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COLLECTION
COMPLETE
DESŒUVRES
DE
J. J. ROUSSEAU,
TOME VINGT-TROISIEME.
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COLLECTION
COMPLETE
DES ŒUVRES
DE
J. J. ROUSSEAU,
Citoyen de Genève.
-/
TOME VINGT -TROISIEME.
Contenant des Pièces fur divers
Sujets , & un Recueil de Lettres.
A GENEVE.
Af. DCC. L XXX II.
iCBjOV
EXT RAIT
DU P R O J ET
D t
PAIX PERPÉTUELLE
^ DE MOSSIEV A VAMBk
DE SAINT-PIERRE.
Tuncgcnus humanumpq/îtisj^icon/ulat armity
Inqut vicem gens omnà omet, Lvokltli
LETTRE
27e M. RovssâÀVÀ M. A£ BusTXBèi
<J *ÀuROis voulu f Moofieur « pouvoir
répondre à rhonnêieté de vos follici-
cations , en concdurant plus ucUement
à vocce entréprife ; mais vous lavez
fna téfolution , & &uce ûç mteuv , je
liais réduit , pour vous complaire , à
Fieces tSyerfes,' ■ . A ' ■ ■
2 L 'E T T R E , &C.
— ., J.'-.; — . ^ , -, ■■,.
tirer de mes anciens barbouillages le '
, morceau ci - joint , comme le moins
'indigne des regirds du i^ublic. Il y
a fix ans que M. le Comte de Saint-
Pierre m'ayant çon6c les manuftrits
de feu M. l'Abbc fon oncle , j'avois
commencé d'abréger fes écrits, afin
.de les rendre plus commodes à lire^
& que ce qu'ils ont d'utile fut plus
connu. Mon -defleia étoit de publier
cet at>cégé ren.,deipç. volumes , rûn
delquriis eut' çohtend le6-<»eiiaits des
puvtQges ,' &.i^Qtr« uihis*gsment;rai-
fonné fur chaque projet : mais , après
. jguelque eflai dcce travail , je vis qu'il
. ne m'^oic pas propre '&• que. je ny
. réuffirois , pqinç. J'abatjdônnai , doijc
ce-<leflein ,-'^près l'avoir feulement
exécuté .fur la Faix pcrpémelle 6c fyr
la. Pçlyfynodie. Je vous envoie, Mon-
teur f 1« preipiçE 4^ çeç «u^cs >
Lettre, &:c j
comme un fujec inaugural pour vous
qui aimez la paix , & donc les écrits
la refpîrenc. Puiflîons - nous la voa
bientôc rétablie entre les Puiflances ;
car entre les Auteurs. on ne Pa jamais
vue , & ce n'efi pas aujourd'hui qu'oa
doit refpérer. Je vous falue , Mon-^
fieur , de tout mon cœur.
Rousseau,
■4 MotUmarency , le s Décembre 170»,
Aj
PROJET,
Z> £
PAIX PERPÉTUELLES);
V— >Omme jamais Projet plus grand |
plus beau ni plus utile n'occupa refptit
humain , crue celui d'ime Paix perpétuelle
& ufirverielle entre tous les Peuples de
lïurope , jamais Auteur ne mérita mieux
Fattention du Public que celui qui pro-
pofe des moyens pour mettre ce Projet
en exécution. Il ell même bien difficile
qu'une pareille matière laiffe un homme
fenfible & vertueux exempt d'im pe,it
d'enthoufiaâne ; & je ne fats û rilliiâon
d'un cœur véritablement humain , à qui
fon zele rend tout facile , n'eu, pas en
cela préférable à cette âpre & repouH^te
raifon , qui trouve toujours dans fou
indifférence pour le bien public le premier
obftacle à tout ce qui paut le fevorifer.'
(*-) Cette Pièce & l«s trois Tuiv^ntcs auroicat dft ttre
pUcJïs dant 1« {irciniïT volume Je CLite CollcAiaa ; mais
- la KToflêur de ce volmiw nous ft détetminj i les plwci t
Jb Uie de «dut . d.
Aj
Google
't • P Rfl ) E T DE" Paix
Je ne doute pas ^le beaucoup de LrS
tenrs ne s'arment d'avance d'incrédulité-
pdiif réïîfler au plaifir de la perfuafion »
& je les plains de prendre fi triftement
l'entêtement pour la. fageffe.- Mais j'efpere
^e quelque ame honnête partagera Témo-
tion dclicieufe avec laquelle je prends la
plume ïiir im fiijet fi intéreffant pour l'hir*
manits. Je vais voir, du moins en idée ,
les hommes s'imîr & s'aimer; je vais pen-
ier à une douce & paHîble fociété de frè-
res, vivans dans ime concorde étemelle,
tpus conduits par les mêmes maximes ,
tous heureux du bonheur commun ; & ,
rêalilànt en moi - même un tableau fî
touchant, l'image d'une félicité qui n'eft
point , m'en fera goûter quelques inftans
iij^e ycritsble.
, Je n'ai ju refufer ces premières lignes
au fentiment dont j'étois plein. Tâchoni
irainie ant de raîibnner de fang- froid.
Bien réfolu de ne rien avancer que je ne le
prouve , je crois pouvoir prier le Leâeur
fl fon tour de rien nier qu'il ne le réflite
car.ce ne font pas tant les raifonneurs que
îe crains , que ceux qui , fans fe rendre
aux preuves , n'y veulent rien ob(eaer.
Perpétuelle. 7^
Il ne faut pas avoir long-tems médité.
fiir les moyens de perfeÛIonnw un Gou-
vernement quelconque , pour appercevoir
des embarras 6c des obftacles qui naiâent
moins de & ccuiilitutiott que de (es rela^
tiens externes ; de forte que ht plupart des
ibins qu'il faudroit coniacrer à fa police,
on eft contraint de les donner à fa fureté,
& de fonger plus à le mettre en état de
réfiftér aux autres qu'à le rendre parfait
en hii-même. Si l'ordre focial étoit, com«
me on le prétend , l'ouvrage de la raifon
plutôt que des paffions, eùt-on tardé â
long-tems à voir qu'on en a feit trop ou.
trop peu pour notre bonheiu-; que cha-
cun de nous éfânt dans l'état civil avec
fts concitoyens & dans l'état de nature
avec tout le refte du monde , nous n'a-
vons prévenu les guerres particulières que,
pour en allumer de générales , qui (ont
niîlle fois plus terribles ;& qu'en nouç uni£«
&nr à quelques hommes , nous devenons:
réellement les ennemis du genre-humain ?, .
S'il y a qi.ielque moyen de lever ces
dangereufes contradiûions , ce ne . peut
être que par une forme île gouvernement
confédérative, qui, imiffant les PeupU».
A4
Cno<ik
s Projet de Paix
par des liens femblaHes à ceux qui imit-
fent ies individus , foumette également
les vins & les autres à l'autorité des Loix.
Ce gouvernement paroît d'ailleurs préfé-
i^ble à tout autre, en ce qu'il comprend
à 1 a fois les avantages des grands & des
petits Etats, qu'il eft redoutable an de-
hors par fe puiflahce , que les Loix y
font en vigueur » & qu'il eft le feul pro-
pre à contenir également les Sujets, le»
Chefs & les Etrangers.
Quoique cette fonne paroiflè nouvell*
à c«lains égards , &: qu'elle n'ait en effet
été bien entendue que par les Modernes ,
les Anciens ne l'ont pas ignorée. Les Grecs
eurent leurs Amphiftions , les Etnifques
leurs Lucumonies , les Latins leurs Fé-
riés , les Gaules leurs Cités , & les der-
niers foupirs de la Grèce devinrent en-
core tUuAres dans la Ligue Achéenne«
Mais nulles de ces confédérations n'ap-
prochèrent pour la iàgefle de celle du
Corps Germanique , de la Ligue Helvé-
tique & des Etats Généraux. Que fi ces
Corps politiques font encore en fi petit
nombre & fi loin de la perfeflion dont
pg f^nl qu'ils fçroieat iùiceptibl^s , c*elt
Perpétuelle.
que le mieux ne s'exécute pas comftie ÎI
s'imagine , & qu'en pobtique ainfi qu'en
morale , l'étendue de nos connoiiliûices
ne prouve gueres que la grandeur de nos
maux.
Outre ces confédérations publiques ^
il Ven peut former tacitement d'autres
moins apparentes 6c non moins réelles ,'
par l'umon des' intérêts , par le rapport
des maximes , par la conformité des cou-
tumes , ou par d'autres circonftances qui
laiflènt fublîjfter des relations commune*
entre des Peuples divifés. C'eft ainfi que
toutes les Puiflânces de l'Europe fctnent
entr'elles une forte de fyftême qui les
unit par une même religion , par un
même droit des gens , par les mœurs ,
par les lettres , par le commerce , & par
une forte d'équilibre qui eft l'effet néceC-
iàire de tout cela ; & qui , fans que per-
fonne fonge en effet k le conferver , ne
feroit pourtant pas fi fecile à rompre que
le penfent beaucoup de gens.
Cette fociété des Peuplea de l'Europe
n'a pas toujours exifté , & les caufts
particulières qui l'ont feit naître fervent
gnçon à k otaintçnir. £a> efiet, avant
As
Google
tff PrO-ÎET DE P AIX
les conquêtes des Romains , tous les
Peuples ae cette partie du monde , bar-
bares - &c inconnus les uns aux autres «.
n'avoient rien de commun que leur qua-
lité d'hommes , qualité qui , ravalée
alors par l'elblayage , ne différoit gueres
^ans leur efprit de celle de brute. AiiiG.
les Grecs , raifonneurs & rains , dîftin-
■ guoient-ils , pour ainii dire , deux efp>e—
ces dans l'humanité ; dont l'une , favoir
|a leur ^ étoit faite pour commander ; Se
i'autre , qui comprenoit tout le refte du
inonde , uniquement pour fervir. De ce
principe , il réliiltoit qu'un Gaulois oit
. un Ibère n'étoit rien de plus poar ur
Grec que n'eût été un Caffre ou im Amé-
ricain , &c les Barbares eux - mêmes r^a-
.Voient pas plus d'affinité entr'eux que
n'en avoieût les. Grecs avec les uns &c
les autres:^
■ Mais quand ce Peuj^e , fouverain par
nature , eût été foumis aux Romains Ces-
efclaves, & qu'une partie de ITiémifphere
■connu eût fubi le même joug, il fe Ibrma
ïuie union politique & civile entre tou«
les œemi>res d'un même Empire ; cette
lioioa. M. heauojup rei&rrée par. }^_
Perpétuelle.
xiiaxime , ou très-fage ou très-inrenfée , dft
communiquer aux vaincus tous les droits
des vainqueurs, 6c fur-tout par le Êuneiue-
décret de Claude , qui incorporoit tous
les fujets de Rome au nombre de Te»-
citoyens. v^ '
A la chaîne politique qui rjun^it
ïùnfi tous les membres en un corps , (a
joignirent les inftitutions civiles & lefl
lois qui donnèrent une nouvelle force à
ces liens , en déterminant d'iuie manière
équitable ^ claire & précife , du moins
autant qu'on le pouvoit dans un fi vaâe
Empire , les devoirs & les droits réci-
proques du Prince & des fujets , & ceux
des citoyens entr'eux. Le code de Théo-'
dofe , & enfuite les livres de Juftinieti
fiireiït une nouvelle chaîne de jniUce St
de raifon « fubftituée à propos à celle du
pouvoir fouverain ^ qui fe relâchoit très-
fenfiblement. Ce fupplément retarda beau-
coup la diflblution de l'Empire , 6c lui con-
lèrva long-tems ime forte de jurisdtéïîon
fur les Barbares mêmes qui le déroloient-
Un troifieme lien , plus fort que les
précédens , fiit celui de la Religion , Sc
Vpa ne peut nier que ce ne foit liir-tout .
^ • A 6
Il Projetde Paix
au ChrîftianMmeque l'Europe doit encore
aujourd'hui TeipeM de ibciété qui s'eft
perpétuée entre fes memb-esî tellement
(jue celui de ces membres qui n'a point
adopté fur ce point le fentiment des au-
tres , eil toujours demeuré comme étran-
ger parmi eux. Le ChrilHanilme , fi mé-
prifé à (r naillknce » fervit enfin d'afyle à
fes Idétrafleurs. Après l'avoir fi cruelle-
Bient èc fi vainement perfécuté , l'Empire
Romain y trouva les reflbiu-ces qu'il n'a-
voit plus dans fes farces ; fes miifions
lut valoient mieux que des vîâoires ; il
cnvoyoit des évêques réparer les iàutes
de {es généraux , & triomphoit par fes
prêtres quand £es foldat» étoient battus.
C'efl ainit que les Francs , les Goths ,
ks Bourguignons , les Lombards y les
Avares &: nulle autres reconnurent enfin
l'autorité de l'EmjMre après Tavoir fub-
jugué , 8c reçurent , du moins en appa-
rence , avec la loi de l'Evangile celle da
PrinM qui la leur feifoit annoncer.
Tel etoit le refpeft qu'on portoït en-
core à ce grand Corps expirant , que
jufqu'au dernier inftant fes deflnifteurs
stioaoroiçii^ ^e fes ûstsi oa voyoït dfr;
Perpétuelle.
Ȕ
venir officiers de l'Empire , les mômes
coflquérans qui l'avoient avili ; les plus ,
Cds Rois accepter , briguer même les
leiirs Patriciaux , !a PréfèÔure , le
Confulat ; & , conune lui lioii qui flatté
l'homme qu'il pourroît dévorer , on
voyoit ces vainqueurs terribles rendre
hommage au trône Impérial , qu'ils
étoient maîtres de renverler.
Voilà comment le Sacerdoce & l'Em-
pire ont formé le lien focial de divers
Peuples» qiù, fans avoir aucune commu- .
nauté réelle d'intérêts , de droits ou de
dépendance , en avoient une de maximes
& d'opinions , dont l'influence eft encore
demeurée, quand le principe a été détruif.
Le fimulacre antique de l'Empire Romaïfi
a continué de former une forte de lîai-
fon entre les membres qui l'avoîent com-
pofé ; 6c Rome ayant dominé d'une autre
manière après la deftruâion de l'Empire ,
il eft refte de ce double lien ( t ) une fo-
ciété plus étroite entre les Nations de
( I ) Le nrpoa pour l'Empir* RomKia a telleintiit fur.
rin i I^ puilkace, qii« bUn des JurifËseruli». ont mji
€o qucllion li l'Empcrcnr itiiUmafae a'tailt pas Is Son.
viTiûii natuEd du uumilti St Baitelc a loitffâ lu cliB&t
«4 Projet DE Paix
TEurope, où étoit tecentra des deux PuiC-
ûnces , que dans les autres parties du
monde , dont les divers Peuples , -trop ^
épars pour fe correfpondre , n'ont de çisîs
aucun point de réunion.
Joignez à cela ïa fituation particulière
de l'Europe , plus également peuplée , plus
également fertile , mieux réimie en toutes
fes parties ; le mélange continuel des inté-
rêts que les liens du làng &c les affaires du
• commerce , des arts , des colonies ont nùs
entre les Souverains ; la multitude des
rivières & la variété de leur cours , quï
rend toutes les communications faciles ;
Fhumeur inconftante.des Habitans, qui les
porte à voyager &is ceffe Se à fe tranf-
porter fréquemment les uns chez les au-
tres ; l'invention de l'Imprimerie & le
goût général des Lettres , qui a mis entre
eux une communauté d'études & de con-
noiflànces ; enfîn la multitude & la peti-
teffe des Etats , qui , jointe aux befoins
du luxe & à la diverlîté des climats ^ rend
}nli)a'i traïHt dli^ritiqus ^ican^ac alhk en doncïr. I.u
livr» des CanoniRei font pleins de décifîont fimtilablts
Perpétuelle. 15
les uns toujours ncceflàires aux airtrea
Toutes ces caufes réunies forment de
FEiirope , non-feulement comme l'Afie ou
FAfrîque, une idéale coUeftion de Peu-
ples qui n'ont de commun qu'un nom ,
mais une ibciété réelle qui a la Religion,
{es mœurs, Tes coutumes & même fes
loix , dont aocan des Peuples qui la com-
pofent ne peut s'écarter vsns caufer auffi-
tôt des troubles.
A voir, d'un autre côté , Tes diffentions
perpétuelles , les brigandages , tes ufurpa-
lions ^ les révoltes, les guerres, les meur-
tres , qui défolent journellement ce ref-
peâabte féjour des Sages , ce brillant afyle
des Sciences 6c des Arts ; . à confideret
nos beaux difcours 5c nos procédés hor-r
libles , tant d'humanité dans les maxime*
& de cruauté dans les aflions , une Reli-
^on fi douce & une fi ûoguinaire into-
lérance, luie Politique fi fage dans les
livres & fi diu-e dans k pratique , des
Cheft fi Henfàifans & des Peuples fi mi-
fërables , des Gouvememens fi modéréa
& des guerres fi cruelles : on iàit à peine
comment concilier ces étranges contrarié-
^i «Se cette fratOTÙlé gràenidue des Peifcr
i6 Projet de Paix
pies de l'Europe ne femble être qu'un
nom de dériiîon , pour exprimer avec iro-
nie leur mutuelle animofité.
Cependant les chofes ne font que fui-
"Vre en cela leur co\u-s naturel ; toute fb-
ciété fans loix ou £ans Chefs , toute union
formée ou maintenue par le hafàrd, doit
réceffairement dégénérer en querelle Se
diffention à la première cîrconftancc qui
vfent à changer ; l'antique union des Peu-
ples de l'Europe a compliqué leurs inté-
rêts &c leurs droits de mille manières j ils
fe touchent par tant de points, que le
moindre mouvement des uns ne peut
manquer de choquer les autres ; leurs di-
vifions font d'autant plus fiineftes , que
leurs liaifons font plus intimes ; & leurs
fréquentes querelles ont prefque la cruau-
té des guerres civiles.
Convenons donc que l'état relatif des
Puiflànces de l'Europe eft proprement un
état de guerre, & que tous les Traités
partiels entre quelques-unes, de ces PuiC-
îànces font plutôt des trêves palTageres.
que de véritables Paix ; foit parce que
ces Traités n'ont point communément
d'autres garajis que l«s Porùss contract
Perpétuelle. 17
tantes, foit parce que les droits des unes &
des autres n'y font jamais décidés radica-
lement , & que ces droits mal éteints , oit
les prétentions qui en tiennent lieu entre
des Puiflànces qui ne reconnoKTent auatn
Supérieur , feront infailliblement des four-
ces de nouvelles guerres , fi-tôt que d'au-
tres drconfhuices aiu-ont donné de nou-
velles forces aux Prétendans.
D'ailleurs | le Droit public de l'Europe
n*étant point établi ou autorifé de con-
cert , n'ayant aucuns principes généranx ,
& variant inceUâmnent &I00 les tems
& tes lienx , il elï plein de règles con-
tradiûoires qui ne ie peuvent concilier
que par le «froit du plus fort ; de forte
que la nûfon £uis guide aiTuré , fe pliant
toujours vers l'intérêt perfonnel dans te»
diofes douteufes, la guerre fermt encor»
inévitable, quand même cliacun voudrojt
être juâe. Tout ce qu'on peut feire avec
de lionnes intentions , c'en de décider
ces fortes d'aides parla voie des armes,
ou de les aiToupir par des Traités pal&-
gers ; mais bientôt aux occafions qui rani-
ment les mêmes querelles, il s'en joint
4'autres tjui les modifient j tout s'eitt-
i8 Proie t de Paix
brouille , tout fe complique ; on ne voit
plus rien au fond des chofes ; l'ufurpa-
tion paffe pour droit , la foibleffe pour
injuflice ; & parmi ce défordre conti-
nuel , clwcun fe trouve inienfiblement fî
fort déplacé , que il l'on pouvoit remon*
- ter au droit folide & primitif, il y aiuxiit
peu de Souverains en Europe qui ne duf-
fent rendre tout ce qu'ils ont.
Une autre feinence de guerre, plus ca-
chée & non moins réelle , ic'eft que les
• chofes ne changent point de forme en
changeant de nature; que des Etats héré-
ditaires en effet, reftent éleâifs en appa-
rence ; qu*il y ait des Parlemens ou État»
jiaiionaïuï t:.;:!S des Monarchies , des Chefs
hcréditaircs dans des Rcpiib!îques;'qu'une
Puiiiânce dépendante d'une autre , conferve
encore une apparence de liberté; que tous
les Peuples , foumis au même pouvoir ,
ne foiini pas gouvernés par les mêmes
loix ; que l'ordre de fuccefiion foit dit-
férent dans les divers Etals d'un même
Souverain ; enfin que chaque Gouvcme-
menf tende toujours à s'altérer, fans qu'il
foit pofîible d'empêcher ce progrès- Voilà
les cauies générales & particulières qui
Perpétuelle. 19
■dis iiniffent pour nous détruire , &
nous font écrire une fi belle doârine fo-
ciale avec des mains toujours leintes de
iàng humain.
- Les cauiesdu mal, étant une fois con«
nues , le remède , s'il exifte , eft fuffifam-
snent îiïdiqué par elles. Chacun voit que
toute fociété fe forme par les intérêts
communs ; que tonte divifion naît dm
intérêts oppofés ; que mille événemens.
fortuits pouvant changer & modifier les
uns & les autres , dès qu'il y a fociété ,
àl faut néceflàirement une force coaâïve ,
3ui ordonne & concerte les mouvemens
e fes membres , afin de donner aux com-
muns intérêts & aux engagemens récU
proques , la folidité qu'ils ne làuroient
avoir par eux-mêmes.
Ce feroit d'ailleurs ime grande erreur,
i*e(pérer que cet état violent pût jamais
changer par la feule force des chofes,
& fans le fecours de l'art. Le fyftême
de l'Europe a précifément le degré de
folidité qui peut la maintenir dans une
^[itation perpétuelle , fans la renverfet
toul-à-feiti 6c fi nos maux ne peuvent
iugmetiter , ils peuvent enccnre moiof:
Proj et de P ai
finir , parce que toute grande révolution
cA déformais impollîble.
Pour donner a ceci l'évidence nécef-
iàire , commençons par jetter un coup-
d'œil général fur l'état préfent de l'Eu-
rope. La iituation des montagnes , des
mers & des fleuves tpii fervent de bor-
nes aux nations qui l'habitent , femble
avoir décidé du nombre & de la gran-
deur de ces nations; & l'on* peut dire
que l'ordre politique de cette partie du
monde eA , à certains égards , rouvragjs
de la nature.
En e^ , ne penfons pas que cet équi-
libre fi vanté ait été établi par perfonne ,
& que perfonne ait rien fait à delTein
de le conferver : on trouve qu'il exifte;
& ceux qui ne fement pas en eux-mêmes
aâèz de poids pour le rompre, couvrent
leurs vues -particulières du prétexte de
ie foutenir. Mais qu'on y fonge ou non ,
cet équililo-e fubfifle , & n'a befoin que
de lui-même pour fe conferver, lànsque
perfonne s'en mêle ; & quand iJ fe rom-
proil un moment d'un côté , il fe ré-
tabliroit bientôt d'un autre : de forte que
jSi les Princes qu'on accufoit d'afpirer i
Perpétuelle.
la Monarchie iinlverielle ^ y ont réelle-
ment afpiré, ils montroient en cela plus
d'ambition que de génie; car comment
envisager un moment ce projet , làns en
voir aufli-tôt le ridiaile r Comment ne
pas fentir qu'il n'y a peint de Potentat
en Europe affez fupérieur aux autres ,
pour pouvoir jamais en devenir le ma-
ire ? Tous les Conqviérans qui ont feit
des révolutions, fe préfentoïent toujours
avec des forces inattendues , ou avec
des troupes étrangères & différemment
aguerries , à des Peuples ou défarmés ,
ou divifés, ou fans difcipline ; mais .o^
prendroit un Prince Européen des forces
inattendues, pour accabler tous les au-
tres , tandis que le plus pulffant d'entre
eux eft une fi petite partie du tout , ÔC
qu'ils ont de concert une fi grande vigi-
lance } Aura-t-U plus de troupes qu'euîf
tous? Il ne le peut, ou n'en fera que'
plutôt ruiné , ou fes troupes feront plus
iTiauvaifes , en raifon de leur plus graûd
nombre. En aura-t-il de mieux aguefries >
Il en aura moins à proportion. D'ailleurs
la difcipline eft par-tout à-peu-près la
même, oh le, dçviçijdga dgis peu. Au^
Projet de Paix
t-11 plus d'argent ? Les fources en font
communes , & jamais l'argent ne fit
àe grandes conquêtes. Fera-t-îl une in-
yaiion iubiteî La famine ou des places
fortes l'arrêteront à chaque pas. Voudra—
t-il s'agrandir pied-à-pïed ? il donne aux
ennemis le moyen de s'unir pour refit-
ter; le tems, l'argent Se les hommes ne
tarderont pas à lui manquer. Divifera-
t-il les autres Puilfences pour les vain-
cre l'une par l'autre î Les maximes de
l'Europe rendent cette politique vaine ;
& le Pçince le plus borné ne donneroit
■ pas dans ce piège. Enfin , aucun d'eux
■ ne pouvant avoir de reffources exclu-
fives , la réfiftance eft , à la longue ,
égale à l'effort ; & le tems rétaUit biai-
tôt les brufques accidens de la fortune,
' finon pour chaque Prince en particulier,
an moins pour lîl coniUtutîon générale-
■ Veut-on maintenant fupppfer à plai-
• fir l'accord de deux ou trois Potentats
pour fubjuguer tout le refte î Ces trois
■ Potentats , quels qu'ils foient , ne feront
pas énfemble la moitié de l'Europe. Alors
' l'autre moitié s'unira certainement contre
. ftif i il>' auront donc à vaincre plus fytf
Perpétuelle.
qu'eux-mêmes. Tajoute que les vues des
uns ioat trop oppofées à celles des au-
tres , & qu'il règne une trop grande ja-
loulîe entr'eiix , pour qu'ils puilîent même
former un femblable projet : j'ajoute en-
core que , quand ils l'auroient formé «
qu'ils le mertroient en exécution , Sc.
qu'il aiu-oii quelques fuccès , ces fuccèa
mêmes leroient , pour les Conquéran*
alliés , des femences de dii'corde ; parce
.qu'il ne feroîtpas poflible que les avan-
tages fuffent tellement partagés , que cha-
-cim fe trouvât également tatisfeit dés
fiens ; & que le moins heureux s'oppo-
_feroit bientôt aux progrès des autres <jui,
par luie iemblable railbn, ae tarderoieïjt
pas à fe di/ifer eux-mêmes. Je doute
<pie depuis qi» le monde exifte,onait
jamais vu trois ni même deux grande»
.Pujflàflces , bien xmies , en lubjuguer
.d'autres , iâns fe brouiller fur les con-
tingens ou fur., les partages, & faos
donner bientôt, parleur mefintelligencè »
de noiivelles relTources aux foibles. Ainfi ,
quelque fiippofition qu'on feffe , il n*^
pas vraifenAlable que ni Prince , ni
»4 Projet de Paix
Péniblement & à demeure , Tétat dos
thofes parmi nous.
Ce n'-ell: pas à dire que les Alpes , le
Fhin , la Mer , les Pyrénées foient des
obflacles înfurmontables à l'ambition ;
'fnais ces obilacles font foiitenus par d'au—
;tres qui les fortifient, ou ramènent les
'Etats aux mêmes limites , quand des
■ çfforts paflàgers les ea ont écartés. Ce
?ui felt le vrai foutien du fyilême de
Europe, c'eftbicn en partie le jeiî de«
négociations , qui prelque toujours ia
bakncent mutuellement ; mais ce fyftême
a un autre appui plus foUde encore; &
cet appui c'eit le Corps Germanique ,
placé preTque au centre de l'Europe , le-
quel en tient toutes les autres parties en
refpefl , & fert peut-être encore plus au
maintien de fes voiiins , qu'à celui de
fes propres membres : Corps redoutable
""^ux étrangers , par fon étendue , par le
~ nombre & la valeur dç fes Peuples ;
mais utile à tous par fa conititution,
qui , lui ôtant les moyens & la vo-
lonté de rien conquérir , en fait l'écueil
des conquérans. Malgré les défauts de
fgx\ comUtutlon de FEippire, il efl cer-
Perpétuelle. aj.
tain que tant qu'elle fubfiAera , jamais
l'éqiiiiibre de l'Europe ne fera rompu ,
ou aucun Potentat n'aura à craindre d'être
détrôné par un autre , & que le traité de
Weftphalie fera peut-être a jamais parmi
nous la bafe du fyflême politique. Ainfî
le droit public , que les Allemands étu-
dient avec tant de foin , eft encore plus
important qu'ils ne penfent , & n'eH pas
feulement le droit public Germanique , .
mais y à Certains égards « celui de toute
l'Europe.
Mais fi le préfent fyftême eft inébran-
lable , c'eft en cela même qu'il eft pluS;
Orageux ; car il y a , entre les Puiflances
Européennes , une aâion & une réaâion
qui, (ans les déplacer tout-à-feit, les
tient dans une agitation continuelle ; &
leurs eflbrts font toujours vains & lou-
jouts renaiflkns , comme les flots de la
mer , qui làns cefte agitent {à fiir&ce ,'
&n$ jamais en changer le niveau ; de
forte que les Peuples font inceflàmment
défolés , Éins aucun profit fenfible pour
les SouverainSi
Il me feroit aifé de déduire la même
Vérité des intérêts particuliers de toutes
Pièces diverfes, B
. .Google
x6 Projet de Paix
les -Cours de l'Europe ; car je ferois voir
aifément que ces intérêts fe croifent de
■manière à tenir toutes leurs forces nw-
tuellement en refpeft ; mais les idées de
commerce & d'argent ayant produit une
efpeçe de fànatifme politique , font û
promptement changer les intérêts appa-
«ns de tous les Princes , qu'on ne peut
établir aucime maxime Aable fur leurs
vrais intérêts , parce qiie tout dépend
ïBaintenant des fyûêmes écewiomiques , la
plupart fort bizarres , qui paffent par la
tête des Minières;. Quoi qu^l en foit , le
Commerce , qui tend journellement à fe
mettre en équilibre , ôtant à certaines
Puii&ices ■ l'avantoge «tdufif qu'elles en
tiroifflît , leitr ôte en même tems un des
«rands moyens qu'elles avoient de &ir«
Ja loi aux autres ( i \
<l) Les chofes 0D[ chanta dqiuis que j'tcrivois ceci i
m*'* «xui priDCijw Ttrl touiouri vu). Il «ft , par exemple ,
itris-ailï de prévoit que dani vingt uns d'ici , l'AngletBiTe
.4*«c toute fa gloire, fera ruinie , & de plus aura pecda
le nflt Af fa liberté. Tout le inonde afTure que l'agricuN
tnre flearic dliu cette llle , St mai je pirie qu'elle y di-
férit tondiet l'agtandbvtout leiittursi doncle Reyanne
^dfpeuple. Let Angloii veHl.ent ttte (.injutiant* dune ils
fERPÉTUELLt. I7
Si j'ai inûAé far l'égale dlûrîbution de
B>rce , -qui réfuhe en Europe de la confti-
tutton aâuelle , c^étoit poiir en déduire
une conféqiience importante à TétablifTe-
ment d'une affociation générale ; car pour
former une confédération folide & aura- .
Me , il &ut en mettre tous les membres
dans une dépendance tellement mutuelle ,
qu'aucun ne foit féal en état de rérifter
à tous les autres , &C qae les aflbciations
particulières qui pourroient nuire à la
Cde , y rencontrent des obftacles Aiffi-
pour empêcher leur exécution : lans
quoi , la confédération feroit vaine ; &
chacun feroit réellement indépendant ,
fous une apparente Tujétion. Or , fi ces
obAacles font tels que j!ai dit ci-devant ,
maintenant que toutes les Puiflànces font
dans une entière liberté de ftmner- en-
tt'elles des ligues & des tr^tés offenfifs ,
qu'on juge de ce qu'ils feroient quand il
j auroit une grande ligue armée , tou-
jours prête à prévenir ceux qiïi vou--
droient entreprendre de la détruire ou-
de lui réfiftec Ceci iïitfïcpour montrer-
qu'ime telle affociation 'ne confiAefoit pas
en délibératicns vs'-ncs a r-'.'.xnitdhs c'-'^s.'- '
L 1
i8 ProjetdePaix
Clin pût réfifler impunément ; mais qu'il
en naîtroit une puiflànce efFeâive , capa-
ble de forcer les ambitieux à fe tenir
dans les bornes du traité général.
II refaite de cet expofé , trois vérités
inconteftables. L'une , qu'excepté le Turc,
il règne entre tous les Peuples de l'Eu-
rope, une liaifon fôciale imparfeite , mais
plus étroite que les nœuds généraux &C
lâches de Thumanité. La féconde, que
l'imperfeâion de cette foeiété rend la
condition de ceux qvii la compofent, pire
que la privation de toute foeiété entre
eux. La troifieme, que ces premiers liens,
3ui rendent cette foeiété nuifible, la ren-
ent en même tems Scile à perfeâionner;
en forte que tous fes Membres pourroient
tirer leur bonheur de ce qui feit aéluel-
lement leur mîfere , & ctûnger en une
paix étemelle , l'état de guerre qui règne
entr'eux.
Voyons maintenant de quelle manière
ce grand ouvrage, commencé par la for-
time , peut être achevé par la raifon ; &
comment la foeiété libre & volontaire ,
qui imit tous les Etats Eiu-opéens, pre-
nant la force Si. la folidité d'un vrai Corps
Perpétuelle. x^
politique, peut fe changer en une confô-
aération réelle. Il eft indubitable qu'un
pareil établiffement donnant à cette aflb-
ciation la perfeûion qui lui manquoit-,
en tléniiira l'abus , en .étendra les avan-
tages , & forcera tontes les parties à con-
courir au bien commun ; mais il iàut
pour cela mie cette confédération foit
tellement, générale , que nulle Puiflânce
conftdérable ne s'y refufe ; qii'elle ait un
Tribunal judiciaire , qui puilte établir les
loix & les réglemens qui doivent obliger
tous les Membres ; qu'elle ait une force
coaâive & coërcitive , pour contraindre
chaque Etat de fe foumettre aux délibé-
rations communes, foit portr agir, foït
pour s'abUenir ; enfin , qu'elle fou ferme
& durable, pour empêcher que les Mem-
bres ne s'en détachent à leiu* volonté ,
fi-tôt qu'ils croiront voir leur intérêt par-
tiaiUer contraire à l'intà-êt général. Voilà
les^ fignes certains , auxquels on recon^
■noîtra que l'inftitudon éft fage , utile 8c
inébranlable : il s'agit maintwiant d'éteii^
dre cette fuppofition , pour chercher par
analyfe , quels effets doivent en réfulter ,
quels moyens font proptïs à l'établir, &
B3
30 Proïetde Paix
c,wel efpoir raifoiinaUe on peut avoir de
la mettre en exécution.
E le forme de tems en tems parmi nous-
des efpeces de Diètes générales fous le
nom de congrès , oh l'on fe rend folem^
nellement de tous les Etats de l'Europe
pour s'en retourner de même ^ oii l'o»
a'affemHs pmu- ne rien dire ; oîi toutes
les affaires publiques fe traitent en parti-
culier ; où Von délibère en commun fi la
table fera ronde , ou quarrée , fi la Êtlle
aura plus ou moins d« portes , fi un tel
■Plénipotentiaire aura le vifage ou le dos
tourné vers la fenêtre, fi tel autre fera
deux pouces de chemin . de plus ou de
moins dans ime vifite , Se fur nulle quef-
tions de pareille importance , inutilement
agitées depuis trois fiecles , &. très-dignes
amirément d'occuper les Politiques du
nôtre.
Il le peut faire cnie tes membres d'une
Ai c.es afle|nblée&;^)ient une fois doués
du fais commun; il n'eft pas même im-
poffible qu'ils veuillent finc^ement 1«
bien public ; & par les raifons qui feront
ci - aiMXS déduites , on peut concevoir
jwcpre qu'après avoir- applani bien d«s
Perpétuellr. 31.
difficultés , ils auront ordre de leurs Son-
verains reifpeâ^ , de ligner la conftkléra-
lioa générale que je fuppole fommaire--
ment contenue dans les cinq Artides
fuivans.
Par le premier, les Souverains Con-
traâans établiront entr'eux une alliance
perpétuelle & irrévocable , 6c nomme-
ront des Plénipotentiaires pour tenir dans
lui lieu déterminé , une Diète ou im con-
grès permanent, dans lequel tous les dif-
férends des Parties contraâantes feront
réglés & terminés par voies d'arbitrage
ou de Jugement,
Par ïe fécond , on fpécifîera le nom-
bre des Souverains dont les Plénipoten-
tiaires auront voix à la Diète , ceux qui
feront invités d'accéder au Traité ; l'or-
dre , le tems & la manière , dont la pré-
Êdence paiTera de l'un à l'autre par inter-
valles égaux ; enfin la quotité relative
dts contributions , & la manière de les
lever , pour fournir aux dépenfes com-;
munes.
Par le troifieme , la confédération ga-
rantira à chacun de fes membres la pouîéf-
fion & le gouveriiement de tous les E^ts
B4_
Projet de Paix
. qu'il poffede aÔuelIement , de même que
■ la fucceflîon éleâive ou h^éditaîre, félon
qite le tout eft établi par les loix fonda-
mentales de chaque pays ; & pour luppri-
mer tout-d'un-coup la foiirce des démê-
- lés qui renaiffent incefiàmment , on con-
viendra de prendre la pofîellion adueUe
- & les derniers Traités pour bafe de tous
les droits mutuels des Puilîances contrac-
- tantes ; renonçant pour jamais &C récipro-
quement à toute autre prétention antérieu-
re; faufles fucceilions ftitures contentieules,
&.autres droits à écheoir , qui feront tous
réglés à l'arbitrage de la Diète, fans qu'if
foit permis de s en faire raifon par voies
de ^t , ni de prendre jamais les armes
l'un contre l'autre , fous quelque prétexte
que ce puilTe être.
Par le quatrième , on fpécifîera les cas:
■ oii tout Allié , inftaôeur du Traité , feroit
mis au ban de l'Europe , & profcrit com-
me ennemi public; lavoir, s'il refiifoit
' d'exécuter les jugemens de la grande Al-
liance, qu'il fît des préparatifs de guerre,
qu'il négociât des Traités contraires à la
confédération., qu'il prît les armes pour
lui réfiiler , ou pour attaquer quelqu'un
des AUiés,
Perpétuelle.
D fera encore convenu par le même
article, qu'on armera & agira offenfive-
ment, conjointement & à irais communs ,
contre tout Etat au ban de KEurope, jul-
qu'à ce qu'il ait mis bas les armes , exé-
cuté les jugemens Se réglemens de h Die*
te , répare les torts , rembourfé les fiais,
&c fait raifon même des préparatifs dâ
guerre , contraires au Traité.
Enfin, parle cinquième, les Plénipo-
tentiaires du Corps Eiu-opéen aiu-ont tou-
. jours le pouvoir de former dans la Dicte,
à la plmâlité des voix pour la provifion,
& aux treis quarts des voix cinq ans
^rès pour la définitive , fur les inftruc-
tions de leurs Cours , les réglemens qu'ils
jugeront importans pour procurer à la
République Européenne &c à chacun de
fes membres , tous les avantagés poffibles;
mais on ne pourra jamais rien changer à
ces cinq articles fondamentaux , que dii
confentement unanime des Confédérés. '
Ces cinq articles , ainfi abrégés & cou-
ehés en règles générales , i'ont, je n'ignora
pas, fujets, à mille petites difficultés ,
dont plu^eurs demanderoient de longs
éclairafiénietis>}imai» les -^petites ^tifioil-
B5
P RO JET DE Paix
tés fç lèvent aifénicnt wi befoin ; &ce
n'eft pas d'elles qu'il s'agit dans une en-
treprile de l'importance de celle-ci. Quand
il fera queftion du détail de la police du
Congrès » on trouvera mille obrtacles , &
dix raille nwyens de les fever. Ici il ell
queftion d'examiner , par la nature -des
chofes , û Fentreprife eft poffible ou non.
On le perdroit dans des volumes de riens,
s'il faBoit tout prévoir & répondre à
tout. En fe tenant aux principes încon-
ttftables , on ne doit pas vouloir conten-
ter tous le(; eiprits, ni réfoudre toutes
les- objeâio;ns- , ni- îre comment tout Te
fera : il fn$t de montrer (pie tout fe
peut feire.
Que faut -il donc examiner pour bien
niger de ce fyftême ^ Deux queftions
feulement ; car c'eft une infulté que je
pe.veux pas &ire au lefteur, delui prou-
?''er qu'en général l'état de pai* eft pré-
érabte à l'état de guerre..
La preaaiere queftion eft , û la confé-
dération projx)fée iroit forement à foa
but , & feroit Aiffifante pour donner à
rEiirope \me paix folid& 6c : perpétuelle.. ■
La féconde , s'il ^jg.de rifl^êt des Squ^
Perpétuelle.' jy
verains d'établir cette confédération , &
d'acheter une paix conftante à ce prix.
Quand Tutilité générale & particulière
fera ainfi démontrée , on ne voit plus
dans ta raifon des choies , quelle caufe
pourroit empêcher Teffet d'un établiffe-
ment qui ne dépend que de la volonté
des intereffés.
Pour dilcuter d'abord le premier arti-
cle , appliquons ici ce que j'ai dît ci-
devant du fyflême général de l'Europe »
& de. l'effort commun qui cîrconlcrit
chaque PuifTance à -peu -près dans fes
bornes , &c ne lui permet pas d'en écrafêr
entièrement d'autres. Pour rendre fur cô
point mes raifonnemens plus fenlîbles ,
je joins ici la lifte des dix-neuf PuiiTances
qu'on fuppofe eompofer la République
Européenne ; en forte que chacune ayant
voix égale , Û y auroit dix-neuf voix dan*
la Diète ;
Savoir r
L'Empereitr des Romains.
L'Empereur de RulHe.
Le Roi de France.
Le Roi dTEfpagne.
l>e Roi d'Angleterrer > i
9$
36 Projet DE Paix
Les Etats Généraux.
Le Roi de Dannemarck.
. La Suéde.
La Pologne."
Le Roi de Portugal.
Le Souverain de Rome.
. Le Roi de Pniffe.
_ L'Elefleur de Bavière & fes Co-affocjés.
L'Elefteur Palatin & fes Co - affociés.
Les Suifles & leurs Co - affociés.
Les Eleûeurs Eccléfiaftiques & leurs
. Affociés.
La République de Venife & fes Co-
affociés.
Le Roi de Naples.
Le Roi de Sardaigne.
Plufieurs Souverams moins confidéra-
bles , tels que la République de Gênes ,
les Ducs de Modene & de Parme , &
d'autres étant omis dans cette lifle , fe-
ront joints aux moins puiflàns , par forme
d'affociation , & auront avec eux un droit
de fuf&age , femblable zu voium curiatum
des Comtes de l'Empire. Il eft inutile de
rendre ici cette énumération plus précife ;
parce que, jufqu'à l'exécution du pro-
jet ^ il peut furvenir d'im momeot à Tau-
Perpétuelle. 37
tre des accidens fur lelquels il la ^udroit
réformer , mais qui ne changeroient rien
au fond du fyfiême.
n ne faut que jetter les yeux fur cette
liile , pour voir avec la dernière évi-
dence , qu'il n'eft pas poflible , ni qu'aiï-
aine des Puiflànces qui la compofent foit
en état de réliAer à toutes les autres unies
en corps , ni qu'il s'y ftwine aucune ligue
- partielle , capable de &îre tèK à la grande
confédération.
Car comment fe feroit cttte ligue ?
Seroit-ce entre les plus puiffans ? Nous
avons montré qu'elle ne (auroit être du-
rable ; & il eft bien aifé maintenant de
voir encore qu'elle eft incompatible avec
le fyftême parliadier de chaque grande
. Puiflance , & arec les intérêts inlepara-
bles de fa conûitution. Seroit-ce entre
«n grand Etat &c plulieyrs petits î Mais
les autres grands Etats , unis à la confé-
dération , auront bientôt écrafé la ligne :
Se l'on doit fentir que la grande alliance
étant toujours imie &c armée , il lui fera
fecile , en vertu du quatrième article ,
de prévenir & d'étouffer d'abord toyte
, alliance partielle & féditieufe , ' qui tep-
jS Projet DE Paix '
■ __^ . : — - I
droit à troubler la paix & l'ordre piiWïc.'
Qu'on voye ce qui fe paffe dans le Corps
Germanique , malgré les rfjus de fa po-
lice & l'extrême inégalité de tes membres:
■ y en a-t-il un feul , même parmi les plus
puiilans , qui oû.i s'expoler au ban de
l'Empire , en bleffant ouvertement h rorft
titution , à moins qu'il ne crût avoir de
bonnes raifons de ne point craindre que
l'Empire voulût agir contre lui tout de
bon t
• Ainfi je tiens pour démontré ■ qae la
■ 0iete Européenne ûhe fois établie , n'aura
Î'amais de rebellioii à craindre » & que
»ien qu'il s'y puifle introduire quelques
abus , ils ne pe\ivent jamais aller jiifqu'à
éluder l'objet de l'inôitiition. Refte à voir^
' fi cet objet fera bien rempli par l'inltitu*^
tion même.
Pour cela , confidérons les motifs mii
■ mettent aux Princes les armes i la main.
■ Ces motifs ibnt , ou de feire des conquê-
tes , ou de fe défendre d'un Conquérant ,
ou d'affoiblir un trop puifiânt voifin , oii
de foutenir fes droits attaqua, ou- de
- vider un diUerend qu'on n'a pu terminer
~ à l'amiable > ou ço&a de remplir les enjr
Perpétuelle. jïj
gagemens d'un traité. Il n'y a ni caufe
ni prétexte de guerre qu'on ne puiffe rai>-
çer fous quelqu'un de ces fix diefs ; or,
il eR évident qu'aucun des fix ne peut
exifter dans ce noavet état de chofes.
Premièrement , iî iàut renoncer aux
contiuêtes , par rimpoflîbiHté d'en (aire,
attendu qu'on eft fur d'être arrêté dans
fon chemm par de plus grandes forces
que celles qu'on peut avoir; de forte
qu'en rîfquant de tout perdre, on eft dans
Timpuiffimce de rien gagner. Un Prince
amt»tieux qui veut s'agrandir en Euro-
pe , feit deux chofes. Il commence- par
■fe fortifier de bonnes alliances , puis îl
tâche de prendre fon ennemi an dépour-
vu. Mais les alliances partiatlieres ne fer-
viroient de rien contre «ne alliance j^us
forte, & toujours fubMante ; & nul
Prince n'ayant plus aucun prétexte d'ar-
mer , il ne 'fauroit lé faire fans être ap-
perçii , prévemi Sc puni par la confédé-
ration toujours armée;
La même raifon qui ôte à chaque Prin-
ce tout efpoir de conquête», lui ô» eil
même tems toute- crainte d'êh'e attaqué^
& Qon-feukfntHt (es Etats gu-antit par:
4o Projet de Paix
toute l'Europe , lui font aufli affurés
qu'aux citoyens leurs poffeflions dans un
pays bien policé , maïs plus que s'il étoit
leur imîque &C prt^re défenfeur , dans
le même rapport que l'Europe entière eft
plus forte que lui feul.
On n'a plus de raifon de vouloir affoî-
blir un voîlin , dont on n'a plus rien à
Craindre ; & l'on n'en eft pas même ten-
té j quand on n'a nul efpoir de réuflîr.
A l'égard du fbutien de fes droits , il
feut d'^x>rd remarquer qu'une infinité
de chicanes & de prétentions obfcures
Se embrouillées , feront toutes anéanties
par le troilieme article de la confédéra-
tion , qui règle définitivement tous les
droits réciproques des Souverains alliés
fur leur aÔuelle poJTeffion. Ainfi toutes
les demandes &c prétentions poHlbles de-
viendront claires à l'avenir , & feront ju-
gées dans la Diète , à mefure qu'elles
.pourront naître : ajoutez que fi l'on atta-
que mes droits , je dois les foutenir par
la même voie. Or , on ne peut les atta-
3uer par les armes , fans encourir le ban '
e la Diète. Ce n'eu donc pas non plus
par les armes qae j'ai befoin de les dsr
P E fi P É T.U ELLE,
fendre ; on doit dire k même choTe des
injures , des torts , des réparations , & de
tous les diffërends imprévus qui peuvent
s'élever entre deux Souverauis ; & le
même pouvoir qui doit défendre leurs
droits , doit auffi redreffer leurs grieft. .
Quant au dernier article , la Iblution
iàute aux yeux. On_ voit d'abord que
n'ayant plus d'aggt^ffeur à craindre, on
n'a plus befoin de traité défenfif , & mie
comme on^ n'en iâuroit feire de plus fo-
lide & de plus (ùr que celui de la grande
confédération, tout autre feroit inutile, .
illégitime , Se par ccràiequent nuL
^ Il n'eft donc pas poflible que la con-
fédération luie fois établie , puïffe laïfler
aucune femence de guerre entre les con-
fédérés , & que l'oÊjet de la Paix perpé-
tuelle ne foit exaâement rempli par l'exé-
cution du fyftême propofé.
U nous refle maintenant à examiner
l'autre queiKon qui regarde l'avantage des
parties contraâantes ; car on lent bien
que vainement feroit- on parler l'intérêt
public au préjudice de l'intérêt particu-
lier- Prouver que la paix eft en général
préfêr^ble à la guerre , c'eft ne rien dire
Projet de Pai
à celui qni croit avoir des raifons de pré-
férer la guerre à la paix ; &c lui montrer
les moyens d'établir une paix duraWe ,
ce n'eit que l'exciter à s'y oppofer.
En effet , dira - 1 - on , vous ôtez aux
Souverains le droit de fe làire juftice à
eux-mêmes , c'eft-à-dire le précieux droit
d'être injuftes (juand il- leur plaît ; vous
leur ôtez le pouvoir de s'agrandir aux
dépens de leurs voifins i vous les feites
renoncer à ces witiques prétentions qui
tirent leur prix de leur obfcurité , parce
qu'on les étend avec fa fortune , a cet
aroareil de puiflance &c de terreur , doM
ils- aiment à effrayer le inonde, k cette
gloire des conquêtes , dont ils tirent leui
honneur ; & pour tout dire , enfin , vous
les forcez d'être éauitables & pacifiques.
Quels feront les dedommagemens de tant
de cruelles privations?
Je n'oferois répondr». avec l'Abbé de
Saint-Pierre : que la véritable gloire des
Princes confifte à procurer l'utilité puUi-
que , & le bonheur de leurs fujets ; que
tous ■ leurs intérêts font fubordonnés à
leur réputation ; & que la réputation qu'on
acquiert auprès det iàges", f« niefure fur
Perpétuelle. 4J
le bien (]u6 Ton fait aux hommes y que
rentrepriiè d'une paix perpétuelle étant
la plus grande qui ait jamais été &ite >
efi la pliis capable de ouvrir fon AuteuK
d'une gloire immortelle ; que cette même
entrepriie étant auâî la plus utile aux
Peuples , eA encore la plus honorable
aux Souverains j la feule fur-toitf qiù lie
ibit pas fouillée de &ig , de rapines , de
pleurs , de malédiâîons ; & qu'enfin 1«
plus fài moyen de fe diiKngiier dans la
K>ule des Rois » eft de travaUler au bon-
heur public. LailTons aux harangueurs ces
Vlifcoiirs y qui , dans -les cabinets des Mi*
niftres , ont couvert de ridicule l'AuteiÛr
& fes projets : mais ne méprifons pas
comme eux Tes raifons ; & quoi qu'il en
ibit des vertus des Princes > parions d%
leurs intérêts.
Toutes les Puiflances de l'Europe ont
des droits ou des prétentions les unes
contre les autres ; ces droits ne font pas
de natiu^ à pouvoir jamais être parfaite-
ment éclaircis ; parce qu'il n'y a poiat
pour en juger ,. de règle commune &
conftante , & qu'ils font fouvent fondés
iitr des faits équivoquts ou ii^çr^ij)^
44 Projet de Paix
Les différends qu'ils caufent, neiaiiroient
non plus être jamais terminés iàns retour^
tant &ute d'arbitre compétent , que parce
que chaque Prince revient dans l'occafion
fans fcnipule , fur les ceffions qui lui ont
été arrachées par force dans des traités
par les plus puillkns , ou après des guer-
res nialheureufes. C'çft donc une erreur
de ne fongcr qu'à fes prétentions fur les
autres , & d'oublier celles des autres fur
nous , lorfqu'il n'y à d'aucun côté ni plus
de juÂîce , ni plus d'avantage dans les
moyens de faire valoir ces prétentions
réciproques. Si-tôt que tout dépend de la
fortun^ la poflèffîon a^elle eii d'un prix
que'la fagefle ne permet pas de risquer
contre le profit à venir , même à chùice
égale ; .^ tout le monde blâme un homme
à fon aiie i qui , dans l'efpoir de doubler
ion bien , l'ofe rifquer en un coup de dez.
Mais n^iis avons fait voir que dans les
projets d'agn^pdiffement , chacim , même
dans le fyifême aâiiel , doit trouver une
réfiftance fupérieure à fon effort; d'où
il fuit mie les plus puiffans n'ayant aucime
raifon de jouer « ni les plus foibtes aucun
e^ir de pro£t , t^ell un bien pour tous
PERPirUELLE. 4;
de renoncer à ce qu'ils défirent, pour
s'aifiirer ce qu^ils poffedent.
Confidérons la conibnunation d'hom-
mes , d'argent, 4e forces de toute efpece,
répuifement oii la plus heureufe guerre
jette un Etat quelconque ; &i. comparons
ce préjudice aux avantages qu'il en retire,
nous trouverons qu'il perd fouvent quand
ÎL croU gagner , &c que le vainqueur ,
toujours plus foible qu'avant la guerre ,
n*a de confolation que de voir le vaincu
plus affoibli que lui ; encore cet avantage
eft-il moins réel qu'apparent , parce que
la fupériorité qu'on peut avoir acquife
fiir fon adverlàire , on l'a perdue en même
tems contre les Fuiûànces neutres , qui
£ins changer d'état fe fortifient , par iw-
port à nous , de tout notre affoibliffe-
menL
Si tous les Rois ne font pas revenu*
encore de la folie des conquêtes , il fem-
ble au moins que les plus iages commeit*
cent à entrevoir qu'elles coûtent quelque-
fois plus qu'elles ne valent. Sans entrer
à cet égara dans mille diftinâions (jui
nous meneroient trop loin , on peut dire
en général qu'un Prince , qui , pour reçu-
4^ Projet de Paix
1er fes frontières , perd autant de (es an-
ciens fujets qu'il en acquiert de nou-
veaux , s'affôibtit en s'agrandiiSant ; parce
qu'avec un pins grand efpace à défendre , il
n'a pas plus de défênfeurs. Or, on ne peut
ignorer que par ta manière dont la guerre
ie fait aujourd'hui , la moindre d&opu-
lation qu'elle produit eft celle qui le ùk
dans les armées : c'eft hien-Ià la perte
apparente & iènfible ; mais s'en âjt en
même tems dans tout l'Etat une plus grave
& plus irréparable -que celle des hommes
^ui meurent , par ceux qiiï ne naîflent
pas , par raugmentation des impôts , par
■l'interruption du commerce , par la dé-
fertion des campagnes , par l'abandon de
l'agricultiu'e ; ce mal qu'oo n'apperçoit
pomt d'abord , fe ait fentir cruellement
dans !a fuite : & c'eft alors qu'on eft
étonné d'être fi ibiblc , pour s'âre rendu
£1 puilTant.
Ce qui rend encore les -conquêtes moins
intéreiiàntes , c'eft qu'on Eût maintenant
par quels moyens on peut doubler & tri-
pler Jk puiflânce, non-feulementfanséten-
<lrc fon territoire , mais quelquefois en
Perjétwelle.
p€reur Adrien. On fait que ce font les
faomnies feuls qui font la force des Rois;
& c'eft une propofition qui découle de
ce que je viens de dire , que de deux Etat*
qui nourriffent le même nombre dlia-
bitans , celui qui occupe une moindre
étendue de terre , eft réellement le plus
puiiïknt C'eft donc par de bonnes loix,
par une fage police , par de grandes vues
ccononùques ^ qu'un Souverain judicieux
eft iur d augmenter fes forces , Êns riea
donnefau hafari Les véritables conquêtes
qu'il feit fur fes voifins , font les établîf-"
feraens plijs utiles qu'il forme dans fes
Etats ; 6c tous les fujets de plus qui lui
naiflem , font autant d'ennemis qu il tue.
Il ne feut point m'objeâer ici que je
prouvé trop , en ce que , fi les chofes
éloient comme je les repréfente , chacun
ayant un véritable intérêt de ne pas eit-
frer en guerre , & les intérêts particuliers
s'unilËnt à l'intérêt commim pour main-
tenir la paix , cette paix devroit s'établir
d'elle-même , & durer toujours fans au-
cune confédération. Ce feroit faire un
■fort mauvais rdifonnement dans k pré-
Ênte coriHtution; cr.r qi!.;icu'i! fiit beau-
48 -Projet de Paix
coup meilleur pour tous d'être toujours
en paix , le de&ut commun de iureté à
cet égard, ait que chacun ne pouvant
s'afîurer d'éviter la guerre , tâche au moins
de la commencer à fon avantage quand
Toccafion le iàvorife , & de prévenir un
vo^in * qui ne manqueroit pas de le
prévenir à fon tour , dans l'ocrâfion cott-
traire; de forte que beaucoup de guerres,
même offenfives , font d'injuftes précau-
tions pour mettre en fureté fon propre
bien , plutôt que des moyens d'ufurper
celui des autres. Qudque falutaires que
puiHënt être généralement les maximes
du bien public , il eft certain , qu'à 'ne
confidérer que l'objet qu'on regarde en
poUtique , oc fouvent même en morale ,
elles deviennent pernicieufes à celui qui
s'obâiiK à les pratiquer avec tout le
monde , quand perfonne ne les pratique
avec lui.
- Je n'ai rien à dire fiu* l'appareil des
armes , parce que deftitué de fondemens
folides , foit de crainte , foit d'efpérance,
cet appareil eft un jeu d'en&ns , & que
les Rois ne doivent point avoir de
- poupées. Je ne dis rien non plus de k
gloire
G^K)^!.-
Perpétuelle. 49
■ gloire des Conquérans , parce que s'il
y avoit quelques monftres qiu s'affli-
geaflent uniqiiemeiit pour n'avoir per^-
fonne à mauacrer » il ne iàudroît point
leur parler raifoo , mais leur 6tet les
moyens d'exercer leur rage meurtrière.
La garantie de l'article troifieme ayant
prévenu toutes folides raifons de guerre,
on ne làuroit avoir de- motif de rallu-
mer contre autrui , qui ne puilTs en four-
nir autant à autrui contre nous-4nâmes ;
& c'eft gagner beaucoup, que de s'af-
franchir d'un rifque oh chacun cA feul
contre tous.
Quant à la dépendance oh chacun fera
.du Tribunal commun , il eA très - clair
qu'elle ne diminuera rien des droits de
là fouveraineté , mais les affermira au .
contraire , & les rendra plus alTurés par
l'article troilieme , en garantiilknt à cna-
cun, non-feulement fes£tats contre toute
invafion étrangère, mais encore fon au-
torité contre. toute rébellion de fes fu-
jets ; ainTi les Princes n'en feront pas
moins abfolus , & leur Couronne en
fera {dus affurée : de forte qu'en fe fou-
. mettant au jugemejit ,de la Diète, daiU
PUcti Hiver/es. ' C
50 Projet DE Paix
leurs démêlés d'égal à égal, & s'ôtant
le daneereiix pouvoir de s'emparer du
bien d autnû , ils ne font que s'afTurer
de leurs véritables droits , 6c renoncer
à ceux CTu'ils n'ont pas. I>'ailleiu-s , il y
a bien de la diiTérence entre dépendre
d'autnii, ou feulement d'un Corps dont
OR eA membre, & dont chacun eâ chef
à fon toiu' ; car en ce dernier cas on
ne feit qu'aifurer ia liberté , par les ga-
rants qiion lui donne; elle s'aliéneroit
dans les mains d'un maître , mais elle
s'aiFermit dans crfles des Affocîés. Ceci
fe confirme par l'exemple du Corps Ger-
tnanique ; car bien que la fouveraineté
de fes membres foit altérée à bien des
égards par fa conftitiition , & qu'ils foient
par conféquent dans un cas moins fa-
vorable que ne feroient ceux du" Corps
Européen , il n'y en a pourtant pas wi
feul , quelque jaloux qu'il foit de fon
-autorité^ qui voulût, quand il le pour-
-rôit, s'aifurer une indépendance abfolue,
en fe détachant de l'Empire.
Remarquez de plus que le Corps Ger-
manique ayant un Chef permanent, l'au-
torité de ce Ch^ dut néceffairement ten*
PSRPÉTVELLE.
dre fans ceiTe à l'tilurpation ; ce qui né
peut arriver de même dans la Diète Eu-
ropéenne , où la présidence doit être al-
ternative , & fans égard à rînégalitë de
puillànce.
A toutes ces oonfidérations il s'en joint
«ne autre bien plus importante encore
pour des gens aufTi avides d'argent que le
font toiiïours les Princes ; c'eft une gran-
■èe facilité de plus d'en avoir beaucoup,
par tous les avantages qui réfulteront
pour ieutï Peuples & pour eux , d'une
paix continuelle, & par l'exceffive dé-
penfe qu'épargne ïa réfomie de l'état mili-
taire , de ces multitudes de ibrtereffes ,
& de cette énorme quantité de troupes
qui abforbe leurs revenus , & devient
chaque jour plus à charge à leurs Peuples
& à eux-^mêmes. Je lais qu'il ne convient
^ à tous les Souverains de fupprimer
toutes leurs troupes , & de n'avoir au-
cune force pid>Uque en main pour étouf-
fer une émeute inopinée, ou repoufler
une invafion fubite. (3) Jç.fais encore
(S) n r< prHkttt «iicare Ui d'autret objcaiont; mail
comme l'Autenc du, jprojet ae ^e la eft fu fût» . îe ^f^
li rc)«t[fe« du» rcKuhciL
ç %
51 Projet de -Paix
qu'il y aura un contingent à fournir à la-
confédération , taiTt poijr la garde des
frontières de l'Europe , que pour l'entre-
tien de l'armée confédérative deftinée. jk
foutenir , au befoin , les décrète de la
Diète. Mais toutes ces dépenfës &ites » &
l'extraordinaire des guerres à jamais fup-
primé , il refteroit encore plus de la moi-.
tié de la dépenfe militaire ordinaire à ré^
partir entre le foulagement des fuj ets,'&
les coiïres du Prince; de forte que le
Peuple payeroit beaucoup moins; que le
Prince , beaucoup pltts riche , feroit en
état d'excher le Commerce , l'AgriaiIture,
les Arts , de faire des établiflèmens uti-
les , qui augmenteroient encore la richefT*
du Peuple & la fiennf ; & que l'Etat f^^-
roit avec cela dans une fureté beaucoup
- plus parité que celle qu'il peut tirer de
l'es armées , & de tout cet appareil de
guerre » qui ne ceflè de l'çpuiier au fein
' de la paix.
, On dira peut-être que les pays fron-
tières de l'Europe feroient alors dans une
pofittoa plus défàvantageufe , &- pour-
roient svcnx également des guerres a fou-
tenir , ou avec le TurCf ou arec les Cor-^
^. Perpétuelle. jj
&ires d'Afrique , ou avec les Tartares,
■ A cela je réponds, i9. que ces pays
font dans le même cas aujourd'hui ,& que
par conféqueot. ce ne feroit pas po^ir eux
un défavantage pofitif à citer , mais feu-
lement' lui avantage de moins ^ & un in-
' .convénient inévitable, auquelleur fitua-
tiôn les expofe. i*. Que, délivrés de
toute inquiétude du côté de l'Europe, ils
feroient beaucoup plus en état de rélîiler
au-dehors. 3^. Que la fuppreâîon de tou-
tes les fortereffes de l'intérieur dé l'Eu-
rope , & des ô^is nécel^res à leur en-
' tt-etien , mettroit la confédération en état
d*èn étaWir im grand nombre fur. les fron-
tières, £ttis être à cliai^e aux confédérés.
4". Que ces fortereffes conftruites , entrer
tenues &c g^dées à frais communs , fe-
roient autant de furetés & de moyens
d'épargne pour les Puiâânces-frx>ntieres ,
dont dîes garatitiroient les Etats. 5*^. Que
les troupes de la confédération diitribuées
fiir les confins de l'Europe , feroient tou-
jours prêtes à repouffer raggreffeur. 6".
Qu'enfin» un Corps aufli redoutable que
la République Eiu^péenne , ôteroit aux
' Etrangers r«tivie d'attaquer aucun de fes
C}
54 Projet de Paix
membres ; comme le Corps Germaiw^e ,
iidinimeiit moins puiâànt , ae laifle pas
de l'être affez pour fe fiure refpeâer de
fes voiiîns, & protéger utilement ton»
les Princes qui le compofent.
C^ pourra dire encore que les Euro-
péens n*a\>^nt plus de guerres entr'eux i
l'Art militaire tombercHt înfenfiblement
dans l'oubli ; que les troupes perdroient
leur courage & leur difcipune; qu'il nV
auroit plus ni généraux, ni ibldats, ÔC
que l'Europe refteroit à la merci du pre-
mier venu.
Je réponds qu'il arrivera de deux cho-
fes l'une : ou les voifins de l'Eiux)iïe l'at-
taqueront, & lui feront la guerre, ou ik
redouteront la conféd6àtion , & la laif-
iéront en paix.
Dans le prenùer cas ; voilà les occa-
fioQs de cidtiver le génie &c les talens
militaires , d'aguerrir &c former des trou-
rs i les armées de la confédération feront
cet égard , l'école de l'Eiu-ope; on ira
fur la frontière apprendre la guerre ;
dans le fein de l'Europe , on jouira de la
paix; 6l l'on réunira par ce moyen lea
avantages de l'uaç Ôc de l'autre. ^CroUn
Perpétuelle.
on qull foie toujours néceflaire de fe
battre chez foi , pour devenir guerrier ,
Se les François font- ils moins braves ,
parce que les Provinces de Toiuaîne &
d'Anjou ne font pas en guerre l'une con-
tre Tautre?
Dans le fécond cas ; on ne pourra plus
, s'aguerrir , il eft vrai , mais on n'en aura
plus befoin ; car à quoi bon s'exercer à
la guerre , poiu- ne la iàire à perfonnaî
Lequel vaut mieux , de cultiver lui Art
fiinefte , ou de le rendre inutile ? S'il y
avoit un fecret pouf jouir d'une fante
inaltérable , y auroit-il du bon feus à le
] rejetter , pour ne pas ôter aux Médecins
Toccafion d'acquérir ds l'expérience ? Il
refte à voir tians ce parallèle , leq-iiel dCs
deux Arts eft plus falutaire en foi, ÔC
mérite mieux d'être confervé.
Qu'on ne nous menace pas d'une inva-
ïion fubite ; on fait bien que l'Europe
n'en i point à craindre , & que ce pre^r-
mier venu ne viendra jamais. Ce n'eft
plus le tems de ces éruptions 4e Barbâ-
tes , qui fembloient tomber des nues.
De|mis que nous parcourons d'un œ^l
' (urjeux touK ^ funace de la terre « il ne
j6 Projet DE Paix
peut plus rien venir jiifqu'à nous , qni
ne Ibit prévu de très-loin. Il n'y a nulle
Pniflànce au monde , qui foit maintenant
en état de menacer l'Europe entière j &
fi jamais il en vient une , ou l'on aura le
tems de fe préparer , ou l'on iera du
moins pttis en état de lui réfifter , étant
xmis en un corps , que quand il faudra
terminer tout-d un-coup de longs diffé-
rends , & le réunir à la hâte.
Nousycnons de voir que tous les pré-
tendus inconvénîens de l'état de confédé-
ration bien pefés , fe réduifent à rien.
Nous demandons maintenant fi quelqu'un
dans le monde en oferoit dire autant de
ceux qui rcl'ultent de la manière afluelle
de vider les différends entre Prince &
Prince pélr le droit du plus fort, c'eft-à-
dire , de l'état d'impolice & de guerre ,
qu'engendre néceffairement l'indépendance
abfolue &c mutuelle de tous les Souve-
rains dans la fociété imparfeite qui règne
entr'eux dans l'Europe. Pour qu'on foit
mieux en état de peftr ces inconvénîens ,
j'en vais réfumer en peu de mots le fom-
inaire que je laiffe examiner au Leûeur.
1, Nul OToit aflUré que celui du plus '
Perpétuelle, 57
fort. 1. Changcmens continuels & inévi-
tables de relations entre les Peuples , qui
rinpechent aucun d'eux de pouToir fixer
en fes mains la force dont il jouit 3.
Point de fureté parfaite , aufli long-tems
que les voifins ne font pas foiunis ou
anéantis. 4. ImpolTibilité générale de les
anéantir , attendu qu'en fubjuguant les
premiers , on en trouve d*autres.^. Pré-
cautions & frais inunenfes pour le ttiiir
fur (es gardes. 6. Défaut de force & de
défènfe dans les minorités &c dans les
révoltes ; car quand l'Etat fe partage ,
qui peut foutenu* un des partis contre
I autre ? 7. Défeut de fureté dans les en-
gagemens mutuels. .8. Jamais de juftice à
efpérer d'autrui , &ns des &ais 6c des
pertes ïmmenfes , qui ne l'obtiennent pas
toujours, 6c dont l'objet difputé ne dé-
dommage que rarement. 9. Rifque iné-
vitable de fes Etats , & quelquefois de
Jà vie , dans la pourfuite de fes droits.
10. Néceffité de prendre paît , malgré
foi , aux querelles de fes voifins , & d'a-
- voir ta guerre quand on la voudroit te
moins. II. Interruption du Commerce
& des reflburces publiques , au mom^it
Ç 5
jS Projet DE Paix
qu'elles font le plus nëcelKiires. ii.Danr
ger continuel de la pan d'un voîfin puîf-
îant , G. Ton eft foiWe ; & d'une ligue, fit
l'on eft fort. ty. Enfin inutilité de Jsi
fageiTe oit préfide la fortiins , défotation
continuelle des Peuples, afibibliflèment
de l'Etat dans les fuccès &c dans les re-
vers , impoffibilité totale d'établir jama»
■ nn bon^Gouvemement , de compter fiur
foa propre bien, & de rendre heureux
ri foi m les autres.
Récapitulons de même les avantages de
l'Arbitrage Européen pour les ' Prince»
confédérés.
I. Sûreté entière, que leurs différends
préfens & fiiturs feront toujours terminés
iîins aucune guerre ; fureté incompara-
blement plus utile pour eux qite ne feroit,
pour les particuliers , cdle de n'avoir
jamais de procès.
1. Sujets de conteftations , ôtés , mi
réduits à très-peu de chofe par fanéantif-
fement de toutes prétentions antérieures »
qui compenfcra les renonciations , &c
Mërmira les poffeflîons,
3 . Sûreté entière & perpétuelle , & dé
k perfonne du Prince , £c de ià Famille,.
. .Ciwgk
Perpétuelle.
Î9
fie de Ces Etats , & de l'ordre de fiiccef-
ûon fixé par les loix de chaque pays ,
tant contre l'ambition des Prétendans în-
jufies 6c ambitieux , que contre les révol-
tes des fujets rebdlcs.
4- Sûreté parfiiite de l'exécution de
to\ts les engagemens réciproques entre
Prince & Prince, par la garantie de la
République Européenne.
5. Liberté & iureté parfiiite & perpé-
tuelle à l'égard du Commerce tant d'Etat
à Elat , que de chaque Etat dans les ré-
gions éloignées.
6. Suppreffion totale & perpétuelle de
leur dépenfe militaire extraordinaire par
. terre & par mer en tems de guerre , &
confidérable * diminution de leur dépenfe
ordiraire en tems de paix.
''7. Progrès fenftble de rAgricultiire &
de la" population , des rlcheiles de l'Etat
& des revenus du Prince. 1
8. Facilité de tous les établiflemens
qui peuvent augmenter la gloire & l'àu.-
torité du Souverain , les reffources pu-
bliques & le bonheur des Peuples.
Je laiffe, comme je l'ai déjà dit, au
jiigemçni des LeâeiirSi l'examen de tous
C 6
6o Projet de Paix
ces articles & la comparaifon de l'état
de paix ({ui réfulte de la confédération,
avec l'état de guerre qiiî réfulte de l'im-
police Européenne.
Si nous avons bien raifonné dans fev-
pofition de ce Projet , il eft démontré ;
premièrement, qiie Pétabliflement de h
paix perpétuelle dépend imiquement du
confentement des Souverains , & n'oflre
point à lever d'autre dîfHaihé que leur
réûtlance; fecondement, que cet établie
fement leur feroit utile de toute manière,
& qu'il n*y a nulle comparaifon à ^re,
même pour eux, entre les inconvéniens
& les avantages ; en troifîeme lieu ,
quH eft raifonnable de fuppofer que
leur volonté s'accorde avec leur intérêt;
enfin , que cet établifTement une fois
formé mr le'plan propofé, fèroit folide
& durable , « rempliroit parfaitement
ion objet. Sans doute , ce n'eft pas à
dire que les Souverans adopteront ce
Rtijeti (Qui peut répondre de la rai-
fon fautnii?) mais feulement qu'ils Ta-
dopteroient, s ils confultoient leiu'S vcais
iotêrêcs : car on doit bien remarquer
que ùoas n*avoiis point (xtppofé les bosk-.
Perpétuelle. 6i
mes tels qu'ils devroient être , bons ,
généreux , défîntéreffés , & aimant le
bien public par humanité ; «lais tels
qu'ils font , injuAes y avides , & préfé-
zant leur intérêt à tout. La ieule chofe
qu'on leur fuppofe -, c'eft affez de tâifon
pour voir ce qui leur eft utile, & alTez
de courage pour aire leur propre bon-
heur. Si , nmlgré tout cela , ce Projet
demeure fans exécution , ce n'eil donc
£as qu'il foit' cbimérique; c'ell que les
ommes font infenfés , & que c*m une
forte de foUe d'être iâge au milieu des
ibus.
JUGEMENT
s V R L A
PAIX PERPÉTUELLE.
Xj E Projet de la Paix perpétuelle étant
par Ton objet le plus digne d'occuper un
hcmme de bien , fiit auHÎ de tous ceux
de l'Abbé de St. Pierre celui qu'il médita
le plus long-tems & qu'il fiiivit avec le
plus d'opiniâtreté : car on a peine à nom-
mer autrement ce zèle de miflîonnaire
qui ne l'abandonna jamais fur ce point ,
malgré l'évidente impoffibilité du luccès ,
le ncUcide qu'il fe donnoit de jour en
jour , & les dégoûts qu'il eut fens cefle
a efiiiyer. II ièmble que cette ame faine ,
uniquement attentive au bien public, me-
iiiroit les foins qu'elle donnoit aux cho-
ies , uniquement fur le degré de leur
iitiLté , fans jamais fe laifler rebuter par
les obftacles ni fonger à l'intérêt perfonnel.
Si jamais vérité morale fiit démontrée,
il me femble que c'eft l'utilité générale
& pacticiiliere de ce Projet. Les avanta-
LA Paix perpétuel-le. 6j
ges qui réfulteroler.t de fon exécution Sc
pour chaque Prince & pour chaque Peu-
ple & pour toute l'Europe , font intmen-
ies , cfeirs , inconteftables , on ne peut
rien de plus folide & de plus exatt que
les raifonnemens par left^els l'Auteur les
étaMit : réalifez fa République Européenne
durant un feul jour , c'en efl affez pour
la feire durer éternellement , tant chacun
trouveroit par l'expérience fon profit par*
ticulier dans le bien commun. Cependant
ces mêaes Princes qui la défendroient de
toutes leurs forces fi elle exiftoit, s'o;;-
poferoïent maintenant de même à fon
exéaition & l'empêcheront infeilliblement
de s'établir comme ils l'empêcheroient
de s'éteindre. Ainli l'ouvrage de l'Abbé
de St. Pierre fur la paix perpétuelle pa-
roît d'abord inutile pour la produire &
fuperflu pour la conièrver ;. c'eû donc
une v^ne fpéculation , dira quelque lec*
Mur impatient ;'non , c^eft un livre folide
& fenfé , 6c il eft très - important qu'il
ex'iâe.
Commençons par examiner les difficul-
tés de ceux qui ne jugent pas des raifons
par h raiion ^ iqùs ieuleiaent par Vévéi
(Î4 J.U G E M E N T S U R
«èment , & qui n'ont rien à objeûer contre
ce Projet, finon qu'il n'a pas été exé-
cuté. En effet , diront -ils fans doute , li
fes avantages font fi réds , pourquoi donc
les Souverains de l'Europe ne l'ont -ils
pas adopté î Pourquoi negligent-ils leur
propre intérêt , fi cet intérêt leur eft fi.
bien démontré î Voit-on qu'ils rejettent
d'ailleurs les moyens d'augmenter leurs
revenus & leur puiflànce } Si celui - ci
étoit aufli bon pour cela qu'on le pré-
tend , eft-il croy^le qu'ils en fiiffent moins
empreffés que de tous ceux qui les éga-
rent depuis fi loi^ - tems , ôc qu'ils pré-
férafient mille reïiources trompeufes a un
profit évident-
Sans doute , cela eft croyable ; à moins
qu'on ne fuppofe que leur fegdTe eft
c^e.à leur ainbititm , & qu'iË Voient
d autant mieux leurs arantaees qu'ils les
défirent plus fortement ; au ueuque <^eft
la grande punition des excès de ramour-
propre de recourir toujours à des moyens
qui l'abuTent , & que l'ardeur même des
Saflîons eft prefque toujours ce qui les
étoiu^e de , leur bat. Diltinguons donc
fa poUdip» ainfi qu'en mçrale l'intérêt
LjL Paix PERpéruELLE. 6;
réel de l'intérêt apparent ; le premier fe
trouveroit dans la paix perpétuelle , cela
eft démontré dans le projet ; le fécond fe
trouve dans Tétat d'indépendance abfolue
qui fouftrait les Souverains à l'empire de
Ib loi poiu- les foiimettre à celui de la
fortune. Semblables à un Pilote infenfé , ■
qui , poiu- feire montre d'un vain favoïr
&c commander à fes matEïlots , aimeroît
mieux flotter entre des rochers durant la
tempête que d'affujettir ion vaifleau par
des ancres.
Toute l'occupation des Rois , ou de
ceux qu'ils chaînent de leurs fonâions,fe
rapporte à deux feuls objets , étendre leur,
domination au - dehors & la rendre plus
abfolue au-dedans ; toute autre vue , ou
fe rapporte à l'une de ces deux, ou ne
fcur fert que de prétexte ; telles font celles
du bitn public, du bonheur des fujets , Ae
la gloin de la nation , mots à jamais proÇ-
crits du cabinet & fi lourdement employés
dans les édits publics , qu'Us n'annoncent
jamais que des ordres fonéftei , & que
le peuple gémit d'avance quand fes maî-
tres lui parlent de leurs foins paternels.
Qu'on juge fiu ces deux maximes foiv
66 JUGEMENTSUR,
amentales comment les Princes peuvent
, recevoir une propofition qiii choque di-
reâement l'une &: qui n'eft gueres plus
favorable à l'autre ; car on fent bien que
par la Diète Européenne le gouverne-
ment de chaque Etat n'efl pas moins fixé
tfie par {es lunites , qu'on ne peut garaii-
tir les Princes de la révolte des iiijets
fans garantir en même tems les fujets de
la tyraimie des Princes , & qu'autrement
rinititutJon ne fauroit fublifter. Or , je
demande s'il y a dans le monde un feu!
Souverain qui y borné ainfi pour jamais
duns fes projets les plus chéris , fuppor-
tât fans indignation la feule idée de fe
voir forcé irêtre jufte , non - feulement
avec les étrangers , mais même avec fes
propres fujets.
Il eft facile encore de comprendre que
d'un côté la guerre & les conquêtes , &
de l'autre le^ progrès du defpotifme s'en-
.tr'aident mutuellement ; qu'on prend à
difcrétion dans xui peuple d'efclaves , de
Fargent , & des hommes pour en fidiju-
guer d'autres ; que réciproquement la
guerre fournit un prétexte aux exaâions
^éciuùaii^es , & un autre non ipoins fpé:
LA Paix perpétuelle. 67
cieux d'avoir toujours de erandes armées
pour tenir le peu^e en refpeû. Enfin cha-
cLin voit afTez que les F^înces omquérans
font pour le moins autant ta guerre à leitrs
fujets qu'à leurs ennemis , &que.la coii'
dition des vainqueurs n'eâ pas meilleure
que celle des vaincus : J'ai battu Us Ro-
mains , écrivoit Annibal aux Carthaginois ;
cnvoye^moi des troupes ; j'ai mis l'ItaHe à
contribution , envoye^moi de forgent. Voili
ce que fignifient les Te Deum , les feux
de joie » & l'allégreûe du peuple aux
triomphes de its maîtres.
Quant aux différends entre Prince &
Prince, peut-on efpéier de foumettre i
un 'Trâjunal fupérieur des hommes qui
s'oftnt vanter de ne tenir leiu" pouvoir
.que de leur épée , Se qui ne font men-
tion de Dieu même que parce qu'il ell
au Cielî Les Souverains fe foumettront-
ils dans leurs querelles à des voies ju-
ridiques que toute la rigueur des loix n'a
jamais pu forcer les particuliers d'admettre
dans- les leurs î Un fimple gentilhomme
.oiFenfé, dédaigne de porter fes plaintes
au Tribunal des Maréchaux de France ,
& VOUS voulei qu'un Roi porte les
68 Jugement «ur
liennes à la Diet« Européenne ? Encore
y a-t-il cette différence >^que l'un pèche
contre les loix & expofe dOublenient fe
vie , au lieu que l'autre n'expofe gueres
que fes iujets ; qu'il ufe , en prenant les
armes , d^im droit avoué oe tout le
genre-humain , & dbnt il prétend n'être
comptable qu'à Dieu feul.
Un Prince qui met là caufe au ha-
fard de la guerre , n'ignore pas qu'il
court des riîques; mais il en efl moins
frappé que des avantages qu'il fe promet,
parce cpi'il craint bien moins la fortune -
qu'il nefpere de fa propre fageffe : s^J
m puiflant, il compte fur fes forces;
s'il eft foible, il compte fur fes allian-
ces ; quelquefois il lui eft utile au-3edans
de purger de mauvaifes humeurs, d'aè
foiblir des fujets indociles , d'effuyer
même des revers, & le politique habile
fait tirer avantage de {es propres dé-
feites. Tefpere qu'on fe fouviendra que
ce n'eft pas moi qui raifonne ainfi, mais
le Sophifte de Coiu- qui préfère un
grand territoire & peu de furets pau-
vres & fournis, à l empire inébranlable
que donoent au Prioce la juAice & l«s
LA Paix PERPÉTUELLE. 69
loix , fur un peuple heureux &C floriflknt.
C'ell encore par le même principe
qu'il réfute en lui-même l'argument tiré
ae la fiifpenfion du commerce , de la
dépopulation , du dérangement des finan*
ces , 8c des pertes réelles que caufe ime
vMiie conquête. C'eft un calcul très- fau-
tif que d'évaluer toujours en argent le*
gains ou les pertes des^ Souverains ; le
degré de puiffiince qu'ils ont en vue ne
fe compte point par les millions qu'on
poffede. Le Prince fait toujours circuler
fes projets ; il veut commander pour
s'enrichtr & s'enrichir pour commander;
il fecrifiera tour-à-tour l'un ôc l'autre
pour acquérir celui des deux qui lui
manque , mais ce n'eft qu'afin de wa-
venir à les pofTéder en&i tous les deux
enfemble qu'il les poiu'fuit féparément ;
car pour être le maître des hommes Sc
des chofes y il tant qu'il ait ^ la foie
rempire & l'argent.
Ajoutons , enfin , fur les grands avan-
tages qui doivent réfulter pour le com-
merce , d'une paix générale & perp^
tuelle , qu'ils font bien en eux - mêmes
certsins Se ioçoa^Aabks > qhû qu'étant
70 Jugement sur
. ^ : I
communs à tous ils ne feront réels pouf
peribnne, attendu que de tels avantages
ne fe ientent que par leurs différences,
& que pour augmenter fa puiflànce re-
lative on ne doit chercher que des biens
exclufifs.
Sans eeffe abufés par l'apparence des
chofes , les Princes rejetteroient donc
cette paix , quand ils peferoient leurs
intérêts eux-mêmes; que lera<e quand
ils les feront pefer par leurs Miruftres
dont les imérêts font toujours oppofés
à ceux du peuple & prefque toujours
à ceux du Prince ? Les Miniflres ont
befoin de la guerre pour le rendre né-
ceffaires , pour jetter le Prince dans des
embarras dont il ne fe puiffe tirer ûaa
«ux & pour perdre l'Etat, s'il le faut,
plutôt que leur, place ; ils en ont befoift
poiu- vexer le peuplé fous prétexte des
néceffités publiques -, ils en ont befoin
Îfour placw leurs créatures , gagner fut
es marchés , & feire en fecret mille
odieux monopoles ; ils en ont besoin
pour fatisfeire leurs paffions , & s'ex-
pulfer mutuellement ; ils en ont befoïn
pour s'emparer du Prince en le tiram
LA Paix perpétuelle, -jx
de la Cour quand il s'y forme contre
eux des intrigues dangereufes ■•, ils par*
droient toutes ces reffources par la paix
perpétuelle , & le public ne lâifle pas de
demander pouri^uoi , fi ce projet eft poP
fible , ils ne l'ont pas adopté ? Il ne voit
pas qu'il n'y a rien d'impoffible dans
ce projet, finon qu'il foit adopté par
eux. Que feront-ils donc pour s'y oppoi
ièr ? ce qu'ils ont toujours &it : ils le
tourneront en ridiaile.
Il ne faut pas non plus croire avec
l'Abbé de St. Pierre , que même avec
la bonne volonté que les Princes ni
leurs Miniftres n'auront jamais , il fôt
aifé de trouver un moment favorable à
l'exécution de ce fyftême. Car il ^udroit
pour cela que la fonune des intérêts
partiatliers ne l'emportât pas fur l'in-
térêt commun , & que chacun crîit voir
dans le bien de tous le plus grand bien
qu'il peut efpérer pour lui-même. Or ,
ced demande im concours de fagefie
dans tant de têtes &■ un concours de
rapports dans tant d'intérêts , qu'on ne
doit gueres efp^er du hafard l'accord
fortuit de toutes les cîrconAances néce&
Jugement sur
iàires ; cependant fi cet accord n'a pas
lieu , il n'y a que la force qui piiiilè y
fupptéer , & alors il n'eft plus qu^ftîon
de periiiader mais de contraindre. Se .il
ne faut plus écrire des livres , mais lever
des troupes.
Ainfi quoique le projet fiit très - ûge ,
les moyens de l'exécuter fe ftntoient de
Ja funplicité de l'Auteur. Il s'imaginoit
Jjonnement qu'il ne ^oit qu'afîembler
un congrès > y propofer fes articles ,
^'on les alloit figner & que tout feroît
^t. Convenons que dans tous les projets
de cet honnête nomme, il voyoït afièr
bien l'efFet des chofes quand elles feroienl
établies, mais il jugeoit comme un en-
&nt des moyens de les établir.
Je ne voudrois , pour prouver que le
projet de k République chrétienne n'eft
.pas chimérique que nommer fon premier
Auteur : car affurëment Henri IV n'étoit
pas fou ni Sully vifionnaire. L'Abbé de
St. Pierre s'autorilbit de ces grands noms
pour renouveller leur fyftême. Mais.quelle
différence dans le tems, dans les circonA
tances , dans la propofition , dans la m»*
aiae de l^^e èc cbns fou Autçur ! Pour
G^K)^!.-
LA Paix perpétuelle. 7j
en juger , jettons un coup - d'œil fur la
iîtiiânon jgériéralé âes chofes au moment
choifi par Henri FV, pour l'exécution
Quint, qui
>nde & fiii-
àit afpirer à
; de grands
atids talens
lus riche &
rdâche un
é*exéaiter,
"Europe des
^îa 'Maifo;i
fcendant fur
il Prince ne
t Jïien avec
ibile encore
»s fts .pré-
là'nce Efpa-
ipe en ref-
: à dominer
imander que -
■ir. En effet,
s armemens
res dviles de
4) ;:- '
Jugement sur
gne & les tréfors des Indes ; la Mairon
d'Autriche , partagée en deux branches ,
n'agiffoit plus avec le même concert; &
^oi<]ue ^Empereur s'efforçât de mainte-
nir OM recouvrer en Allemagne l'autorité
de Charles-Quint, il ne fiûfoit c[u'aliéner
les Princes & fomenter des Ligues qui
ne tardèrent pas d'éctore &c faillirent à
le détrôner. Ainii fe prép»oît de loin la
.dé^dence de la Maifon d'Autriche & le
rétabUffemwit de la liberté commune. Ce-
pendant nul n'ofblt le premier hafarder
de fecoyer-le joug, & s'expofer feu! à
la guerre; rewmple d'Henri IV même,
qui s'en étoit tiré fi mal, ôtoit le cou-
rage à tous les autres. D'ailleurs , fi l'on
excepte Ip Duc de Savoye, trop foible
.& trop ful^ugué pour rien .entreprendre^
il n'y avoit pas parmi tant de Souverains
itn ieul homme de-tête en état de fco-mer
& foutenir une entreprifc ; chacun attere-
doit du tems & des circonâaQces lè mor-
ment de brifer {es fers. Voilà quel étoit
£n gros l'état des chofes quand Henri
forma le plan de la République chrétien-
ne & ie pr^jara à l'exécuter. Projet bien
gtand, bien admirable en lui-même^. Se
,,,Coosk
LA Paix perpétuelle. 74^
dont je ne veux pas ternir l'honneur, mais
qui ayant pour raifcm fecrete l'elpoir
d'abamer un ennemi redouble, recevoit
de ce preflant motif une aûi vite qu'il
eût difbcilemeot tirée de la feule utilité
commune. . •
Voyons maintenant quels moytm de
grand homme avoit emjnoyés à préparer
«ne fi haute entreprife. Je compûrois
volontiers pour le premier d'en avoir
bien vu toutes les diffiadtés ; de telle
forte qu'ayant formé ce projet dès foin
en&ice , il le médita toute ik vie , âc
ré(èrva Texéçution pour fa vieiUeflèt;
-conduite qui proitve premièrement oe
defîr ardent &: foulenu qui , feul dans les
choies difficiles , peut vaincre les grands
ol^ïades, & de plus, cette Ikgefie pa-
tiente & réfléchie mii s'applanit les rou-»
ces de liHigue main a force dcprévoyan-
ce & de préparation : car il y a bien de
la di^rence entre les entreprtfes oéceâàî-
res dans lesquelles la prudence mdma.
veut ^l'on donne qudqiie chofe au ha- .-,
ùard , & celles- que le fuccès lèul .pent
juili^er , parce qu'ayant pu fe pafTer dft
les ^ire , on n'a ik les |enter qu'à coup
D X
Jyô . J U G E M E N T s U K
■■Rit. Le profond fecret qu'il , rarda toute
Xa vie julqu'au moment de 1 exécution ,
étoit encore aulTi effentiel que difficile
dans iine û grande aiïaire oh le concours
■-deiant''de gens. étoit nécefiâire, & mie
tant de gens avoient intérêt de travericr.
'il paraît que quoi qu'il eût mis la plus
' erande partie de l'Europe dans Ton parti
■ & qu'il fîit ligué avec les plus puiflàns
•potentats, il nettt jamais qii'un feul con-
^fldcnt>qui' connût toute Tetendue de Ton
'plan ^ de par un bonheur que le Ciel
ji'açconia.qu'au meilleur des Rois* ce con-
,£âràt'itit im Miniflre intègre. Mais faas
-qu«iT*n trénfpirât de ces grands defleins,
^tOEtaiarclioitjenfijKnce vers leur exécu-
• tion. Deux fois Sully ,étoit allé :à Lon-
-'é^s;Lla'|>aitie.étpit liée avec le < Roi Ja-
-qnesiôt -le Roi;de;&iede étoit engiigé de
-jon côté ; la ligne -^^étoit conclue avecJes
:Protefians d'AUema^e; oà étoit même
-iîiT-des Princps d!Ualie-, Sentons concoui'
croient -au grand Jiut ians pouvoir .t&4
-qad -il était , - comme, les ouvjters. .opa
'trayÂiUent.iiÉparétneitt aux pièces d'uni
nouvelle machine ' dont ils ignorent U
ffVSK. &: l'n&ge. Qu'«ft-ce donc qui m
, .Google
LA Paix PERPéruELXE. 77
vorifoit ce mouvement général? eÉoit-c#
la paix perpétuelle qiie mil ne prévoyait
& dont peu fe feroient foudéi-? étoifrce
l'intérêt public qui n'eft jamais cehii de
perfonne ? L'abbé de St. Pierre eut pu
refpérer. Mais rçellemenf . ctucuiii ne trar
vailloit que dans la vwe de. fon intérêt,
particulier, qii'Hènri avoil eu 1* ièeret*!©
leur montrer à tous fous uncfece tnès-
attrayante. Le Roi d'Angleterre awMt; à
fe délivrer des continudks con^aâoaa
des Catholiques de fon Royaume, toutes
fomentées par l'Éfpagne. Il trouvoit de
fdus un grand avantage à l'at&anchiâe«
ment des Provinc^s-Unieii qul-lùï; çoû-
toient beaucoup à fouttnir &'k:'mettoient
chaque jour à la veille d'une guerre qti/'il
redmitoit , ou à laquelle il aimoit mieux
contribuer une fois avec tous, le» aities ,
afin dfe s'en délivrer pour'toujoiita Le
Roi de Suéde votiloit s-'affiiret!db.l4.J?o>-
méranie & mettre ui¥ pie*^ifert& l'îkllema-
gne. L'EIbûwir Falatin'* aldre prowflaiit
& chef dfr la- confeffiomtPAu^oiittv avùit
des vues fur la. Bohême Sc «tfroH^ dans
toutes celles d\i Roi d^ngtetetre. Les
Princes d'Airemagne avoienf à riprimeo
78 Jugement sur
tes ufurpations de U Maifon d'Autriche.
Le Duc de Savoye obtenoît Milan ôc la
couronne de Lombardie qu'il defiroit avec
ardeur. Le Pape même fatigué de la ty-
rannie Eipagnole étoit de la partie au
moyen du Royaume de Naples qu'on lui.
aroit promis. Les Hollandois mieux payés-
oue tous les autres gagnoient ralTurance
4e leur liberté. Enfin outre l'intérêt com-
jniui d'abai&r une Puiflance orgueïlleufe
^ui vouloir dominer par-tout , (macim ea
avoit un particulier , très-vif, très-feniï-
ble , &: qui n'étoit point balancé par la
crainte de fi^ituer un tyran à l'autre »
puifqu'il étoit convenu que les conquêtes
feroient patagées entre tous les Alliés,,
excepté la France & TAngleteEre qui ne
pouvoient rien, garder pour elles. Cea
étoit aflèz pour caimer les plus inquiets
fur l'ambition d'Henri IV : mais ce &ge
Prince n'ignoroitpas qu'en ne fe réfervant
rien p^ ce traite , il y gagnoit pourtant
{^i£ qu'aHCun autre ; car uns rien ajouter
à fon Mijimoine , il lui fufHfoit de lËvi-
fer celui du feul plus puiflànt que lui »
pour devenir le plus puillànt lui-même ;
& l'on voit très-çlairement qu'en pre-
LA Paix perpétuelle.
79
nant toutes les précautions c[iii pouvoîent
affiirer le fuccès de Teatreprife , il ne né^
gligeoit pas celles qui dévoient lui don->
ner la primauté dans le Corps qu'il vour
loit initituer.
De plus ; fe^ a|^^s ne fe bomoienf
point à former au -dehors des Ligues re-
doutables, ni à contraâer alliance avec
fes vojiiits Se ceux, de fon ' ennemi. En
intéref&nt tant de peuples à Tabaifle-
ment du premier Potentat de l'Europe , il.
n'oublîojt pas de iè mettre en état par.
Uu-mémé de le devenir à ibn tour. U.
employa quinze ans, de paix à faire desn
[wparatife dignes de l'entreprife qu'il mé-,
ditoit. Il rem[^t d'argent (^ co^s , ks^
arfenaiix d'artillerie , d'armes , de muni-.
tions ; il ménagea de loin des rdTources
pour les befoins imprévus ; mais il fît
0US que tout cela ians, doute ^ en. gou-,
vernant fagement ks Peuples , en . déra-
cinant infeniihlenieht toutes les femenées
de diviûons, &c en mettant un fi bon.
ordre à fes finances qu'elles puflèht four-,
njr à tout &11S fouler fes fujets ; de forte
que tranquille au -dedans &C redoufabie
au-dehors ,' il fe yiteD ét^t d'armer ÔC;
D4
«O J O G ï M E N T s R
ffeirtrétenîr foL-eânte miUe hommes-' 6c
vingt vaiffèaux dé guerre ^ dêquittef-ftw
Ro;^um€ fans y latffer \i mioindre fourc*
de défoi'dre , &• de feirfe kgiiefre durant
fix ans fans toucher à fes reyenus- ofdi-
rairei ni mettre im'foùtle nônyiellï* im-
pofitioni.' ,' ''
' A't^'dèbfêparAîft'', ajoiiteurpoiu- la
iondiiife rfe' rèntre^«-i!è:le Hi^mtfirtte &
la même prudence' qitt; ratfdienïfbïmée
taatàe la part de fon Miniftfe ïp»' de ht
fietiné. Enfin' à la- tête des «T^é&tions
Militaires wi CatStilinë^fel C|it^'tai[^«neli£
que &m adverfiuren^én: a«rit plat àhtè
©ppofer, & TOUS jiigertzfi' ri«iî de ce
qui peut anlionCer un' Keiiteos^î fucc&
manquoh à Tefpôir du fîen. Sans aXroif
pénétré fes vues , l'Europe attentive à iètf
immenfes prépaïatift ea attendoit Teftèt
avec xmt forte de fi^yeur. Uiï"lé«t(r ppi*
texte alloit Gommfàicer c«ifi giSHcfeï'épd-
itttïoïi, une guerre qtiidevtiitfei'ï 11 der-
nière , priparoh ime! pi^ tittunoiteHev
quand un événement dwH ITiorribté ittyf-
tere doit augmentel- l'effi-ôi vint bannir à
jamais lï dernier efpoir du monde. Le
,iaêa]Ç'C9u{i (fà tnochale^ jout^'de ce '
LA Paix perpétuelle; Si,
bon Roi replongea l'Euroiie dlans (Féter-
neiles guerres qu'effe ne doit plus efoërer
de voir finir. Qaoi qu'il en foit , voilà les
moyens qu'Henri IV avoit raiïeniblés
pour former le même établiffement que
l'Abbé de St. Pierre prétendoit iàire avec
lin livre.
Qu'on ne dife donc point que fi fon
fyftême n'a pas été adopté, c'eft qu'il
n'étoit pas bon ; qu'on dife au contraire
qu'il éloit trop l»n pour être adopté;
car le mal & les sbus dont tant de gens
profitent s^ntroduifent d'eux-mêmes; maw
ce qui eft utile au public ne s'introduit
cueres que par îa forcé , attendu que les
intérêts particuliers y font prefque tou-
jours oppofés. Sans 'doute la paix per-
pétuelle eft à préfent un projet bien ab-
furdc; mais qu'on nous rende un Henri
IV & im Sully , la paix perpétuelle re-
deviendra un projet raifonnrible ; ou plu-
tôt , admirons un 11 beau plan , mais
confolons - nous de ne pas le voir exé-
cuter ; car cela ne pc\it fe faire que par
des moyens violens & redoutables à l'hu-
manité. On ne voit point de ligues fédé-
ratives s'établir autrement que par des
8l JUGEMENTSUR, &C.
révolutions ; Se fur ce principe , qui de
nous oferoit dire fi cette Ugue Européenne
eft à defirer ou à craindre î EHe feroit
peut - être plus de mal tout - d'un - coiipL
qu'elle n'en prévieiulrolt poui des ûecles»
POiLYSYNODIE
J) E I^J Sfi é
DE SAINT-PIERRE.
CHAPITRE PREMIER.
Utttffité dans la MoTtarckie éunt formt 4e
Gouvtmemtnt fubordonnie au Prince.
i3nes Princes regardoîent les fonûîons
du Gouvernement comme des devoirs
indiiben&bles , les plus capables s'entrou-
veroient les plus lurchargés ; leurs ira-
vaux compares à leurs forces leur paroî-
troîent toujours exceflîfs ; 8c on les ver-
rort auffi ardens à reflèrrer leurs. Etats
ou leurs droits, qu'ils font avides, d'é-
tendre les luis & les autres , & le poids
de la Couronne écraferoit bientôt la plus
forte tête qui voudrolt lerieufement la
porter. Mais loin d'envifager leur pou-
voir par ce qu'il a de pénible & d'obli-
gatoire, ils n'y voient que le plaifit-de.
conunander ; & comme le Peuple i^e(t à
D 6
>4" PotYSYNÔDlE toF ■ ^ "■
leurs yeux que l'inllrument de leurs fen-
talfies , plus ils ont de ^mfies à ca^
tenter, plus le befoin d'ufurper augmente;
& plus ils font bornés & petits d'enten-
denient , pUis ils veulent être grands 8c
piiiflkns eiv autorité. , ■ ; ,- ,
Cependant le piui' sbdAu défpolîfoïe
exige encore un travaU pour fe fout»»
liir ■ quelques maximes qii'il étâBîifle à
fon avaiiKge , il faut toujours qu'il les
courre d'un leurre d'utilité publique ;
qu'employant la force des Peuples con-
lïé eux - mêmes , il lés énipêche de là
réunir Contre lui'; qu'il étouffe continuel-
lement la voix de la iiature i & le cri âe la-
Eberté toujours prêtà.fôrtir de l'eitrême
oppreffion. Enfin , quand" lé Peuplé ne
feroit qu'un vil troupeait fans raifon ,
éncofe fàudroit-il des foins pout le con-
duire -, & le Prince qiiî né fotlge [ïoînt à
rendVe heureux {é's mjsti' rt'Bubîîe pas ,'
in moins, s^I n*eft infeiifé,, dé confefver'
fon pattinioiné. - '
■ Qu'a-t-il donc k faire pour concilier
findolence avec ra'mbîtion , la puiiïîi'nctf
avec les plaif(rs , & fémmts des Dieu»
atec U yie; ïtnrAialè î'^CR6(&-ï«ttr fôl
l'Abbé dé St. '?ierre. 8^
les vaùis'Jiotlhetin , roifiVetc , '& remets
tre à 'd'aiitries les fortffions périible's du
Gouvernement, en-fe réfervant tout au
plus de chalïef où changer ceux qui s'en
actpVtteht trop' liiat ou trop bien. Par
cette ' méthode , le dérider des hommes
tiendra paifiblenleht & commodénieht' W
fcfeptre de rtinlyers' ; plor^gé dans d'ihiî-'
pîdes voluptés , il tiromenera , s'îf veiit',
dé fête éri fête fon ignorance & fou
ennui. Cependant', on le traitera de con-ï
quérant , d'invincible , de ïtoi des Rois !,
d*Empeffeiïr A'ugdfte , dé \fonaf^ie du'
monde & dfe m]é&é -fecrée. Oublié fui»
le trôhe , nul aïix y'eilx de fes vcfifins ;
6C même à cafx de fes fujets', ^cenfé
de to\is fans être obéi de perfonne ;' foi-
ble inftnimeht dé la ty^tinie des Coiir-
tifans 5c dé rerdâvage du Peiipre , on luï
dira qu'il règne SeiliCfoira régner. Vo^k
le taWeat général du- B6u*Wfïertieitt d«
toute Mortai'çl^i'ç trop' _ëïewduè,- 'Q^iî.v'éu^
Jbutenir le monoe oi n'a pas -les épaules
d'Hercnle f doit s'attendre d'être icnféi
Le S'ôiiye^in d'un gtand Empiré n*ef(
.gMCres lau ibnd que -l4>.MiniÛEe< de^ês
Miniflrei j 'éiflv- rep^etltani de' efiivx (fé
ZS POLYSYNODIE DE
Î'ouvement foxis lin. Ils font -obéis ett
on nom , & quand il croit leur faire
exécuter fe volonté , c*eft lui qui , fans
le favoir , exécute la leur. Cela ne fàu-
roit être autrement , car comme il ne
peut voir que par leurs yeux , il faut
néceflàirement qu'il les lalfle agir par fes
plains. Forcé aabandonner à d'autres ce
qu'on appelle le détail ( * ) & que j'ap-
pellerois , moi , l'effentiel du Gouverne-
ment , il fe réierve les grandes aâàires ,
le verbiage des Ambafladeurs , les tracaf-
^eries de fes favoris , & tout au plus le
choix de {es maîtres , car il en faut avoir
malgré foi , fi-tôt qu'on a tant d'efdaves.
Que lui importe , au refle , une bonne
ou une mauvaife adminiûration ? Com-
ment fon bonheur feroit-il troublé par la
(*) Ci^ul Importe >in ctio;ei5, c'tffi d^lrc centrait
^noncnl A piiCbf ciBtM. A» farplm , que l'Etat bit grand,
fuilTant ScOaciO^, c'Gft l'jiSiin p>((iCBliat du Prinw,
4i let Tuiets a'T m lucuB înifitt. Le McDuqic doit donc
ptemiiieiiKDt l'occapcr du détail tn qnol cosEftc la libmi
tiTik , la fuKt^ éo pnplt ft mine la finsc 1 bien dg*
égaidi. Apiis ceUi ^it loi nfie dn ttaulpttdrc.ilpei^
k donner 1 toMu «i erandes iïïairn qui B'inlfreflïnl
ferfeant , qai Bt miflèni iasiaii qnc det vim du eenver-
■emiat , qui pai MnOqBtnt ne fbnt ifco ivnt an Fenslt
fMMtui t II fini f«H dt tJwfï (tu u Soi fiv*>
l'Abbé de St. Pierre. 87
mUere du Peuple , qu'il ne peut voir ;
rfes plaintes , qu'il ne peut entendre ,
par les défordres publics dont il ne
ikvjz jamais rien î II en efl de la gloire
des Princes comme des trëfors de cet in*
feoie , propriétaire en idée de tous les.
Taiflèaux qui arrivoient au port ; ropînion
de fouir de tout rempêchoit de rien dé-
lirer , Se il n'étoit pas moins heureux de&
richefles qu'il n'avoît point , que s'il les.
eût polTédées.
Que feroit de mieux le plus juAe Prince
avec les meilleures intentions , fi.-tôt qu'il
entreprend un travail que la nature a mis-
au-deiTus de (es forces î II eu homme &C
fe charge des fonûioos d'un Dieu, com-
ment peut - il efpérer de les ren^jUr ? Le'
iâge» s'il en peut être {ur le trône ^re-
nonce à Tempire ou le partage ;. il con-
fuite Tes forces i il meftire fur elles les-
fondions qu^il veut remplir, & pour Être
un Roî vraiment grand , tl ne fe charge
point d'un grand Royaume. Mais ce que
feroit le fage a peu de rapport à ce que
feront les Princes. Ce qu'ils feront tou-
jours , cherchons au moins comment ils
peuvent le &ire le moins mal qu'il ioit
88 POLYSYNODIE DE
• Avanf que d'entrer *h matière , il eff
bon (fobfervêf qiie fl par miracle queique
grande ame peut fiiffirc à la pénible chargé
3e la Royauté , l'ordre héréditaire étabir
dans les fflccefftons , & Textrarafflinte'
éducation des héritiers dit Trône tour-
riironf totijoiirs' cent imBécilles poiir un
■frai Roi ; qu'il y aura des minorité ,
des maladies , des teras de délire 8c de
paffion qid ne laiflëront fouvent à la tête
de l'Etat qu'un fimulacre de Prince. îi
fènt cependant que les affiûres iê feffent.
€hc2 toiis les Peiipleis qui ont un Roi ,'
il efl: dont, abfoltiment néceffirirc d'établir
une forme de gouvememeftt cmj fe ptriffe
paffer' du Roi ; 8c dès qu'il en pôle qu'iui
Sotiveraio peut rarement gouverner par
Ini-même, il ne s'agit plas que de fa-
voir- comment il peut gouverner par au-,
t^ui ; c'eft à réfoUOTe cette queflSon qi^cft
dclHné le difccnirs fur la Polyfj^flodie.
L*AsBE DE St. Pierre. 89
ô * ' "' "" w ^
CHAFI T RE II. '
Trois firmes Jpécifiques it Gouvimtment
fubordonnL , i
Un
* N Monarque , dit l'Abb* de St. Pierre ;
peut, n'écouter qi^iiï feul homme .dans
ttHites fes afikires, & lui confier toute
fon autorité , comme autrefois' les Rois
de France la donnoient aâx Maires dit
Gâtais, & comme les Prince» 0TAïaBxti
la confient encore; au}outd.*Iiiti: à-' ct\\Â
qu'oh nomme Grand'- Vifir en Turqaie;
Pour abréger , j'appdlerai Vififarcettô
forte de miniftcre.
. Ce Monarque peut auffi partager foit
autorité entre deux- oit plufieufs homtneS'
mt'il- écoutff chacun Xé^tétatrit Air la-rorte
tfafiàirequi lenr eft commife; à-fléu-jrès
comme-ftjfoit Lotiii^ OHV avet- CôMpert
& Louvoîs. C'eft cette forme que je nom-
merai dans la fuite demi - Vilîrat.
Enfin ce Monarqnè^peut faire difaiter
dans des affemblées les aifeires du Gou-
vernement , & former à cet effet autant
90 POLTSYNODIË £>E
dé conieils qu'il y a de genres d'afl&îrft
à traiter. Cette forme de miniftere mie
l'Abbé, de St. Pierre appelle pluralité des
Confeils ou Polyfynodie, eit à-peu-près,
félon lui , celle que le Régent Duc d'Or-
léans avoit établie fous ion adminiilra-
tion , & ce qui lui donne un plus grand
poids encore , t^étoit auffi celle qu avoit
adoptée l'Elevé du vertueux Fenelon.
Pour choifir entre ces trois formes &
juger de celle qui mérite la préférence ,
il ne fuffît pas de Us confidovr. en gros
&.par la première face qu'elles prcfen-
tent ; il oê &ut pas y non plus , oppofer
les abus de Tune à la perfisâion de Tau-
&e , ni s'arrêter feulement à certains mo~
mens paflàgers de défordre ou d'éclat ,
mais les fuppol'er toutes auffi parâites
[u'elles peuvent l'être dans leur dtu-ée ,
le chercher en cet état leurs rapports &C
leurs différences. Voilà de quelle manière
on peut en &ire tui paraUele exaSt.
t
l'Abbé de St. Pierre. 91
Qtt ! ■ vr n
CHAPITRE III.
Rapport <U cts farmtt k ctUet du Gouvenu'.
mmt fuprime,
XjEs maximes élémentaires de la poli-
tique peuvent déjà trouver ici leur appli-
cation. Car le Vmral , le demi - Viiu-at »
&: la Poly/ynodie le rapportent manifeflc-
meiït àzns récononùe du gouvernement
fitbaiteme aux trois formes fpécîfi[]ues
du gouvernement fiiprême « & plufieurs
des principes qui conviennent a l'admi-
niftration fouveraine peuvent aifément
s'appliquer au Miniftere. Aînfi le Viiirat
doit avoir généralement plus de vigueur
& Je célérité , le demi- Vifirat plus d exac-
titude & de foin , & la Polyfynodie plus
de juAice Se de conftance. Il eft fur en-
core que comme \a Démocratie tend na-
turellonent à l'Ariftocratie , & l'Arifto-
cratie à la Monarchie ; de même la Po-
iyfynodie tend au demi -Vifirat, & le
demi-Vîfirat au Vifirat. Ce progrès de la
iôrce puUique vers le relâchement qui
«,1
■POLYSÏNODIE DE
oblige de renforcer les refforts , fe re-
tarde qii s'ac<élete  . proportion que tou-
tes les parties de l'Etat iont bien ou mal
conllitiiées ; &. comme on ne parvient au
defpotifme & au Vîfirat que quand toiis
les autres refforts font ufés , c'eft , à mon
avis , un projet mal conçu de prétendre
abandonner cette forme pour en prendre
une des précédentes : car nulle autre ne
peut plus fuffire à tout ua peuple qui i
pu fupporter celle-là. Mais , fans vouloir
quitter l'une pour l'autre , il eft cependant
iftilë dfe cotiBiïître celle des trois qui vaut
Ih mieùy. Nous venons .de voif que » par
une ariaîô^ie affez naturelle , la Polyfy-
Modie mérite déjà la préférence , il refte
à rechercher fi l'examen des chofes' mè-
mes pourra la lui confirmer; mais avant
que d'entrer dans cet examen , commeii-
çons par une jdée plur pfédfe .de là forme
île, félon notre Auteur, doit avoir la
'olyfynodie. "
0'
t
L'ABBi DEj St. PiERHE. 9J
C» '^*P .L. ^
CHAPITRE IV.'
Partage & Départemens des ConfeiU*
I ,' E Gouvernement d'un grand Etatitel
que la France , renferme en foi huit obiet^
principaux qui doivent former autant dé
départemens & par conlcquent avoir cha--
cun leur conieil particulier. Ces huit par-
ties font : la judice , la police , les lînan-
ces , le commerce , la marine , la guerre »
les affaires étrangères ,: te celles de la reli-
gion. Il; doit y avcir encor{( un neu-
vième Confeil , qui , formant la .liaifon
de tous les antres , luûjîe toutes les par-
ties du Gc
a&ires itrai
reffQrtn'att
du PrÏBCç ]
penfant &
iiipplée à 1
dies y la mi
fion du trai
fesfon^Qn
toujours êti
-prélénte ou
a venir.
94 POLYSTNODIE DE
CHAPITRE V.
Manière de Us eompofer.
\t\. l'égarâ de la manière de eompofer
ces Confeils , la plus avantageufe qu on y
piiiffe employer paroît être la méthoae
du fcmtin ; car par toute autre voie il eft
évident que la fynodie ne fera qu'appa-
rente , 4jue les Confeils n'étant remplis
que des créatures des favoris , il nV aura
Ipoint dç liberté réelle dam les fuifrages,
& qu'on n'aura fous d'autres noms qu'un
véritable Vîfirat ou demi - Vifirat. Je ne
m'étendrai point ici fur la méthode & les
avantages du fcru^ ; comme il iàit un
lies pcÂnts ca|ntaux 4a fyilême de Gou-
'vememcnt de l'Abbé de St. Pierre, j'en
■traite ailleurs plus au long. Je me coiv
■ tenterai de remarquer que quelque forme
dç Miniftere qu on admette , il n'y a
point d'autre médiode par laquelie on
puifiè être alTuré de donner toujours la
préférence au jrfus vrai mérite ; raifoo
^montre plutôt l'avantaj^ que la &m*
l'Abbé de St. Pierre.
9î
iité de ùàre adopter le fcrutin dans les
Cours des Rois.
Cette première précaution en fuppofe
d'autres qui la rendent utile ; car il le
^eroit peu de choiûr au fcruôn entre des
fujets qu'on ne connoîtroit pas , & l'on
ne lâuroit connoître la capacité de ceux
qu'on n'a point vu travailler dans le genre
-auquel on les deAîne. Si donc il &ut des
pades dans le militaire, depuis l'Enfeigne
|uiqu'au Maréchal de France pour former
les jeunes officiers & les rendre capables
ies fondions qu'ils doivent rempur un
jour; n'eft-il pas plus important encore
-<{%tablir des grades femblables dans- l'ad-
slunîjlration civile , depuis les Commis
îuf^'aux Préfidens des Confeils? Fàut-U
noins de teae &c d'expérience pour ap-
-prendre à conduire, lui Peuple que pour
commander iuse armée; les connoiflwces
4p l'homme d'Etat font - elles plus feôles
■S acquérir que celles de l'homme de Gxier-
re, où le bon ca-dre eft-il moins néçeC-
jkire dans l'économie politique que dans
3a difcipUne mililaire ? Les ^ades fcrupu-
leuf«m«9t obfewis.cBit été l'écfrfe de tant
df grands hommes qu'a produits la Ré<
POL-tSïNOOlt DE.
publique ide Venife , & pourquoi né corn-
menceroit - on pas d'auffi loin à Paris
pour fervir lé Prince qu'à Venife pour
îervir l'Etat.
Je n'ignore pas que l'intérêt des Vifirs
s'oppdfe à cetir nouvelle pdice : jef Éûs
bien qu'ils ne veulent point Être affujettis
à des formes qui gênent leur d^fpotiime*
qu'ils ne veulent employer que des créa-
tures qui leur foient entièrement dé-
vouées, & qu'ils puifient d',un mot re*
.plonger dans la poiimere-d'oii ilsles àrent-
lUn nomme' de naiflancê , dei fon côté>
:qui rfa pour cette foule de vdets, que le
-mépiis qu'ils inéritent :,■ dédpgne d'enùer
en conciurence avec eux: -dans ' 1» même
■carrière , ôc le Gouvenrément de ITEtat
efl tOHJoiirs prêtàidevenir.la proie du
rebutdq fes citéyens.^Auffii'n'efl-ce pfeii|l
.fous le Vifirat'i «làistfousflaiftute Pôly-
fynodie qti'ompeut^efpéteh d'ôtîdïlir dans
1 adiftiniftration civile des grades . honnê-
tes qui ne fuppofent'pas la bdirtdfle , m^is
le mérite , & qui pioflênt rapprocbtr h
■nobhQs des: afoires' xlbnit. oni^eâé de
raoïgnét Ô6 quelle: aâçde''^ m^rifti-k
ibatovu, ■'■.-■ ' ' -c -y- :• ^-i • .-"i. -'■
CHAPITRE
l'Abbé de St. Pierre. 97
CHAPITRE VI.
Circidaùon dts Diparumms.
De
*E PétablilTement des grades s'enfiiit
la néceflité de faire cîrnikr les départe-
mens entre les membres de chaque Con-
ieil & même d'un Coi^eil à l'autre , afin
que chaque membre éclairé fiicceffivement
iur toutes les parties du Gouvernement,
devienne un jour capable d'opiner dans
ie Confeil général & de participer à la
grande admmiftration.
Cette vue de faire cïrcider les départe-
mens eA due au Régent qui l'établit dans '
le Confeil des finances, & 11 l'autorité
«l'un homâie qui connoiflbit li bien les
refforts du Gouvernement ne fuffit pas
pour la faire adopter, on ne peut difcon-
venir au moins des avantages fenfibles
3 ni naîtroient de cette méthode. Sans
oute il peut y avoir des cas oîi cette
circulation paroîtroit peu utile ou difficile
à établir dans \z Polyfynodie .: mais elle
ify eft jamais irapoffible , & jamais praj
Pkçes divcrfes, E
POLYSYNODIE DE
ticable dans le Vifirat ni dans le demt-
Vifirat ; or il eft important, par beaucoup
de très-fortes raifons , d'établir une forme
d'adminîAration où cette circulation puifle
avoir lieu.
i^. Premièrement, poiu- prévenir les
malverfations des commis qui , changeant
de bureaux avec leurs maîtres , n'auront
pas le tems de s'arranger pour leurs fri-
ponneries auffi commodément qu'ils le
font aujourd'hui : ajoutez qu'étant, pour
ainfi dire, à la difcrétion de leurs fucçef
feurs , ils feront plus réfervés , en chan-
geant de département, à lailTer les a&ires
- ne celui quils quittent dans un état qui
pourroit les perdre, fipar hafard leur fuc-
cefleur fe trouvoit honnête homme ou
leur ennemi, i". En fécond Ueu , poiu*
obliger les Confeillers mêmes à mieux
veiller fur leur conduite ou fur celle de
leurs commb; de peiu- d'être taxés de
négligence &c de pis encore , quand leur
geftioo changera d'objet fans cefle , &
chaque fois fera connue de leur fuccef-
feur. 3*'. Pour exciter entre les membres
d'un même corps une émulation louable
& qui psfîera îbn prédécefleur dans le
L'ABsi DE St. Pierre.
.99
même travail. 4". Pour corriger par ces
fréquens changemens les abus que les er-
reurs, les préjugés & les paillons de cha-
que fvijet auront introduits dans fon ad*
mtniftrâtîon : car parmi tant de carafleres
ifférens qui régiront fucceflivement " la
même partie , leurs âutes fe corrigeront
mutuellement , & tout ira plus conftam-
mént à l'objet commun. ï°. Pour donner
à chaque membre d'un Confeil des con-
■noiffances plus nettes & plus étendues
des affaires & de leurs divers rapports ;
en forte qu*ayant manié les autres parties ,
il voye diftinÔement ce que la fienne eft
au tout; qu'il ne ft croye paS toujours
le plus iiriportant perfonnage de l'Etat , &
ne nuife pas au bten général pour mieux
faire celui de fon département. 6*. Pour
que ïous leS avis foitent- niienx portés'
eri-' cbraitSiflànèè de -calife j qire chacun'
en»?ide Wut*^ lès mâtSérfeS Atr lèfoiiellés'
fl dort op««", &?^'unfe ^liA 'grande ittli- '
fonilîté idié'-ltiinîë-és mette Jjlu's de ctMi-"
CTOT^ç &?'aé feîfofftlMaîlei délibératidos'.
Comimuift. - 7*.-Poii.y exêriteH Vefprif &
tes talens' des-Mîfrîftres ï'tar ,''^rtés k'W
fepafer èci^pfrtfeîiir^ïfir ttf* li^ême trt-'
E'i :
lOO P.pLY.S YRODIE IVE;
vait , ils oe ^'en, ^nt enfin qu'une routine
qui relTerre & circonfcrit , pour ainfi
pire, le génie par l'habitude.' Or l'attenr
tion eft à refpril ce qu£ l'exercice eft au
(içrps i c'ell elle qui lui donne de 1? vi-
oleur, de TadrelTe, Se qi^i.le rend j^ro-
pr£ à fuppoEter le travail : .ainfi l'on peut
dire qiie cluqueCpnfeiller d'Etat,. ejti re-
venant .après, quelques années de circu-
lation^ lex^Çicede fon premier depar-
lement,; s'en trouvera réellement plus ca-
pable que, s'il n'ea.eût point du tout
chapgë. Jeflig, nie; pae que s'il.fûl demeuré
^s le .mêpiev U. n'eûç acquis {dus de
faillite k ex^édie^ les aâaires qui eo. dé-
pendant ; mais je dis qu'elles euffent été
qioins- l^iea- faites i ^cé qu'il eut eu des
vues piijp .bornées , &. qu'il xi,'eut pas
^cq^is iine.çpnnqiirançeL^f^3ie?^ç- ^es
rapport -qwîont; ces araires jByfSnrf^Ûes
4e^^^i^s i4tîpaWn»snsi; ^lflrt8)-qM'U
ïî?rPcr4;tl'un ^pip ^s la^ çîrçyJatipB <pie
pour gagner fd'uf^ autre bçaugou|) tùvaof
^Çe., 8P. Enfin ^'-jffJni méfUMerplus d'éga-
lu; dans le gouyou- , plus idrindfi^^fince
egfrç les Qpnfeiliets.^^BtatV'^Baf- CftaC^-
S»Wï:Hl»i*t4é lilaîni^,.énîtjiflfii^l&i(ge^
i,*ÂiBÉ -Dk St. Pierre; ioi
Autrement dans un Confei! nombreux e.i
apparence , on n'auroit réellement que
deirx ou trois opinars auxquels tous les
autres feroîent affujettis , à-peu-près com-
me mîx' qii'on âppelloit autrefois A Rome
Senawrts. pedofii.y tpii pour, l'ordinaire
regarèoient moins- à'I'aVis qn'îi IViteur :
inconvénient d'autant plus dangereux , que
ce ■rfeffiaifiais en' faveur (hi meilleur parti
qu!oii . a befojn de. gcner les voix.
On pourroit pouffer encore plus loin
cette drcuJàtioh des départemens en l'é- -
tendant jufqu'â la Préfiderfce même ; car
s'il étoit de l'avantage de la République
Romaine , qiie les Confuis redeviiment
au bout , de 1 an fimples Sénateurs en atten-
dant un ntouveau Confulat , pourquoi ne
féroit-il pas de l'avantage du Royaume,
que les Préfidens redevïnffent après deux
ou trois aiik fimples Corifeillers , en atten-
dant ùtië' noitveile Préfidence î Ne feroit-
ce pas , ^our àinfi dire , propofer un prix
tous lés tfois ans à ceux 'de la Compagnie
qui diirant cet intervalle fe diftingueroient
dans leiu- Corps? Ne feroit-ce pas un
nouveau reffort très - propre à entretenir
dans %ïe' coririniielle'àftivité le moitve-
E3
POLYSTNODIE DE
ment de ta machine publique ; & le viai
iècret d'animer le travail commun n'eft-il
pas dy proportionner toujours le ialaire?
CH A P ITRE VII.
'Autns avantages dt ceiu circulation,
J E n'entrerai point dans le détail des
avantages de la circulation portée à ce
dernier degré. Chacun doit voir que les.
déplacemens devenus néccHaires par la
décrépitude ou l'aAbibliflement des Pré-
iîdens » fe feront ainii fans dureté & fàj;is
effort ; qiie les Ex-préfîdens des Conieils
particuliers auront encore un objet d'élé-
vation , qui fera de fiéger dans le Confell
généra] , &: les membres de ce Çonièîl
celui d'y pouvoir préfider à leijr tour ;
que cette alternative de fubordination &;
aautorité rendra l'une & l'autre en même
tems plus parfaite & plus douce ; que
cette- circulation de la Préfidence eu le
plus iur moyen d'empêcher la Polyfyno-
die de pouvoir dégénérer en yifirat ; &,
i'Abbé de St. Pierre. 103
qu'en général la circulation répartîiTant
avec plus d'égalité les lumières & le pou-
voir du Mimftere entre plufieurs mem-
bres , l'autorité royale domine plus aifé-
ment fur chacun d'eux : tout cela doit
lauter aux yeux d'un leûeiu* intelligent ;
Se s'il fàlloit tout dire , il ne feudroit
rien abréger.
Df'f ^?y ]« g
CHAPITRE VIII.
Que la Polyfynodîe efl Padminijiration ta
fous • ordre la plus naturelle.
J E m'arrête ici par la même raifon Itir
la forme de la Polyfynodie , après avoir
établi les principes généraux mr lesquels
on la doit ordonner pour la rendre utile
&c durable. S'il s'y prefente d'abord qug^-
que embarras, c'efl qu'il eft toujours à3m-
ciie de maintenir long-tems enfemble deux
Gonvememens aufli différens dans leurs
maximes que le monarchique &c le repu-
bliquain , quoiqu'au fond cette union pro-
duisît peut-être im tout partait, U le
E4
I04 POLYSYNODIE DE
«hef-d'œuvre delà politiijue. II faut donc
bien diftingiier la forme apparente qiii
règne par -tout, de la forme réelle dont
il efl ici qiieftion : car on peiit dire en
wn fens qiie la Polyfynodie eft la pre-
mière &C la plus naturelle de toutes les
adminiûrations en fom-ordre, même dans
la Monarchie.
En effet , comme les premières loix na-
tionales furent feites par la nation aflent-
blée en corps , de même les premières
délibérations du Prince furent fiiifes avec
les principaux de la nation alTemblés en
Confeil. Le Prince a des Confeillers avant
que d'avoir des Vilîrs ; il trouve les uns
& fait les autres. L'ordre le plus élevé de
l'Etat en forme naturellement le fynode
Ou Confèil général. Quand le Monarque
efl élu , il n'a qu'à préfider &c tout efl
fait : mais quand il faut choifir un Mi-
ojftre , ou des favoris , on commence i
imroduire une forme arbitraire où la
brigue &c l'inclination naturelle ont bien
plus de part que la raifon ni la voix du
peuple. Il n'elt pas moins fimple que dans
autant d'affeires de différentes natures qu*en
lefirç le Gouvernemçnt, le Parlement na^:
l'Abbé de St. Pierre.
105
tïonal fe divife en divers comités toujours
fous la préiidence du Roi qiii leur aflîgne
à chaain les matières fur lefquelles ils
doivent délibérer; & voilà les Confeils
parûculiers .nés du Confeil généra! dont
iïs font les .membres naturels , & la Sy-
Dodie changée en Polyfynodie ; forme
que je, jie dis prts être , en- cet état , la
meilleure , mais bien la première &: la
plus naturelle.
Et" , . ffrf ■ ' jgg
C HA P I T RE rX.
.Et la plus utile.
VjOnsidÉrons niamtenant la droite fin
du Gouvernement & les cbftaclas qui l'en
élqignejit. Cette: fin eft fans contredit le
plus grajui intérêt de l'Etat & du Roiî
ces. obAacJi^s font ,' icaitse ie àéiavi de lu*-
mieres , lîiotérêt, particulier des 'sdiftinif*-
trateurs ; d'«ii il fuit que , plus ces inté-
rêts particuliers trouvent de gêne & d'op-
pofition « ^oins ils Jîalancent l'intérêt pu-
blic. -^Ae forte que s'ils pouvcûent fe hmifr
tçr ii. ie c^miire omtqdkment , quelque
106 POLYSÏNO.DI-E DE
vi& qu'on les fuppolSt , ils deviendroient
nuls dans la délibération , & l'intérêt pu-
blic feroit feul écouté. Quel moyen plus
fur peut - on donc avoir d'anéantir tous
ces intérêts particuliers que.de les oppo-
fer entr'eux par la multiplication des opi-
Dans. Ce ^i fait tes intérêts particuliers
c'eft qiTils ne s'accordent point , car s'ils
s'accordoient ce ne ieroit plus un intérêt
particulier maïs commun. Or , en détrui-
ïant tous ces intérêts l'un par l'autre ,
rtfte l'intérêt public qui doit gagner dans
la délibération tout ce que perdertf les
intérêts particuliers.
Quand un Vifir Qptne Jàns témoins
devant fon maître, qu'efl-ce qui gêae alors
fon intérêt ' perfonnel ? A-t-il-oefoin de
beaucoup d'adr^e pour en inipôfer à lUt
homme auffi borné que doirerit l'être or-
dinairement les Rois , circonfcrits partout
ce qui les environne dans un û petit cer-
cle de timùeres? fur des expolés £iM-
fiés , fiir des prétextes fpécieux , ftir des
laifonnemensîbphiftiques, qui Pempêché
■de déterminer le Prince avec ces grands
■mots d'hanatitr de la Céttronm & dt hUn
■dt ^SlUU aux eatcepri&£ les plbfr Am^és »
l'Abbé de St. Pierre. 107
quand elles lui font perfoonellement avm<
tageufes ? Certes c'eft gnmd hafard fi
deitx intérêts partiailiers aufll aâiâ que
celui du Vifir & celui du Prince , laiflent
quelque influence à l'intérêt public dans
les délibérations du cabinet.
Je fais bien que les Gînfeillers de l'E-
tat feront des hommes conune les Vifirs ,
je ne doute pas qu'ils n'aient fouvent,
ainfi qu'eux , des intérêts particuliers op-
pofés à ceux de la nation & qu'ils ne
préféraient volontiers les premiers aux
autres en opinant. Mais dans une aâem-
blée dont tous les membres font dair-
voyans ôc n'ont pas les mêmes intérêts ,
chacun entreprendroit vainement d'ame-
ner les autres à ce qui lui convient ex-
clufivement : làns perfuader perfonne , il
ne feroit que fe rendre fufpeâ de corrup-
tion & dinfidélité. Il aura beau vouloir
manquer à fon devoir , il n'ofera le tenter
ou le tentera vainement au milieu de tant
d'oblèrvateurs. Il fera donc de néceiHté
vertu , en facrïfiant publiquement fon
intérêt particulier au bien de la patrie ,
& foit réalité , foit hypocrifie , l'effet fera
le même en cette ocôfion pour le lùen
E 6
I08 POLYSYNODIE DE
de la fociété. Ceft qu'alors un intérêt
particulier très - fort , qui efl: celui de là
réputation, concourt avec l'intérêt public.
Au lieu qu'un Viiir qui lait , à la faveur
des ténèbres du Cabinet , dérober à tous
les yeux le fecret de l'Etat, fe flatte tou-
jours qu'on ne pourra diftinguer ce qu'il
fait en apparence poiu' l'intérêt public de
ce qu'il feit réellement pour le fien , &
.comme, aorès tout, ce Vifir ne dépend
3 lie de fon maître qu'il trompe aifément,
s'embarrafle fort peu des murmures de
tout le refte.
Cîg , ^ry ■ X i
CHAPITRE X.
Autres avantages.
Db
' E ce premier avantage on en vok
découler une foule d'autres qui ne peu-
vent avoir liai fans lui. Premièrement
les réfolutions de l'Etat 'feront moins fou-
vent fondées fiu- des erreurs de fait, parce
ou'il ne fera pas auflî aifé à ceux qui
feront le rapport des faits de les déguifer
devant une affemblée éclairée , oti fe trûvis;
l'Abbé de St. Pierre. 109
veront prelque toujours d'autres témoins
de l'aiîare , que devant un Prince qui n*a
rien vu que par les yeux de fon Vifîr;
Or , il eft certain que, la plupart des réfo-
lutibns d'Etat dépendent de la connoiilknci!
des faits, & l'on peutdire mêmeengéné^
rai qu'on ne prend giieres d'opinions feuil
iès qu'en fuppofànt vrais des iâits qiû
font faux ou Éiux des faits qui font vrais;
En fécond lieu , les impôts feront portés
à un excès moins infupportable , léHque
le Prince pourra être éclairé fur fa véri-
table fitiiation.de fes Peuples & fur fes
véritables besoins ; mais ces lumières , nq
les trouvera-t-il pas pKis aifément dans
\in Confeil dont phifieurs membres n*ai-i
ront auain maniement de finances j' ni
aucun ménagement à garder, qiië dansuQ
Vifir qui veut fomenter ■ les paflîons de
fon maître , ménager les fripons en faveur;
enrichir fes créatures & faire fa main poirf
lui-même. On voit encore que les fem-
mes auront inoins de pouvoir & que pat'
conféquent l'Etat en ira mieux. Car il eft
plus aifé à une- femme intrigante de placéf
un Vifir que cinqnante Cortféillc^s &di^
fëduire un'hammç que tout tta ct^ége^
POLYSYNODIE DE
On voit que les affaires ne feront plus
ilifpendiies ou bouleverfées par le dépla-
cement d'un Vifir ; qu'elles feront plus
exaÛement expédiées quand , liées par
ans commune délibération , l'exécution
îêra , cependant , partagée entre pUifieurs
Confeillers, qui auront clwam leur dé-
partement, que lorfqu'il ^ut que tout
îbrte d'un même Bureau ; que les fy^é-
mes politiques feront mieux fuivis Se les
réglemens beaucoup mieux obfervés quand
il D*y aura plus de révolution dans le
Miniftere , & que chaque Vifir neiê fera
£lus un.point d'honneur de détnxiretous
s établiUemens utiles de celui qui Taura
précédé , de forte qu'on fera iur qu\m
Srojet une fois formé ne fera plus aban-
onné que lorfque l'exécution en aura
été reconnue impofiible ou mauvaife.
A toutes ces conféquences \ ajoutez-en
àeux non moins certames , mais plus im-
portantes encore , qui n'en font que le der-
nier réfultat & doivent leur donner un
prix cjue rien ne balance aux yeux du
vrai citoyen. La première, que dans lui
travail commun , le mérite , les talens >
f'iotégrité ie feront plus aifémâit connoî*,
L*AsBÉ t»9 St. Pierr^. i i i
trt ^récompenfer ; foit ^aos lei meitH
tires c^ Confeils qui. feroîit fans cefle.
fous les yeux, les uns dç$ autres 6c de tout
l'Etat , foit d{tns te Reyaurae, entier où.
nulles aôîonsrçinarciuabtes, nuls liommes
dignes (TêCrt diiUngués, ne peuvent Te
é^'ober ,long-tems zvat, regards d'ime
^SemUée qiii veut & peut tout voir, ,ô^
0Ji,Ia jaloufie & l'émulation des membres
les porteront fouvent à Te &ire des créa-
tures qui ef¢ en mérite celles de leurs
nvaux; la féconde Sf. dernière coqUéagstnc».
eA que tes honneurs Scies emplois diitri-
Iniés avec plus d'équité 6c de raifon,
l'intérêt de VElstSc du ftincemieux éooih
té dans les délibérations , les aâaires mieux
expédiées 6c le mérite plus honoré doi-
vent nécellairement réveiller dans le coeui
dutPeupIe cetainour de la Patrie qui eft
le plus piriflint rtiÇart (l'un ^? gouver-
nement 6c qui ne s'éteint jamais ctiezles
Citoyens que par ^la faute des . CheÉi (*).
Tels font les effets néceâàiies ^une
:,<'') B T 9 jlm àt nie ft.daftcrtt dul b Vifint,,
^mi.
ili POiLYSYNODIÉ-DE ■'-
formé de gèuvei'nêmént t^iii forceil'-iftté''
rêt paiticiilier il céder à l'intérêt général»
La Polyfynodie offi-é encore d'autres avan-
tages qi.ii donnent im nouveau prix à-
cexix-fâ. Des aflèmblées ncftibreufes &
éclairées fourniront plus de lumières fui*
les expédîensî &■ l'expérience ! confirmai
que les délibéràtiOps d un Sénat font' eni
gértéraîphis lages'Sc mieux digéfées gue
Celles d'unyifir: Les Rois feront plus uif-
tniits deïeiJEFS àifeires ; Us ne lauroient
àffiftèr iinc-' Cohfeils 'fens s'en : iiiflruire ,
car ■ c'éft'-' là 'mt'on -ofe dire la ' vérité ,■ Bc
les ni^t^s flé èfcique Confeil: auront le
t)KiS:^raiM intérêt >tjiie îe' PriàceydJMe
âffidrtméht' pouf en fdulèriir le pouvoir
Ou pôiiÇ ëri aiitorifer les réfolutions. Il y
aura mmns "de vexations & d'mjtifl^c»'
de la part-d;ésj>llife fofts'j cariiïi'ÇoAfeil
fera plus accefiib'ie ^w te irâne aux op^
pTiiSiés '•/'ih côurïênt ïnoins;d9 riJque à
jrp^r'le*iirs pl&ilfeèV & ils y tTôirc*)
ront- toiijours" ■ daïft (Juéîqiiâs membres
pU's_de_protefteurs ^contre les violences
des autres que fous le"Viiirat contre ùri
ieûl 'fiofctti^ friirptift 'ie^rtî', 'm eoifirôMn
flerni'-Vïfîr Jà(:cor{i"àVec fes toll^igt^è^
L'ABBi;DE St. PlERflE. IIJ
pour feire renvoyer à chacun tTeux le
lugement xles plaintes qu'on fait contre
lui. L'Etat ibuffi-ira moins de la minorité,
de la fcibleffe ou de la caducité du Prince.
Il n'y auia jamais de Minifbe stSéz pui^
iant pour le rendre , s'il <eâ: de grande
naïUânce, redoutaHeiibn aiaîtremême,
ou pour écarter & mécontenter les Grancb
s'il eft né de bas lieu ; par conséquent ^
il y atua d'un côté moins de levains de
guerres civiles , & de,i'autre plus de {ivret^
pour la confervaCiDn desidroksdelaMai*
ion Royale. Il y aura moirts miffi de guep*
res étrangères ,' parce qu^ly aura moins die
gens intérefles à les rutcUer &c qulls auront
moins de pouvoir pour *n venir à bouh
En£n le trône en fera mieux affermi de
toutes manières ; la volonté du Prince qui
n'eft ou ne doit être que la volonté pi»*
blique mieux exécutée & par conféquent
la iration plus faeureufe.
Au refte , mon Auteur convient lui-
même que l'exéaition de fon pian ne ■■ fe^
roit pas également avantageufe en tous
tems , & qu'il y a des momens de crile
& de trouble . où il feirt fubftitiier . au*
Conieils pennanens des Commi^nsejM
,Go(-^^l.-
114 POtïSYKODIE DE
traordïnaires , 6c que quand les finances f
par exemple , font dans un certain défor-
dre, il faut nécellàirement les donner à
débrouiller à un feul homme , comme
Henri IV fit à Rofiù & Louis XIV à Col-
bert. Ce qui fignifieroit que les Confeils
ne font bons pour faire aller les afeires
que quand elles vont toutes feules ; en
effet ; pour ne rien dire de la Polyfyno-
die même du Régent , l'on fait les rifées
qu'excita dans des circonfiances épineufès
ce ridicule Confeil de raifon étourdiment
demandé par les notables de VaSembléc
de Rouen & adroitement accordé par
Henri IV. Mais comme les finances des
Républiques font en général mieux admi-
niitrées que celles des Monarchies ; il eA
à croire qu'elles le feront mieux , ou du
moins plus fidellement par un Confeil
que par un Miniftre ; & que fi , peut-être,
un Confeil e&. d'abord moins capable de
l'aftivité néceflaire pour les tirer. d'un
état de défordre , il eil aufiî moins fùjet i
la négligence ou k l'infidélité qui les y
font tomber : ce qui ne doit pas s'entendre
d'une affemblée paf&gere & lubordonnée^
nais d'une véritable Polyfynodie où les-
l'Abbé de St. Pierrb.
"T
t
Çon&ils aiwit réeUenwnt le pouvoir
^lI*i/s paroiflent avoir , o(i radminiftration
es amires ne leur foit pas enlevée par
des dcmi-Vifîrs , & où fous les noms
Ipécïeux de CoTtfeU ifEtM ou de Coà/eH
dts Fmances , ces Corps ne foicnt pas
feulement des tribunaux dejufticeou des
chambres des comptes. :
CHAPITRE XL
-, Canclufiott,
V^UoiQUE lesavMtages de la Polyly-
nocue ne foient pas fans inconvéniens ,
6c que les inconveniens des autres formes
d'adâiiniilration Jie foient pas fans avan-
tages ,. du. moins appâr8ns;< quiconque,
fç» liuis partialité le parallèle- des uns
6c des autres , trouvera que la Polyfyno-
die n'a point - d'ihconvénians effentiels
qu'un bon Goutemement ne puifle aîfé-
ment fupporter; aU lieu que tous ctux
du Vifiratôc du demî-Vifirat attacpient
les fcMidemens mêmes de la conftiwtion ;'
qii'une adaiaUlration non «itenwnpue-
.POLtSVNO&IE DE
peut fe'peffeâioiiner fans cèffe , progrès
nnpoflîbieS darisiles intervalles & révolu-
tions du Vifirat i que la marche égale &
unie;: d'une Polyfynodie comparée avec
^e^ues.in*iaeBs b'fillans'du Vifirat, eu
ûn;foplnime;' greffier- 'qui n'en feuTOÎt im-
pciier art vitli pôlitiqiié , parce qdfexç font
deux chcfes fort diff&'Cntes que Fadmîhif'
tralion rare &c pafiàgere d'un bon Vifir ,
& la forme gé.iérale du Vifirat oii l'on a
toujours des fieçles de défoniré furiquel-
ques années de bonne conduite ; que h
diligence & le fecr^ , les feuls vrais avan-
tages du Vifirat , beaucoup plus néc^aï^
res âaài les imanvais Gonvemçilïeiis,qHe
dans les bom y font de foibles £ipfidémeiis
au bon ordre , à la juilice ⣠a la çté'
voyance , qui préviennent les ioiaiix au
lieu .de : les.' répar&r ; . qu'on peut encore (é
Êrocitrer ces fupplémtns au befoin- dam-
1 Polyfjrnodie par des commifEons û^
tràordinaires , fans que lé Vifirat ait jv^-
mais pareille reffource pour les avantagea
dont il eil privé ; que même rexe[iq>le
de l'ancien Sénat de. Rome & de celui de
Venife {irouve que des commjfiiiïns ne:
font i»s;toujpuîs péce^àirtedàW an-GQtt: ,
:. lJAbeé.de St. Pie^^e. \: {^y
fei) pour expédier les pttis importantes
afeires promptement & fecrétement ; que
le Vifirat & le demi - Vifirat aviliffant ;
corrompant , dégradant les ordres infé-
rieur» j- MÎgeroienr pDUitatit àes hommes
parfaits dans ce premier rang ; qu'on n'y
peut gueres monter ou;s'y maintenir^uS
iôrct deo^nés, ni s'y -bièn-compon»-
qii^à force dé vertus; qu'ainfi toujours
en obflade à îm-même ,■ le Gouveni0>
ment engendre continuellement les fvàcej
qui lé déprtivent y ]&:oonfiimant l'Etat pour
le renforcer, périt enfin confine un édî*-
Bce qu'on Toudroit élever fans cejTe avec
des-ntatériaux-tirës dc fes fdndemeosj C'eft
ici la confidératiorï la plus importante aUx
yeax de l'hûmme d'Etat , & ceBe à la-
quelle je ; yàis m'arrêter. La , meilleure
vitim de GçujMrneaaejit ou dur m'oins la
pHifiii^^fï^el» iéft «elle- qui feitlpi-ihai»-
■;*Wfi i^i qu'alleiia.befoin ç^'ili fo^nt.
iL?ifl«B*^ies;le^eurs'r^kéctûr ftr:çe£aùf>-.
VKfiis ^','^ront Cément l'application^
■■.,'î'n %n ■■.;■; : '.'.■. .. . l'- ,''■'"'' ■-''
-■ r. .1^-^ 'i.'i:' B/isl iir- ^ ;.i["» no- <•■,-/
'.iiih y, îflii XIJB il^Wii (i{)';;];hcl ^ i**->''
.Goit^^le
JUGEMENT
POLYSYNODIE.
Db
' E toiis les ouvrages de l'Abbé de 5t.
Pierre , le difcours fur la Polyfynofïie eft ,
à mon avis , le plus approfondi , le mieux
raifonné , celui ofi l'on trouve le moins
de répétitions ,. & même le mieux écrit (
■éloge dont le iage Auteur fe feroîtfort peu
foucié , mais qui n'eft pas indifférent ans
leûeurs fuperficiels; Auffi cet écrit n'étirit-
il qu'une ébauche qu'il prétenidoit n'avoir
■pas eu le teins d'abréger , mais ^oo^ert effet
il' n'avoir pas eu le tems de gâter pour
vouloir tout dire ; & Dieu gatde un -lec-
teur iituiatient des abrégés deiâ'fàçonl
Ea Ai< même éviter daiis'cp diii^titV^te
rr^rofche fi co'nunode aùft^'i^ïotatii'cFÀî
M fiiveni mefurer le poâîUd que fur
Texifiant , où aux méclians qui ne tr6i>
vent bon que ce qiû fert à leur méchan-
ceté , lorfqù'oh iiraKtre aux itns ,& aux
autres que ce qui elt pourfoit être mieuxi
LA POLYSYNODIEi 11^
II a , clis-;« , évité cette grande çriie que
b fottife routinéé a prefqiie toujours fur
les nouvelles vues de la raifon , avec ces
mots tranchans de projets en tair & de
rêveries : car quand il écrîvoit en iâveur
de la Polyfynodie , il la trouvoii établie
dans ion pays. Toujours paifible & ferifé,
il ie plaifoit à montrer à fes compatriotes
les avantages du Gouvernement auqufjl
ils étoient fournis ; il en feifoit une com-
paraifon raî/ônnable 8c difcrete avec celui
dont ils venoient d'éprouver la rigueur.
Il \ouok le fyftême du Prince régnant ;
il en déduifoit les avantages ; i! montroit
ceux qu'on y pouvoit ajouter , & les ad^
ditions même qu'il demandoit , confiftoient
moins , félon lui , dans des changemens
à &ire , que dans Tart de perfeâionner ce
qui étoit êât Une parde de Ces Vues' liû
«oient venues fous fetegne de Loûis'Xiyj
mais il avôit eu lajËgefle de les'taîre',
iui<pi*i ce que rintérêt de ?Etat , tfelui^du
Gouvernement Se le fiea lui permiflent de
les publier.
n feut convenir cependant que fous un
même nom , il yavoit une extrême dif-
férence entre la Poly^odie qui eiù&ok.
:^o Jugement sur
& celle que propofoit i'Abbé de Su Pierre;
& pour peu qu'on y réfléchîffe , on trou-
vera que raaminiftratlon qu'il citoit en
exemple , lui fervoit bien puis de prétexte
que de modèle pour celle qu'il avoit ima-
ginée. Il toiunoit même avec aflez dV
dreffe en objeûions contre fou propre
^Àême les défauts à relever dans cehii
du Régent , & fous le nom de téponfes
à fes objeâions « il montroît uns danger
& ces- dçfàuts & leurs remèdes. Il n'eft
pas impoi&ble que le Régent , quoique
ïouvent- loué dans cet écrit par des toun
qui lie manquent pas d'adreue , M. péné-
tt.é la. fineffe -de cette critiçic , & qu'il
Bit abandonné L'ÂUié de St. Pierre par
pique autant que par foibleûe , plus offenfé
peut - être des débuts qu'on trouvpit dans
^on ouvra^'^» que mtté 4fi$ avantages
flu'on y Éiifoit reiparquer. .Pe^t-iêtre auili
,lui fut- il mauvais gré d'avc^ eji quel<{ue
■m^fere dévoilé fes Vttes fecretes , efl mon-
-trant que fon établiitement n'étoit rien
moins que ce qu'il devoit être pour de-
:venir avantage^ix à l'Etat, ■& prendre une
aflîettefixe oc durafelç. En effet j pn voit
, «laireiçent que ç'étoit.lft foipiç de Poly-
fynotUe
lA POXTSYKODIE. IXI
fynodie établie fous la Régence -que l'Abbé
Je St. Pieire acculait de pouvoir trop ai-
fément dégénérer en demi-Vifirat Se même
«n Vifirat ; d'être lufceptible, aufli iâen
mw l'un & Fautre , de -corruption dans
rfeS membres, & de concert eiroeux con--
ire l'intérêt public- ; -de n'avoir jamais
■ d'autre imefé pour -fa Jurée «pie. la vo-
lonté du Monarque régnant ; er£n de
n'être -propre que -pour les Princes labo-
rieux , -Se d'être , par conféquent , plu»
fouvent -contraire que fevorable-au hon
onire&à l'expédition des afeires.X'étoit
l'elpoir de remédier à ces -divers inconvé-
niens -qui l'engageoit à propofer une au-
tre pQiyfynodie erttiérement difierente de
«die qu'il feignoù de.ne vouloir que per- .
ieâiormer.
il ne feirt donc pa$ que la conformité
des noms faffe -confondre fon projet avec ■
cette ridicule Polyfynodie dont il v-o^iloit >
autoriièr la fienne ; mais qu'on appelloit
dès - lors par dériiîon les foixante &c <Ux
Miniftrçs , & qui Ait reformée au bout
de queltntes mois fens avoir rien feit qu'a-
chever de tout gâter : car la maaiere dont .
cène adininiibati<Hi- av-oit été-établie fait
Fieçes diytifts. F
Jugement SPR
allez voir cm'on nç s'étoiï.p^s M«ÇPHp
foucié qu'dk allât nùeiPti Si qulpr^ayoït ,
bien plus fongé à rentre le Parlement
méprifeble. au Péwpk qu'à donner^ réeUe-
jnentà fes membres, l'autorité qij'on fei-
^noiLde leur coofier.. G'éipit, un pié«
aux povvoirs iiiterm4|wi"e§ iea^lï^}*' »
celui ciue.leur-avoiJ «lejà ;tendy Henri .IV,
à l'afleinblée.de Rpuçn, piège dans lequel
la vanité les_ fera toujours donner & qui
les hunjiliera toujours:. L'c^dre politic^e
& l'ordre .civil ont dwis les Mopaîchiey
des principes fi .diÉKreos. &C des rez^û
contraires qu'il efi ^reJijue impoffiWe; d'at-
lier, les deiK adjniflifh^tioi^s , &_ qii'en gé^.
néialles membses d^TriJaupauTi: Ibnt peu
propres pour lesConfeilsi foit que l'ha-
bitude des formalités nuife à l'ejçpédition
"des afiaires qui o'en .veulent point » foit
qu'il. y ait.unç.iaçompalitiUté naJwÇ^*
entre ce, mi'jon aj^elle maximes d'Etat.^.
Iijuûiee &,lei,loij£,
,Au refte, l4l%it .leî.^tsA part, j^.
croirois, qiiaotvà,mç>ij que le Prince fic
le Philofophe.pouvpipnt avoir tous deux
raifon fans, s'accorder dans, leur fyftêmei
car.j autre cbQfç,.e^i'adaujùûÇ(iUon paf^.
■gère Se fourea or!ige..fe d'une Réie..-
e , & ««re çhofc ,^ forme de gVj^,
■ame de la conaiftitlon de WcSÎ
::., ce me {emkl^, „u-on„tto„ve ledë
n.t ordure à l'Ailé de S,. Pie^ '^^
fl de n appliquer jamais affa bien S
Muances & d offrir toujours comme
es fecilites pour l'exécution d'unprSr
:^J^«? q'^ lui fervent Xve«
oWiacte. 1^. le plan dont il s'aura
ouloi, modifier u„ goMvernemeS'e' ft
>ngue durée a rendu dëcUnant, oar rf.=
.o/enstout^-aitét^gerÏÏfa'^^^JK!
mon prefenle : d vouloit lui rendre cène
.gueur umveifeUc qui met, pZ^
u-e, tome la perfoiîie en Mon.aé^
mme s'il eii, dit à un vieillard déc^épS
- goûteux ; marchez , travaillez ; °r "X ^
»«s de vos iras &, devosiairiles^^
Mrciceeft bon à la fanté. ' ' "^
En eflel: ce n'efl rien moins qu'um
Tokinon dont U eft queftioa Su
lyfynodM & d neftul pas croire^ct
on voit aSueUement d& CçnfeufS
> Cours des Pri„c«& queieSiS'
im Jugement SUR
Confeils quîon propofe * qu'il y ait peu
de~différencç d'un fyftême à l'autre. La
éifférence eft telle qu'il èudroit commeo-
cef par détruire tout ce qui exifle pour
donner an Gouvernement la forme ima-
ginée par l'Abbé de St. Pierre ; Se nui
n'ignore combien eft dangereux dans un
grand Etat le moment d anarchie & de
crife qui précède néceffairement un éta-
bliflement nouveau. La feule introduÛion
du' fcrutin devoit faire un renverfement
épouvantable , & donner plutôt im mou-
vement convLilfif te continuel à chaque
partie qu'une nouvelle vigueur au corps.
Qu'on juge' du danger d'émouvoir une i
fois les maffes énormes qui compolent la |
Monarchie Françoife ! qui pourra retenir ;
l'ébranlement donné , ou prévoir tous Its j
effets qu'il peut produire ? Quand tous
les avantages du nouveau plan féroieni
inionteftable5,^3uel homme de fens oferoit
entreprendre d abolir lés vieilles coutu-
mes , de changer les vieilles maximes &
de donner une autre forme à l'Etat que
celle où l'a fucceffivement amené ime du-
rée dp treize cents ans ? Que k Gouverne-
ment aôirel foit' encore, celui d'autrefois,
LA POLYSVNODIE.
'•'>
OU qiie durant tant de fiecles U ait ctiangi5
de nature ùifenfiblement, il eft également
imprudçntdy toucher. Sî c'eft le même,
il faut le relpeâer ; s'il a dégénéré , c'efl
f»ar la force du tems & des choies , & fa
ageffe humaine n*y peut rien. Il ne {\i?~
fit pas de confidérer les moyens qu'on
veut employer , fi Ton ne regarde encore
les hommes dont on fe veut fervir : or ,
quand toute une nation ne fait plus s'occu-
per que de niaiferies, quelle attention
peut - elle donner ziix grandes chofes , &c
dans un pays oîi la mufique eft devenue
une a&ire d'Etat , que feront les aflaires
d'Etat finon des chanfons? Quand an voit
tout Paris en fermentation pour une place
de baladin ou de bel- efprit & les anàirès
de rAcadémie ou de l'Opéra faire oublier
l'intérêt du Prince & la gloire de la Na-
tion i que doit-on efperer des affaires
publiques rapprochées d'un tel Peuple &
tranfoortées de la Cour à la Ville? Quelle
connance peut - on avoir au fcrutin des
Confeils quand on voit celui d'une Aca-
démie au pouvoir des femmes ; feront-
elles moins empreffées à placer des Miilif-
tres que des iavans , ou fe coimoîtrOtA-
ii6 Jugement sur
elles mieux en politique qu'en éloquence ^
Il eft bien à craindre que de tels étnHif-
femens dans un pays où les moeurs font
^ en dérifion, ne fe fiffênt pas tranquiU^
"ment , ne fe maintinflent gueres uns trou-
bles, & ne donnaiSènt pas les ineUIean
fajtts.
D'aiHeurs , fans entrer dans -cette -«iàlle
qtteAion de la v^alité des charges iqu'on
ne peut agiter ique chez des gens mieux
pourvus a argent que de mérite , imacine-
t-on quelque moyen praticable d'abolir
«n' France cette vénalité? ou penferoit-on
qu'elle pût fubfifler dwis «ne partie du
Gouvernement & le fcrutin dans l'autre ;
J'une dans les Tribunaux, Tautredans les
Confeils, & que les feules [Jaces qui tt(-
tent à la faveur 'feraient abandonnées
. aux éleâions ? Il ifkidroit avoir des vues
bien courtes &c bien feufies, pour voukù
allier des chofes.fi dilfen^^les , fie fon-
der :iui même fyftême fur deS'priâeipes
£ diSerens, -Mais ilaiHbns ck applications
& confidérôns la chofe en elle-même.
Quelles -font ies circonftances <laris Ie(^
queUes une Motiardiie héréditaire --petit
SUS révolutions ^être tempérée par des
6 A POLYSYNODI E. llj
/ormes' -qitî la ra()procheot dcTAriftocra*
ide ? Les '-C6rps' mtérméâiaires entre le
Prince & le Peuple , j>eiiv'ent-ils , doivent-
. ils a'frôlr -one ■ juriiajÉHpn ind^endante
ïùn 'de l'aittre , :à\i s'ils font' précaires iSi
tlépendaiis dù'Prinie, peuvent-^s jamais
•«itrer coiirme paires, intégrantes dans la
■' coirftitirdon de l'Etat^,' & même ïivoit une
mfluènceféèlIedahsiesaiîSTes? Queftions
■pfëlirhir.aiiies qu'il felloit difaiter..& qui
ne femUent pas &ciles à réfoildre : car
^ eft vm ^e la pente, 'nattirellé eft «m-
jours vers Ircomipfion & par Conséquent
vers le defpô^me , il eft difficile de voir
jMT quelles feffources de "politique le
Prince , même ïpiand il le ■^oudroit; pour-
roit ddïmerà cette .poite une. direfli6n
contraire-iqûi ne pût 8tre "diangée parïes
fiicieffeàrs" ni "par leurs- Minâmes. L'.A1^
de' St. -Kerre ne prétendoit pas, à la
vérité' , iqae fe ■ nouvelle "fonne fitât rien
■à I*autqrité royale : car' il donne airx Con-
seils ià, délibération -des matières '&, laiffe
' au Rôi feul :1a diécifion : , ces différons
Confeib, dlt-'il, ifens ' empêcher le Roi
de faire, ftynt'ce<(u'^l.vduara> le préftr^
veront fouvênt de vOtdôir de? chdfts
P 4 ^
ii8 Jugement sur
miifîbles à fa ^oire & à {6n bonheur; 'ûi
porteront devant lui le flambeau de la
vérité pour lui montrer le meilleur che-
min &c le garantir des pièges. Mais cet
homme éclairé pouvoit - il fe payer lui-
même de fi mauvaifes faifons? efpéroit-
il que les yeux des Rois puffent voir les
objets à travers Ufr lunettes- des fogeS'?
Ne feiitoit - il pas qu'il fiilloit néceffai-
rcment que la délil)éi'at'ion des Confeils
devînt bientôt un vain formulaire ou que ■
' l'iditorité royale en fut altérée, & i?a-
' vouoit-il pas luÎHtiême que c'étoirintro-
" "diiire tin Gouvernement mixte ,, où la for-
' me Républicaine s'allioit à la Monarcfaà-
■ que? En effet, des Corps nombreux dont
le choix ne dépendrott paâ entiécemeot
du Prince , & qui n'auroient par eux-mê-
mes aunin pouvoir, ■ deviendroient bien-
tôt un fardeau inuttk k l'Etat ; lâns mieux
fiire aller les affaires, ils ne feroient qu'en
retarder l'expéditron par de longues for-
malités , & , pour me (ervir de fes pro-
pres termes , ne feroient que des Conlëils
de parade. Les fevoris div Prince ^ qui le
' iônt rarement du public , & qui , par con-
iiequsnt, auroient peu d'influence dans des
LA POLYSTNODI E. II9
Confeils fermés au fcrutin , dédderoient
feuls toutes les aâaires ; le Prince n'aâîf-
teroit jamais aux Confeils fans avoir déjà
pris fon parti fur tout ce qu'on y devroit
agiter , ou n'en fortiroit jamais faas coa-
fuher de nouveau dans fon cabinet , arec
fes .feroris , fur les réfolutions qu'on y
auroït prifès ; enfin y il feudroit nécellài-
rement que les Confeils devinffent mépri-
sables , TÎ^cules Se tout -à- fait inutiles ,
ou que les Rois perdirent de leur pou-
roir : aitemative à laquelle ceux-ci ne
s'expoiëront certainement, pas , quand
même il en devroit réfulter le- plus grand
bien de l'Etat & le leur;
Voilà , -ce me femble , à ■'peu -près les
côtés par lefquels l'Abbé de St. Pierre eût
ilû confeiérer le fond de fon fyftême pour
en biea établir les principes ; mais il s'a-
inufe , au lieu de cela , à réfoudre cift-
cpiante mauvaises objefiions qui ne va-
Joient p^ la peine d'être examinées , on ,
qui pis eft , à faire lui - même de mau-
vaifes réponfes quand les bonnes fe pré-
fentent naturellement , comme s'il Cner-
choit k prendre plutôt le tour d'efprit de
fes oppofans poiurlesrameoerà hniCoâ,
jftjO JuGEMiENT SUA
i^uele langage de bnùfon pour conviûd-
xre les iàgee.
Par exempte , après ^étre objeâlé que-
■^»nj la P(dyfyno<Mechacun desConfeilIas
■« Ibn ptaiiEBénéral ; t^neicettedjverfité prv-
udoit ojcemiremsnt des décilloiifi;qai fe con-
-p-edîfent y & dés embecras ;dans te mouTe-
-aiCnt total ; 'il répond à cek qu^il ne pott
-y avoir d'antre plan génénd mie de «cher-
.cher à perfêâionner les F^emens qui
-«■oïdeot liir touKiies parties du GomvOr^
nemenl. Le meilleur :!plan igéiœral n'eft-ce
|MtSt dit-il ,'celai qui. va le plos droit
au plus grand bien de l'Ëtst dons chaqiK
afîàire particulière ? D^oh il tire cette
cônclu&Mi très-^Ëiu!& que lesdîv^ers- plans
■généraux , ni par conÎÊqitent les regle-
'inens Se les aϝfes qtd s'^r Tapportent >
ne peuvent jamais & eroiièr ou iè ninve
' sÉutuellemest..
. En eâèt » le plus-gmad iùea de l'Etat
.n'e^nas tonjoiurs uàe cho^ fi xlaire , ni
C|tii o^>eode autant qu'on le croiroit du
uns grand bien de chaque partie ; comme
u les m^es afiâires ne pouvofenc pas
«Aoir enti^eUes une infinité d'ordres £rô»
& de liiai&iis pbs ou stpotf fyrm qà
l.-». POLYSTNODIE.
«3^;
jfonneht^utant He difierences dans les plans
fénéraiix. Ces plans bien digérés font toit-
jours doubles , & renfennent dans un fyil
tême comparé la fonne aftuelle de l'Etat
$c fe forme perféâionnée félon les vues
de l'Àiitenr. ' Or , cette perfèâion dans un
tout 81^ compofé que le corps politi-
que , lie dépéfid pas feulement de celle de
chaque partie , comme pour ordonner ua
■palais il lie fïiifit pas d'en bien difpoier
chaulé pièce , mais il &ut de plus confi-
dérer les rapports du tout , les liaifons les
pins convenables , l'ordre le plus com-
mode , la plus âclle commimication , le
plusparfst enfemble , & la fymétrie la plus
régulière. Ces objets généraux font fi im-
portans^ que l^bile Architeâe lacrifie au
mieux du tout mille avantages particuliers
qu'il aùroit pn conferver dans une ordoiw
natiëe nioin's par&ite & moins ' fimple. De
même , le politique ne regarde en parti-
culier ni les finances , ni ]A guerre , ni te
commerce ; mais il rapporte toutes ces
parties à un objet commun ; & des pro-
portions qui leur conviennent le mieux ,
réfiUteiit lés phnsgésaéraiïi dont les di-
maéotà peuvent Vârkr de nulle taà'
F6
t
ÏJl JWGEMINT sua.
nieres. , lèloa les. idées. & les vues de ceux
qui les ont fbnnés, foîten dierchant U:
plus grande perfeâion. du tout , foit en;
cherchant la plii& &cile exécution ,. Êtn£
Iu'il icàt aiféquelquffbisL de démêlercekiê
e ces plwis 6ri!L mérite la préférence. Or,,
€"«0 de ces plans qu'on peur dire que &
chaque Confeil- 6c. chaque. ConfeîHer. a le-
£en-, il n'y aura que ccmtradi£Bons dans-
tes autres St qu'embarras dans, le mouve»
.ment conunun : mais le- plan général au
lieu d'être celui d'un homme ou- d'un au<>
Ve ^ ne doit êtreâc n'fifr «ti effet dans la-
Folyfynodie:que cehti du Gouvernemenr^
& c'eft à- ce grand modèle que-fe rappor^^
Kilt néceflairement les délibérations corn*
mimes de- chaque Ck)nl£il' ^ & le travail'
pMtiailier de- chaque ■mertibre. H'efl cer*-
tain même qu'un' pareil plan fe médite &s
fe conferve mieux ^ns^ dépôt d\m.CoRt
feil qiie daflslatête d'im Mîmftve & même
d'u» Prince ; car chaque- Vifir a fare plan
qui n'eft jamais celui de fon devanaer ,
& chaque ,demi-Vi&' aiiffi le fien qui n'eft
ni celui de fon devancier , ni celui de-
ibn ctjllégue ;: au$ vpii-on généralement
les RépuËJique&.<h^er:inoiB9 de fyfti^
lA POLrSYNODIE. 13)
mes que les Monarchies, jyoà )e conclus
avec l'Abbé de St. Pierre , mais par d'au-
tres raifons , que la PolyTynodie eft plux
fevorable que le.ViTirat & le demi-Vifi»^
tat à l'unité du plan génénU.
A V^ûrd de b forme particulière de fa
Polyfynodie & des détails dans lerquel&
il entre pour la détenniner , tout c^ eft
très-bien vu & fort bon féparément pom-
prévenir les inconvéniens auxqud; cha-^
que chofe doit remé£er : mais quand oit
en viendroit A l'exécution , je ne feis s'il
régneroit allez d'harmonie dans le tout
en&mMe ; car il paroît que l'établiflèment
des grades Raccorde mal avec celui de ht
circulation ^ de le fcnitin plus mal encore
avec l'un & l'autre ; d'ailleurs, fi Féla-
bliiOement eâ dangereux à faire ^ il eft à
craindre que ,iTiême' après t'établîflènient
£ùt , ces diâérens refforts ne caufettt mille
embartas Se miUe dérangemens dan» le
jeu de la machine , quand il s'agira de là
Élire marcher. '
La circulation de la Prélîdence en par»
ticulier , feroit un excellent moyen pouf
empêcher la Polyfynodie de d^nérer,
tiemôc ça Vifijat, & «etfê circtUatioit
IÎ4
JV CEMENT SUR
poQToit durer , & thi'elle ne ffit pas arrê.
tée par la volonté du Prince , en "feveur
du premier dés Préfidens mû aui?i l'art
toujours recherché de hti plare. C'eft-à-
dire que la Polyfynodie dutei^ juftjii*à-ce
qiie le Roi trpuve uii Vjfir à foù gré ;
mais fôiB !e Vifirtit mêmç on n'a pas lifi
Viiîr plutôt! que cela. Foiblfe remède, que
celui dont ta Verhi s'éteint à l'approche
du mal ^'il devrôit ^érir ! --
N'eft-ce pas encore un mauvais .expé-
dient de nous donner la néceffité d'obte-
nir^ les luArages une féconde fois comme
«n frein ^ui- empêcher les Préfidens d'a-
bufer de leur crédit la première? Ne fera-
t-il pas plus Court & plus flir d'ehabufer
au point de n'avoir plus que &ire de
fiiffi-ages , & hotre Atrtoir lui - même ,
n'accô'rde-t-Sl pas au Princç le drbit de
^olonger au' befoin les Préfidens à &
VotonÉe , c'eft-à-djrè , d'eii ùàie de vérita-
bles Vîfîrs? Coihmeirt n'a-t-il pas âj^ljerçû
mille fois dans le cours de ia vie & de
*^es écrits , c6mbi*n t'eft une rainé occu-
pation de rechercher des formes ditrabWs
pour «n état de :chofts «j-ii dépend totn
louns de h mdontxi ^ua led faomiàei.
..„, Google
LA POLTSYNODIE. IJJ
' Ces tiHScidtés n'ont pas échappé i
l'Abbé de St. Pierre, mais t>eut-êtte lui
conveamt-il tiùeiixde les diffimulercfue
de les PoTowlre. Quand il parie de ces
«ortfraliaiohs & qu'il feint de fes conci-
iier, (^eft par des mbywis fî aWiirdes &c
des raifons -fi peu railonnebterxru'on Toit
fcien qu'il eft embaixaffé , ou qu il ne pro-
■cede pais de bonne foi. Seroit-U croyable
qu'il eùtmîs en avant û hors de propos,
« cbm^é parmi ces inoyens fammir de
la patrie, le bien pnblic , le deiirdç la
Traie ^oire , & d*atttte5 rfùnreres ,iva-
notiies depuis loi^-tems:, ou doit il ne
refte plus de traces mie dans qudques pe-
tites Républiques? Petrferôit- il férieufe-
ment ^ue rien de tout cria pût réellement
inâùer dans la forme d'un Gouvemeimeilt
œonan^que ; & actes avrar cité Ite
Grecs, les Rortiains , ôc même T)«ekpies
Modernes qui avoient des «mes àncieit-
mes , n'avoite-ti pœ kit-même qu^l feroit
ndiaile de fonder la cisrtftitutkm de FEtat
fur des maximes éteintes ? Que fiât - il
■AcOK pour fuppléer à c«i moyens étran-
gers àont il i-ecbnnoît l'infoffifenee? U
^re tuw difficid^ par «ac antre, établit
I}6 J UGE MEM T SUR
un fyftême fur un iyftême , & fonde fa
Polyfynodie fur là République Européen-
ne. Cette République, dit-^l , étant garante
de l'exécution des capitulations impériales
pour rAllemagne ; des capitulations parle-
mentaires pour l'Angleterre ; des PaBa Coït-
venta pour la Pologne ; ne pourroit-elle
pas l'être aufli des capitulations royales
fignées au facre des Rois pour la forme
du Gouvernement , lorfmie cette forme
feroit paflfée en loi fondamentale } Se
après tout , garantir les Rois de tomber
dans la tyrannie des Nérons , n'eft-ce pas
les garantir eux fie leur poi^rité de leur
ruine totale î
On J>eut, dit-il encore, faire paffer le
règlement de la Polyfynodie en forme de
loi fondamentale dans les Etats Généraux
du Royaume i la Êiire jin^r au iàcre des
Rois t & lui donner ainfi la même autorité
qu'à la loi falique.
La plume tombe des mains, quand on
▼oit un homme knfé propofer férieuiè-,
ment de femhlabjes expédiens.
Ne quittons psint cette matière lâns jetter
un coup-d'œil général fur les trois formes
t^ miniâfre c«mparé«s dans cet ouvrage^
LA POLYSYNODIE.
ïî/
Le Vifirat eft la denriere reflTource <f un
Etat défeillant; c'eft un palliatif quelque-
fois néceflaire qui peut lui rendre pour
un tenus ime certaine vigueur af^arente :
mais il y a d:ms cette forme d'adminiâra-
tion, une multiplication de forces tout-à-
iàit fliperflue œins un Gmivemement fain.
Le Monarmie & le Vifu- font deux ma-
chînes exactement femblables dont Tune
devient inutile fi-tàt que l'autre eft en mou-
vement: car en effet, félon le mot de
Grotïus , qui régit ^ rex eft. Ainfi l'Etat
fupporte un doiile poids qui ne produit
qu'un eflèt fimple. Ajoutez à cela qu'une
grande partie de la force dn Vifirat étant
employée à rendre le Vifir nécefifeire ô£
à le maintenir en place , eft inutile ou
nuifibleà FEtat. Auffi l'Abbé de St, Pierre
apprile-t-il avec raifon. le Vifa^ une for-
me de Gouvernement groffiere, barbare; ,
pemicieufeltux Peuples , dangereafe pour
les Rois, fiineûe aux Mùfons roy^es ,
& l'on p«it dire qu'il n'y a point de Gol^-
vemement plus déplorable au monde,
que celui oti le Peuide eft réduit à defirer
un Vifir. Quant au demi-Vifirat, il eft
avantageux fous un Roi qui lait gouveo-
138 , Jugement sur
ner & répnir <lans "Tes mains' Kfutes les
rênes de l'Etat; mais fous iinPi^ice fai-
ble ou ■ peu laborieux , cette adiiriniiïra-
tion eft mauvaife , émbarraffée , ■fensiyf'
tême &c ia^ vues « ^te de Haifon entre
les parties & d'accord entre fes ■ Miiuf*
très , fur-tout Ti quelqu'un d'éntr^eibrprfus
adroit ou plus ' rtiéclûnt que les ' tutrfes
*end en fecret rfu Vifirat. Alois tout ie
.paflè en intrigues de Cmir, l'Etat de*
meure en langueur , & pour trouver la
raifonde tout ce qui Ye mit fousun^tft'
blable Gouvernement il rie fiiut pas de-
mander à quoi ceta'fert, mais à quoîcda
nuit.
Pouf la PolyfynOdie de l'Abbé de St.
Pierre , je ne faurbis voir ^'elle puifle
être utile ni praticable dans auctme véri-
table Monarchie ; inais ieidtnient dans
, une forte de Gouvememait -mixie , ©iile
chef ne rfoit quele'préiîdent'dèsconfeils,
n'ait que la puii^ce exé(ï\ttive de hé puiâe
rien, par lui-mêine: encore ne faurols-
je CToire -qu'une pareille admiiùftration
■pût diirer long-tems fans abus ; car les
intérêts dés fociétés ipartielles ne font pas
•moinsféinïésdeceuxde l'Etat , i}i ntoitu
LA POtYSVNODIE. IJ^
pemicieiK à la Rëpu^îque qtte ceiix des
particuliers-, & ils ont même cet incon-
vénient de plus , qu'on fe ' fait gloire de
foutenir , à quelque prix que ce foit ,-
les dpo:t»oi.iles.ï)rét*ntions dii corps dont
" on çft membre , & cpie ce qu'il y a de
mal'^'hôhh^e à {frprèiêrer aiix autïès, s*é-
vanouiffant à la feveur d*une fociété
Tiorabreufe dont on kàt partie , â ibrce
tfêtre bon Sénateur on devient enfin
. mauvais citoyen. C'eft ce qui rend l'A-
riitocratie la pire, des fouveraînetés ( * ) y
. c'efi ce qui rendroit peut - être la Polyfyi.
iwdie le pire de tous les Miniâeres.
<•) Je pBTieroî»qne mille geas tromierooi «teare Id
«ne eoatradidfoa acte le Conirat Social. Cda pronic qu'il
Encore plas de LcOeim qui devraient apptendie ù lire r
'fnc d'Aatran^qnilIevroiflitBpFtendn i tue »on£i<gitm~
ce;»
LETTRE
A MoirsiEVR.
DE VOLTAIRE-
V Os deux derniers Poèmes (•),Mon-
fieur , me font parvenus dans ma fofitude i
& quoique tous mes amis connoiflértt
Tamour que j'ai pour vos écrits , je ne
iàis de quelle part ceux-ci me poiuroîent
verur, à moins que ce ne foit de la vôtre.
Ainfi je Crois vous devoir remercier à la
ibis de l'Exemplaire & de l'Ouvrage. JV
ai trouvé le puiûr avec l'infiruûion , oC
reconnu la main du maître. Je ne vous
dirai pas que tout m'en paroifTe également
bon, mais les chofes qui mV déplailent
ne font que m'infpirer plus de confiance
pour celles qui me tçanlportent ; ce n'eft
pas fans peine que je détends quelquefois
ma raifon contre tes charmes de votre
(*) Sm k loi utDcdU & lu h Mbftn dt UibanM.
A M. DE VOLTAIR^E. 141
Poélîe, mais c*ell pour rendre mon admi-
ration plus digne de vos ouvrages , que
je m'eflbrce de n'y frâs tout admirer. ■
Je ferai plus , Monfieur ; je vous dirai
iàos détour , non les beautés que j'ai cru
feotir dans ces deux Poèmes , la tâche
effiaycroit ma pareflè , ni même les dé-
buts qu'y remarqueront peut-être de plus
l\^»\es gens que moi , mais les déplaiûrs
cpii troi^leht en cet inftant le goût que
Je prenois à vos leçons i & je voxis les
dirai encore attendri d'une première lec-
ture ok mon cœur écoutoit avidenient le
vôtre , vous aimant comme mon irere ,
vous honorant comme mon maître , me
flattant en£n que vous reconnoîtrez dans
mes intentions la ôanchife d'une ame
droite , &c dans mes difcours le ton d'un
ami de la vérité qui parle à un philofbphe.
jy^Ueurs 1 plus votre fécond Poëme m'en-
chante , plus je prends librement parti
contre le premier , car fi vous n'avez pas
craint de vous oppofer à vous - même ,
pourquoi craîndrois - je d'être de votre
avis ? Je dois croire que vous r»e tenez
pas beaucoup à des fentimens que vous
réfutez û bjstu
^41 L E T- T R E
Tous mes griefs font donc contre votre ■
Poëme fur le défeÛre de Lisbonne , parce
3ue j'en attendois des effets plus dignes
e riiiimanité qiii paroît vous Pavoir inf-
pire. Vous reprochez à Pope & à Leibniz
.dlnfulter à nos maux en foiitenant que
■tout eft bien , & vous xharget tellement
le tableau de nos miferes que vous en
aggravez le fentiment : au lieu des conftï- ■
lations que j'efpérois , vous ne feites que
m'ailliger ; on dîroit qiie vouS craignez
que je ne voye pas aiïez combien je fiiis
malheureux , Se vous croiriez , ce fem-
ble , me tranquillifer beaucoup en me
prouvant que tout eft mab
Ne vous y trompez pas , Monfieur » il
arrivé tout le contraire de ce que Vous
vo\is propofez. Cet optimifine^que vous
trouvez il cruel me confole pourtant dans
les mêmes douleiirs que vous me peignez
comme infnpportables. LePoëme de Pope
adoucit mes maux & me porte à la pa* '
tience ; le vôtre aigrit mes peines , ra'excite
au murmure^ & m'Ôtant tout hors une
«^rance ébranlée , il me réduit au défeÇ.
poir* Dans têts étrange opposition qui
règne entre ce que vous prouvai & ce
A M- DE VO-LTAliie. 141
qiie j'éprouve , calmez la perplcKité qui
inapte £c dites-moi qui s'abufe', du 1«W
timent où de la niifbn.
« Homme , prends patieixce, me diieni
Pope & Leibniz, » les maux font un effet
w néceffaire de h- nature &■ de la confti- -
» turio» de cet univers. L'Être éternel 6c
» bieofeifant ^le gouverne eût voulu.
M t'en gaîantir : de toutes les économies
t* polfiblss il a çhoiii - celle qui reuniltbit
*t le moins de mal & le plus de bien ,
» ou pour . dirç la mêipe chofe encore
w plus CTuémeiït., s'il le faut, s'iln'a p^s
» mieux. 6^, c'eft qu'il ne pouvoir mieux
» èire.-
Qoe me dit-maintenant votre Poëme^
» Souffiw â jamais malheureux. S'il eft un
» Dîe)i qui l'ait créé, fans doute il eft
» toùt'pvif&nt-, il pouvoit prévenir tous
» te%-maux-; n'eipere donc jamais qu'ils
>* iMÛâcnt; car- on -ne Êurcùt vou* poiir*
» q)ioi-tuexiiï»s^ fi ce n'êftpour foufffir
» & hiourir». Je ne fais ce, qu'une pa-
reille doctrine peut avoir dfr plus coq-
foJant que:l'(^>&miitne'&'que la &talité
même.; paur-mûi-, .j'aTOue- qu'elle -m« -
paroît pluSi.çjruçJie. çijçpff ,q««. l^Mauiiç.
!i44 Lettre
chéîiin& Si reinbaiTas de Torigine du mal
vous forçoit Jaltérer quel(^*une des per-
feâions de Dieu , pourquoi vouloir juiti-
iier fa puiHànce aux dépens de fa bonté ?
S'il &ut choifir entre deux erreurs, j'aime
.encore mieux la première.
Vous ne voulez pas , Monfieur, qu'on
regarde votre ouvrage conune un Poème
contre ta providence , & je me garderai
bien de lui donner ce nom , quoique vous
ayez qualifié de livre contre le genre-
humain un écrit ( * ) où je plaidoîs la
caufe du genre-humain contre lui-même.
je lâis ta diftinâion qu'il &ut aire entre
les intentions d'un Auteur & les consé-
quences qui peuvent fe tirer de ûi doc-
trine. La jufte défenfe de moi-même m'o-
blige feulement à vous faire obferver qu'en
peignant les miferes humaines , mon but
étoit excufàbte 6c même louable à ce ^le
je crois. Car je montrais aux hommts
comment ils âifoient leurs malhextrs eu^c-
mêmes , & par conféquent comment ils
les pouvoient éviter.
.Je ne vois pas qu'on puiiTe chercher h
( . ) - U diliiODi» Ibi r«iigW de Mnf Eatit&
A M. DE Voltaire. 145
Source du mal moral ailleurs qiie dans
l'homme libre , perfectionné , partent cor-
rompu ; & quant aux maux phyfiques ,
ii la matière feniible & impaflible eu ime
contradiâion , comme il me le femble ,
ils font inévitables dans tout fyftême dont
l'homme feit partie , & alors la queftion
n'eu point pourquoi l'homme neft pas
par£iitement heureux , mais pourquoi il
exîAe. De plus , je crois avoir montré
qu'excepté la mort qui n'eft prefque un
mal que par les préparatifs dont on la
' ^t précéder , la plupart de nos maux
-|Ayfiques font encore notre ouvrage.
Sans quitter votre fujet de Lisbonne ,
convenez , par exemple , que la nature
n'avoit point raiTemblé là vingt miUe
maifons de fix à fept étages ,.& que û les
faabitans de «ette grande ville euuent été
difperfês plus également & plus légère-
ment loges , le dégât eût été beaucoup
moindre &c peut-être nul. Tout eût fm
au premier ébranlement , & on les eût vus
le lendemain à vingt lieues de-là tout aufll
gais que s'il n'étoit rien arrivé. Mais ii
^iit reAer , s'opiniâtrer autour des maiur-
res , s'expofer à de nouvelles iecoufles .,
Pittes diverfi$, G^
146 Lettre
parce que ce qu'on laiffe vaut mieux que
ce qu'on peut emporter. Combien de mal-
heureux ont péri dans ce défâftre pour
vouloir prendre , l'un fes habits , l'autre
fes papiers , l'autre fon argent ? Ne fair-
on pas que la perfonne de chaque homme
eft devenue la moindre partie de lui-même,
& que ce n'eft prefque pas la peine de la
6uver quand on a perdu tout le refte.
Vous auriez voulu que le tremblemert
le fut fint au fond d'un défert plutôt qu'à
Lisbonne. Peut -on douter quil ne s'en
forme aulH dans les déferts, mais nous
n'en parlons point , parce qu'ils ne font
aucun mal aux Mefîieurs des villes, les
feuls hommes dont nous tenions compte.
Ds en font peu même aux animaux &
Sauvages qui habitent épars ces lieux re-
tirés , fie qui ne craignent ni la chute des
toits , ni l'embrafement des maifons. Mais
que iîgnifieroit un pareil privilège, feroit-
ce donc à dire que l'ordre du moiûle doit
changer félon nos caprices , que la nature
doit être foumife à nos loix » & que. pour
lui imerdire un tremblement de terre en
quelque Heu , nous n'avons qu'à y bâtil
une ville?
A M. DE Voltaire. 147
Il y a des événemens qui Boits frappent
Souvent plus ou moins félon les faces
par lerquelies on les confidere, & qui
perdent beaucoup de l'horreur qu'ils inf-
Eirent au premier aTpeâ , quand on veut
ïs examiner de près. J'ai ^pris dans Za-
dig , i&c la nature me confirme de jour
en jour qu'une mort accélérée n'eft pas
toujours un mal réel , & qu'elle peut quel-
quefois paffer pour un bien relatif. De
tant d'hommes écrafés fous les ruines de
Lisbonne , plufieurs fans doute , ont évité
de plus gmnds malheurs, & malgré ce
qu'une pareille defcription a de touchant
& fournit à la poéfie , il n'eft pas iïir
qu'un feul de ces infortimés ait plus fouf-
tert que fi félon le cours ordmaire des
chofes , il eût attendu dans de longues
angoiffes la mort qui l'eft venu furpren-
dre. Eft-il une fin plus triûe que celle
d'un mourant qu'on accable de foins inu-
tiles , qu'un notaire & des héritiers ne
laiflent pas refpirer , que les médecins af-
fàfiînent dans ion lit à leur aife , 6c k qui
des prêtres barbares font avec art favou-
rer la mort ? Pour moi, je vois par-tout
que les maux auxquels nous aiîujetpt ^
G 1
148 Lettre
. nature font moins cnteh que ceux que
nous y ajoutoni^.
Mais quejque ing^meux que nous puî£-
fions être à fomenj:er nos niiieres à force
de belles înllitiitions , nous n'avons pu
jufqu'à préfent nojis perfeâionner au pomt
de nous rendre généralement la vie à
charge & de préférer le néant à notre
exillence , faos mioi le découragement $Ç
le défefpoir fe ieroient bientôt emparés
du plus grand nombre , & le genre hui-
main n'eût pu fubfifter longr-tems. Or, s'il
eft mieux pour nous d'être que de n'être
pas , c'en îèroit aJTez pour juftifier notre
exiftence , quand même nous n'aurions
aucim dédonvnagement à attendre de$
maux que nous avons à foiiffrir, & que
ces maux feroient auffi grands <jue vous
les dépeignez. Mais il eil difficile de trou-
ver fur ce point de la bonne foi chez les
honjmes & de bons calculs chez les Phi-
lofophes , parce que ceux-ci, dans la
comparaifon des biens & des maux , oib-
blient toujours le doux intiment de l*é-
atiftence indépendant de toute autre fen»-
i&tîon , Se que la vanité de méprifer la
mort engage les «lutres à odoi^nier Iji
A M, DE Voltaire.
M9
vie , à-^peu-près comme ces femmes qiiî
avec une robe tachée & de» cifeaux, pré-
tendent aimer mieux des troiis qiie des
taches.
Vous penfez avec Erafine , mic peu de
gens voudroient renaître aux mêmes con-
ditions qu'ils ont véai ; mais tel tient &
marchandiie fort haute, caà en rabattroit
beaucoup s'il avoit quelque efpoir de
cœiclurç le marché. D'ailleurs , qui doïs-
je croire que vous avez confulté hir cela ?
ces riches, peut-être ; ralTafiés de feux
plaiËrs , mais ignorant les véritables ; tou-
jours enmtyés de la vie Se toujours trem-
blans de la perdre. Peut-être des gens
de Lettres , oe tous les ordres d'hommes
le plus fédentaire , le plus mal iàin , le
plus réfléchiiTant , & par conféqucnt le
plus malheureux. Voiàez-vous trouver
des hïinimes de meilleure composition , ou
dii moins , communément plus fiiKeres ,
& qui formant le plus grand nombre doi-
vent au moins poiu* cela , être écoutés
par préférence î Confultez un honnête
bourgeois qm aura pafTé ime vie obfcure
& tranquille , fens projets & fens ambi-
tion i un bon aitifen qui vit coninoclàs
.ijo Lettre
ment de fon métier; itn payfan même,
non de France , oh l'on prétend qu'il feut
les feire mourir de mifere afin qu'ils nous
feflent vivre , mais du pays , par exemple-,
oii vous êtes , & généralement de tout
pays libre. Tofe poièr en feit qu'il n*y a
peut-être pas dans le haut Valais un feul
montagnard mécontent de fa vie t»efque
a\itomate, & qui n'acceptât vdiontiers, au
lieu même du paradis qu'il attend èc qui
lui eil dû , le marché derenaître Tansce^
pour végéter ainfi perpétuellement. Ces
différences me font croire que <feA foa-
vent l'abus que nous Êiifons de la vie qui
nous la rend à charge , 8c î*ai bien moins
bonne opinion de ceux qui font fâchés
d'avon- vécu que de celui qui peut dire
avec Caton ; nec me vixijji peeniut , quo-
Tiiam ita vixi , ta fiafira me natum non
exijHmem. Cela n'empêche pas que le fiige
ne puiiTe quelquefois déloKr volontaire-
ment i lâns murmure & ^ns défefpoir ,
quand la nature ou la fortune lui portei*
bien diftinftement l'ordre de mourir.
Mais félon le cours ordinaire des chofes »
de quelques maux que foit femée la vie
humaine , ellç n'eft pas à tout prendre un
A M. DE Voltaire.
ïî»
mauvais préfeni , & fi ce n'eft pas toujoiiia
lUî maJ de mourir, c^ea eft fort rare-
ment itn de vivre.
Nos différentes manières de penfer &r
tous ces points m'apprennent pourquoi
plufieurs de vos preuves font peu con-
cluantes poiu* moi : car je n'ignore pas
combien la raifos humaine prend plus fa- .
cilement le moule de nos opinions que
celui de la vérité , & qu'entre deux hom*-
mes d'avis contraire, ce que l'im croit
démontré n'elt Ibuvent qu'un fophifme
pour l'autre.
Quand vous attaqitet , par exemple, la
chaîne des êtres fi bien décrite par Pope ,
vous dites qu'il n'eft pas vrai que fi l'on
ôtoit un atome du monde , le monde ne
pourroit fubfifter. Vous citez là - deffus
M. de Crouzas , puis vous ajoutez que la
nature n'eft affervie à aucune mefiare pré-
cife ni à aucune forme précife. Que nulle
planète ne fe meut dans ime courbe ab-
iblument régulière , que nul être connu
n'eft d'ime figure précifément mathémati'-
que , que nulle quantité précife n'eft re-
qulfé poiu- nulle opération, que la natiu^e
n'agit jamais rigovureufement. Qu'ainfi on
G4
151 Lettre
n'a aucune raifon d'alTurer qu'un atome
de moins fur la terre feroit la caufe de
la deftniûion de la terre. Je vous avoue
<ji:e fur tout cela , Monlîeur , je fuis plus
frappé de la force de l'affertion que de
celle duralfoiuiement, & qu'en cette ôc-
ca£on je céderois avec plus de confiance
à votre autorité qu'à vos preuves.
A l'égard de M. de Crouzas, je n'a
point lu fon écrit contre Pope & ne fufs
peut-être pas en état de l'entendre ; mais
ce qu'il y a de très-certain , c'eft que je ne
lui céderai pas ce que je vous aurai dit
piité , & que j'ai tout aufit peu de foi à
îes preuves qu'à fon autorité. Loin de
penier que la nature ne foit point afferviô
à la précilion des quantités & des figures,
je croirois tout au contraire qu'elle feide
ftik à la rigueur celte précifion , parce
q-.i'elle feule lait comparer exaâenient les
fins &c les moyens & mefurer la force à
la réfïftance. Quant à ces irrégularités
prétendues , peut-on douter qu'elles n'aient
toutes leur caufe phyfique , &c lùifit-il de
ne la pas appercevoir pour nier qu'elle
exlfte. Ces apparentes irrégularités vien-
nent làns doute de quelques loix que
, .Google
A M. DE Voltaire. 15 j
nous ignorons & qne la nature fuit tout
auiÏÏ fidellement que celles qui nous font
ix>nnues ; de quelque agent que nous n*ap-
percevons pas & dontl obftacle ou le con-
cours a des mefures fixes dans toutes fes
opérations , autrement il âudroit dire net-
tement qu'il y a des aâions (ans-principes
ic des efTets fans caufe , ce qui répugne
à toute philofophie.
Suppofons deux poids en équilibre &
pourtant inégaux ; qu'on ajoute au plus
petit k quantité dont Us différent ; ou les
deux poids refteront encore en équilibre
& l'on aura ime caufe làns effet , ou Téqui-
libre fera rompu & l'on aura un effet fans
caufe ; mais u les poids étoïent de fer &C
qu^ly eût un grain d'aimant caché fous
run des deux, la précîfion de la nature lut
èteroit alors l'apparence de la préclfion ,
&. à force d'exaftitude , elle paroîtroit en
manquer. 11 n'y a pas une figure , pas une
Opération , pas une loi dans le monde',
phyfique à laquelle on ne puiffe ap^ïliquer.
quélcpe exemple feinblable à celui aiiff
je viens de propofer fur la pefanteur (").
(*) M. d( Voltaire ayant arancé qu« la oatitrc D'agi!
tonuù tigMuiu&ineiit , «ut aullc quantité préiiCc u'cA i^
G s
X54 L E T T RE
Vous dites qiie nul être connit n*eft
d'une figure précifément mathématique j
Je vous demande , Monfieur , s'il y a quel-
que figure qui ne le foit pas , & fi la
courbe la plus bizarre n'eu pas auflî r^
guliere aux yeux de la nature qu'un cer-
cle parfeit aux nôtres. J'imagine , au refte,
que fi quelque corps pouvoit avoir cette
apparente régularité , ce ne feroit que rimi-*
vers même en le fijppofînt plein & borné.
Car les figures mathématiques n'étant que
des abftraûions , n'ont de rapport qu'à
elles-mêmes , au lieu que toutes celles
des corps naturels font relatives à d'autres
corps & à des mouvemens qui lei modi-
fient ; dxnù. cela ne prouveroit encore
.qailiponr nulk opération, il s'Elirait de cambîtitre ceiia
doâiîne & d'fclairdr mon raifoanement par un sufinple.
Dant celui de l'équilibre intie àean poids , il n'ell pa*
nfccITaîre , relsn M. de Voltaïri; , qsc cfi deux poidi raient
ligoure urinent égsux ponr que cet équilibre ait lieu. Or,
)t lui fais ïoir que danj («le fuppofilion il T a DJCEiTaira.
nicntiSct Tani caufe du caufc faiu elFet. Puit aioDtaDI la
&CDDd« rupporition des deiiK poids de fer Se du gtaîn d'ai-
mant, te lui faii voir que quand on fecoit dans la nàcura
^oelque obtëtcation femblable àl'eMnipleAippoRE, cela m
prouceroit encore rien en là faveur , parce qu'il ne >fautait
l'aflurer que quelque cauie naturelle ou fecrete ne produit
pai en cette occafion l'appareott mépiliuiti dant il Mtvfi
A M. DE Voltaire, i^j
rien contre la prédfioji de la nature ,
<]iiand même nous ferions d'accord fur ce,
<5ue vous entendez par ce mot de prici/ton.
Vous diftinguez les événemens qui oat
àes effets de ceux qui n'en ont point ; je
doute que cette diftinflion foit foHde.'
Tout événement me femble avoir nécef-
Ëiîrement quelque effet , ou moral , ou
pïiyfique , ou compofé des deux , mai^
qii on n'apperçoit pas toujours , parce que
tâ filiation des événemens efl encore plus
difficile à fuivre que celle des hommes^
Comme en général , on ne doit pas cher4
cher des effets plus cbnlidérables que les
événemens qui les produifent , la petiteffe
des caufes rend fouvent l'examen ridicidê
quoique les effets foient certains , & fou-
vent aufli plufieurs effets prefque imper-
ceptibles fe réiiniffent pour produire un
événement .çqnlidérable. Ajoutez que tel
eftet ne laiffe pas d'avoir lieu , quoiqu'il
agifîè hors dujcorps qui l'a produit. Ainfs
Ja poufïiere qu'éleye un carroffe peut ne
rîen faire à la marche de la voiture , '.&(.
influer fïir celle du monde. Mais çommp
il n'y a rien d'étranger à fuiûvers , tout
ce qiii s'y ^t^git fléçfiflâireni^t furl'i^
joiyitrs mcme. 6
ijfi Lettre
' Ainfi , Monfieiir , vos exemples me pa—
loiffent plus ingénieux qiie convamcans.
Je vois mille raifons plaufibles pourgutn
il n'étoit peut - être pas indifférent k VEm*
rope qu'un certain jour l'héritière de Bour-
gogne fut bien ou mal coiffée , ni au dcC^
tin de' Rome que Céiar toiuTiât les yea»
k droite ou a gauche & crachât de Tun.
ou de Tautre côté en allant au Sénat le
îour qull y fiit puni. En un mot , en me
rappeflant le gram de fable cité par Pafcal ,
je uiis à quelques égards de l'avis de vo-
tre Bramine , & de quelque manière qu'on
«nviiàge les chofcs, fi tous los événemens
n'ont pas des effsts fenfibles, il me paroît
incontçftable que tous en ont de réels ,
'dont l'eforit humain perd aifément le fil ^
mais qui ne font jamais confondus par la
nature.
Vous, dites qu'il eft démontré qitè les
corps célfeftes font leur révolution (^ns
fefpace non réfiftant ; c'étoit affurément
une belle chofe à démontrer ; mais félon
k coutume des ignorans , j'ai très-peu de
.foi aux démonftrations qui paffent ma
Jiortée. rimaginerois que pour bâtir eelle^
Cî<l*OQ auroltà-pea-ptè&raifonàé d$ cette
,.„',.,G.ooyl.-
A M. DE Voltaire, 1^7
manière. Telle force agiflànt félon telle
loi doit donner aux aftres tel mouvement
dans iiB milieu non rélillant ; or les aAres
ont exaâement le mouvement calculé ,
donc il n'y a point de réfiflance. Mais
qui peut (avoir s'il n'y a pas , peut-être ,
un million d'autres lotx poSibles , &ns
compter la véritable , félon lefquelles les
mêmes mouvemens s'expliqueroient mieux
encore dans un fliûde que dans le vide
par celle-ci ^ L'horreur au vide n'a-t-elle
pas lone-tems expliqué la plupart des
effets qu on a depuis attribues A Taâion
de l'air è D'autres expériences ayant en-
fuite détruit l'horreur du vide , tout ne
s'eft-il pas trouvé plein ? N'a-t-on pas
rétabli le vide fur de nonveaux calculs ?
Qui nous répondra qu'im fyftême encore
Îlus exâft ne lé détruira pas derechef?
-aiflbns les difficultés fans nombre qu'un
phyfîcien feroit peut-être fur la nature
de Ja himîere & des efpaces éclairés ; mri's
croyez-vous de bonne foi que Bayle ,
dont j'admire avec vous la fageffe & la
retemie en matière d'opinions , eût trouvé
la vôtre fi démontrée ? En général , H
taabk que l'es fceptiques ^ouhlieitt lÙi
158 Lettre
peu fi-tôt qu'ils prennent le ton dogma-
tique, & qu'ils devroient ufer plus fo-
brement que perfonne du terme de dé-
montrer. Le moyen d'être cru quand on
fe vante de ne rien fevoir, en affirmant
tant de chofes ! Au refle , vous avez fait
un correâif très-jufte au fyflême de
Pope , en obfervant qu'il n'y a aucune gra-
dation proportionnelle entre les créatures
& le Créateur , & que fi la chaîne des
êtres créés aboutit à Dieu, c'eft parca
qu'il la tient , & non parce qu'il la tei«
mine.
Sur le bien du tout préférable â celui
de fa partie , vous feites dire à l'homme r
je dois être auiH cher à mon maître , moi
être penfant &c fentant , que les planète*
qui probablement ne Tentent point. Sans
doute cet univers matériel ne doit pas être
plus cher à fon Auteur qu'un ftui être
penfant & fentant ; mais le fyflême de cet
imivers qui produit , conferve & perpé-
tue tous les êtres penlkns & fentans, lui
doit être plus cher qu'un feul de ces êtres;
il peut donc , malgré fk bonté , ou plutôt
par la bonté même , fàcrifier quelque
cbofe du bonheur des individus ilacoft;
A M. DE Voltaire, i-j^
fervatîon du tout. Je crois , j'eipere vaf
loir mieux aux yeux de Dieu que la terre
d'une planète y mais fi les planètes font
habitées , comme il eft probable , pour-
-quoi vaudrois-je mieux àfes yeux que
tous les habitans de Saturne î On a beau
tourner ces idées en ridicule , il eft cer-
tain que toutes les analogies font pouc
cette population 6c qu'il n'y a que l'or-
gueil humain qui (bit contre. Or , cette
population fuppofée , la confervation de
runivers femble avoir pour Dîeu même
une moralité qui fe muûiplie par le nom-
jbre des mondes habités.
Que le cadavre d'un homme nourriflé
des vers, des loups, ou des plantes , ce
n'eflpas, je l'avoue, un dédommagement
de la mort de cet homme ; mais fi dan*
le fyftême de cet univers il eft néceflaire
à la confervation du genre- humain qu'il
y ait une cirailation d!e fubftance entre les
hommes , les animaux & les végétaux ,
alors le mal particulier d*un individu con-
tribue au bien général ; je meurs, je fuis
ntangé des vers , mais mes enfàns , me»
frères vivront comme j'ai vécu , mon
cadavre engraiiTe la terre dont Us mange;
font les produâions , & je feis par l'ordre
de la nature & pour tous les hommes ce
mie firent volontairement Codnis, Cui^
tiiK , les Décies , les Philenes & mille
autres pour tme petite partie des hommes.
Pour revenir , Monfieur , au fyftême
^le vous attatpiez , je crois quon ne
peut l'examiner convenablement fans dif-
tinguer avec foin le mal paiticulier , dont
aucun philofophe n'a jamais nié l'exifteii-
ce , du mal général que nie l'optimifme;
Il n'eft pas cjueftion ae ûvoir n chacun
de nous foutfre ou non, mais s'il étoit
bon que l'univers fut, & fi nos maiix
étoient inévitables dans là conftitutioiu
Ainfi l'addition d'un article rendroit ce
lêmble la propofitfon plus exaâe, & aii
lieu de tout ep Inen , il vaudroit peut-être
mieux dire , le tout eji bien , ou , tout ejl
bien pour le tout. Alors il eft très-évident
qu'auain homme ne fauroit donner de
preuves direâes ni pour ni cootre , car
ces preuves dspendenf d'une connoiffaiïce
parraite de la corJlitution dn monde &
du but de fon Autciu- , & cette connoif-
Ênce eft înconteftablement au delTus éc
Fiotelligence humaine. Lçs vrais principes
A. M. DE Voltaire, i6%
de l'optimifine ne peuvent fe tirer ni des-
propriétés de la matière , ni de la mé-
canique de l'iinivcrs , mais feulement par
induétion des perfcâions de Pieu qui
préfide à tout : de forte qu'on ne prouve
pas Texiftence de Dieu par le iyfteme de
Pope , mais le fyftême de Pope par l'é-
xiâence de Dieu , & c'eft fims contredit
de la queftion de la providence qu'eft
dérivée celle de l'origine du mal. Que ft
ces deux queftions iront pas été mieux
traitées l'une que l'autre , c'éft qu'on a
toujours fi mal ralfoniié fur la providence ,.
que ce qu'on en a dit d'abfurde a fort em-
M-ouillé tous les corollaires qu'on pouvoit'
tirer de ce grand & confoîaiit dogme.
Les premiers qui ont gâté la caufe de
Dieu , font les prêtres & les dévots qui-
ne foufii'ent pas que rien le hSc félon
l'ordre établi , mais font toujoiu^ inter-
venir la juftice divine k des événemens
purement naturels , &c pour être iïirs de
leur Jàitpuniffent &. châtient les méchans ,
éprouvent ou récompenfent ksbons in-
diftiéremment avec des biens ou des maïuc
félon l'événement. Je ne ûis , poiu- moi,
ii c'eft une bonne théologie , mais je
i6x Lettre
trouve que c'eft une mauvaife manière
de raifonner , de fonder indifféremment
fm* le poiu & le contre les preuves de la
providence , & de lui attribuer iàns choix
tout ce qui fe feroit également fans elle.
Les Philofophes à Uiu- toiu- ne me pa-
roiffent gueres plus raifonnables , quand
je les vois s'en prendre au Ciel de ce
qu'ils ne font pas impaffibles , crier que
tout eft perdu quand ils ont mal aux
dents , ou qu'ils font pauvres, ou qu'on
les vole , & charger Dieu , cotnme dît
Séneque , de la garde de leur valife. Si
quelque accident tragique eût Êiit périr
Cartouche ou Céfar dïùis leur enfance ,
on auroit dit , quel crime avoient - ils
commis ? Ces deux brigands ont vécu ,
& nous difons , pourquoi les avoir laifles
vivre î Au contraire un dévot dira dans
le premier cas. Dieu vouloir pumr le
père en lui ôtant fon enfant ', & dans le
îècond , Dieu confervoit l'enfent pour le
châtiment du peuple. Ainfi , quelque
parti qu'ait pris la nature , la providence
a toujours raifon chez les dévots , &
toujours tort chez les Philofophes. Peut-
être dans l'ordre des çhofes hiunaines
A M. DE Voltaire. i6j
n'a-t-elle ni tort dî raifon , parce que tout
tient à la loi commune & qu'il n'y a d'ex-
ception pour perfonne. Il eft à croire que
les événemens particuliers ne font nçit
aux yeux <lu ntMtre de l'univers ; que ik
providence eft feulement univerielle ;
qu'il (ê contente de conferver les gem-es
& les efpBCes , & de préfider au tout fans
s-'inquiéter de la manière dont chaque in-
dividu paffe cette courte vie. Un Roi
fege qui veut que chacim vive heureux
dans les Etats , a-t-il befoin de s'informer
files cabarets y font bons? Le paffant
murmure une nuit quand ils font mau-
vais. Se vit tout le refte de fes jours
d'une impatience aufli déplacée. Commo-
randi enim naiura diverforiam nobiSf non
habitant dédit.
Pour penfer jiifte à cet égard , H fem-
ble que les chofes derroient être confi-
dérées relativement dans Tordre pbyfique
& abfolument dans l'ordre moral: U pltis
grande idée que je puis me faire de la
grande idée que ;e puis me taire de la
providence eft que chaque être matériel
foit difpofé le mieux qu'il eft pofliWe
par rapport au tout , & chaque être intel-
Bgem & fenfible le mi«ux qu'il eft polft«
104 Lettre
We par rapport à Iiii-même ; en forte que
pour qiii lent fon exiftence il vaille mieux
exifter que ne pas exifter. Mais il feuf
appliquer cette règle X la durée totale de
chaque être fenfibk Se non il quelque inf-
tant particulier de (à durée tel que la vîe
humaine , ee qui montre combien la mieA
tion de la providence tient à celle de rim-
TOortalité de l'ame que j*ai le bonheur à&
croire , fans ignorer que la raifon peut
«11 douter , & à celle de l'éternité de*
peines que ni vous , ni moi , ni jamais
homme penfent bien de Dieu ne croi-
rons jamais.
Si je ramené ces queftions diverfes î
leur principe commun , il me femble
qu'elles fe rapportent toutes à celle de ■
rexiftence de Dieu. Si Dieu exifte , il
eft parfait; s'il eft parfeit , il eft fage,
puilfant & jufle ; s'il eft fage & puiffant,
tout eft bien ; s'il eft jufte & ptiiflânt ,
mon ame eft immortelle ; ft mon ame eft
immortelle, trente ans de vie ne font
rien pour moi & font peut-être nécef-
faires au maintien de lunivers. Si Ton
m accorde la [wcmiere proposition, jamais
on n'ébranlera ks fuivantes ; lî on la nie >
A M- DE Voltaire. i6j[
il ne feut point difputer fur (es confér
jtjiifnces.
Nous ne foinmes ni l'un ni l'autre dans
xe dernier cas. Bien loin du moins que
je puilTe rien préfumer de femblable de
votre part en Ûfant le recueil de vos œu--
.vres , \à plupart m'offrent les idées les
plus grandes , les plus douces, les plus
confolantes de la divinité , & j'aime bien
mieux un chrétien de yotre fajon que de
j;elle de la Sorbonne.
Quant à ivoi , jç yous avouerai nait-
veriient que ni le pour ni le contre ne
me paroJHent démontrés fur ce point par
les feules lumières de la raifon , & que fi
le théïfte ne fonde fon fentiment que fur
des probabilités , l'athée moins précis
encore ne me paroit fonder le ^en que
fur des poiTibililés contraires. De plus f
les objeétions de part Se d'autre font tour
jours infolubles , parce qu'elles roulent
fur des .chofes dont les hommes n'ont
point de véritable idée. Je convîçns de
taut cela , & pourtant je xrois en Dieu
tout aufli fortement que je croye une
autre vérité ~, parce que croire & ne pas
«"oire ipat }ss choies éi mpnde qui dé^
i66 Lettre
pendent le moins de moi , que l'état de
doute eft un état trop violent pour mon
ame y que quand ma raifon flotte , ma foi
ne peut relier long-tems .en lufpens &C
{e détermine (ans eUe , qu'enfin nulle fu-
jets de préférence m'attirent du coté le
flus confplant, & joignent le poids de
efpérance à l'équilibre de la raifon.
Voilà donc une vérité dont nous par-
tons tous deux à l'appui de laquelle vous
ientez combien roptimifme eft facile à
défendre & la providence à juftifier, &
ce n'eft pas à vous qu'il feut répéter les
raifonnemens rebattus mais folides qui ont
été feits fi fouvent à ce fujet. A l'égard
des Philofophes qui ne conviennent pas
du principe , il ne faut point difputer
avec eux fur ces matières , parce qiie ce
qui n'eft qu'une preuve de fentiment
pour nous , ne peut devenir pour eux
une démonftration , & que ce n'efl pas
im difcours raifonnable de dire à un hom-
me , vous devei croire ceci parct qut jt U
crois. Eux de leur côté ne doivent point .
non plus difputw avec nous fur ces mê-
mes matières , parce qu'elles ne font que ,
^es corollaires de la propofition prm;
A M. DE Voltaire. 167
fipale qu'un adverûire honnête ofe à
peine leiir oppofer , & qu'à leur toiir ils
auroîent tort d'exiger qu'on leur prouvât
le corollaire indépendamment de la pra-
pofition qui lui lert de bafe. Je penfe
qu'ils ne le doivent pas encore par une
3utre raifon , p'eft qu'il y a de Tmliuma-
uité à troubler des âmes paiiibles & ^
défoler les hommes à pure perte , quand
ce qu'on veut leur apprendre n'eft m cer-
tain ni utile. Je penfe en un mot, qu'^
voire exemple on ne fauroit attaquer
trop fortement la fuperftition qui trouble
Ja îbciété , ni trop refpeâer la religiop
qui la foutient.
Mais je fuis indigné comme vous que
la foi dfi chacun ne foit pas dans la plu?
parfaite liberté 6ç que l'homme ofe con-
trôler l'intérieur des confciences où il nç
fauroit penétrp r , comme s'il dépendoit
de nous de croire ou de ne pas croire
dans des matières oh la démonftration n'9
point lieu , & qu'on pût jamais affervîr
Ja raifon à l'autorité. Les Rois de cç
inonde ont-ils donc quelque infpeÛion
dans l'autre , & font-ils en droit de tour--
menter leurs f»jets Içirbas pour l«s for--
-cer d'aller en paradis î Non, tout Gou-
vernement humain fe borne par fa nature
aux devoirs civils , & quoi qu'en ait pu
rdire le fophifte Hobbes , quand un hom-
me fert bien l'Etat , il ne doit compte à
perfonne de la manière dont il fert Dieu.
J'ignore fi cet Etre jufte ne punira point
«n jour toute tyrannie exercée en fort
-nom ; je fuis bien iùr au moins qu'il ne
la partagera pas , & ne reftifera le bon-
Jieur éternel a nul incrédule vertueux Se
.de bonne foi. Puis-je fans offènfer fa
bonté & même fa juftice douter qu'un
<œ\ir droit ne racheté une erreur învo-
lont-!ire , & que des mœurs irréprochables
.ne vaillçnt bien mille cultes bizarres pref-
.crits par les hommes & rejettes par la
raifon ? Je dirai pUis ; fi je pouvois à
■mon choix acheter les oeuvres au dépend
de ma foi , & compenfer à force de vertu
TOOn incrédulité fuppofée , je ne balan-
cerois pas \in inftant ; & j'aimerois mieux
pouvoir dire à Dieu. Tai fait fans fon-
der à toi le bkn qui ieji agréahU , & mon
. caur fuivoic ta volonté fans la connaître y
que de lui dire , comme il faudra que je
û£k un jour. Je t'aimois , & Je n'ai ceffi
tU
A M. DE Voltaire. 169
de t'offknfir ; je /ai connu & n'ai ritn fait
pour u.pUue.
Il y a , je l'avoue , une forte de pro-
fèffion de foi que les loix peuvent impo-
ibr ; mais hors les principes de la morale
6c du droit naturel , elle doit être pure-
ment négative , parce qu'il peut exîfter
des religions qui attaquent les fondemens
de la fociété & qu'il faut commencer par
exterminer ces religions pour affurer la
paix de l'Etat. De ces dogmes à profcrire
l'intolérance ed fans diiEculté le plus
odieux, mais il' faut la prendre à fa four-
ce , car les fanatiques les plus fanguinai-
res changent de langage félon la fortune
& ne prêchent que patience Se douceur
quand ils ne font pas les plus forts. Ainfî
j appelle intolérant par principe tout hom-
me qui s'imagine qu'on ne peut être hom-
me de bien fans croire tout ce qu'il croit , '
& damne impitoyablement ceux qui ne
penfem pas comme lui. En effet , les hdelles
font rarement d'humeur à laifTer les ré-
prouvés en paix dans ce monde , & un
faint qui croit vivre avec des damnés
anticipe volontiers fur le métier du Dia-
ble. Quant aux incrédules ialolérans qui
Pkcti diytrjts, H
170 Lettre
Toudroient forcer le peuplé à ne rien
croire , je ne les bannirois pas moins fé-
vérement que ceux qui le veulent forcer
à Croire tout ce qu'il leur plaît Car on
voit au zete de leurs décifions , à l'amer-
tume de leurs fatires , qu'il ne leur man-
que que d'être les maîtres pour perfécuter
tout auffi cnieliement les croyans mi'ils
font eux - mêmes periecutés par les rana-
tiques. Oti eft l'homme paifible & doux
qui trouve bon qu'on ne penfe pas cent-
me lui. Cet homme ne fe trouvera fiire-
ment jamais parmi les dévots & il eft
encore à trouver chez les philosophes.
Je voudrois donc qu'on eût dans chaque
Etat un code moral, ou une efpece de
profeflion de foi àvile qui contînt pofitive-
ment les maximes foclales que chacun feroit
tenu d'admettre , & négativement les maxi-
mes intolérantes qu'on feroit tenu de re-
jetter , non comme impies , mais comme
leditieufes. Ainfi toute religion qui pour-
rait s'accorder avec le code feroit admife ,
toute religion qui ne s'y accorderoit pas
feroit proîcrite , & chacun feroit libre de
n'en avoir point d'autre que le code même.
Cet ouvrage fiiii avec fom, feroit , ce me
A M. DE Voltaire. 171
femble , le livre le plus utile qui jamais
ait été compofé , & peut-être le feul né-
Ceflkire aux hommes. Voilà , Moniteur ,
un fujet pour vous ; je fouhaiterois paC-
fionnément que vous voulufliez entrepren-
dre cet ouvrage , & l'embellir de votre
poéfie , afin que chacun pouvant l'apprefr
dreâfémentj il portât dès'Tenfence dans
tous les cœurs ces fentimens de dôûceUr
& dTiuDianilé qui brillent dans vos écrit*
& ^li manquent à tout le monde dans U
pratique. Je vous exhorte à méditer ce
projet qui doit plaire à l'Auteiir d'Alzire.
Vous nous avez donné ^ns votre Poëme
fur la Religion naturelle le catéchifme
de rtiomme , donnez-nous maintenant dans
celui que je vous propofe le, catéchifme
du citoyen. C'efi uiie matière à méditer
long-tems , & peut-être à réferver pour
le dernier de vos ouvrages , afin d'ache-
ver par lin bieniàit au genre - hxunain la
plus brillante carrière que jamais homme
de lettres ait parcourue.
Je ne puis m'empêcher , Monfieur , de
remarquer à ce propos une oppofitïon
bien fmguUere entre vous & moi dans le
fujet de cette lettre. Railafié de gloire >
171 Le t t h e .
&: défabufé des vaines grandeurs , vous
vivei libre au fein de l'abondance ; bien
fîir de votre immortalité , vous phîlofo-
phez paiHblement fur la nature de l'ame,
& ii le corps ou le cœur fouffre ^ vous
avez Tronchin poiu- médecin Se pour ami ;
-vpus ne tfouvez pourtant que mal fur la
terre. Et moi , homme obfcur , pauvre &
tourmenté d'un mal fans remède, je mé-
dite avec plaifir dans ma retraite 8c trouve
que tout eft bien. D'oîi viennent ces con-
tradiâions apparentes ? Vous l'avez vous-
inême expliqué ; vous jouiffez , mais j'et
père , & l'eipérance embellit tout. '
J'ai autant de peine à quitter cette ea-
nuyeufe lettre que vous en aurez à Fa-
chever. Pardonnez - moi , grand homme,
un zèle peut-être irfdifcret , mais qui ne
s'épncheroit pas avec vous fi je vouî
cftimois moins.. A Dieu nç plaïfé que je
veuille ofieiifer celiû de mes contempo-
rains dont j'honore le plus les talens &
dont les écrits parlent le mieux à moi
cœur : mais il s'agit de la caufc de I
providence dont f attends tout. Après avoî
u long - tems puifé dans vos leçons de
,conl9lations 6c du coiu'age , il.m'eftdui
' A "M. DE Voltaire. ' 173
. ' ; V T : — ' — I — ' — r-r,
qiie vous m'ôtîez maintenant tout cela
pour ne m*of&ir oii'iiné efpérance incer-
taine & vague , plutôt comme un pallia-
^f a£tuel que comme un dédommagèmeiA
à venir. Non , j'ai trop fouffert en cette
Vie pour h'en pas attendre ttnè autre.
Toutes JesJîibtiUtés de la métaphyiique
ne me feront pas douter un moment de
l'immortalité de l'ame & d'une providence
bieniàiiânte. J.e la fei^ , Je la crois , je la
veux , je iWpere , je la défendrai juiqu'à
mon dernier fonpir,'& cefera de toutes
les difpntés, que j'aurai foutemies la feule
oîi mon intérêt nç fe(a p:(S oupli^. /, '
Je fiiis avec refpeâ^ Monfîeur,
Hï
RÉPONSE
D-E Monsieur
DE y OLT AI RE
A LA LETTRE PRÉCÉDENTE^
Aux DMccs 13 Septembre lyçtf.
Mo
IpN cherPhilofophe, nous pouvons
vous 8c moi , dans les intervalles de nos
maïqc , raifonner en vers ôc'en proie. Mais
dans lé moment préfent,'voiis me tardon-
nerez de laiffer là toutes ces dircoffions'
philofophiqiies qiri ne font que des amu-
femens". Votre' lettre '^ très -belle , mais
j'ai chez moi une de mes nïeces qui depuis
trois femaines eu dans un a(Tez grand dan-
ger : je fuis garde-malade & tr&-malade
moi-même. J'attendrai' que je. me porte
mieux &c que ma nièce ioit guérie, pour
ofer penfer avec vous ( * ). M. Tronchin
m'a dit que vous viendriez enfin dans
votre patrie; M. d'Alembert vous diira
(*Ji n ne m'a plus fcrit depuis ce ti
R é P O N s E, écc, 175
quelle vïe philofophique on mené dans
ma petite retraite. Elle mériteroit le nom
3u'eUe porte , fi elle pouvoit vous poffi-
er quelquefois. On dit que vous naïflez
le fejour des villes ; j'ai cel» de commun
avec vous ; je voudrois vous reffembler
en tant de chofes , que cette conformité
pût vous déterminer à venir nous voir.
L'état où je fuis ne me permet pas de
vous en aire davantage. G>mptez que de
tous ceux qui vous ont lu , perfonne ne
vous eflime phis que moi malgré mes
mauvaises plaifanteiie^ , & que 4e.tou$
ceux qui vous veiTont;, perfonne n'ef^
plus difpofé à vaas mtasv tendrement. Je
commence par supprimer toute cérémonie.
H4
L E T T R E
A M'", (t) ■
P ' E voilà ; Monfieur , ce nùréntbte re-
ctoiage mie- mon amoiir - pro|}re humilié
vous a fait fi long - tes» attendre , âut«
de fentir qu'Un amour - propre beaucoup
plus noble devoit m'appr-endre à furmon-
Kr celui - liF, Qu'importe que mon ver-
biage vous paroil&mirérable, pourvu que
je (bis content du ientiment qui me l'a
diâé. Si-tât que mon meilleur état m'a
rendu quelques forces, j'en ai profité pour
le relire & vous l'envoyer- Si vous av«
le courage d'aller jurqu'au bout ^ je tous
prie après cela de vouloir bien me le rf"-
voyer , fans me rien dir*» Ac « «juc vous
en aure? p*-'^ » û£ que je comprends de
relie. Je vous ^uç •, .Monfieur , & vout
«nbrafle de tout ipon cœur.
A Monquinle if Mars 17691
* " ■ -•^»
(tj C«tlc I.«iUc bri <f<Dfai i ccUe igA M^
^ _Bourgoin /e ij Janvitr 17691
jEfens, Mortfîfetti'; ririntilité du devoir
que je remiylis'ftirépdndant à votre deri
niere lettre : mais -cVft un devoir enfirt
ejue vous m'impofez & que je remplis de
bon coeur , quoique mal , vu les diftrac-
tions de l'état oîi je fpis-' ' '
Mon deïïèin , en vous difant ici mon
opinion fur les principaux points de votre
lettre , eft de vous la dire avec fimpliciît?
& (ans chercher à vous îa faire adopter.
Cela feroit contre mes^ principes & mcmc
oantre mon goût. Car je fuis jufte , \Sc
comme 'je n'aime point qu'on chercne"à'
me fubjugiiêr , je ne cherche non piias &
fobiuguer perfonne. h fais' qne la raifoit
commune eft frès-bornée ; qn'auflî- ^t'-
qn'on fort de fes étroites limites , chaciire
a la fieoné qui- rt'eft mopre qu'à liii ; que
les opini»^ fe-fJroïJï^éit par' 'Ire opinibh^:
non par la'ftiftn ,' & t^ tjiiicohqàtf'c^de'
3B. nûfojiaartéit- ■ tfim ' aiitre- , ' chafe d^^
trèi-raxe , cède par préjugé 5 par autorité],
H j
178 Lettre
par afféâion , par pareffe ;. rarement, ]a^
mais peut- être , par (on propice jugement.
Vous me. marquez, -Manlieur., que le
réfultal de vos recherches (\\r l'Auteur des
chofes efi tm à^t dç doute. Je ne puU
juger de cet état^ parce^qu'il n'a jiunaîst
été le R^ien. J'ai, cru 4ans mon enËince
par autorité , dans ma jeimeffe par fentirr
ment, dans mon âge inûr par niifon ^
maintenant je crois parce que j'ai tçujoiirs
cru. Tandis que ma jnémoire éteinte ne
me remet plus fur la trace de mes raifonr-
nemens , tandis que ma judiciaire aflbiblie
ne me permet plus de les recommencer,
les opinions qui en ont réfulté me ref-.
tent dans toute leiir force i 6i fans qiie
j'aye la volonté ni le courage de les met-
tre,, derechef en délibération, je m'y tiens
en confiance & en confcience , certain-
d'avoir apporté dans la vigueiu- de mon
jugement à leurs difcuffions foute l'atten-
tion &c la bonne foi dont j'étoïs capable.
Si je me fuis trompé , ce ,n*ell pas ma
feute , c'eft celle de la, navire cpii n'a j>as
donné a ma tête une p]us' grande meuire
4'iiitelligeQce Ô^ de:raifon, ^-a'ai (iên^e
A M*
179
plus aujourd'hui y j'ai beaucoup de moins.*
Sur quel fondement recommencerois - je
donc à délibérer î Le moment preffe ; le
départ approche. Je n'aurois jamais ^
tems ni la force d'achever le grand travail
d'une refonte. Permettez qu'à tout événe-
ment j'emporte avec moi la con£llance
& la fermeté d'un homme , non les dou-
tes décourageans & timides d'un vieux
radoteur.
A ce que je puis me rappeUer de mes
anciennes idées, à ce que j'aj^rçois de
la marche des vôtres , je vois que n'ayant
pas fuivi dans nos recherches la même
route , il eft peu étonnant que nous ne
foyons pas arrivés à la même conclufion.
Balançant les preuves de l'exiftence de
Dieu avec les difficultés , vous n'avez
trouvé aucun des côtés affez prépondérant
pour vous décider &i. vous êtes refié dans
Je doute : ce n'eft pas comme cela que je
fis. J'examinai tous les lyftêmes fur la fort
mation de l'univers que j'avais pu con-
noître. Je méditai lur ceux que je pou-
vojs imaginer. Je les comparai tous de
mon mieux : & je me déci^i , non pour
celui qui nç m'o^^oit point de difficidtés,
H â:
ii8o Lettre
car ils m'en ofïroient tous ; mais poiH"
celui qui me paroiffoiten avoir le moins.
Je me dis que ces diffieultés étoient dans
la nature de là chofe , que la contempla-
tion de l'infini pafferoit toujours les bop-
-oesde mon- entendement-; ^e ne devant
jamais efpérer de concevoir- pleinement
Je iyftême de la nature, tout ce que je
Î)Ouvois feire étoit dfe le confidérer ï>m:
es côtés que je pouvois iaifir ; qu'il tkt-
■ loit favoir ignorer en paix tout le refte ,
& j'avoue que dans ces recherches je
peniâi comme les. gens dont- vous parlez^
^ui ne- rejettent pas une vérité claireoii
iuffifamment prouvée, pour les difficul-
tés qui l'accompagnent & qu'on ne faiiroît
lever.. Pavois dors , je l'avoue , ime con-
fiance G. téméraire , ou du moins une fi
fisrte perfuafion , que j'aurois- défîé tout
■phîlofophe depropofer aucun' autre fyJr
■tême intelligible fur la nature , aui^uel je
n'eufle oppofé. des objeÉttons pUis tortes-,.
•plus iavincibles, que celles qu'il pouvoit
m'oppofer fur le mien , & alors- il iàiïoit
01?" réfoudre à refter fans rien croire',
«omme- vous- faites , ce» qiri ne dé^jendoil
.pas dé. moi-, ou mal ralfoinhet j. 014 croiie.
comme- ^'Êiit^
A M**". ï8i
Une idée qui me vint il y a trente ans»
a peut-être pUis contribué qu'aHcime au-
tre à me rendre inébranlable. Siippofons,
tne difois-je, le genre -humain vieilli
iufqu*à ce jour dans le plus complet ma-
têriîdifme , fans que jamais idée de- dî»
vinîté ni d'ame Imt entrée dans aiiain
«fprit humain. Suppofons que i'athéifme
çnilofophique ait epuifé tous (es fyftêmes
pour expliquer la formation & la mar-
che de l'univers par le feid jeu de la ma*
fiere Se du mouvement néceffairej mot
auquel du refte je n'ai jamais rien conçiu
Dans cet état-, Monfieur , excufez ma
franchlfe , je fuppofois encore ce que
j*ai toujours vu- , Se ce que je fentois
devoir être-; qu'au lieu de Ce repofer
tranquillement dans- ces fyftêmes , comme
dam le fein de fe vérité , leurs inquiets
panifans cherchoient iàns ceffe à parler
de leur doârine , à l'éclaircir , à réren-
tlre^ à l'expliquer , la pallier , la corri-
ger, & comme cehù qui fent trembler
tbiis fes pieds la Hteifon qu'il- habite, à
l'étaycr de nouveaux argutnerïs, Termi-
Bcms enfin ces fuppofitio;is par celte d'un
ifiaîon , d'un- Qarcke , c^i , fe levant tout
i8i Lettre
■ ■ .11. ■ — I. ...1 I I n
d'un coup au milieu d'eux , leur eût dit :
mes amis , û vous eulTiez commencé Ta-
nalyfe de cet univers par celle de vous-
mêmes y vous euffiez trouvé dans la na-
ture de votre être la clef de la conAi-
tution de ce même univers , que vous
cherchez en vain (ans cela. Qu'emiiite leur
expliquant la diAinâion des deux fubf-
tances, il leur eût prouvé par les pro-
priétés même de la matière , ^e quoi-
qu*en dife Locke , la fuppoiition de la
matière penlànte eà une véritable abAir>
dite. Qu'il leur eût ùàt voir qiielle eil
la nature de l'être vraiment aûil & pen-
dant , & que de l'établiiTement de cet être
<jui juge , il fiit enfin remonté aux no-
tions coniules , mais Aires de l'Etre fu-
frême : qui peut douter que fraj^és de
éclat, de la.iimplicité , de la vérité,
de la beauté de cette raviffante idée, les
mortels jufqu'alors aveugles , éclairés des
premiers rayons de la divinité , nç lui
euflent offert par acclamation leurs pre-
miers hommages, & que les penfeius
fur-tout & les philolbphes n'euûent rougi
d'avoir cqntemplé fi long-tems les de-
hors de cette machine immenfe , ians
A M***. i8j
trouver, fans foupçohner même la clef
de ùt conftitution, &c toujours grofliére-
ment bomés par leurs fens, de n'avoir
jamais fu voir que matière oh tout leur
mcmiroit qu'ime autre fub^hmce donnoit la
vie à l'univers & l'intelligence à l'homme.
C'eil alors , Monâeur, que la mode eût
été pour cette nouvelle philolbphie , que
les jeunes gens 6c les fages fe ftjffent
trouvés d'accord , qu'une doflrine &
belle , fi fublime , û douce , & fi confo-
lante pour tout homme jufte, eût réelle-
ment excité tous les hommes à la vertu,
& que ce beau mot d'kumaniii rebattu
maintenant jufqu'à la fadeur y jufqu'au
ridicule , par les gens ' du monde les
moins humains , eût été plus empreint
dans les coeiu-s que. .dans les livres. H
eût donc ixtffi d'une fimple tranipofition
de tems pour faire prendre tout le con-
tre-pied à la mode philoibphique, avec
cette différence que celle d'aujourd'hui
malgré fon clinquant de paroles , ne nous
promet pas une .génération bien eftima-
ble V ni ds,s philofophes bien vertueux,
Vousobjeftez, Monfjeur, que fi Dieu
eût voulu obliger les hoAun«5 à le coa-<
184 L E t T H E
noître , il eut mis fon exiftence en évi-
dence à tous les yeiix. Ceft à ceiuc qui
font de la foi en Dieu un dogme né-
fieflàire au fiihit de répiondre à cette oI>-
jeûion, & ils y répondent par la révé-
lation. Quant à jnoi qui crois en Dieu
fans croire cette foi néceflaire , je ne
vois pas pourquoi Dieu fe feroit obligé
de nous la donner. Je penfe que chacun
ièra jugé , non fur ce qu'il a cru , mais
(\ir ce qu'il a feit, & je ne crois point
qu'un fyftême de doftrine foit néceffeire
aux oeuvres , parce que ta confcience en
tient lieu-
Je crois bien' , il eft vrai , qu'il fkxit
être de bonne foi dans fa croyance , &
ne pas s'en feire un fyftême favorable
i nos payions. Comme 'nous ne fommes
pas tout intelligence," nous ne finirions
phtlofopher avec tant de définréreffe-
ment que notre volonté- n'inffue im peu
fur nos opinion» ; l'on peut fouvent ju-
ger des fecretes inclinations d'un homme'
par k& fen:imens' purement fpéculaiâfs î
6c cela pofé, je penfe qii'il fe pmnroit
bien qtie cehii qui n'a pas voulu croire
Stt puni pour n'avoir pas cm.
A. M * * *. 185
C^>endant je crpis qiie Dieu 5'eft firf:
màmment révélé aux hommes & par
fes œuvres & dans leurs cœurs , & s'il y
en a qui ne le connoiffent pas , c'eft
felon moi , parce qu'ils ne veulent pas
le cormoître , ou parce qu'ik n'en ont
pas beibîn.
Dans ce dernier cas eft l'homme ûu-
vage.& fans culture qui n'a fait encore
aucun ulâge de fa raifon ^ qui , gouverné
feulement par fes appétits n'a pas be-
fbin d'autre guide , &c qui ne fuivant
3ue l'inâinâ de la nature , marche par
es mouvemens toujoiu-s. droits. Cet
linninHi lie conooît pas Dieu, ma'" »'
ne l'otïènfe pas. Dans l'autre cas au con-
traire eft le philofophe , qui, à force de
vouloir exister fon intelligence , de ta-
finer, de fubtilifer fur ce qu on. penià juf-
qu'à lui , ébranle enfin tous les axiomes
de la raUbn fimple & primitive ^'&c pour
vouloir toujours (avoir plus & mieux
Sue les autres , parvient à ne rien favoir
u tout. L'homme à la fois raifonnable
& modèle , dont l'entendement exercé ,
xiaâs borné ^ fent fes limites & s'y ren-
^nne^.tçouvè dans ces limites la notion .
de fon ame & celle de l'Auteur de fou
être, fans pouvoir paffer au-delà pour
rendre ces hotions claires, & contein-
pler d'aufliprès l'une & l'autre que s il
étoit lui-même un piu- efprit. Alors laili
de refpeft il s'arrête & ne touche pomt
au voile , content de favoir oue YEm
immenfe eft deffous. Voilà jufquoii la
philofophie eft utile à la prauque. Le
relie n'eft plus qu'ime fpéculation ouetiie
pour laquelle l'homme n'a point ete fait,
dont le raifonneur modéré s'abftient , «
dans laquelle n'entre point l'homme vul-
gaire. Cet homme qui p'pft ni ime brute
m un prodigp eft l'homme proi^roment
dit, moyen entre les deux extrêmes, o£
qui compofe les dix-neuf vingtièmes du
genre-humain. C'eft à cette claffe nom-
breufe de chanter le Pfeaume Calt •mr-
rimi. Si c'eft elle en effet qui le chante.
Tous les peuples de la terre connoiflent
& adorent Dieu, 8c quoique chactm
rhabille à & mode, fous tous ces vête-
mens divers , on trouve pourtant tou-
jours Dieu. Le petit nombre d'élite qui
a déplus hautes prétentions de doârine,
Si dont le génie ne f« boïne^ pas au fens
A M***. 187
commun , en veiit un plus tranfcendant :
ce n'eft pas de quoi je le blâme : mais
qu'il pane de -la pour fe mettre à la
place du genre^mmam^ & dire que Dieu
s'eft caché aux hommes , parce que lui
petit nombre ne le voit plus , je trouve
en cela qu'il a tort. Il peut arriver, j'eit
conviens , que le torrent de la mode ,
& le jeu de l'intrigue étende la feâe
phîlofophique & perfuade un moment
a la multitude qu'elle ne croit plus en
Dieu : mais cette mode paiTagere ne peut
durer , & conuijc qu'on s'y prennes, il
£iudra toujours à la longue im DieuX
l'homme: Enfin quand forçant la nature
des choies, la divinité augmenteroit pour
nous d'évidence , je ne doute pas que
dans le nouveau lycée on n'augmentât
en même raïfon de fubtilité pour la nier.
La raifoft prend à la longue le pU que
le cœur lui donne, & quand on veut
penftr en tout autrement que le peuple ,
on en vient à bout tôt ou tard.
Tout ceci , Monlieur , ne vous paroît
gueres philofophique , ni à moi non plus ;
mais toujours de bonne foi avec moi-
même, je fens fe joindre à mes raifdn-
i88 Lettre
neœens , quoique fimples, le poids de
Faffentimenî intérieur. Vous voulez qu'on
s'en défie ; je ne ikarois penfer comme
vous fur ce point, & je trouve au con-
traire dans ce jugemeiU interne vine.fàuve-
garde naturelle contre les lophjfmes de
Hia raîfbn. Je crains même ,. qu'en cette
occafion vous ne confondiez les penchans
fecrets de notre cœur qui nous égarent,
avec ce diâamen plus fecret, plus interne
encore , qui réclame & murmure" contre
ces décifions intéreffées , & nous ramené
en .dépit de nous fur la, route 4e la vé-
rité. Ce fcntiment intérieur eft celui de
la nature elle-même ; c'eft un appel de
ià part contre les fophifmes de la raî-
fon , & ce qui le prouve eft qu'il ne
parle jamais plus fort que quand notre
volonté cède avec le plus de complai-
fance aux jugemens quil s'obftine à re-
jetter. Loin de croire que qui juge d'a-
près lui foit fujet à fe tromper, je crois
que jamais il ne nous trompe , Se qu'il
eft la lumière de noire foible entende-
ment , lorlque nous voulons aller plus
loin que ce que nous pouvons concevoir. ■
, Et après tout, combien de fois ta pliit;
A M * ' *. 189
ïofophie elle - même avec toute fa fierté,"
n'eft-elie pas forcée de recourir à ce ju-
gement interne qu'elle affetie de mépri-
ler. N'étoit - ce pas lui feul qui feifoit
marcher Dîogene pour toute réponfe
devant Zenon qui rûoit le mouvement?
N'étoit- ce pas par lui que toute V'anti-
Xité philosophique répondoit aux pyr-
smens. N'allons pas fi loin : tandis quQ
toute la philofophie moderne rejette, les
efprits , tout d'un coup l'Evêque Berldey
s'élève & foutient qu'il n'y a point de corps.
Comment eft-on venu a bout de répon-
dre à ce terrible logiciçd ï Otez le fenti-
menf intérieur.,. Çc je défie tous les phi-
iofo[>hes modernes enfemble de prouver
à Berkley qu'il y a des corps. Bon jeune
homme qui me paroifièz fi bien né ; de la
ix)nne. foi , je vous en conjure , & per-
mettez que je vous cite ici un auteur qui
ne vous, fera pas fufpeft , celui des pen-
-fées philofophiques. Qu'un homme vien-
ne vous dire que projettant au hafard
luie multitude de caraâeres d'imprimerie ,
il a vu l'Enéide toute arrangée réfulter
de ce jet : convenez qu'au liçu d'aile;-
vérifier, cette mervçillç , vpus lui répon-.
ttoo Lettre
drez froidement ; MonGeur , cela n'eft
pas impoffible ; mais vous mentez. En
vertu de quoi , ie vous prie, lui répon-
drez-vous ainfî?
Eb ! qiii ne Eût que fans le fentiment
interne , il ne rdleroit bientôt plus de
traces de vérité fur la terre , que nous
ferions tous fucceflivément le jouet des
topinions les phis monftnieufes , à mefure
que ceux qui les foutiendroient auroient
plus de génie , d'adreffe & d'efprit , &
qu'enfin réduits à rougir de notre ralfon
même , nous ne faurions bientôt plus que
croire ni que penfer.
■ Mais les objeflions fans doute
il y en a d'infolubles pour nous & beau-
coup , je le làis. Mais encore un coup
donnez moi lui fyftême oii il n'y en ait
pas, ou dites moi comment je dois me
oéterminer. .Bien plus; par la natiu^ de
mon fyftême , pourvu que mes preuves
direâes foient bien établies , les difficul-
tés ne doivent pas m'arrêter; vu l'impof-
iibiljté oii je fuis, moi être mixte, de
raifonner exaôement fur les efprits purs
& d'en obferver fuffifàmment la nature*
Mais VOIES matérialifte, qui me parlez
A M**\ 191
<f une fubftanœ unique , palpaUe Se ^0l^
tnife par ta nature à l'it^peftion des fens,
-vous êtes obligé non- feulement de ne
me rien dire que de clair, de bien prou-
vé , mais de réfoudre toutes mes diffi-
cultés d'une %on pleinement fatis&ifan-
te , parce que nous polTédons vous 8c
-moi tous les inftrumens nécelTaires à cette
-folution. Et par exemple , quand vous
faites naître la penfée des combinaifons
de la matière , vous devez me montrer
ienfiblement ces combinaifons & leur ré-
fultat par les feules loix de la phyfique
& de la mécanique , pulfque vous n en
admettez point d autres. Vous Epicurien,
vous compofez l'ame d'atomes fubtils.
-Mais qu'appeliez- vous fubtils , je vous
prie ? Vous lavez que nous ne connoif-
fons point de ^menfions abfolues , &
que nen n'eA petit ou grand qiie relati-
vement à l'œil qui le regarde. Je prends
par fuppoiîtion , un microfcope fuffilànt
& je regarde un de vos atomes. îe vois
un jgrand quartier de rocher crochu. De
la danfe 8c de l'accrochement de pareils
quartiers j'attends de voir réfulter la pen-
ufe. Vous Moderniile , vous me montre^
ICI
Lettre
■une mcdécule organique. Je prends mon
microscope , & je vois tm diagon grand
comme îa moitié de ma diambre : j'at-
tends de voir fe mouler & s'entortiller
de pareils dragons juiqu'à ce que je voye
rémlter du tout un être non - leulement
organifé mais intelligent; c'eft-à-dïre un
être non aggrégatjf & qui foït rigoureu-
fement un , ôcc Vous ine marquiez , Moi*-
fieuf, que le monde s'étoit fortuitement
arrangé comme la République Romaine.
Pour que la parité fût juAe , il endroit
que la République Romaine n'eût p^s été
compofée avec des hommes , mais ^vec
des morceaux de bois. Montrez-moi clâi'
rement & fenfiblement là génération |Jti-
rement matérielle du premier être intell^
gent i je ne vous demande rîen de plus.
Mais fi tout eft l'œuvre d'un Etre in-
telligent, puiflknt, bieiifeifant; d'où vient
le md fur la terre ? Je vous avoue que
cette difficulté ft terrible ne m'a jamais
beaucoup frappé ; foit que je ne l'aye pas
bien, conçue , foit qu'en effet elle n'ât
pas toute la folidité qu'elle paroît avoir.
Nos philofophes fe font élevés contre les
entités métaphyfiques , &ç je ne connois
perfonss
A M***. 19J
perfonne qui en fafle tant. Qu'eatendent-
Us par /e mal} qii'eft-ce que le mal en
lui-même? oii eft U mal, relativement
à la nature &c à Ion auteur } L'univers
fubfifte, l'ordre y règne & s'y conferve;
tout y périt fucceffivement , parce que
telle ell'la loi des êtres matérieu & mus ;
mais tout s'y renouvelle & rien n'y dé-
génère ; parce que tel eft l'ordre de fon
auteur , & cet ordre ne fe dément point.
Je ne vois aucun mal à tout cela. Mais
quand je fouiFre , n'eft-ce pas un mal ?
Quand je meurs , n'eft-ce pas \\n mal ?
Doucement: je ftiis fujet à la mort, parce
que j'ai reçu la vie. Il n'y avoit pour moî
qu'im moyen de ne point mourir; c*étoi£
de ne jamais naître. La vie eft un bien
pofitif , mais fini , dont le terme s'appelle
mort. Le terme du pofitif n'eft pas le né-
fatlf , il eft zéro, là mort nous eft terri-
le, 8c nous appelions cette terreur un
mal. La douleur eft encore un mal pour
celui qui Touffre , j'en conviens. Niais la
douleur & le plaîfir étoieni les feuls
moyens d'attadier un être feniible & pé-
rimble à ià propre confervation , & ces
moyens font ménagés avec une bonite
Pièces divtrfts, \
194 Lettre
digne de l'Etre Aiprême. Au moment
même , que j'écris ceci , je viens encore
d'éprouver combien ta ceiTatîon Aibite
d'une douleur aiguë eft un plaifir vif &
délicieux. M'oferoîtHDo dire que la ceffi-
tion du plaifir le plus vif foit lyie dou-
leur aiguë ? La douce jouiflànce de la vie
eft permanente ; il fufEt pour la goûter
de ne pas foufFrir. La douleur n'eft qu'un
avertiifement , importun, mais néceflaire,.
que ce bien mii nous eft ft cher eft en
péril. Quand je regardois de près à tout
cela, je trouvai, je prouvai peut-être,
3 lie le fentiment de la mort & celui delà
ouleur eft prefque nul dans l'ordre de la
nature. Ce font les hommes qui l'ont ai-
guifé. Sans leurs rafinemens infenfés , iâns
leurs inftitutions barbares les maux phy-
siques ne nous atteindraient ne nout
anéâeroient gueres , & nous ne fentirioos
point la mort,<
, Mais le mal moral I autre ouvrage de
l'homme , auquel Dieu n'a d'autre part
que de l'avoir 6it libre 6c en cela fem-
Ëlable à lui. Faudra-t-il donc s'en pren-
dre à Dieu des crimes de* hommes &
des maux qu'ils leur attirent? Faudra-I-ii,
A M"***. 195
«n voyant lui champ do bataille lui re-
procher d'avoir crée tant de ïambes ôc
de bras caffés }
Pourquoi , direz - vous , avoir fait
Vhonaine libre , piiifqn'il devoit abufer
de fe liberté ? Ah , Monfieiu- de • • * ^
s'il exifta jamais un mortel qui n'en
Mt pas abule , ce mortel feui honore
plus l'Humanité que tous les fcélérats
qui couvrent la terre ne la dégradent.
Mon Dieu ! donne -moi des vertus ,
Se me place im jour auprès desFenelons,
des Catons , dés Socrates. Que m'impor-
tera le refte du g«nre - humain ? Je ne
rouirai point d'avoir été homme.
Je vous l'ai dit , Monfieur , il s'agit ici
de mon fentiment, non de mes preuves
& vous ne le voyez que trop. Je me
fouviens d'avoir jaiji§ rencontre fur mon
chetiùn cette qHeilièri"d«.l'origine du mal
& de l'avoir effleurée ; mais vous n'avez
point lu ces rabâchei-ies , & moi je les
ai oubliées : nous avons très - bien fait
tous deux. Tout ce que je lais eft que la
fecilité que je trouvois à les réfoudre ,
venoit de l'opinion que j'ai toujours eue
de la co-exiftence éternelle de deux pii^,
I 2
196 Lettre
cipes , VvLti aftif , qui eft Dieu ; fautre
paflif , qui eft la matière , que l'être aâif
combine & modifie avec ime pleine puif-
fance, mab pourtant fans l'avoir créée
& fans la pouvoir anéantir. Cette opinion
m'a feit huer des philofophes à qui je l'ai
dite : ils l'ont décidée abfiu-de & contra-
diûoire. Cela peut être , mais elle ne m'a
pas paru telle, & j'y ai trouvé l'avan-
tage d'expliquer fans peine & clairement
à mon gré tant de queftions dans lefquel-
les ils s'embrouillent j entr'autres celle
que vous m'avez propofée ici comme
ÎMoluble.
Au refte, j'ofe croire que mon fentîmcnt
peu pondérant fur toute autre matière ,
doit l'être un peu fur celle - ci , & quand
vous connoîtréz mieux ma deftinée, quel-
que jour vous direz peut - être , en pen-
iant à moi : quel autre a droit d'agrandir
la mefure qu il a trouvée aux maux que
Kiomme fouffre ici -bas.
Vous attribuez à la difficulté de cette
même queftion dont le ânatifme &c la fu-
perAition ont abufé , les maux eue les
religions ont caufé fiu- la terre. Cek peut
être , & je vous avoue même que toutes
A M " -. 197
les formules en matière de foi ne me pa-
ToiiTent c|u*autant de chaînes d'iniquité ,
de fàuAeté , d^ypocrifie & de tyrannie.
Mais ne foyons jamais injuftes , & pour
aggraver le mal n'ôtons pas le bien. Arra-
cner toute croyance en Dieu du cœur
des hommes, c eft y détruire toute vertu.
Cefl mon opinion , Monfieur , peut-être
elle ell ûuffe, mais tant que c'ell la mienne
je ne ferai point alTez lâche pour vous la
diffimiden
Faire le bien eft l'occupation la plus
douce d'un homme bien né. Sa probité ,
& btenfai^ce ne font point l'ouvrage de
fes principes , mais celui de fon bon na-
turel. Il cède à lès penchans en pratiquant
la juftice , comme le méchant cède aux
fians en pratiquant l'iniquité. Contenter
le goût qui nous porte à bien feire eft
bonté , mais non pas vertu.
Ce mot de vertu fignifie firce. II n'y a
point de vertu uns combat , il n'y en a
point fans victoire. La vertu ne confifte
pas feulement à être jufte , mais à l'être
en triomphant de fes paffions , en régnant
fur fon propre cœur. Titus rendant heu-
rçux le peuple rom^, verfant par -tout
I3
^t-;cx^i.
198 Lettre
Us grâces & les bienfaits , ponvoit ne pas
pérore un feiil jour & n'être pas vertueux:
a le fut certainement en renvoyant Béré-
nice. Bnitiis fàifant mourir Tes encans ,
pouvoit n'être que jufte. Mais Bnituiétoit
un tendre père ; pour iàire fon^ devoir il
déchira fes entrailles , & Brutus fut ver-
tueux.
Vous voyez ici d'avance la quelHoo
remife â fon point. Ce divin fimulacre
tZTil vous me parlez s'otS-e à moî Ibus
une image qui n'eft pas ignoble , & je
crois fentir à' Himpreffion que cette image
fait dans mon cœur la chaleur qu'tlle ell
capable de produire. Mais ce limulacrt
enfin n'eft encore qu'une de {es entité»
irxtaphyiîqiies dont vous ne voulez pas
que les hommes fe feflènt des Dieux. C'eft
un pur objet de contemplation. Jufqu'cii
poitez-vous l'effet de cette contemplation
îiiblime ? Si vous ne voulez qu'en tirer
un nouvel encouragement pour bien &ire »
je fuis d'accord avec vous : maïs ce n'eft
pas de cela qu'il s'agit. Suppofons votre
cœur honnête en proie aux paflîons ks
plus terribles , dont vous n êtes pas à
l'abri , puifqu'enfin vous êtes ^omme.
A M • • •. 199
Ç,etK image qui dang le calme s'y peint
û ravi/ïkpte , n'y peidra-î-«llç rien de Tes
charmes & ne s y ternira- 1 - elle point au
milieu des flots ? Ecnrtons la fiippofition
décourageante & terrible des, périls <jiii
peuvent tenter la vertu inife au défeipoir.
Supposons feulement qu'un, ccêiir ti'op
fenûhle bride d'un amour involontaire
pour la fille ou la femme, de fon ami ,
qu'il foit maître de jouir d'elle entre le
Ciel qui n'en voit rien ^ & lui qui n'ea
veut rien dire à perfonne ; que <a figure
charmante l'attire ornée de tous les attraits
de la beauté &c de la volupté ; au moment
oii fes fens enivrés font piêts à fe livrer
à ïeiirs délices , cette image abftraite de
la vertu viendra-t-elle difputer fon cœilr
à l'objet réel qui le ftappe ? Lui paroîtra-
t-elle en cet inftant la plus belle ? L'arra-
chera -t- elle des bras de celle qu'il aime
pour fe livrer à la vaine contemplation
d'un iàntôme qu'il fait être fans réalité î
Finira-t-il comme Jofeph , Se laiffera-t-U
fon manteau ? Non , Monfieur , il fermera
les yeux , &c fuccombera. Le croyant ,
(&ez-vous , fuccombera de même. Oui,
l'homme foible i celui , par exemple, qui
' I 4
loo Lettre
vous écrit : mais donnez-leur à tous deux
le même degré de force , &c voyez la
différence du point d'appui.
Le moyen , Monfietir , de réfîfter k
des tentations violentes quand on peut
leur céder fans crainte , en fe difant ,
à quoi bon réfifter ? Pour être vertueux
le philofophe a befoin de l'être aux yeiix
des hommes : mais fous les yeux de
Dieii le jnfte eft bien fort. Il compte
cette vie Se fes biens & fes maux &
toute iâ gloriole potu- û peu de chofè ! il
apperçoit tant au-delà ! force invincible de
la vertu , nul ne te connoît que celui
qui fent tout fon être , & qui fait qu'il
n*eft pas au pouvoir des hommes d'en
difpofer. Lifez-voiis quelquefois la Ré-
publique de Platon ? Voyez dans le fé-
cond dialogue avec quelle énergie l'ami
de Socrate , dont j'ai oublié le nom,
lui peint le jufle accaHé des outrages
de ia fortime & des injuAices des hom-
mes, diffamé, perféaité, tourmenté, en
proie à tout 1 opprobre du crime , &
méritant tous les prix de la vertu ,
voyant déjà la mort qui s'approche &
fôp que la haine des méchans n'épargaera
A. M * * * . lOÏ
pas fa mémoire , quand ils ne pourront
plus rien fur fa perfonne. Quel tableau
décourageant , fi rien pouvoit découra-
ger la vertu ! Socrate lui-même effrayé
s'écrie » & croit devoir invoquer les
Dieux avant de répondre ; mais fa -.s
refpoir d'une autre vie, il auroit mal
répondu pour celle - ci. Toutefois , dût-
il finir pour nous à la mort , ce qui né
peut être fi Dieu eft jiifte & par con-
féquent s'il exifte , l'idée feule de cette
exiftence feroit encore pour l'homme
un encouragement à la vertu & une
confolation dans fes miferes , dont man-
que celui qui fe croyant ifolé dans cet
univers , ne (ènt au fond de fon cœur
aucun confident de fes penfées. Ceft
toujours ïme doucetu- dans l'adverfité d'a-
voir un témoin qu'on- ne l'a pas mé-
ritée ; c'cft un orgueil vraiment digne de
la vertu de pouvoir dire à Dieu. Toî
çjiii lis dans mon cœur, tu vois qui
j'ufe en ame forte & en homme )ufi:e de
la liberté que tu m'as donnée. Le vrai
croyant qiu fe fent par-tout fous l'œil
éternel , aime à s'honorer à la fece dû
Ciel d'avoir rempli fçs devoirs fur la
terre. I j
101 Lettre
Voiis voyez que je «e vous ai point
difputé ce fimulacre que vouç m'avez pré-
fenté pour xinique objet des vertus du
&ge. Mais, mon cher Moniîeur, revenez.
maintenant à vous , Ôc voyez combien
cet objet eft inalliable, incompatible avec
vos principes. Comment ne îjntez-vous
pas que cette même loi de la nécetnté
3ui feule régie, félon vous, la marche
u monde ÔC tous les érénemens ,
régie aufli toutes les aâJons des hommes,
toutes les penlées de leurs têtes , tous
les fentîmens de leurs cœurs , que rien
n'eft libre, que tout eft forcé, nécefiàirei
inévitable, que tous les mouvemens d«
l'homme dirigés par la matière aveugle
ne dépendent de fa volonté que parce que
fa volonté même dépend de la nécefllté :
qu'il n'y a par conféqiient ni vertus ni
vices , ni mérite ni démérite , ni moralité
dans les aâions h\unaines , & que ces mots
d'honnête homme ou de fcélérat doivent
être pour vous totalement vides de fens.
Ils ne le font pas , toutefois , j'en fuis
très-lur. Votre honnête coeur en dépit
de vos arguraeos rédame contre votre
pille ptûlofophie. I« fentîmei)^ de la lip
.Google
A M • » •. loj
berté , le charme de la vertu le font fen-
tir à vous malgré vous , & voilà comment
de toutes parts cette forte & faluiaire voix
du fentiment intérieur rappelle au fein de
la vérité & de la vertu tout homme que
£t raîlbn mal conduite égarr. BénilTez ,
Monfieur , cett» fainte & bienfàifante
voix qui tous ramené aux devoirs de
îhomme que la phtlofophie à la mode
finuroVt par vous feire oublier. Ne vous
livrez à vos argiimens que qrtand vous
les {entez d'accord avec le diâamen de
votre confcience , & toutes les fois qu«
vous y fentlrez de la contradiction , foyez
iùr que ce font «ux qui vous tBpmpent,
Quoique je ne veuille pas ergoter avec
vous ni fuivre pied à pied vos deux
lettres , je ne puis cependant me refofer
un mot à dire fur le parallèle du fage
Hâ)reu Se du fage Grec. Comme admira-
teur de l'un & de l'autre , je ne puis gue-
res être fufpeû de préjugés en parlant
d'eux. Je ne vous crois pas dans le même
cas. Je fuis peu furpris que vous donniez
au fécond tout l'avantage. Vous n'avez
pas affez ^àit cornioiffance avec l'autre ,
|K ygus n'avez pas pris affez de foin poiï^
l 6
Lettre
dégager ce qui eft vraiment à lui , de ce.
qui lui eft, étranger & qui le défigure à
vos yeux , comme à ceux de Bien (Taulres
gens qui , fclon moi, n'y ont pas regardé
de plus p. es que vous. Si Jéuis fut né k
Athènes & Socrate à Jérufalem , que Pla-
ton &c Xé ophon euffent écrit la vie du
premier , Luc & Matthieu celle de Tau-
Ire, vous changeriez beaucoup de langage y
& ce qui lui fait tort dans votre eiprit ,
€& précil'ément ce qui rend fon élévation,
d'ame plus étonnante & plus admirable ,,
favoir , fk naiflance en Judée chez le plus
vil peuple qui peut-être exiftât alors , au
lieu que Socrate , né chez le plus inftruit ÔC
le plus aimable, trouva tous les fecours
dont il avoit befoin pour s'élever aifément
au ton qu'il prit. Il s'éleva contre les So-
phiftes comme Jéfus Contre les Prêtres,
avec cette dilTirence que Socrate imita,
foiivent fes antaraiiiftas , & aue fi fa belle
& douce mort n eût honoré fa vie , il eût
pafTi pour un fophifte comme eux. Pour
Jéfus , le vol fub'.ime que prit fa grande
ame l'éleva toujours au - defTus de tous
lés m3rtels , & depuis l'âge de douze ans
jufqu^au nf.0 msiit qu'il expira àiios la pUis
A M " " '. xo\
cruelle ainft que dans la plus infâme de
toutes les morts , il ne fe démentit pas im
moment. Son noble projet étoit de rele-
ver fon peuple , d'en feire derechef lui
peuple libre & digne de l'être ; car c'étoit
par - là qu'il falloit commencer. L'étude
profonde qu'il fit de la loi de Moïfe ,
les efforts pour en réveiller l'enthoufiafine
&c l'amour dans les coeurs montrèrent'
fon but , autant qu'il étoit poffible , pour
ne pas.' effaroucher les -Romains. Mais
fes vils èc lâches compatriotes a» lica
de l'écouter le prirent en haine, précîfë-"
ment à caufe de fon génie & de fa vertu'
qui leur reprochoient leur indignité. En-
fin ce ne fiit qu'après avoir vu l'impof-'
fibilité d'exécuter fon projet qu'il reten-
dit dans fa tête , &c que , ne pouvant taire
par lui - même ime révolution chez fon'
peuple, il voulut en faire une par tes
difcjples dans l'univers. Ce qui l'empêcha'
de réuffir dans fon premier plan , outre
la baffeffe de fon peuple incapable de
toute vertu , fiit la trop grande douceur
de foa propre caraâere ; - douceur qui
tient plus de l'ange & du Dieu que de
Yhoémz , qui ne l'abandonna pas un in^
ao6 Lettre
tant, même fur la croix , & qiii fàît ver-
fer des torrens de larmes à qui fait Iir&
fa vie comme il faut, à travers les fe-
tras dont ces pauvres gens l'ont défigurée.
Heureufement ils ont refpetté & tranfcrit
fidellement fes difcours qu'ils n'enten-
doient pas ; àtei quelques tours orieit*
taux ou mal rendus , on n'y voit pas
un mot qui ne foit digne de lui, &
ç'eft-là qu'on reconnoît l'homme divin,
qui , de li piètres difciples , a fait pour-
tant dans leur groflier mais fier enthou-
fiafme , des hommes éloquens Sc cou-
Tageux.
Vous m'objeâ:cz qu'il a feit des mi-
racles. Cette objeûion feroit terrible S
elle étoit jufte. Mais vous farez, Moit-
iieur, ou du moins vous pourriez iavoir
3ue , feloh moi , loin que Jéfus ait eût
es miracles , il a déclaré très-pofitivc-
tnent qu'il n'en feroit point, & a mar^
que un très-^rand mépris pour ceux qui
en demandoient.
Que de chofes me refteroient à dire!
Mais cette lettre eft énorme. Il .faut finir.
iVoici la dernière fois que je reviendrai
ftir ({S tju^cresi J'ai ypulu yous com;
A M*
107
plaire f Monfitfiir, je ne m'en repenS
point ; au contraire , je voiis remercie
de m'avoir fait reprendre un fil d'idées
prefqu* effacées , mais dont les reftes
peuvent avoir pour moi leur ufage dans
l'état ofa je liiis.
Adieu, Monfîeur, fourenez-vous quel-
quefois d'un homme que vous auriez
ûmé , je m'en flatte , quand vous l'au-
riez mieui connu , & qui s'eft occupé
de vous dans des momens oii l'on ne
j'occupe gueres qui de foi-même.
LETTRE
A M. D'OFFRE^ILLE
A DOUAI.
Sur Cette queftîon : S'il y a une moraU
démontrée , ou s'il n*y en a point,
Montmorend 4 Octobre 17^1.
ij A queftion c[ue vous me propolez ',
Monfieur , dans votre \0ie du 1 5 Sep-
tembre eft importante & grave : c eft de
fa ibiution qu il dépend de favoir s'il y a
une morale démontrée ou s'il n'y en a
point.
Votre adverfaire foutient que tout hom-
me n'agit quoiqu'il feffe , que relative-
ment à lui-même , & que juîqu'aux afles
de vertu les plus fubllmes, juJqu'aux œu-
vres de charité les plus pures , chacun
rapporte tout à foi.
Vous , Monfieur , vous penfez qu'on
doit feire le bien pour le bien même fens
aucun retour d'intérêt perfonnel , que les
bonnes oeuvres qu'on rapporte à loi ne
A M. d'Offreville. XO9
font plus des aÛes de vertii mais d'amour-
propre ; vous ajoutez que nos aumônes
font {ans mérite y û nous ne les faifon»
que par vanité ou dans la vue d*écarter
de notre efprit l'idée des miferes de la vie
humaine, 6c en cela vous avez raifon.
Mais Tut le fond de la queftion , }e
dois vous avouer que je fuis de l'avis
de votre adverfeire : car quand nom agif-
ibns , it faut que nous ayons un motif
pour agir , & ce motif ne peut être élrait-
ger à nous y puifque c'efi notis qu'il
met en œuvre : il eft abfurde d'imaginer
qu'étant moi , j'agirai comme fi j étois
un autre. N'eft - il pas vrai que fi l'on
TOUS diibit qu'un corps eft pouile làns
que rien le touche , vous diriex que cela
n'eft pas concevable? C'eft la même chofe
en morale quand on croit agir fans nul
intérêt.
Mais il finit expliquer ce mot d'intérêt;
car vous pourriez lui donner tel fens vous
& votre adverlàire que vous feriez d'ac-
cord iâns vous entendre , 8c lui - même
pourroit lui en donner un fi groflier qu'a-,
lors ce feroit vous qui aiu-iez raifon.
II y a un iatérêt fcnfuel Se palpable tpu
fe rapporte uniquement à notre bien-être
matériel , à la loititne , à la conûdéra-
tion , aux biens phyfiqiies qui peuvent
réfiilter pour nous de la bonne opinion
d'autnii. Tout ce qu'on feît pour un tel
intérêt ne produit qu'un bien d;i même
ordre , comme un marchand fait fon bim
en vendant fa marchandife le niteux quil
peut. Si j'oblige un autre homme en Yue
de m'acguérir des droits fur (à reconnoif-
iànce , je ne ^îs en cela qiAm marchand
qui iâit le commerce , Se même qui rufê
avec Tacheteiir. Si je fais l'aimiônc. pour
me faire eftimer charitable Se jouir des
avantages attachés à cette eftime , je ne
fuis encore qu'un marchand qui acheté
de la réputation. Il en efi à-peu-pr«s dfc
même , fi je ne feis cette aumône que
pour me délivrer de Timportimité d uit
gueux ou du fpeûacle de la mîfere ; tous
les' aftes de cette efpece qui ont en vue
un avantage extérieur ne peuvent porter
le nom de bonnes aÛions , & l'on ne dit
pas d'un marchand qui a bien f^t fes
a&ires , qu'il s'y eft comporté vertueu-.
ièment.
Il y a un aat|-e intéirêt qui œ tient
A M. d'Offreville. m
point aux avantagej de la foâété , qui
n'eu relatif qu'à nous-mêmes > au iÀea de
notre ame , à notre bien-être abfolu , &
que pour cela j'appelle intérêt rpiritiiet
ou moral par oppofition au preniier. Inté-
rêt qui, pour n'avoir pas des objets fen-
fibles , matériels , n'en eft pas moins vrai ,
pas moins grand , pas moins folide , 6e
pour lout tUre en un mot , le fcul qui
tenant intimement à notre nature, tende
à notre véritable bonheur. Voilà , Mon-
lieur , l'intérêt que la vertu fe propofe
& qu'elle doit fe propofer , faits rien ôier
au mérité , à la pureté , à la bonté morale
àss aâions qu'elle infpire.
Premièrement, dans le fyftôme de la
religion:, c'eft-à-dïre , des peines & àti
récompenses de Pautre vie , vous voyez
S te l'iniérêt de plaire à l'Auteur de notre
Te & au juge (iiprême de nos aâioAS,
éû d'une importance qui l'emporte fur
les plus grands maux , qui feit voler au
martyre les vrais croyans , &i en même
tems d'une pureté qui peut ennoblir les
plus fublimes devoirs. La loi de biea
fiire eft tirée de la raifon raênje , & le
chrétien n'a befoin que de logique poui;
avoir de la vertu.
Lettre
Mais Outre cet intérêt qu'on peut regar-
'der en quelque 6çon comme éttanger à
la chofe , comme n'y tenant que par une
expreffe volonté de Dieu , vous me de-
manderez peut-être s'il y a quelque autre
intérêt lié plus immédiatement, plus né-
ceââirement à la vertu par fa nature , Se
qui doive nous la faire aimer tmiquement
pour elle-même. Ceci tient à d^utres
queilions dont ta difcuffion paflê les bor-
nes d'une lettre, & dont par cette raifoa
ie ne tenterai pas ici l'examen. Comme ,
& nous avons un amour naturel pou£
Torâre , pour le beau moral , â cet amour
peut être aSTez vif par lui-même pour,
primer fur toutes nos payions, fi la conf>
cience eu innée dans le cœur de l'homme,
ou fi elle n'efi que l'ouvrage des préju-
gés &c de l'éducation : car en ce dernier
cas il eft clair que nul n'ayant en foi-
même aucun- intérêt k bien faire , ne peut
feire aucun bien que par le profit gu'il
en attend d'autrui, qu'il n'y a par confé-
çtuent que des fots qui croyent à la vertvi
ce des dupes mii la pratiquent i telle eft
jU nouvelle philofophie.
^ans m'einbarquer ici dans cette mé^
A M. d'Offreville. tl)
iaphyfique qui nous meneroît trop loin ,"
\e me contenterai d« vous proporer un
feit que TOUS pourrez mettre en cpieftioa
avec votre adverlâire, &qui, bien dif-
euté , vous inftruira peuti«re mieux de
fes vrais fentimens que vous ne pour-
riez vous en inftruire en reâant dans U
généralité de votre ihde.
En Angleterre quand im homme eft
«ccufé criminellement , douze jurés , en-
fermés daos une chambre pour opiner fur
l'examen de la procédure s'il efl coupable
ou s'il ne l'eft pas , «e fortent jdus de
cette chambre & n'y reçoivent point à
manger qu'ils ne foient tous d'accord ,
pn forte que ieiir jugement eft toujours
unanime, &c décifif fur le fort de l'accufé.
Dans ime de ces défibérations les preu-
ves paroiflànt convaiacante^ , onze des
jurés le condamnèrent fans balancer;
«hais le douzième s'obftina tellement k
l'abfoudre iâns vouloir alléguer d'autre
raifon , fmon qu'il le croyoit innocent ,
que voyant ce juré déterminé à mourir
de iàim plutôt que d'être de leiu- avis,
tous les autres pour ne pas s'expofer au
même ùvt revinrent au ficn, ÔC l'accufé
fiit renvoyé abfous.
L'ai&ire finie , quelques-uns des jurés
prefferent en fecret leur collègue de leur
dire la raîfon de fon obflinMion , & ils
furent enfin que c'étoit lui-même qui
«voit Eût le coup dont l'autre étoit ac-
cufé ; & qu'il avoit eu moins d'horreur
de la mort que de feire périr l'innocent ,
chargé de fon propre crime.
Propofez le cas à votre homme &C n«
manquez pas d'examiner avec lui l'état
de ce jure dans toutes fes circonftances-
Ce n'étoit point im homme jufle , puif i
qu'il ;avc»t commis- un crime, & dans
cette afiaire l'enthoufiafme de la vertu ne
I>ouvoit point lui élever le cœur , &: lui
iaire méprifer la vie. Il avoit l'intérêt le
plus réel à condamner l'accufé potir wi-
fevelir avec lui l'imputation du forfait;
il devoit craindre que fon invincible obf-
tination n'en fît foupçonner la véritable ■
(Caufe , & ne fut un commencement d'in-
dice contre lui: la prudence & le foin
de fe fureté demandoient, ce femble,
qu'il fît ce qu'il ne fit pas , & Ton ne voit
auam intérêt fenfiblequi dût le portera j
feire ce qu'il fit. Il nV avoit cependaitt
gu'w^ ûnerêt, t^ès-puiflaijt -qui^P"* *• ^
A M. d'Offreville. llj
terminer ainfi daiK le iècret (le fon cœur,
à toute ^orte de rifque ; quel étoit donc
cet intérêt auquel il {acrlfioit là vie même î
S'inicrire en faux contre le feit ieroit
prendre iine mauvailè défaite ; car on
peut toujours l'établir par fiippofition,
& chercher , tout intérêt étranger mis 4
part , ce que feroit en pareil cas pour
l'intérêt de lui - même tout homme de
bon fens , qui ne feroit ni vertuexut , ni
fcélérat.
Pofant fucceffivement les deux cas i
l'un que le juré ait prononcé la condam^
nation de l'accufë 6c l'ait fait périr pour
fe mettre en fureté, l'autre qu il l'ait ab-
<bus, comme il fit, à fes propres rif-
ques , puis fuivant dans les deux cas la
refie de la vie du juré & la probabilité
du fort qu'il fe feroit préparé , preflez
votre homme de prononcer décifivement
fur cette conduite, & d'expofer nette-
méat de part ou d'autre l'intérêt & les
motife du parti qu'il auroit choifi ; alors
fi yotre difpute n'eft pas finie , vous con-
noîtrez du moins fi vous vous entendez
Tun l'autre , ou fi vous ne, vous enien^
iex pas.
'ii6 Lettre
Que s'il diftingue entre l'intérêt d'uni
JD'ime à commettre ou à ne pas com-
mettre , &c celui d'une bomie aAion à
&ire ou à ne pas &ire , vous lui ferez
.voir aifément que dans l'hypothere h
raiibn de s'abAenir d'un crime avanta-
geux qu'on peut commettre impunànent,
cil du même genre que celle de fiûre
entre le ciel & foi une bomie aôion oné-
reufe;car, outre qUe qiielque bien que
nous puiffions feire , en cela nous ne
fommes que jufles , on ne peut avoir
nul intérêt en foi -même à ne pas feire
k mai qu'on n'ait im intérêt femblafcle
à feire le bien ; l'un & l'autre dérivent
de la même fource & ne peuvent être
iépdiés.
Sur-tout , Monfieur , fongez qu'il ne
iaut point outrer les choies au-delà de
]a vérité, ni confondre comme lâi&ient
les Stoïciens le bonheur avec la vertu. Il
«ft certain que feîre le bien pour le bien
c'eft le feixe poux foi , pour notre pro-
!)re intérêt , puifqu'il donne à Famé une
âtisfeâion intérieure, un contentement
d'dle-même uns lequel il n'y a point de
Yiax bonheur. Il eu fur encore que les
méchans
À M. i^'Ô^FFTRÏVILife. Xl-y
*■■ ... — : — ; — I '? , ' '-] , - . i ..^
inécham font tous ihiférables, quelque
ioUt leur roitâpi^ent; partie que le bon-
heur s'empoifonne dans une ame co£-
tompfte~ comme le plaifir des ièns dans
-Un corps mal faîn^ Mais il eA faux qite
lesbom tbient tous heiweiix dès ce mon-
de , & cofnnie il ne iwSit pas au corps
d'être en fanté pour avoir deqiioi ieflouF-
m , il n« Tuftt pas non plus à l'âme d'ê-
tre fiùne pour oDtenii' tous les biens dont
elle a befoin. Quoiqii'il nV Ait que lés
gens de bien qui puiflent vivre coftfen^ ,
<ce n'cfl pas à dire que tout homme-àe
bien vive content. La vertu ne donne pas
le boiJieur , mais «Ue feule apprend -à
-en jouir quand on l'a : la vertu ne ear
rantit pas des maux de cette vie & n en
procure pas les biens ; c'el): ce que ne^t
pas ncH* plusle vice avec toutes fes rufes ;
SBÙs la vertu ftit porter plus patiemment
les uni & gofiter plus délicieufement les
Mitres. Nous avons donc en tout état de
cauiê un véritable intérêt à la ctîltiver ,
& nous feifons bien de travailler pour cet
intérêt , quoiqu'il y ait des cas oîi il
feroit intufitâfit par lui-même , fans l'at-
tente d'une vie à venir. Voilà mon fcR-
FUits divtrfu, K
...„,GcM)yl.-
»l8 L E_T T.R Ei.„&C.
tintent fur la queftjoii-que vous m'avei
propofé^ I . n -.1
En vous reraermitt du biaaqne^TQUs
penlçz de moi ^ je'vpus, çoft£eiSfi 'pouiv
tant , Monfieur, y dft ne |>1h$ perdre votfe
tetns à jne défendre ou à ine louer, Toat
le bien ou le mal :qu'on dit d'un homme
qu'on ne conncût: poiiM,.Be. figmflc pas
giand'clv>{e.. Si ceux.cpû m'açcu&nt -oet
torç , .«"-eft à ma icond>uje à^me juiHfi» ;
toute autre apologie eft inutile- oi^fiipert
^£ue. .J'avr<^5 dû vous j-^poiitke plutôt ;
mais letriâe état où je vis doit exc^r
ce refard. Dans le peu, xf intervalle, cpje
mes mauxnae latent, me$occtip^tions.ne
fcMit pasdemonçboi-jï,:^,^e>vo«s.aVpue
que quand elles .en feroietif, ce-^o^ne
ieroit pa$ d'écme des lettres.' Je ne ré-
ponds pointa ee^es detXMçpjiniuînSd:^
]e ne r:ép9ndroi$ pas non plus à tai voOf ,
- û la qudlifîn que vous m'y pr^^ofe^ »t
me âifoit un devoir 4e vous ^dirçnisit
Je vous ùHatj MoQ£eur.,)de novttiiQti
cœur, '' -'
LETTRE
ji M- u s T E R z ;
Professeur a Zurich.
Smt &Cuap. VIIL Ju demitr Uyn du
Contrat Social, '
Motins i{ Juillet I7<J.'
V^ Uelqu^xcépé que je fois dt dif.
putes Si. d*objeâions , & qiielque répu-
gnance que i*aye d'employer à ces peti-
tes ferres le précieux commerce de Tar-
mitié , je commue à répondre à vo$ dif-
ficultés puifque vous Texigez ainfi. Je
vojis dirai donc avec ma fi^c^e ordi-
naire , que vous ne me paroUTez pas avoir
bien feifi l'état de la queilion. La grande
fociété , la fociété huitiaine en général ,
e& fondée {ur rhumanité, lilr la bien&i-
&nce imiverfelle. Je dis , 8ç j'ai toujours
«lit que le chriftianiûne eÛ fivorable h
ceUe-U.
Mais les Sociétés particulières, les focié*
tés politiques' & civiles ont tui tout autre;
prinape ; ce font des étabUlTemens pute-
itiept humains y dont par conféquent le
vrai cltfilVianifmé nbus détache , comme
^e tout ce qui n'eft que terreftre. Il n'y
i qiie les vices des hoihmes qui rendent
ces établiflentens nécelEùreB, & il n'y a
que les paiCons humaines qiû les conièr-
vent Oteztous les vices à vos chrétiens ,
ils n'auront plus befoin de magïfhats ni
de toix, Otez leur toutes les paffions hu-
maines t le lien civil perd à 1 infbnt tout
ion. ^effort { plus d'émulation, plus de
. gloire , plus (Tardeur pour les préféren-
ces. L'intérêt paiticulier eft détruit , te
feute d'un foutien convenable , l'état poli-
.. tique tombe en langueur.
Votre fuppofitibri d'une fociété politi-
. eue &' rigoureuft de chrétiens tous par-
eils à È ri^eur , eA donc contradic-
toire i elle eft encore oUtrée -qiùnd vous
n'y voulez pas admettre im feul homme
injufte, pas un feul ufurpateur. Sera-t-
elle plus padâite que celle des Apôtres >
âc cependant il ^y trouva un Jut^s. .....
ferart-ellé pliis parfiiite que celle des An-
ges ? & le Diable, dît-on, en eft (brti.
Mon chef ami, vous oubliez que vos
,Go<>^^l.-
A M. Us TE RI.
çhrétitas feront de; hommes , & que la
perfeâîon que jf le^r fqppofe, eft celle
que peut comporter l'hiunanité. Moq
Ifvre n'eit ^ ùit pour les Dieux.
Ce n'eft pas toiit, Vous donnez à vos
citoyens un taû moral , une finefle ex-
quiie i & pourquoi ? parce qu'ils font
Bons chrétiens. Comment 1 Nul ne peut
être bon chrétien à votre compte , ikns
être un laRochefoucault , un la Bruyère?
A quoi penfoit donc notre maître,, qitanrf
U béniflbit les pauvres en efprit ? Cette.
ajTertion là premièrement , n eft pas rai-
sonnable , puifque la iùielle du ta moral'
ne s^acqiûert qu'à force de comparaifpns
& ^exerce même in£nipiejit qûeujç fur
les vices que Ton cache que f^r les ver-
tus qu'on ne cache point Sécondemenl; ,
cette même affertion eft contraire à toute
expérience , & Ton voit conftammjent que
c'eft dans les phis grandes villes, chèZ|
les peuples les plus corrom; " ,
apprend à mieux pénétrer'
cœurs, à mieux obfervér lès h
mieux mierprétér leurs dîfcottr
fentiment, a mieux diftinguer
de l'apparence. Nierei-vous q
^ 3
xiz Lettre
d'infiniment meilleurs obfervateurs moraux
àParisqu'eh Siiiffe? ou conclurez -vous
de-là qu'on' vit plus vertueufement à
Paris que chez vous ?
Vous dites que vos citoyens ■ feroient
infiniment choqués de la première ùiju^
ûce. Je le crois fn^s quand ils la ver-
roient, îl ne feroit plus tems d'y pour-
voir i & Jautant mieux qu'ils ne fe per-
mettrôtent pas aifément de mal penfer'
de leur prochain' , ni de donner une mau-
Vaife interprétati<Mi à ce qui ponrroit en
avoir une bonne. Cela feroit trop con-
traire à la charité. Vous n'ignorez pas
que les ambïûeux adroits fe gardent bien
de commence par des injuffîces; au con-
traire , ils n'épargdent nèn pour gagn&r.
d*a]!>oid lâ confiïUice '& l'emme publî-'
que' , par la pratique extérieure de la
vertu. Ils ne jettent le mafque , & ne
fiappent les grands coups , que quand
léui", partie eu bien liée ,- & qu'on n'en
peut plus revenir. Oomipel ne fût connu
p'oilr Un tyran ,' qu'après avoir fiaffé quin-
ze ans. pour lé vengeur des loix , & le
défeinfeùr de la religion.
Pour conferver votre République çiaé-
A M. U s TÉ R I, 11 J
tienne., vopi rendez fes voîfîns auflî juf-
tés qu'eue ; à la bohoe lieure/ Je Conviens
qu'elle fé défendia' 'toujours aflez bien
poimat qu'elle Àe fc^t point attaquée. A
regard m courage que vous donnez à
fes foldats , par le umple amour de la
confervation ,'c*eA celui qui ne manque
à perfbnne. Je hû ai donne im motif erir
core plus piiîfl'ânt lur des chrétiens ; la-
voir j Tamoiir du devoir. Là-deffus , je
crois pouvoir pour toute réponfe vous
renvoyer' à mon livre, oii ce pointeft
bien mfcuté. Comment ne voyei-vous
pas qu'il n'y a que de grandes paiBons quî
iàffent de grandes chofts ? Qui n'a d'au-
tre' pafîicin que celle de fon falut ne fera
jamais 'rien de gritnd dans le tenlporel. Si
Mutitis Scevôla n'eût été qu'un feint ,'
croyez -vous qu'il eût &it lever le iiége
de Rome ? Vous me citerez peut-être la
ma^ianime Judith. Mais nos chrétiennes
h}^thé&ques , moins barbarement co-
quettes , n'iront pas , je crois , féduire leurs
ennemis , &c puis , coucher avec eux pour
les maflàcrer durant leur fommeil.
Mon cher ami , je n'afpire pas à vous
convaincre. Je &is qu'il n'y a pas deux
K4
. .Google
ai4 L E T T k E, &c.
têtes org^fêes ^^.mêiné, & qu*apris
bien des dîfputes «. bien des obje^ons ,
bien des éclairciftemens , cWun finit tou-
* 7purs par refter d;ins ion Sentiment comme
auparavant D'ailleurs quelque philofophe
«pie vovs piiiffiez être , je fens qu'il feut
ipujours \\D peu tenir à l'état Encore une-
tpis , je vous réponds , parce que vous
le vouiez i mais je ne vous' «i eftimeral
pas moins, pour ne pas penfer comme
moi. Tai dit mon avis an public, & j*aî
cru le devoir dire , en choies importantes
& qui intéreflent l'humanité. Au refte, je
puism'être trompé loujours , 6cje me-
luis trompé fouveid &ns doute. J'ai dît
mes raifons ; c^eft au pidjUc , c'eft à vous
à les pefer , à les ju^er , à choilir. Pour
ipoi, je n'en fkis pas davantage , 6c je'
tro\ive très- bon que ceux qui ont d'au-
tres Jentîmeas , les gardent , pourvu qu'ils
ine laîjTent en paix danj; !e mien.
LETTRE
AU PRINCE LOUIS B^
DE -WIRTEMBERG.
Motiers le lo Noeembre l^6f,
'^l YavcAs 1« malheur d*êtr^ né Prlncç^
tf être - enchaîné par les convenances de ■
inon état; qae je faSJt contcaint d'avoir
un train , tuie fuite , des dome^ques ^
t'eft-à-dire , des màtres ; & que pourtant
feuffe une ame aflez élevée' pûur vouloir
être hc»T)me; malgré mon ranjKi pourvoit*
ioïr remplir les grands devoirs dç per^.^
de lAqri , de citoyen de ' la république
humaine ; je fentirois biei^tôt les difficile
tés de concilier toiil cela , celle fur-tojit
dPélever mes enfans pour î'éfat oU Ici
pfeça U nature , en dépit de celui qu'iti
'ont parmi leurs égaux* ' .
' Je commencerais' donc par îHç dire î 3
ne fàiit pas vouloir des Âofes contraîç-
toires i il ne fàiil pas vouloir être & ri^êtrç
pas. Jjâ difficulté oiie je veux vaincre efl
ir^rente â ix chofe ;- & l'état dé ta A(^
Letthe au Prince
ne peiit changer, *il font <pie la difficulté
relie. Je dois fortir que je n'obMndrai
pas tout ce que je veux : mais nlmporte ,
ne nous décourageons point. De tout ce
qui eïi bien , je ferai tout ce qui eft pot
fiblç, mon jele & ma vertu m'en répon-
dent : auie partie de la fegeffe efl dé por-
ter le joue de la néceffite : quand le fiige
nit le 4-efte il a- toiU feit Vo4à ce que je -
toé jUrois fîj'étoîs Prince. Après cela ,
J irois en avant fens me rebuter , uns rien
Ciaindre ; & quel que fût mon fuccès ,
ayant feitainlî je ferois content de moi,
ye lie crois pas que j'euflè tort de Têtte.
Il feut , Monfieur. lé Duc , commencer
ïm vous bien mettre dans l'efprit ,_ qu'à
tiy a point d''œil paternel que celui d'un
père , ni d'ceil maternel que celui d'une
"if ""c- Je voudrois employer vingt rames
de papief à vous répéter ces deux lignes,
tantie fuis convaincu que tout çn dépend,
vous êtes' Prince , rarement pourre^
vous être perç, vo^is aurez, trop d'autres
foins à remplir :, il iâudra donc que d'au- ■
ïres rempIilTent les'vôtres. Madame la Dul
cheffe fera dans le même cas à-peû-prèfc,
Xleflà fuit cette première r^e. Faites
DE 'WiRTEMBERG. Zlf
en forte qiie votre en&nt Ibït cher à quel-
"^qu*un.
' ■ II convient qiié ce quelqu'un foit de
fon iexe. L'âge eft très-^fficïle à déter-
miner. Par d^mportantes ralfons il la 6u-
■ droit jeiine. Mais une jeiine perfonne a bien
■'d'autres foins en tête qiie de veiller jour
& nuit jlir un en&nt. Ceci efl un incon-
vénient inévitable & déterminant.
ÎJe la prenez donc pas jeune , ni belle,
par confequent; car ce feroit encore pis.
Jeune , c'eft elle que vous aurez à crain-
:dre : belle, c'efl tout ce qui l'approchera.
ïi vaut mieux qu'elle foit veuve que
; fille, Mais fi elle a des enfens, qu'âuam
' ^eijH ne foit autour d'elle, & que tous
dépendent de vous.
Point de femmes à grands fentiroens,
"encore moins de bel efprit. Qu'elle ait
affez d'efprit pour vous bien entendre,
;nQii pour" rafiner fur vos inftniftjons.
n importé qu'elle né foit pas trop fe-
cile à vivre, & il ii'importe'pas qu'elle
ïbit libéiale. Au contraire il la Ëiut ran-
gée , attentive à fes intérêts. II eft im-
^poiTibl^ de foumettre im prodigue à la
'tegle ; on tient les avares par leur pro-
pïl.déiàui, K/
ii8 Lettre au Prince
Toint (Tétourdie ni (Tévaporée; outre
le mal de la diofe U y a encore cehiî
de l'humeur, car toutes les folles en
ont, & rien rieû plus à craindre que
rbumeur; par la même rallôn les gens
Viù f quoique plus aimables , me font fuf-
pefts * à çauf« de l'emportemeiu. Comme
' tiou^ ne trouverons pas une femme par-
&ite , il ne &ut pas tout exiger : ia la
' douceur eu de précepte , mais pourvu
que la ration la donne , elle peut n'être
pas dans le tempéramem, Je l'aime a'.iin
' mieux égale & froide' qu'accueillante &
capricieufe. En toutes chofes pteferez un
caraôere fi^r à un carafiere bl"iUant. Çetfi:
dernière quafité e£ï même uq iacci'iiv&-
nient pour notre objei ; une pérfonne
faute pour être au-deffus des autres peut-
être Élt^ paf IÇ iï|érite de ceux q^ l'é-
ievent. JElle en! exige enfuîte autant de
toiit Iç iQonde, ^ cela la rçnd injulîe
avec fes inférieurs. "
Ou refte ne .cherchez dans fon^efprlç
aucune (;ulture; U fe farde en étudiant,
& <^eft tout. Elle fe déguifera fi eHefkit;
yoa{% c9nBoîtrez bien mieujt'iî elle eft
i£AÔriU){e j dù;fc-«ïie ne pas fàvQÎr l^re.
.Coo^k
DE ^IRTEMBERG. 21^
tant mieux , elle apprendtà avec lôfi
Elevé. La feule qualité d'efjfrit (jull éaiit
exiger, <fe& un fens droit
Je oe parle point ici des mialités dit
coeur ni des mœurs, mii fe Tuppcfent;
parce qu'on fe contrefait U-demis. On
n'efl pas il en garde fur le refle du cit-
raâere y éi deû par-là que de bons veux
Jugent du tout Tout ceci demanderoit
peut - âti% de plus grands détails ; mais
ce n*efl pas maintenant de quoi il s'agit.
Je dis , & c'eft ma première règle ,
qu'il ûut que Tenant ioit cher à cetife
peribiine là. Mais comment Éûre ?
Vous' ne lui ferez 'point raner l'en-
'^nt'en lui difant de raimer ; 6t avant
que fhabîtu^ ait Eût naître Fattache-
niem, on s'amufe quelquefois avec les
autres en&ns , mais on n'aime que les
'tiens.,
£Bç ppurrolt , f aimer , û elle ajmok
Tep^ ou la nleré i maû àzhs Votre rang
on *n*a pdint Garnis, & jamais, dans
quelque rang que ce puiffe être , on n'a
'ixnu- amis lés gens qui dépendent de
'QOUS. ' " ,
• Oi-iPafleafon quinte iiïdt pas tIu fô^
a3P Lettre au PriKce
,tinient> d'où- peut-elle, naître, & (je a*efi
de rintérêi?-
Ici vient une réflexion <pie le omcours
de mille autres confirme, c*eft que les
difficultés (me vous ne 'pouvez ôter de
'votre condition,, vous jne les .éluderez
qu'à' force de'dépenfe. '!..'
Mais n'^Iez , pas croire , cotume. 'les
autres , que iVgent' feit tôui par lui^
même, & que pourvu qu^on paye oa
eA Tervi. Ce n'e& pas cela.
Je ne connois rien de fi dîfEdle quand
on eA riche , que de 5ûre ufàee ' de
ûi ric^flè pour ^^r . ^ fes fins. , L ^gCTit
«A un refloit dans la mécaniq^je morale»
mais il repouâTe toujours là ~ main! q^t
le Élit' a^. Faifons quelques obferva-
tions nécefl&ires pour- notre objet..
Nous voulons, que fenfÀnt foit cher à.lk
goùvtmante/ll raiit pour cela que ï^ J6>ft
de la gotiyemanle foiit lié à cefiù dé l^én-
.fen^. n aé Jkui j^l w^efle' dépendit jfef-
'lement des foins qi^'^''M:repclpi, Wt
païcé qiiW jï'auTie guéres'lès ^«nS^^Q?*
fert, que parce que Içs Ytpins pay^ ne
font qu'apparenS, lés'foins réels ie né^.
DE Wl^TEMBERG. i^J
U ^uit c[u'elte dépende non de £a
foins , mais de leur fi)ccès , Se que a,
fortune foit attachée à, l'efièt de l'edvica-
hon qu'elle aura donnée. Alors feule-
ment elle fe verra dans ion Elevé & s'at
feaionnei;a péçeflâirement à «çtle; elle ne
lui rendra pas' un. fervicç dp parade 6f
de montTiB, mais uij /ervlce réeli oif
plutôt, cil- lâ.fery^nl, eue ne _ ferrie?
qu'elle-mâme ; elle ne iravaUlera qiie
pour foi.
Mais qui fera juge dç ce fuïxès f La
foi d'un péce équitable: ,, £c dont la
.probité elt biça établie ,4^'* fufiîre; la
probité éft un inftrumeçt lur, dans les
afi^es, i^iîryu qu'ij foit. joint au dif^
côiiement. .
Le père peut mourir. Le jugement des
femmes n'eit pas reconnu allez fur » 8c
l'iraiour n^ternel eft aveugle.: Si la mère
«étoit'.ét^lie juge audéâut du père, ou
Ja gouvei^i^ite ne s'y fierait , p^ , pu elle
' $'occuperoi^pIus à plaire, :à la mère. 4}u*à
bien" élever ten&nt.
Je ne m'étendrai pas fiif le choix des
juges de l'éducation. Il faudroit pour
cek.des coonoï^àpces particuU^res- rela:
Lettre ad Prince
tives aux peribnnes. Ce qui importe rf
fentiellement , t^eft qire m gouvernante
âît la pins entière con^ce dans Tinté-
grit'é du jugement , qu'elle foit . persuadée
qu'on ne la privera point du prnt de
iks foins fi elle a ré^k^ , & que quoh-
qu'eHe puiffe dire » elle ne i obtiendra
SIS dans le cas contraire. Il ne Ëtut ja-
ais qu'elle oubHe que ce n'éfl pas à &
peine que c6 prix ftra du , maïs au iùccès.
Je lais bien que , foit qu'elle ait èk
Ton devoir on non , ce prix ne iâuroif
lui manquer. Je ne fuis pas affez fou,
moi <]ui' çonhois les . homtQes , pour
m'imagtner que ces juges , quels qii%
tbient , iront déclarer folemnefiemeot
qu'une ieime Princeflè de quinze à vingt
ans a été mal élevée. Mais cette réfle-
«ion que je £tis là , la Bonne ne la &a
■ pas ; quand elle la féroit , eQe ne s'y
fierott pas teUement qu'elle en négligea
des devoirs dont dépend fcm fort, & for-
tune , fon exiftence. Et ce qii^I ùnportç
ici iCeÛ pas que la récompenfe foit bien
adminiilr^e , ma^s féducatiop qm doil
l'obtenir.
Ç^fâmela m&M rasez peu- de foreri
.Google,
DE 'VCiRTEMBERG.
*3?
Vintérèt feul n'en a pas tant qu'on croit.
L'imajpnation feule efl aftive. C'eft une
paffîon que nous voulons donner à la
gouvernante, & Ton n'excite les paffions
que par l'imagination. Une récompenle
pronufe en argent eft très-puiffante , mais ,
la moitié de fa fo^cc fe perd dans le
lointain de l'avenir. On compare de
fang- froid l'intervalle & Targent , on
compenfe le rifque avec la fortune , &
le coeur refte tiède. Etendez , pour ainil
. dire, Pavenir fous les fens, afin de lui
donner plus de prife^ Préfentez le fous des
Êcesquile mipTocheiit, qui flattent Tef
poir fie féduiunt Tefprit. On fe perdrôil;
t^ns la nuiltinute de fuppofitions qu'il
éudroit parcourir, félon les tems, les
lieux, les caraâeres. Un exeim>le efi un
cas dont on peut'tjrer Tinduaion pour
c^nt mille autres.
Ai^je à &ire â un caraflere paîlible ,
aimant Fméépendance & le repos? Je.
mené promener cette perfonne dans une'
campagne ; elle voit d^ une jolie fitiia-
don une petite maifon bien ornée , ime
baflè-<our , un [ardîn , des terres pour
Feattrétisn 3u naître , tes agrénens qui
Lettre au Prince
peuvent lui en feire aimer le féjour. Je
Vois ma gouvernante enchantée ; on rap-
proprie toujoui's par la convoitife ce qui
convient à notre Donheuf. Au fort de ion
ierithoufiafme , je la prends à part ; je lui
dis. Elevez ma fille à ma fentaifie i tout
ce que vous Voyez eft à vous. Et afin
qu'elle ne prenne pas ceci pour un mot
en l'air , j'en paffe l'aûe conditionnel;
èllè li'aura pas xm dégoût dans, fes fonc-
tions , fur lequel fon imagmgtion rt'ap-
plique cette maifon pour emplâtre.
Encore un coup , ceCi rfeft qu'un
exemple.
Si la longueur' du temsépuife, & fati-
gue rimaginaticin j l'on peiit partager Pet
pace & la récompenfe en pIufieuTS ter-
mes, & même à ptufifeurs perfoniies : je
ne Vois ni difficulté'» ni inconvénient
à cela. Si dans fix ans moP en&nt efl
ainfî , vous aurez telle chofe. Le terme
Venu , (i la condition eft remplie ontient
parole , & l'on eft libre de déuix côtés. '
Bien d'autres avantages découleront de
Fexpédient que je propofe , mais je ne
peux ni ne dois tout dire. L'enfant aimera
h gouvernante , fiir-tout fi elle eft d'at
DE 'W^IRTEMBERG. X-Jf
bord fëvere & mie l'enfant ne foit pw
encore gâté. L'effet de l'Iwbitude eft na-
turel & fur , jamais il n*^ manqué gue
par la feute des guides. D'ailleurs la jut
tice a & mefute & fa règle eXafte ; an
lieu que la Complaifânce qui n'en a point f
rend les enfims toujours exigeans Se tou*
jours mécontens. L'enfant donc qui aime
{a Bonne fait que le fort de cette Botuie
eÛ dans le fuccès de fes foins , jugez de
ce que fera l'enfant à mefure que fon
intelligence & fôn cœur fe formeront
Parvenue à certain âge , la petite 6Ue
eft capricieufe,,o» mutine. Suppofons un,
moment critïque , important on elle ne'
veut rien eii^ènd^ê ; ce momet^ viendra
bi^ rarement y on fènt pourquoi. Dans ce*
moment fUcheux.la Bonne manquede ref-'
fource. Alors elle s'attendrit en regardant'
fon Elevé, & lui dit. Çen efi donc fait ^
tu m'ôtts U pain de ma vieitufi.
Je fùppofe que la fîlle d'un tel père ne
fera pas un monflre : cela étant, l'eâët de
ce mot efl fîlr; mais il ne',&ut pas qu'il
foit dit deux fois»
On peut faire en forte que la petite fe
le difç à toute heure , U voilà d oUnaï^
Coo^^l.-
156 Lettre au Prince
fent mille biens i ta fois. Quoi qu'il en
foit , croyez - vous qu'une femme qm
pourra parler ainfi à îbn élevé, ne s'af-
îeÛioniiera pas à elle } On s'affeÔionne
aux gens fur la tête deiquels on a mJs
des fonds; c'efl le mouvement de la na-
ture ,' & un mouvement non moins natu-
rel eft de s'affeâionner à fon propre ou-
vrage t fur-tout quand on en attend fon
boiuieitr. Voilà donc notre première re-
cette accomplie.
Seconde règle,
lï£ànt que la Bonne ait fa conduite toute
tracée & une pleine confiance dans le fticcès,
Le mémoire inftniâif qu'il faut liû
ëonner eft une pièce très 'importante. H
&ut qu'elle fetudie &nSv^ celte, il &xit
cu*elle le feche par cœur, mieux qu'un
Amisaffideur ne doit favoir fes inftruc-
tions. Mais ce qui eft plus important en-
core , c'etl qu'elle foit par&itement con-
vaincue q\C'û n'y a pomt d'autre route
pour aller au but qu'on lui manque , ic
par <onféquait au fien.
Il ne &ut pas pour cela lui donner ^»-
bord le mégioire. Il i^ut lui dire premiére-
inent ce que vous voblez fiùre ; lui montrer
DE WiRTEMBERG. Z37
l*ëtat de corps & d'ame oîi vous exigez
qa'elle mette votre en&nt. Là-deJTiis toute
iwpute ou objeûion de fa part eft inutile :
vous n'avez point de raîfons à lui ren-
dre de votre volonté. --Mais il &ut lui
prouver que I9 chofe eft âilâble y 6c qu'elle
ne l'eft que par les moyens que voui
propofez; c*eft fur cela qu'il faut beau^
coup raifonner aVec elle ; il faut lui dire
-Vos raifons clairement, fimplement, «a
long , en termes à fà portée. Il &ut écoir-
ter fes réponfes , fes fentimens , fes ob-
ie£tions , les difcuter à loifu- enfemble «
non pas tant pour ces objeâions mêmes »
■qui probablement feront fuperfîcieUes ,
- que pour fàifir l'occaâon de bien lire dans
fon e^rit , de la bieil convaincre que ttis
moyens que vous indiquez font les feuls
propres à réuflir. Il faut s'affurer que de
tout point elle eÛ convaincue, non en
paroles mais intérieurement. Alors feule-
ment il faut lui donner le mémoire , le
lire avec elle , l'examiner , Péclairçir , le
corriger , peut-être, ôc s'affurer qu'elfe
l'entend par&itement. " '
Il furyiendra fouvent durant Téducatidn
des circonflaDces imprévues : foiirent les
438 Lettre au Prince
chofes prefcrites ne toumerom pas comme
911 avoit cru : les élémens néceflaires
pour réfoudre les problêmes moraux font
en très-eranid nombre, & un feul omis
rend la lolution ^ufle. Cela demandera
des conférences fréquentes, des difcuA
£ons, des éclaircifTemens auxquels il ne
feut jamai? fe refiifer , & qu'il feut même
rendre agréables à la gouvernante par- le
plaifir avec lequel on $'y prêtera. Cefl
encore -un fort bon moyen de Tétudier
elle r même.
Ces .détails me femblent plys particu-
lièrement la tàdie de la mère. Il hvA
qu'elle fâche le mémoire aufli bien que la
^gouvernante : mais il èaxt qu'ellç le ûche
autrement. La gouvernante le faura par
les règles « la mère le laura par les pni>
cipes : car premièrement ayaiit reçu une
^éducation plus foign,ée , & ayant eu l'ef-
prit plus exercé , elle doit être plus en
état de généralifer fes idpes, &d'en voir
.tOH5 les rapports ; Se de plus prenant au
fuccès un intérêt plus vif encore, elle doit
,phis s'occuper des moyens d'y parvenir.
[ , Troiûeme règle. La Bonne doit avoir
;m pouvoir abwlu fur l'ènÊint;
PE/WIRTEMBERG. X^f
Cette fegle bieij entenduç fe réduit à
c^e-à i *pïe le méoioire feul. doit tout
&\efema t .c^fii ,, quand chacun le réglera
uruputeufeoiçin ftu;ie- mémoire* il s'en^
fuit: que tout le, inonde agira toujours de
eonçent ,' &uf ce qui pourroit être îgnori^
des uns ou des autres i m.9is il eft aifé de
pourvoir ^ cela..
}e n'iû pas perdit .mon objet de vite.;
XDÀs j'ai, été forcé de J^ire un bien graiid
détour. Voilà àéjk la 4ifficulté levée en
grande paitie ; çdi notre EJeve aura peu
à craindre des dojneAiqiies , quand la fé-
conde merç aura tant (f intérêt à la furr-
veill^.,, Parlons à préfent de cei^-ci.
n y a dans une maifon nombreûfe des
nwyçn» généraux pour toutfeiré, &.fi»ns
lefffitel» on 9e parvient jamais à ri^n, g
■tyibordles inceurs , l'iinpoiante image
^.'^ Ifrivertii devant. laquelle tout fléchit ,
•lT<Wtprès4fila»nifeïe>Ja/yanjtéi)^4^'*' -
de tc«!pe tfiftXiXT. les &as ^ ooidu.fain.
«âonHeur le Duc , que je vous ^envâ^e
Lettre au Prince
i la cinquième partie de l'Héloïfe , Leftte
Hiiâeme. Vous y trouverez' un reeueil de
inaxiines qui tne paroilTent fondamentales,
^^otu' donner dans une maîibii «Unde oa
petite du reffort à' Pautorité ; du- rfifte je
conviens de ta diific^ilté de Pexéciition ,
parce que , de tous les ordres d'hommes
imaginaUes , celui des valets laiffe \e moins .
de |»îfe pour le meo^ chI' r&nveut. Maïs
tous les raiibnncmens du inonde ne feront
pas qu*une chofe ne foit pas ce qu'elle
eft , que ce qui n'y eft pas s'y trouve ,
que des valets ne foiait pas des valets.
Le train d'un grand Seigneur eft fulcep-
tible de plus & de moms, fans ceir«r
d'être convenable. Je pars de-là pour étSr
Wir ma première maximei
* I . Réduifez votre fuite au tnoîndrC'Moin-
bre de gens qu'il foit poâiUe; vous aiiNz
' iboins d'ennemis^ &| vous en ferai; nàeux
< fervi. S'il y a dans votre tnaifbn u» ièitl
homme qui n'y foit pas -néeeflÏBié, fl<y
' fft nuifîble ; foyez - en iîlp. r ; .^ .■
1, Mettez du eho& daitt çeiiisrqa'e vous
' ' gardereï! , ■ 6; préfëret defbeàucoup; ved^a-
•"vice exafl à'.un'fervice/agrérfdèj Ges gens
' quî 'apfdaniffent tout '^ieviai* teûr toaitre ,
i -, ■ ■■ " M ■: ■.'.:.■■ font
DE WiKTEMBSBG. *4I
font tous des frjpDos. Sur - tout point .de
diffîpateur.
3. Soumettez -les à la x«gle «n toute
chofe, même au travail^ ce qu'iU feront ,
:dùt-il n'être bon, à ri«a
4: Faîtes cpfikaient un ^rand intérêt
A r^er kuig^n^jà . vcore iêrvice , . qu'ils
s'y attachent à mefure qu'ils y lellent ,
4]u'ils craignent , par conséquent, d'autant
■«liis d'en fottir qu'ils y.fbnt r^és plus
-iong-tems. Xa raifon &c les jnayens.deceU
fe trouvent dans le Jivre indiqué.
Ceci font les-données.que je-peux'fup;-
■pofer , parce que , H«»' qu'elles, deman»-
cent beaucoup de ^inè, en&i elles d^_
-pendent de vous.. Ceh pofé :
Quelq^ielenu avantque de Içurpader-,'
•vous avez quelquefois >des entretiens, à
itable fur i'éducatk)n:;de voti£ etl&nt\ &
fur ce (lue vons vous propofez de .âiïe V
-fur leïdlfEcuteés que vous xaexk r^iHf
cre , & fur la fénne réfolution .:oii :voas
êtes de n'épargner aucun A>in pour réu^
ftr. Probablement vos gens n'auront pas
-manqué de critiquer entr'eux la manière
•«\tnoQUnaire d'élever ren^;<il5 y au-
ront trouvé-dc>Ia'^iîarreFie , illaÊtut
Pitces divtrfts. L
Lettre au Prince
ja^Ecr y atais fimplem^nt Se. en psu d<
mots. Du rdU , il Êiut montrer votr«
objet beaucoup plus du côté moral Sç
S' eux, que du coté philofophîque. Ma^
me h PrincelTe en ne conûiltant que fo»
cœur peut y mêla- des mots chanfians.
M. Tiuot peut ajouter ipielques réflexions
«lignes de lui.
On eft fi peu accoutumé de voir les
Ciands avoir des enttatUes » aimer la vertu »
4^>ccuper de leurs en&ns^ que ces con?
ver&tions courtes Sc biea ménagées ne
■Rivent manque;- de produire un grand
-eiSfet. Mais fur-rtout nulle ombre d'^mïâ^
■ùon y point de longueur. Les domeftiques
ont l'œil très-perçant [tout lèroit perdu
.^ils foupçonnoient feulement qu'il y eût
«n cela, rien de concerté » £; en effet riea
,ne doit l'âtre. Boa père , bonne mère ,
JaiiTcz parler vos cœurs avec fiisçUcîté c
ils trouveront des chofes touchâmes d'eux-
:mêmes ; je vois d'ici vos domcftiques
■derrière vos chaïfes fe proûerner devant
■leur, maître au fond de leurs cœws : voilà
les. di^roâtions w-il Êiut fiike naître , &
AïM H feut profiter :pour lel tf^ÇS (jue
;ugii$ avoi^.à leur [irej^ri»*
DE MC^IRTEMBERG. 245
Ces règles font die deux efpecçs , feloa
le jugement que vous porterez vouj-même
de Tetat de votre mBiCoti Se des mœurs
de vos gens.
; Si vous croyei pouvoir prendre eit"
,eux une confiance taifonnable & fondée
: lur leur intérêt, il ne s'agira que d'uft
énoncé clair . Se bref de la manière dont
on doit ie conduire toutes les fois qu'on
approchera de yptie enSkat f pour ne
point contrarier fon éducation.
Que fi malgré touties vos précautions;
vous croyez devoir vous défier de ce
cm'ils pourront dire ou &ire en la pré-
fence, la règle alors fera plus fimple,
&c fe rétUrira à n'en approcher jamais
fous quelque prétei:te que ce foît.
Quel de ce& deux partis que vous
.choififfiez,. il feut qu'il foit fans excep-
ùon 6c- le même poiu' vos gens de
tout étage, excepté ce que vous defti-
nez fijécialement au fervice de' feniant
& qui ne peut être en trop petit- nom-
_ bre, ni trop fcrupuleufemént choifi.
Un jour donc vous affemblez vos
gens, éc dans un difcovirs grave & fim-
. pie , vous leur direz que vous croyez
L 2 '
...n.CiWgk
Xettre au Prince
devoir en bon père apporter tous vos
foins à bien élever lenfent que Dieu
vous a donné. « Sa mère flc moi fen-
>* tons tout ce qui nuiût à la nôtre.
» Noits l'en vouions préferver; & fi
» Dieu bénit nos efforts , nous n'aurons
M point de cotppte à lui rendre des débuts
» ou des vices que notre enfant pourroit
» contraâer. Nous avons pour cela de
>» grandes précautions à prendre : voici
» celles .qui vous regardent, & auxquelles
■ » j'èfper€qite^<:Wsyous'pTêterez-«a.hon-
» nêtes gens, dont ies preniiers ■ devoirs
» font d aider à-'remplir ceux de leiK's
>* maîtres >».
ApTos fénoncé de laregledont'vous
preicrivez' l'obfervation, vous ajoutez
que cenjî qui feront exafts- à lafirivre
{leuveii't cbmjjter ïdr votre bienveîl-
ance ëc Jnême fitr vos bienftits.'» Msâs
» je vous déclare -en même tems , poio^iii-
»» yez-vous d'une voix plus haute; que,
» quiconque y aura manqué une mile
H lois , '& en quoi que ce pni0e être ,
■» -fera chaffé fur le champ &■ perdra fes
" » gages; Comme c?eft-l^ la condition fous
'» laquelle je vous garde , '& que 'je-vous
DE WlRTEM^ERG. X4$
»- en préviens toits;, ceux qui rpy veti")
» lent pas acqiiiefcer , peuvent fortir *r.
Des règles fi peu gojantes., ne feront:
tavàr que ceux qui feraient fortis fens-
cela , ainfi vous ne perdez rien à leur,
mettre le mtrdié à la main-, .& vous
leur en ittipofez beaucoup. Peut-être. au.
cpommenceiftent , que^ue étoicdi en fera-
t-i! la viÔime , & il feut qu'il le foit.
Fût-ce le Mâtre-d'Hôtel, s'il n'eft diaffé
comme un coquin , tout eft manqué,
lefeùs s'ils vchent une fiais que c'eft tout
âe bon ⣠qu'on les furvolle, on aura'
dérormais peu befoin de les furveîller,
■ Mille petits moyons relatifs naiJTenc:
de ceux-là; mais, i) ne faut pas tout
dire, & ce mémoire eft déjà trop long.
J'ajouterai feulement un avis très-impôt"
tant & propre à couper cours- au mal-
qu'on n^aura pu prévenir. C'eft d'Kïa-
mînef toujours 1 enfant avec le plu»
grand foin, & de fuivrs attentivement
les procès de fon corps & de fon
cœur. Sil fe feit qurfque chofe autour»
de lui contre la règle , l'impreffion s'en'
marquera dans TenSnt même. Dès que
vous y verrez un figne nouveau , cher-
L 3
146 Lettre au Prince, &c.,
chez-en la caiife avec foin ; vous !a trou-
verez infeiUiblement. A- certain âge il y a
toujours remède au mal qu'on n'a pu pré-
venir, pourvu qu'on lâche le connoître,,
& qu'on s'y prenne à tems pour le guérir.
Tous ces expédiens ne font pas fa-
ciles , &' je ne réponds pas abfolumest
de leur fuccès : cependant je cîcms qu'on
^peiit prendre une confiance raifonna-
le, & je ne vois rien d'équivalent dont
j'en puiffe dire autant.
' Dans une route toute nouvelle , il ne
&ut pas chercher des chemins battus « & ja-
mais entreprife extraordinaire & difficile ne
s'exécute par des moyens ùfés & communs.
Du refte , ce ne font peut - être ici que
les délires d'un fiévreux. La comparaiîbn
de ce qui eft à ce qui doit être , m'a donné
l'efprit ramanefque & m'a toujours jette
loin de tout ce qui fe &ît. Mais vous or-
donnez , Monfieur le Duc , j'obéis. Ce
fent mes idées que vous demandez , les
voilÀ, Je vous tromperois j fi je vous don-
nois la raifon des autres , pour les folies
qui font à nloi. En les feifant paffer fout
ks yeux d'im fi bon juge , je ne crains pas
le oial qu'elles peuvent caufer.
DEirX LETTRES
A U- LE MARÉCITAt.
DE LUXEMBOURG,
Conunant une defcriptiort du fal^Traveffi
A MotUïS l« 26 Jairtîer i7tfï. .
LETTRE PREMIÈRE.
Vo
O t; s voulez , Monûeùt le Maréàiii «
que je vous décrive le pays que j'habite t
Mais comment fwre ? Je ne fais vâîr qu'au*
tant que je fuis éinvl ; Us objets indiffë* .
rens font nuls à mes yetiif ; j* n'ai de
l'attention qu'à proportion de l'intérêt quî
Pexcite , & qviel intérêt puis - je prenare
à ce crue je retrouvé fi loin de vous 1
Des arores , des rochen , dei maifons «
des hommes mêmes ^ ibnt autant d'objet
ifolés dont chacun en particulier do'nne
peu d'émotion à celui qui le regarde :
mais l'imprefïïon commune de tout cela ,
qui le réimit en lin feul tableau , dépend
de l'ctat oit nous fouunes en le conteiiL->
1-4
148 • Lettre av Maréchal
plant. Ce tableau , quoique toujoiirs le
mêmç , fe jt^fît d'aatanr<K manières qu'il
y a de cmpolitions différentes dans les
cceitfA 4^5' nefteteurs; & ces diffî^ences,
qui font celles de nos jugemens , n'ont
pas lieu-feutemtnt-d'wiTrpeâateur à Tait-
tre , mais dans le même en diâerens tems.
Gè& ce- qne j*éprotive- Imco fenfit^onent
en revoyant ce pays que j'ai tant aimé.
JV crôyois rétrduvèr ce qui m'avcàt
charmé dans ma jeunelTe ; tout eft changé ;
c'eft un autre payfage , un autre air, un
,atitté ciel', 'd'atitr'es Sommes ^ âC:ne voyant
phu mss Montagnojift avec des yeuX' de
vingt-an*, je Us trouve beaucoup vieiîlisi
On n^rettè le' bbn- tems d'autrefois ; je
.|e àois tûen : nous attribuons auK choies
tout lé changement qai s'eft &ù.t en nous*
& lorÊ^ie le plaiûr nous quitte , nous
croyons qu'il n'eft plus mille part. D'au-
tres vokiTt les choTes- comma nous les
avons vues , 6* les verront' cornow nous
les voydns aujourd'hui- Mais ce font des
defcrlptjons que vous me demander , non
des réflexions , Se les miranes m'entraî-
■em comme lui vieux én&nt qui regrettç
«ncore fes onûfuis jeux. Les diverses im-
DE LUXEM-B-OVllG. Z49:
prenions que' ce pays' 3 faites fur moi ^
différens âges- me font conclure que ifts
relations le rapportent toujours plus à?
nous qu'aux chofes, 3c que , comftie nou9
déoiyons bien plus. ce que nous fentons'
que ce qui eft, il £tudr<flt {àvoîr comment
etoit afièûé l'auteiu-- d'un voyage en l'é--
crivant, pour juger de combien fes pein-
tures font au - deçà ou au - delà du vrai.
Siir ce principe , ne vous étonnez pas de|
voir devenir aride & froid fous ma pînme
itn pays jadis fi^ verdoyant^ fi vivant , ff
riant a mon* gré : vous fentirez tropaifé-
ment dans ma lettre en quel tcms de ma
'vie & en quelle làifon de l'année ell: -a:
été écrite.
Je &às t Monlieur le Maréchal , que'
pour vous parler d'un village j il ne faut*
pas commencer par vous décrire toute la:
SuilTe y comme fi le petit coin que j'ha-
bite avoit befoin d'être circonfcrit d'un fi
grand efpace. Il y a pourtant des chofes
générales qui ne fe devinent point , &C
çi'iliautfavflir pour juger des objets par-
ticuliers. PoUP connoître Motiers , il raut
ayoir quelque idée du Comté de Neu&hâ-
ta, 6l pouc coiuioîtr-e-lt CMnté de Neu^
ï- 5
150. Lettre au Maréchal
châtel , il Ù.M en avoir de ki Suifîe entière.-
■JElle offre à -peu -près par-tout les mê--
mes afpeâs , des lacs , des prés , des bois ,-
des montagnes ; & les Suiffes ont auffi-
tous à-peu-près les mêmes mœurs, me--
Ices de rinùtation- ries autres peuples Se de
hitr antique fimpUcité. Bs ont oes manie- '
res de vivre qui m changent point , parce
qu'elles tjeiment» pour aiim dire, anfoldj
climat, aux befoins divers , & qu'en cela
hs habitaRs feroût toujours- forcés de fe
conformer à ce que la natitfC des Ueux
leur prefcrit. Terfeell, par;exeoq>le, la
d:ûribution de. leurs habitEtions , beau-
coup moins réunies en villes 6c en bourgs
qu'en France , mais éparfes & difperfées
çà & là' fur le terrain avec beaucoup plus
d'éj»alité. Ainfi , quoique la Suiffe foit en
f encrai [dvs peuplée à proportioa que la
rance , elle a de moins grandes villes 6c
de moins gros villages ; en revanche on y
trouve par-tout des maifons, le village cou-
vre toute la paroi ffe,& la viBe s'étend fiir
tout le pays. La Suiflè entière eft comme
ime pTioas ville divifée en treize quar-
tiers , dont les uns font fur les vallées,
«t'9utr.es fiir le» coteaux, d'autres fur les
DE Luxembourg* 251
montagnes. Genève , St. Gai , Neufchâ-
tel font comme les &uxbourgs : il y â
des quartiers plus ou moins peuplés ,
mais tous le font affez pour marquei'
qu'on eft toujours dans la ville : feule-
ment les maifons , au lieu d'être alignées ,
font difperfées fans fymétrie & fans or-
dre f comme on dit qu'étoient celles de
l'ancienne Rome. On ne croit plus par-
counr des défeits* quand on trouve des
clochers parmi les fapins, des troupeaujf
£w des rochers, des maniifàâures dans
dei précipices » des atteliers fur des tor-
rens. Ce mélange bizarre a je ne làisquo:
d'animé , de vivant qui refpire la libmé,'
le bien-être, & qui fera toujours du pays
oii il fe trouve un fpeâacle imique en
Hoti genre , mais &it feulement pour des'
yeux qtil Éichçnt voir.
Cette, égale diftributioii vient -du grand'
nombre: de petits Etats quidivife les Gl-»'-
picdes , de la nideffe du pays qui rend '
les tranfports difficiles, & de la nature
des produ&ons , qui , confiftant pour ta
plupart en pâturages, exige que la con-
tpmmation s'en feSé fiir les- lieux mômes V ^
flc. tKitt les honunes auili 'difp^^s qae I«f''
z53r Lettre au Makèchal
beitiaux. Voilà le plus grand avantage de
la Suifle , avEuitage que les habitans regar-
dent peut-être comme un malheur^ mais
qu'elle tient d'elle feule , que rien ne peut
lîii 6tCT y qui: malgré eux contient ou
retarde le progrès du luxe &: des mauvù'
fes mœurs , & qui réparera toujours à la
longue rétonnante dq>erdition d'hommes
qu'elle kàt dans les pays' étrangers.
Voilà le bien ; voici le mal amerté pai*
ce bien même. Quand les SuiiTes, qui
j^dis vivant renfermés dans leurS mon-
fîgnes fe fuffiibient à eux-mêmes, ont*
commencé à communiquer avec d^utres
nations , ils ont pris goût à leur manière
de vivre & ont voulu l'imiter ; ils fe font
S perçus que l'argent étoit une bonne
ofe &, ils ont v<ndu en avoir; ans pro-
diiâions Se iàns indufirie pour fattirer ^
ils ie font miï. en commerce eux-mêmes , '
ils fe ibnt vendus en détail aux puilTan-
ces , ils ont acquis par-là prédfément aâèz~
d'argent {)our fentîr quds étoïent pau-
vres; les moy-ens^ de le £iire circuler étant
prefque impoStUes dans un pays qui ne
in-ocMÎt rien & qui n'eil pas maritime ,
«ï argent leur a porté de oouyeatutber
DE Luxembourg. 15^
— " 1
foins làns augmenter leurs reflburces.
Ainfi leurs premières aliénations de trou-
pes les ont forcés d'en fiiire de plus graa-
des & de continuer toujours. La vie
étant devenue plus dévorante , le mêm«
pays n'a pluspu nourrir 1» même quantité:
d'faabitans. Ceil ta raifon de ta dépopu»
lation que Ton con^mence à fentir tun»
toute a Suiflè. Elle nourriflbit fes nom-
breux hatùtans quand ils ne fortcùent paS'
de chez eux ; à [»éfent qu'il en foit la
moitié, à peine peut -elle nourrir fautre^
Le pis eftqiiefk' cette moitié qui fort
il en rentre allez pour comwipre tout ce
qui TeAe par l'imitation des uiàges des
witres pays & fur-tout de la France, qui
a plus de troupes Suifiès qu'aucune autre
n^on. Je dis eorwmpn^ fans entrer dan»
ta queAien fi les mœurs Françoifes foiic
IxHines ou mauvaifefr en France , parce
que ce«e queftïon tSc hors de doute quant
à la Suifle, &: qu'il ii'eft: pas polTible que
les mdmes ufàges convtennoit à ds& peu*
pies qui n'ayant pas les- môifte» reflburces
& n'hal»tant ni le même climat , ni le>
même f(^, ferom toujours forcés de vivre
diâenHDioipju.
154 Lettre au Maréchal
Le concours de ces deux caufes, Time
bonne & l'autre iRauvaife , le &it fentir
en toutes chofes , il rend raifon de toat
ce qu'on reinar({ue de particulier dans les
«œurs des Stùffes , & iur-tout de ce con-
traâe bizarre de recherche &t de fimpU-
cité qu'on fent dans toutes leurs manie-'
res. Ils tournent à contre-fens tous les
ufaees qu'ils prennent * non pas &ute
d'elprit , mais par la force des chofes.
En iran^rtant dans leurs bois les uâge»
des grandes villes , ils les appliquent de
la. feçon la plits comique j ils ne iavenf
ce que e'eil qu'habits de campagne; i&
fent parés dan$ leurs rochers comme ilï
rétoient à Pari»; ils portent fous leur»
fepins tous les pompons du Palais-Royal ,
& j'en ai vu revetùr de &ice leurs foin»
en petite veAe à Êlbala de mOuiTeline.
Leur délicatelTe a toujours quelque chofe
de groâier , leur Itixe a toujours quelque
chofe de rude. Ils ont des entremets, mais
ils mangent du pain noir ; ils fervent des
vins étrangers & boiveiH de la piquette >
des lagoftts fins accompa^ent leur lard
Tance «leur çhotix;) ils vous oâriront à
déjeûné du café & du ^om^gir, à goûté
»E LUXEMBOUHG. IJJ
du thé avec du jambcm ; les femmes ont de
la dentelle & de fort gros linge , des robes
éé goût avec des bas de couleur : leurs va-
lets alternativement laquais-SCboMyiersom
i^habit de livrée en fervant à.table & mê-
lent l'odeur du iimjier à celte des mets. ■
'- Comme on ne jouit du luxe qu'en te
montrant , il a renuu leiff fociété plus fe-
miUere Uns leur ôter pourtant le goût
de letirs demeures ifolees. ■ Perfonne icr
n'eft furpris de me voir .paîftr l'hiver en
Campagne i mille gens dû monde en font'
fout autant. On demeure donc toujours^
i^arés > mais on fe tapproche par de
longues & fréquentes yifrtes. Pour étaler
& parure &c (es meubles » il faut attirer
fes voifins^ & les idleF voir , & comme-
ces voifins font foMvent affez éloignés ce
font des voyages centinnetis. Auffi jamais
tfai-je TU de peuple fi allant que I«.Suii-
^ ; les François li'en approchent pasv
Vous ne rencontrez de toutes parts que
voitures ; il n'y a pas ime maifon qui n ait-
fa fienne, & les chevaux dont ïi Suiffe
djonde ne font rien moins qu'inutill*
dans le p^s. Mais 4:omme ces courl«$
ont fo«v«nt pour objet àxs vifir« d«
2^6 Lettre au Maréchal
finnmes , quand on monte à cheval , ce
qui commence à devenir rare , on y monte
en jolis bas blancs bien tir^s , & l'on fait
à-peu-pr^ pour courir la poûe la même
toilette qtie pour aller au- bal. Auilt rien
n'eA û brillant qtie les chemins de la Suif-
ié i on y rencontre à. tout- montent de
petits MelUeurs &c de belles Dames, oa
n'y voit que bleu , verd , couleur de rofe^
on fe croiroit au jardin du Luxemboure.
Un eâet de ce. commerce cil d'avoir
prefque àté aux hommes le goût du
vin , & un effet contraite de cette vie
ambutiuite , eâ d'avoir cependant rendu le»
cabarets &équens &. bons dans toute la-
Suinè. Je ne fais pas pourquoi l'cm vante
tant ceux de France ; ils n'approchent
Jurement pas de ceux-ci. U eu vrai qu'il
y Élit très-cher vivre , mais cela efl vrai
auin de la vie domeitique, £c cela ne
ikuToit être autrement dans un pays -qui
produit peu- de denrées âc où l'argent aa
laiâè pas de circuler.
Les cois feules marchandi&s qui leur-
en aient foimii jufqu'ici- font les froma^
ges, les chevaux & les hommes ^ aoM.
depuis Uoirwtttâiqn. 4^ Utxfjce con-r
DE Luxembourg.
merrè ne leur Suffit plus , & ils y ont
tùonté' Celui des manu&ihires dont iU
iont redevaUes aux réfugiés François;
refiburce' qui cependant a plus d'appa-
rence que de réalité; car comme la cherté
des denrées Pigmente avec leS' efpeces >
& qite la culture de la terre fe néglige
quand cm. gagne davanUgeà d'autres tra-
vaux, avec pins d*ai^cnt ils n'en font
pas plus riches ; ce qui fe voit par la
comparaifon avec \cs SuiiTes cathohques,
qui n'ayant pas ta même reiTource « font
pliis pauvres d'at^ent , & ne vivent pas
moins bien..
U-eft fort fîngulier qu'un pays fi nido
£e dont les habitans font fi enclins à for-
tir , leur infpire pourtant un amour fi
tendre que le regret de l'avoir quitté les
y ramené prefijue tous à la fin , & que ce
regret donne à ceux qui n'y peuvent re-
venir , une maladie quelquefois mortelle ,
qu'ils appellent , je crois , le Htmvl. Il y
a dans la Suiffe un aii- célèbre appelle le
Ranz-des-vaches , que les bergers fonnent
fur leurs cornets & dont ils font retentir
tous les coteaux du pays. Cet air, quj
eil peu de chofê en lui - même , mais quï-
a;8 Lettae AU Maréchal
rappelle aux Suiflès mille iàée& relatives
au pays natal y leur fait Verièr des torrens
de larmes quand ils l'erfiendeot en terre
étrangère. Il en a mâme &it mourir de
douleur un û grand noi^re , qu'A a été
défendu par ordonnance du Roi de jouer
te ranz^des-vaches dans les troupes Suîfle&
Mais , Monfiéur le Maréchal j vous fevez
peut - être tout cela mieux que moi , ôc
les réflexions que ce felt préfente ne fous
auront pas écMppé. Je ne puis m'empê-
eher de remarquer ieulenlent que la Franco
eft affurément le meilleur pays du monde»
Ofi toutes les commodités & tous les âgré*
mens de la vie concourent au bien-être
des habitans. Cependant il n'y a jamais
eu , que je fâche , de Hemvé ni de ranz-
des - vaches qui fit pleurer & mourir de
regret im François en pays étranger , &
cette maladie diminue beaucoup chez les
Suifles depuis qu'on vit plus agréablement
dans leur pays.
• _ Les Suifles en général font juftes , offi-
cieux , charitables , amis folides , braves
foldats & bons citoyens , mais intrigans ,
défians , jaloux , curieux , avares , & leiu"
avaiice contient plus leur luxe que ne feit
DE Luxembourg. ''^9
leur fimplicité. Ils font ordinairement gra-
ves & ffegmjEtiqiles , mais ils font furieux
dans la oolere , ôc leur joie eft une ivrefle.
Je n'ai rien vu de fi gai que leurs jeux
U eft étonnant que le peuple François tûnfe
triftement , langtiiâàmment , de mauT^fe
Çrace, & que les danfes fuiffes foient fau-
til!antes &c vives. Les hommes y montrent
leur vigueur naturelle & les filles y ont
une légèreté charmante : on diroit que la
terre leur brûle les pieds.
' Les Suiflès font adroits Sc rufés t^s
les aâàires : les François aui les ,jugene
groflîers font bien moins oéliés qu'eux ;
ïls jugent de leur efprit par leiu- accent.
La G^ur de France a touioiirs voulu leur
envoyer des gens fins & s'eft toujours
trompée. A ce genre d'efcrime ils battent
communément les François : maïs en-
voyez-leur des gens droits & fermes,
vous ferez d'eux ce que vous vouj-
drez , car natvirelleraent ils vous aiment.
Le Marquis de Bonnac qui avolt tant .
d'efprit , mais qui paffoit pour adroit n'a
rien fait en Siùffe , & jadis le Maréchal
de BsiTompierre y faifoit tout ce qu'il vou-
loit, parce qu'il. étoit franc, ou qu'il pjf^;.
uSo Lettre a.u Mkrèchal
fait chez eux pour l'être. Les Suiffes né-
goàeront toujours avec avantage, à moins
qu'ils ne foient vendus par leurs magii^
trats , attendu qu'ils peuvait imeiix fe
paAer d'argent mie les Pui&nces ne peu-
vent fe paâèr dilommes ; car pour votrff
bled, quand ils voudront ils n'en auront
pas baioin. IlBnit avouer auiG que s'ils-
Kint bien leurs traités , ils les exécutent
encore miewc , fidélité qu'on ne fe piqutf
pas de leur rendre.
Je ne vous dirai rien , Mcmfieur le Ma-
cédsl:, de leur gouvernement 8e de leur
politique , parce que cela me meneroir
trop loin', & que je ne veux vous^arler
que de ce qiie j'ai vu. Qiumt au Comté
Je Neufchst^ où ^habite , vous favez
qu'il- appartient au Roi de Pniflè. Cette
petite Principauté ," après avoir été dé-
mcTtàsrée du Royaume de Bourgogne ôc
pafTé fucceflîvement dans les maîions de
Châlons , d'Hochberg & de Longueville ,
tomba enfin en 1707 dais celle de Bran-
debout^ par la décifion des Etats^ du pays*
juges naturels des droits des- Prétendaos.
Je n'entrerai point dans l'examen des rai-
has fur leiqueUes le Roi de Pruâè 6a
DE LUXEHJBOURG. x6t
.préfëréauPrineedeConti^mdes inâuet»*
-ces que purent avoir (Tautres Puiflànces
dans cette at&ire ; )e me contenterai de
.remarquer que daîis la concurrence entra
- ces deux Pruices , c'étoït un honneur qui
.ne pouToit mMiquer aux Neufchâtclois
- d'appartenir un jour à un grand Capitaine.
Aurefte , ils ont confcrvé fous leurs Sou-
verains à-peu-près la même liberté qu'ont
. les autres Sutffes; mais peut-être en font-
■ ils plus redevables à leur pofîtion qu^
-leur habileté ; car je lestrouve bien ré^
muans pour des gens iagos.
Tout ce que je viens de remarquer des
SuifTes- en. général caraâérife encore plus
fortement ce peuple-ci , & le contraAe du
■ naturel & de l'imitation sV ^t encore
mieux fentir., avec cette di^tnce pow-
tant que le naturel a moins d'étoile , k
qu'à quekjue petit coin ptès , la donire
couvre tout le fond.'Lc pays , fi l'on
excepte la ville & les bords du lac , dil
AxiSfi rude que le refte de la SuilTe , la vie
y e(t auOi ruâique , &c les habitai aecou-
lumés à vivce fous des Princes , s'y font
encore plus aiTeâionnés aux grandes mt-
ineres ; de -ibcte. qu'on trouve ici du- jai^
t6i. X^TTRE AU MARiCHÀL
■f;on , des aîr&, dans toiu les états, de béatix
: parleurs labourant les chainps y &: des cour-
•Âiàitt ea fouquenille. Auffi appelle- 1- on
;les Neufchâtuois les pdcaos de la Suiâè.
'Ils OfA .de J'eTprit & iU Te piquent de vivfH
.cilé ; ils lifent , & la leâure ^eur pro^e ;
.-les payfàns même font inAruits ; ils -oat
-|»efqpie tous iin petit recueil de livres
- choius qu'ils appellent leur bibliothèque ;
-iU ibnt même aiïez au courant pour les
:. nouveautés ; ils font valmr i(»rt ceb.dms
-Ja c«nverl«tion d'une manière qui ^'eft
point gauche , & ils ont prefque le ton
..dw -jour comme s'ils vivoient à Paris. II y
:.a quelque -tems qu'en me promenant^ je
:.ni*an:êtai devant luie mailbn -où des £lles
Soient de la demeHe ; la mère Jie^it
■ un petit en&nt , ;&ie îa regardois &ire ,
-^U^ndje vis foitir de la c^enevn ^9S
! payûn ., qui m'àbocàaat d'un j^ aii^ me
- d^ : n'Ouï y&ye[ .qt^on ne fuit pas trop hitn
vos prictptes t mais nos ftmmts mrment au-
tant aux vieux préjugés qj^eUts jùmtnt Us
. nouvtlUs modes. Je tpmbois des nues, l'ai
: cntendi^ piUTiii ^es gens- Jà £ent propos du
-wême ton.
. 6<9uçoup ji'eiprh U encore plus de p»*-
PE Luxembourg. x6f
aenâçm t Tçais &d$ aucun g(^t , voiU ce
qui m'a d'abord irappé chez les Neu&h^
teloU. Ils parlent très-bien , très-aifénient,
nais ils écrivent platement &C niai , fur-
tout^uaod ils veulent écrû-e Ugérement,
& ils le veulent toujours. Comme ils ne
iâveift pas ;nême en qu«i conûile la grâce
.£ç le (çl du Ayle liéger , lorsqu'ils ont en^
£ié des phrales louniément femillaoïes *
ils fe proient aut^ de Voltaires & de
CrebiUons.. Qs ont une manière de jour-
|ial jians lequel ils s'eiForcent d'itrd giendls
£c badins. Us y foutent même de petits
-vers de leur &99ti. Madune la Macechala
trouvero^ , ânos de ramufemeni , au
pïoins de l'occuiation daqs ce Mercure ,
#ar .c'eft tfun bout à l'autre un logogriphe
,^i demande jun ni^eu^ Œdipe <que moi.
Ceft À-peu'pprè.S le même hali^cmeat
que dans le Canton da Berne, mais un
peu plus (xïntoun:^. Les hommes le me&
ïeot ^ez à b Françoife , & (?eft ce que
}e9 femmes voudroient bien Ëiire aunt ;
jnais comme elles ne voyageitt . gueres ,
ne prenant pas comme , eux les modes de
la première meîji , eUes les n^ent , les
défigveot, U .(^géc».ie pr£tiiuaiU»«
»64 l£TTR£ A.V Maréchal
ic de ^Ibalas, dles feml)Ient parées de
'guenilles.
Quant à leur cataâere , il e& difficile
'd'en juger , tact il eft otHilqiié de maniè-
res; ils ^ croient polis parce qu'ils ibitt
Êçonniers , & gais parce qu'ils font tur-
tulens. Je crois qu'il n'y a que les Chi-
■iK>is au monde qui puiflcRt l'emporter
fur eux à faire des complimens. Arrivez-
vous &tïgué f prefTé , n'importe : il &ut
-d'abord prêter le 6anc à la longue bor-
■àée ;< tant que la . machine efl montée elle
^ioue , & eue Te remonte toujours à cha-
que arrivant. La politefie Françoife eu de
leettre les gens -à leur atfe & même de
,s'y mettre .àuâi. La politeâê Neufchâte-
.loife eft de gên«- &c foi-même &c les
.autres. Ils ne conlùltent jimais ce qui vo^
-convient, mais ce qai peut étaW leur
:préte»du fevoir- vivre. Leurs offi-es exa-
' eétées -ne tentent point ; ettes ont toit-
■-jours je ne iàis quel air de formule , je
^ne lâis.quoi defec & d'apprêtéqui vous
.inviceau re^s..lls font pourtant obli-
:geaitt, officieux:, hofpitBl^s^'tfès- réelle
• ment, itir*tout pour 4es gens^de qu^ité:
i-ou ■eÛtofijours:iù|- d'ètré acçuetlb d'etot
DE Luxembourg. 165
en fe donnant poitr Marquis ou Comte;
& comme une reffource auffi fecUe ne
manque pas aux aventi.u*iers , ils en ont
fouvent dans leur Ville , qui pour l'or-
dinaire y font très-fêtés ; un fimple hon-
nête homme avec des malheurs & des
v^mis ne le feroit pas de même : on peut
y porter un" grand nom uns mérite,
mais non pas un grand mérite lâns nom.
Dvï refte , ceux qu'ils fervent une fois
ils les fc^rvent bien. Ils font fidelles i
leurs promeflès , & n'abandonnent pas
aifément leurs protégés. Il fe peut même
qu'ils foîent aimans &c feniibles ; mais rien
n'eA plus éloigné du ton du fentiment
que celui qu'ils prennent, tout ce qu'ils
font par hiinianité femble être feit par
oftentation , & leur vanité cache leiu' bon
cœur.
Cette vanité eft leur vice dominant;
elle perce par-tout, & d'autant plus aif^
ment qu'elle eft mal-adroite. Ils îe croient
tous gentilshommes , quoique leurs Sou-
verains ne fiilTent que des gentilshom-
mes eux-mêmes. Ils aimeitf la chaffe ,
moins par goût , que parce que c'eftun
amufement noble. Enfin jamais on . ne
Pièces diverfes, M
i66 Lettre au Marécmax
vît des bourgeois fi pleins de leur naît
fànce : Us ne la vantent pourtant pas ,
mais on voit qu'ib s'en occupent ; ils
n'en font pas Sers , ils n'en font qu'en-
têtés.
Au défaut de dignités & de titres de
noblelTe , ils ont des titres militaires ou
municipaux en telle abondance , qu'il y a
plus de gens titrés que de gens qui ne le
font pas. C'eft Moafieur le Colonel ,
Monfieur le Major, Monfieur le Capi-
taine , Monfieur le Lieutenant , Monfieur
le Conieiller , Monfieur le Châtelîfin ,
Monfieur là Maire , Monfieur le Jufticier ,
Monfieur le Profiïfïeur , Monfieur le Doc-
teur , MonÛCTir l'Ancien ; fi j'avois pu
«prendre ici mon ancien métier « je ne
doute pas que je n'y fuffe Monfieur le
Copifte. Les femmes portent aulÏÏ les ti-
tres de leurs maris » Madame la Confeil-
lere. Madame la Miniftre; j'ai pour voï'-
lîne Madame la Major ; & comme on n'y
nomme les gens que par leurs titres ,
on eft embarraflë comment dire aux gens
qui n'ont que leur nom , c'eft comme
» ils n'en avoîent point.
Le fexe n'y eft pas. beau; on dit qu'il
DE LuxEMBoyao^' 167
a dégéoéré. J>s filles ont beaucoup de
liberté & en font ufa^e. Elles ie rattem-
Went ibuvent en foçiété oit l'on joue ,
06 l'on goûte , où l'on babille , 6c où Ton
attù'e tant qu'on ^feut les jeunes gens;
mais par malheur ils font rares & il âut
ie les arracher. L«s femmes vivent affez '
fagement ; il y à dians le pays d'aJTez bons
ménages , & il y ea auroit bien davantage
fi c'étoit un air de bien vivre avec" fon
mari. Du refte vivant beaucoup en cam-
pagne , lifant moins & avec moins de
fruit que les hommes , elles o'oitt pas l'ef-
prit fort orné , & dans le désoeuvrement
tle leur vie elles n'ont d'autrç reffource
que de feire de la dentelle , d'épier curieu-
^ment les affaii-es des autres , de médire
&c de jouer. Il y en a pourtant de fort
aiirables ; mais en général on ne trouve
pas ^ns leur entretien ce ton que la dé-
cence & rhonnêttté même rendent féduc*
teiir, ce ton que les Françoifes iavent fi
bien prendre quand elles veulent , qui
montre du fenumcnt , de l'ame , & qui
promet des héroïnes de roman. La conver-
lation des Neufchltebifes eft aride ou
ba<^e; elle taiil il -tôt qu'on ne plai-
M »
i68 Lettre au Maréchal
fante pas. Les deux fexes ne manquent
pas de bon naturel , & j e croîs <jue ce n'efl;
pas un peuple fans mœurs , mais c'eft un
peuple fans principes , & le mot de vêitu
Y eu aufli étranger ou auffi ridicule- qu'en
Italie. La religion dont ils fe piquent fert
plutôt à les rendre hargneux que bons.
Guidés par leur Clergé ils épiuïgiieront
fnr le dogme , mais pour la morale ils ne
favent ce que c'eft ; car quoiqu'ils par-
lent beaucoup de charité, celle qu'ils ont
n'éft flffurément pas l'amour du prochain,
c'eû feulement l'afieûation de donner l'au'
mône. Un chrétien pour eux eft un hont*
me qui va au prêche tous les Dimanches,
quoiqu'il fefle dans l'intervalle, il n'im^
porte pas. Leiu-s Miniftres qui fe font ac-
^is un grand crédit fur le peuple tandis
que leurs Princes étoient catholiques, vou-
droient conferver ce crédit en fe mêlant
de tout , en chicanant fiu- tout , en éten-
dant à tout la jurifdiâion de l'EgUfe i Us
ne voient pas que leur tems efl palTé.
Cependant ïls viennent encore d'eKciter
dons l'Etat une fermentation qui achè-
vera de les perdre. L'importante afiàire
dont^ il s'agiCoil étoit ai lavoir û les
.DE LUXEMBOUJIG. 169
peines des ,' damnés étoient éternelles.
Voiis auriez peÎHe à croire avec quelle
chaleur cette difpute a été agitée ; celle
du Janfénifme en France n'en a- pas ap-
proché. Tous les Corps ajTembles , les
peuples prêts à prendre les armes, Mi-
oHiresdeftitués, Magiftrats interdits , tout
jnarquoit les approches (fune guerre cir
vik , & cette affaire n'eft pas tellement
£me qu'elle ne puifle lainër de longs
foiivenjrs. Quand ils fe feroient tous
arrangés pour aller en enfer , ils n'au-
roient pas plus de fouci de ce qui s'y
pafle.
Voilà les prmcipales remarques que j'ai
iàites jufqu'ici fur les gens du pays où je
fuis. Elles vous .paroîtroient peut-être un
peu dures pour un homme qui parle de
iès hàtes^ ^ j^ vous laiffbis ignorer que
je ne leur fuis redevable d'aucune ho^i-
talité. Ce h'eft point à Meffieurs de Neuf-
châtelque je fuisvenu demander un afyle
qu'ils ne m'auroient furement pas accordé ,
èeû à Mylord Maréchal, .& je ne fuis
ici que chez le Roi de Pruffe. Au contraire ,
à mon arrivée fur les terres de la Princi-
pauté f le Magiftrat de la ville de Neuf-
Aï 3
170 LCTTRE AU MarÉCHAX
châtel s'eft pour tout accueil. dépêché de
défendre mon livre fens le coimoître , la
clalTe des Minières t'a àé£éré de même
au Confeil d'Etat ; on n'a jamais vu de
cens plus preilés d'imiter les fottlies de
leurs voifins. Sans ta proteâion déclv^
de Mylord Marédial , ou oe m'e&t fiire-
mcnl 'point latfie m pais dans ce viUage.
Tant de Ijandits fe réfogiem dans le pay»
que ceux qui le gouvernent ne lavent
pas diftinguer des mal^teurs pourfuivis
les innocens opprimés , tut fc mettenit peu
en peine d'en Aire la diffîMnce. I^ mai*
fon que j'habite appartient à une nièce
de mon vianc snù M. Roguin. Ainfi loin
d'avoir mille obli^on à Meilteurs de
Neufcliâtel , je n*ai qu'à m'en plaindre,
lyailldirs , je j^ai pas mis le pied dans
-leur ville, ils me font étrangers à tous
^ards , je ne leur dois que juftice en
pariant d'eux âe je la leur rends.
Je la rends de meilleur cœur encore à
• ceux d'entr'eui: qui m'ont comblé de ca-
reifes , <f offi'es , de poUteflas de toute
efpece. Flatté de leur eAimc & tonclié de
leurs bontés , jô me ferai toujours un de-
voir & un pîaifir de leur marquer mon
DE Luxembourg. 171
amchemem & ma reconnoiilànce ; mm
l'accuéit qu'ils m'ont tàil n*a rint de ooib^
tmm avec le gouvernement Neufchâtdkns
gu^^en eût fait un bien différent s'il en
euTO^Ie mïutre. Je Joîs dire encore que
fi h maîlvaiic Tolonté dU corps des Mi-
nlftrés n'eft pas doûteiift , i*âi beîhicDap
À me louer en bârticuliër de celui dont
j'habite la paroiffe. Il me vint voir à mon
arrivée , il me fit mille offres de fervices
qui n'étoient poim vaines , comme il me
1 a prouvé dans une occafion effentieDe oîi
il s'eÛ expdfé àja maiivailê humeur de
plus d'im dé les confrères , pour s'être
montré vrai Pafteur envers moi. Je m'at-
tendois d'autant moins de ik part à cette
juftice , qu'il avoit joué dans les précé-
dentes broijjîleries un rôle qui n'annonçoit
pas un Minîftre tolérant. C'eft au furplus
un homme affez gai dans la focîété , qui
ne manque pas d*efprit , qui fait quelque-
fois d'anez bons fermons , & fouvenl de
fon bons contes.
Je m'apperçois que cette Lettre eft un
livre , & je n'en fois encore qu'à la moitié
de ma relation. Je vais , Monfieiu- le Ma-
M 4
..„, Google
17» Lettre au Maréchal
réchal , vous ïaiffer reprendre haleine ,
& remettre le fécond tonae à une autre
'{*) PoDrippTMtr IndiTcnJngcnien) pnrtéi daai cctM
.Intn, ]( Lcanu- voudra bjtn Faire atinition i rfpoqH*
dt a, date & an lin ^u'tudûtoU l'Antu»
SECONDÉ LETTRE
• A u M ê M E.
A Matîers le 28 Janvier 17^1. '
XLfeui, Monfieiir le Maréchal, avoir
du courage pour décrire, en cette laifon
le lieu que j'habite. Des cafcades , des
glaces , des rochers nuds , des fapins noirs
couverts de neige font les objets dont je
fuis entouré ; & , à l'image de l'hiver le
pays ajoutant l'a/peil de Faridité ne pro-
met , à le voir , qu'une defcription fort
trifte. Auffi a-;t-il l'air affez nud en toute
iailbn , mais il eft prefque effrayant dans
ceUe - ci. ïl faut donc vous le repré-
fenier comme je l'ai trouvé en y arri-
vant , & non comme je le -vois aujour-
d'hui , ians quoi l'intérêt que vous pre-
nez à moi m'empécheroit de vous en rien
dire.
. Figurez - vtais donc un vallon d'une
bonne demi -lieue de .large & d'environ
.dmuc lieue^ de long , au milieu duquel
" M j
Lettre au MARicHAL
mffe ime petite rivière appelles la Reufe
Sns la dlreffion du Noid-oueft jm S»d-
eft. Ce vaUon formé par deux chaînes de
montagnes qui font des branches du Mont-
Juia 8c qui fe refferrent par les deia hoiiB ,
refte pouront affei ouvert pour hifler
■ voir au loin fes protoneemens , lefquels
divifés en lameaux parles bras des mon-
taenes oftent plufirars belles perfpe&ves.
Ce vallon , appelle le Val-de-Travers du
nom d'un viHagc qui c« à fon extrémité
orientale , eft garni de quatre ou cinq au»
tr.'S village! à peu de diftince les uns- des
a'ttres ; C3lui de Motiers qiu forme le
iRilieu eft dominé par un vieux château
aéfert dont le voifinage & h fituation fo-
fcaiie & Éiuvage m'attirent fouvent dans
mes promenades du matin , dHiutant plus
que je puis fortir dececôtépartme porte
3e deniere fans paSer par la rue m de-
vant aucune maifoo. On dit que les bois
& les rochers qui environnent ce château
font fort rempli» de vipères ; cependant ,
ayant beaucoup parcouru tous les envi-
ions & m'étant affis à toutes fortes de
places > je n'en ai point vu jufqu'ici.
Outre ces viBages , on Voit vers le bas
DE Luxembourg. 17^
des montagnes plufieurs maifons ëparfffs
qu'on appelle des Prifes^ dans lefquelles
on tient des beftiaux &c dont plufieurs font
habitées par les propriétaires , la plupart
payiâns. II y en a une entr'autres à mi-
côte nord , par coniéqiient expofée an
midi fur une terraflâ naturelle , dans là
plus admirable pofitïon que j'aye jamais
vue , & dont le difficile accès m'eiit rendu
l'habitation très-commode. J'en fiis fi tenté
que dès' la première fois je m'étois pref-
que arrange avec le propriétaire pour y
loger ; mais on m'a depuis tant dit de
mal de cet homme , qu'aimant encore
mieux la paix & la fiirete qu'une demeure
agréable, j'ai pris le parti de refter oii je
luis. La maifon aite f occupe eft dans une
moins belle pofitïon, mais elle eft grande,
aflez commode , elle a vne galerie exté-
rieure oit je me promené dans les mauvais
tems , & ce qui vaut mieux que tout le
rtfte , c'eft xm afyle offert par l'amitié.
!La Reufe a ia fource au - deffus d'im
village appelle St. Sulpice , à Textrémité
occidentale du vallon ; elle en fort au
village de Travers à l'autre extrémité oîi
elle commeace à fe creufcr un Ih qui de-
M 6
xjS Lettre au Marécha.l
vient bientôt précipice & la conduit enfin
dans le lac de Neufchâtel. Cette Reufe eft
un« très-jolie rivière , claire & brillante
comme de l'argent , oii les tniîtes ont
bien de la peine à Ce cacher dans des tou^
£çs d'herbes. On la voit fortir loiit-d'iin-
coup de terre à fa foiirce , non point en
petite fontaine ou niifleau , mais toute
grande & déjà rivière comme la fontaine
de Vauclufe , en bouillonnant à travers
les rochers. Comme cette fource eft fort
enfoncée dans les roches efcarpées d'une
montagne, on y eft toujours à l'ombre;
& la fraîcneur continuelle , le bruit , les
chûtes , le cours de l'eau m'attirant L'été à
travers ces roches brûlantes , me font
fouvent mettre en nage pour aller cher-
cher le frais près de ce murmure , ou plu-
tôt près de ce fracas , plus flatteur à mon
oreille que celui de la rue St. Martïn.
L'élévation des montagnes qui forment
le vallon n'eft pas exceffive, mais le vallon
même eft montagne étant fort élevé aii-
delTus du lac , oC le lac ainû que le fol
,de toute la Suiffe, eft encore extrêmement
.élevé fur les pays de plaines , élevés à
.leur tour au-deftiis du niveau de la mer.
DE Luxembourg. 177
On peut juger fenfiblement de la penle
totale par le long &c rapide cours des
rivières , qui , des montagnes de Suiflè
Vont fe rendre les unes dans la Méditer-
ranée & les autres dans l'Océan. Ainfî ,
quoique la Reufe traverfaiit le vallon foit
itijette à de fréquens débordçmens qui
font des bords de fon lit une cfpece de
marais , on n'y fent point le marécage , l'air
■ n'y eft point humide S>c mal faln , la viva-
cité qu'il tire de fon élévation l'empêchant
de refter long - tems chargé de vapeurs
Î;roJrieres -, les brouillards , nffez fréquens
es matins , cedemt pour l'ordinaire à \\\c-'
lion du foleil à mefurc qu'il s'élcvc.
Comme entre les moritag'.ics & les val-
lées 'a vue eft toujours réciproque, celle
dont je jouis ici dans un fond n'eft pas
moins vafîe que celle que j'avois fur les
liauteurs de Montmorenci , mais elle eft
d'un autre genre; elle ne flatte pas, elle
frappe ; elle eft plus fauvage que riante ;
l'art n'y étale pas {es beautés, mais la
majefté de la nature en impofe , & quoi-
que le parc de Verûilles foit plus grand
que ce vallon , il neparoîtroit qu'un co-
lifichet en fortant d'ici. Au premier coup-
178 Lettre au Maréchal
ë*œil le fpeûacle, tout grand qu*a eft ,
iêmble un peu nud , on voit très-peu d'ar-
fcres dans la vallée ; ils y viennent mal
& ne donnent prefque aucun fruit ; l'ef-
carpement des montagnes étant très-rapide
montre en divers endroits le gris des ro-
chers , le noir des fapins coupe ce gris
d*une nuance qui n'eft pas riante , & ces
ûipins fi grands , fi beaux quand on eft
deflbus ne pâroifiant au loin que def
arbrlffeaux, ne promettent ni l'afyle , ni
l'ombre qu'ils tionnent; le fond du val-
lon , prefque au niveau de la rivière fêta-
ble n'offrir à ies deux bords qu'un large
marais oîi l'on ne Éiuroit marcher j la
réverbératiiMJ des rochers n'annonce pas
dans un lieu iàns arbres une promenade
bien fraîche quand le foleil luit ; fi - tôt
'qii^il fe couche il biffe à peine un crépuf-
cule , & la hauteur des monts intercep-
tant toute la lumière ûh pafler prefque
à l'inftant du jour à la nuit.
Mais fi la première impreflion de tout
cela n'eft pas agréable , elle change infen-
■fiblement par un examen plus détaillé,
& dans' un pays où l'on croyoit avoir
tout vu du premier coup- d'œil , on fe
DE Luxembourg. 279
trouve avec furprife environné d'objets
chaque jour plus intéreffans. Si la prome-
nade de la vallée dt un peu uniforme elle
eft en revanche extrêmement commode ;
tout y eft du -niveau le plus parfeit, les
chemins y font unis comme des allées de
jardin ; les bords de la rivière offrent par
■places de larges peloufes d'un plus beau
verd que les "gazons du Palais -Royal , ôc
l'on s'y promené avec délices le long de
cette belle egu , qui dans le vallon prend
un cours paiiible en quittant fes cailloux
& fes rochers qu'elle retrouve au fortir
du Val-de^raver&. On a propofé de plan-
ter fes bords de Saules & de Peupliers
pour donner durant la chaleur du jour de
l'ombre au bét^l défolé par les mouches.
Si jamâK ce projet s'exécute, les bords
■ de la Reufe dsviendront aufli charmans
que ceux du Lignon, & il ne leur man-
quera pliiS que des Aftrdes , des Silvan-
dresÔc un d'Urfê.
Cootme la ttreftion du vallon coupe
obliquement le cours du foleîl , la hau-
teur des monts' jette toujours de î'ombre
par quelque côté fin- la plaine , de forte
' ^'en'dirigeant fçs' promenad« 6t choifiir .
i8o Lettre au Maréchal
faut fes heures , on peut aifément feîre à
l'abri du foleil tout le tour du vallon.
D'ailleurs ces mêmes montagnes intercep-
tant fes rayons , font qu'il ft levé tard &
fe couche de bonne heure , en forte qu'on
n'en eft pas loag-tems brûlé. Nous avo;is
prcfque ici la clef de l'énigme du Ciel de
trois aunes , & il eft certain que les mai-
fons qui font près de la fotuice de la Reufe ,
n'ont pas trois haires de foleil , même en
été.
Lorfqu'on quitte le bas du vallon pour
fe promener à mi-côte, comme nous limes
une fois , Moiifieur le Marcchal , le long
des Champesiix du côté d'Ar.dilly , on n'a
pas une promenade aiiflî, commode , miis
cet agrément eil bien compenfiî par la va-
riété des fites & des points de vue , par
les découvertes que l'on fait f^ns;cefîc
^autour .de foij parles.jolis réduits qu'on
. trouve dans les gorges des montagnes ,
oîi , 'e cours des torrens qui defcendent
dans la vallée,, les hêtres gui les ombra-
gent ^ les coteaux qui les .entourent offrent
des aijfles verdoyansife. frais quand pn
, fuffoqué à découvert. .Ces réduits, ces
. prttts yailons.Be.s'appeïçoivent p%s,iat^t
DE Luxembourg. i8i
qu'on regarde au loin les montagnes , &
cela joint à ragrcment du lieu celai de
la fiirprife, lor^'on vient tout d'un coup
à les découvrir. Combien de ibis je me
fuis figuré , vous Suivant à ta promenade
& tournant autour d'un rocner aride ,
vous voir fiu-pris & charmé de retrouver
des bofquets pour les Drybdes oîi vous
n'auriez cru trouver ^e des antres. &c
des oiu^. ■
Tout le pays eft plein de cnrioficés
naturelles qu'on lïe découvre que peu à
peu, & qui par ces découvertes fticcef-
£ves lui donnent chaque jour l'attrait de
la nouveauté. La Botanique ofire- ici fes
tréfors à qui fauroit les connoître , &:
fouvent en voyant' autour de moi ceMe
pro6ifiaa de plantes rares , ft les foxiie à
regret fous le pied d'un ignoiînt. H eft.
pourtant nécefiaire d'en connottre ime
pour fe garantir de fes terribles effets ;
c'eft le Napel. Vous voyez unetrès-beUe
plante haute de trois pieds , garnie de jo-
lies fleurs bleues qui vous donnent envie
de la cueillir : mais à peine l'a-t-on gar-
dée quelques minutes qu'on fe fent iaifi
de maux de tête , de vertiges , d'éranouif-
i8i Lettre au Maréchal
femens & l'on périroit fi Ton ne jcttoit
promptement ce fiinefte bouquet. Cette
plante a fouvent caiifé des accidens à des
cniâni & à d'autres gens c[m ignoroient là
pemicieuie vertu. Pour les beftiaux lis
n'en approchent jamais &c ne broutent pas
même iVerbe qui l'entoiu'e. Les feuclieiirs
i'extirpent autant qu'ils peuvent i qiioi-
qu'oo iàffe l'sfpect en reûe , & je ne lailTe
pas d'en vcmt beaucoup en me promenant
Au* les montagnes , maàs on l'a détruit* à-
peiHprès dans le yalloo.
A une petite lièue de Motîers , dans la
Seigneurie de Travers ^ eft une mine d*af
plialte qu'on dit qui s'étend usas ficnâ te
pays : m tud>itans lui attribiunt tBode^
tement la gaîté dont ib Te vantent , &
qu'ils prétendent fe tranimettre même à
leurs beftiaux. Voilà Ikns douta une belle
vertu de ce minéral « mais pour en pou-
voir lèntir Fefficace il ne ânt pas avoir
quitté le château de MontUiorenci, Quol-
Su'il en fott des merveilles qu'ils dirent
e leur afphalte , j'ai donné au Seigneur
de Travers un moyen fôr (Ten tirer la
médecine univerfelle ; c'eft de feire une
bonne peaûon à Lorris pu à Bordeiu
DE Luxembourg. 183
! Au deffus de ce même village de Tra-
I vers il fe fit il y a deux ans une avalan-
che confidérable & de la feçon du monde
la plus fingiiliere. Un hDmrne qui habite
3u pied de la montagne avoit ion champ
devant fa fenêtre , entre la montagne «
là mailbn. Un QkHin qui fuivit une nuit '
d'orage i\ iîit bien furpris en ouvrant fa
feoé^ de trouver un bois ù la place de
fon champ ; le terrain s'éboulant tout
d'une pièce avoit recouvert fon champ
des arbres d'im bois qui étoït au^leiTus ,
&c cela , dk'On» fait e«re les deux pro'
fviéîaires le fujet d*un procès qui pouîT
roit trouyer place dans le recueil de PJt-
taval. UeTpace qup Tavalancbe a mis à
mid ell fort grand Se paroît de loin ; mais
il &ut en approcher pour juger de la
force de réboulnnent* de rétendue du
creux, & de la sruidcMr d«f rochen qui
oaté^ trahfportés. C« feit récent & cei^
tain rend croyable ce que dit piine d'une
vigne qui àvoit été ainfi tranfjiortée d'un
côté du chemin à Tautre : maïs raçpro-
chons-noiis de mon habitation.
J'ai vis-it-vis de mes fenêtres une fu-
perbe cafcade , qui da h*mt de U inontaT-
184 Lettre au MARÉCHAt
gne tombe par l'clcarpement dVin rocher
cans le vallon avec iin bnilt qui fe fait
entendre au loin , fur-tout quand les eaiLV
font grandes. Cette cafcade eft très en
vue, mais ce qui fleU'eft pas de même
eft yne grotte à côté de foit baiîîn de
laquelle l'entrée eïl difficile , mais qi/on
trouve au dedans affez efpacée , éclaiiée
par ime fenêtre rtatnrdle , ceintrée en
tiers-point , & décorée d'un ordre d'Ar-
chiteâure qui n'éft ni Tofcan , ni Dori-
que , mais l'ordre de la rrature qui iait
mettre dès propottions & de l'harmonie
dans fes ouvrages les moins réguliers.
Inftniit de la fituaiion de cette grotte ,
je m'y rendis feul l'été dernier pour la
contempler à mon ■aife. L'extrême féche-
reffe mé"dofina la facilité d'y etitrer par
une ouverture enfoncée & très-furbâif-
fée , en me traînant fur te venfre ^ car la
fenêtre eft trop hmie poitr qii'on puifle
y paffer fani échelle. Quâfitt je' fiis au
dedans je m'affis flir une pierre , & je me
mis à (tontemplér avec raviffement cette
fiiperbe faite dont les omeraens font des
quartiers de roche diverfen»ent fitués , &
formant la décoration la plus-' riche qiie
PE Luxembourg. 285
faye jamais vue , fi du moins on peut-
appelter ainfi celle qui montre la plus
grande puiffance , celle qui attache ôc
intéreffe , celle qui feit peafer , qui élevé
l'âme , cellfe qui force l'nommeà oublier
fe petiteffe pour ne penfer qu'aux oeu-
vres de la nature. Des divers roctiers qui
meublent cette caverne , les uns , déta-
ehés Ôf tombés de la voûte , les autres
encore pendans& diverlement fitués mar-
Î|uent tous dans cette mine naturelle , l'ef-.
et de cfwelque explofion terrible dont la
caufè paroît difficile à imaginer ; car même
im tremblement de terre ou un volcan
n'expliqiteroit pas cda d'une manière fa-
tisâîlânte. Dans le fond de-^la grotte, qvii
va en s'élevant de même que fa voûte ,
on monte fur une efpcce d eftrade & de-
là par ime pente affez roide fur un rocher
qui mené de biais à un enfoncement très*
obfcur par oii l'on pénètre fous la mon-
tagne. Je n'ai point été )ufd[ues-!à, ayant
trouvé devant moi un trou large & pro-
fond qu'on ne faiiroit fraiichu- qu'avec
une plantée. D'ailleurs v^rs le haut de
cet eiifoi«:ement &c pre^qu" à l'entrée de
la galerie iouterraina ,eil im ' quartier de
286 Lettre au Maréchal
rocher très-împofant , car iiifpèndu pref-
qu'en Tair il porte à faux par vn de fes
angles, fie penche tellement en avant qu'il
femble fe détacher & partir, pour écrâfer
le fpeâateur. Je ne doute pas ,. cepen-
dant^ quM ne foit dans cette fituation
depuis bien des fîecles &c qu'il n'y refte
encore .plus long-tems ; mais ces fortes
d'équilibres auxquels les yeux ne font pas
&its ne laiffent pas de caufer quelqu'in-
^iétude , & quoiqu'il làllùt peut-être des
forces immenfts pour ébranler ce rocher
qui paroît fi prât à tomber, je crain-
(irois d'y toucher du bout du doigt , 8c
ne voudrois pas plus reflar dans la direc-
tion de ik chute que fous l'épée de Da-
modès.
La galerie fouterraine à laquelle cette
f'Otte fert de veftibule ne continue pas
aller en montant , mais «He prend fa
pente un peu vers le bas , 6c fuit la même
uiclinaifon dans tout l'elpace qu'on â ;u^
qu'ici parcouru. Des curieux s'y font
engagés à diverfes fois avec des domef-
tiofues , des flambeaux & tous les fecouis
neceâaires ; mais il faut du courage pour
pénétrer loJQ' dans cet effi'oyahle <Ûeu»
DE LVXEM3 0UB.r.. 187
& de la vigueur pour ne pas s'y trouver
maL On elt allé jufqu'à près ai demi-
lieue en ouvrant le paflàge oii il eft trop
étroit , & fondant avec précaution les
gouffi-es Ô£ fondrières qui font à droite
$£ à gauche ; mais on prétend dans le
pays qu'on peut aller par le même fou-
terrain à plus de deux lieues jufqu'à l'autre
côté de la montagne, oit l'on dit qu'il
aboutit du côté du lac , non loin de l*em-
'Iwuchure de la Reiife.
Au-deiTous du ballm de la même caf^
cade , eH une autre grotte plus petite «
dont l'abord eft embarraflë de plufieurs
grands cailloux & quartiers de roche qut
paroifl^nt avoir été entraînés là par les
eau\. Cette grotte-ci n'étant pas fi prati-
cable que l'autre n'a pas de même tenté
les Curieux. Le jour que j'en examinai
l'oiiverture, il feuoit une chsleur infnp-
portable ; cependant il en fortoit un vent
û vif Se G. &oid que je it'ofai relier
long-tems à l'entrée, & toutes Içs fois
que j'y fuis retoun^ j'ai toujours fenti
le même vent ; ce qui me fait juger qu'elle
a une communication plu$ immédiate &
mom endjariafféç que l'autre,
288 Lettre au MARicMAL
A l'oueâ de ta vallée une montagne
la fcpare ea deux brandies, l'une fort
étroite oii font le village de St. Sii!-
pice, la fource de la Reuiè , & le che-
min -de Pootarlier. Sur ce chemin l'on
voit encore une grt^e chaîne fcellée dans
le rocher & nùiè là jadis par les Suiffes
pour fermer de ce cété-tà le paflâge aux
Bourguignons.
L'autre branche plus large & à gaudle
de la première , mené par le village de
Butte a un pays perdu appelle la co/e-
aux'Ft'eSf qu'on apperçoit de loin parce
qu'il va en montant. Ce pays n'étant fur
aucun chemin paffe pour très-feuvage &
en quelque Jbrte peur le bout du monde.
Auffi prétend-on que c'étoh autrefois le
féjour des Fées , & le nom lui en eft reflé.
On y voit encore leur falle d'affemblée
dans une troiilcme caverne ^ui porte
auffi leur nom , & qui n'eft pas moins
airieufe que les précédentes. Je n'ai pas
vu cette ^otte-aux-fées, parce qu'elle eft
aOez loin d'ici ; mais ob dit qu elle étoit
fuperiîement ornée , &• l'on y voyoit
encore il n'y a pas long-tems , un trône
& des fiéges très -bien taillés dans le
roc
DE L UXEMBOURG. 189
TOC. Tout cela à été ^té & ne paroît
■prefqvie plus aujourd'hui. D'aitleura l'en-
trée de la grotte elt prefque entiéremert
liouchée par les décombres , par les brour-
^lles, & la crainte des ferpens & des
. hètes Ycnimeufes rebute les airieux d'y
■vouloir pénétrer. Mais fi elle eût étépr*-
'tîcable encore & dans ùi prenùere beauté ,
■& que Madame la Maréchale eîit paffé
dans ce pays , je fuis fîir qu'elle eût voulu
■voir cette grotte finguliere, n'eût-ce été
^u'en feveiir de Fleup^l'Epine & des^
TacardîiK. --
Hus j'examine en détail fétat & lâ
pofition de ce vallon, plus je me perfuade
■qu'il a jadis été fous l'eau , que ce qu'oit
■appelle aujourd'hui le Val-de-Travers fîit
■autrrfois «n lac formé par la Reufe , la
-cafcade & d'autres miffeaux , & con-
Temi par les montagnes qui l'environnent,
■de forte que je ne doute point que je
n*h^ite l'ancienne demeure des poiflbns.
En effet , le fol du -vallon eA fi parfaite-
ment uni qu'il n'y a- qu'un dépôt formé
par les eaux qui puille 1 avoir ainfi nivelé. .
Le prolongement du vallon , loin-- de
-4efoendre , monte k loi^ du cours de la
Fitces Mver/es. N
lep Lettre au Maréchal
Reufe , de forte qu'il a fellu des tems
ÎTifinis à cette rivière pour fe caver dans
les abymes qu'elle forme , un cours en
Jens contraire à rinclinaifon du terrain.
Avant ces tems, contenue de ce côté de
même que de tous les autres, 6c forcée,
de refluer liir elle-même, elle dut enfin
remplir le vallon jufqu'à la hauteur de la
première grotte que j'ai décrite , par
laquelle elle trouva ou s'ouvrit un écou-
lement dans la galerie fouterraine qui
lui fervoit d'aqueduc,
Le petit lac demeura donc conftamment
à cette hauteur jufqu'à ce (pie par quel-
ques, ravages , fréquens aux pieds des
montagnes dan? les grandes eaux , des
pierres ou graviers embarrafferent telle-
ment ]e< Canal que les eaux n'eiu-ent plus
un cours fuffifant pour leur écoulement.
Alors s'étant extrêmement élevées , &
àgiflànt avec une grande force contre les
obAacles qui les retenoient , elles-s'ouvri-
xent enfin quelque iffue par le côté le
plus foible & le plus bas. Lçs premiers
filets échappés ne ceflànt de; creufer &
de s'agrandir , & le niveau du lac baîf-
iàat à proportion > à force de tems le
DE Luxembourg. 291
vallon dut enfin fe trouver à fec. Cette
conjeâure qui m'eft venue en examinant
la grotte oii l'on voit des traces fenfibles
du cours de l'eau , s'en confirmée premiè-
rement par le rapport de ceux qui ont
été dans la galerie fouterraine , Se qui
m'ont dit avoir trouvé des eaux crou-
pifTantes dans les creux des fondrières
dont j'ai parlé ; elle s'eft confirmée encore
dans les pèlerinages que j'ai &its à quatre
lieues d'ici poiu- aller voir Mylord Maré-
chal à & campagne au bord du lac , &:
où je iuivois , en montant la montagne ,
la rivière qui dcfcendoit à côté de moi
par des profondeurs effrayantes , que
febn toute apparence elle n'a pas trou-
vées toutes faites , &c qu'elle n'a pas ,
non pliu , creufées en un jour. Enfin ,
j'ai'penfé que l'afphalte qui n'eft qu'un
bitume durci étoit encore un indice d'un
pays long-tems imbibé par les eaux. Si
j'ofois croire que ces folies puffent vous
amufer , je tracerois fur le papier une efpe-
ce de plaii qui pût vous éclaîrcir tout cela :
mais il faut attendre qu'une faifon plus
Éiyorable & lui peu de relâche à mes qiaux
me laiflént en état de parcourir le Pays.
N 1
191- Lettre au Maréchal
On peut vivre ici puisqu'il y a des
habîtans. On y trouve même les princi-
pales commodités de la vie , quoi qu'un
peu moins facilement qu'en France. Les
denrées y font chères parce que le pays
en produit peu , & qu il eft fort peuplé
fur-tout depuis tju'on y a établi des ma-
nuâ^ires de toile peinte & que les tra-
vaux dltorlogaie & de dentelle s'y mul*
tiplient. Poiu' y avoir du pain mangeable,
il Élut le feire chez foi , & c'eft le pani
que j'ai pris à l'aide de M"*, le Vafleur ;
a yipnde y eu mauvaife, non que le pays
n'en produifede bonne , tnais tout le bœuf
va à Genève ou à Neufehâtel & T*on ne
tue ifi que de la vache, La rivière fournit
d'excellente truite , mais fi délicate qu'il
Eut la manger fortant de l'eau. Le vin
vient de Neufehâtel , & il eil très - bon ,
fuMOut le rouge.: pour moi je m'en tÏCTis
au blanc bien q\oins violent , k meilleiu
fr^çhé, & félon moi, beaucoup plus fàin.
Point de volaille , peu de gibier » point
de fruit » p3s même des pommes ; ièule-
ment des fraifes bien parfiunées , en abon-
dance S^ qui durem long-tems. Le laitage
y .fift «X«çUenf ^ moins pourtant «^wç \a
DE Luxembourg. 29;
fromage de Viry préparé par Mademoîfelle
Roie ; les eaux y font claires & légères :
ce n'eft pas pour moi une chofe iridiiFé-
rente que de bonne eau , & je me fentirai
long - tems du mal que m*3 fait celle de
Montmorenci. J'ai fous ma fenêtre une
très -belle fontaine. dont le bruit fait une
de mes délices. Ces fontaines , qui font
élevées &c taillées en colonnes ou en obé*
lifques & coulent par des tuyaux de fer
dans de grands bâflms , font im des orne- ,
mens de la Suifle. Il n'y a fi chétif village
qui n'en ait au moins deux ou. trois , les
maifcMis écartées ont prefque chacune la
fienne , & l'on en trouve même fur les
chemins pour la commodité des paffans ,
hommes &c beftiaux. Je ne iàurois expri-
mer combien l'afpeÛ de toutes ces belles ■
eaux coulantes eu agréable au milieu des
rochers & des bois durant les chaleurs ,
l'on eil déjà rafraîchi par la vue , 6c l'on
eft tenté d'en boire fans avoir foif.
Voilà , Monfieur le Maréchal , de quoi
vous former quelque idée du féjour que
j'habite & auquel vous voulez bien pren-
dre intérêt. Je dois l'aimer comme le feul
iicude la terre oii la vérité ne foit pas
N3
294 Lettre av Maréchal, Sec
wn crime , ni l'amour du genre - humain
une impiété. J'y trouve la lîircté fous la
proteflion de Mylord Maréchal & l'agré-
ment dans Ton commerce. Les habitaos du
lieu m*y montrent de la bi«iveillance &
ne me traitent point en profcrit. Comment
pourrois-je n*etre pas touché des bontés
qn'on m'y témoigne , moi qui dois tenir
àliienfàit de la part des hommes tout le
mal qu'ils ne me font pas } Accoutumé à
•porter depiùs fi long-tems tes pefantes
chaînes de la néceiTité , je paflêrois ici iàos
regret le reftç de ma vie , fi j'y pouvois
voir quelquefois ceux qui me la lont eo;
cor« aimer.
é^^
"^m
G^K)^!.-
LETTRE
A-MADAME DET*
Le 6 Âarit 1771.
^/ N violent rhume , Madame , qui me
met hors d*état de parler fans fatiguer ex-
trêmement , me fait prendre le parti de
vous écrire mon fentunent fur votre eiH
fant, pour ne pas lelaiflèr plus long-tems
dans l'état de fufpenfion on je fens bien
que vous le tenez avec peine , quoiqu'il
n'y ait point ielon moi d'inconvénient.
Je vous- avouerai d'abord que plus je
penfe à l'expolîtion Uimineule que vous
m'avez feite , moins je puis me perfuader
]ue cette roideiir de caraâere qu'il mani-
tefte dans im âge fi tendre , foit l'ouvrage
de la nature. Cette mutinerie, ou fi vous
voulez , Madame , cette fermeté n'eft pas
fi tare que vous croyez , parmi les en-
fàns élevés comme lui dans l'opulence ,
i& j'en fais dans ce moment même à Pa-
ris , un autre exemple tout femblable ,
dont la conformité m'a beaucoup frappe;
tandis que parmi les autres ensuis él«rés
N 4
296 Lettre
avec moins de follîcitude apparente , Se
à qui l'on a moins &it Tentir par-là leur
imponance , je n*ai vu de ma vie un
exemple pareil. Mais laiflbns quant à pré-
fent cette obfervatîon qui nous mene~
roit trop loin , & quoi qu'il en foit de la
caufe du mal , parlons du remède.
Vous voilà , Madame , à mon avis, dans
une circonftance ^vorable dont tous
pouvez tirer grand parti. L'eâ^t com-
mence à s'impatienter dans fa penfion y il
deiire ardemment de revenir , mais là
fierté qui ne lui permet jamais de s'abaif-
fer aux prières, l'empêche de vous ma-
nifeller pleinement fon defir. Suivez cette
indication pour prendre fur lui un aicen-
dant dont il ne lui toit pas aifé dans la fuite
d'éluder l'effet. S'il n'y avoit pas un peu de
cniauté d'augmenter lès alarmes, }e vou-
drois qu'on commençât par lui &ire la peur
toute entière , & que fans que perfonne lui
dît précifément qu il reliera^ ni qu'il rerien.
dra , il vît quelque efpece de préparati&
comme pour lui èàte quitter tout-à-feit
la maifon paternelle , & qu'on évitât de
s'expliquer avec lui fin* ces préparatiâ».
Quand vous l'en verriez le plus inquiet»
A Madame de T***
197
vous prendriez alors votre moment pour
lui parler , & cela d'iin aîr ii letieiix
& fi ferme qu'il fût bien perfuadé que
c'eft tout de bon.
Mon fils , il m'en coûte tant de vous .
tenir éloigné de moi que, û je n'ccoutois
que mon penchant , je vous retiendrois
ici dès ce moment ; mais c'eft ma trop
grande tendreffe pour vous qui m'empe-
cWe de m'y livrer. Tandis que vous avez
été ici ,j'ai vu avec la plus vive douleur,
qu'au lieu de répondre à l'attachement- de
votrç mère & de lui rendre en toute chofe
la complaiiance qu'elle aimoit avoir poiu*
vous , vous ne vous appliquiez qu'à lu»
£iire éprouver des cpntraaiÛions qui la
déchirent trop de votre part , pour qu'elle
les puiffe endurer davantage, &c.
Pai donc pris la résolution de voui pla-
cer loin de moi pour m'épargner Talflic-
tion d'être à tout moment 1 objet & le
témoin de votre défobéiflaoce. Puifque -
vous- ne voulez pas répondra aux tendres
foins que j'ai voulu prendre de votre
éducation , j'aime mieux que vous alliez
devenir un mauvais fujet loin de mes
yeux, que de voir mon as chéri inaiv-
N 5
198 Lettre
quer à chaque iniknt à ce qu'il doit à â
mère ; & o ailleurs je ne défefpere pas
que des gens fermes &c fenfés , qui n ciu-
ront pas pour vous le même fomle que
moi , ne viennent à botit de dompter vos
mutineries par des traitemens néceffalres
que votre mère n'auroit jamais le cou-
rage de vous faire endurer, &c.
Voilà , mon fils , les raifons du parti que
j'ai pris à votre égard, & le feu! que vous
me laifliez à prendre , pour ne pas voue
livrer à tous vos défe\its & me rendre
tout-à-^it malheureufe. Je ne vous laifle
point à Paris , pour ne pas avoir à com-
battre iâns ceffe, en vous voyant trop fou-
vent, le defîr de vous rapprocher de moi.
Mais je ne vous tiendrai pas non plus fi.éloi-
gné, que û l'on eft content de vous, je ne
puifle vous faire venir ici quelquefois, &c.
Je fins fort trompé. Madame, fî toute
û hauteur tient à ce coup inattendu dont
il fentira toute la conféquence , vu fur-
tout le tendre attachement que, vous lui
connoiffez pour vous , & qui dans ce
moment fera taire tout autre penchant. Il
pleurera , il gémira , il pouffera des cris
auxquels vous ne ferez, ni ne paroîtrez
A Madame de T***. 199
infeniîble ; mais lui parlant toujours de
fon départ comme d'une chofe arrangée,
VQUS lui montrerez du regret qu'il ait
talfle venir cet arrangement au point de
ne pouvoir plus être révoqué. Voilà ielon
moi la route par laquelle vous l'amène-
rez làns peine à une capitulation, qu'il
acceptera avec des tranfports de joie , &
dont vous réglerez tous les articles Ëms
qu'il regimbe contre aucun ; encore avec
tout Cela , ne paroîtrez-vous pas compta:
extrêmement fur la folidité de ce traité ;
vous le recevrez plutôt dans votre mai-
fon comme par e^i , que par une réu-
nion confiante ; 6c fon voyage paroîtra
plutôt différé que rompu, l'âTurant ce-
pendant que s'il tient réellement fes enga-
gemens, il fera le bonheur de votre vie,
en vous dilpenlânt de l'éloigner de vous. ■
11 me femble que voilà le moyen de
feire avec lui l'accord le plus folide qu'il
foit poiTible de faire avec un enfant j &
il aura des raifons de tenir cet accord fi
puiflantes & tellement à fe portée , que
félon toute apparence ,' il reviendra fou-
pie & docile pour long-tems.
Voilà, Madame, ce qui m'a paru le
N6
300 ; L £ T T R E, &C.
mieux à taire dans la circonftance; il y
a une continuité de régime à obferver
qu'on ne peut détailler dans une lettre, &
qui ne peut fe déterminer que par Texa*
Jnen du Ifujet ; Se d'ailleurs ce n'eft pa»
une mère auili tendre que voufr, ce neft
pas un efoiit auffi clairvoyant que le vô-
tre qu'il hiut guider dans tous ces détails.
Je vous l'ai dit , Madiune , je m'en Tuis
pénétré c^is notre unique converfàtion ;
vous n'avez befoin d,es confetls de per-
fonne dans la grande & retpeébble tâche
dont vous êtes chargée, '& que vous
rempliiTez ii bien> J'ai dû cependant m'ac-
quilter de celle que votre modeffie m'a
impofée ; je l'ai ftit par obéil&nce &
par devoir , mais bien perfuadé que pour
îâvoir ce qu'il y a de mieux à faire , it
(u&Sq'H à'oUfrvei ce quç vçus fcrcsç^
#
Q.UATRE LETTRES
A Mon SIEUR ze PitàsiDEST
DE MALESHERBES,
_ Contenant le vrai tabttau èU mon caraHert &.
les vrais motijs de toute ma condmtt.
De Montmorenci le 4 Janvier i^dz.
< ■ ■ .' ^■■'-^■'. ■■O- '; I ■ i:-,'r.,.LHJ »> ■
PREMIERE LETTRE.
J'AuROrs moins tarde, Moniieur^i
vous remercier de la dernière lettre dont
vous m'avez honoré , fi j'avois mefuré
ma diligence à répondre j fur le plaîfir
«ju'elle m'a fait. Mais , outre qu'^ m'en
ccnite beaucoup d'écrire , j'ai penfé qu'il
ËiUott domier quelques' jours aux împor-
tunités de ces tems-ci , pour ne vous pas .
accabler des miennes. Quoique je ne me
confok point de ce qui vient de fe paffer,
je fuis très - content que vous ep foyez
inAruit , puifque cela ne m'a point ôté
votre eflime ; elle en fera plus à moi quand
vous ne me croirez pas meilleur que je
ne {vus.
Les motife auxquels vous attribuez les
partis qu'on m'a vu prendre , depuis que
je porte une efpece de nom dans. le inonde,
me font peut-être plus d'honneur que je
n'en mérite ; mais ils font certainement
plus près de là vérité , que ceux que me
prêtent ces hommes de lettres , qui don-
nant tout à la réputation , jugent de mes
fentimens par les leurs. J'ai un cœur trop
fenfible à d'autres attachemens , pour l'être
û fort à l'opinion publique ; j'aime trop
mon plaifir & mon indépendance pour être
efclave de la vanité , au point qu'ils le
fuppofent. Celui pour qui la fortune &
l'efpoir de parvemr , ne balança jamais un
rendez - vous ou un fouper agréable , ne
doit pas naturellement làcrifîer fon bon-
heur au defir de faire parler de lui ; & il
n'eft point du tout croyable qu'un homme
qui fe fent quelque talent, & qui tarde
jufqu'à quarante ans à le faire connoître,
foit affez fou pour aller s'ennuyer le refte
de fes jours dans un défert , uniquement
pour acquérir la réputation d'un mifài><
thrope.
Msis, Moniteur , quoique je haïffe fou-
veraioement l'injuftice éc la méchanceté,
À M. DE Malesherbes. 305
cette paflîon h*eâ pas alTez dominante pour
me déterminer feule à fiiir la fociété des
hommes , fi j'avois en les quittant quelque
grand facrince à feire. Non, mon motif
eft moins noble , & plus près de moi. Je
iiiîs né avec im amour naturel pour la fo-
litude , qui n'a 6it qu'augmenter à mefure
que j'ai mieux connu les hommes. Jetrouve
mieux mon compte avec les êtres chimé-
riques que Je râlTemble autour de moi ,
Ou avec ceux que je vois dans le monde ;
éc la fociété dont mon imagination &it les
frais dans ma retmite , achevé de me dé-
goûter de toutes celles que j'ai quittées.
Vous me fiippofez malheureux &c conflimé
de mélancolie. Oh ! Monfieur , combien
vous vous trompez ! Ceft à Paris que je
rétoisi c'eft à Paris qu'une bile noir^ ron-
Êeoit mon cœur , & l'amertimie de cette
ile ne fé fait que trop fentir dans tous les
écrits que j'ai publiés tant que j'y fuis refté.
Mais , Monfieur , comparez ces écrits avec
ceux que j'ai faits dans ma folitude ; ou
je fuis trompé , ou vous fentirez dans ces
derniers une certaine férénité d'ame qui
ne fe joue point , & fur laquelle on peut
porter un jugement certain de l'état rnté-
5<54 LETTRÉ
rieur de l'Auteur. L'extrême ablation que
je viens d'éprouver , vous a pu Êiire por-
terun jugenœnt contraire; maisil eft fiicile
à voir que cette agitabon n'a point fbn
principe dans fta fituation aftuelle , mais
dans une imagînarîon déréglée , prête à
s'effaroucher îiir tout & i porter tout à
l'extrême. Dk foecès continus m'ont rendu
fenfible à la gloire , & il n'y a point d'hom-
me ayant quelque hauteur d'ame & quel-
que vertu , qui put penfer fans le plus
~ mortel déferpoir , quaprès fa mort on
fubflitueroit fous fon nom à un ouvrage
utile , un ouvrage pernicieux , capable de
deshonorer fa mânoire , & de Eure beau'
coup de mal. B fe peut qu'un tel boulC'
verfement ait accéléré le progrès de mes
maux i mais, dans la fuppofitioti qu'un tel
accès de folie m'eût pris â Paris , il n'elf
point iur que ma propre volonté n'eut pas
épargné le refte de 1 ouvrage â la nature.
Long-tems je me fms abufé moi-même
fur ta caufe de cet invinciWe dégoût que
j^ai toujours éprouvé dans le commerce
des hommes; je l'attribuois au chagrin de
n'avoir pas Vefprit affez préfent » poiu:
montrer dans la converfation le peu que
A M. DE Mâles HERBES. 30 j
i*eiiai y & par contre - Côlip à celui de ne '
pas ocoiper dans k monde la place que
j'y CToy OIS mériter. Maïs quand, après avoir
barbouillé du papier , j'étois bien iùr ,
même en diiant des fottilès , de n'être pas
pris pour un fot ; quand je me fuis vu
lechêrché de tout le monde , & honoré
de beaucoim plus de - conlîdération que
ma plus ridicule vanité n'en eût ofié pré-
tendre ; 6c que malgré cela , j'ai fenti ce
même dégoût plus augmenté que diminué ^
j'ai conclu qu'il venoit d'une autre caufe ,
& que ces eipeces de jouiâances n'étoient
point celk_s qu'il me élloit.
Quelle eft donc enfin eetfe caufe ? elle
n'eft autre que cet indomptable efprît de
liberté , que rien n'a pu vaincre « & de-
V. vant lequel les honneurs , la fortune f. 6c
h réputation même ne me font rien. It
eft certain qnie cet efprit de liberté me
vient moins d'orgueB que de pareffe;
mais cette parefïe eft incroyable ; tout
reâàrouche; les moindres devoirs de la
vie civile lui font infuoportaUes ; un mot
à dire, \ine- lettre à écrire, une vifite à ■
faire, dès qu^il le &Jt, fout i»ur moi
des fupplirés, Voilà pourquoi , quoique ■
3o6 Lettre
le commerce ordinaire des hommes me
ibit odieux, l'intime amitié m'eft fi chère ,
parce qu'il n'y 3 phis de devoirs pour
elle ; on fuit fon cœur , & tout eft fait.
Voilà encore pourytoi j'ai toujours tant
redouté les bienfaits. Car tout bienfait
exige reconnoifl^nce ; & je me fens le
cœur ingrat , par cela feul que la recon-
noiflànce eft un devoir. En un mot l'ef-
pece de bonheur qu'il me feut , n'eft pas
tant de faire ce que je veux, que de ne
pas feire ce que je ne veux pas. La vie
aâive n'a rieir qui me tente ; je conièn-
tirois cent fois plutôt à ne jamais rien
iàire , qu'à feire quelque chdfe malgré
moi ; & j'ai cent fois penfé , que je n'au-
Tois pas vécu trop malheureux à la Baf-
tiUe , n'y étant tenu à rien du tout qu'à
refter là.
J'ai cependant hk dans ma jeunelTe ,
quelques efforts pour parvenir. Mais ces
efforts n'ont jamais eu pour but que la
retraite , ôc le repos dans ma vieiÛeffe ;
& comme ils n'ont été que par fecouffe ,
comme ceux -d'un pareffeux , ils n'ont ja-
mais eu le moindre {ùccès. Quand les
maux font venus , ils m'ont toumi un
A M. DE MaLESHERBES. 307.
teau prétexte pour me livrer k ma pzf-
fion dominante-^rouvant que c'étoit une
folie de me tourmenter pour un âge au-
quel je ne parviendrois pas , j'ai tout
planté là, & je me fuis dépêché de jouir.
Voilà , Monfieur , je vous le jure , la vé-
ritable caufe de cette retraite , à laquelle
nos gens de Lettres ont été chercher des
motifs d'oftentation , qui fuppofent une
conAance , ou plutôt une ohAination i
tenir à ce qui me coûte, direâeniînt con-
traire à mon caraâere naturel.
Vous me direz, Monfieur, que cette
indolence fuppofée s'ac^oi^e nîal avec
les écrits que j'ai compofés depuis dix
ans , & avec ce defir de gloire qui a dû
m'excîter à les publier. Voilà une objec-
tion à réfoudre, qui m'oblige à prolon-
ger ma lettre , Se qui par conféquent me
force à la finir. Ty reviendrai, Monfieur,
il mon ton familier ne vous déplaît pas;
car dans l'épanchement de mon cœur je
n'en ûurois prendre un autre ; je me
peindrai (ans rard & fans modeftie ; je me
montrerai à vous tel que je me vois , & tel
que je fuis ; car paflànt ma vie avec moi ,
je dois me connoître , èc je vois par la
...n.CiWgk
fc
3o8 Lettre
manière dont ceux qui penfent me coniioî-
tre» interprètent mes aâions & ma condui-
te , qu'ils n'y connoiffent rien, Perfonne au
monde ne me connoît que moi lëiil. Vous
en jugerez quand j'aurai tout dit
Ne me renvoyez point mes lettfts^
Moiifieur , je vous fuppUe ; briilez-les ,
parce qu'elles ne valent pas la peine d'ê-
tre gardées , mais non pas par égard pour
moi. Ne longez pas non plus, de grâce,
à retirer celles qui font entre les mains
de Diichêne, S'il fâlloit effacer dans le
monde les traces de toutes m&s tblies, il
y auroit trop de lettres k retirer , & |e ne
remuerois pas le bout du doigt pour cela.
A charge 8c à décharge , je ne crains
point d^re vu tel que je fuis. Je con-
nois mes grands dé&uts , & je {ens vive-
ment tous mes vices. Avec tout cela je
mourrai plein d'efpoir dans le Dieu w-
prême, & très-perfuadé que de tous les
hommes que j'ai connus en ma viê , auctw
ne fut meillçur que moi.
A M. m Mai^sherbes. 309
SECONDE LETTRE.
A Montmorenci le it Janvier lytfj.
J E continue, Monfieur, & vDxis rendre
compte de moi, puilqite j'ai commencé;
car ce qui peii* m'être le pKis déftvora*
■ hïe, eft d'être comiu à demi ; & puïfqiie
mes &utes ne m'ont point ôté votre effi-
me , je ne préfume pas que ma franchife
me la doive ôter.
Une ame pareireufe qui s'effraye de
■ tout foin , un tempérament ardent , bi-
lieux , ^ile à s°afFe6ter , & fenfible â
l'excès à tout ce qui FaiFeâe , femblent
ne pouvoir s'allier dans le même carac-
- tere ; & ces deux contraires compoCent
pourtant le fond du mien. Quoique je
ne puiffe réfoudre cette oppofition par
des principes , elle eîdfte po\irtant ; je ta.
fens , rien n'eft plus certain , & j'en puis
du moins donna- par les faits , une efpeee
d'hiftorique qjû peut fervir à la concer
...n.CiWgk
3IO Lettre
voir. Pai eu plus d'aûivité dans l'enfance,'
mais jamais comme un autre enfant. Cet
ennui detout m'a de bonne heurejetté dans
la lefhire. A fix ans, Plutarque nje tomba
foiis la main; à huit, je le favois par
coeyr ; j'avoïs lu tous les romans ; ils m'a-
voient feit verfer des féaux de larmes,
avant l'âge où le cœur prend intérêt aux
romans. De-!à fe forma dans le mien ce
goût héroïque Se romanelque qui n'a &î
qu'augmenter jufqu'àpréfent , & qui ache-
va de me dégoûter de tout , hors de ce
(jui reiTembloit à mes folies. Pans ma
jeunelTe , que je croyois trouver dans le
monde les mêmes gens que j'avois connu
dans mes livres , Je me fivrois fans réfer-
ve à quiconque iavoit m'en impofer par
un certain jargon dont j'ai toujours été la
dupe. J'étois aâif parce que j'étois fou»
à mefure que j'étois détrompe , je chan-
geois de goûts , d'attachemens , de pro-
jets ; & dans tous ces changemens je p«^
dois toujours ma peine §£ mon tems,
parce que je cherchois toujours ce ^
n'étoit point. En devenant plus expen-
menté , j'ai .perdu peu-à-peu l'efpoir de
-le trouver, & par-conféquent le «le (le
A M. DE MaLESHERBES. 311
le chercher. Aigri par les injuftices que
j'avois éprouvées , par celles dont j'avois
été le témoin , Ibuvent affligé du defordre
où l'exemple & la force des chofes m'a-
voient entraîné moi-même, j'ai pris en
mépris mon fiecle & mes contemporains^
& fe;rtant que je ne trouverois point au
milieu d'eux une fituation qui pût conten-
ter mon cœur, je l'ai peu-à-peu détaché
de la fociété des hommes , & je m'en fuis
■feit ime autre dans mon imagination , la-
quelle m'a d'autant plus cl^rmé que je
la pouvois cultiver faos peine, (ans rif-
que , & la trouver toujours iùre , & telle
qu'il me la iàlloit.
Après avoir paflë quarante ans de ma
vie ainû mécontent de moi-même & des
autres, je cherchoîs inutilement à rompre
les liens qui me tenoîent attaché à cette
ibciéfé que j'elHmois fi peu , & qui m'en-
chaînoient aux ocaipations le moins de
mon goût , par des befoins que j'eftimois
ceux de la, nature, & qui n'étoient que
ceux de l'opinion : tout- à-coup un heu-
reux hafard vint m'éclairer fur ce que j'a-
vois 'à foire pour moi-même, & à pen-
jèr de ti^es femblables, fur le%uels mon
3IX
Lettre
cœur étoit Ikns ceflè en contradlâioii
avec mon dprit , & que je me fentola
encore porté à aimer avec tant de raifons
de les baïr. Je voudrois , Monfieur , vous
pouvoir peindre ce moment qui a ait
dans ma vie une fi finguliere époque , &
qui me (ea toujours préfent cpiatid je
vivTois étemeUement.
Pallois voir Diderot alors prifennier ft
Vîncennes ; j'avois dans ma poche un
mercure de France que je me mis à feuil-
leter le long du chemin. Je tombe fur la
cmeftion de l'Académie de Dijon qm a
donné lieu à mon premier écrit. Si jamais
quelque chofe a reflemblé à une infpir*-
tion fixbite , c'eft le mouvement qui fe fit
eS moi à cette leÛiire ; tout-à-coup je
me lens reTprit ébloui de mille lumières;
des foules tfidées vives s'y préfentent k
la fois avec une force, 8c une coiiftiiion
t]ui me jetta dans im trouble inexprima*
nie ; je fens ma tête prife par un étour-
diffement femblable à l'ivrefle. Une vio-
lente palpitation m'opprelTe, fouleve ma
poitrine ; ne pouvant plus reCpirer en
marchant, je me laiffe tomber fous ua
des arbre$ de l'avenue , 8c j'y p^âè une
demir
..„, Google
A M. DE MaIESHERBES. 31}
demi-heure dans une telle agitation, qu'en
me relevant j'appérçus tout le devant de
ma vefte mouiUé de mes larmes , fans
avoir fenti que j'en répandois. Oh, Mon- '
iîeur , fi i'avois jamais pu écrire le quart
de ce que j'ai vu &c fentl fous cet arbre,
avec quelle clarté j'aiurois fiùt voir tou-
tes les contradiâions du fyftême focial ;
avec quelle force j'aurtMS expofé tous les
abqs de nos inilitutions ; avec quelle
iiniplicité i'aurois démontré que l'homme
efl bon naturellement, &que c'eftpar ces
inilitutions lèules , que les hommes de-
viennent méchans. Tout ce que j'ai pu
retenir de ces foules de grandes vérités,
qui dans un quart- d'heure m'illuminèrent
fous cet arbre , a été bien foibtement
épars dans les trois principaux de mes
écrits , favoÎT ce premier difcours , celui
fur l'inégalité , &C le traité de l'éducation,
iefquels trois ouvrages font inféparables,
& forment enfemble un même tout. Tout
le refte a été perdu, & il n'y eut d'écrit
fur le lieu même , que la Profopopée de
Fabricius. Voilà comment lorfque j'y
penfois le moins , je devins auteiu" prêt-
<pie malgré mot. Il eft aifê de concevoir
Pièces diverfes, O
314 Lettre
coQUQent faOrak d'un premier fuccès , &
les critàques des barbouilleurs , me jette-
rent tout de bon dans la carrière. Avois-
je ^elque vrai talent pour écrire ? je ne
feis. Vns vive perfuafion m'a tou|ours
^nu lieti d'éloquence , & )'ai toujours
écnt lâchement Se mal quand je n'ai pas
été fortement perfiiadé. Ainfi c'eft peub
être un retour caché d'amour-propre,
qui m'a feit cboifir & mériter ma devi
K t Se m'a & palSonnémem attaché à la
vérité , ou à tout ce que )'aî pris pour
elle. Si je n'avois écrit que pour écri*
re , j« fuis convaincu qu'on ne m'auroit
jamais lu.
Après avoir découvert , ou eru décou*
vririians les feuiTes opinions des hommes,
la £burce de leurs nuferes &L de leur mér
chanceté > je fentis qu'il n'y avoit que ces
mêmes opinions qm m'euflent rendu mal-
heureux moi r même , &c que mes maux
& mes vices me venoient bien plus de
ma Htiiation que de moi - même. Dans le
même tems , une maladie dont j'avots dès
Tehlànce fenti les premières atteintes , s'a
tant déclarée abfolumént incui^ble , mai*
gré toutes les promeffes dfs fewx guériiT
A M. DE MaL-ESHERBES. 315
feitrs dont je n'ai pas été long-tems la dupe ,'
je jugeai que fi je vo\ilois être conféquetit»
"& lecouer une fois de deffus mes épaules
le pefant joug de l'opinion , jen'avois'pas
un mcment a perdre. Je pris bruJquement
mon parti avec sffez de courage , & je
l'ai allez bien foutenu jufi^u'ici avec ime
fermeté dont moi feul peux fentir le prix ,
•parce qu'il n'y a que moi feul qui fâche
quels obUades j'ai eus , & j'ai encore tous
,les jours à combattre pour me maintenir
iàns cefle contre le courant. Je fens pour-
tant bien que depuis dix ans j'ai un peu
dérivé , mais fi j'eftimois feulement en
avoir encore quatre i vivre , on me ver-
roit dofin«r une deuxième fecouffe , &c
remonter tout au moins à mon premier
niveau , pour n'en plus gueres redefcêndre ;
car toirtes les grandes épreuves font faî-
tes , & il eft déformais démontié pour
moi 4 par l'expérience, que Fétat où je nïe
■fiiis mis eft le feul où l'homme puiffe vivre
bon & heureux , puifqii'il eft le plus in-
dépendant de tous, 6c le feul où on ne fe
trouve jamais pour fon propre avantage ,
dans la néceiîîté de nuire à autrui.
J'avoue que le nom que m'ont fait mes
O i
yi6 Lettre
écrits , a beaucoup Ëicilité Texécudon du
parti que j'ai pris. Il ^t être cm bon
Auteur , pour fe &ire impunnnent mau-
vais copine , & ne pas manquer de tra-
vail pour cela. Sans ce premier titre , on
m'eût pu trop prendre au mot (ut l'autre,
& peut-être cela ra*auroit-il mordfié ;
car je brave aifânent le ridicule , mais je
ne fuj^rterois pas û bien le mépris. Mais
û quelque réputation me donne à cet égard
un peu d'avantage , il eA bien compenfé
par tous les inconvénieBs attachés à cette
même répiitaXton , quand on n'en veut
point être elîlave , « «pi'on veut vivre
ifolé 6c indépendant Ce font ces incon-
vénieBS en partie qui m'ont chaffé de Pa-
lis , & qui me pourfuivant encore dans
mon afyle , me chalTeroient très-certaine-
ïnent plus loin , pour peu que ma lanté
vînt à fe raffermir. Un autre de mes fléaux
dans cette grande ville , étoit ces foules -
de prétendus amis qui s'étoient emparés
•de moVf & qui jugeant de mon cœur par
les leurs , vouloieni abfohiment me rendre
heureux à leur mode , &c non' pas à la
mienne. Au défefpoir de ma retraite y ils
m'y ont poursuivi pour m'en tirer. Je n'ai
A M. DE MaLESHERBES. 317
pw m'y maintenir uns tout rompre. Je né
fuis vraiment libre que depuis ce tems-)a.
Libre! non, je ne le fuis point encore;
mes derniers écrits ne font point encore
imprimés ; & vu le déplorable état de ma
riuvre machine , je o'elpere plus fiirvivre
l'impreffion du recueil de tous : mais &
contre mon attente , je puis aller jufques-
là &C prendre une fois 'congé du public ,
croyez, Monfieur, qu'alors je ferai libre,
ou que jamais homme ne raura été. O
utinam ! O jour trois fois heureux ! Non ,
il ne me fera pas donné de le voir.
Je n'ai pas to^it dit , Monfieur , & vous
aurez peut-être encore au moins vne let-
tre à emiyBr, Heureufement rien ne vous'
oblige de les lire , & peitt-être y feiiez-
vous bien embarraffé. Mais pardonnez, de
grâce ; pour recopier ces longs iàtras , il
feudroit les refeîre , Se en .vérité je n*en
ai pas le courage. J'ai furement bien du
plaifir h vous écrire , mais je n'en ai pas
moins à me repofer , 6c mon état ne me
permet pas d'écrire long-temsde fuite.
Oj
3i8 Lettre
TROISIEME LETTRE.
A Montmorenci !t z6 Janvier i^ii»
jrVpRÈsvousaToirexpoféjMonfieiir, le»
vrais motifi de ma conduite , je voudrpis
vous parler de mon état moral dans ma
retraite ; mais, je fens. qu'il eu bien tard ,
mon ame-aliénée d'elle-même eft toute à
mon corps. Le délabrement de ma pauvre
machine l'y tient de jour en jour plus atta<
chée,& juftiu'àce qu'elle s'en fépare enfin.,
tout-à-coup.. C'eA de mon bonheur que
je voudrois vous parier , & Ton parle mal
du bonheur qunnd on foulfre.
Mes maux font l'ouvrage de la nature»,
mais mon bonheur ellle mien,. Quoi qu'on,
en puiffe dire , j'ai été fage , puifque j'ai
^té heiu'eux autant que ma nature m'a per-
mis de l'être : je n'ai point été chercher ma,
félicité au loin , je l'ai cherchée auprès de
moi , & l'y ai trouvée. Spartien dit que
Simihs j courùfân de Trajan , ayant ut&
...n.CoOgk
A M. DE MALESHERBES.
319.
aucun mécontentement perfonnel quitté la
Cour &: tous fes emplois pour aller vivre
paifîblement à la campagne , fit mettre ces
mots fur fa tombe : j'ai demeuré foixante
&fei\e ant fur la une , &fcrt ai vécufeptf
Voilà ce que je puis dire , à quelque égard ,
quoique mon facrifice ait été moindre : jo
n al commencé de vivre que le 9 Avril 1756.
Je ne fauroîs vous dire , Monfieur ,
combien j'ai été touché de voir que vous
m^elHmiez le plus malheureux des hom-'
mes. Le public fans doute en jugera comme
vous , & c'eft encore ce qiù m'afflige, O
que le fort dont j'ai joui , n'ed-il contlu de
tout l'univers ! chacun voudroit s'en faire
un femblable ; la paix régneroit fiu- la terre ;
les hommes ne iongeroientplus à fe mûre,
& il n'y auroit plus de méchans quand
nul n'auroit-intérêt à l'être. Mais de quoi
jouiflbis -je enfin quand j'étoîs feul ? De
moi , de l'univers entier , de tout ce qui
efl , de tout ce qui peut être , de tout ce
qu'a de beau le monde fenfible , & d'ima-
finable le monde intelleftuel : je ralTem-
lois autour de moi tout ce qui pouvoit
flatter- mon cœur; mes defirs étoient la
mefure de mes plaifu^. Non , jamais les
O4
îio-
Lettre
S fus voluptueux n'ont connu de pareilles
âlices , & )'ai cent fois plus joui de mes
chimères qu^ils ne font des réalités.
Quand mes doideurs me font triftement
ïiiefiirer la longiieiù- des nuits , & que l'a-
gitation de la nevre m'empêche de goûter
un feul inftant de fommeil , fouvent je me
diftrais de mon état préfent en fongeant
aux divers événemens de ma vie ; & les
repentirs, les doux fouvenirs , les regrets,
l'attendriffement fe partagent le foin de me
feire oublier quelques momens mes fout
frânces. Quels tems croiriez-vous, Mon-
Ceiir , que je me rappelle le plus fouvent
& le plus volontiers dans mes rêves ? Ce
ne font point les plaiiirs de ma jeuneffe ,
ils furent trop rares , trop mêlés d'amer-
tumes , & font déjà trop loin de moi. Ce
font ceux de ma retraite , ce font mes
l-Tomenades folitaires , ce font ces jours
rapides mais délicieux que j'ai pafles tous
entiers avec moi feul , avec ma bonne &
iîmple gouvernante, avec mon chien bien
aimé , ma vieille chatte , avec les oifeaux
de la campagne & les biches de la forêt ;
avec la nature entière & fon inconcevable
Autexu-. En me levant avant le foleil pour
A M. DE MaLESHERBES. Jlt
aller voir , contempler fon lever dans mon
jardin ; quand je voyois commencer une
' b^e journée , mon premier Ibuhait étoit
que ni lettres , ni vifites n'en vinffent trou-
bler le charme. Aprèfi avoir donné la ma-
tinée à divers foins que je rempliffois touj
avec plaifir , parce que je pouvois les re-
mettre à un autre tems^ je me hâîois de
dîner pour échapper aux importims , $C
me ménager un plus long après - midi.
Avant une heure , même les jours les plus
ardens, je partois par le grand foleilavec
le fîdelle achate , preâant le pas dans la
crainte que quelqu un ne vînt s'ïmparer
de moi, avant que j'eufiê pu m'efquiver;
mais quand une fois , j'avois pu doubler
Un certain coin , avec qivel battement de
cqeur , avec quel pétiÙemem de joîe.jf
commençois à refpirer en me fentant fauve,
en mè dilant , me voilà maître de moi
pour le reile de ce jour ! J'allois alors d'uB
pas plus tranquille chercher quelque lieu
iàuvage dans La forêt , quelque lieu défert
oh rien ne montrant la main des hommes y
n'annonçât la fervitude & la domination,
qiïelqiie afyle où je puffle croire avok*
pénétré k premier , & oU mU tiers im»
O5
Coo<ik
portun ne vînt s'mteipo&r entre la nature-
& moi. Cétoit là qiï'ellefembloit déployer
à mes yeux une magnificence toujoitts-
nouvelle. L'or des genêts , 8c la pourpre-
des bruyères fi^ppoient mes- yeux d'un
luxe qui touchoit mon cœur ; la majefté'
des arbres qui me couvroient de- leur om-
bre , la délicateiïe des-arbùAes qui m'en-
vironnoient , l'étonnante variété des her-
bes &- d^ fletffs que je fbulois- lôus mes
|Heds^ tenoient mon efprit dans une alter-
native continuelle d^obfervation &c d'ad-
miration : le concours de tant d'objets in~
téreflàos qui fe dilbutoiem mon attention,
m'attirant iàns ceffe de l'un à l'autre , fà-
Vorifoit mon hiimair r&veufe & paref-
feufe, 6c me Ëùfoit fouvent redire en moi^
même ; non , Salomon dans toute-fà gloire
ne flu jamais vêtu- comme l'un d'eux.
Mon imaginaion' ne bùlToit pas long-'
■tems déferte h terre «nfi parée, h b
peuplots bientôt d'êtres félon mon cttur ,.
& chaH^t bien loin l'opinion-, les pré-
'i^igés , wutes les p^lkms-fe^ces., je tmnf-
portois dans l'es afyles de la nature , de»
nommes ^gnes- de teS' habiter. Je m'en
fiarmois une fociété channantf dont je t»
A M. DE MaLESHERBES. 3IJ
me fentois pas indigne , Je me fajft»s uit
fiecle d'or A ma fantaifie , & relnpKflant
ces beaiix fonrs de tovites les fcencs de nu
vie^ qui m'avoient laifle de doux fouve-
nirs , & de toutes celles que mon cœur
pouvoit defirer encore, je m'attendriiToîS'
|ufqu'aux larmes fur les vrais pfaifws de
ITiumamté , plaifirs fi délicieux , fî purs ,
& gm font déformais fi loin des hommes.
O fi dans ces momens quelque idée de
Paris, Je mon fiecle , & de ma petite glo-
riole d'Auteur, venoil troubler mes rcve^
ries, avec qitel dédain je la cfiaffois à
l'inftant poar me livrer iàns diftraôion ,
aux fentimens exqais dont mon ame étoit
pleine ! Cependant au miliea de tout cela ^
je l'avoue , le néant de mes chimères ve-
noit quelquefois la contrifler tout-^-coup.
Quand tous mes rêves fe- ftroient fonr-
nésen réalités, ils nem'aiirôientpas ibffi;
faurois imaginé, rêvé, defiré encore. Je
trouvois ei> moi un vide înexpliea&lè
eue rien n'auroit p» remplir ; tm certatti
*bncem«nt de cœur vers une autre forte
ie jouiflfence dont je n'avois pa^ dTdfe,
& dçnt pourtant je fentois lé Woiir- Hé
Usa > Moftl4ur> ^éhmêmeitw kn^
314 Lettre
iànce, pùifque j'en étols pénétré d*un fen-
riment très -vif & d'une trifteflè atti-
rante , que je n'aurois pas voulu ne pas
avoir.
Bientôt de la furfàce de la terre, j*éïe-
vo'is mes idées à tous les êtres de la na-
ture, au fyfiême luiiverfel des chofes, à
l'Être incompréfaenfible qui embrafle tout.
Alors l'efprit perdu dans cette immenllté,
je ne pemois pas , je ne raifomiois pas ,
. je ne philofophois pas ; je me fentois avec
une iorte de volupté accablé du poids de
cet univers , je me livrois avec ravilTe»
ment à la confuTion de ces grandes idées,
}'*aimois à me p^dre en imagination dans
'efpace , mon cœur relTerré dans les bor-
nes des êtres i^y trouvoit trop à l'étroit ,
i*étoufibis dans l'univers , j'aurois voulu
m'élancer dans l'in£ni. Je crois que fi
j'euflê dévoilé tous les m>"fteres delà na-
ture, je me ferois fenti dans une fituation
moins délicieufe, que cette étourdîilànte
extafe à laqurfle mon efprit fe livroit fans
retenue, 6c qui dans 1 agitation de mes
transports , me faifoit écrier quelquefcHS ,
à grand j^e ! ô. grand Etre ! fans potl-
voir dir«, ai pffiij«r m^ de {dus^
A M. DE MALESHERBES. 31;
Aiofi s'écouloient dans im délire conti-
nuel,les journées les plus charmantes qtlâ
jamais créature humaine ait paffées ; Sc
quand le coucher du foleil me feifoit fon-
ter à la retraite , étonné de la rapidité
u tems , je croyois n'avoir pas affez mis
à profit ma journée , je penlbîs en pou-
voir jouir davantage encore , & pour
réparer le tems perdu , je me difois ; je
reviendrai demain.
Je revenois à petit pas, la tête im peu
&tiguée , mais le cœur contentj je me
repolbis agréablement au retour , en mef
livrant àl'iinpreinon des objets, mais fan»
penTer , fans imaginer , Ikns rien faire an-
tre chofe , que fentir le calme & le bon-
heur de ma litualion. Je trouvois mon
couvert mis lur ma terraffe. Je foupois'
de grand appédt dans mon petit domefti-
que , nulle image de fervttude &C. de dé*-
pendance ne troubloit la feenveillânce qui
nous .uniJToit tous. Mon chien 4ui-mème
étoit mon ami, non mon.elclave, nous
avions toujours la m&ne volonté , mais
jamais il ne m'a c^éi ; ma gaîté durant
toute ..la foirée té;noignoit. que j'avois
yécu ic,ul, tout le jouTi j'étois bico diffé-
}i6 Lettre
rent quand j'avois ru de h . compagnie j
î'étois rarement content des autres, &:
jamais de moi. Le foir i'ét<ns grondeur
& taciturne : cette remarque eft de ma
fouvernante , & depuis ^'elle me l'a
ît« , je l'ai toujours trouvée jufte en fti'ob-
jèrvant. Enfin , après avoir fait encore
quelques tours àa.ns mon jardin, ou chanté
«uelque air fur mon épinetle , je troovcnî
dans mon lit un repos de corps Se d'ame,
cent fois plus doux, que le fommeil même.
Ce font là les jours qui ont Eût le vrai:
bonheur de ma vie » bonheur fans amer-
ftime, fans ennuis, ^uis regrets, de au-
qu«I j'aurois borné- volontiers tout cehiï
de mon exiftence. Oui , Monteur , que
de pareils jours rempliffent pour moîTé-
ternité , je D*en demande point d'autres ^
& n'imagine pas que je fois beancoupr
moins heureux dans ces ravivantes con-
templations , ipie les intelligences célei^
tes.' Mai^ un corps qui ftnd&e , ôte k
fefprit fa liberté f déformais je ne fuis
plus feuî, j'ai un hôte qui m'importime^
tX &ut m'ea délivrer pour être- à moi, âc
Feâài que j'ai ^t de ces douces jouidàn*
«es., ne iert plvs.qu'à.nie^'feii;e"atiendre
A M. DE MaLESHERBES.
3^7
• avec moins ë'efiroi, le moioent de les
goûter fans diftraûion.
Mais me v(»ci àé]^ à la fin de ma fé-
conde feuille. Il m'en âudroit pourtant
encore une; Encore une lettre donc , &
puis plus. Pardon, Monfieur, quoique
j^aime trop à parler de moi, je nîaime-
pas en parler avec tout le monde, c'eft
ce qui me feit abufer de l'occafièn quand.
' je Yaïf Se qu'elle me plaît. Voilà moa
tort & mon excufe. Je vous prie de h.
prendre en gré.
..„, Google
,»8
QUATRIEME LETTRE.
28 Jamier 1762.
» . ■ ' »
J E vous ai montré , Monfieur, dans le
lècret de mon cœur , les vrais motifs de
ma retraite & de toute ma conduite v
motifs bien moins nobles fans doute que
vous ne les avez fuppofés , mais tels pour-
tant qu'ils me rendent content de moi-
même , &m'infpirent la fierté d'ame d'un
homme qui fe lent bien ordonné , & qui
ayant eu le courage de feire ce qu'il m-
loit pbiu- l'être , croit pouvoir s'en im-
puter le mérite. Il dépendoit de moi,
non de me feire un autre .tempérament,
ni un autre caraûere , mais de tirer parti
du mien , pour me rendre bon à moi-
même , & nullement méchant aux autres.
C'efl beaucoup que cela , Monfieuï , &
peu d'hommes en peuvent dire atitant
Au^ je ne vous dégUiTerai point que ,
A M. DE MALESHERBES. 319
malgré le fentiment de mes vices , j'ai
pour moi une haute eftime.
Vos gens de Lettres ont beau crier qu'im
homme feu! eft inutile à tout le monde ,
& ne remplît pas fes devoirs dans la fo-
ciété. Teftime moi, les payfens de Mont-
morenci des membres plus utiles de la
fociété, que tous ces tas de défœuvrés
payés de la graiffe du peuple , pour aller
ûx fois la femaîne bavarder dans ime
Académie ; & je fuis plus content de poiv-
voir dans Toccafion, aire quelque plai-
ùi à mes pauvres voifîns, que d'aider à
parvenir à ces foules de petits intrigans ,
dont Paris eft plein , qui tous afpîrent k
rhonneur d'être des fripons en place , &
■.que pour le bien public , ainli que pour
le leur , on devroit tous renvoyer labou-
rer la terre dans leurs provinces. C'eft
quelque chofe que de donner aux hom-
mes l'exemple de la vie qirils devroient
tous mener. Ceft quelque chofe quand
on n'a plus ni force , m fanté pour tra-
vailler de fes bras , d'ofer de fa retraite ,
faire entendre la voix de la vérité. C'eft
quelque chofe d'avertir les hommes de la
folie des opinions qui les rendent mîTé-
330 Lettre
rables. Ceft quelau* chofe d'avoir pu
contribuer à edipecbery ou différer au
moins dans ma patrie , l'établiflèinent per-
nicieux (pie pout Êùre & cour à Voltaire
à^ nos dépens* d*AleadKn vouloit qu'os
fît parmi nous. Si yeulTe vécu dans Ge-
nève , je n'aurois pu , ni publier l*Epître
dédicatoire du difcours fur l'inégalité « ni
parler même de l'établiflernsnt de la oh
médie , du. ton que fe l'ai ^r. Je ferois
beaucoup plu» îoutUe à mes Compatrio-
tes, vivant au m^eu d'eux, que je ne
puis l'être dans l'occ^on de ma retraite;.
Qu'importe en quel lieu j'habite f fi j'agis
oii je dois agir ? D'ailleurs , les habitans
de Montmorenci font -ils moins hommes
que les Parifiens y &C quand je puis en dîP.
fuader quelqu'un d'envoyer foi* en&nt fe
corrompre à la ville, ^s-je moins de
bien que lî je pouvoîs de la ville le ren-
voyer au foyer paternel î Mon indigence
fetue ne m'empëcheroit-elte pas d'être
inutile de la manière «pe tous ces beaux
parleurs l'entendent ^ Se pui^ue je ne
mange dn pain qu'autant que j en g^gne ,
ne ftiis-je pas forcé de travailler pour ma
fubûJhnce , & de payer à la foûété tout
A M. DE MaLESHERBES. 33.»
le belbin c^iie je puis avoir d'elle ? II eft
vrai qiifi je me fiiis refufé aux occupa-
tîoqs qui ne m'étoîent pas propres ; ne
me fentant point le talent qui pciivoit
me feire mériter le bien qne vous m'a-
vez voulu feire , l'accepter eiit été le
voler à quelque homme de lettres aufli
indigent que moi , & plus capable de ce
travail-là ; en me l'offtant vous fiippo-
fiez que j'étois en état de faire un extrait^"
que jepouvois m'ocaiper de matières qui
m'~dtoient indifférentes , & cela n'étant
pas , je vous aurois trompé , je me ferois
rendu indigne de vos bontés, en me con-
duisant autrement que je n'ai ^t ; on n'ell
jamais exculable de faire mal ce qu'on feit
volontairement : je ferois maintenant mé-
content de moi > & vous auflî i & je ne
goûterois pas le plaiiîr que je prends à
vous écrire. Enfin tant que mes forces
me l'ont permis , en travaillant pour moi ,
i'ai iâit félon ma portée tout ce que j'ai
pu pour la fociété ; fi j'ai peu fait pour
^e , j'en ai eîicore moins exigé , & je
me crois fi bien quitte avec elle dans l'é-
tat o(t je fuis , que fi je pouTois défor-
mais me repofer toui-à-&it,, 6c vivre
331 Lettre
{>ourmoi feul, je le ferols fans fcmpule.
J'écarterai du moins de moi de toutes
mes forces , l'importunité du bruh pu-
blic. Quand je vivrois encore cent ans,
jen'écrirois pas une ligne pour lapreffe,
& ne croirois vraiment recommencer à
vivre, que quand je ferois tout-à-6it
oublié.
J'âyoue pourtant quil a tenu â peu,
que je ne me fois, trouvé rengagé dans le
monde , & que je n'aye abandonné ma
folitude , non pr dégoût pour elle, mais
par un goût non moins vif que j'ai feillî
lui préférer. Il feudroit, Monfieur, que
vous connuffiez l'état de délaiffcment &
d'abandon detous mes amis où je me tron-
vois , & la profonde douleur dont mon
ame en étoit affèâée , lorfque Monfieur
& Madame de Luxembourg deiîrerent de
me connoître , pour juger de Timpreffion
que firent fur mon cœur affligé leurs
avances & leurs careffes; Tétois mourant;
fans eux je ferois infeilliblement mon de
trifteffe ; ils m'ont rendu la vie , il eft bien
jufte que je l'employé à les aimer.
Tai un cœur très - aimant , mais qui
peut fe fuffire à lui-même. Taime trop
A M. DE MaLESHERBES. 333
les hommes pour avoir befoln de choix
parmi eux ; je tes aime tous , &c c'eft parce
eue je les" aime , que je hais l'injuftice ;
<?eft parce que je les aime , que je les fijis;
je fouf&e moins' de leurs maux quand je ne
les vois pas ; cet intérêt pour l'eipece
{uiG.t pour nourrir mon cœur ; je n'ai pas
befoia d'amis particuliers , mais quand
j'en ai , j'ai grand befoin de ne les pas
perdre ; car quand ils fe détachent , ils me
déchirent , en cela d'autant plus coupa-
fcles , que je ne leur demande que de Va-
mitié, & que pourvu qu'ils m'aiment, &
que je le fâche , je n'ai pas même beibin
de les voir. Mais ils ont toujours voulu
mettre à la place 'du fentiment, des foins
& des fervices que le public voyoit , 6c
dont je n'avois que foire ; quand je les
aimois , ils ont voulu paroître m'aimer.
Pour moi qui dédaigne en tout les appa-
rences, je ne m'en fuis pas contente, &
ne trouvant que cela , je me le fuis tenu
pour dit. Ils n'ont pas précifément cefTé
de m'aimer , j'ai feulement découvert
qu'ils ne m'aimoient pas.
Poiu- la première fois de ma vie, je me
trouvai donc tout-à-coup le cceur feul,$C
cela , feul aufll dans ma retraite , 6c prefque
auâî malade -que je le Aiis aujourd*huï.
Oeft dans ces circonftances qiie commença
ce nouvel attachement , qui m'a fi bien
dédommagé de tous les autres , Se dont
rien ne me dédommagera ; <ar il durent,
j'efpere , autam que ma vie , & quoiqu'il
arrive , il fera le dernier. Je ne puis vous
diifimuler , Monfienr , que j'ai une vio-
iente averiion pour les états qui dominent
les autres ; j'ai même tort de dire qae je
ne puis le diffimuler, car je n'ainuUe peine
à vous ravouer,à vous né d'un Émg illuf-
tre , fils du Chancelier de France , & pre-
mier Préfident d'une Ckmr fouveraine ;
oui , Monfieur , à vous qui m'avez feit
mille biens fans me connoître, & à qui,
malgré mon ingratitude naturelle , il ne
m'en coûte rien d'être obligé. Je tms les
Grands , je liais leur état , leur dureté ,
leurs préjugés, leur petiteffe & tous leurs
vices , & je les haïrois bien davantage fî
je les méprifois moins. Ceft avec ce' fen-
timent que j'ai été comme entraîné au châ-
teau de Montmorenci ; j'en ai vu les maî-
tres , ils m'ont aimé , & moi , Monfieur ,
je les ai aimés , fie les aimerai tant que je ■
A M. DE MaLESHERBES. 33^
vivrai de toutes les forces de mon lant i
je donnerois pour eux , je ne dis p4s ma
vie , le don feroit foible dans l'état oh je
Jùis , je ne dis pas ma réputation parmi
mes contemporains dont je ne me foucie
^eres ; mais la lèule gloire qui ait jamais
touché mon c«ur, l'honneur que j'aflends
de la pollérité , &: qu'elle me rendra parce
qu'il m'eft dû , & que la poftérité eft tou-
jours juile. Mon cœur qui ne fait point
s'attacher à demi , s'eû donné à eux fans
réferve , & je ne m'en repens pas , je m'en
repentirois même inutilement ~, car il ne
feroit plus tems de m'en dédire. Pan$ la
chaleur de TenthoufiaTme qu'ils m*ont inf-
[»iré , j'ai cent fois été fur le point de
eur demander un afyle dans leur mai-
fon pour y pafler le refte de mes jours
auprès d'eux, & ils me l'auroient accordé
avec joie , fi même , à la manière 4ont ils
s*y font pris , je ne dois pas me regwder
comme ayant été prévenu par leurs of-
ùes. Ce projet ^ certainement un de
ceux que j'ai qiédité le plus long-tems ,
& avec le plus de complaifance. Cepen-
dant il a <u fentir k h Un malgré fnoi}
<}if*il n'était pas lioq. Je ne pentois i^'à
..„, Google
336 Lettre
rattachement des perTonnes ^s ibnger
aux intermétUaires qui nous auroîent te-
nus éloignés , & il y en avoit de tant de
fortes , fur-tout dans l'incommodité atta-
chée à mes maux , qu'un tel projet n'eu
excuikble , que par le fentimeni qiu l'avoit
in(piré. D'ailleurs , la manière de vivre
qu'il auroit fallu prendre , choque trop
direflement tous mes goûts , toutes mes
habitudes , je n'y aurois pas pu réfiftcr
feulement trois mois. Enfin nous aurions
eu beau nous rapprocher d'habitation, U
diHancs reAant toujours la même entre
les états , cette intimité déliâeufe qui fait
le plus grand charme d'une étroite fociété,
eût toujours manqué à la notre ; je n'au-
rois été ni l'ami , ni le dome^ftique de
Moniîeuj' le Maréchal de Luxembourg ;
i'aurois été fon hôte ; en me fentant hors
de chez moi, j'aurois foupiré fouvent
s^rès mon ancien afyle , & il vaut cent
fois mieux être éloigné des perfonnes
qu'on aime , & defirer d'être auprès d'el-
les , que de s'expofer à &re un fouh^
oppofé. Quelques degrés plus rapprochés
euffent peut-être fait révolution dans ma
Tîe. J'ai cent fois fuppofé dans mes rêves
Monûeur
...n.CiWgk
A M. DE MALESIffiRBES. 337
Monfieur de Luxembourg poiitf Duc,
point Maréclial de France , mais bon Gen-
tilhomme de campagne , habitant quelque
vieux château , & 5. J. Kouifeau pomt Au-
teur , point Éiifeur de livres , nais ay«it
un efprit médiocre & un peu d'acquis ,
fe prefentant au Seigneur châtelain & à
la Dame, leur agréant, trouvant auprès
<l'eux le bonheur de fa vie » & contri-
buant au leur ; fi pour rendre le rêve plus
agréable , vous me permettiez de poufler
d'un coup d'épaule le château de Males-
.herfjesit denîi-lieue de-Ià , il me femble,
Monfieur , qu'en rêvant de cette manière
je n*aurois de king-teasS envie de m'é-
veiller.
Mais c'en eft Bm ; il ne me refte phis
S'a terminer le long rêve ; car les autres
it déformais tous hors de lâilbn; &
c'eft beaucoup , fi je puis me promettre
encore quelques-unes des heures déli-
cieufes que j'ai paffées au château de
Monttnorenci. Quoi qu'il en foit me voilà
lel que je me fènsalTeâié, jugez-moi fur
tout ce fetras fi j'en vaux la peine , car
je n'y (àiirois meitre plus d'ordre, & je
n'ai pas le courage de recommencer ; fi
Pièces d'iverfes. P
...„,GcM)yl.-
338
Lettre, &c.
ce tableau trop vérîdique m'ôte votre
bienveillance , j'aurai £effé d'ufiirper ce
qui ne lu'appartenoit pas ; maïs u je U
conferve, elle m'en deviendra plus chat»
coâune étant plus à moi.
LETTRE
A M. L'ABBÉ R A YNAL;
Alors AuttUT du Mercure de France.
A Paiis le 2f Juillet l7fo.
Vo
O u s le voiliez , Monfieur , je ne
rêûfte plus : il ikiit vous ouvrir un porte-
feuille qui n'étoit pas deitiné A voir le jour ,
& mil en eft très - peu digne. Les plaintes
du Public llir ce déluge de mauvais écrits
dont* on l'Inonde journellement , m'ont
ïffei appris qu'il n'a que fiiire des miens ;
& de mon coté , la réputation d'Auteur
■médiocre, à laquelle feule j'aurois pu alpi-
^er , a peu flatté mon ambition. N'ayant
pu -vaincre mon penchant pour les lettres,
j'ai prefqiie toujours écrit pour moi feul
\ * ) ; & lé Public ni mes amis n'auront
pas à iè plaindre que j'aye été pour eux
Recitator acerbus. Or , on ell toujours in-
<•) Four (upr fi ce iBagage (toit fmcEre, m
bim faire att«Dtioa que celui qui patloit aiiiG i
Itiae publique , avait alon prie de quarante vu
P X
34°
Lettre
dulgent à foi - même , & des écrits ainfi
deffinés à l'bbfcurité , l'Auteur même eût-
il du talent y manqueront toujours de ce
ièu que donne l'émulation , & de cette
correoion dont le feul defir de plaire peut
furmonter le dégoût.
Une chofe ûngulîere, c'ell qu'ayant au-
trefois publié un fexJ ouvrage (*) où
certainement il n'eft point quemon de poé-
fie , on me Éiffe aujourd'hui poëte mal^
moi ; on vient tous les jours me iàire
compliment (ut des Comédies^ d'autres
Pièces de vers que je n'ai point ùàtfs , &
que je ne iùis pas capable de &ire. C*eâ
1 identité du nom de 1 Auteur Se du mien,
qui m'attire cet honneur. Pen ferois flatté,
ians doute , ii l'on pouvoit l'être des élo-
ges qu'on dérobe à autrui ; mais louer un
liomme de cbofes qui font au-defliis de ks
forces , c'eft le feire fonger à fe foîbleffe.
Je m'étois effayé , je l'avoue , dans le
^enre lyrique , par un ouvrage loué des
amateurs , décrie des artïiles , &C que la
céunion de deux arts difficil fs » ff^t fnçUat
A M. l'Abbé Raynal, 3411
par ces d&rniers , avec autant de chaleut
que ii en effet il eût été excellent. .
Je m'étois imaginé, en vrai Suifle* que
pour réulfir , il ne &lloit que bien aire ;
mais ayant vu par l'expérience d'autrui ,
que bien &ïre eft le premier &c le plus
grand obftacle qu'on trouve à furmonter
Sans cette carrière ; & ayant éprouvé moi-
même qu'il y feut d'autres tâlens que- je
ne puis ni ne yeux avoir, je me fuis hâté
de rentrer dans l'oblcurite qui convient
également à mes talens & à mon carac-
tère , de oit vous devriez me biilèr pour
l'honneur de -vcftct jounuL.
Je fuis , &£. ,
Pî
LETTRE
AU MÊME.
Èur fulage dangereux des uflenfles de cmvrc.
Juillet IÏÎ3-
J E crois , Monfieur , qiie vous verrcr,
avec plaifir l'extrait cï-joint d'une lettre de
Stockotm , que la perfonne à qui elle eft,
adreflee me charge de vous prier d^mférer
dans le Mercure. L'objet en eft, de la dfr-
HÎere importance pour la vie des hommes;
& plus la négligence du puWic eft excef-
fîve à cet égara , pJus les citoyens éclai-
res doivent redoubler de zèle oi. d*a^vitc
pour la vaincre.
Tous les Chimiftes de l'Europe nous
avertiffent depuis long-tems des mortelles
qualités du cuivre , & des dangers aux-
quels on s'expofe en feifant uiage de ce
pernicieux métal dans les batteries de cui-
fine. M, Rouelle de l'Académie àe& Scien-
ces, eft celui qui en a démontré plus fen-
ilblement les mneftes effets , & qui s'en
eft plaint avec le plus de véhémence. M.
Thierri , doïteiu- en médecine , a réuni
dans una favante thefe qu*il foutint «n
Ï749, fous la préfidence de M. Falconoet,
A M. l'Abbé Raynal. 345
une multitude de preuves capables d'ef^
frayer tout homme raifonnable qui &it
quelque cas de la vie & de celle de îes
concitoyens. Ces Phyficiens ont fait voir
que le verd-de-gris , ou le cuivre diflbiis,
eft un poifon violent dont l'effet eft tou-
jours accompagné de fymptômes a£eux ;
que la vapeur même de ce métal eft dan-
gereufe , puifque les ouvriers qui le tra-
vaillent font fujets à diverfes maladies mor-
telles ou habituelles; que toutes les menf-
tr ues , les grailfcs , les fels , & l'eau même
d-ffolventie aiivre , & en font du verd-
dé - gris ; que l'étamage le plus exaâ ne
feit que diminuer cette diflblution ; que
Fétaim qu'on emploie dans cet étamage ,
n'eft pas lui - même exempt de danger. ,'
malgré l'ufage indifcret qu'on a fait jiif-.
qu'à préfent de ce métal , & que ce"
danger eft plus grand ou moindre , félon .
les différens étaims qu'on emploie , en
raifon de l'arfenic qui entre dans leiu- eom-
pofition , ou du plomb qui entre dans .
leur alliage ( " ) ; que même , en fuppo-
{ * ) Qp.e le plomb àilTaas Toii un pai[bn , Ist accidcai
^«ftes lue cauftnt tous I«s jouis lu vini falQflfS Mec
P4
344- ' L B T T K E
fasit à l'iétainage une précaation (uffîiânte^
c'eft uns imprudence impardonnable àe
Étire dépendre Is vie & la fanté des faonir
mes d'une laaie d'étaim très •- déliée , qui
s'ufe très- promptBBttent (^ f ) & de l'exac-
titude des domeitiques & des cuifîniers
tfû rejettent ordinairement les vaîâèaux
i^cemment étamés ^ à cauTe du mauvais
foût que donnent les- matières employées
ré&unftee r ils ont lait voir combien d*ac-
cidens ameux produits par le cuivre , ient
attribués tous, les jours- a des cauies toutes
différentes ; ils. ont prouvé qu'une multi-
tude de gens, périment ^⣠Qu*un plus grand
nombre encore font attatmes de mille diff&^
de Ik Ikha^i, ne U promcot v>e tcop> Aiafl , poat mk
plDT«' c* oi^td Bvcs Itamé , il «ft isisactHt à» Hta «oar
n«ltrc I» diSblvaiu qvi rutaqucM,
( t ) D efi lia dt démontrer qu 0» qodqBe maïàa*
^u'on t'y picnue, on ne IJHuoit, dani lu ufagn des niC
lèauK decttiGnc, l'afliiiei piutua fiul jonr rétam>(e la
plus falide ; car ■ Mmou rduiin entre en fuGon i un 4e,
gi£ de f(u fotl inférieur t celui de la grutTe bDuillutt ^
toutes In fois qu'uu nôfinier fuit roufBr du beuuc , it
«le lui ed pu poUlble de gariulir de la fudog quelque-
partie de l'iUDuge , ni f ai uoQfiuent le »caût dn çoataâ
A M. L'ÀBBé Raynal, 345
rentes tn^dies , par l'ufàge de ce métal
dans nos cuiûnes & dans nos fontaines ^
iàns Ce douter eux-mêmes de la véritable
caufe de leurs maux. Cependant, quoiqiie
la manu&Éhire d'uilenfiles de fer battu Se
étamé * qui eft établie au fâuxbourg St. An-
toine , offre des moyens feciles de fiibfti-
tiier dans les cuifines une batterie moins
(Hfeen^eule , aulli commode que celle de
cuivre , 6c parlement aine , au moins
quant au métal principal , l'indolence or-
dinaire aux hommes fur les chofes qui
leur font véritablement utiles , & les petites
maximes que la pare0e invente fur les ulâ»
ges établis ^ fur^tout quand ils font mau-
vais , n'ont encore laiffé que peu de pro-
grès aux fages - avis des Chimifles , fie
û'ont profin-it le cuivre que de peu de
cuifmes. La répugnance des cuiuniers à
employer d'autres vaiffeaux que ceux qu'ils
connoiffent , eft un obftacle'dont on ne
fent toute la force que quand on connoît
la pareflè ÔC la gourmandife des maîtres.
Chacun fait que la fociété abonde en gens
«jui préfèrent l'indolence au repos , &c le
plaiiîr au bonheur ; mais c^n a bien de la
peine à conc«voir qu'il y en ait qui aimçnt
P 5.
346 Lettre
mieux s'expbier à périr, «ix &.touteleur
Emilie , dans des. tonnnens a£-eux » <^'à
mangée un ragoût brûlé.
'' Ilfdutraifonneravïcles&ges, & jamais
avec le puhiic. Il y a long-tems qu'on s
comparé la multitude à un troupeau ie
moutons ; il lui faut des exen^Ies au
■ lieu de r^ons ^ car chacun craint beau-
coup plus d'être ridicule que d'être fou
Qu méchant. D'ailleiu^ ^dans toutes les
cholêi qui concernent l'intérêt comimin ,
prelque tous jugeant d'après leurs propres
maximes , s'attachent moins à examiner la
force des preuves ^qu'àpénétrM" les motife
fecre^ de celui qui les propofe :- par exem-
ple^beaucoup d'honnêtes leâeursfoupçoO'
neroient volontiers qu'avec (fe l'araent^le
chef de la&briquede ferbattu, ou Fauteur
des fontaines domeftiques excitent mon zele
m cette occaHon ; défiance zSJei naturelle
dans vn {iecle de diarlatanerle ^ oh les plus
grands fripons ont toujours l'intérêt public
dans la bouche* L'exemple eft en ceci plus
p^rfuaûf que le nûfonnement « parce que
' la même (KÔance ayant vraifembîablemïnt
dû naître aulB dans l'efprit des autres y ou
eft porté à croire que ceux qu'elle n'a point
A M. x'Abbé .Raynal. 347
empêché d'adopter ce que l'on propofe ,
opt trouvé pour cela des raifons décifives.
J^û y au lieu de tn'arrêter à montrer com-
bien il eA abfurde , même dans le doute,
de laifler dans la cuîline des uftenfiles ftif-
peâs de poifOB , il vaut mieux dire que
M. Duverney vient d'ordonner une bat-
terie de fér pour l'école militaire , que M.
le Prince de Cond a banni tout le cuivre
de la fienne ; que M. le Duc de Duras Am-
bafladeur en Efpagne , en a fait autant ; Se
que fôn cuifinier , qu'il confulla là-deffus ,
lui dit nettement que tous ceux de Ton
métier qui ne s'accommodoient pas de la
batterie de fer , tout auffi bien que de
celle de cuivre , étoient des ignorans , ou
gens de maiivaife volonté. Plufie^rs par-
ticuliers ont fuivi cet exemple , que les
pfïfonnes éclairées , qui m'ont remis l'ex-
trait ci-)oiftt , ont donné depuis long-tems ,
&ns que leur table Ce revente le moins du
inonde de ce changement , que par la con-
fiance avec laquelle on peut manger d'ex-
cellens ragoûts , très - bien préparés dans
des vaiffeaiix de fer.
. Mais que peut-on mettre, fous les yeux
4\i .piibUç dç plus frappant que cet extrait
■ P 6 ' ^
34^ Lettre
même } S*ïl y avoit au monde uae ttaûoii
qui dût ^o^ofer à Pexpulûon du cuivre »
^eA cemûwmeiit la Suéde , dont les faines
de ce métal font la principale richefle , Se
dont les peuples en général idolâtrent leurs
anciens u&ges. <7eA pourtant ce royaume
fi riche en cuivre qui donne l'exemple aux
autres >.d*àter à ce métal tous les emplois
qui le rendent dangereux Se qui intéreâènt
la vie des citoyens ; ce (otA ces peuples^
fi attachés à leurs vi«Ues {»atiquîes y qiù
renoncent fitns peine à une miutîtude de
Commodités qu'ils retireroient de leurs
raines , dès que la raifÏHi & TautOFité des
^ges leur montrait le rilîque que Tuêig^
. iïâifcret de ce awtal leur làit courir. Je
voudrois p€Htvwr efpérer qu'im fi fiUu*
taire exem^ fera futvi dans le reAe de
l^urope , oii Ton ne doit pas avoir Isb
mime répu^iance à profcrire , au moins
dans les cumnes , un métal qu'cHi tire àé
dehors, h voudrois que les avertiffemens
publics des ^ùlotbphes de cks gens de let>
1res révc^bmfit les peuples fur les dangers
de toute efpece auxqudis leur imprudence
Tes expoiè- , & r^pellaffènt plus fouvent
jh tous ks fottv«rasasr> (pw le i<»a d« I4 '
A M. l*Abbê Raynal.
549
confervation des hommes n*eft pas feiir&>
ment leur premier devoir ^ mais auiS. leiur
plus grand intérêt.
Je £iis , 6cci
LETTRE
A M. M"*. A GENEVE.
PdrU U as Sivatirt I7î4>
M-j N r&ondant avec franchife à votre
dernière lettre , en déposant mon cœur
& mon fort entre vos mains , je crois ,
Monfieur , vous donner une marque d'ef-
time & de confiance moins équivoque
que des louanges & des complimens , pro-
(ligués par la flatterie plus fouvent que par
Tamidé.
Oui, Moniieur, frappé des conformités
que je trouve ehtre m conftîtution de
gouvernement qui découle de mes prin-
cipes , & celle qui exifle réellement dans
notre République , je me liiis propofô
. de lui dédier mon Difcours fur 1 origine
& les fondemens de l'inégalité , & j'ai
iàiiî cette occafion comme un heureux
moyen d'honorer ma Patrie & fes clie&
par de juftes éloges , d'y porter , s'il fc
peut, dans le fond des cœurs , l'olive que
je ne vois encore que fur des médailles ,
& d'exciter en même tems les hommes à
A M. M***. 3ÏI
fe rendre heureux par l'exemple d*im peu-
ple qui l'eft ou qui pourroit l'être fans
Tien changer à fon infiitution. Je cherche
en cela , félon ma coutume , moins à plaire
qu'à me rendre utile ; je ne compte pas en
particulier fur le fuffiage de quiconque
ell de quelque parti ; car n'adoptant pour
moi que celui de la julHce £c de la raifon,
je ne dois gueres elpérer que tout homme
qui fuit d'autres règles , puiffe être l'ap-
probateur des miennes , & fi cette confi-
dération ne m'a point retenu , c'eft qu'en
ioute chofe le blâme de l'univers entier
me touche beaucoup moins que l'aveu de
ma confcience. Mais , dites-vous , dédier
un livre à la République , cela ne s'eJi
jamais &it. Tant mieux , Monûcur ; dans
les chofes louables , il vaut mieux donner
l'exemple que le recevoir , & je croîs n'a-
voir que de trop juftes raifons pour n'être
l'imitateiu- de perfonne ; aînfi , votre objec-
tion n'eft au fond qu'im préjugé de plus
«n.ma &veur , car depuis long-tems il ne
refte plus de mauvaife aftion à tenter , &
3uoi qu'on en pût dire , il s'agïroit moins
e favoir fi la chofe s'eft feîte ou non , que
0. elle eÛ bien ou, mal en foi , de quoi je
3Î^
Lettre
vous faiffe le juge. Quant à ce que vous
ajoutez qu'après ce qui s'eft paffé , de
' teUesnouveautéspeuvemêtreda^ereufes,
c'eft-là une grande vérité à d'autres égards ;
mais à celui-ci, je trmiye au contraire ma
iémarehe d'autant plus à ùt place après ce
qui s'eft pa0^ , que oies éloges étant pour
les Ma^ibats , Se mes exhortadons pour
tes Citoyens , û convkm que le tout s*a-
drefle -à la R^Uique , pour avoir occa-
sion de parler k fes divers membres , Se
pour ôter à ma Dédicace toute apparence
de partialité, le fiùs qu^il y a des chofes
qii*il ne faut point rappetter ; & j'e^wre
que vous me croyez anez de jugement pour
n'en i^r à cet égard, qu'avec ijne réferve
dans laquelle j'ai plus conlùlté le goût des
autres que le mien : car je oe penie ras
qu 'il foit d'une acb-oite politique , de pouflèr
cette maxime juiqu'au fcrupule. La mé-
moire d'EroÛrate nous apprend « que c'aft
wn mauvais moyen de faire oublier les cho-
fes , que d'ôter la liberté d'en parler :
mais fi vous feiies qu'on n'en parle qu'avec
douleur , vous ferez bientôt qu'on n'eo
jorlera plus. Il y a je ne fais quelle cir-
confpe(tion puûUanisie £}rt goûtée en et
A M. M-". 3JJ
fiede , & qui, voyant par-tout des încon-
véniens , ie borne par iàgefle , à ne foire
ni bien m mal ^j'aime mieux unehardie^fe
généraife qui , pour bien faire , fecoue
quelquefois le puérile joug delà tHenfëance.
Qu'un zeleindifcret m'abuie peut-être,
que prenant mes erreurs poiu- des vérités
utiles f avec les meilleures intentions du
monde je puifle faire plus dé mal que de
bien ; je n'ai rien à répondre à cela , fî ce
n'eil, qu'une femblable raifon devroit re-
tenir tout homme droit , &i laifier l'univers
à la difcrétion du méchant & de Vé~
towrài , parce que les objeâions , tirées
de la feule fbibl^e de la nature » ont force
.contre quelque homme que ce foit , 6c
qu'il n'y a peHbnneqai ne dût êtro fu^ft
à foi-même , s'il ne ts repofoit de ta ]uf-
teflè de fes lumières , fur la droiture de
fon cœur ; c'efl ce qiie je dois pouvoir
£ake &ns témérité » parce qu^ifoté parmi
les hommes , ne tenant à rien dsûis la
fociété , dépouillé de toute efpece de pré-
tention , âc ne cherchant mcm bonheur
même que dans cehti des autres, je crois»
du moins , être exempt de ces préjugés
d*étitt qui font plier le jugement des puis
JÏ4
Lettre
&ges aux maximes (|ui leur font avanta-
ceufes. Je pourrois, il eft vrai, confulter
ces gens plus habiles que moi , & je le
fèrois volontiers , fi je ne ûvois que leur
intérêt me confeillera toujours avant leur
raifon. En xm mot , pour parler ici fens
détour , je me fie encore plus à mon dé-
fintéreffement, qu'aux lumières de qui que
ce puifTe Être.
Quoi qu'en général, je feffe très-peu
de cas des étiquettes de procédés , & que
j'en aye depuis long-tems fecoué le joug
plus pelant qu'utile , je penfe avec vous
3u'il auroit convenu d'obtenir l'agrément
e la République ou du Confeil , comme
c'eft affez l'ulage en pareil cas ; Se j'éiois
fi bien de cet avis , que mon voyage fiit
fiiit en partie , dans l'intention de foUîciter
cet agrément ; mais il me fallut peu de
tems & d'obiervaùons pour recomioître
l'impoflibilité de l'obtenir ; je fentis que
demander une telle permiflion , c'étoit vou-
loir un reftis, & qu'alors ma démarche
fjui pêche tout au plus contre une certaine
menféance dont plulieiirs (e font difpenfés ,
feroit par-là devenue une défobéiiïànce con-
damnable , fi j'avois perfifté , ou l'étour-
A M. M***. 355
derie d'iui fot , fi j'euffe abandonné mon
deffein : car ayant appris que dès le mois
de Mai dernier , il s'étoit iaït à mon ïnfçu
des copies de l'ouvrage & de la Dédicace ,
dont je n'étois plus le maître de prévenir
l'abus > je vis que je ne l'étois pas non
plus de renoncer à mon projet , fans
m'expofer à le voir exécuter par d'autres.
Votre lettre m'apprend elle-même que
vous ne fentez pas moûis que moi toutes
les diiScultés qnej 'avoîsprévues ; or , vous
iâvez qu'à force de fe rendre difficile fur
les-permiirions indifférentes , on invite les
hommes à s'en paffer : c'eft ainfi que Vex-
ceflîve circonfpeÛion du feu Chancelier,
fur rimprelîion des meilleurs livres , fit
enfin qu'on ne lui préfentoit plus de ma-
nufcrits, &que les livres ne s'impnmoient
pas moins , quoique cette impreflion feite
contre les loix , ti\t réellement criminelle ,
au lieu qu'une Dédicace non communiquée,
n'eft tout au plus qu'une impolitefle ; &C
loin qu'un tel procédé foit blâmable par
fa nature , il eft au fond plus conforme à
l'honnêteté que l'ufage établi; car 11 y a je
ne fais quoi de lâche , à demander aux gens
la penmiUon de les louer, & d'indécent à :
35Ô Lettre
faccorder. Ne croyez pas , non plus ,'
qu'une telle conduite foit fans exemple : je
puis vous ùàre voir des livres dédiés à la
nation FrançoîJè , d'autres au peuple An-
glois, ÙDs qu'on ait ftit un crime aux Au-
teurs de n'avoir eu pour cela ni le confen-
tement de la nation, ni celui du Prince qui
fiu-ement leur eût été refiifé, parce que dùis
toute Monarchie, le roî veut être l'Etat
lui tout ieul , & ne {trétend pas que le
peuple foit quelque chofe.
Au refte, fi javois eu à m'ouvrir à
quelqu'un fur cette a^re , ç'auroit été à
Si. le Premier moins qu'à qui ^ue ce foit
au monde, rhonore & jaime tr<^ ce
^gne & refpeâable Magiflrat, pour avoir
voulu le compromettre en la moindre
chofe , & fexpoïèr au chagiin de déplaire
peut-être à beaucoup de gens , en âvo-
■rifint mon projet ; ou d'être forcé, peut-
être , à le blâmcT conCTe fon propre fen-
timent. Vous pouvez croire qu'ayant ré-
fléchi long-tems fur les matières de Gott-
vemement, je n'ignore pas la force de
ces petites maJfimes d'Etat qu'un làge Ma-
gMlrat eft obligé de fuivre, quoiqu'il en
leme lui-même toute la frivolité.
A M. M***. 357
Vous conviendrei (jiie je ne pouvois
obtenir l'aveu du Confeil , làns que mon
• ouvrage fût examiné; or, penfez-vofts
que j'ignore ce que c'eû que ces examens,
& combien l'amour -propre des cenfeurs
les mieux intentionnés, êc les préjugés
des plus éclmrés , leur font mettre d'opi-
niâtreté & de hauteur à la place de la
•raifon , & leur font rayer a excellentes
chofes , uniquement parce qu'elles ne font
pas dans leur manière de penfer & qu'ils
ne les ont pas méditées aufli profondément
que l'Auteur ? N'ai- je pas eu ici mille
altercations avec les miens ? Quoique gens
d'efprit & d'honneur , ils m'ont toiijoiu^
défolé par àe miférables chicanes , qui
n'avoient ni le fens commun , ni <Fautrc
eaufe qu'une vilepufillanimité, ou lava*
nité de vouloir tout fevoîr mieux qu'un
autre. Je n'ai jamais cédé , parce que je
ne cède qu'à la raifon ; le Magiftrat a été
notre juge , & il s'eft toujours trouvé
que les cenfeurs avoient tort. Quïmd je
répondis au Roi de Pologne, je devois
félon eux, lui envoyer mon mamilcrit,
& ne le publier qu'avec fon agrément:
fT^if , . préiçndoieni - ils , man^ier de
3ï8 L E T T R E
reipeâ au père de la Reine que de l'atta-
quer publiquement , fur-tout avec la fierté
qu'ils trouvoient dans ma réponfe ; & iU
ajoutoient même , que ma' fureté exigeoit
des précautions ; je n'en ai pris aucune i
i'e nai point envoyé mon manufcrit au
'rince ; je me fuis fié à l'honnêteté pu-
blique» comme je ^s encore aujourd'hui»
& l'événement a prouvé que j'avois rai-
ion. Mais à Genève il n'en iroit pas com-
me ici; la décïfion de mes cenfeurs feroit
uns appel ; je me verrois réduit à me
taire , ou à donner fous mon nom ^ le
fentiment d'autrui ; Se je ne veux faire m
l'un ni l'autre. Mon expérieHce m'a donc
■&it prendre la ferme réfolution d'être
déformais mon unique cenfeur ; je n'en
aurois jamais de plus févere , & mes prin-
cipes n'en ont pas befoin d'autres , non
plus que mes mœurs : puîfque tous ces
gens- là regardent toujours à mille chofes
étrangères dont je ne me foucie point,
j'aime mieux m'en rapporter à ce juge
intérieur & incorruptible qui ne paâe rien
de mauvais « Se ne condamne rien de
bon, & qui ne trompe jamais quand on
le confulte de bonne foi. J*ei^ere que
À M. M • * *. 3 59
vous trouverez qu'il n'a pas mal fiït fon
devoir dans l'ouvrage en queftion,<loattout
le monde fera content , & qui n'auroii pour-
tant obtenu l'approbation de perfonne.
Vous devez fentir encore , que l'irré-
gularité qu'on peut trouver dans mon
frocédé, ell toute à mon préjudice & à
avantage du Gouvernement S'il y a quel-
que choie de bon dans mon ouvrage , on
pourra s'en prévaloir ; s'il y a quelque
chofe de mauvais , on pourra le defe-
voiier ; on pourra m'approuver ou me
blâmer félon les intérêts partiailiers , ou
le jugement du piUjlic. On pourroit même
prolo-ire mon livre , fi l'Auteur & l'Etat
avoient ce malheur que le Confeil n'en
fiit pas content ; toutes chofes qu'on ne
pourroit plus Êiire , après en avoir ap-
prouvé la Dédicace. En un mot , fi j ai
oiea dit en l'honneur de ma Patrie » la
gloire en fera pour elle : (i j'ai mal dit ,
le blâme en retombera fur moi feul. Va
bon citoyen peut- il fe faire un fcnipulç
d'avoir à courir de tels rifques?
Je fupprime toutes les confidéradoijs
' perfonneÙes qui peuvent me regarder,
parce qu'elles ne doivent jîunaU entrer
360 Lettre
dans l«s inoti& d'un homme de bien, qui
travaille poyr Tutilké publique. Si le dé-
' tacheotent d'un cœur qui ne tient ni à la
gloire, ni à la fortune , ni même à la vie,
peut le rendre digne d'annoncer la vérité,
fo£e me croire appelle à cette vocaiicw
fubUme: c'eft pour feire aux hommes du
bien félon mon pouvoir , que je m'^A
toens d'en recevoir d'eux , & que je chéris
*ia pauvreté & mon indépendance. ïe
ne veux point fuppctfer que de tels fen-
timens piiifîèqt jamais me jiulre auprès de
mes concitoyens ; & c'eft iàns le prévoir,
ni le craindre , que je prépare mon ame
à cette dernière épreuve , la feule à la-
5uelle je puifle être fenfible. Croyei que
je veux être jufqu'au tombeau , honnête,
vrai , & citoyen zélé ; & que s'il iàlloii
nie priver à cettt occafion , du doux fé-
four de la Patrie, je couronnerois aihfi
ïes facrifices que j'ai faits à Tamour des
lionmies & de la vérité , par celui de tous
qui cotite le plus à mon cœur. Se quî
parconféquent m'honore le plus.
Vous comprendrez arfément que cette
lettre efl: pour vous feul ; j'auroîs pu vous
«B écrire une pour être vue dans un ^le
A M, M***. 361
fort diiFérent ; mais -outre t^e ces petites
-adreffes répugnent à mon xaraûere ; elles
ne répugneroient pas moins à ce que je
fonnoÎG du v.Stre ^ & je me ikurai gré
toute ma vie , d'avoir profité de cette oc-
cafion de m'ouvrit à vous uns réftrve,
& de me confier à la difcrétion d'un hom-
me de bien qui a de l'amitié pour moi.
bonjour , Monfieur , je vous embraffe de
tout mon -cœur avec attendriiTcment &
xeCpeÙ.
Fltcd^iverfisl
LETTRE
A M. V E R N E S.
A txA le s jivTil I7ÎÎ.
MT Ou ■ le coup , Moofieur , voici Heo
du retard ; aaàs outre que je oe vous ai
point caché mes déÊiuTs , vous devez {on-
ger qu'un ouvrier & un malade ne djfpo-
îent pas de leur tems comme ils ^meroïent
le mieux. D'ailleurs, Tamitié le plaît à par-
donner , & l'on n'y met gueres la {éve-
nté qu'à la place du fentiment. Ainfi je
crois pouvoir compter iùr votre indul-
gence.
Vous voilà donc , Meflîeurs , devenus
Auteurs périodiques. Je vous avoue que
ce projet ne me rit pas autant qu'à vous :
j'ai du regret de voir des hommes tàîts
pour élever des momimens, fe contenter
de porter des matériaux , & d'arehiteâes
ie fiiire manœuvres. Qu'eft-ce qu'im Uvre
périodique ? Un ouvrage éphémère , fans
mérite & fiins utihté , dont la leftiue négU-
gée & méprifée par des gens de Lettres ,
ne fert qu'à donner aux femmes fie aux fois
A M. V E a N E s. 563
de la vanité hns initruâton , &c dont ]e
fort , après avoir brillé le matin fiir la
toilette , eft de mourir le foir dans la gar-
derobe. D'ailleurs , poiivez-vous vous r«-
ibudre A prendre des pièces dans les jour-
naux Se juiques dans le M/trcure , & à com-
piler des compilations? S'il n'eft pas ànpoffi-
hle qu'il s'y trouvetiuelquelxxi morceau ,
il eft irapoffible que poiu: le déterrw ,
vous n'ayez le dégoût d'en lire touioucs
une multitude de dé^ftables. La phiioro-
plùe du cœur coûtera cher à falprit, s'il
■feut le remplir de tous ces fatras. Enéo ,
.quand vous auriez affez de zèle pour foii-
.tenir l'ennui de toxvtes ces leflures , qhî
vous répondra que votre choix fera fait
xronune il doit l'eire , que l'attrait de vos
vues particulières ne l'emporteia pas fou-
vent fur l'utilité publique , ou que fi vous
«e fongez qu'à cette utilité l'agrément n'en
ibuffrira point } Vous n'ignorez pas qu'un
hon choix littéraire eft le fruit du goût
le plus exquis , fie mi'avec tout l'efpnt &
xoutes les c«nnoil[l[ances ima^ables , le
goût ne peut affez fe perfeâionner dans
une petite ville, pour y acquérir cette fu-
raé néceflaire à !a fojiBation d'un recueil
5^4 Lettre
Si- le vôtre 'Cft excellent-, qui le.ieittira?
■5'il eft médiocre & par conlequent détec-
table ; aviili ridicule que le mercure Suifle ,
il mouna de fa mort naturelle après avoir
amuië pendant quelques mois Les caillettes
du pays de Vaud. ûroyez-moi , Monfieur ,
ce n'eft point cène «Ipece d'ouvrage qui
nous convient. Des ouvrages graves &
profonds peuvent nous honorer , tout le
colifichet de cette petite philofophie à la
tnode nous va fort mal. Les grands' objets
tels que la vertu & la liberté étendent &
fortifient l'efprit, les petits tels que la poô-
fie Se les beaux-arts lui donnent plus de
délicatelTe & de fubtilhé. H &ut un téle^
cope pour les uns & unmicrofcopepour
les autres, & les hommes accoutumés k
mefurer le ciel , ne fauroient diflëquèr des
«louches ; voilà poiirqtioi Genève eft le
lîays de la fageffe & de laraifon, &PariE
le uége du gout> Laiffîïns-en donc les ra^
fiemeiK à ces myopes de la littérature ,
qui paffentleur vie à regarder des cirooi
au bout de leur nez ; lâchons «tre plus
£ers du goût qui nous manque qu'eus de
•celui qu'us ont ; & tandis qu'ils kroat
•des journaux & des brochures pour la
A M. V E R N E s.
365
ruelles , tâchons de faire des livres utiles
& dignes de l'inimortalrté.
Après vous avoir tenu le langage de
l'amitié , je n'en oublierai pas les procé-
dés , & u vous perfiftez dans votre pro-
jet , je ferai de mon tmeux un morceau
tel que vous le fouhaiterez pour y f em-
plir im vide tant bien que maL
Qï
LETTRE
DE M. DE VOLTAIRE (*>
»f 'Al reçu , Morrfieur, voire' nouveau
livre coHire le genre-humain ; je vous en
remercie. Vous plairez aux liomnies à qui
vous dites leurs vérités , & vous ne les
corrigerez pas. On ne peut peindre avec
des couleurs plus fortes les horrews de la
focicté humaine , dont notre ignorance &
notre foibleffe fe promettent tant de dou-
CGius. On n'a jamais employé tant d'ef-
prit à vouloir nous rendre betes : il prend
envie de marcher à quatre pattes quand
on lit votre ouvrage. Cependant comme
it y a plus de foixante ans que j'en ai perdu
rhabitude, je fens malheureufement qu'il
m'eft impoffible de la reprendre , 8c je
JaliTe cette allure naturelle à ceux qui en
font plus dignes que vous Se moi. Je ne
ptux non plus m embarquer pour aller
DE M. DE Voltaire. 367
trouver ïss Sauvages d« Canada , premié-
rement parce que. les maladies auxquels
ks je fuis condamné me rendent un mé-
decin d'Etirope néceiï^e ; feeoodement
parcç que la guerre eft portée dans ce pays-
là , & que les exemples de nos nations ont
rendu les Sauvages preique auffi méchans
^e nous. le me bovne a être un lauvage
pailibïe dans la foUtude que j'éù choîfie au-
près de votrepatrie oîtvous devriez, être.
J'avoue avec vohï que les belles-lettres
& les fcicnces ont cauK quelquefois beau-
coup de mal.
Les ennemis du Taâe firent de £1 vie
un tiflii de malheurs ; ceux de Galilée !e
feent gémir dans les. prifoos à foixante &C
dix ans, pour avoir connu le mouvement
de la terre , & ce qu'il y a de plus hottr
teiix , c'eft qu'ils f obl^erent à fc retraÛerj
Dès que vos amis eurent commencé le
Diâionnaire Encyclopédique, ceux qui
ofoient être leiu^s rivaux , les traitèrent
de Déiftes, d'Athées , & même de Janfô-
nift?s. Si j'ofois me compter parmi ceux
dont les travaux n'ont eu qiie la porfécu-
tion pour récorapenis , je vous ferois
voir une troupe de miférables acharnés à
Q4
56S Lettre
me perdre , dajtmr que je donnai la
tragédie- d'CEdipe ; une- bibliothèque de
calomnies ridicules imprimée contre moi f
îia prêtre esjéfuite que j'avois iàuvé dur
déplier fapplice , me payant par des libel-
les di^matoires-, du Service que je lui
avois rendu ; un homme pins coupable
encore, fàifant imprimer mon propre ou-
vrage du fieele de Louis XTV , avec des
notes où I2 plus- crafîe ignorance débite
lës' calomnies les plus e&ontées ; un autre
qui vend à un Libraire luie prétendue
hiftoire univerfelle fous mon nom, & le
tibraire aflfez avide ou: affez Cm pour im-
primer ce tiffu' informe de bévues , de-
^uH^s dates , de ^ts &t de noms efiro-
piés ; & enfin des hommes aflèz lâches &
affez méchans y pour m'imputer cette rap-
ibdie. Je vous ferois voir la foâété ift-
feâée de ce genre d'hommes-, incomiu à
toute l'antiquité , mû , ne pouvant embraie
ikr uneprofeffîon honnête , foit de laquais
Ibitdé manœuvre, & faclwnt malheureu-
iement lire & écrire, fe font courtieEs de-
là httérature, volent des manufcrie, les.
défigurent & les vendent. Je potu*rois me
plaindre ^*une plailànterie , feite il y a
DE M, DE Voltaire. 369
plus de trente ans, fur le même fujet qye
Chapelain eut la bêtife de traiter férieu-
fement , court aujourd'hui le monde par
l'infidéUté & l'infâme avarice de ces mal-
heureux , qui l'ont .défigurée avec autant
de fottife que de malice , & qui , au bout
de trente ans , vendent par-tout cet «u-
vrage , lequel certainement n'eft plus le
mien , & qui eft devenu le leur. J'ajou-
terois qu'en dernier lieu , on a ofé fouil-
ler dans les archives les plus refpeÛables,
& y voler une partie des mémoires que
Yy avois mis en dépôt , lorfque j'étois
Hiflonographe de France , & qu'on a
vendu à un Libraire de Paris le fruit de
mes travaux. Je vous peindrois l'ingrati-
tude , l'impofture , & la rapine me pour-
iiiivant jufqu'aux pieds des Alpes , & jut
qu'au bord de mon tombeau.
Mais, Monfieur, avouez auffi que ces
épines attachées à la littérature & i la
réputation , ne font que des fleurs en
comparaifon des autres maux qui de tous,
tems ont inondé la terre. Avouez que ni
Cicéron , ni Lucrèce , ni Virgile , ni Ho-
race, ne fiirent les auteurs des profcrip-
tionsde Marius> deâyUa, de ce déhau-
r, .. .Google
370 LETTRE, &C.
ebé- d'Antoine, de cet imbécille Lépide,
de ce tyran fans cotirage Ofbve Cepias
finmommé fi lâchement Augdle.
Avouez que le badînagc de Marot n'a
pas produit k St. Barthelemi , & qiie la
tragédie du Cid ne caiife pas les guerres de
la Fronde. Les grands Crimes n'ont été
comn»s que pat de célèbres ignorans. Ce
qHÎ Hàt & fera tottjours de ce monde une
vallée de larmes , c'eft Tinfatiable cupidité
& l'indomptable orgueil des hommes » de-
puis Thamas Kouli-Kan qui ne fàvott pas
lire , jufqu'à «n commis de la douane qui
re fait que chiffrer. Les lettres novirriffent
l'ame , la te^fient , la confdent , & efles
fdnt même votre gloire dans le tems que
vou$«crive2«Mitreelles. Vous &tes comme
Achille qui s'emporte contre la gloire , &
comme leper^Mallel»anche dont rimagi na-
tion brillante écrivoit contre l^imagination.
MonfieurClia|^uis m'apprend que votre
facté tÛ bien mauvaife ; il fàudroit laTenir
rétablir dans Taîr natal, ionirde la liberté,
boire avec moi du lait de nos vaches , Sc
brouter nos heriies.
Je fiiis très-philofophiquemMit & avec
la plus tendra e Aime , Monfieiu- , vQtre dcc.
RÉPONSE.
V^ 'Est à moi , Monfieur , de vous remets
cieràtoiis égards. En vous offrant l'ébau-
che de mes triftes rêveries , )e n'ai point
crti vous iàîre un préfent digne de vous ,
liiais m'acquitler d'un devoir 6c vous rendre
\m hommage que nous vous devons tous
comme à notre chef.Seniîble, d'ailleurs, à
l'honneur que vous feitesàmapatrie , je par-
tage; la rcconnoiflànce de mes concitoyens ,
& j'eipcre qu'elle ne fera qu'augmenter en-
core , lorfqu'ils auront profité des inftnic-
tions que vous pouvez leur donner. Em-
belliiTei l'afyle que vous avezchoîfi : éclai-
fez un peuple oigne de vos leçons ; &c ,
vous qui favez fi bien peindre les vertus
& la liberté , apprenez-nous à les chérir
dans nos murs comme dans vos écrits. Tout
ce qui vous approche doit apprendre de
vous le chemin de la gloire.
Vous voyez que je n'afpire pas à lious
rétablir dans notre bêtife , quoique je re-
grette beaucoup , pour ma part , le peit
que j'en ai perdu. A voire égard , Mon-
iteur, ce retour feroit im miracle , fi grand
à la fois &C û mrifible, qu'il n'appartien-
Qâ
371 . RÉPONSE.
âroît qu'à Dieu de te &ire & qu'au Diable-
de le vouloir. Ne tentei donc pas de re-
tomber à quatre pattes ; perfonae au monde
n'y réuffiroit moins que vous. Vous nous.
redreflëz trop bien fur nos deux pieds pour
ceffer de vous tenir fiir les vôtres.
Je conviens de toutes les. difgraGes qui
pour&ivent les hommes célèbres dans les.
Lettres ;. je conviens même de tous les
maux attaoïés à l'humanité , & qui femblent
îndépendans de nos vaines connoiflànces*
Les hommes ont ouvert fur eiix-mÊmes=
tant de fources de milëres , que quand le
Bafârd en détourne quelqu'une , ils n'en,
fontgueres moins inondés. D'ailleurs., il y
a dans le progrès des chofes des liaifons
cachées, que le vulgaire n'apperçoit pas ,;
mais qui n'échapperont point A l'œu da
fige quai;d il y voudra réfléchir.. Ce n'êft
ni Taence,, ni Cicéron ^ ni Virgile, ni
Séneqiie, niTacite; ce ne fontnilesfavans,
ni les. poètes qui ont produit les malheurs,
de Rome & les crimes des Romains : m^
fens le poifon lent & fecret qui corrompit
peu-à-peu le plus vigoureux Gouvernement
dont niîftoire ait iàitmention, Cicéron, ni
Lucrcce , ni S^Iliifte n'eulTent point exiflâ
RÉPONSE.. 37Î
ou n'eiiffent point écrit. Le fiecle aimable
de Lélius & de Térence amenoit de loin
le fiecle brillant d'Aiignfle & d'Horace, Ôc
enfin les fiecles horribles de Séneque & de
Néron , de Domitien & de Martial. Le
goût des Lettres & des Arts naît chez un
peuple d'Un vice intérieur qu'il augmente i
& s'il eft vrai que tous les progrèshumains
font pernicieux à refpece , ceux de l'efprit
6c des connoîfiànces qui augmentent ilotre
orgueil Ôcmultiplient nos égaremens, accé-
lèrent bientôt nos malheurs. Mais il vient
lin tems oîi le mal eft tel, que les caufes
mêmes qui l'ont fiiit naître , font néceflai-
res pour l'empêcher d'augmenter ï c'eft le
' fer qu'il -faut laîffer dans la plaie , de peur
que le bleffé n'expire en Tarrachant. Quant
à moi , fi f avois firivi ma première voca-
tion , & que je n'euffe ni lu ni écrit , j'en au-
rois iàns doute été plus heureux. Cependant,
fi les Lettres étoient maintenant anéanties,
je ferois privé du feul plaifir qui me refte.
C'eft dans leur fein que je me confole de
tous mes maux : c'erf parmi ceux qui les
cultivent que je goûte les douceurs de l'a-
mitié , & que j'apprends à jouir de la vie'
Êms craindre la mort. Je leur dois le peu
374 RÉPONSE.
que je fuis i je leur dois même l'honnsur
d'être connu de vous ; mais confuîtons
l'intérêt dans nos ai&ires & la vérité dans
nos écrits. Quoiqu'il feille des Philofophes ,
des Hiftoriens , (ks Savans poiu- éclairer le
monde & conduire fes aveugles habitans;fî
le fage Memnon m'a dit vrai , je ne connois
rien de fi fou qu im peuple de (âges.
Convenez-en, Moniîeur ; s'il eft bon
âueles grands génies inftaiifent les hommes,
Éuit que le vulgaire reçoive leurs inftruc-
tions : fi chacun le mêle d'en donner , qui
les voudra recevoir ? Les boiteux , dit
Montaigne, font malpropres aux exerci-
ces du corps , & aux exercices de l'efprit
les âmes boitexifes.
Mais en ce fiecle lavant , on ne voit que
toiteux vouloir apprendre à marcher aux
autres. Le peuple reçoit les écrits des iàges
pour les juger non pour s'inftruire. Jaiua-s
on ne vit tant de dandins. Le théâtre en
foiu-mille , les cafés retentiffent de leurs
fentences ; ils les aifichent dans les jour-
naux , les quais font couverts de leurs écrits,
&c j'entends critiquer l'Orphelin (*) , parce
<*; TraE&licdcfil. de VoIUirtgu'MjaiuitdaBSCtttiiisll-
RÉPONSE. 375
qu'on l'applaudit , à tel grimaiid fi peu ca-
pable d'en voir les défiiuts , qu'à peine e»
fent-il les beautés.
Recherchons la première fource des dé-
fordrcs de la fociélé , nous trouverons que
tous les maux des hommes leur viennent
de l'erreur bien plus que de l'ignorahce , 6c
qvie ce que nous ne favons point , nous nuit
beaucoup moins que ce que nous croyons
favoir. Or, quel plus fîir moyen de courir
d'erreurs en erreurs , que la fiireur de favoir
tout î fi l'on n'eût prétendu lavoir que la "
terre ne tournoit pas , on n'eût point puni
Galilée pour avoir dit qu'elle toumoir. Sî
les feiils Philofophes en enflent réclamé le
titre , l'Encyclopédie n'eût p(5int eu de
perfécuteurs. Si cent Myrraidons n'afpi-
roientà la gloire, vous jouiriez en paix ■
de la vôtre , ou du moins vous n'auriez
que des rivaux dignes de vous.
Ne foyez donc pas fiirpris de fentir queU
ques épines ïnféparables des fleurs qui cou-
ronnent les grands talens. Les injures de
vos ennemis font les acclamations iàtiri-
ques qui fuivent le cortego des triompha-
teurs : c'eft l'empreffemcnt du piibîïc pour
tous vos écrits j qui produit les vols dont
376 RÉPONSE.
VOUS vous plaignez : mais les felfificatioHS
n'y font pas faciles , car le fèt ni le plomb
ne s'allient pas avec l'or. Permettez -moi .
de vous le cfire par l'intérêt que je prends
à votre repos & à notre inftruftion. Mé-
prifez de vaines clameurs par lefquelles on
cherche moins à vous faire du mal , qu'à
vous détoiu-ner de bien feire. Plus on vous '
critiquera , plus vous devez vous feire
admirer. Un bon livre eil une terrible ré-
ponfe A des injures imprimées ; & qui vous
oferoit attribuer des écrits que vous n'au-
rez point faits , tant que vous n'en ferez.
que d'inimitables ?
Je fuis fenfible à votre invitation ; & fi
cet hiver me laiffe en état d'aller au prin-
tems habiter ma patrie , j'y profiterai de
vos bontés. Mais j'aimerois mieux boire
de l'eau de votre fontaine que du lait de
vos vaches , & quant aux herbes de votre
verger , je crains bien de n'y en trouver
d'autres que le Lotos , qui n'eft pas la pâ-
ture des bêtes , & le Moly qui empêche
les hommes de le devenir.
Je fuis de tout mon cœur & avec teÊ-
peft, &c.
BILLET
VE M. DE rOLTÀIKE-
Me
LOnsieur Roiiffeau a dû recevoir
de moi une lettre de remerciement. Je li»
ai parlé dans celte lettre des dangers atta-
ches à la littérature. Je fuis dans le cas
d'effuyer ces dangers- : &n feit courir dans
Paris des ouvrages fous mon nom. le dois
iàîiir l'occaiion la plus favorable de les
délàvouer. On m'a confeiilé de feire im-
primer la lettre que jtei écrite à M. Rouf-
lèau , & de m'étendre un peu lût llnjui-
tice qu'on me fait , & qui neut m'etre
très-préjudiciable. Je lui eir'aemande la
permiiïïoD, Je ne pèiux mieux m'adrefler
en parlant des injuftices des hommes , qu'à,
celui qui les coniioît^ii biety
i^t
LETTRE
A M. DE VOLTAIRE\,
En ripenft au B'UUt priddent.
A Paris II M SepMtnbrc I7(f-
K * Il I 1 »
X_j N arrivant , Monfieur , île h campagne
où j'ai paffé cinq ou fix jonrs , je tionve
votre billet qiri me tire d'une grande per-
plexité : car ayant co«irmifriq«é à M. de
Gaufiêconrt , notre ami commun , vôtre-
lettre & ma répomfe /j'apprends à l'inHant
qu'il les a hû-même communiquées à d'au-
tres , & qu'elles font tombées entre les
mains de quelqu'un c^\\ travaille à me ré-
futer , & qui fe propofe , dit-on, de les
iiTTérer à la fin de fa critique. M. Bouchaud
aggrégé en droit, qui vient de m*apprendre
cela, n'a pas voulu m'en dire davantage;
dé forte que je fuis hors d'état de préve-
nir les fuites d'une indïfcrétion que , vu le
contemi de votre lettre, je n'avois eue que
pour une bonne fin. Heureufement , Mon-
fieur , je vois par votre projet que le mal
eft moins grand que je n avois craint. Eii
approuvant urie publication qui ms 6it
A M. DE Voltaire-. 37g
honneur & qui peut vous être utile , il
-me retfe une exeiife à vous feire fur ce
qu'il peut y avoir eu de ma faute dans la
promtitude avec laquelle ces lettres ont
couru , ùas votre confentenïent ni Je
Je fuis avec les fentimens du plus finceiic
de vos admirateurs , Mt^fteur , &c.
. F. S. Je fuppofe que vous avez reçu
ma répoofe du 10 de ce mois.
LETTRE
A M. DE B O I S S I ;
i<e VAtaiimU Françoife-, Auteur du Mercun
Je France.
A Fatii le 4 HoTembrc t?ilv
V^UANDJevîs, Moniïeur , paroître
dans le Mercure , fous le nom de M. de
Voltaire , la lettre que j'avois reçue de
lui , je fuppoiài que vous aviez obtemi'
pour cela ion conientement; & comme il
avait bien voulu me demander le mien
pour la feire imprimer , je n'avois qu'à
me louer de fon procédé y uns avoir à me
plaindre du vôtre. Mais que puis-je penfer
du galimathias que vous avez infère dans
le Mn^ure fuivant fous le titre de ma
réponfe ? Si vous me dites que votre copie
étoit incorreae » je demanderai qui vous
forçoit d'employer une lettr* vinblement
incorrefte , qui n'étt remarquable que par
fon abfurdité ? Vous abftenir d'inférer dans
votre ouvrage des écrits ridicules , eft im
égard ^e vous devez, finon aux Auteurs»
du moins au public
A M. DE BO J s s I. 381
Si vous avez cru , Monfieur , que je
confentirois à la publication de cette let-
tre, pourc[uoi ne pas me communiquer
votre copie pour la revoir ? Si vous ne
l'avez pas cru, pourquoi l'imprimer fous
mon nomi S'il,efl peu convenable d'im-
primer les lettres d'autruî fans l'aveu des
xiuteurs , il 1'^ beaucoup moins de les
leur atttUîuer fims être lùr ijj'ils les
.avouent, ou même qu'elles fojeitt d'eux,
& bien moins encore lorfqu'il eft à croire
qu'ils ne les ont pas écrites telles qu'on
les a. Le Libraire de M. de Voltaire qin
avoit à cet égard plus de droit que per-
ibnne , a mieux aimé s'abftenir d'impri-
mer la mience que de l'imprimer làns
mon conlènten^nt, qu'il avotf eu l'hon-
nêteté de me demander. Il me femble
qu'un homme aufli juftement eûimé que
vous ne devroit pas recevoir d*un Libraire
^es leçons de procédés. J'ai d'autant plus ,
Monfieur ,-à me plaindre du vôtre en cette
occafion, que, dans le aiême volume oU '
vous avez mis , fous mon nom , un écrit
fiM^\ mutilé , vous craignez avec raiibji
(d'imputer a M. de Voltaire des vers qui
jpe ioieiit pas de lui. ^i un tel é^d n'A-
jSx Lettre, &c.
toiï dû qu'à la confidération , je me gar-
derois d'y prétendre ; mais i! eft un aâe '
de juâice , Se vous la devez à tout le
inonde.
* Comme il eft bien plus naturel de m'at-
•ribu»- une fotie lettre qu'à vous un pro-
cédé peu régulier, & que par conieguent
je refterois charzé du tort de cette araire ,
■ fi je négligeois de m'en juftifier ; je vous
■ fupplie , de vouloir bien inférer ce défa-
veu dans le prochain Mercure , & d'a-
gréer , Monfieur , mon refpeft & mes
r^lutations.
P-K^,
■ .Google
LETTRE
A M. V E R N E S.
P4r« (( 18 M^i ir^i.
Rb
lEcevez, mon cher Concitoyen,
une lettre très-courte, maïs écrite avec
)a. tendre amitié que j'ai pour vous; c'eft
à regret que je vois prolonger le tems qui
Âoit nous rapprocher , mais je défefpere
de pouvoir ra'anacher d'ici cette année ;
quoi qu'il en foît, ou je ne ferai plus en
vie, ou voiii m'embranerez au printems
57; voilà une réfolution inâiranlable.
Vous êtes content de l'article Economie ;
je le croîs bien; mon cœur me l'a didé ,
& le vôtre l'a lu. M. I^bat m'a dit que
vous ffviez deflein de l'employer dans
votre Choix Littéraire i n'oubliez pas de
confuiter X'errata. J'avois Élit quelque
cho£é que je vous deftinws, mais ce qui
vous Surprendra fort , c'eft que cela s'eft
trouvé û gai 6c û fol, qu'il n'y a nul
moyen de l'«mployer , Se qu'il feut le
réferver pour le lire le long de l'Arve
avec fon jami. Ma copie m'occupe lelle»
. ,GrM\<;le
384 Lettre
ment à Paris , qu'il m'efl unpoHîble de
méditer ; il feat voir fi le fejour de Is
campagne ne in*infpirera rien pendant le&
beaux tours. -
n eft difficile de fe brouiCer avec quel-
qu'un que l'on ne coimoît pas , aiiu S
n'y a nulle brouillerie entre Monfiear Pa-
liflot & moi. On prétendoit cet hiver
3Li*il m'avoit joué à Nanci devant le Roi
e Pologne, & je n'en fis que rire; on
ajoutoit ■qu'il avoit -auflî joué feue Mada-
me la marquife du Châtelet , fenme con-
fidérable jar ion mérite perîbnnel & par
iâ grande naiflànce , confidécée priacîpalc-
ment en Lorraine comme étant Pune des
grandes Maiibns de ce pays-là, & à la
tour du Roi de Pologne ok elle avok
beaucoup d'amis, à commencer par le
Roi même ; il me parut que tout le monde
étoit choqué de cette imiMTidence, que
l'on appefloit impudence. Voilà « que
j'en làvois quand je reçus une lettre de
M. le -Comte de TreiTan , qui en occa-
fionna d'autres, dont je n'ai jamais parlé k
perfonne , mais dont je crois vxmis devoir
envoyer copie fous le fecret, ainfique
■de mes réponiès; car quelque indifférence
que
A M. V E R N E s. jgç
<[ue j'aye pour les jugemens du Public ,
je ne' veux pas qu'ils âbufent'mes vrais
amis. Je n'ai jamais eu fiir le cœur la
moindre chofe cohjre M. Paliffot , .mais
je doute qu'il me pardonne aifément le
fervice que je lui ai rendu.
Bonjour , mon bon &~ cher Conci-
toyen ; foyons toujours gens de bien , &
laiffons bavarder les hommes. Si nous
voulons vivre en paix , il feut que cette
paix vienne de nous-mêmes.
PUçes énfrftsi
- Ir & T T R E
DE T R E SS AN (*).
\ O u S coimoîtrea- , Monfieur , par h
lettre du Roi de Pologpe que j'Kivoie ^
Mr d'Alembert,àquel pointce.ftioGe eft
in^né de r&ttentat du fieur- Faltflbt^ U
eft tout fimpls', iUcft-bàen fSù- que vous-
auriez trop méprifé Paliffot , pour être
ému par la fottile qu'il vient de niire. Mais
le Roi de Pologne mérite d'avoir des fer-
viteurs attachés v^je 6iis<tr6p jaloux de
ùi gloire pour n'svoir pas rempli dans cette
occafion des devoirs, auflî diers à mon
coeur, ' ■" ■ - -
Je n'ai pas l'honneur d'être connu d«
vous, Monfieur, mais je fuis lié d'une
tendre amitié avec vos compatriotes. Je
regarde Genève comme la ville de l'Eu-
rope où la jeuneffe reçoit la plus excel-
lente éducation. J'ai toujours fous mes
(*) CMl«attfuiMtim(rimi«(tt'inI^udcU.Bp<iJ&Mh
de' M. DE Tbessa'n. 387
ordres beaucoup de jeunes officiers Geiw-
vois. Je n'en vois aiiciui fortir de ià &-
mille f làns prouver qu'il a des mœurs
& de la littérature. Si Tanàetuie amitié
dont plufieurs de vos amis m'honorent ,
û'I'amourque j'ai poiir les fcièncés&les
lettres que vous enrichiffez tous les jours ,
peut m être un titre auprès de vous , j'au-
m bien de Pempreflèment , Monfieur , à
me lier avec vous dans ïe premier voyage
qaeje feraîàParis ,& je vousprie de rece-
voir avec piai&* & amitié la haute çOkas
avec laquelle j*ai l'honneur d'être.
Monfietu-, votre &C.
R«,
RÉPONSE
A LA LETTRE PRÉCÉDENTE.
Jl tai< le as Dt'tmirt i7St.
J E voiis honorois , Monfieur , com^
me nous faifons tous ; il m'eft doux de
joindre ta reconnoiiïànce à l'eftime , &
je remercierois volontiers M. Paliflbt de
m'avQÎr jwocuré , iâns y fonger , des té-
inoignages de vos bontés qui me permet-
tent de vous en donner de mon refpeû. Si
cet Auteur a manqué à celui qu'il devoit,
& que doit toute la terre au Princîe qu'il
vouloit amufer , qui plus que moi doit le
trouver inexcuiabîe ? Mais ii tout l'on cri-
me eft d'avoir expofé mes ridicules , c'eft
le droit du théâtre ; je ne vois rien en
cela de répréhenfible pour l'honnête hom-
me , & j'y vois pour TAuteur le mérite
d'avoir (ii choifir un fiijet très-riche, /e
vous prie donc , Monfieur , de ne pas
écouter là-deffus le zèle que l'amitié & la
générofité infpîrcnt à M. d'Alembert , &
de ne point chagriner pour cette bagatelle ,
un homme de mérite qui ne m'a Êiit au-
cune peine , & qui porterolt avec dour
R É P O N s E, &C. 389
leur !a difgrace du Roi de Pologne & la
vôtre. . .
Mon cœur eft ému des éloges dont vous
honiôrez ceux de mes Concitoyens qui «
font fous vos ordres. Effedîvemeqt le Ge-
nevois eft naturellement bon , il a l'ame
honnête , il ne manque pas de fens , Sc il
ne lui faut que de bons exemples pour fe
tourner tout-à-feit au bien. Permettez-moi ,
Monfieur , d'exhorter ces jeunes Officiers
à profiter du vôtre , à fe rendre dignes de
vos bontés , & à perfèûionner fous vos
yeux , les qualités qu'ils vous doivent
peut-être, & que vous attribuez à leur édu-
cation. Je prendrai volontiers pour moi ,
<[uand vous viendrez à Paris , le confeîl
3ue je leur donne. Ils étudieront l'homme
e guerre , moile Philofophe : notre étu-
de commune fera l'homme de bi«n , &
vous ferez toujours notre maître.
Je fuis avec refpeft ^ &c.
Rj
LETTRE
i>s M. LE Comte
DE TRESSA N:
^ Lamilk tê 1 Jmvitr ITf A
R.
L£CEV£K,Mon£etir,Ie{»ix deÏK
. yvrta la plus pure. Vos ouvrages nous la
foDt aimer , ai nous peignant les chïoi&es
dans leur première fimplicité ; vousveiMa
de l'eniêigner dans ce moment par Tade
le plus généreux 6c le plus (Ùgne à&
yous.
Le Roi de Pologne » Monûeur , atten-
^ , édifié par votre lettre , croit ne pou-
voir vous doraier xme marque plus ecla-
lante de fbn eiHme , qu'en foi^crivant à
la grâce <^e ieul aujounl'hui vous pouvies
prononcer.
M. Paliffot ne fera point chaffé de h
focîété de Kanci , mais cette anecdote
littéraire doit être intente dans fes regîf-
tres , &: vous ne pouvez nous blâmer de
conferver dans la mémoire des hommes »
avec les excès qui peuvent les avilir , les
3âe$ de vertu qui le& honorent. Ehctrânté
DE M. DE TrESSAN.
39»
de vos ouvrages , Monfieur , & deiînuit
d'anennk dans mon ccëur les fentùMns qui
font fi naturels dans le vôtre , je n'ai fait,
que ce que j'ai dû , & (ans l'ordre du Roi
de Poto^ie, -qui n^-chftBgé^ vous feire
pafler ik lettre , je n'aurois point ofé vous
feire connoître tout mon zèle.
Vous me promettez , Morifîeur,_de me
recevoir quand j'iraià F^ris, 6;; moi je volis
promets de vous écoiftèr avec confiance ,
"& de travïifler de boniie foi à me rendte
digne d'être "votre ami.
~ Pardonnez-moi d'avoir donné phifieurs
copies de la lettre que vous m'avez feit
l'honneur de m'écrire ; malgré l'eftime trop
honorable pour ifioi que vous m'y témoi-
gnez , je fens qu'on doit m'oublier en lifant
cette lettre , & ne s'occuper que du grand
homme qui s'y montre tout entier poiu- faire
rougir le vice , & pour le triomphe de la
vertu. Pai l'honneiu- d'être avec la plus
haute eltime & l'attachement le plus ûncerç.
Monûeur , votre &c.
, .Google
L E T T R E
A M. LE Comte
DE TRES SA N.
V^Uelque danger , Monfieur , qu'il y
ait de me rendre importun ^ ^e ne puis
«l'empêcher de joindre aux remerciemens
qiie je vous dois , des remarques (ur l'enré-
giftrenient de l'affaire de M. Paliffot ; & je
prendrai d'abord là liberté de vous dire que
mon admiration même pour les vertus da
Roi de Pologne , ne me permet d'accepter
le témoignage de bonté dont Sa Majefté
m'honore en cette occafion, qu'à condi-
tion que tout foit oublié. J'ofe cure qu'il ne
lui convient pas d'accorder une grâce in-
complète , & qu'il n'y a qit'un pardon
fons rérerve qui foit digne Je a grande ame.
D'ailleurs, eu-ce feire grâce que d'éternïfer
'la punition, & les regiftres d'une Acadé-
mie ne doivent- ils pas plutôt pallier que
relever les petites fautes de fe's membres î '
Enfin , quelque peu d'eftime que je fefle
de nos contemporains , à Dieu ne plaife
A M. DE Tressa N. 393
que nous les avUiiîîons à ce point , d'inC-
crire comme un L»^e de vertu , ce qui
n'efl qu'un procédé des plus iimples , que
tout homme de Lettres n'eût pas manqué
d'avoir à ma place.
Achevez donc , Monfieur^la bonne œu-
vre que vous avez fi bien commencée , afin
, de la rendre digne de vous. Qu'il ne foit
plus queftion d'une bagatelle qui a déjà
îait plus de bruit & donné plus de cha-
grin à M. Paliffot , que l'af&ire ne le raé-
riloit. Qu'aurons-nous fait pour lui , (1 le
pardon lui coûte audî cher que la peine ?
Permettez-moi de ne point répondre aux
extrêmes louanges dont vous m'honorez ;
ce font des leçons féveres dont je ferai mon
profit ; car je n'ignore pas , fie cette lettre
en fait foi , qu'on loue avec fobriété ceux
qu'on eftime parfaitement. Mais, Moft-
fieur , il faut renvoyer ces éclairciffemens
à nos entrevues ; j'attends avec empreffe-
ment le plaifir que vous me promettez ,
,& vous verrez que de manière ou d'au-
tre , vous ne me louerez plus , lorfque
nous nous çonnoîtrons.
fQ fuis avçc refpeil, &c.
LETTRE
J} M M. LE C O HT S
DE TRESSA N.
y Ous ferez obéi, Monfîeur; il eft
bien juûe que vous joiûfliez de l'empire
que vous vous acquérez fur les efprks. Je
vous avooe , cependant, que j'aurois en-
core balancé à vous accorder toul pour
M' PalilTot , lans une lettre que j'ai reçue
de Paris en même tems que celle que vous
m'avei feit l'honneur de m'écrire. On com-
mence par m'affurer d'ime amitié à toute
épreuve , & c'eft en conséquence de ce
fentinKnt qu'on m'avertit qu'on tort d'une
compagnie nombreufe &. brilhnte , où l'on
s'eft déchaîné contre moi au iîijet de l'a^
.ÉuredeM.PaIi(rot,&que même on s'y eft
. dit l'un à l'aiilre à l'oreille » une épigramme
Élite contre moi.
Cette lettre m'a détemriné fur le champ ,
Monfîeur , à fiiivre votre exemple. Je nie
trouve aujourd'lmi dans le cas d'avoir à
pardonner suai à M> Palifllbt fàos oi^e
DE M. DE TrESSAN. 395
reflridion , trop heureux qu'il me profcure
cefte occafion de vous prouver que j'aîme
à profiter de vos leçons. J'ai répondu à
cette perfonne avec la vérité la plus fim-
ple , |e lui ù mandé ce qui s'eft palle , ce
que j'avois feit , ce que vous m'avez em-
pêché d'achever ; n'teh parlons plus , & que
M. Paliffot puiffe être afflez heureux pour
ne jetter jamais des pierres qu'à des ûiges.
Si je le fuis dans ce moment, lui &c moi
vous le devons également. Je confens de
bon coeur à ne tous plus louer i lorfque
j'aïu^i le bonheur de vous voiï- & de voos
entendre. Alors ma âçoii de vous applau-
dir fera utile , fie répondra à vos vues.
Jufqu'à ce moment , permettez - moi de
vous dire encore que mon admiration pour
vos ouvragés & pour vottï cœur , égale
-rattachement que je vous ai voué pour- le
refte de ma vie.
Tai l'honneur d'être > Molilïeut > &ç.
R 6
LETTRE
A M. L£. -Cour E
DE TRESSA N.
A ttrii II S3. JmvitT intf-
J'Apprends, Monfietir, avec une
vive fatisfeâion que vous avez entiére-
.ment terminé t'a&ire de M. Paliflbt, 6c
je vous en ' remwcie de tout mon cœur.
' Je ne vous dirai rien du petit déplaîâr
- qu'elle a pu vous oceafionner; car ceux de
cette efpece ne font gueres fenfiblas à
l'homme lâge , & d'ailleurs vous fevez
. mieux que, moi, que dans les chagrins qui
peuvent fuivre une bonne aÛion, le prix
en eflàce toujours ta peine. Après avoir
heureufement achevé celle-ci , il ne nous
refte plus rien.à defirer, à vous & à moij
que de n'en plus entendre parler.
Je Âiis avec refpe^l, Ôcc.
L E T T R E
A M. 0E S C H E Y B,
Secrétaire des Eitus dt la Baffe - Autricfui
A l'Heimit^e le lî Joillcl I7Ϋ.
Vc
Ous me demandez , Monfieur,des
louanges poxir vos Aiigiiftes Souverains,
& pour les Lettres qu'ils font fleiu-ir dans
leurs Etats. Trouvez bon que je commence
par louer en vous lui zélé fujet de l'Impé-
ratrice & un bon citoyen de la Répu-
blique des Lettres. Sans avoir l'honneur
de vous connoître , [e dois juger à la fer-
.veur qui vous anime que vous vous ac-
quittez ■ parfeitement vous-même des de-
voirs que vous impofez aux autres , &
Îie vous exercez à la fois les fonâions
homme d'Etat au gré de Leurs MajeC.
tés , & celles d'Auteur au gré du public.
A l'égard des fojns dont vous me char-
gez , je fais bien , Moniteur , que je ne
ferois pas le premier Républicam qui au-
roit encenfé le trône , ni le premier igno-
rant qui chanteroit les arts ; mais je fuis
fi peu proprè à rçpplir dignement vos
398 Lettre
intentions qiie mon infuffifance eft mon
(xcufe, & je ne fais cOmm^it les grands
noms qiie vous citez vous ont laifle fon-
ger âii mien. Je vois, (Tailleurs, au ton
Sont la flatterie ufà de tout tems avec les
Princes vulgaires, que c'eft honorer ceux
qu'on eftime que de les louer fobrement,
car on dit que les Princes loués avec te
plus d'excès font rarement ceux qui méri-
(ent le mieux de l'être. Or , il ne convient
à perfonne de le mettre fur les rangs
avec le projet de faire moins que les au-
tres y iiir-tout quand on doit craindre de
feire moins bien. Permettez-moi donc de
croire qu'il n'y a pas plus de vrai refpeft
pour l'Empereur & l Impératrice - Reine
dans les écrits des Auteurs célèbres dont
vous me parlez que dans mon filence, St
cjue ce feroit une témérité de le rompre
à leur exemple , à moins que d*3voit
kurs talens.
Vous me preflez auflî de Vous (Ere û
Leurs Majeftés Impérwles ortt bien feit de
con&crer de m^îlîques établi£emens £e
des fommes immenfes A dés leçons puUt-
ques dans leur Capitale, & après la réponfe
ÔBbnutive de taat d'illuflfes Auteurs ,
A M. DE SCHEVB. 599
VOUS exigez encore la mienne. Quant i
moi , Monfieur , je n'ai pas les lumières
nécellairespour me déiermmerauffi promp-
, tement, & je ne connois pas aÎTez les
moeurs & les talens de vos compatriotes
pour en feire une application fure à votre
-queAion. Mais voici là-deifus le précis de
mon lèntiment fur lequel vous pourrec
mieux que moi tirer la concluûoii.
Par rapport aux mœurs. Quandleshom-
mes font corrompus , il vaut mieux qu'ils
ibient fevans qu'ignorans ; quand ils font
t>ons f il eft à cramdre que les fciences ne
les corrompent.
Par rapport aux taîens. Quand on en a,
le iàvoir tes perfectionne & les fortifie ^
quand on en manque , l'étude ôte encore
la raifon , & fait un pédant & un fot d'un
homme de bon fens & de peu d'efprit.
Je pourrois ajouter à ceci quelques ré*-
Vexions. Qu'on cultive oit non les fcien-
ces , dans quelque fiecle que naiffe un grand
homme , il eft toujours un grand homme •,
car la fource de fon mérite n'eft pds dans
les livres , mais dans fa tête , & fouvent
les obÛacles qu'il trouve & qu'il furmonte
ne font que l'élever & l'agrândii encore^
4ÛO L & T T R E
On peut acheter la .fcience , & même les
làvans , mais le génie qui rend le fevoir
utile ne s'achète point ; il ne connoît ni
l'argent, ni l'ordre des Princes, il ne leur^
appartient point de le èâre naître , mais
ièulement de l'honorer , il vit 8c s'kmmor-
talife avec la liberté qui lui eA naturelle,
& votre illuftre Métalrafe lui-même , étoît
déjà la gloire de l'Italie avant d'être a*;-
cueillî par Charles VI. Tâchons donc de
ne pas confondre le vrai progrès des talens
avec la prote£lioa que les Souverains peu-
vent leur accorder. Les fciences régnent
pour ainlî dire à la Chine depuis deux
mille ans & n'y peuvent fortir de l'en-
fence , tandis qu elles font dans leur vigueur
en Angleterre où le gouvernement ne feit
rien pour elles. L'Europe eft vainement
inondée de, gens <le Lettres, les gens de
jnérite y font toujours rares; les écrits
durables le font encore plus , & la pollér
- rite croira qu'on fit bien peu de Livres
dans ce même fiecle oh l'on en fait tant.
Quant à votre Mtrie en particulier , il
fe préfente , Monfieur , une M>fervation -
bien fimple. L'Impératrice &c (es Auguûes
Ancêtres n'ont pas eu befoin de ggger
A M. m S- SCHEYB. 40t.
- des hiftoriens & des poètes pour célébrer
les grandes chofes qu'ils voiiloient faire,
mais ils ont iàit de grandes chofes & elles
-• ont été confecrées à l'immortalité comme
celles de cet ancien Peuple qui fav<jit
. agir & n'écrivoit point. Peut-être man-
quoit-il à leurs travaux le plus digne de
les couronner, parce qu'il eft le plus dif-
ficile : c'eft de foutenir à Taide des Lettres
tant de gloire acquife lâns elles.
Quoi qu'il en foit, Monfieur, affez d'au-
tres donneront aux proteûeurs des fcîen-
ces & des arts des éloges que Leurs Ma-
jeftés Impériales partageront avec la plu-
part des Rois: pour moi, ce que j'admire
en Elles & qui leur eft plus véritablement
propre , c'eft leur amour conftant pour la
vertu & pour tout ce qui eft honnête. Je
ne nie pas que votre pays n'ait été long-
tems barbare , mais je dis qu'il étoit plus
aifé d'établir les beaux-arts chez les Huns, ■
que de faire de la plus grande Cour de
l'Europe une école de bonnes mœurs.
Au refte , je dois vous dire que votre
lettre ayant été adreffée à Genève avant
de venir à Paris, elle a refté près de ûx
femaines en route, ce qui m'a privé du
401 Lettre, &c.
plaifir d'y répondre aul&-tôt que je Tau-
rois voiuu.
Je , iiiis autant qu'un hoMêCe bonune
|»eut l'être d'un autre,
Monfiew, &c.
LETTRE
A M. y E R N E S.
Montmoicnci U tg Févrict iTft.
O^
_FUi , mon cher Concitoyen , je vous
aime toujours , & ce me femUe plus que
-jamais ; mais je fuis accablé de mes maux ;
-^ai bien de la peine à vivre dans ma re-
traite d'un travail peu lucratif j je n'ai que
2e tems ^jii'il me feut -pour gagner mon
pain , & le peu qui m'en refte eft employé
pour fouffrir & me re^;ofer. Ma maladie
a feit un tel progrès cet hiver , j'ai fenti
tant de douleurs de toute efpece , & je me
trouve tellement affoibli , que je commence
â craindre que la force & les moyens ne
me manquent pour exécuter mon projet ;
îe me confole de cette impuilTance par la
conddération de l'état oti je fuis. Que me
ferviroit d'aller mourir parmi vous ? Hé-
las , il fàlloit y vivre ! Qu'importe où l'oa
îaiffe fon cadavre ? Je n'aurois pas befoin
3u'on reportât mon cœur dans ma patrie;
n'en eft jamais forti.
Je n'ai point eu occaflon d'exécuter vo-i
tre commiflion auprès de M. d'Alembert.
Comme nous ne nous foounes jamais
beaucoup vus , nous ne nous écrivons
point ; êc 1 confiné dans ma rolitiide , je
n'ai confervé nulle efpece de relaâon avec
Paris ; j'en fuis comme à l'autre bout de
la terré, & ne fais pas plus ce qui s'y
paffe qu'à Pékin, Au refte , fi l'article dont
vous me parlez eft indifcret & répréhen-
fible , il n'eft affurément pas offenfant
Cependant, s'il peut miire à votre Corps *
peut-être fera -t- on bien d'y répondre ,
2iioi qu'à vous dire le vrai , ]'aye un peu
'averfion pour les détails où cela peut
entraîner , & qu'en général je n'aime gue-
res , qu'en matière de foi l'on afTujettiffe
la confcience à des formules. J'ai de la
religion ,' mon ami , & bien m'en prend ;
je ne crois pas qu'homme au monde en
ait autant befoin que moi. J'ai paffé ma
vie parmi les incrédules , fans me laiffer
ébranler ; les aimant , les eftîmant beau-
coup , fans pouvoir foufFrir leur doûrine.
Je leur ai toujours dit que je ne les favoïs
Eis combattre , mais que je ne voulois pas
s croire ; la philofophïe n'ayant fur ces
matières ni fond ni rive, manquant d'idées
A M. V E R N E s. 405
primitives & de principes élémentaires ,
n eft qu'une mer d'incertitudes & de dou-
tes , dont le Métapbyficien ne fe tire ja-
mais. J'ai donc laifTé là la raifon, & j'ai
confulté la nature, c'eft-i-dire, le fenti-
ment intérieur qui dirige ma croyance ,
indépendamment de ma raifon. Je leur ai
lailTe arranger leurs chances , leurs forts ,
leur mouvement néceffaire i & , tandis
«qu'ils bâtiUbient le monde à cotrps de dez ,
j y voyois , moi , cette unité d'intentions
tpxi me âilbit voir , en dépit d'eux , im
principe imique ; tout comme s'ils m'a-
voient dit que l'Iliade 4voit été formée
par un jet fortuit de caraûeres, je leur
anrois dit, très-réfolument; cela peut être ,
mais cela n'eft pas vrai; Se je n'ai point
d'autre raifon pour n'en rien croire û ce
n'eft que je n'en crois rien. Préjugé que.
cela ! difont-ils. Soit ; maïs que peut feire
cette raifon fi vague , contre un préjugé '
jdus perfuafif qu'elle ? Autre argumenta-
tion (ans Rn contre la diftinâion des deux
iiibilances ; autre perftiafion de ma part
qu'il n'y a rien de commxm entre un arbre
& ma penfée; & ce qui m'a paru plaifant
en ceci", ç'eft de les voir s'acculer eux-
4o6 L E T ■
î par leurs propres fophifines, au
point d'aimer mieux donner le fentiment
aux pierres que d'accorder une ame à
l'homme.
Mon ami, je crois en Dieu, & Dieu
ne feroit pas jufte fi mon ame n'étoit im-
mortelle. Voilà , ce rae femble , ce que la
Religion a d'effentiel & d'utile; laiffons
le relie aux difputeurs. A l'égard de l'é-
ternité des peines , elle ne s'accorde ni
avec la foibleffe do l'homme , ni avec la
juilice de Dieu. U eft vrai qu'il y a des
âmes lî noires que je ne puis concevoir
qu'elles puiflent jamais goûter cette éter-
nelle béatitude , dont if me femble que
le plus doux fentiment doit être le con-
tentement de foi - même. Cela me lait
foupçonner , qu'il fe pourroit bien que
les âmes des méchans fiiffent anéqpitiej
à. leur mort , & qu'être & fentir fiït le
premier prix d'une bonne vie. Quoiqu'il
en foit , que m'importe ce que feront les
méchans ; il me futEt qu'en approchant
du terme de ma vie, je n'y voye point,
celui de mes efpérances , & que j'en attende
une plus heureufe après avoir tant fouf*
feft dans celle-*!. Qyand je me tromp&-
A M. V E Ç N E s. 407
rojs dans cet efpoir , il eft lui-même un
biçn qui m'aura fait fupporter tous m«s
maux. J'attends paifiblement réclaircifTe-
mpnt de ces grandes vérités qui me font
cachées , bien convaincu cependant, qu'en
toyt épt de cau(e , fi la vertu ne rend pas
toujours l'homme heureux, il ne fauroit
au moins être heureux fans elle; que les
affligions du jufte ne font point fans quel-
. que dédommagement , &c que les larmes
même de l'innocence font plus douces au
cœur que la prolpérité du médiant.
Il en naturel , mon cher Vernes , qu'un
Solitaire fouffrant ■& privé de toute focié-
té , épanche fon ame dans le fein de l'a-
mitié, & je ne crains pas que mes confi-
dences vous déplaifent ; j'aurois dû com-
mencer par 'votre projet fur l'hiftoire de
Genève , mais il eu des tems de peines &c
de maux où l'on eft forcé de s'occuper
de foi , & vous favez bien que je n'ai pas
un cœur qui veuille fe déguifer. Tout ce
que je puis vous dire fur votre entreprife,
avec tous les ménagemens que vous y
voulez mettre , c'eit qu'elle eft d'un fege
intrépide ou d'un jeune homme. Embrafc
fez bien pour moi l'ami Rouftan. Adieu 9
4oS Lettre, &c.
mon cher Concitoyen ; je vous écris avec
une auffî grande effuiîon de cœur que fi
je me feparois de vous pour jamcùs ,
parce que je me trouve dans un état qui
peut me mener très-loin encore, mais qui
trié laiffe douter pourtant fi chaque lettre
que féais ne fera point la dernière.
JLETTaî
LETTRE
A UN JEUNE HOMME
Qui demandoit à s'Jiaèlir à Montmoratci i
( domicile alors de M.. Roujftàu ) povf
_ profiter defes Itçons.
«*=
Vc
Ou S ignorez, Monfieur, que vous
«Clivez à un pauvre honune accablé de
maux &c de plus fort occupé , qui n'eft
£ueres en état de vous répondre , & qui
le ièroit encore moins d'établir avec vous
la fociété que vous lui propofez. Vous
m'honorez en penânt que jepourroîs vous
«tre utile , & vous êtes louable du motif
qui vous la feit délirer ; mais fur le motif
même , je ne vois rien de moins néatf-
faire que de venir vous établir à Mont-
morenci. Vous n'avez pas belbin d'allet
chercher fi ■ loin - les principes de la rtio-
rale. Rena-ez dans votre cœur , & vous
les y trouverez ; & je ne pourrai vous rien
dire à ce fujet que ne vous dife encore
mieux votre confcience quand vous vou-
drez la confulter. La verm , Monfieur ,
n'eft. pas une fcience qui s'apprenneavêc
Pucts dmrjisx S
4IO Lettre
tant d'appareil. Pour être vertueux il fuffit
de vouloir l'être ; & fi vous avez bien
£ette volonté , tout eft feit , votre bon-
heur eft décidé. S'il m'appartenoit de vous
donner des confeîls , le premier que je
voudrois vous donner , ieroit de ne point
vous livrer à ce goût que vous dîtes avoir
pour la vie contemplative , ôc qui n'dl
qu'une pareiTe de l'ame condamnable à toiit
^ge , & fur-tout au vôtre. L'homme n'eft
rint &t pour méditer , mais pouragir:
vie laborieufe que Dieu nous impoie ,
s'a rien que de doux au cœur de l'homme
de bien qui s'y livre en vue de remplir
ifon devoir, & la vigueur de la jew«ffe
ne vous a pas été donnée pour la perdre à
d'oifives contemplations. Travaillez donc ,
Monfieur , dans l'état oîi vous ont placç
vos parens Se la providence : voilà le
premier, précepte cle la vertu que vous
.voulez fuivre j & fi le féjour de Paiis
ïoint à l'emploi que vous remplifijsz, vous
paroît d'un trop diâicile alliage avec elle ,
&ites mieux , Monfieur , retournez dans
.votre province , allez vivre dans le fein
^e. votre fomiUe, ferve? y foignez vos ver-
jxi^ux parens î c'efi-1^ que vous remplirç?
A UN JEUNE Homme.
véritablement les foins que la vertu vous
impofe. Une vie dure eft plus fecile à fup-
porter en province , que la fortime à pour-
litivre k Paris , lûr-tout , quand on ;|àit ,
comme vous ne l'ignprez pas , que les
plus indignes manèges y font plus de fri-
pons gueux que de parvenus. Vous ne
devez point vous eftimer malheureux de
vivre comme feit M, votre père , & il n'y
a point de fort que le travail , la vigi-
lance, l'innocence , âc le contentement de
foi ne rendent fupportable , quand on s'y
foumel en vue de remplir fon devoir.
Voilà , Monfieur , des confeils qui valent,
tous ceux que vous pourriez venir pren-
dre à Montmorenci : peut-être ne feront-
ils pas de votre goût , 6c je crains que
vous ne preniez pas le parti de les iltivre,
mais je ûiis ^-que vous vous en repen-:
tirez un jour. Je -vous fouhaite un fort qui
ne vous force jamais à vous en fouvenir.
h vous prie , Monfieur , d'agréer mes làlu-
tations très-humbles.
FRAGMENT
D'UNE LETTRE
A M- DIDEROT-
T Ou S vous plaignez teaiicoup éss
maux que je vous ai taits. Quels Ibnt-ils
donc , enfin, ces maux ? Seroît-ce de De ,
pas endurer affez patiemment ceux que j
vous aimez à me îms , de ne pas me '
laiffer tyranniler à votre gré , de -munnu-
rsr quand vous afieâez de me manquer ,
de parole , & de ne jamais venir lorique
vousi l'avez promis î Si jamais je vous ai
fait d'autfes maux, articulez- les. Moi,
^re du mal à mon âmi ! Tout cruel , tout
méchant, tout féroce que je fuis , je mour-
rois de douleur fi je cïoyois jamais en
avoir feit à inon cruel eniftini , autant que
vous m'en feites depuis fix femajnes.
Vous me p^lez de vos fervices i je ne
les avois point oubliés : mais ne vous y
trompez pas. Beaucoup ^e gens m'en ont
rendu qui n'étoient point mes amis. Un hon-
nête homme qui ne fent rien rendferyice
& croit être ami i il fe trompe , il n'eft
A M. D I D E R O T. 413
qu'honnête homme. Tout votre emprefle-
tnent , tout votre zèle pour me procurer
des chofes dont je n'ai que faire me tou-
chent peit. Jj& ne veux que de l'amitié , 8c
c'eft la feule chofe qu'on me reflife. Ingrat,
je ne t'ai point. rend\i de fervice, mais je
t'ai aimé , & tu ne me Myeras de ta vie
ce que j'ai fenti poiir toi autant trois mois.
.Montre cet article à ta femme plus équi-
table que toi , oc demande-lui u , quand
ma prefence étoit douce à ton cœur affligé ,
je com^tois mes pas, 8c re^dois au tems
qu'il Qilôit pour aller à Vincennes ( * )
çonfoier mon ami. Homme infenfible 5c
dur! deux larmes verfées dans' mon fein
m'euffent mieux valu que le trône du
monde ; mais tu me les rcfufes , & te con-<
tentes de m'en arracher. Hé bien ! gardé
tout le relie ; je ne veux plus rien de toi.
( * ) on M. Didetot jioit dftenn Etironnler.
sj
LETTRE
A U M ÊM E.
J.L ftut , mon cher Diderot , cpre je Tom
écrive encore une fois en ma vie; vovis ne
m'en avez que trdp difpenfé; mais le plus
grand crime de cet homme que vous n<rir-
ciflez d'une fi étrange manière , eft de ne
pouvoir fe détacher de vous.
Mon deffein n'eft point d'entrer en flt-
plication pour ce moment-ci fiir les hor-
reurs que vous m'impirtez. Je vois que
cette explication feroit à préfent inutiles
Car , quoique né bon & avec une ame
franche , vous avez pourtant un malheu-
reux pencham à méfinterpréter les difcoun
& les aûions de vos amis. Prévenu contre
moi comme vous l'êtes , vous tourneriez
en mal tout ce que je pourrois dire pour
me juftifier , 6c mes plus ingénues expli-
cations ne feroienl que fournir à votre
cfprit fubtil de nouvelles interprétations à
ma charge. Non ,. Diderot ; [e fens que
ce n'eft pas par-là qu'il feut commencer.
A M. D I D Ë RO T. 41^
Je veiix d'abord propofer à votre bon fens
des préjugés plus fimples , plus vrais ,
mieux fondés que les vôtres , & dans lef-
quels je ne penfe pas au moins que vous
puiffiez trouver de nouveaux crimes.
Je fuis un méchant homme , n'efl - ce
pas } Vous en avez les témoignages les
plus {ÛTs ; cela vous eft bien atteSé. Quand
vous avez commencé de l'apprendre , il
y avoit fme ans que j'étois pour vous xm
homme de bien , Sc quarante ans que je
rétois pour tout le monde. En pouvex-
vous dire autant de ceux qui vous ont
communiqué cette belle découverte ? Si
l'on peut porter à faux fi Icmg-tems le maf-
que d'un honnête homme , quelle preuve
avez -vous que ce mafque ne couvre pas
leur vifage auiK bien que le mien ? Eft-
ce un moyen bien prc^re à donner du
poids à leur autorite que de charger en
îecret , un homme abfent , hors d'état de
fe défendre ? Mais ce n'eA pas de cela qu'il
s'agit.
Je fuis un méchant : mais pourquoi le
fuis -je ? Prenez bien garde , mon cher
Diderot» ceci mérite votre attention. On
h'eft pas malfeiiànt pour rien. S'il y avoit
S4
4i6 Lettre
quelque tnonilre alnfi &ît , il h*attendroit
pas quarante ans à fatis&lre Tes inclina-
tions dépravées. Confidérez donc ma vie >
mes pauions , mes goûts ^ mes penchans.
Cherchez , fi je fuis méchant , quel intérêt
m'a pu porter à l'être î Moi qui y. pour
mon malheur ^ portai toujours lui cœur
trop fenfible , que gagnerors-je à rompre
avec ceux qui m'étoient chers } A quelle
place ai-ie afpiré ^ à quelles penfions , à
quels honneurs m'a-t-on vu prétendre ^
quels' cQnoirret^ ai-je à écarter, que m'en
peut-il revenir de mal faire ^ Moi qui ne
cherche que la folitiide & la paix « moi
dont le fouverain bien conûAe dans la pa-
relfc & l'oifive^é , moi dont l'indolence &
ksmaupc melailtentà peine le tems de
f)urvtHr à ma fuhfiftance , à quel propos ,
quoi bon m'irois-je plonger dans les agi-
tations du crime y &c m'embàrquer dans
rétemel jïianége des fcétérats î Quoique
vous en diiiez , on ne fuit point les hom-
mes quand on cherche à leur nuire ; le
méthant peut méditer fes coups dans la,
folitude , mais c'eft dans la focieté qu'il les
porte. Un fourbe a de l'adreffe & du fang*
irokl ; \ui perfide fe poffede & ne s'em,-
A M. Diderot.
porte point : reconnoîiTez' - vous en moi
quelque choie de tout cela ï Je fuis em-
porte dans la colère , ôc fouvent étourdi
de fang-froid. Ces défauts font-Us le mé-
.chanf? Non fans doute; mais le jnédiant
en profite pour perdre celui qui les a.
. Je voudrois que vous puiîiez auffi réflé-
chir un peu fur vous-même. Vous vous,
fiez à votre bonté naturelii! ; mais ikvez~
vous à q\iel point l'exempis & l'erreur
peuvent la corroinpre î N'avçi- vous ja»-
«nais .craint d'être pntoiiré d'adulateurs
adroits qui n'évitent de louer groffiérement
en feçe , que pour s'emparer plus adroi-
tement de vous fous l'appât d'une feinte
ûnc^rité ï .Qu*! fort poitr le meilleur des
hommes jl'êtrc égaré par fa candeiHf eiême,
& d'être; innocemment dans lu mairi: des
méchans l'inftrument de leurperfidîe ! Je
fais que ramour-proprè Te" révolte a'cette
idée , mais elle mérite i'eirameri de la raifon.
Voilà des confidérations que je vous
prie de bien pefer. Penfez y long - tems
avant que de me répondre. Si eltes ne
vovis touchent pas, nous n^avons plus rlca
à nous .dire i mais £ elleï font quelque
impre^a jlir vous> alors nous entrerons
s.
41 8 Lettre, &c.
en éclairciflement ; vous retrouverez un
ami digne de vous , & qui peut-être ne
vous aura pas été inutile, l'si pour vous
exhorter à cet examen un modi Je grand
poids , & ce motif, le voici.
Vous pouvez avoir été lediiit & trompé.
Cependant, votre ami gémit dans fa foli-
tude , oubUé de tout ce qui lui étoit cher.
Il peut y tomber dans le défefpoir ; y mou-
rir enfin , maudiffant rkigrat dont 1 adver-
■Cté lui fit tant verièr de larmes , & qui
l'accable indignement dans la fienne ; il fe
peut que tes preuves de fon innocence
vous parviennent enfin , que vous foyez
ibrcé d'honorer fa mémoire ( * ) , & que
l'image de votre ami mourant ne vous
Jaïffe pas des nuits tranquilles. Diderot ,
perjfez-y. Je ne vous en parlerai plus.
LETTRE
A U. V E R N Z S.
Montmorcnci U H Maie >7îS.
o-
., ' Ul , mon cher Vemes , j'aime à
croire que nous fommes tous deux bien
aimés l'un de l'autre & dignes de l'être.
Voilà ce qui feit plus au foiilagement de
ftiespemes que tous les trefors du monde;
ah , mon ami , mon Concitoyen , iâche
m'aimer & laiiTe-Ià tes inutiles offres ; en
me donnant ton cœur, ne m'as -tu -pas
enrichi } Que &it tout le refte aux maujc
du corps & aux ibucis de l'atne } Ce dont
j'ai &Im , c*eft d'un ami ; Je ne connois
point d'autre befoin auquel )^ ne fiiffiltt
tnoi-même. La pauvreté ne m'a jamaii
fait de mal j foit dît pour vous tnmquîK
liler là-defliis une fois pour toutes.
Nous Ibmmes d'accord fur tant de cho-
fes , que ce n'eft pas la peine de nous dis-
puter fur le refte. Je vous l'ai dit bien des
. fois ; nul homme au monde ne reipe^
jue moi l'Evfingile ^ c'sft , à mon
plus Aiblime de tevisles livxes;
S 6
plus que m
gré , le plu;
420 Lettre
quand toiis les autres m'ennuient, j e reprends
touj'Jitrs celui-là avec un nouveau plaifir,
& quaiid toutes les confolations humaines,
m'ont manqué , jamais je n'ai recouru
vainement aux fiennes. Mais enfin c'eft
un livre , un livre ignoré des trois quarts
au monde , croirai-je qu'im Scythe ou un
Africain, foient moins chers au Père com-
mun que vous &moi , & pourquoi croirai-
je qu il leur ait ôtç plutôt qu'à nous , les.
reffourçes pour .le connoître ? Non, mon
Ûigp« ami ; ce n'eft pmnt fur quelques feuil-
les é[>arfes qull làiit aller chercher la loi
de-DJeu , niais dans le cœur de l'homme ,
qU fa maia daigna l'écrire. O homme , qui
«]ue tu fois , rentre en toi-même , apprends
à ■qonfiilî^ ta; eonfcience & tes facultés
naturelles ; tw feras, jul^,,,bonyvertueux»
ta t'inclineras . devant ton, maître , & tii
p^icîperas dans foa ciel à un honheur
étemeû Je ne me fie là-deffus ni à ma rai-
£oti ni à celle d'aiitrui , mais je fens k la
paix de mon ame , &; au plailîr que je
ièns à' vivre Ôc penfer- fous, les yeux du
•grand Etre , que je. ne m'abufe point dans
tes, jugemens que je &is de lui , ni dans
l'e^oir que je fonde fur fa juftice^ Au
A M. V E R N E s. 411
Tefle , mon cher Concitoyen , j'ai voulu
verfer mon cœiir dans votre fein, & non
pas entrer en lice avec vous ; alnfi , ref-
tons-en là , s'il vous plaît ; d'autant plus,
que ces fujets ne fe peuvent traiter guère»
commodément par lettres.
J'étois un peu mieux , je retombe^ Je
compte poiuTant un peu fur le retour da
printems i mais je n'efpere plus recouvrer
des forces fufElantes pour retoianer dans,
la patrie. Sans avoir lu votre dèçUratinn ,
je la refpeâe d'avance &: me, félicite d'a-
voir le premier donné à votre relb^âa-
ble Corps , des éloges qu'il julHfîe u biea
aux yeux de toute l'Europe,
AcUeu , mon amL
LETTRE
A U M Ê M E.
af Ë ne VOUS écris pas exaÛement, mon
cher Vernes , mais je penie à vous tous les
jours. Les maux , les langueurs , les peines
augmentent fans ceffe ma pareffe ; je n'ai
Ïlus rien d'aftif que le cœur ; encore , hors
)ieu , ma patrie & le genre-humain , n'y
refte-t-il d'attachement que pour vous i «
■ j'ai connu les hommes par de fi triftes ex-
périences que fi vous me trompiez comme
les autres , j'en ferois affligé , fans doute »
mais je n'en ferois plus lurpris. Heureu-
sement je ne préfume rien de femblable
de votre part, & je fuis perfuadé que li
vous ^tes te voyage que vous me pro-
mettez , l'habitude de nous voir 6c de nous
mieux connoîtrfe afiErmira pour jamais
. cette amitié véritable que j'ai tant de pen-
chant à contraâer avec vous. S'il eft donc
vrai que votre fortune & vos affaires
vous permettent ce voyage , & que votre
cœur le defire , annoncez-le moi d'avance
afin que je me prépare au plaifir de pref-
A M. V E R N E s. 415
ffer du moins une fois en ma vie , un hon-
nête homme Se un ami contre ma poi-
trine.
Par rapport à ma croyance , j'ai examiné
Tos objeâions , 6c je vous dirai naturelie-
ment, qu'elles ne me perfiiadent pas. Je
trouve que pour un homme convaincu de
Pimmortalité de l'ame vous donnez trop
de prix aux blensÔc aux maux de cette vie.
5'ai connu les derniers mieux que vous , &C
mieux peirt-être qu'homme qui exifte ; je
h'en adore pas moins l'équité de la provi-
dence & me croirois aufli ridicule de mur-
murer de mes maux durant cette courte
vie, que de criera l'infortune, pour avoir
paffé une nuit dans un mauvais cabaret,
fout ce que vous dites fur l'impuiffance de
la confcience , fe peut rétorquer plus vive-
ment encore contre la révélation; car que
voulez-vous qu'on penfe de l'auteur d'im
remède qui ne guérit de rien î Ne diroit-
on pas que tous ceux qui connoiiTent l'E-
vangile font de fort faints perfonnages , &
qu'im Sicilien fanguinaibe & perfide vaut
beaucoup mieux qu'un Hottentof ftupide
& groffiêr î
Vouleï-vQ«s que je croye que Dieu
414 Lettre
n'a donné la loi aux hommes que poiu"
avoir une double railbn de les punir î Pre-
nez garde , mon ami ; vous voidez le jus-
tifier d'un tort chimérique , & vous aggra-
vez l'accuJàtion. Souvenez -vous -, uir-
tout , que dans cette difpute , c'eft vous
oui attaquez mon fentiment , & que je ne
fais que le défendre ; car , d'aiUeurs , je
fuis très éloigné de défapproiiyw le vôtre, ■
tant que vous ne voudrez, contraindre per-
fonne à l'embraffer.
Quoi ! cette aimable iSc- chère Parente
eft toujours dans fon lit! Que ne fuis-/e
auprès d'elle ! Nous nous confolerifMis mu-
tuellement de nos maux & j'apprendroi*
d'elle à foufFrir les miens avec conftance ;
mais je n'efpere plus faire un voyage ft
defiré ; je me fens de jour en jour moins
en état de le foutenîr. Ce n'eft pas que
la belle làifon ne m'ait rendu de la vi-
gueur & du courage; mais le mal local
n'en fait pas moins de procès ; il comr
mence même à fe rendre intérieurement
tpès-fenûble \ xuiç enflure qui. croît quand
je mar."be m'ôte prefque le plaifir de la
promenade , le feiû qui m'étoit refté , &
}e ne reprends des. forces que pour ifi\£-
A M. V E R N E s. 42 J
, frir; la volonté de Dieii foit iàhe! cela
ne m'empêchera pas , j'efpere , de vous
faire voir les environs de ma foUhide,
auxquels il ne manque que d'être autour
de Genève pour me paroître délicieux,
J'embralTe le cher RQîiltan , mon prétendu
difciple ; j*ai lu avec platlîr fbn Examen
des quatre beaux JUcUs , & je m'en tiens ,
avec plus de confiance , à mon fentiment,
en voyant que c'eft auffi le lien. La feule
chofe que je voudrois lui demander , iè-
roit de ne pas s'exercer à la vertii à mes
dépens, & de ne pas ie montrer modefte
en fiattant ma vanité. Adieu mon chef
Vernes , je trouve de jour en jour plu4
de plaifir à vous aimer.
LETTRE
DE M LE ROY.
Monsieur,
V^UoiQUE je n'aye pas l'honneur tfê-
tre conpu de vous , je me perfuade que
vous ne me faurez pas mauvais gré de
vous feire part d'une obfervation que j'ai
feite fur votre dernier ouvrage. Je l'ai lu
avec grand plaifir, &i'ai trouvé que vous
y étaBlifliez votre opinion avec beaucoup
de iFbrce. Mais je vous avouerai qu'ayant
parcouru la Grèce , & ayant fait une étude
particulière des théâtres que l'on trouve
encore dans les ruines de fes anciermes
villes , j'ai lu avec furprife dans votre
Livre p. 141 (*) le pallage qui fuit. Avtc
tout cela y jamais la Grèce , excepté Sparte ^
nt fia chic tn exemple de bonrus m(eurs; 6f
Sparte qui ne fouffroh point de théâtre n'a-
roit garde d'honorer ceux qiù s'y montreru.
Non-feulement il y avoit un théâtre à Spar-
K, abfolument femblableà celui de Bac-
chus à Athènes , m^s il étoit le plus bel
CJ lîOf^ti. Tout. L ra^ %%%.
DE M. LE Roy.
ornement de cette ville , fi célèbre par le
courage de (es habitans. Il fiibfifte même
encore en grande partie , &c Paulânîas &c
Piutarque en parlent ; c'eft d'après ce que
ces deux auteurs en difent mie j'en ai fait
l'Jùftoire que je vous envoie , dans l'ou-
Vrage que je viens de mettre 'au jour.
Comme cette erreur , qui vous eft échap-
pée, pourroitêtre remarquée par d'autres
que par moi, j'ai cru que vous ne feriez
pas Hché que je vous en avertiffe , & je
me flatte, Monfieur , que vous voudrez "
bien recevoir cet avis comme une marque
de Teilime & de la parfaite con£dératioR .
avec laquelle j'ai l'homieur d'être, &c.
RE P ONS E
ALALETTRE V
DE M. LE RO V.
A Mantnurtnci 1« 4 tfoTentbii itts.
X
E vous remercie , Monfieur , de la
bonté que vous avez de m'avertir de ma
bévue au fujet du théâtre de Sparte , &
de l'honnêteté avec laquelle vous voulez
bien me donner cet avis. Je fuis fi fenfd)le
à ce procédé que je vous demande la
periaiffion de faire uûge de votre lettre
dans une autre édition de la mienne. Il
^en feut peu que je ne me félicite d'une
erreur qui m'attire de votre part cette
marque d'eftîme , & je me fens moins
honteux de ma faute , que fier de votre
correÛion.
Voilà , Monfieur , ce que c'eft que de
fe fier aux Auteurs céleores. Ce n'eft
gueres impunément que je les confuïte , &
de manière ou d'autre , Ûs manquent rare-
ment de me punir de ma confiance. Le
favant Cragius , fi verf^ dans l'antiqitîté ,
avoit dit la chofe avant moi , & Plutarque
lui-même aiErme que les Lacédémoniens
A M. LE Roy. 429
.j.» :: — : — ,■
ii'alloientpoînt àla comédie , de peur d'en-
tendre des chofes contre les loix , foït
férieufement , (oit par jeu. Il eft vrai que
le même Phitarque dit ailleurs le contraire ,
& il lui arrive fi fouvent de fe contre-
dire , qu'on ne devroil jamais rien avan-
cer d'après lui , fans l'avoir lu tout entier.
Quoi qu'il en ibit, je ne puis ni ne veux
recufer votre témoignage , & quand ces'
Auteurs ne feroient pas démentis par les
reftes du théâtre de Sparte encore exif-
tans , ils l,e feroient par Paufenias , Eiif-
tathe , Suidas , Athénée- ,- & d'autres an-'-
ciens. Il paroît feulement que ce théâtre
étoit plutôt conlacré à des jeux , des
danfes , des prix de mufique , qu'à des
repréfentations régulières , &que les pie-
ces qu'on y jouoit quelquefois , étoient
moins de véritables drames , que des farces
grolfieres , convenables à la Simplicité des
fpeftateurs ; ce qui n'empêchoit pas que
Sofybius Lacon n eût fait un traite de ces
fortes de parades. Ceft la Guilletiere qui
m'apprend tout cela ; car je n'ai point de
livres pour le vérifier. Ainfi rien ne man-»
que à ma faute , en cette occafion , quQ
la vanité de la méconnoître.
^30 L E T T R E,&C.
Au refle , loin de fouhaiter que cette
feule refte cachée à mes leâeurs , je ferai
fort aife qu'on la publie , & qu'ils en
Ibient inlmiits ; ce fera toujours une
«rreur de moins. D'ailleurs , comme elle
ne ùàt tort qu'à moi feul , & que mon
fentiment n'en eft pas moins bien établi ,
j'efpere qu'elle pourra fervîr d'amufement
aux critiques ; j'aime mieux qu'ils triom-
phent de mon ignorance , que de mes.
maximes ; & je ierai toujours très-content
que les vérités utiles que j'ai Ibutenues y
ioient épargnées à mes dépens.
Recevez , MonHeur , les alîurances de
oia reconnoiflance , de mon eftime & de
mon refpeÛ,
LETTRE
A M. V E R N E S.
MnMuriiui h 18 Nnitairi Ï7Î9.
*J=
J E favois , mon cher Vernes « ïa bonne
réception que vous aviez feite à l'Abbé de
St. Nom ; que vous l'aviez fêté , que vous
l'aviez préfenté à M. de Voltaire , en un
mot, que vous i'aviez reçu comme recom-
mandé par un ami; il eft parti , le cœur
plein de vous , & là reconnoiflance a dé- ■
bordé dans le mien. Mais pourquoi vous
dire cela î N'avez-vous pas eu le plailir de
m'obliger ? Ne me devez-vous pas auiTi de
la reconnoiflance î N'en -ce pas à vous
déformais de vous acquitter *envers moi }
Il n'y a rien de moi fous la prefle ;
ceux qui vous l'ont dit vous ont trompé.
Quand j'aurai quelque écrit prêt à paroî-
tre , vous n'en ferez pas inlb%iit le demies*
J'ai traduit tant bien que mal un livre de
Tacite & j'en refte là. Je ne fais pas afièz
de Latin poiu* l'entmdre , fie n'ai pas aiTe^
de talent pour le rendre. Je m'en tiens à
cet eilai ; je ne ùis même fi j'aïuai jama^
431 Lettre'
reffronterie de le feire paroître ; j'aurois
grand befoin de vous pour l'en rendre
aligne. Mais parlons de l'hiûoire de Ge-
nève. Vous favez mon ièntiment fur
cette entreprife ; je n'en ai pas changé ;
tout ce qui me refte à vous dire , c eu
■que je fouhaite que vous ù&sz un 0U7
vrage affez vrai , affez beau , & affez
utile pour qu'il foit impoffible de Timpri-
mer ; alors , quoi qu'il arrive , votre mï-
nufcrit devieiwra un monument précieux
qui fera bénir à jamais votre mémoire
par tous les vrais citoyens , fi tant eft
qu'il en refte après vous. Je croîs que vous
"e doutez pas de mon empreflement à
^ire cet ouvrage , mais fi vous trouvez
<ïuelque occafion pour me le faire parvenir ,
à la bohne heure ; car , pour moi , dans
■ma retraite , je ne fuis point à portée
■d'en trouver les occafions. Je fais qu'il va
& vient beaucoup de gens de Genève i
^ta-is 8c de Paris a Genève , mais je con-
nois peu tous ces voyageurs , &c n'ai nul
dcffein d'en beaucoup connoître. ï'aimè
encore mieux ne pas vous lire.
Vous me demandez de la mufique , eh
Dfettj, çhen Vernesl de quoi me parlez-
vousî
A M. V E R N E s. 43}
VOUS ? J6 ne connoîs plus d'autre muiîque
que celle des Roffignt^s ; & les Chouettes
de la forêt m'ont dédommagé de l'Opéra
de Paris. Revenu au feul goût des plaîfirs
de la nature « je méprife l'apprêt des amu-
ièraeos àet viUes. Redevenu prel(|ue en-
£ant i je m'attendris en rappellant les vieil-
les chanfons de Genève , je les chante
d'une voix éteinte , & je finis par pleurer
iiir ma patrie , en fongeaDt que je lui ai
iiuvéou Adieu.
PUets Mver/i^
h ET T R E
A M, DE SILHOUETTE.
D.
rAiGîiEZ, Monfieiir , «ceroir l'hom-
mage d'un folitaire qui n'eft pas connu de
vous , mais qui vous eftime par vos li-
lens , qui vous refpeâe par votre adnii-
niftration , - & qui vous a fait l'honneur
de croire qu'elle ne vous refteroît pas-long-
tems. Ne pouvant lauver l'Etat qu'aux de"
pens de la capitale qui l'a perdu , vous
avez bravé tes cris des gaigneurs d'argent,
En vous voyant écrarer ces miférables ,
je vous enviois To^re place; en vous la
voyant quitter lans vous être démenti ,
je vous admire. Soyez content de vous ,
Monfieitr , elle vous laiffe un honneur
dont vous jouirez longttems (ans concur-.
rent. Les malédiâions des â:ipon$ font la
glpire 4^ l'homme juAe,
L E T T R E
AM.VERKES.
Mtiitmirtnci 9 Frvriir I7iSe>
M-Lya une quinzaine de jours, mon cher
Vemes , que j'ai appris , par M. Favre ,
votre infortune i il n'y en a gueres moins
<pie je fuis tombé makde & ]e ne fuis pas
rétabli. Je ne compare point mon état au
vôtre ; mes mawi: aûuels ne font que
phyliques ; & moi , dont la vie n'eft qu'ime
■alternative des uns &cà£s autres » je ne ^âîs
que trop que ce n'eft pas les premiers qui
tcanfpercent le C(Bur le phis. vivement. Le
mien eft fiiit pour partager vos douleurs ,
-& non pour vous-en confier. Je iàis trop
Jjien , par expérience , que rien ne con-
ible que le lems ,. & ijue fouvent ce n'eft
encore qu'une affliftion de plus de fonger
gue le tems nous cônfolera. Cher Vernes,
on n'a pas tout perdu" quand on pleure
■encore ; le regret du bonheur pafle en eft
i!n refte. Heureux qui porte encore ait .
fond de fon cceùr ce qiri lui fut cher 1
Oh , croyez-mtSi , Vous ne connoiflez pas
ht maniei-e ^ plus cruelle de le perdre ;
T- 1
4î6 Lettre, &c.
c*eft (T^voJr à le pleurer vivant Mon bon
ami, vos peines me font fonger aux mien-
nes ; c'eft un retenir naturel aux malheu-
reux. D'autres pourront montrer à vos
douleurs une fenfibilité plus'défmtéreffée;
niais perfonne , j'en fuis bien fôr, ne les
partagera plus lincérement.
=C»=i
LETTRE
A M. PUCHESNE LIBRAIRE,
£n Itti renwyam la ComiMt dt$ FhiîofofhtSm ■
JEli N parcourant, Monfieur , la pièce que
vous m'avez envoyée , j'ai frémi de^ m'y
voir ïoué. Je n*accepte point cet horribîe
préfent. Je fuis periuaaé qu'en me l'en-
voyant f. vous n'avez pas voulu me faire
une injure ; mais vous ignorez , ou vous
9vez oublié que j'ai eu Phonneur d'être
i'ami d'un homme refpêÛable , indigne-
ment noirci & calomiué dans ce libelle.
LETTRE
A MADAME D'AZ***,
Qui m'avait envoyi Vepampc incadrit dtjhn
pwtrtùt avec des vtn Jdjon mjari aàdt^ms.
V O u S m'avez feit. Madame , un pré-
fent bien précieux ; mais j'ofe dire que
le fentiment avec lequel je le reçois , ne
m'en rend pas indijgne. Votr<l portrait an-
nonce les charmes de votre caraAere; les
vers qui l'accompagnent achèvent de le
rendre ineftimable. Il femble dire ; je Ëùs
le bonheur d'un tendre époux ; je fuis la
mufe qui l'infpire , & je fuis la bergère
qu'il chante. En vérité , Madame , ce n'eft
ïju'avec un peu de icnipule que je l'ad-
mets dans ma retraite , & je crains qu'il
ne m'y laiffe plus auffi foUtaîre qu'aupa-
ravant. J'apprends auffi que vous avez
payé le port & même à très - haut prix :
quant à cette- dernière générofité, trouvez
t>on qu'elle ne foit point acceptée, 2c qu'à
■438
Lettre, &c.
la première occafion je prenne la liberté
de vous rembourfer vos avances ( * ).
Affécif Madame , toute ma reconsoil^
£uice & tout mon re^eâ.
« «T*it inat as- htlkt u vwmm.
L E T T RE
.A, MADAME C**'.
=>«
Vc
O u S aveî beaucoup d'efprit , Ma-
dame , & vous l'aviez avant la leéhire de
la Julie : cependant je n'ai trouyé que cela
dans votre lettre ; d'où je conclus que
cette leâure ne vous eft pas propre , puif
qii'elle ne vous a rien infpîré. Je ne vous
en eftime pas moins , Madame ; les âmes
tendres font fouvent foibles , & c'eft tou-
jours un crime à un« femme de l'être. Ce
n'eft point de mon aveu que ce. livre a
pénétré jufqu'à Genève ; je. n'y en ai pas
envoyé un feul exemplaire , & quoique-
je ne penfe pas trop bien de nos mœurs
aûuelles , je ne les crois pas encoreaffer.
mauvaifes pour qu'elles gagnaflènt de re-_
monter à Vamour.
Recevez , Madame , mes très-humbles
remerciemem , & les afTiminces de œoa
refpea.
T4
LETTRE
A UN ANONYME,
J'Ai leçu lie it\ âe ce mois porlapofie
une lettre anonyme fam date , tùntMrée
de Liile y & tranche de port. Faute d*y
pouvoir répondre pw une witre voie , je
déclare piddicniefnent à rauteuc de cette
lettre qae je lai liie £c relue avec émo-
tioa , avec actendfifleaieiit , qu'elle a^inf-
pire pour lui la pliB tendre eAime , le
>lus gratîd defir de le coanoître & de
Fabner , qu'en ms pavbnt de lès larmes
il m'en a nit répandre » e^'mda pif^'aux
âogea outrés dont il me coniUe,toutine
p^ éaas- cette lettre , excepté la modefte
tn6m tpàht porttàà cacben
^
LETTRE
A M***.
ji MiTitmtTcnci II 13 ffvriir 17SU
J E n'ai reçu qu'hier , Monfiçur , la
lettre que vous m'avez écrite le 5 de cer
mois. Vous avez raifoB de croire que l'hai^
monie de Tame a aufli {çs dilTonances qui
ne gâtent point l'effet du tout : chacun ne
feit que trop comment elles fc préparent ;
mais elles font difficiles à làuver, C'eft
dans les raviflans concerts des Tpheres cé-
fcfles qu'on apprend ces fevantes fuccef*
fions d'accorcfc. Heureux , dans ce fiecle
de cacophonie & de discordance , qui peirt
fe conierver une oreille affez pure pour
entendre ces divins concerts !
Aurefte, je perfifte à croire, quoiqu'on
ta puiflê dire , que qulconqvie après avoir
hi la nouvelle Héloïfe la peut re^rder
comme un livre de mauvaifes mœurs *
i^eû pas Eût pour aîmer les bonnes. Je
me réjouis , Monfieur , que vous ne foyez
pas au nombre de ces infortunés 1 & je
>ous làlue de tout mon cœur.
Tj
L E T T fi
A ,M * * *.
J E fuis charmé , Monfîeur , de la lettre
2ue vous venez de m'écrire , SclïtEii loin
e me plùndre 4e votre louange , je volk
-en remercie, parce qu'elle eu jointe i
ime critique fraîche &c judicieufe qui me
iàit aimer l'une &c l'autre comme le lan-
gage de Tanùtié. Quant à ceux qui trou-
vent ou feignent de trouver de Toppo-
fition entre ma lettre fur les Speâacles Se
la nouvdle Héloiffe , je fuis bien ITu- qu'ils
ne vous en impofent pas. Vous lavez que
la^ vérité , quoiqu'elle foit ime , change
de forme (èlon les tems^âc les lieux , Se
S l'on peut dire à Paris ce qu'en, des jours
^ us heureux on n'eut pas où dire à Ge-
nève : mais à préfent les fcrupules ne
font plus de fàifon , & par-tout ou réjour>>
nera long-tems M. de Voltaire , on pourra
jouer après lui la comédie &c lire des
roinaps fans danger^ Bonjour , Moofieur « je
vous emhrafle, & vous remercie derechef
de votre lettre i elle me plaît beauctuip.
LŒ T T R E
A M. D E * • •.
M$Btm»Tiiui II 19 Ffiiritr 17«».
Vo
OlLA,Monfieur,tnarépon{èaux ob-'
fervations qxie vous avez eu la bonté de
m'envoyer fur la nouvelle Héloïfe. Vovis
l'avei élevée à l'honneur auquel eHe ne
s'attendoitgueres, d'occuper des théolo-
giens; c'eft peut-être un fort attaché à ce
nom ôc à celles qui le portent d'avoir tou-
jours à paffer par les mains de ces Mef-
iieurs là. Je vois qu'ils ont travaillé à la
converfion de celle-ei avec un grand zele,
& je ne doute point que leurs foins pieux,
n'en aient feit une perfonne très- ortho-
doxe ; mais je trouve qu'ils l'ont traitée
avec un peu de nideffe ; ils ont flétri fes
charmes , & j'avoue qu'elle me plaifoit
plus , aimable quoiqu'hérétiqïie , que bi-
gote &c mauljiàde comme la voilà. Je de-
mande qu'on me la rende comme je l'ai
formée, ou je l'abandonnerai à fes direc-
tCUR.
T 6
LETTRE
A MADAME BOURETTE
Qui m'avoit écrit Jeax httns tonflatûves
avec its rtrs , £■ qui m'iavitoit à prendre
du caji cke^ elle darts une taffe incntfi^
£or que M. de Koltaire lut avoit donnée.
«J Ë n'avois pas oublié, Madame , qae }e
vous devois une réponie & un remercie-
ment; je iô-ois plus exaâ fi Ton me l^f*
Jbtt plus libre , mais il ùux malgré mot
difpofer de mcm tems , bien plus comme il
plaît à autrui que comme }e tç devrais &
!e voudrois. Puiftjue l'anonyme vous avoit
prévenue , il étoit naturel que fa répoaCe
précédât aulE la vâtre ; & d'ailleurs je ne
vous diUimulerai pas cpi*il avoit parlé de
plus près à mon cour que pe font des
fomplimens Si, des vers.
Je voudrais» Madame, p<»ivoir ré^ct-
dre à Phonneur que vous me feites de me
dermnder un exemplaire de la Julie , mais
taux de geîis vQUS ont encore ici prévenue.
A Madame Bourette, 44$
qiie les exemplaires qui m'avoient été en-
voyés de Hollande , par mon Libraire »
Ibnt donnés ou deftînçs , âc je n'ai nulle
elpece de relation avec ceux qui les débi-
tent à Paris, I! fàudroit donc en acheter
un pour vous l'offrir j & c'eft , vu^l'état
de ma fortune , ce que vous n'approuve-
riez pas vous-même : de plus , ]é ne fais
point payer les louanges , Se (i je lailbis
tant que de payer les vôtres , j'y voudroîs
mettre un plus haut prix.
SI jamais l'occalîon f« préfente de pro-
fiter de votre inyitation , j^rai , Madame ,
avec grand plaiiif vous rendre vifite &C
prendre du café chez vous ; mais ce ne
fera pas, sll vous plaît, dans U tajfe dorée
de M. de Voltaire ; car je ne bois point
dans la coupe de cet homme-là.
Agréez , Madame , que je vous réitère
mes très-humbles remerciemens &les affu,-
tances de mon refped.
LETTRE
A M- M'".
HontmoTcnci , Mm IT^z-
Xl faudroit être le dernier des hommes
pour ne pas s'intérelTer à Tinfoitunée Loui-
lôn. La pîûé , la bienveillance que {on
honnête hiftorien m'inipire pour elle , ne
me laiffent pas douter que fon zèle à lui-
même ne piûKc être aulTi pur que le mien^
& cela fuppofé , il doit compter fur toute
Teftime d'un homme qui ne la prodigue
pas. Grâces au Ciel , il fe trouve wns
un rang plus élevé , des cœurs auJTi fenfi-
bles , « qui ont à la fois le pouvoir &
la volonté de protéger la malheureufe,
mais" eftimable viâime de l'infemie d'uH
brutal. M. le Maréchal de Luxembourg
&c Madame la Maréchale à qui j'eu com-
muniqué votre lettre , ont été émus aînfi
que moi à fa lefture ; ils font difpofés ,
Monfieur , à vous entendre & à confidter
avec vous ce qu'on, peut , & ce qu'il
convient de faire pour tirer la jeime per-
fonne de la détreffe oîi elle eft. Ils re-
tournent à Paris après Pâques. Allez ,
A M. M"
■447
Monfieur , voir ces dignes & refpeÛables
Seigneurs ; parlei-Ieur avec cette fiihpli-
cite touchante qu'ils aiment dans votre
lettre ; foyez avec eux fincere en tout ,
& croyez que leurs cœurs bïenfàifans
s'ouvriront à la candeur du vôtre : Loui-
fon fera protégée, fi elle mérite de l'être,
& vous , Monfieiu- , vous ferez eAimé
comme le mérite votre bonne aâion. Que
lî dans cette attente , quoiqu'aflez courte,
la fituation de la jeune perfonne étoit
trop dure , vous devez favoir que quant '
à préfent je puis payer , modiquement à
la vérité » le tribut dû par quiconque a
fon nécefiaire aux indigens honnêtes ({lû
ne l'ont pas.
LETTRE
A M. VERNE S.
J 'ÉTOis prefque à 4'extrémîté , cher Con-
citoyen , quand j'ai reçu votre lettre , flc
inainKnaiit qiie j'y réponds , je fuis dans
«n étaf de ibiiiFrances continuelles qui y
félon toute apparence » ne me quitteront
qu'tfvec la vie. Ma plus grande consola-
tion dans fctat oh. je fuis eft de recevoir
des témoignages d'intérêt de mes compa-
triotes, & fur-tout de vous , cher Vemes,
<^e j'ai toujours aimé & que j*aimeraî
toujours. Le cœur me rit , & il me femble
que je me ranime au projet d'aller par-
tager avec vous cette retraite charmante,
qui me tente encore plus par ibn habitant
que par elle-même. Oh, fi Dieu rafFer-
miflbit afîèz ma fantë pour me mettre en
état d'entreprendre ce voyage « je ne
inouirois point lans vous embrafler en-
core une loisl
Je n'ai jamais prétendu jufiiiîer les in-
nombrables <^&uts de la NottvtUt fféloï/èi
A M. V E R N E s. 449
je trouve que Ton l'a reçue trop fevora-
folement, Ôc dans les jugemetu du public,
j'ai bien moins à me plaindre de fa rigueur
qu'à me louer de fon indulgence ; mais,
vos griefs contre fVolmar me prouvent
que j ai mal rempli l'objet du livre , ou
que vous ne l'avez pas bien faifi. Cet
objet étoit de rapprocher les partis op-
pofés , par une eftime réâproque ; d'ap-
prendre aux Philofophcs , qu on peut croire
en Dieu fans être hypocrite , & aux
cToyans , qu'on peut «re incrédule fins
être im coquin. Juîit , dévote , eft une
leçon pour les Philosophes, & Wolmar^
athée , en efl une pour les intolérans.
Voilà le vrai but du livre. C'efl à vous
de voir fi je m'en fuis écarté. Vous me
reprochez ae n'avoir pas fait changer de
fyitême à Wolmar^ fur la fin à^x Roman 't
mais , mon cher Vernes , vous n'avez
pas lu cette fin ; car fà converfîon y eit
indiquée avec une clarté qui ne pouvoit
fouSrir un plus grand développement ,
iàns vouloir aire une capucinade.
Adieu, cher Vernes ; )e fâifis un in-
ter\'alle de mieux pour vous écrire. Je
vous prie d'informer de ce mieux ceux
450 Lettre, &c,
de vos amis qui penfent à moi , Se en-
tr'aatres , Meflieiirs Moiiltou & Rouihin ,
que j'embrafle de tout mon cœur ainû
que vous.
. .Coogk
LETTRE
A M. H U B E R.
A MontmOTcnci II 34 Dfmabrc I7SIr
%3 *Étois , Monfieur , dans un accès dit
plus cruel des maux du corps , quand je
reçus votre lettre ■& vos Idylles; après
avoir lu la lettre y ^'ouvris machinalement
le livre , comptant le refermer aufli-tôt ;
mais ie ne le refermai qu'après avoir tout
lu, & je le mis à côte de moi pour le
relire encore. Voilà l'exaâe vérité. Je fens,
que votre ami Geisner eft un homme
ielon mon cœur , d'oh vous pouvez juger
de fon traduâeur Se de fon ami par lequet
feul il m'eft connu. Je vous feis en par-
ticulier un gré infini d'avoir ofé dépouiller
notre langue de ce fot & précieux jargon;
fpii ôte toute vérité aux images , & toute
vie aux fentimens. Ceux qui veulent em-
bellir & parer la nature , font des gens
fans ame Se &ns goût , qui n'ont jamais
connu fes beautés. Il y a fix ans que je
coule dans ma retraite , une vte afièz
Semblable à celle de Ménali^e & d'A-'
myntas , au bien près, que j'aime comme
451 L E T T R E,&C.
eux* mais que je ne fâisf^s Ëiire; &je
puis y<His protefter, Moîifiwr,'que )'û
pltis vécu durant ces ûx ans , que je nV
vois iait dans tout le cours de ma vie.
Maintenant vous me &ites deûrerde revoir
«Kore un prîmems , pour &ire ivec vos
chamans paftcurs de nonvelles prc»iie-
nades , pour partager avec eux ma f(^i-
tude , éc peur revoir avec eux des
^yles àtaof^ats qui. ne font pas infé-
rieurs à ceux tjat M. Gefsner & vous
avez û t»en décrits. Salue»-k de ma part,
ie vous fupplie , & recevez xit&. mes
remerderaens & mes âlUitations.
Voulez-vous bien , Monficur , quantt
TOUS écrirez à Zurich , Êùre dire mille
^lofes pour moi à M. Ufleri ? f^ reçu
ée & peut une lettre que je ne me laâe
point de reBre , fic qui contieiU des rela-
tions d'un pay^ phis fàge , plus ver-
tueux ^ plus fenffi que tous tés Philoibphes
de Tunivers ; je fuis fâché qu'il ne m«
marque pas le nom de cet nomme ref-
peâable. Je lui voulois répondre un peu
au kme » mais mon dépk}r3d}le état m'en
a empâdsé jufqu'ici.
L E T T RE
A' M E s s I E U R s
De la Société Economique dt Berne,
A Mounurïuci le sp Anil I7fil>
Vo
Ous êtes moins inconnus; Meffieurs,
yie vous ne penfez , & il feiit que votre
Société ne manque pas de célébrité dans
le monde, puifque le bruit en eft parvenu
dans cet afyle à un homme qui n'a plus
aucun commerce avec les gens de Lettres.
Vous vous montrez par un côté fi inté-
rel&nt que votre projet ne peut manquer
d'excitw le public, & fur-tout les hon-
nêtes gens à vouloir vous connoître, &C
pourquoi voulez-vous dérober aux hom-
mes le fpe£hcle fi tmichant & fi rare dans
notre fiecle , de vrais citoyens aimant
leurs frères & leurs femblables , & s'oc-
cupant fincérement du bonheur de la patrie
& du genre-humain ?
Quelque beau , cependant , que foit
votre plan , & quelques talens que vous
ayez pour l'exécitter , ne vous flattez pas
dun fiiccès qui réponde entiéremem à-
'454 Lettre a la Société
vos vues. Les préjugés qui ne beonent
qu'à l'erreur fe peuvent oétniirc , mais
ceux qui font fondés ftu- nos vices ne
tomberont qu'avec eux; vous vouJez com-
mencer par apprendre aux hoirtmes la
vérité pour les rendre feges , & tout au
contraire y il ^udroit d'^K>rd les rendre
iages pour leur faire aimer la vérité. La
vérité n'a preique jamais rien ^t dans te '
monde ^ parce que les hommes iè condui-
fent toujours plus par leurs paillons que
pai leurs liunieres » &C qu'ils &nt le mal ap-
prouvant le bien. Le fiecle où nous vivons
.€:ft des plus éclairés , même en morale ;
eft-il des meilleurs ? Les livres ne font
bons à rien , j'en dis autant des académies
& des fociétés littéraires i on ne donne
jamais à ce qui en fort d'utile , qu'une
^probation Aerile ; làns cela la nation qui
a produit les Fenglons , les Montelquieux,
les Mirabeaux , ne feroit-elle pas la mieux
conduite & la plus beiu-eufe de la terre ?
En vaut-elle mieux depuis les écrits de ces
trands hpmmes , &i- iin feul abus a-t-il
té redreffé fiir leiu^ maximes î Ne vous
flatte? pas de faire plus, qu'ils n'ont' hiu
Non , Meflieurs , vous pourrez inilruire
Economique de Berne.. 455,.
les peuples « mats vous ne les rendrez ni
meilleurs ni plus heureux. C'eft une des
chofes qui m ont le plus découragé , du-
rant ma courte carrière littéraire , de fentir
3ue , même me (uppofasa. tous les talens
ont j'avois hpCoin , j'attaquerois ^ns fruit
des erreurs fimeftes , &c. que quand je les
pourrois vaincre les chofes n'en iroient
pas mieux. Pai quelquefois charmé, mes
i^ux en fatisfaifant mon cœur , fqais fans
m'en impofer fur l'effet de pies ■ foins.
Plufieurs jn'onf lu , quelques-uns m'ont
approuvé même , & comme je l'ayois
prévu , tous font reliés ce qu'ils étoient
aîiparavant. Meffieurs , vous direz, mieux
& davantage , mais vous n'aurez pas un
ipeillçur fuccès ^ ^ au lieu du bien public
tjue vous cherchez y vous ne trouverez
quf la gloire que vous fejnblçz craindre.
. Olioi qu'il en foit , je ne puis qu'être
icnlible à rhoru^eur que voi(S me Ëiites
de m'affocier en quelque (brte , par votre
çorrefpoqdançe^àde u nobles travaux. Mais
^n me 1^ propoiânt ^ yous .igfic^riez &ns
ilputei quevous vousadreiTiCz àuppau-i
vre malade qui , après dvoir efîàyé dix
aiîriîii' trifle métier d'autçur , pSm lequel
4s6 Lettre a i^ Société
il n'étoit point fait , y renonce dans la .
joie de ion cœiir y & ^rès avoir eu
i'-Konaeur d'entrer en lice avec refpeâ *
mais en homme libre « contre une tête
couronnée , oie dire en quittant la plume ,
pour ne la jamais reprendre ,
ViBoT u&us arumqut repono.
Mais ^5 aipirer aux prix donnés pw
votre mumiîcence , j'en trouverai tou-
jours un très-grand dans l'honneur de,
votre effime , & fi vous me jugez digne .
de votre correfpondance , je ne re&fe
point de l'entretenir , autant que moa Àat ,
- ma retraite , & mes tmmeres pourront le
permettre ; & pour commencer par ce
que vous exigez de mai , je vous dirù
que votre plan , quoique très-bien &it ,
me paroît généralifer un peu trop les
îdèes , & tourner trop vers la métaphy-
fique , des recherches qui deviendroieot
plus utiles , fdon vos vues , fi elles avoient
des applications pratiques locales & par-
ticulières. Quant à vos queffîons , elles*
font très-bdÛes , la troifieme (*) fur-tont
' (*J Qnd fnch ■ i4iiiii9 ttf le pin knnnzt
Economique de Berne. 457
me plaît beaucoup ; c'eft celle qui me
tenteroit fi j'avois à écrire. Vos vues en
la propo&m font alTez claires , & il ii„dra
que celiu qui la traitera, foit bien mal-
atlroit s il ne les remplit pas. Dans la pre-
mière ou vous demandez qud, font lu
moyms i, ,i„, ^ ^^pi, j, ,^ cnuption f
Outre que ce mot de <^rrupmn me paroît
un peu yagtie , & rendre la quSion
prefque mdetermmée , il fiudroît com-
mencer, peut-être, par demander s'il eft
de tels moyens : car c'eft de quoi l'on
peut tout au moins douter. En compen-
(ation vous pourriez ôter ce que vous
ajoutez à la fin , & qui n'eft q,A,ne répéti-
tion de la queftion même, ou en fait une
autre toul-à-feit à part^*).
_ Si j'avois à traiter votre féconde quef-
tion ( f ), je ne puis vous diffimuler que
je me déclarerois avec Platon pour l'affir-
mative, ce qui furement n'étoit pas votre
intention en la propofant. Faites comme
•) Voici 11
, , -.- "Ciî qneflion. Et mit lA tt ti^
I, ,1., ,^f.i, „•„ uti/ut— pir- /«w i „i i,Ji,
(î) En.il des préjugés rrfi^ftables qu'un bon oitow-
doive ft fuiro un ftrupule lU coniliimie piii)liquem{iit 7
Pièces tliverfes, V
...Cookie
45? l^ETTRE A LA SOCIÉTÉ, &C.
l'Âcuiénùe Françotfe qui prefcrh le parti
3ue l'on doit prendre, & qui (e gardebien
e mettre en problème les qiieltons fur
lelquelles elle a peur qu'on ne dife la
vérité-
La quatrième ( * ) eft la phis utile , à
caufe de cette application locale dont j'ai
parlé ci-devant ; elle offre de grandes vues
â remplir^ Mais il n'y a qu'un Suiffe ou
quelqu'un qiil connoiffe à fond la confti-
tution phyiique , politique & morale du
Corps Helvétique , qui puiffe la traiter
avec fuccès. Il feudroit voir f<M - même
poiy- ofer dire : O utinam ! Hélas 1 c'eft
augmenter fes regrets de renouveller des
vœux formés tant de fois & devemis inu-
tiles. Bonjour , Monfie;^- , Je vous falue ,
vous & vos dignes collègues , de tout
mon cœur & avec le plus vrai refpeÛ.
(*) Par qutli moyens poiuroibdn leflÉmt les liaifo»
ft Vamitil tant les Citoirïni de dEverr» Républiliws , foi
' Fin du premkr Volume de Pitces diverfts.
TABLE
DES PIECES ET LETTRES
Contenues dam ce Volume. '
■ JqXthAIT du projet de paix perpêtiutle de
l'Abbé dt St. Pierre. . . : Page j
JuGEMENT^Î/r la paix perpétuelle. . 6%
POLYSYNODiE de l'Abbé de Si. Pierre. 8}
SvGEtAEtiT fur la Polyfynodie. . . uS
Lettre à M. de foliaire. . . . 140
Réponse de M. de Voltaire. . . . 174
Let. ii M • * * . 171S
Let. à M. d'OffrevilU à Douai. . 108
Let; à M. Ufteri Profepur à Zurich, 11^
Let. au Prince Louis E. de Wirtemberg. lay
Prem. Let. à M. le M. de Luxembourg. 147
Seconde Let. ah même. . . . 173
Let. à Madame de T* * *. . ... 195
Prem. Let. à M. le P. de MaUskerbes. 301
Seconde Let. au même.
Troisième Let. au mime. .
Quatrième Let. au même.
Let. à M. l'Abbé RaynaL .
Let. au même
Let. à m. m* **. à Genève.
Let. à M. Vemei. . , .
Let. Je M. de Voltaire. . .
RÉPONSE à la lettre précédente.
Billet de M. de Voltaire. .
RÉPONSE au billet précédent.
Let. à M. de Boiffi. . . .
Let. à M. Vernes. , . .
309
328
339
341
3ÎO
36x
366
37*
377
378
380
• 383
46o TABLE.
Lettre JeM.U Comte de Trejfan. Page 3 8ô
BiPOtiSE à la hêtre précéJenu. , . 38S
Let. Je M, U Cornu de Trejfan. . jpo
RÉPONSE au même. 39*,.
Let. du mém^. 594
RÉPONSE à la lettre prècidenu, . , 396
Let. â M. Sckeyh J97
Let. à M. Ventes. . . . . • 40^
Let. à un jeune homme. .... 40^
Fragment d^une lettre à M. Diderot. 411
Let. au même 41.4
Let. à M. Vemes 419
Let. au même 411
Let. de M. le Roy. . . . . . 426
RÉPONSE à la lettre précédente. . 428
Let. à M, Vemn. . . . . . 43 1
Let. à M. de Silhouette, . . . 434
Let. à M. Vemes. . .... .435
Let. à. M. Duchefne Libraire. .. . 436
Let. à- Madame d'ji^***, , . . 437
hET. â Madame C***. . ... 439
Let. à.Hn.anQnyme. . , -, . ,■' i -440
Let. à. m* * *. - ■ i ■ . V 441
Let. à M.*.* *. . . . . . . 441
Let. àMtDe^t *.. ... . . 443
Let. à Madame. Bourette, . . . .444
Let. iJVtAf*** 44S
Let. à M. Vemes 44S
Let. à M. Huber. 451
LÈT. à la Soc. Economique de Berne. 45}
Fin. de. la Table.
■77
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