régiment se couvrant d'un blochaus tant il crai- ,
gnait les surprises des Français, et le 21 il se porta avec 6,000
soldats à la tête du lac St.-Sacrement, où son ingénieur en chef,
le colonel Montresor, traça le plan du fort "George sur une émi-
nence à quelque distance du lac et de l'emplacement qu'avait
occupé celui de William-Henry. Le général Amherst y avant
réuni toutes ses troupes, s'embarqua le 21 juillet avec 15 batcil-
Ions formant 12,000 hommes, dont .^),700 réguliers, et 54 bouches
à feu, et vint débarquer au pied du lac sans opposition. Après
quelques petites escarmouches d'avant-garde, il parvint au bout
de deux jours en vue du fort Carillon, où M. de Bourlamarque
s'était réplié en bon ordre, et fit mine de vouloir se défendre
pour couvrir sa retraite. Le lendemain les Français se replièrent
sur le fort St.-Frédéric laissant 400 hommes dans le fort Carillon,
qui l'évacuèrent le 26 en faisant sauter une partie des fortifi-
cations. Cette importante position ne coûta qu'une soixantaine
, 1
ma
HISTOIRE DU CANADA.
d'hommoa aux Anglais. Boiirlatnarquo craignant (Pôtre loiirné
jiar l'ennemi, cjui luisait des berges et des radeaux pour cl-scendro
le lac, fit sauter aussi le fort St.-Frédéric et se retira à l'île aux
Noix. Aussitôt, le 4 août, le général Amlierst se porta avec le
gros do son armée dans le poste évacué, et y fit élever un nouveau
fort auquel fut donné le nom do Crown Point, pour protéger
cette partie contre les irruptions des bandes canadiennes. En
môme temps, voulant obtenir la supériorité sur le lac Champlain,
il donna l'ordre de construire des vaisseaux et de relever les bar-
ques françaises qui avaient été coulées avant l'évacuation do
Carillon : cela le retint jvisqu'au mois d'octobre. De son côté, le
chef de brigade Bourlamarque retiré à l'île aux Noix et s'attcndant
à être attaqué d'un moment à l'autre, prenait tous les moyens de
retarder la marche de l'ennemi, soit par des embarras dans le bas
du lac, soit par des fortifications sur l'î^e où il était lui-môme.
Mais là comme à Québec l'on regardait cette frontière comme
perdue si le géi ■'•rai Amherst montrait un peu de vigueur.
Les nouvelLd du lac Ontario et de l'îiagara éiciiont encore plus
mauvaises. Le capitaine Pouchot, qui, était parti pour le dernier
poste l'automne précédent, et qui n'avait pu aller au-delà de la
Présentation, fut chargé de s'y rendre dès le petit printemps afin
de relever M. de Vassan. Il partit de Montréal à la fin de mars
avec environ 300 réguliers et Canadiens, attendit à la Présentation
deux corvettes do 10 pièces de canon que l'on se hâta d'achever,
et parv"nt le 30 avril à Niagara. Il commença aussitôt à faire
travailler aux réparations de la place, dont les murailles étaient en
ruine et les lossés presque comblés. Chargé de faire replier les
postes de l'Ohio s'ils étaient attaqués, et n'entendant parler d'aucun
mouvement de ce côté, il envoya un renfort avec des vivres et
des marchandises à Machault, où commandait M. de Ligneris, se
proposant de faire détruire les forts de Pittsburgh et de Loyal-
Hanau si l'occasion s'en présentait, La plus grande fermentation
régnait toujours pendant ce temps là parmi les tribus sauvages de
l'Ohio et des lacs, parce qu'il y en avait qui s'obstinaient à tenir
pour les Français malgré les traités conclus avec les Anglais.
Les succès de ces derniers allaient donner une solution défi-
nitive à tous ces débats, dans lesquels perçaient les doutes, les
inquiétudes, les projets des Indiens pour l'avenir. Ktourdis par
IIISTOlllK OU CANADA.
M 17
tout ce qui se passait sous leurs yeux, ils so voyaient écrasùs par
les deux grandes nations bclligùrantea sans oser les oflenscr. Lo
commandant do Niagara eut do nombreuses conférences avec ce.i
tribus sans (ju'il en résultât rien d'important. Les cinq nations
80 rapprochaient complètement des Anglais ; de sorte qu'il no
pouvait avoir de renscignemens exacts sur leurs mouvemens, et
il les croyait encore loin de lui, lorsque le G juillet ils arrivèrent
dans son voisinage.
Suivant le plan général adopté par l'Angleterre pour les opé-
rations de la campagne, une armée devait aller mettre le siégo
devant Niagara. Le chef de brigade Prideaux fut chargé de
cette entreprise. 11 partit de Schenectady le 20 mai à la tôte do
cinq bataillons, dont deux de troupes réglées, un détachement
d'artillerie et un corps considérable de Sauvages sous les ordres de
sir William Johnson. Il laissa à Osvvégo, en passant, le colonel
Haldimand pour y bâtir un fort, s'embarqua sur le lac Ontario le
1er julK-it et vint débarquer à six milles de Niagara sans être
aperçu.
Ce fort, bâti sur une pointe de terre étroite, était facile à
investir. Le commandant Pouchot venait de finir les remparts;
mais les batteries des bastions qui étaient à barbette, n'étai'înt pas
encore terminées. Il les forma de tonneaux remplis de terre.
Il renforça par des blindages une grande maison du côté du lac
pour y établir des hôpitaux, et couvrit par d'autres ouvrages les
magasins à poudre. La garnison était composée d'un peu moins
de 500 hommes.* Aussitôt qu'il se fût assuré de la présenc'-î de
l'ennemi, il expédia un courrier pour ordonner à Chabert au fort
du Portage, à de Ligneris au fort Machault et aux autres comman-
dans du Détroit et des. postes de la Presqu'île, Venango et Le
Bœuf, de se replier sur Niagara avec ce qu'ils auraient de Fran-
çais et de Sauvages. Ainsi on abandonnait encore une autre
vaste étendue de territoire et l'un des plus beaux pays du inonde.
Chabert brûla «on fort et atteignit Niagara le 10 juillet. Dans la
nuit même les assiégeans commencèrent une parallèle à 300
toises des murailles. Du 13 au 22 ils ouvrirent successivement
le feu de plusieurs batteries de mortiers et de canons, et parvin-
* Mémoires sur la dernière guerre de V Amérique septentrionale, etc., par
Touchot, 1771.
il
M'
318
HISTOIRE DU CANADA.
rent au corps même de la place. La mort de leur commandant,
le général Prideaux, tué par un mortier qui éclata, ne ralentit
point leurs travaux, que sir William Johnson qui le remplaça en
attendant son successeur, poussa avec la plus grande vigueur
malgré la vivacité du feu des assiégés. Bientôt les bastions du
fort furent en ruine et les batteries complètement rasées. L'on
était réduit à faire des embrasures avec des paquets de pelleterieis,
et à bourrer les canons avec des couvertes et des chemises, faute
d'autres matières. Cependant le feu de l'ennemi augmentait à
chaque moment de force et d'efficacité, et les murailles s'écrou-
laient de toutes parts. Déjà la brèche était praticable sur un
large front, et on n'avait qu'un homme par dix pieds pour garnir
celui d'attaque. Depuis 17 jours personne ne s'était couché :
un grand nombre d'hommes était hors de combat. On n'atten-
dait plus enfin de salut que des renforts demandés et qui arri-
vaient des postes supérieurs. Le 23 Pouchot avait reçu des
lettres d'Aubry, commandant du Détroit, et de Ligneris, qui l'in-
formaient qu'on arrivait à son secours avec 600 Français, dont
300 tirés des Illinois, et 1000 Indiens. Malheureusement l'en-
nemi savait tout ce qui se passait chez les assiégés par la perfidie
des courriers d'Aubry et de Ligneris, qui avaient même eu une
entrevue avec les Sauvages alliés des Anglais, à laquelle Johnson
avait assisté. Celui-ci, informé par eux de l'approche de ces
secours, résolut de leur tendre une embuscade pour les intercej)-
ter. Il plaça à cet effet la plus grande partie de ses troupes sur
la gauche du chemin conduisant de la chute au fort de Niagara,
derrière des abatis d'arbres qui les cachaient complètement, et
attendit ainsi embusqués les Français, qui après avoir laissé 150
hommes au pied du lac Erié pour la garde des bateaux, s'avan-
çaient sans soupçon au nombre de 450, outre le millier de Sau-
vages, lorsque des ennemis furent tout-à-coup signalés. A la vue
des Iroquois anglais, les Sauvages refusèrent de marcher en
avant sous prétexte de pactiser avec les guerriers des cantons.
Quoiqu'abandonnés ainsi de leur principale force, Aubry et de
Ligneris ne crurent -pas devoir interrompre leur marche. Igno-
rant l'embuscade qu'on leur avait tendue et croyant que les Sau-
vages qu'on apercevait n'étaient que des hommes isolés, ils con-
tinuaient à cheminer rapidement dans un sentier étroit lorsqu'ils
HISTOIRE DU CANADA.
319
dôcouvrircnl de plus grandes forces devant eux. Ils voulurent
alors mettre leurs troupes en bataille, mais le temps et l'espace
leur manquèrent. Au premier choc ils forcèrent les Anglais
sortis de l'abatis pour les attaquer à y rentrer précipitamment,
et ils allaient les y charger à leur tour lorsqu'ils se virent assaillis
de front :t de flanc par près de 2,000 hommes. La queue de
leur colonne, incapable de résister, se replia et laissa la tête
exposée aux coups de l'ennemi, qui dirigea sur elle tout son feu
et l'écrasa. Une cinquantaine d'hommes seulement restèrent
debout et essayèrent de se retirer en combattant; ils furent
chargés à la bayonnette et la plus grande partie resta sur la place.
Le reste fut poursuivi avec vigueur. Les Indiens, qui avaient
refusé de combattre, furent exposés comme les vaincus à toute la
vengeance de l'ennemi, et un grand nombre tomba sous ses coups
dans les bois. Presque tous les officiers furent tués, blessés ou
faits prisonniers. Aubry, Ligneris et plusieurs autres chefs tom-
bèrent blessés entre les mains des Anglais. Ce qui échappa au
massacre atteignit le détachement de M. de Rocheblave, et tous
ensemble ils rétrogradèrent vers le Détroit et les autres postes de
l'Ouest.
Après ce désastre, Pouchot reçut de sir William Johnson une
liste des officiers tombés en son pouvoir. Ne pouvant croire
tout ce qui venait de se passer, il envoya un officier pour s'assu-
rer de la vérité. Le doute n'étant plus possible, la garnison
réduite du tiers et épuisée de fatigues dut accepter la capitulation
honorable que lui offi-ait Johnson, désireux de se rendre maître de
la place avant l'arrivée du général Gage, déjà en chemin pour
vfsnir remnlaccr le général Pridreaux.
Niagara était le poste fortifié le plus considérable du Canada
et le plus important des lacs par sa situation. Sa perte sépara
les lacs supérieurs du bas de la province, et les Français se trou-
vèrent par cet événement refoulés d'un côté jusqu'au Détroit,
et de l'autre jusqu'aux rapides du St.-Laurent au-dessus de
Montréal, le fort Frontenac, faute de temps, n'ayant pas été
relevé. La possession du lac Ontorio appartint de ce moment
aux ennemis. Les progrès des Anglais jetaient naturellement
M. de Vaudreuil dans une grande perplexité. Dans la situation
critique où l'on se trouvait, il fallait donner un peu à la fortune.
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320
HlSTOlUli Ut CANADA.
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Il résolut d'envoyer le chevalier de Levis faire un tour d'inspec-
tion vers le haut du pays, afin d'examiner et d'ordonner ce qu'il
conviendrait de faire pour retarder la marche de l'ennemi tant
sur le St.-Laurent que sur le lac Champlain. On lui donna 800
hommes, tirés de l'armée de Beaupart dont 100 réguliers, pour
renforcer M. de la Corne, qui commandait au-dessus du lac St.-
François. Il partit le 9 août de Québec et laissa, en passant à
Montréal, 400 hommes pour aider à récolter les grains en atten-
dant qu'on eût des nouvelles positives de la marche des Anglais,
encourageant en môme temps les femmes, les religieuses, les
moines, les prêtres et généralement tout le monde de la ville à
prendre part aux travaux de la moisson, dont dépendait le isalut
commun pour les subsistances. Cet officier général poussa sa
reconnaissance jusqu'à Frontenac, examina tout, indiqua les
endroits qu'il fallait défendre ou fortifier depuis le lac Ontario
jusqu'à Montréal, et ordonna à M. de la Corne de disputer le
terrain pied à pied aux Anglais que l'on savait avoir 6,000
hommes sur cette ligne.
Le chevalier de Levis visita ensuite le lac Champlain, où il
approuva tout ce que le chef de brigade Bourlamarquc avait
fait.
Il était de retour à Montréal de})uis le 11 septembre, lorsque
le 15, à 6 heures du matin, il reçut un courrier extraordinaire du
marquis de Vaudreuil, qui lui apprenait le funeste résultat de la
bataille d'Abraham du 13 septembre, la mort du général Mont-
calm, et qui lui apportait l'ordre de descendre au plus vite pour
prendre le commandement de l'armée.
M. de Bougainville épiait toujours les mouvemens des Anglais
devant cette ville. Ceux-ci faisaient divers mouvemens pour
cacher leur véritable dessein. Le 7, le 8 et le 9 septembre une
douzaine de vaisseaux remontèrent le fleuve avec une grande
partie de l'armée et jetèrent l'ancre au Cap-Kouge, envoyant
simultanément des détachemens sur divers points du rivage pour
diviser l'attention des Français. La moitié de ces troupes fut
débarquée sur la rive droite du St.-Laurent, pendant que les
officiers examinaient attentivement la rive gauche, de Québec au
Cap-Rouge, et découvraient le chemin qui conduisait de l'anse du
Foulon au fond des plaines d'Abraham. Dans le même temps
HISTOIRE DU CANADA.
321
ils apprenaient qu'un convoi de vivres pour Québec devait passer
dans la nuit du 12 au 13.
Depuis que les Anglais étaient maîtres du fleuve au-dessus de
la capitale, l'approvisionnement de l'armée était devenu pres-
qu'impossible par eau. On dut faire venir les vivres des magasins
de Batiscan et des Trois-Riviôres par terre, et comme il n'était
resté que des enfans en bas âge, des femmes et des vieillards
auxquels leurs infirmités n'avaient pas permis de prendre les
armes, c'était avec le secours de bras si faibles qu'il fallait opérer
le transport. L'on charria sur 271 charrettes de Batiscan à
l'armée, 18 lieues, 700 quarts de lard et de farine, la subsistance
de 12 à 15 jours ; mais l'on fut effrayé des difficultés que ce
service entraînait; beaucoup de charrettes étaient déjà brisées;
les femmes et les enfans qui les conduisaient, rebutés d'un travail
si rude, ne laissaient point espérer qu'ils pussent le soutenir
long-temps, et les hommes revenus de l'armée ne pouvaient
abandonner les travaux des champs qui pressaient. Ou essaya
donc de se servir encore une fois de la voie du fleuve toute
hasardeuse qu'elle était pour faire descendre des vivres, et c'est à
la suite de cette résolution qu'avait été expédié le convoi dont
Ton vient de parler. Malheureusement les prisonniers commu-
niquèrent la conâigne que les bateaux de ce convoi devaient
donner en passant aux sentinelles placées sur le rivage. Le
général Wolfe s'empressa de profiter de cette heureuse circons-
tance pour jeter son armée à terre dans l'anse du Foulon et
s'emparer des hauteurs voisines. Pour mieux cacher son dessein il
donna des ordres .pour que d'une part, un grand nombre de barques
fissent des mouvemens en face du camp de Beauport comme s'il
s'agissait d'opérer une descente, et que de l'autre, .les vaisseaux
restés au Cap-Rouge fissent des démonstrations vers St. -Augustin,
afin d'attirer l'attention du colonel de Bougainville de ce côté.
Ces ordres donnés, il ne songea plus qu'à opérer son débarquement.
Le 13, à une heure du matin, une partie des troupes rembarquées
de la veille sur les vaisseaux, descendit dans des bateaux plats et
se laissa dériver dans le plus grand silence par une nuit fort noire
avec le reflux de la marée le long du rivage jusqu'au Foulon, les
officiers parlant français ayant été choisis pour répondre au qui-
vive des sentinelles, qui, dans l'obscurité, laissèrent passer ces
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322
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bateaux croyant, que c'était le convoi do vivres atlenilu. Les
vaisseaux de l'amiral Holmes les suivaient à trois quarts d'heure
de distance avec le reste des troupes. Rendus au point indiciué
les Anglais débarquèrent sans coup lerir. L'infanterie légère,
eu mettant pied à terre avec le général Wolfe à sa tète, s'empara
du poste qui déiendail le pied du chemin conduisant au sommet
do la falaise, gravit l'escarpement qui n'est pas assez abrupte, dans
cet endroit pour empêcher les arbres de pousser, et parvenu sur
le plateau, surprit et dispersa après quelques coups de fusil la
garde qui y était placée et dont le commandant fut pris dans son
lit. Pendant ce temps-là les bateaux retournés aux vaisseaux
ramenaient le reste des troupes sous les ordres du général
Tovvnsbend. Au jour l'armée anglaise était en bataille sur les
plaines d'Abraham.
M. de Vaudreuil reçut la nouvelle inattendue de ce débarque-
ment à 6 heures du matin ; elle fut aussitôt communiquée au
général Montcalm qui ne pou lit y croire. Il pensait que c'é-
tait quelque détachement isolé qui s'était aventuré jusque-là par
hasard comme l'on en avait vu en d'autres endroits des bords du
St.-Laurent ; et, emporté par sa vivacité ordinaire, il se mit on
marche avec une portion seulement de ses troupes, sans môme
faire part de ses dispositions au gouverneur, laissant 1,500 hom-
mes pour la garde du camp de Beauport et les artilleurs répan-
dus sur la ligne des retranchemens.
Dans ce moment, l'armée de Beauport se trouvait réduite à
6,000 combattans environ par les corps qu'on en avait détachés.*
Dans sa plus grande force elle avait été de 13,000 hommes.
800 étaient partis avec le chevahcr de Levis. Le colonel Bou-
gainville en avait 3,000 avec lui, tous soldats d'élite outre la cava-
lerie. La garnison de Québec qui ne prit point de part à la
bataille qui suivit, comptait 7 à 800 hommes ; enfin, un grand
nombre de Canadiens avait obtenu la permission d'aller faire
les récoltes, tandis que les plus âgés et les plus jeunes croyant le
danger passé étaient retournés chez eux ; de sorte que l'armée
était réduite de plus de moitié. Le général Montcalm prit avec
lui 4,500 hommes f et laissa le reste dans le camp. Ces trou-
* Documens de l'aris.
t Ibid.
niSTOlUE DU CANADA.
323
pes défilèrent par le pont de bateaux établi sur la rivière St.-
Charles, entrèrent dans la ville par la porte du Palais au nord, !;i
traversèrent et sortirent par les portes St. -Jean et St.-Louis à
l'ouest du côté des plaines d'Abraham, où elles arrivèrent à huit
heures à la vue de l'ennemi. Montcalm aperçut non sans éton-
nement toute l'armée anglaise rangée en bataille prête à le rece-
voir. Emporté par une précipitation funeste, il résolut de brus-
que l'attaque, malgré tous les avis contraires qu'on put lui donner,
surtout son major général le chevalier de Montreuil, qui lui repré-
senta qu'il n'était pas en état d'attaquer avec le peu de monde
qu'il avait sous la main, et l'ordre positif du gouverneur, qui lui
mandait, par un billet, d'attendre pour commencer qu'il eût réuni
toutes ses forces, et qu'il marchait lui-même à soii secours avec
les troupes qu'il avait laissées pour la garde du camp. Soit suite
de la division qui séparait ces deux hommes, soit que ce général
craignît, comme il le donna pour raison, que les Anglais ne se
retranchassent là où ils étaient, ce qu'ils avaient déjà commencé
à faire, et ne se rendissent par là inexpugnables, il donna l'ordre
du combat. Les Anglais étaient deux contre un ; ils comptaient
plus de 8,000 hommes présens sous les armes.* Mais Montcalm
aimait à braver la fortune, elle pouvait couronner encore son
audace comme elle l'avait fait à Carillon où elle lui avait donné
la victoire sur 15,000 hommes avec moins de 4,000.
Il rangea ses troupes en bataille sur une seule ligne de trois
hommes de profondeur, la droite sur le chemin de Ste.-Foy et la
gauche sur le chemin de St.-Louis, sans corps de réserve. Les
réguliers, dont les grenadiers étaient avec M. de Bougainville,
formaient cette ligne. Les milices et quelques Sauvages furent
jetés sur les deux ailes. Puis sans donner le temps de prendre
haleine, il donna l'ordre de marcher en avant. On s'avança si
précipitamment que les rangs se rompirent et que les bataillons
se trouvèrent en avant les uns des autres de manière à faire croire
aux ennemis qu'on s'avançait en colonnes, surtout le centre.
L'armée du général Wolfe était rangée en carré en face des
buttes à Neveu qui lui cachaient la ville, et s'ajipuyait à une
petite émincnce sur le bord de l'escarpement du St. -Laurent.
• Le 24 décembre les 10 régimcus anglais l'urmaicnt encore 8201 sans
compter les officiers.
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HISTOIRE DU CANADA.
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Un côté faisait face à ces buttes; un autre regardait le chemin de
Sto.-Foy, le long duquel il était rangé, et le troisième était tourné
voru le bois de Siilery. Wolfe avait fait commencer une ligne de
jietites redoutes en terre le long du chemin de Ste.-Foy, laquelle
se prolongeait en demi-cercle en arrière. Six régimens formaient
le côté du carré faisant face à la ville avec les grenadiers de
Louisbourg et deux pièces de canon. Trois gros régimens formés
en potence garnissaient les deux autres côtés. Les montagnards
écossais en formaient partie avec deux pièces de canon. C'était
le 78e régiment fort à lui seul de quinze à seize cents hommes.
Un autre régiment placé en réserve dans le centre des lignes était
distribué en huit divisions pour se porter là où le besoin l'exige-
rait.
L'action commença par les tirailleurs canadiens et quelques
Sauvages. Ils assaillirent d'un feu très vif la ligne anglaise qui
essuya cette mousqueterie sans s'ébranler, mais en faisant des
pertes. Le général Wolfe qui savait que la retraite était impos-
sible s'il était battu, parcourait les rangs de son armée, animait les
soldats, faisait mettre deux balles dans les fusils et ordonnait de
ne tirer que lorsque les Français seraient à vingt pas. Ceux-ci
qui avaient perdu toute leur consistance lorsqu'ils arrivèrent à leur
portéa, ouvrirent irrégulièrement, et dans quelques bataillons de
trop loin, un feu de pelotons qui fit peu d'effet. Ils ne conti-
nuèrent pas moins cependant d'avancer ; mais en arrivant à qua-
rante pas de leurs adversaires, ils furent reçus par un feu si meur-
trier que dans le désordre où ils étaient déjà, il fut impossible de
régulariser leurs mouvemens, et en peu de temps tout tomba dans
la plus étrange confusion. Le général Wolfe saisit ce moment
pour charger à son tour, et, quoique déjà blessé au poignet par un
tirailleur, il prit ses grenadiers pour aborder les Français à la
bayonnette, lorsqu'ayant à peine fait quelques pas il fut atteint
(l'une seconde balle qui lui traversa la poitrine. On le porta en
arrière, et ses troupes, dont .a plupart ignorèrent sa mort jus-
qu'après la bataille, continuant leur mouvement offensif se mirent
à la poursuite des Français, dont une partie, saisie d'une terreur
panique, lâchait le pied dans le moment môme pèle-môle, malgré
les efforts du général Montcalm et des principaux officiers pour
arrêter le désordre. Une des personnes qui étaient auprès do
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HISTOIRE DU CANADA.
325
Wolfe «'étant écriée: Us fuient ! Qui? demanda le géné-
ral mourant, sa figure s'animant tout-à-coup. Les Français!
lui répondit-on. Quoi déjà! alors je meurs content, dit ce
héros, et il expira.
Presqu'en même temps le colonel Carleton était blessé à la
tête, et le chef de brigade Monkton, atteint d'un coup de feu,
quittait le champ de bataille et le commandement de l'armée au
général Tovvnshend, troisième en g.'ade, et chargé du comman-
dement de la gauche.
Les vainqueurs pressaient alors les fuyards de toutes parts à la
bayonnette ou le sabre à la main. La résistance ne venait guère
plus que des tirailleurs. Le chef de brigade M. Sènezergues et
le baron de St.-Ours, qui remplissait le même grade dans
celte bataille, tombèrent mortellement blessés au pouvoir des
ennemis. Le général Montcalm, qui avait déjà reçu deux
blessures, faisait tous ses efforts pour rallier ses troupes et régu-
lariser la retraite ; il se trouvait entre la porte St.-Louis et les
buttes à Neveu, lorsqu'un nouveau coup de feu dans les reins le
jeta blessé mortellement en bas de son cheval. Il fut emporté
dans la ville, où se jetait une partie des Français, tandis que
l'autre, la plus considérable, fuyait vers le pont de bateaux de la
rivière St.-Charles. Le gouverneur arriva de Beauport au
moment où les troupes se débandaient. Il rallia mille Canadiens
entre les portes St.-Jean et St.-Louis, avec lesquels il arrêta par
un feu très nourri quelque temps l'ennemi et sauva les fuyards.'
La déroute ne fut totale que parmi les troupes réglées. Les
Canadiens combattirent toujours quoiqu'on retraitant ; et ils for-
cèrent à la faveur des petits bois dont ils étaient environnés,
plusieurs corps anglais à plier, et ne cédèrent enfin qu'à la supé-
riorité du nombre. C'est dans cette résistance que les vainqueurs
éprouvèrent les plus grandes pertes. Trois cents montagnards
écossais, revenant de la poursuite vers la rivière St.-Charles,
furent ainsi attaqués par eux sur le coteau Ste.-Geneviève et
obligés de reculer jusqu'à ce quv^ deux régimens envoyés à leur
secours vinssent les dégager.
Le colonel de Bougainville qui était au Cap-Rouge, ne reçut
qu'à 8 heures du matin l'ordre de miirchersur les plaines d'Abra-
• Dépêches de M. de Vaudreuil et de quelques autres officiers au ministre.
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NISTOlRii: DU CANADA.
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ham ; il se mit immédiatement en chemin avec à-peu-près la
moitié de ses troupes à cause de leur dispersion jusqu'à la Pointe-
aux-Trembles, mais n'ayant pu arriver assez tôt pour prendre
part à l'action, et voyant tout perdu lorsqu'il atteignit les derrières
du champ de bataille, il se retira. Les Anglais ne jugèrent pas
à propos de profiter de la confusion de leurs adversaires pour péné •
trer dans Québec, ou s'emparer du camp de Beauport, que purent
regagner ensuite les troupes qui s'étaient retirées dans la ville.
Telle lut l'issue de la première bataille d'Abraham qui décida
de la possession d'une contrée presqu'aussi vaste que la moitié
de l'Europe. La perte des Français dans cette fatale journée fut
considérable ; elle se monta à près de mille hommes y compris
250 prisonniers qui tombèrent entre les mains des vainqueurs
avec la plupart des blessés. Trois officiers généraux moururent
de leurs blessures. Celle des Anglais s'éleva à un peu moins
de 700 hommes, parmi lesquels se trouvaient les principaux
officiers de l'armée, outre le général en chef.
Le général Montcalm, reconnut, mais trop tard, la faute qu'il
avait faite. Il pouvait attendre l'arrivée du colonel Bougainville
et tirer la garnison de la ville et les corps qu'il avait laissés dans
le camp, et avec toutes ces forces réunies attaquer les ennemis
en tête et en queue comme Wolfe semblait l'avoir appréhendé
en rangeant son armée en carré. Il pouvait aussi se retrancher
sur les buttes à Neveu, et, comme la saison était avancée, attendre
les Anglais dans ses lignes en épiant tous leurs mouvemens, ce
qui les aurait mis dans l'obligation de combattre avec désavan-
tage, car le temps les pressait. Après ces premières fautes, il
en commit une autre presqu'aussi grave en rangeant son armée
sur une seule ligne, sans se donner le temps de tirer l'artillerie
de campagne qu'il y avait dans la ville afin de contrebalancer
l'infériorité de ses troupes sous le rapport de la discipline et du
nombre. On lui reproche encore, son armée étant partielle-
ment composée de milices, d'avoir voul' /ombattre en bataille
rangée. On dit " qu'il devait attendre i onnemi et profiter de la
nature du terrain pour placer par pelotons dans les bouquets de
broussailles dont il était environné les Canadiens, qui arrangés de
la sorte, surpassaient par l'adresse avec laquelle ils tiraient toutes
les troupes de l'univers."
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HISTOIRE DU CANADA.
327
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Quoiqu'il en soit de ces fautes, il sembla qu'il les avait suffi-
samment expiées par sa mort ; et devant ses dépouilles funèbres
on ne voulut se rappeler que ses triomphes et sa bravoure. Les
Canadiens et les Français pleurèrent sa perte comme un malheur
public. Il avait su acquérir une grande influence sur les uns et
sur les autres par la vivacité de sa parole et l'entraînement de
son courage. On ne croyait que lui capable de livrer une bataille
et de la gagner. On semblait ignorer qu'il restait un officier
général supérieur à lui, sous bien des rapports, le chevalier de
Levis. MontcaUn rendit le dernier soupir le lendemain matin
au château St.-Louis, et fut enterxé le même soir, à la clarté des
flambeaux, dans l'église conventvelle des Ursulines en présence
de quelques officiers. Montcalm avait montré en Canada toutes
les qualités et tous les défauts qu'on avait déjà remarqués en lui.
Il était plus brillant par les avantages d'une mémoire ornée que
profond dans l'art de la guerre ; brave mais peu entreprenant, il
négligea la discipline des troupes et ne proposa jamais aucune
entreprise importante. Il ne voulait pas attaquer Oswégo s'il
n'y eût été forcé pour ainsi dire par les reproches que lui fit sur
sa timidité, M. de Rigaud, homme d'un esprit borné, mais officier
plein de valeur et d'audace, accoutumé à la guerre des bois ; il
aurait abandonné aussi le siège du fort William-Henry sans le
chevalier de Levis, et encore devant Québec, dans le printemps,
n'osant se flatter de pouvoir résister au premier effiart du général
Wolfe, il parlait de lui abandonner cette place dans le moment
même qu'il en faisait dépendre le sort du Canada. Ses divisions
avec le gouverneur dont il afiectait de dédaigner les avis, eurent
des suites déplorables. La popularité qu'il avait su acquérir
parmi les habitans et les soldats l'avait rendu de plus en plus
indépendant du chef de la colonie. Il n'avait cessé de le décrier
auprès de ceux qui formaient sa société ; il le traitait d'homme
incapable, irrésolu, sans foi, et par un artifice qui ne réussit que
trop souvent, il établissait sa réputation en ruinant celle de son
supérieur. Du reste, il avait de l'esprit, le goût de l'étude, et des
connaissances étendues qui le firent admettre peu de temps avant
sa mort à l'académie royale des inscriptions et belles lettres de
Paris. Il aimait le luxe et était désintéressé. Il devait au trésor
10,000 écus qu'il avait empruntés pour soutenir son rang et sou-
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32S
HISTOIRE DU CANADA.
lager ses officiers dans la disette de tout où l'on se trouvait en
Canada. Son ambition et le désir trop peu caché de supplanter
M. de Vaudreuil, furent une des causes de la désunion à laquelle
on peut attribuer principalement le désastre que l'on venait d'es-
suyer.
Le soir même de la bataille, le gouverneur tint un conseil de
guerre où toi'» les officiers opinèrent pour se retirer derrière la
rivière Jacques Cartier, afin de conserver une ligne de retraite et
la communication *avec les magasins de l'armée, motif qui avait
pu contribuer à déterminer la conduite du général Montcalm le
matin. Le gouverneur, l'intendant et le colonel Bougainville
étaient d'une opinion contraire, et voulaient tenter une seconde
fois le sort des armes ; mais la majorité l'emporta. Montcalm,
que l'on consulta, répondit qu'il restait trois partis à prendre, à
savoir : attaquer l'ennemi une seconde fois, se retirer à Jacques
Cartier ou capituler pour toute la colonie.
Le marquis de Vaudreuil, après cette résolution, envoya 120
soldats pour renforcer la garnison de Québec toute composée de
citoyens et de matelots, lesquels avaient été engagés pendant la
bataille avec les batteries de la Pointe-Lévy, et écnvit à M. de
Ramesay pour le prévenir de ne pas attend.-e que l'ennemi
l'emportât d'assaut, et d'arborer le drapeau blanc aussitôt qu'il
manquerait de vivres. L'armée craignant à tout instant d'être
coupée de ses magasins, commença sa retraite à l'entrée de la
nuit. Afin qu'on ne s'aperçût pas de ce funeste mouvement,
elle laissa le camp de Beauport tendu, les tentes debout, abandonna
faute de moyens de transport, une partie des bagages, l'artillerie
et les munitions, et défila dans le plus profond silence par la jeune
et l'ancienne Lorette, traversa St.-Augustin et arriva à la Pointe-
aux-Tremb!es le 14 au soir. Le colonel Bougainville, comman-
dant l'arrière-garde, s'établit à St.-Augustin. Ce mouvement
était fatal de toute manière ; il laissait Québec à lui-même sans
Boldats et sans provisions de bouche; il exposait l'a.inée à
l'anéantissement, parce que l'on ne devait pas s'attendre que les
miliciens de cette partie abandonneraient leurs familles sans
pain, leurs récoltes encore sur pied là où elles n'avaient pas été
ravagées, pour aller on ne savait où. Aussi la désertion fut-elle
considérable ; les cultivateurs quittaient les drapeaux poui- rentrer
HISTOIRE DU CANADA.
32U
dans leurs foyers, et beaucoup d'autres pour piller dans les cam-
pagnes. Le lendemain on atteignit Jacques Cartier, et Tarriùre-
garde la IVmte-aux-Trembles, où l'on résolu! d'attendre le
chevalier de Levis qui descendait en toute hâte, comme on l'a dit
plus haut.
Il arriva le 17. En parlant de Montréal il avait envoyé ses
ordres sur les frontières de l'Ouest pour la subsistance des troupes,
subsistance qui manquait sans cesse, et pour l'acheminement
immédiat sur l'armée battue des outils, de l'artillerie et des muni-
tions de guerre et de bouche qui pouvaient être disponibles. Il
eut en rejoignant le quartier général, une entrevue avec le
gouverneur, et lui représenta qu'il fallait absolument arrêter la
retraite ; que pour empêcher la désertion et mettre fin au désordre
qui régnait, le seul moyen était de marcher en avant ; qua l'on
devait tout hasarder pour prévenir la prise de Québec, et dans le
cas extrême en faire sortir la population et détruire la ville afin
d'empêcher l'ennemi d'y passer l'hiver, résolution patriotique qui,
mise à exécution, eût pu sauver le Canada. Il observa que les
Anglais n'étaient pas assez nombreux pour garder la circonvalla-
tion de la place et empêcher d'y communiquer ; qu'il fallait se
rassembler et faire ses dis|)ositions pour les menacer ; profiter des
bois du Cap-Rouge, de Ste.-Foy et de St.-Michel pour s'appro-
cher d'eux, et, s'ils venaient, pour les combattre, parce que se
trouvant entre deux feux ils n'oseraient pas faire de siège ; qu'il
y avait raison de croire qu'ils viendraient attaquer ; que si l'on
était battu, l'on retraiterait sur le haut de la rivière du Cap-Rouge
en laissant un gros détachement dans le bas, et en facilitant la
sortie de la garnison après qu'elle aurait incendié la ville ; qu'un
mouvement offensif arrêterait la désertion des habitans, et ferait
revenir un grand nombre de ceux du gouvernement de Québec.
Le marquis de Vaudreuil approuva tout, et ces deux chefs dépê-
chèrent sur-le-champ des courriers au commandant de la place
pour l'informer que l'on marchait à son secours. Le départ de
l'armée elle-même fut différé au lendemain faute de vivres.
Comme l'on savait que la ville en manquait aussi, M. de la
Rochebeaucourt fut chargé d'y pénétrer avec cent chevaux portant
des sacs de biscuit ; û fit part aux habitans du retour des troupes,
qui vinrent coucher le 18, le corps principal à la Pointe-aux-
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330'
HISTOIRS DT; CANADA.
Trembles et M. de Bougainvillo avec l'avant-garde sur le haut de
la rivière du Cap-Rouge.
Le général do Levis prenait le commandement do l'armée au
moment où les nlVaires étaient dans une situation désespérée ;
mais c'était un de ces hommes dont les circonstances d.iflicilcs
font ressortir avec éclat les talens et l'énergie. Il était né au
château d'Ajac en Languedoc, de l'une des plus anciennes mai-
sons de France. Entré de bonne heure au service, il s'était fait
remarquer par son activité et sa bravoure. En Canada il avait
montré un esprit sobre, réfléchi, attentif à ses devoirs et sévèro
pour la discipline des troupes, (jualité assez ra';e à cette époque
dans les armées françaises ; et la suitJ des événemcns prouva
que si le résultat ne fut pas plus favoraole, la fe.ute n'en pouvait
rejaillir sur lui.
Le lendemain 19, il marcha sur Lorette et M. de Bougainville
sur la rivière St.-Charles, où celui-ci apprit que la ville venait de
se rendre malgré les ordres positifs qui avaient été envoyés au
commandant de rompre les négociations, et la réponse de cet
officier qu'il allait s'y conformer. Cette nouvelle parvint au
général en chef à St.-Augustin. Il ne put contciiir son indignation
et l'exprima dans les termes les plus amers. Mais le mal était
sans remède. "*
L'abandon du camp de Beauport avait jeté la désolation dans
la ville. Les négocians, nationaux et forains, qui composaient les
officiers de milice, s'assemblèrent chez M. Daine, lieutenant-
général de police et maire de Québec,* et présentèrent à M. de
Ramesay une requête pour l'engager à capituler.f Cet officier
interprétant d'une manière trop large les instructions du gouver-
neur de ne pas attendre l'assaut pour se rendre, eut la faiblesse
de consentir à cette demande.
ngtemps on n'en
jui faire sortir ce
i/ijs réel de lieutenant
* On voit apparaître ici tout-à-coup un maire,
entendait plus parler. Il fallait un grand é'"'
nom totalement éclipsé par le titre plus •'
de police.
t " Mémoire du sieur de Ramesay, clievu..^r de l'ordre royal et militaire
de St.-Louis, ci-devant lieutenant pour le Roy, commandant à Québec, au
sujet de la reddition de cette ville, qui a été suivie de la capitulation du 18
sept. 1759 — présenté à la cour après son retour en France." Manuscrit;
copie apportée de Paris et tirée des archives du gouvernement.
rm
HISTOIRE DU CANADA.
331
La reddition de Québec fut la conséquence du découragement
que les propos inconsidérés de Montcalrn avaient répandu i)aruu
les troupes. Un seul des olliciers de la garnison, M. de l'icd-
inont, jeune homme dont le nom mérite d'être conservé, se
déclara dans le conseil de guerre pour la défense jusqu'à la dernière
extrémité. Quoicpie l'on manquât de vivres, ([uc par la négli-
gence de la métropole les fortifications n'eussent été que com-
mencées et que l'on pût être facilement enlevé d'un coup de
main, l'ennemi n'avait encore rien fait qui put faire craindre un
assaut, et l'on savait que le général de Levis arrivait.
En etTet les Anglais ne songeaient point à emporter Québec
par escalade. Immédiatement après la bataille ils achevèrent
les redoutes qu'ils avaient commencées autour de leur camp, et
se mirent en frais d'élever des batteries sur les buttes à Neveu en
face du rempart qu'elles commandent dans sa plus grande lon-
gueur, pour le battre en brèche. Il leur fallait encore deux ou
trois jours pour mettre en état de tirer ces batteries, qui auraient
consisté en 60 pièces de canon et .^8 mortiers, lorsqu'ils virent
avec surprise arborer le drapeau blanc. La garnison à l'aspect
d'une colonne de troupes en marche et des plus gros vaisseaux
de la flotte anglaise qui s'avançaient, s'était crû menacée d'une
double attaque du côté de la campagne et du côté du port, et
inspirée par l'intérêt mercantile, s'était empressée de proposer
une capitulation, dont le général Tovvnshend accepta tous les
articles excepté le premier, qui portait que la garnison sortirait
avec les honneurs de la guerre et huit pièces de canon pour aller
rejoindre l'armée française à Jacques Cartier, et qui fut modifié
de manière à ce qu'elle fût transportée en France. Le lende-
main, 18 septembre, la ville fut remise aux assiégeans qui
furent obligés de fournir six boucauts de biscuit pour la nourri-
ture du peuple et de 4 à 500 blessés dans les hôpitaux, qui
n'avaient rien eu à manger depuis 24' heures. Par les termes de
cette capitulation les habitans étaient maintenus dans leurs privi-
lèges et la propriété de leurs biens avec le libre exercice de leur
religion jusqu'à la paix définitive. Ainsi la faiblesse d'un
conseil de guerre, composé d'olficiers subalternes, rendit irrépa-
ra!)les les suites d'un échec (jui aurait pu être réparé.
Malgré la perte de leur capitale, que les habitans attribuèrent
1
r
332
HISTOm£ DU CANADA.
à la trahison, " ces braves gens, dit Sismondi, aussi Français de
coeur que s'ils avaient vécu au milieu de. la France," ne s'aban-
donnèrent point. Quoique Québec eût été détruit par un bom-
bardement continuel de deuK mois, que les côtes de Beaupré et
l'île d'Orléans, ainsi que 36 lieues de pays établi, contenant 19
paroisses sur la rive droite du fleuve, eussent été incendiées pen-
dant que la population mâle était à l'armée ; que les habitans
eussent perdu leurs hardes, leurs meubles, leurs instrumens d'agri-
culture et presque tous leurs chevaux et tous leurs bestiaux, et
fussent obligés en retournant sur leurs terres avec leurs femmes
et leurs enfans de s'y cabaner à la façon des Indiens ; quoi
qu'aussi un grand nombre d'iiabitans de Ql ;c et des campagnes,
faute de vivres, se trouvassent dans la nécessité d'émigrer dans
les gouvernemens des Ti ois-Rivières et de Montréal pour y trou-
ver des secours ; enfin, malgré tous ces désastres et qu'ils redou-
tassent les Sauvages encore plus que l'ennemi lui-même, ils ne
parlèrent point de se rendre, et demandèrent à marcher de nou-
veau au combat : c'était l'opiniâtreté vendéenne, c'était la déter-
mination indomptable de cette race à laquelle appartiennent la
plupart des Canadiens, et dont Napoléon appréciait tant la bra-
voure, le caractère et le dévoûment sans borne.
En apprenant la reddition de la capitale, ie général de Levis
ne vit point d'autre parti à prendre pour le moment que de se
fortifier sur la rivière Jacques Cartier, à neuf lieues de distance,
où il rétrograda en laissant quelques petits détachemens sur diffé-
rens points de sa route. Il fit commencer un fort sur la rive
droite de cette rivière qui le couvrait et dont le passage était
facile à défendre. L'armée resta ainsi dans sa nouvelle posi-
tion jusqu'à la fin de la campagne, M. de Vaudreuil ayant trans-
porté le siège du gouvernement à Montréal, où il s'était retiré
lui-même. Les Canadiens regagnèrent leurs foyers dans les der-
niers jours d'octobre. Peu de temps après les troupes quittèrent
de toutes parts les frontières pour venir prendre leurs quartiers
d'hiver dans les gouvernemens de Montréal et des Trois-Rivières.
On laissa seulement de petits détachemens dans les postes avan-
cés, dont la position indique ce qui restait à la France à la fin de
59 de ces immenses territoires qu'elle était naguère encore si
fière de posséder. 300 hommes reatèrent chargés de la garde
m
i'
'I
HISTOIRE DU CANADA.
333
du fort de Levis entre la Présentation et la tête des rapides du
St.-Laurent aux ordres de M. Desandrouins, ingénieur; 400
hommes, commandés par M. de Lusignan, eurent ordre de se
maintenir à l'île aux Noix dans le lac Charaplain, où le général
Amherst n'avait fait aucun progrès, lesquels devaient être soute-
nus par 300 autres placés à St.-Jean ; et enfin 600 hommes
furent laissés à Jacques Cartier sous le commandement de M.
Dumas, major-général des troupes de la marine, dont 2 à 300
jetés en avant à la Pointe-aux-Trembles sous les ordres de M,
de Repentigny.
Après avoir ainsi réglé la disposition de ses troupes pour l'hiver, ,
le général de Levis rejoignit le gouverneur à Montréal le 14
novembre, et tous deux députèrent avec leurs dépêches le com-
mandant d'artillerie Lemercier à Paris, pour instruire le roi de la
situation du Canada et des secours dont il avait besoin. Cet offi-
cier s'embarqua à Montréal dans un navire qui parvint en France
sans accident, après être passé devant Québec inaperçu.
Après la capitulation de Québec, les troupes anglaises restèrent
campées dans les environs en attendant qu'on eût pourvu à leur
logement dans l'intérieur. Elles ne songèrent point à pousser
plus loin leur succès pour cette année. Il fut résolu de relever
ou de réparer sans délai 500 maisons, et de garder toute l'armée
pour former la garnison de la ville jusqu'à la prochaine cam-
pagne, sauf les trois compagnies de grenadiers de Louisbourg et
cinq compagnies de rangers, qui se rembarquèrent sur la flotte,
et firent voile pour l'Angleterre ou les anciennes colonies. Le
général Murray fut nommé gouverneur de Québec. La garnison
se composait le 24 décembre, après le départ des huit compa-
gnies dont l'on vient de parler, de 8,200 hommes de troupes de
ligne sans compter les officiers, l'artillerie, et les rangers qui res-
tèrent, le tout formant encore plusieurs centaines de combattans.*
• M. Smith dans son histoire du Canada dit 5,000, quoique les auteurs
qu'il a suivis presque textuellement, Knox et Mante, disent plus de 7,000
hommes. J'ai découvert récemment dans les archives du secrétariat pro-
vincial à Québec un registre des ordonnances de paiement des troupes sous
les ordres du général Murray, qui doit fixer désoT lais cette question. Ces
ordonnances contiennent le chiffre exact de chaque régiment, sauf les officiers ;
et voici ce qu'il était le 24 décembre 1759 :
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334»
HISTOIKE DU CANADA.
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Elle se mit de suite en frais de débarquer de la flotte des vivres
pour une année, les munitions et tout le matériel de guerre néces-
saire ; de déblayer les rues, de niveler les redoutes élevées dans
les plaines d'Abraham et d'eu élever d'autres en face du rempart
sur le sommet de la falaise qui borde le St.-Laurent, enfin, de
fortifier le rempart déjà existant, et de le couvrir d'artillerie pour
pouvoir soutenir un siège en cas de besoin. '"■'■ '-•' • ■
Tel fut le résultat de la campagne de 59. Les Français se
trouvaient resserrés entre Québec, la tète du lac Champlain et
Frontenac, coupés de la mer et manquant de tout, soldats, argent,
munitions de guerre et de bouche. Les deux armées anglaises
qui avaient attaqué le Canada par mer et parterre ne se trouvaient
plus qu'à environ 70 lieues l'une de l'autre, et prêtes à tomber
sur le centre du pays le printemps suivant avec un grand accrois-
sement de forces. Le général Amherst qui s'était avancé jusqu'au
fort St.-Frédéric, n'avait pu pénétrer au-delà. Il laissa de fortes
garnisons à Crown-Point et au fort Carillon, dont il avait relevé
les ruines et changé le roai pour celui de Ticondéroga, et alla
passer l'hiver à New-York, pour être à portée de communiquer
plus facilement avec la métropole et les différentes colonies sur
le plan d'opérations de la prochaine campagne.
Quant au Détroit et aux autres postes supérieurs, ils étaient
encore, il est vrai, en notre pouvoir; mais par la perte de Fronte-
nac, ils ne devaient plus attendre de secours que de la Louisiane,
qui devint dès lors leur point d''appui et leur seule ligne de retraite
en cas de malheur.
Hommes.
47e régiment 680
35e " 876
43a " 693
58e , 653
78e (montagnards écos-
«ftis) .1377
Hommes.
2d bataillon de fusiliers 871
3e " " 930
28e régiment 623
48e " " 882
15e " 619
8,204
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CHAPITRE II.
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SECONDE BATAILLE D'ABRAHAM ET DERNIÈRE
VICTOIRE DES FRANÇAIS.
CESSION DU CANADA A l'aNGLETERUE ET DE LA LOUISIANE
, A l'eSPAGNE.
1760-1763.
Sentimens divers que la prise de Québec cause en Angleterre et en France.
— Les ministres de Louis XV abandonnent le Canada à lui-même. —
La Grande-Bretagne organise trois armées pour achever sa conquête.—
Mesures que l'on adopte pour résister à cette triple invasion. — Forets re-
latives des Français et des Anglais. — Le général de Lavis marche sur
Québec. — Seconde bataille d'Abraham. — Défaite complète de l'armée
anglaise, qui se renferme dans la ville et que les Français assiègent en
attendant les secours qu'ils avaient demandés de France. — Persuasion où
l'on est dans les deux armées que le Canada restera à celle qui recevra les
premiers renforts. — Arrivée d'une flotte anglaise. — Le général de Levis
lève le siège et commence sa retraite sur Montréal ; le défaut de vivres
l'oblige de renvoyer les milices et de disperser les troupes régulières.—
Etat des frontières du côté des lacs Champlain et Ontario. — Les ennemis
se mettent en mouvement pour attaquer jNIontréal. — Le général Murray
s'avance de Québec avec 4,000 hommes ; le chef de brigade Haviland
avec un corps presqu'aussi nombreux descend le lac Champlain et le
général Amherst part du lac Ontario avec 11,000 soldats et Indiens. — Les
Français se retirent et se concentrent sur Montréal au nombre de 3,500
soldats. — Impossibilité d'une plus longue résistance et capitulation géné-
rale.— Triomphe et réjouissances de l'Angleterre. — Procès et condamna-
tion des dilapidateurs du Canada à Paris. — Situation des Canadiens.
Pertes immenses qu'ils font sur les ordonnances et lettres de change du
gouvernement déchu. — Continuation de la guerre dans les autres parties
du monde; paix de 1763, par laquelle le Canada est cédé à l'Angleterre
et la Louisiane à l'Espagne. — Tableau de la France au temps de ce traité
trop fameux, par Sismondi.
Après les défaites que l'Angleterre essuyait depuis cinq ans en
Canada, la nouvelle de la prise de Québec, ce lieu fort si
renommé du Nouveau-Monde, la remplit de joie. Londres et
les principales villes du royaume présentèrent des adresses de
félicitation au chef de l'état, dont Pitt dut s'applaudir en secret,
parce que c'était à lui qu'en revenait la plus grande gloire. Le
Jil
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336
HISTOIRE DU CANADA.
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parlement ordonna que les cendres du héros à qui l'on devait une
si brillante conquête, fussent déposées dans le temple de West- .
minster au milieu des grands hommes de la patrie, et qu'un
monument y fut élevé à sa mémoire. Il vota des remercîmens
aux généraux et aux amiraux qui avaient fait partie de l'expé-
dition, et le roi ordonna que des actions de grâce publiques fus-
sent rendues dans tout l'empire.
En France, où le peuple exclu du gouvernement, ne pouvait
manifester ses sentimens sur la honte des actes du pouvoir que
par le mépris qu'il avait pour ceux qui en étaient chargés, il y a
long-temps que l'on avait perdu l'espoir de conserver ces belles
contrées pour la défense desquelles tant de sang et tant d'héroïsme
n'étaient plus qu'un sacrifice dans le grand désastre qui allait ter-
miner l'un des derniers drames de la vieille monarchie. La perte
du boulevard de l'Amérique française et la mort de Montcalm ne
surprirent point, mais elles firent une impression pénible dans le
public. A la cour de Louis XV énervée par des orgies, l'on
regarda la partie comme si bien perdue que l'on ne pensa guère
à secourir ces sentinelles avancées, qui voulaient encore com-
battre, sinon pour triompher du moins pour sauvegarder l'hon-
neur national et reconquérir la supériorité des armes.
" L'Europe entière aussi, dit Raynal, crut que la prise de
Québec finissait la grande querelle de l'Amérique septentrionale.
Personne n'imaginait qu'une poignée de Français, qui manquaient
de tout, à qui la fortune même semblait interdire jusqu'à l'espé-
rance, osassent songer à retarder une destinée inévitable." On
ne connaissait pas leur courage, leur dévoûment et les glorieux
combats qu'ils avaient Hvrés et qu'ils pouvaient livrer encore dans
ces contrées lointaines où, oubliés du reste du monde, ils ver-
saient généreusement leur sang pour leur pays. On ignorait que
cette guerre était une guerre de races, qu'on ne poserait les
armes que lorsque l'on serait enveloppé, écrasé par les masses
ennemies, et que jusque-là l'on ne voulait })a8 perdre espérance.
Les Canadiens qui croyaient que le gouvernement allait ou du
moins devait faire les plus grands efforts pour les arracher au sort
qui les menaçait, furent trompés dans leur attente. M. Lemer-
cier en arrivant à Paris, trouva le ministre de la guerre, le maré-
chal de Belle-Isle expirant. Après sa mort le portefeuille passa
i
HISTOIRE DU CANADA.
337
aux mains du duc de Choiseul déjà chargé de celui des affaires
étrangères. Lemercier comme les officiers de la garnison de
Québec qui l'avaient précédé, donnèrent au ministre tous les
renseignemens qu'il pouvait désirer sur la situation désespérée
du Canada. Les dépêches demandaient des secours de toute
espèce, vivres, munitions de guerre et recrues ; elles informaient
la cour que l'on avait formé le projet de reprendre la capitale,
et que le succès était certain si les secours que l'on deman-
dait arrivaient avant ceux des Anglais. Mais malheureuse-
ment cette demande était faite dans le moment même où, par le
désordre prolongé des finances, le trésor se trouvait hors d'état de
faire face à ses obligations les plus nécessaires. Les administra-
teurs continuellement changés ne pouvaient trouver de remède
pour arrêter un mal qui allait toujours en augmentant. Chacun
venait avec son plan et était remplacé avant qu'il eût à peine eu
le temps de commencer à le mettre à exécution ; et dès qu'il
parlait de soumettre la noblesse et le clergé à l'impôt comme le
peuple, il était repoussé avec haine et renversé. L'absence de
patriotisme dans les classes les plus élevées de la société rendait
ainsi le mal incurable, et exposait la nation à tous les malheurs,
surtout à la perte de cette grande réputation militaire qui faisait
encore la force et la gloire, par le souvenir, de cette noblesse sen-
suelle et dégénérée qui ne voulait rien faire pour le salut commun ;
car par un effort uniforme et général, l'on pouvait se remettre
facilement sur un bon pied, puisque plus tard, suivant M. de
Necker,* les dépenses publiques étant de 610 millions en ITSé,
et les revenus de près de 585 millions, alors que la noblesse et le
clergé, possesseurs d'une grande partie du territoire, étaient
encore exempts de l'impôt, en rendant ces deux classes si ' 'ches
contribuables, et en développant les immenses ressources du
pays, le déficit annuel pouvait être plus que comblé. Mais
l'égoïsme devait tout perdre.
M. de Silhouette, qui avait succédé à M. de Boulogne aux
finances, vint échouer devant l'opposition que firent à son projet
* De l'administration des finances de la France. Les intérêts de la dette
publique étaient alors de 207 millions de francs, ou égaux à ceux de l'An-
gleterre à la même époque (1784). Aujourd'hui la dette de l'Angleterre
est double ou triple de celle de la France.
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338
HISTOIRE DU CANADA.
de subvention territoriale qui aurait atteint tous les propriétaires
fonciers, les classes privilégiées, et il fut remplacé par M. Bertin,
financier médiocre, mais plus docile aux vœux de la cour et de
la noblesse. Celui-ci ne put ni ramener l'ordre dans les finances,
ni trouver moyen de fournir quelques jours encore aux besoins
les plus pressans du service public. Les lettres de change tirées
par le Canada sur le trésor à Paris ne purent être payées, cir-
constance aussi fâcheuse pour ce pays que la perte d'une bataille,
et qui devait avoir le plus grand retentissement. Dans cet état
de choses il est facile de concevoir que l'énergique résolution de
reprendre Québec dût trouver peu d'écho à Versailles, où les
courtisans regardaient la possession du Canada plutôt comme une
charge que comme un avantage. Dans l'épuisement où l'on se
trouvait, c'est tout ce que l'on put faire que d'envoyer 400
hommes et la charge de trois ou quatre navires en munitions du
guerre et de bouche, sous la protection d'une frégate, qui s'étant
amusée à enlever, chemin faisant, treize ou quatorze voiles
anglaises, finit par être obligée elle-même de se jeter dans la Baie
des Chaleurs à l'entrée du golfe St.-Laurent, et par y être brûlée
avec son convoi et ses prises par le capitaine Byron qui croisait
dans ces parages. Cet officier qui avait une flotte nombreuse,
détruisit aussi un amas de cabanes décoré du nom fameux de
Nouvelle-Rochelle, élevé par des réfugiés acadiens et quelques
pauvres pêcheurs sous la protection de deux petites batteries
placées sur un rocher.
En envoyant ces secours inutiles, car ils étaient tout-à-fait
insuffisans au Canada, les ministres adressèrent aux divers chefs
de la colonie des dépêches qu'ils ne reçurent que dans le mois de
juin, pour leur recommander de disputer le pays pied à pied et
de soutenir jusqu'au bout l'honneur des armes françaises à quel-
qu'extrémité que les affaires pussent être réduites, comme si des
gens qui périssaient accablés sous le nombre, avaient besoin des
paroles d'encouragcnent et non de secours réels et efficaces.
Le gouvernement de la Grande-Bretagne, aiguillonné et sou-
tenu par la voix puissante du peuple, tenait alors une conduite
bien différente. Il obtint du parlement tous les subsides qu'il
voulut pour continuer la guerre avec vigueur. Des flottes consi-
dérables couvrirent les mers de l'Europe, des Indes et de l'Ame-
!/■;
HISTOIRE DU CANADA.
339
rique. Il fut résolu de barrer le chemin du Canada à la France,
et d'employer à cet effet des forces telles que celle-ci ne put con-
server dans l'état où elle se trouvait, le moindre espoir d'y faire
parvenir les secours nécessaires pour rétablir sa suprématie dans
cette partie du monde ; et c'est à la suite de cks accroissemens
de forces que le petit convoi, dont l'on vient de parler, vit fondre
sur lui pas moins de onze vaisseaux de guerre en entrant dans le
St.-Laurent.
Derrière ce rempart qui couvrait l'Amérique et la séparait de
la France, l'Angleterre organisa, comme l'année précédente, trois
armées pour achever d'abattre une puissance qu'elle combattait
depuis qu'elle avait planté son drapeau dans ce continent, et que
sa grande supériorité numérique mettait enfin à sa disposition.
Toutes les provinces américaines ne cessaient point non plus de
montrer leur zèle pour l'accomplissement d'une conquête qu'elles
sollicitaient depuis si longtemps. Les différentes législatures colo-
niales votèrent les hommes et l'argent qu'on leur demanda avec
d'autant plus d'empressement que l'on touchait au succès définitif.
Ces trois armées devaient marcher pour se réunir à Montréal et
enlever ce dernier point qui résistait encore à leurs armes.
La garnison renfermée dans Québec devait être renforcée à
l'ouverture de la campagne pour remonter le St.-Laurent. Le
chef de brigade Haviland devait réunir ses troupes sur le lac
Champlain, forcer le passage de l'île aux Noix et St.-Jean, et
marcher sur le point indiqué ; enfin, le général Amherst devait
assembler une armée nombreuse à Osvvégo, descendre le fleuve
St.-Laurent, enlever chemin faisant tous les postes qu'il trouverait
sur F 'n passage, et se réunir aux deux autres corps devant Mont-
réal. Les Français n'ignoraient pas les préparatifs de leurs enne-
mis, et le gouverneur ainsi que le général de Levis ne songeaient
qu'au moyen de les prévenir par une attaque subite contre le
poste central où ils avaient pris pied, à savoir Québec, pour être
prêts à donner la main aux secours qu'ils avaient demandés, et
de l'arrivée desquels avant ceux des Anglais, dépendait désormais
le salut du pays. - . r - >. -
L'on avait d'abord résolu d'attaquer Québec dans l'hiver ;
mais il fallut ajourner l'exécution au printemps. Ce délai fut
employé à réorganiser l'armée, à ramasser des vivres, à préparer
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340
HISTOIRE DU CANADA.
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lea embarcations nécessaires pour descendre le fleuve à la débâcle
des glaces. Malgré les plus grands efforts, l'on ne put réunir un
matériel suffisant pour faire un siège. L'on manquait de grosse
artillerie et il y avait peu de poudre. Cependant l'on ne déses-
pérait pas de réussir soit à la faveur d'une surprise, soit à l'aide
des secours attendus.
Afin d'empêcher l'ennemi de pénétrer le projet et surtout
de soutenir le courage des habitans et de fatiguer la garnison
anglaise, l'on tint des partis dehors tout l'hiver.
Le général Murray ne négligeait rien de son côté pour se
mettre en état de repousser toutes les tentatives jusqu'à la cam-
pagne suivante. Il était abondamment pourvu d'artillerie, de
munitions de guerre et de bouche, et il commandait les meilleures
troupes de l'Angleterre. Il ne fut pas plutôt établi dans la ville
qu'il adressa une proclamation aux Canadiens pour leur repré-
senter l'inutilité d'une plus longue résistance et tous les malheurs
qui seraient la suite d'une opposition devenue sans objet. Onze
paroisses environnantes abandonnées de l'armée française, vin-
rent faire leur soumission et prêter le serment de fidélité. Les
maisons avaient été incendiées et les femmes et les enfants qui
s'étaient réfugiés dans les bois que l'hiver allait rendre inhabi-
tables, ne laissaient pas d'autre parti à prendre, pour les empê-
cher de périr de froid et de misère. Les habitans de Miramichi,
Richibouctou et autres lieux du golfe St.-Laurent, subissant la
même nécessité, s'étaient déjà rendus au colonel Frye, comman-
dant anglais du fort Cumberland à Chignectou.
Le général Murray cependant avait porté ses avant-postes à
Lorette et à Ste.-Foy, à deux ou trois lieues de la ville, et la
guerre d'escarmouches ne discontinuait presque point, malgré la
rigueur de la saison. La garnison fut occupée toute l'hiver à
charrier du bois de chauffage du Cap-Rouge, à faire de petites
expéditions, ou à travailler aux fortifications de la ville, qu'après
des travaux inouïs l'on mit en état de soutenir un siège, en ache-
vant les remparts que l'on couvrit de mortiers et de canons d'un
gros caUbre, et en terminant les redoutes dont on a parlé et qui
étaient au nombre de huit. On exécutait ces travaux malgré les
maladies qui s'étaient mises dans les troupes, surtout le scorbut,
et qui enlevèrent du 24 décembre au 24 avril près de 500 hommes.
"^
HISTOIRE DU CANATÎA.
341
De leur côté les Français, outre les fatigues de cette petite
guerre, souffraient de plus en plus de la disette. Le général de
Levis dispersa ses troupes en quartier d'hiver chez les habitans
dans les différentes paroisses des gouvernemens des Trois-Rivières
et do Montréal, faute de provisions pour leur subsistance dans
une seule localité, et il commença immédiatement ses préparatifs
pour l'entreprise qu'il méditait, une défense opiâtre, comme il le
disait dans un mémoire qu'il présenta au gouverneur, ne pouvant
qu'être avantageuse à l'état en occupant les forces de l'ennemi en
Amérique, et honorable pour les armes françaises.
Pour ranimer le courage de la population, pour l'engager sur-
tout à faire de nouveaux efforts et de nouveaux sacrifices, on invo-
qua la voix solennelle de l'église, qui ne devait pas rester sans
écho chez un peuple profondément religieux. L'évêque, M.
Dubreuil de Pontbriand, donna à Montréal, où il s'était réfugié,
un mandement au commencement de l'hiver, dans lequel on
trouve ces mots : " Vous n'oublierez pas dans vos prières ceux
qui se sont sacrifiés pour la défense de la patrie ; le nom de l'il-
lustre Montcalm, celui de tant d'officiers respectables, ceux du
soldat et du milicien ne sortiront point de votre mémoire
vous prierez pour le repos de leurs âmes." II y a quelque chose
de singulièrement grave dans ces paroles funèbres auxquelles la
religion donne un si grand caractère. Cet appel aux prières des
fidèles pour les braves qui étaient morts en combattant pour la
défense de leur religion, de leurs lois, de leurs foyers, au moment
où l'on parlait de reprendre les armes, dut ranimer s'il était
nécessaire le sentiment national et augmenter l'énergie des guer-
riers qui se défendaient depuis si longtemps et avec tant d'obs-
tination contre les forces toujours croissantes de l'ennemi. Quant
aux troupes régulières elles-mêmes, si elles ne combattaient plus
que pour l'honneur leurs vœux pouvaient être encore remplis.
Après bien des efforts l'on réussit à ramasser assez de subsis-
tances pour nourrir l'armée encore quelque temps lorsqu'elle
serait réunie. Au mois d'avril elle se trouva prête à entrer en
campagne ; l'on n'attendait plus quj la débâcle des glaces.
Les troupes régulières, surtout les grenadiers, avaient été
recrutés à même les deux bataillons de la colonie ; elles formaient
avec ceux-ci 3,600 hommes. Les milices appelées à prendre
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*
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342
HISTOIRE DU CANADA.
part à l'expédition s'élevèrent à un peu plus de 3,000 fusils, y
compris 270 Sauvages. Cette armée, composée de plus de
moitié de Canadiens, parce qu'ion en avait fait entrer un grand
nombre dans les régimens réguliers faute de recrues européennes,
n'atteignait pas encore 7,000 combattans. C'est tout ce que l'on
pouvait approvisionner et réunir pour marcher sur Québec, les
habitans de cette partie, c'est-à-dire ceux qui n'avaient pas fait
leur soumission à l'ennemi, ne pouvant rejoindre qu'après l'in-
vestissement de la place, et le reste de ceux de Montréal et des
Trois-Rivières étant nécessaire pour ensemencer les terres et
pour pourvoir à la défense des frontières du côté des lacs Cham-
plain et Ontario.*
Sans attendre que la navigation du fleuve fût entièrement
ouverte, le général de Levis envoya, le 16 et le 17 avril, l'ordre
aux troupes de lever leurs quartiers d'hiver et de se mettre en
marche, celles qui se trouvaient les plus rapprochées de Québec
par terre et les autres par eau. Les champs étaient encore cou-
verts de neige, et le St.-Laurent dont les rives étaient bordées
de glaces fixes, chariait au centre avec le flux et le reflux de la
marée celles qui étaient mobiles. Le général de Levis mit à
l'ordre du jour que pour son honneur, la gloire des armes et le
salut du pays, l'armée devait chercher à réparer la perte de la
journée du 13 septembre, et se reppeler que c'étaient les mêmes
ennemis qu'elle avait eu à combattre à Oswégo, au fort George
et à Carillon. Les troupes chez lesquelles ces noms réveillaient
des souvenirs si glorieux s'ébranlèrent le 20. Celles qui descen-
daient par eau furent embarquées sur les deux frégates escortant
les petits vaisseaux qui portaient l'artillerie, les vivres et les fas-
cines pour le siège. Les glaces augmentant à mesure que l'on
descendait, l'on fut obligé de mettre les troupes à terre à la Pointe-
aux-Trembles. Une partie seulement de l'artillerie put atteindre
• Extraits des instructions du gouverneur au chevalier de Levis :
" Nous avons, après bien des soins, réuni toutes les ressources de la colo-
nie en comestibles et munitions de guerre ; les unes et les autres sont très
médiocres pour ne pas dire insuffisantes, aussi usons-nous de tous les expé-
diens que notre zèle peut nous suggérer pour y suppléer.
" Nos forces consistent en environ 3,500 hommes de troupes, J,900 mili-
ciens des gouvernemens de Montréal et des Trois-Rivières et environ 400
Sauvages de différentes nations.
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»!»■
HISTOIRE DU CANADA.
343
St.-Augustin et ensuite le Foulon La journée du 25 fut
employée à réunir l'armée à la Pointe-aux-Trembles et l'avant-
garde, sous les ordres du chef de brigadr Bourlamarque, se mit en
mouvement le lendemain.
Le temps pressait. M. de Levis voulait surprendre les ennemis.
Ayant reconnu l'impossibilité de traverser la rivière du Cap-
Rouge à son embouchure où la rive du côté de Québec haute et
escarpée, était gardée par des soldats, il résolut de la tourner et
d'aller franchir ce cours d'eau à deux lieues plus haut, à Lorette,
à la peine d'avoir à déboucher par les marais de la Suède pour
gagner les hauteurs de Ste.-Foy.
Le chef de brigade Bourlamarque rétablit les ponts de cette
rivière que les Anglais avaient rompus à son approche, et poussa
les troupes en avant, faisant évacuer le poste qu'ils avait établi
à l'ancienne Lorette. Le général de Lévis qui arriva dans
ce moment, s'étant aperçu qu'on avait négligé de rompre une
chaussée de bois qui traversait une partie des marais de la Suède,
en fit occuper la tète aussitôt par les Sauvages. L'avant-garde
atteignit ces marais à l'entrée de la nuit, les traversa sans s'arrê-
ter malgré un orage de pluie et de tonnerre inusité dans cette
saison, et prit possession des maisons qui étaient au-delà, n'étant
plus sépaiée de l'ennemi que par un bois d'une petite demi-lieue
de profondeur. Au point du jour, le 26, elle passa ce bois et se
présenta à la vue des Anglais, dont le général de Levis alla
reconnaître la position, tandis que le reste de ses troupes qui avait
marché toute la nuit pour ainsi dire à la clarté des éclairs, tra-
versait le marais et se formait en face.
L'armée française n'avait pu cependant marcher assez secrète-
ment ni assez rapidement pour surprendre Québec. Quoiqu'on
eût répandu à dessein tout l'hiver le bruit que l'on allait descendre
incessamment avec une armée de 12 à 15 mille hommes afin
que lorsque ce bruit serait vrai il fit moins d'impression et laissât
du doute, le général Murray ne le repoussant pas entièrement,
se tenait prêt pour tous les événemens. Dans le mois d'avril ce
bruit prenant plus de consistance, il crut devoir se débarrasser de
la population de la ville, qui aurait pu lui devenir à charge dans
un siège, et l'informa le 21 qu'elle eût à s'éloigner dans les trois
jours avec les effets qu'elle pourrait emporter. Cet ordre fut
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HISTOIRE UU CANADA.
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exécuté le 24. Les soldats de la garniiton, quoiqu^accoutumés à
toutes les horreurs de la guerre, no purent voir sans émotion ces
infortunés s'éloigner de leurs murailles suivis de leurs femmes et
de leurs enfans sans savoir où aller chercher un gîte dans un pays
dévasté et réduit à la dernière misère. Le général Murray fit
ensuite rompre les ponts de la rivière du Cap-Rouge ainsi qu'on
l'a rapporté, et envoya des troupes pour observer les mouvemcns
des Français s'ils se présentaient. Après ces mesures de pré-
caution, il attendit pour agir selon les circonstances. Ce sont ces
troupes que le général de Levis voyait devant lui sur les hauteurs
de Ste.-Foy. Elles étaient au nombre de 2,500 à 3,000 hommes
avec quelques pièces de canon, et s'étendaient depuis l'église de
Ste.-Foy jusqu'à la gauche de la route de la Suède, par où mon-
taient les Français pour déboucher sur le plateau.
Le bois d'où ceux-ci sortaient, pouvait être à 200 toises de la
ligne ennemie, et comme il était marécageux et qu'on ne pouvait
en déboucher que par le grand chemin, l'espace compris entre ce
uois et les Anglais n'étant pas assez étendu pour leur permettre
de se former et de marcher à l'attaque sans s'exposer à un com-
bat désavantageux, la situation du général de Levis devenait
difficile, car le coteau Ste.-Geneviève et la rivière St.-Charles
lui barraient le chemin pour marcher sur Québec par la route de
St.-Ambroise ou de Charlesbourg, coteau que l'ennemi pouvait
atteindre avant lui n'ayant que la corde de l'arc à parcourir. Il
décida de s'étabhr sur le chemin de Ste.-Foy par une marche de
flanc. Aussitôt que le jour fut tombé, il fit défiler ses troupes
par sa droite le long de la lisière du bois jusqu'à ce qu'il eût
dépassé le front des Anglais et tourné leur flanc gauche ; si cette
manœuvre réussissait, il obtenait non seulement une position
avantageuse, mais il pouvait couper encore le corps placé en
observation à l'embouchure de la rivière du Cap-Ilouge ; le
nnauvais temps et la difficulté de la marche dans cette saison ne
permirent point aux soldats déjà très fatigués, d'opérer ce mou-
vement avec toute la célérité désirable. Le lendemain matin le
général Murray qui s'était transporté sur les lieux, eut le temps
de faire retirer ses troupes du Cap-Rouge en sacrifiant son
matériel. Se voyant poursuivi de trop près il l'enferma malgré
une fusillade et quelques coups de canon dans l'église de Ste.-
) • -If
IIISTOIHG UU CANADA.
345
Foy, y fit mettre le feu et opéra sa retraite vers la ville, laissant
encore plusieurs pièces do campagne entre les mains des Fran-
çais, et le général do Levis maître d'un champ de bataille qu'il
aurait pu avoir beaucoup de peine à obtenir.
Les cavaliers français suivirent le louvement rétrograde de
Murray, escarmouchant avec son arr- /e-garde jusqu'au moulin
de Dumont, à une demi-lieue des remparts de la ville, où il laissa
un gros détachement avec ordre de ten!r ferme jusqu'à la nuit.
Les troupes françaises se logèrent dans les maisons depuis l'église
jusqu'à ce moulin, occupant un espace de cinq quarts de lieue.
Le temps était toujours affreux, la pluie continuant à tomber par
torrens, ce qui retardait beaucoup la marche de l'armée.
Dans la nuit, les Anglais évacuèrent le moulin, se replièrent
sur les buttes à Neveu et commencèrent à ::'y retrancher. Au
point du jour le général de Levis fit occuper le moulin qui venait
d'être abandonné et les plaines d'Abraham jusqu'au fleuve par
son avant-garde, pour couvrir l'anse du Foulon, où les bâtimens
chargés des vivres, de l'artillerie et des bagages, qui n'avaient pas
effectué leur déchargement à St.-Augustin, avaient reçu ordre de
descendre. Pendant que l'on débarquerait ces effets le 28,
l'armée devait se reposer pour être en état d'attaquer les buttes à
Neveu le lendemain et de rejeter les Anglais dans la place.
Cependant Murray n'avait pas été plutôt rentré dans la ville
qu'il avait résolu, au lieu d'attendre les Français derrière ses
murailles, de se porter en avant avec toutes ses troupes dans l'in-
tention soit de livrer bataille si l'occasion s'en présentait, soit de
se fortifier sur les buttes à Neveu s'ils paraissaient trop nombreux ;
car le rapport d'un de leurs canonniers tombé sur une glace
flottante en débarquant, et recueilli gelé et mourant par des soldats,
ne lui permettait plus de douter que toute l'armée dont il était
menacé depuis si longtemps, arrivait enfin. Il sortit de la
ville le 2S au matin à la tête de toute la garnison,* dont les troupes
de ligne seules, quoique réduites de 490 hommes par les maladies
pendant l'hiver, comptaient encore 7,714 combattans non com-
* " On the 28th April, about 8 o'clock in the morniiig, the whole gairison,
exclusive of the guards. . . . marcliecl out of town with 20 pièces ol' field
artillery." — Manuscrit de Fraser.
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346
HISTOIRE DU CANADA.
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pris les officiers.* Il ne laissa dans la place que les soldais
nécessaires à sa garde et quelques centaines de malades, plus de
mille en convalescence étant venus reprendre volontairement
leurs rangs sous les drapeaux, et il s'avança ainsi avec à-peu-près
six mille hommes et 22 bouches à feu sur deux colonnes.
Le général de Levis qui s'était porté en avant de sa personne
avec son état-major pour reconnaître la position des Anglais sur
les buttes à Neveu, n'eut pas plutôt aperçu ce mouvement qu'il
envoya l'ordre à ses troupes de hâter leur marche pour se rendre
sur les plaines d'Abraham.- Le général anglais ne voyant encore
que la tête de l'armée française d'arrivée, et que cette armée ne
paraissait pas s'attendre à livrer bataille ce jour-là, décida de
l'attaquer immédiatement pendant qu'elle était dans le désordre
• Suivant les ordonnances de paiement pour leur solde expirée le 24 avril,
ou 4 jours avant la 2de bataille d'Abraham, ordonnances dont voici une copie
textuelle pour le 78e régiment (montagnards écossais) :
By the Honble. James Murray, Esq.,
Governor of Québec, etc.
You are hereby required and directed out of such monies as shall coma to
your hands for the subsistence of His Majesty's forces under my command,
to pay or cause to be paid to Liuut. James Henderson, Dy, Paymaster of
His Majesty's 78th Regt. of Foot or his assigns, the sum of two thousand
one hundred and sixty three pounds nineteen shillings and six pence ster-
ling, being for subsistence ot said Régiment between the 24th day of
February and the 24th day of April 1760, both days inclusive, as p. account
annexcd, and for so doing this with the acquittance of the said Lieut. James
Henderson or his assigns shall be to you a sufficient vv'arrant and discharge.
Given under my hand, at Québec, this 27th day of november 1760.
Signed Jas. Murray.
H. T. Cramahe'.
Counters.
To Robert Porter, Esq.,
Dy. Paymaster General.
56 Sergeants @ Is
56 Corporals @ 8d
28 Drumrs. @ 8d
1195 Private @ 6d
diem £2 16 0
" 1 17 4
2 18 8
" 29 17 6
1335
Total for one day 35 9 6
Total for 60 days £2163 19 6
Signed Jas. Henderson,
Lt. and Dy. Paymaster 78th Régiment.
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HISTOIRE DU CANADA.
34.7
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de la marche ; mais il avait affaire à un homme de tête et d'un
sang-froid qu'il était fort difficile de troubler. Il rangea ses troupea
en bataille en avant des buttes à Neveu, sa droite au coteau Ste.-
Geneviève et sa gauche à la falaise qui borde le St.-Laurent, sa
ligne occupant un petit quart de lieu de développement. Quatre
régimens, sous les ordres du colonel Burton, formaient la droite
à cheval sur le chemin de Ste.-Foy ; quatre autres avec les mon-
tagnards écossais, sous les ordres du colonel Fraser, formaient la
gauche à cheval sur le chemin de St.-Louis. Deux bataillons
étaient placés en réserve. Outre ces deux bataillons le flanc
droit de l'armée était couvert par un corps d'infanterie légère
BOUS les ordres du major Dalling ; et le flanc gauche par la com-
pagnie des rangers du capitaine Huzzen et cent volontaires
conduits par le capitaine Macdonald. Le général Murray donna
ensuite l'ordre de marcher en avant.
L'avant-garde française composée de dix compagnies de grena-
diers s'étaient mise en bataille, une partie sur la droite dans une
redoute élevée par les Anglais l'année précédente au levant de
la côte du Foulon, une partie sur la gauche dans le moulin de
Dumont, la maison, la tannerie et les autres bâtimens qui l'envi-
ronnaient, sur le chemin de Ste.-Foy. Le reste de l'armée appre-
nant ce qui se passait avait précipité le pas en se resserrant en
avançant, et les trois brigades de la droite étaient déjà formées
lorsque les Anglais commencèrent l'attaque avec une grande
vivacité, la mitraille de leur nombreuse artillerie poussée rapide-
ment en avant faisant de terribles ravages dans les rangs des
Français, qui n'avaient encore que leurs petites armes pour y
répondre.
Le général Murray sentant l'importance de s'emparer du mou-
lin de Dumont qui couvrait l'issue par laquelle les Français
venant par la chaussée de Ste.-Foy, entraient sur le champ de
bataille, le fit attaquer par des forces supérieures. Il espérait
qu'en écrasant les cinq compagnies de grenadiers qui le défendaient,
il pourrait tomber ensuite au milieu des troupes en marche, les
refouler devant lui et couper l'aile droite engagée sur le chemin
de St.-Louis.
Levis prévenant son dessein, fit retirer sa droite à l'entrée du
bois qui était derrière elle, et abandonner le moulin de Dumont
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34S
niSTOIRE DU CANADA.
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par les grenadiers, qui se replièrent afin d'abréger la distance à
parcourir par les brigades arrivantes. C'est dans ce moment
que le chef de brigade Bourlamarque fut grièvement blessé par
un coup de canon qui tua son cheval sous lui. Les troupes res-
tées sans recevoir d'ordre, voyant les grenadiers engagés dans un
combat furieux et inégal, prirent d'elles-mêmes le parti d'aller
les soutenir et se mirent en ligne au moment où l'ennemi portait
sur ce point une grande partie de ses forces et presque toute son
artillerie ; les canons et les obusiers chargés à boulet et à mitraille,
labouraient l'espace qu'occupait cette aile qui s'ébranla sous le
feu le plus meurtrier. Les grenadiers remarchèrent en avant,
reprirent le moulin après une lutte opiniâtre et s'y maintinrent.
Ces braves soldats, commandés par le capitaine d'Aiguebelles,
périrent presque tous dans cette journée.
Pendant que ces événeraens se passaient à la gauche, le géué-
de Levis faisait reprendre par les troupes de ^a droite la redoute
qu'elles avaient abandonnée pour se replier. Les Canadiens de
la brigade de la Reine qui occupaient cette redoute et le petit bois
de pins sur le bord du cap, reprirent leur terrain et chargèrent
bientôt à leur tour, appuyés par M. de St.-Luc et quelques Sau-
vages. Le combat devint alors non moins violent dans cette
partie de la ligne qu'à la gauche. Toutes les t/oupes étaient arri-
vées, et le feu était des plus vifs des deux côtés. L'on voyait
les milices charger leurs armes couchées, se relever après les
décharges de l'artillerie ennemie et se précipiter en avant pour
fusiller les canonniers sur leurs pièces. Celles de Montréal com-
battaient avec un courage admirable, surtout le bataillon commandé
par le brave colonel Rhéaume, qui fut tué. M. de Repentigny
(|ui commandait cette brigade placée dans le centre de la ligne
française, repoussa plusieurs charges et ralentit par sa fermeté et
la vivacité de oon feu la poursuite des ennemis contre les grena-
diers de la gauche, et ensuite, en les couvrant, leur facilita les
moyens de remarcher en avant ; enfin, cette brigade fut la seule
(pii maintint toujours son terrein pendant cette lutte acharnée.
Cependant l'attaque qui avait mis les Anglais momentanément
en possession des positions occupées par l'avant-garde des Fran-
çais au commencement de la bataille, avait été repoussée, et
ceux-ci avaient partout regagné leur terrain. Ainsi le mouve-
HISTOIRE DU CANADA.
349
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ment offensif du général Murray par le chemin de Ste.-Foy se
trouvait échoué, et cet échec allait permettre aux Français d'atta-
quer à leur tour.
Le général de Levis ayant observé que les Anglais avaient affai-
bli leur gauche pour porter de plus grandes forces sur leur droite,
résolut sur-le-champ d'en profiter. Il alla ordonner à ses troupes
de l'aborder à la bayonnelte, et de tâcher de la rejeter du chemin
St.-Louis sur celui de Ste.-Foy, afin de culbuter en la prenant en
flanc toute l'armée anglaise en bas du coteau Ste.-Geneviève et
de lui couper la retraite sur la ville. Le colonel Poularier, mar-
cha en avant à la tête de la brigade Royal-Roussillon, aborda les
Anglais et les traversant de part en part, les mit complètement en
fuite. Dans le même temps leurs troupes légères étaient mises
en déroute, et les fuyards se jetant en avant et en arrière de leur
centre, interrompaient son feu. Levis profita de ce désordre
pour faire charger sa gauche, qui enfonça à son tour la droite de
l'ennemi, la poussa de front devant elle, etla mit dans une déroute
complète.
Alors l'on se mit partout à la poursuite ; mais le peu de dis-
tance qu'il y avait à aller à la ville, et la fuite précipitée des
Anglais ne permirent point de les rejeter sur la rivière St.-
Charles. Le général de Levis aurait pu exécuter son dessein
malgré cela, peut-être, sans un ordre mal rendu par un officier
qu'il chargea d'aller dire à la brigade de la Reine de soutenir la
charge de celle de Royal-Roussillon à la droite, et qui, au lieu de
lui faire faire ce mouvement, la fit placer derrière l'aile gauche.
Sans cette erreur les ennemis auraient été enveloppés, et on leur
aurait vraisemblablement coupé la retraite sur la ville.
Quoiqu'il en soit, ils laissèrent entre les mains des vainqueurs
toute leur artillerie, leurs munitions, les outils qu'ils avaient appor-
tés pour se retrancher et une partie de leurs blessés. Leurs
pertes étaient considérables ; près du quart de leurs soldats avait
été tué ou mis hors de combat. Si les Français moins fatigués,
eussent pu, en les poursuivant toujours avec vigueur, attaquer la
ville avant de lui donner le temps de se reconnaître, elle serait
probablement retombée sous la domination de ses anciens maîtres
(Knox) ; car telle était la confusion qu'ils oublièrent de garnir les
remparts, que les sentinelles abandonnèrent leurs postes, que les
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350
HISTOIRS DU CANADA.
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fuyards allaient se réfugier jusque dans la basse-ville, et que les
portes même restèrent quelque temps ouvertes. Mais il était
impossible d'exiger plus des vainqueurs qu'ils n'avaient fait. Ils
n'avaient pu opposer sur le champ de bataille aux 22 bouches à
feu de l'ennemi que les trois petites pièces de canon qu'ils avaient
fait passer avec peine sur les marais de la Suède. Ils avaient
fait aussi de grandes pertes, ayant été obligés de se former sous
le feu et de rester longtemps dans l'inaction. Ils comptaient cent
quatre officiers tués ou blessés, dont près de moitié Canadiens,
parmi lesquels se trouvaient un chef de brigade, six commandans
de bataillon et le commandant des Sauvages, chiffre qui aurait
dépassé les proportions ordinaires, surtout parmi les réguliers,
comparativement aux simples soldats, si les compagnies, quoique
réduites à une trentaine d'hommes, n'avaient toujours conservé
le môme nombre d'officiers.
Les deux armées étaient à peu près d'égale force sur le champ
de bataille en conséquence des détachemens que Levis avait du
laisser pour la garde de l'artillerie, des bateaux et du pont de la
rivière Jacques Cartier, position importante sur la ligne de retraite
en cas d'échec.
Les Sauvages qui, sauf quelques-uns, n'avaient pris comme la
cavalerie aucune part à l'action, et s'étaient tenus dans le bois en
arrière, se répandirent sur le champ de bataille pendant que les
Français étaient à la poursuite des fuyards, et assommèrent
quantité de blessés anglais, dont l'on trouva ensuite les chevelures
étendues sur les buissons voisins. Aussitôt que le général
de Levis fut informé de ces massacres, il prit les mesuras les plus
vigoureuses pour les faire cesser. Trois mille hommes avaient
été atteints par le feu dans un espace comparativement resserré.
L'eau et la neige qui couvraient encore le sol par endrjit étaient
rougi es de sang que la terre gelée ne pouvait boire, et ces mal-
heureux nageaient dans des mares livides où l'on s'enfonçait
jusqu'à mi-jambe.
Le tr"nsport des blessés prit beaucoup de temps et achevé de
peindre u drame de cette journée. Les blessés franc ais furent
portés à l'hôpital-général, à une assez grande distance par les
détours qu'il fallait faire pour s'y rendre. " Il faudrait une autre
iplume que la tnienne, écrivait une religieuse de cet hôpital à une
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HISTOIRE DU CANADA.
851
coramunauté en France, pour peindre L horreurg que nous
eûmes à voir et à entendre pendant vingt-quatre heures que dura
leur transport, les cris des mourans et la douleur des intéressés.
Il faut dans ces momens une force au-dessus de la nature pour
pouvoir se soutenir sans mourir.
" Après avoir dressé plus de cinq cents lits que nous avions
eus des magasins du roi, il restait encore autant de ces pauvres
malheureux à placer. Nos granges et nos étables en étaient
remplies .... Nous avions dans nos infirmeries soixante-et-
douze officiers dont trente-trois moururent. On ne voyait que
bras et jambes coupés. Pour surcroit d'affliction, le linge nous
n. anqua ; nous fûmes obligées de donner nos draps et nos che-
mises ....
" Il n'en était pas de cette bataille comme de la première ;
nous ne pouvions espérer de secours des hospitalières de Québec,
... les Anglais s'étant emparés de leur maison ainsi que de celles
des Ursulines et des particuliers pour loger leurs blessés qui
étaient encore en plus grand nombre (^'ue les nôtres. 11 noua
vint encore une vingtaine d'officiers des leurs qu'ils n'eurent pas
le temps d'enlever, et dont il fallut aussi se charger . . . ."
Après l'action qui avait duré trois heures, les Français occu-
pèrent les buttes à Neveu, et établirent leur camp dans ces mêmes
plaines où ils venaient de venger si glorieusement leur défaite de
l'année dernière.
Dès le lendemain les travaux du siège furent commencés. Il
fut décidé de couronner, par une parallèle, les hauteurs en face
des trois bastions supérieurs de la ville, et d'y élever des batteries
en attendant l'arrivée de la grosse artillerie et de la poudre que
l'on avait fait demander en France. M. Dupont-Leroy, ingé-
nieur en chef, fut chargé de la direction du siège. Quatre batte-
ries furent successivement établies sur ces buttes, outre une cin-
quième qu'on plaça sur la rive gauche de la rivière St.-Charles
pour prendre le rempart à revers. Les quatre premières coû-
tèrent beaucoup de travail, parce que cheminant sur le roc vif, il
fal'ait apporter la terre d'une grande distance dans des sacs pour
former leurs épaulemens ainsi que ceux des parallèles. Ce ne
fut que le 11 mai qu'elles purent ouvrir leur feu ; mais l'éloigne-
ment et la faiblesse des pièces laissaient peu d'espoir de faire
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352
HISTOmS DU CANADA.
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brèche si le revêtement du rempart avait quelque solidité. D'ail-
leurs le feu de la place était bien supérieur.
En se renfermant dans Québec, le général Murray résolut
d'opposer la plus vigoureuse résistance jusqu'à l'arrivée de la
flotte anglaise, vers laquelle il expédia en toute hâte un vaisseau
pour l'informer de l'arrivée des Français. 11 adressa ces paroles
à ses troupes : " Si la journée du 28 avril a été malheureuse
pour les armes britanniques, les affaires ne sont pas assez déses-
pérées pour ôter tout espoir. Je connais par expérience la bra-
voure des soldats que je commande, et je suis convaincu qu'ils
feront tous leurs efforts pour regagner ce qu'ils ont perdu. Une
flotte est attendue et des renforts nous arrivent. J'invite les offi-
ciers et les soldats à supporter leurs fatigues avec patience, et je
les supplie de s'exposer de bon cœur à tous les périls ; c'est un
devoir qu'ils doivent à leur roi, à leur pays, et qu'ils se doivent
aussi à eux-mêmes."
Il fit ensuite continuer sans relâche les travaux pour augmenter
les fortifications de la ville du côté de la campagne ; il fit ouvrir
de nouvelles embrasures dans les remparts derrière lesquels
campa son armée, fit renforcer le parapet qui les couvrait par un
remblai de fascines et de terre, et y établit près de 140 pièces de
canon, la plupart d'un gros calibre, qu'il prit des batteries du
côté du port devenues inutiles. Les projectiles de cette ligne de
feu formidable labouraient partout les environs du camp français
jusqu'à deux milles de distance. Les assiégeans n'avaient pour
y répondre que 15 bouches à feu, avec lesquelles ils avaient dû
com ncer le siège et qui ne furent en état de tirer, comme on
l'a dit, que le 11 mai. La plus grande partie de ces pièces, d'un
très petit calibre, fut hors de service en très peu de temps, et
bientôt le manque de munitions obligea de ne tirer que 20 coups
par pièce dans les 24 heures. Tout ce que les Français pou-
vaient faire, c'était de garder leurs lignes en attendant les secours
d'Europe. Mais le délai qui s'écoulait faisait craindre chaque
jour davantage pour leur sûreté. De leur côté les assiégés, mal-
gré leurs remparts et leur nombreuse artillerie, n'attendaient de
salut que de l'arrivée de leur flotte avant celle de leurs adver-
saires. Ainsi de part et d'autre la croyance générale était que
la ville resterait au premier drapeau qui paraîtrait dans le port.
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HISTOIRE DU CANADA.
353
Les circonstances étaient telles pour nous, dit Knox, que si la
flotte française fût entrée la première dans le fleuve la place
serait retombée au pouvoir de ses anciens maîtres. Aussi tout
le monde, assiégés et assiégeans, tournait-il avec la plus grande
anxiété les yeux vers le bas du fleuve, d'où chacun espé-
rait voir venir son salut. La puissance sur terre dans cette
contrée lointaine se trouvant ainsi en équilibre, celui qui possé-
dait le sceptre des mers devait, en le déposant dans le plateau,
faire pencher la balance de son côté, et les vastes contrées de la
Nouvelle-France devenaient son glorieux partage.
Le 9 mai une frégate entra dans le port. Telles étaient les
espérances et les craintes des troupes que " nous restâmes, dit
l'écrivain que nous venons de citer, quelque temps en suspens,
n'ayant pas assez d'yeux pour la regarder ; mais nous fûmes
bientôt convaincus qu'elle était anglaise quoiqu'il y eût des
gens parmi nous qui, ayant leurs motifs pour paraître sages, cher-
chaient à tempérer notre joie en soutenant obstinément le con-
traire jusqu'à ce que le vaisseau ayant salué la place de 21 coups
de canon et mis son canot à l'eau, tous les doutes disparurent.
L'on ne peut exprimer l'allégresse qui transporta alors la garni-
son. Officiers et soldats montèrent sur les remparts faisant face
aux Français, et poussèrent pendant plus d'une heure des hou-
ras continuels, en élevant leurs chapeaux en l'air. La ville, le
camp ennemi, le port et les campagnes voisines à plusieurs
lieues de distance, retentirent de nos cris et du roulement de nos
canons ; car le soldat, dans le délire de sa joie, ne se lassa point
de tirer pendant un temps considérable ; enfin, il est impossible
de se faire une idée de notre allégresse si l'on n'a pas souffert les
extrémités d'un siège, et si l'on ne s'est pas vu avec de braves
amis et de braves compatriotes voué à une mort cruelle." Si la
joie était sans borne parmi les assiégés, l'événement qui la cau-
sait devait diminuer dans la même proportion les espérances des
assiégeans. Cependant la frégate qui venait d'arriver pouvait
être un vaisseau isolé, et ils ne voulurent pas encore perdre cou-
rage. Ce ne fut que deux jours après que leurs batteries ouvri-
rent leur feu contre la ville. Le 15, deux autres vaisseaux
anglais entrèrent dans le port. Alors le général de Levis dut se
préparer pour le pire et se décider à lever le siège de peur d'être
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HISTOIRE DU CANADA.
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coupé dans sa ligne de retraite et de perdre ses magasins, car les
ennemis se trouvaient maintenant plus forts sur le fleuve que les
Français, qui n'avaient pour vaisseaux de haut bord que deux
frégates dépourvues d'artillerie et d'équipage, lesquelles furent
prises ou forcées de s'échouer. M. de Vauquelin, qui les com-
mandait tomba les armes à la main et couvert d'honorables bles-
sures au pouvoir de l'ennemi après une lutte de deux heures
soutenue vis-à-vis de la Pointe-aux-Trembles, contre plusieurs
frégates. Presque tous ses officiers furent tués ou blessés ainsi
qu'une grande partie du faible équipage de l'Atalante, à bord de
laquelle il avait arboré son pavillon, qu'il ne voulut point amenai.
L'armée assiégeante décampa dans la nuit du 16 au 17 mai,
après avoir jeté en bas de la falaise du Foulon une partie de
l'artillerie de siège qu'elle ne pouvait emporter. Elle ne fut point
poursuivie dans sa retraite. Ainsi finit cette courte mais auda-
cieuse campagne, qui, proportionnellement au nombre des com-
battans, avait coûté tant de sang «t tant de travaux, et qui avait
achevé d'épuiser les magasins de l'armée. L'on peut dire que
de ce moment la cause française fut définitivement perdue ; perdue
non par le défaut de résolution et de persévérance comme le
prouvaient la longueur et les victoires de cette guerre, mais par
l'abandon absolu de la métropole.
Le général de Levis ne pouvant plus, faute de vivres, tenir ses
troupes réunies, les dispersa dans les campagnes pour leur sub-
sistance. Il laissa 1,500 hommes de la Pointe-aux-Trembles à
Jacques Cartier, sous les ordres de M. Dumas, pour observer la
garnison de Québec. Telle était la situation du Canada du côté
de la mer à la fin de juin.
A l'autre extrémité rien d'important ne s'était encore passé.
Dès le commencement d'avril, M. de Bougainville était allé à
l'île aux Noix prendre le commandement de la frontière du lac
Champlain ; et le capitaine Pouchot, fait prisonnier à Niagara et
qui venait d'être échangé, avait remplacé au fort de Levis M.
Desandrouins appelé à prendre part comme officier du génie à
l'expédition de Québec. Le fort de Levis était bâti dans une île
un peu au-dessous de la Présentation, à la tête des rapides du St.-
Laurent. Après la levée du siège de Québec, 500 hommes
furent envoyés sur la frontière du lac Champlain, et un pareil
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HISTOIRB DU CANADA.
353
nombre à la tête des rapides du St.-Laurent aux ordres du cheva-
lier de la Corne. A cette époque, les forces nui gardaient le
territoire qui restait encore aux Français, étaient réparties comme
suit : 8 à 900 hommes défendaient la tête des rapides du St.-
Laurent au-dessus de Montréal; 1,200 hommes la frontière du
lac Champlain,et 1,500 surveillaient la garnison de Québec. Le
reste des Canadiens, tout étant désormais perdu, avait repris
tristement le chemin de leurs foyers pour y disputer avec le
soldat mourant de faim quelques lambeaux de nourriture. Déci-
més, ruinés par cette longue guerre, ils venaient de perdre leur
dernière espérance en apprenant que non seulement il ne leur
arriverait aucun secours de France, mais que le trésor du
royaume était incapable pour le moment de payer les avances
qu'ils avaient faites au gouvernement, et qu'en conséquence on
était forcé de suspendre le paiement des lettres de change
tirées par le Canada. Le gouverneur et l'intendant les informè-
rent de cette résolution par une circulaire, où ils les assuraient
que les lettres de change tirées en 57 et 58 seraient payées trois
mois après la paix avec intérêt, celles tirées en 59 dans les dix-
huit mois, et que les billets de cai>se ou ordonnances seraient
acquittés aussitôt que les circonstances le permettraient. Cette
nouvelle fut comme un coup de foudre pour ces malheureux, à
qui l'on devait plus de 40,000,000 de francs ; il y en avait à
peine un qui n'était pas créancier de l'état. " Le papier qui
nous reste, écrivit M. de Levis au ministre, est entièremeut
décrédité, et tous les habitans sont dans le désespoir. Ils ont
tout sacrifié paur la conservatio7i du Canada. Ils se trouvent
actuellement ruinés, sans ressources ; nous ne négligeons rien
pour rétablir la confiance." C'est dans celte lettre que le général
français informait le ministre qu'il était hors d'état de tenir la
campagne, que vivres et munitions, tout manquait, que les batail-
lons réguliers n'ayant plus assez d'officiers et de vieux soldats, ne
composaient plus qu'environ 3,100 comlattans,y compris les 900
soldats de la colonie.
Le général de Levis alla inspecter lui-même la frontière du lac
Champlain qu'il fit renforcer d'uu nouveau bataillon, et parcourut
le pays en profitant de la confiance que lui témoignaient les habi-
tans pour ranimer leur zèle et leur courage, calmer leurs alarmes
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356
HIijTOmE DU CANADA.
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Bur le papier du gouvernement, et pour les engager à fournir
des vivres. Il n'y avait plus de poudre que pour un combat, et
les Anglais étaient en campagne avec trois armées nombreuses
marchant sur Montréal, l'une venant de Québec, la seconde du
lac Champlain et la troisième d'Oswégo au pied du lac Ontario.
La première qui s'était mise en mouvement était celle du
général Murray. L'arrivée des trois vaisseaux anglais pendant
que les Français faisaient le siège de leur capitale perdue, fut
suivie le 18 mai de celle de la flotte de lord Colville, qui porta
les forces navales anglaises devant cette ville à six vaisseaux de
ligne et huit frégates ou sloops de guerre ; mais les renforts de
soldats attendus ne parurent que dans le mois de juillet sous les
ordres de lord RoUo. Le 14 de ce mois le général Murray, lais-
sant des forces considérables à Québec, s'embarqua avec une
partie de ses troupes sur une escadrille de trente-deux voiles, deux
à trois cents berges et neuf batteries flottantes, pour remonter le
St.-Laurent. 11 laissa derrière lui le fort Jacques Cartier, que
défendait le marquis d'Albergotti avec 200 hommes, et qui se
rendit dans le mois de septembre au colonel Fraser, venu pour
l'attaquer avec 1000 hommes. A Sorel, Murray fut rejoint par
lord Rollo et deux régimcns. Dans les derniers jours d'août il
n'était encore rendu qu'à Varennes, où, plus circonspect que
jamais depuis la journée du 28 avril, il résolut d'attendre l'arrivée
du général Amherst et du chef de brigade Haviland. Il avait
été informé que le général de Levis avait réuni les détachemens
qui s'étaient repliés depuis Jacques-Cartier pour ne pas être
débordé, et qu'il épiait l'occasion d'attaquer les Anglais séparé-
ment s'il pouvait le faire avec avantage.
St.-Laurent, Murray escarmouchant ça et
mission de quelques paroisses, et en avait brûlé d'autres comme
Sorel, où il y avait un petit camp retranché qu'il n'avait pas jugé
à propos d'attaquer. A Varennes, il fit publier qu'il brûlerait les
villages qui ne rendraient pas les armes, et que les Canadiens qui
étaient entrés dans les bataillons réguliers subiraier»' le sort des
troupes françaises et seraient transportés en France. Les armées
du général Amherst et du brigadier Haviland approchaient alors
de Montréal. Cette menace eut l'effet désiré, et 400 hommes
de la seule paroisse de Boucherville vinrent prêter le serment de
En remontant le
à avait reçu la sou-
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HISTOIRE DU CANADA.
85t
fidélité. De toutes paris les milices voyant tout perdu déposaient
les armes, et les réguliers, laissés sans pain, réduits au désespoir,
désertaient en grand nombre. Le 7 septembre l'armée d'Havi-
land parut, ce qui fut le signal pour le peu d'Indiens qui tenaient
encore pour les Français de les abandonner tout-i-fait.
Haviland était parti le 11 août du fort St.-Frédéric, sur le lac
Champlain, avec 3,500 hommes. Le colonel Bougainville s'était
retiré devant lui, abandonnant successivement l'île aux Noix,
St.-Jean, et les autres petits postes, de m'.nière que l'ennemi
atteignit Longueuil sans coup férir et put donner la main aux
troupes du général Murray.
La principale armée était celle d'Amherst. Ce général arriva
de Schenectady à Oswégo le 9 juillet, avec une partie de ses
forces, et fut rejoint bientôt après par son arrière-garde aux
ordres du chef de brigade Gage. Cette armée, consistant en
11,000 hommes dont 700 Indiens, s'embarqua du 7 au 10 août
pour descendre le St.-Laurent ; elle arriva devant le fort de
Levis, qu'elle investit complètement le 20. Le commandant
Pouchot abandonné des Sauvages, ne restait plus qu'avec 200
hommes, le gros des Français de ce côté étant aux Cèdres sous
les ordres du chevalier de la Corne ; il soutint néanmoins un
siège de six jours ; et ce n'est qu'après avoir repoussé un assaut^
vu ses retranchemens détruits, ses batteries ruinées, tous ses offi-
ciers et le tiers de la garnison tués ou blessés, qu'il voulut bien
se rendre, ayant eu l'honneur d'arrêter avec 200 hommes un«
armée de 11,000 pendant 12 jours.
Le général Amherst se remit en route le 31 août. La des-
cente des rapides était une opération dangereuse, mais cette voie
avait été choisie pour couper toute issue aux Français, qui
avaient parlé de retraiter, s'ils étaient forcés, de Montréal au
Détroit et du Détroit à la Louisiane. Il perdit dans les rapides des
Cèdres 64> berges et 88 hommes, et parvint, le chevalier de la
Corne reculant toujours devant lui, sans autre accident le 6 sep-
tembre à la Chine, où il débarqua à quatre lieues de Montréal,
dont il investit le côté du couchant le soir même. Il avait reçu
on descendant la soumission des populations qui se trouvaient su^
son passage. Les deux autres armées qui l'attendaient, inves-
tirent la ville du côté opposé le 8, et formèrent réunies à la
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35S
HlHTOIHli DU CANADA.
première plus de 17,000 hommes munis d'une artillerie formi-
dable.
Montréal, bâti sur le côté sud do l'île de ce nom, entre ime
montagne et le St.-Laurent, était entourré d'un simple mur de
deux à trois pieds d'épaisseur construit pour en imposer aux
Indiens, et capable seulement de résister aux flèches «t aux
petites armes. Ce mur, protégé par un fossé, était garni de six
à sept petites pièces de canon. Une batterie d'un môme nom-
bre de pièces rongées par la rouille, couronnait une petite émi-
nence dans l'enceinte de la ville. Telles étaient les fortifications
qui couvraient les divers débris de l'armée française réduite avec
les habitans restés sous les drapeaux à 3,000 hommes environ,
outre les 500 soldats placés dans l'île Ste.-Hélène vis-à-vis. On
n'avait plus de vivres que pour quinze jours.
Dans la nuit du 6 au 7 septembre M. de Vaudreuil assembla
im conseil de guerre. L'intendant Bigot y lut un mémoire sur
l'état de la colonie et un projet de capitulation. Tout le monde
fut d'avis qu'il convenait de préférer une capitulation avantageuse
aux peuples et honorable aux troupes à une défense qui ne pou-
vait retarder que de quelques jours la perte du pays ; et le matin
le colonel Bougainville fut chargé d'aller proposer aux ennemis
une suspension d'armes d'un mois. Cette demande ayant été
refusée, il retourna offrir la capitulation dont l'on vient de parler
et qui se composait de 55 articles. Le général Amherst accorda
presque tout ce que l'on demandait, excepté la neutralité perpé-
tuelle des Canadiens et les honneurs de la guerre pour les troupes.
Ce dernier refus blessa profondément le général de Levis, qui
voulut se retirer dans l'île Ste.-Hélène pour s'y défendre jusqu'à
la dernière extrémité, et qui ne posa les armes que sur l'ordre
formel du gouverneur. La capitulation fut signée le 8 sep-
tembre.
Par cet acte célèbre, le Canada passa définitivement au
pouvoir de l'Angleterre. Le libre exercice de la religion catho-
lique fut garanti aux habitans. Les séminaires et les commu-
nautés religieuses de femmes furent maintenus dans la possession
de leurs biens, constitutions et privilèges ; mais le même avantage
fut refusé aux Jésuites, aux Franciscains et aux Sulpiciens jusqu'à
ce que Iç roi d'Angleterre eût fait connaître ses intentions à leur
HISTOIRE DU CANADA.
35»
égard. La môme réserve fut fuite pour les dîmes. Quant aux
lois, usages et coutumes du pays, il fut répondu que les Canadiens
seraient sujets du roi, paroles qui avaient un sens beaucoup plua
étendu que ce peuple ne se l'imaginait alors, et que son ignorance
des institutions représentatives lui fit négliger d'invoquer pour
entrer en possession des droits dont il n'avait pas encore joui, à
savoir : la votation des impôts, la participation à la confection des
lois et le jugement par jury. 11 en fut de môme du 37e article
de la capitulation inséré pour tranquilliser les fortunes particu<
lières, mais dans lequel les seigneurs eurent l'adresse de faire
confirmer la conservation de leurs droits féodaux, nobles et non
nobles ; du moins ces droits paraissent sauvegardés par les termes
dans lesquels l'article est couché.
Les Anglais prirent possession de Montréal le jour môme. Le
gouverneur, M. de Vaudreuil, le général de Levis, les troupes, les
officiers de l'administration civile et militaire s'embarquèrent pour
la France, après qu'on eût expédié l'ordre à M. de Belestre,
commandant du Détroit, où trois ou quatre cents familles cana-
diennes étaient établies, ainsi qu'aux chefs des autres postes qui
se trouvaient dans ces contrées, de les remettre au major Rogers,
fameux partisan, ou aux officiers députés par lui. Il repassa
ainsi en Europe environ 185 officiers, 2,400 artilleurs ou soldats
de terre et de la colonie y compris les blessés et les invalides, et
un peu plus de 500 matelots, domestiques, femmes et enfans ; le
reste, 5 à 600 soldats, canadiens ou français mariés dans le pays
ou qui y avaient pria des terres, ayant abandonné les drapeaux
pour ne pas quitter l'Amérique. Ces chiffires prouvent à la fois
les cruels ravages de cette guerre, la faiblesse des secours envoyés
par la métropole et l'immense supériorité numérique du vain-
queur. Les citoyens les plus marquans abandonnèrent aussi le
pays. L'on encouragea leur émigration, celle des officiers cana-
diens surtout dont l'on désirait se débarrasser, et qui furent
vivement sollicités de passer en France. Le Canada perdit par
cet exil volontaire une population précieuse par l'expérience, par
les lumières et par la connaissance des affaires publiques et
commerciales.
Ainsi au commencement de 1761, la domination française avait
cessé d'existsr dans toute l'étendue du Canada après avoir duré
1.4 !
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360
HISTOIRE DU CANADA.
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un siècle et demi. En quittant cette contrée, M. de Vaudreuil
rendit cet hommage à ses habitans dans une lettre aux ministres
de Louis XV : " Avec ce beau et vaste pays, la France perd
70,000 âmes dont l'espèce est d'autant plus rare que jamais
peuples n'ont été aussi dociles, aussi braves et aussi attachés à
leur prince. Les vexations qu'ils ont éprouvées depuis plusieurs
années, et particulièrement depuis les cinq dernières avant la
reddition de Québec, sans murmurer ni oser faire parvenir
leurs justes plaintes au pied du trône, prouvent assez leur
docilité."
Quant aux troupes, la simple exposition de leurs combats et de
leurs travaux suffit pour faire leur éloge. Jamais la France n'a
eu de soldats plus intrépides ni plus dévoués. Dix faibles batail-
lons, obligés le plus souvent de se recruter dans le pays même
faute de secours d'Europe, eurent à défendre un pays qui s'éten-
dait depuis l'Acadie jusqu'au lac Erié, et à lutter contre le"
troupes dix fois plus nombreuses que les Anglais amenèrent an
combat. Bien peu de ces braves gens revirent leur patrie où
leur dernier général rendit pleine justice à leur mérite. " Ils
ont fait des prodiges de valeur, écrivit-il au .ninistre, ils ont donné,
comme les habitans eux-mêmes, des preuves réitérées, surtout le
28 avril, que la conservation du Canada ue pouvait dépendre ni
de leur zèle ni de leur courage ; et c'est une puite des malheurs
et de la fatalité auxquels depuis quelque temps ce pays était en
butte, que les secouid envoyé? de France ne soient pas arrivés
dans le moment critique. Quelques médiocres qu'ils fussent,
joints au dernier succès, ils auraient déterminé la reprise de
Québec." C'est dans cette dépêche qu'il observait que le gou-
verneur avait mis en usage jusqu'au dernier moment, toutes les
ressources dont la prudence et l'expérience humaines pouvaient
être capables.
Ce général, en rentrant en France, passa à l'armée d'Alle-
magne, où il assista à la bataille de Johannesberg, gagnée en 1762
par le prince de Condé sur le fameux Guillaume de Brunswick.
Après la guerre, il fut nommé au gouvernement de la province
d'Artois, créé maréchal de Freice en 1783, et duc l'année sui-
vante. Il mourut trois ans aprè? à ArraS; où il j'éiuit rendu
pour tenir les états de cette province, qui lui décernèrent de
^m
HISTOIRE DU CANADA.
361
magnifiques obsèques et lui firent ériger un monument dans la
cathédrale de la ville.
Sa conduite en Canada, surtout après la mort de Montcalm,
suffit pour nous donner l'idée la plus avantageuse de ses talens
militaires. Sa présence au combat semblait assurer le succès.
L'on gagna toutes les batailles où il assista ; et nous osons pres-
qu' assurer que s'il eût été à Québec le 13 septembre, le résultat
de cette journée eut été bien différent ; il aurait eu assez
d'influence sur Montcalm pour l'empêcher de combattre avant la
réunion de toutes les troupes. Il était peut-être le seul homme
capable de sauver le pays. Sa prudence du reste Pempêcha
toujours d'entrer dans cjb malheureuses querelles qui désunirent
Vaudreuil et Montcalm, et s'il n'avait pas la vivacité du dernier,
il avait ce qui est beaucoup plus précieux pour commander une
armée, le jugement, la fermeté, le coup-d'œil militaire et enfin le
bonheur de la victoire.
M. de Bourlamarque mourut en 64, gouverneur de la Guade-
loupe. Quant au colonel de Bougainville, chacun sait qu'il prit
une part glorieuse, comme officier supérieur, aux campagnes de
la marine française dans la guerre de la révolution américaine, et
qu'il s'est surtout illustré par son voyage autour du monde et ses
découvertes géographiques.
La nouvelle de la soumission totale du Canada fut accueillie en
Angleterre avec les mêmes démonstrations de joie que celle de
la reddition de Québec. Le roi uonna des gratifications aux offi-
ciers qui apportèrent les dépêches confirmant cet heureux évé-
nement. En France, le gouvernement s'attendait depuis long-
temps à ce qui arrivait, puisqu'il avait envoyé des instructions
pour obtenir les conditions les plus avantageuses en faveur des
colons, premières victimes de ce grand désastre national. Maia
la masse de la nation, qui ignorait à quel état de faiblesse était
réduit tout le (système colonial, fut vivement émue de la perte de
sa plus belle et de sa plus ancienne coL lie ; elle se sentit la
rougeur au front et le remords au cœur en voyant passer sous le
joug étranger 60,000 de ses enfans, parlant la même langue,
vivant sous les mêmes lois qu'elle, et qui s'étaient .acrifiés inu-
tilement depuis sept ans pour éviter une destinée qu'un meil-
leur gouvernement eût conjurée ; elle se contînt néanmoins aux
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36a
HISTOIRE DV CANADA.
yeux de l'univers ; elle chercha un prétexte pour voile'" sa
défaite, et le gouvernement, comme il faisait dans le même temps
pour les Indes en sacrifiant M. de Lally, lui jeta encore pour la
satisfaire de nouvelles victimes dans la personne de fonction-
naires innocena ou d'obcurs prévaricateurs. La plupart des
administrateurs du Canada, eu débarquant en France, furent
livrés à la vindicte publique et traînés devant une commission
judiciaire du Châtelet de Paris.
L'intendant Bigot, comme chef de l'administration des finances
et des subsistances des armées, fut celui qui éprouva le premier
la colère vraie ou simulée du ministère, mais qui était pourtant
bien fondée. Un cri universel s'était élevé contre ce fonction-
naire parmi ceux qui s'intéressaient aux possessions coloniales j
tous les Canadiens, disait-on, sont prêts à déposer des malversa-
tions qui s'étaient commises. Lorsque Bigot se présenta à Ver-
sailles, M. Berryer l'accueillit par des paroles de disgrâces et de
reproches. " C'est vous, lui dit-il, qui avez perdu la colonie.
Vous y avez fait des dépenses énormes ; vous vous êtes permis
le commerce ; votre fortune est immense votre adminis-
tration a été infidèle, elle est coupable." L'intenriant essaya
vainement de se justùer. Disgracié, il se retira à Bordeaux, où,
ayant appris quelques mois après qu'il était question de l'arrêter,
il revint à Paris pour tâcher de conjurer l'orage ; mais toutes les
issues du pouvoir lui furent fernr.ées, et quatre jours après, le 17
novembre 1761, il fut jeté à la Bastille où il resta onze mois
entiers sans communiquer avec personne. En même temps,
vingt autres prévenu, à titre de complices, subirent le môme
sort, et plus de trente furent décrétés de prise de corps comme
contumaces. Le conseil d'état ordonna au Châtelet d'instruire
leur procès criminellement, à eux et à leurs adhérons.
Le gouverneur lui-même, M. de Vaudreuil, n'échappa pas
à la disgrâce de la Bastille, qu'il dut peut-être autant aux insinua-
tions des anciens partisans du général Montcalm qu'à cel'^s plus
perfides encore de Bigot. La procédure de la part du mii.istère
public fut conduite avec la plus grande activité, et dura depuis le
mois de décembre 61 jusqu'à la fin de mars 63. Les accusés
obtinrent en octobre 62 des conseils pour préparer leurs défenses.
Le marquis de Vaudreuil avait gouverné le Canada durant l'épo-
HISTOIRE DU CANADA.
363
que la plus difficile de son histoire, et il avait mis en usage jus-
qu'au dernier moment toutes les ressources dont la prudence et
l'expérience humaines peuvent être capables comme le mandait
l'évêque de Québec au gouvernement.* Il entrait pauvre en
France après avoir servi le roi cinquante-six ans, dont une partie
comme gouverneur des Trois-Rivières et de la Louisiane. Il
avait acquis des plantations dans cette demlôre province, qu'il
avait été obligé de vendre pour soutenir la dignité de son rang en
Canada. Il avait même sacrifié, comme Montcalm et le général
de Levis, ses appointemens pour subvenir aux besoins publics à
la fin de la guerre. Ainsi toute sa fortune, comme il le disait
lui-même, consistait dans l'espérance des bienfaits du roi. Aussi
sa défense fut-elle pleine de dignité. Il ne fit que repousser les
insinuations des vrais coupables, et dédaignant de se justifier lui-
même, il éleva la voix en faveur des otficiers canadiens que Bigot
avait accusés. " Elevé en Canada, il les connaissait, disait-il, et
il soutenait qu'ils étaient presque tous d'une probité aussi éprouvée
que leur valeur. En général, les Canadiens semblent être nés
soldats ; une éducation mâle et toute militaire les endurcit de
bonne heure à la fatigue et au 'langer. Le détail de leurs expé-
ditions, de leurs voyages, de k urs entreprises, de leurs négocia-
tions avec les naturels du pays, offre des miracles de courage,
d'activité, de patience dans la disette, de sang-froid dans le péril,
de docilité aux ordres des généraux, qui ont coûté la vie à plu-
sieurs sans jamais ralentir le zèle des autres. Ces comraan-
dans intrépides, avec une poignée de Canadiens et quelques
guerriers Sauvages, ont souvent déconcerté les projets, ruiné les
préparatifs, ravagé les provinces et battu les troupes des Anglais
huit à dix fois pîus nombreuses que leurs détachemens. Ces
talens, étaient précieux dans un pays dont les frontières étaient
si vastes," e. il terminait en déclarant " qu'il manquerait à ce
qu'il devait à ces généreux guerriers, à l'état et à lui-même, s'il
ne publiait leurs services, leurs talens et Lur innocence." L'on
peut dire aussi, en confirmation de ces paroles, que tous les
officiers canadiens de l'ordre militaire qui restèrent dans le pays
après la capitulation, se trouvèrent beaucoup plus pauvres qu'a-
vant la guerre, et que dans ceux de l'ordre civil, on n'en remarqua
* Lettre de l'évêque de Québec au ministre.
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364
HISTOIRE DU CANADA.
point qui se fussent enrichis, à l'exception du contumace Desche-
naux, secrétaire de l'intendant, et de quelques spéculateurs obs-
curs qui lui servaient d'instrumens, et dont la fortune acquise au
milieu des désastres et de la ruine publique, a attaché à leurs
noms une flétrissure ineifaçable. Enfm, le président de la com-
mission, assisté de vingt-cinq conseillers au Chàtelet, rendit, le
10 décembre 1763, son arrêt contre les accusés. Le marquis
de Vaudreuil, qui mourut l'année suivante moins des suites de
l'âge que des chagrins causés par l'ingratitude du gouvernement,
fut déchargé de l'accusation avec cinq autres. Bigot fut banni à
perpétuité du royaume, et ses biens furent confisqués. Le reste
des accusés fut condamné à des bannissemens, à des confiscations
ou à des restitutions plus ou moins considérables, qui s'élevèrent
en totalité à 11 millions 400 mille francs, ou leur jugement fut
remis jusqu'à plus ample informé.
Il est indubitable que de grandes dilapidations avaient eu lieu ;
mais elles ont été beaucoup exagérées, comme on peut s'en con-
vaincre en comparant les dépenses du Canada à celles des colo-
nies anglaises dans cette guerre. La levée et l'entretien de
7,000 hommes coûtèrent en 1758 au Massachusetts, 180,000 louis
sterling, outre 30,000 louis pour la défense de la frontière, en tout
5,250,000 francs. Dès la première année de la guerre, le
Canada eut une armée aussi nombreuse à nourrir, sans compter
une partie des Acadiens. Cette armée, sans augmenter beau-
coup jusqu'en 1759, eut à faire face aux forces bien supérieures
de l'ennemi, et à se transporter continuellement à de grandes
distances pour les repousser sur différens points d'une frontière
qui s'étendait du golfe St.-Laurent au Mississipi. Les frais de
transport dans l'état où étaient alors les communications, devaient
être énormes. Bientôt aussi la disette des vivres et des mar-
phandises, causée d'une part par la suprématie de l'ennemi sur
les mers, qui interrompait les communications avec la France, et
de l'autre par l'abandon dans lequel resta une partie des terres
par suite de l'enlèvement des habitans pour le service militaire,
vint décupler les dépenses en conséquence de la hausse exorbi-
tante des prix de toutes choses. Aussi ces dépenses montèrent-
elles fort rapidement. De 1,700,000 livres qu'elles étaient en
1749, elles s'élevèrent succesaivement d'année en année à
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>4?
ii
HISTOIRE DU CANADA.
365
:[
2,100,000,2,700,000, 4,900,000, 5,300,000, 4,450,000, 6,]00,-
000, 11,300,000, 19,250,000, 27,900,000, 26,000,000 fr., et pour
les huit premiers mois de 1760 à 13,500,000 ; en tout, à plus de
123 millions.
De cette somme il restait dû par l'état 80 millions, dont 41
millions aux Canadiens : 34 millions en ordonnances et 7 mil-
lions en lettres de change. La créance des Canadiens, immense
pour le pays, fut prcsqu'entièrement perdue. Des marchands et
des officiers de l'armée anglaise achetèrent à vil prix une partie
de ces papiers, en revendirent une portion à des facteurs français
eur la place de Londres pour de l'argent comptant, et ayant
ensuite, par leur influence auprès de leur gouvernement, fait
stipuler au traité de 63 un dédommagement de 3 millions 600
mille francs pour la réduction opérée par la France de la moitié
sur les lettres de change et des trois quarts sur les ordonnances,
réduction qui avait eu l'eflet de faire perdre d'un seul coup 29
millions aux Canadiens sur leurs créances, ces marchands et ces
officiers furent les seuls qui retirèrent quelque profit de ce dédom-
magement. Le papier dont les Canadiens étaient encore nantis
resta longtemps sans valeur ; enfin en 1765, ils furent invités à
en faire la déclaration à des commissaires préposés à cet eflet et
à en laisser des bordereaux entre leurs mains pour être envoyés
en Angleterre.* 1,639 dépôts de bordereaux furent faits, se
montant à une somme considérable ; mais, livrée à l'agiotage,
cette somme fut pesque toute absorbée par des spéculateurs
pour des valeurs nominales. En mars 1766, une nouvelle
convention fut signée entre les agens de France et d'Angleterre
pour liquider ce qui restait du papier du Canada. 11 fut arrêté
qu'il serait soldé en reconnaissances ou contrats de rente à 4^
pour cent d'intérêt, lesquels suivraient, pour le remboursement,
le sort des autres dettes de l'état. De tout cela l'on peut con-
clure, premièrement, que la guerre du Canada n'occasionna pas
cet épuisement de la France auquel ses ministres ont bien voulu
attribuer la plupart de ses malheurs, comme moyen de justifica-
tion sans doute, puisqu'une très petite partie de la dépense fut
* Récapitulation générale des bordereaux ; Registre déposé aux archives
provinciales â Québec.
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366
HISTOIRE DU CANADA.
11, -,
soldée pendant qu'elle avait encore les armes à la main ; et en
second lieu, que l'accusation portée contre les fonctionnaires de
la colonie avait pour objet principalement de faire retomber sur
eux et non sur les ministres, véritables auteurs des désastres, la
responsabilité des événemens et la haine do la nation.
Depuis 58 surtout, la fortune semblait vouloir accabler la
France. Elle n'éprouvait que des revers sur terre et sur mer
dans toutes les parties du monde. Le trésor étant vide, des négo-
ciations furent tentées inutilement avec l'Angleterre. Le duc de
Choiseul, qui venait d'être nommé ministre de la guerre et qui
exerçait réellement les pouvoirs de premier ministre, entraîna
l'Espagne dans les hostilités par le traité de 61, connu sous le
nom de pacte de famille ; mais les désastres militaires et les
malheurs publics ne cessèrent point pour cela de s'accroître ;
l'Espagne perdit Cuba, Manille, douze vaisseaux de ligne et cent
millions de prises ; pour la France il lui restait à peine une
colonie en Amérique ou ailleurs, et elle n'avait rien gagné en
Europe. Grâce à la médiation de la Sardaigne, aux dispositions
pacifiques de lord Bute qui était parvenu à éloigner Pitt d'un
cabinet qu'il ne gouvernait plus, et peut-être aussi à la diversion
sur le Portugal, allié de l'Angleterre, et que l'Espagne et la France
attaquèrent dans la vue d'en faire un objet de compensation, les
préliminaires de la paix furent signés à Fontainebleau le 3
novembre 62 entre les cours de France, d'Espagne et d'Angle-
terre, et la paix définitive à Paris entre ces trois nations et le
Portugal le 10 février suivant. La France céda entre autres
territoires à la Grande-Bretagne le Canada et toutes les îles du
golfe St.-Laurent, eauf les îles St.-Pierre et Miquelon réservées
pour l'usage de ses pécheurs, et à l'Espagne la Louisiane en
échange de la Floride et de la baie de Pensacola qu'elle aban-
donnait aux Anglais, le Mississipi devant former la limite entre
les deux nations. La seule autre stipulation qui regarde le Canada
fut celle par laquelle l'Angleterre déclara que les Canadiens
jouiraient du libre exercice de leur religion. Le silence fut gardé
sur l'article de leurs lois, attendu probaHement qu'en devenant
sujets anglais, ils devenaient participant du pouvoir législatif,
tandis que le catholicisme, frappé alors de réprobation par la
i'I
HISTOIRE DU CANADA.
f^G?
constitution de l'état, avait besoin d'une stipulation expresse pour
devenir un droit.
La Louisiane, qui subissait le sort du Canada, n'avait pas ét6
conquise. Elle avait joui même d'assez de tranquillité pendant
tout le temps de la guerre. Depuis 1731, où nous avons laissé son
histoire, cette contrée qui avait inspiré tant d'espérance, avait
commencé à prospérer. La guerre avec les Natchés qui avait
achevé d'épuiser la compagnie des Indes créée on 1723, l'avait
forcée de remettre huit ans après la Louisiane au roi, qui y avait
rendu le commerce libre,. Ce beau pays, jouissant de plus de
liberté, vit la population, les établissem.ens, le commerce aug-
menter d'abord lentement et ensuite avec plus de rapidité. C'est
alors que l'esprit de changement vint encore planer sur cette
terre à peine habitée, et qui avait déjà subi tant de révolutions
dans son administration. Le gouvernement français voulut réa-
liser le vieux projet formé dans le siècle précédent, d'unir
ensemble le Canada et la Louisiane pour fermer aux Anglais les
régions mystérieuses de l'Ouest, et les retenir sur les bords de
la mer atlantique. Le manque d'habitans, les impossibilités
physiques, les immenses contrées sauvages qui séparaient ces
deux pays, rendirent ce projet inexécutable. Après la paix de
1748 la France sembla s'occuper encore une fois sérieusement
de la colonisation de la Louisiane. Quoique ses mesures ne
fussent pas toujours heureuses, et malgré les fausses notions de
la plupart des administrateurs venus d'Europe pour la gouverner,
malgré aussi les désordres qu'apportaient dans le commerce et
les finances, des émissions imprudentes d'ordonnances et de
papier-monnaie qui tombaient bientôt dans l'agiotage et le dis-
crédit, cette colonie faisait des progrès assez rapides à la faveur
de la paix qui y régnait. Mais le calme dont elle jouissait n'était
qu'un repos trompeur. Au moment où elle croyait avoir atteint
le plus haut degré de prospérité auquel elle fut parvenue depuis
sa fondation, elle se vit tout-à-coup frappée des plus grands mal-
heurs qui puissent atteindre un peuple, la sujétion étrangère et le
partage de son territoire entre différentes nations."
* La Nouvelle-Orléans, quoique située sur la rive gauche du Mississipi,
fut attachée jusqu'au lac Pontchartrain au territoire cédé à l'Espagne.
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368
HISTOIRE nu CANADA.
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Lorsque le gouverneur de cette contrée, M. irAbadle, reçut do
Louis XV, en (M-, l'ordre do communiquer le traité de Paris aux
colons, il en fut si alUigé qu'il mourut de chagrin. Son successeur,
M. Aubry, chargé d'accomplir cette triste mission, laissa passer
du temps. Les Louisianais consternés firent des représentations
en France dans les termes les plus pressans et les plus pathéti-
ques ; et lorsque les Espagnols se présentèrent, en GS, avec leur
chef, Don Antonio d'Ulloa, homme sage et modéré, pour prendre
possession du pays, ils les forcèrent de se rembaniuer, préfendant
qu'on n'avait pas droit de les céder sans leur consentement, et
que d'ailleurs ils n'avaient aucun titre de leur cour. Louis XV
dut alors les faire informer que la cession était irrévocal)lc.
L'année suivante le général espagni>i O'Reilly arriva avec 3,000
hommes. Ils voulurent s'opposer à son débarquement, mais les
magistrats réussirent à les apaiser, et le procureur-général
Lafreniere alla le recevoir et l'assurer de la soumission des habi-
tans. O'Reilly montra d'abord beaucoup de bonté, maintint les
anciennes lois et entraîna la multitude par sa conduite. JNIaiscea
apparences de justice n'avaient pour but que de mieux cacher
ses desseins ou les instructions de sa cour. Il fallut enfin lever le
masque, changer les lois qu'il avait paru d'abord respecter, et
bouleverser toute l'administration intérieure. Lafreniere et les
tribunaux protestèrent contre ces changemens. O'Reilly profita
de cette opposition pour commettre, dit Barbé-Marbois, des
" actes de violence et de férocité qu'il confondait avec ceux d'une
sage fermeté." Il convoqua douze députés du peuple pour fixer
le code de lois. Ces délégués se réunirent chez lui, et l'atten-
daient pour commencer leurs délibérations, lorsque les portes de
la salle s'ouvrirent et O'Reilly parut à la tète d'ime troupe de sol-
dats qui saisissant les députés, les chargèrent de chaînes et les
jetèrent dans les cachots. Six d'entre eux furent fusillés par
ordre de ce gouverneur sanguinaire. Lafreniere, avant de subir
son supplice, protesta de son innocence, et encouragea ses com-
patriotes à mourir avec fermeté. Il chargea Noyan d'envoyer
son écharpe à sa femme pour la remettre à son fils quand il aurait
vingt ans, et commanda lui-même le feu aux soldats, abandonnant
à ses remords le perfide Espagnol qui leur avait tendu un piège
\rV**ir-
M
inSTOITlE DU CANADA.
369
pour lc3 perdre. Les six autres furent envoyés dans les donjons
de Culia.
Tel est l'événement tragi(|ue qui marqua le passage de la Loui-
siane sous une domination étrangère. Il ne resta plus rien à la
France dans l'Amérique du nord (lue quelques rochers nuageux
et stériles répandus sur les bords de la mer de Tcrrcncuve ; der-
nier débris d\m empire écroulé, qui surnageaient sur les flots d'une
mer déjà fatiguée du joug do l'Europe.
" Depuis le traité de Brctigny, dit Sismondi, la France n'avait
point conclu de paix aussi humiliante que celle qu'elle venait de
signer à Paris, pour terminer la guerre de Sept ans. Aujourd'hui
que nous connaissons mieux les vastes et riches pays qu'elle
venait d'abandonner en Amérique, que nous y voyons naître et
grandir des nations puissantes, que ses enfans qui se sont mainte-
nus et qui ont prospéré à Québec, à Montréal cl à la Nouvelle-
Orléans, attestent l'importance des colonies auxquelles elle renon-
çait, cet abandon d'un pays appelé à de si hautes destinées paraît
plus désastreux encore. Toutefois ce n'est point une raison pour
blâmer les ministres qui négocièrent ou qui signèrent la paix do
17G3. Elle était sage, elle était nécessaire, elle était aussi avan-
tageuse que les circonstances pouvaient le permettre. Les Fran-
çais n'avaient réussi dans rien de ce qu'ils s'étaient proposé par
la guerre de Sept ans; ils avaient éprouvé les plus sanglantes
défaites et s'ils s'obstinaient à la guerre, ils avaient tout lieu de
s'attendre à dos revers plus accablans encore ; jamais leurs géné-
raux n'avaient paru plus universellement dépourvus de talens ;
jamais leurs soldats, toujours également braves, n'avaient été
plus pauvres, plus mal tenus, plus soulTrans, n'avaient eu moins
de confiance en leurs chefs, et, en raison de leur mauvaise disci-
pline, moins de confiance en eux-mêmes ; jamais la France
n'avait inspiré moins de crainte à ses ennemis. En implorant
l'assistance de l'Espagne, elle n'avait fait que l'entraîner dans sa
ruine et une campagne de plus pouvait faire perdre à son alliée
ses plus importantes colonies.
" Quelque désastreuse que fut la paix, on n'entrevoit point dans
les mémoires du temps, que la France se sentit huniiliée ; Bachau-
mont semble n'y voir autre chose que le sujet qu'elle fournit aux
370
HISTOIRE DU CANADA.
Ilr
poëtcs pour des vers do fôlicilation et des divcrtisscmenspour les
théâtres. A chaque page on sent, en lisant ses mémoires, à quel
point la France était devenue indiflërente à sa politi(iue, à sa
puissance, à sa gloire. Ceux môme qui prenaient plus d'intérêt
aux alTaires publiques, oubliaient les Français du Canada et de la
Louisiane qui multipliaient en silence dans les bois, qui s'asso-
ciaient avec les Sauvages, mais qui ne fournissaient ni impôt au fisc,
ni soldats aux armées, ni marchandises coloniales au commerce.
Les petits établisscmens pour la poche de la morue, à Saint-
Pierre et à Miquelon, les petites îles de Grenade, de Saint-
V^incent, de la Dominique, de Tabago, cédées à l'Angleterre,
paraissaient aux yeux des armateurs de St.-Malo, de Nantes et
de Bordeaux, beaucoup plus importantes que tout le Canada et
toute l'Acadie.
" D'ailleurs, la nation s'était accoutumée à se séparer toujours
de plus en plus de son gouvernement, en raison môme de ce que
ses écrivains avaient commencé à aborder les études politiques.
C'était l'époque ou la secte des économistes se donnait le plus
de mouvement, depuis que le marquis de Mirabeau avait publié,
en 1755, son Ami des Iwmmes; la secte des encyclopédistes se
montrait plus puissante encore, et la publication de son immense
ouvrage était devenue une affaire d'état ; enfin J. J. Rousseau, qui
déjà, en 1753, avait touché aux bases mômes de la société
humaine dans son Discours sur l'origine de Vinégalité parmi les
hommes, publiait alors VEmilc et le Contrat social ; tous les
esprits étaient en mouvement sur les plus hautes questions de
l'organisation publique, mais les Français n'avaient pu s'en occu-
per sans être frappés de la déraison^ de l'absurdité de leur propre
administration dans toutes ses parties ; de l'exclusion donnée au
tiers-état à tous les grades de l'armée, qui ôtait aux soldats toute
émulation ; des fardeaux accablans de la taille et de la corvée qui
ruinaient les campagnes et empêchaient tout progrès de l'agricul-
ture j de la tyrannie des intendans et des subdélégués dans les
provinces , de la cruauté de la justice criminelle, procédant par
le secret et la torture, et se terminant par des supplices atroces,
souvent non mérités ; du désordre enfin et de la confusion des
finances, où personne ne pouvait plus se reconnaître. C'est
■l '■:
HISTOIRE DU CANADA.
371
ainsi que tous les Français capables de réfléchir et de sentir, tous
ceux qui formaient l'opinion publique s'étaient accoutumés à se
nourrir de l'espérance d'une réforme fondamentale ; ils prenaient
pour la France l'honneur de ses nobles inspirations, et ils laissaient
à son gouvernement, ou plutôt au roi toute la honte de ses revers
conséquence inévitable des fautes dont elle avait à gémir, des
vices de l'homme insouciant, sans honneur et sans désir du bien
qui ne régnait que pour satisfaire à ses appétits grossiers et ceux
de ses maîtresses."*
Il y en eut qui ne virent dans la perte du Canada qu'un
grand pas de lait vers la ruine de cette tyrannie inerte et sensuelle.
La décadence de l'ancien régime monarchique était visible, mais
elle pouvait se prolonger longtemps. Un événement comme
celui qui venait d'arriver en Amérique devait la précipiter, et les
penseurs qui voulaient une réformation complète dans l'organisa-
tion sociale, et qui voulaient appuyer cette régénération sur la
liberté, oublièrent le malheur présent de la nation et r-Tprirent
la foule par des applaudissemens qui profanaient à leui o yeux le
culte sacré de la patrie. Voltaire, retiré à Ferney, célébra le
triomphe des Anglais à Québec par un banquet, non comme le
triomphe de l'Angleterre sur la France, mais comme le triomphe
de la liberté sur le despotisme. Il prévoyait que la perte du
Canada serait la délivrance des colonies anglaises, et par suite
ralTranchissement de toute l'Amérique. Après le banquet, la
compagnie se retira dans une gallerie terminée par un théâtre
élégant où l'on joua le " Patriote insulaire," pièce remplie de sen-
ttmens chaleureux pour la liberté. Voltaire parut lui-même dans
le principal rôle. Après la pièce les fenêtres de la galerie s'ou-
vrirent et l'on vit une cour spacieuse illuminée et ornée de
trophées sauvages. On fit partir un magnifique feu d'artifice au
bruit d'une musique guerrière. L'étoile de St.-George lançait
des fusées au-dessous desquelles on voyait représentée la cataracte
de Niagara, f
* " On ne peut qu'être frappé ici, écrivait !e 21 i'évrier 1765 le ministre
anglais à Paris, du désordre visible des affaires publiques et du déclin de
l'autorité royale." — Raumer, Bertraye, etc.
Histoire des Français.
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372
HISTOIRE DU CANADA.
Ce spectacle singulier donné par un Français a quelque chose
de sinistre. C'est le rire effréné d'une haine plus forte que le
malheur ; mais ce rire effrayant a reçu depuis son explication
dans les bouleversemens et les vengeances à jamais mémorables
de 93. La cause des Canadiens fut vengée dans des flots de
sang. Mais hélas! la France ne pouvait plus rien pour des
enfans abandonnés sur les bords du St.-Laurent ; et un peu plus
tard elle en avait perdu le souvenir.
I I
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LIVKE ONZIEME.
CHAPITRE I.
n *'
DESPOTISME MILITAIRE.— ABOLITION ET RÉTA-
BLISSEMENT DES ANCIENNES LOIS.
. :,,,, U60-1774. , ,,„!,;
Cessation des hostilités ; les Canadiens rentrent dans leurs foyers.— Régime
militaire et loi martiale. — Cession du Canada à l'Angleterre. — Emigration
de Canadiens en France. — Les lois françaises sont abolies et la religion
catholique est seulement toléi-ée. — Le général Murray remplace le
général Amherst. — Etablissement d'un conseil exécutif, législatif et
judiciaire. — Division du Canada en deux districts, et introduction des lois
anglaises. — Murmure des habitans. — Les colons anglais demandent une
chambre élective dont les Canadiens seraient exclus, et accusent de tyran-
, nie le général Murray, qui repasse en Europe. — Soulèvement des Indiens
occidentaux. — Le général Caileton gouverneur, — Il change U conseil. —
Le peuple continue son opposition aux lois nouvelles. — Remontrances. —
Rapports de MM. Yorke, de Grey, Marriott, Wedderburn et Thurlow,
oiRciers de la couronne, sur les grieft des Canadiens. — Rétablissement
des lois françaises. — Nouvelle demande d'un gouvernement représentatif
avec l'exclusion des catholiques. — Pétitions des Canadieus et des Anglais.
.—Le conseil législatif de 74 est établi. , - , .,
Les Canadiens qui n'avaient pas quitté l'armée aprèa le siège de
Québec, l'abandonnèrent tout à fait lors de la capitulation de
Montréal, et la paix la plus profonde régna bientôt dans tout le
pays. L'on ne se serait pas aperçu que l'on sortait d'une longue
et sanglante guerre, si tant de dévastations n'avaient été commises,
surtout dans le gouvernement de Québec, où il ne restait plus
que des ruines et des cendres. Ce district avait été occupé pen-
dant deux ans par des armées hostiles ; la capitale avait été
assiégée deux fois, bombardée et presqu'anéantie ; les environs qui
avaient servi de théâtre à trois batailles portaient toutes les traces
d'une lutte acharnée. Les habitans ruinés, décimés par le feu
sur tant de champs de bataille, ne songèrent plus qu'à se ren-
fermer dans leurs terres pour réparer leurs pertes ; et, s'isolant
n
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\;
374
HISTOIRE DU CANADA.
i S'-
de leurs nouveaux maîtres, ils parurent vouloir à la faveur de leur
régime paroissial, se livrer exclusivement à l'agriculture.
Les vainqueurs s'occupèrent des moyens de mettre en sûreté
leur précieuse conquêit. Le général Amherst fit choix des trou-
pes qui devaient rester pour en faire la garde, et renvoya le reste
on Europe ou dans les autres colonies. Il traita le Canada en
pays barbare sans gouvernement régulier et sans lois. Il le
divisa en trois départemens correspondant aux trois divisions du
régime français et le mit sous la loi martiale. Le général Mur-
ray fut placé à Québec, le général Gage à Montréal et le colonel
Burton aux Trois-Rivières. Le général Amherst revêtu du titre
de gouverneur-général, après avoir laissé ses instructions à ces
gouverneurs particuliers, partit pour New- York.
Murray établit un conseil militaire composé de sept officiers de
l'armée, siégeant deux fois par semaine, pour la décision des
afiaires civiles ou criminelles les plus importantes, se réservant les
autres pour les juger lui-même sans appel, et laissant la connais-
sance des afiaires de police dans les campagnes aux comman-
dans des localités. Le général Gage adoucit un peu ce système.
arbitraire dans les limites de sa juridiction. Il autorisa les capi-
taines de paroisse à terminer les différends qui pourraient surve-
nir entre leurs compatriotes, avec droit d'appel au commandant
militaire du lieu ou à lui-même ; il s'adoucit encore plus tard et
divisa son gouvernement en ^inq arrondissemens, dans chacun
desquels il établit une cour de justice composée au plus de sept
et au moins de cinq officiers de milice, tenant audience tous les
quinze jours, et relevant selon la localité, de l'un des trois conseils
de guerre établis à Montréal, à Varennes, à St.-Sulpice, et formés
d'officiers de l'armée régulière. De toutes ces cours il y avait
appel à lui-môme, par qui, du reste, les sentences en matières
criminelles devaient être confirmées et pouvaient être changées
ou remises totalement. Les Canadiens au moyen de leur; officiers
de milice, se trouvèrent ainsi avoir part à l'administration de la jus-
tice dans le gouvernement de Montréal. Dans celui de Québec,
ils n'y participèrent que par deux hommes de loi tirés de leur
sein, nommés procureurs-généraux ' t commissaires auprès du
tribunal militaire établi dans la capitale, l'un pour la rive gauche,
"iS.
HISTOIRE DU CANADA.
375
et l'autre pour la rive droite du St.-Laurent. Aux Trois-Rivièrea
le même système à-peu-près fut adopté.
Ce régime purement militaire était une violation directe des
capitulations, qui garantissaient aux Canadiens les droits de sujets
anglais, droits par lesquels leurs lois ne pouvaient être changées,
ni leurs personnes soustraites à leurs juges naturels sans leur con-
sentement. Ainsi, lorsqu'ils comptaient jouir d'un gouvernement
légal à l'ombre de la paix, ils virent leurs tribunaux abolis, leurs
juges repoussés, leurs lois méconnues ou mises en oubli et
toute leur organisation sociale entièrement bouleversée pour
faire place à la plus abjecte tyrannie, celle de l'état de siège
et des cours martiales. Rien ne contribua plus à isoler le gou-
vernement de la population que cette conduite répudiée depuis
longtemps du droit public et de l'usage des nations. Ne con-
naissant ni la langue, ni les coutumes, ni le caractère du peuple
conquérant, les Canadiens repoussèrent les juges éperonnés qui
s'élevaient au milieu d'eux sans même offrir le gage de la science,
et sans se plaindre, car ils étaient peu accoutumés à solliciter, ils
arrangeaient leurs différends ensemble ou recouraient à l'aide du
curé et des notables du lieu, dont l'influence augmenta par-là
même dans chaque paroisse. Par un heureux effet des circons-
tances le peuple et le clergé se trouvèrent complètement unis
d'intérêt et de sentiment, et sous le règne de l'épée l'expression
de la morale évangélique devint la loi de cette population ferme-
ment unie par l'instinct de sa conservation. ■ '
Cette organisation militaire qui témoigne de la crainte qu'avait
inspirée la résistance du Canada, fut approuvée par l'Angleterre,
à condition qu'elle^ ne subsisterait que jusqu'au rétablissement de
la paix ; et qu'alors, si le pays lui restait, un gouvernement civil
régulier serait établi. L'on demeura quatre ans sous la loi mar-
tiale. Cette époque est connue dans nos annales sous le nom de
Règne militaire.
Cependant les Canadiens persistaient à croire que la France
ne les abandonnerait pas, et qu'elle se ferait rendre la colonie à la
paix, en donnant, s'il était nécessaire, quelqu'équi valent. Le
clergé qui n'avait pas toujours la même confiance, ne perdant
point de vue ses intérêts dans toutes les éventualités qui pou-
vf '.ent se présenter, rédigea un mémoire sur les affaires religieuses
376
HISTOIRE DU CANADA.
pour être adressé aux ducs de Bedford et de Nivernois pendant
la discussion du traité de paix. Il réclamait la garantie de
l'évêché titulaire et du chapitre de Québec ainsi que celle du
séminaire. " L'évêque titulaire, disait-il, tient ses pouvoirs et sa
juridiction de sa place même ; sitôt qu'il a été confirmé par le
pape, il n'est plus revocable à sa volonté." Il suggérait de faire
élire l'évêque par le chapitre sous le plaiaer du roi comme on
faisait autrefois dans l'éghse et comme l'on fait encore en
Allemagne. ., , ■ ';. .
Le peuple garda le silence sur ses droits.
On ne sait quel fut l'effet de ces réclamations sur l'Angleterre.
Mais après trois longues années passées entre la crainte et l'es-
pérance, les habitans durent se détrompt^' toute-à-làit, et voir leur
destinée fixée à celle de cette puissance par le traité de 63,
qui lui assura la possession du Canada, et détermina une nou-
velle émigration. Les marchands, les hommes de loi, les anciens
fonctionnaires, enfin la plupart des notables qui pouvaient
se trouver encore dans le pays, passèrent en France après avoir
vendu ou même abandonné des biens qui ont été jusqu'à nos
jours un objet de litige entre leurs descendans. Il ne resta dans
les vil'es que quelques rares employés subalternes, quelques arti-
sans, à peine un marchand, et les corps religieux. Cette émi-
gration ne s'étendit point aux campagnes où le sol attachait la
population.
La France, en voyant débarquer sur ses bords ces émigrana
qui ne pouvaient se séparer d'elle, fut touchée de leur dévoûment.
Elle les favorisa, les accusillit dans les administrations, dans la
marine, dans les années ; elle récompensa leur zèle et leur cou-
rage par de hauts grades. Plusieurs furent nommés au gouver-
nement de ses possessions lointaines. M. de Repentigny, 'a't
marquis et plus tard brigadier des armées, fut gouverneur du
Sénégal sur les côtes d'Afrique et de Mahé dans les Indes orien-
tales, où il mourut en 1776. M. Dumas qui avait remplacé M.
de Beaujeu dans le commandement des Canadiens à la bataille
de la Monongahéla, eut le gouver ement des îles de France et
de fiourbon. Un M. de Beaujeu qui s'était déjà distingué en
plusieurs rencontres, accompagna Lapeyrouse comme aide-major-
génértl à la conquête des établissemens de la baie d'Hudson en
HISTOIRE DU CANADA.
377
1782, et fut ensuite un des 80 gentilshommes qui défendirent si
héroïquement la redoute de Bethune contre les républicains
français en 1793. On peut mentionner aussi le marquis de Vil-
leray, capitaine dans les gardes du corps, et M. Juchercau
(Duchesnay), lieutenant-colonel d'artillerie et commandant de la
place de Charleville, où il fut tué dans une sédition populaire en
1792. D'autres servirent avec distinction dans la marine, comme
M. Legardeur, comle de Tilly, MM. Pellegrin, de l'Echelle, La
Corne compagnon d'armes et ami du fameux bailli de SufTren,
qui tous commandèrent avec honneur des vaisseaux français e*
acquirent un nom considéré dans la marine. Le comte de Vau-
drsuil y obtint le grade d'amiral dans la guerre de la révolution
américaine, pendant laquelle il détruisit les établissemens anglais
du Sénégal et rendit cette colonie à sa patrie. Jacques Bedout,
natif de Québec, parvint à celui de contre-amiral. Il était capi-
taine de vaisseau quand, par le combat sous l'île de Croix en
1796, il mérita cet éloge de Fox dans la chambre des communes :
" Le capitaine du Tigre, combattant pour l'honneur de sa patrie,
a rivalisé en mépris pour la mort avec les héros de la Grèce et
de Rome : il a été fait prisonnier, mais couvert de gloire et de
blessures."* Le général (de) Léry, officier avant 1789, et qui
a fait toutes les campagnes de la révolution et de l'empire, com-
mandait en chef le génie à l'armée d'Espagne, où il montra un
talent consommé à la défense de Badajoz qu'il dirigea en per-
tonne. Il gagna à la bataille d'Austerlitz le cordon de grand
oiHcier de la Légion d'honneur, et Napoléon, qui l'avait déjà
nommé baron, lui confia le commandement du génie dans la
campagne de France en 1814. D'autres officiers qui formaient
comme une petite colonie canadienne dans la Touraine, y vécu-
rent d'une pension que leur fit le gouvernement.
Ceux qui restèrent en Canada durent, suivant la promesse de
leur nouvelle métropole, espérer jouir enfin d'un gouvernement
régulier. Quoique l'on eût fini, sous le régime militaire, par
adopter la jurisprudence française et par jugei suivant les lois et
dans la langue du pays, cela n'offrait aucune garantie durable.
Pour faire connaître leurs vœux et prendre la défense de leurs
intérêts, ils envoyèrent des agens à Londres. M. Etienne
* Tableau dea deux Canadas, par M. I. Lebrun.
II.
\
378
HISTOIRE DU CANADA.
Charrest chargé d'agir avec les grands vicaires de Québec au
sujet de l'article du traité de paix qui concernait la religion, écri-
vit plusieurs lettres au comte d'Halifax. Il réclama le maintien
de l'organisation ecclésiastique, le rétablissement du droit français,
se plaignit de la justice militaire, de ses délai?, recommanda le
règlement des ordonnances et autres papiers dus par la France,
la prolongation des délais pour les liquider, délais trop courts
pour les détenteurs Canadiens qui étaient obligés de les vendre à
leur ruine à des marchands qui n'en donnaient que ce qu'ils
voulaient.*
Les agens religieux renouvelaient de leur côté la demande de
la conservation de l'évêché. Ds offraient de loger l'évêque au
séminaire dont il serait le supérieur, et dont les prêtres devenus
chanoines formeraient son chapitre. " C'est un usage universelle-
ment établi, disaient-ils, dans toute église, qu'il n'y a point d'évêque
titulaire sans chapitre."
Le gouvernement tout en faisant ses objections et refusant de
reconnaître l'évêque sans vouloir le troubler pourtant, ne paraissait
pas disposé à montrer beaucoup de rigueur. Il s'occupait alors
de l'organisation d'une administration régulière et permanente,
qui loin d'alléger le fardeau qui pesait sur le pays, devait le rendre
encore plus intolérable. Chaque jour les Canadiens sentaient
davantage toute la grandeur des malheurs de la sujétion étrangère,
et que les sacrifices qu'ils avaient faits n'étaient rien en compa-
raison des souffrances et des humiliations qui se préparaient pour
eux et pour leur postérité. D'abord l'Angleterre voulut répudier
tout ce qui était français, et enlever même aux habitans les avan-
tages naturels qu'offrait l'étendue de leur pays pour établir
leurs enfans. Elle démembra leur territoire. Le Labrador,
depuis la rivière St.-Jean jusqu'à la baie d'Hudson, l'île d'Anti-
costi, l'île de la Magdeleine, furent annexés au gouvernement de
Terreneuve ; les îles St.-Jean et du Cap-Breton, à la Nouvelle-
Ecosse ; les terres des grands lacs aux colonies voisines. Bientôt
encore le Nouveau-Brunswick fut distrait pour prendre le nom
qu'il porte aujourd'hui et une administration particulière.
Du. territoire, l'on passa aux lois ; et le roi, de sa propre auto-
• rJanuàcrits de l'Archevêché de Québec. — Lettres du 16 et du 27 janvier
176^.
^^
HISTOIRE DU CANADA.
370
rite, tout en déclarant qu'il serait convoqué des assemblées
représentatives aussitôt que les circonstances le permettraient,
abolit d'un seul coup toutes les lois anciennes si précises, si
claires, si sages, j: jur y substituer les lois anglaises, amas conlua
d'actes du parlement et de décisions judiciaires enveloppées dans
des formes compliquées et barbares dont la justice n'a pu encore
se débarrasser même en Angleterre, malgré les efforts de ses plus
grands jurisconsultes ; et cette abolition était faite pour assurer la
protection et le bénéfice des lois du royaume à ceux de ses sujets
qui iraient s'établir dans la nouvelle conquête.* C'était renouve-
ler l'attentat contre les Acadiens, s'il est vrai de dire que la
patrie n'est pas dans l'enceinte d'une ville, dans les bornes d'une
province, mais bien dans les affections et les liens de famille, dans
les lois, dans les mœurs et les usages d'un peuple. Personne dans
la Grande-Bretagne n'éleva la voix contre un pareil acte de tyran-
nie, qui privait une population établie de ses lois et de sa pro-
priété, pour une immigration qni n'avait pas encore commencé
et qui n'arriverait peut-être jamais.f L'ordre avait été donné
aussi dans les instructions royalesf d'exiger un serment de fidélité.
M. Goldfrap, sécréta'. e du gouverneur, écrivait encore aux
curés trois ans après, que s'ils refusaient de le prêter, ils devaient
se préparer à sortir du Canada, que c'étaient les commandemens
précis du roi ; les habitans qui négligeraient de souscrire la décla-
ration d'abjuration subiraient le même sort. On voulait encore
faire répudier aux Canadiens le prince de Galles qui se prétendait
roi d'Angleterre sous le nom de Jacques trois, et qu'ils ne connais-
saient pas plus sous un nom que sous l'autre. Murray avait été
en même temps nommé gouverneur-général en remplacement de
lord Amherst repassé en Europe l'année précédente, et qui quoi
qu'absent peut être regardé comme le premier gouverneur anglais
• " Inthis Court (the Superior Court) His Majesty'sChief Justice présides
with power and authority to détermine ail criminal and civil cases agreeable
to the laws of England, and to the ordiiances of this province." — Ordon. du
17 sept. 1764.
■f C'est ce qu'un écrivain osa appeler plus tard un acte de bienfaisance et
de politique : Political Annals of Lower-Canada, being a review ofthe Poli-
tical and Législative History of that province, 4rc., bv a British Settler.—
{M. Fleming, marchand de Montréal.)
t Du 7 décembre 1763.
'M
380
HISTOIRE DU CANADA.
de ce pays, Gage, Murray, Burton et ensuite llaldimand qui
remplaça celui-ci aux Troia-Rivières, promu an gouvernement
de Montréal, n'ayant agi qu'en sous ordre sous lui. Le nouveau
gouverneur, en obéissance à ses instructions, forma un nouveau
conseil, investi conjointement avec lui, des pouvoirs exécutif,
législatif et judiciaire. Il ne lui manquait que le droit d'imposer
des taxes. Ce corps devait être composé des lieutenans gouver-
neurs de Montréal et des Trois-Rivières, du juge en chef, de
l'inspecteur-général des douanes et de huit personnes choi-
sies parmi les habitans les plus considérables. Il n'en prit
qu'un seul du pays, homme obscur et sans influence choisi pour
faire nombre. Une exclusion jalouse et haineuse avait dicté les
instructions de la métropole, et c'est dans ce document funeste
que prit naissance la profonde antipathie de race remarquée do
nos jours par lord'Durham, et qui lui a servi de prétexte pour
recommander le rappel de l'acte de 91, et la réunion de tout le
Canada sous un môme gouvernement, pour noyer tout-à-fait les
Canadiens dans une majorité anglaise.
Ce qui restait du pays subit une nouvelle division, et fut partagé
en deux districts séparés par les rivières St.-Maurice et St.-
François, afin que comme il n'y avait pas de pretestans aux
Trois-Rivières pour faire des magistrats, ceux de Montréal et de
Québec pussent tenir les sessioi.s trimestrielles de cette petite
ville,* parceque malgré les traités, l'on cherchait tant que l'on
pouvait à introduire en Canada la loi qui frappait les Catholiques
d'interdiction politique. Toute l'ancienne administration judi-
ciaire fut en même temps refondue. On érigea une cour supé-
rieure, civile et criminelle, sous le nom de Cour du banc du roi,
et une cour inférieure pour les petites causes dite Cour des
plaidoyers communs, toutes deux calquées sur celles de l'Angle-
terre, et tenues de rendre leurs décisions conformément aux lois
anglaises, excepté seulement dans les causes pendantes entie
Canadiens commencées avant le 1er octobre 17b4. Les juges
devaient" être nommés par la majorité du Conseil et confirmés
par l'Angleterre. Le conseil devait servir lui-même de cour
d'appel sous la révision du Conseil Privé du roi.f
• Procès-verbaux du Conseil Exécutif,
t Proçès-verbaux du Conseil Exécutif.
HISTOIRE DO CANADA.
381
Si les Canadiens accueillirent favorablement les lois criminelles
de leur nouvelle métropole, qu'ils connaissaient déjà un peu, et son
code de commerce calqué en grande partie sur celui de France,
publié sous le grand Colbert, ils repoussèrent universellement les
nouvelles lois civiles, qui n'ont servi qu'à favoriser la centralisa-
lion de la propriété foncière en Angleterre, et il s'éloignèrent des
tribunaux où on les administrait.
Le conseil par qui l'on faisait décréter tous ces changemens,
discuta et passa une fouis d'ordonnances pour régler le cour»
monétaire, obliger les propriétaires à enregistrer les titres primi-
tifs de leurs terres, régler les lettres de change, défendre de laisser
le pays sans permission, fixer l'âge do majorité, statuer sur les
crimes de trahison et félonie, et régler la police.
Il fut question aussi d'organiser une grande lotterie de 10,000 bil-
lets formant en totalité je20,000 pour rebâtir la cathédrale incen-
diée pendant le siège. Pour intéresser les lords de la trésorerie,
rarchevôque de Cantorbery, l'évèque de Londres, la société bibli-
que,* on proposait de leur envoyer une copie d'un projet qui
annonçait assez clairement le dessein de s'emparer des biens
religieux des Canadiens.
En môme temps le bureau du commerce nommait un agent,
M. Kneller, pour administrer ceux des jésuites.
On ne cessait point de surveiller attentivement pendant ce
temps là la population, dont on paraissait redouter beaucoup les
mouvemens. Au commencement de 65, sur la demande pré-
sentée par MM. Amiot et Boisseau, de permettre à leurs com-
patriotes de s'assembler, le conseil n'y consentit qu'à condition,
que deux de ses membres seraient présens avec pouvoir do dis-
soudre la réunion qui ne pourrait avoir lieu qu'à Québec. L'an-
née suivante une pareille demande faite par M. Hertel de Rou-
ville pour les seigneurs de Montréal, ne fut accordée qu'à la
même condition. Le général Burton qui n'en était pas prévenu,
en écrivit aussitôt aux magistrats, qui lui répondirent que tout
était dans l'ordre. En tout cas répliqua le général inquiet, si
vous avez besoin de secours je vous en enverrai immédiatement.f
Rien d'étonnant qu'avec un pareil système de tyrannie et de
• Procés-verbaux du conseil exécutif.
t Procès-verbaux du conseil exécutif.
M
M
m '.
382
HISTOIRE DU CANADA.
bouleversement, on ne tremblât de voir la victime abattue in-
surger de désespoir. L'on aperçut en eiïbt do l'inquiétude dans
les esprits ; des murmures, sourds d'abord, éclatèrent ensuite dana
toutes Ijs classes. Ceux qui connaissaient les Canadiens de tout
temps si soumis aux lois, commencèrent à craindre les suites de
ce mécontentement profond, surtout lorsqu'ils les virent critiquer-
tout haut les actes du gouvernement, et montrer une hardiesse
qu'on ne leur avait jamais vue. Le général Murray, quoique
sévère, était un homme honorable et qui avait un bon cœur. Il
aimait ces Canadiens dociles à l'autorité comme de vieux soldats,
dont la plus grande partie avai; contracté les habitudes dans les
armées, ces habitans braves au feu et simples dans leurs mœurs,
une sympathie née dans les horreurs de la guerre le portait à
compatir à leur situation, tandis que les réminiscences do son
propre pays, les malheurs de ces belliqueux enfans des montagnes
d'Ecosse si fidèles à leurs anciens princes, augmentaient chez lui
ces sentimens d'humanité qui honorent plus souvent le guerrier
que le politique, réduit à exploiter, la plupart du temps, les préju-
gés populaires les moiiis raisonnables. Le général Murray, pour
tranquiUiser les esprits, rendit une ordonnance portant que dana
les procès relatifs à la tenurc des terres et aux successions, l'on
suivrait les lois et coutumes en usage dans le pays sous la domi-
nation française. C'était revenir à la légalité, car si l'Angleterre
avait le droit de changer les lois, sau? l'agrément des habitans, elle
ne pouvait le faire que par un acte de son parlement ; ce qui fit
dire plus tard à Mazères, en citant la conduite de Guillaume le
conquérant et d'Edouard I relativement à l'Angleterre elle-même
et au pays de Galles, que les lois anglaises n'avaient pas été
légalement introduites en Canada, le roi et le parlement, et non le
roi seul, étant la législature propre de cette colonie, et que par
conséquent les lois françaises y étaient encore en vigueur.*
Là situation de cet administrateur était des plus difficiles. En
face du peuple agreste et militaire qu'il était appelé à gouverner, <
et qui avait plus de franchise que de souplesse dans l'expression
" • A plan for settling the laws nnd Ihe administration of Justice in the
province of Québec," précédé de •' A view of the civil government and
administration of Justice in the^ province of Canada while it was subject to
the crown of France," par Mazères, Manuscrit,
HISTOIRE DU CANADA.
383
i
:to
de ses scntlmcns, il était obligé d'agir avec un entourage de fonc-
tionnaires qui le faisait rougir chaque jour. Une nuée d'aventu-
riers, d'intrigans, de valets, s'était abattue si r le Canada à la
suite des trou])e.s anglaises et de la capitui ilion do Montréal.'
Des marcliands d'une réputation suspecte, des cabaretiers com-
posaient la classe lu plus nombreuse. Les hommes probes et
honorables formaient l'exception. C'est avec ces instrumena
qu'il était chargé de dénationaliser le pays, et d'établir des
lois et des institutions nouvelles à la place des anciennes j
de répéter enfin en Canada ce qu'on avait faii en Irlande, éloi-
gner les natifs du gouvernement pour les remplacer par des
hommes inconnus. Il s'était déjà aperçu que ce projet était
impossible, et il avait dû s'en écarter. Pour se conformer néan-
moins à ses instructions, il convoqua les représentans du peuple
en ass-embléc législative pour la forme, car il savait que les mem-
bres canadiens refuseraient de prêter le serment du test comme
catholiques, et il était décidé à ne pas y admettre les protestans
seuls, comme ils le demandaient ; la chambre ne siégea point.
Tous les fonctionnaires publics, les juges, lesjurc^ étaient Anglais
et protestans. Les protestans voulurent même (aire exécuter les
lois qui avaient été décrétées contre les catholiques en Angle-
terre. " Ils formulèrent, dit lord Thurlow, un acte d'accusation
générale contre tous les habitans de la colonie parce qu'ils étaient
papistes." Les capitulations et les traités garantissaient le libre
exercice de la religion catholique. Les armes n'avaieiit été
posées qu'à cette condition expresse ; et ils voulaient n'accorder
aux Canadiens qu'une simple tolérance comme celle des catho-
liques en Angleterre, tolérance dont ils auraient joui quand bien
même il n'y aurait eu aucune stipulation ; et sous prétexte do
religion, ils 'urent exclus des charges publiques.
Oii voulut aller encore plus loin. Une Université d'Angle-
terre proposa le système suivant pour l'affaiblissement du culte
romain : " Ne parler jamais contre le papisme en public, mais le
miner sourdement ; engager les personnes du sexe à épouser des
protestans ; ne point disputer avec Ips gens d'église et se défier
des Jésuites et des Sulpiciens ; ne pas presser le serment d'al-
légeance, appât auquel la lie seule du clergé mordait; réduire
• Dépêches de Murray.
384
HISTOIRE DU CANADA.
l'évêquo à l'indigence ; fomenter la division entre lui et les prê-
tres ; exclure les Eu/cpéens de l'épiscopat ainsi que les naturels
du pays qui avaient du mérite et qui pourraient maintenir les
anciennes idées ^ si on conservait un collège, en exclure les
Jésuites et les Sulpiciens, les Européens et ceux qui auraient
étudié sous eux, afin que sans secours étra.iger le papisme
s'er^evelît sous ses propres ruines ; rendre les cérémonies reli-
gieuses qui frappent le peuple ridicules ; empêcher les cathé-
chismes ; faire grand cas de ceux qui ne feraient aucune instruc-
tion au peuple; les entraîner au plaisir et les dégoûter d'entendre
les confessions ; louer les curés luxueux, leur table, leurs équi-
pages, leurs divertissemens, excuser leur intempérance, les porter
à violer le célibat qui en imposait aux simples, tourner les pré-
dicateurs en ridicule."
Le chapelain de la garnison qui était le ministre des protestang
de Québec, parlant d'une manière plus précise qu'on ne l'avait
fait jusque là, voulut engager formellement le conseil à prendre
possession de l'évéché catholique pour l'évêque de Londres,
avec toutes les propriétés qui en dépendaient, et de lui en donner
la jouissance à lui et à ses successeurs. Quant aux biens des
Bociétés religieuses, les lords de la trésorerie devant cet appât qui
les tentait toujours, écrivaient au receveur-général Mills dans
leurs instructions de 1765 : que vu que leurs terres particulière-
ment celles des Jésuites faisaient ou allaient faire partie du
revenu de la couronne, il tachât par arrangement conclu avec les
personnes intéressées, d'en prendre possession en leur accordant
telle pension viagère qu'il jugerait convenable, et qu'il eût soin
que les terres n'échappassent point au roi par séquestration ou
aliénation.
L'inauguration du nouveau système fit surgir une légion
d'hommes de lois et de suppôts de cours comme de dessous terre.
Inconnus des Canadiens, ils se plaçaient aux abords des tribu-
naux pour attirer les regards des plaideurs. C'était le système
préconisé comme propre à anglifier le pays et à le rendre britan-
nique de fait comme de nom. Le général Murray, dégoûté de
la tâche dont on l'avait chargé, ne put dissimuler sa mauvaise
humeur au ministère. " Le gouvernement civil établi, dit-il, il
fallut faire des magistrats et prendre des jurés parmi quatre cent
^m
HISTOIRE DU CANADA.
385
cinquante commerçans, artisans et fermierg méprisables, princi-
palement par leur ignorance. Il ne sérail pas raisonnable do
supposer qu'ils résistèrent à l'enivrement du pouvoir mis entre
leurs mains contre leur attente, et qu'ils ne s'empressèrent pas
de faire voir combien ils étaient habiles à l'exercer. Ils haïs-
saient la noblesse canadien ,ie, à cause dosa naissance, et parce
qu'elle avait des titres à leur respect : ils détestaient les habitans,
parce qu'ils les voyaient soustraits à l'oppression dont ils les
avaient menacés." La représentation des grands jurés de Qué-
bec, tous Anglais et protestans, que les catholiques étaient une
nuisance à cause de leur religion, confirme pleinement la vérité
de ces observations. Le mauvais choix des fonctionnaires
envoyés d'Europe ne faisait qu'augmenter les inquétiidcs.
C'étaient, comme on l'a dit, des gens sans mœurs et sans talens.
Le juge en chef Gregory tiré du fond d'une prison pour être placé
à la tôle de la justice, ignorait le droit civil et la langue française.
Le procureur-général n'était guère mieux qualifié. Les places
de secrétaire provincial, de greffier du conseil, de régistrateur,
de prévôt-maréchal, furent données à des favoris, qui les louèrent
aux plus ofTrans ! Enfin l'Angleterre semblait avoir pris plaisir
à choisir ce qu'il y avait de plus vil ou de plus incapable pour
inaugurer le système qui devait changer la face du Canada, ou
' peut-être ne l'avait-elle fait que parce qu'elle n'avait pu trouver
d'hommes plus instruits et plus honorables qui voulussent se
charger d'une pareille mission.
, Le gouverneur fut bientôt obligé de suspendre le juge en chef
de ses fonctions, et de le renvoyer en Angleterre. Un chirurgien
de la garnison et un capitaine en retraite étaient juges des plai-
doyers communs, cumulant avec cela plusieurs autres charges
qui portaient leurs appointemens à un chiffre considérable.
Malgré toutes les concessions faites à leurs prétentions, ces
étrangers avides n'étaient pas encore satisfaits ; ils voulaient avoir
un gouvernement représentatif, pour posséder dans toute leur
plénitude ces droits qu'ils tenaient de leur naissance disaient-ils,
et qu'ils portaient avec eux partout où ils allaient. Mais tout en
accusant le système existant de despotisme, ils ne voulaient pas
laisser les Canadiens profiter des avantages qu'ils réclamaient
avec tant d'impatience pour eux-mêmes. Ils voulaient être seuls
• fi
1 'êi.
386
HISTOIRE DU CANADA.
ék leurs et seuls éligibles en vertu de la loi anglaise qui frappait
les catholiques a'interdiction politique. Les plus modérés môme
croyaient que cette loi était en force à Québec comme à Londres,
regardant la reconnaissance du catholicisme dans le traité de
Versailles comme une de ces conventions illusoires qu'on viole sans
déshonneur. Ceux qui en savaient plus long voulaient profiter des
préjugés do l'Angleterre pour faire mettre tout simplement les
traités de coté et faire du Canada une nouvelle Irlande. Cette
doctrine aurait beaucoup empiré la situation des Canadiens, déjà
assez triste ; mais la dill'ércnce des temps, des lieux, des clr 'cons-
tances ne permettait plus guère cette politique aventureuse et
funeste. N'espérant donc \. at influencer assez le général
Murray pour le porter à favoriser leurs vues exclusives, ils por-
tèrent à Londres des accusations contre son administration, et
excitèrent des disSentions dans la colonie, où l'on vit tout-à-coup
le? villes remplies de trouble et de confusion, et les gouvernans et
leurs partisans se quereller entre eUx. Murray fut accusé de
favoriser le parti miUtaire, et excités par ses ennemis, les mar-
chands de Londres présentèrent une pétition au Bureau du
Commerce contre son administration et en faveur d'une chambre
élective. Les choses en vinrent au point qu'il fallut le rappeler
en le sacrifiant plutôt à la sympathie qu'il semblait porter aux
Canadiens qu'à des abus de pouvoir. Il repondit au conseil qui
lui présenta une adresse à l'occasion de son départ ; " qu'il espé-
rait que le gouvernement de son successeur ne serait pas troublé
par les ressentimens contre les auteurs des injustes calomnies
qu'on avait entassées contre lui-même." Repassé à Londres, il
n'eut besoin que de mettre devant les ministres le recensement
qu'il avait fait faire de la population en 65, pour démontrer l'ab-
surdité d'exclure les catholiques du gouvernement, puisque d'après
ce recensement il n'y avait que 500 protestans sur 69,275 habi-
tans.* Le comité du conseil privé du roi, chargé de conduire
l'investigation, lit rapport en 67 que les charges portées contre
lui étaient mal fondées ; mais son acquittement ne le fit point
revenir en Canada.
• Il n'y avait que 36 familles protestantes dans les campagnes. En 1765,
il n'y avait que 136 protestans dans le district de Montréal; Etat officiel
dretsé sur les rapports des Juges de Paix déposé aux archives provinciales.
HISTOIRE DU CANADA.
387
■4
C'est sous l'administration du général Murray que les Indiens
occidentaux cherchèrent à se soulever. Les Français étaient à
peine sortis de l'Amérique que ces peuplades barbares avaient
senti toute la force de l'oh%!rvation qui leur avait été faite tant
fois, qu'elles perdraient leur influence politique et leur indépen-
dance du moment qu'une seule nation européenne dominerait dans
ce continent. Ponthiac, chef outaouais, brave, expérimenté, et
ennemi mortel des Anglais qu'il avait poursuivis avec acharne-
ment durant toute la dernière guerre, forma le projet de les
chasser des bords des lacs, et entraîna dans ' ' vaste complot les
Hurons, les Outaouais, les Chippaouais, les Pouteouatamis et
d'autres tribus que les Anglais avaient négligé de traiter avec la
considération que les Français leur montraient, et que cette
espèce de mépris avait choquées. Il tint le Détroit assiégé
plusieurs mois sans pouvoir le prendre. Il se proposait d'y établir
le siège de sa domination et de former le nœud d'uiae puissante
confédération indienne, qui aurait contenu les blancs au Niagara
et aux Apalaches. Ses alliés s'emparèrent de Michilimackinac
par surprise et en massacrèrent la garnison. Sept à huit postes
anglais, Sandusky, St.-Joseph, Miamis, Presqu'île, Venango, tom-
bèrent entre les mains de ces barbaFcs, qui ravagèrent les frontières
de la Pennsylvanie et de la Virginie, et repoussèrent un détache-
ment de troupes à Bloody-Bridge ; deux mille personnes furent
massacrées ou emmenées en captivité par ces barbares ; un aussi
grand nombre furent obligés d'abandonner les frontières pour aller
chercher un lieu de sûreté dans l'intérieur. Mais le projet de
Ponthiac était trop vaste pour ses forces. Les confédérés, battus
à Bushy-Run par le colonel Bouquet, éprouvèrent encore d'autres
échecs qui les obligèrent à faire la paix à Osvvégo en 66, avant
l'arrivée des 600 Canadiens que le général Murray envoyait au
secours de leurs compatriotes du Détroit. Ponthiac se retira aveo
sa famille dans l'intérieur. En 69 il vint aux Illinois. 11 régnait
alors beaucoup d'agitation parmi les Indiens. Les Anglais soup-
çonnant les intentions de ce chef célèbre, un de leurs coureurs
de bois nommé Williamson le fit assassiner dans la forôt de
Cahokia vis-à-vis de St.-Louis.*
■m
î ei •
• Historyof the ConspiracyofPontiac andthe war ol" the North Americaa
tribes agaiast the English colonies after the conquest of Canada, by Francis
Parkman, jr., Boston 1851.
388
HISTOIRE DU CANADA.
C'est 60U3 l'administration de Murray que fut introduite la
première presse et que fut commencée la publication du premier
journal qu'on ait vus en Canada. La Gazette de Quibec, qui
subsiste encore, parut pour la premi#e fois en langue française
et anglaise le 21 juin 1764, soutenue par 150 abonnés dont moitié
canadiens. Timide à son berceau, cette feuille se permit rare-
ment pendant longtemps des observations sur la politique du jour ;
elle se bornait à recueillir les nouvelles étra igères, à noter les
principaux événemens et à garder un silence de commande sur
rout le reste, ce qui fait qu'on y cherche en vain un reflet de l'o-
pinion publique dans tout le reste du dernier siècle.
Et pourtant il se passait alors dans le parlement de la Grande-
Bretagne une loi qui devait avoir un immense retentissement et
finir par armer toute l'Amérique septentrionale. Il s'agissait de
taxer les colonies sans leur consentement. L'Angleterre, prétex-
tant l'augmentation de la dette nationale par suite de la dernière
guerre, voulut saisir cette occasion pour passer l'acte du timbre,
et faire admettre le principe par ses sujets américains. Toutes
les anciennes colonies protestèrent ; le Canada et la Nouvelle-
Ecosse gardèrent seuls le silence ou ne firent qu'une résistance
passive.
Le Canada était plus alors occupé de l'arrivée lu nouvel évêque,
M. Jean Olivier Briand, que de la prétention i institutionnelle
de la Grande-Bretagne. M. de Pontbriand, son prédécesseur, était
mort à Montréal en 1760. Dans le bruit des armes cet événe-
ment était passé inaperçu. Le chapitre de Québec voulut élire,
pour le remplacer trois ans après, M. Montgolfier, frère du célèbre
inventeur du balon, et supérieur du séminaire de St.-Sulpice de
Montréal. Jlais le gouvernement ayant fait des objections à sa
nomination, soit parcequ'il n'était pas né en Canada ou parce-
que ses scntimens étaient trop vifs pour la France, il renonça à
cette charge par une déclaration qu'il donna à Québec l'année
suivante, et indiqua M. Briand, chanoine et grand-vicaire du
du diocèse, pour remplir le siège épiscopal, auquel d'ailleurs sem-
blaient l'appeler ses lumière'9 et ses vertus. Cet ecclésiastique
obtint l'agrément de George III en passant à Londres pour aller
se faire sacrer évéque à Paris.
Les difficultéa qui commençaient alors à naître avec lea autres
HISTOIRE nu CANADA.
389
H' 3
colonies, détcrniinèrenl vers ce temps-ci l'Angleterre à suivre une
politique un peu plus libérale. Inquiète de plus en plus de l'agi-
talion qui se manifestait dans la plupart des provinces américaines
et surtout de ce qui venait de se passer en Canada, elle crut
devoir modifier le système qu'elle avait établi dans cette contrée.
Elle changea les principaux fonctionnaires. Le général Carie-
ton y arriva comme lieutenant-gouverneur en 66, avec un nou-
veau juge en chef, M. Hay, et un nouveau procureur-général,
ce dernier fils d'un réfugié français, M. Mazères, qui dut sa nomi-
nation à un trait qu'un ami avait raconté de lui au ministre, lord
Shelburne, et qui valut à cet avocat célèbre jes faveurs du gou-
vernement le reste de ses jours.* Le nouveau gouverneur prit
les rênes de l'administration des mains du conseiller Irving, qui
les tenait depuis le départ du général Murray, quelques semaines
auparavant ; et l'un de ses premiers actes fut de retrancher de
son conseil le même Irving et im autre fonctionnaire, favori de
son prcdécesseur.f II négligea pareillement plusieurs autres
anciens membres, qui crurent devoir faire des représentations
sans pouvoir le rendre pour cela moins dédaigneux dans ses
paroles que dans sa conduite. Il leur répondit qu'il consulterait
ceux qu'il croirait capable de lui donner les meilleurs avis ; qu'il
prendrait l'opinion des amis de la vérité, de la franchise, de
l'équité, du bons sens, bien qu'ils ne fussent pas du conseil, des
hommes enfin qui préféraient le bien du roi et de ses sujets à des
affections désordonnées, à des vues de parti, à des intérêts per-
sonnels, serviles. Les conseillers auxquels s'adressaient ces
insinuations indirectes, mais poignantes, jugèrent à propos de
ployer la tête et de laisser passer l'orage en attendant un temps
plus favorable pour la relever et faire valoir leurs prétentions,
sachant bien que le gouverneur n'est qu'un chef passager dont le
caractère change avec chaque titulaire, tandis que le conseil, avec
un peu de prudence, peut, à la longue, maintenir sa position en
ayant soin seulement de savoir saluer chaque astre nouveau qui
apparaît dans le ciel politique et s'effacer momentanément devant
sa volonté trop décidée.
• Dumont.
f C'était Mabaiie. A peu près dans le même temps un nommé Kluck,
greffier de la Cour des plaidoyers communs était destitué pour extorsion.
Irving était un major. Mabaue un chirurgien de régiment.
H
k
il
390
HISTOIRE DU CANADA^
L'arrivée du général Carleton n'apporta pas immédiatenienl,
comme on Pespérait, de remède à la confusion extrême qui
régnait toujours par suite du régime extraordinaire qu'on laissait
encore subsister. * ,
Tout faibles qu'ils étaient numériquement, les Canadiens res-
taient calmes et fermes dr ^ant l'oppression que leurs ennemis
voulaient toujours faire ^ieser sur eux. On leur avait donné les
lois criminelles anglaises, cette arme défensive, mais puissante de
la liberté ; mais on les administrait dans une langue qu'ils ne
connaissaient pas, et on persistait à leur refuser le droit d'Être
jurés et de remplir des charges publiques sous prétexte dt
nationalité et de religion, n'admettant à cette règle que des excep-
tions fort rares et prouvant au monde que les lois dont on était si
fier devant l'étranger; étaient fondées non sur le sentiment de la
fraternité, mais sur l'égoïsme sectaire et national. En présence
de cet esprit d'exclusion, le peuple en masse continua son oppo-
sition négative, tandis qu'une partie des citoyens les plus notables
avait, dès avant le départ du général Murray, envoyé des repré-
sentations très pressantes au gouvernement à Londres.* Les
Canadiens espéraient que dans une cause aussi sainte qu'était la
leur, ils ne resteraient pas absolument sans amis. En effet, il
s'en présenta pour protester avec eux contre l'asserviesement
auquel on voulait les soumettre. Des Anglais éclairés qui con-
naissaient l'effet démoralisateur de toute violation des règles de
la justice, se réunirent à eux. Leurs plaintes communes, sou-
mises d'abord au Bureau des Plantations, furent ensuite renvoyées
aux procureur et solliciteur-généraux, MM. Yorke et de Grey,
et en attendant leur rapport, l'ordonnance de 64 fut désavouée
et remplacée par une autre qui donnait aux Canadiens le droit
d'être jurés dans les cas spécifiés, et les rendait admissibles au
barreau sous certaines restrictions.
Le travail de MM. Yorke et de Grey fut présenté dans le mois
d'avril 66. Ils reconnurent tous les défauts du système de 64, et
attribuèrent les désordres qui en étaient résultés à deux causes
* Le détail de ces luttes, de ces remontrances, de ces pétitions et contre-
pétitions peut paraître trop minutieux au commun des lecteurs ; mais on
doit se rappeler que nos pères combattaient pour nous comme pour eux-
mêmes, et que leurs efforts, pour améliorer notre destinée, ne doivent point
eortir de notre mémoire.
:îistoire du canada.
391
principales . 1 ). La tentative d'administrer la justice sans le
concours des habitans, dans des formes nouvelles et une langue
qui leur était étrangère, d'où il arrivait que les parties n'enten-
daient rien à ce qui était plaidé et jugé, faute d'avocats pour
conduire leurs causes, de jurés pour décider et de juges parlant
le français pour déclarer qjelle était la loi et prononcer le juge-
ment ; ce qui produisait les maux réels de l'oppression, de l'igno-
rance et de la corruption ; ou, ce qui est presque la môme chose
en matière de gouvernement, le soupçon et la croyance qu'ils
existent. 2o. L'alarme causée par l'interprétation donnée à la
proclamation de 63, que l'intention était d'abolir d'un seul coup
au moyen des juges et autres officiers de justice nouvellement
nommés, les lois et les coutumes du pays, et cela, non pas tant
pour assurer l'avantage des lois anglaises aux nouveaux sujets, et
de protéger d'une manière plus efficace leurs personnes, leurs
biens et leur liberté, qufe pour leur imposer sans nécessité des
règles arbitraires et nouvelles qui avaient l'effist de confondre et
renverser leurs droits au lieu de les maintenir.
Ils approuvaient aussi, avec de légères modifications, le nouveau
système de judicature proposé par les lords-commissaires, sauf
sur un seid point dont nous parlerons tout-à-l'heure. Ce système
consistait à diviser la province en trois départemens judiciaires,
et à établir " une cour de chancellerie, composée du gouverneur
et de son conseil q\^ servirait en même temps de cour d'appel,
dont le conseil à Londres pourrait reviser les jugemens ; une
cour supérieure composée d'un juge en chef et de trois juges
puînés, sachant la langue française, l'un d'eux les lois du pays, et
tous étant tenus de conférer, de temps à autre, avec les avocats
canadiens les plus recommandables," pour se mettre au fait de
l'ancienne jurisprudence.
Après avoir recommandé encoie de nommer quelques Cana-
diens dans la magistrature, les rapporteurs voyant que l'on persis-
tait à retenir les lois anglaises dans la nouvelle organisation,
observèrent que c'était " une maxime reconnue de droit public,
qu'un peuple conquis conserve ses lois jusqu'à ce que le vain-
queur en proclame de nouvelles, et que c'était agir d'une manié 3
oppressive et violente que de changer soudainement les lois et les
usages d'un pays établi : c'est pourquoi les conquérans qui agis-
i-!f!|
: ; Il \
.11;:
39*2
HISTOIRE DU CANADA.
sent avec sagesse, après avoir pourvu à la sûreté de leur domina-
tion, procèdent lentenient et laissent à leurs nouveaux sujets
toutes les coutumes qui sont indifférentes de leur nature, surtout
celles qui régissent la propriété et en assurent l'existence. Il
est d'autant plus essentiel de suivre une pareille politique en
Canada, que c'est, disaient-ils, une grande et ancienne colonie,
établie depuis très long-temps, et améliorée par des Français. . .
On ne pourrait y introduire tout-à-coup les lois anglaises de pro-
priété, avec le mode anglais de transport et d'aliénation, le droit
de succéder et la manière de contracter et d'interpréter les con-
ventions sans une injustice manifeste et sans occasionner la plus
grande confusion. Les Anglais qui achètent des biens dans cette
pro/ince, peuvent et doivent se conformer aux lois qui les régis-
sent comme on fait en certaines parties du royaume et en d'au-
tres possessions de la couronne. Les juges anglais envoyés d'ici
peuvent, à l'aide des gens de lois et des Canadiens éclairés, se
mettre facilement au fait de ces lois, et juger d'après les coutumes
du pays comme on juge d'après la coutume de Normandie les
causes de Jersey et de Guertiesey." Les rapporteurs enfin finis-
saient par suggérer de rétablir les lois civiles françaises en auto-
risant les juges à faire des règles pour la conduite des procédures
dans les différens tribunaux.
Malgré les raisons de haute politique, sans parler de celles de
la justice plus lentement écoutées, qui avaient motivé leurs con-
clusions, les recommandations de ces deux jurisconsultes éminens
restèrent comme celles du Bureau des Plantations pour le moment
sans effet. Les intrigues des gens intéressés au maintien du
nouveau système, et les préjugés d'une grande portion du peuple
anglais contre les habitans de cette colonie à cause de leur double
qualité de Français et de cathodiques formaient des obstacles trop
difficiles à vaincre. Mais la métropole ne pouvait laisser les
choses dans l'état où elles étaient, et elle chargea l'année suivante
le gouverneur de s'enquérir avec l'aide de son conseil de l'adminis-
tration de la justice afin d'indiquer les changemens que deman-
dait vraiment le bien du pays. L'investigation fort longue qui
eut lieu ne fit que signaler de nouveau les nombreux inconvé-
niens du nouveau régime et l'extrême confusion qui continuait
^e règneri puisque les meilleurs jurisconsultes étaient partagés
HISTOIRE DU CANADA.
393
sur la question de savoir quelles lois étaient vraiment en force.
Les recommandations par lesquelles il fallait conclure renouve-
lèrent les embarras des investigateurs, tant la tyrannie qui veut se
voiler du manteau de la justice, a d'obstacles à vaincre lors môme
que sa victime est faible et qu'elle est elle-même suprême et toute-
puissante. L'on revenait toujours à la division de la province
en trois districts ; mais, aprô? avoir suggéré de donner à chacune
de ces divisions un juge avec un assistant canadien pour expli-
quer la loi, sans voix délibérative, un shérif et un procureur
du roi, l'on proposait pour mettre fin à l'incertitude touchant les
lois, quatre modes différens tout en déclarant que l'on était inca-
pable de dire quel était celui qui devait avoir la préfère. :ce :
lo Faire un code nouveau et abolir les lois françaises et anglaises.
2o Rétablir purement et simplement les anciennes lois, en y ajou-
tant les parties du code criminel anglais les plus favorables à la
liberté du sujet. Enfin 3o et Jo établir les lois anglaises seules
avec des exceptions en faveur de quelques-unes des anciennes
coutumes. Le gouverneur ne voulut point approuver ce rapport
et en fit un autre plus conforme aux vœux des Canadiens, dans
lequel il recommanda la conservation des lois criminelles anglaises,
et le rétablissement pur et simple de toutes les lois civiles fran-
çaises en vigueur avant la conquête. Le juge en chef Hey et le
procureur-général Mazères ne partageant pas cette opinion,
firent chacun un rapport à part suggérant de conserver des
anciennes lois toutes celles qui regardaient la tennre, l'aliénation,
le douaire, les successions et la distribution des biens des per-
sonnes mortes sans testament. Ces divers rapports furent trans-
mis en Angleterre avec toutes les pièces justificafives et ren-
voyés en 70 par le conseil d'état à un comité spécial qui, après
avoir délibéré sur ces documens, sur un autre rapport que
lui avaient fait les lords-commissaires en 69, et sur les pétitions
des Canadiens contre l'état de choses actuel, recommanda de
donner tous ces papiers à l'avocat du roi et aux procureur et sol-
liciteur généraux pour dresser un code civil et criminel conve-
nable au paya, en profitant de la présence de son gouverneur en
Angleterre. MM. Marriott, Thurlow et Wedderburne remplissaient
alors ces ditTérentes charges, et passaient pour des hommes
éminena dans la science du droit. Ils présentèrent leur travail
'jHiKl
êl
3M
HISTOIRE nu CANADA.
en 72 et 73, mais ils dilTéraient les uns des autres sur plusieurs
points, tout en concluant a-peu-près do la môme maniiirc, excepté
Marriott qui en était venu à un résultat opposé. Marriott pensait
que l'établissement d'une assemblée représentative était préma-
turé chez un peuple illettré malgré son collège des Jésuites;
qu'il fallait établir un conseil législatif nommé par la couronne et
composé de protestans seuls, et non de protestans et de catholi-
ques ou de Canadiens comme le recommandait le Bureau du
Commerce; que l'on devait conserver aussi le code criminel
anglais, mais permettre l'usage des langues française et anglais?
indifféremment dans lesquelles seraient promulgués toutes les
actes publics ; que par le 36e article de la capitulation de Montréal,
l'xVngleterre s'était obligée de respecter la propriété et les lois sous
la sauve-garde desquelles elle est placée, et que conséquemment
sa tenure et toutes les lois qui la concernaient devaient être
maintenues ; que le silence du traité de Versailles n'annulait
point, suivant lui, la capitulation de Montréal aux yeux du droit
des nations, parce que c'était un pacte national conclu person-
nellement avec les habitans eux-mêmes en considération de la
cessation de toute résistance ; puis tout en reconnaissant ainsi les
titres sur lesquels le Canada s'appuyait, il ajoutait que néanmoins
le parlement impérial avait le droit de changer ces lois, sophisme
par lequel il détruisait tout ce qu'il venait de dire ; que si la
coutume de Paris était maintenue, il fallait l'appeler coutume du
Canada pour effacer de l'esprit des habitans jusqu'aux idées
d'attachement qu'ils pourraient conserver pour la France ; et
que pour celte raison il convenait peut-être d'en changer une
partie afin de l'assimiler aux lois anglaises, tout devant tendre
vers l'anglification et le protestantisme ; que s'il fallait admettre
le culte catholique, on devait en bannir les doctrines et ne pas
lui donner plus de privilèges en Canada qu'il n'en avait en
Angleterre ; qu'il ne devait pas y avoir d'évôque ; que le diocèse
pouvait être gouverné par un grand-vicaire élu par un chapitre
et les curés de paroisses, ou un surintendant ecclésiastique nommé
par le roi, et dont le pouvoir se bornerait à l'ordination des
prêtres ; que toutes les communautés religieuses d'hommes et de
femmes devaient être abolies après l'extinction des membres
actuels, et leurs biens restitués à la couronne pour être employés
HISTOIRE DU CANADA.
995
ail soutien des cultea et à l'éducation de la jeunesse sans distinc-
tion do croyances ; que les cures devaient ôtrc rendues fixes, maig
que le chapitre de Québec devait être maintenu, contre l'opinion
du Bureau de Commerce qui s'était prononcé pour son abolition,
abolition qui eut lieu quelques années après, en 73, sous prétexte
de manque do prêtres au siège de l'évoque, de difficulté d'en
appeler les campagnes pour les assemblées capitulaires, et de
pénurie de la caisse épiscopale privée de ses plus grands revenus
par la conquête. Marriott pensait qu'il fallait conserver le cha-
pitre afin que les canonicats fussent de petites douceurs entre les
mains du gouvernement pour récompenser la fidélité des prêtres
qui montreraient du zèle pourl'Angleterre, les motifs des hommes
dans leurs actions étant l'intérêt et richesse, disait-il, et la consé-
quence, leur dépendance ; que les processions et les autres
pompes religieuses devaient être défendues dans les rues, les biens
du séminaire St.-Sulpice réunis à ceux de la couronne, et les
fêtes abolies, excepté celles de Noël et du Vendredi Saint ; que
les dîmes devaient être payées au receveur-général pour être dis-
tribuées en proportions égales entre les membres du clergé pro-
testant et du clergé catholique qui se conformeraient aux doctrines
de l'église anglicane ; enfin le système de Marriott, c'était le
système de l'Irlande, car la iyrannie s'exerce aussi bien au nom
de la religion que de la nécessité. Les lords-commissaires du
Commerce avaient déjà fait la môme suggestion, en ajoutant que
les églises devaient servir alternativement au culte protestant et
au culte catholique, double emploi auquel Marriott était opposé,
excepté pour les cures des villes à la collation desquelles le géné-
ral Murray avait reçu ordre dans le temps d'admettre les
ministres protestans et entre autres, M. Montmollin, à Québec,
mais ordre que la politique l'avait empêché de mettre à exécution.
Dans ce long rapport, Marriot ne laisse pas échapper un mot,
pas une pensée d'adoucissement pour le sort des Canadiens :
c'est un long cri de proscription contre leurs usages, leurs lois, et
leur religion ; son hostilité n'est contenue en quelques points que
par certaines règles d'expédience et certaines raisons de nécessité,
qu'il ne peut s'empêcher de reconnaître pour le moment, en
attendant toutefois que leur dispensation devienne chose possible
et dès lors chose justifiable.
Iv||l
' -<(
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39r>
lUSTOlRE DU CANADA.
Le Bolliciteur-général Wcddcrbume, depuis cl'-ncelior d'An-
gleterre sous lo nom de lord Loughborough, guidé pnr des princi-
pes d'un ordre plus élevé et plus philosophique, montra aus^i plus
do modération et plus de justice dans ses suggestions. Il s'étendit
Bur la forme du gouvernement et sur la religion des habitans,
parce que l'une et l'autre devaient, nécessairement suivant lui,
exercer une grande influence sur les lois civiles et criminelles qui
seraient données, et tout en déclarant qu'il serait imprudent do
conférer une constitution élective aux Canadiens, il reconnut
qu'ils avaient des droits qu'il fallait respecter, ce qu'on n'avait pas
fait encore, et qu'on devait leur donner un gouvernement équitable.
" Le gouvernement établi après le traité de 63, dit-il, n'est ni
militaire, ni civil ; et il est évident qu'il n'a pas été fait pour durer.
Il faudrait créer un conseil revêtu du pouvoir de faire des ordon-
nances pour le bon gouvernement du pays, mais privé du droit
de taxer, droit que le parlement impérial pourrait se réserver à
lui-même; permettre le libre exercice de la religion catholique
en abolissant dans le temporel de l'Eg'.ise ce qui était incompati-
ble avec la souveraineté et le gouvernement comme la juridiction
ecclésiastique de Home ; rendre les cures fixes, et en donner la
collation au roi ; séculariser les ordres monastiques des hommes
et tolérer ceux des femmes ; conserver le code civil français et la
loi criminelle anglaise avec des modifications ; établir un système
do judicatureà-pcu-près semblable à celui que le conseil canadien
avait recommandé ; enfin, sans négliger entièrement les préjugés
des habitans ainsi que ceux des émigrans anglais, quoique la
bonne politique obligeât de montrer plus d'attention aux premiers,
qu'aux seconds, non seulement parce qu'ils étaient plus nombreux,
mais parce qu'il fi'était pas de ^intérêt de la G-rande-Bretagne
de voir établir beaucoup d'Anglais en Canada, reconnaître aux
Canadiens le droit de jouir de toutes celles de leurs anciennes lois
qui n'étaient pas incompatibles avec les principes du nouveau
gouvernement, vu que leurs propriétés leur étant garanties, les
lois qui les définissaient, les créaient, les modifiaient, devaient
aussi leur être conservées, autrement leurs propriétés so rédui-
raient à la simple possession de ce dont ils pouvaient jouir person-
nellement.
Thurlovv, alors procureur-général et qui a été depuis l'un des
HISTOIRE OU CANADA.
397
chanceliers les plus émincns do l'Angleterre, et, malgré les diffô-
rens reproches qu'on lui fail, l'un de se» juges los plus inilôpcndans,
avait la réputation d'ôtrc en politicpio plutôt conservateur que
libéral, et plutôt hostile (jue favorable aux libertés des colonies.
Il se montra cependant l'ami lo plus gônéretix des Canadiens,
qui n'avaient personne dans la métropole pour les défendre.
Sans faire de recommandations spéciales en leur faveur, il invoqua
des principes plus larges et plus humains qu'aucjn autre homme
d'état anglais. S'appuyant sur cette sage philosophie qui a
distingué les écrivains modernes les plus célèbres, sur cette
philosophie qui a c ibattu le droit do la force et défendu
celui de la raison et t* 'a justice, qui a appelé la sympathie des
hommes sur les opprimés et a haine des générations sur lea
•resseurs, il soutint tout ce qu'il y avait de juste, d'humain, de
politique dans lea suggestions qui avaient été faites depuis 64,
touchant la constitution qu'il convenait de donner au Canada.
Après avoir passé en revue les plans proposés pour le gou-
vernement, la religion et les lois de ce pays, les changemens
qu'on avait voulu introduire, et les opinions contraires qui exis-
taient sur toutes ces questions fondamentales, il déclara qu'igno-
rant de quelle manière le roi avait intention de les régler, il ne
pouvait faire aucune suggestion spéciale ; mais que néanmoins il
se permettrait d'indiquer les principes que l'on devait suivre si
on voulait toucher à ses lois.
" D'après le droit des gens, dit-il, les Canadiens paraissent
avoir celui de jouir de leurs propriétés comme ils en jouissaient
lors de la capitulation et du traité de paix, avec tous les attributs
et incidens de tenure, ainsi que de leur liberté personnelle, toutes
choses pour lesquelles ils doivent s'attendre à la protection de la
couronne.
" Par une conséquence qui semble nécessaire, toutes les lois
qui concernent la création, la définition et la protection de cette
propriété doivent être maintenues. En introduire d autres, ce
serait, comme le disent très bien MM. Yorke et de Groy, tendre
à confondre et renverser les droits au lieu de les maintenir.
" Là où certaines formes de justice civile ont été établies
depuis long temps, les hommes ont eu des occasions fréquentes
de sentir eux-mêmes et d'observer chez les autres la puissance
, ##
398
HISTOIRE DU CANADA.
coercitive de la loi. La force de ces exemples va encore plus
loin ; elle laisse une impression sur les opinions courantes des
hommes, et les arrête dans leurs actions ; ceux qui n'ont jamais
vu d'exemples ou connu les lois d'où ces exemples procèdent,
acquièrent encore une sorte de connaissance traditionnelle des
effets et des conséquences légales de leurs actes, suffisante et en
même temps absolument nécessaire pour les affaires ordinaires
de la vie. Il est facile de concevoir d'après cela quel trouble
infini doit occasionner l'introduction de nouvelles mesures de jus-
tice : le doute et l'incertitude dans les transactions, le désappointe-
ment et les pertes dans le résultat.
" La même observation s'applique avec encore plus de force
aux lois criminelles dans la proportion que l'exemple est plus
frappant et que les conséquences sont plus importantes. La
consternation générale qui résulte d'une sujétion soudaine à un
nouveau système doit durer longtemps malgré le relâchement ou
la douceur du code.
" De ces observations je conclus donc, que de nouveaux sujets
acquis par droit de conquête doivent attendre de la bonté et de la
justice de leur conquérant la conservation de toutes leurs anciennes
ois ; et ils n'ont pas moins, ce semble, raison de l'attendre de sa
sagesse. Il est de l'intérêt du conquérant de laisser ses nouveaux
sujets dans le plus haut degré de tranquillité privée et de sécurité
personnelle comme dans la plus grande persuasion de leur réalité,
sans fournir inutilement des causes de plainte, de mécontentement
et de manque de respect à la nouvelle souveraineté. Le meilleur
moy^n d'assurer la paix et l'ordre, c'est de les laisser dans leurs
habitudes d'obéissance aux lois aux quelles ils sont accoutumés, et
non de les forcer à suivre des lois dont ils n'ont jamais entendu
parler ; et si le vieux syst«ime se trouve plus parfait que tout ce
que l'ingénuité humaine peut espérer d'y substituer, plors la
balance l'emporte entièrement en sa faveur.
" L'on doit d'ailleurs se rappeler que le projet du gouvernement
et des lois du Canada a été conçu par une cour sage, à une épo-
que de calme, exempte de passions particulières et de préjugés
publics. Des principes d'humanité et des vues d'éJat ont présidé
au choix du plan le plus propre au développement d'une colonie
florissante. Ce plan a été perfectionné de temps à autre par la
/-
1 '.*H
HISTOIRE DU CANADA.
399
sagesse et l'expérience des jours qui se succédaient, afin del'em-
pôcher de tomber en décrépitude ou de devenir impropre à l'état
progressif de la province." Cet homme d'état terminait en
ajoutant que, quoique ses observations pussent être considérées
comme justes en général, l'on pouvait néanmoins supposer des
circonstances où les exceptions et les restrictions devenaient
nécessaires, mais les changemens imposés par ces circonstances
ne devaient se faire que pour des raisons d'une nécessité positive
et insurmc^nble que la véritable sagesse ne pouvait négliger ni
mettre en ubli, et non do cette nécessité idéale que des spé-
culateurs ingénieux pouvaient toujours créer par des suppositions
possibles, des inférences incertaines et des argumens forcés; non
de la nécessité d'assimiler un pays conquis, en fait de lois et de
gouvernement, à la métropole ou à d'anciennes provinces que
d'autres accidens ont attachées à l'empire, pour le plaisir de
créer une harmonie, une uniformité dans ses différentes parties
qu'il est, suivant moi, impossible d'atteindre, et qui, d'ailleurs,
serait inutile si l'on y réussissait; non de la nécessité d'ôter
à l'argumentation d'un avocat la faculté d'invoquer les savantes
décisions du parlement de Paris, de peur d'entretenir chez les
Canadiens le souvenir historique de l'origine de leurs lois ; non
de la nécessité de satisfaire les espérances impossibles de cette
poignée d'Anglais dépourvus de tout principe, que les acci-
dens conduisent en Canada et qui croyent trouver là les diffé-
rentes lois des difTérens pays d'où ils viennent; non enfin,
d'aucune de ces espèces de nécessité qu'il avait entendu alléguer
pour abolir les lois et le gouvernement de cette colonie. La
logique pressante et sarcastique de Thurlow aida puissamment la
cause des Canadiens. .
Le conseil d'état fut en possession de tous ces rapports en 73.
Depuis neuf ans l'Angleterre cherchait partout des motifs capables
de justifier aux yeux des nations et de la conscience publique
Tabolition des lois et peut-être de la religion d'un peuple auquel
elle les avait garanties par les traités ; et l'on ne hasarde rien de
trop en disant que la justice et la générosité de l'éloquent plai-
doyer de Thurlow eussent été peine perdu, et que le Canada
serait passé sous la domination d'une poignée d'étrangers, ayant
une religion, une langue, des lois et des usages totalement diffërens
I
m.
400
HISTOIRE DU CANADA.
de ceux de ses habitans, sans l'attitude hostile des autres colonies
qui commençaient à faire craindre à l'Angleterre la perte de toute
l'Amérique du nord.* Cette métropole différa de donner son
dernier mot jusqu'en 74<, alors que la solution pacifique de ses
difficultés avec ces colonies parut plus éloignée et plus probléma-
tique que jararis. La révolution qui sauva les libertés améri-
caines, força ainsi l'Angleterre à laisser aux Canadiens leurs
institutions et leurs lois, en un mot à leur rendre justice, afin
d'avoir au moins une province pour elle dans le Nouveau-Monde.
Depuis quelque temps la patience des Canadiens et la violence
du parti anglais auquel aboutissait par contre coup le choc des
agitations des autres provinces, formaient un contraste qui faisait
réfléchir le cabinet de Londres. Les Anglais remplissaient la
magistrature p les magistrats de Montréal non moins turbulens
que le reste de leurs compatriotes, avaient été accusés dans lo
temps devant le conseil qui les avait sommés de comparaître
devant lui à Québec pour se justifier.
L'un d'eux, le nommé Walker, au lieu de se défendre, avait
été jusqu'à protester contre les actes du gouverneur et de ce con-
seil ; ce qui avait fait dire au procureur-général Suckling qu'une
pareille audace était un crime ; que le protêt était un libelle faux,
scandaleux, séditieux, et qui frappait à la base du gouvernement.
C'est alors que pour consoler un peu les Canadiens l'on sus-
pendit l'exécution des instructions royales qui portaient de chas-
ser du pays tous les habitans qui refuseraient de prêter le ser-
ment d'abjuration. Trois ans plus tard, les ministres revenant
peu à peu sur leurs pas, permirent de concéder des terres en sei-
gneurie.
Le temps arrivait où l'Angleterre mieux éclairée sur ses
intérêts allait annoncer formellement son changement de politique
et faire connaître la voie nouvelle qu'elle entendait suivre dans
l'administration.
Le parti extrême de la proscription en était furieux et poussait
de hautes clameurs. Mazères, de retour à Londres depuis trois
ou quatre ans, était son homme de confiance et son agent. Cet
• Le pamphlétaire Flemming dit : The government consultée! governor
Carleton as to the means of cxciting the zealous coojjeration of ihe leaders
of the French Canadians, when he suggested the restoration of french law."
HISTOIRE DU CANADA.
401
homme dont la famille avait tant souffert du fanatisme religieux
dans son ancienne patrie, consentait à devenir comme Marriott
lui-même l'avocat des prescripteurs canadiens dans sa patrie
adoptive, et pour cela il marchait dans deux voies que l'histoire
n'a pas bien éclaicies. D'une part, dans un rapport qu'il adres-
sait en Angleterre il faisait une revue assez favorable des lois
canadiennes, et dans ses tôte-à-tête avec les agens chargés de les
défendre, il embrassait également leur cause avec chaleur selon
Du Calvet ; de l'autre, les nombreux papiers imprimés sous sa
direction et qui forment plusieurs volumes, nous le montrent
sinon comme entièrement hostile à toutes leurs institutions civiles
et religieuses, du moins -ne peu zélé pour la conservation de
ces conditions essentiel i leur bonheur. Entre ces contra-
dictions quelques personnes instruites cherchant une solution dans
ses volumineux écrits, et surtout dans le Canadian Freelwldcr,
pensent qu'il voulait plutôt amener les fanatiques qu'il servait,
par une chaîne de raisonnemens dont ils ne voyaient pas bien la
conséquence, mais dont ils ne pourraient ensuite se dégager, à un
but souvent opposé à celui qu'ils voulaient atteindre; d'autres,
ennemis de toutes ces circonlocutions, n'y veulent voir que les
allées et venues d'un intrigant. Quoi qu'il en soit, Mazères
informa ceux qu'il représentait de la décision probable du gou-
vernement touchant le Canada. A cette nouvelle, voyant la
tournure que prenaient les affaires, et le désir du roi de s'attacher
les Canadiens pour la lutte qui se préparait en Amérique, les
protestans crurent qu'il était temps de faire des démonstrations
plus vigoureuses, et de demander enfin formellement l'accom-
plissement des promesses de 63, c'est-à-dire l'octroi d'une cons-
titution Hbre. Ils tinrent plusieurs assemblées pour adopter
des pétitions au roi. La première n'était composée que d'une
quarantaine de personnes. Ils nommèrent deux comités,
l'un jiour Québec et l'autre pour Montréal, et invitèrent les
Canadiens à se joindre à eux, ce que ceux-ci déclinèrent de faire
pour de bonnes raisons. En effet, dans tous leurs procédés, ils
ne cessaient point de dissimuler un point capital, la religion. La
chambre que le général Murray avait convoquée en 64, n'avait
pu rien faire parce que les membres canadiens avaient refusé de
prêter le serment du test. Ils croyaient que si le parlement
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1i02
HISTOIRE DU CANADA.
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impérial en accordait une autre les protestana auraient toujours
seuls le droit d'y siéger, attendu que l'inégibilité des catholiques
était une des maximes fondamentales de la constitution anglaise ;
et dans cette conviction la conclusion de leur requête qui gardait
le silence sur cet article n'exposait rien de leurs prétensions.
Mais les catholiques qui connainsaient parfaitement leur pensée
secrète, exigèrent, avant toute chose, que le roi fût formellement
prié d'y admettre sans distinction de religion, les catholiques
comme les protestans. Alors forcés de s'expliquer, ils refusèrent
cette demande, et c'est ce refus qui fut la véritable cause pour
laquelle les Canadiens, qui auraient désiré avoir un gouverne-
ment représentatif, ne voulurent pas les joindre. Quelques-uns
se seraient rendus peut-être ; mais les autres refusèrent absolu-
ment toute concession à cet égard, persuadés plus que jamais,
que le but des pétitionnaires était de soutenir le principe de l'ex-
clusion tout en se prévalant de leurs signatures, prévision que
l'événement justifia, puisque Mazères, parlant ensuite en leur nom,
s'opposa à ce qu'on admit les catholiques dans le conseil législa-
tif établi par l'acte de 74. Après ce refus ils adressèrent leurs
pétitions à M. Cramahé, lieutenant-gouverneur, pour le prier de
convoquer une assemblée des représentans du peuple. Celui-
ci répondit que c'était une question trop importante pour lui ou
pour le conseil à résoudre ; que l'Angleterre allait s'occuper des
affaires canadiennes et qu'il allait transmettre leurs demandes au
ministère.* Les protestans, réduits à agir seuls, firent de nou-
velles représentations qu'ils envoyèrent à leur agent, élevé depuis
son retour à Londres à l'office de Cursitor, baron de l'échiquier,
pour les présenter au roi. Par ces pétitions signées de 148 per-
sonnes seulement, dont trois Canadiens protestans, ils demandaient
en termes généraux la convocation d'une assemblée représenta-
tive de telle forme et manière que le roi jugerait convenable ;
mais en même temps ils en adressaient une autre au comte de
Darmouth, l'un des secrétaires d'état, pour l'engager à s'intéresser
en leur faveur, et l'informer que le conseil et le gouverneur pas-
saient des ordonnances contraires aux lois anglaises ; que le paya
manquait de ministres protestans, que le séminaire de Québec
ouvrait des classes pour l'éducation de la jeunesse, ce qui était
• Procès- verbaux du Conseil Exécutif, 1773.
HISTOIRE DU CANADA.
403
■'Jm
d'autant plus alarmant que les professeurs proteslans en étaient
exclus. Ils écrivirent aussi aux. principaux marchands de
Londres pour les prier de seconder leur démarche. Ils tenaient
tant à leur système d'anglification que, même encore plusieurs
années après en 82, le conseiller Finlay suggérait d'établir des
écoles anglaises dans les paroisses et de défendre l'usage du fran-
çais dans les cours de justice après un certain nombre d'années.
Mazères, sachant que les ministres ne voulaient pas donner
d'assemblée représentative aux catholiques, et qu'ils allaient se
borner pour le moment à un conseil législatif nommé par le roi,
leur suggéra de le former de 31 membres inamovibles, de ne le
faire assembler qu'après convocation publique, de donner aux
membres le droit d'introduire des bills et de voter comme ils l'en-
tendraient, mais non celui d'imposer des taxes, et enfin de n'y
admettre toujours que les protestans.
Tandis que le parti protestant demandait ainsi le sceptre du
pouvoir pour lui, et l'esclavage pour les catholiques, ceux-ci
ne restaient pas oisifs. Ils ne cessaient point par ton les moyens
qu'ils avaient à leur disposition de travailler à détruire les préju-
gés de l'Angleterre contre eux, préjugés que leurs ennemis
cherchaient continuellement à envenimer par leurs écrits et par
leurs discours. Ils avaient aussi les yeux sur ce qui se passait
dans les provinces voisines. Ils ne manquaient pas d'hommes
capables de juger sainement de leur situation et de celle des
intérêts métropolitains dans ce continent, comme le prouve le
mémoire prophétique cité dans le discours placé en tête de cet
ouvrage. Si on s'en rappelle, ce mémoire exposait avec une
grande force de logique, qu'il était nécessaire pour l'Angleterre,
si elle voulait se maintenir en Canada, d'accorder aux habitans
de cette contrée tous les privilèges d'hommes libres ; qu'elle devait
favoriser leur religion et non la détruire, par le moyen sourd,
mais infaillible des exclusions ; et que ce ne serait pas avoir la
liberté d'être catholique que de ne pouvoir l'être sans perdre tout
ce qui pouvait attacher les hommes à la patrie. Ils tinrent des
assemblées et signèrent, dans le mois de décembre 73, une péti-
tion qui s'exprimait en ces termes : " Dans l'année 64, Votre
Majesté daigna faire cesser le gouvernement militaire dans cette
colonie pour y introduire le gouvernement civil. Et dès l'époquo
m
pi'ji*
; \ Il
m
404
HISTOIRE DU CANADA.
de ce changement nous commençâmes à nous apercevoir des
inconvéniens qui résultaient des lois britanniques, qui nous étaient
jusqu'alors inconnues. Nos anciens citoyens, qui avaient réglé
sans frais nos '"'cultes, lurent remerciés: cette milice qui se
faisait une glo: porter ce beau nom sous votre empire, fut
supprimée. Ou is accorda, à la vérité, le droit d'être jurés ;
mais, en même temps, on nous fit éprouver qu'il y avait des
obstacles pour nous à la possession des emplois. On parla d'in-
troduire les lois d'Angleterre, infiniment sages et utiles pour la
mère-patrie, mais qui ne pourraient s'allier avec nos coutumes
sans renverser nos fortunes et détruire entièrement nos posses-
sions V * . .
" Daignez, illustre et généreux monarque, ajoutaient les Cana-
diens, dissiper ces craintes en nous accordant nos anciennes lois,
privilèges et coutumes, avec les limites du Canada telles qu'elles
étaient ci-devant. Daignez répandre également vos bontés sur
tous vos sujets sans distinction et nous accorder, en
commun avec les autres, les droits et privilèges de citoyens
anglais ; alojs nous serons toujours prêts à les sacrifier
pour la gloire de notre prince et le bien de notre patrie."
Cette requête qui passa pour l'expression de la généralité des
Canadiens, ne fut signée cependant que par une très petite partie
des seigneurs et de la classe bourgeoise des villes, qui pouvaient
espérer d'être représentés dans le corps législatif qui serait donné
au pays. Il y a lieu de croire aussi que le clergé partagea les
sentimens des pétitionnaires, quoique, suivant son usage, s'il fit
des représentations, il le fit secrètement. Le peuple ne sortit
point de son immobilité, et la croyance que les remontrances qui
se firent alors venaient de lui, n'a aucun fondement. Il ne fit
aucune démonstration publique. Dans sa méfiance, il présumait
avec raison qu'il n'obtiendrait aucune concession de l'Angleterre,
puisque le parti whig ou libéral d'alors dans le parlement britan-
nique, auquel il aurait pu s'adresser, était celui-là môme qui
appelait avec le plus de force la proscription de tout ce qui était
français en Canada, exceptant à peine la religion. Il laissa donc
faire les seigneurs et leurs amis, qui demandaient du moins tout
ce qu'il aurait demandé lui-même, s'ils ne demandaient pas
autant, et qui avaient plus de chance de se faire écouter, en ce
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•f'^i>^..
HISTOIRE DU CANADA.
405
que leur cause devait exciter quelque sympathie parmi les torys
anglais, qui possédaient le pouvoir et qui formaient les classes
privilégiées de la métropole, dont ils étaient l'image dans la
colonie.
Leur langage, du reste, empreint d'un profond respect pour le
trône, contrastait avec celui de leurs adversaires. Ils ne cher-
chaient point à dépouiller personne de ses droits tout en invo-
quant le nom de la liberté ; ils ne demandaient point la proscrip-
tion de toute une race parce que sa croyance religieuse différait
de la leur ; ils voulaient seulement jouir en commun avec les
autres des droits et des privilèges que la qualité d'Anglais leur
donnait aux yeux du droit commun. Cette requête fut accom-
pagnée d'un mémoire dans lequel les pétitionnaires réclamaient
aussi le droit de participer aux emplois civils et militaires, droit
contre lequel Mazères, parlant au nom de son parti, se prononça
ensuite fortement. Ils observaient encore que la limite du
Canada fixée à la parallèle 1-5, à quinze lieues seulement de
Montréal, resserrait trop le pays de ce côté, et leur enlevait les
meilleures terres ; que les pays d'en haut, embrassant le Détroit
et Michilimakinac, devaient être restitués au Canada jusqu'au
Mississipi, pour les besoins de la traite des pelleteries, de môme que
la côte du Labrador pour ceux de la pêche. Ils ajoutaient que
la colonie, par les fléaux, les calamités de la guerre et les fré-
quens incendies qu'elle avait essuyés, n'était pas encore en état
de payer ses dépenses, et conséquemment d'avoir une chambre
d'assemblée ; qu'un conseil plus nombreux qu'il n'avait été jus-
que là, composé d'anciens et de nouveaux sujets, serait beaucoup
plus à propos enfin, qu'ils espéraient d'autant plus cette
grâce que les nouveaux sujets possédaient plus des dix dou-
zièmes des seigneuries et presque toutes les terres en roture.
La déclaration relative à la chambre d'assemblée, a été invo-
quée depuis pour accuser les signataires canadiens de vues
étroites et intéressées. Mais ceux-ci voyant qu'il était impos-
sible d'obtenir une chambre élective où, contrairement à la
constitution anglaise, les catholiques pussent être admis, préfé-
rèrent sagement assurer la conservation de leur religion et de
leurs lois en demandant un simple conseil législatif à la nomina-
tion du roi, qu'une chambre élective dont ils auraient été exclus,
M
406
HISTOIRB DU CANADA.
et qui eût été composée d'ennemis déclarés de leur langue et
de toutes leurs institutions sociales, d'hommes enfin qui, dans le
moment même, voulaient les exclure des emplois publics, et qui
auraient sans doute signalé l'existence du régime représentatif
par la proscription de tout ce qu'il y a de plus cher et de plus
vénérable parmi les hommes, la religion, les lois et la nationalité.
Les demandes des Canadiens furent accueillies comme elles
devaient l'être dans les circonstances où se trouvait l'Angleterre
par rapport à l'Amérique, et servirent de base à l'acte de 74, qui
formait, du reste, partie d'un plan beaucoup plus vaste puisqu'il
embrassait toutes les colonies anglaises de ce continent. La puis-
sance croissante de ces colonies effrayait de plus en plus l'Angle-
terre, et leur attitude depuis la paix, exposée brièvement dans le
chapitre suivant, fera connaître assez les vrais motifs de sa
politique au sujet du Canada. En même temps pour consoler
de son échec le parti de la proscription, Mazères lui écrivait
" qu'il pensait que les habitans seraient plus heureux de là à sept
ou huit ans sous le gouvernement établi par l'acte de 74, que
sous l'influence d'une assemblée où les papistes auraient été
admis," paroles qui le font mieux connaître que tout ce que l'on
pourrait dire. De son côté le gouvernement transforma en 76 le
collège des Jésuites en casernes pour les troupes. Cet ordre
célèbre avait été obligé de renvoyer ses professeurs pendant le
siège de Québec en 59. Il ne put reprendre que les écoles élé-
mentaires après la guerre, écoles qu'il continua jusqu'au moment
où le gouvernement s'empara de ses biens. Deux ans après, le
palais de l'évêchè passa aussi aux mains du pouvoir civil qui
accorda une rémunération annuelle de JE150 à l'èvêque.
Ces actes n'annonçaient aucune disposition favorable pour
l'avenir, quoique le catholicisme ne cessât point d'être toléré
et que le gouvernement semblât manifester de plus en plus le
désir d'entrer dans une voie plus libérale. Mais ce désir tenait
à des circonstances extérieures qui portaient les ministres à se
relâcher plus ou moins de la rigueur de leur système pour obtenir
les bonnes grâces des Canadiens en présence de la révolte dea
putres colonies, et non à leurs principes ou à leur libéralité.
CHAPITRIE IL
RÉVOLUTION AMÉRICAINE.
1775.
Difficultés entre l'Angleterre et ses anciennes colonies: leurs causes. — Divi-
sions dans le parlement impérial à ce sujet. — Avènement de lord North au
ministère. — Troubles à Boston. — Mesures coercitives de la métropole, qui
cherche à s'attacher le Canada par des concessions. — Pétitions opposées
des Canadiens et des Anglais ; motifs des délais pour décider entre les
deux partis. — Acte de 74 dit de Québec ; débats dans la chambre des
communes. — Congrès de Philadelphie ; il met l'acte de Québec au nombre
de ses griefs. — Ses adresses à l'Angleterre et aux Canadiens. — Le générai
Carleton revient en Canada. — Sentimens des Canadiens sur la lutte qui se
prépare. — Premières hostilités. — Surprise de Carillon, St.-Frédéric et St.-
Jean. — Guerre civile. — Bataille de Bunker's hill. — Envahissement du
Canada. — Montgomery et Arnold marchent sur Québec au milieu des
populations qui se joignent à eux ou restent neutres : Montréal et les
Trois-Rivières tombent en leur pouvoir. — Le gouverneur rentre en fugitif
dans la capitale devant laquelle les insurgés mettent le siège.
Toùxes les colonies de l'Amérique septentrionale étaient en
rupture ouverte avec l'Angleterre, et marchaient à grands pas
vers la révolution qui devait assurer leur indépendance. Depuis
celle de 1690, qui avait opéré de si grands changemens dans leurs
constitutions, l'Angleterre n'avait pas cessé de chercher à res-
treindre leurs privilèges, surtout ceux de leur commerce. Nous
avons vu dans une autre partie de cet ouvrage la cause qui avait
amené ces changemens, et le caractère des habitans de ces
anciennes provinces, unis de sentimens et de principes au parti
républicain des temps de Cromwell. Il ne sera donc pas éton-
nant de les voir aujourd'hui repousser les prétentions d'une
métropole devenue beaucoup plus monarchique qu'elle ne l'avait
été autrefois. Après l'acte de navigation passé pour restreindre
la marine des colonies, elle avait défendu en 1732 l'exportation
des chapeaux et des tissus de laine d'une province à l'autre,
l'importation l'année suivante du sucre, du rum et de la mélasse
sans payer des droits exorbitans, et en 1750 l'établissement
d'usines de laminage des métaux, et la coupe des bois de pin et
sapin dans les forêts. Enfin elle voulait exercer une autorité
incontestable et illimitée sur toutes ses colonies, et il fallait
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408
HISTOIRE DU CANADA.
abuser élrangemont de son intelligenco pour refuser de reconnaî-
tre ce droit, disait un membre du parlement, qui ajoutait que la
trahison et la révolte étaient des fruits propres et particuliers au
soi du Nouveau-Monde. Les opinions avaient varié en Améri-
que sur ces grandes questions suivant les temps et les circons-
tances. La Nouvelle-Angleterre, pour ne point paraître soumise
à la Grande-Bretagne, lorsqu'elle acquiesçait à un acte du parle-
ment impérial, imprimait à cet acte un caractère particulier en le
promulguant comme s'il venait d'elle-même. Les autres provinces
inspirées par les mômes scntimens avaient toujours vu avec
répugnance les prétentions métropolitaines et si elles s'y étaient
soumises quelquefois en silence, c'est parce qu'elles ne s'étaient
pas crues assez fortes pour y résister ; mais leur jiuissance aug-
mentait tous les jours. Leur population qui était de 262,000
âmes, vers 1700, s'élevait déjà en 1774, à 3 millions. Après le
traité de 63 qui laissait l'Angleterre seule dominatrice dans l'A-
mérique du nord, sa politique y devint encore plus restrictive et
plus exigeante. Elle voulut y rendre son pouvoir presqu'absolu
et en tirer un revenu direct pour l'aider à payer l'intérêt de la
dette nationale qu'elle avait fort accrue par la guerre du Canada,
qui avait coûté aussi deux millions et demi aux Américains. On
avait déjà suggéré ce projet à Walpole, qui avait répondu : " J'ai
contre moi toute la vieille Angleterre, voulez-vous encore que la
jeune devienne mon ennemie 1" Le ministre Grenville qui
tenait plus à garder sa place que son prédécesseur, proposa en
parlement, contre son propre jugement et pour complaire à
George III, les résolutions qui devaient servir de base à l'acte du
timbre : elles furent adoptées sans opposition dans le mois de
mars 64.
Toutes les colonies protestèrent contre la prétention de les
taxer. Si, disaient les hommes austères du Massachusetts, si
cette prétention d'imposer les colonies à son profit et à sa con-
venance venait à réussir, il en résulterait un système d'oppres-
sion qui bientôt deviendrait insupportable, car une fois établi il
serait presque impossible de s'en délivrer, ni même de le modi-
fier. Nous ne sommes pas représentés dans le parlement anglais :
qui empêcherait la chambre des communes de chercher à se
soulager à nos dépens du poids des impôts ? Et, du reste, en
HISTOIRE DU CANADA.
409
notre qualité de sujet» anglais nous soutenons que nous ne pou-
vons être taxés que par nos propres rcpréseiitans.
Les Américains avaient d'ailleurs d'autres sujets de plainte.
L'aspect d'une force militaire permanente dans leur pays lea
gênait beaucoup ; l'augmentation des salaires accordés aux jugea
leur paraissait un moyen adroit de diminuer leur indépendance ;
les gouverneurs de provinces qui n'étaient plus nommés comme
autrefois par les habitans, se montraient aussi toujours disposés i
prendre des mesures arbitraires. Malgré l'opposition que sou-
leva le projet de taxer lea colons, les résolutions de Grenville
furent incorporées dans un acte que le parlement impérial passa
l'année suivante pour établir au-delà des mers les mêmes droits
de timbre que dans la Grande-lirctagne. Franklin, agent du
Massachusetts à Londres, écrivit aux colonies : " Le soleil de la
liberté est passé sous l'horison, il faut que vous allumiez les flam-
beaux de l'industrie et de l'économie." Quoiqu'il reçût vers
cette époque une vaste concession de terre avec quelques autres
personnes, sur l'Ohio,* Franklin marchait toujours avec le parti
le plus avancé des colonies. Les Américains résolurent de ne
faire aucun usage des marchandises anglaises, ce qui efiraya lea
les marchands de la métropole et les rallia aux partisans de la
cause américaine. La Virginie, sous l'inspiration du célèbre
patriote Patrick Henry, commença l'opposition à l'acte du
timbre. Par les résolutions qu'il présenta à la chambre et qui
passèrent après de longs débats, il fut déclaré que le peuple
n'était pas tenu d'obéir aux lois d'impôt qui n'étaient pas votées
par ses représentans, et que tout homme qui soutiendrait le con-
traire était l'ennemi des colonies. Dans la chaleur de la discus-
sion, il parla avec la plus grande hardiesse. Faisant allusion au
sort des tyrans : "César, dit-il, a eu son Brutus, Charles I son
Cromwell, et George III Ici il s'arrêta au miheu des cris de
trahison ! trahison ! .... et George III, continua-t-il, pourra pro-
fiter de leur exemple. Si c'est là de la trahison, qu'on me le fasse
voir." Il y eut des émeutes en plusieurs endroits et surtout à
Boston, où la population démolit le bureau du timbre. A Phila-
delphie, lorsque le vaisseau qui apportait le papier timbré entra
dans le port, les navires hissèrent leurs pavillons à mi-mât, et les
• E. B. O-Callaghan's Documentary history of the State of New-York.
M'ïjj
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410
HISTOIRE DV CANADA.
cloches, enveloppées do crôpe noir, sonnèrent lugubrement
jiisqu'aii soir. Enfin, un congrès composé des députés de la plus
grande partie des provinces, s'assembla à New- York et vota une
déclaration de droits et des pétitions au parlement impérial
contre la prétention do la métropole. L'opposition devint si
formidable que les préposés du timbre furent partout contraints
de renoncer publiquement à leurs fonctions et de retourner en
Europe. Les ofliciers de la justice, les avocats, etc., s'enga-
gèrent à suspendre tout exercice de leurs charges plutôt que de
se soumettre au nouvel impôt. La populace brûlait les marchan-
dises estampillées sur le rivage au milieu des cris de joie. Les
marchands cessèrent tout commerce avec l'Angleterre. En
même temps que ces mesures donnait l'impulsion à l'industrie
locale, le commerce de la métropole tombait dans une stagnation
ruineuse, qui jettait le gouvernement impérial dans le plus
grand embarras, quelques ministmo penchant pour la coercition,
'es autres pour les tempéramer.a.
Le parlement anglais s'ouvrit en 66 sous les auspicos les plus
sombres. La misère et le mécontentement agitaient tout l'empire.
Menacé d'ure révolution, le ministère proposa lui-même, appuyé
par Pitt et Burke, de rapporter, en stipulant une réserve de droits,
l'acte qui avait allumé la colère des colonies. Les débats où les
orateurs des deux partis se surpassèrent par la hauteur et la
beauté de l'éloquence portée alors à son comble dans le sénat
anglais, furent très longs ; mais ils se terminèrent à l'avantage
des ministres. Pour se populariser davantage, ils firent passer
plusieurs lois toutes favorables au commerce colonial, et obtinrent
de la France la liquidation des papiers du Canada dûs depuis la
cession.
Le rapport de la loi du timbre, reçu avec joie en Aftiérique, y
suspendit quelque temps l'opposition hostile qui s'y était mani-
festée ; mais bientôt d'autres difficultés s'élevèrent entre le gou-
verneur et l'assemblée du Massachusetts. Le ministère Grenville
était tombé, et Pitt, devenu lord Chatam, était remonté aux
affaires. Par une de ces inconséquences qui ne s'expliquent que
par l'ambition ou la faiblesse des hommes, les nouveaux ministres,
dont plusieurs s'étaient exprimés avec tant de force contre le
droit de taxer les colonies, surtout lord Chatam, proposèrent en
HISTOIRE DU CANADA.
411
67 d'imposer le verre, le thé, le papier, importés en Amé-
rique. Leur proposition fut convertie en loi ; et afin d'effrayer
les colons, le parlement impérial suspendit par le môme acte
l'assemblée représentative de la Nouvelle- York, qui refusait de
reconnaître sur ce point la juridiction de la (xrande-Bretagne ;
preuve nouvelle que les prétendus amis des colonies dans les
métropoles sont souvent mus moins par sentiment de justice en
leur faveur, que par esprit d'ambition et d'opposition aux ministres
du jour.
Bientôt après le ministère Graflon, composé, suivant Junius,
de déserteurs de tous les partis, remplaça celui de lord Chaîam,
qui conserva lui-môme cependant son poste dans ce remaniement,
mais qui avait déjà perdu toute sa popularité. Le nouveau pro-
jet de taxation éprouva encore plus d'opposition en Amérique
que l'acte du timbre. Le Massachusetts donna le premier l'ex-
emple de la résistance, et forma une convenlion générale. L'ar-
rivée du général Gage avec quatre régifnens et un détachement
d'artillerie fit suspendre un instant ces démonstrations ; mais le
feu couvait sous la cendre, et était entretenu par les associations
qui s'étaient formées dans toutes les provinces. Les nouvelles
mesures de la métropole précipitaient tes événemens. Le parle-
ment vota une adresse au roi pour l'autoriser à envoyer une
commission spéciale à Boston, chargée de juger les opposans
comme coupables de haute trahison. On croyait pouvoir les
intimider et les amis du gouvernement pensaient ainsi. Sir
William Johnson écrivait à lord" Hillsborough en 1769. " J'offre
humblement mes obéissances les plus respectueuses pour le dis-
cours du trône et les adresses que j'ai eu l'honneur de recevoir ;
la fermeté de la première et l'unanimité des dernières me cau-
sent une grande satisfaction et me donnent raison d'espérer que les
malheureuses mésintelligences excitées par les fanatiques turbu-
lens de ce pays se termineront promptement d'une manière com-
patible avec l'honneur de la couronne 3t le vrai bonheur du
peuple.* C'est ainsi que dans tous les temps on se trompe sur les
événemens de l'avenir. Malgré les espérances de Johnson, les
colons résolurent encore une fois de suspendre leurs relations com-
• E. B. O'Callaghan's Documentary History of the state of New-York
vol. II p. 933.
à
412
HISTOIRE DU CANADA.
merciales avec l'Angleterre, dont les exportations en Amérique
diminuèrent cette seule année de 740,000 louis. Ce résultat alar-
ma de nouveau les marchands anglais, et le ministère se vit con-
traint d'annoncer qu'il allait proposer la révocation de la nouvelle
loi d'impôt sur tous les articles qui y étaient mentionnés, excepté
le thé conservé comme marque du droit de souveraineté. C'était
à la fois annoncer sa faiblesse et laisser subsister le germe des
discordes.
Sur ces entrefaites, en 70, lord North prit en main la direction
des affaires. Il fit passer la proposition de son prédécesseur en
loi. Dans le même temps des troubles sérieux avaient éclaté à
Boston entre les citoyens et les soldats, et l'on n'avait pu les
appaiser qu'en faisant sortir ceux-ci de la ville. L'alarme gagnait
toutes les provinces et toutes les classes ; l'on jetait les yeux sur
l'avenir avec inquiétude ; mais la grande majorité des colons était
décidée à défendre leurs droits les armes à la main s'il était
nécessaire. Ils organisaient partout leur résistance. Devenus
plus modérés dans la forme, ils ne voulaient rien abandonner du
fond, et ils étaient prêts à subir tous les sacrifices pour assurer le
triomphe de leur cause. Le Massachusetts donnait l'exemple,
dirigé par Otis, Adam et Hancock. Il fut aisé bientôt de prévoir
que ni l'Angleterre, ni l'Amérique ne céderaient rien de leurs
prétentions, et que de la plume il faudrait en appeler à l'épée.
En 73 le parler.ient impérial passa un acte pour autoriser la com-
pagnie des Indes orientales à porter du thé en Amérique à la
charge de payer les droits imposés par l'acte de 67. Aussitôt
dans plusieurs provinces on força les consignataires de cette
denrée à renoncer à leurs entrepôts. A Boston l'on se saisit de
la personne des entreposeurs, et on promena dans les rues les
plus rebelles, le corps enduit de goudron et couvert de plumes ;
on détruisit ou l'on jeta à l'eau trois cargaisons de thé. L'on
commit les mêmes désordres en d'autres endroits. Lord North,
impatienté de tant d'audace, voulut punir les Bostonais, et intro-
duisit un bill dans la chambre des communes pour tenir leur ville
rebelle en état de blocus. Il défendait de prendre terre dans le
port, d'y charger ou décharger des navires, d'y recevoir ou
apporter des marchandises : ce bill éprouva une vive opposi-
tion, mais il passa. " Détruisez, détruisez, disait l'un de ses
HISTOIRE DU CANADA.
413
approbateurs, ce repaire d'insectes mallaisans." Deux autres lois
de coercition, dirigées contre l'Amérique, lurent encore présen-
tées par le ministère. Dans l'un on lestreignait les libertés du
Massachusetts, et déclarait contraires a ax lois toutes les assem-
blées publiques non spécialement autoiisées par le gouverneur ;
dans l'autre, on mettait à l'abri de toutes recherches les officiers
(jui se serviraient de la force jusqu'à tuer pour ihi'-e exécuter la
loi ou apaisjcr les émeutes. C'était ce qu'on appelait en Canada,
après les troubles de 1838, un. bill d'indemnité, ingénieuse fiction
inventée pour légaliser la tyrannie. La passation de ces deux
derniers bills n'éprouva pas moins d'opposition que le premier.
Fox, le colonel Barré, Burke, Chatam s'élevèrent contre ces
mesures. " Nous avons passé le Rubicon, dit-on, dans la
chambre haute : le mot d'ordre autour de nous, c'est : Delenda
Carthago. Eh bien ! prenez-y garde, s'écriait Barré. Les
finances de la France sont aujourd'hui dans un état florissant;
vous la verrez intervenir dans nos querelles avec l'Amérique, en
laveur des Américains." En effet, Choiseul avait habilement
préparé à sa patrie les moyens de tirer une vengeance éclatante
de la perte du Canada. Un autre orateur mit encore plus de
véhémence dans ses paroles: "J'espère, dit-il, que les Améri-
cains résisteront de tout leur pouvoir à ces lois de destruction ; je
le désire au moins. S'ils ne le fi>nt pas, je les regarderai comme
les plus vils de tous les esclaves." Enfin, le ministère proposa
un quatrième bill„l'acte de 74, pour réorganiser le gouvernement
du Canada, nommé alors province de Québec. C'était le com-
plément du grand plan d'administration imaginé pour l'Amérique.
Ce bill qui imposait un gouvernement absolu à cette province,
acheva de persuader les anciennes colonies des arrière-pensées
de l'Angleterre contre leurs libertés, surtout lorsqu'elles portaient
les yeux vers le passé et jugeaient sa politique rétrograde depuis
1690. La passation d'une pareille loi était un indice menaçant
pour l'avenir. Aussi poussèrent-elles de hauts cris. Elles pro-
testèrent surtout contre la reconnaissance du catholicisme comme
religion établie en Canada, plus probablement par politique, con-
naissant les vieux préjugés de l'Angleterre contre cette religionj
que par motif de conscience, puisqu'elles admirent elles-mêmes
II.
,**
414
HISTOIRE DU CANADA.
peu (le temps après les catholiques au droit de citoyenneté dans
leur révolution.
L'on connaît déjà tous les plans successivement proposés
depuis 63 pour gouverner le Canada ; les tentatives avortées
pour en mettre quelques-uns à exécution, les investigations et les
nombreux rapports présentés par les principaux fonctionnaires
de la colonie, le Bureau du Commerce et des Plantations et les
officiers de la couronne ; les requêtes des colons eux-mêmes,
français et anglais, pour demander un meilleur gouvernement,
enfin la prétention mise en avant par ces derniers d'exclure les
catholiques des emplois publics et des chambres, prétention qui
a été, comme nous l'avons déjà dit, la cause première de l'anti-
pathie de races existant en ce pays, et qui n'a fait que donner
plus de vitalité à la nationalité franco-canadienne. Toutes ces
pièces avaient été soumises aux délibérations du conseil d'état.
Dès 67 la chambre des lords avait déclaré qu'il était nécessaire
de renouveler le gouvernement canadien pour le rendre plus par-
fait et plus propre au pays pour lequel il était destiné. Le
Bureau du Commerce avait même appelé auprès do lui le gou-
verneur Carleton pour s'aider de ses lumières et de son expé-
rience dans cette tâche difficile. En 64 l'esprit du gouverne-
ment anglais était complètement hostile aux Canadiens ; en 74,
les choses avaient changé ; ses préjugés s'étaient tournés contre
les Américains et les chambres d'assemblées coloniales. L'in-
térêt triomphait de l'ignorance et de la passion. L'abolition per-
manente des anciennes institutions devait avoir infailliblement
l'effet de réunir les Canadiens aux mécontens des autres colonies;
on le savait et on retarda en conséquence le règlement de leur
question d'année en année jusqu'à ce qu'on se vît obligé de sévir
contre le Massachusetts et les provinces du sud. Ainsi le réta-
blissement des lois françaises dépendit long temps du résultat
de la tentative de taxer les colonies. L'opposition invincible
de celles-ci contribua à décider le ministère à écouter les
remontrances des Canadiens. Et en se rendant à leurs vœux, il
servait doublement sa politique ; il attachait le clergé et la
noblesse à la cause de la métropole, et amenait le peuple à
reconnaître sa suprématie en matière de taxation ; car dans
l'opinion des Canadiens cette reconnaissance était un faible
n
HISTOIRE DU CANADA.
415
"i
dédommagement pour leur conservation et leur participation au
partage des droits politiques accordés aux autres sujets anglais,
qui voulaient follement les en exclure.
Le comte de Dartmouth, secrétaire des colonies, introduisit
donc l'acte de 74 dans la chambre des lords, qui l'adopta sans
opposition. Ce bill reculait de toutes parts les limites de la pro-
vince de Québec telles que fixées dix ans auparavant, de manière
à les étendre d'un côté à la Nouvelle-Angleterre, à la Pennsylva-
nie, à la Nouvelle-York, à l'Ohio et à la rive gauche du Mississipi,
et de l'autre jusqu'au territoire de la Compagnie de la baie
d'Hudson.* Il conservait aux catholiques les droits que leur
avait assurés la capitulation, et les dispensait du serment du test ;
il rétablissait les anciennes lois civiles avec la liberté de tester de
tous ses biens, et confirmait les lois criminelles anglaises. Enfin
il donnait à la province un conseil de 17 membres au m< ins et
de 23 au plus catholiques ou protestan.., qui exercerait, au nom
du prince et sous son veto, tous les droits d'une administration
supérieure moins celui d'imposer des taxes, si ce n'est pour l'en-
tretien des chemins et des édifices publics. Le roi se réservait le
privilège d'instituer des cours de justice civiles, criminelles ou
ecclésiastiques. Si ce projet de loi passa à l'unanimité dans la
chambre des lords, il n'en fut pas ainsi dans celle des communes,
où il souleva une violente opposition. Les débats durèrent
plusieurs jours. Les marchanda de Londres poussés par leurs
compatriotes d'outre-mer, jettèrent de grandes clameurs, firent des
remontrances pressantes et employèrent l'éloquence d'un avocat
pour défendre leur cause à la barre des communes, qui voulurent
entendre aussi des témoins. Le gouverneur Carleton qui rendit
un excellent témoignage des Canadiens, le juge-en-chef Hey,
MM. de Lotbinière, Mazères et Marriott furent interrogés. Ce
dernier se trouva dans une situation singulière. Ne pouvant, à
cause de sa charge d'avocat du roi, s'opposer au biil du ministère,
il dut éluder toules les questions qu'on lui posa, pour ne pas con-
• Eii 1775 un projet de pacification des colonies fut proposé par Franklin
au ministère. Il y demandait que l'acte de Québec fut rapporté, et qu'un
gouvernement libre fut établi en Canada. Les ministres répondirent que
cet acte pourrait être amendé de manière à réduire la province à ses
anciennes limites, c'est-à-dire à celles fixées par la proclamation de 1764.—
(Ramsay, History ofthe American Révolution),
m
■UG
HISTOIRE DU CANADA.
tredirc son rapport au conseil d'état dont nous avons parlé
ailleuis, et qui était sur plusieurs points contraire au projet do
loi ; il se tira de ce mauvais pas avec une présence d'esprit
admirable, mais en montrant que le sort d'un peuple colonial peut
être le jouet d'un bon mot.
Parmi les membres qui s'opposèrent au bill, se trouvaient
Townshend, Burke, Fox et le colonel Barré. La j)lupart s'éle-
vèrent contre le rétablissement des lois françaises et le libre
exercice delà religion catboliquc. Ils auraient voulu une cliambre
représentative ; mais à la manière dont ils s'exprimaient et àleurt*
réticences étudiées, on ne devait pas espérer d'y voir admettre
de catholiques. C'était la liberté de tyranniser les Canadiens
qu'ils voulaient donner à une poignée d'aventuriers. Telles sont
les contradictions des hommes que les amis de la cause des
libertés an;.io-américaines dans le parlement impérial, étaient
précisémcn' ceux-là même qui demandaient avec le plus d'ardeur
l'asservissement politique des Canadiens. Fox fut le seul dont
la noble parole s'éleva au-dessus des préjugés vulgaires et natio-
naux. " Je suis porté à croire, dit-il, d'après toutes les informa-
tions que j'ai obtenues, qu'il convient de donner une chambre
représentative au Canada Je dois dire que les Canadiens
sont le premier objet de mon attention, et je maintiens que leur
bonheur et leurs libertés sont les objets propres qui doivent former
le premier principe du bill ; mais de quelle manière leur assurer
ces avantages sans une chambre, je l'ignore Jusqu'à
présent je n'ai pas entendu donner une seule raison contre l'éta-
bhssement d'une assemblée. Nous avons ouï dire beaucoup de
choses sur le danger qu'il y aurait de mettre une portion du
pouvoir entre les mains des Canadiens ; mais comme des person-
nes de la plus grande conséquence dans la colonie sont, dit-on
attachées aux lois et aux coutumes françaises, en préférant un
conseil législatif à une assemblée, ne mettons-nous pas le pouvoir
dans les mains de ceux qui chérissent le plus le gouvernement
français? Personne n'a dit que la religion des Canadiens put-
être un obstacle à l'octroi d'une assemblée représentative, et
j'espère ne jamais entendre faire une pareille objection ; car celui
qui a conversé avec des catholiques, ne voudra jamais croire qu'il
y a quelque chose dans leurs vues d'incompatible avec les priiï-
HISTOIRE nu CANADA.
417
cipes de la liberté politique. Les i)rincipes de la liberté politi-
que, quoique inusités dausi les pays cat!u)lique.i, y sont aussi
chéris et révérés par le peuple que dans les pays protestans.
S'il y avait du danger, je le craindrais plutôt des hautes classes)
que des classes intérieures." Le premier ministre, lord North,
répliqua aussitôt : " Est-il sûr pour l'Angleterre, car c'est l'An-
gleterre que nous devons considérer, de mettre le principal
pouvoir entre les mains d'une assemblée de sujets catholiques 1
Je conviens avec l'iionorable monsieur que les catholiques peuvent
être honnêtes, capables, dignes, intelligcns, avoir des idées très
justes sur la liberté politi([ue; mais je dois dire qu'il y a quelque
chose dans cette religion qui fait qu'il ne serait pas prudent pour
un gouvernement protestant d'établir une assemblée composée
entièrement de catholiques"'. Il est certain que la religion fut
un des motifs ostensibles qui empochèrent le gouvernement de
nous donner alors une chambre élective, comme la crainte de
voir les Canadiens joindre leur cause à celle des Américains,
l'engagea à leur restituer leurs lois.
La restitution de ces lois et le libre exercice de leur religion
étaient deux choses si justes et si naturelles en elles-mêmes que
l'opposition ne pouvait guère les attaquer de front : " Quoi, disait
lord Thurlow, ce que vous prétendez, ce serait Pextrême misère.
Pour rendre l'acquisition profitable et sure, voici la conduite qu'il
faut suivre. L'on doit changer les lois qui ont rapport à la sou-
veraineté française, et les remplacer par celles qu'exige la nou-
velle souveraineté ; mais pour toutes les autres lois, toutes les
autres coutumes ou institutions qui sont indifférentes aux rapports
qui doivent exister entre le sujet et le souverain, l'humanité, la
justice, la sagesse, tout conspire à vous engager à les laisser aux
habitans comme auparavant Maison dit que les Anglais por-
tent avec eux leur constitution poUtique partout où ils vont, et que
c'est les opprimer que de les priver d'aucune de leurs lois
moi j'affirme que si un Anglais va dans un pays conquis par sa
patrie, il n'y porte pas les diverses idées des lois qui doivent y
prévaloir du moment qu'il y met le pied, car soutenir une pareille
prétention serait aussi raisonnable que de soutenir celle que
cpiand un Anglais va à Guernesay, les lois de la ville de Londres
* Cavcndii<k''s Debatcs.
m^
•H8
mSTOlUK UL' CANADA.
l'y SU vent." L'opposition fit une guerre de chicanes. Quant
à rétablissement d'un conseil à la nomination du roi au lieu d'une
chambre représentative, elle avait un champ superbe devant elle.
Fox sut en profiter ; mais la plupart des membres de l'opposi-
tion parlèrent avec un embarras évident, gênés sans doute par
leurs préjugés religieux ; et après que lord North eut donné son
opinion sur le danger d'une chambre catholique, l'un d'eux, M.
Pulteney, s'écria maladroitement : '* Mais parce que l'on ne
peut pas donner la meilleure espèce d'assemblée possible, à cause
de la supériorité des catholiques, il ne s'en suit pas que l'on ne
puisse pas en donner du tout." Il voulait mettre ceux-ci sur un
pied d'infériorité relativement à leur nombre, et rompre l'égalité
des droits. C'était demander des privilèges spéciaux pour les
protestans ; dès lors la justice était violée et l'opposition perdit
sa force dans le débat sur ce point, car elle ne pouvait plus en
appeler à la fidélité des colons anglais, puisque ces mêmes colons
s'armaient alors de toutes parts contre leur métropole ; et quant
à l'assertion que l'on voulait répandre le culte catholique en
Amérique et ruiner la religion de l'état, elle ne méritait pas d'être
repoussée.
Le bill fut donc adopté après avoir subi quelques amendemens,
que la chambre des lords approuva malgré l'éloquence de Cha-
tam, qui qualifia le projet de cruel, oppressif et odieux, et qui
en appela vainement aux évêques d'Angleterre pour qu'ils s'éle-
vassent avec lui contre un acte qui tendait à établir une religion
ennemie dans un pays plus étendu que la Grande-Bretagne.
Ainsi, notre langue et nos lois finissaient par se relever de leur
chute, comme la môme chose s'était vue autrefois en Angleterre
même, où la langue légale fut, après la conquête normande, fran-
çaise puis latine, et enfin celle du peuple vaincu, l'anglaise,
*' grande et salutaire innovation sans doute, dit lord Brougham,
très critiquée et très redoutée de son temps."
La vil! de Londres n'eut pas plutôt appris la passation de l'acte
de 74, qu'elle s'assembla et présenta une adresse au roi pour le
prier d'y refuser sa sanction. Elle disait que ce bill renversait
les grands principes fondamentaux de la constitution britannique ;
que les lois françaises ne donnaient aucune sécurité pour les per-
sonnes et les biens ; que le bill violait la promesse faite par la
V-
W.
HISTOIRE DU CANADA.
419
proclamation de 63, d'établir les lois anglaises j que la religion
-holique était idolâtre et sanguinaire, et que Sa Majesté et sa
famille avaient été appelées, comme protestans, sur le trône de
l'Angleterre pour remplacer les Stuart catholiques ; que le pou-
voir législatif était placé entre les mains de conseillers amovibles
nommés par la couronne, etc. Le lord-maire, accompagné do
plusieurs aldermen et de plus de 150 conseillers de la cité, se
présenta au palais St.-James avec son adresse. Le grand Cham-
bellan parut et l'informa que le roi ne pouvait prendre connais-
sance d'un projet de loi passé par les deux chambres avant qu'il
eût été soumis à son assentiment, et qu'il ne devait pas par con-
séquent attendre d'autre réponse. George III partait dans le
moment même pour aller proroger le parlement à Westminster.
Il sanctionna le bill en observant " qu'il était fondé sur les prin-
cipes de justice et d'humanité les plus manifestes, et qu'il ne
doutait pas qu'il n'eut le meilleur effet pour calmer l'inquiétude et
accroître le bonheur de ses sujets canadiens." Cette lemarque
adoucit dans l'esprit de ceux-ci l'amertume des sentimens expri-
més par l'opposition à leur égard. Une autre loi fut passée pour
abolir les anciens droits de douane, qui constituaient les seuls
impôts établis par les Français en ce pays, et pour en substituer
d'autres sur les boissons, afin de faire face aux dépenses portées
au budjet pour l'administration civile et judiciaire.
Mazères écrivit aussitôt aux protestans du Canada pour les
informer de tout ce q^ii s'était passé. On s'assembla et l'on
résolut de présenter des adresses aux trois branches du parle-
ment impérial, pour demander la révocation immédiate de la
nouvelle loi organique. Dans celle à la chambre des communes,
les pétitionnaires cherchèrent à accroître leur importance et à
déprécier celle de leurs adversaires, qu'ils voulaient dominer à
toute force, et prétendirent, sans même trop voiler leur but, que
les 75,000 Canadiens devaient se soumettre aux lois, qu'eux, qui
n'étaient que 3,000, voudraient bien trouver bonnes et convena-
bles. Les Canadiens s'apercevaient tous les jours qu'ils avaient
eu grande raison de refuser une chambre représentative compo-
sée exclusivement de protestans.
L'agitation de ce parti pour faire rapporter l'acte en question,
se communiqua aux Canadiens, qui se réunirent et se pronon-
420
HISTOIRE DU CANADA.
curent dans le sens contraire. Il parut, à la fin de décembre,
une lettre anonyme qui renfermait en peu de mots leurs senti-
mens sur le débat du jour, et qui fit assez de sensation pour que
Mazéres crût devoir la réfuter longuement devant l'Angleterre
dans les deux volumes qu'il publia en 75, à l'appui des préten-
tions du parti qu'il représentait. Cette lettre, écrite sans art,
mais avec sincérité, et qui circula parmi la population canadienne,
fit une grande impression : " Quelques Anglais, disait-elle, tra-
vaillent à nous indisposer contre les derniers actes du parlement
qui règlent le gouvernement de cette province. Ils déclament
surfout contre l'introduction de la loi française, qu'ils vous repré-
sentent comme favorisant la tyrannie. Leurs émissaires répan-
dent parmi les personnes peu instruites, que nous allons voir
revivre les lettres de cachet ; qu'on nous enlèvera nos biens
malgré nous ; qu'on nous traînera à la guerre et dans les prisons;
qu'on nous accablera d'impôts ; que la justice sera administrée
d'une manière arbitraire ; que nos gouverneurs seront despoti-
ques; que la loi anglaise nous eût été plus avantageuse ; mais la
fausseté de ces imputations ne saute-t-elle pas aux yeuxî Y a-t-il
quelque connexion entre les lois françaises et les lettres de cachet,
les prisons, la guerre, les impôts, le despotisme des gouverneurs?
— Sous cette loi, à la vérité, nos procès ne seront plus décidés
par un corps de jurés, où président souvent l'ignorance et la par-
tialité. Mais sera-ce un mal 1 — La justice anglaise est-elle
moins coûteuse 1 — Aimeriez-vous que vos enfans héritassent à
l'anglaise, tout à l'aîné, rien aux cadets? — Seriez-vous bien aise
qu'on vous concédât vos terres aux taux de l'Angleterre? —
Voudriez-vous payer la dîme à dixième gerbe, comme en Angle-
terre?— La loi française n'est-elle pas écrite dans une langue que
vous entendez 1 — La loi française a donc pour vous toutes sortes
d'avantages : et les Anglais judicieux, tels qu'il s'en trouve un
«rrand nombre dans \? iOnie, conviennent qu'on ne pourra nous
la refuser avec équiti>.
" Aussi n'est-ce pas là le point qui choque davantage ces
citoyens envieux dans les actes du parlement, dont ils voudraient
obtenir la révocation. Le voici ce point qu'ils vous cachent,
mais qui se révèle malgré eux. L'un de ces actes non seulement
vous permet le libre exercice de la religion catholique, mais il
HISTOIRE nu CANADA.
4.21
vous dispense ilo sonncns qui y sont contraires ; et, par là, il vous
ouvre une porte aux emplois et nux charges de la province.
Voilà ce (pii les révolte ! voilà ce qui les fait dire dans les papiers
publics : " Que c'est un acte détestciMc, abominable, qui autorise
une religion sanguinaire, qui répand imrtoiit Vim/piété, les
meurtres, la rébellion.''^ Ces exi)ressions violentes nous mar-
quent leur caractère, et lo chagrin qu'ils ont de n'avoir point une
assemblée, dont ils se proposaient de vous exclure en exigeant de
vous des sermens que votre religion ne vous aurait pas permis de
prêter, comme ils ont fait à la Crrenade.
'* Par ce moyen ils se seraient vus seuls maîtres de régler tous
vos intérêts, civils, politiques et religieux. Vous pouvez vous
instruire de leurs desseins en lisant les adresses qu'ils ont envoyées
à Londres. Ils y représentent au ro'i : " Que les sujets protestans
sont en assez grand nombre en cette province pour y établir une
nssemblée." Ce mot nous les démasque. Une poignée d'hommes,
que le commerce avantageux qu'ils ont fait avec nous vient, pour
la plupart, de tirer de la poussière, veulent devenir nos maîtres
et vous réduire à l'esclavage le plus dur. Je le répèle. Je ne
parle que des Anglais du comité de Montréal et de quelques
marchands de Québec, qui demandent la ^évocation de cet acte.
11 faut que ces gens-là nous croient bien simples et bien aveugles
sur nos propres intérêts, pour nous proposer de nous opposer à
un acte que nous avions demandé On parle de la levée
d'un régiment canadien. On se sert de cette circonstance pour
vous dire qu'on vous forcera à vous enrôler et à aller faire la
guerre au loin : et, d'un bienfait qu'on a sollicité pour vous, on
vous en fait un objet de terreur. Serait-ce donc un malheur pr-.ur
la colonie s'il y avait un régiment canadien de quatre à cinq
cents hommes, dont tous les officiers seraient Canadiens ? Cela
ne rendrait-il pas à quantité de familles respectables un lustre qui
rejaillirait sur toute la colonie ? On augure mal de votre courage
puisqu'on cherche à vous eflrayer par-là." Cette logique pressée
était sans réplique.
Cependant lord Cambden présenta à ia chambre haute dans le
mois de mai 75, la pétition des protestans et introduisit un projet
de loi pour révoquer l'acte de l'année précédente. Mais ce pro-
jet fut rejeté sur motion du comte de Darlmoutli, ufmistre des
■: 1 i;
(fil
ir
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m'Iv )
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u'
422
HISTOIRE DU CANADA.
colonieH. La inùme tentative laite dans la cliainbre des com-
munes par sir George Savile, éprouva le môme sort.
Tandis que l'acte de Québec tendait ainsi à concilier les
Canadiens à l'Angleterre, l'acte qui ordonnait la fermeture du
port de Boston, portait jusqu'à leur dernier degré la colère et
l'indignation des autres colonies. L'assemblée de Boston nomma
un comité pour convoquer un congrus général, et un autre pour
tracer au peuple des règles de conduite sous forme de recom-
mandation. On invitait en même temps les hahitans à discon-
tinuer l'usage du thé et des autres articles de la Grande-Bretagne,
jusqu'à ce qu'on eût obtenu justice. Le congrès s'assembla dans
le mois de septembre à Philadelphie, et siégea j'isqu'au 26 oc-
tobre ; douze provinces contenant près de trois millions d'hommes,
y étaient représentées par leurs députés ; il n'y manquait que
ceux du Canada et c' ' la Géorgie pour embrasser toutes les colo-
nies anglaises du continent. Le congrès commença par faire
une déclaration des droits de l'homme, préface obligée de toutes les
révolutions. Il adopta ensuite diverses résolutions, dans les-
quelles il exposa avec détail les griefs des colons, au nombre
desquels fut placé l'acte du Canada que venait de passer le par-
lement impérial; acte, disait-on, avec un sérieux affecté, qui
reconnaît la religion catholique, abolit le système équitable des
lois anglaises, et proclame, vu la différence de religion, de lois et
de gouvernement, la tyrannie en Canada au grand danger des
colonies voisines, ces colonies qui ont contribué de leur sang et
de leur argent à sa conquête. " Nous ne pouvions, disait-il
encore insensément, nous empêcher d'être étonné qu'un parle-
ment britannique ait jamais consenti à permettre une religion qui
a inondé l'Angleterre de sang, et qui a répandu l'impiété, l'hypo-
crisie, la persécution, le meurtre et la révolte dans toutes les par-
ties du monde." Ce langage n'aurait été que fanatique si ceux
qui le tenaient eussent été sérieux ; il était insensé et puérile
dans la bouche d'hommes qui songeaient déjà à inviter les Cana-
diens à embrasser leur cause pour conquérir avec eux l'indépen-
dance de l'Amérique. Cette déclaration relative à l'acte de 14>
était donc fort inconsidérée ; elle ne produisit aucun bien en
Angleterre, et fit perdre peut-être le Canada à la cause de la
confédération. Si le congrès s'en fût tenu à une protestation
HISTOIRE nr CANADA.
423
coiili'c ce (jii il y avait d'inconstitutionnel dans col acte, contre
l'établissement, par exemple, d'une législature nommée exclusi-
vement par la couronne, il aurait atteint son but ; mais en se
déclarant contre les lois françaises et contre le catholicisme, il
armait nécessairement contre lui la population canadienne, et
violait lui-môme ces règles de justice éternelle sur lesquelles il
voulait asseoir sa déclaration des droits de l'homme.
Le congrès résolut aussi de cesser toute relation commerciale
avec l'Angleterre. Il procéda ensuite à la rédaction de trois
adresses, l'une au roi, l'autre au peuple de la Grande-Bretagne
pour justifier l'attitude qu'il avait prise, et 'a troisième aux Cana-
diens dans laquelle il exprima des sentimens tout contraires à ceux
qu'il venait de mettre au jour dans les résolutions dont nous
venons de parler. Il cherchait à leur démontrer tous les avan-
tages d'une constitution libre, à les préjuger contre la forme du
gouvernement qu'on venait de leur donner, en disant qu'il y avait
une grande différence entre la constitution que le parlement leur
avait imposée et celle qu'ils devaient avoir.
Il invoquait le témoignage de Montesquieu, homme de leur race,
pour condamner cette nouvelle constitution, et les exhortait à se
joindre aux autres colonies pour la défense de leurs droits com-
muns, en entrant dans le pacte social formé sur le grand principe
d'une égale liberté, et en envoyant des délégués pour les repré-
senter au congrès qui devait s'assembler prochainement. " Sai-
sissez, disait-il, saisissez l'occasion que la Providence elle-même
vous présente ; si vous agissez de façon à conserver votre hberté,
vous serez effectivement libres. Nous connaissons trop la géné-
rosité des sentimens qui distinguent votre nation pour présumer
que la différence de religion puisse préjudicier à votre amitié
pour nous. Vous n'ignorez pas qu'il est de la nature de la liberté
d'élever au-dessus de toute faiblesse ceux que son amour unit
pour la même cause. Les cantons suisses fournissent une preuve
mémorable de cette vérité : ils sont composés de catholiques et
de protestans, et cependant ils jouissent d'une paix parfaite, et
par cette concorde qui constitue et maintient leur liberté, ils sont
en état de défier et môme de détruire tout tyran qui voudrait la
leur ravir."
Le langage du congrès était l'ien changé à l'égard de? Cana-
, I', :v
4M
HtSTOlRË OU CANADA.
tliens. Mai8 quoique son ailrcHPO contint probablemcnl sa vérita-
ble pensée, elle ne put détruiio ciitiùrement l'cflct de la léBolution
dont on a parlé i)lus haut. No sachant à quelle version ajouter
foi, la plupart dea meilleurs amis de la cause de la liberté restè-
rent indifférens ou refuseront do prendre part à la lutte qui
commençait. Beaucoup d'autres, regagnés par l'acte de 74-,
promirent de rester fidùles à l'Angleterre et tinrent parole. Ainsi
une seule pensée de proscription, mise au jour avec légèreté, fut
cause que la confédération américaine perdit le Canada, et
qu'elle vit la dangereuse puissance de son ancienne métropole se
consolider dans le nord pour peser sur elle de tout son poids, et
la menacer sans cesse de ses guerrières légions.
Le général Carlcton revint en Canada pour reprrndre les
rênes de son gouvernement dans le mois d'octobre 74-. Il inau-
gura la nouvelle constitution, et forma un conseil législatif con-
forme à ses dispositions. Il le composa de vingt-trois membres,
dont deux tiers de proteslans et un tiers de catholiques, qui furent
assermentés le 17 août de l'année suivante, siégèrent deux ou
trois fois et furent ajournés. Plusieurs Canadiens furent élevés
aussi aux charges publiques jusqu'alors remplies exclusivement
par des Anglais ou des Suisses, excepté celles de grand-voyer et
de secrétaire français, parce qu'il fallait des hommes versés dans
la langue et les usages du pays pour les remplir et que d'ailleurs,
étant presque nominales elles donnaient peu de chose. Mais le
pays dut s'apercevoir que ce n'était que par politique que l'on
faisait partager ainsi aux Canadiens quelques-unes des faveurs
du gouvernement ; que malgré le changement de constitution, ils
seraient toujours exclus des principaux emplois, et que pour le
petit nombre de ceux qu'on leur abandonnerait, l'on aurait soin
de choisir des instrumr ^'""iles, dont la conduite ferait assez
voir à quelles condit' acquisition avait été faite. Cela
parut surtout da»- ... des personnes qui devaient remplir
des fonctions jui j. Mais à peine le gouverneur avait-il eu
le temps de prenuic connaissance de l'état du pays, dont il était
absent depuis plusieurs années, et de compléter les arrangemens
rendus nécessaires par l'acte de 74, que son attention fut appelée
Bur les frontières et la propagande que les Américains cherchaient
à faire en Canada, où l'adresse du congrès avait pénétré par
plusieurs voies à la fuis.
HISTOIRE DU CANADA.
435
Les grands noms de liberté et d'indépendance nationale ont
toujours trouvé du retentissement dans les âmes nolilcs et géné-
reuses ; un cœur haut placé ne les entend jamais prononcer sans
une émotion profonde, car c'est un sentiment naturel et vrai. Le
citoyen policé do Rome, le pâtre grossier do la Suisse sentent do
la même manière à cet égard. L'adresse du congrès, malgré
l'imprévoyance d'une partie de sa rédaction, fit la plus grande
sensation parmi les Canadiens, surtout de la campagne, et parmi
les Anglais des villes, lesquels n'espérant plus dominer exclusive-
ment, songèrent pour la plupart à devenir révolutionnaires. La
situation du général Cnrleton devint excessivement diflicile.
Heureusement pour lui, le clergé et la noblesse avaient été invio-
lablement attachés à l'Angleterre par la confirmation de la tenure
seigneuriale et de la dîme, deux institutions qu'ils n'espéraient
pas conserver dans le mouvement niveleur d'une révolution, et
avec ces deux classes marchait la bourgeoisie des villes peu riche
et peu nombreuse.
Le catholicisme a toujours eu une répugnance extrême pour
les républiques. Persécuté par le peuple juif où il est né et qui
a crucifié l'homme Dieu son auteur, il fut dans la suite protégé
par les empereurs romains et revêtît dans son organisation les
formes absolues de l'empire sans perdre le prestige des mystères
orientaux. Les traditions de l'ordre du clergé, dit M. Augustin
Thierry dans les considérations sur l'histoire de France placées
à la tète de ses récits des temps mérovingiens, étaient demeurées
purement romains ; le droit romain revivait dans les canons des
conciles et réglait toute la procédure des tribunaux ecclésiasti-
ques. Quant à la nature primitive du gouvernement et à sa
constitution essentielle, le clergé supérieur ou inférieur, sauf de
rares exceptions, n'avait qu'une doctrine, celle de l'autorité
royale universelle et absolue, de la protection de tous par le roi et
par la loi, de l'égalité civile dérivant de la fraternité chrétienne.
11 avait conservé sous des formes religieuses l'idée impériale de
l'unité de puissance publique." A ces motifs purement politiques
le clergé et le peuple canadien en avaient joint un autre aussi
puissant, c'était la crainte d'exposer leur religion et leur nationa-
lité en entrant dans une confédération républicaine à la fois
anglaise et protestante, crainte qui n'était pas chimérique puis-
li
4.Î6
HISTOIRE DU CANADA.
qu'elle achève de les noyer à la Louisiane. Ils résolurent donc
de s'opposer à toutes ses attaques et de défendre leur pays pour
le conserver à l'Angleterre, à l'Angleterre, monarchique située à
mille lieues d'eux, et par cela môme moins menaçante pour leur
existence.
Une partie des Canadiens dégoûtée donc par la déclaration
intempestive du congrès contre la religion catholique et les lois
françaises, conservant encore dans son cœur cette haine contre
les Anglais quels qu'ils fussent qu'elle avait contractée dans nos
longues guerres et confondant dans sa pensée ceux du Canada
avec ceux des pays vo' Ins, ne voyait chez les uns et les autres
qu'une même race d'u,.i7resseurs turbulens et ambitieux. Infor-
mé de ces sentimens, le gouverneur dut croire que la majorité de
la population, mue ainsi par des motifs diffcrens et par l'estime
personnelle qu'elle lui portait, serait opposée aux colonies amé-
ricaines, ou du moins désirerait conserver la neutralité dans une
querelle de frères, à la pacification de laquelle elle pouvait penser
que l'on finirait peut-être par le sacrifier comme nous venons de
le voir après les troupes de 1837.
On avait donné, du reste, les plus grandes espérances au géné-
ral Carleton. Plusieurs seigneurs lui avaient promis de marcher
contre les rebelles à la tête de leurs censitaires ; mais ils avaient
promis plus qu'ils ne pouvaient tenir. Lorsqu'ils voulurent les
assembler pour leur expliquer l'état des colonies anglaises et ce
qu'on attendait d'eux, ils virent bien que le peuple n'avait pas
encore oublié sitôt la conduite tenue à son égard depuis la con-
quête, et qu'il n'était pas disposé, malgré ses motifs de méfiance,
à prendre les armes contre ceux qui combattaient pour la liberté de
leur pays, ni à défendre avec le même dévoûment le drapeau britan-
nique que le drapeau des nôtres comme ils désignaient le drapeau
français dans leur simple mais (' nergique langage. Quelques-uns
seulement répondirent à l'appel et montraient de la bonne volonté ;
le plus grand nombre déclara nettement qu'il ne se croyait
pas tenu d'être de l'opinion des seigneurs, et qu'il ne porterait pas
les armes contre les provinciaux. " Nous ne connaissons, dirent-
ils, ni la cause, ni le résultat de leur difiérend : nous nous mon-
trerons loyaux et fidèles sujets par une conduite paisible et par
notre soumission au gouvernement sous lequel nous nous trouvons ;
HISTOIRE DU CANADA.
4.27
mais il est incompatible dans notre état et notre condition de
prendre parti dans la lutte actuelle." Quelques jeunes seigneurs
plus indiscrets qu'éclairés, voulurent les menacer dans quelques
endroits ; on leur fit comprendre que cette conduite avait des
dangers pour eux, et ils furent obligés de s'enfuir précipitam-
ment.
Cependant les événemens prenaient tous les jours de la gra-
vité ; et loin de songer à aller attaquer les Américains dans leur
pays comme il avait intention de le faire avec les troupes et les
Canadiens s'ils avaient montré de la bonne volonté, le gouver-
neur se vit tout-à-coup menacé d'une invasion par l'une des
armées rebelles. Le sang avait déjà coulé dans im conflit à
Lexington et à Concord dans le mois d'avril 75, et les troupes
avaient perdu près de 300 hommes. Les populations des pro-
vinces couraient partout aux armes, et s'emparaient des forts, des
vivres et des arr^enaux. Le colonel Ethon Allen, aidé du colo-
nel Arnold, surprit ainsi le fort Carillon gardé par une cinquan-
taine d'hommes, et y trouva plus de 118 pièces de canon ; c'était
une acquisition précieuse. Le colonel Warner s'empara à son
tour du fort St.-Frédéric de la même manière et acheva de rendre
les insurgés maîtres du lac Champlain dès le début des hostilités
sans avoir essuyé de pertes. Le fort St.-Jean tomba aussi entre
leurs mains; mais il fut repris le surlendemain par M. Picoté de
Belleslre à la tête de 80 volontaires canadiens. Le congrès
s'était réuni à Philadelphie le 10 de juin et voyant que la mère-
patrie, loin de revenir sur ses pas, était décidée à faire triompher
sa politique par la force des armes, il prit sur-le-champ, encouragé
par les premiers succès obtenus, les mesures les plus énergiques
pour résister à ses prétentions. IjC ministère anglais pour avoir
l'opinion du peuple de la métropole sur cette grande question,
avait dissous le parlement. Les nouvelles chambres répondirent
au discours d'ouverture qu'elles soutiendraient le roi dans ses
elTorts pour maintenir la suprématie de la législature impériale.
Des remarques outrageantes furent faites en même temps sur la
bravoure des Américaii ■! dans les débats qui eurent lieu à l'oc-
casion d'une demande de soldats pour porter l'armée du général
Gage, à Boston, à 10 mille hom les, armée suffisante, dit un
ministre, pour faire rentrer dans le devoir de lâches colons.
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4:28
HISTOIRE DU CANADA.
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Franklin, après avoir fait de vains cITorts pour ramener l'Angle-
terre à (les sentimens plus pacifiques, rentra clans sa patrie, où il
prêta encore le secours de ses luuiières à ses concitoyens dans
une lutte qu'il avait inutilement travaillé à prévenir. Peu de
temps après les généraux Howe, Burgoyne et Clinton arrivèrent
d'Europe avec des renforts.
Le congrès ordonna de mettre toutes les provinces en état de
défense, de bloquer l'armée anglaise qui était à Boston et de for-
mer une armée continentale, dont le commandement en chef fut
donné au général Washington. Et afin de dissuader les Cana-
diens de coopérer avec les Anglais, il leur transmit une nouvelle
adresse pour leur démontrer la tendance pernicieuse de l'acte de
Québec, et pour excuser la prise de Carillon et de St'-Frédéric
devenue nécessaire pour le salut de la cause commune.
Pendant qu'il siégeait encore se livra, le 16 juin, la bataille de
Bunkers Hill, où le général Gage n'emporta les retranchemens
des insurgés, moitié moins forts que lui en nombre, qu'au troi-
sième assaut, et après avoir fait des pertes considérables. Cette
affaire fut la plus sanglante et la mieux disputée de toute la
guerre et remplit les Américains de confiance en eux-mêmes.
Elle les vengea aussi des insultes du parlement impérial, et apprit
aux troupes anglaises à respecter leur courage. Le colonel
Arnold qui avait assisté à la prise de Carillon, proposa aussitôt
au congrès d'envahir le Canada et promit avec 2,000 hommes,
de s'emparer du pays. Le congrès, croyant qu'il allait être atta-
qué de ce côté par le général Carleton, jugea que le meilleur
moyen de prévenir une invasion était d'en faire une lui-même,
et de marcher sur Québec dont le chemin était ouvert à ses
armes par la suprématie qu'il avait acquise sur le lac Cham-
plain. Cette audacieuse entreprise devait changer la guerre de
défensive qu'elle était en guerre offensive. Il était du reste d'au-
tant plus porté à embrasser ce parti qu'il était informé que les
Canadiens, excepté la noblesse et le clergé, étaient aussi mécon- .
tens du nouvel ordre de chose que les colons anglais eux-mêmes,
et que les soldats du congrès seraient reçus plutôt en libérateurs
qu'en ennemis. Le général Schuyler avait été nommé au com-
mandement de la division du Nord. Le congrès lui ordonna de
s'emparer de St.-Jean, Montréal et d'autres parties du Canada,
HISTOIRE DU CANADA.
429
b1 la chose était possible et ne niéconlentait pas les habitans.
L'on prévoyait qu'à cette nouvelle le général Carleton sortirait
de Québec avec ses troupes pour défendre les frontières du lac
CliampUiin, et que Québec, qui était la clef du pays, deviendrait
dès lors une conquête facile à faire puisqu'il n'était pas probable
qu'on pût envoyer de renforts d'Angleterre avant l'hiver et l'in-
terruption du fleuve St.-Laurent par les glaces. Si ces prévi-
sions so réalisaient, même en partie, l'on devait faire une tentative
sur cette ville, en détachant un corps qui pénétrerait par les rivières
Kénéhec et Chaudière pour surprendre cette ville. Si l'entre-
prise ne réussissait pas, l'on comptait toujours forcer le général
Carleton à revenir sur ses pas pour protéger sa capitale, ce qui
laisserait sans défense les frontières méridionales canadiennes, et
les exposerait aux courses des troupes américaines comman-
dées par ies généraux Schuyler et Montgomery.* En effet
ceux-ci débarquèrent sous le fort St.-Jean, dans le mois de
septembre, à la tête d'environ 1000 hommes ; après avoir
reconnu la force de la place qu'ils trouvèrent bien gardée, et reçu
plusieurs petits échecs de la part d'une bande de Sauvages com-
mandée par les frères de Lorimier, ils se retirèrent à l'île aux
Noix. En entrant dans le pays ils avaient adressé aux Cana-
diens une proclamation pour les informer qu'ils venaient de la
part du congrès leur faire restituer comme sujets britanniques les
droits dont ils avaient été injustement dépouillés, et dont ils
devaient jouir quelle que fut leur religion, et que leur armée
uniquement destinée à agir contre les troupes royales, respecte-
rait leurs personnes, leurs biens, leur liberté, leurs autels. Cette
proclamation fut répandue partout dans les campagnes.
Le gouverneur Carleton cependant, aux premières nouvelles
de l'invasion, avait acheminé des troupes vers le lac Champlain.
Il n'y avait dans le pays que les deux régimens dont l'on vient
de parler, qui formaient environ 800 hommes. Les habitans du
* Ce dernier était le même Montgomery qui servait dans l'armée du géné-
ral WoUe en 1750, et qui commandait le détachement anglais envoyé pour
brûler St.-Joachim. Après la guerre, il s'était établi dans la Nouvelle-
York, où il avait épousé une Américaine. Dans les difficultés qui survin-
rent entre les colonies et l'Angleterre, il embrassa le parti des premières, et
comme ancien oJIicier, il l'ut élevé aux plus hauts grades de l'armée révolu-
tionnaire.
'fiiA
430
HISTOIRE DU CANADA.
bas de la province, indifférens à tout ce qui se passait, restaient
tranquilles; ceux du haut, plus rapproclus du théâtre des évé-
nemens, chancellaient et paraissaient pencher du côté delà révo-
lution ; mais pour les motifs que nous avons exposés plus haut,
ils désiraient garder également la neutralité. Quant aux Anglais
que l'on mettait dans la balance avec les Canadiens lorsqu'il
s'agissait des laveurs de la métropole, ils ne comptaient point dans
la lutte actuelle, à cause de la petitesse de leur nombre ; d'ailleurs,
la plupart tenaient ouvertement ou secrètement i)our le congrès,*
et l'on n'ignorait pas leurs conciliabules à Québec et à Montréal.
Tel était l'état des esprits lorsque le gouverneur proclama, le 9
juin, la loi martiale et appela la milice sous les armes pour
repousser l'invasion et maintenir la paix intérieure. Cette
mesure inattendue et sans exemple encore en Canada, eut le
plus mauvais effet. M. de la Corne ayant menacé quelques
paroisses de coercition, elles se mirent en défense au passage de
Lachenaye. En préjugeant les opinions, en proférant des menaces
on alarma les indifférens, et l'on forçait ceux qui pouvaient s'être
compromis, à se déclarer. On invoqua aussi le secours du sacer-
doce. L'évêque de Québec, qui venait de recevoir une pension
de £200 du gouvernement, adressa une circulaire aux catho-
liques de son diocèse pour les exhorter à soutenir la cause de
l'Angleterre, menaçant d'excommunication tous ceux qui se mon-
treraient rébelles. Ni la proclamation, ni la circulaire ne purent
laire sortir les habitans de leur indifférence. La vérité est que
le gouvernement qui avait leur sympathie, n'était plus en Amé-
rique : la seule vue d'un drapeau fleurdelisé eut profondément
agité tous ces cœurs en apparence si apathiques.
La population restant sourde à ses appels, le gouverneur pro-
posa de lever des corps de volontaires pour servir jusqu'à la fin
de la guerre. 11 ofi'rit les conditions les plus avantageuses ; on
promettait à chaque soldat 200 arpens de terre ; cinquante de
plus, s'il était marié, et cinquante pour chacun de ses enfans ;
son engagement durerait jusqu'à la fin des hostilités, et les terres
ainsi données seraient exemptes de toutes charges pendant vingt
•Manuscrit de Sanguinet, avocat de Montréal. — Tournais of Ihe Provin-
cial Congress, provincial convention, committee of safety, &c., of the state
of New-York, vol. II,
HISTOIUi: DU CANADA.
431
ans. Ces offres firent peu de prosélytes, et Carleton se vit forcé
de chercher ailleurs des secours. Il envoya des émissaires chez
les Sauvages ; il s'adressa particuliùreinent aux cantons Iroquois.
Quinze années de paix avaient fortifié cette confédération qui
reprenait sou ascendant sur les autres tribus indigènes ; son
exemple pouvait les entraîner et procurer à la Grande-Bretagne
d'autres auxiliaires. Mais il fallait de l'adresse et de puissans
moyens de séduction pour déterminer les Iroquois à prendre part
à une guerre où ils n'avaient aucun intérêt direct, aucun motif
de préférence pour l'un ou l'autre parti. Les vieillards regar-
daient ces débats et les combats sanglans qui devaient s'en suivre
comme une expiation des maux que les Européens leur avaient
faits. " Voilà, disaient-ils, la guerre allumée entre les hommes de
la même nation : ils se disputent les champs qu'ils nous ont ravis.
Pourquoi embrasserions-nous leurs querelles, et quel ami, quel
ennemi aurions-nous à choisir? Quand les hommes rouges se
font la guerre, les hommes blancs viennent-ils se joindre à l'un
des partis ? Non ; ils laissent nos tribus s'affaiblir et se détruire
l'une par l'autre : ils attendent que la terre, baignée de notre sang,
ait perdu ses habitans pour la saisir. Laissons-les, à leur tour,
épuiser leurs forces et s'anéantir ; nous recouvrerons quand ils
ne seront plus, les forêts, les montagnes et les lacs qui appar-
tinrent à nos ancêtres."
C'était ainsi que M. Cazeau, partisan actif du congrès,
leur parlait, ou leur faisait dire par ses émissaires : " C'est une
guerre de frères ; après la réconciliation, vous resteriez ennemis
des uns et des autres." Mais le '.hevali<^'- Johnson, un nommé
Campbell et M. de Saint-Luc les travaillaient dans un sens con-
traire, et ils se firent surtout écouter des jeunes gens. Campbell
leur prodigua les présens ; l'or fit son effet, et Johnson détermina
la plupart des chefs de guerre à descendre à Montréal prendre la
hache. Ils s'obligèrent à entrer en campagne aux premières
feuilles de l'année suivante lorsque les Anglais auraient terminé
les préparatifs de guerre qu'ils avaient commencés ; et c'est pen-
dant que le gouverneur était à Montréal, en juillet, que le colonel
Guy Johnson y arriva avec un corps d'iroquois pour lui repré-
senter la nécessité de mettre les Sauvages en mouvement, parce
que ces peuples n'étaient pas accoutumés à rester longtemps
432
HISTOIRE DU CANADA.
inactifa en temps d'hostilités. Il répondit que ses forces régu-
lières étaient très faibles, que le pays dépendait de la milice cana-
dienne pour sa défense, qu'il espérait être capable d'en réunir
bientôt un corps assez considérable, et qu'il fallait en attendant
amuser les Sauvages, ne jugeant pas qu'il fut prudent de sortir
encore de la province.*
Dans le mois de septembre il eut intention d'aller au secours
de St.-Jean s'il pouvait réunir assez d'habitans des dis*""cts <^es
Trois-Rivières et de Montréal ; mais on a déjà pu voir qu'il ne
devait pas espérer de les trouver disposés pour cela. Les
paroisses de la rivière Chambly allant plus loin qu'elles n'avaient
d'abord pensé, étaient déjà emportées par le torrent, et s'étaient
déclarées pour les Américains ; elles avaient même envoyé des
émissaires dans toutes les autres paroisstts pour les engager à en
faire autant, et les presser de ne point s'opposer à ceux qui
venaient pour renverser l'oppression britannique. Presque tout
le district des Trois-Rivières refusa de marcher à l'ordre du gou-
verneur. Les royalistes, au nombre de quelques centaines,
répondirent à son appel en se rendant à Montréal ; mais s'étant
aperçus ensuite que le gouverneur paraissait douter de leur fidé-
lité, la plupart s'en retournèrent dans leurs foyers. Les habitans
de Chambly se réunirent aux insurgés américains commandés
par les majors Brown et Levingston, détachés par le général
Montgomery pour prendre le fort qu'il y avait au milieu d'eux ;
on se présenta devant la place, qui fut lâchement livrée après un
jour et demi de siège, par le major Stopford, quoique les murailles
n'eussent pas été endommagées, que la garnison, nombreuse com-
parativement, n'eût pas perdu un seul homme, et que ce poste fût
abondamment pourvu de tout.f II livra ses armes et ses drapeaux
aux vainqueurs, qui trouvèrent dans le fort 17 bouches à feu et
une grande quantité de poudre, dont le général Montgomery man-
quait presque totalement. Cette conquête inattendue mit ce géné-
ral en état de continuer plus vigoureusement le siège de St.-Jean,
que, sans cela, il aurait été peut-être obligé de lever. Après la
• Extracts from the Records of Indian Transactions under thesuperinten-
dency of Colonel Guy Carleton, during the year 1775.
t Journal tenu pendant le siège du fort St. -Jean par un de ses défenseurs,
M. Antoine Foucher. v >
HISTOIRE DU CANADA.
433
prise de Chambly, les habitans de ce lieu allèrent renforcer son
armée. Ainsi cette guerre, par la division des Canadiens, pre-
nait le caractère d'une guerre civile. La majorité des Anglais
tenait dans l'automne, ouvertement ou secrètement, pour la cause
américaine. Une partie nombreuse des habitans des campagne^;
l'avait embrassée ou faisait des vœux pour son succès ; les autres,
en plus petit nombre, voulaient rester neutres. Seuls le clergé
et les seigneurs avec une portion de la bourgeoisie des villes
demeurèrent franchement attachés à l'Angleterre, et l'influence
cléricale réussit à maintenir la majorité des Canadiens dans la
neutralité. Aussi peut-on dire que c'est le clergé qui fut, à cette
époque, le véritable sauveur des intérêts métropolitains dans la
colonie.
Le gouverneur voulait secourir à tout prix St.-Jean, misérable
bicoque où une partie de la garnison n'avait que des barraques
en planches pour se mettre à l'abri, mais qui était cependant Ja
clef de la froniière de ce côté ; il ordonna au colonel McLean, qui
commandait à Québec, de lever des milices et de monter à Sorel,
où il irait le joindre. Cet officier arriva au lieu fixé avec environ
300 hommes, la plupart Canadiens, qui commencèrent aussi-
tôt à déserter. Le gouverneur avait réuni de son côté 800
hommes près de lui, sous les ordres de M. de Beaujeu ; mais au
lieu de descendre à Sorel, il voulut traverser à Longueuil sur la
rive droite du St.-Laurent, en présence d'un petit corps améri-
cain avantageusement placé ; puis craignant ensuite la défection
de ses gens, il se retira après avoir reçu quelques coups de fusils
et de canon en passant près du rivage, laissant aux mains de l'en-
nemi les Canadiens et les Sauvages qui avaient sauté téméraire-
ment à terre sans être sûrs d'être soutenus. Le colonel McLean
qui avait reçu ordre en même temps de marcher vers St.-Jean
s'avança jusqu'à St,-Denis ; là trouvant les ponts rompus et les
paroisses soulevées, il jugea à propos de rétrograder jusqu'au
point d'où il était parti, et où ses gens, gagnés par les émissaires
de Chambly, l'abandonnèrent presque tous ; ce qui l'obligea de se
retirer au plus vite à Québec, après avoir fait enlever les armes
et les poudres qu'il y avait à Sorel et aux Trois-Rivières. Le
fort St.-Jean n'ayant plus d'espoir d'être secouru, s'était rendu
le 3, après 45 jours de siège. La garnison au nombre de 500
M
^
434.
HISTOIRE DU CANADA.
hommes, sortie avec les honneurs de la guerre, 6tait demeurée
prisonnière, le vainqueur permettant aux oiriciers des troupes et
aux volontaires canadiens de garder leurs armes comme un
témoignage honorable de leur courage.
Les succès inespérés qui couronnaient ainsi la cause des
Américains dès son début, leur coûtèrent à peine quelques soldats,
en comptant môme ceux qu'ils perdirent à la Longue-Pointe près
de Montréal, lorsque le colonel Allen et le major Brovvn voulurent
surprendre cette ville à la tète de 300 hommes, en l'attaquant
des deux côtés à la fois et en profitant des intelligences qu'ils
avaient dans ses murs. Cette entreprise hardie manqua faute de
pouvoir coordonner les mouvemens. Allen seul put traverser
dans l'île à la tète de 110 hommes. Rencontré par le major
Carden, sorti de Montréal avec 300 volontaires canadiens et une
soixantaine de soldats et de miliciens anglais,* il fut cerné, battu
et fait prisonnier avec une partie de ses gens, et lui-môme envoyé
en Angleterre chargé de chaînes. Pendant le combat les géné-
raux Carluton et Prescott se tenaient dans la cour des casernes
de la ville avec le reste des troupes, le sac sur le dos, prêts à
s'embarquer pour Québec si les royalistes étaient battus. Cette
victoire ne retarda néanmoins la retraite du gouverneur que de
quelques jours ; car le général Motitgoraery n'avait pas été plutôt
maître de St.-Jean qu'il avait poussé ses troupes en avant vers
Montréal, Sorel et les Trois-Rivières, et ces troupes avaient
marché avec tant de rapidité qu'elles avaient failli le surprendre
sur plusieurs points de sa route. La défection des habitani^-^ et la
retraite du colonel McLean l'avaient laissé presque sans défen-
seurs au milieu de cette ville. Se voyant abandonné, il s'était
jeté sur quelques petits bâtimens dans le port avec une centaine
d'officiers et soldats et quelques habitans pour descendre à Québec
lorsque des vents contraires l'arrêtèrent à La Valtrie, à quelques
lieues de Montréal, et le danger augmentant, l'obligèrent à se
déguiser en villageois et à monter sur la berge à rames d'un
• Metnoir of colonel Ethan Allen. — Une trentaine de marchands anglais
Beulement voulurent marcher, les autres refusèrent : Mémoires de Sanguinet.
" C'est là, dit ce royaliste, où l'on reconnut le plus ouvertement les
traîtres."— (iMcnuscriO- , -;
HISTOIRE DU CANADA.
43»
cabottcur, le capitaine liouchette, pour continuer rapidement sa
route au milieu de la nuit. Il ne s'arrêta que quelques heures en
passant aux Trois-Riviùres,où il parut en fugitif comme le colonel
McLean quelques jours auparavant, et seulement accompagné
du chevalier de Niverville et de M. de Lanaudière, et en repartit
au moment où les Amé''icains allaient y entrer.*
Pendant que le gouverneur était en fuite, Montréal avait ouvert
ses portes au général Montgomery, à qui les faubourgs protestè-
rent de leur sympathie pour la cause de la révolution.
La ville des Trois-Rivières, dépourvue de soldats, suivit l'ex-
emple de Montréal. Les citoyens envoyèrent des députés
demander au général américain de les traiter comme il avait
traité ceux de Montréal. Montgomery répondit par écrit qu'il
était mortifié qu'ils eussent des craintes pour leurs propriétés ;
qu'il était persuadé que les troupes continentales ne se rendraient
jamais coupables même d'une imputation d'oppression ; qu'il
était venu pour conserver non pour détruire, et que si la Provi-
dence continuait à favoriser ses armes, il espérait que cette pro-
vince heureuse jouirait bientôt d'un gouvernement libre. Une
partie de la population anglaise se joignit alors aux insurgés, et
les Canadiens, ralliés à la révolution, désarmèrent les royalistes
de cette petite ville. Les Américains qui descendaient à Qué-
bec dans la flotille qui avait descendu le gouverneur à la Valtric,
et qu'ils avaient enlevée sans coup-férir, rencontrèrent le corps
du général Arnold à la Pointe-aux-Trembles. Le colonel Arnold
qui trahit ensuite la cause de sa patrie, avait été marchand de
chevaux. Il tenait de la nature un corps robuste, un esprit
ardent, un cœur inaccessible à la crainte. Dans les circons-
tances fâcheuses où il s'était souvent trouvé, il avait acquis une
assez jçrandc connaissance des hommes, qualité qui compensait
chez lui le défaut d'éducation. Une grande réputation ''e cou-
rage et de talens militaires le fit choisir par Washingion pour
commander le coi'ps qui devait se détacher de son armée devant
Boston, et pénétrer par la rivière Kénébec et la rivière Chau-
dière jusqu'à Québec, suivant le plan dont on a parlé plus haut.
Ses instructions comme celles du général Montgomery, étaient
* Journal tenu aux Trois-Rivières en 1775-6 par M. Badeaux, notaire et
royaliste. — {Manuscrit.)
533
•fv ^'
436
mSTOlUE DU CANADA.
politiques, pércmptoirea et pleines d'humanité. On lui défen-
dait do troubler eous aucun prétexte la tranquillité des Canadiens
ni de blesser leurs préjugés. On lui ordonnait de respecter leurs
observances religieuses, de payer libéralement toutes les choses
dont il pourrait avoir besoin, et de punir avec rigueur les soldats
qui commettraient des désordres. Il devait poursuivre et harce-
ler les troupes anglaises et prendre garde de faire quelque
chose qui pût rendre le peuple hostile à la cause américaine. Il
mit six semaines à traverser la chaîne des Alléghanys et à se
rendre de Cambridge à Québec. Il traversa le fleuve audessus
de cette ville, au Foulon,eti)arut le 13 novembre, dans les plaines
d'Abraham avec 650 hommes seulement sur plus de 1000,
infanterie, artillerie et carabiniers, avec lesquels il s'était mis en
route. Obligé de traverser un pays complètement sauvage et de
suivre des rivières remplies de rapides et de dangers, il n'avait
pu surmonter tous ces obstacles qu'en sacrifiant la plus grande
partie de ses munitions et de son bagage, et en se réduisant à
vivre de fruits sauvages et de feuilles d'arbres. Arrivé à la
source de la rivière Kéuébec, il renvoya les malades et tous ceux
qui ne se sentaient pas la force ou le courage de le suivre plus
loin. Tiop faible pour attaquer Québec seul, il remonta la rive
gauche du St.-Laurent jusqu'à la Pointe-aux-Trembles pour opé-
rer sa jonction avec le général Montgomery qui descendait suivi
do quelques cf^ntaines d'hommes seulement. Les deux corps
réunis ne formant encore, qu'environ 1000 à 1200 soldats, se rap-
prochèrent aussitôt de la capitale canadienne, qu'ils investirent
dana les premiers jours de décembre.
Le gouverneur y était rentré le 13 du mois précédent, après
avoir manqué une troisième fois d'être pris à la Pointe-aux-
Trembles, où il avait voulu mettre pied à terre, et n'avait eu que
le temps de se sauver pour échapper aux troupes du colonel
Arnold qui pé>nétraient dans ce village. Il trouva la population
de la ville partagée en deux camps, et fort indécise sur le parti
qu'elle devait embrasser. Il y avait eu déjà plusieurs assem-
blées. Le 12 novembre il s'en était tenu une dans la chapelle
du palais épisoopal, pour discuter la question de savoir si l'on
devait défendre la ville. Le colonel McLean qui arrivait, apprit
en débarquant qu'elle délilx^rait ; il entra dans la chapelle et
M,,
IIIHTOIHE DU CANADA.
487
trouva un nommo Williams, le premier signataire de la pétition
des marchands anglais de Tli au roi, qui tâchait, du haut de la
chaire où il était monté, de persuader aux habitans de livrer la
ville aux armes du congrès ; le colonel McLcan le fit descendre,
dissuada l'assemblée de suivre un aussi lâche conseil et la con-
gédia. Le bruit courait alors qu>? les citoyens anglais avaient
préparé une capitulation pour l'offri.* au colonel Arnold. Aussitôt
que le gouverneur fut rentré dans Québec il fit tout ce qu'il put
pour mettre cette ville en état de défense, et pour encourager les
citoyens à faire leur devoir en restant fidèles au gouvernement.
Il assembla la milice bourgeoise et en parcourut les rangs en com-
mençant par les Canadiens qui occupaient la droite, et auxquels
il demanda s'ils étaient résolus de se défendre en bons et loyaux
sujets ; tous répondirent affirmativement par des acclamations ;
les miliciens anglais en firent ensuite autant. Mais comme il
restait encore quantité de gens mal affectionnés qui désiraient le
succès de la révolution, le gouverneur ordonna, le 22 novembre,
à tous ceux qui ne voulaient pas prendre les armes de sortir de
la ville, voulant se mettre à l'abri de la trahison et se débarrasser
des bouches inutiles. Quantité de marchands anglais, Adam
Lymburner à leur tête, se retirèrent alors à l'île d'Orléans, à
Charlebourg et dans d'autres campagnes en attendant, pour crier
vive le roi ou vive la ligue, le résultat de la lutte.
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•V!»^'— «
APPENDICE.
Page 104.— Etat Asar ,t du contenu au Rolle dea familles de la colonie
de la Nouvelle*Fraace.
1666.
Québec 655
Beaupré 678
Beauport 173 /
Isle d'Orléans : 471 .
St.-Jean,St.-Fran(oiset.St.-MicheL...... 156
Sillery 217
NostieDame-des-Anges, et Rivière de St.-Charles 118
Coste de Lauzon 6
Montréal 584
Trois-Rivières 461
, ,• Total 3,418 >
Etat du nombre des hommes capables de porter les Jii. »o c
armes, depuis 16 ans jusques à 60.„t.. 1,344
Il y a sans doute quelques omissions dans le rolle des familles, qui seront
réformées durant l'hiver de la présente année 1666. ..... H„id
(Signé)
■r -f-^ TALON.
RKCINBEMElfT FAIT EN LA NOUVELLE FRANCE EN
1734.
Eglises 102
Curés et Missionnaires 83 '
Presbytères 76
Prêtres et Chanoines... 32
Jésuites 18
Récollets 27
Religieuses de l'Hôtel-Dieu 97
Ursulines 80
Religieuses de l'Hôpital-Général, et Frères )
Charrons )
Soeurs de la Congrégation 96
1^
i i*l
iir
HO
APPENDICE.
Moulins à blé 118
" à scie , 52
Familles 6,422
Hommes au-dessus de 50 ans 1,718'
" au-dessous de 50 " 4,588
« abseus 430
Femmes et veuves 6,593
Garçons au-dessus de 15 ans..... 3,805
" au-dessous de 15 " 8,342
Filles au-dessus de 15 " 3,654
" au-dessous de 15 " 8,122_
Terres en valeur, arpens ^ 163,111
Prairies 17,657
Blé français, minots 737,892
" d'Inde 5,223
Pois
.37,252
63,549
Avoine 163,988
Orge 3,462
Tabac, livres 166,054
Lin " 92,246 '
Chanvre " 2,221
Chevaux , 5,056
Bestesà cornes, 33,179
Moutons 19,815
Cochons 23,646
Armes à feu ,, 6,619
Epées 784
N. B. — Ce recensement a été fait avec toute l'exactitude possible ,' et on
le croit le plus exact qui ait été envoyé jusques ici.
(B)
P. 150. — Etat du montant des importations et des exportations annuelle»
du Canada entre les années 1749 et 1755 inclusivement.
ANNEES. LITRES.
1749 Importations 5,682,090
Exportation*. 1,414,900
Différence 4,267,190
1750 Importations 5,154,861
■ Exportations 1^337,000
Différence 3,817,861
mm
441
APPENDICE.
1851 Importations 4 439 4^^
Exportations I,515i932
Différence 2 923 558
1752 Importations 6,047,820 ' '
Exportations 1,554,400
,Y^, , , ,. Différence 4,493,420
1753 Importations 5,195,733
Exportations 1,706,130
,-.,, , ,. Différence 3,489,603
1754 Importations 5 147 621
Exportations..... Zï.ZZ'. l',576',616
, . ,, . Différence ^571 ,005
Arrivages — Vaisseaux venant de France 32
" des Iles 10
" de Louisbourg et de )
l'Acadie! } 11
53
1755 Importations 5,203,272
Exportations 1,515,730
3,687,542
1
i
1
CHAPITRE IL
TRAITÉ d'utrecht. — 1701-1713.
Une colonie canadienne s'établit au Détroit malgré les Anglais et une partie
des Indigènes. — Paix de quatre ans.— Guerre de la succession d'Espagne.
SOMMAIRES.
LIVRE SIXIEME.
CHAPITRE I.
ÉTABLISSEMENT DE LA LOUISIANE. — 1683-1712.
De la Louisiane. — Louis XIV met plusieurs vaisseaux à la disposition de la
Salle pour aller y fonder un établissement. — Départ de ce voyageur ; ses
difficultés avec le commandant de la flotille, M. de Beaujeu. — L'on passe
devant les bouches du Mississipi sans les apercevoir et l'on parvient jus-
qu'à la baie de Matagorda (ou St.-Bernard) dans le pays que l'on nomme
aujourd'hui le Texas. — La Salle y débarque sa colonie et y bâtit le fort
St. Louis. — Conséquences désastreuses de ses divisions avec M. de Beau-
jeu, qui s'en retourne en Europe. — ^La Salle entreprend plusieurs expédi-
tions inutiles pour trouver le Mississipi. — Grand nombre de ses compa-
gnons y périssent — Il part avec une partie de ceux qui lui restent pour les
Illinois, afin de faire demander des secours en France. — Il est assassiné. —
Sanglans démêlés entre ses meurtriers ; horreur profonde que ces scènes
causent aux Sauvages. — Joutel et six de ses compagnons parviennent aux
Illinois. — Les colons laissés au Texas sont surpris par les Indigènes et
tués ou emmenés en captivité. — Guerre de 1689 et paix de Riswick, —
D'Iberville reprend l'entreprise de la Salle en 1698, et porte une première
colonie canadienne à la Louisiane l'année suivante; établissement de
Biloxi (1698.) — Apparition des Anglais dans le Mississipi. — Les Hugue-
nots demandent a s'y établir et sont refusés. — Services rendus par eux à
l'Union américaine. — M. de Sauvole lieutenant-gouverneur. — Sages re-
commandations du fondateur de la Louisiane touchant le commerce de
cette contrée. — Mines d'or et d'argent ; illusions dont on se berce à ce
sujet. — Transplantation des colons de Biloxi dans la baie de la Mobile
(1701.) — M. de Bienville remplace M. de Sauvole. — La Mobile fait des
progrès. — Mort de d'Iberville ; caractère et exploits de ce guerrier. — M.
Diron d'Artaguette commissaire-ordonnateur (1708.) — La colonie languit.
—La Louisiane est cédée à M. Crozat en 1712, pour 16 ans p. 3.
Il
I
I
444.
SOMMAIRES.
La Franco inalheurense en Europe l'est moins en Amérique. — Importance
du traité de Montréal ; ses suites heureuses pour le Canada. — Neutralité
de l'ouest; les hostilités se renferment dans les provinces maritimes. —
Faiblesse [de l'Acadie. — Affaires des sauvages occidentaux ; M. de Vau-
dreuil réussit à maintenir la paix parmi les tribus de ces contrées. —
Ravage commis dans la Nouvelle- Angleterre par les Français et les Abé-
naquis.— Destruction de Deerlield et d'Haverhill (1708). — Remontrances
de M. Schuyler à M. de Vaudreuil au sujet des cruautés commises par
nos bandes ; réponse de ce dernier.— Le colonel CLurch ravage l'Acadie
(1704). — Le colonel March assiège deux fois Port-Royal et est repoussé
(1707). — Terreneuve : premières hostilités ; M. de Subercase échoue
devant le fort de St.-Jean (1705). — M. de St.-Ovide surprend avec 170
hommes en 1609 la ville de St.-Jean défendue par près de 1000 hom-
mes et 48 bouches à feu et s'en empare. — Continuation des hostilités à
Terreneuve. — Instances des colonies anglaises auprès de leur métropole
pour l'engager à s'emparer du Canada. — Celle-ci promet une ilotte en
1709 et 1710, et la flotte ne vient pas. — Le colonel Nicholson prend Port-
Royal ; diverses interprétations données à l'acte de capitulation ; la
guerre continue en Acadie ; elle cesse. — Attachement des Acadiens pour
la France Troisième projet contre Québec; plus de 16 mille hommes
vont attaquer le Canada par le St. Laurent et par le lac Champlain ; les
Iroquois reprennent les armes. — Désastre de la flotte de l'aminal Walker
aux Sept-Iles ; les ennemis se retirent, — Consternation dans les colonies
anglaises. — Massacre des Outagamis qui avaient conspiré contre les Fran-
çais.— Rétablissement de Michilimackinac. — Suspension des hostilités
dans les deux mondes. — Traité d'Utrecht ; la France cède l'Acadie, Ter-
reneuve et la baie d'Hudson à la Grande-Bretagne. — Grandeur et humi-
liation de Louis XIV ; décadence de la monarchie. — Le système colonial
français p. 19.
CHAPITRE m.
COLONISATION DU CAP-BRETON. — 1713-1744.
Motifs qui engagent le gouvernement à établir le Cap- Breton. — Description
de cette île, à laquelle on donne le nom d'Ile-Royjde. — La nouvelle colonie
excite la jalousie des Anglais. — Projet de l'intendant, M. Raudot, et de
son flis pour en faire l'entrepôt général de la Nouvelle-France, en 1706.
— Fondation de Louisbourg par M. de Costa Bella. — Comment la France
se propose de peupler l'île. — La principale industrie des habilans est la
pêche. — Commerce qu'ils font. — M. de St.-Ovide remplace M. de Costa
Bella. — Les habitans de l'Acadie, maltraités par leurs gouverneurs et tra-
vaillés par les intrigues des Français, menacent d'émigrer à l'Ilo-Royalo.
— Le comte de St. -Pierre forme une compagnie li Paris en 1719, pour éta-
SOMMAIPES
445
lilir I lie Si.-Jtiin, Vi)i.-5iiic lin Cup-Iiictnii ; li; roi concnile eu outre à celle
••ompagiiio les îles ATiscou et de la Magdcleiiu^. — L'entreprise échoue pur
les divisions (les associés p. 61,
MVUK SKP'PIKMK.
(-"HArriKK I.
SYSTÈME 1)K l.AW. — CONSPIRATION DES NATCHfiS. — ^17l'2-1731.
J-a Louisiane, Ses liabitun.s et ses limites. — M. Crnzat en prend possi'ssiou
en vertu de la (cession du roi. — M. de la Mottf; Cadillac, {gouverneur ; M.
Duclos, coniujissaire-nrdonnateur. — Conseil supérieiu' établi ; introduction
de la coutunfc de Paris. — AL ('rozal veut ouvrir d(!s relations commer-
ciales avec le M(!.\ii(ue; voyai^es de M. JnchereaudeSt.-Denisàcesujet ;
il érlioMc. — Ou l'ail la traite des pelleteries avot les Indigènes, dont une
jiortifrti enibrassi; lo iiartides Any;lais de la Virj!:inie. — Les Natchés cons-
pirent contre les Français et sont punis. — Uésenchantement de M. Crozat
louchant la Louisiane ; cette province décline rapidement sous son mono-
pole ; il la rend (I7I7) au roi, <|ui la concède à la compagnie d'Occi<lent
létablie i)ar Law. — Système de ce l'ameux linancier, — M. de l'Esiiinay
succède à M. de la Motte Cadillac, et j\L Hubert à M. Uuclos. — M. de
Hieuville lenipiacr bientôt après RI. de riCsjtinay. — La Nouvelle-Orléans
est l'ondée par Al. de Bienviile (1717.) — Nouvelle organisation de la colo-
nie ; moyen ([ue l'on prend pour la peupler, — Terrible lamine parmi les
• ■olons accnuiulés à iiiloxi. — Divers-établissenu'us des Français. — Guerre
avec i'Rsiiagne. — Hostilités en Aniéri(|ue: l'ensacola, île Dauphine. —
l'aix.— Louis XV récompense les olticiers de la Louisiane. — Traité avec
les Cbicachas i;t les Natchés. — Ouragan du 12 septembre (1722.) — Mis-
.sionnaires. — Chute du système de Law. — La Louisiane passe à la com-
pagnie des Indes. — Mauvaise direction de cette compagnie. — M. Perrier,
gouverneur. — Les Indiens forment le projet de détruire les Français;
nias.sacri' aux Natchés; le coiniiiol n'est exécuté (pie partiellement. —
<i'uene à nujrt laile aux Natchés ; ils sont anéantis, 1731 p. 73.
CHAPITRE il.
LIMITES— 1713-1744.
Klat du Caïuida : couunerce, linaïu'cs, justice, éducation, divisions parois
siales, population, défenses. — Plan de M. de Vaudreuil pour l'accroiss(;
,, •#
'.*»V— ***
446
SOMMAIRES.
itiL'nt du pays. — Délimitation des Irontiùrrs entre les colonies i'rançriiscs et
les colonies anglaises. — Perversion du droit publie dans le Nouveau-
Monde au sujet du territoire. — Rivalité de la Franco et de la Girandc-
Jîretagne. — Différends relatifs aux limites de leurs possessions. — Frontière
de l'Est ou de l'Acadie. — Territoire des Al)éna(iuis. — Les Américains
veideiit s'en emparer. — Assassinat du 1'. Ilaslo. — Le P. Aubry propose
luie lii^ne tirée de Bcaubassin à la source de l'ITudson. — Frontière de
l'Ouest. — Principes diflerens invoqués par les deux nations ; elles établis-
sent des forts sur les territoires réclamés par chacune d'elles réciproque-
ment.— Luttes d'empiétemens ; prétentions des colonies anglaises ; elles
veulent accaparer la traite des Indiens. — Plan de M . Burnet. — Le commerce
est défendu avec le Canada. — Etablissemens de Niagara par les Français
et d'Eswégo par les Anglais. — Plaintes mutuelles qu'ils s'adressent. —
Fort St.-Frédéric élevé par M. de la Corne sur le lac Champlain ; la
contestation dure jusqu'à la guerre de 1744. — Progrès du Canada. — Emi-
gration ; perte du vaisseau le Chameau. — Mort de M. de Vaudreuil
(1725); qualités de ce gouverneur. — M. de Beauharnois lui succède. —
M. Dupuy, intendant. — Son caractère. — M. de St. Vallier second évoque
de Québec meurt ; dffficultés qui s'élèvent relativement à son siège,
portées devant le Conseil supérieur Le clergé récuse le pouvoir civil. —
Le gouverneur se rallie au parti clérical. — Il veut interdire le conseil, qui
repousse ses prétentions. — Il donne des lettres de cachet pour exiler deux
membres. — L'intendant fait défense d'obéir à ces lettres. — Décision du
roi. — Le cardinal de Fleury premier ministre. — M. Dupuy est rappelé. —
Conduite humiliante du Conseil. — Mutations diverses du siège épiscopal
jusqu'à l'élévation de M. de Pontbriant. — Soulèvement des Outagamis
(1728) ; expédition des Canadiens ; les Sauvages se soumettent. — Voyages
de découverte vers la mer Pacifique ; celui de M. de la Vérandrye en
1738 ; celui de MM. Legardeur de St. -Pierre et Marin quelques années
après ; peu de succès de ces entreprises. — Apparences de guerre ; M. dt-
Beauharnois se prépare aux hostilités p. 101.
i i'' >
LIVRE HUITIEME.
CHAPITRE I.
COMMERCE 1608-17M.
De l'Amérique et de ses destinées. — But des colonies cpii y ont été éta-
blies.— Le génie commerçant est le grand trait caractéristiciuedes popula-
tions du Nouveau-Monde. — Commerce canaiiien : effe'. destructeur des
guerres sur lui. — Il s'accroît cependant avec l'augmentation de la popula-
tion.—Son origine : pêche de la morue. — Traite des pelleteries de tout
SUiMMAlRU:;.
•147
temps principale Itranche du commerce de la Nouvelle- Franco. — Elle est
abandonnée au monopole des particuliers onde compagnies jus(iii'en 1731 ,
qu'elle lonibe entre les mains du roi pour passer en celles des fermiers. —
Nature, profits, grandeur, conséquences de ce négoce; son utilité politi-
t[uo. — Rivalité des colonies anglaises; moyens que prend M. Burnet,
gouverneur de la Nouvelle-York, pour enlever la traite aux Français. —
Lois de 1720 et de 1727. — Autres branches de commerce : pêcheries, com-
bien elles sont négligées, — Bois d'exportation. — Construction des vais-
seaux.— Agriculture ; céréales et autres produits agricoles. — Jin-seng. —
Exploitation des mines. — Chiffre des exportations et des importations. —
Québec, entrepôt général. — Manufactures : introduction des métiers pour
la fabrication des toiles et des draps destinés à la consommation intérieure.—
Salines. — Etal)lissement des postes et messageries (1745). — Transport
maritime. — Taxation : droits de douane imposés fort tard et très modé-
rés.— Systèmes monétaires introduits dans le pays ; changemens fréquens
qu'ils subissent et perturbations qu'ils causent. — Numéraire, papier-mon-
naie : cartes, ordonnances ; leur dépréciation. — Faillite du trésor, 1«
papier est liquidé avec perte de 3[8 pour les colons en 1720. — Observations
générales, — Le Canadien plus militaire que marchand. — Le trafic est.
permis aux fonctionnaires publics ; alTreux abus qui en résultent. — Lois
di! commerce. — Etablissement du siège de l'Amirauté en 1717 ; et d'une
bourse à Québec et à Montréal. — Syndic des marchands. — Le gouverne-
ment défavorable à l'introduction de l'es>clavage au Canada.... p. 133.
CHAPITRE IL
I
!»
LOUIS30UUG. — m^-mS. ''
Coalition en Europe contre Marie-Thérèse pour lui ôter l'empire (1740.)
— Le Maréchal de Belle-Isie y fait entrer la France. — L'Angleterre se
déchire pour l'impératrice en 1744. — Hostilités en Amérique. — Ombrage
(pie Louisbourg cause aux colonies américaines. — Théâtre de lu guerre
dans ce continent. — Les deux métropoles, trop engagées en Europe,
laissent les colons à leurs propres forces. — Population du Cap-Breton ;
torlifications et garnison de Louisbourg. — Expédition du commandant
Duvivier à Canseau et vers Port-Royal. — Déprédations des corsaires. —
Insurrection de la garnison de Louisbourg. — La Nouvelle- Angleterre, sur
la proi)osition de M. Shirley en profite pour attaquer cette forteresse.—-
Le Colonel Pep[)errell s'embarque avec 4,000 hommes, et va y mettre le
siège pur terre tandis que le commodore Warren en bloque le port. — Le
commandant français rend la place. — Joie générale dans les colonies
anglaises; sensation que fait cette conquête. — La populalionde Louisbourg
esf transportée en Fiance. — Projet d'invasion du Canada qui se prépare à
\ I
ys
SOMJMAtKKS.
tenir tète à l'orage. — Escadre du iliic d'Anville pour reprendre Loiiisbourg
et attaquer lus colonies anglaises, (lilfi) ; elle est disjjcrsoe par une
tempête. — Une partie atteint Cliibrtiiclou (Halifax) avec une épidémie à
hord.— Mortalité effrayante paimi les soldats et les matelot».— Mort du
duc d'Anville. — M. d'Estournclle qui lui succède se perce de son épée. —
M. de la Jonquière persiste à attacpu.'r Port-Royal ; tnie nouvelle tcmjjcle
disperse les débris de la Hotte. — Frayeur et armement des colonies amé-
ricaines.— M. de Ramsay assiège Port-Royal. — Les Canadiens dél'onl lo
colonel Noble au Grand-Pré, Mines. — Ils retournent dans leur [wys. —
Les frontières anglaises sont attaquées, les forts Massachusetts et Bridgman
surpris et Saratoga brûlé ; fuite de la population. — Nouveaux armemens
de la France ; elle perd les combats navals du Cap-Finistère et de Ik'll»-
Isle. — Marine anglaise et française. — Faute du cardinal Fleury d'avoir
laissé dépérir la marine en Fnuice. — Le comte de la («alissonniére gou-
verneur du Canada. — Cessation ili's hnslilités ; traité d'Aix-la-ClmpelIn
(17 If*). — Suppression de Pinsurrect ion des \liâmis, — Paix générale, p. IH.l,
CHAPITRK m.
COMMISSION DES FRONTIÈRES. — I7i8-I7f);').
iiii paix d'Aix-la-Chapelle n'est q'une trêve. — L'Angleterre profile de lu.
ruine de la marine française pour étendre les frontières île ces possessions
en Amérique. — M. de la (Jalisi-i)nnière,gouverneur(lu Canada. — Ses i)lan«
pour empêcher les Anglais de s'élendi(\ adoptés par la mur. — PrélentiouM
<le ces derniers. — Droit de «lécouverle et de possession des Français. —
Politique de M. de laGalissonnicre, la meilleure quant aux limites. — émi-
gration des Acadiens : part qu'y prend ce gouverneur. — Il ordoinie de
l)âtir ou relever plusieurs forts dans l'Ouest ; garnison au Détroit ; fon-
dation d'Ogdensburgh (1719).— Le marquis de la Jonquière remplace M.
de la Galissonnière. — Projet que ce dornier propose à la cour pour peupler
le Canada. — Appréciations de la politique de son prédécesseur par M. di-
la Jonquière ; le ministre lui enjoint de la suivre. — Le chevalier de la
Corne et le major Lawrence s'avancent vers l'isthme de l'Acadie et s'y
fortifient ; forts Beauséjour et Gaspareaux, Lawrence et des Mines. —
(iord Albemarle, ambassadeur britamiiciue à Paris, se plaint des enipiéte-
mens des Français (17.'')0) ; réponse de M. de Puyzieulx. — La France se
plaint à son tour des hostilités des Anglais sur mer. — Ktablisseirient des
Acadiens dans l'ile St.-Jean ; lem- triste situation. — Fondation d'Halifa.s
(1749). — Une commission est nommée pour régler la question des limites :
MM. de la Gallisonnière et de Silhouette pour la France ; ]MM. Shirley et
Mildmay pour la Grande-Bretagne, — Convention préliminaire : tout doit
rester dans le Stalu quo jusqu'au jugement définitif. — Conférences à
(•OMMAIKKS.
449
P.iris; l'AiiKlotciTc lôc.laitic toute la rive moiidioiiiilc «lu St.-Laiirciit
flopuis le tçnll'e jusqu'il QuébiT ; ' i France muiiitu'Ut (iiic TAciulie suivant
SOS anciennes limites, se home au territoire ([ui esta l'est d'une ligne tirée
dans la péninsule de l'entrée de la baie de Foiuly au Ca[) Canseau.— Notes
raisonuées à l'aiipui de ces prétentions diverses. — Les deux jjarties ne se
cèdent rien. — Affaire! de l'Ohio ; intrigues {\es Anglais parmi les naturels
de cette contrée, et des Français dans les cin(| cantons. — Traitans de la
Virfçinie arrêtés et envoyés en France. — Les deux nations envoyent des
iroupes siu- l'Ohio et s'y Cortilieut. — Le j^ouverneur l'uit délense aux
Demoiselles Desauniers de faire la traite du castor au Sault-St.-Louis ;
ditflcidté que cela lui suscite avec les Jésuites, qui se ])lai!^nent de sa con-
duite à la cour, de la part ([u'il prend lui et son secrélaiie an commerce et
de sou népotisme. — FI dédaigne de se justilier. — Il tombe malade et meurt
à Québec en 17.'J2. — Son origine, sa vie, sou caractère. — Le manjuis de
l)n(|uesne lui succède. — Atl'aire <le l'Ohio contijnié(!. — Le colonel Wash-
ington marche iiour attaquer le fort Duquesne, — Mort de .lumonville. —
Déliiile lie Washington i)ar AT.de Villiers au fort de la Nécessité (I7.t1)
Plan des Anglais poiu' l'invasion du CUuiada ; assend)lée des gouverneurs
coloniaux à Albany. — J^e général Uraddock est envoyé par la Grande-
Bretagne eu Améri<|iie avec des Iroupes. — \jO baron Dieskau débarque
il (Québec avec 4 bataillons [ l^nf).] — Négociations d(!s deux cours au sujet
de l'Ohio. — Note i\u duc de? Mirepoix du IT) janvier 17;'),^; réponse du
cabinet de Londres. — Nouvelles propositions des ministres iraii(;ais; l'An-
gleterre élève ses demimdes. — Prise (hi Lys et de l'Alcitle par l'iimiral
Boscaweii. — La France déclare la guérie il l'Angleterre p. JS!).
/
r.rVKE NKUVIEMK.
CliAl'ITKM I.
GUliKUK DE SliTT ANS.^ — 17r);V17r)().
Situation des esprits en France et en Angleterre à l'époque la guerre de
Sept ans. — La France chiingo sa politique extérieure en s'alliant il l'Au-
triche qui Hatte madame de l'ompadoiir, maîtresse de Louis XV. — Popn-
liirité de la guerre dans la (irande-Bretaj^ne et dans ses colonies; ses im-
menses arméniens. — Extrême faiblesse numériiiue des forces du Ca-
nada.— riiui d'attaque et de défense de ce jmys ; zèle des habitans. —
l'remièr(!s opérations de la campagne. — Un corps de troupes, parti de
lîoston, s'emi)ari' do Beauséjour et de toute la péninsule aciidieiine ; exil
et dispersion des Acadiens. — Le général Braddock marche sur le Ibrt
Duquesne du côté du lac Erié ; M. de Beaujeu va au-devant de i'ii ; bataille
de la Monongahéla; défaite complète des Anglais et mort de leur général.
— L'épouvante se ré^iand dans leurs colonies, que le? bandes c;inadi':.iuei?
480
SOMMAIRES.
rt U'3 Sauvages attaqneiil sur divers jioints en comniettiuU de grands rava^jea
et faisiuit beaucoup de prisonniers. — Arnnées anglaises destinées à atta-
quer Niagara au pied du lae Erié et St. Frédéric sur le lac Champlain. —
Le colonel Johnson se retranche it la tête du lac St.-Sacrenient ((/eorge).
—Le général Dicskau attaque les retrancheniens du colonel Johnson ; il
est repoussé et lui-même tombe blessé entre les mains de l'ennemi. — Le
peuple des colonies anglaises murmure contre l'inactivité de Johnson après
cette bataille ; réponse de ce commandant. — Le général Siiirley aban-
donne le dessein d'assiéger Niagara. — Résultat do la campagne. — Mau-
vaises récoltes en Canada; commencement de la discite. — Préparatifs de
l'Angleterre pour la prochaine campagne. — Exposition de l'état du Ca-
tiada; demande de secours à la France. — Le général IMontcalm arrive à
Québec dans le ])rintemps de 1756 avec des renforts, — Plan d'opérations
de la prochaine campagne. — Disproportion des forces des deux parties
belligérantes; projets d'invasion des Anglais p. 211.
CHAPITKE n.
PRISE d'oSWÉGO et de WILLIAM-HENRY. — 17r)()-1757.
Alliances indiennes ; les cantons iroquois protestent de leur neutralité. —
Préparatifs militaires. — Bandes canadiennes en campagne tout l'hiver
(17ij5-.')tJ) ; ilestiiiction du Ibrt Bull et disi)ersIon d'un convoi de 400 ba-
teaux ennemis. — Conjmi.'ucement de désunion entre If gouverneur et le
général Montcalm au sujet de l'entreprise siu- Osvvégo.— Siège de cette
place.-— La garnison abandonnée du général Webb cajiitule. — Bulin qut;
l'on l'ait. — Les Sauvages tuent un grand nombre de prisonniers ; on ne
parvient à les arroler qu'avec beaucoup de peine. — Les fortifications d'Os-
wégo sont rasées. — Joie que celte victoire répand en Canada. — Les
Anglais suspendent toutes leurs opérations pour le reste de la campagne. —
Les Indiens ravagent leurs provinces. — Les Canadiens enlèvent Grenville
à 20 lieues de Philadelphie. — Disette en Canada. — Arrivée des Acadiens
qui mouraient de faim. — Ils se disjjcrbcnt dans le pays. — Denian<le de
secours en France. — Augmentation rapide des dépenses. — Montcalm sug-
gère d'attaquer l'Acadie au lieu des forts Edouard et Wibiam-Henry. —
Pitt monte au timon des affaires en Angleterre ; nouveaux efforts de cette
puissance en 1757. — Elle forme et on abandonne en chemin le dessein de
prendre Louisbourg, protégé par la flotte de l'amiral Dubois de la Motthe.
— Des bandes canadiennes tiennent la campagne pendant l'hiver ; INf. de
Uigaud, à la tête de 1,500 hommes, détruit les environs du fort William-
Henry. — Les tribus indiennes restent fidèles à la France,» qui envoie des
secours. — Prise de William-Henry après un siège de 6 jours. — La garnison
forte de 2,400 hommes, met bas les armes.— Les prisonniers sont encore
attaqués à l'improviste par les Sauvages, qui en massacrent plusieurs, les
SOMMA ITIES.
451
pillenf t't les dispersent.— Lo i'oil Williiim-Henry est aussi ruF«. — Lu
Disi.'tto va en miKmentant en Canadii. — Miiinmres des troupes.— Les dis-
sentions deviennent plus visibles entre les chefs de la colonie. — Sucées
variés île la France dans les autres jiarties du Monde. — Elle ne peut
envoyer rpie quelcjucs recrues en Arn«jri(iiip. — L'Anj;;Ieterre y porte soi»
armée à .^)0,00() hommes dont 22,(){J0 réj,'uliers, poin- la «anipasçne de
1758.
p. ',M;i.
CHAPITRE III.
BATAILLE Dlî CARILLON. — 1758.
Lo Canada abandonné de la France, résout de combattre jusqu'à la dernière
i!Xtri'-rnité. — Plan de campai^ne do l'Angleleire : elle se propose d'alla<iuer
simultanément Louisbourg, Carillon et le fort Duquesne. — Prisedo f^ouis-
boury après un siège mémorable, et invasion de l'île St. -Jean ; les vain-
([ueiirs ravagent les établissemens de (îaspé et de Mont-Louis. — Mesures
défensives du Canada. — iMarche du général Abercrondjy avec unn armée
de 16,()()() hommes sur Carillon défendu par moins de 3,r)00 Français. —
lîiitaiUe de Carillon livrée le 8 juillet. — Uél'aite d'Abercromby et sa fuite
précipitée. — Le colonel Bradstreet surprend et brûle le fort Fiontenac. —
Le général Forbes s'avance contre le fort Duquesne. — Défaite du major
Orant. — Les Français brûlent le fort Duquesne et se refirent. — Vicissitudes
de la guerre dans toutes les parties du monde. — Changement de ministres
en France. — Brouille entre le général Montcalm et le goiiverneur.-
Observatioiis des ministres sur les dilapidations du Canada et reproclic-i
sévères à l'intendant Bigot. — Intrigues pour faire rappeler M. de Vau-
dreuil et nommer Montcalm gouverneur. — Les ministres décident de faire
rentrer ce dernier en France ; le roi s'y oppose. — Déjiêches conciliatrices
envoyées avec des récompenses et des avancemcns. — On n'expédie point
de renforts. — Défection des nations indiennes, qui embrassent la cause de
l'Angleterre par le traité de Easton. — Cette dernière juiissance décide
d'attaquer Québec avec trois armées qui se réuniront sous les murs de
«•ette capitale. — Forces du Canada et moyens défensifs adoptés jwur résis-
ter à cette triple invasion p. 269,
/l
LIVRE DIXIEME.
CHAPITRE. I.
VICTOIRE DE MONTMORENCY ET PREMIÈRE BATAILLE d'aBRA-
HAM. REDDITION DE QUÉBEC. 1759.
Invasion du Canada. — Moyens défensifs qu'on adopte. — L'armée française
se retranche à Beauport, en face de Québec. — Arrivée de la Hotte enne-
mie.— Les troupes anglaises débarquent à l'île d'Orléans. — Manifeste du
général Wolfe aux Canadiens. — Ce général, jugeant trop hasardeux d'at-
452
SOMMAIUKS.
lii(lU(M'l(' piimj) tViiii(;iiis, docidc ilc lioniN^mlcr la i'a|iitiil(,' cl de i'uvai!;ei- les
l'unipau^nes. — La ville est. iiicciidiôc. — Altaiiufî des lignes l'iuiiçaiscs ti
Montmorency. — WolCe repoussé, rentre accablé dans son camp et tonilx-
malade. — Il tente vainement de se inettre en coiimiunicatioii avec le
général Amherst sur le lac (Jhamplain. — Les autres fjénéraux lui «n>;;;è-
lent (le s'emparer des hauteurs d'Abraliam par surprise u/in de forcer les
{'"liiiiçais à sortir de leur camp. — f.i' tié\\6rii\ Monicalm envoie des Iroupes
|Hinr j^arder la rive j^auclie du St.-Liiuient ilepuis (Québec juscpi'à Jac(|ucs
Cartier.— !<îrand nombre de Canadiens, croyant le danfçer passé, ipiitlt^nl
l'armé ; jwur aller vatpier aux travaux des champs. — Du colé du lac
Clianiplain AL de IJourlamarque lait sauter les loris Carillou et !St.-Fré-
déric, et se replie à l'île aux Noi.x devant lejçénéral Amherst (jui s'avance
avec I2,()()() honuMcs. — L(! corps du ijéiuMal anglais l'rideaux, o[)éraut
vers le lac F.rié, prend le Ibrt Nia:{ara et force les Français à se retirti- à
\a présentation au-dessous du lac Ontario. — Les Ani;lais sur|)rennent les
hauteurs d'Abraliam le l'.i .septembre, — Première bataille ipii s'y livre et
délaite des Français. — Mort de .Montcalm : capitulation de Québec. — Le
général de Levis prend le commandement do l'armée et veut livrer une
seconde bataille; mais eu apprenant la reddition de la ville il se retire li
.lacqurs Cartier et s'y iorlilie. — L'armée anglaise, renlermée dans (Qué-
bec, l'ait ses préparatifs pour y pa'sser l'hiver. — Demande de secours en
France pour reprendre cette ville j). 2W.
(UL\1'ITUE il
SECONDE BATAILLE d'aBRAIIAM ET DKRNIERK VICTOIRE DES
FRANÇAIS. — CESSION DU CANADA A L'aNGLETERRÈ KT DR
LA LOUISIANE A l'espagne. 1760-17G3.
Sentimens divers que la prise de Québec cause en Angleterre et en France.
— Les ministres do Louis XV abandonnent le Canada à lui-même. —
La (jîrande-Bretagne organise trois armées pouj- achever sa conquête. —
Mesures que l'on adopte pour résister à cette triple invasion. — Forc(-s re-
latives des Français et des Anglais. — Le général de Levis marche sur
Québec. — Seconde hataille d'Abraham. — Défaite complète de l'armée
anglaise, qui se renferme dans la ville et que les Français assiègent en
attendant les secours <]u'ils avaient demandés de France. — Persuasion où
l'on est dans les deux armées que le Canada restera à celle qui recevra les
premiers renforts. — Arrivée d'une flotte anglaise. — Le général de Levis
lève le siège et commence sa retraite sur Montréal ; le défaut de vivres
l'oblige de renvoyer les milices et de disperser les troupes régulières. —
Etat des frontières du côté des lacs Champlain et Ontario, — Les ennemis
se mettent en mouvement pour attaquer Montréal,— Le général Murray
soMM.\mi:s.
453
M'avance du Québec avec 1,000 hommes ; le chel' de brigade Havilaïul
ovcc un corps presqu'aussi nombreux descend lo lao Champlain et le
f^énésal Amherst part du lac Ontario avec 1 1 ,000 soldats et Indiens. — Les
Français se retirent et se concentrent sur Montréal au nombre de 3,500
soldats. — Impossibilité d'une plus longue résistance et capitulation géné-
rale.— Triomphe et réjouissances de l'Angleterre. — Procès et condamna-
tion des dilapidateurs du Canada à Paris. — Situation des Canadiens. —
Pertes immenses qu'ils font sur les ordonnances et lettres do chaniçe du
gouvernement déchu.— Continuation de la guerre dans les autres parties
du momie; paix de 1763, par laquelle le Canada est cédé à l'Angleterre
et la Louisiane à l'Espagne. — Tableau de la France au temps de ce traité
trop fameux, par Sismondi p. 335.
LIVRE ONZIEME.
CHAPITRE I.
DESPOTISME MILITAIRE. — ABOLITION ET RÉTABLISSEMENT DES
ANCIENNES LOIS. — 1760-1774.
Cessation des hostilités ; les Canadiens rentrent dans leurs foyers.— Régime
militaire et loi martiale. — Cession du Canada à l'Angleterre. — Emigration
de Canadiens en France. — Les lois françaises sont abolies et la religion
catholique est seulement tolérée. — Le général Murray remplace le
général Amherst. — Etablissement d'un conseil exécutif, législatif et
judiciaire. — Division du Canada en deux districts, et introduction des lois
anglaises. — Murmure des habitans. — Les colons anglais demandent une
chambre élective dont les Canadiens seraient exclus, et accusent de tyran-
nie le général Murray, qui repasse en Europe. — Soulèvement des Indiens
occidentaux. — Le général Carleton gouverneur. — Il change le conseil. —
Le peuple continue son opposition aux lois nouvelles. — Remontrances. —
Rapports de MM. Yorke, de Grey, Marriott, Wedderburn et Thurlovif,
oITiciers de la couronne, sur les griefs des Canadiens. — Rétablissement
des lois françaises. — Nouvelle demande d'un gouvernement représentatif
avec l'exclusion des catholiciues. — Pétitions des Canadiens et des Anglais.
— Le conseil législatif de 71 est établi p. 373.
li
CHAPITRE II.
llliVOÏ.UTION AMERICAINE. — 1770.
Di(li<'ultés entre l'Angleterre et ses anciennes colonies : leurs causes. — Divi-
sions dans le parlement impéiialà ce sujet. — Avènement de lordNorth au
ministère. — Troubles à Boston. — Mesures coercitives de la métropole, qui
H
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454.
SOMMAIHES.
Il
cherche ù s'attacher le Canada par des concessions. — Pétitions opposées
des Canadiens et des Anglais ; motifs des délais pour décider entre les
deux partis. — Acte de 74 dit de Québec ; débats dans la chambre des
communes. — Congrès de Philadelphie ; il met l'acte de Québsc au nombre
de ses griefs. —Ses adresses à l'Angleterre et aux Canadiens. — Le général
Carleton revient en Canada. — Sentimens des Canadiens sur la lutte qui se
prépare. — Premières hostilités. — Surprise de Carillon, St.-Frédéric et St.-
Jean. — Guerre civile. — Bataille de Bunker's hill, — Envahitsement du
Canada. — Montgomery et Arnold marchent sur Québec au milieu des
populations qui se joignent à eux ou restent neutres : Montréal et les
Trois-Rivières tombent en leur pouvoir. — Le gouverneur rentre en fugitif
dans la capitale devant laquelle Its insurgée mettent le siège... p. 407.
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