Skip to main content

Full text of "Collection complete des œuvres de J.J. Rousseau ..."

See other formats


Google 



This is a digital copy of a book thaï was prcscrvod for générations on library shelves before it was carefully scanned by Google as part of a project 

to make the world's bocks discoverablc online. 

It has survived long enough for the copyright to expire and the book to enter the public domain. A public domain book is one that was never subject 

to copyright or whose légal copyright term has expired. Whether a book is in the public domain may vary country to country. Public domain books 

are our gateways to the past, representing a wealth of history, culture and knowledge that's often difficult to discover. 

Marks, notations and other maiginalia présent in the original volume will appear in this file - a reminder of this book's long journcy from the 

publisher to a library and finally to you. 

Usage guidelines 

Google is proud to partner with libraries to digitize public domain materials and make them widely accessible. Public domain books belong to the 
public and we are merely their custodians. Nevertheless, this work is expensive, so in order to keep providing this resource, we hâve taken steps to 
prcvcnt abuse by commercial parties, including placing lechnical restrictions on automated querying. 
We also ask that you: 

+ Make non-commercial use of the files We designed Google Book Search for use by individuals, and we request that you use thèse files for 
Personal, non-commercial purposes. 

+ Refrain fivm automated querying Do nol send automated queries of any sort to Google's System: If you are conducting research on machine 
translation, optical character récognition or other areas where access to a laige amount of text is helpful, please contact us. We encourage the 
use of public domain materials for thèse purposes and may be able to help. 

+ Maintain attributionTht GoogX'S "watermark" you see on each file is essential for informingpcoplcabout this project and helping them find 
additional materials through Google Book Search. Please do not remove it. 

+ Keep it légal Whatever your use, remember that you are lesponsible for ensuring that what you are doing is légal. Do not assume that just 
because we believe a book is in the public domain for users in the United States, that the work is also in the public domain for users in other 
countiies. Whether a book is still in copyright varies from country to country, and we can'l offer guidance on whether any spécifie use of 
any spécifie book is allowed. Please do not assume that a book's appearance in Google Book Search means it can be used in any manner 
anywhere in the world. Copyright infringement liabili^ can be quite severe. 

About Google Book Search 

Google's mission is to organize the world's information and to make it universally accessible and useful. Google Book Search helps rcaders 
discover the world's books while helping authors and publishers reach new audiences. You can search through the full icxi of ihis book on the web 

at |http: //books. google .com/l 



'-] n 



.5 A- ■■ r ■■ 




pi-.-'*,"*'. 



UH t I la J 1. 1 . 



*' 



VR.1, 17?:?. (:■' 



'.Gm-^k 



■..:..CiWgk 



COLLECTION 

COMPLETE 

DESŒUVRES 

DE 

J. J. ROUSSEAU, 

TOME VINGT-TROISIEME. 

Xxfil 






COLLECTION 

COMPLETE 

DES ŒUVRES 

DE 

J. J. ROUSSEAU, 

Citoyen de Genève. 



-/ 



TOME VINGT -TROISIEME. 



Contenant des Pièces fur divers 
Sujets , & un Recueil de Lettres. 



A GENEVE. 
Af. DCC. L XXX II. 



iCBjOV 






EXT RAIT 

DU P R O J ET 
D t 
PAIX PERPÉTUELLE 

^ DE MOSSIEV A VAMBk 

DE SAINT-PIERRE. 



Tuncgcnus humanumpq/îtisj^icon/ulat armity 
Inqut vicem gens omnà omet, Lvokltli 



LETTRE 

27e M. RovssâÀVÀ M. A£ BusTXBèi 



<J *ÀuROis voulu f Moofieur « pouvoir 
répondre à rhonnêieté de vos follici- 
cations , en concdurant plus ucUement 
à vocce entréprife ; mais vous lavez 
fna téfolution , & &uce ûç mteuv , je 
liais réduit , pour vous complaire , à 

Fieces tSyerfes,' ■ . A ' ■ ■ 



2 L 'E T T R E , &C. 

— ., J.'-.; — . ^ , -, ■■,. 

tirer de mes anciens barbouillages le ' 
, morceau ci - joint , comme le moins 
'indigne des regirds du i^ublic. Il y 
a fix ans que M. le Comte de Saint- 
Pierre m'ayant çon6c les manuftrits 
de feu M. l'Abbc fon oncle , j'avois 
commencé d'abréger fes écrits, afin 
.de les rendre plus commodes à lire^ 
& que ce qu'ils ont d'utile fut plus 
connu. Mon -defleia étoit de publier 
cet at>cégé ren.,deipç. volumes , rûn 
delquriis eut' çohtend le6-<»eiiaits des 
puvtQges ,' &.i^Qtr« uihis*gsment;rai- 
fonné fur chaque projet : mais , après 
. jguelque eflai dcce travail , je vis qu'il 
. ne m'^oic pas propre '&• que. je ny 
. réuffirois , pqinç. J'abatjdônnai , doijc 
ce-<leflein ,-'^près l'avoir feulement 
exécuté .fur la Faix pcrpémelle 6c fyr 
la. Pçlyfynodie. Je vous envoie, Mon- 
teur f 1« preipiçE 4^ çeç «u^cs > 






Lettre, &:c j 

comme un fujec inaugural pour vous 
qui aimez la paix , & donc les écrits 
la refpîrenc. Puiflîons - nous la voa 
bientôc rétablie entre les Puiflances ; 
car entre les Auteurs. on ne Pa jamais 
vue , & ce n'efi pas aujourd'hui qu'oa 
doit refpérer. Je vous falue , Mon-^ 
fieur , de tout mon cœur. 

Rousseau, 

■4 MotUmarency , le s Décembre 170», 



Aj 






PROJET, 



Z> £ 



PAIX PERPÉTUELLES); 



V— >Omme jamais Projet plus grand | 
plus beau ni plus utile n'occupa refptit 
humain , crue celui d'ime Paix perpétuelle 
& ufirverielle entre tous les Peuples de 
lïurope , jamais Auteur ne mérita mieux 
Fattention du Public que celui qui pro- 
pofe des moyens pour mettre ce Projet 
en exécution. Il ell même bien difficile 
qu'une pareille matière laiffe un homme 
fenfible & vertueux exempt d'im pe,it 
d'enthoufiaâne ; & je ne fats û rilliiâon 
d'un cœur véritablement humain , à qui 
fon zele rend tout facile , n'eu, pas en 
cela préférable à cette âpre & repouH^te 
raifon , qui trouve toujours dans fou 
indifférence pour le bien public le premier 
obftacle à tout ce qui paut le fevorifer.' 



(*-) Cette Pièce & l«s trois Tuiv^ntcs auroicat dft ttre 
pUcJïs dant 1« {irciniïT volume Je CLite CollcAiaa ; mais 
- la KToflêur de ce volmiw nous ft détetminj i les plwci t 

Jb Uie de «dut . d. 

Aj 

Google 



't • P Rfl ) E T DE" Paix 

Je ne doute pas ^le beaucoup de LrS 
tenrs ne s'arment d'avance d'incrédulité- 
pdiif réïîfler au plaifir de la perfuafion » 
& je les plains de prendre fi triftement 
l'entêtement pour la. fageffe.- Mais j'efpere 
^e quelque ame honnête partagera Témo- 
tion dclicieufe avec laquelle je prends la 
plume ïiir im fiijet fi intéreffant pour l'hir* 
manits. Je vais voir, du moins en idée , 
les hommes s'imîr & s'aimer; je vais pen- 
ier à une douce & paHîble fociété de frè- 
res, vivans dans ime concorde étemelle, 
tpus conduits par les mêmes maximes , 
tous heureux du bonheur commun ; & , 
rêalilànt en moi - même un tableau fî 
touchant, l'image d'une félicité qui n'eft 
point , m'en fera goûter quelques inftans 
iij^e ycritsble. 

, Je n'ai ju refufer ces premières lignes 
au fentiment dont j'étois plein. Tâchoni 
irainie ant de raîibnner de fang- froid. 
Bien réfolu de ne rien avancer que je ne le 
prouve , je crois pouvoir prier le Leâeur 
fl fon tour de rien nier qu'il ne le réflite 
car.ce ne font pas tant les raifonneurs que 
îe crains , que ceux qui , fans fe rendre 
aux preuves , n'y veulent rien ob(eaer. 



Perpétuelle. 7^ 

Il ne faut pas avoir long-tems médité. 
fiir les moyens de perfeÛIonnw un Gou- 
vernement quelconque , pour appercevoir 
des embarras 6c des obftacles qui naiâent 
moins de & ccuiilitutiott que de (es rela^ 
tiens externes ; de forte que ht plupart des 
ibins qu'il faudroit coniacrer à fa police, 
on eft contraint de les donner à fa fureté, 
& de fonger plus à le mettre en état de 
réfiftér aux autres qu'à le rendre parfait 
en hii-même. Si l'ordre focial étoit, com« 
me on le prétend , l'ouvrage de la raifon 
plutôt que des paffions, eùt-on tardé â 
long-tems à voir qu'on en a feit trop ou. 
trop peu pour notre bonheiu-; que cha- 
cun de nous éfânt dans l'état civil avec 
fts concitoyens & dans l'état de nature 
avec tout le refte du monde , nous n'a- 
vons prévenu les guerres particulières que, 
pour en allumer de générales , qui (ont 
niîlle fois plus terribles ;& qu'en nouç uni£« 
&nr à quelques hommes , nous devenons: 
réellement les ennemis du genre-humain ?, . 

S'il y a qi.ielque moyen de lever ces 

dangereufes contradiûions , ce ne . peut 

être que par une forme île gouvernement 

confédérative, qui, imiffant les PeupU». 

A4 



Cno<ik 



s Projet de Paix 

par des liens femblaHes à ceux qui imit- 
fent ies individus , foumette également 
les vins & les autres à l'autorité des Loix. 
Ce gouvernement paroît d'ailleurs préfé- 
i^ble à tout autre, en ce qu'il comprend 
à 1 a fois les avantages des grands & des 
petits Etats, qu'il eft redoutable an de- 
hors par fe puiflahce , que les Loix y 
font en vigueur » & qu'il eft le feul pro- 
pre à contenir également les Sujets, le» 
Chefs & les Etrangers. 

Quoique cette fonne paroiflè nouvell* 
à c«lains égards , &: qu'elle n'ait en effet 
été bien entendue que par les Modernes , 
les Anciens ne l'ont pas ignorée. Les Grecs 
eurent leurs Amphiftions , les Etnifques 
leurs Lucumonies , les Latins leurs Fé- 
riés , les Gaules leurs Cités , & les der- 
niers foupirs de la Grèce devinrent en- 
core tUuAres dans la Ligue Achéenne« 
Mais nulles de ces confédérations n'ap- 
prochèrent pour la iàgefle de celle du 
Corps Germanique , de la Ligue Helvé- 
tique & des Etats Généraux. Que fi ces 
Corps politiques font encore en fi petit 
nombre & fi loin de la perfeflion dont 
pg f^nl qu'ils fçroieat iùiceptibl^s , c*elt 






Perpétuelle. 



que le mieux ne s'exécute pas comftie ÎI 
s'imagine , & qu'en pobtique ainfi qu'en 
morale , l'étendue de nos connoiiliûices 
ne prouve gueres que la grandeur de nos 
maux. 

Outre ces confédérations publiques ^ 
il Ven peut former tacitement d'autres 
moins apparentes 6c non moins réelles ,' 
par l'umon des' intérêts , par le rapport 
des maximes , par la conformité des cou- 
tumes , ou par d'autres circonftances qui 
laiflènt fublîjfter des relations commune* 
entre des Peuples divifés. C'eft ainfi que 
toutes les Puiflânces de l'Europe fctnent 
entr'elles une forte de fyftême qui les 
unit par une même religion , par un 
même droit des gens , par les mœurs , 
par les lettres , par le commerce , & par 
une forte d'équilibre qui eft l'effet néceC- 
iàire de tout cela ; & qui , fans que per- 
fonne fonge en effet k le conferver , ne 
feroit pourtant pas fi fecile à rompre que 
le penfent beaucoup de gens. 

Cette fociété des Peuplea de l'Europe 
n'a pas toujours exifté , & les caufts 
particulières qui l'ont feit naître fervent 
gnçon à k otaintçnir. £a> efiet, avant 

As 



Google 



tff PrO-ÎET DE P AIX 

les conquêtes des Romains , tous les 
Peuples ae cette partie du monde , bar- 
bares - &c inconnus les uns aux autres «. 
n'avoient rien de commun que leur qua- 
lité d'hommes , qualité qui , ravalée 
alors par l'elblayage , ne différoit gueres 
^ans leur efprit de celle de brute. AiiiG. 
les Grecs , raifonneurs & rains , dîftin- 

■ guoient-ils , pour ainii dire , deux efp>e— 
ces dans l'humanité ; dont l'une , favoir 
|a leur ^ étoit faite pour commander ; Se 
i'autre , qui comprenoit tout le refte du 
inonde , uniquement pour fervir. De ce 
principe , il réliiltoit qu'un Gaulois oit 

. un Ibère n'étoit rien de plus poar ur 
Grec que n'eût été un Caffre ou im Amé- 
ricain , &c les Barbares eux - mêmes r^a- 
.Voient pas plus d'affinité entr'eux que 
n'en avoieût les. Grecs avec les uns &c 
les autres:^ 

■ Mais quand ce Peuj^e , fouverain par 
nature , eût été foumis aux Romains Ces- 
efclaves, & qu'une partie de ITiémifphere 
■connu eût fubi le même joug, il fe Ibrma 
ïuie union politique & civile entre tou« 
les œemi>res d'un même Empire ; cette 
lioioa. M. heauojup rei&rrée par. }^_ 



Perpétuelle. 



xiiaxime , ou très-fage ou très-inrenfée , dft 
communiquer aux vaincus tous les droits 
des vainqueurs, 6c fur-tout par le Êuneiue- 
décret de Claude , qui incorporoit tous 
les fujets de Rome au nombre de Te»- 
citoyens. v^ ' 

A la chaîne politique qui rjun^it 
ïùnfi tous les membres en un corps , (a 
joignirent les inftitutions civiles & lefl 
lois qui donnèrent une nouvelle force à 
ces liens , en déterminant d'iuie manière 
équitable ^ claire & précife , du moins 
autant qu'on le pouvoit dans un fi vaâe 
Empire , les devoirs & les droits réci- 
proques du Prince & des fujets , & ceux 
des citoyens entr'eux. Le code de Théo-' 
dofe , & enfuite les livres de Juftinieti 
fiireiït une nouvelle chaîne de jniUce St 
de raifon « fubftituée à propos à celle du 
pouvoir fouverain ^ qui fe relâchoit très- 
fenfiblement. Ce fupplément retarda beau- 
coup la diflblution de l'Empire , 6c lui con- 
lèrva long-tems ime forte de jurisdtéïîon 
fur les Barbares mêmes qui le déroloient- 

Un troifieme lien , plus fort que les 
précédens , fiit celui de la Religion , Sc 
Vpa ne peut nier que ce ne foit liir-tout . 
^ • A 6 



Il Projetde Paix 

au ChrîftianMmeque l'Europe doit encore 
aujourd'hui TeipeM de ibciété qui s'eft 
perpétuée entre fes memb-esî tellement 
(jue celui de ces membres qui n'a point 
adopté fur ce point le fentiment des au- 
tres , eil toujours demeuré comme étran- 
ger parmi eux. Le ChrilHanilme , fi mé- 
prifé à (r naillknce » fervit enfin d'afyle à 
fes Idétrafleurs. Après l'avoir fi cruelle- 
Bient èc fi vainement perfécuté , l'Empire 
Romain y trouva les reflbiu-ces qu'il n'a- 
voit plus dans fes farces ; fes miifions 
lut valoient mieux que des vîâoires ; il 
cnvoyoit des évêques réparer les iàutes 
de {es généraux , & triomphoit par fes 
prêtres quand £es foldat» étoient battus. 
C'efl ainit que les Francs , les Goths , 
ks Bourguignons , les Lombards y les 
Avares &: nulle autres reconnurent enfin 
l'autorité de l'EmjMre après Tavoir fub- 
jugué , 8c reçurent , du moins en appa- 
rence , avec la loi de l'Evangile celle da 
PrinM qui la leur feifoit annoncer. 

Tel etoit le refpeft qu'on portoït en- 
core à ce grand Corps expirant , que 
jufqu'au dernier inftant fes deflnifteurs 
stioaoroiçii^ ^e fes ûstsi oa voyoït dfr; 






Perpétuelle. 



Ȕ 



venir officiers de l'Empire , les mômes 
coflquérans qui l'avoient avili ; les plus , 

Cds Rois accepter , briguer même les 
leiirs Patriciaux , !a PréfèÔure , le 
Confulat ; & , conune lui lioii qui flatté 
l'homme qu'il pourroît dévorer , on 
voyoit ces vainqueurs terribles rendre 
hommage au trône Impérial , qu'ils 
étoient maîtres de renverler. 

Voilà comment le Sacerdoce & l'Em- 
pire ont formé le lien focial de divers 
Peuples» qiù, fans avoir aucune commu- . 
nauté réelle d'intérêts , de droits ou de 
dépendance , en avoient une de maximes 
& d'opinions , dont l'influence eft encore 
demeurée, quand le principe a été détruif. 
Le fimulacre antique de l'Empire Romaïfi 
a continué de former une forte de lîai- 
fon entre les membres qui l'avoîent com- 
pofé ; 6c Rome ayant dominé d'une autre 
manière après la deftruâion de l'Empire , 
il eft refte de ce double lien ( t ) une fo- 
ciété plus étroite entre les Nations de 



( I ) Le nrpoa pour l'Empir* RomKia a telleintiit fur. 
rin i I^ puilkace, qii« bUn des JurifËseruli». ont mji 
€o qucllion li l'Empcrcnr itiiUmafae a'tailt pas Is Son. 
viTiûii natuEd du uumilti St Baitelc a loitffâ lu cliB&t 






«4 Projet DE Paix 

TEurope, où étoit tecentra des deux PuiC- 
ûnces , que dans les autres parties du 
monde , dont les divers Peuples , -trop ^ 
épars pour fe correfpondre , n'ont de çisîs 
aucun point de réunion. 

Joignez à cela ïa fituation particulière 
de l'Europe , plus également peuplée , plus 
également fertile , mieux réimie en toutes 
fes parties ; le mélange continuel des inté- 
rêts que les liens du làng &c les affaires du 
• commerce , des arts , des colonies ont nùs 
entre les Souverains ; la multitude des 
rivières & la variété de leur cours , quï 
rend toutes les communications faciles ; 
Fhumeur inconftante.des Habitans, qui les 
porte à voyager &is ceffe Se à fe tranf- 
porter fréquemment les uns chez les au- 
tres ; l'invention de l'Imprimerie & le 
goût général des Lettres , qui a mis entre 
eux une communauté d'études & de con- 
noiflànces ; enfîn la multitude & la peti- 
teffe des Etats , qui , jointe aux befoins 
du luxe & à la diverlîté des climats ^ rend 



}nli)a'i traïHt dli^ritiqus ^ican^ac alhk en doncïr. I.u 
livr» des CanoniRei font pleins de décifîont fimtilablts 






Perpétuelle. 15 

les uns toujours ncceflàires aux airtrea 
Toutes ces caufes réunies forment de 
FEiirope , non-feulement comme l'Afie ou 
FAfrîque, une idéale coUeftion de Peu- 
ples qui n'ont de commun qu'un nom , 
mais une ibciété réelle qui a la Religion, 
{es mœurs, Tes coutumes & même fes 
loix , dont aocan des Peuples qui la com- 
pofent ne peut s'écarter vsns caufer auffi- 
tôt des troubles. 

A voir, d'un autre côté , Tes diffentions 
perpétuelles , les brigandages , tes ufurpa- 
lions ^ les révoltes, les guerres, les meur- 
tres , qui défolent journellement ce ref- 
peâabte féjour des Sages , ce brillant afyle 
des Sciences 6c des Arts ; . à confideret 
nos beaux difcours 5c nos procédés hor-r 
libles , tant d'humanité dans les maxime* 
& de cruauté dans les aflions , une Reli- 
^on fi douce & une fi ûoguinaire into- 
lérance, luie Politique fi fage dans les 
livres & fi diu-e dans k pratique , des 
Cheft fi Henfàifans & des Peuples fi mi- 
fërables , des Gouvememens fi modéréa 
& des guerres fi cruelles : on iàit à peine 
comment concilier ces étranges contrarié- 
^i «Se cette fratOTÙlé gràenidue des Peifcr 






i6 Projet de Paix 

pies de l'Europe ne femble être qu'un 
nom de dériiîon , pour exprimer avec iro- 
nie leur mutuelle animofité. 

Cependant les chofes ne font que fui- 
"Vre en cela leur co\u-s naturel ; toute fb- 
ciété fans loix ou £ans Chefs , toute union 
formée ou maintenue par le hafàrd, doit 
réceffairement dégénérer en querelle Se 
diffention à la première cîrconftancc qui 
vfent à changer ; l'antique union des Peu- 
ples de l'Europe a compliqué leurs inté- 
rêts &c leurs droits de mille manières j ils 
fe touchent par tant de points, que le 
moindre mouvement des uns ne peut 
manquer de choquer les autres ; leurs di- 
vifions font d'autant plus fiineftes , que 
leurs liaifons font plus intimes ; & leurs 
fréquentes querelles ont prefque la cruau- 
té des guerres civiles. 

Convenons donc que l'état relatif des 
Puiflànces de l'Europe eft proprement un 
état de guerre, & que tous les Traités 
partiels entre quelques-unes, de ces PuiC- 
îànces font plutôt des trêves palTageres. 
que de véritables Paix ; foit parce que 
ces Traités n'ont point communément 
d'autres garajis que l«s Porùss contract 



Perpétuelle. 17 

tantes, foit parce que les droits des unes & 
des autres n'y font jamais décidés radica- 
lement , & que ces droits mal éteints , oit 
les prétentions qui en tiennent lieu entre 
des Puiflànces qui ne reconnoKTent auatn 
Supérieur , feront infailliblement des four- 
ces de nouvelles guerres , fi-tôt que d'au- 
tres drconfhuices aiu-ont donné de nou- 
velles forces aux Prétendans. 

D'ailleurs | le Droit public de l'Europe 
n*étant point établi ou autorifé de con- 
cert , n'ayant aucuns principes généranx , 
& variant inceUâmnent &I00 les tems 
& tes lienx , il elï plein de règles con- 
tradiûoires qui ne ie peuvent concilier 
que par le «froit du plus fort ; de forte 
que la nûfon £uis guide aiTuré , fe pliant 
toujours vers l'intérêt perfonnel dans te» 
diofes douteufes, la guerre fermt encor» 
inévitable, quand même cliacun voudrojt 
être juâe. Tout ce qu'on peut feire avec 
de lionnes intentions , c'en de décider 
ces fortes d'aides parla voie des armes, 
ou de les aiToupir par des Traités pal&- 
gers ; mais bientôt aux occafions qui rani- 
ment les mêmes querelles, il s'en joint 
4'autres tjui les modifient j tout s'eitt- 






i8 Proie t de Paix 

brouille , tout fe complique ; on ne voit 
plus rien au fond des chofes ; l'ufurpa- 
tion paffe pour droit , la foibleffe pour 
injuflice ; & parmi ce défordre conti- 
nuel , clwcun fe trouve inienfiblement fî 
fort déplacé , que il l'on pouvoit remon* 
- ter au droit folide & primitif, il y aiuxiit 
peu de Souverains en Europe qui ne duf- 
fent rendre tout ce qu'ils ont. 

Une autre feinence de guerre, plus ca- 
chée & non moins réelle , ic'eft que les 
• chofes ne changent point de forme en 
changeant de nature; que des Etats héré- 
ditaires en effet, reftent éleâifs en appa- 
rence ; qu*il y ait des Parlemens ou État» 
jiaiionaïuï t:.;:!S des Monarchies , des Chefs 
hcréditaircs dans des Rcpiib!îques;'qu'une 
Puiiiânce dépendante d'une autre , conferve 
encore une apparence de liberté; que tous 
les Peuples , foumis au même pouvoir , 
ne foiini pas gouvernés par les mêmes 
loix ; que l'ordre de fuccefiion foit dit- 
férent dans les divers Etals d'un même 
Souverain ; enfin que chaque Gouvcme- 
menf tende toujours à s'altérer, fans qu'il 
foit pofîible d'empêcher ce progrès- Voilà 
les cauies générales & particulières qui 






Perpétuelle. 19 

■dis iiniffent pour nous détruire , & 
nous font écrire une fi belle doârine fo- 
ciale avec des mains toujours leintes de 
iàng humain. 

- Les cauiesdu mal, étant une fois con« 
nues , le remède , s'il exifte , eft fuffifam- 
snent îiïdiqué par elles. Chacun voit que 
toute fociété fe forme par les intérêts 
communs ; que tonte divifion naît dm 
intérêts oppofés ; que mille événemens. 
fortuits pouvant changer & modifier les 
uns & les autres , dès qu'il y a fociété , 
àl faut néceflàirement une force coaâïve , 

3ui ordonne & concerte les mouvemens 
e fes membres , afin de donner aux com- 
muns intérêts & aux engagemens récU 
proques , la folidité qu'ils ne làuroient 
avoir par eux-mêmes. 

Ce feroit d'ailleurs ime grande erreur, 
i*e(pérer que cet état violent pût jamais 
changer par la feule force des chofes, 
& fans le fecours de l'art. Le fyftême 
de l'Europe a précifément le degré de 
folidité qui peut la maintenir dans une 
^[itation perpétuelle , fans la renverfet 
toul-à-feiti 6c fi nos maux ne peuvent 
iugmetiter , ils peuvent enccnre moiof: 



Proj et de P ai 



finir , parce que toute grande révolution 
cA déformais impollîble. 

Pour donner a ceci l'évidence nécef- 
iàire , commençons par jetter un coup- 
d'œil général fur l'état préfent de l'Eu- 
rope. La iituation des montagnes , des 
mers & des fleuves tpii fervent de bor- 
nes aux nations qui l'habitent , femble 
avoir décidé du nombre & de la gran- 
deur de ces nations; & l'on* peut dire 
que l'ordre politique de cette partie du 
monde eA , à certains égards , rouvragjs 
de la nature. 

En e^ , ne penfons pas que cet équi- 
libre fi vanté ait été établi par perfonne , 
& que perfonne ait rien fait à delTein 
de le conferver : on trouve qu'il exifte; 
& ceux qui ne fement pas en eux-mêmes 
aâèz de poids pour le rompre, couvrent 
leurs vues -particulières du prétexte de 
ie foutenir. Mais qu'on y fonge ou non , 
cet équililo-e fubfifle , & n'a befoin que 
de lui-même pour fe conferver, lànsque 
perfonne s'en mêle ; & quand iJ fe rom- 
proil un moment d'un côté , il fe ré- 
tabliroit bientôt d'un autre : de forte que 
jSi les Princes qu'on accufoit d'afpirer i 






Perpétuelle. 



la Monarchie iinlverielle ^ y ont réelle- 
ment afpiré, ils montroient en cela plus 
d'ambition que de génie; car comment 
envisager un moment ce projet , làns en 
voir aufli-tôt le ridiaile r Comment ne 
pas fentir qu'il n'y a peint de Potentat 
en Europe affez fupérieur aux autres , 
pour pouvoir jamais en devenir le ma- 
ire ? Tous les Conqviérans qui ont feit 
des révolutions, fe préfentoïent toujours 
avec des forces inattendues , ou avec 
des troupes étrangères & différemment 
aguerries , à des Peuples ou défarmés , 
ou divifés, ou fans difcipline ; mais .o^ 
prendroit un Prince Européen des forces 
inattendues, pour accabler tous les au- 
tres , tandis que le plus pulffant d'entre 
eux eft une fi petite partie du tout , ÔC 
qu'ils ont de concert une fi grande vigi- 
lance } Aura-t-U plus de troupes qu'euîf 
tous? Il ne le peut, ou n'en fera que' 
plutôt ruiné , ou fes troupes feront plus 
iTiauvaifes , en raifon de leur plus graûd 
nombre. En aura-t-il de mieux aguefries > 
Il en aura moins à proportion. D'ailleurs 
la difcipline eft par-tout à-peu-près la 
même, oh le, dçviçijdga dgis peu. Au^ 



Projet de Paix 



t-11 plus d'argent ? Les fources en font 
communes , & jamais l'argent ne fit 
àe grandes conquêtes. Fera-t-îl une in- 
yaiion iubiteî La famine ou des places 
fortes l'arrêteront à chaque pas. Voudra— 
t-il s'agrandir pied-à-pïed ? il donne aux 
ennemis le moyen de s'unir pour refit- 
ter; le tems, l'argent Se les hommes ne 
tarderont pas à lui manquer. Divifera- 
t-il les autres Puilfences pour les vain- 
cre l'une par l'autre î Les maximes de 
l'Europe rendent cette politique vaine ; 
& le Pçince le plus borné ne donneroit 

■ pas dans ce piège. Enfin , aucun d'eux 

■ ne pouvant avoir de reffources exclu- 
fives , la réfiftance eft , à la longue , 
égale à l'effort ; & le tems rétaUit biai- 
tôt les brufques accidens de la fortune, 

' finon pour chaque Prince en particulier, 

an moins pour lîl coniUtutîon générale- 

■ Veut-on maintenant fupppfer à plai- 

• fir l'accord de deux ou trois Potentats 
pour fubjuguer tout le refte î Ces trois 

■ Potentats , quels qu'ils foient , ne feront 
pas énfemble la moitié de l'Europe. Alors 

' l'autre moitié s'unira certainement contre 
. ftif i il>' auront donc à vaincre plus fytf 






Perpétuelle. 



qu'eux-mêmes. Tajoute que les vues des 
uns ioat trop oppofées à celles des au- 
tres , & qu'il règne une trop grande ja- 
loulîe entr'eiix , pour qu'ils puilîent même 
former un femblable projet : j'ajoute en- 
core que , quand ils l'auroient formé « 
qu'ils le mertroient en exécution , Sc. 
qu'il aiu-oii quelques fuccès , ces fuccèa 
mêmes leroient , pour les Conquéran* 
alliés , des femences de dii'corde ; parce 
.qu'il ne feroîtpas poflible que les avan- 
tages fuffent tellement partagés , que cha- 
-cim fe trouvât également tatisfeit dés 
fiens ; & que le moins heureux s'oppo- 
_feroit bientôt aux progrès des autres <jui, 
par luie iemblable railbn, ae tarderoieïjt 
pas à fe di/ifer eux-mêmes. Je doute 
<pie depuis qi» le monde exifte,onait 
jamais vu trois ni même deux grande» 
.Pujflàflces , bien xmies , en lubjuguer 
.d'autres , iâns fe brouiller fur les con- 
tingens ou fur., les partages, & faos 
donner bientôt, parleur mefintelligencè » 
de noiivelles relTources aux foibles. Ainfi , 
quelque fiippofition qu'on feffe , il n*^ 
pas vraifenAlable que ni Prince , ni 






»4 Projet de Paix 

Péniblement & à demeure , Tétat dos 
thofes parmi nous. 

Ce n'-ell: pas à dire que les Alpes , le 
Fhin , la Mer , les Pyrénées foient des 
obflacles înfurmontables à l'ambition ; 
'fnais ces obilacles font foiitenus par d'au— 
;tres qui les fortifient, ou ramènent les 
'Etats aux mêmes limites , quand des 
■ çfforts paflàgers les ea ont écartés. Ce 

?ui felt le vrai foutien du fyilême de 
Europe, c'eftbicn en partie le jeiî de« 
négociations , qui prelque toujours ia 
bakncent mutuellement ; mais ce fyftême 
a un autre appui plus foUde encore; & 
cet appui c'eit le Corps Germanique , 
placé preTque au centre de l'Europe , le- 
quel en tient toutes les autres parties en 
refpefl , & fert peut-être encore plus au 
maintien de fes voiiins , qu'à celui de 
fes propres membres : Corps redoutable 
""^ux étrangers , par fon étendue , par le 
~ nombre & la valeur dç fes Peuples ; 
mais utile à tous par fa conititution, 
qui , lui ôtant les moyens & la vo- 
lonté de rien conquérir , en fait l'écueil 
des conquérans. Malgré les défauts de 
fgx\ comUtutlon de FEippire, il efl cer- 



Perpétuelle. aj. 

tain que tant qu'elle fubfiAera , jamais 
l'éqiiiiibre de l'Europe ne fera rompu , 
ou aucun Potentat n'aura à craindre d'être 
détrôné par un autre , & que le traité de 
Weftphalie fera peut-être a jamais parmi 
nous la bafe du fyflême politique. Ainfî 
le droit public , que les Allemands étu- 
dient avec tant de foin , eft encore plus 
important qu'ils ne penfent , & n'eH pas 
feulement le droit public Germanique , . 
mais y à Certains égards « celui de toute 
l'Europe. 

Mais fi le préfent fyftême eft inébran- 
lable , c'eft en cela même qu'il eft pluS; 
Orageux ; car il y a , entre les Puiflances 
Européennes , une aâion & une réaâion 
qui, (ans les déplacer tout-à-feit, les 
tient dans une agitation continuelle ; & 
leurs eflbrts font toujours vains & lou- 
jouts renaiflkns , comme les flots de la 
mer , qui làns cefte agitent {à fiir&ce ,' 
&n$ jamais en changer le niveau ; de 
forte que les Peuples font inceflàmment 
défolés , Éins aucun profit fenfible pour 
les SouverainSi 

Il me feroit aifé de déduire la même 
Vérité des intérêts particuliers de toutes 

Pièces diverfes, B 



. .Google 



x6 Projet de Paix 

les -Cours de l'Europe ; car je ferois voir 
aifément que ces intérêts fe croifent de 
■manière à tenir toutes leurs forces nw- 
tuellement en refpeft ; mais les idées de 
commerce & d'argent ayant produit une 
efpeçe de fànatifme politique , font û 
promptement changer les intérêts appa- 
«ns de tous les Princes , qu'on ne peut 
établir aucime maxime Aable fur leurs 
vrais intérêts , parce qiie tout dépend 
ïBaintenant des fyûêmes écewiomiques , la 
plupart fort bizarres , qui paffent par la 
tête des Minières;. Quoi qu^l en foit , le 
Commerce , qui tend journellement à fe 
mettre en équilibre , ôtant à certaines 
Puii&ices ■ l'avantoge «tdufif qu'elles en 
tiroifflît , leitr ôte en même tems un des 
«rands moyens qu'elles avoient de &ir« 
Ja loi aux autres ( i \ 



<l) Les chofes 0D[ chanta dqiuis que j'tcrivois ceci i 
m*'* «xui priDCijw Ttrl touiouri vu). Il «ft , par exemple , 
itris-ailï de prévoit que dani vingt uns d'ici , l'AngletBiTe 
.4*«c toute fa gloire, fera ruinie , & de plus aura pecda 
le nflt Af fa liberté. Tout le inonde afTure que l'agricuN 
tnre flearic dliu cette llle , St mai je pirie qu'elle y di- 
férit tondiet l'agtandbvtout leiittursi doncle Reyanne 
^dfpeuple. Let Angloii veHl.ent ttte (.injutiant* dune ils 






fERPÉTUELLt. I7 

Si j'ai inûAé far l'égale dlûrîbution de 
B>rce , -qui réfuhe en Europe de la confti- 
tutton aâuelle , c^étoit poiir en déduire 
une conféqiience importante à TétablifTe- 
ment d'une affociation générale ; car pour 
former une confédération folide & aura- . 
Me , il &ut en mettre tous les membres 
dans une dépendance tellement mutuelle , 
qu'aucun ne foit féal en état de rérifter 
à tous les autres , &C qae les aflbciations 
particulières qui pourroient nuire à la 

Cde , y rencontrent des obftacles Aiffi- 
pour empêcher leur exécution : lans 
quoi , la confédération feroit vaine ; & 
chacun feroit réellement indépendant , 
fous une apparente Tujétion. Or , fi ces 
obAacles font tels que j!ai dit ci-devant , 
maintenant que toutes les Puiflànces font 
dans une entière liberté de ftmner- en- 
tt'elles des ligues & des tr^tés offenfifs , 
qu'on juge de ce qu'ils feroient quand il 
j auroit une grande ligue armée , tou- 
jours prête à prévenir ceux qiïi vou-- 
droient entreprendre de la détruire ou- 
de lui réfiftec Ceci iïitfïcpour montrer- 
qu'ime telle affociation 'ne confiAefoit pas 
en délibératicns vs'-ncs a r-'.'.xnitdhs c'-'^s.'- ' 
L 1 



i8 ProjetdePaix 

Clin pût réfifler impunément ; mais qu'il 
en naîtroit une puiflànce efFeâive , capa- 
ble de forcer les ambitieux à fe tenir 
dans les bornes du traité général. 

II refaite de cet expofé , trois vérités 
inconteftables. L'une , qu'excepté le Turc, 
il règne entre tous les Peuples de l'Eu- 
rope, une liaifon fôciale imparfeite , mais 
plus étroite que les nœuds généraux &C 
lâches de Thumanité. La féconde, que 
l'imperfeâion de cette foeiété rend la 
condition de ceux qvii la compofent, pire 
que la privation de toute foeiété entre 
eux. La troifieme, que ces premiers liens, 

3ui rendent cette foeiété nuifible, la ren- 
ent en même tems Scile à perfeâionner; 
en forte que tous fes Membres pourroient 
tirer leur bonheur de ce qui feit aéluel- 
lement leur mîfere , & ctûnger en une 
paix étemelle , l'état de guerre qui règne 
entr'eux. 

Voyons maintenant de quelle manière 
ce grand ouvrage, commencé par la for- 
time , peut être achevé par la raifon ; & 
comment la foeiété libre & volontaire , 
qui imit tous les Etats Eiu-opéens, pre- 
nant la force Si. la folidité d'un vrai Corps 






Perpétuelle. x^ 

politique, peut fe changer en une confô- 
aération réelle. Il eft indubitable qu'un 
pareil établiffement donnant à cette aflb- 
ciation la perfeûion qui lui manquoit-, 
en tléniiira l'abus , en .étendra les avan- 
tages , & forcera tontes les parties à con- 
courir au bien commun ; mais il iàut 
pour cela mie cette confédération foit 
tellement, générale , que nulle Puiflânce 
conftdérable ne s'y refufe ; qii'elle ait un 
Tribunal judiciaire , qui puilte établir les 
loix & les réglemens qui doivent obliger 
tous les Membres ; qu'elle ait une force 
coaâive & coërcitive , pour contraindre 
chaque Etat de fe foumettre aux délibé- 
rations communes, foit portr agir, foït 
pour s'abUenir ; enfin , qu'elle fou ferme 
& durable, pour empêcher que les Mem- 
bres ne s'en détachent à leiu* volonté , 
fi-tôt qu'ils croiront voir leur intérêt par- 
tiaiUer contraire à l'intà-êt général. Voilà 
les^ fignes certains , auxquels on recon^ 
■noîtra que l'inftitudon éft fage , utile 8c 
inébranlable : il s'agit maintwiant d'éteii^ 
dre cette fuppofition , pour chercher par 
analyfe , quels effets doivent en réfulter , 
quels moyens font proptïs à l'établir, & 
B3 






30 Proïetde Paix 

c,wel efpoir raifoiinaUe on peut avoir de 
la mettre en exécution. 

E le forme de tems en tems parmi nous- 
des efpeces de Diètes générales fous le 
nom de congrès , oh l'on fe rend folem^ 
nellement de tous les Etats de l'Europe 
pour s'en retourner de même ^ oii l'o» 
a'affemHs pmu- ne rien dire ; oîi toutes 
les affaires publiques fe traitent en parti- 
culier ; où Von délibère en commun fi la 
table fera ronde , ou quarrée , fi la Êtlle 
aura plus ou moins d« portes , fi un tel 
■Plénipotentiaire aura le vifage ou le dos 
tourné vers la fenêtre, fi tel autre fera 
deux pouces de chemin . de plus ou de 
moins dans ime vifite , Se fur nulle quef- 
tions de pareille importance , inutilement 
agitées depuis trois fiecles , &. très-dignes 
amirément d'occuper les Politiques du 
nôtre. 

Il le peut faire cnie tes membres d'une 
Ai c.es afle|nblée&;^)ient une fois doués 
du fais commun; il n'eft pas même im- 
poffible qu'ils veuillent finc^ement 1« 
bien public ; & par les raifons qui feront 
ci - aiMXS déduites , on peut concevoir 
jwcpre qu'après avoir- applani bien d«s 






Perpétuellr. 31. 

difficultés , ils auront ordre de leurs Son- 
verains reifpeâ^ , de ligner la conftkléra- 
lioa générale que je fuppole fommaire-- 
ment contenue dans les cinq Artides 
fuivans. 

Par le premier, les Souverains Con- 
traâans établiront entr'eux une alliance 
perpétuelle & irrévocable , 6c nomme- 
ront des Plénipotentiaires pour tenir dans 
lui lieu déterminé , une Diète ou im con- 
grès permanent, dans lequel tous les dif- 
férends des Parties contraâantes feront 
réglés & terminés par voies d'arbitrage 
ou de Jugement, 

Par ïe fécond , on fpécifîera le nom- 
bre des Souverains dont les Plénipoten- 
tiaires auront voix à la Diète , ceux qui 
feront invités d'accéder au Traité ; l'or- 
dre , le tems & la manière , dont la pré- 
Êdence paiTera de l'un à l'autre par inter- 
valles égaux ; enfin la quotité relative 
dts contributions , & la manière de les 
lever , pour fournir aux dépenfes com-; 
munes. 

Par le troifieme , la confédération ga- 
rantira à chacun de fes membres la pouîéf- 
fion & le gouveriiement de tous les E^ts 
B4_ 






Projet de Paix 



. qu'il poffede aÔuelIement , de même que 

■ la fucceflîon éleâive ou h^éditaîre, félon 
qite le tout eft établi par les loix fonda- 
mentales de chaque pays ; & pour luppri- 
mer tout-d'un-coup la foiirce des démê- 

- lés qui renaiffent incefiàmment , on con- 
viendra de prendre la pofîellion adueUe 

- & les derniers Traités pour bafe de tous 
les droits mutuels des Puilîances contrac- 

- tantes ; renonçant pour jamais &C récipro- 
quement à toute autre prétention antérieu- 
re; faufles fucceilions ftitures contentieules, 
&.autres droits à écheoir , qui feront tous 
réglés à l'arbitrage de la Diète, fans qu'if 
foit permis de s en faire raifon par voies 
de ^t , ni de prendre jamais les armes 
l'un contre l'autre , fous quelque prétexte 
que ce puilTe être. 

Par le quatrième , on fpécifîera les cas: 

■ oii tout Allié , inftaôeur du Traité , feroit 
mis au ban de l'Europe , & profcrit com- 
me ennemi public; lavoir, s'il refiifoit 

' d'exécuter les jugemens de la grande Al- 
liance, qu'il fît des préparatifs de guerre, 
qu'il négociât des Traités contraires à la 
confédération., qu'il prît les armes pour 
lui réfiiler , ou pour attaquer quelqu'un 
des AUiés, 






Perpétuelle. 



D fera encore convenu par le même 
article, qu'on armera & agira offenfive- 
ment, conjointement & à irais communs , 
contre tout Etat au ban de KEurope, jul- 
qu'à ce qu'il ait mis bas les armes , exé- 
cuté les jugemens Se réglemens de h Die* 
te , répare les torts , rembourfé les fiais, 
&c fait raifon même des préparatifs dâ 
guerre , contraires au Traité. 

Enfin, parle cinquième, les Plénipo- 
tentiaires du Corps Eiu-opéen aiu-ont tou- 
. jours le pouvoir de former dans la Dicte, 
à la plmâlité des voix pour la provifion, 
& aux treis quarts des voix cinq ans 
^rès pour la définitive , fur les inftruc- 
tions de leurs Cours , les réglemens qu'ils 
jugeront importans pour procurer à la 
République Européenne &c à chacun de 
fes membres , tous les avantagés poffibles; 
mais on ne pourra jamais rien changer à 
ces cinq articles fondamentaux , que dii 
confentement unanime des Confédérés. ' 
Ces cinq articles , ainfi abrégés & cou- 
ehés en règles générales , i'ont, je n'ignora 
pas, fujets, à mille petites difficultés , 
dont plu^eurs demanderoient de longs 
éclairafiénietis>}imai» les -^petites ^tifioil- 
B5 






P RO JET DE Paix 



tés fç lèvent aifénicnt wi befoin ; &ce 
n'eft pas d'elles qu'il s'agit dans une en- 
treprile de l'importance de celle-ci. Quand 
il fera queftion du détail de la police du 
Congrès » on trouvera mille obrtacles , & 
dix raille nwyens de les fever. Ici il ell 
queftion d'examiner , par la nature -des 
chofes , û Fentreprife eft poffible ou non. 
On le perdroit dans des volumes de riens, 
s'il faBoit tout prévoir & répondre à 
tout. En fe tenant aux principes încon- 
ttftables , on ne doit pas vouloir conten- 
ter tous le(; eiprits, ni réfoudre toutes 
les- objeâio;ns- , ni- îre comment tout Te 
fera : il fn$t de montrer (pie tout fe 
peut feire. 

Que faut -il donc examiner pour bien 
niger de ce fyftême ^ Deux queftions 
feulement ; car c'eft une infulté que je 
pe.veux pas &ire au lefteur, delui prou- 

?''er qu'en général l'état de pai* eft pré- 
érabte à l'état de guerre.. 

La preaaiere queftion eft , û la confé- 
dération projx)fée iroit forement à foa 
but , & feroit Aiffifante pour donner à 
rEiirope \me paix folid& 6c : perpétuelle.. ■ 
La féconde , s'il ^jg.de rifl^êt des Squ^ 






Perpétuelle.' jy 

verains d'établir cette confédération , & 
d'acheter une paix conftante à ce prix. 

Quand Tutilité générale & particulière 
fera ainfi démontrée , on ne voit plus 
dans ta raifon des choies , quelle caufe 
pourroit empêcher Teffet d'un établiffe- 
ment qui ne dépend que de la volonté 
des intereffés. 

Pour dilcuter d'abord le premier arti- 
cle , appliquons ici ce que j'ai dît ci- 
devant du fyflême général de l'Europe » 
& de. l'effort commun qui cîrconlcrit 
chaque PuifTance à -peu -près dans fes 
bornes , &c ne lui permet pas d'en écrafêr 
entièrement d'autres. Pour rendre fur cô 
point mes raifonnemens plus fenlîbles , 
je joins ici la lifte des dix-neuf PuiiTances 
qu'on fuppofe eompofer la République 
Européenne ; en forte que chacune ayant 
voix égale , Û y auroit dix-neuf voix dan* 
la Diète ; 

Savoir r 

L'Empereitr des Romains. 

L'Empereur de RulHe. 

Le Roi de France. 

Le Roi dTEfpagne. 

l>e Roi d'Angleterrer > i 

9$ 



36 Projet DE Paix 

Les Etats Généraux. 

Le Roi de Dannemarck. 
. La Suéde. 

La Pologne." 

Le Roi de Portugal. 

Le Souverain de Rome. 
. Le Roi de Pniffe. 
_ L'Elefleur de Bavière & fes Co-affocjés. 

L'Elefteur Palatin & fes Co - affociés. 

Les Suifles & leurs Co - affociés. 

Les Eleûeurs Eccléfiaftiques & leurs 
. Affociés. 

La République de Venife & fes Co- 
affociés. 

Le Roi de Naples. 

Le Roi de Sardaigne. 

Plufieurs Souverams moins confidéra- 
bles , tels que la République de Gênes , 
les Ducs de Modene & de Parme , & 
d'autres étant omis dans cette lifle , fe- 
ront joints aux moins puiflàns , par forme 
d'affociation , & auront avec eux un droit 
de fuf&age , femblable zu voium curiatum 
des Comtes de l'Empire. Il eft inutile de 
rendre ici cette énumération plus précife ; 
parce que, jufqu'à l'exécution du pro- 
jet ^ il peut furvenir d'im momeot à Tau- 






Perpétuelle. 37 

tre des accidens fur lelquels il la ^udroit 

réformer , mais qui ne changeroient rien 
au fond du fyfiême. 

n ne faut que jetter les yeux fur cette 
liile , pour voir avec la dernière évi- 
dence , qu'il n'eft pas poflible , ni qu'aiï- 
aine des Puiflànces qui la compofent foit 
en état de réliAer à toutes les autres unies 
en corps , ni qu'il s'y ftwine aucune ligue 

- partielle , capable de &îre tèK à la grande 
confédération. 

Car comment fe feroit cttte ligue ? 
Seroit-ce entre les plus puiffans ? Nous 
avons montré qu'elle ne (auroit être du- 
rable ; & il eft bien aifé maintenant de 
voir encore qu'elle eft incompatible avec 
le fyftême parliadier de chaque grande 

. Puiflance , & arec les intérêts inlepara- 
bles de fa conûitution. Seroit-ce entre 
«n grand Etat &c plulieyrs petits î Mais 
les autres grands Etats , unis à la confé- 
dération , auront bientôt écrafé la ligne : 
Se l'on doit fentir que la grande alliance 
étant toujours imie &c armée , il lui fera 
fecile , en vertu du quatrième article , 
de prévenir & d'étouffer d'abord toyte 

, alliance partielle & féditieufe , ' qui tep- 



jS Projet DE Paix ' 

■ __^ . : — - I 

droit à troubler la paix & l'ordre piiWïc.' 
Qu'on voye ce qui fe paffe dans le Corps 
Germanique , malgré les rfjus de fa po- 
lice & l'extrême inégalité de tes membres: 

■ y en a-t-il un feul , même parmi les plus 
puiilans , qui oû.i s'expoler au ban de 
l'Empire , en bleffant ouvertement h rorft 
titution , à moins qu'il ne crût avoir de 
bonnes raifons de ne point craindre que 
l'Empire voulût agir contre lui tout de 
bon t 

• Ainfi je tiens pour démontré ■ qae la 

■ 0iete Européenne ûhe fois établie , n'aura 

Î'amais de rebellioii à craindre » & que 
»ien qu'il s'y puifle introduire quelques 
abus , ils ne pe\ivent jamais aller jiifqu'à 
éluder l'objet de l'inôitiition. Refte à voir^ 
' fi cet objet fera bien rempli par l'inltitu*^ 
tion même. 

Pour cela , confidérons les motifs mii 

■ mettent aux Princes les armes i la main. 

■ Ces motifs ibnt , ou de feire des conquê- 
tes , ou de fe défendre d'un Conquérant , 
ou d'affoiblir un trop puifiânt voifin , oii 
de foutenir fes droits attaqua, ou- de 

- vider un diUerend qu'on n'a pu terminer 
~ à l'amiable > ou ço&a de remplir les enjr 






Perpétuelle. jïj 

gagemens d'un traité. Il n'y a ni caufe 
ni prétexte de guerre qu'on ne puiffe rai>- 
çer fous quelqu'un de ces fix diefs ; or, 
il eR évident qu'aucun des fix ne peut 
exifter dans ce noavet état de chofes. 

Premièrement , iî iàut renoncer aux 
contiuêtes , par rimpoflîbiHté d'en (aire, 
attendu qu'on eft fur d'être arrêté dans 
fon chemm par de plus grandes forces 
que celles qu'on peut avoir; de forte 
qu'en rîfquant de tout perdre, on eft dans 
Timpuiffimce de rien gagner. Un Prince 
amt»tieux qui veut s'agrandir en Euro- 
pe , feit deux chofes. Il commence- par 
■fe fortifier de bonnes alliances , puis îl 
tâche de prendre fon ennemi an dépour- 
vu. Mais les alliances partiatlieres ne fer- 
viroient de rien contre «ne alliance j^us 
forte, & toujours fubMante ; & nul 
Prince n'ayant plus aucun prétexte d'ar- 
mer , il ne 'fauroit lé faire fans être ap- 
perçii , prévemi Sc puni par la confédé- 
ration toujours armée; 

La même raifon qui ôte à chaque Prin- 
ce tout efpoir de conquête», lui ô» eil 
même tems toute- crainte d'êh'e attaqué^ 
& Qon-feukfntHt (es Etats gu-antit par: 






4o Projet de Paix 

toute l'Europe , lui font aufli affurés 
qu'aux citoyens leurs poffeflions dans un 
pays bien policé , maïs plus que s'il étoit 
leur imîque &C prt^re défenfeur , dans 
le même rapport que l'Europe entière eft 
plus forte que lui feul. 

On n'a plus de raifon de vouloir affoî- 
blir un voîlin , dont on n'a plus rien à 
Craindre ; & l'on n'en eft pas même ten- 
té j quand on n'a nul efpoir de réuflîr. 

A l'égard du fbutien de fes droits , il 
feut d'^x>rd remarquer qu'une infinité 
de chicanes & de prétentions obfcures 
Se embrouillées , feront toutes anéanties 
par le troilieme article de la confédéra- 
tion , qui règle définitivement tous les 
droits réciproques des Souverains alliés 
fur leur aÔuelle poJTeffion. Ainfi toutes 
les demandes &c prétentions poHlbles de- 
viendront claires à l'avenir , & feront ju- 
gées dans la Diète , à mefure qu'elles 
.pourront naître : ajoutez que fi l'on atta- 
que mes droits , je dois les foutenir par 
la même voie. Or , on ne peut les atta- 

3uer par les armes , fans encourir le ban ' 
e la Diète. Ce n'eu donc pas non plus 
par les armes qae j'ai befoin de les dsr 






P E fi P É T.U ELLE, 



fendre ; on doit dire k même choTe des 
injures , des torts , des réparations , & de 
tous les diffërends imprévus qui peuvent 
s'élever entre deux Souverauis ; & le 
même pouvoir qui doit défendre leurs 
droits , doit auffi redreffer leurs grieft. . 

Quant au dernier article , la Iblution 
iàute aux yeux. On_ voit d'abord que 
n'ayant plus d'aggt^ffeur à craindre, on 
n'a plus befoin de traité défenfif , & mie 
comme on^ n'en iâuroit feire de plus fo- 
lide & de plus (ùr que celui de la grande 
confédération, tout autre feroit inutile, . 
illégitime , Se par ccràiequent nuL 
^ Il n'eft donc pas poflible que la con- 
fédération luie fois établie , puïffe laïfler 
aucune femence de guerre entre les con- 
fédérés , & que l'oÊjet de la Paix perpé- 
tuelle ne foit exaâement rempli par l'exé- 
cution du fyftême propofé. 

U nous refle maintenant à examiner 
l'autre queiKon qui regarde l'avantage des 
parties contraâantes ; car on lent bien 
que vainement feroit- on parler l'intérêt 
public au préjudice de l'intérêt particu- 
lier- Prouver que la paix eft en général 
préfêr^ble à la guerre , c'eft ne rien dire 






Projet de Pai 



à celui qni croit avoir des raifons de pré- 
férer la guerre à la paix ; &c lui montrer 
les moyens d'établir une paix duraWe , 
ce n'eit que l'exciter à s'y oppofer. 

En effet , dira - 1 - on , vous ôtez aux 
Souverains le droit de fe làire juftice à 
eux-mêmes , c'eft-à-dire le précieux droit 
d'être injuftes (juand il- leur plaît ; vous 
leur ôtez le pouvoir de s'agrandir aux 
dépens de leurs voifins i vous les feites 
renoncer à ces witiques prétentions qui 
tirent leur prix de leur obfcurité , parce 
qu'on les étend avec fa fortune , a cet 
aroareil de puiflance &c de terreur , doM 
ils- aiment à effrayer le inonde, k cette 
gloire des conquêtes , dont ils tirent leui 
honneur ; & pour tout dire , enfin , vous 
les forcez d'être éauitables & pacifiques. 
Quels feront les dedommagemens de tant 
de cruelles privations? 

Je n'oferois répondr». avec l'Abbé de 
Saint-Pierre : que la véritable gloire des 
Princes confifte à procurer l'utilité puUi- 
que , & le bonheur de leurs fujets ; que 
tous ■ leurs intérêts font fubordonnés à 
leur réputation ; & que la réputation qu'on 
acquiert auprès det iàges", f« niefure fur 






Perpétuelle. 4J 

le bien (]u6 Ton fait aux hommes y que 
rentrepriiè d'une paix perpétuelle étant 
la plus grande qui ait jamais été &ite > 
efi la pliis capable de ouvrir fon AuteuK 
d'une gloire immortelle ; que cette même 
entrepriie étant auâî la plus utile aux 
Peuples , eA encore la plus honorable 
aux Souverains j la feule fur-toitf qiù lie 
ibit pas fouillée de &ig , de rapines , de 
pleurs , de malédiâîons ; & qu'enfin 1« 
plus fài moyen de fe diiKngiier dans la 
K>ule des Rois » eft de travaUler au bon- 
heur public. LailTons aux harangueurs ces 
Vlifcoiirs y qui , dans -les cabinets des Mi* 
niftres , ont couvert de ridicule l'AuteiÛr 
& fes projets : mais ne méprifons pas 
comme eux Tes raifons ; & quoi qu'il en 
ibit des vertus des Princes > parions d% 
leurs intérêts. 

Toutes les Puiflances de l'Europe ont 
des droits ou des prétentions les unes 
contre les autres ; ces droits ne font pas 
de natiu^ à pouvoir jamais être parfaite- 
ment éclaircis ; parce qu'il n'y a poiat 
pour en juger ,. de règle commune & 
conftante , & qu'ils font fouvent fondés 
iitr des faits équivoquts ou ii^çr^ij)^ 



44 Projet de Paix 

Les différends qu'ils caufent, neiaiiroient 
non plus être jamais terminés iàns retour^ 
tant &ute d'arbitre compétent , que parce 
que chaque Prince revient dans l'occafion 
fans fcnipule , fur les ceffions qui lui ont 
été arrachées par force dans des traités 
par les plus puillkns , ou après des guer- 
res nialheureufes. C'çft donc une erreur 
de ne fongcr qu'à fes prétentions fur les 
autres , & d'oublier celles des autres fur 
nous , lorfqu'il n'y à d'aucun côté ni plus 
de juÂîce , ni plus d'avantage dans les 
moyens de faire valoir ces prétentions 
réciproques. Si-tôt que tout dépend de la 
fortun^ la poflèffîon a^elle eii d'un prix 
que'la fagefle ne permet pas de risquer 
contre le profit à venir , même à chùice 
égale ; .^ tout le monde blâme un homme 
à fon aiie i qui , dans l'efpoir de doubler 
ion bien , l'ofe rifquer en un coup de dez. 
Mais n^iis avons fait voir que dans les 
projets d'agn^pdiffement , chacim , même 
dans le fyifême aâiiel , doit trouver une 
réfiftance fupérieure à fon effort; d'où 
il fuit mie les plus puiffans n'ayant aucime 
raifon de jouer « ni les plus foibtes aucun 
e^ir de pro£t , t^ell un bien pour tous 






PERPirUELLE. 4; 

de renoncer à ce qu'ils défirent, pour 
s'aifiirer ce qu^ils poffedent. 

Confidérons la conibnunation d'hom- 
mes , d'argent, 4e forces de toute efpece, 
répuifement oii la plus heureufe guerre 
jette un Etat quelconque ; &i. comparons 
ce préjudice aux avantages qu'il en retire, 
nous trouverons qu'il perd fouvent quand 
ÎL croU gagner , &c que le vainqueur , 
toujours plus foible qu'avant la guerre , 
n*a de confolation que de voir le vaincu 
plus affoibli que lui ; encore cet avantage 
eft-il moins réel qu'apparent , parce que 
la fupériorité qu'on peut avoir acquife 
fiir fon adverlàire , on l'a perdue en même 
tems contre les Fuiûànces neutres , qui 
£ins changer d'état fe fortifient , par iw- 
port à nous , de tout notre affoibliffe- 
menL 

Si tous les Rois ne font pas revenu* 
encore de la folie des conquêtes , il fem- 
ble au moins que les plus iages commeit* 
cent à entrevoir qu'elles coûtent quelque- 
fois plus qu'elles ne valent. Sans entrer 
à cet égara dans mille diftinâions (jui 
nous meneroient trop loin , on peut dire 
en général qu'un Prince , qui , pour reçu- 



4^ Projet de Paix 

1er fes frontières , perd autant de (es an- 
ciens fujets qu'il en acquiert de nou- 
veaux , s'affôibtit en s'agrandiiSant ; parce 
qu'avec un pins grand efpace à défendre , il 
n'a pas plus de défênfeurs. Or, on ne peut 
ignorer que par ta manière dont la guerre 
ie fait aujourd'hui , la moindre d&opu- 
lation qu'elle produit eft celle qui le ùk 
dans les armées : c'eft hien-Ià la perte 
apparente & iènfible ; mais s'en âjt en 
même tems dans tout l'Etat une plus grave 
& plus irréparable -que celle des hommes 
^ui meurent , par ceux qiiï ne naîflent 
pas , par raugmentation des impôts , par 
■l'interruption du commerce , par la dé- 
fertion des campagnes , par l'abandon de 
l'agricultiu'e ; ce mal qu'oo n'apperçoit 
pomt d'abord , fe ait fentir cruellement 
dans !a fuite : & c'eft alors qu'on eft 
étonné d'être fi ibiblc , pour s'âre rendu 
£1 puilTant. 

Ce qui rend encore les -conquêtes moins 
intéreiiàntes , c'eft qu'on Eût maintenant 
par quels moyens on peut doubler & tri- 
pler Jk puiflânce, non-feulementfanséten- 
<lrc fon territoire , mais quelquefois en 






Perjétwelle. 



p€reur Adrien. On fait que ce font les 
faomnies feuls qui font la force des Rois; 
& c'eft une propofition qui découle de 
ce que je viens de dire , que de deux Etat* 
qui nourriffent le même nombre dlia- 
bitans , celui qui occupe une moindre 
étendue de terre , eft réellement le plus 
puiiïknt C'eft donc par de bonnes loix, 
par une fage police , par de grandes vues 
ccononùques ^ qu'un Souverain judicieux 
eft iur d augmenter fes forces , Êns riea 
donnefau hafari Les véritables conquêtes 
qu'il feit fur fes voifins , font les établîf-" 
feraens plijs utiles qu'il forme dans fes 
Etats ; 6c tous les fujets de plus qui lui 
naiflem , font autant d'ennemis qu il tue. 
Il ne feut point m'objeâer ici que je 
prouvé trop , en ce que , fi les chofes 
éloient comme je les repréfente , chacun 
ayant un véritable intérêt de ne pas eit- 
frer en guerre , & les intérêts particuliers 
s'unilËnt à l'intérêt commim pour main- 
tenir la paix , cette paix devroit s'établir 
d'elle-même , & durer toujours fans au- 
cune confédération. Ce feroit faire un 
■fort mauvais rdifonnement dans k pré- 
Ênte coriHtution; cr.r qi!.;icu'i! fiit beau- 



48 -Projet de Paix 

coup meilleur pour tous d'être toujours 
en paix , le de&ut commun de iureté à 
cet égard, ait que chacun ne pouvant 
s'afîurer d'éviter la guerre , tâche au moins 
de la commencer à fon avantage quand 
Toccafion le iàvorife , & de prévenir un 
vo^in * qui ne manqueroit pas de le 
prévenir à fon tour , dans l'ocrâfion cott- 
traire; de forte que beaucoup de guerres, 
même offenfives , font d'injuftes précau- 
tions pour mettre en fureté fon propre 
bien , plutôt que des moyens d'ufurper 
celui des autres. Qudque falutaires que 
puiHënt être généralement les maximes 
du bien public , il eft certain , qu'à 'ne 
confidérer que l'objet qu'on regarde en 
poUtique , oc fouvent même en morale , 
elles deviennent pernicieufes à celui qui 
s'obâiiK à les pratiquer avec tout le 
monde , quand perfonne ne les pratique 
avec lui. 

- Je n'ai rien à dire fiu* l'appareil des 
armes , parce que deftitué de fondemens 
folides , foit de crainte , foit d'efpérance, 
cet appareil eft un jeu d'en&ns , & que 
les Rois ne doivent point avoir de 
- poupées. Je ne dis rien non plus de k 
gloire 



G^K)^!.- 



Perpétuelle. 49 

■ gloire des Conquérans , parce que s'il 
y avoit quelques monftres qiu s'affli- 
geaflent uniqiiemeiit pour n'avoir per^- 
fonne à mauacrer » il ne iàudroît point 
leur parler raifoo , mais leur 6tet les 
moyens d'exercer leur rage meurtrière. 
La garantie de l'article troifieme ayant 
prévenu toutes folides raifons de guerre, 
on ne làuroit avoir de- motif de rallu- 
mer contre autrui , qui ne puilTs en four- 
nir autant à autrui contre nous-4nâmes ; 
& c'eft gagner beaucoup, que de s'af- 
franchir d'un rifque oh chacun cA feul 
contre tous. 

Quant à la dépendance oh chacun fera 
.du Tribunal commun , il eA très - clair 
qu'elle ne diminuera rien des droits de 
là fouveraineté , mais les affermira au . 
contraire , & les rendra plus alTurés par 
l'article troilieme , en garantiilknt à cna- 
cun, non-feulement fes£tats contre toute 
invafion étrangère, mais encore fon au- 
torité contre. toute rébellion de fes fu- 
jets ; ainTi les Princes n'en feront pas 
moins abfolus , & leur Couronne en 
fera {dus affurée : de forte qu'en fe fou- 
. mettant au jugemejit ,de la Diète, daiU 
PUcti Hiver/es. ' C 






50 Projet DE Paix 

leurs démêlés d'égal à égal, & s'ôtant 
le daneereiix pouvoir de s'emparer du 
bien d autnû , ils ne font que s'afTurer 
de leurs véritables droits , 6c renoncer 
à ceux CTu'ils n'ont pas. I>'ailleiu-s , il y 
a bien de la diiTérence entre dépendre 
d'autnii, ou feulement d'un Corps dont 
OR eA membre, & dont chacun eâ chef 
à fon toiu' ; car en ce dernier cas on 
ne feit qu'aifurer ia liberté , par les ga- 
rants qiion lui donne; elle s'aliéneroit 
dans les mains d'un maître , mais elle 
s'aiFermit dans crfles des Affocîés. Ceci 
fe confirme par l'exemple du Corps Ger- 
tnanique ; car bien que la fouveraineté 
de fes membres foit altérée à bien des 
égards par fa conftitiition , & qu'ils foient 
par conféquent dans un cas moins fa- 
vorable que ne feroient ceux du" Corps 
Européen , il n'y en a pourtant pas wi 
feul , quelque jaloux qu'il foit de fon 
-autorité^ qui voulût, quand il le pour- 
-rôit, s'aifurer une indépendance abfolue, 
en fe détachant de l'Empire. 

Remarquez de plus que le Corps Ger- 
manique ayant un Chef permanent, l'au- 
torité de ce Ch^ dut néceffairement ten* 






PSRPÉTVELLE. 



dre fans ceiTe à l'tilurpation ; ce qui né 
peut arriver de même dans la Diète Eu- 
ropéenne , où la présidence doit être al- 
ternative , & fans égard à rînégalitë de 
puillànce. 

A toutes ces oonfidérations il s'en joint 
«ne autre bien plus importante encore 
pour des gens aufTi avides d'argent que le 
font toiiïours les Princes ; c'eft une gran- 
■èe facilité de plus d'en avoir beaucoup, 
par tous les avantages qui réfulteront 
pour ieutï Peuples & pour eux , d'une 
paix continuelle, & par l'exceffive dé- 
penfe qu'épargne ïa réfomie de l'état mili- 
taire , de ces multitudes de ibrtereffes , 
& de cette énorme quantité de troupes 
qui abforbe leurs revenus , & devient 
chaque jour plus à charge à leurs Peuples 
& à eux-^mêmes. Je lais qu'il ne convient 
^ à tous les Souverains de fupprimer 
toutes leurs troupes , & de n'avoir au- 
cune force pid>Uque en main pour étouf- 
fer une émeute inopinée, ou repoufler 
une invafion fubite. (3) Jç.fais encore 

(S) n r< prHkttt «iicare Ui d'autret objcaiont; mail 
comme l'Autenc du, jprojet ae ^e la eft fu fût» . îe ^f^ 
li rc)«t[fe« du» rcKuhciL 

ç % 



51 Projet de -Paix 

qu'il y aura un contingent à fournir à la- 
confédération , taiTt poijr la garde des 
frontières de l'Europe , que pour l'entre- 
tien de l'armée confédérative deftinée. jk 
foutenir , au befoin , les décrète de la 
Diète. Mais toutes ces dépenfës &ites » & 
l'extraordinaire des guerres à jamais fup- 
primé , il refteroit encore plus de la moi-. 
tié de la dépenfe militaire ordinaire à ré^ 
partir entre le foulagement des fuj ets,'& 
les coiïres du Prince; de forte que le 
Peuple payeroit beaucoup moins; que le 
Prince , beaucoup pltts riche , feroit en 
état d'excher le Commerce , l'AgriaiIture, 
les Arts , de faire des établiflèmens uti- 
les , qui augmenteroient encore la richefT* 
du Peuple & la fiennf ; & que l'Etat f^^- 
roit avec cela dans une fureté beaucoup 

- plus parité que celle qu'il peut tirer de 
l'es armées , & de tout cet appareil de 
guerre » qui ne ceflè de l'çpuiier au fein 

' de la paix. 

, On dira peut-être que les pays fron- 
tières de l'Europe feroient alors dans une 
pofittoa plus défàvantageufe , &- pour- 
roient svcnx également des guerres a fou- 
tenir , ou avec le TurCf ou arec les Cor-^ 



^. Perpétuelle. jj 

&ires d'Afrique , ou avec les Tartares, 
■ A cela je réponds, i9. que ces pays 
font dans le même cas aujourd'hui ,& que 
par conféqueot. ce ne feroit pas po^ir eux 
un défavantage pofitif à citer , mais feu- 
lement' lui avantage de moins ^ & un in- 
' .convénient inévitable, auquelleur fitua- 
tiôn les expofe. i*. Que, délivrés de 
toute inquiétude du côté de l'Europe, ils 
feroient beaucoup plus en état de rélîiler 
au-dehors. 3^. Que la fuppreâîon de tou- 
tes les fortereffes de l'intérieur dé l'Eu- 
rope , & des ô^is nécel^res à leur en- 

' tt-etien , mettroit la confédération en état 
d*èn étaWir im grand nombre fur. les fron- 
tières, £ttis être à cliai^e aux confédérés. 
4". Que ces fortereffes conftruites , entrer 
tenues &c g^dées à frais communs , fe- 
roient autant de furetés & de moyens 
d'épargne pour les Puiâânces-frx>ntieres , 
dont dîes garatitiroient les Etats. 5*^. Que 
les troupes de la confédération diitribuées 
fiir les confins de l'Europe , feroient tou- 
jours prêtes à repouffer raggreffeur. 6". 
Qu'enfin» un Corps aufli redoutable que 
la République Eiu^péenne , ôteroit aux 

' Etrangers r«tivie d'attaquer aucun de fes 
C} 






54 Projet de Paix 

membres ; comme le Corps Germaiw^e , 
iidinimeiit moins puiâànt , ae laifle pas 
de l'être affez pour fe fiure refpeâer de 
fes voiiîns, & protéger utilement ton» 
les Princes qui le compofent. 

C^ pourra dire encore que les Euro- 
péens n*a\>^nt plus de guerres entr'eux i 
l'Art militaire tombercHt înfenfiblement 
dans l'oubli ; que les troupes perdroient 
leur courage & leur difcipune; qu'il nV 
auroit plus ni généraux, ni ibldats, ÔC 
que l'Europe refteroit à la merci du pre- 
mier venu. 

Je réponds qu'il arrivera de deux cho- 
fes l'une : ou les voifins de l'Eiux)iïe l'at- 
taqueront, & lui feront la guerre, ou ik 
redouteront la conféd6àtion , & la laif- 
iéront en paix. 

Dans le prenùer cas ; voilà les occa- 
fioQs de cidtiver le génie &c les talens 
militaires , d'aguerrir &c former des trou- 

rs i les armées de la confédération feront 
cet égard , l'école de l'Eiu-ope; on ira 
fur la frontière apprendre la guerre ; 
dans le fein de l'Europe , on jouira de la 
paix; 6l l'on réunira par ce moyen lea 
avantages de l'uaç Ôc de l'autre. ^CroUn 






Perpétuelle. 



on qull foie toujours néceflaire de fe 
battre chez foi , pour devenir guerrier , 
Se les François font- ils moins braves , 
parce que les Provinces de Toiuaîne & 
d'Anjou ne font pas en guerre l'une con- 
tre Tautre? 

Dans le fécond cas ; on ne pourra plus 
, s'aguerrir , il eft vrai , mais on n'en aura 
plus befoin ; car à quoi bon s'exercer à 
la guerre , poiu- ne la iàire à perfonnaî 
Lequel vaut mieux , de cultiver lui Art 
fiinefte , ou de le rendre inutile ? S'il y 
avoit un fecret pouf jouir d'une fante 
inaltérable , y auroit-il du bon feus à le 
] rejetter , pour ne pas ôter aux Médecins 
Toccafion d'acquérir ds l'expérience ? Il 
refte à voir tians ce parallèle , leq-iiel dCs 
deux Arts eft plus falutaire en foi, ÔC 
mérite mieux d'être confervé. 

Qu'on ne nous menace pas d'une inva- 
ïion fubite ; on fait bien que l'Europe 
n'en i point à craindre , & que ce pre^r- 
mier venu ne viendra jamais. Ce n'eft 
plus le tems de ces éruptions 4e Barbâ- 
tes , qui fembloient tomber des nues. 
De|mis que nous parcourons d'un œ^l 
' (urjeux touK ^ funace de la terre « il ne 






j6 Projet DE Paix 

peut plus rien venir jiifqu'à nous , qni 
ne Ibit prévu de très-loin. Il n'y a nulle 
Pniflànce au monde , qui foit maintenant 
en état de menacer l'Europe entière j & 
fi jamais il en vient une , ou l'on aura le 
tems de fe préparer , ou l'on iera du 
moins pttis en état de lui réfifter , étant 
xmis en un corps , que quand il faudra 
terminer tout-d un-coup de longs diffé- 
rends , & le réunir à la hâte. 

Nousycnons de voir que tous les pré- 
tendus inconvénîens de l'état de confédé- 
ration bien pefés , fe réduifent à rien. 
Nous demandons maintenant fi quelqu'un 
dans le monde en oferoit dire autant de 
ceux qui rcl'ultent de la manière afluelle 
de vider les différends entre Prince & 
Prince pélr le droit du plus fort, c'eft-à- 
dire , de l'état d'impolice & de guerre , 
qu'engendre néceffairement l'indépendance 
abfolue &c mutuelle de tous les Souve- 
rains dans la fociété imparfeite qui règne 
entr'eux dans l'Europe. Pour qu'on foit 
mieux en état de peftr ces inconvénîens , 
j'en vais réfumer en peu de mots le fom- 
inaire que je laiffe examiner au Leûeur. 

1, Nul OToit aflUré que celui du plus ' 



Perpétuelle, 57 

fort. 1. Changcmens continuels & inévi- 
tables de relations entre les Peuples , qui 
rinpechent aucun d'eux de pouToir fixer 
en fes mains la force dont il jouit 3. 
Point de fureté parfaite , aufli long-tems 
que les voifins ne font pas foiunis ou 
anéantis. 4. ImpolTibilité générale de les 
anéantir , attendu qu'en fubjuguant les 
premiers , on en trouve d*autres.^. Pré- 
cautions & frais inunenfes pour le ttiiir 
fur (es gardes. 6. Défaut de force & de 
défènfe dans les minorités &c dans les 
révoltes ; car quand l'Etat fe partage , 
qui peut foutenu* un des partis contre 
I autre ? 7. Défeut de fureté dans les en- 
gagemens mutuels. .8. Jamais de juftice à 
efpérer d'autrui , &ns des &ais 6c des 
pertes ïmmenfes , qui ne l'obtiennent pas 
toujours, 6c dont l'objet difputé ne dé- 
dommage que rarement. 9. Rifque iné- 
vitable de fes Etats , & quelquefois de 
Jà vie , dans la pourfuite de fes droits. 
10. Néceffité de prendre paît , malgré 
foi , aux querelles de fes voifins , & d'a- 
- voir ta guerre quand on la voudroit te 
moins. II. Interruption du Commerce 
& des reflburces publiques , au mom^it 
Ç 5 






jS Projet DE Paix 

qu'elles font le plus nëcelKiires. ii.Danr 
ger continuel de la pan d'un voîfin puîf- 
îant , G. Ton eft foiWe ; & d'une ligue, fit 
l'on eft fort. ty. Enfin inutilité de Jsi 
fageiTe oit préfide la fortiins , défotation 
continuelle des Peuples, afibibliflèment 
de l'Etat dans les fuccès &c dans les re- 
vers , impoffibilité totale d'établir jama» 
■ nn bon^Gouvemement , de compter fiur 
foa propre bien, & de rendre heureux 
ri foi m les autres. 

Récapitulons de même les avantages de 
l'Arbitrage Européen pour les ' Prince» 
confédérés. 

I. Sûreté entière, que leurs différends 
préfens & fiiturs feront toujours terminés 
iîins aucune guerre ; fureté incompara- 
blement plus utile pour eux qite ne feroit, 
pour les particuliers , cdle de n'avoir 
jamais de procès. 

1. Sujets de conteftations , ôtés , mi 
réduits à très-peu de chofe par fanéantif- 
fement de toutes prétentions antérieures » 
qui compenfcra les renonciations , &c 
Mërmira les poffeflîons, 

3 . Sûreté entière & perpétuelle , & dé 
k perfonne du Prince , £c de ià Famille,. 



. .Ciwgk 



Perpétuelle. 



Î9 



fie de Ces Etats , & de l'ordre de fiiccef- 
ûon fixé par les loix de chaque pays , 
tant contre l'ambition des Prétendans în- 
jufies 6c ambitieux , que contre les révol- 
tes des fujets rebdlcs. 

4- Sûreté parfiiite de l'exécution de 
to\ts les engagemens réciproques entre 
Prince & Prince, par la garantie de la 
République Européenne. 

5. Liberté & iureté parfiiite & perpé- 
tuelle à l'égard du Commerce tant d'Etat 
à Elat , que de chaque Etat dans les ré- 
gions éloignées. 

6. Suppreffion totale & perpétuelle de 
leur dépenfe militaire extraordinaire par 

. terre & par mer en tems de guerre , & 
confidérable * diminution de leur dépenfe 
ordiraire en tems de paix. 

''7. Progrès fenftble de rAgricultiire & 
de la" population , des rlcheiles de l'Etat 
& des revenus du Prince. 1 

8. Facilité de tous les établiflemens 
qui peuvent augmenter la gloire & l'àu.- 
torité du Souverain , les reffources pu- 
bliques & le bonheur des Peuples. 

Je laiffe, comme je l'ai déjà dit, au 
jiigemçni des LeâeiirSi l'examen de tous 
C 6 






6o Projet de Paix 

ces articles & la comparaifon de l'état 
de paix ({ui réfulte de la confédération, 
avec l'état de guerre qiiî réfulte de l'im- 
police Européenne. 

Si nous avons bien raifonné dans fev- 
pofition de ce Projet , il eft démontré ; 
premièrement, qiie Pétabliflement de h 
paix perpétuelle dépend imiquement du 
confentement des Souverains , & n'oflre 
point à lever d'autre dîfHaihé que leur 
réûtlance; fecondement, que cet établie 
fement leur feroit utile de toute manière, 
& qu'il n*y a nulle comparaifon à ^re, 
même pour eux, entre les inconvéniens 
& les avantages ; en troifîeme lieu , 
quH eft raifonnable de fuppofer que 
leur volonté s'accorde avec leur intérêt; 
enfin , que cet établifTement une fois 
formé mr le'plan propofé, fèroit folide 
& durable , « rempliroit parfaitement 
ion objet. Sans doute , ce n'eft pas à 
dire que les Souverans adopteront ce 
Rtijeti (Qui peut répondre de la rai- 
fon fautnii?) mais feulement qu'ils Ta- 
dopteroient, s ils confultoient leiu'S vcais 
iotêrêcs : car on doit bien remarquer 
que ùoas n*avoiis point (xtppofé les bosk-. 






Perpétuelle. 6i 

mes tels qu'ils devroient être , bons , 
généreux , défîntéreffés , & aimant le 
bien public par humanité ; «lais tels 
qu'ils font , injuAes y avides , & préfé- 
zant leur intérêt à tout. La ieule chofe 
qu'on leur fuppofe -, c'eft affez de tâifon 
pour voir ce qui leur eft utile, & alTez 
de courage pour aire leur propre bon- 
heur. Si , nmlgré tout cela , ce Projet 
demeure fans exécution , ce n'eil donc 

£as qu'il foit' cbimérique; c'ell que les 
ommes font infenfés , & que c*m une 
forte de foUe d'être iâge au milieu des 
ibus. 



JUGEMENT 

s V R L A 
PAIX PERPÉTUELLE. 



Xj E Projet de la Paix perpétuelle étant 
par Ton objet le plus digne d'occuper un 
hcmme de bien , fiit auHÎ de tous ceux 
de l'Abbé de St. Pierre celui qu'il médita 
le plus long-tems & qu'il fiiivit avec le 
plus d'opiniâtreté : car on a peine à nom- 
mer autrement ce zèle de miflîonnaire 
qui ne l'abandonna jamais fur ce point , 
malgré l'évidente impoffibilité du luccès , 
le ncUcide qu'il fe donnoit de jour en 
jour , & les dégoûts qu'il eut fens cefle 
a efiiiyer. II ièmble que cette ame faine , 
uniquement attentive au bien public, me- 
iiiroit les foins qu'elle donnoit aux cho- 
ies , uniquement fur le degré de leur 
iitiLté , fans jamais fe laifler rebuter par 
les obftacles ni fonger à l'intérêt perfonnel. 
Si jamais vérité morale fiit démontrée, 
il me femble que c'eft l'utilité générale 
& pacticiiliere de ce Projet. Les avanta- 






LA Paix perpétuel-le. 6j 

ges qui réfulteroler.t de fon exécution Sc 
pour chaque Prince & pour chaque Peu- 
ple & pour toute l'Europe , font intmen- 
ies , cfeirs , inconteftables , on ne peut 
rien de plus folide & de plus exatt que 
les raifonnemens par left^els l'Auteur les 
étaMit : réalifez fa République Européenne 
durant un feul jour , c'en efl affez pour 
la feire durer éternellement , tant chacun 
trouveroit par l'expérience fon profit par* 
ticulier dans le bien commun. Cependant 
ces mêaes Princes qui la défendroient de 
toutes leurs forces fi elle exiftoit, s'o;;- 
poferoïent maintenant de même à fon 
exéaition & l'empêcheront infeilliblement 
de s'établir comme ils l'empêcheroient 
de s'éteindre. Ainli l'ouvrage de l'Abbé 
de St. Pierre fur la paix perpétuelle pa- 
roît d'abord inutile pour la produire & 
fuperflu pour la conièrver ;. c'eû donc 
une v^ne fpéculation , dira quelque lec* 
Mur impatient ;'non , c^eft un livre folide 
& fenfé , 6c il eft très - important qu'il 
ex'iâe. 

Commençons par examiner les difficul- 
tés de ceux qui ne jugent pas des raifons 
par h raiion ^ iqùs ieuleiaent par Vévéi 






(Î4 J.U G E M E N T S U R 

«èment , & qui n'ont rien à objeûer contre 
ce Projet, finon qu'il n'a pas été exé- 
cuté. En effet , diront -ils fans doute , li 
fes avantages font fi réds , pourquoi donc 
les Souverains de l'Europe ne l'ont -ils 
pas adopté î Pourquoi negligent-ils leur 
propre intérêt , fi cet intérêt leur eft fi. 
bien démontré î Voit-on qu'ils rejettent 
d'ailleurs les moyens d'augmenter leurs 
revenus & leur puiflànce } Si celui - ci 
étoit aufli bon pour cela qu'on le pré- 
tend , eft-il croy^le qu'ils en fiiffent moins 
empreffés que de tous ceux qui les éga- 
rent depuis fi loi^ - tems , ôc qu'ils pré- 
férafient mille reïiources trompeufes a un 
profit évident- 

Sans doute , cela eft croyable ; à moins 
qu'on ne fuppofe que leur fegdTe eft 
c^e.à leur ainbititm , & qu'iË Voient 
d autant mieux leurs arantaees qu'ils les 
défirent plus fortement ; au ueuque <^eft 
la grande punition des excès de ramour- 
propre de recourir toujours à des moyens 
qui l'abuTent , & que l'ardeur même des 

Saflîons eft prefque toujours ce qui les 
étoiu^e de , leur bat. Diltinguons donc 
fa poUdip» ainfi qu'en mçrale l'intérêt 






LjL Paix PERpéruELLE. 6; 

réel de l'intérêt apparent ; le premier fe 
trouveroit dans la paix perpétuelle , cela 
eft démontré dans le projet ; le fécond fe 
trouve dans Tétat d'indépendance abfolue 
qui fouftrait les Souverains à l'empire de 
Ib loi poiu- les foiimettre à celui de la 
fortune. Semblables à un Pilote infenfé , ■ 
qui , poiu- feire montre d'un vain favoïr 
&c commander à fes matEïlots , aimeroît 
mieux flotter entre des rochers durant la 
tempête que d'affujettir ion vaifleau par 
des ancres. 

Toute l'occupation des Rois , ou de 
ceux qu'ils chaînent de leurs fonâions,fe 
rapporte à deux feuls objets , étendre leur, 
domination au - dehors & la rendre plus 
abfolue au-dedans ; toute autre vue , ou 
fe rapporte à l'une de ces deux, ou ne 
fcur fert que de prétexte ; telles font celles 
du bitn public, du bonheur des fujets , Ae 
la gloin de la nation , mots à jamais proÇ- 
crits du cabinet & fi lourdement employés 
dans les édits publics , qu'Us n'annoncent 
jamais que des ordres fonéftei , & que 
le peuple gémit d'avance quand fes maî- 
tres lui parlent de leurs foins paternels. 

Qu'on juge fiu ces deux maximes foiv 



66 JUGEMENTSUR, 

amentales comment les Princes peuvent 
, recevoir une propofition qiii choque di- 
reâement l'une &: qui n'eft gueres plus 
favorable à l'autre ; car on fent bien que 
par la Diète Européenne le gouverne- 
ment de chaque Etat n'efl pas moins fixé 
tfie par {es lunites , qu'on ne peut garaii- 
tir les Princes de la révolte des iiijets 
fans garantir en même tems les fujets de 
la tyraimie des Princes , & qu'autrement 
rinititutJon ne fauroit fublifter. Or , je 
demande s'il y a dans le monde un feu! 
Souverain qui y borné ainfi pour jamais 
duns fes projets les plus chéris , fuppor- 
tât fans indignation la feule idée de fe 
voir forcé irêtre jufte , non - feulement 
avec les étrangers , mais même avec fes 
propres fujets. 

Il eft facile encore de comprendre que 
d'un côté la guerre & les conquêtes , & 
de l'autre le^ progrès du defpotifme s'en- 
.tr'aident mutuellement ; qu'on prend à 
difcrétion dans xui peuple d'efclaves , de 
Fargent , & des hommes pour en fidiju- 
guer d'autres ; que réciproquement la 
guerre fournit un prétexte aux exaâions 
^éciuùaii^es , & un autre non ipoins fpé: 






LA Paix perpétuelle. 67 

cieux d'avoir toujours de erandes armées 
pour tenir le peu^e en refpeû. Enfin cha- 
cLin voit afTez que les F^înces omquérans 
font pour le moins autant ta guerre à leitrs 
fujets qu'à leurs ennemis , &que.la coii' 
dition des vainqueurs n'eâ pas meilleure 
que celle des vaincus : J'ai battu Us Ro- 
mains , écrivoit Annibal aux Carthaginois ; 
cnvoye^moi des troupes ; j'ai mis l'ItaHe à 
contribution , envoye^moi de forgent. Voili 
ce que fignifient les Te Deum , les feux 
de joie » & l'allégreûe du peuple aux 
triomphes de its maîtres. 

Quant aux différends entre Prince & 
Prince, peut-on efpéier de foumettre i 
un 'Trâjunal fupérieur des hommes qui 
s'oftnt vanter de ne tenir leiu" pouvoir 
.que de leur épée , Se qui ne font men- 
tion de Dieu même que parce qu'il ell 
au Cielî Les Souverains fe foumettront- 
ils dans leurs querelles à des voies ju- 
ridiques que toute la rigueur des loix n'a 
jamais pu forcer les particuliers d'admettre 
dans- les leurs î Un fimple gentilhomme 
.oiFenfé, dédaigne de porter fes plaintes 
au Tribunal des Maréchaux de France , 
& VOUS voulei qu'un Roi porte les 



68 Jugement «ur 

liennes à la Diet« Européenne ? Encore 
y a-t-il cette différence >^que l'un pèche 
contre les loix & expofe dOublenient fe 
vie , au lieu que l'autre n'expofe gueres 
que fes iujets ; qu'il ufe , en prenant les 
armes , d^im droit avoué oe tout le 
genre-humain , & dbnt il prétend n'être 
comptable qu'à Dieu feul. 

Un Prince qui met là caufe au ha- 
fard de la guerre , n'ignore pas qu'il 
court des riîques; mais il en efl moins 
frappé que des avantages qu'il fe promet, 
parce cpi'il craint bien moins la fortune - 
qu'il nefpere de fa propre fageffe : s^J 
m puiflant, il compte fur fes forces; 
s'il eft foible, il compte fur fes allian- 
ces ; quelquefois il lui eft utile au-3edans 
de purger de mauvaifes humeurs, d'aè 
foiblir des fujets indociles , d'effuyer 
même des revers, & le politique habile 
fait tirer avantage de {es propres dé- 
feites. Tefpere qu'on fe fouviendra que 
ce n'eft pas moi qui raifonne ainfi, mais 
le Sophifte de Coiu- qui préfère un 
grand territoire & peu de furets pau- 
vres & fournis, à l empire inébranlable 
que donoent au Prioce la juAice & l«s 






LA Paix PERPÉTUELLE. 69 

loix , fur un peuple heureux &C floriflknt. 
C'ell encore par le même principe 
qu'il réfute en lui-même l'argument tiré 
ae la fiifpenfion du commerce , de la 
dépopulation , du dérangement des finan* 
ces , 8c des pertes réelles que caufe ime 
vMiie conquête. C'eft un calcul très- fau- 
tif que d'évaluer toujours en argent le* 
gains ou les pertes des^ Souverains ; le 
degré de puiffiince qu'ils ont en vue ne 
fe compte point par les millions qu'on 
poffede. Le Prince fait toujours circuler 
fes projets ; il veut commander pour 
s'enrichtr & s'enrichir pour commander; 
il fecrifiera tour-à-tour l'un ôc l'autre 
pour acquérir celui des deux qui lui 
manque , mais ce n'eft qu'afin de wa- 
venir à les pofTéder en&i tous les deux 
enfemble qu'il les poiu'fuit féparément ; 
car pour être le maître des hommes Sc 
des chofes y il tant qu'il ait ^ la foie 
rempire & l'argent. 

Ajoutons , enfin , fur les grands avan- 
tages qui doivent réfulter pour le com- 
merce , d'une paix générale & perp^ 
tuelle , qu'ils font bien en eux - mêmes 

certsins Se ioçoa^Aabks > qhû qu'étant 



70 Jugement sur 

. ^ : I 

communs à tous ils ne feront réels pouf 
peribnne, attendu que de tels avantages 
ne fe ientent que par leurs différences, 
& que pour augmenter fa puiflànce re- 
lative on ne doit chercher que des biens 
exclufifs. 

Sans eeffe abufés par l'apparence des 
chofes , les Princes rejetteroient donc 
cette paix , quand ils peferoient leurs 
intérêts eux-mêmes; que lera<e quand 
ils les feront pefer par leurs Miruftres 
dont les imérêts font toujours oppofés 
à ceux du peuple & prefque toujours 
à ceux du Prince ? Les Miniflres ont 
befoin de la guerre pour le rendre né- 
ceffaires , pour jetter le Prince dans des 
embarras dont il ne fe puiffe tirer ûaa 
«ux & pour perdre l'Etat, s'il le faut, 
plutôt que leur, place ; ils en ont befoift 
poiu- vexer le peuplé fous prétexte des 
néceffités publiques -, ils en ont befoin 

Îfour placw leurs créatures , gagner fut 
es marchés , & feire en fecret mille 
odieux monopoles ; ils en ont besoin 
pour fatisfeire leurs paffions , & s'ex- 
pulfer mutuellement ; ils en ont befoïn 
pour s'emparer du Prince en le tiram 






LA Paix perpétuelle, -jx 

de la Cour quand il s'y forme contre 
eux des intrigues dangereufes ■•, ils par* 
droient toutes ces reffources par la paix 
perpétuelle , & le public ne lâifle pas de 
demander pouri^uoi , fi ce projet eft poP 
fible , ils ne l'ont pas adopté ? Il ne voit 
pas qu'il n'y a rien d'impoffible dans 
ce projet, finon qu'il foit adopté par 
eux. Que feront-ils donc pour s'y oppoi 
ièr ? ce qu'ils ont toujours &it : ils le 
tourneront en ridiaile. 

Il ne faut pas non plus croire avec 
l'Abbé de St. Pierre , que même avec 
la bonne volonté que les Princes ni 
leurs Miniftres n'auront jamais , il fôt 
aifé de trouver un moment favorable à 
l'exécution de ce fyftême. Car il ^udroit 
pour cela que la fonune des intérêts 
partiatliers ne l'emportât pas fur l'in- 
térêt commun , & que chacun crîit voir 
dans le bien de tous le plus grand bien 
qu'il peut efpérer pour lui-même. Or , 
ced demande im concours de fagefie 
dans tant de têtes &■ un concours de 
rapports dans tant d'intérêts , qu'on ne 
doit gueres efp^er du hafard l'accord 
fortuit de toutes les cîrconAances néce& 






Jugement sur 



iàires ; cependant fi cet accord n'a pas 
lieu , il n'y a que la force qui piiiilè y 
fupptéer , & alors il n'eft plus qu^ftîon 
de periiiader mais de contraindre. Se .il 
ne faut plus écrire des livres , mais lever 
des troupes. 

Ainfi quoique le projet fiit très - ûge , 
les moyens de l'exécuter fe ftntoient de 
Ja funplicité de l'Auteur. Il s'imaginoit 
Jjonnement qu'il ne ^oit qu'afîembler 
un congrès > y propofer fes articles , 
^'on les alloit figner & que tout feroît 
^t. Convenons que dans tous les projets 
de cet honnête nomme, il voyoït afièr 
bien l'efFet des chofes quand elles feroienl 
établies, mais il jugeoit comme un en- 
&nt des moyens de les établir. 

Je ne voudrois , pour prouver que le 
projet de k République chrétienne n'eft 
.pas chimérique que nommer fon premier 
Auteur : car affurëment Henri IV n'étoit 
pas fou ni Sully vifionnaire. L'Abbé de 
St. Pierre s'autorilbit de ces grands noms 
pour renouveller leur fyftême. Mais.quelle 
différence dans le tems, dans les circonA 
tances , dans la propofition , dans la m»* 
aiae de l^^e èc cbns fou Autçur ! Pour 



G^K)^!.- 



LA Paix perpétuelle. 7j 

en juger , jettons un coup - d'œil fur la 
iîtiiânon jgériéralé âes chofes au moment 
choifi par Henri FV, pour l'exécution 

Quint, qui 
>nde & fiii- 
àit afpirer à 
; de grands 
atids talens 
lus riche & 
rdâche un 
é*exéaiter, 
"Europe des 
^îa 'Maifo;i 
fcendant fur 
il Prince ne 
t Jïien avec 
ibile encore 
»s fts .pré- 
là'nce Efpa- 
ipe en ref- 
: à dominer 
imander que - 
■ir. En effet, 
s armemens 
res dviles de 

4) ;:- ' 






Jugement sur 



gne & les tréfors des Indes ; la Mairon 
d'Autriche , partagée en deux branches , 
n'agiffoit plus avec le même concert; & 
^oi<]ue ^Empereur s'efforçât de mainte- 
nir OM recouvrer en Allemagne l'autorité 
de Charles-Quint, il ne fiûfoit c[u'aliéner 
les Princes & fomenter des Ligues qui 
ne tardèrent pas d'éctore &c faillirent à 
le détrôner. Ainii fe prép»oît de loin la 
.dé^dence de la Maifon d'Autriche & le 
rétabUffemwit de la liberté commune. Ce- 
pendant nul n'ofblt le premier hafarder 
de fecoyer-le joug, & s'expofer feu! à 
la guerre; rewmple d'Henri IV même, 
qui s'en étoit tiré fi mal, ôtoit le cou- 
rage à tous les autres. D'ailleurs , fi l'on 
excepte Ip Duc de Savoye, trop foible 
.& trop ful^ugué pour rien .entreprendre^ 
il n'y avoit pas parmi tant de Souverains 
itn ieul homme de-tête en état de fco-mer 
& foutenir une entreprifc ; chacun attere- 
doit du tems & des circonâaQces lè mor- 
ment de brifer {es fers. Voilà quel étoit 
£n gros l'état des chofes quand Henri 
forma le plan de la République chrétien- 
ne & ie pr^jara à l'exécuter. Projet bien 
gtand, bien admirable en lui-même^. Se 



,,,Coosk 



LA Paix perpétuelle. 74^ 

dont je ne veux pas ternir l'honneur, mais 
qui ayant pour raifcm fecrete l'elpoir 
d'abamer un ennemi redouble, recevoit 
de ce preflant motif une aûi vite qu'il 
eût difbcilemeot tirée de la feule utilité 
commune. . • 

Voyons maintenant quels moytm de 
grand homme avoit emjnoyés à préparer 
«ne fi haute entreprife. Je compûrois 
volontiers pour le premier d'en avoir 
bien vu toutes les diffiadtés ; de telle 
forte qu'ayant formé ce projet dès foin 
en&ice , il le médita toute ik vie , âc 
ré(èrva Texéçution pour fa vieiUeflèt; 
-conduite qui proitve premièrement oe 
defîr ardent &: foulenu qui , feul dans les 
choies difficiles , peut vaincre les grands 
ol^ïades, & de plus, cette Ikgefie pa- 
tiente & réfléchie mii s'applanit les rou-» 
ces de liHigue main a force dcprévoyan- 
ce & de préparation : car il y a bien de 
la di^rence entre les entreprtfes oéceâàî- 
res dans lesquelles la prudence mdma. 
veut ^l'on donne qudqiie chofe au ha- .-, 
ùard , & celles- que le fuccès lèul .pent 
juili^er , parce qu'ayant pu fe pafTer dft 
les ^ire , on n'a ik les |enter qu'à coup 
D X 



Jyô . J U G E M E N T s U K 

■■Rit. Le profond fecret qu'il , rarda toute 
Xa vie julqu'au moment de 1 exécution , 
étoit encore aulTi effentiel que difficile 
dans iine û grande aiïaire oh le concours 
■-deiant''de gens. étoit nécefiâire, & mie 
tant de gens avoient intérêt de travericr. 
'il paraît que quoi qu'il eût mis la plus 
' erande partie de l'Europe dans Ton parti 
■ & qu'il fîit ligué avec les plus puiflàns 
•potentats, il nettt jamais qii'un feul con- 
^fldcnt>qui' connût toute Tetendue de Ton 
'plan ^ de par un bonheur que le Ciel 
ji'açconia.qu'au meilleur des Rois* ce con- 
,£âràt'itit im Miniflre intègre. Mais faas 
-qu«iT*n trénfpirât de ces grands defleins, 
^tOEtaiarclioitjenfijKnce vers leur exécu- 
• tion. Deux fois Sully ,étoit allé :à Lon- 
-'é^s;Lla'|>aitie.étpit liée avec le < Roi Ja- 
-qnesiôt -le Roi;de;&iede étoit engiigé de 
-jon côté ; la ligne -^^étoit conclue avecJes 
:Protefians d'AUema^e; oà étoit même 
-iîiT-des Princps d!Ualie-, Sentons concoui' 
croient -au grand Jiut ians pouvoir .t&4 
-qad -il était , - comme, les ouvjters. .opa 
'trayÂiUent.iiÉparétneitt aux pièces d'uni 
nouvelle machine ' dont ils ignorent U 
ffVSK. &: l'n&ge. Qu'«ft-ce donc qui m 



, .Google 



LA Paix PERPéruELXE. 77 

vorifoit ce mouvement général? eÉoit-c# 
la paix perpétuelle qiie mil ne prévoyait 
& dont peu fe feroient foudéi-? étoifrce 
l'intérêt public qui n'eft jamais cehii de 
perfonne ? L'abbé de St. Pierre eut pu 
refpérer. Mais rçellemenf . ctucuiii ne trar 
vailloit que dans la vwe de. fon intérêt, 
particulier, qii'Hènri avoil eu 1* ièeret*!© 
leur montrer à tous fous uncfece tnès- 
attrayante. Le Roi d'Angleterre awMt; à 
fe délivrer des continudks con^aâoaa 
des Catholiques de fon Royaume, toutes 
fomentées par l'Éfpagne. Il trouvoit de 
fdus un grand avantage à l'at&anchiâe« 
ment des Provinc^s-Unieii qul-lùï; çoû- 
toient beaucoup à fouttnir &'k:'mettoient 
chaque jour à la veille d'une guerre qti/'il 
redmitoit , ou à laquelle il aimoit mieux 
contribuer une fois avec tous, le» aities , 
afin dfe s'en délivrer pour'toujoiita Le 
Roi de Suéde votiloit s-'affiiret!db.l4.J?o>- 
méranie & mettre ui¥ pie*^ifert& l'îkllema- 
gne. L'EIbûwir Falatin'* aldre prowflaiit 
& chef dfr la- confeffiomtPAu^oiittv avùit 
des vues fur la. Bohême Sc «tfroH^ dans 
toutes celles d\i Roi d^ngtetetre. Les 
Princes d'Airemagne avoienf à riprimeo 






78 Jugement sur 

tes ufurpations de U Maifon d'Autriche. 
Le Duc de Savoye obtenoît Milan ôc la 
couronne de Lombardie qu'il defiroit avec 
ardeur. Le Pape même fatigué de la ty- 
rannie Eipagnole étoit de la partie au 
moyen du Royaume de Naples qu'on lui. 
aroit promis. Les Hollandois mieux payés- 
oue tous les autres gagnoient ralTurance 
4e leur liberté. Enfin outre l'intérêt com- 
jniui d'abai&r une Puiflance orgueïlleufe 
^ui vouloir dominer par-tout , (macim ea 
avoit un particulier , très-vif, très-feniï- 
ble , &: qui n'étoit point balancé par la 
crainte de fi^ituer un tyran à l'autre » 
puifqu'il étoit convenu que les conquêtes 
feroient patagées entre tous les Alliés,, 
excepté la France & TAngleteEre qui ne 
pouvoient rien, garder pour elles. Cea 
étoit aflèz pour caimer les plus inquiets 
fur l'ambition d'Henri IV : mais ce &ge 
Prince n'ignoroitpas qu'en ne fe réfervant 
rien p^ ce traite , il y gagnoit pourtant 
{^i£ qu'aHCun autre ; car uns rien ajouter 
à fon Mijimoine , il lui fufHfoit de lËvi- 
fer celui du feul plus puiflànt que lui » 
pour devenir le plus puillànt lui-même ; 
& l'on voit très-çlairement qu'en pre- 






LA Paix perpétuelle. 



79 



nant toutes les précautions c[iii pouvoîent 
affiirer le fuccès de Teatreprife , il ne né^ 
gligeoit pas celles qui dévoient lui don-> 
ner la primauté dans le Corps qu'il vour 
loit initituer. 

De plus ; fe^ a|^^s ne fe bomoienf 
point à former au -dehors des Ligues re- 
doutables, ni à contraâer alliance avec 
fes vojiiits Se ceux, de fon ' ennemi. En 
intéref&nt tant de peuples à Tabaifle- 
ment du premier Potentat de l'Europe , il. 
n'oublîojt pas de iè mettre en état par. 
Uu-mémé de le devenir à ibn tour. U. 
employa quinze ans, de paix à faire desn 
[wparatife dignes de l'entreprife qu'il mé-, 
ditoit. Il rem[^t d'argent (^ co^s , ks^ 
arfenaiix d'artillerie , d'armes , de muni-. 
tions ; il ménagea de loin des rdTources 
pour les befoins imprévus ; mais il fît 
0US que tout cela ians, doute ^ en. gou-, 
vernant fagement ks Peuples , en . déra- 
cinant infeniihlenieht toutes les femenées 
de diviûons, &c en mettant un fi bon. 
ordre à fes finances qu'elles puflèht four-, 
njr à tout &11S fouler fes fujets ; de forte 
que tranquille au -dedans &C redoufabie 
au-dehors ,' il fe yiteD ét^t d'armer ÔC; 
D4 






«O J O G ï M E N T s R 

ffeirtrétenîr foL-eânte miUe hommes-' 6c 
vingt vaiffèaux dé guerre ^ dêquittef-ftw 
Ro;^um€ fans y latffer \i mioindre fourc* 
de défoi'dre , &• de feirfe kgiiefre durant 
fix ans fans toucher à fes reyenus- ofdi- 
rairei ni mettre im'foùtle nônyiellï* im- 
pofitioni.' ,' '' 

' A't^'dèbfêparAîft'', ajoiiteurpoiu- la 
iondiiife rfe' rèntre^«-i!è:le Hi^mtfirtte & 
la même prudence' qitt; ratfdienïfbïmée 
taatàe la part de fon Miniftfe ïp»' de ht 
fietiné. Enfin' à la- tête des «T^é&tions 
Militaires wi CatStilinë^fel C|it^'tai[^«neli£ 
que &m adverfiuren^én: a«rit plat àhtè 
©ppofer, & TOUS jiigertzfi' ri«iî de ce 
qui peut anlionCer un' Keiiteos^î fucc& 
manquoh à Tefpôir du fîen. Sans aXroif 
pénétré fes vues , l'Europe attentive à iètf 
immenfes prépaïatift ea attendoit Teftèt 
avec xmt forte de fi^yeur. Uiï"lé«t(r ppi* 
texte alloit Gommfàicer c«ifi giSHcfeï'épd- 
itttïoïi, une guerre qtiidevtiitfei'ï 11 der- 
nière , priparoh ime! pi^ tittunoiteHev 
quand un événement dwH ITiorribté ittyf- 
tere doit augmentel- l'effi-ôi vint bannir à 
jamais lï dernier efpoir du monde. Le 
,iaêa]Ç'C9u{i (fà tnochale^ jout^'de ce ' 






LA Paix perpétuelle; Si, 



bon Roi replongea l'Euroiie dlans (Féter- 
neiles guerres qu'effe ne doit plus efoërer 
de voir finir. Qaoi qu'il en foit , voilà les 
moyens qu'Henri IV avoit raiïeniblés 
pour former le même établiffement que 
l'Abbé de St. Pierre prétendoit iàire avec 
lin livre. 

Qu'on ne dife donc point que fi fon 
fyftême n'a pas été adopté, c'eft qu'il 
n'étoit pas bon ; qu'on dife au contraire 
qu'il éloit trop l»n pour être adopté; 
car le mal & les sbus dont tant de gens 
profitent s^ntroduifent d'eux-mêmes; maw 
ce qui eft utile au public ne s'introduit 
cueres que par îa forcé , attendu que les 
intérêts particuliers y font prefque tou- 
jours oppofés. Sans 'doute la paix per- 
pétuelle eft à préfent un projet bien ab- 
furdc; mais qu'on nous rende un Henri 
IV & im Sully , la paix perpétuelle re- 
deviendra un projet raifonnrible ; ou plu- 
tôt , admirons un 11 beau plan , mais 
confolons - nous de ne pas le voir exé- 
cuter ; car cela ne pc\it fe faire que par 
des moyens violens & redoutables à l'hu- 
manité. On ne voit point de ligues fédé- 
ratives s'établir autrement que par des 






8l JUGEMENTSUR, &C. 

révolutions ; Se fur ce principe , qui de 
nous oferoit dire fi cette Ugue Européenne 
eft à defirer ou à craindre î EHe feroit 
peut - être plus de mal tout - d'un - coiipL 
qu'elle n'en prévieiulrolt poui des ûecles» 



POiLYSYNODIE 

J) E I^J Sfi é 

DE SAINT-PIERRE. 
CHAPITRE PREMIER. 

Utttffité dans la MoTtarckie éunt formt 4e 
Gouvtmemtnt fubordonnie au Prince. 



i3nes Princes regardoîent les fonûîons 
du Gouvernement comme des devoirs 
indiiben&bles , les plus capables s'entrou- 
veroient les plus lurchargés ; leurs ira- 
vaux compares à leurs forces leur paroî- 
troîent toujours exceflîfs ; 8c on les ver- 
rort auffi ardens à reflèrrer leurs. Etats 
ou leurs droits, qu'ils font avides, d'é- 
tendre les luis & les autres , & le poids 
de la Couronne écraferoit bientôt la plus 
forte tête qui voudrolt lerieufement la 
porter. Mais loin d'envifager leur pou- 
voir par ce qu'il a de pénible & d'obli- 
gatoire, ils n'y voient que le plaifit-de. 
conunander ; & comme le Peuple i^e(t à 
D 6 






>4" PotYSYNÔDlE toF ■ ^ "■ 

leurs yeux que l'inllrument de leurs fen- 
talfies , plus ils ont de ^mfies à ca^ 
tenter, plus le befoin d'ufurper augmente; 
& plus ils font bornés & petits d'enten- 
denient , pUis ils veulent être grands 8c 
piiiflkns eiv autorité. , ■ ; ,- , 

Cependant le piui' sbdAu défpolîfoïe 
exige encore un travaU pour fe fout»» 
liir ■ quelques maximes qii'il étâBîifle à 
fon avaiiKge , il faut toujours qu'il les 
courre d'un leurre d'utilité publique ; 
qu'employant la force des Peuples con- 
lïé eux - mêmes , il lés énipêche de là 
réunir Contre lui'; qu'il étouffe continuel- 
lement la voix de la iiature i & le cri âe la- 
Eberté toujours prêtà.fôrtir de l'eitrême 
oppreffion. Enfin , quand" lé Peuplé ne 
feroit qu'un vil troupeait fans raifon , 
éncofe fàudroit-il des foins pout le con- 
duire -, & le Prince qiiî né fotlge [ïoînt à 
rendVe heureux {é's mjsti' rt'Bubîîe pas ,' 
in moins, s^I n*eft infeiifé,, dé confefver' 
fon pattinioiné. - ' 

■ Qu'a-t-il donc k faire pour concilier 
findolence avec ra'mbîtion , la puiiïîi'nctf 
avec les plaif(rs , & fémmts des Dieu» 
atec U yie; ïtnrAialè î'^CR6(&-ï«ttr fôl 






l'Abbé dé St. '?ierre. 8^ 

les vaùis'Jiotlhetin , roifiVetc , '& remets 
tre à 'd'aiitries les fortffions périible's du 
Gouvernement, en-fe réfervant tout au 
plus de chalïef où changer ceux qui s'en 
actpVtteht trop' liiat ou trop bien. Par 
cette ' méthode , le dérider des hommes 
tiendra paifiblenleht & commodénieht' W 
fcfeptre de rtinlyers' ; plor^gé dans d'ihiî-' 
pîdes voluptés , il tiromenera , s'îf veiit', 
dé fête éri fête fon ignorance & fou 
ennui. Cependant', on le traitera de con-ï 
quérant , d'invincible , de ïtoi des Rois !, 
d*Empeffeiïr A'ugdfte , dé \fonaf^ie du' 
monde & dfe m]é&é -fecrée. Oublié fui» 
le trôhe , nul aïix y'eilx de fes vcfifins ; 
6C même à cafx de fes fujets', ^cenfé 
de to\is fans être obéi de perfonne ;' foi- 
ble inftnimeht dé la ty^tinie des Coiir- 
tifans 5c dé rerdâvage du Peiipre , on luï 
dira qu'il règne SeiliCfoira régner. Vo^k 
le taWeat général du- B6u*Wfïertieitt d« 
toute Mortai'çl^i'ç trop' _ëïewduè,- 'Q^iî.v'éu^ 
Jbutenir le monoe oi n'a pas -les épaules 
d'Hercnle f doit s'attendre d'être icnféi 
Le S'ôiiye^in d'un gtand Empiré n*ef( 
.gMCres lau ibnd que -l4>.MiniÛEe< de^ês 
Miniflrei j 'éiflv- rep^etltani de' efiivx (fé 






ZS POLYSYNODIE DE 



Î'ouvement foxis lin. Ils font -obéis ett 
on nom , & quand il croit leur faire 
exécuter fe volonté , c*eft lui qui , fans 
le favoir , exécute la leur. Cela ne fàu- 
roit être autrement , car comme il ne 
peut voir que par leurs yeux , il faut 
néceflàirement qu'il les lalfle agir par fes 
plains. Forcé aabandonner à d'autres ce 
qu'on appelle le détail ( * ) & que j'ap- 
pellerois , moi , l'effentiel du Gouverne- 
ment , il fe réierve les grandes aâàires , 
le verbiage des Ambafladeurs , les tracaf- 
^eries de fes favoris , & tout au plus le 
choix de {es maîtres , car il en faut avoir 
malgré foi , fi-tôt qu'on a tant d'efdaves. 
Que lui importe , au refle , une bonne 
ou une mauvaife adminiûration ? Com- 
ment fon bonheur feroit-il troublé par la 

(*) Ci^ul Importe >in ctio;ei5, c'tffi d^lrc centrait 
^noncnl A piiCbf ciBtM. A» farplm , que l'Etat bit grand, 
fuilTant ScOaciO^, c'Gft l'jiSiin p>((iCBliat du Prinw, 
4i let Tuiets a'T m lucuB înifitt. Le McDuqic doit donc 
ptemiiieiiKDt l'occapcr du détail tn qnol cosEftc la libmi 
tiTik , la fuKt^ éo pnplt ft mine la finsc 1 bien dg* 
égaidi. Apiis ceUi ^it loi nfie dn ttaulpttdrc.ilpei^ 
k donner 1 toMu «i erandes iïïairn qui B'inlfreflïnl 
ferfeant , qai Bt miflèni iasiaii qnc det vim du eenver- 
■emiat , qui pai MnOqBtnt ne fbnt ifco ivnt an Fenslt 
fMMtui t II fini f«H dt tJwfï (tu u Soi fiv*> 






l'Abbé de St. Pierre. 87 

mUere du Peuple , qu'il ne peut voir ; 

rfes plaintes , qu'il ne peut entendre , 
par les défordres publics dont il ne 
ikvjz jamais rien î II en efl de la gloire 
des Princes comme des trëfors de cet in* 
feoie , propriétaire en idée de tous les. 
Taiflèaux qui arrivoient au port ; ropînion 
de fouir de tout rempêchoit de rien dé- 
lirer , Se il n'étoit pas moins heureux de& 
richefles qu'il n'avoît point , que s'il les. 
eût polTédées. 

Que feroit de mieux le plus juAe Prince 
avec les meilleures intentions , fi.-tôt qu'il 
entreprend un travail que la nature a mis- 
au-deiTus de (es forces î II eu homme &C 
fe charge des fonûioos d'un Dieu, com- 
ment peut - il efpérer de les ren^jUr ? Le' 
iâge» s'il en peut être {ur le trône ^re- 
nonce à Tempire ou le partage ;. il con- 
fuite Tes forces i il meftire fur elles les- 
fondions qu^il veut remplir, & pour Être 
un Roî vraiment grand , tl ne fe charge 
point d'un grand Royaume. Mais ce que 
feroit le fage a peu de rapport à ce que 
feront les Princes. Ce qu'ils feront tou- 
jours , cherchons au moins comment ils 
peuvent le &ire le moins mal qu'il ioit 






88 POLYSYNODIE DE 

• Avanf que d'entrer *h matière , il eff 
bon (fobfervêf qiie fl par miracle queique 
grande ame peut fiiffirc à la pénible chargé 
3e la Royauté , l'ordre héréditaire étabir 
dans les fflccefftons , & Textrarafflinte' 
éducation des héritiers dit Trône tour- 
riironf totijoiirs' cent imBécilles poiir un 
■frai Roi ; qu'il y aura des minorité , 
des maladies , des teras de délire 8c de 
paffion qid ne laiflëront fouvent à la tête 
de l'Etat qu'un fimulacre de Prince. îi 
fènt cependant que les affiûres iê feffent. 
€hc2 toiis les Peiipleis qui ont un Roi ,' 
il efl: dont, abfoltiment néceffirirc d'établir 
une forme de gouvememeftt cmj fe ptriffe 
paffer' du Roi ; 8c dès qu'il en pôle qu'iui 
Sotiveraio peut rarement gouverner par 
Ini-même, il ne s'agit plas que de fa- 
voir- comment il peut gouverner par au-, 
t^ui ; c'eft à réfoUOTe cette queflSon qi^cft 
dclHné le difccnirs fur la Polyfj^flodie. 



L*AsBE DE St. Pierre. 89 

ô * ' "' "" w ^ 

CHAFI T RE II. ' 

Trois firmes Jpécifiques it Gouvimtment 
fubordonnL , i 



Un 



* N Monarque , dit l'Abb* de St. Pierre ; 
peut, n'écouter qi^iiï feul homme .dans 
ttHites fes afikires, & lui confier toute 
fon autorité , comme autrefois' les Rois 
de France la donnoient aâx Maires dit 
Gâtais, & comme les Prince» 0TAïaBxti 
la confient encore; au}outd.*Iiiti: à-' ct\\Â 
qu'oh nomme Grand'- Vifir en Turqaie; 
Pour abréger , j'appdlerai Vififarcettô 
forte de miniftcre. 

. Ce Monarque peut auffi partager foit 
autorité entre deux- oit plufieufs homtneS' 
mt'il- écoutff chacun Xé^tétatrit Air la-rorte 
tfafiàirequi lenr eft commife; à-fléu-jrès 
comme-ftjfoit Lotiii^ OHV avet- CôMpert 
& Louvoîs. C'eft cette forme que je nom- 
merai dans la fuite demi - Vilîrat. 

Enfin ce Monarqnè^peut faire difaiter 
dans des affemblées les aifeires du Gou- 
vernement , & former à cet effet autant 



90 POLTSYNODIË £>E 

dé conieils qu'il y a de genres d'afl&îrft 
à traiter. Cette forme de miniftere mie 
l'Abbé, de St. Pierre appelle pluralité des 
Confeils ou Polyfynodie, eit à-peu-près, 
félon lui , celle que le Régent Duc d'Or- 
léans avoit établie fous ion adminiilra- 
tion , & ce qui lui donne un plus grand 
poids encore , t^étoit auffi celle qu avoit 
adoptée l'Elevé du vertueux Fenelon. 

Pour choifir entre ces trois formes & 
juger de celle qui mérite la préférence , 
il ne fuffît pas de Us confidovr. en gros 
&.par la première face qu'elles prcfen- 
tent ; il oê &ut pas y non plus , oppofer 
les abus de Tune à la perfisâion de Tau- 
&e , ni s'arrêter feulement à certains mo~ 
mens paflàgers de défordre ou d'éclat , 
mais les fuppol'er toutes auffi parâites 
[u'elles peuvent l'être dans leur dtu-ée , 
le chercher en cet état leurs rapports &C 
leurs différences. Voilà de quelle manière 
on peut en &ire tui paraUele exaSt. 



t 






l'Abbé de St. Pierre. 91 

Qtt ! ■ vr n 

CHAPITRE III. 

Rapport <U cts farmtt k ctUet du Gouvenu'. 
mmt fuprime, 

XjEs maximes élémentaires de la poli- 
tique peuvent déjà trouver ici leur appli- 
cation. Car le Vmral , le demi - Viiu-at » 
&: la Poly/ynodie le rapportent manifeflc- 
meiït àzns récononùe du gouvernement 
fitbaiteme aux trois formes fpécîfi[]ues 
du gouvernement fiiprême « & plufieurs 
des principes qui conviennent a l'admi- 
niftration fouveraine peuvent aifément 
s'appliquer au Miniftere. Aînfi le Viiirat 
doit avoir généralement plus de vigueur 
& Je célérité , le demi- Vifirat plus d exac- 
titude & de foin , & la Polyfynodie plus 
de juAice Se de conftance. Il eft fur en- 
core que comme \a Démocratie tend na- 
turellonent à l'Ariftocratie , & l'Arifto- 
cratie à la Monarchie ; de même la Po- 
iyfynodie tend au demi -Vifirat, & le 
demi-Vîfirat au Vifirat. Ce progrès de la 
iôrce puUique vers le relâchement qui 






«,1 



■POLYSÏNODIE DE 



oblige de renforcer les refforts , fe re- 
tarde qii s'ac<élete  . proportion que tou- 
tes les parties de l'Etat iont bien ou mal 
conllitiiées ; &. comme on ne parvient au 
defpotifme & au Vîfirat que quand toiis 
les autres refforts font ufés , c'eft , à mon 
avis , un projet mal conçu de prétendre 
abandonner cette forme pour en prendre 
une des précédentes : car nulle autre ne 
peut plus fuffire à tout ua peuple qui i 
pu fupporter celle-là. Mais , fans vouloir 
quitter l'une pour l'autre , il eft cependant 
iftilë dfe cotiBiïître celle des trois qui vaut 
Ih mieùy. Nous venons .de voif que » par 
une ariaîô^ie affez naturelle , la Polyfy- 
Modie mérite déjà la préférence , il refte 
à rechercher fi l'examen des chofes' mè- 
mes pourra la lui confirmer; mais avant 
que d'entrer dans cet examen , commeii- 
çons par une jdée plur pfédfe .de là forme 

île, félon notre Auteur, doit avoir la 

'olyfynodie. " 

0' 






t 



L'ABBi DEj St. PiERHE. 9J 

C» '^*P .L. ^ 

CHAPITRE IV.' 

Partage & Départemens des ConfeiU* 

I ,' E Gouvernement d'un grand Etatitel 
que la France , renferme en foi huit obiet^ 
principaux qui doivent former autant dé 
départemens & par conlcquent avoir cha-- 
cun leur conieil particulier. Ces huit par- 
ties font : la judice , la police , les lînan- 
ces , le commerce , la marine , la guerre » 
les affaires étrangères ,: te celles de la reli- 
gion. Il; doit y avcir encor{( un neu- 
vième Confeil , qui , formant la .liaifon 
de tous les antres , luûjîe toutes les par- 
ties du Gc 
a&ires itrai 
reffQrtn'att 
du PrÏBCç ] 
penfant & 
iiipplée à 1 
dies y la mi 
fion du trai 
fesfon^Qn 
toujours êti 
-prélénte ou 
a venir. 



94 POLYSTNODIE DE 

CHAPITRE V. 

Manière de Us eompofer. 

\t\. l'égarâ de la manière de eompofer 
ces Confeils , la plus avantageufe qu on y 
piiiffe employer paroît être la méthoae 
du fcmtin ; car par toute autre voie il eft 
évident que la fynodie ne fera qu'appa- 
rente , 4jue les Confeils n'étant remplis 
que des créatures des favoris , il nV aura 
Ipoint dç liberté réelle dam les fuifrages, 
& qu'on n'aura fous d'autres noms qu'un 
véritable Vîfirat ou demi - Vifirat. Je ne 
m'étendrai point ici fur la méthode & les 
avantages du fcru^ ; comme il iàit un 
lies pcÂnts ca|ntaux 4a fyilême de Gou- 
'vememcnt de l'Abbé de St. Pierre, j'en 
■traite ailleurs plus au long. Je me coiv 
■ tenterai de remarquer que quelque forme 
dç Miniftere qu on admette , il n'y a 
point d'autre médiode par laquelie on 
puifiè être alTuré de donner toujours la 
préférence au jrfus vrai mérite ; raifoo 
^montre plutôt l'avantaj^ que la &m* 






l'Abbé de St. Pierre. 



9î 



iité de ùàre adopter le fcrutin dans les 
Cours des Rois. 

Cette première précaution en fuppofe 
d'autres qui la rendent utile ; car il le 
^eroit peu de choiûr au fcruôn entre des 
fujets qu'on ne connoîtroit pas , & l'on 
ne lâuroit connoître la capacité de ceux 
qu'on n'a point vu travailler dans le genre 
-auquel on les deAîne. Si donc il &ut des 
pades dans le militaire, depuis l'Enfeigne 
|uiqu'au Maréchal de France pour former 
les jeunes officiers & les rendre capables 
ies fondions qu'ils doivent rempur un 
jour; n'eft-il pas plus important encore 
-<{%tablir des grades femblables dans- l'ad- 
slunîjlration civile , depuis les Commis 
îuf^'aux Préfidens des Confeils? Fàut-U 
noins de teae &c d'expérience pour ap- 
-prendre à conduire, lui Peuple que pour 
commander iuse armée; les connoiflwces 
4p l'homme d'Etat font - elles plus feôles 
■S acquérir que celles de l'homme de Gxier- 
re, où le bon ca-dre eft-il moins néçeC- 
jkire dans l'économie politique que dans 
3a difcipUne mililaire ? Les ^ades fcrupu- 
leuf«m«9t obfewis.cBit été l'écfrfe de tant 
df grands hommes qu'a produits la Ré< 






POL-tSïNOOlt DE. 



publique ide Venife , & pourquoi né corn- 
menceroit - on pas d'auffi loin à Paris 
pour fervir lé Prince qu'à Venife pour 
îervir l'Etat. 

Je n'ignore pas que l'intérêt des Vifirs 
s'oppdfe à cetir nouvelle pdice : jef Éûs 
bien qu'ils ne veulent point Être affujettis 
à des formes qui gênent leur d^fpotiime* 
qu'ils ne veulent employer que des créa- 
tures qui leur foient entièrement dé- 
vouées, & qu'ils puifient d',un mot re* 
.plonger dans la poiimere-d'oii ilsles àrent- 
lUn nomme' de naiflancê , dei fon côté> 
:qui rfa pour cette foule de vdets, que le 
-mépiis qu'ils inéritent :,■ dédpgne d'enùer 
en conciurence avec eux: -dans ' 1» même 
■carrière , ôc le Gouvenrément de ITEtat 
efl tOHJoiirs prêtàidevenir.la proie du 
rebutdq fes citéyens.^Auffii'n'efl-ce pfeii|l 
.fous le Vifirat'i «làistfousflaiftute Pôly- 
fynodie qti'ompeut^efpéteh d'ôtîdïlir dans 
1 adiftiniftration civile des grades . honnê- 
tes qui ne fuppofent'pas la bdirtdfle , m^is 
le mérite , & qui pioflênt rapprocbtr h 
■nobhQs des: afoires' xlbnit. oni^eâé de 
raoïgnét Ô6 quelle: aâçde''^ m^rifti-k 
ibatovu, ■'■.-■ ' ' -c -y- :• ^-i • .-"i. -'■ 
CHAPITRE 






l'Abbé de St. Pierre. 97 
CHAPITRE VI. 

Circidaùon dts Diparumms. 



De 



*E PétablilTement des grades s'enfiiit 
la néceflité de faire cîrnikr les départe- 
mens entre les membres de chaque Con- 
ieil & même d'un Coi^eil à l'autre , afin 
que chaque membre éclairé fiicceffivement 
iur toutes les parties du Gouvernement, 
devienne un jour capable d'opiner dans 
ie Confeil général & de participer à la 
grande admmiftration. 

Cette vue de faire cïrcider les départe- 
mens eA due au Régent qui l'établit dans ' 
le Confeil des finances, & 11 l'autorité 
«l'un homâie qui connoiflbit li bien les 
refforts du Gouvernement ne fuffit pas 
pour la faire adopter, on ne peut difcon- 
venir au moins des avantages fenfibles 

3 ni naîtroient de cette méthode. Sans 
oute il peut y avoir des cas oîi cette 
circulation paroîtroit peu utile ou difficile 
à établir dans \z Polyfynodie .: mais elle 
ify eft jamais irapoffible , & jamais praj 
Pkçes divcrfes, E 






POLYSYNODIE DE 



ticable dans le Vifirat ni dans le demt- 
Vifirat ; or il eft important, par beaucoup 
de très-fortes raifons , d'établir une forme 
d'adminîAration où cette circulation puifle 
avoir lieu. 

i^. Premièrement, poiu- prévenir les 
malverfations des commis qui , changeant 
de bureaux avec leurs maîtres , n'auront 
pas le tems de s'arranger pour leurs fri- 
ponneries auffi commodément qu'ils le 
font aujourd'hui : ajoutez qu'étant, pour 
ainfi dire, à la difcrétion de leurs fucçef 
feurs , ils feront plus réfervés , en chan- 
geant de département, à lailTer les a&ires 
- ne celui quils quittent dans un état qui 
pourroit les perdre, fipar hafard leur fuc- 
cefleur fe trouvoit honnête homme ou 
leur ennemi, i". En fécond Ueu , poiu* 
obliger les Confeillers mêmes à mieux 
veiller fur leur conduite ou fur celle de 
leurs commb; de peiu- d'être taxés de 
négligence &c de pis encore , quand leur 
geftioo changera d'objet fans cefle , & 
chaque fois fera connue de leur fuccef- 
feur. 3*'. Pour exciter entre les membres 
d'un même corps une émulation louable 
& qui psfîera îbn prédécefleur dans le 






L'ABsi DE St. Pierre. 



.99 



même travail. 4". Pour corriger par ces 
fréquens changemens les abus que les er- 
reurs, les préjugés & les paillons de cha- 
que fvijet auront introduits dans fon ad* 
mtniftrâtîon : car parmi tant de carafleres 
ifférens qui régiront fucceflivement " la 
même partie , leurs âutes fe corrigeront 
mutuellement , & tout ira plus conftam- 
mént à l'objet commun. ï°. Pour donner 
à chaque membre d'un Confeil des con- 
■noiffances plus nettes & plus étendues 
des affaires & de leurs divers rapports ; 
en forte qu*ayant manié les autres parties , 
il voye diftinÔement ce que la fienne eft 
au tout; qu'il ne ft croye paS toujours 
le plus iiriportant perfonnage de l'Etat , & 
ne nuife pas au bten général pour mieux 
faire celui de fon département. 6*. Pour 
que ïous leS avis foitent- niienx portés' 
eri-' cbraitSiflànèè de -calife j qire chacun' 
en»?ide Wut*^ lès mâtSérfeS Atr lèfoiiellés' 
fl dort op««", &?^'unfe ^liA 'grande ittli- ' 
fonilîté idié'-ltiinîë-és mette Jjlu's de ctMi-" 
CTOT^ç &?'aé feîfofftlMaîlei délibératidos'. 
Comimuift. - 7*.-Poii.y exêriteH Vefprif & 
tes talens' des-Mîfrîftres ï'tar ,''^rtés k'W 
fepafer èci^pfrtfeîiir^ïfir ttf* li^ême trt-' 

E'i : 






lOO P.pLY.S YRODIE IVE; 



vait , ils oe ^'en, ^nt enfin qu'une routine 
qui relTerre & circonfcrit , pour ainfi 
pire, le génie par l'habitude.' Or l'attenr 
tion eft à refpril ce qu£ l'exercice eft au 
(içrps i c'ell elle qui lui donne de 1? vi- 
oleur, de TadrelTe, Se qi^i.le rend j^ro- 
pr£ à fuppoEter le travail : .ainfi l'on peut 
dire qiie cluqueCpnfeiller d'Etat,. ejti re- 
venant .après, quelques années de circu- 
lation^ lex^Çicede fon premier depar- 
lement,; s'en trouvera réellement plus ca- 
pable que, s'il n'ea.eût point du tout 
chapgë. Jeflig, nie; pae que s'il.fûl demeuré 
^s le .mêpiev U. n'eûç acquis {dus de 
faillite k ex^édie^ les aâaires qui eo. dé- 
pendant ; mais je dis qu'elles euffent été 
qioins- l^iea- faites i ^cé qu'il eut eu des 
vues piijp .bornées , &. qu'il xi,'eut pas 
^cq^is iine.çpnnqiirançeL^f^3ie?^ç- ^es 
rapport -qwîont; ces araires jByfSnrf^Ûes 
4e^^^i^s i4tîpaWn»snsi; ^lflrt8)-qM'U 
ïî?rPcr4;tl'un ^pip ^s la^ çîrçyJatipB <pie 
pour gagner fd'uf^ autre bçaugou|) tùvaof 
^Çe., 8P. Enfin ^'-jffJni méfUMerplus d'éga- 
lu; dans le gouyou- , plus idrindfi^^fince 
egfrç les Qpnfeiliets.^^BtatV'^Baf- CftaC^- 
S»Wï:Hl»i*t4é lilaîni^,.énîtjiflfii^l&i(ge^ 






i,*ÂiBÉ -Dk St. Pierre; ioi 

Autrement dans un Confei! nombreux e.i 
apparence , on n'auroit réellement que 
deirx ou trois opinars auxquels tous les 
autres feroîent affujettis , à-peu-près com- 
me mîx' qii'on âppelloit autrefois A Rome 
Senawrts. pedofii.y tpii pour, l'ordinaire 
regarèoient moins- à'I'aVis qn'îi IViteur : 
inconvénient d'autant plus dangereux , que 
ce ■rfeffiaifiais en' faveur (hi meilleur parti 
qu!oii . a befojn de. gcner les voix. 

On pourroit pouffer encore plus loin 
cette drcuJàtioh des départemens en l'é- - 
tendant jufqu'â la Préfiderfce même ; car 
s'il étoit de l'avantage de la République 
Romaine , qiie les Confuis redeviiment 
au bout , de 1 an fimples Sénateurs en atten- 
dant un ntouveau Confulat , pourquoi ne 
féroit-il pas de l'avantage du Royaume, 
que les Préfidens redevïnffent après deux 
ou trois aiik fimples Corifeillers , en atten- 
dant ùtië' noitveile Préfidence î Ne feroit- 
ce pas , ^our àinfi dire , propofer un prix 
tous lés tfois ans à ceux 'de la Compagnie 
qui diirant cet intervalle fe diftingueroient 
dans leiu- Corps? Ne feroit-ce pas un 
nouveau reffort très - propre à entretenir 
dans %ïe' coririniielle'àftivité le moitve- 

E3 






POLYSTNODIE DE 



ment de ta machine publique ; & le viai 
iècret d'animer le travail commun n'eft-il 
pas dy proportionner toujours le ialaire? 

CH A P ITRE VII. 

'Autns avantages dt ceiu circulation, 

J E n'entrerai point dans le détail des 
avantages de la circulation portée à ce 
dernier degré. Chacun doit voir que les. 
déplacemens devenus néccHaires par la 
décrépitude ou l'aAbibliflement des Pré- 
iîdens » fe feront ainii fans dureté & fàj;is 
effort ; qiie les Ex-préfîdens des Conieils 
particuliers auront encore un objet d'élé- 
vation , qui fera de fiéger dans le Confell 
généra] , &: les membres de ce Çonièîl 
celui d'y pouvoir préfider à leijr tour ; 
que cette alternative de fubordination &; 
aautorité rendra l'une & l'autre en même 
tems plus parfaite & plus douce ; que 
cette- circulation de la Préfidence eu le 
plus iur moyen d'empêcher la Polyfyno- 
die de pouvoir dégénérer en yifirat ; &, 






i'Abbé de St. Pierre. 103 

qu'en général la circulation répartîiTant 
avec plus d'égalité les lumières & le pou- 
voir du Mimftere entre plufieurs mem- 
bres , l'autorité royale domine plus aifé- 
ment fur chacun d'eux : tout cela doit 
lauter aux yeux d'un leûeiu* intelligent ; 
Se s'il fàlloit tout dire , il ne feudroit 
rien abréger. 

Df'f ^?y ]« g 

CHAPITRE VIII. 

Que la Polyfynodîe efl Padminijiration ta 
fous • ordre la plus naturelle. 

J E m'arrête ici par la même raifon Itir 
la forme de la Polyfynodie , après avoir 
établi les principes généraux mr lesquels 
on la doit ordonner pour la rendre utile 
&c durable. S'il s'y prefente d'abord qug^- 
que embarras, c'efl qu'il eft toujours à3m- 
ciie de maintenir long-tems enfemble deux 
Gonvememens aufli différens dans leurs 
maximes que le monarchique &c le repu- 
bliquain , quoiqu'au fond cette union pro- 
duisît peut-être im tout partait, U le 
E4 






I04 POLYSYNODIE DE 

«hef-d'œuvre delà politiijue. II faut donc 
bien diftingiier la forme apparente qiii 
règne par -tout, de la forme réelle dont 
il efl ici qiieftion : car on peiit dire en 
wn fens qiie la Polyfynodie eft la pre- 
mière &C la plus naturelle de toutes les 
adminiûrations en fom-ordre, même dans 
la Monarchie. 

En effet , comme les premières loix na- 
tionales furent feites par la nation aflent- 
blée en corps , de même les premières 
délibérations du Prince furent fiiifes avec 
les principaux de la nation alTemblés en 
Confeil. Le Prince a des Confeillers avant 
que d'avoir des Vilîrs ; il trouve les uns 
& fait les autres. L'ordre le plus élevé de 
l'Etat en forme naturellement le fynode 
Ou Confèil général. Quand le Monarque 
efl élu , il n'a qu'à préfider &c tout efl 
fait : mais quand il faut choifir un Mi- 
ojftre , ou des favoris , on commence i 
imroduire une forme arbitraire où la 
brigue &c l'inclination naturelle ont bien 
plus de part que la raifon ni la voix du 
peuple. Il n'elt pas moins fimple que dans 
autant d'affeires de différentes natures qu*en 
lefirç le Gouvernemçnt, le Parlement na^: 






l'Abbé de St. Pierre. 



105 



tïonal fe divife en divers comités toujours 
fous la préiidence du Roi qiii leur aflîgne 
à chaain les matières fur lefquelles ils 
doivent délibérer; & voilà les Confeils 
parûculiers .nés du Confeil généra! dont 
iïs font les .membres naturels , & la Sy- 
Dodie changée en Polyfynodie ; forme 
que je, jie dis prts être , en- cet état , la 
meilleure , mais bien la première &: la 
plus naturelle. 

Et" , . ffrf ■ ' jgg 
C HA P I T RE rX. 

.Et la plus utile. 

VjOnsidÉrons niamtenant la droite fin 
du Gouvernement & les cbftaclas qui l'en 
élqignejit. Cette: fin eft fans contredit le 
plus grajui intérêt de l'Etat & du Roiî 
ces. obAacJi^s font ,' icaitse ie àéiavi de lu*- 
mieres , lîiotérêt, particulier des 'sdiftinif*- 
trateurs ; d'«ii il fuit que , plus ces inté- 
rêts particuliers trouvent de gêne & d'op- 
pofition « ^oins ils Jîalancent l'intérêt pu- 
blic. -^Ae forte que s'ils pouvcûent fe hmifr 
tçr ii. ie c^miire omtqdkment , quelque 



106 POLYSÏNO.DI-E DE 



vi& qu'on les fuppolSt , ils deviendroient 
nuls dans la délibération , & l'intérêt pu- 
blic feroit feul écouté. Quel moyen plus 
fur peut - on donc avoir d'anéantir tous 
ces intérêts particuliers que.de les oppo- 
fer entr'eux par la multiplication des opi- 
Dans. Ce ^i fait tes intérêts particuliers 
c'eft qiTils ne s'accordent point , car s'ils 
s'accordoient ce ne ieroit plus un intérêt 
particulier maïs commun. Or , en détrui- 
ïant tous ces intérêts l'un par l'autre , 
rtfte l'intérêt public qui doit gagner dans 
la délibération tout ce que perdertf les 
intérêts particuliers. 

Quand un Vifir Qptne Jàns témoins 
devant fon maître, qu'efl-ce qui gêae alors 
fon intérêt ' perfonnel ? A-t-il-oefoin de 
beaucoup d'adr^e pour en inipôfer à lUt 
homme auffi borné que doirerit l'être or- 
dinairement les Rois , circonfcrits partout 
ce qui les environne dans un û petit cer- 
cle de timùeres? fur des expolés £iM- 
fiés , fiir des prétextes fpécieux , ftir des 
laifonnemensîbphiftiques, qui Pempêché 
■de déterminer le Prince avec ces grands 
■mots d'hanatitr de la Céttronm & dt hUn 
■dt ^SlUU aux eatcepri&£ les plbfr Am^és » 






l'Abbé de St. Pierre. 107 

quand elles lui font perfoonellement avm< 
tageufes ? Certes c'eft gnmd hafard fi 
deitx intérêts partiailiers aufll aâiâ que 
celui du Vifir & celui du Prince , laiflent 
quelque influence à l'intérêt public dans 
les délibérations du cabinet. 

Je fais bien que les Gînfeillers de l'E- 
tat feront des hommes conune les Vifirs , 
je ne doute pas qu'ils n'aient fouvent, 
ainfi qu'eux , des intérêts particuliers op- 
pofés à ceux de la nation & qu'ils ne 
préféraient volontiers les premiers aux 
autres en opinant. Mais dans une aâem- 
blée dont tous les membres font dair- 
voyans ôc n'ont pas les mêmes intérêts , 
chacun entreprendroit vainement d'ame- 
ner les autres à ce qui lui convient ex- 
clufivement : làns perfuader perfonne , il 
ne feroit que fe rendre fufpeâ de corrup- 
tion & dinfidélité. Il aura beau vouloir 
manquer à fon devoir , il n'ofera le tenter 
ou le tentera vainement au milieu de tant 
d'oblèrvateurs. Il fera donc de néceiHté 
vertu , en facrïfiant publiquement fon 
intérêt particulier au bien de la patrie , 
& foit réalité , foit hypocrifie , l'effet fera 
le même en cette ocôfion pour le lùen 
E 6 






I08 POLYSYNODIE DE 

de la fociété. Ceft qu'alors un intérêt 
particulier très - fort , qui efl: celui de là 
réputation, concourt avec l'intérêt public. 
Au lieu qu'un Viiir qui lait , à la faveur 
des ténèbres du Cabinet , dérober à tous 
les yeux le fecret de l'Etat, fe flatte tou- 
jours qu'on ne pourra diftinguer ce qu'il 
fait en apparence poiu' l'intérêt public de 
ce qu'il feit réellement pour le fien , & 
.comme, aorès tout, ce Vifir ne dépend 

3 lie de fon maître qu'il trompe aifément, 
s'embarrafle fort peu des murmures de 
tout le refte. 

Cîg , ^ry ■ X i 

CHAPITRE X. 

Autres avantages. 



Db 



' E ce premier avantage on en vok 
découler une foule d'autres qui ne peu- 
vent avoir liai fans lui. Premièrement 
les réfolutions de l'Etat 'feront moins fou- 
vent fondées fiu- des erreurs de fait, parce 
ou'il ne fera pas auflî aifé à ceux qui 
feront le rapport des faits de les déguifer 
devant une affemblée éclairée , oti fe trûvis; 






l'Abbé de St. Pierre. 109 

veront prelque toujours d'autres témoins 
de l'aiîare , que devant un Prince qui n*a 
rien vu que par les yeux de fon Vifîr; 
Or , il eft certain que, la plupart des réfo- 
lutibns d'Etat dépendent de la connoiilknci! 
des faits, & l'on peutdire mêmeengéné^ 
rai qu'on ne prend giieres d'opinions feuil 
iès qu'en fuppofànt vrais des iâits qiû 
font faux ou Éiux des faits qui font vrais; 
En fécond lieu , les impôts feront portés 
à un excès moins infupportable , léHque 
le Prince pourra être éclairé fur fa véri- 
table fitiiation.de fes Peuples & fur fes 
véritables besoins ; mais ces lumières , nq 
les trouvera-t-il pas pKis aifément dans 
\in Confeil dont phifieurs membres n*ai-i 
ront auain maniement de finances j' ni 
aucun ménagement à garder, qiië dansuQ 
Vifir qui veut fomenter ■ les paflîons de 
fon maître , ménager les fripons en faveur; 
enrichir fes créatures & faire fa main poirf 
lui-même. On voit encore que les fem- 
mes auront inoins de pouvoir & que pat' 
conféquent l'Etat en ira mieux. Car il eft 
plus aifé à une- femme intrigante de placéf 
un Vifir que cinqnante Cortféillc^s &di^ 
fëduire un'hammç que tout tta ct^ége^ 






POLYSYNODIE DE 



On voit que les affaires ne feront plus 
ilifpendiies ou bouleverfées par le dépla- 
cement d'un Vifir ; qu'elles feront plus 
exaÛement expédiées quand , liées par 
ans commune délibération , l'exécution 
îêra , cependant , partagée entre pUifieurs 
Confeillers, qui auront clwam leur dé- 
partement, que lorfqu'il ^ut que tout 
îbrte d'un même Bureau ; que les fy^é- 
mes politiques feront mieux fuivis Se les 
réglemens beaucoup mieux obfervés quand 
il D*y aura plus de révolution dans le 
Miniftere , & que chaque Vifir neiê fera 

£lus un.point d'honneur de détnxiretous 
s établiUemens utiles de celui qui Taura 
précédé , de forte qu'on fera iur qu\m 

Srojet une fois formé ne fera plus aban- 
onné que lorfque l'exécution en aura 
été reconnue impofiible ou mauvaife. 

A toutes ces conféquences \ ajoutez-en 
àeux non moins certames , mais plus im- 
portantes encore , qui n'en font que le der- 
nier réfultat & doivent leur donner un 
prix cjue rien ne balance aux yeux du 
vrai citoyen. La première, que dans lui 
travail commun , le mérite , les talens > 
f'iotégrité ie feront plus aifémâit connoî*, 






L*AsBÉ t»9 St. Pierr^. i i i 

trt ^récompenfer ; foit ^aos lei meitH 
tires c^ Confeils qui. feroîit fans cefle. 
fous les yeux, les uns dç$ autres 6c de tout 
l'Etat , foit d{tns te Reyaurae, entier où. 
nulles aôîonsrçinarciuabtes, nuls liommes 
dignes (TêCrt diiUngués, ne peuvent Te 
é^'ober ,long-tems zvat, regards d'ime 
^SemUée qiii veut & peut tout voir, ,ô^ 
0Ji,Ia jaloufie & l'émulation des membres 
les porteront fouvent à Te &ire des créa- 
tures qui ef&cent en mérite celles de leurs 
nvaux; la féconde Sf. dernière coqUéagstnc». 
eA que tes honneurs Scies emplois diitri- 
Iniés avec plus d'équité 6c de raifon, 
l'intérêt de VElstSc du ftincemieux éooih 
té dans les délibérations , les aâaires mieux 
expédiées 6c le mérite plus honoré doi- 
vent nécellairement réveiller dans le coeui 
dutPeupIe cetainour de la Patrie qui eft 
le plus piriflint rtiÇart (l'un ^? gouver- 
nement 6c qui ne s'éteint jamais ctiezles 
Citoyens que par ^la faute des . CheÉi (*). 
Tels font les effets néceâàiies ^une 



:,<'') B T 9 jlm àt nie ft.daftcrtt dul b Vifint,, 



^mi. 






ili POiLYSYNODIÉ-DE ■'- 

formé de gèuvei'nêmént t^iii forceil'-iftté'' 
rêt paiticiilier il céder à l'intérêt général» 
La Polyfynodie offi-é encore d'autres avan- 
tages qi.ii donnent im nouveau prix à- 
cexix-fâ. Des aflèmblées ncftibreufes & 
éclairées fourniront plus de lumières fui* 
les expédîensî &■ l'expérience ! confirmai 
que les délibéràtiOps d un Sénat font' eni 
gértéraîphis lages'Sc mieux digéfées gue 
Celles d'unyifir: Les Rois feront plus uif- 
tniits deïeiJEFS àifeires ; Us ne lauroient 
àffiftèr iinc-' Cohfeils 'fens s'en : iiiflruire , 
car ■ c'éft'-' là 'mt'on -ofe dire la ' vérité ,■ Bc 
les ni^t^s flé èfcique Confeil: auront le 
t)KiS:^raiM intérêt >tjiie îe' PriàceydJMe 
âffidrtméht' pouf en fdulèriir le pouvoir 
Ou pôiiÇ ëri aiitorifer les réfolutions. Il y 
aura mmns "de vexations & d'mjtifl^c»' 
de la part-d;ésj>llife fofts'j cariiïi'ÇoAfeil 
fera plus accefiib'ie ^w te irâne aux op^ 
pTiiSiés '•/'ih côurïênt ïnoins;d9 riJque à 
jrp^r'le*iirs pl&ilfeèV & ils y tTôirc*) 
ront- toiijours" ■ daïft (Juéîqiiâs membres 
pU's_de_protefteurs ^contre les violences 
des autres que fous le"Viiirat contre ùri 
ieûl 'fiofctti^ friirptift 'ie^rtî', 'm eoifirôMn 
flerni'-Vïfîr Jà(:cor{i"àVec fes toll^igt^è^ 






L'ABBi;DE St. PlERflE. IIJ 

pour feire renvoyer à chacun tTeux le 
lugement xles plaintes qu'on fait contre 
lui. L'Etat ibuffi-ira moins de la minorité, 
de la fcibleffe ou de la caducité du Prince. 
Il n'y auia jamais de Minifbe stSéz pui^ 
iant pour le rendre , s'il <eâ: de grande 
naïUânce, redoutaHeiibn aiaîtremême, 
ou pour écarter & mécontenter les Grancb 
s'il eft né de bas lieu ; par conséquent ^ 
il y atua d'un côté moins de levains de 
guerres civiles , & de,i'autre plus de {ivret^ 
pour la confervaCiDn desidroksdelaMai* 
ion Royale. Il y aura moirts miffi de guep* 
res étrangères ,' parce qu^ly aura moins die 
gens intérefles à les rutcUer &c qulls auront 
moins de pouvoir pour *n venir à bouh 
En£n le trône en fera mieux affermi de 
toutes manières ; la volonté du Prince qui 
n'eft ou ne doit être que la volonté pi»* 
blique mieux exécutée & par conféquent 
la iration plus faeureufe. 

Au refte , mon Auteur convient lui- 
même que l'exéaition de fon pian ne ■■ fe^ 
roit pas également avantageufe en tous 
tems , & qu'il y a des momens de crile 
& de trouble . où il feirt fubftitiier . au* 
Conieils pennanens des Commi^nsejM 



,Go(-^^l.- 



114 POtïSYKODIE DE 

traordïnaires , 6c que quand les finances f 
par exemple , font dans un certain défor- 
dre, il faut nécellàirement les donner à 
débrouiller à un feul homme , comme 
Henri IV fit à Rofiù & Louis XIV à Col- 
bert. Ce qui fignifieroit que les Confeils 
ne font bons pour faire aller les afeires 
que quand elles vont toutes feules ; en 
effet ; pour ne rien dire de la Polyfyno- 
die même du Régent , l'on fait les rifées 
qu'excita dans des circonfiances épineufès 
ce ridicule Confeil de raifon étourdiment 
demandé par les notables de VaSembléc 
de Rouen & adroitement accordé par 
Henri IV. Mais comme les finances des 
Républiques font en général mieux admi- 
niitrées que celles des Monarchies ; il eA 
à croire qu'elles le feront mieux , ou du 
moins plus fidellement par un Confeil 
que par un Miniftre ; & que fi , peut-être, 
un Confeil e&. d'abord moins capable de 
l'aftivité néceflaire pour les tirer. d'un 
état de défordre , il eil aufiî moins fùjet i 
la négligence ou k l'infidélité qui les y 
font tomber : ce qui ne doit pas s'entendre 
d'une affemblée paf&gere & lubordonnée^ 
nais d'une véritable Polyfynodie où les- 






l'Abbé de St. Pierrb. 



"T 



t 



Çon&ils aiwit réeUenwnt le pouvoir 

^lI*i/s paroiflent avoir , o(i radminiftration 
es amires ne leur foit pas enlevée par 
des dcmi-Vifîrs , & où fous les noms 
Ipécïeux de CoTtfeU ifEtM ou de Coà/eH 
dts Fmances , ces Corps ne foicnt pas 
feulement des tribunaux dejufticeou des 
chambres des comptes. : 



CHAPITRE XL 

-, Canclufiott, 

V^UoiQUE lesavMtages de la Polyly- 
nocue ne foient pas fans inconvéniens , 
6c que les inconveniens des autres formes 
d'adâiiniilration Jie foient pas fans avan- 
tages ,. du. moins appâr8ns;< quiconque, 
fç» liuis partialité le parallèle- des uns 
6c des autres , trouvera que la Polyfyno- 
die n'a point - d'ihconvénians effentiels 
qu'un bon Goutemement ne puifle aîfé- 
ment fupporter; aU lieu que tous ctux 
du Vifiratôc du demî-Vifirat attacpient 
les fcMidemens mêmes de la conftiwtion ;' 
qii'une adaiaUlration non «itenwnpue- 






.POLtSVNO&IE DE 



peut fe'peffeâioiiner fans cèffe , progrès 
nnpoflîbieS darisiles intervalles & révolu- 
tions du Vifirat i que la marche égale & 
unie;: d'une Polyfynodie comparée avec 
^e^ues.in*iaeBs b'fillans'du Vifirat, eu 
ûn;foplnime;' greffier- 'qui n'en feuTOÎt im- 
pciier art vitli pôlitiqiié , parce qdfexç font 
deux chcfes fort diff&'Cntes que Fadmîhif' 
tralion rare &c pafiàgere d'un bon Vifir , 
& la forme gé.iérale du Vifirat oii l'on a 
toujours des fieçles de défoniré furiquel- 
ques années de bonne conduite ; que h 
diligence & le fecr^ , les feuls vrais avan- 
tages du Vifirat , beaucoup plus néc^aï^ 
res âaài les imanvais Gonvemçilïeiis,qHe 
dans les bom y font de foibles £ipfidémeiis 
au bon ordre , à la juilice ⣠a la çté' 
voyance , qui préviennent les ioiaiix au 
lieu .de : les.' répar&r ; . qu'on peut encore (é 

Êrocitrer ces fupplémtns au befoin- dam- 
1 Polyfjrnodie par des commifEons û^ 
tràordinaires , fans que lé Vifirat ait jv^- 
mais pareille reffource pour les avantagea 
dont il eil privé ; que même rexe[iq>le 
de l'ancien Sénat de. Rome & de celui de 
Venife {irouve que des commjfiiiïns ne: 
font i»s;toujpuîs péce^àirtedàW an-GQtt: , 






:. lJAbeé.de St. Pie^^e. \: {^y 

fei) pour expédier les pttis importantes 
afeires promptement & fecrétement ; que 
le Vifirat & le demi - Vifirat aviliffant ; 
corrompant , dégradant les ordres infé- 
rieur» j- MÎgeroienr pDUitatit àes hommes 
parfaits dans ce premier rang ; qu'on n'y 
peut gueres monter ou;s'y maintenir^uS 
iôrct deo^nés, ni s'y -bièn-compon»- 
qii^à force dé vertus; qu'ainfi toujours 
en obflade à îm-même ,■ le Gouveni0> 
ment engendre continuellement les fvàcej 
qui lé déprtivent y ]&:oonfiimant l'Etat pour 
le renforcer, périt enfin confine un édî*- 
Bce qu'on Toudroit élever fans cejTe avec 
des-ntatériaux-tirës dc fes fdndemeosj C'eft 
ici la confidératiorï la plus importante aUx 
yeax de l'hûmme d'Etat , & ceBe à la- 
quelle je ; yàis m'arrêter. La , meilleure 
vitim de GçujMrneaaejit ou dur m'oins la 
pHifiii^^fï^el» iéft «elle- qui feitlpi-ihai»- 
■;*Wfi i^i qu'alleiia.befoin ç^'ili fo^nt. 
iL?ifl«B*^ies;le^eurs'r^kéctûr ftr:çe£aùf>-. 
VKfiis ^','^ront Cément l'application^ 
■■.,'î'n %n ■■.;■; : '.'.■. .. . l'- ,''■'"'' ■-'' 
-■ r. .1^-^ 'i.'i:' B/isl iir- ^ ;.i["» no- <•■,-/ 
'.iiih y, îflii XIJB il^Wii (i{)';;];hcl ^ i**->'' 



.Goit^^le 



JUGEMENT 



POLYSYNODIE. 



Db 



' E toiis les ouvrages de l'Abbé de 5t. 
Pierre , le difcours fur la Polyfynofïie eft , 
à mon avis , le plus approfondi , le mieux 
raifonné , celui ofi l'on trouve le moins 
de répétitions ,. & même le mieux écrit ( 
■éloge dont le iage Auteur fe feroîtfort peu 
foucié , mais qui n'eft pas indifférent ans 
leûeurs fuperficiels; Auffi cet écrit n'étirit- 
il qu'une ébauche qu'il prétenidoit n'avoir 
■pas eu le teins d'abréger , mais ^oo^ert effet 
il' n'avoir pas eu le tems de gâter pour 
vouloir tout dire ; & Dieu gatde un -lec- 
teur iituiatient des abrégés deiâ'fàçonl 

Ea Ai< même éviter daiis'cp diii^titV^te 
rr^rofche fi co'nunode aùft^'i^ïotatii'cFÀî 
M fiiveni mefurer le poâîUd que fur 
Texifiant , où aux méclians qui ne tr6i> 
vent bon que ce qiû fert à leur méchan- 
ceté , lorfqù'oh iiraKtre aux itns ,& aux 
autres que ce qui elt pourfoit être mieuxi 






LA POLYSYNODIEi 11^ 

II a , clis-;« , évité cette grande çriie que 
b fottife routinéé a prefqiie toujours fur 
les nouvelles vues de la raifon , avec ces 
mots tranchans de projets en tair & de 
rêveries : car quand il écrîvoit en iâveur 
de la Polyfynodie , il la trouvoii établie 
dans ion pays. Toujours paifible & ferifé, 
il ie plaifoit à montrer à fes compatriotes 
les avantages du Gouvernement auqufjl 
ils étoient fournis ; il en feifoit une com- 
paraifon raî/ônnable 8c difcrete avec celui 
dont ils venoient d'éprouver la rigueur. 
Il \ouok le fyftême du Prince régnant ; 
il en déduifoit les avantages ; i! montroit 
ceux qu'on y pouvoit ajouter , & les ad^ 
ditions même qu'il demandoit , confiftoient 
moins , félon lui , dans des changemens 
à &ire , que dans Tart de perfeâionner ce 
qui étoit êât Une parde de Ces Vues' liû 
«oient venues fous fetegne de Loûis'Xiyj 
mais il avôit eu lajËgefle de les'taîre', 
iui<pi*i ce que rintérêt de ?Etat , tfelui^du 
Gouvernement Se le fiea lui permiflent de 
les publier. 

n feut convenir cependant que fous un 
même nom , il yavoit une extrême dif- 
férence entre la Poly^odie qui eiù&ok. 






:^o Jugement sur 

& celle que propofoit i'Abbé de Su Pierre; 
& pour peu qu'on y réfléchîffe , on trou- 
vera que raaminiftratlon qu'il citoit en 
exemple , lui fervoit bien puis de prétexte 
que de modèle pour celle qu'il avoit ima- 
ginée. Il toiunoit même avec aflez dV 
dreffe en objeûions contre fou propre 
^Àême les défauts à relever dans cehii 
du Régent , & fous le nom de téponfes 
à fes objeâions « il montroît uns danger 
& ces- dçfàuts & leurs remèdes. Il n'eft 
pas impoi&ble que le Régent , quoique 
ïouvent- loué dans cet écrit par des toun 
qui lie manquent pas d'adreue , M. péné- 
tt.é la. fineffe -de cette critiçic , & qu'il 
Bit abandonné L'ÂUié de St. Pierre par 
pique autant que par foibleûe , plus offenfé 
peut - être des débuts qu'on trouvpit dans 
^on ouvra^'^» que mtté 4fi$ avantages 
flu'on y Éiifoit reiparquer. .Pe^t-iêtre auili 
,lui fut- il mauvais gré d'avc^ eji quel<{ue 
■m^fere dévoilé fes Vttes fecretes , efl mon- 
-trant que fon établiitement n'étoit rien 
moins que ce qu'il devoit être pour de- 
:venir avantage^ix à l'Etat, ■& prendre une 
aflîettefixe oc durafelç. En effet j pn voit 
, «laireiçent que ç'étoit.lft foipiç de Poly- 
fynotUe 



lA POXTSYKODIE. IXI 

fynodie établie fous la Régence -que l'Abbé 
Je St. Pieire acculait de pouvoir trop ai- 
fément dégénérer en demi-Vifirat Se même 
«n Vifirat ; d'être lufceptible, aufli iâen 
mw l'un & Fautre , de -corruption dans 
rfeS membres, & de concert eiroeux con-- 
ire l'intérêt public- ; -de n'avoir jamais 
■ d'autre imefé pour -fa Jurée «pie. la vo- 
lonté du Monarque régnant ; er£n de 
n'être -propre que -pour les Princes labo- 
rieux , -Se d'être , par conféquent , plu» 
fouvent -contraire que fevorable-au hon 
onire&à l'expédition des afeires.X'étoit 
l'elpoir de remédier à ces -divers inconvé- 
niens -qui l'engageoit à propofer une au- 
tre pQiyfynodie erttiérement difierente de 
«die qu'il feignoù de.ne vouloir que per- . 
ieâiormer. 

il ne feirt donc pa$ que la conformité 
des noms faffe -confondre fon projet avec ■ 
cette ridicule Polyfynodie dont il v-o^iloit > 
autoriièr la fienne ; mais qu'on appelloit 
dès - lors par dériiîon les foixante &c <Ux 
Miniftrçs , & qui Ait reformée au bout 
de queltntes mois fens avoir rien feit qu'a- 
chever de tout gâter : car la maaiere dont . 
cène adininiibati<Hi- av-oit été-établie fait 

Fieçes diytifts. F 






Jugement SPR 



allez voir cm'on nç s'étoiï.p^s M«ÇPHp 
foucié qu'dk allât nùeiPti Si qulpr^ayoït , 
bien plus fongé à rentre le Parlement 
méprifeble. au Péwpk qu'à donner^ réeUe- 
jnentà fes membres, l'autorité qij'on fei- 
^noiLde leur coofier.. G'éipit, un pié« 
aux povvoirs iiiterm4|wi"e§ iea^lï^}*' » 
celui ciue.leur-avoiJ «lejà ;tendy Henri .IV, 
à l'afleinblée.de Rpuçn, piège dans lequel 
la vanité les_ fera toujours donner & qui 
les hunjiliera toujours:. L'c^dre politic^e 
& l'ordre .civil ont dwis les Mopaîchiey 
des principes fi .diÉKreos. &C des rez^û 
contraires qu'il efi ^reJijue impoffiWe; d'at- 
lier, les deiK adjniflifh^tioi^s , &_ qii'en gé^. 
néialles membses d^TriJaupauTi: Ibnt peu 
propres pour lesConfeilsi foit que l'ha- 
bitude des formalités nuife à l'ejçpédition 
"des afiaires qui o'en .veulent point » foit 
qu'il. y ait.unç.iaçompalitiUté naJwÇ^* 
entre ce, mi'jon aj^elle maximes d'Etat.^. 
Iijuûiee &,lei,loij£, 

,Au refte, l4l%it .leî.^tsA part, j^. 
croirois, qiiaotvà,mç>ij que le Prince fic 
le Philofophe.pouvpipnt avoir tous deux 
raifon fans, s'accorder dans, leur fyftêmei 
car.j autre cbQfç,.e^i'adaujùûÇ(iUon paf^. 



■gère Se fourea or!ige..fe d'une Réie..- 
e , & ««re çhofc ,^ forme de gVj^, 

■ame de la conaiftitlon de WcSÎ 
::., ce me {emkl^, „u-on„tto„ve ledë 
n.t ordure à l'Ailé de S,. Pie^ '^^ 
fl de n appliquer jamais affa bien S 

Muances & d offrir toujours comme 
es fecilites pour l'exécution d'unprSr 
:^J^«? q'^ lui fervent Xve« 
oWiacte. 1^. le plan dont il s'aura 
ouloi, modifier u„ goMvernemeS'e' ft 
>ngue durée a rendu dëcUnant, oar rf.= 
.o/enstout^-aitét^gerÏÏfa'^^^JK! 
mon prefenle : d vouloit lui rendre cène 
.gueur umveifeUc qui met, pZ^ 
u-e, tome la perfoiîie en Mon.aé^ 
mme s'il eii, dit à un vieillard déc^épS 
- goûteux ; marchez , travaillez ; °r "X ^ 
»«s de vos iras &, devosiairiles^^ 
Mrciceeft bon à la fanté. ' ' "^ 

En eflel: ce n'efl rien moins qu'um 
Tokinon dont U eft queftioa Su 
lyfynodM & d neftul pas croire^ct 
on voit aSueUement d& CçnfeufS 
> Cours des Pri„c«& queieSiS' 



im Jugement SUR 

Confeils quîon propofe * qu'il y ait peu 
de~différencç d'un fyftême à l'autre. La 
éifférence eft telle qu'il èudroit commeo- 
cef par détruire tout ce qui exifle pour 
donner an Gouvernement la forme ima- 
ginée par l'Abbé de St. Pierre ; Se nui 
n'ignore combien eft dangereux dans un 
grand Etat le moment d anarchie & de 
crife qui précède néceffairement un éta- 
bliflement nouveau. La feule introduÛion 
du' fcrutin devoit faire un renverfement 
épouvantable , & donner plutôt im mou- 
vement convLilfif te continuel à chaque 
partie qu'une nouvelle vigueur au corps. 
Qu'on juge' du danger d'émouvoir une i 
fois les maffes énormes qui compolent la | 
Monarchie Françoife ! qui pourra retenir ; 
l'ébranlement donné , ou prévoir tous Its j 
effets qu'il peut produire ? Quand tous 
les avantages du nouveau plan féroieni 
inionteftable5,^3uel homme de fens oferoit 
entreprendre d abolir lés vieilles coutu- 
mes , de changer les vieilles maximes & 
de donner une autre forme à l'Etat que 
celle où l'a fucceffivement amené ime du- 
rée dp treize cents ans ? Que k Gouverne- 
ment aôirel foit' encore, celui d'autrefois, 



LA POLYSVNODIE. 



'•'> 



OU qiie durant tant de fiecles U ait ctiangi5 
de nature ùifenfiblement, il eft également 
imprudçntdy toucher. Sî c'eft le même, 
il faut le relpeâer ; s'il a dégénéré , c'efl 

f»ar la force du tems & des choies , & fa 
ageffe humaine n*y peut rien. Il ne {\i?~ 
fit pas de confidérer les moyens qu'on 
veut employer , fi Ton ne regarde encore 
les hommes dont on fe veut fervir : or , 
quand toute une nation ne fait plus s'occu- 
per que de niaiferies, quelle attention 
peut - elle donner ziix grandes chofes , &c 
dans un pays oîi la mufique eft devenue 
une a&ire d'Etat , que feront les aflaires 
d'Etat finon des chanfons? Quand an voit 
tout Paris en fermentation pour une place 
de baladin ou de bel- efprit & les anàirès 
de rAcadémie ou de l'Opéra faire oublier 
l'intérêt du Prince & la gloire de la Na- 
tion i que doit-on efperer des affaires 
publiques rapprochées d'un tel Peuple & 
tranfoortées de la Cour à la Ville? Quelle 
connance peut - on avoir au fcrutin des 
Confeils quand on voit celui d'une Aca- 
démie au pouvoir des femmes ; feront- 
elles moins empreffées à placer des Miilif- 
tres que des iavans , ou fe coimoîtrOtA- 






ii6 Jugement sur 

elles mieux en politique qu'en éloquence ^ 
Il eft bien à craindre que de tels étnHif- 
femens dans un pays où les moeurs font 

^ en dérifion, ne fe fiffênt pas tranquiU^ 
"ment , ne fe maintinflent gueres uns trou- 
bles, & ne donnaiSènt pas les ineUIean 
fajtts. 

D'aiHeurs , fans entrer dans -cette -«iàlle 
qtteAion de la v^alité des charges iqu'on 
ne peut agiter ique chez des gens mieux 
pourvus a argent que de mérite , imacine- 
t-on quelque moyen praticable d'abolir 
«n' France cette vénalité? ou penferoit-on 
qu'elle pût fubfifler dwis «ne partie du 
Gouvernement & le fcrutin dans l'autre ; 

J'une dans les Tribunaux, Tautredans les 
Confeils, & que les feules [Jaces qui tt(- 
tent à la faveur 'feraient abandonnées 

. aux éleâions ? Il ifkidroit avoir des vues 
bien courtes &c bien feufies, pour voukù 
allier des chofes.fi dilfen^^les , fie fon- 
der :iui même fyftême fur deS'priâeipes 
£ diSerens, -Mais ilaiHbns ck applications 
& confidérôns la chofe en elle-même. 

Quelles -font ies circonftances <laris Ie(^ 
queUes une Motiardiie héréditaire --petit 
SUS révolutions ^être tempérée par des 






6 A POLYSYNODI E. llj 

/ormes' -qitî la ra()procheot dcTAriftocra* 
ide ? Les '-C6rps' mtérméâiaires entre le 
Prince & le Peuple , j>eiiv'ent-ils , doivent- 

. ils a'frôlr -one ■ juriiajÉHpn ind^endante 
ïùn 'de l'aittre , :à\i s'ils font' précaires iSi 
tlépendaiis dù'Prinie, peuvent-^s jamais 
•«itrer coiirme paires, intégrantes dans la 

■' coirftitirdon de l'Etat^,' & même ïivoit une 
mfluènceféèlIedahsiesaiîSTes? Queftions 
■pfëlirhir.aiiies qu'il felloit difaiter..& qui 
ne femUent pas &ciles à réfoildre : car 
^ eft vm ^e la pente, 'nattirellé eft «m- 
jours vers Ircomipfion & par Conséquent 
vers le defpô^me , il eft difficile de voir 
jMT quelles feffources de "politique le 
Prince , même ïpiand il le ■^oudroit; pour- 
roit ddïmerà cette .poite une. direfli6n 
contraire-iqûi ne pût 8tre "diangée parïes 
fiicieffeàrs" ni "par leurs- Minâmes. L'.A1^ 
de' St. -Kerre ne prétendoit pas, à la 
vérité' , iqae fe ■ nouvelle "fonne fitât rien 
■à I*autqrité royale : car' il donne airx Con- 
seils ià, délibération -des matières '&, laiffe 

' au Rôi feul :1a diécifion : , ces différons 
Confeib, dlt-'il, ifens ' empêcher le Roi 
de faire, ftynt'ce<(u'^l.vduara> le préftr^ 
veront fouvênt de vOtdôir de? chdfts 
P 4 ^ 






ii8 Jugement sur 

miifîbles à fa ^oire & à {6n bonheur; 'ûi 
porteront devant lui le flambeau de la 
vérité pour lui montrer le meilleur che- 
min &c le garantir des pièges. Mais cet 
homme éclairé pouvoit - il fe payer lui- 
même de fi mauvaifes faifons? efpéroit- 
il que les yeux des Rois puffent voir les 
objets à travers Ufr lunettes- des fogeS'? 
Ne feiitoit - il pas qu'il fiilloit néceffai- 
rcment que la délil)éi'at'ion des Confeils 
devînt bientôt un vain formulaire ou que ■ 
' l'iditorité royale en fut altérée, & i?a- 
' vouoit-il pas luÎHtiême que c'étoirintro- 
" "diiire tin Gouvernement mixte ,, où la for- 
' me Républicaine s'allioit à la Monarcfaà- 
■ que? En effet, des Corps nombreux dont 
le choix ne dépendrott paâ entiécemeot 
du Prince , & qui n'auroient par eux-mê- 
mes aunin pouvoir, ■ deviendroient bien- 
tôt un fardeau inuttk k l'Etat ; lâns mieux 
fiire aller les affaires, ils ne feroient qu'en 
retarder l'expéditron par de longues for- 
malités , & , pour me (ervir de fes pro- 
pres termes , ne feroient que des Conlëils 
de parade. Les fevoris div Prince ^ qui le 
' iônt rarement du public , & qui , par con- 
iiequsnt, auroient peu d'influence dans des 






LA POLYSTNODI E. II9 

Confeils fermés au fcrutin , dédderoient 
feuls toutes les aâaires ; le Prince n'aâîf- 
teroit jamais aux Confeils fans avoir déjà 
pris fon parti fur tout ce qu'on y devroit 
agiter , ou n'en fortiroit jamais faas coa- 
fuher de nouveau dans fon cabinet , arec 
fes .feroris , fur les réfolutions qu'on y 
auroït prifès ; enfin y il feudroit nécellài- 
rement que les Confeils devinffent mépri- 
sables , TÎ^cules Se tout -à- fait inutiles , 
ou que les Rois perdirent de leur pou- 
roir : aitemative à laquelle ceux-ci ne 
s'expoiëront certainement, pas , quand 
même il en devroit réfulter le- plus grand 
bien de l'Etat & le leur; 

Voilà , -ce me femble , à ■'peu -près les 
côtés par lefquels l'Abbé de St. Pierre eût 
ilû confeiérer le fond de fon fyftême pour 
en biea établir les principes ; mais il s'a- 
inufe , au lieu de cela , à réfoudre cift- 
cpiante mauvaises objefiions qui ne va- 
Joient p^ la peine d'être examinées , on , 
qui pis eft , à faire lui - même de mau- 
vaifes réponfes quand les bonnes fe pré- 
fentent naturellement , comme s'il Cner- 
choit k prendre plutôt le tour d'efprit de 
fes oppofans poiurlesrameoerà hniCoâ, 






jftjO JuGEMiENT SUA 

i^uele langage de bnùfon pour conviûd- 
xre les iàgee. 

Par exempte , après ^étre objeâlé que- 
■^»nj la P(dyfyno<Mechacun desConfeilIas 
■« Ibn ptaiiEBénéral ; t^neicettedjverfité prv- 
udoit ojcemiremsnt des décilloiifi;qai fe con- 
-p-edîfent y & dés embecras ;dans te mouTe- 
-aiCnt total ; 'il répond à cek qu^il ne pott 
-y avoir d'antre plan génénd mie de «cher- 
.cher à perfêâionner les F^emens qui 
-«■oïdeot liir touKiies parties du GomvOr^ 
nemenl. Le meilleur :!plan igéiœral n'eft-ce 
|MtSt dit-il ,'celai qui. va le plos droit 
au plus grand bien de l'Ëtst dons chaqiK 
afîàire particulière ? D^oh il tire cette 
cônclu&Mi très-^Ëiu!& que lesdîv^ers- plans 
■généraux , ni par conÎÊqitent les regle- 
'inens Se les aϝfes qtd s'^r Tapportent > 
ne peuvent jamais & eroiièr ou iè ninve 
' sÉutuellemest.. 

. En eâèt » le plus-gmad iùea de l'Etat 
.n'e^nas tonjoiurs uàe cho^ fi xlaire , ni 
C|tii o^>eode autant qu'on le croiroit du 
uns grand bien de chaque partie ; comme 
u les m^es afiâires ne pouvofenc pas 
«Aoir enti^eUes une infinité d'ordres £rô» 
& de liiai&iis pbs ou stpotf fyrm qà 



l.-». POLYSTNODIE. 



«3^; 



jfonneht^utant He difierences dans les plans 
fénéraiix. Ces plans bien digérés font toit- 
jours doubles , & renfennent dans un fyil 
tême comparé la fonne aftuelle de l'Etat 
$c fe forme perféâionnée félon les vues 
de l'Àiitenr. ' Or , cette perfèâion dans un 
tout 81^ compofé que le corps politi- 
que , lie dépéfid pas feulement de celle de 
chaque partie , comme pour ordonner ua 
■palais il lie fïiifit pas d'en bien difpoier 
chaulé pièce , mais il &ut de plus confi- 
dérer les rapports du tout , les liaifons les 
pins convenables , l'ordre le plus com- 
mode , la plus âclle commimication , le 
plusparfst enfemble , & la fymétrie la plus 
régulière. Ces objets généraux font fi im- 
portans^ que l^bile Architeâe lacrifie au 
mieux du tout mille avantages particuliers 
qu'il aùroit pn conferver dans une ordoiw 
natiëe nioin's par&ite & moins ' fimple. De 
même , le politique ne regarde en parti- 
culier ni les finances , ni ]A guerre , ni te 
commerce ; mais il rapporte toutes ces 
parties à un objet commun ; & des pro- 
portions qui leur conviennent le mieux , 
réfiUteiit lés phnsgésaéraiïi dont les di- 
maéotà peuvent Vârkr de nulle taà' 
F6 






t 



ÏJl JWGEMINT sua. 

nieres. , lèloa les. idées. & les vues de ceux 
qui les ont fbnnés, foîten dierchant U: 
plus grande perfeâion. du tout , foit en; 
cherchant la plii& &cile exécution ,. Êtn£ 

Iu'il icàt aiféquelquffbisL de démêlercekiê 
e ces plwis 6ri!L mérite la préférence. Or,, 
€"«0 de ces plans qu'on peur dire que & 
chaque Confeil- 6c. chaque. ConfeîHer. a le- 
£en-, il n'y aura que ccmtradi£Bons dans- 
tes autres St qu'embarras dans, le mouve» 
.ment conunun : mais le- plan général au 
lieu d'être celui d'un homme ou- d'un au<> 
Ve ^ ne doit êtreâc n'fifr «ti effet dans la- 
Folyfynodie:que cehti du Gouvernemenr^ 
& c'eft à- ce grand modèle que-fe rappor^^ 
Kilt néceflairement les délibérations corn* 
mimes de- chaque Ck)nl£il' ^ & le travail' 
pMtiailier de- chaque ■mertibre. H'efl cer*- 
tain même qu'un' pareil plan fe médite &s 
fe conferve mieux ^ns^ dépôt d\m.CoRt 
feil qiie daflslatête d'im Mîmftve & même 
d'u» Prince ; car chaque- Vifir a fare plan 
qui n'eft jamais celui de fon devanaer , 
& chaque ,demi-Vi&' aiiffi le fien qui n'eft 
ni celui de fon devancier , ni celui de- 
ibn ctjllégue ;: au$ vpii-on généralement 
les RépuËJique&.<h^er:inoiB9 de fyfti^ 






lA POLrSYNODIE. 13) 

mes que les Monarchies, jyoà )e conclus 
avec l'Abbé de St. Pierre , mais par d'au- 
tres raifons , que la PolyTynodie eft plux 
fevorable que le.ViTirat & le demi-Vifi»^ 
tat à l'unité du plan génénU. 

A V^ûrd de b forme particulière de fa 
Polyfynodie & des détails dans lerquel& 
il entre pour la détenniner , tout c^ eft 
très-bien vu & fort bon féparément pom- 
prévenir les inconvéniens auxqud; cha-^ 
que chofe doit remé£er : mais quand oit 
en viendroit A l'exécution , je ne feis s'il 
régneroit allez d'harmonie dans le tout 
en&mMe ; car il paroît que l'établiflèment 
des grades Raccorde mal avec celui de ht 
circulation ^ de le fcnitin plus mal encore 
avec l'un & l'autre ; d'ailleurs, fi Féla- 
bliiOement eâ dangereux à faire ^ il eft à 
craindre que ,iTiême' après t'établîflènient 
£ùt , ces diâérens refforts ne caufettt mille 
embartas Se miUe dérangemens dan» le 
jeu de la machine , quand il s'agira de là 
Élire marcher. ' 

La circulation de la Prélîdence en par» 
ticulier , feroit un excellent moyen pouf 
empêcher la Polyfynodie de d^nérer, 
tiemôc ça Vifijat, & «etfê circtUatioit 






IÎ4 



JV CEMENT SUR 



poQToit durer , & thi'elle ne ffit pas arrê. 
tée par la volonté du Prince , en "feveur 
du premier dés Préfidens mû aui?i l'art 
toujours recherché de hti plare. C'eft-à- 
dire que la Polyfynodie dutei^ juftjii*à-ce 
qiie le Roi trpuve uii Vjfir à foù gré ; 
mais fôiB !e Vifirtit mêmç on n'a pas lifi 
Viiîr plutôt! que cela. Foiblfe remède, que 
celui dont ta Verhi s'éteint à l'approche 
du mal ^'il devrôit ^érir ! -- 

N'eft-ce pas encore un mauvais .expé- 
dient de nous donner la néceffité d'obte- 
nir^ les luArages une féconde fois comme 
«n frein ^ui- empêcher les Préfidens d'a- 
bufer de leur crédit la première? Ne fera- 
t-il pas plus Court & plus flir d'ehabufer 
au point de n'avoir plus que &ire de 
fiiffi-ages , & hotre Atrtoir lui - même , 
n'accô'rde-t-Sl pas au Princç le drbit de 
^olonger au' befoin les Préfidens à & 
VotonÉe , c'eft-à-djrè , d'eii ùàie de vérita- 
bles Vîfîrs? Coihmeirt n'a-t-il pas âj^ljerçû 
mille fois dans le cours de ia vie & de 
*^es écrits , c6mbi*n t'eft une rainé occu- 
pation de rechercher des formes ditrabWs 
pour «n état de :chofts «j-ii dépend totn 
louns de h mdontxi ^ua led faomiàei. 



..„, Google 



LA POLTSYNODIE. IJJ 

' Ces tiHScidtés n'ont pas échappé i 
l'Abbé de St. Pierre, mais t>eut-êtte lui 
conveamt-il tiùeiixde les diffimulercfue 
de les PoTowlre. Quand il parie de ces 
«ortfraliaiohs & qu'il feint de fes conci- 
iier, (^eft par des mbywis fî aWiirdes &c 
des raifons -fi peu railonnebterxru'on Toit 
fcien qu'il eft embaixaffé , ou qu il ne pro- 
■cede pais de bonne foi. Seroit-U croyable 
qu'il eùtmîs en avant û hors de propos, 
« cbm^é parmi ces inoyens fammir de 
la patrie, le bien pnblic , le deiirdç la 
Traie ^oire , & d*atttte5 rfùnreres ,iva- 
notiies depuis loi^-tems:, ou doit il ne 
refte plus de traces mie dans qudques pe- 
tites Républiques? Petrferôit- il férieufe- 
ment ^ue rien de tout cria pût réellement 
inâùer dans la forme d'un Gouvemeimeilt 
œonan^que ; & actes avrar cité Ite 
Grecs, les Rortiains , ôc même T)«ekpies 
Modernes qui avoient des «mes àncieit- 
mes , n'avoite-ti pœ kit-même qu^l feroit 
ndiaile de fonder la cisrtftitutkm de FEtat 
fur des maximes éteintes ? Que fiât - il 
■AcOK pour fuppléer à c«i moyens étran- 
gers àont il i-ecbnnoît l'infoffifenee? U 
^re tuw difficid^ par «ac antre, établit 






I}6 J UGE MEM T SUR 

un fyftême fur un iyftême , & fonde fa 
Polyfynodie fur là République Européen- 
ne. Cette République, dit-^l , étant garante 
de l'exécution des capitulations impériales 
pour rAllemagne ; des capitulations parle- 
mentaires pour l'Angleterre ; des PaBa Coït- 
venta pour la Pologne ; ne pourroit-elle 
pas l'être aufli des capitulations royales 
fignées au facre des Rois pour la forme 
du Gouvernement , lorfmie cette forme 
feroit paflfée en loi fondamentale } Se 
après tout , garantir les Rois de tomber 
dans la tyrannie des Nérons , n'eft-ce pas 
les garantir eux fie leur poi^rité de leur 
ruine totale î 

On J>eut, dit-il encore, faire paffer le 
règlement de la Polyfynodie en forme de 
loi fondamentale dans les Etats Généraux 
du Royaume i la Êiire jin^r au iàcre des 
Rois t & lui donner ainfi la même autorité 
qu'à la loi falique. 

La plume tombe des mains, quand on 
▼oit un homme knfé propofer férieuiè-, 
ment de femhlabjes expédiens. 

Ne quittons psint cette matière lâns jetter 
un coup-d'œil général fur les trois formes 
t^ miniâfre c«mparé«s dans cet ouvrage^ 






LA POLYSYNODIE. 



ïî/ 



Le Vifirat eft la denriere reflTource <f un 
Etat défeillant; c'eft un palliatif quelque- 
fois néceflaire qui peut lui rendre pour 
un tenus ime certaine vigueur af^arente : 
mais il y a d:ms cette forme d'adminiâra- 
tion, une multiplication de forces tout-à- 
iàit fliperflue œins un Gmivemement fain. 
Le Monarmie & le Vifu- font deux ma- 
chînes exactement femblables dont Tune 
devient inutile fi-tàt que l'autre eft en mou- 
vement: car en effet, félon le mot de 
Grotïus , qui régit ^ rex eft. Ainfi l'Etat 
fupporte un doiile poids qui ne produit 
qu'un eflèt fimple. Ajoutez à cela qu'une 
grande partie de la force dn Vifirat étant 
employée à rendre le Vifir nécefifeire ô£ 
à le maintenir en place , eft inutile ou 
nuifibleà FEtat. Auffi l'Abbé de St, Pierre 
apprile-t-il avec raifon. le Vifa^ une for- 
me de Gouvernement groffiere, barbare; , 
pemicieufeltux Peuples , dangereafe pour 
les Rois, fiineûe aux Mùfons roy^es , 
& l'on p«it dire qu'il n'y a point de Gol^- 
vemement plus déplorable au monde, 
que celui oti le Peuide eft réduit à defirer 
un Vifir. Quant au demi-Vifirat, il eft 
avantageux fous un Roi qui lait gouveo- 






138 , Jugement sur 

ner & répnir <lans "Tes mains' Kfutes les 
rênes de l'Etat; mais fous iinPi^ice fai- 
ble ou ■ peu laborieux , cette adiiriniiïra- 
tion eft mauvaife , émbarraffée , ■fensiyf' 
tême &c ia^ vues « ^te de Haifon entre 
les parties & d'accord entre fes ■ Miiuf* 
très , fur-tout Ti quelqu'un d'éntr^eibrprfus 
adroit ou plus ' rtiéclûnt que les ' tutrfes 
*end en fecret rfu Vifirat. Alois tout ie 
.paflè en intrigues de Cmir, l'Etat de* 
meure en langueur , & pour trouver la 
raifonde tout ce qui Ye mit fousun^tft' 
blable Gouvernement il rie fiiut pas de- 
mander à quoi ceta'fert, mais à quoîcda 
nuit. 

Pouf la PolyfynOdie de l'Abbé de St. 
Pierre , je ne faurbis voir ^'elle puifle 
être utile ni praticable dans auctme véri- 
table Monarchie ; inais ieidtnient dans 
, une forte de Gouvememait -mixie , ©iile 
chef ne rfoit quele'préiîdent'dèsconfeils, 
n'ait que la puii^ce exé(ï\ttive de hé puiâe 
rien, par lui-mêine: encore ne faurols- 
je CToire -qu'une pareille admiiùftration 
■pût diirer long-tems fans abus ; car les 
intérêts dés fociétés ipartielles ne font pas 
•moinsféinïésdeceuxde l'Etat , i}i ntoitu 






LA POtYSVNODIE. IJ^ 

pemicieiK à la Rëpu^îque qtte ceiix des 
particuliers-, & ils ont même cet incon- 
vénient de plus , qu'on fe ' fait gloire de 
foutenir , à quelque prix que ce foit ,- 
les dpo:t»oi.iles.ï)rét*ntions dii corps dont 
" on çft membre , & cpie ce qu'il y a de 
mal'^'hôhh^e à {frprèiêrer aiix autïès, s*é- 
vanouiffant à la feveur d*une fociété 
Tiorabreufe dont on kàt partie , â ibrce 
tfêtre bon Sénateur on devient enfin 
. mauvais citoyen. C'eft ce qui rend l'A- 
riitocratie la pire, des fouveraînetés ( * ) y 
. c'efi ce qui rendroit peut - être la Polyfyi. 
iwdie le pire de tous les Miniâeres. 



<•) Je pBTieroî»qne mille geas tromierooi «teare Id 
«ne eoatradidfoa acte le Conirat Social. Cda pronic qu'il 
Encore plas de LcOeim qui devraient apptendie ù lire r 
'fnc d'Aatran^qnilIevroiflitBpFtendn i tue »on£i<gitm~ 



ce;» 






LETTRE 

A MoirsiEVR. 
DE VOLTAIRE- 



V Os deux derniers Poèmes (•),Mon- 
fieur , me font parvenus dans ma fofitude i 
& quoique tous mes amis connoiflértt 
Tamour que j'ai pour vos écrits , je ne 
iàis de quelle part ceux-ci me poiuroîent 
verur, à moins que ce ne foit de la vôtre. 
Ainfi je Crois vous devoir remercier à la 
ibis de l'Exemplaire & de l'Ouvrage. JV 
ai trouvé le puiûr avec l'infiruûion , oC 
reconnu la main du maître. Je ne vous 
dirai pas que tout m'en paroifTe également 
bon, mais les chofes qui mV déplailent 
ne font que m'infpirer plus de confiance 
pour celles qui me tçanlportent ; ce n'eft 
pas fans peine que je détends quelquefois 
ma raifon contre tes charmes de votre 



(*) Sm k loi utDcdU & lu h Mbftn dt UibanM. 






A M. DE VOLTAIR^E. 141 

Poélîe, mais c*ell pour rendre mon admi- 
ration plus digne de vos ouvrages , que 
je m'eflbrce de n'y frâs tout admirer. ■ 

Je ferai plus , Monfieur ; je vous dirai 
iàos détour , non les beautés que j'ai cru 
feotir dans ces deux Poèmes , la tâche 
effiaycroit ma pareflè , ni même les dé- 
buts qu'y remarqueront peut-être de plus 
l\^»\es gens que moi , mais les déplaiûrs 
cpii troi^leht en cet inftant le goût que 
Je prenois à vos leçons i & je voxis les 
dirai encore attendri d'une première lec- 
ture ok mon cœur écoutoit avidenient le 
vôtre , vous aimant comme mon irere , 
vous honorant comme mon maître , me 
flattant en£n que vous reconnoîtrez dans 
mes intentions la ôanchife d'une ame 
droite , &c dans mes difcours le ton d'un 
ami de la vérité qui parle à un philofbphe. 
jy^Ueurs 1 plus votre fécond Poëme m'en- 
chante , plus je prends librement parti 
contre le premier , car fi vous n'avez pas 
craint de vous oppofer à vous - même , 
pourquoi craîndrois - je d'être de votre 
avis ? Je dois croire que vous r»e tenez 
pas beaucoup à des fentimens que vous 
réfutez û bjstu 






^41 L E T- T R E 

Tous mes griefs font donc contre votre ■ 
Poëme fur le défeÛre de Lisbonne , parce 

3ue j'en attendois des effets plus dignes 
e riiiimanité qiii paroît vous Pavoir inf- 
pire. Vous reprochez à Pope & à Leibniz 
.dlnfulter à nos maux en foiitenant que 
■tout eft bien , & vous xharget tellement 
le tableau de nos miferes que vous en 
aggravez le fentiment : au lieu des conftï- ■ 
lations que j'efpérois , vous ne feites que 
m'ailliger ; on dîroit qiie vouS craignez 
que je ne voye pas aiïez combien je fiiis 
malheureux , Se vous croiriez , ce fem- 
ble , me tranquillifer beaucoup en me 
prouvant que tout eft mab 

Ne vous y trompez pas , Monfieur » il 
arrivé tout le contraire de ce que Vous 
vo\is propofez. Cet optimifine^que vous 
trouvez il cruel me confole pourtant dans 
les mêmes douleiirs que vous me peignez 
comme infnpportables. LePoëme de Pope 
adoucit mes maux & me porte à la pa* ' 
tience ; le vôtre aigrit mes peines , ra'excite 
au murmure^ & m'Ôtant tout hors une 
«^rance ébranlée , il me réduit au défeÇ. 
poir* Dans têts étrange opposition qui 
règne entre ce que vous prouvai & ce 






A M- DE VO-LTAliie. 141 

qiie j'éprouve , calmez la perplcKité qui 
inapte £c dites-moi qui s'abufe', du 1«W 
timent où de la niifbn. 

« Homme , prends patieixce, me diieni 
Pope & Leibniz, » les maux font un effet 
w néceffaire de h- nature &■ de la confti- - 
» turio» de cet univers. L'Être éternel 6c 
» bieofeifant ^le gouverne eût voulu. 
M t'en gaîantir : de toutes les économies 
t* polfiblss il a çhoiii - celle qui reuniltbit 
*t le moins de mal & le plus de bien , 
» ou pour . dirç la mêipe chofe encore 
w plus CTuémeiït., s'il le faut, s'iln'a p^s 
» mieux. 6^, c'eft qu'il ne pouvoir mieux 
» èire.- 

Qoe me dit-maintenant votre Poëme^ 
» Souffiw â jamais malheureux. S'il eft un 
» Dîe)i qui l'ait créé, fans doute il eft 
» toùt'pvif&nt-, il pouvoit prévenir tous 
» te%-maux-; n'eipere donc jamais qu'ils 
>* iMÛâcnt; car- on -ne Êurcùt vou* poiir* 
» q)ioi-tuexiiï»s^ fi ce n'êftpour foufffir 
» & hiourir». Je ne fais ce, qu'une pa- 
reille doctrine peut avoir dfr plus coq- 
foJant que:l'(^>&miitne'&'que la &talité 
même.; paur-mûi-, .j'aTOue- qu'elle -m« - 
paroît pluSi.çjruçJie. çijçpff ,q««. l^Mauiiç. 






!i44 Lettre 

chéîiin& Si reinbaiTas de Torigine du mal 
vous forçoit Jaltérer quel(^*une des per- 
feâions de Dieu , pourquoi vouloir juiti- 
iier fa puiHànce aux dépens de fa bonté ? 
S'il &ut choifir entre deux erreurs, j'aime 
.encore mieux la première. 

Vous ne voulez pas , Monfieur, qu'on 
regarde votre ouvrage conune un Poème 
contre ta providence , & je me garderai 
bien de lui donner ce nom , quoique vous 
ayez qualifié de livre contre le genre- 
humain un écrit ( * ) où je plaidoîs la 
caufe du genre-humain contre lui-même. 
je lâis ta diftinâion qu'il &ut aire entre 
les intentions d'un Auteur & les consé- 
quences qui peuvent fe tirer de ûi doc- 
trine. La jufte défenfe de moi-même m'o- 
blige feulement à vous faire obferver qu'en 
peignant les miferes humaines , mon but 
étoit excufàbte 6c même louable à ce ^le 
je crois. Car je montrais aux hommts 
comment ils âifoient leurs malhextrs eu^c- 
mêmes , & par conféquent comment ils 
les pouvoient éviter. 

.Je ne vois pas qu'on puiiTe chercher h 

( . ) - U diliiODi» Ibi r«iigW de Mnf Eatit& 






A M. DE Voltaire. 145 

Source du mal moral ailleurs qiie dans 
l'homme libre , perfectionné , partent cor- 
rompu ; & quant aux maux phyfiques , 
ii la matière feniible & impaflible eu ime 
contradiâion , comme il me le femble , 
ils font inévitables dans tout fyftême dont 
l'homme feit partie , & alors la queftion 
n'eu point pourquoi l'homme neft pas 
par£iitement heureux , mais pourquoi il 
exîAe. De plus , je crois avoir montré 
qu'excepté la mort qui n'eft prefque un 
mal que par les préparatifs dont on la 
' ^t précéder , la plupart de nos maux 
-|Ayfiques font encore notre ouvrage. 
Sans quitter votre fujet de Lisbonne , 
convenez , par exemple , que la nature 
n'avoit point raiTemblé là vingt miUe 
maifons de fix à fept étages ,.& que û les 
faabitans de «ette grande ville euuent été 
difperfês plus également & plus légère- 
ment loges , le dégât eût été beaucoup 
moindre &c peut-être nul. Tout eût fm 
au premier ébranlement , & on les eût vus 
le lendemain à vingt lieues de-là tout aufll 
gais que s'il n'étoit rien arrivé. Mais ii 
^iit reAer , s'opiniâtrer autour des maiur- 
res , s'expofer à de nouvelles iecoufles ., 
Pittes diverfi$, G^ 






146 Lettre 

parce que ce qu'on laiffe vaut mieux que 
ce qu'on peut emporter. Combien de mal- 
heureux ont péri dans ce défâftre pour 
vouloir prendre , l'un fes habits , l'autre 
fes papiers , l'autre fon argent ? Ne fair- 
on pas que la perfonne de chaque homme 
eft devenue la moindre partie de lui-même, 
& que ce n'eft prefque pas la peine de la 
6uver quand on a perdu tout le refte. 

Vous auriez voulu que le tremblemert 
le fut fint au fond d'un défert plutôt qu'à 
Lisbonne. Peut -on douter quil ne s'en 
forme aulH dans les déferts, mais nous 
n'en parlons point , parce qu'ils ne font 
aucun mal aux Mefîieurs des villes, les 
feuls hommes dont nous tenions compte. 
Ds en font peu même aux animaux & 
Sauvages qui habitent épars ces lieux re- 
tirés , fie qui ne craignent ni la chute des 
toits , ni l'embrafement des maifons. Mais 
que iîgnifieroit un pareil privilège, feroit- 
ce donc à dire que l'ordre du moiûle doit 
changer félon nos caprices , que la nature 
doit être foumife à nos loix » & que. pour 
lui imerdire un tremblement de terre en 
quelque Heu , nous n'avons qu'à y bâtil 
une ville? 






A M. DE Voltaire. 147 

Il y a des événemens qui Boits frappent 
Souvent plus ou moins félon les faces 
par lerquelies on les confidere, & qui 
perdent beaucoup de l'horreur qu'ils inf- 

Eirent au premier aTpeâ , quand on veut 
ïs examiner de près. J'ai ^pris dans Za- 
dig , i&c la nature me confirme de jour 
en jour qu'une mort accélérée n'eft pas 
toujours un mal réel , & qu'elle peut quel- 
quefois paffer pour un bien relatif. De 
tant d'hommes écrafés fous les ruines de 
Lisbonne , plufieurs fans doute , ont évité 
de plus gmnds malheurs, & malgré ce 
qu'une pareille defcription a de touchant 
& fournit à la poéfie , il n'eft pas iïir 
qu'un feul de ces infortimés ait plus fouf- 
tert que fi félon le cours ordmaire des 
chofes , il eût attendu dans de longues 
angoiffes la mort qui l'eft venu furpren- 
dre. Eft-il une fin plus triûe que celle 
d'un mourant qu'on accable de foins inu- 
tiles , qu'un notaire & des héritiers ne 
laiflent pas refpirer , que les médecins af- 
fàfiînent dans ion lit à leur aife , 6c k qui 
des prêtres barbares font avec art favou- 
rer la mort ? Pour moi, je vois par-tout 
que les maux auxquels nous aiîujetpt ^ 
G 1 






148 Lettre 

. nature font moins cnteh que ceux que 
nous y ajoutoni^. 

Mais quejque ing^meux que nous puî£- 
fions être à fomenj:er nos niiieres à force 
de belles înllitiitions , nous n'avons pu 
jufqu'à préfent nojis perfeâionner au pomt 
de nous rendre généralement la vie à 
charge & de préférer le néant à notre 
exillence , faos mioi le découragement $Ç 
le défefpoir fe ieroient bientôt emparés 
du plus grand nombre , & le genre hui- 
main n'eût pu fubfifter longr-tems. Or, s'il 
eft mieux pour nous d'être que de n'être 
pas , c'en îèroit aJTez pour juftifier notre 
exiftence , quand même nous n'aurions 
aucim dédonvnagement à attendre de$ 
maux que nous avons à foiiffrir, & que 
ces maux feroient auffi grands <jue vous 
les dépeignez. Mais il eil difficile de trou- 
ver fur ce point de la bonne foi chez les 
honjmes & de bons calculs chez les Phi- 
lofophes , parce que ceux-ci, dans la 
comparaifon des biens & des maux , oib- 
blient toujours le doux intiment de l*é- 
atiftence indépendant de toute autre fen»- 
i&tîon , Se que la vanité de méprifer la 
mort engage les «lutres à odoi^nier Iji 






A M, DE Voltaire. 



M9 



vie , à-^peu-près comme ces femmes qiiî 
avec une robe tachée & de» cifeaux, pré- 
tendent aimer mieux des troiis qiie des 
taches. 

Vous penfez avec Erafine , mic peu de 
gens voudroient renaître aux mêmes con- 
ditions qu'ils ont véai ; mais tel tient & 
marchandiie fort haute, caà en rabattroit 
beaucoup s'il avoit quelque efpoir de 
cœiclurç le marché. D'ailleurs , qui doïs- 
je croire que vous avez confulté hir cela ? 
ces riches, peut-être ; ralTafiés de feux 
plaiËrs , mais ignorant les véritables ; tou- 
jours enmtyés de la vie Se toujours trem- 
blans de la perdre. Peut-être des gens 
de Lettres , oe tous les ordres d'hommes 
le plus fédentaire , le plus mal iàin , le 
plus réfléchiiTant , & par conféqucnt le 
plus malheureux. Voiàez-vous trouver 
des hïinimes de meilleure composition , ou 
dii moins , communément plus fiiKeres , 
& qui formant le plus grand nombre doi- 
vent au moins poiu* cela , être écoutés 
par préférence î Confultez un honnête 
bourgeois qm aura pafTé ime vie obfcure 
& tranquille , fens projets & fens ambi- 
tion i un bon aitifen qui vit coninoclàs 






.ijo Lettre 

ment de fon métier; itn payfan même, 
non de France , oh l'on prétend qu'il feut 
les feire mourir de mifere afin qu'ils nous 
feflent vivre , mais du pays , par exemple-, 
oii vous êtes , & généralement de tout 
pays libre. Tofe poièr en feit qu'il n*y a 
peut-être pas dans le haut Valais un feul 
montagnard mécontent de fa vie t»efque 
a\itomate, & qui n'acceptât vdiontiers, au 
lieu même du paradis qu'il attend èc qui 
lui eil dû , le marché derenaître Tansce^ 
pour végéter ainfi perpétuellement. Ces 
différences me font croire que <feA foa- 
vent l'abus que nous Êiifons de la vie qui 
nous la rend à charge , 8c î*ai bien moins 
bonne opinion de ceux qui font fâchés 
d'avon- vécu que de celui qui peut dire 
avec Caton ; nec me vixijji peeniut , quo- 
Tiiam ita vixi , ta fiafira me natum non 
exijHmem. Cela n'empêche pas que le fiige 
ne puiiTe quelquefois déloKr volontaire- 
ment i lâns murmure & ^ns défefpoir , 
quand la nature ou la fortune lui portei* 
bien diftinftement l'ordre de mourir. 
Mais félon le cours ordinaire des chofes » 
de quelques maux que foit femée la vie 
humaine , ellç n'eft pas à tout prendre un 






A M. DE Voltaire. 



ïî» 



mauvais préfeni , & fi ce n'eft pas toujoiiia 
lUî maJ de mourir, c^ea eft fort rare- 
ment itn de vivre. 

Nos différentes manières de penfer &r 
tous ces points m'apprennent pourquoi 
plufieurs de vos preuves font peu con- 
cluantes poiu* moi : car je n'ignore pas 
combien la raifos humaine prend plus fa- . 
cilement le moule de nos opinions que 
celui de la vérité , & qu'entre deux hom*- 
mes d'avis contraire, ce que l'im croit 
démontré n'elt Ibuvent qu'un fophifme 
pour l'autre. 

Quand vous attaqitet , par exemple, la 
chaîne des êtres fi bien décrite par Pope , 
vous dites qu'il n'eft pas vrai que fi l'on 
ôtoit un atome du monde , le monde ne 
pourroit fubfifter. Vous citez là - deffus 
M. de Crouzas , puis vous ajoutez que la 
nature n'eft affervie à aucune mefiare pré- 
cife ni à aucune forme précife. Que nulle 
planète ne fe meut dans ime courbe ab- 
iblument régulière , que nul être connu 
n'eft d'ime figure précifément mathémati'- 
que , que nulle quantité précife n'eft re- 
qulfé poiu- nulle opération, que la natiu^e 
n'agit jamais rigovureufement. Qu'ainfi on 

G4 






151 Lettre 

n'a aucune raifon d'alTurer qu'un atome 
de moins fur la terre feroit la caufe de 
la deftniûion de la terre. Je vous avoue 
<ji:e fur tout cela , Monlîeur , je fuis plus 
frappé de la force de l'affertion que de 
celle duralfoiuiement, & qu'en cette ôc- 
ca£on je céderois avec plus de confiance 
à votre autorité qu'à vos preuves. 

A l'égard de M. de Crouzas, je n'a 
point lu fon écrit contre Pope & ne fufs 
peut-être pas en état de l'entendre ; mais 
ce qu'il y a de très-certain , c'eft que je ne 
lui céderai pas ce que je vous aurai dit 
piité , & que j'ai tout aufit peu de foi à 
îes preuves qu'à fon autorité. Loin de 
penier que la nature ne foit point afferviô 
à la précilion des quantités & des figures, 
je croirois tout au contraire qu'elle feide 
ftik à la rigueur celte précifion , parce 
q-.i'elle feule lait comparer exaâenient les 
fins &c les moyens & mefurer la force à 
la réfïftance. Quant à ces irrégularités 
prétendues , peut-on douter qu'elles n'aient 
toutes leur caufe phyfique , &c lùifit-il de 
ne la pas appercevoir pour nier qu'elle 
exlfte. Ces apparentes irrégularités vien- 
nent làns doute de quelques loix que 



, .Google 



A M. DE Voltaire. 15 j 

nous ignorons & qne la nature fuit tout 
auiÏÏ fidellement que celles qui nous font 
ix>nnues ; de quelque agent que nous n*ap- 
percevons pas & dontl obftacle ou le con- 
cours a des mefures fixes dans toutes fes 
opérations , autrement il âudroit dire net- 
tement qu'il y a des aâions (ans-principes 
ic des efTets fans caufe , ce qui répugne 
à toute philofophie. 

Suppofons deux poids en équilibre & 
pourtant inégaux ; qu'on ajoute au plus 
petit k quantité dont Us différent ; ou les 
deux poids refteront encore en équilibre 
& l'on aura ime caufe làns effet , ou Téqui- 
libre fera rompu & l'on aura un effet fans 
caufe ; mais u les poids étoïent de fer &C 
qu^ly eût un grain d'aimant caché fous 
run des deux, la précîfion de la nature lut 
èteroit alors l'apparence de la préclfion , 
&. à force d'exaftitude , elle paroîtroit en 
manquer. 11 n'y a pas une figure , pas une 
Opération , pas une loi dans le monde', 
phyfique à laquelle on ne puiffe ap^ïliquer. 
quélcpe exemple feinblable à celui aiiff 
je viens de propofer fur la pefanteur ("). 

(*) M. d( Voltaire ayant arancé qu« la oatitrc D'agi! 
tonuù tigMuiu&ineiit , «ut aullc quantité préiiCc u'cA i^ 

G s 






X54 L E T T RE 

Vous dites qiie nul être connit n*eft 
d'une figure précifément mathématique j 
Je vous demande , Monfieur , s'il y a quel- 
que figure qui ne le foit pas , & fi la 
courbe la plus bizarre n'eu pas auflî r^ 
guliere aux yeux de la nature qu'un cer- 
cle parfeit aux nôtres. J'imagine , au refte, 
que fi quelque corps pouvoit avoir cette 
apparente régularité , ce ne feroit que rimi-* 
vers même en le fijppofînt plein & borné. 
Car les figures mathématiques n'étant que 
des abftraûions , n'ont de rapport qu'à 
elles-mêmes , au lieu que toutes celles 
des corps naturels font relatives à d'autres 
corps & à des mouvemens qui lei modi- 
fient ; dxnù. cela ne prouveroit encore 

.qailiponr nulk opération, il s'Elirait de cambîtitre ceiia 
doâiîne & d'fclairdr mon raifoanement par un sufinple. 
Dant celui de l'équilibre intie àean poids , il n'ell pa* 
nfccITaîre , relsn M. de Voltaïri; , qsc cfi deux poidi raient 
ligoure urinent égsux ponr que cet équilibre ait lieu. Or, 
)t lui fais ïoir que danj («le fuppofilion il T a DJCEiTaira. 
nicntiSct Tani caufe du caufc faiu elFet. Puit aioDtaDI la 
&CDDd« rupporition des deiiK poids de fer Se du gtaîn d'ai- 
mant, te lui faii voir que quand on fecoit dans la nàcura 
^oelque obtëtcation femblable àl'eMnipleAippoRE, cela m 
prouceroit encore rien en là faveur , parce qu'il ne >fautait 
l'aflurer que quelque cauie naturelle ou fecrete ne produit 
pai en cette occafion l'appareott mépiliuiti dant il Mtvfi 



A M. DE Voltaire, i^j 

rien contre la prédfioji de la nature , 
<]iiand même nous ferions d'accord fur ce, 
<5ue vous entendez par ce mot de prici/ton. 
Vous diftinguez les événemens qui oat 
àes effets de ceux qui n'en ont point ; je 
doute que cette diftinflion foit foHde.' 
Tout événement me femble avoir nécef- 
Ëiîrement quelque effet , ou moral , ou 
pïiyfique , ou compofé des deux , mai^ 
qii on n'apperçoit pas toujours , parce que 
tâ filiation des événemens efl encore plus 
difficile à fuivre que celle des hommes^ 
Comme en général , on ne doit pas cher4 
cher des effets plus cbnlidérables que les 
événemens qui les produifent , la petiteffe 
des caufes rend fouvent l'examen ridicidê 
quoique les effets foient certains , & fou- 
vent aufli plufieurs effets prefque imper- 
ceptibles fe réiiniffent pour produire un 
événement .çqnlidérable. Ajoutez que tel 
eftet ne laiffe pas d'avoir lieu , quoiqu'il 
agifîè hors dujcorps qui l'a produit. Ainfs 
Ja poufïiere qu'éleye un carroffe peut ne 
rîen faire à la marche de la voiture , '.&(. 
influer fïir celle du monde. Mais çommp 
il n'y a rien d'étranger à fuiûvers , tout 
ce qiii s'y ^t^git fléçfiflâireni^t furl'i^ 
joiyitrs mcme. 6 






ijfi Lettre 

' Ainfi , Monfieiir , vos exemples me pa— 
loiffent plus ingénieux qiie convamcans. 
Je vois mille raifons plaufibles pourgutn 
il n'étoit peut - être pas indifférent k VEm* 
rope qu'un certain jour l'héritière de Bour- 
gogne fut bien ou mal coiffée , ni au dcC^ 
tin de' Rome que Céiar toiuTiât les yea» 
k droite ou a gauche & crachât de Tun. 
ou de Tautre côté en allant au Sénat le 
îour qull y fiit puni. En un mot , en me 
rappeflant le gram de fable cité par Pafcal , 
je uiis à quelques égards de l'avis de vo- 
tre Bramine , & de quelque manière qu'on 
«nviiàge les chofcs, fi tous los événemens 
n'ont pas des effsts fenfibles, il me paroît 
incontçftable que tous en ont de réels , 
'dont l'eforit humain perd aifément le fil ^ 
mais qui ne font jamais confondus par la 
nature. 

Vous, dites qu'il eft démontré qitè les 
corps célfeftes font leur révolution (^ns 
fefpace non réfiftant ; c'étoit affurément 
une belle chofe à démontrer ; mais félon 
k coutume des ignorans , j'ai très-peu de 
.foi aux démonftrations qui paffent ma 
Jiortée. rimaginerois que pour bâtir eelle^ 
Cî<l*OQ auroltà-pea-ptè&raifonàé d$ cette 



,.„',.,G.ooyl.- 



A M. DE Voltaire, 1^7 

manière. Telle force agiflànt félon telle 
loi doit donner aux aftres tel mouvement 
dans iiB milieu non rélillant ; or les aAres 
ont exaâement le mouvement calculé , 
donc il n'y a point de réfiflance. Mais 
qui peut (avoir s'il n'y a pas , peut-être , 
un million d'autres lotx poSibles , &ns 
compter la véritable , félon lefquelles les 
mêmes mouvemens s'expliqueroient mieux 
encore dans un fliûde que dans le vide 
par celle-ci ^ L'horreur au vide n'a-t-elle 
pas lone-tems expliqué la plupart des 
effets qu on a depuis attribues A Taâion 
de l'air è D'autres expériences ayant en- 
fuite détruit l'horreur du vide , tout ne 
s'eft-il pas trouvé plein ? N'a-t-on pas 
rétabli le vide fur de nonveaux calculs ? 
Qui nous répondra qu'im fyftême encore 

Îlus exâft ne lé détruira pas derechef? 
-aiflbns les difficultés fans nombre qu'un 
phyfîcien feroit peut-être fur la nature 
de Ja himîere & des efpaces éclairés ; mri's 
croyez-vous de bonne foi que Bayle , 
dont j'admire avec vous la fageffe & la 
retemie en matière d'opinions , eût trouvé 
la vôtre fi démontrée ? En général , H 
taabk que l'es fceptiques ^ouhlieitt lÙi 






158 Lettre 

peu fi-tôt qu'ils prennent le ton dogma- 
tique, & qu'ils devroient ufer plus fo- 
brement que perfonne du terme de dé- 
montrer. Le moyen d'être cru quand on 
fe vante de ne rien fevoir, en affirmant 
tant de chofes ! Au refle , vous avez fait 
un correâif très-jufte au fyflême de 
Pope , en obfervant qu'il n'y a aucune gra- 
dation proportionnelle entre les créatures 
& le Créateur , & que fi la chaîne des 
êtres créés aboutit à Dieu, c'eft parca 
qu'il la tient , & non parce qu'il la tei« 
mine. 

Sur le bien du tout préférable â celui 
de fa partie , vous feites dire à l'homme r 
je dois être auiH cher à mon maître , moi 
être penfant &c fentant , que les planète* 
qui probablement ne Tentent point. Sans 
doute cet univers matériel ne doit pas être 
plus cher à fon Auteur qu'un ftui être 
penfant & fentant ; mais le fyflême de cet 
imivers qui produit , conferve & perpé- 
tue tous les êtres penlkns & fentans, lui 
doit être plus cher qu'un feul de ces êtres; 
il peut donc , malgré fk bonté , ou plutôt 
par la bonté même , fàcrifier quelque 
cbofe du bonheur des individus ilacoft; 






A M. DE Voltaire, i-j^ 

fervatîon du tout. Je crois , j'eipere vaf 
loir mieux aux yeux de Dieu que la terre 
d'une planète y mais fi les planètes font 
habitées , comme il eft probable , pour- 
-quoi vaudrois-je mieux àfes yeux que 
tous les habitans de Saturne î On a beau 
tourner ces idées en ridicule , il eft cer- 
tain que toutes les analogies font pouc 
cette population 6c qu'il n'y a que l'or- 
gueil humain qui (bit contre. Or , cette 
population fuppofée , la confervation de 
runivers femble avoir pour Dîeu même 
une moralité qui fe muûiplie par le nom- 
jbre des mondes habités. 

Que le cadavre d'un homme nourriflé 
des vers, des loups, ou des plantes , ce 
n'eflpas, je l'avoue, un dédommagement 
de la mort de cet homme ; mais fi dan* 
le fyftême de cet univers il eft néceflaire 
à la confervation du genre- humain qu'il 
y ait une cirailation d!e fubftance entre les 
hommes , les animaux & les végétaux , 
alors le mal particulier d*un individu con- 
tribue au bien général ; je meurs, je fuis 
ntangé des vers , mais mes enfàns , me» 
frères vivront comme j'ai vécu , mon 
cadavre engraiiTe la terre dont Us mange; 






font les produâions , & je feis par l'ordre 
de la nature & pour tous les hommes ce 
mie firent volontairement Codnis, Cui^ 
tiiK , les Décies , les Philenes & mille 
autres pour tme petite partie des hommes. 
Pour revenir , Monfieur , au fyftême 
^le vous attatpiez , je crois quon ne 
peut l'examiner convenablement fans dif- 
tinguer avec foin le mal paiticulier , dont 
aucun philofophe n'a jamais nié l'exifteii- 
ce , du mal général que nie l'optimifme; 
Il n'eft pas cjueftion ae ûvoir n chacun 
de nous foutfre ou non, mais s'il étoit 
bon que l'univers fut, & fi nos maiix 
étoient inévitables dans là conftitutioiu 
Ainfi l'addition d'un article rendroit ce 
lêmble la propofitfon plus exaâe, & aii 
lieu de tout ep Inen , il vaudroit peut-être 
mieux dire , le tout eji bien , ou , tout ejl 
bien pour le tout. Alors il eft très-évident 
qu'auain homme ne fauroit donner de 
preuves direâes ni pour ni cootre , car 
ces preuves dspendenf d'une connoiffaiïce 
parraite de la corJlitution dn monde & 
du but de fon Autciu- , & cette connoif- 
Ênce eft înconteftablement au delTus éc 
Fiotelligence humaine. Lçs vrais principes 






A. M. DE Voltaire, i6% 

de l'optimifine ne peuvent fe tirer ni des- 
propriétés de la matière , ni de la mé- 
canique de l'iinivcrs , mais feulement par 
induétion des perfcâions de Pieu qui 
préfide à tout : de forte qu'on ne prouve 
pas Texiftence de Dieu par le iyfteme de 
Pope , mais le fyftême de Pope par l'é- 
xiâence de Dieu , & c'eft fims contredit 
de la queftion de la providence qu'eft 
dérivée celle de l'origine du mal. Que ft 
ces deux queftions iront pas été mieux 
traitées l'une que l'autre , c'éft qu'on a 
toujours fi mal ralfoniié fur la providence ,. 
que ce qu'on en a dit d'abfurde a fort em- 
M-ouillé tous les corollaires qu'on pouvoit' 
tirer de ce grand & confoîaiit dogme. 

Les premiers qui ont gâté la caufe de 
Dieu , font les prêtres & les dévots qui- 
ne foufii'ent pas que rien le hSc félon 
l'ordre établi , mais font toujoiu^ inter- 
venir la juftice divine k des événemens 
purement naturels , &c pour être iïirs de 
leur Jàitpuniffent &. châtient les méchans , 
éprouvent ou récompenfent ksbons in- 
diftiéremment avec des biens ou des maïuc 
félon l'événement. Je ne ûis , poiu- moi, 
ii c'eft une bonne théologie , mais je 






i6x Lettre 

trouve que c'eft une mauvaife manière 
de raifonner , de fonder indifféremment 
fm* le poiu & le contre les preuves de la 
providence , & de lui attribuer iàns choix 
tout ce qui fe feroit également fans elle. 

Les Philofophes à Uiu- toiu- ne me pa- 
roiffent gueres plus raifonnables , quand 
je les vois s'en prendre au Ciel de ce 
qu'ils ne font pas impaffibles , crier que 
tout eft perdu quand ils ont mal aux 
dents , ou qu'ils font pauvres, ou qu'on 
les vole , & charger Dieu , cotnme dît 
Séneque , de la garde de leur valife. Si 
quelque accident tragique eût Êiit périr 
Cartouche ou Céfar dïùis leur enfance , 
on auroit dit , quel crime avoient - ils 
commis ? Ces deux brigands ont vécu , 
& nous difons , pourquoi les avoir laifles 
vivre î Au contraire un dévot dira dans 
le premier cas. Dieu vouloir pumr le 
père en lui ôtant fon enfant ', & dans le 
îècond , Dieu confervoit l'enfent pour le 
châtiment du peuple. Ainfi , quelque 
parti qu'ait pris la nature , la providence 
a toujours raifon chez les dévots , & 
toujours tort chez les Philofophes. Peut- 
être dans l'ordre des çhofes hiunaines 






A M. DE Voltaire. i6j 

n'a-t-elle ni tort dî raifon , parce que tout 
tient à la loi commune & qu'il n'y a d'ex- 
ception pour perfonne. Il eft à croire que 
les événemens particuliers ne font nçit 
aux yeux <lu ntMtre de l'univers ; que ik 
providence eft feulement univerielle ; 
qu'il (ê contente de conferver les gem-es 
& les efpBCes , & de préfider au tout fans 
s-'inquiéter de la manière dont chaque in- 
dividu paffe cette courte vie. Un Roi 
fege qui veut que chacim vive heureux 
dans les Etats , a-t-il befoin de s'informer 
files cabarets y font bons? Le paffant 
murmure une nuit quand ils font mau- 
vais. Se vit tout le refte de fes jours 
d'une impatience aufli déplacée. Commo- 
randi enim naiura diverforiam nobiSf non 
habitant dédit. 

Pour penfer jiifte à cet égard , H fem- 
ble que les chofes derroient être confi- 



dérées relativement dans Tordre pbyfique 
& abfolument dans l'ordre moral: U pltis 
grande idée que je puis me faire de la 



grande idée que ;e puis me taire de la 
providence eft que chaque être matériel 
foit difpofé le mieux qu'il eft pofliWe 
par rapport au tout , & chaque être intel- 
Bgem & fenfible le mi«ux qu'il eft polft« 






104 Lettre 

We par rapport à Iiii-même ; en forte que 
pour qiii lent fon exiftence il vaille mieux 
exifter que ne pas exifter. Mais il feuf 
appliquer cette règle X la durée totale de 
chaque être fenfibk Se non il quelque inf- 
tant particulier de (à durée tel que la vîe 
humaine , ee qui montre combien la mieA 
tion de la providence tient à celle de rim- 
TOortalité de l'ame que j*ai le bonheur à& 
croire , fans ignorer que la raifon peut 
«11 douter , & à celle de l'éternité de* 
peines que ni vous , ni moi , ni jamais 
homme penfent bien de Dieu ne croi- 
rons jamais. 

Si je ramené ces queftions diverfes î 
leur principe commun , il me femble 
qu'elles fe rapportent toutes à celle de ■ 
rexiftence de Dieu. Si Dieu exifte , il 
eft parfait; s'il eft parfeit , il eft fage, 
puilfant & jufle ; s'il eft fage & puiffant, 
tout eft bien ; s'il eft jufte & ptiiflânt , 
mon ame eft immortelle ; ft mon ame eft 
immortelle, trente ans de vie ne font 
rien pour moi & font peut-être nécef- 
faires au maintien de lunivers. Si Ton 
m accorde la [wcmiere proposition, jamais 
on n'ébranlera ks fuivantes ; lî on la nie > 






A M- DE Voltaire. i6j[ 

il ne feut point difputer fur (es confér 
jtjiifnces. 

Nous ne foinmes ni l'un ni l'autre dans 
xe dernier cas. Bien loin du moins que 
je puilTe rien préfumer de femblable de 
votre part en Ûfant le recueil de vos œu-- 
.vres , \à plupart m'offrent les idées les 
plus grandes , les plus douces, les plus 
confolantes de la divinité , & j'aime bien 
mieux un chrétien de yotre fajon que de 
j;elle de la Sorbonne. 

Quant à ivoi , jç yous avouerai nait- 
veriient que ni le pour ni le contre ne 
me paroJHent démontrés fur ce point par 
les feules lumières de la raifon , & que fi 
le théïfte ne fonde fon fentiment que fur 
des probabilités , l'athée moins précis 
encore ne me paroit fonder le ^en que 
fur des poiTibililés contraires. De plus f 
les objeétions de part Se d'autre font tour 
jours infolubles , parce qu'elles roulent 
fur des .chofes dont les hommes n'ont 
point de véritable idée. Je convîçns de 
taut cela , & pourtant je xrois en Dieu 
tout aufli fortement que je croye une 
autre vérité ~, parce que croire & ne pas 
«"oire ipat }ss choies éi mpnde qui dé^ 



i66 Lettre 

pendent le moins de moi , que l'état de 
doute eft un état trop violent pour mon 
ame y que quand ma raifon flotte , ma foi 
ne peut relier long-tems .en lufpens &C 
{e détermine (ans eUe , qu'enfin nulle fu- 
jets de préférence m'attirent du coté le 

flus confplant, & joignent le poids de 
efpérance à l'équilibre de la raifon. 
Voilà donc une vérité dont nous par- 
tons tous deux à l'appui de laquelle vous 
ientez combien roptimifme eft facile à 
défendre & la providence à juftifier, & 
ce n'eft pas à vous qu'il feut répéter les 
raifonnemens rebattus mais folides qui ont 
été feits fi fouvent à ce fujet. A l'égard 
des Philofophes qui ne conviennent pas 
du principe , il ne faut point difputer 
avec eux fur ces matières , parce qiie ce 
qui n'eft qu'une preuve de fentiment 
pour nous , ne peut devenir pour eux 
une démonftration , & que ce n'efl pas 
im difcours raifonnable de dire à un hom- 
me , vous devei croire ceci parct qut jt U 
crois. Eux de leur côté ne doivent point . 
non plus difputw avec nous fur ces mê- 
mes matières , parce qu'elles ne font que , 
^es corollaires de la propofition prm; 






A M. DE Voltaire. 167 

fipale qu'un adverûire honnête ofe à 
peine leiir oppofer , & qu'à leur toiir ils 
auroîent tort d'exiger qu'on leur prouvât 
le corollaire indépendamment de la pra- 
pofition qui lui lert de bafe. Je penfe 
qu'ils ne le doivent pas encore par une 
3utre raifon , p'eft qu'il y a de Tmliuma- 
uité à troubler des âmes paiiibles & ^ 
défoler les hommes à pure perte , quand 
ce qu'on veut leur apprendre n'eft m cer- 
tain ni utile. Je penfe en un mot, qu'^ 
voire exemple on ne fauroit attaquer 
trop fortement la fuperftition qui trouble 
Ja îbciété , ni trop refpeâer la religiop 
qui la foutient. 

Mais je fuis indigné comme vous que 
la foi dfi chacun ne foit pas dans la plu? 
parfaite liberté 6ç que l'homme ofe con- 
trôler l'intérieur des confciences où il nç 
fauroit penétrp r , comme s'il dépendoit 
de nous de croire ou de ne pas croire 
dans des matières oh la démonftration n'9 
point lieu , & qu'on pût jamais affervîr 
Ja raifon à l'autorité. Les Rois de cç 
inonde ont-ils donc quelque infpeÛion 
dans l'autre , & font-ils en droit de tour-- 
menter leurs f»jets Içirbas pour l«s for-- 



-cer d'aller en paradis î Non, tout Gou- 
vernement humain fe borne par fa nature 
aux devoirs civils , & quoi qu'en ait pu 
rdire le fophifte Hobbes , quand un hom- 
me fert bien l'Etat , il ne doit compte à 
perfonne de la manière dont il fert Dieu. 
J'ignore fi cet Etre jufte ne punira point 
«n jour toute tyrannie exercée en fort 
-nom ; je fuis bien iùr au moins qu'il ne 
la partagera pas , & ne reftifera le bon- 
Jieur éternel a nul incrédule vertueux Se 
.de bonne foi. Puis-je fans offènfer fa 
bonté & même fa juftice douter qu'un 
<œ\ir droit ne racheté une erreur învo- 
lont-!ire , & que des mœurs irréprochables 
.ne vaillçnt bien mille cultes bizarres pref- 
.crits par les hommes & rejettes par la 
raifon ? Je dirai pUis ; fi je pouvois à 
■mon choix acheter les oeuvres au dépend 
de ma foi , & compenfer à force de vertu 
TOOn incrédulité fuppofée , je ne balan- 
cerois pas \in inftant ; & j'aimerois mieux 
pouvoir dire à Dieu. Tai fait fans fon- 
der à toi le bkn qui ieji agréahU , & mon 
. caur fuivoic ta volonté fans la connaître y 
que de lui dire , comme il faudra que je 
û£k un jour. Je t'aimois , & Je n'ai ceffi 
tU 






A M. DE Voltaire. 169 

de t'offknfir ; je /ai connu & n'ai ritn fait 

pour u.pUue. 

Il y a , je l'avoue , une forte de pro- 
fèffion de foi que les loix peuvent impo- 
ibr ; mais hors les principes de la morale 
6c du droit naturel , elle doit être pure- 
ment négative , parce qu'il peut exîfter 
des religions qui attaquent les fondemens 
de la fociété & qu'il faut commencer par 
exterminer ces religions pour affurer la 
paix de l'Etat. De ces dogmes à profcrire 
l'intolérance ed fans diiEculté le plus 
odieux, mais il' faut la prendre à fa four- 
ce , car les fanatiques les plus fanguinai- 
res changent de langage félon la fortune 
& ne prêchent que patience Se douceur 
quand ils ne font pas les plus forts. Ainfî 
j appelle intolérant par principe tout hom- 
me qui s'imagine qu'on ne peut être hom- 
me de bien fans croire tout ce qu'il croit , ' 
& damne impitoyablement ceux qui ne 
penfem pas comme lui. En effet , les hdelles 
font rarement d'humeur à laifTer les ré- 
prouvés en paix dans ce monde , & un 
faint qui croit vivre avec des damnés 
anticipe volontiers fur le métier du Dia- 
ble. Quant aux incrédules ialolérans qui 
Pkcti diytrjts, H 






170 Lettre 

Toudroient forcer le peuplé à ne rien 
croire , je ne les bannirois pas moins fé- 
vérement que ceux qui le veulent forcer 
à Croire tout ce qu'il leur plaît Car on 
voit au zete de leurs décifions , à l'amer- 
tume de leurs fatires , qu'il ne leur man- 
que que d'être les maîtres pour perfécuter 
tout auffi cnieliement les croyans mi'ils 
font eux - mêmes periecutés par les rana- 
tiques. Oti eft l'homme paifible & doux 
qui trouve bon qu'on ne penfe pas cent- 
me lui. Cet homme ne fe trouvera fiire- 
ment jamais parmi les dévots & il eft 
encore à trouver chez les philosophes. 

Je voudrois donc qu'on eût dans chaque 
Etat un code moral, ou une efpece de 
profeflion de foi àvile qui contînt pofitive- 
ment les maximes foclales que chacun feroit 
tenu d'admettre , & négativement les maxi- 
mes intolérantes qu'on feroit tenu de re- 
jetter , non comme impies , mais comme 
leditieufes. Ainfi toute religion qui pour- 
rait s'accorder avec le code feroit admife , 
toute religion qui ne s'y accorderoit pas 
feroit proîcrite , & chacun feroit libre de 
n'en avoir point d'autre que le code même. 
Cet ouvrage fiiii avec fom, feroit , ce me 






A M. DE Voltaire. 171 

femble , le livre le plus utile qui jamais 
ait été compofé , & peut-être le feul né- 
Ceflkire aux hommes. Voilà , Moniteur , 
un fujet pour vous ; je fouhaiterois paC- 
fionnément que vous voulufliez entrepren- 
dre cet ouvrage , & l'embellir de votre 
poéfie , afin que chacun pouvant l'apprefr 
dreâfémentj il portât dès'Tenfence dans 
tous les cœurs ces fentimens de dôûceUr 
& dTiuDianilé qui brillent dans vos écrit* 
& ^li manquent à tout le monde dans U 
pratique. Je vous exhorte à méditer ce 
projet qui doit plaire à l'Auteiir d'Alzire. 
Vous nous avez donné ^ns votre Poëme 
fur la Religion naturelle le catéchifme 
de rtiomme , donnez-nous maintenant dans 
celui que je vous propofe le, catéchifme 
du citoyen. C'efi uiie matière à méditer 
long-tems , & peut-être à réferver pour 
le dernier de vos ouvrages , afin d'ache- 
ver par lin bieniàit au genre - hxunain la 
plus brillante carrière que jamais homme 
de lettres ait parcourue. 

Je ne puis m'empêcher , Monfieur , de 
remarquer à ce propos une oppofitïon 
bien fmguUere entre vous & moi dans le 
fujet de cette lettre. Railafié de gloire > 






171 Le t t h e . 

&: défabufé des vaines grandeurs , vous 
vivei libre au fein de l'abondance ; bien 
fîir de votre immortalité , vous phîlofo- 
phez paiHblement fur la nature de l'ame, 
& ii le corps ou le cœur fouffre ^ vous 
avez Tronchin poiu- médecin Se pour ami ; 
-vpus ne tfouvez pourtant que mal fur la 
terre. Et moi , homme obfcur , pauvre & 
tourmenté d'un mal fans remède, je mé- 
dite avec plaifir dans ma retraite 8c trouve 
que tout eft bien. D'oîi viennent ces con- 
tradiâions apparentes ? Vous l'avez vous- 
inême expliqué ; vous jouiffez , mais j'et 
père , & l'eipérance embellit tout. ' 

J'ai autant de peine à quitter cette ea- 
nuyeufe lettre que vous en aurez à Fa- 
chever. Pardonnez - moi , grand homme, 
un zèle peut-être irfdifcret , mais qui ne 
s'épncheroit pas avec vous fi je vouî 
cftimois moins.. A Dieu nç plaïfé que je 
veuille ofieiifer celiû de mes contempo- 
rains dont j'honore le plus les talens & 
dont les écrits parlent le mieux à moi 
cœur : mais il s'agit de la caufc de I 
providence dont f attends tout. Après avoî 
u long - tems puifé dans vos leçons de 
,conl9lations 6c du coiu'age , il.m'eftdui 






' A "M. DE Voltaire. ' 173 

. ' ; V T : — ' — I — ' — r-r, 

qiie vous m'ôtîez maintenant tout cela 
pour ne m*of&ir oii'iiné efpérance incer- 
taine & vague , plutôt comme un pallia- 
^f a£tuel que comme un dédommagèmeiA 
à venir. Non , j'ai trop fouffert en cette 
Vie pour h'en pas attendre ttnè autre. 
Toutes JesJîibtiUtés de la métaphyiique 
ne me feront pas douter un moment de 
l'immortalité de l'ame & d'une providence 
bieniàiiânte. J.e la fei^ , Je la crois , je la 
veux , je iWpere , je la défendrai juiqu'à 
mon dernier fonpir,'& cefera de toutes 
les difpntés, que j'aurai foutemies la feule 
oîi mon intérêt nç fe(a p:(S oupli^. /, ' 

Je fiiis avec refpeâ^ Monfîeur, 



Hï 



RÉPONSE 

D-E Monsieur 
DE y OLT AI RE 

A LA LETTRE PRÉCÉDENTE^ 
Aux DMccs 13 Septembre lyçtf. 



Mo 



IpN cherPhilofophe, nous pouvons 
vous 8c moi , dans les intervalles de nos 
maïqc , raifonner en vers ôc'en proie. Mais 
dans lé moment préfent,'voiis me tardon- 
nerez de laiffer là toutes ces dircoffions' 
philofophiqiies qiri ne font que des amu- 
femens". Votre' lettre '^ très -belle , mais 
j'ai chez moi une de mes nïeces qui depuis 
trois femaines eu dans un a(Tez grand dan- 
ger : je fuis garde-malade & tr&-malade 
moi-même. J'attendrai' que je. me porte 
mieux &c que ma nièce ioit guérie, pour 
ofer penfer avec vous ( * ). M. Tronchin 
m'a dit que vous viendriez enfin dans 
votre patrie; M. d'Alembert vous diira 



(*Ji n ne m'a plus fcrit depuis ce ti 






R é P O N s E, écc, 175 

quelle vïe philofophique on mené dans 
ma petite retraite. Elle mériteroit le nom 

3u'eUe porte , fi elle pouvoit vous poffi- 
er quelquefois. On dit que vous naïflez 
le fejour des villes ; j'ai cel» de commun 
avec vous ; je voudrois vous reffembler 
en tant de chofes , que cette conformité 
pût vous déterminer à venir nous voir. 
L'état où je fuis ne me permet pas de 
vous en aire davantage. G>mptez que de 
tous ceux qui vous ont lu , perfonne ne 
vous eflime phis que moi malgré mes 
mauvaises plaifanteiie^ , & que 4e.tou$ 
ceux qui vous veiTont;, perfonne n'ef^ 
plus difpofé à vaas mtasv tendrement. Je 
commence par supprimer toute cérémonie. 



H4 



L E T T R E 

A M'", (t) ■ 



P ' E voilà ; Monfieur , ce nùréntbte re- 
ctoiage mie- mon amoiir - pro|}re humilié 
vous a fait fi long - tes» attendre , âut« 
de fentir qu'Un amour - propre beaucoup 
plus noble devoit m'appr-endre à furmon- 
Kr celui - liF, Qu'importe que mon ver- 
biage vous paroil&mirérable, pourvu que 
je (bis content du ientiment qui me l'a 
diâé. Si-tât que mon meilleur état m'a 
rendu quelques forces, j'en ai profité pour 
le relire & vous l'envoyer- Si vous av« 
le courage d'aller jurqu'au bout ^ je tous 
prie après cela de vouloir bien me le rf"- 
voyer , fans me rien dir*» Ac « «juc vous 
en aure? p*-'^ » û£ que je comprends de 
relie. Je vous ^uç •, .Monfieur , & vout 
«nbrafle de tout ipon cœur. 

A Monquinle if Mars 17691 

* " ■ -•^» 

(tj C«tlc I.«iUc bri <f<Dfai i ccUe igA M^ 






^ _Bourgoin /e ij Janvitr 17691 



jEfens, Mortfîfetti'; ririntilité du devoir 
que je remiylis'ftirépdndant à votre deri 
niere lettre : mais -cVft un devoir enfirt 
ejue vous m'impofez & que je remplis de 
bon coeur , quoique mal , vu les diftrac- 
tions de l'état oîi je fpis-' ' ' 

Mon deïïèin , en vous difant ici mon 
opinion fur les principaux points de votre 
lettre , eft de vous la dire avec fimpliciît? 
& (ans chercher à vous îa faire adopter. 
Cela feroit contre mes^ principes & mcmc 
oantre mon goût. Car je fuis jufte , \Sc 
comme 'je n'aime point qu'on chercne"à' 
me fubjugiiêr , je ne cherche non piias & 
fobiuguer perfonne. h fais' qne la raifoit 
commune eft frès-bornée ; qn'auflî- ^t'- 
qn'on fort de fes étroites limites , chaciire 
a la fieoné qui- rt'eft mopre qu'à liii ; que 
les opini»^ fe-fJroïJï^éit par' 'Ire opinibh^: 
non par la'ftiftn ,' & t^ tjiiicohqàtf'c^de' 
3B. nûfojiaartéit- ■ tfim ' aiitre- , ' chafe d^^ 
trèi-raxe , cède par préjugé 5 par autorité], 
H j 






178 Lettre 

par afféâion , par pareffe ;. rarement, ]a^ 
mais peut- être , par (on propice jugement. 
Vous me. marquez, -Manlieur., que le 
réfultal de vos recherches (\\r l'Auteur des 
chofes efi tm à^t dç doute. Je ne puU 
juger de cet état^ parce^qu'il n'a jiunaîst 
été le R^ien. J'ai, cru 4ans mon enËince 
par autorité , dans ma jeimeffe par fentirr 
ment, dans mon âge inûr par niifon ^ 
maintenant je crois parce que j'ai tçujoiirs 
cru. Tandis que ma jnémoire éteinte ne 
me remet plus fur la trace de mes raifonr- 
nemens , tandis que ma judiciaire aflbiblie 
ne me permet plus de les recommencer, 
les opinions qui en ont réfulté me ref-. 
tent dans toute leiir force i 6i fans qiie 
j'aye la volonté ni le courage de les met- 
tre,, derechef en délibération, je m'y tiens 
en confiance & en confcience , certain- 
d'avoir apporté dans la vigueiu- de mon 
jugement à leurs difcuffions foute l'atten- 
tion &c la bonne foi dont j'étoïs capable. 
Si je me fuis trompé , ce ,n*ell pas ma 
feute , c'eft celle de la, navire cpii n'a j>as 
donné a ma tête une p]us' grande meuire 
4'iiitelligeQce Ô^ de:raifon, ^-a'ai (iên^e 






A M* 



179 



plus aujourd'hui y j'ai beaucoup de moins.* 
Sur quel fondement recommencerois - je 
donc à délibérer î Le moment preffe ; le 
départ approche. Je n'aurois jamais ^ 
tems ni la force d'achever le grand travail 
d'une refonte. Permettez qu'à tout événe- 
ment j'emporte avec moi la con£llance 
& la fermeté d'un homme , non les dou- 
tes décourageans & timides d'un vieux 
radoteur. 

A ce que je puis me rappeUer de mes 
anciennes idées, à ce que j'aj^rçois de 
la marche des vôtres , je vois que n'ayant 
pas fuivi dans nos recherches la même 
route , il eft peu étonnant que nous ne 
foyons pas arrivés à la même conclufion. 
Balançant les preuves de l'exiftence de 
Dieu avec les difficultés , vous n'avez 
trouvé aucun des côtés affez prépondérant 
pour vous décider &i. vous êtes refié dans 
Je doute : ce n'eft pas comme cela que je 
fis. J'examinai tous les lyftêmes fur la fort 
mation de l'univers que j'avais pu con- 
noître. Je méditai lur ceux que je pou- 
vojs imaginer. Je les comparai tous de 
mon mieux : & je me déci^i , non pour 
celui qui nç m'o^^oit point de difficidtés, 
H â: 



ii8o Lettre 

car ils m'en ofïroient tous ; mais poiH" 
celui qui me paroiffoiten avoir le moins. 
Je me dis que ces diffieultés étoient dans 
la nature de là chofe , que la contempla- 
tion de l'infini pafferoit toujours les bop- 
-oesde mon- entendement-; ^e ne devant 
jamais efpérer de concevoir- pleinement 
Je iyftême de la nature, tout ce que je 

Î)Ouvois feire étoit dfe le confidérer ï>m: 
es côtés que je pouvois iaifir ; qu'il tkt- 
■ loit favoir ignorer en paix tout le refte , 
& j'avoue que dans ces recherches je 
peniâi comme les. gens dont- vous parlez^ 
^ui ne- rejettent pas une vérité claireoii 
iuffifamment prouvée, pour les difficul- 
tés qui l'accompagnent & qu'on ne faiiroît 
lever.. Pavois dors , je l'avoue , ime con- 
fiance G. téméraire , ou du moins une fi 
fisrte perfuafion , que j'aurois- défîé tout 
■phîlofophe depropofer aucun' autre fyJr 
■tême intelligible fur la nature , aui^uel je 
n'eufle oppofé. des objeÉttons pUis tortes-,. 
•plus iavincibles, que celles qu'il pouvoit 
m'oppofer fur le mien , & alors- il iàiïoit 
01?" réfoudre à refter fans rien croire', 
«omme- vous- faites , ce» qiri ne dé^jendoil 
.pas dé. moi-, ou mal ralfoinhet j. 014 croiie. 
comme- ^'Êiit^ 



A M**". ï8i 

Une idée qui me vint il y a trente ans» 
a peut-être pUis contribué qu'aHcime au- 
tre à me rendre inébranlable. Siippofons, 
tne difois-je, le genre -humain vieilli 
iufqu*à ce jour dans le plus complet ma- 
têriîdifme , fans que jamais idée de- dî» 
vinîté ni d'ame Imt entrée dans aiiain 
«fprit humain. Suppofons que i'athéifme 
çnilofophique ait epuifé tous (es fyftêmes 
pour expliquer la formation & la mar- 
che de l'univers par le feid jeu de la ma* 
fiere Se du mouvement néceffairej mot 
auquel du refte je n'ai jamais rien conçiu 
Dans cet état-, Monfieur , excufez ma 
franchlfe , je fuppofois encore ce que 
j*ai toujours vu- , Se ce que je fentois 
devoir être-; qu'au lieu de Ce repofer 
tranquillement dans- ces fyftêmes , comme 
dam le fein de fe vérité , leurs inquiets 
panifans cherchoient iàns ceffe à parler 
de leur doârine , à l'éclaircir , à réren- 
tlre^ à l'expliquer , la pallier , la corri- 
ger, & comme cehù qui fent trembler 
tbiis fes pieds la Hteifon qu'il- habite, à 
l'étaycr de nouveaux argutnerïs, Termi- 
Bcms enfin ces fuppofitio;is par celte d'un 
ifiaîon , d'un- Qarcke , c^i , fe levant tout 






i8i Lettre 

■ ■ .11. ■ — I. ...1 I I n 

d'un coup au milieu d'eux , leur eût dit : 
mes amis , û vous eulTiez commencé Ta- 
nalyfe de cet univers par celle de vous- 
mêmes y vous euffiez trouvé dans la na- 
ture de votre être la clef de la conAi- 
tution de ce même univers , que vous 
cherchez en vain (ans cela. Qu'emiiite leur 
expliquant la diAinâion des deux fubf- 
tances, il leur eût prouvé par les pro- 
priétés même de la matière , ^e quoi- 
qu*en dife Locke , la fuppoiition de la 
matière penlànte eà une véritable abAir> 
dite. Qu'il leur eût ùàt voir qiielle eil 
la nature de l'être vraiment aûil & pen- 
dant , & que de l'établiiTement de cet être 
<jui juge , il fiit enfin remonté aux no- 
tions coniules , mais Aires de l'Etre fu- 
frême : qui peut douter que fraj^és de 
éclat, de la.iimplicité , de la vérité, 
de la beauté de cette raviffante idée, les 
mortels jufqu'alors aveugles , éclairés des 
premiers rayons de la divinité , nç lui 
euflent offert par acclamation leurs pre- 
miers hommages, & que les penfeius 
fur-tout & les philolbphes n'euûent rougi 
d'avoir cqntemplé fi long-tems les de- 
hors de cette machine immenfe , ians 






A M***. i8j 

trouver, fans foupçohner même la clef 
de ùt conftitution, &c toujours grofliére- 
ment bomés par leurs fens, de n'avoir 
jamais fu voir que matière oh tout leur 
mcmiroit qu'ime autre fub^hmce donnoit la 
vie à l'univers & l'intelligence à l'homme. 
C'eil alors , Monâeur, que la mode eût 
été pour cette nouvelle philolbphie , que 
les jeunes gens 6c les fages fe ftjffent 
trouvés d'accord , qu'une doflrine & 
belle , fi fublime , û douce , & fi confo- 
lante pour tout homme jufte, eût réelle- 
ment excité tous les hommes à la vertu, 
& que ce beau mot d'kumaniii rebattu 
maintenant jufqu'à la fadeur y jufqu'au 
ridicule , par les gens ' du monde les 
moins humains , eût été plus empreint 
dans les coeiu-s que. .dans les livres. H 
eût donc ixtffi d'une fimple tranipofition 
de tems pour faire prendre tout le con- 
tre-pied à la mode philoibphique, avec 
cette différence que celle d'aujourd'hui 
malgré fon clinquant de paroles , ne nous 
promet pas une .génération bien eftima- 
ble V ni ds,s philofophes bien vertueux, 
Vousobjeftez, Monfjeur, que fi Dieu 
eût voulu obliger les hoAun«5 à le coa-< 






184 L E t T H E 

noître , il eut mis fon exiftence en évi- 
dence à tous les yeiix. Ceft à ceiuc qui 
font de la foi en Dieu un dogme né- 
fieflàire au fiihit de répiondre à cette oI>- 
jeûion, & ils y répondent par la révé- 
lation. Quant à jnoi qui crois en Dieu 
fans croire cette foi néceflaire , je ne 
vois pas pourquoi Dieu fe feroit obligé 
de nous la donner. Je penfe que chacun 
ièra jugé , non fur ce qu'il a cru , mais 
(\ir ce qu'il a feit, & je ne crois point 
qu'un fyftême de doftrine foit néceffeire 
aux oeuvres , parce que ta confcience en 
tient lieu- 

Je crois bien' , il eft vrai , qu'il fkxit 
être de bonne foi dans fa croyance , & 
ne pas s'en feire un fyftême favorable 
i nos payions. Comme 'nous ne fommes 
pas tout intelligence," nous ne finirions 
phtlofopher avec tant de définréreffe- 
ment que notre volonté- n'inffue im peu 
fur nos opinion» ; l'on peut fouvent ju- 
ger des fecretes inclinations d'un homme' 
par k& fen:imens' purement fpéculaiâfs î 
6c cela pofé, je penfe qii'il fe pmnroit 
bien qtie cehii qui n'a pas voulu croire 
Stt puni pour n'avoir pas cm. 






A. M * * *. 185 

C^>endant je crpis qiie Dieu 5'eft firf: 
màmment révélé aux hommes & par 
fes œuvres & dans leurs cœurs , & s'il y 
en a qui ne le connoiffent pas , c'eft 
felon moi , parce qu'ils ne veulent pas 
le cormoître , ou parce qu'ik n'en ont 
pas beibîn. 

Dans ce dernier cas eft l'homme ûu- 
vage.& fans culture qui n'a fait encore 
aucun ulâge de fa raifon ^ qui , gouverné 
feulement par fes appétits n'a pas be- 
fbin d'autre guide , &c qui ne fuivant 

3ue l'inâinâ de la nature , marche par 
es mouvemens toujoiu-s. droits. Cet 
linninHi lie conooît pas Dieu, ma'" »' 
ne l'otïènfe pas. Dans l'autre cas au con- 
traire eft le philofophe , qui, à force de 
vouloir exister fon intelligence , de ta- 
finer, de fubtilifer fur ce qu on. penià juf- 
qu'à lui , ébranle enfin tous les axiomes 
de la raUbn fimple & primitive ^'&c pour 
vouloir toujours (avoir plus & mieux 

Sue les autres , parvient à ne rien favoir 
u tout. L'homme à la fois raifonnable 
& modèle , dont l'entendement exercé , 
xiaâs borné ^ fent fes limites & s'y ren- 
^nne^.tçouvè dans ces limites la notion . 






de fon ame & celle de l'Auteur de fou 
être, fans pouvoir paffer au-delà pour 
rendre ces hotions claires, & contein- 
pler d'aufliprès l'une & l'autre que s il 
étoit lui-même un piu- efprit. Alors laili 
de refpeft il s'arrête & ne touche pomt 
au voile , content de favoir oue YEm 
immenfe eft deffous. Voilà jufquoii la 
philofophie eft utile à la prauque. Le 
relie n'eft plus qu'ime fpéculation ouetiie 
pour laquelle l'homme n'a point ete fait, 
dont le raifonneur modéré s'abftient , « 
dans laquelle n'entre point l'homme vul- 
gaire. Cet homme qui p'pft ni ime brute 
m un prodigp eft l'homme proi^roment 
dit, moyen entre les deux extrêmes, o£ 
qui compofe les dix-neuf vingtièmes du 
genre-humain. C'eft à cette claffe nom- 
breufe de chanter le Pfeaume Calt •mr- 
rimi. Si c'eft elle en effet qui le chante. 
Tous les peuples de la terre connoiflent 
& adorent Dieu, 8c quoique chactm 
rhabille à & mode, fous tous ces vête- 
mens divers , on trouve pourtant tou- 
jours Dieu. Le petit nombre d'élite qui 
a déplus hautes prétentions de doârine, 
Si dont le génie ne f« boïne^ pas au fens 






A M***. 187 

commun , en veiit un plus tranfcendant : 
ce n'eft pas de quoi je le blâme : mais 
qu'il pane de -la pour fe mettre à la 
place du genre^mmam^ & dire que Dieu 
s'eft caché aux hommes , parce que lui 
petit nombre ne le voit plus , je trouve 
en cela qu'il a tort. Il peut arriver, j'eit 
conviens , que le torrent de la mode , 
& le jeu de l'intrigue étende la feâe 
phîlofophique & perfuade un moment 
a la multitude qu'elle ne croit plus en 
Dieu : mais cette mode paiTagere ne peut 
durer , & conuijc qu'on s'y prennes, il 
£iudra toujours à la longue im DieuX 
l'homme: Enfin quand forçant la nature 
des choies, la divinité augmenteroit pour 
nous d'évidence , je ne doute pas que 
dans le nouveau lycée on n'augmentât 
en même raïfon de fubtilité pour la nier. 
La raifoft prend à la longue le pU que 
le cœur lui donne, & quand on veut 
penftr en tout autrement que le peuple , 
on en vient à bout tôt ou tard. 

Tout ceci , Monlieur , ne vous paroît 
gueres philofophique , ni à moi non plus ; 
mais toujours de bonne foi avec moi- 
même, je fens fe joindre à mes raifdn- 






i88 Lettre 

neœens , quoique fimples, le poids de 
Faffentimenî intérieur. Vous voulez qu'on 
s'en défie ; je ne ikarois penfer comme 
vous fur ce point, & je trouve au con- 
traire dans ce jugemeiU interne vine.fàuve- 
garde naturelle contre les lophjfmes de 
Hia raîfbn. Je crains même ,. qu'en cette 
occafion vous ne confondiez les penchans 
fecrets de notre cœur qui nous égarent, 
avec ce diâamen plus fecret, plus interne 
encore , qui réclame & murmure" contre 
ces décifions intéreffées , & nous ramené 
en .dépit de nous fur la, route 4e la vé- 
rité. Ce fcntiment intérieur eft celui de 
la nature elle-même ; c'eft un appel de 
ià part contre les fophifmes de la raî- 
fon , & ce qui le prouve eft qu'il ne 
parle jamais plus fort que quand notre 
volonté cède avec le plus de complai- 
fance aux jugemens quil s'obftine à re- 
jetter. Loin de croire que qui juge d'a- 
près lui foit fujet à fe tromper, je crois 
que jamais il ne nous trompe , Se qu'il 
eft la lumière de noire foible entende- 
ment , lorlque nous voulons aller plus 
loin que ce que nous pouvons concevoir. ■ 
, Et après tout, combien de fois ta pliit; 






A M * ' *. 189 

ïofophie elle - même avec toute fa fierté," 
n'eft-elie pas forcée de recourir à ce ju- 
gement interne qu'elle affetie de mépri- 
ler. N'étoit - ce pas lui feul qui feifoit 
marcher Dîogene pour toute réponfe 
devant Zenon qui rûoit le mouvement? 
N'étoit- ce pas par lui que toute V'anti- 

Xité philosophique répondoit aux pyr- 
smens. N'allons pas fi loin : tandis quQ 
toute la philofophie moderne rejette, les 
efprits , tout d'un coup l'Evêque Berldey 
s'élève & foutient qu'il n'y a point de corps. 
Comment eft-on venu a bout de répon- 
dre à ce terrible logiciçd ï Otez le fenti- 
menf intérieur.,. Çc je défie tous les phi- 
iofo[>hes modernes enfemble de prouver 
à Berkley qu'il y a des corps. Bon jeune 
homme qui me paroifièz fi bien né ; de la 
ix)nne. foi , je vous en conjure , & per- 
mettez que je vous cite ici un auteur qui 
ne vous, fera pas fufpeft , celui des pen- 
-fées philofophiques. Qu'un homme vien- 
ne vous dire que projettant au hafard 
luie multitude de caraâeres d'imprimerie , 
il a vu l'Enéide toute arrangée réfulter 
de ce jet : convenez qu'au liçu d'aile;- 
vérifier, cette mervçillç , vpus lui répon-. 






ttoo Lettre 

drez froidement ; MonGeur , cela n'eft 
pas impoffible ; mais vous mentez. En 
vertu de quoi , ie vous prie, lui répon- 
drez-vous ainfî? 

Eb ! qiii ne Eût que fans le fentiment 
interne , il ne rdleroit bientôt plus de 
traces de vérité fur la terre , que nous 
ferions tous fucceflivément le jouet des 
topinions les phis monftnieufes , à mefure 
que ceux qui les foutiendroient auroient 
plus de génie , d'adreffe & d'efprit , & 
qu'enfin réduits à rougir de notre ralfon 
même , nous ne faurions bientôt plus que 
croire ni que penfer. 

■ Mais les objeflions fans doute 

il y en a d'infolubles pour nous & beau- 
coup , je le làis. Mais encore un coup 
donnez moi lui fyftême oii il n'y en ait 
pas, ou dites moi comment je dois me 
oéterminer. .Bien plus; par la natiu^ de 
mon fyftême , pourvu que mes preuves 
direâes foient bien établies , les difficul- 
tés ne doivent pas m'arrêter; vu l'impof- 
iibiljté oii je fuis, moi être mixte, de 
raifonner exaôement fur les efprits purs 
& d'en obferver fuffifàmment la nature* 
Mais VOIES matérialifte, qui me parlez 






A M**\ 191 

<f une fubftanœ unique , palpaUe Se ^0l^ 
tnife par ta nature à l'it^peftion des fens, 
-vous êtes obligé non- feulement de ne 
me rien dire que de clair, de bien prou- 
vé , mais de réfoudre toutes mes diffi- 
cultés d'une %on pleinement fatis&ifan- 
te , parce que nous polTédons vous 8c 
-moi tous les inftrumens nécelTaires à cette 
-folution. Et par exemple , quand vous 
faites naître la penfée des combinaifons 
de la matière , vous devez me montrer 
ienfiblement ces combinaifons & leur ré- 
fultat par les feules loix de la phyfique 
& de la mécanique , pulfque vous n en 
admettez point d autres. Vous Epicurien, 
vous compofez l'ame d'atomes fubtils. 
-Mais qu'appeliez- vous fubtils , je vous 
prie ? Vous lavez que nous ne connoif- 
fons point de ^menfions abfolues , & 
que nen n'eA petit ou grand qiie relati- 
vement à l'œil qui le regarde. Je prends 
par fuppoiîtion , un microfcope fuffilànt 
& je regarde un de vos atomes. îe vois 
un jgrand quartier de rocher crochu. De 
la danfe 8c de l'accrochement de pareils 
quartiers j'attends de voir réfulter la pen- 
ufe. Vous Moderniile , vous me montre^ 






ICI 



Lettre 



■une mcdécule organique. Je prends mon 
microscope , & je vois tm diagon grand 
comme îa moitié de ma diambre : j'at- 
tends de voir fe mouler & s'entortiller 
de pareils dragons juiqu'à ce que je voye 
rémlter du tout un être non - leulement 
organifé mais intelligent; c'eft-à-dïre un 
être non aggrégatjf & qui foït rigoureu- 
fement un , ôcc Vous ine marquiez , Moi*- 
fieuf, que le monde s'étoit fortuitement 
arrangé comme la République Romaine. 
Pour que la parité fût juAe , il endroit 
que la République Romaine n'eût p^s été 
compofée avec des hommes , mais ^vec 
des morceaux de bois. Montrez-moi clâi' 
rement & fenfiblement là génération |Jti- 
rement matérielle du premier être intell^ 
gent i je ne vous demande rîen de plus. 
Mais fi tout eft l'œuvre d'un Etre in- 
telligent, puiflknt, bieiifeifant; d'où vient 
le md fur la terre ? Je vous avoue que 
cette difficulté ft terrible ne m'a jamais 
beaucoup frappé ; foit que je ne l'aye pas 
bien, conçue , foit qu'en effet elle n'ât 
pas toute la folidité qu'elle paroît avoir. 
Nos philofophes fe font élevés contre les 
entités métaphyfiques , &ç je ne connois 
perfonss 






A M***. 19J 

perfonne qui en fafle tant. Qu'eatendent- 
Us par /e mal} qii'eft-ce que le mal en 
lui-même? oii eft U mal, relativement 
à la nature &c à Ion auteur } L'univers 
fubfifte, l'ordre y règne & s'y conferve; 
tout y périt fucceffivement , parce que 
telle ell'la loi des êtres matérieu & mus ; 
mais tout s'y renouvelle & rien n'y dé- 
génère ; parce que tel eft l'ordre de fon 
auteur , & cet ordre ne fe dément point. 
Je ne vois aucun mal à tout cela. Mais 
quand je fouiFre , n'eft-ce pas un mal ? 
Quand je meurs , n'eft-ce pas \\n mal ? 
Doucement: je ftiis fujet à la mort, parce 
que j'ai reçu la vie. Il n'y avoit pour moî 
qu'im moyen de ne point mourir; c*étoi£ 
de ne jamais naître. La vie eft un bien 
pofitif , mais fini , dont le terme s'appelle 
mort. Le terme du pofitif n'eft pas le né- 

fatlf , il eft zéro, là mort nous eft terri- 
le, 8c nous appelions cette terreur un 
mal. La douleur eft encore un mal pour 
celui qui Touffre , j'en conviens. Niais la 
douleur & le plaîfir étoieni les feuls 
moyens d'attadier un être feniible & pé- 
rimble à ià propre confervation , & ces 
moyens font ménagés avec une bonite 
Pièces divtrfts, \ 



194 Lettre 

digne de l'Etre Aiprême. Au moment 
même , que j'écris ceci , je viens encore 
d'éprouver combien ta ceiTatîon Aibite 
d'une douleur aiguë eft un plaifir vif & 
délicieux. M'oferoîtHDo dire que la ceffi- 
tion du plaifir le plus vif foit lyie dou- 
leur aiguë ? La douce jouiflànce de la vie 
eft permanente ; il fufEt pour la goûter 
de ne pas foufFrir. La douleur n'eft qu'un 
avertiifement , importun, mais néceflaire,. 
que ce bien mii nous eft ft cher eft en 
péril. Quand je regardois de près à tout 
cela, je trouvai, je prouvai peut-être, 

3 lie le fentiment de la mort & celui delà 
ouleur eft prefque nul dans l'ordre de la 
nature. Ce font les hommes qui l'ont ai- 
guifé. Sans leurs rafinemens infenfés , iâns 
leurs inftitutions barbares les maux phy- 
siques ne nous atteindraient ne nout 
anéâeroient gueres , & nous ne fentirioos 
point la mort,< 

, Mais le mal moral I autre ouvrage de 
l'homme , auquel Dieu n'a d'autre part 
que de l'avoir 6it libre 6c en cela fem- 
Ëlable à lui. Faudra-t-il donc s'en pren- 
dre à Dieu des crimes de* hommes & 
des maux qu'ils leur attirent? Faudra-I-ii, 






A M"***. 195 

«n voyant lui champ do bataille lui re- 
procher d'avoir crée tant de ïambes ôc 
de bras caffés } 

Pourquoi , direz - vous , avoir fait 
Vhonaine libre , piiifqn'il devoit abufer 
de fe liberté ? Ah , Monfieiu- de • • * ^ 
s'il exifta jamais un mortel qui n'en 
Mt pas abule , ce mortel feui honore 
plus l'Humanité que tous les fcélérats 
qui couvrent la terre ne la dégradent. 
Mon Dieu ! donne -moi des vertus , 
Se me place im jour auprès desFenelons, 
des Catons , dés Socrates. Que m'impor- 
tera le refte du g«nre - humain ? Je ne 
rouirai point d'avoir été homme. 

Je vous l'ai dit , Monfieur , il s'agit ici 
de mon fentiment, non de mes preuves 
& vous ne le voyez que trop. Je me 
fouviens d'avoir jaiji§ rencontre fur mon 
chetiùn cette qHeilièri"d«.l'origine du mal 
& de l'avoir effleurée ; mais vous n'avez 
point lu ces rabâchei-ies , & moi je les 
ai oubliées : nous avons très - bien fait 
tous deux. Tout ce que je lais eft que la 
fecilité que je trouvois à les réfoudre , 
venoit de l'opinion que j'ai toujours eue 
de la co-exiftence éternelle de deux pii^, 
I 2 






196 Lettre 

cipes , VvLti aftif , qui eft Dieu ; fautre 
paflif , qui eft la matière , que l'être aâif 
combine & modifie avec ime pleine puif- 
fance, mab pourtant fans l'avoir créée 
& fans la pouvoir anéantir. Cette opinion 
m'a feit huer des philofophes à qui je l'ai 
dite : ils l'ont décidée abfiu-de & contra- 
diûoire. Cela peut être , mais elle ne m'a 
pas paru telle, & j'y ai trouvé l'avan- 
tage d'expliquer fans peine & clairement 
à mon gré tant de queftions dans lefquel- 
les ils s'embrouillent j entr'autres celle 
que vous m'avez propofée ici comme 
ÎMoluble. 

Au refte, j'ofe croire que mon fentîmcnt 
peu pondérant fur toute autre matière , 
doit l'être un peu fur celle - ci , & quand 
vous connoîtréz mieux ma deftinée, quel- 
que jour vous direz peut - être , en pen- 
iant à moi : quel autre a droit d'agrandir 
la mefure qu il a trouvée aux maux que 
Kiomme fouffre ici -bas. 

Vous attribuez à la difficulté de cette 
même queftion dont le ânatifme &c la fu- 
perAition ont abufé , les maux eue les 
religions ont caufé fiu- la terre. Cek peut 
être , & je vous avoue même que toutes 






A M " -. 197 

les formules en matière de foi ne me pa- 
ToiiTent c|u*autant de chaînes d'iniquité , 
de fàuAeté , d^ypocrifie & de tyrannie. 
Mais ne foyons jamais injuftes , & pour 
aggraver le mal n'ôtons pas le bien. Arra- 
cner toute croyance en Dieu du cœur 
des hommes, c eft y détruire toute vertu. 
Cefl mon opinion , Monfieur , peut-être 
elle ell ûuffe, mais tant que c'ell la mienne 
je ne ferai point alTez lâche pour vous la 
diffimiden 

Faire le bien eft l'occupation la plus 
douce d'un homme bien né. Sa probité , 
& btenfai^ce ne font point l'ouvrage de 
fes principes , mais celui de fon bon na- 
turel. Il cède à lès penchans en pratiquant 
la juftice , comme le méchant cède aux 
fians en pratiquant l'iniquité. Contenter 
le goût qui nous porte à bien feire eft 
bonté , mais non pas vertu. 

Ce mot de vertu fignifie firce. II n'y a 
point de vertu uns combat , il n'y en a 
point fans victoire. La vertu ne confifte 
pas feulement à être jufte , mais à l'être 
en triomphant de fes paffions , en régnant 
fur fon propre cœur. Titus rendant heu- 
rçux le peuple rom^, verfant par -tout 
I3 



^t-;cx^i. 



198 Lettre 

Us grâces & les bienfaits , ponvoit ne pas 
pérore un feiil jour & n'être pas vertueux: 
a le fut certainement en renvoyant Béré- 
nice. Bnitiis fàifant mourir Tes encans , 
pouvoit n'être que jufte. Mais Bnituiétoit 
un tendre père ; pour iàire fon^ devoir il 
déchira fes entrailles , & Brutus fut ver- 
tueux. 

Vous voyez ici d'avance la quelHoo 
remife â fon point. Ce divin fimulacre 
tZTil vous me parlez s'otS-e à moî Ibus 
une image qui n'eft pas ignoble , & je 
crois fentir à' Himpreffion que cette image 
fait dans mon cœur la chaleur qu'tlle ell 
capable de produire. Mais ce limulacrt 
enfin n'eft encore qu'une de {es entité» 
irxtaphyiîqiies dont vous ne voulez pas 
que les hommes fe feflènt des Dieux. C'eft 
un pur objet de contemplation. Jufqu'cii 
poitez-vous l'effet de cette contemplation 
îiiblime ? Si vous ne voulez qu'en tirer 
un nouvel encouragement pour bien &ire » 
je fuis d'accord avec vous : maïs ce n'eft 
pas de cela qu'il s'agit. Suppofons votre 
cœur honnête en proie aux paflîons ks 
plus terribles , dont vous n êtes pas à 
l'abri , puifqu'enfin vous êtes ^omme. 






A M • • •. 199 

Ç,etK image qui dang le calme s'y peint 
û ravi/ïkpte , n'y peidra-î-«llç rien de Tes 
charmes & ne s y ternira- 1 - elle point au 
milieu des flots ? Ecnrtons la fiippofition 
décourageante & terrible des, périls <jiii 
peuvent tenter la vertu inife au défeipoir. 
Supposons feulement qu'un, ccêiir ti'op 
fenûhle bride d'un amour involontaire 
pour la fille ou la femme, de fon ami , 
qu'il foit maître de jouir d'elle entre le 
Ciel qui n'en voit rien ^ & lui qui n'ea 
veut rien dire à perfonne ; que <a figure 
charmante l'attire ornée de tous les attraits 
de la beauté &c de la volupté ; au moment 
oii fes fens enivrés font piêts à fe livrer 
à ïeiirs délices , cette image abftraite de 
la vertu viendra-t-elle difputer fon cœilr 
à l'objet réel qui le ftappe ? Lui paroîtra- 
t-elle en cet inftant la plus belle ? L'arra- 
chera -t- elle des bras de celle qu'il aime 
pour fe livrer à la vaine contemplation 
d'un iàntôme qu'il fait être fans réalité î 
Finira-t-il comme Jofeph , Se laiffera-t-U 
fon manteau ? Non , Monfieur , il fermera 
les yeux , &c fuccombera. Le croyant , 
(&ez-vous , fuccombera de même. Oui, 
l'homme foible i celui , par exemple, qui 
' I 4 



loo Lettre 

vous écrit : mais donnez-leur à tous deux 
le même degré de force , &c voyez la 
différence du point d'appui. 

Le moyen , Monfietir , de réfîfter k 
des tentations violentes quand on peut 
leur céder fans crainte , en fe difant , 
à quoi bon réfifter ? Pour être vertueux 
le philofophe a befoin de l'être aux yeiix 
des hommes : mais fous les yeux de 
Dieii le jnfte eft bien fort. Il compte 
cette vie Se fes biens & fes maux & 
toute iâ gloriole potu- û peu de chofè ! il 
apperçoit tant au-delà ! force invincible de 
la vertu , nul ne te connoît que celui 
qui fent tout fon être , & qui fait qu'il 
n*eft pas au pouvoir des hommes d'en 
difpofer. Lifez-voiis quelquefois la Ré- 
publique de Platon ? Voyez dans le fé- 
cond dialogue avec quelle énergie l'ami 
de Socrate , dont j'ai oublié le nom, 
lui peint le jufle accaHé des outrages 
de ia fortime & des injuAices des hom- 
mes, diffamé, perféaité, tourmenté, en 
proie à tout 1 opprobre du crime , & 
méritant tous les prix de la vertu , 
voyant déjà la mort qui s'approche & 
fôp que la haine des méchans n'épargaera 






A. M * * * . lOÏ 

pas fa mémoire , quand ils ne pourront 
plus rien fur fa perfonne. Quel tableau 
décourageant , fi rien pouvoit découra- 
ger la vertu ! Socrate lui-même effrayé 
s'écrie » & croit devoir invoquer les 
Dieux avant de répondre ; mais fa -.s 
refpoir d'une autre vie, il auroit mal 
répondu pour celle - ci. Toutefois , dût- 
il finir pour nous à la mort , ce qui né 
peut être fi Dieu eft jiifte & par con- 
féquent s'il exifte , l'idée feule de cette 
exiftence feroit encore pour l'homme 
un encouragement à la vertu & une 
confolation dans fes miferes , dont man- 
que celui qui fe croyant ifolé dans cet 
univers , ne (ènt au fond de fon cœur 
aucun confident de fes penfées. Ceft 
toujours ïme doucetu- dans l'adverfité d'a- 
voir un témoin qu'on- ne l'a pas mé- 
ritée ; c'cft un orgueil vraiment digne de 
la vertu de pouvoir dire à Dieu. Toî 
çjiii lis dans mon cœur, tu vois qui 
j'ufe en ame forte & en homme )ufi:e de 
la liberté que tu m'as donnée. Le vrai 
croyant qiu fe fent par-tout fous l'œil 
éternel , aime à s'honorer à la fece dû 
Ciel d'avoir rempli fçs devoirs fur la 
terre. I j 






101 Lettre 

Voiis voyez que je «e vous ai point 
difputé ce fimulacre que vouç m'avez pré- 
fenté pour xinique objet des vertus du 
&ge. Mais, mon cher Moniîeur, revenez. 
maintenant à vous , Ôc voyez combien 
cet objet eft inalliable, incompatible avec 
vos principes. Comment ne îjntez-vous 
pas que cette même loi de la nécetnté 

3ui feule régie, félon vous, la marche 
u monde ÔC tous les érénemens , 
régie aufli toutes les aâJons des hommes, 
toutes les penlées de leurs têtes , tous 
les fentîmens de leurs cœurs , que rien 
n'eft libre, que tout eft forcé, nécefiàirei 
inévitable, que tous les mouvemens d« 
l'homme dirigés par la matière aveugle 
ne dépendent de fa volonté que parce que 
fa volonté même dépend de la nécefllté : 
qu'il n'y a par conféqiient ni vertus ni 
vices , ni mérite ni démérite , ni moralité 
dans les aâions h\unaines , & que ces mots 
d'honnête homme ou de fcélérat doivent 
être pour vous totalement vides de fens. 
Ils ne le font pas , toutefois , j'en fuis 
très-lur. Votre honnête coeur en dépit 
de vos arguraeos rédame contre votre 
pille ptûlofophie. I« fentîmei)^ de la lip 



.Google 



A M • » •. loj 

berté , le charme de la vertu le font fen- 
tir à vous malgré vous , & voilà comment 
de toutes parts cette forte & faluiaire voix 
du fentiment intérieur rappelle au fein de 
la vérité & de la vertu tout homme que 
£t raîlbn mal conduite égarr. BénilTez , 
Monfieur , cett» fainte & bienfàifante 
voix qui tous ramené aux devoirs de 
îhomme que la phtlofophie à la mode 
finuroVt par vous feire oublier. Ne vous 
livrez à vos argiimens que qrtand vous 
les {entez d'accord avec le diâamen de 
votre confcience , & toutes les fois qu« 
vous y fentlrez de la contradiction , foyez 
iùr que ce font «ux qui vous tBpmpent, 
Quoique je ne veuille pas ergoter avec 
vous ni fuivre pied à pied vos deux 
lettres , je ne puis cependant me refofer 
un mot à dire fur le parallèle du fage 
Hâ)reu Se du fage Grec. Comme admira- 
teur de l'un & de l'autre , je ne puis gue- 
res être fufpeû de préjugés en parlant 
d'eux. Je ne vous crois pas dans le même 
cas. Je fuis peu furpris que vous donniez 
au fécond tout l'avantage. Vous n'avez 
pas affez ^àit cornioiffance avec l'autre , 
|K ygus n'avez pas pris affez de foin poiï^ 
l 6 






Lettre 



dégager ce qui eft vraiment à lui , de ce. 
qui lui eft, étranger & qui le défigure à 
vos yeux , comme à ceux de Bien (Taulres 
gens qui , fclon moi, n'y ont pas regardé 
de plus p. es que vous. Si Jéuis fut né k 
Athènes & Socrate à Jérufalem , que Pla- 
ton &c Xé ophon euffent écrit la vie du 
premier , Luc & Matthieu celle de Tau- 
Ire, vous changeriez beaucoup de langage y 
& ce qui lui fait tort dans votre eiprit , 
€& précil'ément ce qui rend fon élévation, 
d'ame plus étonnante & plus admirable ,, 
favoir , fk naiflance en Judée chez le plus 
vil peuple qui peut-être exiftât alors , au 
lieu que Socrate , né chez le plus inftruit ÔC 
le plus aimable, trouva tous les fecours 
dont il avoit befoin pour s'élever aifément 
au ton qu'il prit. Il s'éleva contre les So- 
phiftes comme Jéfus Contre les Prêtres, 
avec cette dilTirence que Socrate imita, 
foiivent fes antaraiiiftas , & aue fi fa belle 
& douce mort n eût honoré fa vie , il eût 
pafTi pour un fophifte comme eux. Pour 
Jéfus , le vol fub'.ime que prit fa grande 
ame l'éleva toujours au - defTus de tous 
lés m3rtels , & depuis l'âge de douze ans 
jufqu^au nf.0 msiit qu'il expira àiios la pUis 



A M " " '. xo\ 

cruelle ainft que dans la plus infâme de 
toutes les morts , il ne fe démentit pas im 
moment. Son noble projet étoit de rele- 
ver fon peuple , d'en feire derechef lui 
peuple libre & digne de l'être ; car c'étoit 
par - là qu'il falloit commencer. L'étude 
profonde qu'il fit de la loi de Moïfe , 
les efforts pour en réveiller l'enthoufiafine 
&c l'amour dans les coeurs montrèrent' 
fon but , autant qu'il étoit poffible , pour 
ne pas.' effaroucher les -Romains. Mais 
fes vils èc lâches compatriotes a» lica 
de l'écouter le prirent en haine, précîfë-" 
ment à caufe de fon génie & de fa vertu' 
qui leur reprochoient leur indignité. En- 
fin ce ne fiit qu'après avoir vu l'impof-' 
fibilité d'exécuter fon projet qu'il reten- 
dit dans fa tête , &c que , ne pouvant taire 
par lui - même ime révolution chez fon' 
peuple, il voulut en faire une par tes 
difcjples dans l'univers. Ce qui l'empêcha' 
de réuffir dans fon premier plan , outre 
la baffeffe de fon peuple incapable de 
toute vertu , fiit la trop grande douceur 
de foa propre caraâere ; - douceur qui 
tient plus de l'ange & du Dieu que de 
Yhoémz , qui ne l'abandonna pas un in^ 






ao6 Lettre 

tant, même fur la croix , & qiii fàît ver- 
fer des torrens de larmes à qui fait Iir& 
fa vie comme il faut, à travers les fe- 
tras dont ces pauvres gens l'ont défigurée. 
Heureufement ils ont refpetté & tranfcrit 
fidellement fes difcours qu'ils n'enten- 
doient pas ; àtei quelques tours orieit* 
taux ou mal rendus , on n'y voit pas 
un mot qui ne foit digne de lui, & 
ç'eft-là qu'on reconnoît l'homme divin, 
qui , de li piètres difciples , a fait pour- 
tant dans leur groflier mais fier enthou- 
fiafme , des hommes éloquens Sc cou- 
Tageux. 

Vous m'objeâ:cz qu'il a feit des mi- 
racles. Cette objeûion feroit terrible S 
elle étoit jufte. Mais vous farez, Moit- 
iieur, ou du moins vous pourriez iavoir 

3ue , feloh moi , loin que Jéfus ait eût 
es miracles , il a déclaré très-pofitivc- 
tnent qu'il n'en feroit point, & a mar^ 
que un très-^rand mépris pour ceux qui 
en demandoient. 

Que de chofes me refteroient à dire! 
Mais cette lettre eft énorme. Il .faut finir. 
iVoici la dernière fois que je reviendrai 
ftir ({S tju^cresi J'ai ypulu yous com; 






A M* 



107 



plaire f Monfitfiir, je ne m'en repenS 
point ; au contraire , je voiis remercie 
de m'avoir fait reprendre un fil d'idées 
prefqu* effacées , mais dont les reftes 
peuvent avoir pour moi leur ufage dans 
l'état ofa je liiis. 

Adieu, Monfîeur, fourenez-vous quel- 
quefois d'un homme que vous auriez 
ûmé , je m'en flatte , quand vous l'au- 
riez mieui connu , & qui s'eft occupé 
de vous dans des momens oii l'on ne 
j'occupe gueres qui de foi-même. 







LETTRE 

A M. D'OFFRE^ILLE 

A DOUAI. 

Sur Cette queftîon : S'il y a une moraU 
démontrée , ou s'il n*y en a point, 

Montmorend 4 Octobre 17^1. 



ij A queftion c[ue vous me propolez ', 
Monfieur , dans votre \0ie du 1 5 Sep- 
tembre eft importante & grave : c eft de 
fa ibiution qu il dépend de favoir s'il y a 
une morale démontrée ou s'il n'y en a 
point. 

Votre adverfaire foutient que tout hom- 
me n'agit quoiqu'il feffe , que relative- 
ment à lui-même , & que juîqu'aux afles 
de vertu les plus fubllmes, juJqu'aux œu- 
vres de charité les plus pures , chacun 
rapporte tout à foi. 

Vous , Monfieur , vous penfez qu'on 
doit feire le bien pour le bien même fens 
aucun retour d'intérêt perfonnel , que les 
bonnes oeuvres qu'on rapporte à loi ne 






A M. d'Offreville. XO9 

font plus des aÛes de vertii mais d'amour- 
propre ; vous ajoutez que nos aumônes 
font {ans mérite y û nous ne les faifon» 
que par vanité ou dans la vue d*écarter 
de notre efprit l'idée des miferes de la vie 
humaine, 6c en cela vous avez raifon. 

Mais Tut le fond de la queftion , }e 
dois vous avouer que je fuis de l'avis 
de votre adverfeire : car quand nom agif- 
ibns , it faut que nous ayons un motif 
pour agir , & ce motif ne peut être élrait- 
ger à nous y puifque c'efi notis qu'il 
met en œuvre : il eft abfurde d'imaginer 
qu'étant moi , j'agirai comme fi j étois 
un autre. N'eft - il pas vrai que fi l'on 
TOUS diibit qu'un corps eft pouile làns 
que rien le touche , vous diriex que cela 
n'eft pas concevable? C'eft la même chofe 
en morale quand on croit agir fans nul 
intérêt. 

Mais il finit expliquer ce mot d'intérêt; 
car vous pourriez lui donner tel fens vous 
& votre adverlàire que vous feriez d'ac- 
cord iâns vous entendre , 8c lui - même 
pourroit lui en donner un fi groflier qu'a-, 
lors ce feroit vous qui aiu-iez raifon. 

II y a un iatérêt fcnfuel Se palpable tpu 






fe rapporte uniquement à notre bien-être 
matériel , à la loititne , à la conûdéra- 
tion , aux biens phyfiqiies qui peuvent 
réfiilter pour nous de la bonne opinion 
d'autnii. Tout ce qu'on feît pour un tel 
intérêt ne produit qu'un bien d;i même 
ordre , comme un marchand fait fon bim 
en vendant fa marchandife le niteux quil 
peut. Si j'oblige un autre homme en Yue 
de m'acguérir des droits fur (à reconnoif- 
iànce , je ne ^îs en cela qiAm marchand 
qui iâit le commerce , Se même qui rufê 
avec Tacheteiir. Si je fais l'aimiônc. pour 
me faire eftimer charitable Se jouir des 
avantages attachés à cette eftime , je ne 
fuis encore qu'un marchand qui acheté 
de la réputation. Il en efi à-peu-pr«s dfc 
même , fi je ne feis cette aumône que 
pour me délivrer de Timportimité d uit 
gueux ou du fpeûacle de la mîfere ; tous 
les' aftes de cette efpece qui ont en vue 
un avantage extérieur ne peuvent porter 
le nom de bonnes aÛions , & l'on ne dit 
pas d'un marchand qui a bien f^t fes 
a&ires , qu'il s'y eft comporté vertueu-. 
ièment. 
Il y a un aat|-e intéirêt qui œ tient 






A M. d'Offreville. m 

point aux avantagej de la foâété , qui 
n'eu relatif qu'à nous-mêmes > au iÀea de 
notre ame , à notre bien-être abfolu , & 
que pour cela j'appelle intérêt rpiritiiet 
ou moral par oppofition au preniier. Inté- 
rêt qui, pour n'avoir pas des objets fen- 
fibles , matériels , n'en eft pas moins vrai , 
pas moins grand , pas moins folide , 6e 
pour lout tUre en un mot , le fcul qui 
tenant intimement à notre nature, tende 
à notre véritable bonheur. Voilà , Mon- 
lieur , l'intérêt que la vertu fe propofe 
& qu'elle doit fe propofer , faits rien ôier 
au mérité , à la pureté , à la bonté morale 
àss aâions qu'elle infpire. 

Premièrement, dans le fyftôme de la 
religion:, c'eft-à-dïre , des peines & àti 
récompenses de Pautre vie , vous voyez 

S te l'iniérêt de plaire à l'Auteur de notre 
Te & au juge (iiprême de nos aâioAS, 
éû d'une importance qui l'emporte fur 
les plus grands maux , qui feit voler au 
martyre les vrais croyans , &i en même 
tems d'une pureté qui peut ennoblir les 
plus fublimes devoirs. La loi de biea 
fiire eft tirée de la raifon raênje , & le 
chrétien n'a befoin que de logique poui; 
avoir de la vertu. 






Lettre 



Mais Outre cet intérêt qu'on peut regar- 
'der en quelque 6çon comme éttanger à 
la chofe , comme n'y tenant que par une 
expreffe volonté de Dieu , vous me de- 
manderez peut-être s'il y a quelque autre 
intérêt lié plus immédiatement, plus né- 
ceââirement à la vertu par fa nature , Se 
qui doive nous la faire aimer tmiquement 
pour elle-même. Ceci tient à d^utres 
queilions dont ta difcuffion paflê les bor- 
nes d'une lettre, & dont par cette raifoa 
ie ne tenterai pas ici l'examen. Comme , 
& nous avons un amour naturel pou£ 
Torâre , pour le beau moral , â cet amour 
peut être aSTez vif par lui-même pour, 
primer fur toutes nos payions, fi la conf> 
cience eu innée dans le cœur de l'homme, 
ou fi elle n'efi que l'ouvrage des préju- 
gés &c de l'éducation : car en ce dernier 
cas il eft clair que nul n'ayant en foi- 
même aucun- intérêt k bien faire , ne peut 
feire aucun bien que par le profit gu'il 
en attend d'autrui, qu'il n'y a par confé- 
çtuent que des fots qui croyent à la vertvi 
ce des dupes mii la pratiquent i telle eft 
jU nouvelle philofophie. 
^ans m'einbarquer ici dans cette mé^ 






A M. d'Offreville. tl) 

iaphyfique qui nous meneroît trop loin ," 
\e me contenterai d« vous proporer un 
feit que TOUS pourrez mettre en cpieftioa 
avec votre adverlâire, &qui, bien dif- 
euté , vous inftruira peuti«re mieux de 
fes vrais fentimens que vous ne pour- 
riez vous en inftruire en reâant dans U 
généralité de votre ihde. 

En Angleterre quand im homme eft 
«ccufé criminellement , douze jurés , en- 
fermés daos une chambre pour opiner fur 
l'examen de la procédure s'il efl coupable 
ou s'il ne l'eft pas , «e fortent jdus de 
cette chambre & n'y reçoivent point à 
manger qu'ils ne foient tous d'accord , 
pn forte que ieiir jugement eft toujours 
unanime, &c décifif fur le fort de l'accufé. 

Dans ime de ces défibérations les preu- 
ves paroiflànt convaiacante^ , onze des 
jurés le condamnèrent fans balancer; 
«hais le douzième s'obftina tellement k 
l'abfoudre iâns vouloir alléguer d'autre 
raifon , fmon qu'il le croyoit innocent , 
que voyant ce juré déterminé à mourir 
de iàim plutôt que d'être de leiu- avis, 
tous les autres pour ne pas s'expofer au 
même ùvt revinrent au ficn, ÔC l'accufé 
fiit renvoyé abfous. 






L'ai&ire finie , quelques-uns des jurés 
prefferent en fecret leur collègue de leur 
dire la raîfon de fon obflinMion , & ils 
furent enfin que c'étoit lui-même qui 
«voit Eût le coup dont l'autre étoit ac- 
cufé ; & qu'il avoit eu moins d'horreur 
de la mort que de feire périr l'innocent , 
chargé de fon propre crime. 

Propofez le cas à votre homme &C n« 
manquez pas d'examiner avec lui l'état 
de ce jure dans toutes fes circonftances- 
Ce n'étoit point im homme jufle , puif i 
qu'il ;avc»t commis- un crime, & dans 
cette afiaire l'enthoufiafme de la vertu ne 
I>ouvoit point lui élever le cœur , &: lui 
iaire méprifer la vie. Il avoit l'intérêt le 
plus réel à condamner l'accufé potir wi- 
fevelir avec lui l'imputation du forfait; 
il devoit craindre que fon invincible obf- 
tination n'en fît foupçonner la véritable ■ 
(Caufe , & ne fut un commencement d'in- 
dice contre lui: la prudence & le foin 
de fe fureté demandoient, ce femble, 
qu'il fît ce qu'il ne fit pas , & Ton ne voit 
auam intérêt fenfiblequi dût le portera j 
feire ce qu'il fit. Il nV avoit cependaitt 
gu'w^ ûnerêt, t^ès-puiflaijt -qui^P"* *• ^ 






A M. d'Offreville. llj 

terminer ainfi daiK le iècret (le fon cœur, 
à toute ^orte de rifque ; quel étoit donc 
cet intérêt auquel il {acrlfioit là vie même î 

S'inicrire en faux contre le feit ieroit 
prendre iine mauvailè défaite ; car on 
peut toujours l'établir par fiippofition, 
& chercher , tout intérêt étranger mis 4 
part , ce que feroit en pareil cas pour 
l'intérêt de lui - même tout homme de 
bon fens , qui ne feroit ni vertuexut , ni 
fcélérat. 

Pofant fucceffivement les deux cas i 
l'un que le juré ait prononcé la condam^ 
nation de l'accufë 6c l'ait fait périr pour 
fe mettre en fureté, l'autre qu il l'ait ab- 
<bus, comme il fit, à fes propres rif- 
ques , puis fuivant dans les deux cas la 
refie de la vie du juré & la probabilité 
du fort qu'il fe feroit préparé , preflez 
votre homme de prononcer décifivement 
fur cette conduite, & d'expofer nette- 
méat de part ou d'autre l'intérêt & les 
motife du parti qu'il auroit choifi ; alors 
fi yotre difpute n'eft pas finie , vous con- 
noîtrez du moins fi vous vous entendez 
Tun l'autre , ou fi vous ne, vous enien^ 
iex pas. 






'ii6 Lettre 

Que s'il diftingue entre l'intérêt d'uni 
JD'ime à commettre ou à ne pas com- 
mettre , &c celui d'une bomie aAion à 
&ire ou à ne pas &ire , vous lui ferez 
.voir aifément que dans l'hypothere h 
raiibn de s'abAenir d'un crime avanta- 
geux qu'on peut commettre impunànent, 
cil du même genre que celle de fiûre 
entre le ciel & foi une bomie aôion oné- 
reufe;car, outre qUe qiielque bien que 
nous puiffions feire , en cela nous ne 
fommes que jufles , on ne peut avoir 
nul intérêt en foi -même à ne pas feire 
k mai qu'on n'ait im intérêt femblafcle 
à feire le bien ; l'un & l'autre dérivent 
de la même fource & ne peuvent être 
iépdiés. 

Sur-tout , Monfieur , fongez qu'il ne 
iaut point outrer les choies au-delà de 
]a vérité, ni confondre comme lâi&ient 
les Stoïciens le bonheur avec la vertu. Il 
«ft certain que feîre le bien pour le bien 
c'eft le feixe poux foi , pour notre pro- 

!)re intérêt , puifqu'il donne à Famé une 
âtisfeâion intérieure, un contentement 
d'dle-même uns lequel il n'y a point de 
Yiax bonheur. Il eu fur encore que les 
méchans 






À M. i^'Ô^FFTRÏVILife. Xl-y 

*■■ ... — : — ; — I '? , ' '-] , - . i ..^ 
inécham font tous ihiférables, quelque 
ioUt leur roitâpi^ent; partie que le bon- 
heur s'empoifonne dans une ame co£- 
tompfte~ comme le plaifir des ièns dans 
-Un corps mal faîn^ Mais il eA faux qite 
lesbom tbient tous heiweiix dès ce mon- 
de , & cofnnie il ne iwSit pas au corps 
d'être en fanté pour avoir deqiioi ieflouF- 
m , il n« Tuftt pas non plus à l'âme d'ê- 
tre fiùne pour oDtenii' tous les biens dont 
elle a befoin. Quoiqii'il nV Ait que lés 
gens de bien qui puiflent vivre coftfen^ , 
<ce n'cfl pas à dire que tout homme-àe 
bien vive content. La vertu ne donne pas 
le boiJieur , mais «Ue feule apprend -à 
-en jouir quand on l'a : la vertu ne ear 
rantit pas des maux de cette vie & n en 
procure pas les biens ; c'el): ce que ne^t 
pas ncH* plusle vice avec toutes fes rufes ; 
SBÙs la vertu ftit porter plus patiemment 
les uni & gofiter plus délicieufement les 
Mitres. Nous avons donc en tout état de 
cauiê un véritable intérêt à la ctîltiver , 
& nous feifons bien de travailler pour cet 
intérêt , quoiqu'il y ait des cas oîi il 
feroit intufitâfit par lui-même , fans l'at- 
tente d'une vie à venir. Voilà mon fcR- 
FUits divtrfu, K 



...„,GcM)yl.- 



»l8 L E_T T.R Ei.„&C. 

tintent fur la queftjoii-que vous m'avei 
propofé^ I . n -.1 

En vous reraermitt du biaaqne^TQUs 
penlçz de moi ^ je'vpus, çoft£eiSfi 'pouiv 
tant , Monfieur, y dft ne |>1h$ perdre votfe 
tetns à jne défendre ou à ine louer, Toat 
le bien ou le mal :qu'on dit d'un homme 
qu'on ne conncût: poiiM,.Be. figmflc pas 
giand'clv>{e.. Si ceux.cpû m'açcu&nt -oet 
torç , .«"-eft à ma icond>uje à^me juiHfi» ; 
toute autre apologie eft inutile- oi^fiipert 
^£ue. .J'avr<^5 dû vous j-^poiitke plutôt ; 
mais letriâe état où je vis doit exc^r 
ce refard. Dans le peu, xf intervalle, cpje 
mes mauxnae latent, me$occtip^tions.ne 
fcMit pasdemonçboi-jï,:^,^e>vo«s.aVpue 
que quand elles .en feroietif, ce-^o^ne 
ieroit pa$ d'écme des lettres.' Je ne ré- 
ponds pointa ee^es detXMçpjiniuînSd:^ 
]e ne r:ép9ndroi$ pas non plus à tai voOf , 
- û la qudlifîn que vous m'y pr^^ofe^ »t 
me âifoit un devoir 4e vous ^dirçnisit 



Je vous ùHatj MoQ£eur.,)de novttiiQti 

cœur, '' -' 



LETTRE 
ji M- u s T E R z ; 

Professeur a Zurich. 

Smt &Cuap. VIIL Ju demitr Uyn du 
Contrat Social, ' 

Motins i{ Juillet I7<J.' 



V^ Uelqu^xcépé que je fois dt dif. 
putes Si. d*objeâions , & qiielque répu- 
gnance que i*aye d'employer à ces peti- 
tes ferres le précieux commerce de Tar- 
mitié , je commue à répondre à vo$ dif- 
ficultés puifque vous Texigez ainfi. Je 
vojis dirai donc avec ma fi^c^e ordi- 
naire , que vous ne me paroUTez pas avoir 
bien feifi l'état de la queilion. La grande 
fociété , la fociété huitiaine en général , 
e& fondée {ur rhumanité, lilr la bien&i- 
&nce imiverfelle. Je dis , 8ç j'ai toujours 
«lit que le chriftianiûne eÛ fivorable h 
ceUe-U. 

Mais les Sociétés particulières, les focié* 
tés politiques' & civiles ont tui tout autre; 






prinape ; ce font des étabUlTemens pute- 
itiept humains y dont par conféquent le 
vrai cltfilVianifmé nbus détache , comme 
^e tout ce qui n'eft que terreftre. Il n'y 
i qiie les vices des hoihmes qui rendent 
ces établiflentens nécelEùreB, & il n'y a 
que les paiCons humaines qiû les conièr- 
vent Oteztous les vices à vos chrétiens , 
ils n'auront plus befoin de magïfhats ni 
de toix, Otez leur toutes les paffions hu- 
maines t le lien civil perd à 1 infbnt tout 
ion. ^effort { plus d'émulation, plus de 

. gloire , plus (Tardeur pour les préféren- 
ces. L'intérêt paiticulier eft détruit , te 
feute d'un foutien convenable , l'état poli- 

.. tique tombe en langueur. 

Votre fuppofitibri d'une fociété politi- 

. eue &' rigoureuft de chrétiens tous par- 
eils à È ri^eur , eA donc contradic- 
toire i elle eft encore oUtrée -qiùnd vous 
n'y voulez pas admettre im feul homme 
injufte, pas un feul ufurpateur. Sera-t- 
elle plus padâite que celle des Apôtres > 
âc cependant il ^y trouva un Jut^s. ..... 

ferart-ellé pliis parfiiite que celle des An- 
ges ? & le Diable, dît-on, en eft (brti. 
Mon chef ami, vous oubliez que vos 



,Go<>^^l.- 



A M. Us TE RI. 



çhrétitas feront de; hommes , & que la 
perfeâîon que jf le^r fqppofe, eft celle 
que peut comporter l'hiunanité. Moq 
Ifvre n'eit ^ ùit pour les Dieux. 

Ce n'eft pas toiit, Vous donnez à vos 
citoyens un taû moral , une finefle ex- 
quiie i & pourquoi ? parce qu'ils font 
Bons chrétiens. Comment 1 Nul ne peut 
être bon chrétien à votre compte , ikns 
être un laRochefoucault , un la Bruyère? 
A quoi penfoit donc notre maître,, qitanrf 
U béniflbit les pauvres en efprit ? Cette. 
ajTertion là premièrement , n eft pas rai- 
sonnable , puifque la iùielle du ta moral' 
ne s^acqiûert qu'à force de comparaifpns 
& ^exerce même in£nipiejit qûeujç fur 
les vices que Ton cache que f^r les ver- 
tus qu'on ne cache point Sécondemenl; , 
cette même affertion eft contraire à toute 
expérience , & Ton voit conftammjent que 
c'eft dans les phis grandes villes, chèZ| 
les peuples les plus corrom; " , 

apprend à mieux pénétrer' 
cœurs, à mieux obfervér lès h 
mieux mierprétér leurs dîfcottr 
fentiment, a mieux diftinguer 
de l'apparence. Nierei-vous q 

^ 3 



xiz Lettre 

d'infiniment meilleurs obfervateurs moraux 
àParisqu'eh Siiiffe? ou conclurez -vous 
de-là qu'on' vit plus vertueufement à 
Paris que chez vous ? 

Vous dites que vos citoyens ■ feroient 
infiniment choqués de la première ùiju^ 
ûce. Je le crois fn^s quand ils la ver- 
roient, îl ne feroit plus tems d'y pour- 
voir i & Jautant mieux qu'ils ne fe per- 
mettrôtent pas aifément de mal penfer' 
de leur prochain' , ni de donner une mau- 
Vaife interprétati<Mi à ce qui ponrroit en 
avoir une bonne. Cela feroit trop con- 
traire à la charité. Vous n'ignorez pas 
que les ambïûeux adroits fe gardent bien 
de commence par des injuffîces; au con- 
traire , ils n'épargdent nèn pour gagn&r. 
d*a]!>oid lâ confiïUice '& l'emme publî-' 
que' , par la pratique extérieure de la 
vertu. Ils ne jettent le mafque , & ne 
fiappent les grands coups , que quand 
léui", partie eu bien liée ,- & qu'on n'en 
peut plus revenir. Oomipel ne fût connu 
p'oilr Un tyran ,' qu'après avoir fiaffé quin- 
ze ans. pour lé vengeur des loix , & le 
défeinfeùr de la religion. 
Pour conferver votre République çiaé- 






A M. U s TÉ R I, 11 J 

tienne., vopi rendez fes voîfîns auflî juf- 
tés qu'eue ; à la bohoe lieure/ Je Conviens 
qu'elle fé défendia' 'toujours aflez bien 
poimat qu'elle Àe fc^t point attaquée. A 
regard m courage que vous donnez à 
fes foldats , par le umple amour de la 
confervation ,'c*eA celui qui ne manque 
à perfbnne. Je hû ai donne im motif erir 
core plus piiîfl'ânt lur des chrétiens ; la- 
voir j Tamoiir du devoir. Là-deffus , je 
crois pouvoir pour toute réponfe vous 
renvoyer' à mon livre, oii ce pointeft 
bien mfcuté. Comment ne voyei-vous 
pas qu'il n'y a que de grandes paiBons quî 
iàffent de grandes chofts ? Qui n'a d'au- 
tre' pafîicin que celle de fon falut ne fera 
jamais 'rien de gritnd dans le tenlporel. Si 
Mutitis Scevôla n'eût été qu'un feint ,' 
croyez -vous qu'il eût &it lever le iiége 
de Rome ? Vous me citerez peut-être la 
ma^ianime Judith. Mais nos chrétiennes 
h}^thé&ques , moins barbarement co- 
quettes , n'iront pas , je crois , féduire leurs 
ennemis , &c puis , coucher avec eux pour 
les maflàcrer durant leur fommeil. 

Mon cher ami , je n'afpire pas à vous 
convaincre. Je &is qu'il n'y a pas deux 
K4 



. .Google 



ai4 L E T T k E, &c. 

têtes org^fêes ^^.mêiné, & qu*apris 
bien des dîfputes «. bien des obje^ons , 
bien des éclairciftemens , cWun finit tou- 
* 7purs par refter d;ins ion Sentiment comme 
auparavant D'ailleurs quelque philofophe 
«pie vovs piiiffiez être , je fens qu'il feut 
ipujours \\D peu tenir à l'état Encore une- 
tpis , je vous réponds , parce que vous 
le vouiez i mais je ne vous' «i eftimeral 
pas moins, pour ne pas penfer comme 
moi. Tai dit mon avis an public, & j*aî 
cru le devoir dire , en choies importantes 
& qui intéreflent l'humanité. Au refte, je 
puism'être trompé loujours , 6cje me- 
luis trompé fouveid &ns doute. J'ai dît 
mes raifons ; c^eft au pidjUc , c'eft à vous 
à les pefer , à les ju^er , à choilir. Pour 
ipoi, je n'en fkis pas davantage , 6c je' 
tro\ive très- bon que ceux qui ont d'au- 
tres Jentîmeas , les gardent , pourvu qu'ils 
ine laîjTent en paix danj; !e mien. 










LETTRE 

AU PRINCE LOUIS B^ 

DE -WIRTEMBERG. 
Motiers le lo Noeembre l^6f, 



'^l YavcAs 1« malheur d*êtr^ né Prlncç^ 
tf être - enchaîné par les convenances de ■ 
inon état; qae je faSJt contcaint d'avoir 
un train , tuie fuite , des dome^ques ^ 
t'eft-à-dire , des màtres ; & que pourtant 
feuffe une ame aflez élevée' pûur vouloir 
être hc»T)me; malgré mon ranjKi pourvoit* 
ioïr remplir les grands devoirs dç per^.^ 
de lAqri , de citoyen de ' la république 
humaine ; je fentirois biei^tôt les difficile 
tés de concilier toiil cela , celle fur-tojit 
dPélever mes enfans pour î'éfat oU Ici 
pfeça U nature , en dépit de celui qu'iti 
'ont parmi leurs égaux* ' . 

' Je commencerais' donc par îHç dire î 3 
ne fàiit pas vouloir des Âofes contraîç- 
toires i il ne fàiil pas vouloir être & ri^êtrç 
pas. Jjâ difficulté oiie je veux vaincre efl 
ir^rente â ix chofe ;- & l'état dé ta A(^ 






Letthe au Prince 



ne peiit changer, *il font <pie la difficulté 
relie. Je dois fortir que je n'obMndrai 
pas tout ce que je veux : mais nlmporte , 
ne nous décourageons point. De tout ce 
qui eïi bien , je ferai tout ce qui eft pot 
fiblç, mon jele & ma vertu m'en répon- 
dent : auie partie de la fegeffe efl dé por- 
ter le joue de la néceffite : quand le fiige 
nit le 4-efte il a- toiU feit Vo4à ce que je - 
toé jUrois fîj'étoîs Prince. Après cela , 
J irois en avant fens me rebuter , uns rien 
Ciaindre ; & quel que fût mon fuccès , 
ayant feitainlî je ferois content de moi, 
ye lie crois pas que j'euflè tort de Têtte. 
Il feut , Monfieur. lé Duc , commencer 
ïm vous bien mettre dans l'efprit ,_ qu'à 
tiy a point d''œil paternel que celui d'un 
père , ni d'ceil maternel que celui d'une 
"if ""c- Je voudrois employer vingt rames 
de papief à vous répéter ces deux lignes, 
tantie fuis convaincu que tout çn dépend, 
vous êtes' Prince , rarement pourre^ 
vous être perç, vo^is aurez, trop d'autres 
foins à remplir :, il iâudra donc que d'au- ■ 
ïres rempIilTent les'vôtres. Madame la Dul 
cheffe fera dans le même cas à-peû-prèfc, 
Xleflà fuit cette première r^e. Faites 






DE 'WiRTEMBERG. Zlf 

en forte qiie votre en&nt Ibït cher à quel- 

"^qu*un. 

' ■ II convient qiié ce quelqu'un foit de 
fon iexe. L'âge eft très-^fficïle à déter- 
miner. Par d^mportantes ralfons il la 6u- 

■ droit jeiine. Mais une jeiine perfonne a bien 

■'d'autres foins en tête qiie de veiller jour 
& nuit jlir un en&nt. Ceci efl un incon- 
vénient inévitable & déterminant. 

ÎJe la prenez donc pas jeune , ni belle, 
par confequent; car ce feroit encore pis. 
Jeune , c'eft elle que vous aurez à crain- 

:dre : belle, c'efl tout ce qui l'approchera. 
ïi vaut mieux qu'elle foit veuve que 

; fille, Mais fi elle a des enfens, qu'âuam 

' ^eijH ne foit autour d'elle, & que tous 
dépendent de vous. 

Point de femmes à grands fentiroens, 
"encore moins de bel efprit. Qu'elle ait 
affez d'efprit pour vous bien entendre, 
;nQii pour" rafiner fur vos inftniftjons. 
n importé qu'elle né foit pas trop fe- 
cile à vivre, & il ii'importe'pas qu'elle 
ïbit libéiale. Au contraire il la Ëiut ran- 
gée , attentive à fes intérêts. II eft im- 
^poiTibl^ de foumettre im prodigue à la 
'tegle ; on tient les avares par leur pro- 
pïl.déiàui, K/ 






ii8 Lettre au Prince 

Toint (Tétourdie ni (Tévaporée; outre 
le mal de la diofe U y a encore cehiî 
de l'humeur, car toutes les folles en 
ont, & rien rieû plus à craindre que 
rbumeur; par la même rallôn les gens 
Viù f quoique plus aimables , me font fuf- 
pefts * à çauf« de l'emportemeiu. Comme 

' tiou^ ne trouverons pas une femme par- 
&ite , il ne &ut pas tout exiger : ia la 

' douceur eu de précepte , mais pourvu 
que la ration la donne , elle peut n'être 
pas dans le tempéramem, Je l'aime a'.iin 

' mieux égale & froide' qu'accueillante & 
capricieufe. En toutes chofes pteferez un 
caraôere fi^r à un carafiere bl"iUant. Çetfi: 
dernière quafité e£ï même uq iacci'iiv&- 
nient pour notre objei ; une pérfonne 
faute pour être au-deffus des autres peut- 
être Élt^ paf IÇ iï|érite de ceux q^ l'é- 
ievent. JElle en! exige enfuîte autant de 
toiit Iç iQonde, ^ cela la rçnd injulîe 
avec fes inférieurs. " 

Ou refte ne .cherchez dans fon^efprlç 
aucune (;ulture; U fe farde en étudiant, 
& <^eft tout. Elle fe déguifera fi eHefkit; 

yoa{% c9nBoîtrez bien mieujt'iî elle eft 

i£AÔriU){e j dù;fc-«ïie ne pas fàvQÎr l^re. 



.Coo^k 



DE ^IRTEMBERG. 21^ 

tant mieux , elle apprendtà avec lôfi 
Elevé. La feule qualité d'efjfrit (jull éaiit 
exiger, <fe& un fens droit 

Je oe parle point ici des mialités dit 
coeur ni des mœurs, mii fe Tuppcfent; 
parce qu'on fe contrefait U-demis. On 
n'efl pas il en garde fur le refle du cit- 
raâere y éi deû par-là que de bons veux 
Jugent du tout Tout ceci demanderoit 
peut - âti% de plus grands détails ; mais 
ce n*efl pas maintenant de quoi il s'agit. 

Je dis , & c'eft ma première règle , 
qu'il ûut que Tenant ioit cher à cetife 
peribiine là. Mais comment Éûre ? 

Vous' ne lui ferez 'point raner l'en- 
'^nt'en lui difant de raimer ; 6t avant 
que fhabîtu^ ait Eût naître Fattache- 
niem, on s'amufe quelquefois avec les 
autres en&ns , mais on n'aime que les 
'tiens., 

£Bç ppurrolt , f aimer , û elle ajmok 
Tep^ ou la nleré i maû àzhs Votre rang 
on *n*a pdint Garnis, & jamais, dans 
quelque rang que ce puiffe être , on n'a 
'ixnu- amis lés gens qui dépendent de 

'QOUS. ' " , 

• Oi-iPafleafon quinte iiïdt pas tIu fô^ 






a3P Lettre au PriKce 

,tinient> d'où- peut-elle, naître, & (je a*efi 
de rintérêi?- 

Ici vient une réflexion <pie le omcours 
de mille autres confirme, c*eft que les 
difficultés (me vous ne 'pouvez ôter de 
'votre condition,, vous jne les .éluderez 
qu'à' force de'dépenfe. '!..' 

Mais n'^Iez , pas croire , cotume. 'les 
autres , que iVgent' feit tôui par lui^ 
même, & que pourvu qu^on paye oa 
eA Tervi. Ce n'e& pas cela. 

Je ne connois rien de fi dîfEdle quand 
on eA riche , que de 5ûre ufàee ' de 
ûi ric^flè pour ^^r . ^ fes fins. , L ^gCTit 
«A un refloit dans la mécaniq^je morale» 
mais il repouâTe toujours là ~ main! q^t 
le Élit' a^. Faifons quelques obferva- 
tions nécefl&ires pour- notre objet.. 

Nous voulons, que fenfÀnt foit cher à.lk 
goùvtmante/ll raiit pour cela que ï^ J6>ft 
de la gotiyemanle foiit lié à cefiù dé l^én- 
.fen^. n aé Jkui j^l w^efle' dépendit jfef- 
'lement des foins qi^'^''M:repclpi, Wt 
païcé qiiW jï'auTie guéres'lès ^«nS^^Q?* 
fert, que parce que Içs Ytpins pay^ ne 
font qu'apparenS, lés'foins réels ie né^. 



DE Wl^TEMBERG. i^J 

U ^uit c[u'elte dépende non de £a 
foins , mais de leur fi)ccès , Se que a, 
fortune foit attachée à, l'efièt de l'edvica- 
hon qu'elle aura donnée. Alors feule- 
ment elle fe verra dans ion Elevé & s'at 
feaionnei;a péçeflâirement à «çtle; elle ne 
lui rendra pas' un. fervicç dp parade 6f 
de montTiB, mais uij /ervlce réeli oif 
plutôt, cil- lâ.fery^nl, eue ne _ ferrie? 
qu'elle-mâme ; elle ne iravaUlera qiie 
pour foi. 

Mais qui fera juge dç ce fuïxès f La 
foi d'un péce équitable: ,, £c dont la 
.probité elt biça établie ,4^'* fufiîre; la 
probité éft un inftrumeçt lur, dans les 
afi^es, i^iîryu qu'ij foit. joint au dif^ 
côiiement. . 

Le père peut mourir. Le jugement des 
femmes n'eit pas reconnu allez fur » 8c 
l'iraiour n^ternel eft aveugle.: Si la mère 
«étoit'.ét^lie juge audéâut du père, ou 
Ja gouvei^i^ite ne s'y fierait , p^ , pu elle 
' $'occuperoi^pIus à plaire, :à la mère. 4}u*à 
bien" élever ten&nt. 

Je ne m'étendrai pas fiif le choix des 
juges de l'éducation. Il faudroit pour 
cek.des coonoï^àpces particuU^res- rela: 






Lettre ad Prince 



tives aux peribnnes. Ce qui importe rf 
fentiellement , t^eft qire m gouvernante 
âît la pins entière con^ce dans Tinté- 
grit'é du jugement , qu'elle foit . persuadée 
qu'on ne la privera point du prnt de 
iks foins fi elle a ré^k^ , & que quoh- 
qu'eHe puiffe dire » elle ne i obtiendra 

SIS dans le cas contraire. Il ne Ëtut ja- 
ais qu'elle oubHe que ce n'éfl pas à & 
peine que c6 prix ftra du , maïs au iùccès. 

Je lais bien que , foit qu'elle ait èk 
Ton devoir on non , ce prix ne iâuroif 
lui manquer. Je ne fuis pas affez fou, 
moi <]ui' çonhois les . homtQes , pour 
m'imagtner que ces juges , quels qii% 
tbient , iront déclarer folemnefiemeot 
qu'une ieime Princeflè de quinze à vingt 
ans a été mal élevée. Mais cette réfle- 
«ion que je £tis là , la Bonne ne la &a 
■ pas ; quand elle la féroit , eQe ne s'y 
fierott pas teUement qu'elle en négligea 
des devoirs dont dépend fcm fort, & for- 
tune , fon exiftence. Et ce qii^I ùnportç 
ici iCeÛ pas que la récompenfe foit bien 
adminiilr^e , ma^s féducatiop qm doil 
l'obtenir. 

Ç^fâmela m&M rasez peu- de foreri 



.Google, 



DE 'VCiRTEMBERG. 



*3? 



Vintérèt feul n'en a pas tant qu'on croit. 
L'imajpnation feule efl aftive. C'eft une 
paffîon que nous voulons donner à la 
gouvernante, & Ton n'excite les paffions 
que par l'imagination. Une récompenle 
pronufe en argent eft très-puiffante , mais , 
la moitié de fa fo^cc fe perd dans le 
lointain de l'avenir. On compare de 
fang- froid l'intervalle & Targent , on 
compenfe le rifque avec la fortune , & 
le coeur refte tiède. Etendez , pour ainil 
. dire, Pavenir fous les fens, afin de lui 
donner plus de prife^ Préfentez le fous des 
Êcesquile mipTocheiit, qui flattent Tef 
poir fie féduiunt Tefprit. On fe perdrôil; 
t^ns la nuiltinute de fuppofitions qu'il 
éudroit parcourir, félon les tems, les 
lieux, les caraâeres. Un exeim>le efi un 
cas dont on peut'tjrer Tinduaion pour 
c^nt mille autres. 

Ai^je à &ire â un caraflere paîlible , 
aimant Fméépendance & le repos? Je. 
mené promener cette perfonne dans une' 
campagne ; elle voit d^ une jolie fitiia- 
don une petite maifon bien ornée , ime 
baflè-<our , un [ardîn , des terres pour 
Feattrétisn 3u naître , tes agrénens qui 






Lettre au Prince 



peuvent lui en feire aimer le féjour. Je 
Vois ma gouvernante enchantée ; on rap- 
proprie toujoui's par la convoitife ce qui 
convient à notre Donheuf. Au fort de ion 
ierithoufiafme , je la prends à part ; je lui 
dis. Elevez ma fille à ma fentaifie i tout 
ce que vous Voyez eft à vous. Et afin 
qu'elle ne prenne pas ceci pour un mot 
en l'air , j'en paffe l'aûe conditionnel; 
èllè li'aura pas xm dégoût dans, fes fonc- 
tions , fur lequel fon imagmgtion rt'ap- 
plique cette maifon pour emplâtre. 

Encore un coup , ceCi rfeft qu'un 
exemple. 

Si la longueur' du temsépuife, & fati- 
gue rimaginaticin j l'on peiit partager Pet 
pace & la récompenfe en pIufieuTS ter- 
mes, & même à ptufifeurs perfoniies : je 
ne Vois ni difficulté'» ni inconvénient 
à cela. Si dans fix ans moP en&nt efl 
ainfî , vous aurez telle chofe. Le terme 
Venu , (i la condition eft remplie ontient 
parole , & l'on eft libre de déuix côtés. ' 

Bien d'autres avantages découleront de 
Fexpédient que je propofe , mais je ne 
peux ni ne dois tout dire. L'enfant aimera 
h gouvernante , fiir-tout fi elle eft d'at 






DE 'W^IRTEMBERG. X-Jf 

bord fëvere & mie l'enfant ne foit pw 
encore gâté. L'effet de l'Iwbitude eft na- 
turel & fur , jamais il n*^ manqué gue 
par la feute des guides. D'ailleurs la jut 
tice a & mefute & fa règle eXafte ; an 
lieu que la Complaifânce qui n'en a point f 
rend les enfims toujours exigeans Se tou* 
jours mécontens. L'enfant donc qui aime 
{a Bonne fait que le fort de cette Botuie 
eÛ dans le fuccès de fes foins , jugez de 
ce que fera l'enfant à mefure que fon 
intelligence & fôn cœur fe formeront 

Parvenue à certain âge , la petite 6Ue 
eft capricieufe,,o» mutine. Suppofons un, 
moment critïque , important on elle ne' 
veut rien eii^ènd^ê ; ce momet^ viendra 
bi^ rarement y on fènt pourquoi. Dans ce* 
moment fUcheux.la Bonne manquede ref-' 
fource. Alors elle s'attendrit en regardant' 
fon Elevé, & lui dit. Çen efi donc fait ^ 
tu m'ôtts U pain de ma vieitufi. 

Je fùppofe que la fîlle d'un tel père ne 
fera pas un monflre : cela étant, l'eâët de 
ce mot efl fîlr; mais il ne',&ut pas qu'il 
foit dit deux fois» 

On peut faire en forte que la petite fe 
le difç à toute heure , U voilà d oUnaï^ 



Coo^^l.- 



156 Lettre au Prince 

fent mille biens i ta fois. Quoi qu'il en 
foit , croyez - vous qu'une femme qm 
pourra parler ainfi à îbn élevé, ne s'af- 
îeÛioniiera pas à elle } On s'affeÔionne 
aux gens fur la tête deiquels on a mJs 
des fonds; c'efl le mouvement de la na- 
ture ,' & un mouvement non moins natu- 
rel eft de s'affeâionner à fon propre ou- 
vrage t fur-tout quand on en attend fon 
boiuieitr. Voilà donc notre première re- 
cette accomplie. 

Seconde règle, 

lï£ànt que la Bonne ait fa conduite toute 
tracée & une pleine confiance dans le fticcès, 

Le mémoire inftniâif qu'il faut liû 
ëonner eft une pièce très 'importante. H 
&ut qu'elle fetudie &nSv^ celte, il &xit 
cu*elle le feche par cœur, mieux qu'un 
Amisaffideur ne doit favoir fes inftruc- 
tions. Mais ce qui eft plus important en- 
core , c'etl qu'elle foit par&itement con- 
vaincue q\C'û n'y a pomt d'autre route 
pour aller au but qu'on lui manque , ic 
par <onféquait au fien. 

Il ne &ut pas pour cela lui donner ^»- 
bord le mégioire. Il i^ut lui dire premiére- 
inent ce que vous voblez fiùre ; lui montrer 






DE WiRTEMBERG. Z37 

l*ëtat de corps & d'ame oîi vous exigez 
qa'elle mette votre en&nt. Là-deJTiis toute 
iwpute ou objeûion de fa part eft inutile : 
vous n'avez point de raîfons à lui ren- 
dre de votre volonté. --Mais il &ut lui 
prouver que I9 chofe eft âilâble y 6c qu'elle 
ne l'eft que par les moyens que voui 
propofez; c*eft fur cela qu'il faut beau^ 
coup raifonner aVec elle ; il faut lui dire 
-Vos raifons clairement, fimplement, «a 
long , en termes à fà portée. Il &ut écoir- 
ter fes réponfes , fes fentimens , fes ob- 
ie£tions , les difcuter à loifu- enfemble « 
non pas tant pour ces objeâions mêmes » 
■qui probablement feront fuperfîcieUes , 
- que pour fàifir l'occaâon de bien lire dans 
fon e^rit , de la bieil convaincre que ttis 
moyens que vous indiquez font les feuls 
propres à réuflir. Il faut s'affurer que de 
tout point elle eÛ convaincue, non en 
paroles mais intérieurement. Alors feule- 
ment il faut lui donner le mémoire , le 
lire avec elle , l'examiner , Péclairçir , le 
corriger , peut-être, ôc s'affurer qu'elfe 
l'entend par&itement. " ' 

Il furyiendra fouvent durant Téducatidn 
des circonflaDces imprévues : foiirent les 



438 Lettre au Prince 

chofes prefcrites ne toumerom pas comme 
911 avoit cru : les élémens néceflaires 
pour réfoudre les problêmes moraux font 
en très-eranid nombre, & un feul omis 
rend la lolution ^ufle. Cela demandera 
des conférences fréquentes, des difcuA 
£ons, des éclaircifTemens auxquels il ne 
feut jamai? fe refiifer , & qu'il feut même 
rendre agréables à la gouvernante par- le 
plaifir avec lequel on $'y prêtera. Cefl 
encore -un fort bon moyen de Tétudier 
elle r même. 

Ces .détails me femblent plys particu- 
lièrement la tàdie de la mère. Il hvA 
qu'elle fâche le mémoire aufli bien que la 
^gouvernante : mais il èaxt qu'ellç le ûche 
autrement. La gouvernante le faura par 
les règles « la mère le laura par les pni> 
cipes : car premièrement ayaiit reçu une 
^éducation plus foign,ée , & ayant eu l'ef- 
prit plus exercé , elle doit être plus en 
état de généralifer fes idpes, &d'en voir 
.tOH5 les rapports ; Se de plus prenant au 
fuccès un intérêt plus vif encore, elle doit 
,phis s'occuper des moyens d'y parvenir. 
[ , Troiûeme règle. La Bonne doit avoir 
;m pouvoir abwlu fur l'ènÊint; 






PE/WIRTEMBERG. X^f 

Cette fegle bieij entenduç fe réduit à 
c^e-à i *pïe le méoioire feul. doit tout 
&\efema t .c^fii ,, quand chacun le réglera 
uruputeufeoiçin ftu;ie- mémoire* il s'en^ 
fuit: que tout le, inonde agira toujours de 
eonçent ,' &uf ce qui pourroit être îgnori^ 
des uns ou des autres i m.9is il eft aifé de 
pourvoir ^ cela.. 

}e n'iû pas perdit .mon objet de vite.; 
XDÀs j'ai, été forcé de J^ire un bien graiid 
détour. Voilà àéjk la 4ifficulté levée en 
grande paitie ; çdi notre EJeve aura peu 
à craindre des dojneAiqiies , quand la fé- 
conde merç aura tant (f intérêt à la furr- 
veill^.,, Parlons à préfent de cei^-ci. 

n y a dans une maifon nombreûfe des 

nwyçn» généraux pour toutfeiré, &.fi»ns 

lefffitel» on 9e parvient jamais à ri^n, g 

■tyibordles inceurs , l'iinpoiante image 

^.'^ Ifrivertii devant. laquelle tout fléchit , 



•lT<Wtprès4fila»nifeïe>Ja/yanjtéi)^4^'*' - 
de tc«!pe tfiftXiXT. les &as ^ ooidu.fain. 

«âonHeur le Duc , que je vous ^envâ^e 






Lettre au Prince 



i la cinquième partie de l'Héloïfe , Leftte 
Hiiâeme. Vous y trouverez' un reeueil de 
inaxiines qui tne paroilTent fondamentales, 
^^otu' donner dans une maîibii «Unde oa 
petite du reffort à' Pautorité ; du- rfifte je 
conviens de ta diific^ilté de Pexéciition , 
parce que , de tous les ordres d'hommes 
imaginaUes , celui des valets laiffe \e moins . 
de |»îfe pour le meo^ chI' r&nveut. Maïs 
tous les raiibnncmens du inonde ne feront 
pas qu*une chofe ne foit pas ce qu'elle 
eft , que ce qui n'y eft pas s'y trouve , 
que des valets ne foiait pas des valets. 

Le train d'un grand Seigneur eft fulcep- 

tible de plus & de moms, fans ceir«r 

d'être convenable. Je pars de-là pour étSr 

Wir ma première maximei 

* I . Réduifez votre fuite au tnoîndrC'Moin- 

bre de gens qu'il foit poâiUe; vous aiiNz 

' iboins d'ennemis^ &| vous en ferai; nàeux 

< fervi. S'il y a dans votre tnaifbn u» ièitl 

homme qui n'y foit pas -néeeflÏBié, fl<y 

' fft nuifîble ; foyez - en iîlp. r ; .^ .■ 

1, Mettez du eho& daitt çeiiisrqa'e vous 
' ' gardereï! , ■ 6; préfëret defbeàucoup; ved^a- 
•"vice exafl à'.un'fervice/agrérfdèj Ges gens 
' quî 'apfdaniffent tout '^ieviai* teûr toaitre , 
i -, ■ ■■ " M ■: ■.'.:.■■ font 



DE WiKTEMBSBG. *4I 

font tous des frjpDos. Sur - tout point .de 
diffîpateur. 

3. Soumettez -les à la x«gle «n toute 
chofe, même au travail^ ce qu'iU feront , 
:dùt-il n'être bon, à ri«a 

4: Faîtes cpfikaient un ^rand intérêt 
A r^er kuig^n^jà . vcore iêrvice , . qu'ils 
s'y attachent à mefure qu'ils y lellent , 
4]u'ils craignent , par conséquent, d'autant 
■«liis d'en fottir qu'ils y.fbnt r^és plus 
-iong-tems. Xa raifon &c les jnayens.deceU 
fe trouvent dans le Jivre indiqué. 

Ceci font les-données.que je-peux'fup;- 
■pofer , parce que , H«»' qu'elles, deman»- 
cent beaucoup de ^inè, en&i elles d^_ 
-pendent de vous.. Ceh pofé : 

Quelq^ielenu avantque de Içurpader-,' 
•vous avez quelquefois >des entretiens, à 
itable fur i'éducatk)n:;de voti£ etl&nt\ & 
fur ce (lue vons vous propofez de .âiïe V 
-fur leïdlfEcuteés que vous xaexk r^iHf 
cre , & fur la fénne réfolution .:oii :voas 
êtes de n'épargner aucun A>in pour réu^ 
ftr. Probablement vos gens n'auront pas 
-manqué de critiquer entr'eux la manière 
•«\tnoQUnaire d'élever ren^;<il5 y au- 
ront trouvé-dc>Ia'^iîarreFie , illaÊtut 

Pitces divtrfts. L 






Lettre au Prince 



ja^Ecr y atais fimplem^nt Se. en psu d< 
mots. Du rdU , il Êiut montrer votr« 
objet beaucoup plus du côté moral Sç 

S' eux, que du coté philofophîque. Ma^ 
me h PrincelTe en ne conûiltant que fo» 
cœur peut y mêla- des mots chanfians. 
M. Tiuot peut ajouter ipielques réflexions 
«lignes de lui. 

On eft fi peu accoutumé de voir les 
Ciands avoir des enttatUes » aimer la vertu » 
4^>ccuper de leurs en&ns^ que ces con? 
ver&tions courtes Sc biea ménagées ne 
■Rivent manque;- de produire un grand 
-eiSfet. Mais fur-rtout nulle ombre d'^mïâ^ 
■ùon y point de longueur. Les domeftiques 
ont l'œil très-perçant [tout lèroit perdu 
.^ils foupçonnoient feulement qu'il y eût 
«n cela, rien de concerté » £; en effet riea 
,ne doit l'âtre. Boa père , bonne mère , 
JaiiTcz parler vos cœurs avec fiisçUcîté c 
ils trouveront des chofes touchâmes d'eux- 
:mêmes ; je vois d'ici vos domcftiques 
■derrière vos chaïfes fe proûerner devant 
■leur, maître au fond de leurs cœws : voilà 
les. di^roâtions w-il Êiut fiike naître , & 
AïM H feut profiter :pour lel tf^ÇS (jue 

;ugii$ avoi^.à leur [irej^ri»* 



DE MC^IRTEMBERG. 245 

Ces règles font die deux efpecçs , feloa 
le jugement que vous porterez vouj-même 
de Tetat de votre mBiCoti Se des mœurs 
de vos gens. 

; Si vous croyei pouvoir prendre eit" 
,eux une confiance taifonnable & fondée 
: lur leur intérêt, il ne s'agira que d'uft 
énoncé clair . Se bref de la manière dont 
on doit ie conduire toutes les fois qu'on 
approchera de yptie enSkat f pour ne 
point contrarier fon éducation. 

Que fi malgré touties vos précautions; 
vous croyez devoir vous défier de ce 
cm'ils pourront dire ou &ire en la pré- 
fence, la règle alors fera plus fimple, 
&c fe rétUrira à n'en approcher jamais 
fous quelque prétei:te que ce foît. 

Quel de ce& deux partis que vous 
.choififfiez,. il feut qu'il foit fans excep- 
ùon 6c- le même poiu' vos gens de 
tout étage, excepté ce que vous defti- 
nez fijécialement au fervice de' feniant 
& qui ne peut être en trop petit- nom- 
_ bre, ni trop fcrupuleufemént choifi. 

Un jour donc vous affemblez vos 

gens, éc dans un difcovirs grave & fim- 

. pie , vous leur direz que vous croyez 

L 2 ' 



...n.CiWgk 



Xettre au Prince 



devoir en bon père apporter tous vos 
foins à bien élever lenfent que Dieu 
vous a donné. « Sa mère flc moi fen- 
>* tons tout ce qui nuiût à la nôtre. 
» Noits l'en vouions préferver; & fi 
» Dieu bénit nos efforts , nous n'aurons 
M point de cotppte à lui rendre des débuts 
» ou des vices que notre enfant pourroit 
» contraâer. Nous avons pour cela de 
>» grandes précautions à prendre : voici 
» celles .qui vous regardent, & auxquelles 
■ » j'èfper€qite^<:Wsyous'pTêterez-«a.hon- 
» nêtes gens, dont ies preniiers ■ devoirs 
» font d aider à-'remplir ceux de leiK's 
>* maîtres >». 

ApTos fénoncé de laregledont'vous 
preicrivez' l'obfervation, vous ajoutez 
que cenjî qui feront exafts- à lafirivre 

{leuveii't cbmjjter ïdr votre bienveîl- 
ance ëc Jnême fitr vos bienftits.'» Msâs 
» je vous déclare -en même tems , poio^iii- 
»» yez-vous d'une voix plus haute; que, 
» quiconque y aura manqué une mile 
H lois , '& en quoi que ce pni0e être , 
■» -fera chaffé fur le champ &■ perdra fes 
" » gages; Comme c?eft-l^ la condition fous 
'» laquelle je vous garde , '& que 'je-vous 






DE WlRTEM^ERG. X4$ 

»- en préviens toits;, ceux qui rpy veti") 
» lent pas acqiiiefcer , peuvent fortir *r. 

Des règles fi peu gojantes., ne feront: 
tavàr que ceux qui feraient fortis fens- 
cela , ainfi vous ne perdez rien à leur, 
mettre le mtrdié à la main-, .& vous 
leur en ittipofez beaucoup. Peut-être. au. 
cpommenceiftent , que^ue étoicdi en fera- 
t-i! la viÔime , & il feut qu'il le foit. 
Fût-ce le Mâtre-d'Hôtel, s'il n'eft diaffé 
comme un coquin , tout eft manqué, 
lefeùs s'ils vchent une fiais que c'eft tout 
âe bon ⣠qu'on les furvolle, on aura' 
dérormais peu befoin de les furveîller, 
■ Mille petits moyons relatifs naiJTenc: 
de ceux-là; mais, i) ne faut pas tout 
dire, & ce mémoire eft déjà trop long. 
J'ajouterai feulement un avis très-impôt" 
tant & propre à couper cours- au mal- 
qu'on n^aura pu prévenir. C'eft d'Kïa- 
mînef toujours 1 enfant avec le plu» 
grand foin, & de fuivrs attentivement 
les procès de fon corps & de fon 
cœur. Sil fe feit qurfque chofe autour» 
de lui contre la règle , l'impreffion s'en' 
marquera dans TenSnt même. Dès que 
vous y verrez un figne nouveau , cher- 
L 3 






146 Lettre au Prince, &c., 

chez-en la caiife avec foin ; vous !a trou- 
verez infeiUiblement. A- certain âge il y a 
toujours remède au mal qu'on n'a pu pré- 
venir, pourvu qu'on lâche le connoître,, 
& qu'on s'y prenne à tems pour le guérir. 
Tous ces expédiens ne font pas fa- 
ciles , &' je ne réponds pas abfolumest 
de leur fuccès : cependant je cîcms qu'on 

^peiit prendre une confiance raifonna- 
le, & je ne vois rien d'équivalent dont 
j'en puiffe dire autant. 
' Dans une route toute nouvelle , il ne 
&ut pas chercher des chemins battus « & ja- 
mais entreprife extraordinaire & difficile ne 
s'exécute par des moyens ùfés & communs. 
Du refte , ce ne font peut - être ici que 
les délires d'un fiévreux. La comparaiîbn 
de ce qui eft à ce qui doit être , m'a donné 
l'efprit ramanefque & m'a toujours jette 
loin de tout ce qui fe &ît. Mais vous or- 
donnez , Monfieur le Duc , j'obéis. Ce 
fent mes idées que vous demandez , les 
voilÀ, Je vous tromperois j fi je vous don- 
nois la raifon des autres , pour les folies 
qui font à nloi. En les feifant paffer fout 
ks yeux d'im fi bon juge , je ne crains pas 
le oial qu'elles peuvent caufer. 






DEirX LETTRES 

A U- LE MARÉCITAt. 
DE LUXEMBOURG, 

Conunant une defcriptiort du fal^Traveffi 
A MotUïS l« 26 Jairtîer i7tfï. . 



LETTRE PREMIÈRE. 



Vo 



O t; s voulez , Monûeùt le Maréàiii « 
que je vous décrive le pays que j'habite t 
Mais comment fwre ? Je ne fais vâîr qu'au* 
tant que je fuis éinvl ; Us objets indiffë* . 
rens font nuls à mes yetiif ; j* n'ai de 
l'attention qu'à proportion de l'intérêt quî 
Pexcite , & qviel intérêt puis - je prenare 
à ce crue je retrouvé fi loin de vous 1 
Des arores , des rochen , dei maifons « 
des hommes mêmes ^ ibnt autant d'objet 
ifolés dont chacun en particulier do'nne 
peu d'émotion à celui qui le regarde : 
mais l'imprefïïon commune de tout cela , 
qui le réimit en lin feul tableau , dépend 
de l'ctat oit nous fouunes en le conteiiL-> 
1-4 






148 • Lettre av Maréchal 

plant. Ce tableau , quoique toujoiirs le 
mêmç , fe jt^fît d'aatanr<K manières qu'il 
y a de cmpolitions différentes dans les 
cceitfA 4^5' nefteteurs; & ces diffî^ences, 
qui font celles de nos jugemens , n'ont 
pas lieu-feutemtnt-d'wiTrpeâateur à Tait- 
tre , mais dans le même en diâerens tems. 
Gè& ce- qne j*éprotive- Imco fenfit^onent 
en revoyant ce pays que j'ai tant aimé. 
JV crôyois rétrduvèr ce qui m'avcàt 
charmé dans ma jeunelTe ; tout eft changé ; 
c'eft un autre payfage , un autre air, un 
,atitté ciel', 'd'atitr'es Sommes ^ âC:ne voyant 
phu mss Montagnojift avec des yeuX' de 
vingt-an*, je Us trouve beaucoup vieiîlisi 
On n^rettè le' bbn- tems d'autrefois ; je 
.|e àois tûen : nous attribuons auK choies 
tout lé changement qai s'eft &ù.t en nous* 
& lorÊ^ie le plaiûr nous quitte , nous 
croyons qu'il n'eft plus mille part. D'au- 
tres vokiTt les choTes- comma nous les 
avons vues , 6* les verront' cornow nous 
les voydns aujourd'hui- Mais ce font des 
defcrlptjons que vous me demander , non 
des réflexions , Se les miranes m'entraî- 
■em comme lui vieux én&nt qui regrettç 
«ncore fes onûfuis jeux. Les diverses im- 






DE LUXEM-B-OVllG. Z49: 

prenions que' ce pays' 3 faites fur moi ^ 
différens âges- me font conclure que ifts 
relations le rapportent toujours plus à? 
nous qu'aux chofes, 3c que , comftie nou9 
déoiyons bien plus. ce que nous fentons' 
que ce qui eft, il £tudr<flt {àvoîr comment 
etoit afièûé l'auteiu-- d'un voyage en l'é-- 
crivant, pour juger de combien fes pein- 
tures font au - deçà ou au - delà du vrai. 
Siir ce principe , ne vous étonnez pas de| 
voir devenir aride & froid fous ma pînme 
itn pays jadis fi^ verdoyant^ fi vivant , ff 
riant a mon* gré : vous fentirez tropaifé- 
ment dans ma lettre en quel tcms de ma 
'vie & en quelle làifon de l'année ell: -a: 
été écrite. 

Je &às t Monlieur le Maréchal , que' 
pour vous parler d'un village j il ne faut* 
pas commencer par vous décrire toute la: 
SuilTe y comme fi le petit coin que j'ha- 
bite avoit befoin d'être circonfcrit d'un fi 
grand efpace. Il y a pourtant des chofes 
générales qui ne fe devinent point , &C 
çi'iliautfavflir pour juger des objets par- 
ticuliers. PoUP connoître Motiers , il raut 
ayoir quelque idée du Comté de Neu&hâ- 
ta, 6l pouc coiuioîtr-e-lt CMnté de Neu^ 
ï- 5 






150. Lettre au Maréchal 

châtel , il Ù.M en avoir de ki Suifîe entière.- 
■JElle offre à -peu -près par-tout les mê-- 
mes afpeâs , des lacs , des prés , des bois ,- 
des montagnes ; & les Suiffes ont auffi- 
tous à-peu-près les mêmes mœurs, me-- 
Ices de rinùtation- ries autres peuples Se de 
hitr antique fimpUcité. Bs ont oes manie- ' 
res de vivre qui m changent point , parce 
qu'elles tjeiment» pour aiim dire, anfoldj 
climat, aux befoins divers , & qu'en cela 
hs habitaRs feroût toujours- forcés de fe 
conformer à ce que la natitfC des Ueux 
leur prefcrit. Terfeell, par;exeoq>le, la 
d:ûribution de. leurs habitEtions , beau- 
coup moins réunies en villes 6c en bourgs 
qu'en France , mais éparfes & difperfées 
çà & là' fur le terrain avec beaucoup plus 
d'éj»alité. Ainfi , quoique la Suiffe foit en 

f encrai [dvs peuplée à proportioa que la 
rance , elle a de moins grandes villes 6c 
de moins gros villages ; en revanche on y 
trouve par-tout des maifons, le village cou- 
vre toute la paroi ffe,& la viBe s'étend fiir 
tout le pays. La Suiflè entière eft comme 
ime pTioas ville divifée en treize quar- 
tiers , dont les uns font fur les vallées, 
«t'9utr.es fiir le» coteaux, d'autres fur les 



DE Luxembourg* 251 

montagnes. Genève , St. Gai , Neufchâ- 
tel font comme les &uxbourgs : il y â 
des quartiers plus ou moins peuplés , 
mais tous le font affez pour marquei' 
qu'on eft toujours dans la ville : feule- 
ment les maifons , au lieu d'être alignées , 
font difperfées fans fymétrie & fans or- 
dre f comme on dit qu'étoient celles de 
l'ancienne Rome. On ne croit plus par- 
counr des défeits* quand on trouve des 
clochers parmi les fapins, des troupeaujf 
£w des rochers, des maniifàâures dans 
dei précipices » des atteliers fur des tor- 
rens. Ce mélange bizarre a je ne làisquo: 
d'animé , de vivant qui refpire la libmé,' 
le bien-être, & qui fera toujours du pays 
oii il fe trouve un fpeâacle imique en 
Hoti genre , mais &it feulement pour des' 
yeux qtil Éichçnt voir. 

Cette, égale diftributioii vient -du grand' 
nombre: de petits Etats quidivife les Gl-»'- 
picdes , de la nideffe du pays qui rend ' 
les tranfports difficiles, & de la nature 
des produ&ons , qui , confiftant pour ta 
plupart en pâturages, exige que la con- 
tpmmation s'en feSé fiir les- lieux mômes V ^ 
flc. tKitt les honunes auili 'difp^^s qae I«f'' 






z53r Lettre au Makèchal 

beitiaux. Voilà le plus grand avantage de 
la Suifle , avEuitage que les habitans regar- 
dent peut-être comme un malheur^ mais 
qu'elle tient d'elle feule , que rien ne peut 
lîii 6tCT y qui: malgré eux contient ou 
retarde le progrès du luxe &: des mauvù' 
fes mœurs , & qui réparera toujours à la 
longue rétonnante dq>erdition d'hommes 
qu'elle kàt dans les pays' étrangers. 

Voilà le bien ; voici le mal amerté pai* 
ce bien même. Quand les SuiiTes, qui 
j^dis vivant renfermés dans leurS mon- 
fîgnes fe fuffiibient à eux-mêmes, ont* 
commencé à communiquer avec d^utres 
nations , ils ont pris goût à leur manière 
de vivre & ont voulu l'imiter ; ils fe font 

S perçus que l'argent étoit une bonne 
ofe &, ils ont v<ndu en avoir; ans pro- 
diiâions Se iàns indufirie pour fattirer ^ 
ils ie font miï. en commerce eux-mêmes , ' 
ils fe ibnt vendus en détail aux puilTan- 
ces , ils ont acquis par-là prédfément aâèz~ 
d'argent {)our fentîr quds étoïent pau- 
vres; les moy-ens^ de le £iire circuler étant 
prefque impoStUes dans un pays qui ne 
in-ocMÎt rien & qui n'eil pas maritime , 
«ï argent leur a porté de oouyeatutber 






DE Luxembourg. 15^ 

— " 1 

foins làns augmenter leurs reflburces. 
Ainfi leurs premières aliénations de trou- 
pes les ont forcés d'en fiiire de plus graa- 
des & de continuer toujours. La vie 
étant devenue plus dévorante , le mêm« 
pays n'a pluspu nourrir 1» même quantité: 
d'faabitans. Ceil ta raifon de ta dépopu» 
lation que Ton con^mence à fentir tun» 
toute a Suiflè. Elle nourriflbit fes nom- 
breux hatùtans quand ils ne fortcùent paS' 
de chez eux ; à [»éfent qu'il en foit la 
moitié, à peine peut -elle nourrir fautre^ 
Le pis eftqiiefk' cette moitié qui fort 
il en rentre allez pour comwipre tout ce 
qui TeAe par l'imitation des uiàges des 
witres pays & fur-tout de la France, qui 
a plus de troupes Suifiès qu'aucune autre 
n^on. Je dis eorwmpn^ fans entrer dan» 
ta queAien fi les mœurs Françoifes foiic 
IxHines ou mauvaifefr en France , parce 
que ce«e queftïon tSc hors de doute quant 
à la Suifle, &: qu'il ii'eft: pas polTible que 
les mdmes ufàges convtennoit à ds& peu* 
pies qui n'ayant pas les- môifte» reflburces 
& n'hal»tant ni le même climat , ni le> 
même f(^, ferom toujours forcés de vivre 
diâenHDioipju. 






154 Lettre au Maréchal 

Le concours de ces deux caufes, Time 
bonne & l'autre iRauvaife , le &it fentir 
en toutes chofes , il rend raifon de toat 
ce qu'on reinar({ue de particulier dans les 
«œurs des Stùffes , & iur-tout de ce con- 
traâe bizarre de recherche &t de fimpU- 
cité qu'on fent dans toutes leurs manie-' 
res. Ils tournent à contre-fens tous les 
ufaees qu'ils prennent * non pas &ute 
d'elprit , mais par la force des chofes. 
En iran^rtant dans leurs bois les uâge» 
des grandes villes , ils les appliquent de 
la. feçon la plits comique j ils ne iavenf 
ce que e'eil qu'habits de campagne; i& 
fent parés dan$ leurs rochers comme ilï 
rétoient à Pari»; ils portent fous leur» 
fepins tous les pompons du Palais-Royal , 
& j'en ai vu revetùr de &ice leurs foin» 
en petite veAe à Êlbala de mOuiTeline. 
Leur délicatelTe a toujours quelque chofe 
de groâier , leur Itixe a toujours quelque 
chofe de rude. Ils ont des entremets, mais 
ils mangent du pain noir ; ils fervent des 
vins étrangers & boiveiH de la piquette > 
des lagoftts fins accompa^ent leur lard 
Tance «leur çhotix;) ils vous oâriront à 
déjeûné du café & du ^om^gir, à goûté 






»E LUXEMBOUHG. IJJ 

du thé avec du jambcm ; les femmes ont de 
la dentelle & de fort gros linge , des robes 
éé goût avec des bas de couleur : leurs va- 
lets alternativement laquais-SCboMyiersom 
i^habit de livrée en fervant à.table & mê- 
lent l'odeur du iimjier à celte des mets. ■ 
'- Comme on ne jouit du luxe qu'en te 
montrant , il a renuu leiff fociété plus fe- 
miUere Uns leur ôter pourtant le goût 
de letirs demeures ifolees. ■ Perfonne icr 
n'eft furpris de me voir .paîftr l'hiver en 
Campagne i mille gens dû monde en font' 
fout autant. On demeure donc toujours^ 
i^arés > mais on fe tapproche par de 
longues & fréquentes yifrtes. Pour étaler 
& parure &c (es meubles » il faut attirer 
fes voifins^ & les idleF voir , & comme- 
ces voifins font foMvent affez éloignés ce 
font des voyages centinnetis. Auffi jamais 
tfai-je TU de peuple fi allant que I«.Suii- 
^ ; les François li'en approchent pasv 
Vous ne rencontrez de toutes parts que 
voitures ; il n'y a pas ime maifon qui n ait- 
fa fienne, & les chevaux dont ïi Suiffe 
djonde ne font rien moins qu'inutill* 
dans le p^s. Mais 4:omme ces courl«$ 
ont fo«v«nt pour objet àxs vifir« d« 






2^6 Lettre au Maréchal 

finnmes , quand on monte à cheval , ce 
qui commence à devenir rare , on y monte 
en jolis bas blancs bien tir^s , & l'on fait 
à-peu-pr^ pour courir la poûe la même 
toilette qtie pour aller au- bal. Auilt rien 
n'eA û brillant qtie les chemins de la Suif- 
ié i on y rencontre à. tout- montent de 
petits MelUeurs &c de belles Dames, oa 
n'y voit que bleu , verd , couleur de rofe^ 
on fe croiroit au jardin du Luxemboure. 

Un eâet de ce. commerce cil d'avoir 
prefque àté aux hommes le goût du 
vin , & un effet contraite de cette vie 
ambutiuite , eâ d'avoir cependant rendu le» 
cabarets &équens &. bons dans toute la- 
Suinè. Je ne fais pas pourquoi l'cm vante 
tant ceux de France ; ils n'approchent 
Jurement pas de ceux-ci. U eu vrai qu'il 
y Élit très-cher vivre , mais cela efl vrai 
auin de la vie domeitique, £c cela ne 
ikuToit être autrement dans un pays -qui 
produit peu- de denrées âc où l'argent aa 
laiâè pas de circuler. 

Les cois feules marchandi&s qui leur- 
en aient foimii jufqu'ici- font les froma^ 
ges, les chevaux & les hommes ^ aoM. 
depuis Uoirwtttâiqn. 4^ Utxfjce con-r 






DE Luxembourg. 



merrè ne leur Suffit plus , & ils y ont 
tùonté' Celui des manu&ihires dont iU 
iont redevaUes aux réfugiés François; 
refiburce' qui cependant a plus d'appa- 
rence que de réalité; car comme la cherté 
des denrées Pigmente avec leS' efpeces > 
& qite la culture de la terre fe néglige 
quand cm. gagne davanUgeà d'autres tra- 
vaux, avec pins d*ai^cnt ils n'en font 
pas plus riches ; ce qui fe voit par la 
comparaifon avec \cs SuiiTes cathohques, 
qui n'ayant pas ta même reiTource « font 
pliis pauvres d'at^ent , & ne vivent pas 
moins bien.. 

U-eft fort fîngulier qu'un pays fi nido 
£e dont les habitans font fi enclins à for- 
tir , leur infpire pourtant un amour fi 
tendre que le regret de l'avoir quitté les 
y ramené prefijue tous à la fin , & que ce 
regret donne à ceux qui n'y peuvent re- 
venir , une maladie quelquefois mortelle , 
qu'ils appellent , je crois , le Htmvl. Il y 
a dans la Suiffe un aii- célèbre appelle le 
Ranz-des-vaches , que les bergers fonnent 
fur leurs cornets & dont ils font retentir 
tous les coteaux du pays. Cet air, quj 
eil peu de chofê en lui - même , mais quï- 






a;8 Lettae AU Maréchal 

rappelle aux Suiflès mille iàée& relatives 
au pays natal y leur fait Verièr des torrens 
de larmes quand ils l'erfiendeot en terre 
étrangère. Il en a mâme &it mourir de 
douleur un û grand noi^re , qu'A a été 
défendu par ordonnance du Roi de jouer 
te ranz^des-vaches dans les troupes Suîfle& 
Mais , Monfiéur le Maréchal j vous fevez 
peut - être tout cela mieux que moi , ôc 
les réflexions que ce felt préfente ne fous 
auront pas écMppé. Je ne puis m'empê- 
eher de remarquer ieulenlent que la Franco 
eft affurément le meilleur pays du monde» 
Ofi toutes les commodités & tous les âgré* 
mens de la vie concourent au bien-être 
des habitans. Cependant il n'y a jamais 
eu , que je fâche , de Hemvé ni de ranz- 
des - vaches qui fit pleurer & mourir de 
regret im François en pays étranger , & 
cette maladie diminue beaucoup chez les 
Suifles depuis qu'on vit plus agréablement 
dans leur pays. 

• _ Les Suifles en général font juftes , offi- 
cieux , charitables , amis folides , braves 
foldats & bons citoyens , mais intrigans , 
défians , jaloux , curieux , avares , & leiu" 
avaiice contient plus leur luxe que ne feit 






DE Luxembourg. ''^9 

leur fimplicité. Ils font ordinairement gra- 
ves & ffegmjEtiqiles , mais ils font furieux 
dans la oolere , ôc leur joie eft une ivrefle. 
Je n'ai rien vu de fi gai que leurs jeux 
U eft étonnant que le peuple François tûnfe 
triftement , langtiiâàmment , de mauT^fe 
Çrace, & que les danfes fuiffes foient fau- 
til!antes &c vives. Les hommes y montrent 
leur vigueur naturelle & les filles y ont 
une légèreté charmante : on diroit que la 
terre leur brûle les pieds. 
' Les Suiflès font adroits Sc rufés t^s 
les aâàires : les François aui les ,jugene 
groflîers font bien moins oéliés qu'eux ; 
ïls jugent de leur efprit par leiu- accent. 
La G^ur de France a touioiirs voulu leur 
envoyer des gens fins & s'eft toujours 
trompée. A ce genre d'efcrime ils battent 
communément les François : maïs en- 
voyez-leur des gens droits & fermes, 
vous ferez d'eux ce que vous vouj- 
drez , car natvirelleraent ils vous aiment. 
Le Marquis de Bonnac qui avolt tant . 
d'efprit , mais qui paffoit pour adroit n'a 
rien fait en Siùffe , & jadis le Maréchal 
de BsiTompierre y faifoit tout ce qu'il vou- 
loit, parce qu'il. étoit franc, ou qu'il pjf^;. 






uSo Lettre a.u Mkrèchal 

fait chez eux pour l'être. Les Suiffes né- 
goàeront toujours avec avantage, à moins 
qu'ils ne foient vendus par leurs magii^ 
trats , attendu qu'ils peuvait imeiix fe 
paAer d'argent mie les Pui&nces ne peu- 
vent fe paâèr dilommes ; car pour votrff 
bled, quand ils voudront ils n'en auront 
pas baioin. IlBnit avouer auiG que s'ils- 
Kint bien leurs traités , ils les exécutent 
encore miewc , fidélité qu'on ne fe piqutf 
pas de leur rendre. 

Je ne vous dirai rien , Mcmfieur le Ma- 
cédsl:, de leur gouvernement 8e de leur 
politique , parce que cela me meneroir 
trop loin', & que je ne veux vous^arler 
que de ce qiie j'ai vu. Qiumt au Comté 
Je Neufchst^ où ^habite , vous favez 
qu'il- appartient au Roi de Pniflè. Cette 
petite Principauté ," après avoir été dé- 
mcTtàsrée du Royaume de Bourgogne ôc 
pafTé fucceflîvement dans les maîions de 
Châlons , d'Hochberg & de Longueville , 
tomba enfin en 1707 dais celle de Bran- 
debout^ par la décifion des Etats^ du pays* 
juges naturels des droits des- Prétendaos. 
Je n'entrerai point dans l'examen des rai- 
has fur leiqueUes le Roi de Pruâè 6a 






DE LUXEHJBOURG. x6t 

.préfëréauPrineedeConti^mdes inâuet»* 
-ces que purent avoir (Tautres Puiflànces 

dans cette at&ire ; )e me contenterai de 
.remarquer que daîis la concurrence entra 

- ces deux Pruices , c'étoït un honneur qui 
.ne pouToit mMiquer aux Neufchâtclois 

- d'appartenir un jour à un grand Capitaine. 
Aurefte , ils ont confcrvé fous leurs Sou- 
verains à-peu-près la même liberté qu'ont 

. les autres Sutffes; mais peut-être en font- 

■ ils plus redevables à leur pofîtion qu^ 
-leur habileté ; car je lestrouve bien ré^ 

muans pour des gens iagos. 

Tout ce que je viens de remarquer des 
SuifTes- en. général caraâérife encore plus 
fortement ce peuple-ci , & le contraAe du 

■ naturel & de l'imitation sV ^t encore 
mieux fentir., avec cette di^tnce pow- 
tant que le naturel a moins d'étoile , k 
qu'à quekjue petit coin ptès , la donire 
couvre tout le fond.'Lc pays , fi l'on 
excepte la ville & les bords du lac , dil 
AxiSfi rude que le refte de la SuilTe , la vie 
y e(t auOi ruâique , &c les habitai aecou- 
lumés à vivce fous des Princes , s'y font 
encore plus aiTeâionnés aux grandes mt- 
ineres ; de -ibcte. qu'on trouve ici du- jai^ 






t6i. X^TTRE AU MARiCHÀL 

■f;on , des aîr&, dans toiu les états, de béatix 
: parleurs labourant les chainps y &: des cour- 
•Âiàitt ea fouquenille. Auffi appelle- 1- on 
;les Neufchâtuois les pdcaos de la Suiâè. 
'Ils OfA .de J'eTprit & iU Te piquent de vivfH 
.cilé ; ils lifent , & la leâure ^eur pro^e ; 
.-les payfàns même font inAruits ; ils -oat 
-|»efqpie tous iin petit recueil de livres 

- choius qu'ils appellent leur bibliothèque ; 
-iU ibnt même aiïez au courant pour les 
:. nouveautés ; ils font valmr i(»rt ceb.dms 
-Ja c«nverl«tion d'une manière qui ^'eft 

point gauche , & ils ont prefque le ton 
..dw -jour comme s'ils vivoient à Paris. II y 
:.a quelque -tems qu'en me promenant^ je 
:.ni*an:êtai devant luie mailbn -où des £lles 

Soient de la demeHe ; la mère Jie^it 
■ un petit en&nt , ;&ie îa regardois &ire , 
-^U^ndje vis foitir de la c^enevn ^9S 
! payûn ., qui m'àbocàaat d'un j^ aii^ me 

- d^ : n'Ouï y&ye[ .qt^on ne fuit pas trop hitn 
vos prictptes t mais nos ftmmts mrment au- 
tant aux vieux préjugés qj^eUts jùmtnt Us 

. nouvtlUs modes. Je tpmbois des nues, l'ai 
: cntendi^ piUTiii ^es gens- Jà £ent propos du 
-wême ton. 

. 6<9uçoup ji'eiprh U encore plus de p»*- 






PE Luxembourg. x6f 

aenâçm t Tçais &d$ aucun g(^t , voiU ce 
qui m'a d'abord irappé chez les Neu&h^ 
teloU. Ils parlent très-bien , très-aifénient, 
nais ils écrivent platement &C niai , fur- 
tout^uaod ils veulent écrû-e Ugérement, 
& ils le veulent toujours. Comme ils ne 
iâveift pas ;nême en qu«i conûile la grâce 
.£ç le (çl du Ayle liéger , lorsqu'ils ont en^ 
£ié des phrales louniément femillaoïes * 
ils fe proient aut^ de Voltaires & de 
CrebiUons.. Qs ont une manière de jour- 
|ial jians lequel ils s'eiForcent d'itrd giendls 
£c badins. Us y foutent même de petits 
-vers de leur &99ti. Madune la Macechala 
trouvero^ , ânos de ramufemeni , au 
pïoins de l'occuiation daqs ce Mercure , 
#ar .c'eft tfun bout à l'autre un logogriphe 
,^i demande jun ni^eu^ Œdipe <que moi. 
Ceft À-peu'pprè.S le même hali^cmeat 
que dans le Canton da Berne, mais un 
peu plus (xïntoun:^. Les hommes le me& 
ïeot ^ez à b Françoife , & (?eft ce que 
}e9 femmes voudroient bien Ëiire aunt ; 
jnais comme elles ne voyageitt . gueres , 
ne prenant pas comme , eux les modes de 
la première meîji , eUes les n^ent , les 
défigveot, U .(^géc».ie pr£tiiuaiU»« 






»64 l£TTR£ A.V Maréchal 

ic de ^Ibalas, dles feml)Ient parées de 

'guenilles. 

Quant à leur cataâere , il e& difficile 
'd'en juger , tact il eft otHilqiié de maniè- 
res; ils ^ croient polis parce qu'ils ibitt 
Êçonniers , & gais parce qu'ils font tur- 
tulens. Je crois qu'il n'y a que les Chi- 
■iK>is au monde qui puiflcRt l'emporter 
fur eux à faire des complimens. Arrivez- 
vous &tïgué f prefTé , n'importe : il &ut 
-d'abord prêter le 6anc à la longue bor- 
■àée ;< tant que la . machine efl montée elle 
^ioue , & eue Te remonte toujours à cha- 
que arrivant. La politefie Françoife eu de 
leettre les gens -à leur atfe & même de 
,s'y mettre .àuâi. La politeâê Neufchâte- 
.loife eft de gên«- &c foi-même &c les 
.autres. Ils ne conlùltent jimais ce qui vo^ 
-convient, mais ce qai peut étaW leur 
:préte»du fevoir- vivre. Leurs offi-es exa- 
' eétées -ne tentent point ; ettes ont toit- 
■-jours je ne iàis quel air de formule , je 
^ne lâis.quoi defec & d'apprêtéqui vous 
.inviceau re^s..lls font pourtant obli- 
:geaitt, officieux:, hofpitBl^s^'tfès- réelle 
• ment, itir*tout pour 4es gens^de qu^ité: 
i-ou ■eÛtofijours:iù|- d'ètré acçuetlb d'etot 






DE Luxembourg. 165 

en fe donnant poitr Marquis ou Comte; 
& comme une reffource auffi fecUe ne 
manque pas aux aventi.u*iers , ils en ont 
fouvent dans leur Ville , qui pour l'or- 
dinaire y font très-fêtés ; un fimple hon- 
nête homme avec des malheurs & des 
v^mis ne le feroit pas de même : on peut 
y porter un" grand nom uns mérite, 
mais non pas un grand mérite lâns nom. 
Dvï refte , ceux qu'ils fervent une fois 
ils les fc^rvent bien. Ils font fidelles i 
leurs promeflès , & n'abandonnent pas 
aifément leurs protégés. Il fe peut même 
qu'ils foîent aimans &c feniibles ; mais rien 
n'eA plus éloigné du ton du fentiment 
que celui qu'ils prennent, tout ce qu'ils 
font par hiinianité femble être feit par 
oftentation , & leur vanité cache leiu' bon 
cœur. 

Cette vanité eft leur vice dominant; 
elle perce par-tout, & d'autant plus aif^ 
ment qu'elle eft mal-adroite. Ils îe croient 
tous gentilshommes , quoique leurs Sou- 
verains ne fiilTent que des gentilshom- 
mes eux-mêmes. Ils aimeitf la chaffe , 
moins par goût , que parce que c'eftun 
amufement noble. Enfin jamais on . ne 

Pièces diverfes, M 






i66 Lettre au Marécmax 

vît des bourgeois fi pleins de leur naît 
fànce : Us ne la vantent pourtant pas , 
mais on voit qu'ib s'en occupent ; ils 
n'en font pas Sers , ils n'en font qu'en- 
têtés. 

Au défaut de dignités & de titres de 
noblelTe , ils ont des titres militaires ou 
municipaux en telle abondance , qu'il y a 
plus de gens titrés que de gens qui ne le 
font pas. C'eft Moafieur le Colonel , 
Monfieur le Major, Monfieur le Capi- 
taine , Monfieur le Lieutenant , Monfieur 
le Conieiller , Monfieur le Châtelîfin , 
Monfieur là Maire , Monfieur le Jufticier , 
Monfieur le Profiïfïeur , Monfieur le Doc- 
teur , MonÛCTir l'Ancien ; fi j'avois pu 
«prendre ici mon ancien métier « je ne 
doute pas que je n'y fuffe Monfieur le 
Copifte. Les femmes portent aulÏÏ les ti- 
tres de leurs maris » Madame la Confeil- 
lere. Madame la Miniftre; j'ai pour voï'- 
lîne Madame la Major ; & comme on n'y 
nomme les gens que par leurs titres , 
on eft embarraflë comment dire aux gens 
qui n'ont que leur nom , c'eft comme 
» ils n'en avoîent point. 

Le fexe n'y eft pas. beau; on dit qu'il 






DE LuxEMBoyao^' 167 

a dégéoéré. J>s filles ont beaucoup de 
liberté & en font ufa^e. Elles ie rattem- 
Went ibuvent en foçiété oit l'on joue , 
06 l'on goûte , où l'on babille , 6c où Ton 
attù'e tant qu'on ^feut les jeunes gens; 
mais par malheur ils font rares & il âut 
ie les arracher. L«s femmes vivent affez ' 
fagement ; il y à dians le pays d'aJTez bons 
ménages , & il y ea auroit bien davantage 
fi c'étoit un air de bien vivre avec" fon 
mari. Du refte vivant beaucoup en cam- 
pagne , lifant moins & avec moins de 
fruit que les hommes , elles o'oitt pas l'ef- 
prit fort orné , & dans le désoeuvrement 
tle leur vie elles n'ont d'autrç reffource 
que de feire de la dentelle , d'épier curieu- 
^ment les affaii-es des autres , de médire 
&c de jouer. Il y en a pourtant de fort 
aiirables ; mais en général on ne trouve 
pas ^ns leur entretien ce ton que la dé- 
cence & rhonnêttté même rendent féduc* 
teiir, ce ton que les Françoifes iavent fi 
bien prendre quand elles veulent , qui 
montre du fenumcnt , de l'ame , & qui 
promet des héroïnes de roman. La conver- 
lation des Neufchltebifes eft aride ou 
ba<^e; elle taiil il -tôt qu'on ne plai- 
M » 






i68 Lettre au Maréchal 

fante pas. Les deux fexes ne manquent 
pas de bon naturel , & j e croîs <jue ce n'efl; 
pas un peuple fans mœurs , mais c'eft un 
peuple fans principes , & le mot de vêitu 
Y eu aufli étranger ou auffi ridicule- qu'en 
Italie. La religion dont ils fe piquent fert 
plutôt à les rendre hargneux que bons. 
Guidés par leur Clergé ils épiuïgiieront 
fnr le dogme , mais pour la morale ils ne 
favent ce que c'eft ; car quoiqu'ils par- 
lent beaucoup de charité, celle qu'ils ont 
n'éft flffurément pas l'amour du prochain, 
c'eû feulement l'afieûation de donner l'au' 
mône. Un chrétien pour eux eft un hont* 
me qui va au prêche tous les Dimanches, 
quoiqu'il fefle dans l'intervalle, il n'im^ 
porte pas. Leiu-s Miniftres qui fe font ac- 
^is un grand crédit fur le peuple tandis 
que leurs Princes étoient catholiques, vou- 
droient conferver ce crédit en fe mêlant 
de tout , en chicanant fiu- tout , en éten- 
dant à tout la jurifdiâion de l'EgUfe i Us 
ne voient pas que leur tems efl palTé. 
Cependant ïls viennent encore d'eKciter 
dons l'Etat une fermentation qui achè- 
vera de les perdre. L'importante afiàire 
dont^ il s'agiCoil étoit ai lavoir û les 



.DE LUXEMBOUJIG. 169 

peines des ,' damnés étoient éternelles. 
Voiis auriez peÎHe à croire avec quelle 
chaleur cette difpute a été agitée ; celle 
du Janfénifme en France n'en a- pas ap- 
proché. Tous les Corps ajTembles , les 
peuples prêts à prendre les armes, Mi- 
oHiresdeftitués, Magiftrats interdits , tout 
jnarquoit les approches (fune guerre cir 
vik , & cette affaire n'eft pas tellement 
£me qu'elle ne puifle lainër de longs 
foiivenjrs. Quand ils fe feroient tous 
arrangés pour aller en enfer , ils n'au- 
roient pas plus de fouci de ce qui s'y 
pafle. 

Voilà les prmcipales remarques que j'ai 
iàites jufqu'ici fur les gens du pays où je 
fuis. Elles vous .paroîtroient peut-être un 
peu dures pour un homme qui parle de 
iès hàtes^ ^ j^ vous laiffbis ignorer que 
je ne leur fuis redevable d'aucune ho^i- 
talité. Ce h'eft point à Meffieurs de Neuf- 
châtelque je fuisvenu demander un afyle 
qu'ils ne m'auroient furement pas accordé , 
èeû à Mylord Maréchal, .& je ne fuis 
ici que chez le Roi de Pruffe. Au contraire , 
à mon arrivée fur les terres de la Princi- 
pauté f le Magiftrat de la ville de Neuf- 
Aï 3 






170 LCTTRE AU MarÉCHAX 

châtel s'eft pour tout accueil. dépêché de 
défendre mon livre fens le coimoître , la 
clalTe des Minières t'a àé£éré de même 
au Confeil d'Etat ; on n'a jamais vu de 
cens plus preilés d'imiter les fottlies de 
leurs voifins. Sans ta proteâion déclv^ 
de Mylord Marédial , ou oe m'e&t fiire- 
mcnl 'point latfie m pais dans ce viUage. 
Tant de Ijandits fe réfogiem dans le pay» 
que ceux qui le gouvernent ne lavent 
pas diftinguer des mal^teurs pourfuivis 
les innocens opprimés , tut fc mettenit peu 
en peine d'en Aire la diffîMnce. I^ mai* 
fon que j'habite appartient à une nièce 
de mon vianc snù M. Roguin. Ainfi loin 
d'avoir mille obli^on à Meilteurs de 
Neufcliâtel , je n*ai qu'à m'en plaindre, 
lyailldirs , je j^ai pas mis le pied dans 
-leur ville, ils me font étrangers à tous 
^ards , je ne leur dois que juftice en 
pariant d'eux âe je la leur rends. 

Je la rends de meilleur cœur encore à 
• ceux d'entr'eui: qui m'ont comblé de ca- 
reifes , <f offi'es , de poUteflas de toute 
efpece. Flatté de leur eAimc & tonclié de 
leurs bontés , jô me ferai toujours un de- 
voir & un pîaifir de leur marquer mon 






DE Luxembourg. 171 

amchemem & ma reconnoiilànce ; mm 
l'accuéit qu'ils m'ont tàil n*a rint de ooib^ 
tmm avec le gouvernement Neufchâtdkns 
gu^^en eût fait un bien différent s'il en 
euTO^Ie mïutre. Je Joîs dire encore que 
fi h maîlvaiic Tolonté dU corps des Mi- 
nlftrés n'eft pas doûteiift , i*âi beîhicDap 
À me louer en bârticuliër de celui dont 
j'habite la paroiffe. Il me vint voir à mon 
arrivée , il me fit mille offres de fervices 
qui n'étoient poim vaines , comme il me 
1 a prouvé dans une occafion effentieDe oîi 
il s'eÛ expdfé àja maiivailê humeur de 
plus d'im dé les confrères , pour s'être 
montré vrai Pafteur envers moi. Je m'at- 
tendois d'autant moins de ik part à cette 
juftice , qu'il avoit joué dans les précé- 
dentes broijjîleries un rôle qui n'annonçoit 
pas un Minîftre tolérant. C'eft au furplus 
un homme affez gai dans la focîété , qui 
ne manque pas d*efprit , qui fait quelque- 
fois d'anez bons fermons , & fouvenl de 
fon bons contes. 

Je m'apperçois que cette Lettre eft un 
livre , & je n'en fois encore qu'à la moitié 
de ma relation. Je vais , Monfieiu- le Ma- 
M 4 



..„, Google 



17» Lettre au Maréchal 

réchal , vous ïaiffer reprendre haleine , 
& remettre le fécond tonae à une autre 



'{*) PoDrippTMtr IndiTcnJngcnien) pnrtéi daai cctM 
.Intn, ]( Lcanu- voudra bjtn Faire atinition i rfpoqH* 
dt a, date & an lin ^u'tudûtoU l'Antu» 






SECONDÉ LETTRE 

• A u M ê M E. 

A Matîers le 28 Janvier 17^1. ' 



XLfeui, Monfieiir le Maréchal, avoir 
du courage pour décrire, en cette laifon 
le lieu que j'habite. Des cafcades , des 
glaces , des rochers nuds , des fapins noirs 
couverts de neige font les objets dont je 
fuis entouré ; & , à l'image de l'hiver le 
pays ajoutant l'a/peil de Faridité ne pro- 
met , à le voir , qu'une defcription fort 
trifte. Auffi a-;t-il l'air affez nud en toute 
iailbn , mais il eft prefque effrayant dans 
ceUe - ci. ïl faut donc vous le repré- 
fenier comme je l'ai trouvé en y arri- 
vant , & non comme je le -vois aujour- 
d'hui , ians quoi l'intérêt que vous pre- 
nez à moi m'empécheroit de vous en rien 
dire. 
. Figurez - vtais donc un vallon d'une 
bonne demi -lieue de .large & d'environ 
.dmuc lieue^ de long , au milieu duquel 
" M j 



Lettre au MARicHAL 



mffe ime petite rivière appelles la Reufe 
Sns la dlreffion du Noid-oueft jm S»d- 
eft. Ce vaUon formé par deux chaînes de 
montagnes qui font des branches du Mont- 
Juia 8c qui fe refferrent par les deia hoiiB , 
refte pouront affei ouvert pour hifler 
■ voir au loin fes protoneemens , lefquels 
divifés en lameaux parles bras des mon- 
taenes oftent plufirars belles perfpe&ves. 
Ce vallon , appelle le Val-de-Travers du 
nom d'un viHagc qui c« à fon extrémité 
orientale , eft garni de quatre ou cinq au» 
tr.'S village! à peu de diftince les uns- des 
a'ttres ; C3lui de Motiers qiu forme le 
iRilieu eft dominé par un vieux château 
aéfert dont le voifinage & h fituation fo- 
fcaiie & Éiuvage m'attirent fouvent dans 
mes promenades du matin , dHiutant plus 
que je puis fortir dececôtépartme porte 
3e deniere fans paSer par la rue m de- 
vant aucune maifoo. On dit que les bois 
& les rochers qui environnent ce château 
font fort rempli» de vipères ; cependant , 
ayant beaucoup parcouru tous les envi- 
ions & m'étant affis à toutes fortes de 
places > je n'en ai point vu jufqu'ici. 
Outre ces viBages , on Voit vers le bas 






DE Luxembourg. 17^ 

des montagnes plufieurs maifons ëparfffs 
qu'on appelle des Prifes^ dans lefquelles 
on tient des beftiaux &c dont plufieurs font 
habitées par les propriétaires , la plupart 
payiâns. II y en a une entr'autres à mi- 
côte nord , par coniéqiient expofée an 
midi fur une terraflâ naturelle , dans là 
plus admirable pofitïon que j'aye jamais 
vue , & dont le difficile accès m'eiit rendu 
l'habitation très-commode. J'en fiis fi tenté 
que dès' la première fois je m'étois pref- 
que arrange avec le propriétaire pour y 
loger ; mais on m'a depuis tant dit de 
mal de cet homme , qu'aimant encore 
mieux la paix & la fiirete qu'une demeure 
agréable, j'ai pris le parti de refter oii je 
luis. La maifon aite f occupe eft dans une 
moins belle pofitïon, mais elle eft grande, 
aflez commode , elle a vne galerie exté- 
rieure oit je me promené dans les mauvais 
tems , & ce qui vaut mieux que tout le 
rtfte , c'eft xm afyle offert par l'amitié. 

!La Reufe a ia fource au - deffus d'im 
village appelle St. Sulpice , à Textrémité 
occidentale du vallon ; elle en fort au 
village de Travers à l'autre extrémité oîi 
elle commeace à fe creufcr un Ih qui de- 
M 6 






xjS Lettre au Marécha.l 

vient bientôt précipice & la conduit enfin 
dans le lac de Neufchâtel. Cette Reufe eft 
un« très-jolie rivière , claire & brillante 
comme de l'argent , oii les tniîtes ont 
bien de la peine à Ce cacher dans des tou^ 
£çs d'herbes. On la voit fortir loiit-d'iin- 
coup de terre à fa foiirce , non point en 
petite fontaine ou niifleau , mais toute 
grande & déjà rivière comme la fontaine 
de Vauclufe , en bouillonnant à travers 
les rochers. Comme cette fource eft fort 
enfoncée dans les roches efcarpées d'une 
montagne, on y eft toujours à l'ombre; 
& la fraîcneur continuelle , le bruit , les 
chûtes , le cours de l'eau m'attirant L'été à 
travers ces roches brûlantes , me font 
fouvent mettre en nage pour aller cher- 
cher le frais près de ce murmure , ou plu- 
tôt près de ce fracas , plus flatteur à mon 
oreille que celui de la rue St. Martïn. 

L'élévation des montagnes qui forment 
le vallon n'eft pas exceffive, mais le vallon 
même eft montagne étant fort élevé aii- 
delTus du lac , oC le lac ainû que le fol 
,de toute la Suiffe, eft encore extrêmement 
.élevé fur les pays de plaines , élevés à 
.leur tour au-deftiis du niveau de la mer. 



DE Luxembourg. 177 

On peut juger fenfiblement de la penle 
totale par le long &c rapide cours des 
rivières , qui , des montagnes de Suiflè 
Vont fe rendre les unes dans la Méditer- 
ranée & les autres dans l'Océan. Ainfî , 
quoique la Reufe traverfaiit le vallon foit 
itijette à de fréquens débordçmens qui 
font des bords de fon lit une cfpece de 
marais , on n'y fent point le marécage , l'air 
■ n'y eft point humide S>c mal faln , la viva- 
cité qu'il tire de fon élévation l'empêchant 
de refter long - tems chargé de vapeurs 

Î;roJrieres -, les brouillards , nffez fréquens 
es matins , cedemt pour l'ordinaire à \\\c-' 
lion du foleil à mefurc qu'il s'élcvc. 

Comme entre les moritag'.ics & les val- 
lées 'a vue eft toujours réciproque, celle 
dont je jouis ici dans un fond n'eft pas 
moins vafîe que celle que j'avois fur les 
liauteurs de Montmorenci , mais elle eft 
d'un autre genre; elle ne flatte pas, elle 
frappe ; elle eft plus fauvage que riante ; 
l'art n'y étale pas {es beautés, mais la 
majefté de la nature en impofe , & quoi- 
que le parc de Verûilles foit plus grand 
que ce vallon , il neparoîtroit qu'un co- 
lifichet en fortant d'ici. Au premier coup- 






178 Lettre au Maréchal 

ë*œil le fpeûacle, tout grand qu*a eft , 
iêmble un peu nud , on voit très-peu d'ar- 
fcres dans la vallée ; ils y viennent mal 
& ne donnent prefque aucun fruit ; l'ef- 
carpement des montagnes étant très-rapide 
montre en divers endroits le gris des ro- 
chers , le noir des fapins coupe ce gris 
d*une nuance qui n'eft pas riante , & ces 
ûipins fi grands , fi beaux quand on eft 
deflbus ne pâroifiant au loin que def 
arbrlffeaux, ne promettent ni l'afyle , ni 
l'ombre qu'ils tionnent; le fond du val- 
lon , prefque au niveau de la rivière fêta- 
ble n'offrir à ies deux bords qu'un large 
marais oîi l'on ne Éiuroit marcher j la 
réverbératiiMJ des rochers n'annonce pas 
dans un lieu iàns arbres une promenade 
bien fraîche quand le foleil luit ; fi - tôt 
'qii^il fe couche il biffe à peine un crépuf- 
cule , & la hauteur des monts intercep- 
tant toute la lumière ûh pafler prefque 
à l'inftant du jour à la nuit. 

Mais fi la première impreflion de tout 
cela n'eft pas agréable , elle change infen- 
■fiblement par un examen plus détaillé, 
& dans' un pays où l'on croyoit avoir 
tout vu du premier coup- d'œil , on fe 






DE Luxembourg. 279 

trouve avec furprife environné d'objets 
chaque jour plus intéreffans. Si la prome- 
nade de la vallée dt un peu uniforme elle 
eft en revanche extrêmement commode ; 
tout y eft du -niveau le plus parfeit, les 
chemins y font unis comme des allées de 
jardin ; les bords de la rivière offrent par 
■places de larges peloufes d'un plus beau 
verd que les "gazons du Palais -Royal , ôc 
l'on s'y promené avec délices le long de 
cette belle egu , qui dans le vallon prend 
un cours paiiible en quittant fes cailloux 
& fes rochers qu'elle retrouve au fortir 
du Val-de^raver&. On a propofé de plan- 
ter fes bords de Saules & de Peupliers 
pour donner durant la chaleur du jour de 
l'ombre au bét^l défolé par les mouches. 
Si jamâK ce projet s'exécute, les bords 
■ de la Reufe dsviendront aufli charmans 
que ceux du Lignon, & il ne leur man- 
quera pliiS que des Aftrdes , des Silvan- 
dresÔc un d'Urfê. 

Cootme la ttreftion du vallon coupe 
obliquement le cours du foleîl , la hau- 
teur des monts' jette toujours de î'ombre 
par quelque côté fin- la plaine , de forte 
' ^'en'dirigeant fçs' promenad« 6t choifiir . 






i8o Lettre au Maréchal 

faut fes heures , on peut aifément feîre à 
l'abri du foleil tout le tour du vallon. 
D'ailleurs ces mêmes montagnes intercep- 
tant fes rayons , font qu'il ft levé tard & 
fe couche de bonne heure , en forte qu'on 
n'en eft pas loag-tems brûlé. Nous avo;is 
prcfque ici la clef de l'énigme du Ciel de 
trois aunes , & il eft certain que les mai- 
fons qui font près de la fotuice de la Reufe , 
n'ont pas trois haires de foleil , même en 
été. 

Lorfqu'on quitte le bas du vallon pour 
fe promener à mi-côte, comme nous limes 
une fois , Moiifieur le Marcchal , le long 
des Champesiix du côté d'Ar.dilly , on n'a 
pas une promenade aiiflî, commode , miis 
cet agrément eil bien compenfiî par la va- 
riété des fites & des points de vue , par 
les découvertes que l'on fait f^ns;cefîc 
^autour .de foij parles.jolis réduits qu'on 
. trouve dans les gorges des montagnes , 
oîi , 'e cours des torrens qui defcendent 
dans la vallée,, les hêtres gui les ombra- 
gent ^ les coteaux qui les .entourent offrent 
des aijfles verdoyansife. frais quand pn 
, fuffoqué à découvert. .Ces réduits, ces 
. prttts yailons.Be.s'appeïçoivent p%s,iat^t 






DE Luxembourg. i8i 

qu'on regarde au loin les montagnes , & 
cela joint à ragrcment du lieu celai de 
la fiirprife, lor^'on vient tout d'un coup 
à les découvrir. Combien de ibis je me 
fuis figuré , vous Suivant à ta promenade 
& tournant autour d'un rocner aride , 
vous voir fiu-pris & charmé de retrouver 
des bofquets pour les Drybdes oîi vous 
n'auriez cru trouver ^e des antres. &c 
des oiu^. ■ 

Tout le pays eft plein de cnrioficés 
naturelles qu'on lïe découvre que peu à 
peu, & qui par ces découvertes fticcef- 
£ves lui donnent chaque jour l'attrait de 
la nouveauté. La Botanique ofire- ici fes 
tréfors à qui fauroit les connoître , &: 
fouvent en voyant' autour de moi ceMe 
pro6ifiaa de plantes rares , ft les foxiie à 
regret fous le pied d'un ignoiînt. H eft. 
pourtant nécefiaire d'en connottre ime 
pour fe garantir de fes terribles effets ; 
c'eft le Napel. Vous voyez unetrès-beUe 
plante haute de trois pieds , garnie de jo- 
lies fleurs bleues qui vous donnent envie 
de la cueillir : mais à peine l'a-t-on gar- 
dée quelques minutes qu'on fe fent iaifi 
de maux de tête , de vertiges , d'éranouif- 






i8i Lettre au Maréchal 

femens & l'on périroit fi Ton ne jcttoit 
promptement ce fiinefte bouquet. Cette 
plante a fouvent caiifé des accidens à des 
cniâni & à d'autres gens c[m ignoroient là 
pemicieuie vertu. Pour les beftiaux lis 
n'en approchent jamais &c ne broutent pas 
même iVerbe qui l'entoiu'e. Les feuclieiirs 
i'extirpent autant qu'ils peuvent i qiioi- 
qu'oo iàffe l'sfpect en reûe , & je ne lailTe 
pas d'en vcmt beaucoup en me promenant 
Au* les montagnes , maàs on l'a détruit* à- 
peiHprès dans le yalloo. 

A une petite lièue de Motîers , dans la 
Seigneurie de Travers ^ eft une mine d*af 
plialte qu'on dit qui s'étend usas ficnâ te 
pays : m tud>itans lui attribiunt tBode^ 
tement la gaîté dont ib Te vantent , & 
qu'ils prétendent fe tranimettre même à 
leurs beftiaux. Voilà Ikns douta une belle 
vertu de ce minéral « mais pour en pou- 
voir lèntir Fefficace il ne ânt pas avoir 
quitté le château de MontUiorenci, Quol- 

Su'il en fott des merveilles qu'ils dirent 
e leur afphalte , j'ai donné au Seigneur 
de Travers un moyen fôr (Ten tirer la 
médecine univerfelle ; c'eft de feire une 
bonne peaûon à Lorris pu à Bordeiu 






DE Luxembourg. 183 

! Au deffus de ce même village de Tra- 
I vers il fe fit il y a deux ans une avalan- 
che confidérable & de la feçon du monde 
la plus fingiiliere. Un hDmrne qui habite 
3u pied de la montagne avoit ion champ 
devant fa fenêtre , entre la montagne « 
là mailbn. Un QkHin qui fuivit une nuit ' 
d'orage i\ iîit bien furpris en ouvrant fa 
feoé^ de trouver un bois ù la place de 
fon champ ; le terrain s'éboulant tout 
d'une pièce avoit recouvert fon champ 
des arbres d'im bois qui étoït au^leiTus , 
&c cela , dk'On» fait e«re les deux pro' 
fviéîaires le fujet d*un procès qui pouîT 
roit trouyer place dans le recueil de PJt- 
taval. UeTpace qup Tavalancbe a mis à 
mid ell fort grand Se paroît de loin ; mais 
il &ut en approcher pour juger de la 
force de réboulnnent* de rétendue du 
creux, & de la sruidcMr d«f rochen qui 
oaté^ trahfportés. C« feit récent & cei^ 
tain rend croyable ce que dit piine d'une 
vigne qui àvoit été ainfi tranfjiortée d'un 
côté du chemin à Tautre : maïs raçpro- 
chons-noiis de mon habitation. 

J'ai vis-it-vis de mes fenêtres une fu- 
perbe cafcade , qui da h*mt de U inontaT- 






184 Lettre au MARÉCHAt 

gne tombe par l'clcarpement dVin rocher 
cans le vallon avec iin bnilt qui fe fait 
entendre au loin , fur-tout quand les eaiLV 
font grandes. Cette cafcade eft très en 
vue, mais ce qui fleU'eft pas de même 
eft yne grotte à côté de foit baiîîn de 
laquelle l'entrée eïl difficile , mais qi/on 
trouve au dedans affez efpacée , éclaiiée 
par ime fenêtre rtatnrdle , ceintrée en 
tiers-point , & décorée d'un ordre d'Ar- 
chiteâure qui n'éft ni Tofcan , ni Dori- 
que , mais l'ordre de la rrature qui iait 
mettre dès propottions & de l'harmonie 
dans fes ouvrages les moins réguliers. 
Inftniit de la fituaiion de cette grotte , 
je m'y rendis feul l'été dernier pour la 
contempler à mon ■aife. L'extrême féche- 
reffe mé"dofina la facilité d'y etitrer par 
une ouverture enfoncée & très-furbâif- 
fée , en me traînant fur te venfre ^ car la 
fenêtre eft trop hmie poitr qii'on puifle 
y paffer fani échelle. Quâfitt je' fiis au 
dedans je m'affis flir une pierre , & je me 
mis à (tontemplér avec raviffement cette 
fiiperbe faite dont les omeraens font des 
quartiers de roche diverfen»ent fitués , & 
formant la décoration la plus-' riche qiie 






PE Luxembourg. 285 

faye jamais vue , fi du moins on peut- 
appelter ainfi celle qui montre la plus 
grande puiffance , celle qui attache ôc 
intéreffe , celle qui feit peafer , qui élevé 
l'âme , cellfe qui force l'nommeà oublier 
fe petiteffe pour ne penfer qu'aux oeu- 
vres de la nature. Des divers roctiers qui 
meublent cette caverne , les uns , déta- 
ehés Ôf tombés de la voûte , les autres 
encore pendans& diverlement fitués mar- 

Î|uent tous dans cette mine naturelle , l'ef-. 
et de cfwelque explofion terrible dont la 
caufè paroît difficile à imaginer ; car même 
im tremblement de terre ou un volcan 
n'expliqiteroit pas cda d'une manière fa- 
tisâîlânte. Dans le fond de-^la grotte, qvii 
va en s'élevant de même que fa voûte , 
on monte fur une efpcce d eftrade & de- 
là par ime pente affez roide fur un rocher 
qui mené de biais à un enfoncement très* 
obfcur par oii l'on pénètre fous la mon- 
tagne. Je n'ai point été )ufd[ues-!à, ayant 
trouvé devant moi un trou large & pro- 
fond qu'on ne faiiroit fraiichu- qu'avec 
une plantée. D'ailleurs v^rs le haut de 
cet eiifoi«:ement &c pre^qu" à l'entrée de 
la galerie iouterraina ,eil im ' quartier de 






286 Lettre au Maréchal 

rocher très-împofant , car iiifpèndu pref- 
qu'en Tair il porte à faux par vn de fes 
angles, fie penche tellement en avant qu'il 
femble fe détacher & partir, pour écrâfer 
le fpeâateur. Je ne doute pas ,. cepen- 
dant^ quM ne foit dans cette fituation 
depuis bien des fîecles &c qu'il n'y refte 
encore .plus long-tems ; mais ces fortes 
d'équilibres auxquels les yeux ne font pas 
&its ne laiffent pas de caufer quelqu'in- 
^iétude , & quoiqu'il làllùt peut-être des 
forces immenfts pour ébranler ce rocher 
qui paroît fi prât à tomber, je crain- 
(irois d'y toucher du bout du doigt , 8c 
ne voudrois pas plus reflar dans la direc- 
tion de ik chute que fous l'épée de Da- 
modès. 

La galerie fouterraine à laquelle cette 

f'Otte fert de veftibule ne continue pas 
aller en montant , mais «He prend fa 
pente un peu vers le bas , 6c fuit la même 
uiclinaifon dans tout l'elpace qu'on â ;u^ 
qu'ici parcouru. Des curieux s'y font 
engagés à diverfes fois avec des domef- 
tiofues , des flambeaux & tous les fecouis 
neceâaires ; mais il faut du courage pour 
pénétrer loJQ' dans cet effi'oyahle <Ûeu» 






DE LVXEM3 0UB.r.. 187 

& de la vigueur pour ne pas s'y trouver 
maL On elt allé jufqu'à près ai demi- 
lieue en ouvrant le paflàge oii il eft trop 
étroit , & fondant avec précaution les 
gouffi-es Ô£ fondrières qui font à droite 
$£ à gauche ; mais on prétend dans le 
pays qu'on peut aller par le même fou- 
terrain à plus de deux lieues jufqu'à l'autre 
côté de la montagne, oit l'on dit qu'il 
aboutit du côté du lac , non loin de l*em- 
'Iwuchure de la Reiife. 

Au-deiTous du ballm de la même caf^ 
cade , eH une autre grotte plus petite « 
dont l'abord eft embarraflë de plufieurs 
grands cailloux & quartiers de roche qut 
paroifl^nt avoir été entraînés là par les 
eau\. Cette grotte-ci n'étant pas fi prati- 
cable que l'autre n'a pas de même tenté 
les Curieux. Le jour que j'en examinai 
l'oiiverture, il feuoit une chsleur infnp- 
portable ; cependant il en fortoit un vent 
û vif Se G. &oid que je it'ofai relier 
long-tems à l'entrée, & toutes Içs fois 
que j'y fuis retoun^ j'ai toujours fenti 
le même vent ; ce qui me fait juger qu'elle 
a une communication plu$ immédiate & 
mom endjariafféç que l'autre, 






288 Lettre au MARicMAL 

A l'oueâ de ta vallée une montagne 
la fcpare ea deux brandies, l'une fort 
étroite oii font le village de St. Sii!- 
pice, la fource de la Reuiè , & le che- 
min -de Pootarlier. Sur ce chemin l'on 
voit encore une grt^e chaîne fcellée dans 
le rocher & nùiè là jadis par les Suiffes 
pour fermer de ce cété-tà le paflâge aux 
Bourguignons. 

L'autre branche plus large & à gaudle 
de la première , mené par le village de 
Butte a un pays perdu appelle la co/e- 
aux'Ft'eSf qu'on apperçoit de loin parce 
qu'il va en montant. Ce pays n'étant fur 
aucun chemin paffe pour très-feuvage & 
en quelque Jbrte peur le bout du monde. 
Auffi prétend-on que c'étoh autrefois le 
féjour des Fées , & le nom lui en eft reflé. 
On y voit encore leur falle d'affemblée 
dans une troiilcme caverne ^ui porte 
auffi leur nom , & qui n'eft pas moins 
airieufe que les précédentes. Je n'ai pas 
vu cette ^otte-aux-fées, parce qu'elle eft 
aOez loin d'ici ; mais ob dit qu elle étoit 
fuperiîement ornée , &• l'on y voyoit 
encore il n'y a pas long-tems , un trône 
& des fiéges très -bien taillés dans le 
roc 



DE L UXEMBOURG. 189 

TOC. Tout cela à été ^té & ne paroît 
■prefqvie plus aujourd'hui. D'aitleura l'en- 
trée de la grotte elt prefque entiéremert 
liouchée par les décombres , par les brour- 
^lles, & la crainte des ferpens & des 
. hètes Ycnimeufes rebute les airieux d'y 
■vouloir pénétrer. Mais fi elle eût étépr*- 
'tîcable encore & dans ùi prenùere beauté , 
■& que Madame la Maréchale eîit paffé 
dans ce pays , je fuis fîir qu'elle eût voulu 
■voir cette grotte finguliere, n'eût-ce été 
^u'en feveiir de Fleup^l'Epine & des^ 
TacardîiK. -- 

Hus j'examine en détail fétat & lâ 
pofition de ce vallon, plus je me perfuade 
■qu'il a jadis été fous l'eau , que ce qu'oit 
■appelle aujourd'hui le Val-de-Travers fîit 
■autrrfois «n lac formé par la Reufe , la 
-cafcade & d'autres miffeaux , & con- 
Temi par les montagnes qui l'environnent, 
■de forte que je ne doute point que je 
n*h^ite l'ancienne demeure des poiflbns. 
En effet , le fol du -vallon eA fi parfaite- 
ment uni qu'il n'y a- qu'un dépôt formé 
par les eaux qui puille 1 avoir ainfi nivelé. . 
Le prolongement du vallon , loin-- de 
-4efoendre , monte k loi^ du cours de la 
Fitces Mver/es. N 






lep Lettre au Maréchal 

Reufe , de forte qu'il a fellu des tems 
ÎTifinis à cette rivière pour fe caver dans 
les abymes qu'elle forme , un cours en 
Jens contraire à rinclinaifon du terrain. 
Avant ces tems, contenue de ce côté de 
même que de tous les autres, 6c forcée, 
de refluer liir elle-même, elle dut enfin 
remplir le vallon jufqu'à la hauteur de la 
première grotte que j'ai décrite , par 
laquelle elle trouva ou s'ouvrit un écou- 
lement dans la galerie fouterraine qui 
lui fervoit d'aqueduc, 

Le petit lac demeura donc conftamment 
à cette hauteur jufqu'à ce (pie par quel- 
ques, ravages , fréquens aux pieds des 
montagnes dan? les grandes eaux , des 
pierres ou graviers embarrafferent telle- 
ment ]e< Canal que les eaux n'eiu-ent plus 
un cours fuffifant pour leur écoulement. 
Alors s'étant extrêmement élevées , & 
àgiflànt avec une grande force contre les 
obAacles qui les retenoient , elles-s'ouvri- 
xent enfin quelque iffue par le côté le 
plus foible & le plus bas. Lçs premiers 
filets échappés ne ceflànt de; creufer & 
de s'agrandir , & le niveau du lac baîf- 
iàat à proportion > à force de tems le 






DE Luxembourg. 291 

vallon dut enfin fe trouver à fec. Cette 
conjeâure qui m'eft venue en examinant 
la grotte oii l'on voit des traces fenfibles 
du cours de l'eau , s'en confirmée premiè- 
rement par le rapport de ceux qui ont 
été dans la galerie fouterraine , Se qui 
m'ont dit avoir trouvé des eaux crou- 
pifTantes dans les creux des fondrières 
dont j'ai parlé ; elle s'eft confirmée encore 
dans les pèlerinages que j'ai &its à quatre 
lieues d'ici poiu- aller voir Mylord Maré- 
chal à & campagne au bord du lac , &: 
où je iuivois , en montant la montagne , 
la rivière qui dcfcendoit à côté de moi 
par des profondeurs effrayantes , que 
febn toute apparence elle n'a pas trou- 
vées toutes faites , &c qu'elle n'a pas , 
non pliu , creufées en un jour. Enfin , 
j'ai'penfé que l'afphalte qui n'eft qu'un 
bitume durci étoit encore un indice d'un 
pays long-tems imbibé par les eaux. Si 
j'ofois croire que ces folies puffent vous 
amufer , je tracerois fur le papier une efpe- 
ce de plaii qui pût vous éclaîrcir tout cela : 
mais il faut attendre qu'une faifon plus 
Éiyorable & lui peu de relâche à mes qiaux 
me laiflént en état de parcourir le Pays. 
N 1 



191- Lettre au Maréchal 

On peut vivre ici puisqu'il y a des 
habîtans. On y trouve même les princi- 
pales commodités de la vie , quoi qu'un 
peu moins facilement qu'en France. Les 
denrées y font chères parce que le pays 
en produit peu , & qu il eft fort peuplé 
fur-tout depuis tju'on y a établi des ma- 
nuâ^ires de toile peinte & que les tra- 
vaux dltorlogaie & de dentelle s'y mul* 
tiplient. Poiu' y avoir du pain mangeable, 
il Élut le feire chez foi , & c'eft le pani 
que j'ai pris à l'aide de M"*, le Vafleur ; 
a yipnde y eu mauvaife, non que le pays 
n'en produifede bonne , tnais tout le bœuf 
va à Genève ou à Neufehâtel & T*on ne 
tue ifi que de la vache, La rivière fournit 
d'excellente truite , mais fi délicate qu'il 
Eut la manger fortant de l'eau. Le vin 
vient de Neufehâtel , & il eil très - bon , 
fuMOut le rouge.: pour moi je m'en tÏCTis 
au blanc bien q\oins violent , k meilleiu 
fr^çhé, & félon moi, beaucoup plus fàin. 
Point de volaille , peu de gibier » point 
de fruit » p3s même des pommes ; ièule- 
ment des fraifes bien parfiunées , en abon- 
dance S^ qui durem long-tems. Le laitage 
y .fift «X«çUenf ^ moins pourtant «^wç \a 



DE Luxembourg. 29; 

fromage de Viry préparé par Mademoîfelle 
Roie ; les eaux y font claires & légères : 
ce n'eft pas pour moi une chofe iridiiFé- 
rente que de bonne eau , & je me fentirai 
long - tems du mal que m*3 fait celle de 
Montmorenci. J'ai fous ma fenêtre une 
très -belle fontaine. dont le bruit fait une 
de mes délices. Ces fontaines , qui font 
élevées &c taillées en colonnes ou en obé* 
lifques & coulent par des tuyaux de fer 
dans de grands bâflms , font im des orne- , 
mens de la Suifle. Il n'y a fi chétif village 
qui n'en ait au moins deux ou. trois , les 
maifcMis écartées ont prefque chacune la 
fienne , & l'on en trouve même fur les 
chemins pour la commodité des paffans , 
hommes &c beftiaux. Je ne iàurois expri- 
mer combien l'afpeÛ de toutes ces belles ■ 
eaux coulantes eu agréable au milieu des 
rochers & des bois durant les chaleurs , 
l'on eil déjà rafraîchi par la vue , 6c l'on 
eft tenté d'en boire fans avoir foif. 

Voilà , Monfieur le Maréchal , de quoi 
vous former quelque idée du féjour que 
j'habite & auquel vous voulez bien pren- 
dre intérêt. Je dois l'aimer comme le feul 
iicude la terre oii la vérité ne foit pas 

N3 






294 Lettre av Maréchal, Sec 

wn crime , ni l'amour du genre - humain 
une impiété. J'y trouve la lîircté fous la 
proteflion de Mylord Maréchal & l'agré- 
ment dans Ton commerce. Les habitaos du 
lieu m*y montrent de la bi«iveillance & 
ne me traitent point en profcrit. Comment 
pourrois-je n*etre pas touché des bontés 
qn'on m'y témoigne , moi qui dois tenir 
àliienfàit de la part des hommes tout le 
mal qu'ils ne me font pas } Accoutumé à 
•porter depiùs fi long-tems tes pefantes 
chaînes de la néceiTité , je paflêrois ici iàos 
regret le reftç de ma vie , fi j'y pouvois 
voir quelquefois ceux qui me la lont eo; 
cor« aimer. 



é^^ 
"^m 



G^K)^!.- 



LETTRE 

A-MADAME DET* 

Le 6 Âarit 1771. 



^/ N violent rhume , Madame , qui me 
met hors d*état de parler fans fatiguer ex- 
trêmement , me fait prendre le parti de 
vous écrire mon fentunent fur votre eiH 
fant, pour ne pas lelaiflèr plus long-tems 
dans l'état de fufpenfion on je fens bien 
que vous le tenez avec peine , quoiqu'il 
n'y ait point ielon moi d'inconvénient. 
Je vous- avouerai d'abord que plus je 
penfe à l'expolîtion Uimineule que vous 
m'avez feite , moins je puis me perfuader 
]ue cette roideiir de caraâere qu'il mani- 
tefte dans im âge fi tendre , foit l'ouvrage 
de la nature. Cette mutinerie, ou fi vous 
voulez , Madame , cette fermeté n'eft pas 
fi tare que vous croyez , parmi les en- 
fàns élevés comme lui dans l'opulence , 
i& j'en fais dans ce moment même à Pa- 
ris , un autre exemple tout femblable , 
dont la conformité m'a beaucoup frappe; 
tandis que parmi les autres ensuis él«rés 
N 4 






296 Lettre 

avec moins de follîcitude apparente , Se 
à qui l'on a moins &it Tentir par-là leur 
imponance , je n*ai vu de ma vie un 
exemple pareil. Mais laiflbns quant à pré- 
fent cette obfervatîon qui nous mene~ 
roit trop loin , & quoi qu'il en foit de la 
caufe du mal , parlons du remède. 

Vous voilà , Madame , à mon avis, dans 
une circonftance ^vorable dont tous 
pouvez tirer grand parti. L'eâ^t com- 
mence à s'impatienter dans fa penfion y il 
deiire ardemment de revenir , mais là 
fierté qui ne lui permet jamais de s'abaif- 
fer aux prières, l'empêche de vous ma- 
nifeller pleinement fon defir. Suivez cette 
indication pour prendre fur lui un aicen- 
dant dont il ne lui toit pas aifé dans la fuite 
d'éluder l'effet. S'il n'y avoit pas un peu de 
cniauté d'augmenter lès alarmes, }e vou- 
drois qu'on commençât par lui &ire la peur 
toute entière , & que fans que perfonne lui 
dît précifément qu il reliera^ ni qu'il rerien. 
dra , il vît quelque efpece de préparati& 
comme pour lui èàte quitter tout-à-feit 
la maifon paternelle , & qu'on évitât de 
s'expliquer avec lui fin* ces préparatiâ». 
Quand vous l'en verriez le plus inquiet» 






A Madame de T*** 



197 



vous prendriez alors votre moment pour 
lui parler , & cela d'iin aîr ii letieiix 
& fi ferme qu'il fût bien perfuadé que 
c'eft tout de bon. 

Mon fils , il m'en coûte tant de vous . 
tenir éloigné de moi que, û je n'ccoutois 
que mon penchant , je vous retiendrois 
ici dès ce moment ; mais c'eft ma trop 
grande tendreffe pour vous qui m'empe- 
cWe de m'y livrer. Tandis que vous avez 
été ici ,j'ai vu avec la plus vive douleur, 
qu'au lieu de répondre à l'attachement- de 
votrç mère & de lui rendre en toute chofe 
la complaiiance qu'elle aimoit avoir poiu* 
vous , vous ne vous appliquiez qu'à lu» 
£iire éprouver des cpntraaiÛions qui la 
déchirent trop de votre part , pour qu'elle 
les puiffe endurer davantage, &c. 

Pai donc pris la résolution de voui pla- 
cer loin de moi pour m'épargner Talflic- 
tion d'être à tout moment 1 objet & le 
témoin de votre défobéiflaoce. Puifque - 
vous- ne voulez pas répondra aux tendres 
foins que j'ai voulu prendre de votre 
éducation , j'aime mieux que vous alliez 
devenir un mauvais fujet loin de mes 
yeux, que de voir mon as chéri inaiv- 
N 5 






198 Lettre 

quer à chaque iniknt à ce qu'il doit à â 
mère ; & o ailleurs je ne défefpere pas 
que des gens fermes &c fenfés , qui n ciu- 
ront pas pour vous le même fomle que 
moi , ne viennent à botit de dompter vos 
mutineries par des traitemens néceffalres 
que votre mère n'auroit jamais le cou- 
rage de vous faire endurer, &c. 

Voilà , mon fils , les raifons du parti que 
j'ai pris à votre égard, & le feu! que vous 
me laifliez à prendre , pour ne pas voue 
livrer à tous vos défe\its & me rendre 
tout-à-^it malheureufe. Je ne vous laifle 
point à Paris , pour ne pas avoir à com- 
battre iâns ceffe, en vous voyant trop fou- 
vent, le defîr de vous rapprocher de moi. 
Mais je ne vous tiendrai pas non plus fi.éloi- 
gné, que û l'on eft content de vous, je ne 
puifle vous faire venir ici quelquefois, &c. 

Je fins fort trompé. Madame, fî toute 
û hauteur tient à ce coup inattendu dont 
il fentira toute la conféquence , vu fur- 
tout le tendre attachement que, vous lui 
connoiffez pour vous , & qui dans ce 
moment fera taire tout autre penchant. Il 
pleurera , il gémira , il pouffera des cris 
auxquels vous ne ferez, ni ne paroîtrez 






A Madame de T***. 199 

infeniîble ; mais lui parlant toujours de 
fon départ comme d'une chofe arrangée, 
VQUS lui montrerez du regret qu'il ait 
talfle venir cet arrangement au point de 
ne pouvoir plus être révoqué. Voilà ielon 
moi la route par laquelle vous l'amène- 
rez làns peine à une capitulation, qu'il 
acceptera avec des tranfports de joie , & 
dont vous réglerez tous les articles Ëms 
qu'il regimbe contre aucun ; encore avec 
tout Cela , ne paroîtrez-vous pas compta: 
extrêmement fur la folidité de ce traité ; 
vous le recevrez plutôt dans votre mai- 
fon comme par e^i , que par une réu- 
nion confiante ; 6c fon voyage paroîtra 
plutôt différé que rompu, l'âTurant ce- 
pendant que s'il tient réellement fes enga- 
gemens, il fera le bonheur de votre vie, 
en vous dilpenlânt de l'éloigner de vous. ■ 

11 me femble que voilà le moyen de 
feire avec lui l'accord le plus folide qu'il 
foit poiTible de faire avec un enfant j & 
il aura des raifons de tenir cet accord fi 
puiflantes & tellement à fe portée , que 
félon toute apparence ,' il reviendra fou- 
pie & docile pour long-tems. 

Voilà, Madame, ce qui m'a paru le 
N6 



300 ; L £ T T R E, &C. 

mieux à taire dans la circonftance; il y 
a une continuité de régime à obferver 
qu'on ne peut détailler dans une lettre, & 
qui ne peut fe déterminer que par Texa* 
Jnen du Ifujet ; Se d'ailleurs ce n'eft pa» 
une mère auili tendre que voufr, ce neft 
pas un efoiit auffi clairvoyant que le vô- 
tre qu'il hiut guider dans tous ces détails. 
Je vous l'ai dit , Madiune , je m'en Tuis 
pénétré c^is notre unique converfàtion ; 
vous n'avez befoin d,es confetls de per- 
fonne dans la grande & retpeébble tâche 
dont vous êtes chargée, '& que vous 
rempliiTez ii bien> J'ai dû cependant m'ac- 
quilter de celle que votre modeffie m'a 
impofée ; je l'ai ftit par obéil&nce & 
par devoir , mais bien perfuadé que pour 
îâvoir ce qu'il y a de mieux à faire , it 
(u&Sq'H à'oUfrvei ce quç vçus fcrcsç^ 



# 



Q.UATRE LETTRES 

A Mon SIEUR ze PitàsiDEST 
DE MALESHERBES, 

_ Contenant le vrai tabttau èU mon caraHert &. 
les vrais motijs de toute ma condmtt. 

De Montmorenci le 4 Janvier i^dz. 

< ■ ■ .' ^■■'-^■'. ■■O- '; I ■ i:-,'r.,.LHJ »> ■ 

PREMIERE LETTRE. 



J'AuROrs moins tarde, Moniieur^i 
vous remercier de la dernière lettre dont 
vous m'avez honoré , fi j'avois mefuré 
ma diligence à répondre j fur le plaîfir 
«ju'elle m'a fait. Mais , outre qu'^ m'en 
ccnite beaucoup d'écrire , j'ai penfé qu'il 
ËiUott domier quelques' jours aux împor- 
tunités de ces tems-ci , pour ne vous pas . 
accabler des miennes. Quoique je ne me 
confok point de ce qui vient de fe paffer, 
je fuis très - content que vous ep foyez 
inAruit , puifque cela ne m'a point ôté 
votre eflime ; elle en fera plus à moi quand 
vous ne me croirez pas meilleur que je 
ne {vus. 






Les motife auxquels vous attribuez les 
partis qu'on m'a vu prendre , depuis que 
je porte une efpece de nom dans. le inonde, 
me font peut-être plus d'honneur que je 
n'en mérite ; mais ils font certainement 
plus près de là vérité , que ceux que me 
prêtent ces hommes de lettres , qui don- 
nant tout à la réputation , jugent de mes 
fentimens par les leurs. J'ai un cœur trop 
fenfible à d'autres attachemens , pour l'être 
û fort à l'opinion publique ; j'aime trop 
mon plaifir & mon indépendance pour être 
efclave de la vanité , au point qu'ils le 
fuppofent. Celui pour qui la fortune & 
l'efpoir de parvemr , ne balança jamais un 
rendez - vous ou un fouper agréable , ne 
doit pas naturellement làcrifîer fon bon- 
heur au defir de faire parler de lui ; & il 
n'eft point du tout croyable qu'un homme 
qui fe fent quelque talent, & qui tarde 
jufqu'à quarante ans à le faire connoître, 
foit affez fou pour aller s'ennuyer le refte 
de fes jours dans un défert , uniquement 
pour acquérir la réputation d'un mifài>< 
thrope. 

Msis, Moniteur , quoique je haïffe fou- 
veraioement l'injuftice éc la méchanceté, 






À M. DE Malesherbes. 305 

cette paflîon h*eâ pas alTez dominante pour 
me déterminer feule à fiiir la fociété des 
hommes , fi j'avois en les quittant quelque 
grand facrince à feire. Non, mon motif 
eft moins noble , & plus près de moi. Je 
iiiîs né avec im amour naturel pour la fo- 
litude , qui n'a 6it qu'augmenter à mefure 
que j'ai mieux connu les hommes. Jetrouve 
mieux mon compte avec les êtres chimé- 
riques que Je râlTemble autour de moi , 
Ou avec ceux que je vois dans le monde ; 
éc la fociété dont mon imagination &it les 
frais dans ma retmite , achevé de me dé- 
goûter de toutes celles que j'ai quittées. 
Vous me fiippofez malheureux &c conflimé 
de mélancolie. Oh ! Monfieur , combien 
vous vous trompez ! Ceft à Paris que je 
rétoisi c'eft à Paris qu'une bile noir^ ron- 

Êeoit mon cœur , & l'amertimie de cette 
ile ne fé fait que trop fentir dans tous les 
écrits que j'ai publiés tant que j'y fuis refté. 
Mais , Monfieur , comparez ces écrits avec 
ceux que j'ai faits dans ma folitude ; ou 
je fuis trompé , ou vous fentirez dans ces 
derniers une certaine férénité d'ame qui 
ne fe joue point , & fur laquelle on peut 
porter un jugement certain de l'état rnté- 






5<54 LETTRÉ 

rieur de l'Auteur. L'extrême ablation que 
je viens d'éprouver , vous a pu Êiire por- 
terun jugenœnt contraire; maisil eft fiicile 
à voir que cette agitabon n'a point fbn 
principe dans fta fituation aftuelle , mais 
dans une imagînarîon déréglée , prête à 
s'effaroucher îiir tout & i porter tout à 
l'extrême. Dk foecès continus m'ont rendu 
fenfible à la gloire , & il n'y a point d'hom- 
me ayant quelque hauteur d'ame & quel- 
que vertu , qui put penfer fans le plus 
~ mortel déferpoir , quaprès fa mort on 
fubflitueroit fous fon nom à un ouvrage 
utile , un ouvrage pernicieux , capable de 
deshonorer fa mânoire , & de Eure beau' 
coup de mal. B fe peut qu'un tel boulC' 
verfement ait accéléré le progrès de mes 
maux i mais, dans la fuppofitioti qu'un tel 
accès de folie m'eût pris â Paris , il n'elf 
point iur que ma propre volonté n'eut pas 
épargné le refte de 1 ouvrage â la nature. 
Long-tems je me fms abufé moi-même 
fur ta caufe de cet invinciWe dégoût que 
j^ai toujours éprouvé dans le commerce 
des hommes; je l'attribuois au chagrin de 
n'avoir pas Vefprit affez préfent » poiu: 
montrer dans la converfation le peu que 






A M. DE Mâles HERBES. 30 j 

i*eiiai y & par contre - Côlip à celui de ne ' 
pas ocoiper dans k monde la place que 
j'y CToy OIS mériter. Maïs quand, après avoir 
barbouillé du papier , j'étois bien iùr , 
même en diiant des fottilès , de n'être pas 
pris pour un fot ; quand je me fuis vu 
lechêrché de tout le monde , & honoré 
de beaucoim plus de - conlîdération que 
ma plus ridicule vanité n'en eût ofié pré- 
tendre ; 6c que malgré cela , j'ai fenti ce 
même dégoût plus augmenté que diminué ^ 
j'ai conclu qu'il venoit d'une autre caufe , 
& que ces eipeces de jouiâances n'étoient 
point celk_s qu'il me élloit. 

Quelle eft donc enfin eetfe caufe ? elle 
n'eft autre que cet indomptable efprît de 
liberté , que rien n'a pu vaincre « & de- 
V. vant lequel les honneurs , la fortune f. 6c 
h réputation même ne me font rien. It 
eft certain qnie cet efprit de liberté me 
vient moins d'orgueB que de pareffe; 
mais cette parefïe eft incroyable ; tout 
reâàrouche; les moindres devoirs de la 
vie civile lui font infuoportaUes ; un mot 
à dire, \ine- lettre à écrire, une vifite à ■ 
faire, dès qu^il le &Jt, fout i»ur moi 
des fupplirés, Voilà pourquoi , quoique ■ 






3o6 Lettre 

le commerce ordinaire des hommes me 
ibit odieux, l'intime amitié m'eft fi chère , 
parce qu'il n'y 3 phis de devoirs pour 
elle ; on fuit fon cœur , & tout eft fait. 
Voilà encore pourytoi j'ai toujours tant 
redouté les bienfaits. Car tout bienfait 
exige reconnoifl^nce ; & je me fens le 
cœur ingrat , par cela feul que la recon- 
noiflànce eft un devoir. En un mot l'ef- 
pece de bonheur qu'il me feut , n'eft pas 
tant de faire ce que je veux, que de ne 
pas feire ce que je ne veux pas. La vie 
aâive n'a rieir qui me tente ; je conièn- 
tirois cent fois plutôt à ne jamais rien 
iàire , qu'à feire quelque chdfe malgré 
moi ; & j'ai cent fois penfé , que je n'au- 
Tois pas vécu trop malheureux à la Baf- 
tiUe , n'y étant tenu à rien du tout qu'à 
refter là. 

J'ai cependant hk dans ma jeunelTe , 
quelques efforts pour parvenir. Mais ces 
efforts n'ont jamais eu pour but que la 
retraite , ôc le repos dans ma vieiÛeffe ; 
& comme ils n'ont été que par fecouffe , 
comme ceux -d'un pareffeux , ils n'ont ja- 
mais eu le moindre {ùccès. Quand les 
maux font venus , ils m'ont toumi un 



A M. DE MaLESHERBES. 307. 

teau prétexte pour me livrer k ma pzf- 
fion dominante-^rouvant que c'étoit une 
folie de me tourmenter pour un âge au- 
quel je ne parviendrois pas , j'ai tout 
planté là, & je me fuis dépêché de jouir. 
Voilà , Monfieur , je vous le jure , la vé- 
ritable caufe de cette retraite , à laquelle 
nos gens de Lettres ont été chercher des 
motifs d'oftentation , qui fuppofent une 
conAance , ou plutôt une ohAination i 
tenir à ce qui me coûte, direâeniînt con- 
traire à mon caraâere naturel. 

Vous me direz, Monfieur, que cette 
indolence fuppofée s'ac^oi^e nîal avec 
les écrits que j'ai compofés depuis dix 
ans , & avec ce defir de gloire qui a dû 
m'excîter à les publier. Voilà une objec- 
tion à réfoudre, qui m'oblige à prolon- 
ger ma lettre , Se qui par conféquent me 
force à la finir. Ty reviendrai, Monfieur, 
il mon ton familier ne vous déplaît pas; 
car dans l'épanchement de mon cœur je 
n'en ûurois prendre un autre ; je me 
peindrai (ans rard & fans modeftie ; je me 
montrerai à vous tel que je me vois , & tel 
que je fuis ; car paflànt ma vie avec moi , 
je dois me connoître , èc je vois par la 



...n.CiWgk 



fc 



3o8 Lettre 

manière dont ceux qui penfent me coniioî- 
tre» interprètent mes aâions & ma condui- 
te , qu'ils n'y connoiffent rien, Perfonne au 
monde ne me connoît que moi lëiil. Vous 
en jugerez quand j'aurai tout dit 

Ne me renvoyez point mes lettfts^ 
Moiifieur , je vous fuppUe ; briilez-les , 
parce qu'elles ne valent pas la peine d'ê- 
tre gardées , mais non pas par égard pour 
moi. Ne longez pas non plus, de grâce, 
à retirer celles qui font entre les mains 
de Diichêne, S'il fâlloit effacer dans le 
monde les traces de toutes m&s tblies, il 
y auroit trop de lettres k retirer , & |e ne 
remuerois pas le bout du doigt pour cela. 
A charge 8c à décharge , je ne crains 
point d^re vu tel que je fuis. Je con- 
nois mes grands dé&uts , & je {ens vive- 
ment tous mes vices. Avec tout cela je 
mourrai plein d'efpoir dans le Dieu w- 
prême, & très-perfuadé que de tous les 
hommes que j'ai connus en ma viê , auctw 
ne fut meillçur que moi. 






A M. m Mai^sherbes. 309 
SECONDE LETTRE. 

A Montmorenci le it Janvier lytfj. 



J E continue, Monfieur, & vDxis rendre 
compte de moi, puilqite j'ai commencé; 
car ce qui peii* m'être le pKis déftvora* 

■ hïe, eft d'être comiu à demi ; & puïfqiie 
mes &utes ne m'ont point ôté votre effi- 
me , je ne préfume pas que ma franchife 
me la doive ôter. 

Une ame pareireufe qui s'effraye de 

■ tout foin , un tempérament ardent , bi- 
lieux , ^ile à s°afFe6ter , & fenfible â 
l'excès à tout ce qui FaiFeâe , femblent 
ne pouvoir s'allier dans le même carac- 

- tere ; & ces deux contraires compoCent 
pourtant le fond du mien. Quoique je 
ne puiffe réfoudre cette oppofition par 
des principes , elle eîdfte po\irtant ; je ta. 
fens , rien n'eft plus certain , & j'en puis 
du moins donna- par les faits , une efpeee 
d'hiftorique qjû peut fervir à la concer 



...n.CiWgk 



3IO Lettre 

voir. Pai eu plus d'aûivité dans l'enfance,' 
mais jamais comme un autre enfant. Cet 
ennui detout m'a de bonne heurejetté dans 
la lefhire. A fix ans, Plutarque nje tomba 
foiis la main; à huit, je le favois par 
coeyr ; j'avoïs lu tous les romans ; ils m'a- 
voient feit verfer des féaux de larmes, 
avant l'âge où le cœur prend intérêt aux 
romans. De-!à fe forma dans le mien ce 
goût héroïque Se romanelque qui n'a &î 
qu'augmenter jufqu'àpréfent , & qui ache- 
va de me dégoûter de tout , hors de ce 
(jui reiTembloit à mes folies. Pans ma 
jeunelTe , que je croyois trouver dans le 
monde les mêmes gens que j'avois connu 
dans mes livres , Je me fivrois fans réfer- 
ve à quiconque iavoit m'en impofer par 
un certain jargon dont j'ai toujours été la 
dupe. J'étois aâif parce que j'étois fou» 
à mefure que j'étois détrompe , je chan- 
geois de goûts , d'attachemens , de pro- 
jets ; & dans tous ces changemens je p«^ 
dois toujours ma peine §£ mon tems, 
parce que je cherchois toujours ce ^ 
n'étoit point. En devenant plus expen- 
menté , j'ai .perdu peu-à-peu l'efpoir de 
-le trouver, & par-conféquent le «le (le 






A M. DE MaLESHERBES. 311 

le chercher. Aigri par les injuftices que 
j'avois éprouvées , par celles dont j'avois 
été le témoin , Ibuvent affligé du defordre 
où l'exemple & la force des chofes m'a- 
voient entraîné moi-même, j'ai pris en 
mépris mon fiecle & mes contemporains^ 
& fe;rtant que je ne trouverois point au 
milieu d'eux une fituation qui pût conten- 
ter mon cœur, je l'ai peu-à-peu détaché 
de la fociété des hommes , & je m'en fuis 
■feit ime autre dans mon imagination , la- 
quelle m'a d'autant plus cl^rmé que je 
la pouvois cultiver faos peine, (ans rif- 
que , & la trouver toujours iùre , & telle 
qu'il me la iàlloit. 

Après avoir paflë quarante ans de ma 
vie ainû mécontent de moi-même & des 
autres, je cherchoîs inutilement à rompre 
les liens qui me tenoîent attaché à cette 
ibciéfé que j'elHmois fi peu , & qui m'en- 
chaînoient aux ocaipations le moins de 
mon goût , par des befoins que j'eftimois 
ceux de la, nature, & qui n'étoient que 
ceux de l'opinion : tout- à-coup un heu- 
reux hafard vint m'éclairer fur ce que j'a- 
vois 'à foire pour moi-même, & à pen- 
jèr de ti^es femblables, fur le%uels mon 



3IX 



Lettre 



cœur étoit Ikns ceflè en contradlâioii 
avec mon dprit , & que je me fentola 
encore porté à aimer avec tant de raifons 
de les baïr. Je voudrois , Monfieur , vous 
pouvoir peindre ce moment qui a ait 
dans ma vie une fi finguliere époque , & 
qui me (ea toujours préfent cpiatid je 
vivTois étemeUement. 

Pallois voir Diderot alors prifennier ft 
Vîncennes ; j'avois dans ma poche un 
mercure de France que je me mis à feuil- 
leter le long du chemin. Je tombe fur la 
cmeftion de l'Académie de Dijon qm a 
donné lieu à mon premier écrit. Si jamais 
quelque chofe a reflemblé à une infpir*- 
tion fixbite , c'eft le mouvement qui fe fit 
eS moi à cette leÛiire ; tout-à-coup je 
me lens reTprit ébloui de mille lumières; 
des foules tfidées vives s'y préfentent k 
la fois avec une force, 8c une coiiftiiion 
t]ui me jetta dans im trouble inexprima* 
nie ; je fens ma tête prife par un étour- 
diffement femblable à l'ivrefle. Une vio- 
lente palpitation m'opprelTe, fouleve ma 
poitrine ; ne pouvant plus reCpirer en 
marchant, je me laiffe tomber fous ua 
des arbre$ de l'avenue , 8c j'y p^âè une 
demir 



..„, Google 



A M. DE MaIESHERBES. 31} 

demi-heure dans une telle agitation, qu'en 
me relevant j'appérçus tout le devant de 
ma vefte mouiUé de mes larmes , fans 
avoir fenti que j'en répandois. Oh, Mon- ' 
iîeur , fi i'avois jamais pu écrire le quart 
de ce que j'ai vu &c fentl fous cet arbre, 
avec quelle clarté j'aiurois fiùt voir tou- 
tes les contradiâions du fyftême focial ; 
avec quelle force j'aurtMS expofé tous les 
abqs de nos inilitutions ; avec quelle 
iiniplicité i'aurois démontré que l'homme 
efl bon naturellement, &que c'eftpar ces 
inilitutions lèules , que les hommes de- 
viennent méchans. Tout ce que j'ai pu 
retenir de ces foules de grandes vérités, 
qui dans un quart- d'heure m'illuminèrent 
fous cet arbre , a été bien foibtement 
épars dans les trois principaux de mes 
écrits , favoÎT ce premier difcours , celui 
fur l'inégalité , &C le traité de l'éducation, 
iefquels trois ouvrages font inféparables, 
& forment enfemble un même tout. Tout 
le refte a été perdu, & il n'y eut d'écrit 
fur le lieu même , que la Profopopée de 
Fabricius. Voilà comment lorfque j'y 
penfois le moins , je devins auteiu" prêt- 
<pie malgré mot. Il eft aifê de concevoir 
Pièces diverfes, O 






314 Lettre 

coQUQent faOrak d'un premier fuccès , & 
les critàques des barbouilleurs , me jette- 
rent tout de bon dans la carrière. Avois- 
je ^elque vrai talent pour écrire ? je ne 
feis. Vns vive perfuafion m'a tou|ours 
^nu lieti d'éloquence , & )'ai toujours 
écnt lâchement Se mal quand je n'ai pas 
été fortement perfiiadé. Ainfi c'eft peub 
être un retour caché d'amour-propre, 
qui m'a feit cboifir & mériter ma devi 
K t Se m'a & palSonnémem attaché à la 
vérité , ou à tout ce que )'aî pris pour 
elle. Si je n'avois écrit que pour écri* 
re , j« fuis convaincu qu'on ne m'auroit 
jamais lu. 

Après avoir découvert , ou eru décou* 
vririians les feuiTes opinions des hommes, 
la £burce de leurs nuferes &L de leur mér 
chanceté > je fentis qu'il n'y avoit que ces 
mêmes opinions qm m'euflent rendu mal- 
heureux moi r même , &c que mes maux 
& mes vices me venoient bien plus de 
ma Htiiation que de moi - même. Dans le 
même tems , une maladie dont j'avots dès 
Tehlànce fenti les premières atteintes , s'a 
tant déclarée abfolumént incui^ble , mai* 
gré toutes les promeffes dfs fewx guériiT 






A M. DE MaL-ESHERBES. 315 

feitrs dont je n'ai pas été long-tems la dupe ,' 
je jugeai que fi je vo\ilois être conféquetit» 
"& lecouer une fois de deffus mes épaules 
le pefant joug de l'opinion , jen'avois'pas 
un mcment a perdre. Je pris bruJquement 
mon parti avec sffez de courage , & je 
l'ai allez bien foutenu jufi^u'ici avec ime 
fermeté dont moi feul peux fentir le prix , 
•parce qu'il n'y a que moi feul qui fâche 
quels obUades j'ai eus , & j'ai encore tous 
,les jours à combattre pour me maintenir 
iàns cefle contre le courant. Je fens pour- 
tant bien que depuis dix ans j'ai un peu 
dérivé , mais fi j'eftimois feulement en 
avoir encore quatre i vivre , on me ver- 
roit dofin«r une deuxième fecouffe , &c 
remonter tout au moins à mon premier 
niveau , pour n'en plus gueres redefcêndre ; 
car toirtes les grandes épreuves font faî- 
tes , & il eft déformais démontié pour 
moi 4 par l'expérience, que Fétat où je nïe 
■fiiis mis eft le feul où l'homme puiffe vivre 
bon & heureux , puifqii'il eft le plus in- 
dépendant de tous, 6c le feul où on ne fe 
trouve jamais pour fon propre avantage , 
dans la néceiîîté de nuire à autrui. 
J'avoue que le nom que m'ont fait mes 
O i 






yi6 Lettre 

écrits , a beaucoup Ëicilité Texécudon du 
parti que j'ai pris. Il ^t être cm bon 
Auteur , pour fe &ire impunnnent mau- 
vais copine , & ne pas manquer de tra- 
vail pour cela. Sans ce premier titre , on 
m'eût pu trop prendre au mot (ut l'autre, 
& peut-être cela ra*auroit-il mordfié ; 
car je brave aifânent le ridicule , mais je 
ne fuj^rterois pas û bien le mépris. Mais 
û quelque réputation me donne à cet égard 
un peu d'avantage , il eA bien compenfé 
par tous les inconvénieBs attachés à cette 
même répiitaXton , quand on n'en veut 
point être elîlave , « «pi'on veut vivre 
ifolé 6c indépendant Ce font ces incon- 
vénieBS en partie qui m'ont chaffé de Pa- 
lis , & qui me pourfuivant encore dans 
mon afyle , me chalTeroient très-certaine- 
ïnent plus loin , pour peu que ma lanté 
vînt à fe raffermir. Un autre de mes fléaux 
dans cette grande ville , étoit ces foules - 
de prétendus amis qui s'étoient emparés 
•de moVf & qui jugeant de mon cœur par 
les leurs , vouloieni abfohiment me rendre 
heureux à leur mode , &c non' pas à la 
mienne. Au défefpoir de ma retraite y ils 
m'y ont poursuivi pour m'en tirer. Je n'ai 



A M. DE MaLESHERBES. 317 

pw m'y maintenir uns tout rompre. Je né 
fuis vraiment libre que depuis ce tems-)a. 
Libre! non, je ne le fuis point encore; 
mes derniers écrits ne font point encore 
imprimés ; & vu le déplorable état de ma 

riuvre machine , je o'elpere plus fiirvivre 
l'impreffion du recueil de tous : mais & 
contre mon attente , je puis aller jufques- 
là &C prendre une fois 'congé du public , 
croyez, Monfieur, qu'alors je ferai libre, 
ou que jamais homme ne raura été. O 
utinam ! O jour trois fois heureux ! Non , 
il ne me fera pas donné de le voir. 

Je n'ai pas to^it dit , Monfieur , & vous 
aurez peut-être encore au moins vne let- 
tre à emiyBr, Heureufement rien ne vous' 
oblige de les lire , & peitt-être y feiiez- 
vous bien embarraffé. Mais pardonnez, de 
grâce ; pour recopier ces longs iàtras , il 
feudroit les refeîre , Se en .vérité je n*en 
ai pas le courage. J'ai furement bien du 
plaifir h vous écrire , mais je n'en ai pas 
moins à me repofer , 6c mon état ne me 
permet pas d'écrire long-temsde fuite. 



Oj 



3i8 Lettre 



TROISIEME LETTRE. 

A Montmorenci !t z6 Janvier i^ii» 



jrVpRÈsvousaToirexpoféjMonfieiir, le» 
vrais motifi de ma conduite , je voudrpis 
vous parler de mon état moral dans ma 
retraite ; mais, je fens. qu'il eu bien tard , 
mon ame-aliénée d'elle-même eft toute à 
mon corps. Le délabrement de ma pauvre 
machine l'y tient de jour en jour plus atta< 
chée,& juftiu'àce qu'elle s'en fépare enfin., 
tout-à-coup.. C'eA de mon bonheur que 
je voudrois vous parier , & Ton parle mal 
du bonheur qunnd on foulfre. 

Mes maux font l'ouvrage de la nature», 
mais mon bonheur ellle mien,. Quoi qu'on, 
en puiffe dire , j'ai été fage , puifque j'ai 
^té heiu'eux autant que ma nature m'a per- 
mis de l'être : je n'ai point été chercher ma, 
félicité au loin , je l'ai cherchée auprès de 
moi , & l'y ai trouvée. Spartien dit que 
Simihs j courùfân de Trajan , ayant ut& 



...n.CoOgk 



A M. DE MALESHERBES. 



319. 



aucun mécontentement perfonnel quitté la 
Cour &: tous fes emplois pour aller vivre 
paifîblement à la campagne , fit mettre ces 
mots fur fa tombe : j'ai demeuré foixante 
&fei\e ant fur la une , &fcrt ai vécufeptf 
Voilà ce que je puis dire , à quelque égard , 
quoique mon facrifice ait été moindre : jo 
n al commencé de vivre que le 9 Avril 1756. 
Je ne fauroîs vous dire , Monfieur , 
combien j'ai été touché de voir que vous 
m^elHmiez le plus malheureux des hom-' 
mes. Le public fans doute en jugera comme 
vous , & c'eft encore ce qiù m'afflige, O 
que le fort dont j'ai joui , n'ed-il contlu de 
tout l'univers ! chacun voudroit s'en faire 
un femblable ; la paix régneroit fiu- la terre ; 
les hommes ne iongeroientplus à fe mûre, 
& il n'y auroit plus de méchans quand 
nul n'auroit-intérêt à l'être. Mais de quoi 
jouiflbis -je enfin quand j'étoîs feul ? De 
moi , de l'univers entier , de tout ce qui 
efl , de tout ce qui peut être , de tout ce 
qu'a de beau le monde fenfible , & d'ima- 

finable le monde intelleftuel : je ralTem- 
lois autour de moi tout ce qui pouvoit 
flatter- mon cœur; mes defirs étoient la 
mefure de mes plaifu^. Non , jamais les 
O4 



îio- 



Lettre 



S fus voluptueux n'ont connu de pareilles 
âlices , & )'ai cent fois plus joui de mes 
chimères qu^ils ne font des réalités. 

Quand mes doideurs me font triftement 
ïiiefiirer la longiieiù- des nuits , & que l'a- 
gitation de la nevre m'empêche de goûter 
un feul inftant de fommeil , fouvent je me 
diftrais de mon état préfent en fongeant 
aux divers événemens de ma vie ; & les 
repentirs, les doux fouvenirs , les regrets, 
l'attendriffement fe partagent le foin de me 
feire oublier quelques momens mes fout 
frânces. Quels tems croiriez-vous, Mon- 
Ceiir , que je me rappelle le plus fouvent 
& le plus volontiers dans mes rêves ? Ce 
ne font point les plaiiirs de ma jeuneffe , 
ils furent trop rares , trop mêlés d'amer- 
tumes , & font déjà trop loin de moi. Ce 
font ceux de ma retraite , ce font mes 
l-Tomenades folitaires , ce font ces jours 
rapides mais délicieux que j'ai pafles tous 
entiers avec moi feul , avec ma bonne & 
iîmple gouvernante, avec mon chien bien 
aimé , ma vieille chatte , avec les oifeaux 
de la campagne & les biches de la forêt ; 
avec la nature entière & fon inconcevable 
Autexu-. En me levant avant le foleil pour 



A M. DE MaLESHERBES. Jlt 

aller voir , contempler fon lever dans mon 
jardin ; quand je voyois commencer une 
' b^e journée , mon premier Ibuhait étoit 
que ni lettres , ni vifites n'en vinffent trou- 
bler le charme. Aprèfi avoir donné la ma- 
tinée à divers foins que je rempliffois touj 
avec plaifir , parce que je pouvois les re- 
mettre à un autre tems^ je me hâîois de 
dîner pour échapper aux importims , $C 
me ménager un plus long après - midi. 
Avant une heure , même les jours les plus 
ardens, je partois par le grand foleilavec 
le fîdelle achate , preâant le pas dans la 
crainte que quelqu un ne vînt s'ïmparer 
de moi, avant que j'eufiê pu m'efquiver; 
mais quand une fois , j'avois pu doubler 
Un certain coin , avec qivel battement de 
cqeur , avec quel pétiÙemem de joîe.jf 
commençois à refpirer en me fentant fauve, 
en mè dilant , me voilà maître de moi 
pour le reile de ce jour ! J'allois alors d'uB 
pas plus tranquille chercher quelque lieu 
iàuvage dans La forêt , quelque lieu défert 
oh rien ne montrant la main des hommes y 
n'annonçât la fervitude & la domination, 
qiïelqiie afyle où je puffle croire avok* 
pénétré k premier , & oU mU tiers im» 
O5 



Coo<ik 



portun ne vînt s'mteipo&r entre la nature- 
& moi. Cétoit là qiï'ellefembloit déployer 
à mes yeux une magnificence toujoitts- 
nouvelle. L'or des genêts , 8c la pourpre- 
des bruyères fi^ppoient mes- yeux d'un 
luxe qui touchoit mon cœur ; la majefté' 
des arbres qui me couvroient de- leur om- 
bre , la délicateiïe des-arbùAes qui m'en- 
vironnoient , l'étonnante variété des her- 
bes &- d^ fletffs que je fbulois- lôus mes 
|Heds^ tenoient mon efprit dans une alter- 
native continuelle d^obfervation &c d'ad- 
miration : le concours de tant d'objets in~ 
téreflàos qui fe dilbutoiem mon attention, 
m'attirant iàns ceffe de l'un à l'autre , fà- 
Vorifoit mon hiimair r&veufe & paref- 
feufe, 6c me Ëùfoit fouvent redire en moi^ 
même ; non , Salomon dans toute-fà gloire 
ne flu jamais vêtu- comme l'un d'eux. 

Mon imaginaion' ne bùlToit pas long-' 
■tems déferte h terre «nfi parée, h b 
peuplots bientôt d'êtres félon mon cttur ,. 
& chaH^t bien loin l'opinion-, les pré- 
'i^igés , wutes les p^lkms-fe^ces., je tmnf- 
portois dans l'es afyles de la nature , de» 
nommes ^gnes- de teS' habiter. Je m'en 
fiarmois une fociété channantf dont je t» 



A M. DE MaLESHERBES. 3IJ 

me fentois pas indigne , Je me fajft»s uit 
fiecle d'or A ma fantaifie , & relnpKflant 
ces beaiix fonrs de tovites les fcencs de nu 
vie^ qui m'avoient laifle de doux fouve- 
nirs , & de toutes celles que mon cœur 
pouvoit defirer encore, je m'attendriiToîS' 
|ufqu'aux larmes fur les vrais pfaifws de 
ITiumamté , plaifirs fi délicieux , fî purs , 
& gm font déformais fi loin des hommes. 
O fi dans ces momens quelque idée de 
Paris, Je mon fiecle , & de ma petite glo- 
riole d'Auteur, venoil troubler mes rcve^ 
ries, avec qitel dédain je la cfiaffois à 
l'inftant poar me livrer iàns diftraôion , 
aux fentimens exqais dont mon ame étoit 
pleine ! Cependant au miliea de tout cela ^ 
je l'avoue , le néant de mes chimères ve- 
noit quelquefois la contrifler tout-^-coup. 
Quand tous mes rêves fe- ftroient fonr- 
nésen réalités, ils nem'aiirôientpas ibffi; 
faurois imaginé, rêvé, defiré encore. Je 
trouvois ei> moi un vide înexpliea&lè 
eue rien n'auroit p» remplir ; tm certatti 
*bncem«nt de cœur vers une autre forte 
ie jouiflfence dont je n'avois pa^ dTdfe, 
& dçnt pourtant je fentois lé Woiir- Hé 
Usa > Moftl4ur> ^éhmêmeitw kn^ 



314 Lettre 

iànce, pùifque j'en étols pénétré d*un fen- 
riment très -vif & d'une trifteflè atti- 
rante , que je n'aurois pas voulu ne pas 
avoir. 

Bientôt de la furfàce de la terre, j*éïe- 
vo'is mes idées à tous les êtres de la na- 
ture, au fyfiême luiiverfel des chofes, à 
l'Être incompréfaenfible qui embrafle tout. 
Alors l'efprit perdu dans cette immenllté, 
je ne pemois pas , je ne raifomiois pas , 
. je ne philofophois pas ; je me fentois avec 
une iorte de volupté accablé du poids de 
cet univers , je me livrois avec ravilTe» 
ment à la confuTion de ces grandes idées, 

}'*aimois à me p^dre en imagination dans 
'efpace , mon cœur relTerré dans les bor- 
nes des êtres i^y trouvoit trop à l'étroit , 
i*étoufibis dans l'univers , j'aurois voulu 
m'élancer dans l'in£ni. Je crois que fi 
j'euflê dévoilé tous les m>"fteres delà na- 
ture, je me ferois fenti dans une fituation 
moins délicieufe, que cette étourdîilànte 
extafe à laqurfle mon efprit fe livroit fans 
retenue, 6c qui dans 1 agitation de mes 
transports , me faifoit écrier quelquefcHS , 
à grand j^e ! ô. grand Etre ! fans potl- 
voir dir«, ai pffiij«r m^ de {dus^ 






A M. DE MALESHERBES. 31; 

Aiofi s'écouloient dans im délire conti- 
nuel,les journées les plus charmantes qtlâ 
jamais créature humaine ait paffées ; Sc 
quand le coucher du foleil me feifoit fon- 

ter à la retraite , étonné de la rapidité 
u tems , je croyois n'avoir pas affez mis 
à profit ma journée , je penlbîs en pou- 
voir jouir davantage encore , & pour 
réparer le tems perdu , je me difois ; je 
reviendrai demain. 

Je revenois à petit pas, la tête im peu 
&tiguée , mais le cœur contentj je me 
repolbis agréablement au retour , en mef 
livrant àl'iinpreinon des objets, mais fan» 
penTer , fans imaginer , Ikns rien faire an- 
tre chofe , que fentir le calme & le bon- 
heur de ma litualion. Je trouvois mon 
couvert mis lur ma terraffe. Je foupois' 
de grand appédt dans mon petit domefti- 
que , nulle image de fervttude &C. de dé*- 
pendance ne troubloit la feenveillânce qui 
nous .uniJToit tous. Mon chien 4ui-mème 
étoit mon ami, non mon.elclave, nous 
avions toujours la m&ne volonté , mais 
jamais il ne m'a c^éi ; ma gaîté durant 
toute ..la foirée té;noignoit. que j'avois 
yécu ic,ul, tout le jouTi j'étois bico diffé- 






}i6 Lettre 

rent quand j'avois ru de h . compagnie j 
î'étois rarement content des autres, &: 
jamais de moi. Le foir i'ét<ns grondeur 
& taciturne : cette remarque eft de ma 

fouvernante , & depuis ^'elle me l'a 
ît« , je l'ai toujours trouvée jufte en fti'ob- 
jèrvant. Enfin , après avoir fait encore 
quelques tours àa.ns mon jardin, ou chanté 
«uelque air fur mon épinetle , je troovcnî 
dans mon lit un repos de corps Se d'ame, 
cent fois plus doux, que le fommeil même. 
Ce font là les jours qui ont Eût le vrai: 
bonheur de ma vie » bonheur fans amer- 
ftime, fans ennuis, ^uis regrets, de au- 
qu«I j'aurois borné- volontiers tout cehiï 
de mon exiftence. Oui , Monteur , que 
de pareils jours rempliffent pour moîTé- 
ternité , je D*en demande point d'autres ^ 
& n'imagine pas que je fois beancoupr 
moins heureux dans ces ravivantes con- 
templations , ipie les intelligences célei^ 
tes.' Mai^ un corps qui ftnd&e , ôte k 
fefprit fa liberté f déformais je ne fuis 
plus feuî, j'ai un hôte qui m'importime^ 
tX &ut m'ea délivrer pour être- à moi, âc 
Feâài que j'ai ^t de ces douces jouidàn* 
«es., ne iert plvs.qu'à.nie^'feii;e"atiendre 






A M. DE MaLESHERBES. 



3^7 



• avec moins ë'efiroi, le moioent de les 
goûter fans diftraûion. 

Mais me v(»ci àé]^ à la fin de ma fé- 
conde feuille. Il m'en âudroit pourtant 
encore une; Encore une lettre donc , & 
puis plus. Pardon, Monfieur, quoique 
j^aime trop à parler de moi, je nîaime- 
pas en parler avec tout le monde, c'eft 
ce qui me feit abufer de l'occafièn quand. 
' je Yaïf Se qu'elle me plaît. Voilà moa 
tort & mon excufe. Je vous prie de h. 
prendre en gré. 




..„, Google 



,»8 



QUATRIEME LETTRE. 

28 Jamier 1762. 

» . ■ ' » 



J E vous ai montré , Monfieur, dans le 
lècret de mon cœur , les vrais motifs de 
ma retraite & de toute ma conduite v 
motifs bien moins nobles fans doute que 
vous ne les avez fuppofés , mais tels pour- 
tant qu'ils me rendent content de moi- 
même , &m'infpirent la fierté d'ame d'un 
homme qui fe lent bien ordonné , & qui 
ayant eu le courage de feire ce qu'il m- 
loit pbiu- l'être , croit pouvoir s'en im- 
puter le mérite. Il dépendoit de moi, 
non de me feire un autre .tempérament, 
ni un autre caraûere , mais de tirer parti 
du mien , pour me rendre bon à moi- 
même , & nullement méchant aux autres. 
C'efl beaucoup que cela , Monfieuï , & 
peu d'hommes en peuvent dire atitant 
Au^ je ne vous dégUiTerai point que , 






A M. DE MALESHERBES. 319 

malgré le fentiment de mes vices , j'ai 
pour moi une haute eftime. 

Vos gens de Lettres ont beau crier qu'im 
homme feu! eft inutile à tout le monde , 
& ne remplît pas fes devoirs dans la fo- 
ciété. Teftime moi, les payfens de Mont- 
morenci des membres plus utiles de la 
fociété, que tous ces tas de défœuvrés 
payés de la graiffe du peuple , pour aller 
ûx fois la femaîne bavarder dans ime 
Académie ; & je fuis plus content de poiv- 
voir dans Toccafion, aire quelque plai- 
ùi à mes pauvres voifîns, que d'aider à 
parvenir à ces foules de petits intrigans , 
dont Paris eft plein , qui tous afpîrent k 
rhonneur d'être des fripons en place , & 
■.que pour le bien public , ainli que pour 
le leur , on devroit tous renvoyer labou- 
rer la terre dans leurs provinces. C'eft 
quelque chofe que de donner aux hom- 
mes l'exemple de la vie qirils devroient 
tous mener. Ceft quelque chofe quand 
on n'a plus ni force , m fanté pour tra- 
vailler de fes bras , d'ofer de fa retraite , 
faire entendre la voix de la vérité. C'eft 
quelque chofe d'avertir les hommes de la 
folie des opinions qui les rendent mîTé- 






330 Lettre 

rables. Ceft quelau* chofe d'avoir pu 
contribuer à edipecbery ou différer au 
moins dans ma patrie , l'établiflèinent per- 
nicieux (pie pout Êùre & cour à Voltaire 
à^ nos dépens* d*AleadKn vouloit qu'os 
fît parmi nous. Si yeulTe vécu dans Ge- 
nève , je n'aurois pu , ni publier l*Epître 
dédicatoire du difcours fur l'inégalité « ni 
parler même de l'établiflernsnt de la oh 
médie , du. ton que fe l'ai ^r. Je ferois 
beaucoup plu» îoutUe à mes Compatrio- 
tes, vivant au m^eu d'eux, que je ne 
puis l'être dans l'occ^on de ma retraite;. 
Qu'importe en quel lieu j'habite f fi j'agis 
oii je dois agir ? D'ailleurs , les habitans 
de Montmorenci font -ils moins hommes 
que les Parifiens y &C quand je puis en dîP. 
fuader quelqu'un d'envoyer foi* en&nt fe 
corrompre à la ville, ^s-je moins de 
bien que lî je pouvoîs de la ville le ren- 
voyer au foyer paternel î Mon indigence 
fetue ne m'empëcheroit-elte pas d'être 
inutile de la manière «pe tous ces beaux 
parleurs l'entendent ^ Se pui^ue je ne 
mange dn pain qu'autant que j en g^gne , 
ne ftiis-je pas forcé de travailler pour ma 
fubûJhnce , & de payer à la foûété tout 






A M. DE MaLESHERBES. 33.» 

le belbin c^iie je puis avoir d'elle ? II eft 
vrai qiifi je me fiiis refufé aux occupa- 
tîoqs qui ne m'étoîent pas propres ; ne 
me fentant point le talent qui pciivoit 
me feire mériter le bien qne vous m'a- 
vez voulu feire , l'accepter eiit été le 
voler à quelque homme de lettres aufli 
indigent que moi , & plus capable de ce 
travail-là ; en me l'offtant vous fiippo- 
fiez que j'étois en état de faire un extrait^" 
que jepouvois m'ocaiper de matières qui 
m'~dtoient indifférentes , & cela n'étant 
pas , je vous aurois trompé , je me ferois 
rendu indigne de vos bontés, en me con- 
duisant autrement que je n'ai ^t ; on n'ell 
jamais exculable de faire mal ce qu'on feit 
volontairement : je ferois maintenant mé- 
content de moi > & vous auflî i & je ne 
goûterois pas le plaiiîr que je prends à 
vous écrire. Enfin tant que mes forces 
me l'ont permis , en travaillant pour moi , 
i'ai iâit félon ma portée tout ce que j'ai 
pu pour la fociété ; fi j'ai peu fait pour 
^e , j'en ai eîicore moins exigé , & je 
me crois fi bien quitte avec elle dans l'é- 
tat o(t je fuis , que fi je pouTois défor- 
mais me repofer toui-à-&it,, 6c vivre 






331 Lettre 

{>ourmoi feul, je le ferols fans fcmpule. 
J'écarterai du moins de moi de toutes 
mes forces , l'importunité du bruh pu- 
blic. Quand je vivrois encore cent ans, 
jen'écrirois pas une ligne pour lapreffe, 
& ne croirois vraiment recommencer à 
vivre, que quand je ferois tout-à-6it 
oublié. 

J'âyoue pourtant quil a tenu â peu, 
que je ne me fois, trouvé rengagé dans le 
monde , & que je n'aye abandonné ma 
folitude , non pr dégoût pour elle, mais 
par un goût non moins vif que j'ai feillî 
lui préférer. Il feudroit, Monfieur, que 
vous connuffiez l'état de délaiffcment & 
d'abandon detous mes amis où je me tron- 
vois , & la profonde douleur dont mon 
ame en étoit affèâée , lorfque Monfieur 
& Madame de Luxembourg deiîrerent de 
me connoître , pour juger de Timpreffion 
que firent fur mon cœur affligé leurs 
avances & leurs careffes; Tétois mourant; 
fans eux je ferois infeilliblement mon de 
trifteffe ; ils m'ont rendu la vie , il eft bien 
jufte que je l'employé à les aimer. 

Tai un cœur très - aimant , mais qui 
peut fe fuffire à lui-même. Taime trop 






A M. DE MaLESHERBES. 333 

les hommes pour avoir befoln de choix 
parmi eux ; je tes aime tous , &c c'eft parce 
eue je les" aime , que je hais l'injuftice ; 
<?eft parce que je les aime , que je les fijis; 
je fouf&e moins' de leurs maux quand je ne 
les vois pas ; cet intérêt pour l'eipece 
{uiG.t pour nourrir mon cœur ; je n'ai pas 
befoia d'amis particuliers , mais quand 
j'en ai , j'ai grand befoin de ne les pas 
perdre ; car quand ils fe détachent , ils me 
déchirent , en cela d'autant plus coupa- 
fcles , que je ne leur demande que de Va- 
mitié, & que pourvu qu'ils m'aiment, & 
que je le fâche , je n'ai pas même beibin 
de les voir. Mais ils ont toujours voulu 
mettre à la place 'du fentiment, des foins 
& des fervices que le public voyoit , 6c 
dont je n'avois que foire ; quand je les 
aimois , ils ont voulu paroître m'aimer. 
Pour moi qui dédaigne en tout les appa- 
rences, je ne m'en fuis pas contente, & 
ne trouvant que cela , je me le fuis tenu 
pour dit. Ils n'ont pas précifément cefTé 
de m'aimer , j'ai feulement découvert 
qu'ils ne m'aimoient pas. 

Poiu- la première fois de ma vie, je me 
trouvai donc tout-à-coup le cceur feul,$C 



cela , feul aufll dans ma retraite , 6c prefque 
auâî malade -que je le Aiis aujourd*huï. 
Oeft dans ces circonftances qiie commença 
ce nouvel attachement , qui m'a fi bien 
dédommagé de tous les autres , Se dont 
rien ne me dédommagera ; <ar il durent, 
j'efpere , autam que ma vie , & quoiqu'il 
arrive , il fera le dernier. Je ne puis vous 
diifimuler , Monfienr , que j'ai une vio- 
iente averiion pour les états qui dominent 
les autres ; j'ai même tort de dire qae je 
ne puis le diffimuler, car je n'ainuUe peine 
à vous ravouer,à vous né d'un Émg illuf- 
tre , fils du Chancelier de France , & pre- 
mier Préfident d'une Ckmr fouveraine ; 
oui , Monfieur , à vous qui m'avez feit 
mille biens fans me connoître, & à qui, 
malgré mon ingratitude naturelle , il ne 
m'en coûte rien d'être obligé. Je tms les 
Grands , je liais leur état , leur dureté , 
leurs préjugés, leur petiteffe & tous leurs 
vices , & je les haïrois bien davantage fî 
je les méprifois moins. Ceft avec ce' fen- 
timent que j'ai été comme entraîné au châ- 
teau de Montmorenci ; j'en ai vu les maî- 
tres , ils m'ont aimé , & moi , Monfieur , 
je les ai aimés , fie les aimerai tant que je ■ 






A M. DE MaLESHERBES. 33^ 

vivrai de toutes les forces de mon lant i 
je donnerois pour eux , je ne dis p4s ma 
vie , le don feroit foible dans l'état oh je 
Jùis , je ne dis pas ma réputation parmi 
mes contemporains dont je ne me foucie 
^eres ; mais la lèule gloire qui ait jamais 
touché mon c«ur, l'honneur que j'aflends 
de la pollérité , &: qu'elle me rendra parce 
qu'il m'eft dû , & que la poftérité eft tou- 
jours juile. Mon cœur qui ne fait point 
s'attacher à demi , s'eû donné à eux fans 
réferve , & je ne m'en repens pas , je m'en 
repentirois même inutilement ~, car il ne 
feroit plus tems de m'en dédire. Pan$ la 
chaleur de TenthoufiaTme qu'ils m*ont inf- 

[»iré , j'ai cent fois été fur le point de 
eur demander un afyle dans leur mai- 
fon pour y pafler le refte de mes jours 
auprès d'eux, & ils me l'auroient accordé 
avec joie , fi même , à la manière 4ont ils 
s*y font pris , je ne dois pas me regwder 
comme ayant été prévenu par leurs of- 
ùes. Ce projet ^ certainement un de 
ceux que j'ai qiédité le plus long-tems , 
& avec le plus de complaifance. Cepen- 
dant il a &ltu fentir k h Un malgré fnoi} 
<}if*il n'était pas lioq. Je ne pentois i^'à 



..„, Google 



336 Lettre 

rattachement des perTonnes ^s ibnger 
aux intermétUaires qui nous auroîent te- 
nus éloignés , & il y en avoit de tant de 
fortes , fur-tout dans l'incommodité atta- 
chée à mes maux , qu'un tel projet n'eu 
excuikble , que par le fentimeni qiu l'avoit 
in(piré. D'ailleurs , la manière de vivre 
qu'il auroit fallu prendre , choque trop 
direflement tous mes goûts , toutes mes 
habitudes , je n'y aurois pas pu réfiftcr 
feulement trois mois. Enfin nous aurions 
eu beau nous rapprocher d'habitation, U 
diHancs reAant toujours la même entre 
les états , cette intimité déliâeufe qui fait 
le plus grand charme d'une étroite fociété, 
eût toujours manqué à la notre ; je n'au- 
rois été ni l'ami , ni le dome^ftique de 
Moniîeuj' le Maréchal de Luxembourg ; 
i'aurois été fon hôte ; en me fentant hors 
de chez moi, j'aurois foupiré fouvent 
s^rès mon ancien afyle , & il vaut cent 
fois mieux être éloigné des perfonnes 
qu'on aime , & defirer d'être auprès d'el- 
les , que de s'expofer à &re un fouh^ 
oppofé. Quelques degrés plus rapprochés 
euffent peut-être fait révolution dans ma 
Tîe. J'ai cent fois fuppofé dans mes rêves 
Monûeur 



...n.CiWgk 



A M. DE MALESIffiRBES. 337 

Monfieur de Luxembourg poiitf Duc, 
point Maréclial de France , mais bon Gen- 
tilhomme de campagne , habitant quelque 
vieux château , & 5. J. Kouifeau pomt Au- 
teur , point Éiifeur de livres , nais ay«it 
un efprit médiocre & un peu d'acquis , 
fe prefentant au Seigneur châtelain & à 
la Dame, leur agréant, trouvant auprès 
<l'eux le bonheur de fa vie » & contri- 
buant au leur ; fi pour rendre le rêve plus 
agréable , vous me permettiez de poufler 
d'un coup d'épaule le château de Males- 
.herfjesit denîi-lieue de-Ià , il me femble, 
Monfieur , qu'en rêvant de cette manière 
je n*aurois de king-teasS envie de m'é- 
veiller. 

Mais c'en eft Bm ; il ne me refte phis 

S'a terminer le long rêve ; car les autres 
it déformais tous hors de lâilbn; & 
c'eft beaucoup , fi je puis me promettre 
encore quelques-unes des heures déli- 
cieufes que j'ai paffées au château de 
Monttnorenci. Quoi qu'il en foit me voilà 
lel que je me fènsalTeâié, jugez-moi fur 
tout ce fetras fi j'en vaux la peine , car 
je n'y (àiirois meitre plus d'ordre, & je 
n'ai pas le courage de recommencer ; fi 
Pièces d'iverfes. P 



...„,GcM)yl.- 



338 



Lettre, &c. 



ce tableau trop vérîdique m'ôte votre 
bienveillance , j'aurai £effé d'ufiirper ce 
qui ne lu'appartenoit pas ; maïs u je U 
conferve, elle m'en deviendra plus chat» 
coâune étant plus à moi. 







LETTRE 

A M. L'ABBÉ R A YNAL; 
Alors AuttUT du Mercure de France. 

A Paiis le 2f Juillet l7fo. 



Vo 



O u s le voiliez , Monfieur , je ne 
rêûfte plus : il ikiit vous ouvrir un porte- 
feuille qui n'étoit pas deitiné A voir le jour , 
& mil en eft très - peu digne. Les plaintes 
du Public llir ce déluge de mauvais écrits 
dont* on l'Inonde journellement , m'ont 
ïffei appris qu'il n'a que fiiire des miens ; 
& de mon coté , la réputation d'Auteur 
■médiocre, à laquelle feule j'aurois pu alpi- 
^er , a peu flatté mon ambition. N'ayant 
pu -vaincre mon penchant pour les lettres, 
j'ai prefqiie toujours écrit pour moi feul 
\ * ) ; & lé Public ni mes amis n'auront 
pas à iè plaindre que j'aye été pour eux 
Recitator acerbus. Or , on ell toujours in- 



<•) Four (upr fi ce iBagage (toit fmcEre, m 
bim faire att«Dtioa que celui qui patloit aiiiG i 
Itiae publique , avait alon prie de quarante vu 
P X 






34° 



Lettre 



dulgent à foi - même , & des écrits ainfi 
deffinés à l'bbfcurité , l'Auteur même eût- 
il du talent y manqueront toujours de ce 
ièu que donne l'émulation , & de cette 
correoion dont le feul defir de plaire peut 
furmonter le dégoût. 

Une chofe ûngulîere, c'ell qu'ayant au- 
trefois publié un fexJ ouvrage (*) où 
certainement il n'eft point quemon de poé- 
fie , on me Éiffe aujourd'hui poëte mal^ 
moi ; on vient tous les jours me iàire 
compliment (ut des Comédies^ d'autres 
Pièces de vers que je n'ai point ùàtfs , & 
que je ne iùis pas capable de &ire. C*eâ 
1 identité du nom de 1 Auteur Se du mien, 
qui m'attire cet honneur. Pen ferois flatté, 
ians doute , ii l'on pouvoit l'être des élo- 
ges qu'on dérobe à autrui ; mais louer un 
liomme de cbofes qui font au-defliis de ks 
forces , c'eft le feire fonger à fe foîbleffe. 

Je m'étois effayé , je l'avoue , dans le 
^enre lyrique , par un ouvrage loué des 
amateurs , décrie des artïiles , &C que la 
céunion de deux arts difficil fs » ff^t fnçUat 






A M. l'Abbé Raynal, 3411 

par ces d&rniers , avec autant de chaleut 
que ii en effet il eût été excellent. . 

Je m'étois imaginé, en vrai Suifle* que 
pour réulfir , il ne &lloit que bien aire ; 
mais ayant vu par l'expérience d'autrui , 
que bien &ïre eft le premier &c le plus 
grand obftacle qu'on trouve à furmonter 
Sans cette carrière ; & ayant éprouvé moi- 
même qu'il y feut d'autres tâlens que- je 
ne puis ni ne yeux avoir, je me fuis hâté 
de rentrer dans l'oblcurite qui convient 
également à mes talens & à mon carac- 
tère , de oit vous devriez me biilèr pour 
l'honneur de -vcftct jounuL. 

Je fuis , &£. , 



Pî 



LETTRE 

AU MÊME. 
Èur fulage dangereux des uflenfles de cmvrc. 



Juillet IÏÎ3- 



J E crois , Monfieur , qiie vous verrcr, 
avec plaifir l'extrait cï-joint d'une lettre de 
Stockotm , que la perfonne à qui elle eft, 
adreflee me charge de vous prier d^mférer 
dans le Mercure. L'objet en eft, de la dfr- 
HÎere importance pour la vie des hommes; 
& plus la négligence du puWic eft excef- 
fîve à cet égara , pJus les citoyens éclai- 
res doivent redoubler de zèle oi. d*a^vitc 
pour la vaincre. 

Tous les Chimiftes de l'Europe nous 
avertiffent depuis long-tems des mortelles 
qualités du cuivre , & des dangers aux- 
quels on s'expofe en feifant uiage de ce 
pernicieux métal dans les batteries de cui- 
fine. M, Rouelle de l'Académie àe& Scien- 
ces, eft celui qui en a démontré plus fen- 
ilblement les mneftes effets , & qui s'en 
eft plaint avec le plus de véhémence. M. 
Thierri , doïteiu- en médecine , a réuni 
dans una favante thefe qu*il foutint «n 
Ï749, fous la préfidence de M. Falconoet, 






A M. l'Abbé Raynal. 345 

une multitude de preuves capables d'ef^ 
frayer tout homme raifonnable qui &it 
quelque cas de la vie & de celle de îes 
concitoyens. Ces Phyficiens ont fait voir 
que le verd-de-gris , ou le cuivre diflbiis, 
eft un poifon violent dont l'effet eft tou- 
jours accompagné de fymptômes a£eux ; 
que la vapeur même de ce métal eft dan- 
gereufe , puifque les ouvriers qui le tra- 
vaillent font fujets à diverfes maladies mor- 
telles ou habituelles; que toutes les menf- 
tr ues , les grailfcs , les fels , & l'eau même 
d-ffolventie aiivre , & en font du verd- 
dé - gris ; que l'étamage le plus exaâ ne 
feit que diminuer cette diflblution ; que 
Fétaim qu'on emploie dans cet étamage , 
n'eft pas lui - même exempt de danger. ,' 
malgré l'ufage indifcret qu'on a fait jiif-. 
qu'à préfent de ce métal , & que ce" 
danger eft plus grand ou moindre , félon . 
les différens étaims qu'on emploie , en 
raifon de l'arfenic qui entre dans leiu- eom- 
pofition , ou du plomb qui entre dans . 
leur alliage ( " ) ; que même , en fuppo- 

{ * ) Qp.e le plomb àilTaas Toii un pai[bn , Ist accidcai 
^«ftes lue cauftnt tous I«s jouis lu vini falQflfS Mec 

P4 






344- ' L B T T K E 

fasit à l'iétainage une précaation (uffîiânte^ 
c'eft uns imprudence impardonnable àe 
Étire dépendre Is vie & la fanté des faonir 
mes d'une laaie d'étaim très •- déliée , qui 
s'ufe très- promptBBttent (^ f ) & de l'exac- 
titude des domeitiques & des cuifîniers 
tfû rejettent ordinairement les vaîâèaux 
i^cemment étamés ^ à cauTe du mauvais 

foût que donnent les- matières employées 
ré&unftee r ils ont lait voir combien d*ac- 
cidens ameux produits par le cuivre , ient 
attribués tous, les jours- a des cauies toutes 
différentes ; ils. ont prouvé qu'une multi- 
tude de gens, périment ^⣠Qu*un plus grand 
nombre encore font attatmes de mille diff&^ 



de Ik Ikha^i, ne U promcot v>e tcop> Aiafl , poat mk 
plDT«' c* oi^td Bvcs Itamé , il «ft isisactHt à» Hta «oar 
n«ltrc I» diSblvaiu qvi rutaqucM, 

( t ) D efi lia dt démontrer qu 0» qodqBe maïàa* 
^u'on t'y picnue, on ne IJHuoit, dani lu ufagn des niC 
lèauK decttiGnc, l'afliiiei piutua fiul jonr rétam>(e la 
plus falide ; car ■ Mmou rduiin entre en fuGon i un 4e, 
gi£ de f(u fotl inférieur t celui de la grutTe bDuillutt ^ 
toutes In fois qu'uu nôfinier fuit roufBr du beuuc , it 
«le lui ed pu poUlble de gariulir de la fudog quelque- 
partie de l'iUDuge , ni f ai uoQfiuent le »caût dn çoataâ 






A M. L'ÀBBé Raynal, 345 

rentes tn^dies , par l'ufàge de ce métal 
dans nos cuiûnes & dans nos fontaines ^ 
iàns Ce douter eux-mêmes de la véritable 
caufe de leurs maux. Cependant, quoiqiie 
la manu&Éhire d'uilenfiles de fer battu Se 
étamé * qui eft établie au fâuxbourg St. An- 
toine , offre des moyens feciles de fiibfti- 
tiier dans les cuifines une batterie moins 
(Hfeen^eule , aulli commode que celle de 
cuivre , 6c parlement aine , au moins 
quant au métal principal , l'indolence or- 
dinaire aux hommes fur les chofes qui 
leur font véritablement utiles , & les petites 
maximes que la pare0e invente fur les ulâ» 
ges établis ^ fur^tout quand ils font mau- 
vais , n'ont encore laiffé que peu de pro- 
grès aux fages - avis des Chimifles , fie 
û'ont profin-it le cuivre que de peu de 
cuifmes. La répugnance des cuiuniers à 
employer d'autres vaiffeaux que ceux qu'ils 
connoiffent , eft un obftacle'dont on ne 
fent toute la force que quand on connoît 
la pareflè ÔC la gourmandife des maîtres. 
Chacun fait que la fociété abonde en gens 
«jui préfèrent l'indolence au repos , &c le 
plaiiîr au bonheur ; mais c^n a bien de la 
peine à conc«voir qu'il y en ait qui aimçnt 
P 5. 






346 Lettre 

mieux s'expbier à périr, «ix &.touteleur 
Emilie , dans des. tonnnens a£-eux » <^'à 
mangée un ragoût brûlé. 
'' Ilfdutraifonneravïcles&ges, & jamais 
avec le puhiic. Il y a long-tems qu'on s 
comparé la multitude à un troupeau ie 
moutons ; il lui faut des exen^Ies au 
■ lieu de r^ons ^ car chacun craint beau- 
coup plus d'être ridicule que d'être fou 
Qu méchant. D'ailleiu^ ^dans toutes les 
cholêi qui concernent l'intérêt comimin , 
prelque tous jugeant d'après leurs propres 
maximes , s'attachent moins à examiner la 
force des preuves ^qu'àpénétrM" les motife 
fecre^ de celui qui les propofe :- par exem- 
ple^beaucoup d'honnêtes leâeursfoupçoO' 
neroient volontiers qu'avec (fe l'araent^le 
chef de la&briquede ferbattu, ou Fauteur 
des fontaines domeftiques excitent mon zele 
m cette occaHon ; défiance zSJei naturelle 
dans vn {iecle de diarlatanerle ^ oh les plus 
grands fripons ont toujours l'intérêt public 
dans la bouche* L'exemple eft en ceci plus 
p^rfuaûf que le nûfonnement « parce que 
' la même (KÔance ayant vraifembîablemïnt 
dû naître aulB dans l'efprit des autres y ou 
eft porté à croire que ceux qu'elle n'a point 






A M. x'Abbé .Raynal. 347 

empêché d'adopter ce que l'on propofe , 
opt trouvé pour cela des raifons décifives. 
J^û y au lieu de tn'arrêter à montrer com- 
bien il eA abfurde , même dans le doute, 
de laifler dans la cuîline des uftenfiles ftif- 
peâs de poifOB , il vaut mieux dire que 
M. Duverney vient d'ordonner une bat- 
terie de fér pour l'école militaire , que M. 
le Prince de Cond a banni tout le cuivre 
de la fienne ; que M. le Duc de Duras Am- 
bafladeur en Efpagne , en a fait autant ; Se 
que fôn cuifinier , qu'il confulla là-deffus , 
lui dit nettement que tous ceux de Ton 
métier qui ne s'accommodoient pas de la 
batterie de fer , tout auffi bien que de 
celle de cuivre , étoient des ignorans , ou 
gens de maiivaife volonté. Plufie^rs par- 
ticuliers ont fuivi cet exemple , que les 
pfïfonnes éclairées , qui m'ont remis l'ex- 
trait ci-)oiftt , ont donné depuis long-tems , 
&ns que leur table Ce revente le moins du 
inonde de ce changement , que par la con- 
fiance avec laquelle on peut manger d'ex- 
cellens ragoûts , très - bien préparés dans 
des vaiffeaiix de fer. 
. Mais que peut-on mettre, fous les yeux 
4\i .piibUç dç plus frappant que cet extrait 
■ P 6 ' ^ 






34^ Lettre 

même } S*ïl y avoit au monde uae ttaûoii 
qui dût ^o^ofer à Pexpulûon du cuivre » 
^eA cemûwmeiit la Suéde , dont les faines 
de ce métal font la principale richefle , Se 
dont les peuples en général idolâtrent leurs 
anciens u&ges. <7eA pourtant ce royaume 
fi riche en cuivre qui donne l'exemple aux 
autres >.d*àter à ce métal tous les emplois 
qui le rendent dangereux Se qui intéreâènt 
la vie des citoyens ; ce (otA ces peuples^ 
fi attachés à leurs vi«Ues {»atiquîes y qiù 
renoncent fitns peine à une miutîtude de 
Commodités qu'ils retireroient de leurs 
raines , dès que la raifÏHi & TautOFité des 
^ges leur montrait le rilîque que Tuêig^ 
. iïâifcret de ce awtal leur làit courir. Je 
voudrois p€Htvwr efpérer qu'im fi fiUu* 
taire exem^ fera futvi dans le reAe de 
l^urope , oii Ton ne doit pas avoir Isb 
mime répu^iance à profcrire , au moins 
dans les cumnes , un métal qu'cHi tire àé 
dehors, h voudrois que les avertiffemens 
publics des ^ùlotbphes de cks gens de let> 
1res révc^bmfit les peuples fur les dangers 
de toute efpece auxqudis leur imprudence 
Tes expoiè- , & r^pellaffènt plus fouvent 
jh tous ks fottv«rasasr> (pw le i<»a d« I4 ' 






A M. l*Abbê Raynal. 



549 



confervation des hommes n*eft pas feiir&> 
ment leur premier devoir ^ mais auiS. leiur 
plus grand intérêt. 



Je £iis , 6cci 







LETTRE 

A M. M"*. A GENEVE. 

PdrU U as Sivatirt I7î4> 



M-j N r&ondant avec franchife à votre 
dernière lettre , en déposant mon cœur 
& mon fort entre vos mains , je crois , 
Monfieur , vous donner une marque d'ef- 
time & de confiance moins équivoque 
que des louanges & des complimens , pro- 
(ligués par la flatterie plus fouvent que par 
Tamidé. 

Oui, Moniieur, frappé des conformités 
que je trouve ehtre m conftîtution de 
gouvernement qui découle de mes prin- 
cipes , & celle qui exifle réellement dans 
notre République , je me liiis propofô 
. de lui dédier mon Difcours fur 1 origine 
& les fondemens de l'inégalité , & j'ai 
iàiiî cette occafion comme un heureux 
moyen d'honorer ma Patrie & fes clie& 
par de juftes éloges , d'y porter , s'il fc 
peut, dans le fond des cœurs , l'olive que 
je ne vois encore que fur des médailles , 
& d'exciter en même tems les hommes à 






A M. M***. 3ÏI 

fe rendre heureux par l'exemple d*im peu- 
ple qui l'eft ou qui pourroit l'être fans 
Tien changer à fon infiitution. Je cherche 
en cela , félon ma coutume , moins à plaire 
qu'à me rendre utile ; je ne compte pas en 
particulier fur le fuffiage de quiconque 
ell de quelque parti ; car n'adoptant pour 
moi que celui de la julHce £c de la raifon, 
je ne dois gueres elpérer que tout homme 
qui fuit d'autres règles , puiffe être l'ap- 
probateur des miennes , & fi cette confi- 
dération ne m'a point retenu , c'eft qu'en 
ioute chofe le blâme de l'univers entier 
me touche beaucoup moins que l'aveu de 
ma confcience. Mais , dites-vous , dédier 
un livre à la République , cela ne s'eJi 
jamais &it. Tant mieux , Monûcur ; dans 
les chofes louables , il vaut mieux donner 
l'exemple que le recevoir , & je croîs n'a- 
voir que de trop juftes raifons pour n'être 
l'imitateiu- de perfonne ; aînfi , votre objec- 
tion n'eft au fond qu'im préjugé de plus 
«n.ma &veur , car depuis long-tems il ne 
refte plus de mauvaife aftion à tenter , & 

3uoi qu'on en pût dire , il s'agïroit moins 
e favoir fi la chofe s'eft feîte ou non , que 
0. elle eÛ bien ou, mal en foi , de quoi je 






3Î^ 



Lettre 



vous faiffe le juge. Quant à ce que vous 
ajoutez qu'après ce qui s'eft paffé , de 
' teUesnouveautéspeuvemêtreda^ereufes, 
c'eft-là une grande vérité à d'autres égards ; 
mais à celui-ci, je trmiye au contraire ma 
iémarehe d'autant plus à ùt place après ce 
qui s'eft pa0^ , que oies éloges étant pour 
les Ma^ibats , Se mes exhortadons pour 
tes Citoyens , û convkm que le tout s*a- 
drefle -à la R^Uique , pour avoir occa- 
sion de parler k fes divers membres , Se 
pour ôter à ma Dédicace toute apparence 
de partialité, le fiùs qu^il y a des chofes 
qii*il ne faut point rappetter ; & j'e^wre 
que vous me croyez anez de jugement pour 
n'en i^r à cet égard, qu'avec ijne réferve 
dans laquelle j'ai plus conlùlté le goût des 
autres que le mien : car je oe penie ras 
qu 'il foit d'une acb-oite politique , de pouflèr 
cette maxime juiqu'au fcrupule. La mé- 
moire d'EroÛrate nous apprend « que c'aft 
wn mauvais moyen de faire oublier les cho- 
fes , que d'ôter la liberté d'en parler : 
mais fi vous feiies qu'on n'en parle qu'avec 
douleur , vous ferez bientôt qu'on n'eo 
jorlera plus. Il y a je ne fais quelle cir- 
confpe(tion puûUanisie £}rt goûtée en et 



A M. M-". 3JJ 

fiede , & qui, voyant par-tout des încon- 
véniens , ie borne par iàgefle , à ne foire 
ni bien m mal ^j'aime mieux unehardie^fe 
généraife qui , pour bien faire , fecoue 
quelquefois le puérile joug delà tHenfëance. 
Qu'un zeleindifcret m'abuie peut-être, 
que prenant mes erreurs poiu- des vérités 
utiles f avec les meilleures intentions du 
monde je puifle faire plus dé mal que de 
bien ; je n'ai rien à répondre à cela , fî ce 
n'eil, qu'une femblable raifon devroit re- 
tenir tout homme droit , &i laifier l'univers 
à la difcrétion du méchant & de Vé~ 
towrài , parce que les objeâions , tirées 
de la feule fbibl^e de la nature » ont force 
.contre quelque homme que ce foit , 6c 
qu'il n'y a peHbnneqai ne dût êtro fu^ft 
à foi-même , s'il ne ts repofoit de ta ]uf- 
teflè de fes lumières , fur la droiture de 
fon cœur ; c'efl ce qiie je dois pouvoir 
£ake &ns témérité » parce qu^ifoté parmi 
les hommes , ne tenant à rien dsûis la 
fociété , dépouillé de toute efpece de pré- 
tention , âc ne cherchant mcm bonheur 
même que dans cehti des autres, je crois» 
du moins , être exempt de ces préjugés 
d*étitt qui font plier le jugement des puis 






JÏ4 



Lettre 



&ges aux maximes (|ui leur font avanta- 
ceufes. Je pourrois, il eft vrai, confulter 
ces gens plus habiles que moi , & je le 
fèrois volontiers , fi je ne ûvois que leur 
intérêt me confeillera toujours avant leur 
raifon. En xm mot , pour parler ici fens 
détour , je me fie encore plus à mon dé- 
fintéreffement, qu'aux lumières de qui que 
ce puifTe Être. 

Quoi qu'en général, je feffe très-peu 
de cas des étiquettes de procédés , & que 
j'en aye depuis long-tems fecoué le joug 
plus pelant qu'utile , je penfe avec vous 

3u'il auroit convenu d'obtenir l'agrément 
e la République ou du Confeil , comme 
c'eft affez l'ulage en pareil cas ; Se j'éiois 
fi bien de cet avis , que mon voyage fiit 
fiiit en partie , dans l'intention de foUîciter 
cet agrément ; mais il me fallut peu de 
tems & d'obiervaùons pour recomioître 
l'impoflibilité de l'obtenir ; je fentis que 
demander une telle permiflion , c'étoit vou- 
loir un reftis, & qu'alors ma démarche 
fjui pêche tout au plus contre une certaine 
menféance dont plulieiirs (e font difpenfés , 
feroit par-là devenue une défobéiiïànce con- 
damnable , fi j'avois perfifté , ou l'étour- 



A M. M***. 355 

derie d'iui fot , fi j'euffe abandonné mon 
deffein : car ayant appris que dès le mois 
de Mai dernier , il s'étoit iaït à mon ïnfçu 
des copies de l'ouvrage & de la Dédicace , 
dont je n'étois plus le maître de prévenir 
l'abus > je vis que je ne l'étois pas non 
plus de renoncer à mon projet , fans 
m'expofer à le voir exécuter par d'autres. 
Votre lettre m'apprend elle-même que 
vous ne fentez pas moûis que moi toutes 
les diiScultés qnej 'avoîsprévues ; or , vous 
iâvez qu'à force de fe rendre difficile fur 
les-permiirions indifférentes , on invite les 
hommes à s'en paffer : c'eft ainfi que Vex- 
ceflîve circonfpeÛion du feu Chancelier, 
fur rimprelîion des meilleurs livres , fit 
enfin qu'on ne lui préfentoit plus de ma- 
nufcrits, &que les livres ne s'impnmoient 
pas moins , quoique cette impreflion feite 
contre les loix , ti\t réellement criminelle , 
au lieu qu'une Dédicace non communiquée, 
n'eft tout au plus qu'une impolitefle ; &C 
loin qu'un tel procédé foit blâmable par 
fa nature , il eft au fond plus conforme à 
l'honnêteté que l'ufage établi; car 11 y a je 
ne fais quoi de lâche , à demander aux gens 
la penmiUon de les louer, & d'indécent à : 






35Ô Lettre 

faccorder. Ne croyez pas , non plus ,' 
qu'une telle conduite foit fans exemple : je 
puis vous ùàre voir des livres dédiés à la 
nation FrançoîJè , d'autres au peuple An- 
glois, ÙDs qu'on ait ftit un crime aux Au- 
teurs de n'avoir eu pour cela ni le confen- 
tement de la nation, ni celui du Prince qui 
fiu-ement leur eût été refiifé, parce que dùis 
toute Monarchie, le roî veut être l'Etat 
lui tout ieul , & ne {trétend pas que le 
peuple foit quelque chofe. 

Au refte, fi javois eu à m'ouvrir à 
quelqu'un fur cette a^re , ç'auroit été à 
Si. le Premier moins qu'à qui ^ue ce foit 
au monde, rhonore & jaime tr<^ ce 
^gne & refpeâable Magiflrat, pour avoir 
voulu le compromettre en la moindre 
chofe , & fexpoïèr au chagiin de déplaire 
peut-être à beaucoup de gens , en âvo- 
■rifint mon projet ; ou d'être forcé, peut- 
être , à le blâmcT conCTe fon propre fen- 
timent. Vous pouvez croire qu'ayant ré- 
fléchi long-tems fur les matières de Gott- 
vemement, je n'ignore pas la force de 
ces petites maJfimes d'Etat qu'un làge Ma- 
gMlrat eft obligé de fuivre, quoiqu'il en 
leme lui-même toute la frivolité. 






A M. M***. 357 

Vous conviendrei (jiie je ne pouvois 
obtenir l'aveu du Confeil , làns que mon 

• ouvrage fût examiné; or, penfez-vofts 
que j'ignore ce que c'eû que ces examens, 
& combien l'amour -propre des cenfeurs 
les mieux intentionnés, êc les préjugés 
des plus éclmrés , leur font mettre d'opi- 
niâtreté & de hauteur à la place de la 

•raifon , & leur font rayer a excellentes 
chofes , uniquement parce qu'elles ne font 
pas dans leur manière de penfer & qu'ils 
ne les ont pas méditées aufli profondément 
que l'Auteur ? N'ai- je pas eu ici mille 
altercations avec les miens ? Quoique gens 
d'efprit & d'honneur , ils m'ont toiijoiu^ 
défolé par àe miférables chicanes , qui 
n'avoient ni le fens commun , ni <Fautrc 
eaufe qu'une vilepufillanimité, ou lava* 
nité de vouloir tout fevoîr mieux qu'un 
autre. Je n'ai jamais cédé , parce que je 
ne cède qu'à la raifon ; le Magiftrat a été 
notre juge , & il s'eft toujours trouvé 
que les cenfeurs avoient tort. Quïmd je 
répondis au Roi de Pologne, je devois 
félon eux, lui envoyer mon mamilcrit, 
& ne le publier qu'avec fon agrément: 
fT^if , . préiçndoieni - ils , man^ier de 






3ï8 L E T T R E 

reipeâ au père de la Reine que de l'atta- 
quer publiquement , fur-tout avec la fierté 
qu'ils trouvoient dans ma réponfe ; & iU 
ajoutoient même , que ma' fureté exigeoit 
des précautions ; je n'en ai pris aucune i 

i'e nai point envoyé mon manufcrit au 
'rince ; je me fuis fié à l'honnêteté pu- 
blique» comme je ^s encore aujourd'hui» 
& l'événement a prouvé que j'avois rai- 
ion. Mais à Genève il n'en iroit pas com- 
me ici; la décïfion de mes cenfeurs feroit 
uns appel ; je me verrois réduit à me 
taire , ou à donner fous mon nom ^ le 
fentiment d'autrui ; Se je ne veux faire m 
l'un ni l'autre. Mon expérieHce m'a donc 
■&it prendre la ferme réfolution d'être 
déformais mon unique cenfeur ; je n'en 
aurois jamais de plus févere , & mes prin- 
cipes n'en ont pas befoin d'autres , non 
plus que mes mœurs : puîfque tous ces 
gens- là regardent toujours à mille chofes 
étrangères dont je ne me foucie point, 
j'aime mieux m'en rapporter à ce juge 
intérieur & incorruptible qui ne paâe rien 
de mauvais « Se ne condamne rien de 
bon, & qui ne trompe jamais quand on 
le confulte de bonne foi. J*ei^ere que 






À M. M • * *. 3 59 

vous trouverez qu'il n'a pas mal fiït fon 
devoir dans l'ouvrage en queftion,<loattout 
le monde fera content , & qui n'auroii pour- 
tant obtenu l'approbation de perfonne. 

Vous devez fentir encore , que l'irré- 
gularité qu'on peut trouver dans mon 
frocédé, ell toute à mon préjudice & à 
avantage du Gouvernement S'il y a quel- 
que choie de bon dans mon ouvrage , on 
pourra s'en prévaloir ; s'il y a quelque 
chofe de mauvais , on pourra le defe- 
voiier ; on pourra m'approuver ou me 
blâmer félon les intérêts partiailiers , ou 
le jugement du piUjlic. On pourroit même 
prolo-ire mon livre , fi l'Auteur & l'Etat 
avoient ce malheur que le Confeil n'en 
fiit pas content ; toutes chofes qu'on ne 
pourroit plus Êiire , après en avoir ap- 
prouvé la Dédicace. En un mot , fi j ai 
oiea dit en l'honneur de ma Patrie » la 
gloire en fera pour elle : (i j'ai mal dit , 
le blâme en retombera fur moi feul. Va 
bon citoyen peut- il fe faire un fcnipulç 
d'avoir à courir de tels rifques? 

Je fupprime toutes les confidéradoijs 

' perfonneÙes qui peuvent me regarder, 

parce qu'elles ne doivent jîunaU entrer 






360 Lettre 

dans l«s inoti& d'un homme de bien, qui 
travaille poyr Tutilké publique. Si le dé- 
' tacheotent d'un cœur qui ne tient ni à la 
gloire, ni à la fortune , ni même à la vie, 
peut le rendre digne d'annoncer la vérité, 
fo£e me croire appelle à cette vocaiicw 
fubUme: c'eft pour feire aux hommes du 
bien félon mon pouvoir , que je m'^A 
toens d'en recevoir d'eux , & que je chéris 
*ia pauvreté & mon indépendance. ïe 
ne veux point fuppctfer que de tels fen- 
timens piiifîèqt jamais me jiulre auprès de 
mes concitoyens ; & c'eft iàns le prévoir, 
ni le craindre , que je prépare mon ame 
à cette dernière épreuve , la feule à la- 
5uelle je puifle être fenfible. Croyei que 
je veux être jufqu'au tombeau , honnête, 
vrai , & citoyen zélé ; & que s'il iàlloii 
nie priver à cettt occafion , du doux fé- 
four de la Patrie, je couronnerois aihfi 
ïes facrifices que j'ai faits à Tamour des 
lionmies & de la vérité , par celui de tous 
qui cotite le plus à mon cœur. Se quî 
parconféquent m'honore le plus. 

Vous comprendrez arfément que cette 
lettre efl: pour vous feul ; j'auroîs pu vous 
«B écrire une pour être vue dans un ^le 






A M, M***. 361 

fort diiFérent ; mais -outre t^e ces petites 
-adreffes répugnent à mon xaraûere ; elles 
ne répugneroient pas moins à ce que je 
fonnoÎG du v.Stre ^ & je me ikurai gré 
toute ma vie , d'avoir profité de cette oc- 
cafion de m'ouvrit à vous uns réftrve, 
& de me confier à la difcrétion d'un hom- 
me de bien qui a de l'amitié pour moi. 
bonjour , Monfieur , je vous embraffe de 
tout mon -cœur avec attendriiTcment & 
xeCpeÙ. 



Fltcd^iverfisl 



LETTRE 

A M. V E R N E S. 

A txA le s jivTil I7ÎÎ. 



MT Ou ■ le coup , Moofieur , voici Heo 
du retard ; aaàs outre que je oe vous ai 
point caché mes déÊiuTs , vous devez {on- 
ger qu'un ouvrier & un malade ne djfpo- 
îent pas de leur tems comme ils ^meroïent 
le mieux. D'ailleurs, Tamitié le plaît à par- 
donner , & l'on n'y met gueres la {éve- 
nté qu'à la place du fentiment. Ainfi je 
crois pouvoir compter iùr votre indul- 
gence. 

Vous voilà donc , Meflîeurs , devenus 
Auteurs périodiques. Je vous avoue que 
ce projet ne me rit pas autant qu'à vous : 
j'ai du regret de voir des hommes tàîts 
pour élever des momimens, fe contenter 
de porter des matériaux , & d'arehiteâes 
ie fiiire manœuvres. Qu'eft-ce qu'im Uvre 
périodique ? Un ouvrage éphémère , fans 
mérite & fiins utihté , dont la leftiue négU- 
gée & méprifée par des gens de Lettres , 
ne fert qu'à donner aux femmes fie aux fois 






A M. V E a N E s. 563 

de la vanité hns initruâton , &c dont ]e 
fort , après avoir brillé le matin fiir la 
toilette , eft de mourir le foir dans la gar- 
derobe. D'ailleurs , poiivez-vous vous r«- 
ibudre A prendre des pièces dans les jour- 
naux Se juiques dans le M/trcure , & à com- 
piler des compilations? S'il n'eft pas ànpoffi- 
hle qu'il s'y trouvetiuelquelxxi morceau , 
il eft irapoffible que poiu: le déterrw , 
vous n'ayez le dégoût d'en lire touioucs 
une multitude de dé^ftables. La phiioro- 
plùe du cœur coûtera cher à falprit, s'il 
■feut le remplir de tous ces fatras. Enéo , 
.quand vous auriez affez de zèle pour foii- 
.tenir l'ennui de toxvtes ces leflures , qhî 
vous répondra que votre choix fera fait 
xronune il doit l'eire , que l'attrait de vos 
vues particulières ne l'emporteia pas fou- 
vent fur l'utilité publique , ou que fi vous 
«e fongez qu'à cette utilité l'agrément n'en 
ibuffrira point } Vous n'ignorez pas qu'un 
hon choix littéraire eft le fruit du goût 
le plus exquis , fie mi'avec tout l'efpnt & 
xoutes les c«nnoil[l[ances ima^ables , le 
goût ne peut affez fe perfeâionner dans 
une petite ville, pour y acquérir cette fu- 
raé néceflaire à !a fojiBation d'un recueil 



5^4 Lettre 

Si- le vôtre 'Cft excellent-, qui le.ieittira? 
■5'il eft médiocre & par conlequent détec- 
table ; aviili ridicule que le mercure Suifle , 
il mouna de fa mort naturelle après avoir 
amuië pendant quelques mois Les caillettes 
du pays de Vaud. ûroyez-moi , Monfieur , 
ce n'eft point cène «Ipece d'ouvrage qui 
nous convient. Des ouvrages graves & 
profonds peuvent nous honorer , tout le 
colifichet de cette petite philofophie à la 
tnode nous va fort mal. Les grands' objets 
tels que la vertu & la liberté étendent & 
fortifient l'efprit, les petits tels que la poô- 
fie Se les beaux-arts lui donnent plus de 
délicatelTe & de fubtilhé. H &ut un téle^ 
cope pour les uns & unmicrofcopepour 
les autres, & les hommes accoutumés k 
mefurer le ciel , ne fauroient diflëquèr des 
«louches ; voilà poiirqtioi Genève eft le 
lîays de la fageffe & de laraifon, &PariE 
le uége du gout> Laiffîïns-en donc les ra^ 
fiemeiK à ces myopes de la littérature , 
qui paffentleur vie à regarder des cirooi 
au bout de leur nez ; lâchons «tre plus 
£ers du goût qui nous manque qu'eus de 
•celui qu'us ont ; & tandis qu'ils kroat 
•des journaux & des brochures pour la 






A M. V E R N E s. 



365 



ruelles , tâchons de faire des livres utiles 
& dignes de l'inimortalrté. 

Après vous avoir tenu le langage de 
l'amitié , je n'en oublierai pas les procé- 
dés , & u vous perfiftez dans votre pro- 
jet , je ferai de mon tmeux un morceau 
tel que vous le fouhaiterez pour y f em- 
plir im vide tant bien que maL 




Qï 






LETTRE 

DE M. DE VOLTAIRE (*> 



»f 'Al reçu , Morrfieur, voire' nouveau 
livre coHire le genre-humain ; je vous en 
remercie. Vous plairez aux liomnies à qui 
vous dites leurs vérités , & vous ne les 
corrigerez pas. On ne peut peindre avec 
des couleurs plus fortes les horrews de la 
focicté humaine , dont notre ignorance & 
notre foibleffe fe promettent tant de dou- 
CGius. On n'a jamais employé tant d'ef- 
prit à vouloir nous rendre betes : il prend 
envie de marcher à quatre pattes quand 
on lit votre ouvrage. Cependant comme 
it y a plus de foixante ans que j'en ai perdu 
rhabitude, je fens malheureufement qu'il 
m'eft impoffible de la reprendre , 8c je 
JaliTe cette allure naturelle à ceux qui en 
font plus dignes que vous Se moi. Je ne 
ptux non plus m embarquer pour aller 






DE M. DE Voltaire. 367 

trouver ïss Sauvages d« Canada , premié- 
rement parce que. les maladies auxquels 
ks je fuis condamné me rendent un mé- 
decin d'Etirope néceiï^e ; feeoodement 
parcç que la guerre eft portée dans ce pays- 
là , & que les exemples de nos nations ont 
rendu les Sauvages preique auffi méchans 
^e nous. le me bovne a être un lauvage 
pailibïe dans la foUtude que j'éù choîfie au- 
près de votrepatrie oîtvous devriez, être. 

J'avoue avec vohï que les belles-lettres 
& les fcicnces ont cauK quelquefois beau- 
coup de mal. 

Les ennemis du Taâe firent de £1 vie 
un tiflii de malheurs ; ceux de Galilée !e 
feent gémir dans les. prifoos à foixante &C 
dix ans, pour avoir connu le mouvement 
de la terre , & ce qu'il y a de plus hottr 
teiix , c'eft qu'ils f obl^erent à fc retraÛerj 

Dès que vos amis eurent commencé le 
Diâionnaire Encyclopédique, ceux qui 
ofoient être leiu^s rivaux , les traitèrent 
de Déiftes, d'Athées , & même de Janfô- 
nift?s. Si j'ofois me compter parmi ceux 
dont les travaux n'ont eu qiie la porfécu- 
tion pour récorapenis , je vous ferois 
voir une troupe de miférables acharnés à 
Q4 






56S Lettre 

me perdre , dajtmr que je donnai la 
tragédie- d'CEdipe ; une- bibliothèque de 
calomnies ridicules imprimée contre moi f 
îia prêtre esjéfuite que j'avois iàuvé dur 
déplier fapplice , me payant par des libel- 
les di^matoires-, du Service que je lui 
avois rendu ; un homme pins coupable 
encore, fàifant imprimer mon propre ou- 
vrage du fieele de Louis XTV , avec des 
notes où I2 plus- crafîe ignorance débite 
lës' calomnies les plus e&ontées ; un autre 
qui vend à un Libraire luie prétendue 
hiftoire univerfelle fous mon nom, & le 
tibraire aflfez avide ou: affez Cm pour im- 
primer ce tiffu' informe de bévues , de- 
^uH^s dates , de ^ts &t de noms efiro- 
piés ; & enfin des hommes aflèz lâches & 
affez méchans y pour m'imputer cette rap- 
ibdie. Je vous ferois voir la foâété ift- 
feâée de ce genre d'hommes-, incomiu à 
toute l'antiquité , mû , ne pouvant embraie 
ikr uneprofeffîon honnête , foit de laquais 
Ibitdé manœuvre, & faclwnt malheureu- 
iement lire & écrire, fe font courtieEs de- 
là httérature, volent des manufcrie, les. 
défigurent & les vendent. Je potu*rois me 
plaindre ^*une plailànterie , feite il y a 






DE M, DE Voltaire. 369 

plus de trente ans, fur le même fujet qye 
Chapelain eut la bêtife de traiter férieu- 
fement , court aujourd'hui le monde par 
l'infidéUté & l'infâme avarice de ces mal- 
heureux , qui l'ont .défigurée avec autant 
de fottife que de malice , & qui , au bout 
de trente ans , vendent par-tout cet «u- 
vrage , lequel certainement n'eft plus le 
mien , & qui eft devenu le leur. J'ajou- 
terois qu'en dernier lieu , on a ofé fouil- 
ler dans les archives les plus refpeÛables, 
& y voler une partie des mémoires que 
Yy avois mis en dépôt , lorfque j'étois 
Hiflonographe de France , & qu'on a 
vendu à un Libraire de Paris le fruit de 
mes travaux. Je vous peindrois l'ingrati- 
tude , l'impofture , & la rapine me pour- 
iiiivant jufqu'aux pieds des Alpes , & jut 
qu'au bord de mon tombeau. 

Mais, Monfieur, avouez auffi que ces 
épines attachées à la littérature & i la 
réputation , ne font que des fleurs en 
comparaifon des autres maux qui de tous, 
tems ont inondé la terre. Avouez que ni 
Cicéron , ni Lucrèce , ni Virgile , ni Ho- 
race, ne fiirent les auteurs des profcrip- 
tionsde Marius> deâyUa, de ce déhau- 

r, .. .Google 



370 LETTRE, &C. 

ebé- d'Antoine, de cet imbécille Lépide, 
de ce tyran fans cotirage Ofbve Cepias 
finmommé fi lâchement Augdle. 

Avouez que le badînagc de Marot n'a 
pas produit k St. Barthelemi , & qiie la 
tragédie du Cid ne caiife pas les guerres de 
la Fronde. Les grands Crimes n'ont été 
comn»s que pat de célèbres ignorans. Ce 
qHÎ Hàt & fera tottjours de ce monde une 
vallée de larmes , c'eft Tinfatiable cupidité 
& l'indomptable orgueil des hommes » de- 
puis Thamas Kouli-Kan qui ne fàvott pas 
lire , jufqu'à «n commis de la douane qui 
re fait que chiffrer. Les lettres novirriffent 
l'ame , la te^fient , la confdent , & efles 
fdnt même votre gloire dans le tems que 
vou$«crive2«Mitreelles. Vous &tes comme 
Achille qui s'emporte contre la gloire , & 
comme leper^Mallel»anche dont rimagi na- 
tion brillante écrivoit contre l^imagination. 

MonfieurClia|^uis m'apprend que votre 
facté tÛ bien mauvaife ; il fàudroit laTenir 
rétablir dans Taîr natal, ionirde la liberté, 
boire avec moi du lait de nos vaches , Sc 
brouter nos heriies. 

Je fiiis très-philofophiquemMit & avec 
la plus tendra e Aime , Monfieiu- , vQtre dcc. 






RÉPONSE. 



V^ 'Est à moi , Monfieur , de vous remets 
cieràtoiis égards. En vous offrant l'ébau- 
che de mes triftes rêveries , )e n'ai point 
crti vous iàîre un préfent digne de vous , 
liiais m'acquitler d'un devoir 6c vous rendre 
\m hommage que nous vous devons tous 
comme à notre chef.Seniîble, d'ailleurs, à 
l'honneur que vous feitesàmapatrie , je par- 
tage; la rcconnoiflànce de mes concitoyens , 
& j'eipcre qu'elle ne fera qu'augmenter en- 
core , lorfqu'ils auront profité des inftnic- 
tions que vous pouvez leur donner. Em- 
belliiTei l'afyle que vous avezchoîfi : éclai- 
fez un peuple oigne de vos leçons ; &c , 
vous qui favez fi bien peindre les vertus 
& la liberté , apprenez-nous à les chérir 
dans nos murs comme dans vos écrits. Tout 
ce qui vous approche doit apprendre de 
vous le chemin de la gloire. 

Vous voyez que je n'afpire pas à lious 
rétablir dans notre bêtife , quoique je re- 
grette beaucoup , pour ma part , le peit 
que j'en ai perdu. A voire égard , Mon- 
iteur, ce retour feroit im miracle , fi grand 
à la fois &C û mrifible, qu'il n'appartien- 

Qâ 



371 . RÉPONSE. 

âroît qu'à Dieu de te &ire & qu'au Diable- 
de le vouloir. Ne tentei donc pas de re- 
tomber à quatre pattes ; perfonae au monde 
n'y réuffiroit moins que vous. Vous nous. 
redreflëz trop bien fur nos deux pieds pour 
ceffer de vous tenir fiir les vôtres. 

Je conviens de toutes les. difgraGes qui 
pour&ivent les hommes célèbres dans les. 
Lettres ;. je conviens même de tous les 
maux attaoïés à l'humanité , & qui femblent 
îndépendans de nos vaines connoiflànces* 
Les hommes ont ouvert fur eiix-mÊmes= 
tant de fources de milëres , que quand le 
Bafârd en détourne quelqu'une , ils n'en, 
fontgueres moins inondés. D'ailleurs., il y 
a dans le progrès des chofes des liaifons 
cachées, que le vulgaire n'apperçoit pas ,; 
mais qui n'échapperont point A l'œu da 
fige quai;d il y voudra réfléchir.. Ce n'êft 
ni Taence,, ni Cicéron ^ ni Virgile, ni 
Séneqiie, niTacite; ce ne fontnilesfavans, 
ni les. poètes qui ont produit les malheurs, 
de Rome & les crimes des Romains : m^ 
fens le poifon lent & fecret qui corrompit 
peu-à-peu le plus vigoureux Gouvernement 
dont niîftoire ait iàitmention, Cicéron, ni 
Lucrcce , ni S^Iliifte n'eulTent point exiflâ 






RÉPONSE.. 37Î 

ou n'eiiffent point écrit. Le fiecle aimable 
de Lélius & de Térence amenoit de loin 
le fiecle brillant d'Aiignfle & d'Horace, Ôc 
enfin les fiecles horribles de Séneque & de 
Néron , de Domitien & de Martial. Le 
goût des Lettres & des Arts naît chez un 
peuple d'Un vice intérieur qu'il augmente i 
& s'il eft vrai que tous les progrèshumains 
font pernicieux à refpece , ceux de l'efprit 
6c des connoîfiànces qui augmentent ilotre 
orgueil Ôcmultiplient nos égaremens, accé- 
lèrent bientôt nos malheurs. Mais il vient 
lin tems oîi le mal eft tel, que les caufes 
mêmes qui l'ont fiiit naître , font néceflai- 
res pour l'empêcher d'augmenter ï c'eft le 
' fer qu'il -faut laîffer dans la plaie , de peur 
que le bleffé n'expire en Tarrachant. Quant 
à moi , fi f avois firivi ma première voca- 
tion , & que je n'euffe ni lu ni écrit , j'en au- 
rois iàns doute été plus heureux. Cependant, 
fi les Lettres étoient maintenant anéanties, 
je ferois privé du feul plaifir qui me refte. 
C'eft dans leur fein que je me confole de 
tous mes maux : c'erf parmi ceux qui les 
cultivent que je goûte les douceurs de l'a- 
mitié , & que j'apprends à jouir de la vie' 
Êms craindre la mort. Je leur dois le peu 



374 RÉPONSE. 

que je fuis i je leur dois même l'honnsur 
d'être connu de vous ; mais confuîtons 
l'intérêt dans nos ai&ires & la vérité dans 
nos écrits. Quoiqu'il feille des Philofophes , 
des Hiftoriens , (ks Savans poiu- éclairer le 
monde & conduire fes aveugles habitans;fî 
le fage Memnon m'a dit vrai , je ne connois 
rien de fi fou qu im peuple de (âges. 

Convenez-en, Moniîeur ; s'il eft bon 

âueles grands génies inftaiifent les hommes, 
Éuit que le vulgaire reçoive leurs inftruc- 
tions : fi chacun le mêle d'en donner , qui 
les voudra recevoir ? Les boiteux , dit 
Montaigne, font malpropres aux exerci- 
ces du corps , & aux exercices de l'efprit 
les âmes boitexifes. 

Mais en ce fiecle lavant , on ne voit que 
toiteux vouloir apprendre à marcher aux 
autres. Le peuple reçoit les écrits des iàges 
pour les juger non pour s'inftruire. Jaiua-s 
on ne vit tant de dandins. Le théâtre en 
foiu-mille , les cafés retentiffent de leurs 
fentences ; ils les aifichent dans les jour- 
naux , les quais font couverts de leurs écrits, 
&c j'entends critiquer l'Orphelin (*) , parce 

<*; TraE&licdcfil. de VoIUirtgu'MjaiuitdaBSCtttiiisll- 



RÉPONSE. 375 

qu'on l'applaudit , à tel grimaiid fi peu ca- 
pable d'en voir les défiiuts , qu'à peine e» 
fent-il les beautés. 

Recherchons la première fource des dé- 
fordrcs de la fociélé , nous trouverons que 
tous les maux des hommes leur viennent 
de l'erreur bien plus que de l'ignorahce , 6c 
qvie ce que nous ne favons point , nous nuit 
beaucoup moins que ce que nous croyons 
favoir. Or, quel plus fîir moyen de courir 
d'erreurs en erreurs , que la fiireur de favoir 
tout î fi l'on n'eût prétendu lavoir que la " 
terre ne tournoit pas , on n'eût point puni 
Galilée pour avoir dit qu'elle toumoir. Sî 
les feiils Philofophes en enflent réclamé le 
titre , l'Encyclopédie n'eût p(5int eu de 
perfécuteurs. Si cent Myrraidons n'afpi- 
roientà la gloire, vous jouiriez en paix ■ 
de la vôtre , ou du moins vous n'auriez 
que des rivaux dignes de vous. 

Ne foyez donc pas fiirpris de fentir queU 
ques épines ïnféparables des fleurs qui cou- 
ronnent les grands talens. Les injures de 
vos ennemis font les acclamations iàtiri- 
ques qui fuivent le cortego des triompha- 
teurs : c'eft l'empreffemcnt du piibîïc pour 
tous vos écrits j qui produit les vols dont 






376 RÉPONSE. 

VOUS vous plaignez : mais les felfificatioHS 
n'y font pas faciles , car le fèt ni le plomb 
ne s'allient pas avec l'or. Permettez -moi . 
de vous le cfire par l'intérêt que je prends 
à votre repos & à notre inftruftion. Mé- 
prifez de vaines clameurs par lefquelles on 
cherche moins à vous faire du mal , qu'à 
vous détoiu-ner de bien feire. Plus on vous ' 
critiquera , plus vous devez vous feire 
admirer. Un bon livre eil une terrible ré- 
ponfe A des injures imprimées ; & qui vous 
oferoit attribuer des écrits que vous n'au- 
rez point faits , tant que vous n'en ferez. 
que d'inimitables ? 

Je fuis fenfible à votre invitation ; & fi 
cet hiver me laiffe en état d'aller au prin- 
tems habiter ma patrie , j'y profiterai de 
vos bontés. Mais j'aimerois mieux boire 
de l'eau de votre fontaine que du lait de 
vos vaches , & quant aux herbes de votre 
verger , je crains bien de n'y en trouver 
d'autres que le Lotos , qui n'eft pas la pâ- 
ture des bêtes , & le Moly qui empêche 
les hommes de le devenir. 

Je fuis de tout mon cœur & avec teÊ- 
peft, &c. 






BILLET 

VE M. DE rOLTÀIKE- 



Me 



LOnsieur Roiiffeau a dû recevoir 

de moi une lettre de remerciement. Je li» 
ai parlé dans celte lettre des dangers atta- 
ches à la littérature. Je fuis dans le cas 
d'effuyer ces dangers- : &n feit courir dans 
Paris des ouvrages fous mon nom. le dois 
iàîiir l'occaiion la plus favorable de les 
délàvouer. On m'a confeiilé de feire im- 
primer la lettre que jtei écrite à M. Rouf- 
lèau , & de m'étendre un peu lût llnjui- 
tice qu'on me fait , & qui neut m'etre 
très-préjudiciable. Je lui eir'aemande la 
permiiïïoD, Je ne pèiux mieux m'adrefler 
en parlant des injuftices des hommes , qu'à, 
celui qui les coniioît^ii biety 



i^t 






LETTRE 

A M. DE VOLTAIRE\, 

En ripenft au B'UUt priddent. 
A Paris II M SepMtnbrc I7(f- 

K * Il I 1 » 

X_j N arrivant , Monfieur , île h campagne 
où j'ai paffé cinq ou fix jonrs , je tionve 
votre billet qiri me tire d'une grande per- 
plexité : car ayant co«irmifriq«é à M. de 
Gaufiêconrt , notre ami commun , vôtre- 
lettre & ma répomfe /j'apprends à l'inHant 
qu'il les a hû-même communiquées à d'au- 
tres , & qu'elles font tombées entre les 
mains de quelqu'un c^\\ travaille à me ré- 
futer , & qui fe propofe , dit-on, de les 
iiTTérer à la fin de fa critique. M. Bouchaud 
aggrégé en droit, qui vient de m*apprendre 
cela, n'a pas voulu m'en dire davantage; 
dé forte que je fuis hors d'état de préve- 
nir les fuites d'une indïfcrétion que , vu le 
contemi de votre lettre, je n'avois eue que 
pour une bonne fin. Heureufement , Mon- 
fieur , je vois par votre projet que le mal 
eft moins grand que je n avois craint. Eii 
approuvant urie publication qui ms 6it 



A M. DE Voltaire-. 37g 

honneur & qui peut vous être utile , il 
-me retfe une exeiife à vous feire fur ce 
qu'il peut y avoir eu de ma faute dans la 
promtitude avec laquelle ces lettres ont 
couru , ùas votre confentenïent ni Je 



Je fuis avec les fentimens du plus finceiic 
de vos admirateurs , Mt^fteur , &c. 

. F. S. Je fuppofe que vous avez reçu 
ma répoofe du 10 de ce mois. 






LETTRE 

A M. DE B O I S S I ; 

i<e VAtaiimU Françoife-, Auteur du Mercun 

Je France. 

A Fatii le 4 HoTembrc t?ilv 



V^UANDJevîs, Moniïeur , paroître 
dans le Mercure , fous le nom de M. de 
Voltaire , la lettre que j'avois reçue de 
lui , je fuppoiài que vous aviez obtemi' 
pour cela ion conientement; & comme il 
avait bien voulu me demander le mien 
pour la feire imprimer , je n'avois qu'à 
me louer de fon procédé y uns avoir à me 
plaindre du vôtre. Mais que puis-je penfer 
du galimathias que vous avez infère dans 
le Mn^ure fuivant fous le titre de ma 
réponfe ? Si vous me dites que votre copie 
étoit incorreae » je demanderai qui vous 
forçoit d'employer une lettr* vinblement 
incorrefte , qui n'étt remarquable que par 
fon abfurdité ? Vous abftenir d'inférer dans 
votre ouvrage des écrits ridicules , eft im 
égard ^e vous devez, finon aux Auteurs» 
du moins au public 






A M. DE BO J s s I. 381 

Si vous avez cru , Monfieur , que je 
confentirois à la publication de cette let- 
tre, pourc[uoi ne pas me communiquer 
votre copie pour la revoir ? Si vous ne 
l'avez pas cru, pourquoi l'imprimer fous 
mon nomi S'il,efl peu convenable d'im- 
primer les lettres d'autruî fans l'aveu des 
xiuteurs , il 1'^ beaucoup moins de les 
leur atttUîuer fims être lùr ijj'ils les 
.avouent, ou même qu'elles fojeitt d'eux, 
& bien moins encore lorfqu'il eft à croire 
qu'ils ne les ont pas écrites telles qu'on 
les a. Le Libraire de M. de Voltaire qin 
avoit à cet égard plus de droit que per- 
ibnne , a mieux aimé s'abftenir d'impri- 
mer la mience que de l'imprimer làns 
mon conlènten^nt, qu'il avotf eu l'hon- 
nêteté de me demander. Il me femble 
qu'un homme aufli juftement eûimé que 
vous ne devroit pas recevoir d*un Libraire 
^es leçons de procédés. J'ai d'autant plus , 
Monfieur ,-à me plaindre du vôtre en cette 
occafion, que, dans le aiême volume oU ' 
vous avez mis , fous mon nom , un écrit 
fiM^\ mutilé , vous craignez avec raiibji 
(d'imputer a M. de Voltaire des vers qui 
jpe ioieiit pas de lui. ^i un tel é^d n'A- 






jSx Lettre, &c. 

toiï dû qu'à la confidération , je me gar- 
derois d'y prétendre ; mais i! eft un aâe ' 
de juâice , Se vous la devez à tout le 
inonde. 

* Comme il eft bien plus naturel de m'at- 
•ribu»- une fotie lettre qu'à vous un pro- 
cédé peu régulier, & que par conieguent 
je refterois charzé du tort de cette araire , 

■ fi je négligeois de m'en juftifier ; je vous 

■ fupplie , de vouloir bien inférer ce défa- 
veu dans le prochain Mercure , & d'a- 
gréer , Monfieur , mon refpeft & mes 

r^lutations. 



P-K^, 



■ .Google 



LETTRE 

A M. V E R N E S. 

P4r« (( 18 M^i ir^i. 



Rb 



lEcevez, mon cher Concitoyen, 
une lettre très-courte, maïs écrite avec 
)a. tendre amitié que j'ai pour vous; c'eft 
à regret que je vois prolonger le tems qui 
Âoit nous rapprocher , mais je défefpere 
de pouvoir ra'anacher d'ici cette année ; 
quoi qu'il en foît, ou je ne ferai plus en 
vie, ou voiii m'embranerez au printems 
57; voilà une réfolution inâiranlable. 

Vous êtes content de l'article Economie ; 
je le croîs bien; mon cœur me l'a didé , 
& le vôtre l'a lu. M. I^bat m'a dit que 
vous ffviez deflein de l'employer dans 
votre Choix Littéraire i n'oubliez pas de 
confuiter X'errata. J'avois Élit quelque 
cho£é que je vous deftinws, mais ce qui 
vous Surprendra fort , c'eft que cela s'eft 
trouvé û gai 6c û fol, qu'il n'y a nul 
moyen de l'«mployer , Se qu'il feut le 
réferver pour le lire le long de l'Arve 
avec fon jami. Ma copie m'occupe lelle» 



. ,GrM\<;le 



384 Lettre 

ment à Paris , qu'il m'efl unpoHîble de 
méditer ; il feat voir fi le fejour de Is 
campagne ne in*infpirera rien pendant le& 
beaux tours. - 

n eft difficile de fe brouiCer avec quel- 
qu'un que l'on ne coimoît pas , aiiu S 
n'y a nulle brouillerie entre Monfiear Pa- 
liflot & moi. On prétendoit cet hiver 

3Li*il m'avoit joué à Nanci devant le Roi 
e Pologne, & je n'en fis que rire; on 
ajoutoit ■qu'il avoit -auflî joué feue Mada- 
me la marquife du Châtelet , fenme con- 
fidérable jar ion mérite perîbnnel & par 
iâ grande naiflànce , confidécée priacîpalc- 
ment en Lorraine comme étant Pune des 
grandes Maiibns de ce pays-là, & à la 
tour du Roi de Pologne ok elle avok 
beaucoup d'amis, à commencer par le 
Roi même ; il me parut que tout le monde 
étoit choqué de cette imiMTidence, que 
l'on appefloit impudence. Voilà « que 
j'en làvois quand je reçus une lettre de 
M. le -Comte de TreiTan , qui en occa- 
fionna d'autres, dont je n'ai jamais parlé k 
perfonne , mais dont je crois vxmis devoir 
envoyer copie fous le fecret, ainfique 
■de mes réponiès; car quelque indifférence 
que 






A M. V E R N E s. jgç 

<[ue j'aye pour les jugemens du Public , 
je ne' veux pas qu'ils âbufent'mes vrais 
amis. Je n'ai jamais eu fiir le cœur la 
moindre chofe cohjre M. Paliffot , .mais 
je doute qu'il me pardonne aifément le 
fervice que je lui ai rendu. 

Bonjour , mon bon &~ cher Conci- 
toyen ; foyons toujours gens de bien , & 
laiffons bavarder les hommes. Si nous 
voulons vivre en paix , il feut que cette 
paix vienne de nous-mêmes. 



PUçes énfrftsi 



- Ir & T T R E 

DE T R E SS AN (*). 



\ O u S coimoîtrea- , Monfieur , par h 
lettre du Roi de Pologpe que j'Kivoie ^ 
Mr d'Alembert,àquel pointce.ftioGe eft 
in^né de r&ttentat du fieur- Faltflbt^ U 
eft tout fimpls', iUcft-bàen fSù- que vous- 
auriez trop méprifé Paliffot , pour être 
ému par la fottile qu'il vient de niire. Mais 
le Roi de Pologne mérite d'avoir des fer- 
viteurs attachés v^je 6iis<tr6p jaloux de 
ùi gloire pour n'svoir pas rempli dans cette 
occafion des devoirs, auflî diers à mon 
coeur, ' ■" ■ - - 

Je n'ai pas l'honneur d'être connu d« 
vous, Monfieur, mais je fuis lié d'une 
tendre amitié avec vos compatriotes. Je 
regarde Genève comme la ville de l'Eu- 
rope où la jeuneffe reçoit la plus excel- 
lente éducation. J'ai toujours fous mes 



(*) CMl«attfuiMtim(rimi«(tt'inI^udcU.Bp<iJ&Mh 






de' M. DE Tbessa'n. 387 

ordres beaucoup de jeunes officiers Geiw- 
vois. Je n'en vois aiiciui fortir de ià &- 
mille f làns prouver qu'il a des mœurs 
& de la littérature. Si Tanàetuie amitié 
dont plufieurs de vos amis m'honorent , 
û'I'amourque j'ai poiir les fcièncés&les 
lettres que vous enrichiffez tous les jours , 
peut m être un titre auprès de vous , j'au- 
m bien de Pempreflèment , Monfieur , à 
me lier avec vous dans ïe premier voyage 
qaeje feraîàParis ,& je vousprie de rece- 
voir avec piai&* & amitié la haute çOkas 
avec laquelle j*ai l'honneur d'être. 

Monfietu-, votre &C. 



R«, 



RÉPONSE 

A LA LETTRE PRÉCÉDENTE. 

Jl tai< le as Dt'tmirt i7St. 



J E voiis honorois , Monfieur , com^ 
me nous faifons tous ; il m'eft doux de 
joindre ta reconnoiiïànce à l'eftime , & 
je remercierois volontiers M. Paliflbt de 
m'avQÎr jwocuré , iâns y fonger , des té- 
inoignages de vos bontés qui me permet- 
tent de vous en donner de mon refpeû. Si 
cet Auteur a manqué à celui qu'il devoit, 
& que doit toute la terre au Princîe qu'il 
vouloit amufer , qui plus que moi doit le 
trouver inexcuiabîe ? Mais ii tout l'on cri- 
me eft d'avoir expofé mes ridicules , c'eft 
le droit du théâtre ; je ne vois rien en 
cela de répréhenfible pour l'honnête hom- 
me , & j'y vois pour TAuteur le mérite 
d'avoir (ii choifir un fiijet très-riche, /e 
vous prie donc , Monfieur , de ne pas 
écouter là-deffus le zèle que l'amitié & la 
générofité infpîrcnt à M. d'Alembert , & 
de ne point chagriner pour cette bagatelle , 
un homme de mérite qui ne m'a Êiit au- 
cune peine , & qui porterolt avec dour 






R É P O N s E, &C. 389 

leur !a difgrace du Roi de Pologne & la 
vôtre. . . 

Mon cœur eft ému des éloges dont vous 
honiôrez ceux de mes Concitoyens qui « 
font fous vos ordres. Effedîvemeqt le Ge- 
nevois eft naturellement bon , il a l'ame 
honnête , il ne manque pas de fens , Sc il 
ne lui faut que de bons exemples pour fe 
tourner tout-à-feit au bien. Permettez-moi , 
Monfieur , d'exhorter ces jeunes Officiers 
à profiter du vôtre , à fe rendre dignes de 
vos bontés , & à perfèûionner fous vos 
yeux , les qualités qu'ils vous doivent 
peut-être, & que vous attribuez à leur édu- 
cation. Je prendrai volontiers pour moi , 
<[uand vous viendrez à Paris , le confeîl 

3ue je leur donne. Ils étudieront l'homme 
e guerre , moile Philofophe : notre étu- 
de commune fera l'homme de bi«n , & 
vous ferez toujours notre maître. 

Je fuis avec refpeft ^ &c. 



Rj 






LETTRE 

i>s M. LE Comte 
DE TRESSA N: 

^ Lamilk tê 1 Jmvitr ITf A 



R. 



L£CEV£K,Mon£etir,Ie{»ix deÏK 
. yvrta la plus pure. Vos ouvrages nous la 
foDt aimer , ai nous peignant les chïoi&es 
dans leur première fimplicité ; vousveiMa 
de l'eniêigner dans ce moment par Tade 
le plus généreux 6c le plus (Ùgne à& 
yous. 

Le Roi de Pologne » Monûeur , atten- 
^ , édifié par votre lettre , croit ne pou- 
voir vous doraier xme marque plus ecla- 
lante de fbn eiHme , qu'en foi^crivant à 
la grâce <^e ieul aujounl'hui vous pouvies 
prononcer. 

M. Paliffot ne fera point chaffé de h 
focîété de Kanci , mais cette anecdote 
littéraire doit être intente dans fes regîf- 
tres , &: vous ne pouvez nous blâmer de 
conferver dans la mémoire des hommes » 
avec les excès qui peuvent les avilir , les 
3âe$ de vertu qui le& honorent. Ehctrânté 






DE M. DE TrESSAN. 



39» 



de vos ouvrages , Monfieur , & deiînuit 
d'anennk dans mon ccëur les fentùMns qui 
font fi naturels dans le vôtre , je n'ai fait, 
que ce que j'ai dû , & (ans l'ordre du Roi 
de Poto^ie, -qui n^-chftBgé^ vous feire 
pafler ik lettre , je n'aurois point ofé vous 
feire connoître tout mon zèle. 

Vous me promettez , Morifîeur,_de me 
recevoir quand j'iraià F^ris, 6;; moi je volis 
promets de vous écoiftèr avec confiance , 
"& de travïifler de boniie foi à me rendte 
digne d'être "votre ami. 
~ Pardonnez-moi d'avoir donné phifieurs 
copies de la lettre que vous m'avez feit 
l'honneur de m'écrire ; malgré l'eftime trop 
honorable pour ifioi que vous m'y témoi- 
gnez , je fens qu'on doit m'oublier en lifant 
cette lettre , & ne s'occuper que du grand 
homme qui s'y montre tout entier poiu- faire 
rougir le vice , & pour le triomphe de la 
vertu. Pai l'honneiu- d'être avec la plus 
haute eltime & l'attachement le plus ûncerç. 



Monûeur , votre &c. 



, .Google 



L E T T R E 

A M. LE Comte 
DE TRES SA N. 



V^Uelque danger , Monfieur , qu'il y 
ait de me rendre importun ^ ^e ne puis 
«l'empêcher de joindre aux remerciemens 
qiie je vous dois , des remarques (ur l'enré- 
giftrenient de l'affaire de M. Paliffot ; & je 
prendrai d'abord là liberté de vous dire que 
mon admiration même pour les vertus da 
Roi de Pologne , ne me permet d'accepter 
le témoignage de bonté dont Sa Majefté 
m'honore en cette occafion, qu'à condi- 
tion que tout foit oublié. J'ofe cure qu'il ne 
lui convient pas d'accorder une grâce in- 
complète , & qu'il n'y a qit'un pardon 
fons rérerve qui foit digne Je a grande ame. 
D'ailleurs, eu-ce feire grâce que d'éternïfer 
'la punition, & les regiftres d'une Acadé- 
mie ne doivent- ils pas plutôt pallier que 
relever les petites fautes de fe's membres î ' 
Enfin , quelque peu d'eftime que je fefle 
de nos contemporains , à Dieu ne plaife 






A M. DE Tressa N. 393 

que nous les avUiiîîons à ce point , d'inC- 
crire comme un L»^e de vertu , ce qui 
n'efl qu'un procédé des plus iimples , que 
tout homme de Lettres n'eût pas manqué 
d'avoir à ma place. 

Achevez donc , Monfieur^la bonne œu- 
vre que vous avez fi bien commencée , afin 

, de la rendre digne de vous. Qu'il ne foit 
plus queftion d'une bagatelle qui a déjà 
îait plus de bruit & donné plus de cha- 
grin à M. Paliffot , que l'af&ire ne le raé- 
riloit. Qu'aurons-nous fait pour lui , (1 le 
pardon lui coûte audî cher que la peine ? 
Permettez-moi de ne point répondre aux 
extrêmes louanges dont vous m'honorez ; 
ce font des leçons féveres dont je ferai mon 
profit ; car je n'ignore pas , fie cette lettre 
en fait foi , qu'on loue avec fobriété ceux 
qu'on eftime parfaitement. Mais, Moft- 
fieur , il faut renvoyer ces éclairciffemens 
à nos entrevues ; j'attends avec empreffe- 
ment le plaifir que vous me promettez , 

,& vous verrez que de manière ou d'au- 
tre , vous ne me louerez plus , lorfque 
nous nous çonnoîtrons. 

fQ fuis avçc refpeil, &c. 






LETTRE 

J} M M. LE C O HT S 

DE TRESSA N. 



y Ous ferez obéi, Monfîeur; il eft 
bien juûe que vous joiûfliez de l'empire 
que vous vous acquérez fur les efprks. Je 
vous avooe , cependant, que j'aurois en- 
core balancé à vous accorder toul pour 
M' PalilTot , lans une lettre que j'ai reçue 
de Paris en même tems que celle que vous 
m'avei feit l'honneur de m'écrire. On com- 
mence par m'affurer d'ime amitié à toute 
épreuve , & c'eft en conséquence de ce 
fentinKnt qu'on m'avertit qu'on tort d'une 
compagnie nombreufe &. brilhnte , où l'on 
s'eft déchaîné contre moi au iîijet de l'a^ 
.ÉuredeM.PaIi(rot,&que même on s'y eft 
. dit l'un à l'aiilre à l'oreille » une épigramme 
Élite contre moi. 

Cette lettre m'a détemriné fur le champ , 
Monfîeur , à fiiivre votre exemple. Je nie 
trouve aujourd'lmi dans le cas d'avoir à 
pardonner suai à M> Palifllbt fàos oi^e 






DE M. DE TrESSAN. 395 

reflridion , trop heureux qu'il me profcure 
cefte occafion de vous prouver que j'aîme 
à profiter de vos leçons. J'ai répondu à 
cette perfonne avec la vérité la plus fim- 
ple , |e lui ù mandé ce qui s'eft palle , ce 
que j'avois feit , ce que vous m'avez em- 
pêché d'achever ; n'teh parlons plus , & que 
M. Paliffot puiffe être afflez heureux pour 
ne jetter jamais des pierres qu'à des ûiges. 
Si je le fuis dans ce moment, lui &c moi 
vous le devons également. Je confens de 
bon coeur à ne tous plus louer i lorfque 
j'aïu^i le bonheur de vous voiï- & de voos 
entendre. Alors ma âçoii de vous applau- 
dir fera utile , fie répondra à vos vues. 
Jufqu'à ce moment , permettez - moi de 
vous dire encore que mon admiration pour 
vos ouvragés & pour vottï cœur , égale 
-rattachement que je vous ai voué pour- le 
refte de ma vie. 

Tai l'honneur d'être > Molilïeut > &ç. 



R 6 



LETTRE 

A M. L£. -Cour E 

DE TRESSA N. 



A ttrii II S3. JmvitT intf- 



J'Apprends, Monfietir, avec une 
vive fatisfeâion que vous avez entiére- 

.ment terminé t'a&ire de M. Paliflbt, 6c 
je vous en ' remwcie de tout mon cœur. 

' Je ne vous dirai rien du petit déplaîâr 

- qu'elle a pu vous oceafionner; car ceux de 
cette efpece ne font gueres fenfiblas à 
l'homme lâge , & d'ailleurs vous fevez 

. mieux que, moi, que dans les chagrins qui 
peuvent fuivre une bonne aÛion, le prix 
en eflàce toujours ta peine. Après avoir 
heureufement achevé celle-ci , il ne nous 
refte plus rien.à defirer, à vous & à moij 
que de n'en plus entendre parler. 



Je Âiis avec refpe^l, Ôcc. 






L E T T R E 

A M. 0E S C H E Y B, 

Secrétaire des Eitus dt la Baffe - Autricfui 
A l'Heimit^e le lî Joillcl I7Ϋ. 



Vc 



Ous me demandez , Monfieur,des 
louanges poxir vos Aiigiiftes Souverains, 
& pour les Lettres qu'ils font fleiu-ir dans 
leurs Etats. Trouvez bon que je commence 
par louer en vous lui zélé fujet de l'Impé- 
ratrice & un bon citoyen de la Répu- 
blique des Lettres. Sans avoir l'honneur 
de vous connoître , [e dois juger à la fer- 
.veur qui vous anime que vous vous ac- 
quittez ■ parfeitement vous-même des de- 
voirs que vous impofez aux autres , & 
Îie vous exercez à la fois les fonâions 
homme d'Etat au gré de Leurs MajeC. 
tés , & celles d'Auteur au gré du public. 

A l'égard des fojns dont vous me char- 
gez , je fais bien , Moniteur , que je ne 
ferois pas le premier Républicam qui au- 
roit encenfé le trône , ni le premier igno- 
rant qui chanteroit les arts ; mais je fuis 
fi peu proprè à rçpplir dignement vos 






398 Lettre 

intentions qiie mon infuffifance eft mon 
(xcufe, & je ne fais cOmm^it les grands 
noms qiie vous citez vous ont laifle fon- 
ger âii mien. Je vois, (Tailleurs, au ton 
Sont la flatterie ufà de tout tems avec les 
Princes vulgaires, que c'eft honorer ceux 
qu'on eftime que de les louer fobrement, 
car on dit que les Princes loués avec te 
plus d'excès font rarement ceux qui méri- 
(ent le mieux de l'être. Or , il ne convient 
à perfonne de le mettre fur les rangs 
avec le projet de faire moins que les au- 
tres y iiir-tout quand on doit craindre de 
feire moins bien. Permettez-moi donc de 
croire qu'il n'y a pas plus de vrai refpeft 
pour l'Empereur & l Impératrice - Reine 
dans les écrits des Auteurs célèbres dont 
vous me parlez que dans mon filence, St 
cjue ce feroit une témérité de le rompre 
à leur exemple , à moins que d*3voit 
kurs talens. 

Vous me preflez auflî de Vous (Ere û 
Leurs Majeftés Impérwles ortt bien feit de 
con&crer de m^îlîques établi£emens £e 
des fommes immenfes A dés leçons puUt- 
ques dans leur Capitale, & après la réponfe 
ÔBbnutive de taat d'illuflfes Auteurs , 






A M. DE SCHEVB. 599 

VOUS exigez encore la mienne. Quant i 
moi , Monfieur , je n'ai pas les lumières 
nécellairespour me déiermmerauffi promp- 
, tement, & je ne connois pas aÎTez les 
moeurs & les talens de vos compatriotes 
pour en feire une application fure à votre 
-queAion. Mais voici là-deifus le précis de 
mon lèntiment fur lequel vous pourrec 
mieux que moi tirer la concluûoii. 

Par rapport aux mœurs. Quandleshom- 
mes font corrompus , il vaut mieux qu'ils 
ibient fevans qu'ignorans ; quand ils font 
t>ons f il eft à cramdre que les fciences ne 
les corrompent. 

Par rapport aux taîens. Quand on en a, 
le iàvoir tes perfectionne & les fortifie ^ 
quand on en manque , l'étude ôte encore 
la raifon , & fait un pédant & un fot d'un 
homme de bon fens & de peu d'efprit. 

Je pourrois ajouter à ceci quelques ré*- 
Vexions. Qu'on cultive oit non les fcien- 
ces , dans quelque fiecle que naiffe un grand 
homme , il eft toujours un grand homme •, 
car la fource de fon mérite n'eft pds dans 
les livres , mais dans fa tête , & fouvent 
les obÛacles qu'il trouve & qu'il furmonte 
ne font que l'élever & l'agrândii encore^ 






4ÛO L & T T R E 

On peut acheter la .fcience , & même les 
làvans , mais le génie qui rend le fevoir 
utile ne s'achète point ; il ne connoît ni 
l'argent, ni l'ordre des Princes, il ne leur^ 
appartient point de le èâre naître , mais 
ièulement de l'honorer , il vit 8c s'kmmor- 
talife avec la liberté qui lui eA naturelle, 
& votre illuftre Métalrafe lui-même , étoît 
déjà la gloire de l'Italie avant d'être a*;- 
cueillî par Charles VI. Tâchons donc de 
ne pas confondre le vrai progrès des talens 
avec la prote£lioa que les Souverains peu- 
vent leur accorder. Les fciences régnent 
pour ainlî dire à la Chine depuis deux 
mille ans & n'y peuvent fortir de l'en- 
fence , tandis qu elles font dans leur vigueur 
en Angleterre où le gouvernement ne feit 
rien pour elles. L'Europe eft vainement 
inondée de, gens <le Lettres, les gens de 
jnérite y font toujours rares; les écrits 
durables le font encore plus , & la pollér 
- rite croira qu'on fit bien peu de Livres 
dans ce même fiecle oh l'on en fait tant. 
Quant à votre Mtrie en particulier , il 
fe préfente , Monfieur , une M>fervation - 
bien fimple. L'Impératrice &c (es Auguûes 
Ancêtres n'ont pas eu befoin de ggger 






A M. m S- SCHEYB. 40t. 

- des hiftoriens & des poètes pour célébrer 
les grandes chofes qu'ils voiiloient faire, 
mais ils ont iàit de grandes chofes & elles 

-• ont été confecrées à l'immortalité comme 
celles de cet ancien Peuple qui fav<jit 

. agir & n'écrivoit point. Peut-être man- 
quoit-il à leurs travaux le plus digne de 
les couronner, parce qu'il eft le plus dif- 
ficile : c'eft de foutenir à Taide des Lettres 
tant de gloire acquife lâns elles. 

Quoi qu'il en foit, Monfieur, affez d'au- 
tres donneront aux proteûeurs des fcîen- 
ces & des arts des éloges que Leurs Ma- 
jeftés Impériales partageront avec la plu- 
part des Rois: pour moi, ce que j'admire 
en Elles & qui leur eft plus véritablement 
propre , c'eft leur amour conftant pour la 
vertu & pour tout ce qui eft honnête. Je 
ne nie pas que votre pays n'ait été long- 
tems barbare , mais je dis qu'il étoit plus 
aifé d'établir les beaux-arts chez les Huns, ■ 
que de faire de la plus grande Cour de 
l'Europe une école de bonnes mœurs. 

Au refte , je dois vous dire que votre 
lettre ayant été adreffée à Genève avant 
de venir à Paris, elle a refté près de ûx 
femaines en route, ce qui m'a privé du 



401 Lettre, &c. 

plaifir d'y répondre aul&-tôt que je Tau- 
rois voiuu. 

Je , iiiis autant qu'un hoMêCe bonune 
|»eut l'être d'un autre, 
Monfiew, &c. 






LETTRE 

A M. y E R N E S. 

Montmoicnci U tg Févrict iTft. 



O^ 



_FUi , mon cher Concitoyen , je vous 
aime toujours , & ce me femUe plus que 
-jamais ; mais je fuis accablé de mes maux ; 
-^ai bien de la peine à vivre dans ma re- 
traite d'un travail peu lucratif j je n'ai que 
2e tems ^jii'il me feut -pour gagner mon 
pain , & le peu qui m'en refte eft employé 
pour fouffrir & me re^;ofer. Ma maladie 
a feit un tel progrès cet hiver , j'ai fenti 
tant de douleurs de toute efpece , & je me 
trouve tellement affoibli , que je commence 
â craindre que la force & les moyens ne 
me manquent pour exécuter mon projet ; 
îe me confole de cette impuilTance par la 
conddération de l'état oti je fuis. Que me 
ferviroit d'aller mourir parmi vous ? Hé- 
las , il fàlloit y vivre ! Qu'importe où l'oa 
îaiffe fon cadavre ? Je n'aurois pas befoin 

3u'on reportât mon cœur dans ma patrie; 
n'en eft jamais forti. 
Je n'ai point eu occaflon d'exécuter vo-i 






tre commiflion auprès de M. d'Alembert. 
Comme nous ne nous foounes jamais 
beaucoup vus , nous ne nous écrivons 
point ; êc 1 confiné dans ma rolitiide , je 
n'ai confervé nulle efpece de relaâon avec 
Paris ; j'en fuis comme à l'autre bout de 
la terré, & ne fais pas plus ce qui s'y 
paffe qu'à Pékin, Au refte , fi l'article dont 
vous me parlez eft indifcret & répréhen- 
fible , il n'eft affurément pas offenfant 
Cependant, s'il peut miire à votre Corps * 
peut-être fera -t- on bien d'y répondre , 

2iioi qu'à vous dire le vrai , ]'aye un peu 
'averfion pour les détails où cela peut 
entraîner , & qu'en général je n'aime gue- 
res , qu'en matière de foi l'on afTujettiffe 
la confcience à des formules. J'ai de la 
religion ,' mon ami , & bien m'en prend ; 
je ne crois pas qu'homme au monde en 
ait autant befoin que moi. J'ai paffé ma 
vie parmi les incrédules , fans me laiffer 
ébranler ; les aimant , les eftîmant beau- 
coup , fans pouvoir foufFrir leur doûrine. 
Je leur ai toujours dit que je ne les favoïs 

Eis combattre , mais que je ne voulois pas 
s croire ; la philofophïe n'ayant fur ces 
matières ni fond ni rive, manquant d'idées 






A M. V E R N E s. 405 

primitives & de principes élémentaires , 
n eft qu'une mer d'incertitudes & de dou- 
tes , dont le Métapbyficien ne fe tire ja- 
mais. J'ai donc laifTé là la raifon, & j'ai 
confulté la nature, c'eft-i-dire, le fenti- 
ment intérieur qui dirige ma croyance , 
indépendamment de ma raifon. Je leur ai 
lailTe arranger leurs chances , leurs forts , 
leur mouvement néceffaire i & , tandis 
«qu'ils bâtiUbient le monde à cotrps de dez , 
j y voyois , moi , cette unité d'intentions 
tpxi me âilbit voir , en dépit d'eux , im 
principe imique ; tout comme s'ils m'a- 
voient dit que l'Iliade 4voit été formée 
par un jet fortuit de caraûeres, je leur 
anrois dit, très-réfolument; cela peut être , 
mais cela n'eft pas vrai; Se je n'ai point 
d'autre raifon pour n'en rien croire û ce 
n'eft que je n'en crois rien. Préjugé que. 
cela ! difont-ils. Soit ; maïs que peut feire 
cette raifon fi vague , contre un préjugé ' 
jdus perfuafif qu'elle ? Autre argumenta- 
tion (ans Rn contre la diftinâion des deux 
iiibilances ; autre perftiafion de ma part 
qu'il n'y a rien de commxm entre un arbre 
& ma penfée; & ce qui m'a paru plaifant 
en ceci", ç'eft de les voir s'acculer eux- 






4o6 L E T ■ 



î par leurs propres fophifines, au 

point d'aimer mieux donner le fentiment 
aux pierres que d'accorder une ame à 
l'homme. 

Mon ami, je crois en Dieu, & Dieu 
ne feroit pas jufte fi mon ame n'étoit im- 
mortelle. Voilà , ce rae femble , ce que la 
Religion a d'effentiel & d'utile; laiffons 
le relie aux difputeurs. A l'égard de l'é- 
ternité des peines , elle ne s'accorde ni 
avec la foibleffe do l'homme , ni avec la 
juilice de Dieu. U eft vrai qu'il y a des 
âmes lî noires que je ne puis concevoir 
qu'elles puiflent jamais goûter cette éter- 
nelle béatitude , dont if me femble que 
le plus doux fentiment doit être le con- 
tentement de foi - même. Cela me lait 
foupçonner , qu'il fe pourroit bien que 
les âmes des méchans fiiffent anéqpitiej 
à. leur mort , & qu'être & fentir fiït le 
premier prix d'une bonne vie. Quoiqu'il 
en foit , que m'importe ce que feront les 
méchans ; il me futEt qu'en approchant 
du terme de ma vie, je n'y voye point, 
celui de mes efpérances , & que j'en attende 
une plus heureufe après avoir tant fouf* 
feft dans celle-*!. Qyand je me tromp&- 






A M. V E Ç N E s. 407 

rojs dans cet efpoir , il eft lui-même un 
biçn qui m'aura fait fupporter tous m«s 
maux. J'attends paifiblement réclaircifTe- 
mpnt de ces grandes vérités qui me font 
cachées , bien convaincu cependant, qu'en 
toyt épt de cau(e , fi la vertu ne rend pas 
toujours l'homme heureux, il ne fauroit 
au moins être heureux fans elle; que les 
affligions du jufte ne font point fans quel- 
. que dédommagement , &c que les larmes 
même de l'innocence font plus douces au 
cœur que la prolpérité du médiant. 

Il en naturel , mon cher Vernes , qu'un 
Solitaire fouffrant ■& privé de toute focié- 
té , épanche fon ame dans le fein de l'a- 
mitié, & je ne crains pas que mes confi- 
dences vous déplaifent ; j'aurois dû com- 
mencer par 'votre projet fur l'hiftoire de 
Genève , mais il eu des tems de peines &c 
de maux où l'on eft forcé de s'occuper 
de foi , & vous favez bien que je n'ai pas 
un cœur qui veuille fe déguifer. Tout ce 
que je puis vous dire fur votre entreprife, 
avec tous les ménagemens que vous y 
voulez mettre , c'eit qu'elle eft d'un fege 
intrépide ou d'un jeune homme. Embrafc 
fez bien pour moi l'ami Rouftan. Adieu 9 



4oS Lettre, &c. 

mon cher Concitoyen ; je vous écris avec 
une auffî grande effuiîon de cœur que fi 
je me feparois de vous pour jamcùs , 
parce que je me trouve dans un état qui 
peut me mener très-loin encore, mais qui 
trié laiffe douter pourtant fi chaque lettre 
que féais ne fera point la dernière. 



JLETTaî 



LETTRE 

A UN JEUNE HOMME 

Qui demandoit à s'Jiaèlir à Montmoratci i 
( domicile alors de M.. Roujftàu ) povf 
_ profiter defes Itçons. 



«*= 



Vc 



Ou S ignorez, Monfieur, que vous 
«Clivez à un pauvre honune accablé de 
maux &c de plus fort occupé , qui n'eft 
£ueres en état de vous répondre , & qui 
le ièroit encore moins d'établir avec vous 
la fociété que vous lui propofez. Vous 
m'honorez en penânt que jepourroîs vous 
«tre utile , & vous êtes louable du motif 
qui vous la feit délirer ; mais fur le motif 
même , je ne vois rien de moins néatf- 
faire que de venir vous établir à Mont- 
morenci. Vous n'avez pas belbin d'allet 
chercher fi ■ loin - les principes de la rtio- 
rale. Rena-ez dans votre cœur , & vous 
les y trouverez ; & je ne pourrai vous rien 
dire à ce fujet que ne vous dife encore 
mieux votre confcience quand vous vou- 
drez la confulter. La verm , Monfieur , 
n'eft. pas une fcience qui s'apprenneavêc 
Pucts dmrjisx S 






4IO Lettre 

tant d'appareil. Pour être vertueux il fuffit 
de vouloir l'être ; & fi vous avez bien 
£ette volonté , tout eft feit , votre bon- 
heur eft décidé. S'il m'appartenoit de vous 
donner des confeîls , le premier que je 
voudrois vous donner , ieroit de ne point 
vous livrer à ce goût que vous dîtes avoir 
pour la vie contemplative , ôc qui n'dl 
qu'une pareiTe de l'ame condamnable à toiit 
^ge , & fur-tout au vôtre. L'homme n'eft 

rint &t pour méditer , mais pouragir: 
vie laborieufe que Dieu nous impoie , 
s'a rien que de doux au cœur de l'homme 
de bien qui s'y livre en vue de remplir 
ifon devoir, & la vigueur de la jew«ffe 
ne vous a pas été donnée pour la perdre à 
d'oifives contemplations. Travaillez donc , 
Monfieur , dans l'état oîi vous ont placç 
vos parens Se la providence : voilà le 
premier, précepte cle la vertu que vous 
.voulez fuivre j & fi le féjour de Paiis 
ïoint à l'emploi que vous remplifijsz, vous 
paroît d'un trop diâicile alliage avec elle , 
&ites mieux , Monfieur , retournez dans 
.votre province , allez vivre dans le fein 
^e. votre fomiUe, ferve? y foignez vos ver- 
jxi^ux parens î c'efi-1^ que vous remplirç? 






A UN JEUNE Homme. 



véritablement les foins que la vertu vous 
impofe. Une vie dure eft plus fecile à fup- 
porter en province , que la fortime à pour- 
litivre k Paris , lûr-tout , quand on ;|àit , 
comme vous ne l'ignprez pas , que les 
plus indignes manèges y font plus de fri- 
pons gueux que de parvenus. Vous ne 
devez point vous eftimer malheureux de 
vivre comme feit M, votre père , & il n'y 
a point de fort que le travail , la vigi- 
lance, l'innocence , âc le contentement de 
foi ne rendent fupportable , quand on s'y 
foumel en vue de remplir fon devoir. 
Voilà , Monfieur , des confeils qui valent, 
tous ceux que vous pourriez venir pren- 
dre à Montmorenci : peut-être ne feront- 
ils pas de votre goût , 6c je crains que 
vous ne preniez pas le parti de les iltivre, 
mais je ûiis ^-que vous vous en repen-: 
tirez un jour. Je -vous fouhaite un fort qui 
ne vous force jamais à vous en fouvenir. 
h vous prie , Monfieur , d'agréer mes làlu- 
tations très-humbles. 






FRAGMENT 

D'UNE LETTRE 

A M- DIDEROT- 



T Ou S vous plaignez teaiicoup éss 
maux que je vous ai taits. Quels Ibnt-ils 
donc , enfin, ces maux ? Seroît-ce de De , 
pas endurer affez patiemment ceux que j 
vous aimez à me îms , de ne pas me ' 
laiffer tyranniler à votre gré , de -munnu- 
rsr quand vous afieâez de me manquer , 
de parole , & de ne jamais venir lorique 
vousi l'avez promis î Si jamais je vous ai 
fait d'autfes maux, articulez- les. Moi, 
^re du mal à mon âmi ! Tout cruel , tout 
méchant, tout féroce que je fuis , je mour- 
rois de douleur fi je cïoyois jamais en 
avoir feit à inon cruel eniftini , autant que 
vous m'en feites depuis fix femajnes. 

Vous me p^lez de vos fervices i je ne 
les avois point oubliés : mais ne vous y 
trompez pas. Beaucoup ^e gens m'en ont 
rendu qui n'étoient point mes amis. Un hon- 
nête homme qui ne fent rien rendferyice 
& croit être ami i il fe trompe , il n'eft 



A M. D I D E R O T. 413 

qu'honnête homme. Tout votre emprefle- 
tnent , tout votre zèle pour me procurer 
des chofes dont je n'ai que faire me tou- 
chent peit. Jj& ne veux que de l'amitié , 8c 
c'eft la feule chofe qu'on me reflife. Ingrat, 
je ne t'ai point. rend\i de fervice, mais je 
t'ai aimé , & tu ne me Myeras de ta vie 
ce que j'ai fenti poiir toi autant trois mois. 
.Montre cet article à ta femme plus équi- 
table que toi , oc demande-lui u , quand 
ma prefence étoit douce à ton cœur affligé , 
je com^tois mes pas, 8c re^dois au tems 
qu'il Qilôit pour aller à Vincennes ( * ) 
çonfoier mon ami. Homme infenfible 5c 
dur! deux larmes verfées dans' mon fein 
m'euffent mieux valu que le trône du 
monde ; mais tu me les rcfufes , & te con-< 
tentes de m'en arracher. Hé bien ! gardé 
tout le relie ; je ne veux plus rien de toi. 

( * ) on M. Didetot jioit dftenn Etironnler. 



sj 



LETTRE 

A U M ÊM E. 



J.L ftut , mon cher Diderot , cpre je Tom 
écrive encore une fois en ma vie; vovis ne 
m'en avez que trdp difpenfé; mais le plus 
grand crime de cet homme que vous n<rir- 
ciflez d'une fi étrange manière , eft de ne 
pouvoir fe détacher de vous. 

Mon deffein n'eft point d'entrer en flt- 
plication pour ce moment-ci fiir les hor- 
reurs que vous m'impirtez. Je vois que 
cette explication feroit à préfent inutiles 
Car , quoique né bon & avec une ame 
franche , vous avez pourtant un malheu- 
reux pencham à méfinterpréter les difcoun 
& les aûions de vos amis. Prévenu contre 
moi comme vous l'êtes , vous tourneriez 
en mal tout ce que je pourrois dire pour 
me juftifier , 6c mes plus ingénues expli- 
cations ne feroienl que fournir à votre 
cfprit fubtil de nouvelles interprétations à 
ma charge. Non ,. Diderot ; [e fens que 
ce n'eft pas par-là qu'il feut commencer. 






A M. D I D Ë RO T. 41^ 

Je veiix d'abord propofer à votre bon fens 
des préjugés plus fimples , plus vrais , 
mieux fondés que les vôtres , & dans lef- 
quels je ne penfe pas au moins que vous 
puiffiez trouver de nouveaux crimes. 

Je fuis un méchant homme , n'efl - ce 
pas } Vous en avez les témoignages les 
plus {ÛTs ; cela vous eft bien atteSé. Quand 
vous avez commencé de l'apprendre , il 
y avoit fme ans que j'étois pour vous xm 
homme de bien , Sc quarante ans que je 
rétois pour tout le monde. En pouvex- 
vous dire autant de ceux qui vous ont 
communiqué cette belle découverte ? Si 
l'on peut porter à faux fi Icmg-tems le maf- 
que d'un honnête homme , quelle preuve 
avez -vous que ce mafque ne couvre pas 
leur vifage auiK bien que le mien ? Eft- 
ce un moyen bien prc^re à donner du 
poids à leur autorite que de charger en 
îecret , un homme abfent , hors d'état de 
fe défendre ? Mais ce n'eA pas de cela qu'il 
s'agit. 

Je fuis un méchant : mais pourquoi le 

fuis -je ? Prenez bien garde , mon cher 

Diderot» ceci mérite votre attention. On 

h'eft pas malfeiiànt pour rien. S'il y avoit 

S4 






4i6 Lettre 

quelque tnonilre alnfi &ît , il h*attendroit 
pas quarante ans à fatis&lre Tes inclina- 
tions dépravées. Confidérez donc ma vie > 
mes pauions , mes goûts ^ mes penchans. 
Cherchez , fi je fuis méchant , quel intérêt 
m'a pu porter à l'être î Moi qui y. pour 
mon malheur ^ portai toujours lui cœur 
trop fenfible , que gagnerors-je à rompre 
avec ceux qui m'étoient chers } A quelle 
place ai-ie afpiré ^ à quelles penfions , à 
quels honneurs m'a-t-on vu prétendre ^ 
quels' cQnoirret^ ai-je à écarter, que m'en 
peut-il revenir de mal faire ^ Moi qui ne 
cherche que la folitiide & la paix « moi 
dont le fouverain bien conûAe dans la pa- 
relfc & l'oifive^é , moi dont l'indolence & 
ksmaupc melailtentà peine le tems de 

f)urvtHr à ma fuhfiftance , à quel propos , 
quoi bon m'irois-je plonger dans les agi- 
tations du crime y &c m'embàrquer dans 
rétemel jïianége des fcétérats î Quoique 
vous en diiiez , on ne fuit point les hom- 
mes quand on cherche à leur nuire ; le 
méthant peut méditer fes coups dans la, 
folitude , mais c'eft dans la focieté qu'il les 
porte. Un fourbe a de l'adreffe & du fang* 
irokl ; \ui perfide fe poffede & ne s'em,- 






A M. Diderot. 



porte point : reconnoîiTez' - vous en moi 
quelque choie de tout cela ï Je fuis em- 
porte dans la colère , ôc fouvent étourdi 
de fang-froid. Ces défauts font-Us le mé- 
.chanf? Non fans doute; mais le jnédiant 
en profite pour perdre celui qui les a. 
. Je voudrois que vous puiîiez auffi réflé- 
chir un peu fur vous-même. Vous vous, 
fiez à votre bonté naturelii! ; mais ikvez~ 
vous à q\iel point l'exempis & l'erreur 
peuvent la corroinpre î N'avçi- vous ja»- 
«nais .craint d'être pntoiiré d'adulateurs 
adroits qui n'évitent de louer groffiérement 
en feçe , que pour s'emparer plus adroi- 
tement de vous fous l'appât d'une feinte 
ûnc^rité ï .Qu*! fort poitr le meilleur des 
hommes jl'êtrc égaré par fa candeiHf eiême, 
& d'être; innocemment dans lu mairi: des 
méchans l'inftrument de leurperfidîe ! Je 
fais que ramour-proprè Te" révolte a'cette 
idée , mais elle mérite i'eirameri de la raifon. 
Voilà des confidérations que je vous 
prie de bien pefer. Penfez y long - tems 
avant que de me répondre. Si eltes ne 
vovis touchent pas, nous n^avons plus rlca 
à nous .dire i mais £ elleï font quelque 
impre^a jlir vous> alors nous entrerons 

s. 






41 8 Lettre, &c. 

en éclairciflement ; vous retrouverez un 
ami digne de vous , & qui peut-être ne 
vous aura pas été inutile, l'si pour vous 
exhorter à cet examen un modi Je grand 
poids , & ce motif, le voici. 

Vous pouvez avoir été lediiit & trompé. 
Cependant, votre ami gémit dans fa foli- 
tude , oubUé de tout ce qui lui étoit cher. 
Il peut y tomber dans le défefpoir ; y mou- 
rir enfin , maudiffant rkigrat dont 1 adver- 
■Cté lui fit tant verièr de larmes , & qui 
l'accable indignement dans la fienne ; il fe 
peut que tes preuves de fon innocence 
vous parviennent enfin , que vous foyez 
ibrcé d'honorer fa mémoire ( * ) , & que 
l'image de votre ami mourant ne vous 
Jaïffe pas des nuits tranquilles. Diderot , 
perjfez-y. Je ne vous en parlerai plus. 






LETTRE 

A U. V E R N Z S. 

Montmorcnci U H Maie >7îS. 



o- 



., ' Ul , mon cher Vemes , j'aime à 
croire que nous fommes tous deux bien 
aimés l'un de l'autre & dignes de l'être. 
Voilà ce qui feit plus au foiilagement de 
ftiespemes que tous les trefors du monde; 
ah , mon ami , mon Concitoyen , iâche 
m'aimer & laiiTe-Ià tes inutiles offres ; en 
me donnant ton cœur, ne m'as -tu -pas 
enrichi } Que &it tout le refte aux maujc 
du corps & aux ibucis de l'atne } Ce dont 
j'ai &Im , c*eft d'un ami ; Je ne connois 
point d'autre befoin auquel )^ ne fiiffiltt 
tnoi-même. La pauvreté ne m'a jamaii 
fait de mal j foit dît pour vous tnmquîK 
liler là-defliis une fois pour toutes. 

Nous Ibmmes d'accord fur tant de cho- 
fes , que ce n'eft pas la peine de nous dis- 
puter fur le refte. Je vous l'ai dit bien des 
. fois ; nul homme au monde ne reipe^ 
jue moi l'Evfingile ^ c'sft , à mon 
plus Aiblime de tevisles livxes; 
S 6 






plus que m 
gré , le plu; 



420 Lettre 

quand toiis les autres m'ennuient, j e reprends 
touj'Jitrs celui-là avec un nouveau plaifir, 
& quaiid toutes les confolations humaines, 
m'ont manqué , jamais je n'ai recouru 
vainement aux fiennes. Mais enfin c'eft 
un livre , un livre ignoré des trois quarts 
au monde , croirai-je qu'im Scythe ou un 
Africain, foient moins chers au Père com- 
mun que vous &moi , & pourquoi croirai- 
je qu il leur ait ôtç plutôt qu'à nous , les. 
reffourçes pour .le connoître ? Non, mon 
Ûigp« ami ; ce n'eft pmnt fur quelques feuil- 
les é[>arfes qull làiit aller chercher la loi 
de-DJeu , niais dans le cœur de l'homme , 
qU fa maia daigna l'écrire. O homme , qui 
«]ue tu fois , rentre en toi-même , apprends 
à ■qonfiilî^ ta; eonfcience & tes facultés 
naturelles ; tw feras, jul^,,,bonyvertueux» 
ta t'inclineras . devant ton, maître , & tii 
p^icîperas dans foa ciel à un honheur 
étemeû Je ne me fie là-deffus ni à ma rai- 
£oti ni à celle d'aiitrui , mais je fens k la 
paix de mon ame , &; au plailîr que je 
ièns à' vivre Ôc penfer- fous, les yeux du 
•grand Etre , que je. ne m'abufe point dans 
tes, jugemens que je &is de lui , ni dans 
l'e^oir que je fonde fur fa juftice^ Au 






A M. V E R N E s. 411 

Tefle , mon cher Concitoyen , j'ai voulu 
verfer mon cœiir dans votre fein, & non 
pas entrer en lice avec vous ; alnfi , ref- 
tons-en là , s'il vous plaît ; d'autant plus, 
que ces fujets ne fe peuvent traiter guère» 
commodément par lettres. 

J'étois un peu mieux , je retombe^ Je 
compte poiuTant un peu fur le retour da 
printems i mais je n'efpere plus recouvrer 
des forces fufElantes pour retoianer dans, 
la patrie. Sans avoir lu votre dèçUratinn , 
je la refpeâe d'avance &: me, félicite d'a- 
voir le premier donné à votre relb^âa- 
ble Corps , des éloges qu'il julHfîe u biea 
aux yeux de toute l'Europe, 

AcUeu , mon amL 






LETTRE 

A U M Ê M E. 



af Ë ne VOUS écris pas exaÛement, mon 
cher Vernes , mais je penie à vous tous les 
jours. Les maux , les langueurs , les peines 
augmentent fans ceffe ma pareffe ; je n'ai 

Ïlus rien d'aftif que le cœur ; encore , hors 
)ieu , ma patrie & le genre-humain , n'y 
refte-t-il d'attachement que pour vous i « 
■ j'ai connu les hommes par de fi triftes ex- 
périences que fi vous me trompiez comme 
les autres , j'en ferois affligé , fans doute » 
mais je n'en ferois plus lurpris. Heureu- 
sement je ne préfume rien de femblable 
de votre part, & je fuis perfuadé que li 
vous ^tes te voyage que vous me pro- 
mettez , l'habitude de nous voir 6c de nous 
mieux connoîtrfe afiErmira pour jamais 
. cette amitié véritable que j'ai tant de pen- 
chant à contraâer avec vous. S'il eft donc 
vrai que votre fortune & vos affaires 
vous permettent ce voyage , & que votre 
cœur le defire , annoncez-le moi d'avance 
afin que je me prépare au plaifir de pref- 



A M. V E R N E s. 415 

ffer du moins une fois en ma vie , un hon- 
nête homme Se un ami contre ma poi- 
trine. 

Par rapport à ma croyance , j'ai examiné 
Tos objeâions , 6c je vous dirai naturelie- 
ment, qu'elles ne me perfiiadent pas. Je 
trouve que pour un homme convaincu de 
Pimmortalité de l'ame vous donnez trop 
de prix aux blensÔc aux maux de cette vie. 
5'ai connu les derniers mieux que vous , &C 
mieux peirt-être qu'homme qui exifte ; je 
h'en adore pas moins l'équité de la provi- 
dence & me croirois aufli ridicule de mur- 
murer de mes maux durant cette courte 
vie, que de criera l'infortune, pour avoir 
paffé une nuit dans un mauvais cabaret, 
fout ce que vous dites fur l'impuiffance de 
la confcience , fe peut rétorquer plus vive- 
ment encore contre la révélation; car que 
voulez-vous qu'on penfe de l'auteur d'im 
remède qui ne guérit de rien î Ne diroit- 
on pas que tous ceux qui connoiiTent l'E- 
vangile font de fort faints perfonnages , & 
qu'im Sicilien fanguinaibe & perfide vaut 
beaucoup mieux qu'un Hottentof ftupide 
& groffiêr î 

Vouleï-vQ«s que je croye que Dieu 






414 Lettre 

n'a donné la loi aux hommes que poiu" 
avoir une double railbn de les punir î Pre- 
nez garde , mon ami ; vous voidez le jus- 
tifier d'un tort chimérique , & vous aggra- 
vez l'accuJàtion. Souvenez -vous -, uir- 
tout , que dans cette difpute , c'eft vous 
oui attaquez mon fentiment , & que je ne 
fais que le défendre ; car , d'aiUeurs , je 
fuis très éloigné de défapproiiyw le vôtre, ■ 
tant que vous ne voudrez, contraindre per- 
fonne à l'embraffer. 

Quoi ! cette aimable iSc- chère Parente 
eft toujours dans fon lit! Que ne fuis-/e 
auprès d'elle ! Nous nous confolerifMis mu- 
tuellement de nos maux & j'apprendroi* 
d'elle à foufFrir les miens avec conftance ; 
mais je n'efpere plus faire un voyage ft 
defiré ; je me fens de jour en jour moins 
en état de le foutenîr. Ce n'eft pas que 
la belle làifon ne m'ait rendu de la vi- 
gueur & du courage; mais le mal local 
n'en fait pas moins de procès ; il comr 
mence même à fe rendre intérieurement 
tpès-fenûble \ xuiç enflure qui. croît quand 
je mar."be m'ôte prefque le plaifir de la 
promenade , le feiû qui m'étoit refté , & 
}e ne reprends des. forces que pour ifi\£- 






A M. V E R N E s. 42 J 

, frir; la volonté de Dieii foit iàhe! cela 
ne m'empêchera pas , j'efpere , de vous 
faire voir les environs de ma foUhide, 
auxquels il ne manque que d'être autour 
de Genève pour me paroître délicieux, 
J'embralTe le cher RQîiltan , mon prétendu 
difciple ; j*ai lu avec platlîr fbn Examen 
des quatre beaux JUcUs , & je m'en tiens , 
avec plus de confiance , à mon fentiment, 
en voyant que c'eft auffi le lien. La feule 
chofe que je voudrois lui demander , iè- 
roit de ne pas s'exercer à la vertii à mes 
dépens, & de ne pas ie montrer modefte 
en fiattant ma vanité. Adieu mon chef 
Vernes , je trouve de jour en jour plu4 
de plaifir à vous aimer. 






LETTRE 

DE M LE ROY. 

Monsieur, 

V^UoiQUE je n'aye pas l'honneur tfê- 
tre conpu de vous , je me perfuade que 
vous ne me faurez pas mauvais gré de 
vous feire part d'une obfervation que j'ai 
feite fur votre dernier ouvrage. Je l'ai lu 
avec grand plaifir, &i'ai trouvé que vous 
y étaBlifliez votre opinion avec beaucoup 
de iFbrce. Mais je vous avouerai qu'ayant 
parcouru la Grèce , & ayant fait une étude 
particulière des théâtres que l'on trouve 
encore dans les ruines de fes anciermes 
villes , j'ai lu avec furprife dans votre 
Livre p. 141 (*) le pallage qui fuit. Avtc 
tout cela y jamais la Grèce , excepté Sparte ^ 
nt fia chic tn exemple de bonrus m(eurs; 6f 
Sparte qui ne fouffroh point de théâtre n'a- 
roit garde d'honorer ceux qiù s'y montreru. 
Non-feulement il y avoit un théâtre à Spar- 
K, abfolument femblableà celui de Bac- 
chus à Athènes , m^s il étoit le plus bel 

CJ lîOf^ti. Tout. L ra^ %%%. 






DE M. LE Roy. 



ornement de cette ville , fi célèbre par le 
courage de (es habitans. Il fiibfifte même 
encore en grande partie , &c Paulânîas &c 
Piutarque en parlent ; c'eft d'après ce que 
ces deux auteurs en difent mie j'en ai fait 
l'Jùftoire que je vous envoie , dans l'ou- 
Vrage que je viens de mettre 'au jour. 
Comme cette erreur , qui vous eft échap- 
pée, pourroitêtre remarquée par d'autres 
que par moi, j'ai cru que vous ne feriez 
pas Hché que je vous en avertiffe , & je 
me flatte, Monfieur , que vous voudrez " 
bien recevoir cet avis comme une marque 
de Teilime & de la parfaite con£dératioR . 
avec laquelle j'ai l'homieur d'être, &c. 






RE P ONS E 

ALALETTRE V 
DE M. LE RO V. 

A Mantnurtnci 1« 4 tfoTentbii itts. 



X 



E vous remercie , Monfieur , de la 
bonté que vous avez de m'avertir de ma 
bévue au fujet du théâtre de Sparte , & 
de l'honnêteté avec laquelle vous voulez 
bien me donner cet avis. Je fuis fi fenfd)le 
à ce procédé que je vous demande la 
periaiffion de faire uûge de votre lettre 
dans une autre édition de la mienne. Il 
^en feut peu que je ne me félicite d'une 
erreur qui m'attire de votre part cette 
marque d'eftîme , & je me fens moins 
honteux de ma faute , que fier de votre 
correÛion. 

Voilà , Monfieur , ce que c'eft que de 
fe fier aux Auteurs céleores. Ce n'eft 
gueres impunément que je les confuïte , & 
de manière ou d'autre , Ûs manquent rare- 
ment de me punir de ma confiance. Le 
favant Cragius , fi verf^ dans l'antiqitîté , 
avoit dit la chofe avant moi , & Plutarque 
lui-même aiErme que les Lacédémoniens 






A M. LE Roy. 429 

.j.» :: — : — ,■ 

ii'alloientpoînt àla comédie , de peur d'en- 
tendre des chofes contre les loix , foït 
férieufement , (oit par jeu. Il eft vrai que 
le même Phitarque dit ailleurs le contraire , 
& il lui arrive fi fouvent de fe contre- 
dire , qu'on ne devroil jamais rien avan- 
cer d'après lui , fans l'avoir lu tout entier. 
Quoi qu'il en ibit, je ne puis ni ne veux 
recufer votre témoignage , & quand ces' 
Auteurs ne feroient pas démentis par les 
reftes du théâtre de Sparte encore exif- 
tans , ils l,e feroient par Paufenias , Eiif- 
tathe , Suidas , Athénée- ,- & d'autres an-'- 
ciens. Il paroît feulement que ce théâtre 
étoit plutôt conlacré à des jeux , des 
danfes , des prix de mufique , qu'à des 
repréfentations régulières , &que les pie- 
ces qu'on y jouoit quelquefois , étoient 
moins de véritables drames , que des farces 
grolfieres , convenables à la Simplicité des 
fpeftateurs ; ce qui n'empêchoit pas que 
Sofybius Lacon n eût fait un traite de ces 
fortes de parades. Ceft la Guilletiere qui 
m'apprend tout cela ; car je n'ai point de 
livres pour le vérifier. Ainfi rien ne man-» 
que à ma faute , en cette occafion , quQ 
la vanité de la méconnoître. 






^30 L E T T R E,&C. 

Au refle , loin de fouhaiter que cette 
feule refte cachée à mes leâeurs , je ferai 
fort aife qu'on la publie , & qu'ils en 
Ibient inlmiits ; ce fera toujours une 
«rreur de moins. D'ailleurs , comme elle 
ne ùàt tort qu'à moi feul , & que mon 
fentiment n'en eft pas moins bien établi , 
j'efpere qu'elle pourra fervîr d'amufement 
aux critiques ; j'aime mieux qu'ils triom- 
phent de mon ignorance , que de mes. 
maximes ; & je ierai toujours très-content 
que les vérités utiles que j'ai Ibutenues y 
ioient épargnées à mes dépens. 

Recevez , MonHeur , les alîurances de 
oia reconnoiflance , de mon eftime & de 
mon refpeÛ, 









LETTRE 

A M. V E R N E S. 



MnMuriiui h 18 Nnitairi Ï7Î9. 



*J= 



J E favois , mon cher Vernes « ïa bonne 
réception que vous aviez feite à l'Abbé de 
St. Nom ; que vous l'aviez fêté , que vous 
l'aviez préfenté à M. de Voltaire , en un 
mot, que vous i'aviez reçu comme recom- 
mandé par un ami; il eft parti , le cœur 
plein de vous , & là reconnoiflance a dé- ■ 
bordé dans le mien. Mais pourquoi vous 
dire cela î N'avez-vous pas eu le plailir de 
m'obliger ? Ne me devez-vous pas auiTi de 
la reconnoiflance î N'en -ce pas à vous 
déformais de vous acquitter *envers moi } 
Il n'y a rien de moi fous la prefle ; 
ceux qui vous l'ont dit vous ont trompé. 
Quand j'aurai quelque écrit prêt à paroî- 
tre , vous n'en ferez pas inlb%iit le demies* 
J'ai traduit tant bien que mal un livre de 
Tacite & j'en refte là. Je ne fais pas afièz 
de Latin poiu* l'entmdre , fie n'ai pas aiTe^ 
de talent pour le rendre. Je m'en tiens à 
cet eilai ; je ne ùis même fi j'aïuai jama^ 






431 Lettre' 

reffronterie de le feire paroître ; j'aurois 
grand befoin de vous pour l'en rendre 
aligne. Mais parlons de l'hiûoire de Ge- 
nève. Vous favez mon ièntiment fur 
cette entreprife ; je n'en ai pas changé ; 
tout ce qui me refte à vous dire , c eu 
■que je fouhaite que vous ù&sz un 0U7 
vrage affez vrai , affez beau , & affez 
utile pour qu'il foit impoffible de Timpri- 
mer ; alors , quoi qu'il arrive , votre mï- 
nufcrit devieiwra un monument précieux 
qui fera bénir à jamais votre mémoire 
par tous les vrais citoyens , fi tant eft 
qu'il en refte après vous. Je croîs que vous 
"e doutez pas de mon empreflement à 
^ire cet ouvrage , mais fi vous trouvez 
<ïuelque occafion pour me le faire parvenir , 
à la bohne heure ; car , pour moi , dans 
■ma retraite , je ne fuis point à portée 
■d'en trouver les occafions. Je fais qu'il va 
& vient beaucoup de gens de Genève i 
^ta-is 8c de Paris a Genève , mais je con- 
nois peu tous ces voyageurs , &c n'ai nul 
dcffein d'en beaucoup connoître. ï'aimè 
encore mieux ne pas vous lire. 

Vous me demandez de la mufique , eh 

Dfettj, çhen Vernesl de quoi me parlez- 

vousî 



A M. V E R N E s. 43} 

VOUS ? J6 ne connoîs plus d'autre muiîque 
que celle des Roffignt^s ; & les Chouettes 
de la forêt m'ont dédommagé de l'Opéra 
de Paris. Revenu au feul goût des plaîfirs 
de la nature « je méprife l'apprêt des amu- 
ièraeos àet viUes. Redevenu prel(|ue en- 
£ant i je m'attendris en rappellant les vieil- 
les chanfons de Genève , je les chante 
d'une voix éteinte , & je finis par pleurer 
iiir ma patrie , en fongeaDt que je lui ai 
iiuvéou Adieu. 



PUets Mver/i^ 



h ET T R E 

A M, DE SILHOUETTE. 



D. 



rAiGîiEZ, Monfieiir , «ceroir l'hom- 
mage d'un folitaire qui n'eft pas connu de 
vous , mais qui vous eftime par vos li- 
lens , qui vous refpeâe par votre adnii- 
niftration , - & qui vous a fait l'honneur 
de croire qu'elle ne vous refteroît pas-long- 
tems. Ne pouvant lauver l'Etat qu'aux de" 
pens de la capitale qui l'a perdu , vous 
avez bravé tes cris des gaigneurs d'argent, 
En vous voyant écrarer ces miférables , 
je vous enviois To^re place; en vous la 
voyant quitter lans vous être démenti , 
je vous admire. Soyez content de vous , 
Monfieitr , elle vous laiffe un honneur 
dont vous jouirez longttems (ans concur-. 
rent. Les malédiâions des â:ipon$ font la 
glpire 4^ l'homme juAe, 






L E T T R E 

AM.VERKES. 

Mtiitmirtnci 9 Frvriir I7iSe> 



M-Lya une quinzaine de jours, mon cher 
Vemes , que j'ai appris , par M. Favre , 
votre infortune i il n'y en a gueres moins 
<pie je fuis tombé makde & ]e ne fuis pas 
rétabli. Je ne compare point mon état au 
vôtre ; mes mawi: aûuels ne font que 
phyliques ; & moi , dont la vie n'eft qu'ime 
■alternative des uns &cà£s autres » je ne ^âîs 
que trop que ce n'eft pas les premiers qui 
tcanfpercent le C(Bur le phis. vivement. Le 
mien eft fiiit pour partager vos douleurs , 
-& non pour vous-en confier. Je iàis trop 
Jjien , par expérience , que rien ne con- 
ible que le lems ,. & ijue fouvent ce n'eft 
encore qu'une affliftion de plus de fonger 
gue le tems nous cônfolera. Cher Vernes, 
on n'a pas tout perdu" quand on pleure 
■encore ; le regret du bonheur pafle en eft 
i!n refte. Heureux qui porte encore ait . 
fond de fon cceùr ce qiri lui fut cher 1 
Oh , croyez-mtSi , Vous ne connoiflez pas 
ht maniei-e ^ plus cruelle de le perdre ; 
T- 1 






4î6 Lettre, &c. 

c*eft (T^voJr à le pleurer vivant Mon bon 
ami, vos peines me font fonger aux mien- 
nes ; c'eft un retenir naturel aux malheu- 
reux. D'autres pourront montrer à vos 
douleurs une fenfibilité plus'défmtéreffée; 
niais perfonne , j'en fuis bien fôr, ne les 
partagera plus lincérement. 



=C»=i 



LETTRE 

A M. PUCHESNE LIBRAIRE, 

£n Itti renwyam la ComiMt dt$ FhiîofofhtSm ■ 



JEli N parcourant, Monfieur , la pièce que 
vous m'avez envoyée , j'ai frémi de^ m'y 
voir ïoué. Je n*accepte point cet horribîe 
préfent. Je fuis periuaaé qu'en me l'en- 
voyant f. vous n'avez pas voulu me faire 
une injure ; mais vous ignorez , ou vous 
9vez oublié que j'ai eu Phonneur d'être 
i'ami d'un homme refpêÛable , indigne- 
ment noirci & calomiué dans ce libelle. 



LETTRE 

A MADAME D'AZ***, 

Qui m'avait envoyi Vepampc incadrit dtjhn 
pwtrtùt avec des vtn Jdjon mjari aàdt^ms. 



V O u S m'avez feit. Madame , un pré- 
fent bien précieux ; mais j'ofe dire que 
le fentiment avec lequel je le reçois , ne 
m'en rend pas indijgne. Votr<l portrait an- 
nonce les charmes de votre caraAere; les 
vers qui l'accompagnent achèvent de le 
rendre ineftimable. Il femble dire ; je Ëùs 
le bonheur d'un tendre époux ; je fuis la 
mufe qui l'infpire , & je fuis la bergère 
qu'il chante. En vérité , Madame , ce n'eft 
ïju'avec un peu de icnipule que je l'ad- 
mets dans ma retraite , & je crains qu'il 
ne m'y laiffe plus auffi foUtaîre qu'aupa- 
ravant. J'apprends auffi que vous avez 
payé le port & même à très - haut prix : 
quant à cette- dernière générofité, trouvez 
t>on qu'elle ne foit point acceptée, 2c qu'à 



■438 



Lettre, &c. 



la première occafion je prenne la liberté 
de vous rembourfer vos avances ( * ). 

Affécif Madame , toute ma reconsoil^ 
£uice & tout mon re^eâ. 



« «T*it inat as- htlkt u vwmm. 






L E T T RE 

.A, MADAME C**'. 



=>« 



Vc 



O u S aveî beaucoup d'efprit , Ma- 
dame , & vous l'aviez avant la leéhire de 
la Julie : cependant je n'ai trouyé que cela 
dans votre lettre ; d'où je conclus que 
cette leâure ne vous eft pas propre , puif 
qii'elle ne vous a rien infpîré. Je ne vous 
en eftime pas moins , Madame ; les âmes 
tendres font fouvent foibles , & c'eft tou- 
jours un crime à un« femme de l'être. Ce 
n'eft point de mon aveu que ce. livre a 
pénétré jufqu'à Genève ; je. n'y en ai pas 
envoyé un feul exemplaire , & quoique- 
je ne penfe pas trop bien de nos mœurs 
aûuelles , je ne les crois pas encoreaffer. 
mauvaifes pour qu'elles gagnaflènt de re-_ 
monter à Vamour. 

Recevez , Madame , mes très-humbles 
remerciemem , & les afTiminces de œoa 
refpea. 

T4 



LETTRE 

A UN ANONYME, 



J'Ai leçu lie it\ âe ce mois porlapofie 
une lettre anonyme fam date , tùntMrée 
de Liile y & tranche de port. Faute d*y 
pouvoir répondre pw une witre voie , je 
déclare piddicniefnent à rauteuc de cette 
lettre qae je lai liie £c relue avec émo- 
tioa , avec actendfifleaieiit , qu'elle a^inf- 
pire pour lui la pliB tendre eAime , le 
>lus gratîd defir de le coanoître & de 
Fabner , qu'en ms pavbnt de lès larmes 
il m'en a nit répandre » e^'mda pif^'aux 
âogea outrés dont il me coniUe,toutine 
p^ éaas- cette lettre , excepté la modefte 
tn6m tpàht porttàà cacben 






^ 






LETTRE 

A M***. 

ji MiTitmtTcnci II 13 ffvriir 17SU 



J E n'ai reçu qu'hier , Monfiçur , la 
lettre que vous m'avez écrite le 5 de cer 
mois. Vous avez raifoB de croire que l'hai^ 
monie de Tame a aufli {çs dilTonances qui 
ne gâtent point l'effet du tout : chacun ne 
feit que trop comment elles fc préparent ; 
mais elles font difficiles à làuver, C'eft 
dans les raviflans concerts des Tpheres cé- 
fcfles qu'on apprend ces fevantes fuccef* 
fions d'accorcfc. Heureux , dans ce fiecle 
de cacophonie & de discordance , qui peirt 
fe conierver une oreille affez pure pour 
entendre ces divins concerts ! 

Aurefte, je perfifte à croire, quoiqu'on 
ta puiflê dire , que qulconqvie après avoir 
hi la nouvelle Héloïfe la peut re^rder 
comme un livre de mauvaifes mœurs * 
i^eû pas Eût pour aîmer les bonnes. Je 
me réjouis , Monfieur , que vous ne foyez 
pas au nombre de ces infortunés 1 & je 
>ous làlue de tout mon cœur. 



Tj 



L E T T fi 

A ,M * * *. 



J E fuis charmé , Monfîeur , de la lettre 

2ue vous venez de m'écrire , SclïtEii loin 
e me plùndre 4e votre louange , je volk 
-en remercie, parce qu'elle eu jointe i 
ime critique fraîche &c judicieufe qui me 
iàit aimer l'une &c l'autre comme le lan- 
gage de Tanùtié. Quant à ceux qui trou- 
vent ou feignent de trouver de Toppo- 
fition entre ma lettre fur les Speâacles Se 
la nouvdle Héloiffe , je fuis bien ITu- qu'ils 
ne vous en impofent pas. Vous lavez que 
la^ vérité , quoiqu'elle foit ime , change 
de forme (èlon les tems^âc les lieux , Se 

S l'on peut dire à Paris ce qu'en, des jours 
^ us heureux on n'eut pas où dire à Ge- 
nève : mais à préfent les fcrupules ne 
font plus de fàifon , & par-tout ou réjour>> 
nera long-tems M. de Voltaire , on pourra 
jouer après lui la comédie &c lire des 
roinaps fans danger^ Bonjour , Moofieur « je 
vous emhrafle, & vous remercie derechef 
de votre lettre i elle me plaît beauctuip. 






LΠT T R E 

A M. D E * • •. 

M$Btm»Tiiui II 19 Ffiiritr 17«». 



Vo 



OlLA,Monfieur,tnarépon{èaux ob-' 
fervations qxie vous avez eu la bonté de 
m'envoyer fur la nouvelle Héloïfe. Vovis 
l'avei élevée à l'honneur auquel eHe ne 
s'attendoitgueres, d'occuper des théolo- 
giens; c'eft peut-être un fort attaché à ce 
nom ôc à celles qui le portent d'avoir tou- 
jours à paffer par les mains de ces Mef- 
iieurs là. Je vois qu'ils ont travaillé à la 
converfion de celle-ei avec un grand zele, 
& je ne doute point que leurs foins pieux, 
n'en aient feit une perfonne très- ortho- 
doxe ; mais je trouve qu'ils l'ont traitée 
avec un peu de nideffe ; ils ont flétri fes 
charmes , & j'avoue qu'elle me plaifoit 
plus , aimable quoiqu'hérétiqïie , que bi- 
gote &c mauljiàde comme la voilà. Je de- 
mande qu'on me la rende comme je l'ai 
formée, ou je l'abandonnerai à fes direc- 

tCUR. 



T 6 



LETTRE 

A MADAME BOURETTE 

Qui m'avoit écrit Jeax httns tonflatûves 
avec its rtrs , £■ qui m'iavitoit à prendre 
du caji cke^ elle darts une taffe incntfi^ 
£or que M. de Koltaire lut avoit donnée. 



«J Ë n'avois pas oublié, Madame , qae }e 
vous devois une réponie & un remercie- 
ment; je iô-ois plus exaâ fi Ton me l^f* 
Jbtt plus libre , mais il ùux malgré mot 
difpofer de mcm tems , bien plus comme il 
plaît à autrui que comme }e tç devrais & 
!e voudrois. Puiftjue l'anonyme vous avoit 
prévenue , il étoit naturel que fa répoaCe 
précédât aulE la vâtre ; & d'ailleurs je ne 
vous diUimulerai pas cpi*il avoit parlé de 
plus près à mon cour que pe font des 
fomplimens Si, des vers. 

Je voudrais» Madame, p<»ivoir ré^ct- 
dre à Phonneur que vous me feites de me 
dermnder un exemplaire de la Julie , mais 
taux de geîis vQUS ont encore ici prévenue. 






A Madame Bourette, 44$ 

qiie les exemplaires qui m'avoient été en- 
voyés de Hollande , par mon Libraire » 
Ibnt donnés ou deftînçs , âc je n'ai nulle 
elpece de relation avec ceux qui les débi- 
tent à Paris, I! fàudroit donc en acheter 
un pour vous l'offrir j & c'eft , vu^l'état 
de ma fortune , ce que vous n'approuve- 
riez pas vous-même : de plus , ]é ne fais 
point payer les louanges , Se (i je lailbis 
tant que de payer les vôtres , j'y voudroîs 
mettre un plus haut prix. 

SI jamais l'occalîon f« préfente de pro- 
fiter de votre inyitation , j^rai , Madame , 
avec grand plaiiif vous rendre vifite &C 
prendre du café chez vous ; mais ce ne 
fera pas, sll vous plaît, dans U tajfe dorée 
de M. de Voltaire ; car je ne bois point 
dans la coupe de cet homme-là. 

Agréez , Madame , que je vous réitère 
mes très-humbles remerciemens &les affu,- 
tances de mon refped. 






LETTRE 

A M- M'". 



HontmoTcnci , Mm IT^z- 



Xl faudroit être le dernier des hommes 
pour ne pas s'intérelTer à Tinfoitunée Loui- 
lôn. La pîûé , la bienveillance que {on 
honnête hiftorien m'inipire pour elle , ne 
me laiffent pas douter que fon zèle à lui- 
même ne piûKc être aulTi pur que le mien^ 
& cela fuppofé , il doit compter fur toute 
Teftime d'un homme qui ne la prodigue 
pas. Grâces au Ciel , il fe trouve wns 
un rang plus élevé , des cœurs auJTi fenfi- 
bles , « qui ont à la fois le pouvoir & 
la volonté de protéger la malheureufe, 
mais" eftimable viâime de l'infemie d'uH 
brutal. M. le Maréchal de Luxembourg 
&c Madame la Maréchale à qui j'eu com- 
muniqué votre lettre , ont été émus aînfi 
que moi à fa lefture ; ils font difpofés , 
Monfieur , à vous entendre & à confidter 
avec vous ce qu'on, peut , & ce qu'il 
convient de faire pour tirer la jeime per- 
fonne de la détreffe oîi elle eft. Ils re- 
tournent à Paris après Pâques. Allez , 






A M. M" 



■447 



Monfieur , voir ces dignes & refpeÛables 
Seigneurs ; parlei-Ieur avec cette fiihpli- 
cite touchante qu'ils aiment dans votre 
lettre ; foyez avec eux fincere en tout , 
& croyez que leurs cœurs bïenfàifans 
s'ouvriront à la candeur du vôtre : Loui- 
fon fera protégée, fi elle mérite de l'être, 
& vous , Monfieiu- , vous ferez eAimé 
comme le mérite votre bonne aâion. Que 
lî dans cette attente , quoiqu'aflez courte, 
la fituation de la jeune perfonne étoit 
trop dure , vous devez favoir que quant ' 
à préfent je puis payer , modiquement à 
la vérité » le tribut dû par quiconque a 
fon nécefiaire aux indigens honnêtes ({lû 
ne l'ont pas. 






LETTRE 

A M. VERNE S. 



J 'ÉTOis prefque à 4'extrémîté , cher Con- 
citoyen , quand j'ai reçu votre lettre , flc 
inainKnaiit qiie j'y réponds , je fuis dans 
«n étaf de ibiiiFrances continuelles qui y 
félon toute apparence » ne me quitteront 
qu'tfvec la vie. Ma plus grande consola- 
tion dans fctat oh. je fuis eft de recevoir 
des témoignages d'intérêt de mes compa- 
triotes, & fur-tout de vous , cher Vemes, 
<^e j'ai toujours aimé & que j*aimeraî 
toujours. Le cœur me rit , & il me femble 
que je me ranime au projet d'aller par- 
tager avec vous cette retraite charmante, 
qui me tente encore plus par ibn habitant 
que par elle-même. Oh, fi Dieu rafFer- 
miflbit afîèz ma fantë pour me mettre en 
état d'entreprendre ce voyage « je ne 
inouirois point lans vous embrafler en- 
core une loisl 

Je n'ai jamais prétendu jufiiiîer les in- 
nombrables <^&uts de la NottvtUt fféloï/èi 






A M. V E R N E s. 449 

je trouve que Ton l'a reçue trop fevora- 
folement, Ôc dans les jugemetu du public, 
j'ai bien moins à me plaindre de fa rigueur 
qu'à me louer de fon indulgence ; mais, 
vos griefs contre fVolmar me prouvent 
que j ai mal rempli l'objet du livre , ou 
que vous ne l'avez pas bien faifi. Cet 
objet étoit de rapprocher les partis op- 
pofés , par une eftime réâproque ; d'ap- 
prendre aux Philofophcs , qu on peut croire 
en Dieu fans être hypocrite , & aux 
cToyans , qu'on peut «re incrédule fins 
être im coquin. Juîit , dévote , eft une 
leçon pour les Philosophes, & Wolmar^ 
athée , en efl une pour les intolérans. 
Voilà le vrai but du livre. C'efl à vous 
de voir fi je m'en fuis écarté. Vous me 
reprochez ae n'avoir pas fait changer de 
fyitême à Wolmar^ fur la fin à^x Roman 't 
mais , mon cher Vernes , vous n'avez 
pas lu cette fin ; car fà converfîon y eit 
indiquée avec une clarté qui ne pouvoit 
fouSrir un plus grand développement , 
iàns vouloir aire une capucinade. 

Adieu, cher Vernes ; )e fâifis un in- 
ter\'alle de mieux pour vous écrire. Je 
vous prie d'informer de ce mieux ceux 






450 Lettre, &c, 

de vos amis qui penfent à moi , Se en- 
tr'aatres , Meflieiirs Moiiltou & Rouihin , 
que j'embrafle de tout mon cœur ainû 
que vous. 



. .Coogk 



LETTRE 

A M. H U B E R. 

A MontmOTcnci II 34 Dfmabrc I7SIr 

%3 *Étois , Monfieur , dans un accès dit 
plus cruel des maux du corps , quand je 
reçus votre lettre ■& vos Idylles; après 
avoir lu la lettre y ^'ouvris machinalement 
le livre , comptant le refermer aufli-tôt ; 
mais ie ne le refermai qu'après avoir tout 
lu, & je le mis à côte de moi pour le 
relire encore. Voilà l'exaâe vérité. Je fens, 
que votre ami Geisner eft un homme 
ielon mon cœur , d'oh vous pouvez juger 
de fon traduâeur Se de fon ami par lequet 
feul il m'eft connu. Je vous feis en par- 
ticulier un gré infini d'avoir ofé dépouiller 
notre langue de ce fot & précieux jargon; 
fpii ôte toute vérité aux images , & toute 
vie aux fentimens. Ceux qui veulent em- 
bellir & parer la nature , font des gens 
fans ame Se &ns goût , qui n'ont jamais 
connu fes beautés. Il y a fix ans que je 
coule dans ma retraite , une vte afièz 
Semblable à celle de Ménali^e & d'A-' 
myntas , au bien près, que j'aime comme 






451 L E T T R E,&C. 

eux* mais que je ne fâisf^s Ëiire; &je 
puis y<His protefter, Moîifiwr,'que )'û 
pltis vécu durant ces ûx ans , que je nV 
vois iait dans tout le cours de ma vie. 
Maintenant vous me &ites deûrerde revoir 
«Kore un prîmems , pour &ire ivec vos 
chamans paftcurs de nonvelles prc»iie- 
nades , pour partager avec eux ma f(^i- 
tude , éc peur revoir avec eux des 
^yles àtaof^ats qui. ne font pas infé- 
rieurs à ceux tjat M. Gefsner & vous 
avez û t»en décrits. Salue»-k de ma part, 
ie vous fupplie , & recevez xit&. mes 
remerderaens & mes âlUitations. 

Voulez-vous bien , Monficur , quantt 
TOUS écrirez à Zurich , Êùre dire mille 
^lofes pour moi à M. Ufleri ? f^ reçu 
ée & peut une lettre que je ne me laâe 
point de reBre , fic qui contieiU des rela- 
tions d'un pay^ phis fàge , plus ver- 
tueux ^ plus fenffi que tous tés Philoibphes 
de Tunivers ; je fuis fâché qu'il ne m« 
marque pas le nom de cet nomme ref- 
peâable. Je lui voulois répondre un peu 
au kme » mais mon dépk}r3d}le état m'en 
a empâdsé jufqu'ici. 






L E T T RE 

A' M E s s I E U R s 

De la Société Economique dt Berne, 



A Mounurïuci le sp Anil I7fil> 



Vo 



Ous êtes moins inconnus; Meffieurs, 
yie vous ne penfez , & il feiit que votre 
Société ne manque pas de célébrité dans 
le monde, puifque le bruit en eft parvenu 
dans cet afyle à un homme qui n'a plus 
aucun commerce avec les gens de Lettres. 
Vous vous montrez par un côté fi inté- 
rel&nt que votre projet ne peut manquer 
d'excitw le public, & fur-tout les hon- 
nêtes gens à vouloir vous connoître, &C 
pourquoi voulez-vous dérober aux hom- 
mes le fpe£hcle fi tmichant & fi rare dans 
notre fiecle , de vrais citoyens aimant 
leurs frères & leurs femblables , & s'oc- 
cupant fincérement du bonheur de la patrie 
& du genre-humain ? 

Quelque beau , cependant , que foit 
votre plan , & quelques talens que vous 
ayez pour l'exécitter , ne vous flattez pas 
dun fiiccès qui réponde entiéremem à- 






'454 Lettre a la Société 

vos vues. Les préjugés qui ne beonent 
qu'à l'erreur fe peuvent oétniirc , mais 
ceux qui font fondés ftu- nos vices ne 
tomberont qu'avec eux; vous vouJez com- 
mencer par apprendre aux hoirtmes la 
vérité pour les rendre feges , & tout au 
contraire y il ^udroit d'^K>rd les rendre 
iages pour leur faire aimer la vérité. La 
vérité n'a preique jamais rien ^t dans te ' 
monde ^ parce que les hommes iè condui- 
fent toujours plus par leurs paillons que 
pai leurs liunieres » &C qu'ils &nt le mal ap- 
prouvant le bien. Le fiecle où nous vivons 
.€:ft des plus éclairés , même en morale ; 
eft-il des meilleurs ? Les livres ne font 
bons à rien , j'en dis autant des académies 
& des fociétés littéraires i on ne donne 
jamais à ce qui en fort d'utile , qu'une 
^probation Aerile ; làns cela la nation qui 
a produit les Fenglons , les Montelquieux, 
les Mirabeaux , ne feroit-elle pas la mieux 
conduite & la plus beiu-eufe de la terre ? 
En vaut-elle mieux depuis les écrits de ces 

trands hpmmes , &i- iin feul abus a-t-il 
té redreffé fiir leiu^ maximes î Ne vous 
flatte? pas de faire plus, qu'ils n'ont' hiu 
Non , Meflieurs , vous pourrez inilruire 






Economique de Berne.. 455,. 

les peuples « mats vous ne les rendrez ni 
meilleurs ni plus heureux. C'eft une des 
chofes qui m ont le plus découragé , du- 
rant ma courte carrière littéraire , de fentir 
3ue , même me (uppofasa. tous les talens 
ont j'avois hpCoin , j'attaquerois ^ns fruit 
des erreurs fimeftes , &c. que quand je les 
pourrois vaincre les chofes n'en iroient 
pas mieux. Pai quelquefois charmé, mes 
i^ux en fatisfaifant mon cœur , fqais fans 
m'en impofer fur l'effet de pies ■ foins. 
Plufieurs jn'onf lu , quelques-uns m'ont 
approuvé même , & comme je l'ayois 
prévu , tous font reliés ce qu'ils étoient 
aîiparavant. Meffieurs , vous direz, mieux 
& davantage , mais vous n'aurez pas un 
ipeillçur fuccès ^ ^ au lieu du bien public 
tjue vous cherchez y vous ne trouverez 
quf la gloire que vous fejnblçz craindre. 
. Olioi qu'il en foit , je ne puis qu'être 
icnlible à rhoru^eur que voi(S me Ëiites 
de m'affocier en quelque (brte , par votre 
çorrefpoqdançe^àde u nobles travaux. Mais 
^n me 1^ propoiânt ^ yous .igfic^riez &ns 
ilputei quevous vousadreiTiCz àuppau-i 
vre malade qui , après dvoir efîàyé dix 
aiîriîii' trifle métier d'autçur , pSm lequel 






4s6 Lettre a i^ Société 

il n'étoit point fait , y renonce dans la . 
joie de ion cœiir y & ^rès avoir eu 
i'-Konaeur d'entrer en lice avec refpeâ * 
mais en homme libre « contre une tête 
couronnée , oie dire en quittant la plume , 
pour ne la jamais reprendre , 

ViBoT u&us arumqut repono. 

Mais ^5 aipirer aux prix donnés pw 
votre mumiîcence , j'en trouverai tou- 
jours un très-grand dans l'honneur de, 
votre effime , & fi vous me jugez digne . 
de votre correfpondance , je ne re&fe 
point de l'entretenir , autant que moa Àat , 
- ma retraite , & mes tmmeres pourront le 
permettre ; & pour commencer par ce 
que vous exigez de mai , je vous dirù 
que votre plan , quoique très-bien &it , 
me paroît généralifer un peu trop les 
îdèes , & tourner trop vers la métaphy- 
fique , des recherches qui deviendroieot 
plus utiles , fdon vos vues , fi elles avoient 
des applications pratiques locales & par- 
ticulières. Quant à vos queffîons , elles* 
font très-bdÛes , la troifieme (*) fur-tont 

' (*J Qnd fnch ■ i4iiiii9 ttf le pin knnnzt 






Economique de Berne. 457 

me plaît beaucoup ; c'eft celle qui me 
tenteroit fi j'avois à écrire. Vos vues en 
la propo&m font alTez claires , & il ii„dra 
que celiu qui la traitera, foit bien mal- 
atlroit s il ne les remplit pas. Dans la pre- 
mière ou vous demandez qud, font lu 
moyms i, ,i„, ^ ^^pi, j, ,^ cnuption f 
Outre que ce mot de <^rrupmn me paroît 
un peu yagtie , & rendre la quSion 
prefque mdetermmée , il fiudroît com- 
mencer, peut-être, par demander s'il eft 
de tels moyens : car c'eft de quoi l'on 
peut tout au moins douter. En compen- 
(ation vous pourriez ôter ce que vous 
ajoutez à la fin , & qui n'eft q,A,ne répéti- 
tion de la queftion même, ou en fait une 
autre toul-à-feit à part^*). 
_ Si j'avois à traiter votre féconde quef- 
tion ( f ), je ne puis vous diffimuler que 
je me déclarerois avec Platon pour l'affir- 
mative, ce qui furement n'étoit pas votre 
intention en la propofant. Faites comme 



•) Voici 11 



, , -.- "Ciî qneflion. Et mit lA tt ti^ 

I, ,1., ,^f.i, „•„ uti/ut— pir- /«w i „i i,Ji, 

(î) En.il des préjugés rrfi^ftables qu'un bon oitow- 
doive ft fuiro un ftrupule lU coniliimie piii)liquem{iit 7 

Pièces tliverfes, V 

...Cookie 



45? l^ETTRE A LA SOCIÉTÉ, &C. 

l'Âcuiénùe Françotfe qui prefcrh le parti 

3ue l'on doit prendre, & qui (e gardebien 
e mettre en problème les qiieltons fur 
lelquelles elle a peur qu'on ne dife la 
vérité- 
La quatrième ( * ) eft la phis utile , à 
caufe de cette application locale dont j'ai 
parlé ci-devant ; elle offre de grandes vues 
â remplir^ Mais il n'y a qu'un Suiffe ou 
quelqu'un qiil connoiffe à fond la confti- 
tution phyiique , politique & morale du 
Corps Helvétique , qui puiffe la traiter 
avec fuccès. Il feudroit voir f<M - même 
poiy- ofer dire : O utinam ! Hélas 1 c'eft 
augmenter fes regrets de renouveller des 
vœux formés tant de fois & devemis inu- 
tiles. Bonjour , Monfie;^- , Je vous falue , 
vous & vos dignes collègues , de tout 
mon cœur & avec le plus vrai refpeÛ. 



(*) Par qutli moyens poiuroibdn leflÉmt les liaifo» 
ft Vamitil tant les Citoirïni de dEverr» Républiliws , foi 

' Fin du premkr Volume de Pitces diverfts. 






TABLE 

DES PIECES ET LETTRES 

Contenues dam ce Volume. ' 

■ JqXthAIT du projet de paix perpêtiutle de 
l'Abbé dt St. Pierre. . . : Page j 
JuGEMENT^Î/r la paix perpétuelle. . 6% 
POLYSYNODiE de l'Abbé de Si. Pierre. 8} 
SvGEtAEtiT fur la Polyfynodie. . . uS 
Lettre à M. de foliaire. . . . 140 
Réponse de M. de Voltaire. . . . 174 

Let. ii M • * * . 171S 

Let. à M. d'OffrevilU à Douai. . 108 
Let; à M. Ufteri Profepur à Zurich, 11^ 
Let. au Prince Louis E. de Wirtemberg. lay 
Prem. Let. à M. le M. de Luxembourg. 147 
Seconde Let. ah même. . . . 173 
Let. à Madame de T* * *. . ... 195 
Prem. Let. à M. le P. de MaUskerbes. 301 



Seconde Let. au même. 
Troisième Let. au mime. . 
Quatrième Let. au même. 
Let. à M. l'Abbé RaynaL . 

Let. au même 

Let. à m. m* **. à Genève. 
Let. à M. Vemei. . , . 
Let. Je M. de Voltaire. . . 
RÉPONSE à la lettre précédente. 
Billet de M. de Voltaire. . 
RÉPONSE au billet précédent. 
Let. à M. de Boiffi. . . . 
Let. à M. Vernes. , . . 



309 

328 
339 
341 

3ÎO 
36x 
366 
37* 
377 
378 
380 
• 383 



46o TABLE. 

Lettre JeM.U Comte de Trejfan. Page 3 8ô 

BiPOtiSE à la hêtre précéJenu. , . 38S 

Let. Je M, U Cornu de Trejfan. . jpo 

RÉPONSE au même. 39*,. 

Let. du mém^. 594 

RÉPONSE à la lettre prècidenu, . , 396 

Let. â M. Sckeyh J97 

Let. à M. Ventes. . . . . • 40^ 

Let. à un jeune homme. .... 40^ 
Fragment d^une lettre à M. Diderot. 411 

Let. au même 41.4 

Let. à M. Vemes 419 

Let. au même 411 

Let. de M. le Roy. . . . . . 426 

RÉPONSE à la lettre précédente. . 428 

Let. à M, Vemn. . . . . . 43 1 

Let. à M. de Silhouette, . . . 434 
Let. à M. Vemes. . .... .435 

Let. à. M. Duchefne Libraire. .. . 436 

Let. à- Madame d'ji^***, , . . 437 

hET. â Madame C***. . ... 439 

Let. à.Hn.anQnyme. . , -, . ,■' i -440 

Let. à. m* * *. - ■ i ■ . V 441 

Let. à M.*.* *. . . . . . . 441 

Let. àMtDe^t *.. ... . . 443 

Let. à Madame. Bourette, . . . .444 

Let. iJVtAf*** 44S 

Let. à M. Vemes 44S 

Let. à M. Huber. 451 

LÈT. à la Soc. Economique de Berne. 45} 
Fin. de. la Table. 



■77 



.Google