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BINDINS LIST SEP 1 ^ 1922
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in 2010 witli funding from
University of Ottawa
Iittp://www.archive.org/details/collectiondeclian06am
CC311
COLLECTION
un
CONTES ET DE CHANSONS POPULAIRES
VI
CONTES INDIENS
IMPRIMERIE HARCHESSOU FILS
CONTES INDIENS
Les
Trente-deux Récits du Trône
(BATRIS-SINHASAN)
ou LES MERVEILLEUX
EXPLOITS DE VIKRAMAIMTYA
TRADUITS DU BENGALI
ET AUGMENTÉS D'UNE ÉTUDE ET D'UN INDEX
1>AK LEON FEER
t7c4ôc
PARIS l«-S'2S.
ERNEST LEROUX, ÉDITEUR
LIBRAIHK DE LA SOCIÉTÉ ASIATIQUE Dt PAMIS
Ut l'école des langues orientales vivantes, etc.
38, aUE BONAPARTE, iS
i883
-î ^ ^ -i ; i
« «M
i4VIS ^4U LECTEV'Ii
' A traduction de contes indiens que nous
offrons au lecteur se compose : i • d'un
Avertissement très court, en quelques lignes;
a" d'une Introduction asse^ longue qui est
un véritable conte; 3" des Trente-deux con-
tes annoncés par le titre de l'ouvrage.
Ce travail n'est pas à proprement parler
une œuvre d'érudition. Nous avons traduit
ces contes pour le commun des lecteurs et non
pas seulement pour les indianistes. Cepen-
dant nous avons cru devoir les faire précéder
et les faire suivre de deux morceaux qu'on
pourrait croire inspirés par la préoccupation
de complaire aux savants. Ce que nous avons
11 CONTES INDIENS
mis avant la traduction est une « Etude » sur
les contes; nous aurions voulu éviter ce titre
un peu ambitieux d' « Etude » et employer
celui d' « Introduction », mais il fallait le ré-
server pour le récit initial du recueil. — Ce
que nous avons mis à la suite de notre tra-
duction est une table alphabétique des noms
indiens, accompagnés de quelques indications
et de renvois aux contes dans lesquels ils se
trouvent. Nous avons réservé pour cette table
certaines explications que nous n'avions pas
cru devoir mettre en note dans le cours des
récits. Le lecteur est prié de vouloir bien
consulter cette table pour les éclaircissements
qu'il pourrait désirer.
Le lecteur appréciera l'utilité de V « Etude »
et de la « Table » ,• nous nous sommes pro-
posé., en augmentant notre traduction de ces
deux appendices., d'en rendre la lecture plus
facile, plus agréable., plus intéressante et plus
instructive., sans surcharger néanmoins notre
travail d'une science qui n'est bonne que pour
les savants de profession.
Il est impossible de faire un travail de ce
genre sans reproduire beaucoup de mots hin-
dous. Aussi en rencontrer a-t-on un bon nom-
bre. Si nous les avions écrits en conservant à
AVIS AU LECTEUR III
nos lettres la valeur que nous leur donnons
habituellement, notre volume serait hérissé
de mots bien étranges; d'un autre côié^ nous
ne pouvions, par bien des raisons, employer
le système de transcription dont nous aurions
fait usage si nous avions entrepris un travail
d'érudition pure. Nous nous sommes donc
arrêtés à un système mixte que nous n'avons
pas à motiver autrement ni à défendre, et
qu'il suffit de faire connaître en indiquant
la valeur spéciale et contraire à l'usage
donnée à certaines de nos lettres Tout ce
que nous dirons pour justifier ces bizarreries,
c'est que la valeur donnée à telle ou telle let-
tre, contrairement à notre usage, se justifie
par celui de tel ou tel peuple européen.
Voici donc les lettres qui se prononcent
d'une façon particulière :
c et ch se prononcent tch (ch est censé ac-
compagné d'une aspiration).
g est toujours dur comme dans guerre, guide,
garde, etc.
h venant après une consonne représente une
aspiration que nous ne savons pas ex-
primer (bh, ch, dh, gh, kh, ph, th,
sont b, c, d, g, k, p, t aspirés).
IV CONTES INDIENS
) se prononce dj.
s se prononce ç jamais z.
sh se prononce ch.
u se prononce ou.
au se prononce aou.
ai se prononce ay.
V après ç ou s se prononce géne'ralement ou.
X se prononce kch.
D'après cela, Cîrajîva se prononce Tchîrad-
jîva ;
Candramaulî se prononce Tchandramaoult;
Çixâ se prononce Çikchâ;
Jyeshtha se prononce Djyechtha ;
Ghatakapurî se prononce Gatakapourî ;
Guru, Svarga se prononcent Gourou, Souarga.
ETUDE
•UB
LES TRENTE-DEUX REÇUS
DU TRON E
I. - APERÇU GÉNÉRAL
§ I. — LES CONTES RELATIFS A VlKRAMADtTYA
E nom du roi Vikramâditya ( • Soleil
d'héroïsme ») est un des plus illustres
parmi ceux des souverains de l'Inde. Son
règne marque l'époque où la culture des let-
tres et des sciences brilla du plus vif éclat.
Les plus beaux génies se réunissaient à sa
VI ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
cour, et le siècle de Vikramâditya est pour
l'Inde ce qu'est pour la Grèce le siècle de Pé-
riclès, pour Rome le siècle d'Auguste, pour
l'Italie le siècle de Léon X, pour la France
le siècle de Louis XIV. Malheureusement,
en dépit d'une si haute renommée, l'histoire
de ce roi n'est pas, pour cela, plus certaine
ni mieux connue; et il n'en existe pas une
relation suivie qui mérite une entière con-
fiance. Le sens historique manque aux Hin-
dous, et ce qu'ils ont trouvé de mieux à faire
pour célébrer la gloire d'un de leurs plus
grands monarques, c'a été de composer des
contes dont il est le héros. Deux séries de
fictions se rattachent à son nom : l'une est
intitulée « les trente-deux récits (des figures)
du trône ' » ; l'autre a pour titre a les vingt-
cinq contes du Vétâla ^ ». Le second recueil
n'est qu'un épisode du premier et. a un lien
moins étroit avec les actions réelles ou ima-
ginaires de Vikramâditya ; c'est dans les
trente-deux récits du trône qu'on le voit
constamment mis en scène, il est l'unique
héros de ces légendes destinées à faire res-
1. En sanscrit : Sinliàsana-dvàtrimçali.
2. En sanscrit : Vetdla-pancavimçati
DU TRONE TU
sortir ses vertus fet visiblement consacrées h
sa louange.
Les « contes du Vetâla • sont des histoires
que l'on raconte au roi, et sur lesquelles il
est appelé ou se croit appelé à porter un ju-
gement, presque des én>^mes_dont il doit et
sait^trouifit-Lc-mot. Ce recueil est donc prin- 1
cipalement destiné à mettre en relief la sa-^
gacitc, la justesse et la fînesse d'esprit du Sa*
lomon indien. Rédigé primitivement en
sanscrit comme les autres compilations du
même genre, il a passé dans plusieurs des
langues modernes de l'Inde; on l'a traduit de
quelques-unes de ces langues en anglais. Il
a même franchi la frontière de la péninsule
et pénétré, par le Tibet, jusqu'en Mongolie,
où il existe encore, partie en kalmouk, par-
tie en mongol. En 18G7 et 1868, M. le pro-
fesseur JUlg, d'Innsbruck, en a donné le texte
kalmouk-mongol avec une traduction alle-
mande, savant travail dont le mérite est en-
core rehaussé par l'initiative que l'auteur a
prise dans un domaine presque inexploré.
Les diverses versions des vingt-cinq contes
du Vetâla différent notablement les unes des
autres, elles nous occuperont peut-être un
jour; pour le moment, nous les laisserons
VIII ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
de côté, les trente-deux récits du trône ré-
clament seuls notre attention.
Voici, en deux mots, le cadre de ces récits :
Le roi Vikramâditya possédait un trône mer-
veilleux qui lui avait été donné par Indra, le
roi des dieux, et sur lequel se voyaient, en-
tre autres ornements, trente-deux figures
sculptées. Après sa mort, ce trône fut enterré
profondément, nul n'osant y prendre place.
Quelques siècles plus tard, un roi appelé
Bhoja vint à le découvrir et voulut s'y asseoir;
mais, chaque fois qu'il en fit la tentative, une
des trente-deux figures l'en détourna par le
récit de quelqu'un des merveilleux exploits
de Vikramâditya. Quand chacune eut fait
son récit, ces trente-deux figures, qui étaient
des divinités fixées dans ce trône et immobi-
lisées par suite d'une malédiction, le prirent
et l'emportèrent chez elles, probablement au
ciel d'Indra.
J'ignore si les trente-deux récits se sont
répandus autant que les vingt-cinq; je sais
seulement que ce recueil a été traduit du
sanscrit, qui est la langue originale, dans le
dialecte moderne braj-bhâkhà par Sundar,
sur l'ordre de Shàh-Jehân ; depuis, il a été
traduit du braj-bâkhà en hindoustani-ourdou
DU TRONC IX
par Lallu. Je crois, du reste, qu'il a été tra-
duit en plusieurs autres langues, et qu'il en
existe un certain nombre de versions plus ou
moins fidèles, plus ou moins concordantes
et conformes à l'original. Mon intention
n'est pas de les comparer entre elles ni de
les rapprocher du texte sanscrit qui est le
point de départ commun de ces compilations
diverses, et que je ne connais pas. Ce serait
un travail fort étendu, pour lequel les maté-
riaux me font défaut, tout spécial d'ailleurs
et très différent de celui que j'ai entrepris
sans aucune prétention à l'érudition, dans le
seul désir d'instruire et d'intéresser le com-
mun des lecteurs.
Néanmoins il est une de ces versions dont
je ne puis me dispenser de dire au moins un
mot, parce qu'elle a passé dans notre lan-
gue ; c'est la version persane traduite en
français par Lescallier '. On y reconnaît bien
nos trente-deux contes et leur Introduction ;
mais la rédaction est tout a"fe et les (jliffé-
rences de détail sont considérables. Je n'en
I. Le trône enchanté, conte indien traduit du persan,
par M. le baron Lescallier. New- York, 1817, > volume»
grand in-8<.
X ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
parle que par comparaison avec la seule ver-
sion que je connaisse à fond, celle qui m'a
servi pour le présent travail, et qu'il me reste
à faire connaître '.
C'est une traduction bengalie intitulée Ba-
tris piitalikâ sinhâsan, imprimée h Londres
en i8i5 et réimprimée depuis; elle est l'œu-
vre de Mrityunjama. Je ne saurais dire sur
quel texte elle a été faite; mes conjectures
sont en faveur d'une version fidèle de l'ori-
ginal sanscrit ; toutefois, je ne saurais en
donner d'autre preuve que la forme et la te-
neur des récits auxquels je trouve un cachet
d'authenticité très marqué.
Ces fictions me semblent de nature à pi-
quer vivement la curiosité du lecteur euro-
péen, et h trouver des amateurs en dehors de
l'orientalisme. Mais elles sont particulière-
ment propres à satisfaire quiconque éprouve-
i. M. Garcin de Tassy dit que cette version est un pur
roman qui s'éloigne beaucoup de l'original. Il en parle
sans doute par comparaison avec la version hindoustanie
qi'il connaissait mieux que personne. Mais j'ai cru m'a-
percevoir que la version iiindoustanie n'est pas en parfait
accord avec la version bengalie, de sorte qu'on ne sait pas
bien qui s'écarte plus ou moins de l'original. Il y a là
toute une question à étudier.
DU THONS XI
rait quelque désir de connaître l'Inde, et je
crois qu'il serait impossible de trouver sous
un petit volume une peinture plus fidèle et
plus captivante de l'esprit indien. Les témé-
rités les plus audacieuses de l'invention, les
idées et les pratiques religieuses, la manière
Sont on conçoit l'exercice du pouvoir, la
conduite de la vie, la loi morale, quelques-
unes des traditions essentielles et des croyan-
ces fondamentales de l'Inde, tout cela est
réuni, condensé en quelques pages ; et le
langage du bon sens s'y trouve sans cesse
mêlé aux plus grands écarts de l'imagination.
Certes, la lecture du. Ràmàyana et du Mahâ«
bhàrata apprend infiniment plus de choses
que ce petit recueil n'en renferme ; et cepen-
dant, même après avoir étudié ces deux im-
menses amas de légendes, peut-être n'est-il
pas mauvais de prendre connaissance de nos
trente-deux contes. Quant aux personnes (et
elles sont nombreuses) qui n'auraient pas le
temps d'aborder ces gigantesques compila-
tions, elles pourront, en lisant les trente-
deux récits du trône , acquérir une no-
tion exacte et très suffisante du génie in-
dien.
Ces récits, qui sont en prose, et ont ainsi
XII ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
quelque chose de plus popnlaire ', qui ne
font point partie de la littérature officielle
autorisée, ont une certaine saveur qui man-
que aux monuments grandioses de la pensée
brahmanique ; ils peignent davantage l'esprit
des classes inférieures et la vie quotidienne.
Non pas que ces contes représentent fidèle*
ment l'état actuel ; ils doivent avoir une cer-
taine antiquité, et se rapporter au temps où
l'Inde, non encore subjuguée, était sous la
discipline du brahmanisme intact et floris-
sant. Ils nous offrent donc, si je ne me
trompe, un tableau de l'esprit indien, au
temps du brahmanisme, mais en dehors
du monde brahmanique officiel, quelque
I. Cette proposition semblera peut-être paradoxale, la
poésie paraissant être le caractère propre des composi-
tions primitives et populaires ; mais, dans la littérature
indienne, le vers est la forme naturelle' des écrits officiels,
des compositions faisant autorité. Les textes sacrés sont
généralement en vers ; les explications et les commentaires
sont en prose. Les recueils de fables, avec lesquels nos
contes ont beaucoup d'analogie, sont en prose, mais en
prose entremêlée d'une foule de vers qui sont, pour ainsi
dire, la partie dogmatique de ces compilations. Nos con-
tes n'ont pas même de vers, circonstance qui semble dé-
noter un genre d écrits encore plus éloigné des textes of-
ficiels, partant plus populaire.
DU TRONC Illl
chose de plus spontané, de plus libre, de
plus populaire que la littérature savante,
mais sans esprit de révolte contre l'état de
choses établi ou même d'affranchissement
de l'empire exercé sur les esprits par la
caste dominante.
Pour aider le lecteur à mieux profiter de
cette lecture, nous croyons devoir résumer
ici les principaux enseignements fournis par
les trente deux contes et l'introduction qui
les précède.
II. — HISTOIRE
§ 2. — VIKRAMADITYA ET ÇALIVAHANA
Quand nous parlons « d'histoire », il est
bien entendu qu'il ne peut être question de
retracer la vie de Vikramàditya, ni même de
faire la critique des faits cités dans le recueil
pouvant avoir un caractère historique; il
s'agit simplement de recueillir et résumer ces
faits. Voici à quoi ils se réduisent :
Bartrihari ayant été sacré roi d'Avanlî, son
jeune frère Vikramàditya, froissé par nous
XIV ETUDE SUR I,ES TRENTE-DEUX RECITS
ne savons quelle injure, prit le parti de s'ex-
patrier. Cependant Bartrihari finit par pren-
dre le monde et la royauté en dégoût; il
quitta le trône et se fit ermite. Il ne laissait
pas de fils, et on ne put lui trouver un succes-
seur convenable. Vikramâditya sortit alors
de sa retraite, se présenta comme candi-
dat au trône, fut agréé, et régna glorieuse-
ment jusqu'au jour où il périt sur le champ
de bataille en combattant Çâlivâhana. Sa
première épouse était alors enceinte; elle
attendit le moment de sa délivrance pour
<( entrer dans le feu », c'est-à-dire, pour se
brûler et suivre son mari dans la mort. Le
fils qu'elle laissa fut élevé par les conseillers
du feu roi et régna à son tour sous le nom
de Vikramâsena.
La lutte de Vikramâditya et de Çâlivâhana
est de nouveau décrite dans le conte
vingt-troisième, mais d'une manière diffé-
rente. Çâlivâhana, appelé Çâlavâhana, .y est
représenté comme un enfant merveilleux qui
triomphe de son adversaire; mais Vikramâ-
ditya est sauvé grâce à sa piété. S'il fallait
concilier les données de ce récit avec celles
de l'introduction (ce qui n'est pas d'une ab-
solue nécessité), il faudrait, sans doute, ad-
DU TRONE SV
mettre qu'il y eut plusieurs guerres entre les
deux rois. Mais il y a une autre difficulté
plus sérieuse. Çàlivâhana est le nom du roi
auquel se rapporte l'Ere dite Çâka, qui cor-
respond à 76 ou 78 de notre ère. Tandis que
le règne et même, à ce qu'on dit, la mort
de Vikramàditya sert de point de départ à
l'ère dite Samvat qui commence à l'an 56
avant la nôtre. Il est donc bien difficile d'ad-
mettre que ces deux personnages aient été
contemporains, puisque les deux dates sont
séparées par un intervalle de 71» + 44 f=
120 ans, à moins de supposer que l'ère
Siimvitt commencerait à la naissance ou à
l'avènement de Vikramàditya et l'ère Çâka à
la mort de Çâlivûhana ou à des dates assez
voisines de ces deux événements. Il est vrai
qu'on a toujours la ressource d'admettre plu-
sieurs rois du nom de Çàlivâhana, de même
que l'on a imaginé plusieurs VikramâditN'a.
Mon intention n'est pas de débrouiller la
chronologie et l'histoire de l'Inde; j'ai voulu
tout simplement signaler les faits qui f>euvent
avoir une apparence historique et, dès lors,
je ne pouvais me dispenser» de signaler en
passant les difficultés qu'ils soulèvent. Je passe
maintenant à d'autres considérations.
XVI ETUDE SUR F.ES TRENTE-DEUX RECITS
§ 3. — JOURNÉE d'un roi INDIEN
Le conte vingt-deuxième semble avoir
été fait pour initier à la connaissance de
l'emploi du temps d'un roi indien. La des-
cription qu'il nous donne de la journée de
Vikramâditya absorbe presque tout le récit,
et le reste est insignifiant. Voici donc com-
ment un grand et puissant monarque de
l'Inde distribue sa journée :
Matinée. — Réveil au son des instruments
et des louanges ; — prières et méditations re-
ligieuses. — Maniement des armes. — Li-
béralités et gratifications. — Expédition des
affaires.
Midi. — Actes religieux.
Après-midi. — Libéralités, distributions.
— Repas. — Mastication du bétel; onctions-
— Sieste. — Causerie avec les femmes; lec-
ture et récit des antiques histoires. — Exa-
men des richesses royales de toute nature.
Soir. — Actes religieux. — Chants, dan-
ses et musique. — Visite à ses femmes. —
Sommeil.
Tels étaient les exercices qui se succé-
ou TRONE XVII
daient du matin au soir et du soir au matin
pendant la vie du roi.
A cette description de la vie quotidienne,
il faut joindre celle des promenades que le
roi faisait dans son parc lorsque venait le
printemps. Celte description revient fré-
quemment dans les ouvrages indiens; notre
cinquième re'cit nous la donne avec de
grands détails. Le roi se rend à son parc ac-
compagné de ses femmes, et se livre avec
elles dans les bosquets à toutes sortes de
jeux plus ou moins innocents.
III. - MORALE
§ 4. — VERTUS MORALES DK VIKRAMADITYA
Si les contes du Vétâla sont destinés à
montrer jusqu'où va .la sagacité du roi, les
trente-deux récits du trône servent à faire
éclater ses vertus, qui sont nombreuses;
mais il en est une qui les domine et les ré-
sume, la générosité, le sacrifice. Les trésors
de Vikramàditya, son activité, sa vie sont à
la disposition d'autrui. Pour soulager un
XVIII ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
homme dénué de tout, pour délivrer un in-
dividu ou une population en proie à quelque
fléau, pour obliger un ami, pour satisfaire
un caprice, il renonce aux plus grands biens,
à des sources inouïes de richesses, même à
la vie. Bref, il pratique dans sa plus grande
étendue le « don » (Di«<.7), cette vertu su-
prême recommandée par le Brahmanisme,
et plus encore par le Bouddhisme; il réalise
ce grand idéal que les Orientaux se font
d'un roi : donner beaucoup à tout le monde,
ne prendre rien à personne.
En conséquence, onze fois mis en posses-
sion d'un joyau, d'un talisman, il le donne
presque immédiatement à un mendiant, ou
à un besogneux quelconque, à tout individu
qu'il rencontre et qu'il pense obliger de cette
manière (2, 9, 12, i3, 17, 18, 19, 20, 23, 25,
29, 3o). Six fois, il ouvre ses trésors et fait
de larges dons individuels (4, 5, i5, 28) ou
collectifs (i, 22) pour reconnaître un service
quelquefois douteux, ou pour obéir au de-
voir, pour témoigner sa reconnaissance d'une
instruction qu'on lui a donnée. Dix fois, il
essaie de se tuer pour sauver une ou plu-
sieurs personnes d'un grand péril (2, 6, 7,
10, 16, 21, 24, 26, 27, 28) ; — cinq fois, il
ou TRÔNE XIX
s'expose à des dangers redoutables ou à de
cruelles souffrances pour délivrer un ami ou
une personne qui lui est e'trangère (8, ii,
14, i3, 3o). Deux fois, pour ne pas man-
quer à sa parole, il s'expose à perdre son
royaume (2 3) ou ses vertus |3i); — une fois,
il est prêt à abandonner, à livrer à un autre,
la reine sa première épouse, en expiation
d'un crime qu'il n'a pas commis, les appa-
rences étant contre lui. Toutes ses actions,
empreintes de merveilleux, ont pour motif
l'amour de la sagesse et de la science, la
compassion pour les autres.
Les vertus ou les qualités qu'on exalte en
sa personne sont : la • grandeur » (ntjhjtvj,
I, 2, 3, 4, 9, II, 12, i3, 16, H»); — la • li-
béralité » (Dânj, I et auddryj, 2, 5, 14, 17,
18, 19, 20, 21, 23, 23, a5, 3o, 3i); — • l'é-
nergie » (sâhasii, 18, 3 5, 28, 3o); — • l'hé-
roïsme » { Çaurya, a, 17, a 3, »5); • l'obli-
geance envers les autres » {paropakdraka, 6,
10, 21 ); la « fermeté » {Jkjiry-jy 2 3, 2 3);
— le • désir d'être utile à toutes les créa-
tures • {Sjrvjprdni-upjkârjkj 7) ; — la
• protection des créatures » {prajâpratipâ-
ïakci)\ — la • satisfaction des désirs d'au-
trui » (paravanccipùrakci^ 6, 20, ai); —
XX ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
« l'humanité » {puriishârtha^ if, 14); — la
reconnaissance {iipakâranatâ , 4); — la
« bienfaisance » [hitakarî^ 22),- — « l'atta-
chement à la vérité » {satyasandha^ 3i); —
la « majesté » (pratâpa^ i); la puissance
(prabhâva, 18).— Quoique je n'écrive pas
pour les philologues ou les indianistes, j'ai
cru devoir ajouter les noms bengalis-sans-
crits des vertus et qualités énumérées; plu-
sieurs de ces termes sont synonymes, et il ar-
rive assez souvent que plusieurs d'entre eux
ont cités dans un même récit.
La morale héroïque de ce roi qui obtient
un talisman, un préservatif contre la mala-
die, la vieillesse et la mort, et s'empresse de
l'abandonner au premier malade qu'il ren-
contre, qui jette à pleines mains ses trésors
pour secourir des mendiants qu'il ne con-
naît pas, qui est prêt à se couper le cou
pour donner de l'eau à ceux qui en man-
quent, pour faire cesser des sacrifices hu-
mains, etc., etc., est-elle bien saine? On ne
peut nier qu'il y ait dans tous ces récits une
belle idée du dévoùment et du sacrifice;
mais il me semble qu'on n'y peut mécon-
naître un air grimaçant et faux, bien en
rapport avec les circonstances merveilleuses
DU TRONC XXI
qui servent de cadre à l'exercice de ces ver-
tus. A présenter sous ces traits la pratique
du bien, on la met en dehors de la conduite
générale de la vie. Pour faire une impres-
sion sérieuse, les modèles de vertu doivent
être plus près de la nature humaine, et l'exa-
gération poussée à ce degré n'a plus de prise
sur nous : on assiste à une fantasmagorie, à
des jeux de Mahâmâyû, • la grande enchan-
teuse >, qui ne sont pas de notre domaine ni
de notre monde. Reconnaissons le souffle
moral qui anime ces pages, mais ne lui ac-
cordons pas notre admiration sans réserve ;
souvenons-nous qu'il est des extravagances
qui gâtent les meilleures choses, et n'ou-
blions pas que l'héroïsme, si rare qu'il soit,
n'est pas une vertu qui soit et doive être
placée en dehors des conditions ordinaires
de l'humanité.
Après cette espèce de revue générale, nous
passons aux détails, et nous étudions, en les
classant de notre mieux, les questions diver-
ses traitées une ou plusieurs fois, avec plus
ou moins de développement, dans nos récits.
XXII ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
§ D. — SCIENCE
La science est ce qui distingue l'homme
de la bête; car l'homme et la bête ac-
complissent les mêmes fonctions vitales.
Donc, l'homme qui réduit son activité à ces
fonctions, sans s'élever par la science, est une
bête dés cette vie, et il retournera à l'anima-
lité dans les existences futures (8 et 20). —
La science peut aussi être assimilée à la vie ;
vivre sans la science, c'est être mort; et un
fils mort vaut mieux qu'un fils ignorant. Que
mettre au-dessus de la science .'' elle est supé-
rieure à tous les autres avantages : — à la
royauté, car le savant est aussi considéré à
l'étranger que dans son propre pays ; — aux
richesses,xar on ne peut l'enlever à celui qui
la possède; — aux ornements qui ne brillent
que sur les jeunes gens, car, à tout âge, la
science reluit en l'homme qui en est doué (8).
Qu'est-ce que cette science si enviable?
C'est celle qui est contenue dans les livres
(Castra). Il faut donc lire ces livres et les
étudier à fond pour en extraire le suc, la
moelle, en un mot pour y puiser la science.
I
DU TRONE XXlll
Mais dans quel esprit convient-il de le faire?
Le conte 12 nous offre, à ce sujet, une cu-
rieuse discussion. Vikramâditya reproche à
un groupe de pandits ou savants qui débat-
taient entre eux le sens d'un texte, de dispu-
ter non pour saisir la pensée du texte, pour
en pénétrer le sens, mais pour y trouver la
justification de leurs opinions personnelles.
C'est donc avec un entier désintéressement,
un pur et sincère amour de la vérité, qu'il
convient d'aborder l'étude de ces Castras,
qui sont le dépôt de la science.
Les Castras ' forment une masse considéra-
ble de volumes : c'est toute la littérature in-
dienne. Aussi ne songerions-nous pas à les
classer et à les énumérer icj,si l'auteur de nos
récits n'avait exécuté lui-même ce travail dont
nous n'avons qu'à faire connaître le résultat.
Selon lui et selon d'autres aussi (car il ne
s'agit pas ici d'une opinion individuelle,
mais d'une donnée généralement admise), la
science contenue dans les Castras se subdi-
vise en 18 parties citées en bloc plusieurs
fois et énumérées en détail dans le récit qua-
I. Çâstrd siguiâe proprement « instrument pour ap-
prendre ».
XXIV ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
trième. Cette énumération n'est pas d'une
clarté parfaite, parce qu'on y trouve plus de
18 intitulés et que, par conséquent, il faut
comprendre sous un seul chef plusieurs
noms. La portée de ces noms n'est pas tou-
jours facile à saisir; les uns désignent certai-
nement un recueil, un ouvrage déterminé,
d'autres doivent s'appliquer à des séries tout
entières de livres. Après avoir essayé sur cette
nomenclature un petit travail de classe-
ment, nous croyons pouvoir donner le ta-
bleau des 18 sciences. Elles se divisent en
deux catégories : les « sciences dont l'objet
est invisible » (adrishthârtha) ^ au nombre de
14, et les « sciences dont l'objet est visible »
(Drishthârtha)^ au nombre de 4.
SCIENCE DE L'INVISIBLE
LIVRES SACRÉS
Veda Vedanga
1 Rig Cixa.
2 Yajur Kalpa.
3 Sâma Vyâkarana.
Atharvan Nirutka.
Jyotisha.
Chanda.
UU TRONE
XXV
PHILOSOPHIC
M imam S a
5 Pûrva-M.
6 U«tta-M.
7 Rûpa-M.
8 Nyâya.
9 Rûpa-Nyijra.
10 Vaiçeskilu.
1 1 Sânkhya.
la Fatânjala.
TKAOïnON
1 3 Smriti-Çâttra. 14 f^urftna.
SCIENCE DU VISIBLE
i5 Ayur (médecine).
16 Dhanur (arc et armes : sciences militaires).
17 Gâadharva (musique).
18 Çilpa (arts manuels).
Quelques ouvrages cités dans nos contes
loivent se ranger sous l'une ou l'autre de ces
|8 rubriques ; tels sont : le Râja>niti ou « la
conduite des rois • (Intr., i3, 19, 22), traité
le politique, et le Danda-çâstra ou « Livre
)e châtiments », le code pénal (17, 19, 23).
est probable qu'ils appartiennent aux sec-
ions du tableau ci-dessus, numérotées i3 ef
14, qui doivent comprendre un nombre con-
XXVI éxUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
sidérable de légendes, d'histoires et de pré-
ceptes moraux. Le Nîti-çâstra, cité égale-
ment, ne doit pas différer du Râja-nîti ', de
même que le Danda-çastra est aussi appelé
Danda-niti. Le 24'' récit renferme une allu-
sion au Jyotisha, l'un des Vedanga, qui ne
porte pas de numéro dans le tableau ci-des-
sus. Il y est question d'un signe céleste in-
terprété comme annonçant la famine; c'est
en effet un ouvrage d'astronomie et d'astro-
logie. Nos récits parlent aussi deux fois
(21 et 28) d'un livre, intitulé Sâmudraka-çâs-
tra, qui énumère, décrit et explique 20 signes
susceptibles de se trouver sur le corps d'une
personne et servant à indiquer sa condition.
Parmi ces signes on cite l'étendard, le dia-
mant (ou la foudre) et l'aiguillon, sans en
dire la valeur. La marque du lotus sous le
pied droit annonce la royauté ; mais le signe
du « pied du corbeau » à l'arrière du palais,
détruit les effets de cet indice favorable. Le
signe appelé « réseau du mantra d'or », au
1. On pourrait admettre que le Nîti-çâstra est un livre
de morale à l'usage des particuliers, tandis que le Râja-
nîti serait un livre de politique à l'usage des rois : mais
le texte semble parler de ces deux ouvrages comme s'il
n'y avait entre eux aucune différence.
DU TRÔNK XXVII
flanc droit, à l'intérieur du corps, est le signe
de la royauté. C'est celui que possédait Vi-
kiamàditya, car il ne portait sur son corps
aucun signe extérieur qui décelât la royauté.
Sous quelle rubrique ce livre doit-il être
mis? Apparemment sous la quinzième, la pre-
mière des sciences du visible, l'Ayur (méde-
cine), la science de la vie.
§ 6. — L\ VIE
Quel prix faut-il attacher à la vie? — Au
premier abord, il semble que la vie soit
le plus précieux des biens. On peut perdre sa
femme, ses enfants, ses biens, et les rempla-
cer par d'autres ; la vie ne se remplace pas.
Le Nîti-çâstra enseigne quelque part (peut-
être y a-t-il quelque endroit où il soutient le
contraire) que toutes les préoccupations, tou-
Ies les méditations doivent tendre nécessai*
emeni à la conservation du corps (19); la
ie serait donc le plus précieux des biens,
liais on a vu tout à l'heure que la science
ui est supérieure. Sans la science, la vie est
nuiile (201, et un père doit désirer de voir
son fils privé de vie plutôt que de science
XXVIII ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
(8). — Il y a encore une chose supérieure à
la vie, c'est la mort pour le bien d'autrui :
on a beau garder son corps avec soin, la
mort viendra un jour; or, si l'on quitte cette
vie pour rendre service à un de ses sembla-
bles, c'est une mort excellente. Ainsi la vie
a plus ou moins de prix, selon les choses
auxquelles on la compare ; en tout cas, elle
n'est point le premier des biens.
§ 7. LES PLAISIRS
Quelques-uns disent que, dans le monde,
la chose essentielle est la science. — D'au-
tres disent : la chose essentielle, c'est une
jeune et belle femme, et l'abondance de jouis-
sances. — Ainsi voilà deux tendances oppo-
sées : la science et le plaisir. Le plaisir n'est
pas défini, ou plutôt il l'est par ce qui en est
le point culminant, la possession d'une belle
femme. C'est là le premier des plaisirs, le
principal ; mais il y en a d'autres ; nous ne
les énumérerons pas ici, nous les trouverons
indiqués dans les divers points que nous
avons à considérer, en particulier dans le
chapitre du vice; car, comme on le verra, le
^^WCi
nu TRONE XXIX
e n'est en grande partie que l'amour du
plaisir.
S 8. — LES RJCHEi^SKS
Les richesses ne sont pas le plaisir ; mais,
par le moyen qu'elles offrent de se pro-
curer toutes les jouissances , elles se con-
fondent presque avec lui. On peut, comme
bien d'autres choses, les envisager diverse-
ment, soit en bien, soit en mal.
C'est la richesse qui fait la grandeur de
l'homme. La richesse vient de Laxmî ; tout
est soumis à Laxmî. Vishnu n'est devenu le
suprême seigneur qu'en subjuguant Laxmî.
Remarquez l'identification de Laxmî, de'esse
de la fortune, avec la richesse; nous nous
rencontrons avec les Hindous en attribuant
au mot « fortune » le sens de « richesse ».
La richesse se confond avec Laxmî, la for-
tune; il fiiut en prendre grand soin et ne
pas la dissiper (i i). Ainsi raisonne l'ami des
richesses.
Ne pas dissiper ses richesses, c'est fort
bien ! Mais la richesse est essentiellement
instable; elle vient, elle s'en va. Comment
XXX ETUDE SUR LES TUENTE-DEUX RECITS
et pourquoi? Nul ne le sait. On a beau faire,
la richesse se dissipe et coule entre les mains.
Ainsi parle l'homme qui n'a pas d'attache-
ment pour la richesse, et surtout le prodigue
qui ne sait pas la garder (3 et 1 1).
La privation de richesses est un grand
malheur. Quand un riche a perdu ses biens,
voisins et parents le délaissent; la vie la
plus dure dans un affreux désert est préféra-
ble pour un homme dans cette situation à la
continuation de la résidence dans le lieu
qu'il habitait (i i).
Que faut-il donc penser des richesses? On
a vu plus haut que la science leur est supé-
rieure ; on peut les perdre, tandis qu'elle, on
la conserve toujours. Mais est-ce à dire que
la science suffise et que les richesses soient
inutiles ? L'auteur de nos récits ne se pro-
nonce pas sur la question. Il semble admet-
tre que la richesse est un avantage précieux
et désirable, mais qu'il faut ne pas trop y
tenir et savoir s'en détacher. Seulement dans
quelle mesure doit-on le faire? Quelle con-
duite tenir à l'égard des richesses ? Là est la
difficulté.
La vie de Vikramâditya semble être don-
née comme un exemple du détachement des
ou IHONC XXZl
richesses ; il distribue les siennes à tort et à
travers; il est vrai qu'il en avait en abon*
dance. 11 prend à pleines mains dans une
mine inépuisable et jette comme au hasard
ses trésors incessamment icnouvelés. Nous
avons quelque peine à tirer de ce tïux de li-
béralités un enseignement sérieux sur le bon
emploi des richesses. Les fantaisies de l'ima-
gination indienne, les exagérations extrava»
gantes de ses fictions et de ses conceptions
morales étouffent la voix du bon sens et al-
térent l'idée du bien.
§ 9. — tAlALiih, ACTIVITÉ
Nous avons vu tout à l'heure que les ri-
chesses viennent et s'en vont en dépit des
efforts de l'ho.mme aussi incapable de les
attirer que de les retenir. Cet argument est
mis dans la bouche de Vikramâditya et sur-
tout d'un jeune prodigue. La question de
l'instabilité des richesses et de la fortune se
lie à une question plus vaste, celle de la fa-
talité. Le bonheur et le malheur nous arri-
vent-ils infailliblement, quoi que nous fas-
sions ? Et n'avons-nous qu'à nous croiser les
XXXII ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
bras en attendant les arrêts du sort? La ques-
tion est agite'e h propos d'un monarque dé-
trôné par ses sujets, chassé de son pays, élu
roi dans un autre sans aucun effort de sa
part, attaqué par l'ennemi dans sa riouvelle
capitale, jouant aux dés pendant qu'on tra-
vaille à sa ruine, restant néanmoins maître
de ses Etats, et conservant ainsi sans souci
ce qu'il avait acquis sans travail. Vikramâ-
ditya conclut de là que rien ne peut arrêter
le cours du destin, qu'il est donc bien inutile
de faire des efforts en pure perte ; mais un
docteur lui oppose le Nîti-çâstra qui fait à
l'homme un devoir de lutter contre la for-
tune, contre le destin, et de déployer cons-
tamment toutes les énergies qu'il a en lui
(i3).
§10. — UN ROI PKUT-IL VOYAGER?
— DU DEVOIR QUI LUI INCOMBE
La question qui vient d'être examinée
avait été posée à l'occasion des voyages du
roi. "Vikramâditya voyage beaucoup : ses
excursions, à la vérité, ne sont pas longues;
il a des chaussures magiques qui lui font
1
DU TRONE XXXItl
faire en peu de temps bien du chemin, et il
est si déterminé qu'il achève promptemeni
ses entreprises. Mais ses voyages, s'ils ne
sont pas longs, sont très fréquents; pour un
a oui », ou pour un « non », il se met en
route; et on le voit sans cesse hors des fron-
tières de ses Etats, Deux fois on lui en fait un
reproche; la première (i3), il répond en al-
léguant la fatalité; c'est l'argument dont
nous avons parlé tout à l'heure ; la seconde
fois (21), il oppose à la négligence dont on
l'accuse le respect de la loi. Un roi a beau
être vigilant, s'il est injuste, sa puissance
périra; mais, quand bien même un roi serait
négligent, s'il est juste, ses Etats prosj>€re-
ront. D'ailleurs, c'est l'amour de la loi qui
pousse Vikramâditya à voyager. Tel est
donc l'argument : la loi ou la justice est de
force h compenser et annuler les mauvais
etlets de la négligence. Inutile d'insister
sur l'exagération manifeste de celte théorie.
Il est beau d'avoir foi dans le triomp'ae de la
justice. Mais tous les devoirs se tiennent,
tous sont indispensables, et la négligence
est un vice dont les conséquences désastreu-
ses sont inévitables.
XXXIV ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
§11. — LKS l 8 VICES
La négligence,' dont il vient d'être ques-
tion, est un vice. Cependant je ne la trouve
pas expressément citée dans la nomencla-
ture des vices que nous offre le récit même
où se trouve l'argumentation dont nous par-
lions tout à l'heure. Ces vices sont au nom-
bre de i8, nombre choisi probablement pour
faire opposition aux i8 sciences, quoiqu'on
ne puisse songer à mettre les i8 vices et
les i8 sciences en regard les uns des autres.
Les 18 vices se classent aussi sous deux ca-
tégories, l'amour et la colère; il y en a 10
de la première et 8 de la seconde. L'énumé-
ration des dix vices procédant de l'amour
revient à peu près à une énumération des
diverses sortes de plaisirs. Voici la liste des
18 vices :
Amour.
1. Passion de la chasse.
2. Passion du jeu de dés.
3j Sommeil de jour.
4. Esprit de dL-nigr^meiit.
5. Amour des femmes
DU TRONE XIXV
6 HgoUme.
7. Paksion de voir les djiuses.
8. Patsioii d'entendre les cliantt
9. Passion d'entendre les instruments
10. Promcntde au hasard et sins but.
Colère.
II. Malignité.
13. Esprit d'hostilité non motivée eoven le» geat de biM.
1 3. Uésir de tuer des gens incffensifs.
I (. Impatience de l'éloge d'autrui.
i5. Tendance à découvrir des défauts dans les qualités
des gens supérieurs.
16. L'action d'enlever frauduleusement aux autres leur
bien.
17. Le refus de faire les dons oéceasaires. *
18. Le blime d'autrui.
Il y aurait bien des remarques à faire sur
cette énumération, je me borne à quelques-
unes. Pourquoi le quatrième article et même
le sixième n'ont-ils pas été placés dans la
deuxième catégorie? Je suis étonné de ne
pas. trouver dans cette énumération l'amour
de la bonne chère et des liqueurs enivrantes,
des liqueurs enivrantes surtout prohibées
par tant de textes formels. Parmi tous ces
vices, il en est un sur lequel je dois m'arrè-
XXXVI ETUDE SUR LES TKENTE-DEUX RECITS
ter un instant, la passion du jeu de de's. On
sait quel rôk terrible il joue dans le Mahâ-
bhârata ' : mais il en est plus d'une fois
question dans nos re'cits : c'est même à l'oc-
casion d'une série indéfinie de parties de dés
que rénumération des i8 vices est faite à un
roi qui perdait joyeusement son royaume.
Le récit 26 est spécialement consacré au
jeu. Un homme magnifiquement vêtu se
livre à un bavardage désordonné- : le roi en
conclut que c'est un méchant homme et un
homme mal élevé. — Notons à ce propos que
le bavardage n'est pas compris dans les 18
vices ; il aurait pourtant bien pu prendre la
place d'un des 10 vices nés de l'amour qui
semblent n'être qu'un double ou une redite.
— Le bavard du récit 26 est un joueur qui se
montre de nouveau le lendemain couvert de
haillons : il avait perdu. Vikramâditya exprime
un blâme énergique ; il met sur le même plan
le joueur, le mendiant et l'ascète aussi misé-
rables les uns que les autres. Le joueur cen-
suré réclame en faveur du plaisir que cause
I. Le Mahâbhârata est le récit d'une guerre formidable
par laquelle les fils de Pandu recouvrent leur empire
perdu dans une partie de dés.
DU TRONE
XXXVIl
le jeu et que ne peuvent ressentir ceux qui
ne s'y livrent pas. Le roi ne se laisse pas
convaincre ; il n'en condamne pas moins le
jeu dont les conséquences désastreuses sont
visibles dans la personne même du joueur
qu'il a sous les yeux et obtient de lui qu'il
renonce à son vice. Mais ce succès n'est dû
ni à l'éloquence du roi, ni à la force de ses
raisons; elle résulte uniquement d'un ser-
vice que le roi, grâce à sa puissance surna-
turelle, a pu rendre au joueur.
12. — VERTUS POPULAIRES. — CASTES;
MARIAGE ; VEUVAGE
Après les vices, étudions les vertus, non
is les vertus royales, les vertus sublimes
le Vikramâditya qui ont déjà été passées en
îvue, mais les vertus vulgaires des simples
|>articuliers, les vertus populaires. Nous ne
ïouvons les détailler par le menu, car elles
)ni seulement indiquées en gros, d'une ma-
ïière un peu vague. Deux fois (G et 17) on
nous trace le tableau d'un peuple bien gou-
verné et vertueux à l'instar de son roi. Voici
les énumérations de ces qualités morales que
XXXVni ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
nous pensons pouvoir appeler avec raison
les vertus populaires :
Chacun pratique les devoirs de sa caste sans commet-
tre de trangression.
On observe ponctuellement les préceptes des Castras.
On ne met pas sa satisfaction dans l'injustice.
On fait toujours des efforts pour s'entr'aider.
A la tiii de la vie, on ne tient pas des discours men-
teurs, et on médite par la scienee sur l'âme suprême.
17
On se plaît dans la vertu.
Les femmes n'ont de rapports qu'avec un seul
homme.
On se détourne du mal.
On s'attache à la loi.
On persévère dans l'observation des Castras.
On respecte les hôtes.
On se conforme aux ordres des père et mère, du roi,
etc.
On suit une morale conforme à la science de l'âme
suprême
Ces deux énumérations parallc-les peuvent
se compléter par une énumération négative
(récit 24) :
DU TRONE XXXIX
Nulle transgression du Nîti-çastra; —
nulle oppression des créatures, même en
songe ; — nul obstacle à l'accomplissement
des actions vertueuses; — point d'injures
aux Brahmanes ; — point de violences con-
tre les créatures; — point de châtiments in-
justes; — nulle recherche de ce qui n'est
pas bien ; — point de mauvaise conduite ; —
point de brisement des images des divinités;
— point de cause d'inquiétude pour les gens
de bien ; — point de trangression des lois
établies par les Castras.
J'ai souligné les prescriptions positives et
précises de ces énumérations, où nous pou-
vons noter ; l'obéissance au roi, aux père et
mère, mis sur le même rang ; — le soin des
hôtes; — l'assistance mutuelle ; — le res[>ect
de la division des castes et le respect parti-
culier dont les brahmanes sont l'objet; les
relations sexuelles de chaque femme avec un
seul homme ; — enfin le respect des objets re-
ligieux et, en particulier, des images des dieux.
Tels sont les traits saillants de cette morale
vulgaire ; il en est deux sur lesquels nous nous
arrêterons un instant: le respect de la distinc-
tion des castes et l'honneur rendu aux brah-
manes; le devoir et la condition de la femme.
XL ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
Il n'est pas fort souvent question de la di-
vision par castes dans ces récits ; et il est as-
sez rare qu'on fasse connaître les castes res-
pectives des personnages mis en scène, autres
que le roi, ses conseillers et les individus qui
l'approchent d'ordinaire. Néanmoins le res-
pect dû aux brahmanes et les privilèges dont
ils jouissent sont plusieurs fois notés (i-3-5).
On les charge de l'accomplissement des céré-
monies religieuses. L'un d'eux est, par erreur,
déclaré coupable d'un crime qui entraîne la
peine de mort : mais les conseillers du roi
lui font observer que cette peine ne peut
être exécutée à cause de la qualité de brah-
mane du condamné; et elle est commuée en
celle du banissement. Malgré cela, les brah-
manes ne jouent pas dans ces contes, le rôle
éminent et exclusif qui leur est dévolu dans
les écrits officiels. Les subtilités et la con-
duite intéressée de plusieurs d'entre eux sont
hautement blâmées et les bienfaits du roi s'a-
dressent souvent à d'autres qu'aux brahma-
nes, quoique ceux-ci soient toujours mis au
premier rang dans les manifestations officiel-
les de la munificence royale.
La condition des femmes nous retiendra
plus longtemps. Une femme, nous dit-on,
DU TRONB XLI
ne peut se donner qu'à un seul homme ;
mais la réciproque n'est pas vraie : un homme
peut fort bien prendre plusieurs femmes. Si
le fait n'est pas énoncé comme un principe
et un droit, il est démontre par plus d'un
passage qui implique l'existence de la poly-
gamie. Vikramâditya a, en effet, plusieurs
femmes ; néanmoins, il y en a toujours une
qui est la première épouse, quelquefois con-
sidérée presque comme une épouse unique;
et il ne manque pas de passages relatifs à
l'union des sexes, où le narrateur parle
comme si la polygamie lui était inconnue. 11
y a plus ; on accorde aux femmes une cer-
taine influence et parfois une sorte de su-
périorité intellectuelle. L'énumération des
18 vices cités plus haut est faite par une
femme qui moralise son mari et lui fait la
leçon, tout en partageant son vice, par pas-
sion ou par obéissance ; car tous deux jouent
aux dés sans s'arrêter, pendant que l'ennemi
assiège leur capitale. Il s'agit en effet ,
dans ce récit, d'un roi et d'une reine. La
reine, tout en jouant, expose à son mari les
inconvénients de sa conduite ; le mari n'en
a cure, et continue de jouer : curieux exem-
ple que celui de cette femme obéissant par
XLII ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
faiblesse ou par devoir à son mari vicieux,
en même temps qu'elle se montre docte et
docteur ! Le récit premier nous offre un
exemple de l'influence exercée par la femme
en raison de sa beauté, influence plus puis-
sante que les raisonnements les plus solides;
il s'agit d'un roi qui ne peut siéger dans son
conseil sans avoir sa femme à ses côtés.
Quand il est dit que la femme ne peut se
donner qu'à un seul homme, cette phrase
doit être prise à la lettre et d'une manière
absolue. Après la mort de celui à qui elle
était unie, la femme doit lui rester fidèle et
ne peut s'unir à un autre homme. On sait
assez que les femmes indiennes, pour être
plus sûres de ne pas trahir la foi conjugfle,
accompagnaient leur mari dans la mort. Cette
grave question se trouve posée et résolue
dans nos textes; il vaut la peine d'y insister.
Dès l'introduction, nous voyons Vikramâ-
ditya mourir laissant sa première épouse en-
ceinte. Celle-ci laisse arriver le terme, puis,
une fois délivrée, elle abandonne son enfant
aux conseillers du roi qui relèveront, et
« entre dans le feu », c'est-à-dire qu'elle se
brûle pour partager avec son mari les jouis-
sances du bonheur suprême. Ainsi la fidélité
DU TRONE XLIII
conjugale, comprise comme une immolation
de la femme à l'époux décédé, passe avant
les devoirs de la maternité.
Dans le récit 29, nous trouvons un cas
analogue, mais non identique, qui donne
lieu à une discussion en règle, qu'on pour-
rail intituler le • pour » et le « contre •. 11
s'agit d'une femme commise à la garde du
roi Vikramâditya, laquelle, se crojrant veuve,
entre aussi dans le feu par fidélité à son
mari. Avant que le sacrifice soit consommé,
le roi cherche à détourner la veuve de son
projet; celle-ci répond. Et ainsi un débat sur
le devoir des veuves s'engage entre ces deux
personnages. Il est vrai que le roi déclare
n'avoir eu d'autre but, en combattant le des-
sein de celte veuve inconsolable, que de
mieux faire éclater sa fidélité; il n'en plaide
pas moins contre le suicide.
Voici l'argument du roi : C'est la vie qui
fait le lien entre les époux; quand la vie
cesse, le lien est rompu; rien ne rattache
plus les époux l'un à l'autre : la femme res-
tée seule peut, à son choix, garder le célibat
ou choisir un nouveau mari.
L'argumentation de la veuve est plus dé-
veloppée, mais repose sur un seul principe,
XLIV ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
l'indissolubilité du mariage. La femme ne
doit pas abandonner son mari : l'union des
e'poux est si étroite que la mort même ne
peut la rompre. Le mari peut bien vivre
sans la femme; mais la femme ne peut plus
subsister sans le mari dont elle est devenue
comme une sorte d'attribut. Elle n'a qu'un
moyen de lui prouver son affection, c'est de
le suivre quand il meurt. La femme pour-
rait, à la rigueur, survivre à son mari, mais à
la condition de ne pas se remarier : or les
tentations sont si puissantes, on est si expo-
sée à devenir infidèle en restant en vie que
mieux vaut observer la loi du sacrifice or-
donné ou conseillé par les Castras.
Après avoir reproduit les arguments pour,
et contre le suicide des veuves, je reviens à
l'épisode du récit 29. La femme se brûle, et
le mari qu'on croyait mort reparaît, il ré-,
clame sa femme. Le roi raconte ce qui est
arrivé; mais le mari n'admet pas ses excuses.
Il exige que le roi, s'il ne peut rendre la
femme qui lui a été confiée et dont il est
responsable, donne en échange la reine sa
propre femme; et le roi s'exécute, il livre la
reine. On ne nous dit pas comment cette
rupture de l'union du roi et de sa femme se
DU TRÔNE XtV
concilie avec le principe de l'indissolubilité
proclamé plus haut. Il faut conclure de là
que le mari a le droit de rejeter sa femme,
mais que la femme ne peut se séparer de
son mari que si elle a été rcjctée par lui, et
si la situation nouvelle dans laquelle elle en-
tre lui est imposée par son mari.
Si nous réunissons toutes ces données,
nous pouvons poser pour la condition des
femmes les principes suivants : un homme
peut s'unir à plusieurs femmes; — une femme
ne peut s'unir qu'à un seul homme. En cas
de pluralité d'épouses, il y en a générale-
ment une qui est la première; — une femme
peut subjuguer son mari jusqu'à le dominer
même en public; — une femme peut avoir de
l'instruction au point de morigéner son mari.
— Le mariage est indissoluble; — la veuve
qui se remarie est infidèle. — Une veuve
peut rester en vie après la mort de son mari,
à la condition de ne pas se remarier; mais
c'est bien dangereux. — Le meilleur moyen
pour une veuve de rester fidèle, c'est de se
brûler. — Un homme peut, dans certains
cas, livrer sa femme à un autre.
Il y aurait bien des réflexions à faire sur
ces divers points. Nous ne le pouvons : ce
XLV( ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
serait tout un traité à entreprendre. J'ajoute-
rai seulement que l'infamie dont se couvre la
veuve infidèle est corroborée par le récit 23«,
où nous voyons deux brahmanes, dont la sœur
veuve est devenue enceinte des œuvres d'un
génie souterrain, quitter la ville pour aller
cacher au fond des déserts la honte qui re-
jaillit sur eux du crime de leur sœur.
§ r3 — LES NEUF RAS.V (« GOUT, SAVEUR »)
L'amour el la colère^ qui sont les deux ra-
cines des 18 vices énumérés dans le 21® ré-
cit, se trouvent incorporés dans une autre
énumération avec d'autres passions ou sen-
timents qui ne sont pas tous blâmables; je
veux parler de l'énumération des neuf Rasa^
qui revient assez fréquemment dans les li-
vres indiens, et semble être une tentative de
dénombrement et de détermination des di-
verses affections de l'àme. Ils deviennent,
dans le 21® récit, le sujet d'une fiction bi-
zarre : un personnage obtient la manifesta-
tion, et, pour ainsi dire, la matérialisation de
ces 9 Rasa qui sont : l'amour, l'héroïsme, la
compassion, l'étonnement, la gaieté, l'épou-
DU TRONE XLVII
vante, l'aversion, la colère, le calme. — Inu-
tile d'insister ici sur cette classiticaiion psy-
chologique qui ne joue dans notre recueil
qu'un assez faible rôle.
IV. - MAGIE
§ 14. — CHAUSSURES MAGIQUES
ET TRANSFORMATIONS
De la morale nous passons à la religion.
Mais nous rencontrons sur notre chemin des
éléments spéciaux qui se rattachent à la reli-
gion et ne sont pas étrangers à la morale,
sans appartenir véritablement soit à l'une, soit
à l'autre. Je veux parler du merveilleux et de
la puissance magique qui est la récompense de
la vertu et nous transporte dans un monde
fantastique dont les héros et les scènes ima-
ginaires se combinent d'une étrange manière
avec les personnages et les événements du
monde réel. Nous tâcherons d'énumérer en
les groupant le mieux possible, mais sans
prétendre ici plus qu'ailleurs à une classifi-
cation irréprochable et complète, les maaifes-
XLVIII ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
tations magiques dont quelques-unes revien-
nent fre'quemment.
Nous avons déjà parlé des chaussures ma-
giques avec lequelles Vikramâditya fait ra-
pidement des excursions lointaines : elles
ont, sans doute, donné naissance à nos « bot-
tes de sept lieues ». Les joyaux merveilleux
sont un des procédés les plus usités de l'au-
teur de nos contes. Dés l'introduction, un
fruit magique qui affranchit de la maladie et
de la mort fait son apparition. Le même
fruit ou son analogue reparaît dans le neu-
vième récit. Dans le troisième, nous voyons
quatre joyaux donner respectivement des
mets, des richesses, une armée, des or-
nements. D'après le vingtième récit, huit
autres joyaux donnent la réalisation de ce
qu'on a dans l'esprit, des mets, une armée,
la divinité, les chaussures magiques, la faculté
de tout immobiliser, l'omniscience, le con-
tentement parfait. L'objet appelé Mûlikâ
(i2« récit) permet d'obtenir tout ce qu'on
désire. Deux autres objets, Rasa et Rasâ-
yana (récit 17), assurent également la posses-
sion et la jouissance de tous les biens, Rasa,
celles des biens extérieurs, Rasâyana celle
des biens spirituels, des biens du monde
1>U TRÔNE XlAX
supérieur. Le 19' récit nous entretient de
trois talismans, Kanthâ, Khandika, Danda;
le premier procure des richesses et des orne-
ments, le deuxième une armée, le troisième
rend la vie à un corps mort. Dans les récits
i3 et 33, il est question de l'incomparable
joyau Cintamani. Nous pouvons ranger
parmi les joyaux le Siddhi-mantra de Saras-
vatî cité dans le 8» récit, quoique les mantras
soient non des joyaux, mais des paroles
d'une vertu magique. Sarasvatî est la déesse
de l'éloquence. Son Siddhi-Mantra (Mantra
de la réussite) fait obtenir les 18 sciences.
Ainsi l'acquisition de la science elle-même
est l'objet d'opérations magiques ! Ce Siddhi*
Mantra et Sarasvatî dont il émane nous rap-
prochent des traditions classiques, comme
deux autres talismans bien connus Kârna*
dhenu (25) • la vache du désir • qu'il suf-
fit de traire pour voir tous ses souhaits réa-
lisés, et l'Amrita, le breuvage d'immortalité,
employé comme une sorte de cordial pour
faire reprendre connaissance à ceux qui sont
à bout de forces et par lequel une armée en-
tière tombée en léthargie recouvre sa vi-
gueur (23).
Nos récits décrivent des scènes fantasti-
L ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
ques dues à la puissance magique dont sont
doués certains personnages : au récit 25,
deux divinités, pour éprouver Vikramâditya,
prennent l'une la forme d'une vache, l'autre
la forme d'un tigre. Les scènes du récit 29
auxquelles nous avons fait allusion en par-
lant du devoir des veuves : cette veuve qui
se brûle croyant son mari mort, ce mari qui
réclame sa femme, tout cela est imaginaire,
et résulte d'une fantasmagorie produite à
l'aide du talisman appelé la • science du ré-
seau d'Indra ». L'armée avec laquelle Çâli-
vâhana soutient les efforts de Vikramâditya
est aussi une apparition fantastique. La
grotte où Vikramâditya acquiert les talis-
mans Rasa et Rasâyana (17), le palais où
tombe une pluie d'or (3o) semblent être,
quoiqu'on ne le dise pas, des effets de la
magie. Enfin notons, parmi les plus curieux
effets de cette puissance si souvent mise en
action, la matérialisation, l'apparition sous
forme concrète de certaines abstractions, sa-
voir : des neuf sentiments (21) dont il a été
parlé ci-dessus et des vertus de Vikramâdi-
tya qui l'abandonnent, puis reviennent h
lui (3i).
DU TRONB II
§ l5. — ÊTRES SURHUMAINi
A la magie se rattache, en partie, l'exis-
tence de personnages qui nous sont décrits
dans des conditions extraordinaires, par
exemple : l'homme et la femme du 6* récit,
décapités et rappelés à la vie ; l'homme blessé,
soigné par Vikramâditya et qui expire en lui
remettant un talisman |ia), — la Rànî dont
on acquiert la possession en sautant dans un
bassin d'huile bouillante (14}. Ces détails
conviennent bien à la physionomie popu-
laire de nos récits; la nature des personna-
ges est quelque peu ambiguë. Mais il en
est d'autres qui rentrent dans la nomen-
clature des êtres surhumains figurant d'or-
dinaire dans les livres classiques de l'Inde ;
tels sont les Nàgas, les Yaxas et les Raxasas.
Les Nàgas sont des serpents qui vivent
sous terre dans les eaux, et ont le pouvoir
de se transformer. Les huit jeunes tilles du ré-
cit 20" qui sont autant de perfections, pas-
sant la nuit en prières auprès d'un autel et le
jour au fond d'un lac dans leur ville de Pâ-
tàla, appartiennent à cette race. La même
I.It ÉTUDE SUR I-KS TURNTE-DEUX KÉCIIS
race reparaît au récit i'i°; Çàlivûhana, l'ad-
versaire de Vikramâditya, est fils d'un Nâga;
c'est par le pouvoir magique dont il est
armé en cette qualité qu'il fait apparaître
une armée imaginaire, et il se sert du venin
qu'il tient de son père pour empoisonner
l'armée de Vikramâditya; mais voici que
le roi des Nâgas, Vâsuki, guérit les malades.
Ce récit nous montre donc la guerre, ou, tout
au moins, la rivalité dans la race des Nâgas.
Les Yaxas ne paraissent qu'une seule fois
dans ce recueil, et ils ne sont pas dépeints
avec leurs traits caractéristiques. Ceux dont
il s'agit sont d'anciens poissons qui témoi-
gnent leur reconnaissance à celui qui les
avait jadis sauvés de la mort, en employant
leur puissance surnaturelle pour le sauver
d'une catastrophe.
Quant aux Râxasas, ils paraissent plu-
sieurs fois dans nos récits, toujours avec
leurs habitudes de violence, de brutalité et
d'anthropophagie. Le premier, Durjaya, de
Kànci, tient captive la jeune Naramohinî, et
s'en sert pour amorcer les étrangers : tous
ceux qui sont séduits par les charmes de la
jeune fille tombent sous la dent du monstre
(8); le deuxième mange chaque jour un
ou TRONE LUI
homme, le troisième, anonyme comme le
précédent, opprime une femme qu'il bat à
tour de bras.Vikramâditya tue le premier de
ces monstres et le troisième; quant au
deuxième, il l'adoucit en s'offrant à lui
comme pâture, et le force ainsi de renoncer
à ses habitudes perverses.
Les Nâgas, les Yaxas, les Râxasas sont
familiers à la littérature classique de l'Inde;
les Vetâlas le sont beaucoup moins. Il semble
que ce qui se rapporte à eux appartienne
davantage aux croyances populaires. Ils sont
dépeints tantôt comme une race puissante
et féroce, tantôt comme des génies qui han-
tent les cimetières. Dès l'introduction, cette
race se fait connaître par les exploiisduVetâla
Agni, antropophage, glouton, qui sait tout,
qui peut tout, et dont le roi, par son cou-
rage et sa fermeté, a obtenu l'amitié. C'est
lui qui est le héros ou plutôt le narrateur
des vingt-cinq contes du Vetâla. Le Vetâla
est donc, de ce chef, inséparable des Ja récits
du trône. A cela près, il n'est pas très sou-
vent question de Vetàlas; mais, chaque fois
qu'on en parle, c'est pour donner l'idée de
la plus grande atrocité ou du pouvoir mer-
veilleux le plus étendu. C'est à eux qu'on
LIV ÉTUDE SUR LES TFENTE-DEUX RÉCITS
attribue les sacrifices humains; d'après le ré-
cit 27, il existe une ville de Vetâlas où de
tels sacrifices se célèbrent; et Vikramâditya
les fait cesser. La fantasmagorie du récit 29^
l'apparition de cet homme imaginaire qui
meurt pour reparaître peu après et de cette
femme, non moins imaginaire, qui se
brûle, croyant être devenue veuve, est l'œu-
vre d'un Vaitâlika, c'est-à-dire d'un homme
de la race des Vetâla, ou d'un disciple des Ve-
tâla, qui se présente devant le roi armé
d'une canne (une baguette magique!) et ac-
complit ce prodige dont l'unique résultat est
de mettre en relief l'abnégation de Vikra-
mâditya. Le narrateur semble avoir voulu
montrer par l'intervention des Vetâla que la
plus grande puissance magique comme la
plus grande férocité sont employées à faire
éclater les vertus du roi.
V. - RELIGION
Nous abordons maintenant la religion à
laquelle l'étude des êtres surhumains ser-
vait naturellement de préface. On peut dis-
DU TRONE LV
tinguer dans une religion diverses parties :
les croyances qui la constituent, le principe
qui lui sert de base, la morale qui en dé-
coule, les pratiques qu'elle prescrit pour le
culte. Nous n'avons pas l'intention d'étudier
à fond ces différents points : nous voulons
seulement toucher quelques-uns d'entre eux.
§ l6. — CROYANCES VULGAIRRS
11 serait difficile de tirer de nos récits un
corps complet de croyances. Mais il est aisé
de voir qu'ils supposent partout l'adhésion
non discutée aux croyances et aux enseigne-
ments du brahmanisme. La guerre des dieux
et des Dilnavas leurs adversaires, le baratte-
ment de la mer, le triomphe de Vishnu sont
rapportés et proclamés. Nàràyana (qui est
Vishnu) est adoré une seule fois. Devî est in-
voquée dans l'introduction par Bhoja qui a
trouvé le fameux trône, et, dans le récit Sa,
par N'ikramâditya qui obtient d'elle la cessa-
tion de la famine. Cette Devî est identifiée à
Paramcçvarî, qui suppose Parameçvara. l*ara-
meçvara se confond avec Içvaradontla véné-
ration est recommandée plusieurs fois Tous
l.Vl ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
ces noms se rapportent à Çiva. Nous trouve-
rions donc dans nos contes Vishnu et Çiva, ce
qui suppose une sorte de conciliation entre les
deux divinités rivales. Mais les divinite's ne
sont ni fréquemment, ni clairement citées;
les récits du trône n'ont point un caractère
bien accusé, soit dans le sens du çivaïsme,
soit dans le sens du vishnuïsme. Ils s'occu-
pent peu des grandes divinités du Panthéon
brahmanique, ils aiment mieux s'attacher à
de menues divinités qui peut-être ne sont
guère plus réelles (je parle en me plaçant
au point de vue hindou) que les noms de
lieux et les autres particularités notées dans
les diflFérents contes, mais qui du moins,
nous paraissent représenter fidèlement les
objets de l'adoration populaire. Car nous
n'avons point à faire ici aux leçons officiel-
les du brahmanisme; il s'agit de contes com-
posés pour la foule. Or, elle doit y retrouver,
sous une forme mythique qui semble la
transporter dans un monde de fantaisie, l'i-
mage de ses préoccupations habituelles. Peu
importe que telle divinité citée dans les
contes n'existe pas plus que le lieu où son
autel est censé établi, pourvu qu'elle res-
semble à telle divinité dont le lecteur indi-
bU TRÔNB LVIl
gène a pu visiter la résidence. Or nous
croyons que nos 32 récits nous dépeignent
assez fidèlement ce culte populaire.
8 17. — CULTB
Les actes du culte ne sont pas minutieuse-
ment décrits, ni même énumérés méthodi-
quement; mais ils sont assez fréquemment
cités pour qu'on y reconnaisse les cérémo-
nies habituelles du brahmanisme. Les priè-
res, les invocations, les divers ordres de sa-
crifices (yajna-homa-bali-pujâ), les visites aux
étangs sacrés sont plusieurs fois mentionnés;
la célébration des rites védiques est aussi
rappelée dans certaines circonstances.
Ce qui est dit au récit 24, qu'on ne brise
pas les images des divinités sous le régne de
Vikramâditya, pourrait donner lieu de sup-
poser qu'il aurait existé des sectes iconoclas-
tes. Mais il est probable que cette affirma-
tion est relative, non h des débats religieux,
mais simplement à la bonne police entrete-
nue par le roi. Les brisements d'images aux-
quels il est fait allusion sont, sans doute, des
profanations vulgaires, comme il peut s'en
LVIll ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
commettre partout, en dehors de toute pre'oc-
cupation religieuse. Si la mention de ces ac-
tes de destruction devait être rapportée à
des faits de l'histoire religieuse, on ne pour-
rait guère y voir qu'un souvenir des excès
qui ont pu sign&ler les invasions musulma-
nes ; mais rien ne nous autorise à donner à
cette hypothèse un caractère précis.
Ce qui nous paraît le plus remarquable
dans les assertions du narrateur, relative-
ment au culte, c'est l'inutilité de tous les
actes religieux constatée plusieurs fois, no-
tamment dans le récit 24; ils sont impuis-
sants à conjurer la flamme; le sacrifice seul
de la vie est signalé comme ayant cette effi-
cacité. Nous avons déjà noté la répétition
fréquente de cet acte important dont Vikra-
mâditya abuse évidemment, peut-être parce
qu'il sait bien, par expérience ou autrement
que, au bout du compte, son sacrifice ne lui
coûtera pas bien cher et lui vaudra, dès cette
vie, de belles récompenses. Il ne faut abuser
de rien, et un homme qui tente vingt fois
de se tuer ou qui se tue deux ou trois pour
revivre aussitôt ne nous touche pas autant
qu'un homme qui ferait une bonne fois et
sérieusement le sacrifice de sa vie. Quoiqu'il
DU TRONE LU
en soit, la pensée qui paraît se dégager de
ces récits, c'est que le sacrifice de la vie est
l'acte religieux par excellence. Cet acte, par
lequel un homme quitte volontairement la
vie, ne doit pas être confondu avec celui qui
consiste h immoler des hommes malgré eux.
Il est question des sacrifices humains d^ns
nos récits ; mais ces actes odieux sont attri-
bués à la race abhorrée des Vetâlas, etVikra-
mâditya y met fin; il est intéressant de re-
trouver dans nos récits cette mention des
sacrifices humains. On a agi^é la question de
savoir si les Indiens avaient effectivement
pratiqué cette horrible coutume, et le résul-
tat des recherches a été affirmatif. Que les
Indiens les aient ou non pratiqués eux-mê-
mes, il c t certain qu'ils en ont conservé le
souvenir, et ce trait de nos récits, comme
beaucoup d'autres apparemment, doit se rat-
tacher à de bien anciennes traditions. En ré-
sumé, l'effusion du sang humain, d'un sang
expiatoire revient sans cesse dans nos textes ;
et nous comprenons ainsi comment l'inextin-
guible m mie des immolations volontaires et
des sacrifices humains (je prends ce terme
dans le sens le plus large), s'est perpétuée chez
les Hindous de t;énération en génération.
LX. ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
Parmi les pratiques, religieuses, il ne faut
pas oublier celles qui sont spéciales à cer-
tains individus visant à une grande supério-
rité' morale, les Yogis, appelés aussi Sannyasi
et Siddhi. Nos récits ne font pas de différence
entre ces trois termes. On peut voir dans
Manu ' la description du Sannyasi. Nous
dirons seulement ici que le Yogi est celui
qui, aspirant à la perfection, la cherche dans
l'identification, l'union intime (Yoga), avec
l'être suprême et renonce à toutes les satis-
factions d'ici-bas. Le Yogisme éveille l'idée
de la perfection. Or nos contes mettent en
scène sept de ces yogis, sur lesquels il y en a
quatre qui sont plus ou moins méprisables.
Voyons d'abord les meilleurs. Celui du ré-
cit 9^ réalisait vraiment l'idéal poursuivi; il re-
fuse de se rendre à l'injonction du roi qui
l'a mandé près de lui ; Vikramâditya, recon-
naissant la correction de ce procédé qui
pouvait paraître blessant à l'égard du souve-
rain, va le trouver lui-même et reçoit un ta-
lisman en don. Celui du i3« récit blâme
l'humeur voyageuse de Vikramâditya, lui ra-
conte h ce sujet une histoire instructive et
I, Livre VI.
[
DU TRONE tXj
combat ses idées sur la fatalité. Celui du 19',
reconnaissant, à la seule vue de Vikramâ-
ditya tous les mérites dont il est doué, lui
ilunne trois talismans. Il y a incontestable-
ment des Yogis recommandables et dignes
de leur profession; mais tous ne sont pas
a Lissi sages et aussi généreux que ceux dont
nous venons déparier; et les Yogis de l'Inde
comme les moines et les prêtres européens
du moyen-âge, nous sont plus d'une fois dé-
peints sous des traits peu favorables. Celui
de l'introduction est un misérable prêt à
commettre tous les crimes, pour gagner
l'homme d'or; Vikramâditya lui tranche la
tête. Celui du 2' récit s'est adonné à des
mortifications pénibles pendant un grand
nombre d'années, sans obtenir aucun suc*
,cès; il n'y apportait pas les dispositions d'es-
prit convenables : il finit par être exaucé,
mais ne le doit qu'à l'intervention de Vikra-
mâditya Celui du 5* récit est dans un état
analogue, mais plus caractérisé ; il ne croit
pas à la vertu des actes qu'il accomplit, il re-
grette ks jouissances auxquelles il a re-
noncé : Vikramâditya, informé de son état,
le prend en pitié, ne voit en lui qu'un mal-
heureux, fait en sa faveur des prodiges de li-
4
LXII ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
béralité, et lui assure ces jouissances aux-
quelles il avait dit adieu pour chercher un
état supe'rieur qu'il n'avait pu trouver. Enfin,
le Yogî du récit 32^ est un franc incrédule
qui discute avec le roi et finit par se laisser
convaincre, mais seulement après avoir vidé
l'arsenal de l'incrédulité. Ces diverses pein-
tures défavorables du Yogisme ont, sans doute,
été faites pour glorifier le roi, plutôt que
pour flétrir les solitaires voués à la contem-
plation ; elles nous montrent cependant que
les façons des Yogis n'en imposaient pas au
peuple, qu'en Inde comme en Europe,
l'habit ne fait pas le moine ; qu'il y avait de
bons Yogis et qu'il y en avait de mauvais;
qu'on savait fort bien les discerner, et que
si les bons obtenaient des éloges mérités,
les autres ne pouvaient pas se dérober au
fouet vengeur de la satire.
§ 1(3. •— CROYANCES FONDAMENTALES
Au-dessus des pratiques du culte, au-des-
sus des formes extérieures, et même des
croyances secondaires qui forment le système
mythologique, se place le sentiment reli-
DU TRONE LXIII
gieux, le sentiment du divin dans ce qu'il a
de plus intime et de plus élevé. Recherchons
dans nos contes la trace de cet élément
La première que nous rencontrons ou qui
nous semble mériter l'attention est la sanction
morale ou plutôt l'existence d'un étatfutur
heureux ou malheureux, en rapport avec les
actions bonnes ou mauvaises des hommes. Pâ-
tâlaetNarakasontlcsnoms des lieux où le mal
est puni (Intr., i,io,î3|, Svarga celui du lieu
où le bien reçoit sa récompense (Intr , i, ao,
2 5). Ces noms sont bien connus; il est tout
naturel de les retrouver dans ces contes qui
sont ici tout à fait dans le courant de la
pensée indienne. Mais le sort fait aux habi-
tants du Pàtâla et du Naraka et à ceux du
Svarga est-il déHnitif? La réponse à cette
question est douteuse d'après la dogmatique
indienne qui flotte entre le oui et le non.
On conçoit donc que nos récits ne soient
pas propres à nous donner sur ce point une
solution précise. Nous voyons, dans l'intro-
duction, Vikramdditya et sa rânî, qui le suit
de près, aller droit dans le Svarga tout de
suite après leur décès; nous ne savons pas
s'ils y sont pour toujours. On nous dit ail-
leurs que les méchants endurent des souf-
LXIV ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
frances pendant plus de mille naissances :
mais qu'arrive-t-il après ces mille naissan-
ces, ou ce nombre indéfini de naissances?
Nous ne le savons pas; et rien ne nous le fait
préjuger. Ce qui est certain, c'est que cette
donnée se rapporte à la transmigration des
âmes, à la théorie des existences successives.
La transmigration des âmes est, en effet, le
dogme fondamental des Hindous, et il est
recueil de leur dogmatique parce qu'on ne
sait par quel moyen mettre un terme à ce
renouvellement constant de l'existence. Le
grand problème religieux de l'Inde consiste
précisément à trouver et déterminer ce
terme. Ce n'est pas de nos contes que nousde-
vons en attendre la solution. Tout ce que nous
pouvons dire, c'est que, sans parler aussi fré-
quemment de la transmigration des âmes
qu'on eût pu l'attendre, ils la professent
hautement et la supposent constamment.
L'histoire des trois Yaxas qui témoignent
leur reconnaissance à l'homme qui les avait
sauvés de la mort pendant une sécheresse
quand ils étaient poissons (i3), nous montre
des animaux et des animaux d'une espèce
inférieure passant, dans une existence ulté-
rieure, à la condition humaine. L'éloge de
ou IRONS LXV
la science (8, 20) où il est dit que l'ignorant
est assimilé à la brute et renaîtra comme une
brute, nous montre, sans Hgure, l'homme
destiné à renaître dans l'animalité. EnHn, le
cadre même de nos récits nous otfre un cas
de transmigration étrange et rare, mais non
sans exemple, celui d'êtres animés passés à
l'état de matière brute, sans que leur indivi-
dualité soit détruite. Les 32 figures du trône
qui racontent les histoires de notre recueil
sont des personnes réelles condamnées à
l'immobilité et réduites à prendre la forme
de statuettes pour expier une faute non ex-
pliquée et peut-être bien légère.
La succession des naissances et des condi-
tions diverses appartient à l'ordre changeant
de ce que les Hindous appellent le samsara
et qui est l'instabilité même ; il n'est pas sûr
que le lieu des châtiments et celui des ré-
compenses le Naraka (ou le Pâiâla) et le
Svarga ne fassent pas partie de cette exis-
tence mobile. Il est même fort probable
qu'ils ne s'en distinguent pas et que tout, le
monde des vivants et le monde des morts,
est emporté par le mouvement incessant du
changement perpétuel. Est-ce à dire que toute
existence soit vouée sans remède à la mobilité.
LXVI ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
qu'il n'y ait rien, absolument | rien d'im-
muable? Nos récits et une partie de la phi-
losophie indienne avec eux, semblent admet-
tre un principe de ce caractère. Ils l'appellent
« l'âme suprême » ; la perfection, selon eux,
consiste dans la « méditation de l'âme su-
prême » (6) dans une « morale conforme a
la science de l'âme suprême » (17).
§ 19. — l'ame suprême
Quoique la cause première invisible, et
saisissable seulement dans ses effets visibles,
soit, au récit 28'', l'objet d'une mention
claire et précise, mais incidente, introduite
dans une comparaison, dans une simple
phrase, et qui même peut-être pourrait faire
soupçonner une influence musulmane nul-
lement certaine d'ailleurs, c'est seulement
dans le dernier récit, le 32'", que la question
est traitée ex professa, dans un sens tout
indien; il y est, en effet, parlé de l'âme su-
prême, et très longuement, sous forme de
discussion, ce qui ajoute peut-être un nou-
veau charme à l'exposé et lui donne plus de
saveur, mais lui prête en même temps un
ou TRÔNE LXVII
caractère spécial. Ce récit nous fait assister
il un débat entre un Yogi incrédule et le roi
Vikramàditya croyant : nous voyons la reli-
gion discutée, contestée, niée par un des
hommes qui l'ont embrassée spécialement et
font profession de la connaître mieux que
les autres, et défendue par un roi qui peut
avoir à remplir envers elle des devoir géné-
raux de protection, mais qui n'a point pré-
cisément qualité pour plaider sa cause. L'é-
tude de ce débat terminera notre étude sur
les trente deux récits du trône.
Il s'engage à propos d'une des pratiques
du bigotisme hindou, la visite aux étangs
sacrés. Un sophiste incrédule et athée atteint
de ce mal que le texte appelle a la négation
des Piyâcas «> ■ vient et tourne cette pratique
en ridicule, il la déclare vaine et nie les mé-
rites qu'on prétend en faire découler. Voici
son argumentation :
Il n'y a dans un acte rien de plus que
l'acte lui-même; l'acte n'entraîne donc rien
après lui. La dissolution du corps entraîne
I . « Ndstikalâ piçJct. Les Piçâcas sont des monstres • ies
démons qui hantent les cimetières. On les regarde comme
les patrons de l'incrcdulité, de l'esprit de négation :
\âsli-ka ta • état de celui qui nie, qui dit : cela n'est pas •
I.XVIII ETUDE SUR I.ES TRENIE-DEUX KfcCiTS
la disparition du moi. Il ne peut donc y
avoir ni Svarga ni Naraka ; il n'y a pas da-
vantage de justice et d'injustice invisible, ni
de dieu existant par lui-même, conservateur
et destructeur; ce dieu est une simple ide'e
dont on ne peut prouver l'objet. — Il avait
été' dit au récit zq" que Dieu est une cause
qu'on ne peut pas apercevoir, mais que l'on
connaît par ses effets.
Toutes les négations du sophiste se lient les
unes aux autres, sans précisément s'engendrer
les unes les autres. Sa première proposition
que l'acte ne laisse rien après lui est la néga-
tion d'une des idées les plus chères à l'esprit
indien. Car on répète sans cesse que le fruit
ou la conséquence d'un acte le suit comme
l'ombre suit le corps. Or cette notion impli-
que comme conséquence probable, sinon
nécessaire, l'existence du Svarga et du Na-
raka. Ces deux négations du sophiste vont
donc directement à rencontre des notions
les plus indestructibles de la pensée in-
dienne ; les autres, et surtout la dernière, sont
moins choquantes, mais ne laissent pas que
de heurter les esprits religieux.
Voici maintenant par quels arguments le
roi répond à ceux du sophiste :
DU TRONE LZIX
Un sourd ne s'entend pas parler : s'ensuit-
il que sa parole n'existe pas ? Il se trouverait
donc dans cette situation singulière de faire
connaître aux autres sa pensée par la parole
et d'être persuadé qu'il ne dit rien, s'il ne
veut s'en rapporter qu'au témoignage de ses
sens; car son sens de l'ouïe ne lui fait perce-
voir aucun son. — Un homme s'est vu cou-
per la tête en songe, il se croit décapité et,
par conséquent, mort : néanmoins il se con-
sidère comme vivant. L'autorité des sens n'est
donc pas la seule, ni la plus digne de foi. Si
l'on veut ne s'en rapporter qu'à elle, il est
des choses dont on ne peut se rendre compte,
l'origine des êtres, par exemple. Nous n'al-
lons pas nous imaginer que nous sommes
tombés du ciel : il nous faut donc supposer
des ancêtres que nous n'avons pas vus, mais
dont l'existence ne saurait être douteuse.
C'est par un raisonnement analogue qu'on
arrive à conclure l'existence d'un être supé-
rieur en qui et par qui tout existe. Tout a une
borne, les choses matérielles comme les cho-
ses morales : qui les maintient dans leurs
bornes ? qui est la limite? C'est le Seigneur
suprême, omniscient, maître absolu, se révé-
lant par la série des effets, essence de toutes
LXX ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
choses, témoin de toutes choses, saisissant
tout, voyant tout, entendant tout, bien qu'il
n'ait ni mains, ni yeux, ni oreilles, qui con-
naît tout et que nul ne peut connaître, qui
est partout et que nul ne peut atteindre, qui
n'a besoin de nul appui et sur qui tout re-
pose, qui est toute bonté, intelligence, féli-
cité.
Après ces définitions, qui sont correctes et
dans lesquelles je ne vois aucun symptôme
de panthéisme, il en vient d'autres qui sont
de pures divagations panthéistiques. Ce Sei-
gneur suprême, qui tout à l'heure était au-
dessus de toutes les existences, se trouve avoir
maintenant quelqu'un ou quelque chose au-
dessus de lui. Il est l'œuvre, le produit de
Mahâmayâ (« la grande magie ») la cause et
l'effet, la racine et le produit. Ce monde,
simple effet de sa puissance, n'est qu'un songe.
Sa force vient du grand Sommeil (!). Voilà
pourquoi n'ayant ni qualité (distinctivc), ni
activité (déterminée), étant par sa nature
toute bonté, intelligence, félicité, il possède
l'omniscience et toutes les qualités.
Je ne suis pas parfaitement sûr, je l'avoue,
de comprendre ce passage énigmatique; mais
je ne crois pas qu'on puisse y trouver autre
DU TRONE LXXI
chose qu'une défînitioa panthéiste de l'Etre
suprême, opposée à celle qui précède et qui
me semble de nature à satisfaire les théistes
les plus ombrageux.
Après avoir défini l'Etre suprême par ce
double courant d'épiihétes et de propositions,
le roi aborde la question de la délivrance ti»
nale dont il fait la théorie à sa manière, en
termes très brefs. Il se borne à dire qu'on
arrive à la délivrance finale en rendaut au
Seigneur suprême un hommage assidu. Ce
genre de délivrance paraît être autre chose
que le Svarga et quelque chose de mieux. Le
Svarga est apparemment la plus belle récom-
pense des bonnes actions qu'on puisse obte-
nir dans le monde, non pas, sans doute, dans
le monde terrestre, mais bien dans un monde
supérieur qui n'en fait pas moins partie de
ces évolutions et de ces transformations mul-
tiples dont se composent les effets variés qui
ont dans le Seigneur suprême leur point de
départ et leur cause première. La délivrance
finale proposée, vantée, mais non expliquée
^_ par le roi doit être une absorption d^.is le
^H Seigneur suprême considéré à la fois comme
^^B la cause de tous les effets et comme la sup-
^^P pression de toute participation aux eflTets dé-
w
LXXII ETUDE SUR LES TRENTE-DEUX RECITS
rivant de cette cause unique. Cette the'orie
fait, en définitive, bon marché du Svarga, et
le sophiste qui en avait nié l'existence a dû,
en effet, se laisser convaincre assez facilement
sur ce point par son adversaire.
Cette vue relative au Svarga, qu'elle soit
vraiment celle du roi ou qu'elle se déduise de
ses affirmations, est justifiée par la suite du
discours. Revenant, en effet, à la morale, Vi-
kramâditya compare les passions vicieuses à
des maladies, les efforts vertueux nécessaires
pour les surmonter à des remèdes, et le
Svarga à des friandises qui servent à faire
passer les remèdes dont ils dissimulent l'a-
mertume. L'image est bien connue, et ce n'est
pas la première fois que nous la rencontrons ;
mais que penser de cette théorie qui fait sim-
plement du Svarga un moyen de dorer la pi-
lule? Le Svarga n'est pas seulement une ré-
compense off"erte à celui qui aura le courage
de faire les efforts requis ; c'est une sorte de
leurre, un appât. On avoue que le fruit véri-
table de tous ces efforts, c'est qu'on devient
maître Je soi. Si nous interprétons bien la
pensée du texte, et l'étude que nous en avons
faite ne nous a pas permis d'arriver h une au-
tre conclusion, l'empire sur soi-même, s'il
DU TRONE LXXlll
n'est pas la délivrance finale même et ne se
conlond pas avec elle, en est du moins la
source et la condition.
Ainsi toute cette discussion si savante et si
religieuse, qui commence pur l'exaltation de
l'Etre suprême, semble aboutir à la glorifica-
tion de l'homme; la puissance supérieure est
à peu près oubliée, et son concours ne sert
qu'à assurer l'empire de l'homme sur soi-
même. Quel usage l'homme doit-il Lire de
cet empire? Se rendra-t-il indépendant, ou
s'absorbera-t-il dans le Seigneur suprême? Le
premier de ces deux états paraît mieux ré-
pondre à la nature des efl"orts individuels ac-
complis. La seconde paraît mieux répondre à
la pensée générale de tout le débat. Aussi pa-
raît-il à propos de réserver son jugeme:;!. Ne
demandons pas à nos contes de nous donner
une dogmatique complète et de toutes pièces;
c'est assez qu'ils jettent, en passant, un grand
nombre d'idées plus ou moins sérieuses et
élevées qui méritent d'être notées et recueil-
lies. C'est ce que nous avons tâché de faire.
Nous n'avons pas la prétention d'avoir fait
un exposé méthodique et complet, où rien
n'a été oublié, où tout est parfaitement
classé ; un recueil de contes ne mérite peut-
5
*<.
LXXIV ÉTUDE SUR LES TRENTE-DEUX RÉCITS
être pas d'être pris tellement au sérieux. Ce-
pendant nous croyons n'avoir rien omis
d'important et avoir classé ces matériaux, qui
ne laissent pas d'être assez nombreux, d'une
façon au moins satisfaisante. Tout ce que
nous nous sommes proposé, c'est d'introduire
le sujet et d'appeler l'attention du lecteur sur
une œuvre qui peut paraître légère, mais qui
a son côté grave, peut-être même de lui faci-
liter l'usage de ce livre en expliquant certains
points et faisant ressortir les idées principales
qui s'y trouvent éparses. Puisse-t-il trouver
que le temps employé à ce travail n'a pas été
perdu, et qu'il valait la peine de traduire et
de soumettre à une modeste analyse l'histoire
du trône de Vikramâditya et les trente-deux
récits que la fantaisie indienne s'est plu à y
rattacher!
*V*
i
TRADUCTION
DE LA VERSION BENGALIE
OU
BATRIS SINHASAM
(les trentk-dkux récits du trône ~
DE VIKRAMADITYa)
PAt
LE ÇARMAN MRITYUNJAYA
RECUEIL (DES RÉCITS) DU TRONE
AUX TRENTE-DEUX FIGURES
L'AUGUSTE VIKRAMADITYA
EN LANGUE UU BËNGAL
Par Son Eicelleaee
LE ÇARMAN MRITYUNJAYA
I 'auguste Vikramâditya était un roi des
rois également versé dans les choses
divines et dans les choses humaines. Il avait
reçu, par la faveur des dieux, un trône en
pierreries et orné de trente-deux figures sur
lequel il siégeait. Quand ce roi, l'auguste Vi-
kramâditya, fut monté dans le Svarga, il n'y
eut plus personne qui fût digne de s'asseoir
CONTES INDIENS
sur ce trône, lequel fut enfoui dans le sol.
Quelque temps après, sous la domination
de l'auguste roi Bhoja, ce trône fut retrouve'.
Voici le re'cit de cette histoire :
LES
TRENTE-DEUX RÉCITS
DU TRONE
i:^(iTRODUCTIOO^
L y avait dans la région du MiJi une
ville appelée Dhàrà. Non loin de cette
ville, était situé un champ de grains appelé
Sambandakar, dont le cultivateur avait nom
Yajnadatta. Ce cultivateur, après avoir creusé
6 CONTES INDIENS
un fossé aux quatre côtés du champ de grains,
y fit pousser des arbres de diverses nature,
des Çâla, des Tâla, des Tamâla, des Piyâla,
des Hintala, des Vakula, des Amra, des Am-
râtaka, des Campaka, des Açoka, des Kim-
çuka, des Vaka, des Guvâka, des Nârikela,
des Nâyakeçar, des Mâdhavî, des Mâlatî, des
Yuthî, des Jâtî, des Sevatî, des Kadalî, des
Tagar, des Kunda, des Mallikâ, des Deva-
dâru etc. ; il forma ainsi un parc et y fixa sa
résidence.
Près de ce parc était une forêt épaisse et
redoutable, d'où sortaient des éléphants, des
tigres, des buffles, des rhinocéros, des sin-
ges, des sangliers, des lièvres, des ours, des
daims et bien d'autres animaux, qui détrui-
saient chaque jour les plantations. Contra-
rié au plus haut degré par cet état de cho-
ses, Yajnadatta, pour garder ses plantations,
établit un observatoire dans le champ et s'y
installa de sa personne. Chaque fois qu'il
était sur l'observatoire, pendant tout le
temps qu'il y était, le cultivateur comman-
dait, ordonnait, délibérait de la même façon
qu'un roi des rois commande, ordonne, déli-
bère. Une fois descendu de ce poste d'obser-
vation, il était comme un simple particulier.
INrUODUCTION 7
Les voisins du cultivateur, ayant rennar-
qué cette particularité, en furent étonnés et
parlèrent ensemble de ce fait merveilleux.
L'affaire s'ébruita par la conversation, telle-
ment que Bhoja, le roi de la ville de Dhârâ,
en entendit parler. Aussitôt, saisi de curio-
sité, il se rendit à cet observatoire, accom-
pagné de ses conseillers, de ses officiers, de
son armée, de son général en chef : après
avoir vu de ses yeux le cas de ce cultiva-
teur, il fit monter sur l'observatoire un de
ses conseillers, en qui il avait une confiance
extrême. Ce conseiller, pendant tout le
temps qu'il fut sur l'observatoire, commanda,
ordonna et délibéra à la façon d'un roi des
rois. A cette vue, le roi surpris fit la ré-
flexion que cette vertu n'était propre ni à
l'observatoire, ni au cultivateur, ni au con-
seiller, mais qu'il y avait en ce lieu quel-
que objet étonnant par la puissance duquel
le cultivateur se comptait comme un roi.
Cette détermination faite, le grand roi, pour
trouver l'objet, donna l'ordre de creuser en
ce lieu. Dés que l'ordre fut reçu, la troupe
des gens de service se mit à creuser : de ces
fouilles sortit un trône en pierreries, divin,
plein d'éclat, resplendissant de 32 figures,
5
8 CONTES INDIENS
orné d'une foule de pierreries, de corail, de
perles, de rubis, de diamants, de cristal, de
jaspe, de saphir, de rubis. Tel était l'éclat de
ce trône que le roi et les gens de sa suite ne
furent pas capables de le regarder.
Ensuite, le roi, ravi de cette trouvaille,
eut le désir de faire porter le trône dans sa
résidence royale, et donna des ordres en
conséquence à la troupe de ses serviteurs.
Les ordres donnés, les serviteurs firent plu-
sieurs tentatives pour enlever le trône ;|mais
le trône ne bougea pas de place. Une voix
retentit alors dans les airs, disant : O Roi,
donne diverses étoffes, des ornements et au-
tres objets, rends un culte à ce trône, fais-
lui des offrandes et des sacrifices; alorg le
trône s'enlèvera. — Le roi, ayant entendu
ces paroles, agit ainsi, et le trône s'enleva
sans difficulté.
Ayant donc fait porter le trône dans sa
ville royale appelée Dhârâ, il l'établit dans la
salle du conseil ornée de colonnes en or, en
argent, en corail, en cristal. Puis le désir
lui vint de siéger sur ce trône ; il appela des
savants, fit choisir un moment de bon au-
gure, et donna aux gens de service l'ordre
de faire tous les préparatifs du sacre. Dès
INTRODUCTION 9
qu'ils eurent reçu l'ordre, les serviteurs ap-
portèrent du lait caillé, du durba, du santal,
des Heurs, de l'akuru, du safran, delà bouse
de vache , des parasols , des ombrelles ,
diverses queues, des queues de vache, des
queues de paon, des flèches, des armes,
des miroirs et autres objets qui sont dans
les mains des femmes ayant mari et enfants,
tout l'appareil propre à une fête solennelle,
avec une peau de tigre bigarrée pour figurer
la terre aux sept continents, en un mot
l'appareil prescrit dans les Castras pour le
sacre des rois, puis en informèrent Sa Ma-
jesté. Alors, quand le Guru, le Purohita,
les Brahmanes, les savants, les conseillers,
les chefs, les soldats, le général en chef fu-
rent entrés, l'auguste roi Bhoja s'approcha
du trône, afin d'être sacré quand il y serait
nssis.
A ce moment, la première figure du trône
s'adressa au roi en ces termes :
O roi, écoute! Le roi qui est doué de qua-
lités, extrêmement riche, extrêmement libé-
ral, extrêmement compatissant, éminent par
son héroïsme et sa bonté, porté par sa nature
à des efforts de moralité, plein de force et de
majesté, c'est ce roi seul qui est digne de
10 CONTES INDIENS
s'asseoir sur ce trône; un autre, un roi ordi-
naire, n'en est pas digne.
A ce discours, le roi répondit : O figure,
il suffit qu'on me demande pour que, com-
prenant le devoir de donner, j'accorde immé-
diatement un lac et demi d'or : quel autre
roi sur la terre m'est supérieur en libéralité ^
En entendant ces paroles, la figure sourit
et dit : O roi, l'homme qui est grand ne fait
pas lui-même l'éloge de ses propres qualités.
Tu fais toi-même le commentaire de tes qua-
lités; a cause de cela, dans ma pensée, tu es
très petit. L'homme grand est celui dont les
qualités sont vantées par autrui. Quand on
vante soi-même ses propres qualités, il n'en
résulte rien de bon ; mais les gens en parlent
comme d'une chose inconvenante : comme
lorsqu'une jeune femme presse elle-même ses
seins, il n'en résulte aucun plaisir; mais les
gens en parlent comme d'une chose inconve-
nante.
En entendant ce discours de la figure, le
roi fut extrêmement confus; il dit : O figure,
ce trône, à qui était-il? à quoi servait-il? Ra-
conte-moi cette histoire.
La figure reprit : O grand roi, écoute l'his-
toire du trône :
INTRODUCTION I I
Dans une ville appelée Avantî était un roi
nommé Bartrihari. A l'époque où il fut sa-
cré, son frère cadet, appelé l'auguste Vikra-
mâditya, ayant reçu un affront, quitta son
propre pays et passa à l'étranger. L'auguste
Bartrihari, depuis son sacre, veillait sur les
créatures comme sur ses enfants et répri-
mait les méchants : voilà comment il gou-
vernait la terre. La dame qui partageait le
trône du roi, appelée Anangasenâ, s'assu-
jettissait complètement le roi par sa beauté
et ses qualités. Or, il y avait dans cette ville
un brahmane qui rendait un culte à Devî, la
divinité du pays. Devî, satisfaite de ce culte,
se présenta à lui et lui dit : Brahmane, de-
mande ce que tu désires. Le brahmane,
après lui avoir adressé humblement ses louan-
ges, dit : « O Devî, si tu es bien disposée
pour moi, rends-moi exempt de la vieillesse
et de la mort \ » — A l'ouïe de ces paroles,
Devî satisfaite donna un fruit au brahmane
et lui dit : « Quand tu auras mangé ce fruit,
tu seras affranchi de la vieillesse et de la
mort. » Après lui avoir ainsi donné ce qu'il
avait choisi, Devî disparut, et le brahmane
s'en alla chez lui. Le lendemain, après avoir
rempli tous ses devoirs, l'ablution, l'offrande.
12 CONTES INDIENS
etc., comme il était sur le point de manger
le fruit, il fit en lui-même cette réflexion :
« Je ne suis qu'un mendiant excessivement
pauvre; à quoi bon prolonger la durée de
ma vie? Le roi Bartrihari est souveraine-
ment juste; la prolongation de ses jours sera
un bienfait pour une multitude de gens. » Ces
réflexions faites, il se rendit dans le conseil
du roi, lui adressa ses salutations, lui fit pré-
sent du fruit et lui en raconta en même temps
l'histoire. Le roi, ayant reçu le fruit, fut rem-
pli de joie, et accorda au brahmane plusieurs
distinctions honorifiques ; puis ce brahmane
s'en retourna chez soi. Le roi s'étant rendu
dans l'appartement des femmes, donna à la
Rânî des témoignages de son extrême bien-
veillance et lui remit le fruit ; en même temps,
il lui en raconta l'histoire. La Rânî avait des
relations avec le premier conseiller, si bien
qu'elle lui raconta cette histoire et lui donna le
fruit. Le premier conseiller était l'amant d'une
courtisane ; il raconta aussi l'histoire à cette
courtisane et lui donna le fruit. La courtisane,
ayant reçu le fruit, prit la détermination sui-
vante : « Si je donne ce fruit au roi Bartri-
hari, j'obtiendrai d'abondantes richesses.» —
Ayant pris ce parti, elle donna le fruit au roi.
INTRODUCTION l3
Le roi, en recevant ce fruit, fut excessive-
ment étonné : « Ce fruit, se dit-il, je l'avais
donné à la Hânî; d'où vient cette extrême
atfection de la Rânî pour une courtisane? •
Il fit donc des recherches, et apprit toute
l'histoire. Incontinent il fut détaché des cho-
ses du monde et comprit tout ce qu'il y a de
mauvais dans les biens extérieurs, tels que
femmes, enfants, etc. « Cette femme que j'ai-
mais plus que ma vie, pensa-t-il, je vois qu'elle
n'avait pas d'attachement pour moi, elle était
attachée à mon conseiller; ce conseiller, de
son côté, n'avait pas d'attachement pour la
Rânî, il n'en avait que pour une courtisane ;
la courtisane non plus n'avait pas d'attache-
ment pour le conseiller; la richesse était
son unique passion. Ainsi l'atïeciion qu'on a
pour une femme, des enfants et autres cho-
ses de ce monde est une pure duperie. • —
Après avoir fait toutes ces réflexions, le roi
renonça à la royauté et s'en alla dans la fo-
ret. L^ il mangea le fruit donné par le dieu,
puis resta plongé dans une profonde médita-
tion. Le roi Bartrihari n'avait pas de posté-
rité ; le royaume était privé de roi, l'épou-
vante causée par les voleurs et les malfaiteurs
augmentait de jour en jour.
14 CONTES INDIENS
Un Vetâla nommé Agni faisait sa demeure
en ce pays. Or, les conseillers, dans leur
trouble extrême, avaient confié la garde du
royaume à un enfant Xatrya doué de tous
les signes de la royauté. Mais le jour où ils
l'avaient installé roi du pays, ce même jour,
à la tombée de la nuit, le Vetâla Agni arriva,
fit périr le roi, puis s'en alla. C'est de cette
façon que, chaque fois que les conseillers se
réunissaient pour faire un roi, chaque fois le
Vetâla Agni le faisait périr. Ainsi nul ne pou-
vait rester roi dans ce pays. Aussi la perver-
sité des méchants devint telle que le pays
dépérissait de jour en jour. Les conseillers
se creusèrent la tête pour chercher les
moyens de préserver le roi, mais ils ne réus-
sirent pas à trouver un expédient pour le
maintenir.
Un jour, les ministres assemblés étaient en
séance occupés à délibérer quand l'auguste
Vikramâditya, ayant pris un costume d'em-
prunt, entra dans la salle du conseil et dit
aux ministres : « Pourquoi ce royaume est-il
sans roi? » — Les ministres répondirent : « Le
roi est allé dans la forêt; chaque fois que
nous faisons un (nouveau) roi pour garder le
royaume, le Vetâla Agni fait périr ce roi. »
J
INTRODUCTION l5
— Vikramâditya, ayant entendu ces paroles,
reprit : « Faites-moi roi aujourd'hui • Les
ministres, voyant que Vikramâditya était un
sujet digne de la royauté, dirent : • A partir
d'aujourd'hui. Ton Excellence est roi du pays
d'Avantî; c'est en nous conformant à tes or-
dres que nous ferons nos propres affaires. •
Devenu de cette façon roi du pays d'Avantî,
Vikramâditya passa tout le jour à s'occuper
(des affaires) de la royauté, à goûter les jouis-
sances du bien-être; à la nuit, il prépara, en
vue du Vetâla Agni, diverses espèces de breu-
vages enivrants, de la viande, du poisson,
des douceurs, du pain, du riz bouilli avec du
miel et du sucre, des mets, des sauces, du
lait caillé, du lait, du beurre clarifié, du
beurre frais, du sandal, des guirlandes, des
fleurs, diverses espèces de substances odo-
rantes, etc. ; il garda tout cela dans sa mai-
son, et lui-même resta chez lui, se tenant
éveillé sur son meilleur lit.
Alors le Vetâla Agni entra dans cette mai-
son, un glaive à la main, et s'efforça de tuer
l'auguste Vikramâditya. Le roi lui dit : Ve-
tâla Agni, écoute! puisque Ton Excellence
est venue pour me faire périr, il n'est pas
douteux qu'elle y réussira; mais tous ces
l6 CONTES INDIENS
mets que voici ont été réunis ici à ton in-
tention; mange tout, tu me feras périr en-
suite. » Le Vetâla Agni, ayant entendu ces
paroles, absorba tous les mets accumulés, et,
satisfait du roi, lui dit : « je suis extrême-
ment (content et) bien disposé pour toi, je
te donne ce pays d'Avantî; sois au premier
rang et goûte les jouissances; seulement,
prépare-moi tous les jours un repas sem-
blable. » A ces mots, le Vetâla Agni quitta
ce lieu pour retourner dans sa demeure.
Le matin, le roi, après avoir rempli ses
devoirs, se rendit au conseil. En le voyant,
les conseillers et autres se dirent en eux-
mêmes : « Puisqu'il a pu échapper au Ve-
tâla Agni, ce sera assurément un grand
homme. » Ayant donc fait cette réflexion
dans leur esprit, ils témoignèrent au roi un
grand respect, se montrèrent pleins d'atten-
tion (pour lui), puis se livrèrent à leurs oc-
cupations respectives.
Le roi, ayant, par crainte et par amour,
rendu ses ministres et les autres dociles à
ses ordres, accomplissait l'œuvre de la royauté
conformément au code politique et pénal '.
i. NÎti-çâstra (livre de la politique ou de la morale) et
Danda-çdstra (livre du châtiment).
INTRODUCTION I7
Chaque jour, à la nuit, il cHrait le repas
comme précédemment au Vetâla Agni. Mais
ensuite, il se rendit maître du Vetâla Agni
par le moyen suivant :
Un jour, à la nuit, le Vetâla Agni, après
avoir mangé, fut très satisfait et ne s'en alla
pas. Le roi lui posa alors cette question :
« O Vetâla, qu'est-ce que tu es capable de
lire? que sais-tu? » — Le Vetâla répondit :
• Ce que j'ai dans l'esprit, je suis capable de
l'exécuter; je connais tout. • — Le roi re-
prit : « Parle, regarde : Quelle est la durée
de ma vie ? » — Le Vetâla répondit : * Ton âge
est d'une centaine d'années. • — Le roi reprit :
Dans ma vie, il s'est rencontré deux lacunes ;
.c qui n'est pas bien; en conséquence, ac-
corde-moi une année en plus des cent ans,
ou retranche des cent une année. • — Le Ve-
tâla répondit : • O roi, tu es au plus haut de-
gré, bon, libéral, compatissant, juste, vain-
queur de tes sens, honoré des dieux et des
Brahmanes : (la mesure des) jouissances qui
doivent remplir ta vie est comble; il n'est
pas possible d'y ajouter ou d'en retran-
cher quelque chose. » — En entendant ces
paroles, le roi fut satisfait ; et le Vetâla s'en
retourna dans sa demeure.
l8 CONTES INDIENS
Après cela, le roi ne fit point, à la nuit,
les pre'paratifs du festin pour le Vetâla,
mais il se tint prêt pour le combat. Le Ve-
tâla arriva, et, ne voyant rien de préparé
pour le repas, voyant au contraire les dispo-
sitions prises par le roi pour le combat, il
se fâcha et dit : « Fi ! roi pervers, pourquoi
ne m'as-tu rien préparé à manger aujour-
d'hui ?» — Le roi répondit : « Puisque tu
n'es pas capablç d'ajouter à la durée de ma
vie ou d'en retrancher, pourquoi te prépa-
rerais-je un repas continuellement et sans
profit ? » — Le Vetâla repartit : « Oh ! oh !
c'est ainsi que tu parles! Viens maintenant;
combats avec moi : c'est aujourd'hui que je
te mangerai. » — A ces mots, le roi en co-
lère se leva pour combattre et engagea avec
le Vetâla une lutte variée qui dura quelques
instants. Le Vetâla, s'étant rendu compte de
la force et de l'héroïsme du roi dans le com-
bat, fut satisfait et dit ; « O roi, tu es très fort,
je suis content de ton héroïsme dans le
combat, choisis ce que tu veux me deman-
der.»— Le roi répliqua : « Puisque tu es bien
disposé envers moi, accorde-moi donc cette
faveur que, dès que je t'appellerai, tu arrive-
ras prés de moi. » — Le Vetâla accorda ce
INTRODUCTION I9
don au roi et s'en alla dans sa demeure.
Le lendemain matin, les conseillers appri-
rent cette histoire de la bouche du roi;
puis, s'étant bien rendu compte de ce qu'il
était, ils réunirent une grande assemblée so-
lennelle et procédèrent au sacre du roi. Le
monarque ainsi sacré goûtait les jouissances
de la royauté sans (en sentir) les épines.
Sur ces entrefaites, un jour, un yogî vint
et dit au roi : O grand roi, si tu veux bien
ne pas repousser brutalement ma demande,
j'ai une requête à te présenter. Le roi ré-
pondit : O yogî, désires-tu toutes les riches-
ses que je possède et même ma vie ? Que ton
désir soit rempli; je ferai tout ce que tu
veux. — Le yogî reprit : J'ai certaines
^crémonies funèbres à accomplir ; sois mon
assistant ! — Le roi accepta. Alors le yogî,
le prenant avec soi, se rendit au cimetière.
Quand ils y furent arrivés, le yogî dit : O
roi, à deux Kroça d'ici, il y a, dans un arbre
Çinçapa, un mort attaché ; apporte-le-moi
promptement. — Après avoir ainsi chargé
le roi dapporter le cadavre, il se tint à l'est
>.lu cimetière sur le bord de la rivière Ghar-
ghâ, murmurant des mantras à l'autel de
l'auguste (déesse) Kàlikâ. Le roi, arrivé prés
20 CONTES INDIENS
du Çinçapa, monta sur l'arbre et coupa avec
un glaive les liens du cadavre qui tonaba sur
le sol. A peine le roi étail-il descendu que
le cadavre, montant sur l'arbre, se retrouva
dans la même position qu'auparavant. Le
roi, quelque peu étonné, remonta sur l'ar-
bre, prit le cadavre et descendit.
En cet instant, le Vetâla Agni, connaissant
l'infortune du roi, se présenta devant lui et
lui fit 25 récits qui dissipèrent sa fatigue. (Le
détail de ces 2 5 récits se trouve dans le Ve-
tâlapancavimçati). — (Après quoi le Vetâla)
dit : « O grand roi, ce yogî est un grand ma-
gicien; il t'a amené parce qu'il sait que tu
es un homme supérieur, dans l'espoir de
t'ofFrir en sacrifice pour gagner l'homme
d'or. Sois donc bien sur tes gardes. Lorsque
ce yogî te dira de faire quelque chose, songe
que, si tu aides les méchants, cela ne te tour-
nera pas à bien. »
Ce discours étonna le roi et le porta à
faire les réflexions suivantes : ce yogî a aban-
donné femme, enfants, etc., et s'est fait er-
mite; moi, roi du pays, je suis le protecteur
déplus d'une personne; il a le dessein de
m'offrir un sacrifice pour gagner l'homme
d'or. La richesse est son but suprême, le
INTRODUCTION 2 1
reste, pour lui, n'est rien. Ce méchant yogî,
pour réaliser son seul bien-être, est prêt à
causer des maux infinis à une foule de gens
et n'hésite pas à se lancer dans les mau-
vaises actions. C'est ainsi que les fous,
poussés par la convoitise, font le mal pen-
dant toute une existence en vue d'un avan-
tage quelconque; après quoi, recueillant
le fruit du mal, ils endurent, pendant plus
de milL- naissances , diverses espèces de
douleurs. Les méchants auraient beau être
plongés dans une mer de pureté, ils ne re-
nonceraient pas à leur méchanceté; de même
que les serpents qui boivent constamment
du lait dans la mer de lait, ne vomissent ja-
mais l'amrita et ne lancent que leur venin.
Toutefois, comme le venin du serpent peut
être dompté par des Mantras et de grandes
Aushadhis, ainsi, en conformant leurconduite
,mx prescriptions des livres de morale (Nîti-
yâstra), les méchants peuvent diminuer leur
méchanceté. Mais ce yogî est d'une méchan-
ceté extrême; le devoir d'un roi est de de
le tuer. — Cette détermination prise, il s'é-
lança, le glaive à la main, et trancha la tète
du yogî. A peine cette tète fut-elle coupée
qu'un homme d'or apparut, loua la majesté
22 CONTES INDIENS
du roi et ne cessa depuis de manifester en-
vers lui de bonnes dispositions.
Le roi radieux, transporté de joie, prit
l'homme d'or et se rendit dans sa résidence
royale; par la faveur de l'homme d'or, il de-
vint aussi riche que Kuvera, et se livra à tou-
tes sortes de jouissances et de plaisirs.
Dans ces circonstances, un brahmane ap-
pelé Siddhasena, venu du pays de Kanya-
kubja, se présenta devant le conseil du roi,
et, après avoir salué sa majesté, dit : « O roi,
la fortune est une femme. Si la haute fortune
que tu possèdes vient de toi, alors c'est ta
tille; si elle vient de ton père, alors c'est ta
sœur; si tu la tiens de quelque autre, alors
c'est la femme d'autrui. Réfléchis donc bien
à ceci : songe que la haute fortune n'est ja-
mais compatible avec les jouissances. Aussi
les gens de bien, quand ils ont obtenu une
haute fortune, font des libéralités. Tu es un
homme de bien, il te convient de faire des
dons. » — Le roi, ayant entendu ces paroles
de la bouche du brahmane, fit les réflexions
suivantes : « Habiter un grand palais, monter
des éléphants divins et d'excellents chevaux,
bien plus, jouir de beautés comme on n'en a
pas vu encore, cela n'est pas d'un grand
INTRODUCTION 13
homme. Ceux qui, considérant leurs propres
richesses comme si elles n'étaient pas à eux,
renoncent à l'égoïsme et font don de leurs
richesses, ceux-là sont les grands hommes et
obtiennent des éloges. » — Cette idée s'étant
bien fixée dans son esprit, il se mit à faire
constamment des dons; sur toute la surface
de la terre, il n'y avait plus de pauvres, et la
bonne réputation du roi allait jusqu'au monde
des diciK.
Le roi des dieux est Indra ; dans son con-
seil, les divinités célébraient toujours la gloire
de l'auguste Vikramàditya. Indra fut excessi-
vement content et dit : • Dans le monde des
hommes, l'auguste Vikramàditya est la perle
lies rois, comme je (le suis des dieux). En con-
séquence, bien disposé comme je le suis pour
Vikramàditya, je lui donne mon trône de
pierreries auquel sont adaptées trente-deux
figures. Hé! divinité du vent, va le lui don-
ner. » — Conformément à l'ordre d'Indra, la
1 déité du vent, avec la vitesse qui lui appar-
tient, apporta le trône au milieu du conseil
du roi et le lui ofi"rit. L'auguste Vikramàdi-
tya, après avoir reçu le trône, fut sacré au
milieu d'une grande assemblée et s'assit sur
le trône. Lorsqu'il siégeait sur ce trône, alors
6
24 CONTES INDIENS
les attributs d'Indra, l'héroïsme, l'énergie, la
fermeté, la profondeur, la sévérité, l'activité,
l'intelligence, la science appartenaient à l'au-
guste Viîcramâditya. Alors le roi se dit :
« C'est en faisant des largesses par le conseil
du brahmane Siddhasena que j'ai obtenu ce
siège divin. » — Cette réflexion le remplit de
bienveillance à l'égard du brahmane Siddha-
sena, et il en fit un membre de son conseil,
le chef des Pandits.
Le roi, dans son conseil, recevait chaque
jour des centaines d'hommes versés dans le
Veda, des docteurs du Vedanta, du M imamsa,
du Tarkiya, des partisans du système San-
khya, de celui de Patanjali, du Vaiçeshika,
des adhérents du Kalpavyâkarana, du Ni-
rukta, du Jyotisha, de la Smriti, et avec eux
des acteurs, des actrices, richement parés, des
hommes qui connaissaient divers castras , le
code politique, le code pénal, les livres de
médecine, etc., l'auguste Kalidâça, Vararuci,
Bhavabhûti, Xapanaka, Amarasimha, Çanku,
Vetâlabhatta, Ghatakapûri, Varâha , Mihir,
Dhanvantir, etc. En compagnie de ce cortège
de savants, le roi goûtait les poèmes divers
composés en conformité des divers Castras et
savourait dans un bonheur parfait les dou-
ceurs de la royauté.
INTRODUCTION l5
La première figure ajouta : • Hé! roi Bhoja,
n'as-tu pas été en doute pendant tout ce dis-
cours? La terre féconde en joyaux n'est nul-
lement dilTicile à acquérir pour un homme
qui sait employer la force de la loi, savoir :
les mortifications, le murmure des prières, le
don, la science. Il y a plusieurs formes de
récits sur la gloire et l'éclat de l'auguste Vi-
kramâditya ; on n'en connaît pas le nombre.
Voici comment s'acheva sa vie dont la durée
fut de cent ans sans la moindre diminution :
Se rappelant le discours du Vetâla, quand
il vit venir le moment de sa mort, il fit la ré-
tlexion suivante : • Ce qui répond à la nais-
sance du Xatrya, c'est la mort dans le com-
bat; par elle, il obtient aisément le Svarga. »
— Là-dessus, il forma le désir de combattre
avec le roi appelé Çûlivàhana de la ville de
Pratishthâna, et donna à ses conseillers l'or-
dre de préparer une armée. Les conseillers,
ayant reçu l'ordre, rassemblèrent mille chars,
dix mille éléphants, cent mille chevaux, un
million de chameaux, dix millions de chevaux,
cent millions d'archers, une multitude d'ar-
chers, une multitude d'engins de feus un
billion d'hommes armés d'épées et de cui-
rasses, des centaines de fouets, carquois, flè-
20 CONTES INDIENS
ches, arcs, boucliers, épées, glaives, barshâ,
dagues, haches, mousquets, canons et toutes
sortes d'engins et d'armes. Il rassembla aussi
des cordes, des bâtons, des tentes, des toiles,
des abris, des couvertures, des pieux, des
étendards ; il accumula des tambours, des
tambours de victoire, de grands tambours,
des tambours, des tambourins, des tambours,
des flûtes, de grandes trompettes, des trom-
pettes tûrî et naphirî, des cors guerriers, des
cors de victoire, de petits tambours, des cym-
bales et autres instruments de musique. Les
conseillers, après avoir fait leur œuvre con-
formément aux ordres du roi, en informè-
mèrent le monarque.
Le roi Vikramâditya monta sur un char
excellent, orné de pierreries et tout attelé :
puis, entouré d'une armée à quatre corps,
partit pour combattre avec le roi Çâlivâhana.
Quand il fut arrivé sur le champ de bataille,
il engagea une action des plus terribles, et,
dans un combat face à face, frappé de la main
du roi Çâlivâhana, le roi Vikramâditya quitta
la vie et s'en alla dans le monde du Svarga.
Le pays d'Avantî se trouva sans roi, la for-
tune royale sans protecteur.
A la nouvelle de la mort du roi, la pre-
INTRODUCTION tj
mière épouse consola les conseillers et leur
dit : 0 Ne soyez pas troublés; je suis enceinte,
j'aurai nécessairement un fils qui sera roi et
vous gardera. » — En effet, peu de temps
après, la reine donna naissance à un fils
qu'elle confia aux conseillers; elle-même en-
tra dans le feu et goûta avec le roi Vikramâ-
ditya les jouissances du bonheur suprême.
» Vikramasena, fils du roi Vikramâditya,
ayant été sacré dans la royauté, protégea les
I créatures comme (avait fait son père;, mais
[ne s'assit pas sur le trône donné par Indra '.
Et depuis, roi Bhoja, sache-le bien, nul ne
s'est assis sur le trône suprême. Car une
voix aérienne se fit entendre, disant : « Sur
• la surface de la terre, nul n'est digne de
a s'asseoirsur le trône. Faites donc une exca-
« vation dans un lieu pur pour l'y enter- J
• rer et l'y garder. » Les ministres, ayant V
entendu ces paroles, enterrèrent le trône et
le gardèrent. »
La figure ajouta : « Ecoute, grand roi,
ce trône-là, c'est celui que tu as découvert. »
I. La version bengalie met ici un litre : Récit Je la
première figure ; nous avons cru devoir couper autre-
RÉCIT DE LA ir<= FIGURE
LA figure reprit : • Ecoute (les preuves de)
la grandeur de Vikramàditya.
• Un jour, le roi était dans la ville d'Avantî,
assis sur le trône divin, au milieu de son
conseil. Un homme pauvre arriva, s'appro-
cha du roi et se tint devant lui sans rien
dire. En le voyant, le roi se prit à penser en
lui-même : L'homme qui vient faire une de-
mande est comme celui qui est à l'article de
la mort, dont le corps tremble, de la bouche
duquel aucune parole ne peut sortir. Je
compare les deux situations l'une à l'autre.
Je conjecture donc que cet homme est venu
3o CONTES INDIENS
pour faire une demande et ne peut s'expri-
mer. — Après ces réflexions, le roi fit don-
ner mille pagodes ' à cet homme qui les re-
çut sans quitter sa place ni prononcer une
parole. Le roi lui dit alors : « Hé! sollici-
teur, pourquoi ne parles-tu pas? » — Le
mendiant repartit : « C'est la honte qui re-
tient ma langue. » — En entendant ces pa-
roles, le roi lui fit donner (encore) mille pa-
godes, puis le questionna de nouveau : a Hé!
solliciteur, voilà qui est étonnant! Si tu as
quelque chose à dire, parle donc ! • Le
mendiant répondit : « Grand roi, la gloire
de ton ennemi ne sort pas de chez lui, elle
ne se répand pas au dehors ; les savants la
déclarent mauvaise. La tienne peut faire er-
rer constamment des mortels dans le Pâ-
tâla ^ ; les poètes la déclarent bonne. Voilà
ce qui est étonnant. » — Le roi, à l'ouïe de
ces paroles, lui fit donner cent mille pago-
des. Alors le mendiant reprit : « O roi, je
suis bien aise de t'apprendre que lorsque un
roi, doué de qualités, garde son peuple de
1 . Hûna, pièce de monnaie valant 8 shillings, environ
10 francs.
2. Séjour infernal.
RÉCIT DE LA PIIEMIEKE FIGURE 3|
près, il ne court pus de mauvais discours
sur son compte, et même il échappe à plus
d'une difficulté. Ecoute l'histoire suivante :
• 11 y avait une ville appelée Viçâlà, dont
le roi se nommait Nanda. Le jeune roi s'ap-
pelait Vijayapâla, le conseiller Bahuçruta,
le guru ' Çârdànanda, la Râni * Bhânumatî.
Le roi, captivé par la beauté de la Rânl
Bhânumatî, ne s'inquiétait point de la pros-
périté ni de la détresse de ses Etats. Si par-
fois il remplissait les fonctions royales, c'é-
tait en compagnie de Bhânumatî que, assis
sur son trône, il faisait acte de roi. Un jour
son conseiller lui dit : Grand roi, j'ai un avis
à te donner : il n'est pas convenable que la
llànî vienne assister au conseil. — Le roi ré-
pondit : Conseiller, tu as raison, mais je ne
puis rester sans la Rànî un seul instant. —
Le conseiller reprit : Fais faire sur une toile
le portrait de Bhânumatî et garde-le prés de
toi. — Le roi fît voir à un peintre la beauté
de Bhânumatî et lui ordonna de la fixer sur
la toile. — Le peintre fit le portrait et le
présenta au roi qui le montra au guru Çàr-
1. Précepteur, guide spirituel.
2. Première épouse, reine.
32 CONTES INDIENS
dânanda et lui dit : Comment trouves-tu ce
portrait? — Çàrdanana répondit : C'est bien
l'image de la Rânî. Mais Bhânumatî a sur
la cuisse gauche un grain de beauté ' qui
n'est point ici : c'est le seul défaut de ce por-
trait. — En entendant ces paroles, le roi se
dit en lui-même : Comment Çârdânanda con-
naît-il le grain de beauté de la cuisse de
Bhânumatî? Il y a quelque chose là-des-
sous. — Le roi, furieux, dit à son conseiller :
Fais périr Çârdânanda. — Le conseiller em-
mena Çârdânanda chez lui et fit ces ré-
flexions : Le roi, sans préciser le crime de
Çârdânanda, a donné l'ordre de le faire
périr; il n'est pas convenable de tuer cet
homme éminent sans un motif bien défini.
Le mettre à mort serait faire commettre un
crime au roi. — Après avoir agité ces pen-
sées en lui-même, il fit taire dans sa de-
meure une cellule souterraine et y enferma
Çârdânanda.
« Plus tard, un certain jour, le fils du roi,
Vijayapâla, partit pour chasser dans la forêt.
Quand il y fut arrivé, il aperçut un sanglier,
se mit à sa poursuite pour le tuer et fut
I. Littér. : un grain de sésame.
RÉCIT DE LA PRCMIÈRE FIGURE 33
bientôt engagé dans un épais fourré : sa
suite était dispersée dans toute la contrée.
Le fils du roi, tourmenté par la soif, cher*
chait de l'eau ; il ne tarda pas à trouver un
étang et s'y arrêta pour boire. Sur ces en-
trefaites, un tigre arriva au même endroit.
A la vue du tigre, Vijayapâla monta sur un
arbre où se trouvait un singe qui lui dit :
Hé! fils de roi, tu n'as rien à craindre, viens
en haut! — Ainsi invité par le singe, le roi
monta au haut (de l'arbre).
» Quand vint le crépuscule, à la nuit, le
singe, voyant la lassitude du prince royal,
lui dit : Hé! fils de roi, le tigre est au pied
de l'arbre, dors sur mon sein. — Le fils du
roi s'arrangea pour dormir de cette fa^on.
Le tigre dit alors au singe : Fi! singo, ne
mets pas ta confiance dans une créature hu-
maine; livre-moi le fils du roi en le jetant
en bas; ma nourriture dépend de ta bonne
grâce, en vérité! — Le singe répondit :
li^coute, tigre ! le fils du roi a mis sa con-
liance en moi , je ne le ferai pas périr. —
Après avoir entendu les paroles du sinje, le
tigre garda le silence.
• Quelque temps après le fils du roi se
réveilla. — Le singe posa sa tête sur la
34 CONTES INDIENS
cuisse du fils du roi et se mit à dormir. Le
tigre, reprenant la parole, dit au fils du roi :
O prince royal, pourquoi as-tu confiance
dans la race des singes? Livre-moi le singe
en le jetant en bas; il est ma nourriture,
certes! N'aie pas peur de moi! — Le prince,
ayant entendu les paroles du tigre, jeta le
singe en bas, pour le lui livrer. Mais le singe,
en tombant, s'attacha aux branches, et resta
au mi.ieu de l'arbre sans tomber sur le sol :
Ce que voyant, le fils du roi fut extrême-
ment confus. Le singe dit : Fils du roi, n'aie
pas peur.
« Quand vint le matin, le tigre s'en alla,
et le fils du roi, devenu fou, se mit à errer
dans la forêt en re'pétant: Visemirâ,Visemirâ.
« Le cheval du prince était revenu (de lui-
même) en ville à son écurie. Le roi, voyant
le cheval et n'apercevant pas le prince, fut
dans un trouble extrême. Accompagné de
son entourage, il se mit à la recherche de
son fils et entra dans la forêt ; il y trouva le
prince qui errait en répétant : Visemirâ, Vi-
semirâ. — Le roi conduisit le prince dans
sa demeure et lui administra divers mantras '
I. Paroles magiques.
RECIT OE LA PREMIERE FIGURE
et grandes Oshadhis ' ; mais aucun moyen
ne l'ut salutaire. — Le roi dit : Si le guru
Çârdânanda était là, il saurait bien ce que
veut dire mon fils ; mais j'ai moi-mtme
fait pcrir Çârdânanda ! — A ce moment,
le conseiller lui dit : Grand roi, j'ai une
proposition à te faire : Tous les remèdes
sont inutiles, tu es dans le chagrin : qu'ad-
viendra-t-il maintenant? Fais crier par toute
la ville cette proclamation : Celui qui ren-
dra la santé au prince, je lui donnerai la
moitié de mon royaume. — Le roi suivit le
conseil, et fit faire cette proclamation dans
la ville. Le conseiller rentra chez lui et ra-
conta la chose à Çârdânanda. Çârdânanda
parla ainsi au conseiller : Va dire au roi :
j'ai une fille de sept ans qui, en regardant
ton fils, lui rendra la santé. Le conseiller
rapporta ce discours au roi qui, après l'a-
voir entendu, prit aussitôt son fils et le con-
duisit dans la maison du conseiller. Celui-ci
avait fait séparer par un voile le lieu où se
tenait Çârdânanda; le roi avec son fils se
îuait en dehors du voile.
« Çârdânanda, se tenant derrière le voile,
I. Hordes médicinales
36 CONTES INDIENS
se mit h dire : Celui ' qui a repose' sur la
cuisse de (l'ami) qui avait mis sa confiance
en lui, puis l'a trompé, qu'a-t-il en lui d'hu-
main ? Il a e'té fait un poème sur ce sujet. »
— A l'ouïe de ces paroles, le fils du roi,
supprimant la syllabe V/ ^, se mit à dire Se-
in ira.
« Çârdânanda reprit : Depuis Setuban-
dha ^ jusqu'au Gange, le meurtre d'un brah-
mane et les autres grands crimes peuvent
s'effacer : le crime de celui qui tue son ami
ne peut s'eff'acer en aucune manière. » — A
l'cuïe de ces paroles, le prince, supprimant
la syllabe se % se mit à dire Mira.
« Çârdânanda reprit encore : Celui qui
nuit à son ami "'. l'ingrat, le perfide, tous les
gens de cette espèce auront en partage le
Naraka tant que le soleil et la lune subsiste-
1. Viçvdsa.-..
2. Vi est la première syllabe de la phrase prononcée
par Çârdânanda.
3. Srtibandha... le pont de Râma au sud de l'Inde,
ou les îlots entre le continent de l'Inde et Ceyian.
4 On vient de voir que cette syllabe était la première
de la deuxième phrase de Çârdànand.i.
5. M;trahimsaka....
RÉCIT DE LA l'REMlÈRE FIGURE h-J
ront. » — A l'ouïe de ces paroles, le fils du
roi retrancha mi et répéta râ.
M Çàrdânanda reprit : • Roi ', si tu dési-
res la prospérité du prince, donne aux brah-
manes des objets de diverse nature. C'est en
faisant des dons aux maîtres de maison que
tu effaceras le péché. • — A l'ouïe de ces
paroles, le fils du roi fut remis en santé '.
(I Quand tous apprirent l'histoire du fils du
roi, du tigre et du singe, ils furent émer-
veillés.
« Le roi, surpris, dit à la jeune fille : Hé!
jeune fille, quand es-tu sortie de la maison?
ou bien comment, restant à la maison, as-tu
su ce qui s'est passé dans la forêt, entre ce
tigre, ce singe et cet homme ? Çârdànanda,
entendant ces paroles, dit : Par la faveur
d'une divinité puissante, Sarasvatî 'est sur le
bout de ma langue; je connais tout, de même
1. KA>a...
2. On voit que les quatre phrases dites par Çirdâ-
iianda commencent successivement par les syllabes ri'-ie-
mi-rà Apre» chaque phrase, le prince dit une syllabe de
moins; et, quand lu quatrième phrase est tînie, jl n'en dit
plus aucune et est guéri. — Il est impossible de rendre
cela par la traduction.
'i. l>éesse de l'éloquence.
38 CONTES INDIENS
que j'ai connu le grain de beauté qui est sur
la cuisse de Bhânumatî. — A ces mots, le roi
se dit : « C'est le guru Çârdânanda »; et,
soulevant le rideau, il offrit, de concert avec
son fils, ses hommages au guru. — Le roi,
plein de joie, combla d'éloges le conseiller :
n Conseiller, lui dit-il, tu es un grand
homme. Je te dois la conservation de la vie
de mon guru et même de mon fils. »
Quand le mendiant eut fait ce récit à Vi-
kramâditya, il ajouta : « Roi, tu dois con-
clure de là que celui qui fréquente les gens
de bien a beaucoup d'avantages. »
Le roi Vikramâditya, après avoir entendu
ce discours de la bouche du brahmane, fut tout
réjoui, il donna au brahmane dix millions
de pagodes. Le mendiant les prit et s'en re-
tourna chez lui.
Le roi dit à son trésorier : « Quand il vien-
dra un pauvre, donne-lui mille pagodes; tu
en donneras dix mille à celui qui fera une
demande, cent mille à celui qui invoquera
le Castra '. C'est seulement .sur mon ordre
exprès que tu donneras dix millions. »
La première figure ajouta : Ecoute, roi
I. Livre faisant autorité.
RECIT DE LA PREMIERS FIGURC
39
Bhoja, je t'ai fait connaître la grandeur, la
libéralité, la majesté du roi Vikramâditya.
Si toutes ces qualités résident en toi, alors
tu es digne de t'asseoir sur ce trône.
^S'^s
RECIT DE LA j" FIGURE
UN autre jour, l'auguste roi Bhoja prit la
détermination de se faire sacrer et s'ap-
[procha du trône avec sa suite. A ce moment,
Ja deuxième figure du trône dit : Ecoute, ô
F roi Bhoja! Celui-là seul peut siéger sur ce
f trône dont la grandeur est égale à celle de
IVikramàditya. Le roi lui dit : En quoi con-
istait la grandeur de Vikramâditya ? — La
îgure répondit : « Ecoute, ô roi! •
L'auguste Vikramàditya régnait à Avant! ;
m jour, poui* connaître ce qu'il y avait de
lerveilleux, il envoya des troupes de servi-
îurs en diverses contrées. Les serviteurs,
iprès avoir parcouru les diverses contrées,
'revinrent près du roi et dirent : « O grand
42 CONTES INDIENS
roi, sache que, sur la montagne Citrakuta, il
y a une pagode prés de laquelle est un par-
terre de fleurs. Un fleuve coule devant la pa-
gode : si des gens purs se baignent dans ce
fleuve, l'eau paraît sur leur corps comme du
lait; si ce sont des méchants, des gens souil-
lés qui s'y baignent, alors l'eau paraît sur
leur corps comme de l'encre '. Là demeure
un Yogî ' qui fait continuellement des prié'
res, des méditations, des off"randes ; mais la
divinité ne lui est pas favorable. »
Le roi Vikramâditya, ayant entendu ce rap-
port, se rendit dans ce lieu, se baigna dans le
fleuve et reconnut qu'il était (pur et) sans
tache. Puis, après avoir rendu son hommage
à la divinité, il se dirigea vers le Yogî. Le
roi posa alors cette question au Sannyasî 3.
« Yogî, depuis combien de temps te livres-tu
aux mortifications? » — L'ascète reprit :
« Ecoute, leVaiçakha*,leJyeshtha,rAshâdha,
le Çrâvana, le Bhâdra, l'Açvina, le Kârttika,
1. Littéralement » de la suie ».
2. Yogî, solitaire absorbé dans la contemplation, dernier
état des Brahmanes qui aispirent à la perfection.
3. Sannyasî est un synonyme de Yogî.
4. Ce terme et les suivants sont les noms des mois de
l'année indienne.
RÉCIT DE LA DEUXIEME nCURE 43
l'Agrahïiyana, le Pausha, le Mâgha, le Phâl-
guna, le Caitra, sont les mois dont la série
forme l'année : voilà cent années sembla-
bles à celle-là que je me livre à des mortifi-
cations sans que la divinité me soit favora-
ble. » — A l'ouïe de ce discours, le roi fit la
réflexion suivante : « J'ai beau veiller sur
mon corps, la mort n'en est pas moins cer-
taine : si je quittais la vie pour rendre ser-
vice à mon semblable, ce serait, certes, une
mort excellente ! » — Après avoir délibéré de
la sorte, le roi adressa dans son cœur une
méditation à la divinité, et prit son épée •: il
allait se trancher lu tète quand la divinité se
montra soudain, saisit la main du roi et dit :
« Ne te coupe pas la tète. Je suis contente de
toi : fais-moi-une demande à ton choix. • —
Le roi répondit : a Hé! bienheureuse, ce
Yogî s'est livré pendant longtemps à des
mortifications et tu ne lui as pas été favora-
ble, tandis que pour moi tu t'es montrée fa-
vorable immédiatement : d'où vient cela? » —
La déesse répondit : « Auguste Vikramàditya,
telle qu'est la méditation à l'égard des man-
tras, des étangs consacrés, de la divinité, du
médecin, du guru, tel est l'accomplissement :
je n'ai jamais été, de la part de ce Sannyàsi,
T
44 CONTES INDIENS
l'objet d'une forte et puissante mëditation.
En entendant ce discours, le roi fit la réfle-
xion suivante : D'un morceau de bois, d'un
bloc de pierre, une divinité vient à l'exis-
tence ; l'existence résulte donc de l'accom-
plissement '. — Inconlinent le roi, pour ren-
dre service à son semblable, dit à la déesse :
« Hé! déesse, si tu es contente de moi, puis-
que ce Yogî s'est livré pendant longtemps à
des mortifications et y a trouvé bien des mé-
comptes, accorde à ce Yogî le choix que tu
m'as laissé. » La déesse accorda alors ce choix
au Sannyasî. Après avoir remis au Sannyasî
le choix que la déesse lui avait accordé, l'au-
guste Vikramàditya retourna dans sa de-
meure. »
La deuxième figure ajouta : « Ecoute, roi
Bhojal je t'ai dit la générosité, l'héroïsme,
les qualités de grand homme du grand Vi-
kramàditya : si ces qualités sont en toi, tu
es digne de t'asseoir sur ce trône. »
I. Il y a là un raisonnement subtil et obscur; on dis-
tingue trois choses . la méditation fBlidvanâj, — l'accom-
plissement ou le succès fsiddliij, l'existence fbhdvaj; l'ac-
complissement résulte do la méditation, et l'existence de
l'accomplissement. Une chosu existe parce que la médita-
tion se réalise. — Il y a peut-être l'intention de jouer sur
les mots bhdva et bhdvand.
^^^^^i^^^S^^iip'^pi
RÉCIT DE LA 3' FIGURE
L'augustk roi Bhoja prit un jour la dé-
termination de se faire sacrer, et, comme
lU approchait du trône, la troisième Hgure
[lui dit : Hé ! roi Bhoja, écoute-moi bien :
|Celui-là seul peut s'asseoir sur ce trône dont
[la grandeur est égale à celle du roi Vikra-
rmâditya. — Cette grandeur de Vikramàditya,
lit le roi, en quoi consiste-t-elle ? — La H-
jure reprit : la persévérance, la sévérité, la
[fermeté, la force, l'intelligence, l'héroïsme,
[voilà six qualités qui rendent celui qui les
[possède redoutable aux dieux mêmes. Ces
[six (qualités), le roi Vikramàditya les possé-
Idait.
Le roi ainsi doué fit un jour la réflexion
46 CONTES INDIENS
suivante : La richesse et les nuages, quand
ils arrivent, d'où viennent-ils? Quand ils
s'en vont, où vont-ils? Je n'ai pas de re'ponse
à ces questions. Maintenant j'ai plusieurs
avantages, mais ensuite qu'adviendra-t-il ? Je
ne saurais le dire.
Après avoir fait toutes ces méditations, le
roi se mit, h partir de ce moment, h donner
chaque jour le nécessaire aux brahmanes, aux
pauvres, aux femmes, aux enfants, à tous ceux
qui manquaient de protection, qui étaient
faibles ; et il prenait h ses sujets aussi peu que
possible '. Pour se rendre les divinités pro-
pices, il avait institué des Brahmanes savants
dans les Vedas, versés dans toutes sortes de
pratiques, le sacrifice, la prière, le homa^, le
bali-", le culte. Or, pour le service des divini-
nités des eaux, il envoya un Brahmane au
bord de la mer. Le brahmane s'y étant
rendu fit Tanjali *, et adressa un hymne à la
mer. L'hymne achevé, la divinité de la mer
1. L'idéal d'un roi, selon les Orientaux, consiste à don-
ner beaucoup à tout le monde et à ne prendre rien à per-
sonne .
2. Sacrifice aux divinités principales ou grand sacrifice.
3. Sacrifice aux divinités secondaires ou petit sacrifice.
4. Sorte de salutation (décrite page 58, 1. 6-7).
KÉCIT DE LA TROISIEME FIGURE 47
apparut et dit : « Hé ! brahmane, je suis fa-
vorable à Vikramâditya à cause de ses bonnes
dispositions; quoiqu'il soit loin, il oi'est ex-
cessivement cher. Donne ces quatre joyaux
au roi Vikramâditya et dis-lui les qualités
des joyaux. La puissance de l'un est telle
que les mets auxquels on pense se présentent
à l'instant même ; du deuxième joyau pro-
viennent les richesses qu'on souhaite ' ; dans
le troisième se trouve une armée complète
comprenant chars, éléphants, cavaliers, fan-
tassins * ; la propriété du quatrième est de
fournir autant d'ornements qu'on en dé-
sire ^. »
Le brahmane prit les quatre joyaux, re-
tourna auprès du roi et les lui offrit; en
même temps, il lui expliqua la vertu de ces
joyaux. Le roi dit au brahmane d'emporter
un de ces joyaux à titre de présent. — J'ai une
femme, un Hls, une belle-fiUe, répondit le
brahmane, je veux les éprouver; la pierre
qu'ils me diront de choisir est celle que je
prendrai. Le brahmane, après avoir ainsi
I. Voir le 19» récit (Kanthi).
3. Voirie 19> récit (Khandika.)
'. Voir le 19 récit ;Kanthà>.
48 CONTES INDIENS
parlé au roi, rentra chez lui et raconta toute
l'histoire à sa femme, à son fils et à sa bru.
— Le joyau où il y a des éléphants et des che-
vaux est celui qu'il faut apporter, dit le fils. —
La pierrerie où il y a des mets est celle que
tu dois prendre, dit la femme. — La pierrerie
qui produit des ornements est ce qu'il y a de
mieux, dit la bru. — La pierrerie d'où pro-
viennent les richesses est préférable, dit le
brahmane. Ainsi ces quatre personnages ne
purent s'entendre. Le brahmane revint prés
du roi et lui raconta la chose. Après avoir
entendu son récit, le roi, pour plaire à ces
quatre personnes, donna les quatre joyaux
au brahmane qui retourna chez lui bien con-
tent.
La troisième figure reprit : « Ecoute, roi
Bhoja, je t'ai dit la grandeur du roi des rois,
Vikramâditya. Si tu as une grandeur sembla-
ble, tu peux t'asseoir sur le trône. »
Ê«ï>3 -MW €4»3 £<*>3 e«*>J £<*>3-É<4>» MK 6<i!>3 «W Ê<t»
RÉCIT DE LA 4' FIGURE
LE roi Bhoja prit de nouveau la résolution
de se faire sacrer et s'approcha du siège
fortuné. A ce moment, la quatrième Hgure
du trône dit : u Roi Bhoja, écoute mes paro-
les : ce trône est celui du roi Vikramâditya :
celui-là seul qui a une grandeur semblable à
la sienne est digne de s'asseoir sur ce trône.
— En quoi consistait la grandeur de Vikra-
mâditya? » répondit le roi. La figure reprit :
« Ecoute, roi Bhoja :
• L'auguste Vikramâdityaexerçaitla royauté
dans la ville d'Avantî. Dans cette ville de-
meurait un brahmane, un pandit savant dans
les quatorze sciences (comprenant) les quatre
Veda, le Rig, le Yajur, le Samâ et l'Athar-
5o CONCES INDIENS
van accompagnés de ces six membres ', les
Çixâ, Kalpa, Vyâkarana, Nirukta, Jyotisha,
Chanda-Çâstra, les Pûrva-Uttara-Rûpa-Mi-
mamsâ , le Vaiçeshika-Çâstra , le Nyâya ,
le Sânkhya, le système de Patanjali, le
Rûpanyâya, le Vistara - Smriti - Castra , le
Purâna-Çâstra et dans les Castras pratiques,
savoir : le Veda de la médecine, le Veda de
l'arc, le Castra de la musique, le Castra des
arts manuels ^, quatre sciences relatives à ce
qui est visible, tandis que les quatorze scien-
ces sus-énoncées se rapportent à l'invisible,
le tout formant dix-huit sciences.
« Ce pandit n'avait pas d'enfants; sa femme
lui dit un jour : — Hé ! maître, fais des sup-
plications aux dieux pour qu'un fils vienne
dans mon sein. — Brahmanî, répondit le
brahmane, tu as bien parlé. Sans l'obéissance
au guru, on n'obtient pas la science; sans les
mérites religieux, on n'obtient pas de fils. —
Après avoir prononcé ces paroles, le brah-
mane, pour complaire à sa femme, fit des
1. Ce sont les six ouvrages appelés d'un même nom Vc-
dânga .
2. Les noms indiens sont : Ayur-Veda, Dhanur-Veda,
Gândharva-Çàstra, Çîlpa-Çâstra.
RÉCIT DE l.A QUATRIÈME FIGURE 5l
supplications aux dieux de sa famille. La ré-
compense de cet acte méritoire fut que le
brahmane eut un tils de la brahmanî; on
l'appela Devadatta. Le père de Devadatta lui
Ht lire assidûment les Castras, le maria, puis,
s'dppliquant à méditer sur le Samsara, il se
mit de sa personne à parcourir les étangs
consacrés, pendant que Devadatta, appliqué
à la vie domestique, restait à la maison.
« Un jour que Devadatta était allé à la fo-
rêt aHn d'en rapporter du bois pour le sacri-
fice, le roi Vikramâditya, monté sur son che-
val, vint dans cette même forêt pour chasser.
Il allait de lieu en lieu à travers la forêt, avec
toute son armée, à la poursuite du gibier. Le
roi Vikramâditya, tourmenté par la soif, er-
rait dans la forêt, quand il se trouva face à
face avec le brahmane appelé Devadatta. Le
roi, apercevant ce brahmane, lui témoigna
du respect et lui dit : — Hé ! brahmane, j'ai
bien soif; fais-moi boire de l'eau. A ces
mots, le brahmane prit un fruit excellent,
bien doux, bien mûr, de l'eau bien fraîche
et offrit le tout au roi. Le roi mangea le
fruit, but l'eau et fut complètement remis.
.\près quoi le brahmane lui montra le che-
min, et il retourna chez soi.
52 CONTES INDIENS
• Un autre jour, le roi, étant en conversa-
tion avec ses conseillers, raconta aux person-
nes qui formaient la réunion comment le
brahmane Devadatta Tavait secouru et tit
longuement l'éloge du brahmane. Le brah-
mane le sut et tit en lui-même ces réflexions :
« J'ai rendu service à un personnage émi-
nent; par ce service, cet éminent personnage
est lié envers moi pour toute sa vie. Je veux
voir jusqu'où ira la reconnaissance du roi. »
Ayant fait ces réflexions, il trouva le moyen
d'enlever le fils du roi, l'emmena chez lui
et le garda. Dès que le roi se fut aperçu de
la disparition de son fils, il envoya des trou-
pes de messagers en divers lieux pour le
chercher. Les troupes de messagers ne trou-
vèrent nulle part la personne du fils du roi,
et le roi, avec son entourage, fut excessive-
ment troublé à cause de son fils.
« Sur ces entrefaites, le brahmane Deva-
datta mit un jour un des ornements du fils
du roi entre les mains de son serviteur en le
chargeant d'aller le vendre au marché. Le
serviteur s'arrêta devant la boutique d'un
marchand et lui offrit cet objet Là-dessus,
les gens du roi, ayant aperçu le serviteur du
brahmane porteur de l'ornement (royal), se
RÉCIT DK LA QUATRIEME FIGURE 53
saisirent de lui et le conduisirent au roi. 1.^
roi, Hxant ses regards sur le serviteur, le
questionna : — Cet ornement est à mon Hls;
où l'as-tu pris? où est mon fils? — Cet orne-
ment, grand rui, répondit l'homme, un brah*
mane appelé Devadatta me l'a remis pour le
vendre, et je suis allé le vendre; je ne sais
rien de plus. — Dès que le roi eut entendu
cette réponse, il envoya un messager, fit ve-
nir Devadatta en sa présence et questionna
le brahmane : u Tu as remis cet ornement à
l'homme que voici pour le vendre? — Oui,
répondit le brahmane, je le lui ai donné. —
Et où as-tu pris cet ornement.-' reprit le roi.
— Je l'ai pris sur ton tils, répondit le brah-
mane. — Et où est mon fils? demanda le roi.
— Il est mort, dit le brahmane. — E; com-
ment est-il mort ? reprit le roi. — Je lai tué,
répondit le brahmane. — Le roi reprit aussi-
tôt : Toi, un brahmane, un pandit savant
et juste, pourquoi, sans avoir reçu aucune of-
fense, as-tu fait périr l'enfant du roi? — C'est
par cupidité que cette mauvaise pensée m'est
venue.
« Aussitôt le roi interrogea du regard ses
conseillers. Les conseillers dirent : Grand
roi, l'homme qui a fait périr les gens du roi.
34 CONTES INDIENS
cet homme-là le roi le fait pe'rir à l'instant
même. Celui-ci a fait périr le fils du roi; il
est juste de le faire périr. Mais c'est un brah-
mane; dégrade-le donc et bannis-le, avec son
entourage, loin de sa demeure. — Le roi, se
souvenant du service que le brahmane lui
avait autrefois rendu, ne tint pas compte de
la parole de ses conseillers: il fit grâce au
brahmane et donna l'ordre de le laisser libre.
« Le brahmane, voyant l'excellence du roi,
fut très content; il rentra chez lui, fit pren-
dre un bain au fils du roi, le fit manger, lui
fit mettre des parures et des ornements et
l'amena en cet état dans le conseil du roi. A
la vue de son fils, le roi éprouva la joie la
plus vive; il pressa son fils sur sa poitrine et
dit au brahmane : Hé ! brahmane , dans
quelle intention as-tu agi de la sorte? Je ne
puis le comprendre. — Je me suis demandé,
répondit le brahmane, de quelle manière tu
te sentais lié par le service que je t'ai rendu
précédemment. C'est pour m'en rendre
compte que j'ai fait cette action. — Aussitôt
le roi donna au brahmane beaucoup de ri-
chesses et lui témoigna une vive satisfaction.
Après quoi, le brahmane s'en retourna chez
soi. "
RÉCIT OE LA QUATRIÈME FICURK 55
Après avoir fait ce récit, la quatrième fi-
gure ajouta : « Hé ! roi Bhoja, si ta recon-
naissance est semblable à celle de l'auguste
Vikramàditya, telle que tu l'as entendue de
ma bouche, alors tu es digne de l'asseoir sur
ce trône. » — Le roi, comprenant qu'il n'y avait
pas en lui une semblable gratitude, se désista
pour ce jour-là.
?5 "'*
RÉCIT DE LA 5^ FIGURE
L'auguste roi Bho}a prit encore une fois
une décision au sujet de son sacre ; il se
dirigea vers le trône, accompagné de ses con-
seillers. Quand il fut tout près, la cinquième
figure ciit : • Ecoute, roi Bhoja ! Celui-là
seul peut siéger sur le trône de Vikramâdi-
tya, qui a une générosité pareille à celle du
roi Vikramâditya. — Cette générosité du roi
Vikramâditya, dit le roi, en quoi consiste-
t-elle ?» — La cinquième figure reprit en ces
termes : « Ecoute, roi Bhoja.
« Dan> la ville d'Avantî, le roi Vikramâdi-
tya, assis sur son trône au milieu de ses con-
seillers, expédiait les aftairesdu royaume. Sur
ces entrefaites, le gardien du parc vint à la
58 CONTES INDIENS
porte du roi et dit au portier ; 11 faut que je
me présente devant le roi, fais le savoir au
grand roi. — A ces mots, le portier se rendit
près du roi, lui donna cet avis, puis intro-
duisit le gardien du parc en présence du roi.
Le gardien du parc porta ses deux mains à
sa tête, s'inclina devant le roi et dit : Grand
roi, j'ai une nouvelle à t'apprendre. Les
manguiers, les cocotiers, les aréquiers, les
citronniers, les orangers, les campaka, les
açoka, les kimçuka, les jasmins, les palmiers,
les tamâla, les çâla, les piyâla, les kadalî, les
kakkola, les labanga, les cardamomes, les
katakî, les kunda, les damanaka, en un, mot,
tous les arbres et plantes qui sont dans ton
jardin de plaisance ont de jeunes pousses, des
fleurs et des fruits : c'est le moment de se
divertir au bois.
« A l'ouïe de ce discours, le roi avec la
troupe de ses rânîs, entouré d'esclaves et de
danseuses, se rendit au jardin. Arrivé au jar-
din de plaisance, le roi, versé dans lart des
embrassements, des baisers, des rires et des
danses raffinées, des coquetteries, des jeux,
des agaceries, des gestes, en un mot dans
les divertissements ingénieux, se mit, avec
les charmantes et ravissantes beautés de son
KÉCIT DE LA CINQUIÈME FIGURE Sq
entourage, tantôt à cueillir des fleurs, tantôt
il jouer avec de l'eau, tantôt à chanter, tan-
tôt il s'exercer sur la balançoire, tantôt à
entrer dans un bouquet de kadalî, tantôt à
satisfaire les désirs de celles des femmes de
sa troupe (qui en éprouvaient). Voilà com-
ment, dans la saison du printemps, l'auguste
\ ikramàditya goûtait de diverses manières
les jouissances et les douceurs mondaines.
« Cependant un ascète qui, dans un coin de
la forêt, avait passé beaucoup de temps à
user son corps dans de rudes mortifications
de tout genre, était venu visiter le parc du
roi. Pendant qu'il le parcourait, ses idées
furent changées, et il se mit à faire les ré-
flexions suivantes : J'aurais pu porter des
habits somptueux et me parer d'ornements
divins, moindre de parfums divins, me nour-
rir de mets succulents et inouïs, me coucher
sur des lits magnifiques, respirer des odeurs
agréables, mâcher du bétel mélangé de mus-
cade, de girofle, de cardamome, de karpura,
etc., entendre des chants et des instruments,
voir danser des danseurs et des danseuses,
lolàtrerct rire avec des femmes d'une beauté
parfaite, me livrer au plaisir avec de jeunes
femmes ; toutes ces jouissances qui s'oftVaient
8
bO CONTES INDIENS
à moi, que j'avais à ma disposition, je n'en
ai pas profité; je me suis livré aux mortifica-
tions en vue du bonheur du Svarga. En m'a-
donnant pendant si longtemps aux. mortifi-
cations pour un bonheur d'une réalité
douteuse, invisible, je n'ai fait que me trom-
per moi-même. Tous ces gens qui, h cause
de l'être suprême, renonçant à jouir du bien-
être présent afin de s'assurer le bien-être
futur, se rasent, saupoudrent de cendres tous
leurs membres, ne se couvrent que de hail-
lons, sont eux-mêmes les artisans de leur
malheur. Je ne chercherai plus d'éclat que
dans ce monde. Quelles preuves a-t-on d'un
bonheur futur?
« Déchu de son yogisme par la concep-
tion de ces pensées matérialistes, le yogî, qui
ne songeait plus qu'à se procurer les jouissan-
ces mondaines, alla se présenter devant le
roi.
Le roi, voyant ce yogî, lui témoigna beau-
coup de respect, s'inclina devant lui, et, dé-
sireux de connaître le motif de sa visite, lui
dit : Hé ! vogî. pourquoi cs-tu venu prés de
moi ? — Grand roi, répondit le yogî, voilà
bien du temps que je me livre aux mortifica-
tions dans cette forêt. Aujourd'hui, la divi-
RÉCIT OE LA CINQUIÈME FIGURE 6l
nite que j'invoque (habiiuellementl s'est
montrée bien favorable; elle m'a donné cet
ordre : Va près de l'auguste roi Vikramâdi-
tva ; il comblera tes désirs. — C'est pour cela
que je me suis rendu près de toi,
• En entendant ces paroles du yogi, le roi
. dit : Ce yoi;î, pour n'avoir pas bien saisi
sens des Castras, est déchu de son yogisme ;
il s'est rendu malheureux par le désir des
jouissances mondaines. Or, il faut satisfaire le
désir des malheureux. — En faisant ces ré-
flexions, il prit une détermination. Voici la-
quelle : au milieu d'une ville, il fit cons-
truire une maison superbe et la donna au
yogî. Il lui donna aussi cent jeunes femmes
couvertes d'ornements variés, cent villages,
une quantité de richesses, d'esclaves mâles et
femelles, de vaches, de buffles, d'éléphants,
de chevaux, etc. Après quoi, s'élevant au
moyen de ses chaussures magiques, il rentra
dans la ville royale par le chemin des airs
avec la rapidité du vent. Quant au yogî, il
goûta des jouissances et des délices supérieures
il tout ce qu'il avait désiré. •
La cinquième figure dit encore au roi
Uhoja : • Hé! roi Bhoja, si tu as une capacité
02 CONTES INDIENS
de générosité telle que celle-là , tu es digne
de t'asseoir sur ce trône. »
Le roi Bhoja, ce jour-là, s'en alla (comme
il était venu).
RECIT DE LA fj" FIGURE
L'auguste roi Bhoja prit encore une fois
la détermination de monter sur le trône
pour s'y faire sacrer. A ce moment, la sixième
figure se mit à rire et dit : • Ecoute, roi Bhoja,
celui qui porte secours aux autres, comme le
roiVikramâditya, est digne de s'asseoir sur ce
trône. » — A ces mots, le roi dit : « En quoi
consistait cette qualité secourable du roi
Vikramâditya ?» — La figure reprit : « Fais
de la pratique de l'héroïsme l'objet de tes
méditations :
« De la ville d'Avantî le roi Vikramâditya
exerçait la domination sur tous les pays. Les
habitants des contrées soumises à son em-
pire pratiquaient chacun les devoirs de sa
8*
64 CONTES INDIENS
caste, sans jamais commettre de transgres-
sions; ils observaient continuellement les
préceptes des Castras, ne mettaient jamais
leur satisfaction dans l'injustice, faisaient
toujours des efforts pour s'entr'aider. A la
fin de leur vie, ils ne tenaient pas des discours
menteurs ', et, comprenant que leur corps
n'e'tait pas destine' à durer, ils méditaient
constamment par la science sur l'âme su-
prême.
<! Il y avait dans cette ville un marchand
nommé Dhanadatta. Ce Dhanadatta était si
riche que lui-même ne connaissait pas le
compte de ses richesses, et des catégories
d'objets qui n'existaient dans aucune ville se
trouvaient dans la maison de Dhanadatta.
Un jour, Dhanadatta fit cette réflexion : Les
bons offices servent pour l'autre monde. Si
je n'acquiers pas cette sorte de mérites,
quelle sera ma destinée? — Cette idée s'étant
bien fixée dans son esprit, il pratiqua large-
ment et en diverses manières la loi du don,
puis alla en pays étranger pour visiter les
étangs sacrés. Après avoir passé par divers
étangs, il arriva à une île de la mer. Il y
I. C'iist-j-dirc : niant la vie future.
À
RÉCIT OE LA SIXIÈME FIOURE 63
avait là un autel dune divinité' ; près de l'au-
tel était un lac et, au3c quatre côtés du lac, un
quai enchâssé de pierreries et de cristaux.
On voyait en ce lieu une femme supérieure-
ment belle et un homme divinement beau :
culement leurs tètes avaient été coupées, el-
les étaient h part; et, prés de ces tètes, quel-
ques lignes gravées sur un rocher ' annon-
. lient que, si quelque excellent personnage
>c coupait la tète pour la donner comme of-
frande, cet homme et celte femme revien-
draient à la vie. Instruit de cette merveille par
tout ce qu'il avait vu, Dhanadatta, en quit-
tant l'étang, retourna dans sa demeure.
« Un jour. Dhanadatta, dans une conversa-
tion avec le roi, lui raconta cette aventure.
A l'ouïe de ce récit, le roi fut bien étonné
et dit: Dhanadatta, viens avec moi en ce
lieu; je suis curieux de voir cela — Cette dé-
termination prise, le roi, emmenant Dhana-
datta, se rendit en ce lieu et, une fois arrivé,
vit de ses propres yeux que tout était comme
1. L'habitude décrire sur le roc est prouvée par ie»
inscriptions de ce genre qui ont tité découvertes depuis
une cinquantaine d'années. — Elle n'e«t piis «péciak à
l'Inde.
66 CONTES INDIENS
Dhanadatta le lui avait dit précédemment. Il
fit alors cette réflexion ; Quiconque est un
homme supérieur expose sa vie pour rendre
service aux autres. Si je donne ma vie, les
corps de ces deux individus, femme et homme,
reprendront vie; c'est là une action supérieu-
re ; il faut de toute nécessité l'accomplir. On a
beau veiller sur son corps, on ne peut éviter
la mort. En rendant service aux autres, on
meurt, mais aussi, dans l'autre monde, on a
une destinée excellente.
« Pénétré de cette pensée, le roi Vikramâ-
ditya se baigna dans le lac, puis se mit en de-
voir de se couper lui-même la tête en pré-
sence de la déesse. Là-dessus, la divinité, se
montrant favorable, arrêta la main du roi et
dit : O roi, tu es un homme supérieur; je
suis contente de toi. Demande ce que tu dé-
sires. — Le roi répondit : Hé! divinité, si tu
m'es propice, rends la vie à ces deux person-
nes, cet homme et cette femme, et accorde
leur la royauté de ce lieu. — La divinité, ayant
entendu ces paroles, dit : Hé! Vikramâdi-
tya, tu es un homme excellent; pour rendre
service aux autres, tu es prêt à perdre la vie. —
A ces mots, la divinité rendit la vie à cette
femme et à cet homme, leur donna la royauté
KÉCIT DE I.A SIXIÈME FIGURE 67
de ce lieu et disparut. Comme un homme en-
dormi se dresse quand son sommeil est inter-
rompu, ainsi cet homme et cette femme se
relevèrent et, par la faveur de la divinité, de-
vinrent roi et reine de ce lieu. Quant au roi
VikramSditya, il rentra dans sa capitale. •
l.a sixième figure ajouta : « Grand roi,
..ouïe! Voilà comment le grand roi Vikra-
mûditya était secourable aux autres. Si cette
même qualité d'être secourable aux autres est
en toi, alors tu es digne de t'asseoir sur ce
trône »
Le roi Bhoja, sachant bien que cette qua-
lité d'être secourablie aux autres n'existait
pas en lui, se retira encore ce jour-là.
mimm^
RÉCIT DE LA 7* FIGURE
UNE autre fois encore, le roi Bhoja, pour
se faire sacrer, vint jusqu'auprès du
trône. A peine y fut-il arrivé, que la septiènïe
tiguredit : • Ecoute, roi Bhoja, celui-là seul
^t capable de s'asseoir sur le trône qui rend
service à tous les êtres comme le roi Vikramâ-
ditya. » A ces mots, le roi, désireux de savoir,
dit : <t Hé ! figure, en quoi consistait cette
qualité qu'avait le roi Vikramâditya de ren-
dre service à tous les êtres vivants? » La fi-
gure reprit : 0 Hé! roi Bhoja, écoute la con-
duite héroïque de Vikramâditya :
« Dans la ville Avantî, le roi Vikramâditya
exerçait la royauté suprême. Un jour, il
donna cet ordre à ses suivants : Apprenez
yO CONTES INDIENS
ce qui se passe dans les divers pays, et venez
(me le dire). — Les serviteurs, conforme'ment
à cet ordre, parcoururent divers pays et ar-
rivèrent dans celui de Kâçmir. Un homme
riche y avait fait creuser un lac extrêmement
grand dans lequel il n'y avait pas d'eau. Par
la suite, (on entendit) une voix aérienne (qui
disait) : Si un homme supérieur livre son
corps en offrande, alors il y aura de l'eau
dans l'étang; autrement, il n'y aura pas
d'eau. — Après avoir entendu cette voix di-
vine, ce riche personnage fit (faire) un homme
en or et du poids de dix charges qu'il tint en
garde près de l'étang, et fit graver à cet en-
droit sur le roc la phrase suivante : Celui
qui livrera son corps en offrande, je lui don-
nerai cet homme en or. — De tous ceux qui,
venant de différents côtés, passèrent par là,
nul ne consentit à livrer son corps en of-
frande. N'étant pas de force à le faire, ils re-
culaient.
« Les serviteurs du roi Vikramâditya, après
avoir vu tout cela, rentrèrent dans la ville
d'Avantî et en rendirent compte au roi.
Quand le roi eut entendu toute cette histoire,
sa curiosité fut éveillée ; il se rendit au pays
de Kâçmir, alla un soir au bord du lac sous
RÉCIT DE LA SEPTIÈME FIGURE 71
un déguisement et fit ses dévotions mentales
à sa divinité préférée. Après quoi, au milieu
de la nuit, le roi Vikramâditya, faisant l'an-
jali ', dit : Hé! divinité, après m'être humi-
lié devant toi, je te le déclare : que celte di-
vinité, qui ne se rassasie qu'en buvant le
sang d'un sacrifice humain, boive mon sang
et soit satisfaite! — A ces mots, il se coupa la
tète. Aussitôt la divinité remit la tète sur le
corps et dit : Hé! roi, je suis propice envers
toi; demande (moi) ce que tu désires. — Le
roi répondit : Hé ! divinité, si tu es con-
tente de moi, remplis donc ce lac d'eau pour
rendre service à tous les êtres! — La divinité
reprit : O Vikramâditya, ta fidélité au de-
voir est extrême ; je t'accorde cette faveur. —
A ces mots, elle disparut, et le roi retjurna
dans son pays.
« Le (lendemain) matin, les gens du pays
de Kàçmir furent bien surpris de voir le lac
plein d'eau. »
La septième figure ajouta : « Hé ! roi Bhoja,
lilà comment le roi Vikramâditya rendait
service à tous les êtres : si tu as une qualité
semblable, tu es digne de t'asseoir sur ce
1. Voir pages 46 (note 4) et 58 (I. 6 et 7).
72
CONTES INDIENS
trône. » En entendant ces mots, le roi
Bhoja, comprenant qu'il n'y avait pas en
lui un pareil principe d'action pour le bien
de tous les êtres, fut tout de'concerté ce
jour-là.
■m
^= '^tfl'^ '«^<?> '^'^^T^ '<^¥'^^¥^^
«1«>7 r<»><*^ r4>^«>^ t^i^hfh ^^ASh ^Q^^^' ^^
RÉCIT DE LA H' FIGURE
APRÈS cela, l'auguste roi Bho'ia, prenant
encore une fois tout son attirail de sacre,
s'approcha du trône. Là-dessus, la huitième
figure dit : ■ Hé! roi Bhoja, celui qui rem-
plit les désirs des autres comme le faisait
l'auguste roi Vikramàditya, celui-là seul est
digne de s'asseoir sur ce trône. » A ces mots,
le roi dit ; • Et comment le roi remplissait-
il les désirs des autres.'* » La figure reprit :
« Ecoute, roi :
« Dans la ville d'Avantî, le roi Vikramàdi-
tya exerçait la royauté complète. Dans cette
ville demeurait le purohita ' du roi nommé
1 . Le prftrc domestique -, k terme sanskrit purohita
74 CONTES INDIENS
Tripurâkâr, dont le fils appelé Kamâlakar
était sot à l'excès. Voyant combien son fils
était sot, il était sans cesse plongé dans ses
réflexions. Un jour, il fit asseoir son fils près
de lui et se mit à lui faire des admonitions :
— Hé ! mon fils, écoute 1 lui disait-il. Dans le
Samsara ', les êtres vivants n'arrivent à une
naissance humaine qu'en récompense de
beaucoup de mérites.
« L'être vivant qui a obtenu un corps
d'homme, s'il amasse de la science, est encore
propre à une naissance humaine ; autrement
cet être à forme humaine qui a raisonné en
bête, au point que, dans son esprit, dans sa
manière de penser, dans toutes ses occupa-
tions comme celles de se coucher, de s'asseoir,
de manger, etc., on ne distingue pas l'homme
de la bête, cet homme se rapproche insensi-
blement de la bête. La science de la bête n'est
pas la science de l'homme ; par conséquent,
celui qui n'a pas la science de l'homme, com-
correspond à peu près (mutatis mutandis à « chape-
lain ».
i. Samsara, « le monde de la transmigration >. On ne
peut pas traduire simplement par ■< le monde », terme qui
ne réveille pas pour nous la même idée que Samsara pour
les Hindous.
RÉCIT DE LA HUITIÈME FIGURE 7S
ment ne serait-il pas une bête ? Vois combien
l'instruction est préférable à la royauté : un
roi n'est considéré que dans son propre pays ;
l'homme instruit jouit d'une égale considé-
ration dans son pays et dans les autres con-
trées. Vois encore combien la richesse de la
science est plus précieuse que toutes les ri-
chesses du Samsara; ces richesses ont à re-
douter les voleurs, le feu, le roi, etc. ; la ri-
chesse de la science n'a aucune de ces frayeurs.
Et encore : si on dépense toutes les richesses
que l'on possède, elles sont perdues; on a
beau dépenser toutes les richesses de la
science, l'intelligence demeure. Semblable-
ment, on ne trouve pas toujours d'autres ri-
chesses (pour remplacer les anciennes); mais
la richesse de la science se retrouve toujours.
Songe encore que la science est un ornement
supérieur à toutes les parures, car les autres
ornements brillent bien sur les enfants et les
' jeunes gens, mais ne brillent pas sur les
vieillards; la science a son éclat dans tous les
âges. Hélas ! mon hls, tu n'as pas acquis la
science ; aussi ta vie est-elle semblable à la
mort. En pesant les résultats, je me dis que,
entre ces trois choses : ou n'avoir pas de fils,
ou en avoir un et le perdre, ou en avoir un
yÔ CONTES INDIENS
qui échappe à la mort et vive, mais soit in-
sensé, mieux vaut n'en avoir pas, ou, si l'on
en a un, le perdre. Ce n'est jamais une bonne
chose qu'un (fils) insensé reste en vie. Aussi,
quand un fils qui n'a pas médité sur sa des-
tinée future est retiré de ce monde et meurt,
le chagrin qu'on éprouve dure au plus un
mois ou deux. Un fils insensé est pour son
père et sa mère une cause perpétuelle de
chagrins. C'est pour cela que je dis : la mort
d'un fils insensé est un bien.
M Kamalâkar, ayant entendu toutes ces pa-
roles de son père, partit pour les pays étran-
gers, afin d'amasser de la science. Il se trouva
un jour dans le pays de Kâçmîr. Dans ce pays .
était un brahmane versé dans tous les Cas- I
tras ; il s'appelait Candramaulî. Kamalâkar
s'attacha à ce brahmane pour obtenir la
science. Candramaulî le brahmane, très sa-
tisfait de la docilité de Kamalâkar, lui donna
le Siddhimantra ' de Sarasvatî ^. Par la puis- »
sance du Siddhimantra, Kamalâkar devint
habile dans les dix-huit sciences ■\
I. Talisman ou plutôt formule magique.
2 Voir le récit premier (page 37, note 3).
3. Voir le quatrième récit (pages 49-50J.
RECIT OE LA HUITIEME FIGURE 77
a Après cela, Kamalâkar se rendit dans la
ville de Kâncl. Il y trouva une jeune fille
nommée Naramohinî ' qui se tenait dans une
maison où nulle autre personne n'habitait.
La porte en était toujours ouverte. L'archi-
tecte de cette maison était un Râxasa nommé
Durjaya; il y venait (chaque jour) à la tom-
bée de la nuit. Si quelque étranger entrait
dans cette maison et s'y arrêtait troublé par
la vue de la jeune fille, le Râxasa, arrivant à
la tombée de la nuit, le dévorait. Plusieurs
passants moururent de cette manière.
a Kamalâkar avait entendu raconter toute
cette histoire. De retour dans son pays, il la
rapporta un jour au roi et ajouta : O grand
roi, donne-moi cette femme si belle. — Le
roi y consentit ; il prit Kamalâkar avec lui et
se rendit à Kàncîpurî près de la jeune fille
Naramohinî. A la vue de cette jeune fille, le
roi n'éprouva pas le moindre trouble; il
était, au plus haut degré, ferme et maître de
ses sens. Ensuite, à la nuit, le Râxasa tenta
de manger le roi. Au premier cri, le roi
porta la main à la garde de son épée et se
mit en devoir de combattre; il engagea aus-
I. « C<tll« qui trojble les booinies *.
78 CONTES INDIENS
sitôt avec le Râxasa un combat varié et par-
vint à le tuer.
La jeune fille Naramohinî fut bien con-
tente du meurtre du Râxasa; elle adressa
beaucoup d'éloges au roi et lui dit: O roi, tu
m'as délivrée du Râxasa, tu m'as donné la
vie ; aussi je me réfugie en toi. — Le roi, en-
tendant ces paroles de la jeune fille, répon-
dit : O jeune fille, si vraiment tu te réfugies
en moi, prodigue tes tendresses à celui que
je vais te désigner : Kamalâkar que voici est
très savant, et il m'est excessivement cher;
prends-le pour époux ethonore-le(comme tel).
— La jeune fiUeaccepta la proposition du roi.
« Après avoir donné de cette manière la
belle jeune fille à Kalamâkar, l'auguste Vi-
kramâditya rentra dans sa capitale ; Kamalâ-
kar prit la belle jeune fille et retourna chez
lui. »
La huitième figure ajouta : « O roi Bhoja,
tu as entendu comment le roi Vikramâditya
remplissait les désirs des autres. S'il y a en
toi une telle aptitude à remplir les désirs des
autres, alors tu es digne de t'asseoir sur ce
trône, » Après avoir entendu ces paroles, le
roi Bhoja s'en alla, ce jour-là encore, la tête
basse.
I
RÉCIT DE LA g' FIGURE
UN autre jour, le roi Bhoja prit encore
une fois la détermination de s'asseoir
sur le trône pour se faire sacrer. Comme il
s'y rendait, la neuvième figure lui dit : • Hé !
roi Bhoja, écoute ! Celui qui a une grandeur
égale à celle de Vikramâditya, celui-là seu
est capable de s'asseoir sur ce trône. » En
entendant ces mots, le roi dit : « Hé ! tigure,
en quoi consistait cette grandeur de Vikra-
màdiiya? » La figure reprit : « Ecoute, roi
Bhoja.
« Dans la ville d'Avanti, l'auguste roi Vi-
kramâditya exerçait la royauté. Un yogî
arriva dans cette ville et se tint au milieu du
parc. Ce yogî savait tout ; sa parole était
80 CONTES INDIENS
toute puissante ; il e'tait libre de désirs, com-
plètement affranchi de tout attachement. Ce
qu'il disait à qui que ce fût réussissait infail-
liblement. Le roi apprit tout le cas de ce
yogî par la rumeur publique, et lui dépêcha
les pandits de son conseil avec l'ordre de le
lui amener. Le yogî ne se rendit pas à l'in-
vitation que les pandits lui firent de la part
du roi, il leur répondit : L'homme qui est
sans désirs considère comme un brin d'herbe
une femme d'une beauté sans pareille : ce-
lui qui est sans péché considère Yama '
comme un brin d'herbe ; celui qui n'a point
de cupidité considère la royauté et la souve-
raineté comme un brin d'herbe.
« Les pandits, revenus près du roi, lui re-
dirent ce qu'ils avaient entendu de la bouche
du yogî. A l'ouïe de leur rapport, le roi dit :
Le yogî a bien parlé ; des gens sont venus
lui demander de venir prés du roi ; c'est moi
qui l'ai fait chercher, et il n'est pas venu.
J'en conclus que ce yogî a parlé avec un dé-
sintéressement extrême.
« A la suite de ce raisonnement, le roi se
rendit lui-même auprès du yogî, qui, voyant
1. Le dieu des morts, l'Hadès et le Pluton des Indiens.
r
UÉCIT DE (,A NEUVIÈME FIGURE 8l
les insignes royaux et les signes du grand
homme sur (la personne du) roi, fut extrê-
mement satisfait et donna au roi un fruit di-
vin. En même temps, il lui expliqua la vertu
de ce fruit : celui qui mange ce fruit est à
l'abri de la vieillesse, de la mort, de la mala-
die '.
« Le roi prit le fruit et s'en retournait cher
lui, lorsque, sur sa route, il apert^ut un indi-
vidu extrêmement malade : ému de pitié, il
lui donna le fruit. »
La neuvième figure (continuant) dit au roi
Bhoja : • Si tu as toutes ces qualités, alors
tu es digne de t'asseoir sur ce trône. » Le roi
Bhoja comprit qu'il n'avait pas ces qualités,
et, ce jour-là encore, il tourna le dos et s'en
alla.
I. Voir : Introduction (page ii).
'm
3fe
C-* n-^ic^* r^v'^c:' r>\''Cr' o'^c:* o ^
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/îECyr i)£ LA ïo^ FIGURE
UNE autre fois encore, l'auguste roi Bhoja
s'approcha du trône pour se faire sacrer.
La dixième figure, en voyant le roi, se mit à
sourire et dit : ■ O roi Bhoja, tu n'es pas
digne de t'asseoir sur ce trône . un roi tel
que Vikramâditya peut seul y prendre place.
— Quel était donc le roi Vikramâditya? •
dit le roi. — En entendant cette question, la
dixième figure dit : « Ecoute, je vais te dire
quelles étaient les qualités de Vikramâditya.
• Un jour, l'auguste Vikramâditya s'éleva
au moyen de ses chaussures magiques pour
explorer la terre, et parcourut ainsi diverses
contrées. Il aperçut en un certain lieu, dans
l'antre vaste et profond d'une montagne, un
84 CONTES INDIENS
arbre ravissant comme il n'en avait jamais
vu, et vint au pied de cet arbre. Or c'était la
résidence d'un oiseau appelé Longue-vie (cî-
rajîva). La troupe qui formait le cortège de
cet oiseau, après avoir été en divers lieux
chercher de la nourriture, revint sur l'arbre,
et les oiseaux se mirent à parler ensemble.
« Sur ces entrefaites, un des oiseaux dit :
J'éprouve aujourd'hui une grande douleur.
— Tous les oiseaux lui firent alors cette
question : Quelle douleur éprouves-tu ^ —
L'oiseau reprit : Ecoutez , pour la bien
retenir, la circonstance qui me cause cette
profonde douleur. Au milieu de l'Océan est
une île ; le roi de cette île est un Râxasa,
les habitants sont des hommes. Un jour, ce
Râxasa entreprit de les manger tous. Les
habitants, épouvantés, tinrent conseil et di-
rent : « Hé ! Râxasa, tu es notre roi à tous,
nous sommes tes sujets : garder tes sujets est
ton devoir de roi. Tu es roi et tu t'efforce-
rais de manger tes sujets! Ce n'est pas con-
venable. Nous te donnerons chaque jour, ré-
gulièrement et successivement, un homme.
— Depuis lors le Râxasa a, chaque jour, un
homme pour sa nourriture, et se montre sa-
tisfait; il ne fait pas de mal aux (autres)
KÉCIT DE I.A UIXiÈME FIGURK 85
créatures. Je suis allé aujourd'hui en prome«
nade dans ce pays; j'y ai un ami qui a un
fils. Or, c'est aujourd'hui le tour de mon ami
de livrer un homme, en sorte que le fils de
mon ami va être mangé par le Râxasa :
c'est à cause de cela que j'éprouve une ex-
trême douleur.
« Le roi Vikramâditya qui se tenait au
pied de l'arbre entendit le discours de l'oi-
seau ; il s'éleva au moyen de ses chaussures
magiques et se rendit dans le pays où ré-
gnait le Ràxasa. Le fils de l'ami de l'oiseau,
destiné à livrer son corps en pâture au
Râxasa se tenait là, excessivement troublé
par la crainte de la mort, dans le lieu où le
llâxasa prenait ses repas. Le roi Vikramâdi-
tya arriva en ce lieu, et dit : Hé! mon en-
fant, va-t-en chez toi, je prendrai ta place
«.t je livrerai mon propre corps en pâ-
ture au Râxasa. » — L'enfant répondit :
Qui es-tu, homme vertueux, qui me donnes,
(l'occasion) de faire connaissance avec toi?
— Tu n'as pas besoin de faire connaissance
avec moi, repartit le roi. — L'enfant,
ayant entendu les paroles de Vikramâditya,
fut très réjoui et s'en retourna chez lui.
Le roi Vikramâditya, sans crainte et le vi-
86 CONTES INDIENS
sage souriant, resta dans la salle à manger
du Râxasa. A l'heure du repas, le Râxasa
entra en ce lieu et, voyant l'homme e'minent,
lui dit : O homme, l'heure de ta mort est
arrivée, tu n'as point de peur et tu souris!
Qui es-tu donc, toi qui m'accordes de faire
connaissance avec toi? — Vikramâditya
répondit : Qu'est-il besoin de faire connais-
sance? Mange-moi. — Le Râxasa content
dit : O homme excellent, tu es fort ver-
tueux, je suis content de toi. Demande-moi
ce que tu désires d'entre les choses qui sont
dans mes états. — Le roi lui répondit : Si
tu es content de moi, ne fais plus de mal
aux créatures à partir d'aujourd'hui. »
Aussitôt le Râxasa donna son assentiment
en disant : Qu'ainsi soit ! — Le roi, s'éle-
vant au moyen de ses chaussures magiques,
retourna dans sa capitale ; et depuis, les sujets
du Râxasa ne furent plus molestés. »
Après avoir raconté cette histoire, la di-
xième figure ajouta : « Si tu as une telle ca-
pacité de venir en aide aux autres, alors tu es
digne de t'asseoir sur ce trône. » A l'ouïe de
ces paroles, le roi Bhoja renonça (au sacre)
encore ce jour-là.
RECIT DE LA ii' FIGURE
UN autre jour encore, le roi Bhoja, vou-
lant se faire sacrer, s'approcha du trône
pour s'y asseoir. Sur ces entrefaites, la on-
zième figure dit : « Roi Bhoja, écoute. Celui-
là seul parviendra à s'asseoir sur ce trône,
dont la grandeur est égale à celle de Vikra-
niclditya. » Le roi dit : «Eh! figure, en
quoi consiste la grandeur de Vikramâdi-
I tya ? * La figure dit : « Eh ! roi Bhoja,
écoute !
« Il y avait dans les Etats du roi Vikramâ-
ditya un grand personnage appelé Bhadra-
Isena, qui mourut après avoir amassé et
gardé avec soin des richesses considérables.
Son fils appelé Purandara se mit à dissiper
I
88 CONTES INDIENS
tous ces biens dans de folles dépenses. Les
voisins ne songeant pas à l'en empêcher, un
ami du père de Purandara, un savant brah-
mane, vint trouver Purandara et lui dit : O
fils de mon ami, ces richesses qu'il a conser-
vées par des efforts si variés, car elles ne sont
pas stables (de leur nature), ces richesses, tu
les gaspilles aisément et à tort. La grandeur
de l'homme consiste à garder la richesse.
Cette richesse, Laxmî en a fait un enseigne-
ment ' ; Vishnu s'est rendu par force le
maître de Laxmî, et c'est lui qui est devenu
par là) le seigneur du monde. Cette Laxmî
est née de la mer; de là vient que le nom
de la mer est Ratnâkar (mine des joyaux).
C'est au sein de Laxmî qu'est né Kandarpa*;
et c'est à cause de cela que Kandarpa l'a pris
de haut, orgueilleusement avec Brahmâ et les
autres dieux. Réfléchis donc et comprends
que le peu de grandeur et d'orgueil de
l'homme dépend tout entier de la faveur de
Laxmî. Voilà pourquoi je dis : ces richesses
I. Ou un livre {Çdslraj. Laxmî est la déesse ds la féli-
cité, la déesse Fortune,
2 Le dieu de l'amour.
I
RÉCIT DE LA ONZIEME FIGURE 89
qui (ne) sont (pas autres que) Laxtnî, il n'est
pas convenable de les prodiguer ainsi.
« A ce discours du Brahmane Purandara
re'pondit : Eh! brahmane, écoute : ce qui
doit nécessairement arriver, arrive en dépit
de tous les efforts, comme l'eau de la noix de
coco De même les biens qui doivent infail-
liblement disparaître s'en vont ; de quelle
façon s'en vont-ils? — Personne ne peut le
préciser; c'est comme la graine du fruit du
kapiltha mangée par un éléphant. Ainsi on
a beau faire des efforts pour garder la ri-
chesse, qu'en adviendra-t-il?
• Après avoir ainsi repoussé le discours du
brahmane, Purandara renouvela ses dépen-
ses de jour en jour, et devint extrêmement
pauvre ; aucun de ceux qu'il approchait ne
faisait plus cas de lui. Devenu ainsi l'objet
du dédain universel, Purandara fut extrême-
ment troublé et ht en lui-même ces réfle-
xions : Une forêt comme celles où demeu-
rent les tigres et les autres animaux féroces,
^une forêt où l'on a pour demeure le pied
les arbres, pour nourriture leurs feuilles et
Jeurs fruits, pour vêtement leur écorce, et
)ur lit l'herbe, est assurément la résidence
|ui convient le mieux à un homme privé de
go CONTES INDIENS
toutes les richesses qu'il possédait); il ne lui
vaut rien d'habiter prés de parents que leur
opulence enorgueillit. — Après avoir roulé
ces pensées dans son esprit en plusieurs ma-
nières, Purandara partit pour les pays étran-
gers.
« En errant par diverses contrées, il arriva
près d'une ville voisine du Mont Malaya, et
qui s'appelait Pîtapur. Dans cette ville, il
entendit de nuit les pleurs d'une femme qui
pousssait des cris lamentables. Dès que le
matin fut arrivé, il s'informa auprès des gens
de la ville : Hier, dit-il, pendant la nuit,
j'ai entendu pleurer une femme. — Les
villageois lui répondirent : Nous aussi, cha-
que jour, pendant la nuit, nous entendons
ces mêmes lamentations de femme ; mais
nous ne savons qui est cette femme qui
pleure ainsi. En entendant ces plaintes con-
tinuelles, nous redoutons quelque malheur
et nous sommes dans des transes perpétuel-
les.
« Quand Purandarafut rentré dans son pays
quelques jours après son arrivée, il raconta
cette histoire au roi Vikramâditya. Le roi,
l'ayant entendu, eut l'esprit envahi par la
curiosité, et, pour connaître les particula-
HéCIT OK LA ONZIÈME riGURE 9I
rites du chagrin de cette femme, il s'éleva à
l'aide de ses souliers magiques, accompagné
de Purandara, et se rendit à Pîtapur. Dés
qu'il y fut arrive, il se mil à chercher : non
loin de cette ville était une épaisse forêt, où
il découvrit la femme en pleurs. Au moment
où cette femme fit entendre ses plaintes,
à cet instant même, il s'avança à travers la
forêt, dans la direction de cette femme, le
glaive en main. Arrivé près d'elle, il vit un
Râxasa, à la figure épouvantable, sans pitié,
qui la battait à tour de bras. A ce specta-
icle, le roi Vikramâditya, ému de compassion,
[ftccabla le Ri}\asa de reproches et lui dit :
■"i ! fi! pervers Râxasa, qui bats une faible
Kemme, quelle humanité y a-t-il en toi .•' Viens,
[combats avec moi, si tu en es capable. —
[En entendant ce défi du roi, le Ràxasa entra
[dans une colère excessive, il tenta de se bat-
re avec le roi : après avoir lutté quelque
Itemps avec le Râxasa, le roi le tua en lui
Uranchant la tîte avec son épée. Immédiate-
rment, la femme, aussi contente que pourrait
[l'être un mort qui aurait recouvré la vie,
[s'avança vers le roi, fit l'anjali ' et adressa au
I. Voir les récits 3 (p. 46, note 4) et 7 (p. 71, note).
92 CONTES INDIENS
roi des éloges : O grand roi des rois, comme
Garuda, qui témoigne la bonté de sa nature
en détruisant les serpents, a rendu la vie à la
grenouille tombée de la bouche du serpent,
ainsi, en exterminant mon Râxasa, tu m'as
rendu la vie. Que ferai-je pour reconnaître
ce bienfait? Je n'ai ni fils ni fille. Si j'avais
un fils ou une fille, je te l'off'rirais pour te
servir. — Après avoir prononcé ces paroles
de soummission, elle tomba aux pieds du roi.
Se relevant aussitôt, elle lui dit : « A dater
d'aujourd'hui, considère-moi comme ton es-
clave ; j'ai neuf cents vases d'or tout remplis
d'or; considère toutes ces richesses comme
tiennes. » — Le roi, ayant entendu les paro-
les de soumission de cette femme, accepta
tout ce qu'elle avait de richesses, mais pour
le donner à cette femme même et à Puran-
dara. Après avoir placé Purandara dans cette
situation, il s'éleva à l'aide de ses souliers
magiques et rentra dans sa demeure. »
La onzième figure, après avoir fait ce récit
au roi Bhoja, ajouta : « Eh! roi Bhoja, tu
as entendu (quelle était) l'humanité de Vi-
kramâditya ; s'il y a en toi autant d'humanité,
assieds-toi sur ce trône, restes-y. » Le roi
Bhoja, ayant entendu ce discours, se désista
encore ce jour-là.
______ _^%)v^^^^ _ _
RÉCIT DE LA is^ FIGURE
UNE autre fois encore, l'auguste roi Bhoja
s'approcha du trône pour s'y installer.
Aussitôt, la douzième figure lui dit . a Eh !
roi Bhoja, pour être digne de s'asseoir sur ce
trône, il faut être aussi libéral que l'était le
roi Vikramâditya. » I-e roi Bhoja répondit :
« De quelle sorte était donc la muniticence
du roi Vikramâditya? » La figure reprit :
« Eh ! roi Bhoja, écoute :
« Un jour, l'auguste Vikramâditya, pour
visiter son royaume, s'éleva à l'aide de ses
chaussures magiques, et parcourut ainsi di-
vers pays. En un certain lieu, il vit sur le
bord d'un fleuve, non loin d'un temple des
dieux, des brahmanes pandits qui discutaient
94 CONTES INDIENS
sur le Castra. Vikramâditya s'approcha pour
entendre leur discussion. Quand il fut tout
près d'eux, il écouta. Dans la chaleur de la
discussion, les pandits cherchaient surtout à
soutenir respectivement leur propre thèse,
et, pour cela, ils faisaient des distinctions
mise'rables et de nature à détruire l'autorité
du Castra. Après avoir prêté l'oreille, le roi
dit : Eh! pandits, écoutez : la recherche du
sens véritable du Castra est le fait d'un sa-
vant : quand on repousse le sens véritable et
qu'on cherche à établir sa propre thèse, on
ne fait pas acte de savant. Celui qui, étant
savant, fait de fausses interprétations pour
établir sa propre thèse et rejette le sens na-
turel du Castra, celui-là se perd lui-même et
cause la perte des disciples groupés autour
de lui. — A l'ouïe de ces paroles du roi, les
pandits se dirent en eux-mêmes : Le savant
est celui qui est capable de démêler le vrai
sens et la fausse interprétation du Castra; la
fausse interprétation que nous en avons faite,
celui-ci l'a comprise : d'où la conclusion qu'il
est le premier des savants (pandits). — Après
s'être communiqué cette pensée, tous, rem-
plis de honte, cessèrent la discussion.
B Sur ces entrefaites, un homme d'une
RI^.CIT DE LA DOUZIÈME FIGURE gS
beauté suprême arriva sur le bord du fleuve;
il était mourant. Il tomba et dit à tous ceux
qui se trouvaient là : Venez vite, vous; voyez!
Que m'est-il arrivé ? — Mais il avait beau
dire : aucune des personnes présentes ne
s'approcha de lui.
» Voyant cela, le roi Vikramâditya eut l'es-
prit pénétré de compassion; il s'approcha de
cet homme, lui donna des soins comme si
c'eût ctJ un de ses plus proches parents.
L'homme en fut extrêmement satisfait et dit
au roi : Homme de bien! tu es mon meil-
leur parent; car il est véritablement un pa-
rent celui qui vient en aide à l'heure de la
calamité. Aussi il y a dans ma demeure un
objet divin appelé Mûlikâ;je te le donne,
; prends-le : quelque chose que tu demandes à
cet objet, tu la recevras à l'instant. — Après
avoir adressé ces paroles au roi et lui avoir
remis la Mûlikà, cet homme expira. Aussitôt
un pauvre mendiant s'approcha du roi et lui
demanda l'aumône (en disanti : 1- h ! grand
roi, tu es un grand faiseur de dons ; donne-
moi l'aumône de manière que mon indigence
prenne fin. — Le mendiant n'eut pas plutôt
formulé sa demande que le roi lui donna
ii cette Mùlikà; puis, s'élevant à l'aide de ses
q5 CONTES INDIENS
chaussures magiques, il retourna dans sa ca-
pitale, n
La douzième figure dit au roi : « Eh ! roi
Bhoja, si tu es ainsi compatissant et libéral,
alors tu es digne de t'asseoir sur ce trône. »
Après avoir entendu ce discours, le roi
Bhoja se désista cette fois encore.
^2'^,
DISCOURS DE LA i.l^ FIGURE
UN autre jour encore, le roi Bhoja s'appro-
cha du trône pour se faire sacrer. Dans
cette circonstance, la treizième figure lui dit
en riant : « Hé ! roi Bhoja, celui-là seul est
digne de s'asseoir sur le trône, dont la gran-
deur est comparable à celle de Vikramâdi-
tya. » A l'ouïe de ces paroles, le roi Bhoja
dit : • O figure, en quoi consiste la grandeur
de Vikramàditya ?» La figure lui répondit :
« 0 roi, écoute avec attention la munificence
^■ie Vikramàditya :
^H « Un jour, le roi, poussé par la curiosité,
^Héleva à l'aide de ses chaussures magiques,
^^R, après avoir parcouru plusieurs pays, ar-
' riva dans une forêt près d'une ville. Dans un
gS CONTES INDIENS
temple situé au milieu de cette forêt résidait
un Siddha '. En voyant ce Siddha, le roi Vi-
kramâditya lui fit la révérence avec foi. Le
Siddha lui dit : Roi Vikramàditya, pourquoi
es-tu venu? — Le roi répondit : Eh! Yogi,
je suis bien Vikramàditya lui-même; com-
ment le sais-tu? — Je t'ai vu auparavant
dans la ville d'Avantî sur le trône royal, re-
prit le Siddha; tu as quitté ton royaume poui
courir les pays étrangers ; cela n'est pas bien,^
Quand un roi reste dans son pays, toujours
occupé des soins de la royauté, la fortune lu^
demeure fidèle. Aussi ne convient-il pas ai
roi de se promener dans les contrées étran-
gères; car, s'il est hors de ses Etats, les ar'J
mées ennemies s'efforceront de prendre U
pays pour en jouir. — Le roi Vikramàditya
répondit à ce discours : Ce qui doit nécessai^
rement arriver est sans remède. S'il y avait
un remède, le roi Nala et bien d'autres n'auJ
raient pas tant souffert. Ainsi, tout est sou^
mis à la fatalité. De quoi donc ai-je à me
préoccuper ? Aussi je veux te raconter un€
ancienne histoire :
I. Siddha (« qui a réussi ï>\ homme arrive à la perfec-j
tion. Ce terme est synonyme de Yogi.
RECIT DE LA TREIZIEME FIGURB 99
« Il y avait une ville appelée Padtnanêshat,
dont le roi avait nom Jayaçekhara. Au bout
d'un certain temps, les confidents, les con-
seillers, les parents et alliés de ce roi s'étant
conjurés se débarrassèrent de lui et l'expul-
sèrent du pays avec sa reine. Après avoir tra-
versé à pied plusieurs contrées, les exilés cou-
chèrent de nuit dans une ville au pied d'un
arbre. Sur cet arbre étaient cinq Yaxas • qui
faisaient entre eux la conversation. Un des
Yaxas dit ; Demain, le roi de cette ville ren-
dra l'âme dès le matin; il n'a pas de fils : qui
sera le roi de cette ville? — Un autre Yaxa
répondit : Celui qui a fait son lit au pied de
l'arbre, c'est celui-là qui sera roi. — Le roi,
qui se tenait au pied de l'arbre, entendit toute
cette conversation. Au matin, il prit sa femme
avec lui, s'installa au milieu de la ville et
resta là. Ce jour même, le roi de la ville ex-
pira : pour assurer au royaume un protecteur,
les conseillers prirent l'éléphant principal et
se mirent en quête d'un homme digne d'être
I . Dieux ou génies qui forment le cortège de Kuvera et
gardent ses trésors ; représentés d'ordinaire comme dan-
gereux et nuisibles, quelquefois comme inoffensifs et mfme
bienfaisants. Dans ce récit, ils sont bienfaisants pour les
uns, nuisibles pour les autres.
100 CONTES INDIENS
roi. Sur ces entrefaites, l'éléphant principal
fit monter sur son dos le roi Jayaçekhara et
le conduisit jusqu'au tr^ne ; ensuite de quoi
les conseillers le sacrèrent. Le roi Jayaçe-
khara, sacré avec sa femme, exerça la royauté
sans entraves.
« Quelques jours après, les rois voisins, s'é-
tant tous réunis, bloquèrent la ville du roi
Jayaçekara; pendant ce temps-là, le roi jouait
aux dés avec la reine et ne s'occupait pas (des
affaires) de son royaume. Sur ces entrefaites,!
la reine dit : Eh ! grand roi, je pense à unej
chose ; enserré comme tu l'es par le cercl<
des rois ennemis, ce pays ne sera bientôt
plus à toi. Aussi, cherchant ton bien, je tej
rappelle que si un roi s'abandonne au vice,]
sa royauté a beau être soutenue par la ri-J
chesse, l'intelligence, la capacité, elle eslj
destinée à périr. Ce vice peut être de dix-hui|
espèces différentes, dont dix se rattachent a
l'amour, et huit à la colère ; tel est l'ensem-
ble des dix-huit espèces de vices. Aussi, ui
roi doit-il toujours se garder de l'amour et del
la colère.
« Voici rénumération des dix vices nés de
l'amour : la passion de la chasse est le pre-J
mier ; l'attachement au jeu de dés, le deu-|
RéClT DE LA TRKIZIÈMS FiGURB lOI
xiéme; le sommeil de jour, le troisième; l'es-
prit de dénigrement, le quatrième ; la passion
des femmes, le cinquième; l'égorsrae, le si-
xième ; la passion de voir les danses, le sep-
tième ; celle d'entendre les chants, le hui-
tième; celle d'entendre les instruments de
musique, le neuvième ; la promenade au ha-
sard et sans but, le dixième : le roi qui s'a-
.donne habituellement à ces dix espèces de
|vices nés de l'amour perd tous les biens ex-
lérieurs et tous les biens moraux. — Voici
maintenant l'énumération des huit vices nés
^de la colère : La malignité est le premier ;
m esprit d'hostilité non motivée envers les
jens de bien, le deuxième; le désir de tuer
les gens inoffensifs, le troisième; l'impatience
de l'éloge d'autrui, le quatrième; l'art de dé-
couvrir ce qu'il y a de défectueux dans les
qualités des gens supérieurs, le cinquième;
l'action de prendre frauduleusement les ri-
chesses d'autrui et de refuser les choses qu'il
est indispensable de donner, le sixième;
celle de blâmer autrui, le septième; celle
de donner des coups ou de maltraiter autre-
ment les gens le huitième. Le roi qui est at-
taché à ces huit espèces de vices nés de la
colère se perd lui-même, il perd son royaume
J02 CONTES INDIENS
et (est infidèle au) devoir. Toi-même, grand
roi, toi qui es né d'une grande famille, tu
t'es livré au jeu de dés avec ta femme d'une
manière excessive, tu as renoncé à t'occuper
des affaires de la royauté. Aussi je pense que,
avec une extrême rapidité, nous allons être
enveloppés ensemble dans le malheur.
« En donnant au roi cet avertissement, la
reine était profondément affligée. Inconti-
nent, le roi lui répondit : Eh ! ma chère,
bannis toute crainte. Quand nous eûmes
perdu la royauté, ce grand arbre sous lequel
j'ai fait mon lit, ce grand arbre s'est bien
trouvé là ; de même ces cinq individus Yaxas
qui étaient sur ce grand arbre et par la fa-
veur desquels j'ai obtenu cette royauté-ci,
ces cinq individus Yaxax se sont bien trouvés
là. Ainsi, ma chère, songe que tout ce qui
doit arriver, arrivera infailliblement : viens
donc et jouons aux dés. — Et le roi, après
avoir parlé, recommença de plus belle à
jouer avec la reine.
(( Cependant les cinq individus Yaxas, ayant
su que le malheur du roi était imminent, se
mirent à délibérer entre eux : Nous avons
donné un royaume à ce roi (dirent-ils) : mais
ce roi est un homme excessivement mépri-
uéCIT DE I.A TREIZIÈMK FIGURE lo3
sable; il ne fait preuve d'aucune capacité, et
va tomber entre les mains de ses ennemis; si,
dans ces circonstances, nous ne lui donnons
aucune aide, il périra, et ce sera pour nous
une grande honte. Notre grandeur doit se
développer dans le monde et ne soutfrir au-
cune diminution : c'est à nous d'y veiller.
Faisons nous donc combattants pour dé-
truire les ennemis du roi. — Cette décision
prise, les cinq Yaxas firent la guerre et dé-
truisirent les adversaires du roi.
Aussitôt la reine, en voyant cette multi-
tude d'ennemis anéantie, comprit qu'il y
avait là quelque chose de tout à fait mer-
veilleux, et dit au roi : Ehl gfand roi, que
cela est merveilleux ! Comment cette troupe
puissante d'ennemis a-t-elle été si facilement
anéantie ? — Ces paroles arrivèrent aux oreil-
les des cinq Yaxas qui interpellèrent la reine
en lui disant : Eh ! vertueuse, apprends par
quelle cause la multitude des ennemis de
ton roi a été ainsi détruite : Nous fûmes
jadis cinq poissons ; l'étang dans lequel nous
faisions notre demeure fut malheureusement,
par suite de chaleurs brûlantes d'une certaine
année, entièrement desséché et privé d'eau.
Ce roi, de son côté, fut, dans ce temps passé,
104 CONTES INDIENS
un potier qui venait à l'étang pour en ex-
traire de l'argile. Nous voyant excessivement
trouble's, il fit dans cet étang un trou qu'il
remplit d'eau et où il nous garda : ce procédé
nous sauva la vie. Quelque temps après,
nous, les cinq poissons, nous devînmes cinq
Yaxas et le potier devint le roi Jayaçekhara.
Comme il nous avait rendu service dans une
existence précédente, nous lui avons témoi-
gné notre reconnaissance pour ses bons offi-
ces en le faisant roi de ce pays. Qu'il jouisse
avec toi de la royauté sans épines. — Après
avoir prononcé ces paroles, les cinq Yaxas
retournèrent dans leur demeure. »
• Le roi Vikramâditya ajouta : Eh 1 yogî,
ce qui doit arriver nécessairement ne sera
changé en aucune manière ; que peuvent les
efforts de l'homme? — Le yogî répondit :
Eh! grand roi, ce que tu as dit est con-
traire au Nîti-Çâstra. D'après le Nîti-Çastra,
l'homme qui fait des efforts incessants est le
meilleur. Dire : ce qui doit arriver arrivera,
ce qui ne doit pas arriver n'arrivera pas,
quelques efforts que l'on fasse, c'est parler en
homme vil ; car aucun acte n'est en dehors
du but que l'homme peut atteindre, et celui
qui se vante d'être inactif est méprisable. Il
uéCir DK LA TREIZIÈME FIGURE lo3
faut donc déployer constamment son activité.
Malgré tout, j'estime que tu es un grand
sage; aussi, content de toi comme je le suis,
je te donne ce joyau incomparable, le cin-
tamani.
« Le roi reçut le cintamani, fut très satis-
fait, adressa des éloges, fit des génuflexions au
Siddha, puis reprit le chemin de sa ville. Un
pauvre homme qui se rencontra sur la route
lui demanda de l'argent. Le roi donna à
ce pauvre homme le joyau cintamani, puis,
s'élevant sur ses chaussures magiques, rentra
chez lui.
La figure ajouta : • Eh ! roi Bhoja, telle
était la grandeur, de Vikramâditya; s'il y a en
toi une telle grandeur, alors assieds-toi sur ce
trône, et fais-toi sacrer. » — En entendant
ces paroles, le roi Bhoja se retira encore ce
jour-là.
I
^P
4É^«4^«4É^«4|».
RÉCIT DE LÀ î 4' FIGURE
\
UNE autre fois encore, l'auguste roi Bhoja
s'approcha du trône pour se faire sacrer.
La quatorzième figure dit au roi Bhoja :
« Eh ! roi Bhoja, écoute :
« L'auguste roi Vikramâditya exerait la
royauté complète dans la ville d'Avantî. Il
avait un ami appelé Sumitra, qui sortit de
chez lui pour faire un voyage aux étangs sa-
crés. Après avoir visité divers étangs, le pè-
lerin s'approcha d'un étang appelé Çakrâva-
tar et qui appartenait à une divinité appelée
Yugâdideva. Après avoir fait son oftVande et
adressé ses louanges à la divinité, il entra
dans la ville ; là, il vit, près d'un temple des
dieux, un chaudron plein d'huile brûlante
i
I08 CONTES INDIENS
exposé à un feu ardent. Il questionna les
gens qui se trouvaient là et qui lui dirent :
Il y a dans ce lieu une femme aux membres
divins appele'e Madanasanjîvanî qui est la
reine de ce pays; tout ceci lui appartient.
L'homme qui entrera dans ce chaudron plein
d'huile sans en mourir est celui qui devien-
dra notre seigneur.
« Après avoir recueilli ce propos de la bou-
che de ces gens, Sumitra vit Madanasanjî-
vanî; il admira ses formes, sa prestance, sa
beauté, ses charmes et devint fou d'amour.
De retour dans la ville d'Avantî, il informa
l'auguste Vikramâditya de toute cette aven-
ture. Après avoir entendu le récit de Sumi-
tra, le roi fut tout entier à la curiosité; il alla
près du chaudron plein d'huile et sauta dans
le liquide. A la nouvelle de cet événement,
Madanasanjîvanî arriva; quand elle vit de-
vant elle l'auguste Vikramâditya, elle oignit
d'Amrita le corps brûlé (du roi) qui redevint
tel qu'il était auparavant, sans brûlure et
sans souffrance. La belle aux membres divins
dit à Vikramâditya : Eh! grand roi, c'est une
grande qualité chez un roi que (de savoir su-
bir) de cruelles souffrances; or, quelle plus
grande souffrance peut-on subir que celle qui
RÉCIT DE LA QUATORZIEME FIGURE lOÇ
consiste à entrer dans un chaudron d'huile
bouillante? C'est pour éprouver l'humanité
du roi que j'ai disposé cet appareil; j'estime
que ton humanité est très grande. Aussi je
suis contente de toi. Sois avec moi le maître
de ce pays Ratnavatî.
* Après avoir imaginé de tels moyens de
prendre le roi par diverses sortes de paroles
aft'ectueuses , elle dit encore au roi : Eh!
grand roi, tu es riche dans ce Samsara, puis-
que tu as su garder ton cœur de toutes con-
voitises pour une femme aussi belle que moi,
aussi bien que pour une félicité royale telle
que là mienne.
« A ce moment, le roi, sur un signe de Su-
BÙtra, fit son ami Sumitra roi de ce pays, et
lui donna en même temps Madanasanjîvanî;
après quoi, il retourna dans sa capitale, t
La quatorzième figure, après avoir fait ce
récit à l'auguste roi Bhoja, ajouta : « S'il y
a en toi une pareille munificence, alors tu es
digne de t'asseoir sur ce trône. » En enten-
dant ces paroles, le roi Bhoja se retira encore
ce jour-là.
tf
^mP
00)
«?
RÉCIT DE LA i5' FIGURE
UNE autre fois encore, l'auguste roi Bhoja
s'approcha du trône pour se faire sacrer.
En le voyant venir, la quinzième figure dit :
• Eh ! roi Bhoja, écoute quelles conditions
doit remplir celui qui est digne de s'asseoir
sur ce trône. — Dis en quoi consistent ces
conditions, » repartit le roi. La figure reprit
en ces termes :
^K « L'auguste Vikramâditya , après avoir
^Hréuni une armée formée de quatre corps bien
^Bomptés, celui des éléphants, celui des che-
^H^aux, celui des chars, celui des fantassins,
^Hlvait conquis toutes les contrées, réduit tous
^Bes rois sous sa puissance. Il siégeait un jour
^Kiu milieu de son conseil avec ses législateurs.
1 12 CONTES INDIENS
ses agents exécuteurs de ses ordres, les sa-
vants de son conseil et d'autres personnages.
Sur ces entrefaites, les gardiens du jardin de
plaisance vinrent en présence du roi ', firent
l'anjali et dirent : Eh ! grand roi, le roi de
toutes les saisons, le printemps, a fait son en-
trée dans la multitude des bosquets, théâtres
de ses jeux. Les bosquets et les allées, les
arbres couverts de jeunes pousses, chargés
de grappes de fleurs et de fruits brillent d'un
éclat superbe. Tous les étangs resplendissent
de plantes aquatiques; les guirlandes d'abeil-
les, ivres de miel, font entendre des sons
agréables; le kokila pousse les doux cris de
l'accouplement.
« A l'ouïe de ces paroles des gardiens du
parc, le roi, avec son entourage, se rendit à
son jardin de plaisance, se livra en divers
lieux à plusieurs genres de divertissement,
puis, au milieu du bois, parmi divers autels
(de dieux), il s'assit sur un trône d'or orné
de pierreries, et, en compagnie de ses pan-
dits, se mit à étudier les Castras. Sur ces en-
trefaites, un pandit qui était juge, s'attachant
à un point du Castra de la connaissance (Jnâ-
• I. Voir récit cinquième (p. 58).
RÉCIT OE LA QUINZlàUB riGURK I I 3
na-Çâstra), dit : Eh! grand roi, écoute : la
félicité royale, en quelque temps, en quelque
lieu que ce soit, n'est pas stable ; ce corps,
composé de sang, de chair, d'ordures, d'u-
rine, sujet à diverses infirmités, n'est pas sta-
ble ; de même les tils, les amis, les épouses,
rien de tout cela n'est durable. Ainsi l'affec-
tion poussée à l'excès ne convient pas au
sage : de même que l'affection procure une
(grande) jouissance, quand vient la sépara-
tion, elle cause une douleur encore plus
grande. Par conséquent, le sage doit appli-
quer son esprit à (la méditation de) l'exis-
tence éternelle. Or, il n'y a pas d'existence
éternelle en dehors de l'homme suprême',
qui est la forme de l'être par excellence *. Si
l'esprit est terme sur ce point, il sera affran-
chi de la geôle du Samsara.
« Quand le juge eut fini de parler, le roi
resta quelque temps pensif, puis il dit : Eh !
I. Parama-puruska. Peut-être taudrait-il traduire :
f ^uruiAd iiuprêmâ » et conserverie terme indien /urtuAtf
ai signifie * homme », mais qui, ici, a une acception
bilosophique toute s{>éciale.
i. SaccUdnanJa, nom du principe de l'existence, de
Inintelligence, de la félicité. On le retrouvera dans le der-
•^^nier récit.
I 14 CONTES INDIENS
juge, tout ce que tu as exposé est fort juste.
Tant que le souffle de la respiration persiste
dans ce corps perce' d'une multitude d'ouver-
tures, c'est la vie du vivant ; une fois que le
souffle de la respiration s'échappe du corps,
c'est la mort du vivant. Par conséquent, la
vie est une grande merveille. Tout ce qui est
du Samsara est né mortel et dure autant que
les éléments grossiers, autant que la vie.
Après la mort, le lien (qui retenait le tout)
n'existe absolument plus. Celui qui sait tou-
tes ces choses comme s'il les avait devant les
yeux et qui néanmoins est enivré par les ob-
jets sensibles, celui-là est dans la même situa-
tion que s'il était dans une complète igno-
rance ; car, bien que cette connaissance n'ait
pas péri pour lui, il n'a pas l'attachement
inébranlable pour l'homme suprême. Celui-là
est bon au suprême degré qui s'applique
constamment à détruire l'ignorance; tu es
donc bon au suprême degré, certes !
« Après avoir eu plusieurs conversations
sur la connaissance, Vikramâditya, enchanté
du juge, lui donna huit lacks d'or. »
Après avoir entendu ce discours de la bou-
che de la quinzième figure, l'auguste roi
Bhoja se désista ce jour-là.
RÉCIT DE LA 16* FIGURE
UN autre jour encore, comme le roi Bhoia
s'approchait du trône, la seizième figure
lui dit : « Eh! roi Bhoja, je te ferai l'exposé
des qualités qui rendaient Vikramâditya di-
gne de s'asseoir sur ce trône; écoute :
• Il y avait un roi appelé Candraçekhara.
Un jour, comme il siégeait dans son conseil,
un étranger, un ménestrel, vint se présenter
devant lui et célébra en plusieurs manières
la gloire (de Vikramâditya) en disant : Il est
doué de toutes les qualités, aussi tous se ré-
fugient en lui ; lui-même est l'asile de toutes
les qualités; car c'est un homme qui a l'in-
telligence de toutes les qualités, un homme
comme il n'y en a pas.
If
I |6 CONTES INDIENS
« Après avoir entendu le langage du mé-
nestrel, le roi Candraçekhara lui dit : Eh!
ménestrel, tu ai parcouru différents pays ; as-
tu vu quelque part de pareilles gens, oui ou
non? — Le ménestrel répondit : O grand
roi, je n'ai vu que le roi Vikramâditya qui
soit doué d'autant de qualités. — Le roi Can-
draçekhara, après avoir entendu de la bouche
du savant l'exposé de la conduite de Vikra-
mâditya, éprouva le désir de lui devenir
semblable et invoqua la divinité. La divinité,
satisfaite des invocations du roi Candraçe-
khara, lui accorda le don de l'immortalité et
lui dit : Eh ! roi, chaque jour tu livreras ton
corps en sacrifice dans une source de feu, et
ton corps brûlé redeviendra un corps d'une
nature supérieure. — Après avoir prononcé
ces paroles, la divinité devint invisible. Le
roi fit donc de son corps un sacrifice quoti-
dien, et son corps devint aussitôt divin.
Ayant ainsi obtenu le privilège de l'immor-
talité, il accumula divers mérites.
« Le ménestrel raconta au roi Vikramâditya
toute cette histoire du roi Candraçekhara. Le
roi, après avoir entendu ce récit, fit dans son
esprit cette série de réflexions : Celui-là seul
est grand qui sait rendre semblables à lui les
KECIT DU LA SEIZIEME flGURE I I7
gens placés autour de lui. Pour moi, j'ai été
grand, et (maintenant) je ne suis pas grand.
C'estainsiquelemontMalayarendsenjblables
à lui, en leur communiquant une agréable
odeur, les arbres de son voisinage ; c'est là ce
qui fait la supériorité du mont Malaya. (Au
contraire) le mont Sumeru est fait lui>mème
de pierreries; mais il ne communique pas
aux montagnes qui l'entourent le privilège
d'être faites en pierreries, de sorte que le
privilège qu'il a d'être fait de pierreries se
trouve inutile. Cet exemple prouve que le
devoir de l'homme qui ne relève de personne
est de travailler à ce que ceux qui vont en
refuge prés de lui soient dans le bien-être.
Le roi Candraçekhara est heureux de tous
points dans son existence; mais il faut que,
chaque jour, il entre dans l'huile bouillante '.
C'est une grande douleur; cette douleur, il
faut absolument que je fasse ce qui est né-
cessaire pour la briser.
» Après avoir fait ces raisonnements dans
json esprit, le roi Vikramâditya se rendit de
I. Ce qu'on appelle ici • huik bouillante • eUit appelé
'plus haut « source de feu . . — Pour l'huile bouillante, voir
T^it 14.
I l8 CONTES INDIENS
sa personne dans la capitale du roi Candra-
çekhara, et, au moment où il entrait dans la
source de feu, la divinité apparut et lui dit :
O joyau de vertu, quel besoin avais-tu d'en-
trer dans la source de feu ? Le roi Gandraçe-
khara, pour devenir semblable à toi, a ac-
cepté cette dure et pénible épreuve ; il
s'assujettit à subir la douleur d'un corps
constamment brûlé. Il m'a adressé bien des
supplications et obtenu par là l'immortalité ;
pourquoi as-tu rendu cet héroïsme inutile ?
Maintenant, demande ce que tu désires.
« Vikramâditya répondit : Eh ! déesse, si
tu es propice envers moi, je demande que le
roi Candraçekhara n'ait pas à subir la dou-
leur de brûler son corps chaque jour en en-
trant dans la source de feu ; accorde-moi ce
don! — La déesse (Devî) reprit : Eh! roi, tu
es un généreux donateur, compatissant, dé-
vot : contente-toi de ce zèle, j'accorde au roi
Candraçekhara le don que tu as choisi. — A
ces mots, la déesse disparut. L'auguste Vi-
kramâditya, après avoir délivré Candraçe-
khara de sa grande douleur, retourna dans
sa demeure. »
La figure ajouta : « Eh ! roi Bhoja, écoute :
le roi Vikramâditya est entré dans le feu pour
KECIT DK LA SBIZIEUE riGURC
119
délivrer un autre de la douleur. Qui est ca-
pable d'en faire autant? S'il y a en toi une
grandeur (d'âme) semblable à celle-là, alors
tu peux t'asseoir sur ce trône. •
Après avoirentendu ces parolesde la figure,
le roi Bhoja s'en alla la tête basse.
.v^
ItifiH
RÉCIT DE LA 17' FIGURE
UNE autre fois encore, comme le roi Bhoja
se tenait près du trône afin de se faire
sacrer, la dix-septième figure lui dit : «Eh!
roi, écoute quelle était la munificence de
l'auguste Vikramâditya :
« Dans le temps où l'auguste Vikramâditya
exerçait la royauté complète de la ville d'A-
vantî, en ce temps-là, par la force de la jus-
tice du roi, tout le monde se plaisait com-
munément dans la vertu. Les femmes ne
connaissaient qu'un seul homme ; tous grains
poussaient en toutes terres; on se détachait
du mal, on s'attachait à la loi, on persistait
dans des résolutions conformes au sens des
Castras, on respectait les hôtes, on se con-
1 22 CONTES INDIENS
formait au commandement de son père, de
sa mère, du roi, etc., on suivait une morale
conforme à la science de l'âme suprême ; en
un mot, tout le pays brillait d'un éclat in-
comparable par son incomparable fidélité à
la loi. Et l'auguste Vikramâditya, gardant les
créatures, réprimant les méchants selon les
prescriptions du Dandanîti ' et du Râjanîti %
jouissait de la royauté dans un bien-être par-
fait.
« Un jour, le gardien du parc vint trouver
le roi et, après avoir fait l'anjali, lui donna
cette nouvelle : Eh ! grand roi, un sanglier
terrible, dont le corps est comme une mon-
tagne, semblable à Yama le messager de
mort, est venu; il a pénétré dans le bosquet
des jeux. Il nous a tellement effrayés que
nous avons déserté le jardin et nous sommes
réfugiés jusqu'ici. Avise promptement aux
moyens de repousser ce sanglier.
« Quand il eut entendu ce discours du gar-
dien du parc, le roi, passionné pour la chasse,
monta sur son éléphant et partit seul avec
l'intention de repousser le sanglier. L'au-
1. Code pénal.
2. Code politique.
HÉCIT DE (.A DIToSEPTICMK riGURC 123
guste Vikramâditya ne fut pas plus tôt entré
dans le bois que le sanglier, en proie à une
épouvante extrême, prit la fuite. Le roi $c
mit h sa poursuite. Après avoir ainsi franchi
plusieurs bois, l'animal pénétra dans une fo-
rêt impraticable. Le roi l'y suivit et était
près de l'atteindre quand le sanglier, ne
voyant pas le moyen de se sauver, arrêté par
la porte qui fermait la grotte d'une monta-
gne élevée située dans la forêt, abattit cette
porte d'un coup de boutoir et se lança en
dedans. L'auguste roi Vikramâditya descen-
dit de dessus son éléphant, s'arma de son
glaive et de sa cuirasse et, avec son héroïsme
sans égal, pénétra seul dans la grotte. Cette
grotte était fort vaste; c'était, pour ainsi dire,
un pays (tout entier). Le roi fit toutes sortes
de recherches sans pouvoir découvrir le san-
glier. Il errait donc dans celte grotte, lors-
qu'une ville dont il n'avait jamais entendu
parler s'offrit à ses regards. Il y entra ; quand
il fut dans cette ville, il aperçut une image
le Nârâyana qui se tenait dans l'attitude du
jardien de l'offrande. L'auguste Vikramâdi-
^a lui adressa divers éloges et révérences,
li fit le pradaxina et resta debout faisant
l'anjali
124 CONTES JNDIENS
« Nârâyana, content de la foi avec laquelle
le roi lui rendait un culte, communiqua à
l'auguste Vikramâditya deux choses divines
appelées Rasa et Rasâyana dont il lui expli-
qua les vertus : Eh! grand roi, lui dit-il, pour
ce qui est de cette chose appelée Rasa, toutes
les choses auxquelles tu pourras penser et
qui procurent les jouissances du Samsara, tu
les obtiendras par elle ; elles en sortiront.
Quant à cette chose excellente dont le nom
est Rasâyana, il en sortira tout ce que tu
pourras penser qui soit d'une nature supé-
rieure (aux choses du monde) ; tu l'obtien-
dras.
« L'auguste Vikramâditya, ayant ainsi ob-
tenu ces deux choses dues à la gracieuseté de
Nârâyana, sortit de la grotte. La porte de la
grotte offrit la même résistance que précé-
demment; il l'ouvrit d'un coup de poing et
rentra dans sa capitale. Sur le chemin, il ren-
contra deux brahmanes, le père et le fils,
savants dans tous les Castras, en proie à une
extrême douleur. Après avoir entendu leur
histoire, il souffrit excessivement de leur ex-
trême douleur et donna à ces deux brahma-
nes, le père et le fils, les deux choses (qu'il
avait reçues) Rasa et Rasâyana. »
RÉCIT DE LA DIX-SEPTIÈME FIGURE 133
La dix-septième figure ajouta : « Eh! roi
Bhoja, voilà quels étaient l'héroïsme, la mu-
nificence de l'auguste Vikramâditya. Si tu
es tel que lui, alors tu es 'capable de t'asseoir
sur ce trône. •
A la suite de ce discours, l'auguste roi
Bhoja se désista encore ce jour-là.
#§
^
RÉCIT DE LA i8' FIGURE
UN autre jour encore, l'auguste roi Bhoia
étant venu jusqu'auprès du trône pour
se faire sacrer, la dix-huitiéme figure lui dit :
» Pour être digne de siéger sur ce trône,
un roi doit avoir des qualités royales telles
que la force, la générosité, etc.; je vais te
les dire. Ecoute :
« Un jour, comme le grand roi l'auguste
Vikramâditya était assis sur son trône, son
portier se présenta devant lui en faisant
l'anjali et lui apporta cette nouvelle : Eh!
grand roi, j'ai entendu aujourd'hui un ré-
cit merveilleux. Sur la cime du mont Udaya
se trouve l'autel d'une divinité, devant le-
quel s'étend un lac qu'on n'a pas encore
128 CONTES tNDrENS
VU, et où l'on descend de quatre côte's par
des escaliers en or et resplendissants, ornés
de pierreries, de perles et de corail. Au mi-
lieu de ce lac est une colonne en or, et sur
cette colonne un trône, également en or,
eprichi de divers joyaux. Depuis le lever du
soleil jusqu'à midi, la colonne s'élève par
degrés, portant le trône, et finit par toucher
le disque du soleil ; depuis midi jusqu'au
coucher du soleil, elle s'abaisse par degrés
jusqu'à se retrouver au milieu du lac comme
elle y était d'abord. Il en est ainsi chaque
jour.
« Après avoir entendu ce récit de la bouche
du portier, le roi, dont la curiosité était
éveillée au plus haut point, s'éleva à l'aide
de ses chaussures magiques, vint près du lac
et se tint sur le bord. Au lever du soleil,
la colonne sortit de l'eau grandissant tou-
jours. A ce moment, l'auguste Vikramâdi-
tya monta sur le trône que supportait la
colonne et s'y installa. La colonne grandis-
sait progressivement; à midi, elle s'était
élevée jusqu'au disque du soleil. Sur le
trône que supportait la colonne, l'auguste
Vikramâditya, grillé par la chaleur insup-
portable du soleil, perdit connaissance. Aus-
r
RÉCIT DE I.A DlX-HUITlèUE FIGURK I 2«)
sitôt l'auguste divinité du soleil, témoin de
l'héroïsme de l'auguste Vikramâditya, fut
extrêmement satisfaite; elfe fit pleuvoir
l'Amrita sur le corps de l'auguste Vikramâ-
ditya et lui fit reprendre ses sens. Dés qu'il
eut repris connaissance, l'auguste Vikramâ-
ditya fit d'abord un acte d'adoration et de
foi, puis adressa plusieurs hymnes à l'au-
:^uste divinité du soleil. L'auguste divinité
du soleil, toute satisfaite des hymnes du roi,
lui donna chaque jour une paire de boucles
d'oreilles en or pesant un Bhâra. Nanti de
la paire de boucles d'oreilles qu'il devait à
la faveur de l'illustre soleil, le roi s'éleva à
l'aide de ses chaussures magiques et re-
tourna le soir dans sa capitale. Pendant le
trajet, un homme extrêmement pauvre s'é-
lat trouvé sur son chemin, il fut ému de
compassion et donna à ce pauvre sa paire
de boucles d'oreilles. »
Après avoir fait ce récit à l'auguste roi
Bhoja, la dix-huitième figure ajouta : « Eh!
roi Bhoja, si tu as une puissance semblable,
lu parviendras à t'asseoir sur ce trône. »
Comprenant que sa puissance n'allait pas
jusque-là, l'auguste roi Bhoja se désista en-
core ce jour-là.
T%
RÉCIT DE LA j gc FIGURE
I
L'auguste roi Bhoja étant venu une fois
encore pour se faire sacrer, la dix-neu-
viéme figure lui dit; « Hé! roi Bhoja, tu n'es
pas digne de t'asseoir sur ce trône. Le roi
qui_ avait qualité pour y prendre place était
Vikramàditya. Ecoute en quoi consistait sa
grandeur :
• Un iour, l'auguste Vikramàditya voulut
ivoir à quelles occupations se livraient ses
jets. Sous une forme d'emprunt, seul, s'é-
levant à l'aide de ses chaussures magiques,
il voya -.ea à travers le pays et arriva dans la
ville appelée Padmâlaya. Là, il arriva prés
d'un autel comme il n'en avait jamais vu.
Des Brahmacaris s'v faisaient mutuellement
l32 CONTES INDIENS
des récits. Un des Brahmacaris dit : En al-
lant aux étangs, j'ai vu des fleuves et des
montagnes où résident les divinités de plu-
sieurs pays. Et il y a une montagne appelée
Kanakakrita sur laquelle un Yogî, appelé
Trilokanâtha, fait sa résidence ; je n'ai pas
pu y arriver, mais j'ai appris de la bouche
des gens qui habitent le voisinage que la
montagne Kanakakrita est d'un accès extrê-
mement difficile et que, si on passe par là,
il est difficile de conserver la vie. Aussi me
suis-je détourné de cette région; car, avec
des efforts, les femmes, les enfants, les ri-
chesses et tous les autres biens peuvent se
remplacer, si l'on vient à les perdre ; mais,
que le corps périsse, mille efforts ne le ren-
dront pas. C'est dans la conservation du
corps que consiste la perfection, le succès.
Aussi , d'après le Nîti-Çâstra, toutes les
préoccupations, toutes les méditations doi-
vent tendre exclusivement à la conservation
du corps.
« Le roi, ayant saisi ces paroles d'un Yogî
dans l'entretien et parmi les propos de ces
Yogîs, se dit : Pour un homme qui a une
énergie supérieure, il n'y a point d'actes trop
difficiles à accomplir; pour un homme qui,
KÉCIT UE UA DIX-NEUVIÈME FIGURE , I 33
dans sa conduite , s'eftbrce de réaliser les
prescriptions du Nîti-Çàstra, rien n'est difti-
cile à obtenir; pour le pandit, il n'y a ni pa-
trie, ni pays étranger; l'homme qui ne dit
que de bonnes paroles et des choses affec-
tueuses n'a pas d'ennemis. — Après avoir
prononcé ces paroles, le roi s'éleva sur ses
chaussures magiques , se rendit auprès du
Yogî du mont Kanakakrita et s'y arrêta.
« En voyant le roi, le Yogî lui dit : Eh!
grand roi Vikramâditya, pourquoi es-tu venu
ici? — Uniquement pour te voir. — A l'ins-
tant même, le Yogî, reconnaissant que l'au-
guste roi Vikramâditya était pourvu des si>
gnes supérieurs d'un roi et avait une bonté
suprême, lui communiqua trois objets divins
pelés Kanthà, Khandikâ, Danda, et lui dit
les vertus de ces trois choses '.
Il Eh! grand roi, voici la vertu de l'objet
Kanthà : si tu penses dans ton esprit à des
richesses, des ornements, des habits, etc., tu
n'as qu'à toucher ce Kanthà de la main gau-
che pour que, aussitôt, tous les objets pen-
sés sortent de ce Kanthà *. De ce Khandikà,
I \ ou les troisième et di\->cptièine récits.
i. Comparer avec le deuxième et le qualhcme joyau du
oisièine récit ip. 471.
l34 CONTES INDIENS
il sortira le nombre d'éle'phants, de chevaux,
de chars, de fantassins, etc., que tu seras ca-
pable d'écrire. Quant au Danda, il suffit de
le toucher avec la main droite pour que, si
l'on touche en même temps un corps mort,
ce corps reprenne vie. Ces trois objets, que
j'ai acquis par la force de mon yoga, je te
les donne, parce que je t'ai reconnu pour un
vase digne.
« Incontinent, l'auguste Vikramâditya, muni
des trois objets qu'il devait à la faveur du
yogî, fit le salut du pradaxina, puis, s'ele-
vant sur ses chaussures magiques, reprit le
chemin de sa capitale.
« Dans le trajet, il aperçut un homme supé-
rieur qui errait dans la forêt, en proie à d'ex- •
cessives douleurs. Il lui fit cette question :
Eh ! homme, pourquoi erres-tu dans la fo-
rêt? — Je suis le roi d'un pays, répondit
l'individu; les troupes de mon ennemi se
sont trouvées de beaucoup les plus fortes,
elles ont détruit les miennes dans le combat;
puis elles sont venues et m'ont pris tout, mon
royaume, mes épouses, etc. Telle est la cause
de ma douleur; je souffre tant par crainte de
l'ennemi; je n'ose résider dans aucune ville,
j'erre seul dans la forêt. Mon affliction est
RÉCIT DE LA OIX-NEUVICME riGURB I 35
profonde ; quand on entend le récit de mes
douleurs, c'est comme une pierre qui tombe
(sur celui qui m'écoute). — Après avoir en-
tendu ces paroles et d'autres propos inspirés
à cet homme par la douleur, l'auguste Vi-
kramâditya lui donna Kanthâ et les deux
autres objets qu'il devait à la faveur du Yogi,
puis rentra dans sa capitale et y demeura.
a Quant à l'homme, par la puissance des
trois objets divins que l'auguste Vikramâdi-
tya lui avait communiqués, il recouvra son
royaume, ses femmes et tout le reste de son
entourage. »
La dix-neuvième Bgure ajouta : « Eh ! roi
Bhoja, je t'ai dit la munificence du roi qui a
siégé sur ce trône. Si tu possèdes une telle
majesté, tu es en droit de t'y^ asseoir à ton
tour. .
L'auguste roi Vikramâditya , ayant en-
tendu ces paroles, tourna le dos encore ce
|Our-lh.
iTc
RÉCIT DE LA ao* FIGURE
UN jour, la vingtième figure, voyant l'au-
guste roi Bhoja s'approcher du trône,
lui dit incontinent : « Si tu es semblable à
l'auguste roi Vikramâditya, tu peux arriver
à siéger sur ce trône et à être sacré. Ap-
prends ce qu'était l'auguste Vikramâditya :
• Un jour, un conseiller de l'auguste Vi-
kramâditya , appelé Buddhisâgara , voyant
que son tils, nommé Buddhiçekhara, était
d'une sottise achevée, que ses facultés men-
tales étaient affaiblies au plus haut degré,
lui dit ' : Eh ! mon fils, tu es issu d'un con-
seiller royal et tu n'es qu'un sot! Tu vis avec
I. Comparer avec U récil huitième (p 74 ■
l38 CONTES INDIENS
des gens savants, et tu ne te conduis pas se-
lon les préceptes des Castras! L'homme dont
l'intelligence n'est pas éclairée par la lecture
des Castras, perfectionnée par tout ce qui
peut la rendre parfaite, cet homme-là n'a
que la figure humaine ; en réalité, il raisonne
comme la brute, sache-le bien. Oui, l'homme
qui s'attache a développer toujours plus en
soi l'intelligence des Castras, se distingue de
la brute par sa manière de vivre. Au con-
traire, l'homme dont l'intelligence n'a d'au-
tre souci que la nourriture, le sommeil, la
crainte, l'amour, etc., est identique à la
bête, il n'y a entre lui et elle aucune diffé-
rence. Or, cette intelligence des Castras, tu
ne l'as pas ; en sorte que ta vie est inutile.
u Après avoir entendu les paroles de son
père, paroles de blâme dites pour son ins-
truction, Buddhiçekhara prit la résolution de
lire les Castras, passa à l'étranger, s'attacha
à la personne d'un bon guru , s'instruisit
dans tous les Castras et retourna dans son
pays.
« Pendant le trajet, il aperçut dans une
ville l'autel d'une divinité, se rendit en ce
lieu pour voir le dieu, et y passa la journée;
le soir, huit jeunes filles sortirent d'un lac
RéClT DE LA VINGTIÈME FIGURE I ig
tel qu'il n'en avait jamais vu et qui se trou-
vait prés de l'autel de cette divinité; elles
^'approchérent de l'autel et passèrent toute
la nuit à y faire des hommages, y dire des
prières, y réciter des louanges. Au matin,
ces jeunes filles rentrèrent dans le lac.
« De retour dans sa ville, après avoir vu
cette grande merveille, Buddhiçekhara, le
Hls du conseiller, parla, au bout de quelques
jours, à l'auguste roi Vikramâditya. A l'ouïe
de ce récit, le roi, jugeant qu'il y avait quel-
que chose de tout à fait extraordinaire et
merveilleux, se rendit auprès de cet autel de
la divinité. A la nuit, il vit que tout se pas-
sait comme le fils du conseiller le lui avait
rapporté. Au matin, les huit jeunes filles,
sautant au milieu de l'étang, plongèrent dans
l'eau ; le roi, au même instant, sauta et plon-
gea dans l'eau comme elles.
« En voyant l'action du roi, les jeunes fil-
les lui dirent tout aussitôt : Eh ! Vikramâ-
ditya, grand roi des rois, aujourd'hui, fasciné
par la splendeur que tu as vue, tu t'es mani-
festé à nous, tu t'es affilié à nous. — Et,
après lui avoir adressé ces paroles, elles le
conduisirent dans leur ville faite de pierre-
ries (située) dans le monde Pâtâla, et lui di-
140 CONTES INDIENS
rent : Eh ! grand roi, prends possession de
cette ville royale. — J'ai ma ville royale,
répondit le roi, qu'ai-je besoin de celle-ci?
Mais j'ai une question à vous faire : qu'est-
ce que cette ville? — Les jeunes filles lui re'-
pondirent : Nous sommes huit jeunes fil-
les, huit perfections; cette ville est notre
maison de jeux. Nous sommes ravies de te
voir, et, pour te te'moigner notre satisfac-
tion, nous t'offrons huit joyaux ', prends!
Voici les qualités de ces huit joyaux : Par
l'un, on a la perfection de l'esprit ; par le
deuxième, on obtient tous les aliments qu'on
a pu souhaiter =*; par le troisième, une armée
à quatre corps ^; par le quatrième, la réali-
sation de la destinée divine ■* ; par le cin-
quième, les chaussures magiques ; par le
sixième, la faculté de tout imij-iobiliser ; par
le septième, l'omniscience; par le huitième,
le contentement parfait. — Elles donnèrent
les huit joyaux au roi après lui en avoir ré-
1. Comparer avec les troisième, dix - septième et dix-
neuvième récits.
2. Premier joyau du troisième récit (p. 47).
3. Troisième joyau du quatrième rccit (p. 4.71.
4. C'est-à-dire que l'on devient dieu ideva).
RÉCIT DE I.A VINGTIÈME FIGURE 141
vélé les qualités. Le roi les reçut et reprit le
chemin de sa capitale.
« Dans le trajet, un brahmane pauvre, re-
; connaissant le roi Vikramâditya, le salua
|et lui demanda l'aumône. — Eh! grand roi,
I je suis un Brahmane qui souffre exirême-
'ment, tu es un excellent roi : donne-moi
une aumône afin que je ne sois plus en dé-
flresse pour un besoin quelconque, mais que
Hc sois toujours dans le bien-être. — En
«tendant ces paroles du Brahmane, le roi,
■|ns délibérer, lui donna ces huit joyaux et
Itou ma dans sa ville. .
La vingtième figure ajouta : « Eh ! roi
îhoja, si tu as une telle munificence, alors
avance pour siéger sur ce trône; sinon,
pourquoi t'avancerais-tu en vain (ou pour
n'avoir que du chagrin? »
Là-dessus l'auguste roi Bhoja, tout hon-
teux, se désista.
mm
RÉCIT DE LA 21' FIGVRE
UN jour la vingt et unième figure, voyant
l'auguste roi Bhoja s'approcher du
trône, lui dit incontinent : « Roi Bhoia,
écoute la munificence du roi qui était digne
de s'asseoir sur ce trône :
« Un jour, pour voir les choses merveil-
leuses qui se passaient dans un certain
I pays, l'auguste roi Vikramàditya, s'élevant à
jt l'aide de ses chaussures magiques, parcourut
ce pays. Dans une ville, il s'arrêta devant
l'autel d'une divinité. Il était installé là,
s'inclinant, lui faisant le pradaxina, lui
II adressant des louanges, quand un étran-
r, ger arriva à l'autel de cette divinité, et,
|Toyant l'auguste Vikramàditya, lui dit :
' i3
144 CONTES INDIENS
Eh ! homme de bien, je te vois pourvu des
signes du roi parfait ' ; aussi je m'imagine
que tu es un roi. Or, si un roi cesse de pen-
ser à son royaume et se promène en pays
étranger, le royaume ne subsistera pas. Le
devoir d'un roi est donc de renoncer à toute
autre affaire pour songer à (ce qui peut fairei
la prospérité' ou la calamité du royaume. —
A l'ouïe de ces paroles, le roi répondit : O
homme, sans la loi, un roi a beau penser à
(ce qui peut faire) la prospérité ou la ca-
lamité des provinces de son royaume, le
royaume ne subsistera pas davantage. Si un
roi est étranger à la loi, ni sa puissance, ni
son royaume ne subsisteront, quand bien
même il songerait à (ce qui peut faire) la
prospérité ou le malheur de ses Etats. Par
contre, si un roi est attaché à la loi au plus
haut degré, il peut bien ne pas se préoccu-
per de (ce qui serait de nature à amener)
la prospérité ou le malheur des provinces
du royaume, le royaume subsistera par la
force de la loi. Aussi, pour assurer les fon-
dements et la solidité du royaume, c'est
à la loi qu'un roi doit s'appliquer, c'est la
I. Voir récit dix-neuvième, p. i33.
r£cit de la vingt-unième figure 14$
loi qu'il doit mettre en pratique. Quant à
moi, si je voyage, c'est seulement à cause
de la loi, et je conjecture que tu es venu
i>.i pour quelque acte que tu dois accomplir.
•> En entendant ces paroles du roi, l'étran-
ger dit : Eh! grand roi, tu es attaché à la
loi au plus haut degré; c'est bien! Tu as
conjecturé que je suis venu ici pour un acte
accomplir, tu as parfaitement rencontré ;
. est bien ! — Le roi reprit : Parle ! que
liut-il faire? — O roi, répondit l'homme,
>ute : Sur le mont Nîla réside une di-
vinité appelée Kâmilkhyâ : voilà douze ans
que, pour obtenir la réalisation de l'amour
et des autres sentiments, je murmure des
mantras à la déesse Kâmâkhyâ : mais je n'ai
encore vu aucun fruit (de mes etfortsj : aussi
je suis complètement troublé.
• A l'ouïe de ces paroles, le roi se mit à
ii-réfléchir en lui-même : il a murmuré beau-
coup de mantras (se dit-il) et n'a rien ob-
tenu ; il faut qu'il y ait à cela quelque cause.
— Après avoir tait ces réflexions, l'auguste
Vikramâditya prit cet homme avec lui, se
rendit sur le mont Nîla près de l'autel de la
Jéesse Kâmâkhyâ et s'y arrêta. A la nuit, à
îieure du sommeil, la déesse Kâmâkhyâ dit
I!
146 CONTES INDIENS
au roi en songe : Eh ! grand roi Vikramâ
ditya, pourquoi es-tu venu ici? Si c'est ;
cause des sentiments dont cet hommi
souhaite d'acquérir la réalisation que tu e
venu, que tu te trouves ici, alors offre-mo
en sacrifice un homme pourvu de l'éten
dard, du diamant, de l'aiguillon, etc., ei
un mot des vingt signes expliqués dans 1(
Sâmudraka-Çâstra ; et la réalisation des sea
timents se manifestera pour lui.
« Après avoir eu ce songe, l'auguste Vi
kramâditya s'éveilla, se leva, s'habilla, pui
fit en lui-même ces réflexions : Excepté moi
on n'a pas vu d'homme pourvu des ving
signes qui caractérisent le chef suprême
c'est donc à moi de m'off"rir moi-même ei
sacrifice pour rendre service à cet homme
— Ces réflexions faites, le matin étant ar-
rivé, il se baigna, accomplit tous les autre:
actes prescrits, et, le glaive en main, il s(
préparait à s'offrir en victime à la déesse
quand celle-ci, se manifestant à l'instan
même, lui prit les deux mains et lui dit
Eh! grand roi des rois, tu es un homme
exceptionnel, ton attachement à la loi es:
sans égal : c'est pour savoir jusqu'où irait
ton dévouement que je t'ai suggéré en songe
RÉCIT DE I.A VINGT-UNIÈME FIGURE 147
l'idée de te donner en offrande ; j'ai vu de
mes yeux (ce qui en est). Qu'as-tu besoin de
I immoler? Je suis bien disposée pour toi;
.Icmande ce que tu désires. — Eh ! déesse,
icpondii le roi, si tu as été contente de moi,
iiccorde à cet homme la réalisation des sen-
timents à laquelle il aspire. — A la demande
'iii roi, la de'esse accorda à l'homme la réa«
ition des sentiments, puis disparut. — Par
la taveur de la déesse, ces neuf sentiments ;
l'amour, l'héroïsme, la pitié, l'étonnement,
la joie, l'épouvante, l'aversion, la colère, le
calme, se montrèrent pour exister désormais
corporeîlement auprès de cet homme et ne
plus le quitter. — Quant au roi, il retourna
dans sa capitale. »
La vingt-et-unième figure ajouta : • Eh!
roi Bhoja, si tu es aussi enclin îi rendre ser-
vice aux autres, alors tu arriveras à siéger
sur ce trône. »
A ces mots, l'auguste roi Bhoja se désista
encore ce jour-là.
^^
issi§^i§§i§§i§si§^i^i
RÉCIT DE LA 22' FIGURE
LA vingt -deuxième tigure dit : « Eh !
roi Bho)a, renonce à l'espoir vain que
Itu nourris de monter sur ce trône pour y
[être sacré. Tu ne seras jamais un bienfaiteur
(semblable à Vikramâditya, et capable de
kiéger sur ce trône. Ecoute (pour apprendre)
[quel bienfaiteur c'était que l'auguste Vikra-
mâditya :
<■ A l'âge de seize ans, ayant vaincu par la
[force de son bras tout autant de rois qu'il y
en avait dans les régions principales et in-
termédiaires, soleil de tous les rois, coiffé du
diadème orné de pierreries, ayant sur (la
>lante des) pieds l'empreinte du lotus, il
fexerçait la royauté universelle.
l5o CONTES INDIENS
« A l'heure de Brahmâ ', c'est au son de
la vînâ douce et mélodieuse et des autres
instruments, à la voix des ménestrels, descom-
plimenteurs, en un mot de la foule de ceux
qui chantaient ses louanges, qu'il sortait
du sommeil. Après avoir invoqué le bien-
heureux Nârâyana en se remémorant la mé-
ditation appelée Caranâravinda, avoir rempli
tous ses devoirs, et fait aux dieux toutes les
salutations matinales, il se munissait de di-
verses armes pour les manier et s'exerçait
dans la salle des combattants. Ensuite, pare
de tous les insignes royaux, il faisait des
dons de mille et mille suvarnas, puis entrait
dans le cercle des ministres conseillers, des
ministres d'exécution et autres savants. Là,
conformément aux prescriptions du code pé-
nal et du code politique ', il expédiait les
affaires du royaume. A midi, après avoir ac-
compli tous les actes prescrits par le Veda
pour l'heure du milieu du jour, il donnait
aux malades, aux pauvres, etc., toutes sortes
de dons, offrait à la multitude de ses parents,
alliés et amis un repas composé de quatre
1. C'est-à-dire, sans doute, à la premicrc heure.
2. Danda-niti et Râja-iiiti.
RÉCIT DE LA VINGT-DCUXIEME FIGURE l5l
espèces de mets, ceux qu'on mâchct qu'on
suce, qu'on lèche, qu'on boit, pourvus des
six saveurs, l'astringente, la douce, la salée,
la forte, la piquante, l'acide. Ensuite, après
avoir mâché son bétel mêle à des substances
odorantes préparées de diverses manières,
muscade, girofle, etc., il se frottait les mem-
bres de substances odorantes telles que le
ludal, se chargeait de guirlandes de fleurs
du diverses espèces, donnait congé à ses pa-
rents et amis, et se couchait pendant quel-
que temps sur un lit comme on n'en avait
pas encore vu. Puis, après avoir entendu les
sons agréables de la troupe des oiseaux par-
leurs, le perroquet, la çârikâ, avoir ri sur les
quatre tons avec la troupe de ses jeunes fem-
mes, les plus belles qu'on eût encore vues,
|i et passé le reste de l'après-midi à entendre
les histoires, les purânas, etc., il examinait ses
troupes, ses richesses, son mobilier, avec les
inspecteurs préposés à ces divers objets. Le
soir venu, il accomplissait les cérémonies
prescrites par les Vedas ; après avoir, avec
les Pandits, accompli tout ce qui est conforme
I aux Castras, il se réunissait h des gens de
plaisir et s'amusait à voir danser, à entendre
chanter et à faire de la musique, jouissait du
i3»
I 52 CONTES INDIENS
plaisir des unions permises, puis goûtait jus-
qu'à l'aurore un sommeil paisible. C'est ainsi
qu'il passa son temps tous les jours de sa
vie.
« Or il arriva un jour que, à la tombe'e de
la nuit, à l'heure du sommeil, il eut un cau-
chemar, indice de quelque malheur. Le ma-
tin, il en informa les Pandits qui lui dirent :
Grand roi, ce cauchemar n'annonce rien de
bon ; nous conjecturons qu'il surviendra
quelque malheur. Ces paroles lui firent faire
les réflexions suivantes : la mort est inévita-
ble; les femmes, les enfants, les richesses et
tous les autres objets du samsara sont pas-
sagers comme des bulles d'eau ; à la mort, il
ne reste plus rien à personne : la loi est la
seule chose qui puisse servir dans l'autre
monde. Donc, après avoir reconnu le peu de
valeur du samsara, un homme de bien doit
amasser des mérites, et faire en sorte que les
misérables amassent des richesses.
« Ce raisqiinement fait, l'auguste Vikra-
mâditya, ouvrant les portes des pièces qui
renfermaient tout ce qu'il avait de richesses et
de biens meubles, fit publier partout (cet or-
dre) : que quiconque le désire vienne puiser
au mobilier du roi. A la suite de celte pro-
RÉCIT DE LA VINGT-DEUXIÈME FIOURB |53
clamation, beaucoup de gta$ pauvre* du
pays arrivèrent, et chacun s'en retourna
après avoir pris ce qui lui af;réait. •
La vingt-deuxième figure ajouta : • Eh !
roi Bhoja, telle était la munificence de l'au-
guste Vikramâditya : c'est pour cela qu'il
siégeait sur ce trône. Aujourd'hui, il n'y a
pas de roi semblable à lui ; toi-même, tu
ne l'es pas. »
C'est de cette manière que, ce jour-là
encore, l'auguste roi Bhoja se désista.
(OC.-)
(ôo)
^>t^^fed^l
DISCOURS DE LA jJe FIGURE
UN autre jour encore, l'auguste roi Bhoja
s'approcha du trône pour se faire sacrer.
En le voyant, la vingt-troisième figure dit :
« Eh ! roi Bhoja, celui dont la vaillance, la
fermeté, la munificence égalent celles de
l'auguste Vikramàditya est le seul qui puisse
siéger sur ce trône. » Le roi répondit : « En
quoi consistaient la vaillance et les autres
qualités de Vikramàditya? » L'image répon-
dit : « Eh ! roi Bhoja, écoule.
« L'auguste Vikramàditya exerçaitla royauté
suprême dans la ville d'Avantî. Il y avait
dans cette ville un marchand appelé Dhana-
pati, qui possédait trente kotis '. Il avait
1 Le koii vaut lo milliuns.
l56 CONTES INDIENS
quatre fils. Au moment de sa mort, ce mar-
chand dit à ses quatre fils : Eh 1 mes fils,
après ma mort, restez unis, ne vous se'parez
pas. Les avantages de l'habitation en com-
mun sont considérables : en s'aidant les uns
les autres, des gens même peu nombreux
peuvent mener à bien des entreprises irréa-
lisables, de même que les herbes réunies et
arrangées ensemble peuvent arrêter la pluie
du ciel, tandis que ces mêmes herbes disper-
sées sont incapables d'arrêter la pluie ; au
contraire, l'eau de cette pluie les détruit elles-
mêmes. Restez donc en bon accord. Si le
destin s'oppose à ce que vous demeuriez
ensemble, j'ai enterré dans ma chambre à
coucher quatre vases portant l'étiquette de
vos noms ; vous les y trouverez et vous
prendrez chacun celui qui est à son nom. —
Après avoir donné ces instructions à ses fils,
Dhanapati abandonna son corps.
« Au bout de quelque temps, les fils du
marchand eurent entre eux une querelle ;
ils se séparèrent et tirèrent du sol chacun le
vase qui portait son nom. Ils regardèrent ;
le vase de l'aîné renfermait de la terre ; dans
la cruche du second, il y avait du charbon ;
dans le vaisseau du troisième, des os ; dans
KéCir DE LA yiNGT^TROISlÈME riGURB iSj
le vase du quatrième, de la paille. — Ne
comprenant pas l'intention, ils s'adressèrent
à plusieurs savants : aucun ne réussit à la
leur expliquer. Pendant plusieurs jours, les
quatre frères restèrent ainsi divisés et passa*
rent le temps à s'affliger.
• Un jour, les quatre tils du marchand se
rendirent au conseil de l'auguste Vikramâ<>
ditya et questionnèrent les gens du conseil ;
mais, même ainsi, ils n'obtinrent pas l'expli-
cation de ce que signifiaient les vases. Or,
dans la ville de Pratisthâna, il y avait deux
brahmanes, dont la sœur était une veuve
d'une beauté supérieure avec laquelle un fils
de Nàga, sorti du Pâtâla, avait eu commerce ;
en suite de quoi elle était devenue enceinte.
Les deux frères, voyant la grossesse de la
veuve leur sœur, eurent des soupçons et se
retirèrent au fond du pays. Quelques jours
après, cette veuve Brahmanî mit au monde
un fils appelé Çâlavâhana. Ce Çâlavâhana de-
meurait avec sa mère chez un potier. Il en-
tendit parler de l'histoire des quatre vases,
se rendit au conseil du roi qui résidait dans
la ville de Pratisthâna : Eh ! Messieifrs du
conseil, je donnerai l'explication du sens des
quatre vases. — A ces mots, tous les mem-
l58 CONTES INDIENS
bres du conseil fixèrent leurs regards sur les
traits de ce fils de Nâga. L'enfant dit : Celui
au nom de qui est la cruche pleine de terre
a en partage tous les biens-fonds. Celui au
nom de qui est la corbeille pleine de charbon
a les huit espèces de métaux, l'or, l'argent,
le laiton, le bronze, le cuivre, l'étain, le
fer. Celui dont le nom est sur l'étiquette du
vase rempli d'os a les éléphants, les che-
vaux, les vaches, les buffles, les boucs, les
béliers, les esclaves mâles et femelles ; en un
mot, toutes les richesses en bipèdes et qua-
drupèdes sont à lui. Celui au nom duquel
est la cruche pleirte de paille a toutes les
richesses en grains, telles que le riz, l'orge,
le froment, la vesce, les haricots, les pois
chiches, le sésame, la moutarde. — En ap-
prenant cette solution du fils de Nâga, les
quatre frères furent bien satisfaits; ils prirent
chacun sa portion conformément au partage
fait par leur père et passèrent leur temps
dans un bonheur parfait.
« L'auguste Vikramâditya, informé par la
rumeur publique de la solution trouvée par
le fils du Nàga, le manda par des messagers
qu'il envoya dans la ville de Pratisthâna.
Mais Çàlavâhana n'y alla pas ; il dit : Qu'est-
uéciT DE LA VINGT-TROISIÈME FIGURE I 59
il besoin d'aller trouver l'auguste Vikramâ-
liitya? S'il a besoin de moi, pourquoi ne
viendrait-il pas lui-même me trouver? Les
envoyés, revenus en présence de l'auguste
Vikramâditya, lui rapportèrent ces paroles.
Lf roi, étonne de ce langage d'un enfant et
même quelque peu piqué, s'approcha en
^personne, lui, l'auguste Vikramâditya, en-
touré d'une armée à quatre corps, de la
[ville de Pratisthàna. Même alors, Çilavâ-
hann ne se rendit pas auprès de l'auguste
Vikramâditya pour s'aboucher avec le roi.
L'auguste Vikramâditya, en colère, dépêcha
ses gens pour intercepter la ville et la maison
de Çàlavàhana. En voyant sa maison bloquée,
Çàlavâhana communiqua, par la puissance de
son père, la vie à des éléphants, des che-
vaux, des fantassins faits en argile, puis leur
donna le signal du combat. Pendant plu-
sieurs jours, les forces de Çàlavàhana et
celles de l'auguste Virkamàditya combati-
rent de diverses manières; malgré cela, la
puissance de l'auguste Vikramâditya ne put
briser l'adversaire.
Un jour, le père de Çàlavâhana, le fils de
Nàga qui résidait dans la ville de Pàtàla,
vint à la tombée de la nuit, mordit toute
l6o CONTES INDIENS
l'armée de l'auguste Vikramâditya, la rendit
stupide par un poison ardent, puis s'en alla.
L'auguste Vikramâditya, voyant toute son
armée hébétée, murmura les mantras du roi
des Nâgas Vasukî, afin de ranimer les gens
de son armée par l'aspersion de l'amrita.
Vasukî, satisfait, donna l'amrita au roi et se
retira. Le roi, muni de cet amrita, allait
pour sauver son armée, lorsque, sur le che-
min, il rencontra deux hommes envoyés par
Çâlavâhana, qui lui demandèrent cet amrita.
L'auguste Vikramâdtya avait pris l'engage-
ment de donner à qui que ce fût ce qu'on
lui demanderait. En conséquence, pour ne
pas violer l'engagement pris, il donna l'am-
rita à ces deux hommes. — La véritable
grandeur consiste à ne jamais agir contraire-
ment à la parole donnée. Ainsi pensait l'au-
guste Vikramâditya, quand il était seul, sur
le chemin. — C'est quand l'homme traverse
l'océan du malheur difficile à traverser et le
franchit par la force de la vertu déployée
pour l'accomplissement des œuvres vertueu-
ses, qu'éclate l'autorité du Castra. — Telles
étaient les méditations du roi.
« Sur ces entrefaites, Vasukî, venant lui-
même de la ville de Pâtâla, fit pleuvoir
RÉCIT DE LA VINGT-TROISIEME FIGURE l6l
l'amrita, rendit le sentiment à toute l'armée
de l'augusttf Vikramâditya, puis s'en alla.
Les gens de cette armée, semblables à des
gens réveillés de leur sommeil, commencè-
rent à faire entendre leur murmure habituel.
Le roi Vikramâditya, extrêmement satisfait
de ce que les gens de son armée avaient
recouvré le sentiment, s'en retourna dans
sa ville avec ses troupes.
■ Dis maintenant, eh! roi Bhoja! Si tu as
une munificence semblable à celle de l'au-
guste Vikramâditya, alors tu peux t'asseoir
sur ce trône. •
Après avoir entendu ce récit de la vingt-
troisième figure, l'auguste roi Bhoja, ce
jour-là encore, préféra s'abstenir.
«I»- Tiff,
^1-
»»»
RÉCIT DE LA 24' FIGURE
UN autre jour encore, la vingt-quatrième
figure dit à l'auguste roi Bhoja pour
l'empêcher de monter sur le trône : • Eh !
roi Bhoja, le roi qui protège les créatures
comme savait le faire l'auguste Vikramâdi-
tya est le seul qui puisse siéger sur ce trône.
— Et comment Vikramàditya protégeait-il
les créatures? » répondit le roi. — La figure
reprit : • Ecoute.
« Un jour l'auguste Vikramàditya était en
séance dans la salle du conseil, entouré de
la troupe de ses ministres. Un pandit du
pays de Kerala, qui savait parler sur le
Jyoti-çàstra, étant survenu, adressa au roi
ses bons souhaits dans une suite de discours
104 CONTES INDIENS
variés en prose et en vers, puis s'assit sur le
siège que le roi lui offrit.
« Le roi adressa au pandit cette question :
O pandit, dans quel Castra es-tu particulière-
ment versé ? — Dans le Jyoti-çâstra, répondit
le pandit. — Parle, reprit le roi, qu'arrivera-
t-il cette année dans mon royaume ? — Cette
année, grand roi, répondit le pandit, il y
aura une grande famine. — Dans mes états,
reprit le roi, il n'y aucune transgression du
Nîti-çâstra, il n'y a pas même l'apparence de
l'injustice : les créatures ne sont pas oppri-
mées, même en songe ; il n'y a aucune espèce
d'opposition à l'accomplissement des actions
vertueuses; il n'y a ni injures aux brahmanes,
ni violences contre les créatures, ni châti-
ments injustes, ni recherche de ce qui n'est
pas bien, ni conduite mauvaise, ni brisement
des images des divinités, ni cause d'inquié-
tude pour les gens de bien, ni transgression
des lois établies par les Castras ; rien de
tout cela n'existe dans mes états : pourquoi
donc y aurait-il une famine? — Le pandit
répondit : Celui qui donne tous les ordres est
la suprême autorité. Or, voici ce que dé-
clare le Jyoti-çâstra : si la planète Saturne,
ayant brisé le char de Rohinî, vient dans le
RÉCIT DE I.A VIHCT-QUATWÈIIÏ FIGURE l65
champ de Vénus ou dans celui de Mars, alors
il y aura nécessairement famine. Je le dis
conformément à l'autorité de ce Castra.
• A l'uuïe du discours de ce pandit, le roi,
pour protéger ses sujets et conjurer la fa-
mine, s'appliqua à faire toutes sortes d'actes
de prospérité, des sacrifices, des prières, des
offrandes, des dons, etc., en recourant au mi-
nistère des brahmanes. Malgré cela, la pluie
ne tomba pas, aucun grain ne germa dans
le pays ; les créatures, la population entière
furent dans un trouble extrême, et le roi fut
préoccupé au plus haut degré.
• A ce moment, une voix céleste se fit en-
tendre : Eh ! Vikramâditya, si tu es de force
à donner en offrande un homme doué de
tous les signes de la royauté, alors il y aura
de la pluie. En entendant cette divine voix
céleste, le roi tira son glaive et se disposait à
se livrer lui-même en offrande pour sauver
les créatures, quand, à l'instant même, la di-
vinité qui se tenait dans les nuages, se mon-
trant favorable, retint les deux mains du roi
et lui dit : Grand roi des rois, tu es un grand
protecteur des créatures, en vérité! je te suis
favorable ; fais une demande à ton choix. Le
roi répondit : ce que je choisis, c'est qu'il
i66
CONTES INDIENS
n'y ait pas de famine dans ce pays ; accorde-
le-moi ! — La déesse répondit : Qu'ainsi soit !
et disparut. »
Depuis lors jusques aujourd'hui, il n'y
pas eu de famine dans le pays des brahma-
nes.
Après avoir entendu ce récit de la vingt-
quatrième figure, l'auguste roi Bhoja fut dé-
couragé.
RÉCIT DE LA 25' FIGURE
UN autre jour encore le roi Bhoja s'effor-
t^ait de monter sur le trône, quand la
vingt-cinquième figure, pour l'en détourner,
^ hii dit : « Eh ! roi Bhoja, nul n'est capable
de monter sur ce trône, s'il ne ressemble à
l'auguste VikramAditya. — Comment donc
était l'auguste Vikramâditya? • répondit le
roi. — La ligure reprit : « Ecoute.
«I Le bruit de l'héroïsme, de la fermeté,
de la profondeur (d'espriti, de la magnifi-
cence, de la vigueur de l'auguste Vikramâdi-
tya et de la prospérité dont tous ces avanta-
-;es étaient accompagnés, était allé jusqu'au
londe des dieux ; et les divinités du Svarga,
aas leurs entretiens et leurs récits, celé-
1
14
l68 CONTES INDIENS
braient ordinairement la gloire de Vikramâ-
ditya. Un jour, le roi suprême de tous les
dieux, le dieu Indra, entouré de félicité,
assis, au milieu du cercle des dieux, sur son
trône fait de diverses pierres précieuses, ré-
clama l'attention des divinités, et dit : Au--
jourd'hui, sur la surface de la terre, nul n'est
comparable à Vikramâditya pour l'aspiration
au bien de toutes les créatures, pour le zèle
à pratiquer constamment la vertu, pour le
mépris de sa propre vie, pour le soin de pro-
téger les autres êtres, pour la fidélité à une
bonne conduite, pour les dispositions d'un
esprit tout imprégné de pitié. — A l'ouïe de
ce discours d'Indra, parmi toutes les divini-
tés présentes dans l'assemblée, il y en eut
deux dont l'esprit ne put s'en rendre bien
compte. Afin de déterminer ce qu'il y avait
d'exact et d'inexact dans l'éloge de l'auguste
Vikramâditya, ces deux divinités se rendi-
rent dans la ville d'Avantî.
« L'auguste Vikramâditya, monté sur le
meilleur des chevaux habile dans les cinq
manières d'aller, la marche, le trot, l'amble,
le galop, le saut, se promenait solitairement
dans le jardin de plaisance qui était à l'ex-
trémité de la ville. Sur ces entrefaites, l'une
RECIT I)K LA VlNGT-aNQUIEME FIGURE 169
des deux divinités prit la forme d'une vieille
vache, l'autre celle d'un tigre puissant et ter-
rible. En voyant le tigre, la vieille vache
eut peur de la mort et prit la fuite; le tigre
courut après elle. La vache, arrivée au bord
d'un étang, y sauta et resta empêtrée dans
la vase.
<< A cet instant, l'auguste Vikramâditya,
taisant sa promenade, arriva en ce lieu. La
vache tombée dans la vase, voyant le tigre
non loin d'elle, fut excessivement troublée et
se mit à pousser des cris de détresse ; elle at-
tira l'attention de l'auguste Vikramâditya
par ses hauts cris et ses mugissements redou-
blés. Le roi, voyant la position et l'embarras
de cette vache, sauta promptement en bas
de son cheval, saisit son glaive de la main
droite, tandis que de la gauche il saisissait la
vache, puis resta là debout dans le lac. 11
se mit alors h examiner en lui-même cette
alternative : si je tire cette vache de la vase
et que je m'en aille, se disait-il, cette vieille
vache ne sera pas -en état de s'échapper ; le
tigre la saisira sans peine et la mangera : si
j'abandonne la vache et que je m'en aille
après avoir tué le tigre, cette vache, par suite
de sa chute dans la vase, n'aura plus la force
lyO CONTES INDIENS
de marcher; et, si quelque être nuisible sur-
vient, il la fera périr. — Dans cette per-
plexité, le roi tenant toujours la vache, le
glaive en main, passa toute la nuit exposé au
froid, au vent, à l'humidité, seul et plongé
dans l'eau.
« Quand le matin fut venu, les deux divi-
nités abandonnant les formes magiques qu'el-
les avaient prises, (l'une) la forme de vache,
(l'autre) la forme de tigre, reprirent leur forme
propre et dirent à l'auguste Vikramâditya :
Eh ! Vikramâditya, grand rois des rois, nous
sommes des divinités qui, pour savoir jus-
qu'où va ta fidélité à la loi, doublée de pitié,
avons pris ces formes au moyen de la magie;
nous sommes éclairées. De même que les
dieux, barattant la mer de lait, ont créé le
disque de la lune avec une portion du suc de
(celait), ainsi le créateur, en barattant la mer
qui a la forme de la pitié, a créé ton cœur
avec une portion du suc de cette (pitié) '.
Quel éloge ferons-nous de toi? Notre roi. le
dieu Indra, fait habituellement ton éloge
I Le barattenient de la mer de lait avec les nombreux
incidents auxquels il a donné naissance est un des plus
célèbres épisodes de la mythologie liindouc.
RKCIT DE LA VINGT>C1NQUIEME FIGURE I7I
dans l'assemblée des dieux ; mais, en ce jour,
nous avons constaté l'exactitude de ses dires.
Fais une demande à ton choix. — Le roi
répondit : Je n'ai rien à demander à votre
faveur; j'ai obtenu toutes les félicités; pour-
quoi les altérer par une demande faite à la
k'gère? — Les divinités reprirent : Ce n'est
pas en vain que nous nous montrons. Aussi,
nous te donnons cette kâmadhenu (vache du
désir), sans que tu l'aies demandée. Chaque
fois qu'il te viendra envie de quelque chose,
tu n'auras qu'à en faire la demande à cette
kâmadhenu.
• Après avoir ainsi donné kâmadhenu au
roi, les divinités disparurent.
" Le roi, ayant reçu kâmadhenu, s'en re-
tournait, quand, sur le chemin, un pauvre
s'approcha de lui et demanda l'aumône. Le
roi lui donna cette kâmadhenu et s'en re-
tourna dans sa capitale. •
L'auguste roi Bhoja, après avoir entendu
le récit de la vingt-cinquième figure, s'en
alla tout bouleversé.
I
!♦
*®®^®®^^®^®®^
RÉCIT DE LA a6* FIGURE
A un autre moment, comme l'auguste roi
Bhoja se tenait près du trône, la vingt-
sixième figure dit : « O roi Bhoja ! c'est le
roi Vikramâditya qui siégeait sur ce trône.
Ecoute un récit de ses qualités.
« Un jour, l'auguste Vikramâditya, se pro-
menant çà et là pour voir le monde, arriva
à un autel de divinité tel qu'il n'en avait pas
encore vu d'aussi agréable, et s'y arrêta. Sur
ces entrefaites, un homme vint à son tour,
s'installa près du roi, et se mit à répandre
un grand flux de paroles. Le roi, en l'enten-
dant, fit un raisonnement dans sonfor inté-
rieur : Cet homme, se dit-il, doit être bien
méchant ; autrement, pourquoi un tel flux
174 CONTES INDIENS
de paroles? Il n'est pas dans la nature d'un
homme de bien de répandre sans raison un
tel flux de paroles. Cet homme répand un
flux de paroles inutiles ; il faut donc de toute
nécessité que ce soit un homme excessive-
ment méchant. Jamais un homme de bonne
caste ne ferait un bruit tel que celui d'une
cloche où il n'y a pas plus de sens que dans
le bavardage de cet homme : d'où je con-
clus que celui qui xlit beaucoup de paroles
est sans valeur. — Le roi, ayant fait ce rai-
sonnement, en lui-même, n'adressa pas même
un mot à cet homme qui, après être resté là
quelque temps, s'en retourna chez lui.
« Le lendemain, ce même homme à peine
vêtu, le visage contracté, vint se présenter à
l'auguste Vikramâditya. Le roi, en le voyant,
lui dit : Parle, qu'est-ce que cela ? Hier, tu
étais venu ici revêtu d'habits magnifiques;
aujourd'hui, tu viens à peine vêtu, ne por-
tant que de sales haillons. — Eh! grand roi,
répondit l'homme, je suis un joueur : au-
jourd'hui, j'ai perdu au jeu tout mon bien,
et il ne m'est resté que de quoi couvrir ma
nudité. — A ces mots, le roi sourit douce-
ment et dit : C'est bon ! telle est la voie des
joueurs! L'individu qui désire acquérir des
KECIT DE I.A VINGT-SIXIEME FIGURE i7:>
richesses par le jeu, celui qui cherche à ob-
tenir 1.1 considération en se mettant au ser-
vice d'autrui, celui qui poursuit les jouissan-
ces au moyen de la mendicité, tous ces gens
sont des tètes dépourvues d'intelligence ; ils
sont voués à une destinée misérable. — En
entendant ces paroles du roi, le joueur ne
put supporter le blâme du jeu et répondit :
C'est fort bien fait à toi de critiquer! Tu n'as
donc jamais éprouvé le bonheur qu'on res-
sent à jouer aux dés ? Tu es comme un eu-
nuque qui blâmerait le plaisir qu'on goûte
avec une femme jeune et belle. — Aux pa-
roles du joueur le roi répondit : Eh ! joueur,
tu as été extrêmement artligé par le seigneur
(Içvara) ; aussi t'avons-nous adressé une
bonne parole, uniquement pour te venir en
aide, comme eût fait un ami. Tu es dans
l'erreur la plus complète. Or, c'est une forte
douleur, quand on est revêtu d'un corps
d'homme, de n'avoir point de bonnes pen-
Uées, de ne point faire de bons raisonne-
lents, de ne point songer à de bons pro-
îédés, de ne faire ni de bons efforts, ni de
>onnes actions, et de se livrer, pour un bon-
heur vain, au jeu de dés qui est une source
de maux. L'homme dissipe ainsi sa vie en
176 CONTES INDIENS
pure perte. — A ces paroles du roi, le joueur
reprit : Eh 1 grand roi, si tu ne l'es proposé
que dé me venir en aide, si tel est ton des-
sein, fais pour moi une chose que je dois
accomplir; promets-le-moi! — Si, à partir
d'aujourd'hui, répondit le roi, tu renonces au
jeu, j'accomplirai pour toi ce que tu as à
faire ; je l'accomplirai, j'en donne ma pa-
role.
« Quand le roi eut fait cette déclaration,
le joueur dit : Ehl Vikramâditya, homme
parfait, écoute : Sur le sommet du mont Su-
méru est l'autel d'une divinité appelée Ma-
nassiddhi. A la partie supérieure de cet
autel est un vase d'or rempli avec de l'eau du
Gange céleste. Celui qui prendra de l'eau de
ce vase d'or, qui rendra hommage à la divi-
nité et lui fera le sacrifice de sa tête, celui-là
obtiendra la faveur de la divinité ; elle réali-
sera ses vœux et lui accordera sa demande.
Mais c'est un acte fort difficile- à accomplir.
Si tu réussis à le p.arfaire et que tu demandes
pour moi le don que tu obtiendras de la di-
vinité en raison de ce succès, je renoncerai
au jeu.
« Quand le joueur eut prononcé ces paro-
les, le roi s'éleva à l'aide de ses chaussures
RéCIT DK LA VINGT-SIXIÈME F1CT7RE (77
magiques, atteignit le sommet du mont Meru,
rendit son hommage à la divinité Manas-
siddhi, et, le glaive en main, se prépara à
lui faire le don et l'offrande de sa tête. A
l'instant même, la divinité, se montrant fa-
vorable, accorda en don au roi la réalisation
de son désir. Le roi accepta ce don pour le
joueur, auprès duquel il retourna ; il le Ht
renoncer au jeu, lui remit ce qu'il avait reçu
de la faveur de la divinité, et puis rentra dans
sa capitale. »
La vingt-sixième figure ajouta : • Eh! roi
Bhoja, si tu te juges tel, assieds>toi sur ce
trône; sinon, il ne sera pas bon pour toi de
t'y asseoir. »
A ces mots, l'auguste roi Bhoja hésita, et,
ce jour-là encore, il s'en alla tout triste.
I
4
.s
RÉCIT DE LA jj' FIGURE
LA vingt - septième figure empêcha l'au-
guste roi Bhoju de monter sur le trône
en lui disant : • Eh ! roi Bhoja, ce trône
était à Vikramâditya ; écoute les qualités de
ce roi :
« Un jour, l'auguste Vikramâditya se pro-
menait dans le pays. Sur le chemin, un
voyageur l'apercevant lui dit : Eh ! grand
roi, il y a à l'Orient une ville appelée Vetâ-
lapura, dans laquelle se trouve une divinité
qui a nom Çonitapriyâ : chaque jour, sur
l'autel de cette divinité, se fait l'offrande d'un
homme. En suivant toujours ce chemin,
nous atteignîmes cette localité. Les gens du
ioi de ce pays s'emparèrent de nous et nous
i5
l8o CONTES INDIENS
mirent en prison dans l'intention de nous
sacrifier : mais nous sommes dans la force
de l'âge ; nous trouvâmes le moyen de nous
échapper et de sauver notre vie.
« A l'ouïe de ce discours, la curiosité du
roi fut éveillée ; il se rendit à Vetâlapura, se
proposant de voir cette divinité. Quand il
fut en présence des gens du roi de ce pays,
il leur fit une instruction sur la loi : —
Messieurs, leur dit-il, j'ignore en vertu de
quelle loi vous offrez pour votre bien-être à
la divinité le sacrifice d'une grande créature,
d'un homme. Pendant combien de jours le
bien-être résultant de cette fête et de cette
offrande vous procurera-t-il des jouissances
dans le Samsara ? Vous ne savez pas quelles
souffrances vous attendent pour longtemps
dans le Naraka k cause du péché de cette
fête où Ton fait du mal à une grande créa-
ture. Quant à cette déité, quelque don qu'elle
vous fasse pour vous témoigner son conten-
tement du mal que vous avez fait à un
homme, malheur à la divinité de cette déité
qui accepte un sacrifice humain !
« Après avoir ainsi blâmé les gens du pays
pour les corriger, il s'avança vers l'autel de
cette divinité, et il vit qu'un prédicateur.
RÉCIT DE I.A VINGT'SCPTièME FIGURE l8l
après avoir baigné un homme, l'avoir orné
d'habits rouges, de sandales rouges, de guir-
landes rouges, l'amenait comme pour le sa-
crifier. En voyant ces gens, l'auguste Vikra-
mâditya s'écria: Fi! méchants et pervers que
vous êtes, lâchez cet homme à l'instant; il
est anéanti par la crainte de la mort. S'il
ous faut absolument une victime humaine
.1 sacrifier, je m'offre librement moi-même
en victime ; mais jamais il ne pourra arriver
que, en ma présence, un homme éperdu par
la crainte de la mort soit livré comme vic-
time pour le Naraka.
• En entendant parler le roi. ces gens
furent extrêmement surpris et dirent : O
grand être, tu es un homme fidèle au devoir
jusqu'à l'excès ; on ne voit pas d'homme
comme toi, qui, pour sauyer la vie d'un in-
dividu avec lequel tu n'as aucun lien de
parenté, t'efforces de renoncer à la tienne et
n'en fais pas plus de compte que d'un brin
d'herbe. Quand la maison brûle, le riche
|,)^i possède divers biens acquis au prix de
[j> beaucoup d'eflbrts douloureux, la femme
^Itelle et fidèle à son mari, le pandit, l'homme
ilidu devoir abandonnent leurs enfants et tout
qu'ils ont de plus cher; ils prennent la
1^
IS2 CONTES INDIENS
fuite pour garantir leur propre vie. Toi, pour
sauver un étranger dont tu ne connais ni le
pays, ni les moeurs, ni la famille, tu es prêt
à renoncer à la vie à laquelle on tient (géné-
ralement) à l'excès ! il est difficile de trouver
un homme semblable à toi pour l'empresse-
ment à secourir les autres.
• Après avoir adressé au roi ces paroles,
ils coupèrent les liens de l'homme amené
pour le sacrifice et le lui remirent. Constam-
ment préoccupé de la pensée de faire ce qu'il
fallait, l'auguste Vikramâditya saisit son
glaive et se préparait à s'immoler, quand, à
l'instant, la déesse apaisée dit au roi : Hé !
grand roi, je suis contente ; demande ce que
tu veux choisir. — Le roi répondit : Hé!
déesse, si tu es satisfaite, accorde-moi ce don
de mon choix : exauce le désir qui fait venir
ces gens ici pour un sacrifice, et, à partir
d'aujourd'hui, n'accepte plus aucun sacrifice
humain. Accorde-moi ces deux choses. —
Qu'ainsi soit, répondit la déesse ; et, à dater
de ce jour, aucun sacrifice humain ne lui
fut plus oflert. »
L'auguste roi Bhoja, ayant entendu ce
discours de la vingt-septième figure, renonça
ce jour-là encore.
RÉCIT DE LA 3«* FIGURE
I
LA vingt-huitième figure, pour empêcher
l'auguste roi Bhoja de monter sur le
trône, lui tit un récit des qualités de l'au-
guste roi Vikramâditya en ces termes • : Hé!
dit-elle, roi Bhoja, écoute :
« Un jour, un pandit qui connaissait à
fond le Çâstra des signes étant sur le chemin^
bien fatigué, s'assit au pied d'un arbre, à
l'entrée de la ville, pour se reposer. Ce pandit,
en examinant les marques sur les parties du
corps des hommes et des femmes, pouvait,
grâce à sa profonde connaissance du sens du
Çâstra des signes, deviner ce qui leur arri-
verait d'heureux ou de malheureux. Pendant
qu'il était là, il remarqua sur la poussière la
184 CONTES INDIENS
trace du pied d'un homme remarquable par
des signes en forme de lotus, et se dit en
lui-même : L'homme dont le pied a la mar-
que du lotus est nécessairement un grand
roi ; il faut donc bien que l'individu de qui
proviennent ces traces, soit un grand roi :
c'est évident ! Et cependant, si c'est un grand
roi, comment donc viendrait-il à pied à l'en-
trée de la ville ? — Ce doute, troublant sa
pensée, le préoccupait vivement.
« Sur ces entrefaites, un homme bien
pauvre, portant sur sa tête une charge de
bois, vint à passer. Le pandit remarqua que
les deux traces de pieds, celles de ce pau-
vre et celles qu'il avait vues précédemment,
étaient exactement pareilles, et il en tira la
conclusion suivante : C'est à cet homme
qu'appartiennent ces deux traces de pieds ; il
n'y a pas de doute à cela ; mais quelle mer-
veille n'est-ce pas que celui dont les pieds
fournissent de telles empreintes soit un
homme aussi pauvre ! — Ce problème le
préoccupant, le pandit restait là l'air abattu.
« Sur ces entrefaites, l'auguste Vikramâ-
ditya s'approcha du pandit et, voyant son air
abattu, lui fit cette question : Hé ! Brahmane,
qui es-tu ? Pourquoi restes-tu assis ici? —
RÉCIT DE LA VINGT-HUITlim FIGURK l8S
Le pandit répondit : Je suis un pandit qui
juge d'après le livre des signes; je me repo-
lis des fatigues du chemin quand j'ai vu un
homme extrêmement pauvre, dont le pied
droit avait la marque du lotus ; et je médite
sur cette circonstance qui est en désaccord
.ivec le sens du Castra.
" Après avoir entendu ces paroles du pan-
dit, le roi ne répondit rien, rentra chez lui
t rassembla ses pandits. Une fois que le
^nseil fut réuni, il dépêcha un messager au
pandit pour le faire venir et lui posa cette
question : Hé! pandit! cet homme pauvre
dont tu as vu les pieds marqués du lotus,
qui est-il ? — Cet homme, qui portait une
charge de bois, répondit le pandit, est entré
dans la ville; je présume qu'il y demeure. —
Quel est son nom ? reprit le roi. — Son nom ?
répondit le pandit, je ne le connais pas ;
(mais sa mine et son maintien sont de telle
kt telle façon.
I « A l'ouïe de ces paroles du pandit, le roi
pt faire des recherches par un messairer qui
i ïimena cet homme en sa présence. Après
l' avoir constaté de ses yeux que c'était bien là
l'homme décrit par le pandit,, le roi dit :
Hé ! pandit, sans l'examen comparatif ^es
l86 CONTES INDIENS
signes réguliers et des signes exceptionnels,
il est impossible de se rendre compte du sens
du Castra; fais donc la recherche du sens du
Castra d'après les signes diflfe'rents et forme
ainsi tes inductions. Il faut que cet homme
ait quelque signe fâcheux et prédominant
dont l'influence empêche le bon signe de
porter son fruit.
« Quand le roi lui eut parlé de la sorte, le
pandit fit la recherche du sens du Castra et
dit : Hé! grand roi, le sujet a-t-il le signe
du lotus, etc. ; c'est certainement un roi,
voilà la règle générale. Mais si, sur la plante
du pied ou la racine du palais, il a le si-
gne « du pied du corbeau ' », ce signe annule
tous les signes royaux, quels qu'ils soient,
et fait du sujet un homme pauvre; voilà
l'exception.
« Le roi, ayant entendu cette parole du
pandit, découvrit par quelque expédient et
vit de ses yeux le signe « pied de corbeau » sur
la partie postérieure du palais de cet homme,
dont il reconnut ainsi la vraie nature. Il dit
alors au pandit : Hé 1 pandit, je reconnais
que tu es versé dans l'essence du Castra des
I. Signe en forme de croix appelé Kdkapâda.
RÉCIT DE LA VINGT^HUITlèME FICURK 187
signes ; c'est bon ! Dis-moi donc quels sont
mes signes de royauté et sur quelles parties
de mon corps ils se trouvent. Le pandit
examina, à plusieurs reprises^ les membres du
roi et dit : O grand roi, je ne vois sur ton
corps aucun signe royal '. — Hé! pandit,
reprit le roi, analyse le sens du Çâstra et
conjecture quelle peut bien être l'exception.
— Le pandit répondit : Héî grand roi. si
quelque homme n'a pas sur son corps des
signes heureux bien distincts, ou s'il a des
signes malheureux bien distincts, mais qu'il
ait au côté gauche, à l'intérieur du corps, la
marque appelée • réseau du mantra d'or »,
alors la conséquence des signes fâcheux ou
de l'absence des signes heureux désignés par
le Çâstra n'apparaît pas, tandis que la consé-
quence de tous les signes favorables se ma-
nifeste. Je conjecture donc qu'à l'intérieur
I II a été dit plusiears fois dans les récits précédents
(19 et 3i)que la royauté de Vikramiditya se reconnaissait
aux signes qu'il avait sur lui, et même qu'il était pourvu
de vingt signes. A moins qu'on ne fasse allusion aux in-
signes royaux extérieurs (ce qui ne paraît pas probable^,
il y a contradiction entre ces récits et le présent récit.
Je signale ce désaccord sans y attacher une bien grande
importance.
|5-
l88 CONTES INDIENS
de ton corps se trouve la marque appelée
« réseau du mantra d'or. »
« A l'ouïe de ce discours, le roi, pour ren-
dre manifeste le sens du Castra, prit en
main un rasoir et se prépara à s'ouvrir le
flanc gauche. Mais aussitôt le pandit retint
la main du roi et dit : Hé ! grand roi, il ne
convient pas d'y mettre tant d'énergie; car
il s'agit d'une chose qui dépasse les sens, et
dont l'existence ne se manifeste que par ses
effets, de même que Içvara, l'être unique et
invisible, dont l'existence est démontrée et
rendue comme visible à tous par les phéno-
mènes qui apparaissent sous la forme du
Samsara. Puisque, de la même manière, les
fruits de tes signes favorables se manifestent
tous et arrivent à bonne fin, c'est fort bien!
Cela prouve qu'il y a évidemment dans ton
côté gauche la marque appelée « Réseau du
mantra d'or » ; qu'est-il besoin de la rendre
visible en t'ouvrant le corps? — Après ces
paroles du pandit, il n'y avait plus de doute
à avoir sur le sens du Castra ; le roi le com-
prit, il ne s'ouvrit point le corps avec un ra-
soir, fit don au pandit d'un grand nombre
d'objets divers qui témoignaient de son ex-
trême satisfaction, puis le congédia. »
RKCIT DE LA VINGT-HUITIKMB FIGURE 1 8<>
l.a vingt-huitième Hgure ajouta : • Hé !
roi Bhoja, le roi qui a une telle énergie est
di^ne de s'asseoir sur ce trône. ■
£n entendant ce discours, le roi Bhoja se
iLsista encore ce jour-là.
^e,»,9^
RÉCIT DE LA 2()f FIGURE
UN autre jour, l'auguste roi Bhoja s'appro-
cha du trône pour se faire sacrer. En le
voyant, la vingt-neuvième figure lui dit :
« Hé ! roi Bhoja, c'était l'auguste roi Vikra-
màditya qui s'asseyait sur ce trône ; je vais
te raconter une histoire de lui. Ecoute :
« Un jour, un Vaitâlika se présenta à la^
porte (du palais) du roi Vikramâditya et dit
au portier : Hé ! portier, j'ai entendu par-
ler de la gloire du grand roi des rois, l'au-
guste Vikramâditya ; je suis venu de plusieurs
pays éloignés pour me trouver en sa pré-
sence, fais-le lui savoir. A ces mots du
Vaitâlika, le portier informa le messager du
roi qui communiqua la nouvelle à Sa Ma-
192 CONTES INDIENS
resté et, avec sa permission, donna l'ordre au
portier d'introduire le Vaitâlika auprès du
roi. Ce Vaitâlika était muni d'une canne
qui valait deux cents pièces d'or. Son atten-
tion fut éveillée ; il se présenta sur le seuil
du conseil du roi, et regarda la disposition,
l'ordre et l'éclat du conseil. Après avoir con-
templé le grand roi des rois, l'auguste Vikra-
mâditya entouré de centaines de conseillers et
de ministres habiles et prudents, de troupes
de savants tels que Kalidâsa et autres renom-
més par leurs sciences diverses, entouré de
chasse-mouches blancs et d'éventails, portant
un sceptre d'or incrusté de diverses pierre-
ries, placé sous un baldaquin blanc, il fit
l'anjali et tint au roi ce langage ; Hé !
grand roi des rois, en considérant attenti-
vement ces conseillers et toutes ces autres
personnes, j'assiste à une fête comme je n'en
avais pas encore vu. — Quand le Vaitâlika
eut prononcé ces paroles, le roi "donna un
ordre à son sujet. A l'instant même où le roi
formulait cet ordre relativement au Vaitâ-
lika, un homme tenant d'une main un glaive
et, de l'autre, la main d'une jeune femme
d'une beauté sans égale, se présenta soudain
devant le roi et dit : O grand roi des rois,
RÉCIT DE LA VINGT-NEUVIEME FIGURE igS
quelques-uns ont prétendu que, dans le Sam-
sara, la science est la chose essentielle : tel
n'est pas mon point de vue. Mon idée à moi,
c'est qu'une jeune femme d'une beauté sans
< gale et la multiplicité des plaisirs sont les
deux choses essentielles. Ces deux choses-là,
grand roi, jamais je ne les abandonnerais à
d'autres. Mais aujourd'hui, il y aura, dans la
région des nuages, un combat des dieux et
des Dânavas. Il me faut aller à ce combat
pour prêter main forte à Indra. Or, voici ma
femme qui m'est plus chère que la vie : ce
n'est pas en compagnie d'une femme que je
puis me rendre sur le champ de bataille. Je
n'irais pas au combat avec confiance si je la
mettais sous la garde d'un autre ; mais je sais
que le grand roi des rois est au suprême de-
gré fidèle à la loi, qu'il étend sa protection
sur les gens d'autrui comme sur ceux qui
sont à lui, qu'il est vainqueur de ses sens,
d'une bonté suprême ; c'est donc après avoir
placé moi-même cette femme entre ses mains
que je partirai pour le lieu du combat. Tel
est mon désir ; je rends service aux autres
en diverses manières : rends-moi celui de
garder cette femme avec le plus grand soin
jusqu'à mon retour.
194 CONTES INDIENS
« Le roi acccepta la proposition de cet
homme, qui mit aussitôt sa femme en garde
auprès du roi, prit congé de lui, et, sortant
de l'assemblée en présence de tous, s'en alla
par la voie des airs. Le grand roi et tout ce
qu'il y avait de gens dans son conseil, tout
émerveillés de cette aventure, restèrent à
regarder en haut, jusqu'à ce qu'il eût dis-
paru.
« Quelque temps après qu'il fût devenu
invisible à tous les regards, la région céleste
fut remplie du tumulte d'un combat. En en-
tendant ce bruit, le roi et tout ce qu'il y
avait de gens dans son conseil, les figures
mêmes, furent étonnés. Sur ces entrefaites,
les deux mains coupées de cet homme tom-
bèrent sur le seuil du conseil du roi; aussi-
tôt après, ses deux pieds coupés tombèrent
également; après un court intervalle, la tête
coupée de cet homme tomba à son tour. La
femme de cet individu, voyant la tête de son
mari coupée, se lamenta de diverses maniè-
res et fit au roi cette déclaration : Comme le
clair de lune réside avec la lune, comme l'é-
clair brille et disparaît dans le nuage, ainsi le
devoir suprême d'une femme qui vit avec
son mari est de ne jamais l'abandonner : Je
RÉCIT OE LA VINGT-NEUVICMC FIGURE I95
n'abandonnerai donc pas mari. Fais faire un
bûcher, un amas de matières combustibles, et
donne ordre qu'on le mette à ma disposi>
tion.
« A ces mots, le roi fut ému d'une compas-
sion extrême et lui dit : Hé ! épouse ftdèle,
les vivants sont liés entre eux aussi long»
temps que dure la vie. Tant que ton époux
était en vie, il était ton mari, il y avait un
lien entre toi et lui. Mais pourquoi vouloir
quitter ton corps à cause d'un homme qui
ne te touche plus (en aucune manière) ? quelle
loi (t'y oblige) ? Voici donc ce que tu as à
faire maintenant. Si tu n'as point de goût
pour les objets extérieurs, réfugie-toi dans la
loi du brahmacarya (chastetéf et rends un
culte constant à Içvara. Si tu as du goût
pour les jouissances, prends pour mari un
homme de bien qui te plaise, et goûte ainsi
les jouissances, le bien-être et le contente-
ment parfait. Je te donnerai d'abondantes ri-
chesses, afin que tu n'éprouves de la douleur
en aucune manière.
« L'épouse fidèle, ayant entendu les paro-
les du roi, répondit : Hé ! grand roi, je
suis l'incarnation du devoir manifesté ; aussi
mon œuvre propre n'est-elle que l'affermis-
196 CONTES INDIENS
. sèment du devoir : je dois l'accomplir. Sans
doute je puis, en vertu de ma nature, pra-
tiquer le brahmacarya qui a pour principe
le renoncement aux actes de l'amour, et
j'observerais ainsi mon devoir en gardant la
fidélité à mon mari. Cependant ces désirs (qui
régnent) dans le corps de l'homme, la vue
claire (que j'ai) d'un ennemi puissant, l'appli-
cation à la science du bien, toutes ces cho-
ses et bien d'autres exigent des efforts ; je
puis faiblir. L'observation de la loi du veu-
vage fixée par les Castras est trop rigoureuse.
La condition du veuvage entraîne presque
fatalement la faute. De même que l'épouse
a sa part aux biens acquis par le mari, de
même la.mort de l'épouse résulte de la mort
du mari. Ainsi, grand roi, au moment du
mariage, quand le feu a été allumé après
qu'on a prononcé les mantras du Veda, alors
commence l'union indissoluble du mari et
de la femme ; c'est dans cette promesse mu-
tuelle que consiste l'accomplissement du
mariage. Ainsi la femme est la forme exté-
rieure de l'énergie de l'homme. L'homme
peut subsister sans l'énergie ; mais, sans
l'homme, l'énergie ne pourrait jamais subsis-
ter. Il en est comme d'un feu qu'on aurait
1
RECIT DE LA VINGT-NEOVJEME riGURE 197
allumé avec de grands ausadhis et des man»
tras précieux : le feu peut exister sans sa
puissance de brûler, mais la puissance de
brûler ne saurait exister sans le feu. Enfin,
grand roi. il est parfaitement connu dans le
monde que l'objet pour lequel on abandonne
la vie suppose un amour extrême pour cet
objet, de la part de celui qui se sacrifie. Donc,
grand roi, par l'opinion du monde, par le
Çâstra, par la logique, il faut de toute né-
cessité accomplir l'acte. A quoi bon raison-
ner pour y mettre obstacle ? Quand l'esprit
d'une personne s'est fixé sur un objet, les
autres hommes tentent vainement de l'em-
pêcher. Ainsi, quand un courant d'eau se
précipite vers les régions basses, c'est faire
un travail intile que de vouloir l'arrêter.
• Le roi, comprenant, par ce langage, que
cette femme était décidée à mourir avec son
mari, dit : Hé bien ! épouse fidèle, les pa-
roles que tu as dites sont valables ; c'est
fort bien ! Celles que j'ai proférées n'avaient
aucune valeur ; elles étaient uniquement
destinées à mettre en évidence ta fermeté.
• Après avoir adressé ces paroles à l'épouse
fidèle, il donna ordre d'élever un bûcher.
Quand vint le moment de se brûler, comme
198 CONTES INDIENS
les gens consumés par la chaleur entrent
dans l'eau froide, ainsi cette femme, tour-
mentée par l'amour qu'elle avait voué à son
mari, entra dans la source de feu du bûcher.
Immédiatement le roi et tout ce qu'il y avait
des gens formant son conseil louèrent la
vertu de cette épouse fidèle.
« Sur ces entrefaites, le mari de cette
femme, l'homme dont les membres avaient
été coupés et meurtris dans le combat parut
couvert de sang au milieu de l'assemblée. Le
roi et les gens de son conseil, en voyant cet
homme, furent étonnés au plus haut degré,
et commencèrent à se regarder les uns les
autres. L'homme dit au roi : Hé ! grand
roi, j'ai fait l'oeuvre pour laquelle j'étais
parti, je l'ai accomplie et achevée. Donne
maintenant l'ordre qu'on me rende ma
femme, et je retourne dans mon pays.
« En entendant ces paroles, le roi cher-
chait quelle réponse il pourrait faire et n'en
trouvait pas de satisfaisante. Dans son em-
barras, il se mit à regarder en face les con-
seillers. Ceux-ci comprirent l'intention du
roi et dirent à l'homme : Hé 1 le meilleur
des héros, quelque temps après que tu fus
parti d'ici, une tête semblable à la tienne
RÉCIT DE I.A VINGT-NEUVIÈME FIGURE I99
est tombée devant nous. A la vue de cette lète
coupée, ta femme se lamenta en plusieurs
manières, et, sans écouter ce que le roi lui
disait pour la retenir, elle subit la mort
simultanée (c.-à-d. la mort avec son mari).
a Quand les conseillers lui eurent dit ces
paroles, l'homme garda quelque temps le
silence, puis il poussa un long soupir et dit
au roi : n Hé ! grand roi, les gens du monde
font l'éloge de ta fidélité dans l'accomplisse-
ment du devoir et de toutes tes autres quali>
tés si nombreuses. D'où vient qu'elles sont
nulles et non avenues pour moi, sans qu'il y
ait de ma part aucune faute ? Grand roi, si,
tout en sachant à quel point je chéris ma
femme, tu as eu pour elle une passion, tu ne
dois pas céder à cette passion. J'ai été quel-
que temps sans voir ma bien-aimée, et j'en
ai l'esprit troublé. — Le roi, ayant entendu
ces paroles, répondit : — Il n'y a point de
passion, je l'affirme hautement. — Grand roi,
reprit l'homme, je sais jusqu'où va ta fidélité
au devoir. Maintenant , il faut me rendre
ma femme : donne-la moi donc, ou livre-
moi la tienne.
« En entendant ces paroles, le roi, par
crainte de violer le devoir, alla de sa per-
200 CONTES INDIÇNS
sonne à l'instant même dans l'Antapura ',
prit par la main sa propre femme, la reine,
s'avança dans la salle du conseil et regarda :
l'homme n'y était plus.
<i Sur ces entrefaites, le Vaitâlika se pré-
senta devant le roi, fit l'anjali et fit cette
déclaration : Hé ! grand roi, par la puissance
de la science Indrajâla, j'ai fait une mani-
festation de la science magique =* : de tout ce
que tu viens de voir rien n'est réel. Grand
roi, cesse d'être chagrin, et porte-toi bien.
« En entendant ces paroles du Vaitâlika,
le roi, bien content, ramena sa Runi dans
l'Antapura et revint siéger dans le conseil.
Sur ces entrefaites, un amas de richesses
de tout genre, des centaines d'éléphants et
de chevaux, tout un ensemble de présents
parut devant le roi venant de la part du roi
du pays de Pândya. L'auguste Vikramâditya
oftrit tout cet appareil au Vaitâlika, et le
congédia satisfait. >»
La vingt-neuvième figure ajouta : « Hé !
roi Bhoja, le roi qui est aussi terrible (que
1. Appartement intérieur, appartement de femmes,
gynécd-e.
2. Ou la science de Mâyù (.Màyâvidyâ).
RECIT DE LA VINGT-NEUVIEME FIGURE lOI
Vikramâditya) dans raccomplissement du
devoir est digne de s'asseoir sur ce trône.*
Après ce récit, le roi Bhoja se désista en-
core ce jour-là.
•^^ »/^ r/^ «À^ «À^ «O^ *w* "O* "O* *V* 'O" *w*
•^» •O» *0* *0* *V* "V* ^V" ■^* "^r* *▼" *▼* *▼*
KXC/r DE Li4 ^0' FIGURE
u
N autre jour encore , la trentième figure
dit à l'auguste roi Bhoja : « Hé! roi
Bhoja, c'est l'auguste Vikramâditya qui sié-
i^eait sur ce trône; écoute le récit de sa mu-
nificence.
« Dans la ville d'Avant! était un grand
l>ersonnage nommé Çrîdatta; il était si riche
que lui-même ne savait pas le nombre de
ses richesses. Ce grand personnage avait un
fils nommé Somadatta qui eut un jour le
désir de faire un palais et entretint son père
de ce dessein. Le père ayant donné son
consentement, il commença le palais lors
de la conjonction de l'astérisme Pushya et
du soleil.
i6
204 CONTES INDIENS
« Ce fut le jour de la conjonction du Pu-
shya et du soleil qu'il forma le projet d'édi-
fier ce palais, et, dès le lendemain, le travail
de la construction était achevé. Ainsi, en
très peu de temps, le palais fut prêt. Aus-
sitôt, choisissant un instant heureux, Soma-
datta le fils vertueux fit son entrée dans le
palais; et, quand vint la nuit, le fils ver-
tueux se coucha dans le palais sur un pa-
lanquin. Sur ces entrefaites, la parole padi
padi (« je tombe, je tombe »), prononcée à
haute voix, sortit de ce palais. En entendant
ce son, Somadatta fut surpris et épouvanté;
il passa la nuit comme il put.
« Le lendemain, étant fort perplexe, il se
présenta devant l'auguste Vikramâditya et
lui raconta tout au long, depuis le com-
mencement, l'histoire du palais.
« Le roi, après avoir entendu toute cette
explication, lui donna deux fois autant d'ar-
gent que Sodamatta en avait dépensé, acheta
ainsi le palais, et, quand vint la nuit, fit son
lit au milieu du palais. Sur ces entrefaites, la
voix qui disait : padi padi ^ sortit du palais.
En entendant cette parole, le roi répondit
au plus vite : pada (« tombe ! »). A l'instant,
une pluie d'or tomba dans ce palais, elle
RÉCIT DE LA tRENTiÈMC FIGURE Jo5
tomba toute la nuit. A l'endroit où était
le roi, ce fut une pluie de fleurs qui tomba.
« Au matin, le roi donna à Somadatta, avec
le palais, tout l'or qui était tombé en pluie,
et lui-même s'en alla dans sa salle d'au-
dience. »
La trentième figure ajouta : . Oroi Bhoja,
si tu possèdes une force et une munificence
semblables, siège sur ce trône; sinon, tu n'y
siégeras pas sans qu'il t'arrive malheur. . A
ces mots, ce jour-là encore, l'auguste roi
Bhoja revint sur ses pas.
4^04i^^4i^^4i^^é^
RÉCIT DE LA 3i' FIGURE
UN autre jour encore, l'auguste roi Bhoja
se tenait prés du trône pour se faire sa-
brer, quand la trente-et-unième figure lui
dit : « Hé! roi Bhoja, écoute un peu le récit
de la munificence du roi Vikramâditya à
qui appartenait ce trône.
« Un jour, le fils d'un marchand vint
d'un village à la ville d'Avantî pour y
vendre des marchandises; il s'y rendit
compte des procédés des habitants de la
ville, et de ceux du grand roi Vikramâditya.
De retour dans son village, il raconta son
voyage à son père : Hé ! père, dit-il, j'ai vu,
dans la ville d'Avantî, une chose merveil-
leuse. Tant que les objets à vendre sont
|6»
208 CONTES INDIENS
exposés dans les boutiques, les acheteurs
font l'acquisition (de ceux qui leur plaisent)
et les emportent : mais tout ce qui reste
après la vente, le grand roi Vikramâditya,
de peur de laisser prendre à la ville une
mauvaise renomme'e, l'achète lui-même pour
le prix qu'on en a offert.
« Ce marchand pervers, ayant appris ces
nouvelles de la bouche de son fils, emporta
une image en fer nomme'e Dâridra et prit
place à la foire d'Avantî, en vue de la ven-
dre. Les acheteurs s'approchèrent de ce
marchand pervers et lui demandèrent le prix
de cet objet. A leurs questions le marchand
re'pondit : Le nom de cette image est Dâri-
dra, le prix est de 10,000 mûdrâ. .Celui qui
fait l'acquisition de cette figure, Laxmî ' l'a-
bandonne à l'instant même où il en prend
possession. En entendant ces paroles, les
acheteurs disaient : Nous la laissons à nos
ennemis, — et tous s'en de'tournaient. Il en
fut ainsi toute la journée ; le soir arriva.
Les messagers royaux venus en présence du
roi, lui firent savoir toute l'affaire. Le roi,
pour observer sa parole, donna le prix de-
I. La déesse de la Fortune, la Fortune elle-même.
RéCIT OE LA TRENTE-UNIÈME FIGURE 309
mandé, 10,000 mûdrâ, prit l'image en fer
Dâridra et la garda dans son trésor.
« Aussitôt, ce même jour, quand la nuit
fut venue, la Laxmî royale prit une forme,
et demanda congé au roi. Le roi, faisant
l'anjali, prononça plusieurs paroles à la
louange de Laxmî et lui fit cette déclara-
tion : Hé ! mère, Laxmî royale, quelle of-
fense ai-je commise? Je n'ai point eu de
torts. Pourquoi me quittes-tu ? — 11 n'y a
point eu d'oHense de ta part, répondit
Laxmî ; mais je ne puis rester dans le lieu
où est Dâridra. Telle est la cause de mon
départ. — A ces mots, le roi répondit : Si tu
dois t'en aller pour ce motif, eh bien! va*
t-en ; jamais je ne me déciderai à violer les
engagements pris par moi. — Quand il eut
prononcé ces paroles, la Laxmî royale par-
tit, et, à l'instant, le discernement, le'calme,
la patience, la pitié, la prudence et toutes
les autres bonnes qualités abandonnèrent le
roi, qui, néanmoins, ne voulut pas se dépar-
tir de sa parole.
« Ensuite la qualité de Vérité prit un
corps ; elle se manifesta, elle aussi, et de-
manda congé au roi. Le roi refusa, et, dans
des entretiens sur la discipline, la pria de
3IO CONTES INDIENS
ne pas le laisser tout à fait seul. — Pour toi,
dit-il, Laxmî royale, discernement, etc., j'ai
tout perdu. Pour quelle raison m'abandon-
nes-tu? — La qualité de Vérité répondit :
Je viens à la suite du discernement (du
calme), etc. Si donc, grand roi, tu tiens à ce
que nous ne nous séparions pas, renonce à
l'engagement en vertu duquel tu as pris le
bonhomme Dâridra, ou bien, détruisant ton
corps de ta propre main, abondonne-le, ce
corps! je t'assisterai dans la transmigration.
« A l'ouïe de ces paroles, le roi, craignant
de rompre son vœu d'engagement pris avec
Vérité, et ne pouvant se résoudre à violer sa
parole, prit son glaive et se disposait à se
trancher la tète quand la qualité de Vérité
retint aussitôt la main du roi et dit ; Hé !
grand roi, c'est pour voir jusqu'où irait ta
fidélité à la loi que j'ai parlé ainsi. Je com-
prends ; tu es très attaché à la loi. C'est le
cœur de l'homme qui est le lieu de mon ha-
bitation ; aussi je ne t'abandonnerai pas. je
resterai près de toi. — Peu de jours après, la
Laxmî royale, à laquelle cette qualité de Vé-
rité était liée, le discernement et les autres
qualités revinrent (près du roi). »
La trente-et-uniéme figure ajouta : « Hé!
RECIT DE LA TRENTE-UNIEMB FIGURE 3 I I
roi Bhoja, un homme uni comme celui-là à
l'essence de la Vérité est seul digne de s'as-
seoir sur ce trône. •
A la suite de ce discours, l'auguste roi
Bhoja tourna le dos encore ce iour-là.
à^
RÉCIT DE LA 3-2' FIGURE
UN autre jour, comme l'auguste roi Bhoja
essayait de monter sur le trône, la trente-
deuxième figure dit: « Hé! roi Bhoja, c'était
l'auguste Vikramâditya qui, par sa moralité,
était digne de se mettre sur le trône. Ecoute
un récit de ses qualités :
« Un jour il fut mis dans l'embarras, lors-
que, les grains étant venus à manquer dans
plusieurs contrées, les habitants de ces pays
tourmentés par la famine née de la cherté
de vivres firent ce raisonnement : Le grand
loi des rois, l'auguste Vikramâditya est par-
taitement fidèle à la loi. 11 n'y a pas de
tamine dans son pays : allons-y donc pour
sauver notre vie. — Après avoir raisonné de
2 14 CONTES INDIENS
la sorte, ils passèrent du pays de tel et tel au-
tre roi dans celui de l'auguste Vikramâditya.
« Informé de cette circonstance par les
rapports de ses messagers, l'auguste roi Vi-
kramâditya fit publier partout dans ses états
l'ordre suivant : Que les étrangers venus
pour avoir des aliments puissent manger en
toute liberté ce qu'ils trouveront et où ils le
trouveront sans qu'on y mette nul empê-
chement. Quant aux pertes en argent qu'on
pourrait faire à cette occasion, on en sera
indemnisé par mon trésor jusqu'à concur-
rence de la somme dépensée. — Quand cette
proclamation fut faite, tous agirent suivant
les ordres du roi.
« Sur ces entrefaites, de riches habitants
de la ville qui n'avaient pas pris la précau-
tion d'acheter des denrées alimentaires vin-
rent faire au roi cette déclaration : Hé !
grand roi, nous, habitants de la ville, per-
sonnages distingués, qui ne nous occupons
pas de labourage et sommes obligés d'acheter
les aliments qui servent à notre nourriture,
nous ne pouvons plus avoir maintenant pour
cent mudrâs ce qui n'en vaut qu'un seul ; il
en résulte que nous n'avons plus le moyen
de vivre et d'entretenir nos gens.
RÉCIT DE LA TRENTK-DEUXiillK FIGURE 2l5
« Quand l'auguste Vikramâditya eut en-
tendu ces paroles des gens distingués, il fut
extrêmement perplexe ; et il fit dans sa pen-
sée ce dilemme : Si je repousse ces étrangers
affamés, alors ma parole devient sans efll'et ;
si j'empêche les vendeurs de profiter du prix
élevé des subsistances, alors c'est mon vœu
de protection universelle qui est brisé. —
Dans cette perplexité, il adressa une re^-jucte
à Parameçvarî qui se montra h lui et lui
donna cet ordre : Hé! grand roi, fais une
-demande à ton choix ! — Le roi, faisant l'an-
jali, prononça un éloge suivi et varié de
Devî tant en vers qu'en prose, et lui adressa
cette demande : Hé! Devî, si tu es contente
de moi, accorde-moi ce don : que, dans mes
états» chaque maison soit fournie de denrées
alimentaires inépuisables. — Qu'il en soit
ainsi, dit la déesse et, extrêmement satisfaite
de la fidélité du roi à son devoir de proté-
ger les autres, elle lui donna un joyau ap-
pelé cintamani, puis disparut,
• Le roi, rempli de bonnes dispositions
pour le bien-être de toutes les créatures, prit
place sur son trône, et, après avoir délibéré
avec tous ses conseillers, ses chefs de district,
ses ministres, etc., il décida qu'il fallait faire
17
2l6 CONTES INDIENS
un pèlerinage aux étangs sacrés. En consé-
quence, il donna des ordres pour qu'on fît
tous les préparatifs et approvisionnements
nécessaires, et continua de siéger.
« Sur ces entrefaites, un Sannyasî fourbe et
trompeur, qui était matérialiste et prétendait
qu'on ne devait s'en rapporter qu'au témoi-
gnage des yeux, arriva dans le conseil et
s'approcha (du trône) ; il était vêtu d'une
peau d'antilope noire. Il dit au roi : Hé ! grand
roi, pourquoi fait-on tous ces préparatifs ? —
Je vais faire un pèlerinage aux étangs, ré-
pondit le roi; c'est pour cela qu'on fait tous
ces préparatifs. — Le matérialiste reprit :
Qu'est-ce que les étangs? Et pourquoi faire
un pèlerinage aux étangs? — Les étangs,
répondit le roi, ce sont le Gange et tous les
autres (amas d'eau). Quand on s'y baigne,
et qu'on y fait d'autres cérémonies, on ac-
quiert des mérites. Le Svarga appartient à
quiconque aspire au fruit de ces mérites.
Celui qui n'atteint pas à ce fruit obtient (du
moins) la purification de l'esprit, et progres-
sivement, par l'accoutumance, la connais-
sance de la vérité et, par suite, la délivrance.
« Le sophiste, après avoir entendu ces pa-
roles, poussa un immense éclat de rire et
RÉCIT DE LA TRENTI-DEUXIRMK FIGURE 217
dit : Périssent les ignorants trompeurs dont
les preuves sont vaines et factices! Mais toi,
grand roi, tu es savant, tu saisis l'essence
des choses ; ce langage n'est pas digne de toi.
Ecoute les discours des sages qui aspirent au
but suprême. Les hommes ignorants qui
font des actes en vue du Svarga sont dans
un grand égarement d'esprit. Voir un acte
disparaître sous ses yeux, et oser prétendre
que cet acte qui a cessé d'exister est, grâce à
la transmigration, le générateur d'un fruit
tel que le Svarga! Mais un acte qui a cessé
d'exister ne peut être le générateur d'une
opération nouvelle, pas plus qu'un ril brûlé
ne peut être le générateur d'un habit. Donc
le Svarga n'est pas réel et, par conséquent,
le Naraka n'existe pas davantage. Cette
existence postérieure à la destruction du
corps actuel, cette attache du moi à la trans-
migration, ce sont là de vrais discours d'a-
veugles, comme les traditions que les Sid-
dhas se transmettent les uns aux autres. Il
est donc faux que le moi revête de nouveaux
corps. Par conséquent, le Svarga et le Na-
raka ne sont pas réels. De même la justice
et l'injustice absolues n'existent pas. a Le
niQi survit au corps », dit-on. Ce sont là
2 I 8 CONTES INDIENS
paroles en l'air, comme (ce qu'on dit) des
fleurs célestes, des arbres et autres plantes
de la Grande Forêt. Cet être qui existe et se
soutient par lui-même, qui produit la fin de
toutes choses, créateur, conservateur et des-
tructeur du Samsara, Içvara (le seigneur)
n'est qu'une fiction, une pure fiction. Ainsi
toute conception qui s'appuie sur des dé-
monstrations dépassant l'ordre des choses
visibles manque de preuves solides et n'est,
pour les gens aveuglés par l'ignorance comme
un golângula ' aveugle qu'une cause de trou-
ble (et d'égarement), une mauvaise con-
seillère.
L'auguste Vikramâditya, après avoir en-
tendu les divers discours par lesquels le
sophiste s'efforçait de détruire l'autorité des
Vedas, fut quelque peu en colère et dit : Fi !
incrédule ! si, d'après tout ce que tu as dit, à
savoir qu'il n'y a pas de preuves supérieures
au témoignage des yeux, t'appuyant sur ce
principe, tu récuses l'autorité de l'induction,
et des autres raisonnements analogues pour
accepter seulement les preuves fournies par
le témoignage des yeux ; comment alors le
I . Espèce de singe (Babouin ?)
RÉCIT DE LA TRENTE-OKUXIÈMB FIGURE IIQ
pandit qui serait le meilleur des précepteurs,
s'il lui arrivait malheureusement d'être ex«
cessivement sourd, pourrait-il saisir l'auto-
rite de sa propre parole ? Or, s'il ne la saisit
pas, il ne pourra mener à bonne fin aucune
affaire, et sera obligé de chercher dans le
monde un pandit capable d'exécuter les ins-
tructions d'autrui ; c'est le seul moyen qu'il
puisse avoir d'achever ses propres affaires.
Et si tu vois en songe qu'on te coupe la tète,
comment te comporteras-tu après ton réveil,
sera-ce en mort, ou en vivant ? Si tu te
comportes comme un mort, on pourra dire
que tu es habile à changer de rôle; si tu te
comportes comme un vivant, alors tu mé-
connais l'autorité des choses visibles. Par
conséquent, il faut nécessairement que tu
admettes l'autorité de l'induction établie par
tous les Castras traitant de ce qui est supé-
rieur au témoignage des yeux.
• Et maintenant je te questionnerai sur un
point. Sommes-nous venus ici tombés du
ciel, ou bien descendons-nous de quelque
famille? Si tu dis que nous sommes tom-
bés du ciel, tu es fou ; si tu dis que nous
sommes nés d'une certaine famille, tu ad-
mets par cela même la preuve de l'origine
320 CONTES INDIENS
de cette famille. Or, que diras-tu à ceci?
Les hommes qui nous ont précédés sont nés
d'une certaine famille, eux aussi. Voilà ce
que j'ai entendu dire aux gens qui admet-
tent l'autorité des preuves par le raisonne-
ment. Par conséquent, tu admets, bien mal-
gré toi, comme prouvée l'autorité du son
qui est la forme d'une parole d'autorité. Si
cette forme est l'induction, l'induction étant
valable, l'autorité du son est valable aussi,
et tu es bien forcé d'admettre l'objet. Or,
selon la logique, il n'est pas permis de n'ad-
mettre une chose qu'à moitié. Tu seras
donc bien forcé d'admettre entièrement, tel
qu'il est défini, celui que l'on affirme exister
continuellement, être l'espace, le temps, la
cause (première), la jouissance et la souf-
france même correspondant aux actes ver-
tueux et vicieux qui se produisent, l'indus-
trieux par excellence, qu'on ne peut se
figurer (même) en songe, qui est l'ordre en
personne, la cause du Samsara, le Seigneur
suprême. Fais dans ton esprit ce raisonne-
ment, et dis-toi bien ; Toutes les choses
susceptibles d'augmentation ou de diminu-
tion ont nécessairement une borne. De
même que dans les étangs, Meuves, etc., i'eau
RÉCIT DE LA TRBNTC-DBUXIÈMK FIGURE 321
qui est de nature à diminuer ou augmenter
a une borne contre laquelle elle vient se
briser; ainsi la souveraineté, l'héroïsme, la
gloire, l'éclat, la science, l'exemption de
passion étant de nature à diminuer ou à
augmenter dans la masse des êtres vivants,
il faut reconnaître à cette souveraineté et
aux autres qualités supérieures, tout autant
qu'il y en a, une certaine limite. Or celle
qu'on lui reconnaîtra, c'est nécessairement
cet unique Seigneur suprême dont voici U
nature : il est omniscient, seigneur de
tout, se révélant comme la série de tous les
effets permanents, aussi bien que comme la
cause de toutes choses, témoin de tout ce
qui remplit l'espace. Sans pieds, mais allant
partout, sans mains, mais saisissant tout,
sans yeux, mais voyant tout, sans oreilles,
mais entendant tout; il connaît tout, il est
partout et néanmoins nul ne peut le saisir; il
n'a besoin d'aucun appui, il est l'appui de
toutes choses; il est, par sa nature, bonté,
intelligence, félicité ; sa force lutte contre
les difficultés et en triomphe par l'habileté.
Aussi Mahâmâyâ, après l'avoir fait, a dit
dans le Castra : Sa propre nature est d'être
la cause et la racine du monde entier; de là
222 CONTES INDIENS
vient qu'on l'appelle Nature-racine. Ceux
qui connaissent l'essence du Seigneur savent
que ce monde, simple effet de la puissance
du Seigneur, est semblable à un songe.
Aussi le grand sommeil ', après avoir fait la
force du Seigneur, dit .: Par la coopération
d'une telle force, le Seigneur suprême sans
qualités, sans activité, n'étant par sa na-
ture que pure bonté, intelligence, félicité,
aura en propre la science de toutes choses
et toutes les autres qualités. Si l'on offre des
hommages non-interrompus à un Seigneur
suprême tel que celui-là et si l'on cultive
ainsi la science pendant longtemps, c'est
une cause de délivrance finale.
« L'auguste Vikramâditya , après avoir
parlé de la sorte au sophiste, reprit ainsi :
Hé! sophiste, je te dirai le sens intime
de tout le Castra; écoute : De même
qu'une mère, au moment où, pour faire
cesser la maladie de son fils, elle lui donne
à boire du jus d'herbes médicinales, astrin-
gentes, piquantes, acres, l'encourage par ces
paroles : Hé ! mon enfant, quand tu auras
bu ce jus d'herbes, je te donnerai des confi-
tures et d'autres douceurs; de la même ma-
nière que, eu lui montrant la récompense,
RÉCIT DE LA TRtNTE-DBUXièMK FIGURE 3»3
elle lui fait boire le jus d'herbes ; ainsi, pour
faire cesser la maladie qui se présente sous
la forme du désir, de la colère, de la cu-
pidité, de l'orgueil, de l'égoïsme, la doc-
trine, sous forme de mère, montrant le
fruit sous forme de svarga, etc., pousse à
l'accomplissement d'une foule d'actes qui
exigent des efforts. Comme le fruit de la
cessation de la maladie est la santé, ainsi le
fruit de la cessation du désir et des autres
passions est l'état moral qui consiste dans
l'empire de soi-même. Le fruit suprême de
la masse de tous les actes est donc l'empire
sur soi-même. Les actes de celui qui est
maître de soi-même ont de la valeur; les
actes de celui qui n'est pas maître de soi-
même sont vains et sans fruit. Toi donc qui
n'as point l'empire sur toi-même, pourquoi
perds-tu ton temps avec ta science super-
ficielle ?
c Quand le sophiste eut entendu tout ce dis-
cours sur le breuvage (extrait) du grand Au-
shadhi (herbe médicinale), l'athéisme de
Piçâca qui s'était fixé dans son esprit fut dis-
sipé. Le sophiste considéra l'auguste Vikra-
màditya comme son guru et accueillit toutes
»7*
224
CONTES INDIENS
ses paroles. Là-dessus le roi satisfait rendit
le sophiste content en le comblant de toutes
sortes de richesses. »
EPILOGUE
A peine la trente-deuxième figure eut-
elle fini ce récit que les trente-deux
figures dirent ensemble : ■ Hé! roi Bhoja,
en nous appuyant sur le récit des qualités
de l'auguste roi des rois Vikramâditya, nous
t'avons longuement exposé toutes les qua-
lités supérieures des rois. Celui en qui elles
se rencontrent toutes est supérieur et digne
de s'asseoir sur ce trône; tout autre n'y
trouverait qu'un amas d'infortunes. Voilà
pourquoi, désirant ton bien, nous t'avons
détourné d'y siéger. Ce n'était pas que nous
fussions mécontentes de toi; tu nous as
rendu un grand service. Nous te sommes re-
devables d'être délivrées d'une condition
22b CONTES INDIENS
d'immobilité à laquelle nous étions con-
damnées par la malédiction d'un Muni ;
nous avons recouvré la faculté de nous
mouvoir. Sois heureux, exerce la royauté
dans une suprême félicité : nous prenons
le trône et retournons chez nous. »
Après avoir adressé ces paroles à l'auguste
roi Bhoja, les figures prirent le trône et se
mirent en route pour retourner chez elles.
L'auguste roi Bhoja, de son côté, prit le
chemin de sa demeure.
FIN
TABLE ALPHABÉTIQUE
DES NOMS PROPRES
TABLE ALPHABETIQUE
DES NOMS PROPRES
ACCOMPAGNÉS DEXPLICATIONS
Nota. — Le« chiffres qui suivent ces explication» indi-
quent les numéros des récits où se trouvent les noms
expliqués. L'abréviation Intr. indique qu'ils m trouvent
dans l'introduction.
Açvina. — Le sixième mois de l'année indienne, 2.
Adrishtârttia (« L'objet invisible »). — Nom gé-
nérique des quatorze sciences dont l'objet est
invisible et qui forment la première section des
scioQces, 4. (Voir Drishiârtha.)
Agiti. — Nom d'un Vetâla qui tue tous les rois
créés à A vantîdepuis l'abdication de Bhartrihari.
Ses relations avec Vikramâditya qui le nourrit
23o CONTES INDIENS
et, à la suite d'un différend, lutte avec lui ; il
promet de l'assister en toutes ses difficultés, lui
fait vingt-cinq récits, et le prémunit contre les
pijèges d'un yogî. Intr.
Agrahdyana. — Le huitième mois de l'année
indienne, 2,
Akdça-Gangà. — Gange céleste dont Manassid-
dhi a de l'eau dans un vase d'or, 26.
Amarasinha. — Un des beaux esprits de la cour
de Vikramâditya. Intr.
Amrita (« Breuvage d'immortalité »). — Mada-
nasanjivanî oint d'amrita le corps de Vikra-
mâditya qui avait été plongé dans l'huile bouil-
lante, 14. — La divinité du soleil fait pleuvoir
l'amrita sur Vikramâditya brûlé par les rayons
de l'astre et lui fait ainsi reprendre ses sens,
18. — Vikramâditya, ayant obtenu de Vâsûki
de l'amrita pour ranimer son armée plongée
dans la stupeur, en fait don à deux hommes
qu'il ne connaît pas ; Vâsûki fait alors pleuvoir
l'amrita sur l'armée de Vikramâditya et la
réveille de sa torpeur, 23.
Anangasend. — Reine d'Avantî, première épouse
(Rânî) deBhartrihari, dominait son mari; il lui
donne un fruit merveilleux qu'elle passe aus-
sitôt au premier conseiller, son amant. Intr.
Anjali. — Salutation consistant en une inclinai-
son du corps pendant que les mains, réunies
comme pour recevoir quelque chose, sont éle-
vées à la hauteur du front, 3, 11, i5, 17, 29,
TABLE ALPHABÉTIQUE l3l
* Ashddha. — Le troisième mois de l'année in-
dienne, 3.
Atharvan-veda . — La quatrième des dix-huit
sciences et des quatorze de l'Adrithtârtha, 4.
AusIiaJhi ou Oshadhi {gnnd — ); — Herbe médi-
cinale, 1 ; — à laquelle est comparée la science
salutaire qui assure la délivrance finale, 3i.
Avanti. — Nom de ville. Bhartribâri, qui y ré-
gnait, abdique et, après un interrègne, est rem-
placé par son frère Çrî-Vikramâditya. Intr.
(citée dans presque tous les récits.)
Ayurveda (« La science de la vie. médecine ■). —
La première des quatre sciences du Drishtartha,
Intr. 4.
Bahuçruta. — Nom du premier conseiller de
Nandà, roi de Viçâlâ, i.
Bhartrihari.— Roi d'Avantf, frère aîné de Vikra-
mâditya, oiTre un fruit merveilleux à sa femme
qui le donne à un amant. Bhartrihari, dégoûté
de la vie, quitte le trône et se retire dans la
furet. 11 n'avait pas d'héritier direct. Intr.
Bhadva. — Cinquième mois de l'année in-
dienne, 1.
Bhadrasena. — Grand personnage du royaume
de Vikramâditya, meurt en laissant une grande
fortune, père de Purandara, 11.
Bhânumatî. — Reine de Viçâlâ, première épouse
du roi Nanda, avait un grain de beauté sur la
2 32 CONTES INDIENS
cuisse : le roi ne pouvait siéger au conseil sans
elle. On fait son portrait ; ce qui en résulte, i.
Bhavabhûti. — Un des beaux esprits de la cour
de Vikramâditya. Intr.
Brahma. — Le premier des dieux ; insolence de
Kandarpa envers lui, ii.
Brahmacari (« Jeunes brahmanes faisant leur no-
viciat »). — Réunions et entretiens des Brahma-
caris de Padmâlaya. Récit de l'un d'eux en-
tendu par Vikramâditya, 19.
Brahmacarya. — Célibat et chasteté. Le Brahma-
carya « a pour principe l'abandon des actes
de l'amour»; appliqué à la situation d'une
veuve qui ne se remarie ni ne se brûle, mais
reste en vie fidèle à son époux décédé, 29.
Buddhi çekhara.{<.<G\xïT\znàe d'intelligence »). —
Fils d'un conseiller de Vikramâditya, com-
mença par abhorrer l'instruction ; éclairé par
les remontrances de son père, il acquiert de
l'instruction en pays étranger et, de retour
chez lui, raconte ce qu'il a vu, 20.
Buddhisâgara. « Océan d'intelligence ». — Con-
seiller de Vikramâditya désolé de l'ignorance
de son fils; remontrances qu'il lui adresse, 20.
Caitra. — Douzième mois de l'année indienne, 2.
Çakrdvatdr (« La descente de Çakra »). — Etang
sacré appartenant à la divinité Yugâdideva
dans le pays de Ratnavatî, 14.
Çalavdhana. — Né dans la viile de Pratishthâna,
TABLE ALPHABETIQUE 3 33
d'une Brahmanî veuve et d'un Nâga, donne
l'explication d'une énignne. Mandé pour ce motif,
par Vikramâditya, refu&e de %e rendre prè»
du roi, résiste à ses armées par des moyens
magiques, et quand Vikramâditya a reçu l'am-
rita de Vâsuki pour réveiller son armée en-
gourdie, envoie deux de ses gens demander cet
amrita au roi qui le livre sans diâicullé, 33.
Sans doute le même que le suivant :
Çdlivâhana. — Roi de Pratishthflna, doit être le
même que le précédent; est en guerre avec le
roi d'Avantî, Vikramâditya qui périt dans la
bataille. Intr.
Çanaiçcara (« Qui va lentement »). — La planète
Saturne. Quand elle brise le char de Rohinî
et vient dans le champ de Vénus ou de Mvrs,
alors il y aura famine inévitablement. 34.
Candra-çekhara ;« Guirlande de la lune »). —
Roi d'un pays non désigné, obtient le don de
l'immortalité à la condition d'être brûlé chaque
jour pour revêtir un nouveau corps, afin de
devenir semblable à Vikramâditya. Vikramâ-
ditya l'affranchit de cette nécessité après s'être
soumis à la même épreuve, 16.
Candramauli (u Qui a la lune pour diadème ».
— Savant brahmane du Kaçmir, instituteur de
Kamalakar, 8.
Çanku. — Un des beaux esprits de la cour de
Vikramâditya. Intr.
2 34 CONTES INDIENS
Çarâddnanda. — Guru de Nanda, roi de Vi-
çâlâ, I.
Caranâravindadhydna (Çriman Narâyana — ).
Première invocation de Vikraraâditya à son ré-
veil, 22.
Castra, 4, 12, i5, 17 28, 29, 32 — La méditation
des Castras distingue rhomme de la bête, 20, 2 3,
24.
Chanda. — Le sixième Vedanga qui se rattache
aux quatre sciences védiques, 4.
Çilpa-çdstra (« Le livre des arts manuels »). —
La dernière des dix-huit sciences, la quatrième
des sciences dont l'objet est visible.
Cintamani. — Joyau, appelé incomparable, dont
les effets ne sont pas indiqués; offert par un
yogî à Vikramâditya qui le donne à un pauvre,
i3. — Donné par Devî ou Parameçvarî à Vi-
kramâditya qui l'avait invoquée pour conjurer
la famine, 32.
Citrakuta (« Aux sommets variés »). — Nom
d'une montagne sur laquelle est une pagode et
au pied de laquelle coule un fleuve dont l'eau
est comme du lait sur le corps des innocents
et comme de l'encre sur celui des coupables
qui s'y baignent, 2.
Ctrajîva (« Longue vie »). — Nom d'un oiseau
résidant avec plusieurs autres sur un arbre
dans un pays non désigné, 10.
Çixd. — Le premier des Vedanga, 4.
Çonitapriyd (« Qui chérit le sang »). — Divinité
TABLE ALPHABéTlQUE a 35
de Vetfilapura, à laquelle on offrait det ucriAces
humains que Vikramâditya fait cesser, 37.
Çrdvana, — Quatrième mois d^l'aonée in-
dienne, 2.
Çrîdatta (* Donné par Çrî »). — Riche person-
nage d'Avantî, qui ne savait même pas le
compte de ses richesses, père de Somadatta, 3o.
Çitkra. — La planète Vénus ; si la planète Sa-
turne vient dans son champ, il y aura fa-
mine, 24.
Ddnavas. — Génies, adversaires des dieux; leur
lutte contre les dieux, 29.
Danda (• Châtiment, bâton •»). — Talisman au
moyen duquel on ressuscite les morts, 19.
Dandaçàstra (« Livre du châtiment »). -^ Code
pénal observé par Vikramâditya. Intr.
Dandaniti {a Conduite du châtiment »). — Code
pénal observé par Vikramâditya, 17^2.
Dâridra. — Figure qui a le privilège de mettre
en fuite la Laxmî et toutes les vertus de Vi-
kramâditya, 3i.
Deva. — Les dieux, ennemis des Oânavas, 29. —
Ont baratté la mer de lait, 25.
Devadatla (« Donné par les dieux »). — Nom
d'un Brahmane d'Avantî qui, après avoir sauvé
la vie au roi dans le désert, cache le 61s du
roi pour l'éprouver; le roi refuse de le pu-
nir, et, après avoir recouvré son fils, comble
de biens Devadatta, 4.
236 CONTES INDIENS
Devî. — Divinité principale d'Avantî, capitale
du roi Bhartriharî, donne à un brahmane un
fruit merveilleux. Intr. La même que Para-
meçvarî; Vikramâditya l'invoque pour conjurer
la famine, 32.
Dhanadatta (« Donné par la richesse »). —
Marchand d'Avantî, extraordinairement riche ;
ses libéralités, ses visites aux étangs sacrés, et
ce qui en résulte, 6.
Dhanurveda (« Science de l'arc »). — La deuxième
science de la section Dristârtha, 4.
Dhanvantir. — Un des beaux esprits de la cour
de Vikramâditya. Intr.
Dhdrâ. — Ville du Midi ; capitale du roi
Bhoja. Intr.
Dristhdrtha. — Deuxième catégorie des sciences
(au nombre de quatre), celles dont l'objet est
visible, 4.
Durjaya (« Difficile à vaincre »). — Râxasa de
Kanci, oppresseur de Naramohinî, tué par
Vikramâditya, 8.
Gandharva-çdstra (« Livre des musiciens »}. —
La troisième des quatre sciences dont l'objet
est visible.
Gangd. — Fleuve du Gange; limite extrême au
Nord, I. — Etang, c'est-à-dire lieu de pèlerinage
et d'ablutions sacrées, 32.
Gangd (Akdça —) . Le Gange céleste; eau de ce
fleuve divin, 26.
TABLK ALPHABériQUB 3)7
Garuda. — Type de bonté, a Muvé la grenouille
lie la gueule du serpent, 11.
Gharghâ. — Fleuve qui coule prè» du cimeiière
où Vikraraâditya trouva l'homme d*or. Intr.
Ghatakapùri. — Un des beaux esprits de la
cour de Vikramâditya. Intr.
Golangula. Singe; l'ignorant lui est assimilé. 33.
Ciuru. — C'est en le respectant qu'on acquiert la
science, 4. — Précepteur spirituel.
Içvara. — Est une chimère, 3». — Est invisible
et ne se manifeste que par ses œuvres, 28. —
Une veuve qui ne se remarie pas doit lui ren-
dre un culte constant, -19.
Indra. ~~ Roi des dieux, donne un trdne divin à
Vikramâditya. Intr. Fait l'éloge de Vikramâ-
ditya devant tous les dieux, zS. ~ A besoin
d'être secouru dans sa lutte contre les Dina-
vas, 29.
Indrajàla-vidyâ (a Science du Réseau d'Indra »).
— Science au moyen de laquelle on réalise une
manifestation magique, 29.
Jayaçekhara. — Roi de Padmanishat. détrôné,
établi roi dans un autre pays, et sauvé d'une
redoutable attaque par l'influence de cinq yaxa
auxquels il avait sauvé la vie, lorsqu'ils étaient
poissons, dans une existence antérieure, l'j.
Jndm-çdstra « Çâstra de la connaissance ». —
Un pandit versé dans ce Çâstra t'ait une leçon
au roi, i5.
3 38 CONTES INDIENS -
Jyeshtha. ~- Deuxième mois de l'année in-
dienne, 2.
Jyotiçcdstra « Livre des clartés » astronomie ;
— fait connaître les signes précurseurs d'une
famine, 24.
Jyotisha. — Le cinquième Vedanga, 4.
Kaçmira. — Nom d'un pays. Vikramâditya y fait
remplir d'eau un bassin demeuré vide, 7. —
Kamâlakar y reçoit de l'instruction, 8.
Kdkapâda « Pied de corbeau ». — Signe du
corps dont l'existence sur la partie postérieure
du palais détruit l'effet du signe de lotus sur la
plante du pied, lequel annonce la royauté, 28.
Kdliddsa. — Un des beaux esprits de la cour de
Vikramâditya, cité avec plusieurs autres. Intr.
Cité seul avec un etc., 29. — (Personnage fort
illustre, auteur de poèmes dramatiques célè-
bres, entre autres du Çakuntalâ).
Kdlikd. — Divinité qui avait un autel sur le
bord de la rivière Gharghâ, non loin du cime-
tière où un yogî avait entraîné Vikramâditya.
Intr.
Kalpa. — Le deuxième Vedanga, 4.
Kalpavydkarana. — Le deuxième et le troisi èm
Vedanga, cités ensemble. Intr, (p. 24.)
Kdmadhenu (« Vache du désir »). — Talisman
duquel on peut obtenir tout ce qu'on souhaite,
25.
Kdmdkhyd (« Celle qui porte le nom de l'a-
TABLB ALPHABÉTIQUE sSç
mour »). — Divinité qui a un autel tur le mont
Nlla, 2 1.
Kamûlakar. — FiU de Tripurâkftr, purohita de
Vikramâditya. Son père lui ayant fait honte
de son ignorance, il voyage pour s'instruire et
rencontre Naramoliinl qu'il épouse avec l'aide
de Vikramâditya, 8.
Kanakakrita (u Fait d'or »). — Montagne très
dangereuse, où résidait le yogî Trilokanfitha
qui donne trois talismans à Vikramâditya, 19.
Kanct et Kancipuri. — Ville où demeurait Na-
ramohinî délivrée par Vikramâditya, 8.
Kandarpa. — Né au sein de Laxmî, l'a pris de
haut avec Brahmâ et tous les dieux, 11. —
(Nom du dieu de l'Amour).
Kanthd. — Talisman qu'il suffit de toucher
pour obtenir les richesses auxquelles on pense,
donné par le yogi Trilokanatha à Vikramâditya
qui le donne à un roi détrôné et mendiant, lui
permettant ainsi de recouvrer ce qu'il a perdu,
19.
Kanyakubjâ.— Pays, patrie de Siddhasena. Intr.
Karbura-mantrajala («c Réseau du mantra d'or >).
— Signe du corps qui, placé dans l'intérieur
au côté gauche, détruit l'effet de tous les si-
gnes défavorables, supplée à tous les signes
favorables, et assure à celui qui le possède
l'aptitude royale. Vikramâditya était pourvu de
ce seul signe, 28.
Zârtika. — Septième mois de l'année indienne, 2.
18
240 CONTES INDIENS
Kerala. — Nom de pays. Un pandit de ce pays
éclaire Vikramâditya sur les causes de la fa-
mine, 24.
Khandika. — Talisman qu'il suffit de toucher
pour en faire sortir toute une armée, ig.
Kuvera. — Vikramâditya devient aussi riche que
lui au moyen de l'homme d'or. Intr. — C'est le
dieu des richesses.
Laxmî. — Née de la mer, a donné naissance à
Kandarpa, a fait le Castra des richesses, s'iden.
tifie avec la richesse; est la maîtresse suprême;
Vishnu n'a conquis l'empire du monde qu'en
maîtrisant Laxmî, 11. — La Laxmî de Vikra-
mâditya l'abandonne, puis revient à lui à cause
de sa fidélité à la parole donnée, 3 1.
Madanasanjivanî. — Reine de Ratnavatî, cher-
che à séduire Vikramâditya qui résiste et lui
fait épouser son ami Sumitra, 14.
Mdgha. — Le dixième mois de l'année in-
dienne, 1.
Mahdmâyd. — A fait le seigneur suprême et l'a
défini dans le Castra, 32.
Mahanidrd (u Le grand sommeil »). — A fait la
force du seigneur suprême, 32.
Malaya. — Nom d'une montagne près de la-
quelle est située la ville de Pîtapur, 11.
Manassiddhi (« Succès de l'esprit »). — - Divinité
dont l'autel est au sommet du Sumeru.
TABLE ALPHABéTIQUE 241
Mattfiala (a Bénédiction »). — La planète Mars;
l'invasion de son champ par Saturne est un
signe infaillible de famine, 34.
Mdydvidyd (a Science magique •). — Au moyen
de laquelle on peut faire apparaître des scènea
qui n'ont rien de réel, 39. — Apparition due à
la Mâyâ, 2 3.
Maitlras.— Paroles magiques. Intr.1,8, 38. 19. Bz.
Alihir. — Un des beaux esprits de la cour de
Vikramâditya. Intr.
Alimamsaka. — Système philosophique dont les
sectateurs, avec bien d'autres, fréquentaient la
cour de Vikramâditya. Intr.
Mùlikci. — Talisman au moyen duquel on peut
obtenir tout ce qu'on veut : donné à Vikra-
mâditya par un malheureux qu'il avait secouru,
et par Vikramâditya à un mendiant, 11,
Muni {* Solitaire »). — Un muni avait, par une
malédiction, condamné trente-deux divinités à
orner comme iîgures le trône de Vikramâditya.
(Epilogue).
Nciga (u Serpent aquatique »). — Habitant du
Pâtâla, père de Çàlavâliana, 23.
Nala. — A subi une destinée qu'il ne pouvait
empêcher; cité par Vikramâditya, i3. — (L'his-
toire de Nala et de Damayanit est un des plus
célèbres épisodes de l'épopée indienne; il en a
été fait des traductions ou des rédactions spé*
ciales en plusieurs langues de l'Inde).
242 CONTES INDIENS
Nanda (« Joie »). — Roi de Viçâlâ perd son fils
et le retrouve, i.
Naramohint (Qui trouble les hommes »). —
Jeune fille de Kanci opprimée par un Râxasa,
délivrée par Vikramâditya,8.
Naraka (Enfer). — L'ami perfide y séjournera
aussi longtemps que dureront le soleil et la lune
I. — L'existence du Naraka niée par un so-
phiste athée, 32. — Ceux qui font des sacri-
fices humains y seront punis, 27.
Ndrdyana. — Vikramâditya adore l'image de
Nârâyana, etNârâyana lui donne deux talismans
Rasa et Rasâyana, 17.— Un des noms de Vishnu.
Nàrâyana-carandravinda-dhydna (Crîman-). —
Méditation à laquelle se livrait Vikramâditya au
commencement de la journée, 22.
Nîla. — Montagne où se trouve l'autel de la
déesse Kâmâkhyâ, 21.
Nirukta. — Les hommes versés dans le Nirukta
fréquentaient la cour de Vikramâditya. Intr.
Niti-Çdstra (« Livre de la bonne conduite »). —
Donne la supériorité à l'homme qui fait le
plus d'efforts, i3. — Dit que tout doit tendre
à la conservatiou du corps, 19. — Respecté par
tous les sujets de Vikramâditya, 24. — Vikra-
mâditya gouvernait conformément au Niti-
Çâstra. — Les méchants peuvent s'amender par
le Niti-Çâstra. Intr.
Nydya. — La huitième des dix-huit sciences et
des quatorze de la première catégorie.
TABLE ALPHABÉTIQUE 343
Pada. — Parole qui fait tomber une pluie d'or,
3o.
Padi-padi. — Paroles royttéheuses, 3o.
Padmalaya (« Demeure du lotus »). — Nom
d'une ville où se trouvait un autel près duquel
se réunissaient les Brahmacaris du lieu, 19.
Padmaniihat. — Nom d'une ville où régnait
Jayaçekhara qui tut détrôné et expulsé, i3.
Padmanka (« Signe du lotus »). — Un des signes
du corps dont la présence sous la plante du
pied annonce la royauté, 28. Voir Kâkapâda.
Pandya. — Nom d'un pays dont le roi envoie des
présents à Vikraniâdiiya, 2g.
Parameçvara (« Le seigneur suprême •). — 11
faut en admettre l'existence, 33.
Parameçvari.— Invoquée par Vikramâditya pour
conjurer la famine, lui accorde sa demande et
lui donne le cintamani, 32. Voir Devi.
PàUila. — Les mortels y errent (pour expier leurs
fautes). I. — Monde souterrain où se trouve la
ville en pierreries des jeunes tilles d'un lac, 20.
— Ville où résidait le Nâga, père de Çâlavâhana.
Ptitanjali. — Les adhérents de la doctrine de
Patanjali fréquentaient la cour de Vikramâditya.
Intr. Sa doctrine est la onzième des dix-huit
sciences et des quatorze de la première série, 4.
Phalguna. — Onzième mois de l'année in-
dienne, i.
Piçaca. — Génies impurs. — Sont athées, ou
l'athéisrae est une qualité de Piçâca. Intr., 32.
iS*
244
CONTES INDIENS
Pîtapur. — Ville voisine du mont Malaya, près
de laquelle était une femme opprimée, délivrée
par Vikramâditya et donnée par lui à Puran-
dara.
Pradaxina. — Salut qui se fait en tournant au-
tour de l'objet vénéré de manière à l'avoir
toujours à droite, jg.
Pratishthdna.~V\\\e. où régnait Çâlivâhana, intr.
— Résidence de Çâlavâhana, assiégée vainement
par Vikramâditya, 23.
Piirâna-Çdstra. — Quatorzième des dix-huit
sciences, dernière de la première catégorie, 4.
Purandara. — Fils de Bhadrasena, dissipe folle-
ment les richesses accumulées par son père
Bhadrasena ; ruiné, il passe à l'étranger et fait
la découverte d'une femme opprimée que Vi-
kramâditya lui donne après l'avoir délivrée,
II.
Pûrvamîmamsa. — La cinquième des dix-huit
sciences et de la première catégorie, 4.
Pusya. — Astérisme. Le jour de sa conjonction
avec le soleil est favorable à la construction
d'un palais, 3o.
Râja(niti) — Çâstra. — Traité de la politique.
Servait de règle à Vikramâditya, 17, 22.
Rasa. — Talisman qui procure tous les biens du
Samsara, donné à Vikramâditya par Nârâyana,
17-
Rasa.— Neuf sentiments, 21.
TABLE ALPHABÉTIQUE «45
Rasasiddhi. — Réalisation corporelle de ces
neuf sentiments, 2 1 .
Rasayana.— Talisman qui procure tous les biens
spirituels, donné à Vikramâditya par Ni-
râyana, 17.
Ratnakar (« Mine de joyaux •). — Nom de la
mer appelée ainsi parce que Laxmî en est sor-
tie, 14.
Ralnavatî « La (terre) qui possède des joyaux ■>. —
Nom du pays où se trouvait l'étang de Çakra-
vâtar, 14.
Ràxasa. — Mauvais génie anthropophage. —
Durjaya.râxasa de Kânci, persécuteur de Nara-
mohinf, tué par Vikramâditya, 8. — Raxasa
anonyme d'une île non désignée, mange un
homme par jour; Vikramâditya obtient de lui
qu'il mette lin à ce procédé, 10. — Râxasa, op-
presseur d'une femme, de Pitapur. vaincu et
tué par Vikramâditya, 1 1 .
Rigveda. — La première des dix-huit sciences et
des quatorze sciences de l'Adrishtârtha, 4.
Rohinî. — La lune. Si son char est brisé par Ça-
naiçcara et que Çanaiçcara envahisse alors le
champ de Vénus ou de Mars, il y aura famine,
Rûpa-Mîmamsa. — La septième des dix-huit
sciences et des quatorze de l'Adrishtârtha, 4.
Rûpa-Nj'âya. — La douzième des dix-huit
sciences et des quatorze de l'Adrishtârtha, 4.
246 CONTES INDIENS
Sacciddnanda. — Nom de l'Etre suprême, i3, 32.
Sdmaveda. — La troisième des dix-huit sciences
et des quatorze de l'Adrishtârtha, 4.
Sambandhakdr. — Nom du champ où fut trouvé
le trône de Vikramâditya. Intr.
Samsara. — Le monde changeant, dans lequel
les êtres roulent incessamment d'existence en
existence sous les formes les plus diverses.
Sdmudraka-Çdstra (« Livre des signes »).— (Eten-
dard, diamant, aiguillon, etc.), où sont décrites
et expliquées les vingt lignes du corps qui an-
noncent les aptitudes et les destinées des indi-
vidus, 28, 3i.
Sankhya. — Système'philosophique ; les docteurs
du Sankhya paraissaient à la cour de Vikramâ-
ditya. Intr. — Dixième des dix-huit sciences
et des quatorze de l'Adrishtârtha, 4.
Sannyast, — (Synonyme de Yogi). Malheureux
dans ses exercices, 2. — Fourbe et incrédule,
32.
Sarasvatî. — Déesse de la persuasion. Est sur le
bout de la langue de Çaradânanda, i. — Le
Siddhimantra de Sarasvatî donne la science, 8.
Setubanda — Le pont de Râma. Extrémité méri-
dionale du monde pour les Indiens, i .
Siddha. — Synonyme de Yogî. Instruction d'un
Siddha à Vikramâditya sur la vertu, i3. — Les
Siddhas se transmettent les traditions religieu-
ses, 32.
Siddhasena. — Brahmane de Kanyakubja, donne
TABLE ALPHABÉTIQUE 347
à Vikramâditya des conseils vertueux, et devient
membre du conseil, chef des Pandits. Intr.
SidJhimantra. — Le Siddhimantra du SarasvatI
donne la science, 8. (a Mantra de succès h.)
Smriti (u Traditions »). — Les docteurs de la
tradition fréquentaient la cour de Vikramâ-
ditya. Intr.
SomaJalla ^u Donné par la lune u). — Fils de
Çrîdatta d'Avant!, se construit un palais où il
se produit des faits merveilleux. Vikramâditya
le lui achète et le lui rend gratuitement, rem-
pli du produit d'une pluie d'or, 3o.
Sumeru. — Montagne célèbre, au sommet de
laquelle se trouve l'autel de la divinité Manas-
siddhi ; appelée aussi Meru, 26.
Sumitra ^u Bon ami »). — Ami de Vikramâditya
qui lui donne la Rânî Madanasanjivani avec
le pays de Ratnavatî, 14.
Sûrya (« Le soleil »). — La divinité du soleil
verse l'Amrîta sur Vikramâditya pour le rani-
mer lors de sa défaillance dans une ascension
merveilleuse et lui donne ensuite des pendants
d'oreille, 18. — Conjonction de l'astérisme
Pushya et du soleil, 3o.
Svarga (« Séjour de la félicité »). — La mort sur
le champ de bataille y fait aller les Xatryas. —
Vikramâditya y arrive. Intr. — Les mérites
acquis par les pèlerinages aux étangs sacrés
font obtenir le Svarga. — C'est une folie d'agir
en vue du Svarga ; il n'existe pas, 32.
248 CONTES INDIENS
Tarkika. — Les partisans de la philosophie
tafkya fréquentaient la cour de Vikramàditya.
TrilokancUha. — Nom d'un yogî qui résidait sur
la montagne de Kanakakrita; visité par Vikra-
màditya auquel il donne trois talismans, 19.
Trivurakar. — Purohiia de Vikramàditya, père
de Kamâlakâr, 8.
Udaya (« Lever »). — Nom d'une montagne au
sommet de laquelle se trouve un autel et un
lac duquel sort une colonne surmontée d'un
trône qui s'élève progressivement jusqu'à midi,
de manière à atteindre le soleil, 18.
Uttara-Mimamsd. — Sixième des dix-huit scien-
ces et des quatorze de l'Adrishiâriha, 14.
Vdsuki. — Imploré par Vikramàditya, lui donne
de ramrita pour ranimer son armée paralysée;
Vikramàditya ayant abandonné cet amrita à des
adversaires déguisés, Vâsuki fait lui-même
pleuvoir l'amrita sur les troupes du roi, 23.
Vaiçdkha. — Premier mois de l'année indienne.
Vaiçeshika. — Partisans de la philosophie vaiçesha
fréquentant la cour de Vikramàditya. Intr. —
Celte philosophie est la neuvième des dix-huit
sciences et des quatorze de l'Adrishtârtha.
Vaitdlika. — Personnage qui se présente au
conseil du roi Vikramàditya et fait apparaître
une scène sans réalité, 29.
TABLE ALPHABETIQUE 349
Vaidha. — Un des beaux esprits de la cour de
VikramAditya. intr.
Vararuci. — Un des beaux esprits de la cour de
Vikramâditya. Inlr.
Veda. — Les docteurs du Veda fréquentaient la
cour de Vikraroâditya. Intr. —Les Vedas, les
quatre premières des dix-huit sciences, des
quatorze de l'Adrishtâriha, 4. — Le Veda pres-
crit certains actes pour le milieu du jour. ai.
— Dans le mariage^ on prononce des maniras
du Veda, 29.
Vedanga. — Les six membres du Veda sont
désignés à la suite des quatre Vedas comme
faisant partiedes quatre premières des dix-huit
sciences, des quatorze de l'Adristârtha (ou de
l'invisible;, 4.
Vedanta. — Les sectateurs du Vedanta fré]uen-
taient la cour de Vikramâditya. Intr.
Vetùla. — Nom d'un génie dangereux qui hante
les cimetières et produit des eft'ets redoutables.
Intr. — Le Vetdla Agni. Intr.
Vetàlabhatta. — Un des beaux esprits que fré-
quentaient la cour de Vikramâditya. Intr.
Vetdlapura. — Ville ou réside la divinité Çoni-
tapriyâ à laquelle on offre des sacritices bu^
mains. Vikramâditya les lait cesser, 27.
Vetalika. Voir Vaitalika.
Viçàld (« Large »). — Ville où régnait Nanda, i.
Vijayafâla. — Fils de Nanda, roi de Viçâla,
25o CONTES INDIENS
perdu dans la forê»^, trahit son protecteur, de-
vient fou, est retrouvé, i .
Vikramàditya. — Frère cadet de Bhartrihari, s'ex-
patrie, est nommé roi après l'abdication de son
père, triomphe d'Agni, gagne l'homme d'or,
suit les conseils de Siddhasena, obtient le trône
aux trente-deux figures, fait la guerre à Çali-
vahana, meurt dans le combat et s'en va dans
le Svarga. Introduction.
Ses trente-deux aventures. . Ses libéralités envers
un mendiant qui lui raconte une histoire ins-
tructive et son système de gratifications, i. —
Obtient de la divinité du Citrakuta pour un
yogî des faveurs que celui-ci n'avait pu con-
quérir, 2. — Obtient delà mer quatre talis-
mans qu'il donne à un brahmane et à sa fa-
mille, 3. — Sauvé par un brahmane qui ensuite
lui dclourne son fils, il refuse de punir ce
brahmane et montre ainsi sa gratitude, 4. —
Le roi, étant au parc, rencontre un ascète qui
renonce à l'ascétisme pour aspirer aux biens du
monde; le roi comble cet ascète de biens, 5. —
Prêt à se couper la tête pour rendre la vie à un
couple mort, il obtient le retour à la vie de ces
deux personnes sans se décapiter, b. — Prêta
se couper la tête pour faire remplir d'eau un
bassin vide, il obtient que ce bassin soit rempli,
7. — Délivre Naramohinî opprimée par le
Raxasa Durjaya et la donne à Kamalâkar, fils
de son Purohita, 8. — Va trouver un yogî venu
TABLE ALPHAB^TIQUC S5l
dans son parc et reçoit de lui un talisman, q.
— S'oftre en pftture à un Raxasa à la place d'un
enfant et obtient de lui qu'il renonce à «.c
nourrir de chair humaine, lo. — Tue le R3xasa
de Pîtapur qui opprimait une femme et la
donne à Purandara, ii. — Disciple avec de«
Pandits, secourt un malheureux blessé et ob-
tient de lui un talisman, is. — Soutient le fa-
talisme contre un yogî qui soutient la liberté
et, après lui avoir raconté une histoire, lui
donne un joyau, le cintamani, i3.— Entre dans
l'huile bouillante pour conquérir Sanjîvani, est
guéri de ses brûlures et la donne à Sumitra. 14.
— A des entretiens savants avec un juge et lui
Jonnâ huit lacks d'or, i3.— Veut se soumettre
par substitution au supplice que Candraçekhara
endurait pour devenir semblable à Vikramâditya
et réussit à affranchir Candra-çekara de ce sup-
plice, 16. — Etant à la poursuite d'un sanglier,
entre dans une vaste grotte et obtient de Nâ-
râyana deux talismans qu'il donne à deux
brahmanes, 17. — S'élève jusqu'au soleil sur le
4rône merveilleux du mont UJaya, est ranimé
par lui, et reçoit des boucles d'oreilles, 18. —
Va voir le yogî Trilokanâtha qui lui donne trois
talismans; il les remet à un roidétiôné qui re-
monte sur son trône, 19. — Plonge dans le lac
des huit jeunes hlles qui lui donnent huit
joyaux-, il les passe à un Brahmane pauvre, 20.
— Jusiitie ses voyages et obtient de la déesse
2i)2 CONTES INDIENS
Kâmakhyâ du mont Nila la manifestation cor-
porelle des huit rasas en faveur d'un étranger;
il était prêt pour cela à s'immoler, ai. — A un
cauchemar, à la suite duquel il entreprend de
grandes libéralités, 22. — Fait la guerre à
Çâlavâhana qui n'avait pas voulu se rendre près
de lui et n'est sauvé que par l'amrita de Vasuki,
2 3. — Est prêt à s'immoler pour conjurer la
famine qu'un Pandit lui a prédite; obtient qu'il
n'y ait pas de famine dans ses Ktats, 24. — Se
dévoue pour sauver une vache menacée par un
tigre et reçoit de la vache et du tigre qui ne
sont que des dieux déguisés, la vache kâma-
dhenu, 25. — Enlève l'eau du Gange céleste
sur l'autel de Manassiddhi et obtient ainsi d'un
joueur qu'il ne jouera plus, 26. — S'offre en
victime à la divinité Conitapriya et fait cesser
les sacrifices humains dans Vetâlapura, 27. —
Veut s'ouvrir le corps pour constater dans son
flanc droit l'existence de Karburamantrajâla, est
dissuadé de le faire et n'a pas de doute sur
l'existence de ce signe, 28. — Un Vaitâlika pro-
duit une scène non réelle qui met en lumière
la sagesse et la fidélité de Vikramâditya, qui
reçoit de grands présents du roi de Pandya, 29.
— Achète le palais de Somadatta et lui en faitdon
après qu'une pluie d'or y est tombée toute la
nuit, 3o. — Observe la parole donnée en ache-
tant l'image Dâridra, et se voit abandonné par
toutes ses qualités qui finissent par revenir pour
TABLE ALPHABÉTIQUE 353
le récompenser de sa tidélité, 3i. —• Vient en
aide aux atTamés et est obligé de recourir à
Devf qui l'exauce en détruisant les effets de la
famine, discute avec un sophiste athée et ma-
térialiste qu'il finit par convaincre, 32.
Vikramasena. — Fils posthume et successeur de
Vikramâditya. Intr.
Vi-se-mi-rd. — Syllabes prononcées par Vijaya-
pâla pendant sa folie; il abandonne chaque
syllabe à mesure que la raison lui revient, i .
Vishnu. — Dieu célèbre ; est devenu le mattre du
monde par la possession de Laxmt, 1 1 .
Vydkarana, — Les docteurs du Vyikarana fré-
quentaient la cour de Vikramâditya. Intr. —
Troisième Vedanga, se rattachant aux quatre
premières des dix-huit sciences, 4.
Xapanaka. — Un des beaux esprits de la cour de
Vikramâditya. Intr.
Yajnddatta. — Cultivateur du champ où était
enfoui le trône de Vikramâditya. Intr.
Yajur, — Troisième des dix-huit sciences et des
quatorze de l'Adrishtârtha. Intr.
Yama. — Dieu de la mort. L'homme sans pé-
ché le considère comme un brin d'herbe, 9; —
sanglier qui lui ressemble, 17.
Yaxa. — Génie. — Cinq Yaxa font obtenir et con-
servent la royauté à Jayaçekhara qui, dans une
254 CONTES INDIENS
autre existence, lorsqu'ils étaient poissons, leur
avait sauvé la vie, i3.
Yogî. — Yogî perfide tué par Vikramâdiiya. Inlr.
— Yogî de la pagode de Citrakuta, malheureux
dans ses macérations, obtient d'ctre exaucé par
l'intermédiaire de Vikramâditya, 2. — Yogî
qui renonce à ses macérations et que le roi
comble de présents, 5. — Yogî venu à Avanti
et visité par Vikramâditya auquel il donne un
talisman, 9. — Yogî disputant avec Vikramâ-
ditya sur la fatalité, i3. — Le Yogî Trilbka-
nâtha fait don à Vikramâditya de trois talis-
mans, 19. — Yogî sophiste incrédule, 32.
Yugâdideva. — Divinité à qui appartenait l'étang
Çakrâvatar, 14.
TABLE DES MATIÈRES
Avis al' lecteur
EtUDB su» les THENTt-DEtX RÉCITS DU
TRONE :
I. — Aperçu général.
jl I. - Les contes relatifs à Vikra-
mâditya
T
II. — Histoire.
g i. ~ Vikramâditya et Çàlivâhana. . xiii
i 3. _ Journée d'un roi indien ^yi
m. — Morale.
2 4- - Vertus morales de Vikramadi-
256 CONTES INDIENS
tya XVII
{15. — La science xxii
g b. — La vie xxvit
g 7. — Les plaisirs xxviii
g 8. — Les richesses xxix
g g. ~ Fatalité, activité xxxi
g 10. — Un roi peut-il voyager r —
Du devoir qui lui incombe xxxii
g II. — Les dix-huit vices xxxiv
g 12. — Vertus populaires; — castes;
— mariage; — veuvage xxxvn
g i3. — Les neufs rasa ( « goût, sa-
veur ») • XLVI
IV. — Magie.
g 14. — Chaussures magiques et trans-
formations XI.VII
g i5. — Etres surhumains li
V. — Religion ttv
g 16. — Croyances vulgaires. lv
g 17. —Culte Lvu
g 18. — Croyances fondamentales .. LXir
g 19. — L'âme suprême lxvi
>
TABLE DKS MATIÈRRS ibj
Avis i>i; traducteur rknoali 3
Introduction -
Récit de la première tigure ao
— deuxième 41
— troisième 4^
— quatrième 49
— cinquième >7
— sixième 65
— septième 69
— huitième 7'
— neuvième 79
— dixième 83
— onzième • • ^7
— douxièroe 9^
— treizième 97
— quatorzième 107
~> quinzième lit
— seizième Ii5
— dix-septième m
— dix-huitième 1*7
— dix-neuvième. i3i
— vingtième iSj
— vjngt-et-unième t^'i
— vingt-deuxième 149
— vingt-troisième i3S
— vingt-quatrième >63
Se
2 58 * CONTES INDIENS
Récit de la vingt-cinquième.. ....; . ... i6tj
— vingt-sixième 17?
— vingt-sepiièmc 179
- — vingt-huitième i83
— vingt-neuvième 191
— trentième 2o3
— trente-et-unième 207
. — trente-deuxième 2i3
Epilogue... 222
Table alphabétique des noms indiens 229
Le Puy. — (mpiiiTierîe de Marchcssou fils.
O i
O
o
8
o
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ca
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Oi
Q>!
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UmVersity of Toronf
Lbrary
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REMOVE
THE
GARD
FROM
THIS
POCKET
Acme Library Gard Pocket '
Under Pat. "Réf. lad» FUe"
Madeby LIBRARY BUREAU
k^.