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Full text of "Compter sans son hôte : proverbe"

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Te 

PTER  SANS  SON  HOTE  B 

PROTERRE 


Jt    lfelle  AUGl-STINE    BROHAN 


Joué  pour  la  preniiti 
1  des  Enfants  pauvres  de  la  Ville  de  Paris 
dans  les  salons  de  l'Hôtel  Porbin  Janson 
mars   1849 


«D    M    CK1IFIT    DE     I    II 


PIU\    :    2  FlUMs 


PARIS 

'ERROT1N,  LIBRAIRE- ÉDITEUR 

PO    DOYENNÉ,    3,   ET   BOULEVARD    MONTMARTRE,    22 


1849 


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$  COMPTER  SANS  SON  HOTE  V 


PKOVEKKE 


PAR    M'11    AUGl'STINE    BROIIAIV 


Joué  pour  la  premM  i 
néfice  des  Enfants  pauwes  de  la  Ville  de  Paris 
dans  les  salons  de  l'Hôtel  Porbln  Janaon 
mars  i»49 


SF.    VEM>    Al'    l'HDFH     : 


PRIX   :   2  FIU\i;s 


PARIS 

PERROTIN,  LIBRAIRE -EDITEUR 

PLACE   PU    DOYENNÉ,    3,   ET    iiOULEVARD    MONTMARTRE,    22 

1849 


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1222 

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COMPTER  SANS  SON  HOTE 


DE    I,  I.MIMUMEIIIE    DE    CKAI'ELLT 


COMPTER  SANS  SON  HOTE 

PROVERBE 
PAR  M "<  AUGUSTIXE   BROHAA 

1.,,  favriii  ili    la  raiion  ,  fai:i 


î-^> 


PARIS 

PERROT1N  ,   LIBUAIRE-ÉD1TEUR 

l'LACE   DU   IMiV,  ;\M.    S.    ET   BOULEVARD    MOXTMA  RTRE ,   23 
18-49 


Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/comptersanssonhOObroh 


COMPTER  SANS  SON  HOTE 


LA  DUCHESSE  DE  PRADINES.     M,fc  Bbohak. 

LE  MARQUIS.  M.  le  comte  df  N. 

LUC  Y.  M"e  Bertin. 


COMPTER  SANS  SON  HOTE. 


(La  scène  se  passe  dans  un  château  de  l'Anjou  j 

IVtii  salon  :  causeuse  an  coin  de  la  cheminée;  feu;  piano  ouvcrl 
une  glace  sur  le  piano;  une  fenêtre 


SCENE  PREMIERE. 

LA  DUCHESSE,  LE  MARQUIS 

Ils  entrant  nu  fond. 
I  A     DUCHESSE. 

Je  suis  veuve  ,  marquis  ;  j'ai  vingt-cinq  ans  , 
et  je  veux  bien  vous  avertir  que  vous  entrepre- 
nez une  tâche  difficile.  Je  ne  saurais  aimer  à 
cette  heure;  mon  mari  m'a  guéri  des  premières 
illusions,  la  vingt-cinquième  année  m'a  guérie 
tout  à  fait.  En  un  mot,  celui-là  sera  bien  habile 
qui  me  surprendra  hors  de  mes  remparts. 

IF    H1BQUTS. 

Madame  la  duc!. esse,  votre  sécurité  est  un 
piége  qui  tournera  contre  vous;  prenez-y  garde. 


COMPTER  SANS  SON  HOTE. 

LA    DUCHESSE. 

Grand  merci  du  conseil  ;  niais  je  ne  puis  en 
lionne  conscience  vous  faire  plus  effrayant  que 
vous  ne  l'êtes. 

LE     MARQUIS. 

Oh  !  vous  ne  nie  comprenez  point ,  madame  : 
ce  n'est  vraiment  pas  moi  qui  suis  à  craindre  , 
mais  l'ennui,  leyV?  ne  sais  quoi,  les  circonstances, 
le  hasard  ,  vous  êtes  veuve... 

LA     DUCHESSE. 

Grâce  au  ciel  !... 

LE    MARQUIS. 

Grâce  au  ciel?...  Comme  vous  dites  cela  du 
fond  de  l'âme...  C'était  donc  un  affreux  tyran, 
ce  pauvre  duc  ?... 

LA    DUCHESSE. 

Fi  donc!...  qu'est-ce  que  cela...  un  tyran?... 
C'était,  comme  vous  vous  intitulez  fièrement,  vous 
autres  hommes ,  un  homme  h  bonnes  fortunes  ; 
nous  autres  femmes  nous  appelons  cela  d'un 
mot  plus  vrai  :  ce  pauvre  duc...  était  un  cou- 
reur. . . 

LE    MARQUIS. 

.l'entends;  et  à  force  d'avoir  couru  ,  l'infortuné 
vous  a  laissée  veuve.  Grâce  au  ciel  ! 

LA     DUCHESSE 

Pour  cela. . .  bon  ! 


5<  EXE  I. 

LE    MARQUIS. 

Oui— da  ?  à  vingt-quatre  ans,  veuve,  libre, 
belle,  un  peu  esseulée,  et  par-dessus  le  marché 
une  solide  fortune;  comme  qui  dirait  une  houle 
de  neige  de  successions. 

LA    DUCHESSE. 

Oui,  Dieu  merci;  mais  où  voulez-vous  en 
venir?. .. 

LE     MAUOllS. 

Moi?  à  rien;  j'en  suis  où  vous  en  êtes.  ><>us 
disions  donc  :  grâce  au  ciel ,  vous  êtes  veuve  et, 
Dieu  merci ,  vous  êtes  riche;  est-ce  cela? 

LA    DUCHESSE. 

Ah  çà!...  marquis...  quelle  est  cette  nouvelle 
entrée  de  jeu?...  Me  voulez-vous  faire  passer 
pour  anthropophage?  avec  votre  Dieu  merci... 
l'accent  que  vous  y  mettez  ne  me  convient  pas... 
Je  dis  :  Dieu  merci,  et  non  pas,  Dieu  merci!!! 
Voulez-vous  pas  que  j'aille  pleurer  quelques 
vieux  parents  que  je  n'avais  jamais  vus... 

LE    MARQUIS. 

Mais,  voilà  une  querelle  d'Allemand.  Et  qui 
parle  de  vous  reprocher  quoi  que  ce  soit?... 
Je  dis  comme  vous,  et  avec  vous  :  vous  êtes 
veuve ,  grâce  au  ciel  !  et  riche ,  Dieu  merci  ! 
Pour  comble  de  bonheur,  je  ne  vois  personne 
qui   ait  droit  d'assiduité  auprès  de  votre   veu- 


6  COMPTER  SANS  SON  HOTE, 

vage  ,  sinon  moi;  et...  suivez-moi  bien  !  à  force 
de  voir  toujours  le  même  visage,  vous  en  pren- 
drez l'habitude,  et  de  façon  à  ne  plus  savoir 
vous  en  passer.  Ce  cpii  fait,  qu'un  jour  ou  l'au- 
tre, sans  le  savoir,  sans  le  vouloir,  sans  résis- 
tance, sans  façons  et  sans  remords,  vous  vous 
direz  à  vous-même  :  Ma  foi ,  à  tout  prendre , 
cet  homme- là  est  plus  aimable  que  je  ne  pen- 
sais. 

I.A    DUCHESSE. 

La  chute  est  jolie...  C'est  donc  là  que  vous  en 
vouliez  venir?...  Ah!  bon  Dieu!  quelle  idée 
avez -vous  de  moi  ;  vous  êtes  mon  parent,  par 
malheur;  les  convenances  m'ordonnent  de  vous 
recevoir,  mais  mon  cœur,  ce  pauvre  cœur,  dont 
vous  faites  le  but  de  vos  soupirs  et  de  vos  bons 
mots,  est  tout  entier  où  vous  n'êtes  guère  ;  dans 
le  monde,  au  bal,  au  spectacle.  Ce  soir,  par 
exemple  ,  ce  cœur  volage  occupe  ,  bel  et  bien  , 
une  grande  loge  aux  avant-scènes  de  l'Opéra, 
pour  la  pièce  nouvelle.  Vous  ne  voyez  ici,  dans 
ce  reste  de  deuil,  qu'une  pâle  copie  de  moi-même, 
le  moi,  qui  n'est  pas  moi,  pendant  que  le  vrai 
moi ,  en  grande  toilette,  en  grande  parure  ,  des 
fleurs  à  la  main,  admirée,  enviée,  prête  une 
oreille  attentive  et  charmée,  au  Prophète  de 
Meyerbeer.  Vous  jouez  avec  une  illusion  ;  ma  vie 
n'est  point  ici,  marquis,  c'est  mon  ombre. 


SCÈNE  I.  7 

LE    HARQ1  is. 

En  ce  cas ,  permettez-vous  que  je  baise  l'om- 
bre de  tes  jolis  doigts,  qui  agitent  l'éventail  à 
lavant-scène  et  qui  déchirent,  ici  même,  cette 
ombre  de  mouchoir? 

la    m  <  HESSI 

Déchirent...  déchirent...  où  voyez-vous  cela? 
Ce  sont  des  jouis  que  j'agrandis —  par  préoc- 
cupation. 

LE     M  ABOI  1S. 

Cela  se  voit  de  reste ,  mais  le  pauvre  mou- 
choir finira  par  passer,  tout  entier,  à  traversées 

jours. 

LA    DUCHESSE. 

Que  vous  importe  ? 

LE    MARQt  IS. 

Au  fait!...  Mais  que  vous  êtes  de  maussade 
humeur!...  Adieu,  duchesse! 

LA  DUCHESSE. 

Nous  êtes  intelligent,  marquis... 

LE    MARQUIS. 

N  oilà  un  mot  qui  me  fâcherait  s'il  était  vrai. 
Ma  seule  prétention,  c'est  d'être  intelligent  de 
façon  à  me  faire  rappeler,  après  un  tour  ou  dnux 
dans  votre  parc. 

LA     DUCHESSE. 

Comment  !  vous  sortez  comme  cela,  à  pied,  par 


8  COMPTER  SANS  SON  HOTE. 

honte  pour  messieurs  vos  chevaux?...  vous  êtes 

une  bonne  âme... 

IF.    MARQUIS. 

Encore  un  compliment  que  je  n'accepte  pas; 
je  vais  à  pied  parce  que  c'est  plus  tôt  fait,  et  parce 
que  je  sais  fort  bien  que  je  n'irai  pas  loin ,  si 
vous  entendez  vos  intérêts. 

LA    nUCHKsSK. 

^les  intérêts? 

LK    MARQUIS. 

Eh!  oui,  car,  en  me  promenant,  je  vais  pas- 
ser en  revue  tous  vos  défauts. 

LA    DUCHESSK. 

N'avais-je  pas  raison  de  dire  que  vous  alliez 
vous  fatiguer  ? 

LK    MARQUIS. 

Je  suis  tvop  galant  homme  pour  en  convenir. 


SCENE  ir. 


LA   DUCHESSE  ,..„>, 

Il  s'en  va;  il  a  le  dernier...  mais  aussi,  c'esl 
ma  faute;  tontes  les  femmes  qui  restent  chez 
elles,  pour  être  veuves,  ont  quelque  ouvrage 
d'étiquette,  noir,  blanc  ou  gris  de  lin,  qui  leur 
donne  une  contenance;  voilà  une  précaution  que 
j'ai  négligée;  cela  m'embarrasse  de  causer  avec 
le  marquis,  sans  rien  dans  les  mains.  Que  faire  ? 
Commencer  un  travail  de  longue  haleine,  quel- 
que broderie  à  la  Pénélope. ..  il  n'est  plus  temps  ! 
et  ce  serait  à  désespérer  tout  le  monde  !  Bon. . .  je 
vais  prendre  un  livre  bien  savantas!  n'ai-je  pas 
quelque  part,  dans  mon  chiffonnier,  un  livre  de 

Elle  rbrrrlir  iluns  ni  m.-. ,1.1.. 

M.  de  Humboldt?. . .  voyons...  non...  qui  me  l'a 

pris  donc?  mon   Dieu,  où  ai-je  pu   mettre  ce 
chaos?  Le  marquis  va  revenir...  ah!  voilà  mon 

(Elle  l'ouvre. 

garde-fon.  Bon  Dieu  ,  comme  cela  doit  être  en- 

f  File  s'assied  et  lit. 

nuyeux!...  Allons,  un  peu  de  courage  !...  ah  ça, 

'  Elle  lelil  ri  la, lie.) 

il  ne  revient  pas.  Il  est  charmant!   il  parle  de 


10  COMPTER  SANS  SON  HOTE, 

passer  la  revue  de  mes  défauts,  comme  si  jeu 
avais  un  régiment.  C'est  décidément  un  mal-ap- 
pris.  Mon  père  avait  bien  affaire  d'être  son  oncle  ! 
Je  l'ai  sur  les  bras  pour  toute  ma  vie.  Mais  c'est 

(  Elle  relit ,  puis  jclle  le  livre  sur  la  table.  ) 

qu'il  ne  revient  pas.  Bon  Dieu,  qu'est-ce  que 
tout  cela  méfait?...  Ce  pauvre  marquis,  c'est  qu'il 
m'aime  tout  de  bon!  Sans  cela  serait-il  ici? 
Pour  un  homme  du  monde  est-il  rien  de  triste 
comme  ce  vieux  château ,  au  fond  de  ce  vieil 
Anjou,  qu'il  est  venu  habiter  là  tout  prés  de  moi, 
sous  prétexte  de  surveiller  des  réparations!  Je 
ne  suis  pas  dupe,  cousin  ,  vous  êtes  venu  sécher 
les  larmes  que  j'aurais  dû  verser,  et  me  distraire 
un  peu  de  mon  rôle  de  pleureuse.  Je  vous  en  sais 
gré  au  fond,  et  je  vous  aimerais,  si  l'amour  ne 
conduisait  pas  au  mariage.  Mais  à  quoi  bon  com- 
mencer un  roman  pour  arriver  rie  à  rac  à  l'c- 
charpe  de  M.  le  maire!  Une  fois  mariée ,  adieu 
l'empire,  adieu  la  fête  de  dire  oui  ou  non  !  Une 
lois  marié,  vous  seriez  tout  bonnement  un  mari , 

(  Elle  se  levé  et  va  à  la  fenêtre.  ) 

cousin;   un  mari,  c'est  tout  dire...  Oui-da,  le 

(  Parlant  de  la  fenètn  .; 

voilà  qui  se  promène  ;  il  s'arrête  !  Aon  ,  non  , 
marquis,  je  ne  vous  rappelle  pas;  le  fat!  Allons, 
je  vais  jouer  du  piano  et  chanter. 

Elli   i.e  met  au  piano  et  cl.aute.) 


SCÈNE  II.  il 


Air  :  Dv  ta  Sirène,  d'Aulier. 

De  nos  mêmes  années  , 
Tendre  et  doux  souvenir, 
Les  mêmes  destinées 
Doivent  nous  réunir. 
Toujours  pure  et  fidèle 
le  t'ai  gardé  ma  foi. 
Reviens,  ma  voix  t'appelle; 
Reviens,  ou  près  de  toi 
Rappelle-moi. 
lu  \  iens.. . 


SCENE   III. 

LA  DUCHESSE,  LE  MARQUIS. 

(Le  marquis  outre  et  se  place  derrière  elle   ) 
LA    DUCHESSE  res-ant  de  riianter. 

Je  vous  préviens,  marquis,  que  je  vous  vois 
dans  la  glace. 

LE    MARQUIS. 

Ma  parole  d'honneur  je  ne  me  cachais  pas.  Je 
suis  enchanté  que  vous  me  voyiez,  vous  pouvez 
juger  de  mon  empressement  à  me  rendre  à  votre 
appel . 

I  A    DUCHESSE. 

Quelle  est  cette  nouvelle  Impertinence?...  je 
ne  vous  ai  point  appelé,  que  je  sache? 

LE    MARQUIS. 

Et  cette  romance,  duchesse  :  Reviens,  reviens, 
ma  voix  t'appelle,  en  mi-bémol! 

LA    DUCHESSE. 

Cette  romance  ,  marquis  ,  c'est  la  Sirène. 

LE    MARQUIS. 

Parfaitement  approprié  à  la  circonstance ,  si- 


SCENE  111.  13 

rêne,  car  vous  m'avez  charme,  dans  le  vrai  sens 

(lis  quittent  le  piano  et  reviennent  pies  de  la  table;  la  duebessr   prend 
le  livre;  le  marquis  la  regaidant.] 

du  mot.  Mais,qu'avez-vous  là?...  Un  Monde!  al  i  ! 

ah  !  comme  vous  y  allez,  madame  la  duchesse  ! 
du  Humholdl ,  du  bel  Humboldt,  franco-alle- 
mand. Comment  !  ma  précieuse  cousine,  voilà  vos 
joujoux?  Vous  n'avez  pas  d'autre  tête— à-téte  ? 
Du  grec!  Ah!  pour  l'amour  du  grec,  souffrez... 
Là,  vraiment,  vous  m'etonnez  ;  mais  c'est  bien 
de  votre  part...  M.  de  Humboldt... 

LA    DUCHESSB 

Eh  bien,  oui,  M.  de  Humboldt,  cela  vaut  bien 
vos  madrigaux,  monsieur  mon  beau  cousin. 

LE    MARQUIS. 

Sérieusement,  madame,  vous  vous  êtes  jetée, 
la  tète  la  première  ,  dans  ce  puits  d'érudition  ? 
en  ce  cas,  parlez-moi  de  M.  de  Humboldt,  ex- 
pliquez-moi le  Cosmos. 

LA     DUCHESSE    embarrassée. 

Mais  ,  sans  doute  ;  c'est  là  un  beau  talent  ,  et 
je...  Eh  bien,  marquis,  vous  êtes  donc  revenu  ù 
propos  ? 

LE     MARQUIS. 

Ne  m'avez-vous  pas  appelé  ?. . . 

LA     DUCHESSE. 

Voyons,  dites-moi,  de  grâce!  pourquoi  vous 
devenez  insupportable  à  ce  point-là  ? 


li      COMPTER  SANS  SON  HOTE. 

LE    MARQUIS. 

Je  vous  aime  passionnément.  Est-ce  un  bon 
motif? 

LA     DUCHESSE. 

Il  est  bon  ,  mais  il  ne  faut  pas  en  abuser. 

LE    MARQUIS. 

Quoi!  duchesse,  pas  un  ne  saura  donc  vous 
toucher? 

LA     DICHESSE. 

Touchée  !...  moi  touchée.  Si  c'est  là  votre  élo- 
quence, n'y  comptez  pas,  mon  cher  cousin. 

LE    MARQUIS. 

Si  vous  saviez,  madame,  quelle  douce  folie 
est  mon  amour!  vous  seriez  plus  indulgente.  Oui, 
s'il  vous  était  possible  de  ne  pas  rire,  même  quand 
vous  n'avez  pas  envie  de  rire,  vous  verriez  si  je 
suis  touché  ,  en  effet ,  et  vous  seriez  saisie  d'une 
telle  pitié  ,  que  vous  deviendriez  charitable  pour 
un  amour  qui  ne  demande  presque  rien  ! 

LA    DUCHESSE. 

Peu  de  chose,  en  effet,  mon  cœur  et  nia 
main  ! 

LE    MARQUIS. 

Duchesse!  c'est  ma  vie  que  j'offre  en  échange. 

LA     DUCHESSE. 

Tenez,  mon  cousin,  de  bonne  foi,  vous  m'ini- 


SCÈNE  III.  18 

patientez;  mais  comme,  après  tout,  je  n'ai  d'au- 
tre distraction  ici  que  ma  volière,  il  faut  bien 
que  je  vous  supporte.  Ainsi,  avez  donc,  je  vous 
prie,  l'extrême  obligeance  de  faire  quelques  frais 
d'amabilité,  et  puisque  vous  voilà  revenu  du 
parc,  qu'il  fait  froid,  et  que  nous  avons  bon  feu, 
assevons-nous  et  causons ,  comme  de  bons  amis  . 
de  choses  et  d'autres  :  les  seules  intéressante^ 
pour  de  braves  gens,  qui  ne  songent  point  a 
mal,  ni  à  mariage,  par  conséquent;  mettez  de 
côté  votre  galanterie,  elle  vous  servira  un  autre 
jour,  quand  vous  aurez  quelque  belle  daine  a 
épouser  ou  à  séduire,  et  que  la  dame  ne  deman- 
dera pas  mieux  que  de  vous  suivre  en  croupe , 
ou  de  marcher  tout  droit  à  l'autel...  Pour  ma 
part,  je  n'en  suis  ni  là,  ni  là. 

LE    MARQUIS. 

Vous  avez  grand  air,  cousine,  à  me  parler 
comme  vous  faites...  prenons  donc,  ici,  place 
comme  vous  souhaitez  ..  et  causons  comme 
deux  conseillers  à  la  cour  de  cassation. 

LA     DI  CHESSK. 

Eh  bien  !  soit. 

(  Ils  s'asseoient.  ) 
LE    MARQ1  IS. 

Mais  enfin,  je  voudrais  bien  savoir  qui  vous 
rend  si  forte...  Sans  me  vanter,  je  ne  suis  pas 
déjà  si  mal  tourne...  je  ne  suis  pas  un  sot,   un 


16  COMPTER  SANS  SON  HOTE, 

niais  encore  moins, . .  mes  intentions  sont  bonnes, 
ma  tendresse  est  vraie;  j'ai  pour  moi  les  conve- 
nances, l'usage,  les  bruits  et  le  consentement  du 
monde...  le  voisinage,  li  parenté;  j'ai  votre  iso- 
lement, j'ai  votre  jeunesse,  tout  enfin...  et  je  ne 
vois  pas  pourquoi  vous  êtes  à  me  rire  au  nez, 
comme  si  j'étais  vieux...  sot...  bète...  insipide, 
bossu...  et  sur  le  retour  du  retour! 

LA     DUCHESSE. 

Ali  !  li  !  voilà  que  vous  brûlez  vos  vaisseaux. 
Monsieur  qui  fait  son  apologie  !  Monsieur  qui  se 
trouve  charmant!...  Il  n'y  a  rien  de  pareil  dans 
le  Cosmos  de  M.  de  Humboldt. 

LE    MARQUIS. 

Moi  !  un  fat!...  non.  Pas  plus  que  vous  n'êtes 
Celimène  je  ne  suis  Oronte...  Moi,  un  fat!... 
Autant  vaudrait  dire  que  vous  êtes  une  coquette. . . 
et  vous  avez  beau  faire,  vous  ne  l'êtes  pas! 

I.  V      DUCHESSE. 

Que  dites-vous  donc  ?  Toutes  les  femmes  le 
sont  un  peu. 

LE    MARQUIS. 

Ah  !  vous  êtes  mieux  que  cela.  Une  coquette 
veut  plaire  à  tout  le  monde.  Vous  ne  cherchez 
à  plaire  à  personne.  Je  vous  connais  depuis 
longtemps...  Du  temps  où  vous  étiez  laide,  à 
seize  ans. 


SCÈNE  III  IT 

LA      DUCHESSE. 

Qu'est-ce  que  cela  prouve? 

LE    MxRQIlS. 

Rien  absolument,  sinon  qu'à  force  d'art ,  d'es- 
prit, d'habileté,  de  bonheur,  peu  à  peu,  et 
chaque  jour  vous  avez  gagné  une  grâce  nouvelle, 
chaque  matin  vous  donnait  une  beauté  de  plus;. . . 
en  même  temps,  plus  vous  étiez  belle  ,  plus  vous 
étiez  hère.  Vous  aviez  l'air  de  nous  dire  : 
Tant  pis  pour  vous ,  ma  beauté  est  mon  ou- 
vrage ;  c'est  l'œuvre  de  ma  patience,  démon 
étude,  de  mon  génie.  Je  ne  dois  rien  à  personne  , 
je  dois  tout  à  moi-même.  Aimez-moi,  si  cela  vous 
amuse,  mais  que  m'importe? — Voilà  votre  intime 
pensée  ,  madame  la  duchesse.  Vous  êtes  fière 
d'être  belle,  comme  d'autres  en  sont  heureux  .. 
Moi  qui  vous  parle,  par  exemple,  où  est  le 
mérite  que  je  sois  beau  comme  Adonis?  C'est  le 
bon  Dieu  qui  m'a  fait  ainsi  ,  et  mon  talent  n'a 
rien  à  y  voir;  je  suis  beau,  parce  que  je  suis 
beau,  par  hasard  ,  et  si  je  m'en  vante,  c'est  parce 
qu'il  n'y  a  pas  de  quoi  se  vanter. 

LA     DUCHESSE. 

Ah  !  nous  en  sommes  là,  déjà...  Ah  !  vous  voilà 
en  train  de-  chanter  vos  propres  merveilles  et 
de  vous  dire  ,  à  vous  même ,  tout  bonnement  : 
charmant  marquis,  bonjour  ;  bonjour,  marquis 
charmant. 


■18  COMPTER  SANS  SON  HOTE. 

LK    MARQUIS. 

Tout  bonnement. . .  je  suis  beau  comme  l'oiseau 
chante,  et  vous  vous  êtes  belle  comme  chante  la 
Grisi.  L'oiseau  ne  se  doute  pas  de  ses  mérites,  la 
Grisi  en  est  fière  ;  ils  ont  raison  tous  les  deux . 

LA      DLCHKSSE. 

Vous  raillez  ,  et  moi  je  dis  sérieusement , 
sans  exagération  ,  car  exagérer  c'est  s'appuyer 
sur  de  mauvaises  raisons,  faute  de  bonnes  :  en  un 
mot  comme  en  cent,  que  l'amour  ne  me  convient 
pas,  ne  me  plaît  pas,  ne  m'amuse  pas...  est-ce 
clair?  Je  sais  ce  cpie  je  sais...  chacun  de  nous  a 
ses  moyens  de  défense.  Vous  avez  vos  beaux 
yeux,  j'ai  mon  expérience.  J'ai  souffert  et  je  me 
souviens...  J'avais  vingt  ans,  on  m'a  donne  un 
mari  presque  laid  et  certainement  vieux  ;  je 
commençais  à  être  jolie,  il  finissait  d'être  un  des 
hommes  les  plus  disgraciés  du  royaume,  et  je 
pleurais  d'en  être  délaissée.  O  mes  larmes!  mes 
pauvres  larmes...  Je  n'en  veux  plus  répandre. 
Etre  libre,  être  à  soi,  s'aimer  un  peu  soi-même, 
et  si  le  bonheur  vous  échappe ,  n'avoir  à  s'en 
prendre  qu'à  soi-même!  c'est-à-dire  point  de  re- 
grets, point  de  remords  !  Jamais  je  ne  me  par- 
donnerai ce  premier  mariage,  et  vous  pensez  bien 
(pie  je  n'irai  pas,  de  gaieté  de  cœur,  m' exposer 
de  nouveau,  à  tant  de  reproches.  Donc,  mar- 
quis, touchez  là...  vous  n'aurez  point  ma  main. 


SCÈNE  111.  19 

l.K    M  u;>H  IN      1,.,  prenant  la  main. 

J'accepte,  en  attendant  mieux. 

LA    Dl  chessi  . 
Quel  mieux  ? 

i.K   m  vnoi  is. 

(Hic  sait-on?  je  crois  an  petit  dieu  malin, 
comme  disait  maître  Demoustier,  de  son  vivant. 

LA      Dl  CHESSE. 

De  son  vivant...  c'est-à-dire  que  le  petit  dieu 
est  mort.  Mais  quel  pathos  dites-vous  là,  mar- 
quis?... Le  petit  dieu  malin  est  mort...  les 
petits  marquis  l'ont  enterre...  De profundis ! 

LE    MARQl  IS. 

Mais,  en  lin  de  compte,  il  faut  à  un  jeune  cœur 
autre  chose  que  de  la  liberté.  Prenez-y  garde, 
vous  avez  beau  dire  et  vous  avez  beau  faire,  on 
peut  fondre  les  ylaces  de  votre  cœur,  et  alors, 
songez-y  bien,  en  vain  vous  me  cacherez  l'aveu 
en  question ,  vous  serez  trahie  par  un  rien,  un 
mot,  un  geste  ,  un  regard  ,  un  silence  ,  et  voilà 
une  femme  dont  le  secret  s'envole...  coure/ 
après  si  vous  pouvez. 

LA     DUCHESSE. 

Fort  bien ,  marquis...  Je  consens  à  cela.  Eh 
bien  ,  dans  ce  cas,  ma  fierté  demanderait  grâce 
et  merci,  et  je  dirais,  bien  confuse,  au  vainqueur, 
laissez-moi  fuir  ce  danger  que  j'ignorais,  laissez- 


20  COMPTER  SANS  SON  HOTE. 

moi  par  grâce  sortir  de  cette  épreuve  !  Oui  , 
mais  avant  d'en  arriver  à  cette  confusion, 
marquis,  voyant  ma  raison  faibli)-,  et  s'affoler 
mon  cœur,   je   prendrais  cette  petite  chose  que 

(  Elle  prend  une  sonnette  placée  sur  la  cheminer,] 

vous  voyez  là,  et  en  agitant  seulement  la  main 
comme  ceci,  j'appellerais  à  mon  aide  un  auxi- 
liaire infaillible,  qui  sous  un  prétexte  quel- 
conque ne  manquerait  pas  de  me  faire  revenir 
du  pays  des  songes  pour  rentrer  dans  la  vie 
réelle.  —  Voilà  ce  que  je  ferais.  N'en  préjugez 

(Lucy  entre;  l.i  duchesse  ayant  sonné.) 

rien,  toutefois,  si  j'ai  joint  l'exemple  au  pré- 
cepte... C'est  tout  simplement  que  je  veux,  à 
mon  tour,  prendre  l'air,  que  j'ai  besoin  d'une 
pelisse  pour  n'avoir  pas  froid,  et  que  je  veux 
surtout  vous  laisser  ici ,  rêvant  aux  glaces  de 
mon  cœur  ! 

(  Lnry  revient  avec  un  niant,  au  qu'elle  un  l  su,    le,  épaules  île  la  duclll  S5I 
LE    MARQUIS. 

Duchesse,  laissez-moi  vous  suivre. 

LA      DUCHESSE    soi  tant. 

Marquis,  essayez  de  l'absence,   qui  sait  si  ce 
n'est  pas  là  le  meilleur  moyen  de  me  plaire? 

(Elle  son 


SCENE  IV 


LE  MARQUIS  ,eui. 

Quel  entêtement  !  Elle  ne  conviendra  pas 
qu'elle  m'aime,  et  pourtant,  voici  bien  les  fleurs 
que  je  lui  ai  données  ,  elle  les  a  soigneusement 

Il  prend  lr  mouchoir  de  la  tlo 

gardées,  là,  dans  ce  coin  brodé.  Elle  n'en  con- 
viendra pas!  Alors,  à  quoi  hou  cette  retraite 
absolue,  quand  son  deuil  finit,  quand  Paris 
l'attend  et  l'appelle?...  Elle  m'aime,  j'en  suis 
sûr,  mais  elle  veut  être  vaincue...  Les  femmes 
ii  \  entendent  rien  ;  elles  bataillent  toujours  pour 
se  laisser  prendre,  quand  on  leur  saurait  si  bon 
gré  de  se  donner.  Vous  n'en  verrez  jamais  une 
vous  dire  d'une  voix  naturelle  :  Eb  bien  oui,  je 
vous  aime,  ne  me  le  demandez  pas  deux  fois,  c'est 
perdre  du  temps.  La  plus  sensée  et  la  plus  hon- 
nête va  exiger  une  cour  de  deux  mois,  quatre 
mois,  six  mois,  l'éternité  !...  Elles  veulent  céder, 
pied  à  pied,  le  terrain  perdu  ,  et  arrivées  au  bout 
du  sentier,  elles  ne  voient  pas  que  c'est  de  l'ha- 
bileté dépensée  en  pure  perte.  Elles  se  sont  fati- 
guées à  courir,  nous  à  les  suivre,  elles  à  la  de- 


12  COMPTER  SANS  SON  HOTE, 

fense,  nous  à  l'attaque,  et  pourquoi?  pour  Unir 
par  se  rendre  en  louvoyant.  La  duchesse  m'aime, 
cela  n'est  pas  douteux.  Elle  est  libre...  pourquoi 
tous  ces  retards,  pourquoi  ces  choses  de  l'autre 
monde?  O  femmes!  gracieux  caprice  de  Dieu! 
chef-d'œuvre  de  la  création  !  c'est  sûrement  le 
diable  qui  vous  a  gâtées  ainsi!... 


SCENE  V. 

LE  MARQUIS,  LUCY. 

lia. 
One  vous  a  donc  fait  le  diable ,   monsieur  le 
marquis,  que  vous  semblezsi  courrouce  contrelui? 

IF.    M4RQIIS. 

Ce  qu'il  m'a  fait?...  Mais  il  m'a  fait,  sans  au- 
cun doute,  tes  yeux  noirs,  et  ce  joli  visage,  qui 
me  damnerait,  mon  enfant  ,  si  je  n'y  prenais 
garde... 

I  I  (Y. 

Allons  donc  ,  monsieur  le  marquis...  si  ma 
maîtresse  vous  entendait. . . 

LE    MARQUIS   observant. 

De  bonne  foi,  Lucy,  cela  lui  déplairait-il  pa«> 
un  peu? 

I.ICY   gravement. 

Sans  aucun  doute,  monsieur...  Madame  la 
ducbesse  tient  à  la  décence  de  sa  maison. 

LE    MARQIIS. 

Miss  Lucy,  comme  une  vraie  femme  que  vous 


2i  COMPTER  SANS  SON  HOTE, 

êtes ,  vous  allez  user  votre  esprit  à  jouer  au  fin 
contre  vous-même.  —  Oui,  tu  vas  perdre  ton 
temps  à  médire  mille  choses  oiseuses,  quand  tu 
pourrais,  d'un  mot,  compter  avec  moi.  Voyons, 
expliquons-nous...  Mademoiselle  Lucy  veut-elle 
être  une  femme  de  chambre  inutile...  alors,  va... 
range...  fais  ta  besogne...  je  te  présente  mes 
respects...  Au  contraire,  veux-tu  me  rendre  un 
grand  service  et  te  faire  un  ami  d'un  voisin  de 
campagne,  je  te  prie  de  rester...  et  je  reste.  — 
Ah!  Lucy,  s'il  ne  fallait  qu'un  baiser  et  vingt 
louis  !... 

LUCY. 

Eh  !  quel  dommage,  le  baiser  a  gâte  tout  le 
reste...  Monsieur  le  marquis,  l'argent  suffisait 
sans  le  baiser...  le  baiser  suffisait  sans  l'argent  ! 

LE    MARQUIS. 

Enfin  ,  parle  toujours  ,  nous  réglerons  plus 
tard...  voyons,  Lucy,  qu'a  fait  ta  maîtresse,  ce 
matin  ? 

LUCY 

Madame  la  duchesse,  en  s'éveillant,  a  envoyé 
chez  monsieur  le  marquis  pour  l'inviter  à  dîner. 

LE    MARQT  IS. 

Après  ? 

Il  a  ■ 

Après?...  Madame  la  duchesse  m'a  appelée 
pour  que  je  la  coiffe. 


SCENE  Y.  25 

Il       M  UiOl  |s 

Et  ne  s'est-elle  pas  fait  coiffer. . -  mieux  que 
d'habitude?...  rappelle-toi. 

LUCY. 

Dam,  monsieur,  madame  la  duchesse  s'est  fail 
onder. 

l.t      M  U.OI  IS. 

Ah  !  fort  bien...  ensuite  elle  a  déjeune  .  sans 
doute? 

1 1  «  ^ 

Mais,  pas  trop...  madame  a  émietté  son  pain 
et  l'a  porte  aux  oiseaux  de  la  volière. 

r.K    HARQUIS. 

Très- bien...  s'est-elle  un  peu  occupée  i\u 
dîner? 

LUCY. 

Oui,  monsieur,  à  mon  grand  étonne  ment,  ma- 
dame a  fait  venir  le  maître  d'hôtel  et  s'est  in- 
formée de  ce  cpfon  servirait...  puis  madame  a 
été,  elle-même,  dans  les  serres,  et  a  désigné  les 
Heurs  à  mettre  dans  les  vases. 

I  F.     M  W.OI  IS   ;,   paît. 

(Ihiiil. 

Elle  m'aime ,  c'est  très-évident.  Dis-moi  , 
I.ucy,  ta  maîtresse  lit-elle  souvent? 

LUCY. 

Oh  !  pas  beaucoup,  monsieur. 


26      COMPTER  SANS  SON  HOTE. 

LE    MARQUIS. 

Mais  encore...  quels  livres? 
i.i  <y. 

Je  puis  vous  le  dire,  monsieur,  car  je  les  ouvre 
souvent  pendant  que  madame  est  à  la  promenade, 
c'est  très-amusant  ;  il  y  a  d'abord  M.  Alfred 
de  Musset ,  X Imitation  de  Jésus-Christ  et  1rs 
M  \  stères  de  Paris. 

LE    MARQI  IS    i  ra  t. 

Aie  !  aïe!  que  nous  voilà  bien  loin  du  Cosmos 

Il  IUt.] 

de  M.   de  Humboldt.  C'est  bien  ,  Lucy,  que  te 
faut-il,  nia  belle,  est-ce  le  baiser  ou.. .  ? 

I.I  CY    un  |>.  ii  embarrassée. 

Monsieur  le  marquis  ,  si  cela  vous  est  égal ,  ji 
préfère  une  honnêteté  en  or. 

LF.    MARQI  IS. 

Voilà  ma  bourse,  mon  enfant...  La  neige 
tombe...  ta  maîtresse  va  rentier...  sauve-toi... 
et  merci. 

Il  IVnibraw;  elle  m-  sauv( 
Il     MARQUIS  seul 

A  nous  deux  maintenant,  madame  la  sour- 
noise; tâchons  de  vous  ennuyer  et  surtout  de 
vous  étonner 

Il  s'assii  :  5111  U   (.in   |i     el  lai:  m  mblanl  île  dormir 


SCENE  VI. 

LE  MARQUIS,  LA  DUCHESSE. 

LA    DUCHESSE    entrant  vivement 

Quel  froid,  hou  Dieu  !  Marquis,  je  vous  dois 
encore  de  m'étre  enrhumée;  sans  \  o>  conversa- 
tions saugrenues,  je  n'aurais  sûrement  pas  songé 
à  quitter  ce  feu...  et  je  ne  me  serais  pas  expo- 
sée à...  Eh  hien ,  il  dort!...  Qu'on  dise  encore 
que  lus  amoureux  ont  de  ['instinct!  Certainement 
lr  marquis  est  fou  d'amour,  cela  n'est  pas  dou- 
teux, et  il  doit  !...  Il  dort  les  yeux  fermés  quand 
il  pourrait  me  voir  !...  Hum  !  hum  ! 

I.F.    MARQUIS   s:,-,,  ouvrir  1rs  yrux. 

Je  vois  ce  que  c'est  . . 

LA    DUCHESSE. 

Est-ce  qu'il  va  rêver,  maintenant?  Oh  !  comme 
je  détesterais  un  homme  qui  rêverait  tout  haut. .. 

LF.    MARQUIS. 

Je  vois  ce  que  c'est ,  duchesse  :  vous  aurez 
pris  froid  ,  c'est  pour  cela  que  vous  toussez... 


28  COMPTER  SANS  SON"  HOTE. 

LA    DUCHESSE. 

Vous  êtes  d'une  grande  lucidité  ,  marquis , 
quand  vous  donnez.  Oui ,  sans  doute  ,  je  tousse 
parce  que  j'ai  pris  froid...  et  si  vous  n'étiez  pas 
là,  encombrant  mon  canapé  ,  j'aurais  quelque 
chance  de  pouvoir  me  chauffer  les  pieds. 

LE    MARQUIS    se  levant. 

Duchesse,  vous  me  maltraitez  trop,  et  je  m'en 
vais  tout  de  bon,  cette  fois... 

LA    DUCHESSE. 

Sérieusement? 

LE    MARQUIS. 

Sérieusement. 

LA    DUCHESSE. 

Mais  il  neige... 

LE    MARQUIS. 

J'affronterais  toutes  les  tempêtes  du  ciel ,  cou- 
sine ,  pour  échapper  à  celle  que  je  vois  s'amon- 
celer sur  votre  front. 

LA    DUCHESSE. 

Vous  ne  croyez  donc  pas  à  l'arc-en-ciel? 

IF.    MARQUIS. 

Si  fait ,  cousine  ;  mais  la  foudre!  je  n'aurais 
qu'à  mourir  pendant  l'orage... 

LA    DUCHESSE. 

Mourir  ! 

LE    MARQUIS. 

C'est   une  figure,    duchesse...    J'entends  que 


SCENE  VI.  29 

je  pourrais  perdre  vos  bonnes  grâces,  et  je  aous 
sais  si  fantasque  et  si  impressionnable,  que  je  vous 
crois  Dès-capable  de  prendre  au  sérieux  ce  que 
vous  dites,  et  de  m'en  vouloir  réellement  des 
torts  que  vous  me  prêtez... 

LA    DUOHESS1 

Me  prenez-vous  pour  une  folle,  marquis? 

LF.     M  IRQ1   [S. 

Mon  Dieu  ,  comme  vous  me  rudoyez  aujour- 
d'hui !  Ne  puis-je  parler  de  vos  caprices,  qui 
sont  un  de  vos  charme»,  madame,  suis  vous 
sembler  grossier  et  mal -appris?... 

LA     DLCHFSSF.    à  put. 

Il  me  faut  tout  mon  sang-froid  pour  ne  pas  lui 
dire  de   méchantes  choses.    Rl'aime-t-il    réelle- 

(llaui.) 

nient  ?. . .  Marquis,  je  ne  sais  à  quoi  cela  tient,  mais 
le  fait  est  que  nous  ne  nous  entendons  pas  le 
moins  du  monde  !  Il  s'est  glissé  entre  nous  une 
humeur  piquante,  dont  je  ferais  bon  marché, 
pour  ma  part  ,   si  vous  vouliez... 

LE    MARQUIS. 

Ah  !  ah  !  duchesse...  vous  avez  peur  ' 

LA     DUCHF.SSK. 

De  vous,  n'est-ce  pas? 

I.F.    MARQUIS. 

Pourquoi  donc  pas.' 


30  COMPTER  SANS  SON  HOTE. 

LA    DUCHESSE. 

Parce  que...  ma  fierté... 

LE    MARQUIS. 

Et  ma  passion... 

LA    DUCHESSE. 

Votre  passion,  toujours  votre  passion,  mêlée 
de  menaces ,  de  piqueries ,  de  colère  ,  de  som- 
meil ,  de  nuages.  Cela  me  fatigue  et  m'ennuie 
à  la  tin. 

LE    MARQUIS. 

Bon!  prenez  garde,  je  vous  avertis,  comme 
aux  échecs;  voilà  déjà  que  je  vous  ennuie... 

LA    DUCHESSE. 

Oui,  oui  ,  vous  m'ennuyez,  marquis  ,  el  il  y 
a  longtemps  encore;  mais  je  ne  vous  en  aime  p. in 
plus  pour  cela. 

LE    MARQUIS. 

N'importe;  notez,  je  vous  prie  ,  ce  premier 
point  :  je  vous  ennuie. 

LA    DUCHESSE. 

C'est  noté  ;  mais  ,  croyez-moi ,  votre  système 
est  pitoyable;  renoncez-y. 

LE    MARQUIS. 

Y  renoncer  ! . . .  Et  l'égoïsme,  la  vanité,  l'amour- 
propre  ,  toutes  mes  vertus  ? 

LA    DUCHESSE. 

Les  aimables  défauts  !  les  trois  gracieux  défauts  ! 
Égoïste  et  vaniteux,  où  cela  vous  mène-t-il  ? 


SCENE  VI.  3ï 

LE    MARQUIS. 

L'égoïsme  :  à  sacrifier  votre  plaisir  au  mien  ! 
la  vanité:  à  me  croire  airr.é  de  vous!  l'amour- 
propre  :  à  vous  en  faire  convenir. 

LA    DUCHESSE. 

Voilà  de  la  franchise.  Faut-il  rire  ou  me  fâ- 
cher ? 

j  r    m  u.m  is. 

Vous  fâcher  certainement.  Si  vous  riez,  vous 
serez  désarmée,  et  moi  aussi. 

LA    DUCHESSE. 

Mais  si  je  me  fâche  ,  je  dois  vous  mettre  à  la 
porte  ,  et  il  neige... 

LE    HAEQUIS. 

Que  vous  importe  la  neige,  si  vous  ne  m'aimez 
pas?... —  Vous  ne  reconnaissez  pas  votre  cœur, 
et  cet  excès  d'attention... 

LA    DUCHESSE  après  un  silenre 

L'affreux  temps!  Que  faites-vous  donc,  mon 
cousin  ? 

LE    MiRQUIS. 

Duchesse,  je  vous  haise  la  main  pour  faire  la 
paix . . . 

LA    DUCHESSE. 

Nous  ne  sommes  point  en  guerre  ;  votre  plai- 
santerie est  un  peu  maussade  ,  il  est  vrai ,  mais 
chacun  fait  de  son  mieux.. 


32      COMPTER  SANS  SON  HOTt. 

LE    MARQUIS. 

Sérieusement ,  je  vous  adore ,  et  il  faudra 
bien  que  vous  m'aimiez. 

LA     DUCHESSE. 

Sérieusement,  vous  devenez  insupportable... 

allez-vous-en. 

LE    MARQUIS. 

Désespérez-moi ,  vous  en  avez  le  droit.  Je  suis 
bien  malheureux!  mais  je  ne  veux  pas  vous  fa- 
liguer  de  mes  plaintes.  C'en  est  fait!  vous  né 
m'aimerez  jamais.  Adieu!  adieu!  ayez  un  regret 
pour  l'amant  fidèle,  pour  l'ami  sincère  que  vous 
repoussez  si  cruellement ,  adieu  ! 

LA    DUCHESSE   un  pni  émue 

Adieu!  rèvez-vous?  vous  dînez  ici,  ce  me 
semble.  Voyons,  ne  dites  rien  ,  et  ne  partez  pas 
tout  à  fait.  Laissez-moi  quelques  instants  seule- 
ment, que  je  reprenne  baleine  ;  en  vérité,  vous 
me  tourmentez  trop.  Là,  vraiment,  laissez-moi, 
et  dites,  je  vous  prie,  à  l'antichambre  qu'on 
m'apporte  du  bois. 


SCENE  VII 


LA  DUCHESSE  wa)  .  , 

Pauvre  homme,  connue  il  souffre!  Il  dit  vrai, 
c'est  un  ami  sincère...  un  amanl  fidèle,  et  quoi- 
qu'il dorme  dans  le  jour,  ce  qui  est  un  horrible 
défaut,  j'aimerais  mieux  épouser  lui  que  tout 
autre;  mais,  quand  à  peine  je  suis  veuve  et  libre... 

I.I1-  v,i  s',i>scoir  sur  le  canapé. 

J'en  suis  fâchée  pour  vous,  mon  cousin...  vous 
attendre/....  Si  votre  amour  est  robuste  il  survi- 
vra ;  sinon  ce  sera  autant  de  gagne... 


SCENE  VIII. 

LA  DUCHESSE  „*,.  LUCY. 

LA     DUCHESSE   .1  Lurj    qui  npp   rie   du 

Où  donc  est  le  marquis? 

LUCY  mettant  du  lim-  au  feu 

Monsieur  le  marquis,  madame?  Il  est  sur  le 
grand  bassin;  il  patine... 

LA    DUCHESSE    ircs-surpriso. 

Comment,  il  patine? 

LUCT. 

Oui,  madame... 

LA    DUCHESSE. 

Lui  y  soi  1 

Allez  le  chercher...  Celui-là  est  trop  fort,  par 
exemple.  Se  moque-t-il  de  moi,  ce  marquis  de 
malheur?  Il  ne  m'aime  pas,  rien  n'est  plus  clair! 
Je  vais  le  congédier. 


SCENE  IX. 

LE  MARQUIS,  LA  DUCHESSE. 

I  \     Di  <llr-»i 

Ali  !  vous  voilà,  monsieur;  vous  patiniez,  a  cfl 
qu'on  dit?... 

LE    M  AI,  o  LIS. 

Oui,  duchesse. 

I.  V     1)1  CHESSE. 

C'est  sentimental  ! 

LE   HA&Ql  is. 

Non,  duchesse...  mais  cela  réchauffe. 

LA    DUCHESSE. 

Monsieur,  quand  on  est  renvoyé  par  la  femme 
qu'on  dit  aimer,  on  a  froid,  on  yèle,  on  se  dé- 
sole, on  se  met  en  colère,  mais  on  ne  patine  pas... 
Patiner!...  cela  s'est-il  jamais  vu?... 

LE    MARQUIS. 

C'était  par  fierté,  duchesse  !  Pour  que  vous 
ne  vous  réjouissiez  pas  de  ce  que  je  souffre. 

LA     DUCHESSE    après  un  temps 

Je  ne  sais  que  faire  de  vous,  en  vérité  ! 


3G      COMPTER  SANS  SON  HOTE. 

LE    MiROI  IS. 

Épousez-moi. .. 

LA     DUCHESSK. 

Ali  bien  oui ,  vous  épouser!  un  homme  qui 
dort,  qui  rêve  tout  haut,  qui  patine!  Cherchez 
vos  victimes  ailleurs,  monsieur...  Ah  bien  oui, 
me  marier  avec  vous!  Une  fois  marié,  savez- 
vous  ce  que  deviendrait  ce  bel  amour?...  Ce 
bel  amour  aurait  encore  quelques  éclairs,  pen- 
dant les  six  premiers  mois,  et  je  vous  traite  en 
amie!  Bientôt  monsieur  irait  à  la  chasse,  pour 
commencer...  après  la  chasse  viendraient  les 
devoirs  du  monde,  et  monsieur  me  dirait  :  C'est 
bien  fatigant,  le  monde,  si  vous  restiez  chez 
vous  ce  soir?  Ou  bien,  si  par  bonne  fortune,  et 
je  serais  une  heureuse  femme,  vous  me  faites 
la  grâce  de  rester  dans  votre  maison ,  il  faudra 
vous  aller  trouver  au  chenil,  à  l'écurie,  que 
^.ais-je ?  Vous  me  ferez  essayer  quelque  jument 
qui  me  jettera  à  terre,  et  me  cassera  le  cou. 
l'en  aurai  de  l'humeur  si  j'en  réchappe,  et  si 
j'en  meurs,  vous  en  aurez  des  remords  éternels. 
C'est  ma  vie,  marquis,  que  je  défends  ici  ,  en- 
tendez-vous. Non ,  non  ,  point  de  mariage  !  —  Et 
le  tabac  que  j'oublie,  le  tabac,  cet  ennemi  mortel 
de  l'amour,  comme  dit  Byron.  Pour  ne  pas  me 
quitter,  vous  fumerez  chez  moi,  dans  mon  cabi- 
net; vous  empesterez  tout,  vous  noircirez  mes 


SCÈNE  IX.  31 

rideaux  el  me  donnerez  nue  bronchite...  à  moins 
que  je  ne  vous  mette  à  la  porte,  où  vous  reste- 
rez patiemment,  pour  l'amour  de  vos  chers  ci- 
gares. Quelle  agréable  perspective  !  la  jolie 
chose  que  le  mariage  !  Non  ,  non,  ennuyez-moi 
tout  à  votre  aise,  mieux  vaut  à  présent  que  plus 
tard.  Je  ne  vous  épouserai  pas,  marquis!  Certes, 
je  ne  suis  pas  coquette;  cependant  je  ne  veux 
pas  renoncer  au  plaisir  de  vous  voir  ainsi,  les 
veux  levés  au  plafond  par  amour!  —  Oh!  vous 
les  baissez,  marquis,  mais  ils  y  étaient.  —  La 
bouche  en  cœur,  la  moustache  parfumée  et  la 
tenue  irréprochable,  comme  il  convient  a  tout 
homme  faisant  sa  cour.  Vous  épouser,  marquis, 
allons  donc!  VOUS  me  feriez  paver  tons  ces  pe- 
tits sacrifices  que  vous  me  faites  depuis  trois 
mois. 

Je  vous  paierai,  lui  dit-elle. 
Avant  l'août,  foi  d'animal! 

Intérêt  et  principal. 

U     MARQUIS. 

Sur  ma  parole  d'honneur,  ma  cousine,  si  en 

effet  vous  ne  m'aimez  pas  plus  que  vous  ne  le 
dites,  vous  êtes  la  femme  la  plus  horriblement 
coquette  qui  se  soit  jamais  rencontrée,  de  la 
rue  de  Grenelle  à  la  rue  Saint-Honore,  en 
passant  par  la  Chaussée -d'Antin. 


38      COMPTER  SANS  SON  HOTE. 

LA     DUCHESSE. 

Bon  !  voilà  que  vous  parlez  comme  un  om- 
nibus... Mais  en  quoi  suis-je  coquette,  je  vous 
prie? 

LE    MARQUIS. 

En  ce  que  vous  faites  tout  ce  que  vous  pouvez 
pour  me  rendre  fou  d'amour. 

LA      DUCHESSE. 

Mais  encore,  où  voyez-vous  cela? 

LE    MARQUIS. 

Oh  !  à  mille  choses  :  d'abord  vous  ctes  parte. . . 

LA     DUCHESSE. 

Allons  donc,  marquis  !  Je  me  pare  pour  mon 
cocher,  quand  je  sors  en  voiture... 

LE    MARQUIS. 

Duchesse,  je  sais  ce  que  je  dis;  je  vous  ai  sur- 
prise souvent  au  coin  de  votre  feu...  et  d'abord 
vous  n'aviez  pas  ces  cheveux-là...  vous  êtes 
ondée,  duchesse. 

LA     DUCHESSE. 

Qu'est-ce  que  cela  prouve? 

LE    MARQUIS. 

Que  vous  m'attendiez. 

LA    DUCHESSE. 

Oui ,  sans  doute  ,  je  vous  attendais  ,  puisque 
je  vous  ai  fait  prier  de  dîner  avec  moi. 


SCÈNE  IX.  39 

LK    HABQ1  ls. 

Oui,  mais,  là...  VOUS  m'attendiez...  d'une  cer- 
taine façon,  comme  qui  dirait  sur  le  qui-vive? 

LA    Ul  CUESSl 

Ah  cà  !  perdez-vous  la  tète?... 

LE    MARQUIS. 

Ensuite  vous  avez  essavé  d'autres  séductions  ; 
vous  avez  pris  un  livre  de  M.  de  Humboldt... 
pour  me  faire  croire  à  votre  amour  des  sciences 
que  je  vous  ai  dit  souvent  être  un  charme  chez 
une  femme. 

LA    DUCHESSE. 

Décidément,  marquis,  vous  m'ennuyez  trop. 

LK     M  W.oi   [£ 

Pas  encore  assez  ,  madame...  pas  autant  (pie 
M    de  Humboldt  ! 

LA    Ul  CBESSl 

Encore!  Pourquoi  cette  insistance1  Voici  une 
heure  que  vous  m'irritez  à  plaisir...  Pourquoi 
me  dire  de  ces  choses  qui  déplairaient  à  toutes 
les  femmes? 

LE    MARQ1  1^. 

Parce  que  je  puis  vous  les  dire  sans  vous  of- 
fenser... Toutes  les  femmes  ont  de  ces  petites 
faiblesses-là...  et  si  on  ne  leur  en  dit  rien,  c'est 
qu'on  les  sait  trop  peu  habiles. pour  en  convenir, 
ou  qu'on  les  estime  trop  peu  pour  s'en  occuper. 


40  COMPTER  SANS  SON  HOTE. 

Mais  avec  vous,  ma  cousine  ,  c'est  tout  différent. 
AI.  de  Humboldt,  par  exemple,  vous  a  sûrement 
ennuyée;  lisons-le  ensemble,  et  cela  vous  plaira 
fort,  car  vous  avez  tout  autant  de  sérieux  dans 
l'esprit  qu'il  en  faut  pour  apprécier  les  choses 
sérieuses,  dites  sérieusement. 

L\    DUCHESSE. 

Voici  maintenant  que  vous  allez  me  démon- 
trer par  A  plus  B  comme  quoi  il  faut,  absolu- 
ment, que  je  vous  épouse,  si  je  veux  comprendre 
M.  de  Humboldt. 

LE    MARQUIS. 

Non,  non,  ma  chère  cousine,  épousez-moi, 
pour  avoir  dans  la  vie  un  abri,  un  soutien,  un 
refuge,  un  devoir  même.  Vous  vous  calomniez; 
il  faut  à  votre  cœur  non  pas  les  distractions  du 
moment ,  mais  une  affection  vive,  qui  y  prenne 
la  meilleure  place.  Vous  avez  été  éprouvée  , 
sans  doute,  et  votre  mariage  ne  vous  a  guère 
réussi;  mais  pouve/.-vous  comparer  un  seul  in- 
stant l'égoïsme  de  M.  de  Pradines  et  mon 
dévouement  absolu?  Me  connaissez-vous  d'hier 
seulement ,  et  ne  vous  souvient-il  pas  que 
depuis  votre  première  enfance  ma  sollicitude 
\ous  a  partout  suivie?  Piassurez-vous  sur  les 
nouvelles  craintes  qui  vous  arrivent ,  et  qui  ne 
sont  excusables  que  par  la  défiance  où  vous  a 
jeter  votre  premier  mariage.  Si  je  vous  quitte 


SCÈNE  IX.  ii 

pour  la  chasse,  ce  sera  donc  que  vous  aurez 
quelque  grave  conférence  avec  votre  couturière, 
et  si  je  fume  mon  cigare  à  votre  porte,  il  faudra 
que  quelque  préparatif  de  bal  ou  de  fête  m'ait 
chasse  de  votre  toilette...  Allons,  allons,  un  bon 
mouvement;  aimez -moi,  cousine,  épousez- 
moi...  Où  trouverez-yous  jamais  un  cœur  plus 
épris,  une  affection  plus  sincère  et  plus  vive? 
i.\  m  cm  SSE. 
Mon  cousin!  mon  cousin  !  vous  plaide/  bien  ; 
pourquoi  faut-il  que  la  cause  soit  mauvaise.' 

LE    MAKQUIS. 

I  ne  mauvaise  cause,  à  moi,  quand  \ous  êtes 
le  juge  suprême  ?  Ah  !  ne  dites  pas  cela  ,  ma 
cousine  ;  il  v  a  dans  votre  cœur  un  écho  qui  vous 
ledit  les  tristesses  du  mien.  D'un  mot  vous  pou- 
vez tout  changer  en  joie  ;  vous  voyez  bien  que 
je  l'espère,  que  je  l'attends  ! 

I.l  C.V    un  plal  .l'a, fini  a  l.i  main. 

Madame,  voici  M.  le  louvetier  Restaud  Mon- 
dragon  de  Céricourt,  qui  fait  demander  l'hon- 
neur de  dîner  avec  madame  la  duchesse. 

I.A     DUCHESSE. 

Dîner...    ici...    aujourd'hui?... 

Il  Ci  . 

Oui,  madame;  M.  le  louvetier  demande  aussi 
Thonneur  de  présenter  à  madame  la  duchesse, 
une  patte  de  loup. 


42      COMPTER  SANS  SON  HOTE. 

l.K    MARQUIS. 

Une  patte  tle  loup? 

Il  c> . 

Sur  un  plat  d'argent. 

I.K    MARQUIS. 

«  Madame,  il  fait  grand  vent,  et  j'ai  tué  six  loups.  » 
LA    DUCHESSE. 

Ah!  mon  Dieu!  M.  le  louvetier  Restaud 
Mondragoh  de  Concourt...  tout  est  perdu ,  et 
voilà  vos  menaces  accomplies... 

I.K    MARQUIS. 

Qu'y  a-t-il?  quelles  menaces  ? 

LA    DUCHESSE. 

Oui,  vous  aviez  raison,  et  comme  vous  le 
disiez  tantôt...  je  ne  puis  faire  qu'un  mariage 
par  ennui  ;  or,  j'en  suis  bien  fàcliee  pour  vous, 
vous  avez  beau  faire,  vous  êtes  encore  moins 
ennuyeux  que  le  louvetier  Restaud  Mondragon 
de  Céricourt  avec  sa  patte  de  loup... 

LE    MARQUIS. 

Sur  un  plat  d'argent.  ..Et  cette  patte-là...  au- 
rait votre  main  ,  ma  duchesse? 

LA    DUCHESSE. 

Il  le  faut  bien,  si  je  ne  veux  pas  faire  mentir 
votre  prédiction...  et  puis  j'ai  rêvé  de  ce  Res- 
taud la  nuit  passée  ;  et  puis  il  est  mon  voisin.  Il 
a  même  un  coin  de  forêt  qui  entre  dans  mes 
bois;  si  bien  que  l'on  dirait,  si  je  vous  épousais  : 


SCÈNE  IX  43 

Bon,  voilà  le  louvetier  qui  chasse  sur  les  terres 
de  M.  le  marquis.  Enfin!  enfin,  le  sort  en  est 
jeté,  je  serai  par  ennui,  par  nécessite,  par 
voisinage  ,  madame  Restaud  de  Mondragot)  de 
Céricourt... 

II      H  LBQ1  Is. 

N'est-ce  que  cela  ?  Le  louvetier  n'est  plus  vi- 
tre louvetier  ;  votre  voisin  n'est  plus  votre  \  oisin, 
■%a  forêt  n'est  plus  sa  foret  ;  j'ai  acheté  ce  matin 
même  la  baronnie  de  Céricourt,  et  pour  peu 
que  cela  vous  plaise,  une  fois  par  an,  le  jeudi 
gras ,  sans  sortir  de  chez  vous ,  vous  serez  ma- 
dame la  louvetière,  baronne  de  Mondragon  t.\v 
Céricourt. 

LA    Dl  CHESSE    lui  (lointain  la 

Oh  !  pour  le  coup,  voilà  qui  me  décide  tout  à 
fait;  que   ne   le  disie/.-vous  plus    tôt,   marquis? 

LE    MARQUIS    lui  l.aisant  la  main. 

Duchesse,  il  ne  faut  pas  compter  sut.-  son 
hôte. 


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