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Full text of "Concours d'éloquence sur l'agriculture [microforme] : éloge de l'agriculture ; ce qu'est l'art agricole au Canada : des moyens de l'y faire progresser"

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INSTITUT  CANADIEN  DE  QUEBEC 


CONCOURS  D'ÉLOQUENCE 


SUR 


L'AGRICULTURE 


(ÉLOGE  DE  l'agriculture  —  CE  QU'EST  L'aRT  AGRICOLE 
AU  CANADA  —  DES   MOYENS   DE   L'Y    FAIRE 

progresser) 


SOMMAIRE. 


Avant-propoa. 

Rapport  du  docteur  HUBBRT  LaUub. 

Rapport  de  M.  S.  LeSaob. 

Eloge  de  l'agriculture— Ce  qu'est  l'art  agricole  au  Canada— Des  moyens  4e  l'y  Mn 
progresser.    Par  M.  R  A.  Babnard. 

Eloge  de  l'agriculture— Ce  qu'est  l'art  aerlcole  au  Canada— Des  moyens  de  l'y  taire 
progresser.    Far  l'aboô  Pbovamchbb. 


,  i_i-ikMi''ul. 


S   159 
157 


QUÉBEC 

imPrimbrib  a.  coté  bt  o» 

1879 


liiiwiânMWiÉiiBîi 


m 


CANADA 


NATIONAL  LIBRARY 
BIBLIOTHÈQUE  NATIONALE 


CONCOURS   D'ÉLOQUENCE 


AVANT-PROPOS. 

En  1875,  l'Institut-Canadien  de  Québec  ouvrait  un- 
premier  concours  d'éloquence,  grâce  à  la  généreuse  ini- 
tiative de  Monsieur  Théophile  LeDroit.  L'année  der- 
nière. Monsieur  L.-J.-C.  Fiset,  notre  président  honoraire, 
entrait  libéralement  dan»  cette  voie  en  mettant  à  la  dis- 
position de  l'Institut,  la  somme  de  $100  pour  un  deux- 
ième concours  sur  le  sujet  suivant:  "  Eloge  de  l'Agri- 
culture. Ce  qu'est  l'art  agricole  au  Canada.  Des 
MOYENS  DE  l'y  FAIRE  PROGRESSER.  Le  choix  ne  pouvait 
être  meilleur.  Il  est  vrai  qu'un  pareil  sujet  n'ouvrait  le 
champ  qu'à  un  nombre  limité  de  jouteurs  préparés  par 
des  études  spéciales.  Aussi,  n'avions-nous  pas  l'ambi- 
tion do  voir  beîvucoup  de  concurrents  répondre  à  notre 
appel,  mais  nous  espérion'*,  qu'avec  un  sujet  aussi  inté- 
ressant pour  notre  pays,  nous  ferions  produire  de  bons 
et  utiles  travaux.  Et  sous  ce  rapport  l'ïnstitut-Cana- 
dien  de  Québec,  peut  se  flatter  d'avoir  obtenu  un  succès 
complet.  Deux  concurrents  se  sont  présentés:  Mons 
B.  A.  Barnard,  directeur  d'agriculture  pour  la  Province 
de  Québec,  et  Mons.  l'abbé  Provencher,  rédacteur  du 
Naturaliste  Canadien. 


—  2  — 

Le  jury,  composé  de  l'honorable  Mons.  Joly,  de  Mous. 
LeSage,  assistant-commissaire  des  travaux  publics  et  de 
l'agriculture,  et  de  Mons.  le  Dr.  LaRue,  a  jugé  les  deux 
études  dignes  d'être  couronnées.  Le  premier  prix,  de 
$75,  a  été  décerné  à  Mons.  K.  A.  Barnard,  le  second  de 
$25,  à  Mons.  l'abbé  Provencher,  et  le  19  décembre  der. 
nier,  avait  lieu,  dans  la  salle  de  l'Institut-Canadien,  la 
présentation  do  cen  prix  aux  heureux  lauréats. 

En  publiant  dans  l'Annuaire  de  cette  année  les  diffé- 
rents travaux  du  concours,  nous  croyons  faire  une  œuvre 
utile  et  rendre  plus  féconde  la  pensée  patriotique  de  M. 
Fiset.  Faire  connaître  et  aimer  celte  grande  question 
de  l'art  agricole,  c'est  là  le  but  que  nous  cherchons. 
.  Heureux  si  nos  efforts  peuvent  faire  naître  quelques 
vocations. 

Qu'il  nous  soit  permis  en  fiiiissant,  d'offrir,  au  nom  de 
l'Institut,  l'expression  de  notre  très-vive  reconnaissance 
à  M.  L.  J.  C.  Fiset.  Nous  espéions  que  le  bel  exemple 
qu'il  vient  de  donner  ne  restera  pas  sans  imitateur.  Que 
les  favoris  de  hi  fortune  nous  aideat  dans  notre  tâche  et 
bientôt,  sous  cette  généreuse  impulsion,  nous  pourrons 
voir  nos  arts  et  notre  littérature  prendre  un  nouvel  et 
plus  vif  essor. 


RAPPORT 

SUR  LB 

CONCOURS  D'AGRICULTURE 

Rapport  du  docteur  HUBERT  La  RUE. 


Séance  du  19  décembre  1878. 
Messieurs, 

A  une  réunion  du  comité  de  direction  de  l'Institut 
Canadien,  un  an  passé,  il  fut  décidé  de  proposer  commo 
sujet  de  concours  la  question  suivante  : 

"  Eloge  de  l'agriculture  ;  de  l'état  de  l'agrioulturt» 
dans  la  province  de  Québec  ;  des  meilleurs  moyens  l 
prendre  pour  en  activer  le  progrès.  " 

Une  somme  de  cent  piastres  était  patriotiquement 
fhiso  à  la  disposition  de  ITEnstitut  par  K.  L.  J.  C.  Fiset, 
protonotaire  de  cette  ville,  et  M.  Fiset  dictait  lui-même 
le  thème  du  concours. 

Le  choix  du  sujet,  avouons-le,  ne  pouvait  être  plus 
heureux;  car  s'il  est  une  question  importante  pour  le 
Dominion  en  général  et  pour  la  province  de  Québec  spé- 
cialement, c'est  bien  la  question  de  l'agriculture. 

Deux  concuiTents  sont  entrés  en  lice,  et  ont  répondu 
à  l'Appel  de  l'Institut,   Le  ncunbre  des  concuiTents  aurait 


_4  — 

pu,  aurait  dû  être  pins  considérable.  Mais  on  se  consolera 
aisément  de  cotte  pénurie  à  la  lecture  des  deux  corapo- 
Bitions  qui  sont  l'objet  do  ce  rapport.  Toutes  les  deux 
sont  vraiment  remarquables  à  tous  les  points  de  vue;  ot 
mes  auditeurs  s'en  convaincront  aisément  lorsqu'ils 
•  pourront  les  lire  ot  les  étudier  dans  V Annuaire  de  l'Ins- 
titut. 

En  tête  de  la  composition  de  M.  Barnard,  on  lit  cet 
axiome  bien  connu  qui  a  été  formulé  la  première  fois,  si 
je  ne  me  trompe,  par  le  bonhomme  Franklin  : 

«  Celui  qui  fait  croître  trois  brins  d'herbe  là  où  il  n'en 
poussait  qu'un  auparavant,  est  un  véritable  bienfaiteur 
do  son  pays.  » 

En  tête  de  la  dissertation  de  l'abbé  Provancher,  on  lit 
le  vers  suivant  du  jardinier  de  Mantouo  : 

«  O  fortunatos  nimiùm  sua  si  bona  norint 
Âgricolas  !  i 

Dans  l'étude  de  pareilles  questions  où  il  s'agit  exclu- 
sivement d'économie  agricole— la  première  de  toutes  nos 
questions  d'économie  politique — il  fallait  de  la  clarté,  de 
la  précision  dans  le  style,  et  absence  complète  do  toutes 
fleurs  de  rhétorique. 

Des  retours  sur  le  passé,  dos  observations  sur  le  pré- 
sent, des  prévisions  pour  l'avenir,  c'est  là  ce  qu'on  devait 
attendre,  rien  de  plus,  mais  rien  do  moins. 

Sur  tous  ces  points  les  membres  du  jury  d'examen  n'ont 
que  des  éloges  à  adresser  aux  deux  concurrents.  Tous 
deux  ont  été  sobres  de  style,  à  ce  point  que  les  juges  du 
concours  ont  pu  comprendre  leurs  pensées,  interpréter 
leurs  idées  à  une  première  lecture. 

(A  la  mite  de  ce  préambule,  le  rapporteur  a  reproduit, 
avec  éloge,  de  nombreux  extraits  des  travaux  des  concur- 
rents, et  a  continué  dans  les  termes  suivants)  : 


Je  crois  avoir  rendu  justice  aux  deux  concurrents;  je 
crois  avoir  signalé  suffisamment  les  qualités  qui  distin- 
guent leurs  compositions  ;  mais  le  cadre  du  sujet  mis  au 
concours  était  si  vaste  que,  pour  le  remplir  convenable- 


—  6  — 

ment,  il  aurait  fallu  faire  un  traité  complet,  écrire  un 
volume  entier. 

Dans  cette  deuxième  partie  de  mon  rapport  je  vais 
essayer  de  combler,  quoique  très-imparfaitement,  cer- 
taines lacunes  que  les  limites  réservées  à  de  semblables 
travaux  rendent  inévitables. 

Ainsi,  à  propos  de  l'éloge  de  l'agriculture,  les  concur- 
rents auraient  pu  serrer  de  plus  près  le  nœud  de  la  ques- 
tion, et  particulariser  davantage,  en  mottîit)t  sous  nos 
yeux  un  petit  tableau  des  mœurs  douces  et  paisibles,  de 
la  vie  si  pleine  do  félicités  du  cultivateur  canadien  mo- 
dèle ;  modèle  comme  eux  et  moi  nous  voudrions  qu'il  fût. 

Je  me  le  représente  comme  suit  : 

40  ans.  Jeune  encore  ;  dans  toute  la  vigueur  de  l'âge, 
dans  toute  la  puissance  de  sa  virilité. 

Epoux  d'une  femme  de  35  ans, — belle  comme  toutes  les 
canadiennes;  pleine  de  force  et  de  santé;  toujours  do 
bonne  humeur  comme  son  mari  ;  mère  de  douze  ou  de 
quinze  enfants — pas  moins  de  douze  1—11  faut,  messieurs, 
conserver  intactes  les  saines  traditions  de  nos  pères  ! 

120  arpeats  de  terre  sous  les  pieds  ;  pas  d'hypothèques. 
Grange  de  100  pieds  de  longueur,  nouveau  modèle. 
Trente  bêtes  à  cornes,  25  moutons,  six  chevaux,  8  co- 
chons berkshire,  petite  race,  250  voyages  de  foin,  avoine, 
blé,  pois,  pommes  de  terre,  laine,  beurre,  saindoux,  œufs, 
lX)ulets,  dindons,  étoffe  du  pays,  toile  canadienne  ;  cela  à 
profusion. 

Pas  de  procès.  Bonne  dîme  pour  le  curé  de  la  paroisse, 
mesure  française.  Un  des  meilleurs  bancs  dans  l'église. 
Marguillier — ancien  ou  nouveau,  ou  les  deux  à  la  fois. — 
Pas  juge  de  paix,  mais  conseiller  do  la  municipalité  sco- 
laire ou  membre  de  lu  société  d'agriculture.  Pas  chef  de 
cabale  électorale  ;  électeur  seulement,  suivant  sa  con- 
science. Pour  surcroit  de  bonheur,  un  des  meilleurs  lots 
dans  le  cimetière:  tel  est  l'aspect  sous  lequel  se  pré- 
sente à  mon  esprit  le  cultivateur  canadien  modèle. 

Si  j'étais  cultivateur— hélas,  pourquoi  no  le  suis-je 
pas  ! — si  j'étais  cultivateur,  les  honneurs  que  confère  une 
mairie  de  paroisse,  une  préfecture  de  comté,  m'ennuie- 
raient beaucoup.  Ce  sont  là  des  espèces  de  domination 
universelle  qui  donnent  naissance  à  une  foule  d'inquié^ 


—  6  — 

tudeB,  créent  des  soucis  innombrables,  toutes  choses  qui 
ine  sont  profondément  antipathiques. 

Pourtant,  je  ne  serais  pas  insensible  à  l'aiguillon  de  la 
gloire  ;  mais,  entre  tous  les  honneurs  qui  pourraient 
s'oifrir  ù  ma  convoitise,  nuls  ne  conviendraient  mieux  à 
mes  goûts  que  ceux  do  secrétaire  de  la  municipalité 
scolaire,  ou  de  secrétaire  de  la  société  d'agriculture  de 
mon  comté. 

A  vrai  dire,  cumuler  les  deux  postes  serait  le  comble 
de  mes  vœux. 

Supposons  que  je  sois  l'un  ou  l'autre,  ou  l'un  et  l'autre. 
Alors,  je  parviendrais  sans  peine  à  convoquer  une  assem- 
blée conjointe  des  officiers  de  la  municipalité  scolaire  et 
des  membres  de  la  société  d'agriculture  ;  à  cette  réunion 
seraient  invités  spécialement  M.  le  curé,  le  médecin,  le 
notaire,  le  maître  d'école,  les  marguilliers  «i  autres 
notables  du  comté. 

Le  président,  homme  d'esprit,  trouverait  facilement 
moyen  d'amener  sur  le  tapis  un  sujet  de  débat  quel- 
conque. Une  heure  durant,  des  orateurs  émérites,  habitués 
aux  luttes  de  hustings,  épuiseraient  le  sujet  de  la  discus- 
sion avec  un  art  merveilleux,  c'est-à-dire,  en  parlant  de 
toute  autre  chose  que  de  ce  qui  aurait  trait  à  la  question. 

Enfin,  lorsque  tout  le  monde  serait  à  bout  d'haleine,  le 
président,  avec  une  condescendance  qui  me  ferait  infini- 
ment d'honneur,  demanderait  ro])inion  du  secrétaire  sur 
les  diverses  questions  en  litige. 

Lors,  avec  beaucoup  de  gravité,  je  commencerais  par 
féliciter  les  discoureurs  sur  leurs  brillants  efforts  d'élo- 
quence, et  sur  la  lumière  nouvelle  qu'ils  aui'aient  pro- 
jetée sur  le  sujet.  Je  me  concilierais  les  deux  partis — 
car  il  y  aurait  au  moins  deux  partis— en  leur  affirmant 
que  tous  deux  ont  raison. 

Armé  de  toutes  pièces,  grâce  à  ces  précautions  ora- 
toires, je  ferais  le  discours  suivant,  on  termes  bien  sim- 
ples, et  ians  un  langage  qui  serait  à  la  portée  de  mes 
auditeurs  : 

Monsieur  le  Président,  Messieurs, — Si  j'a^  bien  com- 
pris les  éloquents  discoars  que  je  viens  d'entendre,  le 
sujet  de  la  discussion  serait  le  suivant,  savoir  :  de  l'édu- 
cation de  nos  enfants,  et  des  meilleurs  moyens  à  prendre 


—  7  — 

pour  développer  et  activer  le  progrès  de  l'agriculture  on 
cotte  paroisse  et  dans  ce  comté. 

Suivant  moi,  ces  deux  sujets  sont  liés  l'un  à  l'autre  in- 
timement, à  tel  point  que  l'un  ne  peut  pas  aller  sans 
l'autre. 

Mais  le  commencement  de  tout  progrès,  en  cela  comme 
en  une  foule  d'autres  choses,  c'est  la  maison  d'école. 

Or,  en  premier  lieu,  certaines  gens  de  mon  ar- 
rondissement sont  à  se  demander — cela  peut  paraître 
étrange — s'il  n'y  a  pas  trop  d'écoles  dans  nos  paroisses, 
et  si  l'on  donne  bien  à  ces  écoles  des  dénominations  con- 
venables. 

Voici  comme  ils  raisonnent  :  nos  instituteurs  reçoivent- 
ils  une  rémunération  suflSsante  ?  Non;  et  pourquoi  ? — 
Parce  qu'il  y  a  trop  d'écoles  1 

Une  certaine  somme  est  votée  annuellement  par  la 
législature  locale  et  par  les  municipalités  pour  la  sub- 
vention des  maisons  d'éducation.  Mais  cette  somme 
est  répartie  sur  un  trop  grand  nombre  de  ces  maisons, 
et  il  arrive  que  les  bons  instituteurs,  ne  recevant  qu'un 
maigre  salaire,  abandonnent  bientôt  la  carrière  de  l'en- 
seignement pour  en  embrasser  une  autre  qui  leur  offre 
une  position  plus  brillante,  un  avenir  mieux  assuré. 

Ceux  qui  raisonnent  ainsi  ont-ils  raison,  ont-ils  tort  ? 
Je  ne  me  prononce  pas  là-dessus,  Monsieur  le  Président, 
et  Messieurs  (iu  comité  ;  je  soumets  la  question  à  votre 
examen. 

Dans  notre  temps,  M.  le  Président — car,  tous  deux, 
fils  d'habitants,  et  à  peu  près  du  même  âge,  nous  avons 
fréquenté  les  mêmes  écoles— dans  notre  temps,  dis-je,  il 
n'y  avait  que  trois  écoles  dans  la  paroisse,  savoir  :  une 
école  modèle  N»  1,  une  autre  écolo  modèle  No  2,  et  une 
école  dite  élémentaire.  Dans  cette  dernière  nous  avons 
appris  l'épellation  de  l'Alphabet  et  la  lettre  du  Petit 
Catéchisme. 

Le  salaii-e  des  maîtres  d'école  modèle  était  de  70  à  30 
louis,  salaire  considérable  pour  cette  époque;  celui  de 
la  maîtresse  d'école  élémentaire  était  de  vingt-cinq 
louis. 

'  De  l'école  élémentaire,  ou  de  la  petite  école,  comme 
nous  l'appelons,  nous  passions  dans  l'une  ou  dans 
l'autre  des  deux  écoles-modèles.    Quelle  joie!  quel  con- 


—  8  — 

tentomont  !  on  un  jour  nous  étions  devenus  hommes  ;  en 
un  jour  nous  avions  grandi  do  cent  coudées. 

Dans  ces  écoles  modèles  nous  apprenions  peu,  mais 
bien.  On  nous  enseignait  lagrammaire  française,  l'arith- 
métique, la  comptauilité,  fort  peu  de  géographie  :  le 
dépôt  de  livres  était  à  l'état  do  mythe,  il  n'y  avait  pas 
do  cartes;  de  l'histoire  du  Canada,  rien;  Garnoau  no 
l'avait  pas  encore  découverte. 

Nos  pères,  nos  mères  assistaient  aux  examens  que 
présidait  M.  le  Curé. 

Pay  do  piano  ! 

Le  théâtre,  improvisé,  était  orné  de  sapins,  décoré 
do  verdure  et  d'une  foule  do  plantes  et  do  bouquets  aux 
couleurs  variées.  Toutes  ces  couleurs  se  mariaient  en- 
semble harmonieueement,  m^me  le  rougo  et  le  bleu  1 

Le  premier  de  la  première  classe  débitait  un  petit 
boniment  littéraire, — une  fable  de  Lafontaino  ordinaire- 
mont. 

C'est  chose  fort  remarquable  comme  les  animaux  de 
Lafontaino— nonobstant  l'opinion  contraire  de  Chateau- 
briand,— ont  toujours  eu  le  privilège  d'enseigner  une 
foule  do  bonnes  choses  aux  hommes  de  bonne  volonté 
sur  la  terre. 

La  cérémonie  se  terminait  par  la  disti'ibution  des 
prix;  et  le  premier  prix,  le  prix  d'excellence,  était  une 
petite  image  do  saint  Pierre,  de  saint  Joseph,  de  sainte 
Marguerite, — de  saint  Patrice  quand  le  maitro  était  un 
irlandais. — Cette  image  était  ornée  de  toutes  les  couleurs 
do  l'arc-en-ciol. 

Que  si,  de  ces  temps-là,  on  passe  aux  temps  d'aujour- 
d'hui, on  trouve,  M.  le  Président,  que  les  choses  sont 
bien  changées.  Au  lieu  d'une  école  élémentaire,  et  do 
doux  écoles  modèles  par  paroisse,  nous  voyons  des 
écoles  commerciales,  des  écolos  académiques,  dos  acadé- 
mies pour  les  garçons,  des  académies  pour  les  filles,  et 
juBqu  à  des  séminaires  pour  ces  dernières. 

Or,  au  dire  de  quelques-uns,  le  qualificatif  comnureialf 
accolé  au  mot  école,  aurait  un  effet  pernicieux  sur 
l'esprit  de  nos  enfants.  Au  sortir  do  ces  écoles  dites 
commerciales,  nos  enfants  s'imaginent,  croient  sincère- 
ment qu'il  serait  au-dessous  do  leur  dignité^  d  orabrasser 
une  autre  carrière  que  celle  du  négoce. 


Les  mômes  prétondent  qu'il  y  déjà,  en  ce  pays,  beau- 
coup trop  de  marchands,  de  trafiquants,  et  surtout 
beaucoup  trop  de  commis-marchands. 

Avec  ces  écoles  dites  ctynimercialesy  on  détourne  de  la 
carrière  de  l'agriculture  une  foule  de  jeunes  gens  do  la 
campagne  ;  et  on  ne  se  doute  guère  de  l'influence  qno 
peut  avoir  un  qualificatif  de  ce  genre  pour  décider, 
comme  on  dit,  une  vocation.  Je  n'ai  nulle  objection  au 
qualificatif  coynmercial,  pourvu  qu'on  y  ajoute  le  quali- 
ficatif agricole. 

Alors,  ces  écoles  seraient  désignées  sous  la  dénomina- 
tion de  :  Ecole  de  Commerce  et  d' Agriculture,  ou  mieux, 
celle-ci  :  Ecole  d'Agriculture  et  de  Commerce  ;  car,  on 
ce  pays,  plus  qu'en  aucun  autre,  l'agriculture  doit  avoir 
préséance  sur  le  négoce,  et  sur  toute  autre  profession. 

Il  y  a  une  chose  que  l'on  paraît  méconnaître  ou  oublier; 
c'est  que  l'enseignement  qui  se  donne  dans  les  écoles 
commerciales  convient  également  au  négociant^  à  l'agri- 
culteur et  à  l'industriel.  Tous  trois  doivent  savoir  lire, 
écrire,  connaître  les  secrets  de  la  comptabilité  ;  tous 
trois  doivent  avoir  quelques  notions  de  littérature,  d'his- 
toire, de  dessin,  de  géographie,  et  aussi  posséder  les  élé- 
ments de  la  physique,  de  la  chimie,  de  l'aatronomio,  de 
la  philosophie. 

Voilà,  M.  le  Président,  ce  que  disent  certaines  gens 
bien  renseignées  dans  notre  comté. 

J'en  ai  consulté  d'autres  en  dehors,  qui  se  sont  exprimé 
dans  les  tei'mes  suivants  : 

La  dernière  fin  do  l'homme,  ont-ils  dit,  en  ce  bas- 
monde  comme  dans  l'autre,  ne  doit  pas  être  de  mesurer 
do  l'indionne  oudu  calicot,  derrière  un  comptoir,  sempi- 
ternellemeTit,  ni  d'aligner  dos  chiffres  ingrats,  on  partie 
simple  ou  double,  pendant  les  siècles  des  siècles. 

Les  plaisirs  intellectuels,  on  ce  monde,  doivent  compter 
pour  quelque  chose,  même  pour  le  négociant. 

Le  négociant  qui  a  fait  fortune  doit  avoir  d'autres  as- 
pirations que  celles  d'un  vénal  trafic  ;  à  l'industriel  il 
faut  une  autre  ambition  que  celle  de  vendre,  à  largos 
bénéfices,  les  produits  de  sa  fabrique.  Au  négociant,  à 
l'industriel,  il  faut  des  jouissances  plus  nobles,  plus  rele- 
«        vées;  et  nulle  part  mieux  que'  dans  l'étudo  et  dans  la 


—  10  — 

pratique  de  l'agriculture  ils  ne  trouveront  des  plaisirs 
sans  mélange,  dos  jouissances  sans  amertume.  , 

Qui,  mieux  que  le  négociant  enrichi,  peut  faire  pousser 
trois  brins  d'herbe  là  où  il  n'en  poussait  qu'un  aupara- 
vant. Ce  négociant-agriculteur  serait  un  bienfaiteur  de 
son  pays,  il  serait  un  héros.  Tous  les  honneurs  que  peut 
conférer  le  Dominion  du  Canada  devraient  s'accumuler 
sur  sa  tête.  On  devrait  le  faire  député,  sénateur,  au 
besoin  même  conseiller  législatif. 

Pour  arriver  au  résultat  que  je  désire,  il  faut  pou  de 
chose.  Que  dans  toutes  nos  écoles  normales  de  filles  et 
de  garçons,  que  dans  toutes  nos  écoles  modèles,  acadé- 
miques, commerciales,  l'on  donne  un  petit  cours  élémen- 
taire d'agriculture  de  20  leçons  d'une  demi-heure  ou  d'une 
heure  dans  le  cours  de  l'année,  et  le  point  sera  gagné. 

Des  études  ainsi  commencées  se  continueraient  plus 
tard;  il  en  resterait  toujours  quelque  chose,  ne  serait-ce 
qu'un  germe  qui  finirait  par  se  développer  et  porter  des 
fruits  abondants. 

Je  vais  plus  loin,  M.  le  Président,  et  j'afl[irme  que  dans 
tous  nos  collèges  classiques,  le  complément  des  études 
devrait  être  un  petit  ccai'S  de  physique  et  de  chimie  ap- 
pliquée à  l'agriculture. 

j3e  cette  manière,  le  curé,  le  médecin,  le  notaire,  de- 
viendraient des  engins  puissants,  comme  on  dit,  pour  la 
dissémination  dos  saines  notions  agricoles. 

L'idée  que  j'émets  aujourd'hui,  M.  le  Président,  je  n© 
l'émets  pas  pour  lu  première  fois.  Dès  1869,  neuf  ans 
passés,  j'écrivais  les  lignes  suivantes  dans  lin  journal  de 
Québec  : 

"  Dans  nos  collèges,  dans  ceux  au  moins  qui  sont 
affiliés  à  l'Université- Laval,  l'étude  de  la  physique,  celle 
de  la  chimie,  de  la  botanique,  est  très-approfondie.  A 
l'Université,  ces  cours  sont  aussi  développés  que  dans 
n'importe  quelle  université  européenne.  Après  des  études 
aussi  fortes,  l'étude  de  la  science  agricole  n'est  plus,  à 

Ï)roprement  parler,  une  étude  ;  c'est  une  récréation,  uno 
ecture  à  la  fois  instructive  et  amusante.  A  la  suite  du 
cours  de  chimie  générale  on  devrait  donner,  dans  tous 
nos  collèges,  quelques  leçons  de  physique  et  de  chimie 
appliquées  à  l'agriculture.  Cela  est  d'autant  plus  aisé 
qu'une  fois  la  chimie  générale  bien  comprise,  la  chiniie 


.     _  11  —     -    . 

et  la  physique  agricoles  se  résument  en  quelques  appli- 
cations spéciales  que  les  élèves  saisissent  à  un  simple 
énoncé,  et  sans  le  moindre  effort 

*'  Parmi  les  jeunes  ^ens  qui  complètent  leurs  études 
dans  nos  collèges,  (je  continue  à  citer)  quelques-uns  em- 
brassent l'état  ecclésiastique  ;  plusieurs  étudient  la  méde- 
cine, d'autres,  le  droit.  Ce  sont  ceux  qui  embrassent  l'ttat 
ecclésiastique  et  ceux  qui  se  livrent  à  l'étude  do  la 
médecine  qui  devront  propager  le  plus  et  le  mieux  les 
connaissances  qu'ils  auront  puisées  dans  le  cours  de  leurs 
études  classiques. 

*'  Le  jeune  curé,  s'il  a  puisé  au  collège  de  saines  no- 
tions d'économie  agricole,  ne  manquera  pas,  ne  serait-ce 
que  par  délassement,  de  continuer  ce  genre  d'études 
qui,  vraiment,  offre  des  attraits  incomparables.  Qu'où 
juge  de  l'influence  que  pourrait  exercer  sur  la  population 
d'une  paroisse  un  exemple  parti  de  si  haut  ;  si,  surtout, 
ce  curé  agronome  avait  le  soin,  dans  ses  corversatioiis 
avec  les  habitants,  comme  par  ses  conseils  mûris  par 
l'étude,  par  l'observation,  par  l'expérience,  de  les  encou- 
rager dans  la  voie  des  améliorations  et  du  progrès. 

"  Je  résume  ma  pensée  en  deux  mots  : 

"  Le  curé  canadien  doit  être  1°  curé;  2^  curé  agricul- 
teur ;  3^  curé  colonisateur;  c'est  assez. 

"  Sur  cent  médecins,  quatre-vingt-dix,  au  moins,  exer- 
cent leur  art  à  la  campagne;  et  c'est  chose  vraiment  l'e- 
marquable  de  voir  combien  est  grand  ie  nombre  de  ceux 
qui  s'adon  nent  par  goût  à  l'étude  et  à  la  pratique  de  l'agri- 
Oifilture.  L'esprit  du  médecin,  façonné  d'avance  à  l'étude 
des  sciences  positives,  est  très-bien  préparé  à  l'étude  do 
la  science  agricole  ;  et  aux  mille  tracasseries  du  métier 
de  la  médecine  les  paisibles  jouissances  de  l'agriculture 
font  une  salutaire  diversion.  L'exemple  du  médecin  se 
joindrait  à  celui  donné  par  le  curé;  et  de  cette  manière, 
il  y  aurait  bientôt,  dispersés  dans  nos  campagnes,  une 
foule  de  fermiers  modèles  recrutés  parmi  la  partie  la  plus 
intelligente  et  la  mieux  instruite  de  notre  population. 

*'  Ou  je  me  trompe  fort,  ou  ce  serait  là  un  des  effets 
bientôt  perceptible  de  l'enseignement  de  l'agriculture 
dans  nos  collèges." 

Telles  étaient,  M.  le  Président,  les  lignes  que  j'écri- 


—  12  — 

vais  en  1869  ;  je  n'y  trouve  pas  nn  mot  à  reprendre 
aujourd'hui,  pas  un  mot  à  retrancher. 

Mais  ce  n'est  pas  tout  de  développer  le  goût  et  les 
saines  notions  de  l'agriculture  dans  les  écoles  de  garçons  ; 
il  faut,  de  plus,  que  dans  nos  écoles  de  filles,  dans  nos 
couvents  de  la  campagne,  une  sage  direction  soit  impri- 
mée de  ce  côté. 

En  effet,  sur  cent  jeunes  filles  nées  et  élevées  dans  nos 
paroisses,  90,  au  moins,  deviendront  plus  tard  les  épouses 
de  cultivateurs. 

A  ces  jeunes  filles,  on  devrait  donner  une  éducation 
appropriée  à  leurs  besoins  futurs  ;  on  devrait  leur  don-; 
ner  des  leçons  d'horticulture,  d'économie  domestique, 
les  premiers  éléments  de  l'art  culinaire. 

On  l'a  dit  avant  moi,  et  on  ne  saurait  trop  le  répéter, 
rien  ne  contribue  à  calmer  la  mauvaise  humeur  d'un 
mari  ployant  sous  le  faix  du  jour  et  de  la  fatigue  comme 
le  fumet  d'un  plat  aimé  ou  la  vue  d'une  salade  convena- 
blement apprêtée.  La  connaissance  de  la  couture,  du 
raccommodage,  du  rapiécetage  devrait  être  le  ti^mplé- 
ment  de  l'éducation  do  toute  jeune  canadienne  bien  née; 
et  s'il  fallait  sacrifier  pour  cela  plusieurs  heures  de  pia- 
notage  par  semaine,  des  mois  entiers  de  broderies,  je  les 
sacrifierais  volontiers. 

Eevenons  au  jeune  agriculteur. 

Au  sortir  de  l'école,  il  n'a  qu'à  perfectionner  ses 
études  ;  et  pour  cela,  son  père  ne  saurait  faire  trop  de  sa- 
crifices pour  mettre  à  sa  disposition  autant  de  livres  et 
de  journaux  d'agriculture  que  possible. 

De  plus,  il  devrait  y  avoir,  dans  chaque  paroisse,  unfe 
bibliothèque  paroissiale.  Le  choix  des  livres  devrait 
être  soumis  au  jugement  d'une  commission  spéciale 
nommée  par  le  département  de  l'instruction  publique. 

Mais,  dans  ce  choix,  M.  le  Président,  on  ne  saurait 
être  trop  scrupuleux  ;  il  n'est  rien  comme  un  mauvais 
livre,  un  mauvais  roman  surtout,  pour  gâter  le  cœur  et 
l'esprit  d'une  jeune  personne. 

Les  rayons  d'honneur  de  ces  bibliothèques  devraient 
être  ornés  de  journaux  d'agriculture  et  do  petits  ou- 
vrages ayant  trait  à  cet  art. 

Il  faudrait  aussi  que  l'excellente  idée  de  l'établisse- 
ment de  cercles  agricoles   reçût    son   développement 


—  13  — 

complot.  Aux  réunions  de  ces  cercles,  on  lirait  des 
conférences  sur  l'agriculture  ;  on  y  discuterait  une  foule 
de  questions  ayant  trait  à  l'amélioration  de  nos  terres,  à 
celle  des  chemins,  des  voies  de  communication,  etc, 
Avant  tout,  pas  de  politique  dans  ces  cercles. 

Enfin,  parvenu  à  l'âge  de  21  ou  de  22  ans,  le  jeune  cul- 
tivateur, grâce  aux  sages  économies  de  son  père,  de  sa 
mère,  et  de  toute  la  famille,  deviendrait  le  propriétaire 
d'un  bi.en  quelconque  ;  supposons  que  ce  soit  le  bien  du 
voisin  :  lequel  voisin  se  serait  ruiné  par  ignorance,  ou 
par  incurie,  par  luxe  et  par  vanité. 

A  ce  moment  il  entre  dans  la  vie,  et,  avant  de  rien 
entreprendre, — car  toute  expérience  nouvelle  est  hasar- 
deuse,— il  doit  se  rendre  un  compte  exact  de  ce  qu'il  a 
à.  faire,  non-seulement  pour  la  première  année,  mais 
pour  dix  années  à  venir. 

C'est  tout  un  plan  de  bataille  qu'il  lui  faut  concerter 
contre  des  ennemis  nombreux,  puissants.  Voici  l'énumé- 
ration  do  quelques-uns  de  ces  ennemis  :  Fossoyage  mal 
fait  ;  raies,  rigoles  imperceptibles  n'aboutissant  ])a8  aux 
fossés  ;  planches  mal  conditionnées,  les  unes  de  trois  pieds 
de  largeur,  les  autres  de  quinze  pieds.  De  la  mousse,  de 
la  marguerite,  de  la  moutarde,  une  foule  de  jjlantes  aqua- 
tiques au  lieu  de  mil  et  de  trèfle,  de  l'ivraie  partout  ; 
clôtures  en  désordre,  maison,  grange  délabrées. 

Ah  I  c'est  alors.  Messieurs,  qu'il  faut  chez  le  débutant 
du  courage,  et  surtout  du  jugement  et  de  la  science. 
Mais  s'il  a  puisé  de  saines  notions  d'agriculture  à  l'école  ; 
si  son  jugement  a  mûri  par  l'étude  dos  livres  de  la  biblio- 
thèque paroissiale  ;  s'il  a  suivi  avec  attention  les  bons 
enseignements  prônés  par  nos  journaux  d'agriculture,  sa 
tâche  est  bien  simplifiée  ;  car,  avec  cette  science,  avec 
ces  connaissances,  c'est  la  tête  qui  dirige  les  bras,  et  non 
les  bras  la  tête. 

La  tète  qui  dirige  les  bras  1  voilà  ce  qui  manque  au 
cultivateur  canadien.  Il  travaille  au  jour  le  jour,  ma- 
chinalement, sans  raisonnement,  sans  aucune  connais- 
sance de  son  art  :  on  appelle  cela,  en  ce  pays,  un  homme 
pratique.  Et  comme  conséquence  inévitable,  le  fruit  de 
tant  de  pénibles  labeurs  est  perdu. 

Le  printemps  arrivé,  quand  la  neige  a  disparu,  quand 
la  terre  est  ressuyée,  réchauffée,  le  cultivateur  laboure, 


—  14  — 

herso,  ensemence)  en  partant  derrière  la  grango,  ot  va 
ainsi,  sans  réflexion,  jusqu'au  haut  du  clos. 

Il  sème  des  pois,  des  pommes  de  terre,  do  froment,  do 
l'orge,  de  l'avoine,  du  mil  et  du  trèfle,  là  où  il  n'en  de- 
vrait pas  semer.  Pis  que  cela,  en  maints  endroits  du 
district  de  Québec,  et  dans  d'autres  districts,  quoi  qu'on 
dise,»il  y  a  des  pièces  à  pois,  des  pièces  à  blé,  à  orge,  à 
avoine,  que  l'on  ensemence  avec  les  mêmes  graines  de- 
puis un  temps  immémorial. 

Que  si  quelqu'un  se  permet  de  faire  certaines  observa- 
tions au  sujet  d'une  routine  aussi  vicieuse,  on  vous  répond: 
•'  Mon  père  a  bien  vécu  de  même  I  " 

C'est  triste.  i  ' 

Lorsque  le  jeune  agriculteur  s'est  bien  rendu  compte 
de  tous  les  défauts  que  présente  son  bien,  il  doit  com- 
pléter cet  inventaire  par  l'énumération  des  fautes  qu'a 
commises  son  prédécesseur,  et  cette  énumération  sera 
comme  suit; 

Pas  d'engraifîj  ni  de  fumiers,  ou  engrais  mal  préparés  ; 
ignorance  complète  des  bons  effets  d'un  amendement 
convenable,  de  l'usage  des  engrais  verts,  (trèfle  et 
sarrazin),  do  l'emploi  duchaulage,  des  cendres,  du  plâtre, 
des  composts,  des  engrais  chimiques,  de  l'égouttement, 
etc. 

Ignorance  do  l'espèce  de  graines  de  semence  qu'il 
fallait  confier  à  toi  ou  tel  sol. 

Ignorancu  des  rotations,  des  assolements  ;  mots  qui 
lui  étaient  inconnue;,  parce  oa*il  n'en  avait  jamais  en- 
tendu parler,  ni  à  l'école,  ni  ailleurs. 

Alors,  qu'il  se  mette  à  l'œvvre,  et  qu'il  ait  toujours 
devant  les  yeux  le  précepte  suivant  que  j'ai  formulé, 
plusieurs  années  déjà,  dans  les  termes  suivants  : 

"  Le  cultivateur  canadien  doit  adopter  pour  système 
de  culture  celui  de  convertir  le  plus  promptement  possi-- 
ble,  et  aussi  parfaitement  que  le  temps  et  ses  moyens  le 
lui  permettront,  la  plu»  crrande  étendue  do  sa  terre  en 
prairies  et  en  bons  pacages.  Car,  ce  système  permet  do 
récolter  beaucoup  de  foin;  or,  avec  beaucoup  do  :bin  on 
.peut  entretenir  un  grand  nombre  d'animaux  en  bon 
ordre.  Ces  animaux  donnent  beaucoup  de  produits  qui 
rapportent  de  grands  profits  et  une  grande  quantité  do 
fumier.   Le  fumier  est  tellement  la  base  do  toute  bonne 


—  15  — 

flgriculturo  qu'on  a  dit,  et  avec  raison,  que  le  fumier  est 
le  capital  du  cultivateur." 

Après  trois  ou  quatre  années  de  cette  culture  conduite 
avec  intelligence,  le  jeune  agriculteur  se  trouve,  comme 
on  dit,  M.  le  Président,  au-dessus  de  ses  affaires.  Et 
après? — Après?  Eh  bieLl  il  doit  se  marier,  ce  qui  est 
la  chose  la  plus  naturelle  du  monde.  Il  n'aura  que  l'em- 
barras du  choix,  dans  sa  paroisse,  ou  dans  les  paroisses 
voisines. 

Il  y  a  des  célibataires  jeunes  et  vieux, — ^j'en  connais, 
j'en  vois  même  dans  cette  salle, — qui  s'imaginent  que  le 
mariage  est  une  espèce  de  révolution  dans  l'édifice 
social,  une  sorte  de  cataclysme  dans  le  cours  do  la  vie 
humaine.  Erreur  fatale  I  Le  mariage  est  chose  toute 
simple.  Une  fois  qu'on  a  été  marié,  on  s'imagine  qu'on 
l'a  été  toujours  1  Bientôt,  au  bout  de  neuf  mois  de  ma-» 
riage,  de  dix  au  plus,  surviennent  les  soucis  bienfaisants 
de  la  famille  :  un  rejeton,  un  héritier  a  vu  le  jour.  De 
quinze  mois  en  quinze  mois,  souvent  plus  tôt,  pareil  pbé* 
nomène  se  renouvelle  dans  chaque  famille  de  nos  bons 
cultivateurs  canadiens. 

C'est  là  le  véritable  progrès!  Dans  les  pays  constitu- 
tionnels, M.  le  Président,  la  force,  c'est  le  nombre  ;  et 
nous,  Canadiens- Français,  nous  avons  besoin  do  recruter 
nos  forces,  et  de  multiplier  notre  nombre.  De  cette 
dernière  tâche  nous  nous  acquit'ons  bien  sans  l'aide  des 
gouvernements  j  mais  je  me  demande  si  ces  gouverne" 
ments,  le  fédéral  comme  le  local,  ont  toujours  fail,  font 
aujourd'hui  ce  qu'ils  auraient  dû  et  devraient  faire  pour 
retenir  notre  nombre  chez  nous  ? 

A  ce  propos,  M.  le  Président,  voici  quelques  lignes  que 
j'écrivais  il  y  a  une  dizaine  d'années. 

"  L'émigration  de  notre  population  aux  Etats-Unis  est 
due  à  trois  causes  principales  :  1**  amour  du  changement 
parmi  un  certain  nombre;  2<*  misère  et  pauvreté  dues 
au  défaut  d'établissements  industriels  et  manufacturiers 
dans  nos  villes;  'S^  misère  et  pauvreté  occasionnées  par 
un  système  de  culture  des  plus  vicieux  dans  nos  campa* 
gnes. 

"  Le  seul  moyen  d'empêcher  l'émigration  de  nos  cam- 
pagnes est  d'enseigner  à  nos  cultivateurs  comment  ils 
peuvent  trouver  l'aisance,  la  richesse  chea  eux.    Pour 


—  18  — 

cela,  que  faut-il?  Leur  enseigner  à  cultiver.  De  cette 
manière,  l'agriculture  prend  toutes  les  proportions  d'une 
question  religieuse,  ex;  qui  mérite  l'attention  spéciale  de 
notre  clergé,  celle  de  nos  cures  de  la  campagne  particu* 
lièrtment." 

Quelques  mois  plus  tard  je  m'exprimais  dans  les  termes 
suivants  au  sujet  de  l'imn^igration  : 

"  On  parle  beaucoup  a  immigration  par  le  temps  qui 
court. 

"  On  envoie  des  agents  on  Europe  pour  inviter  les 
étrangers  à  venir  partager  notre  bonheur;  on  a  des 
agents  aux  Etats-Unis  chargés  de  prier  les  nôtres  de 
revenir  au  milieu  de  nous. 

"  Tout  cela  est  fort  bien. 

"Maisil  ya  moyen,  à  monavis,  de  simplifier  la  besogne 
de  ces  agents,  tout  en  assurant  le  succès  de  leur  mission. 

"  Développons  nott-e  agriculture,  et,  pour  cela,  instrui- 
sons nos  cultivateurs,  enseignons-leur  des  méthodes  sim- 
ples, faciles,  peu  dispendieuses  qui  les  mettent  en  état  de 
réaliser  de  150  à  200  louis  de  bénéfice  par  année,  avec  la 
vente  de  leurs  produits,  au  lieu  de  ne  réaliser  que  trente 
ou  quarante  louis  comme  cela  a  lieu  aujourd'hui. 

"  Alors,  l'étranger  voyant  les  rives  du  Saint-Laurent 
bordées  de  riches  villas  habitées  par  des  cultivateurs,  se 
dira:  "Il  fait  bon  de  -ivre  ici:  dressons-y   nos  tentes." 

*'  Alors  l«s  nôti'cs  «jui  sont  aux  Etats-Unis  se  diront: 
Il  fait  meilleur  chez  nou-^  qu'aux  Etats-Unis  ;  retournons 
chez  nous. 

"  De  cett©  manière  les  agents  d'immigration  seront 
siars  du  succès  et  feront  une  riche  et  abondante  moisson 
d'immigrants." 

I  Le  temps  presse,  M.  le  Président,  et  j'abrège. 

Parvenu  à  ce  degré  d'avancement  dans  la  voie  du  pro- 
grès, le  cultivateur  doit  veiller  soigneusement  à  l'entre- 
tien de  ses  animaux,  à  leur  nourriture,  et  soumettre  à 
une  étude  approfondie  les  problèmes  suivants  d'écono- 
mie agricole,  dont  je  me  contenterai  de  faire  l'énuméra- 
tion  : 

1"  De  l'emploi  des  soupes  pour  la  nourriture  du  bé- 
tail ;  je  crois  sincèrement  qu'on  sauverait  par  là  une 
bonne  moitié  du  fourrage.     Une  nourriture  sèche  ne 


—  17  — 

ronviont  pas  plus  à  rostomac  do  l'animal  qu'à  celui  de 
l'homme:  ceci  est  entièrement  conforme  aux  données 
de  la  physiologie. 

2o  Du  traitement  dos  fumiers.  Dans  des  écrits  antéf 
rieurs  j'ai  émis  l'opiniotj  que  dans  certaines  circonstan- 
ces, et  pour  certains  genres  de  culture,  il  valait  mieux 
recourir  à  l'emploi  des  fumiers  verts.  Sur  ce  point  je 
crois  avoir  fait  erreur,  à  l'exemple  de  bien  d'autres,  et 
je  no  recommando,  aujourd'hui,  pour  la  grande  culture 
que  les  fumiers  qui  ont  subi  au  moins  un  commence- 
ment do  fermentation.  Do  là  la  nécessité  d'avoir  des 
caves  ou  appentis  dans  lesquels  le  fumier  doit  être  con- 
servé assez  longtemps,  et  à  une  température  modérée, 
])Our  que  cette  fermentation  se  produise  ; 

3o.  De  l'emploi  des  engrais  artificiels,  et,  surtout,  da 
j>hosphate  de  chaux  dont  on  a  découvert  depuis  deux 
ans,  des  mines  d'une  richesse  extrême  dans  les  environs 
d'Ottawa.  Ce  sujet  seul  exigerait  la  publication  d'un 
volume.  Dès  1869,  un  agronome  fiançais,  M.  Ville,  par- 
tisan des  engrais  artiticiels,  annonçait,  dans  une  confé- 
rence faite  à  la  Sorbonne,  à  Paris,  que  le  Canada  renfer- 
mait des  mines  inépuisables  de  sdus-phosphate  de  chaux 
(ou  apatite).  Qui  s'en  doutait  alors  dans  le  Dominion? 
J'ai  fait  l'analyse  chimique  de  quelques-uns  do  ces 
échantillons,  et  j'ai  trouvé  qu'ils  contenaient  jusqu'à  92 
pour  cent  de  phosphate  ; 

4o.  Du  mélange  du  sulfate  d'ammoniaque  (résidu  du 
gaz  d'éclairage),  qu'on  n'utilise  pas  aujourd'hui,  au  Ca- 
nada, avec  le  sullate  de  chaux  et  le  superphosphate 
comme  guanos  artiticiels,  pour  les  besoins  de  ce  pays, 
et  comme  objet  d'exportation. 

S'il  est  un  pays  au  monde  où  le  besoin  des  engrais 
artificiels  se  fait  sentir,  c'est  le  Canada. 

Quant  à  l'exportation,  tous  les  engrais  entrent  en 
franchise  aux  Etats-Unis. 

5o.  De  l'à-propos  d'établir  la  confection  do  ces  engrais 
artificiels  à  Lévis  où  il  y  a  déjà  une  fabrique  d'acide 
sulfurique  qui  chôme  depuis  une  dizaine  d'années. 

6o.  Quel  parti  cette  fabrique  de  superphosphate  à 
Lévis  pourrait-elle  tirer  des  pyrites  do  cuivre  de  Len- 
noxville,  après  grillage,  on  les   expédiant  à  Swansea, 

2 


—  18  — 

South- Wulea,  Angleterre.  Alors,  on  forait  d'une  pierre 
deux  cou|)S. 

7o.  Des  ftssolements.  Cette  question  capitale  est  telle- 
ment môconmio  dans  la  Pi-ovirice  de  Québec,  qu'on 
maints  endroits — le  Sagucnay,  entre  autres— on  rccolto 
céréales  sur  céréales  pendant  douze  et  quinze  ans  sans 
interruption. 

On  ruine  le  Saguenay.  On  a  suivi  la  même  pratique  à 
la  côte  de  Beaupré  et  à  l'Ilo  d'Orléans  pondant  150  et 
200  ans,  et  le  résultat  final  ?  C'est  qu'aujourd'hui  le  blé 
n'y  vient  plus.  Pourquoi  ?  Parce  que  le  sol  ne  ren- 
ferme plus  les  éléments  qui  entrent  dans  la  composition 
de  ces  plantes  ;  parce  que  ces  éléments  ont  été  soustraits 
au  f-ol  par  la  cultui'e  inintelligente  de  nos  pères  et  do 
leurs  filî-. 

8o.  Du  chaulage.  Question  très-importante.  Des  terri- 
toires entiers,  en  France,  depuis  cinq  ans,  sont  redevonus 
fertiles,  et  produisent  du  blé  en  abondance  aujourd'hui, 
grâce  au  chaulage.  Beau  sujet  d'étude  pour  ce  pays  où  le 
calcaire  est  si  abondant. 

9o.  Expositions  d'agriculture  provinciales  annuelles. 
Trop  fréiiuemment  renouvelées.  Tous  les  trois  ans  suffi- 
rait  On  y  voit  toujours  les  mêmes  choses. 

lOo.  Expositions  de  comtés.  Ne  vaudrait-il  pas  mieux 
les  remplacer  par  des  expositions  de  district,  àdes  inter- 
valles de  deux  ou  trois  ans  ? 

llo.  Importance  des  concours  de  labour,  de  hersage, 
do  roulage,  à  chacune  de  ces  expositions  de  districts. 
Poui'  un  objet  d'aussi  grande  importance,  le  conseil  de 
l'agriculture  et  le  ministère  de  l'agriculture  ne  devraient 
pas  être  économes.  Ils  devraient  avoir  à  leur  disjiosition 
cinq  ou  six  laboureurs  émérites  largement  payes,  et  tou- 
jours prêts  à  se  ti-ansporter,  avec  charrues,  herses,  rou- 
leaux, et  attelage  modèles,  là  où  leurs  services  seraient 
requis.  Il  y  aurait  concours  entre  le  premier  laboureur 
de  la  ])aroisse  et  le  laboureur  du  gouvernement.  Prix  du 
concours  $1.00  pour  le  laboureur  du  gouvernement,  s'il 
gagne  le  premier  prix  ;  dix  ou  vingt  piastres  pour  le 
premier  laboureur  du  district,  s'il  bât  le  laboureur  du 
gduvernement. 

12o.  Drainage.  Cotte  question  seule  pourrait  faire  le 
sujet  d'un  concours.    M.  Barnard  et  l'abbé  Provancher 


—  ig- 
né sont  paa  d'accord  sur  ce  point.    Jo  les  roots  d'accord 
en  affirmant  que  tous  deux  ont  raison. 

Quels  matériaux  fiuit-il  employer  pour  ce  drainage? 
Mon  opinion  est  qu'il  faut  employer  du  bois  là  où  il  y  a 
du  bois,  de  la  pierre  lu  où  il  y  a  de  la  pierre,  des  tuiles 
là  où  il  n'y  a  ni  piorro  ni  bois. 

Le  drainage  seul  triplerait  le  rendomontde  nos  terres; 
et  la  saison  agricole,  qu'on  me  pardonne  le  mot,  serait  au 
moinn  d'un  mois  plus  longue  dans  la  province  de  Québec: 
quinze  jours  le  printemps,  quinze  jours  l'automne  ; 

13o.  Importance  do  la  comptabilité.  Nos  cultivateurs 
vivent  au  jour  le  jour,  sans  tenir  compte  de  leurs  recettes 
et  de  leurs  dépenses.  De  cette  manière  ils  se  ruinent 
sans  s'en  apercevoir. 

14o.  Luxe,  vanité.  Petit  traité  sur  l'art  du  bon  goût 
dans  la  toilette,  à  l'usage  des  hommes,  un  peu  aussi  à 
l'usage  des  tilles  et  des  femmes.  Ce  sujet  devrait  être 
traite  légèrement. 

15o.  Du  choix  des  races  d'animaux.  Quelques  hommes 
com|iétents,  éleveurs  émérltes  depuis  plus  de  20  ans,  et 
auxquels  je  me  suis  adressé  pour  avoir  leur  opinion,  m'ont 
répondu  dans  les  termes  suivants.  J'attire  spécialement 
votre  attention  sur  ce  point. 

Je  reprodnis  textuellement  leur  réponse  à  ma  ques- 
tion. 

"  ■  "'■'  lo.    CHEVAUX. 

Les  chevaux  canadiens  purs  ont  disparu  depuis  bien 
des  années  ;  ils  sont  perdus  dans  des  croisements  sans  fin. 

Les  principales  races  avec  lesquelles  ils  ont  été  croisés 
sont  :  le  pur  sang,  le  clydesdale,  le  cleveland  bay,  le 
suiïblk  punch,  le  percheron,  le  normand. 

Parmi  les  chevaux  écossais,  anglais,  irlandais,  le  fa- 
vori, Qprès  le  pur  sang,  a  été  le  clyde.  Dans  le  district 
do  Montréal  on  s'en  est  servi  pour  faire  des  croisements 
sans  nombre,  avec  plus  ou  moins  de  discernement,  avoo 
des  juments  de  toutes  races,  de  toutes  tailles. 

Par  ces  croisements  injudicieux,  on  a  gâté  beaucoup 
la  régularité  des  formes  de  nos  chevaux  canadiens,  eu 
leur  donnant  plus  de  taille.  A  première  vue  on  recon- 
naît ces  choisis,  à  leurs  jarrets  courts  et  trop  épais. 


—  20  — 

Si  l'on  veut  élever  dos  chevaux  pour  lo  commerce,  on 
ftrii  bien  do  croiner  nos  juments  canadiennes  avec  de» 
chevaux  pur  san/j^,  ou  trois  quarts  sang. 

Avec  un  peu  de  soin  on  pourrait  crééer  en  quelques 
années  une  bonne  sous-raco  do  chevaux,  on  état  de 
rendre  aux  cultivateurs  canadiens  tous  les  services  dont 
ils  peuvent  avoir  besoin,  et  qui  en  même  temps  seraient 
très-propres  pour  l'exportation  en  Angleterre  et  aux 
Etats-Unis. 

2o.    VACHES. 

Il  faut  viser  avant  tout,  à  en  obtenir,  on  même  temps, 
lo  plus  do  lait  et  lo  plus  do  viande  possible.  Lo  mélung» 
du  canadien  avec  l'ayrshiro  est  ce  qui  convient  le  mieux. 

La  durham  exige  beaucoup  de  frais  d'entretien.  Pas 
du  tout  rustique  ;  donne  beaucoup  do  lait,  à  la  condition 
qu'elle  vêle  à  doux  ans,  avant  qu'elle  ait  contracté  uno 
trop  fi)Pte  disponition  à  l'engraissement.  Beaucoup  de 
viande. 

Le  taureau  durham  améliore  les  dispositions  lactifèro» 
des  vaches  communes  avec  lesquelles  il  est  croisé. 

/    .     •  ■"     V         :      ;         30.   JIOUTONS. 

Le  leicester  a  uno  laine  plus  fine,  a  plus  do  chair,  et 
tjno  chaire  plus  tendre.  Dégénère  vite  ;  ne  vit  pas  long- 
temps sous  notre  climat. 

Lo  cotswold  a  une  laine  plus  longue,  plus  grosse,  mais 
il  en  fournit  moins  que  le  leicester,  chair  bonne  quoi- 
que inférieure  à  celle  du  leicester.  Eace  plus  rustique. 
Se  conserve  bien  en-ce  pays,  vit  longtemps.  Croisé  avec 
le  canadien  forme  do  bons  moutons. 

Les  moutons  et  les  porcs  sont  les  animaux  qui  dégé- 
nèrent le  plus  vite,  par  le  croisement  de  consanguins. 

Enfin,  M.  lo  Président,  après  avoir  fait  tout  co  quo 
je  viens  de  dire,  après  avoir  résolu  tous  les  problêmes 
que  je  viens  de  poser,  le  jeune  agriculteur  qui  aurait 
Âtit  ses  débuts  à  l'école  de  sa  paroisse,  qui  aurait  con- 
tinué si-8  études  plus  tard,  de  la  manière  que  je  l'ai  dit, 
serait  parvenu  à  un  Age  très-mûr,  disons  75  ou  78  ans. 


—  21  — 

Alors,  il  est  voisin  de  deux  autres  voisins  fort  incom- 
modes: rinflammution  do  poumon  et  l'apoplexie.  Co 
sont  !o>s  doux  maladies  qui  moissonnent  le  plus  de 
vieillards  en  ee  pays. 

Pourtant  la  vie  doit  être  douce  et  paisible  à  cet  âge 
patriarcal  ;  il  me  semble  que  c'est  alors  qu'op.  commence 
h,  vivre,  et  à  jouir  do  la  vie  ;  on  n'a  qu'à  se  laisser  vivre, 
ou  à  s'empêcher  de  mourir. 

Entouré  d'une  famille  nombreuse, — aïeul,  bisaïeul  de- 
puis longtemps,  — ayant  célébré  ses  noces  d'argent,  ses 
noces  d'or,  il  aurait  eu  soin,  je  le  présume,  dans  le  coure 
de  isa  longue  carrière,  de  mêler  l'agréable  à  l'utile. 

Or,  rien  d'agréable,  rien  d'amusant  comme  de  petites 
fêtes  de  familles  canadiennes  à  la  maison  du  père  ou  ù 
celle  du  giand-pôre. 

A  ces  réunions,  il  y  aurait  eu  des  bonbons,  parmi  les- 
quels aurait  figuré  en  première  ligne  la  tire  !  La  tire  est 
d'institution  nationale. 

Jamais  de  boissons  alcooliques  ou  enivrantes.  Tout  au 
plus  aurait-on  rais  sur  la  table  de  la  petite  bière  d'épi- 
nette  ou  du  vin  de  gadelles  fabriqué  par  les  grandes 
filles  de  la  maison.  Nulle  addition  de  brand}'  dans  ces 
liqueurs  de  tempérance.  J'ai  connu  des  mécréants  qui 
poussaient  jusqu'à  ce  point  l'astuce  et  la  supercherie. 
Que  Dieu  ait  pitié  do  leurs  âmes  ! 

A  ces  fêtos  on  aurait  toléré  quelques  danses  innocentes 
et  hygiéniques,  avec  accompagnement  do  violon  et  de 
chansons  populaires.  Je  recommande,  avant  tout,  le 
"  JVicque  du  Lièvre,  "  et  le  "  Clairon  du  roi.  Mesdames,  " 
moins  les  gages  obligés  d'autrefois,  que  nos  mœurs  puri- 
taines et  épurées  no  sauraient  tolérer  aujourd'hui. 

Voilà,  M.  le  Président,  ce  que  votre  secrétaire  avait  à 
vous  dire  au  sujet  des  meilleurs  moyens  à  prendre  pour 
activer  le  progrès  de  l'éducation,  et,  par  là  même,  le 
progrès  de  l'agriculture  en  ce  pays. 


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RAPPORT  DE  MONSIEUR  S.  LESAGE. 


Sur  uno  question  do  la  noture  do  collo  qui  fait  le 
sujet  do  eo  coticourH,  il  est  tout  naturel,  dans  la  position 
que  j'occupe,  que  je  ne  donne  pas  un  vote  silencieux. 
Aussi  quoique  la  soirée  soit  déjà  fort  avancée,  je  demande 
à  dire  quelque  mots  sur  les  reformes  proposées  ))ar  les 
deux* concurrents  pour  activer  le  progrès  de  l'agriculture 
dans  notre  province. 

Tous  deux  s'accordent  a  recommander  la  création  d'un 
bureau  d'agriculture  présidé  par  un  surintendant,  dont 
les  pouvoirs  seraient  analogues  à  ceux  du  surintendant 
de  1  éducation,  et  qui  serait  également  étranger  à  la  po- 
litique. Cet  officier  présiderait  le  conseil  d'agriculture, 
et  aurait  la  direction  et  le  contrôle  de  toute  l'organixa- 
tion  agricole,  c'est-à-dire  qu'il  aurait  tous  les  pouvoirs 
administratifs  aujourd'hui  conférés  au  commisaire  de 
ragi'iculture. 

Il  estpossiîj'o  qu'une  pareille  réforme  soit  jugée  avan- 
tageuse et  tinisse  par  s'imposer,  aussi  ne  voudrais-je  pas 
prendre  sur  moi  do  la  repousser  tout-à-fait.  Je  tiens  à 
dire  à  ce  propos,  qu'en  concourant  dans  le  jugement  qui 
a  été  rendu  j'ai  voulu  rendre  hommage  au  talent  déployé 
par  les  deux  écrivains,  à  l'esprit  vraiment  patriotique 
dont  ils  ont  fait  preuve,  aux  utiles  vérités  qu'ils  ont  ex- 
posées, enfin  au  mérite  réel  et  vi*aiment  remarquable 
dos  deux  écrits  considérés  dans  leur  ensemble;  mais  je 
no  suis  pas  prêt  à  admettre  que  la  création  d'un  bureau 
d'agriculture,  sur  le  modèle  do  celui  de  l'instruction  pu- 
blique, soit  d'une  absolue  nécessité. 

Le  but  principal  de  la  loi  dagriculture  de  1869,  qui 
nous  régit  aujourd'hui,  a  été  de  ramener  l'urganisation 
agricole  sous  la  sui  «oillanco  do  la  législature,  en  substi- 


_24  — 

tuant  un  conseil  nommé  par  l'Exécutif  à  l'ancienne 
chambre  d'agriculture  composée  en  majorité  do  membres 
élus  par  les  bociétés  d'agriculture.  Cette  chambre  d'agri- 
culture, à  laquelle  on  avait  à  dessein  donné  beaucoup  de 
latitude,  afin  de  lui  assurer  une  plus  grande  liberté  d'ac- 
tion, avait  fini  par  échapper  tout-ù-lait  au  contrôle  du 
gouvernement,  qui  do  son  côté  semblait  vouloir  dégager 
sa  responsabilité  de  tout  ce  qui  tenait  à  l'organisation 
agricole  et  à  son  fonctionnement.  Sous  le  régime  qui  a 
précédé  la  Confédération,  autantou  mieux  valait  peut-être 
qu'il  y  eût  une  chambre  d'agriculture  pour  le  Bas-Canada 
et  une  autre  pour  le  Haut-Canada,  et  que  ces  chambres 
fussent  à  peu  près  indépendantes  de  l'Exécutif  d'alors. 
Mais  avenant  la  constitution  do  1867,  qui  remettait  à 
chaque  province  la  gestion  de  ses  affaires  locales,  on 
trouva  que  l'organisation  agricole  était  chose  assez  im- 
portante en  elle-même,  pour  ne  plus  en  laisser  le  contrôle 
à  un  corps  à  peu  près  irresponsable  comme  l'était  l'an- 
cienne chambre.  Aussi,  dès  la  seconde  session  de  notre 
législature  locale,  adopta-t-on  la  loi  qui  nous  régit  actuel- 
lement. I.a  principale  raison  qu'on  a  fait  valoir,  pour 
substituer  la  loi  actuelle  à  l'ancienne,  a  été  que  le  chef 
du  département  de  l'agriculture  serait  désormais  directe- 
ment responsable  à  la  législature  du  fonctionnement  do 
la  nouvelle  organisation  agricole,  et  je  no  suis  pas  prêt  à 
dire  que  la  législature  a  eu  tort  de  prendre  ainsi  1 1  haute 
main  dans  cette  sphère  importante  de  l'administration. 

Le  but  qu'on  s'est  projiosé  en  créant  le  conseil  d'agri- 
culture a  été  uniquement  d'entourer  le  ministre  des 
agronomes  et  des  agriculteurs  les  plus  distinguas  de  la 
province  pour  aviser  avec  lui  aux  meilleurs  moyens  de 
faire  progresser  l'agriculture  dans  toutes  ses  branches  ; 
le  ministre  est  resté  seul  chargé  par  la  loi  de  l'adminis- 
tration et  du  contrôle  de  toute  l'organisation  agricole  et 
par  là  même  directement  est  responsable. 

Pour  nous  la  question  agricole  doit  primer  toutes  les 
autres,  et  je  verrais  avec  peine  notre  législature  s'en 
remettre  à  un  seul  homme  du  soin  do  diriger  l'organisa- 
tion agricole,  cet  homme  fût-il  à  la  hauteur  de  la  tâche 
que  lui  tracent  MM.  Barnard  et  Provencher.  Il  importe 
quo  nos  députés  locaux  restent  assujettis  au  ('evoir 
do  s'occuper  eux  mômes  de  ce  grand  intérêt.    A  chaque 


—  25  — 

session  depuis  1867,  lea  députés  locaux  qui  ont  faiit 
partie  du  comité  permanent  do  l'agriculture  ont  élaboré 
avec  profit  une  masse  de  questions  du  plus  haut  intérêt. 
A  plusieurs  do  ces  questions  il  n'a  manque,  pour  faire 
beaucoup  de  bien  et  amener  des  résultats  f-érieux,  que 
la  dit-cussion  on  pleine  chambre.  Qu'on  ne  s'y  méprenne 
pas  davantage,  .et  que  les  questions  agricoles  soient 
pondes  hardiment  en  chambre,  et  l'on  verra  bien  vite 
qu'elles  l'emportent  en  importance  et  surtout  en  bons 
résultats  sur  bien  d'autres  qui  occupent  le  haut  du  pavé 
dans  nos  discussions  parlementaires.  Ma  grande,  mon 
unique  objection  pour  ainsi  dire  à  la  création  d'un  surin- 
tendant d'îigriculture,  vient  donc  de  ce  que  cet  officier 
ne  pourrait  pas  avoir  un  siège  en  chambre,  et  répondre 
de  son  administration  sur  son  portefeuille;  car  avant 
tous  cet  officier  dans  la  pensée  de  nos  lauréats  devrait 
être  inamovible  durant  bonne  conduite. 

Ce  n'est  pas  à  dire  pour  cela  que  je  sois  hostile  à  toute 
réforme,  je  reconnais  au  contraire  la  nécessité  de  veiller 
plus  strictement  à  l'observance  de  la  loi  telle  qu'elle 
existe,  et  ici  je  fiais  mon  7neâ  culpa  pour  ce  qui  me  concerne. 
C'est  un  abus  ])ar  exem|»le  que  de  ne  par  avoir  le  bureau 
du  conseil  d'agriculture  au  siège  du  gouvernement,  puis- 
que son  secrétaire  est  un  officier  du  département  do 
l'agriculture.  Je  suis  porté  à  croire  qu'il  résulterait 
beaucoup  do  bien  et  une  grande  simplification  adminis- 
trative de  ce  seul  changement.  Il  m'a  toujours  semblé 
aussi  qu'un  officier  })ermanentdu  département  do  l'agri- 
culluro  devrait  avoir  un  siège  dans  le  conseil.  Quant 
aux  abus  qui  ont  pu  se  glisser  dans  l'administration 
agricole,  je  les  livrerais  en  toute  confiance  à  M.  le  direc- 
teur de  l'agriculture;  il  a  su  trop  bien  les  signaler  pour 
ne  pas  les  faire  disparaître  dès  que  l'occasion  lui  en  sera 
fournie. 

Pour  ce  qui  est  des  progrès  à  réaliser  au  moyen  des  me- 
sures do  détail  si  heureusementsuggéréesparM.  Barnard, 
je  connais  trop  bien  le  zèle  éclairé  de  notre  premier  minis- 
tre ])our  toutcequi  touche  à  l'agriculture,  je  connais  trop 
bien  aussi  la  passion  dominante  do  l'assistant  commissaire 
do  l'agriculture,  pour  croiroque  M.  Iedire<îteurde  l'agri- 
culture aura  ses  coudées  tout  aussi  franches  que  pourrait 
les  avoir  un  surintendant.     A  l'aide  de  son  journal  d'agri- 


—  26  — 

culttire,  qui  va  reparaître  avec  la  nouvelle  année,  il  va 
pouvoir  continuer  sa  croisade,  et  si^  comme  jo  n'en  ai 
aucun  doute,  il  y  met  l'élan  chaleui'eux,  la  foi  agricole 
dont  il  a  donné  de  si  belles  preuves  dans  son  csijai  cou- 
ronné, il  réussira  à  inspirer  le  goût  de  la  bonne  culture 
mieux  que  toutes  les  mesures  législatives  ne  le  sauraient 
faire. 

J'aurais  bien,  moi  aussi,  tout  comme  mon  savant  col- 
lègue, l«i  Dr.  LaRue,  un  petit  progamme  à  développer 
pour  faire  arriver  bien  vite  à  la  prospérité  le  plus  grand 
nombre  possible  do  nos  compatriotes.  Le  conseil  que  je 
donne  aux  cultivateurs  se  réduit  à  ceci  :  Fuites  du  beurre, 
faites  du  bon  beurre  et  faites-en  beaucoup  ;  je  réponds  du 
reste,  vous  êtes  dans  la  bonne  voie.  Avec  cela  si  vous  no 
mourez  pas  riche  et  considéré  c'est  que  vous  mourrez 
jeune.  Voilà  pour  moi  le  principe  général,  le  principe 
qui  opère  seul  ctsurement.  Maintenant,  il  y  a  les  moyens 
violents,  révolutionnaires,  si  vous  voulez,  tels  que  la  cul- 
ture de  la  betterave  à  sucre,  pour  la  fabrication  du  sucre, 
et  l'emploi  des  engrais  chimiques,  du  superphosphate,  par 
exemple;  j'en  suis  encore  de  ceux-là,  et  le  jour  où  je  les 
verrai  introduits  sérieusement  dans  notre  province  je 
dirai  que  nous  pouvons  nous  passer  désormais  d'organi- 
sation agricole,  et  dépenser  1  argent  qu'elle  nous  coûte  à 
faire  ouvrir  de  bons  chemins  de  colonisation,  car  aloi's  il 
n'y  aurait  plus  assez  de  terre  ]x>ur  tous  ceux  qui  en  vou- 
draient avoir.  C'est  à  peine  s'il  resterait  un  homme  de 
lettres  pour  remporter  le  prix  qu'un  noble  imitateur  de  M. 
Fiset  offrirait  alors  pour  un  essai  "  sur  le  meilleur 
moyen  de  faire  progresser  la  colonisation," 

Pour  terminer,  je  dirai  aus^^i  moi,  honorons  l'agricul- 
ture, regardons  toujours  l'habitant  comme  la  pierre  an- 
gulaire do  notre  nationalité;  que  l'agriculture  soit  le  pre- 
mier article  de  notre  catéchisme  national,  ha  nature  a 
été  prodigue  de  beautés  pour  notre  province  de  Québec, 
nous  l'aimons  telle  qu'elle  est,  mais  comme  elle  serait 
belle  si,  à  tout  le  pittoresque  de  nos  riantes  campagnes, 
nous  pouvions  ajouter  le  charme  de  l'aisance  et  le  rayon 
doré  de  la  prospérité  l 


ELOGE  DE  L'AGEICULTUEE. 


CE  QU'EST  L'ART  AGRICOLE  AU  CA]^4DA. 

DES  MOYENS  DE  L'Y  FAIRE  PEOGEESSER. 

Par  Ed.  A*  BARNARO.  (i) 


"  Celui  qui/ait  croître  deux  Irinê 
â'heibe  où  il  n'en  {Kuasuit  qu'un  seul, 
.    ,       ,  est,  sans  aucun  doute,  un  bievfuittur 

■     \       ''  public." 

I.   ÉLOQE    DE    l'agriculture. 

L'âgricultnro  est,  pour  les  individus,  une  occupation 
des  plus  utiles,  des  plus  morales,  des  plus  nobles  :  pour 
les  nations  c'est  la  seule  base  solide  de  prospérité  géné- 
rale. 

L'agriculture  bien  comprise  ne  demande  pas  seule- 
ment le  travail  du  corps:  elle  offre  un  immense  champ 
d'études  à  l'esprit. 

(1)  Le  trafailauqnellepremier  prix  a  été  décerné  portait  seulement  an 
Hom  de  plume.  L'Institut-Can&dien  ayant  insisté  pour  que  le  lauréat  don- 
nât son  nom  véritable,  ce  dernier,  tout  en  se  faisant  connaître,  demanda 
avec  instance  que  son  travail  fut  soumis  au  public  sans  nom  d'auteur, 
afin  que  l'étude  des  importantes  questions  y  soulevées  et  des  fait»  très- 
regrettables  qui  y  sont  signalés  fût  détachée  de  toute  question  person- 
nelle. Il  fit  valoir  de  plus  sa  position  officielle,  qui  semblait  lui  inter- 
dire la  publication  de  ses  nom  et  prénoms. 

Là-dessus,  M.  le  président  de  l'Institut  jugea  à  propos  de  consulter 
l'honorable  M.  Joly,  commissaire  de  l'agriculture  et  l'un  des  juges  du 
concours,  qui  permit  gracieusement  à  l'auteur  de  faire  connaître  son 
nom,  conforniément  à  un  des  règlements  du  concours. 

Sous  ces  circonstances,  M.  Barnard,  directeur  de  l'agriculture  au  dé- 
partement de'  l'agriculture  et  des  travaux  publics,  crût  ne  pas  devoir  ser 
lefuser  plus  longtemps  au  désir  de  l'InstitutCanadien. 


—  28  — 

L'agriculture  est  d'institution  divine.  Le  travail 
qu'ello  exige  fut  enseigné  par  Dieu  lui-même,  dans  le 
Paradis  terrestre,  et  dès  l'origine.  Elle  fut  ordonnée  au 
premier  homme  comme  occupation  principale,  au  mo- 
ment où,  sortant  de  la  création,  il  était  fait  pour  jouir 
du  bonheur  le  plus  complet  :  Posuit  in  paradiso  volupta- 
tis,  ut  operaretur  eum.  (Gren.  2)  Le  travail  do  la  terre 
fut  donc  pour  l'homme  un  commandement  do  Dieu,  et 
une  condition  de  son  bonheur,  de  sa  dignité,  de  son 
existence  avant  que  la  chute  originelle  eût  rendu  tout 
travail  pénible  et  ingrat. 

De  tous  temps,  parmi  les  peuples  les  plus  renommés, 
l'agriculture  a  été  considérée  comme  le  premier  des  arts, 
celui  qui  doit  être  le  plus  honoré.  Ainsi,  dans  l'histoire 
ancienne,  les  Chaldéens,  les  Egyptiens  et  les  Romains, 
aussi  bien  que  le  peuple  de  Dieu,  furent  des  peuples 
éminemment  agricoles.  Et,  depuis  l'ère  chrétienne  jus- 
qu'à nos  jours,  les  nations  les  plus  puissantes  et  les  plus 
Ïtrospères  doivent  à  l'agriculture  la  principale  source  de 
eur  force  et  de  leur  richesse.  On  l'a  répété  de  tous 
temps,  et  personne  ne  saurait  le  nier:  "  l'agriculture  est 
le  fondement  même  de  la  vie  humaine;  elle  est  la  nour- 
rice du  genre  humain.  "  Or,  si  l'homme  est  véritable- 
ment noble  et  grand  en  autant  qu'il  se  rend  utile  à  ses 
semblables,  quelle  occupation,  en  dehors  du  sacerdoce, 
est  plus  noble  et  plus  utile  que  celle  du  cultivateur? 

La  magistrature,  les  professions  libérales,  le  commerce 
et  l'industrie  nous  sont  d'un  grand  secours.  Depuis  la 
chute  do  l'homme,  plus  le  monde  s'est  peuplé,  plus  il  a 
fallu  de  force,  de  courage,  de  sagesse  et  de  science  pour 
défendre,  contrôler,  diriger  et  guérir  la  société;  plus  il 
a  fallu  d'énergie  pour  tirer  du  soin  de  la  terre  et  de  la 
profondeur  dos  eaux,  pour  utiliser  et  pour  répandre  en 
touM  lieux  les  richesses  sans  bornes  que  Dieu  a  mises  au 
Bcrvice  do  l'humanité.  Mais  que  seraient  toutes  ces  choses 
sans  la  vie  du  corps?  Or,  c'est  l'agriculture  seule  qui 
fournit  à  l'homme  et  la  nourriture  indispensable  A  la  vie, 
et  tous  ces  fruits,  ces  produits  de  toute  nature  qui  flattent 
notre  appétit,  réjouissent  notre  cœur.  (1) 

(1)  Voir  le  magnifiqno  ^loge  de  l'agriculture  par  Mgr.  Dupnnloup  : 
"De  la  haute  éducation  intelÎRutuelle/'tume  III,  pages  418  et  suivantes. 


—  29  — 

Lo  travail  des  champs  est  essentiellement  moralisaleur'. 
I)ati8  ses  divers  travaux,  le  cultivateur  se  sent  hous  la 
dépendance  immédiate  de  Dieu.  L'homme  devient  l'ins- 
trument docile  dont  se  sort  le  Créateur  dans  la  continua- 
tion do  la  création.  Le  cultivateur  remue  la  teri'o,  il  lui 
confie  la  semence;  il  l'arrose  de  ses  sueure»,  puis  son 
(euvro  est  faite  ;  pour  le  reste,  il  s'en  remet  à  Dieu,  qui 
donne  le  soleil,  la  .chaleur,  la  rosée  rafraîchissante,  la 
pluie  nécessaire.  C'est  Dieu  seul  qui  fait  fructifier  et 
rendre  au  centuple. 

Toutes  les  vertus  fortes  et  viriles, — la  sobriété,  l'éco- 
nomie, l'oi-dre,  l'activité,  la  persévérance,  la  prévoyance, 
sont  l'npanage  du  bon  cultivateur.  Aussi  trouve-t-on, 
en  général,  dans  la  classe  agricole,  un  jugement  plus 
sain  et  mieux  exercé,  des  mœurs  plus  pures,  dos  races 
plus  fortes,  une  foi  plus  ferme,  des  dévouements  plus 
nombreux.  C'est  d'ailleurs  ce  qu'ont  dû  reconnaître  les 
philosophes  païens  eux  mêmes.  "  La  vie  des  champs,  '* 
disait  Columelle,  "est  voisine,  sinon  p:irente  do  la  sa- 
gesse.'* Le  "  sage  "  Caton  affirme  que  :  "  c'est  parmi  les 
cultivateurs  que  naissent  les  meilleurs  citoyens  et  les 
îneiileurs  soldats.  "  Cîcéron  donne  à  son  tour  un  témoi- 
gnage vieux  de  vingt  siècles,  mais  qui  comporte  un 
enseignement  plein  d'actualité.  Il  dit:  "C'est  dans  les 
villes  que  se  crée  lo  luxe.  Le  luxe  produit  la  cupidité  ; 
la  cupidité  fait  naître  l'audace.  Do  là  toute  espèce  de 
crimes  qui  ne  peuvent  prendre  origine  dans  les  habitudes 
sobres  et  laborieuses  de  la  vie  agricole.  L'agriculture 
enseigne  l'économie,  lo  travail,  la  justice."  Cicéroà 
ajoutait  :  "  L'amour  de  la  ])atrie,  source  de  tant  de  vertus, 
existe  au  plus  haut  degj-é  dans  les  populations  agricoles 
qui  se  perpétuent  sur  l'héritage  de  leurs  Uïeux.  C'est 
parmi  elles  que  naissent  les  plus  braves  soldats.'' 

Voilà  le  témoignage  bien  flatteur  que  les  païens  eux- 
mêmes  ont  rendu  à  l'agriculture.  De  quel  respect  et  de 
quels  hommages  les  nations  chrétiennes  ne  doivent-elles 
donc  pas  entourer  cette  profession  si  noble  et  si  utile  f 
Lo  cultivateur  ne  se  sent-il  pas,  chaque  jour,  et  plus 
directement  que  tout  autre,  sous  l'œil  de  Dieu?  I*eut-il 
oublier  Paction  bienfaisante  du  Tout-Puissant  dans  lo 
résultat  de  ses  divers  travaux  ?  Qui  éprouve,  autant  que 
l'homme  des  champs,  la  nécessité  presque  journalière  do 


—  30  — 

demander,  avec  foi  et  humilité,  la  chaleur,  la  pluie,  ou 
le  temps  serein  î  Qui,  ])lu8  qtie  lui,  peut  jouir  con><tam- 
mont  do  toutes  le»  beautés  de  la  création?  Et,  sous  ces 
circonstances,  quel  cœur  bien  né,  quel  esprit  droit,  ne 
saurait  aimer,  adorer  et  bénir  l'auteur  de  tous  biens. 
Quelle  est  donc  l'occupation  qui  offio  des  jouissances 
plus  pures,  une  jeunesse  plus  vertueuse,  une  vie  mieux 
remplie,  une  vieillesse  plus  tranquille  et  plus  heureuse  1 

* 
*  * 

'  Tel  est,  sans  aucun  doute,  le  bonheur  dos  classes  agri- 
coles. Et  cependant,  que  voyons-nous  de  nos  jours  ?  Des 
hommes  instruits  qui  dédaignent  l'agriculture;  des  en- 
fants de  cultivateurs  à  qui  l'instruction  semble  avoir 
servi  à  déprécier  l'occupation  de  leurs  ancêtres  ;  une 
multitude  de  jioisonnes,  plus  ou  moins  marquantes,  qui 
ne  voient  dans  les  rudes  mais  honorables  labeurs  des 
champs  qu'un  travail  avilissant,  indigne  d'hommes  ins- 
truits et,  pour  tout  dire,  un  travail  d'esclave.  Ne  voit-on 
pas  trop  souvent  des  cultivateurs  à  l'aise,  dont  la  plus 
grande  ambition,  pour  leurs  fils,  est  de  les  pousser  dans 
les  carrières  dites  libérales;  ne  voit-on  pas  également,  et 
en  grand  nombre,  des  femmes  do  cultivateurs  qui  croient 
travailler  au  bonheur  de  leurs  ailles  en  leur  cherchant 
un  avenir  en  dehors  de  l'agriculture  ? 

Les  parents  qui  agissent  ainsi,  par  faiblesse  et  sans 
une  dure  nécessité,  qui  veulent  par  là  rendre  la  vie  ])lu8 
agroîible  et  plus  facile  à  leurs  enfants,  ont-ils  bien  réflé- 
chi ?  Ont-ils  songé  qu'en  envoyant  ces  enfants  à  la  ville, 
ils  les  déclassent  trop  souvent  sans  utilité  ni  pour  eux- 
mêmes  ni  pour  la  société;  qu'ils  encombrent  «îavantago 
les  professions,  le  commerce  ou  l'industrie,  déjà  trop  en- 
combrés ;  qu  ils  exposent  ces  jeunes  gens  à  une  existence 
presque  toujours  précaire,  souvent  bien  pénible  et  parfois 
intiniment  malheureuse  ?  Ces  déclassés,  sans  avenir 
et  sans  espoir,  malgré  leur  éducation  plus  ou  moins  com- 
plète, sont  comme  entraînés  à  abréger  leur  existence  et 
à  se  consoler  de  leurs  désillusions  amères,  en  s'adonnant 
aux  habitudes  les  plus  regrettables. 

Ces  jeunes  gens,  que  l'on  a  rendus  malheureux  pour  la 
vie,  n'auraient-ils  pas  pu  devenir,  dès  leur  entrée  en  car- 


—  31  — 

riôro,  sinon  des  propriétaires  dans  l'aisance,  au  moins  dos 
fermiers  intelligents,  des  colons  vigoureux  et  pleins  d'es- 
poir, des  spécialistes  agricoles  marquants,  des  agro- 
nomes instruits,  enfin,  des  citoyens  utiles,  en  état  do 
rendre  des  services  signalés  et  do  tout  gt'nre  à  leurs 
compatriotes?  Les  filles  qui  laissent  la  campagne,  à  la 
recherche  d'un  établissement  plus  commode  et  plus  at- 
trayant, sont-elles  plus  heiireu>es  dans  leur  famille;  leurs 
cnfiints  seront-ils  mieux  élevés,  plus  dociles,  plus  utiles  à 
la  isociété  et  plus  heureux  à  leur  tour  ? 

"■  ,  * 

Ce  concours  sur  l'agriculture  dont  on  a  eu  la  géné- 
reuse et  patriotique  pensée,  me  doime  l'occasion  de  sou- 
mettre ici  quelques  réflexions  qui  m'ont  occupé  bien 
souvent  au  milieu  des  travaux  constants  et  si  multiples 
d'un  cultivateur. 

Je  serai  heureux  d'attirer  l'attention  do  mes  compa- 
triotes sur  notre  position  agricole.  Je  voudrais  faire 
appel  à  tous  les  hommes  d'esprit  et  do  cœur  qui  sont 
attaches  à  notre  chère  patiio  ;  à  cette  fertile  et  incompa- 
rable vallée  du  Saint-Laurent,  cette  belle  province  do 
Québec,  si  essentiellement  agricole,  et  dont  les  richesses, 
cependant,  sont  à  peine  exploitées.  Je  désire  m'adrefeser 
surtout  r.ux  hommes  intelligents  qui  habitent  la  cam- 
pagne, à  ces  nombreux  jeunes  gens  qui  cherchent  une 
carrière  profitable  et  utile.  Je  leur  demande  à  tous  d'ho- 
norer l'agriculture  autant  qu'elle  le  mérite  et  de  ne  point 
fermer  les  yeux  Kur  ses  titres  de  noblesse  et  sur  son 
utilité  éminento.  Nos  hommes  d'état  et  tous  ceux  qui 
sont  chargés  do  veiller  à  la  chose  publique  trojiveront  cer- 
tainement que  c'est  dans  ravan<ement  de  notre  agricul- 
ture que  réside  la  question  d'économie  politique  la  plus 
importante  pour  nous  dans  le  moment  actuel.  Je  le  dis 
avec  regret,  mais  je  l'affirme  avec  une  conviction  pro- 
fonde :  cette  question  de  notre  progrès  agricole  semble 
avoir  été  presque  entièrement  oubliée,  à  la  suite  de  ces 
luttes  gigantesques  qu'il  nous  a  fallu  subir  pour  le  main- 
tien de  notre  nationalité.  Grâce  à  Dieu  nous  sommes 
aujourd'hui  les  seuls  maîtres  do  notre  destinée.  Mais  no 
serions-nous  pas  infiniment  coupables  si  nous  négligions 


—  32  — 

j»lu3  longtemps  l'art  qui  a  toujours  été,  depuis  rétablis- 
sement do  ce  pays,  ot  qui  est  encore  notre  principale 
source  do  prospérité  etde  Imnheur?  Je  dirai  plus  :  l'agri- 
rulturo«era,  après  la  religion,  la  sauvegarde  de  notre  na- 
tionalité dans  l'avenir. 

Qu'il  me  soit  donc  permis  de  faire  appel  à  tous,  mais 
principalement  à  notre  clergé  ot  aux  personnes  qui  diri- 
gent les  maisons  d'éducation  dans  notre  province.  Que 
tous  se  fassent  un  devoir  de  rendre  hommage  à  l'agri- 
culture ;  qu'ils  ne  manquent  point  l'occasion  do  montrer 
la  haute  noblesse  de  cet  art,  le  seul  qui  fut  enseigné  à 
la  terre  pur  le  Trô^-IIaut  lui-même  ;  que  tous  j)rCchent, 
«le  parole  ou  d'exemple,  la  dignité  et  l'utilité  du  travail 
manuel,  celte  jouissance  donnée  à  nos  premiers  parents 
comme  occupation  principale  dans  le  Jardin  de  délices. 
Oui,  quoi  qu'on  en  dise  :  pour  l'homme  sensé,  qui  réflé- 
chit le  travail  manuel  a  été  de  tous  temps  une  satis- 
faction immense.  Voilà  une  vérité  que  ne  sauront  pas 
apprécier,  peut-être,  l'habitué  de  bureau,  l'homme  de 
piofossion,  les  gens  de  lettres,  et  tous  ceux  dont  les 
forces  s'étiolent  et  se  perdent  tout-à-fait,  avant  l'âge, 
faute  do  travail  manuel.  Que  ceux-là  fassent  l'essai  du 
travail  manuel,  et  ils  y  trouveront  bientôt,  avec  le  repos 
de  l'esprit  et  la  tratiquillité  do  l'âme,  une  robuste  santé, 
le  plus  inestimable  des  dons  de  Dieu  sur  la  terre. 

No  serait-il  pas  également  désirable  que  le  principe 
d'économie  sociale  que  je  viens  de  rappeler,  l'amélioration 
de  l'ûgriculture,  engageât  le  surplus  do  notre  population 
à  se  diriger  vers  la  colonisation  de  nos  immenses  forêts, 
ces  sources  incalculables  de  richesses  encore  inexploitées, 
richesses  qui  peuvent  incontestablement  apporter  ia  paix 
ot  le  bien-élro  à  des  milliers  de  familles  aujourd'hui  sans 
ressources  ? 

Que  rfîtat  protégo  l'agriculture;  que  nos  législateurs 
ot  les  hommes  publics,  plus  spécialement  chargés  de  cette 
mission,  encouragent,  comme  ils  le  doivent,  les  cultiva- 
rours  à  étudier  et  à  observer  les  lois  d'une  bonne  agri- 
culture, et  ce  pays,  qui  est  déjà  reconnu  pour  un  dos  plus 
paisibles  et  des  plus  heureux,  redeviendra,  comme  par 
le  passé,  un  des  plus  productifs  du  monde  entier. 

Le  Canada,  jo  le  répète,  comparé  aux  autres  piays  dans 
notre  siècle^  est  prôspèlfe,  paisible  et  heureux.  Cotte  paix, 


—  33  — 

co  bonheur,  cetto  prospéritë  étonnante,  au  milieu  do 
nos  vicisf^iiudos  bi  nombrousot",  à  quoi  les  devons-nous,  si 
ce  n'est  en  grande  partie  A  l'agriculture?  La  nationalité 
canadienne-tranjjaise  existerait-elle  aujourd'hui  si  la  popu- 
lation catholique  et  fran(;aiHedecepays,entourde  comme 
elle  le  fut,  il  y  a  un  siècle,  de  ces  armées  nombreuses  d'en- 
nemis de  nos  croyances  et  de  notre  nationalité,  n'était 
])as  restée,  après  la  conquête,  comme  cachée  à  l'orabro  et 
sous  la  protection  du  clocher  de  nos  paroisses  agricoles  ? 

Et,  dans  l'avenir  comme  par  le  passé,  notre  seul  es- 
poir de  salut  comme  peuple  n'est-il  pas  dans  la  posses- 
sion du  sol,  dans  la  colonisation  do  nos  forêts,  dans  le 
développement  de  nos  richesses  et  de  notre  population 
par  le  progrès  régulier  et  iiitelligent  de  notre  agriculture  ? 

Si  nous  allions  l'oublier,  si  nous  négligions  plus  long- 
temps l'agriculture,  ne  voirions-nous  pas  reprendre,  au 
premier  moment  et  avec  une  intensité  désastreuse,  le 
fléau  de  l'émigration,  qui  déjà  nous  a  fait  tant  de  mal, 
qui  nous  a  enlevé,  en  quelques  années,  une  partie  notable 
de  la  population  de  toutes  nos  anciennes  paroisses;  fléau 
qui  a  dévasté,  dans  ces  années  dernières,  jusqu'à,  nos 
colonies  les  plus  nouvelles  et  les  plus  prospères,  au  profit 
de  l'industrie  étrangère  du  peuple  voisin  ?  N'avons-nous 
pas  eu  la  douleur  de  voir,  dans  plus  d'un  endroit,  des 
cultivateurs,  propriétaires  du  sol,  abandonner  avec  leurs 
familles  entières,  et  sans  nécessité  pressante,  la  maison 
paternelle,  où  les  ancêtres  avaient  vécu,  dans  une  modeste 
aisance,  et  prendre  le  chemin  do  l'exil,  dans  l'espoir 
d'amasser,  plus  rapidement  peut-être,  quelques  pièces 
d'or?  Trop  souvent,  pour  satisfaire  au  luxe  sans  cesse 
croissant  de  la  famille,  on  a  cédé  à  l'attrait  d'un  travail 
moins  long,  dont  le  salaire  pourrait  être  plus  facilement 
réalisable,  mais  d'un  travail  d'esclave  et  d'esclave  exilé 
de  son  pays  ! 

J'espère  que  l'on  voudra  bien  me  pardonner  ces  re- 
marques. Elles  se  rattachent  assez  naturellement  au 
sujet  qui  nous  occupe  et  me  paraissent  pleines  d'à-propos 
dans  la  situation  particulière  do  notre  province.  D'ail- 
leurs, elles  font  l'éloge  do  l'agriculture,  puisque  nous 
y  rattachons  sûrement  notre  bonheur  national  dans 
Je  passé  et  notre  salut  dans  l'avenir.  Oui,  nous  ne  sau- 
rions le  taire,  après  Dieu,  c'est  à  l'agriculture  que  le 

3 


—  34  — 

Canada  français  doit  d'être  ce  qu'il  est;  c'est  dans 
l'agriculturo  que  réside  sa  force  et  sa  principale  sauve- 
garde pour  les  dangers  do  l'avenir.  Or,  quoi  plus  bel 
éloge  un  patriote  pourrait-il  faire  de  cet  art  divin,  do 
quelle  couronne  plus  brillante  et  plus  glorieuse  un  Cana- 
dien pourrait-il  ceindre  le  front  de  cotte  "  mère  "  aussi 
aimable  que  noble  et  utile  :  '•  la  nourricière  du  genre 
humain.  " 

*** 

Mais  les  Canadiens  ne  sont  pas  les  seuls  qui  doivent 
principalement  à  l'agriculture  leur  force  et  leur  conser- 
vation comme  peuple.  Pour  celui  qui  étudie  l'histoire, 
il  est  un  fait  qui  ne  peut  manquer  do  frapper  l'esprit  : 
c'est  rabaissement  progressif  et  la  disparition  presque 
complète  de  ces  nombreuses  nations  qui,  à  leur  épo- 
que, ont  rempli  le  monde  du  bruit  de  leur  nom,  de 
leur  gloire  et  de  leurs  conquêtes.  Tous  ces  peuples, 
avant  de  se  distinguer  comme  guerriers,  étaient  devenus 
prospères  par  les  développements  donnés  à  l'agricul- 
ture. Et  quel  fut  le  principal  sinon  l'unique  écueil 
sur  lequel  ils  vinrent  se  briser,  les  uns  après  les 
autres,  si  ce  n'est  l'abandon  graduel  et  le  dépérissement 
de  l'agriculture,  pour  faire  place  à  la  recherche  immo- 
dérée des  conquêtes,  du  butin,  des  jouissances  illicites  ? 
N'est-ce  pas  là  l'histoire  dos  Babyloniens,  des  Egyp- 
tiens, des  Grecs  et  des  Romains?  Et  les  Juifs, — ce 
peuple  privilégié,  conduit,  dans  ses  beaux  jours,  par 
Dieu  lui-même, — quelles  furent  toujours  leurs  époques 
de  grandeur  et  de  bonheur,  si  ce  n'est  celles  où,  obéis- 
sant aux  préceptes  divins,  ils  cultivaient  la  terre?  Quelles 
furent  leurs  époques  de  malheur  et  d'abaissement,  sinon 
celles  qui  suivaient  leurs  grandes  prospérités,  lorsque 
les  greniers  juifs  regorgeaient,  que  les  caves  étaient 
remplies  de  vin,  que  le  peuple  entier  s'était  enrichi? 
Alors,  en  effet,  sourde  à  la  voix  divine  et  immuable  du 
travail,  négligeant  les  durs  mais  salutaires  labeurs  dos 
champs,  la  nation  se  livrait  aux  plaisirs  défendus,  à  la 
recherche  des  conquêtes  injustes  mais  faciles,  et  s'atti- 
rait par  là  les  châtiments  de  Dieu. 

Si  nous  recherchons  maintenant  le  secret  de  la  force 
do  certaines  nations  modernes,  de  cette  vitalité  mer- 
veilleuse qui  permet  à  certains  peuples  detraversoi*  sans 


—  35  — 

encombre  les  époques  los  plus  tourmentées, do  renverser 
tous  los  obstuclos  qui  s'opposent  à  leur  niftrcho.otd'appa- 
raitro,  au  sortir  dos  toinpôtos  les  plus  terribles,  aussi  fortrt 
et  plus  unis  que  jamais, — nous  trouvons  co  secrot  dans  le 
progrès  et  le  porfoetionnomont  do  leur  agriculture. 

Ainhi,  (-ans  les  trésors  incalculables  do  l'agriculturo 
française,  la  Fiance  aurai t^ello  pu  écbappor  au  joug  do 
fer  du  Prussien  qui  lui  demandait,  au  nom  do  sa  brutale 
victoire,  une  rançon  que  le  monde  entier  jugeait  impos- 
sible à  payer  ? 

Et  comment  les  pays  flamands,  co  petit  coin  do  sablo 
sorti  do  la  mer,  co  territoire  presque  imperceptible  sur 
la  carte  de  l'Europe,  ont-ils  pu  se  conserver  intacts  au 
milieu  dos  diverses  puissances  qui  se  les  arrachaient  los 
unes  après  los  autres,  lu  co  n'est  grâce  à  la  frugalité,  à 
l'activité  et  à  l'intolligimce  do  leur  population  agricole, 
la  plus  dense  et  la  plus  laborieuse  do  l'Europe.  Et 
l'Angleterre,  notre  nouvelle  mère-patrie,  cet  autre  petit 
pays  couvert  en  grande  partie  do  montagnes,  de  bruyères, 
de  sable  et  d'un  sol  aride,  cette  vaillante  et  industrieuse 
Angleterre  pour  laquelle  les  anciens  Komaitis  n'euronu 
que  des  louanges,  ne  so  distinguait-elle  pasdéjà,  dès  cette 
é])oque  reculée,  par  ses  richesses  agricoles  ? 

Ce  peuple  anglais  si  fier,  à  juste  titi'O,  do  ce  que 
le  soleil  ne  so  couche  jamais  sur  son  drapeau  qui  flotte 
sur  tous  les  points  du  monde,  co  peuple  distingué  entre 
tous  les  autres  par  ses  conquêtes  innombrables,  dues 
plus  souvent  aux  arts  de  la  paix  qu'à  ceux  de  la  guerre,  co 
peuple  éminemment  commerçant  et  industriel,  no  doit-il 
rien  à  l'agriculture  ?  Ai-jo  besoin  de  dire  que,  de  tous  los 
pays  du  monde,  c'est  l'Angleterre  qui  occupe  le  premier 
rang  au  point  de  vue  agricole  ?  C'est  l'Angleterre  qui 
obtient  les  récoltes  moyennes  los  plus  élevées  dans 
l'univers  entier  ;  ce  sont  les  Anglais  qui  ont  doté  lé 
monde  do  ces  améliorations  prodigieuses  dans  les  diverses 
races  de  bétail  dont  los  produits  ont  une  valeur  qui  parait 
fabuleuse.  C'est  encore  à  l'Angleterre  que  nous  devons 
les  plus  grands  perfectionnements  agricoles  de  l'âge  mo- 
derne, entre  autres  le  drainage,  l'emploi  économique  do 
la  vapeur  dans  la  culture  do  la  j,orre  et  dans  la  transfor- 
mation des  récoltes  en  produits  marchands.  Et,  de  toutes 
les  nations  de  la  terre,  c'est  la  nation  anglaise  qui  porte 


■    -  se- 
rt l'agriculturo  le  plus  grand  intérêt,  qui  a  l'agriculture 
en  plus  hante  estime. 

Jl  est  bon  de  rappeler  les  faits  suivants  à  ces  hom- 
mes trop  nombreux  parmi  nous  qui  n'ont  que  des 
dédains  pour  l'agriculture,  i\  ces  fils  de  cultivateurs 
qui  rougissent  de  leur  origine  et  de  l'occupation  de  leurs 
ancêtres.  S'il  est  un  gentilhomme  qui  tienne  avant  tout 
à  sa  dignité,  au  respect  et  à  la  considération  dus  à  son 
rang,  c'est  bien  le  gentilhomme  anglais.  Or  il  croirait 
s'abaisser  grandement  en  se  livrant  à  la  pratique  des  pro- 
fessions libérales,  du  commerce,  de  l'industrie,  et,  selon 
lui,  il  n'y  a  que  quatre  carrières  qui  soient  dignes  d'occu- 
per sa  vie  :  le  sacerdoce,  la  diplomatie,  les  armes,  l'agri- 
culture. On  a  vu  de  tout  temps  les  plus  grands  seigneurs 
anglais,  et,  encore  aujourd'hui,  les  membres  de  la  famille 
royale  elle-même,  se  livrer  avec  persévérance  à  l'étude  et 
:ï  la  pratique  de  l'agronomie  la  plus  avancée.  Notre 
gracieuse  souveraine,  la  reine  d'Angleterre,  ainsi  que  le 
prince  de  Galles,  se  font  un  devoir  et  un  honneur  de 
diriger  per.*onnellement  de  grandes  exploitations  agri- 
coles. Ils  ne  dédaignont  pas  même  d'entrer  en  lice  avec 
le  ])lus  humble  de  leurs  sujets  dans  les  grands  concours 
nationaux  d'agriculture,  dont  l'Angleterre  s'honore  à 
juste  titre.  Notre  mère-patrie  se  fait  un  devoir  de  répéter 
ces  concours^  chaque  année,  dans  plusieurs  parties  du 
]>ays  à  la  fois,  afin  de  porter  partout  les  meilleures  prati- 
ques agricoles. 

Pour  finir,  qu'est-ce  qui  fait  le  caractère  distinctif 
de  la  Chine,  cotte  nation,  la  ])lu8  ancienne  du  monde, 
dont  l'origine  se  perd  dans  la  nuit  d  •  temps,  si  Ce 
n'est  ses  lois  agricoles  si  sages  qui,  '-'■  tompa  immé- 
morial, ont  accordé  à  l'agriculture  le  hr  .•  rang  qu'elle 
mérite  ;  lois  qui  ont  fait  que  le  sol  a  pu  suffire  aux 
besoins  d'une  popidation  innombrable  sans  jamais  perdre 
do  sa  fertilité  première,  et  qui  peuvent  se  résumer 
dans  ces  quelques  mots  :  rendre  scrupuleusement  à  la 
terre,  mais  sous  uno  autre  forme,  ce  que  l'agriculture  lui 
enlère. 


—  37  — 

« 

Envisageons  maintenant,  pour  un  instant  seulement, 
l'agriculture  au  point  de  vue  du  développement  intellec- 
tuel qu'elle  exige  dans  son  perfectionnement. 

Outre  lo  travail  du  corps  et  les  qualités  de  l'esprit 
indispensables  au  succès  do  toute  occupation  humaine, 
l'agriculture  demande,  plus  que  toute  autre  carrière, 
dans  la  solution  des  divers  problèmes  que  soulève  cet  art 
vi'aiment  merveilleux,  le  concours  et  l'appui  des  con- 
naissances les  plus  profondes  et  des  sciences  les  plus  va- 
riées. Je  ne  saurais  mieux  compléter  l'éloge  de  l'agri- 
culture qu'en  démontrant  cette  vérité  incontestable  et 
d'un  intérêt  pratique  dans  les  conditions  actuelles  de 
notre  pays. 

En  etîet,  l'agronome  qui  voudrait  approfondir  les  nom- 
breuses questions  qui  se  rattachent  à  son  art  et  qui  in- 
fluent directement  sur  ses  résultats,  ne  saurait  embrasser 
pendant  sa  vie  toutes  ces  études,  tant  elles  sont  vastes 
et  variées.  Ainsi  les  mathématiques  servent  d'introduc- 
tion indispensable  à  l'étude  des  autres  scioïK-es  qui  ont 
rapport  à  l'agronomie;  laphysiqiie  nous  explique  d'abord 
la  mécanique,  science  nécessaire  à  l'étude  des  diverses 
machines  et  outils  dont  s'entoure  l'agriculture  moderne; 
puis  la  pneumatique  qui,  traitant  de  l'air  et  des  lois  qui 
le  gouvernent,  nous  fait  connaître  l'action  du  baromètre, 
des  diverses  pompes,  du  syphon,  le  pouvoir  du  vent,  la 
ventilation,  etc.  ;  l'hydrostatique,  loi  des  fluides,  qui  sert 
l'agi-iculturo  dans  ses  presses  et  ses  béliers  hydrauliques, 
nés  pouvoirs  d'eau,  qui  indique  la  résistance  à  apporter 
aux  rives  do  nos  cours  d'eau,  de  nos  ruisseaux,  etc.  ;  Velec- 
tricité,  fluide  étonnant,  que  l'agriculture  ne  connaissait 
autrefois-  que  par  ses  fureurs  et  ses  désastre-",  et  que  les 
savants  étudient  aujourd'hui  avec  une  grande  curiosité, 
dans  ses  rap])orts  étranges  mais  intimes  avec  la  crois- 
sance des  plantes,  leur  décomposition,  etc.  ;  le  magnétisme, 
autre  puissance,  en  rapport  avec  la  lumière,  la  chaleur  et 
l'électricité,  qui  fait  depuis  quelque  temps  la  base  de  tout 
un  sj'stèmo  étrange  de  culture  ;  la  chaleur,  force  impon- 
dérable, mais  d'un  oft'et  constant  et  merveilleux,  qui 
nous  entraîne  dans  une  foule  d'études  et  de  recherches, 
sur  la  vapeur  et  ses  pouvoirs,  les  divers  combustibles  et 
leur  valeur  comparative,  la  rosée,  etc.  ;  la  lumière,  prin- 
cipe actif  et  indispensable  dans  la  croissance  et  la  matu- 


—  38  — 

rite  des  plantes.  La  chimie,  cette  science  anx  mille  faces, 
qui  malgré  ses  progrès^  incontestés  dans  notre  siècle,  fait 
(souvent  le  désespoir  des  savants  qui  s'y  livrent,  a  d(\jà 
enrichi  d'une  manière  étonnante  l'agriculture  moderne. 
Elle  tend  à  révolutionner  complètement  les  divers  systè- 
mes de  culture  connus  jusqu'à  nos  jours  ;  c'est  elle  qui  nous 
permet  de  tirer  de  la  terre  et  d'utiliser  ces  engrais  mi- 
néraux, d'une  telle  valeur  qu'ils  surpassent  en  bons  effets 
tous  les  engrais  animaux  les  plus  précieux;  c'est  elle 
encore  qui  nous  apprend  à  décomposer  les  corps  pour  en 
former  do  nouveaux,  qui  nous  explique  les  effets  des  ma- 
tières ferî^ilisantes,  qui  nous  indique  ce  qui  manque  à  la 
fertilité  du  sol  et  nous  enseigne  à  y  suppléer  ;  elle  nous 
montre  également  avec  précision,  la  valeur  nutritive  des 
divers  produits  agricoles  et  nous  fait  connaître  le  moyen 
de  les  convertir  avec  profit  en  graisse,  en  chair  et  en  os. 

Cette  énumération  est  déjà  bien  longue  ;  j'y  ajouterai 
cependant  encore  la  météorologie,  la  géologie,  la  botanique, 
la  zoologie.  Voilà  quelques-unes  des  nombreuses  sciences 
qui  viennent  apporter  leur  hommage  et  leur  tribut  à 
l'agriculture. 

Dans  tous  les  pays  où  la  cultui-e  est  en  honneur,  les 
fils  intelligents  et  instruits  des  cultivateurs,  cultivateurs 
eux-mêmes,  se  livrent  souvent  avec  ardeur  à  l'étude  do 
ces  diverses  sciences,  dans  le  butde  les  faire  servir  à  l'agri- 
culture. Comme  conséquence  de  leurs  efforts  on  a  vu  la 
mécanique  produire  ces  instruments  perfectionnés  qui 
remplacent  des  milliers  de  bras,  la  chimie  donner  la  ré- 
putation, les  honneurs  et  la  fortune  à  des  milliers  d'indi- 
vidus, la  zoologie  et  l'anatomie  permettre  de  transformer 
les  diverses  races  de  bétail,  transformation  qui  a  eu  pour 
résultat  de  faire  surgir  des  fortunes  considérables  et  do 
donner  en  même  temps  la  renommée  et  les  distinctions 
à  quelques-uns  de  ces  heureux  transformateurs.  Combien 
d'autres  carrières  spéciales  ne  se  rattachent-elles  pas  à 
l'agriculture  quand  celle-ci  est  raisonnée  et  bien  faite? 
Et  quel  avenir  pour  nos  enfants,  si  nous  savions  diriger 
leur  intelligence  vers  l'étude  de  cette  science  agricole 
qui  fait  présentement  la  richesse  et  la  force  de  plusieurs 
nations  I 

Je  voudrais  pouvoir  parler,  dans  cet  essai,  de  ces  indus- 
tries connexes,  qui  ont  transformé  des  contrées  entières, 
qui  ont  fait  marcher  de  pair  l'industrie  la  plus  active, 


I 


—  39  — 

l'étude  des  sciences  la  plus  profonde  et  l'agriculture  la 
îhis  parfaite,  assurant  par -là  aux  individus,  comme  à 
"i'jtat,  la  richesse  la  plus  solide  et  la  prospérité  la  plus 

durable.     On  peut  dire  avec  certitude  que  les  industries 

connexes  à  l'agriculture   sont  à  cet   art  sa  plus  riche 

couronne,  son  dernier  perfectionnement. 

*  * 

Je  m'arrête  ici.  Je  crois  avoir  démontré  que  l'agri- 
culture est  d'o/igne  divine,  qu'elle  a  été  enseignée  à 
l'homme  par  Dieu  lui-même,  au  temps  où  il  devait  jouir 
d'un  immortel  bonheur  sur  cette  terre  ;  que  le  travail 
manuel  qu'elle  exige  est  encore  pour  l'homme  une  source 
de  force  et  de  jouissance  ;  que  l'agriculture  est  également 
la  sauvegarde  des  familles  et  des  nations;  qu'enfin  elle 
offre  une  carrière  noble,  féconde,  intellev'îtuelle  et  scien- 
tifique, digne  d'occuper  les  meilleurs  et  les  plus  solides 
esprits. 

II. — CE  qu'est  l'art  aoricole.au  canada. 

L'art  agricole,  dans  tout  pays,  se  résume  ainsi  :  faire 
produire  à  la  terre  les  plus  gros  revenus  nets  sans 
l'épuiser.  Afin  d'arriver  à  ce  résultat,  il  faut:  lo  Faire 
disparaître  tout  ce  qui  pourrait  nuire  à  la  culture  :  les 
arbres,  les  souches,  les  broussailles,  les  pierres;  2o  En- 
lever du  sol  l'excédant  d'eau  qu'il  peut  contenir  et 
qui  pourrait  nuire  à  la  croissance  des  plantes  utiles  ; 
3o  Arpeublir  la  terre,  afin  qu'elle  couvre  convenable- 
ment la  semence  et  que  celle-ci  puisse  y  trouver  la 
nourriture  nécessaire  à.  son  complet  développement; 
4o  Détruire,  autant  que  possible,  les  plantes  adventices 
et  inutiles  qui  nuisent  à  la  production  que  le  cultiva- 
teur veut  obtenir;  5o  Enrichir  le  sol  en  lui  renc  .t 
les  matières  fertilisantes  que  les  l'écoltes  lui  ont  enle- 
vées et  en  y  ajoutant  ce  qui  pourrait  manquer  à  la 
nourriture  des  plantes  que  l'on  cultive;  Go  Semer  dans 
des  conditions  favorables,  api'ès  avoir  fait  le  choix  des 
semonces  qui  devront  donner  au  cultivateur  les  meH- 
leurs  résultats  ;  7o  Tirer  le  meilleur  parti  possible  des 
récoltes  obtenues,  soit  en  les  vendant  en  nature,  soit  en 


/ 


—  40  — 

les  transformant  en  d'autres  produits  étçalement  du  res- 
sort de  l'agriculture,  mais  de  plus  do  valeur. 

Ce  court  résumé  do  rincipes,  d'application  univer- 
selle, nous  aidera  à  établir  plus  clairement  ce  qu'est  l'art 
agricole  au  Canada.  Il  pourra  nous  servir  également 
dans  nos  recherches  sur  les  moyens  -\  prendre  pour  faire 
progresser  l'agriculture  dans  notre  pays. 

Depuis  cinquante  ans,  surtout,  l'agriculture  a  fait  de 
bien  grands  progrè."*.  Ainsi,  au  moyen  du  drainage,  qui 
consiste  en  des  canaux  souterrains  suffisamment  pro- 
fonds pour  enlever  toute  l'eau  surabondante  retenue  à 
trois  ou  quatre  pieds  de  la  surface  du  sol,  on  est  arrivé 
à  augmenter  les  récoltes  du  double  et  du  triple  do  ce 
qu'elles  étaient  aupai-avant,  tout  en  rendant  la  culture 
plus  facile,  plus  i-apido  et  moins  coûteuse.  Par  le  drai- 
iiagc,  les  terres  humides,  compactes  et  difficiles  à  façon- 
ner, deviennent  l('gères,  friables  et  assez  riches  pour  se 
travailler  même  dans  les  saisons  "les  plus  pluvieuses.  Le 
sous-sol,  au  lieu  de  rester  froid,  mouillé  et  aussi  im- 
propre à  toute  v«?gétation  que  le  serait  le  roc,  devient,  à 
la  .suite  du  drainage,  parfaitement  ameubli  ;  l'eau,  en  se 
retirant,  laisse  de  nombi-cux  inierslices  par  lesquels 
entrent  l'air,  la  pluie,  la  chaleur,  et  toutes  les  sources 
de  fertilité  qu'ils  contiennent.  Le  sous-sol,  devenant 
spongieux,  re t'en t  riiuiuiditd  pour  la  rendre  au  sol  à  me- 
sure que  la  grande  séchei-esso  en  ilessèche  la  surface.  La 
masse  entière  qui  roccmvre  les  drains,  devient  comme 
un  immense  laboratoire  où  se  prépare  toute  la  nourri- 
ture néceesaire  aux  récoltes  que  porte  le  sol.  De  plus,  le 
drainage,  en  forçant  l'excès  d'eau  de  s'écouler  eu  toute 
saison,  l'hiver  comme  r«^té,  permet  à  la  chaleur  de  j>éné- 
trer  profondément  la  terre  dès  le  ])rintemps;  ])His  la 
chaleur  se  concentrant  dans  le  sous-sol  pendant  l'été, 
réchauffe  la  surface  pendant  l'automne;  c'est  ainsi  que 
le  drainage  allonge  de  plusieurs  semaines  la  saison  de 
végétation  :  avantage  incalculable  dans  notre  climat 
rigoureux. 

A  la  suite,  et  comme  coiïséquence  du  drainage,  sont 
venus  les  labours  sous- sol,  qui  doublent  la  quantité  de 
terre  dans  laquelle  vivent  les  plantes,  et  augmentent 
ainsi  les  récoltes  d'une  manière  notable. 

Dans  notre  siècle,  on  est  également  arrivé  à  transfor- 


—  41  — 

mer  les  races  d'animaux  domestiques,  do  façon  à  leur 
faire  produire  plus  vite  et  en  plus  grande  abondance,  le 
bœuf,  le  mouton,  la  laine,  le  lard,  et  cela,  tout  en  éco- 
nomisant la  nourriture  le  plus  possible.  C'est  éifalement 
dans  ces  dernières  années  que  la  science  s'est  livrée  plus 
particulièrement  à  l'étude  pratique  des  questions  agri- 
coles. Comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  nous  lui  de- 
vons, entre  autres  bienfaits,  les  engrais  artificiels,  les 
découvertes  dans  la  théorie  de  l'alimentation,  qui  ren- 
dent beaucoup  plus  économique  l'élevage  des  bestiaux 
et  la  production  de  viandes,  du  fromage  et  du  beurre. 
C'est  également  depuis  la  même  époque  que  la  science 
nous  donne  ces  machines  et  ces  outils  amélioiés,  de  tous 
genres,  qui  faciiiient  nos  divers  travaux  et  remplacent 
si  économiquement  les  bras  qui  manquent. 

Toutes  ces  grandes  découvertes,  même  les  plus  récen- 
tes, sont  connues  dans  notre  pays.  Elles  y  sont  utilisées 
par  un  certain  nombre  do  bons  cultivateurs.  Le  Canada 
possède  des  agronomes  distingués  dont  quelques-uns, 
les  Cochrane,  les  Beatty,  les  Snell  et  d'autres,  se  sont 
fait  une  réputation  enviable,  comme  éleveurs,  en  Euro- 
pe et  aux  Etats-Unis.  Notre  province  a  produit  les 
])lu8  beaux  types  de  la  race  "  Durham.  "  Les  journaux 
d'Europe  rapportent  que,  dernièrement,  M.  Cochrane, 
cultivateur  à  Compton,  dans  nos  cantons  do  l'Est,  .-i 
vendu  en  Angieterro  plusieurs  animaux  do  cette  race  ;i 
des  prix  presque  fabuleux.  11  aurait  obtenu,  })arait-il, 
l'énorme  somme  de  $21,525  pour  une  seule  génisse,  de 
six  mois,  vendue  à  l'encan.  Cette  génisse  est,  au  dire 
des  connaisseurs,  le  type  le  plus  ])arfait  qui  existe  de 
cette  lace  Durham  si  universellement  estimée. 

De  même,  dans  l'élevage  des  races  chevalines,  le  Ca- 
nada s'est  distingué  depuis  longtemps.  Dci*  exporta- 
tions récentes  et  nombreuses  nous  font  espérer  que  le 
marché  européen  absorbera  bientôt,  à  des  prix  rémune- 
ratifs,  tons  les  bons  chevaux  que  nous  pourrons  expédier. 

Depuis  doux  ans  l'exportation  des  animaux  de  bou- 
cherie devient  une  des  exploitation.s  commerciales  les 
pins  iniportnriles.  L'élevage  du  bétail  promet  de  deve- 
nir une  de  nos  principales  sources  de  richesse.  Mais, 
bien  qu'un  certain  nombre  de  nos  compatriotes  se  dis- 
tinguent déjà  dans  l'élcvago  du  bétail  et  disputent  aux 


—  42  — 

éleveurs  d'origine  anglaise  les  prix  ofiferts,  dans  nos  con- 
cours provinciaux,  aux  différentes  races  de  bétail,  il 
nous  reste  encore  de  grands  progrès  à  faire  si  nous 
voulons  tirer  un  bon  parti  de  l'exportation  en  Europe 
des  produits  de  nos  animaux  domestiques. 

Ija  fabrication  et  l'exportation  du  fromage  canadien 
ont  également  pris  un  dévelojipement  extraordinaire 
dans  ces  dernières  années.  Cette  exploitation  mérite 
toute  l'attention  du  cultivateur.  Elle  peut  s'augmenter 
encore  et  prendre  des  proportions  incalculables  si  l'on 
s'applique  à  ne  fabriquer  et  à  n'exporter  que  du  fromage 
de  première  qualité. 

Il  on  serait  do  même  du  beurre  si  nous  savions  le  pro- 
duire d'une  qualité  supérieure  et  uniforme.  On  constate 
que  le  beurre  impoité  en  Angleterre,  de  la  Normandie, 
du  Danemark,  do  la  Suède  et  de  la  Norvège  se  vend  ré- 
gulièrement le  double  du  prix  que  l'on  obtient  pour  le 
bourre  du  Canada  sur  le  même  marché.  Ce  fait  remar- 
quable est  dû  uniquement  au  grand  soin  que  l'on  apporte  , 
dans  la  fabrication  du  beurre  dans  les  pays  en  premier 
lieu  nommésv  et  au  peu  de  soin  au  contraire  que  l'on 
donne  généralement  à  celui  du  Canada. 

L'on  voit  dans  les  diverses  provinces  de  notre  pays, 
mais  surtout  dans  Ontario,  un  bon  nombre  de  cultures  bien 
faites.  Elles  sont  assez  souvent  citées  comme  modèles 
dans  les  meilleurs  journaux  d'agriculture  des  Etats-Unis. 
Quelques-unes  de  ces  cultures  feraient  honneur  aux 
agronomes  les  plus  distingués  dans  n'importe  quel  pays. 
Dans  la  province  de  Québec,  dont  nous  devons  nous 
occuper  ici  4'une  manière  toute  spéciale,  on  constate 
depuis  quelques  années  des  améliorations  notables  en 
agriculture.  Dans  plusieurs  paroisses,  bon  nombre  de 
cultivateurs  ont  l'ambition  d'améliorer  leur  culture  et 
do  faire  mieux  que  leurs  voisins.  On  trouve  partout, 
même  parmi  les  familles  les  plus  à  l'aise,  des  cultiva- 
teurs qui  ont  acquis  eux-mêmes  tout  ce  qu'ils  possè- 
dent, et  cela  par  leur  travail  opiniâti'o  et  leur  stricto 
économie.  Je  pourrais  nommer  quelques  ])aroi8ses  où  des 
progrès  remarquables  de  tout  genre  se  généralisent  parmi 
la  masse  des  cultivateurs,  à  la  suite  de  l'heureuse  initia- 
tive d'un  ou  de  deux  hommes  intelligents  et  désireux  do 
faire  progresser  l'agriculture. 


—  43  — 

Malheureusement,  à  côté  do  ces  succès  partiels,  il  faut 
également  reconnaître  que  la  masse  de  nos  cultivateurs 
d'origine  française  n'est  pas  encore  entrée  dans  la  voie 
du  progrès  ;  que  la  plupart  de  nos  terres  ne  produisent 
plus  que  le  tiers  de  ce  qu'elles  produisaient  autrefois, 
qu'un  grand  nombre  de  familles  s'appauvrissent  de  plus 
en  plus,  et  qu'elles  devront  tôt  ou  lard,  à  moins  d'un 
changement  complet  dans  leur  culture,  abandonner  la 
propriété  que  leurs  ancêtres  leur  ont  léguée  après  y 
avoir  vécu  dans  l'abondance  pendant  des  générations. 

11  est  facile  d'établir  qu'autrefois  nos  terres  donnaient 
de  25  à  40  minots  de  blé  par  arpent.  Aujourd'hui,  la 
moyenne  du  rendement  en  blé  est  d'environ  9  minots  ; 
il  n'est  plus  que  de  4  à  5  minots  dans  les  endroits  où  l'on 
suit  encore  l'ancien  système,  qui  consiste  à  cultiver  du 
blé  tous  les  deux  ans,  sur  la  même  terre,  eans  engrais,  et 
aussi  longtemps  que  le  blé  ne  vient  pas  à  manquer  tout-à- 
fait,  comme  dans  les  plus  anciennes  paroisses  du  Sague- 
nay,  par  exemple.  La  production,  dans  toutes  les  cul- 
tures, a  également  diminué  dans  des  proportions  ex- 
trêmement regrettables. 

Il  importe  de  constater  la  cause  de  cette  diminution  si 
grande  dans  le  rendement  du  sol.  Or,  nous  ne  craignons 
pas  de  l'affirmer,  cette  cause  réside  uniquement  dans 
l'ignorance  ou  l'oubli  presque  général  des  principes  élé- 
mentaires de  l'agriculture  parmi  la  population  cana- 
dienne-française. JVlais  cette  ignorance,  que  nous  sommes 
forcés  d'admettre,  n'est  nullement  due  au  manque  d'in 
telligence  chez  notre  population  rurale.  Il  est  facile 
de  prouver  qu'aucun  peuple-  au  monde  ne  surpasse  le 
nôtre  quant  au  sens  juatique,  au  jugement  et  aux 
qualités  intellectuelles.  Malheureusement  notre  popu-' 
lation  agricole  n'a  jamais  eu  l'occasion  d'apprendre  les 
])rin(i[es  d'une  bonne  agriculture,  et  elle  ne  le  pourra 
pas  sans  un  grand  eft'ort  de  la  part  de  ceux  qui  ont  mis- 
sion de  l'éclairer. 

Nos  ancêtres  furent,  pour  le  plus  grand  nombre,  des 
artihians,  des  navigateurs  et  des  soldats.  Pour  les  attacher 
à  la  culture  de  la  terre,  il  fallut  des  encouragements 
considérables  de  la  part  des  gouvernants,  puis  des  lois  qui 
rendaient  très-onéreuses  les  commutations  de  propriété, 
puis  enfin  des  règlements  qui  retenaient,  forcément  en 


—  44  — 

quoique  sorte,  Ips  colons  au  pays.  Notre  histoire  no 
nous  parie  nulle  ])artdefforts  individuels  ou  autres  pour 
l'amélioration  de  l'af^ricultiire,  si  ce  n'est  dos  soins  intel- 
ligents do  Louis  XIV  el  de  Colbert,  au  début  do  la 
colonie,  soins  qui  furent  tout  à  fait  négligés  après  eux.  (1) 

A  la  suite  des  premiers  défrichements,  laterre  produisait 
avec  une  telle  abondance  que  personne  ne  ])ouvait  songer  ù 
lui  demander  davantage.  Les  richesses  accum^ulees  dans 
le  sol.  depuis  la  création,  purent  suffire  aux  b.'soins  d'une 
végétation  luxuriante  pendant  plusieurs  années  consécu- 
tives. Kt  lorsque  vinrent  les  années  de  diminution,  de 
1830  à  1850,  on  pensa  que  les  mauvaises  récoltes  étaient 
dues  plutôt  à  des  causes  atmosphériques  ou  inconnues  qu'à 
l'appauvrissement  graduel  du  sol.  C'est  ainsi  qu'aujour- 
d'hui encore,  un  grand  nombre  de  personnes  attribuent 
la  production  minime  de  nos  terres  à  la  rigueur  du 
climat,  oubliant  que  le  climat  n'a  guère  changé  en 
ce  pays  depuis  deux  cents  ans,  mais  que  deux  siècles  de 
culture,  sans  engrais  et  sans  soins,  ont  nécessairement 
appauvri  la  icrre. 

Malheureustment,  fort  pou  de  personnes,  dans  notre 
j)rovince,  se  rendent  un  compte  exact  du  dépérissement 
graduel  de  notre  agriculture  et  des  causes  qui  l'ont 
amené  ;  fort  peu  de  cultivateurs  mettent  en  pratique  les 
principes  si  élémentaires  que  nous  avons  rappelés,  au 
commencement  de  ce  chapitre.  Il  est  pénible  do  l'avouer, 
mais  il  faut  l'admettre  :  la  masse  des  cultivateurs  cana- 
diens-français ignore  les  premiers  principes  d'une  bonne 
agriculture.  Dans  le  plus  grand  nombre  de  nos  paroisses, 
il  n'y  a  guère  une  seule  terre  qui  ait  été  engraissée  d'un 
bout  à  l'autre,  depuis  son  déboisement. 

On  voit  presque  partoutdes  brouissailles  ou  des  ))ierre8 
qui  couvrent  une  partie  des  terres  en  culture.  L'assainis-  - 
sèment  superficiel  des  sols  humides,  à  quelque  excep- 


(1)  C'est  à  Louis  XIV  que  notre  province  doit  la  n3agni6que  raoe  do 
chevaux  dits  canadiens.  l)e  nombreux  et  très-beaux  types  nous  furent 
envoyés  à  diverses  reprises,  de  France,  par  ordre  do  Colbert.  Ils  furent 
distribués  aux  meilleurs  colons,  dans  toutes  les  parties  du  pays,  à  des 
conditions  très-favorables.  C'est  ainsi  que  l'on  a  vu  partout,  en  ce  i>ay8, 
jusqu'à  ces  dernières  années,  une  mémo  race  d'excellente  qualité.  Voir 
l'abbé  Fuillon. — "  Histoire  de  la  colonie  française  on  Canada.  " 


-  45  — 

lion  pr^s,  est  pratiqué  do  la  manière  la  plus  primitivo 
et  laisse  énormément  à  déHiror.  On  peut  dire  également 
qu'aucun  etïort  n'a  été  fait  jusqu'ici,  par  la  mjisse  des 
cultivateurs,  pour  arriver  à  la  destruction  dos  mauvai.ses 
herbes.  On  en  voit  partout  ;  elles  so  sont  emparées  du 
meilleur  de  nos  terres,  et  elles  menacent  de  tout  envahir. 
L'ameublissement  nécessaire  à  la  bonne  production  do  la 
terre  fait  généralement  défaut  ;  les  labours  se  font  eans 
précaution  et  à  la  hâte;  ils  sont  le  plus  souvent  très-mau- 
vais. La  terre  est  si  mal  hersée  que,  presque  partout, 
les  effets  du  hersage  sont  à  peine  visibles.  Les  labours 
en  travers,  dont  l'effet  serait  d'ameublir  et  de  nettoyer 
la  terre,  sont  presque  inconnus.  On  laboure  tellement  à 
la  hâte  et  une  si  grande  partie  de  sa  terre,  qu'on  no 
saurait  songer  à  labourer  quelques  pièces  une  seconde 
fois  la  même  année. 

Le  scarificateur  et  le  rouleau  brise^mottes,  jiourtant  si 
utiles,  no  sont  presque  pas  connus.  Le  choix  do  bonnes 
semences  est  l'exception  ;  rensemoneement  de  grains 
chétift:!,  mélangés  et  remplis  de  graines  nuiï«ibles  est  la 
règle.  Quelques  maigres  animaux,  nourris  uniquement  à 
la  paille,  pendant  l'hiver,  sont,  en  généi-al,  les  seules 
smirces  d'engrais  ])0ur  clia(iue  terre;  et  encore  laisse-t- 
cm  poi-dre  une  partie  notable  do  ces  pauvres  fumiers 
avant  d'utiliser  ce  qui  reste.  On  fait  du  beurre  ;  mais 
la  plupart  des  fei-miers  le  font  avec  si  peu  de  soin,  les 
vaches  sont  si  peu  tiombreuses,  si  maigres  et  si  chéliveSj 
les  pâturages  si  mauvais,  que  le  beurre  est  rarement  do 
première  qualité.  Aussi  n'en  obtient-on  que  le  plus  bas 
l»rix  sur  nos  grands  marchés.  Pour  une  tinette  de  bon 
beurre,  l'on  en  compte  cinquante  do  qualité  très-infé- 
rieure. En  Angleterre,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  lo 
beurre  canadien  ne  se  vend,  en  moyetme,  que  la  moitié 
du  prix  qu'obtiennent  nos  cousins  de  la  Normandie.  En- 
fin, d'un  bout  à  l'autre  de  la  province  de  Québec,  quelles 
que  soit  la  diversité  des  circonstances  et  les  différences 
de  sol,  de  climat,  de  marchés,  on  cultive  partout  les 
mêmes  produits,  et  presqu*exclusivemont  les  mêmes 
grains,  au  risque  d'inonder  un  marché  déjà  trop  res* 
treint.  On  cherche  trop  rarement  à  transformer  ces  pro* 
duits  sur  la  terre,  en  bonne  viande  de  boucherie,  entfro' 
mage  ou  en  beurre  de  première  qualité,  tels  qu'on  lan 


—  46  — 

domando  pour  l'exportation  en  Europe.     C'est  ainsi  que 
l'on  appauvrit  la  terre  et  que  l'on  s'appauvrit  soi-môme  I 

Il  nous  faut  bien  avouer  que,  depuis  l'abrogation  du 
traité  de  réciprocité  avec  les  Etats-Unis,  nos  noiarchés 
sont  facilement  encombrés,  et  que  la  crise  financière  et 
la  ruine  de  nos  principales  industries  nationales  n'ont  pas 
pou  contribué  à  rendre  de  plus  en  plus  pénible  la  position 
du  cultivateur.  Mîiis  ces  derniers  malheurs  n'ont  fait 
qu'empirer  un  état  de  choses  déjà  très-critique  dont  la 
cause  principale  réside,  je  le  répète,  dans  l'ignorance  pres- 
que générale,  chez  nos  compatriotes  d'origine  française, 
des  principes  élémentaires  d'une  bonne  et  saine  agri- 
culture. 

Voilà  un  tableau  bien  sombre  et  fort  désagréable  à 
contempler  pour  tout  homme  qui  aime  son  pays.  Et 
cependant,  qui  oserait  dire,  consciencieusement,  qu'il 
est  surchargé  ?  (1)  

m.    DES   MOYENS     DE   PAIRE   PROGRESSER    L'AGRICULTURE 
DANS   NOTRE   PROVINCE.       ,  ,  >  , 

On  ne  s'attendra  pas,  sana  doute,  à  trouver  dans  côtto 
étude,  dont  le  cadre  est  d'ailleurs  clairement  défini  par 
les  règlements  du  concours  de  l'Institut  Canadien  de 
Québec,  un  traité  sur  l'art  de  cultiver  la  terre  avec 
profit.  Tout  travail  de  ce  genre  serait  ici  un  hors-d'œuvre. 
On  demande  quels  sont  les  moyens  à  prendre  pour  faire 
progresser  l'agriculture  dans  toufr  le  pays. 

Ces  moyens,  je  vais  les  indiquer  dans  cette  troisième 
partie.  On  les  trouvera  peut-être  d'un  caractère  un  peu 
radical,  mais,  en  définitive,  les  changements  d'organisa- 
tion que  je  propose  sont  faciles  à  opérer. 

(1)  Tableau  de  la  production  du  blé   par   acre   dans  différentes  con^ 
Iréos  (minots  de  64  Ibs.) 
Angleterre,  29  minots. 

Prusse  (Poméranie  seulement),  26 


Belgique, 

24 

Hollande, 

19 

France, 

16i 

Etat-Unis, 

11 

Canada, 

lOi 

"        Nouvelle-Ecosse, 

ni 

•'        Nouveau-Brunsvick, 

m 

"        Ontario, 

m 

"        Québec  11 

8* 

1 
I 
1- 

J 


d'après  le  recensement  do 
1877. 


-4T- 

La  législatuie  du  Canada  a  constaté,  dès  1850,  d'une 
manière  officielle  et  très-exactement,  les  défaut*^  de 
l'agriculture  dans  la  province  do  Québec.  Dana  la  suite, 
au  milieu  des  luttes  si  vives  de  la  politique,  et  des  ques- 
tions si  ardues  qu'il  a  fallu  résoudre,  le  Parlement  s'est 
eftorcé  de  remédier  au  mal  signalé  par  l'enquête  légis- 
lative. C'est  ainsi  que  les  octrois  en  faveur  de  l'agri- 
culture furent  doublés;  que  les  sociétés  d'agriculture 
furent  partout  encouragées  ;  qu'on  organisa  à  grands 
frais  des  expositions  provinciales  ;  qu'on  établit  dos  écoles 
d'agriculture,  et  qu'enfin,  on  créa,  dans  l'administration 
locale  de  Québec,  lors  de  la  Confédération,  un  département 
spécial,  ayant  pour  chef  un  ministre  dont  la  mission  est 
de  diriger  l'agriculture  et  les  travaux  publics.  En  1869, 
on  créa  le  conseil  d'agriculture,  dans  l'espoir  de  remplacer 
avantageusement  l'ancienne  chambre  d'agriculture  du 
Bas-Canada.  Depuis  40  ans  on  a  encouragé  plus  ou 
moins,  de  temps  à  autre,  la  publication  de  journaux 
agricoles  et  on  a  fait  donner,  dans  ces  dernières  années, 
mais  pendant  quelques  mois  seulement,  des  causeries  sur 
l'agriculture,  dans  plusieurs  paroisses  du  pays.  On  peut 
évaluera  670,000,  environ,  les  dépenses  annuelles  que  le 
gouvernement  de  cette  province  s'impose,  sous  une  forme 
ou  sous  une  autre,  en  faveur  de  l'agriculture.  La  somme 
totale  ainsi  dépensée  dans  cette  province,  depuis  trente 
ans,  doit  approcher  $2,000,000  (deux  millions  do  pias- 
tres). 

On  le  voit,  des  efforts  considérables  ont  déjà  été  faits 
dans  le  but  d'améliorer  l'agriculture  dans  cette  province. 
Avant  donc  de  songer  à  de  nouveaux  moyens,  il  est  bon 
d'établir  ce  qu'est  notre  organisation  agricole,  et  d'en 
signaler  le  côté  faible. 

La  loi  d'agriculture  qui  nous  régit  depuis  1869,  donne 
au  commissaire  d'agriculture  et  des  travaux  publics  la 
direction  complète  et  le  contrôle  absolu  du  conseil 
d'agriculture,  des  écoles  et  des  sociétés  d'agriculture. 
C'est  en  définitive  le  commissaire  qui  porte  seul  la  res- 
ponsabilité du  bon  ou  du  mauvais  fonctionnement  de 
toute  notre  organisation  agricole. 

Cependant,  il  appert  par  les  rapports  officiels  publiés 
BOUS  l'autorité  du  commissaire,  que  jusqu'à  1875  la  loi 
d'agriculture  était  restée  lettre  morte,  quant  à  la  direc- 


—  48  — 

tioii  qito  doit  donner  lo  commissaire.  Il  y  Jijiport  <lo 
)»lus  que  l'étttt  des  sociétés  d'iigriciilturo  est  trù^-pcu 
>atisfUi.siint.  Ces  documents  ottit-iols  Komblent  niGnio 
tidmuttro  que  les  résultats  obtenus  no  sont  nuUomcut  en 
rap|K)rt  avec  les  dépenses  faites  pour  l'amélioration  do 
l'ii-^ricullure.  On  va  jusqu'à  s'y  demander  si  les  progrès 
obtenus  no  se  seraient  pas  égab^mont  opérés  sans  l'inler- 
vention  et  les  allocations  du  gouvernement. 

Voici  d'ailleurs  ce  qu'on  peut  lire  à  la  première  page 
du  rajjport  du  commissaire  d'agriculture  pour  l'année 
1874:  "  En  dehors  de  la  routine  administrative,  notre 
département  exerce  peu  dinfluence  directe  sur  l'organi- 
sation agricole:  c'est  au  conseil  d'agriculture  qu'est 
léservéo  la  direction  du  mouvement  agricole." 

On  le  voit,  le  commissaire  d'agriculture  avoue  no 
point  diriger  la  partie  agricole  de  son  département:  il 
laisse  cette  direction  au  conseil  d'agriculture.  Or  ceci 
semble  directement  contre  la  loi.  (l) 

(1)  Voici  oe  que  dit  l'acte  d'agriculture  à  ce  gujet  (32  Viot.,  ch.  IL' 
186i),  clause  40)  : 

"  Tous  lo8  pouvoirs  et  devoirs  administratifs  ayant  trait  au  contrôle 
et  à  la  r<5gie  dos  soo.i(<t(<g  d'agriculture  et  des  institutions  d'enseigne- 
ment agricole  sont  par  le  présent  conférés  au  coMMtssAïUK  qui  recevra 
leurs  rapports  annuels,  leur  paiera  l'octroi  provincial  établi  en  leur 
faveur  et  leur  donnera  des  instructions  propres  à  assurer  l'entiflt  accom- 
plissement dos  règlements  généraux  ou  spéciaux  adoptés  à  leur  égard 
par  la  conseil  d'ngrioulturi',  et  il  aura  le  pouvoir,  en  cas  de  contraven- 
tion, de  suspendre  le  paiement  de  la  subvention  à  ces  sociétés  ou  insti- 
tutions et,  avec  l'approbation  du  lieutenant-gouverneur  en  conseil,  do  la 
supprimer.  " 

Et  la  clause  précédente  dit  :  "  Tout  règlement  passé  par  le  conseil 
d'agriculture,   toute  résolution   ou    mesure  adoptée  par  le  dit  conseil, 

DEVRONT  ÊTRK  SOUMIS  A  L'APPROBATION  DU  LIEUTENAXT-GOUVEKNKUR  EN 
CONSRIL  AVANT    DK    POUVOIR   ÊTRE   MIS   A    EXÉCUTION." 

Par  ces  clauses,  il  appert  clairement  que  le  commissaire  doit  diriger 
le  conseil  d'agriculture  comme  les  sociétés,  et  qu'aucun  acte  du  conseil 
ne  doit  être  mis  à  exécution  avant  d'avoir  été  approuvé. 

Cependant,  que  lit-on,  à  la  page  29  du  rapport  général  du  déparle- 
ment de  l'agriculture  pour  l'année  1875  7  On  ne  le  croirait  pas,  si  oe 
n'était  là,,  en  toutes  lettres:  pendant  les  six  premières  années  du  fonc- 
tionnement du  conseil  d'agriculture,  pas  une  seuie  des  résolutions  du 
conseil  n'a  été  approuvée  1  Et  cependant  on  a  a'^beté  des  terrains  consi- 
dérables, on  y  a  érigé  des  bâtisses  pour  les  expositions  provinciales,  on 
a  fait  des  règlements  obligatoire»  (?)  pour  les  sociétés  d'agriculture,  et 
que  8ais-je  encore. 

Voici  ce  que  dit  M.  Browning  dans  le  rapport  auquel  je  fais  allusion  : 

"  DÉLIBÉRATIONS  DU  CONSEIL. — Avant  de  terminer,  il  est  de  mon  devoii* 
«l'aitii«r  l'Attention  du  conseil,  bien  que  j'hésite  à  le  faire,  sur  un  sujet 


—  49  — 

Quant  au  fonctionnomont  dos  sociétés  d'ngricuUoro, 
AI.  Lesngf,  assisjtant-comtnissairo,  dit  (voir  mémo  rap- 
port do  1874): 

"  Suivant  ,  otro  décision  (du  commissairo)  nous  n'a- 
vons pas  inscjé  ici  les  rapports  financiers  dos  sociétés 
d'agriculture,  à  cause  dos  irrégularités  qui  s'y  ron- 
contront."  Il  ajoute  plus  loin:  "  Il  ost  à  regretter  quo 
les  concours  (pour  los  torros  les  mieux  tenues)  do  même 
<ltio  los  partis  de  labours  no  soient  pas  on  plus  grande 
laveur  auprès  do  la  majorité  dos  cultivateurs.  Au  lieu 
de  les  con^idéror  comme  les  ])lus  sûrs  moyens  de  géné- 
raliser les  améliorations  agricoles,  un  grand  nombre  do 
sociétés  cheichent  à  en  être  exe /nptéos.  " 

Il  est  encore  établi  à  la  page  olvi  du  mémo  rapport, 
quo  bien  que  los  concours  de  labours  soient  obligatoires, 
et  quo  si  los  sociétés  les  négligent  elles  doivent  perdre 
l'octroi  du  gouvernement,  il  n'y  a  quo  19  sociétés  sur  80 
([ui  se  soient  conformées  ù.  ce  règlement  obligatoire.  Do 
fait,  pour  qui  lit  attentivement  les  divers  rapports  oflS- 
ciels  publiés  par  le  commissaire  d'agriculture,  il  est 
évident  quo  la  surveillance  exercée  sur  los  sociétés 
d'agriculture  est  à  peu  j)rès  nulle,  quo  des  portes  d'ar- 
gent considérables  en  sont  résultées  et  qu'il  s'est  glissé 
bien  des  abus.  Et  cependant  toutes  los  sociétés,  indis- 
tinctement, reçoivent  chaque  année  leur  octroi,  tout 
comme  si  elles  se  conformaient  à  la  loi  ! 


do  la  plus  grinde  importance  :  il  s'agit  de  la  39e  clause  de  l'aote  d'agri- 
culture, qui  te  lit  comme  suit  : 

"  Tout  règlement  passé  par  le  conseil  d'agriculture,  et  toute  résolution 
ou  mesure  adoptée  par  le  dit  conseil,  devront  être  soumis  à  l'approbation 
du  lieutenant-gouverneur  en  conseil,  avant  de  pouvoir  être  mis  à  exécu- 
tion. " 

"  Maintenant,  quand  j'aurai  informé  le  conseil  qu'aucun  de  ses  actes 
ou  procédés  n'a  été  approuvé,  nonobstant  toutes  les  démarches  qui  ont 
été  faites  dans  ce  sens,  en  vue  de  se  conformer  à  la  loi,  et  bien  que 
copie  des  délibérations  du  conseil  ait  été  régulièrement  transmise  à 
Québec,  après  chaque  réunion,  dans  le  but  d'obtenir  cette  approbation, 
je  laisserai  au  conseil  à  décider  s'il  ne  serait  pas  à  propos  d'essayer 
d'obtenir  la  révocation  de  cette  clause,  ou,  du  moins,  de  la  faire  amender 
à  la  prochaine  session  du  Parlement  de  Québec,  puisqu'il  est  évident 
que,  d'après  le  mode  suivi  jusqu'à  présent,  nous  procédons  de  la  manière 
la  plus  irrégulière  et  que  nous  nous  trouverons,  tdt  ou  tard,  en  face  de 
sérieux  embarras  en  raison  de  ce  que  nos  actes  peuvent  être  à  tout  mo- 
-ment  attaqué»  de  nullité,  par  le  fait  de  cette  absence  d'approbation." 
Signé  :        J.  M.  Browning,  Président  C.  A.  P.  Q. 

4 


-  50  — 

Do  son  coté,  M.  Browning,  ci-dovant  prÔHidcnt  du 
conseil  d'ajL^ricultiiio,  admet,  (lanH  sen  rapports  atinuels, 
que  l'état  deH  choses  est  loin  d'être  satisfaisant.  Voici  co 
qu'il  dit  à  la  page  28  du  rapport  gon<5ral  dudépartoinenl 
do  l'agriculture  do  1875. 

"  On  n'a  ])îi8  donné  jusqu'à  présent  aux  raj)port8 
annuels  des  sociétés  d'agriculture  toute  l'attention  que 
mérite  cet  imj)ortant  sujet,  |)lusicurs  rapports  ayant  été 
reçus,  bien  que  sous  une  forme  des  plus  incomjdéles  et 
des  ])luH  inexactes,  tandis  que  d'autres  sociétés  n'en  ont 
transmis  aucun." 

M.  Browning  s'étend  ensuite  longuement  sur  les  in- 
convénients qui  s'en  suivent,  et  demande  que  la  loi  boit 
mise  à  exécution,  ou  qu'elle  soit  amendée. 

En  voilîV  assez  pour  prouver  que  iasurvcillancesur  les 
sociétés,  soit  par  le  commissuii-o  de  l'agriculture,  soit 
par  le  conseil,  n'est  pîis  effic  .  et  mémo  que  la  loi 
d'agriculture  est  lettre  morto  quant  à  la  direction  à 
donner  au:r  sociétés. 

Voyons  mfiintenant  ce  qu'ont  été  les  résultats  obtenus, 
au  prix  de  $2,000,000  e'nviron,  dépenséos  depuis  trente 
ans,  en  vue  de  l'amélioration  do  l'agriculture.  Voici  ce 
quo  M.  l'assislant-commissaire  écrit  à  co  sujet  dans  son 
rapport  de  1874,  (pngo  1). 

"  Sous  forme  d'introduction  au  compte-rendu  des  oj)é 
rations  qu'il  diiige,  le  Itév.  M.  Butcau,  "  do  son  vivant, 
supérieur  de  l'école  d'agriculture  do  8ainte-Anno,  "  so 
demande  si  los  subventions  accoîdéos  depuis  vingt  ans 
aux  sociétés  d'agriculture  ont  produit  un  résultat  propor- 
tionné au  montant  d'argent  qu'elles  ont  absorbé  ;  et  il 
arrive  à  la  conclusion  quo  la  masse  des  cultivateurs  n'en 
a  guère  j)rofité,  et  que  tes  progrès  qui  se  sont  accomplis 
durant  cette  période  de  temps  auraient  pu  s'accomplir  sans 
t intervention  des  sociétés  d' atjriculture  et  sans  les  octrois  qui 
leur  ont  été  distribués.  C'est  là  une  assertion  hardie,  et»jui 
mérite  d'être  prise  en  considération  par  notre  législature, 
attendu  quo  le  savant  directeur  de  yainte-Anne  n'a  pas 
dfila  faire  à  la  légère." 

On  lo  voit,  M.  l'assistantcommissairo  lui -mémo,  qui 
connaît  tout  aussi  bien  quo  personne  notre  organisation 
agricole,  et  qui,  certes,  fait  de  son  mieux  pour  l'amé- 
liorer,   n'oso  pas   aHirmcr   io  contraire  de  ce  quo  disait 


—  51  — 

M.  Bitteaii  ;  il  va  jusqti'à  attirer  l'attention  do  la  lôgis- 
latnre  Hur  ce  sujet  si  sérieux. 

Si  nous  remontonH  maintenant  à  1850,  et  ni  nou.s  cher- 
chon.s  ce  (}U*«>tait  alors  ragriculturc  et  quelle  était  l'ac- 
tion des  sociétés  d'n^M'iculture  à  cette  époque,  il  sera 
facile  d'étalilir  «pm  le  ))ro<^rù-<  a!;'rieol(>,  depuis  trente  ans, 
n'est  guôriî  dû  ;i  notre organisiition  ollicielle  ni  aux  onor- 
tnes  ponimes  dénetisces  par  le  gouvernement  cUns  l'es- 
poir d'amoliorei  ragricu'liiro  Voici  un  extraitdu  rapport 
du  comité  sp<5(ial  nomme,  en  1850,  )>our  s'enquérir  do 
l'état  de  l'iigriculture  dans  lo  J3a^-C  tiada,  des  moyens  do 
l'améliorer  et  de  faciliter  l'établissement  des  tei-res  in- 
cultes, qui  prouve  notre  avancé.  (1) 

On  lit  flans  ce  rapport:  *'  (pie  lesetudesque  le  comité 
a  été  oblige  de  fiiro  l'ont  mis  à  même  do  ])Ouvoir  affir- 
mer que  ragl'iculture  a  fait  beaucoup  de  progrès  depuis 
un    cei'tain    nombre  d'années   "  que    l'élan    est   donné, 

l'apathie  passée (2j."  Le  comité  ajoute:  "C'estsur- 

tout  dans  ce  moment  quo  les  bonnes  récoltes  semblent 
revenir,  qu'il  importo  de  profiter  do  l'expérience  récente 
qu'à  donnée  le  malheur,  afin  d'engager  la  poj)ulation 
des  campagues  à  employer  tous  Ic-i  mo^'ons  qu'une  nou- 
velle prospérité  jiourra  leur  fournir,  et  prévenir  de  nou- 
velles misères," 

On  voit  par  ces  extraits  qu'il  y  avait,  en  1850,  un 
commencement  do  progrès  ussoîî  marqué,  (-'os  jtrogrès  se 
«ont  continués  depuis,  mais  il  n'y  a  rien  pour  démontrer 
quo  l'amélioration  que  l'on  constate  de  nos  jours  ne  se 
Herait  pas  faite  sans  l'organisation  actuelle.  Au  contraire, 
nous  n'avons  qu'à  voir  ce  qu'étaietU  alor^  les  sociétés  d'a- 
gricidture,  pourétabiirclaii'oment  que  nos  sociétés  actuel- 
les, en  général,  no  sotit  jias  meilleures  qu'elles  étaient 
11  y  a  trente  ans.  Nous  jjouvoiih  dire  que  la  plupart  vii- 
loiit  moins,  car  depuis  ce  temps  on  acotttiniié  lesen-jïurs 
graves  qui  étaient  signalées  à  cette  époque  déjà  reculée 
Et  aujourd'hui,  le  mal  ost  devenu  tel  (|u'il  faudra  ur 
effort  bien  grand  et  bien  persévérant  pour  le  detriuro 


un 


(1"^  Voiif  appendice  T.  T.  Documentu  do  laS-ssion  M50,  No.  2,  vol.  9. 
(2)  Je  crois  devoir  citer,  en  appendico,  plusionrK  cxtmits  de  ce  rap- 

tort  important.     On  ▼  verra  que  les  oonRoils   qui  y  ront   donn^'R    parles 
otniiies  les  plus  marquants  de  notre  province,  s'appliquent  aujourd'hui 
tout  ootnnie  si  cette  «nquéte  agricoli;  venait  d'être  faite. 


—  62  — 

Au  sujet  do  008  sociétés  d'agriculture,  voici  co  que 
constate  l'enquête  déjà  citée  :  "  Les  sociétés  d'agricuN 
turo,  telles  qu'elles  existent  et  qu'elles  sont  conduites 
aujourd'hui  (1850)  ont  fait  du  bien,  il  n'y  a  pas  à  en 
douter,  mais  il  est  certain  qu'elles  n'ont  pas  produit  tous 
les  résultats  qu'on  en  attendait.  Dans  bien  des  cas,  les 
dépenses  contingentes  et  les  frais  de  gestion  se  sont 
montés  à  des  sommes  exorbitantes,  eu  égard  aux  moyens 
de  ces  sociétés." 

Un  autre  défaut  est  signalé  dans  le  rapport  de  la 
société  du  Bas  Canada  jwur  celte  année  (1850)  : 

•»  Les  bienfaits  des  expositions,"  dit  le  rapport,  *'  sont 
pénéralement  retirés  par  nos  vieiUeui's  cultivateurs,  capi- 
talistes et  autres  personnes  possédant  des  terres  en  bon 
ordre,  tandis  que  ceux  qui  ont  réellement  besoin  d'instruc- 
tion et  d'encouragement  sont  virtuellemer*  exclus.'' 

J'ai  souligné  ces  dernières  lignée  qui  indiquent  claire- 
ment le  mal  d'aujourd'hui  comme  celui  d'alors.  La 
législature  toute  entière  a  reconnu  ce  mal,  il  y  a  déjA 
vingt- huit  ans;  quelles  mesures  avons-nous  prises  pour 
le  taire  disparaître?  Je  réponds:  nous  avons  dépens ' 
deux  millions  do  piastres,  sans  presque  aucun  résultat 
utile,  et,  par  notre  apathie  et  notre  négligence,  ce  mal 
s'est  enraciné  plus  profondément  que  jamais  ! 

Quant  à  nos  expositions  provinciales,  elles  nous  coûtent 
près  de  $20,000  chacune.  Elles  nous  laissent  presque 
toujours  un  déficit  de  $12,000  à  $15,000,  que  la  législature 
et  les  cités  intéressées  ont  à  combler.  Ain>i,  en  IST"?, 
la  ville  de  Québec,  tout  endettée  qu'elle  soit,  a  voté 
$6,000  on  faveur  de  la  dernière  exposition  provinciale, 
et  cependant  la  législature  s'est  vue  dans  l'ouligation  do 
voter,  à  la  dernière  session,  une  somme  additionnelle  de 
$8,000  environ,  pour  combler  le  dé.ficit.  Et  combien  de 
cultivateurs  pratiques,  et  surtout  de  cultivateurs  d'origine 
françoise,  ont  participé  à  cette  exposition  ?  Les  expo- 
sants d'origine  française  étaient  peu  nombreux  ;  les  races 
d'animaux  étrangères  au  paj'^s  ont  seules  été  primées,  et 
un  petit  nombre  do  grands  éleveurs,  qui  pour  la  plupart 
ont  fait  leur  fortune  dans  le  commerce  et  l'industrie,  ont 
enlevé  la  masse  dos  prix.  L'exposition  d'animaux  et  do 
produits  agricoles  provenant  des  districts  do  Québec  et 
de  Trois-Rivièros  était  à  peu  près  nulle.    Et  pourquoi  ? 


—  53  — 

parce  que  Ton  n'a  pas  su  cncour  ^er  nos  cultivateurs  à 
améliorer  leurs  cultures  et  leurs  produits,  et  qu  on  no 
prend  ))as  les  moyens  de  les  attirer  à  ces  expositions. 

L'extrait  du  rapport  do  la  chambre  d'agriculture  du 
Bas-Canada  pour  1850,  que  je  viens  de  rcpro(.'uire,  s'ap- 
plique encore  aujourd'hui  et  à  la  letti'o  à  provoque  toutes 
les  expositions  de  comtés.  Personne  n  osera  affirmer  le 
contraire,  j'en  suis  bien  sûr.  On  le  saii,  moyennant  une 
souscription,  bonâ  fide,ào  $266,  le  gouvernement  donne 
tous  les  ans  un  octroi  de  $666  à  chaque  société  d'agricul- 
ture de  comté.  Je  ne  parierai  pas  de  la  bonne  foi  qui 
rogne  dans  certains  comtés,  au  sujet  de  ces  souscriptions. 
Malgré  les  affidavits  si  positifs  qu'il  faut  faire,  les  initiés 
savent  quelle  espèce  do  bonne  foi  on  apporte  assez  com- 
munément à  ces  souscriptions!  Puis  on  fait  chaque 
année,  ou  à  peu  près,  des  expositions.  Or  quel  en  est 
généralement  le  résultat?  La  plupart  des  hommes  im- 
partiaux seront  forcés  d'admettre  que  d'ordinaire  ces 
expositions  servent  uniquement  à  distribuer,  le  plus 
également  possible,  sous  forme  de  prix,  le  gros  de  l'oc- 
troi du  gouvernement  entre  trente  ou  quarante  personnes 
tout  au  plus,  de  manière  à  encourager  ces  mêmes  per- 
sonnes à  souscrire  de  nouveau,  l'année  suivante,  environ 
un  dixième  de  ce  qu'elles  ont  reçu.  Le  reste  de  la  sous- 
cription s'obtiendra,  là  où  il  n'y  a  pas  do  fraude,  en  don- 
nant gratuitement,  à  même  l'octroi  du  gouvernement, 
<lcs  graines  fourragères  qui  sont  distribuées  aux  frais  do 
la  société.  Puis  si  la  souscription  n'est  pas  complète, 
on  supposant  toujours  l'absence  de  fraude,  on  quêtera  do 
porte  en  porto,  chez  les  deux  députés  du  comte,  le  séna- 
teur, les  curés,  les  marchands.  Il  va  ^ans  dire  qu'on 
n'oublie  pas  do  faire  souscrire  l'aubergiste  chez  lequel  se 
donne  le  grand  diner  que  les  directeurs  do  la  société  et 
Usurs  amis  se  payent  annuellement,  mais  toujours  sur  les 
octrois  du  gouvernement  à  la  société  !  Voilà,  personne  no 
l'ignore,  comment  soixante  sociétés  d'agriculture  sur 
quatre-vingts  font  les  choses  dans  cette  province  !  II  est 
Juste  d'ajouter  que  depuis  quelques  années  les  sociétés 
d'agriculture,  en  général,  entretiennent  aux  frais  de  la 
société  quoique:^  animaux  reproducteurs,  plus  ou  moins 
bien  choisis,  dont  l'usage  est  donné  aux  membres  presque 
gratuitement.    Cet  encouragement  qui  tend  à  l'amclio- 


—  5-1  — 

ration  du  bétail,  ainsi  que  la  distribution  des  graines 
fourragères,  là  où  cette  distribution  se  fait  bon nète ment, 
est  de  beaucoup  la  partie  la  plus  utile  des  dépenses  faites 
par  nos  sociétés  d'agriculture. 

Afin  de  bien  connaître  toute  l'action  des  sociétés 
d'agriculture  de  comté,  il  faut  dire  qu'en  18G9  elles  ne 
comptaient  dans  toute  la  province  qu'environ  7,000 
membres  d'origine  française.  Depuis  cette  époque,  les 
efforts  qui  furent  faits  pour  répandre  gratuitement  les 
journaux  agricoles  parmi  les  membres  ont  eu  ])our  effet 
d'en  doubler  le  nombre  ou  à  j)eu  près.  Malgré  tout,  il 
appert  par  le  dernier  rapport  du  comité  d'agriculture  de 
l'assemblée  législative,  en  date  du  28  février  1878,  (1) 
qu'il  y  a  environ  un  tiers  des  paroisses  du  pays  qui  ne 
comptent  pas  un  seul  membre  dans  les  sociétés  d'agri- 
culture, et  qu'un  grand  nombre  d'autres  paroisses  en 
comptent  moins  de  dix.  Ce  rapport  ajoute  :  ''  La  plupart 
de  ces  paroisses  ne  bénéticient  donc  aucunement,  ni  des 
argents  votés  pour  les  sociétés  d'agriculture,  ni  du  jour- 
nal d'agriculture.  Comme  ces  paroisses  sont,  pour  la 
plu]>art,  parmi  les  moins  avancées,  elles  auraient  besoin, 
plus  que  toutes  autres,  de  l'aide  accordé  si  généreuse- 
ment, chaque  année,  par  la  législature,  atin  d'avancer  lo 
dévelojipement  de  l'agriculture.  " 

.le  crois  avoir  démontré  que  la  plupart  de  nos  sociétés 
n'ont  guère  progressé  depuis  1850,  bien  que  de  fortes 
sommes  leur  aient  été  octroyées  chaque  année.  Cepen- 
dant, il  ne  faudrait  pas  en  conclure  que  les  sociétés 
d'agriculture  sont  inutiles  et  qu'elles  doivent  être  sup- 
primées. Il  y  a  dans  cette  province  un  certain  nombre 
de  sociétés  qui,  depuis  quelques  années  surtout,  font  un 
bien  incalculable.  Ainsi,  dans  plusieurs  comté.-*,  on  offre 
tous  les  deux  ans,  dans  chaque  paroisse  du  comté,  des 
prix  pour  les  terres  les  mieux  tenues  dans  la  paroisse, 
pour  les  meilleurs  dix  arpents  de  labours  d'automne, 
pour  les  meilleurs  prairies  et  pâturages,  pour  la  con- 
servation des  engrais,  pour  la  confection  des  fosses  à 
fumier,  la  plantation  d'arbres  fruitiers,  etc.  On  y  faci- 
lite également  !  achat  de  bonnes  semences  et  l'usage  de 
bons  reproducteurs  dans  chaque  paroisse.     Et  quel  est 

(1)  Voir  "  Jonnua  d'Agricaltan  "  1878,  p»ge  146. 


_  55  — 

lo  résultat?  D'abord  les  membres  de  lu  société  d'aiçri- 
(•ulturo  se  comptent  par  500,  600  et  700  dan^  chacun  do 
ces  comtés.  Les  touscriplious  sont  plus  élevées.  Celles- 
ci.  jointes  aux  ressources  que  ra|)porteiit  les  reproduc- 
teurs ajjpartenant  à  la  s<  ciété  et  à  l'octroi  du  _<i;ouverno- 
mont,  j)ermettent  de  faire,  tous  les  deux  ans,  dos  exposi- 
tions de  produits  agricoles  dont  l'importance  est  suffi- 
sante pour  attirer  des  acheteurs  étrangers.  De  sorte 
que  ces  ex])Ositions,  tout  en  excitant  l'émulation  parmi 
les  cultivateurs,  deviennent  comme  une  f(Mre  pour  la 
vente  des  produits  agricoles.  Voilà  ce  qu'ont  fait  plu- 
sieurs sociétés  à  la  suite  de  quelques  conseils  qui  leur 
ont  été  donnés,  quand  ces  conseils  ont  été  entendus  par 
des  hojumes  intelligents,  patriotiques  et  désintéressés. 
Or,  ne  pouirait-on  pas  es))érer  des  résultats  analogues, 
dans  presque  tous  les  comtés  de  cette  province,  si  toutes 
les  sociétés  d'agriculture  étaient  surveillées  de  prés  et 
dirigées  par  une  organisation  dans  laquelle  le  j)ublic 
aurait  confianca,  dont  le  chef  serait  un  homme  entendu 
en  agriculture,  au  fait  de  ses  besoins  et  à  la  hauteur  de  sa 
mission.  Et  (jue  ne  pourrait  pas  accomplir  un  tel  hom- 
me, ayant  le  pouvoir  comme  le  désir  de  faire  du  dévelop- 
pement, de  l'agriculture  dans  cette  province  sa  seule 
occupation,  e*.  dont  le  bien  être  de  la  classe  agricole  se- 
rait la  ])lus  grande  ambition  ! 

Il  faut  l'aifirmer  bien  haut  :  ce  qui  manque  t  nos 
sociétés  d'agriculture,  comme  à  tout  le  reste  de  notre 
organisation  agricole  d'ailleurs,  c'est  une  sage  direction, 
donnée  avec  suite,  et  qui,  touten  ayant  à  répondre  direc- 
tement de  sa  conduite  à  la  législature,  ne  serait  pas  en- 
travée par  toute  espèce  d'obstacles,  entre  autres  ])ar  co 
qu'on  est  convenu  d'appeler  les  nécessités  de  la  poli- 
tique. 

* 

Le  commissaire  d'agriculturo  ot  des  tiavaux  publics 
pourrait-il,  dans  les  circonstances  actuelles,  diriger  effica- 
cement l'organisation  agricole  de  cette  ]>rovince  ?  Il 
suffit  do  so  rappeler  les  exigences  do  la  ]iolitique  pour 
roconnaitre  qu'on  ne  saurait  attendre  do  la  plu})art  des 
hommes  d'Etat  appelés  à  ce  ministère,  dans  notre  pays, 
les  qualités  spéciales  qui  sont  indispensables  à  celui  qui 
devra  diriger  avec  succès  cette  organisation. 


—  56   - 

En  y  réfléchissant,  il  faut  admettre  que  le  commissaire 
d'agriculture  et  des  travaux  publics  est  tellement  sur- 
chargé d'occupation  qu'il  lui  est  tout  à  fait  inijjossiblede 
bien  remplir  les  devoirs  trop  multiples  qui  lui  sont  dé- 
volus.  Ainsi,  voyons  un  peu:  Ce  ministre  do  la  couronne 
est  aujourd'hui  le  seul  commissaire  chargédc  la  construc- 
tion du  chemin  do  fer  provincial  de  Québec,  Montréal, 
Ottawa  et  Occidental.  lia  la  responsabilité,  la  direction 
et  le  contrôle  absolu  de  toutes  les  aftaires  qui  s'y  ratta- 
chent.    Cette  entreprise,  qui  va  coûter  onze   ou  douze 
millions  de  piastres,  demande,  dans  la  position  finan 
cière  actuelle  de  notre  pays,  un  travail  extraordinaire  de 
surveillance  et  de  soin.     Le  commissaire  d'agriculture 
et  des  travaux  publics  fait  également  construire,  sous  sa 
direction  immédiate,  les  nouveaux  édifices  des  départe- 
ments publics, — construction  monumentale  qui  fera  sans 
doute  honneur  au  pays,  mais  qui  coûtera  suffisamment 
pour  qu'on  y  regarde  de  près.     Le  même  commissaire* 
doit  do  plus  surveiller  directement  la  construction,  l'en- 
tretien et  les  réparations  de  toutes  les  prisons,  des  cours 
de  justice,  et  généralement  de  tous  les  édifices  publics  qui 
sont  disséminés  sur  tous  les  points  do   la  province.  Il  a 
encore  la  direction  générale  et  toute  la  responbilité  de 
rom])loi  des  octrois  en  faveur  de  la  colonisation,  et  la  sur- 
veillance immédiate  do  la  confeclion  et  de  la  réparation 
de  tous  les  chemins  de  colonisation.    Or,  les  ti-avaux  du 
département  de  la  colonisation  h'étendent  depuis  l'extré- 
mité du  comté  do  Pontiac  à  l'ouest  jusqu'aux  profondeurs 
du  Snguenay  au  nord — depuis  l'extrémitésud  du  comté  de 
Compton,  jusqu'aux  confins  do  l'immense  territoire  do 
la  Gaspésie,  et  ce  dernier  territoire  est  aussi  étendu  que 
la  plupart  des  états  d'Europe  !  Il  reste  au  même  commis- 
saire   la  direction   et   le   contrôle   do  diverses  agences 
d'immigration,  en  Europe  et  dans  cette  province,  ainsi 
que  la  repartition  des  subventions  accordées  à  sci)t  ou  huit 
compagniosde  chemin  de  fer,— subventions  qui  se  montent 
à  plus  do  trois  millions  de  piastres?   Et  qiie  sais-je  en- 
core ?  Voilà  ])Our  ce  qui  a  rapport  plus  particulièrement 
à  l'administration  des  travaux  publics,  indépendanimcnl 
de  l'agriculture.  N'est-ce  pas  déjà  demander  beaucoup  trop 
à  un  seul  homme,  même  en  supposant  qu'il  n'aurait  abso- 
lument  rien  à.  faire  ni  à  l'agriculture,   ni  à   la  politique 


—  57  — 

générale.  Et  cependant  ce  fonctionnaire,  8urchari.^é 
(l'un  fardeau  qu'Hercule  lui-même  aurait  peine  à  porter 
est  en  même  temps  ministre  de  la  couronne.  Do  lait,  et 
depuis  plusieura  années,  c'est  le  premier  rnini.stro  do  la 
province  qui  a  eu  la  direction  de  ce  vaste  département. 
Or,  un  ministre  de  la  couronne  et  surtout  un  premier 
ministre  doit  donner,  en  détinitive,  la  plu»  grande  et  la 
meilleure  partie  de  son  temps  aux  affaires  générales  de  la 
province.  De  fait  les  occupations  d'un  ministre  consti- 
tutionnel prennent  trop  souvent  le  pas  sur  les  affaires  de 
son  département. 

Est-il  nécessaire  d'en  dire  davantage  pour  démontrer 
que  le  commissaire  des  travaux  publics  ne  peut  pas  et 
ne  doit  pas  entreprendre  la  direction  du  mouvement 
agricole  dans  cette  province  ? 

'         *         .    '' 
*  * 

Mais  on  dira  peut-être  :  Puisque  le  commissaire  d'agri- 
culture est  dans  l'impossibilité  de  bien  diriger  le  mouve- 
ment agricole  de  cette  province,  pourquoi  nepointdonner 
cette  direction  au  conseil  d'agriculture  ? 

Kous  avons  vu  qu'en  réalité  cette  i^'reciion  a  été  lais!>ée 
au  conseil  d'agriculture,  depuis  1869.  Avant  cette  époque, 
«•.'est  l'ancienne  chambre  du  Bas-Canada  qui  avait  dirige, 
seule  et  sans  conteste,  pendant  au-delà  do  trente  ans, 
toute  l'organisation  officielle  de  l'airriculture.  Lors  de  la 
confédération,  la  chambre  d'agriculture  ayant  étéjugce 
insuffisante,  le  conseil  d'agriculture  fut  organisé  pour  la 
remplacer.  Mais  il  n'apporta  aucune  amélioration  à  l'état 
de  choses  préexistant,  l.e  système  actuel  est  donc  virtu- 
ellement on  opération  depuis  quarante  ans.  Nous  venons 
de  voir  quel  a  été  le  résultat.  Nous  avons  cité  plus  haut 
le  témoignage  de  M.  l'assistant-commissaire  lui-même. 
Nous  avons  vu  ce  qu'a  dit  M.  Browning,  un  des  prési- 
dents les  plus  actifs  et  les  plus  dévoués  qu'ait  eu  le  con- 
seil d'agriculture,  au  sujet  du  peu  d'influence  que  ce 
conseil  exerce  sur  les  sociétés  d'agriculture.  Nous  avons 
constaté  que  le  progrès  agricole  qui  s'est  ojwé  dans 
cette  province  depuis  trente  ans,  n'est  guère  du  à  l'an- 
cienne chambre  d'agriculture,  ni  aux  sociétés,  ni  au 
conseil  d'agriculture. 


—  58  — 

Voyons  muintcnunt  co  qu'est  lo  conseil  d'agriciiltnro; 
nous  ))()un'on.s  mieux  ju^or  s'il  ewt  en  ineHiiro  do  donner 
hidircction  eilicaco  dont  notre  or^anitiution  agricole  a 
besoin. 

JiOrt  membres  du  conseil  d'agriculture,  par  la  loi,  sont 
au  nombre  de  vingt-troiM  ;  ils  sont  nommés  par  le  lieu- 
tenant-tfouvcrneur  erj  conseil,  et  ils  sont  censés  repré- 
sentur,  ou  à  peu  i)rè8,  les  diverses  divisions  territoriales 
de  la  |>rovince.  En  réalité  ils  ne  représentent  aucunement 
ces  divisions  ;  sept  membres  sur  les  vingt-trois,  résident 
dans  les  environs  immédiats  de  Montréal  ;  six  autres 
membres,  dans  les  environs  do  (Québec,  un  seul  (1),  M. 
Cîauvreau,  notaire  et  grofKer  de  la  cour  do  circuit  à  l'Ile- 
Verte,  représente  maintenant  tout  le  bas  du  fleuve,  au 
nord  et  au  sud,  à  partir  tie  (Québec. 

Les  membres  du  conseil  d'agriculture  no  sont  payés 
que  pour  leurs  fiais  de  voyages.  Ils  se  réunisseiii  trois 
ou  (piatre  lois  |)ar  année,  pendant  quel(|ues  beures  cliiM|ue 
fois.  I\)ur  qui  lit  attontivesnent  les  rapj)Orts  des  délibé- 
rations du  conseil  d'agriculture,  il  me  semble  que  c'est  à 
peine  si  les  membres  de  ce  conseil  se  rappellent  d'une 
réunion  à  l'autre  des  décisions  (pii  ont  été  prises  précé- 
demment (2). 

Je  dois  lo  dire:  le  conseil  d'agriculture  me  fait  l'eiïet 

(1)  Jo  cnnipto  l'hon.  M.  Prico  au  nombre  doa  résidants  de  Québec. 
D'ailleurs  M.  Prico  n'asMisto  presque  jauinis  aux  réunions  du  conseil. 
Fou  l'hon.  M.  Boaubicn  et  M.  Landry,  tous  deux  do  Montmnnny,  repré- 
sentaient lu  partie  aud  du  fleure,  mais  ils  n'ont  pas  été  rouiplaués  dans 
lo  conseil. 

(2)  Il  o."t  facile  d'établir  qu'il  rôgno  chez  plusieurs  tncinbres  du 
conseil  un  discouru  Renient  profond  dont  ils  n»*  se  cachent  jioint.  Quel- 
ques-uns d'entre  eux,  pnrrni  les  plus  connus  et  les  plus  actif»,  n'assiftont 
plus  que  très-rnrenient  aux  réunions.  Il  faut  rononnaltro  égalouicnt  que, 
dans  le  conseil  d'agriculture,  il  y  a  des  huiuiues  dont  les  pratiques  agri- 
coles ne  peuvent  ))ns  servir  do  modèle,  inônie  aux  plus  hunible.s  cultiva- 
teurs de  leurs  paroisFOS.  Il  suffît  de  passer  sur  leurs  propriétés  )  our  j 
voir  des  chemins  en  mauvais  état,  même  dans  la  belle  saison,  des  pâtu- 
rages qui  sont  nus,  ou  couverts  de  chiendent  et  d'autres  plantes  do  ce 
genre.  Leurs  prairies  et  leurs  champs  de  grain  sont  complètement  envahis 
)>nr  les  plantes  nuisibles,  don;  les  graines  mûrissent  librement  et  sont 
transpori.é(!B  par  lo  vent  dans  toutes  les  directions,  parfois  au  grand 
détriment  des  voisins. 

Il  y  a  sans  doute,  dans  le  conseil  d'agriculture  des  agronomes  distin- 
gués et  des  hommes  tout  à  fuit  dévoués  au  progrès  de  l'agriculture,  mais 
c'est  précisémdiit  parmi  ces  hommes  que  l'on  o  nstats  le  plus  grand 
découragement. 


—  59  — 

d'un  corps  composé  do  vingl-trois  niombrcs  ii'aynnt 
niiciin  nipport  itiliine  onlrouux,  d'un  (;orp.s  (pii  hu  meut, 
mais  auquel  il  mmiquo  et  la  léte  et  l'âme,  d'un  corps  en- 
fin, qui  eht  tout-à-f'ait  incapable  de  mener  seul  à  bonne  tin, 
une  organisation  comme  il  la  l'aucJrjiit  ])Our  arriver  à  f'airo 
Kortirnolro  aj^riculture  de  l'ornière  administrative  danti 
lac^uelle  elle  eut  restée  dppuis  «i  longlemps. 

*  * 

Je  lo  dis  sans  hésitation:  si  nous  voulons  faire  pro- 
gresser l'agriculture,  co  qu'il  nous  faut,  c'est  un  "surin- 
tendant," un  homme  qui  soit  à  lu  hauteur  do  sa  mission, 
qui  ait  l'autorité  et  toutes  les  qualités  nécessaires  j)()ur 
mener  à  bonno  tin  les  améliorations  indispensables  an 
bon  fonctionnement  du  département  do  l'af^riculturo  ot 
qui  no  soit  j)a8  cx))Osô  à  laisser  sa  place,  d'un  moment  ù 
l'i^utre,  suivant  les  caprices  do  la  politique. 

Il  faut  do  ])lus  que  le  surintendi.nt  de  l'agriculture 
soit  en  ines\iro  de  donner  une  direction  cHictaco  aux 
sociétés  d'aiîriculturo,  aux  expositions  provinciales,  aux 
écoles  sj)éciales  d'afjfricultnre,  etc.,  afin  (jue  l'octroi  con- 
sidérable voté  chaque  année  j)ai"  la  législature  porto  tous 
les  fruits  qu'on  a  droit  d'en  attendre.  Comme  aviseur 
du  surintendant  de  l'a/^riculturo,  il  faut  un  conseil  d'a- 
f^riculturo  choisi,  autant  que  possible,  parmi  les  rési- 
dants de  chacune  «les  divisions  sénatoriales  do  i;etto 
province;  un  conseil  composé  d'hommes  dévoués  au  pro- 
grèsdc  l'agriculture,  et  capable  d'aviser  le  surintendant 
ot  do  l'aider  efficacomonl  à  faire  pro^i'cssor  l'agricul- 
ture, d'abord  dans  leurs  divisions  respective-,  puis  dans 
la  province  tout  entière. 

Il  faut,  entin,  pouvoir  répandio,  par  toute  la  ])rovince, 
un  enseignement  éminemment  ]irali(juo,  pour  le  bien  de 
tous,  ntais  îî  la  portée  dos  plus  humbles  culiivateurs. 

Voilà,  en  ))eu  do  mots,  ce  quo  tloit  être  notre  organi- 
satiori  otïlcielïo  on  faveur  de  l'agriculture. 

*^*  •    . 

Kn  proposant  do  donner  à  un  surintendant  do  l'agri- 
culture la  direction  du  mouvement  agricole  dans  cotto 


1: 


—  GO  — 

province,  jo  n'émets  pas  une  idée  nouvelle.  Depuis  trente 
an»  cette  proposition  a  été  souvent  répétée  par  les  agro- 
nomes les  plus  distingués  et  par  les  hommes  les  mieux 
pensants.  Un  jirincipo  analogue  a  été  admis  par  lu 
égislaturo  du  Canada-uni,  et  plus  tard  par  celle  do  notre 
province,  relativement  au  département  de  l'Instruction 
publique.  A  la  suite  de  lu  Confédération,  on  a  bien  tenté 
de  donni^'  la  direction  de  ce  département  à  un  ministre 
de  la  couronne,  mais  bientôt  l'expérience  est  venue  dé- 
montrer que  cette  branche  importante  du  service  public 
demandait,  en  permanence,  un  chef  expérimenté,  tout-à- 
fait  détaché  des  considérations  politiques,  et  chargé  uni- 
quement de  la  direction  de  son  département;  et  la  légis- 
lature sut  pourvoir  au  besoin  qui  se  faisait  sentir.  Pour- 
quoi n'en  serait-il  })a8  de  même  pour  l'agriculture? 

Certes,  on  ne  saurait  donner  trop  d'attention  au  déve- 
loppement do  l'instruction  publique  dans  notre  province; 
mais  l'amélioration  de  l'agriculture  est-elle  moins  impor- 
tante? L'instruction  publique,  quelque  pratique  qu'elle 
Îiuisse  être,  no  saurait  donner  du  pain  à  notre  population, 
îllo  n'a  pas  pu  empêcher  d'émigrer  aux  Etats-Unis  un 
demi  million  do  nos  compatriotes.  L'instruction  pu- 
blique seule  no  pourra  pas  arrêter  un  nouveau  courant 
d'éuiigration,  peut-être  plus  accentué  que  jamais,  vers  lo 
pa3'8  voisin,  du  moment  où  les  industriels  américains 
jugeront  à  propos  d'allécher  de  nouveau  notre  population 
pai-  l'attrait  de  salaires  tant  soit  peu  élevés. 

Tout  dernièrement  encore,  on  le  sait,  nos  campagnes 
se  dépeuplaient  à  vue  dœil  à  l'appel  des  industriels  amé- 
ricains. La  seule  cfiguo  qui  puisse  retenir  la  popula- 
tion au  sein  de  nos  campagnes  est  la  colonisation  des 
terres  incultes  et  le  relèvement  de  notre  agriculture.  Et 
les  moyens  de  retirer  l'agriculture  de  l'ornière  pi-ofondo 
dans  laquelle  elle  est  restée  si  longtemps  consistent 
d'abord  :  dans  un  enseignement  pratique  et  frappant,  si 
J3  puis  parler  ainsi,  des  éléments  de  l'agriculture.  Cet 
enseignement,  il  faut  chercher  à  le  donner,  non  pas  aux 
enfants  seulement,  mais  surtout  et  avant  tout,  aux  culti- 
vateurs eux- mêmes,  dans  chacune  de  leurs  paroisses 
respectives,  si  c'est  possible.     Il  faut  aussi  que  l'Etat 

^OCCUPE   DAVANTAGE    DES    INTÉRÊTS    AGRICOLES    DE    LA 
NATION. 


—  01  — 

Donc,  il  faut  à  ragricuituro  uno  direction  liabile;  il 
faut  répandre  partoutu  in  province  ronsoigncmentd'unc 
bonne  agriculture,  et  pour  arriver,  avec  le  temps,  à 
mener  »V  bonne  tin  cotte  entrcpriHC,  il  faut  choisir  un 
isurintcnduiit  qui  8oit  à  la  hauteur  do  sa  mission,  lui 
donner  l'autorité  ncces-sairo,  et  mettre  à  sa  diisposition 
les  aviiseurs  et  les  aides  qui  conviennent. 

Le  choix  des  membres  du  conseil  d'agriculture,  dans 
chacune  des  divisions  représentées  au  sénat,  deviaitètro 
laissé  aux  jjroKidents  des  diverbcs  sociétés  d'agriculture 
dans  cette  diviyion  plutôt  qu'au  gouvernement.  On 
obtiendrait  ainsi  une  meilleure  représentation  dans  le 
conseil,  chaque  membre  devant  être  dans  les  meilleurs 
rapports  avec  les  sociétés  d'agriculture  do  ha  division.  Les 
membres  actuels  du  conseil  d'agriculture  qui  se  sont  le 
plus  distingués  par  leurs  aptitudes  et  leur  dévouement  au 
progrès  de  l'agricultui-e,  no  manqueraient  pas  d'étro 
choisis  pour  leurs  divisions  respectives. 

On  lira  sans  doute  avec  intérêt  ce  que  disait,  dès  1850, 
au  sujet  de  la  nomination  d'un  surintendant  de  l'agri^ 
culture,  le  comité  d'enquête  déjà  cité  : 

•'  Votre  comité  est  d  o|)inion  que  la  nomination  de  deux 
surintendants  d' agriculture ,  un  pour  les  di-tricts  de  Mont- 
réal, St.-Fran{;ois  et  de  l'Ottawa,  et  l'autre  pour  les  dis- 
tricts de  Québec,  Gaspé  et  Kamouraska,  est  indispensable. 
Le  surintendant  formel  a  l'administratif  do  tout  le  sys- 
tèmo,  et  joint  aux  professeurs  dans  les  collèges,  cons- 
tituera le  corps  enseignant  :  ses  devoirs  tels  que  conçus 
par  votre  comité,  seraient  la  visite  annuelle  des  districts 
sous  sa  jurisdiction  ;  la  publication  d'un  rapport  annuel 
contenant  autant  que  possible  la  description  des  diffé- 
rents sols,  de  leur  exposition,  des  moyensd'amélioration, 
le  signalement  des  succès  de  culture  et  l'indication  des 
moyens  d'y  remédier  ;  en  un  mot,  ce  rapport  serait  le 
modo  dont  se  servirait  le  surintendant  pour  faire  con- 
naître au  public  le  résultat  do  ses  recherches,  et  de  ses 
études.  " 

Voici  maintenant  ce  que  disait,  à  pareille  époque  et 
sur  le  mémo  sujet,  le  regretté  major  Campbell,  président 
delà  chambre  d'agriculture  du  Bas-Canada: 

"  Si  l'on  veut  réaliser  quelque  grand  plan  pour  le 
poifcotionnement  de   l'agriculture,  jo   suis  d'avis  qu'il 


—  62  — 

fûu  Ira  nomtnor  Rpécinlement  pour  coin  quelqn'individn 
qui  y  coriHJicroi'a  tout  sou  temps  ot  sou  attention.  On 
pourrait  l'appeler  le  Hurintondant  ou  le  comminsairo 
d'agriculture;  cet  officier,  avec  le  maire  du  comte  ot 
les  présidents  des  eociétéB  d'agriculture  du  comté,  de- 
vraieritôtre  les  ayndicsà  qui  Bcraient confiées  les  fermes- 
modèles  dont  j'ai  parlé. 

"  11  aurait  la  direction  de  la  ferme  expérimentale  du 
gouvernement,  ot  serait  tenu  do  voilier  à  ce  que  les 
fermes-modèles  soient  bien  conduites  et  à  oo  que  toutes 
ex'wrionces  faites  à  la  forme  du  gouvernement  soient 
régulièrement  notées  ot  publiées.  Je  n'ai  pas  besoin 
d'ajouter  que  le  succès  do  ce  projet  dépondra  entière- 
ment du  choix  de  la  personne  qui  sera  nommée  à  cette 
«liargo  importante." 

Il  me  semble  qu'un  seul  surintendant  pour  la  province 
sjifïiiait  ;  mais  il  faudrait  qu'il  eût,  en  sus  du  conseil 
d'agriculture,  des  aides  actifs  et  expérimentés,  chargés, 
BOUS  sa  direction,  de  la  surveillance  et  de  la  visite 
d'une  partie  de  la  province.  Ces  aides,  du  moment  qu'ils 
pourraient  le  faire  avec  intelligence,  inspecteraient  ot 
dirigeraient  les  sociétés  d'agriculture  ;  ils  visiteraient 
les  diverses  paroisses  dans  leurs  districts  respectifs, 
constateraient  les  besoins  de  l'agricidture,  et  donneraient 
sur  les  lieux  aux  cultivateurs  eux-mêmes,  dans  des  con- 
férences familières,  les  conseils  qui  leur  seraient  utiles. 

*** 

Je  crois  avoir  démontré  d'une  manière  convainquante 
que  la  bonne  administration  de  notre  organisai  ion  agri- 
cole demande  impérieusement  la  nomination  d'un  surin- 
tendant d'agriculture.  "Voyons  maintenant  quelle  direc- 
tion le  surintendant  devrait  donner  aux  sociétés  d'agri- 
culture pour  que  le  public  retire  tous  les  avantages  que 
ces  sociétés  sont  susceptibles  de  donner. 

Bien  que  les  sociétés  d'agriculture,  du  moins  pour  lo 
grand  nombre,  aient  circonscrit  leur  action  dans  un  cadre 
très -restreint,  il  est  admis  de  toute  part  que  leurs  avan- 
tages devraient  s'étendre,  le  plus  également  possible,  8\ 
toutes  les  paroisses  du  pays.  Or,  le  moyen  pour  les  sociétés 
de  généraliser  leur  action  et,  en  même  temps,  de  faire  lo 
plus  grand  bien,   c'est  d'offrir  des  prix  dans  chaque 


—  63  — 

pnroisso  ])onr  les  nméliomtions  les  plus  utiles,  puis  d'offrir 
quelquoM  prix  do  comté  pour  les  mêmes  objets,  afin  de 
Btimuler  les  meilleurs  cultiviiteurs  do  cluujue  paroisse  et 
de  les  encourager  à  80  montrer  éjiçnlemeiit  les  meilleurs 
oultivatours  do  leur  comté.  Les  prix  do  paroisse  qui 
feront  le  pluH  do  bien  sont  d'abord  les  prixpour  les  tcrroH 
les  mieux  tenues  dans  leur  ensemble.  JjOs  concours  ))our 
l'obtention  des  prix  doivent  so  faire  sur  toutes  les  parties 
de  lu  culture  à  la  fois;  ils  feront  voir  quels  sont  vrainient 
les  meilleurs  cultivateurs  ;  et,  si  la  ili.>iribution  des  ])rix 
est  ruisonnée,  si  les  juges,  en  rendant  leur  jugement, 
établissent,  au  moyen  de  points  pour  chaque  partie  do 
l'administration  de  la  terre,  l'état  comparatif  d'avance- 
ment au(iuel  chaipie  cultivateur  est  arrive,  les  juge» 
donneront  à  toute  la  paroisse,  la  meilleure  des  leçons 
agricoles,  puisque  leur  jugement  établira  ce  qui  est  j)ar' 
fait  et  ce  qu'il  reste  à  jierfectionner. 

l^irtoiit  où  ce  système  a  été  ]>ratiqué  avec  intelli- 
gence, il  a  produit  des  effets  merveilleux.  On  a  vu  des 
paroisses  ot  des  comtes  où  les  cultivateurs  se  sont  pré- 
parés deux  ans  d'avance  à  ces  concours,  en  améliorant 
tout,  de  leur  mieux,  sur  leur  terre,  et  en  faisant  dispa- 
raître   les  défauts  qui   leur  étaient  apparents.  Il  suffit 
d'avoir  do  bons  juges  pour  que  ces  concours  de  parois-oa 
deviennent  très-populaires.  Personne  n'ignore  que  nos 
meilleurs  cultivateurs  ne  manquent  pas  d 'amour-propre. 
11  y  en  a  quinze  ou  vingt  au  moins,  parmi  les  plus  mar- 
quants dans  chaque  paroisse,  auxquels   il  répugnerait 
infini in(înt  d'admettre  leur  infériorité  en  agriculture  et 
de  se  laisser  surpasser  par  des  co-paroissiens.  J)u  mo- 
ment qu'un  concours  pour  les  terres   les  mieux  tenues 
sera  ouvert  dans  la  paioisso,  il  y  aura  plusieurs  cultiva- 
teurs qui  ambitionneront  l'obtention  des  prix  offerts  et 
qui  feront  des  efforts  sérieux  pour  les  mériter.  Et  si  les 
juges  ont  fait  leur  devoir,  on  peut  dire  que  le  cultivateur 
qui  aura  reçu  le  premier  prix  offrira  à  ses  voisins  un 
véritable   modèle  tî   suivre,   modèle  d'autant  ])lus  utile 
•  que  le  rapport  des  juges  montrera  ce  qu'il  reste  à  faire 
pour  arriver  à  une  plus  grande  perfection. 

En  suivant  le  même  système  do  points,  les  juges  arri- 
veront facilement  à  établir  quels  sont  les  meilleurs  cul- 
tivateurs du  comté  ;  on  aura  donc  signalé  la  terre  mo- 
dèle  dans  chaque   paroisse  ot  celle  qui  est  modèle  pour 


—  64  — 

tout  lo  comté.  Des  fermes  modèles  !  Donnez-nous  des 
Icnnos  modôloa,  dans  chaque  comté.  Voilà  ce  que  de- 
mandent, dupuifj  cinquante  ans,  les  hommes  les  mieux 
pensants  du  pays.  Or  quel  moyen  plus  pratique  avons- 
nous  d'arriver  à  l'établissement  de  fermes  vraiment  mo- 
dèles, sans  faire  des  dépenses  que  l'état  des  finances  do 
celte  province  nous  interdit,  ot  sans  courir  des  risque.-* 
s  rieux  d'insuccès,  qu'en  encourageant  les  meilleures 
cultures  i)ar  les  prix  de  paroisse  et  de  comté  dont  je 
viens  do  parler? 

Mais  pour  arriver  à  quelques  succès  par  co  système, 
il  faut  nécessairement  s'assurer  des  juges  honorables  et 
assez  éclairés  pour  faire  ressortir  les  défauts  mtMne  dans 
les  cultures  pour  lesquelles  on  aura  accordé  des  prix. 
Les  juges  devront  indiquer  quels  sont  h^s  points  qui 
rendent  certaines  cultures  meilleures  que  d'autres  moins 
bien  notées.  Ils  devront  également  rédiger  des  rapports 
soignés,  qui  feront  connaître  à  tous  les  cultivateurs  les 
raisons  qui  les  ont  guidés  dans  le  jugement  prononcé.  Si 
les  juges  pouvaient  eux-mêmes  commenter  leur  juge- 
mont  en  public,  dans  chaque  paroisf»e  du  comté,  ils 
donneraient  ainsi  une  leçon  pratique  de  la  plus  haute 
valeur  et  que  les  cultivateurs  eux-mêmes  no  manque- 
raient j)as  d'apprécier  hautement. 

Il  est  facile  d'établir  une  échelle  de  points  qui  guide- 
rait HÙroment  les  juges.  Le  plus  ou  moins  do  points, 
dans  chacune  dos  améliorations  agricoles,  ferait  voir  aux 
cultivateurs  en  quoi  ils  excellent,  ce  que  leurs  compéti- 
teurs font  mieux  (ju'eux,  et,  partant,  ce  qui  reste  à  faire 
pour  arriver  à  la  culture  la  plus  parfaite. 

Le  surintendiint  devrait  pouvoir  accorder  des  diplômes 
ot  des  médailles  do  différentes  valeurs,  selon  le  degré  do 
mérite  auquel  les  concurrents  heureux  seraient  arrivés. 
Un  pareil  sy.stèmo  ne  pourrait  pas  manquer  do  créer, 
parmi  notre  population  agricole,  une  émulation  des  plus 
utiles. 

Je  viens  d'insister  sur  les  primes  pour  les  terres  les 
mieux  tenues,  parce  que  ce  sont  les  plus  importantes; 
mais  on  concevra  qu'avec  l'organisation  et  le  développe- 
ment d'un  pareil  système,  il  sera  facile  d'encourager, 
dans  chaque  paroisse,  toutes  les  améliorations  agricoles, 
et  surtout  celles  qui  seront  jugées  les  plus  opportunes  et 
les  plus  pressantes. 


—  65  — 

Le  système  que  je  propose  n'^.nppchcia  pas  les  expo- 
sitions provinciales  ni  les  expositions  do  comté  d'avoir 
lieu  comme  par  le  passé.  Mais  il  vaudrait  mieux  que 
ces  expositions  fussent  moins  fréquentes,  tant  qu'elles 
ne  couvriront  pas  leurs  propres  frais,  atin  d'employer 
tous  les  ans  une  partie  plus  considérable  des  octrois  aux 
concours  pour  les  terres  les  mieux  tenues,  pour  les  la- 
bours, etc.,  dans  chaque  paroisse,  chaque  comté  etmôme 
dans  chaque  distiict.  Car,  il  faut  bien  l'admettre,  ces 
concours  feront  faire  si  l'agriculture  des  })rogrès  intini- 
mont  supérieurs  à  ceux  que  l'on  peut  attendre  des 
meilleures  expositions. 

Quant  aux  concours  des  terres,  une  des  plus  grandes 
difficultés  de  leur  organisation  réside  dans  le  choix  des 
juges  et  dans  les  dépenses  que  ces  concours  occasionnent. 
En  eft'et,  il  sera  toujours  difficile  de  trouver  un  juge, 
ayant  parfaitement  qualité  pour  cette  charge,  dans  cha- 
cun des  comtes  de  cette  province,  et  qui  se  donnera  la 
peine  de  visiter  avec  soin  toutes  les  paroisses  de  son 
comté.  Par  le  passé  on  a  tenu  à  avoir  trois  juges  :  c'est 
multiplier  les  déi^enses,  et  s'exposer  à  avoir  deux  juges 
peu  éclairés  sur  trois.  A  mon  avis  un  seul  juge  bien 
choisi  suffirait,  et  donnerait  beaucoup  plus  de  satisfac- 
tion, surtout  si  l'on  donne  le  droit  d'appel  au  surinten- 
dant. 11  est  nécessaire  que  celui-ci  surveille  de  bien  près 
le  travail  des  juges,  puisque  le  succès  du  système  de  ces 
concours  dépendra  entièrement  du  plus  ou  moins  d'in- 
telligence et  d'activité  que  les  juges  apporteront  dans 
l'exécution  des  devoirs  de  leur  charge.  En  donnant  le 
droit  d'appel,  on  satisfera  les  cultivateurs  et  on  engagera 
les  juges  a  faire  de  leur  mieu  .,  atin  d'être  bien  notés 
par  le  surintendant. 

*** 

Mais  quelque  parfaite  que  soit  la  direction  donnée  ù, 
nos  sociétés  d'agriculture  et  aux  expositions,  tant  pro- 
vinciales que  locales,  il  est  incontestable  que  notre  orga- 
nisation agricole  serait  incomplète  sans  un  bon  s^'stème 
d'enseignement  agricole. 

A  mon  avis,  ce  système  d'enseignement  comporte  : 
io  Ij'\  publication  d'un  patit  traité  ékknoDtaire,,  mais 
6 


—  66  — 

essontiellement  pratique  ;  2o.  La  publication  d'un  bon 
journal  d'agriculture,  illustré;  3o  L'enseignement  élé- 
mentaire do  l'agriculture  dans  toutes  les  écoles  et  maisons 
d'éducation  aidées  par  le  gouvernement;  4o  Le  dévelop- 
pement de  nos  écoles  spéciales  d'agriculture,  auxquelles 
1^  devraient  être  annexées  des  fermes  vraiment  modèles, 

dont  les  rendements  et  les  profits  nets  seraient  publiés 
tous  les  ans,  en  détail  ;  5o  La  visite  annuelle,  si  c'est 
possible,  par  le  surintendant  lui-môme,  ou  par  un  délégué 
ayant  toutes  les  qualités  requises,  de  chacune  des  pa- 
roisses du  pays,  aussi  bien  que  des  sociétés  et  des  écoles 
spéciales  d'agriculture,  afin  que  la  surveillance  la  plus 
complote  soit  donnée  partout.  C'est  surtout  par  ces  ins- 
pections que  l'on  arrivera  à  diriger,  encouragei",  instruire, 
et  aussi  à  reprendre  là  où  la  réprimande  sera  jugée 
indispensable. 

La  publication  et  la  distribution  à  peu  près  gratuite 
do  brochures  claires  et  précises,  donnant,  dans  un  lan- 
gage que  chacun  peut  comprendre,  des  leçons  positives 
sur  la  manière  de  cultiver  une  terre  avec  profit,  est 
indispensable.  Il  faut  que  tout  bon  cultivateur  puisse 
trouver  sous  sa  main  des  données  qui  le  guideront  avec 
'jùreté  dans  les  améliorations  qu'il  désire  faire.  Un  sem- 
blable tra'té  élémentaire  d'agriculture  n'a  pas  besoin 
d'excéder  cent  pages.  On  devrait  en  encourager  la  dis- 
tribution lé  plus  possible,  par  tous  les  moyens. 

Il  doit  en  être  de  même  du  Journal  <ï Agriculture,  qui 
mettrait  le  surintendant  en  rapport  direct  avec  chacun 
des  souscripteurs  aux  sociétés  d'agriculture.  Ceux- 
ci  devraient  tous  recevoir  !o  journal,  qui  leur  serait  dis- 
tribué à  titre  de  prime  par  le  gouvernement.  Avec  les 
avantages  qu'offrirait  notre  organisation  agricole  telle 
que  proposée  ci-haut,  oti  aurait  lieu  d'espérer  qu'avant 
longtemps,  tous  les  cultivateurs  tant  soit  peu  intelligents 
du  pays,  trouveraient  avantageux  de  souscrire  à  leur  so- 
ciété d'agriculture  de  comté.  Le  journal  arriverait  donc 
partout.  Il  devrait  s'a])pliquer  à  dével'^pper  les  divers 
sujets  touchés  dans  le  traité  élémentaire  u  ..griculture,  et 
à  donner  des  réponses  précises  à  toutes  les  questions 
d'intérêt  général  posées  par  les  lecteurs  du  journal,  tant 
sur  l'agriculture,  l'horticulture  et  l'arboriculture  que  sur 


ïes  divers  sujets  qui  se  rattachent  directement  à  l'agri' 
culture,  tels  que  l'en tomolo^po,  l'art  vétérinaire,  etc.  il 
va  sans  dire  que  le  surintendant  devrait  avoir  le  contrôle 
absolu  du  Journal  <V Agriculture-. 

La  visite  régulière,  par  le  surintendant  ou  ses  délé- 
guées, do  nos  poctétés  d'agriculture,  l'examen  minu- 
tieux do  leurs  livi-e»  et  comptes,  qui  devront  être  com- 
parés avec  les  rapports  annuels,  et  des  entreliens 
familiers  avec  les  officiers  et  directeurs  de  ch:icuno  do 
ces  sociétés,  sont  indispensables  à  leur  bonne  régie. 
C'est  par  ces  visites  et  ces  entretiens,  et  non  pas  uni- 
quement par  des  correspondances  officiolles,  nécessaire- 
ment rares  d'ailleurs,  qu'on  arrivera  a  l'aii-e  dans  ehaqao 
paroisse  tout  le  bien  désirable. 

Lors  de  ces  visites  au  chef-lieu  d'un  comté,  qui  devraient 
€tre  annuelles,  il  serait  facile  au  surintundant  do  t'itgri- 
culture  ou  à  ses  aides  de  visiter  les  différentes  paroisscH 
de  ce  même  comté,  afin  de  voirdc  leurs  ycuxet  d'apprendre 
sur  les  lieux  mômes  quelles  sont  les  ditlicultes  qui  restent 
à  surmonter,  ot  les  améliorations  qui  sont  les  plus  pres- 
santes. Ces  visites  donneraient  l'occasion  de  rencontrer 
les  meilleurs  cultivateurs  de  chaque  paroisse  et  do  leur 
donner  des  conférences  agricoles  dont  ils  sauraient  biei. 
tirer  parti  si  elles  étaient  aussi  pratiques  qu'elles  de- 
vraient l'êtrt^  De  plus,  ces  visites  ne  pourraient  manquer 
de  donner  au  journal  d'agriculture  beaucoup  de  matiéi-o 
éminemment  instructive.  A  bien  dire,  ces  conférences 
sur  -l'agriculture  données  aux  cultivateurs  eux-mêmes 
semblent  être  comme  le  complément  de  toute  bonne 
organisation  agricole. 

Je  ne  m'étendrai  pas  sur  l'avantage  de  l'enseignement 
élémentaire  do  l'agriculture  dans  toutes  les  écoles;  colle 
question  est  jugée  I  Déjà  le  public  comprend  la  nece.ssité 
d'encourager  les  efforts  perse\'érants  que  le  surintendant 
du  département  de  l'instruction  publique,  l'honorable  M. 
Ouimet,  ne  cesse  de  faire  en  faveur  de  cet  enseignement 
dans  toutes  les  écoles  do  la  province.  Kspéronsque  ren- 
seignement do  l'agriculture  deviendra  bientôt  général, 
dans  n«>s  écoles  primaires,  et  qu'il  s'étendra,  mais  d'une 
manière  plus  ro lovée,  à  nos  collèges,  tant  commerciaux 
que  classiques,  et  à  tous  les  couvents  de  la  campagne.  Il 
est  utile,  il  est  même  nécessaire  que  toute  la  jeunesse  du 


—  68  — 

pays  qui  s'instruit,  connaisse  au  moins  les  éléments  de 
cet  art  qui  donne  la  vie  à  tous,  qui  promet  aux  familles 
l'avenir  le  plus  tranquiî!  et  le  plus  certain,  et  qui  est, 
pour  toute  nation,  la  seule  base  solide  de  prosjiérité  gé- 
nérale. Quant  à  l'enseignement  de  l'agriculture  dans  nos 
couvents,  il  ne  faut  ))as  oublier  que,  dans  notre  province 
surtout,  c'est  par  la  femme  que  l'éducation  se  genénilisc 
le  plus.  C'est  donc  aussi  au.\  futures  nièrus  de  famille  qu'il 
faut  enseigner  ce  qji'est  l'ai't  agricole,  ce  qu'il  doit  être 
et  ce  que  l)ieu  veut  qu'il  soit,  c'est-à-dire  la  base  de  toute 
bonne  organir^ation  sociale.  Ceci  est  d'autant  plus  néces' 
saire qu'on  remarque  généralement,  chez  nos  tilles  et  nos 
femmes  instruites,  les  plus  grands  préjugés  contre  l'agri- 
culture. C'est  au  |K)iiit  que  bien  des  tdlesde  cultivateurs 
qui  sortent  de  nos  couvents  semblent  préférer  une  alliance 
avec  un  artisan  et  même  un  journalier  à  l'alliance  que 
))eut  lui  otfrir  nigriculteur.  L)  ailleurs,  il  suffit  d'ensei- 
gner à  la  femme  les  ])rincipcs  de  l'horticulture  et  les 
soins  à  donner  à  1»  laiterie,  à  la  basse-cour,  au  verger, 
aux  abeilles:  cela  est  utile  partout.  L'horticulture  étant 
l'application  parfaite  des  principes  de  l'agricultuie,  on 
ne  jieut  enseigner  les  matières  que  j'ai  nommées  sans 
connaître  tout  ce  qu'une  femme  a  besoin  de  savoir  en 
agriculture.  Cet  enseignement  devrait  entrer  dans  le 
programme  des  études  de  tous  les  couvents  de  campagne. 
Partout  où  l'oïi  a  un  jardin,  on  a,  ou  l'on  peut  avoir  faci- 
lement une  laiterie,  une  basse-cour,  quelques  arbres 
fruitiers,  quelques  ruches.  Voilà  tout  ce  qu'il  faut,  avec 
des  connaissances  pratiques,  de  l'intelligenee  et  de  la 
bonne  volonté,  pour  donner  un  enseignement  des  plus 
précieux  qui  peut  devenir  d'un  service  incalculable  dans 
l'état  actuel  de  notre  société. 

En  France,  dans  ces  dernières  années  surtout,  de  bons 
curés  ont  senti  rim|)ortance  de  procurer  aux  fvmmes 
chrétiennes  cette  instruction  pratique,  plus  particnliéi*e- 
ment  du  département  de  la  femme,  en  agriculture,  et  ils 
ont  fondé  dos  maisons  sjiéciales  où  toute  l'instruction  a 
pour  objet  de  former  de  bonnes  femmes  de  cultivateur. 
Les  frères  de  la  doctrine  chrétienne  ont  également  établi 
plusieurs  maisons  où  l'on  enseigne  aux  jeunes  garçons 
ia  pratique  aussi  bien  que  la  théorie  de  l'agriculture. 
Leur  maison  de  Bcauvais,  en  France,  qui  so  soutient  pat' 


—  69  - 

soH  jropres  ressources,  est,  do  l'aveu  de  tous,  une  des 
meilleures  écoles  d'agriculture  de  l'Europe.  Voilà  ce  qui 
se  fait  ailleurs;  espérons  que  le  dévouement  si  connu,  au 
Canada,  do  notre  clergé,  de  nos  religieux  et  do  nos  reli- 
gieuses, on  faveur  de  toutes  les  bonnes  œuvres,  nous 
dotera  bientôt  do  cet  enseignement  pratique  de  l'agri- 
culture comme  lo  dévouement  seul  peut  le  donner  î 

■  Après  quinze  ans  do  tâtonnements  et  de  luttes  i)our 
leur  existence,  il  est  maintenant  admis  que  nos  écoles 
spéciales  d'agriculture  commencent  à  faire  un  bien  réel. 
Cependant,  malgré  les  avantages  certains  et  considérables 
qui  sont  offerts,  les  rapports  publics  constatent  que  les 
élèves  qui  fréquentent  ces  écoles  sont  peu  ne  '^breux. 
Comme  on  tient  à  les  avoir,  ils  sont  exigeants,  et  .'on  ne 
peut  obtenir  d'eux  ce  que  l'on  voudrait.  De  fait,  si  ces 
élèves  ne  recevaient  pas  la  pension  gratuite  aussi  bien 
que  l'instruction,  il  est  probable  que  nos  écoles  d'agri- 
culture se  videraient  complètement.  On  admettra  facile- 
ment que  cet  état  de  choses  est  fort  regrettable.  Mais  il 
démontre  à  l'évidence  la  nécessité  pour  le  gouvernement 
de  travailler  davantage  à  faire  avancer  l'agriculture  dans 
notre  province.  Quand  nous  aurons  réussi  à  faire  aimer 
l'agriculture,  que  nous  en  aurons  popularisé  l'enseigne- 
ment élémentaire,  les  élèves  à  la  recherche  du  haut 
enseignement  agricole  deviendront  nombreux,  et  nous 
pourrons  nous  flatter  alors,  mais  alors  seulement,  d'avoir 
fait  un  grand  pas  dans  la  régénération  do  noiro  agricul- 
ture. 

J'en  suis  convaincu,  la  généralisation  de  l'enseignement 
agricole  est  la  condition  nécessaire  de  l'amélioration  de 
l'état  actuel  do  notre  agriculture.  Tant  que  nous  n'aurons 
pas  fait  aimer  et  rechercher  cet  enseignement,  nous 
travaillerons  en  vain  ;  ot  tous  les  octrois  imaginables 
seront  donnés  en  pure  perte!  C'est  donc  par  renseigne- 
ment pratique  do  1  agriculture  qu'il  faut  commencer.  Cet 
enseignement  est  l'objet  principal  du  système  que  je  viens 
d'exposer,  de  même  que  la  nomination  d'un  surintendant 
en  est  la  clef  de  voûte,  si  je  puis  ainsi  parler. 

En  voilà  assez  pour  montrer  combien  est  importante  la 
tâche  que  l'honorable  M.  Ouimet  a  été  le  premier  à 
entrepi'endre,  ot  combien  il  importe  de  l'aider  à  mener  à 
bonne  fin  les  réformes  qu'il  s'cflForce  d'introduire.    Je 


—  70  — 

dirai  ici  qu'un  des  moyens  qui  me  semblent  de  nature  À 
populariKor  renseignement  ugricolo,  serait  la  distribution, 
sous  forme  de  prix,  dans  nos  écoles,  collèges  et  couvents, 
du  plus  grand  nombre  possible  de  livres  bien  faits,  sur 
l'agriculture.  Un  autre  moyen,  plus  utile  encore,  peut- 
être,  serait  d'offrir,  dans  chaque  district  scolaire,  des 
primes  on  argent,  et  des  distinctions  aux  instituteurs 
qui  donneraient  le  meilleur  enseignement  agricole  et 
dont  les  élèves  passeraient  les  meilleurs  examens  sur  celte 
matière.  Des  prix  on  argent  devraient  être  offerts  égale- 
ment aux  instituteurs  et  institutrices  qui  cultiveraient, 
avec  le  plus  de  profit  et  au  point  de  vue  des  be:>oins 
d'une  famille  rurale,  les  légumes,  les  fruits  de  tous 
genres,  et  même  les  abeilles,  qui  bont  à  leur  place  dans 
un  jardin. 

*  * 

A  tout  ce  qui  précède  on  m'objectera  peut-être  que 
j'expose  un  système  qui  pèche  par  la  base.  De  fait,  en 
lisant  avec  attention  les  divers  rapports  publiés  ])ar  le 
commissaire  de  l'agriculture,  comme  j'ai  dû  le  faire  pour 
co  travail,  j'y  ai  vu  avec  étonnement  l'affirmation  d'un 
employé  (1)— duquel  a  dépendu,  plus  que  de  tout  autre, 
depuis  une  vingtaine  d'années,  le  fonctionnement 
de  toute  notre  organisation  agricole, — laquelle  tond 
&  dire  que  le  conseil  d'agriculture,  et  la  chambre  d'agri- 
culture, avant  le  conseil,  n'ont  pas  pu  trouver,  dans  vingt 
ans,  et  que  nous  n'avons  pas  même  dans  le  pays  un 
8t  l  homme  capable  do  faire  un  bon  journal  d'agriculture  l 
0  trouverions-nous  donc  un  surintendant  do  l'agriculture 
eo  des  aides  compétents?  Je  réponds  que,  pour  qui  veut 
ôtre  juste  et  ouvrir  les  j'eux,  les  hommes  ne  manquent 
pas  qui  pourront  contribuer  i^  mettre  à  exécution  le 
projet  que  j'ai  soumis;  et  je  pourrais  en  nommer  un  bon 
nombre  en  état  de  rendre  les  services  les  plus  précieux. 
N'avons-nous  pas,  en  effet,  les  LeSage,  les  Joly,  les  Tassé, 
les  Caeavant,  les  Browning,  les  Schmouth,  les  Marsan,  les 

(1)  Voir  :  rapport  da  M.  Georges  Leolerc,  aeorétaire  du  oonieil  d'agri- 
culture ;  Rapport  général  du  département  de  l'agrioulture  de  18(1-72, 
pagea  3  et  4. 


—  71   - 

Landry,  les  Benoît,  les  Blackwood,  les  Pilote,  les  Beau- 
bien,  les  RoHS,  les  Gaudut,  les  DeBlois?  El  combien 
d'autres  encore,  moins  en  vue  peut-être,  mais  d'un  savoir 
incontcHtablo,  qui  n'attendent  qu'une  bonne  organisa- 
tion et  le  mot  d'ordre  pour  rendre  d'éminents  services  ! 

*** 

La  plupart  des  choses  que  jo  viens  de  suggérer  n'ont 
pas  même  le  mérite  de  la  nouveauté.  On  les  trouve, 
souvent  en  toutes  lettres,  dans  un  bon  nombre  de  docu- 
ments publics,  et  on  particulier  dans  l'excellent  rapport 
do  M.  J.  C.  Taché,  le  député-ministre  do  l'agriculture,  k 
Ottawa,  et  sans  contredit  un  des  amis  les  plus  sincères  et 
les  plus  dévoués  de  l'agriculture  et  de  son  pays.  Jo  me  suis 
plu  à  citer  d'autant  plus  souvent  ce  rapport  que  les  bons 
avis  qu'il  renferme,  donnés  il  y  a  près  de  trente  ans, 
semblent  avoir  été  plus  ou  moins  oubliés. 

Je  puis  donc  soumettre  mon  travail  en  toute  confiance 
aux  hommes  éclairés  qui  ont  eu  l'heureuse  idée  du  con- 
cours ouvert,  par  l'Institut  Canadien  de  Québec,  dans  le 
but  d'étudier  et  de  faire  étudier  une  des  questions  d'in- 
térêt public  les  plus  pleines  d'actualité. 

En  terminant,  j'aimerais  à  rappeler  à  tous  mes  compa- 
triotes les  i)afoles  si  sages  que  Féuélon  adressait  aux 
hommes  d'Etat  de  la  France,  i'uisscnt-elles  nous  être 
aussi  utiles  qu'elles  nous  t^ont  bien  appropriées.  L'illustre 
évoque  do  Cambrai  disait:  "  La  force  et  !e  bonheur  d'un 
Etat  consistent  non  ù  avoir  beaucoup  de  ))rovincos  mal 
cultivées,  mais  à  tirer  de  la  terre  qu'on  })OHsèdo  tout  ce 
qu'il  faut  j>our  nourrir  un  peuple  nombreux."  Or,  dans 
un  pays  aussi  vaste  et  aussi  éminemment  agricole  que  le 
Canada,  nous  ne  nourrissons  plus  notre  ])opulation,  il  s'en 
manque  do  beaucoup!  Un  auire  évoque  do  France,  Mgr 
Dupanloup,  dont  la  mort  soudaine  et  imprévue  vient  de 
jeter  dans  le  deuil  le  monde  catholique,  s'exprimait  ainsi*: 
"  Qu'on  l'entende  donc  bien,  il  n'y  a  personne,  ni  homme, 
ni  femme,  si  grand  soigneur,  si  grande  dame  qu'ils  soient, 
qui  doive  craindre  do  se  rabaisser  en  s'occupant  d'un 
labeur  aussi  noble,  aussi  utile  que  celui  de  l'agriculture, 
et  jo  l'ajoute,  d'une  importance  sociale  si  grande,  au  point 
do  vue  des  mœurs  comme  au  point  do  vue  de  la  richesse 
nationale." 


-72- 

Le  remède  à  Télat  do  choses  qui  ruine  surtout  notre 
province  est  dans  l'étude  et  la  pratique  intelligente  de 
l'agriculture  par  les  classes  instruites,  afin  que  le  bon 
exemple,  le  raeillfur  de  tous  les  encouragements,  parte 
d'en  haut.  Mais  ])ouvon8-nous  l'espérer  encore  cet  ex 
cmple,  sans  un  changement  complet  dans  les  habitudes 
actuelles  de  notre  société  ?  Je  le  dis  avec  amertume  et 
non  sans  un  profond  découragement:  je  ne  verrai  pas  ce 
changement.  Je  me  demande  souvent  si  l'on  reverra 
jamais  au  Canada,  ces  temps  si  heureux  pour  rotro  pays 
où  nos  ancêtres,  riches  ou  pauvres,  les  habitants  de  nos 
riantes  et  autrefois  si  fertiles  campagnes,  formaient  tous, 
au  dire  de  nos  ennemis  même,  "  un  peuple  de  gentils- 
hommes "  ;  ces  temps  où  l'aristocratie  canadienne  toute 
entière  se  faisait  un  bonheur  d'habiter  la  campagne  et  de 
cultiver  la  terre  ;  où  notre  population  agricole  savait  se 
suffire  H  elle-même  ;  quand  mères  et  tilles  cardaient, 
filaient,  tissaient,  avec  joie  et  bonheur,  habits,  linge  et 
tapis,  se  faisaient  un  devoir  et  une  gloire  de  fabriquer  de 
leurs  mains  tout  ce  dont  la  famille  entière  pouvait  avoir 
besoin  durant  l'année,  et  en  telle  quantité  que  les  pau- 
vres avaient,  eux  aussi,  une  part  généreuse  et  abondante. 
Je  le  crains,  ces  temps  heureux  ne  reviendront  plus. 

Quant  èk  moi,  courbé  tout  le  jour  sous  le  rude  travail 
des  champs,  j'ai  blanchi,  mais  avec  bonheur,  ai^  service 
de  l'agriculture.  Il  y  a  bientôt  trente  ans, — plus  ardent 
et  plus  optimiste  qu'aujourd'hui,  j'ai  applaudi  des  deux 
mains  lorsque  je  lus,  pour  la  première  fois,  le  rapport  de 
l'enquête  agricole  que  j'ai  cité  souvent  dans  ce  travail. 
Je  me  flattais  alors  que  les  snges  avis  qui  y  sont  donnés 
allaient  porter  leurs  fruits  sans  retai-d.  J'ai  vu  disparaître, 
depuis,  un  grand  nombre  des  bons  patriotes  qui  ont  ]>ris 
part  à  cette  enquête,  en  1850,  et  qui  comptaient  comme 
moi,  sans  doute,  sur  une  direction  plus  sage  et,  en  con- 
séquence, sur  un  avenir  plus  prospère  et  plus  brillant 
pour  notre  agricuUm*e.  Plusieurs  de  ceux  qui  restent  ont 
probablement  perdu,  depuis  longtemps,  tout  espoir  do 
voir  de  leure  yeux  les  améliorations  qu'ils  ont  été  les 
premiers  à  indiquer. 

Je  suis  maintenant  trop  vieux  pour  qu'il  me  soit 
donné  do  voir  une  organisation  dégagée  de  favoritisme 
Gt  faite  uniquement  en  faveur  de  l'avancement  do  l'agri- 


—  73—  . 

culture  dans  cotto  province.  Trop  peu  d'hommee,  dans 
notre  pays,  et  surtout  d'hommes  politiques,  s'occupent 
aujourd'hui  do  cette  question. 

Mais  je  crois  fermement  à  la  vérité  des  paroles  que  j'ai 
écrites  en  épigraphe,  au  commencement  do  ce  travail,  et 
qui  m'ont  servi  de  devise  toute  ma  vie  :  "Celui  qui  fait 
croître  doux  brins  d'herbe  où  il  n'en  poussait  qu'un  seul 
auparavant,  et,  sans  aucun  doute,  un  bienfaiteur  publie." 
Ces  paroles  ont  frappé  mon  esprit  quand  j'étais  encore 
bien  jeune.  Je  me  flatte  maintenant  d'avoir  fait  produire, 
autrefois,  trois  brins  d'herbe  partout  sur  ma  terre  où  il 
n'en  poussait  qu'un  seul.  Je  puis  affirmer,  avec  assu- 
rance, que,  s'ils  en  avaient  la  volonté,  presque  tous  mes 
compatriotes  iK)urraient  en  faire  autant. 

Et  si  ce  travail,  que  je  voudrais  pouvoir  adresser  à 
tous  les  cultivateurs  do  notre  province,  avait  pour  effet 
d'ouvrir  les  yeux  à  quelques  jeunes  gens  d'éducation,  do 
talent  et  d'avenir  ;  si  je  réussissais  à  les  convaincre  du 
bonheur  terrestre  qui  s'attache,  d'ordinaire,  au  cultiva- 
teur aimant  et  servant  Dieu;  si  je  pouvais  contribuer  ù 
faire  adopter  cette  noble  et  utile  carrière  de  l'agricul- 
ture à  quelques  bons  patriotes,  et  surtout  à  quelque 
futur  homme  d'état,  je  mourrais  convaincu  de  n'avoir 
pas  été  tout- à-fait  inutile  à  mon  pays. 


APPENDICE. 


Extraits  du  rapport  du  comité  spécial  sur  Vétat  de 
V agriculture  du  Bas-Canada  (1850). 

Votre  comité pose  &  l'abord  la  proposition  incontestable 

que  peu  de  pays  ont  été  plus  favorisés  quo  le  Bas-Canada,  sous  le 
rapport  de  la  qualité  du  sol,  et  que  la  position  qu'il  occupe,  relati- 
vement au  climat,  n'est  nullement  désavantageuse.  Plus  on  exa- 
mine avec  les  veux  de  l'ohservatour  pratique  le  climat  du  Bas- 
CiMiada,  plus  on  se  convainc  du  fait  qu'il  n'est  rien  moins  que 
déravorable.  Il  résulte,  d'une  enquête  faite  dans  le  Nouveau- 
Brunswick  (dont  le  climat  est  le  môme  que  lu  nôtre),  que  c'est  un 
fait  admis  que  le  Troid  et  la  neige  de  nos  hivers  ont  une  action 
fertilisante  sur  le  sol  et  produisent  naturellement  un  état  d'ameu- 
hliss>'menl  qui  ailleurs  ne  peut  être  obtenu  qu'à  force  de  travail. 
La  durabilité  de  la  faculté  productive  de  nos  terres  est  telle  qu'au- 
jourd'hui môme  nos  prairies  donnent  sans  soins  le  double  de  ce 
qu'elles  donnent  en  Angleterre  et  sur  le  continent.  A  ceux  qui  se 
plaignent  de  la  brièveté  de  nos  saisons  des  champs,  on  peut  ré- 
pondre quo  la  rapidité  de  croissance  de  la  végétation  qui  ne  laisse 
pas  de  transition  entre  la  blanche  couverture  de  nos  joyeux  hivers 
et  la  riche  verdure  de  nos  proiries.  A  ceux  qui  prétendent  que 
l'hivernement  de  nos  bestiaux  entraîne  le  cultivateur  dans  d'é- 
normes dépenses,  on  peut  répondre  que  c'est  encore  un  problème, 
môme  pour  des  pays  plus  méridionaux,  de  savoir  si  ce  n'est  pas  un 
immense  avantage  de  tenir  le  bétail  enfermé  la  plus  grande  partie 
de  l'année.  Olte  objection  futile  et  sans  fondement  soulevée  contre 
le  climiit  du  Bas-Canada  est  un  de  ces  préjugés  qui  disparaîtra 
comme  bien  d'autres  préjugés  qui,  créant  des  maux  imaginaires, 
empochent  les  peuples  de  jouir  avec  tranquillité  d"S  biens  que  la 
provid<'nce  leur  a  dispensée,  et  mettent  sur  le  compte  de  la*  nature 
tous  les  malheurs  que  le  découragement  a  produits.  Si  le  Bas- 
Canada  ne  prospère  pas,  ce  ne  sera  ni  le  fait  de  sa  position  géogra- 
])hiqu*>,  ni  le  résultat  de  l'infériorité  de  son  sol  et  des  désavantages 
de  son  climat.  Pour  démontrer  une  proposition  semblable,  et  en 
parlant  de  l'étal  présent  de  l'Ecosse  comme  pays  agricole  comparé 
a  sa  position  passée,  le  savant  Ecossais  déjà  cité  (M.  Johnson), 
dit  :  "  Son  climat  a  été  dompté  et  dépouillé  de  toutes  ses  horreurs. 
•'  Les  portions  les  plus  stériles  du  territoire  dans  Caithnoss,  et 
"  môme  dans  les  lies  Orcades,  ont  été  amenées  à  produire  le  blé. 
•'  Ses  laboureurs  sont  comptés  parmi  les  meilleurs  du  monde,  et 


—  75  — 

'<  sa  manière  de  cultiver  les  légumes  a  obtenu  une  répulation  uni- 
"  verselle.  " 

A  cent  vingt  milles  en  bas  do  Québec,  on  produit  des  pommes 
fameuses,  inférieures  à  celles  de  Montréal,  mais  égales  en  saveur 
à  celles  du  Haut-Canada,  et  on  on  produira  de  semblables  partout 
où  on  saura  choisir  le  terrein  ot  donner  de  l'abri  aux  arbres  frui- 
tiers au  moyen  de  hautes  futaies. 

Le  peuple  du  Bas-Canada,  pris  comme  un  tout  et  sans  distinction 
d'oriitine,  ne  le  cède  à  aucun  autre  sous  le  rapport  de  l'intelli- 
gence, de  la  santé,  de  l'adressn  et  de  la  force  ;  plus  qu'aucun  autre, 
peut-ôtre,  il  possède  cette  amabilité  et  cette  gaieté  qui  contribuent 
plus  qu'on  ne  pense  h  la  santé  et  au  bonheur,  mais  il  le  cède  à 
plusieurs  sous  le  rapport  de  l'éducation  politique  et  agricole  sur- 
tout. Votre  comité  insiste  sur  ces  faits  pour  démontrer  que  le  pays 
a  tous  les  avantages  propres  à  faire  du  B.is-Canada  ce  que  sa 
population  voudra  qu'il  soit.  Rien  do  plus  faible  ({ue  l'homme  qui 
dit  :  "  c'est  im|)Ossible  "  ;  rien  de  plus  fort  que  celui  qui  dit  :  "  jo 
veux". 

Si  l'on  voulait  juger  de  l'état  présent  de  l'agriculture  dans  le 
Bas  Canada  d'après  l'aisance  avec  laquelle  vivent  la  majorité  de 
nos  agriculteurs,  et  surtout  par  la  comparaison  des  produits  av(>c 
le  produit  des  autres  pays,  parliculièremont  îles  pays  européens, 
eu  égard  h  la  population,  on  serait  tenté  de  prendre  l'agriculture 
pour  beaucoup  plus  avancée  qu'elle  n'est  eifectlvement. 

Votre  comité,  en  l'absence  de  statistiques  propres  à  d'-terminer 
la  capacité  productive  du  sol,  admet  ce  qui  est  l'opinion  générale, 
que  le  sol  ne  produit  certes  pas  ce  que  l'on  a  droit  d'en  attendre, 
vu  sa  qualité. 

Votre  comité  nM'ère  en  cela  aux  lettres  attachées  à  ce  rapport,  ot 
surtout  à  la  lettre  de  M.  William  Patlon.  de  Saint-Thomas,  qui 
détaille  le  produit  de  50  arpents  de  terre  cultivés  sous  ses  soins,  et 
ajoute:  ".lo  ne  fais  mention  de  ce  résultat  que  dans  le  but  de 
*•  prouver  que  notre  sol  peut  produire  autant  qu'aucun  autre  sur 
"  le  continent,  pourvu  qu'il  soit  bien  cultivé.  " 

Voici  ce  que  dit  M  Fatton  : 

(Le  domaine  que  je  possède  maintenant  était  dans  un  tel  état 
quand  je  l'ai  acheté,  quoique  vnnlé  par  tous  les  cultivateurs 
comme  étant  le  plus  productif  du  d  strict,  qu'il  ne  produisait  pas 
assez  pour  payer  la  culture  Je  l'ai  depuis  dix  ans  pendant  lesquels 
je  l'ai  cultivé  d'aprôs  le  système  d»^  rotation  des  récolles;  et  ma 
récolte  de  l'année  dernière  a  été  comme  suit  : 

Il  y  avait  cinquante  arpents  en  culture,  et  j'en  ai  retiré  390 
minois  de  blé,  400  minots  d'avoine,  300  minois  de  nav-^t»,  iOO 
minois  de  navets  de  Suède,  3Gn  minois  de  patates,  10  minots  d'orge 
et  2000  bottes  de  foin  de  prairie  sèche. 

I^  blé  a  rapporté  en  moyenne  17^  minots  par  minot  de  semence, 
35  minois  par  l'arpent,  ))esant  62  Ibs.  ;  l'avoine  a  rapporté  13  pour 
1,  ou  45  minots  par  arpent,  et  -a  pesé  43  Ibs.  au  minot.  Je  men- 


—  76  — 

tionno  ceci  p  )ur  Taire  voir  que  nos  terres  peuvent  produire  autant 
que  les  ineiileureâ  terre»  de  ce  continent,  si  elles  sont  bien  cuU 
tivt'es.) 

Puis  le  rapport  continue: 

"  GéuHralement,  "  dit  le  major  Campbell,  dans  sa  réponse  au 
comiti',  "  la  terre  ne  produit  guère  plus  (juo  le  quart  do  eu  qu'elle 
«•  produirait  si  on  introduisait  un  meilleur  système  de  culture.  " 
"  L'état  prés(3nt  de  l'agricullure  dans  les  townships,  "  dit  M.  Gus- 
tin,  "  est  g>>néralcment  déplorable,  surtout  parmi  la  classu  des 
"  a^jriculteurs  dont  l'existence  dépend  immédiatement  ut  unique- 
"  ment  du  travail  des  champs.  " 

Indépendamment  de  tous  auires  défauts,  trois  vic>'S  3ap:taux 
existent  dans  le  système  généralement  suivi  dans  le  fias-Caiiad;i, 
l'un  relatif  aux  engrais,  l'autre  h  la  rotation  des  semences,  et  lo 
t  oisième  à  l'élève  des  bestiaux  Ces  trois  maux  viennent  de  la 
même  cause  énoncée  plus  haut.  Le  sol  primitif  possédant  par  lui- 
môme  une  richesse  extraordinaire,  produisant  sans  entrais,  ou 
plulùl  produisant  par  les  engrais  que  d-'S  siècles  y  avaient  dép.isés, 
des  récoltes  abondantes,  rendait  en  ce  sens  le  travail  de  l'hommo 
inutil-j  ou  d(^  moindre  utilité  ;  la  Virginité  du  sol  et  sa  durabilité 
permeltaiont  que  pendant  dus  années  on  put  retirer  de  la  terre  la 
même  récolte.  Le  blé  étant  le  plus  prolltablo  des  grains,  on  ne 
semait  que  du  blé  et  on  semait  toute  la  terre,  no  gardant  de  bét;iil 
que  juste  pour  la  nécessité,  et  ne  calculant  pas  dans  ce  que  pro- 
duisent les  animaux,  l'engrais  qu'ils  fourniss-mt.  C'est  ainsi  que 
notre  sol  s'en  est  allé  s'appauvrissant  jusqu'à  ce  qu'épuisé  il  a 
cessé  di)  produire  le  blé,  ou  n'a  plus  produit  qu'un  grain  maladif 
et  sans  la  force  de  résister  aux  accidents  Le  mal  a  surgi  si  à 
coup,  il  était  si  |ieu  attendu  de  la  classe  agricole  qui  jouissait  sans 
souci  des  biens  du  présent,  que  le  découragement  a  saisi  bien  des 
cœurs  qui  se  sont  résignés  avec  l'apathie  du  désespoir  à  un  mal 
qu'ils  ont  cru  au-dessus  do  leur  pouvoir  de  faire  cesser.  Il  n'est 
pas  inutile  de  signaler  en  passant  que  l'abondance  des  récoltes  a 
produit  chez  )m  grand  nombro  le  goût  du  luxe,  qui  a  fait  que 
grand»  partie  de  notre  population  se  trouve  auj'^urd'hui  endettée  à 
un  fort  montant. 

Les  autres  défauts  de  notre  système  actuel  signalés  dans  la  plu- 
part des  communications  reçues,  tiennent  au  manque  d'instruments 
perfectionnés,  à  l'insufllsance  des  assèchements  dans  certains  dis- 
tricts, à  la  destruction  complète  de  nos  forêts,  dont  punie  devrait 
être  conservée  comme  abri,  et  partie  comme  sucreries.  On  signale 
encore  le  oeu  d'allenlion  parlée  par  la  législature  sur  le  sujet,  le 
manque  u'éducation  agricole  et  le  manque  de  marché. 

MOYENS    SUGGÉHÉS   POUH   l'aVANCEMBNT   DE   L'aGRICULTDRR 

Votre  comité,  dans  li  recommandation  de  moyens  à  employer 
pour  l'avancement  de  l'agriculture  dans  le  Bas-Canada,  n'a  pris, 
de  tous  ceux  qui  se  sont  présentés  ou  qui  ont  été  suggéiés,  que 


ceux  d'une  pralicabilitô  inconlestable  et  (l>>jà  mis  en  opératL^tf 
avt'C  succès  dans  d'autres  pajs.  LVnsemblo  des  nioyons  reconi* 
mandés  n'ontralnera  |)as  la  province  dans  la  dépense  d'une  somme 
plus  gr.'inde  que  celle  pour  laquelle  le  cndit  public  est  engagé 
uujourd'liui  un  vertu  de  la  I  i  existante,  en  y.joi);nant  le  don  voté 
chaque  année  à  la  socit^té  d'agriculture  dans  le  Das-Cinada  ]  ar  la 
l(*gislature. 

Lm  moyens  r.'commandi'S,  cl  dont  votre  comité  a  cru  devoir 
s'occuper,  sont  d -s  sociélés  d'ugrioiillure  dans  le  genre  de  celU-g 
qui  eXHlent  déjà  ;  des  fermes-modèl-'S  avec  écoles  d'agriculture, 
la  publication  <1e  traités  élémentaires  à  ôlre  répandus  gratuit<  ment 
au  sein  de  la  population  des  cam[)agnes  et  dans  iesecules;  la 
publication  M'iin  journal  et  la  création  de  deux  surintendants. 
Quant  à  la  formaiion  d'un  syslème  de  créd  t  agriroie  recommandé 
par  11)  révtrend  M.  l'ilote,  du  collège  de  Uainte-Aiine  ;  h  lu  constsre 
vation  et  uux  plantât  ons  d'arbres  comme  abri,  recommandés  par 
M.  Langevin,  et  à  beaucoup  d'autres  suggestions  importantes  et 
dignes  d'atliror  l'utleniion  des  amis  de  l'agriculture,  elles  ne  sont 
pas  du  ressort  de  la  lé^^islaluro.  D'ailleu  s,  toutes  ces  chos  s  entre- 
ront dans  les  attributions  des  surintendants,  dont  pirlie  des 
devoirs  sera  d'enseigner. 

Votre  comité  va  entrer  dans  l'ixamen  d<  ces  divers  modes 
d'avancements  et  des  résultais  cju'il  croit  avoir  droit  d'en  attendre  ; 
\ioiidra  ensuite  l'e.xposé  de  la  paitie  llnancièro  du  systè.ue  pris 
comme  un  tout. 

En  adoptant  la  détermination  de  recommander  l'emploi  simul- 
tané des  divers  moyens  ci-dessus  énonces,  vnne  comité  a  eu  en 
vue  de  se  conformer  aux  ditF  rentes  suggestions  (|ui  lui  ont  éié 
faite'',  et  ett  oontirmé  dans  la  propriété  de  lu  mise  en  pratique  de 
c»-s  «iitlérents  modes,  par  l'cxpt'rience  fournie  par  des  pays  elran* 
gers  où  un  [lareil  système  a  ojjeré  nierv»  illeusoment.  Votre  comité 
n'a  pns  perdu  de  vue  la  remarque  si  juste  «le  M.  Watts,  M.  P.  I' . 
qui  dit:  ■'  La  population  du  Bas-(  anada  n*est  pas  une  population 
'•  vo\ageu«e,  en  conséqueii»  e  les  moyens  d'instruction  doivent  être 
"  placés  à  la  porte  de  l'agriculteur.  "  Car  la  cond>inaison  de  plu- 
si- urd  moyens,  l'attention  de  la  classe  agricole  sera  attirée  de 
(fuelquo  côté  «ju'ello  tourne  s^'S  regardai;  et  une  fois  convaincu, 
une  fuis  entraîné,  nul  n'ira  plus  loin  dans  la  voie  des  améliorations 
que  l'agricuiteur  du  Uas-C<inada,  car  nul  plus  que  lui  ne  possède 
ij'intelligenco,  de  courage,  de  force  et  dVlres.'e. 

Les  sociétés  d'agricultiire,  telles  qu'elles  existent  et  qu'elles  sont 
conduites  aujourd'hui,  ont  fait  du  bien,  il  n'y  a  pas  à  en  douter,  et 
le  fait  est  constaté  dans  la  plupart  des  lettres  annexées  à  ce  rap- 
por!  ;  mais  en  môme  teir.ps,  il  est  certain  qu'elles  n'ont  pas  produit 
tous  les  résultats  qu'on  (n  attendait.  Dans  bleu  des  cas,  les 
<léponses  contingentes  et  les  frais  de  gestion  se  sont  montés  à  des 
sommes  exorbitantee,  eu  égard  aux  moyens  pécuniaires  de  ces 
sociétés;  |  arexemplo,  dans  les  rapports  mis  devant  votre  bonorable 
chambre  cette  année,  il  appert  qu'une  de  ces  sociétés  a  dépensé 
£31  pour  gérer  un  budget  do  £209  ;  une  autre  a  dépensé  £24  pour 


—  78- 

h^ft  Conilngents,  quand  I^  revenu  de  la  société  no  se  monlftil  quà 
£153  C'est  ce  qui,  rians  bien  des  localités,  a  cn^é  parmi  la  j»  jm- 
laiion  agricol)!  un  sentiment  de  malveillance  et  (lu  soupijon.  Il 
tiuvrait  se  truuver  flans  chaque  comté  (et.  il  y  en  a  dans  chaque 
comté)  un  nombre  suffisant  d'hommes  capables  et  asseie  amis  de 
leur  pays  pour  conduire  ces  a-sociation»  sans  recevoir  d'émolu- 
ments. Ur  appel  de  ce  genre  à  la  classe  instruite  ne  restera  t^ans 
écho  dans  aucun  comté  du  Has-(Janada.  Un  autre  défaut  de  ces 
ïociéles  est  signalé  par  MM.  i'insonnuult  et  Kvans,  dans  leur  rap- 
port  de  la  société  d'agriculture  du  BaS'Caiiada  pour  cette  annéu. 
"  Les  bienfaits  des  exijositinns,  "  dit  le  rapport,  "  sont  générale* 
"  ment  retirés  par  nos  meilleurs  cultivateurs,  capit:i!i<-tes  et  autres 
"  personnes  possédant  des  terres  en  bon  onlje,  tandis  que  ceux 
•'  qui  ont  réellement  besoin  d'instruction  et  d'encouragement  sont 
*•'  virtuellement  exclus.  " 

Par  la  loi  actuelle,  chaque  comté  a  droit  de  recevoir  nés  fonds 
consolidés  de  la  province  une  somme  triple  d'aucune  somme  sous- 
crite dans  le  comté,  pourvu  que  lu  somme*  octroyée  n'excède  pas 
£150.  Los  seul?  uomtésninsi  bénéliciés  sont  ceux  où  une  souscrip- 
tion se  l'ait,  et  en  cela  il  arrive  d'ordinaire,  ou  du  moins  il  est  rai- 
sonnable de  le  supposer,  il  arrive  «|uo  ceux  (jui  prolltent  de  ces 
dispositions  sont  justement  ceux  qui  en  ont  le  moins  besoin  ;  tel 
n'était  pas  le  but  de  la  législature  qui  avait  moins  en  vue  de 
récompenser  les  agriculteurs  avances  (jue  d'éclairer  ceux  qui  sont 
en  arrière,  et  ibrcer  po«ir  ainsi  dire,  ceux-c  à  améliorer  leur  sys* 
tème  par  l'appiU  do  récompenses  honoraoles  en  même  temps 
qu'elles  sont  protltubles.  Sous  ce  rapport  donc  l'octroi  pour  de 
telles  Sociétés  d'expositions  doit  ^^lre  genènil  et  s'appliquer  à  cluiquo 
comté  ou  division  de  comte  indépendamment  d'aucune  consid(;ra- 
lion. 

Une  des  causes  qui  ont  (ait  quts  les  sociétés  actuelles  n'ont  pas 
produit  les  résultais  attendu»,  c'est  ({ue  généralement  on  a  perdu 
île  vue  ti.'S  d"fauts  do  noire  système  qi''il  faut  faire  disparaître, 
et  qu'on  s'est  t;énéralement  borné  à  accorder  dos  récomjienses  pour 
les  plus  beaux  animaux  et  les  plus  beaux  échantillons  des  produits 
en  légumes  et  cénNiles.  Lohjei  de  cts  espèces  de  comices  ii(fiicnlr.s 
tsl  Ue  (/wérir  les  maux  du  .iijslrme  précalenl,  el  d'rngayer,  par 
l'espoir  de  distinclions  honornblis  et  d'un  gain  rationnel,  le  culiica' 
teur  à  tntreprendre  des  amélioralions  qui,  surpas.i<ées  um  autre 
cnniie  fiur  un  nouveau  compétiteur,  aee  une  n»ble  émulation  fi 
répand  de  proche  en  pi  oche  les  bons  effets  dfS  i>rogrès  pra  iques  H 
importe  donc,  dans  l'nijtention  de  ce  but,  que  la  plupart  des  récom- 
penses accordées  le  soient  en  faveur  d'a...élioratiuns  tendant  à  utta- 
i]wr  au  cœur  tes  vices  principaux  de  notre  mode  actuel;  votre 
vomilé  a  déjà  signalé  cts  défauts. 

Votre  comité  recommande  donc  l'emploi  d'une  partie  de  l'octroi 
en  faveur  des  sociétés  d'exposition,  le  montaift  à  <itre  distribu".  eu 
fgard  à  la  population  d'abord,  puis  à  la  superiicie  occupée,  deux 
considérations  qu'il  est  désirable  d'avoir  en  vue  dans  la  distribution 
tic  tommes  dettinié<*s  à  l'agriculture,  le  Bol  et  le  travail  ayant  une 


-79  — 

égale  part  dans  cette  industrio.  Dans  la  distribution  des  prix,  on 
devrait  prH\  oir  à  ce  f|ue  parmi  les  prix  accordés  il  t-n  soil  donno 
pour  les  objets  suivants,  et  autres  analogues,  savoir:  pour  la  m>'il- 
ifure  ri'^colle  de  légumes  |)our  bétail  ;  pour  la  plus  grande  quantité 
d'engrais,  naturel  ou  artiliciel,  employé  sur  la  terre  rt^laliveinent  à 
son  t-tendue ,  pour  la  plus  grande  quantité  do  compost  ou  d'en* 
grais  créé  par  le  travail  ;  pour  la  prairie  la  plus  productive,  par 
arpent  ;  pour  le  plus  nombreux  troupeau  nourri  de  produits  réi:ol* 
tés  sur  la  terre,  eu  égard  à  son  étendue.  Le  but  de  ces  diiïéroiits 
prix  est  évident.  L'engrais  manque  à  la  terre,  mais  il  se  trouve 
sous  la  main  dans  le  poisson  et  les  varechs  du  bas  du  (leuve,  dans 
les  tourbes  de  nos  savanes,  dans  l'application  des  différents  amen' 
déments  naturels  ;  ces  prix  ont  pour  but  d'engager  le  cultivateur 
à  donner  à  la  terre  ces  engrais  qui  le  mettront  à  môniK  de  pouvoir 
nourrir  un  brtuil  plus  nombreux  qui,  à  son  tour,  fournira  ù  la  terre 
tous  les  sucs  dont  elle  a  besoin. 

Votre  comité  doit  se  borner  à  un  exposé  général  et  succinct  des 
différents  moyens  qu'il  prend  la  liberté  de  recommander  à  voire 
honorable  chambre  ;  mais  no  peut  laisser  le  sujet  de  ces  sociétés 
sins  exprimer  l'opinion  que,  dans  tous  les  cas,  les  récompenses  ne 
devraient  être  adjugées  qu'à  des  agriculteurs  vivant  exclusivement 
de  l'industrie  agricole,  tous  autres  comixHiteurs  n'ayant  droit  qu'à 
une  mention  honorable. 

Votre  comité  en  vient  maintenant  aux  écoles  d'agriculture  et  aux 
fermes-modèles.  Il  est  impossible,  à  moins  de  dépens''S  énormes, 
d'établir  des  écoles  si^M'ciales  d'agriculture  accompagnées  de  fermes' 
modèles  sur  un  grand  pied,  l'ar  des  calculs  dont  l'exactitude  n'est 
pas  le  moins  du  monde  révoquée  en  doute  par  votre  comité,  il 
appert  que  chacune  de  ces  fermes-écoles  ne  colletaient  pus  moins 
de  £3,000,  et  peut-être  ne  seraient-elles  fnvpienlées  que  pur  quel- 
ques élèves  appartenant  i  la  claase  qui,  par  sa  position,  en  a  le 
moins  besoin  ;  c'est  donc  dans  les  institutions  maintenant  IW-quen- 
lées  par  la  jeunesse  qu'il  faut  aller  chercher  l>'S  moyens  d'établir 
de  pareilles  ecoK'S.  Votre  comité  a  le  plaisir  de  citer,  eiitr'autre 
autorité  à  l'appui  de  son  opinion,  celle  si  puissante  de  M..lolinston, 
exprimée  par  lui  dans  le  rapport  qu'il  a  fait  de  son  exploration 
dans  le  Nouv>^au-Biunswick. 

Heureusement  que  de  telles  institutions  e;{i!'tent  dans  le  Bas' 
Cdnadi,  comparables  ù  celles  des  pays  les  mieux  favorisas  ;  heu- 
reus*:ment  que  nous  avons  une  classe  d'hommes  dans  ces  institu- 
tions à  qui  de  pelis  moyens  sullisent  pour  ojiérer  de  grand'>s 
choses,  (|ui,  ayant  dit  un  éternel  adieu  &  toutes  les  jouis-ianc<  s  de 
la  terre,  excei  lé  celle  de  faire  du  bien,  ne  se  trouvent  ni  dans  la 
nécessité  ni  dans  la  position  d'exiger  de  salaires  :  mais  consument 
toute  leu:  vie  à  l'éducation  de  la  jeunesse,  avec  la  seule  condition 
de  la  nourriture  et  du  vêlement. 

Votre  comité  suggère  tlonc  un  octroi  spécial  et  annuel  à  chacun 
des  collHgHS  de  Saint-Hyacinthe,  L'Assomption,  Nicolet  et  Sainte* 
Anne,  à  lia  condition  d'ouvrir  à  leurs  élèves  une  ciiaire  agronc 
mitiue,  et  de  cultiver  comme  fermes-modèles  une  terre  dans  le 


—  80  — 

Voisinage  immédiat  de  rinslitutlon.  Voire  comité  n'a  pas  consulté 
les  directeurs  de  ces  difrérentes  institutions,  mais  nu  nourrit  aucun 
ilouto  sur  leurs  dispositions,  et  ne  craint  pas  de  se  porter  garant 
(le  leur  bon  vouloir  ;  un  octroi  semblable  pourrait  être  fuit  dans 
i  s  townsbips  pour  le  môme  objet,  ù  l'une  des  académies  où  une 
partie  de  la  jeunesse  de  langue  anglaise  reroit  son  éducation  ;  pur 
ce  moyen  et  avec  une  dépense  moindre  que  celle  nécessaire  à  l'éla* 
blissoinent  d'une  e^culn  institution  séparée,  avec  des  garunlii-s 
centuples  do  su.'cès,  on  ollrirail  au  pays  cini]  institutions  où  touti; 
la  jeunesse  du  pays  irait  prendre  des  connaiss'anceâ  sur  le  noblo 
ori  de  l'a^'riculture,  connaisi<ances  que  tous  les  ans  des  centaines 
du  jxunes  gens  iraient  mettre  en  pratique  pour  hnir  compte,  ou 
enseigner  ù  leurs  compat*  iotes  sur  tous  les  points  du  pays.  Votre 
comité  est  teiltMuent  convaincu  du  l'importance  d'une  telle  dispo- 
sition, qu'il  exprime  sans  crainte  la  conviction  que  cela  seul  ost 
(Ifsliné  a  faire  faire  à  l'af^ricullure  du  Bas-dunada  plus  du  progrès 
qu'il  n'ost  physiquement  possible  de  toute  autre  manière.  Votre 
comité  en  ne  recuinniandant  ({u'un  certain  nombre  du  collèges  et 
une  académie,  n'a  pas  eu  l'intention  de  dépn-cier  lus  autres,  mais 
n'a  té  mu  en  cela  (fue  par  la  petitesse  dt  s  moyens  sur  lesquels  il 
uvait  à  compter. 

Le  moyt^n  suivant  do  nipandre  l'éducation,  moyen  que  voire 
coinitK  ne  saurait  trop  recommander,  est  la  publicaiion  d'un  traite 
elt-menlaire  irugriculture  pratique,  à  ôtre  imprimé  sous  forme  du 
pamphlot,  et  répandu  gratis  dans  toutes  les  écoles  et  au  sein  do 
chaque  ÎHmi  le  d'agriculteur. 

Un  pareil  traite,  pour  être  util';  et  obtenir  tout  le  but  désiré 
coniniu  le  font  remarquer  le  Dr.  Uubé  et  le  révérend  M.  Farland, 
devra  ôtre  court,  précis  et  clair,  dubarrassi*  do  tous  termi'S  scienli- 
tl({ues  et  de  IuuIhh  idées  spéculatives  ;  se  réduire  en  un  mot  à 
en^eigniT  au  cu.tivateur  les  moyens  d'amender  son  syslème  par 
une  rotation  appropriée  de  semences,  par  la  production  ut  l'appli- 
tiulio  1  des  engrais,  et  pur  l'augmentation  et  l'amélioration  du 
bétail,  (  l  cela  avec  le  seul  capital  que  représente  son  travail  et 
celui  <le  su  fu-nille.  Votre  comité  recommande  donc  un  concours  à 
ùlru  ouvert  el  un  ;  rix  à  are  accordé  au  meilleur  traité  iUmenlaire 
(Cagriculliire  pralique,  réunissant  les  dil^rentes  qualités  qui 
viennent  d'être  signalées.  Un  ^A  livre,  de  quelque;*  pages  seule- 
ment, répandu  avec  profusion  dans  les  campagnes,  sera  1*^  sujet  de 
discussions  et  d'étuaes  pratiques  qui  ne  peuvent  manquer  d'attirer 
l'altention  du  cultivateur,  et  produire  de  suite  un  tres-grund  bien. 
On  sait  l'inHuonce  immense  que  des  pamphlets  ainsi  distribues 
ont  eu  sur  les  moeurs  et  sur  la  politique  des  peuples.  On  devrait 
dans  les  écoU-s  faire  de  cet  opuscule  un  livre  de  lecture  ;  l'enfant 
i>ans  travail  se  remplira  l'idée  des  améliorations  qui  y  sont  indi- 
<|uees,  et  les  mettra  plus  tard  en  pratique,  il  n'y  a  pas  ù  en  douter. 

Votre  comité  suggère  encore  de  continuer,  avec  unu  augmenta- 
lion,  l'octroi  annuel  accordé  à  la  société  d'agriculture  du  Bas- 
Canada,  à  la  condition  de  continuer  la  publication  du  Journal 
d^VgricuUure  en  français  et  en  anglais,  et  de  travailler  à  augiuen* 


—  SI  — 

ter  sa  bibliothèque,  et  do  tenir,  comme  elld  Tait  aujourd'hui,  ua 
grenier  pour  semences. 

Votre  comité  est  d'opinion  que  la  nomination  de  deux  surinlea- 
dants  d'agriculture,  un  pour  les  districts  do  &Sonti-éal.  Saint» 
Fraii^tois  et  de  l'Uttawa,  et  l'autre  pour  les  districts  de  Québec, 
Gaspe  et  Kamouraska,  est  indi^^pen^able  Le  surintendant  formera 
l'administratir  de  tout  le  système,  et,  joint  aux  professeurs  d'agri» 
culture  dans  les  colli-ges,  constituera  le  corps  enseignant  ;  ses 
devoirs,  tels  que  conçus  par  votre  comité,  seraient  la  visite  annu- 
elle des  districts  souâ  sa  jurisdiclion  ;  la  publication  d'un  rapport 
annuel  contenant  autant  que  possible  la  description  des  difTerents 
sols,  d'i  leur  exposition,  des  moyens  d'umeliorations,  le  signalement 
des  vices  de  culture  et  l'indicHtion  des  moyens  d'y  rem--dier  ;  en 
un  mot,  co  rapport  sérail  le  mode  dont  se  servirait  le  surintendant 
]K)ur  faire  connaître  au  public  le  résultat  de  ses  recherches  et  de 
ses  études. 

Le  surintendant  devrait  se  mettr')  en  rapport  avec  le  géologue 
provincial  et  le  chimiste  sous  ses  ordres,  alin  do  pouvoir  tirer  pa:tie 
des  lumières  que  la  géologie  et  la  chimie  j  -ttent  sur  l'industrie 
agricole.  Il  serait  en  outre  d'ofDce  un  des  directeurs  de  toutes  les 
sociétés  d'expositions  et  de  la  société  d'agriculture  du  Bas-Canada, 
et  visiteur  des  écoles  agricoles  dans  les  séminaires  et  académies. 

Voilà  l'ensemble  des  moyens  que  votre  comité  croit  devoir 
recommander  ù  votre  honorable  chambre,  et  dont  la  dépense  col- 
lective ne  dépasse  pas  le  montant  aujourd'hui  appropri>>,  comme 
le  comité  va  le  démontrer  plus  loin.  t<i  votre  honorable  chambre 
croyait  devoir  augmenter  la  somme  aujourd'hui  appliquée  &  l'en- 
nouragement  de  l'agriculture,  somme  bien  minime,  si  l'on  tient 
compte  de  l'immense  impcrtance  de  cette  branche  de  l'économie 

Ïublique,  et  si  on  la  compare  aux  sommes  dépensées  et  promises 
d'autres  genres  d'industries  bien  dignes  d  occuper  l'attention, 
sans  doute,  mais  dont  l'importance  est  loin  de  celle  de  l'agricul- 
ture. 8i  denc  votre  honorable  chambre  était  disposée  à  augmenter 
de  quelques  centaines  d-3  louis  le  montant  de  l'octroi,  alors  votre 
comité  recommanderait  co  qui  suit.  Augmenter  le  nombre  dea 
écoles  d'agriculture  attachées  aux  collèges  et  académies,  et  accor- 
der, dans  diiïérentes  parties  du  Bas-Canada,  une  somme  annuelle 
■de  £200,  à  quelque  bon  cultivateur  possédant  une  bonne  terre  et 
un  nombre  sufllsant  d'animaux,  joints  à  l'avantage  d'une  éducation 
élémentaire,  à  la  condition  de  cultiver,  sous  la  direction  immédiate 
du  surintendant  do  son  district,  sa  propre  terre  sur  un  pie<l  modèle, 
avtfc  Tobligalon  de  montrer  et  d'expliquer  h  tout  visiteur  les 
<létails  do  sa  culture.  (>-tte  somme  do  £200,  jointe  aux  moyens 
déjà  posséd'S  par  tel  cultivateur,  le  mettrait  à  môme  d'améliorer 
sa  culture,  la  race  de  ces  animaux,  et  de  se  procurer  des  instru- 
ments supérieurs,  en  mô  ne  temps  i|u'elle  lui  permettrait  de  dis- 
poser d'une  partie  de  son  tenq>s  à  expliquer  les  détails  de  son  art  i 
ses  visiteurs.  C'est  le  seul  moyen  que  votre  comité  voit  d'établir, 
de  dislance  en  distance,  des  fermes-modèles  de  nature  à  rencontrer 
les  besoins  et  à  être  à  li  portée  du  commun  des  cultivateurs,  qae 

6 


—  82  - 

les  fermes  tenues  sur  un  grand  pied  et  à  gros  frais  tendraient 
plutôt  i  décourager  qu'à  instruire. 

Votre  comité  se  résume  ainsi  :  le  sol  et  le  climat  du  Bas-Canada 
sont  favorables  à  l'exploitation  agricole. — le  peuple  est  laborieux, 
intelligent,  et  cependant  ce  peuple  ne  retire  pks  de  la  terre  plus 
du  quart  de  ce  qu'elle  peut  produire.  La  cause,  c'est  que  le  sytème 
de  cultive)*  est  mauvais.  Les  défauts  principaux  de  ce  système, 
sont:  lo.  le  manque  de  rotation  appropriée  dans  les  semences  : 
2o.  le  manque  ou  la  mauvaise  application  des  engrais  ;  3o.  le  peu 
de  soin  donné  à  l'élève  et  à  la  tenue  du  bétail  ;  4o.  le  défaut  d'as- 
sèchement dans  certains  endroits  ;  5o.  le  peu  d'attention  donnée 
aux  prairies  et  à  ta  production  des  légumes  pour  la  nourriture  des 
troupeaux  ;  60.  la  rareté  des  instruments  perfectionnés  d'agricul- 
ture. 

Les  moyens  recommandés  sont  :  lo.  des  sociétés  de  comté  ;  2o.  le 
choix  de&  |>rix  à  accorder  dans  les  différentes  expositions:  3o. 
rétablissement  d'écoles  d'agriculture  et  de  fermes-modèles  dans 
nos  collèges  et  académies;  4o.  la  publication  de  traités  élémen- 
taires d'agriculture  ;  5o.  la  publication  d'un  journal,  avec  et  en- 
semble l'établissement  d'une  bibliothèque  et  d'un  grenier  public  ; 
60.  la  nomination  de  surintendants  de  l'agriculture. 


Votre  comité  croit  avoir  recommandé  à  votre  honorable  cham- 
bra un  sy>tèmc  complet  et  praticable,  et  est  appuyé  en  cela  sur 
l'opinion  de  savants  étrangers,  sur  les  recommandations  à  lui 
faites  par  les  persotînes  cuiisuitées  sur  le  sujet  et  sur  rexf>érience 
de  pareils  moyens  employés  en  Europe  et  dans  plusieurs  états  de 
l'union  américaine. 

Votre  comité,  en  conformité  à  l'ordre  de  votre  honorable  cham- 
bre, s'est  encore  occupé  des  moyens  à  prendre  pour  faciliter  l'éta- 
blissement des  terres  incultes,  seul  espoir  d'arrêter  cette  lièvre  de 
l'émigration  qui.  depuis  Quelques  années,  a  fait  des  ravages  parmi 
U  jeunesse  du  Bas-Canada. 

Votre  comité  ne  fera  aue  quelques  remarques  sur  ce  sujet  qui. 
l'an  ilemier,  a  occupé  i'attentioD  d'un  comité  nommé  par  votre 
honorable  chambre,  pour  s'enquérir  des  causes  de  l'émigration 

Soi.  du  Bas-Canada,  se  dirige  vers  les  Btats-Unis,  sur  le  rapport 
uquel  votre  comité  prend  la  liberté  d'attirer  l'attentjon  de  votre- 
honorable  chambre. 

Les  moyens  principaux  d'engager  la  jeunesse  du  pays  à  s'établir 
sur  les  terres  de  la  couronne  sont  :  «l'abord,  l'arpentage  de  ces 
terres  et  l'ouverture  de  chemins  qui  puissent  permettre  au  pauvre 
défncheur  de  se  rendre  avec  facilité  sur  le  lieu  où  il  doit  commen- 
cer, seul  et  sans  secoure,  une  des  conquêtes  les  plus  difficiles,  mais 
U  plus  noble  de  toutes. 

Qu'il  soit  permis  à  votre  comité  de  faire  remarquer  i  votre  hono- 
rable chambre  que  chaque  somme  dépensée  pour  l'objet  dont  il 
est  question,  est  un  prêt  avantageux  pour  l'état  par  la  vente  des 
terres  de  la  couronne  et  l'augmentation  de  la  population,  dont 
chaque  individu,  même  le  plus  pauvre,  est  une  source  de  revenu 


—  83  - 

qui,  par  plusieurs  canaux,  vient  fournir  au  trésor  public,  indt'pen- 
(lamm-^nt  de  celle  considération  qui  ne  peut  qu'èlre  une  réponse  A 
certaines  objections  que  l'on  élève  contre  ces  améliorations  (jui, 
par  elks-môme  ne  donnent  point  de  revenus,  il  est  du  devoir 
d'un  bon  gouvernement  de  pourvoir  aux  premiers  besoins  de  son 
peujile;  or  l'ouverture  de  chemins  et  l'arpentage  des  terres  de  la 
couronne  sont  les  deux  jtremiers  besoins  d'un  nouveau  pays,  et 
c'est  le  ht'soin  urgent  du  moment  pour  le  B;is-(îaiiiida. 

Voire  comité  recomm;inde  donc  à  vo're  honoreble  chambre 
d'obtempérer  aux  nombreuses  demandes  que  le  peuple  du  Bas* 
Canada  lui  fail  depuis  plusieurs  années.  Si  l'état  financier  du  pays 
ne  permettait  pas  d'entreprendre  ces  divers  chemins  et  ces  arpen- 
tages par  les  moyens  ordinaires,  voire  comité  prendrait  la  liberté 
de  suggérer  à  votre  honorable  chambre  le  moyen  suivant,  savoir  : 
l'émission  de  débentures  portant  intérêt,  et  rachetables  à  une 
époque  voisine  de  l'échéance  rlu  paiement  des  terres  vendues  En 
émettant  pour  un  dixième  de  la  valeur  d'un  nouveau  township,  il 
n'y  a  aucun  doute  qu'on  pourrait  pourvoir  à  tous  les  besoins  «les 
colons  de  ce  township,  et  que  le  rachat  des  débentures  ne  soit 
chose  facile  au  bout  de  i|uelques  Années,  la  vente  des  terres  lais* 
tant  un  résidu  dont  le  montant  collectif  sera  certainement  double 
de  ce  quest  aujourd'hui  le  revenu  territorial, sous  un  sy.^lènii'  qui, 
au  lieu  de  faciliter  rétablissement  de  la  jeunesse  du  pays  sur  les 
terres  incultes,  semble  leur  opposer  toutes  eapècfs  d'obsiaclfs. 

Quant  aux  autres  moyens  de  faciliter  le  défriolienwnl  des  (erres 
incultes,  votre  comité  réfère  votre  honorable  .  hambro  au\  lettres 
qui  constituent  l'aitpendice  du  rapport  de  ce  comité,  et  particuliè» 
rement  à  celles  des  révérends  MM  Farland  et  Héhert,  Mais  avant 
de  iwi'minor  sur  le  sujet,  votre  comité  croit  devoir  remoniuer  ([uon 
devrait  toujours  avoir  en  vue  l'intention  de  coloniser  par  grands 
établissements,  et  dans  ce  but,  rien  ne  senti  mieux  que  dn  favo- 
riser ces  associations  de  colons  qui  se  forment,  et  encountger  le 
peuple  à  en  former  d'autres,  soit  en  leur  donnant  les  moyens  de 
f&\r^'  des  chemins  et  autres  améliorations  né.:essair.'8  dans  de  nou- 
veaux établissements,  soil  en  faisant  ù  rassociation  remise  d'une 
proportion  sullisante  au  prix  des  terres  pour  fournir  aux  dépenses 
de  CHS  travaux. 

Le  tout  respectueusement  soumis, 

J  -C.  Tach*. 

Président. 


L'AGRICULTURE. 


L'KTAT  OU  EN  EST  L'ART  EN  NOTRE  PROVINCE. 


LES  MOYENS  DE  LE  FAIRE  PROGRESSER. 
Pu  l'abbé  PROVANCHER. 


Ofortanktot  niminm,  «naiibona  norint 
AirricolMl — Virgile.  Utorgiqur»,  Ut.  II. 

()  beareux  AttriculUura,  s'iU  coun»i»- 
Mient  ton*  les  «TMitaget  de  leur  position  ! 


L'homme,  lo  pi  as  bel  ouvnige  sorti  dos  mains  do  In 
toute-puissance  incréée,  avait  été  constitué  roi  de  ce 
monde,  c'est-à-dire  jouissant  d'un  domaine  absolu  sur 
tous  les  êtres  de  la  nature,  et  n'étant  dominé  par  aucun 
d'eux. 

Mais  égaré  par  son  orgueil,  l'homme  dévia  de  la  justice 
otdu  devoir,  il  se  révolta  contre  son  seul  maître,  et 
Ncella  par  pa  désobéissance  la  porte  de  sa  royauté. 

AsHUJéti  auparavant  à  nulle  créature  ;  il  les  vit  toutes 
à  In  fois  se  soulever  contre  lui  pour  le  dominer,  et  la 
nature  entière  se  déclarer  son  ennemie. 

Frappé  par  la  main  toute-puissante  qui  l'avait  tiré  du 
néant,  mis  à  lu  porte  de  cet  FÀlcn  où  il  avait  été  placé, 
et  où  toutes  les  délices  se  réanissAient  pour  lo  rendre 
heureux,  condamné  au  travail  et  à  toutes  sortes  de 
misères,  il  se  rappelle  encore,  dans  son  exil,  le  bonheur  do 
6tts  premiera  jours,  et  fait  do  continuels  efforts  pour  lo 


—  80  — 

resaihir.  Et  comme  ontro  toutes  les  prérogatives  dont  il  a 
été  dépouillé,  collo  de  son  indépendance  lui  a  é,té  la  plus 
sensible,  c'est  contre  cet  assujétissement  de  la  ])art  de 
tout  ce  qui  l'environne,  qu'il  lutte  aussi  «ans  cosse  avec 
le  plus  d'efforts. 

Qu'est-ce  que  cette  liberté  que  toutes  les  nations  ont 
si  fort  estimée,  jusqu'au  point  souvent  de  préférer  l'a- 
néantissement comme  peuple  à  sa  soustraction  ?  Si  non, 
un  aflranchissemcnt  partiel  des  mille  sujétions  qui  nouH 
dominent. 

Qu'est-ce  que  cette  indépendance  que  tout  individu 
convoite  et  pour  laquelle  il  travaille  sans  relâche  ?  Si 
non,  une  réacquisition  partielle  du  domaine  perdu  par 
notre  premier  père. 

Voyez  chaque  nation,  chaque  tribu,  chaque  individu 
dans  le  trouble,  les  soucis,  le  mouvement;  pourquoi  s'agi- 
tent-ils? Dans  quel  but  se  tourmentent-ils?  Interrogez-les; 
les  uns  et  les  autres  vous  feront  tous  la  même  réponse  : 
"  C'est  pour  la  liberté,  pour  l'indépendance." 

L'homme  le  plus  heureux  sur  la  terre  est  donc  celui 
qui  jouit  le  plus  de  liberté,  qui  possède  la  jplus  grande 
somme  d'indépendance,  qui  s'est  ait'ranchi  d'un  plus 
grand  nombre  des  lions  qui  ca)>tivaiont  ses  désirs.  Tous 
le  proclament,  etlaplus  saine  philosophie  n'est  en  aucune 
façon  opposée  à  ce  principe. 

Entendez  les  moralistes  chrétiens  nous  dire  quelaplus 
grande  somme  de  bonheur  sur  la  terre,  se  trouve  dans 
celui  qui,  par  un  généreux  et  sublime  effort,  a  renoncé  à 
sa  propre  volonté,  pour  se  soumettre  A  un  code  de  règles 
connu  d'avance,  ou  à  la  direction,  dans  toutes  ses  actions, 
d'un  supérieur  qu'il  s'est  librement  donné.  Aussi  les 
livres  sacrés  proclament-ils  que  ce  juste  verrait  le  monde 
s'ébranler  iusque  dans  ses  fondements,  qu'il  n'en  serait 
point  troublé  !  Pourquoi?  Parce  qu'il  n'a  plus  de  volonté 
propre. 

Un  jour,  un  grand  génie  des  temps  anciens  fut  ren- 
contré dans  les  rues  d'une  ville  avec  une  chandelle  allumée 
en  plein  jour.  Interrogé  sur  une  conduite  si  étrange,  il 
répondit  qu'il  cherchait  un  homme.  Eh  !  qu'entendait-ii 
donc  par  cet  homme  qu'il  ne  pouvait  trouver  ?  Il  vou- 
lait un  homme  qui,  comme  lui,  s'était  affranchi,  le  plus 
possible,  des  liens  qui  gênaient  sa  liberté.    Diogène,  car 


—  87  — 

c'e»t  de  lui  qu'il  s'agit  ici,  roulant  un  tonneau  devant  lui, 
pour  s'assurer  un  gite  contre  les  intempéries  de  l'air,  et 
portant  une  ccuollc  à  la  main,  pour  ctancher  sa  soif  au 
premier  ruisseau  venu,  vit  une  lois,  un  jeune  homme 
prendre  do  l'eau  dans  le  creux  de  sa  main  pour  se  dé- 
8altéi*cr.  **  En  voici  un  plus  sage  que  moi, s'écria- t-il  ;  je 
veux,  à  son  exemple,  me  débarrasser  encore  d'une  autre 
sujétion."  Puis  il  jeta  son  écuello  au  loin. 

Le  philosophe  grec  oubliait  sans  doute,  que  dans  notre 
condition  actuelle,  l'indépendance  absolue  est  impossi- 
ble ;  qu'en  paraissant  se  défaire  do  lions  d'un  côté,  il  s'en 
créait  par  cela  même  d'un  autre  ;  que  le  dénuraont  au- 
quel il  s'astreignait,  l'as^ujétissait  à  de  nombreux  besoins 
que  la  seule  conservation  de  la  vie  nous  rend  nécessaires; 
mais  il  n'en  avait  pas  moins  trouvé,  par  les  seules  lu- 
mières de  la  raison,  le  principe,  le  fondement,  la  base  de 
la  véritable  liberté. 

Pour  nous,  plus  éclairés  que  Diogène,  et  plus  sages 
aussi,  pour  avoir  pu  puiser  aux  sources  de  la  véritaolo 
sagesse,  modifiant  un  peu  le  principe  qui  constituait  sa 
règle  do  vie,  nous  dirons  que:  assujétis  dans  notre  con- 
dition actuelle  à  une  foule  do  devoirs  et  de  nécessités, 
l'homme  le  plus  heureux  est  celui  qui  a  le  plus  petit 
nombre  de  devoirs  à  remplir,  et  la  moindre  somme  de 
nécessités  pour  le  gêner  dans  ses  allures.  Or,  parmi  tous 
les  états  de  la  sociétéé  civile  actuelle,  nous  n'hésitons 
pas  à  proclamer  que  l'homme  des  champs,  le  cultivateur 
qui  vit  de  son  travail,  est  celui  qui  possède,  avant  tous 
les  autres,  ces  deux  conditions. 

Oui  !  le  cultivateur  est  partout  le  citoyen  le  plus  indé- 
pendant. Seul  il  tire  du  sol  do  quoi  fournir  à  ses  besoins 
et  à  ses  nécessités  ;  seul  il  peut,  pour  ainsi  dire,  se  pa:'ser 
du  secours  d'autrui,  tandis  que  nul  autre  ne  peut  se 
passer  de  lui.  Les  savants,  avec  toute  leur  science,  les 
chefs  dos  peuples,  avec  toute  leur  autorité,  les  Crésus, 
avec  leurs  monceaux  d'or,  périraient  tous  misérablement 
sans  le  secours  du  cultivateur.  Renfermé  dans  sa  mé- 
tairie, il  peut,  jusqu'à  un  certain  point,  se  constituer  lui- 
même  son  maître,  son  seigneur  et  son  roi.  Contraire- 
ment à  toutes  les  autres  conditions,  plus  il  se  prive  du 
commerce  de  ses  semblables,  et  plus  la  vie  lui  devient 
douce  et  facile.    Plus  que  tout  autre,  il  peut  se  passer 


—  88  — 

du  notairci,  do  l'ftvocQt,  du  médecin  ;  pour  bob  propre» 
besoinH,  il  trouve  diifirtsa  t'amillo  m6mo  non  mccanioion, 
son  indu8triul,  Hon  tisserand,  Bon  tnillour.  Et  que  dovion- 
draiont  «anH  lui  l'avocal  avec  hob  doBBiorH,  lo  notaire  avec 
BOB  irinutes,  lo  moducin  avec  hONpilluicB?  Toub  con- 
vor/ifont  vers  lui,  B'adroHhont  à  lui,  po  re])08ent  Hur  lui 
pour  en  obtenir  qui  Hon  pain,  qui  bu  viande  et  Hon  beurre, 
qui  MOH  v6tementB  et  Ich  aliment»  nécuMBaircB  A  bob  ani- 
maux de  Borvico.  Confiné  dauB  Mon  domaine,  HaiiB  mémo 
avoir  imité  la  )>révoy»noo  du  norvitour  du  roi  ancien,  il 
est  le  JoHoph  qui  fournit  les  proviniouH,  non  Beulemont 
à  touB  IcB  nubitantH  do  l'Kgypto,  maiH  encore  i\  ceux  dos 
payM  mêmes  Iob  plus  éloignes.  Il  voit  tout  le  monde 
accourir  à  lui,  |  our  lui  oiVrir  Iob  mille  produitH  de  leur 
induHtrie  en  échange  dcB  productionn  do  hob  champs. 

Et  quelle  protection  n'a  pas  l'agriculteur  contre  l'ad- 
verBÎté,  contre  cette  multitude  d'nccidontB  innépiirabloB 
do  notre  fkiblo  et  ]iériBsable  humanité  I  Tandisque  dans 
toutOB  les  autroB  condition^:,  le  travail  de  chaque  jour 
semble  être  l'unique  canal  qui  ])ourv<>it  aux  bo.«oinH,  et 
dont  le  cours  se  tmuve  interrompu  du  moment  que  Iob 
bras  B'arrètent,  le  cultivateur  a  uarm  («on  fondH  une  roB- 
Bource  toujourn  etficace  contre  Ioh  reverB.  Une  récolte 
vient-elle  à  manquer?  Sa  propriété  lui  otfre  un  eré<lit 
pour  résister  à  cet  accident.  Une  blossuro,  une  maladie 
vîonnont-olloH  le  confiner  dans  sa  demeure,  le  forcer  à 
l'inaction  durant  des  semaines  et  des  mois?  Ses  champs 
n'en  continuent  pas  moins  è.  pousser,  la  laine  de  ses 
brebis  à  so  refaire  pour  b(>s  liMltitH,  ses  troupeaux  à  lui 
livror  leur  lait  et  &  prendre  de  lu  ;;iaisse  pour  sa  nour- 
riture. Son  fonds  est  tout  à  la  fois  pour  lui,  sa  btin(]ue 
d'épargne  et  do  prévoyance,  son  assurance  contre  les 
accidents,  ot  sa  caution  toujours  prête  pour  lui  obtenir 
loB  crédits  nécessaires. 

Sans  doute,  qu'au  point  de  vue  où  en  eBt  la  civilisa- 
tion aujourd'hui,  et  relativement  au  degré  do  prospérité 
où  l'on  veut  amener  un  état,  les  difiérentes  positionM 
sociales  ne  sont  pas  moins  nécossaires  les  unes  que  les 
autres,  ot  que  toutes  doivent  se  prêter  un  mutuel  se- 
cours, s'harmonise v'  ensemble  pour  tendre  au  but  com- 
mun ;  mais  il  n'en  est  pas  moin»  vrai  que  l'ugriculture 
est  le  pivot  Bur  lequel  doivent   s'appuyer  tous  los  roua- 


—  89  — 

g08  qui  peuvent  contribuer  nu  blen-ôtro  général  ;  que 
Bans  ollo  la  prospérité  duns  un  état  ne  |)eut-C-tre  qu  éphé- 
mère, ou  du  moins  fort  inconMtanto,  par  co  qu'elle  nuin- 
que  de  base  Holido  ;  et  que  c'est  par  conséquent  vers 
elle,  que  doivent  tout  d'ubord  se  tourner  les  regai-ds  do 
l'autorité,  hI  elle  veut  s'assurer  une  marche  constante 
et  sfiro  dans  la  voie  du  progrès,  si  elle  veut  parvenir  à 
l'état  do  prospérité  auquel  elle  vise. 

Mais,  si  l'agriculteur  est  ce  citoyen  nécessaire,  indis- 
pensable, vers  lequel  doivent  se  tourner  tous  les  regards, 
comment  se  fait-il  donc  qu'il  soit  généralement  si  peu 
(•<uisid<n>,  qu'on  le  relègue,  pour  ainsi  dire,  dans  les 
derniers  rangs  de  la  société  ? 

Peu  considéré?  par  des  esprits  aveugles  ou  faux,  peut- 
être,  mais  non  par  les  patriotes  sincères,  par  les  esprits 
éclairés,  par  les  intelligences  supérieures.  Je  no  nio 
pas  que  très-souvent  le  cultivateur  occupe  les  derniers 
rangs  dans  les  préséances;  mais  cette  infériorité  appa- 
rente n'a  rien  (l'outrageant  ])Our  lui,  rien  qui  le  blesse; 
par  ce  que,  peu  habitué  d'ordinaire  A  figurer  dans  la  so- 
ciété, il  ])réfère  l'obscurité  à  la  mise  en  scène;  son 
ambition  ne  le  i)orte  pas  à  désirer  un  rang  que  iaculture 
de  son  esprit  lui  intordit  en  quelque  sorte.  Il  sait  que 
les  dons  de  la  Providence  ont  été  diversement  distribués 
aux  hommes,  ot  il  est  satisfait  du  lot  qui  lui  est  échu  en 
partage.  La  vigueur  do  ses  muscles,  son  adresse  dans 
les  (litT'èrontes  manipulations  du  sol,  no  sont  pas  moins 
utiles  que  lu  science  du  savant  qui  pénètre  les  secrets  do 
la  nature,  que  le  génie  des  inventeurs  qui  trouvent  tous 
les  jours  de  nouveaux  moyens  d'utiliser  la  matière. 
Humble  dans  ses  goûts  comme  dans  scg  aspirations,  il 
ne  recherche  nulle  part  les  jiremières  pinces,  et  voit, 
sans  dépit,  briller  à  côté  do  lui,  des  talents  dans  cer- 
taine carrière,  qui  feraient  la  plus  triste  figure  s'ils  en- 
treprenaient devenir  lutter  dans  la  sienne. 

Pour  le  dire  en  un  mot,  c'est  la  culture  do  l'intelli- 
gence, c'est  l'éducation  qui  lui  manque,  qui  retient  le 
cultivateur  dans  cette  infériorité  apparente.  Aussi,  mon- 
trez-moi un  cultivateur  instruit,  et  je  le  proclame  de 
suite  lo  premier  citoyen  de  son  pays;  car  si  t>a  culture 
intclloctuollo  peut  le  rendre  l'égal  des  chefs  dans  les 
autres  carrières,  il  peut  réclamer  des  avantages  do  pre- 


—  90  — 

mier  ordre  qui  n'appartiennent  qu'à  la  sienne  propre. 
N'est-ce  pas  lui,  eu  effet,  qui  tient  au  boI  qu'il  habite 
par  les  plus  profondes  racines?  N'est-ce  pas  lui  qui 
forme  ce  peuple  qui,  avant  tous,  constitue  l'Etat?  Quelle 
autre  condition  dans  la  société  peut  aflScher  comme  lui 
autant  d'indépendance?  Au  médecin  il  peut  dire  :  pour 
les  provisions  que  mes  bras  savent  tirer  du  sol,  ne 
puis-je  pas  vous  forcer  à  vous  acquitter  à  mon  égard 
d'offices  aussi  vils  que  répugnants?  n'est-ce  pas  à  ces 
services  que  tient  votre  existence  ?  Ne  constitue-t-il  pas 
l'avocat,  le  notaire,  ses  véritables  serviteurs  pour  se 
faire  rendre  justice,  pour  reconnaître  ses  droits,  assurer 
par  des  actes  en  bonne  forme  l'avenir  de  sa  famille  ?  Le 
mécanicien,  l'industriel,  ne  reçoivon^ils  pas  ses  ordres 
pour  confectionner  ses  instruments,  ses  outils,  ses  habits, 
comme  il  le  veut  et  de  la  manière  qu'il  prescrit?  Et  ne 
peut- il  pas,  sans  compromettre  son  avenir,  se  passer 
,  j-igoureusement  de  leurs  services,  en  substituant  son 
adresse  à  leur  habileté,  en  confectionnant  lui-même  les 
outils  qui  lui  sont  nécessaires  ? 

Mais  non-seulement  l'agriculteur  est  le  plus  indépen- 
dant dans  la  société,  c'est  encore  celui  qui  jouit  de  la 
plus  grande  somme  de  paix  et  de  tranquillité,  et  qui,  par 
conséquent,  peut  se  dire  le  plus  heureux. 

L'idéal  du  plus  parfait  bonheur  dans  le  monde,  est  de 
s'assurer,  avec  un  confort  convenable,  des  jours  de  repos, 
de  paix,  de  tranquillité,  exempts  de  ces  mille  soucis  et 
inquiétudes  qui  accablent  l'homme  d'affaires,  en  autant 
plus  grand  nombre  que  ses  affaires  sont  plu-s  nombreuses 
et  plus  importantes,  que  son  attention  se  >  rte  sur  un 
plus  grand  nombre  de  points.  Or,  parmi  i  s  ceux  qui 
s'agitent  pour  assurer  leur  avenir,  il  n'en  est  point  dont 
les  soucis  soient  moins  nombreux,  dont  les  inquiétudes 
soient  plus  légères,  dont  l'attention  soit  moins  partagée, 
que  l'homme  des  champs,  que  le  cultivateur  du  sol.  Vivant 
de  lui-même  retiré  sur  sa  ferme,  son  commerce  avec  ses 
semblables  est  des  plus  restreints  ;  faisant  peu  d'affaires, 
il  est  exempt  des  mille  tracasseries  qu'elles  amènent 
nécessairement  ;  s'occupant  peu  de  ce  qui  se  passe  au 
dehors,  les  soucis,  les  inquiétudes  pour  l'avenir,  qui  pour 
tous  les  autres  reposent  sur  la  bonne  ou  mauvaise  volonté 
des  hommes,  se  bornent  pour  lui,  uniquement  pour  ainsi 


—  91  — 

dire,  à  ses  divers  travaux  et  aux  soins  qu'il  doit  à  sa 
famille.  Les  grands  événements  mêmes  qui  font  leur 
marque  dans  la  vie  des  nations,  et  qui  préoccupent  si 
fortement  ceux  qui  suivent  assidûment  les  évolutions  de 
l'histoire,  ou  qui  jouent  un  certain  rôle  dans  la  politique, 
ne  l'émeuvent  que  faiblement  ;  car  souvent  ces  événe- 
ments ne  parviennent  à  sa  connaisGance,  que  l'orsqu'il 
sont  déjà  modifiés  parles  accidents  qui  les  ont  accompa- 
gnés. 

Son  travail  est  rude,  il  est  vrai,  ses  labeurs  sont  pour 
ainsi  dire  continuels  ;  mais  ces  travaux  sont  de  ceux  que 
l'on  supporte  le  plus  allègrement,  qui  portent  avec  eux 
un  certain  charme  qu'ont  reconnu  tous  ceux  qui  s'y  sont 
livrés. 

Il  lui  faut,  sans  doute,  dépenser  une  grande  somme  de 
force  musculaire  ;  ne  tenir  à  peu  près  aucun  compte  des 
accidents  de  température,  quand  il  s'agitdo  ses  travaux; 
s'exposer  également  aux  chaleurs  excessives,  do  même 
qu'aux  froids  les  plus  piquants  ;  se  laisser  parfois  pénétrer 
par  la  pluie  ou  aveugler  par  la  neige  ;  soutenir  quelquefois 
de  son  bras  le  courage  de  ses  oêtes  succombant  sous 
l'excès  du  fardeau,  etc.  ;  majs  le  grand  air  au  milieu 
duquel  il  vit,  la  nourriture  substantielle  dont  il  use, 
l'exercice  continu  auquel  il  se  livrent,  donnent  à  tous 
ses  membres  une  surabondance  de  vie,  pour  ainsi  dire, 
si  bien  que  le  travail  continu,  un  déploiement  habituel 
d'efforts,  loin  de  lui  être  pénibles,  lui  deviennent  presque 
un  besoin,  une  condition  de  bien  être,  et  qu'il  éprouve 
un  véritable  malaise  dès  qu'il  en  est  privé. 

Voyez-le,  au  temps  de  la  moisson,  péniblement  courbé 
sur  sa  faulx  ou  penché  sur  ses  javelles,  au  soleil  le  plus 
ardent  ;  ce  n'est  plus  en  perlant  que  la  sueur  se  montre 
sur  son  front,  elle  ruisselle  de  toutes  parts,  et  pénètre 
même  ses  habits;  tous  ses  traits  sont  tuméfiés,  injectés 
par  un  sang  qu'on  dirait  lui  bouillonner  dans  les  veines  ; 
on  croirait  à  le  voir  qu'il  touche  à  l'épuisement,  et  que 
pour  le  moins  il  va  abréger  sa  journée  ;  et  c'est  précisé- 
ment alors  qu'il  empiète  sur  la  nuit  pour  prolonger  ce 
travail  excessif.  Cependant,  entendez-le  faire  éclater  son 
contentement.  C'est  lorsque  déjà  les  étoiles  brillent  au 
firmament,  que,  monté  sur  sa  charge  de  gerbes,  il  s'en 
revient  au  logis  ea  faisant  retentir  les  échos  d'alentour 


—  92  — 

de  ses  chants  joyeux.  Il  a  travaillé  avec  ardeur,  il  s'est 
ëpuibé  de  lassitude,  il  a  accompli  courageusement  sa 
tâche  ;  la  joie  déborde  de  son  cœur  ! 

Dieu,  sans  doute,  a  imposé  le  travail  à  l'homme  comme 
une  pénitence.  iAa'iB  comme  il  a  attaché  à  la  satisfaction 
de  tous  nos  besoins  un  plaisir  nécessaire,  il  a  de  même, 
dans  sa  bonté  infinie,  attaché  aux  travaux  du  corps  un 
sentiment  de  satisfaction  qui  semble  destiné  à  faire  ou- 
blier tout  ce  qu'ils  ont  de  pénible. 

Ne  vous  est-il  jamais  arrivé  de  mettre,  pour  quelques 
instants,  la  main  aux  travaux  des  champs  ?  do  prendre, 
par  exemple,  une  fourche  ou  un  râteau  pour  ramasser  le 
foin  épars  dans  un  pré  ou  réunir  des  épis  en  gerbes  ?  Et 
bien,  dites,  si  après  votre  tâche  accomplie,  lorsque  vous 
sentiez  la  sueur  l'uisselant  sur  votre  front,  vos  muscles 
comme  distendus  par  les  efforts  inaccoutumés  auxquels 
vous  les  aviez  soumis,  et  tous  vos  membres  saisis  par  la 
fatigue,  dites,  si  alors  vous  n'avez  pas  éprouvé  un  véri- 
table sentiment  de  satisfaction?  si  vous  ne  vous  êtes 
pas,  pour  ainsi  dire,  senti  plus  homme  qu'auparavant  ? 
si  un  mouvement  d'orgueil  ne  vous  a  pas  donné  l'idée 
d'une  certaine  supériorité^sur  un  grand  nombre  d'autres 
que  vous  jugiez  incapables  d'en  faire  autant? 

Oui!  les  travaux  des  champs  ont  un  certain  charme 
inhérent  que  ne  possède  le  travail  d'aucune  autre  occu- 
pation. Quel  labeur  ardu  et  pénible  que  celui  de  l'homme 
de  loi,  obligé  de  fouiller  dans  de  nombreux  documents, 
de  chercher  longtemps  dans  des  auteurs  des  textes  dont 
peut-être  il  n'aura  jamais  plus  à  se  servir  plus  tard  ;  de 
s'identifier  en  quelque  sorte  avec  le  mécontentement, 
d'épouser  les  chicaVies  et  les  rancunes  d'individus  et  de  • 
partis  à  lui  complètement  étrangers;  de  déployer  conti- 
nuellement tout  son  zèle  et  ses  efforts  pour  assurer  le 
succès  de  litiges  auxquels  ils  no  s'intéresse  que  pour  quel- 
ques écus  qu'ils  amèneront  dans  son  escarcelle!  Et  le 
médecin  qui  se  dépouille  de  toute  sensiblité  naturelle 
pour  torturer,  par  ses  opérations  et  ses  drogues,  des  êtres 
déjà  souffrants  et  des  plus  propres  à  exister  les  sym- 

f)aihies  et  la  compassion  !  Quelle  resposabilité  aussi  dans 
es  actes  des  uns  et  des  autres  1  L'inhabilité,  l'incurie,  la 
négligence,  le  défaut  d'études,  peuvent,  dans  le  pre- 
mier compromettre,  à  chaque  instant,  l'avenir  du  client 


—  93  — 

et  celui  de  sa  famille;  et  dans  le  second,  faire  perdre  ta 
vie  même  au  patient.  En  est-il  ainsi  avec  l'agriculteur? 
Il  ne  travaille,  en  quelque  façon,  que  pour  lui-même  ;  sa 
responsabilité  ne  dépasse  pas  le  cercle  de  sa  famille,  qui, 
par  chacun  de  ses  membres,  la  partage  avec  lui.  La 
pierre  qu'il  enlève  aujourd'hui  de  son  champ,  la  souche 
qu'il  fait  disparaître,  il  ne  les  verra  plus  là  l'année  pro- 
chaine ;  les  sillons  qu'il  trace  de  sa  charrue,  ne  seront 
plus  détournés  par  l'obstacle,  et  l'aire  sur  lequel  il  répand 
ses  semences,  se  sera  agrandi  d'autant. 

Ajoutons  que  son  travail  est  un  travail  qui  requiert 
continuellement  l'exercice  de  son  jugement,  qui  demande 
à  chaque  point  d'être  confirmé  par  le  raisonnement.  Ce 
n'est  plus  ici  cet  homme-machine  qui,  dans  une  manu- 
facture, doit  faire  mouvoir,  en  véritable  automate,  un 
levier  quelconque  ;  ce  n'est  plus  même  cet  industriel 
qui,  cent  fois  et  mille  fois  répétera  la  même  opération 
sans  rien  changer,  pour  livrer  ses  instruments  au  com- 
merce par  centaines  et  par  milliers;  c'est  un  véritable 
mécanicien,  qui  à  chaque  opération,  devra  compter 
avec  son  intelligence  et  son  jugement,  pour  décider  des 
moyens  do  l'exécution  le  plus  facilement  possible.  Voyez- 
le  abattant  ses  arbres,  arrachant  ses  souches,  exécutant 
ses  labours,  etc.  ;  à  chaque  opération  qu'il  fait,  il  a  ilk 
compter  avec  les  règles  de  la  mécanique,  de  l'équilibre 
des  forces,  etc.;  que  s'il  n'est  pas  capable  d'en  démon- 
trer  scientifiquement  la  théorie,  il  doit  cependant  les 
connaître  assez  pour  en  exécuter  la  pratique  à  chaque 
instant.  Aussi  nul  travail  plus  raisonné,  moins  ennuyeux, 
et  plus  intéressant  que  celui  de  l'homme  des  champs  I 

Oh!  heureux,  et  mille  fois  heureux  l'agriculteur,  s'il 
savait  apprécier  tous  les  avantages  de  sa  position.  O 
fortuAatoa  nimium  sua  si  bona  norint  agricolas,  répéterai-jo 
avec  le  poète  latin  ;  et  heureux  surtout  le  cultivateur  de 
nos  riches  et  fertiles  campagnes  du  Canada  I  Fidèle  à  son 
Dieu,  à  son  devoir  et  à  sa  conscience,  il  est  en  paix  avec 
tout  le  monde  dans  son  isolement  sur  sa  ferme  ;  sa  bonne 
conduite  lui  mérite  la  protection  du  ciel;  et  ne  comptant 
que  sur  la  force  de  ses  bras  soutenue  par  la  Providence 
{)0ur  assurer  sa  vie,  il  est,  pour  ainsi  dire,  sans  souci 
pour  l'avenir,  et  consume  ses  jours  dans  une  paix,  une 
tranquillité,  un  contentement  qu'aucune  antre  position 
nç  saurait  lui  offrir. 


—  94  — 

Ces  prémisses  posées,  examinons  maintenant  à  quel 
point  en  est  l'art  agricole  dans  notre  province. 

Lorsque,  au  commencement  du  XVIIe  siècle,  nos  pères 
foulèrent  de  leurs  pieds,  pour  la  première  fois,  cette  terre 
d'Amérique,  l'art  agricole,  tenant  encore  plus  du  métier 
et  de  la  routine  que  de  l'ai't  véritable,  de  cet  art  surtout 
que  guide  et  gouverne  la  science,  pouvait  à  peine  dès  lors 
être  considéré  comme  sorti  de  l'enfance.  Les  méthodes 
les  plus  avantageuses  n'étaient  encore,  à  cette  époque, 
que  des  routines  plus  ou  moins  raisonnées. 

Partis  des  campagnes  de  la  Bretagne  et  de  la  Nor- 
mandie, qu'une  culture  peu  rationnelle  et  de  fort  longue 
date  avait  en  partie  épuisées,  ils  crurent,  en  voyant  le 
sol  vierge  et  si  fertile  de  notre  continent,  avoir  de  suite 
à  leur  disposition  un  champ  d'exploitation  d'urie  richesse 
sans  pareille  et  inépuisable.  Encouragés  par  les  récoltes 
abondantes  qu'ils  retirèrent  d'abord  dans  les  nouveaux 
défrichements,  ils  s'imaginèrent  de  suite  pouvoir  ee  passer 
de  toute  règle  dans  leur  manière  do  traiter  le  sol.  Et 
lorsque  plus  tard,  ce  sol  débarrassé  de  ses  souches,  fut 
soumis  à  la  charrue,  la  couche  de  détritus  végétaux  qui 
s'amoncelaient  depuis  des  siècles,  n'étant  pas  encore 
épuisée,  et  la  surface  enrichie  en  outre  par  les  cendres  de 
la  luxuriante  végétation  dont  ils  l'avaient  dépouillée, 
leur  permirent  de  faire  des  récoltes  tellement  abondantes 
qu'ils  se  confirmèrent  dans  leur  première  erreur.  De  là, 
sans  doute,  la  cause  de  ces  routines  vicieuses  qui  domi- 
nent encore  aujourd'hui. 

Une  vigueur  de  végétation  sans  pareille  permettant 
aux  moissons  do  résister  à  des  défauts  de  culture  consi- 
dérables ;  on  négligea  l'égouttage,  ou  on  ne  l'exécuta  que 
d'une  manière  fort  imparfaite. 

Une  fertilité  du  sol  incomparable  laissa  croire  qu'on 
pouvait  sans  fin  tirer  de  la  terre,  sans  jamais  rien  lui 
rendre  ;  et  on  négligea  les  engrais,  les  laissant  se  perdre 
en  grande  partie. 

Les  mauvaises  herbes  envahirent  peu-à-peu  les  champs  ; 
et  on  ne  se  donna  aucun  trouble  pour  les  combattre, 
pour  restreindre  leur  difi'usion. 

On  ne  tint  pas  compte  du  long  établement  des  ani- 
maux durant  la  saison  rigoureuse,  et  on  en  vint  bientôt 
à  no  les  traiter  qu'autant  qu'il  lo  fallait  pour  no  pas  les 


—  95  — 

laisser  crever  de  misère  durant  l'hiver,  attendant  au 
printemps  pour  qu'ils  pusbent  se  refaire  d'eux-mêmes 
avec  l'herbe  tendre  de  la  nouvelle  végétation. 

Tels  furent  les  défauts  qui  prévalurent  dès  l'origine 
dans  notre  agriculture,  et  tels  sont  ceux  qui  prédominent 
encore  de  nos  jours,  défauts  qu'on  peut  résumer  dans  les 
chefs  suivants,  savoir  :  absence  d'engrais,  égouttage 
imparfait,  labours  défectueux,  animaux  insuffisants,  ab- 
sence de  comptabilité. 

lo  Absence  d'engrais.— Il  y  a  une  règle  en  agriculture 
qu'on  oublie  généralement,  c'est  qu'il  faut  rendre  au  sol, 
en  proportion  de  ce  qu'on  lui  enlève.  Les  plantes  tirent 
du  sol  les  principes  nécessaires  à  leur  nutrition,  il  faut 
restituer,  par  des  engrais  convenables,  ces  principes 
ainsi  enlevés.  Si  on  ne  voit,  la  plupart  du  temps,  qu'un 
sol  épuisé  dans  nos  anciennes  paroisses,  qui  ne  produit 
plus  qiiedes  mauvaises  herbes,  c'est  qu'on  l'a  ainsi  ruiné 
en  semant  grain  sur  grain,  pendant  des  années,  sans 
jamais  appliquer  d'engrais.  Il  n'est  pas  rare  de  trouver 
des  pièces  de  terre  où  l'on  a  enlevé  jusqu'à  douze  et 
quinze  récoltes  consécutives  sans  aucune  application 
d'engrais.  Il  faut  réellement  une  fertilité,  une  richesse 
do  sol  tout  exceptionnelles,  pour  avoir  pu  résister  à  une 
telle  méthode.  Et  souvent  on  peut  voir  sur  les  mêmes 
fermes,  des  tas  des  plus  riches  fumiers  se  consumer  inu- 
tilement à  l'air  aux  portes  des  bâtiments,  ou  encombrer 
même  les  logements  intérieurs. 

Le  cultivateur  intelligent  recueille  avec  soin  tous  ses 
fumiers,  n'en  laisse  pas  même  perdre  la  plus  petite  por- 
tion, s'ingénie  à  confectionner  des  engrais  artificiels,  et 
délie  même  souvent  les  cordons  de  sa  bourse  à  cette  fin, 
lorsque  les  produits  de  ses  étables  ne  suffisent  pas;  par 
ce  qu'il  est  convaincu  que  nul  fonds  ne  peut  lui  rappor- 
ter de  meilleurs  intérêts  que  les  engrais  qu'il  répand  sur 
ses  champs  ;  que  nul  capital  ne  peut  être  plus  avanta- 
geusement placé.  Dans  les  pays  d'Europe,  comme  la 
Belgique,  par  exemple,  où  les  règles  de  l'agriculture 
sont  mieux  comprises,  et  où  la  division  de  la  propriété 
forceà  retirer  du  sol  autant  qu'il  peut  produire,  les  cul- 
tivateurs mettent  leur  orgueil  à  montrer  la  plus  grande 
quantité  d'engrais  possible  amoncelée  à  leur  porte.  Les 
déchets  de  la  cuisine,  les  déjections  des  animaux  dans 


—  ge- 
lés chorains,  les  mauvaises  herbes,  tout  est  recueilli 
avec  soin  et  porté  sur  le  tas.  La  quantité  d'engrais 
recueillie  chaque  année,  est  l'enjeu  de  rigueur  pour  la 
récolte  de  l'année  suivante.  On  ne  moissonnera  qu'on 
raison  de  la  quantité  des  engrais  que  l'on  aura  appliquée. 
Si  ces  cultivateurs  étaient  témoins  du  peu  de  cas  que  nos 
habitants  des  campagnes  font  généralement  des  engrais, 
ne  diraient-il  pas,  avec  raison,  que  ces  gens  courent  vo- 
lontairement à  leur  ruine  I 

Pendant  des  années  et  des  années,  dans' la  plupart  do 
nos  anciennes  paroisses,  on  a  fait  alterner  des  récoltes 
avec  dos  pâturages  dans  les  mêmes  champs.  Il  faut  re- 
connaître que  c'est  là  une  méthode  tout  à  fait  ruineuse  ; 
le  repos  d'une  année,  sans  addition  d'engrais,  n'est  pas 
suffisant  pour  permettre  au  sol  de  se  refaire  de  lui-même, 
après  une  récolte  de  céréales.  Aussi  on  peut  voir  par  les 
recensements  quels  faibles  rendements  à  l'arpent  donne 
notre  province  :  huit  A  neuf  minots  de  blé,  20  minots 
d'avoine,  etc.  ;  tandis  que  pour  rémunérer  convenable- 
ment, il  faudrait  au  moins  le  double  de  ces  quantités. 
Qu'on  amène  les  engrais,  et  qu'on  cultive  avec  soin,  on 
les  obtiendra  sans  peine  et  même  bien  au-delà. 

2"»  Egouttage  imparfait. — Un  égouttage  soigné  est  de 
rigueur  dans  toute  bonne  culture  et  grand  nombre  de 
nos  cultivateurs  paraissent  ignorer  ce  principe.  Il  y  a 
bien  peu  de  fermes  où  l'on  ne  pourrait  montrer,  chaque 
année,  plusieurs  pièces  de  culture,  perdues  par  défaut 
d'égouttago.  On  s'habitue  tellement  à  laisser  les  eaux  s'en 
aller  d'elles-mêmes  en  imbibant  Iç  sol,  qu'on  n'égoutto 
pas  même  les  chemins  ;  delà  bris  de  voitures  et  de  har- 
nais, fatigue  des  bêtes,  et  roulage  des  plus  fatiguants. 

On  a  fait  à  grands  frais,  dernièrement,  des  essais  de 
drainage,  et  sans  succès.  Ce  n'est  pas  que  la  chose  fut 
sans  à  propos,  ni  d'exécution  trop  difficile  ;  mais  c'est 
que  notre  peuple  manque  encore  des  connaissances 
suffisantes  pour  apprécier  un  mode  si  avantageux,  un 
moyen  si  puissant  de  communiquer  au  sol  une  nouvelle 
activité.  Tant  que  nos  cultivateurs  ne  seront  pas  con- 
vaincus de  l'importance  d'égoutter  parfaitement,  ce  sera 
prêcher  dans  le  désert,  que  d'aller  les  engager  à  prati- 
quer le  drainage.  Il  n'y  a  pas  beaucoup  à  espérer  que 
des  gens  qui  no  veulent  seulement  pas  sedonner  la  peine 


—  97- 

dWnir  des  fossés  et  des  rigoles  à  découvert,  consenti- 
ront à  pratiquer  à  plus  grands  frais  des  égouttages  sOa- 
terrains.  Je  suis  d'avis  que  c'était  là  une  amélioration 
prématurée,  et  qu'il  y  en  aurait  beaucoup  d'autres  pluis 
faciles  et  moins  dispendieuses  à  faire  adopter  d^abord. 

3°  Labours  défectueux. — Je  comprends  ici  avec  les 
labours  proprement  dits,  les  différentes  façons  que  l'on 
donne  au  sol  pour  le  pulvériser,  telles  que  hersages, 
emploi  des  scarificateurs,  des  brise-mottes,  etc.  On  sait 
que  les  plantes  tirent  du  sol  par  leurs  racines,  les  sucs 
nourriciers  qui  leur  conviennent.  Or,  plus  le  sol  sera 
pulvérisé,  et  plus  les  plantes  seront  à  même  de  profiter 
de  tous  ses  sucs  ;  car  si  le  sol  n'est  que  divisé  en  mottes, 
ces  mottes  pourront  renfermer  des  sucs  abondants,  que 
n'atteindront  pas  les  racines  qui  passeront  entre  elles 
sans  les  pénétrer. 

Dans  beaucoup  d'endroits  aussi,  on  exécute  des 
labours  bien  trop  superficiels,  n'ayant  pas  assez  de  pro- 
fondeur. Plus  la  couche  de  terre  que  vous  enlevez 
avec  la  charrue  et  soumettez  aux  influences  atmosphé- 
riques est  épaisse,  et  plus  abondantes  seront  les  sources 
que  vous  offrirez  aux  racines  des  plantes  pour  leur  nour- 
riture ;  car  les  racines  des  plantes  cultivées  pénètrent 
peu  ou  point,  d'ordinaire,  au-delà  de  la  couche  attaquée 
par  la  charrue.  Ajoutons  qu'il  n'y  a  rien  de  plus  efficace 
pour  épuiser  une  terre  promptement  que  ces  labours 
superficiels. 

4°  Animaux  insuffisants. — Dans  une  ferme  bien  orga- 
nisée, les  différentes  parties  doivent  conserver  entre 
elles  un  certain  équilibre.  Les  animaux,  par  exemple, 
doivent  être  en  proportion  de  la  surface  que  l'on  a  en 
rapport.  Avec  Beaucoup  d'animaux,  on  aura  beaucoup 
d'engrais  ;  avec  beaucoup  d'engrais,  on  aura  beaucoup 
de  céréales  et  de  fourrages:  et  c'est  ainsi  que  l'équilibre 
se  maintiendra.  Mais,  généralement,  les  animaux  sont 
trop  peu  nombreux  chez  nos  cultivateurs,  et  ce  qui  est 
encore  plus  blâmable,  on  les  néglige  trop,  et  beaucoup 
trop,  sous  le  rapport  de  la  nourriture  et  des  soins. 
Ayez  de  bons  animaux,  entretenez  les  convenablement, 
et  vous  en  retirerez  de  forts  profits  ;  au  contraire,  quel- 
ques animaux  -que  vous  ayiez,  si  vous  les  négligez,  si 
TOUS  les  privez  d'une  nourriture  suMsante,  ils  ne  vous 
irapporteront  rien  et  vous  mineront 


—  98  — 

Qaant  aux  races  à  choisir,  ce  n'est  pas  généralement 
sous  ce  rapport  que  pèchent  le  plus  nos  cultivateurs,  car 
comme  je  viens  de  le  dire,  se  sont  les  bons  soins,  la  nour- 
riture convenable  et  abondante,  qui  font  les  bons  ani- 
maux. Les  meilleures  races  sans  les  soins  convenables, 
dégénèrent  bientôt  et  ne  donnent  aucun  profit. 

Il  est  cependant  des  races  tellement  défectueuses, 
qu'elles  doivent  être  sans  examen  proscrites,  par  ce 
qu'elles  ne  peuvent  rémunérer  des  soins  qu'on  leur 
donne.  Telles  sont  ces  moutons  à  poils  plutôt  qu'à  laine, 
ces  cochons  dits  canadiens  qu'on  voit  encore  en  si  grand 
nombre  dans  le  comté  de  Charlevoix  et  dans  le  Sague- 
nay.  Ces  cochons,  cornus,  osseux,  mangent  beaucoup  et 
Bont  très-difficiles  à  prendre  la  graisse.  On  devrait  sans 
délai  les  remplacer  par  d'autres  beaucoup  plus  avanta* 
geux  sous  tous  les  rapports. 

5*^  Absence  de  comptabilité. — Tout  commerçant,  tout 
industriel,  en  un  mot  tout  homme  sage  et  prudent  fai- 
sant des  affaires,  ne  manque  pas  de  se  rendre  compte  de 
temps  à  autres  de  chacune  de  ses  opérations,  pour  con- 
stater le  profit  réalisé,  et  quelquefois,  par  contre^  la 
perte  encourue,  afin  d'en  tirer  dos  conséquences  pour  sa 
conduite  ultérieure.  C'est  aussi  ce  que  fait  le  cultivateur 
intelligent  et  soucieux.  Chaque  année,  il  alligne  en  dé- 
penseu  et  en  recottes  ses  diverses  opérations  de  culture, 
pour  voir  jusqu'à  quel  point  telle  ou  telle  lui  a  été  rému- 
nérative,  ou  peut-être  désavantageuse. 

Il  n'est  aucun  cultivateur,  sans  doute,  qui  ne  se  rende 
un  compte  quelconque  de  ses  opérations.  Chacun  peut 
se  dire  à  la  fin  de  l'année  :  j'ai  eu  une  bonne  récolte  cette 
année,  j'ai  été  bien  payé  de  mes  travaux  ;  ou  peut-être 
malheureusement:  je  n'ai  pas  eu  de  succès,  j'ai  travaillé 
pour  rien.  Voilà  ce  qae  chacun  peut  se  dire  ;  mais  ce  compte 
rendu  superficiel  ne  suffit  pas  pour  une  comptabilité 
rigoureuse  et  efficace.  Il  faut  pouvoir  se  rendre  compte 
de  chaque  opération,  de  chaque  culture  en  particulier, 
Lfin  de  voir  sur  quel  point  porter  spécialement  son 
attention  ;  noter,  pour  les  éviter,  les  défauts  qui  ont  pu 
amener  l'insuccès  ;  reconnaître  les  opérations  qui  ont  été 
les  plus  rémunératives,  pour  s'étendre  davantage  sur 
celles-ci. 
C'est  parce  que  la  plupart  des  cultivateurs  négligent' 


—  99  — 

la  comptabilité,  no  se  rendent  ainsi  compta  que  superfi- 
ciellement, qu'un  si  grand  nombre  courent  à  leur  perte, 
sans  presque  s'en  apercevoir,  reconnaissant  le  gouffre 
qu'ils  ont  agrandi  chaque  année  sous  leurs  jms,  lorsque 
déjà,  il  n'est  plus  possible  de  l'éviter.  C'est  aussi  pour  la 
même  raison  que  tant  de  cultivateurs,  qui  d'ailleurs  ne 
reculent  pas  devant  le  travail,  perdent  si  facilement  et 
sans  cause  légitime,  un  temps  que  les  soins  de  leur  cul- 
ture réclament  souvent  sans  délai.  Une  séance  de  con- 
seil municipal,  où  aucun  intérêt  particulier  n'est  en  jeu, 
nme  course  de  chevaux,  une  séance  de  cours  de  com- 
missaires, etc.,  viennent-elles  à  avoir  lieu,  aussitôt  les 
travaux  des  champs  sont  laissés  là;  un  jour,  deux  jours 
sont  ainsi  souvent  perdus  inutilement,  lorsque  peut-être 
le  succès  de  leur  récolte  dépendra  entièrement  de  cette 
négligence.  Car  il  n'est  pas  de  situation  qui  réclame 
une  vigilance  plus  assidue,  plus  attentive,  que  celle  du 
cultivateur.  Pour  peu  qu'il  manque  sous  ce  rapport,  il 
court  infailliblement  à  sa  ruine. 

La  perte  du  temps  est  irréparable  pour  tout  le  monde, 
mais  pour  l'agriculteur,  une  seule  journée  suffit  quel- 
quefois pour  amener  sa  ruine.  Telle  pièce  de  terre  est 
aujouM'hui  en  condition  suffisante  pour  être  labourée, 
ensemencée,  etc.,  on  attend  au  lendemain,  et  ce  lende- 
main amènera  peut-être  un  changement  de  temps  qui 
rendra  l'opération  impossible  pour  la  saison.  Telle  pièce 
de  foin  ou  de  grain  est  prête  à  être  moissonnée  ou  en- 
grangée ;  on  ratarde,  et  peut-être  qu'on  ne  sauvera  pas 
même  la  moitié  ou  le  quart  de  la  belle  récolte  qu'on 
avait  déjà  sous  la  main. 

Le  cultivateur  soigneux,  vigilant,  intelligent,  donne 
donc  une  attention  toute  particulière  à  la  comptabilité 
dans  ses  diverses  cultures  ;  tout  est  réduit  en  recettes  et 
en  dépenses,  afin  de  pouvoir  en  appliquer  le  résultat  à 
profit  ou  à  perte.  Le  temps  que  l'on  met  à  labourer, 
herser,  égoutter,  clôturer  chaque  pièce,  avec  le  coût  de 
la  semence,  puis  le  moissonnage,  le  battage,  vannage, 
etc.,  sont  entrés  à  la  dépense  ;  et  vis-à-vis,  le  rapport,de 
cette  pièce  en  grain,  paille,  etc.,  avec  estimation  aux 

Erix  courants  pour  l'année,  sont  apposés  comme  recette. 
;'on  voit  ainsi  d'un  coup  d'oeil  jusqu'à  quel  point  l'opé- 
ration a  été  avantageuse  ou  non,  afin  d'en  tirer  des  con- 


.100  — 

séq^uences  pour  la  suite.  Les  rappc^H  de  oes  diverses 
opérations  sont  conservés  chaque  année,  pour  servir  de 
termes  de  comparaison  plus  tard.  Le  cultivateur  qui  en 
agit  ainsi,  ne  marche  pas  en  aveugle,  et  à  chaque  tran- 
saction qu'on  lui  propose,  il  connaît  de  suite  sur  quelles 
ressonrices  il  peut  raisonnablement  compter  pour  lui 
permettre  de  l'accepter,  ou  s'il  ne  doit  pas  plutôt  la 
refuser  absolument,  quelque  avantageuse  qu'elle  puisse 
paraître  à  certains  égards. 

Il  est  facile  de  voir  par  ce  qui  vient  d'être  exposé  que 
l'art  agricole,  dans  notre  province,  n'est  pas  encore  sorti 
de  l'enfance,  si  toutefois  il  ne  se  confond  pas  avec  la 
routine.  Je  dois  ajouter  cependant  que  depuis  à  peu  près 
une  quinzaine  d'années,  depuis  surtout  l'établissement 
de  nos  écoles  d'agriculture,  on  peut  constater  que  des 
progrès,  quoique  lents  encore  et  non  généralisés,  se  sont 
opérés  en  fait  d'améliorations.  On  commenne  à  com- 
prendre, en  plus  d'un  endroit,  la  valeur  des  engrais,  la 
proportion  des  animaux  qu'il  faut  tenir  dans  une  ferme 
pour  conserver  l'équilibre,  l'importance  de  semer  des 
graines  fourragères  pour  s'assurer  de  bons  pacages  et 
i|iieux  traiter  le  bétail,  la  nécessité  d'égoutter  avec  plus 
de  soin,  de  faire  de  meilleurs  labours,  etc.  Les  quelques 
élèves  qui  sortent  chaque  année  de  nos  écoles  d'agricul- 
ture ne  contribuent  pas  peu,  par  leurs  remarques  dans 
l'occasion,  et  aussi  par  leurs  exemples,  à  faire  comprendre 
la  nécessité  de  ces  réformes.  Espérons  que,  leur  nombre 
augmentant,  ces  améliorations  se  généraliseront  de  plus 
e|i  plus,  et  qu'on  verra,  chaque  année,  la  routine  vioieuflô 
qui  prévaut  encore  aujourd'hui,  remplacée  peu  à  peu 
par  une  méthode  plus  rationnelle  et  plus  praticable. 

Los  moyens  d'activer  ce  progrès,  est  ce  qui  me  rest© 
à  examiner. 

Ces  moyens,  quels  qu'ils  puissent  être,  ne  pourront, 
dans  tous  les  cas,  agir  que  fort  lentem^t,  car  on  ne 
ohange. pas  d'un  coup  les  habitudes  d'un  peuple.  Quelque 
peu  rationnelle  que  soit  la  méthode  que  ce  peuple  suit, 
quelque  ruineuse  même  qu'elle  soit  reconnue,  ea  défec- 
tuosité uc  peut  jamais  être  admise  sans  hésitation  par 
tout  le  monde;  il  s'en  trouve  tot^ours  qui  tiennent 
obstinément  à  l'ancienne  pratique.  D'un  autre  côté,  les 
iiUGGèB  en  agricultq^e  tiennent  àtant  de  oausM  di^ér^ntcug, 


l 


u'il  faut  souvent  attendre  loDgtompa  pour  que  lesdrc^ 
e  la  science  soient  généi-alement  admis,  et  Qi^e  lea 
in»accès  ne  lui  soient  pas  imputés,  lors  même  qu'ils  dé- 
pendent de  la  négligence  ou  de  l'ignorance  des  règles 
les  mieux  établies. 

Pour  parer  aux  défauts  que  j'ai  signalés,  pour  activer 
le  progrès  dans  la  réforme,  pour  assurer  une  marche  plus 
constante  dans  la  bonne  voie,  je  réduis  à  quatre  cne& 
principaux  les  mesures  qu'il  conviendrait  d  adopter:  1» 
Réorganisation  du  département  de  l'agriculture  ;  2o 
Maintien  d'un  bon  journal  agricole  ;  3°  Un  plus  grand 
encouragement  aux  écoles  d'agriculture  ;  et  4°  B^lis^ 
sèment  d'un  musée  agricole. 

10  Le  département  de  l'agriculture,  tel  qu'organisé 
aujourd'hui  avec  le  conseil  qui  lui  est  adjoint,  est-ilbien 
propre  à  promouvoir  le  progrès  de  la  science  agricole  ? 

Quant  à  moi,  je  ne  le  crois  pas.  Je  vois  surtout  dans 
le  conseil  une  complication  de  rouages  qui,  iQin  4^  con* 
tribuer  au  progrès,  lui  est  plutôt  un  obstacle,  une  entrave  ; 
et  je  m'appuie,  pour  lu  juger  ainsi,  tant  sur  son  orgapi* 
sation  propre,  que  sur  ses  actes  passés. 

Ce  qui  est  l'affaire  de  iout  le  monde,  devient  ipuvent 
l'ai&ire  de  personne,  surtout  dans  une  organisation 
comme  celle  du  conseil  d'agriculture,  où  les  meml»*es  ne 
sont  personnellement  responsables  à  personne,  et  pariai 
lesquels  des  divergences  d'opinion,  suite  souvent  d'inté- 
rêts particuliers  ou  de  vues  politiques  pour  favoriser  un 
parti,  viennent  mettre  obstacle  aux  mesures  les  plus 
avantageuses  et  paralyser  les  efforts  les  mieux  dirigés. 

Comme  dans  tous  les  oorps  ou  réunions  d'hommes,  il 
n'y  a  d'ordinaire  que  quelques  chefe— et  souvent  un 
seul — qui  conduisent;  que  les  autres  ne  servent  qu'à 
appuyer,  éclairer,  prêter  main-forte  dans  l'oocaeioa  à  ces 
chefs;  je  voudrai  de  même  une  autorité  ooiiataate  et 
permanente  dans  le  département  de  l'pgricHlture,  dans 
fa  personne,  par  exemple,  d'un  surintendant  entendu,  à 
la  hauteur  de  sa  tâche,  sous  la  responsabilité  du  ministre, 
mais  qui  ne  serait  paB:CQmmie  lui  exposé  à  des  change- 
ments avec  les  partis  politiques.  Ji'unité  d'action  d^d 
tpnte  association  est  une  condition  essentielle  de  succès. 

Ce  surintendant  ou  assistant-commisfsaire  aurait  pour 
9ttnl>atiQ03  spéoiAtoa  jefoaQtiannemGiitdo  1a  loi  d'/^l- 


—  102  — 

onlttii^e,  la  surveillance  des  écoles  de  cet  art,  la  surinten- 
dance des  musées,  etc.  Il  aurait  pour  s'éclairer  dans  sa 
marche,  les  comités  d'agriculture  de  la  chambre  d'as- 
sembléoj  la  tenue  des  expositions,  sa  correspondance  avec 
les  différentes  sociétés  d'agriculture  de  comtés,  avec  les 
directeurs  des  écoles  d'agriculture,  les  visites  qu'il  serait 
tenu  de  faire  à  ces  dernières,  etc.    Il  serait,  en  un  mot, 

Sour  l'agriculture,  à  peu  près  ce  qu'est  le  surintendant 
es  écoles  pour  l'instruction  publique. 
C'est  parce  que  cette  unité  d'action  à  fait  défaut  dans 
le  département  de  l'agriculture,  qu'on  a  vu  plus  d'une 
mesure  émaner  du  conseil  que  l'intérêt  du  bien  public 
serait  impuissant  à  justifier.  J'en  citerai  quelques-unes. 
On  conçut,  il  y  a  quelques  années,  le  louable  projet 
d'établir  un  musée  agricole.  De  suite  on  décida  d'envoyer 
le  secrétaire  du  conseil  aux  Etats-Unis,  pour  voir  com- 
ment on  pratiquait  la  chose  là.  M.  le  Secrétaire  alla 
donc,  aux  frais  de  la  province,  faire  une  visite  à  Albany 
et  à  Washington.    Il  revint  enchanté  de  son  voyage  ; 

fit  un  rapport  soigné  de  tout  ce  qu'il  avait  vu  ;  et tout 

demeura  là.  C'était  une  dépense  de  91000  à  $1200  au 
profit  d'un  seul  homme  ! 

Plus  tard,  voilà  qu'on  s'enthousiasme  tout-à-coup  pour 
le  drainage.  On  veut  porter  nos  cultivateurs  à  fouiller 
jusque  dans  la  profondeur  du  sol,  avant  même  de  l^iur 
avoir  appris  à  en  gratter  convenablement  la  surface.  On 
accorde  un  bonus  de  $4000  (si  je  ne  me  trompe)  à  un  fabri- 
quant de  tuyaux  de  Montréal,  qu'il  en  vende  beaucoup, 
Eeu  ou  point,  et  l'on  fait  venir,  à  grands  frai^,  un  jeune 
omme  d'Ecosse,  pour  diriger  les  débutants  dans  cette 
opération  nouvelle  pour  la  plupart.  Le  bonus  fut  payé 
au  fabriquant,  le  voyage  du  jeune  homme  de  même  ; 
mais  ses  services  n'étant  requis  par  personne,  on  fUt 
obligé  de  lui  payer  de  plus  son  retour  en  Europe.  C'étaient 
encore  quelques  milliers  de  piastres  gaspillées,  parce  que 
ceux  qui  avaient  obtenu  cette  dépense,  n'ét^àenil  respon- 
sables à  personne. 

Plus  tard  encore,  on  ouvrit  un  concours  pour  un  traité 
d'agriculture.  Une  médaille  d'or  avec  $300  en  argent 
devaient  être  la  récompense  du  lauréat.  Mais  la  chose 
est  à  peine  croyable  ;  on  accorda  le  prix  à  un  ouvrage 
incomplet,  non  encore  terminé,  à  condition  que  l'auteur 


-103- 

le  terminerait  plus  tard.  Cet  auteur  a  reçu,  je  pense  bien, 
et  somme  et  médaille  ;  mais  l'ouvrage  a-t-il  été  terminé  î 
Je  l'ignore  ;  tout  ce  que  je  sais,  o'est  que  le  publie  n'a 
jamais  vu  cet  ouvrage.  A  quoi  bon  payer  pour  des  traités 
qui  demeurent  enfouis  dans  les  archives  du  conseil  t 

Citons  encore  un  exemple  pour  faire  resortir  davan- 
tage  les  défectuosités  du  rouage  administratif  dans  les 
anaires  d'agriculture. 

Pendant  plus  de  cinq  ans,  nous  avons  été  sans  avoir 
un  journal  d'agriculture,  lorsque  cependant  le  oouseil 
avait  à  sa  disposition,  ou  du  moins  pouvait  l'avoir,  l'ar- 
gent nécessaire  pour  une  telle  publication.  Quelle  était 
donc  alors  la  cause  du  reiai'd  ?  Uniquement  les  diver- 
gences d'opinion  des  membres  du  conseil.  Celui-ci  vou-» 
lait  avoir  le  journal  à  Montréal,  cet  autre  à  St.- Hyacinthe, 
un  autre  à  Québec,  un  autre  enfin  à  8te.-Anne.  Quand 
on  en  venait  à  prendre  des  votes  sur  le  sujet,  du  moment 
qu'on  apercevait  qu'une  localité  allait  l'emporter  sur 
lautre,  on  proposait  de  suite  un  délai  de  trois  mois,  et 
la  motion  était  aussitôt  emportée.  Cette  comédie  se  répéta 
pendant  plus  de  cinq  ans,  et  le  public  était  toujours-là  à 
attendre  son  journal.  N'est-il  pas  évident  qu'avec  une 
direction  unique,  doux  ou  trois  mois  au  plus  auraient 
suffi  pour  mettre  la  publication  sur  pied  ? 

Mais,  pourra-t-on  dire,  est-ce  que  le  ministre  n'est  pas 
directement  responsable  à  la  chambre  de  touti  les  actes  de 
de  son  département  ?  Oui,  sans  aucun  doute  ;  mais  quelle 
excuse  pour  ce  ministre,  quand  il  peut  dire  qu'il  n'a 
sanctionné  telle  mesure,  que  parce  qu'elle  lui  avait  été 
soumise  par  un  corps  aussi  compétent,  aussi  honorable 
que  le  conseil  d'agriculture. 

2o.  Maintien  d'un  bon  journal  d'agriculture. — Les  ré* 
formes  en  agricultures,  comme  je  l'ai  fait  observer  plus 
haut,  ne  s'opèrent  que  difficilement  et^fort  lentement.  Ce 
n'est  qu'en  obsédant  le  peuple,  pour  ainsi  dire,  qu'en  le 
prêchant  à  temps  et  à  contretemps,  qu'on  parvient  à  le  dé- 
cider à  changer  ses  habitudes.  Mais  quel  sera  le  mis- 
sionnaire de  cette  utile  prédication  ?  Ce  sera  le  journal, 
la  publication  périodique. 

Quelque  efficace  que  puissent  être  les  lectures  a« 
peuple,  les  coursdansles  institutions  agricoles,  ces|moyena 
SQ  borneront  toiyours  à  un  nombre  asses  restreint  d'audit 


-Ié4 

iémtê;  0^  ne  potunra  se  fhir«  entendre  die  tdns,  et  snrtûtti 
nrodaii^e  U  couviétk»  ches  le  pitis  grftnd  nombre.  Mais  le 
^umal,  lui,  sahi^,  pour  ainsi  dire^  ragticnheur  pas  à 
paa  poar  \m  faire  la  leçon  dans  l'occasion,  pour  lai 
signaler  le»  déflaut  à  corriger,  lui  rappeler  les  préceptes 
mis  en  onbli.  Le  jdurnal  pénétrera  dans  les  chaumières,) 
prendra  place  au  fbyer  dé  la  famille,  et  sera,  toUjou}rs 
prêt  à  livrer  à  tous  ses  recettes  économiques,  sa  direction 
dans  les  opérations  nouvelles,  l'expérience  des  devanciers 
dans  les  essais  de  tout  genre,  etc.  Il  fera  encore  con- 
naître )e  mouvement  dé  hausse  et  de  baisse  âQR  produits 
agricoles  sur  les  marchés,  les  articles  les  plus  en  de- 
mande dans  le  moment,  les  prévisions  de  1  avenir  pour 
bftse  de  ealoals,  etc.,  etc.  ;  il  tiendra,  en  un  mot,  le  culti- 
vateur constamment  au  courant  du  mouvement  agricole 
en  monde  entier,  pour  qu'il  puisse  ju^er  par  lui-même 
si;  réellement,  il  smt  la  bonne  méthode,  s'il  marche  dans 
la  voie  dm  progrès,  on  au  contraire  peut-être,  s'il  ne 
s'obstine  pas  à  courir  à  sa  ruine  en  persévérant  danâ 
«ne  pratique  vicieuse  et  généralement  condamnée. 

Un  bon  journal  est  donc  de  rigueur  pour  le  progrèe 
en  agriculture.  Mais  pour  le  rendre  plus  efficace,  je 
viE^ndraifl  qu'il  fàt  la  propriété  d'un  particulier,  avec 
allocation  suffisante  pour  rencontrer  les  vues  du  dépar- 
tetnent.  Il  n'y  a  rien  do  tel  qu'un  propriétaire  pour  sur- 
vùilter  convenablement  une  publication  ]  tandis  <^u'un 
joarnal  aux  fixais  du  gouvernement  manque  souvent 
d'intérêt  et  d'éflleacité,  parce  qu'on  ne  tient  qu'indirec- 
tement à  son  succès  et  ^u'on  n'a  rien  à  craindre  pour 
Btm  maintien. 

3o.  Encouragement  aux  écoles  d*agriculture. — Après 
1r  réforme  du  département  et  la  tenue  d'un  bon  journal, 
Je  considère  les  écoles  d'agriculture  comme  le  moyen  le 
plus  effîeace  d'activer  le  progrès  dans  l'art  agricole. 

La  pratique  en  agriculture  vaut  certainement  beau- 
eeupi  mais  la  pratique  seule  est  impuissante  pour  la 
réforme  des  abus;  d'un  autre  côté,  l'agriculture  bien 
•wtondue,  et  entendue  tel  qu'elle  doit  l'être  dans  des  sols 
depuis  longtemps  exploités,  et  pour  répondre  aux  besoins 
tietuels  delà  civilisation,  est  un  art  véritable.  Or,  cet  art 
A'sea  préeeptes  et  sa  théorie  qu'il  ftiut  apprendre  poxu* 
1m  «OBiMtilsr»^  et  e^wt  daas  h»  ^oies  spéoiiues  de  oef  art 


ii.106  — 

qu'on  les  apprendra.  Nos  écoles  uctuelles  exigent  donc 
pne  surveillance  toute  particulière  de  la  part  du  dépar- 
tement et  une  protection  des  plus  libérales. 

Comme  toutes  les  institutions  nouvelles,  nos  écoles 
d'agriculture,  pou  comprises  quant  à  leur  but  et  à  leur 
eflacacité,  ont  eu  à  lutter  conti-e  des  difficultés  et  des 
entrav.eb  de  tout  içenre  dans  leur  aébut.  Mais  aiiiourd'hui 
qu'elles  ont  survécu  à  ect  âge  critique,  il  ne  faut  pae 
leur  ménager  l'encouragement,  afin  que  chaque  année, 
a'écbappent  de  leur  sein  des  essaims  de  jeunes  agricul- 
teurs, parfaitement  au  fait  de  la  théorie  de  l'art,  pour 
aller  répandre  leurs  connaissances  dans  les  dififei-entee 
contrées  de  la  province.  C'est  surtout  pour  la  direction 
de  ces  écoles  qu'un  surintendant  serait  nécessaire.  Les 
différentes  visites  qu'il  leur  ferait  le  mettrait  en  état  dé 
contrôler  efficacement  leur  enseignement,  d'établir  des 
points  de  comparaison  entre  les  unes  et  les  autres,  de 
faire  faire  le  profit  ici,  des  expériences  qui  auraient  été 
faites  là,  de  susciter  une  émulation  entre  les  unes  et  les 
autres  pour  marcher  dans  la  voie  du  progrès  d'une  mar 
nière  plus  sûre  et  plus  efficace,  en  un  mot,  d'assurer 
davantage  leur  succès  en  en  faisant  en  mêqae  temps 
bénéficier  la  province. 

4o.  Etablissement  d'un  musée  agricole.  —  Enfin  les 
musées  que  l'on  joint  au  département  de  l'agriculture 
dans  presque  tous  les  anciens  états,  ne  servent  pas  peu  à 
éclairer  le  cultivateur  dans  uno  foule  de  pointe  pour  la 
pratique  de  son  art.  Ces  musées  sont  non-seulement  des 
salles  oià  l'on  tient  exposés,  pour  l'inspection  des  culti- 
vateurs, les  machine»  et  instruments  perfectionnés  les 
S  lus  recommandables,  des  spécimens  des  grains  et  pro- 
uits  des  meilleures  espèces,  les  matières  brutes  et  tra- 
vaillées qui  sont  l'objet  de  la  culture  ;  mais  encore  des 
spécimens  des  oiseaux  insectivores,  pour  faire  connaître 
à  l'homme  des  champs  ses  auxiliaires  les  plus  effectifs  ; 
des  collections  d'insectes  nuisibles,  pour  qu'il  puisse 
distinguer  et  combattre  efficacement  ces  redoutables 
ennemis,  qui  le  soumettent  chaque  année  à  une  rançon 
si  considérable,  et  font  parfois  périr  ses  récoites  entières, 
etc. 

Ces  musées,  par  l'étalage  constant  qu'ils  offrent  des 
productions  du  pays,  en  outre  du  témoignage  qu'ils 
rendent  au  visiteur  des  richesses  naturelles  de  la  contrée 

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et  des  ressources  qu'elles  peuvent  offrir  à  l'exploitation, 
servent  encore  à  démontrer  le  degré  de  civilisation  qu'on 
a  atteint,  et  deviennent,  pour  les  savants,  des  sanctuaires 
où  ils  vont  poursuivre  leurs  recherches,  ou  déposer  les 
trophées  de  leurs  victoires  sur  l'inconnu. 

J'ajoute  que  l'établissement  de  tels  musées  est  des  plus 
faciles  et  fort  peu  dispendieux.  Comme  les  spécimens 
abondent  partout,  il  ne  s'agit  que  de  les  recueillir  pour 
les  déposer  dans  des  appartements  spéciaux.  Un  seul 
homme  de  science  suffit  pour  les  ranger  dans  un  ordre 
méthodique  et  conforme  aux  règles  des  classifications. 
Les  espèces  s'ajoutant  chaque  jour  aux  espèces,  on  par- 
viendrait, en  peu  d'années,  à  posséder  un  ensemble  des 
plus  complets  des  productions  naturelles  du  pays. 

Et  quant  aux  machines  d'agriculture,  rien  de  plus 
facile  aussi  ;  chaque  fabricant  s'empresserait  d'offrir  au 
musée  des  spécimens  de  sa  manufacture.  Il  y  trouverait 
un  avantage  tout  particulier  ;  car  ce  serait  une  enseigne 
de  ses  produits  déposée  dans  le  lieu  le  plus  exposé  aux 
visites  des  chalands  et  le  plus  propre,  par  conséquent, 
à  lui  assurer  un  prompt  débit. 

Si  des  particuliers,  presque  sans  ressources,  parvien- 
nent petit  à  petit,  en  assez  peu  de  temps,  à  se  former 
des  musées  considérables;  il  n'y  a  pas  de  doute  que  le 
gouvernement,  en  portant  son  attention  de  ce  coté  là, 
ne  parvînt,  en  bien  moins  de  temps  encore,  à  atteindre 
le  même  résultat. 

Que  le  gouvernement  donne  à  l'agriculture  l'attention 
«t  la  protection  qu'elle  est  en  droit  d'exiger,  et  l'on 
verra  bientôt  l'industrie  se  raviver,  le  commerce  prendre 
un  nouvel  essor,  la  colonisation  prendre  de  jour  en  jour 
une  plus  grande  expansion,  et  le  pays  en  entier  marcher 
à  grands  pas  dans  la  voie  de  la  prospérité  et  du  progrès.