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Full text of "Collection de chansons et de contes populaires"

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BINDINS  LIST  SEP  1  ^  1922 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  witli  funding  from 

University  of  Ottawa 


Iittp://www.archive.org/details/collectiondeclian06am 


CC311 


COLLECTION 

un 

CONTES  ET  DE  CHANSONS  POPULAIRES 


VI 


CONTES  INDIENS 


IMPRIMERIE    HARCHESSOU    FILS 


CONTES    INDIENS 


Les 
Trente-deux  Récits  du  Trône 

(BATRIS-SINHASAN) 

ou    LES   MERVEILLEUX 

EXPLOITS  DE  VIKRAMAIMTYA 

TRADUITS  DU  BENGALI 
ET    AUGMENTÉS    D'UNE    ÉTUDE    ET    D'UN    INDEX 

1>AK   LEON    FEER 


t7c4ôc 


PARIS  l«-S'2S. 

ERNEST    LEROUX,     ÉDITEUR 

LIBRAIHK  DE  LA  SOCIÉTÉ  ASIATIQUE  Dt  PAMIS 

Ut  l'école  des  langues  orientales  vivantes,  etc. 

38,    aUE   BONAPARTE,    iS 

i883 


-î  ^  ^  -i  ;  i 


«        «M 


i4VIS  ^4U  LECTEV'Ii 


'  A  traduction  de  contes  indiens  que  nous 
offrons  au  lecteur  se  compose  :  i  •  d'un 
Avertissement  très  court,  en  quelques  lignes; 
a"  d'une  Introduction  asse^  longue  qui  est 
un  véritable  conte;  3"  des  Trente-deux  con- 
tes annoncés  par  le  titre  de  l'ouvrage. 

Ce  travail  n'est  pas  à  proprement  parler 
une  œuvre  d'érudition.  Nous  avons  traduit 
ces  contes  pour  le  commun  des  lecteurs  et  non 
pas  seulement  pour  les  indianistes.  Cepen- 
dant nous  avons  cru  devoir  les  faire  précéder 
et  les  faire  suivre  de  deux  morceaux  qu'on 
pourrait  croire  inspirés  par  la  préoccupation 
de  complaire  aux  savants.  Ce  que  nous  avons 


11  CONTES  INDIENS 

mis  avant  la  traduction  est  une  «  Etude  »  sur 
les  contes;  nous  aurions  voulu  éviter  ce  titre 
un  peu  ambitieux  d'  «  Etude  »  et  employer 
celui  d'  «  Introduction  »,  mais  il  fallait  le  ré- 
server pour  le  récit  initial  du  recueil.  —  Ce 
que  nous  avons  mis  à  la  suite  de  notre  tra- 
duction est  une  table  alphabétique  des  noms 
indiens,  accompagnés  de  quelques  indications 
et  de  renvois  aux  contes  dans  lesquels  ils  se 
trouvent.  Nous  avons  réservé  pour  cette  table 
certaines  explications  que  nous  n'avions  pas 
cru  devoir  mettre  en  note  dans  le  cours  des 
récits.  Le  lecteur  est  prié  de  vouloir  bien 
consulter  cette  table  pour  les  éclaircissements 
qu'il  pourrait  désirer. 

Le  lecteur  appréciera  l'utilité  de  V  «  Etude  » 
et  de  la  «  Table  »  ,•  nous  nous  sommes  pro- 
posé., en  augmentant  notre  traduction  de  ces 
deux  appendices.,  d'en  rendre  la  lecture  plus 
facile,  plus  agréable.,  plus  intéressante  et  plus 
instructive.,  sans  surcharger  néanmoins  notre 
travail  d'une  science  qui  n'est  bonne  que  pour 
les  savants  de  profession. 

Il  est  impossible  de  faire  un  travail  de  ce 
genre  sans  reproduire  beaucoup  de  mots  hin- 
dous. Aussi  en  rencontrer a-t-on  un  bon  nom- 
bre. Si  nous  les  avions  écrits  en  conservant  à 


AVIS  AU  LECTEUR  III 

nos  lettres  la  valeur  que  nous  leur  donnons 
habituellement,  notre  volume  serait  hérissé 
de  mots  bien  étranges;  d'un  autre  côié^  nous 
ne  pouvions,  par  bien  des  raisons,  employer 
le  système  de  transcription  dont  nous  aurions 
fait  usage  si  nous  avions  entrepris  un  travail 
d'érudition  pure.  Nous  nous  sommes  donc 
arrêtés  à  un  système  mixte  que  nous  n'avons 
pas  à  motiver  autrement  ni  à  défendre,  et 
qu'il  suffit  de  faire  connaître  en  indiquant 
la  valeur  spéciale  et  contraire  à  l'usage 
donnée  à  certaines  de  nos  lettres  Tout  ce 
que  nous  dirons  pour  justifier  ces  bizarreries, 
c'est  que  la  valeur  donnée  à  telle  ou  telle  let- 
tre, contrairement  à  notre  usage,  se  justifie 
par  celui  de  tel  ou  tel  peuple  européen. 

Voici  donc  les  lettres  qui  se  prononcent 
d'une  façon  particulière  : 

c  et  ch  se  prononcent  tch  (ch  est  censé  ac- 
compagné d'une  aspiration). 

g  est  toujours  dur  comme  dans  guerre,  guide, 
garde,  etc. 

h  venant  après  une  consonne  représente  une 
aspiration  que  nous  ne  savons  pas  ex- 
primer (bh,  ch,  dh,  gh,  kh,  ph,  th, 
sont  b,  c,  d,  g,  k,  p,  t  aspirés). 


IV  CONTES  INDIENS 

)  se  prononce  dj. 

s  se  prononce  ç  jamais  z. 

sh  se  prononce  ch. 

u  se  prononce  ou. 

au  se  prononce  aou. 

ai  se  prononce  ay. 

V  après  ç  ou  s  se  prononce  géne'ralement  ou. 
X  se  prononce  kch. 

D'après  cela,  Cîrajîva  se  prononce  Tchîrad- 

jîva  ; 
Candramaulî  se  prononce  Tchandramaoult; 
Çixâ  se  prononce  Çikchâ; 
Jyeshtha  se  prononce  Djyechtha  ; 
Ghatakapurî  se  prononce  Gatakapourî ; 
Guru,  Svarga  se  prononcent  Gourou,  Souarga. 


ETUDE 

•UB 

LES  TRENTE-DEUX  REÇUS 

DU    TRON  E 


I.  -  APERÇU  GÉNÉRAL 


§   I.  —  LES  CONTES  RELATIFS  A  VlKRAMADtTYA 


E  nom  du  roi  Vikramâditya  (  •  Soleil 
d'héroïsme  »)  est  un  des  plus  illustres 
parmi  ceux  des  souverains  de  l'Inde.  Son 
règne  marque  l'époque  où  la  culture  des  let- 
tres et  des  sciences  brilla  du  plus  vif  éclat. 
Les  plus  beaux  génies  se  réunissaient  à  sa 


VI         ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

cour,  et  le  siècle  de  Vikramâditya  est  pour 
l'Inde  ce  qu'est  pour  la  Grèce  le  siècle  de  Pé- 
riclès,  pour  Rome  le  siècle  d'Auguste,  pour 
l'Italie  le  siècle  de  Léon  X,  pour  la  France 
le  siècle  de  Louis  XIV.  Malheureusement, 
en  dépit  d'une  si  haute  renommée,  l'histoire 
de  ce  roi  n'est  pas,  pour  cela,  plus  certaine 
ni  mieux  connue;  et  il  n'en  existe  pas  une 
relation  suivie  qui  mérite  une  entière  con- 
fiance. Le  sens  historique  manque  aux  Hin- 
dous, et  ce  qu'ils  ont  trouvé  de  mieux  à  faire 
pour  célébrer  la  gloire  d'un  de  leurs  plus 
grands  monarques,  c'a  été  de  composer  des 
contes  dont  il  est  le  héros.  Deux  séries  de 
fictions  se  rattachent  à  son  nom  :  l'une  est 
intitulée  «  les  trente-deux  récits  (des  figures) 
du  trône  '  »  ;  l'autre  a  pour  titre  a  les  vingt- 
cinq  contes  du  Vétâla  ^  ».  Le  second  recueil 
n'est  qu'un  épisode  du  premier  et.  a  un  lien 
moins  étroit  avec  les  actions  réelles  ou  ima- 
ginaires de  Vikramâditya  ;  c'est  dans  les 
trente-deux  récits  du  trône  qu'on  le  voit 
constamment  mis  en  scène,  il  est  l'unique 
héros  de  ces  légendes  destinées  à  faire  res- 

1.  En  sanscrit  :  Sinliàsana-dvàtrimçali. 

2.  En  sanscrit  :   Vetdla-pancavimçati 


DU  TRONE  TU 

sortir  ses  vertus  fet  visiblement  consacrées  h 
sa  louange. 

Les  «  contes  du  Vetâla  •  sont  des  histoires 
que  l'on  raconte  au  roi,  et  sur  lesquelles  il 
est  appelé  ou  se  croit  appelé  à  porter  un  ju- 
gement, presque  des  én>^mes_dont  il  doit  et 
sait^trouifit-Lc-mot.  Ce  recueil  est  donc  prin- 1 
cipalement  destiné  à  mettre  en  relief  la  sa-^ 
gacitc,  la  justesse  et  la  fînesse  d'esprit  du  Sa* 
lomon  indien.  Rédigé  primitivement  en 
sanscrit  comme  les  autres  compilations  du 
même  genre,  il  a  passé  dans  plusieurs  des 
langues  modernes  de  l'Inde;  on  l'a  traduit  de 
quelques-unes  de  ces  langues  en  anglais.  Il 
a  même  franchi  la  frontière  de  la  péninsule 
et  pénétré,  par  le  Tibet,  jusqu'en  Mongolie, 
où  il  existe  encore,  partie  en  kalmouk,  par- 
tie en  mongol.  En  18G7  et  1868,  M.  le  pro- 
fesseur JUlg,  d'Innsbruck,  en  a  donné  le  texte 
kalmouk-mongol  avec  une  traduction  alle- 
mande, savant  travail  dont  le  mérite  est  en- 
core rehaussé  par  l'initiative  que  l'auteur  a 
prise  dans  un  domaine  presque  inexploré. 
Les  diverses  versions  des  vingt-cinq  contes 
du  Vetâla  différent  notablement  les  unes  des 
autres,  elles  nous  occuperont  peut-être  un 
jour;  pour  le  moment,  nous  les  laisserons 


VIII      ETUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RECITS 

de  côté,  les  trente-deux  récits  du  trône  ré- 
clament seuls  notre  attention. 

Voici,  en  deux  mots,  le  cadre  de  ces  récits  : 
Le  roi  Vikramâditya  possédait  un  trône  mer- 
veilleux qui  lui  avait  été  donné  par  Indra,  le 
roi  des  dieux,  et  sur  lequel  se  voyaient,  en- 
tre autres  ornements,  trente-deux  figures 
sculptées.  Après  sa  mort,  ce  trône  fut  enterré 
profondément,  nul  n'osant  y  prendre  place. 
Quelques  siècles  plus  tard,  un  roi  appelé 
Bhoja  vint  à  le  découvrir  et  voulut  s'y  asseoir; 
mais,  chaque  fois  qu'il  en  fit  la  tentative,  une 
des  trente-deux  figures  l'en  détourna  par  le 
récit  de  quelqu'un  des  merveilleux  exploits 
de  Vikramâditya.  Quand  chacune  eut  fait 
son  récit,  ces  trente-deux  figures,  qui  étaient 
des  divinités  fixées  dans  ce  trône  et  immobi- 
lisées par  suite  d'une  malédiction,  le  prirent 
et  l'emportèrent  chez  elles,  probablement  au 
ciel  d'Indra. 

J'ignore  si  les  trente-deux  récits  se  sont 
répandus  autant  que  les  vingt-cinq;  je  sais 
seulement  que  ce  recueil  a  été  traduit  du 
sanscrit,  qui  est  la  langue  originale,  dans  le 
dialecte  moderne  braj-bhâkhà  par  Sundar, 
sur  l'ordre  de  Shàh-Jehân  ;  depuis,  il  a  été 
traduit  du  braj-bâkhà  en  hindoustani-ourdou 


DU  TRONC  IX 

par  Lallu.  Je  crois,  du  reste,  qu'il  a  été  tra- 
duit en  plusieurs  autres  langues,  et  qu'il  en 
existe  un  certain  nombre  de  versions  plus  ou 
moins  fidèles,  plus  ou  moins  concordantes 
et  conformes  à  l'original.  Mon  intention 
n'est  pas  de  les  comparer  entre  elles  ni  de 
les  rapprocher  du  texte  sanscrit  qui  est  le 
point  de  départ  commun  de  ces  compilations 
diverses,  et  que  je  ne  connais  pas.  Ce  serait 
un  travail  fort  étendu,  pour  lequel  les  maté- 
riaux me  font  défaut,  tout  spécial  d'ailleurs 
et  très  différent  de  celui  que  j'ai  entrepris 
sans  aucune  prétention  à  l'érudition,  dans  le 
seul  désir  d'instruire  et  d'intéresser  le  com- 
mun des  lecteurs. 

Néanmoins  il  est  une  de  ces  versions  dont 
je  ne  puis  me  dispenser  de  dire  au  moins  un 
mot,  parce  qu'elle  a  passé  dans  notre  lan- 
gue ;  c'est  la  version  persane  traduite  en 
français  par  Lescallier  '.  On  y  reconnaît  bien 
nos  trente-deux  contes  et  leur  Introduction  ; 
mais  la  rédaction  est  tout  a"fe  et  les  (jliffé- 
rences  de  détail  sont  considérables.  Je  n'en 


I.  Le  trône  enchanté,  conte  indien  traduit  du  persan, 
par  M.  le  baron  Lescallier.  New- York,  1817,  >  volume» 
grand  in-8<. 


X  ETUDE   SUR   LES  TRENTE-DEUX  RECITS 

parle  que  par  comparaison  avec  la  seule  ver- 
sion que  je  connaisse  à  fond,  celle  qui  m'a 
servi  pour  le  présent  travail,  et  qu'il  me  reste 
à  faire  connaître  '. 

C'est  une  traduction  bengalie  intitulée  Ba- 
tris  piitalikâ  sinhâsan,  imprimée  h  Londres 
en  i8i5  et  réimprimée  depuis;  elle  est  l'œu- 
vre de  Mrityunjama.  Je  ne  saurais  dire  sur 
quel  texte  elle  a  été  faite;  mes  conjectures 
sont  en  faveur  d'une  version  fidèle  de  l'ori- 
ginal sanscrit  ;  toutefois,  je  ne  saurais  en 
donner  d'autre  preuve  que  la  forme  et  la  te- 
neur des  récits  auxquels  je  trouve  un  cachet 
d'authenticité  très  marqué. 

Ces  fictions  me  semblent  de  nature  à  pi- 
quer vivement  la  curiosité  du  lecteur  euro- 
péen, et  h  trouver  des  amateurs  en  dehors  de 
l'orientalisme.  Mais  elles  sont  particulière- 
ment propres  à  satisfaire  quiconque  éprouve- 


i.  M.  Garcin  de  Tassy  dit  que  cette  version  est  un  pur 
roman  qui  s'éloigne  beaucoup  de  l'original.  Il  en  parle 
sans  doute  par  comparaison  avec  la  version  hindoustanie 
qi'il  connaissait  mieux  que  personne.  Mais  j'ai  cru  m'a- 
percevoir  que  la  version  iiindoustanie  n'est  pas  en  parfait 
accord  avec  la  version  bengalie,  de  sorte  qu'on  ne  sait  pas 
bien  qui  s'écarte  plus  ou  moins  de  l'original.  Il  y  a  là 
toute  une  question  à  étudier. 


DU  THONS  XI 

rait  quelque  désir  de  connaître  l'Inde,  et  je 
crois  qu'il  serait  impossible  de  trouver  sous 
un  petit  volume  une  peinture  plus  fidèle  et 
plus  captivante  de  l'esprit  indien.  Les  témé- 
rités les  plus  audacieuses  de  l'invention,  les 
idées  et  les  pratiques  religieuses,  la  manière 
Sont  on  conçoit  l'exercice  du  pouvoir,  la 
conduite  de  la  vie,  la  loi  morale,  quelques- 
unes  des  traditions  essentielles  et  des  croyan- 
ces fondamentales  de  l'Inde,  tout  cela  est 
réuni,  condensé  en  quelques  pages  ;  et  le 
langage  du  bon  sens  s'y  trouve  sans  cesse 
mêlé  aux  plus  grands  écarts  de  l'imagination. 
Certes,  la  lecture  du.  Ràmàyana  et  du  Mahâ« 
bhàrata  apprend  infiniment  plus  de  choses 
que  ce  petit  recueil  n'en  renferme  ;  et  cepen- 
dant, même  après  avoir  étudié  ces  deux  im- 
menses amas  de  légendes,  peut-être  n'est-il 
pas  mauvais  de  prendre  connaissance  de  nos 
trente-deux  contes.  Quant  aux  personnes  (et 
elles  sont  nombreuses)  qui  n'auraient  pas  le 
temps  d'aborder  ces  gigantesques  compila- 
tions, elles  pourront,  en  lisant  les  trente- 
deux  récits  du  trône ,  acquérir  une  no- 
tion exacte  et  très  suffisante  du  génie  in- 
dien. 
Ces  récits,  qui  sont  en  prose,  et  ont  ainsi 


XII      ÉTUDE   SUR   LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

quelque  chose  de  plus  popnlaire  ',  qui  ne 
font  point  partie  de  la  littérature  officielle 
autorisée,  ont  une  certaine  saveur  qui  man- 
que aux  monuments  grandioses  de  la  pensée 
brahmanique  ;  ils  peignent  davantage  l'esprit 
des  classes  inférieures  et  la  vie  quotidienne. 
Non  pas  que  ces  contes  représentent  fidèle* 
ment  l'état  actuel  ;  ils  doivent  avoir  une  cer- 
taine antiquité,  et  se  rapporter  au  temps  où 
l'Inde,  non  encore  subjuguée,  était  sous  la 
discipline  du  brahmanisme  intact  et  floris- 
sant. Ils  nous  offrent  donc,  si  je  ne  me 
trompe,  un  tableau  de  l'esprit  indien,  au 
temps  du  brahmanisme,  mais  en  dehors 
du    monde     brahmanique    officiel,    quelque 

I.  Cette  proposition  semblera  peut-être  paradoxale,  la 
poésie  paraissant  être  le  caractère  propre  des  composi- 
tions primitives  et  populaires  ;  mais,  dans  la  littérature 
indienne,  le  vers  est  la  forme  naturelle' des  écrits  officiels, 
des  compositions  faisant  autorité.  Les  textes  sacrés  sont 
généralement  en  vers  ;  les  explications  et  les  commentaires 
sont  en  prose.  Les  recueils  de  fables,  avec  lesquels  nos 
contes  ont  beaucoup  d'analogie,  sont  en  prose,  mais  en 
prose  entremêlée  d'une  foule  de  vers  qui  sont,  pour  ainsi 
dire,  la  partie  dogmatique  de  ces  compilations.  Nos  con- 
tes n'ont  pas  même  de  vers,  circonstance  qui  semble  dé- 
noter un  genre  d  écrits  encore  plus  éloigné  des  textes  of- 
ficiels, partant  plus  populaire. 


DU  TRONC  Illl 

chose  de  plus  spontané,  de  plus  libre,  de 
plus  populaire  que  la  littérature  savante, 
mais  sans  esprit  de  révolte  contre  l'état  de 
choses  établi  ou  même  d'affranchissement 
de  l'empire  exercé  sur  les  esprits  par  la 
caste  dominante. 

Pour  aider  le  lecteur  à  mieux  profiter  de 
cette  lecture,  nous  croyons  devoir  résumer 
ici  les  principaux  enseignements  fournis  par 
les  trente  deux  contes  et  l'introduction  qui 
les  précède. 


II.  —  HISTOIRE 

§  2.   —   VIKRAMADITYA  ET  ÇALIVAHANA 

Quand  nous  parlons  «  d'histoire  »,  il  est 
bien  entendu  qu'il  ne  peut  être  question  de 
retracer  la  vie  de  Vikramàditya,  ni  même  de 
faire  la  critique  des  faits  cités  dans  le  recueil 
pouvant  avoir  un  caractère  historique;  il 
s'agit  simplement  de  recueillir  et  résumer  ces 
faits.  Voici  à  quoi  ils  se  réduisent  : 

Bartrihari  ayant  été  sacré  roi  d'Avanlî,  son 
jeune  frère  Vikramàditya,  froissé  par    nous 


XIV      ETUDE  SUR   I,ES  TRENTE-DEUX   RECITS 

ne  savons  quelle  injure,  prit  le  parti  de  s'ex- 
patrier. Cependant  Bartrihari  finit  par  pren- 
dre le  monde  et  la  royauté  en  dégoût;  il 
quitta  le  trône  et  se  fit  ermite.  Il  ne  laissait 
pas  de  fils,  et  on  ne  put  lui  trouver  un  succes- 
seur convenable.  Vikramâditya  sortit  alors 
de  sa  retraite,  se  présenta  comme  candi- 
dat au  trône,  fut  agréé,  et  régna  glorieuse- 
ment jusqu'au  jour  où  il  périt  sur  le  champ 
de  bataille  en  combattant  Çâlivâhana.  Sa 
première  épouse  était  alors  enceinte;  elle 
attendit  le  moment  de  sa  délivrance  pour 
<(  entrer  dans  le  feu  »,  c'est-à-dire,  pour  se 
brûler  et  suivre  son  mari  dans  la  mort.  Le 
fils  qu'elle  laissa  fut  élevé  par  les  conseillers 
du  feu  roi  et  régna  à  son  tour  sous  le  nom 
de  Vikramâsena. 

La  lutte  de  Vikramâditya  et  de  Çâlivâhana 
est  de  nouveau  décrite  dans  le  conte 
vingt-troisième,  mais  d'une  manière  diffé- 
rente. Çâlivâhana,  appelé  Çâlavâhana,  .y  est 
représenté  comme  un  enfant  merveilleux  qui 
triomphe  de  son  adversaire;  mais  Vikramâ- 
ditya est  sauvé  grâce  à  sa  piété.  S'il  fallait 
concilier  les  données  de  ce  récit  avec  celles 
de  l'introduction  (ce  qui  n'est  pas  d'une  ab- 
solue nécessité),  il  faudrait,  sans  doute,  ad- 


DU  TRONE  SV 

mettre  qu'il  y  eut  plusieurs  guerres  entre  les 
deux  rois.  Mais  il  y  a  une  autre  difficulté 
plus  sérieuse.  Çàlivâhana  est  le  nom  du  roi 
auquel  se  rapporte  l'Ere  dite  Çâka,  qui  cor- 
respond à  76  ou  78  de  notre  ère.  Tandis  que 
le  règne  et  même,  à  ce  qu'on  dit,  la  mort 
de  Vikramàditya  sert  de  point  de  départ  à 
l'ère  dite  Samvat  qui  commence  à  l'an  56 
avant  la  nôtre.  Il  est  donc  bien  difficile  d'ad- 
mettre que  ces  deux  personnages  aient  été 
contemporains,  puisque  les  deux  dates  sont 
séparées  par  un  intervalle  de  71»  +  44  f= 
120  ans,  à  moins  de  supposer  que  l'ère 
Siimvitt  commencerait  à  la  naissance  ou  à 
l'avènement  de  Vikramàditya  et  l'ère  Çâka  à 
la  mort  de  Çâlivûhana  ou  à  des  dates  assez 
voisines  de  ces  deux  événements.  Il  est  vrai 
qu'on  a  toujours  la  ressource  d'admettre  plu- 
sieurs rois  du  nom  de  Çàlivâhana,  de  même 
que  l'on  a  imaginé  plusieurs  VikramâditN'a. 
Mon  intention  n'est  pas  de  débrouiller  la 
chronologie  et  l'histoire  de  l'Inde;  j'ai  voulu 
tout  simplement  signaler  les  faits  qui  f>euvent 
avoir  une  apparence  historique  et,  dès  lors, 
je  ne  pouvais  me  dispenser»  de  signaler  en 
passant  les  difficultés  qu'ils  soulèvent.  Je  passe 
maintenant  à  d'autres  considérations. 


XVI      ETUDE  SUR  F.ES  TRENTE-DEUX  RECITS 


§  3.   —  JOURNÉE  d'un  roi  INDIEN 

Le  conte  vingt-deuxième  semble  avoir 
été  fait  pour  initier  à  la  connaissance  de 
l'emploi  du  temps  d'un  roi  indien.  La  des- 
cription qu'il  nous  donne  de  la  journée  de 
Vikramâditya  absorbe  presque  tout  le  récit, 
et  le  reste  est  insignifiant.  Voici  donc  com- 
ment un  grand  et  puissant  monarque  de 
l'Inde  distribue  sa  journée  : 

Matinée.  —  Réveil  au  son  des  instruments 
et  des  louanges  ;  —  prières  et  méditations  re- 
ligieuses. —  Maniement  des  armes.  —  Li- 
béralités et  gratifications.  —  Expédition  des 
affaires. 

Midi.  —  Actes  religieux. 

Après-midi.  —  Libéralités,   distributions. 

—  Repas.  —  Mastication  du  bétel;  onctions- 

—  Sieste.  —  Causerie  avec  les  femmes;  lec- 
ture et  récit  des  antiques  histoires.  —  Exa- 
men des  richesses  royales  de  toute  nature. 

Soir.  —  Actes  religieux.  —  Chants,  dan- 
ses et  musique.  —  Visite  à  ses  femmes.  — 
Sommeil. 

Tels  étaient  les   exercices    qui  se    succé- 


ou  TRONE  XVII 

daient  du  matin  au  soir  et  du  soir  au  matin 
pendant  la  vie  du  roi. 

A  cette  description  de  la  vie  quotidienne, 
il  faut  joindre  celle  des  promenades  que  le 
roi  faisait  dans  son  parc  lorsque  venait  le 
printemps.  Celte  description  revient  fré- 
quemment dans  les  ouvrages  indiens;  notre 
cinquième  re'cit  nous  la  donne  avec  de 
grands  détails.  Le  roi  se  rend  à  son  parc  ac- 
compagné de  ses  femmes,  et  se  livre  avec 
elles  dans  les  bosquets  à  toutes  sortes  de 
jeux  plus  ou  moins  innocents. 


III.  -  MORALE 

§  4.  —  VERTUS  MORALES  DK  VIKRAMADITYA 

Si  les  contes  du  Vétâla  sont  destinés  à 
montrer  jusqu'où  va  .la  sagacité  du  roi,  les 
trente-deux  récits  du  trône  servent  à  faire 
éclater  ses  vertus,  qui  sont  nombreuses; 
mais  il  en  est  une  qui  les  domine  et  les  ré- 
sume, la  générosité,  le  sacrifice.  Les  trésors 
de  Vikramàditya,  son  activité,  sa  vie  sont  à 
la  disposition    d'autrui.   Pour    soulager    un 


XVIII      ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

homme  dénué  de  tout,  pour  délivrer  un  in- 
dividu ou  une  population  en  proie  à  quelque 
fléau,  pour  obliger  un  ami,  pour  satisfaire 
un  caprice,  il  renonce  aux  plus  grands  biens, 
à  des  sources  inouïes  de  richesses,  même  à 
la  vie.  Bref,  il  pratique  dans  sa  plus  grande 
étendue  le  «  don  »  (Di«<.7),  cette  vertu  su- 
prême recommandée  par  le  Brahmanisme, 
et  plus  encore  par  le  Bouddhisme;  il  réalise 
ce  grand  idéal  que  les  Orientaux  se  font 
d'un  roi  :  donner  beaucoup  à  tout  le  monde, 
ne  prendre  rien  à  personne. 

En  conséquence,  onze  fois  mis  en  posses- 
sion d'un  joyau,  d'un  talisman,  il  le  donne 
presque  immédiatement  à  un  mendiant,  ou 
à  un  besogneux  quelconque,  à  tout  individu 
qu'il  rencontre  et  qu'il  pense  obliger  de  cette 
manière  (2,  9,  12,  i3,  17,  18,  19,  20,  23,  25, 
29,  3o).  Six  fois,  il  ouvre  ses  trésors  et  fait 
de  larges  dons  individuels  (4,  5,  i5,  28)  ou 
collectifs  (i,  22)  pour  reconnaître  un  service 
quelquefois  douteux,  ou  pour  obéir  au  de- 
voir, pour  témoigner  sa  reconnaissance  d'une 
instruction  qu'on  lui  a  donnée.  Dix  fois,  il 
essaie  de  se  tuer  pour  sauver  une  ou  plu- 
sieurs personnes  d'un  grand  péril  (2,  6,  7, 
10,    16,  21,  24,  26,  27,  28)  ;  —  cinq  fois,  il 


ou  TRÔNE  XIX 

s'expose  à  des  dangers  redoutables  ou  à  de 
cruelles  souffrances  pour  délivrer  un  ami  ou 
une  personne  qui  lui  est  e'trangère  (8,  ii, 
14,  i3,  3o).  Deux  fois,  pour  ne  pas  man- 
quer à  sa  parole,  il  s'expose  à  perdre  son 
royaume  (2  3)  ou  ses  vertus  |3i);  —  une  fois, 
il  est  prêt  à  abandonner,  à  livrer  à  un  autre, 
la  reine  sa  première  épouse,  en  expiation 
d'un  crime  qu'il  n'a  pas  commis,  les  appa- 
rences étant  contre  lui.  Toutes  ses  actions, 
empreintes  de  merveilleux,  ont  pour  motif 
l'amour  de  la  sagesse  et  de  la  science,  la 
compassion  pour  les  autres. 

Les  vertus  ou  les  qualités  qu'on  exalte  en 
sa  personne  sont  :  la  •  grandeur  »  (ntjhjtvj, 
I,  2,  3,  4,  9,  II,  12,  i3,  16,  H»);  —  la  •  li- 
béralité »  (Dânj,  I  et  auddryj,  2,  5,  14,  17, 
18,  19,  20,  21,  23,  23,  a5,  3o,  3i);  —  •  l'é- 
nergie »  (sâhasii,  18,  3  5,  28,  3o);  —  •  l'hé- 
roïsme »  {  Çaurya,  a,  17,  a 3,  »5);  •  l'obli- 
geance envers  les  autres  »  {paropakdraka,  6, 
10,  21  );  la  «  fermeté  »  {Jkjiry-jy  2  3,  2  3); 
—  le  •  désir  d'être  utile  à  toutes  les  créa- 
tures •  {Sjrvjprdni-upjkârjkj  7)  ;  —  la 
•  protection  des  créatures  »  {prajâpratipâ- 
ïakci)\  —  la  •  satisfaction  des  désirs  d'au- 
trui    »    (paravanccipùrakci^    6,    20,    ai);    — 


XX        ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX   RECITS 

«  l'humanité  »  {puriishârtha^  if,  14);  —  la 
reconnaissance  {iipakâranatâ ,  4);  —  la 
«  bienfaisance  »  [hitakarî^  22),-  —  «  l'atta- 
chement à  la  vérité  »  {satyasandha^  3i);  — 
la  «  majesté  »  (pratâpa^  i);  la  puissance 
(prabhâva,  18).—  Quoique  je  n'écrive  pas 
pour  les  philologues  ou  les  indianistes,  j'ai 
cru  devoir  ajouter  les  noms  bengalis-sans- 
crits des  vertus  et  qualités  énumérées;  plu- 
sieurs de  ces  termes  sont  synonymes,  et  il  ar- 
rive assez  souvent  que  plusieurs  d'entre  eux 
ont  cités  dans  un  même  récit. 

La  morale  héroïque  de  ce  roi  qui  obtient 
un  talisman,  un  préservatif  contre  la  mala- 
die, la  vieillesse  et  la  mort,  et  s'empresse  de 
l'abandonner  au  premier  malade  qu'il  ren- 
contre, qui  jette  à  pleines  mains  ses  trésors 
pour  secourir  des  mendiants  qu'il  ne  con- 
naît pas,  qui  est  prêt  à  se  couper  le  cou 
pour  donner  de  l'eau  à  ceux  qui  en  man- 
quent, pour  faire  cesser  des  sacrifices  hu- 
mains, etc.,  etc.,  est-elle  bien  saine?  On  ne 
peut  nier  qu'il  y  ait  dans  tous  ces  récits  une 
belle  idée  du  dévoùment  et  du  sacrifice; 
mais  il  me  semble  qu'on  n'y  peut  mécon- 
naître un  air  grimaçant  et  faux,  bien  en 
rapport  avec  les  circonstances  merveilleuses 


DU  TRONC  XXI 

qui  servent  de  cadre  à  l'exercice  de  ces  ver- 
tus. A  présenter  sous  ces  traits  la  pratique 
du  bien,  on  la  met  en  dehors  de  la  conduite 
générale  de  la  vie.  Pour  faire  une  impres- 
sion sérieuse,  les  modèles  de  vertu  doivent 
être  plus  près  de  la  nature  humaine,  et  l'exa- 
gération poussée  à  ce  degré  n'a  plus  de  prise 
sur  nous  :  on  assiste  à  une  fantasmagorie,  à 
des  jeux  de  Mahâmâyû,  •  la  grande  enchan- 
teuse  >,  qui  ne  sont  pas  de  notre  domaine  ni 
de  notre  monde.  Reconnaissons  le  souffle 
moral  qui  anime  ces  pages,  mais  ne  lui  ac- 
cordons pas  notre  admiration  sans  réserve  ; 
souvenons-nous  qu'il  est  des  extravagances 
qui  gâtent  les  meilleures  choses,  et  n'ou- 
blions pas  que  l'héroïsme,  si  rare  qu'il  soit, 
n'est  pas  une  vertu  qui  soit  et  doive  être 
placée  en  dehors  des  conditions  ordinaires 
de  l'humanité. 

Après  cette  espèce  de  revue  générale,  nous 
passons  aux  détails,  et  nous  étudions,  en  les 
classant  de  notre  mieux,  les  questions  diver- 
ses traitées  une  ou  plusieurs  fois,  avec  plus 
ou  moins  de  développement,  dans  nos  récits. 


XXII      ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 


§   D.    —    SCIENCE 

La  science  est  ce  qui  distingue  l'homme 
de  la  bête;  car  l'homme  et  la  bête  ac- 
complissent les  mêmes  fonctions  vitales. 
Donc,  l'homme  qui  réduit  son  activité  à  ces 
fonctions,  sans  s'élever  par  la  science,  est  une 
bête  dés  cette  vie,  et  il  retournera  à  l'anima- 
lité dans  les  existences  futures  (8  et  20).  — 
La  science  peut  aussi  être  assimilée  à  la  vie  ; 
vivre  sans  la  science,  c'est  être  mort;  et  un 
fils  mort  vaut  mieux  qu'un  fils  ignorant.  Que 
mettre  au-dessus  de  la  science  .''  elle  est  supé- 
rieure à  tous  les  autres  avantages  :  —  à  la 
royauté,  car  le  savant  est  aussi  considéré  à 
l'étranger  que  dans  son  propre  pays  ;  —  aux 
richesses,xar  on  ne  peut  l'enlever  à  celui  qui 
la  possède;  —  aux  ornements  qui  ne  brillent 
que  sur  les  jeunes  gens,  car,  à  tout  âge,  la 
science  reluit  en  l'homme  qui  en  est  doué  (8). 

Qu'est-ce  que  cette  science  si  enviable? 
C'est  celle  qui  est  contenue  dans  les  livres 
(Castra).  Il  faut  donc  lire  ces  livres  et  les 
étudier  à  fond  pour  en  extraire  le  suc,  la 
moelle,  en  un  mot  pour  y  puiser  la  science. 


I 


DU  TRONE  XXlll 

Mais  dans  quel  esprit  convient-il  de  le  faire? 
Le  conte  12  nous  offre,  à  ce  sujet,  une  cu- 
rieuse discussion.  Vikramâditya  reproche  à 
un  groupe  de  pandits  ou  savants  qui  débat- 
taient entre  eux  le  sens  d'un  texte,  de  dispu- 
ter non  pour  saisir  la  pensée  du  texte,  pour 
en  pénétrer  le  sens,  mais  pour  y  trouver  la 
justification  de  leurs  opinions  personnelles. 
C'est  donc  avec  un  entier  désintéressement, 
un  pur  et  sincère  amour  de  la  vérité,  qu'il 
convient  d'aborder  l'étude  de  ces  Castras, 
qui  sont  le  dépôt  de  la  science. 

Les  Castras  '  forment  une  masse  considéra- 
ble de  volumes  :  c'est  toute  la  littérature  in- 
dienne. Aussi  ne  songerions-nous  pas  à  les 
classer  et  à  les  énumérer  icj,si  l'auteur  de  nos 
récits  n'avait  exécuté  lui-même  ce  travail  dont 
nous  n'avons  qu'à  faire  connaître  le  résultat. 

Selon  lui  et  selon  d'autres  aussi  (car  il  ne 
s'agit  pas  ici  d'une  opinion  individuelle, 
mais  d'une  donnée  généralement  admise),  la 
science  contenue  dans  les  Castras  se  subdi- 
vise en  18  parties  citées  en  bloc  plusieurs 
fois  et  énumérées  en  détail  dans  le  récit  qua- 

I.  Çâstrd  siguiâe  proprement  «  instrument  pour  ap- 
prendre ». 


XXIV      ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

trième.  Cette  énumération  n'est  pas  d'une 
clarté  parfaite,  parce  qu'on  y  trouve  plus  de 
18  intitulés  et  que,  par  conséquent,  il  faut 
comprendre  sous  un  seul  chef  plusieurs 
noms.  La  portée  de  ces  noms  n'est  pas  tou- 
jours facile  à  saisir;  les  uns  désignent  certai- 
nement un  recueil,  un  ouvrage  déterminé, 
d'autres  doivent  s'appliquer  à  des  séries  tout 
entières  de  livres.  Après  avoir  essayé  sur  cette 
nomenclature  un  petit  travail  de  classe- 
ment, nous  croyons  pouvoir  donner  le  ta- 
bleau des  18  sciences.  Elles  se  divisent  en 
deux  catégories  :  les  «  sciences  dont  l'objet 
est  invisible  »  (adrishthârtha) ^  au  nombre  de 
14,  et  les  «  sciences  dont  l'objet  est  visible  » 
(Drishthârtha)^  au  nombre  de  4. 

SCIENCE  DE  L'INVISIBLE 

LIVRES    SACRÉS 

Veda       Vedanga 

1  Rig  Cixa. 

2  Yajur        Kalpa. 

3  Sâma         Vyâkarana. 
Atharvan  Nirutka. 

Jyotisha. 
Chanda. 


UU  TRONE 


XXV 


PHILOSOPHIC 

M  imam  S  a 


5  Pûrva-M. 

6  U«tta-M. 

7  Rûpa-M. 

8  Nyâya. 


9  Rûpa-Nyijra. 

10  Vaiçeskilu. 

1 1  Sânkhya. 
la  Fatânjala. 


TKAOïnON 

1 3  Smriti-Çâttra.        14  f^urftna. 

SCIENCE    DU    VISIBLE 

i5  Ayur  (médecine). 

16  Dhanur  (arc  et  armes  :  sciences  militaires). 

17  Gâadharva  (musique). 

18  Çilpa  (arts  manuels). 


Quelques  ouvrages  cités  dans  nos  contes 
loivent  se  ranger  sous  l'une  ou  l'autre  de  ces 
|8  rubriques  ;  tels  sont  :  le  Râja>niti  ou  «  la 
conduite  des  rois  •  (Intr.,  i3,  19,  22),  traité 
le  politique,  et  le  Danda-çâstra  ou  «  Livre 
)e  châtiments  »,  le  code  pénal  (17,  19,  23). 

est  probable  qu'ils  appartiennent  aux  sec- 
ions  du  tableau  ci-dessus,  numérotées  i3  ef 
14,  qui  doivent  comprendre  un  nombre  con- 


XXVI      éxUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

sidérable  de  légendes,  d'histoires  et  de  pré- 
ceptes moraux.  Le  Nîti-çâstra,  cité  égale- 
ment, ne  doit  pas  différer  du  Râja-nîti  ',  de 
même  que  le  Danda-çastra  est  aussi  appelé 
Danda-niti.  Le  24''  récit  renferme  une  allu- 
sion au  Jyotisha,  l'un  des  Vedanga,  qui  ne 
porte  pas  de  numéro  dans  le  tableau  ci-des- 
sus. Il  y  est  question  d'un  signe  céleste  in- 
terprété comme  annonçant  la  famine;  c'est 
en  effet  un  ouvrage  d'astronomie  et  d'astro- 
logie. Nos  récits  parlent  aussi  deux  fois 
(21  et  28)  d'un  livre,  intitulé  Sâmudraka-çâs- 
tra,  qui  énumère,  décrit  et  explique  20  signes 
susceptibles  de  se  trouver  sur  le  corps  d'une 
personne  et  servant  à  indiquer  sa  condition. 
Parmi  ces  signes  on  cite  l'étendard,  le  dia- 
mant (ou  la  foudre)  et  l'aiguillon,  sans  en 
dire  la  valeur.  La  marque  du  lotus  sous  le 
pied  droit  annonce  la  royauté  ;  mais  le  signe 
du  «  pied  du  corbeau  »  à  l'arrière  du  palais, 
détruit  les  effets  de  cet  indice  favorable.  Le 
signe  appelé  «   réseau  du  mantra  d'or  »,  au 

1.  On  pourrait  admettre  que  le  Nîti-çâstra  est  un  livre 
de  morale  à  l'usage  des  particuliers,  tandis  que  le  Râja- 
nîti  serait  un  livre  de  politique  à  l'usage  des  rois  :  mais 
le  texte  semble  parler  de  ces  deux  ouvrages  comme  s'il 
n'y  avait  entre  eux  aucune  différence. 


DU  TRÔNK  XXVII 

flanc  droit,  à  l'intérieur  du  corps,  est  le  signe 
de  la  royauté.  C'est  celui  que  possédait  Vi- 
kiamàditya,  car  il  ne  portait  sur  son  corps 
aucun  signe  extérieur  qui  décelât  la  royauté. 
Sous  quelle  rubrique  ce  livre  doit-il  être 
mis?  Apparemment  sous  la  quinzième,  la  pre- 
mière des  sciences  du  visible,  l'Ayur  (méde- 
cine), la  science  de  la  vie. 


§   6.  —   L\    VIE 

Quel  prix  faut-il  attacher  à  la  vie?  —  Au 
premier  abord,  il  semble  que  la  vie  soit 
le  plus  précieux  des  biens.  On  peut  perdre  sa 
femme,  ses  enfants,  ses  biens,  et  les  rempla- 
cer par  d'autres  ;  la  vie  ne  se  remplace  pas. 
Le  Nîti-çâstra  enseigne  quelque  part  (peut- 
être  y  a-t-il  quelque  endroit  où  il  soutient  le 
contraire)  que  toutes  les  préoccupations,  tou- 

Ies  les  méditations  doivent  tendre  nécessai* 
emeni  à  la  conservation  du  corps  (19);  la 
ie  serait  donc  le  plus  précieux  des  biens, 
liais  on  a  vu  tout  à  l'heure  que  la  science 
ui  est  supérieure.  Sans  la  science,  la  vie  est 
nuiile  (201,  et  un  père  doit  désirer  de  voir 
son  fils  privé  de  vie  plutôt  que  de  science 


XXVIII       ETUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RECITS 

(8).  —  Il  y  a  encore  une  chose  supérieure  à 
la  vie,  c'est  la  mort  pour  le  bien  d'autrui  : 
on  a  beau  garder  son  corps  avec  soin,  la 
mort  viendra  un  jour;  or,  si  l'on  quitte  cette 
vie  pour  rendre  service  à  un  de  ses  sembla- 
bles, c'est  une  mort  excellente.  Ainsi  la  vie 
a  plus  ou  moins  de  prix,  selon  les  choses 
auxquelles  on  la  compare  ;  en  tout  cas,  elle 
n'est  point  le  premier  des  biens. 


§    7.  LES    PLAISIRS 

Quelques-uns  disent  que,  dans  le  monde, 
la  chose  essentielle  est  la  science.  —  D'au- 
tres disent  :  la  chose  essentielle,  c'est  une 
jeune  et  belle  femme,  et  l'abondance  de  jouis- 
sances. —  Ainsi  voilà  deux  tendances  oppo- 
sées :  la  science  et  le  plaisir.  Le  plaisir  n'est 
pas  défini,  ou  plutôt  il  l'est  par  ce  qui  en  est 
le  point  culminant,  la  possession  d'une  belle 
femme.  C'est  là  le  premier  des  plaisirs,  le 
principal  ;  mais  il  y  en  a  d'autres  ;  nous  ne 
les  énumérerons  pas  ici,  nous  les  trouverons 
indiqués  dans  les  divers  points  que  nous 
avons  à  considérer,  en  particulier  dans  le 
chapitre  du  vice;  car,  comme  on  le  verra,  le 


^^WCi 


nu  TRONE  XXIX 


e  n'est  en  grande   partie  que  l'amour  du 

plaisir. 


S    8.  —    LES    RJCHEi^SKS 

Les  richesses  ne  sont  pas  le  plaisir  ;  mais, 
par  le  moyen  qu'elles  offrent  de  se  pro- 
curer toutes  les  jouissances ,  elles  se  con- 
fondent presque  avec  lui.  On  peut,  comme 
bien  d'autres  choses,  les  envisager  diverse- 
ment, soit  en  bien,  soit  en  mal. 

C'est  la  richesse  qui  fait  la  grandeur  de 
l'homme.  La  richesse  vient  de  Laxmî  ;  tout 
est  soumis  à  Laxmî.  Vishnu  n'est  devenu  le 
suprême  seigneur  qu'en  subjuguant  Laxmî. 
Remarquez  l'identification  de  Laxmî,  de'esse 
de  la  fortune,  avec  la  richesse;  nous  nous 
rencontrons  avec  les  Hindous  en  attribuant 
au  mot  «  fortune  »  le  sens  de  «  richesse  ». 
La  richesse  se  confond  avec  Laxmî,  la  for- 
tune; il  fiiut  en  prendre  grand  soin  et  ne 
pas  la  dissiper  (i  i).  Ainsi  raisonne  l'ami  des 
richesses. 

Ne  pas  dissiper  ses  richesses,  c'est  fort 
bien  !  Mais  la  richesse  est  essentiellement 
instable;  elle  vient,   elle  s'en  va.  Comment 


XXX       ETUDE  SUR  LES  TUENTE-DEUX  RECITS 

et  pourquoi?  Nul  ne  le  sait.  On  a  beau  faire, 
la  richesse  se  dissipe  et  coule  entre  les  mains. 
Ainsi  parle  l'homme  qui  n'a  pas  d'attache- 
ment pour  la  richesse,  et  surtout  le  prodigue 
qui  ne  sait  pas  la  garder  (3  et  1 1). 

La  privation  de  richesses  est  un  grand 
malheur.  Quand  un  riche  a  perdu  ses  biens, 
voisins  et  parents  le  délaissent;  la  vie  la 
plus  dure  dans  un  affreux  désert  est  préféra- 
ble pour  un  homme  dans  cette  situation  à  la 
continuation  de  la  résidence  dans  le  lieu 
qu'il  habitait  (i  i). 

Que  faut-il  donc  penser  des  richesses?  On 
a  vu  plus  haut  que  la  science  leur  est  supé- 
rieure ;  on  peut  les  perdre,  tandis  qu'elle,  on 
la  conserve  toujours.  Mais  est-ce  à  dire  que 
la  science  suffise  et  que  les  richesses  soient 
inutiles  ?  L'auteur  de  nos  récits  ne  se  pro- 
nonce pas  sur  la  question.  Il  semble  admet- 
tre que  la  richesse  est  un  avantage  précieux 
et  désirable,  mais  qu'il  faut  ne  pas  trop  y 
tenir  et  savoir  s'en  détacher.  Seulement  dans 
quelle  mesure  doit-on  le  faire?  Quelle  con- 
duite tenir  à  l'égard  des  richesses  ?  Là  est  la 
difficulté. 

La  vie  de  Vikramâditya  semble  être  don- 
née comme  un  exemple  du  détachement  des 


ou  IHONC  XXZl 

richesses  ;  il  distribue  les  siennes  à  tort  et  à 
travers;  il  est  vrai  qu'il  en  avait  en  abon* 
dance.  11  prend  à  pleines  mains  dans  une 
mine  inépuisable  et  jette  comme  au  hasard 
ses  trésors  incessamment  icnouvelés.  Nous 
avons  quelque  peine  à  tirer  de  ce  tïux  de  li- 
béralités un  enseignement  sérieux  sur  le  bon 
emploi  des  richesses.  Les  fantaisies  de  l'ima- 
gination  indienne,  les  exagérations  extrava» 
gantes  de  ses  fictions  et  de  ses  conceptions 
morales  étouffent  la  voix  du  bon  sens  et  al- 
térent  l'idée  du  bien. 


§   9.    —    tAlALiih,    ACTIVITÉ 

Nous  avons  vu  tout  à  l'heure  que  les  ri- 
chesses viennent  et  s'en  vont  en  dépit  des 
efforts  de  l'ho.mme  aussi  incapable  de  les 
attirer  que  de  les  retenir.  Cet  argument  est 
mis  dans  la  bouche  de  Vikramâditya  et  sur- 
tout d'un  jeune  prodigue.  La  question  de 
l'instabilité  des  richesses  et  de  la  fortune  se 
lie  à  une  question  plus  vaste,  celle  de  la  fa- 
talité. Le  bonheur  et  le  malheur  nous  arri- 
vent-ils infailliblement,  quoi  que  nous  fas- 
sions ?  Et  n'avons-nous  qu'à  nous  croiser  les 


XXXII      ETUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RECITS 

bras  en  attendant  les  arrêts  du  sort?  La  ques- 
tion est  agite'e  h  propos  d'un  monarque  dé- 
trôné par  ses  sujets,  chassé  de  son  pays,  élu 
roi  dans  un  autre  sans  aucun  effort  de  sa 
part,  attaqué  par  l'ennemi  dans  sa  riouvelle 
capitale,  jouant  aux  dés  pendant  qu'on  tra- 
vaille à  sa  ruine,  restant  néanmoins  maître 
de  ses  Etats,  et  conservant  ainsi  sans  souci 
ce  qu'il  avait  acquis  sans  travail.  Vikramâ- 
ditya  conclut  de  là  que  rien  ne  peut  arrêter 
le  cours  du  destin,  qu'il  est  donc  bien  inutile 
de  faire  des  efforts  en  pure  perte  ;  mais  un 
docteur  lui  oppose  le  Nîti-çâstra  qui  fait  à 
l'homme  un  devoir  de  lutter  contre  la  for- 
tune, contre  le  destin,  et  de  déployer  cons- 
tamment toutes  les  énergies  qu'il  a  en  lui 
(i3). 

§10.    —    UN    ROI    PKUT-IL    VOYAGER? 
—    DU    DEVOIR    QUI    LUI    INCOMBE 

La  question  qui  vient  d'être  examinée 
avait  été  posée  à  l'occasion  des  voyages  du 
roi.  "Vikramâditya  voyage  beaucoup  :  ses 
excursions,  à  la  vérité,  ne  sont  pas  longues; 
il   a  des  chaussures  magiques  qui  lui  font 


1 


DU  TRONE  XXXItl 

faire  en  peu  de  temps  bien  du  chemin,  et  il 
est  si  déterminé  qu'il  achève  promptemeni 
ses  entreprises.  Mais  ses  voyages,  s'ils  ne 
sont  pas  longs,  sont  très  fréquents;  pour  un 
a  oui  »,  ou  pour  un  «  non  »,  il  se  met  en 
route;  et  on  le  voit  sans  cesse  hors  des  fron- 
tières de  ses  Etats,  Deux  fois  on  lui  en  fait  un 
reproche;  la  première  (i3),  il  répond  en  al- 
léguant la  fatalité;  c'est  l'argument  dont 
nous  avons  parlé  tout  à  l'heure  ;  la  seconde 
fois  (21),  il  oppose  à  la  négligence  dont  on 
l'accuse  le  respect  de  la  loi.  Un  roi  a  beau 
être  vigilant,  s'il  est  injuste,  sa  puissance 
périra;  mais,  quand  bien  même  un  roi  serait 
négligent,  s'il  est  juste,  ses  Etats  prosj>€re- 
ront.  D'ailleurs,  c'est  l'amour  de  la  loi  qui 
pousse  Vikramâditya  à  voyager.  Tel  est 
donc  l'argument  :  la  loi  ou  la  justice  est  de 
force  h  compenser  et  annuler  les  mauvais 
etlets  de  la  négligence.  Inutile  d'insister 
sur  l'exagération  manifeste  de  celte  théorie. 
Il  est  beau  d'avoir  foi  dans  le  triomp'ae  de  la 
justice.  Mais  tous  les  devoirs  se  tiennent, 
tous  sont  indispensables,  et  la  négligence 
est  un  vice  dont  les  conséquences  désastreu- 
ses  sont  inévitables. 


XXXIV      ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 


§11.    —     LKS     l  8    VICES 

La  négligence,'  dont  il  vient  d'être  ques- 
tion, est  un  vice.  Cependant  je  ne  la  trouve 
pas  expressément  citée  dans  la  nomencla- 
ture des  vices  que  nous  offre  le  récit  même 
où  se  trouve  l'argumentation  dont  nous  par- 
lions tout  à  l'heure.  Ces  vices  sont  au  nom- 
bre de  i8,  nombre  choisi  probablement  pour 
faire  opposition  aux  i8  sciences,  quoiqu'on 
ne  puisse  songer  à  mettre  les  i8  vices  et 
les  i8  sciences  en  regard  les  uns  des  autres. 
Les  18  vices  se  classent  aussi  sous  deux  ca- 
tégories, l'amour  et  la  colère;  il  y  en  a  10 
de  la  première  et  8  de  la  seconde.  L'énumé- 
ration  des  dix  vices  procédant  de  l'amour 
revient  à  peu  près  à  une  énumération  des 
diverses  sortes  de  plaisirs.  Voici  la  liste  des 
18  vices  : 


Amour. 


1.  Passion  de  la  chasse. 

2.  Passion  du  jeu  de  dés. 
3j  Sommeil  de  jour. 

4.  Esprit  de  dL-nigr^meiit. 

5.  Amour  des  femmes 


DU  TRONE  XIXV 


6    HgoUme. 

7.  Paksion  de  voir  les  djiuses. 

8.  Patsioii  d'entendre  les  cliantt 

9.  Passion  d'entendre  les  instruments 
10.  Promcntde  au  hasard  et  sins  but. 


Colère. 

II.  Malignité. 

13.  Esprit  d'hostilité  non  motivée  eoven  le»  geat  de  biM. 
1 3.  Uésir  de  tuer  des  gens  incffensifs. 
I  (.  Impatience  de  l'éloge  d'autrui. 

i5.  Tendance  à  découvrir  des  défauts  dans  les  qualités 
des  gens  supérieurs. 

16.  L'action  d'enlever  frauduleusement    aux  autres   leur 
bien. 

17.  Le  refus  de  faire  les  dons  oéceasaires.  * 

18.  Le  blime  d'autrui. 


Il  y  aurait  bien  des  remarques  à  faire  sur 
cette  énumération,  je  me  borne  à  quelques- 
unes.  Pourquoi  le  quatrième  article  et  même 
le  sixième  n'ont-ils  pas  été  placés  dans  la 
deuxième  catégorie?  Je  suis  étonné  de  ne 
pas.  trouver  dans  cette  énumération  l'amour 
de  la  bonne  chère  et  des  liqueurs  enivrantes, 
des  liqueurs  enivrantes  surtout  prohibées 
par  tant  de  textes  formels.  Parmi  tous  ces 
vices,  il  en  est  un  sur  lequel  je  dois  m'arrè- 


XXXVI       ETUDE  SUR  LES  TKENTE-DEUX  RECITS 

ter  un  instant,  la  passion  du  jeu  de  de's.  On 
sait  quel  rôk  terrible  il  joue  dans  le  Mahâ- 
bhârata  '  :  mais  il  en  est  plus  d'une  fois 
question  dans  nos  re'cits  :  c'est  même  à  l'oc- 
casion d'une  série  indéfinie  de  parties  de  dés 
que  rénumération  des  i8  vices  est  faite  à  un 
roi  qui  perdait  joyeusement  son  royaume. 
Le  récit  26  est  spécialement  consacré  au 
jeu.  Un  homme  magnifiquement  vêtu  se 
livre  à  un  bavardage  désordonné-  :  le  roi  en 
conclut  que  c'est  un  méchant  homme  et  un 
homme  mal  élevé.  —  Notons  à  ce  propos  que 
le  bavardage  n'est  pas  compris  dans  les  18 
vices  ;  il  aurait  pourtant  bien  pu  prendre  la 
place  d'un  des  10  vices  nés  de  l'amour  qui 
semblent  n'être  qu'un  double  ou  une  redite. 
—  Le  bavard  du  récit  26  est  un  joueur  qui  se 
montre  de  nouveau  le  lendemain  couvert  de 
haillons  :  il  avait  perdu.  Vikramâditya exprime 
un  blâme  énergique  ;  il  met  sur  le  même  plan 
le  joueur,  le  mendiant  et  l'ascète  aussi  misé- 
rables les  uns  que  les  autres.  Le  joueur  cen- 
suré réclame  en  faveur  du  plaisir  que  cause 

I.  Le  Mahâbhârata  est  le  récit  d'une  guerre  formidable 
par  laquelle  les  fils  de  Pandu  recouvrent  leur  empire 
perdu  dans  une  partie  de  dés. 


DU  TRONE 


XXXVIl 


le  jeu  et  que  ne  peuvent  ressentir  ceux  qui 
ne  s'y  livrent  pas.  Le  roi  ne  se  laisse  pas 
convaincre  ;  il  n'en  condamne  pas  moins  le 
jeu  dont  les  conséquences  désastreuses  sont 
visibles  dans  la  personne  même  du  joueur 
qu'il  a  sous  les  yeux  et  obtient  de  lui  qu'il 
renonce  à  son  vice.  Mais  ce  succès  n'est  dû 
ni  à  l'éloquence  du  roi,  ni  à  la  force  de  ses 
raisons;  elle  résulte  uniquement  d'un  ser- 
vice que  le  roi,  grâce  à  sa  puissance  surna- 
turelle, a  pu  rendre  au  joueur. 


12.    —    VERTUS   POPULAIRES.  —    CASTES; 
MARIAGE  ;    VEUVAGE 


Après  les  vices,  étudions  les  vertus,  non 
is  les  vertus  royales,  les  vertus  sublimes 
le  Vikramâditya  qui  ont  déjà  été  passées  en 
îvue,  mais  les  vertus  vulgaires  des  simples 
|>articuliers,  les  vertus  populaires.  Nous  ne 
ïouvons  les  détailler  par  le  menu,  car  elles 
)ni  seulement  indiquées  en  gros,  d'une  ma- 
ïière  un  peu  vague.  Deux  fois  (G  et  17)  on 
nous  trace  le  tableau  d'un  peuple  bien  gou- 
verné et  vertueux  à  l'instar  de  son  roi.  Voici 
les  énumérations  de  ces  qualités  morales  que 


XXXVni       ÉTUDE   SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

nous  pensons  pouvoir  appeler   avec  raison 
les  vertus  populaires  : 


Chacun  pratique  les  devoirs  de  sa  caste  sans  commet- 
tre de  trangression. 

On  observe  ponctuellement  les  préceptes  des  Castras. 

On  ne  met  pas  sa  satisfaction  dans  l'injustice. 

On  fait  toujours  des  efforts  pour  s'entr'aider. 

A  la  tiii  de  la  vie,  on  ne  tient  pas  des  discours  men- 
teurs, et  on  médite  par  la  scienee  sur  l'âme  suprême. 


17 


On  se  plaît  dans  la  vertu. 

Les  femmes  n'ont  de  rapports  qu'avec  un  seul 
homme. 

On  se  détourne  du  mal. 

On  s'attache  à  la  loi. 

On  persévère  dans  l'observation  des  Castras. 

On  respecte  les  hôtes. 

On  se  conforme  aux  ordres  des  père  et  mère,  du  roi, 
etc. 

On  suit  une  morale  conforme  à  la  science  de  l'âme 
suprême 

Ces  deux  énumérations  parallc-les  peuvent 
se  compléter  par  une  énumération  négative 
(récit  24)  : 


DU  TRONE  XXXIX 

Nulle  transgression  du  Nîti-çastra;  — 
nulle  oppression  des  créatures,  même  en 
songe  ;  —  nul  obstacle  à  l'accomplissement 
des  actions  vertueuses;  —  point  d'injures 
aux  Brahmanes  ;  —  point  de  violences  con- 
tre les  créatures;  —  point  de  châtiments  in- 
justes; —  nulle  recherche  de  ce  qui  n'est 
pas  bien  ;  —  point  de  mauvaise  conduite  ;  — 
point  de  brisement  des  images  des  divinités; 
—  point  de  cause  d'inquiétude  pour  les  gens 
de  bien  ;  —  point  de  trangression  des  lois 
établies  par  les  Castras. 

J'ai  souligné  les  prescriptions  positives  et 
précises  de  ces  énumérations,  où  nous  pou- 
vons noter  ;  l'obéissance  au  roi,  aux  père  et 
mère,  mis  sur  le  même  rang  ;  —  le  soin  des 
hôtes;  —  l'assistance  mutuelle  ;  —  le  res[>ect 
de  la  division  des  castes  et  le  respect  parti- 
culier dont  les  brahmanes  sont  l'objet;  les 
relations  sexuelles  de  chaque  femme  avec  un 
seul  homme  ;  —  enfin  le  respect  des  objets  re- 
ligieux et,  en  particulier,  des  images  des  dieux. 
Tels  sont  les  traits  saillants  de  cette  morale 
vulgaire  ;  il  en  est  deux  sur  lesquels  nous  nous 
arrêterons  un  instant:  le  respect  de  la  distinc- 
tion des  castes  et  l'honneur  rendu  aux  brah- 
manes; le  devoir  et  la  condition  de  la  femme. 


XL         ETUDE  SUR   LES  TRENTE-DEUX  RECITS 

Il  n'est  pas  fort  souvent  question  de  la  di- 
vision par  castes  dans  ces  récits  ;  et  il  est  as- 
sez rare  qu'on  fasse  connaître  les  castes  res- 
pectives des  personnages  mis  en  scène,  autres 
que  le  roi,  ses  conseillers  et  les  individus  qui 
l'approchent  d'ordinaire.  Néanmoins  le  res- 
pect dû  aux  brahmanes  et  les  privilèges  dont 
ils  jouissent  sont  plusieurs  fois  notés  (i-3-5). 
On  les  charge  de  l'accomplissement  des  céré- 
monies religieuses.  L'un  d'eux  est,  par  erreur, 
déclaré  coupable  d'un  crime  qui  entraîne  la 
peine  de  mort  :  mais  les  conseillers  du  roi 
lui  font  observer  que  cette  peine  ne  peut 
être  exécutée  à  cause  de  la  qualité  de  brah- 
mane du  condamné;  et  elle  est  commuée  en 
celle  du  banissement.  Malgré  cela,  les  brah- 
manes ne  jouent  pas  dans  ces  contes,  le  rôle 
éminent  et  exclusif  qui  leur  est  dévolu  dans 
les  écrits  officiels.  Les  subtilités  et  la  con- 
duite intéressée  de  plusieurs  d'entre  eux  sont 
hautement  blâmées  et  les  bienfaits  du  roi  s'a- 
dressent souvent  à  d'autres  qu'aux  brahma- 
nes, quoique  ceux-ci  soient  toujours  mis  au 
premier  rang  dans  les  manifestations  officiel- 
les de  la  munificence  royale. 

La  condition  des  femmes  nous  retiendra 
plus  longtemps.   Une  femme,   nous  dit-on, 


DU  TRONB  XLI 

ne  peut  se  donner  qu'à  un  seul  homme  ; 
mais  la  réciproque  n'est  pas  vraie  :  un  homme 
peut  fort  bien  prendre  plusieurs  femmes.  Si 
le  fait  n'est  pas  énoncé  comme  un  principe 
et  un  droit,  il  est  démontre  par  plus  d'un 
passage  qui  implique  l'existence  de  la  poly- 
gamie. Vikramâditya  a,  en  effet,  plusieurs 
femmes  ;  néanmoins,  il  y  en  a  toujours  une 
qui  est  la  première  épouse,  quelquefois  con- 
sidérée presque  comme  une  épouse  unique; 
et  il  ne  manque  pas  de  passages  relatifs  à 
l'union  des  sexes,  où  le  narrateur  parle 
comme  si  la  polygamie  lui  était  inconnue.  11 
y  a  plus  ;  on  accorde  aux  femmes  une  cer- 
taine influence  et  parfois  une  sorte  de  su- 
périorité intellectuelle.  L'énumération  des 
18  vices  cités  plus  haut  est  faite  par  une 
femme  qui  moralise  son  mari  et  lui  fait  la 
leçon,  tout  en  partageant  son  vice,  par  pas- 
sion ou  par  obéissance  ;  car  tous  deux  jouent 
aux  dés  sans  s'arrêter,  pendant  que  l'ennemi 
assiège  leur  capitale.  Il  s'agit  en  effet , 
dans  ce  récit,  d'un  roi  et  d'une  reine.  La 
reine,  tout  en  jouant,  expose  à  son  mari  les 
inconvénients  de  sa  conduite  ;  le  mari  n'en 
a  cure,  et  continue  de  jouer  :  curieux  exem- 
ple que  celui  de  cette  femme  obéissant  par 


XLII     ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

faiblesse  ou  par  devoir  à  son  mari  vicieux, 
en  même  temps  qu'elle  se  montre  docte  et 
docteur  !  Le  récit  premier  nous  offre  un 
exemple  de  l'influence  exercée  par  la  femme 
en  raison  de  sa  beauté,  influence  plus  puis- 
sante que  les  raisonnements  les  plus  solides; 
il  s'agit  d'un  roi  qui  ne  peut  siéger  dans  son 
conseil  sans  avoir  sa  femme  à  ses  côtés. 

Quand  il  est  dit  que  la  femme  ne  peut  se 
donner  qu'à  un  seul  homme,  cette  phrase 
doit  être  prise  à  la  lettre  et  d'une  manière 
absolue.  Après  la  mort  de  celui  à  qui  elle 
était  unie,  la  femme  doit  lui  rester  fidèle  et 
ne  peut  s'unir  à  un  autre  homme.  On  sait 
assez  que  les  femmes  indiennes,  pour  être 
plus  sûres  de  ne  pas  trahir  la  foi  conjugfle, 
accompagnaient  leur  mari  dans  la  mort.  Cette 
grave  question  se  trouve  posée  et  résolue 
dans  nos  textes;  il  vaut  la  peine  d'y  insister. 

Dès  l'introduction,  nous  voyons  Vikramâ- 
ditya  mourir  laissant  sa  première  épouse  en- 
ceinte. Celle-ci  laisse  arriver  le  terme,  puis, 
une  fois  délivrée,  elle  abandonne  son  enfant 
aux  conseillers  du  roi  qui  relèveront,  et 
«  entre  dans  le  feu  »,  c'est-à-dire  qu'elle  se 
brûle  pour  partager  avec  son  mari  les  jouis- 
sances du  bonheur  suprême.  Ainsi  la  fidélité 


DU  TRONE  XLIII 

conjugale,  comprise  comme  une  immolation 
de  la  femme  à  l'époux  décédé,  passe  avant 
les  devoirs  de  la  maternité. 

Dans  le  récit  29,  nous  trouvons  un  cas 
analogue,  mais  non  identique,  qui  donne 
lieu  à  une  discussion  en  règle,  qu'on  pour- 
rail  intituler  le  •  pour  »  et  le  «  contre  •.  11 
s'agit  d'une  femme  commise  à  la  garde  du 
roi  Vikramâditya,  laquelle,  se  crojrant  veuve, 
entre  aussi  dans  le  feu  par  fidélité  à  son 
mari.  Avant  que  le  sacrifice  soit  consommé, 
le  roi  cherche  à  détourner  la  veuve  de  son 
projet;  celle-ci  répond.  Et  ainsi  un  débat  sur 
le  devoir  des  veuves  s'engage  entre  ces  deux 
personnages.  Il  est  vrai  que  le  roi  déclare 
n'avoir  eu  d'autre  but,  en  combattant  le  des- 
sein de  celte  veuve  inconsolable,  que  de 
mieux  faire  éclater  sa  fidélité;  il  n'en  plaide 
pas  moins  contre  le  suicide. 

Voici  l'argument  du  roi  :  C'est  la  vie  qui 
fait  le  lien  entre  les  époux;  quand  la  vie 
cesse,  le  lien  est  rompu;  rien  ne  rattache 
plus  les  époux  l'un  à  l'autre  :  la  femme  res- 
tée seule  peut,  à  son  choix,  garder  le  célibat 
ou  choisir  un  nouveau  mari. 

L'argumentation  de  la  veuve  est  plus  dé- 
veloppée, mais  repose  sur  un  seul  principe, 


XLIV     ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

l'indissolubilité  du  mariage.  La  femme  ne 
doit  pas  abandonner  son  mari  :  l'union  des 
e'poux  est  si  étroite  que  la  mort  même  ne 
peut  la  rompre.  Le  mari  peut  bien  vivre 
sans  la  femme;  mais  la  femme  ne  peut  plus 
subsister  sans  le  mari  dont  elle  est  devenue 
comme  une  sorte  d'attribut.  Elle  n'a  qu'un 
moyen  de  lui  prouver  son  affection,  c'est  de 
le  suivre  quand  il  meurt.  La  femme  pour- 
rait, à  la  rigueur,  survivre  à  son  mari,  mais  à 
la  condition  de  ne  pas  se  remarier  :  or  les 
tentations  sont  si  puissantes,  on  est  si  expo- 
sée à  devenir  infidèle  en  restant  en  vie  que 
mieux  vaut  observer  la  loi  du  sacrifice  or- 
donné ou  conseillé  par  les  Castras. 

Après  avoir  reproduit  les  arguments  pour, 
et  contre  le  suicide  des  veuves,  je  reviens  à 
l'épisode  du  récit  29.  La  femme  se  brûle,  et 
le  mari  qu'on  croyait  mort  reparaît,  il  ré-, 
clame  sa  femme.  Le  roi  raconte  ce  qui  est 
arrivé;  mais  le  mari  n'admet  pas  ses  excuses. 
Il  exige  que  le  roi,  s'il  ne  peut  rendre  la 
femme  qui  lui  a  été  confiée  et  dont  il  est 
responsable,  donne  en  échange  la  reine  sa 
propre  femme;  et  le  roi  s'exécute,  il  livre  la 
reine.  On  ne  nous  dit  pas  comment  cette 
rupture  de  l'union  du  roi  et  de  sa  femme  se 


DU  TRÔNE  XtV 

concilie  avec  le  principe  de  l'indissolubilité 
proclamé  plus  haut.  Il  faut  conclure  de  là 
que  le  mari  a  le  droit  de  rejeter  sa  femme, 
mais  que  la  femme  ne  peut  se  séparer  de 
son  mari  que  si  elle  a  été  rcjctée  par  lui,  et 
si  la  situation  nouvelle  dans  laquelle  elle  en- 
tre lui  est  imposée  par  son  mari. 

Si  nous  réunissons  toutes  ces  données, 
nous  pouvons  poser  pour  la  condition  des 
femmes  les  principes  suivants  :  un  homme 
peut  s'unir  à  plusieurs  femmes;  —  une  femme 
ne  peut  s'unir  qu'à  un  seul  homme.  En  cas 
de  pluralité  d'épouses,  il  y  en  a  générale- 
ment une  qui  est  la  première;  —  une  femme 
peut  subjuguer  son  mari  jusqu'à  le  dominer 
même  en  public;  —  une  femme  peut  avoir  de 
l'instruction  au  point  de  morigéner  son  mari. 
—  Le  mariage  est  indissoluble;  —  la  veuve 
qui  se  remarie  est  infidèle.  —  Une  veuve 
peut  rester  en  vie  après  la  mort  de  son  mari, 
à  la  condition  de  ne  pas  se  remarier;  mais 
c'est  bien  dangereux.  —  Le  meilleur  moyen 
pour  une  veuve  de  rester  fidèle,  c'est  de  se 
brûler.  —  Un  homme  peut,  dans  certains 
cas,  livrer  sa  femme  à  un  autre. 

Il  y  aurait  bien  des  réflexions  à  faire  sur 
ces  divers  points.  Nous  ne  le  pouvons  :  ce 


XLV(       ÉTUDE  SUR   LES  TRENTE-DEUX  RECITS 

serait  tout  un  traité  à  entreprendre.  J'ajoute- 
rai seulement  que  l'infamie  dont  se  couvre  la 
veuve  infidèle  est  corroborée  par  le  récit  23«, 
où  nous  voyons  deux  brahmanes,  dont  la  sœur 
veuve  est  devenue  enceinte  des  œuvres  d'un 
génie  souterrain,  quitter  la  ville  pour  aller 
cacher  au  fond  des  déserts  la  honte  qui  re- 
jaillit sur  eux  du  crime  de  leur  sœur. 


§    r3    —  LES  NEUF  RAS.V   («  GOUT,  SAVEUR  ») 

L'amour  el  la  colère^  qui  sont  les  deux  ra- 
cines des  18  vices  énumérés  dans  le  21®  ré- 
cit, se  trouvent  incorporés  dans  une  autre 
énumération  avec  d'autres  passions  ou  sen- 
timents qui  ne  sont  pas  tous  blâmables;  je 
veux  parler  de  l'énumération  des  neuf  Rasa^ 
qui  revient  assez  fréquemment  dans  les  li- 
vres indiens,  et  semble  être  une  tentative  de 
dénombrement  et  de  détermination  des  di- 
verses affections  de  l'àme.  Ils  deviennent, 
dans  le  21®  récit,  le  sujet  d'une  fiction  bi- 
zarre :  un  personnage  obtient  la  manifesta- 
tion, et,  pour  ainsi  dire,  la  matérialisation  de 
ces  9  Rasa  qui  sont  :  l'amour,  l'héroïsme,  la 
compassion,  l'étonnement,  la  gaieté,  l'épou- 


DU  TRONE  XLVII 

vante,  l'aversion,  la  colère,  le  calme.  —  Inu- 
tile d'insister  ici  sur  cette  classiticaiion  psy- 
chologique qui  ne  joue  dans  notre  recueil 
qu'un  assez  faible  rôle. 


IV.  -  MAGIE 

§   14.  —  CHAUSSURES  MAGIQUES 
ET  TRANSFORMATIONS 

De  la  morale  nous  passons  à  la  religion. 
Mais  nous  rencontrons  sur  notre  chemin  des 
éléments  spéciaux  qui  se  rattachent  à  la  reli- 
gion et  ne  sont  pas  étrangers  à  la  morale, 
sans  appartenir  véritablement  soit  à  l'une,  soit 
à  l'autre.  Je  veux  parler  du  merveilleux  et  de 
la  puissance  magique  qui  est  la  récompense  de 
la  vertu  et  nous  transporte  dans  un  monde 
fantastique  dont  les  héros  et  les  scènes  ima- 
ginaires se  combinent  d'une  étrange  manière 
avec  les  personnages  et  les  événements  du 
monde  réel.  Nous  tâcherons  d'énumérer  en 
les  groupant  le  mieux  possible,  mais  sans 
prétendre  ici  plus  qu'ailleurs  à  une  classifi- 
cation irréprochable  et  complète,  les  maaifes- 


XLVIII     ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

tations  magiques  dont  quelques-unes  revien- 
nent fre'quemment. 

Nous  avons  déjà  parlé  des  chaussures  ma- 
giques avec  lequelles  Vikramâditya  fait  ra- 
pidement des  excursions  lointaines  :  elles 
ont,  sans  doute,  donné  naissance  à  nos  «  bot- 
tes de  sept  lieues  ».  Les  joyaux  merveilleux 
sont  un  des  procédés  les  plus  usités  de  l'au- 
teur de  nos  contes.  Dés  l'introduction,  un 
fruit  magique  qui  affranchit  de  la  maladie  et 
de  la  mort  fait  son  apparition.  Le  même 
fruit  ou  son  analogue  reparaît  dans  le  neu- 
vième récit.  Dans  le  troisième,  nous  voyons 
quatre  joyaux  donner  respectivement  des 
mets,  des  richesses,  une  armée,  des  or- 
nements. D'après  le  vingtième  récit,  huit 
autres  joyaux  donnent  la  réalisation  de  ce 
qu'on  a  dans  l'esprit,  des  mets,  une  armée, 
la  divinité,  les  chaussures  magiques,  la  faculté 
de  tout  immobiliser,  l'omniscience,  le  con- 
tentement parfait.  L'objet  appelé  Mûlikâ 
(i2«  récit)  permet  d'obtenir  tout  ce  qu'on 
désire.  Deux  autres  objets,  Rasa  et  Rasâ- 
yana  (récit  17),  assurent  également  la  posses- 
sion et  la  jouissance  de  tous  les  biens,  Rasa, 
celles  des  biens  extérieurs,  Rasâyana  celle 
des  biens  spirituels,  des    biens   du    monde 


1>U  TRÔNE  XlAX 

supérieur.  Le  19'  récit  nous  entretient  de 
trois  talismans,  Kanthâ,  Khandika,  Danda; 
le  premier  procure  des  richesses  et  des  orne- 
ments, le  deuxième  une  armée,  le  troisième 
rend  la  vie  à  un  corps  mort.  Dans  les  récits 
i3  et  33,  il  est  question  de  l'incomparable 
joyau  Cintamani.  Nous  pouvons  ranger 
parmi  les  joyaux  le  Siddhi-mantra  de  Saras- 
vatî  cité  dans  le  8»  récit,  quoique  les  mantras 
soient  non  des  joyaux,  mais  des  paroles 
d'une  vertu  magique.  Sarasvatî  est  la  déesse 
de  l'éloquence.  Son  Siddhi-Mantra  (Mantra 
de  la  réussite)  fait  obtenir  les  18  sciences. 
Ainsi  l'acquisition  de  la  science  elle-même 
est  l'objet  d'opérations  magiques  !  Ce  Siddhi* 
Mantra  et  Sarasvatî  dont  il  émane  nous  rap- 
prochent des  traditions  classiques,  comme 
deux  autres  talismans  bien  connus  Kârna* 
dhenu  (25)  •  la  vache  du  désir  •  qu'il  suf- 
fit de  traire  pour  voir  tous  ses  souhaits  réa- 
lisés, et  l'Amrita,  le  breuvage  d'immortalité, 
employé  comme  une  sorte  de  cordial  pour 
faire  reprendre  connaissance  à  ceux  qui  sont 
à  bout  de  forces  et  par  lequel  une  armée  en- 
tière tombée  en  léthargie  recouvre  sa  vi- 
gueur (23). 
Nos  récits  décrivent   des  scènes  fantasti- 


L  ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

ques  dues  à  la  puissance  magique  dont  sont 
doués  certains  personnages  :  au  récit  25, 
deux  divinités,  pour  éprouver  Vikramâditya, 
prennent  l'une  la  forme  d'une  vache,  l'autre 
la  forme  d'un  tigre.  Les  scènes  du  récit  29 
auxquelles  nous  avons  fait  allusion  en  par- 
lant du  devoir  des  veuves  :  cette  veuve  qui 
se  brûle  croyant  son  mari  mort,  ce  mari  qui 
réclame  sa  femme,  tout  cela  est  imaginaire, 
et  résulte  d'une  fantasmagorie  produite  à 
l'aide  du  talisman  appelé  la  •  science  du  ré- 
seau d'Indra  ».  L'armée  avec  laquelle  Çâli- 
vâhana  soutient  les  efforts  de  Vikramâditya 
est  aussi  une  apparition  fantastique.  La 
grotte  où  Vikramâditya  acquiert  les  talis- 
mans Rasa  et  Rasâyana  (17),  le  palais  où 
tombe  une  pluie  d'or  (3o)  semblent  être, 
quoiqu'on  ne  le  dise  pas,  des  effets  de  la 
magie.  Enfin  notons,  parmi  les  plus  curieux 
effets  de  cette  puissance  si  souvent  mise  en 
action,  la  matérialisation,  l'apparition  sous 
forme  concrète  de  certaines  abstractions,  sa- 
voir :  des  neuf  sentiments  (21)  dont  il  a  été 
parlé  ci-dessus  et  des  vertus  de  Vikramâdi- 
tya qui  l'abandonnent,  puis  reviennent  h 
lui  (3i). 


DU  TRONB  II 


§    l5.  —    ÊTRES   SURHUMAINi 

A  la  magie  se  rattache,  en  partie,  l'exis- 
tence de  personnages  qui  nous  sont  décrits 
dans  des  conditions  extraordinaires,  par 
exemple  :  l'homme  et  la  femme  du  6*  récit, 
décapités  et  rappelés  à  la  vie  ;  l'homme  blessé, 
soigné  par  Vikramâditya  et  qui  expire  en  lui 
remettant  un  talisman  |ia),  —  la  Rànî  dont 
on  acquiert  la  possession  en  sautant  dans  un 
bassin  d'huile  bouillante  (14}.  Ces  détails 
conviennent  bien  à  la  physionomie  popu- 
laire de  nos  récits;  la  nature  des  personna- 
ges est  quelque  peu  ambiguë.  Mais  il  en 
est  d'autres  qui  rentrent  dans  la  nomen- 
clature des  êtres  surhumains  figurant  d'or- 
dinaire dans  les  livres  classiques  de  l'Inde  ; 
tels  sont  les  Nàgas,  les  Yaxas  et  les  Raxasas. 

Les  Nàgas  sont  des  serpents  qui  vivent 
sous  terre  dans  les  eaux,  et  ont  le  pouvoir 
de  se  transformer.  Les  huit  jeunes  tilles  du  ré- 
cit 20"  qui  sont  autant  de  perfections,  pas- 
sant la  nuit  en  prières  auprès  d'un  autel  et  le 
jour  au  fond  d'un  lac  dans  leur  ville  de  Pâ- 
tàla,  appartiennent  à  cette  race.    La  même 


I.It        ÉTUDE  SUR   I-KS  TURNTE-DEUX   KÉCIIS 

race  reparaît  au  récit  i'i°;  Çàlivûhana,  l'ad- 
versaire de  Vikramâditya,  est  fils  d'un  Nâga; 
c'est  par  le  pouvoir  magique  dont  il  est 
armé  en  cette  qualité  qu'il  fait  apparaître 
une  armée  imaginaire,  et  il  se  sert  du  venin 
qu'il  tient  de  son  père  pour  empoisonner 
l'armée  de  Vikramâditya;  mais  voici  que 
le  roi  des  Nâgas,  Vâsuki,  guérit  les  malades. 
Ce  récit  nous  montre  donc  la  guerre,  ou,  tout 
au  moins,  la  rivalité  dans  la  race  des  Nâgas. 

Les  Yaxas  ne  paraissent  qu'une  seule  fois 
dans  ce  recueil,  et  ils  ne  sont  pas  dépeints 
avec  leurs  traits  caractéristiques.  Ceux  dont 
il  s'agit  sont  d'anciens  poissons  qui  témoi- 
gnent leur  reconnaissance  à  celui  qui  les 
avait  jadis  sauvés  de  la  mort,  en  employant 
leur  puissance  surnaturelle  pour  le  sauver 
d'une  catastrophe. 

Quant  aux  Râxasas,  ils  paraissent  plu- 
sieurs fois  dans  nos  récits,  toujours  avec 
leurs  habitudes  de  violence,  de  brutalité  et 
d'anthropophagie.  Le  premier,  Durjaya,  de 
Kànci,  tient  captive  la  jeune  Naramohinî,  et 
s'en  sert  pour  amorcer  les  étrangers  :  tous 
ceux  qui  sont  séduits  par  les  charmes  de  la 
jeune  fille  tombent  sous  la  dent  du  monstre 
(8);    le    deuxième   mange  chaque    jour    un 


ou  TRONE  LUI 

homme,  le  troisième,  anonyme  comme  le 
précédent,  opprime  une  femme  qu'il  bat  à 
tour  de  bras.Vikramâditya  tue  le  premier  de 
ces  monstres  et  le  troisième;  quant  au 
deuxième,  il  l'adoucit  en  s'offrant  à  lui 
comme  pâture,  et  le  force  ainsi  de  renoncer 
à  ses  habitudes  perverses. 

Les  Nâgas,  les  Yaxas,  les  Râxasas  sont 
familiers  à  la  littérature  classique  de  l'Inde; 
les  Vetâlas  le  sont  beaucoup  moins.  Il  semble 
que  ce  qui  se  rapporte  à  eux  appartienne 
davantage  aux  croyances  populaires.  Ils  sont 
dépeints  tantôt  comme  une  race  puissante 
et  féroce,  tantôt  comme  des  génies  qui  han- 
tent les  cimetières.  Dès  l'introduction,  cette 
race  se  fait  connaître  par  les  exploiisduVetâla 
Agni,  antropophage,  glouton,  qui  sait  tout, 
qui  peut  tout,  et  dont  le  roi,  par  son  cou- 
rage et  sa  fermeté,  a  obtenu  l'amitié.  C'est 
lui  qui  est  le  héros  ou  plutôt  le  narrateur 
des  vingt-cinq  contes  du  Vetâla.  Le  Vetâla 
est  donc,  de  ce  chef,  inséparable  des  Ja  récits 
du  trône.  A  cela  près,  il  n'est  pas  très  sou- 
vent question  de  Vetàlas;  mais,  chaque  fois 
qu'on  en  parle,  c'est  pour  donner  l'idée  de 
la  plus  grande  atrocité  ou  du  pouvoir  mer- 
veilleux le  plus  étendu.  C'est  à  eux  qu'on 


LIV      ÉTUDE  SUR  LES  TFENTE-DEUX  RÉCITS 

attribue  les  sacrifices  humains;  d'après  le  ré- 
cit 27,  il  existe  une  ville  de  Vetâlas  où  de 
tels  sacrifices  se  célèbrent;  et  Vikramâditya 
les  fait  cesser.  La  fantasmagorie  du  récit  29^ 
l'apparition  de  cet  homme  imaginaire  qui 
meurt  pour  reparaître  peu  après  et  de  cette 
femme,  non  moins  imaginaire,  qui  se 
brûle,  croyant  être  devenue  veuve,  est  l'œu- 
vre d'un  Vaitâlika,  c'est-à-dire  d'un  homme 
de  la  race  des  Vetâla,  ou  d'un  disciple  des  Ve- 
tâla,  qui  se  présente  devant  le  roi  armé 
d'une  canne  (une  baguette  magique!)  et  ac- 
complit ce  prodige  dont  l'unique  résultat  est 
de  mettre  en  relief  l'abnégation  de  Vikra- 
mâditya.  Le  narrateur  semble  avoir  voulu 
montrer  par  l'intervention  des  Vetâla  que  la 
plus  grande  puissance  magique  comme  la 
plus  grande  férocité  sont  employées  à  faire 
éclater  les  vertus  du  roi. 


V.  -  RELIGION 

Nous  abordons  maintenant  la  religion  à 
laquelle  l'étude  des  êtres  surhumains  ser- 
vait naturellement  de  préface.  On  peut  dis- 


DU  TRONE  LV 

tinguer  dans  une  religion  diverses  parties  : 
les  croyances  qui  la  constituent,  le  principe 
qui  lui  sert  de  base,  la  morale  qui  en  dé- 
coule, les  pratiques  qu'elle  prescrit  pour  le 
culte.  Nous  n'avons  pas  l'intention  d'étudier 
à  fond  ces  différents  points  :  nous  voulons 
seulement  toucher  quelques-uns  d'entre  eux. 


§    l6.  —   CROYANCES   VULGAIRRS 

11  serait  difficile  de  tirer  de  nos  récits  un 
corps  complet  de  croyances.  Mais  il  est  aisé 
de  voir  qu'ils  supposent  partout  l'adhésion 
non  discutée  aux  croyances  et  aux  enseigne- 
ments du  brahmanisme.  La  guerre  des  dieux 
et  des  Dilnavas  leurs  adversaires,  le  baratte- 
ment  de  la  mer,  le  triomphe  de  Vishnu  sont 
rapportés  et  proclamés.  Nàràyana  (qui  est 
Vishnu)  est  adoré  une  seule  fois.  Devî  est  in- 
voquée dans  l'introduction  par  Bhoja  qui  a 
trouvé  le  fameux  trône,  et,  dans  le  récit  Sa, 
par  N'ikramâditya  qui  obtient  d'elle  la  cessa- 
tion de  la  famine.  Cette  Devî  est  identifiée  à 
Paramcçvarî,  qui  suppose  Parameçvara.  l*ara- 
meçvara  se  confond  avec  Içvaradontla  véné- 
ration est  recommandée  plusieurs  fois  Tous 


l.Vl        ETUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX   RECITS 

ces  noms  se  rapportent  à  Çiva.  Nous  trouve- 
rions donc  dans  nos  contes  Vishnu  et  Çiva,  ce 
qui  suppose  une  sorte  de  conciliation  entre  les 
deux  divinités  rivales.  Mais  les  divinite's  ne 
sont  ni  fréquemment,  ni  clairement  citées; 
les  récits  du  trône  n'ont  point  un  caractère 
bien  accusé,  soit  dans  le  sens  du  çivaïsme, 
soit  dans  le  sens  du  vishnuïsme.  Ils  s'occu- 
pent peu  des  grandes  divinités  du  Panthéon 
brahmanique,  ils  aiment  mieux  s'attacher  à 
de  menues  divinités  qui  peut-être  ne  sont 
guère  plus  réelles  (je  parle  en  me  plaçant 
au  point  de  vue  hindou)  que  les  noms  de 
lieux  et  les  autres  particularités  notées  dans 
les  diflFérents  contes,  mais  qui  du  moins, 
nous  paraissent  représenter  fidèlement  les 
objets  de  l'adoration  populaire.  Car  nous 
n'avons  point  à  faire  ici  aux  leçons  officiel- 
les du  brahmanisme;  il  s'agit  de  contes  com- 
posés pour  la  foule.  Or,  elle  doit  y  retrouver, 
sous  une  forme  mythique  qui  semble  la 
transporter  dans  un  monde  de  fantaisie,  l'i- 
mage de  ses  préoccupations  habituelles.  Peu 
importe  que  telle  divinité  citée  dans  les 
contes  n'existe  pas  plus  que  le  lieu  où  son 
autel  est  censé  établi,  pourvu  qu'elle  res- 
semble à  telle  divinité  dont  le  lecteur   indi- 


bU  TRÔNB  LVIl 

gène  a  pu  visiter  la  résidence.  Or  nous 
croyons  que  nos  32  récits  nous  dépeignent 
assez  fidèlement  ce  culte  populaire. 


8    17.  —    CULTB 

Les  actes  du  culte  ne  sont  pas  minutieuse- 
ment décrits,  ni  même  énumérés  méthodi- 
quement; mais  ils  sont  assez  fréquemment 
cités  pour  qu'on  y  reconnaisse  les  cérémo- 
nies habituelles  du  brahmanisme.  Les  priè- 
res, les  invocations,  les  divers  ordres  de  sa- 
crifices (yajna-homa-bali-pujâ),  les  visites  aux 
étangs  sacrés  sont  plusieurs  fois  mentionnés; 
la  célébration  des  rites  védiques  est  aussi 
rappelée  dans  certaines  circonstances. 

Ce  qui  est  dit  au  récit  24,  qu'on  ne  brise 
pas  les  images  des  divinités  sous  le  régne  de 
Vikramâditya,  pourrait  donner  lieu  de  sup- 
poser qu'il  aurait  existé  des  sectes  iconoclas- 
tes. Mais  il  est  probable  que  cette  affirma- 
tion est  relative,  non  h  des  débats  religieux, 
mais  simplement  à  la  bonne  police  entrete- 
nue par  le  roi.  Les  brisements  d'images  aux- 
quels il  est  fait  allusion  sont,  sans  doute,  des 
profanations  vulgaires,  comme  il  peut  s'en 


LVIll       ÉTUDE   SUR   LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

commettre  partout,  en  dehors  de  toute  pre'oc- 
cupation  religieuse.  Si  la  mention  de  ces  ac- 
tes de  destruction  devait  être  rapportée  à 
des  faits  de  l'histoire  religieuse,  on  ne  pour- 
rait guère  y  voir  qu'un  souvenir  des  excès 
qui  ont  pu  sign&ler  les  invasions  musulma- 
nes ;  mais  rien  ne  nous  autorise  à  donner  à 
cette  hypothèse  un  caractère  précis. 

Ce  qui  nous  paraît  le  plus  remarquable 
dans  les  assertions  du  narrateur,  relative- 
ment au  culte,  c'est  l'inutilité  de  tous  les 
actes  religieux  constatée  plusieurs  fois,  no- 
tamment dans  le  récit  24;  ils  sont  impuis- 
sants à  conjurer  la  flamme;  le  sacrifice  seul 
de  la  vie  est  signalé  comme  ayant  cette  effi- 
cacité. Nous  avons  déjà  noté  la  répétition 
fréquente  de  cet  acte  important  dont  Vikra- 
mâditya  abuse  évidemment,  peut-être  parce 
qu'il  sait  bien,  par  expérience  ou  autrement 
que,  au  bout  du  compte,  son  sacrifice  ne  lui 
coûtera  pas  bien  cher  et  lui  vaudra,  dès  cette 
vie,  de  belles  récompenses.  Il  ne  faut  abuser 
de  rien,  et  un  homme  qui  tente  vingt  fois 
de  se  tuer  ou  qui  se  tue  deux  ou  trois  pour 
revivre  aussitôt  ne  nous  touche  pas  autant 
qu'un  homme  qui  ferait  une  bonne  fois  et 
sérieusement  le  sacrifice  de  sa  vie.  Quoiqu'il 


DU  TRONE  LU 

en  soit,  la  pensée  qui  paraît  se  dégager  de 
ces  récits,  c'est  que  le  sacrifice  de  la  vie  est 
l'acte  religieux  par  excellence.  Cet  acte,  par 
lequel  un  homme  quitte  volontairement  la 
vie,  ne  doit  pas  être  confondu  avec  celui  qui 
consiste  h  immoler  des  hommes  malgré  eux. 
Il  est  question  des  sacrifices  humains  d^ns 
nos  récits  ;  mais  ces  actes  odieux  sont  attri- 
bués à  la  race  abhorrée  des  Vetâlas,  etVikra- 
mâditya  y  met  fin;  il  est  intéressant  de  re- 
trouver dans  nos  récits  cette  mention  des 
sacrifices  humains.  On  a  agi^é  la  question  de 
savoir  si  les  Indiens  avaient  effectivement 
pratiqué  cette  horrible  coutume,  et  le  résul- 
tat des  recherches  a  été  affirmatif.  Que  les 
Indiens  les  aient  ou  non  pratiqués  eux-mê- 
mes, il  c  t  certain  qu'ils  en  ont  conservé  le 
souvenir,  et  ce  trait  de  nos  récits,  comme 
beaucoup  d'autres  apparemment,  doit  se  rat- 
tacher à  de  bien  anciennes  traditions.  En  ré- 
sumé, l'effusion  du  sang  humain,  d'un  sang 
expiatoire  revient  sans  cesse  dans  nos  textes  ; 
et  nous  comprenons  ainsi  comment  l'inextin- 
guible m  mie  des  immolations  volontaires  et 
des  sacrifices  humains  (je  prends  ce  terme 
dans  le  sens  le  plus  large),  s'est  perpétuée  chez 
les  Hindous  de  t;énération  en  génération. 


LX.         ETUDE  SUR   LES  TRENTE-DEUX  RECITS 

Parmi  les  pratiques,  religieuses,  il  ne  faut 
pas  oublier  celles  qui  sont  spéciales  à  cer- 
tains individus  visant  à  une  grande  supério- 
rité' morale,  les  Yogis,  appelés  aussi  Sannyasi 
et  Siddhi.  Nos  récits  ne  font  pas  de  différence 
entre  ces  trois  termes.  On  peut  voir  dans 
Manu  '  la  description  du  Sannyasi.  Nous 
dirons  seulement  ici  que  le  Yogi  est  celui 
qui,  aspirant  à  la  perfection,  la  cherche  dans 
l'identification,  l'union  intime  (Yoga),  avec 
l'être  suprême  et  renonce  à  toutes  les  satis- 
factions d'ici-bas.  Le  Yogisme  éveille  l'idée 
de  la  perfection.  Or  nos  contes  mettent  en 
scène  sept  de  ces  yogis,  sur  lesquels  il  y  en  a 
quatre  qui  sont  plus  ou  moins  méprisables. 
Voyons  d'abord  les  meilleurs.  Celui  du  ré- 
cit 9^  réalisait  vraiment  l'idéal  poursuivi;  il  re- 
fuse de  se  rendre  à  l'injonction  du  roi  qui 
l'a  mandé  près  de  lui  ;  Vikramâditya,  recon- 
naissant la  correction  de  ce  procédé  qui 
pouvait  paraître  blessant  à  l'égard  du  souve- 
rain, va  le  trouver  lui-même  et  reçoit  un  ta- 
lisman en  don.  Celui  du  i3«  récit  blâme 
l'humeur  voyageuse  de  Vikramâditya,  lui  ra- 
conte h  ce  sujet  une  histoire  instructive  et 

I,  Livre  VI. 


[ 


DU  TRONE  tXj 


combat  ses  idées  sur  la  fatalité.  Celui  du  19', 
reconnaissant,  à  la  seule  vue   de  Vikramâ- 
ditya  tous  les  mérites  dont  il  est  doué,  lui 
ilunne  trois  talismans.   Il  y  a  incontestable- 
ment des  Yogis  recommandables  et  dignes 
de  leur  profession;  mais  tous  ne  sont  pas 
a Lissi  sages  et  aussi  généreux  que  ceux  dont 
nous  venons  déparier;  et  les  Yogis  de  l'Inde 
comme  les  moines  et  les  prêtres  européens 
du  moyen-âge,  nous  sont  plus  d'une  fois  dé- 
peints   sous  des  traits  peu  favorables.  Celui 
de    l'introduction  est  un    misérable   prêt   à 
commettre   tous    les    crimes,    pour   gagner 
l'homme  d'or;  Vikramâditya  lui  tranche  la 
tête.   Celui  du  2'   récit  s'est  adonné  à  des 
mortifications   pénibles   pendant    un   grand 
nombre  d'années,   sans  obtenir  aucun  suc* 
,cès;  il  n'y  apportait  pas  les  dispositions  d'es- 
prit convenables  :   il  finit  par  être  exaucé, 
mais  ne  le  doit  qu'à  l'intervention  de  Vikra- 
mâditya   Celui  du  5*  récit  est  dans  un  état 
analogue,  mais  plus  caractérisé  ;  il  ne  croit 
pas  à  la  vertu  des  actes  qu'il  accomplit,  il  re- 
grette ks    jouissances   auxquelles    il   a    re- 
noncé :  Vikramâditya,  informé  de  son  état, 
le  prend  en  pitié,  ne  voit  en  lui  qu'un  mal- 
heureux, fait  en  sa  faveur  des  prodiges  de  li- 

4 


LXII      ETUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RECITS 

béralité,  et  lui  assure  ces  jouissances  aux- 
quelles il  avait  dit  adieu  pour  chercher  un 
état  supe'rieur  qu'il  n'avait  pu  trouver.  Enfin, 
le  Yogî  du  récit  32^  est  un  franc  incrédule 
qui  discute  avec  le  roi  et  finit  par  se  laisser 
convaincre,  mais  seulement  après  avoir  vidé 
l'arsenal  de  l'incrédulité.  Ces  diverses  pein- 
tures défavorables  du  Yogisme  ont,  sans  doute, 
été  faites  pour  glorifier  le  roi,  plutôt  que 
pour  flétrir  les  solitaires  voués  à  la  contem- 
plation ;  elles  nous  montrent  cependant  que 
les  façons  des  Yogis  n'en  imposaient  pas  au 
peuple,  qu'en  Inde  comme  en  Europe, 
l'habit  ne  fait  pas  le  moine  ;  qu'il  y  avait  de 
bons  Yogis  et  qu'il  y  en  avait  de  mauvais; 
qu'on  savait  fort  bien  les  discerner,  et  que 
si  les  bons  obtenaient  des  éloges  mérités, 
les  autres  ne  pouvaient  pas  se  dérober  au 
fouet  vengeur  de  la  satire. 


§     1(3.    •—    CROYANCES    FONDAMENTALES 

Au-dessus  des  pratiques  du  culte,  au-des- 
sus des  formes  extérieures,  et  même  des 
croyances  secondaires  qui  forment  le  système 
mythologique,  se    place  le  sentiment    reli- 


DU  TRONE  LXIII 

gieux,  le  sentiment  du  divin  dans  ce  qu'il  a 
de  plus  intime  et  de  plus  élevé.  Recherchons 
dans  nos  contes  la  trace  de  cet  élément 

La  première  que  nous  rencontrons  ou  qui 
nous  semble  mériter  l'attention  est  la  sanction 
morale  ou  plutôt  l'existence  d'un  étatfutur 
heureux  ou  malheureux,  en  rapport  avec  les 
actions  bonnes  ou  mauvaises  des  hommes.  Pâ- 
tâlaetNarakasontlcsnoms des  lieux  où  le  mal 
est  puni  (Intr.,  i,io,î3|,  Svarga  celui  du  lieu 
où  le  bien  reçoit  sa  récompense  (Intr  ,  i,  ao, 
2  5).  Ces  noms  sont  bien  connus;  il  est  tout 
naturel  de  les  retrouver  dans  ces  contes  qui 
sont  ici  tout  à  fait  dans  le  courant  de  la 
pensée  indienne.  Mais  le  sort  fait  aux  habi- 
tants du  Pàtâla  et  du  Naraka  et  à  ceux  du 
Svarga  est-il  déHnitif?  La  réponse  à  cette 
question  est  douteuse  d'après  la  dogmatique 
indienne  qui  flotte  entre  le  oui  et  le  non. 
On  conçoit  donc  que  nos  récits  ne  soient 
pas  propres  à  nous  donner  sur  ce  point  une 
solution  précise.  Nous  voyons,  dans  l'intro- 
duction, Vikramdditya  et  sa  rânî,  qui  le  suit 
de  près,  aller  droit  dans  le  Svarga  tout  de 
suite  après  leur  décès;  nous  ne  savons  pas 
s'ils  y  sont  pour  toujours.  On  nous  dit  ail- 
leurs que  les  méchants  endurent  des  souf- 


LXIV      ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

frances  pendant  plus  de  mille  naissances  : 
mais  qu'arrive-t-il  après  ces  mille  naissan- 
ces, ou  ce  nombre  indéfini  de  naissances? 
Nous  ne  le  savons  pas;  et  rien  ne  nous  le  fait 
préjuger.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  cette 
donnée  se  rapporte  à  la  transmigration  des 
âmes,  à  la  théorie  des  existences  successives. 
La  transmigration  des  âmes  est,  en  effet,  le 
dogme  fondamental  des  Hindous,  et  il  est 
recueil  de  leur  dogmatique  parce  qu'on  ne 
sait  par  quel  moyen  mettre  un  terme  à  ce 
renouvellement  constant  de  l'existence.  Le 
grand  problème  religieux  de  l'Inde  consiste 
précisément  à  trouver  et  déterminer  ce 
terme.  Ce  n'est  pas  de  nos  contes  que  nousde- 
vons  en  attendre  la  solution.  Tout  ce  que  nous 
pouvons  dire,  c'est  que,  sans  parler  aussi  fré- 
quemment de  la  transmigration  des  âmes 
qu'on  eût  pu  l'attendre,  ils  la  professent 
hautement  et  la  supposent  constamment. 
L'histoire  des  trois  Yaxas  qui  témoignent 
leur  reconnaissance  à  l'homme  qui  les  avait 
sauvés  de  la  mort  pendant  une  sécheresse 
quand  ils  étaient  poissons  (i3),  nous  montre 
des  animaux  et  des  animaux  d'une  espèce 
inférieure  passant,  dans  une  existence  ulté- 
rieure, à  la  condition  humaine.  L'éloge  de 


ou  IRONS  LXV 

la  science  (8,  20)  où  il  est  dit  que  l'ignorant 
est  assimilé  à  la  brute  et  renaîtra  comme  une 
brute,  nous  montre,  sans  Hgure,  l'homme 
destiné  à  renaître  dans  l'animalité.  EnHn,  le 
cadre  même  de  nos  récits  nous  otfre  un  cas 
de  transmigration  étrange  et  rare,  mais  non 
sans  exemple,  celui  d'êtres  animés  passés  à 
l'état  de  matière  brute,  sans  que  leur  indivi- 
dualité soit  détruite.  Les  32  figures  du  trône 
qui  racontent  les  histoires  de  notre  recueil 
sont  des  personnes  réelles  condamnées  à 
l'immobilité  et  réduites  à  prendre  la  forme 
de  statuettes  pour  expier  une  faute  non  ex- 
pliquée et  peut-être  bien  légère. 

La  succession  des  naissances  et  des  condi- 
tions diverses  appartient  à  l'ordre  changeant 
de  ce  que  les  Hindous  appellent  le  samsara 
et  qui  est  l'instabilité  même  ;  il  n'est  pas  sûr 
que  le  lieu  des  châtiments  et  celui  des  ré- 
compenses le  Naraka  (ou  le  Pâiâla)  et  le 
Svarga  ne  fassent  pas  partie  de  cette  exis- 
tence mobile.  Il  est  même  fort  probable 
qu'ils  ne  s'en  distinguent  pas  et  que  tout,  le 
monde  des  vivants  et  le  monde  des  morts, 
est  emporté  par  le  mouvement  incessant  du 
changement  perpétuel.  Est-ce  à  dire  que  toute 
existence  soit  vouée  sans  remède  à  la  mobilité. 


LXVI      ETUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RECITS 

qu'il  n'y  ait  rien,  absolument  |  rien  d'im- 
muable? Nos  récits  et  une  partie  de  la  phi- 
losophie indienne  avec  eux,  semblent  admet- 
tre un  principe  de  ce  caractère.  Ils  l'appellent 
«  l'âme  suprême  »  ;  la  perfection,  selon  eux, 
consiste  dans  la  «  méditation  de  l'âme  su- 
prême »  (6)  dans  une  «  morale  conforme  a 
la  science  de  l'âme  suprême  »  (17). 


§   19.  —  l'ame  suprême 

Quoique  la  cause  première  invisible,  et 
saisissable  seulement  dans  ses  effets  visibles, 
soit,  au  récit  28'',  l'objet  d'une  mention 
claire  et  précise,  mais  incidente,  introduite 
dans  une  comparaison,  dans  une  simple 
phrase,  et  qui  même  peut-être  pourrait  faire 
soupçonner  une  influence  musulmane  nul- 
lement certaine  d'ailleurs,  c'est  seulement 
dans  le  dernier  récit,  le  32'",  que  la  question 
est  traitée  ex  professa,  dans  un  sens  tout 
indien;  il  y  est,  en  effet,  parlé  de  l'âme  su- 
prême, et  très  longuement,  sous  forme  de 
discussion,  ce  qui  ajoute  peut-être  un  nou- 
veau charme  à  l'exposé  et  lui  donne  plus  de 
saveur,  mais  lui  prête  en  même  temps    un 


ou  TRÔNE  LXVII 

caractère  spécial.  Ce  récit  nous  fait  assister 
il  un  débat  entre  un  Yogi  incrédule  et  le  roi 
Vikramàditya  croyant  :  nous  voyons  la  reli- 
gion discutée,  contestée,  niée  par  un  des 
hommes  qui  l'ont  embrassée  spécialement  et 
font  profession  de  la  connaître  mieux  que 
les  autres,  et  défendue  par  un  roi  qui  peut 
avoir  à  remplir  envers  elle  des  devoir  géné- 
raux de  protection,  mais  qui  n'a  point  pré- 
cisément qualité  pour  plaider  sa  cause.  L'é- 
tude de  ce  débat  terminera  notre  étude  sur 
les  trente  deux  récits  du  trône. 

Il  s'engage  à  propos  d'une  des  pratiques 
du  bigotisme  hindou,  la  visite  aux  étangs 
sacrés.  Un  sophiste  incrédule  et  athée  atteint 
de  ce  mal  que  le  texte  appelle  a  la  négation 
des  Piyâcas  «>  ■  vient  et  tourne  cette  pratique 
en  ridicule,  il  la  déclare  vaine  et  nie  les  mé- 
rites qu'on  prétend  en  faire  découler.  Voici 
son  argumentation  : 

Il  n'y  a  dans  un  acte  rien  de  plus  que 
l'acte  lui-même;  l'acte  n'entraîne  donc  rien 
après  lui.  La  dissolution  du  corps  entraîne 

I .  «  Ndstikalâ piçJct.  Les  Piçâcas  sont  des  monstres  •  ies 
démons  qui  hantent  les  cimetières.  On  les  regarde  comme 
les  patrons  de  l'incrcdulité,  de  l'esprit  de  négation  : 
\âsli-ka  ta  •  état  de  celui  qui  nie,  qui  dit  :  cela  n'est  pas  • 


I.XVIII      ETUDE   SUR   I.ES  TRENIE-DEUX   KfcCiTS 

la  disparition  du  moi.  Il  ne  peut  donc  y 
avoir  ni  Svarga  ni  Naraka  ;  il  n'y  a  pas  da- 
vantage de  justice  et  d'injustice  invisible,  ni 
de  dieu  existant  par  lui-même,  conservateur 
et  destructeur;  ce  dieu  est  une  simple  ide'e 
dont  on  ne  peut  prouver  l'objet.  —  Il  avait 
été'  dit  au  récit  zq"  que  Dieu  est  une  cause 
qu'on  ne  peut  pas  apercevoir,  mais  que  l'on 
connaît  par  ses  effets. 

Toutes  les  négations  du  sophiste  se  lient  les 
unes  aux  autres,  sans  précisément  s'engendrer 
les  unes  les  autres.  Sa  première  proposition 
que  l'acte  ne  laisse  rien  après  lui  est  la  néga- 
tion d'une  des  idées  les  plus  chères  à  l'esprit 
indien.  Car  on  répète  sans  cesse  que  le  fruit 
ou  la  conséquence  d'un  acte  le  suit  comme 
l'ombre  suit  le  corps.  Or  cette  notion  impli- 
que comme  conséquence  probable,  sinon 
nécessaire,  l'existence  du  Svarga  et  du  Na- 
raka. Ces  deux  négations  du  sophiste  vont 
donc  directement  à  rencontre  des  notions 
les  plus  indestructibles  de  la  pensée  in- 
dienne ;  les  autres,  et  surtout  la  dernière,  sont 
moins  choquantes,  mais  ne  laissent  pas  que 
de  heurter  les  esprits  religieux. 

Voici  maintenant  par  quels  arguments  le 
roi  répond  à  ceux  du  sophiste  : 


DU  TRONE  LZIX 

Un  sourd  ne  s'entend  pas  parler  :  s'ensuit- 
il  que  sa  parole  n'existe  pas  ?  Il  se  trouverait 
donc  dans  cette  situation  singulière  de  faire 
connaître  aux  autres  sa  pensée  par  la  parole 
et  d'être  persuadé  qu'il  ne  dit  rien,  s'il  ne 
veut  s'en  rapporter  qu'au  témoignage  de  ses 
sens; car  son  sens  de  l'ouïe  ne  lui  fait  perce- 
voir aucun  son.  —  Un  homme  s'est  vu  cou- 
per la  tête  en  songe,  il  se  croit  décapité  et, 
par  conséquent,  mort  :  néanmoins  il  se  con- 
sidère comme  vivant.  L'autorité  des  sens  n'est 
donc  pas  la  seule,  ni  la  plus  digne  de  foi.  Si 
l'on  veut  ne  s'en  rapporter  qu'à  elle,  il  est 
des  choses  dont  on  ne  peut  se  rendre  compte, 
l'origine  des  êtres,  par  exemple.  Nous  n'al- 
lons pas  nous  imaginer  que  nous  sommes 
tombés  du  ciel  :  il  nous  faut  donc  supposer 
des  ancêtres  que  nous  n'avons  pas  vus,  mais 
dont  l'existence  ne  saurait  être  douteuse. 
C'est  par  un  raisonnement  analogue  qu'on 
arrive  à  conclure  l'existence  d'un  être  supé- 
rieur en  qui  et  par  qui  tout  existe.  Tout  a  une 
borne,  les  choses  matérielles  comme  les  cho- 
ses morales  :  qui  les  maintient  dans  leurs 
bornes  ?  qui  est  la  limite?  C'est  le  Seigneur 
suprême,  omniscient,  maître  absolu,  se  révé- 
lant par  la  série  des  effets,  essence  de  toutes 


LXX      ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

choses,  témoin  de  toutes  choses,  saisissant 
tout,  voyant  tout,  entendant  tout,  bien  qu'il 
n'ait  ni  mains,  ni  yeux,  ni  oreilles,  qui  con- 
naît tout  et  que  nul  ne  peut  connaître,  qui 
est  partout  et  que  nul  ne  peut  atteindre,  qui 
n'a  besoin  de  nul  appui  et  sur  qui  tout  re- 
pose, qui  est  toute  bonté,  intelligence,  féli- 
cité. 

Après  ces  définitions,  qui  sont  correctes  et 
dans  lesquelles  je  ne  vois  aucun  symptôme 
de  panthéisme,  il  en  vient  d'autres  qui  sont 
de  pures  divagations  panthéistiques.  Ce  Sei- 
gneur suprême,  qui  tout  à  l'heure  était  au- 
dessus  de  toutes  les  existences,  se  trouve  avoir 
maintenant  quelqu'un  ou  quelque  chose  au- 
dessus  de  lui.  Il  est  l'œuvre,  le  produit  de 
Mahâmayâ  («  la  grande  magie  »)  la  cause  et 
l'effet,  la  racine  et  le  produit.  Ce  monde, 
simple  effet  de  sa  puissance,  n'est  qu'un  songe. 
Sa  force  vient  du  grand  Sommeil  (!).  Voilà 
pourquoi  n'ayant  ni  qualité  (distinctivc),  ni 
activité  (déterminée),  étant  par  sa  nature 
toute  bonté,  intelligence,  félicité,  il  possède 
l'omniscience  et  toutes  les  qualités. 

Je  ne  suis  pas  parfaitement  sûr,  je  l'avoue, 
de  comprendre  ce  passage  énigmatique;  mais 
je  ne  crois  pas  qu'on  puisse  y  trouver  autre 


DU  TRONE  LXXI 

chose  qu'une  défînitioa  panthéiste  de  l'Etre 
suprême,  opposée  à  celle  qui  précède  et  qui 
me  semble  de  nature  à  satisfaire  les  théistes 
les  plus  ombrageux. 

Après  avoir  défini  l'Etre  suprême  par  ce 
double  courant  d'épiihétes  et  de  propositions, 
le  roi  aborde  la  question  de  la  délivrance  ti» 
nale  dont  il  fait  la  théorie  à  sa  manière,  en 
termes  très  brefs.  Il  se  borne  à  dire  qu'on 
arrive  à  la  délivrance  finale  en  rendaut  au 
Seigneur  suprême  un  hommage  assidu.  Ce 
genre  de  délivrance  paraît  être  autre  chose 
que  le  Svarga  et  quelque  chose  de  mieux.  Le 
Svarga  est  apparemment  la  plus  belle  récom- 
pense des  bonnes  actions  qu'on  puisse  obte- 
nir dans  le  monde,  non  pas,  sans  doute,  dans 
le  monde  terrestre,  mais  bien  dans  un  monde 
supérieur  qui  n'en  fait  pas  moins  partie  de 
ces  évolutions  et  de  ces  transformations  mul- 
tiples dont  se  composent  les  effets  variés  qui 
ont  dans  le  Seigneur  suprême  leur  point  de 
départ  et  leur  cause  première.  La  délivrance 
finale  proposée,  vantée,  mais   non  expliquée 
^_    par  le  roi  doit  être  une  absorption  d^.is  le 
^H  Seigneur  suprême  considéré  à  la  fois  comme 
^^B  la  cause  de  tous  les  effets  et  comme  la  sup- 
^^P  pression  de  toute  participation  aux  eflTets  dé- 

w 


LXXII      ETUDE  SUR   LES  TRENTE-DEUX   RECITS 

rivant  de  cette  cause  unique.  Cette  the'orie 
fait,  en  définitive,  bon  marché  du  Svarga,  et 
le  sophiste  qui  en  avait  nié  l'existence  a  dû, 
en  effet,  se  laisser  convaincre  assez  facilement 
sur  ce  point  par  son  adversaire. 

Cette  vue  relative  au  Svarga,  qu'elle  soit 
vraiment  celle  du  roi  ou  qu'elle  se  déduise  de 
ses  affirmations,  est  justifiée  par  la  suite  du 
discours.  Revenant,  en  effet,  à  la  morale,  Vi- 
kramâditya  compare  les  passions  vicieuses  à 
des  maladies,  les  efforts  vertueux  nécessaires 
pour  les  surmonter  à  des  remèdes,  et  le 
Svarga  à  des  friandises  qui  servent  à  faire 
passer  les  remèdes  dont  ils  dissimulent  l'a- 
mertume. L'image  est  bien  connue,  et  ce  n'est 
pas  la  première  fois  que  nous  la  rencontrons  ; 
mais  que  penser  de  cette  théorie  qui  fait  sim- 
plement du  Svarga  un  moyen  de  dorer  la  pi- 
lule? Le  Svarga  n'est  pas  seulement  une  ré- 
compense off"erte  à  celui  qui  aura  le  courage 
de  faire  les  efforts  requis  ;  c'est  une  sorte  de 
leurre,  un  appât.  On  avoue  que  le  fruit  véri- 
table de  tous  ces  efforts,  c'est  qu'on  devient 
maître  Je  soi.  Si  nous  interprétons  bien  la 
pensée  du  texte,  et  l'étude  que  nous  en  avons 
faite  ne  nous  a  pas  permis  d'arriver  h  une  au- 
tre conclusion,  l'empire  sur  soi-même,  s'il 


DU  TRONE  LXXlll 

n'est  pas  la  délivrance  finale  même  et  ne  se 
conlond  pas  avec  elle,  en  est  du  moins  la 
source  et  la  condition. 

Ainsi  toute  cette  discussion  si  savante  et  si 
religieuse,  qui  commence  pur  l'exaltation  de 
l'Etre  suprême,  semble  aboutir  à  la  glorifica- 
tion de  l'homme;  la  puissance  supérieure  est 
à  peu  près  oubliée,  et  son  concours  ne  sert 
qu'à  assurer  l'empire  de  l'homme  sur  soi- 
même.  Quel  usage  l'homme  doit-il  Lire  de 
cet  empire?  Se  rendra-t-il  indépendant,  ou 
s'absorbera-t-il  dans  le  Seigneur  suprême?  Le 
premier  de  ces  deux  états  paraît  mieux  ré- 
pondre à  la  nature  des  efl"orts  individuels  ac- 
complis. La  seconde  paraît  mieux  répondre  à 
la  pensée  générale  de  tout  le  débat.  Aussi  pa- 
raît-il à  propos  de  réserver  son  jugeme:;!.  Ne 
demandons  pas  à  nos  contes  de  nous  donner 
une  dogmatique  complète  et  de  toutes  pièces; 
c'est  assez  qu'ils  jettent,  en  passant,  un  grand 
nombre  d'idées  plus  ou  moins  sérieuses  et 
élevées  qui  méritent  d'être  notées  et  recueil- 
lies. C'est  ce  que  nous  avons  tâché  de  faire. 
Nous  n'avons  pas  la  prétention  d'avoir  fait 
un  exposé  méthodique  et  complet,  où  rien 
n'a  été  oublié,  où  tout  est  parfaitement 
classé  ;  un  recueil  de  contes  ne  mérite  peut- 

5 


*<. 


LXXIV      ÉTUDE  SUR  LES  TRENTE-DEUX  RÉCITS 

être  pas  d'être  pris  tellement  au  sérieux.  Ce- 
pendant nous  croyons  n'avoir  rien  omis 
d'important  et  avoir  classé  ces  matériaux,  qui 
ne  laissent  pas  d'être  assez  nombreux,  d'une 
façon  au  moins  satisfaisante.  Tout  ce  que 
nous  nous  sommes  proposé,  c'est  d'introduire 
le  sujet  et  d'appeler  l'attention  du  lecteur  sur 
une  œuvre  qui  peut  paraître  légère,  mais  qui 
a  son  côté  grave,  peut-être  même  de  lui  faci- 
liter l'usage  de  ce  livre  en  expliquant  certains 
points  et  faisant  ressortir  les  idées  principales 
qui  s'y  trouvent  éparses.  Puisse-t-il  trouver 
que  le  temps  employé  à  ce  travail  n'a  pas  été 
perdu,  et  qu'il  valait  la  peine  de  traduire  et 
de  soumettre  à  une  modeste  analyse  l'histoire 
du  trône  de  Vikramâditya  et  les  trente-deux 
récits  que  la  fantaisie  indienne  s'est  plu  à  y 
rattacher! 


*V* 


i 


TRADUCTION 

DE     LA     VERSION     BENGALIE 
OU 

BATRIS  SINHASAM 

(les  trentk-dkux  récits  du  trône  ~ 

DE   VIKRAMADITYa) 

PAt 

LE  ÇARMAN  MRITYUNJAYA 


RECUEIL  (DES  RÉCITS)  DU  TRONE 

AUX  TRENTE-DEUX    FIGURES 

L'AUGUSTE  VIKRAMADITYA 

EN    LANGUE    UU    BËNGAL 

Par  Son  Eicelleaee 

LE    ÇARMAN    MRITYUNJAYA 


I 'auguste  Vikramâditya  était  un  roi  des 
rois  également  versé  dans  les  choses 
divines  et  dans  les  choses  humaines.  Il  avait 
reçu,  par  la  faveur  des  dieux,  un  trône  en 
pierreries  et  orné  de  trente-deux  figures  sur 
lequel  il  siégeait.  Quand  ce  roi,  l'auguste  Vi- 
kramâditya, fut  monté  dans  le  Svarga,  il  n'y 
eut  plus  personne  qui  fût  digne  de  s'asseoir 


CONTES  INDIENS 


sur  ce  trône,  lequel  fut  enfoui  dans  le  sol. 
Quelque  temps  après,  sous  la  domination 
de  l'auguste  roi  Bhoja,  ce  trône  fut  retrouve'. 
Voici  le  re'cit  de  cette  histoire  : 


LES 

TRENTE-DEUX  RÉCITS 

DU    TRONE 


i:^(iTRODUCTIOO^ 


L  y  avait  dans  la  région  du  MiJi  une 
ville  appelée  Dhàrà.  Non  loin  de  cette 
ville,  était  situé  un  champ  de  grains  appelé 
Sambandakar,  dont  le  cultivateur  avait  nom 
Yajnadatta.  Ce  cultivateur,  après  avoir  creusé 


6  CONTES  INDIENS 

un  fossé  aux  quatre  côtés  du  champ  de  grains, 
y  fit  pousser  des  arbres  de  diverses  nature, 
des  Çâla,  des  Tâla,  des  Tamâla,  des  Piyâla, 
des  Hintala,  des  Vakula,  des  Amra,  des  Am- 
râtaka,  des  Campaka,  des  Açoka,  des  Kim- 
çuka,  des  Vaka,  des  Guvâka,  des  Nârikela, 
des  Nâyakeçar,  des  Mâdhavî,  des  Mâlatî,  des 
Yuthî,  des  Jâtî,  des  Sevatî,  des  Kadalî,  des 
Tagar,  des  Kunda,  des  Mallikâ,  des  Deva- 
dâru  etc.  ;  il  forma  ainsi  un  parc  et  y  fixa  sa 
résidence. 

Près  de  ce  parc  était  une  forêt  épaisse  et 
redoutable,  d'où  sortaient  des  éléphants,  des 
tigres,  des  buffles,  des  rhinocéros,  des  sin- 
ges, des  sangliers,  des  lièvres,  des  ours,  des 
daims  et  bien  d'autres  animaux,  qui  détrui- 
saient chaque  jour  les  plantations.  Contra- 
rié au  plus  haut  degré  par  cet  état  de  cho- 
ses, Yajnadatta,  pour  garder  ses  plantations, 
établit  un  observatoire  dans  le  champ  et  s'y 
installa  de  sa  personne.  Chaque  fois  qu'il 
était  sur  l'observatoire,  pendant  tout  le 
temps  qu'il  y  était,  le  cultivateur  comman- 
dait, ordonnait,  délibérait  de  la  même  façon 
qu'un  roi  des  rois  commande, ordonne,  déli- 
bère. Une  fois  descendu  de  ce  poste  d'obser- 
vation, il  était  comme  un  simple  particulier. 


INrUODUCTION  7 

Les  voisins  du  cultivateur,  ayant  rennar- 
qué  cette  particularité,  en  furent  étonnés  et 
parlèrent  ensemble  de  ce  fait  merveilleux. 
L'affaire  s'ébruita  par  la  conversation,  telle- 
ment que  Bhoja,  le  roi  de  la  ville  de  Dhârâ, 
en  entendit  parler.  Aussitôt,  saisi  de  curio- 
sité, il  se  rendit  à  cet  observatoire,  accom- 
pagné de  ses  conseillers,  de  ses  officiers,  de 
son  armée,  de  son  général  en  chef  :  après 
avoir  vu  de  ses  yeux  le  cas  de  ce  cultiva- 
teur, il  fit  monter  sur  l'observatoire  un  de 
ses  conseillers,  en  qui  il  avait  une  confiance 
extrême.    Ce   conseiller,    pendant    tout    le 
temps  qu'il  fut  sur  l'observatoire,  commanda, 
ordonna  et  délibéra  à  la  façon  d'un  roi  des 
rois.  A  cette  vue,  le   roi  surpris  fit  la  ré- 
flexion que  cette  vertu  n'était  propre  ni  à 
l'observatoire,  ni  au  cultivateur,  ni  au  con- 
seiller, mais  qu'il  y  avait  en  ce  lieu  quel- 
que objet  étonnant  par  la  puissance  duquel 
le  cultivateur   se  comptait  comme  un   roi. 
Cette  détermination  faite,  le  grand  roi,  pour 
trouver  l'objet,  donna  l'ordre  de  creuser  en 
ce  lieu.  Dés  que  l'ordre  fut  reçu,  la  troupe 
des  gens  de  service  se  mit  à  creuser  :  de  ces 
fouilles  sortit  un  trône  en  pierreries,  divin, 
plein  d'éclat,  resplendissant  de    32  figures, 

5 


8  CONTES  INDIENS 

orné  d'une  foule  de  pierreries,  de  corail,  de 
perles,  de  rubis,  de  diamants,  de  cristal,  de 
jaspe,  de  saphir,  de  rubis.  Tel  était  l'éclat  de 
ce  trône  que  le  roi  et  les  gens  de  sa  suite  ne 
furent  pas  capables  de  le  regarder. 

Ensuite,  le  roi,  ravi  de  cette  trouvaille, 
eut  le  désir  de  faire  porter  le  trône  dans  sa 
résidence  royale,  et  donna  des  ordres  en 
conséquence  à  la  troupe  de  ses  serviteurs. 
Les  ordres  donnés,  les  serviteurs  firent  plu- 
sieurs tentatives  pour  enlever  le  trône  ;|mais 
le  trône  ne  bougea  pas  de  place.  Une  voix 
retentit  alors  dans  les  airs,  disant  :  O  Roi, 
donne  diverses  étoffes,  des  ornements  et  au- 
tres objets,  rends  un  culte  à  ce  trône,  fais- 
lui  des  offrandes  et  des  sacrifices;  alorg  le 
trône  s'enlèvera.  —  Le  roi,  ayant  entendu 
ces  paroles,  agit  ainsi,  et  le  trône  s'enleva 
sans  difficulté. 

Ayant  donc  fait  porter  le  trône  dans  sa 
ville  royale  appelée  Dhârâ,  il  l'établit  dans  la 
salle  du  conseil  ornée  de  colonnes  en  or,  en 
argent,  en  corail,  en  cristal.  Puis  le  désir 
lui  vint  de  siéger  sur  ce  trône  ;  il  appela  des 
savants,  fit  choisir  un  moment  de  bon  au- 
gure, et  donna  aux  gens  de  service  l'ordre 
de  faire   tous  les  préparatifs  du  sacre.    Dès 


INTRODUCTION  9 

qu'ils  eurent  reçu  l'ordre,  les  serviteurs  ap- 
portèrent du  lait  caillé,  du  durba,  du  santal, 
des  Heurs,  de  l'akuru,  du  safran,  delà  bouse 
de  vache ,  des  parasols ,  des  ombrelles , 
diverses  queues,  des  queues  de  vache,  des 
queues  de  paon,  des  flèches,  des  armes, 
des  miroirs  et  autres  objets  qui  sont  dans 
les  mains  des  femmes  ayant  mari  et  enfants, 
tout  l'appareil  propre  à  une  fête  solennelle, 
avec  une  peau  de  tigre  bigarrée  pour  figurer 
la  terre  aux  sept  continents,  en  un  mot 
l'appareil  prescrit  dans  les  Castras  pour  le 
sacre  des  rois,  puis  en  informèrent  Sa  Ma- 
jesté. Alors,  quand  le  Guru,  le  Purohita, 
les  Brahmanes,  les  savants,  les  conseillers, 
les  chefs,  les  soldats,  le  général  en  chef  fu- 
rent entrés,  l'auguste  roi  Bhoja  s'approcha 
du  trône,  afin  d'être  sacré  quand  il  y  serait 
nssis. 

A  ce  moment,  la  première  figure  du  trône 
s'adressa  au  roi  en  ces  termes  : 

O  roi,  écoute!  Le  roi  qui  est  doué  de  qua- 
lités, extrêmement  riche,  extrêmement  libé- 
ral, extrêmement  compatissant,  éminent  par 
son  héroïsme  et  sa  bonté,  porté  par  sa  nature 
à  des  efforts  de  moralité,  plein  de  force  et  de 
majesté,  c'est  ce  roi  seul  qui  est  digne  de 


10  CONTES  INDIENS 

s'asseoir  sur  ce  trône;  un  autre,  un  roi  ordi- 
naire, n'en  est  pas  digne. 

A  ce  discours,  le  roi  répondit  :  O  figure, 
il  suffit  qu'on  me  demande  pour  que,  com- 
prenant le  devoir  de  donner,  j'accorde  immé- 
diatement un  lac  et  demi  d'or  :  quel  autre 
roi  sur  la  terre  m'est  supérieur  en  libéralité  ^ 
En  entendant  ces  paroles,  la  figure  sourit 
et  dit  :  O  roi,  l'homme  qui  est  grand  ne  fait 
pas  lui-même  l'éloge  de  ses  propres  qualités. 
Tu  fais  toi-même  le  commentaire  de  tes  qua- 
lités; a  cause  de  cela,  dans  ma  pensée,  tu  es 
très  petit.  L'homme  grand  est  celui  dont  les 
qualités  sont  vantées  par  autrui.  Quand  on 
vante  soi-même  ses  propres  qualités,  il  n'en 
résulte  rien  de  bon  ;  mais  les  gens  en  parlent 
comme  d'une  chose  inconvenante  :  comme 
lorsqu'une  jeune  femme  presse  elle-même  ses 
seins,  il  n'en  résulte  aucun  plaisir;  mais  les 
gens  en  parlent  comme  d'une  chose  inconve- 
nante. 

En  entendant  ce  discours  de  la  figure,  le 
roi  fut  extrêmement  confus;  il  dit  :  O  figure, 
ce  trône,  à  qui  était-il?  à  quoi  servait-il?  Ra- 
conte-moi cette  histoire. 

La  figure  reprit  :  O  grand  roi,  écoute  l'his- 
toire du  trône  : 


INTRODUCTION  I  I 

Dans  une  ville  appelée  Avantî  était  un  roi 
nommé  Bartrihari.  A  l'époque  où  il  fut  sa- 
cré, son  frère  cadet,  appelé  l'auguste  Vikra- 
mâditya,  ayant  reçu  un  affront,  quitta  son 
propre  pays  et  passa  à  l'étranger.  L'auguste 
Bartrihari,  depuis  son  sacre,  veillait  sur  les 
créatures  comme  sur  ses  enfants  et  répri- 
mait les  méchants  :  voilà  comment  il  gou- 
vernait la  terre.  La  dame  qui  partageait  le 
trône  du  roi,  appelée  Anangasenâ,  s'assu- 
jettissait complètement  le  roi  par  sa  beauté 
et  ses  qualités.  Or,  il  y  avait  dans  cette  ville 
un  brahmane  qui  rendait  un  culte  à  Devî,  la 
divinité  du  pays.  Devî,  satisfaite  de  ce  culte, 
se  présenta  à  lui  et  lui  dit  :  Brahmane,  de- 
mande ce  que  tu  désires.  Le  brahmane, 
après  lui  avoir  adressé  humblement  ses  louan- 
ges, dit  :  «  O  Devî,  si  tu  es  bien  disposée 
pour  moi,  rends-moi  exempt  de  la  vieillesse 
et  de  la  mort  \  »  —  A  l'ouïe  de  ces  paroles, 
Devî  satisfaite  donna  un  fruit  au  brahmane 
et  lui  dit  :  «  Quand  tu  auras  mangé  ce  fruit, 
tu  seras  affranchi  de  la  vieillesse  et  de  la 
mort.  »  Après  lui  avoir  ainsi  donné  ce  qu'il 
avait  choisi,  Devî  disparut,  et  le  brahmane 
s'en  alla  chez  lui.  Le  lendemain,  après  avoir 
rempli  tous  ses  devoirs,  l'ablution,  l'offrande. 


12  CONTES  INDIENS 

etc.,  comme  il  était  sur  le  point  de  manger 
le  fruit,  il  fit  en  lui-même  cette  réflexion  : 
«  Je  ne  suis  qu'un  mendiant  excessivement 
pauvre;  à  quoi  bon  prolonger  la  durée  de 
ma  vie?  Le  roi  Bartrihari  est  souveraine- 
ment juste;  la  prolongation  de  ses  jours  sera 
un  bienfait  pour  une  multitude  de  gens.  »  Ces 
réflexions  faites,  il  se  rendit  dans  le  conseil 
du  roi,  lui  adressa  ses  salutations,  lui  fit  pré- 
sent du  fruit  et  lui  en  raconta  en  même  temps 
l'histoire.  Le  roi,  ayant  reçu  le  fruit,  fut  rem- 
pli de  joie,  et  accorda  au  brahmane  plusieurs 
distinctions  honorifiques  ;  puis  ce  brahmane 
s'en  retourna  chez  soi.  Le  roi  s'étant  rendu 
dans  l'appartement  des  femmes,  donna  à  la 
Rânî  des  témoignages  de  son  extrême  bien- 
veillance et  lui  remit  le  fruit  ;  en  même  temps, 
il  lui  en  raconta  l'histoire.  La  Rânî  avait  des 
relations  avec  le  premier  conseiller,  si  bien 
qu'elle  lui  raconta  cette  histoire  et  lui  donna  le 
fruit.  Le  premier  conseiller  était  l'amant  d'une 
courtisane  ;  il  raconta  aussi  l'histoire  à  cette 
courtisane  et  lui  donna  le  fruit.  La  courtisane, 
ayant  reçu  le  fruit,  prit  la  détermination  sui- 
vante :  «  Si  je  donne  ce  fruit  au  roi  Bartri- 
hari, j'obtiendrai  d'abondantes  richesses.»  — 
Ayant  pris  ce  parti,  elle  donna  le  fruit  au  roi. 


INTRODUCTION  l3 

Le  roi,  en  recevant  ce  fruit,  fut  excessive- 
ment étonné  :  «  Ce  fruit,  se  dit-il,  je  l'avais 
donné  à  la  Hânî;  d'où  vient  cette  extrême 
atfection  de  la  Rânî  pour  une  courtisane?  • 
Il  fit  donc  des  recherches,  et  apprit  toute 
l'histoire.  Incontinent  il  fut  détaché  des  cho- 
ses du  monde  et  comprit  tout  ce  qu'il  y  a  de 
mauvais  dans  les  biens  extérieurs,  tels  que 
femmes,  enfants,  etc.  «  Cette  femme  que  j'ai- 
mais plus  que  ma  vie,  pensa-t-il,  je  vois  qu'elle 
n'avait  pas  d'attachement  pour  moi,  elle  était 
attachée  à  mon  conseiller;  ce  conseiller,  de 
son  côté,  n'avait  pas  d'attachement  pour  la 
Rânî,  il  n'en  avait  que  pour  une  courtisane  ; 
la  courtisane  non  plus  n'avait  pas  d'attache- 
ment pour  le  conseiller;  la  richesse  était 
son  unique  passion.  Ainsi  l'atïeciion  qu'on  a 
pour  une  femme,  des  enfants  et  autres  cho- 
ses de  ce  monde  est  une  pure  duperie.  •  — 
Après  avoir  fait  toutes  ces  réflexions,  le  roi 
renonça  à  la  royauté  et  s'en  alla  dans  la  fo- 
ret. L^  il  mangea  le  fruit  donné  par  le  dieu, 
puis  resta  plongé  dans  une  profonde  médita- 
tion. Le  roi  Bartrihari  n'avait  pas  de  posté- 
rité ;  le  royaume  était  privé  de  roi,  l'épou- 
vante causée  par  les  voleurs  et  les  malfaiteurs 
augmentait  de  jour  en  jour. 


14  CONTES  INDIENS 

Un  Vetâla  nommé  Agni  faisait  sa  demeure 
en  ce  pays.  Or,  les  conseillers,  dans  leur 
trouble  extrême,  avaient  confié  la  garde  du 
royaume  à  un  enfant  Xatrya  doué  de  tous 
les  signes  de  la  royauté.  Mais  le  jour  où  ils 
l'avaient  installé  roi  du  pays,  ce  même  jour, 
à  la  tombée  de  la  nuit,  le  Vetâla  Agni  arriva, 
fit  périr  le  roi,  puis  s'en  alla.  C'est  de  cette 
façon  que,  chaque  fois  que  les  conseillers  se 
réunissaient  pour  faire  un  roi,  chaque  fois  le 
Vetâla  Agni  le  faisait  périr.  Ainsi  nul  ne  pou- 
vait rester  roi  dans  ce  pays.  Aussi  la  perver- 
sité des  méchants  devint  telle  que  le  pays 
dépérissait  de  jour  en  jour.  Les  conseillers 
se  creusèrent  la  tête  pour  chercher  les 
moyens  de  préserver  le  roi,  mais  ils  ne  réus- 
sirent pas  à  trouver  un  expédient  pour  le 
maintenir. 

Un  jour,  les  ministres  assemblés  étaient  en 
séance  occupés  à  délibérer  quand  l'auguste 
Vikramâditya,  ayant  pris  un  costume  d'em- 
prunt, entra  dans  la  salle  du  conseil  et  dit 
aux  ministres  :  «  Pourquoi  ce  royaume  est-il 
sans  roi?  » —  Les  ministres  répondirent  :  «  Le 
roi  est  allé  dans  la  forêt;  chaque  fois  que 
nous  faisons  un  (nouveau)  roi  pour  garder  le 
royaume,  le  Vetâla  Agni  fait  périr  ce  roi.  » 


J 


INTRODUCTION  l5 

—  Vikramâditya,  ayant  entendu  ces  paroles, 
reprit  :  «  Faites-moi  roi  aujourd'hui  •  Les 
ministres,  voyant  que  Vikramâditya  était  un 
sujet  digne  de  la  royauté,  dirent  :  •  A  partir 
d'aujourd'hui.  Ton  Excellence  est  roi  du  pays 
d'Avantî;  c'est  en  nous  conformant  à  tes  or- 
dres que  nous  ferons  nos  propres  affaires.  • 
Devenu  de  cette  façon  roi  du  pays  d'Avantî, 
Vikramâditya  passa  tout  le  jour  à  s'occuper 
(des  affaires)  de  la  royauté,  à  goûter  les  jouis- 
sances du  bien-être;  à  la  nuit,  il  prépara,  en 
vue  du  Vetâla  Agni,  diverses  espèces  de  breu- 
vages enivrants,  de  la  viande,  du  poisson, 
des  douceurs,  du  pain,  du  riz  bouilli  avec  du 
miel  et  du  sucre,  des  mets,  des  sauces,  du 
lait  caillé,  du  lait,  du  beurre  clarifié,  du 
beurre  frais,  du  sandal,  des  guirlandes,  des 
fleurs,  diverses  espèces  de  substances  odo- 
rantes, etc.  ;  il  garda  tout  cela  dans  sa  mai- 
son, et  lui-même  resta  chez  lui,  se  tenant 
éveillé  sur  son  meilleur  lit. 

Alors  le  Vetâla  Agni  entra  dans  cette  mai- 
son, un  glaive  à  la  main,  et  s'efforça  de  tuer 
l'auguste  Vikramâditya.  Le  roi  lui  dit  :  Ve- 
tâla Agni,  écoute!  puisque  Ton  Excellence 
est  venue  pour  me  faire  périr,  il  n'est  pas 
douteux   qu'elle    y  réussira;  mais  tous  ces 


l6  CONTES  INDIENS 

mets  que  voici  ont  été  réunis  ici  à  ton  in- 
tention; mange  tout,  tu  me  feras  périr  en- 
suite. »  Le  Vetâla  Agni,  ayant  entendu  ces 
paroles,  absorba  tous  les  mets  accumulés,  et, 
satisfait  du  roi,  lui  dit  :  «  je  suis  extrême- 
ment (content  et)  bien  disposé  pour  toi,  je 
te  donne  ce  pays  d'Avantî;  sois  au  premier 
rang  et  goûte  les  jouissances;  seulement, 
prépare-moi  tous  les  jours  un  repas  sem- 
blable. »  A  ces  mots,  le  Vetâla  Agni  quitta 
ce  lieu  pour  retourner  dans  sa  demeure. 

Le  matin,  le  roi,  après  avoir  rempli  ses 
devoirs,  se  rendit  au  conseil.  En  le  voyant, 
les  conseillers  et  autres  se  dirent  en  eux- 
mêmes  :  «  Puisqu'il  a  pu  échapper  au  Ve- 
tâla Agni,  ce  sera  assurément  un  grand 
homme.  »  Ayant  donc  fait  cette  réflexion 
dans  leur  esprit,  ils  témoignèrent  au  roi  un 
grand  respect,  se  montrèrent  pleins  d'atten- 
tion (pour  lui),  puis  se  livrèrent  à  leurs  oc- 
cupations respectives. 

Le  roi,  ayant,  par  crainte  et  par  amour, 
rendu  ses  ministres  et  les  autres  dociles  à 
ses  ordres,  accomplissait  l'œuvre  de  la  royauté 
conformément  au  code  politique  et  pénal  '. 

i.  NÎti-çâstra  (livre  de  la  politique  ou  de  la  morale)  et 
Danda-çdstra  (livre  du  châtiment). 


INTRODUCTION  I7 

Chaque  jour,  à  la  nuit,  il  cHrait  le  repas 
comme  précédemment  au  Vetâla  Agni.  Mais 
ensuite,  il  se  rendit  maître  du  Vetâla  Agni 
par  le  moyen  suivant  : 

Un   jour,  à  la  nuit,  le  Vetâla  Agni,  après 
avoir  mangé,  fut  très  satisfait  et  ne  s'en  alla 
pas.    Le  roi  lui  posa   alors  cette  question  : 
«  O  Vetâla,   qu'est-ce  que  tu  es  capable  de 
lire?  que  sais-tu?  »  —  Le  Vetâla  répondit  : 
•  Ce  que  j'ai  dans  l'esprit,  je  suis  capable  de 
l'exécuter;  je  connais  tout.  •  —  Le  roi  re- 
prit :  «  Parle,  regarde  :  Quelle  est  la  durée 
de  ma  vie  ?  » —  Le  Vetâla  répondit  :  *  Ton  âge 
est  d'une  centaine  d'années.  •  —  Le  roi  reprit  : 
Dans  ma  vie,  il  s'est  rencontré  deux  lacunes  ; 
.c  qui  n'est  pas  bien;  en  conséquence,  ac- 
corde-moi une  année  en  plus  des  cent  ans, 
ou  retranche  des  cent  une  année.  •  —  Le  Ve- 
tâla répondit  :  •  O  roi,  tu  es  au  plus  haut  de- 
gré, bon,  libéral,  compatissant,  juste,  vain- 
queur de  tes  sens,  honoré  des  dieux  et  des 
Brahmanes  :  (la  mesure  des)  jouissances  qui 
doivent  remplir  ta  vie  est  comble;  il  n'est 
pas    possible    d'y   ajouter   ou    d'en  retran- 
cher quelque  chose.  »  —  En  entendant  ces 
paroles,  le  roi  fut  satisfait  ;  et  le  Vetâla  s'en 
retourna  dans  sa  demeure. 


l8  CONTES  INDIENS 

Après  cela,  le  roi  ne  fit  point,  à  la  nuit, 
les  pre'paratifs  du  festin  pour  le  Vetâla, 
mais  il  se  tint  prêt  pour  le  combat.  Le  Ve- 
tâla arriva,  et,  ne  voyant  rien  de  préparé 
pour  le  repas,  voyant  au  contraire  les  dispo- 
sitions prises  par  le  roi  pour  le  combat,  il 
se  fâcha  et  dit  :  «  Fi  !  roi  pervers,  pourquoi 
ne  m'as-tu  rien  préparé  à  manger  aujour- 
d'hui ?»  —  Le  roi  répondit  :  «  Puisque  tu 
n'es  pas  capablç  d'ajouter  à  la  durée  de  ma 
vie  ou  d'en  retrancher,  pourquoi  te  prépa- 
rerais-je  un  repas  continuellement  et  sans 
profit  ?  »  —  Le  Vetâla  repartit  :  «  Oh  !  oh  ! 
c'est  ainsi  que  tu  parles!  Viens  maintenant; 
combats  avec  moi  :  c'est  aujourd'hui  que  je 
te  mangerai.  »  —  A  ces  mots,  le  roi  en  co- 
lère se  leva  pour  combattre  et  engagea  avec 
le  Vetâla  une  lutte  variée  qui  dura  quelques 
instants.  Le  Vetâla,  s'étant  rendu  compte  de 
la  force  et  de  l'héroïsme  du  roi  dans  le  com- 
bat, fut  satisfait  et  dit  ;  «  O  roi,  tu  es  très  fort, 
je  suis  content  de  ton  héroïsme  dans  le 
combat,  choisis  ce  que  tu  veux  me  deman- 
der.»—  Le  roi  répliqua  :  «  Puisque  tu  es  bien 
disposé  envers  moi,  accorde-moi  donc  cette 
faveur  que,  dès  que  je  t'appellerai,  tu  arrive- 
ras prés  de  moi.  »  —   Le  Vetâla  accorda  ce 


INTRODUCTION  I9 

don  au    roi  et  s'en  alla  dans  sa  demeure. 

Le  lendemain  matin,  les  conseillers  appri- 
rent cette  histoire  de  la  bouche  du  roi; 
puis,  s'étant  bien  rendu  compte  de  ce  qu'il 
était,  ils  réunirent  une  grande  assemblée  so- 
lennelle et  procédèrent  au  sacre  du  roi.  Le 
monarque  ainsi  sacré  goûtait  les  jouissances 
de  la  royauté  sans  (en  sentir)  les  épines. 

Sur  ces  entrefaites,  un  jour,  un  yogî  vint 
et  dit  au  roi  :  O  grand  roi,  si  tu  veux  bien 
ne  pas  repousser  brutalement  ma  demande, 
j'ai  une  requête  à  te  présenter.  Le  roi  ré- 
pondit :  O  yogî,  désires-tu  toutes  les  riches- 
ses que  je  possède  et  même  ma  vie  ?  Que  ton 
désir  soit  rempli;  je  ferai  tout  ce  que  tu 
veux.  —  Le  yogî  reprit  :  J'ai  certaines 
^crémonies  funèbres  à  accomplir  ;  sois  mon 
assistant  !  —  Le  roi  accepta.  Alors  le  yogî, 
le  prenant  avec  soi,  se  rendit  au  cimetière. 
Quand  ils  y  furent  arrivés,  le  yogî  dit  :  O 
roi,  à  deux  Kroça  d'ici,  il  y  a,  dans  un  arbre 
Çinçapa,  un  mort  attaché  ;  apporte-le-moi 
promptement.  —  Après  avoir  ainsi  chargé 
le  roi  dapporter  le  cadavre,  il  se  tint  à  l'est 
>.lu  cimetière  sur  le  bord  de  la  rivière  Ghar- 
ghâ,  murmurant  des  mantras  à  l'autel  de 
l'auguste  (déesse)  Kàlikâ.  Le  roi,  arrivé  prés 


20  CONTES  INDIENS 

du  Çinçapa,  monta  sur  l'arbre  et  coupa  avec 
un  glaive  les  liens  du  cadavre  qui  tonaba  sur 
le  sol.  A  peine  le  roi  étail-il  descendu  que 
le  cadavre,  montant  sur  l'arbre,  se  retrouva 
dans  la  même  position  qu'auparavant.  Le 
roi,  quelque  peu  étonné,  remonta  sur  l'ar- 
bre, prit  le  cadavre  et  descendit. 

En  cet  instant,  le  Vetâla  Agni,  connaissant 
l'infortune  du  roi,  se  présenta  devant  lui  et 
lui  fit  25  récits  qui  dissipèrent  sa  fatigue.  (Le 
détail  de  ces  2  5  récits  se  trouve  dans  le  Ve- 
tâlapancavimçati).  —  (Après  quoi  le  Vetâla) 
dit  :  «  O  grand  roi,  ce  yogî  est  un  grand  ma- 
gicien; il  t'a  amené  parce  qu'il  sait  que  tu 
es  un  homme  supérieur,  dans  l'espoir  de 
t'ofFrir  en  sacrifice  pour  gagner  l'homme 
d'or.  Sois  donc  bien  sur  tes  gardes.  Lorsque 
ce  yogî  te  dira  de  faire  quelque  chose,  songe 
que,  si  tu  aides  les  méchants,  cela  ne  te  tour- 
nera pas  à  bien.  » 

Ce  discours  étonna  le  roi  et  le  porta  à 
faire  les  réflexions  suivantes  :  ce  yogî  a  aban- 
donné femme,  enfants,  etc.,  et  s'est  fait  er- 
mite; moi,  roi  du  pays,  je  suis  le  protecteur 
déplus  d'une  personne;  il  a  le  dessein  de 
m'offrir  un  sacrifice  pour  gagner  l'homme 
d'or.   La   richesse  est  son   but  suprême,  le 


INTRODUCTION  2 1 

reste,  pour  lui,  n'est  rien.  Ce  méchant  yogî, 
pour  réaliser  son  seul  bien-être,  est  prêt  à 
causer  des  maux  infinis  à  une  foule  de  gens 
et  n'hésite  pas  à  se  lancer  dans  les  mau- 
vaises actions.  C'est  ainsi  que  les  fous, 
poussés  par  la  convoitise,  font  le  mal  pen- 
dant toute  une  existence  en  vue  d'un  avan- 
tage quelconque;  après  quoi,  recueillant 
le  fruit  du  mal,  ils  endurent,  pendant  plus 
de  milL-  naissances  ,  diverses  espèces  de 
douleurs.  Les  méchants  auraient  beau  être 
plongés  dans  une  mer  de  pureté,  ils  ne  re- 
nonceraient pas  à  leur  méchanceté;  de  même 
que  les  serpents  qui  boivent  constamment 
du  lait  dans  la  mer  de  lait,  ne  vomissent  ja- 
mais l'amrita  et  ne  lancent  que  leur  venin. 
Toutefois,  comme  le  venin  du  serpent  peut 
être  dompté  par  des  Mantras  et  de  grandes 
Aushadhis,  ainsi,  en  conformant  leurconduite 
,mx  prescriptions  des  livres  de  morale  (Nîti- 
yâstra),  les  méchants  peuvent  diminuer  leur 
méchanceté.  Mais  ce  yogî  est  d'une  méchan- 
ceté extrême;  le  devoir  d'un  roi  est  de  de 
le  tuer.  —  Cette  détermination  prise,  il  s'é- 
lança, le  glaive  à  la  main,  et  trancha  la  tète 
du  yogî.  A  peine  cette  tète  fut-elle  coupée 
qu'un  homme  d'or  apparut,  loua  la  majesté 


22  CONTES  INDIENS 

du  roi  et  ne  cessa  depuis  de  manifester  en- 
vers lui  de  bonnes  dispositions. 

Le  roi  radieux,  transporté  de  joie,  prit 
l'homme  d'or  et  se  rendit  dans  sa  résidence 
royale;  par  la  faveur  de  l'homme  d'or,  il  de- 
vint aussi  riche  que  Kuvera,  et  se  livra  à  tou- 
tes sortes  de  jouissances  et  de  plaisirs. 

Dans  ces  circonstances,  un  brahmane  ap- 
pelé Siddhasena,  venu  du  pays  de  Kanya- 
kubja,  se  présenta  devant  le  conseil  du  roi, 
et,  après  avoir  salué  sa  majesté,  dit  :  «  O  roi, 
la  fortune  est  une  femme.  Si  la  haute  fortune 
que  tu  possèdes  vient  de  toi,  alors  c'est  ta 
tille;  si  elle  vient  de  ton  père,  alors  c'est  ta 
sœur;  si  tu  la  tiens  de  quelque  autre,  alors 
c'est  la  femme  d'autrui.  Réfléchis  donc  bien 
à  ceci  :  songe  que  la  haute  fortune  n'est  ja- 
mais compatible  avec  les  jouissances.  Aussi 
les  gens  de  bien,  quand  ils  ont  obtenu  une 
haute  fortune,  font  des  libéralités.  Tu  es  un 
homme  de  bien,  il  te  convient  de  faire  des 
dons.  »  —  Le  roi,  ayant  entendu  ces  paroles 
de  la  bouche  du  brahmane,  fit  les  réflexions 
suivantes  :  «  Habiter  un  grand  palais,  monter 
des  éléphants  divins  et  d'excellents  chevaux, 
bien  plus,  jouir  de  beautés  comme  on  n'en  a 
pas  vu  encore,  cela  n'est    pas  d'un  grand 


INTRODUCTION  13 

homme.  Ceux  qui,  considérant  leurs  propres 
richesses  comme  si  elles  n'étaient  pas  à  eux, 
renoncent  à  l'égoïsme  et  font  don  de  leurs 
richesses,  ceux-là  sont  les  grands  hommes  et 
obtiennent  des  éloges.  »  —  Cette  idée  s'étant 
bien  fixée  dans  son  esprit,  il  se  mit  à  faire 
constamment  des  dons;  sur  toute  la  surface 
de  la  terre,  il  n'y  avait  plus  de  pauvres,  et  la 
bonne  réputation  du  roi  allait  jusqu'au  monde 
des  diciK. 

Le  roi  des  dieux  est  Indra  ;  dans  son  con- 
seil, les  divinités  célébraient  toujours  la  gloire 
de  l'auguste  Vikramàditya.  Indra  fut  excessi- 
vement content  et  dit  :  •  Dans  le  monde  des 
hommes,  l'auguste  Vikramàditya  est  la  perle 
lies  rois,  comme  je  (le  suis  des  dieux).  En  con- 
séquence, bien  disposé  comme  je  le  suis  pour 
Vikramàditya,  je  lui  donne  mon  trône  de 
pierreries  auquel  sont  adaptées  trente-deux 
figures.  Hé!  divinité  du  vent,  va  le  lui  don- 
ner. »  —  Conformément  à  l'ordre  d'Indra,  la 
1  déité  du  vent,  avec  la  vitesse  qui  lui  appar- 
tient, apporta  le  trône  au  milieu  du  conseil 
du  roi  et  le  lui  ofi"rit.  L'auguste  Vikramàdi- 
tya, après  avoir  reçu  le  trône,  fut  sacré  au 
milieu  d'une  grande  assemblée  et  s'assit  sur 
le  trône.  Lorsqu'il  siégeait  sur  ce  trône,  alors 

6 


24  CONTES  INDIENS 

les  attributs  d'Indra,  l'héroïsme,  l'énergie,  la 
fermeté,  la  profondeur,  la  sévérité,  l'activité, 
l'intelligence,  la  science  appartenaient  à  l'au- 
guste Viîcramâditya.  Alors  le  roi  se  dit  : 
«  C'est  en  faisant  des  largesses  par  le  conseil 
du  brahmane  Siddhasena  que  j'ai  obtenu  ce 
siège  divin.  »  —  Cette  réflexion  le  remplit  de 
bienveillance  à  l'égard  du  brahmane  Siddha- 
sena, et  il  en  fit  un  membre  de  son  conseil, 
le  chef  des  Pandits. 

Le  roi,  dans  son  conseil,  recevait  chaque 
jour  des  centaines  d'hommes  versés  dans  le 
Veda,  des  docteurs  du  Vedanta,  du  M  imamsa, 
du  Tarkiya,  des  partisans  du  système  San- 
khya,  de  celui  de  Patanjali,  du  Vaiçeshika, 
des  adhérents  du  Kalpavyâkarana,  du  Ni- 
rukta,  du  Jyotisha,  de  la  Smriti,  et  avec  eux 
des  acteurs,  des  actrices,  richement  parés,  des 
hommes  qui  connaissaient  divers  castras  ,  le 
code  politique,  le  code  pénal,  les  livres  de 
médecine,  etc.,  l'auguste  Kalidâça,  Vararuci, 
Bhavabhûti,  Xapanaka,  Amarasimha,  Çanku, 
Vetâlabhatta,  Ghatakapûri,  Varâha  ,  Mihir, 
Dhanvantir,  etc.  En  compagnie  de  ce  cortège 
de  savants,  le  roi  goûtait  les  poèmes  divers 
composés  en  conformité  des  divers  Castras  et 
savourait  dans  un  bonheur  parfait  les  dou- 
ceurs de  la  royauté. 


INTRODUCTION  l5 

La  première  figure  ajouta  :  •  Hé!  roi  Bhoja, 
n'as-tu  pas  été  en  doute  pendant  tout  ce  dis- 
cours? La  terre  féconde  en  joyaux  n'est  nul- 
lement dilTicile  à  acquérir  pour  un  homme 
qui  sait  employer  la  force  de  la  loi,  savoir  : 
les  mortifications,  le  murmure  des  prières,  le 
don,  la  science.  Il  y  a  plusieurs  formes  de 
récits  sur  la  gloire  et  l'éclat  de  l'auguste  Vi- 
kramâditya  ;  on  n'en  connaît  pas  le  nombre. 
Voici  comment  s'acheva  sa  vie  dont  la  durée 
fut  de  cent  ans  sans  la  moindre  diminution  : 
Se  rappelant  le  discours  du  Vetâla,  quand 
il  vit  venir  le  moment  de  sa  mort,  il  fit  la  ré- 
tlexion  suivante  :  •  Ce  qui  répond  à  la  nais- 
sance du  Xatrya,  c'est  la  mort  dans  le  com- 
bat; par  elle,  il  obtient  aisément  le  Svarga.  » 
—  Là-dessus,  il  forma  le  désir  de  combattre 
avec  le  roi  appelé  Çûlivàhana  de  la  ville  de 
Pratishthâna,  et  donna  à  ses  conseillers  l'or- 
dre de  préparer  une  armée.  Les  conseillers, 
ayant  reçu  l'ordre,  rassemblèrent  mille  chars, 
dix  mille  éléphants,  cent  mille  chevaux,  un 
million  de  chameaux, dix  millions  de  chevaux, 
cent  millions  d'archers,  une  multitude  d'ar- 
chers,  une  multitude  d'engins  de  feus   un 
billion  d'hommes  armés  d'épées  et  de  cui- 
rasses, des  centaines  de  fouets,  carquois,  flè- 


20  CONTES  INDIENS 

ches,  arcs,  boucliers,  épées,  glaives,  barshâ, 
dagues,  haches,  mousquets,  canons  et  toutes 
sortes  d'engins  et  d'armes.  Il  rassembla  aussi 
des  cordes,  des  bâtons,  des  tentes,  des  toiles, 
des  abris,  des  couvertures,  des  pieux,  des 
étendards  ;  il  accumula  des  tambours,  des 
tambours  de  victoire,  de  grands  tambours, 
des  tambours,  des  tambourins,  des  tambours, 
des  flûtes,  de  grandes  trompettes,  des  trom- 
pettes tûrî  et  naphirî,  des  cors  guerriers,  des 
cors  de  victoire,  de  petits  tambours,  des  cym- 
bales et  autres  instruments  de  musique.  Les 
conseillers,  après  avoir  fait  leur  œuvre  con- 
formément aux  ordres  du  roi,  en  informè- 
mèrent  le  monarque. 

Le  roi  Vikramâditya  monta  sur  un  char 
excellent,  orné  de  pierreries  et  tout  attelé  : 
puis,  entouré  d'une  armée  à  quatre  corps, 
partit  pour  combattre  avec  le  roi  Çâlivâhana. 
Quand  il  fut  arrivé  sur  le  champ  de  bataille, 
il  engagea  une  action  des  plus  terribles,  et, 
dans  un  combat  face  à  face,  frappé  de  la  main 
du  roi  Çâlivâhana,  le  roi  Vikramâditya  quitta 
la  vie  et  s'en  alla  dans  le  monde  du  Svarga. 
Le  pays  d'Avantî  se  trouva  sans  roi,  la  for- 
tune royale  sans  protecteur. 

A  la  nouvelle  de  la  mort  du  roi,  la  pre- 


INTRODUCTION  tj 

mière  épouse  consola  les  conseillers  et  leur 
dit  :  0  Ne  soyez  pas  troublés;  je  suis  enceinte, 
j'aurai  nécessairement  un  fils  qui  sera  roi  et 
vous  gardera.  »  —  En  effet,  peu  de  temps 
après,  la  reine  donna  naissance  à  un  fils 
qu'elle  confia  aux  conseillers;  elle-même  en- 
tra dans  le  feu  et  goûta  avec  le  roi  Vikramâ- 
ditya  les  jouissances  du  bonheur  suprême. 

»  Vikramasena,  fils  du  roi  Vikramâditya, 
ayant  été  sacré  dans  la  royauté,  protégea  les 
I  créatures  comme  (avait  fait  son  père;,  mais 
[ne  s'assit  pas  sur  le  trône  donné  par  Indra  '. 
Et  depuis,  roi  Bhoja,  sache-le  bien,  nul  ne 
s'est  assis  sur  le  trône  suprême.  Car  une 
voix  aérienne  se  fit  entendre,  disant  :  «  Sur 

•  la  surface  de  la  terre,  nul  n'est  digne  de 
a  s'asseoirsur  le  trône.  Faites  donc  une  exca- 

«  vation  dans  un  lieu  pur  pour  l'y  enter-  J 

•  rer  et  l'y  garder.  »   Les   ministres,  ayant  V 
entendu  ces  paroles,  enterrèrent  le  trône  et 

le  gardèrent.  » 

La  figure  ajouta  :   «    Ecoute,  grand  roi, 
ce  trône-là,  c'est  celui  que  tu  as  découvert.  » 

I.  La  version  bengalie   met   ici   un  litre  :  Récit    Je  la 
première  figure  ;  nous  avons   cru  devoir  couper  autre- 


RÉCIT  DE  LA  ir<=  FIGURE 


LA  figure  reprit  :  •  Ecoute  (les  preuves  de) 
la  grandeur  de  Vikramàditya. 
•  Un  jour,  le  roi  était  dans  la  ville  d'Avantî, 
assis  sur  le  trône  divin,  au  milieu  de  son 
conseil.  Un  homme  pauvre  arriva,  s'appro- 
cha du  roi  et  se  tint  devant  lui  sans  rien 
dire.  En  le  voyant,  le  roi  se  prit  à  penser  en 
lui-même  :  L'homme  qui  vient  faire  une  de- 
mande est  comme  celui  qui  est  à  l'article  de 
la  mort,  dont  le  corps  tremble,  de  la  bouche 
duquel  aucune  parole  ne  peut  sortir.  Je 
compare  les  deux  situations  l'une  à  l'autre. 
Je  conjecture  donc  que  cet  homme  est  venu 


3o  CONTES  INDIENS 

pour  faire  une  demande  et  ne  peut  s'expri- 
mer. —  Après  ces  réflexions,  le  roi  fit  don- 
ner mille  pagodes  '  à  cet  homme  qui  les  re- 
çut sans  quitter  sa  place  ni  prononcer  une 
parole.  Le  roi  lui  dit  alors  :  «  Hé!  sollici- 
teur, pourquoi  ne  parles-tu  pas?  »  —  Le 
mendiant  repartit  :  «  C'est  la  honte  qui  re- 
tient ma  langue.  »  —  En  entendant  ces  pa- 
roles, le  roi  lui  fit  donner  (encore)  mille  pa- 
godes, puis  le  questionna  de  nouveau  :  a  Hé! 
solliciteur,  voilà  qui  est  étonnant!  Si  tu  as 
quelque  chose  à  dire,  parle  donc  !  •  Le 
mendiant  répondit  :  «  Grand  roi,  la  gloire 
de  ton  ennemi  ne  sort  pas  de  chez  lui,  elle 
ne  se  répand  pas  au  dehors  ;  les  savants  la 
déclarent  mauvaise.  La  tienne  peut  faire  er- 
rer constamment  des  mortels  dans  le  Pâ- 
tâla  ^  ;  les  poètes  la  déclarent  bonne.  Voilà 
ce  qui  est  étonnant.  »  —  Le  roi,  à  l'ouïe  de 
ces  paroles,  lui  fit  donner  cent  mille  pago- 
des. Alors  le  mendiant  reprit  :  «  O  roi,  je 
suis  bien  aise  de  t'apprendre  que  lorsque  un 
roi,  doué  de   qualités,  garde   son   peuple   de 


1 .  Hûna,  pièce  de  monnaie  valant  8  shillings,  environ 
10  francs. 

2.  Séjour  infernal. 


RÉCIT  DE   LA   PIIEMIEKE   FIGURE  3| 

près,  il  ne  court  pus  de  mauvais  discours 
sur  son  compte,  et  même  il  échappe  à  plus 
d'une  difficulté.  Ecoute  l'histoire  suivante  : 
•  11  y  avait  une  ville  appelée  Viçâlà,  dont 
le  roi  se  nommait  Nanda.  Le  jeune  roi  s'ap- 
pelait Vijayapâla,  le  conseiller  Bahuçruta, 
le  guru  '  Çârdànanda,  la  Râni  *  Bhânumatî. 
Le  roi,  captivé  par  la  beauté  de  la  Rânl 
Bhânumatî,  ne  s'inquiétait  point  de  la  pros- 
périté ni  de  la  détresse  de  ses  Etats.  Si  par- 
fois il  remplissait  les  fonctions  royales,  c'é- 
tait en  compagnie  de  Bhânumatî  que,  assis 
sur  son  trône,  il  faisait  acte  de  roi.  Un  jour 
son  conseiller  lui  dit  :  Grand  roi,  j'ai  un  avis 
à  te  donner  :  il  n'est  pas  convenable  que  la 
llànî  vienne  assister  au  conseil.  —  Le  roi  ré- 
pondit :  Conseiller,  tu  as  raison,  mais  je  ne 
puis  rester  sans  la  Rànî  un  seul  instant.  — 
Le  conseiller  reprit  :  Fais  faire  sur  une  toile 
le  portrait  de  Bhânumatî  et  garde-le  prés  de 
toi.  —  Le  roi  fît  voir  à  un  peintre  la  beauté 
de  Bhânumatî  et  lui  ordonna  de  la  fixer  sur 
la  toile.  —  Le  peintre  fit  le  portrait  et  le 
présenta  au  roi  qui  le  montra  au  guru  Çàr- 


1.  Précepteur,  guide  spirituel. 

2.  Première  épouse,  reine. 


32  CONTES  INDIENS 

dânanda  et  lui  dit  :  Comment  trouves-tu  ce 
portrait?  —  Çàrdanana  répondit  :  C'est  bien 
l'image   de  la  Rânî.   Mais    Bhânumatî  a  sur 
la  cuisse  gauche  un  grain  de  beauté  '  qui 
n'est  point  ici  :  c'est  le  seul  défaut  de  ce  por- 
trait. —  En  entendant  ces  paroles,  le  roi  se 
dit  en  lui-même  :  Comment  Çârdânanda  con- 
naît-il le  grain   de   beauté  de   la    cuisse   de 
Bhânumatî?   Il  y  a  quelque    chose    là-des- 
sous. —  Le  roi,  furieux,  dit  à  son  conseiller  : 
Fais  périr  Çârdânanda.  —  Le  conseiller  em- 
mena Çârdânanda  chez    lui    et  fit  ces    ré- 
flexions :  Le  roi,  sans  préciser  le  crime  de 
Çârdânanda,  a    donné    l'ordre   de   le    faire 
périr;  il  n'est  pas  convenable  de   tuer   cet 
homme  éminent  sans  un  motif  bien  défini. 
Le  mettre  à  mort  serait  faire  commettre  un 
crime  au  roi.  —  Après  avoir  agité  ces  pen- 
sées en  lui-même,  il  fit  taire  dans    sa  de- 
meure une  cellule  souterraine  et  y  enferma 
Çârdânanda. 

«  Plus  tard,  un  certain  jour,  le  fils  du  roi, 
Vijayapâla,  partit  pour  chasser  dans  la  forêt. 
Quand  il  y  fut  arrivé,  il  aperçut  un  sanglier, 
se   mit  à  sa  poursuite  pour  le   tuer    et  fut 

I.  Littér.  :  un  grain  de  sésame. 


RÉCIT  DE  LA  PRCMIÈRE  FIGURE  33 

bientôt  engagé  dans  un  épais  fourré  :  sa 
suite  était  dispersée  dans  toute  la  contrée. 
Le  fils  du  roi,  tourmenté  par  la  soif,  cher* 
chait  de  l'eau  ;  il  ne  tarda  pas  à  trouver  un 
étang  et  s'y  arrêta  pour  boire.  Sur  ces  en- 
trefaites, un  tigre  arriva  au  même  endroit. 
A  la  vue  du  tigre,  Vijayapâla  monta  sur  un 
arbre  où  se  trouvait  un  singe  qui  lui  dit  : 
Hé!  fils  de  roi,  tu  n'as  rien  à  craindre,  viens 
en  haut!  —  Ainsi  invité  par  le  singe,  le  roi 
monta  au  haut  (de  l'arbre). 

»  Quand  vint  le  crépuscule,  à  la  nuit,  le 
singe,  voyant  la  lassitude  du  prince  royal, 
lui  dit  :  Hé!  fils  de  roi,  le  tigre  est  au  pied 
de  l'arbre,  dors  sur  mon  sein.  —  Le  fils  du 
roi  s'arrangea  pour  dormir  de  cette  fa^on. 
Le  tigre  dit  alors  au  singe  :  Fi!  singo,  ne 
mets  pas  ta  confiance  dans  une  créature  hu- 
maine; livre-moi  le  fils  du  roi  en  le  jetant 
en  bas;  ma  nourriture  dépend  de  ta  bonne 
grâce,  en  vérité!  —  Le  singe  répondit  : 
li^coute,  tigre  !  le  fils  du  roi  a  mis  sa  con- 
liance  en  moi  ,  je  ne  le  ferai  pas  périr.  — 
Après  avoir  entendu  les  paroles  du  sinje,  le 
tigre  garda  le  silence. 

•  Quelque  temps  après  le  fils  du  roi  se 
réveilla.  —    Le  singe  posa    sa  tête    sur   la 


34  CONTES  INDIENS 

cuisse  du  fils  du  roi  et  se  mit  à  dormir.  Le 
tigre,  reprenant  la  parole,  dit  au  fils  du  roi  : 
O  prince  royal,  pourquoi  as-tu  confiance 
dans  la  race  des  singes?  Livre-moi  le  singe 
en  le  jetant  en  bas;  il  est  ma  nourriture, 
certes!  N'aie  pas  peur  de  moi!  —  Le  prince, 
ayant  entendu  les  paroles  du  tigre,  jeta  le 
singe  en  bas,  pour  le  lui  livrer.  Mais  le  singe, 
en  tombant,  s'attacha  aux  branches,  et  resta 
au  mi.ieu  de  l'arbre  sans  tomber  sur  le  sol  : 
Ce  que  voyant,  le  fils  du  roi  fut  extrême- 
ment confus.  Le  singe  dit  :  Fils  du  roi,  n'aie 
pas  peur. 

«  Quand  vint  le  matin,  le  tigre  s'en  alla, 
et  le  fils  du  roi,  devenu  fou,  se  mit  à  errer 
dans  la  forêt  en  re'pétant:  Visemirâ,Visemirâ. 

«  Le  cheval  du  prince  était  revenu  (de  lui- 
même)  en  ville  à  son  écurie.  Le  roi,  voyant 
le  cheval  et  n'apercevant  pas  le  prince,  fut 
dans  un  trouble  extrême.  Accompagné  de 
son  entourage,  il  se  mit  à  la  recherche  de 
son  fils  et  entra  dans  la  forêt  ;  il  y  trouva  le 
prince  qui  errait  en  répétant  :  Visemirâ,  Vi- 
semirâ.  —  Le  roi  conduisit  le  prince  dans 
sa  demeure  et  lui  administra  divers  mantras  ' 

I.  Paroles  magiques. 


RECIT  OE  LA  PREMIERE  FIGURE 

et  grandes  Oshadhis  '  ;  mais  aucun  moyen 
ne  l'ut  salutaire.  —  Le  roi  dit  :  Si  le  guru 
Çârdânanda  était  là,  il  saurait  bien  ce  que 
veut  dire  mon  fils  ;  mais  j'ai  moi-mtme 
fait  pcrir  Çârdânanda  !  —  A  ce  moment, 
le  conseiller  lui  dit  :  Grand  roi,  j'ai  une 
proposition  à  te  faire  :  Tous  les  remèdes 
sont  inutiles,  tu  es  dans  le  chagrin  :  qu'ad- 
viendra-t-il  maintenant?  Fais  crier  par  toute 
la  ville  cette  proclamation  :  Celui  qui  ren- 
dra la  santé  au  prince,  je  lui  donnerai  la 
moitié  de  mon  royaume.  —  Le  roi  suivit  le 
conseil,  et  fit  faire  cette  proclamation  dans 
la  ville.  Le  conseiller  rentra  chez  lui  et  ra- 
conta la  chose  à  Çârdânanda.  Çârdânanda 
parla  ainsi  au  conseiller  :  Va  dire  au  roi  : 
j'ai  une  fille  de  sept  ans  qui,  en  regardant 
ton  fils,  lui  rendra  la  santé.  Le  conseiller 
rapporta  ce  discours  au  roi  qui,  après  l'a- 
voir entendu,  prit  aussitôt  son  fils  et  le  con- 
duisit dans  la  maison  du  conseiller.  Celui-ci 
avait  fait  séparer  par  un  voile  le  lieu  où  se 
tenait  Çârdânanda;  le  roi  avec  son  fils  se 
îuait  en  dehors  du  voile. 
«  Çârdânanda,  se  tenant  derrière  le  voile, 

I.  Hordes  médicinales 


36  CONTES  INDIENS 

se  mit  h  dire  :  Celui  '  qui  a  repose'  sur  la 
cuisse  de  (l'ami)  qui  avait  mis  sa  confiance 
en  lui,  puis  l'a  trompé,  qu'a-t-il  en  lui  d'hu- 
main ?  Il  a  e'té  fait  un  poème  sur  ce  sujet.  » 
—  A  l'ouïe  de  ces  paroles,  le  fils  du  roi, 
supprimant  la  syllabe  V/  ^,  se  mit  à  dire  Se- 
in ira. 

«  Çârdânanda  reprit  :  Depuis  Setuban- 
dha  ^  jusqu'au  Gange,  le  meurtre  d'un  brah- 
mane et  les  autres  grands  crimes  peuvent 
s'effacer  :  le  crime  de  celui  qui  tue  son  ami 
ne  peut  s'eff'acer  en  aucune  manière.  »  —  A 
l'cuïe  de  ces  paroles,  le  prince,  supprimant 
la  syllabe  se  %  se  mit  à  dire  Mira. 

«  Çârdânanda  reprit  encore  :  Celui  qui 
nuit  à  son  ami  "'.  l'ingrat,  le  perfide,  tous  les 
gens  de  cette  espèce  auront  en  partage  le 
Naraka  tant  que  le  soleil  et  la  lune  subsiste- 


1.  Viçvdsa.-.. 

2.  Vi  est  la  première  syllabe   de  la   phrase    prononcée 
par  Çârdânanda. 

3.  Srtibandha...  le  pont  de   Râma   au  sud   de    l'Inde, 
ou  les  îlots  entre  le  continent  de  l'Inde  et  Ceyian. 

4    On  vient  de  voir  que  cette  syllabe  était  la  première 
de  la  deuxième  phrase  de  Çârdànand.i. 
5.  M;trahimsaka.... 


RÉCIT  DE   LA  l'REMlÈRE  FIGURE  h-J 

ront.  »  —  A  l'ouïe  de  ces  paroles,  le  fils  du 
roi  retrancha  mi  et  répéta  râ. 

M  Çàrdânanda  reprit  :  •  Roi  ',  si  tu  dési- 
res la  prospérité  du  prince,  donne  aux  brah- 
manes des  objets  de  diverse  nature.  C'est  en 
faisant  des  dons  aux  maîtres  de  maison  que 
tu  effaceras  le  péché.  •  —  A  l'ouïe  de  ces 
paroles,  le  fils  du  roi  fut  remis  en  santé  '. 

(I  Quand  tous  apprirent  l'histoire  du  fils  du 
roi,  du  tigre  et  du  singe,  ils  furent  émer- 
veillés. 

«  Le  roi,  surpris,  dit  à  la  jeune  fille  :  Hé! 
jeune  fille,  quand  es-tu  sortie  de  la  maison? 
ou  bien  comment,  restant  à  la  maison,  as-tu 
su  ce  qui  s'est  passé  dans  la  forêt,  entre  ce 
tigre,  ce  singe  et  cet  homme  ?  Çârdànanda, 
entendant  ces  paroles,  dit  :  Par  la  faveur 
d'une  divinité  puissante,  Sarasvatî  'est  sur  le 
bout  de  ma  langue;  je  connais  tout,  de  même 


1.  KA>a... 

2.  On  voit  que  les  quatre  phrases  dites  par  Çirdâ- 
iianda  commencent  successivement  par  les  syllabes  ri'-ie- 
mi-rà  Apre»  chaque  phrase,  le  prince  dit  une  syllabe  de 
moins;  et,  quand  lu  quatrième  phrase  est  tînie,  jl  n'en  dit 
plus  aucune  et  est  guéri.  —  Il  est  impossible  de  rendre 
cela  par  la  traduction. 

'i.  l>éesse  de  l'éloquence. 


38  CONTES  INDIENS 

que  j'ai  connu  le  grain  de  beauté  qui  est  sur 
la  cuisse  de  Bhânumatî.  — A  ces  mots,  le  roi 
se  dit  :  «  C'est  le  guru  Çârdânanda  »;  et, 
soulevant  le  rideau,  il  offrit,  de  concert  avec 
son  fils,  ses  hommages  au  guru.  —  Le  roi, 
plein  de  joie,  combla  d'éloges  le  conseiller  : 
n  Conseiller,  lui  dit-il,  tu  es  un  grand 
homme.  Je  te  dois  la  conservation  de  la  vie 
de  mon  guru  et  même  de  mon  fils.  » 

Quand  le  mendiant  eut  fait  ce  récit  à  Vi- 
kramâditya,  il  ajouta  :  «  Roi,  tu  dois  con- 
clure de  là  que  celui  qui  fréquente  les  gens 
de  bien  a  beaucoup  d'avantages.  » 

Le  roi  Vikramâditya,  après  avoir  entendu 
ce  discours  de  la  bouche  du  brahmane,  fut  tout 
réjoui,  il  donna  au  brahmane  dix  millions 
de  pagodes.  Le  mendiant  les  prit  et  s'en  re- 
tourna chez  lui. 

Le  roi  dit  à  son  trésorier  :  «  Quand  il  vien- 
dra un  pauvre,  donne-lui  mille  pagodes;  tu 
en  donneras  dix  mille  à  celui  qui  fera  une 
demande,  cent  mille  à  celui  qui  invoquera 
le  Castra  '.  C'est  seulement  .sur  mon  ordre 
exprès  que  tu  donneras  dix  millions.  » 

La  première  figure  ajouta  :   Ecoute,  roi 

I.  Livre  faisant  autorité. 


RECIT  DE  LA  PREMIERS  FIGURC 


39 


Bhoja,  je  t'ai  fait  connaître  la  grandeur,  la 
libéralité,  la  majesté  du  roi  Vikramâditya. 
Si  toutes  ces  qualités  résident  en  toi,  alors 
tu  es  digne  de  t'asseoir  sur  ce  trône. 


^S'^s 


RECIT  DE  LA  j"  FIGURE 


UN  autre  jour,  l'auguste  roi  Bhoja  prit  la 
détermination  de  se  faire  sacrer  et  s'ap- 
[procha  du  trône  avec  sa  suite.  A  ce  moment, 
Ja  deuxième  figure  du  trône  dit  :  Ecoute,  ô 
F  roi  Bhoja!  Celui-là  seul  peut  siéger  sur  ce 
f trône  dont  la  grandeur  est  égale  à  celle  de 
IVikramàditya.  Le  roi  lui  dit  :  En  quoi  con- 
istait  la  grandeur  de  Vikramâditya  ?  —  La 
îgure  répondit  :  «  Ecoute,  ô  roi!  • 

L'auguste  Vikramàditya  régnait  à  Avant!  ; 
m  jour,  poui*  connaître  ce  qu'il  y  avait  de 
lerveilleux,  il  envoya  des  troupes  de  servi- 
îurs  en  diverses  contrées.  Les  serviteurs, 
iprès  avoir  parcouru  les  diverses  contrées, 
'revinrent  près  du   roi  et  dirent  :  «  O  grand 


42  CONTES  INDIENS 

roi,  sache  que,  sur  la  montagne  Citrakuta,  il 
y  a  une  pagode  prés  de  laquelle  est  un  par- 
terre de  fleurs.  Un  fleuve  coule  devant  la  pa- 
gode :  si  des  gens  purs  se  baignent  dans  ce 
fleuve,  l'eau  paraît  sur  leur  corps  comme  du 
lait;  si  ce  sont  des  méchants,  des  gens  souil- 
lés qui  s'y  baignent,  alors  l'eau  paraît  sur 
leur  corps  comme  de  l'encre  '.  Là  demeure 
un  Yogî  '  qui  fait  continuellement  des  prié' 
res,  des  méditations,  des  off"randes  ;  mais  la 
divinité  ne  lui  est  pas  favorable.  » 

Le  roi  Vikramâditya,  ayant  entendu  ce  rap- 
port, se  rendit  dans  ce  lieu,  se  baigna  dans  le 
fleuve  et  reconnut  qu'il  était  (pur  et)  sans 
tache.  Puis,  après  avoir  rendu  son  hommage 
à  la  divinité,  il  se  dirigea  vers  le  Yogî.  Le 
roi  posa  alors  cette  question  au  Sannyasî  3. 
«  Yogî,  depuis  combien  de  temps  te  livres-tu 
aux  mortifications?  »  —  L'ascète  reprit  : 
«  Ecoute,  leVaiçakha*,leJyeshtha,rAshâdha, 
le  Çrâvana,  le  Bhâdra,  l'Açvina,  le  Kârttika, 

1.  Littéralement  »  de  la  suie  ». 

2.  Yogî,  solitaire  absorbé  dans  la  contemplation,  dernier 
état  des  Brahmanes  qui  aispirent  à  la  perfection. 

3.  Sannyasî  est  un  synonyme  de   Yogî. 

4.  Ce  terme  et  les  suivants  sont  les  noms  des  mois  de 
l'année  indienne. 


RÉCIT  DE  LA  DEUXIEME  nCURE  43 

l'Agrahïiyana,  le  Pausha,  le  Mâgha,  le  Phâl- 
guna,  le  Caitra,  sont  les  mois  dont  la  série 
forme  l'année  :  voilà  cent  années  sembla- 
bles à  celle-là  que  je  me  livre  à  des  mortifi- 
cations sans  que  la  divinité  me  soit  favora- 
ble. »  —  A  l'ouïe  de  ce  discours,  le  roi  fit  la 
réflexion  suivante  :  «  J'ai  beau  veiller  sur 
mon  corps,  la  mort  n'en  est  pas  moins  cer- 
taine :  si  je  quittais  la  vie  pour  rendre  ser- 
vice à  mon  semblable,  ce  serait,  certes,  une 
mort  excellente  !  »  —  Après  avoir  délibéré  de 
la  sorte,  le  roi  adressa  dans  son  cœur  une 
méditation  à  la  divinité,  et  prit  son  épée  •:  il 
allait  se  trancher  lu  tète  quand  la  divinité  se 
montra  soudain,  saisit  la  main  du  roi  et  dit  : 
«  Ne  te  coupe  pas  la  tète.  Je  suis  contente  de 
toi  :  fais-moi-une  demande  à  ton  choix.  •  — 
Le  roi  répondit  :  a  Hé!  bienheureuse,  ce 
Yogî  s'est  livré  pendant  longtemps  à  des 
mortifications  et  tu  ne  lui  as  pas  été  favora- 
ble, tandis  que  pour  moi  tu  t'es  montrée  fa- 
vorable immédiatement  :  d'où  vient  cela?  »  — 
La  déesse  répondit  :  «  Auguste  Vikramàditya, 
telle  qu'est  la  méditation  à  l'égard  des  man- 
tras,  des  étangs  consacrés,  de  la  divinité,  du 
médecin,  du  guru,  tel  est  l'accomplissement  : 
je  n'ai  jamais  été,  de  la  part  de  ce  Sannyàsi, 

T 


44  CONTES  INDIENS 

l'objet  d'une  forte  et  puissante  mëditation. 
En  entendant  ce  discours,  le  roi  fit  la  réfle- 
xion suivante  :  D'un  morceau  de  bois,  d'un 
bloc  de  pierre,  une  divinité  vient  à  l'exis- 
tence ;  l'existence  résulte  donc  de  l'accom- 
plissement '.  —  Inconlinent  le  roi,  pour  ren- 
dre service  à  son  semblable,  dit  à  la  déesse  : 
«  Hé!  déesse,  si  tu  es  contente  de  moi,  puis- 
que ce  Yogî  s'est  livré  pendant  longtemps  à 
des  mortifications  et  y  a  trouvé  bien  des  mé- 
comptes, accorde  à  ce  Yogî  le  choix  que  tu 
m'as  laissé.  »  La  déesse  accorda  alors  ce  choix 
au  Sannyasî.  Après  avoir  remis  au  Sannyasî 
le  choix  que  la  déesse  lui  avait  accordé,  l'au- 
guste Vikramàditya  retourna  dans  sa  de- 
meure. » 

La  deuxième  figure  ajouta  :  «  Ecoute,  roi 
Bhojal  je  t'ai  dit  la  générosité,  l'héroïsme, 
les  qualités  de  grand  homme  du  grand  Vi- 
kramàditya :  si  ces  qualités  sont  en  toi,  tu 
es  digne  de  t'asseoir  sur  ce  trône.   » 

I.  Il  y  a  là  un  raisonnement  subtil  et  obscur;  on  dis- 
tingue trois  choses  .  la  méditation  fBlidvanâj,  —  l'accom- 
plissement  ou  le  succès  fsiddliij,  l'existence  fbhdvaj;  l'ac- 
complissement résulte  do  la  méditation,  et  l'existence  de 
l'accomplissement.  Une  chosu  existe  parce  que  la  médita- 
tion se  réalise.  —  Il  y  a  peut-être  l'intention  de  jouer  sur 
les  mots  bhdva  et  bhdvand. 


^^^^^i^^^S^^iip'^pi 


RÉCIT  DE  LA  3'  FIGURE 


L'augustk  roi  Bhoja  prit  un  jour  la  dé- 
termination de  se  faire  sacrer,  et,  comme 
lU  approchait  du  trône,  la  troisième  Hgure 
[lui  dit  :  Hé  !  roi  Bhoja,  écoute-moi  bien  : 
|Celui-là  seul  peut  s'asseoir  sur  ce  trône  dont 
[la  grandeur  est  égale  à  celle  du  roi  Vikra- 
rmâditya.  —  Cette  grandeur  de  Vikramàditya, 
lit  le  roi,  en  quoi  consiste-t-elle  ?  —  La  H- 
jure  reprit  :  la  persévérance,  la  sévérité,  la 
[fermeté,  la  force,  l'intelligence,  l'héroïsme, 
[voilà  six  qualités  qui  rendent  celui  qui  les 
[possède  redoutable  aux  dieux  mêmes.  Ces 
[six  (qualités),  le  roi  Vikramàditya  les  possé- 
Idait. 

Le  roi  ainsi  doué  fit  un  jour  la  réflexion 


46  CONTES  INDIENS 

suivante  :  La  richesse  et  les  nuages,  quand 
ils  arrivent,  d'où  viennent-ils?  Quand  ils 
s'en  vont,  où  vont-ils?  Je  n'ai  pas  de  re'ponse 
à  ces  questions.  Maintenant  j'ai  plusieurs 
avantages,  mais  ensuite  qu'adviendra-t-il  ?  Je 
ne  saurais  le  dire. 

Après  avoir  fait  toutes  ces  méditations,  le 
roi  se  mit,  h  partir  de  ce  moment,  h  donner 
chaque  jour  le  nécessaire  aux  brahmanes,  aux 
pauvres,  aux  femmes,  aux  enfants,  à  tous  ceux 
qui  manquaient  de  protection,  qui  étaient 
faibles  ;  et  il  prenait  h  ses  sujets  aussi  peu  que 
possible  '.  Pour  se  rendre  les  divinités  pro- 
pices, il  avait  institué  des  Brahmanes  savants 
dans  les  Vedas,  versés  dans  toutes  sortes  de 
pratiques,  le  sacrifice,  la  prière,  le  homa^,  le 
bali-",  le  culte.  Or,  pour  le  service  des  divini- 
nités  des  eaux,  il  envoya  un  Brahmane  au 
bord  de  la  mer.  Le  brahmane  s'y  étant 
rendu  fit  Tanjali  *,  et  adressa  un  hymne  à  la 
mer.  L'hymne  achevé,  la  divinité  de  la  mer 

1.  L'idéal  d'un  roi,  selon  les  Orientaux,  consiste  à  don- 
ner beaucoup  à  tout  le  monde  et  à  ne  prendre  rien  à  per- 
sonne . 

2.  Sacrifice  aux  divinités  principales  ou  grand  sacrifice. 

3.  Sacrifice  aux  divinités  secondaires  ou  petit  sacrifice. 

4.  Sorte  de  salutation  (décrite  page  58,  1.  6-7). 


KÉCIT  DE  LA  TROISIEME  FIGURE  47 

apparut  et  dit  :  «  Hé  !  brahmane,  je  suis  fa- 
vorable à  Vikramâditya  à  cause  de  ses  bonnes 
dispositions;  quoiqu'il  soit  loin,  il  oi'est  ex- 
cessivement cher.  Donne  ces  quatre  joyaux 
au  roi  Vikramâditya  et  dis-lui  les  qualités 
des  joyaux.  La  puissance  de  l'un  est  telle 
que  les  mets  auxquels  on  pense  se  présentent 
à  l'instant  même  ;  du  deuxième  joyau  pro- 
viennent les  richesses  qu'on  souhaite  '  ;  dans 
le  troisième  se  trouve  une  armée  complète 
comprenant  chars,  éléphants,  cavaliers,  fan- 
tassins *  ;  la  propriété  du  quatrième  est  de 
fournir  autant  d'ornements  qu'on  en  dé- 
sire ^.  » 

Le  brahmane  prit  les  quatre  joyaux,  re- 
tourna auprès  du  roi  et  les  lui  offrit;  en 
même  temps,  il  lui  expliqua  la  vertu  de  ces 
joyaux.  Le  roi  dit  au  brahmane  d'emporter 
un  de  ces  joyaux  à  titre  de  présent.  —  J'ai  une 
femme,  un  Hls,  une  belle-fiUe,  répondit  le 
brahmane,  je  veux  les  éprouver;  la  pierre 
qu'ils  me  diront  de  choisir  est  celle  que  je 
prendrai.   Le  brahmane,  après   avoir  ainsi 


I.  Voir  le  19»  récit  (Kanthi). 
3.  Voirie  19>  récit  (Khandika.) 
'.  Voir  le  19  récit  ;Kanthà>. 


48  CONTES  INDIENS 

parlé  au  roi,  rentra  chez  lui  et  raconta  toute 
l'histoire  à  sa  femme,  à  son  fils  et  à  sa  bru. 
—  Le  joyau  où  il  y  a  des  éléphants  et  des  che- 
vaux est  celui  qu'il  faut  apporter,  dit  le  fils.  — 
La  pierrerie  où  il  y  a  des  mets  est  celle  que 
tu  dois  prendre,  dit  la  femme.  —  La  pierrerie 
qui  produit  des  ornements  est  ce  qu'il  y  a  de 
mieux,  dit  la  bru.  —  La  pierrerie  d'où  pro- 
viennent les  richesses  est  préférable,  dit  le 
brahmane.  Ainsi  ces  quatre  personnages  ne 
purent  s'entendre.  Le  brahmane  revint  prés 
du  roi  et  lui  raconta  la  chose.  Après  avoir 
entendu  son  récit,  le  roi,  pour  plaire  à  ces 
quatre  personnes,  donna  les  quatre  joyaux 
au  brahmane  qui  retourna  chez  lui  bien  con- 
tent. 

La  troisième  figure  reprit  :  «  Ecoute,  roi 
Bhoja,  je  t'ai  dit  la  grandeur  du  roi  des  rois, 
Vikramâditya.  Si  tu  as  une  grandeur  sembla- 
ble, tu  peux  t'asseoir  sur  le  trône.  » 


Ê«ï>3  -MW  €4»3  £<*>3  e«*>J  £<*>3-É<4>»  MK  6<i!>3  «W  Ê<t» 


RÉCIT  DE  LA  4'  FIGURE 


LE  roi  Bhoja  prit  de  nouveau  la  résolution 
de  se  faire  sacrer  et  s'approcha  du  siège 
fortuné.  A  ce  moment,  la  quatrième  Hgure 
du  trône  dit  :  u  Roi  Bhoja,  écoute  mes  paro- 
les :  ce  trône  est  celui  du  roi  Vikramâditya  : 
celui-là  seul  qui  a  une  grandeur  semblable  à 
la  sienne  est  digne  de  s'asseoir  sur  ce  trône. 
—  En  quoi  consistait  la  grandeur  de  Vikra- 
mâditya? »  répondit  le  roi.  La  figure  reprit  : 
«  Ecoute,  roi  Bhoja  : 

•  L'auguste  Vikramâdityaexerçaitla  royauté 
dans  la  ville  d'Avantî.  Dans  cette  ville  de- 
meurait un  brahmane,  un  pandit  savant  dans 
les  quatorze  sciences  (comprenant)  les  quatre 
Veda,  le  Rig,  le  Yajur,  le  Samâ  et  l'Athar- 


5o  CONCES  INDIENS 

van  accompagnés  de  ces  six  membres  ',  les 
Çixâ,  Kalpa,  Vyâkarana,  Nirukta,  Jyotisha, 
Chanda-Çâstra,  les  Pûrva-Uttara-Rûpa-Mi- 
mamsâ ,  le  Vaiçeshika-Çâstra ,  le  Nyâya , 
le  Sânkhya,  le  système  de  Patanjali,  le 
Rûpanyâya,  le  Vistara  -  Smriti  -  Castra  ,  le 
Purâna-Çâstra  et  dans  les  Castras  pratiques, 
savoir  :  le  Veda  de  la  médecine,  le  Veda  de 
l'arc,  le  Castra  de  la  musique,  le  Castra  des 
arts  manuels  ^,  quatre  sciences  relatives  à  ce 
qui  est  visible,  tandis  que  les  quatorze  scien- 
ces sus-énoncées  se  rapportent  à  l'invisible, 
le  tout  formant  dix-huit  sciences. 

«  Ce  pandit  n'avait  pas  d'enfants;  sa  femme 
lui  dit  un  jour  :  —  Hé  !  maître,  fais  des  sup- 
plications aux  dieux  pour  qu'un  fils  vienne 
dans  mon  sein.  —  Brahmanî,  répondit  le 
brahmane,  tu  as  bien  parlé.  Sans  l'obéissance 
au  guru,  on  n'obtient  pas  la  science;  sans  les 
mérites  religieux,  on  n'obtient  pas  de  fils.  — 
Après  avoir  prononcé  ces  paroles,  le  brah- 
mane, pour  complaire  à  sa  femme,  fit  des 


1.  Ce  sont  les  six  ouvrages  appelés  d'un  même  nom  Vc- 
dânga . 

2.  Les  noms  indiens  sont  :  Ayur-Veda,  Dhanur-Veda, 
Gândharva-Çàstra,  Çîlpa-Çâstra. 


RÉCIT  DE  l.A  QUATRIÈME  FIGURE  5l 

supplications  aux  dieux  de  sa  famille.  La  ré- 
compense de  cet  acte  méritoire  fut  que  le 
brahmane  eut  un  tils  de  la  brahmanî;  on 
l'appela  Devadatta.  Le  père  de  Devadatta  lui 
Ht  lire  assidûment  les  Castras,  le  maria,  puis, 
s'dppliquant  à  méditer  sur  le  Samsara,  il  se 
mit  de  sa  personne  à  parcourir  les  étangs 
consacrés,  pendant  que  Devadatta,  appliqué 
à  la  vie  domestique,  restait  à  la  maison. 

«  Un  jour  que  Devadatta  était  allé  à  la  fo- 
rêt aHn  d'en  rapporter  du  bois  pour  le  sacri- 
fice, le  roi  Vikramâditya,  monté  sur  son  che- 
val, vint  dans  cette  même  forêt  pour  chasser. 
Il  allait  de  lieu  en  lieu  à  travers  la  forêt,  avec 
toute  son  armée,  à  la  poursuite  du  gibier.  Le 
roi  Vikramâditya,  tourmenté  par  la  soif,  er- 
rait dans  la  forêt,  quand  il  se  trouva  face  à 
face  avec  le  brahmane  appelé  Devadatta.  Le 
roi,  apercevant  ce  brahmane,  lui  témoigna 
du  respect  et  lui  dit  :  —  Hé  !  brahmane,  j'ai 
bien  soif;  fais-moi  boire  de  l'eau.  A  ces 
mots,  le  brahmane  prit  un  fruit  excellent, 
bien  doux,  bien  mûr,  de  l'eau  bien  fraîche 
et  offrit  le  tout  au  roi.  Le  roi  mangea  le 
fruit,  but  l'eau  et  fut  complètement  remis. 
.\près  quoi  le  brahmane  lui  montra  le  che- 
min, et  il  retourna  chez  soi. 


52  CONTES  INDIENS 

•  Un  autre  jour,  le  roi,  étant  en  conversa- 
tion avec  ses  conseillers,  raconta  aux  person- 
nes qui  formaient  la  réunion  comment  le 
brahmane  Devadatta  Tavait  secouru  et  tit 
longuement  l'éloge  du  brahmane.  Le  brah- 
mane le  sut  et  tit  en  lui-même  ces  réflexions  : 
«  J'ai  rendu  service  à  un  personnage  émi- 
nent;  par  ce  service,  cet  éminent  personnage 
est  lié  envers  moi  pour  toute  sa  vie.  Je  veux 
voir  jusqu'où  ira  la  reconnaissance  du  roi.  » 
Ayant  fait  ces  réflexions,  il  trouva  le  moyen 
d'enlever  le  fils  du  roi,  l'emmena  chez  lui 
et  le  garda.  Dès  que  le  roi  se  fut  aperçu  de 
la  disparition  de  son  fils,  il  envoya  des  trou- 
pes de  messagers  en  divers  lieux  pour  le 
chercher.  Les  troupes  de  messagers  ne  trou- 
vèrent nulle  part  la  personne  du  fils  du  roi, 
et  le  roi,  avec  son  entourage,  fut  excessive- 
ment troublé  à  cause  de  son  fils. 

«  Sur  ces  entrefaites,  le  brahmane  Deva- 
datta mit  un  jour  un  des  ornements  du  fils 
du  roi  entre  les  mains  de  son  serviteur  en  le 
chargeant  d'aller  le  vendre  au  marché.  Le 
serviteur  s'arrêta  devant  la  boutique  d'un 
marchand  et  lui  offrit  cet  objet  Là-dessus, 
les  gens  du  roi,  ayant  aperçu  le  serviteur  du 
brahmane  porteur  de  l'ornement  (royal),  se 


RÉCIT  DK  LA  QUATRIEME  FIGURE  53 

saisirent  de  lui  et  le  conduisirent  au  roi.  1.^ 
roi,  Hxant  ses  regards  sur  le  serviteur,  le 
questionna  :  —  Cet  ornement  est  à  mon  Hls; 
où  l'as-tu  pris?  où  est  mon  fils?  —  Cet  orne- 
ment, grand  rui,  répondit  l'homme,  un  brah* 
mane  appelé  Devadatta  me  l'a  remis  pour  le 
vendre,  et  je  suis  allé  le  vendre;  je  ne  sais 
rien  de  plus.  —  Dès  que  le  roi  eut  entendu 
cette  réponse,  il  envoya  un  messager,  fit  ve- 
nir Devadatta  en  sa  présence  et  questionna 
le  brahmane  :  u  Tu  as  remis  cet  ornement  à 
l'homme  que  voici  pour  le  vendre?  —  Oui, 
répondit  le  brahmane,  je  le  lui  ai  donné.  — 
Et  où  as-tu  pris  cet  ornement.-'  reprit  le  roi. 

—  Je  l'ai  pris  sur  ton  tils,  répondit  le  brah- 
mane. —  Et  où  est  mon  fils?  demanda  le  roi. 

—  Il  est  mort,  dit  le  brahmane.  —  E;  com- 
ment est-il  mort  ?  reprit  le  roi.  —  Je  lai  tué, 
répondit  le  brahmane.  —  Le  roi  reprit  aussi- 
tôt :  Toi,  un  brahmane,  un  pandit  savant 
et  juste,  pourquoi,  sans  avoir  reçu  aucune  of- 
fense, as-tu  fait  périr  l'enfant  du  roi?  —  C'est 
par  cupidité  que  cette  mauvaise  pensée  m'est 
venue. 

«  Aussitôt  le  roi  interrogea  du  regard  ses 
conseillers.  Les  conseillers  dirent  :  Grand 
roi,  l'homme  qui  a  fait  périr  les  gens  du  roi. 


34  CONTES  INDIENS 

cet  homme-là  le  roi  le  fait  pe'rir  à  l'instant 
même.  Celui-ci  a  fait  périr  le  fils  du  roi;  il 
est  juste  de  le  faire  périr.  Mais  c'est  un  brah- 
mane; dégrade-le  donc  et  bannis-le,  avec  son 
entourage,  loin  de  sa  demeure.  —  Le  roi,  se 
souvenant  du  service  que  le  brahmane  lui 
avait  autrefois  rendu,  ne  tint  pas  compte  de 
la  parole  de  ses  conseillers:  il  fit  grâce  au 
brahmane  et  donna  l'ordre  de  le  laisser  libre. 
«  Le  brahmane,  voyant  l'excellence  du  roi, 
fut  très  content;  il  rentra  chez  lui,  fit  pren- 
dre un  bain  au  fils  du  roi,  le  fit  manger,  lui 
fit  mettre  des  parures  et  des  ornements  et 
l'amena  en  cet  état  dans  le  conseil  du  roi.  A 
la  vue  de  son  fils,  le  roi  éprouva  la  joie  la 
plus  vive;  il  pressa  son  fils  sur  sa  poitrine  et 
dit  au  brahmane  :  Hé  !  brahmane ,  dans 
quelle  intention  as-tu  agi  de  la  sorte?  Je  ne 
puis  le  comprendre.  —  Je  me  suis  demandé, 
répondit  le  brahmane,  de  quelle  manière  tu 
te  sentais  lié  par  le  service  que  je  t'ai  rendu 
précédemment.  C'est  pour  m'en  rendre 
compte  que  j'ai  fait  cette  action.  —  Aussitôt 
le  roi  donna  au  brahmane  beaucoup  de  ri- 
chesses et  lui  témoigna  une  vive  satisfaction. 
Après  quoi,  le  brahmane  s'en  retourna  chez 
soi.  " 


RÉCIT  OE  LA  QUATRIÈME  FICURK  55 

Après  avoir  fait  ce  récit,  la  quatrième  fi- 
gure ajouta  :  «  Hé  !  roi  Bhoja,  si  ta  recon- 
naissance est  semblable  à  celle  de  l'auguste 
Vikramàditya,  telle  que  tu  l'as  entendue  de 
ma  bouche,  alors  tu  es  digne  de  l'asseoir  sur 
ce  trône.  » —  Le  roi,  comprenant  qu'il  n'y  avait 
pas  en  lui  une  semblable  gratitude,  se  désista 
pour  ce  jour-là. 


?5   "'* 


RÉCIT  DE  LA  5^  FIGURE 


L'auguste  roi  Bho}a  prit  encore  une  fois 
une  décision  au  sujet  de  son  sacre  ;  il  se 
dirigea  vers  le  trône,  accompagné  de  ses  con- 
seillers. Quand  il  fut  tout  près,  la  cinquième 
figure  ciit  :  •  Ecoute,  roi  Bhoja  !  Celui-là 
seul  peut  siéger  sur  le  trône  de  Vikramâdi- 
tya,  qui  a  une  générosité  pareille  à  celle  du 
roi  Vikramâditya.  —  Cette  générosité  du  roi 
Vikramâditya,  dit  le  roi,  en  quoi  consiste- 
t-elle  ?»  —  La  cinquième  figure  reprit  en  ces 
termes  :  «  Ecoute,  roi  Bhoja. 

«  Dan>  la  ville  d'Avantî,  le  roi  Vikramâdi- 
tya, assis  sur  son  trône  au  milieu  de  ses  con- 
seillers, expédiait  les  aftairesdu  royaume.  Sur 
ces  entrefaites,  le  gardien  du  parc  vint  à  la 


58  CONTES  INDIENS 

porte  du  roi  et  dit  au  portier  ;  11  faut  que  je 
me  présente  devant  le  roi,  fais  le  savoir  au 
grand  roi.  —  A  ces  mots,  le  portier  se  rendit 
près  du  roi,  lui  donna  cet  avis,  puis  intro- 
duisit le  gardien  du  parc  en  présence  du  roi. 
Le  gardien  du  parc  porta  ses  deux  mains  à 
sa  tête,  s'inclina  devant  le  roi  et  dit  :  Grand 
roi,  j'ai  une  nouvelle  à  t'apprendre.  Les 
manguiers,  les  cocotiers,  les  aréquiers,  les 
citronniers,  les  orangers,  les  campaka,  les 
açoka,  les  kimçuka,  les  jasmins,  les  palmiers, 
les  tamâla,  les  çâla,  les  piyâla,  les  kadalî,  les 
kakkola,  les  labanga,  les  cardamomes,  les 
katakî,  les  kunda,  les  damanaka,  en  un,  mot, 
tous  les  arbres  et  plantes  qui  sont  dans  ton 
jardin  de  plaisance  ont  de  jeunes  pousses,  des 
fleurs  et  des  fruits  :  c'est  le  moment  de  se 
divertir  au  bois. 

«  A  l'ouïe  de  ce  discours,  le  roi  avec  la 
troupe  de  ses  rânîs,  entouré  d'esclaves  et  de 
danseuses,  se  rendit  au  jardin.  Arrivé  au  jar- 
din de  plaisance,  le  roi,  versé  dans  lart  des 
embrassements,  des  baisers,  des  rires  et  des 
danses  raffinées,  des  coquetteries,  des  jeux, 
des  agaceries,  des  gestes,  en  un  mot  dans 
les  divertissements  ingénieux,  se  mit,  avec 
les  charmantes  et  ravissantes  beautés  de  son 


KÉCIT  DE  LA  CINQUIÈME  FIGURE  Sq 

entourage,  tantôt  à  cueillir  des  fleurs,  tantôt 
il  jouer  avec  de  l'eau,  tantôt  à  chanter,  tan- 
tôt il  s'exercer  sur  la  balançoire,  tantôt  à 
entrer  dans  un  bouquet  de  kadalî,  tantôt  à 
satisfaire  les  désirs  de  celles  des  femmes  de 
sa  troupe  (qui  en  éprouvaient).  Voilà  com- 
ment, dans  la  saison  du  printemps,  l'auguste 
\  ikramàditya  goûtait  de  diverses  manières 
les  jouissances  et  les  douceurs  mondaines. 

«  Cependant  un  ascète  qui,  dans  un  coin  de 
la  forêt,  avait  passé  beaucoup  de  temps  à 
user  son  corps  dans  de  rudes  mortifications 
de  tout  genre,  était  venu  visiter  le  parc  du 
roi.  Pendant  qu'il  le  parcourait,  ses  idées 
furent  changées,  et  il  se  mit  à  faire  les  ré- 
flexions suivantes  :  J'aurais  pu  porter  des 
habits  somptueux  et  me  parer  d'ornements 
divins,  moindre  de  parfums  divins,  me  nour- 
rir de  mets  succulents  et  inouïs,  me  coucher 
sur  des  lits  magnifiques,  respirer  des  odeurs 
agréables,  mâcher  du  bétel  mélangé  de  mus- 
cade, de  girofle,  de  cardamome,  de  karpura, 
etc.,  entendre  des  chants  et  des  instruments, 
voir  danser  des  danseurs  et  des  danseuses, 
lolàtrerct  rire  avec  des  femmes  d'une  beauté 
parfaite,  me  livrer  au  plaisir  avec  de  jeunes 
femmes  ;  toutes  ces  jouissances  qui  s'oftVaient 

8 


bO  CONTES  INDIENS 

à  moi,  que  j'avais  à  ma  disposition,  je  n'en 
ai  pas  profité;  je  me  suis  livré  aux  mortifica- 
tions en  vue  du  bonheur  du  Svarga.  En  m'a- 
donnant  pendant  si  longtemps  aux.  mortifi- 
cations pour  un  bonheur  d'une  réalité 
douteuse,  invisible,  je  n'ai  fait  que  me  trom- 
per moi-même.  Tous  ces  gens  qui,  h  cause 
de  l'être  suprême,  renonçant  à  jouir  du  bien- 
être  présent  afin  de  s'assurer  le  bien-être 
futur,  se  rasent,  saupoudrent  de  cendres  tous 
leurs  membres,  ne  se  couvrent  que  de  hail- 
lons, sont  eux-mêmes  les  artisans  de  leur 
malheur.  Je  ne  chercherai  plus  d'éclat  que 
dans  ce  monde.  Quelles  preuves  a-t-on  d'un 
bonheur  futur? 

«  Déchu  de  son  yogisme  par  la  concep- 
tion de  ces  pensées  matérialistes,  le  yogî,  qui 
ne  songeait  plus  qu'à  se  procurer  les  jouissan- 
ces mondaines,  alla  se  présenter  devant  le 
roi. 

Le  roi,  voyant  ce  yogî,  lui  témoigna  beau- 
coup de  respect,  s'inclina  devant  lui,  et,  dé- 
sireux de  connaître  le  motif  de  sa  visite,  lui 
dit  :  Hé  !  vogî.  pourquoi  cs-tu  venu  prés  de 
moi  ?  —  Grand  roi,  répondit  le  yogî,  voilà 
bien  du  temps  que  je  me  livre  aux  mortifica- 
tions dans  cette  forêt.  Aujourd'hui,  la  divi- 


RÉCIT  OE  LA  CINQUIÈME  FIGURE  6l 

nite  que  j'invoque  (habiiuellementl  s'est 
montrée  bien  favorable;  elle  m'a  donné  cet 
ordre  :  Va  près  de  l'auguste  roi  Vikramâdi- 
tva  ;  il  comblera  tes  désirs. —  C'est  pour  cela 
que  je  me  suis  rendu  près  de  toi, 

•  En  entendant  ces  paroles  du  yogi,  le  roi 
.  dit  :  Ce  yoi;î,  pour  n'avoir  pas  bien  saisi 

sens  des  Castras,  est  déchu  de  son  yogisme  ; 
il  s'est  rendu  malheureux  par  le  désir  des 
jouissances  mondaines.  Or,  il  faut  satisfaire  le 
désir  des  malheureux.  —  En  faisant  ces  ré- 
flexions, il  prit  une  détermination.  Voici  la- 
quelle :  au  milieu  d'une  ville,  il  fit  cons- 
truire une  maison  superbe  et  la  donna  au 
yogî.  Il  lui  donna  aussi  cent  jeunes  femmes 
couvertes  d'ornements  variés,  cent  villages, 
une  quantité  de  richesses,  d'esclaves  mâles  et 
femelles,  de  vaches,  de  buffles,  d'éléphants, 
de  chevaux,  etc.  Après  quoi,  s'élevant  au 
moyen  de  ses  chaussures  magiques,  il  rentra 
dans  la  ville  royale  par  le  chemin  des  airs 
avec  la  rapidité  du  vent.  Quant  au  yogî,  il 
goûta  des  jouissances  et  des  délices  supérieures 
il  tout  ce  qu'il  avait  désiré.  • 

La  cinquième  figure  dit  encore  au  roi 
Uhoja  :  •  Hé!  roi  Bhoja,  si  tu  as  une  capacité 


02  CONTES  INDIENS 

de  générosité  telle  que  celle-là  ,  tu  es  digne 
de  t'asseoir  sur  ce  trône.  » 

Le  roi  Bhoja,  ce  jour-là,  s'en  alla  (comme 
il  était  venu). 


RECIT  DE  LA  fj"  FIGURE 


L'auguste  roi  Bhoja  prit  encore  une  fois 
la  détermination  de  monter  sur  le  trône 
pour  s'y  faire  sacrer.  A  ce  moment,  la  sixième 
figure  se  mit  à  rire  et  dit  :  •  Ecoute,  roi  Bhoja, 
celui  qui  porte  secours  aux  autres,  comme  le 
roiVikramâditya,  est  digne  de  s'asseoir  sur  ce 
trône.  »  —  A  ces  mots,  le  roi  dit  :  «  En  quoi 
consistait  cette  qualité  secourable  du  roi 
Vikramâditya  ?»  —  La  figure  reprit  :  «  Fais 
de  la  pratique  de  l'héroïsme  l'objet  de  tes 
méditations  : 

«  De  la  ville  d'Avantî  le  roi  Vikramâditya 
exerçait  la  domination  sur  tous  les  pays.  Les 
habitants  des  contrées  soumises  à  son  em- 
pire pratiquaient  chacun  les  devoirs  de  sa 

8* 


64  CONTES  INDIENS 

caste,  sans  jamais  commettre  de  transgres- 
sions; ils  observaient  continuellement  les 
préceptes  des  Castras,  ne  mettaient  jamais 
leur  satisfaction  dans  l'injustice,  faisaient 
toujours  des  efforts  pour  s'entr'aider.  A  la 
fin  de  leur  vie,  ils  ne  tenaient  pas  des  discours 
menteurs  ',  et,  comprenant  que  leur  corps 
n'e'tait  pas  destine'  à  durer,  ils  méditaient 
constamment  par  la  science  sur  l'âme  su- 
prême. 

<!  Il  y  avait  dans  cette  ville  un  marchand 
nommé  Dhanadatta.  Ce  Dhanadatta  était  si 
riche  que  lui-même  ne  connaissait  pas  le 
compte  de  ses  richesses,  et  des  catégories 
d'objets  qui  n'existaient  dans  aucune  ville  se 
trouvaient  dans  la  maison  de  Dhanadatta. 
Un  jour,  Dhanadatta  fit  cette  réflexion  :  Les 
bons  offices  servent  pour  l'autre  monde.  Si 
je  n'acquiers  pas  cette  sorte  de  mérites, 
quelle  sera  ma  destinée?  —  Cette  idée  s'étant 
bien  fixée  dans  son  esprit,  il  pratiqua  large- 
ment et  en  diverses  manières  la  loi  du  don, 
puis  alla  en  pays  étranger  pour  visiter  les 
étangs  sacrés.  Après  avoir  passé  par  divers 
étangs,  il  arriva  à  une  île  de    la   mer.    Il   y 

I.  C'iist-j-dirc  :  niant  la  vie  future. 


À 


RÉCIT  OE  LA  SIXIÈME  FIOURE  63 

avait  là  un  autel  dune  divinité'  ;  près  de  l'au- 
tel était  un  lac  et,  au3c  quatre  côtés  du  lac,  un 
quai  enchâssé  de  pierreries  et  de  cristaux. 
On  voyait  en  ce  lieu  une  femme  supérieure- 
ment belle  et  un  homme  divinement  beau  : 

culement  leurs  tètes  avaient  été  coupées,  el- 
les étaient  h  part;  et,  prés  de  ces  tètes,  quel- 
ques lignes  gravées  sur  un  rocher  '  annon- 

. lient  que,  si  quelque  excellent  personnage 
>c  coupait  la  tète  pour  la  donner  comme  of- 
frande, cet  homme  et  celte  femme  revien- 
draient à  la  vie.  Instruit  de  cette  merveille  par 
tout  ce  qu'il  avait  vu,  Dhanadatta,  en  quit- 
tant l'étang,  retourna  dans  sa  demeure. 

«  Un  jour.  Dhanadatta,  dans  une  conversa- 
tion avec  le  roi,  lui  raconta  cette  aventure. 
A  l'ouïe  de  ce  récit,  le  roi  fut  bien  étonné 
et  dit:  Dhanadatta,  viens  avec  moi  en  ce 
lieu;  je  suis  curieux  de  voir  cela  —  Cette  dé- 
termination prise,  le  roi,  emmenant  Dhana- 
datta, se  rendit  en  ce  lieu  et,  une  fois  arrivé, 
vit  de  ses  propres  yeux  que  tout  était  comme 


1.  L'habitude  décrire  sur  le  roc  est  prouvée  par  ie» 
inscriptions  de  ce  genre  qui  ont  tité  découvertes  depuis 
une  cinquantaine  d'années.  —  Elle  n'e«t  piis  «péciak  à 
l'Inde. 


66  CONTES  INDIENS 

Dhanadatta  le  lui  avait  dit  précédemment.  Il 
fit  alors  cette  réflexion  ;  Quiconque  est  un 
homme  supérieur  expose  sa  vie  pour  rendre 
service  aux  autres.  Si  je  donne  ma  vie,  les 
corps  de  ces  deux  individus, femme  et  homme, 
reprendront  vie;  c'est  là  une  action  supérieu- 
re ;  il  faut  de  toute  nécessité  l'accomplir.  On  a 
beau  veiller  sur  son  corps,  on  ne  peut  éviter 
la  mort.  En  rendant  service  aux  autres,  on 
meurt,  mais  aussi,  dans  l'autre  monde,  on  a 
une  destinée  excellente. 

«  Pénétré  de  cette  pensée,  le  roi  Vikramâ- 
ditya  se  baigna  dans  le  lac,  puis  se  mit  en  de- 
voir de  se  couper  lui-même  la  tête  en  pré- 
sence de  la  déesse.  Là-dessus,  la  divinité,  se 
montrant  favorable,  arrêta  la  main  du  roi  et 
dit  :  O  roi,  tu  es  un  homme  supérieur;  je 
suis  contente  de  toi.  Demande  ce  que  tu  dé- 
sires. —  Le  roi  répondit  :  Hé!  divinité,  si  tu 
m'es  propice,  rends  la  vie  à  ces  deux  person- 
nes, cet  homme  et  cette  femme,  et  accorde 
leur  la  royauté  de  ce  lieu.  —  La  divinité,  ayant 
entendu  ces  paroles,  dit  :  Hé!  Vikramâdi- 
tya,  tu  es  un  homme  excellent;  pour  rendre 
service  aux  autres,  tu  es  prêt  à  perdre  la  vie.  — 
A  ces  mots,  la  divinité  rendit  la  vie  à  cette 
femme  et  à  cet  homme,  leur  donna  la  royauté 


KÉCIT  DE  I.A  SIXIÈME  FIGURE  67 

de  ce  lieu  et  disparut.  Comme  un  homme  en- 
dormi se  dresse  quand  son  sommeil  est  inter- 
rompu, ainsi  cet  homme  et  cette  femme  se 
relevèrent  et,  par  la  faveur  de  la  divinité,  de- 
vinrent roi  et  reine  de  ce  lieu.  Quant  au  roi 
VikramSditya,  il  rentra  dans  sa  capitale.  • 

l.a  sixième  figure  ajouta  :  «  Grand  roi, 
..ouïe!  Voilà  comment  le  grand  roi  Vikra- 
mûditya  était  secourable  aux  autres.  Si  cette 
même  qualité  d'être  secourable  aux  autres  est 
en  toi,  alors  tu  es  digne  de  t'asseoir  sur  ce 
trône    » 

Le  roi  Bhoja,  sachant  bien  que  cette  qua- 
lité d'être  secourablie  aux  autres  n'existait 
pas  en  lui,  se  retira  encore  ce  jour-là. 


mimm^ 


RÉCIT  DE  LA  7*  FIGURE 


UNE  autre  fois  encore,  le  roi  Bhoja,  pour 
se  faire  sacrer,  vint  jusqu'auprès  du 
trône.  A  peine  y  fut-il  arrivé,  que  la  septiènïe 
tiguredit  :  •  Ecoute,  roi  Bhoja,  celui-là  seul 
^t  capable  de  s'asseoir  sur  le  trône  qui  rend 
service  à  tous  les  êtres  comme  le  roi  Vikramâ- 
ditya.  »  A  ces  mots,  le  roi,  désireux  de  savoir, 
dit  :  <t  Hé  !  figure,  en  quoi  consistait  cette 
qualité  qu'avait  le  roi  Vikramâditya  de  ren- 
dre service  à  tous  les  êtres  vivants?  »  La  fi- 
gure reprit  :  0  Hé!  roi  Bhoja,  écoute  la  con- 
duite héroïque  de  Vikramâditya  : 

«  Dans  la  ville  Avantî,  le  roi  Vikramâditya 
exerçait  la  royauté  suprême.  Un  jour,  il 
donna  cet  ordre  à  ses  suivants  :  Apprenez 


yO  CONTES  INDIENS 

ce  qui  se  passe  dans  les  divers  pays,  et  venez 
(me  le  dire).  —  Les  serviteurs,  conforme'ment 
à  cet  ordre,  parcoururent  divers  pays  et  ar- 
rivèrent dans  celui  de  Kâçmir.  Un  homme 
riche  y  avait  fait  creuser  un  lac  extrêmement 
grand  dans  lequel  il  n'y  avait  pas  d'eau.  Par 
la  suite,  (on  entendit)  une  voix  aérienne  (qui 
disait)  :  Si  un  homme  supérieur  livre  son 
corps  en  offrande,  alors  il  y  aura  de  l'eau 
dans  l'étang;  autrement,  il  n'y  aura  pas 
d'eau.  —  Après  avoir  entendu  cette  voix  di- 
vine, ce  riche  personnage  fit  (faire)  un  homme 
en  or  et  du  poids  de  dix  charges  qu'il  tint  en 
garde  près  de  l'étang,  et  fit  graver  à  cet  en- 
droit sur  le  roc  la  phrase  suivante  :  Celui 
qui  livrera  son  corps  en  offrande,  je  lui  don- 
nerai cet  homme  en  or.  —  De  tous  ceux  qui, 
venant  de  différents  côtés,  passèrent  par  là, 
nul  ne  consentit  à  livrer  son  corps  en  of- 
frande. N'étant  pas  de  force  à  le  faire,  ils  re- 
culaient. 

«  Les  serviteurs  du  roi  Vikramâditya,  après 
avoir  vu  tout  cela,  rentrèrent  dans  la  ville 
d'Avantî  et  en  rendirent  compte  au  roi. 
Quand  le  roi  eut  entendu  toute  cette  histoire, 
sa  curiosité  fut  éveillée  ;  il  se  rendit  au  pays 
de  Kâçmir,  alla  un  soir  au  bord  du  lac  sous 


RÉCIT  DE  LA  SEPTIÈME  FIGURE  71 

un  déguisement  et  fit  ses  dévotions  mentales 
à  sa  divinité  préférée.  Après  quoi,  au  milieu 
de  la  nuit,  le  roi  Vikramâditya,  faisant  l'an- 
jali  ',  dit  :  Hé!  divinité,  après  m'être  humi- 
lié devant  toi,  je  te  le  déclare  :  que  celte  di- 
vinité, qui  ne  se  rassasie  qu'en  buvant  le 
sang  d'un  sacrifice  humain,  boive  mon  sang 
et  soit  satisfaite!  —  A  ces  mots,  il  se  coupa  la 
tète.  Aussitôt  la  divinité  remit  la  tète  sur  le 
corps  et  dit  :  Hé!  roi,  je  suis  propice  envers 
toi;  demande  (moi)  ce  que  tu  désires.  —  Le 
roi  répondit  :  Hé  !  divinité,  si  tu  es  con- 
tente de  moi,  remplis  donc  ce  lac  d'eau  pour 
rendre  service  à  tous  les  êtres! —  La  divinité 
reprit  :  O  Vikramâditya,  ta  fidélité  au  de- 
voir est  extrême  ;  je  t'accorde  cette  faveur. — 
A  ces  mots,  elle  disparut,  et  le  roi  retjurna 
dans  son  pays. 

«  Le  (lendemain)  matin,  les  gens  du  pays 
de  Kàçmir  furent  bien  surpris  de  voir  le  lac 
plein  d'eau.  » 

La  septième  figure  ajouta  :  «  Hé  !  roi  Bhoja, 

lilà  comment  le  roi  Vikramâditya  rendait 

service  à  tous  les  êtres  :  si  tu  as  une  qualité 

semblable,   tu  es  digne  de  t'asseoir  sur  ce 

1.  Voir  pages  46  (note  4)  et  58  (I.  6  et  7). 


72 


CONTES  INDIENS 


trône.  »  En  entendant  ces  mots,  le  roi 
Bhoja,  comprenant  qu'il  n'y  avait  pas  en 
lui  un  pareil  principe  d'action  pour  le  bien 
de  tous  les  êtres,  fut  tout  de'concerté  ce 
jour-là. 


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RÉCIT  DE  LA  H'  FIGURE 


APRÈS  cela,  l'auguste  roi  Bho'ia,  prenant 
encore  une  fois  tout  son  attirail  de  sacre, 
s'approcha  du  trône.  Là-dessus,  la  huitième 
figure  dit  :  ■  Hé!  roi  Bhoja,  celui  qui  rem- 
plit les  désirs  des  autres  comme  le  faisait 
l'auguste  roi  Vikramàditya,  celui-là  seul  est 
digne  de  s'asseoir  sur  ce  trône.  »  A  ces  mots, 
le  roi  dit  ;  •  Et  comment  le  roi  remplissait- 
il  les  désirs  des  autres.'*  »  La  figure  reprit  : 
«  Ecoute,  roi  : 

«  Dans  la  ville  d'Avantî,  le  roi  Vikramàdi- 
tya exerçait  la  royauté  complète.  Dans  cette 
ville  demeurait  le  purohita  '  du  roi  nommé 

1 .  Le  prftrc  domestique  -,  k  terme  sanskrit  purohita 


74  CONTES  INDIENS 

Tripurâkâr,  dont  le  fils  appelé  Kamâlakar 
était  sot  à  l'excès.  Voyant  combien  son  fils 
était  sot,  il  était  sans  cesse  plongé  dans  ses 
réflexions.  Un  jour,  il  fit  asseoir  son  fils  près 
de  lui  et  se  mit  à  lui  faire  des  admonitions  : 
—  Hé  !  mon  fils,  écoute  1  lui  disait-il.  Dans  le 
Samsara  ',  les  êtres  vivants  n'arrivent  à  une 
naissance  humaine  qu'en  récompense  de 
beaucoup  de  mérites. 

«  L'être  vivant  qui  a  obtenu  un  corps 
d'homme,  s'il  amasse  de  la  science,  est  encore 
propre  à  une  naissance  humaine  ;  autrement 
cet  être  à  forme  humaine  qui  a  raisonné  en 
bête,  au  point  que,  dans  son  esprit,  dans  sa 
manière  de  penser,  dans  toutes  ses  occupa- 
tions comme  celles  de  se  coucher,  de  s'asseoir, 
de  manger,  etc.,  on  ne  distingue  pas  l'homme 
de  la  bête,  cet  homme  se  rapproche  insensi- 
blement de  la  bête.  La  science  de  la  bête  n'est 
pas  la  science  de  l'homme  ;  par  conséquent, 
celui  qui  n'a  pas  la  science  de  l'homme,  com- 

correspond  à  peu  près  (mutatis  mutandis  à  «  chape- 
lain ». 

i.  Samsara,  «  le  monde  de  la  transmigration  >.  On  ne 
peut  pas  traduire  simplement  par  ■<  le  monde  »,  terme  qui 
ne  réveille  pas  pour  nous  la  même  idée  que  Samsara  pour 
les  Hindous. 


RÉCIT  DE  LA  HUITIÈME  FIGURE  7S 

ment  ne  serait-il  pas  une  bête  ?  Vois  combien 
l'instruction  est  préférable  à  la  royauté  :  un 
roi  n'est  considéré  que  dans  son  propre  pays  ; 
l'homme  instruit  jouit  d'une  égale  considé- 
ration dans  son  pays  et  dans  les  autres  con- 
trées. Vois  encore  combien  la  richesse  de  la 
science  est  plus  précieuse  que  toutes  les  ri- 
chesses du  Samsara;  ces  richesses  ont  à  re- 
douter les  voleurs,  le  feu,  le  roi,  etc.  ;  la  ri- 
chesse de  la  science  n'a  aucune  de  ces  frayeurs. 
Et  encore  :  si  on  dépense  toutes  les  richesses 
que  l'on  possède,  elles  sont  perdues;  on  a 
beau  dépenser  toutes  les  richesses  de  la 
science,  l'intelligence  demeure.  Semblable- 
ment,  on  ne  trouve  pas  toujours  d'autres  ri- 
chesses (pour  remplacer  les  anciennes);  mais 
la  richesse  de  la  science  se  retrouve  toujours. 
Songe  encore  que  la  science  est  un  ornement 
supérieur  à  toutes  les  parures,  car  les  autres 
ornements  brillent  bien  sur  les  enfants  et  les 
'  jeunes  gens,  mais  ne  brillent  pas  sur  les 
vieillards;  la  science  a  son  éclat  dans  tous  les 
âges.  Hélas  !  mon  hls,  tu  n'as  pas  acquis  la 
science  ;  aussi  ta  vie  est-elle  semblable  à  la 
mort.  En  pesant  les  résultats,  je  me  dis  que, 
entre  ces  trois  choses  :  ou  n'avoir  pas  de  fils, 
ou  en  avoir  un  et  le  perdre,  ou  en  avoir  un 


yÔ  CONTES  INDIENS 

qui  échappe  à  la  mort  et  vive,  mais  soit  in- 
sensé, mieux  vaut  n'en  avoir  pas,  ou,  si  l'on 
en  a  un,  le  perdre.  Ce  n'est  jamais  une  bonne 
chose  qu'un  (fils)  insensé  reste  en  vie.  Aussi, 
quand  un  fils  qui  n'a  pas  médité  sur  sa  des- 
tinée future  est  retiré  de  ce  monde  et  meurt, 
le  chagrin  qu'on  éprouve  dure  au  plus  un 
mois  ou  deux.  Un  fils  insensé  est  pour  son 
père  et  sa  mère  une  cause  perpétuelle  de 
chagrins.  C'est  pour  cela  que  je  dis  :  la  mort 
d'un  fils  insensé  est  un  bien. 

M  Kamalâkar,  ayant  entendu  toutes  ces  pa- 
roles de  son  père,  partit  pour  les  pays  étran- 
gers, afin  d'amasser  de  la  science.  Il  se  trouva 
un  jour  dans  le  pays  de  Kâçmîr.  Dans  ce  pays  . 
était  un  brahmane  versé  dans  tous  les  Cas-  I 
tras  ;   il  s'appelait  Candramaulî.  Kamalâkar 
s'attacha  à   ce  brahmane    pour    obtenir  la 
science.  Candramaulî  le  brahmane,  très  sa- 
tisfait de  la  docilité  de  Kamalâkar,  lui  donna 
le  Siddhimantra  '  de  Sarasvatî  ^.  Par  la  puis-  » 
sance  du  Siddhimantra,   Kamalâkar  devint 
habile  dans  les  dix-huit  sciences  ■\ 


I.  Talisman  ou  plutôt  formule  magique. 
2    Voir  le  récit  premier  (page  37,  note  3). 
3.  Voir  le  quatrième  récit  (pages  49-50J. 


RECIT  OE  LA  HUITIEME  FIGURE  77 

a  Après  cela,  Kamalâkar  se  rendit  dans  la 
ville  de  Kâncl.  Il  y  trouva  une  jeune  fille 
nommée  Naramohinî  '  qui  se  tenait  dans  une 
maison  où  nulle  autre  personne  n'habitait. 
La  porte  en  était  toujours  ouverte.  L'archi- 
tecte de  cette  maison  était  un  Râxasa  nommé 
Durjaya;  il  y  venait  (chaque  jour)  à  la  tom- 
bée de  la  nuit.  Si  quelque  étranger  entrait 
dans  cette  maison  et  s'y  arrêtait  troublé  par 
la  vue  de  la  jeune  fille,  le  Râxasa,  arrivant  à 
la  tombée  de  la  nuit,  le  dévorait.  Plusieurs 
passants  moururent  de  cette  manière. 

a  Kamalâkar  avait  entendu  raconter  toute 
cette  histoire.  De  retour  dans  son  pays,  il  la 
rapporta  un  jour  au  roi  et  ajouta  :  O  grand 
roi,  donne-moi  cette  femme  si  belle.  —  Le 
roi  y  consentit  ;  il  prit  Kamalâkar  avec  lui  et 
se  rendit  à  Kàncîpurî  près  de  la  jeune  fille 
Naramohinî.  A  la  vue  de  cette  jeune  fille,  le 
roi  n'éprouva  pas  le  moindre  trouble;  il 
était,  au  plus  haut  degré,  ferme  et  maître  de 
ses  sens.  Ensuite,  à  la  nuit,  le  Râxasa  tenta 
de  manger  le  roi.  Au  premier  cri,  le  roi 
porta  la  main  à  la  garde  de  son  épée  et  se 
mit  en  devoir  de  combattre;  il  engagea  aus- 

I.  «  C<tll«  qui  trojble  les  booinies  *. 


78  CONTES  INDIENS 

sitôt  avec  le  Râxasa  un  combat  varié  et  par- 
vint à  le  tuer. 

La  jeune  fille  Naramohinî  fut  bien  con- 
tente du  meurtre  du  Râxasa;  elle  adressa 
beaucoup  d'éloges  au  roi  et  lui  dit:  O  roi,  tu 
m'as  délivrée  du  Râxasa,  tu  m'as  donné  la 
vie  ;  aussi  je  me  réfugie  en  toi.  —  Le  roi,  en- 
tendant ces  paroles  de  la  jeune  fille,  répon- 
dit :  O  jeune  fille,  si  vraiment  tu  te  réfugies 
en  moi,  prodigue  tes  tendresses  à  celui  que 
je  vais  te  désigner  :  Kamalâkar  que  voici  est 
très  savant,  et  il  m'est  excessivement  cher; 
prends-le  pour  époux  ethonore-le(comme  tel). 
— La  jeune  fiUeaccepta  la  proposition  du  roi. 
«  Après  avoir  donné  de  cette  manière  la 
belle  jeune  fille  à  Kalamâkar,  l'auguste  Vi- 
kramâditya  rentra  dans  sa  capitale  ;  Kamalâ- 
kar prit  la  belle  jeune  fille  et  retourna  chez 
lui.  » 

La  huitième  figure  ajouta  :  «  O  roi  Bhoja, 
tu  as  entendu  comment  le  roi  Vikramâditya 
remplissait  les  désirs  des  autres.  S'il  y  a  en 
toi  une  telle  aptitude  à  remplir  les  désirs  des 
autres,  alors  tu  es  digne  de  t'asseoir  sur  ce 
trône,  »  Après  avoir  entendu  ces  paroles,  le 
roi  Bhoja  s'en  alla,  ce  jour-là  encore,  la  tête 
basse. 


I 


RÉCIT  DE  LA  g'  FIGURE 


UN  autre  jour,  le  roi  Bhoja  prit  encore 
une  fois  la  détermination  de  s'asseoir 
sur  le  trône  pour  se  faire  sacrer.  Comme  il 
s'y  rendait,  la  neuvième  figure  lui  dit  :  •  Hé  ! 
roi  Bhoja,  écoute  !  Celui  qui  a  une  grandeur 
égale  à  celle  de  Vikramâditya,  celui-là  seu 
est  capable  de  s'asseoir  sur  ce  trône.  »  En 
entendant  ces  mots,  le  roi  dit  :  «  Hé  !  tigure, 
en  quoi  consistait  cette  grandeur  de  Vikra- 
màdiiya?  »  La  figure  reprit  :  «  Ecoute,  roi 
Bhoja. 

«  Dans  la  ville  d'Avanti,  l'auguste  roi  Vi- 
kramâditya  exerçait  la  royauté.  Un  yogî 
arriva  dans  cette  ville  et  se  tint  au  milieu  du 
parc.  Ce  yogî  savait   tout  ;  sa  parole   était 


80  CONTES  INDIENS 

toute  puissante  ;  il  e'tait  libre  de  désirs,  com- 
plètement affranchi  de  tout  attachement.  Ce 
qu'il  disait  à  qui  que  ce  fût  réussissait  infail- 
liblement. Le  roi  apprit  tout  le  cas  de  ce 
yogî  par  la  rumeur  publique,  et  lui  dépêcha 
les  pandits  de  son  conseil  avec  l'ordre  de  le 
lui  amener.  Le  yogî  ne  se  rendit  pas  à  l'in- 
vitation que  les  pandits  lui  firent  de  la  part 
du  roi,  il  leur  répondit  :  L'homme  qui  est 
sans  désirs  considère  comme  un  brin  d'herbe 
une  femme  d'une  beauté  sans  pareille  :  ce- 
lui qui  est  sans  péché  considère  Yama  ' 
comme  un  brin  d'herbe  ;  celui  qui  n'a  point 
de  cupidité  considère  la  royauté  et  la  souve- 
raineté comme  un  brin  d'herbe. 

«  Les  pandits,  revenus  près  du  roi,  lui  re- 
dirent ce  qu'ils  avaient  entendu  de  la  bouche 
du  yogî.  A  l'ouïe  de  leur  rapport,  le  roi  dit  : 
Le  yogî  a  bien  parlé  ;  des  gens  sont  venus 
lui  demander  de  venir  prés  du  roi  ;  c'est  moi 
qui  l'ai  fait  chercher,  et  il  n'est  pas  venu. 
J'en  conclus  que  ce  yogî  a  parlé  avec  un  dé- 
sintéressement extrême. 

«  A  la  suite  de  ce  raisonnement,  le  roi  se 
rendit  lui-même  auprès  du  yogî,  qui,  voyant 

1.  Le  dieu  des  morts,  l'Hadès  et  le  Pluton  des  Indiens. 


r 


UÉCIT  DE  (,A  NEUVIÈME  FIGURE  8l 


les  insignes  royaux  et  les  signes  du  grand 
homme  sur  (la  personne  du)  roi,  fut  extrê- 
mement satisfait  et  donna  au  roi  un  fruit  di- 
vin. En  même  temps,  il  lui  expliqua  la  vertu 
de  ce  fruit  :  celui  qui  mange  ce  fruit  est  à 
l'abri  de  la  vieillesse,  de  la  mort,  de  la  mala- 
die '. 

«  Le  roi  prit  le  fruit  et  s'en  retournait  cher 
lui,  lorsque,  sur  sa  route,  il  apert^ut  un  indi- 
vidu extrêmement  malade  :  ému  de  pitié,  il 
lui  donna  le  fruit.  » 

La  neuvième  figure  (continuant)  dit  au  roi 
Bhoja  :  •  Si  tu  as  toutes  ces  qualités,  alors 
tu  es  digne  de  t'asseoir  sur  ce  trône.  »  Le  roi 
Bhoja  comprit  qu'il  n'avait  pas  ces  qualités, 
et,  ce  jour-là  encore,  il  tourna  le  dos  et  s'en 
alla. 

I.  Voir  :  Introduction  (page  ii). 


'm 
3fe 


C-*  n-^ic^*  r^v'^c:'  r>\''Cr'  o'^c:*  o  ^ 

^-/^c'^-j  -^■'V-,' J  r^'-^  ,^^J-'T\-  ^~\^^'\ 


/îECyr  i)£  LA  ïo^  FIGURE 


UNE  autre  fois  encore,  l'auguste  roi  Bhoja 
s'approcha  du  trône  pour  se  faire  sacrer. 
La  dixième  figure,  en  voyant  le  roi,  se  mit  à 
sourire  et  dit  :  ■  O  roi  Bhoja,  tu  n'es  pas 
digne  de  t'asseoir  sur  ce  trône  .  un  roi  tel 
que  Vikramâditya  peut  seul  y  prendre  place. 
—  Quel  était  donc  le  roi  Vikramâditya?  • 
dit  le  roi.  —  En  entendant  cette  question,  la 
dixième  figure  dit  :  «  Ecoute,  je  vais  te  dire 
quelles  étaient  les  qualités  de  Vikramâditya. 
•  Un  jour,  l'auguste  Vikramâditya  s'éleva 
au  moyen  de  ses  chaussures  magiques  pour 
explorer  la  terre,  et  parcourut  ainsi  diverses 
contrées.  Il  aperçut  en  un  certain  lieu,  dans 
l'antre  vaste  et  profond  d'une  montagne,  un 


84  CONTES  INDIENS 

arbre  ravissant  comme  il  n'en  avait  jamais 
vu,  et  vint  au  pied  de  cet  arbre.  Or  c'était  la 
résidence  d'un  oiseau  appelé  Longue-vie  (cî- 
rajîva).  La  troupe  qui  formait  le  cortège  de 
cet  oiseau,  après  avoir  été  en  divers  lieux 
chercher  de  la  nourriture,  revint  sur  l'arbre, 
et  les  oiseaux  se  mirent  à  parler  ensemble. 
«  Sur  ces  entrefaites,  un  des  oiseaux  dit  : 
J'éprouve  aujourd'hui  une  grande  douleur. 

—  Tous  les  oiseaux  lui  firent  alors  cette 
question  :  Quelle  douleur  éprouves-tu  ^  — 
L'oiseau  reprit  :  Ecoutez ,  pour  la  bien 
retenir,  la  circonstance  qui  me  cause  cette 
profonde  douleur.  Au  milieu  de  l'Océan  est 
une  île  ;  le  roi  de  cette  île  est  un  Râxasa, 
les  habitants  sont  des  hommes.  Un  jour,  ce 
Râxasa  entreprit  de  les  manger  tous.  Les 
habitants,  épouvantés,  tinrent  conseil  et  di- 
rent :  «  Hé  !  Râxasa,  tu  es  notre  roi  à  tous, 
nous  sommes  tes  sujets  :  garder  tes  sujets  est 
ton  devoir  de  roi.  Tu  es  roi  et  tu  t'efforce- 
rais de  manger  tes  sujets!  Ce  n'est  pas  con- 
venable. Nous  te  donnerons  chaque  jour,  ré- 
gulièrement et  successivement,  un  homme. 

—  Depuis  lors  le  Râxasa  a,  chaque  jour,  un 
homme  pour  sa  nourriture,  et  se  montre  sa- 
tisfait;  il    ne  fait  pas    de  mal  aux  (autres) 


KÉCIT  DE  I.A  UIXiÈME  FIGURK  85 

créatures.  Je  suis  allé  aujourd'hui  en  prome« 
nade  dans  ce  pays;  j'y  ai  un  ami  qui  a  un 
fils.  Or,  c'est  aujourd'hui  le  tour  de  mon  ami 
de  livrer  un  homme,  en  sorte  que  le  fils  de 
mon  ami  va  être  mangé  par  le  Râxasa  : 
c'est  à  cause  de  cela  que  j'éprouve  une  ex- 
trême douleur. 

«  Le  roi  Vikramâditya  qui  se  tenait  au 
pied  de  l'arbre  entendit  le  discours  de  l'oi- 
seau ;  il  s'éleva  au  moyen  de  ses  chaussures 
magiques  et  se  rendit  dans  le  pays  où  ré- 
gnait le  Ràxasa.  Le  fils  de  l'ami  de  l'oiseau, 
destiné  à  livrer  son  corps  en  pâture  au 
Râxasa  se  tenait  là,  excessivement  troublé 
par  la  crainte  de  la  mort,  dans  le  lieu  où  le 
llâxasa  prenait  ses  repas.  Le  roi  Vikramâdi- 
tya  arriva  en  ce  lieu,  et  dit  :  Hé!  mon  en- 
fant, va-t-en  chez  toi,  je  prendrai  ta  place 
«.t  je  livrerai  mon  propre  corps  en  pâ- 
ture au  Râxasa.  »  —  L'enfant  répondit  : 
Qui  es-tu,  homme  vertueux,  qui  me  donnes, 
(l'occasion)  de  faire  connaissance  avec  toi? 
—  Tu  n'as  pas  besoin  de  faire  connaissance 
avec  moi,  repartit  le  roi.  —  L'enfant, 
ayant  entendu  les  paroles  de  Vikramâditya, 
fut  très  réjoui  et  s'en  retourna  chez  lui. 
Le  roi  Vikramâditya,  sans  crainte  et  le  vi- 


86  CONTES  INDIENS 

sage  souriant,  resta  dans  la  salle  à  manger 
du  Râxasa.  A  l'heure  du  repas,  le  Râxasa 
entra  en  ce  lieu  et,  voyant  l'homme  e'minent, 
lui  dit  :  O  homme,  l'heure  de  ta  mort  est 
arrivée,  tu  n'as  point  de  peur  et  tu  souris! 
Qui  es-tu  donc,  toi  qui  m'accordes  de  faire 
connaissance  avec  toi?  —  Vikramâditya 
répondit  :  Qu'est-il  besoin  de  faire  connais- 
sance? Mange-moi. —  Le  Râxasa  content 
dit  :  O  homme  excellent,  tu  es  fort  ver- 
tueux, je  suis  content  de  toi.  Demande-moi 
ce  que  tu  désires  d'entre  les  choses  qui  sont 
dans  mes  états.  —  Le  roi  lui  répondit  :  Si 
tu  es  content  de  moi,  ne  fais  plus  de  mal 
aux  créatures  à  partir  d'aujourd'hui.  » 
Aussitôt  le  Râxasa  donna  son  assentiment 
en  disant  :  Qu'ainsi  soit  !  —  Le  roi,  s'éle- 
vant  au  moyen  de  ses  chaussures  magiques, 
retourna  dans  sa  capitale  ;  et  depuis,  les  sujets 
du  Râxasa  ne  furent  plus  molestés.  » 

Après  avoir  raconté  cette  histoire,  la  di- 
xième figure  ajouta  :  «  Si  tu  as  une  telle  ca- 
pacité de  venir  en  aide  aux  autres,  alors  tu  es 
digne  de  t'asseoir  sur  ce  trône.  »  A  l'ouïe  de 
ces  paroles,  le  roi  Bhoja  renonça  (au  sacre) 
encore  ce  jour-là. 


RECIT  DE  LA  ii'  FIGURE 


UN  autre  jour  encore,  le  roi  Bhoja,  vou- 
lant se  faire  sacrer,  s'approcha  du  trône 
pour  s'y  asseoir.  Sur  ces  entrefaites,  la  on- 
zième figure  dit  :  «  Roi  Bhoja,  écoute.  Celui- 
là  seul  parviendra  à  s'asseoir  sur  ce  trône, 
dont  la  grandeur  est  égale  à  celle  de  Vikra- 
niclditya.  »  Le  roi  dit  :  «Eh!  figure,  en 
quoi  consiste  la  grandeur  de  Vikramâdi- 
I  tya  ?  *  La  figure  dit  :  «  Eh  !  roi  Bhoja, 
écoute  ! 

«  Il  y  avait  dans  les  Etats  du  roi  Vikramâ- 
ditya  un  grand  personnage  appelé  Bhadra- 

Isena,  qui  mourut  après  avoir  amassé  et 
gardé  avec  soin  des  richesses  considérables. 
Son  fils  appelé  Purandara  se  mit  à  dissiper 
I 


88  CONTES  INDIENS 

tous  ces  biens  dans  de  folles  dépenses.  Les 
voisins  ne  songeant  pas  à  l'en  empêcher,  un 
ami  du  père  de  Purandara,  un  savant  brah- 
mane, vint  trouver  Purandara  et  lui  dit  :  O 
fils  de  mon  ami,  ces  richesses  qu'il  a  conser- 
vées par  des  efforts  si  variés,  car  elles  ne  sont 
pas  stables  (de  leur  nature),  ces  richesses,  tu 
les  gaspilles  aisément  et  à  tort.  La  grandeur 
de  l'homme  consiste  à  garder  la  richesse. 
Cette  richesse,  Laxmî  en  a  fait  un  enseigne- 
ment '  ;  Vishnu  s'est  rendu  par  force  le 
maître  de  Laxmî,  et  c'est  lui  qui  est  devenu 
par  là)  le  seigneur  du  monde.  Cette  Laxmî 
est  née  de  la  mer;  de  là  vient  que  le  nom 
de  la  mer  est  Ratnâkar  (mine  des  joyaux). 
C'est  au  sein  de  Laxmî  qu'est  né  Kandarpa*; 
et  c'est  à  cause  de  cela  que  Kandarpa  l'a  pris 
de  haut,  orgueilleusement  avec  Brahmâ  et  les 
autres  dieux.  Réfléchis  donc  et  comprends 
que  le  peu  de  grandeur  et  d'orgueil  de 
l'homme  dépend  tout  entier  de  la  faveur  de 
Laxmî.  Voilà  pourquoi  je  dis  :  ces  richesses 


I.  Ou  un  livre  {Çdslraj.  Laxmî  est  la  déesse  ds  la  féli- 
cité, la  déesse  Fortune, 
2   Le  dieu  de  l'amour. 


I 


RÉCIT  DE  LA  ONZIEME  FIGURE  89 

qui  (ne)  sont  (pas  autres  que)  Laxtnî,  il  n'est 
pas  convenable  de  les  prodiguer  ainsi. 

«  A  ce  discours  du  Brahmane  Purandara 
re'pondit  :  Eh!  brahmane,  écoute  :  ce  qui 
doit  nécessairement  arriver,  arrive  en  dépit 
de  tous  les  efforts,  comme  l'eau  de  la  noix  de 
coco  De  même  les  biens  qui  doivent  infail- 
liblement disparaître  s'en  vont  ;  de  quelle 
façon  s'en  vont-ils?  —  Personne  ne  peut  le 
préciser;  c'est  comme  la  graine  du  fruit  du 
kapiltha  mangée  par  un  éléphant.  Ainsi  on 
a  beau  faire  des  efforts  pour  garder  la  ri- 
chesse, qu'en  adviendra-t-il? 

•  Après  avoir  ainsi  repoussé  le  discours  du 
brahmane,  Purandara  renouvela  ses  dépen- 
ses de  jour  en  jour,  et  devint  extrêmement 
pauvre  ;  aucun  de  ceux  qu'il  approchait  ne 
faisait  plus  cas  de  lui.  Devenu  ainsi  l'objet 
du  dédain  universel,  Purandara  fut  extrême- 
ment troublé  et  ht  en  lui-même  ces  réfle- 
xions :  Une  forêt  comme  celles  où  demeu- 
rent les  tigres  et  les  autres  animaux  féroces, 
^une  forêt  où  l'on  a  pour  demeure  le  pied 
les  arbres,  pour  nourriture  leurs  feuilles  et 
Jeurs  fruits,  pour  vêtement  leur  écorce,  et 

)ur  lit  l'herbe,  est  assurément  la  résidence 
|ui  convient  le  mieux  à  un  homme  privé  de 


go  CONTES   INDIENS 

toutes  les  richesses  qu'il  possédait);  il  ne  lui 
vaut  rien  d'habiter  prés  de  parents  que  leur 
opulence  enorgueillit.  —  Après  avoir  roulé 
ces  pensées  dans  son  esprit  en  plusieurs  ma- 
nières, Purandara  partit  pour  les  pays  étran- 
gers. 

«  En  errant  par  diverses  contrées,  il  arriva 
près  d'une  ville  voisine  du  Mont  Malaya,  et 
qui  s'appelait  Pîtapur.  Dans  cette  ville,  il 
entendit  de  nuit  les  pleurs  d'une  femme  qui 
pousssait  des  cris  lamentables.  Dès  que  le 
matin  fut  arrivé,  il  s'informa  auprès  des  gens 
de  la  ville  :  Hier,  dit-il,  pendant  la  nuit, 
j'ai  entendu  pleurer  une  femme.  —  Les 
villageois  lui  répondirent  :  Nous  aussi,  cha- 
que jour,  pendant  la  nuit,  nous  entendons 
ces  mêmes  lamentations  de  femme  ;  mais 
nous  ne  savons  qui  est  cette  femme  qui 
pleure  ainsi.  En  entendant  ces  plaintes  con- 
tinuelles, nous  redoutons  quelque  malheur 
et  nous  sommes  dans  des  transes  perpétuel- 
les. 

«  Quand  Purandarafut  rentré  dans  son  pays 
quelques  jours  après  son  arrivée,  il  raconta 
cette  histoire  au  roi  Vikramâditya.  Le  roi, 
l'ayant  entendu,  eut  l'esprit  envahi  par  la 
curiosité,  et,  pour  connaître   les  particula- 


HéCIT  OK  LA  ONZIÈME  riGURE  9I 

rites  du  chagrin  de  cette  femme,  il  s'éleva  à 

l'aide  de  ses  souliers  magiques,  accompagné 

de   Purandara,  et  se  rendit  à  Pîtapur.  Dés 

qu'il  y  fut  arrive,  il  se  mil  à  chercher  :  non 

loin  de  cette  ville  était  une  épaisse  forêt,  où 

il  découvrit  la  femme  en  pleurs.  Au  moment 

où  cette   femme    fit  entendre  ses  plaintes, 

à  cet  instant  même,  il  s'avança  à  travers  la 

forêt,  dans  la  direction  de  cette  femme,  le 

glaive  en  main.  Arrivé  près  d'elle,  il  vit  un 

Râxasa,  à  la  figure  épouvantable,  sans  pitié, 

qui  la  battait  à  tour  de  bras.  A  ce  specta- 

icle,  le  roi  Vikramâditya,  ému  de  compassion, 

[ftccabla  le  Ri}\asa  de  reproches  et  lui  dit  : 

■"i  !  fi!  pervers  Râxasa,  qui  bats  une  faible 

Kemme,  quelle  humanité  y  a-t-il  en  toi  .•'  Viens, 

[combats  avec  moi,  si  tu  en  es  capable.  — 

[En  entendant  ce  défi  du  roi,  le  Ràxasa  entra 

[dans  une  colère  excessive,  il  tenta  de  se  bat- 

re   avec  le  roi  :  après  avoir  lutté  quelque 

Itemps  avec  le   Râxasa,  le  roi  le  tua  en  lui 

Uranchant  la  tîte  avec  son  épée.  Immédiate- 

rment,  la  femme,  aussi  contente  que  pourrait 

[l'être  un  mort  qui  aurait  recouvré  la  vie, 

[s'avança  vers  le  roi,  fit  l'anjali  '  et  adressa  au 

I.  Voir  les  récits  3  (p.  46,  note  4)  et  7  (p.  71,  note). 


92  CONTES  INDIENS 

roi  des  éloges  :  O  grand  roi  des  rois,  comme 
Garuda,  qui  témoigne  la  bonté  de  sa  nature 
en  détruisant  les  serpents,  a  rendu  la  vie  à  la 
grenouille  tombée  de  la  bouche  du  serpent, 
ainsi,  en  exterminant  mon  Râxasa,  tu  m'as 
rendu  la  vie.  Que  ferai-je  pour  reconnaître 
ce  bienfait?  Je  n'ai  ni  fils  ni  fille.  Si  j'avais 
un  fils  ou  une  fille,  je  te  l'off'rirais  pour  te 
servir.  —  Après  avoir  prononcé  ces  paroles 
de  soummission,  elle  tomba  aux  pieds  du  roi. 
Se  relevant  aussitôt,  elle  lui  dit  :  «  A  dater 
d'aujourd'hui,  considère-moi  comme  ton  es- 
clave ;  j'ai  neuf  cents  vases  d'or  tout  remplis 
d'or;  considère  toutes  ces  richesses  comme 
tiennes.  »  —  Le  roi,  ayant  entendu  les  paro- 
les de  soumission  de  cette  femme,  accepta 
tout  ce  qu'elle  avait  de  richesses,  mais  pour 
le  donner  à  cette  femme  même  et  à  Puran- 
dara.  Après  avoir  placé  Purandara  dans  cette 
situation,  il  s'éleva  à  l'aide  de  ses  souliers 
magiques  et  rentra  dans  sa  demeure.  » 

La  onzième  figure,  après  avoir  fait  ce  récit 
au  roi  Bhoja,  ajouta  :  «  Eh!  roi  Bhoja,  tu 
as  entendu  (quelle  était)  l'humanité  de  Vi- 
kramâditya  ;  s'il  y  a  en  toi  autant  d'humanité, 
assieds-toi  sur  ce  trône,  restes-y.  »  Le  roi 
Bhoja,  ayant  entendu  ce  discours,  se  désista 
encore  ce  jour-là. 


______    _^%)v^^^^  _     _ 


RÉCIT  DE  LA  is^  FIGURE 


UNE  autre  fois  encore,  l'auguste  roi  Bhoja 
s'approcha  du  trône  pour  s'y  installer. 
Aussitôt,  la  douzième  figure  lui  dit  .  a  Eh  ! 
roi  Bhoja,  pour  être  digne  de  s'asseoir  sur  ce 
trône,  il  faut  être  aussi  libéral  que  l'était  le 
roi  Vikramâditya.  »  I-e  roi  Bhoja  répondit  : 
«  De  quelle  sorte  était  donc  la  muniticence 
du  roi  Vikramâditya?  »  La  figure  reprit  : 
«  Eh  !  roi  Bhoja,  écoute  : 

«  Un  jour,  l'auguste  Vikramâditya,  pour 
visiter  son  royaume,  s'éleva  à  l'aide  de  ses 
chaussures  magiques,  et  parcourut  ainsi  di- 
vers pays.  En  un  certain  lieu,  il  vit  sur  le 
bord  d'un  fleuve,  non  loin  d'un  temple  des 
dieux,  des  brahmanes  pandits  qui  discutaient 


94  CONTES  INDIENS 

sur  le  Castra.  Vikramâditya  s'approcha  pour 
entendre  leur  discussion.  Quand  il  fut  tout 
près  d'eux,  il  écouta.  Dans  la  chaleur  de  la 
discussion,  les  pandits  cherchaient  surtout  à 
soutenir  respectivement  leur  propre  thèse, 
et,  pour  cela,  ils  faisaient  des  distinctions 
mise'rables  et  de  nature  à  détruire  l'autorité 
du  Castra.  Après  avoir  prêté  l'oreille,  le  roi 
dit  :  Eh!  pandits,  écoutez  :  la  recherche  du 
sens  véritable  du  Castra  est  le  fait  d'un  sa- 
vant :  quand  on  repousse  le  sens  véritable  et 
qu'on  cherche  à  établir  sa  propre  thèse,  on 
ne  fait  pas  acte  de  savant.  Celui  qui,  étant 
savant,  fait  de  fausses  interprétations  pour 
établir  sa  propre  thèse  et  rejette  le  sens  na- 
turel du  Castra,  celui-là  se  perd  lui-même  et 
cause  la  perte  des  disciples  groupés  autour 
de  lui.  —  A  l'ouïe  de  ces  paroles  du  roi,  les 
pandits  se  dirent  en  eux-mêmes  :  Le  savant 
est  celui  qui  est  capable  de  démêler  le  vrai 
sens  et  la  fausse  interprétation  du  Castra;  la 
fausse  interprétation  que  nous  en  avons  faite, 
celui-ci  l'a  comprise  :  d'où  la  conclusion  qu'il 
est  le  premier  des  savants  (pandits).  —  Après 
s'être  communiqué  cette  pensée,  tous,  rem- 
plis de  honte,  cessèrent  la  discussion. 

B   Sur  ces  entrefaites,  un   homme  d'une 


RI^.CIT  DE  LA  DOUZIÈME  FIGURE  gS 

beauté  suprême  arriva  sur  le  bord  du  fleuve; 
il  était  mourant.  Il  tomba  et  dit  à  tous  ceux 
qui  se  trouvaient  là  :  Venez  vite,  vous;  voyez! 
Que  m'est-il  arrivé  ?  —  Mais  il  avait  beau 
dire  :  aucune  des  personnes  présentes  ne 
s'approcha  de  lui. 

»  Voyant  cela,  le  roi  Vikramâditya  eut  l'es- 
prit pénétré  de  compassion;  il  s'approcha  de 
cet  homme,  lui  donna  des  soins  comme  si 
c'eût  ctJ  un  de  ses  plus  proches  parents. 
L'homme  en  fut  extrêmement  satisfait  et  dit 
au  roi  :  Homme  de  bien!  tu  es  mon  meil- 
leur parent;  car  il  est  véritablement  un  pa- 
rent celui  qui  vient  en  aide  à  l'heure  de  la 
calamité.  Aussi  il  y  a  dans  ma  demeure  un 
objet  divin  appelé  Mûlikâ;je  te  le  donne, 

;  prends-le  :  quelque  chose  que  tu  demandes  à 
cet  objet,  tu  la  recevras  à  l'instant.  —  Après 
avoir  adressé  ces  paroles  au  roi  et  lui  avoir 
remis  la  Mûlikà,  cet  homme  expira.  Aussitôt 
un  pauvre  mendiant  s'approcha  du  roi  et  lui 
demanda  l'aumône  (en  disanti  :  1-  h  !  grand 
roi,  tu  es  un  grand  faiseur  de  dons  ;  donne- 
moi  l'aumône  de  manière  que  mon  indigence 
prenne  fin.  —  Le  mendiant  n'eut  pas  plutôt 
formulé  sa  demande  que  le  roi  lui  donna 

ii  cette  Mùlikà;  puis,  s'élevant  à  l'aide  de  ses 


q5  CONTES  INDIENS 

chaussures  magiques,  il  retourna  dans  sa  ca- 
pitale, n 

La  douzième  figure  dit  au  roi  :  «  Eh  !  roi 
Bhoja,  si  tu  es  ainsi  compatissant  et  libéral, 
alors  tu  es  digne  de  t'asseoir  sur  ce  trône.  » 

Après  avoir  entendu  ce  discours,  le  roi 
Bhoja  se  désista  cette  fois  encore. 


^2'^, 


DISCOURS  DE  LA   i.l^  FIGURE 


UN  autre  jour  encore,  le  roi  Bhoja  s'appro- 
cha du  trône  pour  se  faire  sacrer.  Dans 
cette  circonstance,  la  treizième  figure  lui  dit 
en  riant  :  «  Hé  !  roi  Bhoja,  celui-là  seul  est 
digne  de  s'asseoir  sur  le  trône,  dont  la  gran- 
deur est  comparable  à  celle  de  Vikramâdi- 
tya.  »  A  l'ouïe  de  ces  paroles,  le  roi  Bhoja 
dit  :  •  O  figure,  en  quoi  consiste  la  grandeur 
de  Vikramàditya  ?»  La  figure  lui  répondit  : 
«  0  roi,  écoute  avec  attention  la  munificence 
^■ie  Vikramàditya  : 
^H  «  Un  jour,  le  roi,  poussé  par  la  curiosité, 
^Héleva  à  l'aide  de  ses  chaussures  magiques, 
^^R,  après  avoir  parcouru  plusieurs  pays,  ar- 
'    riva  dans  une  forêt  près  d'une  ville.  Dans  un 


gS  CONTES  INDIENS 

temple  situé  au  milieu  de  cette  forêt  résidait 
un  Siddha  '.  En  voyant  ce  Siddha,  le  roi  Vi- 
kramâditya  lui  fit  la  révérence  avec  foi.  Le 
Siddha  lui  dit  :  Roi  Vikramàditya,  pourquoi 
es-tu  venu?  —  Le  roi  répondit  :  Eh!  Yogi, 
je  suis  bien  Vikramàditya  lui-même;  com- 
ment le  sais-tu?  —  Je  t'ai  vu  auparavant 
dans  la  ville  d'Avantî  sur  le  trône  royal,  re- 
prit le  Siddha;  tu  as  quitté  ton  royaume  poui 
courir  les  pays  étrangers  ;  cela  n'est  pas  bien,^ 
Quand  un  roi  reste  dans  son  pays,  toujours 
occupé  des  soins  de  la  royauté,  la  fortune  lu^ 
demeure  fidèle.  Aussi  ne  convient-il  pas  ai 
roi  de  se  promener  dans  les  contrées  étran- 
gères; car,  s'il  est  hors  de  ses  Etats,  les  ar'J 
mées  ennemies  s'efforceront  de  prendre  U 
pays  pour  en  jouir.  —  Le  roi  Vikramàditya 
répondit  à  ce  discours  :  Ce  qui  doit  nécessai^ 
rement  arriver  est  sans  remède.  S'il  y  avait 
un  remède,  le  roi  Nala  et  bien  d'autres  n'auJ 
raient  pas  tant  souffert.  Ainsi,  tout  est  sou^ 
mis  à  la  fatalité.  De  quoi  donc  ai-je  à  me 
préoccuper  ?  Aussi  je  veux  te  raconter  un€ 
ancienne  histoire  : 


I.  Siddha  («  qui  a  réussi  ï>\  homme  arrive  à  la  perfec-j 
tion.  Ce  terme  est  synonyme  de  Yogi. 


RECIT  DE  LA  TREIZIEME  FIGURB  99 

«  Il  y  avait  une  ville  appelée  Padtnanêshat, 
dont  le  roi  avait  nom  Jayaçekhara.  Au  bout 
d'un  certain  temps,  les  confidents,  les  con- 
seillers, les  parents  et  alliés  de  ce  roi  s'étant 
conjurés  se  débarrassèrent  de  lui  et  l'expul- 
sèrent du  pays  avec  sa  reine.  Après  avoir  tra- 
versé à  pied  plusieurs  contrées,  les  exilés  cou- 
chèrent de  nuit  dans  une  ville  au  pied  d'un 
arbre.  Sur  cet  arbre  étaient  cinq  Yaxas  •  qui 
faisaient  entre  eux  la  conversation.  Un  des 
Yaxas  dit  ;  Demain,  le  roi  de  cette  ville  ren- 
dra l'âme  dès  le  matin;  il  n'a  pas  de  fils  :  qui 
sera  le  roi  de  cette  ville?  —  Un  autre  Yaxa 
répondit  :  Celui  qui  a  fait  son  lit  au  pied  de 
l'arbre,  c'est  celui-là  qui  sera  roi.  —  Le  roi, 
qui  se  tenait  au  pied  de  l'arbre,  entendit  toute 
cette  conversation.  Au  matin,  il  prit  sa  femme 
avec  lui,  s'installa  au  milieu  de  la  ville  et 
resta  là.  Ce  jour  même,  le  roi  de  la  ville  ex- 
pira :  pour  assurer  au  royaume  un  protecteur, 
les  conseillers  prirent  l'éléphant  principal  et 
se  mirent  en  quête  d'un  homme  digne  d'être 

I .  Dieux  ou  génies  qui  forment  le  cortège  de  Kuvera  et 
gardent  ses  trésors  ;  représentés  d'ordinaire  comme  dan- 
gereux et  nuisibles,  quelquefois  comme  inoffensifs  et  mfme 
bienfaisants.  Dans  ce  récit,  ils  sont  bienfaisants  pour  les 
uns,  nuisibles  pour  les  autres. 


100  CONTES  INDIENS 

roi.  Sur  ces  entrefaites,  l'éléphant  principal 
fit  monter  sur  son  dos  le  roi  Jayaçekhara  et 
le  conduisit  jusqu'au  tr^ne  ;  ensuite  de  quoi 
les  conseillers  le  sacrèrent.  Le  roi  Jayaçe- 
khara, sacré  avec  sa  femme,  exerça  la  royauté 
sans  entraves. 

«  Quelques  jours  après,  les  rois  voisins,  s'é- 
tant  tous  réunis,   bloquèrent  la   ville  du  roi 
Jayaçekara;  pendant  ce  temps-là,  le  roi  jouait 
aux  dés  avec  la  reine  et  ne  s'occupait  pas  (des 
affaires)  de  son  royaume.  Sur  ces  entrefaites,! 
la  reine  dit  :  Eh  !   grand  roi,  je  pense  à  unej 
chose  ;  enserré  comme  tu  l'es  par  le  cercl< 
des  rois  ennemis,  ce  pays  ne    sera  bientôt 
plus  à  toi.  Aussi,  cherchant  ton  bien,  je  tej 
rappelle  que  si  un  roi  s'abandonne  au  vice,] 
sa  royauté  a  beau  être  soutenue  par  la  ri-J 
chesse,  l'intelligence,    la  capacité,    elle   eslj 
destinée  à  périr.  Ce  vice  peut  être  de  dix-hui| 
espèces  différentes,  dont  dix  se  rattachent  a 
l'amour,  et  huit  à  la  colère  ;  tel  est  l'ensem- 
ble des  dix-huit  espèces  de  vices.  Aussi,  ui 
roi  doit-il  toujours  se  garder  de  l'amour  et  del 
la  colère. 

«  Voici  rénumération  des  dix  vices  nés  de 
l'amour  :  la  passion  de  la  chasse  est  le  pre-J 
mier  ;  l'attachement  au  jeu  de  dés,  le  deu-| 


RéClT  DE  LA  TRKIZIÈMS  FiGURB  lOI 

xiéme;  le  sommeil  de  jour,  le  troisième;  l'es- 
prit de  dénigrement,  le  quatrième  ;  la  passion 
des  femmes,  le  cinquième;  l'égorsrae,  le  si- 
xième ;  la  passion  de  voir  les  danses,  le  sep- 
tième ;  celle  d'entendre  les  chants,  le  hui- 
tième; celle  d'entendre  les  instruments  de 
musique,  le  neuvième  ;  la  promenade  au  ha- 
sard et  sans  but,  le  dixième  :  le  roi  qui  s'a- 
.donne  habituellement  à  ces  dix  espèces  de 
|vices  nés  de  l'amour  perd  tous  les  biens  ex- 
lérieurs  et  tous  les  biens  moraux.  —  Voici 
maintenant  l'énumération  des  huit  vices  nés 
^de  la  colère  :  La  malignité  est  le  premier  ; 
m  esprit  d'hostilité  non  motivée  envers  les 
jens  de  bien,  le  deuxième;  le  désir  de  tuer 
les  gens  inoffensifs,  le  troisième;  l'impatience 
de  l'éloge  d'autrui,  le  quatrième;  l'art  de  dé- 
couvrir ce  qu'il  y  a  de  défectueux  dans  les 
qualités  des  gens  supérieurs,  le  cinquième; 
l'action  de  prendre  frauduleusement  les  ri- 
chesses d'autrui  et  de  refuser  les  choses  qu'il 
est  indispensable  de  donner,  le  sixième; 
celle  de  blâmer  autrui,  le  septième;  celle 
de  donner  des  coups  ou  de  maltraiter  autre- 
ment les  gens  le  huitième.  Le  roi  qui  est  at- 
taché à  ces  huit  espèces  de  vices  nés  de  la 
colère  se  perd  lui-même,  il  perd  son  royaume 


J02  CONTES  INDIENS 

et  (est  infidèle  au)  devoir.  Toi-même,  grand 
roi,  toi  qui  es  né  d'une  grande  famille,  tu 
t'es  livré  au  jeu  de  dés  avec  ta  femme  d'une 
manière  excessive,  tu  as  renoncé  à  t'occuper 
des  affaires  de  la  royauté.  Aussi  je  pense  que, 
avec  une  extrême  rapidité,  nous  allons  être 
enveloppés  ensemble  dans  le  malheur. 

«  En  donnant  au  roi  cet  avertissement,  la 
reine  était  profondément  affligée.  Inconti- 
nent, le  roi  lui  répondit  :  Eh  !  ma  chère, 
bannis  toute  crainte.  Quand  nous  eûmes 
perdu  la  royauté,  ce  grand  arbre  sous  lequel 
j'ai  fait  mon  lit,  ce  grand  arbre  s'est  bien 
trouvé  là  ;  de  même  ces  cinq  individus  Yaxas 
qui  étaient  sur  ce  grand  arbre  et  par  la  fa- 
veur desquels  j'ai  obtenu  cette  royauté-ci, 
ces  cinq  individus  Yaxax  se  sont  bien  trouvés 
là.  Ainsi,  ma  chère,  songe  que  tout  ce  qui 
doit  arriver,  arrivera  infailliblement  :  viens 
donc  et  jouons  aux  dés.  —  Et  le  roi,  après 
avoir  parlé,  recommença  de  plus  belle  à 
jouer  avec  la  reine. 

((  Cependant  les  cinq  individus  Yaxas,  ayant 
su  que  le  malheur  du  roi  était  imminent,  se 
mirent  à  délibérer  entre  eux  :  Nous  avons 
donné  un  royaume  à  ce  roi  (dirent-ils)  :  mais 
ce  roi  est  un  homme  excessivement  mépri- 


uéCIT  DE  I.A  TREIZIÈMK  FIGURE  lo3 

sable;  il  ne  fait  preuve  d'aucune  capacité,  et 
va  tomber  entre  les  mains  de  ses  ennemis;  si, 
dans  ces  circonstances,  nous  ne  lui  donnons 
aucune  aide,  il  périra,  et  ce  sera  pour  nous 
une  grande  honte.  Notre  grandeur  doit  se 
développer  dans  le  monde  et  ne  soutfrir  au- 
cune diminution  :  c'est  à  nous  d'y  veiller. 
Faisons  nous  donc  combattants  pour  dé- 
truire les  ennemis  du  roi.  —  Cette  décision 
prise,  les  cinq  Yaxas  firent  la  guerre  et  dé- 
truisirent les  adversaires  du  roi. 

Aussitôt  la  reine,  en  voyant  cette  multi- 
tude d'ennemis  anéantie,  comprit  qu'il  y 
avait  là  quelque  chose  de  tout  à  fait  mer- 
veilleux, et  dit  au  roi  :  Ehl  gfand  roi,  que 
cela  est  merveilleux  !  Comment  cette  troupe 
puissante  d'ennemis  a-t-elle  été  si  facilement 
anéantie  ?  —  Ces  paroles  arrivèrent  aux  oreil- 
les des  cinq  Yaxas  qui  interpellèrent  la  reine 
en  lui  disant  :  Eh  !  vertueuse,  apprends  par 
quelle  cause  la  multitude  des  ennemis  de 
ton  roi  a  été  ainsi  détruite  :  Nous  fûmes 
jadis  cinq  poissons  ;  l'étang  dans  lequel  nous 
faisions  notre  demeure  fut  malheureusement, 
par  suite  de  chaleurs  brûlantes  d'une  certaine 
année,  entièrement  desséché  et  privé  d'eau. 
Ce  roi,  de  son  côté,  fut,  dans  ce  temps  passé, 


104  CONTES  INDIENS 

un  potier  qui  venait  à  l'étang  pour  en  ex- 
traire de  l'argile.  Nous  voyant  excessivement 
trouble's,  il  fit  dans  cet  étang  un  trou  qu'il 
remplit  d'eau  et  où  il  nous  garda  :  ce  procédé 
nous  sauva  la  vie.  Quelque  temps  après, 
nous,  les  cinq  poissons,  nous  devînmes  cinq 
Yaxas  et  le  potier  devint  le  roi  Jayaçekhara. 
Comme  il  nous  avait  rendu  service  dans  une 
existence  précédente,  nous  lui  avons  témoi- 
gné notre  reconnaissance  pour  ses  bons  offi- 
ces en  le  faisant  roi  de  ce  pays.  Qu'il  jouisse 
avec  toi  de  la  royauté  sans  épines.  —  Après 
avoir  prononcé  ces  paroles,  les  cinq  Yaxas 
retournèrent  dans  leur  demeure.  » 

•  Le  roi  Vikramâditya  ajouta  :  Eh  1  yogî, 
ce  qui  doit  arriver  nécessairement  ne  sera 
changé  en  aucune  manière  ;  que  peuvent  les 
efforts  de  l'homme? —  Le  yogî  répondit  : 
Eh!  grand  roi,  ce  que  tu  as  dit  est  con- 
traire au  Nîti-Çâstra.  D'après  le  Nîti-Çastra, 
l'homme  qui  fait  des  efforts  incessants  est  le 
meilleur.  Dire  :  ce  qui  doit  arriver  arrivera, 
ce  qui  ne  doit  pas  arriver  n'arrivera  pas, 
quelques  efforts  que  l'on  fasse,  c'est  parler  en 
homme  vil  ;  car  aucun  acte  n'est  en  dehors 
du  but  que  l'homme  peut  atteindre,  et  celui 
qui  se  vante  d'être  inactif  est  méprisable.  Il 


uéCir  DK  LA  TREIZIÈME  FIGURE  lo3 

faut  donc  déployer  constamment  son  activité. 
Malgré  tout,  j'estime  que  tu  es  un  grand 
sage;  aussi,  content  de  toi  comme  je  le  suis, 
je  te  donne  ce  joyau  incomparable,  le  cin- 
tamani. 

«  Le  roi  reçut  le  cintamani,  fut  très  satis- 
fait, adressa  des  éloges,  fit  des  génuflexions  au 
Siddha,  puis  reprit  le  chemin  de  sa  ville.  Un 
pauvre  homme  qui  se  rencontra  sur  la  route 
lui  demanda  de  l'argent.  Le  roi  donna  à 
ce  pauvre  homme  le  joyau  cintamani,  puis, 
s'élevant  sur  ses  chaussures  magiques,  rentra 
chez  lui. 

La  figure  ajouta  :  •  Eh  !  roi  Bhoja,  telle 
était  la  grandeur,  de  Vikramâditya;  s'il  y  a  en 
toi  une  telle  grandeur,  alors  assieds-toi  sur  ce 
trône,  et  fais-toi  sacrer.  »  —  En  entendant 
ces  paroles,  le  roi  Bhoja  se  retira  encore  ce 
jour-là. 


I 


^P 


4É^«4^«4É^«4|». 


RÉCIT  DE  LÀ  î 4'  FIGURE 


\ 


UNE  autre  fois  encore,  l'auguste  roi  Bhoja 
s'approcha  du  trône  pour  se  faire  sacrer. 
La  quatorzième  figure  dit  au  roi  Bhoja  : 
«  Eh  !  roi  Bhoja,  écoute  : 

«  L'auguste  roi  Vikramâditya  exerait  la 
royauté  complète  dans  la  ville  d'Avantî.  Il 
avait  un  ami  appelé  Sumitra,  qui  sortit  de 
chez  lui  pour  faire  un  voyage  aux  étangs  sa- 
crés. Après  avoir  visité  divers  étangs,  le  pè- 
lerin s'approcha  d'un  étang  appelé  Çakrâva- 
tar  et  qui  appartenait  à  une  divinité  appelée 
Yugâdideva.  Après  avoir  fait  son  oftVande  et 
adressé  ses  louanges  à  la  divinité,  il  entra 
dans  la  ville  ;  là,  il  vit,  près  d'un  temple  des 
dieux,  un  chaudron  plein  d'huile  brûlante 


i 


I08  CONTES   INDIENS 

exposé  à  un  feu  ardent.  Il  questionna  les 
gens  qui  se  trouvaient  là  et  qui  lui  dirent  : 
Il  y  a  dans  ce  lieu  une  femme  aux  membres 
divins  appele'e  Madanasanjîvanî  qui  est  la 
reine  de  ce  pays;  tout  ceci  lui  appartient. 
L'homme  qui  entrera  dans  ce  chaudron  plein 
d'huile  sans  en  mourir  est  celui  qui  devien- 
dra notre  seigneur. 

«  Après  avoir  recueilli  ce  propos  de  la  bou- 
che de  ces  gens,  Sumitra  vit  Madanasanjî- 
vanî; il  admira  ses  formes,  sa  prestance,  sa 
beauté,  ses  charmes  et  devint  fou  d'amour. 
De  retour  dans  la  ville  d'Avantî,  il  informa 
l'auguste  Vikramâditya  de  toute  cette  aven- 
ture. Après  avoir  entendu  le  récit  de  Sumi- 
tra, le  roi  fut  tout  entier  à  la  curiosité;  il  alla 
près  du  chaudron  plein  d'huile  et  sauta  dans 
le  liquide.  A  la  nouvelle  de  cet  événement, 
Madanasanjîvanî  arriva;  quand  elle  vit  de- 
vant elle  l'auguste  Vikramâditya,  elle  oignit 
d'Amrita  le  corps  brûlé  (du  roi)  qui  redevint 
tel  qu'il  était  auparavant,  sans  brûlure  et 
sans  souffrance.  La  belle  aux  membres  divins 
dit  à  Vikramâditya  :  Eh!  grand  roi,  c'est  une 
grande  qualité  chez  un  roi  que  (de  savoir  su- 
bir) de  cruelles  souffrances;  or,  quelle  plus 
grande  souffrance  peut-on  subir  que  celle  qui 


RÉCIT  DE  LA  QUATORZIEME  FIGURE         lOÇ 

consiste  à  entrer  dans  un  chaudron  d'huile 
bouillante?  C'est  pour  éprouver  l'humanité 
du  roi  que  j'ai  disposé  cet  appareil;  j'estime 
que  ton  humanité  est  très  grande.  Aussi  je 
suis  contente  de  toi.  Sois  avec  moi  le  maître 
de  ce  pays  Ratnavatî. 

*  Après  avoir  imaginé  de  tels  moyens  de 
prendre  le  roi  par  diverses  sortes  de  paroles 
aft'ectueuses ,  elle  dit  encore  au  roi  :  Eh! 
grand  roi,  tu  es  riche  dans  ce  Samsara,  puis- 
que tu  as  su  garder  ton  cœur  de  toutes  con- 
voitises pour  une  femme  aussi  belle  que  moi, 
aussi  bien  que  pour  une  félicité  royale  telle 
que  là  mienne. 

«  A  ce  moment,  le  roi,  sur  un  signe  de  Su- 
BÙtra,  fit  son  ami  Sumitra  roi  de  ce  pays,  et 
lui  donna  en  même  temps  Madanasanjîvanî; 
après  quoi,  il  retourna  dans  sa  capitale,  t 

La  quatorzième  figure,  après  avoir  fait  ce 
récit  à  l'auguste  roi  Bhoja,  ajouta  :  «  S'il  y 
a  en  toi  une  pareille  munificence,  alors  tu  es 
digne  de  t'asseoir  sur  ce  trône.  »  En  enten- 
dant ces  paroles,  le  roi  Bhoja  se  retira  encore 
ce  jour-là. 


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00) 


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RÉCIT  DE  LA  i5'  FIGURE 


UNE  autre  fois  encore,  l'auguste  roi  Bhoja 
s'approcha  du  trône  pour  se  faire  sacrer. 
En  le  voyant  venir,  la  quinzième  figure  dit  : 
•  Eh  !  roi  Bhoja,  écoute  quelles  conditions 
doit  remplir  celui  qui  est  digne  de  s'asseoir 
sur  ce  trône.  —  Dis  en  quoi  consistent  ces 
conditions,  »  repartit  le  roi.  La  figure  reprit 
en  ces  termes  : 
^K    «    L'auguste   Vikramâditya ,   après    avoir 
^Hréuni  une  armée  formée  de  quatre  corps  bien 
^Bomptés,  celui  des  éléphants,  celui  des  che- 
^H^aux,  celui  des  chars,  celui  des  fantassins, 
^Hlvait  conquis  toutes  les  contrées,  réduit  tous 
^Bes  rois  sous  sa  puissance.  Il  siégeait  un  jour 
^Kiu  milieu  de  son  conseil  avec  ses  législateurs. 


1  12  CONTES  INDIENS 

ses  agents  exécuteurs  de  ses  ordres,  les  sa- 
vants de  son  conseil  et  d'autres  personnages. 
Sur  ces  entrefaites,  les  gardiens  du  jardin  de 
plaisance  vinrent  en  présence  du  roi  ',  firent 
l'anjali  et  dirent  :  Eh  !  grand  roi,  le  roi  de 
toutes  les  saisons,  le  printemps,  a  fait  son  en- 
trée dans  la  multitude  des  bosquets,  théâtres 
de  ses  jeux.  Les  bosquets  et  les  allées,  les 
arbres  couverts  de  jeunes  pousses,  chargés 
de  grappes  de  fleurs  et  de  fruits  brillent  d'un 
éclat  superbe.  Tous  les  étangs  resplendissent 
de  plantes  aquatiques;  les  guirlandes  d'abeil- 
les, ivres  de  miel,  font  entendre  des  sons 
agréables;  le  kokila  pousse  les  doux  cris  de 
l'accouplement. 

«  A  l'ouïe  de  ces  paroles  des  gardiens  du 
parc,  le  roi,  avec  son  entourage,  se  rendit  à 
son  jardin  de  plaisance,  se  livra  en  divers 
lieux  à  plusieurs  genres  de  divertissement, 
puis,  au  milieu  du  bois,  parmi  divers  autels 
(de  dieux),  il  s'assit  sur  un  trône  d'or  orné 
de  pierreries,  et,  en  compagnie  de  ses  pan- 
dits, se  mit  à  étudier  les  Castras.  Sur  ces  en- 
trefaites, un  pandit  qui  était  juge,  s'attachant 
à  un  point  du  Castra  de  la  connaissance  (Jnâ- 

•     I.  Voir  récit  cinquième  (p.  58). 


RÉCIT  OE  LA  QUINZlàUB  riGURK  I  I  3 

na-Çâstra),  dit  :  Eh!  grand  roi,  écoute  :  la 
félicité  royale,  en  quelque  temps,  en  quelque 
lieu  que  ce  soit,  n'est  pas  stable  ;  ce  corps, 
composé  de  sang,  de  chair,  d'ordures,  d'u- 
rine, sujet  à  diverses  infirmités,  n'est  pas  sta- 
ble ;  de  même  les  tils,  les  amis,  les  épouses, 
rien  de  tout  cela  n'est  durable.  Ainsi  l'affec- 
tion poussée  à  l'excès  ne  convient  pas  au 
sage  :  de  même  que  l'affection  procure  une 
(grande)  jouissance,  quand  vient  la  sépara- 
tion, elle  cause  une  douleur  encore  plus 
grande.  Par  conséquent,  le  sage  doit  appli- 
quer son  esprit  à  (la  méditation  de)  l'exis- 
tence éternelle.  Or,  il  n'y  a  pas  d'existence 
éternelle  en  dehors  de  l'homme  suprême', 
qui  est  la  forme  de  l'être  par  excellence  *.  Si 
l'esprit  est  terme  sur  ce  point,  il  sera  affran- 
chi de  la  geôle  du  Samsara. 

«  Quand  le  juge  eut  fini  de  parler,  le  roi 
resta  quelque  temps  pensif,  puis  il  dit  :  Eh  ! 

I.  Parama-puruska.  Peut-être  taudrait-il  traduire  : 
f  ^uruiAd  iiuprêmâ  »  et  conserverie  terme  indien /urtuAtf 
ai  signifie  *  homme  »,  mais  qui,  ici,  a  une  acception 
bilosophique  toute  s{>éciale. 

i.  SaccUdnanJa,   nom  du  principe  de   l'existence,   de 
Inintelligence,  de  la  félicité.  On  le  retrouvera  dans  le  der- 
•^^nier  récit. 


I  14  CONTES  INDIENS 

juge,  tout  ce  que  tu  as  exposé  est  fort  juste. 
Tant  que  le  souffle  de  la  respiration  persiste 
dans  ce  corps  perce'  d'une  multitude  d'ouver- 
tures, c'est  la  vie  du  vivant  ;  une  fois  que  le 
souffle  de  la  respiration  s'échappe  du  corps, 
c'est  la  mort  du  vivant.  Par  conséquent,  la 
vie  est  une  grande  merveille.  Tout  ce  qui  est 
du  Samsara  est  né  mortel  et  dure  autant  que 
les  éléments  grossiers,  autant  que  la  vie. 
Après  la  mort,  le  lien  (qui  retenait  le  tout) 
n'existe  absolument  plus.  Celui  qui  sait  tou- 
tes ces  choses  comme  s'il  les  avait  devant  les 
yeux  et  qui  néanmoins  est  enivré  par  les  ob- 
jets sensibles,  celui-là  est  dans  la  même  situa- 
tion que  s'il  était  dans  une  complète  igno- 
rance ;  car,  bien  que  cette  connaissance  n'ait 
pas  péri  pour  lui,  il  n'a  pas  l'attachement 
inébranlable  pour  l'homme  suprême.  Celui-là 
est  bon  au  suprême  degré  qui  s'applique 
constamment  à  détruire  l'ignorance;  tu  es 
donc  bon  au  suprême  degré,  certes  ! 

«  Après  avoir  eu  plusieurs  conversations 
sur  la  connaissance,  Vikramâditya,  enchanté 
du  juge,  lui  donna  huit  lacks  d'or.  » 

Après  avoir  entendu  ce  discours  de  la  bou- 
che de  la  quinzième  figure,  l'auguste  roi 
Bhoja  se  désista  ce  jour-là. 


RÉCIT  DE  LA  16*  FIGURE 


UN  autre  jour  encore,  comme  le  roi  Bhoia 
s'approchait  du  trône,  la  seizième  figure 
lui  dit  :  «  Eh!  roi  Bhoja,  je  te  ferai  l'exposé 
des  qualités  qui  rendaient  Vikramâditya  di- 
gne de  s'asseoir  sur  ce  trône;  écoute  : 

•  Il  y  avait  un  roi  appelé  Candraçekhara. 
Un  jour,  comme  il  siégeait  dans  son  conseil, 
un  étranger,  un  ménestrel,  vint  se  présenter 
devant  lui  et  célébra  en  plusieurs  manières 
la  gloire  (de  Vikramâditya)  en  disant  :  Il  est 
doué  de  toutes  les  qualités,  aussi  tous  se  ré- 
fugient en  lui  ;  lui-même  est  l'asile  de  toutes 
les  qualités;  car  c'est  un  homme  qui  a  l'in- 
telligence de  toutes  les  qualités,  un  homme 
comme  il  n'y  en  a  pas. 

If 


I  |6  CONTES  INDIENS 

«  Après  avoir  entendu  le  langage  du  mé- 
nestrel, le  roi  Candraçekhara  lui  dit  :  Eh! 
ménestrel,  tu  ai  parcouru  différents  pays  ;  as- 
tu  vu  quelque  part  de  pareilles  gens,  oui  ou 
non?  —  Le  ménestrel  répondit  :  O  grand 
roi,  je  n'ai  vu  que  le  roi  Vikramâditya  qui 
soit  doué  d'autant  de  qualités.  —  Le  roi  Can- 
draçekhara, après  avoir  entendu  de  la  bouche 
du  savant  l'exposé  de  la  conduite  de  Vikra- 
mâditya, éprouva  le  désir  de  lui  devenir 
semblable  et  invoqua  la  divinité.  La  divinité, 
satisfaite  des  invocations  du  roi  Candraçe- 
khara, lui  accorda  le  don  de  l'immortalité  et 
lui  dit  :  Eh  !  roi,  chaque  jour  tu  livreras  ton 
corps  en  sacrifice  dans  une  source  de  feu,  et 
ton  corps  brûlé  redeviendra  un  corps  d'une 
nature  supérieure.  —  Après  avoir  prononcé 
ces  paroles,  la  divinité  devint  invisible.  Le 
roi  fit  donc  de  son  corps  un  sacrifice  quoti- 
dien, et  son  corps  devint  aussitôt  divin. 
Ayant  ainsi  obtenu  le  privilège  de  l'immor- 
talité, il  accumula  divers  mérites. 

«  Le  ménestrel  raconta  au  roi  Vikramâditya 
toute  cette  histoire  du  roi  Candraçekhara.  Le 
roi,  après  avoir  entendu  ce  récit,  fit  dans  son 
esprit  cette  série  de  réflexions  :  Celui-là  seul 
est  grand  qui  sait  rendre  semblables  à  lui  les 


KECIT  DU  LA  SEIZIEME  flGURE  I  I7 

gens  placés  autour  de  lui.  Pour  moi,  j'ai  été 

grand,  et  (maintenant)  je  ne  suis  pas  grand. 
C'estainsiquelemontMalayarendsenjblables 
à  lui,  en  leur  communiquant  une  agréable 
odeur,  les  arbres  de  son  voisinage  ;  c'est  là  ce 
qui  fait  la  supériorité  du  mont  Malaya.  (Au 
contraire)  le  mont  Sumeru  est  fait  lui>mème 
de  pierreries;  mais  il  ne  communique  pas 
aux  montagnes  qui  l'entourent  le  privilège 
d'être  faites  en  pierreries,  de  sorte  que  le 
privilège  qu'il  a  d'être  fait  de  pierreries  se 
trouve  inutile.  Cet  exemple  prouve  que  le 
devoir  de  l'homme  qui  ne  relève  de  personne 
est  de  travailler  à  ce  que  ceux  qui  vont  en 
refuge  prés  de  lui  soient  dans  le  bien-être. 
Le  roi  Candraçekhara  est  heureux  de  tous 
points  dans  son  existence;  mais  il  faut  que, 
chaque  jour,  il  entre  dans  l'huile  bouillante  '. 
C'est  une  grande  douleur;  cette  douleur,  il 
faut  absolument  que  je  fasse  ce  qui  est  né- 
cessaire pour  la  briser. 

»  Après  avoir  fait  ces  raisonnements  dans 
json  esprit,  le  roi  Vikramâditya  se  rendit  de 


I.  Ce  qu'on  appelle  ici  •  huik  bouillante  •  eUit  appelé 
'plus  haut  «  source  de  feu  . .  —  Pour  l'huile  bouillante,  voir 
T^it  14. 


I  l8  CONTES  INDIENS 

sa  personne  dans  la  capitale  du  roi  Candra- 
çekhara,  et,  au  moment  où  il  entrait  dans  la 
source  de  feu,  la  divinité  apparut  et  lui  dit  : 
O  joyau  de  vertu,  quel  besoin  avais-tu  d'en- 
trer dans  la  source  de  feu  ?  Le  roi  Gandraçe- 
khara,  pour  devenir  semblable  à  toi,  a  ac- 
cepté cette  dure  et  pénible  épreuve  ;  il 
s'assujettit  à  subir  la  douleur  d'un  corps 
constamment  brûlé.  Il  m'a  adressé  bien  des 
supplications  et  obtenu  par  là  l'immortalité  ; 
pourquoi  as-tu  rendu  cet  héroïsme  inutile  ? 
Maintenant,  demande  ce  que  tu  désires. 

«  Vikramâditya  répondit  :  Eh  !  déesse,  si 
tu  es  propice  envers  moi,  je  demande  que  le 
roi  Candraçekhara  n'ait  pas  à  subir  la  dou- 
leur de  brûler  son  corps  chaque  jour  en  en- 
trant dans  la  source  de  feu  ;  accorde-moi  ce 
don!  —  La  déesse  (Devî)  reprit  :  Eh!  roi,  tu 
es  un  généreux  donateur,  compatissant,  dé- 
vot :  contente-toi  de  ce  zèle,  j'accorde  au  roi 
Candraçekhara  le  don  que  tu  as  choisi.  —  A 
ces  mots,  la  déesse  disparut.  L'auguste  Vi- 
kramâditya, après  avoir  délivré  Candraçe- 
khara de  sa  grande  douleur,  retourna  dans 
sa  demeure.  » 

La  figure  ajouta  :  «  Eh  !  roi  Bhoja,  écoute  : 
le  roi  Vikramâditya  est  entré  dans  le  feu  pour 


KECIT  DK  LA  SBIZIEUE  riGURC 


119 


délivrer  un  autre  de  la  douleur.  Qui  est  ca- 
pable d'en  faire  autant?  S'il  y  a  en  toi  une 
grandeur  (d'âme)  semblable  à  celle-là,  alors 
tu  peux  t'asseoir  sur  ce  trône.  • 

Après  avoirentendu  ces  parolesde  la  figure, 
le  roi  Bhoja  s'en  alla  la  tête  basse. 


.v^ 


ItifiH 


RÉCIT  DE  LA  17'  FIGURE 


UNE  autre  fois  encore,  comme  le  roi  Bhoja 
se  tenait  près  du  trône  afin  de  se  faire 
sacrer,  la  dix-septième  figure  lui  dit  :  «Eh! 
roi,  écoute  quelle  était  la  munificence  de 
l'auguste  Vikramâditya  : 

«  Dans  le  temps  où  l'auguste  Vikramâditya 
exerçait  la  royauté  complète  de  la  ville  d'A- 
vantî,  en  ce  temps-là,  par  la  force  de  la  jus- 
tice du  roi,  tout  le  monde  se  plaisait  com- 
munément dans  la  vertu.  Les  femmes  ne 
connaissaient  qu'un  seul  homme  ;  tous  grains 
poussaient  en  toutes  terres;  on  se  détachait 
du  mal,  on  s'attachait  à  la  loi,  on  persistait 
dans  des  résolutions  conformes  au  sens  des 
Castras,  on  respectait  les  hôtes,  on  se  con- 


1  22  CONTES  INDIENS 

formait  au  commandement  de  son  père,  de 
sa  mère,  du  roi,  etc.,  on  suivait  une  morale 
conforme  à  la  science  de  l'âme  suprême  ;  en 
un  mot,  tout  le  pays  brillait  d'un  éclat  in- 
comparable par  son  incomparable  fidélité  à 
la  loi.  Et  l'auguste  Vikramâditya,  gardant  les 
créatures,  réprimant  les  méchants  selon  les 
prescriptions  du  Dandanîti  '  et  du  Râjanîti  % 
jouissait  de  la  royauté  dans  un  bien-être  par- 
fait. 

«  Un  jour,  le  gardien  du  parc  vint  trouver 
le  roi  et,  après  avoir  fait  l'anjali,  lui  donna 
cette  nouvelle  :  Eh  !  grand  roi,  un  sanglier 
terrible,  dont  le  corps  est  comme  une  mon- 
tagne, semblable  à  Yama  le  messager  de 
mort,  est  venu;  il  a  pénétré  dans  le  bosquet 
des  jeux.  Il  nous  a  tellement  effrayés  que 
nous  avons  déserté  le  jardin  et  nous  sommes 
réfugiés  jusqu'ici.  Avise  promptement  aux 
moyens  de  repousser  ce  sanglier. 

«  Quand  il  eut  entendu  ce  discours  du  gar- 
dien du  parc,  le  roi,  passionné  pour  la  chasse, 
monta  sur  son  éléphant  et  partit  seul  avec 
l'intention  de  repousser   le  sanglier.   L'au- 

1.  Code  pénal. 

2.  Code  politique. 


HÉCIT  DE    (.A  DIToSEPTICMK  riGURC         123 

guste  Vikramâditya  ne  fut  pas  plus  tôt  entré 
dans  le  bois  que  le  sanglier,  en  proie  à  une 
épouvante  extrême,  prit  la  fuite.  Le  roi  $c 
mit  h  sa  poursuite.  Après  avoir  ainsi  franchi 
plusieurs  bois,  l'animal  pénétra  dans  une  fo- 
rêt impraticable.  Le  roi  l'y  suivit  et  était 
près  de  l'atteindre  quand  le  sanglier,  ne 
voyant  pas  le  moyen  de  se  sauver,  arrêté  par 
la  porte  qui  fermait  la  grotte  d'une  monta- 
gne élevée  située  dans  la  forêt,  abattit  cette 
porte  d'un  coup  de  boutoir  et  se  lança  en 
dedans.  L'auguste  roi  Vikramâditya  descen- 
dit de  dessus  son  éléphant,  s'arma  de  son 
glaive  et  de  sa  cuirasse  et,  avec  son  héroïsme 
sans  égal,  pénétra  seul  dans  la  grotte.  Cette 
grotte  était  fort  vaste;  c'était,  pour  ainsi  dire, 
un  pays  (tout  entier).  Le  roi  fit  toutes  sortes 
de  recherches  sans  pouvoir  découvrir  le  san- 
glier. Il  errait  donc  dans  celte  grotte,  lors- 
qu'une ville  dont  il  n'avait  jamais  entendu 
parler  s'offrit  à  ses  regards.  Il  y  entra  ;  quand 
il  fut  dans  cette  ville,  il  aperçut  une  image 
le  Nârâyana  qui  se  tenait  dans  l'attitude  du 
jardien  de  l'offrande.  L'auguste  Vikramâdi- 
^a  lui  adressa  divers  éloges  et  révérences, 
li  fit  le  pradaxina  et  resta  debout  faisant 
l'anjali 


124  CONTES  JNDIENS 

«  Nârâyana,  content  de  la  foi  avec  laquelle 
le  roi  lui  rendait  un  culte,  communiqua  à 
l'auguste  Vikramâditya  deux  choses  divines 
appelées  Rasa  et  Rasâyana  dont  il  lui  expli- 
qua les  vertus  :  Eh!  grand  roi,  lui  dit-il,  pour 
ce  qui  est  de  cette  chose  appelée  Rasa,  toutes 
les  choses  auxquelles  tu  pourras  penser  et 
qui  procurent  les  jouissances  du  Samsara,  tu 
les  obtiendras  par  elle  ;  elles  en  sortiront. 
Quant  à  cette  chose  excellente  dont  le  nom 
est  Rasâyana,  il  en  sortira  tout  ce  que  tu 
pourras  penser  qui  soit  d'une  nature  supé- 
rieure (aux  choses  du  monde)  ;  tu  l'obtien- 
dras. 

«  L'auguste  Vikramâditya,  ayant  ainsi  ob- 
tenu ces  deux  choses  dues  à  la  gracieuseté  de 
Nârâyana,  sortit  de  la  grotte.  La  porte  de  la 
grotte  offrit  la  même  résistance  que  précé- 
demment; il  l'ouvrit  d'un  coup  de  poing  et 
rentra  dans  sa  capitale.  Sur  le  chemin,  il  ren- 
contra deux  brahmanes,  le  père  et  le  fils, 
savants  dans  tous  les  Castras,  en  proie  à  une 
extrême  douleur.  Après  avoir  entendu  leur 
histoire,  il  souffrit  excessivement  de  leur  ex- 
trême douleur  et  donna  à  ces  deux  brahma- 
nes, le  père  et  le  fils,  les  deux  choses  (qu'il 
avait  reçues)  Rasa  et  Rasâyana.  » 


RÉCIT  DE  LA  DIX-SEPTIÈME  FIGURE         133 

La  dix-septième  figure  ajouta  :  «  Eh!  roi 
Bhoja,  voilà  quels  étaient  l'héroïsme,  la  mu- 
nificence de  l'auguste  Vikramâditya.  Si  tu 
es  tel  que  lui,  alors  tu  es 'capable  de  t'asseoir 
sur  ce  trône.  • 

A  la  suite  de  ce  discours,  l'auguste  roi 
Bhoja  se  désista  encore  ce  jour-là. 


#§ 


^ 


RÉCIT  DE  LA  i8'  FIGURE 


UN  autre  jour  encore,  l'auguste  roi  Bhoia 
étant  venu  jusqu'auprès  du  trône  pour 
se  faire  sacrer,  la  dix-huitiéme  figure  lui  dit  : 
»  Pour  être  digne  de  siéger  sur  ce  trône, 
un  roi  doit  avoir  des  qualités  royales  telles 
que  la  force,  la  générosité,  etc.;  je  vais  te 
les  dire.  Ecoute  : 

«  Un  jour,  comme  le  grand  roi  l'auguste 
Vikramâditya  était  assis  sur  son  trône,  son 
portier  se  présenta  devant  lui  en  faisant 
l'anjali  et  lui  apporta  cette  nouvelle  :  Eh! 
grand  roi,  j'ai  entendu  aujourd'hui  un  ré- 
cit merveilleux.  Sur  la  cime  du  mont  Udaya 
se  trouve  l'autel  d'une  divinité,  devant  le- 
quel s'étend  un  lac    qu'on  n'a  pas  encore 


128  CONTES  tNDrENS 

VU,  et  où  l'on  descend  de  quatre  côte's  par 
des  escaliers  en  or  et  resplendissants,  ornés 
de  pierreries,  de  perles  et  de  corail.  Au  mi- 
lieu de  ce  lac  est  une  colonne  en  or,  et  sur 
cette  colonne  un  trône,  également  en  or, 
eprichi  de  divers  joyaux.  Depuis  le  lever  du 
soleil  jusqu'à  midi,  la  colonne  s'élève  par 
degrés,  portant  le  trône,  et  finit  par  toucher 
le  disque  du  soleil  ;  depuis  midi  jusqu'au 
coucher  du  soleil,  elle  s'abaisse  par  degrés 
jusqu'à  se  retrouver  au  milieu  du  lac  comme 
elle  y  était  d'abord.  Il  en  est  ainsi  chaque 
jour. 

«  Après  avoir  entendu  ce  récit  de  la  bouche 
du  portier,  le  roi,  dont  la  curiosité  était 
éveillée  au  plus  haut  point,  s'éleva  à  l'aide 
de  ses  chaussures  magiques,  vint  près  du  lac 
et  se  tint  sur  le  bord.  Au  lever  du  soleil, 
la  colonne  sortit  de  l'eau  grandissant  tou- 
jours. A  ce  moment,  l'auguste  Vikramâdi- 
tya  monta  sur  le  trône  que  supportait  la 
colonne  et  s'y  installa.  La  colonne  grandis- 
sait progressivement;  à  midi,  elle  s'était 
élevée  jusqu'au  disque  du  soleil.  Sur  le 
trône  que  supportait  la  colonne,  l'auguste 
Vikramâditya,  grillé  par  la  chaleur  insup- 
portable du  soleil,  perdit  connaissance.  Aus- 


r 


RÉCIT  DE   I.A  DlX-HUITlèUE  FIGURK  I  2«) 


sitôt  l'auguste  divinité  du  soleil,  témoin  de 
l'héroïsme  de  l'auguste  Vikramâditya,  fut 
extrêmement  satisfaite;  elfe  fit  pleuvoir 
l'Amrita  sur  le  corps  de  l'auguste  Vikramâ- 
ditya  et  lui  fit  reprendre  ses  sens.  Dés  qu'il 
eut  repris  connaissance,  l'auguste  Vikramâ- 
ditya  fit  d'abord  un  acte  d'adoration  et  de 
foi,  puis  adressa  plusieurs  hymnes  à  l'au- 
:^uste  divinité  du  soleil.  L'auguste  divinité 
du  soleil,  toute  satisfaite  des  hymnes  du  roi, 
lui  donna  chaque  jour  une  paire  de  boucles 
d'oreilles  en  or  pesant  un  Bhâra.  Nanti  de 
la  paire  de  boucles  d'oreilles  qu'il  devait  à 
la  faveur  de  l'illustre  soleil,  le  roi  s'éleva  à 
l'aide  de  ses  chaussures  magiques  et  re- 
tourna le  soir  dans  sa  capitale.  Pendant  le 
trajet,  un  homme  extrêmement  pauvre  s'é- 

lat  trouvé  sur  son  chemin,  il  fut  ému  de 
compassion  et  donna  à  ce  pauvre  sa  paire 
de  boucles  d'oreilles.  » 

Après  avoir  fait  ce  récit  à  l'auguste  roi 
Bhoja,  la  dix-huitième  figure  ajouta  :  «  Eh! 
roi  Bhoja,  si  tu  as  une  puissance  semblable, 
lu  parviendras  à  t'asseoir  sur  ce  trône.  » 

Comprenant  que  sa  puissance  n'allait  pas 
jusque-là,  l'auguste  roi  Bhoja  se  désista  en- 
core ce  jour-là. 


T% 


RÉCIT  DE  LA  j  gc  FIGURE 


I 


L'auguste  roi  Bhoja  étant  venu  une  fois 
encore  pour  se  faire  sacrer,  la  dix-neu- 
viéme  figure  lui  dit;  «  Hé!  roi  Bhoja, tu  n'es 
pas  digne  de  t'asseoir  sur  ce  trône.  Le  roi 
qui_ avait  qualité  pour  y  prendre  place  était 
Vikramàditya.  Ecoute  en  quoi  consistait  sa 
grandeur  : 
•  Un  iour,  l'auguste  Vikramàditya  voulut 
ivoir  à  quelles  occupations  se  livraient  ses 
jets.  Sous  une  forme  d'emprunt,  seul,  s'é- 
levant  à  l'aide  de  ses  chaussures  magiques, 
il  voya -.ea  à  travers  le  pays  et  arriva  dans  la 
ville  appelée  Padmâlaya.  Là,  il  arriva  prés 
d'un  autel  comme  il  n'en  avait  jamais  vu. 
Des  Brahmacaris  s'v  faisaient  mutuellement 


l32  CONTES  INDIENS 

des  récits.  Un  des  Brahmacaris  dit  :  En  al- 
lant aux  étangs,  j'ai  vu  des  fleuves  et  des 
montagnes  où  résident  les  divinités  de  plu- 
sieurs pays.  Et  il  y  a  une  montagne  appelée 
Kanakakrita  sur  laquelle  un  Yogî,  appelé 
Trilokanâtha,  fait  sa  résidence  ;  je  n'ai  pas 
pu  y  arriver,  mais  j'ai  appris  de  la  bouche 
des  gens  qui  habitent  le  voisinage  que  la 
montagne  Kanakakrita  est  d'un  accès  extrê- 
mement difficile  et  que,  si  on  passe  par  là, 
il  est  difficile  de  conserver  la  vie.  Aussi  me 
suis-je  détourné  de  cette  région;  car,  avec 
des  efforts,  les  femmes,  les  enfants,  les  ri- 
chesses et  tous  les  autres  biens  peuvent  se 
remplacer,  si  l'on  vient  à  les  perdre  ;  mais, 
que  le  corps  périsse,  mille  efforts  ne  le  ren- 
dront pas.  C'est  dans  la  conservation  du 
corps  que  consiste  la  perfection,  le  succès. 
Aussi ,  d'après  le  Nîti-Çâstra,  toutes  les 
préoccupations,  toutes  les  méditations  doi- 
vent tendre  exclusivement  à  la  conservation 
du  corps. 

«  Le  roi,  ayant  saisi  ces  paroles  d'un  Yogî 
dans  l'entretien  et  parmi  les  propos  de  ces 
Yogîs,  se  dit  :  Pour  un  homme  qui  a  une 
énergie  supérieure,  il  n'y  a  point  d'actes  trop 
difficiles  à  accomplir;  pour  un  homme  qui, 


KÉCIT  UE  UA  DIX-NEUVIÈME  FIGURE  ,      I  33 

dans  sa  conduite ,  s'eftbrce  de  réaliser  les 
prescriptions  du  Nîti-Çàstra,  rien  n'est  difti- 
cile  à  obtenir;  pour  le  pandit,  il  n'y  a  ni  pa- 
trie, ni  pays  étranger;  l'homme  qui  ne  dit 
que  de  bonnes  paroles  et  des  choses  affec- 
tueuses n'a  pas  d'ennemis.  —  Après  avoir 
prononcé  ces  paroles,  le  roi  s'éleva  sur  ses 
chaussures  magiques ,  se  rendit  auprès  du 
Yogî  du  mont  Kanakakrita  et  s'y  arrêta. 

«  En  voyant  le  roi,  le  Yogî  lui  dit  :  Eh! 
grand  roi  Vikramâditya,  pourquoi  es-tu  venu 
ici?  —  Uniquement  pour  te  voir.  —  A  l'ins- 
tant même,  le  Yogî,  reconnaissant  que  l'au- 
guste roi  Vikramâditya  était  pourvu  des  si> 
gnes  supérieurs  d'un  roi  et  avait  une  bonté 
suprême,  lui  communiqua  trois  objets  divins 

pelés  Kanthà,  Khandikâ,  Danda,  et  lui  dit 
les  vertus  de  ces  trois  choses  '. 

Il  Eh!  grand  roi,  voici  la  vertu  de  l'objet 
Kanthà  :  si  tu  penses  dans  ton  esprit  à  des 
richesses,  des  ornements,  des  habits,  etc.,  tu 
n'as  qu'à  toucher  ce  Kanthà  de  la  main  gau- 
che pour  que,  aussitôt,  tous  les  objets  pen- 
sés sortent  de  ce  Kanthà  *.  De  ce  Khandikà, 

I    \  ou  les  troisième  et  di\->cptièine  récits. 

i.  Comparer  avec  le  deuxième  et  le  qualhcme  joyau  du 

oisièine  récit  ip.  471. 


l34  CONTES   INDIENS 

il  sortira  le  nombre  d'éle'phants,  de  chevaux, 
de  chars,  de  fantassins,  etc.,  que  tu  seras  ca- 
pable d'écrire.  Quant  au  Danda,  il  suffit  de 
le  toucher  avec  la  main  droite  pour  que,  si 
l'on  touche  en  même  temps  un  corps  mort, 
ce  corps  reprenne  vie.  Ces  trois  objets,  que 
j'ai  acquis  par  la  force  de  mon  yoga,  je  te 
les  donne,  parce  que  je  t'ai  reconnu  pour  un 
vase  digne. 

«  Incontinent,  l'auguste  Vikramâditya,  muni 
des  trois  objets  qu'il  devait  à  la  faveur  du 
yogî,  fit  le  salut  du  pradaxina,  puis,  s'ele- 
vant  sur  ses  chaussures  magiques,  reprit  le 
chemin  de  sa  capitale. 

«  Dans  le  trajet,  il  aperçut  un  homme  supé- 
rieur qui  errait  dans  la  forêt,  en  proie  à  d'ex-  • 
cessives  douleurs.  Il  lui  fit  cette  question  : 
Eh  !  homme,  pourquoi  erres-tu  dans  la  fo- 
rêt? —  Je  suis  le  roi  d'un  pays,  répondit 
l'individu;  les  troupes  de  mon  ennemi  se 
sont  trouvées  de  beaucoup  les  plus  fortes, 
elles  ont  détruit  les  miennes  dans  le  combat; 
puis  elles  sont  venues  et  m'ont  pris  tout,  mon 
royaume,  mes  épouses,  etc.  Telle  est  la  cause 
de  ma  douleur;  je  souffre  tant  par  crainte  de 
l'ennemi;  je  n'ose  résider  dans  aucune  ville, 
j'erre  seul  dans  la  forêt.  Mon  affliction  est 


RÉCIT  DE  LA  OIX-NEUVICME  riGURB        I  35 

profonde  ;  quand  on  entend  le  récit  de  mes 
douleurs,  c'est  comme  une  pierre  qui  tombe 
(sur  celui  qui  m'écoute).  —  Après  avoir  en- 
tendu ces  paroles  et  d'autres  propos  inspirés 
à  cet  homme  par  la  douleur,  l'auguste  Vi- 
kramâditya  lui  donna  Kanthâ  et  les  deux 
autres  objets  qu'il  devait  à  la  faveur  du  Yogi, 
puis  rentra  dans  sa  capitale  et  y  demeura. 

a  Quant  à  l'homme,  par  la  puissance  des 
trois  objets  divins  que  l'auguste  Vikramâdi- 
tya  lui  avait  communiqués,  il  recouvra  son 
royaume,  ses  femmes  et  tout  le  reste  de  son 
entourage.  » 

La  dix-neuvième  Bgure  ajouta  :  «  Eh  !  roi 
Bhoja,  je  t'ai  dit  la  munificence  du  roi  qui  a 
siégé  sur  ce  trône.  Si  tu  possèdes  une  telle 
majesté,  tu  es  en  droit  de  t'y^  asseoir  à  ton 
tour.  . 

L'auguste  roi  Vikramâditya ,  ayant  en- 
tendu ces  paroles,  tourna  le  dos  encore  ce 
|Our-lh. 


iTc 


RÉCIT  DE  LA  ao*  FIGURE 


UN  jour,  la  vingtième  figure,  voyant  l'au- 
guste roi  Bhoja  s'approcher  du  trône, 
lui  dit  incontinent  :  «  Si  tu  es  semblable  à 
l'auguste  roi  Vikramâditya,  tu  peux  arriver 
à  siéger  sur  ce  trône  et  à  être  sacré.  Ap- 
prends ce  qu'était  l'auguste  Vikramâditya  : 

•  Un  jour,  un  conseiller  de  l'auguste  Vi- 
kramâditya ,  appelé  Buddhisâgara ,  voyant 
que  son  tils,  nommé  Buddhiçekhara,  était 
d'une  sottise  achevée,  que  ses  facultés  men- 
tales étaient  affaiblies  au  plus  haut  degré, 
lui  dit  '  :  Eh  !  mon  fils,  tu  es  issu  d'un  con- 
seiller royal  et  tu  n'es  qu'un  sot!  Tu  vis  avec 

I.  Comparer  avec  U  récil  huitième  (p  74  ■ 


l38  CONTES  INDIENS 

des  gens  savants,  et  tu  ne  te  conduis  pas  se- 
lon les  préceptes  des  Castras!  L'homme  dont 
l'intelligence  n'est  pas  éclairée  par  la  lecture 
des  Castras,  perfectionnée  par  tout  ce  qui 
peut  la  rendre  parfaite,  cet  homme-là  n'a 
que  la  figure  humaine  ;  en  réalité,  il  raisonne 
comme  la  brute,  sache-le  bien.  Oui,  l'homme 
qui  s'attache  a  développer  toujours  plus  en 
soi  l'intelligence  des  Castras,  se  distingue  de 
la  brute  par  sa  manière  de  vivre.  Au  con- 
traire, l'homme  dont  l'intelligence  n'a  d'au- 
tre souci  que  la  nourriture,  le  sommeil,  la 
crainte,  l'amour,  etc.,  est  identique  à  la 
bête,  il  n'y  a  entre  lui  et  elle  aucune  diffé- 
rence. Or,  cette  intelligence  des  Castras,  tu 
ne  l'as  pas  ;  en  sorte  que  ta  vie  est  inutile. 

u  Après  avoir  entendu  les  paroles  de  son 
père,  paroles  de  blâme  dites  pour  son  ins- 
truction, Buddhiçekhara  prit  la  résolution  de 
lire  les  Castras,  passa  à  l'étranger,  s'attacha 
à  la  personne  d'un  bon  guru ,  s'instruisit 
dans  tous  les  Castras  et  retourna  dans  son 
pays. 

«  Pendant  le  trajet,  il  aperçut  dans  une 
ville  l'autel  d'une  divinité,  se  rendit  en  ce 
lieu  pour  voir  le  dieu,  et  y  passa  la  journée; 
le  soir,  huit  jeunes  filles  sortirent  d'un  lac 


RéClT  DE  LA  VINGTIÈME  FIGURE  I  ig 

tel  qu'il  n'en  avait  jamais  vu  et  qui  se  trou- 
vait prés  de  l'autel  de  cette  divinité;  elles 
^'approchérent  de  l'autel  et  passèrent  toute 
la  nuit  à  y  faire  des  hommages,  y  dire  des 
prières,  y  réciter  des  louanges.  Au  matin, 
ces  jeunes  filles  rentrèrent  dans  le  lac. 

«  De  retour  dans  sa  ville,  après  avoir  vu 
cette  grande  merveille,  Buddhiçekhara,  le 
Hls  du  conseiller,  parla,  au  bout  de  quelques 
jours,  à  l'auguste  roi  Vikramâditya.  A  l'ouïe 
de  ce  récit,  le  roi,  jugeant  qu'il  y  avait  quel- 
que chose  de  tout  à  fait  extraordinaire  et 
merveilleux,  se  rendit  auprès  de  cet  autel  de 
la  divinité.  A  la  nuit,  il  vit  que  tout  se  pas- 
sait comme  le  fils  du  conseiller  le  lui  avait 
rapporté.  Au  matin,  les  huit  jeunes  filles, 
sautant  au  milieu  de  l'étang,  plongèrent  dans 
l'eau  ;  le  roi,  au  même  instant,  sauta  et  plon- 
gea dans  l'eau  comme  elles. 

«  En  voyant  l'action  du  roi,  les  jeunes  fil- 
les lui  dirent  tout  aussitôt  :  Eh  !  Vikramâ- 
ditya, grand  roi  des  rois,  aujourd'hui,  fasciné 
par  la  splendeur  que  tu  as  vue,  tu  t'es  mani- 
festé à  nous,  tu  t'es  affilié  à  nous.  —  Et, 
après  lui  avoir  adressé  ces  paroles,  elles  le 
conduisirent  dans  leur  ville  faite  de  pierre- 
ries (située)  dans  le  monde  Pâtâla,  et  lui  di- 


140  CONTES  INDIENS 

rent  :  Eh  !  grand  roi,  prends  possession  de 
cette  ville  royale.  —  J'ai  ma  ville  royale, 
répondit  le  roi,  qu'ai-je  besoin  de  celle-ci? 
Mais  j'ai  une  question  à  vous  faire  :  qu'est- 
ce  que  cette  ville? —  Les  jeunes  filles  lui  re'- 
pondirent  :  Nous  sommes  huit  jeunes  fil- 
les, huit  perfections;  cette  ville  est  notre 
maison  de  jeux.  Nous  sommes  ravies  de  te 
voir,  et,  pour  te  te'moigner  notre  satisfac- 
tion, nous  t'offrons  huit  joyaux  ',  prends! 
Voici  les  qualités  de  ces  huit  joyaux  :  Par 
l'un,  on  a  la  perfection  de  l'esprit  ;  par  le 
deuxième,  on  obtient  tous  les  aliments  qu'on 
a  pu  souhaiter  =*;  par  le  troisième,  une  armée 
à  quatre  corps  ^;  par  le  quatrième,  la  réali- 
sation de  la  destinée  divine  ■*  ;  par  le  cin- 
quième, les  chaussures  magiques  ;  par  le 
sixième,  la  faculté  de  tout  imij-iobiliser  ;  par 
le  septième,  l'omniscience;  par  le  huitième, 
le  contentement  parfait.  —  Elles  donnèrent 
les  huit  joyaux  au  roi  après  lui  en  avoir  ré- 


1.  Comparer  avec  les    troisième,  dix  -  septième  et  dix- 
neuvième  récits. 

2.  Premier  joyau  du  troisième  récit  (p.  47). 

3.  Troisième  joyau  du  quatrième  rccit  (p.  4.71. 

4.  C'est-à-dire  que  l'on  devient  dieu  ideva). 


RÉCIT  DE  I.A  VINGTIÈME  FIGURE  141 

vélé  les  qualités.  Le  roi  les  reçut  et  reprit  le 

chemin  de  sa  capitale. 

«  Dans  le  trajet,  un  brahmane  pauvre,  re- 
;  connaissant  le  roi  Vikramâditya,  le  salua 
|et  lui  demanda  l'aumône.  —  Eh!  grand  roi, 
I  je  suis  un  Brahmane  qui  souffre  exirême- 
'ment,  tu  es  un    excellent  roi  :  donne-moi 

une  aumône  afin  que  je  ne  sois  plus  en  dé- 
flresse  pour  un  besoin  quelconque,  mais  que 
Hc  sois    toujours   dans  le  bien-être.   —  En 

«tendant  ces  paroles  du  Brahmane,  le  roi, 

■|ns  délibérer,  lui  donna  ces  huit  joyaux  et 

Itou  ma  dans  sa  ville.  . 
La  vingtième   figure    ajouta   :   «   Eh  !   roi 

îhoja,  si  tu  as  une  telle  munificence,  alors 
avance  pour  siéger  sur  ce  trône;  sinon, 
pourquoi  t'avancerais-tu  en  vain  (ou  pour 
n'avoir  que  du  chagrin?  » 

Là-dessus  l'auguste  roi   Bhoja,  tout  hon- 
teux, se  désista. 


mm 


RÉCIT  DE  LA  21'  FIGVRE 


UN  jour  la  vingt  et  unième  figure,  voyant 
l'auguste  roi  Bhoja  s'approcher  du 
trône,  lui  dit  incontinent  :  «  Roi  Bhoia, 
écoute  la  munificence  du  roi  qui  était  digne 
de  s'asseoir  sur  ce  trône  : 

«  Un  jour,  pour  voir  les  choses  merveil- 
leuses   qui    se    passaient    dans    un    certain 

I  pays,  l'auguste  roi  Vikramàditya,  s'élevant  à 
jt  l'aide  de  ses  chaussures  magiques,  parcourut 

ce  pays.  Dans  une  ville,  il  s'arrêta  devant 
l'autel  d'une  divinité.  Il  était  installé  là, 
s'inclinant,    lui    faisant    le    pradaxina,  lui 

II  adressant  des  louanges,  quand  un  étran- 
r,  ger  arriva  à  l'autel  de  cette  divinité,  et, 
|Toyant    l'auguste     Vikramàditya,  lui    dit   : 

'  i3 


144  CONTES  INDIENS 

Eh  !  homme  de  bien,  je  te  vois  pourvu  des 
signes  du  roi  parfait  '  ;  aussi  je  m'imagine 
que  tu  es  un  roi.  Or,  si  un  roi  cesse  de  pen- 
ser à  son  royaume  et  se  promène  en  pays 
étranger,  le  royaume  ne  subsistera  pas.  Le 
devoir  d'un  roi  est  donc  de  renoncer  à  toute 
autre  affaire  pour  songer  à  (ce  qui  peut  fairei 
la  prospérité'  ou  la  calamité  du  royaume.  — 
A  l'ouïe  de  ces  paroles,  le  roi  répondit  :  O 
homme,  sans  la  loi,  un  roi  a  beau  penser  à 
(ce  qui  peut  faire)  la  prospérité  ou  la  ca- 
lamité des  provinces  de  son  royaume,  le 
royaume  ne  subsistera  pas  davantage.  Si  un 
roi  est  étranger  à  la  loi,  ni  sa  puissance,  ni 
son  royaume  ne  subsisteront,  quand  bien 
même  il  songerait  à  (ce  qui  peut  faire)  la 
prospérité  ou  le  malheur  de  ses  Etats.  Par 
contre,  si  un  roi  est  attaché  à  la  loi  au  plus 
haut  degré,  il  peut  bien  ne  pas  se  préoccu- 
per de  (ce  qui  serait  de  nature  à  amener) 
la  prospérité  ou  le  malheur  des  provinces 
du  royaume,  le  royaume  subsistera  par  la 
force  de  la  loi.  Aussi,  pour  assurer  les  fon- 
dements et  la  solidité  du  royaume,  c'est 
à  la  loi  qu'un  roi  doit  s'appliquer,  c'est  la 

I.  Voir  récit  dix-neuvième,  p.  i33. 


r£cit  de  la  vingt-unième  figure    14$ 

loi  qu'il  doit  mettre  en  pratique.  Quant  à 
moi,  si  je  voyage,  c'est  seulement  à  cause 
de  la  loi,  et  je  conjecture  que  tu  es  venu 
i>.i  pour  quelque  acte  que  tu  dois  accomplir. 

•>  En  entendant  ces  paroles  du  roi,  l'étran- 
ger dit  :  Eh!  grand  roi,  tu  es  attaché  à  la 
loi  au  plus  haut  degré;  c'est  bien!  Tu  as 
conjecturé  que  je  suis  venu  ici  pour  un  acte 

accomplir,  tu  as  parfaitement  rencontré  ; 
.  est  bien  !  —  Le  roi  reprit  :  Parle  !  que 
liut-il   faire?  —  O  roi,  répondit  l'homme, 

>ute  :  Sur  le  mont  Nîla  réside  une  di- 
vinité appelée  Kâmilkhyâ  :  voilà  douze  ans 
que,  pour  obtenir  la  réalisation  de  l'amour 
et  des  autres  sentiments,  je  murmure  des 
mantras  à  la  déesse  Kâmâkhyâ  :  mais  je  n'ai 
encore  vu  aucun  fruit  (de  mes  etfortsj  :  aussi 
je  suis  complètement  troublé. 

•  A  l'ouïe  de  ces  paroles,  le  roi  se  mit  à 
ii-réfléchir  en  lui-même  :  il  a  murmuré  beau- 
coup de  mantras  (se  dit-il)  et  n'a  rien  ob- 
tenu ;  il  faut  qu'il  y  ait  à  cela  quelque  cause. 
—  Après  avoir  tait  ces  réflexions,  l'auguste 
Vikramâditya  prit  cet  homme  avec  lui,  se 
rendit  sur  le  mont  Nîla  près  de  l'autel  de  la 
Jéesse  Kâmâkhyâ  et  s'y  arrêta.  A  la  nuit,  à 

îieure  du  sommeil,  la  déesse  Kâmâkhyâ  dit 


I! 


146  CONTES  INDIENS 

au  roi  en  songe  :  Eh  !  grand  roi  Vikramâ 
ditya,  pourquoi  es-tu  venu  ici?  Si  c'est  ; 
cause  des  sentiments  dont  cet  hommi 
souhaite  d'acquérir  la  réalisation  que  tu  e 
venu,  que  tu  te  trouves  ici,  alors  offre-mo 
en  sacrifice  un  homme  pourvu  de  l'éten 
dard,  du  diamant,  de  l'aiguillon,  etc.,  ei 
un  mot  des  vingt  signes  expliqués  dans  1( 
Sâmudraka-Çâstra  ;  et  la  réalisation  des  sea 
timents  se  manifestera  pour  lui. 

«  Après  avoir  eu  ce  songe,  l'auguste  Vi 
kramâditya  s'éveilla,  se  leva,  s'habilla,  pui 
fit  en  lui-même  ces  réflexions  :  Excepté  moi 
on  n'a  pas  vu  d'homme  pourvu  des  ving 
signes  qui  caractérisent  le  chef  suprême 
c'est  donc  à  moi  de  m'off"rir  moi-même  ei 
sacrifice  pour  rendre  service  à  cet  homme 
—  Ces  réflexions  faites,  le  matin  étant  ar- 
rivé, il  se  baigna,  accomplit  tous  les  autre: 
actes  prescrits,  et,  le  glaive  en  main,  il  s( 
préparait  à  s'offrir  en  victime  à  la  déesse 
quand  celle-ci,  se  manifestant  à  l'instan 
même,  lui  prit  les  deux  mains  et  lui  dit 
Eh!  grand  roi  des  rois,  tu  es  un  homme 
exceptionnel,  ton  attachement  à  la  loi  es: 
sans  égal  :  c'est  pour  savoir  jusqu'où  irait 
ton  dévouement  que  je  t'ai  suggéré  en  songe 


RÉCIT  DE  I.A  VINGT-UNIÈME  FIGURE        147 

l'idée  de  te  donner  en  offrande  ;  j'ai  vu  de 
mes  yeux  (ce  qui  en  est).  Qu'as-tu  besoin  de 
I  immoler?  Je  suis  bien  disposée  pour  toi; 
.Icmande  ce  que  tu  désires.  —  Eh  !  déesse, 
icpondii  le  roi,  si  tu  as  été  contente  de  moi, 
iiccorde  à  cet  homme  la  réalisation  des  sen- 
timents à  laquelle  il  aspire.  —  A  la  demande 
'iii  roi,  la  de'esse  accorda  à  l'homme  la  réa« 
ition  des  sentiments,  puis  disparut.  —  Par 
la  taveur  de  la  déesse,  ces  neuf  sentiments  ; 
l'amour,  l'héroïsme,  la  pitié,  l'étonnement, 
la  joie,  l'épouvante,  l'aversion,  la  colère,  le 
calme,  se  montrèrent  pour  exister  désormais 
corporeîlement  auprès  de  cet  homme  et  ne 
plus  le  quitter.  —  Quant  au  roi,  il  retourna 
dans  sa  capitale.  » 

La  vingt-et-unième  figure  ajouta  :  •  Eh! 
roi  Bhoja,  si  tu  es  aussi  enclin  îi  rendre  ser- 
vice aux  autres,  alors  tu  arriveras  à  siéger 
sur  ce  trône.  » 

A  ces  mots,  l'auguste  roi  Bhoja  se  désista 
encore  ce  jour-là. 


^^ 


issi§^i§§i§§i§si§^i^i 


RÉCIT  DE  LA  22'  FIGURE 


LA  vingt -deuxième  tigure  dit  :  «  Eh  ! 
roi  Bho)a,  renonce  à  l'espoir  vain  que 
Itu  nourris  de  monter  sur  ce  trône  pour  y 
[être  sacré.  Tu  ne  seras  jamais  un  bienfaiteur 
(semblable  à  Vikramâditya,  et  capable  de 
kiéger  sur  ce  trône.  Ecoute  (pour  apprendre) 
[quel  bienfaiteur  c'était  que  l'auguste  Vikra- 
mâditya  : 

<■  A  l'âge  de  seize  ans,  ayant  vaincu  par  la 
[force  de  son  bras  tout  autant  de  rois  qu'il  y 
en  avait  dans  les  régions  principales  et  in- 
termédiaires, soleil  de  tous  les  rois,  coiffé  du 
diadème    orné  de  pierreries,  ayant  sur  (la 
>lante   des)   pieds  l'empreinte   du  lotus,  il 
fexerçait  la  royauté  universelle. 


l5o  CONTES  INDIENS 

«  A  l'heure  de  Brahmâ  ',  c'est  au  son  de 
la  vînâ  douce  et  mélodieuse  et  des  autres 
instruments,  à  la  voix  des  ménestrels,  descom- 
plimenteurs, en  un  mot  de  la  foule  de  ceux 
qui  chantaient  ses  louanges,  qu'il  sortait 
du  sommeil.  Après  avoir  invoqué  le  bien- 
heureux Nârâyana  en  se  remémorant  la  mé- 
ditation appelée  Caranâravinda,  avoir  rempli 
tous  ses  devoirs,  et  fait  aux  dieux  toutes  les 
salutations  matinales,  il  se  munissait  de  di- 
verses armes  pour  les  manier  et  s'exerçait 
dans  la  salle  des  combattants.  Ensuite,  pare 
de  tous  les  insignes  royaux,  il  faisait  des 
dons  de  mille  et  mille  suvarnas,  puis  entrait 
dans  le  cercle  des  ministres  conseillers,  des 
ministres  d'exécution  et  autres  savants.  Là, 
conformément  aux  prescriptions  du  code  pé- 
nal et  du  code  politique  ',  il  expédiait  les 
affaires  du  royaume.  A  midi,  après  avoir  ac- 
compli tous  les  actes  prescrits  par  le  Veda 
pour  l'heure  du  milieu  du  jour,  il  donnait 
aux  malades,  aux  pauvres,  etc.,  toutes  sortes 
de  dons,  offrait  à  la  multitude  de  ses  parents, 
alliés  et  amis  un  repas  composé  de  quatre 

1.  C'est-à-dire,  sans  doute,  à  la  premicrc  heure. 

2.  Danda-niti  et  Râja-iiiti. 


RÉCIT  DE  LA  VINGT-DCUXIEME  FIGURE       l5l 

espèces  de  mets,  ceux  qu'on  mâchct  qu'on 
suce,  qu'on  lèche,  qu'on  boit,  pourvus  des 
six  saveurs,  l'astringente,  la  douce,  la  salée, 
la  forte,  la  piquante,  l'acide.  Ensuite,  après 
avoir  mâché  son  bétel  mêle  à  des  substances 
odorantes  préparées  de  diverses  manières, 
muscade,  girofle,  etc.,  il  se  frottait  les  mem- 
bres de  substances  odorantes  telles  que  le 
ludal,  se  chargeait  de  guirlandes  de  fleurs 
du  diverses  espèces,  donnait  congé  à  ses  pa- 
rents et  amis,  et  se  couchait  pendant  quel- 
que temps  sur  un  lit  comme  on  n'en  avait 
pas  encore  vu.  Puis,  après  avoir  entendu  les 
sons  agréables  de  la  troupe  des  oiseaux  par- 
leurs, le  perroquet,  la  çârikâ,  avoir  ri  sur  les 
quatre  tons  avec  la  troupe  de  ses  jeunes  fem- 
mes, les  plus  belles  qu'on  eût  encore  vues, 

|i  et  passé  le  reste  de  l'après-midi  à  entendre 
les  histoires,  les  purânas,  etc.,  il  examinait  ses 
troupes,  ses  richesses,  son  mobilier,  avec  les 
inspecteurs  préposés  à  ces  divers  objets.  Le 
soir  venu,  il  accomplissait  les  cérémonies 
prescrites  par  les  Vedas  ;  après  avoir,  avec 
les  Pandits,  accompli  tout  ce  qui  est  conforme 

I  aux  Castras,  il  se  réunissait  h  des  gens  de 
plaisir  et  s'amusait  à  voir  danser,  à  entendre 
chanter  et  à  faire  de  la  musique,  jouissait  du 

i3» 


I  52  CONTES  INDIENS 

plaisir  des  unions  permises,  puis  goûtait  jus- 
qu'à l'aurore  un  sommeil  paisible.  C'est  ainsi 
qu'il  passa  son  temps  tous  les  jours  de  sa 
vie. 

«  Or  il  arriva  un  jour  que,  à  la  tombe'e  de 
la  nuit,  à  l'heure  du  sommeil,  il  eut  un  cau- 
chemar, indice  de  quelque  malheur.  Le  ma- 
tin, il  en  informa  les  Pandits  qui  lui  dirent  : 
Grand  roi,  ce  cauchemar  n'annonce  rien  de 
bon  ;  nous  conjecturons  qu'il  surviendra 
quelque  malheur.  Ces  paroles  lui  firent  faire 
les  réflexions  suivantes  :  la  mort  est  inévita- 
ble; les  femmes,  les  enfants,  les  richesses  et 
tous  les  autres  objets  du  samsara  sont  pas- 
sagers comme  des  bulles  d'eau  ;  à  la  mort,  il 
ne  reste  plus  rien  à  personne  :  la  loi  est  la 
seule  chose  qui  puisse  servir  dans  l'autre 
monde.  Donc,  après  avoir  reconnu  le  peu  de 
valeur  du  samsara,  un  homme  de  bien  doit 
amasser  des  mérites,  et  faire  en  sorte  que  les 
misérables  amassent  des  richesses. 

«  Ce  raisqiinement  fait,  l'auguste  Vikra- 
mâditya,  ouvrant  les  portes  des  pièces  qui 
renfermaient  tout  ce  qu'il  avait  de  richesses  et 
de  biens  meubles,  fit  publier  partout  (cet  or- 
dre) :  que  quiconque  le  désire  vienne  puiser 
au  mobilier  du  roi.  A  la  suite  de  celte  pro- 


RÉCIT  DE  LA  VINGT-DEUXIÈME  FIOURB      |53 

clamation,  beaucoup  de  gta$  pauvre*  du 
pays  arrivèrent,  et  chacun  s'en  retourna 
après  avoir  pris  ce  qui  lui  af;réait.  • 

La  vingt-deuxième  figure  ajouta  :  •  Eh  ! 
roi  Bhoja,  telle  était  la  munificence  de  l'au- 
guste Vikramâditya  :  c'est  pour  cela  qu'il 
siégeait  sur  ce  trône.  Aujourd'hui,  il  n'y  a 
pas  de  roi  semblable  à  lui  ;  toi-même,  tu 
ne  l'es  pas.  » 

C'est  de  cette  manière  que,  ce  jour-là 
encore,  l'auguste  roi  Bhoja  se  désista. 


(OC.-) 


(ôo) 


^>t^^fed^l 


DISCOURS  DE  LA  jJe  FIGURE 


UN  autre  jour  encore,  l'auguste  roi  Bhoja 
s'approcha  du  trône  pour  se  faire  sacrer. 
En  le  voyant,  la  vingt-troisième  figure  dit  : 
«  Eh  !  roi  Bhoja,  celui  dont  la  vaillance,  la 
fermeté,  la  munificence  égalent  celles  de 
l'auguste  Vikramàditya  est  le  seul  qui  puisse 
siéger  sur  ce  trône.  »  Le  roi  répondit  :  «  En 
quoi  consistaient  la  vaillance  et  les  autres 
qualités  de  Vikramàditya?  »  L'image  répon- 
dit :  «  Eh  !  roi  Bhoja,  écoule. 

«  L'auguste  Vikramàditya  exerçaitla  royauté 
suprême  dans  la  ville  d'Avantî.  Il  y  avait 
dans  cette  ville  un  marchand  appelé  Dhana- 
pati,  qui   possédait  trente    kotis  '.   Il  avait 

1    Le  koii  vaut  lo  milliuns. 


l56  CONTES  INDIENS 

quatre  fils.  Au  moment  de  sa  mort,  ce  mar- 
chand dit  à  ses  quatre  fils  :  Eh  1  mes  fils, 
après  ma  mort,  restez  unis,  ne  vous  se'parez 
pas.  Les  avantages  de  l'habitation  en  com- 
mun sont  considérables  :  en  s'aidant  les  uns 
les  autres,  des  gens  même  peu  nombreux 
peuvent  mener  à  bien  des  entreprises  irréa- 
lisables, de  même  que  les  herbes  réunies  et 
arrangées  ensemble  peuvent  arrêter  la  pluie 
du  ciel,  tandis  que  ces  mêmes  herbes  disper- 
sées sont  incapables  d'arrêter  la  pluie  ;  au 
contraire,  l'eau  de  cette  pluie  les  détruit  elles- 
mêmes.  Restez  donc  en  bon  accord.  Si  le 
destin  s'oppose  à  ce  que  vous  demeuriez 
ensemble,  j'ai  enterré  dans  ma  chambre  à 
coucher  quatre  vases  portant  l'étiquette  de 
vos  noms  ;  vous  les  y  trouverez  et  vous 
prendrez  chacun  celui  qui  est  à  son  nom.  — 
Après  avoir  donné  ces  instructions  à  ses  fils, 
Dhanapati  abandonna  son  corps. 

«  Au  bout  de  quelque  temps,  les  fils  du 
marchand  eurent  entre  eux  une  querelle  ; 
ils  se  séparèrent  et  tirèrent  du  sol  chacun  le 
vase  qui  portait  son  nom.  Ils  regardèrent  ; 
le  vase  de  l'aîné  renfermait  de  la  terre  ;  dans 
la  cruche  du  second,  il  y  avait  du  charbon  ; 
dans  le  vaisseau  du  troisième,  des  os  ;  dans 


KéCir  DE  LA  yiNGT^TROISlÈME  riGURB      iSj 

le  vase  du  quatrième,  de  la  paille.  —  Ne 
comprenant  pas  l'intention,  ils  s'adressèrent 
à  plusieurs  savants  :  aucun  ne  réussit  à  la 
leur  expliquer.  Pendant  plusieurs  jours,  les 
quatre  frères  restèrent  ainsi  divisés  et  passa* 
rent  le  temps  à  s'affliger. 

•  Un  jour,  les  quatre  tils  du  marchand  se 
rendirent  au  conseil  de  l'auguste  Vikramâ<> 
ditya  et  questionnèrent  les  gens  du  conseil  ; 
mais,  même  ainsi,  ils  n'obtinrent  pas  l'expli- 
cation de  ce  que  signifiaient  les  vases.  Or, 
dans  la  ville  de  Pratisthâna,  il  y  avait  deux 
brahmanes,  dont  la  sœur  était  une  veuve 
d'une  beauté  supérieure  avec  laquelle  un  fils 
de  Nàga,  sorti  du  Pâtâla,  avait  eu  commerce  ; 
en  suite  de  quoi  elle  était  devenue  enceinte. 
Les  deux  frères,  voyant  la  grossesse  de  la 
veuve  leur  sœur,  eurent  des  soupçons  et  se 
retirèrent  au  fond  du  pays.  Quelques  jours 
après,  cette  veuve  Brahmanî  mit  au  monde 
un  fils  appelé  Çâlavâhana.  Ce  Çâlavâhana  de- 
meurait avec  sa  mère  chez  un  potier.  Il  en- 
tendit parler  de  l'histoire  des  quatre  vases, 
se  rendit  au  conseil  du  roi  qui  résidait  dans 
la  ville  de  Pratisthâna  :  Eh  !  Messieifrs  du 
conseil,  je  donnerai  l'explication  du  sens  des 
quatre  vases.  —  A  ces  mots,   tous  les  mem- 


l58  CONTES  INDIENS 

bres  du  conseil  fixèrent  leurs  regards  sur  les 
traits  de  ce  fils  de  Nâga.  L'enfant  dit  :  Celui 
au  nom  de  qui  est  la  cruche  pleine  de  terre 
a  en  partage  tous  les  biens-fonds.  Celui  au 
nom  de  qui  est  la  corbeille  pleine  de  charbon 
a  les  huit  espèces  de  métaux,  l'or,  l'argent, 
le  laiton,  le  bronze,  le  cuivre,  l'étain,  le 
fer.  Celui  dont  le  nom  est  sur  l'étiquette  du 
vase  rempli  d'os  a  les  éléphants,  les  che- 
vaux, les  vaches,  les  buffles,  les  boucs,  les 
béliers,  les  esclaves  mâles  et  femelles  ;  en  un 
mot,  toutes  les  richesses  en  bipèdes  et  qua- 
drupèdes sont  à  lui.  Celui  au  nom  duquel 
est  la  cruche  pleirte  de  paille  a  toutes  les 
richesses  en  grains,  telles  que  le  riz,  l'orge, 
le  froment,  la  vesce,  les  haricots,  les  pois 
chiches,  le  sésame,  la  moutarde.  —  En  ap- 
prenant cette  solution  du  fils  de  Nâga,  les 
quatre  frères  furent  bien  satisfaits;  ils  prirent 
chacun  sa  portion  conformément  au  partage 
fait  par  leur  père  et  passèrent  leur  temps 
dans  un  bonheur  parfait. 

«  L'auguste  Vikramâditya,  informé  par  la 
rumeur  publique  de  la  solution  trouvée  par 
le  fils  du  Nàga,  le  manda  par  des  messagers 
qu'il  envoya  dans  la  ville  de  Pratisthâna. 
Mais  Çàlavâhana  n'y  alla  pas  ;  il  dit  :  Qu'est- 


uéciT  DE  LA  VINGT-TROISIÈME  FIGURE       I  59 

il  besoin  d'aller  trouver  l'auguste  Vikramâ- 
liitya?  S'il  a  besoin  de  moi,  pourquoi  ne 
viendrait-il  pas  lui-même  me  trouver?  Les 
envoyés,  revenus  en  présence  de  l'auguste 
Vikramâditya,  lui  rapportèrent  ces  paroles. 
Lf  roi,  étonne  de  ce  langage  d'un  enfant  et 
même  quelque  peu  piqué,  s'approcha  en 
^personne,  lui,  l'auguste  Vikramâditya,  en- 
touré d'une  armée  à  quatre  corps,  de  la 
[ville  de  Pratisthàna.  Même  alors,  Çilavâ- 
hann  ne  se  rendit  pas  auprès  de  l'auguste 
Vikramâditya  pour  s'aboucher  avec  le  roi. 
L'auguste  Vikramâditya,  en  colère,  dépêcha 
ses  gens  pour  intercepter  la  ville  et  la  maison 
de  Çàlavàhana.  En  voyant  sa  maison  bloquée, 
Çàlavâhana  communiqua,  par  la  puissance  de 
son  père,  la  vie  à  des  éléphants,  des  che- 
vaux, des  fantassins  faits  en  argile,  puis  leur 
donna  le  signal  du  combat.  Pendant  plu- 
sieurs jours,  les  forces  de  Çàlavàhana  et 
celles  de  l'auguste  Virkamàditya  combati- 
rent  de  diverses  manières;  malgré  cela,  la 
puissance  de  l'auguste  Vikramâditya  ne  put 
briser  l'adversaire. 

Un  jour,  le  père  de  Çàlavâhana,  le  fils  de 
Nàga  qui  résidait  dans  la  ville  de  Pàtàla, 
vint  à  la  tombée  de  la  nuit,  mordit  toute 


l6o  CONTES  INDIENS 

l'armée  de  l'auguste  Vikramâditya,  la  rendit 
stupide  par  un  poison  ardent,  puis  s'en  alla. 
L'auguste  Vikramâditya,  voyant  toute  son 
armée  hébétée,  murmura  les  mantras  du  roi 
des  Nâgas  Vasukî,  afin  de  ranimer  les  gens 
de  son  armée  par  l'aspersion  de  l'amrita. 
Vasukî,  satisfait,  donna  l'amrita  au  roi  et  se 
retira.  Le  roi,  muni  de  cet  amrita,  allait 
pour  sauver  son  armée,  lorsque,  sur  le  che- 
min, il  rencontra  deux  hommes  envoyés  par 
Çâlavâhana,  qui  lui  demandèrent  cet  amrita. 
L'auguste  Vikramâdtya  avait  pris  l'engage- 
ment de  donner  à  qui  que  ce  fût  ce  qu'on 
lui  demanderait.  En  conséquence,  pour  ne 
pas  violer  l'engagement  pris,  il  donna  l'am- 
rita à  ces  deux  hommes.  —  La  véritable 
grandeur  consiste  à  ne  jamais  agir  contraire- 
ment à  la  parole  donnée.  Ainsi  pensait  l'au- 
guste Vikramâditya,  quand  il  était  seul,  sur 
le  chemin.  —  C'est  quand  l'homme  traverse 
l'océan  du  malheur  difficile  à  traverser  et  le 
franchit  par  la  force  de  la  vertu  déployée 
pour  l'accomplissement  des  œuvres  vertueu- 
ses, qu'éclate  l'autorité  du  Castra.  —  Telles 
étaient  les  méditations  du  roi. 

«  Sur  ces  entrefaites,  Vasukî,  venant  lui- 
même   de  la   ville    de    Pâtâla,    fit  pleuvoir 


RÉCIT  DE  LA   VINGT-TROISIEME  FIGURE      l6l 

l'amrita,  rendit  le  sentiment  à  toute  l'armée 
de  l'augusttf  Vikramâditya,  puis  s'en  alla. 
Les  gens  de  cette  armée,  semblables  à  des 
gens  réveillés  de  leur  sommeil,  commencè- 
rent à  faire  entendre  leur  murmure  habituel. 
Le  roi  Vikramâditya,  extrêmement  satisfait 
de  ce  que  les  gens  de  son  armée  avaient 
recouvré  le  sentiment,  s'en  retourna  dans 
sa  ville  avec  ses  troupes. 

■  Dis  maintenant,  eh!  roi  Bhoja!  Si  tu  as 
une  munificence  semblable  à  celle  de  l'au- 
guste Vikramâditya,  alors  tu  peux  t'asseoir 
sur  ce  trône.  • 

Après  avoir  entendu  ce  récit  de  la  vingt- 
troisième  figure,  l'auguste  roi  Bhoja,  ce 
jour-là  encore,  préféra  s'abstenir. 


«I»-  Tiff, 

^1- 


»»» 


RÉCIT  DE  LA  24'  FIGURE 


UN  autre  jour  encore,  la  vingt-quatrième 
figure  dit  à  l'auguste  roi  Bhoja  pour 
l'empêcher  de  monter  sur  le  trône  :  •  Eh  ! 
roi  Bhoja,  le  roi  qui  protège  les  créatures 
comme  savait  le  faire  l'auguste  Vikramâdi- 
tya  est  le  seul  qui  puisse  siéger  sur  ce  trône. 
—  Et  comment  Vikramàditya  protégeait-il 
les  créatures?  »  répondit  le  roi. —  La  figure 
reprit  :  •  Ecoute. 

«  Un  jour  l'auguste  Vikramàditya  était  en 
séance  dans  la  salle  du  conseil,  entouré  de 
la  troupe  de  ses  ministres.  Un  pandit  du 
pays  de  Kerala,  qui  savait  parler  sur  le 
Jyoti-çàstra,  étant  survenu,  adressa  au  roi 
ses  bons  souhaits  dans  une  suite  de  discours 


104  CONTES  INDIENS 

variés  en  prose  et  en  vers,  puis  s'assit  sur  le 
siège  que  le  roi  lui  offrit. 

«  Le  roi  adressa  au  pandit  cette  question  : 
O  pandit,  dans  quel  Castra  es-tu  particulière- 
ment versé  ?  —  Dans  le  Jyoti-çâstra,  répondit 
le  pandit. —  Parle,  reprit  le  roi,  qu'arrivera- 
t-il  cette  année  dans  mon  royaume  ?  —  Cette 
année,  grand  roi,  répondit  le  pandit,  il  y 
aura  une  grande  famine.  —  Dans  mes  états, 
reprit  le  roi,  il  n'y  aucune  transgression  du 
Nîti-çâstra,  il  n'y  a  pas  même  l'apparence  de 
l'injustice  :  les  créatures  ne  sont  pas  oppri- 
mées, même  en  songe  ;  il  n'y  a  aucune  espèce 
d'opposition  à  l'accomplissement  des  actions 
vertueuses;  il  n'y  a  ni  injures  aux  brahmanes, 
ni  violences  contre  les  créatures,  ni  châti- 
ments injustes,  ni  recherche  de  ce  qui  n'est 
pas  bien,  ni  conduite  mauvaise,  ni  brisement 
des  images  des  divinités,  ni  cause  d'inquié- 
tude pour  les  gens  de  bien,  ni  transgression 
des  lois  établies  par  les  Castras  ;  rien  de 
tout  cela  n'existe  dans  mes  états  :  pourquoi 
donc  y  aurait-il  une  famine?  —  Le  pandit 
répondit  :  Celui  qui  donne  tous  les  ordres  est 
la  suprême  autorité.  Or,  voici  ce  que  dé- 
clare le  Jyoti-çâstra  :  si  la  planète  Saturne, 
ayant  brisé  le  char  de  Rohinî,  vient  dans  le 


RÉCIT  DE  I.A  VIHCT-QUATWÈIIÏ  FIGURE      l65 

champ  de  Vénus  ou  dans  celui  de  Mars,  alors 
il  y  aura  nécessairement  famine.  Je  le  dis 
conformément  à  l'autorité  de  ce  Castra. 

•  A  l'uuïe  du  discours  de  ce  pandit,  le  roi, 
pour  protéger  ses  sujets  et  conjurer  la  fa- 
mine, s'appliqua  à  faire  toutes  sortes  d'actes 
de  prospérité,  des  sacrifices,  des  prières,  des 
offrandes,  des  dons, etc., en  recourant  au  mi- 
nistère des  brahmanes.  Malgré  cela,  la  pluie 
ne  tomba  pas,  aucun  grain  ne  germa  dans 
le  pays  ;  les  créatures,  la  population  entière 
furent  dans  un  trouble  extrême,  et  le  roi  fut 
préoccupé  au  plus  haut  degré. 

•  A  ce  moment,  une  voix  céleste  se  fit  en- 
tendre :  Eh  !  Vikramâditya,  si  tu  es  de  force 
à  donner  en  offrande  un  homme  doué  de 
tous  les  signes  de  la  royauté,  alors  il  y  aura 
de  la  pluie.  En  entendant  cette  divine  voix 
céleste,  le  roi  tira  son  glaive  et  se  disposait  à 
se  livrer  lui-même  en  offrande  pour  sauver 
les  créatures,  quand,  à  l'instant  même,  la  di- 
vinité qui  se  tenait  dans  les  nuages,  se  mon- 
trant favorable,  retint  les  deux  mains  du  roi 
et  lui  dit  :  Grand  roi  des  rois,  tu  es  un  grand 
protecteur  des  créatures,  en  vérité!  je  te  suis 
favorable  ;  fais  une  demande  à  ton  choix.  Le 
roi  répondit  :  ce  que  je  choisis,  c'est  qu'il 


i66 


CONTES  INDIENS 


n'y  ait  pas  de  famine  dans  ce  pays  ;  accorde- 
le-moi  !  —  La  déesse  répondit  :  Qu'ainsi  soit  ! 
et  disparut.  » 

Depuis  lors  jusques  aujourd'hui,  il  n'y 
pas  eu  de  famine  dans  le  pays  des  brahma- 
nes. 

Après  avoir  entendu  ce  récit  de  la  vingt- 
quatrième  figure,  l'auguste  roi  Bhoja  fut  dé- 
couragé. 


RÉCIT  DE  LA  25'  FIGURE 


UN  autre  jour  encore  le  roi  Bhoja  s'effor- 
t^ait  de  monter  sur  le  trône,  quand  la 


vingt-cinquième  figure,  pour  l'en  détourner, 
^  hii  dit  :  «  Eh  !  roi  Bhoja,  nul  n'est  capable 
de  monter  sur  ce  trône,  s'il  ne  ressemble  à 
l'auguste  VikramAditya.  —  Comment  donc 
était  l'auguste  Vikramâditya?  •  répondit  le 
roi.  —  La  ligure  reprit  :  «  Ecoute. 

«I  Le  bruit  de  l'héroïsme,  de  la  fermeté, 
de  la  profondeur  (d'espriti,  de  la  magnifi- 
cence, de  la  vigueur  de  l'auguste  Vikramâdi- 
tya et  de  la  prospérité  dont  tous  ces  avanta- 
-;es  étaient  accompagnés,  était  allé  jusqu'au 
londe  des  dieux  ;  et  les  divinités  du  Svarga, 
aas  leurs  entretiens  et  leurs   récits,  celé- 


1 


14 


l68  CONTES  INDIENS 

braient  ordinairement  la  gloire  de  Vikramâ- 
ditya.  Un  jour,  le  roi  suprême  de  tous  les 
dieux,  le  dieu  Indra,  entouré  de  félicité, 
assis,  au  milieu  du  cercle  des  dieux,  sur  son 
trône  fait  de  diverses  pierres  précieuses,  ré- 
clama l'attention  des  divinités,  et  dit  :  Au-- 
jourd'hui,  sur  la  surface  de  la  terre,  nul  n'est 
comparable  à  Vikramâditya  pour  l'aspiration 
au  bien  de  toutes  les  créatures,  pour  le  zèle 
à  pratiquer  constamment  la  vertu,  pour  le 
mépris  de  sa  propre  vie,  pour  le  soin  de  pro- 
téger les  autres  êtres,  pour  la  fidélité  à  une 
bonne  conduite,  pour  les  dispositions  d'un 
esprit  tout  imprégné  de  pitié.  —  A  l'ouïe  de 
ce  discours  d'Indra,  parmi  toutes  les  divini- 
tés présentes  dans  l'assemblée,  il  y  en  eut 
deux  dont  l'esprit  ne  put  s'en  rendre  bien 
compte.  Afin  de  déterminer  ce  qu'il  y  avait 
d'exact  et  d'inexact  dans  l'éloge  de  l'auguste 
Vikramâditya,  ces  deux  divinités  se  rendi- 
rent dans  la  ville  d'Avantî. 

«  L'auguste  Vikramâditya,  monté  sur  le 
meilleur  des  chevaux  habile  dans  les  cinq 
manières  d'aller,  la  marche,  le  trot,  l'amble, 
le  galop,  le  saut,  se  promenait  solitairement 
dans  le  jardin  de  plaisance  qui  était  à  l'ex- 
trémité de  la  ville.  Sur  ces  entrefaites,  l'une 


RECIT  I)K  LA  VlNGT-aNQUIEME  FIGURE      169 

des  deux  divinités  prit  la  forme  d'une  vieille 
vache,  l'autre  celle  d'un  tigre  puissant  et  ter- 
rible. En  voyant  le  tigre,  la  vieille  vache 
eut  peur  de  la  mort  et  prit  la  fuite;  le  tigre 
courut  après  elle.  La  vache,  arrivée  au  bord 
d'un  étang,  y  sauta  et  resta  empêtrée  dans 
la  vase. 

<<  A  cet  instant,  l'auguste  Vikramâditya, 
taisant  sa  promenade,  arriva  en  ce  lieu.  La 
vache  tombée  dans  la  vase,  voyant  le  tigre 
non  loin  d'elle,  fut  excessivement  troublée  et 
se  mit  à  pousser  des  cris  de  détresse  ;  elle  at- 
tira l'attention  de  l'auguste  Vikramâditya 
par  ses  hauts  cris  et  ses  mugissements  redou- 
blés. Le  roi,  voyant  la  position  et  l'embarras 
de  cette  vache,  sauta  promptement  en  bas 
de  son  cheval,  saisit  son  glaive  de  la  main 
droite,  tandis  que  de  la  gauche  il  saisissait  la 
vache,  puis  resta  là  debout  dans  le  lac.  11 
se  mit  alors  h  examiner  en  lui-même  cette 
alternative  :  si  je  tire  cette  vache  de  la  vase 
et  que  je  m'en  aille,  se  disait-il,  cette  vieille 
vache  ne  sera  pas -en  état  de  s'échapper  ;  le 
tigre  la  saisira  sans  peine  et  la  mangera  :  si 
j'abandonne  la  vache  et  que  je  m'en  aille 
après  avoir  tué  le  tigre,  cette  vache,  par  suite 
de  sa  chute  dans  la  vase,  n'aura  plus  la  force 


lyO  CONTES  INDIENS 

de  marcher;  et,  si  quelque  être  nuisible  sur- 
vient, il  la  fera  périr.  —  Dans  cette  per- 
plexité, le  roi  tenant  toujours  la  vache,  le 
glaive  en  main,  passa  toute  la  nuit  exposé  au 
froid,  au  vent,  à  l'humidité,  seul  et  plongé 
dans  l'eau. 

«  Quand  le  matin  fut  venu,  les  deux  divi- 
nités abandonnant  les  formes  magiques  qu'el- 
les avaient  prises,  (l'une)  la  forme  de  vache, 
(l'autre)  la  forme  de  tigre,  reprirent  leur  forme 
propre  et  dirent  à  l'auguste  Vikramâditya  : 
Eh  !  Vikramâditya,  grand  rois  des  rois,  nous 
sommes  des  divinités  qui,  pour  savoir  jus- 
qu'où va  ta  fidélité  à  la  loi,  doublée  de  pitié, 
avons  pris  ces  formes  au  moyen  de  la  magie; 
nous  sommes  éclairées.  De  même  que  les 
dieux,  barattant  la  mer  de  lait,  ont  créé  le 
disque  de  la  lune  avec  une  portion  du  suc  de 
(celait),  ainsi  le  créateur,  en  barattant  la  mer 
qui  a  la  forme  de  la  pitié,  a  créé  ton  cœur 
avec  une  portion  du  suc  de  cette  (pitié)  '. 
Quel  éloge  ferons-nous  de  toi?  Notre  roi.  le 
dieu   Indra,   fait  habituellement   ton  éloge 


I  Le  barattenient  de  la  mer  de  lait  avec  les  nombreux 
incidents  auxquels  il  a  donné  naissance  est  un  des  plus 
célèbres  épisodes  de  la  mythologie  liindouc. 


RKCIT  DE  LA  VINGT>C1NQUIEME  FIGURE       I7I 

dans  l'assemblée  des  dieux  ;  mais,  en  ce  jour, 
nous  avons  constaté  l'exactitude  de  ses  dires. 
Fais  une  demande  à  ton  choix.  —  Le  roi 
répondit  :  Je  n'ai  rien  à  demander  à  votre 
faveur;  j'ai  obtenu  toutes  les  félicités;  pour- 
quoi les  altérer  par  une  demande  faite  à  la 
k'gère?  —  Les  divinités  reprirent  :  Ce  n'est 
pas  en  vain  que  nous  nous  montrons.  Aussi, 
nous  te  donnons  cette  kâmadhenu  (vache  du 
désir),  sans  que  tu  l'aies  demandée.  Chaque 
fois  qu'il  te  viendra  envie  de  quelque  chose, 
tu  n'auras  qu'à  en  faire  la  demande  à  cette 
kâmadhenu. 

•  Après  avoir  ainsi  donné  kâmadhenu  au 
roi,  les  divinités  disparurent. 

"  Le  roi,  ayant  reçu  kâmadhenu,  s'en  re- 
tournait, quand,  sur  le  chemin,  un  pauvre 
s'approcha  de  lui  et  demanda  l'aumône.  Le 
roi  lui  donna  cette  kâmadhenu  et  s'en  re- 
tourna dans  sa  capitale.  • 

L'auguste  roi  Bhoja,  après  avoir  entendu 
le  récit  de  la  vingt-cinquième  figure,  s'en 
alla  tout  bouleversé. 


I 


!♦ 


*®®^®®^^®^®®^ 


RÉCIT  DE  LA  a6*  FIGURE 


A  un  autre  moment,  comme  l'auguste  roi 
Bhoja  se  tenait  près  du  trône,  la  vingt- 
sixième  figure  dit  :  «  O  roi  Bhoja  !  c'est  le 
roi  Vikramâditya  qui  siégeait  sur  ce  trône. 
Ecoute  un  récit  de  ses  qualités. 

«  Un  jour,  l'auguste  Vikramâditya,  se  pro- 
menant çà  et  là  pour  voir  le  monde,  arriva 
à  un  autel  de  divinité  tel  qu'il  n'en  avait  pas 
encore  vu  d'aussi  agréable,  et  s'y  arrêta.  Sur 
ces  entrefaites,  un  homme  vint  à  son  tour, 
s'installa  près  du  roi,  et  se  mit  à  répandre 
un  grand  flux  de  paroles.  Le  roi,  en  l'enten- 
dant, fit  un  raisonnement  dans  sonfor  inté- 
rieur :  Cet  homme,  se  dit-il,  doit  être  bien 
méchant  ;  autrement,  pourquoi  un  tel  flux 


174  CONTES  INDIENS 

de  paroles?  Il  n'est  pas  dans  la  nature  d'un 
homme  de  bien  de  répandre  sans  raison  un 
tel  flux  de  paroles.  Cet  homme  répand  un 
flux  de  paroles  inutiles  ;  il  faut  donc  de  toute 
nécessité  que  ce  soit  un  homme  excessive- 
ment méchant.  Jamais  un  homme  de  bonne 
caste  ne  ferait  un  bruit  tel  que  celui  d'une 
cloche  où  il  n'y  a  pas  plus  de  sens  que  dans 
le  bavardage  de  cet  homme  :  d'où  je  con- 
clus que  celui  qui  xlit  beaucoup  de  paroles 
est  sans  valeur.  —  Le  roi,  ayant  fait  ce  rai- 
sonnement, en  lui-même,  n'adressa  pas  même 
un  mot  à  cet  homme  qui,  après  être  resté  là 
quelque  temps,  s'en  retourna  chez  lui. 

«  Le  lendemain,  ce  même  homme  à  peine 
vêtu,  le  visage  contracté,  vint  se  présenter  à 
l'auguste  Vikramâditya.  Le  roi,  en  le  voyant, 
lui  dit  :  Parle,  qu'est-ce  que  cela  ?  Hier,  tu 
étais  venu  ici  revêtu  d'habits  magnifiques; 
aujourd'hui,  tu  viens  à  peine  vêtu,  ne  por- 
tant que  de  sales  haillons.  —  Eh!  grand  roi, 
répondit  l'homme,  je  suis  un  joueur  :  au- 
jourd'hui, j'ai  perdu  au  jeu  tout  mon  bien, 
et  il  ne  m'est  resté  que  de  quoi  couvrir  ma 
nudité.  —  A  ces  mots,  le  roi  sourit  douce- 
ment et  dit  :  C'est  bon  !  telle  est  la  voie  des 
joueurs!  L'individu  qui  désire  acquérir  des 


KECIT  DE  I.A  VINGT-SIXIEME  FIGURE       i7:> 

richesses  par  le  jeu,  celui  qui  cherche  à  ob- 
tenir 1.1  considération  en  se  mettant  au  ser- 
vice d'autrui,  celui  qui  poursuit  les  jouissan- 
ces au  moyen  de  la  mendicité,  tous  ces  gens 
sont  des  tètes  dépourvues  d'intelligence  ;  ils 
sont  voués  à  une  destinée  misérable.  —  En 
entendant  ces  paroles  du  roi,  le  joueur  ne 
put  supporter  le  blâme  du  jeu  et  répondit  : 
C'est  fort  bien  fait  à  toi  de  critiquer!  Tu  n'as 
donc  jamais  éprouvé  le  bonheur  qu'on  res- 
sent à  jouer  aux  dés  ?  Tu  es  comme  un  eu- 
nuque qui  blâmerait  le  plaisir  qu'on  goûte 
avec  une  femme  jeune  et  belle.  —  Aux  pa- 
roles du  joueur  le  roi  répondit  :  Eh  !  joueur, 
tu  as  été  extrêmement  artligé  par  le  seigneur 
(Içvara)  ;  aussi  t'avons-nous  adressé  une 
bonne  parole,  uniquement  pour  te  venir  en 
aide,  comme  eût  fait  un  ami.  Tu  es  dans 
l'erreur  la  plus  complète.  Or,  c'est  une  forte 
douleur,  quand  on  est  revêtu  d'un  corps 
d'homme,  de  n'avoir  point  de  bonnes  pen- 
Uées,  de  ne  point  faire  de  bons  raisonne- 
lents,  de  ne  point  songer  à  de  bons  pro- 
îédés,  de  ne  faire  ni  de  bons  efforts,  ni  de 
>onnes  actions,  et  de  se  livrer,  pour  un  bon- 
heur vain,  au  jeu  de  dés  qui  est  une  source 
de  maux.  L'homme  dissipe  ainsi  sa  vie  en 


176  CONTES  INDIENS 

pure  perte.  —  A  ces  paroles  du  roi,  le  joueur 
reprit  :  Eh  1  grand  roi,  si  tu  ne  l'es  proposé 
que  dé  me  venir  en  aide,  si  tel  est  ton  des- 
sein, fais  pour  moi  une  chose  que  je  dois 
accomplir;  promets-le-moi! —  Si,  à  partir 
d'aujourd'hui,  répondit  le  roi,  tu  renonces  au 
jeu,  j'accomplirai  pour  toi  ce  que  tu  as  à 
faire  ;  je  l'accomplirai,  j'en  donne  ma  pa- 
role. 

«  Quand  le  roi  eut  fait  cette  déclaration, 
le  joueur  dit  :  Ehl  Vikramâditya,  homme 
parfait,  écoute  :  Sur  le  sommet  du  mont  Su- 
méru  est  l'autel  d'une  divinité  appelée  Ma- 
nassiddhi.  A  la  partie  supérieure  de  cet 
autel  est  un  vase  d'or  rempli  avec  de  l'eau  du 
Gange  céleste.  Celui  qui  prendra  de  l'eau  de 
ce  vase  d'or,  qui  rendra  hommage  à  la  divi- 
nité et  lui  fera  le  sacrifice  de  sa  tête,  celui-là 
obtiendra  la  faveur  de  la  divinité  ;  elle  réali- 
sera ses  vœux  et  lui  accordera  sa  demande. 
Mais  c'est  un  acte  fort  difficile-  à  accomplir. 
Si  tu  réussis  à  le  p.arfaire  et  que  tu  demandes 
pour  moi  le  don  que  tu  obtiendras  de  la  di- 
vinité en  raison  de  ce  succès,  je  renoncerai 
au  jeu. 

«  Quand  le  joueur  eut  prononcé  ces  paro- 
les, le  roi  s'éleva  à  l'aide  de  ses  chaussures 


RéCIT  DK  LA  VINGT-SIXIÈME  F1CT7RE       (77 

magiques,  atteignit  le  sommet  du  mont  Meru, 
rendit  son  hommage  à  la  divinité  Manas- 
siddhi,  et,  le  glaive  en  main,  se  prépara  à 
lui  faire  le  don  et  l'offrande  de  sa  tête.  A 
l'instant  même,  la  divinité,  se  montrant  fa- 
vorable, accorda  en  don  au  roi  la  réalisation 
de  son  désir.  Le  roi  accepta  ce  don  pour  le 
joueur,  auprès  duquel  il  retourna  ;  il  le  Ht 
renoncer  au  jeu,  lui  remit  ce  qu'il  avait  reçu 
de  la  faveur  de  la  divinité,  et  puis  rentra  dans 
sa  capitale.  » 

La  vingt-sixième  figure  ajouta  :  •  Eh!  roi 
Bhoja,  si  tu  te  juges  tel,  assieds>toi  sur  ce 
trône;  sinon,  il  ne  sera  pas  bon  pour  toi  de 
t'y  asseoir.  » 

A  ces  mots,  l'auguste  roi  Bhoja  hésita,  et, 
ce  jour-là  encore,  il  s'en  alla  tout  triste. 


I 


4 


.s 


RÉCIT  DE  LA  jj'  FIGURE 


LA  vingt  -  septième  figure  empêcha  l'au- 
guste roi  Bhoju  de  monter  sur  le  trône 
en  lui  disant  :  •  Eh  !  roi  Bhoja,  ce  trône 
était  à  Vikramâditya  ;  écoute  les  qualités  de 
ce  roi  : 

«  Un  jour,  l'auguste  Vikramâditya  se  pro- 
menait dans  le  pays.  Sur  le  chemin,  un 
voyageur  l'apercevant  lui  dit  :  Eh  !  grand 
roi,  il  y  a  à  l'Orient  une  ville  appelée  Vetâ- 
lapura,  dans  laquelle  se  trouve  une  divinité 
qui  a  nom  Çonitapriyâ  :  chaque  jour,  sur 
l'autel  de  cette  divinité,  se  fait  l'offrande  d'un 
homme.  En  suivant  toujours  ce  chemin, 
nous  atteignîmes  cette  localité.  Les  gens  du 
ioi  de  ce  pays  s'emparèrent  de  nous  et  nous 

i5 


l8o  CONTES  INDIENS 

mirent  en  prison  dans  l'intention  de  nous 
sacrifier  :  mais  nous  sommes  dans  la  force 
de  l'âge  ;  nous  trouvâmes  le  moyen  de  nous 
échapper  et  de  sauver  notre  vie. 

«  A  l'ouïe  de  ce  discours,  la  curiosité  du 
roi  fut  éveillée  ;  il  se  rendit  à  Vetâlapura,  se 
proposant  de  voir  cette  divinité.  Quand  il 
fut  en  présence  des  gens  du  roi  de  ce  pays, 
il  leur  fit  une  instruction  sur  la  loi  :  — 
Messieurs,  leur  dit-il,  j'ignore  en  vertu  de 
quelle  loi  vous  offrez  pour  votre  bien-être  à 
la  divinité  le  sacrifice  d'une  grande  créature, 
d'un  homme.  Pendant  combien  de  jours  le 
bien-être  résultant  de  cette  fête  et  de  cette 
offrande  vous  procurera-t-il  des  jouissances 
dans  le  Samsara  ?  Vous  ne  savez  pas  quelles 
souffrances  vous  attendent  pour  longtemps 
dans  le  Naraka  k  cause  du  péché  de  cette 
fête  où  Ton  fait  du  mal  à  une  grande  créa- 
ture. Quant  à  cette  déité,  quelque  don  qu'elle 
vous  fasse  pour  vous  témoigner  son  conten- 
tement du  mal  que  vous  avez  fait  à  un 
homme,  malheur  à  la  divinité  de  cette  déité 
qui  accepte  un  sacrifice  humain  ! 

«  Après  avoir  ainsi  blâmé  les  gens  du  pays 
pour  les  corriger,  il  s'avança  vers  l'autel  de 
cette   divinité,    et  il  vit  qu'un   prédicateur. 


RÉCIT  DE  I.A  VINGT'SCPTièME  FIGURE       l8l 

après  avoir  baigné  un  homme,  l'avoir  orné 
d'habits  rouges,  de  sandales  rouges,  de  guir- 
landes rouges,  l'amenait  comme  pour  le  sa- 
crifier. En  voyant  ces  gens,  l'auguste  Vikra- 
mâditya  s'écria:  Fi!  méchants  et  pervers  que 
vous  êtes,  lâchez  cet  homme  à  l'instant;  il 
est  anéanti  par  la  crainte  de  la  mort.  S'il 
ous  faut  absolument  une  victime  humaine 
.1  sacrifier,  je  m'offre  librement  moi-même 
en  victime  ;  mais  jamais  il  ne  pourra  arriver 
que,  en  ma  présence,  un  homme  éperdu  par 
la  crainte  de  la  mort  soit  livré  comme  vic- 
time pour  le  Naraka. 

•    En  entendant  parler   le    roi.    ces  gens 
furent  extrêmement  surpris   et   dirent  :   O 
grand  être,  tu  es  un  homme  fidèle  au  devoir 
jusqu'à   l'excès  ;    on   ne   voit  pas  d'homme 
comme  toi,  qui,  pour  sauyer  la  vie  d'un  in- 
dividu avec  lequel   tu  n'as   aucun   lien   de 
parenté,  t'efforces  de  renoncer  à  la  tienne  et 
n'en  fais  pas  plus  de  compte  que  d'un  brin 
d'herbe.   Quand  la   maison  brûle,  le  riche 
|,)^i  possède  divers  biens  acquis  au  prix  de 
[j>  beaucoup   d'eflbrts   douloureux,    la    femme 
^Itelle  et  fidèle  à  son  mari,  le  pandit,  l'homme 
ilidu  devoir  abandonnent  leurs  enfants  et  tout 
qu'ils  ont  de  plus  cher;  ils  prennent  la 


1^ 


IS2  CONTES  INDIENS 

fuite  pour  garantir  leur  propre  vie.  Toi,  pour 
sauver  un  étranger  dont  tu  ne  connais  ni  le 
pays,  ni  les  moeurs,  ni  la  famille,  tu  es  prêt 
à  renoncer  à  la  vie  à  laquelle  on  tient  (géné- 
ralement) à  l'excès  !  il  est  difficile  de  trouver 
un  homme  semblable  à  toi  pour  l'empresse- 
ment à  secourir  les  autres. 

•  Après  avoir  adressé  au  roi  ces  paroles, 
ils  coupèrent  les  liens  de  l'homme  amené 
pour  le  sacrifice  et  le  lui  remirent.  Constam- 
ment préoccupé  de  la  pensée  de  faire  ce  qu'il 
fallait,  l'auguste  Vikramâditya  saisit  son 
glaive  et  se  préparait  à  s'immoler,  quand,  à 
l'instant,  la  déesse  apaisée  dit  au  roi  :  Hé  ! 
grand  roi,  je  suis  contente  ;  demande  ce  que 
tu  veux  choisir.  —  Le  roi  répondit  :  Hé! 
déesse,  si  tu  es  satisfaite,  accorde-moi  ce  don 
de  mon  choix  :  exauce  le  désir  qui  fait  venir 
ces  gens  ici  pour  un  sacrifice,  et,  à  partir 
d'aujourd'hui,  n'accepte  plus  aucun  sacrifice 
humain.  Accorde-moi  ces  deux  choses.  — 
Qu'ainsi  soit,  répondit  la  déesse  ;  et,  à  dater 
de  ce  jour,  aucun  sacrifice  humain  ne  lui 
fut  plus  oflert.  » 

L'auguste  roi  Bhoja,  ayant  entendu  ce 
discours  de  la  vingt-septième  figure,  renonça 
ce  jour-là  encore. 


RÉCIT  DE  LA  3«*  FIGURE 


I 


LA  vingt-huitième  figure,  pour  empêcher 
l'auguste  roi  Bhoja  de  monter  sur  le 
trône,  lui  tit  un  récit  des  qualités  de  l'au- 
guste roi  Vikramâditya  en  ces  termes  •  :  Hé! 
dit-elle,  roi  Bhoja,  écoute  : 

«  Un  jour,  un  pandit  qui  connaissait  à 
fond  le  Çâstra  des  signes  étant  sur  le  chemin^ 
bien  fatigué,  s'assit  au  pied  d'un  arbre,  à 
l'entrée  de  la  ville,  pour  se  reposer.  Ce  pandit, 
en  examinant  les  marques  sur  les  parties  du 
corps  des  hommes  et  des  femmes,  pouvait, 
grâce  à  sa  profonde  connaissance  du  sens  du 
Çâstra  des  signes,  deviner  ce  qui  leur  arri- 
verait d'heureux  ou  de  malheureux.  Pendant 
qu'il  était  là,  il  remarqua  sur  la  poussière  la 


184  CONTES  INDIENS 

trace  du  pied  d'un  homme  remarquable  par 
des  signes  en  forme  de  lotus,  et  se  dit  en 
lui-même  :  L'homme  dont  le  pied  a  la  mar- 
que du  lotus  est  nécessairement  un  grand 
roi  ;  il  faut  donc  bien  que  l'individu  de  qui 
proviennent  ces  traces,  soit  un  grand  roi  : 
c'est  évident  !  Et  cependant,  si  c'est  un  grand 
roi,  comment  donc  viendrait-il  à  pied  à  l'en- 
trée de  la  ville  ?  —  Ce  doute,  troublant  sa 
pensée,  le  préoccupait  vivement. 

«  Sur  ces  entrefaites,  un  homme  bien 
pauvre,  portant  sur  sa  tête  une  charge  de 
bois,  vint  à  passer.  Le  pandit  remarqua  que 
les  deux  traces  de  pieds,  celles  de  ce  pau- 
vre et  celles  qu'il  avait  vues  précédemment, 
étaient  exactement  pareilles,  et  il  en  tira  la 
conclusion  suivante  :  C'est  à  cet  homme 
qu'appartiennent  ces  deux  traces  de  pieds  ;  il 
n'y  a  pas  de  doute  à  cela  ;  mais  quelle  mer- 
veille n'est-ce  pas  que  celui  dont  les  pieds 
fournissent  de  telles  empreintes  soit  un 
homme  aussi  pauvre  !  —  Ce  problème  le 
préoccupant,  le  pandit  restait  là  l'air  abattu. 

«  Sur  ces  entrefaites,  l'auguste  Vikramâ- 
ditya  s'approcha  du  pandit  et,  voyant  son  air 
abattu,  lui  fit  cette  question  :  Hé  !  Brahmane, 
qui  es-tu  ?   Pourquoi  restes-tu  assis  ici?  — 


RÉCIT  DE  LA  VINGT-HUITlim  FIGURK      l8S 

Le  pandit  répondit  :  Je  suis  un  pandit  qui 
juge  d'après  le  livre  des  signes;  je  me  repo- 
lis des  fatigues  du  chemin  quand  j'ai  vu  un 
homme  extrêmement  pauvre,  dont  le  pied 
droit  avait  la  marque  du  lotus  ;  et  je  médite 
sur  cette  circonstance  qui  est  en  désaccord 
.ivec  le  sens  du  Castra. 

"  Après  avoir  entendu  ces  paroles  du  pan- 
dit, le  roi  ne  répondit  rien,  rentra  chez  lui 
t  rassembla  ses  pandits.  Une  fois  que  le 
^nseil  fut  réuni,  il  dépêcha  un  messager  au 
pandit  pour  le  faire  venir  et  lui  posa  cette 
question  :  Hé!  pandit!  cet  homme  pauvre 
dont  tu  as  vu  les  pieds  marqués  du  lotus, 
qui  est-il  ?  —  Cet  homme,  qui  portait  une 
charge  de  bois,  répondit  le  pandit,  est  entré 
dans  la  ville;  je  présume  qu'il  y  demeure.  — 
Quel  est  son  nom  ?  reprit  le  roi.  —  Son  nom  ? 
répondit  le   pandit,  je  ne  le  connais   pas  ; 

(mais  sa  mine  et  son  maintien  sont  de  telle 
kt  telle  façon. 
I  «  A  l'ouïe  de  ces  paroles  du  pandit,  le  roi 
pt  faire  des  recherches  par  un  messairer  qui 
i  ïimena  cet  homme  en  sa  présence.  Après 
l'  avoir  constaté  de  ses  yeux  que  c'était  bien  là 
l'homme  décrit  par  le  pandit,,  le  roi  dit  : 
Hé  !   pandit,  sans  l'examen  comparatif  ^es 


l86  CONTES  INDIENS 

signes  réguliers  et  des  signes  exceptionnels, 
il  est  impossible  de  se  rendre  compte  du  sens 
du  Castra;  fais  donc  la  recherche  du  sens  du 
Castra  d'après  les  signes  diflfe'rents  et  forme 
ainsi  tes  inductions.  Il  faut  que  cet  homme 
ait  quelque  signe  fâcheux  et  prédominant 
dont  l'influence  empêche  le  bon  signe  de 
porter  son  fruit. 

«  Quand  le  roi  lui  eut  parlé  de  la  sorte,  le 
pandit  fit  la  recherche  du  sens  du  Castra  et 
dit  :  Hé!  grand  roi,  le  sujet  a-t-il  le  signe 
du  lotus,  etc.  ;  c'est  certainement  un  roi, 
voilà  la  règle  générale.  Mais  si,  sur  la  plante 
du  pied  ou  la  racine  du  palais,  il  a  le  si- 
gne «  du  pied  du  corbeau  '  »,  ce  signe  annule 
tous  les  signes  royaux,  quels  qu'ils  soient, 
et  fait  du  sujet  un  homme  pauvre;  voilà 
l'exception. 

«  Le  roi,  ayant  entendu  cette  parole  du 
pandit,  découvrit  par  quelque  expédient  et 
vit  de  ses  yeux  le  signe  «  pied  de  corbeau  »  sur 
la  partie  postérieure  du  palais  de  cet  homme, 
dont  il  reconnut  ainsi  la  vraie  nature.  Il  dit 
alors  au  pandit  :  Hé  1  pandit,  je  reconnais 
que  tu  es  versé  dans  l'essence  du  Castra  des 

I.  Signe  en  forme  de  croix  appelé  Kdkapâda. 


RÉCIT  DE  LA  VINGT^HUITlèME  FICURK       187 

signes  ;  c'est  bon  !  Dis-moi  donc  quels  sont 
mes  signes  de  royauté  et  sur  quelles  parties 
de  mon  corps  ils  se  trouvent.  Le  pandit 
examina,  à  plusieurs  reprises^  les  membres  du 
roi  et  dit  :  O  grand  roi,  je  ne  vois  sur  ton 
corps  aucun  signe  royal  '.  —  Hé!  pandit, 
reprit  le  roi,  analyse  le  sens  du  Çâstra  et 
conjecture  quelle  peut  bien  être  l'exception. 
—  Le  pandit  répondit  :  Héî  grand  roi.  si 
quelque  homme  n'a  pas  sur  son  corps  des 
signes  heureux  bien  distincts,  ou  s'il  a  des 
signes  malheureux  bien  distincts,  mais  qu'il 
ait  au  côté  gauche,  à  l'intérieur  du  corps,  la 
marque  appelée  •  réseau  du  mantra  d'or  », 
alors  la  conséquence  des  signes  fâcheux  ou 
de  l'absence  des  signes  heureux  désignés  par 
le  Çâstra  n'apparaît  pas,  tandis  que  la  consé- 
quence de  tous  les  signes  favorables  se  ma- 
nifeste. Je  conjecture  donc  qu'à  l'intérieur 

I  II  a  été  dit  plusiears  fois  dans  les  récits  précédents 
(19  et  3i)que  la  royauté  de  Vikramiditya  se  reconnaissait 
aux  signes  qu'il  avait  sur  lui,  et  même  qu'il  était  pourvu 
de  vingt  signes.  A  moins  qu'on  ne  fasse  allusion  aux  in- 
signes royaux  extérieurs  (ce  qui  ne  paraît  pas  probable^, 
il  y  a  contradiction  entre  ces  récits  et  le  présent  récit. 
Je  signale  ce  désaccord  sans  y  attacher  une  bien  grande 
importance. 

|5- 


l88  CONTES  INDIENS 

de  ton  corps  se  trouve  la  marque  appelée 
«  réseau  du  mantra  d'or.  » 

«  A  l'ouïe  de  ce  discours,  le  roi,  pour  ren- 
dre manifeste  le  sens  du  Castra,  prit  en 
main  un  rasoir  et  se  prépara  à  s'ouvrir  le 
flanc  gauche.  Mais  aussitôt  le  pandit  retint 
la  main  du  roi  et  dit  :  Hé  !  grand  roi,  il  ne 
convient  pas  d'y  mettre  tant  d'énergie;  car 
il  s'agit  d'une  chose  qui  dépasse  les  sens,  et 
dont  l'existence  ne  se  manifeste  que  par  ses 
effets,  de  même  que  Içvara,  l'être  unique  et 
invisible,  dont  l'existence  est  démontrée  et 
rendue  comme  visible  à  tous  par  les  phéno- 
mènes qui  apparaissent  sous  la  forme  du 
Samsara.  Puisque,  de  la  même  manière,  les 
fruits  de  tes  signes  favorables  se  manifestent 
tous  et  arrivent  à  bonne  fin,  c'est  fort  bien! 
Cela  prouve  qu'il  y  a  évidemment  dans  ton 
côté  gauche  la  marque  appelée  «  Réseau  du 
mantra  d'or  »  ;  qu'est-il  besoin  de  la  rendre 
visible  en  t'ouvrant  le  corps?  — Après  ces 
paroles  du  pandit,  il  n'y  avait  plus  de  doute 
à  avoir  sur  le  sens  du  Castra  ;  le  roi  le  com- 
prit, il  ne  s'ouvrit  point  le  corps  avec  un  ra- 
soir, fit  don  au  pandit  d'un  grand  nombre 
d'objets  divers  qui  témoignaient  de  son  ex- 
trême satisfaction,  puis  le  congédia.  » 


RKCIT  DE  LA  VINGT-HUITIKMB  FIGURE      1  8<> 

l.a  vingt-huitième  Hgure  ajouta  :  •  Hé  ! 
roi  Bhoja,  le  roi  qui  a  une  telle  énergie  est 
di^ne  de  s'asseoir  sur  ce  trône.  ■ 

£n  entendant  ce  discours,  le  roi  Bhoja  se 

iLsista  encore  ce  jour-là. 


^e,»,9^ 


RÉCIT  DE  LA  2()f  FIGURE 


UN  autre  jour,  l'auguste  roi  Bhoja  s'appro- 
cha du  trône  pour  se  faire  sacrer.  En  le 
voyant,  la  vingt-neuvième  figure  lui  dit  : 
«  Hé  !  roi  Bhoja,  c'était  l'auguste  roi  Vikra- 
màditya  qui  s'asseyait  sur  ce  trône  ;  je  vais 
te  raconter  une  histoire  de  lui.  Ecoute  : 

«  Un  jour,  un  Vaitâlika  se  présenta  à  la^ 
porte  (du  palais)  du  roi  Vikramâditya  et  dit 
au  portier  :  Hé  !  portier,  j'ai  entendu  par- 
ler de  la  gloire  du  grand  roi  des  rois,  l'au- 
guste Vikramâditya  ;  je  suis  venu  de  plusieurs 
pays  éloignés  pour  me  trouver  en  sa  pré- 
sence, fais-le  lui  savoir.  A  ces  mots  du 
Vaitâlika,  le  portier  informa  le  messager  du 
roi  qui  communiqua  la  nouvelle  à  Sa  Ma- 


192  CONTES  INDIENS 

resté  et,  avec  sa  permission,  donna  l'ordre  au 
portier  d'introduire  le  Vaitâlika  auprès  du 
roi.  Ce  Vaitâlika  était  muni  d'une  canne 
qui  valait  deux  cents  pièces  d'or.  Son  atten- 
tion fut  éveillée  ;  il  se  présenta  sur  le  seuil 
du  conseil  du  roi,  et  regarda  la  disposition, 
l'ordre  et  l'éclat  du  conseil.  Après  avoir  con- 
templé le  grand  roi  des  rois,  l'auguste  Vikra- 
mâditya  entouré  de  centaines  de  conseillers  et 
de  ministres  habiles  et  prudents,  de  troupes 
de  savants  tels  que  Kalidâsa  et  autres  renom- 
més par  leurs  sciences  diverses,  entouré  de 
chasse-mouches  blancs  et  d'éventails,  portant 
un  sceptre  d'or  incrusté  de  diverses  pierre- 
ries, placé  sous  un  baldaquin  blanc,  il  fit 
l'anjali  et  tint  au  roi  ce  langage  ;  Hé  ! 
grand  roi  des  rois,  en  considérant  attenti- 
vement ces  conseillers  et  toutes  ces  autres 
personnes,  j'assiste  à  une  fête  comme  je  n'en 
avais  pas  encore  vu.  —  Quand  le  Vaitâlika 
eut  prononcé  ces  paroles,  le  roi  "donna  un 
ordre  à  son  sujet.  A  l'instant  même  où  le  roi 
formulait  cet  ordre  relativement  au  Vaitâ- 
lika, un  homme  tenant  d'une  main  un  glaive 
et,  de  l'autre,  la  main  d'une  jeune  femme 
d'une  beauté  sans  égale,  se  présenta  soudain 
devant  le  roi  et  dit  :  O  grand  roi  des  rois, 


RÉCIT  DE  LA  VINGT-NEUVIEME  FIGURE       igS 

quelques-uns  ont  prétendu  que,  dans  le  Sam- 
sara, la  science  est  la  chose  essentielle  :  tel 
n'est  pas  mon  point  de  vue.  Mon  idée  à  moi, 
c'est  qu'une  jeune  femme  d'une  beauté  sans 
<  gale  et  la  multiplicité  des  plaisirs  sont  les 
deux  choses  essentielles.  Ces  deux  choses-là, 
grand  roi,  jamais  je  ne  les  abandonnerais  à 
d'autres.  Mais  aujourd'hui,  il  y  aura,  dans  la 
région  des  nuages,  un  combat  des  dieux  et 
des  Dânavas.  Il  me  faut  aller  à  ce  combat 
pour  prêter  main  forte  à  Indra.  Or,  voici  ma 
femme  qui  m'est  plus  chère  que  la  vie  :  ce 
n'est  pas  en  compagnie  d'une  femme  que  je 
puis  me  rendre  sur  le  champ  de  bataille.  Je 
n'irais  pas  au  combat  avec  confiance  si  je  la 
mettais  sous  la  garde  d'un  autre  ;  mais  je  sais 
que  le  grand  roi  des  rois  est  au  suprême  de- 
gré fidèle  à  la  loi,  qu'il  étend  sa  protection 
sur  les  gens  d'autrui  comme  sur  ceux  qui 
sont  à  lui,  qu'il  est  vainqueur  de  ses  sens, 
d'une  bonté  suprême  ;  c'est  donc  après  avoir 
placé  moi-même  cette  femme  entre  ses  mains 
que  je  partirai  pour  le  lieu  du  combat.  Tel 
est  mon  désir  ;  je  rends  service  aux  autres 
en  diverses  manières  :  rends-moi  celui  de 
garder  cette  femme  avec  le  plus  grand  soin 
jusqu'à  mon  retour. 


194  CONTES  INDIENS 

«  Le  roi  acccepta  la  proposition  de  cet 
homme,  qui  mit  aussitôt  sa  femme  en  garde 
auprès  du  roi,  prit  congé  de  lui,  et,  sortant 
de  l'assemblée  en  présence  de  tous,  s'en  alla 
par  la  voie  des  airs.  Le  grand  roi  et  tout  ce 
qu'il  y  avait  de  gens  dans  son  conseil,  tout 
émerveillés  de  cette  aventure,  restèrent  à 
regarder  en  haut,  jusqu'à  ce  qu'il  eût  dis- 
paru. 

«  Quelque  temps  après  qu'il  fût  devenu 
invisible  à  tous  les  regards,  la  région  céleste 
fut  remplie  du  tumulte  d'un  combat.  En  en- 
tendant ce  bruit,  le  roi  et  tout  ce  qu'il  y 
avait  de  gens  dans  son  conseil,  les  figures 
mêmes,  furent  étonnés.  Sur  ces  entrefaites, 
les  deux  mains  coupées  de  cet  homme  tom- 
bèrent sur  le  seuil  du  conseil  du  roi;  aussi- 
tôt après,  ses  deux  pieds  coupés  tombèrent 
également;  après  un  court  intervalle,  la  tête 
coupée  de  cet  homme  tomba  à  son  tour.  La 
femme  de  cet  individu,  voyant  la  tête  de  son 
mari  coupée,  se  lamenta  de  diverses  maniè- 
res et  fit  au  roi  cette  déclaration  :  Comme  le 
clair  de  lune  réside  avec  la  lune,  comme  l'é- 
clair brille  et  disparaît  dans  le  nuage,  ainsi  le 
devoir  suprême  d'une  femme  qui  vit  avec 
son  mari  est  de  ne  jamais  l'abandonner  :  Je 


RÉCIT  OE  LA  VINGT-NEUVICMC  FIGURE       I95 

n'abandonnerai  donc  pas  mari.  Fais  faire  un 
bûcher,  un  amas  de  matières  combustibles,  et 
donne  ordre  qu'on  le  mette  à  ma  disposi> 
tion. 

«  A  ces  mots,  le  roi  fut  ému  d'une  compas- 
sion extrême  et  lui  dit  :  Hé  !  épouse  ftdèle, 
les  vivants  sont  liés  entre  eux  aussi  long» 
temps  que  dure  la  vie.  Tant  que  ton  époux 
était  en  vie,  il  était  ton  mari,  il  y  avait  un 
lien  entre  toi  et  lui.  Mais  pourquoi  vouloir 
quitter  ton  corps  à  cause  d'un  homme  qui 
ne  te  touche  plus  (en  aucune  manière)  ?  quelle 
loi  (t'y  oblige)  ?  Voici  donc  ce  que  tu  as  à 
faire  maintenant.  Si  tu  n'as  point  de  goût 
pour  les  objets  extérieurs,  réfugie-toi  dans  la 
loi  du  brahmacarya  (chastetéf  et  rends  un 
culte  constant  à  Içvara.  Si  tu  as  du  goût 
pour  les  jouissances,  prends  pour  mari  un 
homme  de  bien  qui  te  plaise,  et  goûte  ainsi 
les  jouissances,  le  bien-être  et  le  contente- 
ment parfait.  Je  te  donnerai  d'abondantes  ri- 
chesses, afin  que  tu  n'éprouves  de  la  douleur 
en  aucune  manière. 

«  L'épouse  fidèle,  ayant  entendu  les  paro- 
les du  roi,  répondit  :  Hé  !  grand  roi,  je 
suis  l'incarnation  du  devoir  manifesté  ;  aussi 
mon  œuvre  propre  n'est-elle  que  l'affermis- 


196  CONTES  INDIENS 

.  sèment  du  devoir  :  je  dois  l'accomplir.  Sans 
doute  je  puis,  en  vertu  de  ma  nature,  pra- 
tiquer le  brahmacarya  qui  a  pour  principe 
le  renoncement  aux  actes  de  l'amour,  et 
j'observerais  ainsi  mon  devoir  en  gardant  la 
fidélité  à  mon  mari.  Cependant  ces  désirs  (qui 
régnent)  dans  le  corps  de  l'homme,  la  vue 
claire  (que  j'ai)  d'un  ennemi  puissant,  l'appli- 
cation à  la  science  du  bien,  toutes  ces  cho- 
ses et  bien  d'autres  exigent  des  efforts  ;  je 
puis  faiblir.  L'observation  de  la  loi  du  veu- 
vage fixée  par  les  Castras  est  trop  rigoureuse. 
La  condition  du  veuvage  entraîne  presque 
fatalement  la  faute.  De  même  que  l'épouse 
a  sa  part  aux  biens  acquis  par  le  mari,  de 
même  la.mort  de  l'épouse  résulte  de  la  mort 
du  mari.  Ainsi,  grand  roi,  au  moment  du 
mariage,  quand  le  feu  a  été  allumé  après 
qu'on  a  prononcé  les  mantras  du  Veda,  alors 
commence  l'union  indissoluble  du  mari  et 
de  la  femme  ;  c'est  dans  cette  promesse  mu- 
tuelle que  consiste  l'accomplissement  du 
mariage.  Ainsi  la  femme  est  la  forme  exté- 
rieure de  l'énergie  de  l'homme.  L'homme 
peut  subsister  sans  l'énergie  ;  mais,  sans 
l'homme,  l'énergie  ne  pourrait  jamais  subsis- 
ter. Il  en  est  comme  d'un  feu  qu'on  aurait 


1 


RECIT  DE  LA  VINGT-NEOVJEME  riGURE       197 

allumé  avec  de  grands  ausadhis  et  des  man» 
tras  précieux  :  le  feu  peut  exister  sans  sa 
puissance  de  brûler,  mais  la  puissance  de 
brûler  ne  saurait  exister  sans  le  feu.  Enfin, 
grand  roi.  il  est  parfaitement  connu  dans  le 
monde  que  l'objet  pour  lequel  on  abandonne 
la  vie  suppose  un  amour  extrême  pour  cet 
objet,  de  la  part  de  celui  qui  se  sacrifie.  Donc, 
grand  roi,  par  l'opinion  du  monde,  par  le 
Çâstra,  par  la  logique,  il  faut  de  toute  né- 
cessité accomplir  l'acte.  A  quoi  bon  raison- 
ner pour  y  mettre  obstacle  ?  Quand  l'esprit 
d'une  personne  s'est  fixé  sur  un  objet,  les 
autres  hommes  tentent  vainement  de  l'em- 
pêcher. Ainsi,  quand  un  courant  d'eau  se 
précipite  vers  les  régions  basses,  c'est  faire 
un  travail  intile  que  de  vouloir  l'arrêter. 

•  Le  roi,  comprenant,  par  ce  langage,  que 
cette  femme  était  décidée  à  mourir  avec  son 
mari,  dit  :  Hé  bien  !  épouse  fidèle,  les  pa- 
roles que  tu  as  dites  sont  valables  ;  c'est 
fort  bien  !  Celles  que  j'ai  proférées  n'avaient 
aucune  valeur  ;  elles  étaient  uniquement 
destinées  à  mettre  en  évidence  ta  fermeté. 

•  Après  avoir  adressé  ces  paroles  à  l'épouse 
fidèle,  il  donna  ordre  d'élever  un  bûcher. 
Quand  vint  le  moment  de  se  brûler,  comme 


198  CONTES  INDIENS 

les  gens  consumés  par  la  chaleur  entrent 
dans  l'eau  froide,  ainsi  cette  femme,  tour- 
mentée par  l'amour  qu'elle  avait  voué  à  son 
mari,  entra  dans  la  source  de  feu  du  bûcher. 
Immédiatement  le  roi  et  tout  ce  qu'il  y  avait 
des  gens  formant  son  conseil  louèrent  la 
vertu  de  cette  épouse  fidèle. 

«  Sur  ces  entrefaites,  le  mari  de  cette 
femme,  l'homme  dont  les  membres  avaient 
été  coupés  et  meurtris  dans  le  combat  parut 
couvert  de  sang  au  milieu  de  l'assemblée.  Le 
roi  et  les  gens  de  son  conseil,  en  voyant  cet 
homme,  furent  étonnés  au  plus  haut  degré, 
et  commencèrent  à  se  regarder  les  uns  les 
autres.  L'homme  dit  au  roi  :  Hé  !  grand 
roi,  j'ai  fait  l'oeuvre  pour  laquelle  j'étais 
parti,  je  l'ai  accomplie  et  achevée.  Donne 
maintenant  l'ordre  qu'on  me  rende  ma 
femme,  et  je  retourne  dans  mon  pays. 

«  En  entendant  ces  paroles,  le  roi  cher- 
chait quelle  réponse  il  pourrait  faire  et  n'en 
trouvait  pas  de  satisfaisante.  Dans  son  em- 
barras, il  se  mit  à  regarder  en  face  les  con- 
seillers. Ceux-ci  comprirent  l'intention  du 
roi  et  dirent  à  l'homme  :  Hé  1  le  meilleur 
des  héros,  quelque  temps  après  que  tu  fus 
parti  d'ici,  une  tête  semblable  à  la  tienne 


RÉCIT  DE  I.A  VINGT-NEUVIÈME  FIGURE       I99 

est  tombée  devant  nous.  A  la  vue  de  cette  lète 
coupée,  ta  femme  se  lamenta  en  plusieurs 
manières,  et,  sans  écouter  ce  que  le  roi  lui 
disait  pour  la  retenir,  elle  subit  la  mort 
simultanée  (c.-à-d.  la  mort  avec  son  mari). 

a  Quand  les  conseillers  lui  eurent  dit  ces 
paroles,  l'homme  garda  quelque  temps  le 
silence,  puis  il  poussa  un  long  soupir  et  dit 
au  roi  :  n  Hé  !  grand  roi,  les  gens  du  monde 
font  l'éloge  de  ta  fidélité  dans  l'accomplisse- 
ment du  devoir  et  de  toutes  tes  autres  quali> 
tés  si  nombreuses.  D'où  vient  qu'elles  sont 
nulles  et  non  avenues  pour  moi,  sans  qu'il  y 
ait  de  ma  part  aucune  faute  ?  Grand  roi,  si, 
tout  en  sachant  à  quel  point  je  chéris  ma 
femme,  tu  as  eu  pour  elle  une  passion,  tu  ne 
dois  pas  céder  à  cette  passion.  J'ai  été  quel- 
que temps  sans  voir  ma  bien-aimée,  et  j'en 
ai  l'esprit  troublé.  —  Le  roi,  ayant  entendu 
ces  paroles,  répondit  :  —  Il  n'y  a  point  de 
passion,  je  l'affirme  hautement.  — Grand  roi, 
reprit  l'homme,  je  sais  jusqu'où  va  ta  fidélité 
au  devoir.  Maintenant ,  il  faut  me  rendre 
ma  femme  :  donne-la  moi  donc,  ou  livre- 
moi  la  tienne. 

«  En  entendant  ces  paroles,  le  roi,  par 
crainte  de  violer  le  devoir,  alla  de  sa  per- 


200  CONTES  INDIÇNS 

sonne  à  l'instant  même  dans  l'Antapura  ', 
prit  par  la  main  sa  propre  femme,  la  reine, 
s'avança  dans  la  salle  du  conseil  et  regarda  : 
l'homme  n'y  était  plus. 

<i  Sur  ces  entrefaites,  le  Vaitâlika  se  pré- 
senta devant  le  roi,  fit  l'anjali  et  fit  cette 
déclaration  :  Hé  !  grand  roi,  par  la  puissance 
de  la  science  Indrajâla,  j'ai  fait  une  mani- 
festation de  la  science  magique  =*  :  de  tout  ce 
que  tu  viens  de  voir  rien  n'est  réel.  Grand 
roi,  cesse  d'être  chagrin,  et  porte-toi  bien. 

«  En  entendant  ces  paroles  du  Vaitâlika, 
le  roi,  bien  content,  ramena  sa  Runi  dans 
l'Antapura  et  revint  siéger  dans  le  conseil. 
Sur  ces  entrefaites,  un  amas  de  richesses 
de  tout  genre,  des  centaines  d'éléphants  et 
de  chevaux,  tout  un  ensemble  de  présents 
parut  devant  le  roi  venant  de  la  part  du  roi 
du  pays  de  Pândya.  L'auguste  Vikramâditya 
oftrit  tout  cet  appareil  au  Vaitâlika,  et  le 
congédia  satisfait.  >» 

La  vingt-neuvième  figure  ajouta  :  «  Hé  ! 
roi  Bhoja,  le  roi  qui  est  aussi  terrible  (que 


1.  Appartement  intérieur,    appartement    de   femmes, 
gynécd-e. 

2.  Ou  la  science  de  Mâyù  (.Màyâvidyâ). 


RECIT  DE  LA  VINGT-NEUVIEME  FIGURE      lOI 

Vikramâditya)   dans    raccomplissement    du 
devoir  est  digne  de  s'asseoir  sur  ce  trône.* 

Après  ce  récit,  le  roi  Bhoja  se  désista  en- 
core ce  jour-là. 


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KXC/r  DE  Li4  ^0'  FIGURE 


u 


N  autre  jour  encore ,  la  trentième  figure 
dit  à  l'auguste  roi  Bhoja  :  «  Hé!  roi 
Bhoja,  c'est  l'auguste  Vikramâditya  qui  sié- 
i^eait  sur  ce  trône;  écoute  le  récit  de  sa  mu- 
nificence. 

«  Dans  la  ville  d'Avant!  était  un  grand 
l>ersonnage  nommé  Çrîdatta;  il  était  si  riche 
que  lui-même  ne  savait  pas  le  nombre  de 
ses  richesses.  Ce  grand  personnage  avait  un 
fils  nommé  Somadatta  qui  eut  un  jour  le 
désir  de  faire  un  palais  et  entretint  son  père 
de  ce  dessein.  Le  père  ayant  donné  son 
consentement,  il  commença  le  palais  lors 
de  la  conjonction  de  l'astérisme  Pushya  et 
du  soleil. 

i6 


204  CONTES  INDIENS 

«  Ce  fut  le  jour  de  la  conjonction  du  Pu- 
shya  et  du  soleil  qu'il  forma  le  projet  d'édi- 
fier ce  palais,  et,  dès  le  lendemain,  le  travail 
de  la  construction  était  achevé.  Ainsi,  en 
très  peu  de  temps,  le  palais  fut  prêt.  Aus- 
sitôt, choisissant  un  instant  heureux,  Soma- 
datta  le  fils  vertueux  fit  son  entrée  dans  le 
palais;  et,  quand  vint  la  nuit,  le  fils  ver- 
tueux se  coucha  dans  le  palais  sur  un  pa- 
lanquin. Sur  ces  entrefaites,  la  parole  padi 
padi  («  je  tombe,  je  tombe  »),  prononcée  à 
haute  voix,  sortit  de  ce  palais.  En  entendant 
ce  son,  Somadatta  fut  surpris  et  épouvanté; 
il  passa  la  nuit  comme  il  put. 

«  Le  lendemain,  étant  fort  perplexe,  il  se 
présenta  devant  l'auguste  Vikramâditya  et 
lui  raconta  tout  au  long,  depuis  le  com- 
mencement, l'histoire  du  palais. 

«  Le  roi,  après  avoir  entendu  toute  cette 
explication,  lui  donna  deux  fois  autant  d'ar- 
gent que  Sodamatta  en  avait  dépensé,  acheta 
ainsi  le  palais,  et,  quand  vint  la  nuit,  fit  son 
lit  au  milieu  du  palais.  Sur  ces  entrefaites,  la 
voix  qui  disait  :  padi  padi ^  sortit  du  palais. 
En  entendant  cette  parole,  le  roi  répondit 
au  plus  vite  :  pada  («  tombe  !  »).  A  l'instant, 
une  pluie  d'or  tomba    dans  ce  palais,  elle 


RÉCIT  DE  LA  tRENTiÈMC  FIGURE  Jo5 

tomba  toute  la  nuit.  A  l'endroit  où  était 
le  roi,  ce  fut  une  pluie  de  fleurs  qui  tomba. 
«  Au  matin,  le  roi  donna  à  Somadatta,  avec 
le  palais,  tout  l'or  qui  était  tombé  en  pluie, 
et  lui-même  s'en  alla  dans  sa  salle  d'au- 
dience. » 

La  trentième  figure  ajouta  :  .  Oroi  Bhoja, 
si  tu  possèdes  une  force  et  une  munificence 
semblables,  siège  sur  ce  trône;  sinon,  tu  n'y 
siégeras  pas  sans  qu'il  t'arrive  malheur.  .  A 
ces  mots,  ce  jour-là  encore,  l'auguste  roi 
Bhoja  revint  sur  ses  pas. 


4^04i^^4i^^4i^^é^ 


RÉCIT  DE  LA  3i'  FIGURE 


UN  autre  jour  encore,  l'auguste  roi  Bhoja 
se  tenait  prés  du  trône  pour  se  faire  sa- 
brer, quand  la  trente-et-unième  figure  lui 
dit  :  «  Hé!  roi  Bhoja,  écoute  un  peu  le  récit 
de  la  munificence  du  roi  Vikramâditya  à 
qui  appartenait  ce  trône. 

«  Un  jour,  le  fils  d'un  marchand  vint 
d'un  village  à  la  ville  d'Avantî  pour  y 
vendre  des  marchandises;  il  s'y  rendit 
compte  des  procédés  des  habitants  de  la 
ville,  et  de  ceux  du  grand  roi  Vikramâditya. 
De  retour  dans  son  village,  il  raconta  son 
voyage  à  son  père  :  Hé  !  père,  dit-il,  j'ai  vu, 
dans  la  ville  d'Avantî,  une  chose  merveil- 
leuse. Tant  que    les  objets   à  vendre  sont 

|6» 


208  CONTES  INDIENS 

exposés  dans  les  boutiques,  les  acheteurs 
font  l'acquisition  (de  ceux  qui  leur  plaisent) 
et  les  emportent  :  mais  tout  ce  qui  reste 
après  la  vente,  le  grand  roi  Vikramâditya, 
de  peur  de  laisser  prendre  à  la  ville  une 
mauvaise  renomme'e,  l'achète  lui-même  pour 
le  prix  qu'on  en  a  offert. 

«  Ce  marchand  pervers,  ayant  appris  ces 
nouvelles  de  la  bouche  de  son  fils,  emporta 
une  image  en  fer  nomme'e  Dâridra  et  prit 
place  à  la  foire  d'Avantî,  en  vue  de  la  ven- 
dre. Les  acheteurs  s'approchèrent  de  ce 
marchand  pervers  et  lui  demandèrent  le  prix 
de  cet  objet.  A  leurs  questions  le  marchand 
re'pondit  :  Le  nom  de  cette  image  est  Dâri- 
dra, le  prix  est  de  10,000  mûdrâ.  .Celui  qui 
fait  l'acquisition  de  cette  figure,  Laxmî  '  l'a- 
bandonne à  l'instant  même  où  il  en  prend 
possession.  En  entendant  ces  paroles,  les 
acheteurs  disaient  :  Nous  la  laissons  à  nos 
ennemis,  —  et  tous  s'en  de'tournaient.  Il  en 
fut  ainsi  toute  la  journée  ;  le  soir  arriva. 
Les  messagers  royaux  venus  en  présence  du 
roi,  lui  firent  savoir  toute  l'affaire.  Le  roi, 
pour  observer  sa  parole,  donna  le  prix  de- 

I.  La  déesse  de  la  Fortune,  la  Fortune  elle-même. 


RéCIT  OE  LA  TRENTE-UNIÈME  FIGURE      309 

mandé,   10,000  mûdrâ,  prit  l'image   en  fer 
Dâridra  et  la  garda  dans  son  trésor. 

«  Aussitôt,  ce  même  jour,  quand  la  nuit 
fut  venue,  la  Laxmî  royale  prit  une  forme, 
et  demanda  congé  au  roi.  Le  roi,  faisant 
l'anjali,  prononça  plusieurs  paroles  à  la 
louange  de  Laxmî  et  lui  fit  cette  déclara- 
tion :  Hé  !  mère,  Laxmî  royale,  quelle  of- 
fense ai-je  commise?  Je  n'ai  point  eu  de 
torts.  Pourquoi  me  quittes-tu  ?  —  11  n'y  a 
point  eu  d'oHense  de  ta  part,  répondit 
Laxmî  ;  mais  je  ne  puis  rester  dans  le  lieu 
où  est  Dâridra.  Telle  est  la  cause  de  mon 
départ.  —  A  ces  mots,  le  roi  répondit  :  Si  tu 
dois  t'en  aller  pour  ce  motif,  eh  bien!  va* 
t-en  ;  jamais  je  ne  me  déciderai  à  violer  les 
engagements  pris  par  moi.  —  Quand  il  eut 
prononcé  ces  paroles,  la  Laxmî  royale  par- 
tit, et,  à  l'instant,  le  discernement,  le'calme, 
la  patience,  la  pitié,  la  prudence  et  toutes 
les  autres  bonnes  qualités  abandonnèrent  le 
roi,  qui,  néanmoins,  ne  voulut  pas  se  dépar- 
tir  de  sa  parole. 

«  Ensuite  la  qualité  de  Vérité  prit  un 
corps  ;  elle  se  manifesta,  elle  aussi,  et  de- 
manda congé  au  roi.  Le  roi  refusa,  et,  dans 
des  entretiens  sur  la  discipline,  la  pria  de 


3IO  CONTES  INDIENS 

ne  pas  le  laisser  tout  à  fait  seul.  —  Pour  toi, 
dit-il,  Laxmî  royale,  discernement,  etc.,  j'ai 
tout  perdu.  Pour  quelle  raison  m'abandon- 
nes-tu? —  La  qualité  de  Vérité  répondit  : 
Je  viens  à  la  suite  du  discernement  (du 
calme),  etc.  Si  donc,  grand  roi,  tu  tiens  à  ce 
que  nous  ne  nous  séparions  pas,  renonce  à 
l'engagement  en  vertu  duquel  tu  as  pris  le 
bonhomme  Dâridra,  ou  bien,  détruisant  ton 
corps  de  ta  propre  main,  abondonne-le,  ce 
corps!  je  t'assisterai  dans  la  transmigration. 

«  A  l'ouïe  de  ces  paroles,  le  roi,  craignant 
de  rompre  son  vœu  d'engagement  pris  avec 
Vérité,  et  ne  pouvant  se  résoudre  à  violer  sa 
parole,  prit  son  glaive  et  se  disposait  à  se 
trancher  la  tète  quand  la  qualité  de  Vérité 
retint  aussitôt  la  main  du  roi  et  dit  ;  Hé  ! 
grand  roi,  c'est  pour  voir  jusqu'où  irait  ta 
fidélité  à  la  loi  que  j'ai  parlé  ainsi.  Je  com- 
prends ;  tu  es  très  attaché  à  la  loi.  C'est  le 
cœur  de  l'homme  qui  est  le  lieu  de  mon  ha- 
bitation ;  aussi  je  ne  t'abandonnerai  pas.  je 
resterai  près  de  toi. —  Peu  de  jours  après,  la 
Laxmî  royale,  à  laquelle  cette  qualité  de  Vé- 
rité était  liée,  le  discernement  et  les  autres 
qualités  revinrent  (près  du  roi).   » 

La  trente-et-uniéme  figure  ajouta  :  «  Hé! 


RECIT  DE  LA  TRENTE-UNIEMB  FIGURE      3  I  I 

roi  Bhoja,  un  homme  uni  comme  celui-là  à 
l'essence  de  la  Vérité  est  seul  digne  de  s'as- 
seoir sur  ce  trône.  • 

A   la  suite  de   ce  discours,   l'auguste   roi 
Bhoja  tourna  le  dos  encore  ce  iour-là. 


à^ 


RÉCIT  DE  LA  3-2'  FIGURE 


UN  autre  jour,  comme  l'auguste  roi  Bhoja 
essayait  de  monter  sur  le  trône,  la  trente- 
deuxième  figure  dit:  «  Hé!  roi  Bhoja,  c'était 
l'auguste  Vikramâditya  qui,  par  sa  moralité, 
était  digne  de  se  mettre  sur  le  trône.  Ecoute 
un  récit  de  ses  qualités  : 

«  Un  jour  il  fut  mis  dans  l'embarras,  lors- 
que, les  grains  étant  venus  à  manquer  dans 
plusieurs  contrées,  les  habitants  de  ces  pays 
tourmentés  par  la  famine  née  de  la  cherté 
de  vivres  firent  ce  raisonnement  :  Le  grand 
loi  des  rois,  l'auguste  Vikramâditya  est  par- 
taitement  fidèle  à  la  loi.  11  n'y  a  pas  de 
tamine  dans  son  pays  :  allons-y  donc  pour 
sauver  notre  vie.  —  Après  avoir  raisonné  de 


2  14  CONTES  INDIENS 

la  sorte,  ils  passèrent  du  pays  de  tel  et  tel  au- 

tre  roi  dans  celui  de  l'auguste  Vikramâditya. 

«  Informé  de  cette  circonstance  par  les 
rapports  de  ses  messagers,  l'auguste  roi  Vi- 
kramâditya fit  publier  partout  dans  ses  états 
l'ordre  suivant  :  Que  les  étrangers  venus 
pour  avoir  des  aliments  puissent  manger  en 
toute  liberté  ce  qu'ils  trouveront  et  où  ils  le 
trouveront  sans  qu'on  y  mette  nul  empê- 
chement. Quant  aux  pertes  en  argent  qu'on 
pourrait  faire  à  cette  occasion,  on  en  sera 
indemnisé  par  mon  trésor  jusqu'à  concur- 
rence de  la  somme  dépensée.  —  Quand  cette 
proclamation  fut  faite,  tous  agirent  suivant 
les  ordres  du  roi. 

«  Sur  ces  entrefaites,  de  riches  habitants 
de  la  ville  qui  n'avaient  pas  pris  la  précau- 
tion d'acheter  des  denrées  alimentaires  vin- 
rent faire  au  roi  cette  déclaration  :  Hé  ! 
grand  roi,  nous,  habitants  de  la  ville,  per- 
sonnages distingués,  qui  ne  nous  occupons 
pas  de  labourage  et  sommes  obligés  d'acheter 
les  aliments  qui  servent  à  notre  nourriture, 
nous  ne  pouvons  plus  avoir  maintenant  pour 
cent  mudrâs  ce  qui  n'en  vaut  qu'un  seul  ;  il 
en  résulte  que  nous  n'avons  plus  le  moyen 
de  vivre  et  d'entretenir  nos  gens. 


RÉCIT  DE  LA  TRENTK-DEUXiillK  FIGURE      2l5 

«  Quand  l'auguste  Vikramâditya  eut  en- 
tendu ces  paroles  des  gens  distingués,  il  fut 
extrêmement  perplexe  ;  et  il  fit  dans  sa  pen- 
sée ce  dilemme  :  Si  je  repousse  ces  étrangers 
affamés,  alors  ma  parole  devient  sans  efll'et  ; 
si  j'empêche  les  vendeurs  de  profiter  du  prix 
élevé  des  subsistances,  alors  c'est  mon  vœu 
de  protection  universelle  qui  est  brisé.  — 
Dans  cette  perplexité,  il  adressa  une  re^-jucte 
à  Parameçvarî  qui  se  montra  h  lui  et  lui 
donna  cet  ordre  :  Hé!  grand  roi,  fais  une 
-demande  à  ton  choix  !  —  Le  roi,  faisant  l'an- 
jali,  prononça  un  éloge  suivi  et  varié  de 
Devî  tant  en  vers  qu'en  prose,  et  lui  adressa 
cette  demande  :  Hé!  Devî,  si  tu  es  contente 
de  moi,  accorde-moi  ce  don  :  que,  dans  mes 
états»  chaque  maison  soit  fournie  de  denrées 
alimentaires  inépuisables.  —  Qu'il  en  soit 
ainsi,  dit  la  déesse  et,  extrêmement  satisfaite 
de  la  fidélité  du  roi  à  son  devoir  de  proté- 
ger les  autres,  elle  lui  donna  un  joyau  ap- 
pelé cintamani,  puis  disparut, 

•  Le  roi,  rempli  de  bonnes  dispositions 
pour  le  bien-être  de  toutes  les  créatures,  prit 
place  sur  son  trône,  et,  après  avoir  délibéré 
avec  tous  ses  conseillers,  ses  chefs  de  district, 
ses  ministres,  etc.,  il  décida  qu'il  fallait  faire 

17 


2l6  CONTES  INDIENS 

un  pèlerinage  aux  étangs  sacrés.  En  consé- 
quence, il  donna  des  ordres  pour  qu'on  fît 
tous  les  préparatifs  et  approvisionnements 
nécessaires,  et  continua  de  siéger. 

«  Sur  ces  entrefaites,  un  Sannyasî  fourbe  et 
trompeur,  qui  était  matérialiste  et  prétendait 
qu'on  ne  devait  s'en  rapporter  qu'au  témoi- 
gnage des  yeux,  arriva  dans  le  conseil  et 
s'approcha  (du  trône)  ;  il  était  vêtu  d'une 
peau  d'antilope  noire.  Il  dit  au  roi  :  Hé  !  grand 
roi,  pourquoi  fait-on  tous  ces  préparatifs  ?  — 
Je  vais  faire  un  pèlerinage  aux  étangs,  ré- 
pondit le  roi;  c'est  pour  cela  qu'on  fait  tous 
ces  préparatifs.  —  Le  matérialiste  reprit  : 
Qu'est-ce  que  les  étangs?  Et  pourquoi  faire 
un  pèlerinage  aux  étangs?  —  Les  étangs, 
répondit  le  roi,  ce  sont  le  Gange  et  tous  les 
autres  (amas  d'eau).  Quand  on  s'y  baigne, 
et  qu'on  y  fait  d'autres  cérémonies,  on  ac- 
quiert des  mérites.  Le  Svarga  appartient  à 
quiconque  aspire  au  fruit  de  ces  mérites. 
Celui  qui  n'atteint  pas  à  ce  fruit  obtient  (du 
moins)  la  purification  de  l'esprit,  et  progres- 
sivement, par  l'accoutumance,  la  connais- 
sance de  la  vérité  et,  par  suite,  la  délivrance. 

«  Le  sophiste,  après  avoir  entendu  ces  pa- 
roles,  poussa  un  immense   éclat  de  rire  et 


RÉCIT  DE  LA  TRENTI-DEUXIRMK  FIGURE      217 

dit  :  Périssent  les  ignorants  trompeurs  dont 
les  preuves  sont  vaines  et  factices!  Mais  toi, 
grand  roi,  tu  es  savant,  tu  saisis  l'essence 
des  choses  ;  ce  langage  n'est  pas  digne  de  toi. 
Ecoute  les  discours  des  sages  qui  aspirent  au 
but  suprême.  Les  hommes  ignorants  qui 
font  des  actes  en  vue  du  Svarga  sont  dans 
un  grand  égarement  d'esprit.  Voir  un  acte 
disparaître  sous  ses  yeux,  et  oser  prétendre 
que  cet  acte  qui  a  cessé  d'exister  est,  grâce  à 
la  transmigration,  le  générateur  d'un  fruit 
tel  que  le  Svarga!  Mais  un  acte  qui  a  cessé 
d'exister  ne  peut  être  le  générateur  d'une 
opération  nouvelle,  pas  plus  qu'un  ril  brûlé 
ne  peut  être  le  générateur  d'un  habit.  Donc 
le  Svarga  n'est  pas  réel  et,  par  conséquent, 
le  Naraka  n'existe  pas  davantage.  Cette 
existence  postérieure  à  la  destruction  du 
corps  actuel,  cette  attache  du  moi  à  la  trans- 
migration, ce  sont  là  de  vrais  discours  d'a- 
veugles, comme  les  traditions  que  les  Sid- 
dhas  se  transmettent  les  uns  aux  autres.  Il 
est  donc  faux  que  le  moi  revête  de  nouveaux 
corps.  Par  conséquent,  le  Svarga  et  le  Na- 
raka ne  sont  pas  réels.  De  même  la  justice 
et  l'injustice  absolues  n'existent  pas.  a  Le 
niQi  survit  au  corps  »,  dit-on.   Ce  sont  là 


2  I  8  CONTES  INDIENS 

paroles  en  l'air,  comme  (ce  qu'on  dit)  des 
fleurs  célestes,  des  arbres  et  autres  plantes 
de  la  Grande  Forêt.  Cet  être  qui  existe  et  se 
soutient  par  lui-même,  qui  produit  la  fin  de 
toutes  choses,  créateur,  conservateur  et  des- 
tructeur du  Samsara,  Içvara  (le  seigneur) 
n'est  qu'une  fiction,  une  pure  fiction.  Ainsi 
toute  conception  qui  s'appuie  sur  des  dé- 
monstrations dépassant  l'ordre  des  choses 
visibles  manque  de  preuves  solides  et  n'est, 
pour  les  gens  aveuglés  par  l'ignorance  comme 
un  golângula  '  aveugle  qu'une  cause  de  trou- 
ble (et  d'égarement),  une  mauvaise  con- 
seillère. 

L'auguste  Vikramâditya,  après  avoir  en- 
tendu les  divers  discours  par  lesquels  le 
sophiste  s'efforçait  de  détruire  l'autorité  des 
Vedas,  fut  quelque  peu  en  colère  et  dit  :  Fi  ! 
incrédule  !  si,  d'après  tout  ce  que  tu  as  dit,  à 
savoir  qu'il  n'y  a  pas  de  preuves  supérieures 
au  témoignage  des  yeux,  t'appuyant  sur  ce 
principe,  tu  récuses  l'autorité  de  l'induction, 
et  des  autres  raisonnements  analogues  pour 
accepter  seulement  les  preuves  fournies  par 
le  témoignage  des  yeux  ;  comment  alors  le 

I .  Espèce  de  singe  (Babouin  ?) 


RÉCIT  DE  LA  TRENTE-OKUXIÈMB  FIGURE      IIQ 

pandit  qui  serait  le  meilleur  des  précepteurs, 
s'il  lui  arrivait  malheureusement  d'être  ex« 
cessivement  sourd,  pourrait-il  saisir  l'auto- 
rite  de  sa  propre  parole  ?  Or,  s'il  ne  la  saisit 
pas,  il  ne  pourra  mener  à  bonne  fin  aucune 
affaire,  et  sera  obligé  de  chercher  dans  le 
monde  un  pandit  capable  d'exécuter  les  ins- 
tructions d'autrui  ;  c'est  le  seul  moyen  qu'il 
puisse  avoir  d'achever  ses  propres  affaires. 
Et  si  tu  vois  en  songe  qu'on  te  coupe  la  tète, 
comment  te  comporteras-tu  après  ton  réveil, 
sera-ce  en  mort,  ou  en  vivant  ?  Si  tu  te 
comportes  comme  un  mort,  on  pourra  dire 
que  tu  es  habile  à  changer  de  rôle;  si  tu  te 
comportes  comme  un  vivant,  alors  tu  mé- 
connais l'autorité  des  choses  visibles.  Par 
conséquent,  il  faut  nécessairement  que  tu 
admettes  l'autorité  de  l'induction  établie  par 
tous  les  Castras  traitant  de  ce  qui  est  supé- 
rieur au  témoignage  des  yeux. 

•  Et  maintenant  je  te  questionnerai  sur  un 
point.  Sommes-nous  venus  ici  tombés  du 
ciel,  ou  bien  descendons-nous  de  quelque 
famille?  Si  tu  dis  que  nous  sommes  tom- 
bés du  ciel,  tu  es  fou  ;  si  tu  dis  que  nous 
sommes  nés  d'une  certaine  famille,  tu  ad- 
mets par  cela  même  la  preuve  de  l'origine 


320  CONTES  INDIENS 

de  cette  famille.  Or,  que  diras-tu  à  ceci? 
Les  hommes  qui  nous  ont  précédés  sont  nés 
d'une  certaine  famille,  eux  aussi.  Voilà  ce 
que  j'ai  entendu  dire  aux  gens  qui  admet- 
tent l'autorité  des  preuves  par  le  raisonne- 
ment. Par  conséquent,  tu  admets,  bien  mal- 
gré toi,  comme  prouvée  l'autorité  du  son 
qui  est  la  forme  d'une  parole  d'autorité.  Si 
cette  forme  est  l'induction,  l'induction  étant 
valable,  l'autorité  du  son  est  valable  aussi, 
et  tu  es  bien  forcé  d'admettre  l'objet.  Or, 
selon  la  logique,  il  n'est  pas  permis  de  n'ad- 
mettre une  chose  qu'à  moitié.  Tu  seras 
donc  bien  forcé  d'admettre  entièrement,  tel 
qu'il  est  défini,  celui  que  l'on  affirme  exister 
continuellement,  être  l'espace,  le  temps,  la 
cause  (première),  la  jouissance  et  la  souf- 
france même  correspondant  aux  actes  ver- 
tueux et  vicieux  qui  se  produisent,  l'indus- 
trieux par  excellence,  qu'on  ne  peut  se 
figurer  (même)  en  songe,  qui  est  l'ordre  en 
personne,  la  cause  du  Samsara,  le  Seigneur 
suprême.  Fais  dans  ton  esprit  ce  raisonne- 
ment, et  dis-toi  bien  ;  Toutes  les  choses 
susceptibles  d'augmentation  ou  de  diminu- 
tion ont  nécessairement  une  borne.  De 
même  que  dans  les  étangs,  Meuves,  etc.,  i'eau 


RÉCIT  DE  LA  TRBNTC-DBUXIÈMK  FIGURE      321 

qui  est  de  nature  à  diminuer  ou  augmenter 
a  une  borne  contre  laquelle  elle  vient  se 
briser;  ainsi  la  souveraineté,  l'héroïsme,  la 
gloire,  l'éclat,  la  science,  l'exemption  de 
passion  étant  de  nature  à  diminuer  ou  à 
augmenter  dans  la  masse  des  êtres  vivants, 
il  faut  reconnaître  à  cette  souveraineté  et 
aux  autres  qualités  supérieures,  tout  autant 
qu'il  y  en  a,  une  certaine  limite.  Or  celle 
qu'on  lui  reconnaîtra,  c'est  nécessairement 
cet  unique  Seigneur  suprême  dont  voici  U 
nature  :  il  est  omniscient,  seigneur  de 
tout,  se  révélant  comme  la  série  de  tous  les 
effets  permanents,  aussi  bien  que  comme  la 
cause  de  toutes  choses,  témoin  de  tout  ce 
qui  remplit  l'espace.  Sans  pieds,  mais  allant 
partout,  sans  mains,  mais  saisissant  tout, 
sans  yeux,  mais  voyant  tout,  sans  oreilles, 
mais  entendant  tout;  il  connaît  tout,  il  est 
partout  et  néanmoins  nul  ne  peut  le  saisir;  il 
n'a  besoin  d'aucun  appui,  il  est  l'appui  de 
toutes  choses;  il  est,  par  sa  nature,  bonté, 
intelligence,  félicité  ;  sa  force  lutte  contre 
les  difficultés  et  en  triomphe  par  l'habileté. 
Aussi  Mahâmâyâ,  après  l'avoir  fait,  a  dit 
dans  le  Castra  :  Sa  propre  nature  est  d'être 
la  cause  et  la  racine  du  monde  entier;  de  là 


222  CONTES  INDIENS 

vient  qu'on  l'appelle  Nature-racine.  Ceux 
qui  connaissent  l'essence  du  Seigneur  savent 
que  ce  monde,  simple  effet  de  la  puissance 
du  Seigneur,  est  semblable  à  un  songe. 
Aussi  le  grand  sommeil  ',  après  avoir  fait  la 
force  du  Seigneur,  dit .:  Par  la  coopération 
d'une  telle  force,  le  Seigneur  suprême  sans 
qualités,  sans  activité,  n'étant  par  sa  na- 
ture que  pure  bonté,  intelligence,  félicité, 
aura  en  propre  la  science  de  toutes  choses 
et  toutes  les  autres  qualités.  Si  l'on  offre  des 
hommages  non-interrompus  à  un  Seigneur 
suprême  tel  que  celui-là  et  si  l'on  cultive 
ainsi  la  science  pendant  longtemps,  c'est 
une  cause  de  délivrance  finale. 

«  L'auguste  Vikramâditya ,  après  avoir 
parlé  de  la  sorte  au  sophiste,  reprit  ainsi  : 
Hé!  sophiste,  je  te  dirai  le  sens  intime 
de  tout  le  Castra;  écoute  :  De  même 
qu'une  mère,  au  moment  où,  pour  faire 
cesser  la  maladie  de  son  fils,  elle  lui  donne 
à  boire  du  jus  d'herbes  médicinales,  astrin- 
gentes, piquantes,  acres,  l'encourage  par  ces 
paroles  :  Hé  !  mon  enfant,  quand  tu  auras 
bu  ce  jus  d'herbes,  je  te  donnerai  des  confi- 
tures et  d'autres  douceurs;  de  la  même  ma- 
nière que,  eu  lui  montrant  la  récompense, 


RÉCIT  DE  LA  TRtNTE-DBUXièMK  FIGURE      3»3 

elle  lui  fait  boire  le  jus  d'herbes  ;  ainsi,  pour 
faire  cesser  la  maladie  qui  se  présente  sous 
la  forme  du  désir,  de  la  colère,  de  la  cu- 
pidité, de  l'orgueil,  de  l'égoïsme,  la  doc- 
trine, sous  forme  de  mère,  montrant  le 
fruit  sous  forme  de  svarga,  etc.,  pousse  à 
l'accomplissement  d'une  foule  d'actes  qui 
exigent  des  efforts.  Comme  le  fruit  de  la 
cessation  de  la  maladie  est  la  santé,  ainsi  le 
fruit  de  la  cessation  du  désir  et  des  autres 
passions  est  l'état  moral  qui  consiste  dans 
l'empire  de  soi-même.  Le  fruit  suprême  de 
la  masse  de  tous  les  actes  est  donc  l'empire 
sur  soi-même.  Les  actes  de  celui  qui  est 
maître  de  soi-même  ont  de  la  valeur;  les 
actes  de  celui  qui  n'est  pas  maître  de  soi- 
même  sont  vains  et  sans  fruit.  Toi  donc  qui 
n'as  point  l'empire  sur  toi-même,  pourquoi 
perds-tu  ton  temps  avec  ta  science  super- 
ficielle ? 

c  Quand  le  sophiste  eut  entendu  tout  ce  dis- 
cours sur  le  breuvage  (extrait)  du  grand  Au- 
shadhi  (herbe  médicinale),  l'athéisme  de 
Piçâca  qui  s'était  fixé  dans  son  esprit  fut  dis- 
sipé. Le  sophiste  considéra  l'auguste  Vikra- 
màditya  comme  son  guru  et  accueillit  toutes 

»7* 


224 


CONTES  INDIENS 


ses  paroles.  Là-dessus  le  roi  satisfait  rendit 
le  sophiste  content  en  le  comblant  de  toutes 
sortes  de  richesses.  » 


EPILOGUE 


A  peine  la  trente-deuxième  figure  eut- 
elle  fini  ce  récit  que  les  trente-deux 
figures  dirent  ensemble  :  ■  Hé!  roi  Bhoja, 
en  nous  appuyant  sur  le  récit  des  qualités 
de  l'auguste  roi  des  rois  Vikramâditya,  nous 
t'avons  longuement  exposé  toutes  les  qua- 
lités supérieures  des  rois.  Celui  en  qui  elles 
se  rencontrent  toutes  est  supérieur  et  digne 
de  s'asseoir  sur  ce  trône;  tout  autre  n'y 
trouverait  qu'un  amas  d'infortunes.  Voilà 
pourquoi,  désirant  ton  bien,  nous  t'avons 
détourné  d'y  siéger.  Ce  n'était  pas  que  nous 
fussions  mécontentes  de  toi;  tu  nous  as 
rendu  un  grand  service.  Nous  te  sommes  re- 
devables   d'être    délivrées    d'une  condition 


22b  CONTES  INDIENS 

d'immobilité  à  laquelle  nous  étions  con- 
damnées par  la  malédiction  d'un  Muni  ; 
nous  avons  recouvré  la  faculté  de  nous 
mouvoir.  Sois  heureux,  exerce  la  royauté 
dans  une  suprême  félicité  :  nous  prenons 
le  trône  et  retournons  chez  nous.  » 

Après  avoir  adressé  ces  paroles  à  l'auguste 
roi  Bhoja,  les  figures  prirent  le  trône  et  se 
mirent  en  route  pour  retourner  chez  elles. 
L'auguste  roi  Bhoja,  de  son  côté,  prit  le 
chemin  de  sa  demeure. 


FIN 


TABLE  ALPHABÉTIQUE 

DES      NOMS      PROPRES 


TABLE  ALPHABETIQUE 
DES      NOMS      PROPRES 

ACCOMPAGNÉS  DEXPLICATIONS 

Nota.  —  Le«  chiffres  qui  suivent  ces  explication»  indi- 
quent les  numéros  des  récits  où  se  trouvent  les  noms 
expliqués.  L'abréviation  Intr.  indique  qu'ils  m  trouvent 

dans  l'introduction. 


Açvina.  —  Le  sixième  mois  de  l'année  indienne,  2. 

Adrishtârttia  («  L'objet  invisible  »).  —  Nom  gé- 
nérique des  quatorze  sciences  dont  l'objet  est 
invisible  et  qui  forment  la  première  section  des 
scioQces,  4.  (Voir  Drishiârtha.) 

Agiti.  —  Nom  d'un  Vetâla  qui  tue  tous  les  rois 
créés  à  A vantîdepuis l'abdication  de  Bhartrihari. 
Ses  relations  avec  Vikramâditya  qui  le  nourrit 


23o  CONTES  INDIENS 

et,  à  la  suite  d'un  différend,  lutte  avec  lui  ;  il 

promet  de  l'assister  en  toutes  ses  difficultés,  lui 
fait  vingt-cinq  récits,  et  le  prémunit  contre  les 
pijèges  d'un  yogî.  Intr. 

Agrahdyana.  —  Le  huitième  mois  de  l'année 
indienne,  2, 

Akdça-Gangà.  —  Gange  céleste  dont  Manassid- 
dhi  a  de  l'eau  dans  un  vase  d'or,  26. 

Amarasinha.  —  Un  des  beaux  esprits  de  la  cour 
de  Vikramâditya.  Intr. 

Amrita  («  Breuvage  d'immortalité  »).  —  Mada- 
nasanjivanî  oint  d'amrita  le  corps  de  Vikra- 
mâditya qui  avait  été  plongé  dans  l'huile  bouil- 
lante, 14.  —  La  divinité  du  soleil  fait  pleuvoir 
l'amrita  sur  Vikramâditya  brûlé  par  les  rayons 
de  l'astre  et  lui  fait  ainsi  reprendre  ses  sens, 
18.  —  Vikramâditya, ayant  obtenu  de  Vâsûki 
de  l'amrita  pour  ranimer  son  armée  plongée 
dans  la  stupeur,  en  fait  don  à  deux  hommes 
qu'il  ne  connaît  pas  ;  Vâsûki  fait  alors  pleuvoir 
l'amrita  sur  l'armée  de  Vikramâditya  et  la 
réveille  de  sa  torpeur,  23. 

Anangasend.  —  Reine  d'Avantî,  première  épouse 
(Rânî)  deBhartrihari,  dominait  son  mari;  il  lui 
donne  un  fruit  merveilleux  qu'elle  passe  aus- 
sitôt au  premier  conseiller,  son  amant.  Intr. 

Anjali.  —  Salutation  consistant  en  une  inclinai- 
son du  corps  pendant  que  les  mains,  réunies 
comme  pour  recevoir  quelque  chose,  sont  éle- 
vées à  la  hauteur  du  front,  3,  11,  i5,  17,  29, 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  l3l 

*  Ashddha.  —  Le  troisième  mois  de  l'année  in- 
dienne, 3. 

Atharvan-veda .  —  La  quatrième  des  dix-huit 
sciences  et  des  quatorze  de  l'Adrithtârtha,  4. 

AusIiaJhi ou  Oshadhi {gnnd  — );  —  Herbe  médi- 
cinale, 1  ;  —  à  laquelle  est  comparée  la  science 
salutaire  qui  assure  la  délivrance  finale,  3i. 

Avanti.  —  Nom  de  ville.  Bhartribâri,  qui  y  ré- 
gnait, abdique  et,  après  un  interrègne,  est  rem- 
placé par  son  frère  Çrî-Vikramâditya.  Intr. 
(citée  dans  presque  tous  les  récits.) 

Ayurveda  («  La  science  de  la  vie.  médecine  ■).  — 
La  première  des  quatre  sciences  du  Drishtartha, 
Intr.  4. 

Bahuçruta.  —  Nom  du  premier  conseiller  de 
Nandà,  roi  de  Viçâlâ,  i. 

Bhartrihari.—  Roi  d'Avantf,  frère  aîné  de  Vikra- 
mâditya,  oiTre  un  fruit  merveilleux  à  sa  femme 
qui  le  donne  à  un  amant.  Bhartrihari,  dégoûté 
de  la  vie,  quitte  le  trône  et  se  retire  dans  la 
furet.  11  n'avait  pas  d'héritier  direct.  Intr. 

Bhadva.  —  Cinquième  mois  de  l'année  in- 
dienne, 1. 

Bhadrasena.  —  Grand  personnage  du  royaume 
de  Vikramâditya,  meurt  en  laissant  une  grande 
fortune,  père  de  Purandara,  11. 

Bhânumatî.  —  Reine  de  Viçâlâ,  première  épouse 
du  roi  Nanda,  avait  un  grain  de  beauté  sur  la 


2  32  CONTES  INDIENS 

cuisse  :  le  roi  ne  pouvait  siéger  au  conseil  sans 
elle.  On  fait  son  portrait  ;  ce  qui  en  résulte,  i. 

Bhavabhûti.  —  Un  des  beaux  esprits  de  la  cour 
de  Vikramâditya.  Intr. 

Brahma.  —  Le  premier  des  dieux  ;  insolence  de 
Kandarpa  envers  lui,  ii. 

Brahmacari  («  Jeunes  brahmanes  faisant  leur  no- 
viciat »).  —  Réunions  et  entretiens  des  Brahma- 
caris  de  Padmâlaya.  Récit  de  l'un  d'eux  en- 
tendu par  Vikramâditya,  19. 

Brahmacarya.  —  Célibat  et  chasteté.  Le  Brahma- 
carya  «  a  pour  principe  l'abandon  des  actes 
de  l'amour»;  appliqué  à  la  situation  d'une 
veuve  qui  ne  se  remarie  ni  ne  se  brûle,  mais 
reste  en  vie  fidèle  à  son  époux  décédé,  29. 

Buddhi çekhara.{<.<G\xïT\znàe  d'intelligence  »).  — 
Fils  d'un  conseiller  de  Vikramâditya,  com- 
mença par  abhorrer  l'instruction  ;  éclairé  par 
les  remontrances  de  son  père,  il  acquiert  de 
l'instruction  en  pays  étranger  et,  de  retour 
chez  lui,  raconte  ce  qu'il  a  vu,  20. 

Buddhisâgara.  «  Océan  d'intelligence  ».  —  Con- 
seiller de  Vikramâditya  désolé  de  l'ignorance 
de  son  fils;  remontrances  qu'il  lui  adresse,  20. 

Caitra.  —  Douzième  mois  de  l'année  indienne,  2. 
Çakrdvatdr  («  La  descente  de  Çakra  »).  —  Etang 

sacré    appartenant  à    la    divinité    Yugâdideva 

dans  le  pays  de  Ratnavatî,  14. 
Çalavdhana.  —  Né  dans  la  viile  de  Pratishthâna, 


TABLE  ALPHABETIQUE  3  33 

d'une  Brahmanî  veuve  et  d'un  Nâga,  donne 
l'explication  d'une  énignne.  Mandé  pour  ce  motif, 
par  Vikramâditya,  refu&e  de  %e  rendre  prè» 
du  roi,  résiste  à  ses  armées  par  des  moyens 
magiques,  et  quand  Vikramâditya  a  reçu  l'am- 
rita  de  Vâsuki  pour  réveiller  son  armée  en- 
gourdie, envoie  deux  de  ses  gens  demander  cet 
amrita  au  roi  qui  le  livre  sans  diâicullé,  33. 
Sans  doute  le  même  que  le  suivant  : 

Çdlivâhana.  —  Roi  de  Pratishthflna,  doit  être  le 
même  que  le  précédent;  est  en  guerre  avec  le 
roi  d'Avantî,  Vikramâditya  qui  périt  dans  la 
bataille.  Intr. 

Çanaiçcara  («  Qui  va  lentement  »).  —  La  planète 
Saturne.  Quand  elle  brise  le  char  de  Rohinî 
et  vient  dans  le  champ  de  Vénus  ou  de  Mvrs, 
alors  il  y  aura  famine  inévitablement.  34. 

Candra-çekhara  ;«  Guirlande  de  la  lune  »).  — 
Roi  d'un  pays  non  désigné,  obtient  le  don  de 
l'immortalité  à  la  condition  d'être  brûlé  chaque 
jour  pour  revêtir  un  nouveau  corps,  afin  de 
devenir  semblable  à  Vikramâditya.  Vikramâ- 
ditya l'affranchit  de  cette  nécessité  après  s'être 
soumis  à  la  même  épreuve,  16. 

Candramauli  (u  Qui  a  la  lune  pour  diadème  ». 
—  Savant  brahmane  du  Kaçmir,  instituteur  de 
Kamalakar,  8. 

Çanku.  —  Un  des  beaux  esprits  de  la  cour  de 
Vikramâditya.  Intr. 


2  34  CONTES  INDIENS 

Çarâddnanda.  —  Guru  de  Nanda,  roi  de  Vi- 
çâlâ,  I. 

Caranâravindadhydna  (Çriman  Narâyana  —  ). 
Première  invocation  de  Vikraraâditya  à  son  ré- 
veil, 22. 

Castra,  4,  12,  i5,  17  28,  29,  32  —  La  méditation 
des  Castras  distingue  rhomme  de  la  bête,  20,  2  3, 
24. 

Chanda.  —  Le  sixième  Vedanga  qui  se  rattache 
aux  quatre  sciences  védiques,  4. 

Çilpa-çdstra  («  Le  livre  des  arts  manuels  »).  — 
La  dernière  des  dix-huit  sciences,  la  quatrième 
des  sciences  dont  l'objet  est  visible. 

Cintamani.  —  Joyau,  appelé  incomparable,  dont 
les  effets  ne  sont  pas  indiqués;  offert  par  un 
yogî  à  Vikramâditya  qui  le  donne  à  un  pauvre, 
i3.  —  Donné  par  Devî  ou  Parameçvarî  à  Vi- 
kramâditya qui  l'avait  invoquée  pour  conjurer 
la  famine,  32. 

Citrakuta  («  Aux  sommets  variés  »).  —  Nom 
d'une  montagne  sur  laquelle  est  une  pagode  et 
au  pied  de  laquelle  coule  un  fleuve  dont  l'eau 
est  comme  du  lait  sur  le  corps  des  innocents 
et  comme  de  l'encre  sur  celui  des  coupables 
qui  s'y  baignent,  2. 

Ctrajîva  («  Longue  vie  »).  —  Nom  d'un  oiseau 
résidant  avec  plusieurs  autres  sur  un  arbre 
dans  un  pays  non  désigné,  10. 

Çixd.  —  Le  premier  des  Vedanga,  4. 

Çonitapriyd  («  Qui  chérit  le  sang  »).  —  Divinité 


TABLE   ALPHABéTlQUE  a 35 

de  Vetfilapura,  à  laquelle  on  offrait  det  ucriAces 
humains  que  Vikramâditya  fait  cesser,  37. 

Çrdvana,  —  Quatrième  mois  d^l'aonée  in- 
dienne, 2. 

Çrîdatta  (*  Donné  par  Çrî  »).  —  Riche  person- 
nage d'Avantî,  qui  ne  savait  même  pas  le 
compte  de  ses  richesses,  père  de  Somadatta,  3o. 

Çitkra.  —  La  planète  Vénus  ;  si  la  planète  Sa- 
turne vient  dans  son  champ,  il  y  aura  fa- 
mine, 24. 

Ddnavas.  —  Génies,  adversaires  des  dieux;  leur 
lutte  contre  les  dieux,  29. 

Danda  (•  Châtiment,  bâton  •»).  —  Talisman  au 
moyen  duquel  on  ressuscite  les  morts,  19. 

Dandaçàstra  («  Livre  du  châtiment  »).  -^  Code 
pénal  observé  par  Vikramâditya.  Intr. 

Dandaniti {a  Conduite  du  châtiment  »).  —  Code 
pénal  observé  par  Vikramâditya,  17^2. 

Dâridra.  —  Figure  qui  a  le  privilège  de  mettre 
en  fuite  la  Laxmî  et  toutes  les  vertus  de  Vi- 
kramâditya, 3i. 

Deva.  —  Les  dieux,  ennemis  des  Oânavas,  29.  — 
Ont  baratté  la  mer  de  lait,  25. 

Devadatla  («  Donné  par  les  dieux  »).  —  Nom 
d'un  Brahmane  d'Avantî  qui,  après  avoir  sauvé 
la  vie  au  roi  dans  le  désert,  cache  le  61s  du 
roi  pour  l'éprouver;  le  roi  refuse  de  le  pu- 
nir, et,  après  avoir  recouvré  son  fils,  comble 
de  biens  Devadatta,  4. 


236  CONTES  INDIENS 

Devî.   —  Divinité   principale  d'Avantî,    capitale 

du  roi  Bhartriharî,  donne  à  un  brahmane  un 

fruit  merveilleux.  Intr.  La  même   que  Para- 

meçvarî;  Vikramâditya  l'invoque  pour  conjurer 

la  famine,  32. 
Dhanadatta    («    Donné  par    la  richesse    »).   — 

Marchand  d'Avantî,  extraordinairement  riche  ; 

ses  libéralités,  ses  visites  aux  étangs  sacrés,  et 

ce  qui  en  résulte,  6. 
Dhanurveda  («  Science  de  l'arc  »).  —  La  deuxième 

science  de  la  section  Dristârtha,  4. 
Dhanvantir.  —  Un  des  beaux  esprits  de  la  cour 

de  Vikramâditya.  Intr. 
Dhdrâ.    —     Ville   du    Midi  ;    capitale    du    roi 

Bhoja.  Intr. 
Dristhdrtha.  —  Deuxième  catégorie  des  sciences 

(au  nombre  de  quatre),  celles  dont  l'objet  est 

visible,  4. 
Durjaya  («  Difficile  à  vaincre  »).  —  Râxasa  de 

Kanci,    oppresseur    de  Naramohinî,     tué  par 

Vikramâditya,  8. 

Gandharva-çdstra  («  Livre  des  musiciens  »}.  — 

La  troisième   des  quatre  sciences  dont  l'objet 

est  visible. 
Gangd.  —  Fleuve  du  Gange;   limite  extrême  au 

Nord,  I.  —  Etang,  c'est-à-dire  lieu  de  pèlerinage 

et  d'ablutions  sacrées,  32. 
Gangd  (Akdça  —) .   Le  Gange  céleste;  eau  de  ce 

fleuve  divin,  26. 


TABLK  ALPHABériQUB  3)7 

Garuda.  —  Type  de  bonté,  a  Muvé  la  grenouille 

lie  la  gueule  du  serpent,  11. 
Gharghâ.  —  Fleuve  qui  coule  prè»  du   cimeiière 

où  Vikraraâditya  trouva  l'homme  d*or.  Intr. 
Ghatakapùri.   —    Un   des   beaux    esprits  de   la 

cour  de  Vikramâditya.  Intr. 
Golangula.  Singe;  l'ignorant  lui  est  assimilé.  33. 
Ciuru.  —  C'est  en  le  respectant  qu'on  acquiert  la 

science,  4.  —  Précepteur  spirituel. 

Içvara.  —  Est  une  chimère,  3».  —  Est  invisible 
et  ne  se  manifeste  que  par  ses  œuvres,  28.  — 
Une  veuve  qui  ne  se  remarie  pas  doit  lui  ren- 
dre un  culte  constant,  -19. 

Indra.  ~~  Roi  des  dieux,  donne  un  trdne  divin  à 
Vikramâditya.  Intr.  Fait  l'éloge  de  Vikramâ- 
ditya devant  tous  les  dieux,  zS.  ~  A  besoin 
d'être  secouru  dans  sa  lutte  contre  les  Dina- 
vas,  29. 

Indrajàla-vidyâ  (a  Science  du  Réseau  d'Indra  »). 
—  Science  au  moyen  de  laquelle  on  réalise  une 
manifestation  magique,  29. 

Jayaçekhara.  —  Roi  de  Padmanishat.  détrôné, 
établi  roi  dans  un  autre  pays,  et  sauvé  d'une 
redoutable  attaque  par  l'influence  de  cinq  yaxa 
auxquels  il  avait  sauvé  la  vie,  lorsqu'ils  étaient 
poissons,  dans  une  existence  antérieure,  l'j. 

Jndm-çdstra  «  Çâstra  de  la  connaissance  ».  — 
Un  pandit  versé  dans  ce  Çâstra  t'ait  une  leçon 
au  roi,  i5. 


3  38  CONTES  INDIENS       - 

Jyeshtha.  ~-  Deuxième  mois  de  l'année  in- 
dienne, 2. 

Jyotiçcdstra  «  Livre  des  clartés  »  astronomie  ; 
—  fait  connaître  les  signes  précurseurs  d'une 
famine,  24. 

Jyotisha.  —  Le  cinquième  Vedanga,  4. 

Kaçmira.  —  Nom  d'un  pays.  Vikramâditya  y  fait 
remplir  d'eau  un  bassin  demeuré  vide,  7.  — 
Kamâlakar  y  reçoit  de  l'instruction,  8. 

Kdkapâda  «  Pied  de  corbeau  ».  —  Signe  du 
corps  dont  l'existence  sur  la  partie  postérieure 
du  palais  détruit  l'effet  du  signe  de  lotus  sur  la 
plante  du  pied,  lequel  annonce  la  royauté,  28. 

Kdliddsa.  —  Un  des  beaux  esprits  de  la  cour  de 
Vikramâditya,  cité  avec  plusieurs  autres.  Intr. 
Cité  seul  avec  un  etc.,  29.  —  (Personnage  fort 
illustre,  auteur  de  poèmes  dramatiques  célè- 
bres, entre  autres  du  Çakuntalâ). 

Kdlikd.  —  Divinité  qui  avait  un  autel  sur  le 
bord  de  la  rivière  Gharghâ,  non  loin  du  cime- 
tière où  un  yogî  avait  entraîné  Vikramâditya. 
Intr. 

Kalpa.  —  Le  deuxième  Vedanga,  4. 

Kalpavydkarana.  —  Le  deuxième  et  le  troisi  èm 
Vedanga,  cités  ensemble.  Intr,  (p.  24.) 

Kdmadhenu  («  Vache  du  désir  »).  —  Talisman 
duquel  on  peut  obtenir  tout  ce  qu'on  souhaite, 

25. 

Kdmdkhyd   («    Celle  qui   porte  le  nom   de  l'a- 


TABLB   ALPHABÉTIQUE  sSç 

mour  »).  —  Divinité  qui  a  un  autel  tur  le  mont 
Nlla,  2  1. 

Kamûlakar.  —  FiU  de  Tripurâkftr,  purohita  de 
Vikramâditya.  Son  père  lui  ayant  fait  honte 
de  son  ignorance,  il  voyage  pour  s'instruire  et 
rencontre  Naramoliinl  qu'il  épouse  avec  l'aide 
de  Vikramâditya,  8. 

Kanakakrita  (u  Fait  d'or  »).  —  Montagne  très 
dangereuse,  où  résidait  le  yogî  Trilokanfitha 
qui  donne  trois  talismans  à  Vikramâditya,  19. 

Kanct  et  Kancipuri.  —  Ville  où  demeurait  Na- 
ramohinî  délivrée  par  Vikramâditya,  8. 

Kandarpa.  —  Né  au  sein  de  Laxmî,  l'a  pris  de 
haut  avec  Brahmâ  et  tous  les  dieux,  11.  — 
(Nom  du  dieu  de  l'Amour). 

Kanthd.  —  Talisman  qu'il  suffit  de  toucher 
pour  obtenir  les  richesses  auxquelles  on  pense, 
donné  par  le  yogi  Trilokanatha  à  Vikramâditya 
qui  le  donne  à  un  roi  détrôné  et  mendiant,  lui 
permettant  ainsi  de  recouvrer  ce  qu'il  a  perdu, 
19. 

Kanyakubjâ.—  Pays,  patrie  de  Siddhasena.  Intr. 

Karbura-mantrajala  («c  Réseau  du  mantra  d'or  >). 
—  Signe  du  corps  qui,  placé  dans  l'intérieur 
au  côté  gauche,  détruit  l'effet  de  tous  les  si- 
gnes défavorables,  supplée  à  tous  les  signes 
favorables,  et  assure  à  celui  qui  le  possède 
l'aptitude  royale.  Vikramâditya  était  pourvu  de 
ce  seul  signe,  28. 

Zârtika.  —  Septième  mois  de  l'année  indienne,  2. 

18 


240  CONTES  INDIENS 

Kerala.  —  Nom  de  pays.  Un  pandit  de  ce  pays 
éclaire  Vikramâditya  sur  les  causes  de  la  fa- 
mine, 24. 

Khandika.  —  Talisman  qu'il  suffit  de  toucher 
pour  en  faire  sortir  toute  une  armée,  ig. 

Kuvera.  — Vikramâditya  devient  aussi  riche  que 
lui  au  moyen  de  l'homme  d'or.  Intr.  —  C'est  le 
dieu  des  richesses. 

Laxmî.  —  Née  de  la  mer,  a  donné  naissance  à 
Kandarpa,  a  fait  le  Castra  des  richesses,  s'iden. 
tifie  avec  la  richesse;  est  la  maîtresse  suprême; 
Vishnu  n'a  conquis  l'empire  du  monde  qu'en 
maîtrisant  Laxmî,  11.  —  La  Laxmî  de  Vikra- 
mâditya l'abandonne,  puis  revient  à  lui  à  cause 
de  sa  fidélité  à  la  parole  donnée,  3 1. 

Madanasanjivanî.  —  Reine  de  Ratnavatî,  cher- 
che à  séduire  Vikramâditya  qui  résiste  et  lui 
fait  épouser  son  ami  Sumitra,  14. 

Mdgha.  —  Le  dixième  mois  de  l'année  in- 
dienne, 1. 

Mahdmâyd.  —  A  fait  le  seigneur  suprême  et  l'a 
défini  dans  le  Castra,  32. 

Mahanidrd  (u  Le  grand  sommeil  »).  —  A  fait  la 
force  du  seigneur  suprême,  32. 

Malaya.  —  Nom  d'une  montagne  près  de  la- 
quelle est  située  la  ville  de  Pîtapur,  11. 

Manassiddhi  («  Succès  de  l'esprit  »).  — -  Divinité 
dont  l'autel  est  au  sommet  du  Sumeru. 


TABLE  ALPHABéTIQUE  241 

Mattfiala  (a  Bénédiction  »).  —  La  planète  Mars; 
l'invasion  de  son  champ  par  Saturne  est  un 
signe  infaillible  de  famine,  34. 

Mdydvidyd  (a  Science  magique  •).  —  Au  moyen 
de  laquelle  on  peut  faire  apparaître  des  scènea 
qui  n'ont  rien  de  réel,  39.  —  Apparition  due  à 
la  Mâyâ,  2  3. 

Maitlras.—  Paroles  magiques.  Intr.1,8, 38. 19.  Bz. 

Alihir.  —  Un  des  beaux  esprits  de  la  cour  de 
Vikramâditya.  Intr. 

Alimamsaka.  —  Système  philosophique  dont  les 
sectateurs,  avec  bien  d'autres,  fréquentaient  la 
cour  de  Vikramâditya.  Intr. 

Mùlikci.  —  Talisman  au  moyen  duquel  on  peut 
obtenir  tout  ce  qu'on  veut  :  donné  à  Vikra- 
mâditya par  un  malheureux  qu'il  avait  secouru, 
et  par  Vikramâditya  à  un  mendiant,  11, 

Muni  {*  Solitaire  »).  —  Un  muni  avait,  par  une 
malédiction,  condamné  trente-deux  divinités  à 
orner  comme  iîgures  le  trône  de  Vikramâditya. 
(Epilogue). 

Nciga  (u  Serpent  aquatique  »).  —  Habitant  du 
Pâtâla,  père  de  Çàlavâliana,  23. 

Nala.  —  A  subi  une  destinée  qu'il  ne  pouvait 
empêcher;  cité  par  Vikramâditya,  i3.  —  (L'his- 
toire de  Nala  et  de  Damayanit  est  un  des  plus 
célèbres  épisodes  de  l'épopée  indienne;  il  en  a 
été  fait  des  traductions  ou  des  rédactions  spé* 
ciales  en  plusieurs  langues  de  l'Inde). 


242  CONTES  INDIENS 

Nanda  («  Joie  »).  —  Roi  de  Viçâlâ  perd  son  fils 
et  le  retrouve,  i. 

Naramohint  (Qui  trouble  les  hommes  »).  — 
Jeune  fille  de  Kanci  opprimée  par  un  Râxasa, 
délivrée  par  Vikramâditya,8. 

Naraka  (Enfer).  —  L'ami  perfide  y  séjournera 
aussi  longtemps  que  dureront  le  soleil  et  la  lune 
I.  —  L'existence  du  Naraka  niée  par  un  so- 
phiste athée,  32.  —  Ceux  qui  font  des  sacri- 
fices humains  y  seront  punis,  27. 

Ndrdyana.  —  Vikramâditya  adore  l'image  de 
Nârâyana,  etNârâyana  lui  donne  deux  talismans 
Rasa  et  Rasâyana,  17.—  Un  des  noms  de  Vishnu. 

Nàrâyana-carandravinda-dhydna  (Crîman-).  — 
Méditation  à  laquelle  se  livrait  Vikramâditya  au 
commencement  de  la  journée,  22. 

Nîla.  —  Montagne  où  se  trouve  l'autel  de  la 
déesse  Kâmâkhyâ,  21. 

Nirukta.  —  Les  hommes  versés  dans  le  Nirukta 
fréquentaient  la  cour  de  Vikramâditya.  Intr. 

Niti-Çdstra  («  Livre  de  la  bonne  conduite  »).  — 
Donne  la  supériorité  à  l'homme  qui  fait  le 
plus  d'efforts,  i3.  —  Dit  que  tout  doit  tendre 
à  la  conservatiou  du  corps,  19.  —  Respecté  par 
tous  les  sujets  de  Vikramâditya,  24.  —  Vikra- 
mâditya gouvernait  conformément  au  Niti- 
Çâstra.  —  Les  méchants  peuvent  s'amender  par 
le  Niti-Çâstra.  Intr. 

Nydya.  —  La  huitième  des  dix-huit  sciences  et 
des  quatorze  de  la  première  catégorie. 


TABLE   ALPHABÉTIQUE  343 

Pada.  —  Parole  qui  fait  tomber  une  pluie  d'or, 

3o. 
Padi-padi.  —  Paroles  royttéheuses,  3o. 

Padmalaya  («  Demeure  du  lotus  »).  —  Nom 
d'une  ville  où  se  trouvait  un  autel  près  duquel 
se  réunissaient  les  Brahmacaris  du  lieu,  19. 

Padmaniihat.  —  Nom  d'une  ville  où  régnait 
Jayaçekhara  qui  tut  détrôné  et  expulsé,  i3. 

Padmanka  («  Signe  du  lotus  »).  —  Un  des  signes 
du  corps  dont  la  présence  sous  la  plante  du 
pied  annonce  la  royauté,  28.  Voir  Kâkapâda. 

Pandya.  —  Nom  d'un  pays  dont  le  roi  envoie  des 
présents  à  Vikraniâdiiya,  2g. 

Parameçvara  («  Le  seigneur  suprême  •).  —  11 
faut  en  admettre  l'existence,  33. 

Parameçvari.—  Invoquée  par  Vikramâditya  pour 
conjurer  la  famine,  lui  accorde  sa  demande  et 
lui  donne  le  cintamani,  32.  Voir  Devi. 

PàUila.  —  Les  mortels  y  errent  (pour  expier  leurs 
fautes).  I.  —  Monde  souterrain  où  se  trouve  la 
ville  en  pierreries  des  jeunes  tilles  d'un  lac,  20. 
—  Ville  où  résidait  le  Nâga,  père  de  Çâlavâhana. 

Ptitanjali.  —  Les  adhérents  de  la  doctrine  de 
Patanjali  fréquentaient  la  cour  de  Vikramâditya. 
Intr.  Sa  doctrine  est  la  onzième  des  dix-huit 
sciences  et  des  quatorze  de  la  première  série,  4. 

Phalguna.  —  Onzième  mois  de  l'année  in- 
dienne, i. 

Piçaca.  —  Génies  impurs.  —  Sont  athées,  ou 
l'athéisrae  est  une  qualité  de  Piçâca.   Intr.,  32. 

iS* 


244 


CONTES  INDIENS 


Pîtapur.  —  Ville  voisine  du  mont  Malaya,  près 
de  laquelle  était  une  femme  opprimée,  délivrée 
par  Vikramâditya  et  donnée  par  lui  à  Puran- 
dara. 

Pradaxina.  —  Salut  qui  se  fait  en  tournant  au- 
tour de  l'objet  vénéré  de  manière  à  l'avoir 
toujours  à  droite,  jg. 

Pratishthdna.~V\\\e.  où  régnait  Çâlivâhana,  intr. 
—  Résidence  de  Çâlavâhana,  assiégée  vainement 
par  Vikramâditya,  23. 

Piirâna-Çdstra.  —  Quatorzième  des  dix-huit 
sciences,  dernière  de  la  première  catégorie,  4. 

Purandara.  —  Fils  de  Bhadrasena,  dissipe  folle- 
ment les  richesses  accumulées  par  son  père 
Bhadrasena  ;  ruiné,  il  passe  à  l'étranger  et  fait 
la  découverte  d'une  femme  opprimée  que  Vi- 
kramâditya lui  donne  après  l'avoir  délivrée, 
II. 

Pûrvamîmamsa.  —  La  cinquième  des  dix-huit 
sciences  et  de  la  première  catégorie,  4. 

Pusya.  —  Astérisme.  Le  jour  de  sa  conjonction 
avec  le  soleil  est  favorable  à  la  construction 
d'un  palais,  3o. 

Râja(niti)  —  Çâstra.  —  Traité  de   la  politique. 

Servait  de  règle  à  Vikramâditya,  17,  22. 
Rasa.  —  Talisman  qui  procure  tous  les  biens  du 

Samsara,  donné  à  Vikramâditya  par  Nârâyana, 

17- 
Rasa.—  Neuf  sentiments,  21. 


TABLE   ALPHABÉTIQUE  «45 

Rasasiddhi.  —  Réalisation  corporelle  de  ces 
neuf  sentiments,  2  1 . 

Rasayana.—  Talisman  qui  procure  tous  les  biens 
spirituels,  donné  à  Vikramâditya  par  Ni- 
râyana,  17. 

Ratnakar  («  Mine  de  joyaux  •).  —  Nom  de  la 
mer  appelée  ainsi  parce  que  Laxmî  en  est  sor- 
tie, 14. 

Ralnavatî  «  La  (terre)  qui  possède  des  joyaux  ■>.  — 
Nom  du  pays  où  se  trouvait  l'étang  de  Çakra- 
vâtar,  14. 

Ràxasa.  —  Mauvais  génie  anthropophage.  — 
Durjaya.râxasa  de  Kânci,  persécuteur  de  Nara- 
mohinf,  tué  par  Vikramâditya,  8.  —  Raxasa 
anonyme  d'une  île  non  désignée,  mange  un 
homme  par  jour;  Vikramâditya  obtient  de  lui 
qu'il  mette  lin  à  ce  procédé,  10.  —  Râxasa,  op- 
presseur d'une  femme,  de  Pitapur.  vaincu  et 
tué  par  Vikramâditya,    1 1 . 

Rigveda.  —  La  première  des  dix-huit  sciences  et 
des  quatorze  sciences  de  l'Adrishtârtha,  4. 

Rohinî.  —  La  lune.  Si  son  char  est  brisé  par  Ça- 
naiçcara  et  que  Çanaiçcara  envahisse  alors  le 
champ  de  Vénus  ou  de  Mars,  il  y  aura  famine, 

Rûpa-Mîmamsa.  —  La  septième  des  dix-huit 
sciences  et  des  quatorze  de  l'Adrishtârtha,  4. 

Rûpa-Nj'âya.  —  La  douzième  des  dix-huit 
sciences  et  des  quatorze  de  l'Adrishtârtha,  4. 


246  CONTES  INDIENS 

Sacciddnanda.  —  Nom  de  l'Etre  suprême,  i3,  32. 

Sdmaveda.  —  La  troisième  des  dix-huit  sciences 
et  des  quatorze  de  l'Adrishtârtha,  4. 

Sambandhakdr.  —  Nom  du  champ  où  fut  trouvé 
le  trône  de  Vikramâditya.  Intr. 

Samsara.  —  Le  monde  changeant,  dans  lequel 
les  êtres  roulent  incessamment  d'existence  en 
existence  sous  les  formes  les  plus  diverses. 

Sdmudraka-Çdstra  («  Livre  des  signes  »).—  (Eten- 
dard, diamant,  aiguillon,  etc.),  où  sont  décrites 
et  expliquées  les  vingt  lignes  du  corps  qui  an- 
noncent les  aptitudes  et  les  destinées  des  indi- 
vidus, 28,  3i. 

Sankhya.  —  Système'philosophique  ;  les  docteurs 
du  Sankhya  paraissaient  à  la  cour  de  Vikramâ- 
ditya. Intr.  —  Dixième  des  dix-huit  sciences 
et  des  quatorze  de  l'Adrishtârtha,  4. 

Sannyast,  —  (Synonyme  de  Yogi).  Malheureux 
dans  ses  exercices,  2.  —  Fourbe  et  incrédule, 

32. 

Sarasvatî.  —  Déesse  de  la  persuasion.  Est  sur  le 
bout  de  la  langue  de  Çaradânanda,  i.  —  Le 
Siddhimantra  de  Sarasvatî  donne  la  science,  8. 

Setubanda  —  Le  pont  de  Râma.  Extrémité  méri- 
dionale du  monde  pour  les  Indiens,  i . 

Siddha.  —  Synonyme  de  Yogî.  Instruction  d'un 
Siddha  à  Vikramâditya  sur  la  vertu,  i3.  —  Les 
Siddhas  se  transmettent  les  traditions  religieu- 
ses, 32. 

Siddhasena.  —  Brahmane  de  Kanyakubja,  donne 


TABLE   ALPHABÉTIQUE  347 

à  Vikramâditya  des  conseils  vertueux,  et  devient 
membre  du  conseil,  chef  des  Pandits.  Intr. 

SidJhimantra.  —  Le  Siddhimantra  du  SarasvatI 
donne  la  science,  8.  (a  Mantra  de  succès  h.) 

Smriti  (u  Traditions  »).  —  Les  docteurs  de  la 
tradition  fréquentaient  la  cour  de  Vikramâ- 
ditya. Intr. 

SomaJalla  ^u  Donné  par  la  lune  u).  —  Fils  de 
Çrîdatta  d'Avant!,  se  construit  un  palais  où  il 
se  produit  des  faits  merveilleux.  Vikramâditya 
le  lui  achète  et  le  lui  rend  gratuitement,  rem- 
pli du  produit  d'une  pluie  d'or,  3o. 

Sumeru.  —  Montagne  célèbre,  au  sommet  de 
laquelle  se  trouve  l'autel  de  la  divinité  Manas- 
siddhi  ;  appelée  aussi  Meru,  26. 

Sumitra  ^u  Bon  ami  »).  —  Ami  de  Vikramâditya 
qui  lui  donne  la  Rânî  Madanasanjivani  avec 
le  pays  de  Ratnavatî,  14. 

Sûrya  («  Le  soleil  »).  —  La  divinité  du  soleil 
verse  l'Amrîta  sur  Vikramâditya  pour  le  rani- 
mer lors  de  sa  défaillance  dans  une  ascension 
merveilleuse  et  lui  donne  ensuite  des  pendants 
d'oreille,  18.  —  Conjonction  de  l'astérisme 
Pushya  et  du  soleil,  3o. 

Svarga  («  Séjour  de  la  félicité  »).  —  La  mort  sur 
le  champ  de  bataille  y  fait  aller  les  Xatryas.  — 
Vikramâditya  y  arrive.  Intr.  —  Les  mérites 
acquis  par  les  pèlerinages  aux  étangs  sacrés 
font  obtenir  le  Svarga.  —  C'est  une  folie  d'agir 
en  vue  du  Svarga  ;  il  n'existe  pas,  32. 


248  CONTES  INDIENS 

Tarkika.  —  Les  partisans  de  la  philosophie 
tafkya  fréquentaient  la  cour  de  Vikramàditya. 

TrilokancUha.  —  Nom  d'un  yogî  qui  résidait  sur 
la  montagne  de  Kanakakrita;  visité  par  Vikra- 
màditya auquel  il  donne  trois  talismans,  19. 

Trivurakar.  —  Purohiia  de  Vikramàditya,  père 
de  Kamâlakâr,  8. 

Udaya  («  Lever  »).  —  Nom  d'une  montagne  au 
sommet  de  laquelle  se  trouve  un  autel  et  un 
lac  duquel  sort  une  colonne  surmontée  d'un 
trône  qui  s'élève  progressivement  jusqu'à  midi, 
de  manière  à  atteindre  le  soleil,  18. 

Uttara-Mimamsd.  —  Sixième  des  dix-huit  scien- 
ces et  des  quatorze  de  l'Adrishiâriha,  14. 

Vdsuki.  —  Imploré  par  Vikramàditya,  lui  donne 
de  ramrita  pour  ranimer  son  armée  paralysée; 
Vikramàditya  ayant  abandonné  cet  amrita  à  des 
adversaires  déguisés,  Vâsuki  fait  lui-même 
pleuvoir  l'amrita  sur  les  troupes  du  roi,  23. 

Vaiçdkha.  —  Premier  mois  de  l'année  indienne. 

Vaiçeshika.  —  Partisans  de  la  philosophie  vaiçesha 
fréquentant  la  cour  de  Vikramàditya.  Intr.  — 
Celte  philosophie  est  la  neuvième  des  dix-huit 
sciences  et  des  quatorze  de  l'Adrishtârtha. 

Vaitdlika.  —  Personnage  qui  se  présente  au 
conseil  du  roi  Vikramàditya  et  fait  apparaître 
une  scène  sans  réalité,  29. 


TABLE   ALPHABETIQUE  349 

Vaidha.  —  Un  des  beaux  esprits  de  la  cour  de 
VikramAditya.  intr. 

Vararuci.  —  Un  des  beaux  esprits  de  la  cour  de 
Vikramâditya.  Inlr. 

Veda.  —  Les  docteurs  du  Veda  fréquentaient  la 
cour  de  Vikraroâditya.  Intr.  —Les  Vedas,  les 
quatre  premières  des  dix-huit  sciences,  des 
quatorze  de  l'Adrishtâriha,  4.  —  Le  Veda  pres- 
crit certains  actes  pour  le  milieu  du  jour.  ai. 
—  Dans  le  mariage^  on  prononce  des  maniras 
du  Veda,  29. 

Vedanga.  —  Les  six  membres  du  Veda  sont 
désignés  à  la  suite  des  quatre  Vedas  comme 
faisant  partiedes  quatre  premières  des  dix-huit 
sciences,  des  quatorze  de  l'Adristârtha  (ou  de 
l'invisible;,  4. 

Vedanta.  —  Les  sectateurs  du  Vedanta  fré]uen- 
taient  la  cour  de  Vikramâditya.  Intr. 

Vetùla.  —  Nom  d'un  génie  dangereux  qui  hante 
les  cimetières  et  produit  des  eft'ets  redoutables. 
Intr.  —  Le  Vetdla  Agni.  Intr. 

Vetàlabhatta.  —  Un  des  beaux  esprits  que  fré- 
quentaient la  cour  de  Vikramâditya.  Intr. 

Vetdlapura.  —  Ville  ou  réside  la  divinité  Çoni- 
tapriyâ  à  laquelle  on  offre  des  sacritices  bu^ 
mains.  Vikramâditya  les  lait  cesser,  27. 

Vetalika.  Voir  Vaitalika. 

Viçàld  («  Large  »).  —  Ville  où  régnait  Nanda,  i. 

Vijayafâla.  —   Fils    de   Nanda,  roi    de  Viçâla, 


25o  CONTES  INDIENS 

perdu  dans  la  forê»^,  trahit  son  protecteur,  de- 
vient fou,  est  retrouvé,  i . 

Vikramàditya.  —  Frère  cadet  de  Bhartrihari,  s'ex- 
patrie, est  nommé  roi  après  l'abdication  de  son 
père,  triomphe  d'Agni,  gagne  l'homme  d'or, 
suit  les  conseils  de  Siddhasena,  obtient  le  trône 
aux  trente-deux  figures,  fait  la  guerre  à  Çali- 
vahana,  meurt  dans  le  combat  et  s'en  va  dans 
le  Svarga.  Introduction. 

Ses  trente-deux  aventures.  .  Ses  libéralités  envers 
un  mendiant  qui  lui  raconte  une  histoire  ins- 
tructive et  son  système  de  gratifications,  i.  — 
Obtient  de  la  divinité  du  Citrakuta  pour  un 
yogî  des  faveurs  que  celui-ci  n'avait  pu  con- 
quérir, 2.  —  Obtient  delà  mer  quatre  talis- 
mans qu'il  donne  à  un  brahmane  et  à  sa  fa- 
mille, 3.  —  Sauvé  par  un  brahmane  qui  ensuite 
lui  dclourne  son  fils,  il  refuse  de  punir  ce 
brahmane  et  montre  ainsi  sa  gratitude,  4.  — 
Le  roi,  étant  au  parc,  rencontre  un  ascète  qui 
renonce  à  l'ascétisme  pour  aspirer  aux  biens  du 
monde;  le  roi  comble  cet  ascète  de  biens,  5.  — 
Prêt  à  se  couper  la  tête  pour  rendre  la  vie  à  un 
couple  mort,  il  obtient  le  retour  à  la  vie  de  ces 
deux  personnes  sans  se  décapiter,  b.  —  Prêta 
se  couper  la  tête  pour  faire  remplir  d'eau  un 
bassin  vide,  il  obtient  que  ce  bassin  soit  rempli, 
7.  —  Délivre  Naramohinî  opprimée  par  le 
Raxasa  Durjaya  et  la  donne  à  Kamalâkar,  fils 
de  son  Purohita,  8.  —  Va  trouver  un  yogî  venu 


TABLE   ALPHAB^TIQUC  S5l 

dans  son  parc  et  reçoit  de  lui  un  talisman,  q. 

—  S'oftre  en  pftture  à  un  Raxasa  à  la  place  d'un 
enfant  et  obtient  de  lui  qu'il  renonce  à  «.c 
nourrir  de  chair  humaine,  lo.  —  Tue  le  R3xasa 
de  Pîtapur  qui  opprimait  une  femme  et  la 
donne  à  Purandara,  ii.  —  Disciple  avec  de« 
Pandits,  secourt  un  malheureux  blessé  et  ob- 
tient de  lui  un  talisman,  is.  —  Soutient  le  fa- 
talisme contre  un  yogî  qui  soutient  la  liberté 
et,  après  lui  avoir  raconté  une  histoire,  lui 
donne  un  joyau,  le  cintamani,  i3.—  Entre  dans 
l'huile  bouillante  pour  conquérir  Sanjîvani,  est 
guéri  de  ses  brûlures  et  la  donne  à  Sumitra.  14. 

—  A  des  entretiens  savants  avec  un  juge  et  lui 
Jonnâ  huit  lacks  d'or,  i3.—  Veut  se  soumettre 
par  substitution  au  supplice  que  Candraçekhara 
endurait  pour  devenir  semblable  à  Vikramâditya 
et  réussit  à  affranchir  Candra-çekara  de  ce  sup- 
plice, 16.  —  Etant  à  la  poursuite  d'un  sanglier, 
entre  dans  une  vaste  grotte  et  obtient  de  Nâ- 
râyana  deux  talismans  qu'il  donne  à  deux 
brahmanes,  17.  —  S'élève  jusqu'au  soleil  sur  le 

4rône  merveilleux  du  mont  UJaya,  est  ranimé 
par  lui,  et  reçoit  des  boucles  d'oreilles,  18.  — 
Va  voir  le  yogî  Trilokanâtha  qui  lui  donne  trois 
talismans;  il  les  remet  à  un  roidétiôné  qui  re- 
monte sur  son  trône,  19.  —  Plonge  dans  le  lac 
des  huit  jeunes  hlles  qui  lui  donnent  huit 
joyaux-,  il  les  passe  à  un  Brahmane  pauvre,  20. 
—  Jusiitie  ses  voyages  et  obtient  de   la  déesse 


2i)2  CONTES  INDIENS 

Kâmakhyâ  du  mont  Nila  la  manifestation  cor- 
porelle des  huit  rasas  en  faveur  d'un  étranger; 
il  était  prêt  pour  cela  à  s'immoler,  ai.  —  A  un 
cauchemar,  à  la  suite  duquel  il  entreprend  de 
grandes  libéralités,  22.  —  Fait  la  guerre  à 
Çâlavâhana  qui  n'avait  pas  voulu  se  rendre  près 
de  lui  et  n'est  sauvé  que  par  l'amrita  de  Vasuki, 
2  3.  —  Est  prêt  à  s'immoler  pour  conjurer  la 
famine  qu'un  Pandit  lui  a  prédite;  obtient  qu'il 
n'y  ait  pas  de  famine  dans  ses  Ktats,  24.  —  Se 
dévoue  pour  sauver  une  vache  menacée  par  un 
tigre  et  reçoit  de  la  vache  et  du  tigre  qui  ne 
sont  que  des  dieux  déguisés,  la  vache  kâma- 
dhenu,  25.  —  Enlève  l'eau  du  Gange  céleste 
sur  l'autel  de  Manassiddhi  et  obtient  ainsi  d'un 
joueur  qu'il  ne  jouera  plus,  26.  —  S'offre  en 
victime  à  la  divinité  Conitapriya  et  fait  cesser 
les  sacrifices  humains  dans  Vetâlapura,  27.  — 
Veut  s'ouvrir  le  corps  pour  constater  dans  son 
flanc  droit  l'existence  de  Karburamantrajâla,  est 
dissuadé  de  le  faire  et  n'a  pas  de  doute  sur 
l'existence  de  ce  signe,  28.  —  Un  Vaitâlika  pro- 
duit une  scène  non  réelle  qui  met  en  lumière 
la  sagesse  et  la  fidélité  de  Vikramâditya,  qui 
reçoit  de  grands  présents  du  roi  de  Pandya,  29. 
—  Achète  le  palais  de  Somadatta  et  lui  en  faitdon 
après  qu'une  pluie  d'or  y  est  tombée  toute  la 
nuit,  3o.  —  Observe  la  parole  donnée  en  ache- 
tant l'image  Dâridra,  et  se  voit  abandonné  par 
toutes  ses  qualités  qui  finissent  par  revenir  pour 


TABLE   ALPHABÉTIQUE  353 

le  récompenser  de  sa  tidélité,  3i.  —•  Vient  en 
aide  aux  atTamés  et  est  obligé  de  recourir  à 
Devf  qui  l'exauce  en  détruisant  les  effets  de  la 
famine,  discute  avec  un  sophiste  athée  et  ma- 
térialiste qu'il  finit  par  convaincre,  32. 

Vikramasena.  —  Fils  posthume  et  successeur  de 
Vikramâditya.  Intr. 

Vi-se-mi-rd.  —  Syllabes  prononcées  par  Vijaya- 
pâla  pendant  sa  folie;  il  abandonne  chaque 
syllabe  à  mesure  que  la  raison  lui  revient,  i . 

Vishnu.  —  Dieu  célèbre  ;  est  devenu  le  mattre  du 
monde  par  la  possession  de  Laxmt,  1 1 . 

Vydkarana,  —  Les  docteurs  du  Vyikarana  fré- 
quentaient la  cour  de  Vikramâditya.  Intr.  — 
Troisième  Vedanga,  se  rattachant  aux  quatre 
premières  des  dix-huit  sciences,  4. 

Xapanaka.  —  Un  des  beaux  esprits  de  la  cour  de 
Vikramâditya.  Intr. 

Yajnddatta.  —  Cultivateur  du  champ  où  était 
enfoui  le  trône  de  Vikramâditya.  Intr. 

Yajur,  —  Troisième  des  dix-huit  sciences  et  des 
quatorze  de  l'Adrishtârtha.  Intr. 

Yama.  —  Dieu  de  la  mort.  L'homme  sans  pé- 
ché le  considère  comme  un  brin  d'herbe,  9;  — 
sanglier  qui  lui  ressemble,  17. 

Yaxa.  —  Génie.  — Cinq  Yaxa  font  obtenir  et  con- 
servent la  royauté  à  Jayaçekhara  qui,  dans  une 


254  CONTES  INDIENS 

autre  existence,  lorsqu'ils  étaient  poissons,  leur 
avait  sauvé  la  vie,  i3. 

Yogî.  —  Yogî  perfide  tué  par  Vikramâdiiya.  Inlr. 
—  Yogî  de  la  pagode  de  Citrakuta,  malheureux 
dans  ses  macérations,  obtient  d'ctre  exaucé  par 
l'intermédiaire  de  Vikramâditya,  2.  —  Yogî 
qui  renonce  à  ses  macérations  et  que  le  roi 
comble  de  présents,  5.  —  Yogî  venu  à  Avanti 
et  visité  par  Vikramâditya  auquel  il  donne  un 
talisman,  9.  —  Yogî  disputant  avec  Vikramâ- 
ditya sur  la  fatalité,  i3.  —  Le  Yogî  Trilbka- 
nâtha  fait  don  à  Vikramâditya  de  trois  talis- 
mans, 19.  —  Yogî  sophiste  incrédule,  32. 

Yugâdideva.  —  Divinité  à  qui  appartenait  l'étang 
Çakrâvatar,  14. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Avis  al'  lecteur 

EtUDB     su»     les    THENTt-DEtX     RÉCITS     DU 
TRONE  : 

I.  —  Aperçu  général. 

jl  I.  -  Les  contes  relatifs  à  Vikra- 

mâditya 

T 

II.  —  Histoire. 

g  i.  ~  Vikramâditya  et  Çàlivâhana. .         xiii 
i  3.  _  Journée  d'un  roi  indien ^yi 

m.  —  Morale. 
2  4-  -  Vertus  morales  de  Vikramadi- 


256  CONTES   INDIENS 

tya XVII 

{15.  —  La  science xxii 

g  b.  —  La  vie xxvit 

g  7.  —  Les  plaisirs xxviii 

g  8.  —  Les  richesses xxix 

g  g.  ~  Fatalité,  activité xxxi 

g  10.  —  Un  roi  peut-il  voyager  r  — 

Du  devoir  qui  lui    incombe xxxii 

g  II.  —  Les  dix-huit  vices xxxiv 

g  12.  —  Vertus  populaires;  —  castes; 

—  mariage;  —  veuvage xxxvn 

g  i3.  —  Les  neufs  rasa  (  «  goût,  sa- 
veur ») • XLVI 

IV.  —  Magie. 

g  14.  — Chaussures  magiques  et  trans- 
formations    XI.VII 

g  i5.  —  Etres  surhumains li 

V.  —  Religion ttv 

g  16.  —  Croyances  vulgaires.  lv 

g  17.  —Culte Lvu 

g  18.  —  Croyances  fondamentales  ..  LXir 

g  19.  —  L'âme  suprême lxvi 


> 


TABLE  DKS  MATIÈRRS  ibj 


Avis  i>i;  traducteur  rknoali 3 

Introduction - 

Récit  de  la  première  tigure ao 

—  deuxième 41 

—  troisième 4^ 

—  quatrième 49 

—  cinquième >7 

—  sixième 65 

—  septième 69 

—  huitième 7' 

—  neuvième 79 

—  dixième 83 

—  onzième •  •  ^7 

—  douxièroe 9^ 

—  treizième 97 

—  quatorzième 107 

~>  quinzième lit 

—  seizième Ii5 

—  dix-septième m 

—  dix-huitième 1*7 

—  dix-neuvième. i3i 

—  vingtième iSj 

—  vjngt-et-unième t^'i 

—  vingt-deuxième 149 

—  vingt-troisième i3S 

—  vingt-quatrième >63 

Se 


2  58  *         CONTES  INDIENS 

Récit  de  la  vingt-cinquième.. ....; .    ...  i6tj 

—  vingt-sixième 17? 

—  vingt-sepiièmc 179 

-    —      vingt-huitième i83 

—  vingt-neuvième 191 

—  trentième 2o3 

—  trente-et-unième 207 

. —      trente-deuxième 2i3 

Epilogue...  222 

Table  alphabétique  des  noms  indiens 229 


Le  Puy.  —  (mpiiiTierîe  de  Marchcssou  fils. 


O  i 


O 

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8 


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