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Full text of "Collection de chansons et de contes populaires"

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BINDINQ  LIST  SEP  1  5  1022 


ton 


COLLEC I  ! 


CONTES  ET  DE  CHANSONS  POPULAIRES 


IX 


CONTES  DE  LA  i  W1BIE 


LE    TUV.    —    IMIMUMLRIE    UE    MARCHESSOU    KII.S 


RECUEIL 


1>K 


ONTES    POPULAIRES 

SÉNÉGAMB1H 

RECUtll-LI»    f*k 

I..-J.-B.    BÉKENGEH-  FERU  D 


PARI  S 


BR  N  ES  r    LE  HOU  X,     EDI  II 


A    MON    AMI 


PAUL    FLAMJENQ 


DE  TOULON 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/collectiondechan09am 


ITÇTltODUCTIO&C 


:>   on   entreprend  r  les 

production  de   l'esprit  cke^  les 
.■  est  disposé  à  penser  tout  d'a- 
bord qu'on  ne  trouvera  rien  d  intéressant. 
Ils  paraissent  si  imparfaits 

d'intelligence,  au  premier  examen,  qu  il 
semble  impossible  qu'on  pi..  uvrir 

en  eux  autre  chose  que  ce  qui  est  l'attri- 
but de  la  brute.  On  est  persuadé  qu'ils 
réfléchissent,  tout  juste  asse\  seulement, 
pour  satisfaire  leurs    besoins   ma:, 
au  jour  le  jour. 

Cette  idée  préconçue  est  fausse  cepen- 
dant, car  il  )■  a  d'une  peuplade  nègre  à 


il  Introduction 

une  autre,  autant  de  distance,  au  moins, 
qu'on  en  observe  entre  tel  et  tel  groupe 
de  blancs.  Et,  de  même  que  quand  on 
parle  des  habitants  de  l'Europe,  on  est 
obligé  de  reconnaître  que  ceux-ci  sont 
plus  intelligents,  que  ceux-là  sont  plus 
forts  corporellement,  etc.  ;de  même  quand 
on  s'occupe  des  nègres,  l'observation  dé- 
montre que  les  choses  de  Vintelligence 
ne  sunt  pas  lettre  close,  au  même  degré, 
pour  toutes  les  peuplades. 

Je  ne  veux  pas  envisager  dans  ce  livre 
tous  les  nègres.  Pareil  travail  serait,  je 
crois,  absolument  impossible  dans  l'état 
actuel  de  nos  connaissances .  C'est  qu'en 
effet  si  nous  avons  quelques  renseigne- 
ments écrits  sur  un  certain  nombre  de 
peuplades  de  l'Afrique,  une  trop  grande 
quantité  d'entre  elles  nous  est  tellement 
inconnue  que  nous  ne  saurions  rien  dire 
de  suffisamment  'précis  sur  leur  compte. 
Aussi  je  dois  prévenir  le  lecteur,  dès  la 
première  page,  que  je  ne  viserai  ici  que 
les  nègres  Sénégambiens. 

Or,  pour  eux,  quand  on  essaie  de  son- 
der les  particularités  de  leur  intelligence 
en  partant  de  cette  idée,  fort  naturelle  du 


INil.ODUCTJON  III 

reste,  qu'il  n'y  a  rien  OU  a  peu  près  dans 
la  cervelle  dé  Cet 

tate   avec  quelque   etonnement,  je  dirai 
même  <m  découvre  avec  quelque  sa: 
tiotl,  que,  si  grossiers  qu'ils  paraissent 
au  début,  ils  sont  plutôt  comparables  à 
l'enfant  qu'à  la  bête. 

Che-{  ces  nègres  Sénégambiens,  À 
de  manifestations  anti  -  intelligentes  , 
qu'on  me  passe  le  mot,  c  esta  dire  à  côte 
de  choses  dans  lesquelles  le  travail  in- 
tellectuel fait  entièrement  défaut,  leurs 
actions,  bonnes  OU  mauva:  ndent 

plus  souvent  de  la  qualité  enfantine  de 
leur  esprit  que  de  toute  autre  cause. 

Jls  ont,  à  côte  des  appétits  grossiers  de 

la   bête y  la  ne  ente,   l'c- 

goistne  et  l'ingratitude  des  enfants. 

La  comparaison  est  si  juste  qu'on  cons- 
tate sans  peine  que,  OOMMM  ht  enfants, 
ils  ont  une  extrême  propension  à  suivre 
la  direction  qu'on  leur  imprime,  pour 
peu  qu'on  sache  s  y  prendre  pour  les  di- 
riger. Ils  croient  aveuglement  celui  dans 
lequel  ils  ont  mis  leur  confiance,  ou  fer- 
ment obstinément  les  jeux  à  l  évidence. 
Enfin,   ils  ont,   au  plus  haut  point,   la 


INTKODUCT10N 


tendance  à  suivre,  sans  réflexion,  l'im- 
pulsion d'un  cœur  naïf  et  d'un  esprit 
aussifacilement  inflammable  pour  le  bien 
que  pour  le  mal. 

Cette  constatation  se  fait,  dois-je  dire, 
pour  tout  ce  qui  appartient  à  la  société 
nègre;  mais  elle  est  plus  facile  peut-être 
pour  ce  qui  touche  aux  choses  de  l'esprit 
et,  en  particulier,  pour  ce  qui  peut  être 
appelé  leur  littérature,  qui  donne  la  me- 
sure de  leurs  aptitudes  intellectuelles. 
Aptitudes  qui  sont  V honneur  des  races 
blanches  et  qui  les  placent  au  pre- 
mier rang  de  l'échelle  anthropologi- 
que. 

Quand  on  veut  savoir  quelque  chose 
touchant  les  spéculations  de  l'esprit 
che\  les  nègres  Sénégambiens,  il  y  a 
deux  catégories  d'hommes  à  consulter  : 
les  marabouts  et  les  Griots.  Les  chefs 
militaires  ou  politiques,  les  individus 
riches  sont  aussi  ignorants  que  le  Vulgum 
pecus  ;  comme  lui,  en  effet,  ils  se  bornent 
à  écouter  les  légendes,  et  tout  au  plus 
les  répètent  sans  apprécier  toute  la  por- 
tée de  ce  qu'ils  entendent,  si  même  ils  ne 
comprennent  pas  de  travers. 


C'est  donc  à  des  gtlU  t  ■  nom- 

breux, et  non  au  premier  venu,  qu'il  faut 
s'adresser  pour  recueillir  les  cor: 

les  légendes  du  jm 

uc  tattraii   surprendre  personne   : 
ronsnous,  en  effet,  un  individu  qui  vou- 
drait étudier  nos  connaissances  intellec- 
tuelles, religieuses,  etc.  Se  serait-il  pas 
Obligé,  dans  nos  villages  et  nos  quartiers 
ruraux,  de  t' adresser  seulement  à  quel' 
ques  rares  personnalités  :   au.\ 
aux  hommes  de  loi,  aux  instituteur 
médecin 
S'il  consultait  les  bonnes  femmes,  les 

ms%  sur  le  sujet  qui  a  Servi  de  base 
au  dernier  sermon  du  cure  ou  au  dernier 

urs  du  préfet,   du  ^encrai,  du  de- 
pute,  etc.,  il  courrait  prande  chaiu 
n'avoir  que  des    renseignements    incom- 
plets,   incompréhensibles     trop    souvent, 
sinon  même  entièrement  défigUï 

S'il  en  est  ainsi  encore  de  nos  jours  dans 
bien  des  localités  cke\  nous.  Il  est  certain 
que  dans  les  premiers  siècles  du  moyen 

:  devait  en  être  ainsi  dans  plus  d'en- 
droits encore;  là  où  un  couvent,  où  un 

•  intellectuel,  consentant  les  riches- 


VI  INTUOOUC'I  ION 

ses  littéraires  de  la  société  grecque  ou 
romaine,  n'existaient  pas. 

Les  chefs  militaires  étaient,  à  cette 
époque,  aussi  ignorants  dans  mille  con- 
trées de  notre  Europe  qu'ils  le  sont  au- 
jourd'hui dans  maints  pays  de  la  Séné- 
gambie.  Les  prêtres  isolés  de  la  campa- 
gne ne  savaient,  comme  la  plupart  des 
marabouts  nègres  de  nos  jours,  que  réciter 
quelques  prières  dont  ils  ne  comprenaient 
pas  le  sens.  Seuls  quelques  rares  pèlerins, 
quelques  bardes,  quelques  solitaires  ra- 
contaient aux  paysans  ébahis  des  légen- 
des, des  contes,  des  relations  dans  les- 
quelles la  pensée  morale,  la  portée 
intellectuelle  disparaissaient  plus  d'une 
fois  sous  les  imperfections  de  la  forme 
ou  la  grossièreté  des  détails. 

It  y  a  bientôt  trente  cinq  ans  que  je 
connais  les  nègres  Sénégambiens  pour 
être  allé  dans  leur  pays  ;  or,  depuis  le 
premier  jour,  plus  je  les  étudie,  plus  je 
suis  disposé  à  voir  dans  leur  société,  leurs 
habitudes,  leurs  connaissances,  l'image  de 
ce  qui  se  passa  che\  nous,  il  y  a  plus  ou 
moins  de  siècles. 

Et,  de  même  que  certains  sauvages  de 


IN  1KODL.    .  VII 

Li  Polynésie  nous  donnent,  de  nos  ; 

l'exempte  dé  ce  que  lurent  n>, 

de  régê  de  pierre;  de  n.énie  que  quel- 
ques-uns- en  tont  encore  à  .  \e  des 

premiers  métaux;  de  même  ces  nègres 
Sénégam biens  me  semblent  fournir  à 
l'observateur  le   rj  de  ce  qui  se 

passait  au  début  de  l'ère  t '.  che\ 

les  peuplades  que  les  R  MMIIM  SthtC 
appelaient  les  barbai  i 

Ce  qu'on  vit  dans  quelques  ut: 
provinces,  de  l'an  .^oo  à  l  an  i  -j  <>u  1400, 
c'est-à-dire  entre  V invasion  des  Gotki  et 
des  Burgonées,  et  la  grande  époe/m  due 
de  la    Renaissant  mblable 

qu'on  voit  aujourd'hui  sur  les  rives  du 
Sénégal  et  de  la  Gambie. 

Les  diverses  peuplades  du  vaste  pays 
Sénégambien  étant  plus  ou  moins  intelli- 
gentes sont  plus  ou  moins  avaneees  dans 
leur  culture  de  l'esprit.  Si  elles  étaient 
restées  cantonnées  chacune  dans  leur 
localité,  sans  communications  avec  les 
autres,  elles  nous  montreraient,  je  crois, 
comme  dans  un  imtnense  musée,  l'image 
de  notre  histoire,  année  par  année  pres- 
que. Mais  les  communications  étant  nom- 


INTKODUCTIÛN 


breuses,  fréquentes,  il  en  est  résulté  un 
mélange  d'hommes  et  d'idées  qui  jette  un 
peu  de  confusion  dans  le  tableau,  et  rend 
l'observation  plus  difficile,  sans  cependant 
qu'il  soit  impossible  de  faire  le  triage, 
la  classification  entre  les  divers  éléments 
disparates,  de  prime  abord,  qu'on  a  sous 
lesycux. 

Quand  on  cherche  à  analyser  les  lé- 
gendes, histoires,  etc.,  que  racontent  les 
nègres  Sénégambiens,  pour  en  saisir  la 
portée  morale  ou  intellectuelle,  on  voit 
qu'elles  peuvent  se  ranger  en  quatre 
catégories  : 

I.  Celles  qui  mettent  en  relief  une  qua- 
lité du  cœur  et  ou  de  l'esprit. 

II.  Celles  qui  ont  trait  à  un  défaut, 
un  ridicule,  un  vice  ou  une  imperfection 
morale. 

III.  Celles  qui  ont  pour  but  la  glorifi- 
cation de  l'Islamisme. 

IV.  Celles,  enfin,  qui  se  rapportent  à 
un  événement  réel,  plus  ou  moins  altéré 
par  la  tradition  orale,  celles  qu'inspirent 
l'amour  du  merveilleux,  les  croyances  su- 


:jon  i\ 

perstitieuset  ou  le  simple  pUdsit 

une  question  enip;matique  à  l'auditeur. 

Il  y  aurait  fort  à  reprendre,  je  le  sais, 
sur  cette  classification  si  on  entrepi 
de  la  critiquer  ;  mais,  au  fond,  les  clas- 
sifications   n'étant    qu'un 
mettre  un  peu  d  ordre  dans  l\ 
des  laits,  leur  importai: 
minime,  —  et  e  est  asse\  le  cas  ici,  —pour 
qu'on  n'ait  pas  besoin  de  J . 
chercher   une  absolument  irréprochable. 
Aussi  le  lecteur  me  permettra  de  la  suivre 
sans  la  discu: 


>o; 


PREMIERE  r.\u in: 


LùNI  l  NDES  QUI  METTENT  EN   RI 

UNE  QUAUTJl   1>U  CŒUR  OU  DE  I.'eSIKIT 


CONTES  POPULAIRI 

DE    LA    S  EN  EGA  M B I E 


PREMIÈRE  PARTIE 


ans  cette  première  panie  du  pré- 
ît  livre  nous  rapporterons  huit 
contes,  légendes  ou  ballades  qui  ont  pour 
bal  de  mettre  en  relief  une  qualité  du 
cœur  ou  de  l'esprit. 

Comme  on  pourra  le  voir,  les  sujets 
sont  assez  variés,  la  portée  de  chacun 
d'eux  est  assez  différente  pour  qu'on  puisse 


4  CONTES  POPULAIRES 

envisager  la  manière  d'être  de  l'intelli- 
gence sénégambienne  à  plusieurs  points 
de  vue  dans  cet  ordre  d'idées. 

J'aurais  pu,  on  le  comprend,  faire  en- 
trer dans  ma  liste  un  beaucoup  plus  grand 
nombre  de  contes  et  de  légendes  de  la 
même  catégorie  mais  elles  n'auraient  fait 
qu'augmenter  la  longueur  du  travail  sans 
y  introduire  aucun  élément  nouveau. 

I.  Comparaison  entre  l'amour  paternel 
et  l'ingratitude  filiale. 

II.  La  légende  de  Cothi-Barma,  ou  le 
triomphe  de  la  sagesse  du  philosophe. 

III.  Les  deux  amis  brouillés  par  une 
maîtresse. 

IV.  La  légende  des  deux  amis  Peuls. 

V.  La  ballade  Kassonkaise  de   Diudi. 

VI.  La  ballade  Toucoulore  de  Samba- 
Foul. 

VII.  Le  conte  de  la  finesse  du  singe 
comparée  à  la  naïveté  du  loup. 

VIII.  L'histoire  du  sage  qui  ne  mentait 
jamais. 


COMPARAISON    KNTRR    L  AMOUR    l\\  i 

M    l'|NGBA1  .IL  M    H1.U1.K 


t-xans  le  ptyi  du  Dimar  qui  est  voisin  du 
*-J  Cayor,  il  y  avait  jadis  un  Daniel  du 
nom  d'Amadi  Gond  qui  gouvernail  le  paya 

avec  justice;  il  avait  un  fils  du  nom  de 
Biroum  Amadi  qu'il  avait  eu  bonté 

et  auquel  il  prodiguait  tous  ses  soins  et  tou- 

Biroutn  Amadi  n'était  néanmoins  pas  con- 
tent de  son  sort,  il  avait  hâte  de  régner  et 
était  impatient  de  voir  mourir  son  père  pour 
lui  succéder,  l.cs  cho>e>  n'allant  pas  asse^ 
vite  à  son  gré,  il  m  lia  avec  des  mécontents 
et  des  ambitieux  qui  desiraient  comme 
lui  la   chute  du    pouvoir    d'Amadi    Gone , 


0  CONTES  POPULAIRES 

et  un  jour  ils  prirent  les  armes  résolument. 
Il  fallut  en  venir  aux  mains;  le  père- 
plein  de  tristesse  avait  voulu  dix  fois  ar- 
rêter l'émeute  sans  effusion  de  sang,  il 
était  désireux  même  de  s'éloigner  pour  lais- 
ser à  son  indigne  fils  le  vain  plaisir  de  ré- 
gner, mais  les  principaux  chefs  secondaires 
lui  avaient  forcé  la  main  et,  plus  pour  se 
rendre  à  leur  désir  que  pour  le  sien  propre, 
il  se  mit  en  devoir  de  combattre  les  insurgés- 
La  rencontre  fut  vive;  les  troupes  du  père 
rompues  à  la  discipline  et  aux  combats  eu- 
rent raison  des  insurgés  qui  furent  disper- 
sés; le  fils  même  fut  fait  prisonnier  et  le 
conseil  de  guerre  décida  à  l'unanimité  qu'il 
devait  mourir,  étant  convaincu  de  rébellion 
à  main  armée. 

Le  père  ne  voulut  pas  entendre  parler  de 
mort;  il  fit  amener  son  fils  dans  sa  case  et 
commanda  qu'on  les  laissât  seuls.  Là  il  lui 
reprocha  amèrement  son  ingratitude,  lui 
donna  de  l'or,  puis  le  fit  évader  pendant  la 
nuit,  car  il  craignait  que  la  raison  d'Etat, 
paraissant  plus  puissante  aux  chefs  secon- 
daires qu'à  son  cœur  de  père,  ses  lieute- 
nants ne  l'obligeassent  à  sévir  contre  le  plus 
coupable  des  insurgés. 


im.  i  7 

um  Amadi,   muni  d'une  somn. 
ronde,  se  hâta  de  gagner  les  Etats  limitro- 
»u  l'autorité   de  son  père  ne   s'étendait 
pas;  mais  dans  son  il  tomba   entre 

les  mains   d'un  parti  de  pillards;  il  fol 
heureux,  de  s'en  tirer  aux  prix  du  trésor  que 
son    père  lui   avait   dont)  .'.icrté, 

de  sorte  qu'il  fut  obligé  de  travailler  de  ses 
mains   et  de   mener   l'existence  dea  captifs. 

Sou  maître  l'avait  mis  à  cultiver  un  lou- 
gan  aride;  il  souffrait  de  la  faim,  îi 
maltraite  à  chaque  instant  et  il  regrettait 
naturellement  les  beaux  jours  de  sa  jeu. 
Un  Paul,  qui  l'avait  connu  aux  temps  de  sa 
splendeur,  vint  à  passer  conduisant  des 
bœufs  qu'il  allait  vendre  dans  le  pays  d'A- 
madi  Goné;  connaissant  sa  malheureuse 
condition,  il  se  hâta  d'apprendre  au  père 
que  son  tils  était  réduit  en  esclavage. 

Amadi  Goné  en  fut  au  désespoir;  il  ra- 
B  à  la  hâte  tout  l'argent  de  son  trésor  et 
part  incognito  pour  délivrer  son  fils.  Il  le 
rachète  en  effet  à  son  maître;  puis  une  fois 
qu'il  fut  en  possession  de  sa  liberté,  il  la  lui 
rendit,  lui  donna  beaucoup  d'argent  en  lui 
disant  :  Vis  heureux  et  fais  demander  ton 
pardon   de  manière  à   ce  que  l'on  discute  la 


S  CONTES  POPUl.AlKfcS 

question  d'une  manière  officielle  dans  ras- 
semblée des  chefs.  Je  me  hâterai  de  pronon- 
cer ta  grâce,  de  telle  sorte,  que  tu  pourras 
rentrer  sans  crainte  au  pays  et  reprendre  ta 
position  auprès  de  moi. 

Mais  cela  ne  faisait  pas  l'affaire  du  fils  dé- 
naturé; il  laissa  partir  son  père  et  se  hâta 
d'aller  voir  un  marabout  qui  connaissait 
l'avenir,  lui  demandant  s'il  avait  quelques 
chances  de  monter  bientôt  sur  le  trône 
qu'il  enviait.  Le  marabout  consulta  maints 
présages  et  il  lui  dit  :  Si  tu  peux  avoir  une 
armée  de  Bambaras,  tu  remporteras  la  vic- 
toire. 

Biroum  Amadi  se  mit  en  route  pour  le 
pays  des  Bambaras;  il  vit  le  roi  de  ces  hom- 
mes et  fit  marché  avec  lui  pour  avoir  de 
bonne  troupes.  L'argent  que  lui  avait  donné 
son  père  servit  à  payer  les  premières  dépen- 
ses et  aussitôt  il  marcha  à  fortes  journées 
vers  son  pays. 

Cette  fois  la  victoire  lui  fut  favorable  ; 
tous  les  chefs  de  son  père  furent  tués  ; 
Amadi  Goné  lui-même  fut  obligé  de  fuir 
vers  le  Baol  et  le  Saloum  même.  Comme  il 
avait  toujours  été  bon  et  juste,  les  habitants 
de  cette  contrée  le  laissèrent  s'établir  dans 


M  i  a  m:n£gÀMBII£ 

un  village  où  il  comptait  vivre  en  paix, 
loin  du  bruit,  avec  quelques  serviteurs,  du 
produit d4  son  travail  d'agriculture. 

Mail  If  fils  dénaturé  envoya  contre  lui 
des  hommes  de  confiance  qui  s'emparèrent 
du  vieillard  inofiensif,  lui  coupèrent  le  cou 
et  en  rapportèrent  la  tête  qu'il  se  plut  à 
bien  examiner  pour  être  sur  que  désormais  il 
n'aurait  plus  à  craindre  de  voir  son  père 
réclamer  son  droit  au  gouvernement  de  la 
cont: 

Tout  cela  prouve  que  le  père  aime  son 
fils  jusqu'à  la  faiblesse  tandis  que  le  fils  dé- 
tecte son  père  jusqu'au  crime. 


i     v 


p(( 


11 


DE    DK    COTHI    BAR  MA 


Cothi  Bah  m  a,  le  philosophe  ouolofqui 
vivait  à  une  époque  que  personne  ne 
peut  déterminer,  dans  un  pays  qu'on  ne  dé- 
ligne pas  d'une  manière  précise,  et  qui,  par 
conséquent,  est  probablement  un  être  de 
raison  comme  la  plupart  des  héros  des  lé- 
gendes, disait  souvent  :  —  «  Suivez  les  con- 
seils de  trois  personnes  : 
Le  [- 

La  mère  ; 
Le  fils  aine. 

ihez  pas  les  conseils  des  trois  autres  : 
La  femme  ; 

L'escla\ 
Le  griot. 


Il  CONTES  POPULAIRES 

Cothi  disait  :  —  «  On  a  parfois  un  ami, 
on  n'en  a  jamais  plusieurs;  »  et  il  donnait 
pour  exemple  la  légende  de  Mafal,  qui  pas- 
sait pour  avoir  d'innombrables  amis,  et  qui, 
pour  les  éprouver,  alla  un  soir  frapper  suc- 
cessivement à  la  porte  de  chacun  d'eux  et 
leur  dit  :  je  viens  de  tuer  le  fils  du  roi. 
Chacun  le  repoussa  avec  horreur  et  l'aban- 
donna, excepté  un  qui  lui  répondit  :  fuyons 
ensemble,  je  t'aiderai  à  te  sauver,  et  qui 
abandonna  sa  jeune  femme  pour  se  mettre 
en  route  aussitôt. 

Cothi  ayant  eu  un  enfant,  lui  laissa  croître 
quatre  touffes  de  cheveux,  au  lieu  de  lui 
raser  la  tête  comme  cela  se  fait  d'habitude 
chez  les  Ouolofs,  et  il  disait  à  qui  voulait 
l'entendre  :  —  «  Chacune  de  ces  touffes  re- 
présente une  vérité  connue  de  moi  seul  et 
de  ma  femme.  » 

Le  Daniel,  son  ami,  avec  qui  il  était  au 
mieux,  et  auquel  il  avait  rendu  de  grands 
services,  lui  demandait  souvent  quelles 
étaient  ces  vérités,  mais  Cothi  restait  muet. 
Le  Damel  eut  alors  recours  à  un  subter- 
fuge; il  fit  venir  la  femme  du  philosophe  et 
parvint  à  lui  faire  dévoiler  son  secret. 

En  effet,  cette  femme  lui  dit  :  mon  mari 


prétend  que  la  première  touffe  lignifia 
roi  n'est  ni  un  protecteur  ni  un  ami. 

econde  signifie  :  Un  enfant  du  pre- 
mier lit  n'est  pas  un  fils,  c'est  une  guerre 
intestine. 

La  troisième  :  Il  faut  aimer  sa  femme, 
mais  ne  pas  lui  dire  son  secret. 

luatrième  :  Un  vieillard  est  nécessaire 
dans  un  p 

I.e  Daniel  lut  trèl  irrité  contre  Cothi  de 
la  première  citation  et  ordonna  qu'il  fut 
arrête  et  conduit  au  supplice. 

quand  les  t^ens  du  pays  virent  le  phi- 
losophe prisonnier,  un  des  vieillards  des 
plus  influents  alla  trouver  le  Damel  et  rit 
tant  qu'il  obtint  fti  m  souvenir  de 

longs  et  bons  servi. 

Cette  grâce  n'arriva  ce-pendant  pas  assez 
tôt  pour  empêcher  Cothi  d'arriver  au  lieu 
où  il  devait  être  décapité,  et  déjà  un  Hls  que 
sa  femme  avait  eu  d'un  premier  lit  avait 
obtenu  de  l'exécuteur  l'autorisation  de  le 
dépouiller  de  ses  vêtements,  disant  qu'ils 
devaient  lui  revenir  en  héritage,  et  qu'il  ne 
voulait  pas  les  avoir  tachés  de  sang. 

Le  grâce  accordée,  le  Damel  voulut  faire 
des  reproches  publics  à  Cothi  qui,  apprenant 


14     CONTAS  POPULAIRES  DE  i.a  senégami 

ses  griefs,  lui  dit  :  —  «  Eh  bien!  c'est  moi 
qui  ai  raison  en  tous  points,  et  la  preuve 
qu'un  roi  n'est  ni  un  ami  ni  un  protecteur, 
c'est  que  sur  un  simple  moment  d'humeur 
vous  m'avez  condamné  à  mort. 

La  preuve  qu'un  mari  ne  doit  pas  confier 
son  secret  à  sa  femme  c'est  que  la  mienne 
m'a  trahi  auprès  de  vous. 

La  preuve  qu'un  enfant  du  premier  lit 
n'est  pas  un  fils  mais  une  guerre  intestine, 
c'est  qu'au  lieu  de  me  pleurer,  mon  fils  m'a 
fait  dépouiller  de  mes  habits  pour  les  avoir 
sans  taches. 

Enfin  la  preuve  qu'un  vieillard  est  néces- 
saire dans  un  pays,  c'est  que  vous  avez  ac- 
cordé ma  grâce  à  un  vieillard  quand  vous 
l'aviez  refusée  a  tant  d'autres  solliciteurs. 


m 


\    \MIS  BROUILLKS  PAR    UNE   MAÎTRESSE 


Ure   du  nom  de  Cathi  aimait  à 
■e  l'aire  adorer  par  plusieurs  jeunes  gens 
à  la  fuis,  et  distribuait  tour  à  tour  ses  laveurs 
à  l'un  et  à  l'autre,  se  plaisant  toujours  à 
exciter  la  jalousie  entre  ses  divers  adorateurs. 
|jur,  elle  donna  rendez-vous  pour  la 
luit  suivante  à   deux  pêcheurs  qui  étaient 
itimement  lies  d'amitié  depuis  longtemps 
qui    l'aimaient    chacun    avec    autant    de 
ission    qu'ils    avaient    d'amitié    l'un    pour 
autre. 

Biram,  l'un   des  deux,  arrive  le  premier, 
couche  sans  savoir  que  Amadou-li,  son 
ii,   avait  aussi   un   rendez-vous;   et  après 
noir  folâtré  avec  Cathi,  il  se  laissa  aller  au 


lu  CONTES  rOPULAlKES 

sommeil.  L'exemple  est  contagieux,  et  voilà 
que  Cathi  s'endort  elle  aussi. 

Amadou-li  arrive  au  milieu  de  la  nuit,  et 
voyant  les  deux  amants  endormis  il  est  pris 
d'une  fureur  très  grande  contre  eux.  Il  ne 
sait  quel  supplice  inventer  pour  assouvir  sa 
colère,  et  tirant  le  couteau  que  Biram  avait 
à  sa  ceinture  il  poignarde  Cathi  qui  meurt 
sans  pousser  un  cri  ni  faire  un  mouvement. 

Retirant  alors  l'arme  du  sein  de  la  jeune 
fille,  il  la  met  dans  la  main  de  son  rival  en- 
dormi, et  se  retire  sans  être  vu  par  personne. 

Le  lendemain  matin  on  découvre  la  mort 
de  Cathi,  et  Biram  trouvé  endormi  à  ses 
côtés,  son  propre  couteau  sanglant  à  la  main, 
ne  put  invoquer  un  alibi,  fut  condamné  à 
mort  sans  aucune  hésitation. 

La  sentence  ne  devait  être  exécutée  que  le 
lendemain,  et  Biram  voulait  aller  dire  adieu 
à  sa  mère  avant  de  mourir,  aussi  demanda- 
t-il,  comme  dernière  faveur,  un  jour  de 
liberté. 

On  faisait  naturellement  de  grandes  diffi- 
cultés pour  obtempérer  à  sa  requête,  et  lui, 
ne  se  doutant  pas  que  sa  triste  situation 
était  le  résultat  de  l'animadvcrsion  de  celui 
qu'il  croyait  être  son  meilleur  ami,  dit  à  ses 


M.   :  MBIE  17 

jugea  :  —  "   Amadou-li  va  me  servir  de 
lion,  il  prendra  ma  place  dans  la  prison  et 
se    portera   garant   de    DU  j'en    suis 

certain.  » 

Amadou-li,  qui  avait  plus  d'un  remords 
déjà,  accepte  volontiers,  et  voilà  que  Biram 

•  libre  pendant  quelques  heures.  Mais  au 
moment  Ixé  pour  l'exécution  il  n'est  pas 
encore  de  retour,  retenu  qu'il  a  été  plus 
qu'il   ne   le   croyait   par  la  longueur   de   la 

I'oute  à  parcourir. 
On  s'apprêtait  à  tuer  Amadou-li  qui,  lui- 
îeme,   ne   s  estimait   pas  trop   malheureux, 
ourreié   qu'il   était   par  les   remords  1  . 
îauvaise  conduite  vis    à    vis   de  son  ami, 
quand  Biram  accourt  en  toute  hâte. 

11  veut  reprendre  sa  place,  mais  Amadou-li 
ne  veut  pas  la  lui  céder.  Il  y  a  entre  les  «.: 
amis  une  lutte  ditlicile  à  comprendre,  et  le 
boureau  ne  savait  lequel  frapper. 

Tout  à  coup  Amadou-li  dit  aux  juges  : 
—  «  C'est  moi  qui  dois  mourir  et  non  Biram. 

Iarce  que  je  suis  le  vrai  et  le  seul  coupable.  » 
it  il  raconte  les  détails  de  sa  vengeance  qui 
produit  la  mort  de  Cathi  et  la  condamna- 
on  de  son  ami. 


jS      C0N7ES  POPULAIRES  Dl  (.A  SÉNÉGAMB1K 

ils  ne  savent  quelle  décision  prendre,  quand 
un  vieux  marabout  leur  dit  :  il  faut  faire 
grâce  à  tous  les  deux. 

«  Biram  est,  en  effet,  innocent,  leur  dit-il, 
et  par  conséquent  hors  de  cause.  Amadou- 
li  vient  de  racheter  son  forfait  par  sa  belle 
conduite;  et,  d'ailleurs,  Cathi  était,  en  dé- 
finitive, la  première  et  la  plus  grande  cou- 
pable. Or,  elle  a  été  punie  comme  elle  le 
méritait;  et  il  ne  faut  pas  que  sa  mauvaise 
conduite  fasse  tuer  un  innocent,  ou  un  cou- 
pable qui  s'est  repenti  déjà  d'une  manière 
si  loyale  et  si  parfaite.   » 

L'avis  du  marabout  fut  suivi,  et  les  deux 
jeunes  hommes  furent  remis  en  liberté. 


xU    xtt    xtl    xU    itj    xii    xii    iti    »ti    i?j    xU    »*j    i'i 

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I\ 


LKS    DKUX    AMIS    PEL'LS 


Deux  garçoni  Peuli  du  Fouta-Djalor. 
dans  le  mime  village  et  habitant  deux 
cases  voisines,  étaient  unis  par  la  plus  grande 
amitié;   ils  jouaient  dans  leur  enfan< 

.  >te.  gardèrent  le    même 
troupeau  une  fois  devenus  adolescent 
un  mot,  donnèrent  le   spectacle  de  la  plus 
étroite  liaison. 

Un  jour,  un  des  deux  s'éprit  d'amour  pour 
une  jeune  tille  du  villas,  chercha  en 

mariage  et  l'épousa. 

Cet  événement)  bien  fait  pour  rompre 
l'intimité  des  deux  amis,  ou  du  moins  pour 
la  relâcher  sensiblement,  n'eut  cependant 
pis   ce    fâcheux   résultat.    Les    deux    jeunes 

i" 


20  CONTES  POPULAIRES 

hommes  restèrent  aussi  étroitement  unis; 
le  célibataire  se  bâtit  une  case  qui  touchait 
h  celle  du  jeune  ménage,  et  où  ils  étaient 
trois  au  lieu  de  deux  à  passer  la  plupart  des 
heures  de  leur  vie  ensemble. 

L'ami  avait  toujours  respecté  la  femme  de 
son  camarade;  il  n'avait  jamais  eu  une 
pensée  inavouable  à  son  égard,  quand  un 
jour  par  hasard,  et  sans  qu'il  l'eût  cherchée, 
il  eut  l'occasion  de  voir,  à  travers  une  fente 
de  la  tapade  qui  séparait  les  deux  cases,  la 
jeune  femme  faire  ses  ablutions,  dans  un 
état  de  nudité  qu'elle  ne  cherchait  pas  à 
dissimuler,  se  croyant  seule  et  à  l'abri  de 
tout  regard  indiscret. 

Ce  spectacle  alluma  dansles  sens  du  jeune 
homme  une  flamme  irrésistible;  des  désirs 
coupables  assaillirent  son  esprit  et  son  cœur, 
mais  la  force  de  son  amitié  les  comprima  et 
la  jeune  femme  ne  sut  jamais  qu'elle  avait 
inspiré  une  telle  passion. 

Mais,  malgré  l'énergie  de  l'amitié  qui  com- 
battait la  convoitise,  l'amour  qu'épi  ouvait 
le  jeune  homme  ne  put  être  vaincu  ;  il  tomba 
bientôt  dans  un  état  de  tristesse  maladive, 
dépérit  et  finit  par  être  si  malade  que  son  ami 
en  fut  très  inquiet. 


Dt    I  MBIK 

Tous  les  marabouts,  toutes  les  mati 

tous  les  étrangers  turent  consultes  pour  ra- 
mener la  saute  du  pauvre  amoureux.  Per- 
sonne ne  connaissant  son  secret  ne  put  con- 
seiller le  remède  efficace  et  1a  raort  menaçait 

de  survenir  prochainement 

-ir  son  ami  dépérir  ainsi  de- 
jour  en  jour,  le  |eune  marie  se  confondait 
en  conjectures,  demandait  au  malade  ce 
qu'il  pourrait  faire  pour  lui  rendre  la  santé, 

protestant  qu'il  se   tuerait  si  la   mort   lui  ra- 
vissait sa  plus  chère  atlection.  Il  fut  si  pres- 
sant un  jour  que  l'amoureux  lui  con:. 
douloureux  secret. 

Ce  fut  pour  le  mari  un  coup  terrible,  car 
il  aimait   passionnément  sa  femme;  il  lutta 
péniblement  contre  deux  sentiments  t 
ment  vifs. 

Enfin  l'amitié  l'emporta,  et.  après  un  com- 
bat et  des  résistances  dont  le  conteur  peut, 
à  son  gré,  détailler  plus  ou  moins  les  péri- 
péties quand  il  tient  son  auditoire  sous  le 
charme  de  la  parole,  mais  que  nous  pouvons 
ar  ici,  il  fut  convenu  que  la  nuit  d'a- 
près, le  mari  se  lèverait  sous  le  pr. 
d'aller  entretenir  le  feu  qui  brûlait  dans  la 
cour  et  qui  avait  servi  au  repas  du  soir. 


11  CONTES  l'Ol'Ul MUES 

L'ami  devait  entrer  alors  dans  la  case, 
tandis  que  le  mari  resterait  au  dehors,  et  la 
jeune  femme,  ignorant  le  subterfuge,  devait 
servir  à  assouvir  la  passion  de  l'amant  sans 
se  douter  de  la  substitution. 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait,  en  partie  au  moins. 
Le  mari  céda  la  place  à  l'amoureux  qui  vint 
auprès  de  la  jeune  femme. 

Mais,  au  moment  de  commettre  un  crime 
rendu  d'autant  plus  facile  que  l'obscurité 
avait  trompé  la  victime  ;  que  le  principal  in- 
téressé était  de  connivence  avec  le  malfaiteur  ; 
et  aussi,  ajoutons-le,  que  la  jeune  femme, 
éveillée  par  le  bruit,  sollicitait  les  désirs  de 
celui  qu'elle  croyait  être  son  mari,  l'amitié 
redevint  plus  forte  que  la  passion  déshon- 
nête. 

L'amoureux  s'échappa  donc  en  toute  hâte, 
au  grand  étonnementde  la  femme  qui,  igno- 
rant la  fraude,  était,  à  bon  droit,  étonnée  de 
cette  retraite  inopinée.  Cette  retraite  fut  si 
rapide  que  grâce  à  l'obscurité  la  jeune  femme 
ne  soupçonna  pas  le  forfait  que  sa  conscience 
se  serait  reprochée  toute  la  vie. 

Quand  l'amoureux  fut  sorti,  le  mari 
rentra,  dit  l'histoire,  et,  comme  il  avait 
grandement  souffert  de  céder  sa  place  tem- 


DE   i  I  MBIE 

porairement  à  son  ami,  il  se  mit  en  devoir 
de  prendre  sa  revanche. 

>  la    jeune    femme,    qui    s'était 
e  ce  que  ses  avances  venaient  d'être 
renom  ette  fois  en  lui  di 

A  chacun  son  tour;  il   y   a  un  instant 
moi  qui  demandais  et  vous  refusu. 
moi  tranquille  maintenant. 

L'infortune   mari   entendit  M   un 

grand  bonheur,  ayant  ainsi  la  preuve  absolue 
que  la  continence  de  son  ami  avait  éU 
hauteur  de  l'immense    M  .ni'il    avait 

fait  lui-même  à  l'amitié. 

L'épreuve  tentée  eut  un  résultat  favorable 
sur  le  jeune  amoureux  qui,  guéri  inconti- 
nent de  la  passion  qu'il  avait  ressentie  pour 
la  femme  de  son  ami,  se  hâta  d'épouser  une 
autre  jeune  tille.  Et,  au  lieu  d'une  liaison 
intime  à  trois,  on  vit  désormais  dans  le  vil- 
leux  ménages  extrêmement  unis  par 
les  liens  de  l'amitié,  sans  que  la  vertu  eût  à 
souffrir  de  part  et  d'autre. 

Cette  légende  où  l'amour  est  médecin  et 
où  l'amitié  fut  si  invraisemblablement  géné- 
reuse des  deux  côtés,  rappelle  celle  de  Stra- 
tonice,  fille  de  Demétrius  Poliocerte,  qui 
avait  été  épousée,  vers  290  ans  avant  Jésus- 


•24  CONTES  POPULAIRES 

Christ,  par  Séleucus  Nicanor,  un  des  géné- 
raux d'A'exandre,  devenu  roi  de  Syrie. 

On  sait  que  les  attraits  charmants  de  Stra- 
tonice  inspirèrent  au  fils  de  ce  prince  une 
vive  passion,  qui,  étant  comprimée  au  fond 
du  cœur  de  l'amoureux  et  cachée  à  tout  le 
monde,  mit  celui  qui  fut  plus  tard  roi  de 
Syrie,  sous  le  nom  d'Antiochus  Soter  â  la 
porte  du  tombeau. 

On  raconte  qu'Erasistrate,  son  médecin, 
devina  la  cause  d'une  maladie  que  tout  le 
monde  cherchait  en  vain  et  que  Séleucus 
Nicanor,  aimant  plus  son  fils  que  sa  nou- 
velle femme,  renonça  en  sa  faveur  à  ses 
droits  de  mari. 

Je  ferai  remarquer  cependant  qu'il  y  a  de 
grandes  divergences  entre  les  deux  légendes, 
puisque  le  jeune  Antiochus  Soter  fut  plus 
égoïste  que  l'ami  de  notre  Peul. 

On  peut  même  dire  que  le  sentiment  qui 
a  inspiré  le  récit  africain  est  plus  élevé  que 
celui  de  l'anecdote  Syrienne,  de  sorte,  qu'en- 
tre les  deux,  c'est  à  l'imagination  Foulane 
qu'échoit  la  meilleure  place. 

Cette  légende  des  Peuls  est-elle  un  reflet, 
une  réminiscence,  une  variante  de  l'autre,  il 
ne  m'est  pas  possible  de  le  décider;  il  serait 


DE   I    I  MBIE 

même  tout  à  bit  téméraire,  je  crois,  de  se 

prononcer  pour  ou  contre  leur  parc: 

a  moins,  dérivée  d'elle  ou  parallèle, 
elle  n'en  prouve  pas  moins  la  supériorité 
intellectuelle  des  individus  que  nouséludions 
actuellement. 

Elle  est  biea  laite,  à  mon  avis,  pour  mon- 
trer la  distance  intellectuelle  con*idcrable 
qui  sépare  le  l'eul  de  la  plupai  t 
proprement  dits.  Car  le  Ouolot  lui-même, 
qui  est  un  des  plus  élevés  parmi  les  uU  - 
niens,  ne  la  comprend  pas,  le  plus  sou\. 
trouvant  que  le  sacrifice  du  mari  est  aussi 
léger  que  le  scrupule  de  l'amoureux  ridicule. 

Dans  la  plupart  des  pays  littoraux  lk 
frique  tropicale,  où  l'homm  il  bestia- 

lement son  appétit  charnel,  sans  attache 
l'amour  la  délicatesse  et  l'élévation  que  nous 
lui  prêtons  dans  la  ru  ique,  on   ne 

trouve,  en  général,  rien  qui  approche  de  cet 
ordre  d'idées  que  nous  voyons  dans  l'ima- 
gination de  Peul.  Ce  n'est  que  chez  les  peu- 
plades les  plus  élevées  sous  le  rapport  de 
l'intelligence  que  .  e  actuelle  a  qui- 

ttances d'être  comprise. 

ï?*;a    y  ■ 


BALLADI     KASSONKAISK    DE   DlUDt 


Les  Kassonkés  qui  habitent  le  haut 
negaly  aux  environs  de  Médine,  pos- 
sèdent, dans  leur  littérature,  une  ballade  que 
ne  désavoueraient  pas  les  peuples  les  plus 
policés  et  les  plus  délicats  en  poésie  :  c'est  la 
ballade  de  Diudi. 

Homme  on  va  le  voir;  c'est  un  humble 
guerrier  qui  aime  et  qui  est  aimé  d'une  prin- 
cesse. C'est  un  simple  soldat  dont  l'amour 
fait  un  grand  capitaine.  Qui,  après  la  vic- 
toire, demande  la  main  de  celle  qu  il  aime, 
It  qui  meurt  de  désespoir  quand  il  apprend 
ue  celle  qu'il  aimait  est  morte. 
Cette  ballade  de  Diudi  est  le  chant  de  guerre 
utant  que  le  chant  d'amour  des  Kassonkés: 


28  CONTES   l'OI'Ul.AIRES 

ce  qui  me  porte  à  penser  que  peut-être  la 
majorité  de  la  peuplade  ne  sent  pas,  d'une 
manière  bien  exacte,  maints  détails  de  ce 
qu'elle  dit.  Mais,  néanmoins,  le  fait  seul  de 
s'être  répandue  ainsi,  au  point  de  devenir 
presque  un  chant  national,  est  un  indice  en 
faveur  de  la  supériorité  intellectuelle  de  ces 
Kassonkés. 

Que  l'idée  ait  germé  dans  le  cerveau  d'un 
des  poètes  du  pays  ou  bien  quelle  ait  été 
apportée  soit  par  les  Peuls,  soit  par  les  Mau- 
res dans  la  contrée,  toujours  est-il  qu'elle  a 
trouvé  che^  les  Kassonkés  un  terrain  favora- 
ble à  la  conservation.  Che\  les  Sérères,  peut- 
être  même  che^  les  Ouolofs.  elle  aurait  couru 
grand  risque  de  tomber  bien  vite  dans  l'oubli 
et  de  disparaître,  faute  d'avoir  été  comprise; 
c'est-à-dire  faute  d'avoir  fait  vibrer  une  fibre 
dans  le  cœur  ou  dans  l'esprit  de  la  multitude. 


Jeunes  filles,  dont  le  regard  sait  si  bien 
faire  battre  le  cœur  des  hommes  les  plus 
froids.  Vous  qui  pouvez  d'un  coup  d'oeil 
faire  plus  de  mal  que  le  fusil  chargé  jusqu'à 


39 

la  gueule,  et  plus  de  plaisir  que  la  vue  du 
fleuve,   après  une  longue    marche  d.. 

<  itez  l'histoire  >.ie  Diudi  qui 
e>t  morte  d'amour. 

Guerriers,  qui  faites  trembler  l'ennemi  et 
qui  vous  précipitez  sur  lui  avec  1  impétuosité 
du  fleuve  iprés  le  premier  orage.  — 
dont  la  valeur  détend  les   jetU  de   la 

servitude  et   des  brutalités  des  envahisseurs 

du  p.i  :outes  l'histoire  de  Sége  qui 

est  mort  d'amour. 

,ii  était  un  grand  roi  qui  commandait 
à  tout  le  Bakounou.  —  Son  nom  était  \e- 
per  les  habitants  de  cent  villages,  et 
faisait  l'effroi  de  >.es  ennemis,  parce  qu'il 
avait  un  grand  nombre  de  vaillants  guerriers 
dont  la  bravoure  était  irrésistible. 

Le  tatl  de  Bakari   était  une  grande  forte* 
dens  laquelle  il  avait  un  grand  nombre 
ives;  des  armes,  des  tissus,  des  vivres, 
et  de  l'or  en   quantité.  — Car  Bakan 
le  chef  le  plus  puissant  de  la  con: 

Bakari  possédait  toutes  les  richesses,  mais 
ce  qu'il  avait  de  plus  précieux  c'était  sa  fille  : 
la  belle  Diudi. 

Guerrier  !  —  toi  qui  n'as  jamais  tremblé 
devant  la  sagaie  de   ton  ennemi,  tu   aurais 


3o  CONTES  POPULAIRES 

tremblé  devant  l'œil  de  Diudi.  —  Tu  aurais 
suivi  son  regard  en  tremblant.  —  Tu  aurais 
e'té  le  plus  heureux  des  hommes  si  elle  t'avait 
souri.  —  Tu  aurais  voulu  mourir  si  elle  t'a- 
vait dédaigné. 

C'est  qu'elle  était  belle,  Diudi.  Toutes  les 
filles  de  son  village  étaient  belles,  mais  quand 
Diudi  apparaissait  personne  ne  les  voyait 
plus.  On  ne  regarde  plus  les  étoiles  quand 
le  soleil  s*est  levé. 

Tous  les  jeunes  gens  du  pays,  et  même  de 
très  loin  à  la  ronde,  étaient  épris  de  Diudi. 

—  Chacun  aurait  voulu  son  amour.  —  Mais 
Diudi  est  sévère;  elle  n'aimera  que  le  plus 
beau,  le  plus  brave  et  le  plus  aimant. 

Allons,  jeunes  guerriers!  quel  est  celui  de 
vous  qui  sera  aimé  de  Diudi? 
Diudi   est  belle  comme  le   soleil   levant. 

—  Diudi  est  agile  comme  la  gazelle.  —  Diudi 
a  un  regard  qui  fait  perdre  la  mémoire  et 
qui  fait  trembler  l'homme  le  plus  résolu. 

Quand  Diudi  chante  chacun  est  dans  le 
ravissement.  Si  Diudi  parle  tous  les  jeunes 
gens  se  taisent  et  ne  savent  plus  parler.  — 
Allons,  jeunes  guerriers,  qui  de  vous  sera 
aimé  de  Diudi? 

C'est  Séga  que    Diudi   aime  ;  elle  qui  fait 


i<k  i  |  mit  ji 

trembler  d'émotion  tous  les  jeunes  gens,  clic 

est  émue  quand  elle  le  rencontre.  —  El 

qui  est  le  plus   beau,  le  plus  brave,  le  plus 

aimant  des  guerriers  s'attache  a  ses  j 

Sans  que  M  voix  lui  dise  rien  ses  yeux  lui 
disent  des  choses  qui  les  plongent  tous  deux 
dtOI  l'extase. 

Sega    aime    Diudi,  Diudi  aime    Sega.  — 
Guerriers   perdez  l'espérance.  —  Diudi  sera 
i  Diudi.  —  Pendant  la 
I  k >i  pendant  la  mort. 

Diudi  aime  Sega.  —  Séga  aime  Diudi.  — 
Ils  ne  se  sont  jamais  parlé,  mais  ils  se  sont 
vus  une  fuis  et  ils  savent  tout  ce  qu'ils  ont 
d'amour  réciproque. 

Personne  ne  les  a  vus,  personne  ne  sait 
qu'ils  se  connaissent  et  pourtant  Séga  passe 
de  longues  heures  auprès  de   Diudi. 

Diudi  aime  Sega.  —  Séga  aime  Diudi. 

L'amour  sait  réunir  les  amants  en  même 
temps  qu'il  aveugle  et  rend  sourds  ceux  qui 
gardent  les  jeunes   tilles. 

t  aime  Diudi,  la  fille  du  roi.  — 
lui  est   pauvre,  il  est  de  naissance  obscure, 
il  ne  pourra  pas  prétendl  on  époux, 

Qu'importe  !  Sega  et  Diudi  n'ont  pas  songé 
à  cela  pour  s'aimer.   —  Leur  amour  est  né 


32  CONTES   POPULAIRES 

sans  qu'ils  le  sachent.  —  Ils  ne  l'ont  connu 
que  lorsqu'il  était  immense  et  les  dominait 
entièrement. 

Les  amants  ne  songent  pas  à  l'avenir,  ils 
s'aiment  et  voilà  tout.  Quand  ils  sont  en- 
semble ils  ne  désirent  plus  rien;  tout  le 
restant  du  monde  leur  est  indifférent. 

Séga  aime  Diudi.  —  Diudi  aime  Séga. 

Ils  se  voient  chaque  nuit.  —  Ils  sont  heu- 
reux. Personne  ne  connaît  leur  liaison  ;  rien 
n'entrave  leur  passion;  ils  ne  songent  pas  à 
l'avenir. 

Mais  hélas!  hélas!  le  bonheur  n'a  qu'un 
jour,  le  malheur  dure  toute  la  vie. 

Pleure  Diudi.  —  Pleure  Séga.  —  Voilà  le 
malheur  qui  va  fondre  sur  vous.  —  Votre 
amour  est  si  grand  qu'il   vous  fera   mourir. 

La  guerre  est  déclarée  ;  l'ennemi  avance, 
brûlant  les  villages,  tuant  les  hommes,  em- 
portant les  femmes  en  esclavage,  —  enlevant 
les  récoltes  et  les  troupeaux.  Les  vautours 
les  suivent  parce  qu'ils  ont  à  manger  abon- 
damment partout  où  ils  passent. 

Les  Bambaras  envahissent  le  pays.  —  Ba- 
kary  prends  garde!  la  mort  est  proche  si  tu 
ne  sais  te  défendre. 

Les   Bambaras  sont   cruels.  Ils  tuent  les 


UK   I  WIB1E  33 

guerriers.  —  Ils  réduisent  les  enfant  en  es- 
clavage. —  Us  violentent  les  femme  — 
Prends  garde  Bakary  ! 

iry  fait  battre  le  tam-tam  de  guerre. 
—  Accourez  jeunes  guerriers.  —  De  tous  les 

.  ous  arrivez  avec  empressement,  vous 
a\e/  vus  grigris  qui  vous  rendent  invulnéra- 
bles. —  Vo  os  fusils  charges  jusqu'à 
la  gueule.  Vous  avez  de  la  poudre  en  grande 
abondance. 

>urez  jeunes  guerriers  il  faut  défendre 
le  pays.  —  Prenez  y  garde! 

Les  Bambaras  violentent  les  jeunes  filles, 
BltU VOUS,  qui  êtes  plus  braves  que  les  Bam- 
.  vous  saurei  leur  prendre  leurs  femmes 
et  leur  filles. 

Bambarrai  son  riches,  mais  vous  leur 
prendrez  leurs  troupeaux,  leurs  armes  et 
leur  or. 

Les  guerriers  accourent  et  le  premier  de 
tous  est  Sega.  —  Ségi  n'est  pas  inconnaissa- 
ble. —   11   était  doux,    suppliant  tremblant 
d'émotion  devant  Diudi.  Mais  quand  il 
aimes  à  la  main  il  est  terrible. 

i  est  un  simple  est  obscur  guerrier 
pour  l'extraction  ;  mais  il  est  si  fort,  il  est 
si  brave,   il  est  si  hardi  que  bientôt  il  est  le 


34  CONTES   l'OIMJl.AlKES 

chef.  —  Il  entraîne  ses  amis  au  combat.  — 
C'est  le  plus  brave;  c'est  le  plus  hardi.  — 
Ses  amis  le  suivent  et  lui  obéissent.  —  Sega 
est  un  grand  chef. 

Diudi  pleure,  Diudi  tremble  pour  les  jours 
de  Séga,  elle  se  désole  et  cependant  cherche 
à  cacher  sa  douleur.  Mais  Bakary  s'aperçoit 
que  Diudi  est  triste.  Dis-moi,  Diudi,  quelles 
sont  tes  douleurs.  Mais  Diudi  reste  muette. 
—  Diudi  ne  dira  à  personne  qu'elle  aime 
Séga. 

Le  temps  s'écoule  ;  la  guerre  dure  et  Diudi 
se  désole.  —  Elle  tremble  pour  la  vie  de 
Séga,  mais  voilà  que  d'autres  douleurs  vont 
l'assaillir. 

Diudi,  mets  ton  bracelet  à  la  cheville.  — 
Diudi,  tu  seras  mère  bientôt. 

Diudi,  tu  as  un  enfant  qui  ressemblera  à 
Séga.  —  Prends  garde,  Diudi  !  ton  père  le 
roi  Bakary  est  courroucé.  Bakary  veut  sa- 
voir quel  est  le  téméraire  qui  a  osé  t'appro- 
cher. 

Il  mourra  ce  téméraire!  La  fille  du  roi  ne 
peut  être  aimée  que  par  un  roi.  —  Celui  qui 
l'a  séduite  doit  mourir. 

Diudi,  dis-moi,  je  te  l'ordonne,  quel  est  le 
ravisseur  de  ton  cœur,  je  te  jure  qu'il  mourra. 


—  Je  saurai  l'atteindre  partout    —  Il    . 
honoré  ma  fille,  il  mourra. 

Diudi,  «-lis-moi  >un  nom,  dis-moi  qui  est 
cet  homme. 

Mon    père,  celui     que  beau 

comme  le  soleil.  —  Il  etl  bra\e  comme  le 
lion    —H  comme  un   vieillard.  — 

Mais  je  ne  vous  dirai  pas  son  nom.  —  Il  ne 
doit  pas  mourir;  il  doit  être  votre  tils  aime, 
en  attendant  d'être  votre  successeur. 

Diudi,  tu    me   diras  son  nom,  je  saurai  t'y 

—  Je  reui   le  taire  mourir.  —  On  va 

l'enfermer;  tu  souffriras  toutes  les  douleurs. 

—  Je  te  priverai  de  nourriture. — 
supporter  toutes  les  tortures  pour  te  forcer 
à  me  dire   son  nom,   car  je  veux  faire  mou- 
rir celui  qui  a  deshonore  ma  tille. 

Diudi,  dis-moi  le  nom  de  ton  séduc- 
teur. 

Mon  père,  celui  que  )'aime  est  beau 
comme  le  soleil.  Il  est  brave  comme  le  lion. 
Il  est  sage  comme  un  vieillard.  —  Mais  je 
ne  vous  dirai  pas  son  nom.  —  Il  ne  doit  pas 
mourir  il  doit  être  votre  tils  aimé  en  atten- 
dant d'être  votre  successeur. 

Diudi,  tu  me  diras  son  nom  ;  je  saurai  t'y 
forcer.  Je  te  ferai  mourir  de  privations 

3* 


36  CONTES  POPULAIRES 

tortures  si  tu  ne  me  le  de'signes  pas  pour 
que  je  le  fasse  mourir. 

Mais  Diudi  ne  dira  pas  son  nom.  —  Diudi 
répète  chaque  jour  :  Mon  amant  est  beau 
comme  le  soleil,  brave  comme  le  lion,  sage 
comme  un  vieillard. 

Diudi  souffre  de  la,  faim.  —  Diudi  est  en- 
fermée dans  un  lieu  obscur.  —  Diudi  se  dé- 
sespère.  —  Diudi  est  morte  en  répétant  : 
Mon  amant  est  beau  comme  le  soleil,  brave 
comme  un  lion,  sage  comme   un   vieillard. 

Mais  Diudi  n'a  pas  révélé  le  nom  de  celui 
qu'elle  aime. 

Séga  fait  des  prodiges  de  valeur.  —  Les 
Bambaras  reculent;  et  il  les  poursuit  avec 
ardeur. 

Séga  est  un  grand  chef  c'est  lui  qui  com- 
mande à  tous.  —  Il  est  brave  de  sa  personne. 
Il  est  prudent  dans  le  conseil.  —  Il  surprend 
toujours  l'ennemi,  et  ne  se  laisse  jamais  sur- 
prendre. 

C'est  Séga  qui  a  vaincu  les  Bambaras.  — 
Séga  est  un  grand  chef. 

La  guerre  est  finie  ;  les  guerriers  revien- 
nent au  pays  chargés  de  butin.  —  Tout  le 
monde  acclame  Séga.  —  Séga  est  un  grand 
chef. 


M    I  MBIl  3/ 

iry  félicite  Séga,  c'est  Sega  qui  i  vaincu 

iri  est  dans  la  joie,  il  embrasse  S 
Dis-moi  lu  ier  que  veux-tu  pour  ta 

récompense.  —  Tu  es  un  grand  chef.  —  Tu 
es  mon  e*£ftl.  —  Dis-moi  ce  que  tu  désires; 
je  te  jure  que  je  te  rai 

Grand  roi,  j'aime  quelqu'un  que  je  ne 
vois  pas  ici.  Grand  roi  je  suis  prêt  à  retour- 
ner an  combat  s'il  faut  tuer  d'autres  ennemis, 
courir  de  nouveaux  dangers  remporter  en- 
core des  victoires  pour  ta  grandeur. 

Grand  roi,  si  tu  veux  me  rendre  heureux, 
donne-moi  Diudi  en  mari 

Diudi  que  j'aime  et  qui  e>l  la  plus  belle, 
la  plus  douce,  la  plus  aimante  des  tilles.  — 
Grand  roi,  j'aime  Diudi. 

Hélas!  Hélasl  Diudi  est  morte.  —  Elle  est 
morte  d'amour  sans  vouloir  révéler  le  nom 
de  celui  qu'elle  aimait;  de  celui  qui  est  beau 
comme  le   soleil,  brave  comme  le  lion, 
comme  un  vieillard. 

i  !  Diudi  est  morte,  morte  d'amour 
pendant  que  tu  combattais  les  Bambaras, 
pendant  que  tu  te  couvrais  de  gloire,  que  tu 
remportais  la  victoire.  —  Diudi  est  morte 
d'amour. 


38      CONTES  POPU;. AIRES  DE    LA  SENEGAMlilE 

Séga  se  désole.  —  Se'ga  s'est  évanoui 
comme  une  femme  en  apprenant  la  funeste 
nouvelle.  —  Séga  ne  veut  plus  rien,  il  ne 
demande  plus  rien,  il  ne  songe  plus  à  rien 
qu'à  Diudi.  —  Il  jette  ses  armes,  son  butin 
reste  sourd  à  toutes  les  félicitations;  il  n'en- 
tend plus  les  cris  de  joie.  —  Il  court  sur  la 
tombe  de  sa  bien-aimée  ;  et  il  y  meurt  de 
douleur  en  appelant  Diudi,  sa  chère  Diudi 
qui  est  morte  d'amour. 

Jeunes  filles  dont  le  regard  sait  si  bien 
faire  battre  le  cœur  des  hommes  les  plus 
froids.  —Vous  qui  pouvez  d'un  coup  d'œil, 
faire  plus  de  mal  que  le  fusil  chargé  jusqu'à 
la  gueule  ;  et  plus  de  plaisir  que  la  vue  du 
fleuve  après  une  longue  marche  dans  le  dé- 
sert. —  Ecoutez  l'histoire  de  Diudi  qui  est 
morte  d'amour. 

Guerriers  qui  faite  trembler  l'ennemi  et 
qui  vous  précipitez  sur  lui  avec  l'impétuo- 
sité du  fleuve  après  le  premier  orage.  —  Vous 
dont  la  valeur  défend  les  jeunes  filles  de  la 
servitude  et  de  la  brutalité  des  envahisseurs 
du  pays.  —  Ecoutez  l'histoire  de  Séga  qui 
est  mort  d'amour. 


VI 


BALLADE    T0UC0U1.0UE    DK    SAMBA- KOI' L 


Il  parti  Samba! 
Samba  était  dfl  race  noble,  il  descendait 
M  Koli  Satignv  qui  était  un  saint  homme 
en  même  temps  qu'un  grand  guerrier  et  qui 
ait,  à  ^ause  de  sa  ferveur  religieuse, 
un  talisman  précieux  qui  le  rendait  invul- 
nérable. Ce  talisman  lui  permettait  de  pren- 
dre toutes  les  formes  d'animaux  possibles 
pour  surveiller  les  agissements  de  ses  enne- 
mis, et  le  rendait  invisible  à  son  adversaire 
dans  les  moments  dangereux. 

Il  est  parti  Samba  ! 

Samba  était  noble  et  généreux  il  avait 
toutes  les  qualités  pour  régner;  mais  son 
père  mourut  pendant  qu'il   était  enfant  et 


40  CONTES   l'Ol'UI.Al..  ES 

son  oncle  Abou  Moussa  lui  ravit  le  com- 
mandement, Abou  Moussa  cherche  même  a 
le  faire  périr.  Mais  Samba  s'e'chappe  et 
marche  jour  et  nuit  pour  se  soustraire  à  ses 
embûches.  —  Tout  le  monde  l'a  aban- 
donné, les  partisans  de  son  père  sont  décou- 
ragés, il  n'a  plus  à  sa  suite  que  son  griot  et 
son  chien  qui  lui  sont  restés  fidèles. 

Il  est  parti  Samba  ! 

Samba  arrive  chez  le  Tunka  de  Ouandé, 
dans  le  Fouta  Damga;  il  se  fait  reconnaître 
et  il  est  comblé  de  fêtes.  Mais  son  oncle  est 
puissant  et  le  Tunka  est  faible, de  sorte  qu'il 
ne  peut  recevoir  aucun  secours  d'hommes 
pour  faire  la  guerre.  Il  confie  au  Tunka  sa 
mère  et  ses  sœurs  qu'il  a  sauvés  de  l'ani- 
madversion  de  son  oncle. 

Il  est  parti  Samba  ! 

Samba  ne  se  laisse  pas  décourager  par 
l'adversité.  Ne  trouvant  pas  d'appui  pour  sa 
vengeance  chez  le  Tunka  de  Ouandé  il  tra- 
verse le  fleuve  et  va  trouver  El  Kébir  le 
grand  chef  des  maures  qui  a  mille  guerriers 
toujours  prêts  à  se  battre.  El  Kébir  est  dans 
son  camp  entouré  de  ses  femmes,  de  ses 
troupeaux  et  de  ses  chameaux. 

Il  est  parti  Samba  ! 


M  I  4BIB  41 

Je  suis  Samba,  lui  dit-il,  donne-moi  une 
armée   pour  aller  combattra    mon   oncle  et 

ir  le  pouvoir  qu'il  m'a  dérobé.  Tu  au- 
ras défendu  la  justice  en  donnant  aide  au 
faible  contre  l'oppresseur,  et  tout  le  monde 
dira  que  tu  es  un  grand  cbef,  sage  bra\ 
équitable. 

Il  est  parti  Samba! 

I  Kébir  lui  dit  sois  le  bienvenu;  il  lui 
donne  l'hospitalité  mais  il  ne  veut  pas  tenter 
la  lutte  contre  Abou  Moussa  qui  est  puissant  ; 
et  Samba  veut  cependant  se  v<  mba 
mange  le  couscous del'hospitalité,  mais  l'eau 
du  désert  est  infect*  Samba 
dit  à  la  captive  du  roi  donne-moi  de  l'eau 
douce  et  fraîche  comme  celle  de  mon 

II  est  parti  Samba  I 

Je  ie  voudrais  bien,  lui  répond  la  captive, 
mais  je  ne  pourrais  t'en  donner  qu'au  prix 
de  ma  mort,  car  ia  source  d'eau  douce  | 
la    possession    du   lion    M  Bardidalo  qui   la 
garde  jalousement  et  qui  n'en  laisse  puiser 
qu'a  ceux  qui  consentent  à  lui  donner  une 
jeune  fille  en  sacrifice  chaque  année.    1.. 
pauvres  captives  comme  moi  sont  bien  mal- 
heureuse; elle  lui  servent  de  pâture. 
Il  est  parti  Samba! 


42  CON'IES  l'Ol'Ul.AlUKS 

Samba  prend  l'outre  de  la  captive  et  il  va 
droit  à  la  source  ou  se  trouve  M'Bardidalo. 
Le  monstre  veut  le  de'vorer  mais  Samba  est 
un  grand  guerrier  et  la  lutte  s'engage  entre 
eux  deux.  Les  rugissements  du  lion  jettent  la 
terreur  aux  alentours.  —  Chacun  est  terrifié 
pendant  cette  nuit  noire.  Seul,  Samba  a  con- 
servé son  courage  et  il  tue  le  lion.  Il  plante 
sa  lance  dans  le  sable,  y  attache  son  chien  et 
laisse  sur  son  ennemi  mort  une  de  ses  san- 
dales. 

Il  est  parti  Samba! 

La  nouvelle  du  combat  terrible  se  répand 
dans  le  camp  Tout  le  monde  veut  aller  voir 
le  monstre  abattu  et  les  jeunes  filles  sont  ra- 
dieuses de  la  défaite  de  leur  ennemi.  —  El 
Kébir  dit  :  «  que  celui  qui  a  remporté  la  vic- 
toire se  fasse  connaître  pour  qu'on  l'ad- 
mire. »  —  Le  griot  de  Samba  lui  répond  : 
«  Celui  qui  a  tué  le  lion  est  celui  qui  saura 
détacher  le  chien,  brandir  la  lance  et  chaus- 
ser la  sandale.  » 

Il  est  parti  Samba  ! 

Tous  les  guerriers  d'El  Kébir  viennent 
tour  à  tour  pleins  d'ardeur  et  de  confiance 
pour  détacher  le  chien  mais  le  fidèle  animal 
leur  montre  les   dents  avec  fureur.   —   Per- 


M  I  4J 

sonne  ne  peut,  non  p-lus.  arracher  la  lance  qui 
reste  plantée  dans  le  sable  comme  un  arbre 
inébranlable.  Personne  ne  peut  chausser  lu 
sandale.  Quel  est  donc  le  guerrier  redouta- 
ble qui  a  vaincu  le  lion?  aucun  d'eux  ne 
peut  dire  «   c'est  moi.  » 

Il  est  parti  Samba! 

Samba  s'approche  le  dernier,  le  chien  le 
nble  de  caresses,  se  laisse  détacher  par 
lui.  Samba  brandit  la  lance  que  personne 
n'avait  pu  arracher  du  sol.  Samba  met  la 
sandale  qui  est  semblable  à  celle  qu'il  a  à 
l'autre  pied.  —  Tout  le  monde  est  rempli  de 
joie.  —  Les  jeunes  tilles  le  bénissent  El 
■  ir  lui  dit  :  «  Tu  es  un  grand  guerrier.  • 

Il  est  parti  Samba! 

El  Kébtr  est  ravi  et  dit  à  Samba,  ma  fille 
et  mes  richesses  t'appartiennent  désormais. 
Mais  Samba  n'a  qu'une  pensée  c'est  de  se 
de  son  oncle,  et  il  repond  :  donne- 
moi  ure  armée.  — El  Kébir  hésite  encore; 
il  ne  la  donnera  que  si  Samba  lui  rend 
d'autres  services.  Le  roi  des  Peuls  a  des 
Keuls  blancs  que  jamais  personne  n'a  pu 
surprendre,  il  faut  que  Samba  les  en:, 
pour  les  lui  donner. 

Il  est  parti  Samba! 


44  CONTES  POI'UI-AIKES 

Samba  n'est  pas  un  voleur  il  attaque  les 
hommes  comme  les  lions  en  les  regardant 
en  face.  Les  maures  qui  sont  lâches,  détour- 
nent par  la  ruse  quelques  misérables 
bœufs.  Mais  Samba  le  descendant  de  Koli 
Satigny,  se  bat  corps  à  corps  et  en  plein 
soleil  contre  ses  ennemis.  Il  monte  sur  un 
cheval  fringant  au  son  du  tam-tam  de  guerre 
et  des  chants  des  griots.  Il  fait  dire  au  roi 
du  Peuls.  a  Je  vais  te  faire  la  guerre,  dé- 
fends-toi. » 

Il  est  parti  Samba! 

Le  combat  est  terrible,  Samba  est  victo- 
rieux. Biram  Gourour  le  roi  des  Peuls  noirs 
est  son  prisonnier  ;  ses  richesses,  ses  trou- 
peaux sont  à  la  merci  de  Samba.  Mais  le 
vainqueur  est  aussi  généreux  après  la  vic- 
toire qu'il  est  brave  pendant  le  combat.  Il 
ne  prend  que  la  moitié  des  bœufs  blancs 
des  Peuls  et  il  rend  à  Biram  ses  richesses, 
empêchant  que  les  maures  qui  n'ont  pas 
combattu  lui  dérobent  quoi  que  ce  soit. 

Il  est  parti  Samba  ! 

Les  pillards  maures  qui  étaient  partis 
pour  voler  après  la  bataille ,  rentrent  les 
mains  vides  et  crient  à  la  trahison.  El  Ké- 
bir  qui  est  insatiable,  n'est  pas  content  d'à- 


IiK   I.A   SKSÉGAMBIE  4? 

voir  seulement  la  moitié  des  bœufs  blancs, 
quand  il  pourrait  avoir  le  troupeau  tout 
entier,  et  il  dit  mort  à  Samba,  qui  est  un 
mitre,  Sa  tète  roulera  sur  le  sable  et  son 
corps  servira  Je  pâture  aux  vautours  . 
les  du  désert. 
11  est  parti  Samba! 

filles  d'EI  Kébir  ne   veulent  pas  que 
celui  qui  lésa  délivrées  du  lion  M'Bardidalo 
les   sautent    sur   1<  , x    du 

camp   qui    paissent  en  libei  :  |  vont 

lui    dire   :    «    Nous  restons  avec   toi. 
quitte  le  camps  nous  n'y  reviendrons  plus.  • 
I  >ir  de  la  nation   part  avec  elles.   —  Si 

i  ne  revient  pas  lïl  Kebir  n'aura  plus 
cendants. 
11  est  parti  Samba! 

I  1   Kebir  en   se    voyant  ainsi  abandonné 

spoir,  il  : 
qu'il  a  t'ait  contre  Samba.  —  •  Reviens,  lui 
dit-il.  reviens  avec  les  tilles  du  camp,  l'es- 
poir de  l'avenir;    reviens   sans   retard 
ces  impriui.  |U|  nous 

donneraient  tous,  sans  regret,  pour  te  sui- 
vre. -  Reviens,  je  te   comblerai  de   riches- 
tu  commanderas  mes  guerriers. 

II  est  parti  Samba! 


-fb  CONTES  POPULAIRES 

Samba  qui  est  bon  autant  qu'il  est  géné- 
reux,  revient  au  camp  et  dit  à  El  Kébir  : 
donne-moi  une  arme'e  pour  me  venger  de 
mon  oncle  barbare  et  pour  reconquérir  mon 
royaume.  El  Kébir  ne  résiste  plus  cette  fois 
fait  battre  enfin  le  tam-tam  de  guerre,  les 
guerriers  se  rassemblent,  les  voeux  de  ven- 
geance de  Samba  sont  écoutés. 

Il  est  parti  Samba! 

Les  guerriers  joyeux  et  brûlant  de  com- 
battre, se  pressent  aux  côtés  du  brave  qui 
est  invincible  et  qui  a  déjà  donné  tant  de 
preuves  de  sa  valeur.  Leurs  armes  reluisent 
au  soleil,  les  cris  des  femmes  les  accompa- 
gnent; et  Samba  plein  de  joie  de  comman- 
der une  grande  armée  veut  d'abord  aller  à 
Guellé  pour  remercier  le  vieux  Tunka  des 
soins  qu'il  a  donnés  à  sa  mère  et  à  ses 
sœurs. 

Il  est  parti  Samba  ! 

Les  guerriers  sont  en  route,  Samba 
ne  se  sent  pas  de  contentement;  il  songe  à 
sa  mère  et  à  ses  soeurs.  Une  vieille  men- 
diante s'approche  de  lui  et  lui  dit  de  s'ar- 
rêter pour  écouter  sa  plainte.  —  Samba  la 
repousse  doucement  en  lui  disant  :  laisse- 
moi  et  j'ai  hâte  d'aller  revoir  ma  mère  qui 


UE  I  UNI  4- 

sera  bien  heureuse  de  savoir  que  je  vais  re- 
conquérir ma  souveraineté  dérobée  par  un 
oncle  barbare 

Il  est  parti  Samba I 

Mais  la  vieille  lui  répond  :  Samba  !  je  suis 
ta   mère.  Pourquoi  ne  me  reconnais-tu  pas? 

uis  si  pauvre  si  je  suis  si  changé! 
que  le  Tunka  de  Ouandé  n'a  pai 

il  n'a  pas  tenu  la  promesse  qu  il  t'a 
faite  ;  il  a  eu  peur  des  menaces  de  ton  oncle, 
il  nous  a  cha*s<  eurs  sont  captives  et 

moi  je  manque  de  tout. 

11  est  parti  Samba  ! 

Grand  1)  possible!  Mère  tu  seras 

1  lerriers  passent  le  Aeuv< 

tata  de  Ouandé  est  pris  d'assaut.    Le  Tunka 
est  tué.  Ses  fils  sont  tues.  —  Ses  tilles  sont 
captives.  —  La   mère  de  Samba  qui  a  été  la 
plus  pauvre  et  la  plus  malheureuse  du 
est  désormais  la  souveraine  de  Ouandé. 

Il  est  parti  Samba! 

I  (  guerriers  approchent  des  états  de  l'on. 
cle  de  Samba. —  Abou  Moussa  l'usurpateur, 
l'homme  aux  mauvais  desseins  est  dans  le 
palais  qu'il  a  dérobé  à  son  maître  légitime. 
Il  est  plein  d'orgueil  et  personne  n'ose  le 
1er  en   face.    Samba   arrête   son  armée 


4$  CONTfcS   lOI'Ul.AlkES 

sans  que  personne  l'ait  signalée  à  Abou- 
Moussa  qui  voit  tout  à  coup  un  chien  mai- 
gre apparaître  devant  lui. 

Il  est  parti  Samba  ! 

Chien;  dis-moi  qui  es-tu?  —  Es-tu  une 
simple  béte  ou  bien  es-tu  un  génie,  hâte-toi 
de  disparaître  de  devant  mes  yeux  ou  crains 
ma  colère  dit  Abou-Moussa.  —  Le  chien 
disparaît,  mais  en  faisant  face  à  Samba  qui 
apparaît  avec  la  figure  irritée.  Il  lui  montre 
le  talisman  de  Koli  Satigny  qui  était  en  sa 
possession  et  dit  à  son  oncle  :  «  Je  viens 
pour  te   punir  de   tes   mauvaises  actions.  » 

Il  est  parti  Samba! 

L'armée  s'approche  dans  la  nuit  et  prend 
la  ville  par  surprise,  le  combat  est  terrible, 
les  partisans  d'Abou-Moussa  sont  nombreux, 
mais  les  guerriers  de  Samba  sont  vaillants, 
Samba,  est  un  foudre  de  guerre,  il  tue  autour 
de  lui  tout  ce  qui  lui  résiste,  il  met  à  mort 
le  tyran,  Abou-Moussa. 

Il  est  parti  Samba! 

Samba  victorieux  se  fait  reconnaître  ;  on 
l'acclame  avec  amour  comme  le  souverain 
du  pays.  Chacun  dit  :  voilà  le  grand,  voilà  le 
noble,  voilà  le  roi  véritable.  —  Samba  va 
régner  avec  bonté.  Samba  fera  le  bonheur  de 


,AMBIE 


49 


son  peuple.  Samba  comblera  ses  griots  de 
grandes  richesses  pour  qu'ils  chantent  tous 
les  juins  et  devant  tous  les  guerriers  les 
hauts  faits  de  Samba  et  pour  qu'ils  gardent 
toujours  le  souvenir  de  ses  prouesses. 


i<*>3  Ê^W  WÉ>3  £*ÎMH  £<4>î  WW  fr**  «4^7 


Vil 


LA  !  INI       K  DU  SINGE  ET  LA  NAÏVETÉ  DU  LOUP 


i  j  n  jour  le  lion  se  promenait  dans  la 
*-J  broussaille  comme  un  propriétaire  dans 
sa  maison.  —  Il  regardait  à  droite;  —  il  re- 
gardait ;i  gauche;  —  il  faisait  deux  pas  en 
avant;  puis  s'arrêtait  puis  marchait  encore. 
Voilà  que  le  singe  l'aperçoit  et  se  moque 
de  lui  eu  le  contrefaisant. 

1  lion  est  mécontent  et  il  lui  dit  : 
■  reste  tranquillement  à  te  gratter  et 
noque  pas  de  moi;  sinon  je  te  man- 
gerai, i  Mais  le  singe  qui  est  malin  continue 
à  prendre  sur  une  branche  les  attitudes  que 
le  lion  a  l'habitude  de  prendre  sur  la  terre 
et  le  lion  entre  dans  une  grande  colère  con- 
tre lui. 


52  COS'TF.S   l'OPL'l  Atlll  S 

En  faisant  ses  grimaces  et  ses  gambades  le 
singe  perd  l'e'quilibre  et  il  tombe  juste  entre 
les  pattes  du  lion  qui  se  saisit  de  lui  et  a 
envie  de  le  tuer  d'un  coup  de  dent.  Mais  il 
lui  vient  à  l'ide'e  qu'il  vaut  mieux  manger  le 
singe  en  compagnie  de  son  ami;  et  alors  il  le 
met  dans  son  trou  dont  il  ferme  la  porte  à 
l'aide  d'une  grosse  pierre.  Il  part  ensuite 
pour  aller  chercher  son  convive. 

Une  fois  seul  et  revenu  de  sa  grande 
frayeur,  le  singe  se  dit  comment  faire  pour 
m'en  aller?  —  Il  cherche  à  se  sauver  mais  la 
pierre  est  trop  grosse  pour  être  poussée  au 
dehors,  de  sorte  que  ses  efforts  sont  impuis- 
sants; et  il  se  désole. 

Mais  voilà  que  le  loup  vient  à  passer  et 
l'entend  pousser  ses  hurlements  de  désespoir. 
—  Le  loup  avait  eu  une  querelle  avec  le 
singe  et  il  lui  en  voulait  un  peu,  aussi  il  est 
content  de  l'entendre  pleurer  et  il  lui  dit  ; 
«  singe  pourquoi  pleures-tu  ?  » 

Le  singe,  qui  est  très  fin,  sent  très  bien  que 
s'il  n'a  pas  la  présence  d'esprit  de  tromper 
le  loup  il  est  perdu;  et  alors  il  lui  répond  : 
«  Je  ne  pleure  pas,  je  chante.  » 

«  Pourquoi  chantes-tu?  » 

«  Pour  faire  la  digestion  en  attendant  le 


DI    :  .  MBIE  33 

lièvre  qui  est  allé  chercher  encore  de  la 
viande.  Ce  matin  nous  avons  fait  botni  en- 
semble et  ce  soir  nous  devons  le  faire  encore. 
Nous  allons  manger  tant  que  nous  pourrons. 
Nous  avons  tant  de  \iande  ici  que  \t 
puifl  plus  millger;  mon  ventre  est  trop  petit; 
il  v  en  I  beaucoup  de  reste  tout  autour  de 
moi.  » 

Le   loup  qui  est  gourmand  lui  dit  alors  : 
•ce  que  vous  refuserez  à  moi  votre  ami 
e  boLiï  avec  \ous  autres?  »  —  •  Non, 
répond   le  sint;e,  entre  dans  le  trou  du  liè- 
vre;  il   y  a  beaucoup  à   manger  pour  toi. 
de  peur   que   d'autres   ne   nous  voient 
jpanger,  déplace  la  pierre  qui  ferme  l'entrée 
du  trou  avec  précaution.  w  Le  loup  o! 
au  moment  ou  il  déplace  la  pierre  en  entrant 
dans  le  trou,  le  singe  se  glisse  entre  ses  pat- 
et  se  sauve  tandis  que  le  loup  reste  pri- 
sonnier. 

Le  lion  arrive  avec  son  ami  sur  ses  entre- 
faites; et  il  dit  :  •  Tiens  !  nous  voulions  man- 
ger le  singe.  Ma  foi  tant  pis,  nous  mangerons 
le  loup.  . 

Or  pendant  que  le  pauvre  prisonnier  est 
déchire  en  morceaux,  le  singe  qui  est  re- 
monté sur  l'arbre  fait  des  gambades  en  se 


54  CONTES  POPULAIRES 

félicitant  d'avoir  trompe  le  lion  et  le  loup. 
C'est  q'en  effet,  en  e'chappant  à  la  colère  de 
l'un  il  s'est  délivré  de  l'animadversion  de 
l'autre. 


La  Fontaine,  dans  ses  fables,  a  mis,  on  le 
sait,  en  vers  une  idée  tellement  vois'.ne  qu'on 
est  frappé  de  son  analogie  (livre  XIQ,  fa- 
ble vic,  le  loup  et  le  renard). 

Un  soir  il  (le  renard)  aperçut 

La  lune  au  fond  d'un  puits   :  l'orbiculaire  image 

Lui  parut  un  ample  fromage. 

Deux  seaux  alternativement 

Puisaient  le  liquide  élément. 
Notre  renard  pressé  par  une  faim  canine 
S'accommode  en  celui  qu'au  haut  de  la  machine 

L'autre  seau  tenait  suspendu; 

Voilà  l'animal  descendu, 

Tiré  d'erreur,  mais  fort  en  peine 

Et  voyant  sa  perte  prochaine; 
Car  comment  remonter   si  quelque  autre  affamé 

De  la  même  image  charmé 

Et  succédant  à  sa  misère, 
Par  le  même  chemin  ne  le  tirait  d'affaire?   [puits, 
Deux  jours  s'étaient  passés  sans  qu'aucun  vint  au 


Dl    LA    SfcNt<iAMBIK  55 

Le  temps  qui  toujours  marche  avait  pendant  Jeux 
Echancié,  selon  l'ordinaire,  [nuits 

istre  au  front  d'argent  la  face  circulaire  ; 
Sire  renard  était  dcsespi 
Compère  loup,  le  gosier  altéré, 
1  par  là  ;  l'autre  dit  :  camarade, 

Je  \eux  vous  régaler  :  Voyez-  vous  cet  objet: 
C'est  un  fromage  exquis    Le  Dieu  Faune  l'a  fait, 
La  vache  lo  donna  le  lait, 
Jupiter,  s'il  était  malade, 
Reprendrait  l'appétit  en  tàtant  d'un  tel  mets; 
J'en  ai  mangé  cette  échancrure 
te  vous  sera  suffisante  pâture; 
iez  dans  un  seau  que  j'ai  mis  là  exprès. 
13ieu  qu'au  moins   mal    qu'il   pût  il   ajusta  l'his- 
Leloup  lut  un  toi  de  le  croire.  [toire 

end;  et  son  poids  emportant  l'autre  part, 
Reguinde  en  haut  maître  renard. 


Certes  il  y  .1.  j'en  conviens,  une  différence 

de  mise  en  scène  bien  différente,  et  toute  à  la 
faveur  de  notre  immortel  fabuliste;  m. 
pendant  l'idée  qu'il  a  si  bien  enjolivée  a  la 
même  portée  que  celle  du  conteur  nègre.  Et 
si  on  fait  la  part  des  conditions  des  animaux, 
des  instruments  qu'il  faut  mettre  en  action 
suivant  tel  ou  tel  pays,  quand  on  veut  captiver 
l'attention,  on  voit  que  la  viande  que  promet 


56      CONTES  POPULAIRES    DE   LA  SÉNÉGAMBIE 

le  singe  au  loup,  est  le  produit  du  même  sen- 
timent qui  lui  fit  offrir  le  fromage  par  le  re- 
nard. 


JÊ5Ë& 


.  **>* .  C*VX  ^¥^X*V^  CW>  ï***:  C*¥*ï 


VIII 


I.i:    SAGE    QUI    NE    MENTAIT   JAMAIS 


Dans  le  pays  Je  Btkounou  vivait  jadis 
un  homme  qui  avait  une  grande  répu- 
tation de  savoir  et  de  vertu.  Tout  ce  qu'il 
■bail  était  marque  au  coin  de  la  plus  remar- 
quais comme  de  la  plus  exa^'. 
■té.  On  racontait  dans  les  contrées  envi- 
ronnantes à  plus  de  vingt  journées  de  marche 
de  son  habitation  qu'il  n'était  jamais  sorti  de 
sa  bouche  un  mensonge,  quelque  petit  qu'il 
lut. 

L'AI  ma  m  y  qui  en  avait  entendu  parler  et 
qui  aimait  fort  à  plaisanter,  le  fait  appeler  un 
jour  et  lui  dit  :  •  Mamadi  est-il  vrai  que  tu 
es  jamais  menti? 

ondit  le  s 


58  CON'IES    POPULAIRES 

Est-tu  certain  que  tu  ne  mentiras  jamais? 

—  J'en  suis  parfaitement  sûr.  —  Eh  bien  ! 
ajouta  l'Almamy,  continue  à  dire  la  vérité, 
mais  prends  garde,  car  souvent  le  mensonge, 
qui  est  très  subtil,  se  glisse  dans  la  bouche 
plus  facilement  que  la  vérité. 

A  quelques  jours  de  là,  l'Almamy  fait  ap- 
peler, le  matin  à  la  première  heure,  Mamadi. 
Quand  le  sage  arriva,  il  trouva  une  foule  de 
curieux  et  de  courtisans  devant  la  demeure 
du  souverain  qui  allait  partir  pour  la  chasse. 

—  L'Almamy  était  auprès  de  son  cheval,  te- 
nant une  poignée  de  crinière  à  la  main,  un 
pied  déjà  passé  dans  l'étrier.  —  Dès  qu'il  vit 
Mamadi  il  lui  cria  :  Va,  je  te  prie,  de  suite 
à  ma  roundé  (maison  de  campagne)  de  tel 
quartier,  qu'il  désigna  ;  tu  y  trouveras  ma 
femme  à  laquelle  tu  annonceras  mon  arrivée 
pour  aujourd'hui  midi.  Dis-lui  que  nous  al- 
lons forcer  une  biche  et  que  quand  nous  ar- 
riverons chez  elle,  il  faut  que  nous  trouvions 
une  .plantureuse  calebasse  de  couscous.  Pars 
de  suite  et  marche  sans  t'arrêter  un  seul  ins- 
tant. Tu  attendras  là-bas  ma  venue,  et  tu 
mangeras  avec  nous. 

Mamadi  s'inclina  et  partit  sans  plus  tarder. 

—  Deux   minutes  après,  on  le  voyait  dispa- 


iei 


nu 


i.i.  i 

raître  derrière  les  lougtni  du  voisinage  sans 
qu'il  eût  une  leule  fois  tourne  la  tête  pour 
voir  dans  quelle  direction  la  chasse  parais- 
sait devoir  s'effectuer. 

ine  ett-U  parti  que  l'Almamv  quittant 
ier  et  rentrant  dans  sa  case  dit  en  riant 
s  courtisans  :  Amis,  nous  ne  chassons 
aujourd'hui;  nous  resterons  ici  sans  aller 
i  roundé.  Ce  que  j'ai  dit  a  Mamadi  était 
quement  dans  le  but  de  le  faire  mentir  ; 
il  va  annoncer  notre  arrivée  pour  midi  ;  il 
a  ma  femme  de  préparer  le  couscous, 
et  demain  matin  nous  rirons  de  sa  confusion, 
quand  nous  pourrons  lui  démontrer,  preuves 
en  main,  qu'il  n'a  pas  dit  vrai. 

Mais   l'Almamv  avait  compte   sans  la  dé- 
fiante prudence  de  Mamadi;  celui-ci  était  ar- 
n  effet,  d'un   pas  delibeie  a  la  roundé 
et  avait  dit  à  la  maîtresse  du  I  I    usfe- 

riej  peut-être  bien  de  ne  rien  faire  du  /ou/, 
Comme  peut-être  aussi  yous/eriej  tien  de  faire 
er  un  couscous  succulent  pour  l'Al- 
mamy  qui  peut-être  sera  ici,  à  midi,  aujour- 
d'hui 

La  femme  étonnée  d'entendre  ces  paroles 
dubitatives  pressa  Mamadi  de  questions,  et 
celui-ci  lui  raconta  que   l'Almamv,  un  pied 


6o        CONTES  POPULAIRES  DE   LA  SÉNKGAMIilE 

déjà  dans  l'ctrier  de  son  cheval,  l'avait  charge' 
de  la  commission  ;  mais  il  laissait  à  chaque 
mot  percer  un  doute,  si  hien  que  la  femme 
impatientée  lui  dit  :  Enfin,  viendra-t-il  ?  oui 
ou  non.  —  Ma  foi,  je  n'en  sais  rien,  répondit 
Mamadi,  car  je  ne  sais  si  après  mon  départ  le 
pied  qui  était  par  terre  sera  monté  sur  l'étrier, 
ou  bien  si  le  pied  qui  était  sur  l'étrier  sera  des- 
cendu par  terre. 

La  commission  était  faite.  Mamadi  fit  son 
salam,  se  coucha  dans  un  coin  et  attendit. 
Le  lendemain  matin,  l'Almamy  arriva  tout 
riant,  et  d'aussi  loin  qu'il  vit  sa  femme  il  lui 
cria  :  Eh  bien!  le  fameux  diseur  de  vérités  a 
donc  dit  un  mensonge  hier?  Mais  il  ne  fut 
pas  peu  confus  quand  elle  lui  répondit  :  Non, 
je  n'ai  jamais  pu  lui  tirer  rien  de  précis,  et 
il  n'a  jamais  voulu  me  dire  si  oui  ou  non 
vous  viendriez.  Les  détails  de  la  conversa- 
tion montrèrent  que  le  sage  était  resté  dans 
le  doute  le  plus  vague.  Alamadi  triomphait, 
et  l'Almamy  reconnut,  comme  tout  le  monde, 
que  le  sage  et  prudent  compère  avait  soin  de 
se  tenir  toujours  dans  une  réserve  assez 
grande  pour  ne  pas  se  laisser  tromper  par 
les  apparences. 


fv.^-  -ruf  r%.\.  J^.  rv  V 


APPRECIATION 


!    (  huit  contes,  légendes  ou  ba! 
que  nous  venoni  de   rapporter  présentent 
md  intérêt  pour  celui  qui  veut  se  faire 
une  opinion  touchant  la  libre   intellectuelle 
du  nègre  qui  a  trait  aux  sentiments  éle\ . 
cœur.   Et,  en   effet,  quelle  peuplade  euro- 
péenne trouverait  dans  son  cerveau  quelque 
Je  plus  délicat  que  les   sentiments  de 
ce  pauvre  père  qui,  malgré  la  mauvaise  con- 
duite de  son  rils,  cherche,  au  détriment  de  sa 
sécurité,  de  son  bonheur  et  même  de  sa  vie, 
à  lui  épargner  une  punition  méri: 
Cothi  Barma  est  un   sage  qui,  ayant  une 
nde  dose  de  philosophie,  savait  combien 


f)2  CONTES  POPULAIRES 

l'amitié  des  grands  est  chose  fragile  et  sou- 
vent dangereuse. 

Les  deux  amis  Peuls  et  ces  autres  qui  sonl 
brouille's  un  instant  pour  une  maîtresse  cou- 
pable, sont  la  peinture  d'un  degré  de  puis- 
sance de  l'amitié  que  bien  des  Européens  ne 
pourraient  pas  atteindre,  assurément. 

De  son  côté,  la  ballade  de  Diudi  est  une 
poétisation  de  l'amour  qui  n'a  rien  à  envier 
à  Pyrame  et  Thisbé,  à  Roméo  et  Juliette  ou 
à  Damon  et  Henriette. 

Celle  de  Samba-foul  est  l'histoire  d'un 
héros  qui  ne  le  cédait  pas  aux  paladins  du 
moyen  âge. 

Le  singe  qui  se  tire  de  qualité  au  détri- 
ment du  loup  est  un  sujet  que  La  Fontaine 
n'a  pas  dédaigné. 

Enfin  l'histoire  du  sage  qui  ne  mentait  ja- 
mais indique  clairement  le  désir  du  narrateur 
de  faire  prévaloir  cette  idée  :  que  l'intelligence 
prime  l'orgueil  et  triomphe  toujours  de  la  sot_ 
tise. 

Sans  doute  —  et  il  ne  faut  pas  oublier  de  le 
constater  —  tous  les  nègres  sénégalais  ne  sont 
pas  capables  d'apprécier  la  portée  entière  de 
chacun  des  sentiments  exprimés  dans  ces  con- 
tes, légendes  et  ballades  que  nous  venons  de 


IBIE 

rapporter.  C'est  ainsi  que  le  sacrifice  de  l'un 
des  deux  amis  Petlll  ne  paraîtrait  pas  e\ 
à  un  Ouolof.  Mais  remarquons  que  pour  ce 
Ouoloi  la  légende  des  deux  amis  brouill. 
une  maîtresse  donne  la  note  ju  qu'on 

peut  faire  d'après  lui  pour  son  ami  après  le 
premier  l'eu  de  la  colère.  Et  Cette  nute  est  a 
peine  intérieure  à  celle  du  Peul. 

Pu   ailleurs  il  faut  reconnaître  aussi  que 
lins  chacune  dei  peupla..  .mbiennes, 

Ouolofs,  Peuls,  Mandingues,  Bambtra 
racolai  s,  etc.,  les  sentiments  expri- 

ir  ces  contes  et  ces  ballades  ne  sont  pas 
appréciés  avec  la  même  précision  et  la  même 

par  tous  les  individus.  Mais  en 
autrement  en  Europe  ?  —  Nos  paysans  senti- 
raient-ils mieux  que  beaucoup  de  nègres  la 
portée  philosophique  de  pareilles  peintures 
du  cœur  ou  de  l'esprit  humain  ? 

Aussi  tout  en  admettant,  si  on  veut,  que  la 
proportion  des  gens  capables  de  comprendre 
le  sens  vrai  et  l'importance  de  ces  cont. 
gendes,   bail  ..,  est   infiniment   plus 

grand,  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  chez 
les  peuples  européens  que  dans  les  peuplades 

grès  de  la  -  Sie,  un  fait  capital  sub- 

siste :  c'est  que  sur  les  rives  du  Sénégal  et  du 

I 


64       CONTES  POPULAIRES  DE   IA  SÉNhGAMBlE 

haut  Niger  les  sentiments  que  visent  les  con- 
tes et  ballades  que  nous  venons  de  rapporter 
ne  sont  pas  lettre  absolument  morte. 

Or,  dès  le  moment  que  l'impression  existe, 
cela  dénote  d'une  part  une  certaine  supério- 
rioté  relative  de  l'intelligence  et,  d'autre  part, 
comme  toute  impression  est  perfectible  par 
l'éducation,  on  peut  en  inférer  que  le  nègre 
des  pays  dont  nout  parlons  ne  sera  pas  réfrac- 
taire,  infulunim,  aux  bénéfices  du  progrès. 


DEUX  II'.. Ml.    PARTIE 


JNTES     ET    LEGENDES     QUI     ONT     TKA1T     s 
DÉFAUT,   UN    RIDICULE,    t'N    VICE    OU    UNE   IM- 
riON  QUELCONQUE. 


(-&r    ^r    ->*V     VV    VV 


DEUXIEME  PARTIE 


Dans  cette  seconde  partie,  nous  ra; 
rons  sept  contes  ou  légendes  qui  ont 
trait  à  un  défaut,  un  vice,  un  ridicule  ou 
une  imperfection  morale  pour  en  faire 
ressortir  le  mauvais  côté  et  souvent  pour 
signaler  en  même  temps  la  supériorité  de 
la  vertu,  de  l'intelligence  ou  de  la  sagesse. 
En  voici  rénumération. 

I.  La  légende  des  trois  fils  de  Noé. 

II.  Histoire  de  celui  qui  se  fit  servir 
par  le  roi. 

III.  La  chasse  au  lion  des  Baçnouns. 


68        CONTES  l'Ol'ULAIKES  DE   I.A   SKN  É< ,  \  M  Uli: 

IV.  Le  beau-frère  coupable. 

V.  L'homme  qui  ayait  beaucoup  d'a- 
mis. 

VI.  L'ami  indiscret. 

VII.  L'héritier  qui  avait   le   sommeil 
pour  sa  part. 


O    ro<^*/'  û 


il    NOÉ 


N.  qui,  après  AJam,  est  le  père  de  tous 
les  hommes,  avait  trois  fils. 
Le  premier  s'appelait  Toubab;  ii 
blanc  de  figure  comme  le  sont  les  Euro- 
;  il  avait  une  santé  faible,  mais  son 
esprit  était  très  subtil  et  très  rusé.  Aussi, 
HrâCQ  aux  ressources  de  son  imagination,  il 
avait  toujours  raison  sur  ses  frères,  soit  par 
la  parole,  soit  par  les  actes. 

11  excellait  dans  l'art  de  se  procurer  les 
objets  dont  les  autres  avaient  besoin  et  il 
savait,  en  les  vendant,  en  retirer  une  rétribu- 
tion qui  était  toujours  supérieure  à  leur  prix 
■ 


JO  CONTKS  POPULAJRES 

Le  second,  dont  le  nom  était  Hassan,  était 
si  brun  qu'on  ne  savait  au  jnste  s'il  était 
blanc  ou  noir;  il  e'tait  maigre  aussi,  mais 
bien  mieux  portant  que  Toubab,  ne  crai- 
gnant ni  le  soleil  ni  la  chaleur  comme  lui; 
n'ayant  pas  la  fièvre  à  chaque  instant,  au 
contraire,  agile  et  aimant  la  chasse,  il  mon- 
tait volontiers  à  cheval,  gardait  les  trou- 
peaux de  son  père  et  les  soignait  avec  beau- 
coup d'habileté. 

Il  était  d'humeur  batailleuse,  d'un  carac- 
tère irascible,  et  surtout  il  avait  le  très  vi- 
lain défaut  de  dérober  au  voisin  tout  ce  qu'il 
pouvait  prendre  et  tout  ce  qui  lui  paraissait 
bon  h  quelque  chose. 

Maintes  fois  il  avait  volé  Toubab,  mais  en 
définitive  il  était  toujours  sa  dupe,  car  ce 
dernier  se  rattrappait  bien  vite  en  échan- 
geant quelque  chose  avec  Hassan. 

Le  troisième,  Samba,  avait  la  couleur  des 
Ouolofs.  Plus  grand  et  plus  fort  que  ses 
frères,  il  traversait  impunément  les  saisons 
fraîches  et  chaudes  sans  être  malade,  il  sa- 
vait mieux  cultiver  la  terre  et  faisait  pro- 
duire au  sol  des  graines,  du  coton  et  des 
herbages  savoureux. 

Mais  ayant  infiniment  moins  d'astuce  que 


I)E    I  A    SKNÉGAUBIK  71 

son  frère  Toubab,  trop  peu  de  méliance 
vis-;'i-\i>  de  son  frère  Hassan,  sa  récolte  était 
toujours  dépensée,  avant  qu'elle  ne  fût  arri- 
vée lu  grenier;  ou  bien  quand  il  était  par- 
venu après  mille  dangers  d~  rapt  à  la  mettre 
en  tact,  il  était  obligé  de  la  donner  tout 
entière  à  Toubab  pour  avoir  un  des  menus 
objets  de  luxe  ou  de  gourmandise  que  son 
tempérament  lui  taisait  désirer  avec  une  avi- 
dité irréfléchie. 

Samba  menait  donc  en  somme  une  v . 
sogneuse,  ayant  plus  de  convoitise  que  d'ai- 
sance, condamne  à  beaucoup  travailler  pour 
avoir  le  moindre  des  plaisirs. 

Le  père  Noé  qui  était  très  riche,  puisqu'il 
s'était  trouve  seul  possesseur  du  monde  en- 
vait  obligé  pendant  de  longues  années 
ses  lils  à  vivre  en  bonne  intelligence,  en  les 
mettant  dans  des  conditions  d'une  just. 
lité. 

Il  donnait  souvent  en  cachette  à  Samba  ce 
que  le  pauvre  noir  n'avait  pas  su  se  procurer 
et  que  ses  frères  avaient  bien  su  acquérir,  il 
lui  répétait  chaque  jour  qu'il  ferait  bien 
d'oublier  sa  paresse  et  de  mettre  à  ses  occu- 
pations l'assiduité  qui  caractérisait  Hassan; 
qu'il  devrait  être  économe  comme  son  frère 


J2  CONTKS  l'OPUI.AlHKS 

Toubab.  Mais  autant  en  emportait  le  vent. 
Samba  se  hâtait  d'assouvir  sa  gourmandise 
et  son  orgueil,  les  dons  de  son  père  n'étaient 
utiles  qu'à  sa  paresse. 

Noé,  arrivé  à  la  fin  de  ses  jours,  réunit 
ses  trois  fils,  il  leur  recommanda  de  s'aimer, 
de  vivre  en  bonne  intelligence  et  il  leur  lé- 
gua tous  les  biens  de  la  terre  qui  étaient  en 
sa  possession;  leur  disant  qu'ils  devaient  se 
les  partager  bien  également  en  trois  por- 
tions. Puis,  il  mourut,  et  le  premier  senti- 
ment de  douleur  passé,  ses  fils  se  mirent  en 
devoir  de  l'inhumer. 

Quant  les  enfants  eurent  rendu  les  der- 
niers devoirs  à  leur  père,  ils  parlèrent  du 
partage  de  l'héritage.  Chacun. d'eux  fit  son- 
ner bien  fort  le  désir  qu'il  avait  de  ne  pos- 
séder qu'un  tiers  de  la  fortune  paternelle,  et 
pour  que  le  partage  fût  bien  équitable,  ils 
firent  un  inventaire  très  minutieux. 

Toubab  fit  remarquer  qu'il  fallait  mettre 
d'un  côté  les  troupeaux,  de  l'autre  les  objets 
précieux,  les  tissus,  les  armes,  la  poudre,  de 
peur  que  les  animaux  en  se  détachant  ne 
vinssent  à  gâter  ces  objets  d'un  grand  prix; 
et  il  commença  sans  affectation  à  empiler  les 
caisses  du  côté  de  la  case  qui  regardait  ia  mer. 


Pendant  que  Toubab  s'occupait  à  cette 
besogne,  Hassan,  lui,  plaçait  lei  troupeaux, 
Ils  chevaux,  les  dromadaires,  du  cote  Je  la 
irdait  le  désert  et  il  les  éloignait 
peu  à  peu  de  l'habitation  sous  le  prêt 
les  mettre  a  portée  d'un  meilleur  pâturage, 
de  même  que  Toubab  rapprochait  de  plus 
en  plus  de  la  mer  où  l'arche  était  mouillée 
et  flottait  comme  un  navire,  ;  de 

provisions,  de  tissus,  d'armes  et  de  poudre, 
prétendant  que  le  vent  du  tait  con- 

traire a  leur  bonne  conservation. 

lant  que  les  deux  frères  travaillaient 
ainsi  sans  relâche,  Samba  lit  la  sieste;  il  joua 
un  air  de  tam-tam,  aida  un  peu  par  ci.  par 
là,  a  chacun  des  deux  autres  et  surtout  ne 
perdait  pas  de  vue  la  cuisine  où  un  plantu- 
reux couscous  se  préparait,  promettant  a 
son  odorat  sensuel  des  jouissances  de  gour- 
mandise qu'il  savourait  à   I 

avait  d'inventaire  .  -ment  fi- 

nit avec  le  i  >ur.  Toubab  l'avait  évidemment 
prolongé  à  plaisir  i  -es dont 

-  n'avaient  pas  soupçonné  la  véra- 
cité, Hassan  avait  bien  quelquefois  jeté  un 
coup  d'oeil  de  méfiance  sur  son  aîné,  mais 
comme  il  avait  eu  soin  de  mettre  -ot 


74  contes  rot'Ui.AïKKs 

des  bestiaux  qu'il  comptait  avoir  à  sa  part 
les  meilleures  têtes  du  troupeau,  il  laissait 
faire  Toubah  en  se  disant  :  Il  ne  faut  pas 
l'indisposer  contre  moi,  car  je  pourrai  mieux 
ainsi  m'entendre  avec  lui  pour  laisser  à 
Samba  le  lot  des  bêtes  maigres. 

Lorsque  la  nuit  fut  près  d'arriver,  Toubab 
dit  à  ses  frères  :  soupons,  puis  hàtons-nous 
de  dormir,  et  demain  matin  au  jour  nous 
commencerons  le  partage;  de  cette  manière, 
nous  pourrons  faire  les  lots  bien  égaux,  et 
s'il  y  avait  par  hasard  des  contestations,  nous 
aurions  le  temps  de  modifier  ces  lots  et  de 
tout  finir  avant  la  chute  du  jour. 

D'ailleurs,  ajouta-t-il,  je  suis  souffrant, 
vous  le  savez,  et  je  suis  trop  fatigué  à  cette 
heure  pour  faire  quoi  que  ce  soit. 

La  proposition  de  Toubab  fut  appuyée  for- 
tement par  Samba  qui,  à  plusieurs  reprises, 
avait  dit  à  la  cantonade  :  on  devrait  bien 
souper;  le  couscous  se  brûlera  si  on  tarde  de 
le  manger!  J'ai  grand  faim,  je  voudrais  bien 
souper.  Et  comme  Hassan  avait  deux  ou  trois 
fois  dans  l'après-midi  senti  avec  plaisir  les 
émanations  de  la  cuisine,  on  décida  à  l'una- 
nimité qu'on  dînerait  sans  plus  de  retard. 

Toubab    toucha  à  peine  au  couscous,  il 


M    1  «MBIE 

avait  toujours  eu  peu  de  sympathie  pour  ce 
il  lui  fallait  de  la  viande  grillée,  des 
■  le  petites  graines,  des  choses  qui  n'e- 
taient  ni  dfl  la  viande,  ni  du  poisson,  et  qu'il 
\  ait  dans  des  boîtes  en  fer  blanc;  il  ne 
mangeait  habituellement  que  du  pain  de  fa- 
rine de  blé,  au  lieu  de  farine  de  mil,  de  sorte 
qu'il  laissa  beaucoup  de  sa  part  d'aliments. 

1 1  .m  mangea  COmm«  deux,  mais  Samba 
dévora  comme  quatre,  et  bien  plus  il  laissa 
î  s'abreuver  avec  du  lait,  Toubab  avec 
du  vin  de  France,  et  il  ingurgita  pour  sa  part 
toute  l'eau-de-vie  et  le  vin  de  palme  qu'il 
trouva  à  sa  po:  : 

Après  le  dinar  même,  il  bourra  sa  pipe  et 
fuma  avec  délices  jusqu'à  ce  que  le  sommeil 
le  surprit. 

.tôt  on  se  coucha  ;  Toubab  qui  se  plai- 
gnait toujours  de  la  chaleur  se  plaça  du  côté 
de  la  mer  qui  était  aussi 

isses  d'objets  précieux. 
in.  sous  le  prétexte  qu'il  veillerait 
mieux  sur  les  troupeaux,  se  mit  du  côté  du 
I  Quant  à  Samba,  lui,  bien  repu  et  un 
peu  ivre,  ayant  fini  de  fumer  sa  pipe,  il  se 
coucha  carrément  au  milieu  de  la  natt. 
ne  tarda  pas  à  ronfler  comme  un  bienheu- 


7<J  CONTE»  POI'UI.AIKES 

rcux.  Hassan  s'était  promis  de  surveiller  les 
mouvements  de  Toubab,  mais,  comme  il 
avait  très  bien  dîné,  le  travail  de  la  digestion 
le  poussa  irrésistiblement  au  sommeil. 

Quant  à  Toubab,  il  n'avait  pas  fermé  l'œil 
comme  on  le  comprend  bien;  aussi,  dès  que 
ses  frères  furent  endormis,  il  se  leva  sans 
bruit,  chargea  les  caisses  d'objets  précieux 
sur  l'arche  et  partit  vers  le  nord  dans  des 
pays  où  la  chaleur  est  moins  forte  qu'au  Sé- 
négal et  où  il  se  trouva  infiniment  plus  h 
l'aise,  avec  la  fortune  et  les  provisions  qu'il 
possédait. 

Aussitôt  que  la  lune  se  fut  levée,  Hassan 
s'éveilla  ;  son  premier  regardfut  pour  voir  ce 
que  faisait  Toubab,  et  il  s'aperçut  aussitôt  de 
sa  disparition.  Il  se  leva  précipitamment  et 
courut  à  la  plage  où  il  arriva  juste  à  temps 
pour  voir  l'arche  disparaître  à  l'horizon. 

Il  revint  à  la  case  assez  dépité  et  voulant 
se  concerter  avec  Samba;  mais  voyant  celui- 
ci  ronfler  sans  soucis  et  ne  pas  s'éveiller 
quand  il  l'appelait,  il  se  dit  :  après  tout,  pour- 
quoi ne  ferais-je  pas  de  mon  côté  comme  a 
fait  Toubab?  Incontinent  il  monte  à  cheval 
et  pousse  devant  lui  les  troupeaux  jusqu'au 
fond  du  désert. 


M.    LA       I  M   ..AMI  11 


l.e  soleil  était  déjà  haut  quand  Samba  s'é- 
veilla; les  fumées  de  l'eau-de-vie  et  du  vin 
de  palmes  avaient  un  peu  obscurci  ses  idées, 
de  sorte  qu'il  fut  un  long  moment  avant  de 
rien  comprendre  à  ce  qui  était  arrivé.  Quand 
il  entrevit  la  réalité,  néanmoins,  il  eut  un 
moment  de  désespoir;  mais  en  jetant  les  yeux 
sur  les  restes  du  repas  de  la  veille,  il  trouva 
encore  une  bouteille  d'eau-de-vie,  un  peu  de 
tabac  et  une  pipe.  Il  fut  consolé  aussitôt  à 
moitié;  il  but  encore,  fuma  de  nouveau,  et 
toutes  les  pertesqu  il  avait  subies  furent  ou- 
bliées. 

Voilà  pourquoi  depuis  de  longues  années 
les  blancs  naviguent  sur  la  mer  avec  l'arche 
et  les  objets  précieux  en  leur  qualité  d'en- 
fants de  Toubab,  gagnant  beaucoup  d'argent 
à  faire  du  commei  i 

Voilà  pourquoi  les  Maures  ont  de  beaux 
troupeaux  et  s'enfoncent  volontiers  dans  les 
profondeurs  du  désert. 

Voilà  enfin  pourquoi  les  noirs  qui  sont  les 

ridants  de  Samba  sont  toujours  dupes 

par  les  blancs  et  par  les  Maures  ne  trouvant 

isolation   à   leur  triste   condition  que 

dans  le  tabac  et  l'eau-de-vie. 


•*ft* 


*v* 


1 


II 


HISTOIKE    DK  CKI  !  uviK 

l'Ait   LK  ROI 


ivait  dans  le  Kamera  un  roi  qui 
puissant  et  craint  par  ses  voisins,  mais 
qui  s'enorgueillissait  de  sa  haute  situation  et 
qui  disait  à  chaque  instant  que  tout  le  monde 
était  à  ses  ordres,  tandis  que  lui  n'avait  a 
obéir  à  personne. 

Pas  un  de  ses  sujets  n'aurait  osé  le  contre- 
dire de  peur  de  perdre  la  vie,  car  il  était  aussi 
violent  qu'orgueilleux,  et  il  triomphait  ainsi 
facilement  au  milieu  de   tous  ses  cour: 
empresses  à  exécuter  ses  moindres  volontcs. 

Il  y  avait  dans  le  pays  un  solitaire  du  nom 
de  Boubakar,  homme  simple  et  religieux, 
faisant  le  bien  et  sachant  beaucoup  de  choses. 


80  CONTES  POPULAIRES 

Un  jour  que  Boubakar  était  près  du  roi, 
celui-ci,  revenant  sur  son  thème  favori,  ré- 
péta avec  ostentation  que  tout  le  monde  lui 
obéissait  et  qu'il  ne  travaillerait,  lui,  jamais 
pour  personne. 

Chacun  fit  un  signe  de  respectueux  assen- 
timent pour  flatter  le  monarque.  Seul  Bou- 
bakar resta  immobile  comme  s'il  n'avait  pas 
entendu  ce  qui  venait  d'être  dit. 

Le  roi  choqué  de  cette  indifférence  qu'il 
sentait  être  affectée  interpella  directement  le 
sage  et  lui  demanda  ce  qu'il  en  pensait.  — 
Boubakar,  mis  ainsi  en  demeure  de  répon- 
dre, hocha  la  tète  et  dit  :  Personne  au  monde 
ne  peut  dire  qu'il  ne  travaillera  pas  pour 
son  prochain  à  un  moment  quelconque 
de  sa  vie,  car  ce  serait  avancer  une  inexacti- 
tude. 

Le  roi  se  récria,  la  conversation  s'anima 
et  Boubakar  soutenant  sans  faiblir,  le  mo- 
narque lui  dit  —  «  Eh  bien!  je  parie  que  tu 
ne  me  feras  pas  travailler  pour  toi.  » 

—  J'accepte  le  pari,  dit  Boubakar;  tu  don- 
neras dix  bœufs  si  d'ici  à  trois  jours  je  l'ai 
gagné.  Le  marché  est  accepté. 

On  parle  d'autre  chose  et  le  roi,  mis  de 
bonne  humeur  parce  qu'il  était  persuadé  d'à- 


voir  gain  ik   cause,    voulut  que    Boi.1 
lui  pour  déjeuner. 

I.e  sa-c  s V:i  défendait;  il  avait  pris  déjà 
son  bâton  et  l'avait  mis  sous  son  bras  pour 
pouvoir  toucher  la  main  au  roi  et  aux  divers 
personnages  de  l'assistance,  quand  on  entend 
la  voix  d'un  pauvre  qui  demandait  l'aumône 
a  la  porte  de  la  maison.  Boubakar  dit  au  roi  : 
Permets-moi,  ô  souverain  tout-puissant,  de 
porter  un  peu  de  couscous  à  ce  malheureux 
qui  a  faim.  —  Oui,  rebondit  le  roi,  mais  re- 
viens donc  déjeuner  a\ec  moi.  —  Eh  bien! 
repond  Boubakar,  je  ferai  comme  tu  le  dé- 
sires ;  et  il  se  baisse  plongeant  ses  deux  mains 
dans  le  plat  pour  en  prendre  une  bonne 
portion. 

En  se  relevant  il  parut  embarrassé  dans 
ses  vêtements;  le  bout  de  son  bâton  p.. 
sous  son  coussabe  et  menaçait  de  le  déchirer  ; 
il  était  à  craindre  même  qu'il  ne  gênât  ses 
mouvements  au  point  de  le  faire  trébucher, 
au  risque  de  faire  tomber  par  terre  une  partie 
du  couscous  destiné  au  pauvre. 

Chacun  vit  le  mouvement,  le  roi  comme  les 
autres,  et  Boubakar  lui  dit  sans  aucune 
tation,  mais  a»sez  vite  pour  ne  laisser  le  temps 
à  aucune  réflexion  incidente  de  se  produire: 


82        CONTES  POPULAIRES  DE   LA  SÉNÉGAMUIE 

«  Roi,  prends,  je  te  prie,  mon  bâton  qui  me 
gêne  et  dépose-le  par  terre  où  je  vais  venir  le 
reprendre.  » 

Le  monarque  obéit  aussitôt  sans  songer  à 
autre  chose,  et  à  peine  le  bâton  était-il  placé 
au  lieu  indiqué  que  Boubakar  se  mit  à  rire  en 
regardant  successivement  tous  les  assistants  ; 
il  dit  au  roi  : 

«  Donne  les  dix  bœufs  aux  pauvres,  car,  tu 
le  vois,  tu  viens  de  travailler  pour  moi  à  mon 
commandement. 

Le  roi  confus  voulut  se  récrier,  mais  le  fait 
était  patent,  et  il  reconnut  qu'il  y  a  quelque 
chose  de  plus  fort  que  la  royauté,  le  pouvoir 
ou  la  richesse,  c'est  l'esprit. 


-■yy^ 


•E<*>3E<*>3  KM  W  6<*>3  f4>5  Ê<4>3  £4>3WW **>î  64*» 


I  II 


LA  CHASSE  AU  LION  DES  BAGNOUNS 


Un  jour  les  Bagnouns  ne  se  trou 
pas  bien  dans  leur  pays  eurent  l'idée 
d'abandonner  les  rives  de  la  Gambie  où 
avaient  vécu  leurs  ancêtres  pour  aller  habi- 
ter une  autre  contrée.  —  Les  voilà  partis  —  ; 
ils  marchèrent  vers  les  localités  plus  décou- 
vertes et  moins  marécageuses  qui  se  trou- 
vaient à  quelque  distance  du  lieu  qu'ils 
avaient  quitté.  Ils  trouvèrent  bientôt  un 
endroit  marécageux  qui  leur  convenait  en 
tous  points. 

Cet  endroit   était  inhabité  jusque-là,  de 
sorte   qu'ils  purent  as  rencon- 

trer aucune  opposition. 

Ils  eurent   bientôt  construit   un  petit  vil- 


84  CONTES  POPUI.A'kKS 

lage  et  ils  vivaient  heureux  lorsqu'un  lion 
attiré  par  leurs  troupeaux  vint  h  son  tour 
s'e'tablir  clans  le  voisinage.  • 

Ce  lion  prit  l'habitude  de  leur  enlever 
toutes  les  nuits  une  tête  de  bétail,  de  sorte 
que  la  fortune  des  pauvres  Bagnouns  soumise 
à  cet  impôt  allait  diminuant  de  jour  en  jour 
au  lieu  de  s'accroître. 

On  assembla  un  grand  palabre  pour  traiter 
de  cette  grave  affaire  et  chacun  fut  appelé  à 
indiquer  le  moyen  qu'il  croyait  le  plus  pro- 
pre à  faire  cesser  un  si  fâcheux  état  de 
choses. 

Il  fut  décidé  à  l'unanimité  que  le  mieux 
serait  de  tuer  ce  lion  incommode;  proposi- 
tion d'autant  mieux  accueillie,  que  la  dé- 
pouille de  l'animal  pourrait  être  vendue  à 
un  bon  prix;  la  peau  d'un  lion  ayant  dans 
le  pays  une  valeur  très  recherchée. 

Mais  si  tout  le  monde  était  d'accord  sur 
l'opportunité  de  la  mort  du  lion,  personne 
n'était  d'humeur  de  tenter  l'aventure  pour 
son  compte.  Chacun  savait  bien  qu'il  suffi- 
rait d'un  adroit  coup  de  fusil  pour  jeter 
l'animal  h  terre,  mais  aussi  tous  les  chas- 
seurs n'ignorent  pas  que  si  on  manque  la 
bête  ou  si  on  ne  la  tue  pas  sur  le  coup,  elle 


M   i  '-IBIK 

■ne   vous  manque  pas  elle  de  so:; 
sorte   que    personne    ne  Btaît   pour 

aller  combattre  l'ennemi. 

On   discuta   pendant   plusieurs  jour- 
aboutir  à  une   resolution   pratique,   chacun 
tant  pour  sa  vie    et  ne    voulant    pas 
er  dans  une  expédition  aventureuse. 
Enfin  un  \  le  illard  ouvrit  une  motion  qui 
recueillit  tous  les  suffrages.  Il  dit  a  ses  com- 
pati i<  ■ 
«  Mes  amis,  nous  voudrions  tous  tuer  le 
as? 

—  Oui,  oui  répondit-on  en  chœur. 

—  lui   revanche,    nous    ne   voudrions  pas 
qu'il  nous  mangeât .- 

—  Oui,  oui,  s  écria-t-on  de  toutes  parts. 

—  Eh  !  bien   allons  tous  à  la  chasse  bien 

d'un  fusil  et  i  -.De  plus,  en- 

la  couverture  d'une  de  nos  maisons 
|  que   nous  dépouillerons  de   son  chaume  et 
nous   aurons   ainsi   une   grande  cage   solide 
nue  nous  porterons  sur  nos  épaules. 

Vu   moment  où    nous  verrons  le  lion 

ons  tomber   la  cage   par  terre  et 

nous  voilà  abrites,    pouvant    tirer    à    notre 

ir  si  par   hasard  notre  premier  coup 

de  fusil  ne  tuait  pas  le  monstre,  nous  n'au- 


86  CONTES  POPULAIRES 

rions  qu'à  nous  tenir  au  centre  de  l'édifice 
pour  être  à  l'abri  de  ses  griffes  et  de  sa  dent. 
Sans  compter  que.  pendant  qu'il  s'acharne- 
rait au  dehors  de  la  cage  à  vouloir  pénétrer 
jusqu'à  nous,  nous  aurions  tout  le  temps  de 
recharger  nos  armes  et  de  le  tirer  presque  à 
bout  portant  ou  bien  de  le  sagayer  tout  à 
notre  aise.  » 

La  proposition  parut  si  excellente,  qu'elle 
fut  accueillie  avec  des  cris  de  joie  et  chacun 
voulut  être  de  la  partie  qui  promettait  d'être 
d'autant  plus  intéressante  que  le  danger  en 
était  écarté. 

Incontinent  on  choisit  une  case,  on  en 
dépouille  la  carcasse  de  la  toiture  et  voilà 
les  chasseurs  partis  dans  la  direction  où  ils 
pensaient  trouver  le  lion. 

Leurs  vœux  ne  tardèrent  pas  à  être  ac- 
complis, ils  rencontrent  la  bête  et  pour 
l'empêcher  de  fuir,  ils  lui  crièrent  toutes  les 
injures  qu'ils  purent  imaginer,  quelques- 
uns  même  tirèrent  un  coup  de  fusil  pour 
lui  échauffer  la  bile,  se  proposant  de  laisser 
tomber  la  charpente  protectrice  au.  momenl 
où  l'animal  semblerait  accepter  le  combat. 

Le  lion  irrité  des  clameurs  et  des  coups 
de   fusil   se    décide  au  combat,  le  chef  du 


Dl     I  A  SKNKGAUBIK  87 

village  ordonne  alors  de  laisser  tomber  la 
charpente,  mais  ses  ordres  ne  sont 
vite  0  :  voilà  que  d'un  bond   l'ani- 

mal  saute   au   milieu  des   chasseurs  qui  se 
trouvèrent  tous  pris  dans  une  véritabk 
et  furent  manges  jusqu'au  dernier. 

iid  les  femmes  virent  le  triste  résultat 
de  cette  expédition,  elles  dirent  en  chœur 
décidément  il   valait  mieux  ne  pas  quitter 
pour  tenir  faire  do  pareilles  ex- 
péditions de  chasse  dans  celui-ci. 

Elles  retournèrent  auprès  de  leurs  com- 
patriotes, en  conseillant  désormais  aux  jeu- 
us  de   ne   pas  aller  tenter  la  fortune 
lu  loin  de  peur  de  pareils  accidents. 


-7 


:;> 


IV 


LE    BKAU  FKÈRE  COl'PABLK 


Dans  les  environs  de  Porekada  il  y  avait  une 
jeune  tille  du  nom  de  Houri,  qui  quoi- 
que appartenant  à  une  famille  riche,  avait 
depuis  l'enfance  écouté  les  paroles  d'amour 
d'un  pauvre  jeune  garçon  de  ses  voisins 
nomme  Bakary;  ils  s'aimaient,  voulaient  se 
marier  ensemble,  mais  jamais  les  parents  de 
Houri  n'auraient  consenti  à  une  pareille 
union  dans  1  état  de  denùment  où  se  trou- 
vait Bakary. 

Que  faire  en  pareil  cas?  la  situation  était 
embarrassante  ;  néanmoins  l'Almam\ 
venu  par  hasard  à  annoncer  qu'il  comptait 
partir  à   la   tète  de  ses  sujets  armés  pour  le 
haut  Kabou  afin,  de  rançonner  et  convertir 


90  CONTES  POrUt-AIKKS 

les  infidèles,  Bakary  se  hâta  d'aller  s'enrôler, 
espérant  que  dans  l'expédition  il  pourrait 
recueillir  quelque  butin  qui  lui  permettrait 
de  revenir  s'e'tablir  dans  son  pays. 

Malheureusement,  l'année  ne  fut  pas  favo- 
rable ;  d'une  part,  les  soldats  firent  des  mar- 
ches et  des  contre-marches  inutiles  :  les 
guides  ne  surent  pas  leur  faire  surprendre 
un  seul  village  tant  soit  peu  bien  approvi- 
sionné ;  et  enfin,  au  moment  où  l'armée  de 
l'Almamy  aurait  pu  atteindre  une  riche  peu- 
plade, les  blancs  du  littoral  lui  firent  savoir 
que  s'il  voulait  recevoir  un  honnête  tribut 
d'argent  et  d'objets  de  traite,  on  allait  les  lui 
apporter  à  condition  qu'il  se  retirerait  aussi- 
tôt, tandis  que  s'il  refusait  cet  arrangement, 
les  troupes  européennes  l'attaqueraient  et 
pendant  trois  ans  ne  permettraient  plus  la 
circulation  des  caravanes  qui  font  la  richesse 
de  Fouta-Djalon. 

L'Almamy,  en  homme  prudent,  accepta 
de  si  belles  conditions  ;  mais  comme  on 
pense  bien,  il  ne  partagea  pas  son  argent 
avec  les  soldats,  de  sorte  que  Bakary  revint 
au  pays  fatigué  de  marches,  de  nuits  passées 
sur  la  dure,  de  journées  écoulés  sans  nourri- 
ture et  ne  rapportant  rien  pour  sa  part,  pas 


sKNÉuambie 


9> 


même  an  fusil  pour  faire  la  parade  dans  les 

Pour  comble  de  malheur,  les  parents  de 
Houri  l'avaient,  bon  gre,  mal  gré  donnée 
en  nariagfl  à  un  vieux  Marabout  Mandin- 
gue  qui  ai  quektt»e  argent  à  écrire 

de  mediocre^aieur  et  qui,  en- 
nuyeux, plein  de  prétentions,  gonHé  d'or- 
gueil parce  qu'il  savait  tracer 
plus  ou  moins  incompréhensibles  sur  du  pa- 
pier blanc,  avait  voulu  se  passer  la  fantaisie 
de  posséder  une  jeune  et  belle  fille  pour  sa 
femme. 

Bakary  éprouva  une  grande  douleur  à  la 
nouvelle  du  mariage  de  sa  bonne  amie  ;  il 
voulut  lui  en  faire  des  reproches  sanglants, 
mais  la  pauvre  Houri  lui  rt:pondit  bien  fran- 
chement qu'elle  ne  s'était  pas  mariée  par 
amour,  que  si  elle  pouvait  quitter  son  mari 
elle  ne  demanderait  pas  mieux. 

.  de  paroles  en  paroles,  ils  en  arrivè- 
rent à  un  modus  vivtiidi  qui  repondait  aux 

des  deux  jeunes  cœurs  et  aux  o: 
tious  de  l'existence. 

Houri  saisissait  tous  les  prétextes  pour  al- 
ler dans  un  lieu  retire  de  la  campagne;  elle 
y  rencontrait  Bakary.  Quelques  heures  déli- 

6- 


02  CONTKS  POPUI.AIHKS 

cieuses  s'écoulaient  ainsi,  puis  elle  revenait 
à  la  maison  et  le  vieux  Marabout  ne  savait 
rien  de  ce  manège  amoureux  qui  pouvait 
durer  ainsi  plus  ou  moins  longtemps. 

Malheureusement  le  vieux  marabout  avait 
un  frère  du  nom  de  Mamadi.  Ce  frère,  pres- 
que aussi  vieux,  assurément  aussi  laid  et 
aussi  orgueilleux,  avait  tout  juste  de  quoi 
vivre  et  encore  subsistait-il  surtout  des  lar- 
gesses de  son  aîné  :  il  n'avait  pu  faire  la  dot 
d'une  femme;  il  n'avait  pas  l'argent  néces- 
saire pour  acheter  une  esclave  et  néanmoins, 
plein  de  désirs  libidineux,  il  obsédait  Houri 
de  ses  sollicitations. 

La  jeune  femme  avait  le  cœur  trop  plein 
de  son  cher  Bakary  ;  on  juge  si  elle  le  re- 
poussait avec  horreur. 

Un  jour  Mamadi  étant  parvenu  à  savoir 
son  secret,  lui  dit  que  si  elle  résistait  encore 
elle  aurait  à  s'en  repentir.  Houri  feignit  d'en 
rire,  mais  elle  prévint  Bakary  de  cette  par- 
ticularité. 

Le  mari  mis  au  courant  de  tout  com- 
mença à  la  rendre  très  malheureuse.  Bien 
plus,  Mamadi  offrit  à  son  frère  de  faire  tom- 
ber Bakary  dans  un  piège  afin  qu'il  pût  ren- 
voyer sa    femme    en    réclamant   sa  dot  et 


M     !  MBIK 

avoir  ainsi  de  quoi  choisir  une  autre  fille. 

Le  vieux  Madiogue  tecepu  le  mar, 
pour   faciliter    les    cvcncnnn«,   alla    passer 
quelques  semaines  à    la   campagne,    laissant 
Houri  toute  seule  et  par  conséquent  libre 
au  village. 

supplication  de  sa  maîtresse,  Bakary 
avait  prié  un  de  ses  amis  intimes,  du  nom 
d'Al assanc  de  l'accompagner  pour  faire  le 
met  quand  il  avait  un  rendez-vous  :  mais 
\  ne,    persuadé    qu'il    n'y   avait  rien    à 

craindre    de    Mamadi,  dormait  au   lieu    de 
veiller  l'ennemi. 

Un  jour  il  est  brusquement  réveilL 
un  coup  de  fusil  et  des  cris  de  femme  :  il  se 
précipite  à  l'endroit  où  étaient  les  amoureux 
et  trouve  Bakary   baigné  dans  son  sang,   la 
tète  fracassée  par  une  balle. 

Les  cris  de  Houri  continuant,  il  s'appro- 
che d'elle  et  que  constate-t-il?  L'ignoble 
Mamadi  couchait  la  jeune  femme  en  joue 
et  lui  disait  : 

«  Si  tu  ne  me  cèdes  pas.  je  te  tue  toi 
aussi,  u 

La  pauvre  tille  plus  morte  que  vive  obéit, 
et,  au  moment  où  elle  était  violée, 
intervient,  se  saisit  du  fusil  qui  était  à  deux 


94  CONTES  POPULAIRES 

canons  et  dit  au  misérable  que  s'il  faisait  la 
moindre  résistance  il  allait  le  tuer  sans  pitié. 
Mamadi  interrompu  dans  ses  exploits  amou- 
reux trembla  de  tous  ses  membres  et  se 
laissa  conduire  jusqu'au  tribunal  sous  la 
menace  d'Alassane. 

Quelle  décision  prirent  les  juges? 

—  Eh  bien!  constatant  que  Mamadi  n'a- 
vait pas  tué  Bakary  pour  venger  l'honneur 
de  son  frère,  ce  qui  eut  été  une  action  loua- 
ble, mais  bien  au  contraire  que  ce  meurtre 
n'avait  été  pour  lui  que  le  moyen  d'assouvir 
une  infâme  passion,  ils  le  condamnèrent  à 
avoir  le  cou  coupé,  ce  qui  fut  fait  séance 
tenante. 

De  plus,  comme  la  conduite  de  Houri 
était  coupable  aussi  en  ce  qu'elle  avait 
trompé  son  mari  et  causé  la  mort  de  deux 
hommes,  elle  eut  la  tête  rasée  et  fut  vendue 
comme  captive. 

Enfin,  considérant  qu'Alassane  avait  eu 
tort  de  prêter  son  concours  à  une  expédition 
amoureuse,  nuisible  à  l'honneur  d'un  habi- 
tant de  la  ville,  il  fut  condamné  à  recevoir 
vingt-cinq  coups  de  bâtons.  Mais  comme 
par  ailleurs  il  n'avait  pas  hésité  à  livrer  les 
coupables  à  la  justice,  même  en  s'exposant 


LI   LA   ShNÉGAMBIK  <p 

a  une  punition,  on  lui  adjugea  le  prix  de  la 
captive   et   même  on  lui  permit  de  donner 

L  au   bourreau   le   fusil  dont  il  s'était  em. 

^pour  que  les  vingt-cinq  coups  de  bâtons  ne 
fussent  pai  un  trop  vigou- 

reuse. 
Quant  au  vieux  Mandiagnt,  on  lui  dit  de 

s'estimer  heureux  d'en  être  quitte  au  prix 
de  la  perte  de  la  dot  de  Houri  pour  avoir 
épouse  à  son  âge  et  tTOC  imperfections  cor- 
porelles ou  intellectuelles  une  femme  jeune 
et  belle  qui  ne  pouvait  pas  l'aimer. 


l'homme  qui  avait  beaucoup  d"amis 


I        avait  jadis  dans  un  village  du  Oualo, 
riverain  du  bas  Sénégal,  un  jeune  Ouo- 
lof  du  nom  de  Mafal  qui  semblait  être  le  plus 
heureux  du  monde,  car  il  paraissait  être  aime 
it  le   monde  sans  exception  dans   le 
pav-. 

il  appartenait  à  une  famille  de  Diam- 
bours,  c'est-à-dire  d'hommes  libres  (ce  qui 
équivaut  à  la  noblesse  pour  les  Kurop 
—  11  était  bien  fait,  beau  même,  spirituel  et 
riche.  Il  se  plaisait  à  obliger  ses  voisins  et 
Offrait  souvent  à  ses  amis  du  tabac,  de  l'eau- 
de-vie. 

En  outre,  Mafal  prêtait  sans  se  faire  prier 
de  l'argent  a  ceux  qui  lui  en  demandaient,  et 


98  CONTES  l'OI'lK.AIPES 

il  ne  réclamait  plus  ensuite.  Aussi  était-il  au 
mieux  avec  tout  le  monde. 

Chaque  jour,  à  chaque  pas  Mafal  rencon- 
trait quelqu'un  qui  le  bénissait,  qui  faisan 
des  vœux  pour  son  bonheur,  qui  lui  adres- 
sait des  protestations  d'amitié',  de  dévoue- 
ment. 

Ce  qui  lui  était  offert  à  tout  instant  par 
ses  admirateurs  en  fait  d'argent,  d'étoffes, 
d'objets  de  nourriture,  etc.,  dépassait  assuré- 
ment ce  qu'il  donnait  lui-même  dans  son 
extrême  libéralité. 

Etait-il  malade,  toute  la  contrée  était  triste  ; 
songeait-il  à  faire  une  course,  une  partie  de 
chasse,  un  voyage,  chacun  lui  offrait  son 
cheval,  son  fusil,  sa  pirogue. 

En  lui  offrant  tout  ce  qu'il  paraissait  dé- 
sirer on  lui  disait  :  «  Prends  et  uses-en  comme 
si  c'était  ta  propriété  même,  car  je  suis  moi 
avec  tout  ce  que  je  possède  à  ton  entière  dis- 
position; compte,  je  te  prie,  sur  mon  affec- 
tion comme  sur  mon  dévouement  et  cela 
quoi  qu'il  puisse  arriver,  dans  toutes  les  cir- 
constances possibles  de  la  vie.  » 

Mafal  avait  donc  lieu  de  se  croire  l'homme 
le  plus  aimé  de  ses  compatriotes  et  doté  du 
plus  grand  nombre  d'amis.  Il  en  était  infini- 


DE   I.A  Sf  f)tj 

ment  heureux,  et  pendant  longtemps  il 
dans  celle  douce  illusion. 

Mais  un  jour  cependant  le  doute  tm\ 
son  esprit.  —  •  Qui  sait,  se  dit-il,  si  n 
nombreux  amis  sont  tous  au-  .s   que 

ce  qu'ils  le  disent     N  as  surtout  parce 

que  je  suis  riche,  considère  et  influent  qu'ils 
me  font  tant  de  protestations  de  dévouement .' 
Si  jetais  malheureux  quelque  jour,  h 
rais-je  dans  les  mêmes  dispositions  de  sym- 
pathie vis-à-vis  de  moi.  ou  bien  m'abandon- 
neraient-ils  dans  le  malheur?  » 

Ces  idées  revenant  sans  cesse  dans  son  es- 
prit. Matai  résolut  de  savoir  par  expérience 
à  quoi  s'en  tenir. 

Voilà  donc  qu'un  soir.au  moment  où  cha- 
cun reposait,  il  sort  de  chez  lui  a . 
tements  en  désordre  avec  l'air  très  inquiet  et 
il  va  frapper  à  la  porte  de  la  case  de  celui  de 
impatriotes  qu'il  croyait  son  meilleur 
ami. 

«  Qui  est  là?  •  crie  l'ami  réveillé  en  sur- 
saut. 

»  C'est  moi,  Mafal.  • 

Aussitôt  la  porte  s'ouvre   et  l'ami  arrive 

.mpressement  lui  disant  :  «  Que  veux- 

tu,  que  puis  je  faire  pour  te  rendre  service  ? 


,00  CONTES  rOPULAlRES 

use  et  dispose  de  moi  et  de  tout  ce  que  j'ai, 
car  nous  t'appartenons  moi  et  les  miens  a  la 

vie,  à  la  mort.  »,  .    .      ,  . 

Mafal  répondit  :  •  Merci,  jamais  je  n  ai  eu 
plus  besoin  de  mes  amis,  et  voici  pourquoi: 

"'aimais  une  jeune  fille  que  je  Pourra»  de 
mes  assiduités;  par  malheur  le  fils  du  Brac 

en  était  aussi  amoureux;  bien  plus,  il  m  était 

P'f  Dans  mon  dépit,  je  l'ai  injurié  tantôt  en 
le  rencontrant  et,  comme  il  s'est  mis  a  rire 
de  ma  colère,  je  lui  ai  donné  un  coup  qui  1  a 


tué. 


,'  Le  Brac  apprenant  l'événement  a  or- 
donné qu'on  me  tuât  de  suite  et  qu'on  con- 
fisquât tous  mes  biens.  Il  faut  donc  que  ,e 

me  sauve.  Je  suis  alors  venu  vers  toi  pensan 
que  ta  bonne  amitié  ne  me  ferait  pas  défaut 
dans  cette  circonstance. 

■  Tu  m'accompagneras,  j'espère,  pour  me 
guider  et  me  protéger  dans  ma  fuite    » 

«  Impossible,  lui  répondit  l'ami, ,  ai  mal 
au  pied  et  j'ai  la  fièvre  ;  je   ne  puis  mar- 

CTEh  bien!   reprit   Mafal,  prête-moi  ton 

cheval.  » 

«Je  ne  puis,  il  est  lui-même  blesse.  » 


DE   I.A   SKNKOAMBIE  IOI 


«  Donne-moi  ta  pirogue,  je  fuirai  par  la 
voie  du  fleuve.  • 

i  J'en  suis  désolé,  mais  elle  lait  eau  et  a 
besoin  d'urgentes  réparations.  • 

«  Donne-moi  au  moins  quelque  argent  qui 
me  servira  ;t  me  tirer  d'embarras.  • 

«  Impossible,  je  n'ai  pas  le  sou.  • 

Mafal  reprit  :  «  J'ai  besoin  d'un  fusil,  tu 
ne  me  refuseras  pas  le  tien,  car  il  peut  me 
sauver  la  vie.  » 

i  Jamais  je  ne  fournirai  des  armes  à  un 
rebelle,  car  tu  es  un  rebelle*  Tu  aurais  dû  te 
mieux  conduire.  D'ailleurs,  il  y  a  longtemps 
que  je  pressentais  que,  par  ton  inconduite, 
tes  ridicules  prétentions,  tes  mauvaises  ha- 
bitudes, tu  marchais  à  ta  perte.  Et,  ma  foi, 
comme  je  condamnais  ta  manière  de  faire, 
comme  je  n'ai  jamais  eu  pour  toi  qu'un  sen- 
timent d'indifférence  mélangé  de  mépris,  je 
n'hésite  pas  à  te  dire  :  va-t-en  au  diable!  • 

Là-dessus  l'ami  ferme  sa  porte,  ne  voulant 

.\poser  à  quelque  ennui  de  la  part  du 

gouvernement  à  cause  de  ses  relations  avec 

un   homme  mis  hors   la   loi,  poursuivi,  et 

dont  les  biens  comme  la  vie  étaient  menaces. 

«  Mafal  ht  tout  le  tour  du  village,  disant 
sivement  la  même  chose  à  chacun  de 


102  CONTES   POPULAIRES 

ses  amis  et  recevant  la  même  réponse.  On  lui 
refusait  tout;  bien  plus,  on  l'accablait  d'in- 
jures. 

Il  allait  rentrer  chez  lui  découragé  et  désil- 
lusionné sur  le  compte  de  l'affection  de  ses 
amis  quand  il  songea  tout  à  coup  qu'un  de 
ses  voisins  du  nom  de  Samba  semblait  avoir 
dans  les  temps  quelque  sympathie  pour  lui. 

Il  se  dirige  vers  sa  case,  mais  il  s'arrête 
bientôt  en  se  souvenant  que  Samba  est  le 
parent  du  Brak  et  en  outre  qu'il  vient  de  se 
marier  le  jour  même. 

«  Il  est  inutile  de  tenter  une  démarche  de 
ce  côté,  se  dit  Mafal,  d'autant  que  je  ne  sau- 
rais vraiment  lui  en  vouloir  du  refus  qu'il  va 
me  faire  bien  certainement.  » 

Néanmoins  il  se  mit  à  frapper  à  la  porte. 
On  lui  ouvre,  et  il  répète  ce  qu'il  a  dit  déjà 
à  tant  de  gens. 

Le  jeune  marié  entendant  le  récit  que  lui 
faisait  Mafal  lui  répond  aussitôt  :  «  Tiens, 
voilà  ma  bourse;  prends  mon  fusil  et  mon 
sabre;  je  vais  envoyer  mon  captif  dans  ma 
pirogue,  afin  qu'il  soit  au  point  du  jour  dans 
l'endroit  du  fleuve  qui  est  propice  pour  le 
passage  d'un  fugitif.  Monte  sur  mon  cheval 
et,  de  peur  que  tu  ne  t'égares  en  route,  je 


I)K    I  A   StNÉGAMhlK  I03 

vais  le  conduire  par  la  bride.  Je  suis  très  at- 
triste d'apprendre  le  malheur  qui  vient  d'ar- 
river au  fils  du  Brak  mon  parent;  mais  tu  es 
mon  ami  et  je  t'aime  trop  pour  juger  si  dans 
cette  circonstance  tu  as  bien  ou  mal  fait. 
Je  me  contente  donc  de  mettre  tout  mon 
dévouement  à  ton  service.  • 

Ils  partent;  au  point  du  jour,  Mafal  arrivé 
sur  les  bords  du  Meuve  remercie  son  ami  et 
exige  qu'il  retourne  à  sa  case  auprès  de  sa 
jeune  femme  maintenant  que,  grâce  à  sa  pi- 
rogue, il  est  hors  de  danger. 

Après  bien  des  résistances  Samba  se  décide 
à  rentrer  chez  lui,  et  il  ne  tut  pas  peu  étonné 
de  retrouver  Mafal  sur  la  place  du  village;car, 
comme  on  le  devine,  toute  l'aventure  du 
meurtre  et  de  la  proscription  n'était  qu'une 
pure  invention  destinée  à  éprouver  les  nom- 
breux amis  de  l'homme  influent. 

Matai  put  donc  dire  à  tout  le  monde  désor- 
mais :  «  Quand  on  a  cru  que  j'étais  heureux, 
je  comptais  mes  amis  par  centaines,  et  le  jour 
où  on  a  pensé  que  j'étais  malheureux  je  n'en 
ai  trouvé  qu'un;  mais,  ajoutait  il,  je  ne  me 
plains  pas  du  sort,  car  beaucoup,  en  pareille 
circonstance,  n'auraient  rencontré  plus  per- 
sonne. » 


KÈ  &*  «S  b*  *&  £*«  <$  gj,  ts^j  g**  «3  Ci-i  «a  Ss* 


VI 


L\VMI  indiscki.i 


IL  n'y  a  pas  très  longtemps  vivait  dans 
le  village  de  Malembélé  sur  la  rive 
gauche  du  Sénégal  à  quelques  kilomètres  à 
peine  de  la  pointe  de  Bafoulabé;  c'est-à-dire 
de  l'endroit  où  le  Baîing  et  le  Bakou  se 
réunissent  pour  former  le  Sénégal,  un  Sara- 
colais  du  nom  de  Ousman. 

Cet  homme  qui  appartenait  à  une  pauvre 
famille  des  environs,  avait  obéi  dès  son  ado- 
lescence à  la  passion  dominante  des  Saraco- 
lais  pour  les  voyages.  Il  était  parti  un  beau 
matin  pour  les  pays  inconnus  avec  une  cara- 
vane qui  venait  du  Kaarta  et  qui  se  dirigeait 
vers  Bakel. 

Arrive    là,    Ousman    s'était    loué   comme 


IOO  COMTES  !OI'UI-AIKKS 

homme  de  peine  pour  gagner  quelque  peu 
d'argent  puis  s'était  remis  en  marche  à  la  fin 
de  la  saison  de  la  traite.  Se  laissant  aller 
ainsi  à  la  douhle  humeur  de  voyage  et  de 
négoce,  il  avait  parcouru  peu  à  peu  la  hasse 
Sénégambie  jusqu'aux  rives  de  la  Casamançe. 

Pendant  qu'il  était  à  Sedhiou  il  fit  la  con- 
naissance d'un  autre  Saracolais  qui  était,  lui, 
du  village  de  Diorouné,  dans  le  pays  de  Ba- 
kounou,  et  qui  avait  séjourné  dans  son  en- 
fance pendant  quelques  mois  dans  les  envi- 
rons de  Malembelé. 

Le  sujet  de  leur  conversation  avait  souvent 
roulé  sur  leur  cher  fleuve  que  Ousman  avait 
toujours  présent  au  cœur  et  à  l'esprit  bien 
qu'il  fût  éloigné  de  son  pays  depuis  un  temps 
très-long.  Mais  tous  deux  espéraient  le  revoir 
un  jour  quand  ils  auraient  acquis  un  peu  de 
bien-être  pour  vivre  honnêtement  dans  leur 
pays  natal. 

Grâce  à  une  économie  de  tous  les  jours,  à 
un  soin  constant  pour  son  négoce,  Ousman 
arriva  un  beau  matin  à  posséder  quelques 
économies;  c'était  à  peine  ce  qui  aurait  suffi 
à  l'existence  de  tous  les  jours  à  sainte  Marie 
Bathurst  ou  à  saint  Louis;  mais  c'était 
presque  la  richesse  à   Malembelé. 


DE   LA   SKNKGAUBIE  IO7 

Aussi  l'économe  Saracolais  se  mit  en  me- 
sure de  regagner  son  payi  natal  pour  y  jouir 
de  ses  revenus  et  passer  doucement  le  restant 
des  jours  qu'il  avait  a  \i 

Des  marchands  Mandingues  venaient  d'ar- 
river du  haut  Kahou  amenant  des  captif» 
qui  leur  portaient  des  dents  d'ivoire  et  qu'ils 
vendaient  jadis  aux  traitants  français;  ne 
pouvant  plui  vendre  ce--  Ml    même 

temps  que  leur  ivoire,  ils  étaient  noifl 
géants  sur  les  prix,  aussi  Ousman  put-il,  en 
leur  donnant  le  fond  de  sa  boutique  dont  il 
avait  déjà  vendu  les  meilleures  portions 
acquérir  un  captif  fort  et  vigoureux  uiiw 
qu'une  jeune  tille  à  peine  pubère  dont  il  ht 
sa  ménagère  et  qu'il  se  proposait  de  pren- 
dre régulièrement  pour  femme  une  fois  quils 
seraient  arrivés  à  Malembele. 

Au  moment  de  partir  de  Sedhiou,  Ousman 
s'en  alla  voir  Demba,  lui  rappela  que  Ma* 
lembelé  était  sur  la  route  de  Diorouné,  et  lui 
dit  qu'il  serait  enchante  de  lui  offrir  l'hospi- 
talité le  jour  où  le  hasard  l'amènerait  de  ce 
côté. 

Demba  était  bien  égoïste  et  bien  gourmand, 
il  avait  maintes  fois  donné  des  preuves  de 
cœur  grossier  et  de  nature  médiocre;  mais 


I08  CONTKS  l'Ol'ULAIKES 

cependant  Ousman  se  dit  que  sa  démarche 
était  commandée  par  le  devoir  où  nous 
sommes  tous  de  garder  un  bon  souvenir  de 
ceux  avec  lesquels  nous  avons  été  en  rela- 
tions dans  les  pays  éloignés  de  la  maison  pa- 
ternelle; aussi  fit-il  ses  offres  d'hospitalité  de 
très-bon  cœur. 

Ousman  arriva  à  Malembelé  comme  il  le 
désirait,  son  captif  ne  s'était  pas  blessé  en 
route,  les  Toucoulors  ne  l'avaient  pas  ran- 
çonné, il  s'était  débarrassé  avantageusement 
de  tout  ce  qu'il  possédait  de  marchandises, 
de  sorte  que  le  sort  lui  souriait. 

Il  se  mit  à  construire  une  case  commode, 
vaste  même;  il  fit  défricher  un  lougan  con- 
venable par  son  captif,  et  bien  que  la  jeune 
fille  qu"il  avait  achetée  à  Sedhiou,  Aïssita, 
restât  trop  froide  et  indifférente  vis-à-vis  de 
lui  à  son  gré,  il  la  prit  pour  femme,  l'aimant 
en  attendant  qu'elle  le  payât  de  retour. 

Il  se  mit  donc  en  devoir  de  jouir  douce- 
ment de  l'existence  avec  la  tranquilité  que 
possède  celui  qui  a  la  conscience  d'avoir 
honnêtement  fait  quelques  économies  dans 
le  courant  de  son  existence  de  jeune  homme. 

Tout,  était  pour  le  mieux.  Ousman  avait 
eu  à  la  dernière  saison  une  abondante  récolte 


M   l.A   SKNEGAMBIE  1  O9 

de  coton  et  de  mil;  au  point  qu'il  avait  fait 
le  projet  d'aller  porter  le  surplus  de  sa  pro- 
vision au  marche  de  Médine  dans  le  Khasso. 
Il  allait  menu-  partir  le  lendemain  matin  ;  tout 
était  disposé  pour  le  voyage,  lorsque  Demba, 
son  ami  de  Sedhiou.  arrive  à  Malembelé,  ve- 
nant lui  demander  l'hospitalité. 

Que  taire  en  pareille  occurence?  Après  ré- 
flexion Ousman  dit  au  voyageur  :  repose-toi 
chez  moi,  ma  femme  et  mon  captif  seront  à 
tes  ordres  pendant  que  je  ferai  la  course  que 
que  je  ne  puis  plus  me  dispenser  d'entre- 
prendre maintenant;  dans  une  semaine  quand 
ai  de  retour  tu  me  feras  l'amitié  de  res- 
ter encore  quelques  jours  en  notre  compa- 
gnie. Nous  parlerons  du  temps  où  nous  étions 
à  Sedhiou  et  nous  passerons  de  bonnes  heu- 
res ensemble  avant  de  nous  séparer  définiti- 
vement. 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait;  Demba  resta  maître 
de  la  maison   d'Ousman  et  comme   t. 
aussi  curieux  qu'une   vieille  femme  il  se  mit 
à  observer  tout  ce  qui  se  passait  autour  de 
lui. 

Or  il  faut  dire  qu'il  ne  tarda  pas  à  s'aper- 
cevoir d'une  chose  que  Ousman  n'avait 
jamais  vue  :   c'est  que  Aïssita  qui   était  du 


I  10  CONTES  POPULAIRES 

même  pays  que  le  captif  avait  pour  lui  un 
sentiment  tendre  qu'elle  n'avait  pas  pour 
son  mari. 

Le  laborieux  Saracolais  avait  bien  pu  ga- 
gner une  honnête  aisance,  il  n'avait  pas  pu 
acheter  une  honnête  fille;  et  bien  que  la 
chose  fût  très  bien  dissimulée  il  n'en  était  pas 
moins  positif  qu'il  était  un  mari  trompé. 

Lorsque  Ousman  revint  de  Médine  après 
une  semaine  d'absence,  il  fit  son  possible 
pour  être  aimable  vis-à-vis  de  Demba;  comme 
il  savait  son  faible  pour  la  gourmandise  il 
redoubla  les  recommandations  à  sa  femme; 
mais  Demba  au  lieu  de  jouir  en  silence  de 
l'hospitalité  qu'il  recevait,  et  surtout  de  ne 
pas  faire  de  la  peine  à  son  ami  ne  put  résis- 
ter à  ses  habitudes  de  bavardage. 

Peu  d'heures  après  que  son  ami  était  re- 
venu, il  profita  de  ce  qu'il  lui  demandait  ce 
qu'il  avait  vu  de  curieux  pendant  son  absence 
pour  lui  dévoiler  le  secret  de  sa  maison  dans 
les  détails  les  plus  pénibles  pour  un  mari. 

Ousman  dont  le  cœur  souffrait  beaucoup 
de  cette  confidence  cherchait  une  excuse  pour 
atténuer  sa  douleur;  il  disait  à  Demba  :  Qui 
sait?  tu  te  trompes  peut-être;  mais  celui-ci 
était  trop  maladroit  pour  s'arrêter  en  chemin 


DE   I  A  SENEGAMBIE 


dam  ses  sottises;  croyant  qu'il  avait  un  inté- 
rêt capital  à  convaincre  le  malheureux  mari 
il  voulut,  malgré  lui,  lui  donner  des  preuves. 
i  effet  il  lui  montra  triomphalement 
un  trou  ménagé'  dans  le  mur,  dissimulé  sous 
des  nattes  et  des  sacs  ;  plus  de  doutes  à  avoir, 
le  captif  pénétrait  la  nuit  chez  sa  femme  alors 
qu'il    reposait,    lui    tranquillement    et    sans 

aucune  méfiance. 

Demba  prolongea  son  séjour  à  Malembelé 
dans  le  malin  plaisir  de  voir  comment  Ous- 
man  prendrait  son  parti  de  ses  ennuis  do- 
mestiques, tous  les  jours  il  lui  demandait  ce 
qu'il  allait  taire;  si  bien  que  le  pauvre  mari 
trompe,  poussé  à  bout,  voulut  en  tinir  avec 
l'importun. 

I  effet  il  appela  un  jour  sa  femme  et 
lui  dit  sans  lui  laisser  rien  deviner  de  ses 
projets,  a  Vous  préparerez  pour  demain  midi 
le  plus  succulent  couscous  qui  ait  jamais  été 
servi  à  un  Saracolais  vivant  de  ses  rentes  ; 
des  que  vous  l'aurez  servi  à  Demba  et  à  moi 
vous  partirez  pour  aller  rejoindre  notre  cap- 
tit  dans  le  Lougan;  vous  ne  revendrez 
qu'après  le  coucher  du  soleil.  » 

Le  lendemain  à  midi,  au  moment  où 
Demba  entra  à  la  maison  venant  de  faire  une 


112  CONTES  POPULAIRES 

bonne  promenade,  il  trouva  Ousman  assis  et 
réfléchissant  profondément;  un  demi-sourire 
triste  et  résigné  éclairait  sa  figure,  il  flaira 
quelque  disposition  décisive  ;  mais  au  même 
instant  son  odorat  fut  saisi  de  l'odeur  la  plus 
délicieuse  qui  pût  frapper  un  bon  Saracolais  : 
Le  couscous  d'Aïssita  faisait  son  entrée  ;  le 
gourmand  n'eut  pour  le  moment  plus  d'au- 
tre pensée  que  celle  du  désir  de  faire  un 
excellent  repas. 

A  peine  eut-elle  déposé  le  plat  de  couscous 
devant  le  chef  de  la  maison  et  son  ami, 
Aïssita  pris  son  pagne  comme  c'était  con- 
venu et  s'éloigna  de  la  maison. 

Demba  avait  hâte  de  commencer  à  manger, 
aussi,  laissa-t-il.  sans  faire  aucune  observa- 
tion, Ousman  sortir  de  la  pièce  où  ils  al- 
laient déjeuner;  au  contraire,  il  profita  de  la 
très  courte  absence  que  faisait  le  propriétaire 
de  la  maison  pour  ingurgiter  autant  de  cous- 
cous qu'il  put. 

Que  fit  Ousman  en  laissant  son  ami  dévo- 
rer tout  seul  le  couscous?  il  alla  à  la  cuisine 
et  plaça  dans  le  pot  qui  avait  servi  à  cuire 
le  repas,  certains  résidus  immondes  de  la  di- 
gestion humaine  qu'il  avait  eu  soin  de  re- 
cueillir en  cachette  et  qui  souillèrent  désor- 


i  k  i.a  t#rifttfiTtf*Tt 

mais  de  la  façon  la  plus  dégoûtante,  la 
vaisselle  dans  laquelle  le  couscous  avait  ete 
préparé. 

Quand  Ousman  rentra,  Demba  lui  de- 
manda par  manière  d'acquit  d'où  il  venait, 
mais  surtout  il  exalta  l'excellence  du  couscous 
qui  était  devant  lui,  et  qu'il  dévorait  glou- 
tonnement sans  perdre  une  minute,  comme 
s'il  eût  voulu  tarir  le  plat  à  lui  seul. 

Le  moment  de  boire  arriva  enfin  et  Demba 
repu  au  delà  de  la  limite  du  possible,  c 
dire  ayant  mangé  plus  de  couscous  qu'un 
maure  ne  peut  en  regarder,  dit  à  son  ami  : 
«  Comment  donc  a-t-on  préparé  ce  délicieux 
mander  auquel  je  trouve  un  goût  savoureux 
que  je  ne  connaissais  pas  et  que  je  ne  croyais 
pas  possible  jusqu'ici!  Pourquoi  n'en  as-tu 
pas  goûté .;  fit-il  en  jetant  un  dernier  coup 
d'icil  de  convoitise  impuissante  sur  ce  qui 
testait  au  fond  du  plat.  • 

Ousman  lui  répondit  alors  :  Ce  couscous 
que  tu  as  trouvé  si  délicieux  est  fait  avec  :  telle 
Mbstance  qu'il  lui  nomma,  laquelle  est  con- 
venablement préparée  par  ma  femme  et 
pour  cela  que  tu  l'as  trouvé  si  savoureux.  Mais 
c'est  aussi  pour  cela  que  je  n'en  ai  pas  mangé. 

A  cette  révélation  Demba  remué  jusqu'au 


,  ,4  CONTES   POPULAIRES 

fond  des  entrailles  par  le  dégoût  se  dressa  de 
son  haut  comme  pour  échapper  par  la  fuite 
h  l'impression  pénible  qu'il  éprouvait;  il  ht 
un  signe  d'incrédulité  sans  rien  répondre, 
cherchant  ainsi  à  arrêter  la  confidence  de  son 
hôte  dès  le  début. 

Mais  ce  n'était  pas  le  compte  d'Ousman 
qui  s'était  dressé  aussi,  qui  le  suivit  dans  la 
cour,  et  qui,  le  prenant  par  le  bras  le  mena 
jusqu'à  la  cuisine. 

Là,  saisissant  un  pot  chaud  encore  du  cous- 
cous qu'il  avait  contenu,  il  lui  montra  quel- 
que chose  qui  était  aux  yeux  de  Demba  la 
preuve  matérielle,  indiscutable,  de  l'assertion, 
qui  avait  été  émise  sur  l'origine  de  ce  déli- 
cieux couscous. 

Vaincu  par  l'évidence  des  faits,  Demba 
sentit  une  nausée  le  prendre  à  la  gorge,  il  se 
débattit,  mais  pas  longtemps,  sous  l'étreinte 
de  la  vue  d'une  pareille  horreur,  et  aussitôt 
l'aliment  qui  lui  avait  paru  si  savoureux  prit 
convulsivement  le  chemin  opposé  à  celui 
que  le  gourmand  venait  de  lui  faire  prendre 
tantôt.  Le  malheureux  mystifié  ne  pouvait 
écarter  de  son  esprit  le  dégoût  qui  allait  en 
augmentant  à  mesure  qu'il  y  songeait  d'à. 
vantage. 


M    I  A   StsicAMBlK  I  I  5 

Le  moment  fut  long  et  douloureux;  les 
spasmes  ne  s'arrêtèrent  que  lorsque  depuis 
longtemps  tout  le  couscous  avait  quitté  l'es* 
tomac  du  héros  qui,  jetant  par  hasard  un 
coup  d  œil  sur  son  ami,  lui  vit  au  lieu  du 
demi-sourire  triste  et  resigné  un  air  nar- 
qois  et  satisfait  qui  lui  alla  au  cœur. 

Blessé  ^e  saisir  chez  Ousman  un  pareil 
sentiment,  il  lui  dit  d'un  accent  de  repro- 
che :  «  Ah!  pourquoi  m'as  tu  dégoûté  ainsi 
de  ce  que  j'aimais  le  plus?  pourquoi  quand 
tu  voyais  que  je  ne  croyais  pas  à  l'horrible 
chose  que  tu  me  racontais,  as-tu  cruelle- 
ment tenu  à  me  donner  les  preuves  de  ce 
que  tu  avais  avance.  Va;  tu  es  bien  coupa- 
ble, tu  m'as  dégoûté  à  jamais  du  couscous  ; 
—  «  Tu  m'as  bien  dégoûté  de  ma  femme 
sans  prendre  pitié  du  désir  que  j'avais  de  ne 
pas  croire  à  ton  assertion,  lui  répondit  Ous- 
man ;  eh  bien!  nous  sommes  quittes  mainte- 
dont. 

Nous  avons  besoin  de  demander  pardon  au 
lecteur  des  détails  de  l'histoire;  la  faute  en 
est  aux  Saracolais  qui  ne  sont  pas  trop  scru- 
puleux sur  la  mise  en  scène  des  légendes. 
Mais  pour  être  nauséabond,  le  conte  n'en 
renferme  pas  moins  Hne  leçon   de  philoso- 


I  ib      CON'IES  POrUI.AlKKS  DS  I.A  5ÉNÉGAMBII 

phie  positive  que  d'autres  gens  que  les  noirs 
sénégambiens  sauraient  présenter  d'une  ma- 
nière différente,  sans  cependant  la  rendre  plus 
instructive  pour  les  indiscrets  qui  ne  veulent 
pas  garder  pour  eux  les  remarques  qu'ils  sa- 
vent devoir  être  désagréables  aux  autres. 


vu 


LEGENDE  DK  LHOMME  QUI  AVAIT  LK  SOMMEIL 
POUR  SA  PART 


Il  y  avait  jadis  dans  le  pays  des  Man- 
dingues  un  homme  qui  avait  une  cer- 
taine aisance,  des  troupeaux,  des  marchandi- 
ses et  même  nombre  d'objets  de  prix  de 
caches  dans  la  case.  Il  avait  trois  fils  qui  vi- 
vaient dans  le  même  pays,  mais  loin  de  la 
maison  paternelle,  et  qui  n'avaient  pas  entre 
eux  l'affection  qui  existe  ordinairement  entre 
MT6S. 

lu  jour  le  père  tomba  malade  et  bientôt 
succomba  ;  ses  trois  fils  se  réunirent  pour  lui 
donner  des  soins,  puis  pour  l'inhumer.  Lors- 
que le  corps  fut  mis  en  terre,  ils  s'en  allèrent 
chacun  de  leur  côte,  ayant  convenu  de  se 


,  ,8  CONTES  l'Ol'Ul-AlkKS 

rendre  le  lendemain  à  midi;  près  de  la  case 
du  défunt,  pour  partager  entre  eux  la  suc- 
cession  paternelle. 

Le  plus  jeune  qui  aimait  beaucouq  son 
père,  était  très  profondément  attristé;  il 
passa  la  nuit  en  méditations  pieuses,  regret- 
tant l'homme  qui  lui  avait  donné  le  jour;  il 
se  sentait  isolé  désormais,  car  il  savait  que 
ses  frères  ne  lui  voulaient  aucun  bien  et  que, 
malgré  les  recommandations  incessantes  du 
vieillard,  la  bonne  harmonie  n'avait  pas  ré- 
gné entre  les  trois  fils. 

Il  arriva  le  premier  au  rendez-vous,  non 
pas  qu'il  fût  plus  rapace  que  les  autres,  bien 
au  contraire  c'était  bien  certainement  un 
homme  généreux  à  l'occasion  et  sans  mau- 
vais sentiments  ;  mais  ne  pouvant  penser  à 
autre  chose  qu'à  son  père  défunt,  il  avait  été 
attiré  dans  les  environs  de  la  case  par  attrac- 
tion du  cœur  dès  le  matin. 

Un  peu  avant  midi,  ne  voyant  pas  venir 
ses  frères,  il  s'assit  à  l'ombre  d'un  arbre  qui 
avoisinait  la  case;  sa  paupière  s'alourdit 
bientôt  et,  comme  il  avait  veillé  pendant 
toute  la  nuit  précédente,  il  céda  à  un  pro- 
fond sommeil. 

Ses  deux  frères  arrivèrent  peu  après  ;  ils  se 


DL   LA   bLNl'.CAMblK 

détestaient  profondément.  Mais  ils  haïssaient 
encore  davantage  le  plus  jeune  pour  la  rai- 
son qu'il  avait  quelques  bonnes  quai.: 
que  les  mauvaises  gens  ne  peuvent  pas  souf- 
frir ceux  qui  ne  leur  ressemblent  pas. 

1 1  .  chacun  avait  pris  des  détours  oratoi- 
res pour  proposer  à  l'autre  de  faire  part  à 
deux  au  lieu  de  trois,  quand  ils  aperçoivent 
leur  frère  couché  et  profondément  endormi 
au  pied  de  l'arbre. 

Cette  posture  fut  l'excuse  de  récrimina- 
tions communes.  —  •  Voyez  dit  l'un,  com- 
bien il  regrette  son  père,  puisqu'il  fait  >a 
sieste  dans  un  pareil  moment.  » 

Bref,  la  proposition  d'un  partage  injuste 
est  laite,  acceptée  et  mise  en  pratique  in- 
continent. 

Ce  partage  fut  fait  rapidement;  chacun 
des  deux  intéressés  étant  moins  chicaneur 
que  de  coutume  à  la  pensée  qu'il  avait  plus 
qu'il  n'avait  espère  ;  et,  au  moment  où  le  der- 
nier animal  partait,  où  la  dernière  charge 
de  marchandises  était  emportée,  le  dormeur 
illa. 
tôt  ses  frères  devant  la  case  paternelle 
il  se  hâte  d'aller  vers  eux.  O  stupéfaction,  la 
case  est  vide,   tout  l'héritage   a  disparu;   il 


120  CONTES   rOrULAIRES 

manifeste  son  étonnement,  mais  l'aîné  qui 
était  le  plus  dur  et  qui  l'avait  toujours  haï 
particulièrement,  lui  dit  en  ricanant  : 

—  «  Tu  n'as  plus  rien  à  demander  ;  nous 
avions  fait  trois  parts  de  la  fortune  de  notre 
père  : 

Première,  le  sommeil  ; 

Deuxième,  les  troupeaux; 

Troisième,  les  marchandises. 

Sans  nous  consulter  tu  as  commencé  par 
prendre  le  sommeil  pour  toi  ;  nous  n'avons 
plus  eu  qu'à  partager  le  reste  et  tout  est  fini 
maintenant;  tu  n'as  plus  rien  à  réclamer.  » 

Nombre  de  curieux,  des  désœuvrés,  des 
voisins  qui  étaient  venus  peu  à  peu  se  grou- 
per dans  les  environs  pour  voir  ce  qui  allait 
se  passer  à  ce  partage,  car  tout  le  village 
connaissait  la  mauvaise  foi  des  deux  fils  aî- 
nés, entendirent  ces  paroles. 

Un  murmure  de  désapprobation  avait  par- 
couru la  foule  tout  d'abord  ;  mais,  comme 
on  connaissait  les  intéressés  violents  et  vin- 
dicatifs, chacun  s'était  dit  :  Au  fond  la  chose 
ne  me  regarde  pas  ;  et  bien  plus  en  enten- 
dant cette  cruelle  plaisanterie,  surtout  en 
voyant  que  le  jeune  frère  restait  comme  con- 
fondu sans  songer  à  la  résistance,  un  sourire 


DE  1   I  IBIE  12  1 

gênerai  parcourut  l'assemblée  :  Voilà,  disait- 
on,  un  curieux  partage  d'héritage. 

Le  pauvre  déshérité,  songeant  au  scandale 
qui  se  passait,  voyant  que  la  mémoire  de 
son  père  servait  de  prétexte  à  des  faits  qui 
allaient  devenir  le  texte  de  toutes  les  con- 
versations et  de  toutes  les  médisances,  fut 
profondément  affligé1  et  parut  résigne.  M.u> 
au  fond  de  son  Oflaur  un  sentiment  de  ven- 
geance  venait  de  naître. 

Un  parti  fut  arrêté  instantanément  dans 
son  esprit;  il  se  tourna  vers  les  voisins  et 
leur  dit  : 

a  Eh  bien;  j'accepte,  vous  êtes  tous  té- 
moins et  garants  du  marché  ;  »  le  partage  est 
fait;  à  chacun  son  lot. 

•  Mais  souvenez-vous  que  la  loi  dit  que  le 
frère  qui  cherche  à  soustraire  à  son  frère 
une  partie  de  son  héritage  mérite  la  mort.  • 

«  Ma  part  est  minime,  néanmoins  elle  me 
sutlit  et  malheur  à  celui  de  vous  deux,  dit-il 
en  se  tournant  vers  ses  frères,  qui  essaierai! 
de  m'en  ravir  la  moindre  parcelle.  » 

Chacun    se    retira    de    son  côté,    nombre 
d'habitants    révoltes  de    l'injustice    auraient 
volontiers    pris    fait   et   cause    pour    le 
pouille;    mais  comme  l'intéressé    lui-même 


122  CONTES  POPULAIRES 

paraissait  s'être  résigné  et  que  les  détenteurs 
de  l'héritage  étaient  puissants  autant  que 
mauvais  coucheurs,  personne  ne  crut  devoir 
prendre  une  initiative  dans  l'affaire. 

Pendant  plusieurs  semaines  ont  vit  le  dé- 
possédé qui  ne  marchait  plus  qu'armé  d'un 
bâton  noueux  sur  lequel  il  s'appuyait  pour 
demander  l'aumône,  errer  de  case  en  case, 
obtenant  de  la  charité  publique  quelques 
bribes  de  couscous.  Quand  on  lui  parlait 
de  l'injustice  de  ses  frères  il  répondait. 

«  C'est  fini,  j'ai  accepté  le  partage,  mais 
qu'ils  prennent  bien  garde;  s'ils  essayaient 
de  me  dépouiller  de  mon  lot,  il  leur  arrive- 
rait malheur.  » 

Les  deux  autres  frères  devenus  plus  riches, 
jouissaient  de  leur  aisance  sensiblement  aug- 
mentée ;  ils  eurent  bientôt  de  plus  beaux  ha- 
bits, et  n'ayant  plus  besoin  de  travailler,  ils 
passaient  toute  leur  journée  acroupis  au  pied 
des  grands  arbres  plantés  sur  la  place  du 
village,  là  où  se  font  les  palabres  et  où  il  y  a 
le  cercle  des  conteurs  d'histoires  et  de  nou- 
velles. 

Un  jour  il  faisait  très  chaud,  on  était  à  la 
fin  de  l'hivernage,  la  conversation  lan- 
guissait;   le   frère   aine    qui   probablement 


DE   I.A  ShSfcGAMBlE  I  2  j 

avait  copieusement  déjeûne  se  laissa  aller  au 
sommeil  après  avoir  pris  une  position  com- 
mode et  avoir  plié  avec  soin  un  pagne  pour 
s'en  faire  un  oreiller* 

A  ce  moment  le  déshérite  vient  à  passer;  il 
voit  la  situation  d'un  coup  d'œil  et  s'appro» 
che  du  dormeur. 

Avant  que  personne  n'ait  eu  le  temps  de 
souiller  mot,  il  brandit  son  bâton  noueux 
et  lui  tracasse  la  tête  du  premier  coup. 

Uu  cri  d'horreur  s'échappa  de  toutes  les 
poitrines,  mais  lui.  regardant  l'assemblée  le 
front  haut,  lui  dit  : 

•  Je  vous  ai  pris  à  témoins  pour  le  partage, 
je  vous  somme  de  répondre  dans  ce  mo- 
j  ment;  mes  frères  m'ont  laissé  le  sommeil 
pour  tout  bien.  Celui  que  vous  voyez  là  ne 
me  le  volait-il  pas  en  dormant  tout  à  l'heure? 
La  loi  punit  de  mort  le  frère  qui  cherche  à 
dérober  la  part  d'héritage  de  son  frère,  je 
l'ai  surpris  en  flagrant  délit  de  vol.  » 

Chacun  s'écria  sans  hésiter  :  il  a  raison,  et 

personne  ne  songea   à    l'arrêter;   l'Almany 

!  instruit  Je  la  chose  l'approuva  et  décida  qu'il 

'devait,  en  sa  qualité  de  frère,  hériter  de  la 

moitié  de  ce  que  possédait  le  défunt. 

L'autre   frère  comprit   alors   dans  quelle 

8 


124      CONTES  POPULAIRES    DE    LA    SÉNÉGAMBIE 

voie  il  s'était  engagé,  et  ramassant  précipi- 
tamment tout  ce  qu'il  possédait  avant  la 
mort  de  son  père  il  s'expatria,  laissant  a  ce- 
lui qui  avait  été  déshérité  primitivement  sa 
part  d'héritage  et  même  sa  part  de  la  fortune 
de  l'aîné. 

Le  deshérité  devint  ainsi  l'unique  posses- 
seur de  toute  la  fortune  paternelle,  alors  que 
ses  frères  avaient  voulu  lui  enlever  sa  part 
légitime. 


^B1Ç& 


uu 


A    1  ■   1  '   1<    »  -  (.     I    A     1     1  O   N 


Les  coûtes  ei  les  légendes  que  nous  ve- 
nons de  fournir,  touchant  les  défauts, 
les  travers  un  les  vices  des  individus  ne  le 
cèdent  en  rien,  comme  on  a  pu  le  voir,  à 
ceux  que  nous  avons  rapportés  dans  la  pre- 
mière partie  relativement  aux  qualités  du 
cœur  et  de  l'esprit.  En  effet,  quel  que  soit  le 
point  de  vue  auquel  on  se  place,  on  constate 
que  l'esprit  d'observation  ne  fait  pas  défaut. 
Sans  compter  que  dans  plus  d'un  de  ces  con- 
tes il  y  a  une  leçon  de  philosophie  qui  ne 
serait  à  dédaigner  par  aucune  race  d'hommes, 
même  la  plus  élevée  dans  la  hiérarchie 
ethnographique. 

La  légende  des  trois  fils  de  Noë  n'est  très 


I2Ô  CONTES  POPULAIRES 

probablement  et  même  certainement  pas 
d'origine  sénégambienne,  car  «lie  implique 
une  connaissance  de  l'Ancien  Testament  qui 
ne  peut  avoir  été  fournie  que  par  des  étran- 
gers au  pays,  -  Européens  ou  Africains  du 
N  -E.  Mais  si  elle  n'a  pas  été  imaginée  par 
les  nègres,  elle  a  été  si  bien  comprise  par  eux 
et  a  si  bien  répondu  à  un  fait  qu'ils  ont 
apprécié,  qu'elle  s'est  implantée  dans  leur  es- 
prit et  y  a  pris  droit  de  cité. 

Dans  l'histoire  de  celui  qui  se  fit  servir  par 
le  roi,  nous  voyons  la  pointe  plaisante  du 
sage  qui  sourit  de  pitié  en  songeant  à  l'or- 
gueil des  grands  ;  et  qui  amène  à  montrer  la 
fragilité  et  l'inanité  des  choses  humaines. 
Elle  entre  dans  la  grande  catégorie  de  la 
pensée  formulée  si  plaisamment  par  notre 
immortel  chansonnier: 

Il  faut  bien  que  l'esprit  venge 
L'honnête  homme  qui  n'a  rien..  .. 

La  chasse  au  lion  des  Bagnouns  souligne 
la  naïveté,  la  maladresse,  l'infériorité  intel- 
lectuelle d'une  peuplade  ;  et  ressemble  telle- 
ment aux  histoires  analogues  de  tous  les 
pays,   qu'on    peut    dire    sans    crainte  de   se 


DE   I.A   SÉNÉGAMBIE  127 

tromper  que  les  nègres  ne  présentent  sou* 
M  rapport  aucune    infériorité  de* 

autres   hommes. 

Les  contes  et  les  légendes  dont  nous  ve- 
nons de    parler  tout  en   ayant   leur    valeur 
incontestable  dans  l'ordre  des  choses  de  i 
put,  et  tout  en  démontrant  que  le  ni 
négambien  n'est  pas  aussi  dépourvu  de   bon 
sei^.  ^'esprit  d'observation  ligencc, 

qu'on  serait  tenté  de  le  croire  Je  prime 
abord,  ne  présentent  par  la  portée  philoso- 
phique de  ceux  dont  ii  nou^  parler. 
Ce  sont  des  histoires  pour  rire,  peut-on  dire, 
à  ce  titre  portant  sur  des  sujets  qui  font 
moins  réfléchir  l'observateur. 

Mais  les  légendes  du  beau-frère  coupable, 
—  de  l'homme  qui  avait  beaucoup  d'amis,  — 
de  l'ami  indiscret,  —  de  celui  qui  avait  le 
sommeil  pour  sa  part,  ont  une  portée  philo- 
sophique bien  autrement  étendue  et  remar- 
quable. 

En     effet,   dans  l'histoire   du    beau-frère 

mpable,  nous  y  voyons  la  peinture  de  si- 
tuations dignes  d'inspirer  quelque  chose 
Alexandre   Dumas  fils  dans  l'étude    qu'il   a 
entreprise  de  ce  qu'on  pourrait  appeler  les 
maladies   de   l'amour.   C'est  ainsi  que,  tout 


128  CONTES   rOI'Ul.AIUES 

d'abord,  elle  souligne  ce  fait:  que  les  jeunes 
gens  qui  s'aiment  ne  peuvent  pas  écouter 
toujours  le  cri  de  leur  cœur  à  cause  des  exi- 
geances  sociales  qui  imposent  à  l'amour 
des  barrières  que  la  raison  re'prouve,  mais 
que  la  force  des  choses  maintient  obstiné- 
ment. 

D'autre  part,  on  voit  que  sur  les  rives  du 
Sénégal,  comme  sur  celles  de  la  Seine,  l'ar- 
gent est  une  puissance  considérable.  Avec  de 
l'argent  la  vieillesse,  la  sottise,  la  bêtise,  la 
santé  ruinée,  la  laideur  repoussante,  triom- 
phent de  l'amour  et  foulent  aux  pieds  les  ré- 
pulsions du  cœur  de  la  jeunesse. 

Dans  cette  légende,  nous  voyons  aussi  la 
peinture  saisissante  de  vérité  du  libidineux 
gredin  stigmatisé  par  Molière  sous  le  nom  de 
Tartuffe.  Coquin  qui  tout  en  ayant  hypocri- 
tement l'air  de  rendre  service  à  un  ami  ou 
un  parent,  de  travailler  pour  la  morale  et  le 
bon  droit,  ne  cherche  en  réalité  qu'à  assou- 
vir ses  ignobles  appétits. 

Enfin,  il  n'est  pas  jusqu'à  la  sentence  des 
sages  qui  est  pleine  d'imprévu  et  de  détails 
bien  faits  pour  en  faire  ressortir  les  idées 
multiples  devant  lesquelles  l'esprit  se  prend 
à  dire  que  celui  qui  a  imaginé  cela  était  vrai- 


DK   LA   SÉNÉUAMBIE  IÎQ 

ment  un    profond   connaisseur  du  cœur  hu- 
patio. 

La  légende  de  Matai  qui  avait  beaucoup 
d'amis  nous  prouve  que  l'idée  fondamentale 
du  proverbe  latin  :  Donec  Jelix  eris  multos 
mtmerabis  amicos,  se  rencontre  dans  la  pen- 
sée des  oégrei  léoégambititl  aussi  bien  que 

chez  les   Kuropéens. 

L  aventure  de  l'indiscret  ami  toute  difficile 
à  raconter  quelle  soit  dans  notre  pays  où  le 
langage  et  les  idées  ont  moins  de  liberté 
d'allures  que  sur  les  bords  du  Sénégal,  con- 
tient une  leçon  de  philosophie  si  vigouseuse- 
ment  indiquée  qu'on  ne  songe  pas  aux  gros- 
sièretés de  la  mise  en  scène  quand  l'esprit  est 
lance  dans  cette  direction  :  —  Tu  m'as  bien 
oégoûtéde  ma  femme!  dit  par  lemari  trompé 
qui  avait  vécu  tranquille  jusque  là  ne  se 
trouverait  pas  déplacé  en  tant  qu'idée  de 
philosophie  naturaliste  chez  les  peuples  euro- 
péens qui  ont  la  prétention  d'occuper  le 
premier  rang  anthropologique. 

Enfin  la  morale  qui  se  dégage  de  l'histoire 
de  l'homme  qui  avait  le  sommeil  pour  sa 
part,  tout  en  étant  horriblement  cruelle, 
montre  un  fond  d'amour  de  la  justice  allant 
jusqu'à   la  férocité  et   une  révolte  de  l'esprit 


I  30       CONTES  POPUt.AIKES  DE   I.A  SÉSÉGAMBIE 

contre  l'injustice  et  le  vol  qui  fait  paraître 
le  crime  moins  épouvantable,  quand  on  ne 
songe  qu'à  la  partie  philosophique  de  ce  qu'a 
voulu  faire  ressortir  le  narrateur. 


TROISIÈME    PARTIE 


CONTES  ET  LEGENDES  QUI  ONT  TOUR  BUT 

LA    GLORIFICATION    DE    L  ISLAMISME 


TROISIEME  PARI  II 


p^v  \  n  s  cette  partie  de  notre  livre  nous 
«k— *  avons  rapporté  un  certain  nombre 
de  la  catégorie  la  plus  nombreuse  des  lé- 
gendes sénégambiennes.  En  erïet,  c'est 
surtout  les  contes,  histoires,  légendes, 
ayant  pour  but  la  glorification  de  l'isla- 
misme qu'on  entend  raconter  quand  on 
demande  à  un  nègre  de  dire  quelque  chose 
d'intéressant.  Et  si  je  n'avais  été  retenu 
par  la  crainte  de  donner  à  ce  recueil  une 
trop  grande  longueur  c'est  par  douzaines 
que  j'aurais  pu  procéder  dans  mon  énu- 
nération. 


]34      CONTES  TOPULAIRES    DE   LA   SÉNÉGAMME 

Cependant  ces  légendes  sont  moins  in- 
téressantes pour  nous  que  les  autres,  parce 
qu'elles  sont  évidemment  d'origine  étran- 
gère au  pays  et  n'ont  eu  qu'un  mérite  à 
nosyeux,  celui  de  s'implanter  dans  l'esprit 
des  nègres  aussi  solidement  pour  y  pren- 
dre racine.  —  Cetts  raison  de  iextraénité 
de  ces  légendes  fait  qu'au  lieu  d'en  rap- 
porter un  nombre  aussi  grand  que  lors- 
qu'il s'est  agi  des  qualités  ou  des  travers 
de  l'esprit  et  du  cœur,  je  me  bornerai 
aux  suivantes  : 

I.  La  légende  du  croyant  qui  priait  sou- 
vent. 

II.  La  légende  du  bracelet  rapporté  par 
un  poisson. 

III.  La  légende  de  Koli  bentan. 

IV.  La  légende  des  faveurs  accordées 
aux  nouveaux  convertis. 


$♦$♦$♦$ 


LKGKNDK  DU  CROYANT  QUI  l'Htm  SOI 
|  I  M  I.hM  ^:'^.K  \ll  JxMAlS  UK  l.  V  : 
DIVINK. 


Ii  v  avait  jadis  dans  les  plaines  qui  bor- 
dent le  Sénégal,  aux  environs  de  M.i- 
tam,  un  homme  du  nom  de  Osman  qui  vivait 
simplement,  craignant  Dieu  et  accomplissant 
depuis  son  enfance  tous  les  devoirs  de  la  re- 
ligion sans  jamais  y  avoir  manqué  ni  même 
s 'être  ralenti  un  seul  instant  dans  son  zélé 
fer\ent. 

Il  avait  acquis  quelques  biens  par  un  tra- 
vail incessant  ;  il  avait  eu  de  nombreux  en- 
fants qu'il  avait  élevés  dans  la  crainte  du 
Tout-Puissant  et  la  sévère  observation  des 
lois  du  Coran;  et  par  une  grâce    spéciale  il 

9 


]  36  contes  rorui. AIRES 

était  arrivé  à  un  âge  avancé  sans  avoir  jamais 
éprouvé  un  malheur  quel  qu'il  fût. 

Dans  maintes  circonstances,  ses  voisins 
frappés  de  ce  que  tout  lui  réussissait,  l'avaient 
félicité  de  son  heureuse  chance,  mais  lui,  qui 
ne  s'était  pas  laissé  aveugler  par  le  bonheur, 
leur  répondait  que  tout  cela  n'arrivait  que 
par  la  permission  de  celui  qui  commande  à 
toutes  choses  et  que  ceux  qui  ne  sont  pas 
heureux  en  ce  monde  sont  souvent  plus  cou- 
pables qu'ils  ne  croient,  car  c'est  à  leur  im- 
piété qu'ils  doivent  leur  malheur. 

Il  disait  aussi  que,  même  lorsque  les  épreu- 
ves les  plus  dures  sont  imposées  à  un  homme 
par  les  décrets  de  la  Providence,  il  y  a  béné- 
fice à  prier  et  s'incliner  sans  murmurer,  car 
le  croyant  finit  toujours  par  être  récompensé 
de  sa  vertu. 

Un  de  ses  voisins,  d'ailleurs  aisé  et  heureux, 
presque  autant  que  lui,  bien  qu'il  n'eût  ja- 
mais prié  avec  ferveur,  qu'il  ne  se  fût  pas 
privé  de  liqueurs  fortes  quand  il  allaita  l'es- 
cale et  qu'il  eût  plus  d'une  fois  rompu  le 
jeûne  imposé  par  la  religion  à  certaines  épo- 
ques, plaisantait  souvent  la  pusillanimité  du 
croyant;  lui  disant;  que  toutes  les  prières 
ne  servaient  a  rien  en  définitive;  que  Dieu 


M   LA  SKNÉCAMBIE 

n'existait  peut-être  pas  et  que  s'il 
réellement,  il  était  dans  tous  les  cas  si  loin 
et  si  occupé  d'autres  affaires  qu'il  ne  songeait 
assurément  pas  à  tenir  compte  de  quelque 
chose  d'aussi  peu  important  qu'une  prière 
lite  à  l'heure,  qu'un  jeûne  ou  telle  autre 
pratique  religieuse. 
Une  nuit,  tout  le  monde  était  couché  tran- 
îillement,  jouissant  d'un  repos  gagné  par 
le  chaude  journée,  quand  un  bruit  inso- 
lite, des  coups  de  fusil,  des  cris,  viennent 
brusquement  jeter  la  terreur  dans  toutes  les 
habitations  ;  une  bande  de  pillard»  armes 
était  tombée  inopinément  sur  la  tribu  pour 
s'emparer  des  troupeaux,  des  provisions  et 
en  réduire  les  habitants  en  esclavage. 

Osman  saute  hors  de  l'habitation  armé  de 
son  fusil  pour  défendre  son  bien  contre  les 
malfaiteurs;  mais  avant  d'avoir  eu  le  temps 
de  se  mettre  en  défense,  il  est  terrassé,  saisi, 
garrotté  et  entraîné  au  loin.  Il  marcha  ainsi 
pendant  plusieurs  jours,  conduit  par  ses  ra- 
visseurs, manquant  de  tout  et  souffrant  tou- 
tes les  douleurs  physiques  et  morales,  car  il 
I  qu'étaient  devenus  ceux  qu'il 

aimait  tant.   11  était  assurément  le  plus  mal- 
heureux   des   hommes;    mais    néanmoins, 


I  3S  CONTES  POPULAIRES 

malgré  les  privations,  les  mauvais  traitements 
il  ne  murmurait  pas  contre  les  décrets  de  la 
Providence  et  répétait  à  chaque  instant  :  que 
la  volonté  de  Dieu  se  fasse! 

Osman  fut  mené  à  un  marché  éloigné 
vendu  comme  captif  et,  chose  étrange,  son 
nouveau  maître  venait  d'acheter  son  voisin 
l'irréligieux  qui,  comme  lui,  avait  été  pris, 
garrotté  et  enlevé  par  les  pillards. 

Ils  furent  attachés  à  une  même  chaîne  pour 
faire  le  chemin  qui  les  séparait  du  pays  de 
leur  acquéreur  et  c'était  vraiment  chose 
curieuse  que  d'entendre  les  deux  captifs;  à 
chaque  pas  Osman  disait  une  parole  de  rési- 
gnation ou  de  prière,  tandis  que  son  cama- 
rade proférait  une  plainte,  un  blasphème  ou 
une  malédiction. 

Un  soir  qu'ils  s'étaient  arrêtés  dans  un  en- 
droit assez  couvert  de  broussailles,  la  sur- 
veillance des  maîtres  se  relâche  un  peu  ;  une 
occasion  de  fuite  se  présente  aux  deux  mal- 
heureux captifs.  Sans  qu'ils  eussent  besoin 
de  se  consulter  longtemps  ils  s'échappent, 
s'enfoncent  dans  les  fourrés  et  sont  bientôt 
à  l'abri  de  toute  poursuite. 

Le  pays  était  désert,  de  sorte  qu'après 
quelques  heures  de  marche  ils  purent  se  con- 


M    LA    SKSfcGAMlilE 

sidérer  comme  entièrement  delivres;  mais 
leur  condition  n'était  guère  brillante,  et  en 
effet  ils  étaient  au  milieu  des  champs  n'ayant 
plus  à  craindre  des  hommes,  il  est  vrai,  mais 
ils  étaient  attachés  aux  deux  bouts  d'une 
même  chaîne  rivée  à  leurs  pieds  et  n'avaient 
aucun  instrument  capable  de  rompis 
anneaux  de  malheur  qui  les  meurtrissaient, 
en  leur  enlevant  la  meilleure  partie  de  leur 
force  et  de  leur  agilité. 

Ils  cherchèrent  par  mille  moyens  à  briser 
cette  chaîne,  et  n'y  parvenant  pas  chacun  des 
deux  hommes  exhala  son  chagrin  à  sa  ma- 
nière ;  Osman  par  une  prière  fervente  et  ré- 
résignée, l'autre  par  des  jurons  et  des  malé- 
dictions capables  de  faire  trembler  les  plus 
hardis  et  de  provoquer  les  plus  grands  mal- 
heurs. 

La  punition  d'une  pareille  impiété  ne  se 
ht  pas  longtemps  attendre;  un  lion  attiré  par 
les  éclats  de  voix  du  blasphémateur  arrive 
sur  les  lieux  en  deux  bonds  et  trouvant  la 
proie  à  son  gré,  il  brise  la  poitrine  du  pri- 
sonnier d'un  coup  de  griffe  tandis  que  d'un 
coup  de  dent  il  fait  deux  morceaux  de  son 
corps. 

Osman  terrifié,   comme  on  le  pense   bien. 


I4O  CONTES  POPULAIRES 

crut  que  sa  dernière  heure  était  sonnée, 
d'autant  plus  que  le  lion  en  dévorant  son  ca- 
marade lui  jetait  des  regards  qui  signifiaient 
clairement  que  son  tour  arriverait  bien- 
tôt. 

Tout  à  coup  un  second  lion  accourt  pour 
prendre  part  à  la  curée,  et  la  jalousie  aidant, 
au  lieu  de  se  saisir  d'Osman,  il  veut  disputer 
au  premier  les  lambeaux  de  chair  qu'il  dévo- 
rait. 

Voilà  les  deux  bêtes  féroces  qui  se  battent 
avec  une  ardeur  inouïe,  poussant  des  rugisse- 
ments épouvantables,  oubliant  tout  ce  qui  ce 
passait  autour  d'eux,  de  sorte  que  le  malheu- 
reux Osman  qui  n'avait  pas  cessé  de  recom- 
mander son  âme  à  Dieu  peut  s'éloigner  de 
ses  affreux  animaux,  et  traînant  une  jambe 
de  son  malheureux  compagnon  au  bout  de 
la  chaîne  fixée  à  son  pied,  il  se  glisse  dans 
les  herbes  et  arrive  bientôt  sur  la  berge  du 
fleuve. 

Les  lions  voyant  tout  à  coup  que  leur  proie 
leur  échappait  bondirent  jusqu'à  lui,  mais 
pas  assez  tôt  cependant  pour  l'empêcher  de 
se  jeter  à  l'eau,  de  sorte  qu'il  put  se  dérober 
à  leur  voracité,  et  se  croyant  sauvé,  il  se 
hâta  d'adresser  une  prière  de  remerciement 


DK   I.A   SÉNÉGAMBIE  141 

;iu  Tout-Puissant  avant  même  d'avoir  atteint 
l'autre  rive  Je  la  rivière. 

Il  n'était  pu  au  bout  de  ses  peines  ;  en  effet, 

une  énorme  caïman  survient,  saisit  la  jambe 

du  blasphémateur  restée  attachée  à  la  chaîne 

11    d'Osman  et  gagne  le  fond  se  dirigeant  vers 

sa  tanière. 

Le  malheureux  croyant  se  sentant  en- 
traîné crut  que  sa  dernière  heure  était  bien 
I  arrivée,  et  il  adressa  encore  une  fervente 
|  prière  au  Tout-Puissant,  puis  avec  la  rapidité 
de  la  pensée  et  mille  fois  plus  vite  qu'il  ne  faut 
pour  le  dire,  il  passa  sa  vie  en  revue  pour 
Mt  souvenir  du  nom  de  tel  ennemi  qu'il 
avait  pu  avoir,  car  on  sait  sur  le  bord  du  Sé- 
négal, de  la  Gambie  et  de  la  Casama  nce  que 
le  caïman  qui  vous  saisit  n'est  que  l'âme  d'un 
ennemi  dont  on  a  désiré  la  mort. 

On  sait  surtout  qu'en  l'appelant  par  son 
nom  et  en  lui  disant  sévèrement,  au  nom  de 

Dieu  Tout-Puissant,  de  s'en  aller  sans  plus 

us  inquiéter,  l'ennemi  confus  de  se  voir 
ainsi  découvert  vous  abandonne. 

Mais  Osman  avait  toujours  vécu  sainte- 
ment, il  ne  connaissait  personne  qui  lui  vou- 
lût du  mal,  il  n'avait  jamais  désiré  le  malheur 
de  son  semblable;  aussi  ne  put-il  pas  donner 


142  CONTKS   l'Ol'UI- AIRES 

un  nom  au  caïman  et  il  se  laissa  entraîner, 
ne  pouvant  d'ailleurs  résister  en  aucune  ma- 
nière. 

Le  monstre  emporta  sa  proie  vivante  et 
morte  dans  son  trou  qui,  comme  on  le  sait, 
est  au  fond  du  fleuve  disposé  de  telle  sorte 
qu'il  forme  une  vaste  chambre  dont  une 
partie  est  à  sec.  Comme  il  était  à  la  saison 
de  ses  amours  il  se  hâta  de  croquer  la  jambe 
du  blasphémateur,  brisant  la  chaîne  d'un 
coup  de  dent,  et  poussa  Osman  dans  le  trou 
sans  lui  faire  le  moindre  mal,  pensant  le 
garder  en  provision  pour  le  partager  avec  sa 
femelle  quand  elle  viendrait  au  gîte;  il  se 
mit  même  en  campagne  pour  aller  la  cher- 
cher. 

Osman  à  peine  jeté  hors  de  l'eau  à  demi 
mort  se  mit  à  genoux  pour  remercier  Dieu 
tout-puissant  de  l'avoir  préservé  cette  fois 
encore;  mais  comment  sortir  du  trou?  Sa 
situation  était,  on  le  comprend,  terriblement 
précaire.  Sans  se  décourager  il  fait  la  prière 
de  midi  pensant  qu'il  devait  être  celte  heure- 
là  sur  la  surface  de  la  terre. 

O  prodige,  en  frappant  du  front  sur  le  sol, 
il  voit  à  travers  le  monceau  d'os  demi-ron- 
gés  qui    jonchaient  la  caverne;  une   mince 


OE  LA  &EMÉGAMBIE  143 

lueur;  c'était  une  fissure  du  sol  qui  commu- 
niquait avec  le  fond  de  la  grotte.  Il  s'avance 
aussitôt  et  peu  d'instants  après  il  pouvait 
sans  beaucoup  d'efforts  sortir  de  cet  antre 
terrible  où  tous  avant  lui  avaient  trouve  la 
mort. 

l'.u  le  fait  d'un  hasard  prodigieux  il  se 
trouva  que  la  grotte  du  caïman  était  voisine 
du  lieu  où  il  habitait  lorsqu'il  avait  été  en- 
lew  par  les  pillards,  et  même  il  faut  dire 
que  ces  pillards  dérangés  par  une  résistance 
énergique  n'avaient  pu  faire  aucun  mal  au 
village,  avaient  été  repoussés  n'emportant 
pour  tout  butin  que  le  blasphémateur  et 
Osman,  de  sorte  qu'il  se  trouva  au  milieu 
des  siens  qui  se  portaient  bien,  n'avaient 
rien  perdu  de  leurs  richesses  et  dont  le  bon- 
heur fut  sans  mélange  dès  qu'ils  virent  re- 
venir sain  et  sauf  le  saint  homme  dont  cha- 
cun déplorait  la  perte  et  que  tous  croyaient 
mort. 

On  comprend  sans  peine  qu'il  dut  rendre 
îles  lettons  de  grâce  au  souverain  maître  de 
toutes  choses,  et  pendant  de  longues  années 
encore  il  vécut  heureux,  exemple  vivant  du 
proverbe  :  «  Qui  compte  sur  Dieu  sans  de- 
sesycrer  jamais  ne  craint  aucun  malheur.  . 

9* 


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m 


NOK    DU     BRACKLKT    HAl'l'OKIK 
l'AK    LK    l'OISSON 


Ii  v  av. lit  au  temps  jadis  un  marabout 
du  nom  de  Hadj-Omar  qui  était  un 
saint  homme  répétant  chaque  jour  :  11  n'y  a 
de  Dieu  que  Dieu  et  celui  qui  ne  craint  pas 
de  le  proclamer  même  au  péril  de  sa  vie  re- 
çoit toujours  sa  récompense.  11  vivait  dans 
les  plaines  du  Tagant  au  milieu  des  Musul- 
mans les  plus  fervents,  qui,  lorsqu'ils  sont 
attaque*  a  1  heure  du  Salam  M  laisse  massa- 
crer plutôt  que  d'interrompre  leur  prière; 
disant  qu'il  vaut  mieux  mourir  que  de  ne 
pas  rendre  grâce  à  Dieu  de  tous  les  biens 
dont  il  comble  les  vrais  croyants. 
Sentant  en  lui  le   besoin  de  convertir  les 


146  CONTES  POPULAIKES 

infidèles  il  partit  un  jour  marchant  droit 
devant  lui  avec  le  projet  de  s'arrêter  là  seu- 
ment  où  il  aurait  fait  reconnaître  par  tous 
d'une  manière  éclatante  la  Majesté  divine. 
Hadj-Omar  n'était  pas  riche,  il  possédait  à 
peine  de  quoi  vivre  et  encore  était-il  obligé 
de  subvenir  aux  besoins  de  sa  vieille  mère; 
mais  cependant  il  ne  s'inquiétait  jamais  du 
lendemain,  chaque  jour  jusque-là  avait  suffi 
à  sa  peine. 

Le  voilà  donc  allant  à  travers  le  pays  de 
village  en  village;  quand  il  avait  prêché 
pendant  quelques  jours,  ramené  au  devoir 
et  à  la  religion  quelques  indifférents,  il  re- 
prenait sa  route  pour  atteindre  la  contrée  où 
il  convertirait  les  infidèles. 

Il  arriva  ainsi  sur  les  bords  du  Niger  et 
s'arrêta  quelque  temps  dans  la  ville  de  Sé- 
gou  qui  était  commandée  à  cette  époque 
par  un  roi  puissant,  Modi-Mamadi,  homme 
violent,  orgueilleux,  ne  craignant  pas  la 
justice  divine  parce  qu'il  se  croyait  fort  de- 
vant les  hommes  et  que  jusque-là  il  avait 
terrassé  tous  ceux  qui  lui  avaient  résisté. 

Hadj-Omar  allait  quitter  encore  ce  pays 
pour  poursuivre  son  voyage  quand  un  jour 
Modi-Mamadi  qui   venait  de   remporter  de 


DE   t.A  SÉNÉGAMBIE  I  ;" 

brillantes  victoires  dans  le  Bouré,  et  qui 
avait  trouve  chtfl  les  vaincus  des  richesses  si 
immenses  qu'il  en  était  entièrement  aveuglé, 
écouta  complaisamment  la  voix  de  griots 
Bal  inspires  et  irréligieux. 

Allole  par  son  OrgUCtl  <- 1  v(  puttUSCt,  »i 
l'étlil  dit  :  Je  suis  le  plus  puissant,  plus 
puissant  que  Dieu  même,  et  reunissant  dans 
une  plaine  au\  portes  de  la  ville  toute  la  po- 
pulation de  la  ville  il  lui  tint  ce  langage  : 
Habitants,  sachez  que  je  suis  le  plus  puis- 
sant; personne  ne  peut  résister  à  ma  vo- 
lonté. Ainsi  désormais,  je  ne  veux  plus  qu'il 
soit  parle  de  puissance  comparable 
mienne;  je  serai  le  Dieu  du  pays,  par  consé- 
quent au  lieu  de  |urer  par  Allah  et  par 
Mahomet  vous  ne  jurerez  plus  que  par 
Modi-Mamadi  ;  au  lieu  de  vous  tourner  vers 
louent  pour  faire  votre  prière,  vous  vous 
tournerez  désormais  vers  mon  palais  et 
vous  m'invoquerez  à  toute  heure  du  jour. 
Celui  qui  n'obéira  pas  à  cet  ordre  sera  mis 
immédiatement  à  mort. 

La  population  de  Ségou  composée  de  ti- 
mides Saracolais,  craignant  surtout  la  mort 
et  la  souffrance,  écouta  cette  étrange  procla- 
mation en  silence;  elle  était  musulmane,  il 


148  CONTES  POPULAIRES 

est  vrai,  bien  plus  elle  était  foncièrement 
religieuse,  mais  ayant  l'habitude  d'obéir 
à  la  voix  du  commandement  elle  n'osait 
faire  résistance  à  la  volonté  de  Modi-Ma- 
madi. 

Quelques  vieilards,  quelques  sérims,  quel- 
ques talibas  était  bien  révoltés  au  fond  du 
cœur  contre  une  pareille  prétention  inique 
autant  qu'absurde,  mai  chacun  craignait 
pour  sa  vie,  et  tous  courbaient  la  tête  sans 
oser  dire  au  roi  qu'il  avait  tort 

Seul  Hadj-Omar  eut  plus  de  courage  que 
tous  les  autres  habitants  réunis;  il  fend  la 
foule  et  arrive  d'un  pas  délibéré  jusqu'au 
pied  du  trône  royal. 

Là  d'une  voix  ferme  et  digne  il  dit  à  celui 
qui  voulait  recevoir  désormais  les  honneurs 
divins  : 

«  Il  n'y  a  de  Dieu  que  Dieu  et  Mahomet 
est  son  prophète;  le  roi  d'un  pays  est  le  pre- 
mier serviteur  du  Tout-Puissant,  son  auto- 
rité, quelque  grande  qu'elle  soit,  ne  peut 
empêcher  les  croyants  de  reconnaître  le  sou- 
verain maître  de  toutes  choses  comme  supé- 
rieur à  tous. 

«  Tu  veux  que  je  t'adore  comme  mon 
Dieu,  eh  bien!  tiens,  voilà  du  sable  que  je 


M    I  A   SKNÉGAMBIK  I  4.) 

M  par  terre,  fais  en  de  toutes  pièces 
du  semblable  du  haut  de  ton  trône. 

•  Voilà  un  bâton  de  bois  mort,  fais-le  re- 
verdir et  couvrir  de  feuilles,  comme  Dieu  le 
fait  tous  les  printemps. 

•  Regarde  le  ciel  est  sans  nuages,  com- 
mande au  soleil  de  se  cacher  et  à  la  pluie  de 
tomber, 

•  Je  te  promets  si  tu  me  donnes  de  pareils 

de  ta  puissance  d'être  désormais  ton 
plus  fidèle  adorateur,  il  ne  se  passera  pas  de 
jour  sans  que  j'invoque  ton  nom  à  chaque 
taire.  Mais  au  contraire,  si  tu  ne  peux  faire 
tout  cela  je  dirai  que  quelque  puissant  que 
tu  sois  tu  n'es  qu'un  homme;  si  lu  es  fort, 
si  tu  es  heureux,  c'est  a  Dieu,  à  Dieu  seul 
que  tu  le  dois,  car  je  le  répète  :  il  n'y  ■  de 
Dieu  que  Dieu  et  Mahomet  est  son  pro- 
phète. • 

lui  entendant  ces  paroles,  Modi-Mamadi, 
qui  était  aussi  dissimule  que  cruel,  aussi  ha- 
bile qu'orgueilleux,  vit  qu'il  ne  fallait  pas 
persister  pour  le  moment  dans  sa  prétention; 
la  foule  avait  écouté  avec  un  silence  recueilli 
les  paroles  si  digne  d'Hadj-Omar  et  un  mur- 
mure d'approbation  s'élevait,  grossissant, 
pouvant  même  devenir  le  point  de  départ 


I  30  CONTES  l'OPULAIKES 

d'une  émeute,   qui  sait?  d'une   révolution. 

Sa  figure  qui  était  sévère  prend  tout  à 
coup  un  air  souriant,  et  se  tournant  vers  la 
population,  il  dit  aux  habitants  de  Ségou  : 

«  Personne  n'est  plus  humble  que  moi,  le 
plus  fort  des  hommes,  devant  Dieu  qui  est 
le  Tout-Puissant  :  jamais  je  n'ai  eu  la  pensée 
de  vouloir  être  autant  que  lui,  et  ce  que  je 
viens  de  dire  tantôt  était  uneruse  pour  savoir 
lequel  d'entre  vous  est  le  meilleur  croyant, 
le  plus  sage  et  le  plus  fervent  serviteur  de 
Dieu. 

Approche,  Hadj-Omar  :  c'est  toi  qui  as  le 
premier  rang,  aussi  désormais  tu  seras  mon 
premier  ministre.  C'est  toi  qui  transmettras 
mes  ordres,  qui  veilleras  à  la  sécurité  de 
l'Etat  et  qui  prendras  soin  que  tous  mes 
sujets  vivent  selon  les  préceptes  de  la  reli- 
gion. 

«  Ta  puissance  sera  égale  à  la  mienne,  et 
pour  que  personne  n'hésite  à  exécuter  tes 
ordres,  voici  un  bracelet  que  je  te  donne,  il 
est  semblable  absolument  à  cet  autre  que  je 
porte  au  poignet;  tous  deux  sont  d'un  tra- 
vail si  admirable  et  si  compliqué  qu'ils  ne 
sauraient  être  contrefaits,  par  conséquent  en 
le  montrant,  ton  autorité  sera  incontestable 


M   LA   SÉNÉGAMBIE  I  5  ! 

comme  la  mienne  propre.  Veille  pour  la 
grande  gloire  de  Dieu  à  ne  pas  le  perdre, 
Car  il  t'arriverait  malheur  dans  ce  cas.  • 

Hadj-Omar  s'inclina  respectueusement  et 
prit  le  bracelet;  il  aurait  bien  voulut  refuser 
les  honneurs  que  lui  octroyait  Modi-Ma- 
madi,  mais  il  sentait  qu'il  manquerait  à  sa 
promesse  de  faire  tout  pour  la  propagation 
de  le  religion  s'il  n'acceptait  pas  la  charge 
de  veiller  à  l'exacte  observation  de  la  loi, 
dans  un  pays  où  elle  était  observée  tout 
juste  et  où  la  foi  était  chancelante  autant 
que  souvent  menacée. 

11  ne  pouvait  croire  cependant  que  Modi- 
Mamadi  fût  de  bonne  foi  vis-à-vis  de  lui  :  la 
dernière  recommandation  du  monarque  lui 
parut  suspecte,  aussi  rentra-t-il  chez  lui  et 
donna-t-il  ce  précieux  bracelet  à  sa  mère  en 
lui  disant  :  Garde-le  à  l'abri  de  tout  larcin, 
car  notre  vie  dépend  désormais  de  sa  pos- 
session. 

La  vieille  mère  qui  était  une  femme  de 
prudence  pensa  que  les  voleurs  fouilleraient 
partout,  et  pour  les  dérouter  le  cas  échéant, 
elle  Ht  un  trou  dans  le  sable  de  la  case,  y 
enterra  le  bracelet  qu'elle  avait  eu  soin 
l'entourer  de  linges  pour  qu'il  ne  se  ternit 


I  52  CONTES  POPULAIRES 

pas.  Elle  remit  tout  en  place  après  avoir 
comblé  le  trou,  si  bien  que  personne  au 
monde  ne  pouvait  savoir  où  se  trouverait  le 
talisman  royal. 

Modi-Mamadi  à  peine  rentré  chez  lui  fit 
venir  son  griot  et  lui  dit  :  «  Il  faut  à  tout  prix 
que  tu  dérobes  le  bracelet  de  Hadj-Omar; 
ta  fortune  est  assurée  à  jamais  si  tu  réussis.» 
Ce  griot  était  si  habile  que  toute  la  case 
d'Hadj-Omar  fut  visitée,  fouillée  mille  fois 
en  quelques  semaines;  ne  sachant  plus  com- 
ment faire  pour  découvrir  le  bijou,  il  eut 
l'idée  de  creuser  une  galerie  sous  terre,  es- 
pérant entendre  quelque  jour  le  fils  et  la 
mère  parler  de  l'endroit  où  on  l'avait  caché; 
et  chacun  juge  de  sa  joie  quand  il  trouva 
ainsi  sur  la  route  le  bracelet  tant  désiré. 

Il  le  porta  aussitôt  à  Modi  qui  ne  tenant 
plus  de  joie  le  jeta  lui-même  au  fond  du 
fleuve;  on  était  au  mois  de  juillet  et  la  crue 
des  eaux  commençant,  il  se  dit  avec  satis- 
faction :  il  n'y  a  pas  de  puissance  au  monde 
capable  de  le  retrouver  avant  le  mois  de  dé- 
cembre, et  d'ici  là  Aadj-Omar  sera  mort  de- 
puis longtemps. 

Le  lendemain  Modi  fait  rassembler  le  peu- 
ple comme  la  première  fois  à  la  porte  de  la 


M     Là   SRNEGAMBIK  |  53 

ville   et  il  envoie   chercher   Hadj-Omar  qui 
n'eut  garde  de  manquer  au  rendez-vous. 

Alors  le  roi  fit  un  long  discours;  il  dit  aux 
anciens  du  pays  :  «  Que  mérite  celui  qui 
ayant  reçu  mission  de  sauvegarder  la  reli- 
gion et  qui  ayant  en  sa  possession  un  talis- 
man capahle  de  lui  obtenir  toute  obéi- 
méprise  assez  les  ordres  du  roi  et  les  inteiêt*» 
de  Dieu  pour  perdre  ce  talisman  ?  » 

Unanimement  l'assemblée  repondit  .  la 
mort. 

«  Eh  bien!  répliqua  Modi-Mamadi  :  Had|- 
Omar,  où  est  le  bracelet  que  je  t'ai  conhe  -  . 

Tout  le  monde  trembla,  pressentant  une 
terrible  catastrophe,  car  on  devinait  bien 
que  le  roi  ne  jouait  cette  partie  qu'à  coup 
sûr.  Seul  Hadj-Omar  sans  perdre  conte- 
nance l'avança  du  trône,  et  sortant  de  la 
poche  de  son  boubou  le  bracelet  demande, 
répondit  :  «   Roi,  le  voilà.  » 

Modi  ne  revenait  pas  de  son  étonnement, 
quand  Hadj-Omarajouta  :  —  «  Roi, incline-toi 
enfin  devant  la  souveraine  puissance  de  Dieu; 
tu  as  cru  que  tu  allais  me  perdre  et  te  ven- 
ger ainsi  de  ce  que  j'ai  dit  que  tu  es  moins 
fort  que  Dieu?  Eh!  bien!  une  fois  encore, 
tu  es  vainc..!. 


I  D4      CONTES  POPUÎ. AIRES  DE    LA  SÉNEGAMBIE 

«  Ce  bracelet  que  tu  m'as  fait  dérober  et 
que  tu  as  jeté  dans  la  rivière  a  été  avalé 
par  un  poisson,  or,  tantôt  quand  ton  émis- 
saire est  venu  me  commander  de  venir  de 
suite  auprès  de  toi,  c'était  l'heure  de  la 
prière  et  je  me  suis  dit  :  Prions  d'abord, 
nous  obéirons  au  roi  ensuite.  J'étais  au  bord 
de  la  rivière,  et  pendant  que  j'achevais  ma 
prière  un  poisson  a  sauté  sur  la  berge,  je  l'ai 
saisi  pour  le  donner  à  ma  mère  afin  qu'elle 
le  préparât  pour  notre  dîner  de  ce  soir;  en 
l'ouvrant  elle  a  trouvé  dans  son  estomac  ce 
bracelet  que  Dieu  m'envoyait  ainsi  pour 
confondre  les  méchants  et  faire  proclamer 
sa  puissance.  » 

Modi  constata  que  le  bracelet  était  bien 
celui  qu'il  demandait,  croyant  l'avoir  jeté 
dans  un  endroit  où  nulle  puissance  humaine 
ne  pouvait  le  reprendre.  Frappé  enfin  de 
crainte  par  cette  manifestation  de  la  vo- 
lonté divine,  il  se  prosterna,  adora  Dieu 
sans  arriére-pensée  et  fut  dès  ce  même 
jour  un  croyant  accompli  ;  faisant  le  bien 
et  ne  vivant  que  pour  le  bonheur  de  ses 
sujets,  avec  Hadj-Omar  pour  chef  de  la 
religion  et  de  la  justice. 


111 


i  l'iil-NDK    DK    KOLI    BKM  \N 


a  dis  le  pays  de  Brassou  dans  le  voisi- 
nage de  Casamame  était  gouverné  par 
un  roi  du  nom  de^Koly.  Ce  roi,  Mandingue  de 
naissance,  puissant  autant  que  féroce;  ivro- 
gne autant  que  puissant,  était  idolâtre  et 
avait  une  aversion  marquée  pour  les  Musul- 
mans qu'il  taisait  souffrir  en  toute  occasion 
et  dont  il  tournait  les  prières  et  les  cérémo- 
nies religieuses  en  ridicule. 

Venant  à  passer  un  jour  dans  le  village 
qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  Kolibentan, 
et  qui  avait  alors  une  autre  dénomination,  il 
aperçut  une  jeune  Saracolaise  qui  sortait  à 
peine  de  l'enfance  et  dont  la  grande  beauté 
le  frappa  vivement. 


I  56  CONTES  POPUl.AMM  S 

Koli  eut  aussitôt  de  grossiers  désirs  qu'il 
voulut  assouvir  brutalement,  mais  il  avait 
compté  sans  l'islamisme;  en  effet,  le  père  et 
la  mère  de  la  jeune  fille  étaient  de  fervents 
musulmans  qui  avaient  élevé  leur  enfant 
dans  la  crainte  du  vrai  Dieu  et  du  prophète. 
Bien  plus  un  marabout. du  voisinage  avait 
offert  son  cœur  à  la  belle  Saracolaise  et  at- 
tendait l'expiration  du  rhamadam  pour  l'é- 
pouser, de  sorte  que  le  roi  Koli  trouva  une 
résistance  absolue  et  bien  déterminée  à  ses 
désisrs. 

Que  faire  en  pareil  cas,  son  griot  le  lui 
suggéra  aussitôt;  faire  enterrer  vivants  le 
père  et  la  mère  qui  avaient  osé  s'opposer  à  ses 
royaux  désirs.  Puis  faire  amener  la  jolie  Sa- 
racolaise et  prendre  de  force  le  cœur  qu'elle 
ne  voulait  pas  donner  de  bon  gré.  La  pre- 
mière partie  du  programe  fut  exécutée  aus- 
sitôt, seulement  lorsqu'il  se  trouva  seul  avec 
la  jeune  fille  il  était  tellement  ivre  que  celle- 
ci  put  se  défendre  victorieusement. 

Le  lendemain  Koli  raconta  a  son  griot 
qu'il  avait  fini  par  s'endormir  sans  triom- 
pher de  sa  victime;  il  en  fut  gourmande  et 
se  promit  bien  de  ne  pas  rester  en  chemin 
quand  la  nuit  serait  venue.  Mars  lorsque  le 


ser 
s'éc 
les 
ex 


DE  I.A  SÉNÉGAMBIE  J  $7 

soleil  M  toucha  il  avait  bu  sans  retenue  de 
sorte,  qu'il  était  aussi  ivre,  sinon  plus  que 
la  veille.  Il  fit  néanmoins  de  nouveau  des 
tentatives  auprès  de  la  pauvre  enfant  qui, 
rée  de  trop  près  à  un  moment  donné, 
chappa  de  la  case  et  se  mit  à  courir  dans 
champs  poursuivie  par  Koli.  Une  racine 

ubérante  d'un  bentanier  gigantesque  qu'on 
voit  aujourd'hui  encore  à  peu  de  distance 
du  vil lug«  la  fit  tomber  elle  perdit  ainsi  l'a- 
vance qu'elle  avait  sur  son  ravisseur.  File 
allait  succomber  quand  elle  s'écria  :  Dieu  de 
Mahomet  ne  permet  pas  qu'un  Kéffir  dé- 
shonore une  sage  musulmane.  Les  griots  de 
Koli  n'entendirent  plus  rien,  ils  rentrèrent 
chez  eux  en  attendant  le  lendemain  pour 
féliciter  leur  roi;  mais  aux  premières  lueurs 
de  l'aurore  grand  fut  leur  étonnement  sinon 
leur  terreur.  Le  corps  de  Koli  se  balançait 
pendu  à  une  des  branches  du  bentanier  par 
le  pagne  de  la  belle  Saracolaise. 

Que  s'etait-il  p^ssé?  —  Ici  les  versions 
sont  différentes;  les  uns  disent  que  la  jeune 
fille  fut  enlevée  au  ciel  et  que  Koli  furieux 
de  voir  qu'elle  lui  échappait  s'était  pendu  de 
colère  avec  le  pagne  qu'il  avait  déjà  saisi. 
D'autres  disent  que  l'amant  de  la  jolie  Sara- 


I  58      CONTES  POPULAIRES    DE   I.A  SKNKGAMP.IE 

colaise  était  précisément  arrivé  à  ce  moment 
et  apprenant  tout  d'un  coup  d'oeil  avait 
étranglé  l'ivrogne;  puis  avait  jugé  prudent 
aussitôt  de  mettre  du  pays  entre  sa  fiancée 
et  les  soldats  de  Koli.  —  Les  fervents  mu- 
sulmans préfèrent  la  première  version. 

Ai-je  besoin  de  faire  remarquer  au  lecteur 
l'analogie  qu'il  y  a  entre  la  légende  de  la 
mort  de  Koli-Bentan  et  celle  de  la  fin  tra- 
gique d'Attila  ? 


J&p* 


•i^tf*  */*\k\  ** tf*  *  *\*.  *?U**  *»\*\  *ftf+ 


IV 

LAOCNM    DM    KAVKUKS   AC0ORHKKS   AIX 
NOUVKAUX    CONVKH  IIS 


Dans  le  pays  de  Bounoun,  il  y  avait  jadis, 
un  nommé  Aliou  qui  était  idolâtre, 
buvait  des  liqueurs  fermentées,  mangeait  du 
lorc,  n'observait  aucun  jeûne  et  croyait  aux 
hris-grù  fétichistes.  Il  avait  pour  les  musul- 
mans une  violente  haine;  aussi  toutes  les 
fois  qu'il  rencontrait  un  marabout  isolé,  il 
lui  coupait  le  cou.  La  vue  d'un  individu  fai- 
sant son  salam  avait  la  propriété  de  le  ren- 
rtndre  furieux,  et  quand  il  entendait  appe- 
ler à  la  prière,  il  se  mettait  à  l 'art ù t  de  telle 
sorte  que  bientôt  celui  qui  convoquait  les 
croyants  était  tué,  comme  une  pièce  de  gi- 
bier, d'un  coup  de  fusil. 


ibO  CONTES  POPULAIRES 

Ses  actes  de  barbarie  étaient  si  borribles, 
si  nombreux,  duraient  depuis  si  longtemps 
que  les  musulmans  du  Toro  résolurent  un 
jour  de  se  débarrasser  d'un  aussi  cruel  en- 
nemi. 

L'Almamy  Mahamet,  à  la  sollicitation 
réitérée  de  ses  sujets,  se  mit  à  la  tête  d'une 
véritable  armée  pour  aller  le  capturer  et  le 
tuer.  C'est  en  vain  que  la  troupe  sonda  les 
moindres  broussailles  des  environs,  jamais 
Aliou  ne  tomba  entre  les  mains  des  soldats 
de  Mahamet;  on  disait  même  qu'il  était  en 
relations  avec  les  esprits  infernaux  qui  lui 
permettaint  de  se  rendre  invisible  dans  les 
moments  critiques.  Bref,  les  vrais  croyants 
étaient  décimés  à  chaque  instant  quand  ils 
étaient  isolés,  et  malgré  les  plus  actives 
recherches  Aliou  restait  introuvable. 

Une  nuit  cependant,  l'ennemi  de  la  vraie 
croyance  eut  une  vision;  ses  yeux  se  dessil- 
lèrent, il  comprit  qu'il  faisait  mal  en  tortu- 
rant les  musulmans  et  il  prit  la  résolution 
de  se  convertir  à  l'islamisme.  Sa  décision 
une  fois  prise,  il  se  débarrasse  de  ses  armes 
et  va  d'un  pas  délibéré  au  milieu  de  l'armée 
de  Mahamet. 

Les   sentinelles  voyant   venir  à  elles   un 


DE   LA   SÉNÉCAMRIK 


l6l 


homme  qui  paraissait  inoffensif  lui  deman- 
dent ce  qu'il  veut.  •  Je  veux  parler  à  l'Al- 
mamy  Mahamet  •  dit-il,  et  on  le  condui- 
sit auprès  du  chef  qui  dans  ce  moment  était 
entouré  de  tous  ses  lieutenants  et  qui  \enait 
de  failt  une  fervente  prière  au  Tout-Puis- 
sant pour  la  capture  d'Aliou,  car  il  y  avait 
trop  longtemps  que  l'armée  était  ainsi  im- 
mobilisée par  un  seul  homme;  alors  qu'il 
avait  l'ardent  désir  de  mettre  à  exécution 
un  projet  caressé  depuis  longtemps  :  l'in- 
vasion du  pays  de  Sénoukouya,  repaire  de 
Kiédos,   intempérants,  idolâtres  et  brutaux. 

Mahamet  voyant   approcher  l'étranger  lui 
lit  :  «  Qui  es-tu  »  ?  Celui-ci  lui  répondit 
issurance  :  •   Je    suis   Aliou,    l'ennemi    des 
croyants,  celui  contre  lequel  ton  armée  a  été 
impuissante  jusqu'ici.  • 

\  m  mots  un  frémissement  d'horeur  et  de 
colère  passa  dans  l'assemblée  ;  dix  lieute- 
nants se  levèrent  spontanément,  portant  la 
main  à  leur  sabre  pour  venger  les  trop 
nombreuses  victimes  faites  par  Aliou;  mais 
Mahamet  qui  était  un  homme  juste  sen- 
tit   que    non-seulement  ce  serait  une    ven- 

aïKe  stérile,  mais  qu'il  y  aurait  iniquité  a 
jassacrer  sans  l'entendre  un  individu,  quel- 


IÔ2  CONTES  POPULAIRES 

que  ennemi  qu'il  fût,  quand  cet  individu 
venait  sans  armes  pour  parler  avec  lui;  par 
conséquent  il  arrêta  le  mouvement  d'un  si- 
gne, car  il  était  respectueusement  obéi  dans 
tous  ses  commandements. —  «  Que  veux-tu, 
pourquoi  es-tu  venu  jusqu'ici?  »  lui  dit-il; 
Aliou  répondit  :  «  J'ai  jeté  mes  armes  pour 
montrer  que  je  viens  ici  en  ami  et  non  en 
adversaire;  je  suis  venu  parce  que  je  veux 
me  convertir  à  l'islamisme.  » 

On  juge  de  la  stupéfaction  de  tous.  Seul 
Mahamet  ne  perdant  pas  son  sang-froid 
lui  dit:  «Sais-tu  bien  que  pour  être  croyant, 
il  faut  se  faire  raser  la  tête  au  lieu  de  por- 
ter la  chevelure  abondante  et  tressée  comme 
tu  l'as  fait  jusqu'ici.  »  Aliou  répondit  : 
«  Qu'on  me  rase  la  tête.  »  «  Sais-tu  ,  dit 
Mahamet,  qu'il  faut  jeter  les  gris-gris  que 
t'ont  donné  les  griots  idolâtre  pour  ne  se 
parer  que  de  gris -gris  musulmans  compo- 
sés d'un  verset  du  coran.  »  Aliou  jeta  loin  de 
lui  tous  ses  gris-gris  sans  plus  répondre. 
«  Sais-tu  qu'il  ne  faudra  plus  boire  de  sangara, 
plus  manger  de  porc,  observer  le  jeûne,  faire 
ton  salam  tous  les  jours  aux  heures  com- 
mandées par  le  prophète.  »  Aliou  répondit  ■ 
«  C'est  ma  formelle  intention.  » 


.ÉGAMBIE  1 63 

Enfin  sais-tu,  lui  dit  Mahatnet,  qu'il  fau- 
dra désirer  la  conversion  des  tiens  restés 
dans  l'idolâtrie  et  même  porter  les  armes 
contie  la  nation  pour  l'initier  à  la  loi  musul- 
mane. Aliuu  lepondit,  je  suis  prêt  à  mettre 
mon  père  dans  l'alternative  de  croire  en 
Dieu  tout-puissant  et  à  Mahomet  son  pro- 
phète ou  bien  de  mourir.  » 

En  présence  d'une  pareille  résolution,  Aliou 
fut  instruit  dans  la   religion  musulmane  et 
accepte  comme  vrai  croyant.  Mahamct  plein 
de  joie   annonça   qu  il  allait    maintenant 
mettre  en  route  pour  combattre  les  infidèles. 

Toute  l'armée  accueillit  la  nouvelle 
des  transports  de  joie  et  au  moment  où  elle 
acclamait  son  Almamy,  un  sabre  tombe  du 
ciel,  au  milieu  du  camp,  aux  pieds  du  chet 
et  de  ses  lieutenants,  sabre  terriblement 
affilé  et  capable  de  faire  les  plus  sanglantes 
blessures. 

Un  soldat  cupide  en  présence  de  cet  arme 
magnifique  se  précipite  sur  elle  pour  s'en 
emparer  ;  mais  ô  prodige!  le  sabre  était  si 
lourd,  si  lourd  qu'il  ne  pût  le  soulever; 
il  lui  eût  été  plus  facile  d'arracher  un  bao- 
bab séculaire  avec  une  seule  main  que  de 
faire  remuer  cette  arme  enchantée. 


164  CONTES  POPULAIRES 

Toute  l'armée  essaya  tour  à  tour  de  s'em- 
parer de  l'arme,  mais,  peine  superflue,  son 
poids  était  tel  que  pas  un  ne  réussit.  Il  ne 
restait  plus  que  deux  hommes  n'ayant  pas 
porté  la  main  sur  le  sabre  :  c'étaient  Aliou 
et  Mahamet.  Mahamet  lui  dit  :  saisis-t'en  et 
tu  marcheras  ainsi  armé  contre  les  infidèles. 

Une  clameur  d'incrédulité  s'éleva  parmi 
les  guerriers.  «  Comment,  s'écrièrent-ils 
tous  ?  Gomment  voulez-vous,  Almamy,  qu'un 
croyant  de  quelques  minutes  de  date  soit 
plus  habile  que  nous,  musulmans  de  nais- 
sance ?  Non,  la  chose  n'est  pas  possible,  et 
Aliou  ne  pourra  pas  plus  que  nous  se  saisir 
de  ce  sabre.»  Aliou  s'approcha  et  au  moment 
de  tendre  la  main  il  dit  :  «  Ceci  est  pour  la 
plus  grande  gloire  de  Dieu  et  de  Mahomet  son 
prophète  ;  le  souverain  maître  de  toute  chose 
permettra  à  son  serviteur  fidèle  de  faire  des 
prodiges  pour  la  glorification  de  son  nom.  » 
Puis  il  prit  le  sabre  sans  aucune  difficulté 
et  le  brandit  avec  l'aisance  d'un  guerrier 
consommé. 

On  comprend  l'émotion  générale;  l'armée 
transportée  d'admiration  s'élança  dans  la 
direction  des  infidèles  brûlant  de  les  com- 
battre et  les  Kiédos  idolâtres  qui  étaient  pré- 


tance  les  attendirent  de  pied 
ferme  tvec  une  telle  vigueur  que  bientôt  les 

croyants  huent  décimés. 

L'ardeur  de  l'attaque  avait  été  telle  que 
Mahamet  et  Aliou  avaient  été  dtWSSCe*  et  au 
moment  où  ils  arrivèrent  sur  le  champ  de 
bataille  ils  trouvèrent  l'armée  musulmane  en- 
tièrement détruite. 

Les  Kiédos  triomphaient  et  les  entou- 
rèrent pour  les  faire  prisonniers  dans  le 
désir  de  les  immoler  ensuite.  C'est  alors 
que  les  Jeux  seuls  survivants  de  la  troupe 
musulmane,  Mahamet  et  Aliou,  tirèrent 
leurs  sabres. 

Mahamet  avait  une  arme  bénie  qui  lui 
avait  été  envoyée  de  la  Mecque  et  qui 
tuait  dix  infidèle»  à  chaque  coup  ;  il  se 
mit  donc  en  mesure  de  lutter  vigoureuse- 
ment; mais  le  sabre  d' Aliou  abattait  cent 
tètes  à  chaque  tour  de  bras  de  sorte  qu'en 
quelques  minutes  les  Kiedos  furent  exter- 
mines 

Mahamet  et  Aliou  rentrèrent  triomphants 
et  victorieux  au  pays,  emmenant  un  grand 
nombre  d'esclaves  qui  furent  convertis  à 
1  islamisme,  et  pour  reconnaître  les  exploits 
I* Aliou,  l'Almamy,  qui  n'avait  qu'une  fille. 


l66      CONTES  POPULAIRES    DE    L\    SÉNÉGAMBIE 

Fathima  Benta,  la  lui  donna  en  mariage,  ce 
qui  lui  assura  la  succession  du  pouvoir. 

L'almamy  Aliou  eut  un  règne  plus  glo- 
rieux que  tous  les  autres  et  vérifia  ainsi  le 
dicton  :  Que  le  dernier  converti  quand  il 
est  ferme  vaut  mieux  que  cent  musulmans 
de  naissance  qui  pratiquent  une  religion  avec 
tiédeur. 

Cette  légende  rappelle  le  dicton  qui  a 
cours  dans  la  religion  chrétienne  :  Il  y  a 
plus  de  place  au  paradis  pour  un  nouveau 
converti  que  pour  dix  justes.  A  ce  titre  nous 
pouvons  penser  que  si  les  Toucouleurs  la 
racontent  volontiers,  elle  n'a  cependant  pas 
pris  naissance  dans  leur  cerveau. 


A   PPRECIATION 


Comme   nous  le  disions  tantôt  c'est  dans 
cette    catégorie   que   nous   pouvons  ranger 
la    très   grande   majorité    des  légendes  que 
racontent  les  griots  et  les  marabouts  dans 
les  peuplades  nègres,  qui  ont  assez  profon- 
dement subi  l'influence  religieuse  de  l'Islam. 
Chez  les  Peuls  du   haut  Sénégal  par  exem- 
ple, chez  les  Toucoulors  et  les  Mandingues 
du  bassin  du  Niger  ou  du  Fouta  Sénégalais. 
I  Remarquons  que  ces  peuplades  sont  limitro- 
phes des  Maures  touaregs  etc.,  tous  gens  qui 
(  sont  de  fervents  musulmans,  de  sorte  que 
i  l'action   de   voisinage  s'est  fait  sentir    chez 
•  eux  d'une  manière  plus  intime  et  plus  com- 
1  plète  que  partout  ailleurs. 


1 68  CONTES  POPULAIKES 

A  mesure  que  l'islamisme  se  répand  de 
proche  en  proche  plus  avant  dans  le  Sud. 
On  voit  les  légendes  religieuses  s'infiltrer  peu 
à  peu  dans  les  peuplades  nègres  méridiona- 
les et  nous  devons  dire  même  que  c'est  un 
puissant  moyen  de  prosélytisme  mis  en  œu- 
vres par  les  Mahométans  isolés. 

En  effet,  un  pèlerin,  un  de  ces  voyageurs 
qui  viennent  on  ne  sait  d'où  et  qui  vont 
droit  devant  eux  sans  trop  savoir  eux-mêmes 
vers  quel  but  ils  se  dirigent,  arrive  dans  un 
pays  quelconque.  Il  demande  l'aumône  de 
quelques  aliments  ;  on  le  regarde  naturelle- 
ment avec  quelque  curiosité  et  on  le  ques- 
tionne volontiers.  Il  raconte  alors  des  choses 
intéressantes  qui  ébahissent  bien  des  esprits 
simples  et  au  milieu  du  récit  de  ses  aventu- 
res il  vous  parle,  comme  s'il  l'avait  vu.  de  ce 
croyant  qui  priait  toujours  par  exemple  et 
qui  fut  sauvé  miraculeusement  des  griffes  du 
lion  et  de  la  dent  du  Caïman  alors  qu'un 
de  ses  compagnons  athée  fut  dévoré  précisé- 
ment au  moment  où  il  blasphémait.  Un  au- 
tre parlera  à  ses  auditeurs  du  bracelet  rap- 
porté par  un  poisson.  Un  troisième  racon- 
tera la  légende  du  nouveau  converti  plus 
puissant  que  les  anciens  croyants. 


DE   LA  SÉNÉGAMBIE 

Mille  autres  légendes  de  la  même  poi  I 
dans  lesquelles  le  cadre  peut  changer  .< 
fini,  vins  que  le  but  final  soit  diflèrcn: 
ainsi  colportés  du   Nord  et  de  l'Est,  I 
rant  1  imbie  de  proche   en  proche 

comme  les  assiégeant  ensserrent  peu  à  peu 
uii  pays  qu'ils  veulent  conquérir. 

D'ailleurs  ce  qui  facilite  l'œuvre,  c'est  que 
dans  ces  peuplades  naïves  et  émerveillées, 
■Stties  ds  l'extraordinaire,  crovant  volontiers 
au  surnaturel,  neuf  auditeurs  sur  dix  croient 
a  l.i  réalité  du  récit,  là,  s'ils  n'en  compren- 
nent pas  la  portée  morale  ou  religieuse  du 
premier  coup,  sont  très  disposés  à  considérer 
le  héros  de  l'aventure  avec  une  sympathie 
marquée  qui  déteint  sur  le  narrateur  lui- 
même. 

D'où  viennent  les  légendes  musulmannes? 
Nous  avons  à  peine  besoin  de  nous  pour 
cette  question  elles  viennent  du  Nord-Est 
c'est-à-dire  des  pays  qui  ont  été  les  premiers 
foyers  du  mahométisme.  Elles  datent  par- 
lois  de  dix  ou  douze  siècle  déjà  repétées  plus 
ou  moins  inconsciemment  de  bouche  en 
bouche  à  travers  les  âges.  Elles  sont  colpor- 
tées de  proche  en  proche  d'un  pays  à  l'autre 
si  bien  et  si  exactement  que  plus  d'une  se 


I70        CONTKS  l'OPU  [.AIRES  DE   I.A   SENKG  A  M  l'.l  F. 

raconte  également  ou  avec  des  variantes  insi- 
gnifiantes sur  les  rives  du  Se'négal  comme  dans 
la  vallée  du  Niger,  sur  les  plages  du  lac  de 
Tchad,  comme  sur  les  côtes  du  lac  Victoria. 

Sans  compter  qu'en  Algérie,  à  Tunis,  en 
Egypte,  à  Constantinople  même,  on  peut  les 
entendre  de  la  bouche  de  ces  voyageurs 
moitié  griots  moitié  marabouts  qui  passent 
leur  vie  à  parcourir  le  monde  de  l'islam  en 
vivant  d'aumônes  sans  jamais  songer  au  len- 
demain jusqu'au  jour  où  la  maladie,  un  ac- 
cient,  une  erreur  de  route  ou  telle  circons- 
tance fortuite  les  fait  mourir  sur  le  bord 
d'un  chemin  où  les  chacals  et  les  vautours 
en  font  leur  pâture. 

Ce  qui  caractérise  les  légendes  de  cette 
catégorie  c'est  une  grande  unité  de  but  et  le 
plus  souvent  même  une  grande  analogie  de 
canevas.  C'est,  on  le  comprend,  la  consé- 
quence de  l'origine  étrangère.  En  effet  cette 
sorte  de  légende  peut  bien  se  plier  à 
telle  ou  telle  particularité  locale  spéciale  au 
pays  où  se  trouve  le  conteur  par  de  petits 
artifices  de  mise  en  scène  destinés  à  frapper 
plus  vivement  les  auditeurs  suivant  le  pays; 
mais  cette  variation  ne  porte  en  somme  que 
sur  un  infime  détail  le  plus  souvent. 


QUATRIEME  PARTIE 


CONTES  ET  LÉGENDES  QUI  ONT  TRAIT  A  UN 
ÉVÉNEMENT  RÉEL  PLUS  OU  MOINS  ALTÉRÉ 
l>AR  LA  TRADITION  ORALE,  INSPIRÉE  PAR  I  \- 
MOUR  DU  MERVEILLEUX,  LES  CROYANCES 
SUPERSTITIEUSES,  OU  LE  SIMPLE  PLAISIR  DE 
POSER  UNE  QUESTION  ÉN1GMAT1QUE  A  I.'aU- 
DITEUR. 


QUATRIEME  PARTIE 


Dans  cette  partie  de  mon  livre  il  entre 
comme  on  va  le  voir,  des  sujets  as- 
sez différents  comme  idée  et  comme  por- 
tée philosophique  ou  morale.  Je  les  ai 
rapprochés  pour  ne  pas  subdiviser  mon 
sujet  en  un  grand  nombre  de  portions 
distinctes,  ce  qui  eut  donné  à  mon  étude 
une  étendue  que  son  cadre  ne  comporte 
pas;  mais  le  lecteur  constatera  que  ces 
histoires,  ces  contes,  légendes,  proverbes, 
etc.,  sont  nombreux  autant  que  variés. 

Voici  l'énumération  des  sujets  que  con« 
tien  cette  quatrième  partie  : 


174       CONTES  POPULA1KES  DE   LA  SÉNEGAMBIE 

I.  Légende  de  Matik-si. 

II.  Légende  du  serpent  du  Bambouk. 

III.  Légende  de  la  création  de  l'empire 

Djolof. 

IV.  Le  cavalier  qui  soignait  mal   son 

cheval. 

V.  Le  trafic  à  la  muette  entre  gens  qui 
ne  se  voient  pas. 

VI.  Légende  de  Koli-Satigny, 

VIL  Légende  sur    l'origine  des  laobés 
et  des  griots. 

VIII.  Légende  de  Peuda  balou. 

IX.  Croyance  aux  sorciers  chez  les  nè- 
gres sénégambiens. 

X.  Énigmes  et  proberbes. 


M^jt,  Y"\©YÇi#^V,WjtWl   *  VW   *   *€wi 


LEGKNDK    DE    MAL1K    SI 


Il  y  a  quelques  siècles,  le  pays  de  Bon- 
dou,  qui  est  placé  sur  la  rive  gauche  du 
Haut-Sénégal  entre  le  pays  de  Gov  et  de  Den- 
tilia,  dans  le  voisinage  de  la  Falemé,  était 
inhabité. 

Ses  collines  étaient  couvertes  de  bois  dans 
lesquels  la  hache  n'avait  jamais  passé;  ses 
plaines  produisaient  à  chaque  hivernage  une 
verdure  luxuriante  qui  se  desséchait  à  l'é- 
poque des  vents  d'est  sans  bénéfice  pour  per- 
sonne ;  ses  marigots  regorgeaient  de  pois- 
sons que  le  filet  ni  la  sagaie  n'avaient  jamais 
poursuivis. 

Bref,  Dieu   n'avait  pas   encore   donne  ce 


J  JtJ  CONTES  POPULAIRES 

pays  en  possession    effective  à  ses  enfants 
noirs  de  la  Sénégambie. 

Les  Saracolais  du  Goy,  du  Kame'ra,  du 
Natiaga  allaient  bien  établir  de  temps  en 
temps  un  lougan  sur  les  bords  de  la  Falemé 
ou  des  marigots  qui  y  aboutissent. 

Il  leur  suffisait  de  débarraser  le  sol  de 
quelques  mauvaises  herbes  pour  recueillir 
d'énormes  quantités  d'arachides  venues  sans 
culture  ;  ils  n'avaient  qu'à  jeter  un  peu  de 
semence  sur  les  parties  que  l'eau  laissait  à 
découvert  dès  que  le  fleuve  baissait  pour 
avoir  une  magnifique  récolte  de  mil  qui  don- 
nait l'abondance  pour  l'année  entière  ;  mais 
ils  n'occupaient  pas  le  sol  d'une  manière  dé- 
finitive et  permanente. 

Le  Bondou  était  seulement  pour  plusieurs 
d'entre  eux  le  but  d'un  de  ces  voyages  que 
les  Soninkés  aiment  tant  à  faire,  ou  bien  le 
lieu  où  ils  allaient  y  passer  en  villégiature 
quelques  mois  de  la  saison  chaude. 

Le  Tunka  (roi)  du  Goy  aimait  depuis 
un  temps  immémorial  à  venir  habiter  pen- 
dant quelques  mois  de  l'année  dans  cer- 
tains points  découverts  du  pays  où  la  brise 
d'ouest  rafraîchissait  mieux  l'atmosphère 
et    où    les    Maringouins   étaient   en   moins 


DE   LA  SÉNÉ0AMB1E  I  77 

grande  quantité  que  sur  les  bords  du  Séné- 
|tl. 

11  avait  élevé  dans  un  endroit  appeléTuabo 
une  habitation  d'été  très  bien  disposée  et  il  y 
passait  des  moments  agréables  pour  lui,  uti- 
les pour  ses  sujets,  au  bonheur  desquels  il 
pensait  volontiers,  enfin  profitable  aux  étran- 
gers parce  que  ses  captifs  récoltaient  là  par 
un  travail  facile  dans  les  lougans  impn 
les  grains  nécessaires  pour  exercer  la  charité 
d'une  manière  très  libérale. 

Grâce  à  cette  aisance,  le  Tunka  du  Goy, 
qui  était  un  homme  sage  quoiqu'il  fût  idolâ- 
tre, avait  une  réputation  méritée  de  bonté  et 
de  justice  qui  s'étendait  bien  au  delà  des  li- 
mites de  son  autorité. 

Cette  réputation  alla  jusqu'aux  oreilles 
d'un  célèbre  marabout  Mandingue  qui  avait 
nom  Malik-si  et  qui  avait  fait  dans  tout  le 
Fouta  Damga,  le  Gangaran  et  jusqu'à  Ségou 
même  des  conversions  admirables  à  l'isla- 
misme, rien  que  par  ses  saintes  paroles  et  sa 
grande  habileté  à  fabriquer  des  gris-gris  ex- 
cellents contre  tous  les  dangers  quels  qu'ils 
soient  qui  peuvent  assaillir  un  homme. 

On  parlait  notamment  d'un  talisman  qu'il 
avait  donné  à  un  pauvre  colporteur  Saraco- 


I78  CONTES  POPULAIKES 

lais  assez  charitable  pour  avoir  partagé  un 
peu  d'eau  avec  lui  un  jour  qu'ils  voyageaient 
ensemble  dans  les  plaines  arides  du  Kaarta. 

Ce  gri-gri  avait  une  puissance  si  merveil- 
leuse qu'il  lui  sauva  la  vie  d'une  manière 
éclatante  un  jour  qu'il  était  tombé  dans  un 
parti  de  Maures;  en  effet,  un  des  pillards 
voulant  tuer  le  malheureux  Saracolais  pour 
qu'il  ne  pût  se  plaindre  à  personne,  lui  asséna 
un  grand  coup  de  sabre,  mais  la  lame  ayant 
rencontré  le  talisman  se  rompit  en  deux  sans 
faire  la  moindre  entaille  à  la  peau  du  pro- 
tégé de  Malik-si. 

Quand  le  grand  marabout  Mandingue  avait 
pris  soin  de  laver  dans  l'eau  d'un  marigot  sa 
planche  d'écriture  sur  laquelle  il  avait  au 
préalable  inscrit  un  verset  du  Coran,  ses 
élèves  pouvaient  s'y  baigner  sans  crainte  des 
caïmans  et  des  hippopotames,  car  ces  ani- 
maux restaient  dévotement  dans  le  fond,  ou 
bien  les  regardaient  avec  respect  sans  rien 
tenter  contre  leur  existence. 

Bref,  dans  un  grand  nombre  d'occasions 
Malik-si  avait  donné  des  preuves  de  sa  puis- 
sance surnaturelle  de  manière  à  commander 
le  respect  pour  sa  personne  et  l'amour  pour 
sa  religion. 


DE  I.A  siNÉGAMDIK 

Malik-si  qui  vivait  pour  le  triomphe  de  lis- 
ïamisme  se  dit  :  il  est  juste  qu'un  homme 
aussi  sage  que  le  Tunka  du  Goy  ne  reste  pas 
Kefir  (idolâtre)  jusqu'à  la  mort;  il  faut  que 
ses  sujets  ne  végètent  pas  perpétuellement 
dans  les  obscurités  et  la  pratique  du  féti- 
chisme. 

Roi  et  sujets  méritent  de  devenir  musul- 
mans s'ils  sont  aussi  charitables  que  leur 
réputation  le  prétend.  Et  il  se  mit  en  route 
vers  Tuabo  ou  le  Tunka  était  établi  depuis 
quelques  semaines. 

Il  arriva  suivi  des  nombreux  jeunes  talibas 
qui  écoutaient  ses  leçons  avec  empressement, 
et  pour  savoir  tout  d'abord  à  quoi  s'en  tenir 
au  juste  sur  la  charité  du  Tunka,  il  leur 
commanda  d'aller  quêter  à  la  porte  de  la  case 
royale  les  uns  après  les  autres,  sans  avoir 
l\iir  de  se  connaître. 

Le  premier  avait  à  peine  entonné  le  chant 
de  Bissimillaï  Rahmat  Mai',  etc.,  etc.,  à  l'aide 
desquels  les  talibas  demandent  habituelle- 
ment leur  nourriture  et  celle  de  leur  maître 
quand  ils  sont  en  voyage,  qu'on  lui  donna 
une  calebasse  de  couscous  assez  grande  pour 
rassasier  quatre  Maures,  et  qu'on  remplit  la 
poche  de  son  boubou,  qui  cependant  était 

ii« 


l8o  CONTES  POPULAIRES 

grande  comme  celle  d'un  Toucoulor,  de 
pistaches  grillées. 

Il  fut  fait  successivement  de  même  à  l'é- 
gard de  tous  les  talibas  sans  que  les  derniers 
fussent  moins  bien  partagés;  aussi  la  pre- 
mière impression  de  Malik-si  fut-elle  très 
favorable. 

Voilà,  se  dit-il,  un  idolâtre  qui  pratique  la 
charité  d'une  manière  qui  ferait  rougir  bien 
des  croyants. 

Il  vint  demander  alors  l'hospitalité  au 
Tunka  qui  écouta  ses  prédications  avec  le 
respect  dû  à  la  parole  sacrée,  tandis  qu'il 
ordonnait  que  le  marabout  et  ses  élèves  fus- 
sent traités  avec  la  distinction  qu'ils  méri- 
taient. Ses  captives  préparaient  chaque  jour 
une  abondante  ration  de  couscous.  Les  vo- 
lailles, le  poisson,  la  viande  de  bœuf  et  de 
mouton  étaient  toujours  en  abondance  dans 
la  part  qu'elles  avaient  l'ordre  de  réserver 
aux  étrangers. 

Malik-si  fut  si  content  de  cette  bonne  ré- 
ception, il  fut  si  touché  de  la  bonté,  de  la 
justice  du  Tunka  qu'il  lui  dit,  un  jour  qu'il 
avait  longuement  causé  avec  lui  de  la  politi- 
que du  pays,  qu'il  était  disposé  à  lui  donner 
telle  grâce  spirituelle  qu'il  lui  demanderait, 


DE  LA   SÉNÉGAMBIE  |8l 

qu'il  userait  de  la  puissance  de  sainteté  qu'on 
Considérait  avec  juste  raison  comme  surna- 
turelle pour  satisfaire  le  vœu  qu'il  formu- 
lait. 

Le  bon  Tunka  avait  beaucoup  de  vertus 
et  de  qualités  comme  son  peuple,  mais  il 
n'avait  pas  le  courage  militaire  et  les  aptitu- 
des guerrières  de  plusieurs  de  ses  voisins 
Toucoulors,  Maures ,  Peuls  même.  Aussi 
depuis  son  enfance,  lui  comme  les  siens 
avait-il  souvent  tremblé  devant  des  exigeants 
coureurs  d'aventures,  avait-il  plié  sans  com- 
battre de  peur  d'être  vaincu  et  d'avoir  à  payer 
davantage  après  l'action,  sans  compter  les 
chances  de  mort  et  de  blessure  qu'il  aurait 
eues  à  redouter. 

Aussi  voyant  qu'il  pouvait  formuler  un 
vœu  avec  l'assurance  d'être  satisfait,  il  se  hâta 
de  demander  à  Malik-si  un  gri-griqui  le  ren- 
drait toujours  victorieux  dans  les  luttes  à 
main  armée  contre  ses  ennemis. 

Le  gri-gri  fut  fabriqué  aussitôt  en  cons- 
cience, et  octroyé.  Désormais  le  Tunka  étant 
rassuré  sur  l'issue  des  combats  qu'il  pouvait 
avoir  à  livrer,  se  considéra  comme  l'homme 
le  plus  heureux  du  monde. 
Malik-si  était  un  trop  malin  compère  pour 


l82  CONTES  POPULAIRES 

ne  pas  s'apercevoir  que  le  Tunka  se  considé- 
rait comme  son  grand  obligé  ;  aussi  résolut- 
il  de  tirer  un  très  bon  bénéfice  en  retour  de 
son  gri-gri.  C'est  pourquoi  peu  de  temps 
après  il  dit  à  son  ami  qu'il  serait  très  dési- 
reux de  posséder  en  toute  propriété  un  petit 
coin  de  terre  dans  ce  pays  plantureux  ou  le 
baobab  et  le  tamarinier  poussaient  avec  une 
vigueur  qui  lui  rappelait  son  pays  natal. 

Le  Tunka  tout  à  sa  reconnaissance  et  dé- 
sireux de  montrer  au  marabout  Mandingue 
qu'il  était  aussi  bienveillant  que  confiant,  lui 
dit  : 

«  Va  coucher  ce  soir  au  lieu  où  tu  désires 
élever  ton  habitation,  et  demain  matin  au 
lever  du  soleil,  dirige-toi  vers  mon  village, 
moi,  de  mon  côté,  je  me  dirigerai  vers  toi; 
et  le  point  où  nous  nous  rencontrerons  sera 
la  limite  de  tes  possessious.  » 

Ce  qui  fut  dit  fut  fait  ;  Malik-si  qui  avait 
exploré  le  terrain  avec  soin  depuis  longtemps 
ne  fut  pas  hésitant  a  choisir  son  emplace- 
ment et  le  lendemain  matin  aux  premières 
heures  du  jour  il  éjait  en  marche  de  son  pas 
le  plus  rapide. 

Le  Tunka,  au  contraire ,  se  leva  tard 
comme  de  coutume,  passa  une  partie  de  la 


DK   I.A   SÉNÉGAMBIK  l83 

matinée  à  faire  nonchalament  les  préparatifs 
de  sa  course,  il  voulut  même  déjeuner 

mettre  en  route.  Bref,  il  tarda  tant  que 
lorsqu'il  se  décida  à  partir  il  était  près  de 
midi. 

Il  avait  a  peine  fait  cinq  cents  pas  qu'il 
rencontra  Malik-si  qui  arrivait  en  courant 
et  en  faisant  des  enjambées  doubles  de  ce 
quelles  sont  habituellement. 

Grande  fut  la  surprise  du  Tunka  et  lors- 
que les  explications  eurent  été  données  il 
comprit  qu'il  avait  eu  grand  tort  de  laisser 
ainsi  imprudemment  Malik-si  faire  sa  part  à 
sa  guise.  Mais  il  avait  donné  sa  parole  et  il 
la  tint,  au  prix  même  de  la  perte  d'une  par- 
tie riche  et  étendue  de  ses  états. 

Malik-si  fit  du  pays  qui  lui  avait  été  oc- 
troyé par  le  Tunka  un  lieu  de  refuge  ;  aussi 
en  peu  de  temps  eût-il  un  peuple  nombreux 
formé  de  gens  de  tous  pays  se  trouvant  be- 
sogneux et  souvent  sans  aveu  ou  bieD  ayant 
commis  des  crimes. 

Les  Saracolais  eurent  maintes  fois  à  se 
plaindre  de  leurs  obligés  dont  le  roi  ne  leur 
Ht  jamais  la  guerre  parce  que  le  gri-gri  donné 
par  Malik-si  aurait  assuré  la  victoire  aux 
descendants  du  Tunka.  Mais  les  procédés  du 


184      CONTES  POPULAIRES  DE   LA  SÉNF.GAMBIE 

fondateur  de  l'état  continuèrent  à  être  em- 
ployés par  eux  et  ce  qu'ils  n'obtenaient  pas 
par  la  force  ils  savaient  l'extorquer  par  la 
ruse. 


•E*M*3£4>3  MM  WWW  Ê*i>5  Ws>5  C»H4H 


II 


LEGENDE  DU  SERPENT  DE  UlMBOL'K 


Il  y  a  de  longues  années,  le  Bambouk 
était  habité  seulement  par  des  Sara- 
colais.  Le  pays  produisait  en  abondance,  du 
mil  et  autres  plantes  alimentaires  qui  sont  en 
usage  chez  les  noirs. 

Le  gibier  était  facile  à  chasser,  les  trou- 
peaux prospéraient  et  donnaient  de  grands 
bénéfices  à  leurs  maîtres  ;  en  un  mot  tous  les 
biens  de  la  terre  se  trouvaient  à  profusion 
dans  la  contrée  dont  les  habitants  auraient 
pu  se  dire  spécialement  heureux,  si  par  une 
loi  dont  on  ne  pourrait  retrouver  l'origine 
ni  la  raison,  ils  n'avaient  été  obligés  toutes 
les  années  de  faire  un  sacrifice  humain  qui 
était  la  source  d'une  immense  douleur  pour 


J  86  CONTES  POPULAIRES 

la  famille  atteinte  et  qui  terrifiait  la  popu- 
lation entière. 

En  effet  on  savait  dans  tout  le  Bambouk 
que  la  prospe'rité  si  grande  dont  on  jouissait 
n'était  assurée  qu'à  la  condition  expresse  que 
toutes  les  années,  une  jeune  fille,  choisie  par 
le  sort  parmi  les  plus  jolies  et  les  plus  sages, 
serait  amenée  en  grande  pompe  à  un  endroit 
déterminé  près  d'un  marigot  ;  elle  devenait 
là,  la  proie  d'un  serpent  gigantesque  qui  s'en 
emparait  et  l'entraînait  au  fond  de  l'eau,  sans 
qu'on  la  revît  jamais. 

Mille  fois  les  Saracolais  Bamboukains 
avaient  essayé  de  se  soustraire  à  cet  horrible 
impôt;  ils  avaient  fait  offrir  de  l'or  en  quan- 
tité suffisante  pour  acheter  cent  captives;  du 
mil  et  des  bœufs  qui  auraient  pu  nourrir 
mille  guerriers. 

Le  monstre  avait  été  inexorable  ;  il  voulait 
une  seule  jeune  fille,  mais  il  fallait  qu'elle 
fût  choisie  dans  les  conditions  que  nous  ve- 
nons d'indiquer  et  qu'elle  fût  conduite  au 
sacrifice  en  présence  de  la  population  entière. 

Chaque  case  Bamboukaine  avait  désappris 
la  joie,  malgré  la  richesse  qu'elle  recelait; 
les  enfants  ne  faisaient  aucun  plaisir  à  leurs 
mères  ;  les  jeunes  gens  tremblaient  que  celle 


DE  I.A  SÉNÉGAMBIK  I  87 

qu'ils  aimaient  ne  leur  fut  ravie;  en  un  mot 
tout  le  monde  était  malheureux. 

Seuls,  un  jeune  homme  et  une  jeune  fille 
voisins  de  case,  s'étant  élevés  ensemble  et 
s'aimant  tendrement,  n'attendant  que  la  ré- 
colte prochaine  pour  se  marier,  n'avaient  pas 
ir  oppressé  par  la  crainte  du  serpent. 

Ils  vivaient  heureux,  trouvaient  toujours 
une  excuse  pour  se  rencontrer  dans  les 
champs,  et  chaque  soir  quand  ils  arrivaient 
au  rendez-vous,  la  jeune  fille  avait  un  mot 
doux  à  dire  à  son  fiancé,  le  jeune  Saracolais 
avait  quelque  pièce  magnifique  de  gibier  ou 
quelque  dépouille  de  bète  féroce  à  montrer 
comme  trophée  de  sa  hardiesse  ou  de  son 
habileté. 

Un  soir  Coumba,  c'était  le  nom  de  la  jeune 
fille,  arrive  en  pleurs  au  lieu  convenu  ;  le 
jeune  homme  qui  avait  été  spécialement  fa- 
vorisé par  le  sort  ce  jour-là,  allait  lui  faire 
admirer  les  produits  de  son  adresse  quand  il 
s'aperçoit  de  la  douleur  de  sa  bien-aimée  et 
il  la  presse  de  lui  en  dire  la  raison. 

Après  une  explosion  de  pleurs,  elle  lui  ap- 
prend la  terrible  nouvelle  ;  et  pendant  quel- 
ques instants  les  deux  pauvres  jeunes  amou- 
eux  furent  au  désespoir. 


I  88  CONTES  l'OPUI.AlKKS 

Mais  bientôt  le  chasseur  dit  à  la  jeune  fille 
de  rentrer  au  village  et  de  sécher  ses 
pleurs. 

—  «  Serais-tu  au  moment  de  mourir,  »  lui 
dit-il,  «  qu'il  ne  faudrait  pas  perdre  courage 
et  confiance  en  moi,  car,  sois  tranquille,  tu 
seras  ma  femme  et  non  la  proie  de  cet  hor- 
rible monstre  dix  fois  maudit.  » 

La  pauvre  enfant  rentra  en  sanglotant 
chez  ses  parents  qui  étaient  au  désespoir, 
comme  on  le  pense  bien. 

Quant  au  jeune  homme,  il  alla  prendre  ce 
qu'il  possédait  de  plus  précieux  dans  sa  case 
et  alla  voir  successivement  tous  les  Griots, 
tous  les  Marabouts,  tous  les  vieillards  in- 
fluents en  leur  disant  de  l'aider  à  faire 
agréer  au  serpent  une  autre  proie  que  sa 
Coumba  bien-aimée. 

La  crainte  de  déplaire  au  monstre  était 
telle,  que  chacun  le  repoussa  dès  le  premier 
mot;  aussi  le  soleil  se  levant  vit  tous  les  pré- 
paratifs de  l'horrible  fête  qui  se  faisaient 
avec  une  grande  solennité  chaque  année. 

La  population  entière  vint  se  ranger  à 
une  distance  respectueuse  de  l'endroit  où  le 
serpent  sortait  du  Marigot  et  la  pauvre 
Coumba  amenée  plus  morte    que    vive  au 


lih     LA    StNH.AMBlE 

pied  d'un  arbre  y  fut  attachée  comme  la 
coutume  le  voulait. 

Les  griots  faisaient  entendre  le  tamtam; 
les  femmes  poussaient  de  temps  en  temps 
des  cris  cadencés  comme  cela  se  fait  dans 
les  têtes  ;  les  habitants  de  tout  âge  et  de  tout 
sexe  attendaient  avec  une  douloureuse  an- 
goisse le  moment  du  sacrifice  annuel  qui 
semblait  devoir  être  prochain,  car  l'eau  du 
Marigot  bouillonnait  et  la  tète  du  serpent 
apparaissait  déjà  près  de  la  plage. 

L'horrible  monstre  sort  après  mille  hési- 
tations et  mille  feintes  qui  faisaient  trembler 
les  plus  énergiques;  ii  s'approche  de  Coumba 
et  la  considère  avec  une  satisfaction  à  peine 
contenue;  il  allait  la  saisir  quand  le  jeune 
amoureux  fend  la  foule  monté  sur  un  cheval 
fougueux  et  armé  d'un  sabre  dégaine. 

La  population  entière  poussa  un  cri  d'et- 
froi,  car  il  était  certain  qu'il  y  aurait  deux 
victimes  cette  année-là  et  comme  tout  le 
monde  était  persuadé  que  ce  serait  le  jeune 
homme,  chacun  se  dit  :  Le  serpent  voudra 
désormais  un  garçon  en  même  temps  que  la 
jeune  tille  qu'on  lui  offre  chaque  année  de- 
puis des  siècles. 

Mais  le  jeune  chasseur  ne   se  laisse  pas 


IQO      CONTES  POPULAIRES  DE   LA   SENEGAMB1E 

émouvoir  par  le  bruit  et  le  danger;  plus  ra- 
pide que  la  pense'e,  il  court  au  serpent  qui 
avait  déjà  saisi  la  jeune  fille  pour  l'emporter 
et  d'un  revers  de  son  arme  il  le  coupe  en 
deux. 

Prenant  aussitôt  Coumba  en  croupe  il  mit 
son  cheval  au  triple  galop  et  disparut  sans 
que  les  habitants  eussent  pu  le  rejoindre, 
car  il  était  à  craindre  que  pour  essayer  de 
faire  pardonner  le  meurtre  du  serpent  sou- 
verain du  pays,  les  anciens  ne  sacrifiassent 
ce  couple  amoureux. 

Dès  le  lendemain,  le  pays  fut  couvert  de 
peuplades  ennemies  qui  vinrent  mettre  à  feu 
et  à  sang  tous  les  villages  qui  faisaient  mine 
de  résister. 

Des  hommes  de  races  différentes  vinrent 
s'emparer  de  gré  ou  de  force  des  meilleures 
terres,  des  troupeaux  les  plus  gras  du  Bam- 
bouk.  Et  les  Saracolais  ne  formèrent  plus 
que  de  petits  villages  au  lieu  de  grandes 
agglomérations  ;  ils  vécurent  désormais 
comme  de  pauvres  paysans  sur  les  portions 
de  leur  pays  dédaignées  par  leurs  envahis- 
seurs. 


£<*>3-E<*>3  Ms>3  £<*>3  6<*>î  fr4>5  E<4>*  MM4<t>3«W  WW 


I  1  1 


NDE    DR    LA  CHEATION    DE    L  fcMPlKE 
DE   DJOLOF 


Au  temps  jadis,  le  Cayor,  le  Ouaio,  le 
Djiolof,  le  Baol,  le  Sine  et  le  Saloum 
formaient  une  sorte  de  république  sans  chef 
suprême,  et  dans  laquelle,  chaque  village 
éttH  absolument  indépendant  des  voisins.  Il 
y  avait  souvent,  on  le  comprend,  des  alterca- 
tions et  des  batailles  de  village  à  village,  de 
sorte  que  la  tranquillité  du  pays  était  per- 
pétuellement troublée. 

Un  jour  une  dispute  naquit  au  sujet  d'un 
tas  de  bois  recueilli  en  commun  par  des  ha- 
bitants de  plusieurs  villages  et  que  chacun 
convoitait  au  détriment  de  son  voisin. 

Quelques  conteurs   disent   qu'au  lieu  de 


I92  CONI ES  POPULAIRES 

bois  il  s'agissait  du  produit  de  la  pêche  qui 
se  faisait  dans  un  marigot  des  environs  de 
Saint-Louis  par  les  gens  des  villages  voisins. 

Quoi  qu'il  en  soit,  sous  le  prétexte  du  bois 
ou  du  poisson  ine'galement  partagé,  le  sang 
allait  couler  comme  cela  arrivait  tous  les 
jours,  quand  un  vieillard  vénérable  sortit 
tout  à  coup  des  eaux  d'un  marigot  voisin, 
et  sans  dire  mot  partagea  instantanément  la 
chose  en  lots  si  égaux  que  toute  dispute 
cessa.  Cette  apparition  mystérieuse  frappa 
tout  le  monde,  chacun  se  sentit  saisi  de  res- 
pect et  désira  obéir  désormais  à  cet  homme 
surnaturel.  Mais  le  vieillard  avait  déjà  dis- 
paru. 

Les  habitants  employèrent  alors  la  ruse 
pour  se  saisir  de  ce  chef  tant  désiré  et  le 
mettre  à  leur  tête.  Ils  simulèrent  une  autre 
querelle  pendant  laquelle  le  vieillard  se 
montra  de  nouveau  pour  apaiser  la  dispute 
par  un  partage  équitable,  et  il  tomba  ainsi 
entre  leurs  mains. 

Le  vieillard  ne  se  souciait  pas  de  l*hon- 
neur  qui  lui  était  réservé,  il  resta  même 
plusieurs  jours  sans  manger.  Les  habitants 
craignant  qu'il  ne  se  laissât  mourir,  entrepri- 
rent de  le  divertir. 


M    LA  SÉNEGAMBIE  Iq3 

Pour  cela  faire,  les  filles  et  les  femmes  de 
la  contrée  se  mirent  à  jouer,  à  danser,  à  fu- 
mer devant  lui  en  prenant  les  poses  les  plus 
lascives,  pensant  bien  que  le  vieux  Djiaian 
ou  Sam-Sam,  comme  on  l'appelle,  finirait 
par  en  distinguer  une  entre  toutes,  voudrait 
la  posséder  et  arriverait  une  fois  de  plus  à 
vérifier  le  proverbe  de  tous  les  temps  et  de 
tous  les  pays  :  —  ubi  amor,  ibi  patria. 

1  qui  avait  été  prévu  arriva.  —  Bay 
Sam-Sam  jeta  son  dévolu  sur  une  charmante 
jeune  fille  qui  fumait  et  qui,  voyant  qu'elle 
était  regardée  avec  persistance  par  lui,  lui 
offrit  la  pipe. 

Le  génie  commençait  à  s'humaniser;  en 
effet,  au  lieu  de  rester  indifférent  à  tout,  il 
avait  des  regards  bienveillants  pour  la  jeune 
fille;  bientôt  il  se  montra  sensible  à  l'odeur 
d'un  succulent  couscous  qui  cuisait  devant 
la  case,  le  nègre  reprenait  décidément  le 
dessus  chez  lui. 

Or  il  faut  savoir  qu'à  cette  époque  les  Eu- 
ropéens n'apportaient  pas  encores  ces  mar- 
mites de  fonte  munies  de  trois  pieds  qui 
servent  actuellement  à  la  cuisson  des  ali- 
ments, la  cuisine  se  faisait  dans  des  canaris 
en  terre  qu'on  plaçait  sur  des  boules  d'ar- 


194  CONTES  POPULAIRES 

gile,  et  par  une  étrange  coutume  on  n'em- 
ployait que  deux  boules;  de  sorte  que  le  ca- 
naris étant  en  état  d'équilibre  instable,  le 
dîner  était  exposé  à  de  fréquents  accidents; 
deux  fois  déjà  la  marmite  s'était  renversée, 
le  couscous  était  tombé  en  partie  dans  les 
cendres. 

Sam-Sam  était  menacé  de  se  passer  de 
dîner,  —  aussi  regardant  la  cuisinière  il  lui 
dit  :  boss  gnet  (boules,  trois). 

Ce  fut  un  trait  de  lumière,  désormais  les 
femmes  ouoloves  mirent  trois  boules  au  lieu 
de  deux,  sous  leur  marmite,  un  grand  pro- 
grès était  consacré. 

Ce  ne  fut  pas  le  seul;  Sam-Sam  était 
décidément  vaincu  par  la  belle  enfant  à  la 
pipe,  et  par  l'excellent  couscous  non  ren- 
versé ;  il  épousa  les  deux  négresses  auxquelles 
il  avait  eu  affaire  ainsi,  et  il  régna  pendant 
un  grand  nombre  d'années,  sous  le  nom  de 
Bay  Sam-Sam  :  —  père  Sam-Sam. 

Son  fils  Mam  Pâté  lui  succéda,  étendit 
son  pouvoir  de  plus  en  plus,  soutint  des 
guerres  heureuses  contre  les  Maures  et  ses 
descendants  finirent  par  avoir  une  autorité 
extrêmement  étendue.  Ils  avaient  constitué 
le  grand  empire  en  une  série  de  petits  États 


M    1  A      i  SÉCAUBII  195 

comme  le  Cayor,  le  Sine,  le  Oualo,  etc.,  etc., 
commandés  chacun  par  un  chef. 

Un  descendant  de  Bay  Sam-Sam  oublia 
les  saines  traditions  qui  avaient  valu  à  ses 
ancêtres  le  titre  de  Bour-Ba-Djiolof  (empe- 
reur du  Djiolof  ;  il  e'tait  altier,  cruel 
etc.,  il  lit  appeler  un  jour  le  chef  du  Cayor 
auprès  de  lui  et  lui  rit  subir  plusieurs  ava- 
nies qui  exaspérèrent  les  chefs  secondaires 
du  pays  et  provoquèrent  une  révolte. 

Amadi-N'goné,  le  même  qui  avait  passé 
•huit  jours  exposé  au  soleil  et  au  serein  de 
la  nuit  pour  attendre  le  bon  plaisir  de 
Bour-Ba-Djiolof,  se  rendit  indépendant  d'a- 
bord et  prit  le  nom  de  Damel,  puis  les 
autres  se  délivrèrert  peu  à  peu  de  leur  vas- 
selage,  et  l'empire  du  Djiolof  fut  ainsi  dé- 
membré. 

Si  nous  comparons  cette  légende  avec  bien 
d'autres,  si  nous  songeons  surtout  à  ce  qui 
se  passe  dans  la  pratique,  cher  les  noirs, 
nous  y  voyons  le  récit  imagé  d'une  série 
d'événements  habituels  en  Sénégambie,  où 
le  pouvoir  naît,  s'éteint  et  se  perd  toujours 
pour  la  même  raison,  et  d'une  manière  sem- 
blable. 

Le  vieux  Sarq-Sam,  que  la  légende  fait 


196      CONTES  POPULAIRES   DE  LA  SÉNÉGAMUIE 

sortir  miraculeusement  du  marigot,  était  un 
ambitieux  qui,  comme  tant  d'autres,  eut  le 
désir  de  régner  sur  ses  semblables;  pour  cela 
il  s'attacha  à  avoir  une  réputation  de  sainteté, 
d'équité,  de  sagesse,  qui  finit  par  lui  con- 
quérir l'affection  d'un  certain  nombre  de 
petits  villages  qui  se  placèrent  spontanément 
sous  sa  direction  morale  d'abord,  puis  effec- 
tive, militaire,  politique,  etc.,  etc. 

Son  fils  qui  n'était  pas  encore  un  grand 
chef  chercha  à  s'étendre,  se  fortifier.  Puis, 
dans  les  générations  futures  l'orgueil  méla- 
nien,  les  habitudes  d'intempérance  que  le 
nègre  prend  si  volontiers,  et  le  désir  d'en 
imposer  à  ses  subordonnés,  firent  qu'un  roi 
prit  plaisir  à  humilier  les  chefs  secondaires 
qui,  de  leur  côté,  manœuvraient,  complo- 
taient pour  se  rendre  indépendants,  dans  le 
but  d'opprimer  à  leur  tour  les  faibles  et 
d'avoir  assez  de  richesses  pour  assouvir  leurs 
nombreux  et  méchants  besoins.  C'est  tou- 
jours la  même  chose  en  Sénégambie. 


<§fè> 


v 


IV 


1  l    . .  lYALIKK  QUI  SOIGNAIT  MAL  SON  CHEVAL 


IL  y  avait  dans  le  Fouta  Damga  un  homme 
qui  avait  un  excellent  cheval.  Avec 
ce  cheval  il  dépassait  tous  les  autres  cavaliers 
à  la  course;  il  pouvait  voyager  de  nuit 
comme  de  jour  sans  jamais  craindre  que  son 
cheval  ne  tombât,  ne  se  blessât  ou  même, 
tût  le  moins  du  monde  fatigué. 

Mais  cet  homme  était  insouciant  de  sa 
bête;  jamais  il  ne  s'occupait  d'elle,  jamais  il 
ne  lui  donnait  une  bonne  ration  de  mil.  où 
M  la  baignait.  Quand  il  avait  besoin  de 
monter  à  cheval  il  se  contentait  de  mettre 
selle  et  bride  en  place,  quand  il  avait  fini  sa 
course  il  laissait  ie  pauvre  animal  chercher 
sa  nourriture  comme  il  pouvait. 


198  CONTES  POPULAIRES 

Or,  un  jour,  la  guerre  se  déclara  ;  notre 
cavalier  partit  avec  les  guerriers  de  son  vil- 
lage contre  une  peuplade  ennemie  et  voilà 
que  les  combattants  se  rencontrent.  Les 
hommes  du  Fouta-Damga  étaient  les  plus 
faibles;  ils  s'étaient  laissé  aller  à  entrer  en 
hostilités  contre  des  gens  beaucoup  plus 
nombreux  et  bien  mieux  armés  ;  de  sorte 
qu'après  le  premier  choc  ce  fut  une  grande 
déroute,  chacun  dut  chercher  son  salut  dans 
la  fuite. 

Notre  cavalier  essaya  de  se  sauver  comme 
les  autres.  Le  voilà  éperonnant  son  cheval 
avec  ardeur,  mais  la  bête  ne  courait  guère 
vite,  et  bientôt  il  fut  entouré  par  les  ennemis 
qui  poursuivaient  les  fuyards. 

On  le  jeta  par  terre,  on  fut  sur  le  point  de 
le  tuer  même;  mais,  en  fin  de  compte,  on  le 
fit  prisonnier  et  on  le  vendit  comme  captif. 

Or,  par  un  hasard  très  grand,  voilà  que 
celui  qui  l'avait  acheté  avait  aussi  acheté  son 
cheval,  frappé  qu'il  avait  été  des  formes 
vigoureuses  et  délicates  de  la  bête.  Et  ce 
maître  chargea  notre  homme  de  soigner  le 
cheval. 

Ce  maître  était  aussi  dur  pour  ses  captifs 
qu'il  était  plein  d'attention  pour  ses  bêtes,  de 


DE  LA  SÉSÉGAMBIK  !•)•) 

sorte  qu'il  veilla  de  très  près  à  ce  que  le  che- 
val fut  soigné  autrement  qu'il  ne  l'avait  été 
jusque  là.  Notre  palefrenier  de  fraîche 
date  est  obligé  de  faire  comme  domestique 
ce  qu'il  avait  négligé  d'accomplir  quand 
il  était  libre,  sous  peine  d'être  roué  de 
coups. 

Je  laisse  à  penser  les  tristes  réflexions  qu'il 
faisait  ;  mais  toujours  est-il  qu'il  ht  contre 
mauvaise  fortune  bon  cœur,  et  qu'il  se  mit 
à  soigner  le  cheval  d'une  manière  extrême- 
ment attentionnée. 

11  vannait  son  grain  avant  de  le  mettre 
dans  la  mangeoire,  de  manière  à  ce  qu'il  n'y 
eut  ni  poussière  ni  mauvaises  choses  avec  lui. 
Il  choisissait  le  fourrage  avec  une  attention 
minutieuse,  il  changeait  la  litière  chaque 
jour,  étrillait,  baignait,  faisait  boire  le  che- 
val avec  une  exactitude  admirable. 

Le  cheval  était  si  bon  qu'il  se  prit  de 
reconnaissance  pour  son  ancien  maître,  et 
un  jour,  pendant  qu'il  le  pansait,  il  lui  dit  à 
brûle  pourpoint  :  •  Veux-tu  être  libre? 

»  Oui,  répondit  le  captif  stupéfait,  mais 
comment  le  deviendrai-je? 

«  Monte  sur  mon  dos  et  ne  crains  rien, 
ajouta  le  cheval,  tu  vas  voir.  • 


200      CONTES  POPULAIRES  DE  LA  SENEGAMBIE 

Ce  qui  est  dit  est  fait;  le  cheval  part  au 
triple  galop,  et,  quoique  poursuivi  par  une 
nuée  de  cavaliers,  il  arriva  bientôt  au  delà  de 
la  frontière  ;  son  maître  fut  ainsi  rendu  à  la 
liberté. 

Il  retrouva  sa  case,  ses  femmes  et  ses  ri- 
chesses; et  au  moment  où  il  mit  pied  à  terre, 
son  cheval,  lui  dit,  «  maître,  que  ceci  te 
serve  de  leçon,  si  tu  m'avais  bien  soigné  dans 
le  principe,  jamais  tu  n'aurais  été  pi  isonnier. 
Et  si  tu  m'avais  aussi  mal  soigné  quand  tu 
étais  en  captivité  que  quand  tu  étais  libre, 
jamais  tu  n'aurais  pu  échapper  à  l'esclavage. 


S 


Cl 


LK  TRAFIC  A   LA   MUKTTK  ENTRE  GENS 
QUI  NE  SE   VOIENT  PAS 


Valkenakr,  dans  sa  Collection  de  voyages, 
(tome  ItM,  p.  S09  ,  nous  apprend  que 
Ça-da-Mosto,  noble  Vénitien  qui  naviguait, 
on  le  sait,  en  1455,  pour  le  compte  du  Por- 
tugal, sur  la  côte  occidentale  d'Afrique,  et 
qui  est  considéré  par  quelques  auteurs  comme 
le  premier  Européen  qui  a  découvert  le  Sé- 
négal, avait  entendu  raconter  la  fable  du 
trafic  à  la  muette,  qui  a  été  inventée  par 
quelque  ignorant  doué  d'une  grande  imagi- 
nation, pour  expliquer  l'empressement  des 
traitants  à  venir  chaque  année  dans  certains 


202  CONTES  POPULAIKES 

endroits   déterminés   pour  y  faire  le  com- 
merce. 

»  Ça-da-Mosto,  ayant  demandé  aux  nègres 
quel  usage  les  marchands  de  Melli  font  du 
sel  ;  ils  répondirent  qu'il  s'en  consommait 
d'abord  une  petite  quantité  dans  le  pays,  se- 
cours si  nécessaire  à  des  peuples  situés  près 
de  la  ligne,  où  les  jours  et  les  nuits  sont  d'une 
égale  longueur,  que  sans  un  tel  préservatif 
contre  l'effet  de  la  chaleur  leur  sang  se 
corrompt  bientôt.  Ils  emploient  peu  d'art  à 
le  préparer.  Chaque  jour  ils  en  prennent  un 
morceau  qu'ils  font  dissoudre  dans  un  vase 
d'eau  ;  et  l'avalant  avec  avidité,  ils  croient  lui 
être  redevables  de  leur  santé  et  de  leurs  for- 
ces. Le  reste  du  sel  est  porté  à  Melli  en 
grosses  pièces,  deux  desquelles  suffisent  pour 
la  charge  d'un  chameau.  Là,  les  habitants  du 
pays  le  brisent  en  d'autres  pièces  dont  le 
poids  ne  dépasse  pas  les  forces  d'un  homme. 
On  assemble  quantité  de  gens  robustes  qui 
le  chargent  sur  leur  tête  et  qui  portent  à  la 
main  une  longue  fourche,  sur  laquelle  ils 
s'appuient  lorsqu'ils  sont  fatigués.  Dans  cet 
état,  ils  se  rendent  sur  le  bord  d'une  grande 
eau  sans  que  l'auteur  ait  pu  savoir  si  c'est 
la  mer   ou   quelque    fleuve,  mais  il  penche 


DE  LA  SÉNÉGAMBIK  »o3 

à   croire   que   c'est  de   l'eau   douce,   parce 
que  dans  un  climat  si  chaud  il  ne  sertit  pas 
aire    d'y    porter   du   sel    si  c'était   la 
mer. 

•  Lorsqu'ils  sont  arrivés  au  bord  de  l'eau, 
les  maitres  du  sel  font  (MchMgtf  la  mar- 
chandise Bt  placent  chaque  morceau  sur  une 
même  ligM,  en  y  mettant  leur  marque.  En- 
suite la  caravane  se  retire  à  la  distance  d'une 
demi-journée.  Alors  d'autres  nègres,  avec 
lesquels  ceux  de  Melli  sont  en  commerce, 
mais  qui  ne  veulent  pas  être  vus  et  qui  sont 
apparemment  les  habitants  de  quelques  îles, 
s'approchent  du  rivage  dans  de  grandes 
barques,  examinent  le  sel,  mettent  une 
somme  d'or  sur  chaque  morceau,  et  se  reti- 
rent avec  autant  de  discrétion  qu'ils  sont  ve- 
nus. Les  marchands  de  Melli  retournent 
au  bord  de  l'eau,  considèrent  si  l'or  qu'on  a 
laissé  leur  paraît  un  prix  suffisant,  s'ils  en 
sont  satisfaits  ils  le  prennent  et  laissent  leur 
sel,  s'ils  trouvent  la  somme  trop  petite,  ils  se 
retirent  encore  en  laissant  l'or  et  le  sel,  et 
ses  autres,  revenant  à  leur  tour,  mettent 
plus  d'or  ou  laissent  absolument  le  sel.  Leur 
commerce  se  fait  ainsi  sans  se  parler  et  sans 
se  voir;  usa^e  ancien  qu'aucune  infidélité  ne 


U04  CONTES  POPULAIRES 

leur  donne  jamais  occasion  de  changer. 
Quoique  l'auteur  trouve  peu  de  vraisem- 
blance dans  ce  récit,  il  assure  qu'il  le  tient  de 
plusieurs  Arabes,  des  marchands  Azanaghis 
et  de  quantité  d'autres  personnes  dont  il 
vante  le  témoignage. 

<-  Il  demanda  aux  mêmes  marchands  pour- 
quoi l'empereur  de  Melli,  quiestun  souverain 
si  puissant,  n'avait  point  entrepris  par  force 
ou  par  adresse  de  découvrir  la  nation  qui  ne 
veut  ni  parler  ni  se  laisser  voir.  Ils  racontè- 
rent que  peu  d'années  auparavant,  ce  prince 
ayant  résolu  d'enlever  quelques-uns  de  ces 
négociants  invisibles,  avait  fait  assembler  son 
conseil,  dans  lequel  on  avait  résolu  qu'à  la 
première  caravane  quelques  nègres  de  Melli 
creuseraient  des  puits  au  long  de  la  rivière 
près  de  l'endroit  où  l'on  plaçait  le  sel,  et  que 
s'y  cachant  jusqu'à  l'arrivée  des  étrangers,  ils 
en  sortiraient  tout  d'un  coup  pour  faire 
quelques  prisonniers.  Ce  projet  avait  été 
exécuté.  On  en  avait  pris  quatre,  et  tous  les 
autres  s'étaient  échappés  par  la  fuite.  Comme 
un  seul  avait  paru  suffire  pour  satisfaire 
l'empereur,  on  en  avait  renvoyé  trois  en  les 
assurant  que  le  quatrième  ne  serait  pas  plus 
maltraité.  Mais  l'entreprise  n'eut  pas  plus  de 


succès.  Le  prisonnier  refusa  de  parler.  En 
vain,  linterrogea-t-on  dans  plusieurs  lan- 
gues, il  garda  le  silence  avec  tant  d'obstina- 
tion, que  rejetant  d'un  autre  côté  toute  sorte 
de  nourriture,  il  mourut  dans  l'espace  de 
quatre  jours.  Cet  événement  a  fait  croire 
aux  nègres  de  Melli  que  leurs  négociants 
étrangers  sont  muets.  Quelques-uns  néan- 
moins pensant,  avec  plus  de  raison,  que  le 
prisonnier,  étant  revêtu  de  la  forme  hu- 
maine, ne  pouvait  pas  être  privé  de  l'usage 
de  la  parole,  mais  que  dans  d'indignation  de 
se  voir  trahi  il  avait  pris  la  résolution  de  se 
taire  jusqu'à  la  mort.  Ceux  qui  l'avaient  en- 
lapportérent  à  leur  empereur  qu'il 
était  fort  noir,  de  belle  taille  et  plus  haut 
qu'eux  d'un  demi  pied,  que  la  lèvre  infé- 
rieure était  plus  épaisse  que  le  poing  et  pen- 
dante jusqu'au  dessous  du  menton;  qu'elle 
était  fort  rouge  et  qu'il  en  tombait  même 
quelques  gouttes  de  sang,  mais  que  sa  lè- 
vre supérieure  était  de  grandeur  ordinaire, 
qu'on  voyait  entre  les  deux  ses  dents  et  ses 
gencives,  et  qu'aux  deux  coins  de  la  bouche  il 
avait  quelques  dents  d'une  grandeur  extraor- 
dinaire. Que  ses  yeux  étaient  noirs  et  fort  ou- 


20Ô  CONTES  POPULAIRES 

verts.  Enfin  que  toute  sa  figure  e'tait  terri- 
ble. 

«  Cet  accident  fit  perdre  la  pensée  de  renou- 
veler la  même  entreprise,  d'autant  plus  que 
les  étrangers  irrités  apparemment  de  l'insulte 
qu'ils  avaient  reçue,  laissèrent  passer  trois  ans 
sans  reparaître  au  bord  de  l'eau.  On  était 
persuadé,  à  Melli,  que  leurs  grosses  lèvres 
s'étaient  corrompues  par  l'excès  de  la  chaleur 
et  que  n'ayant  pu  supporter  plus  longtemps 
la  privation  du  sel  qui  est  leur  unique  re- 
mède ;  ils  avaient  été  forcés  de  recommencer 
leur  commerce.  La  nécessité  du  sel  en  est 
établie  mieux  que  jamais  dans  l'opinion  des 
nègres  de  Melli,  ce  qui  est  assez  indifférent  à 
l'empereur,  pourvu  qu'il  en  tire  beaucoup 
d'or.  C'est  tout  ce  que  l'auteur  (Ça-da-Mosto) 
a  pu  se  procurer  de  lumière  sur  des  faits  si 
difficiles  à  vérifier.  Mais  en  les  reconnaissant 
fort  étranges,  il  ajoute  qu'on  ne  doit  pas  les 
traiter  de  fabuleux  après  les  divers  témoigna- 
ges sur  lesquels  ils  sont  appuyés,  et  lui- 
même  dit  qu'il  a  vu  dans  le  monde  et 
entendu  tant  de  choses  merveilleuses  qu'il 
ne  fait  pas  difficulté  de  les  croire.  » 

Ça-da-Mosto  n'est  pas  le  premier  qui  ait 


M    I  mB;E 

entendu  raconter  cette  (able  du  trafic  m 

pli  sans  que  les  habitants  se  voient  el  d«bal- 
tent  [le  prix  des  inaidiandises.  car  <. . 
d.  |  i  citée  par  Hérodote,  livre  IV  (Mclpo- 
mene,  cv»:vi,  édition  de  M  lot-Fii  min-Didot, 
t.  1,  r»  ^  i  >  q 1 1 i  dit  que  les  Carthaginois 
imploraient  ce  moyen  quand  ils  allaient  ua- 

tiquer  sur  la  .oie  (X  cidentale  d'Alrique.  «  Ces 
mêmes  Carthaginois  affirment  qu'au  delà  du 
territoire  de  la  l.ybie  et  en  dehors  des  colojV 
nes  d'Hercule  il  existe  des  pays    habit 
ajoutent  qu'ils  y  abordent  avec  de*  raû 
de  commerça   et  que,  lorsqu'ils  sont  a 
ils  déposent  sur  le   rivage   leurs   marchandi- 
ses; ils  remontent  ensuite  dans  leurs  a 
et  l'ont   paraître  de  la  famée.  Les   habitants 
du  pays,  avertis  par  ce  lignai, accourent  \ers 
la  mer,  placent  à  côte   des   marchandises  la 
quantité  d'or  qu'ils  offrent   en  echang. 
retirent   dans  l'intérieur.    Les   Carthaginois 
reviennent  et  si  l'or  qui  leur  est  offert  leur 
parait  payer  la  valeur  de  la  marchandise,  ils 
la  laissent  et  emportent  l'or.  Si  le  prix  ne  leur 
paraît    pas  convenable,    ils   remontent    dans 
leurs  vaisseaux    et   attendent  tranquillement 
de  nouvelles  offres.  Les  naturels  du  pays  re- 
viennent et  ajoutent    une  certaine   quantité 

i3 


208  CON1ES   POl'Ul.AlHES 

d'or  jusqu'à  ce  que  l'on  soit  satisfait  de  part 
et  d'autre.  Dans  tous  les  cas,  on  ne  se  fait 
aucun  tort  réciproque;  les  uns  ne  touchent 
point  à  l'or  tant  que  la  quantité  offerte  n'est 
point  estimée  égale  à  la  valeur  de  la  mar- 
chandise, et  les  autres  ne  touchent  point 
aux  marchandises  tant  que  leur  or  n'a  point 
été  enlevé.  » 

On  voit  que  cette  absurde  fable  du  trafic  à 
la  muette,  entre  gens  qui  ne  se  voient  pas, 
ne  date  pas  d'hier,  puisqu'elle  était  racontée 
déjà  quatre  cents  ans  avant  notre  ère.  Elle 
s'est  transmise  ainsi  pendant  quarante-cinq 
siècles  de  bouche  en  bouche  en  Sénégambie, 
car  Jobson  l'a  entendue  sur  les  rives  de  la 
Gambie  en  1620.  Mouette,  en  1671,  l'a  re- 
cueillie sur  les  côtes  du  Maroc,  et  moi-même 
je  l'ai  retrouvée  le  long  du  Sénégal  en  i852 
et  en  1872. 

Il  est  vrai  que  de  notre  temps,  tantôt  le 
conteur  dit  que  c'est  dans  l'intérieur  de  l'A- 
frique que  les  choses  se  passent,  et  alors  ce 
sont  les  Bambaras  ou  les  Mandingues  qui 
vont  au  pays  de  ces  êtres  surnaturels,  tan- 
tôt, au  contraire,  c'est  sur  le  compte  des 
Européens  que  la  fable  est  mise;  et  le  nar- 
rateur ajoute  alors  le  détail  suivant  qui   est 


DE   I  A  SÉNÉGAMBIK  IÔÇ 

aussi  fantastique  que  l'histoire  elle-même  : 
«  Les  Européens  cherchent  avec  une 
grande  ardeur  à  acheter  des  arachides  et  au- 
tres graines  oléagineuses  ou  de  l'huile  de 
palme  même,  dit-il,  parce  que  l'huile  leur 
est  d'un  grand  secours  pour  la  conservation 
de  leur  existence  lors  de  leur  voyage  de  re- 
tour. En  effet,  pendant  qu'ils  reviennent  du 
Sénégal  vers  l'Europe  sur  leurs  navires,  ils 
sont  assaillis  par  des  troupeaux  de  monstres 
marins  qui  les  manderaient  tous  sans  pitié 
si  par  un  subterfuge  adroit  l'équipage  ne  sa- 
vait pas  échapper  h  leurs  attaques. 

Voici  le  subterfuge  :  au  moment  où  le  na- 
vire est  serré  de  trop  près,  on  jette  à  la  mer 
une  certaine  quantité  d'huile  dont  les  mons- 
tres sont  très  friands  Or  pendant  que  ces 
monstres  s'attardent  à  boire  cette  huile  jus- 
qu'à la  dernière  goutte,  le  navire  fait  force 
de  voiles  et  parvient  ainsi  à  se  sauver  de  l'im- 
mense danger  qu'il  courrait  s'il  ne  savait  dé- 
tourner par  la  ruse  les  attaques  d'un  en- 
nemi qu'il  ne  peut  repousser  par  la  force. 

1  e  lecteur  trouvera  comme  moi  que  l'ex- 
plication nègre  de  notre  commerce  de  grai- 
nes oléagineuses  avec  la  côte  occidentale 
d'Afrique  est  très   remarquable,  car  on  sait 


2  10      CONTES  POPULAIRES   DE    I.A   SENEGAMBIK 

qu'Aristote  racontait  déjà  dans  l'antiquité 
que  les  matelots  ont  un  moyen  assuré  de 
calmer  les  vagues  agitées  de  la  mer  en  jetant 
par  dessus  le  bord  des  tonneaux  d'huile. 

Or  n'est-ce  pas  le  vestige  de  cette  croyance 
qui,  se  mêlant  à  la  notion  des  vents  alises,  qui 
contrarientle  retour  des  naviresversl'Europe 
et  se  mêlant  ainsi  aux  péripéties  de  la  pèche 
à  la  baleine,  etc.,  toutes  ces  choses  racontées 
par  les  Européens  aux  nègres  sénégalais  ont 
été  défigurées  par  ces  intelligencesenfantines. 

C'est  qu'en  effet  les  nègres  sont  le  plus 
souvent  incapables  de  croire  à  autre  chose 
qu'aux  légendes  dans  lesquelles  le  surnaturel 
précise  les  faits  de  la  vie  ordinaire,  et  quand 
on  leur  raconte  quelque  chose,  leur  imagi- 
nation donne  volontiers  aux  événements  les 
plus  simples  une  tournure  fantastique  qui 
est  bien  faite  pour  exciter  le  sourire  des 
gens  sensés,  tandis  qu'elle  est  accueillie 
comme  argent  comptant  par  la  multitude 
mélanienne. 


<*SS» 


\  I 


KOLI-  SATICNY 


Dans  les  lempi  (\isscs,  les  Torodos  habi- 
taient dans  la  Fouladougou  qui  est,  on 
le  sait,  placé  dans  le  haut  pays  de  la  S 
gambie  entre  les  derniers  contre-forts  du 
Fouta-Djalun.  les  rives  du  Batïng  et  celles 
du  Niger. 

Dam  M  payti  la  terre  est  maigre,  les  hi- 
vernages sont  capricieux,  de  telle  sorte  que 
tantôt  l'année  entière  s'écoule  sans  pluie 
suffisante,  tantôt  il  y  en  a  trop.  11  arrive 
souvent  que  les  graines  mises  en  terre  ne 
lèvent  pas  a  cause  de  la  sécheresse,  tandis 
que  d'autrefois  une  tornade  projette  inopi- 
nément une  énorme  quantité  d'eau  sur  le 
sol  en  quelques  heures  et  noie  les  semences 


212  CONTES   l'Ol'Ul. AIRES 

ou   bien  les  entraîne  par  le  ravinement  de 
la  terre  labourée. 

L'Armathan  de  son  côté  souffle  parfois 
d'une  manière  prématurée,  d'autrefois  il  est 
persistant  au  point  de  rôtir  toutes  les  her- 
bes, de  dessécher  tous  les  marigots  et  de  faire 
tarir  les  sources;  de  sorte  que  les  bestiaux 
manquant  de  nourriture  ou  de  boisson  sont 
sujets  à  des  maladies  plus  souvent  que  dans 
les  autres  contrées. 

Le  pays  qu'habitaient  les  Torodos  était 
donc  bien  inférieur  à  beaucoup  d'autres; 
mais  néanmoins  les  habitants  quoique  souf- 
frant souvent,  car  aux  moments  même  où 
ils  étaient  le  plus  favorisés  ils  se  trouvaient 
relativement  dans  une  condition  précaire, 
ne  songeaient  pas  à  le  quitter. 

Ils  vivaient  donc  au  jour  le  jour  plus  sou- 
vent malheureux  qu'à  l'aise,  et  ils  n'avaient 
ni  richesse,  ni  puissance,  ni  même  grande 
considération  vis  à  vis  de  leurs  voisins.  C'est 
qu'en  effet  ne  possédant  pas  des  provisions 
de  graines  ou  de  nombreux  troupeaux  de 
bestiaux  pour  changer  leur  avoir  contre  des 
armes  et  de  la  poudre  ils  avaient  toujours  le 
dessous  quand  il  fallait  combattre  les  enne- 
mis. 


l'K     I    *    M  NF.GAUBIE  2  l3 

Ces  habitants  du  Foulahdougou  étaient,  il 
faut  le  dire,  idolàtie*  >•  cette  e'poque.  Or  on 
sait  que,  dans  cette  situation  morale,  ils  ne 
pouvaient  compter  ni  sur  la  force,  ni  sur  le 
dévouement  des  particuliers,  ni  surtout  sur 
la  protection  divine,  Dieu  ne  favorise  pas  les 
kjfers  (infidèles*  tandis,  au  contraire,  qu'il 
Ml  plein  de  bontés  pour  les  gens  religieux.. 
Tout  le  monde  sait  cela. 

M  us  il  faut  dire  à  la  louange  de  ces  hom- 
me-, que  peu  à  peu  la  religion  du  prophète 
s'introduisit  dans  le  pays,  et  chassa  devant 
elle  les  erreurs  de  l'idolâtrie.  D'abord  cette 
religion  fut  prèchee  par  quelques  saints 
pèlerins  isolés  et  souvent  combattus;  puis 
peu  à  peu  les  marabouts  trouvèrent  moins 
istance  et  moins  d'incrédulité.  Enfin 
il  arriva  un  jour  que  l'islamisme  fut  la  reli- 
gion générale  de  toute  la  population  ;  reli- 
gion observée  même  avec  le  soin  scrupu- 
leux qui  est  agréable  à  Dieu. 

Les  choses  étaient  à  ce  point  lorsqu'une 
série  de  mauvaises  années  commença  pour 
l'agriculture  et  les  troupeaux.  Bientôt  toutes 
les  provisions  furent  épuisées,  la  plupart  des 
bètes  tombèrent  malades  et  moururent,  bref 
une  immense  misère  et  une  cruelle  famine 
pesèrent  sur  le  pavs 


214  CON  I  ES  rOl'Ul.A'KKS 

Les  enfants  à  leur  tour  se  mirent  à  mou- 
rir de  maladie;  les  femmes  et  les  vieillards 
succombaient  faute  de  nourriture  ;  on  pou- 
vait prévoir  le  moment  où  la  population 
entière  disparaîtrait  du  sol,  quand  un  chet 
plein  de  sainteté  et  de  savoir,  protégé  visi- 
blement par  Dieu,  se  révéla  pour  le  bon- 
heur de  ses  compatriotes.  C'était  Koli  Sa- 
tigny. 

Koli  Satigny  était  un  fervent  religieux  ;  il 
avait  appris  dans  les  prières  des  formules 
pleines  de  puissance.  Sa  piété  lui  avait  valu 
des  connaissances  qui  manquent  à  la  plu- 
part des  autres  hommes. 

Grâce  à  la  protection  divine  qu'il  avait 
méritée  il  prévoyait  l'avenir  comme  les  au- 
tres voient  le  présent.  Il  savait  où  étaient  les 
choses  cachées  et  il  possédait  un  talisman 
qui  non-seulement  le  rendait  invulnérable, 
mais  encore  lui  permettait  de  franchir  les 
distances  sans  qu'on  le  vit  changer  de  place. 

Ce  précieux  talisman  lui  faisait  distinguer 
le  bon  du  mauvais.  Et  plus  encore,  le  déro- 
bait à  la  vue  des  gens  qui  lui  voulaient  du 
mal,  de  sorte  que  lorsqu'il  était  en  danger, 
entouré  d'ennemis  il  leur  devenait  invisible 
et  par  conséquent  pouvait  leur  nuire  et  dé- 
jouer leurs  efforts  sans   avoir  aucune  mau- 


DE    I.A   SFNKCAMBIE  n5 

vaise  chance  à  redouter  de  leur  animadver- 
sion. 

Koli  Satigny  ému  des  souffrances  de  ses 
compatriotes,  et  voyant  que  leur  pieté  tl 
leur  ferveur  religieuse  méritaient  cependant 
un  sort  meilleur,  releva  le  courage  public 
qui  l'affaiblissait. 

Il  prêcha  d'abord  la  patience,  demanda  à 
chacun  de  redoubler  de  prières;  et  enfin  un 
jour  comme  les  choses  n'allaient  pas  mieux 
il  leur  dit  :  •  L'heure  est  venue  de  ne  plus 
être  malheureux.  Dieu  vous  commande  par 
ma  voix  de  quitter  ces  contrées  qui  doivent 
rester  désolées  et  Stérilet.  Je  suis  charge  par 
lui  de  vous  conduire  dans  des  régions  plus 
fortunées.  » 

Aussitôt  chacun  se  mit  en  mesure  d'obéir 
à  cette  injonction;  les  mesures  de  départ  fu- 
rent prise  et  bientôt  chacun  fut  prêt  pour 
l'émigration.  Ce  fut  une  émigration 
raie,  à  laquelle  on  se  décida  d'autant  plus 
facilement  que  le  pays  qu'on  allait  quitter 
était  triste,  stérile  et  ruiné  de  fond  en  com- 
ble. 

On  se  mit  en  loute  péniblement,  car  on 
avait  des  chemins  très  difficiles  et  des  con- 
trées  absolument    arides  à  traverser;   mais 

i3- 


2i6  contes  rorui. AIRES 

Koli  Satigny  soutenait  le  courage  des  défail- 
lants par  de  bonnes  paroles.  Il  montrait  tou- 
jours de  la  main  un  certain  point  de  l'hori- 
zon vers  le  nord-ouest  en  disant  :  «  Croyez- 
moi,  fidèles  serviteurs  de  Dieu  ;  c'est  là  que 
nous  devons  aller.  C'est  là  que  nous  trouve- 
rons une  terre  féconde  et  le  bien-être  qui 
nous  fera  oublier  la  misère  présente.  » 

Le  voyage  dura  longtemps  ;  il  devenait 
surtout  de  plus  en  plus  pénible,  de  sorte  que 
peu  à  peu  le  découragement  commença  à 
gagner  la  masse.  Beaucoup  crurent  ferme- 
ment que  leur  dernier  moment  était  arrivé, 
tant  leurs  souffrances  étaient  grandes. 

Enfin  un  jour  toutes  les  provisions  se 
trouvèrent  épuisées.  Il  n'y  avait  plus  rien  ni 
pour  boire  ni  pour  manger;  le  pays  était  si 
aride  que  chacun  pensa  qu'on  allait  mourir 
de  faim  sans  rémission.  Il  y  eut  alors  des 
murmures,  des  cris  de  désespoir,  de  douleur 
et  même  de  révolte. 

«  Le  sol  vers  lequel  nous  allons  est  plus 
infertile  que  celui  que  nous  avons  quitté,  » 
dirent  les  dissidents.  »  —  t  Non,  »  répondit 
Koli  Satigny,  «  je  vous  jure  qu'il  est  fécond, 
riche,  et  qu'il  va  nous  faire  vivre  dans  l'a- 
bondance. 


DE   l-A   SÉNKGAMBie  217 

—  Ce  n'est  pas  vrai,  •  répondirent-ils , 
«  nous  allons  tous  mourir  de  faim.  • 

Mais  Koli  Satigny  lit  une  courte  et  fer- 
vente prière,  et  aussitôt  après,  étendant  la 
main  vers  un  palmier  ronier  qui  était  dan* 
le  voisinage,  il  leur  dit  .  ■  Regardez,  gens 
de  peu  de  foi,  si  Dieu  laisse  mourir  de  faim 
sa  créature,  quand  celle-ci  met  sa  confiance 
en  lui.  » 

Or  sur  le  ronier, chacun  put  voir  uik 
ruche  qui  tenait  dons  son  bec  un  épi  de  mil 
et  qui  avait  l'air  de  se   mettre  en  mesure  de 
le  manger  tranquillement. 

Comme  on  le  comprend,  chacun  cria  au 
miracle;  et  soudain  les  plus  faibles  eurent 
de  nouvelles  forces  pour  marcher  dans  la 
direction  que  Koli  Satigny  indiquait.  On  se 
remit  donc  de  nouveau  en  chemin;  et  aussi- 
tôt la  perruche  se  mit  à  voler  au  devant  du 
peuple  migrateur,  s'arrètant  de  temps  en 
temps  sur  un  arbre  pour  bien  montrer  l'épi 
de  mil  qu'elle  tenait  a  son  bec. 

C'est  ainsi  que  le  peuple  de  Koli  Sal 
arriva  dans  le  Fouta  sénégalais,  sur  les  bords 
du   fleuve  Sénégal,  dans  un  pays  où  règne 
l'abondance.   Et  c'est  là   bénissant   Dieu   et 
obéissant  aux  commandements  de  leur  chef 


2i8       CONTES  POPULAIRES  DE   I.A   sÉNÉGAMBIE 

religieux  qu'ils    s'établirent  définitivement. 

Koli  Satigny  leur  dit  alors  que  leur  nou- 
velle patrie  resterait  fertile  tant  qu'ils  se- 
raient pieux  et  fervents.  C'est  pour  cela  que 
les  Torodos  sont  des  hommes  religieux.  Ils 
obéissent  ainsi  au  commandement  de  celui 
qui  les  a  tirés  de  la  misère.  Koli  Satigny 
obtiendra  pour  eux  les  faveurs  divines  par 
son  intercession  tant  qu'ils  s'en  rendront  di- 
gnes par  leur  piété. 

Je  demande  au  lecteur  s'il  ne  voit  pas  dans 
la  légende  de  Koli  Satigny  quelque  chose  de 
très  analogue  à  celle  de  Noé,  à  celle  de 
Moïse,  à  celle  de  mille  autres  législateurs 
religieux?  Quant  à  moi,  j'y  trouve  de  telles 
analogies,  disons  plus,  de  tels  points  d'iden- 
tité, que  je  ne  puis  me  défendre  de  la  pen- 
sée qu'elles  sont  toutes  de  même  origine. 


?      1 
V 


VII 


l'ûKIGINF.    DKS    I.AOBl's    ET    DKS    GRIOTS 


Da  n  s  les  temps  passés,  les  populations  du 
liant  p.i\s  irfnégMibiM  étaient  toutes 
idolâtres  ;  elles  adoraient  des  fétiches  et  ne 
connaissaient  pas  la  religion  de  Dieu,  rece- 
lée par  son  prophète  Mahomet. 

Un  jour  il  arriva  dans  le  pays  un  grand 
marabout  étranger,  qui  s'appelait  llouba- 
Foul,  et  qui  venait  de  bien  loin  pour  con- 
vertir les  habitants  de  la  Senegambie. 

Houba-Foi.il  savait  tout,  il  prédisait  l'ave- 
nu, et  avait  toujours  raison  en  tout;  aussi 
il  réussît  bientôt  à  faire  disparaître  la  fausse 
religion  des  ietiches  ;  l'islamisme  se  repan- 
dit dans  tout  le  paj 


220  CONTES   POPUI. AIRES 

Mais  il  ne  faut  pas  oublier  de  dire  qu'il 
rencontra  d'abord  de  grandes  résistances. 
Les  Kafers  essayèrent  même  d'opposer  leurs 
armes  au  prédicateur  de  la  vraie  religion  ; 
de  sorte  que  pendant  plusieurs  années  il 
fallut  se  battre.  Donc  Houba-Foul  eut  be- 
soin de  soutenir  ou  de  porter  la  guerre  dans 
divers  endroits. 

Il  y  eut  beaucoupMe  gens  tués  avant  que 
la  victoire  restât  définitivement  aux  vrais 
croyants. 

Houba-Foul  qui  s'était  marié  dans  le 
pays  eut  deux  enfants  :  Hamet  et  Samba; 
lesquels  devinrent  à  leur  tour  les  chefs 
d'une  peuplade  différente  Les  deux  peupla- 
des vécurent  côte  à  côte  cultivant  également 
quelque  peu  la  terre  et  élevant  également 
des  troupeaux  qui  étaient  leur  principal 
moyen  d'existence;  mais  ce  qui  vaut  mieux, 
obéissant  aux  lois  du  Prophète  et  adorant  le 
vrai  Dieu. 

Le  pays  du  haut  Sénégal  est  aride  et 
peu  fertile,  on  le  sait,  aussi  les  deux  peu- 
plades étaient  obligées  de  beaucoup  travail- 
ler pour  vivre.  Le  travail  de  la  terre  est 
aléatoire  dans  ces  contrées  où  les  années 
stériles  sont  fréquentes,  de  sorte   que    c'est 


DE   IA   SÉNF.GAMBIF.  211 

surtout  l'élevage  des  troupeaux  qui  consti- 
tuait leur  moyen  d'existence. 

Mais  on  sait  que  le  métier  de  pasteur  tout 
noble  qu'il  soit  est  dur,  il  expose  souvent  à 
la  misère  parce  que  souvent  il  faut  changei 
de  résidence  pour  trouver  de  bons  pâtura- 
ges et  que  souvent  aussi  dans  ces  incessantes 
migrations  il  arrive  :  ou  bien  que  les  trou- 
peaux meurent  de  fatigue;  ou  bien  une  ma- 
ladie epideniique  les  frappe;  ou  bien  encore 
on  trouve  après  une  longue  marche  un  pays 
BBCOrt  pUi>  itérili  que  celui  qu'on  vient  de 
quitter. 

Or  un  jour  il  arriva  une  grande  famine; 
les  bètes  et  les  gens  moururent  en  grand 
nombre,  la  misera  fut  générale,  on  se  trouva 
très  malheureux. 

Dans  c^s  conjonctures  Samba  fut  plus  re- 
signé; il  continua  à  vivre  dans  le  désert, 
cherchant  ça  et  là  quelques  maigres  pâtura- 
ges sans  se  décourager  soignant  ses  trou- 
peaux du  mieux  qu'il  pouvait  et  invoquant 
pieusement  le  secours  de  Dieu  par  de  fré- 
quentes prières. 

Grèca  a  la  protection  divine,  de  meilleures 
années  succédèrent  à  l'époque  de  la  disette  ; 
les  troupeaux  prospérèrent  de  nouveau  ;  et 


222  CONTFS   POPULAIRES 

il  arriva  un  jour  où  la  peuplade  de  Samba 
forte,  vigoureuse,  pieuse,  se  trouva  puis- 
sante dans  le  pays.  Ce  qui  veut  dire  qu  elle 
était  respectée  de  tous. 

Mais  pendant  que  Samba  s'était  roidi  ainsi 
contre  le  mauvais  sort,  en  mettant  toute  sa 
confiance  en  Dieu,  et  en  continuant  la  vie 
pastorale  que  lui  avait  léguée  son  père.  C'est- 
à-dire  se  contentant  du  lait  de  ses  vaches  de 
la  viande  de  ses  bœufs  et  du  peu  de  mil 
qu'il  trouvait  çà  et  là  le  temps  de  semer 
dans  de  maigres  terrains  entre  deux  migra- 
tions ;  Hamet  agit  autrement. 

En  effet,  au  lieu  de  rester  dans  le  désert, 
il  se  dirigea,  avec  son  peuple,  vers  les 
rives  du  fleuve  où  il  trouva  des  terrains  plus 
plantureux  et  où  les  graines  poussent  plus 
facilement,  donnant  de  plus  fortes  récoltes 
pour  moins  de  travail.  En  un  mot  il  s'habi- 
tua à  ce  bien  être  qu'il  ne  connaissait  pas 
avant  ;  en  même  temps  il  devint  moins  re- 
ligieux; sans  cesser  de  se  dire  musulman  il 
redevint  presque  fétichiste. 

Le  bon  rendement  des  récoltes  l'engagea 
à  cultiver  davantage  encore  le  terrain;  il 
varia  ses  semences  et  arriva  à  créer  des  lou- 
gans  dans  lesquels  il  y  avait  un  grand  nom- 


M-XiAMBIE  2l3 

brc  de  plantes  comestibles  ou  industrielles 
■tnsi  que  des  fruits  savoureux.  Il  rëu^ 
d'autant  mieux  dans  ce  nouveau  métier  que 
son  impiété  le  poussa  à  faire  souvent  des 
pactes  inavouables  avec  des  sorciers.  A  em- 
ployer des  moyens  magiques  pour  conserver 
les  récoltes  au  lieu  de  s'en  remettre  aveu- 
clément  à  lu  seule  volonté  du  tout-puissant, 
donnant  uussi  son  temps  à  l'agricul- 
ture il  ne  pouvait  ainsi  soigner  ses  bestiaux 
convenablement  de  sorte  que  ceux-ci  com- 
mencèrent à  péricliter.  On  sait  que  sur  les 
bords  du  lleuve  il  y  a  des  mouches  et  des 
moustiques  qui  nuisent  aux  bêtes  pendant 
l'hivernage.  C'est  pour  garantir  les  trou- 
peaux que  les  pasteurs  nomades  s'éloi- 
gnent de  ces  rives  dès  que  les  pluies  arri- 
vent. Or  Hamet  se  trouva  dans  l'alternative 
d'abandonner  ses  champs  plantureux  ou 
bien  de  laisser  souffrir  ses  troupeaux  et 
comme  la  vie  de  cultivateur  était  plus  douce, 
i tait  moins  de  soins  et  de  fatigues  que 
celle  de  pasteur,  il  laissa  ses  trouvpeaux 
souffrir  et  il  arriva  à  ne  posséder  plus  que 
quelques  bêtes  qui  étaient  d'ailleurs  moins 
belles  et  moins  vigoureuses  que  celles  qui 
\  i\  enl  dans  le  désert. 


224  CONTES   POPULAIKKS 

Hamet  devint  donc  un  cultivateur  et 
la  peuplade  fit  comme  lui  ;  il  oublia  de 
prier,  il  ne  fut  plus  un  croyant  rigoureux, 
il  prit  de  l'embonpoint,  ses  guerriers  s'amol- 
lirent et  négligèrent  la  religion,  en  même 
temps  qu'ils  s'enrichissaient.  Aussi  au  bout  de 
quelques  années  sa  transformation  fut  com- 
plète. Ils  avaient  perdu  les  caractères  de  no- 
blesse et  de  ferveur  religieuse  qui  appartien- 
nent aux  pasteurs  pour  prendre  la  grossièreté 
vulgaire  et  les  faiblesses  de  volonté  et  de 
courage,  l'incrédulité  vis  à  vis  des  croyances 
saintes  qui  sont  le  lot  des  cultivateurs  tou- 
jours tremblants  pour  leurs  récoltes. 

Un  jour  il  arriva  cependant  qu'Hamet  eut 
envie  d'aller  revoir  son  frère.  Le  voilà  donc 
en  route  avec  les  siens,  menant  devant  lui 
quelques  très  médiocres  troupeaux  qui  lui 
restaient,  montant  des  cheveaux  grossiers  et 
incapables  de  fournir  une  course  brillante, 
ne  priant  jamais  et  ayant  besoin  pour  vivre 
de  mille  douceurs  qui  sont  inconnues  et 
méprisées  par  le  noble  pasteur. 

Quand  Samba  qui  avait  conservé  intactes 
et  pures  toutes  les  traditions  de  piété,  de 
force,  de  courage,  de  résignation  contre  le 
malheur,  etc.,  que  lui  avait  léguées  leur  père, 


U  M  %i  nAoamwi 

vit  arriver  son  frère,  impie,  efféminé,  pares- 
seux, pusillanime,  lâche  ;  possédant  en  un 
mot  tous  les  défauts  de  ceux  qui  ont  été 
amollis  par  une  aisance  trop  grande  et  trop 
prolongée  il  eut  honte  de  lui.  U  se  mit  en 
colère,  le  méprisa  et  le  chassa  ignominieu- 
sement après  lui  avoir  enlevé  pour  le  punir 
tout  ce  qui  constituait  sa  ricin 

Hamet  s'en  retourna  honteux  et  miséra- 
ble vers  les  bords  du  Sénégal  où  il  avait 
w4ai  plantureusement.  Mail  il  y  rencontra 
cette  fois  des  peuplades  qui  s'étaient  établies 
sur  ses  terres  et  qui  étaient  trop  belliqueu- 
ses et  trop  pieuses  pour  se  laisser  déposséder 
par  lui  et  ses  hommes  efféminés. 

û  >orte  que  lui  et  les  siens  furent  obligés 
de  se  séparer  par  petits  groupes  de  miséra- 
bles afin  de  ne  pas  mourir  de  faim. 

Les  uns  d'entre  eux  apprient  la  musique 
et  se  mirent  à  chanter  pour  gagner  leur  vie 
aux  dépens  de  la  bonté  et  de  la  générosité 
des  hommes.  Ils  devinrent  les  griots. 

Les  autres  se  mirent  à  travailler  le  bois 
pour  faire  des  baganes,des  mortiers,  des  pi- 
lons à  mil,  etc.  Ils  devinrent  les  laobés. 

Voilà  pourquoi  les  griots  jouissent  de  si 
peu  de  considération  vis  à  vis  de  la  popu- 


22b      CONltS  POPULAIRES  DK  I.A  SENEGAMBII 

lation  de  la  Sénégambie.  Ce  sont  des  indi- 
vidus déchus;  frappées  par  une  réprobation 
séculaire.  Et  c'est  pour  cela  qu'ils  ont  tant 
de  défauts. 

Mais  d'autre  part  comme  ils  sont  les  des- 
cendants de  Houba-Foul,  ils  conservent, 
tout  dégénérés  qu'ils  soient,  certains  privi- 
lèges spéciaux.  C'est  pour  cela  qu'il  est  dé- 
fendu de  faire  du  mal  aux  hommes  de  cette 
catégorie. 

Quant  à  leurs  femmes...  Il  ne  faut  pas 
oublier  que  celui  qui  obtient  éventuellement 
leurs  faveurs  est  assuré  d'être  désormais 
heureux,  plein  de  force,  de  vigueur,  de 
santé,  et  qui  plus  est,  est  certain  de  réus- 
sir désormais  dans  toutes  ses  entreprises. 
C'est  pour  cela  que  les  hommes  de  toute 
condition  jeunes  et  vieux  recherchent  tou- 
jours, avec  tant  d'empressement,  les  fem- 
mes et  les  filles  des  griots  et  des  laboés 
pour  nouer  avec  elles  des  liaisons  éphé- 
mères. 


» 


»A.  .A.  ./t.  .A.  -A>  »A*  -A»  «o-  •A'  -A»   »A.  -A. 
"</•   -</•   ~^*   ^Q"  -Q*  -^"   ~v*   -^*   ~V"   -^-    "V1   -^- 


vin 


I.ÉGK.NDK    DK    l'KNln    B*I.«>L" 


Près  du  village  de  lidlou  se  trouvent,  sur 
le  cours  de  la  Kalemé,  assez  près  de  l'en- 
droit où  cette  rivière  se  jette  dans  le  Scru- 
tai, des  ruches  qui  forment  des  rapides  pen- 
dant lu  saison  sèche,  et  que  l'eau  de  la 
rivière  couvre  presque  complètement  au  mo- 
ment de  l'hivernage. 

Ces  rochers  noirs  et  arrondis  constituent 
à  certaines  époques  de  l'année  un  véritable 
danger  nautique  pour  les  pêcheurs  dont  les 
barques  peuvent  être  brisées  ou  endomma- 
gées par  un  choc  imprévu;  aussi  ont-ils  leur 
légende  qui  M  manque  pas  d'une  certaine 
poésie,  comme  on  va  le  voir. 

Le  village  do  Balou  était,  dans  les  temps, 


228  CON  IËS  POPUI.AlKfcS 

gouverné  par  un  homme  de  bien  qui  n'avait 
que  le  de'faut  d'être  faible  et  de  laisser  com- 
mander sa  femme  et  sa  fille  plus  qu'il  ne 
fallait. 

Par  le  fait  de  cette  faiblesse,  sa  femme 
avait  pris  une  influence  considérable  sur  la 
marche  des  affaires  du  pays,  et  sa  fille,  la 
jeune  Penda,  admirable  créature,  plus  belle 
que  toutes  les  négresses  des  environs  à  plus 
de  dix  journées  de  marche,  était  capricieuse, 
sans  trouver  jamais,  soit  chez  son  père,  soit 
chez  sa  mère,  un  obstacle  sérieux  à  ses  vo- 
lontés. 

Grâce  à  cette  indépendance  de  caractère, 
Penda,  qui  était  une  beauté  accomplie, 
avons-nous  dit,  qui  était  la  seule  descen- 
dante du  chef  et  qui,  par  conséquent,  devait 
conférer  à  son  mari  une  haute  position  dès 
les  premiers  jours  du  mariage  ;  et  même  le 
commandement  du  village  à  la  mort  de  ses 
parents. 

Penda,  dis-je,  sachant  que  tous,  autour 
d'elle,  avait  grand  désir  de  lui  voir  choisir 
un  époux,  s'obstinait  à  rester  fille.  C'est  en 
vain  que  tous  les  jeunes  hommes  de  Balou 
lui  avaient  fait  des  avances,  elle  les  avait  dé- 
daignés tous  sans  exception. 


I>K     i    '  ll'.lt  229 

Nombre  de  jeunes  gens  des  environs, 
beaux,  bien  faits,  guerriers  renommé*  6b 
de  rois  puissants,  s'étaient  épris  d'elle,  au- 
cun n'avait  obtenu  de  réponse  satisfaisante; 
Il  hère  jeune  fille  éconduisait  d'un  mot  ou 
d'un    regard    les    plus   langoureux    comme 

les  plus  hardis   prétendants. 

l'eiula  jouissait  d'une  grande  liberté  dans 
sa  maison,  elle  allait  seule  ou  avec  quelques 
jeunes  amies  se  promener  sur  les  bords  du 
Btuve,  se  baigner  en  eau  profonde;  elle  fai- 
sait en  un  mot  ce  qu'elle  voulait  sans  con- 
trôle. 

Un  observateur  eût  pu  remarquer  que  si 
le  matin  elle  aimait  à  jouer  avec  ses  compa- 
rus, quand  le  soleil  baissait  elle  se  du  1 
volontiers  seule  du  côté  de  la  Falemé. 

Les  pêcheurs  la  voyaient  souvent  assise  au 
moment  de  la  nuit  tombante  sur  les  rochers 
dont  nous  avons  parlé  ;  et  bien  que  plus  d'un 
lui  eût  dit  en  passant  :  Penda  !  prends  garde 
à  Goloksalah;  l'entêtée  jeune  fille  s'obsti- 
nait à  rester  ainsi  jusqu'à  une  heure  a\an- 
cee  de  la  nuit,  regardant  couler  l'eau  dans 
cet  endroit  où  les  génies  se  montrent  quel- 
quefois, et  où  les  mortels  n'ont  rien  de  bon 
uer. 


23û  C0N7KS  POPUI.AII'I l8 

Que  faisait  Penda  pendant  ces  longues 
heures,  assise  sur  les  roches  de  Balou? 

Elle  écoutait  les  paroles  d'amour  d'un  ad- 
mirahle  jeune  homme  qui  venait  tous  les 
soirs,  invisible  pour  les  autres,  visible  seu- 
lement pour  elle,  se  mettre  à  ses  genoux  et 
lui  parler  de  ses  beaux  yeux,  de  son  esprit 
charmant,  en  un  mot,  de  tout  ce  dont  les 
amoureux  parlent. 

Les  choses  duraient  ainsi  depuis  long- 
temps, lorsque  la  mère  de  Penda  prit  un 
jour  sa  fille  à  part  et  lui  dit  :  «  Ton  père  se 
fait  vieux,  il  faut  un  chef  plus  jeune  au  vil- 
lage ;  par  conséquent,  il  serait  nécessaire  de 
faire  sans  tarder  un  choix  parmi  les  nom- 
breux jeunes  gens  qui  recherchent  ta  main.  » 

La  jeune  fille  essaya  d'abord  de  se  dégager 
par  des  réponses  aléatoires;  mais  sa  mère  in- 
sistant, elle  s'émut  peu  à  peu  et  finit  par 
avouer  enfin  que  son  choix  était  fait. 

Seulement  au  lieu  d'un  jeune  guerrier  du 
pays  ou  des  environs,  il  s'agissait  d'un  admi- 
rable prince  plus  beau,  plus  galant,  plus  no- 
ble que  personne.  Penda  lui  avait  donné  son 
cœur  sans  savoir  son  nom,  sans  connaître 
sa  famille  et  elle  lui  avait  promis  de  le  suivre 
dans  ses  États  lointains;  renonçant  ainsi  de 


I>1     [  A    .1  sÉoAUBIE  >  3  I 

U  manière  la   plus  légère  aux    projet 
timement  caresses  par  sa  lamille,  par  le  vil- 
lage entier,  Je   lui  voir  épouser  un  homme 
qui  viendrait  prendre  la  succession  du  roi  de 
l'.alou. 

On  juge  du  desespoir  de  la  mère,  de  ses 
supplications,  de  ses  colères;  elle  voulut  re- 
prendre tout  d'un  coup  une  autorite  qu'elle 
avait  laisse  échapper  et  signitia  a  :>a  tille  que 
dès  le  lendemain  elle  serait  ti.u 
jeune  homme  qu'elle  lui  désigna  et  qui  de- 
\  ut  assurément  faire  un  mari  accompli. 

La  nuit  venue,  l'enda  désolée  court  aux 
rocket  ;  elle  y  trouveson  adorateur  ordinaire  ; 
elle  lui  raconte  tout.  Les  deux  amants  sont 
aux  abois,  les  projets  les  plus  insensés  sont 
dîaCUte*.  Knhn  la  pauvre  Penda,  dans  sa 
candeur  de  pure  jeune  tille,  accepte  de  sui- 
vre son  beau  jeune  homme  et  d'abandonner 
ainsi  pays,  lamille,  amis,  tout  enfin,  ne 
craignant  pas  de  desobéir  aux  ordres  les  plus 

sacres. 

Kl  le  se  jette  à  l'eau  pour  traverser  la  ri- 
vière, car  les  prétendus  États  du  séducteur 
étaient  de  l'autre  côté  de  la  Faleme  et  a 
peine  a-t-elle  fait  ainsi  le  premier  pas  dans 
la  voie   de   la  désobéissance   et   de   la   faute 

'4 


232  CONTES  POPULAIRES 

qu'elle  est  saisie  sans  pouvoir  opposer  de 
résistance,  entraînée  au  fond  de  l'eau  et  con- 
duite dans  un  palais  sous-marin  merveilleux 
de  beauté  et  de  grandiose. 

Pleine  d'effroi,  elle  se  sentait  mourir, 
mais  elle  est  admirablement  accueillie  par 
des  captives  sans  nombre,  des  serviteurs  em- 
pressés qui  exécutaient  ses  moindres  volon- 
tés, qui  lui  obéissaient  comme  à  une  souve- 
raine. 

A  peine  revenue  de  sa  surprise,  elle  entend 
la  voix  de  son  amoureux  qui  lui  disait:  «  Ma 
Penda  adorée!  j'accours  près  de  toi;  tu  vas 
être  ma  femme  et  nous  vivrons  éternelle- 
ment ensemble  d'un  bonheur  sans  mé- 
lange. » 

Elle  se  retourne  pour  se  jeter  dans  ses 
bras,  et  horreur!!!  au  lieu  du  beau  et  admi- 
rable jeune  homme  qu'elle  était  habituée  à 
voir,  elle  aperçoit  un  épouvantable  caïman, 
aux  yeux  glauques,  à  la  gueule  dégoûtante, 
au  dos  écailleux,  aux  pattes  crochues,  à  la 
queue  monstrueuse  et  au  ventre  vert. 

On  devine  facilement  l'effroi,  la  répulsion, 
les  regrets  de.  la  pauvre  enfant;  elle  avait 
imprudemment  écouté  les  suggestions  de 
Goloksalah,  le  génie  redouté  qui  s'était  cou- 


M   I.A  SÉNÉOAMBIE  2  33 

vert  des  apparences  d'un  beau  jeune  homme 
pour  la  faire  succomber,  mais  qui  reprenait 
sa  lorme  hideuse  de  caïman  une  fois  rentre 
dans  ses  États. 

Penda,  plus  morte  que  vive,  résiste  à  l'hor- 
ribk  animal  de  toutes  ses  forces,  et,  près  de 
succomber,  implore  le  génie  protecteur  de 
H  famille,  lui  demandant  la  mort  plutôt  que 
le  déshonneur. 

Ce  génie  qui  avait  une  puissance  assez 
£i  iode  pour  lutter  à  armes  égales  contre  Go- 
loksalah, mais  qui  cependant  n'était  pas  as- 
sez fort  pour  l'emporter  sans  peine,  prit  acte 
de  la  facilite  que  lui  donnait  le  désir  de 
mourir  exprimé  par  la  jeune  hlle,  et  il  la 
transforma  en  une  grosse  pierre  noire,  la 
préservant  ainsi  des  atteintes  de  son  mons- 
trueux amoureux. 

C'est  donc  le  corps  de  Penda  que  l'on  voit 
aux  basses  eaux.  Toutes  les  nuits  Goloksalah 
vient  la  supplier  de  reprendre  sa  forme  pri- 
mitive ,  pour  satisfaire  son  amour.  Et  ces 
bruits  sinistres  que  l'on  entend  parfois  dans 
les  environs  sont  les  supplications,  les  priè- 
res, les  colères  de  Goloksalah,  les  cris  d'ef- 
froi et  de  résistance  de  Penda. 

Malheur  à  celui  qui  s'attarde  dans  les  en- 


234       CONTES  POPULAIRES   DE    I.A   SÉNEGAMHIE 

virons,  il  court  grand  risque  de  payer  son 
imprudence  de  sa  vie.  Plus  d'une  fois  la  co- 
lère de  Goloksalah  a  brisé  une  pirogue  qui 
avait  eu  la  hardiesse  de  passer  trop  près  du 
corps  de  sa  bien-aimée  pe'trifiée. 


IX 


LA  Cl(OY\NCK   .AUX   SOBCII'KS  CHEZ    ! 

SKNÉGVMUII  S> 


Lks    nègres   sénegambiens   croient  ferme- 
nient    à  l'existence  des  sorciers,   et   par 
quent  il  court  dans  le  pa\s  dei  «.ontes 
plus    ou    moins    fantastiques    dans  lesquels 
un  ou  plusieurs  de  ces   sorciers   sont  mis  en 
cause. 

Ces  nègres  ont  trouve1,  ou  plutôt  ont  ac- 
cepte, une  singulière  explication  de  1  exis- 
tence et  de  l'origine  des  sorciers;  car  cette 
explication  leur  vient  évidemment  du  dehors 
comme  on  va  le  voir. 

Au  moment  de  la  confusion  des  langues 
dans  la  tour  de  Babel,  le  jour  tombait  et 
chacun  était  fat 


2  36  CONTES  POPULAIRES 

Comme  il  fallait  gagner  au  plus  vite  les 
campements,  les  hommes  se  mirent  à  mar- 
cher dans  divers  sens;  ils  commencèrent 
inopinément  un  voyage  pénible,  ayant  pour 
la   plupart  une  grande  soif. 

Après  avoir  souffert  longtemps  du  besoin 
de  boire,  chacun  d'eux  se  trouva  devant  un 
ruisseau  de  sang;  beaucoup  ne  s'arrêtèrent 
paset continuèrent  jusqu'à  un  ruisseau  d'eau 
pure  où  il  se  désaltérèrent.  Ceux-là,  qui 
étaient  le  plus  grand  nombre,  ont  été  la 
souche  des  hommes  ordinaires. 

Quelques-uns,  trop  pressés,  s'abreuvèrent 
au  ruisseau  de  sang  et  ont  fourni  les  sorciers 
qui  peuvent  quitter  leur  corps,  voler  comme 
des  oiseaux  ou  se  transformer  de  mille  ma- 
nières ;  ils  font  toutes  sortes  de  niches  et  de 
mal  à  l'espèce  humaine  et  ne  peuvent  être 
tenus  en  respect  que  par  les  gris-gris. 

Il  est  des  nègres  qu'on  ne  ferait  jamais 
sortir  de  leur  case  la  nuit  pour  rien  au 
monde  et  qui  attribuent  aux  sorciers  tous  les 
bruits  nocturnes  qu'ils  entendent. 

Il  y  a  un  excellent  moyen  de  se  garantir 
des  maléfices  des  sorciers  d'après  les  bonnes 
femmes  du  pays.  C'est  de  crier  :  «  Nous 
mangeons  du  sel  «quand  on  entend  le  moin- 


*   SF.NKCAHBIC  1  37 

die  brait  nocturne  ;  le  sorcier  effrayé  alors 
se  hâte  de  s'enfuir. 

t,  qu'en  effet,  d'après  les  mêmes  auto- 
rités, le  sel  est  une  arme  puissante  contre 
celle  engMOOi  satanesque.  Et  quand  on  veut 
découvrir  un  sorcier  parmi  les  gens  qui  vous 
entourent  il  suffit  de  s'en  aller  nuitam- 
ment, armé  d'un  bon  paquet  de  sel,  risfol 
ceux  qui   sont   soupçonnés   de   sorcellerie. 

Celui  qui  est  réellement  en  relation  avec 
le  diable  n'est  pas  dans  la  case  alors,  et  on 
trouve  sur  son  tagal  ou  sa  natte  sa  peau  qu'il 
a  laissée  la  pendant  qu'il  s'est  transforme  en 
animal. 

Or,  le  malin  a  soin  de  saupoudrer  la  faee 
interne  de  cette  peau  avec  du  gros  sel  et 
le  lendemain  matin  quand  en  revenant 
du  Sabbat  le  sorcier  cherche  à  rentrer  dans 
cette  peau  il  est  piqué  en  mille  endroits, 
ce  qui  l'oblige  à  venir  vous  supplier  de  lui 
enlever  les  grains  de  sel  qui  le  blessent 
cruellement. 


c? 


fEri 


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-'& 


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^00^  ilOV  Çof  («( 


I  .Mi,  Ml  I    I    !     HtOViRBES 


Un  des  amusements  très  prisés  par  |tl 
gréa  est  de  poser  des  énigmes  que  cha- 
cun s'efforce  de  deviner  de  son  mieux  et  dont 
les  explications  plus  ou  moins  baroques 
fournie*  par  celui  qui  est  sur  la  selette  font 
rire  toute  l'assemblée  jusqu'à  ce  le  mot  juste 
donné  par  quelqu'un  provoque  une  explo- 
sion de  bissimiLii !  étonnes  et  approbatils. 

Voici  quelques-unes  de  ces  enivres;  la 
première  a  les  proportions  d'une  véritable 
légende;  les  autres  sont  de  simples  questions 
posées  et  auxquelles  il  faut  que  chaque  nè- 
gre de  l'assistance  réponde  d'un  mot. 


240  CONTES  rOrUI.AlKKS 


l'homme  a  la  poule 


Il  arrive  parfois  qu'un  loustic  de  l'as- 
semblée raconte  la  légende  suivante  qui 
ne  manque  pas,  on  va  le  voir,  d'une  cer- 
taine originalité. 

Il  y  avait  un  homme  dans  les  environs  de 
Kahone  dans  le  Saloum  qui  pouvait  se  flat- 
ter d'être  très  favorisé  du  Ciel  ;  en  effet, 
quoique  déjà  âgé,  il  avait  encore  sa  mère 
bien  portante;  et  cette  vieille  femme  avait 
une  étrange  qualité  :  elle  prenait  un  peu  de 
sable  devant  sa  case  tous  les  matins  et,  le 
mettant  dans  un  plat,  elle  le  transformait  en 
excellent  couscous. 

Cet  homme  avait  aussi  un  fils  qui,  tous  les 
jours  au  moment  du  repas,  lançait  uue  flè- 
che en  l'air  et  en  rapportait  une  volaille 
toute  cuite,  ou  bien  un  morceau  de  viande 
tout  apprêté. 

Il  avait  aussi  un  coq  qui  en  grattant  la 
terre  lui  trouvait  tous  les  jours  dix  gros  d'or 
qu'il  lui  portait;  une  vache  qui  lui  faisait  un 


H   I   I   tàlti  '.AMBIK  ^4  1 

veau  tous  les  matins;  une  chèvre  qui  au  lieu 
de   hut  lui    donnait    du    vin    de  pain, 
abondance;  enlin    un    cotonnier   qui   avait 
tous  les  matins  dix  pagnes  très   beaux  en 
guise  de  gousses  à  coton  sur  ses  brandies. 

Cet  homme  était  heureux.  :  il  était  un  jour 
couché  dans  son  loilgtfl   II  faisait    H 
après  dîner  quand  il  est  éveille  par  un  urand 
bruit  : 

Un  malfaiteur  insultait  sa  mère  et  cher- 
chait à  l'enlever  pour  aller  la  vendre  comme 
Captive.  Son  entant  ctlraye  était  tombe 
dans  le  puits  et  était  près  de  se  noyer. 

Un  lion   l'impartit  de  sa   vache   pour   la 

manger. 

Un  chacal  qui  suivait  le  lion  allait  cro- 
quer le  coq. 

la  chèvre  effrayée  s'était  embarrassée 
dans  sa  corde  et  s'étranglait. 

Enfin  le  feu  prenait  à  un  tas  de  paille 
placé  sous  le  cotonnier  et  l'aurait  bientôt 
rôti. 

Que  devait  faire  le  pauvre  homme? 

Chaque  assistant  est  tenu  de  donner  son 
opinion  à  la  grande  hilarité  de  la  galerie 
qui  lui  dit  aussitôt  que  c'est  parce  que  tel 
défaut  prédomine  chez  lui. 


2-p  CONTES  l'OPUI. AIRES 

Qu'est-ce  qui  enseigne  «ans  parler?  dit 
d'un  ton  sentencieux  celui  qui  propose  l'é- 
nigme. S'il  n'y  a  pas  dans  la  réunion  un 
homme  qui  ait  l'habitude  de  ces  sortes  de 
divertissements  intellectuels  personne  ne 
sait  répondre.  Ce  qui  lui  permet  d'ajouter 
quand  tout  le  monde  a  avoué  son  impuis- 
sance :  Ce  qui  enseigne  sans  parler  c'est  le 
livre. 

Qu'est-ce  qui  vole  sans  jamais  se  poser. 

On  comprend  que  chacun  des  ignorants 
qui  entend  cette  question  soni^e  à  un  corps 
matériel.  Un  parle  de  l'hirondelle,  l'autre  de 
la  feuille  sèche  et  jusqu'au  moment  ou  il  est 
répondu  ce  qui  vole  sans  jamais  se  poser. 
C'est  le   vent. 


Qu'est-ce  qui  a  une  queue  et  ne  la  remue 


pas 


Le  cuiller. 

Qu'est-ce  qui  bat  des  ailes  et  ne  vole  pas? 
Le  tamis. 

Qu'est-ce  qui  durcit  au  lieu  de  se  ramollir 
en  cuisant? 
L'œuf. 


M  LA  V.IBIE  243 

Quelles  sont  les  trois  choses  qui  donnent 
la  fortune  et  n'ont  pas  de  poils? 

La  PLANT!  DU  PIED,  —  LA  PAUME  DE  LA  MAIN, 
—  LA   LANGUE. 

Quelles  sont  les  trois  choses  qui  sont  irré- 
sistibles quand  elles  se  mettent  d'accord  ? 

L>A   KEMMK,  —  LE    KOI,  —  LE  DIABLE. 

D'autres  fois  le  conteur  qui  veut  frapper 
l'esprit  de  ses  auditeurs  formule  des  prover- 
bes, des  sentences,  des  aphorismes  qui  quoi- 
qu'ils ne  soient  pas  toujours  parfaitement 
compris  par  le  vulgum  pecus  sont  toujours 
accueillis  avec  une  respectueuse  et  sympa- 
thique faveur.  —  Voici  quelques-uns  de  ces 
proverbes  : 

Celui  qui  est  fier  de  sa  nudité,  sera  insolent 
une  fois  habillé. 

Celui  qui  prend  tous  les  chemins,  manque 
celui  de  la  maison. 

Une  lingue  insolente  est  une  mauvaise 
arme. 

Le  pauvre  qui  craint  le  soleil,  craint  un 
protecteur. 


l] 


(DO) 


«Os   4JS    «^  *J^  <Js   ^.    «^   «^   *^S    oS    ' 'T 


APPRECIAI'  ION 


Comme  je  l'ai  dit  plus  haut,  la  partie  des 
contes,  légendes,  proverbes,  etc..  de  cette  qua- 
trième partie  est  très  varice.  J'ai  a  peine  be- 
soin de  le  répéter  pour  le  faire  admettre  ;  il 
serait  dans  tous  les  cas  facile  de  le  démontrer 
en  peu  de  mots. 

Les  légendes  de  Malik-si,  du  serpent,  du 
bambouk,  de  la  création  de  l'empire  Djolof, 
de  Koii  Satigny,  de  l'origine  des  laobés 
etc.,  sont  évidemment  des  récits,  altér. 
la  pensée  religieuse,  l'amour  du  merveilleux 
ou  simplement  le  désir  d'intéresser  les  audi- 
teurs, de  faits  réels  :  conquêtes,  invasions, 
épidémies,  fondation  de  dynasiH 

Celle  du  cavalier  qui  soignait  mal  son  che- 


246  CONTES  I»OPULA!KES 

val  procède  de  pensées  complexe  et  porte  en 
elle  plus  d'un  enseignement.  Il  est  possible 
que  ce  soit  l'explication  image'e  de  quelque 
événement  réel  au  fond,  comme  il  peut  se 
faire  aussi  que  ce  soit  une  leçon  de  zèle  et 
de  travail  donnée  aux  paresseux  et  aux 
inconscients  des  pays  où  le  cheval  a  une 
importance  de  premier  ordre  :  comme  le  dé- 
sert, le  Kaarta,  le  Fouta  sénégalais,  le  Sé- 
gou,  etc. 

Le  trafic  à  la  muette  est  bien  assurément 
l'explication  fantastisque  donnée  par  des 
ignorants  des  choses  qui  n'ont  pas  été  com- 
prises dans  le  monde  des  nègres,  quand  les 
peuplades  du  pays  se  sont  trouvées  en  rela- 
tion pour  la  première  fois  avec  les  Euro- 
péens et  les  Carthaginois. 

La  légende  de  Penda-Balou  et  de  Golok- 
salah  a  certainement  d'étroits  liens  de  pa- 
renté avec  des  contes  des  Ondines  et  Ondins, 
des  Nixes,  des  Dracs  qui  ont  eu  tant  de  suc- 
cès pendant  le  moyen  âge  et  qui  n'étaient 
certainement  eux-mêmes  que  des  réminis- 
cences, des  fables  de  la  mythologie. 

Cette  idée  de  la  légende  de  Goloksalah  ne 
Je  cède  en  rien  comme  poésie  et  comme  mo- 
rale à  celle  des  récits  de  la   France,  de    la 


i.k  :  .mit 

Norwége,  de  l'Allemagne,  car  le  .. 
nie  qui  se  transforme  en  beau  jeune  homme 
pour  mener  à  mal  la  pauvre  Penda.  reclame 
plus  en  frais  d'invention  que  le  Drac  qui 
^ntre  deux  eaux  dans  le  Rhône  au- 
dessous  d'une  coupe  contenant  un  anneau 
d'or,  et  qui  va  passer  à  portée  des  laveuses 
pour  tenter  la  cupidité  d'une  imprudente  qui 
devient  sa  victime  par  amour  de  la  coquet- 
terie. 

Enfin  les  énigmes,  les  pro\. 
chent,  on  le  voit,  chez  k  égalais 

comme  chez  les  autres  peuples,  une  p< 
philosophique,  morale,  un  conseil  ou  une 
information  utile  sous  une  forme  plaisante, 
imagée  OU  excentrique  choisie  évidemment 
pour  mieux  la  graver  dans  l'esprit  des  audi- 
teurs. 


<4*fe* 


CINQUIEME    PARTIE 


coup-d'œil  d'ensemble  sur  la  portée  intel- 
lectuelle DES  CONTES,  LÉGENDES  ET  BAL- 
LADES CONTENUS  DANS  CE   LIVRE. 


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CINQUIÈME  PARTIE 


Lk  lecteur  qui  a  eu  la  patience  de  lire  avec 
attention  la  longue  série  de  contes  et 
de  légendes  que  je  viens  de  rapporter  m'ac- 
cordera j'espère  que  les  nègres  sénéganbiens 

ne  sont,  en  somme,  pas  aussi  refractaircs 
aux  choses  de  l'intelligence  que  ce  qu'on 
pourrait  le  penser  de  prime  abord. 

Pour  ne  pas  tomber  dans  un  excès  con- 
traire à  la  première  pensée  qu'il  avait,  et  à  la 
réalité,  je  l'engage  à  se  bien  pénétrer  de  cette 
e  :  que  bien  peu  de  nègres,  relative- 
ment, sont  capables  d'apprécier  à  sa  juste 
valeur,  la  portée  philosophique,  la  leçon  de 
bon  sens,  de  critique,  de  bienveillance,  etc.. 


232  CONTES  POPULAIRES 

que  plus  d'une  de  ces  légendes  contient.  Le 
nombre  de  ceux  qui  les  comprennent  comme 
il  faut  est  très  restreint,  je  ne  saurais  trop  le 
re'péter. 

D'autre  part,  je  ne  saurais  aussi  oublier, 
de  faire  remarquer  que  parmi  les  contes  et 
les  légendes  il  en  est  un  grand  nombre  qui 
sont  d'origine  étrangère.  Il  est  incontesta- 
ble que  tout  ce  qui  a  trait,  par  exemple,  à 
l'islamisme,  a  l'histoire  des  fils  de  Noé,  etc., 
est  venu  du  dehors  et  a  été  colporté  chez  les 
nègres  par  des  hommes  qui  en  avaient  puisé 
le  sujet  primitif  au  contact  des  populations 
plus  élevées  dans  la  série  ethnographique. 

.Mais  toutes  ces  restrictions  étant  faites,  il 
n'en  reste  pas  moins  un  double  fait  constant 
c'est  que  :  i°  si  elles  ne  sont  pas  toutes  nées 
sur  place,  ces  légendes  ont  trouvé  dans  les 
pays  sénégambiens  un  terrain  suffisamment 
fertile  pour  ne  pas  y  disparaître  aussitôt  après 
quelles  y  ont  été  semées  par  des  intelligences 
étrangères  ;  2°  c'est  que  ce  terrain  intellec- 
tuel, quelque  limité  qu'il  soit,  existe  puisque 
nous  en  constatons  les  produits  dans  le  fait 
de  la  perpétuation  de  ces  légendes  à  travers 
les  âges. 

Or,  quelque    restreint  que' soit  ce   terrain 


I>E   LA   SKSÉGAMBIE 

intellectuel,  serait-il  même  infinitésimal,  il 
suffit  qu'il  existe  pour  que  je  sois  autorisé  à 
soutenir  cette  première  proposition 
que  sur  les  rives  du  Sénégal,  de  la  Gambie 
ou  du  Niger,  il  y  a  à  l'heure  présente  cer- 
tains nègres  capables  d'apprécicier  les  leçons 
de  morale,  de  sagesse  ou  de  bon  sens  qui 
ont  inspiré  les  contes  et  les  légendes  dont 
nous  parlons. 

Donc  la  libre  existe;  toute  rudime. 
qu'elle  soit  ;  elle  peut  vibrer  quand  on  sait  s'y 
prendre  pour  la  toucher.  Et  c'est  un  point 
capital,  on  en  conviendra,  car  entre  l'absence 
absolue  et  cette  existence  même  rudimen- 
taire,  il  y  a  une  distance  infinie,  une  diffé- 
rence immense,  sous  le  rapport  des  consé- 
quences. 

Dans  l'introduction  de  ce  livre  j'ai  formulé 
une  opinion  sur  laquelle  j'appelle  toute  l'at- 
tention du  lecteur,  car  elle  me  paraît  digne 
d'être  commentée  par  ceux  qui  auraient  à 
réfléchir.  J'ai  dit  que  les  nègres  sénégam- 
biens  d'aujourd'hui  sont  assez  comparables 
aux  habitants  de  notre  pays  à  l'époque  qu'on 
appelle  le  moyen  âge.  Ou  bien  si  l'on  veut 
qui  va.  de  l'invasion  des  barbares  au  temps  de 
la  découverte  de  l'Amérique.  Je  ne  saurais 
trop  insister  sur  ce  fait. 


2  5.J  CONTES  POPULAIRES 

Les  limites,  la  nature,  la  porte'e  de  ce  li- 
vre ne  me  permettent  pas  d'insister  plus 
longuement  sur  cette  idée;  mais  je  ne  sau- 
rais cependant  manquer  de  la  souligner  de 
toute  mon  insistance.  Et,  en  effet,  je  dirai 
entre  mille  autres  choses  pour  le  faire  cons- 
tater :  qu'il  n'est  pas  même  jusqu'à  la  reli- 
gion actuelle  —  l'islamisme  —  chez  ces  nè- 
gres qui  ne  soit  à  remarquer.  Cet  islamisme 
joue  en  Séne'gambie  aujourd'hui  le  rôle  que 
joua  chez  nous  le  christianisme  dans  les  pre- 
miers siècles  de  notre  ère,  au  moment,  et 
après  la  chute  de  l'empire  romain. 

En  re'sumé  donc  les  nègres  d'aujourd'hui 
représentent  les  Européens  de  douze  ou 
quinze  cents  ans  avant  notre  époque.  C'est 
une  chose  importante  qui  mérite  de  préoc- 
cuper tous  ceux  qui  aiment  à  s'occuper  non- 
seulement  de  littérature,  de  philosophie 
mais  même  de  tout  ce  qui  touche  à  l'his- 
toire de  la  civilisation. 

Si  cette  opinion  que  je  formule  se  trouve 
démontrée  par  d'autres  observateurs,  on 
comprend  que  d'une  part  l'historien  de  nos 
pays,  de  notre  peuple  pourra  désormais  re- 
garder maints  détails  de  ce  qui  se  passe  au- 
jourd'hui chez  les  nègres,  comme  le  natu- 
raliste  va  dans    un    musée    comparer    une 


plante,    un   minorai,  un  animal,    etc.,  qu'il 
étudie  avec  les  types  déjà  cla< 

D'autre  part,  le  philosophe  ,  l'e'conomiste, 
•te.,  pourront  prévoir  ce  que  les  nègres  seront 
capables  de  luire  dans  l'avenir  ;  ce  qu'on 
peut  espérer  d'eux  pour  la  civilisation,  pour 
les  progrès  du  genre  humain,  pour  les  acqui- 
sitions de  l'esprit  et  de  l'intelligence  des 
hommes  ;  en  tenant  compte  de  leur  deyre  de 
•ti\  ite  et  de  la  persistance  des  eîlorts  du 
progrés  que  les  Européens  peuvent  tenter 
\  i-.i-vi>  d'eux. 

On  le  voit,  l'horizon  est  vaste,  le  sujet  | 
intéressant  ;  aussi  et  on  ne  m'en  voudra  pas 
d'insister  encore  sur  son  compte  en  terminant 
cette  étude,  quelque  minime    que    soit 
port. 


• 


xU 


TABLE  DES  MATIERES 


Introduction i 


PREMIÈRE  PARTIE 

CONTES    ET  LÉGENDES    QUI    METTENT    EN    RKL1EK 
UNE    QUALITÉ    DU    CŒUR    OU    DE    L'ESPRIT 

l.     Comparaison    entre    l'amour  pater- 
nel cl  l'ingratitude  filiale b 

11.     Légende  de  Cothi  Bar  ma 

III.  Les    deux    amis   brouillés    par    une        n 

maîtresse 1 5 

IV.  Les  deux  amis  Peuls 19 

V.     Ballade  de  Diudi 27 

VI,    Ballade  de  Samba   Foui .' 3o, 


258  TABLE  DES   MATlÈKKS 

VII.     La  finesse  du  singe  et  la  naïveté  du 

loup Si 

VIII.     Le  sage  qui  ne  mentait  jamais  57 

Appréciation 0 1 


DEUXIEME  PARTIE 

CONTES    ET      LÉGENDES     QUI    ONT     TRAIT     A  UN 

DÉFAUT,   UN    RIDICULE,    UN    VICE   OU    UNE  IM- 
PERFECTION  MORALE. 

I.     Les  trois  fils  de  Noé 6q 

II.     L'histoire  de  celui  qui   se  fit  servir 

par  le  roi 79 

III.  La  chasse  au  lion  de  Bagnouns 83 

IV.  Le  beau-frère  coupable 89 

V.     L'homme  qui   avait  beaucoup   d'a- 
mis   ()7 

VI.     L'ami  indiscret .  io5 

VU.     L'héritier  qui  avait  le  sommeil  pour 

sa   part 117 

Apprécia. ion 124 


TABLE   LES  MATll  MM 


TROISIÈME  PARTIE 

CONTES    KT     LÉGENDES   QUI     ONT    POUR    BUT     I  A 
GLORIFICATION     DE    L'iSLAMISME 

I.     Lt  croytnt  qui  priait  souvent iiy 

II.     Le  bracelet  rapporté  par  un  poisson.  145 

111.     Koli-oeiwan 135 

l\       Lm  MV«    lt  ICCOrdéet  »ux  nouveau* 

con\  ci  us 1S9 

Appiéciaiion 


QUATRIÈME   PARTIE 

CONTES     ET     II    a  Ml  S     QUI     ONT     TRAIT 

HIMVIAT  RÉEL  PLUS  OU  MOINS  ALTÉRÉ 
l'AK  IV  TRADITION  ORALE*,  QL'iNSPIRENT 
I.'AMOIK    DU     MEHVEILLI  CROYANCES 

Il  l'I  KMI  IILI  SES    OU     LE    MMPi.E     PLAISIR    DE 

(     UNI    QUESTION     ÉSICMATIQl 
DITEUR. 

I.    Légende  de  Ma'.ik->i 175 

11.     Le  serpent  du  Bambouck i83 

111.     La  création  de  l'empire  Djolof 1.1 


2ÔO  TAlii.K   DES  MATIERES 

I\'.     Le    cavalier   qui   soignait   mai    son 

cheval 197 

V.  Le  tiafic  à  la  muette toi 

VI.  Koli  Satigny 211 

VIL    Origine  des  Laobés  et  des  Griots. .  1  rg 

VIII.     Penda-Balou 227 

IX.     Croyance  aux  sorciers 234 

X.     Enigmes  et  proberbes, 2'3<_» 

Appréciation 2_)3 


CINQUIEME  PARTIE 

coup-d'œil   d'ensemble    sur    i.a  portée   in- 
tellectuelle DES  CONTES  ET  LÉGENDES  DES 
23  I 


NEGRES  SENEGAMB1ENS. 


Le  l'uy.  —  Imprimerie  de  Marcheasou  lils. 


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