BINDINQ LIST SEP 1 5 1022
ton
COLLEC I !
CONTES ET DE CHANSONS POPULAIRES
IX
CONTES DE LA i W1BIE
LE TUV. — IMIMUMLRIE UE MARCHESSOU KII.S
RECUEIL
1>K
ONTES POPULAIRES
SÉNÉGAMB1H
RECUtll-LI» f*k
I..-J.-B. BÉKENGEH- FERU D
PARI S
BR N ES r LE HOU X, EDI II
A MON AMI
PAUL FLAMJENQ
DE TOULON
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/collectiondechan09am
ITÇTltODUCTIO&C
:> on entreprend r les
production de l'esprit cke^ les
.■ est disposé à penser tout d'a-
bord qu'on ne trouvera rien d intéressant.
Ils paraissent si imparfaits
d'intelligence, au premier examen, qu il
semble impossible qu'on pi.. uvrir
en eux autre chose que ce qui est l'attri-
but de la brute. On est persuadé qu'ils
réfléchissent, tout juste asse\ seulement,
pour satisfaire leurs besoins ma:,
au jour le jour.
Cette idée préconçue est fausse cepen-
dant, car il )■ a d'une peuplade nègre à
il Introduction
une autre, autant de distance, au moins,
qu'on en observe entre tel et tel groupe
de blancs. Et, de même que quand on
parle des habitants de l'Europe, on est
obligé de reconnaître que ceux-ci sont
plus intelligents, que ceux-là sont plus
forts corporellement, etc. ;de même quand
on s'occupe des nègres, l'observation dé-
montre que les choses de Vintelligence
ne sunt pas lettre close, au même degré,
pour toutes les peuplades.
Je ne veux pas envisager dans ce livre
tous les nègres. Pareil travail serait, je
crois, absolument impossible dans l'état
actuel de nos connaissances . C'est qu'en
effet si nous avons quelques renseigne-
ments écrits sur un certain nombre de
peuplades de l'Afrique, une trop grande
quantité d'entre elles nous est tellement
inconnue que nous ne saurions rien dire
de suffisamment 'précis sur leur compte.
Aussi je dois prévenir le lecteur, dès la
première page, que je ne viserai ici que
les nègres Sénégambiens.
Or, pour eux, quand on essaie de son-
der les particularités de leur intelligence
en partant de cette idée, fort naturelle du
INil.ODUCTJON III
reste, qu'il n'y a rien OU a peu près dans
la cervelle dé Cet
tate avec quelque etonnement, je dirai
même <m découvre avec quelque sa:
tiotl, que, si grossiers qu'ils paraissent
au début, ils sont plutôt comparables à
l'enfant qu'à la bête.
Che-{ ces nègres Sénégambiens, À
de manifestations anti - intelligentes ,
qu'on me passe le mot, c esta dire à côte
de choses dans lesquelles le travail in-
tellectuel fait entièrement défaut, leurs
actions, bonnes OU mauva: ndent
plus souvent de la qualité enfantine de
leur esprit que de toute autre cause.
Jls ont, à côte des appétits grossiers de
la bête y la ne ente, l'c-
goistne et l'ingratitude des enfants.
La comparaison est si juste qu'on cons-
tate sans peine que, OOMMM ht enfants,
ils ont une extrême propension à suivre
la direction qu'on leur imprime, pour
peu qu'on sache s y prendre pour les di-
riger. Ils croient aveuglement celui dans
lequel ils ont mis leur confiance, ou fer-
ment obstinément les jeux à l évidence.
Enfin, ils ont, au plus haut point, la
INTKODUCT10N
tendance à suivre, sans réflexion, l'im-
pulsion d'un cœur naïf et d'un esprit
aussifacilement inflammable pour le bien
que pour le mal.
Cette constatation se fait, dois-je dire,
pour tout ce qui appartient à la société
nègre; mais elle est plus facile peut-être
pour ce qui touche aux choses de l'esprit
et, en particulier, pour ce qui peut être
appelé leur littérature, qui donne la me-
sure de leurs aptitudes intellectuelles.
Aptitudes qui sont V honneur des races
blanches et qui les placent au pre-
mier rang de l'échelle anthropologi-
que.
Quand on veut savoir quelque chose
touchant les spéculations de l'esprit
che\ les nègres Sénégambiens, il y a
deux catégories d'hommes à consulter :
les marabouts et les Griots. Les chefs
militaires ou politiques, les individus
riches sont aussi ignorants que le Vulgum
pecus ; comme lui, en effet, ils se bornent
à écouter les légendes, et tout au plus
les répètent sans apprécier toute la por-
tée de ce qu'ils entendent, si même ils ne
comprennent pas de travers.
C'est donc à des gtlU t ■ nom-
breux, et non au premier venu, qu'il faut
s'adresser pour recueillir les cor:
les légendes du jm
uc tattraii surprendre personne :
ronsnous, en effet, un individu qui vou-
drait étudier nos connaissances intellec-
tuelles, religieuses, etc. Se serait-il pas
Obligé, dans nos villages et nos quartiers
ruraux, de t' adresser seulement à quel'
ques rares personnalités : au.\
aux hommes de loi, aux instituteur
médecin
S'il consultait les bonnes femmes, les
ms% sur le sujet qui a Servi de base
au dernier sermon du cure ou au dernier
urs du préfet, du ^encrai, du de-
pute, etc., il courrait prande chaiu
n'avoir que des renseignements incom-
plets, incompréhensibles trop souvent,
sinon même entièrement défigUï
S'il en est ainsi encore de nos jours dans
bien des localités cke\ nous. Il est certain
que dans les premiers siècles du moyen
: devait en être ainsi dans plus d'en-
droits encore; là où un couvent, où un
• intellectuel, consentant les riches-
VI INTUOOUC'I ION
ses littéraires de la société grecque ou
romaine, n'existaient pas.
Les chefs militaires étaient, à cette
époque, aussi ignorants dans mille con-
trées de notre Europe qu'ils le sont au-
jourd'hui dans maints pays de la Séné-
gambie. Les prêtres isolés de la campa-
gne ne savaient, comme la plupart des
marabouts nègres de nos jours, que réciter
quelques prières dont ils ne comprenaient
pas le sens. Seuls quelques rares pèlerins,
quelques bardes, quelques solitaires ra-
contaient aux paysans ébahis des légen-
des, des contes, des relations dans les-
quelles la pensée morale, la portée
intellectuelle disparaissaient plus d'une
fois sous les imperfections de la forme
ou la grossièreté des détails.
It y a bientôt trente cinq ans que je
connais les nègres Sénégambiens pour
être allé dans leur pays ; or, depuis le
premier jour, plus je les étudie, plus je
suis disposé à voir dans leur société, leurs
habitudes, leurs connaissances, l'image de
ce qui se passa che\ nous, il y a plus ou
moins de siècles.
Et, de même que certains sauvages de
IN 1KODL. . VII
Li Polynésie nous donnent, de nos ;
l'exempte dé ce que lurent n>,
de régê de pierre; de n.énie que quel-
ques-uns- en tont encore à . \e des
premiers métaux; de même ces nègres
Sénégam biens me semblent fournir à
l'observateur le rj de ce qui se
passait au début de l'ère t '. che\
les peuplades que les R MMIIM SthtC
appelaient les barbai i
Ce qu'on vit dans quelques ut:
provinces, de l'an .^oo à l an i -j <>u 1400,
c'est-à-dire entre V invasion des Gotki et
des Burgonées, et la grande époe/m due
de la Renaissant mblable
qu'on voit aujourd'hui sur les rives du
Sénégal et de la Gambie.
Les diverses peuplades du vaste pays
Sénégambien étant plus ou moins intelli-
gentes sont plus ou moins avaneees dans
leur culture de l'esprit. Si elles étaient
restées cantonnées chacune dans leur
localité, sans communications avec les
autres, elles nous montreraient, je crois,
comme dans un imtnense musée, l'image
de notre histoire, année par année pres-
que. Mais les communications étant nom-
INTKODUCTIÛN
breuses, fréquentes, il en est résulté un
mélange d'hommes et d'idées qui jette un
peu de confusion dans le tableau, et rend
l'observation plus difficile, sans cependant
qu'il soit impossible de faire le triage,
la classification entre les divers éléments
disparates, de prime abord, qu'on a sous
lesycux.
Quand on cherche à analyser les lé-
gendes, histoires, etc., que racontent les
nègres Sénégambiens, pour en saisir la
portée morale ou intellectuelle, on voit
qu'elles peuvent se ranger en quatre
catégories :
I. Celles qui mettent en relief une qua-
lité du cœur et ou de l'esprit.
II. Celles qui ont trait à un défaut,
un ridicule, un vice ou une imperfection
morale.
III. Celles qui ont pour but la glorifi-
cation de l'Islamisme.
IV. Celles, enfin, qui se rapportent à
un événement réel, plus ou moins altéré
par la tradition orale, celles qu'inspirent
l'amour du merveilleux, les croyances su-
:jon i\
perstitieuset ou le simple pUdsit
une question enip;matique à l'auditeur.
Il y aurait fort à reprendre, je le sais,
sur cette classification si on entrepi
de la critiquer ; mais, au fond, les clas-
sifications n'étant qu'un
mettre un peu d ordre dans l\
des laits, leur importai:
minime, — et e est asse\ le cas ici, —pour
qu'on n'ait pas besoin de J .
chercher une absolument irréprochable.
Aussi le lecteur me permettra de la suivre
sans la discu:
>o;
PREMIERE r.\u in:
LùNI l NDES QUI METTENT EN RI
UNE QUAUTJl 1>U CŒUR OU DE I.'eSIKIT
CONTES POPULAIRI
DE LA S EN EGA M B I E
PREMIÈRE PARTIE
ans cette première panie du pré-
ît livre nous rapporterons huit
contes, légendes ou ballades qui ont pour
bal de mettre en relief une qualité du
cœur ou de l'esprit.
Comme on pourra le voir, les sujets
sont assez variés, la portée de chacun
d'eux est assez différente pour qu'on puisse
4 CONTES POPULAIRES
envisager la manière d'être de l'intelli-
gence sénégambienne à plusieurs points
de vue dans cet ordre d'idées.
J'aurais pu, on le comprend, faire en-
trer dans ma liste un beaucoup plus grand
nombre de contes et de légendes de la
même catégorie mais elles n'auraient fait
qu'augmenter la longueur du travail sans
y introduire aucun élément nouveau.
I. Comparaison entre l'amour paternel
et l'ingratitude filiale.
II. La légende de Cothi-Barma, ou le
triomphe de la sagesse du philosophe.
III. Les deux amis brouillés par une
maîtresse.
IV. La légende des deux amis Peuls.
V. La ballade Kassonkaise de Diudi.
VI. La ballade Toucoulore de Samba-
Foul.
VII. Le conte de la finesse du singe
comparée à la naïveté du loup.
VIII. L'histoire du sage qui ne mentait
jamais.
COMPARAISON KNTRR L AMOUR l\\ i
M l'|NGBA1 .IL M H1.U1.K
t-xans le ptyi du Dimar qui est voisin du
*-J Cayor, il y avait jadis un Daniel du
nom d'Amadi Gond qui gouvernail le paya
avec justice; il avait un fils du nom de
Biroum Amadi qu'il avait eu bonté
et auquel il prodiguait tous ses soins et tou-
Biroutn Amadi n'était néanmoins pas con-
tent de son sort, il avait hâte de régner et
était impatient de voir mourir son père pour
lui succéder, l.cs cho>e> n'allant pas asse^
vite à son gré, il m lia avec des mécontents
et des ambitieux qui desiraient comme
lui la chute du pouvoir d'Amadi Gone ,
0 CONTES POPULAIRES
et un jour ils prirent les armes résolument.
Il fallut en venir aux mains; le père-
plein de tristesse avait voulu dix fois ar-
rêter l'émeute sans effusion de sang, il
était désireux même de s'éloigner pour lais-
ser à son indigne fils le vain plaisir de ré-
gner, mais les principaux chefs secondaires
lui avaient forcé la main et, plus pour se
rendre à leur désir que pour le sien propre,
il se mit en devoir de combattre les insurgés-
La rencontre fut vive; les troupes du père
rompues à la discipline et aux combats eu-
rent raison des insurgés qui furent disper-
sés; le fils même fut fait prisonnier et le
conseil de guerre décida à l'unanimité qu'il
devait mourir, étant convaincu de rébellion
à main armée.
Le père ne voulut pas entendre parler de
mort; il fit amener son fils dans sa case et
commanda qu'on les laissât seuls. Là il lui
reprocha amèrement son ingratitude, lui
donna de l'or, puis le fit évader pendant la
nuit, car il craignait que la raison d'Etat,
paraissant plus puissante aux chefs secon-
daires qu'à son cœur de père, ses lieute-
nants ne l'obligeassent à sévir contre le plus
coupable des insurgés.
im. i 7
um Amadi, muni d'une somn.
ronde, se hâta de gagner les Etats limitro-
»u l'autorité de son père ne s'étendait
pas; mais dans son il tomba entre
les mains d'un parti de pillards; il fol
heureux, de s'en tirer aux prix du trésor que
son père lui avait dont) .'.icrté,
de sorte qu'il fut obligé de travailler de ses
mains et de mener l'existence dea captifs.
Sou maître l'avait mis à cultiver un lou-
gan aride; il souffrait de la faim, îi
maltraite à chaque instant et il regrettait
naturellement les beaux jours de sa jeu.
Un Paul, qui l'avait connu aux temps de sa
splendeur, vint à passer conduisant des
bœufs qu'il allait vendre dans le pays d'A-
madi Goné; connaissant sa malheureuse
condition, il se hâta d'apprendre au père
que son tils était réduit en esclavage.
Amadi Goné en fut au désespoir; il ra-
B à la hâte tout l'argent de son trésor et
part incognito pour délivrer son fils. Il le
rachète en effet à son maître; puis une fois
qu'il fut en possession de sa liberté, il la lui
rendit, lui donna beaucoup d'argent en lui
disant : Vis heureux et fais demander ton
pardon de manière à ce que l'on discute la
S CONTES POPUl.AlKfcS
question d'une manière officielle dans ras-
semblée des chefs. Je me hâterai de pronon-
cer ta grâce, de telle sorte, que tu pourras
rentrer sans crainte au pays et reprendre ta
position auprès de moi.
Mais cela ne faisait pas l'affaire du fils dé-
naturé; il laissa partir son père et se hâta
d'aller voir un marabout qui connaissait
l'avenir, lui demandant s'il avait quelques
chances de monter bientôt sur le trône
qu'il enviait. Le marabout consulta maints
présages et il lui dit : Si tu peux avoir une
armée de Bambaras, tu remporteras la vic-
toire.
Biroum Amadi se mit en route pour le
pays des Bambaras; il vit le roi de ces hom-
mes et fit marché avec lui pour avoir de
bonne troupes. L'argent que lui avait donné
son père servit à payer les premières dépen-
ses et aussitôt il marcha à fortes journées
vers son pays.
Cette fois la victoire lui fut favorable ;
tous les chefs de son père furent tués ;
Amadi Goné lui-même fut obligé de fuir
vers le Baol et le Saloum même. Comme il
avait toujours été bon et juste, les habitants
de cette contrée le laissèrent s'établir dans
M i a m:n£gÀMBII£
un village où il comptait vivre en paix,
loin du bruit, avec quelques serviteurs, du
produit d4 son travail d'agriculture.
Mail If fils dénaturé envoya contre lui
des hommes de confiance qui s'emparèrent
du vieillard inofiensif, lui coupèrent le cou
et en rapportèrent la tête qu'il se plut à
bien examiner pour être sur que désormais il
n'aurait plus à craindre de voir son père
réclamer son droit au gouvernement de la
cont:
Tout cela prouve que le père aime son
fils jusqu'à la faiblesse tandis que le fils dé-
tecte son père jusqu'au crime.
i v
p((
11
DE DK COTHI BAR MA
Cothi Bah m a, le philosophe ouolofqui
vivait à une époque que personne ne
peut déterminer, dans un pays qu'on ne dé-
ligne pas d'une manière précise, et qui, par
conséquent, est probablement un être de
raison comme la plupart des héros des lé-
gendes, disait souvent : — « Suivez les con-
seils de trois personnes :
Le [-
La mère ;
Le fils aine.
ihez pas les conseils des trois autres :
La femme ;
L'escla\
Le griot.
Il CONTES POPULAIRES
Cothi disait : — « On a parfois un ami,
on n'en a jamais plusieurs; » et il donnait
pour exemple la légende de Mafal, qui pas-
sait pour avoir d'innombrables amis, et qui,
pour les éprouver, alla un soir frapper suc-
cessivement à la porte de chacun d'eux et
leur dit : je viens de tuer le fils du roi.
Chacun le repoussa avec horreur et l'aban-
donna, excepté un qui lui répondit : fuyons
ensemble, je t'aiderai à te sauver, et qui
abandonna sa jeune femme pour se mettre
en route aussitôt.
Cothi ayant eu un enfant, lui laissa croître
quatre touffes de cheveux, au lieu de lui
raser la tête comme cela se fait d'habitude
chez les Ouolofs, et il disait à qui voulait
l'entendre : — « Chacune de ces touffes re-
présente une vérité connue de moi seul et
de ma femme. »
Le Daniel, son ami, avec qui il était au
mieux, et auquel il avait rendu de grands
services, lui demandait souvent quelles
étaient ces vérités, mais Cothi restait muet.
Le Damel eut alors recours à un subter-
fuge; il fit venir la femme du philosophe et
parvint à lui faire dévoiler son secret.
En effet, cette femme lui dit : mon mari
prétend que la première touffe lignifia
roi n'est ni un protecteur ni un ami.
econde signifie : Un enfant du pre-
mier lit n'est pas un fils, c'est une guerre
intestine.
La troisième : Il faut aimer sa femme,
mais ne pas lui dire son secret.
luatrième : Un vieillard est nécessaire
dans un p
I.e Daniel lut trèl irrité contre Cothi de
la première citation et ordonna qu'il fut
arrête et conduit au supplice.
quand les t^ens du pays virent le phi-
losophe prisonnier, un des vieillards des
plus influents alla trouver le Damel et rit
tant qu'il obtint fti m souvenir de
longs et bons servi.
Cette grâce n'arriva ce-pendant pas assez
tôt pour empêcher Cothi d'arriver au lieu
où il devait être décapité, et déjà un Hls que
sa femme avait eu d'un premier lit avait
obtenu de l'exécuteur l'autorisation de le
dépouiller de ses vêtements, disant qu'ils
devaient lui revenir en héritage, et qu'il ne
voulait pas les avoir tachés de sang.
Le grâce accordée, le Damel voulut faire
des reproches publics à Cothi qui, apprenant
14 CONTAS POPULAIRES DE i.a senégami
ses griefs, lui dit : — « Eh bien! c'est moi
qui ai raison en tous points, et la preuve
qu'un roi n'est ni un ami ni un protecteur,
c'est que sur un simple moment d'humeur
vous m'avez condamné à mort.
La preuve qu'un mari ne doit pas confier
son secret à sa femme c'est que la mienne
m'a trahi auprès de vous.
La preuve qu'un enfant du premier lit
n'est pas un fils mais une guerre intestine,
c'est qu'au lieu de me pleurer, mon fils m'a
fait dépouiller de mes habits pour les avoir
sans taches.
Enfin la preuve qu'un vieillard est néces-
saire dans un pays, c'est que vous avez ac-
cordé ma grâce à un vieillard quand vous
l'aviez refusée a tant d'autres solliciteurs.
m
\ \MIS BROUILLKS PAR UNE MAÎTRESSE
Ure du nom de Cathi aimait à
■e l'aire adorer par plusieurs jeunes gens
à la fuis, et distribuait tour à tour ses laveurs
à l'un et à l'autre, se plaisant toujours à
exciter la jalousie entre ses divers adorateurs.
|jur, elle donna rendez-vous pour la
luit suivante à deux pêcheurs qui étaient
itimement lies d'amitié depuis longtemps
qui l'aimaient chacun avec autant de
ission qu'ils avaient d'amitié l'un pour
autre.
Biram, l'un des deux, arrive le premier,
couche sans savoir que Amadou-li, son
ii, avait aussi un rendez-vous; et après
noir folâtré avec Cathi, il se laissa aller au
lu CONTES rOPULAlKES
sommeil. L'exemple est contagieux, et voilà
que Cathi s'endort elle aussi.
Amadou-li arrive au milieu de la nuit, et
voyant les deux amants endormis il est pris
d'une fureur très grande contre eux. Il ne
sait quel supplice inventer pour assouvir sa
colère, et tirant le couteau que Biram avait
à sa ceinture il poignarde Cathi qui meurt
sans pousser un cri ni faire un mouvement.
Retirant alors l'arme du sein de la jeune
fille, il la met dans la main de son rival en-
dormi, et se retire sans être vu par personne.
Le lendemain matin on découvre la mort
de Cathi, et Biram trouvé endormi à ses
côtés, son propre couteau sanglant à la main,
ne put invoquer un alibi, fut condamné à
mort sans aucune hésitation.
La sentence ne devait être exécutée que le
lendemain, et Biram voulait aller dire adieu
à sa mère avant de mourir, aussi demanda-
t-il, comme dernière faveur, un jour de
liberté.
On faisait naturellement de grandes diffi-
cultés pour obtempérer à sa requête, et lui,
ne se doutant pas que sa triste situation
était le résultat de l'animadvcrsion de celui
qu'il croyait être son meilleur ami, dit à ses
M. : MBIE 17
jugea : — " Amadou-li va me servir de
lion, il prendra ma place dans la prison et
se portera garant de DU j'en suis
certain. »
Amadou-li, qui avait plus d'un remords
déjà, accepte volontiers, et voilà que Biram
• libre pendant quelques heures. Mais au
moment Ixé pour l'exécution il n'est pas
encore de retour, retenu qu'il a été plus
qu'il ne le croyait par la longueur de la
I'oute à parcourir.
On s'apprêtait à tuer Amadou-li qui, lui-
îeme, ne s estimait pas trop malheureux,
ourreié qu'il était par les remords 1 .
îauvaise conduite vis à vis de son ami,
quand Biram accourt en toute hâte.
11 veut reprendre sa place, mais Amadou-li
ne veut pas la lui céder. Il y a entre les «.:
amis une lutte ditlicile à comprendre, et le
boureau ne savait lequel frapper.
Tout à coup Amadou-li dit aux juges :
— « C'est moi qui dois mourir et non Biram.
Iarce que je suis le vrai et le seul coupable. »
it il raconte les détails de sa vengeance qui
produit la mort de Cathi et la condamna-
on de son ami.
jS C0N7ES POPULAIRES Dl (.A SÉNÉGAMB1K
ils ne savent quelle décision prendre, quand
un vieux marabout leur dit : il faut faire
grâce à tous les deux.
« Biram est, en effet, innocent, leur dit-il,
et par conséquent hors de cause. Amadou-
li vient de racheter son forfait par sa belle
conduite; et, d'ailleurs, Cathi était, en dé-
finitive, la première et la plus grande cou-
pable. Or, elle a été punie comme elle le
méritait; et il ne faut pas que sa mauvaise
conduite fasse tuer un innocent, ou un cou-
pable qui s'est repenti déjà d'une manière
si loyale et si parfaite. »
L'avis du marabout fut suivi, et les deux
jeunes hommes furent remis en liberté.
xU xtt xtl xU itj xii xii iti »ti i?j xU »*j i'i
«4 -t i4 *"• -» -» -» -» -» i. *>. -
r^> rç» f|t rj» rç* *j\ r^t r^t rç» i+» »,i rji >,«
I\
LKS DKUX AMIS PEL'LS
Deux garçoni Peuli du Fouta-Djalor.
dans le mime village et habitant deux
cases voisines, étaient unis par la plus grande
amitié; ils jouaient dans leur enfan<
. >te. gardèrent le même
troupeau une fois devenus adolescent
un mot, donnèrent le spectacle de la plus
étroite liaison.
Un jour, un des deux s'éprit d'amour pour
une jeune tille du villas, chercha en
mariage et l'épousa.
Cet événement) bien fait pour rompre
l'intimité des deux amis, ou du moins pour
la relâcher sensiblement, n'eut cependant
pis ce fâcheux résultat. Les deux jeunes
i"
20 CONTES POPULAIRES
hommes restèrent aussi étroitement unis;
le célibataire se bâtit une case qui touchait
h celle du jeune ménage, et où ils étaient
trois au lieu de deux à passer la plupart des
heures de leur vie ensemble.
L'ami avait toujours respecté la femme de
son camarade; il n'avait jamais eu une
pensée inavouable à son égard, quand un
jour par hasard, et sans qu'il l'eût cherchée,
il eut l'occasion de voir, à travers une fente
de la tapade qui séparait les deux cases, la
jeune femme faire ses ablutions, dans un
état de nudité qu'elle ne cherchait pas à
dissimuler, se croyant seule et à l'abri de
tout regard indiscret.
Ce spectacle alluma dansles sens du jeune
homme une flamme irrésistible; des désirs
coupables assaillirent son esprit et son cœur,
mais la force de son amitié les comprima et
la jeune femme ne sut jamais qu'elle avait
inspiré une telle passion.
Mais, malgré l'énergie de l'amitié qui com-
battait la convoitise, l'amour qu'épi ouvait
le jeune homme ne put être vaincu ; il tomba
bientôt dans un état de tristesse maladive,
dépérit et finit par être si malade que son ami
en fut très inquiet.
Dt I MBIK
Tous les marabouts, toutes les mati
tous les étrangers turent consultes pour ra-
mener la saute du pauvre amoureux. Per-
sonne ne connaissant son secret ne put con-
seiller le remède efficace et 1a raort menaçait
de survenir prochainement
-ir son ami dépérir ainsi de-
jour en jour, le |eune marie se confondait
en conjectures, demandait au malade ce
qu'il pourrait faire pour lui rendre la santé,
protestant qu'il se tuerait si la mort lui ra-
vissait sa plus chère atlection. Il fut si pres-
sant un jour que l'amoureux lui con:.
douloureux secret.
Ce fut pour le mari un coup terrible, car
il aimait passionnément sa femme; il lutta
péniblement contre deux sentiments t
ment vifs.
Enfin l'amitié l'emporta, et. après un com-
bat et des résistances dont le conteur peut,
à son gré, détailler plus ou moins les péri-
péties quand il tient son auditoire sous le
charme de la parole, mais que nous pouvons
ar ici, il fut convenu que la nuit d'a-
près, le mari se lèverait sous le pr.
d'aller entretenir le feu qui brûlait dans la
cour et qui avait servi au repas du soir.
11 CONTES l'Ol'Ul MUES
L'ami devait entrer alors dans la case,
tandis que le mari resterait au dehors, et la
jeune femme, ignorant le subterfuge, devait
servir à assouvir la passion de l'amant sans
se douter de la substitution.
Ce qui fut dit fut fait, en partie au moins.
Le mari céda la place à l'amoureux qui vint
auprès de la jeune femme.
Mais, au moment de commettre un crime
rendu d'autant plus facile que l'obscurité
avait trompé la victime ; que le principal in-
téressé était de connivence avec le malfaiteur ;
et aussi, ajoutons-le, que la jeune femme,
éveillée par le bruit, sollicitait les désirs de
celui qu'elle croyait être son mari, l'amitié
redevint plus forte que la passion déshon-
nête.
L'amoureux s'échappa donc en toute hâte,
au grand étonnementde la femme qui, igno-
rant la fraude, était, à bon droit, étonnée de
cette retraite inopinée. Cette retraite fut si
rapide que grâce à l'obscurité la jeune femme
ne soupçonna pas le forfait que sa conscience
se serait reprochée toute la vie.
Quand l'amoureux fut sorti, le mari
rentra, dit l'histoire, et, comme il avait
grandement souffert de céder sa place tem-
DE i I MBIE
porairement à son ami, il se mit en devoir
de prendre sa revanche.
> la jeune femme, qui s'était
e ce que ses avances venaient d'être
renom ette fois en lui di
A chacun son tour; il y a un instant
moi qui demandais et vous refusu.
moi tranquille maintenant.
L'infortune mari entendit M un
grand bonheur, ayant ainsi la preuve absolue
que la continence de son ami avait éU
hauteur de l'immense M .ni'il avait
fait lui-même à l'amitié.
L'épreuve tentée eut un résultat favorable
sur le jeune amoureux qui, guéri inconti-
nent de la passion qu'il avait ressentie pour
la femme de son ami, se hâta d'épouser une
autre jeune tille. Et, au lieu d'une liaison
intime à trois, on vit désormais dans le vil-
leux ménages extrêmement unis par
les liens de l'amitié, sans que la vertu eût à
souffrir de part et d'autre.
Cette légende où l'amour est médecin et
où l'amitié fut si invraisemblablement géné-
reuse des deux côtés, rappelle celle de Stra-
tonice, fille de Demétrius Poliocerte, qui
avait été épousée, vers 290 ans avant Jésus-
•24 CONTES POPULAIRES
Christ, par Séleucus Nicanor, un des géné-
raux d'A'exandre, devenu roi de Syrie.
On sait que les attraits charmants de Stra-
tonice inspirèrent au fils de ce prince une
vive passion, qui, étant comprimée au fond
du cœur de l'amoureux et cachée à tout le
monde, mit celui qui fut plus tard roi de
Syrie, sous le nom d'Antiochus Soter â la
porte du tombeau.
On raconte qu'Erasistrate, son médecin,
devina la cause d'une maladie que tout le
monde cherchait en vain et que Séleucus
Nicanor, aimant plus son fils que sa nou-
velle femme, renonça en sa faveur à ses
droits de mari.
Je ferai remarquer cependant qu'il y a de
grandes divergences entre les deux légendes,
puisque le jeune Antiochus Soter fut plus
égoïste que l'ami de notre Peul.
On peut même dire que le sentiment qui
a inspiré le récit africain est plus élevé que
celui de l'anecdote Syrienne, de sorte, qu'en-
tre les deux, c'est à l'imagination Foulane
qu'échoit la meilleure place.
Cette légende des Peuls est-elle un reflet,
une réminiscence, une variante de l'autre, il
ne m'est pas possible de le décider; il serait
DE I I MBIE
même tout à bit téméraire, je crois, de se
prononcer pour ou contre leur parc:
a moins, dérivée d'elle ou parallèle,
elle n'en prouve pas moins la supériorité
intellectuelle des individus que nouséludions
actuellement.
Elle est biea laite, à mon avis, pour mon-
trer la distance intellectuelle con*idcrable
qui sépare le l'eul de la plupai t
proprement dits. Car le Ouolot lui-même,
qui est un des plus élevés parmi les uU -
niens, ne la comprend pas, le plus sou\.
trouvant que le sacrifice du mari est aussi
léger que le scrupule de l'amoureux ridicule.
Dans la plupart des pays littoraux lk
frique tropicale, où l'homm il bestia-
lement son appétit charnel, sans attache
l'amour la délicatesse et l'élévation que nous
lui prêtons dans la ru ique, on ne
trouve, en général, rien qui approche de cet
ordre d'idées que nous voyons dans l'ima-
gination de Peul. Ce n'est que chez les peu-
plades les plus élevées sous le rapport de
l'intelligence que . e actuelle a qui-
ttances d'être comprise.
ï?*;a y ■
BALLADI KASSONKAISK DE DlUDt
Les Kassonkés qui habitent le haut
negaly aux environs de Médine, pos-
sèdent, dans leur littérature, une ballade que
ne désavoueraient pas les peuples les plus
policés et les plus délicats en poésie : c'est la
ballade de Diudi.
Homme on va le voir; c'est un humble
guerrier qui aime et qui est aimé d'une prin-
cesse. C'est un simple soldat dont l'amour
fait un grand capitaine. Qui, après la vic-
toire, demande la main de celle qu il aime,
It qui meurt de désespoir quand il apprend
ue celle qu'il aimait est morte.
Cette ballade de Diudi est le chant de guerre
utant que le chant d'amour des Kassonkés:
28 CONTES l'OI'Ul.AIRES
ce qui me porte à penser que peut-être la
majorité de la peuplade ne sent pas, d'une
manière bien exacte, maints détails de ce
qu'elle dit. Mais, néanmoins, le fait seul de
s'être répandue ainsi, au point de devenir
presque un chant national, est un indice en
faveur de la supériorité intellectuelle de ces
Kassonkés.
Que l'idée ait germé dans le cerveau d'un
des poètes du pays ou bien quelle ait été
apportée soit par les Peuls, soit par les Mau-
res dans la contrée, toujours est-il qu'elle a
trouvé che^ les Kassonkés un terrain favora-
ble à la conservation. Che\ les Sérères, peut-
être même che^ les Ouolofs. elle aurait couru
grand risque de tomber bien vite dans l'oubli
et de disparaître, faute d'avoir été comprise;
c'est-à-dire faute d'avoir fait vibrer une fibre
dans le cœur ou dans l'esprit de la multitude.
Jeunes filles, dont le regard sait si bien
faire battre le cœur des hommes les plus
froids. Vous qui pouvez d'un coup d'oeil
faire plus de mal que le fusil chargé jusqu'à
39
la gueule, et plus de plaisir que la vue du
fleuve, après une longue marche d..
< itez l'histoire >.ie Diudi qui
e>t morte d'amour.
Guerriers, qui faites trembler l'ennemi et
qui vous précipitez sur lui avec 1 impétuosité
du fleuve iprés le premier orage. —
dont la valeur détend les jetU de la
servitude et des brutalités des envahisseurs
du p.i :outes l'histoire de Sége qui
est mort d'amour.
,ii était un grand roi qui commandait
à tout le Bakounou. — Son nom était \e-
per les habitants de cent villages, et
faisait l'effroi de >.es ennemis, parce qu'il
avait un grand nombre de vaillants guerriers
dont la bravoure était irrésistible.
Le tatl de Bakari était une grande forte*
dens laquelle il avait un grand nombre
ives; des armes, des tissus, des vivres,
et de l'or en quantité. — Car Bakan
le chef le plus puissant de la con:
Bakari possédait toutes les richesses, mais
ce qu'il avait de plus précieux c'était sa fille :
la belle Diudi.
Guerrier ! — toi qui n'as jamais tremblé
devant la sagaie de ton ennemi, tu aurais
3o CONTES POPULAIRES
tremblé devant l'œil de Diudi. — Tu aurais
suivi son regard en tremblant. — Tu aurais
e'té le plus heureux des hommes si elle t'avait
souri. — Tu aurais voulu mourir si elle t'a-
vait dédaigné.
C'est qu'elle était belle, Diudi. Toutes les
filles de son village étaient belles, mais quand
Diudi apparaissait personne ne les voyait
plus. On ne regarde plus les étoiles quand
le soleil s*est levé.
Tous les jeunes gens du pays, et même de
très loin à la ronde, étaient épris de Diudi.
— Chacun aurait voulu son amour. — Mais
Diudi est sévère; elle n'aimera que le plus
beau, le plus brave et le plus aimant.
Allons, jeunes guerriers! quel est celui de
vous qui sera aimé de Diudi?
Diudi est belle comme le soleil levant.
— Diudi est agile comme la gazelle. — Diudi
a un regard qui fait perdre la mémoire et
qui fait trembler l'homme le plus résolu.
Quand Diudi chante chacun est dans le
ravissement. Si Diudi parle tous les jeunes
gens se taisent et ne savent plus parler. —
Allons, jeunes guerriers, qui de vous sera
aimé de Diudi?
C'est Séga que Diudi aime ; elle qui fait
i<k i | mit ji
trembler d'émotion tous les jeunes gens, clic
est émue quand elle le rencontre. — El
qui est le plus beau, le plus brave, le plus
aimant des guerriers s'attache a ses j
Sans que M voix lui dise rien ses yeux lui
disent des choses qui les plongent tous deux
dtOI l'extase.
Sega aime Diudi, Diudi aime Sega. —
Guerriers perdez l'espérance. — Diudi sera
i Diudi. — Pendant la
I k >i pendant la mort.
Diudi aime Sega. — Séga aime Diudi. —
Ils ne se sont jamais parlé, mais ils se sont
vus une fuis et ils savent tout ce qu'ils ont
d'amour réciproque.
Personne ne les a vus, personne ne sait
qu'ils se connaissent et pourtant Séga passe
de longues heures auprès de Diudi.
Diudi aime Sega. — Séga aime Diudi.
L'amour sait réunir les amants en même
temps qu'il aveugle et rend sourds ceux qui
gardent les jeunes tilles.
t aime Diudi, la fille du roi. —
lui est pauvre, il est de naissance obscure,
il ne pourra pas prétendl on époux,
Qu'importe ! Sega et Diudi n'ont pas songé
à cela pour s'aimer. — Leur amour est né
32 CONTES POPULAIRES
sans qu'ils le sachent. — Ils ne l'ont connu
que lorsqu'il était immense et les dominait
entièrement.
Les amants ne songent pas à l'avenir, ils
s'aiment et voilà tout. Quand ils sont en-
semble ils ne désirent plus rien; tout le
restant du monde leur est indifférent.
Séga aime Diudi. — Diudi aime Séga.
Ils se voient chaque nuit. — Ils sont heu-
reux. Personne ne connaît leur liaison ; rien
n'entrave leur passion; ils ne songent pas à
l'avenir.
Mais hélas! hélas! le bonheur n'a qu'un
jour, le malheur dure toute la vie.
Pleure Diudi. — Pleure Séga. — Voilà le
malheur qui va fondre sur vous. — Votre
amour est si grand qu'il vous fera mourir.
La guerre est déclarée ; l'ennemi avance,
brûlant les villages, tuant les hommes, em-
portant les femmes en esclavage, — enlevant
les récoltes et les troupeaux. Les vautours
les suivent parce qu'ils ont à manger abon-
damment partout où ils passent.
Les Bambaras envahissent le pays. — Ba-
kary prends garde! la mort est proche si tu
ne sais te défendre.
Les Bambaras sont cruels. Ils tuent les
UK I WIB1E 33
guerriers. — Ils réduisent les enfant en es-
clavage. — Us violentent les femme —
Prends garde Bakary !
iry fait battre le tam-tam de guerre.
— Accourez jeunes guerriers. — De tous les
. ous arrivez avec empressement, vous
a\e/ vus grigris qui vous rendent invulnéra-
bles. — Vo os fusils charges jusqu'à
la gueule. Vous avez de la poudre en grande
abondance.
>urez jeunes guerriers il faut défendre
le pays. — Prenez y garde!
Les Bambaras violentent les jeunes filles,
BltU VOUS, qui êtes plus braves que les Bam-
. vous saurei leur prendre leurs femmes
et leur filles.
Bambarrai son riches, mais vous leur
prendrez leurs troupeaux, leurs armes et
leur or.
Les guerriers accourent et le premier de
tous est Sega. — Ségi n'est pas inconnaissa-
ble. — 11 était doux, suppliant tremblant
d'émotion devant Diudi. Mais quand il
aimes à la main il est terrible.
i est un simple est obscur guerrier
pour l'extraction ; mais il est si fort, il est
si brave, il est si hardi que bientôt il est le
34 CONTES l'OIMJl.AlKES
chef. — Il entraîne ses amis au combat. —
C'est le plus brave; c'est le plus hardi. —
Ses amis le suivent et lui obéissent. — Sega
est un grand chef.
Diudi pleure, Diudi tremble pour les jours
de Séga, elle se désole et cependant cherche
à cacher sa douleur. Mais Bakary s'aperçoit
que Diudi est triste. Dis-moi, Diudi, quelles
sont tes douleurs. Mais Diudi reste muette.
— Diudi ne dira à personne qu'elle aime
Séga.
Le temps s'écoule ; la guerre dure et Diudi
se désole. — Elle tremble pour la vie de
Séga, mais voilà que d'autres douleurs vont
l'assaillir.
Diudi, mets ton bracelet à la cheville. —
Diudi, tu seras mère bientôt.
Diudi, tu as un enfant qui ressemblera à
Séga. — Prends garde, Diudi ! ton père le
roi Bakary est courroucé. Bakary veut sa-
voir quel est le téméraire qui a osé t'appro-
cher.
Il mourra ce téméraire! La fille du roi ne
peut être aimée que par un roi. — Celui qui
l'a séduite doit mourir.
Diudi, dis-moi, je te l'ordonne, quel est le
ravisseur de ton cœur, je te jure qu'il mourra.
— Je saurai l'atteindre partout — Il .
honoré ma fille, il mourra.
Diudi, «-lis-moi >un nom, dis-moi qui est
cet homme.
Mon père, celui que beau
comme le soleil. — Il etl bra\e comme le
lion —H comme un vieillard. —
Mais je ne vous dirai pas son nom. — Il ne
doit pas mourir; il doit être votre tils aime,
en attendant d'être votre successeur.
Diudi, tu me diras son nom, je saurai t'y
— Je reui le taire mourir. — On va
l'enfermer; tu souffriras toutes les douleurs.
— Je te priverai de nourriture. —
supporter toutes les tortures pour te forcer
à me dire son nom, car je veux faire mou-
rir celui qui a deshonore ma tille.
Diudi, dis-moi le nom de ton séduc-
teur.
Mon père, celui que )'aime est beau
comme le soleil. Il est brave comme le lion.
Il est sage comme un vieillard. — Mais je
ne vous dirai pas son nom. — Il ne doit pas
mourir il doit être votre tils aimé en atten-
dant d'être votre successeur.
Diudi, tu me diras son nom ; je saurai t'y
forcer. Je te ferai mourir de privations
3*
36 CONTES POPULAIRES
tortures si tu ne me le de'signes pas pour
que je le fasse mourir.
Mais Diudi ne dira pas son nom. — Diudi
répète chaque jour : Mon amant est beau
comme le soleil, brave comme le lion, sage
comme un vieillard.
Diudi souffre de la, faim. — Diudi est en-
fermée dans un lieu obscur. — Diudi se dé-
sespère. — Diudi est morte en répétant :
Mon amant est beau comme le soleil, brave
comme un lion, sage comme un vieillard.
Mais Diudi n'a pas révélé le nom de celui
qu'elle aime.
Séga fait des prodiges de valeur. — Les
Bambaras reculent; et il les poursuit avec
ardeur.
Séga est un grand chef c'est lui qui com-
mande à tous. — Il est brave de sa personne.
Il est prudent dans le conseil. — Il surprend
toujours l'ennemi, et ne se laisse jamais sur-
prendre.
C'est Séga qui a vaincu les Bambaras. —
Séga est un grand chef.
La guerre est finie ; les guerriers revien-
nent au pays chargés de butin. — Tout le
monde acclame Séga. — Séga est un grand
chef.
M I MBIl 3/
iry félicite Séga, c'est Sega qui i vaincu
iri est dans la joie, il embrasse S
Dis-moi lu ier que veux-tu pour ta
récompense. — Tu es un grand chef. — Tu
es mon e*£ftl. — Dis-moi ce que tu désires;
je te jure que je te rai
Grand roi, j'aime quelqu'un que je ne
vois pas ici. Grand roi je suis prêt à retour-
ner an combat s'il faut tuer d'autres ennemis,
courir de nouveaux dangers remporter en-
core des victoires pour ta grandeur.
Grand roi, si tu veux me rendre heureux,
donne-moi Diudi en mari
Diudi que j'aime et qui e>l la plus belle,
la plus douce, la plus aimante des tilles. —
Grand roi, j'aime Diudi.
Hélas! Hélasl Diudi est morte. — Elle est
morte d'amour sans vouloir révéler le nom
de celui qu'elle aimait; de celui qui est beau
comme le soleil, brave comme le lion,
comme un vieillard.
i ! Diudi est morte, morte d'amour
pendant que tu combattais les Bambaras,
pendant que tu te couvrais de gloire, que tu
remportais la victoire. — Diudi est morte
d'amour.
38 CONTES POPU;. AIRES DE LA SENEGAMlilE
Séga se désole. — Se'ga s'est évanoui
comme une femme en apprenant la funeste
nouvelle. — Séga ne veut plus rien, il ne
demande plus rien, il ne songe plus à rien
qu'à Diudi. — Il jette ses armes, son butin
reste sourd à toutes les félicitations; il n'en-
tend plus les cris de joie. — Il court sur la
tombe de sa bien-aimée ; et il y meurt de
douleur en appelant Diudi, sa chère Diudi
qui est morte d'amour.
Jeunes filles dont le regard sait si bien
faire battre le cœur des hommes les plus
froids. —Vous qui pouvez d'un coup d'œil,
faire plus de mal que le fusil chargé jusqu'à
la gueule ; et plus de plaisir que la vue du
fleuve après une longue marche dans le dé-
sert. — Ecoutez l'histoire de Diudi qui est
morte d'amour.
Guerriers qui faite trembler l'ennemi et
qui vous précipitez sur lui avec l'impétuo-
sité du fleuve après le premier orage. — Vous
dont la valeur défend les jeunes filles de la
servitude et de la brutalité des envahisseurs
du pays. — Ecoutez l'histoire de Séga qui
est mort d'amour.
VI
BALLADE T0UC0U1.0UE DK SAMBA- KOI' L
Il parti Samba!
Samba était dfl race noble, il descendait
M Koli Satignv qui était un saint homme
en même temps qu'un grand guerrier et qui
ait, à ^ause de sa ferveur religieuse,
un talisman précieux qui le rendait invul-
nérable. Ce talisman lui permettait de pren-
dre toutes les formes d'animaux possibles
pour surveiller les agissements de ses enne-
mis, et le rendait invisible à son adversaire
dans les moments dangereux.
Il est parti Samba !
Samba était noble et généreux il avait
toutes les qualités pour régner; mais son
père mourut pendant qu'il était enfant et
40 CONTES l'Ol'UI.Al.. ES
son oncle Abou Moussa lui ravit le com-
mandement, Abou Moussa cherche même a
le faire périr. Mais Samba s'e'chappe et
marche jour et nuit pour se soustraire à ses
embûches. — Tout le monde l'a aban-
donné, les partisans de son père sont décou-
ragés, il n'a plus à sa suite que son griot et
son chien qui lui sont restés fidèles.
Il est parti Samba !
Samba arrive chez le Tunka de Ouandé,
dans le Fouta Damga; il se fait reconnaître
et il est comblé de fêtes. Mais son oncle est
puissant et le Tunka est faible, de sorte qu'il
ne peut recevoir aucun secours d'hommes
pour faire la guerre. Il confie au Tunka sa
mère et ses sœurs qu'il a sauvés de l'ani-
madversion de son oncle.
Il est parti Samba !
Samba ne se laisse pas décourager par
l'adversité. Ne trouvant pas d'appui pour sa
vengeance chez le Tunka de Ouandé il tra-
verse le fleuve et va trouver El Kébir le
grand chef des maures qui a mille guerriers
toujours prêts à se battre. El Kébir est dans
son camp entouré de ses femmes, de ses
troupeaux et de ses chameaux.
Il est parti Samba !
M I 4BIB 41
Je suis Samba, lui dit-il, donne-moi une
armée pour aller combattra mon oncle et
ir le pouvoir qu'il m'a dérobé. Tu au-
ras défendu la justice en donnant aide au
faible contre l'oppresseur, et tout le monde
dira que tu es un grand cbef, sage bra\
équitable.
Il est parti Samba!
I Kébir lui dit sois le bienvenu; il lui
donne l'hospitalité mais il ne veut pas tenter
la lutte contre Abou Moussa qui est puissant ;
et Samba veut cependant se v< mba
mange le couscous del'hospitalité, mais l'eau
du désert est infect* Samba
dit à la captive du roi donne-moi de l'eau
douce et fraîche comme celle de mon
II est parti Samba I
Je ie voudrais bien, lui répond la captive,
mais je ne pourrais t'en donner qu'au prix
de ma mort, car ia source d'eau douce |
la possession du lion M Bardidalo qui la
garde jalousement et qui n'en laisse puiser
qu'a ceux qui consentent à lui donner une
jeune fille en sacrifice chaque année. 1..
pauvres captives comme moi sont bien mal-
heureuse; elle lui servent de pâture.
Il est parti Samba!
42 CON'IES l'Ol'Ul.AlUKS
Samba prend l'outre de la captive et il va
droit à la source ou se trouve M'Bardidalo.
Le monstre veut le de'vorer mais Samba est
un grand guerrier et la lutte s'engage entre
eux deux. Les rugissements du lion jettent la
terreur aux alentours. — Chacun est terrifié
pendant cette nuit noire. Seul, Samba a con-
servé son courage et il tue le lion. Il plante
sa lance dans le sable, y attache son chien et
laisse sur son ennemi mort une de ses san-
dales.
Il est parti Samba!
La nouvelle du combat terrible se répand
dans le camp Tout le monde veut aller voir
le monstre abattu et les jeunes filles sont ra-
dieuses de la défaite de leur ennemi. — El
Kébir dit : « que celui qui a remporté la vic-
toire se fasse connaître pour qu'on l'ad-
mire. » — Le griot de Samba lui répond :
« Celui qui a tué le lion est celui qui saura
détacher le chien, brandir la lance et chaus-
ser la sandale. »
Il est parti Samba !
Tous les guerriers d'El Kébir viennent
tour à tour pleins d'ardeur et de confiance
pour détacher le chien mais le fidèle animal
leur montre les dents avec fureur. — Per-
M I 4J
sonne ne peut, non p-lus. arracher la lance qui
reste plantée dans le sable comme un arbre
inébranlable. Personne ne peut chausser lu
sandale. Quel est donc le guerrier redouta-
ble qui a vaincu le lion? aucun d'eux ne
peut dire « c'est moi. »
Il est parti Samba!
Samba s'approche le dernier, le chien le
nble de caresses, se laisse détacher par
lui. Samba brandit la lance que personne
n'avait pu arracher du sol. Samba met la
sandale qui est semblable à celle qu'il a à
l'autre pied. — Tout le monde est rempli de
joie. — Les jeunes tilles le bénissent El
■ ir lui dit : « Tu es un grand guerrier. •
Il est parti Samba!
El Kébtr est ravi et dit à Samba, ma fille
et mes richesses t'appartiennent désormais.
Mais Samba n'a qu'une pensée c'est de se
de son oncle, et il repond : donne-
moi ure armée. — El Kébir hésite encore;
il ne la donnera que si Samba lui rend
d'autres services. Le roi des Peuls a des
Keuls blancs que jamais personne n'a pu
surprendre, il faut que Samba les en:,
pour les lui donner.
Il est parti Samba!
44 CONTES POI'UI-AIKES
Samba n'est pas un voleur il attaque les
hommes comme les lions en les regardant
en face. Les maures qui sont lâches, détour-
nent par la ruse quelques misérables
bœufs. Mais Samba le descendant de Koli
Satigny, se bat corps à corps et en plein
soleil contre ses ennemis. Il monte sur un
cheval fringant au son du tam-tam de guerre
et des chants des griots. Il fait dire au roi
du Peuls. a Je vais te faire la guerre, dé-
fends-toi. »
Il est parti Samba!
Le combat est terrible, Samba est victo-
rieux. Biram Gourour le roi des Peuls noirs
est son prisonnier ; ses richesses, ses trou-
peaux sont à la merci de Samba. Mais le
vainqueur est aussi généreux après la vic-
toire qu'il est brave pendant le combat. Il
ne prend que la moitié des bœufs blancs
des Peuls et il rend à Biram ses richesses,
empêchant que les maures qui n'ont pas
combattu lui dérobent quoi que ce soit.
Il est parti Samba !
Les pillards maures qui étaient partis
pour voler après la bataille , rentrent les
mains vides et crient à la trahison. El Ké-
bir qui est insatiable, n'est pas content d'à-
IiK I.A SKSÉGAMBIE 4?
voir seulement la moitié des bœufs blancs,
quand il pourrait avoir le troupeau tout
entier, et il dit mort à Samba, qui est un
mitre, Sa tète roulera sur le sable et son
corps servira Je pâture aux vautours .
les du désert.
11 est parti Samba!
filles d'EI Kébir ne veulent pas que
celui qui lésa délivrées du lion M'Bardidalo
les sautent sur 1< , x du
camp qui paissent en libei : | vont
lui dire : « Nous restons avec toi.
quitte le camps nous n'y reviendrons plus. •
I >ir de la nation part avec elles. — Si
i ne revient pas lïl Kebir n'aura plus
cendants.
11 est parti Samba!
I 1 Kebir en se voyant ainsi abandonné
spoir, il :
qu'il a t'ait contre Samba. — • Reviens, lui
dit-il. reviens avec les tilles du camp, l'es-
poir de l'avenir; reviens sans retard
ces impriui. |U| nous
donneraient tous, sans regret, pour te sui-
vre. - Reviens, je te comblerai de riches-
tu commanderas mes guerriers.
II est parti Samba!
-fb CONTES POPULAIRES
Samba qui est bon autant qu'il est géné-
reux, revient au camp et dit à El Kébir :
donne-moi une arme'e pour me venger de
mon oncle barbare et pour reconquérir mon
royaume. El Kébir ne résiste plus cette fois
fait battre enfin le tam-tam de guerre, les
guerriers se rassemblent, les voeux de ven-
geance de Samba sont écoutés.
Il est parti Samba!
Les guerriers joyeux et brûlant de com-
battre, se pressent aux côtés du brave qui
est invincible et qui a déjà donné tant de
preuves de sa valeur. Leurs armes reluisent
au soleil, les cris des femmes les accompa-
gnent; et Samba plein de joie de comman-
der une grande armée veut d'abord aller à
Guellé pour remercier le vieux Tunka des
soins qu'il a donnés à sa mère et à ses
sœurs.
Il est parti Samba !
Les guerriers sont en route, Samba
ne se sent pas de contentement; il songe à
sa mère et à ses soeurs. Une vieille men-
diante s'approche de lui et lui dit de s'ar-
rêter pour écouter sa plainte. — Samba la
repousse doucement en lui disant : laisse-
moi et j'ai hâte d'aller revoir ma mère qui
UE I UNI 4-
sera bien heureuse de savoir que je vais re-
conquérir ma souveraineté dérobée par un
oncle barbare
Il est parti Samba I
Mais la vieille lui répond : Samba ! je suis
ta mère. Pourquoi ne me reconnais-tu pas?
uis si pauvre si je suis si changé!
que le Tunka de Ouandé n'a pai
il n'a pas tenu la promesse qu il t'a
faite ; il a eu peur des menaces de ton oncle,
il nous a cha*s< eurs sont captives et
moi je manque de tout.
11 est parti Samba !
Grand 1) possible! Mère tu seras
1 lerriers passent le Aeuv<
tata de Ouandé est pris d'assaut. Le Tunka
est tué. Ses fils sont tues. — Ses tilles sont
captives. — La mère de Samba qui a été la
plus pauvre et la plus malheureuse du
est désormais la souveraine de Ouandé.
Il est parti Samba!
I ( guerriers approchent des états de l'on.
cle de Samba. — Abou Moussa l'usurpateur,
l'homme aux mauvais desseins est dans le
palais qu'il a dérobé à son maître légitime.
Il est plein d'orgueil et personne n'ose le
1er en face. Samba arrête son armée
4$ CONTfcS lOI'Ul.AlkES
sans que personne l'ait signalée à Abou-
Moussa qui voit tout à coup un chien mai-
gre apparaître devant lui.
Il est parti Samba !
Chien; dis-moi qui es-tu? — Es-tu une
simple béte ou bien es-tu un génie, hâte-toi
de disparaître de devant mes yeux ou crains
ma colère dit Abou-Moussa. — Le chien
disparaît, mais en faisant face à Samba qui
apparaît avec la figure irritée. Il lui montre
le talisman de Koli Satigny qui était en sa
possession et dit à son oncle : « Je viens
pour te punir de tes mauvaises actions. »
Il est parti Samba!
L'armée s'approche dans la nuit et prend
la ville par surprise, le combat est terrible,
les partisans d'Abou-Moussa sont nombreux,
mais les guerriers de Samba sont vaillants,
Samba, est un foudre de guerre, il tue autour
de lui tout ce qui lui résiste, il met à mort
le tyran, Abou-Moussa.
Il est parti Samba!
Samba victorieux se fait reconnaître ; on
l'acclame avec amour comme le souverain
du pays. Chacun dit : voilà le grand, voilà le
noble, voilà le roi véritable. — Samba va
régner avec bonté. Samba fera le bonheur de
,AMBIE
49
son peuple. Samba comblera ses griots de
grandes richesses pour qu'ils chantent tous
les juins et devant tous les guerriers les
hauts faits de Samba et pour qu'ils gardent
toujours le souvenir de ses prouesses.
i<*>3 Ê^W WÉ>3 £*ÎMH £<4>î WW fr** «4^7
Vil
LA ! INI K DU SINGE ET LA NAÏVETÉ DU LOUP
i j n jour le lion se promenait dans la
*-J broussaille comme un propriétaire dans
sa maison. — Il regardait à droite; — il re-
gardait ;i gauche; — il faisait deux pas en
avant; puis s'arrêtait puis marchait encore.
Voilà que le singe l'aperçoit et se moque
de lui eu le contrefaisant.
1 lion est mécontent et il lui dit :
■ reste tranquillement à te gratter et
noque pas de moi; sinon je te man-
gerai, i Mais le singe qui est malin continue
à prendre sur une branche les attitudes que
le lion a l'habitude de prendre sur la terre
et le lion entre dans une grande colère con-
tre lui.
52 COS'TF.S l'OPL'l Atlll S
En faisant ses grimaces et ses gambades le
singe perd l'e'quilibre et il tombe juste entre
les pattes du lion qui se saisit de lui et a
envie de le tuer d'un coup de dent. Mais il
lui vient à l'ide'e qu'il vaut mieux manger le
singe en compagnie de son ami; et alors il le
met dans son trou dont il ferme la porte à
l'aide d'une grosse pierre. Il part ensuite
pour aller chercher son convive.
Une fois seul et revenu de sa grande
frayeur, le singe se dit comment faire pour
m'en aller? — Il cherche à se sauver mais la
pierre est trop grosse pour être poussée au
dehors, de sorte que ses efforts sont impuis-
sants; et il se désole.
Mais voilà que le loup vient à passer et
l'entend pousser ses hurlements de désespoir.
— Le loup avait eu une querelle avec le
singe et il lui en voulait un peu, aussi il est
content de l'entendre pleurer et il lui dit ;
« singe pourquoi pleures-tu ? »
Le singe, qui est très fin, sent très bien que
s'il n'a pas la présence d'esprit de tromper
le loup il est perdu; et alors il lui répond :
« Je ne pleure pas, je chante. »
« Pourquoi chantes-tu? »
« Pour faire la digestion en attendant le
DI : . MBIE 33
lièvre qui est allé chercher encore de la
viande. Ce matin nous avons fait botni en-
semble et ce soir nous devons le faire encore.
Nous allons manger tant que nous pourrons.
Nous avons tant de \iande ici que \t
puifl plus millger; mon ventre est trop petit;
il v en I beaucoup de reste tout autour de
moi. »
Le loup qui est gourmand lui dit alors :
•ce que vous refuserez à moi votre ami
e boLiï avec \ous autres? » — • Non,
répond le sint;e, entre dans le trou du liè-
vre; il y a beaucoup à manger pour toi.
de peur que d'autres ne nous voient
jpanger, déplace la pierre qui ferme l'entrée
du trou avec précaution. w Le loup o!
au moment ou il déplace la pierre en entrant
dans le trou, le singe se glisse entre ses pat-
et se sauve tandis que le loup reste pri-
sonnier.
Le lion arrive avec son ami sur ses entre-
faites; et il dit : • Tiens ! nous voulions man-
ger le singe. Ma foi tant pis, nous mangerons
le loup. .
Or pendant que le pauvre prisonnier est
déchire en morceaux, le singe qui est re-
monté sur l'arbre fait des gambades en se
54 CONTES POPULAIRES
félicitant d'avoir trompe le lion et le loup.
C'est q'en effet, en e'chappant à la colère de
l'un il s'est délivré de l'animadversion de
l'autre.
La Fontaine, dans ses fables, a mis, on le
sait, en vers une idée tellement vois'.ne qu'on
est frappé de son analogie (livre XIQ, fa-
ble vic, le loup et le renard).
Un soir il (le renard) aperçut
La lune au fond d'un puits : l'orbiculaire image
Lui parut un ample fromage.
Deux seaux alternativement
Puisaient le liquide élément.
Notre renard pressé par une faim canine
S'accommode en celui qu'au haut de la machine
L'autre seau tenait suspendu;
Voilà l'animal descendu,
Tiré d'erreur, mais fort en peine
Et voyant sa perte prochaine;
Car comment remonter si quelque autre affamé
De la même image charmé
Et succédant à sa misère,
Par le même chemin ne le tirait d'affaire? [puits,
Deux jours s'étaient passés sans qu'aucun vint au
Dl LA SfcNt<iAMBIK 55
Le temps qui toujours marche avait pendant Jeux
Echancié, selon l'ordinaire, [nuits
istre au front d'argent la face circulaire ;
Sire renard était dcsespi
Compère loup, le gosier altéré,
1 par là ; l'autre dit : camarade,
Je \eux vous régaler : Voyez- vous cet objet:
C'est un fromage exquis Le Dieu Faune l'a fait,
La vache lo donna le lait,
Jupiter, s'il était malade,
Reprendrait l'appétit en tàtant d'un tel mets;
J'en ai mangé cette échancrure
te vous sera suffisante pâture;
iez dans un seau que j'ai mis là exprès.
13ieu qu'au moins mal qu'il pût il ajusta l'his-
Leloup lut un toi de le croire. [toire
end; et son poids emportant l'autre part,
Reguinde en haut maître renard.
Certes il y .1. j'en conviens, une différence
de mise en scène bien différente, et toute à la
faveur de notre immortel fabuliste; m.
pendant l'idée qu'il a si bien enjolivée a la
même portée que celle du conteur nègre. Et
si on fait la part des conditions des animaux,
des instruments qu'il faut mettre en action
suivant tel ou tel pays, quand on veut captiver
l'attention, on voit que la viande que promet
56 CONTES POPULAIRES DE LA SÉNÉGAMBIE
le singe au loup, est le produit du même sen-
timent qui lui fit offrir le fromage par le re-
nard.
JÊ5Ë&
. **>* . C*VX ^¥^X*V^ CW> ï***: C*¥*ï
VIII
I.i: SAGE QUI NE MENTAIT JAMAIS
Dans le pays Je Btkounou vivait jadis
un homme qui avait une grande répu-
tation de savoir et de vertu. Tout ce qu'il
■bail était marque au coin de la plus remar-
quais comme de la plus exa^'.
■té. On racontait dans les contrées envi-
ronnantes à plus de vingt journées de marche
de son habitation qu'il n'était jamais sorti de
sa bouche un mensonge, quelque petit qu'il
lut.
L'AI ma m y qui en avait entendu parler et
qui aimait fort à plaisanter, le fait appeler un
jour et lui dit : • Mamadi est-il vrai que tu
es jamais menti?
ondit le s
58 CON'IES POPULAIRES
Est-tu certain que tu ne mentiras jamais?
— J'en suis parfaitement sûr. — Eh bien !
ajouta l'Almamy, continue à dire la vérité,
mais prends garde, car souvent le mensonge,
qui est très subtil, se glisse dans la bouche
plus facilement que la vérité.
A quelques jours de là, l'Almamy fait ap-
peler, le matin à la première heure, Mamadi.
Quand le sage arriva, il trouva une foule de
curieux et de courtisans devant la demeure
du souverain qui allait partir pour la chasse.
— L'Almamy était auprès de son cheval, te-
nant une poignée de crinière à la main, un
pied déjà passé dans l'étrier. — Dès qu'il vit
Mamadi il lui cria : Va, je te prie, de suite
à ma roundé (maison de campagne) de tel
quartier, qu'il désigna ; tu y trouveras ma
femme à laquelle tu annonceras mon arrivée
pour aujourd'hui midi. Dis-lui que nous al-
lons forcer une biche et que quand nous ar-
riverons chez elle, il faut que nous trouvions
une .plantureuse calebasse de couscous. Pars
de suite et marche sans t'arrêter un seul ins-
tant. Tu attendras là-bas ma venue, et tu
mangeras avec nous.
Mamadi s'inclina et partit sans plus tarder.
— Deux minutes après, on le voyait dispa-
iei
nu
i.i. i
raître derrière les lougtni du voisinage sans
qu'il eût une leule fois tourne la tête pour
voir dans quelle direction la chasse parais-
sait devoir s'effectuer.
ine ett-U parti que l'Almamv quittant
ier et rentrant dans sa case dit en riant
s courtisans : Amis, nous ne chassons
aujourd'hui; nous resterons ici sans aller
i roundé. Ce que j'ai dit a Mamadi était
quement dans le but de le faire mentir ;
il va annoncer notre arrivée pour midi ; il
a ma femme de préparer le couscous,
et demain matin nous rirons de sa confusion,
quand nous pourrons lui démontrer, preuves
en main, qu'il n'a pas dit vrai.
Mais l'Almamv avait compte sans la dé-
fiante prudence de Mamadi; celui-ci était ar-
n effet, d'un pas delibeie a la roundé
et avait dit à la maîtresse du I I usfe-
riej peut-être bien de ne rien faire du /ou/,
Comme peut-être aussi yous/eriej tien de faire
er un couscous succulent pour l'Al-
mamy qui peut-être sera ici, à midi, aujour-
d'hui
La femme étonnée d'entendre ces paroles
dubitatives pressa Mamadi de questions, et
celui-ci lui raconta que l'Almamv, un pied
6o CONTES POPULAIRES DE LA SÉNKGAMIilE
déjà dans l'ctrier de son cheval, l'avait charge'
de la commission ; mais il laissait à chaque
mot percer un doute, si hien que la femme
impatientée lui dit : Enfin, viendra-t-il ? oui
ou non. — Ma foi, je n'en sais rien, répondit
Mamadi, car je ne sais si après mon départ le
pied qui était par terre sera monté sur l'étrier,
ou bien si le pied qui était sur l'étrier sera des-
cendu par terre.
La commission était faite. Mamadi fit son
salam, se coucha dans un coin et attendit.
Le lendemain matin, l'Almamy arriva tout
riant, et d'aussi loin qu'il vit sa femme il lui
cria : Eh bien! le fameux diseur de vérités a
donc dit un mensonge hier? Mais il ne fut
pas peu confus quand elle lui répondit : Non,
je n'ai jamais pu lui tirer rien de précis, et
il n'a jamais voulu me dire si oui ou non
vous viendriez. Les détails de la conversa-
tion montrèrent que le sage était resté dans
le doute le plus vague. Alamadi triomphait,
et l'Almamy reconnut, comme tout le monde,
que le sage et prudent compère avait soin de
se tenir toujours dans une réserve assez
grande pour ne pas se laisser tromper par
les apparences.
fv.^- -ruf r%.\. J^. rv V
APPRECIATION
! ( huit contes, légendes ou ba!
que nous venoni de rapporter présentent
md intérêt pour celui qui veut se faire
une opinion touchant la libre intellectuelle
du nègre qui a trait aux sentiments éle\ .
cœur. Et, en effet, quelle peuplade euro-
péenne trouverait dans son cerveau quelque
Je plus délicat que les sentiments de
ce pauvre père qui, malgré la mauvaise con-
duite de son rils, cherche, au détriment de sa
sécurité, de son bonheur et même de sa vie,
à lui épargner une punition méri:
Cothi Barma est un sage qui, ayant une
nde dose de philosophie, savait combien
f)2 CONTES POPULAIRES
l'amitié des grands est chose fragile et sou-
vent dangereuse.
Les deux amis Peuls et ces autres qui sonl
brouille's un instant pour une maîtresse cou-
pable, sont la peinture d'un degré de puis-
sance de l'amitié que bien des Européens ne
pourraient pas atteindre, assurément.
De son côté, la ballade de Diudi est une
poétisation de l'amour qui n'a rien à envier
à Pyrame et Thisbé, à Roméo et Juliette ou
à Damon et Henriette.
Celle de Samba-foul est l'histoire d'un
héros qui ne le cédait pas aux paladins du
moyen âge.
Le singe qui se tire de qualité au détri-
ment du loup est un sujet que La Fontaine
n'a pas dédaigné.
Enfin l'histoire du sage qui ne mentait ja-
mais indique clairement le désir du narrateur
de faire prévaloir cette idée : que l'intelligence
prime l'orgueil et triomphe toujours de la sot_
tise.
Sans doute — et il ne faut pas oublier de le
constater — tous les nègres sénégalais ne sont
pas capables d'apprécier la portée entière de
chacun des sentiments exprimés dans ces con-
tes, légendes et ballades que nous venons de
IBIE
rapporter. C'est ainsi que le sacrifice de l'un
des deux amis Petlll ne paraîtrait pas e\
à un Ouolof. Mais remarquons que pour ce
Ouoloi la légende des deux amis brouill.
une maîtresse donne la note ju qu'on
peut faire d'après lui pour son ami après le
premier l'eu de la colère. Et Cette nute est a
peine intérieure à celle du Peul.
Pu ailleurs il faut reconnaître aussi que
lins chacune dei peupla.. .mbiennes,
Ouolofs, Peuls, Mandingues, Bambtra
racolai s, etc., les sentiments expri-
ir ces contes et ces ballades ne sont pas
appréciés avec la même précision et la même
par tous les individus. Mais en
autrement en Europe ? — Nos paysans senti-
raient-ils mieux que beaucoup de nègres la
portée philosophique de pareilles peintures
du cœur ou de l'esprit humain ?
Aussi tout en admettant, si on veut, que la
proportion des gens capables de comprendre
le sens vrai et l'importance de ces cont.
gendes, bail .., est infiniment plus
grand, toutes choses égales d'ailleurs, chez
les peuples européens que dans les peuplades
grès de la - Sie, un fait capital sub-
siste : c'est que sur les rives du Sénégal et du
I
64 CONTES POPULAIRES DE IA SÉNhGAMBlE
haut Niger les sentiments que visent les con-
tes et ballades que nous venons de rapporter
ne sont pas lettre absolument morte.
Or, dès le moment que l'impression existe,
cela dénote d'une part une certaine supério-
rioté relative de l'intelligence et, d'autre part,
comme toute impression est perfectible par
l'éducation, on peut en inférer que le nègre
des pays dont nout parlons ne sera pas réfrac-
taire, infulunim, aux bénéfices du progrès.
DEUX II'.. Ml. PARTIE
JNTES ET LEGENDES QUI ONT TKA1T s
DÉFAUT, UN RIDICULE, t'N VICE OU UNE IM-
riON QUELCONQUE.
(-&r ^r ->*V VV VV
DEUXIEME PARTIE
Dans cette seconde partie, nous ra;
rons sept contes ou légendes qui ont
trait à un défaut, un vice, un ridicule ou
une imperfection morale pour en faire
ressortir le mauvais côté et souvent pour
signaler en même temps la supériorité de
la vertu, de l'intelligence ou de la sagesse.
En voici rénumération.
I. La légende des trois fils de Noé.
II. Histoire de celui qui se fit servir
par le roi.
III. La chasse au lion des Baçnouns.
68 CONTES l'Ol'ULAIKES DE I.A SKN É< , \ M Uli:
IV. Le beau-frère coupable.
V. L'homme qui ayait beaucoup d'a-
mis.
VI. L'ami indiscret.
VII. L'héritier qui avait le sommeil
pour sa part.
O ro<^*/' û
il NOÉ
N. qui, après AJam, est le père de tous
les hommes, avait trois fils.
Le premier s'appelait Toubab; ii
blanc de figure comme le sont les Euro-
; il avait une santé faible, mais son
esprit était très subtil et très rusé. Aussi,
HrâCQ aux ressources de son imagination, il
avait toujours raison sur ses frères, soit par
la parole, soit par les actes.
11 excellait dans l'art de se procurer les
objets dont les autres avaient besoin et il
savait, en les vendant, en retirer une rétribu-
tion qui était toujours supérieure à leur prix
■
JO CONTKS POPULAJRES
Le second, dont le nom était Hassan, était
si brun qu'on ne savait au jnste s'il était
blanc ou noir; il e'tait maigre aussi, mais
bien mieux portant que Toubab, ne crai-
gnant ni le soleil ni la chaleur comme lui;
n'ayant pas la fièvre à chaque instant, au
contraire, agile et aimant la chasse, il mon-
tait volontiers à cheval, gardait les trou-
peaux de son père et les soignait avec beau-
coup d'habileté.
Il était d'humeur batailleuse, d'un carac-
tère irascible, et surtout il avait le très vi-
lain défaut de dérober au voisin tout ce qu'il
pouvait prendre et tout ce qui lui paraissait
bon h quelque chose.
Maintes fois il avait volé Toubab, mais en
définitive il était toujours sa dupe, car ce
dernier se rattrappait bien vite en échan-
geant quelque chose avec Hassan.
Le troisième, Samba, avait la couleur des
Ouolofs. Plus grand et plus fort que ses
frères, il traversait impunément les saisons
fraîches et chaudes sans être malade, il sa-
vait mieux cultiver la terre et faisait pro-
duire au sol des graines, du coton et des
herbages savoureux.
Mais ayant infiniment moins d'astuce que
I)E I A SKNÉGAUBIK 71
son frère Toubab, trop peu de méliance
vis-;'i-\i> de son frère Hassan, sa récolte était
toujours dépensée, avant qu'elle ne fût arri-
vée lu grenier; ou bien quand il était par-
venu après mille dangers d~ rapt à la mettre
en tact, il était obligé de la donner tout
entière à Toubab pour avoir un des menus
objets de luxe ou de gourmandise que son
tempérament lui taisait désirer avec une avi-
dité irréfléchie.
Samba menait donc en somme une v .
sogneuse, ayant plus de convoitise que d'ai-
sance, condamne à beaucoup travailler pour
avoir le moindre des plaisirs.
Le père Noé qui était très riche, puisqu'il
s'était trouve seul possesseur du monde en-
vait obligé pendant de longues années
ses lils à vivre en bonne intelligence, en les
mettant dans des conditions d'une just.
lité.
Il donnait souvent en cachette à Samba ce
que le pauvre noir n'avait pas su se procurer
et que ses frères avaient bien su acquérir, il
lui répétait chaque jour qu'il ferait bien
d'oublier sa paresse et de mettre à ses occu-
pations l'assiduité qui caractérisait Hassan;
qu'il devrait être économe comme son frère
J2 CONTKS l'OPUI.AlHKS
Toubab. Mais autant en emportait le vent.
Samba se hâtait d'assouvir sa gourmandise
et son orgueil, les dons de son père n'étaient
utiles qu'à sa paresse.
Noé, arrivé à la fin de ses jours, réunit
ses trois fils, il leur recommanda de s'aimer,
de vivre en bonne intelligence et il leur lé-
gua tous les biens de la terre qui étaient en
sa possession; leur disant qu'ils devaient se
les partager bien également en trois por-
tions. Puis, il mourut, et le premier senti-
ment de douleur passé, ses fils se mirent en
devoir de l'inhumer.
Quant les enfants eurent rendu les der-
niers devoirs à leur père, ils parlèrent du
partage de l'héritage. Chacun. d'eux fit son-
ner bien fort le désir qu'il avait de ne pos-
séder qu'un tiers de la fortune paternelle, et
pour que le partage fût bien équitable, ils
firent un inventaire très minutieux.
Toubab fit remarquer qu'il fallait mettre
d'un côté les troupeaux, de l'autre les objets
précieux, les tissus, les armes, la poudre, de
peur que les animaux en se détachant ne
vinssent à gâter ces objets d'un grand prix;
et il commença sans affectation à empiler les
caisses du côté de la case qui regardait ia mer.
Pendant que Toubab s'occupait à cette
besogne, Hassan, lui, plaçait lei troupeaux,
Ils chevaux, les dromadaires, du cote Je la
irdait le désert et il les éloignait
peu à peu de l'habitation sous le prêt
les mettre a portée d'un meilleur pâturage,
de même que Toubab rapprochait de plus
en plus de la mer où l'arche était mouillée
et flottait comme un navire, ; de
provisions, de tissus, d'armes et de poudre,
prétendant que le vent du tait con-
traire a leur bonne conservation.
lant que les deux frères travaillaient
ainsi sans relâche, Samba lit la sieste; il joua
un air de tam-tam, aida un peu par ci. par
là, a chacun des deux autres et surtout ne
perdait pas de vue la cuisine où un plantu-
reux couscous se préparait, promettant a
son odorat sensuel des jouissances de gour-
mandise qu'il savourait à I
avait d'inventaire . -ment fi-
nit avec le i >ur. Toubab l'avait évidemment
prolongé à plaisir i -es dont
- n'avaient pas soupçonné la véra-
cité, Hassan avait bien quelquefois jeté un
coup d'oeil de méfiance sur son aîné, mais
comme il avait eu soin de mettre -ot
74 contes rot'Ui.AïKKs
des bestiaux qu'il comptait avoir à sa part
les meilleures têtes du troupeau, il laissait
faire Toubah en se disant : Il ne faut pas
l'indisposer contre moi, car je pourrai mieux
ainsi m'entendre avec lui pour laisser à
Samba le lot des bêtes maigres.
Lorsque la nuit fut près d'arriver, Toubab
dit à ses frères : soupons, puis hàtons-nous
de dormir, et demain matin au jour nous
commencerons le partage; de cette manière,
nous pourrons faire les lots bien égaux, et
s'il y avait par hasard des contestations, nous
aurions le temps de modifier ces lots et de
tout finir avant la chute du jour.
D'ailleurs, ajouta-t-il, je suis souffrant,
vous le savez, et je suis trop fatigué à cette
heure pour faire quoi que ce soit.
La proposition de Toubab fut appuyée for-
tement par Samba qui, à plusieurs reprises,
avait dit à la cantonade : on devrait bien
souper; le couscous se brûlera si on tarde de
le manger! J'ai grand faim, je voudrais bien
souper. Et comme Hassan avait deux ou trois
fois dans l'après-midi senti avec plaisir les
émanations de la cuisine, on décida à l'una-
nimité qu'on dînerait sans plus de retard.
Toubab toucha à peine au couscous, il
M 1 «MBIE
avait toujours eu peu de sympathie pour ce
il lui fallait de la viande grillée, des
■ le petites graines, des choses qui n'e-
taient ni dfl la viande, ni du poisson, et qu'il
\ ait dans des boîtes en fer blanc; il ne
mangeait habituellement que du pain de fa-
rine de blé, au lieu de farine de mil, de sorte
qu'il laissa beaucoup de sa part d'aliments.
1 1 .m mangea COmm« deux, mais Samba
dévora comme quatre, et bien plus il laissa
î s'abreuver avec du lait, Toubab avec
du vin de France, et il ingurgita pour sa part
toute l'eau-de-vie et le vin de palme qu'il
trouva à sa po: :
Après le dinar même, il bourra sa pipe et
fuma avec délices jusqu'à ce que le sommeil
le surprit.
.tôt on se coucha ; Toubab qui se plai-
gnait toujours de la chaleur se plaça du côté
de la mer qui était aussi
isses d'objets précieux.
in. sous le prétexte qu'il veillerait
mieux sur les troupeaux, se mit du côté du
I Quant à Samba, lui, bien repu et un
peu ivre, ayant fini de fumer sa pipe, il se
coucha carrément au milieu de la natt.
ne tarda pas à ronfler comme un bienheu-
7<J CONTE» POI'UI.AIKES
rcux. Hassan s'était promis de surveiller les
mouvements de Toubab, mais, comme il
avait très bien dîné, le travail de la digestion
le poussa irrésistiblement au sommeil.
Quant à Toubab, il n'avait pas fermé l'œil
comme on le comprend bien; aussi, dès que
ses frères furent endormis, il se leva sans
bruit, chargea les caisses d'objets précieux
sur l'arche et partit vers le nord dans des
pays où la chaleur est moins forte qu'au Sé-
négal et où il se trouva infiniment plus h
l'aise, avec la fortune et les provisions qu'il
possédait.
Aussitôt que la lune se fut levée, Hassan
s'éveilla ; son premier regardfut pour voir ce
que faisait Toubab, et il s'aperçut aussitôt de
sa disparition. Il se leva précipitamment et
courut à la plage où il arriva juste à temps
pour voir l'arche disparaître à l'horizon.
Il revint à la case assez dépité et voulant
se concerter avec Samba; mais voyant celui-
ci ronfler sans soucis et ne pas s'éveiller
quand il l'appelait, il se dit : après tout, pour-
quoi ne ferais-je pas de mon côté comme a
fait Toubab? Incontinent il monte à cheval
et pousse devant lui les troupeaux jusqu'au
fond du désert.
M. LA I M ..AMI 11
l.e soleil était déjà haut quand Samba s'é-
veilla; les fumées de l'eau-de-vie et du vin
de palmes avaient un peu obscurci ses idées,
de sorte qu'il fut un long moment avant de
rien comprendre à ce qui était arrivé. Quand
il entrevit la réalité, néanmoins, il eut un
moment de désespoir; mais en jetant les yeux
sur les restes du repas de la veille, il trouva
encore une bouteille d'eau-de-vie, un peu de
tabac et une pipe. Il fut consolé aussitôt à
moitié; il but encore, fuma de nouveau, et
toutes les pertesqu il avait subies furent ou-
bliées.
Voilà pourquoi depuis de longues années
les blancs naviguent sur la mer avec l'arche
et les objets précieux en leur qualité d'en-
fants de Toubab, gagnant beaucoup d'argent
à faire du commei i
Voilà pourquoi les Maures ont de beaux
troupeaux et s'enfoncent volontiers dans les
profondeurs du désert.
Voilà enfin pourquoi les noirs qui sont les
ridants de Samba sont toujours dupes
par les blancs et par les Maures ne trouvant
isolation à leur triste condition que
dans le tabac et l'eau-de-vie.
•*ft*
*v*
1
II
HISTOIKE DK CKI ! uviK
l'Ait LK ROI
ivait dans le Kamera un roi qui
puissant et craint par ses voisins, mais
qui s'enorgueillissait de sa haute situation et
qui disait à chaque instant que tout le monde
était à ses ordres, tandis que lui n'avait a
obéir à personne.
Pas un de ses sujets n'aurait osé le contre-
dire de peur de perdre la vie, car il était aussi
violent qu'orgueilleux, et il triomphait ainsi
facilement au milieu de tous ses cour:
empresses à exécuter ses moindres volontcs.
Il y avait dans le pays un solitaire du nom
de Boubakar, homme simple et religieux,
faisant le bien et sachant beaucoup de choses.
80 CONTES POPULAIRES
Un jour que Boubakar était près du roi,
celui-ci, revenant sur son thème favori, ré-
péta avec ostentation que tout le monde lui
obéissait et qu'il ne travaillerait, lui, jamais
pour personne.
Chacun fit un signe de respectueux assen-
timent pour flatter le monarque. Seul Bou-
bakar resta immobile comme s'il n'avait pas
entendu ce qui venait d'être dit.
Le roi choqué de cette indifférence qu'il
sentait être affectée interpella directement le
sage et lui demanda ce qu'il en pensait. —
Boubakar, mis ainsi en demeure de répon-
dre, hocha la tète et dit : Personne au monde
ne peut dire qu'il ne travaillera pas pour
son prochain à un moment quelconque
de sa vie, car ce serait avancer une inexacti-
tude.
Le roi se récria, la conversation s'anima
et Boubakar soutenant sans faiblir, le mo-
narque lui dit — « Eh bien! je parie que tu
ne me feras pas travailler pour toi. »
— J'accepte le pari, dit Boubakar; tu don-
neras dix bœufs si d'ici à trois jours je l'ai
gagné. Le marché est accepté.
On parle d'autre chose et le roi, mis de
bonne humeur parce qu'il était persuadé d'à-
voir gain ik cause, voulut que Boi.1
lui pour déjeuner.
I.e sa-c s V:i défendait; il avait pris déjà
son bâton et l'avait mis sous son bras pour
pouvoir toucher la main au roi et aux divers
personnages de l'assistance, quand on entend
la voix d'un pauvre qui demandait l'aumône
a la porte de la maison. Boubakar dit au roi :
Permets-moi, ô souverain tout-puissant, de
porter un peu de couscous à ce malheureux
qui a faim. — Oui, rebondit le roi, mais re-
viens donc déjeuner a\ec moi. — Eh bien!
repond Boubakar, je ferai comme tu le dé-
sires ; et il se baisse plongeant ses deux mains
dans le plat pour en prendre une bonne
portion.
En se relevant il parut embarrassé dans
ses vêtements; le bout de son bâton p..
sous son coussabe et menaçait de le déchirer ;
il était à craindre même qu'il ne gênât ses
mouvements au point de le faire trébucher,
au risque de faire tomber par terre une partie
du couscous destiné au pauvre.
Chacun vit le mouvement, le roi comme les
autres, et Boubakar lui dit sans aucune
tation, mais a»sez vite pour ne laisser le temps
à aucune réflexion incidente de se produire:
82 CONTES POPULAIRES DE LA SÉNÉGAMUIE
« Roi, prends, je te prie, mon bâton qui me
gêne et dépose-le par terre où je vais venir le
reprendre. »
Le monarque obéit aussitôt sans songer à
autre chose, et à peine le bâton était-il placé
au lieu indiqué que Boubakar se mit à rire en
regardant successivement tous les assistants ;
il dit au roi :
« Donne les dix bœufs aux pauvres, car, tu
le vois, tu viens de travailler pour moi à mon
commandement.
Le roi confus voulut se récrier, mais le fait
était patent, et il reconnut qu'il y a quelque
chose de plus fort que la royauté, le pouvoir
ou la richesse, c'est l'esprit.
-■yy^
•E<*>3E<*>3 KM W 6<*>3 f4>5 Ê<4>3 £4>3WW **>î 64*»
I II
LA CHASSE AU LION DES BAGNOUNS
Un jour les Bagnouns ne se trou
pas bien dans leur pays eurent l'idée
d'abandonner les rives de la Gambie où
avaient vécu leurs ancêtres pour aller habi-
ter une autre contrée. — Les voilà partis — ;
ils marchèrent vers les localités plus décou-
vertes et moins marécageuses qui se trou-
vaient à quelque distance du lieu qu'ils
avaient quitté. Ils trouvèrent bientôt un
endroit marécageux qui leur convenait en
tous points.
Cet endroit était inhabité jusque-là, de
sorte qu'ils purent as rencon-
trer aucune opposition.
Ils eurent bientôt construit un petit vil-
84 CONTES POPUI.A'kKS
lage et ils vivaient heureux lorsqu'un lion
attiré par leurs troupeaux vint h son tour
s'e'tablir clans le voisinage. •
Ce lion prit l'habitude de leur enlever
toutes les nuits une tête de bétail, de sorte
que la fortune des pauvres Bagnouns soumise
à cet impôt allait diminuant de jour en jour
au lieu de s'accroître.
On assembla un grand palabre pour traiter
de cette grave affaire et chacun fut appelé à
indiquer le moyen qu'il croyait le plus pro-
pre à faire cesser un si fâcheux état de
choses.
Il fut décidé à l'unanimité que le mieux
serait de tuer ce lion incommode; proposi-
tion d'autant mieux accueillie, que la dé-
pouille de l'animal pourrait être vendue à
un bon prix; la peau d'un lion ayant dans
le pays une valeur très recherchée.
Mais si tout le monde était d'accord sur
l'opportunité de la mort du lion, personne
n'était d'humeur de tenter l'aventure pour
son compte. Chacun savait bien qu'il suffi-
rait d'un adroit coup de fusil pour jeter
l'animal h terre, mais aussi tous les chas-
seurs n'ignorent pas que si on manque la
bête ou si on ne la tue pas sur le coup, elle
M i '-IBIK
■ne vous manque pas elle de so:;
sorte que personne ne Btaît pour
aller combattre l'ennemi.
On discuta pendant plusieurs jour-
aboutir à une resolution pratique, chacun
tant pour sa vie et ne voulant pas
er dans une expédition aventureuse.
Enfin un \ le illard ouvrit une motion qui
recueillit tous les suffrages. Il dit a ses com-
pati i< ■
« Mes amis, nous voudrions tous tuer le
as?
— Oui, oui répondit-on en chœur.
— lui revanche, nous ne voudrions pas
qu'il nous mangeât .-
— Oui, oui, s écria-t-on de toutes parts.
— Eh ! bien allons tous à la chasse bien
d'un fusil et i -.De plus, en-
la couverture d'une de nos maisons
| que nous dépouillerons de son chaume et
nous aurons ainsi une grande cage solide
nue nous porterons sur nos épaules.
Vu moment où nous verrons le lion
ons tomber la cage par terre et
nous voilà abrites, pouvant tirer à notre
ir si par hasard notre premier coup
de fusil ne tuait pas le monstre, nous n'au-
86 CONTES POPULAIRES
rions qu'à nous tenir au centre de l'édifice
pour être à l'abri de ses griffes et de sa dent.
Sans compter que. pendant qu'il s'acharne-
rait au dehors de la cage à vouloir pénétrer
jusqu'à nous, nous aurions tout le temps de
recharger nos armes et de le tirer presque à
bout portant ou bien de le sagayer tout à
notre aise. »
La proposition parut si excellente, qu'elle
fut accueillie avec des cris de joie et chacun
voulut être de la partie qui promettait d'être
d'autant plus intéressante que le danger en
était écarté.
Incontinent on choisit une case, on en
dépouille la carcasse de la toiture et voilà
les chasseurs partis dans la direction où ils
pensaient trouver le lion.
Leurs vœux ne tardèrent pas à être ac-
complis, ils rencontrent la bête et pour
l'empêcher de fuir, ils lui crièrent toutes les
injures qu'ils purent imaginer, quelques-
uns même tirèrent un coup de fusil pour
lui échauffer la bile, se proposant de laisser
tomber la charpente protectrice au. momenl
où l'animal semblerait accepter le combat.
Le lion irrité des clameurs et des coups
de fusil se décide au combat, le chef du
Dl I A SKNKGAUBIK 87
village ordonne alors de laisser tomber la
charpente, mais ses ordres ne sont
vite 0 : voilà que d'un bond l'ani-
mal saute au milieu des chasseurs qui se
trouvèrent tous pris dans une véritabk
et furent manges jusqu'au dernier.
iid les femmes virent le triste résultat
de cette expédition, elles dirent en chœur
décidément il valait mieux ne pas quitter
pour tenir faire do pareilles ex-
péditions de chasse dans celui-ci.
Elles retournèrent auprès de leurs com-
patriotes, en conseillant désormais aux jeu-
us de ne pas aller tenter la fortune
lu loin de peur de pareils accidents.
-7
:;>
IV
LE BKAU FKÈRE COl'PABLK
Dans les environs de Porekada il y avait une
jeune tille du nom de Houri, qui quoi-
que appartenant à une famille riche, avait
depuis l'enfance écouté les paroles d'amour
d'un pauvre jeune garçon de ses voisins
nomme Bakary; ils s'aimaient, voulaient se
marier ensemble, mais jamais les parents de
Houri n'auraient consenti à une pareille
union dans 1 état de denùment où se trou-
vait Bakary.
Que faire en pareil cas? la situation était
embarrassante ; néanmoins l'Almam\
venu par hasard à annoncer qu'il comptait
partir à la tète de ses sujets armés pour le
haut Kabou afin, de rançonner et convertir
90 CONTES POrUt-AIKKS
les infidèles, Bakary se hâta d'aller s'enrôler,
espérant que dans l'expédition il pourrait
recueillir quelque butin qui lui permettrait
de revenir s'e'tablir dans son pays.
Malheureusement, l'année ne fut pas favo-
rable ; d'une part, les soldats firent des mar-
ches et des contre-marches inutiles : les
guides ne surent pas leur faire surprendre
un seul village tant soit peu bien approvi-
sionné ; et enfin, au moment où l'armée de
l'Almamy aurait pu atteindre une riche peu-
plade, les blancs du littoral lui firent savoir
que s'il voulait recevoir un honnête tribut
d'argent et d'objets de traite, on allait les lui
apporter à condition qu'il se retirerait aussi-
tôt, tandis que s'il refusait cet arrangement,
les troupes européennes l'attaqueraient et
pendant trois ans ne permettraient plus la
circulation des caravanes qui font la richesse
de Fouta-Djalon.
L'Almamy, en homme prudent, accepta
de si belles conditions ; mais comme on
pense bien, il ne partagea pas son argent
avec les soldats, de sorte que Bakary revint
au pays fatigué de marches, de nuits passées
sur la dure, de journées écoulés sans nourri-
ture et ne rapportant rien pour sa part, pas
sKNÉuambie
9>
même an fusil pour faire la parade dans les
Pour comble de malheur, les parents de
Houri l'avaient, bon gre, mal gré donnée
en nariagfl à un vieux Marabout Mandin-
gue qui ai quektt»e argent à écrire
de mediocre^aieur et qui, en-
nuyeux, plein de prétentions, gonHé d'or-
gueil parce qu'il savait tracer
plus ou moins incompréhensibles sur du pa-
pier blanc, avait voulu se passer la fantaisie
de posséder une jeune et belle fille pour sa
femme.
Bakary éprouva une grande douleur à la
nouvelle du mariage de sa bonne amie ; il
voulut lui en faire des reproches sanglants,
mais la pauvre Houri lui rt:pondit bien fran-
chement qu'elle ne s'était pas mariée par
amour, que si elle pouvait quitter son mari
elle ne demanderait pas mieux.
. de paroles en paroles, ils en arrivè-
rent à un modus vivtiidi qui repondait aux
des deux jeunes cœurs et aux o:
tious de l'existence.
Houri saisissait tous les prétextes pour al-
ler dans un lieu retire de la campagne; elle
y rencontrait Bakary. Quelques heures déli-
6-
02 CONTKS POPUI.AIHKS
cieuses s'écoulaient ainsi, puis elle revenait
à la maison et le vieux Marabout ne savait
rien de ce manège amoureux qui pouvait
durer ainsi plus ou moins longtemps.
Malheureusement le vieux marabout avait
un frère du nom de Mamadi. Ce frère, pres-
que aussi vieux, assurément aussi laid et
aussi orgueilleux, avait tout juste de quoi
vivre et encore subsistait-il surtout des lar-
gesses de son aîné : il n'avait pu faire la dot
d'une femme; il n'avait pas l'argent néces-
saire pour acheter une esclave et néanmoins,
plein de désirs libidineux, il obsédait Houri
de ses sollicitations.
La jeune femme avait le cœur trop plein
de son cher Bakary ; on juge si elle le re-
poussait avec horreur.
Un jour Mamadi étant parvenu à savoir
son secret, lui dit que si elle résistait encore
elle aurait à s'en repentir. Houri feignit d'en
rire, mais elle prévint Bakary de cette par-
ticularité.
Le mari mis au courant de tout com-
mença à la rendre très malheureuse. Bien
plus, Mamadi offrit à son frère de faire tom-
ber Bakary dans un piège afin qu'il pût ren-
voyer sa femme en réclamant sa dot et
M ! MBIK
avoir ainsi de quoi choisir une autre fille.
Le vieux Madiogue tecepu le mar,
pour faciliter les cvcncnnn«, alla passer
quelques semaines à la campagne, laissant
Houri toute seule et par conséquent libre
au village.
supplication de sa maîtresse, Bakary
avait prié un de ses amis intimes, du nom
d'Al assanc de l'accompagner pour faire le
met quand il avait un rendez-vous : mais
\ ne, persuadé qu'il n'y avait rien à
craindre de Mamadi, dormait au lieu de
veiller l'ennemi.
Un jour il est brusquement réveilL
un coup de fusil et des cris de femme : il se
précipite à l'endroit où étaient les amoureux
et trouve Bakary baigné dans son sang, la
tète fracassée par une balle.
Les cris de Houri continuant, il s'appro-
che d'elle et que constate-t-il? L'ignoble
Mamadi couchait la jeune femme en joue
et lui disait :
« Si tu ne me cèdes pas. je te tue toi
aussi, u
La pauvre tille plus morte que vive obéit,
et, au moment où elle était violée,
intervient, se saisit du fusil qui était à deux
94 CONTES POPULAIRES
canons et dit au misérable que s'il faisait la
moindre résistance il allait le tuer sans pitié.
Mamadi interrompu dans ses exploits amou-
reux trembla de tous ses membres et se
laissa conduire jusqu'au tribunal sous la
menace d'Alassane.
Quelle décision prirent les juges?
— Eh bien! constatant que Mamadi n'a-
vait pas tué Bakary pour venger l'honneur
de son frère, ce qui eut été une action loua-
ble, mais bien au contraire que ce meurtre
n'avait été pour lui que le moyen d'assouvir
une infâme passion, ils le condamnèrent à
avoir le cou coupé, ce qui fut fait séance
tenante.
De plus, comme la conduite de Houri
était coupable aussi en ce qu'elle avait
trompé son mari et causé la mort de deux
hommes, elle eut la tête rasée et fut vendue
comme captive.
Enfin, considérant qu'Alassane avait eu
tort de prêter son concours à une expédition
amoureuse, nuisible à l'honneur d'un habi-
tant de la ville, il fut condamné à recevoir
vingt-cinq coups de bâtons. Mais comme
par ailleurs il n'avait pas hésité à livrer les
coupables à la justice, même en s'exposant
LI LA ShNÉGAMBIK <p
a une punition, on lui adjugea le prix de la
captive et même on lui permit de donner
L au bourreau le fusil dont il s'était em.
^pour que les vingt-cinq coups de bâtons ne
fussent pai un trop vigou-
reuse.
Quant au vieux Mandiagnt, on lui dit de
s'estimer heureux d'en être quitte au prix
de la perte de la dot de Houri pour avoir
épouse à son âge et tTOC imperfections cor-
porelles ou intellectuelles une femme jeune
et belle qui ne pouvait pas l'aimer.
l'homme qui avait beaucoup d"amis
I avait jadis dans un village du Oualo,
riverain du bas Sénégal, un jeune Ouo-
lof du nom de Mafal qui semblait être le plus
heureux du monde, car il paraissait être aime
it le monde sans exception dans le
pav-.
il appartenait à une famille de Diam-
bours, c'est-à-dire d'hommes libres (ce qui
équivaut à la noblesse pour les Kurop
— 11 était bien fait, beau même, spirituel et
riche. Il se plaisait à obliger ses voisins et
Offrait souvent à ses amis du tabac, de l'eau-
de-vie.
En outre, Mafal prêtait sans se faire prier
de l'argent a ceux qui lui en demandaient, et
98 CONTES l'OI'lK.AIPES
il ne réclamait plus ensuite. Aussi était-il au
mieux avec tout le monde.
Chaque jour, à chaque pas Mafal rencon-
trait quelqu'un qui le bénissait, qui faisan
des vœux pour son bonheur, qui lui adres-
sait des protestations d'amitié', de dévoue-
ment.
Ce qui lui était offert à tout instant par
ses admirateurs en fait d'argent, d'étoffes,
d'objets de nourriture, etc., dépassait assuré-
ment ce qu'il donnait lui-même dans son
extrême libéralité.
Etait-il malade, toute la contrée était triste ;
songeait-il à faire une course, une partie de
chasse, un voyage, chacun lui offrait son
cheval, son fusil, sa pirogue.
En lui offrant tout ce qu'il paraissait dé-
sirer on lui disait : « Prends et uses-en comme
si c'était ta propriété même, car je suis moi
avec tout ce que je possède à ton entière dis-
position; compte, je te prie, sur mon affec-
tion comme sur mon dévouement et cela
quoi qu'il puisse arriver, dans toutes les cir-
constances possibles de la vie. »
Mafal avait donc lieu de se croire l'homme
le plus aimé de ses compatriotes et doté du
plus grand nombre d'amis. Il en était infini-
DE I.A Sf f)tj
ment heureux, et pendant longtemps il
dans celle douce illusion.
Mais un jour cependant le doute tm\
son esprit. — • Qui sait, se dit-il, si n
nombreux amis sont tous au- .s que
ce qu'ils le disent N as surtout parce
que je suis riche, considère et influent qu'ils
me font tant de protestations de dévouement .'
Si jetais malheureux quelque jour, h
rais-je dans les mêmes dispositions de sym-
pathie vis-à-vis de moi. ou bien m'abandon-
neraient-ils dans le malheur? »
Ces idées revenant sans cesse dans son es-
prit. Matai résolut de savoir par expérience
à quoi s'en tenir.
Voilà donc qu'un soir.au moment où cha-
cun reposait, il sort de chez lui a .
tements en désordre avec l'air très inquiet et
il va frapper à la porte de la case de celui de
impatriotes qu'il croyait son meilleur
ami.
« Qui est là? • crie l'ami réveillé en sur-
saut.
» C'est moi, Mafal. •
Aussitôt la porte s'ouvre et l'ami arrive
.mpressement lui disant : « Que veux-
tu, que puis je faire pour te rendre service ?
,00 CONTES rOPULAlRES
use et dispose de moi et de tout ce que j'ai,
car nous t'appartenons moi et les miens a la
vie, à la mort. », . . , .
Mafal répondit : • Merci, jamais je n ai eu
plus besoin de mes amis, et voici pourquoi:
"'aimais une jeune fille que je Pourra» de
mes assiduités; par malheur le fils du Brac
en était aussi amoureux; bien plus, il m était
P'f Dans mon dépit, je l'ai injurié tantôt en
le rencontrant et, comme il s'est mis a rire
de ma colère, je lui ai donné un coup qui 1 a
tué.
,' Le Brac apprenant l'événement a or-
donné qu'on me tuât de suite et qu'on con-
fisquât tous mes biens. Il faut donc que ,e
me sauve. Je suis alors venu vers toi pensan
que ta bonne amitié ne me ferait pas défaut
dans cette circonstance.
■ Tu m'accompagneras, j'espère, pour me
guider et me protéger dans ma fuite »
« Impossible, lui répondit l'ami, , ai mal
au pied et j'ai la fièvre ; je ne puis mar-
CTEh bien! reprit Mafal, prête-moi ton
cheval. »
«Je ne puis, il est lui-même blesse. »
DE I.A SKNKOAMBIE IOI
« Donne-moi ta pirogue, je fuirai par la
voie du fleuve. •
i J'en suis désolé, mais elle lait eau et a
besoin d'urgentes réparations. •
« Donne-moi au moins quelque argent qui
me servira ;t me tirer d'embarras. •
« Impossible, je n'ai pas le sou. •
Mafal reprit : « J'ai besoin d'un fusil, tu
ne me refuseras pas le tien, car il peut me
sauver la vie. »
i Jamais je ne fournirai des armes à un
rebelle, car tu es un rebelle* Tu aurais dû te
mieux conduire. D'ailleurs, il y a longtemps
que je pressentais que, par ton inconduite,
tes ridicules prétentions, tes mauvaises ha-
bitudes, tu marchais à ta perte. Et, ma foi,
comme je condamnais ta manière de faire,
comme je n'ai jamais eu pour toi qu'un sen-
timent d'indifférence mélangé de mépris, je
n'hésite pas à te dire : va-t-en au diable! •
Là-dessus l'ami ferme sa porte, ne voulant
.\poser à quelque ennui de la part du
gouvernement à cause de ses relations avec
un homme mis hors la loi, poursuivi, et
dont les biens comme la vie étaient menaces.
« Mafal ht tout le tour du village, disant
sivement la même chose à chacun de
102 CONTES POPULAIRES
ses amis et recevant la même réponse. On lui
refusait tout; bien plus, on l'accablait d'in-
jures.
Il allait rentrer chez lui découragé et désil-
lusionné sur le compte de l'affection de ses
amis quand il songea tout à coup qu'un de
ses voisins du nom de Samba semblait avoir
dans les temps quelque sympathie pour lui.
Il se dirige vers sa case, mais il s'arrête
bientôt en se souvenant que Samba est le
parent du Brak et en outre qu'il vient de se
marier le jour même.
« Il est inutile de tenter une démarche de
ce côté, se dit Mafal, d'autant que je ne sau-
rais vraiment lui en vouloir du refus qu'il va
me faire bien certainement. »
Néanmoins il se mit à frapper à la porte.
On lui ouvre, et il répète ce qu'il a dit déjà
à tant de gens.
Le jeune marié entendant le récit que lui
faisait Mafal lui répond aussitôt : « Tiens,
voilà ma bourse; prends mon fusil et mon
sabre; je vais envoyer mon captif dans ma
pirogue, afin qu'il soit au point du jour dans
l'endroit du fleuve qui est propice pour le
passage d'un fugitif. Monte sur mon cheval
et, de peur que tu ne t'égares en route, je
I)K I A StNÉGAMhlK I03
vais le conduire par la bride. Je suis très at-
triste d'apprendre le malheur qui vient d'ar-
river au fils du Brak mon parent; mais tu es
mon ami et je t'aime trop pour juger si dans
cette circonstance tu as bien ou mal fait.
Je me contente donc de mettre tout mon
dévouement à ton service. •
Ils partent; au point du jour, Mafal arrivé
sur les bords du Meuve remercie son ami et
exige qu'il retourne à sa case auprès de sa
jeune femme maintenant que, grâce à sa pi-
rogue, il est hors de danger.
Après bien des résistances Samba se décide
à rentrer chez lui, et il ne tut pas peu étonné
de retrouver Mafal sur la place du village;car,
comme on le devine, toute l'aventure du
meurtre et de la proscription n'était qu'une
pure invention destinée à éprouver les nom-
breux amis de l'homme influent.
Matai put donc dire à tout le monde désor-
mais : « Quand on a cru que j'étais heureux,
je comptais mes amis par centaines, et le jour
où on a pensé que j'étais malheureux je n'en
ai trouvé qu'un; mais, ajoutait il, je ne me
plains pas du sort, car beaucoup, en pareille
circonstance, n'auraient rencontré plus per-
sonne. »
KÈ &* «S b* *& £*« <$ gj, ts^j g** «3 Ci-i «a Ss*
VI
L\VMI indiscki.i
IL n'y a pas très longtemps vivait dans
le village de Malembélé sur la rive
gauche du Sénégal à quelques kilomètres à
peine de la pointe de Bafoulabé; c'est-à-dire
de l'endroit où le Baîing et le Bakou se
réunissent pour former le Sénégal, un Sara-
colais du nom de Ousman.
Cet homme qui appartenait à une pauvre
famille des environs, avait obéi dès son ado-
lescence à la passion dominante des Saraco-
lais pour les voyages. Il était parti un beau
matin pour les pays inconnus avec une cara-
vane qui venait du Kaarta et qui se dirigeait
vers Bakel.
Arrive là, Ousman s'était loué comme
IOO COMTES !OI'UI-AIKKS
homme de peine pour gagner quelque peu
d'argent puis s'était remis en marche à la fin
de la saison de la traite. Se laissant aller
ainsi à la douhle humeur de voyage et de
négoce, il avait parcouru peu à peu la hasse
Sénégambie jusqu'aux rives de la Casamançe.
Pendant qu'il était à Sedhiou il fit la con-
naissance d'un autre Saracolais qui était, lui,
du village de Diorouné, dans le pays de Ba-
kounou, et qui avait séjourné dans son en-
fance pendant quelques mois dans les envi-
rons de Malembelé.
Le sujet de leur conversation avait souvent
roulé sur leur cher fleuve que Ousman avait
toujours présent au cœur et à l'esprit bien
qu'il fût éloigné de son pays depuis un temps
très-long. Mais tous deux espéraient le revoir
un jour quand ils auraient acquis un peu de
bien-être pour vivre honnêtement dans leur
pays natal.
Grâce à une économie de tous les jours, à
un soin constant pour son négoce, Ousman
arriva un beau matin à posséder quelques
économies; c'était à peine ce qui aurait suffi
à l'existence de tous les jours à sainte Marie
Bathurst ou à saint Louis; mais c'était
presque la richesse à Malembelé.
DE LA SKNKGAUBIE IO7
Aussi l'économe Saracolais se mit en me-
sure de regagner son payi natal pour y jouir
de ses revenus et passer doucement le restant
des jours qu'il avait a \i
Des marchands Mandingues venaient d'ar-
river du haut Kahou amenant des captif»
qui leur portaient des dents d'ivoire et qu'ils
vendaient jadis aux traitants français; ne
pouvant plui vendre ce-- Ml même
temps que leur ivoire, ils étaient noifl
géants sur les prix, aussi Ousman put-il, en
leur donnant le fond de sa boutique dont il
avait déjà vendu les meilleures portions
acquérir un captif fort et vigoureux uiiw
qu'une jeune tille à peine pubère dont il ht
sa ménagère et qu'il se proposait de pren-
dre régulièrement pour femme une fois quils
seraient arrivés à Malembele.
Au moment de partir de Sedhiou, Ousman
s'en alla voir Demba, lui rappela que Ma*
lembelé était sur la route de Diorouné, et lui
dit qu'il serait enchante de lui offrir l'hospi-
talité le jour où le hasard l'amènerait de ce
côté.
Demba était bien égoïste et bien gourmand,
il avait maintes fois donné des preuves de
cœur grossier et de nature médiocre; mais
I08 CONTKS l'Ol'ULAIKES
cependant Ousman se dit que sa démarche
était commandée par le devoir où nous
sommes tous de garder un bon souvenir de
ceux avec lesquels nous avons été en rela-
tions dans les pays éloignés de la maison pa-
ternelle; aussi fit-il ses offres d'hospitalité de
très-bon cœur.
Ousman arriva à Malembelé comme il le
désirait, son captif ne s'était pas blessé en
route, les Toucoulors ne l'avaient pas ran-
çonné, il s'était débarrassé avantageusement
de tout ce qu'il possédait de marchandises,
de sorte que le sort lui souriait.
Il se mit à construire une case commode,
vaste même; il fit défricher un lougan con-
venable par son captif, et bien que la jeune
fille qu"il avait achetée à Sedhiou, Aïssita,
restât trop froide et indifférente vis-à-vis de
lui à son gré, il la prit pour femme, l'aimant
en attendant qu'elle le payât de retour.
Il se mit donc en devoir de jouir douce-
ment de l'existence avec la tranquilité que
possède celui qui a la conscience d'avoir
honnêtement fait quelques économies dans
le courant de son existence de jeune homme.
Tout, était pour le mieux. Ousman avait
eu à la dernière saison une abondante récolte
M l.A SKNEGAMBIE 1 O9
de coton et de mil; au point qu'il avait fait
le projet d'aller porter le surplus de sa pro-
vision au marche de Médine dans le Khasso.
Il allait menu- partir le lendemain matin ; tout
était disposé pour le voyage, lorsque Demba,
son ami de Sedhiou. arrive à Malembelé, ve-
nant lui demander l'hospitalité.
Que taire en pareille occurence? Après ré-
flexion Ousman dit au voyageur : repose-toi
chez moi, ma femme et mon captif seront à
tes ordres pendant que je ferai la course que
que je ne puis plus me dispenser d'entre-
prendre maintenant; dans une semaine quand
ai de retour tu me feras l'amitié de res-
ter encore quelques jours en notre compa-
gnie. Nous parlerons du temps où nous étions
à Sedhiou et nous passerons de bonnes heu-
res ensemble avant de nous séparer définiti-
vement.
Ce qui fut dit fut fait; Demba resta maître
de la maison d'Ousman et comme t.
aussi curieux qu'une vieille femme il se mit
à observer tout ce qui se passait autour de
lui.
Or il faut dire qu'il ne tarda pas à s'aper-
cevoir d'une chose que Ousman n'avait
jamais vue : c'est que Aïssita qui était du
I 10 CONTES POPULAIRES
même pays que le captif avait pour lui un
sentiment tendre qu'elle n'avait pas pour
son mari.
Le laborieux Saracolais avait bien pu ga-
gner une honnête aisance, il n'avait pas pu
acheter une honnête fille; et bien que la
chose fût très bien dissimulée il n'en était pas
moins positif qu'il était un mari trompé.
Lorsque Ousman revint de Médine après
une semaine d'absence, il fit son possible
pour être aimable vis-à-vis de Demba; comme
il savait son faible pour la gourmandise il
redoubla les recommandations à sa femme;
mais Demba au lieu de jouir en silence de
l'hospitalité qu'il recevait, et surtout de ne
pas faire de la peine à son ami ne put résis-
ter à ses habitudes de bavardage.
Peu d'heures après que son ami était re-
venu, il profita de ce qu'il lui demandait ce
qu'il avait vu de curieux pendant son absence
pour lui dévoiler le secret de sa maison dans
les détails les plus pénibles pour un mari.
Ousman dont le cœur souffrait beaucoup
de cette confidence cherchait une excuse pour
atténuer sa douleur; il disait à Demba : Qui
sait? tu te trompes peut-être; mais celui-ci
était trop maladroit pour s'arrêter en chemin
DE I A SENEGAMBIE
dam ses sottises; croyant qu'il avait un inté-
rêt capital à convaincre le malheureux mari
il voulut, malgré lui, lui donner des preuves.
i effet il lui montra triomphalement
un trou ménagé' dans le mur, dissimulé sous
des nattes et des sacs ; plus de doutes à avoir,
le captif pénétrait la nuit chez sa femme alors
qu'il reposait, lui tranquillement et sans
aucune méfiance.
Demba prolongea son séjour à Malembelé
dans le malin plaisir de voir comment Ous-
man prendrait son parti de ses ennuis do-
mestiques, tous les jours il lui demandait ce
qu'il allait taire; si bien que le pauvre mari
trompe, poussé à bout, voulut en tinir avec
l'importun.
I effet il appela un jour sa femme et
lui dit sans lui laisser rien deviner de ses
projets, a Vous préparerez pour demain midi
le plus succulent couscous qui ait jamais été
servi à un Saracolais vivant de ses rentes ;
des que vous l'aurez servi à Demba et à moi
vous partirez pour aller rejoindre notre cap-
tit dans le Lougan; vous ne revendrez
qu'après le coucher du soleil. »
Le lendemain à midi, au moment où
Demba entra à la maison venant de faire une
112 CONTES POPULAIRES
bonne promenade, il trouva Ousman assis et
réfléchissant profondément; un demi-sourire
triste et résigné éclairait sa figure, il flaira
quelque disposition décisive ; mais au même
instant son odorat fut saisi de l'odeur la plus
délicieuse qui pût frapper un bon Saracolais :
Le couscous d'Aïssita faisait son entrée ; le
gourmand n'eut pour le moment plus d'au-
tre pensée que celle du désir de faire un
excellent repas.
A peine eut-elle déposé le plat de couscous
devant le chef de la maison et son ami,
Aïssita pris son pagne comme c'était con-
venu et s'éloigna de la maison.
Demba avait hâte de commencer à manger,
aussi, laissa-t-il. sans faire aucune observa-
tion, Ousman sortir de la pièce où ils al-
laient déjeuner; au contraire, il profita de la
très courte absence que faisait le propriétaire
de la maison pour ingurgiter autant de cous-
cous qu'il put.
Que fit Ousman en laissant son ami dévo-
rer tout seul le couscous? il alla à la cuisine
et plaça dans le pot qui avait servi à cuire
le repas, certains résidus immondes de la di-
gestion humaine qu'il avait eu soin de re-
cueillir en cachette et qui souillèrent désor-
i k i.a t#rifttfiTtf*Tt
mais de la façon la plus dégoûtante, la
vaisselle dans laquelle le couscous avait ete
préparé.
Quand Ousman rentra, Demba lui de-
manda par manière d'acquit d'où il venait,
mais surtout il exalta l'excellence du couscous
qui était devant lui, et qu'il dévorait glou-
tonnement sans perdre une minute, comme
s'il eût voulu tarir le plat à lui seul.
Le moment de boire arriva enfin et Demba
repu au delà de la limite du possible, c
dire ayant mangé plus de couscous qu'un
maure ne peut en regarder, dit à son ami :
« Comment donc a-t-on préparé ce délicieux
mander auquel je trouve un goût savoureux
que je ne connaissais pas et que je ne croyais
pas possible jusqu'ici! Pourquoi n'en as-tu
pas goûté .; fit-il en jetant un dernier coup
d'icil de convoitise impuissante sur ce qui
testait au fond du plat. •
Ousman lui répondit alors : Ce couscous
que tu as trouvé si délicieux est fait avec : telle
Mbstance qu'il lui nomma, laquelle est con-
venablement préparée par ma femme et
pour cela que tu l'as trouvé si savoureux. Mais
c'est aussi pour cela que je n'en ai pas mangé.
A cette révélation Demba remué jusqu'au
, ,4 CONTES POPULAIRES
fond des entrailles par le dégoût se dressa de
son haut comme pour échapper par la fuite
h l'impression pénible qu'il éprouvait; il ht
un signe d'incrédulité sans rien répondre,
cherchant ainsi à arrêter la confidence de son
hôte dès le début.
Mais ce n'était pas le compte d'Ousman
qui s'était dressé aussi, qui le suivit dans la
cour, et qui, le prenant par le bras le mena
jusqu'à la cuisine.
Là, saisissant un pot chaud encore du cous-
cous qu'il avait contenu, il lui montra quel-
que chose qui était aux yeux de Demba la
preuve matérielle, indiscutable, de l'assertion,
qui avait été émise sur l'origine de ce déli-
cieux couscous.
Vaincu par l'évidence des faits, Demba
sentit une nausée le prendre à la gorge, il se
débattit, mais pas longtemps, sous l'étreinte
de la vue d'une pareille horreur, et aussitôt
l'aliment qui lui avait paru si savoureux prit
convulsivement le chemin opposé à celui
que le gourmand venait de lui faire prendre
tantôt. Le malheureux mystifié ne pouvait
écarter de son esprit le dégoût qui allait en
augmentant à mesure qu'il y songeait d'à.
vantage.
M I A StsicAMBlK I I 5
Le moment fut long et douloureux; les
spasmes ne s'arrêtèrent que lorsque depuis
longtemps tout le couscous avait quitté l'es*
tomac du héros qui, jetant par hasard un
coup d œil sur son ami, lui vit au lieu du
demi-sourire triste et resigné un air nar-
qois et satisfait qui lui alla au cœur.
Blessé ^e saisir chez Ousman un pareil
sentiment, il lui dit d'un accent de repro-
che : « Ah! pourquoi m'as tu dégoûté ainsi
de ce que j'aimais le plus? pourquoi quand
tu voyais que je ne croyais pas à l'horrible
chose que tu me racontais, as-tu cruelle-
ment tenu à me donner les preuves de ce
que tu avais avance. Va; tu es bien coupa-
ble, tu m'as dégoûté à jamais du couscous ;
— « Tu m'as bien dégoûté de ma femme
sans prendre pitié du désir que j'avais de ne
pas croire à ton assertion, lui répondit Ous-
man ; eh bien! nous sommes quittes mainte-
dont.
Nous avons besoin de demander pardon au
lecteur des détails de l'histoire; la faute en
est aux Saracolais qui ne sont pas trop scru-
puleux sur la mise en scène des légendes.
Mais pour être nauséabond, le conte n'en
renferme pas moins Hne leçon de philoso-
I ib CON'IES POrUI.AlKKS DS I.A 5ÉNÉGAMBII
phie positive que d'autres gens que les noirs
sénégambiens sauraient présenter d'une ma-
nière différente, sans cependant la rendre plus
instructive pour les indiscrets qui ne veulent
pas garder pour eux les remarques qu'ils sa-
vent devoir être désagréables aux autres.
vu
LEGENDE DK LHOMME QUI AVAIT LK SOMMEIL
POUR SA PART
Il y avait jadis dans le pays des Man-
dingues un homme qui avait une cer-
taine aisance, des troupeaux, des marchandi-
ses et même nombre d'objets de prix de
caches dans la case. Il avait trois fils qui vi-
vaient dans le même pays, mais loin de la
maison paternelle, et qui n'avaient pas entre
eux l'affection qui existe ordinairement entre
MT6S.
lu jour le père tomba malade et bientôt
succomba ; ses trois fils se réunirent pour lui
donner des soins, puis pour l'inhumer. Lors-
que le corps fut mis en terre, ils s'en allèrent
chacun de leur côte, ayant convenu de se
, ,8 CONTES l'Ol'Ul-AlkKS
rendre le lendemain à midi; près de la case
du défunt, pour partager entre eux la suc-
cession paternelle.
Le plus jeune qui aimait beaucouq son
père, était très profondément attristé; il
passa la nuit en méditations pieuses, regret-
tant l'homme qui lui avait donné le jour; il
se sentait isolé désormais, car il savait que
ses frères ne lui voulaient aucun bien et que,
malgré les recommandations incessantes du
vieillard, la bonne harmonie n'avait pas ré-
gné entre les trois fils.
Il arriva le premier au rendez-vous, non
pas qu'il fût plus rapace que les autres, bien
au contraire c'était bien certainement un
homme généreux à l'occasion et sans mau-
vais sentiments ; mais ne pouvant penser à
autre chose qu'à son père défunt, il avait été
attiré dans les environs de la case par attrac-
tion du cœur dès le matin.
Un peu avant midi, ne voyant pas venir
ses frères, il s'assit à l'ombre d'un arbre qui
avoisinait la case; sa paupière s'alourdit
bientôt et, comme il avait veillé pendant
toute la nuit précédente, il céda à un pro-
fond sommeil.
Ses deux frères arrivèrent peu après ; ils se
DL LA bLNl'.CAMblK
détestaient profondément. Mais ils haïssaient
encore davantage le plus jeune pour la rai-
son qu'il avait quelques bonnes quai.:
que les mauvaises gens ne peuvent pas souf-
frir ceux qui ne leur ressemblent pas.
1 1 . chacun avait pris des détours oratoi-
res pour proposer à l'autre de faire part à
deux au lieu de trois, quand ils aperçoivent
leur frère couché et profondément endormi
au pied de l'arbre.
Cette posture fut l'excuse de récrimina-
tions communes. — • Voyez dit l'un, com-
bien il regrette son père, puisqu'il fait >a
sieste dans un pareil moment. »
Bref, la proposition d'un partage injuste
est laite, acceptée et mise en pratique in-
continent.
Ce partage fut fait rapidement; chacun
des deux intéressés étant moins chicaneur
que de coutume à la pensée qu'il avait plus
qu'il n'avait espère ; et, au moment où le der-
nier animal partait, où la dernière charge
de marchandises était emportée, le dormeur
illa.
tôt ses frères devant la case paternelle
il se hâte d'aller vers eux. O stupéfaction, la
case est vide, tout l'héritage a disparu; il
120 CONTES rOrULAIRES
manifeste son étonnement, mais l'aîné qui
était le plus dur et qui l'avait toujours haï
particulièrement, lui dit en ricanant :
— « Tu n'as plus rien à demander ; nous
avions fait trois parts de la fortune de notre
père :
Première, le sommeil ;
Deuxième, les troupeaux;
Troisième, les marchandises.
Sans nous consulter tu as commencé par
prendre le sommeil pour toi ; nous n'avons
plus eu qu'à partager le reste et tout est fini
maintenant; tu n'as plus rien à réclamer. »
Nombre de curieux, des désœuvrés, des
voisins qui étaient venus peu à peu se grou-
per dans les environs pour voir ce qui allait
se passer à ce partage, car tout le village
connaissait la mauvaise foi des deux fils aî-
nés, entendirent ces paroles.
Un murmure de désapprobation avait par-
couru la foule tout d'abord ; mais, comme
on connaissait les intéressés violents et vin-
dicatifs, chacun s'était dit : Au fond la chose
ne me regarde pas ; et bien plus en enten-
dant cette cruelle plaisanterie, surtout en
voyant que le jeune frère restait comme con-
fondu sans songer à la résistance, un sourire
DE 1 I IBIE 12 1
gênerai parcourut l'assemblée : Voilà, disait-
on, un curieux partage d'héritage.
Le pauvre déshérité, songeant au scandale
qui se passait, voyant que la mémoire de
son père servait de prétexte à des faits qui
allaient devenir le texte de toutes les con-
versations et de toutes les médisances, fut
profondément affligé1 et parut résigne. M.u>
au fond de son Oflaur un sentiment de ven-
geance venait de naître.
Un parti fut arrêté instantanément dans
son esprit; il se tourna vers les voisins et
leur dit :
a Eh bien; j'accepte, vous êtes tous té-
moins et garants du marché ; » le partage est
fait; à chacun son lot.
• Mais souvenez-vous que la loi dit que le
frère qui cherche à soustraire à son frère
une partie de son héritage mérite la mort. •
« Ma part est minime, néanmoins elle me
sutlit et malheur à celui de vous deux, dit-il
en se tournant vers ses frères, qui essaierai!
de m'en ravir la moindre parcelle. »
Chacun se retira de son côté, nombre
d'habitants révoltes de l'injustice auraient
volontiers pris fait et cause pour le
pouille; mais comme l'intéressé lui-même
122 CONTES POPULAIRES
paraissait s'être résigné et que les détenteurs
de l'héritage étaient puissants autant que
mauvais coucheurs, personne ne crut devoir
prendre une initiative dans l'affaire.
Pendant plusieurs semaines ont vit le dé-
possédé qui ne marchait plus qu'armé d'un
bâton noueux sur lequel il s'appuyait pour
demander l'aumône, errer de case en case,
obtenant de la charité publique quelques
bribes de couscous. Quand on lui parlait
de l'injustice de ses frères il répondait.
« C'est fini, j'ai accepté le partage, mais
qu'ils prennent bien garde; s'ils essayaient
de me dépouiller de mon lot, il leur arrive-
rait malheur. »
Les deux autres frères devenus plus riches,
jouissaient de leur aisance sensiblement aug-
mentée ; ils eurent bientôt de plus beaux ha-
bits, et n'ayant plus besoin de travailler, ils
passaient toute leur journée acroupis au pied
des grands arbres plantés sur la place du
village, là où se font les palabres et où il y a
le cercle des conteurs d'histoires et de nou-
velles.
Un jour il faisait très chaud, on était à la
fin de l'hivernage, la conversation lan-
guissait; le frère aine qui probablement
DE I.A ShSfcGAMBlE I 2 j
avait copieusement déjeûne se laissa aller au
sommeil après avoir pris une position com-
mode et avoir plié avec soin un pagne pour
s'en faire un oreiller*
A ce moment le déshérite vient à passer; il
voit la situation d'un coup d'œil et s'appro»
che du dormeur.
Avant que personne n'ait eu le temps de
souiller mot, il brandit son bâton noueux
et lui tracasse la tête du premier coup.
Uu cri d'horreur s'échappa de toutes les
poitrines, mais lui. regardant l'assemblée le
front haut, lui dit :
• Je vous ai pris à témoins pour le partage,
je vous somme de répondre dans ce mo-
j ment; mes frères m'ont laissé le sommeil
pour tout bien. Celui que vous voyez là ne
me le volait-il pas en dormant tout à l'heure?
La loi punit de mort le frère qui cherche à
dérober la part d'héritage de son frère, je
l'ai surpris en flagrant délit de vol. »
Chacun s'écria sans hésiter : il a raison, et
personne ne songea à l'arrêter; l'Almany
! instruit Je la chose l'approuva et décida qu'il
'devait, en sa qualité de frère, hériter de la
moitié de ce que possédait le défunt.
L'autre frère comprit alors dans quelle
8
124 CONTES POPULAIRES DE LA SÉNÉGAMBIE
voie il s'était engagé, et ramassant précipi-
tamment tout ce qu'il possédait avant la
mort de son père il s'expatria, laissant a ce-
lui qui avait été déshérité primitivement sa
part d'héritage et même sa part de la fortune
de l'aîné.
Le deshérité devint ainsi l'unique posses-
seur de toute la fortune paternelle, alors que
ses frères avaient voulu lui enlever sa part
légitime.
^B1Ç&
uu
A 1 ■ 1 ' 1< » - (. I A 1 1 O N
Les coûtes ei les légendes que nous ve-
nons de fournir, touchant les défauts,
les travers un les vices des individus ne le
cèdent en rien, comme on a pu le voir, à
ceux que nous avons rapportés dans la pre-
mière partie relativement aux qualités du
cœur et de l'esprit. En effet, quel que soit le
point de vue auquel on se place, on constate
que l'esprit d'observation ne fait pas défaut.
Sans compter que dans plus d'un de ces con-
tes il y a une leçon de philosophie qui ne
serait à dédaigner par aucune race d'hommes,
même la plus élevée dans la hiérarchie
ethnographique.
La légende des trois fils de Noë n'est très
I2Ô CONTES POPULAIRES
probablement et même certainement pas
d'origine sénégambienne, car «lie implique
une connaissance de l'Ancien Testament qui
ne peut avoir été fournie que par des étran-
gers au pays, - Européens ou Africains du
N -E. Mais si elle n'a pas été imaginée par
les nègres, elle a été si bien comprise par eux
et a si bien répondu à un fait qu'ils ont
apprécié, qu'elle s'est implantée dans leur es-
prit et y a pris droit de cité.
Dans l'histoire de celui qui se fit servir par
le roi, nous voyons la pointe plaisante du
sage qui sourit de pitié en songeant à l'or-
gueil des grands ; et qui amène à montrer la
fragilité et l'inanité des choses humaines.
Elle entre dans la grande catégorie de la
pensée formulée si plaisamment par notre
immortel chansonnier:
Il faut bien que l'esprit venge
L'honnête homme qui n'a rien.. ..
La chasse au lion des Bagnouns souligne
la naïveté, la maladresse, l'infériorité intel-
lectuelle d'une peuplade ; et ressemble telle-
ment aux histoires analogues de tous les
pays, qu'on peut dire sans crainte de se
DE I.A SÉNÉGAMBIE 127
tromper que les nègres ne présentent sou*
M rapport aucune infériorité de*
autres hommes.
Les contes et les légendes dont nous ve-
nons de parler tout en ayant leur valeur
incontestable dans l'ordre des choses de i
put, et tout en démontrant que le ni
négambien n'est pas aussi dépourvu de bon
sei^. ^'esprit d'observation ligencc,
qu'on serait tenté de le croire Je prime
abord, ne présentent par la portée philoso-
phique de ceux dont ii nou^ parler.
Ce sont des histoires pour rire, peut-on dire,
à ce titre portant sur des sujets qui font
moins réfléchir l'observateur.
Mais les légendes du beau-frère coupable,
— de l'homme qui avait beaucoup d'amis, —
de l'ami indiscret, — de celui qui avait le
sommeil pour sa part, ont une portée philo-
sophique bien autrement étendue et remar-
quable.
En effet, dans l'histoire du beau-frère
mpable, nous y voyons la peinture de si-
tuations dignes d'inspirer quelque chose
Alexandre Dumas fils dans l'étude qu'il a
entreprise de ce qu'on pourrait appeler les
maladies de l'amour. C'est ainsi que, tout
128 CONTES rOI'Ul.AIUES
d'abord, elle souligne ce fait: que les jeunes
gens qui s'aiment ne peuvent pas écouter
toujours le cri de leur cœur à cause des exi-
geances sociales qui imposent à l'amour
des barrières que la raison re'prouve, mais
que la force des choses maintient obstiné-
ment.
D'autre part, on voit que sur les rives du
Sénégal, comme sur celles de la Seine, l'ar-
gent est une puissance considérable. Avec de
l'argent la vieillesse, la sottise, la bêtise, la
santé ruinée, la laideur repoussante, triom-
phent de l'amour et foulent aux pieds les ré-
pulsions du cœur de la jeunesse.
Dans cette légende, nous voyons aussi la
peinture saisissante de vérité du libidineux
gredin stigmatisé par Molière sous le nom de
Tartuffe. Coquin qui tout en ayant hypocri-
tement l'air de rendre service à un ami ou
un parent, de travailler pour la morale et le
bon droit, ne cherche en réalité qu'à assou-
vir ses ignobles appétits.
Enfin, il n'est pas jusqu'à la sentence des
sages qui est pleine d'imprévu et de détails
bien faits pour en faire ressortir les idées
multiples devant lesquelles l'esprit se prend
à dire que celui qui a imaginé cela était vrai-
DK LA SÉNÉUAMBIE IÎQ
ment un profond connaisseur du cœur hu-
patio.
La légende de Matai qui avait beaucoup
d'amis nous prouve que l'idée fondamentale
du proverbe latin : Donec Jelix eris multos
mtmerabis amicos, se rencontre dans la pen-
sée des oégrei léoégambititl aussi bien que
chez les Kuropéens.
L aventure de l'indiscret ami toute difficile
à raconter quelle soit dans notre pays où le
langage et les idées ont moins de liberté
d'allures que sur les bords du Sénégal, con-
tient une leçon de philosophie si vigouseuse-
ment indiquée qu'on ne songe pas aux gros-
sièretés de la mise en scène quand l'esprit est
lance dans cette direction : — Tu m'as bien
oégoûtéde ma femme! dit par lemari trompé
qui avait vécu tranquille jusque là ne se
trouverait pas déplacé en tant qu'idée de
philosophie naturaliste chez les peuples euro-
péens qui ont la prétention d'occuper le
premier rang anthropologique.
Enfin la morale qui se dégage de l'histoire
de l'homme qui avait le sommeil pour sa
part, tout en étant horriblement cruelle,
montre un fond d'amour de la justice allant
jusqu'à la férocité et une révolte de l'esprit
I 30 CONTES POPUt.AIKES DE I.A SÉSÉGAMBIE
contre l'injustice et le vol qui fait paraître
le crime moins épouvantable, quand on ne
songe qu'à la partie philosophique de ce qu'a
voulu faire ressortir le narrateur.
TROISIÈME PARTIE
CONTES ET LEGENDES QUI ONT TOUR BUT
LA GLORIFICATION DE L ISLAMISME
TROISIEME PARI II
p^v \ n s cette partie de notre livre nous
«k— * avons rapporté un certain nombre
de la catégorie la plus nombreuse des lé-
gendes sénégambiennes. En erïet, c'est
surtout les contes, histoires, légendes,
ayant pour but la glorification de l'isla-
misme qu'on entend raconter quand on
demande à un nègre de dire quelque chose
d'intéressant. Et si je n'avais été retenu
par la crainte de donner à ce recueil une
trop grande longueur c'est par douzaines
que j'aurais pu procéder dans mon énu-
nération.
]34 CONTES TOPULAIRES DE LA SÉNÉGAMME
Cependant ces légendes sont moins in-
téressantes pour nous que les autres, parce
qu'elles sont évidemment d'origine étran-
gère au pays et n'ont eu qu'un mérite à
nosyeux, celui de s'implanter dans l'esprit
des nègres aussi solidement pour y pren-
dre racine. — Cetts raison de iextraénité
de ces légendes fait qu'au lieu d'en rap-
porter un nombre aussi grand que lors-
qu'il s'est agi des qualités ou des travers
de l'esprit et du cœur, je me bornerai
aux suivantes :
I. La légende du croyant qui priait sou-
vent.
II. La légende du bracelet rapporté par
un poisson.
III. La légende de Koli bentan.
IV. La légende des faveurs accordées
aux nouveaux convertis.
$♦$♦$♦$
LKGKNDK DU CROYANT QUI l'Htm SOI
| I M I.hM ^:'^.K \ll JxMAlS UK l. V :
DIVINK.
Ii v avait jadis dans les plaines qui bor-
dent le Sénégal, aux environs de M.i-
tam, un homme du nom de Osman qui vivait
simplement, craignant Dieu et accomplissant
depuis son enfance tous les devoirs de la re-
ligion sans jamais y avoir manqué ni même
s 'être ralenti un seul instant dans son zélé
fer\ent.
Il avait acquis quelques biens par un tra-
vail incessant ; il avait eu de nombreux en-
fants qu'il avait élevés dans la crainte du
Tout-Puissant et la sévère observation des
lois du Coran; et par une grâce spéciale il
9
] 36 contes rorui. AIRES
était arrivé à un âge avancé sans avoir jamais
éprouvé un malheur quel qu'il fût.
Dans maintes circonstances, ses voisins
frappés de ce que tout lui réussissait, l'avaient
félicité de son heureuse chance, mais lui, qui
ne s'était pas laissé aveugler par le bonheur,
leur répondait que tout cela n'arrivait que
par la permission de celui qui commande à
toutes choses et que ceux qui ne sont pas
heureux en ce monde sont souvent plus cou-
pables qu'ils ne croient, car c'est à leur im-
piété qu'ils doivent leur malheur.
Il disait aussi que, même lorsque les épreu-
ves les plus dures sont imposées à un homme
par les décrets de la Providence, il y a béné-
fice à prier et s'incliner sans murmurer, car
le croyant finit toujours par être récompensé
de sa vertu.
Un de ses voisins, d'ailleurs aisé et heureux,
presque autant que lui, bien qu'il n'eût ja-
mais prié avec ferveur, qu'il ne se fût pas
privé de liqueurs fortes quand il allaita l'es-
cale et qu'il eût plus d'une fois rompu le
jeûne imposé par la religion à certaines épo-
ques, plaisantait souvent la pusillanimité du
croyant; lui disant; que toutes les prières
ne servaient a rien en définitive; que Dieu
M LA SKNÉCAMBIE
n'existait peut-être pas et que s'il
réellement, il était dans tous les cas si loin
et si occupé d'autres affaires qu'il ne songeait
assurément pas à tenir compte de quelque
chose d'aussi peu important qu'une prière
lite à l'heure, qu'un jeûne ou telle autre
pratique religieuse.
Une nuit, tout le monde était couché tran-
îillement, jouissant d'un repos gagné par
le chaude journée, quand un bruit inso-
lite, des coups de fusil, des cris, viennent
brusquement jeter la terreur dans toutes les
habitations ; une bande de pillard» armes
était tombée inopinément sur la tribu pour
s'emparer des troupeaux, des provisions et
en réduire les habitants en esclavage.
Osman saute hors de l'habitation armé de
son fusil pour défendre son bien contre les
malfaiteurs; mais avant d'avoir eu le temps
de se mettre en défense, il est terrassé, saisi,
garrotté et entraîné au loin. Il marcha ainsi
pendant plusieurs jours, conduit par ses ra-
visseurs, manquant de tout et souffrant tou-
tes les douleurs physiques et morales, car il
I qu'étaient devenus ceux qu'il
aimait tant. 11 était assurément le plus mal-
heureux des hommes; mais néanmoins,
I 3S CONTES POPULAIRES
malgré les privations, les mauvais traitements
il ne murmurait pas contre les décrets de la
Providence et répétait à chaque instant : que
la volonté de Dieu se fasse!
Osman fut mené à un marché éloigné
vendu comme captif et, chose étrange, son
nouveau maître venait d'acheter son voisin
l'irréligieux qui, comme lui, avait été pris,
garrotté et enlevé par les pillards.
Ils furent attachés à une même chaîne pour
faire le chemin qui les séparait du pays de
leur acquéreur et c'était vraiment chose
curieuse que d'entendre les deux captifs; à
chaque pas Osman disait une parole de rési-
gnation ou de prière, tandis que son cama-
rade proférait une plainte, un blasphème ou
une malédiction.
Un soir qu'ils s'étaient arrêtés dans un en-
droit assez couvert de broussailles, la sur-
veillance des maîtres se relâche un peu ; une
occasion de fuite se présente aux deux mal-
heureux captifs. Sans qu'ils eussent besoin
de se consulter longtemps ils s'échappent,
s'enfoncent dans les fourrés et sont bientôt
à l'abri de toute poursuite.
Le pays était désert, de sorte qu'après
quelques heures de marche ils purent se con-
M LA SKSfcGAMlilE
sidérer comme entièrement delivres; mais
leur condition n'était guère brillante, et en
effet ils étaient au milieu des champs n'ayant
plus à craindre des hommes, il est vrai, mais
ils étaient attachés aux deux bouts d'une
même chaîne rivée à leurs pieds et n'avaient
aucun instrument capable de rompis
anneaux de malheur qui les meurtrissaient,
en leur enlevant la meilleure partie de leur
force et de leur agilité.
Ils cherchèrent par mille moyens à briser
cette chaîne, et n'y parvenant pas chacun des
deux hommes exhala son chagrin à sa ma-
nière ; Osman par une prière fervente et ré-
résignée, l'autre par des jurons et des malé-
dictions capables de faire trembler les plus
hardis et de provoquer les plus grands mal-
heurs.
La punition d'une pareille impiété ne se
ht pas longtemps attendre; un lion attiré par
les éclats de voix du blasphémateur arrive
sur les lieux en deux bonds et trouvant la
proie à son gré, il brise la poitrine du pri-
sonnier d'un coup de griffe tandis que d'un
coup de dent il fait deux morceaux de son
corps.
Osman terrifié, comme on le pense bien.
I4O CONTES POPULAIRES
crut que sa dernière heure était sonnée,
d'autant plus que le lion en dévorant son ca-
marade lui jetait des regards qui signifiaient
clairement que son tour arriverait bien-
tôt.
Tout à coup un second lion accourt pour
prendre part à la curée, et la jalousie aidant,
au lieu de se saisir d'Osman, il veut disputer
au premier les lambeaux de chair qu'il dévo-
rait.
Voilà les deux bêtes féroces qui se battent
avec une ardeur inouïe, poussant des rugisse-
ments épouvantables, oubliant tout ce qui ce
passait autour d'eux, de sorte que le malheu-
reux Osman qui n'avait pas cessé de recom-
mander son âme à Dieu peut s'éloigner de
ses affreux animaux, et traînant une jambe
de son malheureux compagnon au bout de
la chaîne fixée à son pied, il se glisse dans
les herbes et arrive bientôt sur la berge du
fleuve.
Les lions voyant tout à coup que leur proie
leur échappait bondirent jusqu'à lui, mais
pas assez tôt cependant pour l'empêcher de
se jeter à l'eau, de sorte qu'il put se dérober
à leur voracité, et se croyant sauvé, il se
hâta d'adresser une prière de remerciement
DK I.A SÉNÉGAMBIE 141
;iu Tout-Puissant avant même d'avoir atteint
l'autre rive Je la rivière.
Il n'était pu au bout de ses peines ; en effet,
une énorme caïman survient, saisit la jambe
du blasphémateur restée attachée à la chaîne
11 d'Osman et gagne le fond se dirigeant vers
sa tanière.
Le malheureux croyant se sentant en-
traîné crut que sa dernière heure était bien
I arrivée, et il adressa encore une fervente
| prière au Tout-Puissant, puis avec la rapidité
de la pensée et mille fois plus vite qu'il ne faut
pour le dire, il passa sa vie en revue pour
Mt souvenir du nom de tel ennemi qu'il
avait pu avoir, car on sait sur le bord du Sé-
négal, de la Gambie et de la Casama nce que
le caïman qui vous saisit n'est que l'âme d'un
ennemi dont on a désiré la mort.
On sait surtout qu'en l'appelant par son
nom et en lui disant sévèrement, au nom de
Dieu Tout-Puissant, de s'en aller sans plus
us inquiéter, l'ennemi confus de se voir
ainsi découvert vous abandonne.
Mais Osman avait toujours vécu sainte-
ment, il ne connaissait personne qui lui vou-
lût du mal, il n'avait jamais désiré le malheur
de son semblable; aussi ne put-il pas donner
142 CONTKS l'Ol'UI- AIRES
un nom au caïman et il se laissa entraîner,
ne pouvant d'ailleurs résister en aucune ma-
nière.
Le monstre emporta sa proie vivante et
morte dans son trou qui, comme on le sait,
est au fond du fleuve disposé de telle sorte
qu'il forme une vaste chambre dont une
partie est à sec. Comme il était à la saison
de ses amours il se hâta de croquer la jambe
du blasphémateur, brisant la chaîne d'un
coup de dent, et poussa Osman dans le trou
sans lui faire le moindre mal, pensant le
garder en provision pour le partager avec sa
femelle quand elle viendrait au gîte; il se
mit même en campagne pour aller la cher-
cher.
Osman à peine jeté hors de l'eau à demi
mort se mit à genoux pour remercier Dieu
tout-puissant de l'avoir préservé cette fois
encore; mais comment sortir du trou? Sa
situation était, on le comprend, terriblement
précaire. Sans se décourager il fait la prière
de midi pensant qu'il devait être celte heure-
là sur la surface de la terre.
O prodige, en frappant du front sur le sol,
il voit à travers le monceau d'os demi-ron-
gés qui jonchaient la caverne; une mince
OE LA &EMÉGAMBIE 143
lueur; c'était une fissure du sol qui commu-
niquait avec le fond de la grotte. Il s'avance
aussitôt et peu d'instants après il pouvait
sans beaucoup d'efforts sortir de cet antre
terrible où tous avant lui avaient trouve la
mort.
l'.u le fait d'un hasard prodigieux il se
trouva que la grotte du caïman était voisine
du lieu où il habitait lorsqu'il avait été en-
lew par les pillards, et même il faut dire
que ces pillards dérangés par une résistance
énergique n'avaient pu faire aucun mal au
village, avaient été repoussés n'emportant
pour tout butin que le blasphémateur et
Osman, de sorte qu'il se trouva au milieu
des siens qui se portaient bien, n'avaient
rien perdu de leurs richesses et dont le bon-
heur fut sans mélange dès qu'ils virent re-
venir sain et sauf le saint homme dont cha-
cun déplorait la perte et que tous croyaient
mort.
On comprend sans peine qu'il dut rendre
îles lettons de grâce au souverain maître de
toutes choses, et pendant de longues années
encore il vécut heureux, exemple vivant du
proverbe : « Qui compte sur Dieu sans de-
sesycrer jamais ne craint aucun malheur. .
9*
te
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Iufc#4ta6£4k
m
NOK DU BRACKLKT HAl'l'OKIK
l'AK LK l'OISSON
Ii v av. lit au temps jadis un marabout
du nom de Hadj-Omar qui était un
saint homme répétant chaque jour : 11 n'y a
de Dieu que Dieu et celui qui ne craint pas
de le proclamer même au péril de sa vie re-
çoit toujours sa récompense. 11 vivait dans
les plaines du Tagant au milieu des Musul-
mans les plus fervents, qui, lorsqu'ils sont
attaque* a 1 heure du Salam M laisse massa-
crer plutôt que d'interrompre leur prière;
disant qu'il vaut mieux mourir que de ne
pas rendre grâce à Dieu de tous les biens
dont il comble les vrais croyants.
Sentant en lui le besoin de convertir les
146 CONTES POPULAIKES
infidèles il partit un jour marchant droit
devant lui avec le projet de s'arrêter là seu-
ment où il aurait fait reconnaître par tous
d'une manière éclatante la Majesté divine.
Hadj-Omar n'était pas riche, il possédait à
peine de quoi vivre et encore était-il obligé
de subvenir aux besoins de sa vieille mère;
mais cependant il ne s'inquiétait jamais du
lendemain, chaque jour jusque-là avait suffi
à sa peine.
Le voilà donc allant à travers le pays de
village en village; quand il avait prêché
pendant quelques jours, ramené au devoir
et à la religion quelques indifférents, il re-
prenait sa route pour atteindre la contrée où
il convertirait les infidèles.
Il arriva ainsi sur les bords du Niger et
s'arrêta quelque temps dans la ville de Sé-
gou qui était commandée à cette époque
par un roi puissant, Modi-Mamadi, homme
violent, orgueilleux, ne craignant pas la
justice divine parce qu'il se croyait fort de-
vant les hommes et que jusque-là il avait
terrassé tous ceux qui lui avaient résisté.
Hadj-Omar allait quitter encore ce pays
pour poursuivre son voyage quand un jour
Modi-Mamadi qui venait de remporter de
DE t.A SÉNÉGAMBIE I ;"
brillantes victoires dans le Bouré, et qui
avait trouve chtfl les vaincus des richesses si
immenses qu'il en était entièrement aveuglé,
écouta complaisamment la voix de griots
Bal inspires et irréligieux.
Allole par son OrgUCtl <- 1 v( puttUSCt, »i
l'étlil dit : Je suis le plus puissant, plus
puissant que Dieu même, et reunissant dans
une plaine au\ portes de la ville toute la po-
pulation de la ville il lui tint ce langage :
Habitants, sachez que je suis le plus puis-
sant; personne ne peut résister à ma vo-
lonté. Ainsi désormais, je ne veux plus qu'il
soit parle de puissance comparable
mienne; je serai le Dieu du pays, par consé-
quent au lieu de |urer par Allah et par
Mahomet vous ne jurerez plus que par
Modi-Mamadi ; au lieu de vous tourner vers
louent pour faire votre prière, vous vous
tournerez désormais vers mon palais et
vous m'invoquerez à toute heure du jour.
Celui qui n'obéira pas à cet ordre sera mis
immédiatement à mort.
La population de Ségou composée de ti-
mides Saracolais, craignant surtout la mort
et la souffrance, écouta cette étrange procla-
mation en silence; elle était musulmane, il
148 CONTES POPULAIRES
est vrai, bien plus elle était foncièrement
religieuse, mais ayant l'habitude d'obéir
à la voix du commandement elle n'osait
faire résistance à la volonté de Modi-Ma-
madi.
Quelques vieilards, quelques sérims, quel-
ques talibas était bien révoltés au fond du
cœur contre une pareille prétention inique
autant qu'absurde, mai chacun craignait
pour sa vie, et tous courbaient la tête sans
oser dire au roi qu'il avait tort
Seul Hadj-Omar eut plus de courage que
tous les autres habitants réunis; il fend la
foule et arrive d'un pas délibéré jusqu'au
pied du trône royal.
Là d'une voix ferme et digne il dit à celui
qui voulait recevoir désormais les honneurs
divins :
« Il n'y a de Dieu que Dieu et Mahomet
est son prophète; le roi d'un pays est le pre-
mier serviteur du Tout-Puissant, son auto-
rité, quelque grande qu'elle soit, ne peut
empêcher les croyants de reconnaître le sou-
verain maître de toutes choses comme supé-
rieur à tous.
« Tu veux que je t'adore comme mon
Dieu, eh bien! tiens, voilà du sable que je
M I A SKNÉGAMBIK I 4.)
M par terre, fais en de toutes pièces
du semblable du haut de ton trône.
• Voilà un bâton de bois mort, fais-le re-
verdir et couvrir de feuilles, comme Dieu le
fait tous les printemps.
• Regarde le ciel est sans nuages, com-
mande au soleil de se cacher et à la pluie de
tomber,
• Je te promets si tu me donnes de pareils
de ta puissance d'être désormais ton
plus fidèle adorateur, il ne se passera pas de
jour sans que j'invoque ton nom à chaque
taire. Mais au contraire, si tu ne peux faire
tout cela je dirai que quelque puissant que
tu sois tu n'es qu'un homme; si lu es fort,
si tu es heureux, c'est a Dieu, à Dieu seul
que tu le dois, car je le répète : il n'y ■ de
Dieu que Dieu et Mahomet est son pro-
phète. •
lui entendant ces paroles, Modi-Mamadi,
qui était aussi dissimule que cruel, aussi ha-
bile qu'orgueilleux, vit qu'il ne fallait pas
persister pour le moment dans sa prétention;
la foule avait écouté avec un silence recueilli
les paroles si digne d'Hadj-Omar et un mur-
mure d'approbation s'élevait, grossissant,
pouvant même devenir le point de départ
I 30 CONTES l'OPULAIKES
d'une émeute, qui sait? d'une révolution.
Sa figure qui était sévère prend tout à
coup un air souriant, et se tournant vers la
population, il dit aux habitants de Ségou :
« Personne n'est plus humble que moi, le
plus fort des hommes, devant Dieu qui est
le Tout-Puissant : jamais je n'ai eu la pensée
de vouloir être autant que lui, et ce que je
viens de dire tantôt était uneruse pour savoir
lequel d'entre vous est le meilleur croyant,
le plus sage et le plus fervent serviteur de
Dieu.
Approche, Hadj-Omar : c'est toi qui as le
premier rang, aussi désormais tu seras mon
premier ministre. C'est toi qui transmettras
mes ordres, qui veilleras à la sécurité de
l'Etat et qui prendras soin que tous mes
sujets vivent selon les préceptes de la reli-
gion.
« Ta puissance sera égale à la mienne, et
pour que personne n'hésite à exécuter tes
ordres, voici un bracelet que je te donne, il
est semblable absolument à cet autre que je
porte au poignet; tous deux sont d'un tra-
vail si admirable et si compliqué qu'ils ne
sauraient être contrefaits, par conséquent en
le montrant, ton autorité sera incontestable
M LA SÉNÉGAMBIE I 5 !
comme la mienne propre. Veille pour la
grande gloire de Dieu à ne pas le perdre,
Car il t'arriverait malheur dans ce cas. •
Hadj-Omar s'inclina respectueusement et
prit le bracelet; il aurait bien voulut refuser
les honneurs que lui octroyait Modi-Ma-
madi, mais il sentait qu'il manquerait à sa
promesse de faire tout pour la propagation
de le religion s'il n'acceptait pas la charge
de veiller à l'exacte observation de la loi,
dans un pays où elle était observée tout
juste et où la foi était chancelante autant
que souvent menacée.
11 ne pouvait croire cependant que Modi-
Mamadi fût de bonne foi vis-à-vis de lui : la
dernière recommandation du monarque lui
parut suspecte, aussi rentra-t-il chez lui et
donna-t-il ce précieux bracelet à sa mère en
lui disant : Garde-le à l'abri de tout larcin,
car notre vie dépend désormais de sa pos-
session.
La vieille mère qui était une femme de
prudence pensa que les voleurs fouilleraient
partout, et pour les dérouter le cas échéant,
elle Ht un trou dans le sable de la case, y
enterra le bracelet qu'elle avait eu soin
l'entourer de linges pour qu'il ne se ternit
I 52 CONTES POPULAIRES
pas. Elle remit tout en place après avoir
comblé le trou, si bien que personne au
monde ne pouvait savoir où se trouverait le
talisman royal.
Modi-Mamadi à peine rentré chez lui fit
venir son griot et lui dit : « Il faut à tout prix
que tu dérobes le bracelet de Hadj-Omar;
ta fortune est assurée à jamais si tu réussis.»
Ce griot était si habile que toute la case
d'Hadj-Omar fut visitée, fouillée mille fois
en quelques semaines; ne sachant plus com-
ment faire pour découvrir le bijou, il eut
l'idée de creuser une galerie sous terre, es-
pérant entendre quelque jour le fils et la
mère parler de l'endroit où on l'avait caché;
et chacun juge de sa joie quand il trouva
ainsi sur la route le bracelet tant désiré.
Il le porta aussitôt à Modi qui ne tenant
plus de joie le jeta lui-même au fond du
fleuve; on était au mois de juillet et la crue
des eaux commençant, il se dit avec satis-
faction : il n'y a pas de puissance au monde
capable de le retrouver avant le mois de dé-
cembre, et d'ici là Aadj-Omar sera mort de-
puis longtemps.
Le lendemain Modi fait rassembler le peu-
ple comme la première fois à la porte de la
M Là SRNEGAMBIK | 53
ville et il envoie chercher Hadj-Omar qui
n'eut garde de manquer au rendez-vous.
Alors le roi fit un long discours; il dit aux
anciens du pays : « Que mérite celui qui
ayant reçu mission de sauvegarder la reli-
gion et qui ayant en sa possession un talis-
man capahle de lui obtenir toute obéi-
méprise assez les ordres du roi et les inteiêt*»
de Dieu pour perdre ce talisman ? »
Unanimement l'assemblée repondit . la
mort.
« Eh bien! répliqua Modi-Mamadi : Had|-
Omar, où est le bracelet que je t'ai conhe - .
Tout le monde trembla, pressentant une
terrible catastrophe, car on devinait bien
que le roi ne jouait cette partie qu'à coup
sûr. Seul Hadj-Omar sans perdre conte-
nance l'avança du trône, et sortant de la
poche de son boubou le bracelet demande,
répondit : « Roi, le voilà. »
Modi ne revenait pas de son étonnement,
quand Hadj-Omarajouta : — « Roi, incline-toi
enfin devant la souveraine puissance de Dieu;
tu as cru que tu allais me perdre et te ven-
ger ainsi de ce que j'ai dit que tu es moins
fort que Dieu? Eh! bien! une fois encore,
tu es vainc..!.
I D4 CONTES POPUÎ. AIRES DE LA SÉNEGAMBIE
« Ce bracelet que tu m'as fait dérober et
que tu as jeté dans la rivière a été avalé
par un poisson, or, tantôt quand ton émis-
saire est venu me commander de venir de
suite auprès de toi, c'était l'heure de la
prière et je me suis dit : Prions d'abord,
nous obéirons au roi ensuite. J'étais au bord
de la rivière, et pendant que j'achevais ma
prière un poisson a sauté sur la berge, je l'ai
saisi pour le donner à ma mère afin qu'elle
le préparât pour notre dîner de ce soir; en
l'ouvrant elle a trouvé dans son estomac ce
bracelet que Dieu m'envoyait ainsi pour
confondre les méchants et faire proclamer
sa puissance. »
Modi constata que le bracelet était bien
celui qu'il demandait, croyant l'avoir jeté
dans un endroit où nulle puissance humaine
ne pouvait le reprendre. Frappé enfin de
crainte par cette manifestation de la vo-
lonté divine, il se prosterna, adora Dieu
sans arriére-pensée et fut dès ce même
jour un croyant accompli ; faisant le bien
et ne vivant que pour le bonheur de ses
sujets, avec Hadj-Omar pour chef de la
religion et de la justice.
111
i l'iil-NDK DK KOLI BKM \N
a dis le pays de Brassou dans le voisi-
nage de Casamame était gouverné par
un roi du nom de^Koly. Ce roi, Mandingue de
naissance, puissant autant que féroce; ivro-
gne autant que puissant, était idolâtre et
avait une aversion marquée pour les Musul-
mans qu'il taisait souffrir en toute occasion
et dont il tournait les prières et les cérémo-
nies religieuses en ridicule.
Venant à passer un jour dans le village
qui porte aujourd'hui le nom de Kolibentan,
et qui avait alors une autre dénomination, il
aperçut une jeune Saracolaise qui sortait à
peine de l'enfance et dont la grande beauté
le frappa vivement.
I 56 CONTES POPUl.AMM S
Koli eut aussitôt de grossiers désirs qu'il
voulut assouvir brutalement, mais il avait
compté sans l'islamisme; en effet, le père et
la mère de la jeune fille étaient de fervents
musulmans qui avaient élevé leur enfant
dans la crainte du vrai Dieu et du prophète.
Bien plus un marabout. du voisinage avait
offert son cœur à la belle Saracolaise et at-
tendait l'expiration du rhamadam pour l'é-
pouser, de sorte que le roi Koli trouva une
résistance absolue et bien déterminée à ses
désisrs.
Que faire en pareil cas, son griot le lui
suggéra aussitôt; faire enterrer vivants le
père et la mère qui avaient osé s'opposer à ses
royaux désirs. Puis faire amener la jolie Sa-
racolaise et prendre de force le cœur qu'elle
ne voulait pas donner de bon gré. La pre-
mière partie du programe fut exécutée aus-
sitôt, seulement lorsqu'il se trouva seul avec
la jeune fille il était tellement ivre que celle-
ci put se défendre victorieusement.
Le lendemain Koli raconta a son griot
qu'il avait fini par s'endormir sans triom-
pher de sa victime; il en fut gourmande et
se promit bien de ne pas rester en chemin
quand la nuit serait venue. Mars lorsque le
ser
s'éc
les
ex
DE I.A SÉNÉGAMBIE J $7
soleil M toucha il avait bu sans retenue de
sorte, qu'il était aussi ivre, sinon plus que
la veille. Il fit néanmoins de nouveau des
tentatives auprès de la pauvre enfant qui,
rée de trop près à un moment donné,
chappa de la case et se mit à courir dans
champs poursuivie par Koli. Une racine
ubérante d'un bentanier gigantesque qu'on
voit aujourd'hui encore à peu de distance
du vil lug« la fit tomber elle perdit ainsi l'a-
vance qu'elle avait sur son ravisseur. File
allait succomber quand elle s'écria : Dieu de
Mahomet ne permet pas qu'un Kéffir dé-
shonore une sage musulmane. Les griots de
Koli n'entendirent plus rien, ils rentrèrent
chez eux en attendant le lendemain pour
féliciter leur roi; mais aux premières lueurs
de l'aurore grand fut leur étonnement sinon
leur terreur. Le corps de Koli se balançait
pendu à une des branches du bentanier par
le pagne de la belle Saracolaise.
Que s'etait-il p^ssé? — Ici les versions
sont différentes; les uns disent que la jeune
fille fut enlevée au ciel et que Koli furieux
de voir qu'elle lui échappait s'était pendu de
colère avec le pagne qu'il avait déjà saisi.
D'autres disent que l'amant de la jolie Sara-
I 58 CONTES POPULAIRES DE I.A SKNKGAMP.IE
colaise était précisément arrivé à ce moment
et apprenant tout d'un coup d'oeil avait
étranglé l'ivrogne; puis avait jugé prudent
aussitôt de mettre du pays entre sa fiancée
et les soldats de Koli. — Les fervents mu-
sulmans préfèrent la première version.
Ai-je besoin de faire remarquer au lecteur
l'analogie qu'il y a entre la légende de la
mort de Koli-Bentan et celle de la fin tra-
gique d'Attila ?
J&p*
•i^tf* */*\k\ ** tf* * *\*. *?U** *»\*\ *ftf+
IV
LAOCNM DM KAVKUKS AC0ORHKKS AIX
NOUVKAUX CONVKH IIS
Dans le pays de Bounoun, il y avait jadis,
un nommé Aliou qui était idolâtre,
buvait des liqueurs fermentées, mangeait du
lorc, n'observait aucun jeûne et croyait aux
hris-grù fétichistes. Il avait pour les musul-
mans une violente haine; aussi toutes les
fois qu'il rencontrait un marabout isolé, il
lui coupait le cou. La vue d'un individu fai-
sant son salam avait la propriété de le ren-
rtndre furieux, et quand il entendait appe-
ler à la prière, il se mettait à l 'art ù t de telle
sorte que bientôt celui qui convoquait les
croyants était tué, comme une pièce de gi-
bier, d'un coup de fusil.
ibO CONTES POPULAIRES
Ses actes de barbarie étaient si borribles,
si nombreux, duraient depuis si longtemps
que les musulmans du Toro résolurent un
jour de se débarrasser d'un aussi cruel en-
nemi.
L'Almamy Mahamet, à la sollicitation
réitérée de ses sujets, se mit à la tête d'une
véritable armée pour aller le capturer et le
tuer. C'est en vain que la troupe sonda les
moindres broussailles des environs, jamais
Aliou ne tomba entre les mains des soldats
de Mahamet; on disait même qu'il était en
relations avec les esprits infernaux qui lui
permettaint de se rendre invisible dans les
moments critiques. Bref, les vrais croyants
étaient décimés à chaque instant quand ils
étaient isolés, et malgré les plus actives
recherches Aliou restait introuvable.
Une nuit cependant, l'ennemi de la vraie
croyance eut une vision; ses yeux se dessil-
lèrent, il comprit qu'il faisait mal en tortu-
rant les musulmans et il prit la résolution
de se convertir à l'islamisme. Sa décision
une fois prise, il se débarrasse de ses armes
et va d'un pas délibéré au milieu de l'armée
de Mahamet.
Les sentinelles voyant venir à elles un
DE LA SÉNÉCAMRIK
l6l
homme qui paraissait inoffensif lui deman-
dent ce qu'il veut. • Je veux parler à l'Al-
mamy Mahamet • dit-il, et on le condui-
sit auprès du chef qui dans ce moment était
entouré de tous ses lieutenants et qui \enait
de failt une fervente prière au Tout-Puis-
sant pour la capture d'Aliou, car il y avait
trop longtemps que l'armée était ainsi im-
mobilisée par un seul homme; alors qu'il
avait l'ardent désir de mettre à exécution
un projet caressé depuis longtemps : l'in-
vasion du pays de Sénoukouya, repaire de
Kiédos, intempérants, idolâtres et brutaux.
Mahamet voyant approcher l'étranger lui
lit : « Qui es-tu » ? Celui-ci lui répondit
issurance : • Je suis Aliou, l'ennemi des
croyants, celui contre lequel ton armée a été
impuissante jusqu'ici. •
\ m mots un frémissement d'horeur et de
colère passa dans l'assemblée ; dix lieute-
nants se levèrent spontanément, portant la
main à leur sabre pour venger les trop
nombreuses victimes faites par Aliou; mais
Mahamet qui était un homme juste sen-
tit que non-seulement ce serait une ven-
aïKe stérile, mais qu'il y aurait iniquité a
jassacrer sans l'entendre un individu, quel-
IÔ2 CONTES POPULAIRES
que ennemi qu'il fût, quand cet individu
venait sans armes pour parler avec lui; par
conséquent il arrêta le mouvement d'un si-
gne, car il était respectueusement obéi dans
tous ses commandements. — « Que veux-tu,
pourquoi es-tu venu jusqu'ici? » lui dit-il;
Aliou répondit : « J'ai jeté mes armes pour
montrer que je viens ici en ami et non en
adversaire; je suis venu parce que je veux
me convertir à l'islamisme. »
On juge de la stupéfaction de tous. Seul
Mahamet ne perdant pas son sang-froid
lui dit: «Sais-tu bien que pour être croyant,
il faut se faire raser la tête au lieu de por-
ter la chevelure abondante et tressée comme
tu l'as fait jusqu'ici. » Aliou répondit :
« Qu'on me rase la tête. » « Sais-tu , dit
Mahamet, qu'il faut jeter les gris-gris que
t'ont donné les griots idolâtre pour ne se
parer que de gris -gris musulmans compo-
sés d'un verset du coran. » Aliou jeta loin de
lui tous ses gris-gris sans plus répondre.
« Sais-tu qu'il ne faudra plus boire de sangara,
plus manger de porc, observer le jeûne, faire
ton salam tous les jours aux heures com-
mandées par le prophète. » Aliou répondit ■
« C'est ma formelle intention. »
.ÉGAMBIE 1 63
Enfin sais-tu, lui dit Mahatnet, qu'il fau-
dra désirer la conversion des tiens restés
dans l'idolâtrie et même porter les armes
contie la nation pour l'initier à la loi musul-
mane. Aliuu lepondit, je suis prêt à mettre
mon père dans l'alternative de croire en
Dieu tout-puissant et à Mahomet son pro-
phète ou bien de mourir. »
En présence d'une pareille résolution, Aliou
fut instruit dans la religion musulmane et
accepte comme vrai croyant. Mahamct plein
de joie annonça qu il allait maintenant
mettre en route pour combattre les infidèles.
Toute l'armée accueillit la nouvelle
des transports de joie et au moment où elle
acclamait son Almamy, un sabre tombe du
ciel, au milieu du camp, aux pieds du chet
et de ses lieutenants, sabre terriblement
affilé et capable de faire les plus sanglantes
blessures.
Un soldat cupide en présence de cet arme
magnifique se précipite sur elle pour s'en
emparer ; mais ô prodige! le sabre était si
lourd, si lourd qu'il ne pût le soulever;
il lui eût été plus facile d'arracher un bao-
bab séculaire avec une seule main que de
faire remuer cette arme enchantée.
164 CONTES POPULAIRES
Toute l'armée essaya tour à tour de s'em-
parer de l'arme, mais, peine superflue, son
poids était tel que pas un ne réussit. Il ne
restait plus que deux hommes n'ayant pas
porté la main sur le sabre : c'étaient Aliou
et Mahamet. Mahamet lui dit : saisis-t'en et
tu marcheras ainsi armé contre les infidèles.
Une clameur d'incrédulité s'éleva parmi
les guerriers. « Comment, s'écrièrent-ils
tous ? Gomment voulez-vous, Almamy, qu'un
croyant de quelques minutes de date soit
plus habile que nous, musulmans de nais-
sance ? Non, la chose n'est pas possible, et
Aliou ne pourra pas plus que nous se saisir
de ce sabre.» Aliou s'approcha et au moment
de tendre la main il dit : « Ceci est pour la
plus grande gloire de Dieu et de Mahomet son
prophète ; le souverain maître de toute chose
permettra à son serviteur fidèle de faire des
prodiges pour la glorification de son nom. »
Puis il prit le sabre sans aucune difficulté
et le brandit avec l'aisance d'un guerrier
consommé.
On comprend l'émotion générale; l'armée
transportée d'admiration s'élança dans la
direction des infidèles brûlant de les com-
battre et les Kiédos idolâtres qui étaient pré-
tance les attendirent de pied
ferme tvec une telle vigueur que bientôt les
croyants huent décimés.
L'ardeur de l'attaque avait été telle que
Mahamet et Aliou avaient été dtWSSCe* et au
moment où ils arrivèrent sur le champ de
bataille ils trouvèrent l'armée musulmane en-
tièrement détruite.
Les Kiédos triomphaient et les entou-
rèrent pour les faire prisonniers dans le
désir de les immoler ensuite. C'est alors
que les Jeux seuls survivants de la troupe
musulmane, Mahamet et Aliou, tirèrent
leurs sabres.
Mahamet avait une arme bénie qui lui
avait été envoyée de la Mecque et qui
tuait dix infidèle» à chaque coup ; il se
mit donc en mesure de lutter vigoureuse-
ment; mais le sabre d' Aliou abattait cent
tètes à chaque tour de bras de sorte qu'en
quelques minutes les Kiedos furent exter-
mines
Mahamet et Aliou rentrèrent triomphants
et victorieux au pays, emmenant un grand
nombre d'esclaves qui furent convertis à
1 islamisme, et pour reconnaître les exploits
I* Aliou, l'Almamy, qui n'avait qu'une fille.
l66 CONTES POPULAIRES DE L\ SÉNÉGAMBIE
Fathima Benta, la lui donna en mariage, ce
qui lui assura la succession du pouvoir.
L'almamy Aliou eut un règne plus glo-
rieux que tous les autres et vérifia ainsi le
dicton : Que le dernier converti quand il
est ferme vaut mieux que cent musulmans
de naissance qui pratiquent une religion avec
tiédeur.
Cette légende rappelle le dicton qui a
cours dans la religion chrétienne : Il y a
plus de place au paradis pour un nouveau
converti que pour dix justes. A ce titre nous
pouvons penser que si les Toucouleurs la
racontent volontiers, elle n'a cependant pas
pris naissance dans leur cerveau.
A PPRECIATION
Comme nous le disions tantôt c'est dans
cette catégorie que nous pouvons ranger
la très grande majorité des légendes que
racontent les griots et les marabouts dans
les peuplades nègres, qui ont assez profon-
dement subi l'influence religieuse de l'Islam.
Chez les Peuls du haut Sénégal par exem-
ple, chez les Toucoulors et les Mandingues
du bassin du Niger ou du Fouta Sénégalais.
I Remarquons que ces peuplades sont limitro-
phes des Maures touaregs etc., tous gens qui
( sont de fervents musulmans, de sorte que
i l'action de voisinage s'est fait sentir chez
• eux d'une manière plus intime et plus com-
1 plète que partout ailleurs.
1 68 CONTES POPULAIKES
A mesure que l'islamisme se répand de
proche en proche plus avant dans le Sud.
On voit les légendes religieuses s'infiltrer peu
à peu dans les peuplades nègres méridiona-
les et nous devons dire même que c'est un
puissant moyen de prosélytisme mis en œu-
vres par les Mahométans isolés.
En effet, un pèlerin, un de ces voyageurs
qui viennent on ne sait d'où et qui vont
droit devant eux sans trop savoir eux-mêmes
vers quel but ils se dirigent, arrive dans un
pays quelconque. Il demande l'aumône de
quelques aliments ; on le regarde naturelle-
ment avec quelque curiosité et on le ques-
tionne volontiers. Il raconte alors des choses
intéressantes qui ébahissent bien des esprits
simples et au milieu du récit de ses aventu-
res il vous parle, comme s'il l'avait vu. de ce
croyant qui priait toujours par exemple et
qui fut sauvé miraculeusement des griffes du
lion et de la dent du Caïman alors qu'un
de ses compagnons athée fut dévoré précisé-
ment au moment où il blasphémait. Un au-
tre parlera à ses auditeurs du bracelet rap-
porté par un poisson. Un troisième racon-
tera la légende du nouveau converti plus
puissant que les anciens croyants.
DE LA SÉNÉGAMBIE
Mille autres légendes de la même poi I
dans lesquelles le cadre peut changer .<
fini, vins que le but final soit diflèrcn:
ainsi colportés du Nord et de l'Est, I
rant 1 imbie de proche en proche
comme les assiégeant ensserrent peu à peu
uii pays qu'ils veulent conquérir.
D'ailleurs ce qui facilite l'œuvre, c'est que
dans ces peuplades naïves et émerveillées,
■Stties ds l'extraordinaire, crovant volontiers
au surnaturel, neuf auditeurs sur dix croient
a l.i réalité du récit, là, s'ils n'en compren-
nent pas la portée morale ou religieuse du
premier coup, sont très disposés à considérer
le héros de l'aventure avec une sympathie
marquée qui déteint sur le narrateur lui-
même.
D'où viennent les légendes musulmannes?
Nous avons à peine besoin de nous pour
cette question elles viennent du Nord-Est
c'est-à-dire des pays qui ont été les premiers
foyers du mahométisme. Elles datent par-
lois de dix ou douze siècle déjà repétées plus
ou moins inconsciemment de bouche en
bouche à travers les âges. Elles sont colpor-
tées de proche en proche d'un pays à l'autre
si bien et si exactement que plus d'une se
I70 CONTKS l'OPU [.AIRES DE I.A SENKG A M l'.l F.
raconte également ou avec des variantes insi-
gnifiantes sur les rives du Se'négal comme dans
la vallée du Niger, sur les plages du lac de
Tchad, comme sur les côtes du lac Victoria.
Sans compter qu'en Algérie, à Tunis, en
Egypte, à Constantinople même, on peut les
entendre de la bouche de ces voyageurs
moitié griots moitié marabouts qui passent
leur vie à parcourir le monde de l'islam en
vivant d'aumônes sans jamais songer au len-
demain jusqu'au jour où la maladie, un ac-
cient, une erreur de route ou telle circons-
tance fortuite les fait mourir sur le bord
d'un chemin où les chacals et les vautours
en font leur pâture.
Ce qui caractérise les légendes de cette
catégorie c'est une grande unité de but et le
plus souvent même une grande analogie de
canevas. C'est, on le comprend, la consé-
quence de l'origine étrangère. En effet cette
sorte de légende peut bien se plier à
telle ou telle particularité locale spéciale au
pays où se trouve le conteur par de petits
artifices de mise en scène destinés à frapper
plus vivement les auditeurs suivant le pays;
mais cette variation ne porte en somme que
sur un infime détail le plus souvent.
QUATRIEME PARTIE
CONTES ET LÉGENDES QUI ONT TRAIT A UN
ÉVÉNEMENT RÉEL PLUS OU MOINS ALTÉRÉ
l>AR LA TRADITION ORALE, INSPIRÉE PAR I \-
MOUR DU MERVEILLEUX, LES CROYANCES
SUPERSTITIEUSES, OU LE SIMPLE PLAISIR DE
POSER UNE QUESTION ÉN1GMAT1QUE A I.'aU-
DITEUR.
QUATRIEME PARTIE
Dans cette partie de mon livre il entre
comme on va le voir, des sujets as-
sez différents comme idée et comme por-
tée philosophique ou morale. Je les ai
rapprochés pour ne pas subdiviser mon
sujet en un grand nombre de portions
distinctes, ce qui eut donné à mon étude
une étendue que son cadre ne comporte
pas; mais le lecteur constatera que ces
histoires, ces contes, légendes, proverbes,
etc., sont nombreux autant que variés.
Voici l'énumération des sujets que con«
tien cette quatrième partie :
174 CONTES POPULA1KES DE LA SÉNEGAMBIE
I. Légende de Matik-si.
II. Légende du serpent du Bambouk.
III. Légende de la création de l'empire
Djolof.
IV. Le cavalier qui soignait mal son
cheval.
V. Le trafic à la muette entre gens qui
ne se voient pas.
VI. Légende de Koli-Satigny,
VIL Légende sur l'origine des laobés
et des griots.
VIII. Légende de Peuda balou.
IX. Croyance aux sorciers chez les nè-
gres sénégambiens.
X. Énigmes et proberbes.
M^jt, Y"\©YÇi#^V,WjtWl * VW * *€wi
LEGKNDK DE MAL1K SI
Il y a quelques siècles, le pays de Bon-
dou, qui est placé sur la rive gauche du
Haut-Sénégal entre le pays de Gov et de Den-
tilia, dans le voisinage de la Falemé, était
inhabité.
Ses collines étaient couvertes de bois dans
lesquels la hache n'avait jamais passé; ses
plaines produisaient à chaque hivernage une
verdure luxuriante qui se desséchait à l'é-
poque des vents d'est sans bénéfice pour per-
sonne ; ses marigots regorgeaient de pois-
sons que le filet ni la sagaie n'avaient jamais
poursuivis.
Bref, Dieu n'avait pas encore donne ce
J JtJ CONTES POPULAIRES
pays en possession effective à ses enfants
noirs de la Sénégambie.
Les Saracolais du Goy, du Kame'ra, du
Natiaga allaient bien établir de temps en
temps un lougan sur les bords de la Falemé
ou des marigots qui y aboutissent.
Il leur suffisait de débarraser le sol de
quelques mauvaises herbes pour recueillir
d'énormes quantités d'arachides venues sans
culture ; ils n'avaient qu'à jeter un peu de
semence sur les parties que l'eau laissait à
découvert dès que le fleuve baissait pour
avoir une magnifique récolte de mil qui don-
nait l'abondance pour l'année entière ; mais
ils n'occupaient pas le sol d'une manière dé-
finitive et permanente.
Le Bondou était seulement pour plusieurs
d'entre eux le but d'un de ces voyages que
les Soninkés aiment tant à faire, ou bien le
lieu où ils allaient y passer en villégiature
quelques mois de la saison chaude.
Le Tunka (roi) du Goy aimait depuis
un temps immémorial à venir habiter pen-
dant quelques mois de l'année dans cer-
tains points découverts du pays où la brise
d'ouest rafraîchissait mieux l'atmosphère
et où les Maringouins étaient en moins
DE LA SÉNÉ0AMB1E I 77
grande quantité que sur les bords du Séné-
|tl.
11 avait élevé dans un endroit appeléTuabo
une habitation d'été très bien disposée et il y
passait des moments agréables pour lui, uti-
les pour ses sujets, au bonheur desquels il
pensait volontiers, enfin profitable aux étran-
gers parce que ses captifs récoltaient là par
un travail facile dans les lougans impn
les grains nécessaires pour exercer la charité
d'une manière très libérale.
Grâce à cette aisance, le Tunka du Goy,
qui était un homme sage quoiqu'il fût idolâ-
tre, avait une réputation méritée de bonté et
de justice qui s'étendait bien au delà des li-
mites de son autorité.
Cette réputation alla jusqu'aux oreilles
d'un célèbre marabout Mandingue qui avait
nom Malik-si et qui avait fait dans tout le
Fouta Damga, le Gangaran et jusqu'à Ségou
même des conversions admirables à l'isla-
misme, rien que par ses saintes paroles et sa
grande habileté à fabriquer des gris-gris ex-
cellents contre tous les dangers quels qu'ils
soient qui peuvent assaillir un homme.
On parlait notamment d'un talisman qu'il
avait donné à un pauvre colporteur Saraco-
I78 CONTES POPULAIKES
lais assez charitable pour avoir partagé un
peu d'eau avec lui un jour qu'ils voyageaient
ensemble dans les plaines arides du Kaarta.
Ce gri-gri avait une puissance si merveil-
leuse qu'il lui sauva la vie d'une manière
éclatante un jour qu'il était tombé dans un
parti de Maures; en effet, un des pillards
voulant tuer le malheureux Saracolais pour
qu'il ne pût se plaindre à personne, lui asséna
un grand coup de sabre, mais la lame ayant
rencontré le talisman se rompit en deux sans
faire la moindre entaille à la peau du pro-
tégé de Malik-si.
Quand le grand marabout Mandingue avait
pris soin de laver dans l'eau d'un marigot sa
planche d'écriture sur laquelle il avait au
préalable inscrit un verset du Coran, ses
élèves pouvaient s'y baigner sans crainte des
caïmans et des hippopotames, car ces ani-
maux restaient dévotement dans le fond, ou
bien les regardaient avec respect sans rien
tenter contre leur existence.
Bref, dans un grand nombre d'occasions
Malik-si avait donné des preuves de sa puis-
sance surnaturelle de manière à commander
le respect pour sa personne et l'amour pour
sa religion.
DE I.A siNÉGAMDIK
Malik-si qui vivait pour le triomphe de lis-
ïamisme se dit : il est juste qu'un homme
aussi sage que le Tunka du Goy ne reste pas
Kefir (idolâtre) jusqu'à la mort; il faut que
ses sujets ne végètent pas perpétuellement
dans les obscurités et la pratique du féti-
chisme.
Roi et sujets méritent de devenir musul-
mans s'ils sont aussi charitables que leur
réputation le prétend. Et il se mit en route
vers Tuabo ou le Tunka était établi depuis
quelques semaines.
Il arriva suivi des nombreux jeunes talibas
qui écoutaient ses leçons avec empressement,
et pour savoir tout d'abord à quoi s'en tenir
au juste sur la charité du Tunka, il leur
commanda d'aller quêter à la porte de la case
royale les uns après les autres, sans avoir
l\iir de se connaître.
Le premier avait à peine entonné le chant
de Bissimillaï Rahmat Mai', etc., etc., à l'aide
desquels les talibas demandent habituelle-
ment leur nourriture et celle de leur maître
quand ils sont en voyage, qu'on lui donna
une calebasse de couscous assez grande pour
rassasier quatre Maures, et qu'on remplit la
poche de son boubou, qui cependant était
ii«
l8o CONTES POPULAIRES
grande comme celle d'un Toucoulor, de
pistaches grillées.
Il fut fait successivement de même à l'é-
gard de tous les talibas sans que les derniers
fussent moins bien partagés; aussi la pre-
mière impression de Malik-si fut-elle très
favorable.
Voilà, se dit-il, un idolâtre qui pratique la
charité d'une manière qui ferait rougir bien
des croyants.
Il vint demander alors l'hospitalité au
Tunka qui écouta ses prédications avec le
respect dû à la parole sacrée, tandis qu'il
ordonnait que le marabout et ses élèves fus-
sent traités avec la distinction qu'ils méri-
taient. Ses captives préparaient chaque jour
une abondante ration de couscous. Les vo-
lailles, le poisson, la viande de bœuf et de
mouton étaient toujours en abondance dans
la part qu'elles avaient l'ordre de réserver
aux étrangers.
Malik-si fut si content de cette bonne ré-
ception, il fut si touché de la bonté, de la
justice du Tunka qu'il lui dit, un jour qu'il
avait longuement causé avec lui de la politi-
que du pays, qu'il était disposé à lui donner
telle grâce spirituelle qu'il lui demanderait,
DE LA SÉNÉGAMBIE |8l
qu'il userait de la puissance de sainteté qu'on
Considérait avec juste raison comme surna-
turelle pour satisfaire le vœu qu'il formu-
lait.
Le bon Tunka avait beaucoup de vertus
et de qualités comme son peuple, mais il
n'avait pas le courage militaire et les aptitu-
des guerrières de plusieurs de ses voisins
Toucoulors, Maures , Peuls même. Aussi
depuis son enfance, lui comme les siens
avait-il souvent tremblé devant des exigeants
coureurs d'aventures, avait-il plié sans com-
battre de peur d'être vaincu et d'avoir à payer
davantage après l'action, sans compter les
chances de mort et de blessure qu'il aurait
eues à redouter.
Aussi voyant qu'il pouvait formuler un
vœu avec l'assurance d'être satisfait, il se hâta
de demander à Malik-si un gri-griqui le ren-
drait toujours victorieux dans les luttes à
main armée contre ses ennemis.
Le gri-gri fut fabriqué aussitôt en cons-
cience, et octroyé. Désormais le Tunka étant
rassuré sur l'issue des combats qu'il pouvait
avoir à livrer, se considéra comme l'homme
le plus heureux du monde.
Malik-si était un trop malin compère pour
l82 CONTES POPULAIRES
ne pas s'apercevoir que le Tunka se considé-
rait comme son grand obligé ; aussi résolut-
il de tirer un très bon bénéfice en retour de
son gri-gri. C'est pourquoi peu de temps
après il dit à son ami qu'il serait très dési-
reux de posséder en toute propriété un petit
coin de terre dans ce pays plantureux ou le
baobab et le tamarinier poussaient avec une
vigueur qui lui rappelait son pays natal.
Le Tunka tout à sa reconnaissance et dé-
sireux de montrer au marabout Mandingue
qu'il était aussi bienveillant que confiant, lui
dit :
« Va coucher ce soir au lieu où tu désires
élever ton habitation, et demain matin au
lever du soleil, dirige-toi vers mon village,
moi, de mon côté, je me dirigerai vers toi;
et le point où nous nous rencontrerons sera
la limite de tes possessious. »
Ce qui fut dit fut fait ; Malik-si qui avait
exploré le terrain avec soin depuis longtemps
ne fut pas hésitant a choisir son emplace-
ment et le lendemain matin aux premières
heures du jour il éjait en marche de son pas
le plus rapide.
Le Tunka, au contraire , se leva tard
comme de coutume, passa une partie de la
DK I.A SÉNÉGAMBIK l83
matinée à faire nonchalament les préparatifs
de sa course, il voulut même déjeuner
mettre en route. Bref, il tarda tant que
lorsqu'il se décida à partir il était près de
midi.
Il avait a peine fait cinq cents pas qu'il
rencontra Malik-si qui arrivait en courant
et en faisant des enjambées doubles de ce
quelles sont habituellement.
Grande fut la surprise du Tunka et lors-
que les explications eurent été données il
comprit qu'il avait eu grand tort de laisser
ainsi imprudemment Malik-si faire sa part à
sa guise. Mais il avait donné sa parole et il
la tint, au prix même de la perte d'une par-
tie riche et étendue de ses états.
Malik-si fit du pays qui lui avait été oc-
troyé par le Tunka un lieu de refuge ; aussi
en peu de temps eût-il un peuple nombreux
formé de gens de tous pays se trouvant be-
sogneux et souvent sans aveu ou bieD ayant
commis des crimes.
Les Saracolais eurent maintes fois à se
plaindre de leurs obligés dont le roi ne leur
Ht jamais la guerre parce que le gri-gri donné
par Malik-si aurait assuré la victoire aux
descendants du Tunka. Mais les procédés du
184 CONTES POPULAIRES DE LA SÉNF.GAMBIE
fondateur de l'état continuèrent à être em-
ployés par eux et ce qu'ils n'obtenaient pas
par la force ils savaient l'extorquer par la
ruse.
•E*M*3£4>3 MM WWW Ê*i>5 Ws>5 C»H4H
II
LEGENDE DU SERPENT DE UlMBOL'K
Il y a de longues années, le Bambouk
était habité seulement par des Sara-
colais. Le pays produisait en abondance, du
mil et autres plantes alimentaires qui sont en
usage chez les noirs.
Le gibier était facile à chasser, les trou-
peaux prospéraient et donnaient de grands
bénéfices à leurs maîtres ; en un mot tous les
biens de la terre se trouvaient à profusion
dans la contrée dont les habitants auraient
pu se dire spécialement heureux, si par une
loi dont on ne pourrait retrouver l'origine
ni la raison, ils n'avaient été obligés toutes
les années de faire un sacrifice humain qui
était la source d'une immense douleur pour
J 86 CONTES POPULAIRES
la famille atteinte et qui terrifiait la popu-
lation entière.
En effet on savait dans tout le Bambouk
que la prospe'rité si grande dont on jouissait
n'était assurée qu'à la condition expresse que
toutes les années, une jeune fille, choisie par
le sort parmi les plus jolies et les plus sages,
serait amenée en grande pompe à un endroit
déterminé près d'un marigot ; elle devenait
là, la proie d'un serpent gigantesque qui s'en
emparait et l'entraînait au fond de l'eau, sans
qu'on la revît jamais.
Mille fois les Saracolais Bamboukains
avaient essayé de se soustraire à cet horrible
impôt; ils avaient fait offrir de l'or en quan-
tité suffisante pour acheter cent captives; du
mil et des bœufs qui auraient pu nourrir
mille guerriers.
Le monstre avait été inexorable ; il voulait
une seule jeune fille, mais il fallait qu'elle
fût choisie dans les conditions que nous ve-
nons d'indiquer et qu'elle fût conduite au
sacrifice en présence de la population entière.
Chaque case Bamboukaine avait désappris
la joie, malgré la richesse qu'elle recelait;
les enfants ne faisaient aucun plaisir à leurs
mères ; les jeunes gens tremblaient que celle
DE I.A SÉNÉGAMBIK I 87
qu'ils aimaient ne leur fut ravie; en un mot
tout le monde était malheureux.
Seuls, un jeune homme et une jeune fille
voisins de case, s'étant élevés ensemble et
s'aimant tendrement, n'attendant que la ré-
colte prochaine pour se marier, n'avaient pas
ir oppressé par la crainte du serpent.
Ils vivaient heureux, trouvaient toujours
une excuse pour se rencontrer dans les
champs, et chaque soir quand ils arrivaient
au rendez-vous, la jeune fille avait un mot
doux à dire à son fiancé, le jeune Saracolais
avait quelque pièce magnifique de gibier ou
quelque dépouille de bète féroce à montrer
comme trophée de sa hardiesse ou de son
habileté.
Un soir Coumba, c'était le nom de la jeune
fille, arrive en pleurs au lieu convenu ; le
jeune homme qui avait été spécialement fa-
vorisé par le sort ce jour-là, allait lui faire
admirer les produits de son adresse quand il
s'aperçoit de la douleur de sa bien-aimée et
il la presse de lui en dire la raison.
Après une explosion de pleurs, elle lui ap-
prend la terrible nouvelle ; et pendant quel-
ques instants les deux pauvres jeunes amou-
eux furent au désespoir.
I 88 CONTES l'OPUI.AlKKS
Mais bientôt le chasseur dit à la jeune fille
de rentrer au village et de sécher ses
pleurs.
— « Serais-tu au moment de mourir, » lui
dit-il, « qu'il ne faudrait pas perdre courage
et confiance en moi, car, sois tranquille, tu
seras ma femme et non la proie de cet hor-
rible monstre dix fois maudit. »
La pauvre enfant rentra en sanglotant
chez ses parents qui étaient au désespoir,
comme on le pense bien.
Quant au jeune homme, il alla prendre ce
qu'il possédait de plus précieux dans sa case
et alla voir successivement tous les Griots,
tous les Marabouts, tous les vieillards in-
fluents en leur disant de l'aider à faire
agréer au serpent une autre proie que sa
Coumba bien-aimée.
La crainte de déplaire au monstre était
telle, que chacun le repoussa dès le premier
mot; aussi le soleil se levant vit tous les pré-
paratifs de l'horrible fête qui se faisaient
avec une grande solennité chaque année.
La population entière vint se ranger à
une distance respectueuse de l'endroit où le
serpent sortait du Marigot et la pauvre
Coumba amenée plus morte que vive au
lih LA StNH.AMBlE
pied d'un arbre y fut attachée comme la
coutume le voulait.
Les griots faisaient entendre le tamtam;
les femmes poussaient de temps en temps
des cris cadencés comme cela se fait dans
les têtes ; les habitants de tout âge et de tout
sexe attendaient avec une douloureuse an-
goisse le moment du sacrifice annuel qui
semblait devoir être prochain, car l'eau du
Marigot bouillonnait et la tète du serpent
apparaissait déjà près de la plage.
L'horrible monstre sort après mille hési-
tations et mille feintes qui faisaient trembler
les plus énergiques; ii s'approche de Coumba
et la considère avec une satisfaction à peine
contenue; il allait la saisir quand le jeune
amoureux fend la foule monté sur un cheval
fougueux et armé d'un sabre dégaine.
La population entière poussa un cri d'et-
froi, car il était certain qu'il y aurait deux
victimes cette année-là et comme tout le
monde était persuadé que ce serait le jeune
homme, chacun se dit : Le serpent voudra
désormais un garçon en même temps que la
jeune tille qu'on lui offre chaque année de-
puis des siècles.
Mais le jeune chasseur ne se laisse pas
IQO CONTES POPULAIRES DE LA SENEGAMB1E
émouvoir par le bruit et le danger; plus ra-
pide que la pense'e, il court au serpent qui
avait déjà saisi la jeune fille pour l'emporter
et d'un revers de son arme il le coupe en
deux.
Prenant aussitôt Coumba en croupe il mit
son cheval au triple galop et disparut sans
que les habitants eussent pu le rejoindre,
car il était à craindre que pour essayer de
faire pardonner le meurtre du serpent sou-
verain du pays, les anciens ne sacrifiassent
ce couple amoureux.
Dès le lendemain, le pays fut couvert de
peuplades ennemies qui vinrent mettre à feu
et à sang tous les villages qui faisaient mine
de résister.
Des hommes de races différentes vinrent
s'emparer de gré ou de force des meilleures
terres, des troupeaux les plus gras du Bam-
bouk. Et les Saracolais ne formèrent plus
que de petits villages au lieu de grandes
agglomérations ; ils vécurent désormais
comme de pauvres paysans sur les portions
de leur pays dédaignées par leurs envahis-
seurs.
£<*>3-E<*>3 Ms>3 £<*>3 6<*>î fr4>5 E<4>* MM4<t>3«W WW
I 1 1
NDE DR LA CHEATION DE L fcMPlKE
DE DJOLOF
Au temps jadis, le Cayor, le Ouaio, le
Djiolof, le Baol, le Sine et le Saloum
formaient une sorte de république sans chef
suprême, et dans laquelle, chaque village
éttH absolument indépendant des voisins. Il
y avait souvent, on le comprend, des alterca-
tions et des batailles de village à village, de
sorte que la tranquillité du pays était per-
pétuellement troublée.
Un jour une dispute naquit au sujet d'un
tas de bois recueilli en commun par des ha-
bitants de plusieurs villages et que chacun
convoitait au détriment de son voisin.
Quelques conteurs disent qu'au lieu de
I92 CONI ES POPULAIRES
bois il s'agissait du produit de la pêche qui
se faisait dans un marigot des environs de
Saint-Louis par les gens des villages voisins.
Quoi qu'il en soit, sous le prétexte du bois
ou du poisson ine'galement partagé, le sang
allait couler comme cela arrivait tous les
jours, quand un vieillard vénérable sortit
tout à coup des eaux d'un marigot voisin,
et sans dire mot partagea instantanément la
chose en lots si égaux que toute dispute
cessa. Cette apparition mystérieuse frappa
tout le monde, chacun se sentit saisi de res-
pect et désira obéir désormais à cet homme
surnaturel. Mais le vieillard avait déjà dis-
paru.
Les habitants employèrent alors la ruse
pour se saisir de ce chef tant désiré et le
mettre à leur tête. Ils simulèrent une autre
querelle pendant laquelle le vieillard se
montra de nouveau pour apaiser la dispute
par un partage équitable, et il tomba ainsi
entre leurs mains.
Le vieillard ne se souciait pas de l*hon-
neur qui lui était réservé, il resta même
plusieurs jours sans manger. Les habitants
craignant qu'il ne se laissât mourir, entrepri-
rent de le divertir.
M LA SÉNEGAMBIE Iq3
Pour cela faire, les filles et les femmes de
la contrée se mirent à jouer, à danser, à fu-
mer devant lui en prenant les poses les plus
lascives, pensant bien que le vieux Djiaian
ou Sam-Sam, comme on l'appelle, finirait
par en distinguer une entre toutes, voudrait
la posséder et arriverait une fois de plus à
vérifier le proverbe de tous les temps et de
tous les pays : — ubi amor, ibi patria.
1 qui avait été prévu arriva. — Bay
Sam-Sam jeta son dévolu sur une charmante
jeune fille qui fumait et qui, voyant qu'elle
était regardée avec persistance par lui, lui
offrit la pipe.
Le génie commençait à s'humaniser; en
effet, au lieu de rester indifférent à tout, il
avait des regards bienveillants pour la jeune
fille; bientôt il se montra sensible à l'odeur
d'un succulent couscous qui cuisait devant
la case, le nègre reprenait décidément le
dessus chez lui.
Or il faut savoir qu'à cette époque les Eu-
ropéens n'apportaient pas encores ces mar-
mites de fonte munies de trois pieds qui
servent actuellement à la cuisson des ali-
ments, la cuisine se faisait dans des canaris
en terre qu'on plaçait sur des boules d'ar-
194 CONTES POPULAIRES
gile, et par une étrange coutume on n'em-
ployait que deux boules; de sorte que le ca-
naris étant en état d'équilibre instable, le
dîner était exposé à de fréquents accidents;
deux fois déjà la marmite s'était renversée,
le couscous était tombé en partie dans les
cendres.
Sam-Sam était menacé de se passer de
dîner, — aussi regardant la cuisinière il lui
dit : boss gnet (boules, trois).
Ce fut un trait de lumière, désormais les
femmes ouoloves mirent trois boules au lieu
de deux, sous leur marmite, un grand pro-
grès était consacré.
Ce ne fut pas le seul; Sam-Sam était
décidément vaincu par la belle enfant à la
pipe, et par l'excellent couscous non ren-
versé ; il épousa les deux négresses auxquelles
il avait eu affaire ainsi, et il régna pendant
un grand nombre d'années, sous le nom de
Bay Sam-Sam : — père Sam-Sam.
Son fils Mam Pâté lui succéda, étendit
son pouvoir de plus en plus, soutint des
guerres heureuses contre les Maures et ses
descendants finirent par avoir une autorité
extrêmement étendue. Ils avaient constitué
le grand empire en une série de petits États
M 1 A i SÉCAUBII 195
comme le Cayor, le Sine, le Oualo, etc., etc.,
commandés chacun par un chef.
Un descendant de Bay Sam-Sam oublia
les saines traditions qui avaient valu à ses
ancêtres le titre de Bour-Ba-Djiolof (empe-
reur du Djiolof ; il e'tait altier, cruel
etc., il lit appeler un jour le chef du Cayor
auprès de lui et lui rit subir plusieurs ava-
nies qui exaspérèrent les chefs secondaires
du pays et provoquèrent une révolte.
Amadi-N'goné, le même qui avait passé
•huit jours exposé au soleil et au serein de
la nuit pour attendre le bon plaisir de
Bour-Ba-Djiolof, se rendit indépendant d'a-
bord et prit le nom de Damel, puis les
autres se délivrèrert peu à peu de leur vas-
selage, et l'empire du Djiolof fut ainsi dé-
membré.
Si nous comparons cette légende avec bien
d'autres, si nous songeons surtout à ce qui
se passe dans la pratique, cher les noirs,
nous y voyons le récit imagé d'une série
d'événements habituels en Sénégambie, où
le pouvoir naît, s'éteint et se perd toujours
pour la même raison, et d'une manière sem-
blable.
Le vieux Sarq-Sam, que la légende fait
196 CONTES POPULAIRES DE LA SÉNÉGAMUIE
sortir miraculeusement du marigot, était un
ambitieux qui, comme tant d'autres, eut le
désir de régner sur ses semblables; pour cela
il s'attacha à avoir une réputation de sainteté,
d'équité, de sagesse, qui finit par lui con-
quérir l'affection d'un certain nombre de
petits villages qui se placèrent spontanément
sous sa direction morale d'abord, puis effec-
tive, militaire, politique, etc., etc.
Son fils qui n'était pas encore un grand
chef chercha à s'étendre, se fortifier. Puis,
dans les générations futures l'orgueil méla-
nien, les habitudes d'intempérance que le
nègre prend si volontiers, et le désir d'en
imposer à ses subordonnés, firent qu'un roi
prit plaisir à humilier les chefs secondaires
qui, de leur côté, manœuvraient, complo-
taient pour se rendre indépendants, dans le
but d'opprimer à leur tour les faibles et
d'avoir assez de richesses pour assouvir leurs
nombreux et méchants besoins. C'est tou-
jours la même chose en Sénégambie.
<§fè>
v
IV
1 l . . lYALIKK QUI SOIGNAIT MAL SON CHEVAL
IL y avait dans le Fouta Damga un homme
qui avait un excellent cheval. Avec
ce cheval il dépassait tous les autres cavaliers
à la course; il pouvait voyager de nuit
comme de jour sans jamais craindre que son
cheval ne tombât, ne se blessât ou même,
tût le moins du monde fatigué.
Mais cet homme était insouciant de sa
bête; jamais il ne s'occupait d'elle, jamais il
ne lui donnait une bonne ration de mil. où
M la baignait. Quand il avait besoin de
monter à cheval il se contentait de mettre
selle et bride en place, quand il avait fini sa
course il laissait ie pauvre animal chercher
sa nourriture comme il pouvait.
198 CONTES POPULAIRES
Or, un jour, la guerre se déclara ; notre
cavalier partit avec les guerriers de son vil-
lage contre une peuplade ennemie et voilà
que les combattants se rencontrent. Les
hommes du Fouta-Damga étaient les plus
faibles; ils s'étaient laissé aller à entrer en
hostilités contre des gens beaucoup plus
nombreux et bien mieux armés ; de sorte
qu'après le premier choc ce fut une grande
déroute, chacun dut chercher son salut dans
la fuite.
Notre cavalier essaya de se sauver comme
les autres. Le voilà éperonnant son cheval
avec ardeur, mais la bête ne courait guère
vite, et bientôt il fut entouré par les ennemis
qui poursuivaient les fuyards.
On le jeta par terre, on fut sur le point de
le tuer même; mais, en fin de compte, on le
fit prisonnier et on le vendit comme captif.
Or, par un hasard très grand, voilà que
celui qui l'avait acheté avait aussi acheté son
cheval, frappé qu'il avait été des formes
vigoureuses et délicates de la bête. Et ce
maître chargea notre homme de soigner le
cheval.
Ce maître était aussi dur pour ses captifs
qu'il était plein d'attention pour ses bêtes, de
DE LA SÉSÉGAMBIK !•)•)
sorte qu'il veilla de très près à ce que le che-
val fut soigné autrement qu'il ne l'avait été
jusque là. Notre palefrenier de fraîche
date est obligé de faire comme domestique
ce qu'il avait négligé d'accomplir quand
il était libre, sous peine d'être roué de
coups.
Je laisse à penser les tristes réflexions qu'il
faisait ; mais toujours est-il qu'il ht contre
mauvaise fortune bon cœur, et qu'il se mit
à soigner le cheval d'une manière extrême-
ment attentionnée.
11 vannait son grain avant de le mettre
dans la mangeoire, de manière à ce qu'il n'y
eut ni poussière ni mauvaises choses avec lui.
Il choisissait le fourrage avec une attention
minutieuse, il changeait la litière chaque
jour, étrillait, baignait, faisait boire le che-
val avec une exactitude admirable.
Le cheval était si bon qu'il se prit de
reconnaissance pour son ancien maître, et
un jour, pendant qu'il le pansait, il lui dit à
brûle pourpoint : • Veux-tu être libre?
» Oui, répondit le captif stupéfait, mais
comment le deviendrai-je?
« Monte sur mon dos et ne crains rien,
ajouta le cheval, tu vas voir. •
200 CONTES POPULAIRES DE LA SENEGAMBIE
Ce qui est dit est fait; le cheval part au
triple galop, et, quoique poursuivi par une
nuée de cavaliers, il arriva bientôt au delà de
la frontière ; son maître fut ainsi rendu à la
liberté.
Il retrouva sa case, ses femmes et ses ri-
chesses; et au moment où il mit pied à terre,
son cheval, lui dit, « maître, que ceci te
serve de leçon, si tu m'avais bien soigné dans
le principe, jamais tu n'aurais été pi isonnier.
Et si tu m'avais aussi mal soigné quand tu
étais en captivité que quand tu étais libre,
jamais tu n'aurais pu échapper à l'esclavage.
S
Cl
LK TRAFIC A LA MUKTTK ENTRE GENS
QUI NE SE VOIENT PAS
Valkenakr, dans sa Collection de voyages,
(tome ItM, p. S09 , nous apprend que
Ça-da-Mosto, noble Vénitien qui naviguait,
on le sait, en 1455, pour le compte du Por-
tugal, sur la côte occidentale d'Afrique, et
qui est considéré par quelques auteurs comme
le premier Européen qui a découvert le Sé-
négal, avait entendu raconter la fable du
trafic à la muette, qui a été inventée par
quelque ignorant doué d'une grande imagi-
nation, pour expliquer l'empressement des
traitants à venir chaque année dans certains
202 CONTES POPULAIKES
endroits déterminés pour y faire le com-
merce.
» Ça-da-Mosto, ayant demandé aux nègres
quel usage les marchands de Melli font du
sel ; ils répondirent qu'il s'en consommait
d'abord une petite quantité dans le pays, se-
cours si nécessaire à des peuples situés près
de la ligne, où les jours et les nuits sont d'une
égale longueur, que sans un tel préservatif
contre l'effet de la chaleur leur sang se
corrompt bientôt. Ils emploient peu d'art à
le préparer. Chaque jour ils en prennent un
morceau qu'ils font dissoudre dans un vase
d'eau ; et l'avalant avec avidité, ils croient lui
être redevables de leur santé et de leurs for-
ces. Le reste du sel est porté à Melli en
grosses pièces, deux desquelles suffisent pour
la charge d'un chameau. Là, les habitants du
pays le brisent en d'autres pièces dont le
poids ne dépasse pas les forces d'un homme.
On assemble quantité de gens robustes qui
le chargent sur leur tête et qui portent à la
main une longue fourche, sur laquelle ils
s'appuient lorsqu'ils sont fatigués. Dans cet
état, ils se rendent sur le bord d'une grande
eau sans que l'auteur ait pu savoir si c'est
la mer ou quelque fleuve, mais il penche
DE LA SÉNÉGAMBIK »o3
à croire que c'est de l'eau douce, parce
que dans un climat si chaud il ne sertit pas
aire d'y porter du sel si c'était la
mer.
• Lorsqu'ils sont arrivés au bord de l'eau,
les maitres du sel font (MchMgtf la mar-
chandise Bt placent chaque morceau sur une
même ligM, en y mettant leur marque. En-
suite la caravane se retire à la distance d'une
demi-journée. Alors d'autres nègres, avec
lesquels ceux de Melli sont en commerce,
mais qui ne veulent pas être vus et qui sont
apparemment les habitants de quelques îles,
s'approchent du rivage dans de grandes
barques, examinent le sel, mettent une
somme d'or sur chaque morceau, et se reti-
rent avec autant de discrétion qu'ils sont ve-
nus. Les marchands de Melli retournent
au bord de l'eau, considèrent si l'or qu'on a
laissé leur paraît un prix suffisant, s'ils en
sont satisfaits ils le prennent et laissent leur
sel, s'ils trouvent la somme trop petite, ils se
retirent encore en laissant l'or et le sel, et
ses autres, revenant à leur tour, mettent
plus d'or ou laissent absolument le sel. Leur
commerce se fait ainsi sans se parler et sans
se voir; usa^e ancien qu'aucune infidélité ne
U04 CONTES POPULAIRES
leur donne jamais occasion de changer.
Quoique l'auteur trouve peu de vraisem-
blance dans ce récit, il assure qu'il le tient de
plusieurs Arabes, des marchands Azanaghis
et de quantité d'autres personnes dont il
vante le témoignage.
<- Il demanda aux mêmes marchands pour-
quoi l'empereur de Melli, quiestun souverain
si puissant, n'avait point entrepris par force
ou par adresse de découvrir la nation qui ne
veut ni parler ni se laisser voir. Ils racontè-
rent que peu d'années auparavant, ce prince
ayant résolu d'enlever quelques-uns de ces
négociants invisibles, avait fait assembler son
conseil, dans lequel on avait résolu qu'à la
première caravane quelques nègres de Melli
creuseraient des puits au long de la rivière
près de l'endroit où l'on plaçait le sel, et que
s'y cachant jusqu'à l'arrivée des étrangers, ils
en sortiraient tout d'un coup pour faire
quelques prisonniers. Ce projet avait été
exécuté. On en avait pris quatre, et tous les
autres s'étaient échappés par la fuite. Comme
un seul avait paru suffire pour satisfaire
l'empereur, on en avait renvoyé trois en les
assurant que le quatrième ne serait pas plus
maltraité. Mais l'entreprise n'eut pas plus de
succès. Le prisonnier refusa de parler. En
vain, linterrogea-t-on dans plusieurs lan-
gues, il garda le silence avec tant d'obstina-
tion, que rejetant d'un autre côté toute sorte
de nourriture, il mourut dans l'espace de
quatre jours. Cet événement a fait croire
aux nègres de Melli que leurs négociants
étrangers sont muets. Quelques-uns néan-
moins pensant, avec plus de raison, que le
prisonnier, étant revêtu de la forme hu-
maine, ne pouvait pas être privé de l'usage
de la parole, mais que dans d'indignation de
se voir trahi il avait pris la résolution de se
taire jusqu'à la mort. Ceux qui l'avaient en-
lapportérent à leur empereur qu'il
était fort noir, de belle taille et plus haut
qu'eux d'un demi pied, que la lèvre infé-
rieure était plus épaisse que le poing et pen-
dante jusqu'au dessous du menton; qu'elle
était fort rouge et qu'il en tombait même
quelques gouttes de sang, mais que sa lè-
vre supérieure était de grandeur ordinaire,
qu'on voyait entre les deux ses dents et ses
gencives, et qu'aux deux coins de la bouche il
avait quelques dents d'une grandeur extraor-
dinaire. Que ses yeux étaient noirs et fort ou-
20Ô CONTES POPULAIRES
verts. Enfin que toute sa figure e'tait terri-
ble.
« Cet accident fit perdre la pensée de renou-
veler la même entreprise, d'autant plus que
les étrangers irrités apparemment de l'insulte
qu'ils avaient reçue, laissèrent passer trois ans
sans reparaître au bord de l'eau. On était
persuadé, à Melli, que leurs grosses lèvres
s'étaient corrompues par l'excès de la chaleur
et que n'ayant pu supporter plus longtemps
la privation du sel qui est leur unique re-
mède ; ils avaient été forcés de recommencer
leur commerce. La nécessité du sel en est
établie mieux que jamais dans l'opinion des
nègres de Melli, ce qui est assez indifférent à
l'empereur, pourvu qu'il en tire beaucoup
d'or. C'est tout ce que l'auteur (Ça-da-Mosto)
a pu se procurer de lumière sur des faits si
difficiles à vérifier. Mais en les reconnaissant
fort étranges, il ajoute qu'on ne doit pas les
traiter de fabuleux après les divers témoigna-
ges sur lesquels ils sont appuyés, et lui-
même dit qu'il a vu dans le monde et
entendu tant de choses merveilleuses qu'il
ne fait pas difficulté de les croire. »
Ça-da-Mosto n'est pas le premier qui ait
M I mB;E
entendu raconter cette (able du trafic m
pli sans que les habitants se voient el d«bal-
tent [le prix des inaidiandises. car <. .
d. | i citée par Hérodote, livre IV (Mclpo-
mene, cv»:vi, édition de M lot-Fii min-Didot,
t. 1, r» ^ i > q 1 1 i dit que les Carthaginois
imploraient ce moyen quand ils allaient ua-
tiquer sur la .oie (X cidentale d'Alrique. « Ces
mêmes Carthaginois affirment qu'au delà du
territoire de la l.ybie et en dehors des colojV
nes d'Hercule il existe des pays habit
ajoutent qu'ils y abordent avec de* raû
de commerça et que, lorsqu'ils sont a
ils déposent sur le rivage leurs marchandi-
ses; ils remontent ensuite dans leurs a
et l'ont paraître de la famée. Les habitants
du pays, avertis par ce lignai, accourent \ers
la mer, placent à côte des marchandises la
quantité d'or qu'ils offrent en echang.
retirent dans l'intérieur. Les Carthaginois
reviennent et si l'or qui leur est offert leur
parait payer la valeur de la marchandise, ils
la laissent et emportent l'or. Si le prix ne leur
paraît pas convenable, ils remontent dans
leurs vaisseaux et attendent tranquillement
de nouvelles offres. Les naturels du pays re-
viennent et ajoutent une certaine quantité
i3
208 CON1ES POl'Ul.AlHES
d'or jusqu'à ce que l'on soit satisfait de part
et d'autre. Dans tous les cas, on ne se fait
aucun tort réciproque; les uns ne touchent
point à l'or tant que la quantité offerte n'est
point estimée égale à la valeur de la mar-
chandise, et les autres ne touchent point
aux marchandises tant que leur or n'a point
été enlevé. »
On voit que cette absurde fable du trafic à
la muette, entre gens qui ne se voient pas,
ne date pas d'hier, puisqu'elle était racontée
déjà quatre cents ans avant notre ère. Elle
s'est transmise ainsi pendant quarante-cinq
siècles de bouche en bouche en Sénégambie,
car Jobson l'a entendue sur les rives de la
Gambie en 1620. Mouette, en 1671, l'a re-
cueillie sur les côtes du Maroc, et moi-même
je l'ai retrouvée le long du Sénégal en i852
et en 1872.
Il est vrai que de notre temps, tantôt le
conteur dit que c'est dans l'intérieur de l'A-
frique que les choses se passent, et alors ce
sont les Bambaras ou les Mandingues qui
vont au pays de ces êtres surnaturels, tan-
tôt, au contraire, c'est sur le compte des
Européens que la fable est mise; et le nar-
rateur ajoute alors le détail suivant qui est
DE I A SÉNÉGAMBIK IÔÇ
aussi fantastique que l'histoire elle-même :
« Les Européens cherchent avec une
grande ardeur à acheter des arachides et au-
tres graines oléagineuses ou de l'huile de
palme même, dit-il, parce que l'huile leur
est d'un grand secours pour la conservation
de leur existence lors de leur voyage de re-
tour. En effet, pendant qu'ils reviennent du
Sénégal vers l'Europe sur leurs navires, ils
sont assaillis par des troupeaux de monstres
marins qui les manderaient tous sans pitié
si par un subterfuge adroit l'équipage ne sa-
vait pas échapper h leurs attaques.
Voici le subterfuge : au moment où le na-
vire est serré de trop près, on jette à la mer
une certaine quantité d'huile dont les mons-
tres sont très friands Or pendant que ces
monstres s'attardent à boire cette huile jus-
qu'à la dernière goutte, le navire fait force
de voiles et parvient ainsi à se sauver de l'im-
mense danger qu'il courrait s'il ne savait dé-
tourner par la ruse les attaques d'un en-
nemi qu'il ne peut repousser par la force.
1 e lecteur trouvera comme moi que l'ex-
plication nègre de notre commerce de grai-
nes oléagineuses avec la côte occidentale
d'Afrique est très remarquable, car on sait
2 10 CONTES POPULAIRES DE I.A SENEGAMBIK
qu'Aristote racontait déjà dans l'antiquité
que les matelots ont un moyen assuré de
calmer les vagues agitées de la mer en jetant
par dessus le bord des tonneaux d'huile.
Or n'est-ce pas le vestige de cette croyance
qui, se mêlant à la notion des vents alises, qui
contrarientle retour des naviresversl'Europe
et se mêlant ainsi aux péripéties de la pèche
à la baleine, etc., toutes ces choses racontées
par les Européens aux nègres sénégalais ont
été défigurées par ces intelligencesenfantines.
C'est qu'en effet les nègres sont le plus
souvent incapables de croire à autre chose
qu'aux légendes dans lesquelles le surnaturel
précise les faits de la vie ordinaire, et quand
on leur raconte quelque chose, leur imagi-
nation donne volontiers aux événements les
plus simples une tournure fantastique qui
est bien faite pour exciter le sourire des
gens sensés, tandis qu'elle est accueillie
comme argent comptant par la multitude
mélanienne.
<*SS»
\ I
KOLI- SATICNY
Dans les lempi (\isscs, les Torodos habi-
taient dans la Fouladougou qui est, on
le sait, placé dans le haut pays de la S
gambie entre les derniers contre-forts du
Fouta-Djalun. les rives du Batïng et celles
du Niger.
Dam M payti la terre est maigre, les hi-
vernages sont capricieux, de telle sorte que
tantôt l'année entière s'écoule sans pluie
suffisante, tantôt il y en a trop. 11 arrive
souvent que les graines mises en terre ne
lèvent pas a cause de la sécheresse, tandis
que d'autrefois une tornade projette inopi-
nément une énorme quantité d'eau sur le
sol en quelques heures et noie les semences
212 CONTES l'Ol'Ul. AIRES
ou bien les entraîne par le ravinement de
la terre labourée.
L'Armathan de son côté souffle parfois
d'une manière prématurée, d'autrefois il est
persistant au point de rôtir toutes les her-
bes, de dessécher tous les marigots et de faire
tarir les sources; de sorte que les bestiaux
manquant de nourriture ou de boisson sont
sujets à des maladies plus souvent que dans
les autres contrées.
Le pays qu'habitaient les Torodos était
donc bien inférieur à beaucoup d'autres;
mais néanmoins les habitants quoique souf-
frant souvent, car aux moments même où
ils étaient le plus favorisés ils se trouvaient
relativement dans une condition précaire,
ne songeaient pas à le quitter.
Ils vivaient donc au jour le jour plus sou-
vent malheureux qu'à l'aise, et ils n'avaient
ni richesse, ni puissance, ni même grande
considération vis à vis de leurs voisins. C'est
qu'en effet ne possédant pas des provisions
de graines ou de nombreux troupeaux de
bestiaux pour changer leur avoir contre des
armes et de la poudre ils avaient toujours le
dessous quand il fallait combattre les enne-
mis.
l'K I * M NF.GAUBIE 2 l3
Ces habitants du Foulahdougou étaient, il
faut le dire, idolàtie* >• cette e'poque. Or on
sait que, dans cette situation morale, ils ne
pouvaient compter ni sur la force, ni sur le
dévouement des particuliers, ni surtout sur
la protection divine, Dieu ne favorise pas les
kjfers (infidèles* tandis, au contraire, qu'il
Ml plein de bontés pour les gens religieux..
Tout le monde sait cela.
M us il faut dire à la louange de ces hom-
me-, que peu à peu la religion du prophète
s'introduisit dans le pays, et chassa devant
elle les erreurs de l'idolâtrie. D'abord cette
religion fut prèchee par quelques saints
pèlerins isolés et souvent combattus; puis
peu à peu les marabouts trouvèrent moins
istance et moins d'incrédulité. Enfin
il arriva un jour que l'islamisme fut la reli-
gion générale de toute la population ; reli-
gion observée même avec le soin scrupu-
leux qui est agréable à Dieu.
Les choses étaient à ce point lorsqu'une
série de mauvaises années commença pour
l'agriculture et les troupeaux. Bientôt toutes
les provisions furent épuisées, la plupart des
bètes tombèrent malades et moururent, bref
une immense misère et une cruelle famine
pesèrent sur le pavs
214 CON I ES rOl'Ul.A'KKS
Les enfants à leur tour se mirent à mou-
rir de maladie; les femmes et les vieillards
succombaient faute de nourriture ; on pou-
vait prévoir le moment où la population
entière disparaîtrait du sol, quand un chet
plein de sainteté et de savoir, protégé visi-
blement par Dieu, se révéla pour le bon-
heur de ses compatriotes. C'était Koli Sa-
tigny.
Koli Satigny était un fervent religieux ; il
avait appris dans les prières des formules
pleines de puissance. Sa piété lui avait valu
des connaissances qui manquent à la plu-
part des autres hommes.
Grâce à la protection divine qu'il avait
méritée il prévoyait l'avenir comme les au-
tres voient le présent. Il savait où étaient les
choses cachées et il possédait un talisman
qui non-seulement le rendait invulnérable,
mais encore lui permettait de franchir les
distances sans qu'on le vit changer de place.
Ce précieux talisman lui faisait distinguer
le bon du mauvais. Et plus encore, le déro-
bait à la vue des gens qui lui voulaient du
mal, de sorte que lorsqu'il était en danger,
entouré d'ennemis il leur devenait invisible
et par conséquent pouvait leur nuire et dé-
jouer leurs efforts sans avoir aucune mau-
DE I.A SFNKCAMBIE n5
vaise chance à redouter de leur animadver-
sion.
Koli Satigny ému des souffrances de ses
compatriotes, et voyant que leur pieté tl
leur ferveur religieuse méritaient cependant
un sort meilleur, releva le courage public
qui l'affaiblissait.
Il prêcha d'abord la patience, demanda à
chacun de redoubler de prières; et enfin un
jour comme les choses n'allaient pas mieux
il leur dit : • L'heure est venue de ne plus
être malheureux. Dieu vous commande par
ma voix de quitter ces contrées qui doivent
rester désolées et Stérilet. Je suis charge par
lui de vous conduire dans des régions plus
fortunées. »
Aussitôt chacun se mit en mesure d'obéir
à cette injonction; les mesures de départ fu-
rent prise et bientôt chacun fut prêt pour
l'émigration. Ce fut une émigration
raie, à laquelle on se décida d'autant plus
facilement que le pays qu'on allait quitter
était triste, stérile et ruiné de fond en com-
ble.
On se mit en loute péniblement, car on
avait des chemins très difficiles et des con-
trées absolument arides à traverser; mais
i3-
2i6 contes rorui. AIRES
Koli Satigny soutenait le courage des défail-
lants par de bonnes paroles. Il montrait tou-
jours de la main un certain point de l'hori-
zon vers le nord-ouest en disant : « Croyez-
moi, fidèles serviteurs de Dieu ; c'est là que
nous devons aller. C'est là que nous trouve-
rons une terre féconde et le bien-être qui
nous fera oublier la misère présente. »
Le voyage dura longtemps ; il devenait
surtout de plus en plus pénible, de sorte que
peu à peu le découragement commença à
gagner la masse. Beaucoup crurent ferme-
ment que leur dernier moment était arrivé,
tant leurs souffrances étaient grandes.
Enfin un jour toutes les provisions se
trouvèrent épuisées. Il n'y avait plus rien ni
pour boire ni pour manger; le pays était si
aride que chacun pensa qu'on allait mourir
de faim sans rémission. Il y eut alors des
murmures, des cris de désespoir, de douleur
et même de révolte.
« Le sol vers lequel nous allons est plus
infertile que celui que nous avons quitté, »
dirent les dissidents. » — t Non, » répondit
Koli Satigny, « je vous jure qu'il est fécond,
riche, et qu'il va nous faire vivre dans l'a-
bondance.
DE l-A SÉNKGAMBie 217
— Ce n'est pas vrai, • répondirent-ils ,
« nous allons tous mourir de faim. •
Mais Koli Satigny lit une courte et fer-
vente prière, et aussitôt après, étendant la
main vers un palmier ronier qui était dan*
le voisinage, il leur dit . ■ Regardez, gens
de peu de foi, si Dieu laisse mourir de faim
sa créature, quand celle-ci met sa confiance
en lui. »
Or sur le ronier, chacun put voir uik
ruche qui tenait dons son bec un épi de mil
et qui avait l'air de se mettre en mesure de
le manger tranquillement.
Comme on le comprend, chacun cria au
miracle; et soudain les plus faibles eurent
de nouvelles forces pour marcher dans la
direction que Koli Satigny indiquait. On se
remit donc de nouveau en chemin; et aussi-
tôt la perruche se mit à voler au devant du
peuple migrateur, s'arrètant de temps en
temps sur un arbre pour bien montrer l'épi
de mil qu'elle tenait a son bec.
C'est ainsi que le peuple de Koli Sal
arriva dans le Fouta sénégalais, sur les bords
du fleuve Sénégal, dans un pays où règne
l'abondance. Et c'est là bénissant Dieu et
obéissant aux commandements de leur chef
2i8 CONTES POPULAIRES DE I.A sÉNÉGAMBIE
religieux qu'ils s'établirent définitivement.
Koli Satigny leur dit alors que leur nou-
velle patrie resterait fertile tant qu'ils se-
raient pieux et fervents. C'est pour cela que
les Torodos sont des hommes religieux. Ils
obéissent ainsi au commandement de celui
qui les a tirés de la misère. Koli Satigny
obtiendra pour eux les faveurs divines par
son intercession tant qu'ils s'en rendront di-
gnes par leur piété.
Je demande au lecteur s'il ne voit pas dans
la légende de Koli Satigny quelque chose de
très analogue à celle de Noé, à celle de
Moïse, à celle de mille autres législateurs
religieux? Quant à moi, j'y trouve de telles
analogies, disons plus, de tels points d'iden-
tité, que je ne puis me défendre de la pen-
sée qu'elles sont toutes de même origine.
? 1
V
VII
l'ûKIGINF. DKS I.AOBl's ET DKS GRIOTS
Da n s les temps passés, les populations du
liant p.i\s irfnégMibiM étaient toutes
idolâtres ; elles adoraient des fétiches et ne
connaissaient pas la religion de Dieu, rece-
lée par son prophète Mahomet.
Un jour il arriva dans le pays un grand
marabout étranger, qui s'appelait llouba-
Foul, et qui venait de bien loin pour con-
vertir les habitants de la Senegambie.
Houba-Foi.il savait tout, il prédisait l'ave-
nu, et avait toujours raison en tout; aussi
il réussît bientôt à faire disparaître la fausse
religion des ietiches ; l'islamisme se repan-
dit dans tout le paj
220 CONTES POPUI. AIRES
Mais il ne faut pas oublier de dire qu'il
rencontra d'abord de grandes résistances.
Les Kafers essayèrent même d'opposer leurs
armes au prédicateur de la vraie religion ;
de sorte que pendant plusieurs années il
fallut se battre. Donc Houba-Foul eut be-
soin de soutenir ou de porter la guerre dans
divers endroits.
Il y eut beaucoupMe gens tués avant que
la victoire restât définitivement aux vrais
croyants.
Houba-Foul qui s'était marié dans le
pays eut deux enfants : Hamet et Samba;
lesquels devinrent à leur tour les chefs
d'une peuplade différente Les deux peupla-
des vécurent côte à côte cultivant également
quelque peu la terre et élevant également
des troupeaux qui étaient leur principal
moyen d'existence; mais ce qui vaut mieux,
obéissant aux lois du Prophète et adorant le
vrai Dieu.
Le pays du haut Sénégal est aride et
peu fertile, on le sait, aussi les deux peu-
plades étaient obligées de beaucoup travail-
ler pour vivre. Le travail de la terre est
aléatoire dans ces contrées où les années
stériles sont fréquentes, de sorte que c'est
DE IA SÉNF.GAMBIF. 211
surtout l'élevage des troupeaux qui consti-
tuait leur moyen d'existence.
Mais on sait que le métier de pasteur tout
noble qu'il soit est dur, il expose souvent à
la misère parce que souvent il faut changei
de résidence pour trouver de bons pâtura-
ges et que souvent aussi dans ces incessantes
migrations il arrive : ou bien que les trou-
peaux meurent de fatigue; ou bien une ma-
ladie epideniique les frappe; ou bien encore
on trouve après une longue marche un pays
BBCOrt pUi> itérili que celui qu'on vient de
quitter.
Or un jour il arriva une grande famine;
les bètes et les gens moururent en grand
nombre, la misera fut générale, on se trouva
très malheureux.
Dans c^s conjonctures Samba fut plus re-
signé; il continua à vivre dans le désert,
cherchant ça et là quelques maigres pâtura-
ges sans se décourager soignant ses trou-
peaux du mieux qu'il pouvait et invoquant
pieusement le secours de Dieu par de fré-
quentes prières.
Grèca a la protection divine, de meilleures
années succédèrent à l'époque de la disette ;
les troupeaux prospérèrent de nouveau ; et
222 CONTFS POPULAIRES
il arriva un jour où la peuplade de Samba
forte, vigoureuse, pieuse, se trouva puis-
sante dans le pays. Ce qui veut dire qu elle
était respectée de tous.
Mais pendant que Samba s'était roidi ainsi
contre le mauvais sort, en mettant toute sa
confiance en Dieu, et en continuant la vie
pastorale que lui avait léguée son père. C'est-
à-dire se contentant du lait de ses vaches de
la viande de ses bœufs et du peu de mil
qu'il trouvait çà et là le temps de semer
dans de maigres terrains entre deux migra-
tions ; Hamet agit autrement.
En effet, au lieu de rester dans le désert,
il se dirigea, avec son peuple, vers les
rives du fleuve où il trouva des terrains plus
plantureux et où les graines poussent plus
facilement, donnant de plus fortes récoltes
pour moins de travail. En un mot il s'habi-
tua à ce bien être qu'il ne connaissait pas
avant ; en même temps il devint moins re-
ligieux; sans cesser de se dire musulman il
redevint presque fétichiste.
Le bon rendement des récoltes l'engagea
à cultiver davantage encore le terrain; il
varia ses semences et arriva à créer des lou-
gans dans lesquels il y avait un grand nom-
M-XiAMBIE 2l3
brc de plantes comestibles ou industrielles
■tnsi que des fruits savoureux. Il rëu^
d'autant mieux dans ce nouveau métier que
son impiété le poussa à faire souvent des
pactes inavouables avec des sorciers. A em-
ployer des moyens magiques pour conserver
les récoltes au lieu de s'en remettre aveu-
clément à lu seule volonté du tout-puissant,
donnant uussi son temps à l'agricul-
ture il ne pouvait ainsi soigner ses bestiaux
convenablement de sorte que ceux-ci com-
mencèrent à péricliter. On sait que sur les
bords du lleuve il y a des mouches et des
moustiques qui nuisent aux bêtes pendant
l'hivernage. C'est pour garantir les trou-
peaux que les pasteurs nomades s'éloi-
gnent de ces rives dès que les pluies arri-
vent. Or Hamet se trouva dans l'alternative
d'abandonner ses champs plantureux ou
bien de laisser souffrir ses troupeaux et
comme la vie de cultivateur était plus douce,
i tait moins de soins et de fatigues que
celle de pasteur, il laissa ses trouvpeaux
souffrir et il arriva à ne posséder plus que
quelques bêtes qui étaient d'ailleurs moins
belles et moins vigoureuses que celles qui
\ i\ enl dans le désert.
224 CONTES POPULAIKKS
Hamet devint donc un cultivateur et
la peuplade fit comme lui ; il oublia de
prier, il ne fut plus un croyant rigoureux,
il prit de l'embonpoint, ses guerriers s'amol-
lirent et négligèrent la religion, en même
temps qu'ils s'enrichissaient. Aussi au bout de
quelques années sa transformation fut com-
plète. Ils avaient perdu les caractères de no-
blesse et de ferveur religieuse qui appartien-
nent aux pasteurs pour prendre la grossièreté
vulgaire et les faiblesses de volonté et de
courage, l'incrédulité vis à vis des croyances
saintes qui sont le lot des cultivateurs tou-
jours tremblants pour leurs récoltes.
Un jour il arriva cependant qu'Hamet eut
envie d'aller revoir son frère. Le voilà donc
en route avec les siens, menant devant lui
quelques très médiocres troupeaux qui lui
restaient, montant des cheveaux grossiers et
incapables de fournir une course brillante,
ne priant jamais et ayant besoin pour vivre
de mille douceurs qui sont inconnues et
méprisées par le noble pasteur.
Quand Samba qui avait conservé intactes
et pures toutes les traditions de piété, de
force, de courage, de résignation contre le
malheur, etc., que lui avait léguées leur père,
U M %i nAoamwi
vit arriver son frère, impie, efféminé, pares-
seux, pusillanime, lâche ; possédant en un
mot tous les défauts de ceux qui ont été
amollis par une aisance trop grande et trop
prolongée il eut honte de lui. U se mit en
colère, le méprisa et le chassa ignominieu-
sement après lui avoir enlevé pour le punir
tout ce qui constituait sa ricin
Hamet s'en retourna honteux et miséra-
ble vers les bords du Sénégal où il avait
w4ai plantureusement. Mail il y rencontra
cette fois des peuplades qui s'étaient établies
sur ses terres et qui étaient trop belliqueu-
ses et trop pieuses pour se laisser déposséder
par lui et ses hommes efféminés.
û >orte que lui et les siens furent obligés
de se séparer par petits groupes de miséra-
bles afin de ne pas mourir de faim.
Les uns d'entre eux apprient la musique
et se mirent à chanter pour gagner leur vie
aux dépens de la bonté et de la générosité
des hommes. Ils devinrent les griots.
Les autres se mirent à travailler le bois
pour faire des baganes,des mortiers, des pi-
lons à mil, etc. Ils devinrent les laobés.
Voilà pourquoi les griots jouissent de si
peu de considération vis à vis de la popu-
22b CONltS POPULAIRES DK I.A SENEGAMBII
lation de la Sénégambie. Ce sont des indi-
vidus déchus; frappées par une réprobation
séculaire. Et c'est pour cela qu'ils ont tant
de défauts.
Mais d'autre part comme ils sont les des-
cendants de Houba-Foul, ils conservent,
tout dégénérés qu'ils soient, certains privi-
lèges spéciaux. C'est pour cela qu'il est dé-
fendu de faire du mal aux hommes de cette
catégorie.
Quant à leurs femmes... Il ne faut pas
oublier que celui qui obtient éventuellement
leurs faveurs est assuré d'être désormais
heureux, plein de force, de vigueur, de
santé, et qui plus est, est certain de réus-
sir désormais dans toutes ses entreprises.
C'est pour cela que les hommes de toute
condition jeunes et vieux recherchent tou-
jours, avec tant d'empressement, les fem-
mes et les filles des griots et des laboés
pour nouer avec elles des liaisons éphé-
mères.
»
»A. .A. ./t. .A. -A> »A* -A» «o- •A' -A» »A. -A.
"</• -</• ~^* ^Q" -Q* -^" ~v* -^* ~V" -^- "V1 -^-
vin
I.ÉGK.NDK DK l'KNln B*I.«>L"
Près du village de lidlou se trouvent, sur
le cours de la Kalemé, assez près de l'en-
droit où cette rivière se jette dans le Scru-
tai, des ruches qui forment des rapides pen-
dant lu saison sèche, et que l'eau de la
rivière couvre presque complètement au mo-
ment de l'hivernage.
Ces rochers noirs et arrondis constituent
à certaines époques de l'année un véritable
danger nautique pour les pêcheurs dont les
barques peuvent être brisées ou endomma-
gées par un choc imprévu; aussi ont-ils leur
légende qui M manque pas d'une certaine
poésie, comme on va le voir.
Le village do Balou était, dans les temps,
228 CON IËS POPUI.AlKfcS
gouverné par un homme de bien qui n'avait
que le de'faut d'être faible et de laisser com-
mander sa femme et sa fille plus qu'il ne
fallait.
Par le fait de cette faiblesse, sa femme
avait pris une influence considérable sur la
marche des affaires du pays, et sa fille, la
jeune Penda, admirable créature, plus belle
que toutes les négresses des environs à plus
de dix journées de marche, était capricieuse,
sans trouver jamais, soit chez son père, soit
chez sa mère, un obstacle sérieux à ses vo-
lontés.
Grâce à cette indépendance de caractère,
Penda, qui était une beauté accomplie,
avons-nous dit, qui était la seule descen-
dante du chef et qui, par conséquent, devait
conférer à son mari une haute position dès
les premiers jours du mariage ; et même le
commandement du village à la mort de ses
parents.
Penda, dis-je, sachant que tous, autour
d'elle, avait grand désir de lui voir choisir
un époux, s'obstinait à rester fille. C'est en
vain que tous les jeunes hommes de Balou
lui avaient fait des avances, elle les avait dé-
daignés tous sans exception.
I>K i ' ll'.lt 229
Nombre de jeunes gens des environs,
beaux, bien faits, guerriers renommé* 6b
de rois puissants, s'étaient épris d'elle, au-
cun n'avait obtenu de réponse satisfaisante;
Il hère jeune fille éconduisait d'un mot ou
d'un regard les plus langoureux comme
les plus hardis prétendants.
l'eiula jouissait d'une grande liberté dans
sa maison, elle allait seule ou avec quelques
jeunes amies se promener sur les bords du
Btuve, se baigner en eau profonde; elle fai-
sait en un mot ce qu'elle voulait sans con-
trôle.
Un observateur eût pu remarquer que si
le matin elle aimait à jouer avec ses compa-
rus, quand le soleil baissait elle se du 1
volontiers seule du côté de la Falemé.
Les pêcheurs la voyaient souvent assise au
moment de la nuit tombante sur les rochers
dont nous avons parlé ; et bien que plus d'un
lui eût dit en passant : Penda ! prends garde
à Goloksalah; l'entêtée jeune fille s'obsti-
nait à rester ainsi jusqu'à une heure a\an-
cee de la nuit, regardant couler l'eau dans
cet endroit où les génies se montrent quel-
quefois, et où les mortels n'ont rien de bon
uer.
23û C0N7KS POPUI.AII'I l8
Que faisait Penda pendant ces longues
heures, assise sur les roches de Balou?
Elle écoutait les paroles d'amour d'un ad-
mirahle jeune homme qui venait tous les
soirs, invisible pour les autres, visible seu-
lement pour elle, se mettre à ses genoux et
lui parler de ses beaux yeux, de son esprit
charmant, en un mot, de tout ce dont les
amoureux parlent.
Les choses duraient ainsi depuis long-
temps, lorsque la mère de Penda prit un
jour sa fille à part et lui dit : « Ton père se
fait vieux, il faut un chef plus jeune au vil-
lage ; par conséquent, il serait nécessaire de
faire sans tarder un choix parmi les nom-
breux jeunes gens qui recherchent ta main. »
La jeune fille essaya d'abord de se dégager
par des réponses aléatoires; mais sa mère in-
sistant, elle s'émut peu à peu et finit par
avouer enfin que son choix était fait.
Seulement au lieu d'un jeune guerrier du
pays ou des environs, il s'agissait d'un admi-
rable prince plus beau, plus galant, plus no-
ble que personne. Penda lui avait donné son
cœur sans savoir son nom, sans connaître
sa famille et elle lui avait promis de le suivre
dans ses États lointains; renonçant ainsi de
I>1 [ A .1 sÉoAUBIE > 3 I
U manière la plus légère aux projet
timement caresses par sa lamille, par le vil-
lage entier, Je lui voir épouser un homme
qui viendrait prendre la succession du roi de
l'.alou.
On juge du desespoir de la mère, de ses
supplications, de ses colères; elle voulut re-
prendre tout d'un coup une autorite qu'elle
avait laisse échapper et signitia a :>a tille que
dès le lendemain elle serait ti.u
jeune homme qu'elle lui désigna et qui de-
\ ut assurément faire un mari accompli.
La nuit venue, l'enda désolée court aux
rocket ; elle y trouveson adorateur ordinaire ;
elle lui raconte tout. Les deux amants sont
aux abois, les projets les plus insensés sont
dîaCUte*. Knhn la pauvre Penda, dans sa
candeur de pure jeune tille, accepte de sui-
vre son beau jeune homme et d'abandonner
ainsi pays, lamille, amis, tout enfin, ne
craignant pas de desobéir aux ordres les plus
sacres.
Kl le se jette à l'eau pour traverser la ri-
vière, car les prétendus États du séducteur
étaient de l'autre côté de la Faleme et a
peine a-t-elle fait ainsi le premier pas dans
la voie de la désobéissance et de la faute
'4
232 CONTES POPULAIRES
qu'elle est saisie sans pouvoir opposer de
résistance, entraînée au fond de l'eau et con-
duite dans un palais sous-marin merveilleux
de beauté et de grandiose.
Pleine d'effroi, elle se sentait mourir,
mais elle est admirablement accueillie par
des captives sans nombre, des serviteurs em-
pressés qui exécutaient ses moindres volon-
tés, qui lui obéissaient comme à une souve-
raine.
A peine revenue de sa surprise, elle entend
la voix de son amoureux qui lui disait: « Ma
Penda adorée! j'accours près de toi; tu vas
être ma femme et nous vivrons éternelle-
ment ensemble d'un bonheur sans mé-
lange. »
Elle se retourne pour se jeter dans ses
bras, et horreur!!! au lieu du beau et admi-
rable jeune homme qu'elle était habituée à
voir, elle aperçoit un épouvantable caïman,
aux yeux glauques, à la gueule dégoûtante,
au dos écailleux, aux pattes crochues, à la
queue monstrueuse et au ventre vert.
On devine facilement l'effroi, la répulsion,
les regrets de. la pauvre enfant; elle avait
imprudemment écouté les suggestions de
Goloksalah, le génie redouté qui s'était cou-
M I.A SÉNÉOAMBIE 2 33
vert des apparences d'un beau jeune homme
pour la faire succomber, mais qui reprenait
sa lorme hideuse de caïman une fois rentre
dans ses États.
Penda, plus morte que vive, résiste à l'hor-
ribk animal de toutes ses forces, et, près de
succomber, implore le génie protecteur de
H famille, lui demandant la mort plutôt que
le déshonneur.
Ce génie qui avait une puissance assez
£i iode pour lutter à armes égales contre Go-
loksalah, mais qui cependant n'était pas as-
sez fort pour l'emporter sans peine, prit acte
de la facilite que lui donnait le désir de
mourir exprimé par la jeune hlle, et il la
transforma en une grosse pierre noire, la
préservant ainsi des atteintes de son mons-
trueux amoureux.
C'est donc le corps de Penda que l'on voit
aux basses eaux. Toutes les nuits Goloksalah
vient la supplier de reprendre sa forme pri-
mitive , pour satisfaire son amour. Et ces
bruits sinistres que l'on entend parfois dans
les environs sont les supplications, les priè-
res, les colères de Goloksalah, les cris d'ef-
froi et de résistance de Penda.
Malheur à celui qui s'attarde dans les en-
234 CONTES POPULAIRES DE I.A SÉNEGAMHIE
virons, il court grand risque de payer son
imprudence de sa vie. Plus d'une fois la co-
lère de Goloksalah a brisé une pirogue qui
avait eu la hardiesse de passer trop près du
corps de sa bien-aimée pe'trifiée.
IX
LA Cl(OY\NCK .AUX SOBCII'KS CHEZ !
SKNÉGVMUII S>
Lks nègres sénegambiens croient ferme-
nient à l'existence des sorciers, et par
quent il court dans le pa\s dei «.ontes
plus ou moins fantastiques dans lesquels
un ou plusieurs de ces sorciers sont mis en
cause.
Ces nègres ont trouve1, ou plutôt ont ac-
cepte, une singulière explication de 1 exis-
tence et de l'origine des sorciers; car cette
explication leur vient évidemment du dehors
comme on va le voir.
Au moment de la confusion des langues
dans la tour de Babel, le jour tombait et
chacun était fat
2 36 CONTES POPULAIRES
Comme il fallait gagner au plus vite les
campements, les hommes se mirent à mar-
cher dans divers sens; ils commencèrent
inopinément un voyage pénible, ayant pour
la plupart une grande soif.
Après avoir souffert longtemps du besoin
de boire, chacun d'eux se trouva devant un
ruisseau de sang; beaucoup ne s'arrêtèrent
paset continuèrent jusqu'à un ruisseau d'eau
pure où il se désaltérèrent. Ceux-là, qui
étaient le plus grand nombre, ont été la
souche des hommes ordinaires.
Quelques-uns, trop pressés, s'abreuvèrent
au ruisseau de sang et ont fourni les sorciers
qui peuvent quitter leur corps, voler comme
des oiseaux ou se transformer de mille ma-
nières ; ils font toutes sortes de niches et de
mal à l'espèce humaine et ne peuvent être
tenus en respect que par les gris-gris.
Il est des nègres qu'on ne ferait jamais
sortir de leur case la nuit pour rien au
monde et qui attribuent aux sorciers tous les
bruits nocturnes qu'ils entendent.
Il y a un excellent moyen de se garantir
des maléfices des sorciers d'après les bonnes
femmes du pays. C'est de crier : « Nous
mangeons du sel «quand on entend le moin-
* SF.NKCAHBIC 1 37
die brait nocturne ; le sorcier effrayé alors
se hâte de s'enfuir.
t, qu'en effet, d'après les mêmes auto-
rités, le sel est une arme puissante contre
celle engMOOi satanesque. Et quand on veut
découvrir un sorcier parmi les gens qui vous
entourent il suffit de s'en aller nuitam-
ment, armé d'un bon paquet de sel, risfol
ceux qui sont soupçonnés de sorcellerie.
Celui qui est réellement en relation avec
le diable n'est pas dans la case alors, et on
trouve sur son tagal ou sa natte sa peau qu'il
a laissée la pendant qu'il s'est transforme en
animal.
Or, le malin a soin de saupoudrer la faee
interne de cette peau avec du gros sel et
le lendemain matin quand en revenant
du Sabbat le sorcier cherche à rentrer dans
cette peau il est piqué en mille endroits,
ce qui l'oblige à venir vous supplier de lui
enlever les grains de sel qui le blessent
cruellement.
c?
fEri
a
-'&
'V-
^00^ ilOV Çof («(
I .Mi, Ml I I ! HtOViRBES
Un des amusements très prisés par |tl
gréa est de poser des énigmes que cha-
cun s'efforce de deviner de son mieux et dont
les explications plus ou moins baroques
fournie* par celui qui est sur la selette font
rire toute l'assemblée jusqu'à ce le mot juste
donné par quelqu'un provoque une explo-
sion de bissimiLii ! étonnes et approbatils.
Voici quelques-unes de ces enivres; la
première a les proportions d'une véritable
légende; les autres sont de simples questions
posées et auxquelles il faut que chaque nè-
gre de l'assistance réponde d'un mot.
240 CONTES rOrUI.AlKKS
l'homme a la poule
Il arrive parfois qu'un loustic de l'as-
semblée raconte la légende suivante qui
ne manque pas, on va le voir, d'une cer-
taine originalité.
Il y avait un homme dans les environs de
Kahone dans le Saloum qui pouvait se flat-
ter d'être très favorisé du Ciel ; en effet,
quoique déjà âgé, il avait encore sa mère
bien portante; et cette vieille femme avait
une étrange qualité : elle prenait un peu de
sable devant sa case tous les matins et, le
mettant dans un plat, elle le transformait en
excellent couscous.
Cet homme avait aussi un fils qui, tous les
jours au moment du repas, lançait uue flè-
che en l'air et en rapportait une volaille
toute cuite, ou bien un morceau de viande
tout apprêté.
Il avait aussi un coq qui en grattant la
terre lui trouvait tous les jours dix gros d'or
qu'il lui portait; une vache qui lui faisait un
H I I tàlti '.AMBIK ^4 1
veau tous les matins; une chèvre qui au lieu
de hut lui donnait du vin de pain,
abondance; enlin un cotonnier qui avait
tous les matins dix pagnes très beaux en
guise de gousses à coton sur ses brandies.
Cet homme était heureux. : il était un jour
couché dans son loilgtfl II faisait H
après dîner quand il est éveille par un urand
bruit :
Un malfaiteur insultait sa mère et cher-
chait à l'enlever pour aller la vendre comme
Captive. Son entant ctlraye était tombe
dans le puits et était près de se noyer.
Un lion l'impartit de sa vache pour la
manger.
Un chacal qui suivait le lion allait cro-
quer le coq.
la chèvre effrayée s'était embarrassée
dans sa corde et s'étranglait.
Enfin le feu prenait à un tas de paille
placé sous le cotonnier et l'aurait bientôt
rôti.
Que devait faire le pauvre homme?
Chaque assistant est tenu de donner son
opinion à la grande hilarité de la galerie
qui lui dit aussitôt que c'est parce que tel
défaut prédomine chez lui.
2-p CONTES l'OPUI. AIRES
Qu'est-ce qui enseigne «ans parler? dit
d'un ton sentencieux celui qui propose l'é-
nigme. S'il n'y a pas dans la réunion un
homme qui ait l'habitude de ces sortes de
divertissements intellectuels personne ne
sait répondre. Ce qui lui permet d'ajouter
quand tout le monde a avoué son impuis-
sance : Ce qui enseigne sans parler c'est le
livre.
Qu'est-ce qui vole sans jamais se poser.
On comprend que chacun des ignorants
qui entend cette question soni^e à un corps
matériel. Un parle de l'hirondelle, l'autre de
la feuille sèche et jusqu'au moment ou il est
répondu ce qui vole sans jamais se poser.
C'est le vent.
Qu'est-ce qui a une queue et ne la remue
pas
Le cuiller.
Qu'est-ce qui bat des ailes et ne vole pas?
Le tamis.
Qu'est-ce qui durcit au lieu de se ramollir
en cuisant?
L'œuf.
M LA V.IBIE 243
Quelles sont les trois choses qui donnent
la fortune et n'ont pas de poils?
La PLANT! DU PIED, — LA PAUME DE LA MAIN,
— LA LANGUE.
Quelles sont les trois choses qui sont irré-
sistibles quand elles se mettent d'accord ?
L>A KEMMK, — LE KOI, — LE DIABLE.
D'autres fois le conteur qui veut frapper
l'esprit de ses auditeurs formule des prover-
bes, des sentences, des aphorismes qui quoi-
qu'ils ne soient pas toujours parfaitement
compris par le vulgum pecus sont toujours
accueillis avec une respectueuse et sympa-
thique faveur. — Voici quelques-uns de ces
proverbes :
Celui qui est fier de sa nudité, sera insolent
une fois habillé.
Celui qui prend tous les chemins, manque
celui de la maison.
Une lingue insolente est une mauvaise
arme.
Le pauvre qui craint le soleil, craint un
protecteur.
l]
(DO)
«Os 4JS «^ *J^ <Js ^. «^ «^ *^S oS ' 'T
APPRECIAI' ION
Comme je l'ai dit plus haut, la partie des
contes, légendes, proverbes, etc.. de cette qua-
trième partie est très varice. J'ai a peine be-
soin de le répéter pour le faire admettre ; il
serait dans tous les cas facile de le démontrer
en peu de mots.
Les légendes de Malik-si, du serpent, du
bambouk, de la création de l'empire Djolof,
de Koii Satigny, de l'origine des laobés
etc., sont évidemment des récits, altér.
la pensée religieuse, l'amour du merveilleux
ou simplement le désir d'intéresser les audi-
teurs, de faits réels : conquêtes, invasions,
épidémies, fondation de dynasiH
Celle du cavalier qui soignait mal son che-
246 CONTES I»OPULA!KES
val procède de pensées complexe et porte en
elle plus d'un enseignement. Il est possible
que ce soit l'explication image'e de quelque
événement réel au fond, comme il peut se
faire aussi que ce soit une leçon de zèle et
de travail donnée aux paresseux et aux
inconscients des pays où le cheval a une
importance de premier ordre : comme le dé-
sert, le Kaarta, le Fouta sénégalais, le Sé-
gou, etc.
Le trafic à la muette est bien assurément
l'explication fantastisque donnée par des
ignorants des choses qui n'ont pas été com-
prises dans le monde des nègres, quand les
peuplades du pays se sont trouvées en rela-
tion pour la première fois avec les Euro-
péens et les Carthaginois.
La légende de Penda-Balou et de Golok-
salah a certainement d'étroits liens de pa-
renté avec des contes des Ondines et Ondins,
des Nixes, des Dracs qui ont eu tant de suc-
cès pendant le moyen âge et qui n'étaient
certainement eux-mêmes que des réminis-
cences, des fables de la mythologie.
Cette idée de la légende de Goloksalah ne
Je cède en rien comme poésie et comme mo-
rale à celle des récits de la France, de la
i.k : .mit
Norwége, de l'Allemagne, car le ..
nie qui se transforme en beau jeune homme
pour mener à mal la pauvre Penda. reclame
plus en frais d'invention que le Drac qui
^ntre deux eaux dans le Rhône au-
dessous d'une coupe contenant un anneau
d'or, et qui va passer à portée des laveuses
pour tenter la cupidité d'une imprudente qui
devient sa victime par amour de la coquet-
terie.
Enfin les énigmes, les pro\.
chent, on le voit, chez k égalais
comme chez les autres peuples, une p<
philosophique, morale, un conseil ou une
information utile sous une forme plaisante,
imagée OU excentrique choisie évidemment
pour mieux la graver dans l'esprit des audi-
teurs.
<4*fe*
CINQUIEME PARTIE
coup-d'œil d'ensemble sur la portée intel-
lectuelle DES CONTES, LÉGENDES ET BAL-
LADES CONTENUS DANS CE LIVRE.
«. ,4 * -*^. "^. ",!S. '*,5. ",?-. -'
•64>3 C<*>9- Ê*î>3 £4>3 Ê<*>3 £<fe* S<4>3 é<4* £<£*£<**£*>
CINQUIÈME PARTIE
Lk lecteur qui a eu la patience de lire avec
attention la longue série de contes et
de légendes que je viens de rapporter m'ac-
cordera j'espère que les nègres sénéganbiens
ne sont, en somme, pas aussi refractaircs
aux choses de l'intelligence que ce qu'on
pourrait le penser de prime abord.
Pour ne pas tomber dans un excès con-
traire à la première pensée qu'il avait, et à la
réalité, je l'engage à se bien pénétrer de cette
e : que bien peu de nègres, relative-
ment, sont capables d'apprécier à sa juste
valeur, la portée philosophique, la leçon de
bon sens, de critique, de bienveillance, etc..
232 CONTES POPULAIRES
que plus d'une de ces légendes contient. Le
nombre de ceux qui les comprennent comme
il faut est très restreint, je ne saurais trop le
re'péter.
D'autre part, je ne saurais aussi oublier,
de faire remarquer que parmi les contes et
les légendes il en est un grand nombre qui
sont d'origine étrangère. Il est incontesta-
ble que tout ce qui a trait, par exemple, à
l'islamisme, a l'histoire des fils de Noé, etc.,
est venu du dehors et a été colporté chez les
nègres par des hommes qui en avaient puisé
le sujet primitif au contact des populations
plus élevées dans la série ethnographique.
.Mais toutes ces restrictions étant faites, il
n'en reste pas moins un double fait constant
c'est que : i° si elles ne sont pas toutes nées
sur place, ces légendes ont trouvé dans les
pays sénégambiens un terrain suffisamment
fertile pour ne pas y disparaître aussitôt après
quelles y ont été semées par des intelligences
étrangères ; 2° c'est que ce terrain intellec-
tuel, quelque limité qu'il soit, existe puisque
nous en constatons les produits dans le fait
de la perpétuation de ces légendes à travers
les âges.
Or, quelque restreint que' soit ce terrain
I>E LA SKSÉGAMBIE
intellectuel, serait-il même infinitésimal, il
suffit qu'il existe pour que je sois autorisé à
soutenir cette première proposition
que sur les rives du Sénégal, de la Gambie
ou du Niger, il y a à l'heure présente cer-
tains nègres capables d'apprécicier les leçons
de morale, de sagesse ou de bon sens qui
ont inspiré les contes et les légendes dont
nous parlons.
Donc la libre existe; toute rudime.
qu'elle soit ; elle peut vibrer quand on sait s'y
prendre pour la toucher. Et c'est un point
capital, on en conviendra, car entre l'absence
absolue et cette existence même rudimen-
taire, il y a une distance infinie, une diffé-
rence immense, sous le rapport des consé-
quences.
Dans l'introduction de ce livre j'ai formulé
une opinion sur laquelle j'appelle toute l'at-
tention du lecteur, car elle me paraît digne
d'être commentée par ceux qui auraient à
réfléchir. J'ai dit que les nègres sénégam-
biens d'aujourd'hui sont assez comparables
aux habitants de notre pays à l'époque qu'on
appelle le moyen âge. Ou bien si l'on veut
qui va. de l'invasion des barbares au temps de
la découverte de l'Amérique. Je ne saurais
trop insister sur ce fait.
2 5.J CONTES POPULAIRES
Les limites, la nature, la porte'e de ce li-
vre ne me permettent pas d'insister plus
longuement sur cette idée; mais je ne sau-
rais cependant manquer de la souligner de
toute mon insistance. Et, en effet, je dirai
entre mille autres choses pour le faire cons-
tater : qu'il n'est pas même jusqu'à la reli-
gion actuelle — l'islamisme — chez ces nè-
gres qui ne soit à remarquer. Cet islamisme
joue en Séne'gambie aujourd'hui le rôle que
joua chez nous le christianisme dans les pre-
miers siècles de notre ère, au moment, et
après la chute de l'empire romain.
En re'sumé donc les nègres d'aujourd'hui
représentent les Européens de douze ou
quinze cents ans avant notre époque. C'est
une chose importante qui mérite de préoc-
cuper tous ceux qui aiment à s'occuper non-
seulement de littérature, de philosophie
mais même de tout ce qui touche à l'his-
toire de la civilisation.
Si cette opinion que je formule se trouve
démontrée par d'autres observateurs, on
comprend que d'une part l'historien de nos
pays, de notre peuple pourra désormais re-
garder maints détails de ce qui se passe au-
jourd'hui chez les nègres, comme le natu-
raliste va dans un musée comparer une
plante, un minorai, un animal, etc., qu'il
étudie avec les types déjà cla<
D'autre part, le philosophe , l'e'conomiste,
•te., pourront prévoir ce que les nègres seront
capables de luire dans l'avenir ; ce qu'on
peut espérer d'eux pour la civilisation, pour
les progrès du genre humain, pour les acqui-
sitions de l'esprit et de l'intelligence des
hommes ; en tenant compte de leur deyre de
•ti\ ite et de la persistance des eîlorts du
progrés que les Européens peuvent tenter
\ i-.i-vi> d'eux.
On le voit, l'horizon est vaste, le sujet |
intéressant ; aussi et on ne m'en voudra pas
d'insister encore sur son compte en terminant
cette étude, quelque minime que soit
port.
•
xU
TABLE DES MATIERES
Introduction i
PREMIÈRE PARTIE
CONTES ET LÉGENDES QUI METTENT EN RKL1EK
UNE QUALITÉ DU CŒUR OU DE L'ESPRIT
l. Comparaison entre l'amour pater-
nel cl l'ingratitude filiale b
11. Légende de Cothi Bar ma
III. Les deux amis brouillés par une n
maîtresse 1 5
IV. Les deux amis Peuls 19
V. Ballade de Diudi 27
VI, Ballade de Samba Foui .' 3o,
258 TABLE DES MATlÈKKS
VII. La finesse du singe et la naïveté du
loup Si
VIII. Le sage qui ne mentait jamais 57
Appréciation 0 1
DEUXIEME PARTIE
CONTES ET LÉGENDES QUI ONT TRAIT A UN
DÉFAUT, UN RIDICULE, UN VICE OU UNE IM-
PERFECTION MORALE.
I. Les trois fils de Noé 6q
II. L'histoire de celui qui se fit servir
par le roi 79
III. La chasse au lion de Bagnouns 83
IV. Le beau-frère coupable 89
V. L'homme qui avait beaucoup d'a-
mis ()7
VI. L'ami indiscret . io5
VU. L'héritier qui avait le sommeil pour
sa part 117
Apprécia. ion 124
TABLE LES MATll MM
TROISIÈME PARTIE
CONTES KT LÉGENDES QUI ONT POUR BUT I A
GLORIFICATION DE L'iSLAMISME
I. Lt croytnt qui priait souvent iiy
II. Le bracelet rapporté par un poisson. 145
111. Koli-oeiwan 135
l\ Lm MV« lt ICCOrdéet »ux nouveau*
con\ ci us 1S9
Appiéciaiion
QUATRIÈME PARTIE
CONTES ET II a Ml S QUI ONT TRAIT
HIMVIAT RÉEL PLUS OU MOINS ALTÉRÉ
l'AK IV TRADITION ORALE*, QL'iNSPIRENT
I.'AMOIK DU MEHVEILLI CROYANCES
Il l'I KMI IILI SES OU LE MMPi.E PLAISIR DE
( UNI QUESTION ÉSICMATIQl
DITEUR.
I. Légende de Ma'.ik->i 175
11. Le serpent du Bambouck i83
111. La création de l'empire Djolof 1.1
2ÔO TAlii.K DES MATIERES
I\'. Le cavalier qui soignait mai son
cheval 197
V. Le tiafic à la muette toi
VI. Koli Satigny 211
VIL Origine des Laobés et des Griots. . 1 rg
VIII. Penda-Balou 227
IX. Croyance aux sorciers 234
X. Enigmes et proberbes, 2'3<_»
Appréciation 2_)3
CINQUIEME PARTIE
coup-d'œil d'ensemble sur i.a portée in-
tellectuelle DES CONTES ET LÉGENDES DES
23 I
NEGRES SENEGAMB1ENS.
Le l'uy. — Imprimerie de Marcheasou lils.
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