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Full text of "Congrès Scientifiques de France"

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CONGRÈS 


SCIENTIFIQUE 


DE FRANCE. 


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METZ, IMPRIMERIE DE S, LAMORT.. 


CONGRÈS 


SCIENTIFIQUE 


DE FRANCE. 


CINQUIÈME SESSION, 
ue x 107 en) Cepteubre 1837. 


SE TROUVE: 
METZ, CHEZ LAMORT , IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ; 


PARIS , CHEZ DERACHE , LIBRAIRE, RUE DU BOULOY, N° 7,5 
BLOIS ; CHEZ LES PRINCIPAUX LIBRAIRES. 


M DCCCXXXVIII. 


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AVANT - PROPOS. 


La cinquième session du Congrès scientifique de 
France qui à été tenue à Metz, fut une véritable 
fête pour les amis des sciences et des arts. 

A peine eut-on connaissance, dans cette ville, de 
ce projet de réunion , que son utilité fut appréciée 
par toutes les classes de la population. L’académie, 
la société des sciences médicales, la société d'histoire 
naturelle , et la société des amis des arts, choisirent 
dans leursein,des membres pour former une commis- 
sion chargée des travaux préparatoires du Congrès: 
de concert avec le secrétaire général, une circulaire, 
puis le programme des questions à soumettre aux 
différentes sections, furent adressés à des hommes 
connus par leurs travaux, ainsi qu’à la plupart des 
sociétés savantes françaises et étrangères. Un agent 


V} 
fut nommé pour s'occuper de tous les détails d’exé- 
cution. 

Les industriels et les horticulteurs songérent, les 
uns, à présenter aux étrangers une exposition des 
produits de l'industrie du département, les autres, 
à mettre, sous les yeux, pour la première fois, l’en- 
semble de tout ce que notre pays offre d’utile et 
d’agréable en horticulture. Ces deux expositions eu- 
rent lieu sous le patronage de l'académie royale de 
Metz. D'un autre côté, une exposition de dessin et 
de peinture se préparait sous les auspices de la so- 
ciété des amis des arts. Des emplacemens spacieux 
et commodes furent mis par l'autorité à la disposi- 
tion des exposans. La commission , chargée de l’im- 
pression des travaux du Congrès, laisse aux sociétés 
dont elle vient de parler, le soin de rendre compte 
de ces expositions. 

Trois vastes salles furent ouvertes au palais de 
justice pour les séances des sections ; deux salons 
furent disposés à l’hôtel-de-ville; l'un pour les 
séances générales, l’autre pour les réunions du 
soir. Telles furent les dispositions qui précédérent 
l'ouverture du Congrès. 

Dès la veille de la première séance , une as- 
semblée nombreuse eut lieu ; on y remarquait 
plusieurs hommes bien connus par leurs travaux 
scientifiques ou littéraires. Chacun augurait bien 


vi) 
de la session qui allait s'ouvrir et se félicitait 
à l'avance, de pouvoir saisir cette circonstance pour 
entrer en relation avec des hommes que leur répu-. 
tation avait devancés. 

L'idée que l'on s'était faite de cette session ne fut 
point déçue. Les séances des sections prirent, par 
les sujets qu'on y traita et par l’ordre qu’on y ob- 
serva dans les discussions, un caractère grave et 
digne du but que l’on se proposait. Les résultats de 
tous ces travaux donnèrent aux séances générales 
quelque chose de solennel. Des dames invitées à 
ces séances générales, y assistèrent en grand nom- 
bre etmontrèrent par là, combien elles appréciaient 
tout ce qui honore l'esprit humain. 

Pour faire diversion à la gravité des séantes, les 
établissemens publics de la ville et les divers ca- 
binets des particuliers furent ouverts aux mem- 
bres du Congrès; des promenades géologiques et 
archéologiques, eurent lieu à Metz et aux environs; 
un concert fut offert par la société philharmonique ; 
deux banquets eurent lieu sur la fin de la session, 
et une soirée fut donnée par M. le Préfet. Cepen- 
dant les séances des sections ne furent interrompues 
qu’ une seule fois, pour une course géologique et 
archéologique ; les séances générales ne le furent 
point, 


Si la réunion ne fut pas aussi nombreuse qu’on 


vil 
pouvait l'espérer, il faut en attribuer la cause à di- 
verses circonstances. 

La position de Metz, à l'extrême frontière, Est , 
de la France, ne pouvait laisser espérer qu’on réu- 
nirait beaucoup de savans des départemens éloignés. 
Les pluies continuelles qui précédèrent le Congrès ; 
le choléra qui sévissait alors dans le midi et en Sicile, 
privèrent l'assemblée de plusieurs savans qui avaient 
annoncé leur arrivée. Pendant que la session avait 
lieu, la réunion de la société géologique se tenait à 
Alencon ; deux assemblées avaient lieu en Allemagne, 
l'une à Prague, l’autre à Goettingue ; une réunion 
scientifique venait d’avoir lieu en Suisse ; d’un autre 
côté, des prédictions sinistres pouvaient faire ap- 
préhender qu'il ne s’élevât des discussions fâcheuses 
au sujet de la suppression de la section des sciences 
morales économiques et législatives. Enfin , quelques 
personnes ignorant encore quels résultats on pou- 
vait obtenir d’une réunion de ce genre, dont on 
n'avait pas d'exemple dans le pays, s'étaient abste- 
nues de s'associer. Les unes étaient mues par la pré- 
vention que les travaux auraient peu d'intérêt, les 
autres étaient retenues par la crainte trop modeste 
de ne pouvoir y prendre qu'une faible part. 

Malgré tant de circonstances défavorables , la réu- 
nion fut cependant plus nombreuse que celle de 
l'année dernière , et l’abondances des travaux fut telle 


ix 
que la 5° section se vit obligée d’avoir deux séances 
par jour; que la plupart des séances des sections 
et d’assemblées générales eurent une durée plus lon- 
gue que celle fixée, et que l’on se vit obligé de pro- 
roger d'un jour la clôture de la session. Le co- 
mité *, chargé de la publication des travaux du 
Congrès, va mettre en situation de les apprécier par 
le compte rendu qui suit. 


* Ce comité a été institué par l’art. 8 de l’arrêté pris par le 
Congrès à la séance générale du 14 septembre 1837. Les mem- 
bres qui le composent sont MM. Lemasson, président; Mon, 
Hozanpre, Virzaume, Michel Nicozas , Ducosrzosquer , Béenv, 
Fourwez, Laponvre, DE Sauzcyx, Micueranr, Boceau; Victor 
SIMON , secrétaire. 


ARRÉTÉ 


PRIS 
PAR LE CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE, 


POUR LA TENUE 


DE LA SESSION DE 1857. 


ExTrarr du procès-verbal de la séance générale 
du 17 septembre 1836. 


Arr, 4%. Le Congrès, après avoir pris connaissance des 
demandes adressées par les villes de Metz, Autun , Mar- 
seille, Tours et Chartres, pour la tenue de la 5° session, 
a décidé que cette session aurait lieu à Metz, et devrait 
s'ouvrir du 1% au 5 septembre de l'année 1837. 

Arr. 2. Monsieur Victor Simon, membre de l'académie 
royale de Metz, et juge au tribunal de première instance 
de la même ville, sera chargé des fonctions de secrétaire 
genéral. 

Arr. 5. L'académie royale de Metz est priée de vouloir 
bien nommer une commussion préparatoire, qui devra 
s'entendre avec M. le secrétaire général pour tous les tra- 
vaux relatifs à l’organisation de la D° session du Congrès 
scientifique de France. 


Pour copie conforme : 


Le Secrétaire général de la 4° session, 


Signé ne La Saussaye. 


COMMISSION PRÉPARATOIRE 


NOMMÉE 


PAR L'ACADÉMIE, LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES MÉDICALES, 
LA SOCIÉTÉ D'HISTOIRE NATURELLE 


ET LA SOCIÉTÉ DES AMIS DES ARTS. 


MM. 
DE Sausey, membre de l'académie royale de Metz. 
FAIVRE, idem. 
Fourxez, idem. 
BLanc, idem. 
Boucuorte (Charles), idem. 
TERQUEM, idem. 
GErsoN-Levy, idem. 
PIOBERT, idem. 


WizLauME, membre de la société des sciences médicales 
de Metz. 

Gizzor, membre de la même société. 

Horanpre, membre de la société d'histoire naturelle du 
département de la Moselle. 

LEJEUNE, membre de la même société. 

Lucy, membre de la société des amis des arts du dépar- 
tement de la Moselle. 

MExESssIER, membre de la même société. 

Et Victor Smox, secrétaire général du Congrès, membre 
de l'académie royale de Metz et de la société d'histoire 
naturelle du département de la Moselle. 


xij 


CIRCULAIRE 


DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL 


DE LA 5° SESSION 


DU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 


Moxsrecr , 


Depuis long-temps les amis du progrès ont senti combien 
il est utile pour tous, qu'à des époques déterminées des 
réunions se tiennent sur divers points du royaume. 

Quatre sessions du Congrès scientifique de France ont 
déjà eu lieu, successivement, dans différentes villes, et 
le résultat a répondu à l'attente de ses fondateurs. 

En eflet, les échanges de travaux entre les différentes 
provinces, la capitale et l'étranger, les observations faites 
dans chaque localité, et à l’aide des hommes spéciaux 
de ces localités, sont d’une utilité bien sentie pour ceux 
qui veulent arriver promptement à de bons et solides ré- 
sultats. 

De ces réunions il est né des relations pleimes d'intérêt 
entre des hommes qui, par l’analogie de leur goûts, dé- 
siraient se connaître. 

Nous avons donc, à l'avance, la garantie des avantages 
qui peuvent résulter de la cinquième session du Congrès 
qui doit s'ouvrir à Metz, au mois de septembre procham. 


Metz espère justifier, sous plus d'un rapport, la dis- 
tinction dont elle a été honorée entre plusieurs autres 
‘villes. 

Ce espoir est fondé sur les ressources et sur l'intérêt 
que présente son industrie, et sur les différentes institu- 
tions dont notre ville est dotée. Parmi celles-ci nous ci- 
terons l’école d'application de l'artillerie et du gémie, et 
ses collections remarquables de modèles ; l'hôpital muili- 
taire d'instruction ; son académie royale ; ses sociétés de 
médecine, d'histoire naturelle, des amis des arts, d’en- 
couragement de jeunes israélites, de prévoyance et de 
secours mutuels ; ses établissemens de bienfaisance ; ses 
écoles: publiques et privées, dirigées par d’habiles pro- 
fesseurs ; son beau système d'enseignement élémentaire su- 
périeur et industriel ; sa bibliothèque publique ; ses col- 
lections archéologiques, et enfin son muséum d'histoire 
naturelle. 

L'importance que les études mathématiques ont acquise 
en cette ville, engagera à présenter avec confiance, au 
Congrès, des questions sur les sciences exactes : aussi 
l'académie a-t-elle décidé, provisoirement, qu'il serait 
créé une septième section spéciale pour les mathémati- 
ques, sauf à soumettre au Congrès réuni en séance géné- 
rale, cette modification d'organisation. 

Metz antique et Metz moderne, si riche de faits liés à 
l'histoire de tous les temps de la France et de l'Allemagne ; 
ses monumens d'architecture religieuse, civile et militaire, 
et en premier ordre sa magnifique cathédrale et les arches 
de son grandiose aqueduc de Jouy; voilà des sujets d’é- 
tudes et d'observations bien suffisans pour ceux qui se 
livrent aux recherches historiques et archéologiques. 

Le naturaliste aura , dans les environs de Metz, à ob- 
server des formations géologiques variées, dont quelques- 


XIV 
unes doivent être étudiées dans notre pays. Les autres 
branches d'histoire naturelle, notamment la botanique, 
présenteront un champ non moins fécond à explorer. 

Nos contrées, qui d'ailleurs offrent des paysages si 
rians, fixeront l'attention des industriels, des agronomes 
et des horticulteurs, qui visiteront avec un haut intérêt 
les pépinières, les nombreuses exploitations et les impor- 
tantes usines de notre département. 

Enfin nous ne devons pas omettre que Metz, située 
près de la frontière de l'Allemagne, paraît destinée à 
réunir dans son sein , lors du Congrès, un grand nombre 
de savans de ce pays. 

Nous osons espérer, Monsieur, que toutes ces consi- 
dérations vous engageront dès à présent, à nous indiquer 
des sujets de questions qui se rattachent aux matières dont 
le Congrès s’occupera, et à nous les transmettre avant le 
le 4° avril prochain. Nous espérons aussi qu'à l’époque 
de la session, vous vous empresserez de vous rendre à 
Metz pour contribuer, par vos lumières, à donner à 
cette réunion l'importance dont elle est susceptible. 

Si vous acceptez notre invitation, une convocation indi- 
quant l'époque précise de l'ouverture des travaux vous 
sera adressée avec le programme des questions qui devront 
être discutées au Congrès. = 

Recevez, Monsieur, l'assurance de mes sentimens de 
considération les plus distingués. 


Vicror SIMON, 


Secrétaire-archiviste de l’académie royale de Metz, président 
de la société d'histoire naturelle du département de la Mo- 
selle, membre de la société géologique de France, etc. 


PROGRAMME 


DE LA CINQUIÈME SESSION. 


{Cette réunion a été autorisée par arrêté de M. le Préfet, en date du 8 lyars 1837; 
le réglement à été approuvé par la même autorité le 31 mai suivant.) 


4° La 5° session du Congrés scientifique de France s'ouvrira à Metz A 
le mardi 5 septembre, à midi, dans la grande salle de l'hôtel de ville. 

2° La durée de la session sera de dix jours au plus. 

3° Les travaux du Congrès seront répartis en six sections *, 

4°0Dans la première séance, aprés le discours d'ouverture du se 
crétaire général, on nommera le président et les deux vice-présidens 
du Congrès, qui, avec le secrétaire général, composeront le bureau 
central. 

Les secrétaires provisoires de sections choisis par le comité d’orgä- 
nisation , inscriront les noms des membres du Congrès dans les sections 
dont ils désireront faire partie. \10 4 

Chacun pourra se faire inscrire dans plusieurs sections à la fois. 

Indépendamment des secrétaires , il sera nommé un commissaire 
pour chaque section «et un agent pour tout le Congrès. 

5° Il sera adjoint au bureau central un suppléant au secrétaire géné- 
ral, et un trésorier-archiviste , chargé de la comptabilité de la 5° session 
et du dépôt des ouvrages dont il sera fait hommage à l'assemblée. 

‘6° Le président ,. le vice-président et les deux secrétaires de chaque 
section seront nominés pa les sections mêmes, le lendemain de l'ou- 
verture du Céngrès. 

7° Les sections s'assembleront tous les matins ; elles fixeront elles 
mêmes la durée de leurs séances. L'ordre d'ouverture des séances sera 


" L'arrêté de M. le préfet, qui autorise la réunion du Congrès, indique les titres des 
différentes sections. 


XV} 


indiqué sur une carte particulière qui sera remise à chaque membre 
du Congrès. 

8° Chaque jour, à deux heures après midi, il y aura assemblée de 
toutes les sections réunies. Le secrétaire général lira le procès-verbal 
de la séance de la veille ; les secrétaires des sections donneront lecture 
des procès-verbaux des séances particulières tenues dans la matinée. 

L'’asssemblée sera consultée sur les conclusions adoptées par les 
sections. %# 

On pourra ensuite entendre des lectures et recevoir des communi- 
cations yerbales ou autres. 

9° Nul ne pourra prendre la parole, à une séance, sans en avor 
obtenu la permission du président, à qui la police de la séance ap- 
partient de droit. 

40° Aucune délibération ne pourra être prise, soit dans les sections 
soit dans les réunions générales, si le quart au moins des membres 
inscrits n’est pas présent. 

41° Toute discussion sur des matières politiques ou religieuses est 
interdite. 

42°. Aucune lecture ne sera entendue en séance générale, qu’elle 
n'ait été approuvée par les sections, chacune dans leur spécalité. 

43° Le Congrès pourra ordonner, sur la proposition des sections 
respectives , Lee des mémoires qui lui seront présentés. 

4%° Outre les questions et propositions indiquées au programme 
du Congrès, tous les membres ont le droit de lui en présenter de 
nouvelles ; mais elles devront être formulées par écrit et déposées sur 
le bureau du Congrès, en séance générale. Elles seront examinées le 
soir même, par une commission permanente qui jugera si elles peuvent 
être admises. Le résultat de la délibération sera communiqué le len— 
demain aux sections compétentes. , 

45° La commission permanente est composée des membres du nn 
central, du président et d’un des secrétaires de chaque section. 

46° Pendant la tenue du Congrès, il sera fait des excursions scientifiques. 

47° Nul ne sera admis à se faire inscrire parmi les membres du 
Congrès, s’il ne justifie de sa lettre de convocation, et ne verse entre 
les mains du trésorier ou de son délégué, une somme de dix francs. 

Chaque personne inscrite devra signer le réglement ; cette adhésion 
lui donnera droit à une carte d'entrée et au volume où sera consigné 
le compte-rendu des travaux du Congrès. 

48° Ce volume sera publié par les soins du secrétaire général et 
des secrétaires des sections. 


Lo 
XVI) 

19° Les personnes qui ne pourraient pas se rendre au Congés, sont 
invitées à y envoyer des mémoires sur les diverses questions contenues 
au programme, ou sur tout autre sujet qui pourrait être compris dans 
les travaux de l’une des sections. N 

20° Sont convoqués de droit au Congrès : les membres des sociétés 
savantes, ceux des corps universitaires, les fonctionnaires supérieurs 
dans l’ordre ecclésiastique, civil ou militaire, et toutes les personnes 
qui ont assisté aux sessions précédentes. 

La même invitation est faite aux étrangers qui sont dans les mêmes 
conditions, ou qui ont assisté aux Congrès étrangers, ou qui sont 
connus par des trayaux scientifiques. 2 

21° Avant de se séparer, le Congrès fixera la date et le lieu de la 
sixième session , nommera le secrétaire général, et invitera les sociétés 
savantes de la ville désignée, à choisir le comité d'organisation de la 
nouvelle réunion. 

22° Toute difiiculté non prévue par les présentes dispositions, sera 
portée au comité d'organisation, ou à la commission permanente qui 
en décidera. 


QUESTIONS 
PROPOSÉES POUR CHAQUE SECTION. 


PREMIÈRE SECTION. 


HISTOIRE NATURELLE. 


1° Comment ont pu se former les escarpemens que l’on remarque 
aux limites de plusieurs formations et de plusieurs divisions de for- 
mations ? 

2° Le grès que l'on voit à la partie supérieure du keuper appartient- 
il à cette formation ou au lias ? 


3° Doit-on séparer le grès bigarré du grés vosgien, comme le dit 
M. Elie de Beaumont, ou doit-on l'y réunir, 
géologucs allemands ? 


4° La couleur verte qui se présente à la partie inférieure de plusieurs 


formations ne pourrait-elle pas étre prise pour une limite certaine de 
ces formations ? 


comme le pensent les 


3 


XVII] 

5° On remarque , dans des circonstances semblables, que des co- 
quilles dont le tét était trés-épais ne sont plus figurées uniquement 
que par des moules, tandis que d’autres beaucoup plus minces sont 
demeurées intactes : quelle peut avoir été la cause de ces différences ? 

6° La science fournit-elle quelques données d’où l’on puisse conjec— 
turer quelle a dù être l’origine du calcaire dont les masses existent 
dans la nature ? 

7° Les gneis et les micaschistes qui sont regardés par quelques 
géologues comme des schistes cristallisés, sont classés par eux dans 
les terrains primitifs, et considérés comme d'origine aqueuse ; quel- 
ques-uns les regardent comme des roches originairement arenacées qui 
ont changé de nature par le contact avec les roches ignées, lors de 
l'émission de celles-ci. Ne peuvent-ils pas aussi être considérés comme 
produits immédiatement par l’action ignée ? 

8° Des roches qui étaient en contact immédiat avec l'atmosphére, et 
qui plus tard furent recouvertes par d'autres terrains, ne furent-elles 
pas modifiées par l'action de la chaleur centrale ? 

9° A quelles causes peut-on attribuer les modifications de substances 
minérales que l’on remarque dans certaines formations ; tels sont les 
calcaires devenus dolomitiques, les grès et même les argiles passés 
au jaspe ? 

40° Quelles causes ont pu faire passer à l'état siliceux des corps qui 
étaient primitivement calcaires ; tels sont notamment les polypiers? 

44° Peut-on prouver les rapports qui existent entre le basalte et la 
téfrine, par l'examen des propriétés oryctognostiques et par le gi 
sement, de manière à pouvoir en conclure l'identité d’origine et de 
formation ? 

49° Trouve-t-on dans la nature la tolfa cristallisée en prisme rec 
tangulaire oblique et en formes secondaires dépendant de ce type? 

43° Le grès vosgien provient-il de roches préexistantes, ou au contraire 
ses grains ont-ils été formés par une cristallisation confuse de matières 
siliceuses amenées, par exemple, par des eaux minérales ? 

44° Les cimens calcaires ou siliceux que l’on voit entrelacer les 
parties de roches arenacées , ou fragmentaires , émanent-ils de la trans 
sudation de la matière dont ces roches sont constituées ; ou au contraire 
ont-ils pénétré à travers les diverses parties de celles-ci au moment où 
elles se déposaient, ou postérieurement ? 

15° Les géologues des départemens de l’est de la France et des pays 
de l’Allemagne qui les avoisinent, sont invités à présenter au Congrès 
de Metz un précis de géologie des contrées qu'ils habitent; à indiquer 


xIX 

les découvertes récentes qui y ont été faites, et à dire si parmi les 
fossiles recueillis il s'est trouvé des espèces rares et inédites; à faire 
connaître les tentatives exécutées pour l'établissement de puits arté— 
siens, si elles ont été couronnées de succès, et, dans ce cas, quels 
phénomènes particuliers ont accompagné le jaïllissement de l’eau. 

46° Des deux peupliers désignés dans la nomenclature, par les noms 
de peuplier de Virginie et de peuplier du Canada, quel est celui 
auquel on doit donner le nom de peuplier du Canada ? 

Si c’est le populus molinifera qui est femelle, alors le peuplier de 
Virginie serait le peuplier mâle, et comme les jardiniers ne sont pas 
d'accord à cet égard, et qu’à Metz, surtout, ce qu’on appelle peuplier 
du Canada généralement, est un peuplier mûâle; ne conviendrait-il 
pas, pour faire cesser cette confusion, d'ajouter , à la description de ces 
arbres, en francais , l’indication bien plus positive de’mäle ou de femelle ? 

47. Le pollen d'une espèce différente influe-t-il toujours sur les 
caractères botaniques des individus provenant des fruits de l'espèce 
fécondée ? 

48° Quelle peut être l'influence du sujet porteur de la greffe sur 
les fruits de celle-ci, considérés comme semences , et quelles modifica— 
tions peut-on espérer obtenir au moyen de la greffe pour les fruits 
des nouveaux sujets proyenus de ces semences ? 

- Si cette influence est bien reconnue, ne peut-on pas espérer de 

produire, par des croisemens bien calculés de sujets déjà obtenus, 
d'autres variétés participant des qualités de ces nouveaux sujets et de 
celles des arbres sur lesquels on les aurait greffés, ou dont on leur 
aurait imposé des greffes, et ne pourrait-on pas arriver ainsi à obtenir 
presqu’avec certitude des fruits qui auraient des qualités désirées ? 

Le mélange du pollen de fleurs peut produire ces eflets avec plus 
de promptitude ; mais il y a des arbres qui ne fleurissent pas en même 
temps que ceux avec lesquels on voudrait les combiner, et alors l’autre 
procédé en donnerait le moyen. 

19 Est-il vrai que certaines plantes sont, par leur nature, nuisibles 
à d’autres plantes qui les avoisinent ? 

20° Les botanistes lorrains sont invités à présenter les élémens 
nécessaires pour parvenir à former un catalogue général, raisonné et 
comparé, des plantes de cette province. 

24° Le serpent basilic, dont il est souvent parlé dans la Bible, 
est-il la vipère cerasto, comme l’a cru le docte Grotius ? 

22° Faut-il s'en rapporter au témoignage des auteurs anciens ot 
admettre des serpens volans ? 


XX 


Cette espèce serait-elle perdue, puisqu'elle n'a point été observée 
par les naturalistes modernes ? 

25° Dans l'espèce de Jaseur d'Europe (Bombyciphora où Bomby-— 
cilla Garrula), les deux sexes, à l'état adulte, ne portent-ils point 
aux extrémités des douze pennes caudales, des appendices rouge ver- 
millon, semblables à celles qui terminent les pennes secondaires des 
ailes? ou bien cet ornement est-il particulier au mäle adulte? 

À quel âge ces diverses sortes d’appendices ont-elles acquis tout 
leur développement ? 

Les bandes longitudinales d’un jaune vif qui bordent la barbe 
extérieure de la plupart des pennes des ailes, et les bandes blanc 
jaunâtre qui bordent l'extrémité et le contour intérieur des mêmes 
pennes dans quelques Jaseurs , n'existent-elles simultanément que sur 
le mâle et à l’état adulte ? 


DEUXIÈME SECTION. 
AGRICULTURE , INDUSTRIE ET COMMERCE, 


4° Quels seraient les moyens de donner aux comices une existence 
durable ? 

Ne conviendrait-il pas de leur donner quelques attributions admi- 
nistratives ou judiciaires ? 

Ne pourraient-elles pas être renouvelées périodiquement par l'élec— 
tion des cultivateurs ? 

2 Quelle a été, jusqu'à présent, l'influence des fermes modèles 
sur les progrès de l’agriculture ? 

3° Quelles sont les bases sur lesquelles doit être fondée toute théorie 
des assolemens , tant de la grande que de la petite culture ? 

4° Quelle est l'influence de la composition chimique des produits 
récoltés et surtout celle des corps simples qui ne se rencontrent qu’ac- 
cidentellement dans le sol ? 

5° Quelle est l'influence de la culture, en grand, des pommes de 
terre sur la culture des blés et de la culture du colza sur celle de 
ceux-ci ? 

6° La culture des plantes propres aux arts, considérée sous le point 
de vue des produits et sous celui d'économie, est-elle favorable à la 
culture des céréales ou lui nuit-elle ? 

Est-elle favorable aux prairies artificielles ou lui nuit-elle ? 

7° La France paie annuellement plus de deux millions à l'étranger 
pour achat de houblon. 


XX} 

1° Quel serait le moyen d'affranchir notre patrie de cette dépense 
immense ? 

2€ Comment pourrait-on propager efficacement la culture du hou- 
blon dans une infinité de localités où le sol lui conviendrait parfai— 
tement ? 

3° Serait-il possible de vaincre le préjugé généralement répandu que 
les houblons français sont de beaucoup inférieurs en qualité aux houblons 
de la Belgique et de l'Allemagne ? 

8 Quelles seraient les plantes céréales, fourragères et économiques 
à introduire dans la culture de la Lorraine ? 

9 Quels sont les moyens dépendans, soit de l'action du gouverne- 
ment, soit du perfectionnement de l’industrie agricole , qui seraient les 
plus efficaces pour améliorer, dans la Lorraine, la race des chevaux ? 

Et quelles sont les races qu'il conviendrait le mieux d'y propager? 

Même question pour perfectionner la race des bêtes à cornes ? 

40° Est-il avantageux, pour l'agriculture du département de la 
Moselle et des pays qui l’avoisinent, de substituer l’usage des bœufs 
à celui des chevaux ? En cas d’aflirmative , indiquer de quelle manière 
on pourrait introduire cet usage ? 

41° Les droits sur le bétail, à l’entrée en France, sont-ils ayan— 
tageux à l'État ou sont-ils seulement profitables à certaines classes, 
nuisibles à certaines autres classes, et en somme préjudiciables à la 
masse de la nation ? 

42 Quels sont les moyens à employer pour faire disparaître la 
gale des bêtes à laine ? à 

43. N'a-t-on pas donné une extension trop grande aux avantages 
que l’agriculture peut retirer du sel, en disant qu’on peut l’employer 
pour Éréliber les terres ? 

14° Quel est le meilleur mode d’acclimatation pre plantes et des 
bestiaux pour le nord et l’est de la France ? 

45° Quels sont les résultats présumés que la so A nationale ob- 
tiendra du développement de la fabrication des sucres de betterave ? 

16° Quels sozt les moyens les plus efficaces pour détruire les insectes 
gasins ? 

17° Quels sont les changemens et quels sont les progrès qui ont été 
amenés , successivement dans l’agriculture française , depuis les premiers 
temps de la monarchie jusqu’à notre époque ? 

18° Faire connaître quelles sont les différentes substances miné- 
rales de la Lorraine qui sont propres à être utilisées dans l’industrie ; 
présenter un aperçu général sur l’état de l’agriculture et de l’industrie 


qui dévorent les grains déposés sur les greniers ou dans les ma 


XXI} 
de ce pays, sur les améliorations à y introduire et à y faire con 
naître quel est le mode d'écoulement des divers produits de cette 


province. 


TROISIÈME SECTION. 
SCIENCES MÉDICALES. 


4° Quelles ont été les épidémies et les épizooties qui ont régné dans 
le nord-est de la France? Dans quels rapports ont-elles dififéré de 
celles observées ailleurs ? Par quelle nature de moyens a-t-on cherché 
d'arrêter Jeur marche ? 

90 Quelles ont été les causes des maladies qui ont régné cette 
année généralement en Europe? Ces maladies ne se sont-elles pas 
développées avec une énergie plus ou moins grande, en raison de 
la situation des localités ? 

3° Les causes générales, qui déterminent les maladies épidémiques 
sur l'espèce humaine , soit qu’elles dépendent des influences météo— 
rologiques, ou de l’action d’autres agens modificateurs , agissent-elles 
en même temps et de la même manière sur les diverses autres 
espèces d'animaux ? Et quelles sont les espèces qui paraissent être le 
plus facilement et plus fortement impressionnées par ces mêmes causes 
générales ? 

4° À quelles causes peut-on attribuer les goitres que l'on remarque 
particulièrement dans quelques communes du département de la Mo- 
selle ? Quelle analogie y a-t-il entre l’action de ces causes et celles des 
causes qui développent cette affection dans d’autres points de la France 
ou dans d’autres pays ? 

5° Est-il constant que la méthode oméapathique aurait obtenu des 
succés positifs en médecine ? 

6° Qu'est-ce que le magnétisme animal? Jusqu’à quel point son in— 
fluence peut-elle être exercée, être avérée ou positive ? 

Est-il vrai que l'on puisse, par l’action magnétique seule, suspendre 
complètement la sensibilité morale et physique, lui faire changer de 
caractère et de direction ? Quelles sont les modification physiologiques 
qui s'opérent dans l'organisme , pendant et après la durée de l'influence 
magnétique ? Les autres espèces d'animaux peuvent-elles ressentir l'in- 
fluence du magnétisme animal ? 

7° Est-il vrai que la doctrine phrénologique, en suivant la direction 
qui lui a été imprimée jusqu'alors, doive bientôt exercer une influence 
aussi utile qu'heureuse sur le bien-être des hommes ; et cela, par les 


XXII) 
vérités importantes et nombreuses qu’elle est, dit-on, en voie de dé- 
montrer? N’eslil pas plutôt à craindre, au contraire, que la phréno- 
logie, de même que les autres sciences à leur origine, ne répande 
d’abord beaucoup d'erreurs dangereuses avant que d’enseigner quelques 
vérités réellement utiles ? 

Ne pourrait-on pas soustraire les études phrénologiques, aux spécu- 
lations exclusives et séduisantes , mais fausses et dangereuses de l’ima- 
gination, qui sont les sources de presque toutes nos erreurs ? 

Quels seraient les moyens d'arriver à ce résultat ? 

N'est-il pas plus nuisible qu'utile, de rendre vulgaires ou populaires 
les connaissances phrénologiques, à raison du degré d'incertitude qui 
règne encore sur la plupart des points de cette science naissante ? 

8° Par quels moyens pourrait-on introduire dans nos mœurs et dans 
nos lois, l'usage et même l'obligation aux médecins, d’ouvrir ou de 
faire ouvrir sous leurs yeux, les corps des malades qui auraient suc 
combé ; aux familles le devoir de ne pas s’y opposer, de favoriser au 
contraire, cette ouverture que l'autorité judiciaire a seule Le droit de 
prescrire aujourd'hui ? 

9° Malgré les travaux d’une foule d'hommes capables, l’origine, la 
marche, la terminaison des affections dites cancéreuses, sont encore 
couvertes d’un voile épais; tout ce qui a trait à leur histoire, n’est 
guère qu'hypothèses, incertitudes, contradictions ? 

Rechercher, d'où et comment viennent ou se forment, dans l'orga- 
nisme, ces molécules d’une matière animale, qui se développent à une 
certaine époque de la vie de l'individu, dans un système d'organes 
plutôt que dans un autre ; qui, enlevées, se reproduisent et entrainent, 
quoi qu’on fasse, la perte de l'individu ? 

Ces affections sont-elles toujours le produit d’une irritation sourde 
et prolongée ? Le temps n'est-il pas venu de s’en tenir à l'expérience, 
à la sagesse de l'antiquité, exprimée par cette sentence du pére de 
la médecine, parlant des cancereux. < Curati autem citins pereunt, 
non curati diutits perdurant. » 

10° L’hygiène des sujets prédisposés, ou en proie à la phthisie 
pulmonaire tuberculeuse, est-elle bien ce qu'elle doit être ? N'y a-t-il 
pas lieu à reviser tout ce qui a été dit sur ce sujet, de l’étudier plus 
à fond ? 

41° Le public, celui des salons, plus encore peut-être que celui des 
classes inférieures de la société, n’a que des idées fausses sur la mé- 
decine et les médecins ; il ne sait ni en user ni les apprécier, et de- 
raisonne incessamment sur tout ce qui y a rapport. Quelques mémoires 


XXIV 
ou opuscules, ont été publiés dans la louable intention de l'éclairer ; 
suflisent-ils? N'y a-til pas utilité de s'occuper de cet objet? 

42° La santé publique , l'honneur de la médecine et de la pharmacie, 
demandent la répression du charlatanisme, qui exploite la crédulité 
et l'ignorance publiques. Ils réclament l'interdiction des prétendus 
remèdes secrets. 

La législation sur la matière, est-elle insuflisante ou imyuissante ? 
N’appartient-il pas à l’Académie royale de médecine de Paris de signa- 
ler les infractions ? N’a-t-elle, par elle-même ou par ses commissions, 
rien à se reprocher sur l'émission de ces remèdes ? 

Faut-il absolument que le peuple soit trompé ainsi qu’il le veut au 
dire d'un adage bien connu; ou, faut-il demander à l’autorité, de 
nouveaux moyens plus eflicaces de répression ? 

45° Dans l’état avancé où est la chimie, dans l'intérêt du pharma- 
cien, comme dans celui de la santé publique, peut-il, doit-il être 
permis au pharmacien, de faire dans son oflicine, une disposition 
arbitraire des médicamens ; d'adopter pour ses étiquettes une no— 
menclature, soit francaise , soit latine, autre que celle du codex? Ce 
défaut d'unité de langage, dans la pratique de la pharmacie, ne peut- 
il pas avoir de graves, de nombreux inconvéniens ou dangers? Nos 
voisins d'Allemagne ne nous fournissent-ils pas un bon exemple à 
suivre, à l'égard du réglement sage et sévère qui régit les pharma- 
cies de ce pays ainsi que de sa scrupuleuse exécution ? 


QUATRIÈME SECTION. 


HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE. 


4° Quel fut l’état de l’art métallurgique dans les Gaules, avant l’n- 
vasion des Romains, durant la puissance de ceux-ci, et sous la pre 
mière race de nos rois ? 

2° Quelle était la véritable destination des instrumens de bronze, 
désignés vulgairement sous les noms de Æaches ou coins, que l'on 
attribue aux Celtes, et que l’on trouve en grand nombre dans toutes 
les parties de la France, et dans quelques pays étrangers ? 

3° Quelles roches les anciens ont-ils employées dans les provinces 
de l’est et du nord, pour construire et décorer leurs monumens ? 

4° Lorsqu'après la conquête des Gaules le paganisme y pénétra, 
cette religion se fondit-elle avec l’ancienne, et resta-t-elle sous l'in- 
fluence des Druides, ou au contraire, son organisation fut-elle bien 


me . Se ner 
distincte et en opposition avec la religion druidique ? 


XXV 


5° Quel but les anciens se proposaient-ils en placant des vases dans 
Îes tombeaux ? À quel motif peut-on attribuer l'identité de formes que 
l'on remarque parmi ces vases, même parmi ceux trouvés à de très- 
grandes distances les uns des autres ? 

6° Les Gaulois ont-ils élevé des Tumult dans le nord et l’est de la 
France, ayant l'invasion des Romains? 

7° À quelles marques peut-on distinguer un tombeau frank dus 
tombeau gaulois, quand ils sont dépourvus d'inscriptions et de bas- 
reliefs ? 

8° Quel a été le système général d’invasien suivi en Lorraine par les 
peuples du nord? Ont-ils laissé des traces de leur passage , et quelles 
sont ces traces ? ÿ 

9 Ne pourrait-on pas, au moyen d'objets d’art trouvés dans certaines 
contrées, parvenir à retracer, au moins approximativement , les limites 
territoriales d'anciens peuples ? 

40° L'architecture civile et l'architecture militaire du nord et de 
l'est de la France n’ont pas encore été classées ? Quels sont les carac- . 
tères propres à en donner une bonne classification ? 

41° Quelle a été l'influence des idées religieuses des peuples sur la 
construction de leurs monumens, et particulièrement dans ce qui con- 
cerne les monumens du nord-est de la France ? 

42% Faire l’histoire de la peinture sur verre dans notre province. 
On sait que la plupart des artistes peintres venaient d'Alsace et de 
Champagne, et que des verreries considérables existaient au moyen— 
âge dans les Vosges. Serait-il possible, d’après la qualité du verre 
et le genre de peinture adopté, d'indiquer les principaux travaux 
exécutés hors du pays par des artistes champenois, alsaciens et 
lorrains ? 

43° À quelle date peut-on faire remonter en France l’origine de la 
noblesse héréditaire et celle de la noblesse comme caste; distinction 
nécessaire pour bien apprécier les faits de chaque époque ? 

14° L'institution communale est-elle le véritable point de départ 
de la formation d'une classe moyenne? Cette institution, qui a pré- 
cédé , pour les grandes villes, l'octroi de chartes, de priviléges, n’est- 
elle pas, au contraire, la sanction donnée à l'existence antérieure de 
cette même classe ? 

45° Le système historique de la lutte des races, prouvé par l’histoire 
d'Angleterre, jusqu'à une époque rapprochée de la nôtre, peut-il être 
appliqué à la France après le 12° siècle? Y a-t-il eu depuis lors en 
France autre chose que la lutte des opprimés contre les oppresseurs ? 


4 


XXV/} 


46° Quelle est la valeur des caractères paléographiques pour la elas- 
sification des monnaies du moyen-âge? Les changemens progressifs 
dans la forme des lettres ont-ils été uniformes dans toute la France? 
Quelles sont les dates que l’on peut affecter pour les monnaies aux 
périodes archéologiques connues sous les noms de romane, de tran— 
sition, de gothique, ou ogivale, enfin de Ja renaissance ? 

47° Les noms de villes portés sur les monnaies des rois de France 
jusqu'à saint Louis indiquent-ils toujours qu’elles ont été fabriquées 
dans ces villes mêmes? n'est-ce pas quelquefois un titre de propriété 
que le souverain voulait indiquer ? 

18 Dans quel sens doit-on prendre les noms des villes joints 
au mot »”onela que l’on trouve dans les actes des XI°, XII et 
XIIIe siècles: par exemple, moneta Lillensis, Iprensis, Audoma- 
rensis, Gandensis, eto. ? Ces noms indiquent-ils toujours une monnaie 
frappée au nom du prince, du seigneur, ou bien une monnaie 
frappée au nom de ces mêmes villes? Le système monétaire était-il 
uniforme pour les pièces fabriquées dans les diverses villes soumises 
à la puissance du même seigneur ? 

49° Présenter des travaux sur ce que l’on aurait découvert d'in 
téressant ? 


CINQUIÈME SECTION. 
PHILOLOGIE , LITTÉRATURE , BEAUX-ARTS ;, PHILOSOPHIE. 


1° La complication des formes grammaticales d’une langue, fait-elle 
supposer que le peuple qui la parle, a traversé une longue carrière 
de civilisation , ou qu’il est resté long-temps dans un état de barbarie, 
ou enfin qu'il est d'une origine récente ; 

99 Tracer les délimitations des mères langues et de leurs dérivées 
de toute l'Europe , et expliquer les causes, de quelque nature qu'elles 
soient, qui ont tracé cette délimitation. 

3° Déterminer les principales révolutions des peuples qui ont exercé 
leur influence sur les idiômes des nations européennes, 

4° Quelle langue parlaient les Gaulois et de quelle source leur langage 
dérivait-il ? 

5° Indiquer par des recherches méthodiques ce qui reste dans le 
nord et l’est de la France de la langue gauloise et de la langue latine, 
et faire connaître , autant qu'il est possible, les modifications que les 


divers langages parlés dans ces pays ont subies en raison des invasions 
des différens peuples. 


XXVI) 

- 6° De quelle langue le patois de la Lorraine , et en particulier celui 
du pays messin, dérive-t-il? Y remarque-t-on des différences ou des 
modifications assez sensibles pour qu'on puisse reconnaître qu'il a 
été (modifié dans certaines contrées ou certaines localités, par des 
circonstances ou des influences particulières , appartenant à des temps 
plus où moins reculés, ou enfin à des positions géographiques diffé 
rentes ? 

7° La langue allemande est-elle une limite certaine entre le peuple 
allemand et le peuple francais? Cette langue a-t-elle été étendue ôu 
restreinte dans ses limites depuis son introduction dans le pays? 

8° La langue latine et la langue grecque ont de grandes ressemblances 
et de grandes différences ; en tracer les caractères et en marquer les 
causes: doit-on considérer ces deux langues comme provenant d’une 
même source, ou la première comme dérivée de la seconde , ou comme 
une fusion de la seconde, et d’une autre langue dont on devra chercher 
l'origine ? 
9° Les étymologies sont en partie fondées sur les équations générales 
et particulières des lettres des idiômes comparés. Trouver ecs équations 
pour l'hébreu , le chaldéen, le syriaque, le sanskrit, le grec, le latin 
et l’allemand. 

10° Le syriaque et le grec ont de grandes affinités. Par quelles 
règles pourrait-on distinguer les mots syriaques qui ont formé les 
termes grecs des mots syriaques qui dérivent de la langue grecque. 

41° Notre langue et nos beaux-arts sont-ils en progrès ou ne 
présentent-ils pas quelques indices de décadence ? 

12° L'art de la sculpture est aujourd’hui peu pratiqué. Quels seraient 
les moyens de le faire revivre en province? 

43° Quel est le rôle de la psychologie en philosophie ? Est-elle le 
centre des sciences philosophiques, ou ne serait-elle pas plutôt une 
science simplement instrumentale, en tant qu'elle 3'est que la connais 
sance de l'instrument qui philosophe ? 

14° La philosophie de l'Inde ancienne at-elle eu quelqu'influence 
sur la philosophie des peuples de l'occident? 


SIXIÈME SECTION. 
SCIENCES PHYSIQUES ET MATHÉMATHIQUES. 


4° Un seul fluide ne suffit-il pas pour rendre raison de tous les 
phénomènes qui dépendent des principes connus en physique sous le 
nom de fluides impondérables ? 


XXVI) 

2 L'hypothèse des ondulations appliquée à la chaleur, enchaine— 
t-elle mieux les phénomènes qui dépendent de ce principe, que l'hy— 
pothèse des émanations qui suppose la matérialité du calorique ? 

3° Le soleil lance-t-il des rayons calorifiques différens des rayons 
lumineux, ou la chaleur qu’il produit est-elle développée dans les 
corps mêmes soumis à l’action des rayons lumineux émanés de cet 
astre ? 

4° On a adopté généralement l'hypothèse de la liquidité primitive 
du globe terrestre, et l’on explique l'accroissement de température 
que l'on observe avec la profondeur, par un reste de chaleur d’origine; 
ne suflirait-il pas de supposer, avec M. Poisson, que la terre passe 
actuellement d’un lieu chaud dans un plus froid; l'accroissement 
de température avec la profondeur pourrait alors ne pas continuer 
jusqu’au centre ; on propose de comparer ces deux hypothèses ? 

5° Quel est le système de représentation du globe et de ses diverses 
parties, qu'il convient d'adopter pour faciliter l’étude de la géographie? 

6° Le mouvement, moyen journalier de la lune, est de 43°, 40' 
35,027 pour le 19° siècle; ce mouvement s'accélère de siècle en siècle 
d’une petite quantité; quelle est la limite de cette accélération ? 

7° Quelles sont les causes qui peuvent influer sur le mouvement 
propre des étoiles ? 

8 Quelles sont les lois du mouvement des corps solides dans les 
divers milieux résistans ? 

9 Quelles sont les lois du choc des corps solides ? 

10° Quelles sont les lois du mouvement des liquides près des 
obstacles qu'ils rencontrent ? < 

A4° Quelles sont les machines les plus propres à représenter le 
mouvement des fluides près des obstacles qu'ils rencontent ? 

12° Serait-il possible de perfectionner l’art aérostatique, par une 
meilleure combinaison des moyens employés jusqu'ici, pour élever 
les aérostats et pour les diriger. 


XXIX 


SÉANCE D'OUVERTURE 


DE LA 5° SESSION 


DU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE. 


SÉANCE DU 5 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Le Masson. 


Le mardi 5 septembre à midi, une nombreuse réumion 
de membres inscrits a lieu à l'Hôtel-de-Ville. 

M. le secrétaire général prie, au nom de l'assemblée, 
M. Lemasson, président de l'académie royale de Metz, 
de présider la séance jusqu'à ce que le bureau soit défi- 
. mtivement constitué. 

La séance est ouverte par un discours que M. Victor 
Simon prononcé dans les termes suivans : 


Messreurs , 


Un des premiers devoirs de l’homme est de vivre pour la société ; 
nous avons tous besoin sans cesse de l'expérience et des secours de 
nos semblables ; seuls nous pourrions à peine subvenir à nos premières 
nécessités. 

Aussi voyons-nous les hommes dont l'état de civilisation est le moins 
avancé, être obligés de s’entr'aider, d'unir leurs efforts, soit’pour 
améliorer leur position soit pour résister à un ennemi commun. 

Chez des peuples policés, dont l'état social est réglé; qui vivent 


XXX 
en paix au dehors et au dedans ; on s'efforce sans cesse de créer des 
germes de prospérité nationale. Alors l'association prend un nouveau 
caractère , son but est de développer et de propager les connaissances 
humaines; de faire naître parmi les hommes et les peuples des sen 
timens d’aflection et d'estime réciproques; d'appeler l'attention sur 
tout ce qui peut être utile au bonheur du genre humain. 

En un mot, l'association ainsi entendue , est une mère bienfaisante 
qui veille pour tous, qui tend à assurer le bonheur de tous. 

Telle est, Messieurs , la haute mission des sociétés savantes , tel est 
le partage de tous les hommes qui s'associent pour un but aussi ho— 
norable. On peut dire d’eux ce que Tigrane disait à Mardonius des 
hommes qui prenaient part aux jeux si fameux de la Grèce: « insen- 
sibles à l'intérêt, ils ne combattent que pour la gloire. » 

Les sociétés savantes font en général leurs efloris pour s'acquitter 
de leurs hautes fonctions ; mais n'étant établies la plupart que pour 
s'occuper des intérêts d’une province ou d’un département , suffsent- 
elles à tous les besoins des sciences et des arts? Vous avez depuis 
long-temps résolu cette haute question. Il convenait de faire un tout 
de ces différentes parties; il fallait que les diverses sociétés établissent 
des relations entr'elles ; il fallait que les hommes mus par les mêmes 
gouts se réunissent, se connussent et s'éclairassent mutuellement. 

Les Congrès remplissent toutes ces conditions, ils offrent aussi 
l'avantage de pouvoir en peu de jours, et sous la direction de guides 
sûrs et éclairés, apprendre à connaître ce qu'un pays offre d’intéres— 
sant sous différens rapports. En présence de ces institutions, les barrières 
qui séparent les différentes nations s’abaissent, tous les hommes se 
regardent comme unis pour contribuer à la prospérité de tous. 

Metz, voisine de différens peuples ; semble plus qu'aucune autre 
ville, devoir concourir à la noble tâche que vous vous êtes imposée. 
Si elle sut résister avec tant de gloire dans la guerre, aujourd'hui 
l'olivier et le caducée à la main, elle se plaît à accueillir, au sein 
de ses formidables remparts , les hommes éclairés de toutes les na- 
tions ; elle est heureuse, grâce au choix dont vous l'avez honorée , 
de pouvoir vous montrer les institutions qu'elle a créées pour ses en— 
fans , si riches d'avenir, et de voir se préparer dans son sein des 
luttes qui ne coûteront point de larmes, qui tourneront même à 
l'avantage et à l'honneur des vaincus. 

Nous avons fait, messieurs, tous nos efforts pour répondre digne- 
ment à la confiance dont le Congrès a bien voulu nous honorer. Les 
questions qui vous sont présentées ont été choisies parmi un grand 


XXX) 
nombre d'autres non moins importantes, qui, au besoin, pourraient 
être soumises à votre examen. Des propositions ont été faites par des 
sociétés et par des savans , elles vous seront communiquées. 

L’académie a pensé qu'il ne suffisait pas de se livrer uniquement 
à des travaux scientifiques ; qu'il'convenait aussi, dans cette circons- 
tance mémorable, de vous faire connaître , autant que possible, quel 
est le degré de prospérité des beaux-arts , des arts et de l’industrie 
de notre pays. Dans ce but, l'autorité administrative , l'académie, 
la société des amis des arts , la société philharmonique et des hommes 
éclairés ont rivalisé chacun dans eur spécialité. 

Puissions-nous , messieurs, avoir tous rempli notre tâche d’une 
manière digne de yous et de notre département; puissions-nous à 
l'occasion de la fête scientifique qui se prépare avoir fait naître parmi 
nous les germes d’autres relations savantes, avoir contribué à de 
nouveaux progrès , et créé de nouveaux débouchés pour votre indus- 
trie et pour la nôtre. 

Puisse cet heureux concours d'hommes et de choses, laisser parmi 
nous des souvenirs durables! Puisse-t-il tourner à l'avantage des dif- 
férens peuples! alors nous serons tous fiers d’avoir ajouté quelque 
chose au bonheur de l'humanité. 


M. le secrétaire général fait ensuite l’appel nominal des 
membres inscrits, et l'on procède à la formation du bu- 
reau général ; le nombre des votans est de 196. 

Il est décidé que le premier tour de scrutin aura lieu 
à la majorité absolue, et le second à la majorité relative. 

Le premier et seul scrutin qui ait eu lieu, donne les 
résultats suivans : 


MM. 


Le marquis de VizLENEUVE-TRANS , président. 

DE Caumowr, vice-président. 

Le Masson , idem. 

MicuELanT, secrétaire adjoint au secrétaire général. 
DE Sauicy, trésorier. 

Après l'installation du bureau, messieurs les membres 


XXXI) 
sont invités à procéder à l'élection des membres des bu- 
reaux des sections auxquelles ils appartiennent. 
Le dépouillement des différens scrutins remis à M. le 
président, fait connaître que les bureaux des sections sont 
composés ainsi qu’il suit : 


PREMIÈRE SECTION. 
MM. 


Moucgor, président. 
Horanpre, vice-président. 
FourxeL, secrétaire. 
Buvicnier, idem. 


DEUXIÈME SECTION. 
MM. 


Le marquis de PANGE, président. 
CHATELAIN, vice-président. 
LaponTE, secrétaire. 

De Vozuer, idem. 


TROISIÈME SECTION. 
MM. 


LaLLEMENT, président. 
BracoNNoT, vice-président. . 
ViLLAUME, secrétaire. 


Félix MarécHaL, idem. 
+ 


QUATRIÈME SECTION. 
MM. 


DE La SAuUSSsAIE, président. 
De Bouz, vice-président. 
BÉGN , secrétaire. 

Denis père , idem. 


CINQUIÈME SECTION. 
MM. 


CHATELAIN, président. 

DE Dumisr, vice-président. 
Nicozas (pasteur), secrétaire. 
Nicoras (abbé), idem. 


SIXIÈME SECTION. 
MM. 2 


BRACONNOT, président. 
Mon, vice-président. 
BorEau, secrétaire. 
ScHMiITT, idem.! 


M. le président fait connaître que les différentes sec- 
tions tiendront leurs séances au palais de justice , dans les 
salles de la cour d'assises et de police correctionnelle. 

M. le secrétaire général annonce qu'un des salons de 
l'hôtel-de-ville sera ouvert tous les jours à sept heures du 
soir, afin de procurer les moyens d'établir plus facile- 
ment des relations entre les membres du Congrès, et de 
donner aux membres des commissions, les moyens de 
conférer entr'eux sur les divers travaux qui leur seront 
confiés. 


Signé le marquis de VILLENEUVE-TRANS, président ; 
de CAUMONT, LEMASSON, vice-présidens , 
et Vicror SIMON, secrétaire général. 


XXXIV 
ORDRE DU JOUR DES TRAVAUX DE LA SESSION. 


Les lieux et les heures des séances générales, et des sections, ont 
été fixés à la séance d'ouverture ainsi qu'il suit : | 


Les séances des sections se tiendront au palais de justice. 

La 4", de 7 à 9 heures, dans la salle de la cour d'assises. 

La 2°, de 9 à 41 heures, dans la même salle. 

La 5°, de 41 à 4 heure, dans la salle de police correctionnelle. 
La 4°, de 9 à 44 heures, dans la même salle. 

La 5°, de 11 à 1 heure, dans la salle de la cour d'assises. 


La 6°, de 7 à 9 heures, dans la salle de police correctionnelle. 


Les réunions générales continueront d’avoir lieu à l'hôtel de ville; 
elles se tiendront de 3 à 5 heures *. 


* Plusieurs sections ont pensé qu'il leur serait plus commode de se réunir à des heures 
autres que celles fixées; les procès-verbaux feront connaître les différens changemens qui 
ont été apportés. Il en sera de même pour les changemens qui ont eu lieu dans le per- 
sonnel de plusieurs bureaux de sections, 

Durant la session, la société française, pour la conservation et la description des mo- 
numens historiques, a tenu deux séances, Un grand nombre de membres du Congrès y 
assista, et beaucoup furent admis dans cette société, qui nomma M. Bégin, inspecteur des 
monumens du département de la Meurthe, et M. Victor Simon, inspecteur des monumens 
du département de la Moselle. 


TRAVAUX 


DES SECTIONS. 


PREMIÈRE SECTION. 


HISTOIRE NATURELLE. 


SÉANCE DU MERCREDI 6 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Movcror. 


A sept heures la séance est ouverte. 

M. Holandre présente de la part de M. le comte d'Our- 
ches , une fleur de Magnolia grandiflora. Cette variété 
semi-double plus pleine que la semi-plena ; fleurit pour 
la première fois dans ce pa La séction invite M. Ho- 
landre à déposer cette fleur à l'exposition. 

Le président met à l'ordre du jour la première question 
du programme : Comment ont pu se former les escarpe- 
mens que l’on remarque aux limites de plusieurs forma- 
tions et de plusieurs divisions de formations ? 


36 PREMIÈRE SECTION. 


M. Holandre lit quelques considérations sur cette 
question : il pense que ces escarpemens sont le résultat 
d'une érosion analogue à celle qui a lieu actuellement 
sur les côtes de l’ouest de la France. 

M. Chaussier se proposait de lire un mémoire sur le 
même sujet, mais ses idées étant en partie les mêmes 
que celles de M. Holandre, il s’est borné à lire la partie 
dans laquelle 1l n’était pas tout-à-fait d'accord avec lui. 
La principale différence c'est que M. Holandre suppose 
que toutes les couches des diverses formations se sont 
déposées de manière à affleurer le sol, tandis que M. Chaus- 
sier pense qu'il y avait aux limites des diverses formations, 
des dépressions préexistantes aux grands cours d’eau dont 
l'action érosive a complété les escarpemens. Après cette 
lecture, la section décide que le mémoire de M. Ho- 
landre et celui de M. Chaussier seront communiqués à 
l'assemblée générale. 

M. Lamoureux cite à l’appui de cette opinion le lias 
de la Chartreuse de Nancy, où des coquilles de toutes 
espèces parfaitement conservées , sont soudées à la sur- 
face du banc, d’où il conclut que les bassins ont dû être 
formés par érosion avant le dépôt des terrains jurassiques 
qui les recouvrent. 

M. Buvignier acte des faits analogues dans la Meuse 
et dans les Ardennes où les vallées suivent aussi la direc- 
ton des terrains. ; 

M. Lejeune fait des observations sur l’assertion de 
M. Holandre , qui pense que les escarpemens et les in- 
clinaisons des terrains jurassiques de la Moselle ne doivent 
point être attribués à l’action des soulèvemens, il cite à 
ce sujet le peu d’inclinaison des terrains jurassiques du 
Vurtemberg et de la Franche-Comté, que MM. de Man- 
delslohe et Thirria attribuent aux soulèvemens du por- 


PREMIÈRE SECTION. 37 


phyre noir pour les Vosges, et du basalte pour le 
Vurtemberg. 

M. Buvignier fait remarquer que l'inclinaison des terrains 
jurassiques de la Meuse et des Ardennes n’excédant guère 
deux ou trois degrés, il n’est pas nécessaire de recourir 
à un soulèvement pour l'expliquer. M. V. Simon cite aussi 
des faits pris dans le pays messin, tendant à prouver 
que ces couches ont été formées dans là mer dans leur 
position actuelle, il ajoute que si le lias inférieur se 
trouve souvent plus haut que le lias supérieur , c'est que 
ce dernier a été déposé dans des cavités creusées avant 
sa formation. Cependant il reconnaît qu'il existe des failles 
dans le département de la Moselle | notamment à Gorze 
et à Fontois. 

M. Lejeune s'appuie sur les failles "pour soutenir l'opi- 
“nion des soulèvemens, il pense aussi que l'inclinaison 
générale des couches, depuis les Vosges jusqu'à Paris, est 
due au soulèvement des Vosges. M. Buvignier répète que 
ces couches peuvent avoir été déposées dans leur situation 
actuelle sur le terrain préalablement soulevé par la for- 
mation des Vosges, formation qui paraît antérieure à 
celle des terrains secondaires. 

M. Lejeune persiste dans son opinion et dit que la 
question ne peut être résolue que par un travail sur 
les failles de la Moselle , analogue à celui de M. Thirria 
sur les failles de la Haute-Saône. 

La section reconnaissant l'utilité d’un semblable tra- 
vail, engage les géologues du pays à s'en occuper. 

M. Levallois demande la parole sur la position de la 
deuxième question : /£ grès qu’on voit à la partie su- 
périeure du keuper , appartient-il à cette formation 
ou au lias ? Il existe près de Marsal, dit M. Levallois, 
un grès consolidé par un ciment calcaire renfermant 


38 PREMIÈRE SECTION. 


une grande quantité de coquilles qui paraissent être des 
Anatines. Ce grès dans lequel on a trouvé une Gervilie 
et quelques fossiles qui paraissent appartenir au lias est 
recouvert par trois ou quatre mètres de marnes rougeâtres 
qui paraissent identiques avec celles du keuper. Ce grès 
est-il le méme que celui d’Hettange contenant des 
Gryphées , et des Bélemnites qui appartiennent au lias ? 

M. Puton établit un parallèle entre le keuper de la 
Lorraine et celui de la Bourgogne , il ajoute que l’Ar- 
kose appartient à des formations très-différentes , au grès 
rouge , au keuper, au lias. 

M. V. Simon trouve une diflérence sensible entre le grès 
d'Hettange ou de Luxembourg et le grès keupérien. 
On ne voit dans celui-ci d'autres traces de fossiles que 
des taches charbonnées dues probablement à des débris 
de végétaux , 1l est micacé, blanc et friable à l'intérieur, 
mas dur et{ferrugmeux à la surface des paremens aux- 
quels des fissures régulières donnent l'apparence d’une 
muraille. Le grès de Luxembourg, au contraire, est à 
ciment calcaire et en couches peu épaisses , alternative- 
ment friables et solides , il contient rarement du mica, 
mais On y trouve une grande quantité de fossiles, des 
Plagiostomes , des Turbos, etc., il regarde ce terrain 
comme une formation inférieure au has, et qui en est 
tout à fait indépendante. 

M. Levallois n'admet pas cette indépendance , 1l a vu 
à Luxembourg le grès reposant sur le lias inférieur. 
I a même vu sur un terrain horizontal le lias et le 
grès au même niveau, à une faible distance ,. ce qu'il 
serait tenté d'expliquer par une transformation du lias 
en grès. Cette circonstance peut aussi s'expliquer par le 
dépôt du grès dans une cavité du lias. 

Plusieurs membres ajoutent que l'on a trouvé dans 


PREMIÈRE SECTION. 39 


le grès de Luxembourg, la Gryphée arquée avec d’autres 
coquilles du lias. On cite dans le grès keupérien de Hay, 
des Calamites et des empreintes de bivalves. M. V. Simon 
observe qu'il n'a pas trouvé ces fossiles dans les environs 
de Metz. 

M. Lamoureux pense que les marnes rouges qui re- 
couvrent le grès de Marsal doivent le faire rapporter 
au grès de Stuttgard, mais M. Levallois dit que celui- 
ci qui est caractérisé par plusieurs végétaux * se trouve 
plus bas dans les marnes irisées , c'est le grès moyen du 
keuper. Quant au grès de Luxembourg, il dit lavoir 
vu intercalé dans le lias. M. Buvigmier a vu dans les 
Ardennes le lias compris entre deux formations de grès 
calcaires contenant chacune des fossiles particuliers , 
mais qui les rapprochent toutes deux du lias. 

M. V. Simon indique à la partie supérieure du grès 
keupérien , l'existence d’une petite couche de poudingues 


empâtant des débris de crustacés , des dents et des osse- 


mens de poissons. 

M. Puton demande si les marnes rouges qui recouvrent 
le grès de Marsal, ne représenteraient pas le terrain de 
la Bourgogne que M. de Bonnard appelle terram de 
Lumachelle , et qu'il regarde comme intermédiaire entre 
le keuper et le lias; s'il en était amsi, le grès de 
Marsal, malgré l'existence d'une Gervilie appartiendrait 
au keuper. M. Buvignier pense que les espèces seules 
et non les genres, doivent être indiquées comme ca- 
ractéristiques des terrans , et que si la Gervilie dont il 
est question appartient à une espèce nouvelle, elle ne 
peut donner aucun renseignement sur la position du 
terrain où on l'a trouvée. Il cite à l'appui de cette opi- 


* Equisetum arenaceum. A. Brong et d’autres mentionnés dans 


l'ouvrage de M. Jaeger, sur le grès à roseaux de Stuttgard. 


10 PREMIÈRE SECTION. 


nion le genre ÂWérinée que l'on a long-temps regardé 
comme caractéristique du coral-rag, tandis que plusieurs 
espèces de ce genre ont été découvertes dans l'argile 
d'Oxford , le forest-marble et même dans l’oolithe in- 
férieure. Pour mettre fin à la discussion , la section, sur 
la proposition de M. Lejeune , décide qu'elle se trans- 
portera à Hettange*. 
La séance est levée à neuf heures. 


SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Movcror. 


La séance est ouverte à sept heures. 

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

M. V. Simon propose à la section de se transporter au 
pied de la côte Saint-Julien, où elle pourra voir dans 
une course de deux heures, un lambeau de keuper , de 
grès keupérien et de lias. 

On décide que lon se réunira à onze heures à l’hôtel- 
de-ville, afin d’être de retour de cette course pour l'ou- 
verture de la séance des sciences physiques et mathéma- 
tiques. 

Le président communique une lettre de M. Fabre, de 
Bourges, par laquelle il adresse au Congrès quelques 
essais sur les solutons de quelques-unes des questions 
portées au programme. 

La section décide que ces communications seront faites 
au fur et à mesure que les questions viendront à l’ordre 


* Cette décision n'a pas eu de suite. Cependant quelques membres 
s'y sont transportés individuellement. 


PREMIÈRE SECTION. 4 


du jour. On lit immédiatement ce qui a rapport aux deux 
premières questions qui ont déjà été traitées. 

M. Fabre suppose que les escarpemens des formations 
secondaires sont dus, comme ceux des terrains primitifs 
et volcaniques, à des soulèvemens et à des éruptions. Il 
regarde les terrains secondaires comme produits par des 
dépôts, devant leur existence à des volcans boueux , sous- 
marins et locaux. De là, des secousses et des bouleverse- 
mens qui ont concouru avec l’action des eaux de lacs ten- 
dant à s'échapper dans des bassins inférieurs, à former 
les escarpemens que l’on voit, non seulement dans la 
formation secondaire , mais encore dans les premiers dé- 
pôts rocheux de la formation tertiaire. 

M. le président demande si l’on a quelques observations 
à faire sur ce mémoire. Plusieurs membres pensent que 
les considérations présentées hier l'ont suffisamment ré- 


futé. Cependant M. l'abbé Chaussier , dit : 


41° Que les escarpemens se sort formés à une époque où l'épaisseur 
et la solidité de la croûte du globe ne permettent plus de supposer des 
soulèvemens qui auraient eu de si faibles résultats : 2° Qu'il faudrait 
supposer que la ligne de rupture aurait coïnsidé exactement avec la 
limite de la formation soulevée; coïncidence dont on ne trouve point 
la raison, ni dans les forces qui auraient produit le soulèvement , ni 
dans celles qui auraient dù y résister : 3° Que cette rupture aurait dû 
laisser au pied de l’escarpement des couches de même nature que 
celles du sommet de l’escarpement dont elles auraient été séparées, 
ce qui n’a pas lieu puisque l’on trouve au bas des escarpemens les 
couches de la formation inférieure, plongeant sous celles qui consti- 
tuent l'escarpement. 


M. V. Simon dit aussi que les volcans n'auraient pu avoir 
une action assez puissante pour déterminer des escarpe- 
mens aussi étendus que ceux qui existent aux limites des 
formations. | 

M. Levallois demande à résumer les idées qu'il a émises 


6 


, 


19 PREMIÈRE SECTION. 


hier pendant la durée de la discussion, sur la deuxième 
question , après avoir décrit les. terrams dont 1l s’agit, il 
conclut : 

Que le grès d'Hettange et de Luxembourg fait partie 
des terrains du lias. Quant au grès de Kédange, il ne 
lui paraît pas possible, dans l’état actuel des observations , 
de décider s'il n’est qu'une dépendance du premier, ou 
s'il doit être rattaché au terrain keupérien. 

La section vote l'insertion textuelle de la communica- 
tion. 

L'ordre du jour appelle la discussion sur la troisième 
question : Doit-on séparer le grès bigarré du grès vos- 
gen, comme le dit M. Elie de Beaumont , ou doit-on 
l'y réunir comme le pensent les géologues allemands ? 

M. Hogard demande l’ajournement de la discussion ; 
cette proposition est adoptée. 

M. le président demande si quelqu'un veut A à la 
parole sur la quatrième question : La couleur verte qui 
se présente à la partie inférieure de plusieurs forma- 
tions, ne pourrait-elle pas étre prise pour une limite 
certaine de ces formations ? 

M. Fabre n’a observé cette limite dans le département 
du Cher, qu'à la base de la craie. 

M. V. Simon indique des couches vertes à la base de plu- 
sieurs formations. Il cite des marnes vertes ferrugineuses 
à la base de l’oolithe inférieure ; il indique aussi la partie 
inférieure du grès vert, de la craie et du calcaire grossier. 

M. Hogard cite une marne verte entre le muschelcalk 
et le grès bigarré, mais il ne sait pas si elle appartient 
à l’une ou à l’autre formation. 

M. Levallois croit devoir la rapporter au grès bigarré; 
elle se trouverait alors au contraire à la partie supérieure 
de la formation. Il ajoute, ainsi que M. Buvignier, d’au- 


PREMIÈRE SECTION. 43 


tres faits tendant à prouver qu'il y a des couches vertes 
à différentes hauteurs dans les formations. 

M. Lamoureux pense que l'on ne pourra prendre 
aucune conclusion avant d’avoir des observations plus 
générales. Sur sa demande, l'assemblée appelle l'attention 
des géologues sur cette question. 

M. de Caumont indique dans le Calvados des teintes 
vertes : - 5 

1° A la base du calcaire de Valognes, qui repose sur 
le grès bigarré et qui paraît se rapprocher du quader- 
sandstein ; 

2 Vers la partie supérieure du las dans le marly- 
sandstone ; 

3° A Ja partie inférieure du coral-rag ; 

4° A la partie inférieure d’une formation qui paraît 
être le Portland-stone. 

Il termine en déclarant qu'il n’insiste pas sur ces faits 
et qu'il n’en veut déduire aucune conséquencé. 

Sur la cinquième question : On remarque dans des 
circonstances semblables, que des coquilles dont le têt 
était très-épais, ne sont plus figurées uniquement que 
par des moules, tandis que beaucoup d’autres plus 
minces sont demeurées intactes. Quelle peut avoir été 
la cause de ces différences ? 

M. Fabre explique ce fait en recourant à ses éruptions 
boueuses. 11 pense que les coquilles qui.contenaient en- 
core l'animal lors de l’épanchement , ont été conservées, 
tandis que celles où il ne restait plus de traces de l'ani- 
mal ont été détruites. 

M. V. Simon dit que dans le Bradford-claÿ des environs 
de Metz, des coquilles très-épaisses ont perdu leur têt, 
tandis que généralement les Térébratules dont la coquille 
est mince sont très-bien conservées. Ces coquilles, quoi- 


44 PREMIÈRE SECTION. 


que parfaitement fermées, sont remplies de la marne qui 
les enveloppe et contiennent comme elles des oolithes fer- 
rugineuses. 

M. Lamoureux a vu aussi des coquilles à têt très- 
épais détruites, lorsque d’autres étaient conservées dans 
le même terrrain ; mais il en a vu plusieurs qui, étant 
empâtées en partie dans une roche dure, avaient conservé 
ieur têt à la partie ‘extérieure, tandis que la partie ren- 
fermée dans la roche avait perdu le sien. Il pense que 
les coquilles qui ont été d'abord empâtées dans l'argile, 
se sont conservées plus facilement que celles qui ont été 
enveloppées subitement par un suc pierreux. 

M. Buvignier a remarqué que les huîtres, les gry- 
phyées et les autres coquilles à têt lamelleux, ainsi que 
les pnes et les autres coquilles à têt fibreux , sont géné- 
ralement celles qui sont ile mieux conservées : il croit 
pouvoir conclure de là (sans mier l'influence de la cir- 
constance citée par M. Lamoureux), que la conservation 
des coquilles peut dépendre souvent de leur texture : la 
conservation fréquente des térébratules vient aussi à l'ap- 
pui de cette opinion ; car en examinant à la loupe leurs 
coquilles, on y remarque des perforations disposées dans 
un certain ordre, et qui paraissent annoncer une texture 
particulière. 

M. Hogard cite à cette occasion des lingules à têt très- 
mince , parfaitement consérvées dans le muschelkalk où 
toutes les autres coquilles sont détruites. Or les lingules, 
voisines des térébratules par leur organisation, pourraient 
ave un têt analogue au leur. 

MM. Chaussier et Rodolphe citent des fossiles de mêmes 
espèces, l’un conservé et l’autre détruit, dans le même bloc. 

La section appelle l'attention des géologues et des chi- 
mistes sur cette circonstance qui paraît assez fréquente. 


PREMIÈRE SECTION. 43 


La discussion s'établit sur la sixième question : La 
science fournit-elle quelques données d’où l’on puisse 
conjecturer quelle a dû être l’origine du calcaire dont 
les masses existent dans la nature ? 

L'un des secrétaires donne lecture de la communica- 


tion de M. Fabre. . 


La science appuyée sur les résultats soumis à son investigation, 
admet deux grandes époques dans la formation de notre planète. 

4° L'époque des terrains prozoïques et de la mer. 

2° L'époque nécessairement postérieure des terrains métazoïques. 

3° L'action d’un feu central. 

4° L'existence des roches calcaires dans les terrains cristallisés de la 
première époque. 

En admettant les roches cristallisées de la première époque et les 
eaux de la mer, sans chercher à expliquer leur mode de formation, 
mode qui, jusqu'à présent, a été l'objet d'une foule de systèmes 
plus ou moins brillans, qui ne sont pas même fondés sur des raison- 
nemens par analogies dont la science puisse reconnaître l’exactitude ; 
car il faudrait pour cela connaître ce qui se passe dans les planètes 
qui roulent dans l’espace, et qui sont encore à leur première époque 
de formation, 

En admettant, disje, pour point de départ la formation primi- 
tive, on conçoit que les roches de carbonate calcaire cristallisé, qui 
font partie de cette formation, ont dü, ainsi que les autres roches 
contemporaines, étre en prise aux agens ignés et aqueux, et par 
conséquent, éprouver de grandes modifications, former souvent de 
nouvelles combinaisons avec les roches contemporaines, attaquées par 
les mêmes agens, et des gaz provenant de vapeurs métalliques aux 
quels on attribue avec raison , la coloration des roches. 

Ces nouveaux produits ont concouru à former par leurs épanche- 
mens les terrains de la seconde époque. 

Si on considère, de plus, que la mer a été l'élément dans lequel 
les premiers animaux ont vécu, que les mollusques ont la faculté de 
s’assimiler les élémens du carbonate calcaire , et de produire ce sel 
sous des formes diverses de polypiers, de madrépores, de coraux 
et de coquilles , qui constituent méme. encore dans les mers actuelles, 
des masses considérables. 

On en conclura que l'origine des grands dépôts calcaires, posté- 


46 PREMIÈRE SECTION. 


rieure à l'époque prozoïque, est due aux deux causes que nous 
venons d'indiquer. Les modifications éprouvées par les roches cal- 
caires primitives, et le détritus des habitations des mollusques. 


Après cette communication , M. Chaussier lit la note 
suivante : 


Le calcaire est répandu dans la nature avec tant de profusion, 
qu’il forme à lui seul la presque totalité des roches dures des terrains 
secondaires et tertiaires, et se trouve en grandes masses dans les 
terrains primitifs. C'est cette abondance même qui rend difficile la 
solution complète de l'origine des calcaires. On a supposé que le 
calcaire est un produit de l’organisation ; qu’il a été secrété à toutes 
les époques par les mollusques et les zoophytes. La nature calcaire 
des parties solides de ces animaux , leur existence souvent en quantité 
prodigieuse dans les bancs calcaires de diverses formations, a pu en 
effet conduire à cette idée , qu'ils secrètent non-seulement la substance 
nécessaire pour s’envelopper d'un têt protecteur, ou se fixer aux corps 
sous-marins par un pied selide, mais qu'ils répandent encore dans 
les eaux une surabondance de secrétion calcaire, qui, suspendue dans 
le liquide, finit par s'y déposer et concourt ainsi à la formation des 
couches. 

Cette opinion, toute bizarre qu’elle peut paraître, puisqu'elle a donné 
lieu à ce mot plaisant que es montagnes ont été digérées par des 
hutres, ne devrait pas être rejetée si elle était suffisante pour résoudre 
la question de l’origne du calcaire. 

Mais quand on songe que ces êtres n’habitent point toute l'étendue 
des mers, qu'ils se trouvent circonscrits par le besoin de lumière et 
de substances végétales ou animales dont ils puissent se nourrir, à une 
zone littorale de peu d'étendue et de peu de profon ‘eur, que méme, 
ils ne se tiennent point indifféremment sur tous les points des rivages 
de la mer, maïs se réunissent dans des sites d'élection en rapport 
avec leurs habitudes et leur genre de vie; que par conséquent la 
portion du sol sous-marin occupée par les coquillages ou les poly- 
piers est dans un rapport infiniment petit avec la vaste étendue des 
mers; On à peine à concevoir que de ces quelques points du globe 
soient partis ces immenses bancs de calcaires que l’on rencontre si 
fréquemment dans la nature. À 

D'un autre côté, si, dans certains cas, les calcaires grenus peu— 
vent et doivent même être considérés comme des calcaires de sédi- 
ment, qui seraient devenus cristallins sous l'influence de la tempé- 


PREMIÈRE SECTION. 47 


rature élevée des roches d’épanchement qui les ont traversés, il 
est d’autres cas où il est difficile de ne pas admettre que ces 
calcaires sont eux-mêmes des terrains d’épanchement qui ont fait 
éruption à travers les formations primitives. C’est du moins l'opi- 
nion de M. Léonhard, de Heidelberg, relativement aux calcaires pri- 
mitifs que l'on exploite à Auerbach dans les gneiss de la Bergstraas : 
il regarde les calcaires lamellaires de cette localité comme un exemple 
classique des calcaires d'épanchement. D'après les indications de ce 
savant, M. Holandre et moi, avons visité cette localité ; la disposi- 
tion des masses calcaires et du gneiss qui les recouvre, l’altération 
qu'a subie ce gneiss, jusqu'à une distance assez cousidérable du 
centre de soulèvement , l'état des surfaces de contact des deux roches 
sur lesquelles on trouve des stries , et même quelquefois un poli assez 
prononcé, indice évident de leur frottement réciproque, nous ont 
pleinement convaincus que ce calcaire a réellement été poussé de l'in 
térieur" jusqu'à la surface du sol à travers le gneiss à la manière 
des roches d'épanchement si fréquentes dans les terrains primordiaux. 
Je puis en pre ve de ce fait important, mettre sous vos yeux des 
échantillons recueillis dans les carrières d'Auerbach. Or ce calcaire du 
moins ; n’est point secrété par des êtres organisés, puisqu'il s’est épanché 
de l'intérieur, poussé à travers le gneiss; mais si une fois on recon- 
naît du calcaire qui ne soit pas d’origine animale , pour avancer que 
le calcaire stratifié est un produit de l’organisation , il faudra autre 
chose qu'une conjecture que la considération des faits repousse 
d’ailleurs comme insuffisante pour résoudre la question proposée. 
Faut-il dire maintenant que tout le calcaire de sédiment a été 
éjaculé tout formé de l’intérieur du globe? Le petit nombre de lo- 
calités où le calcaire d’épanchement peut être constaté avec quelque 
probabilité n’est nullement dans un rapport assez grand avec l'im- 
mense étendue de masses calcaires stratifiées, pour que l’on puisse 
regarder les épanchemens comme les sources uniques de tout le 
calcaire de la nature. Cherchons-en donc l’origine ‘ailleurs. Rappe- 
lons-nous d’abord que la végétation gigantesques des époques anciennes 
et la non-existence d'êtres à respiration pulmonaire contemporains 
de ces époques ; établissent parmi les savans , comme asséz probable, 
l'opinion que l'acide carbonique était alors beaucoup plus abondant 
dans l'atmosphère qu'il ne l’a été aux époques paléothériennes et à 
celles qui les ont suivies; rappelons-nous , en outre, que d'après 
des découvertes récentes de la chimie, il y a lieu de croire que 
bien des corps que nous regardons comme simples , sont de véritables 


418 PREMIÈRE SECTION. 


composés, — que Berzelius a été conduit à regarder l’ammonium 
comme un métal, quoique cependant ce corps soit composé d'azote 
et d'hydrogène, et en partant de ces faits nous pourrons peut-être 
assigner au calcaire une origine plausible. Ne peut-il pas se faire, 
en eflet, que le calcium soit ainsi que l’ammonium, un composé 
dont les élémens auraient existé dans l'atmosphère, et qui, formé 
sous des conditions convenables , se serait ensuite oxidé , puis parvenu 
ainsi à l'état de chaux, se serait enfin combiné avec l'acide carbo— 
nique de l'atmosphère? Le carbonate de chaux qui en serait résulté, 
tombé dans les eaux à l’état pulvérulent et peut-être quelquefois en 
grains et sous la forme d'une grêle oolithique , s'y serait déposé en 
lits plus ou moins puissans, selon l'activité et la persévérance des 
causes qui auraient concouru à sa production. 

Le calcaire d’épanchement lui-même ne pourrait-il pas être le ré- 
sultat de semblable combinaison produite dans l'intérieur de la terre 
par la réunion dans un même point des élémens convenables , et 
peut-être par des épigenies analogues à celle , qui selon M. de Buch, 
a converti le calcaire en dolomie sur plusieurs points des Alpes. 
M. Levallois n'étaitil pas tenté dans la première séance, de nous 
parler de calcaire changé en grès? et pourquoi la réciproque ne nous 
tenterait-elle pas également et ne soupçonnerions-nous pas que des 
roches siliceuses ont pu être transformées en calcaire ? 

Ce ne sont là, Messieurs, que des conjectures, mais remarquez 
que le programme , reconnaissant sans doute la difficulté de la ques- 
tion n’en demande pas davantage. Quoi qu’il en soit de celles aux- 
quelles je viens de me livrer sur le calcaire primitif d’épanchement ; 
celle que j'ai développée d’abord sur la formation du calcaire dans 
l'atmosphère, ou en assignant à ce minéral une origine plausible, a 
l'avantage d'expliquer comment aurait disparu cette grande disproportion 
d’acide carbonique qui a dù exister primitivement dans l'atmosphère, 
et peut-être aussi comment se seraient formées les textures oolithiques 
qui se rencontrent dans plusieurs formations jurassiques. 


M. Buvignier dit que l’ammonium supposé par M. Ber- 
zelius serait un métal simple dont l'hydrogène et l'azote 
seraient des oxides, et dont l’ammoniaque composée 
d'azote et d'hydrogène serait un autre oxide intermédiaire, 
il pense que les conclusions déduites par M. Chaussier 
ne peuvent pas être admises. 


: PREMIÈRE SECTION. 49 


M. Braconnot consulté par M. le président, dit que 
l'existence de l’ammonium n’est qu’une pure hypothèse, et 
que l'on n’en pourrait pas tirer les conséquences qu’en 
déduit M. Chaussier. 

M. Buvignier croit que les phénomènes que nous re- 
marquons actuellement dans les fontaines incrustantes 
peuvent avoir eu autrefois plus d'intensité , que d’ailleurs 
leur action a pu avoir lieu pendant un temps extrêmement 
long. 11 demande si l’on ne pourrait pas leur attribuer 
l'existence de quelques dépôts calcaires. 

La séance est levée à neuf heures. 


SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE. 
. Présidence de M. Moucror. 


La séance est ouverte à sept heures. 

Le procès-verbal de la séance du 7 est lu et adopté. 

M. Vanderbach fait une communication sur des eaux 
minérales qu'il a découvertes, près de Florange, dans les 
propriétés de messieurs d'Huart et de Wendel, et qu'il 
a employées avec succès dans plusieurs maladies chro- 
niques et rebelles , il indique des essais qu'il a faits pour 
les analyser , il offre au congrès un grand nombre de 
fossiles trouvés dans les terrams voisins ; la section décide 
que ce mémoire sera communiqué à la section des sciences 
médicales. 

La parole est à M. Hogard sur la troisième question: 
Doit-on'séparer le grès bigarré du grès vosgien , comme 


7 


50 PREMIÈRE SECTION. 
14 


le dit M. Elie de Beaumont, ou doit-on l'y réunir 
comme le pensent les géologues allemands ? 


Il est difficile, dit M. Hogard , de distinguer dans le plus grand 
nombre de cas, ces deux grès par leur caractère minéralogique ; le 
grés bigarré formé des débris du grès vosgien, renferme au contact 
de celui-ci des galets de quarz et de diverses roches ; mais en général 
les élémens en sont décolorés surtout dans la partie inférieure du 
dépôt, ils sont plus ténus, plus fins, mélangés d'une grande quantité 
d'argile. Les fossiles tels que fougères , coquilles et ossemens , propres 
au grès bigarré , le distinguent beaucoup mieux du grès des Vosges, 
qui n'a offert jusqu'alors qu'un seul fossile ; il appartient au genre 
Calamiics. 

La masse du grès des Vosges a été soulevée et placée à diverses 
hauteurs, suivant des lignes partant du faite des montagnes et allant 
se terminer à l’extrémité de la formation dans les directions nor- 
males à celle de la chaîne. Sur quelques points, les couches du grès 
des Vosges sont fortement inclinées , et sur d’autres elles ont conservé 
une position à peu près horizontale; mais en général elles occupent 
divers étages qui sont de plus en plus élevés dans le voisinage des 
montagnes. 

Le grès bigarré s’est placé au pied des escarpemens formés par le 
grès des Vosges autour du système, et nulle part, de Thann à 
Landau, on ne le retrouve en lambeaux isolés au-dessus des buttes 
coniques de ce dernier grès, qui formait une falaise au pied de la- 
quelle des dépôts plus récens se sont formés. 

Le grès bigarré qui repose sur le grès des Vosges, tantôt à stratifi- 
cation continue, tantôt à stralification discontinue , vient, dans le 
plus grand nombre de cas, s'adosser contre les tranches des couches 
constituant les escarpemens de la falaise du grés des Vosges. Dans 
toute l'étendue du système, le muschelkalk recouvre le grès bigarré 
à stratification continue. On remarque à son étage supérieur des 
argiles rouges et vertes avec quelques couches de marnes et de dolomies 
formant le passage avec le muschelkalk dont l'étage inférieur offre 
une série d’argiles et de marnes, et de lits de grès à ciment calcaire 
(macigno). À son tour, le muschelkalk est recouvert, à stratification 
continue , par le dépôt des marnes irisées. 

Ces trois dépôts, le grès bigarré, le muschelkalk et les marnes 
irisées forment un système dans lequel on voit se développer alterna- 
tivement des masses arénacées , des marnes et des calcaires. La cou- 


PREMIÈRE SECTION. 54 


leur rouge domine dans toute l'étendue de ce système. À la partie 
supérieure (marnes irisées), on trouve des amas cons'dérables de 
gypse et de sel qui se présentent déjà sur quelques points du globe 
dans les assises de la partie inférieure (grès bigarré). Le muschelkalk 
manque dans quelques contrées, alors les marnes irisées et le grès 
bigarré se trouvent en rapport direct; toutefois le muschelkalk avec 
ses marnes et ses calcaires dolomitiques rappelle une partie de la 
formation des marnes irisées composées aussi de marnes et de calcaires 
compactes. La liste des fossiles du grès bigarré, du muschelkalk 
et des marnes irisées, offre une analogie remarquable. Avec le grès 
bigarré, apparaît une nouvelle série d'êtres organisés, qui se retrou- 
vent pour la plupart dans les deux dépôts qui lui sont supérieurs 
et plus particulièrement dans le muschelkalk. Parmi les plantes 
fossiles , quelques-unes appartiennent indistinctement aux marnes irisées 
et au grès bigarré et les coquilles de ce: dernier dépôt se retrouvent 
toutes dans le muschelkalk. Ainsi , dans toute l'étendue du système des 
Vosges, on voit le grès bigarré séparé du grès des Vosges par un 
système de failles qui indique la révolution géologique qui a séparé 
ces: deux formations. Le grés bigarré, placé au pied des escarpemens 
du grès des Vosges, ne recouvre celui-ci à stratification concordante 
que. très accidentellement : tandis qu'il existe entre le grès bigarré 
et le muschelkalk un: liaison intime de siraufication. La partie 
supérieure du grés bigarré offre les mêmes alternances de roches que 
la partie inférieure du muschelkalk : nulle part, dans l'étendue de 
la formation du grès des Vosges ne se présentent de.traces de ces 
êtres organisés propres au trois dépôts suivans, formés , ainsi que l'in- 
diquent ces êtres organisés, par suite des mêmes causes et sous de 
mêmes influences. Avec le grès bigarré, commence une nouvelle série 
de dépôts offrant des caractères particuliers et qui se sont déposés 
dans des bassins au-dessus desquels s'élevait la grande formation 
arénacée désignée sous le nom de grès des Vosges qui, depuis, n’a 
plus été recouverte que par les eaux alluviales, et qui , ainsi se trouve 
séparée d’une manière tranchée du dépôt du grès bigarré qu'on ne 
pourrait séparer à son tour du muschelkalk qu’en détruisant par de 


nouvelles observations les considérations générales que nous venons 
de présenter. 


M. Hogard , avant de terminer, ajoute des considéra- 
tions sur l’âge de quelques roches des Vosges. 


59 PREMIÈRE SECTION. 


Les spilites de Senones qui ont été regardées tantôt comme dépen- 
dantes du terrain euritique, tantôt comme se rattachant au grès rouge, 
se trouvent quelquefois en stratification concordante avec ce dernier ; 
mais on voit dans le haut de la vallée que celui-ci repose sur une 
Anagénite contenant des débris de spilite et de roches de la formation 
euritique. Cette arkose est donc plus récente que le spilite; il doit 
en être de même du grés rouge qui repose sur l’arkose. D'ailleurs le 
spilite est souvent traversé par des masses euritiques qui ne péné- 
trent jamais dans le grès rouge. C’est donc entre ce grès rouge et 
les terrains de transition qu’il faut placer les spilites qui devront se 
rapporter soit au terrain houiller , soit au vieux grès rouge. L'absence 
du terrain houiller dans cette localité, rend la question plus difficile, 
mais la dernière opinion paraît la plus probable. 


On voit aussi à Saint-Dié le grès rouge reposant dans 
des ondulations sur une arkose granitoïde. 

Les argilophyres et les argilolithes du Valdajoz parais- 
sent supérieurs aux arkoses; mais en quelques endroits 
leur position ne peut pas être vérifiée facilement. M. Ho- 
gard pense qu'il serait nécessaire de faire de nouvelles 
recherches sur le terrain. 

M. Lejeune abordant la première question traitée par 
M. Hogard, observe que le muschelkalk ne contient 
pas de: mica, ni de débris roulés du grès vosgien, ce 
qui tenderait à le séparer du grès bigarré. M. Hogard 
répond que l'identité des fossiles est un caractère beau 
coup plus important que l'absence ou la présence du mica, 
qu’il existe d’ailleurs du mica dans les roches arénacées 
du muschelkalk , il ajoute qu'il a dit que le grès bigarré 
était souvent formé de sables provenant de débris du 
grès des Vosges. Il avait annoncé en outre au contact 
de ces deux dépôts, que le grès bigarré renfermait des 
galets siliceux provenant du grès des Vosges, mais non 
des fragmens roulés de ce dermier grès. 

M. Puton appuie l'opinion de M. Hogard sur la troi- 


PREMIÈRE SECTION. 53 


sième question du programme. Il demande la parole sur 
la seconde, vu l'heure ayancée la discussion est ajournée 
au lendemain. 

M. Moreau demande à faire une dernière communica- 
tion , il annonce qu'il a trouvé dans le coral-rag du dé- 
partement de la Meuse plusieurs plantes fossiles, il de- 
mande si les géologues des autres contrées en ont observé. 
L'assemblée l'invite à faire revenir pour les lui commu- 
niquer, dans une prochaine séance, les dessins qu'il 
possède de ces plantes. 

M. le président propose que M. Hogard soit invité 
à renouveler à l'assemblée générale la communication 
qu'il a faite à la section. M. Lamoureux appuie cette 
propositisn qui est adoptée par la section. 

La séance est levée à neuf heures. 


SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. Mocucror. 


La séance est ouverte à sept heures du matin. 

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et 
adopté. ; 

M. Hogard pense que ce procès-verbal, contenant une 
analyse assez étendue des opinions qu'il a exposées sur la 
troisième question , il est inutile qu'il renouvelle cette 
commumication à la séance générale. 

M. Lejeune demande à faire une communication sur 
les terrains jurassiques, elle est mise à l’ordre du jour de 
demain. 

M. de Selys-Longchamp envoie deux mémoires manus- 


54 PREMIÈRE SECTION. 


crits, l'un sur les passereaux ténuirostres, l’autre sur la 
distribution des genres de l’ordre des passereaux. 

La section nomme, pour lui faire un rapport sur ces 
mémoires , une commission composée de MM. Holandre, 
Lasaulce et Malherbe. 

M. Chaussier à qui l’on avait contesté, dans la seconde 
séance, que l'opinion qu'il attribuait à Berzélius, sur la 
nature composée de l'ammonium , fût réellement celle de 
ce savant, communique à la section les passages suivans 
de la chimie de Bouchardat, qui justifient son assertion. 

« De l’ammonium. Berzélius décrit sous ce nom un 
» métal qui n’a point encore été isolé, qu'on n'a obtenu 
» qu'en combinaison avec le mercure à l'état d’amal- 
» game, et, ce qui est plus remarquable, qui se rap- 
» proche de la manière la plus intime des métaux des 
» alcalis, par les propriétés des sels et de la plupart 
» des combinaisons qu'il peut former, et qui cependant 
» est un corps composé d'azote et d'hydrogène ; qui 
» serait aux métaux des alcalis ce que le cyanogène est 
» au chlore, à l'iode, au brome, au fluor... » 

« Formule de l’'ammoniaque NH° ; formule de l’am- 
» monium NH#.... » 

« Cet ammonium et le cyanogène qui réagissent comme 
» des corps simples pourraient faire penser avec quelque 
» fondement, que la plupart des corps que nous, regar- 
» dons comme simples sont de vrais composés....* » 

M. V. Simon présente, de la part de M. Schmitt, un 
mémoire sur le Liedermund , la section décide qu'elle en 
entendra la lecture dans une de ses prochaimes séances. 

L'ordre du jour appelle le rapport de M: V. Simon 
sur la course faite dans la matinée du 7 par la section 
d'histoire naturelle aux environs de Saint-Julien. 


* Cours de chimie élém., par Bouchardat , page 431 et 435. 


PREMIÈRE SECTION. 5 


Il résulte de ce rapport qu'on a d’abord: observé une source salée 
qui se jette dans le ruisseau de Vallières, sur l’autre rive on a 
observé le grès keupérien au commencement du chemin de Sainte- 
Barbe, d’abord friable et trés-incliné, à quelques pas de là, il est 
plus dur et se divise en feuillets sur l'un desquels M. Simon a trouvé 
un moule de coquilles qui paraît être une zwmie. Au-dessus de ce 
grès il en existe un autre ferrugineux et friable. La section a remarqué 
au-dessus de ces grès des marnes d'environ 20 mètres de puissance et 
de couleur bleue et rouge, identiques avec celles de la formation 
keupérienne. 

Ges marnes sont immmédiatement recouvertes par les couches du 
Jias inférieur que l’on voit sur le même chemin. 

La société s’est transportée ensuite au sommet de la côte de Grimont. 
De ce point qui présente un panorama magnifique , M. Simon expose 
quelles sont les formations qui constituent le sol de ce vaste cirque; 
indique les points occupés par l’oolithe inférieure, les différens étages du 
lias; le Keuper et le muschelkalk. Il attire l'attention de la société 
sur les ovoïdes ferrugineux disposés par lits dans des marnes grises 
présentant quelquefois des feuillets minces mais très, courts. Ces.ovoïdes 
formés souvent de couches concentriques ont quelquefois un noyau 
très-dur et trés-pesant qui paraît étre du fer carbonaté. On y a trouvé 
des cristallisations calcaires, il y existe aussi de la baryte , du fer et du 
zinc sulfurés. On examine ensuite les argiles schisteuses que l’on re- 
marque au bas de Ja côte de Saint-Julien. 


La parole est à M. Puton pour continuer la discussion 
d'hier sur les Vosges: il pense que l’inclinaison des cou- 
ches du grès des Vosges est généralement assez faible pour 
que lon ne soit pas obligé de recourir à un soulèvement 
pour l'expliquer, elles pourraient, dans le plus grand 
nombre de cas, avoir été formées dans leur position ac- 
tuelle sur un sol incliné qui aurait éprouvé ensuite des 
dénudations et quelques oscillations. Quant aux spilites 
de Senones, que M. Hogard paraît rattacher au vieux 
grès rouge, 1l fait remarquer que jusqu'à présent on n’a 
observé, dans les Vosges , aucune trace de cette formation. 
Il convient que les spilites qui se trouvent toujours à la base 


56 PREMIÈRE SECTION. 


du grès rouge (tod liegende) n’ont pas avec lui une haï- 
son bien évidente ; mais il demande si les roches pluto- 
niques qui existent dans les spilites, ne pourraient pas 
être attribuées à des dykes préexistans, entre lesquels les 
spilites seraient déposés. Il cite, près de la forge de Mal- 
lençcon, une roche bréchiforme formée d’un conglomerat 
de spilite et de granite réunis par un ciment de spilite. 

M. Hogard donne des coupes de terram desquelles 1l 
résulte, qu'à partir d'Epinal, qui est à 400 mètres au- 
dessus de l'océan, jusqu'à une distance de quatre lieues 
de poste, le grès des Vosges se montre sur plusieurs pla- 
teaux en s’élevant successivement et comme par étages jus- 
qu'à une hauteur de 1000 mètres. Une aussi grande dif- 
férence de niveau, 600 mètres, ne peut guère s'expliquer 
que par des soulèvemens, ou, si l’on veut, par des affais- 
semens postérieurs à cette formation. Il ajoute que les 
différentes eouches du grès des Vosges, un peu irrégu- 
lières, mais toujours disposées dans le même ordre, se 
retrouvent aux différentes hauteurs. 

M. Hogard regarde les spilites de Senones non comme 
des roches ignées et boursoufflées, mais bien comme une 
amygdaloïde argileuse à noyaux de stéatite, de manganèse 
pulvérulent, de calcaire magnesifère. Des infiltrations, en 
détruisant quelques-uns de ces noyaux, produisent les 
vacuoles qui existent dans cette roche; mais ces vacuoles 
ne portent aucuns caractères qui puissent les faire attri- 
buer à des dégagemens de gaz. 

Répondant à l'assertion de M. Puton, que les spilites 
peuvent avoir été déposés entre des dykes euritiques 
préexistans ; 1] présente encore des coupes, desquelles il 
résulte que les spilites qui se trouvent peu inclinés et 
disposés régulièrement vers le haut des pentes à la surface 
desquelles viennent affleurer des dykes euritiques, sont 


PREMIÈRE SECTION. 57 


au contraire fortement inclinés et contournés dans leur 
voisinage. Il résume quelques-uns des argumens qu'il a 
présentés hier pour établir la distinction du grès rouge et 
des spilites ; il insiste sur l'absence des eurites dans le 
premier , sur la différence de stratification et sur les dé- 
bris de spilite trouvés dans l'anagenmite qui est, sans con- 
tredit, antérieure au grès rouge. 

M. Hogard parle ensuite des rochers quarzeux d'Herival, 
aux environs du Valdajoz. Il pense que ces rochers n’ont 
aucun des caractères des filons d’épanchemens, et qu’ils 
sont dus à des infiltrations du ciment quarzeux qui a 
formé les arkoses dans lesquels ils se trouvent. Il ajoute 
que des observations nombreuses l'ont convaincu que, 
selon que le ciment était plus ou moins abondant, les ar- 
koses passaient insensiblement à des couches pr Ee 
quarzeuses. 

M. Puton dit qu'il n'a pas remarqué de chaux carbo- 
natée dans les cavités des spilites de Senones. Il pense 
que les spilites à noyaux calcaires seraient des roches d’é- 
panchemens ; 1l regarde l’existence du fer oligiste cristallisé 
en assez grande quantité dans le quarz d'Evion , comme 
une preuve que ces rochers doivent leur origine à des 
épanchemens. 

M. Hogard répond que les filons d’épanchemens por- 
tent toujours des traces de frottement sur leurs parois, et 
que la matière épanchée est toujours distincte de la gan- 
gue. Ici, au contraire, il n’y a aucune trace de frotte- 
ment, et le quarz des filons se fond msensiblement dans 
l'arkose. Il ajoute que l'existence des métaux ne prouve 
pas que le quarz provient d’épanchemens, puisque les 
mêmes métaux se trouvent beaucoup plus abondamment 
dans les terrains voisins, et que, d’ailleurs, le fer oligiste 
tapisse seulement les parois des fentes qui se trouvent 

8 


ÿ PREMIÈRE SECTION. 


dans le quarz. 11 pense que le quarz paraît s’étre déve- 
loppé à la base du grès rouge de même que dans les 
divers terrains supérieurs à ce dépôt, auxquels cependant 
on n'atiribue pas une origine ignée. 

Plusieurs membres insistent sur la nécessité d’une plus 
grande précision dans les nomenclatures, et sur la dis- 
tinction à établir entre plusieurs roches qui ont été con- 
fondues sous le nom de Spilite. 

M. Soleirol communique quelques faits tendant à éta- 
blir aussi dans les environs de Sarrelouis, la différence 
déjà constatée dans les Vosges entre le grès bigarré et le 
grès des Vosges. Il cite ensuite dans les environs de Ni- 
derbronn, une carrière de muschelkalk, dans laquelle 
les couches , d'abord régulières , paraissent s'être inclinées 
après leur formation , pour aller se butter contre les mon- 
tagnes du grès vosgien. Malgré la circonspection avec la- 
quelle il admet les systèmes géogéniques, il croit que 
ce fait pourrait s'expliquer par un soulèvement des Vos- 
ges, postérieur au dépôt du muschelkalk. 

A cette occasion, M. Hogard cite la vallée de Sultz, 
qui présente aussi tous les caractères d’un soulèvement. 
Cette vallée a été visitée en 1854, par la société géolo- 
gique de France. 

M. Simon , revenant sur la discussion précédente, pense 
que les filons de quarz sont plus souvent des accidens de 
formation que des résultats de soulèvemens. Il cite ceux 
des schistes et des quarzites qui paraissent dus à des infil- 
trations qui ont pu remplir des fissures et des cavités dans 
les roches. Ce mode de formation serait analogue à ce que 
nous voyons encore se faire dans les terrains calcaires. 

La séance est levée à neuf heures et demie. 


PREMIÈRE SECTION. 59 


SÉANCE DU DIMANCHE 10 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Mouceor. 


La séarice est ouverte à sept heures du matin. 

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et 
adopté. 

M. Lamoureux demande à faire une commumication. 
Il à visité le grès d'Hettange. Il pense que si la section 
l'avait vu avant la discussion à laquelle il a donné lieu, 
celle-ci aurait été inutile. Il y a recueilli, en six heures, une 
grande quantité de fossiles qui n’ont aucune analogie avec 
ceux du keuper et qui le rapprochent tous du las. Il 
cite plusieurs ammonites et des gryphées qui sont trop 
incomplètes pour qu'il puisse les rapporter avec certitude 
à la Gryphæa arcuata. I appartient sans aucun doute au 
quadersandstem qu’il appellerait volontiers lias-sandstein 
ou simplement grès de Luxembourg , afin d'éviter la con- 
fusion produite par la première dénomination. Il cite dans 
ce terrain un banc contenant des végétaux, 1l insiste sur 
les caractères minéralogiques de cette formation , carac- 
tères qui la rapprocheraient des grès de Flavigny et de 
Dombale dans le département de la Meurthe. 

M. Levallois répond qu'il n'y a jamais eu de doute 
sur la position du grès d'Hettange , qui repose sur le lias 
inférieur | mais il croit qu'il en existe encore sur ceux 
de Flavigny et de Dombale qui ne sont pas recouverts. 

L'ordre du jour amène une communication de M. Le- 
jeune sur la position des terrains jurassiques à l'égard 
des terrains primordiaux. Il dit qu'il profite de la pré- 
sence de M. de Caumont pour lui demander s'il existe 
dans les terrains jurassiques de la Normandie des faits 


60 PREMIÈRE SECTION, 


analogues à ceux que M. de Buch a observés dans la 
ceinture formée autour des Vosges et de la forêt noire 
par le Jura allemand, le Jura suisse et le Jura français. 
Ces faits sont 1° l'absence de la craie dans l’intérieur 
de cette enceinte. 2° La présence de grandes masses 
dolomitiques vers l'extrémité du Jura allemand. 3° Enfin 
l'inégalité dans la pente des versans des chaînes qui sont 
généralement terminés d'une manière abrupte du côté 
des terrains primordiaux. M. Lejeune rend compte aussi 
de quelques autres communications faites à la réunion 
de la société helvétique des sciences naturelles et de 
quelques discussions qui y ont eu lieu. Plusieurs géo- 
logues suisses voulaient réunir les groupes coralliens et 
portlandiens dont la distinction paraît difficile à établir 
dans la chaîne du Jura; mais il a fortement insisté sur 
la limite bien tranchée qu'établissent entre ces deux 
groupes, les marnes à gryphées virgules qui sont si dé- 
veloppées dans le département de la Meuse. 

M. Lejeune passe ensuite au terrain néocomien si dé- 
veloppé dans les environs de Neufchitel , et caractérisé 
par de grandes Æxogyres et la Serpula héliciformis. Ce 
terrain a été appelé jura-crétacé par d’autres géologues 
qui disent y avoir trouvé des fossiles de la craie et des 
fossiles jurassiques : fait qui est contesté. M. Elie de Beau- 
mont regarde ce terrain comme contemporain des terrains 
wealdiens de l'Angleterre. Ceux-ci formés dans l’eau douce 
ue seraient qu'une exception , tandis que les terrains néo- 
comiens seraient le fait général. M. Lejeune insiste sur ce 
fat pour faire adopter la dénomination de terrains néo- 
comiens. 

M. de Caumont répond à l'interpellation de M. Le- 
jeune , que dans la Normandie le las et le terrain ju- 
rassique sont peu accidentés , mais qu'ils se relèvent vers 


PREMIÈRE SECTION. 61 


les terrains anciens auxquels ils présentent leurs escarpe- 
mens. Les terrains inférieurs sont ceux qui atteignent le 
niveau le plus élevé. 

On passe à la discussion de la 15° question du pro- 
gramme : « Le grès vosgien provient-il de roches préexis- 
» tantes , ou au contraire ses grains ont-ils été formés 
» par une cristallisation confuse de matières siliceuses 
» amenées, par exemple, par des eaux minérales? » 

M. V. Simon rappelle qu’à la réunion géologique de 
Strasbourg, un membre a attribué les grains de quarz à 
une cristallisation. 

M. Hogard dit que plusieurs personnes ont cru que 
les grains de quarz qui présentent des facettes régulières 
avaient été cristallisés par l’action des porphyres. Mais 
il n'existe pas de porphyre dans les environs. Les roches 
que l’on avait prises pour celle-ci sont des argilolithes , 
des argilophyres et des anagénites qui ne sont nullement 
des produits ignés, mais qui ont été formés dans les 
eaux. M. Hogard rappelle la structure de ces grès. Lors- 
qu'ils contiennent des galets , soit de grès, de quarz, ou 
même de fragmens de roches primitives, ce qui arrive 
dans le voismage de celles-ci , ces galets sont posés à 
plat et dans la direction de leur grand axe, comme 
ceux qui se déposent dans les inondations. Les intervalles 
qui existent entre ces galets sont remplis de petits grains 
de quarz réunis eux-mêmes par un ciment siliceux telle- 
ment solide, que si l'on veut séparer deux galets, l'un 
des deux est presque toujours brisé. Les grains de quarz 
ont tous une forme à peu près la même, des faces ré- 
gulières et des arêtes qui ne permettent pas de croire 
qu'ils aient été roulés. Ils ont dû être formés dans les 
eaux par voie chimique , par la précipitation de la matière 
siliceuse qui était sans doute suspendue en excès dans 


62 PREMIÈRE SECTION. 


les eaux , et qui a formé plus tard le ciment qui les a 
réunis. Toutefois il peut y avoir aussi quelques grains de 
transport. 

Dans les grès argileux les grains sont généralement très 
ténus, sans forme régulière, réunis par une pâte argileuse. 
Ces grès paraissent avoir été formés dans les eaux qui 
ne contenaient pas de silice. Les grains de quarz y sont 
évidemment roulés. 

À lappui de l'opinion émise par M. Hogard, que des 
galets quarzeux du grès des Vosges, provenaient du terrain 
de transition, M. Puton, M. Mougeot et M. Hogard citent 
plusieurs de ces galets contenant des spirifères et des 
plantes qui paraissent appartenir au terrain de transition. 

M. Mougeot lit la note suivante sur la 20° question du 
programme : Les botanistes lorrains sont invités à pré- 
senter les élémens nécessaires pour parvenir à former 
un catalogue général raisonné et comparé des plantes 
de cette province. 


La Lorraine possède aujourd’hui les documens les plus certains 
pour composer ce catalogue général. Ils sont consignés dans les ob- 
servations de M. Soyer-Willemet sur les plantes des environs de 
Nancy , publiées avec les mémoires de l’académie royale de cette ville. 

Dans la flore de la Moselle de M.- Holandre aidé des botanistes 
messins ; 

Dans celle de la Meuse de M. Doisy ; 

Dans les considérations générales sur la végétation spontanée du dé- 
partement des Vosges , développées par le docteur Mougeot, et in- 
sérées dans les annales de la société d'émulation de ce département. 

Enfin dans plusieurs mémoires qu'il serait trop long d’énumérer ici. 

D'un autre côté les recherches et les trayaux des botanistes de 
l'Alsace se rattachent tellement à ceux entrepris pour la Lorraine, 
lorsqu'ils parlent des plantes de la chaîne des Vosges, qu'ils sont 
aussi devenus une mine féconde pour compléter le catalogue général, 
raisonné et comparé que désigne la vingtième question du programme. 
C’est surtout dans le prodrome de la flore d'Alsace que vient de faire 


PREMIÈRE SECTION. 63 


paraître M. Kirschleger que se trouvent consignées les découvertes 
les plus importantes du botaniste le plus zélé, le plus capable de 
publier la flore d'Alsace, celles du savant professeur Nestler , d'éter- 
nels regrets, de ses amis Schawembourg , Mougeot, Mulhemback, etc. 

Tout récemment le docteur Schuliz de Bitche a donné la premitre 
centurie des plantes qui formeront un herbier général de la France 
et de l'Allemagne, où se trouvent parfaitement conservées et dé- 
crites plusieurs espèces en litige et leurs variations, qui jusqu'alors 
embarrassaient singulièrement les botanistes. Ainsi il est possible 
de nos jours, de dresser pour les phanérogames, le catalogue de- 
mandé. j 

Quant aux plantes cellulaires , leur étude a aussi été poussée si loin 
dans la Lorraine, et surtout dans la chaîne des Vosges, que leur 
énumération méthodique peut marcher de front’ avee celles des plantes 
phanérogames. 

La précieuse collection des plantes cryptogames vogeso-rhénanes, 
entreprise depuis plus de 25 ans, par les’ docteurs Nestler et Mougeot, 
et que ce dernier continue, et dont il va faire paraître la onzième 
centurie, fournira pour le catalogue en question les données néces- 
saires. La flore de la Lorraine peut être d'autant plus tôt publiée, que 
des herbiers bien conservés sont déposés dans les musées des divers 
départemens dont était formée cette province, que les botanistes 
nombreux qui l'habitent ont eux-mêmes des collections des plantes 
spontanées déterminées avec un exactitude rigoureuse ; et que , dans 
leurs herborisations, il ont apporté le plus grand soin à noter la 
nature du sol où se plaisent exclusivement certaines espèces , l'élé- 
vation, l'exposition, les localités positives qu’elles préfèrent, et 
qu’au lieu de trouver dans un catalogue la nomenclature sèche des 
plantes, on y rencontrerait tout ce qui a rapport à la géographie 
botanique. 

Depuis plusieurs années, les botanistes Lorrains et Alsaciens séparés 
par la chaîne des Vosges, et qui s’en partagent les flancs oriental 
et occidental, ont le projet de se réunir pour publier une flore des 
département de l'Est de la France, le catalogue devrait comprendre 
au moins les deux provinces en question. 


Après cette lecture, la section émet le vœu que le 
Congrès engage les botanistes de la Lorraine et de l'Alsace 
à se réumr pour publier une flore des départemens de 


l'Est. 


64 PREMIÈRE SECTION. 


M. Levallois demande à communiquer des roches qu'il 
a recueillies avec M. Reverchon. Il indique sur la route 
de Metz à Bouzonville par Boulay , une localité où l’on 
peut voir toute la formation du keuper dans un espace 


de 700 à 800 mètres. 


On trouve d’abord au pied de la côte de Holling les marnes in 
férieures du keuper. On rencontre un peu plus haut des carrières de 
grès argileux nuancé de rouge à la partie supérieure. C'est le grès 
de Stutigard qui forme un niveau bien tranché dans le keuper. Au- 
dessus de ce grès on voit des assises dolomitiques alternant avec 
des marnes quelquefois aussi dolomitiques et contenant quelques 
grains de quarz; en s'élevant au-dessus de ces marnes, on remarque 
ca et là des fragmens de grès qui proviennent du grès supérieur 
du keuper. Celui-ci se trouve en effet sur un monticule stérile qui 
termine une extrémité du coteau; mais il a été détruit sur tous 
les autres points. La preuve de cette destruction est la grande 
quantité de cailloux répandus à la surface du sol, et qui sont iden- 
tiques avec ceux qui sont contenus dans le grès- 

Un peu plus au nord, à Valmunster on exploite pour la fabrication 
de la couperose la couche de combustible des marnes irisées. Elle 
repose sur du gypse marneux gris. On trouve au-dessus une marne 
schisteuse feuilletée. Cette espèce de houille est recouverte d’un grès 
assez dur avec des veines de gypse fibreux qui pénètrent aussi dans 
la houille. M. Levallois a vu ce grès dans la Saône, dans les Vosges, 
dans le Wurtemberg et partout où il a vu la houille du keuper, 
Au-dessus de ee grès on exploite un gypse très-beau passant à l'al- 
bâtre, et plus haut encore, de la dolomie. 


M. le docteur Mougeot adresse à la section ses remer- 
ciemens de ce qu’elle a bien voulu l'appeler à l’hon- 
neur de la présider et lui témoigne tous les regrets qu'il 
éprouve en se trouvant forcé de la quitter. 

La séance est levée à neuf heures un quart. 


PREMIÈRE SECTION. 65 


SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Hozanpre, vice-président. 


La séance est ouverte à sept heures du matin. 

Le procès-verbal de la séance du 10 est lu et adopté. 

L'ordre du jour est une commumication de M. Soleirol 
sur le lias. 

M. Soleirol ayant entendu dire à un ancien chaufour- 
mer que les différens bancs de pierres à chaux se trou- 
vaient dans plusieurs carrières où les ouvriers les dé- 
signaient chacun par des dénominations particulières , 1l 
a cherché à vérifier si ces bancs se reproduisaient dans 
- un ordre constant dans les diverses carrières du pays. Il 
indique les différentes parties dont se compose le terrain 
à gryphées dans cette contrée. Il y a trouvé 1° des couches 
argileuses généralement d'un bleu d'ardoise assez foncé, sur- 
tout lorsqu'elles sont à plus de 1 ou 2 mètres de la surface 
du sol. 2° Des bancs calcaires argileux durs et bleuâtres 
vers le centre, mais jaunâtres et friables sur l’une et l’autre 
face. Ces parties jaunes doivent être enlevées lorsque l’on 
veut avoir une bonne chaux. Lorsque les bancs calcaires 
se trouvent près de la surface du sol, ils sont générale- 
ment mal réglés et peu puissans, se réduisant souvent à 
des lits de rognons ; 5° on trouve enfin dans les couches 
argileuses des lits de rognons calcaires auxquels les ou- 
vriers ont donné le nom de couilleries. Lorsque le dépôt 
lithogène a été très-abondant dans ces couilleries, elles 
forment des apparences de bancs; mais en général elles 
ne sont indiquées que par des masses calcaires rémiformes, 
jaunâtres à la surface et bleues à l'intérieur, lorsque leur 
volume est assez considérable, Ces calcaires donnent une 


9 


66 PREMIÈRE SECTION. 


chaux d’un jaune verdâtre, dans laquelle on reconnaît à 
leur couleur blanche les coquilles qui étaient empâtées 
dans la roche. 

M. Soleirol présente un grand nombre de coupes des 
carrières ouvertes sur ce terrain dans les environs de 
Metz et dans le département. Il résulte de ces coupes 
que la plupart des bancs et des couilleries se retrou- 
vent dans un ordre constant. M. Soleirol termine en re- 
grettant que ce travail qui demande des recherches très- 
longues, ne soit pas encore terminé. Il communique en- 
suite les fossiles trouvés dans cette partie du lias. La 
plupart d’entre eux lui ayant été remis par des ouvriers, 
il ne peut dire s'ils se trouvent dans des bancs particu- 
liers. Il désire que des observations ultérieures puissent 
apprendre s'il ne serait pas possible de caractériser cha- 
que banc par ses fossiles. 

Plusieurs membres pensent que cela serait possible. 

M. Holandre pense que les couilleries pourraient être 
le résultat d’un mouveinent des eaux qui auraient brisé 
quelques bancs et arrondi leurs fragmens. 

M. Buvignier lit une note sur le lias du département 


des Ardennes. 


Après quelques considérations sur l'aspect général du sol, sur sa 
configuration extérieure, et sur les difficultés qu'ils peuvent pré- 
senter lorsqu'on n'étudie qu’une petite étendue de ces terrains, il 
décrit dans le lias des Ardennes et du nord de la Meuse six divisions 
bien tranchées par leur position et par leurs caractères minéralogiques 
et paléontologiques ; savoir : 

4° Un calcaire passant au grés et aux poudingues. 

90 Les marnes et les calcaires à gryphée arquée caratérisés par ce 
dernier fossile, le Cyclolites numismalis, etc. 

3° Un système qu’il appelle calcaire sableux et qu'il divise en trois 
étages dont l’inférieur lui paraît analogue au grès de Luxembourg ; toute- 
fois comme il n’a vu de celui-ci que des échantillons sans fossiles , et 
que quelques géologues le regardent comme inférieur aux gryphées 
arquées, il n'ose prononcer sur leur identité. » 


! PREMIÈRE SECTION. 67 


4° Une marne grise, bleuâtre, micacée à la partie inférieure et 
contenant des rognons ou oyoïdes à la partie supérieure avec des 
ammonites, des bélemnites, etc. 

5° Un calaire ferrügineux contenant des bélemnites, des térébra- 
tules et quelques modioles. 1 

6° Enfin .une marne schisteuse noire et bitumineuse ayec Bélemnites 
digitalis et plusieurs autres, des ammonites, des posidonies, etc. 

Ces deux dernières divisions avaient été rapportées par M. Boblaye 
à l’oolithe inférieure et au fullers-earth. Mais ces deux formations se 
trouveront facilement dans le système si puissant et si complexe que 
M. Boblaye rapporte à la grande oolithe , M. Buvignier ne veutémettre 
aucune opinion sur ce groupe avant d'avoir vérifié la détermination 
des nombreux fossiles qu'il y a recueillis. 11 donne des croquis de 
quelques coupes indiquant les dénudations causées par la formation 
de la vallée de la Chiers et de la Meuse. 


M. Buvignier regrette que l'heure avancée et le nombre 
des matières à l'ordre du jour ne lui permettent pas de 
donner une idée de la disposition générale des divers 
terrains qui forment le sol des départemens de la Meuse 
et des Ardennes. 

. La section demande-qu'il en fasse communication dans 
une des séances suivantes. 

M. Tihay lit sur les premiers numéros de l'Austrasie 
offerts à la section , un rapport favorable que nous n’ana- 
lyserons pas ici, parce que ces numéros traitent de ma- 
tières étrangères aux travaux de la section. 

M. le général de Résimont lit une notice sur le gise- 
ment du bitume exploité dans le parc de Pariou, près 
de Seyssel (département de l'Ain), sur la mamière de 
l'employer, et en particulier sur la construction des trot- 
toirs de Paris, avec cette substance. Il présente ensuite 
divers échantillons des terrains où on l’exploite. Il ajoute 
que le bitume de Lobsanne (Bas-Rhin), pourrait sans 
doute être employé aux mêmes usages si l’on pouvait le 


68 PREMIÈRE SECTION. 


priver de la partie de petrole et d’asphalte qu'il contient 
en excès. 

On met aussi à l’ordre du jour de demain, 1° une 
communication sur quelques insectes nouveaux de Cayenne. 

2 Une communication ornithologique de M. Malherbe, 
sur le Jaseur d'Europe. 

3° Sur la demande de M. Puton, les questions 7, 8 
et 9 du programme sur les modifications éprouvées par 
quelques espèces de roches. 

h° Enfin, la dix-huitième question du programme re- 
lative à l'influence du sujet porteur de la greffe sur les 
fruits de celle-ci. 

M. Buvigmer, ayant recu de M. Moreau les figures des 
plantes fossiles trouvées dans le coral-rag de la Meuse, il les 
met sous les yeux de la section, pour se conformer au 
désir qu’elle a mamifesté dans une de ses séances précé- 
dentes. Ces plantes paraissent appartenir, pour la plupart, 
aux familles des fougères, des cicadées et des lycopodia- 
cées, ou peut-être des comfères. 

La séance est levée à neuf heures et demie, après que 
M. le président a communiqué à la section l'avis que la 
séance générale aurait lieu à deux heures. 


PREMIÈRE SECTION. 69 


SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. HozaNDRE vice-président. 


La séance est ouverte à sept heures. 

Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

La section recoit les communications suivantes : 

4° De la part de M. de Mey, quatre insectes de Cayenne 
avec les figures et les descriptions de plusieurs autres. 
Elle charge M. Lasaulce de lui fare un rapport sur ce 
travail. 

90 De la part de M. Steininger , une lettre dans laquelle 
à l'occasion de la vingtième question, il en pose quel- 
ques autres que la section regrette de n'avoir pas connues 
plus tôt. Il désire voir exécuter le nivellement barômé- 
trique des pays entre les Ardennes et la Champagne. 
M. Buvignier qui a commencé avec M. Sauvage, ingé- 
nieur des mines à Mézières , la carte géologique du dé- 
partement des Ardennes , annonce qu'ils se proposent 
d'exécuter ce travail sans lequel il leur serait impossible 
de coordonne: leurs observations. La section émet le vœu 
que ce travail soit aussi exécuté dans les autres départe- 
mens, compris dans les limites fixées par M. Steiminger. 

L'ordre du jour estla lecture du mémoire de M. Schmitt. 
Ce mémoire étant très-long, M. Victor Simon propose 
d'en faire une analyse , dont voici le contenu : 


Le mémoire M. Schmitt, curé à Dilling, est intitulé Études Géo- 
gnostiques sur le Litermont, montagne située prés de Sarrelouis. 
C'est à partir de ce lieu que commencent les poinis porphyriques 
qui s'étendent jusqu'au Rhin, en passant par Birkenfeld. Cette localité 
offre dans un espace étroit l’histoire des roches porphyriques. Cette 
montagne est entourée d'une plaine qui s'élève d'environ 174 pieds 
au-dessus de la vallée de la Sarre , près Dilling, et s'étend de deux 


70 PREMIÈRE SECTION. 


lieues en tous sens. L'auteur entre dans des considérations ue les 
alluvions anciennes et actuelles de cette contrée, et sur les roches 
composant la plaine ; qui sont: le grès bigarré, le grès rouge et le 
terrain houiller, etc. 

Le point le plus élevé du Litermont observé barométriquement 
par M. Schmitt, s'élève à 565 pieds de France au-dessus du niveau 
de la plaine, et de 726 pieds au-dessus du sol du presbytère de 
Dilling; cette maison étant à 37 pieds au-dessus du niveau de la 
mer, la pointe du Litermont se trouve être située à 1263 pieds 
au-dessus du niveau de la mer. 

Le sommet et le versant nord-est de cette montagne sont recou— 
verts de débris incohérens de roches quarzeuses modifiées de difé- 
rentes manières; ces masses quarzeuses se montrent sur plusieurs 
points. La masse de la montagne est de porphyre, que l’auteur 
a vu avec et sans mica, à l’état de brèche, avec ciment porphyrique, 
ctavec ciment de dolomie, enfin à l’état de tuf porphyrique. 

Il décrit ces roches avec détails. On y trouve des grenats dont les 
axes n'excèdent pas deux millimètres de diamètre. 

Passant ensuite aux roches siliceuses qui existent sur cette mon— 
tagne , il les regarde cemme plus intéressantes que le porphyre. Elles 
se présentent à un état approchant du jaspe, tantôt leur aspect est 
mat, tantôt il est granulaire, la couleur de la masse est blanche, 
avec un faible mélange de couleur jaune de soufre à divers degrés; 
elle passe au gris, au brun , au rougeâtre et au rouge. Si l’on s'éloigne 
de la cime du Litermont, ces roches se montrent mélangées de 
cailloux plus ou moins fondus ou plus ou moins engagés dans Ja 
roche. On voit que ceux-ci ont subi aussi une altération dans leurs 
couleurs et dans leur pâte. 

Ces amas de masses quarzeuses ont sur les pentes une puissance de 
6 à 10 mètres, mais elle est plus grande au sommet. L'auteur décrit 
ensuite une plus grande couche de dolomie qui perce à travers 
les brèches porphyri riques dans une direction du nord-est au sud-ouest. 
Sa cassure a un éclat soyeux et blanc, avec une nuance pourprée 
ou jaune plus ou moins foncée, inégale et esquilleuse. Les fentes et 
les parois de ces roches renferment des stalactites d’arragonite, de 
la baryte, des traces de carbonate de cuivre et de mélaconise. La 
dolomie est exploitée pour en faire une chaux hydraulique. Passant 
aux exploitations minérales; suivant l'auteur , le métal est contenu 
dans des masses pures de dolomie, et dans la masse du porphyre 
on trouve dispersés des grains et des petites feuilles d'une mine de 


PREMIÈRE SECTION. 74 


cuivre noire, verte et rouge , des veines minces de chalcosine et des 
chalcopyrites. On a travaillé aux mines de cette localité depuis 1720. 
Elle furent exploitées par une société francaise daps laquelle se trouvait, 
comme secrétaire en 1787, celui qui plus tard fut le maréchal Ney. 
En 4890 la société des forges de Dilling reprit les travaux abandonnés, 
mais elle n’obtint point de résultats. La même société tenta, égale- 
ment sans succès, d’exploiter le terrain houiller qui se montre près 
de cette montagne. 

M. Schmitt décrit ensuite des roches de trappite existant dans 
les environs de Dippenweiler. 

Elles se montrent à un état argileux et à un état de trappite 
solide , celle-ci contient des petits feuillets de dolomie, d’un rouge 
foncé, et beaucoup d'orthose tendre et blanc. Le grès bigarré existe 
dans ces localités, et à sa limite on voit une masse trés-fine de 
jaspe luisant aux bords, d’un aspect gras, rouge , d'une cassure con- 
choïdale et! esquilleuse, renfermant des brèches de trappite. Ce jaspe 
est tantôt vert tantôt blanc et transparent comme de la chalcédoine 
pure. 

Le trappite se montre aussi dans le grès bigarré, près de la ferme 
de Wiltscheid , les jaspes dont il vient d'être parlé, reparaissent près 
de cette même ferme. 

M. Schmitt après avoir décrit les différentes roches que renferme 
le Litermont , déduit les conséquences dérivant de la nature des 
lieux. 

Selon lui le porphyre réduit en fragmens , les modifications que 
les argiles ont subies à la limite des porphyres , les brèches porphy- 
riques, la présence du trappite qui, du côté de l’est, est réduit à 
l'état de brèche , et le grès passé à l’état de jaspe, attestent l’action 
de la chaleur. 

« Les autres preuves de l’origine du porphyre et du trappite, 
c'est-à-dire leur formation en colonnes, le changement du porphyre 
en trappiteet la transition des deux en roches amygdaloïdes ; enfin 
un percement des roches environnantes ne se présentent pas ici. 
Le manque de stratification et l'apparition des grenats dans le por- 
phyre sont aussi des signes, mais non suffisans par eux-mêmes. 


V VO VO YV V 


> Le soulévement de la montagne est annoncé par son isolement, 
» par la forme en coin dle sa hauteur principale et par ses deux 
R 
-> cônes. 
L'auteur s'attache à déduire des preuves d'un soulèvement de 
l'examen des faits que présentent les localités , tels que des pentes 


72 PREMIÈRE SECTION. 


abruptes , la modification de roches demeurées intactes sur d’autres 
points de la montagne , mais soulevées , les courbures que le terrain 
houiller et le grès bigarré présentent en se rapprochant du Litermont. 

Suivant M. Schmitt le soulèvement eut lieu après la formation du 
terrain houiller, car celui-ci forme les deux cônes de cette montagne 
et se redresse devant elle. 

Passant à l'examen du porphyre, l’auteur fait connaître que cette 
roche ayant dû se méler à sa surface avec de la silice, il a par ce 
fait acquis une plus grande dureté , et a pris les couleurs grisätres 
ou rouges, l’orthose etle mica ne s’en sont plus séparés. Les schistes 
du terrain houiller ont été également altérés dans le voisinage du 
porphyre : le schiste est comme demi-fondu , les couleurs 
brunes deviennent plus claires ou se changent en bleu , et les 
pierres argileuses ont à leur surface l'apparence d’une écorce quar- 
zeuse. Le porphyre en contact avec le grès bigarré est altéré comme 
quand il est en contact avec les conglomérats siliceux , le grès de 
son côté se trouve être plus dur. Si on ne voit pas le porphyre 
engagé dans le terrain houiller ou dans les conglomérats siliceux , 
on a du moins observé un écoulement du ne sur ce dernier 
terrain , dans les mines; car on y a percé verticalement le porphyre 
jusqu'au quarz. 

Après l’éruption de la masse de porphyre qui constitue le Liter- 
mont, M. Schmitt pense qu'il survint une nouvelle catastrophe pos- 
térieure au refroidissement du porphyre, occupant la côte principale 
et le haut mamelon. Il s'opéra un nouveau mouvement ; trois fentes 
parallèles entr’elles et parallèles à la côte principale s’ouvrirent ; la 
masse du porphyre fut brisée en petites parties, et au même moment 
une nouvelle masse sortit de l’intérieur de la terre , remplit les fentes , 
enveloppa les fragmens de roches et en forma les brèches : ces débris 
ainsi enveloppés perdirent leur couleur sans cependant entrer en fu— 
sion, et conseryérent leurs arêtes. 

La masse porphyrique de la fente du côté nord-est a tout-à-fait 
la nature du porphyre; mais aux autres endroits elle est altérée et 
seulement reconnaissable par ses transitions. Lé fer ‘et la chaux y 
jouèrent un grand rôle, tantôt l’oxide du fer domina et y forma 
l'hématite avec des cristaux d’oxide de fer dans ses cavités, et avec 
des nœuds de dolomie cristallisés dans son intérieur ; tantôt la chaux 
et le fer restèrent unis et produisirent de la dolomie ferrugineuse. 

On peut présumer que vers le centre de la montagne était le centre 
de l’action ; le porphyre y était brisé en grains arrondis; c'est aussi 


PREMIÈRE SECTION. 73 


là qu'on rencontre les grains de quarz ainsi que les métaux et les 
autres produits dont il a été parlé. 

Sur la côte de la carrière de chaux, la masse dolomitique rencon- 
tra sur ses bords les couches de grès et d'argile du terrain houïller ; 
le grès fut frité ct en partie cassé en coins ou en grains. La dolomie 
servit à ceux-ci de ciment, en forma un grès dolomitique dont les druses 
purent facilement se remplir de cristaux de dolomie ; et ce grès lui-même 
se perdit insensiblement dans l’autre grès ; l'argile devint plus dure. 

L'auteur examine ensuite à quelle époque a dü avoir lieu le soulé 
vement de la montagne. Il est hors de doute qu'il y avait du grès bi 
garré lorsque se formérent letrappite dans la profondeur et le por- 
phyre dans les hauteurs, puisqu'il fut modifié par ces roches. Mais 
il est aussi constant que dans la contrée dont il s’agit, il se trou- 
vait des roches de trappite non-seulement avant la formation du grès 
bigarré, mais encore avant celle du grès rouge; car le grés bigarré 
contient des débris roulés de trappites, et le grès rouge est en des- 
cendant la Brême de Schwarzenbach à Aussen, pénétré de trappite 
en couches, et en contient en outre des débris roulés. Près de Barden-— 
bach, « du trappite brisé et ramolli forme la plus grande partie du 
» ciment de ce conglomérat; mais ni dans les conglomérats de Nal- 
> bach, ni dans le grès bigarré qui entoure le Litermont, on n'a- 
» perçoit de traces de ces formations. » Ce qui rend vraisemblable 
que la montagne fut soulevée lors de la formation du grès bigarré, 
c'est qu'on voit sur les rives du ruisseau de Siesbach, le grés bigarré 
horizontal , tandis que le terrain houiller est au contraire incliné d'une 
manière abrupte. M. Schmitt fait observer que malgré la vive cha- 
leur qui a du être développée lors de la formation des trappites , 
des porphyres et de la dolomie , on ne remarque point de boursou— 
flures et que cette circonstance paraît être favorable à l'opinion des 
géologues qui pensent que ces roches ont dû être formées sous l’eau. 

L'auteur se demande de quelle manière ce souléyement a dû so 
pérer; « il pense que la montagne dut se soulever verticalement 
> tout-à-coup avec la plus grande vitesse, sans que ce soulèvement 
> fut accompagné d'une catastrophe remarquable sur les contrées en- 
> vironnantes, » Il donne pour motif qu'à Nalbach le grès rouge est 
resté immobile; « qu'il en est de méme du grés bigarré de Nalbach 
» à Dilling et à Duppenweiler, du terrain houiller de Siesbach à 
» Bupperich et du grès bigarré aux sources du ruisseau de Buppe- 
> rich. La marche verticale de la force entière explique selon lui, 
> la formation des cônes. » 


10 


74 PREMIÈRE SECTION. 


€ La plaine actuelle était-elle déjà placée sur le terrain, lorsque la 
» montagne fut formée? fut-elle couverte de grès bigarré? Le Li- 
> termont lui-même en fut-il couvert ? » telles sont les questions que 
M. Schmitt essaie de résoudre ainsi qu'il suit: La plaine existait 
déjà et ne fut pas le résultat d’un torrent diluvien. Quant à la der— 
nière question, il est constant que l’on trouve du grés bigarré sur 
les hauteurs du Litermont; on en voit encore sur le plateau 
au-dessus des mines abandonnées comme s'ils étaient les derniers 
restes durs et noueux de ces roches emportées par les eaux. A côté 
du point le plus élevé, ily a une couche de grès bigarré à 560 pieds 
au-dessus de la Sarre , on pourrait admettre que celui-ci a été sou— 
leyé avec la montagne ; cela paraît constant, vu que plus on approche 
du sommet, plus le grès est changé et frité. 

On ne pourrait prétendre que le grès bigarré a couvert la plaine 
devant le Litermont , à la hauteur du Limberg élevé de 511 pieds 
au-dessus de la Sarre, et sur lequel le grès bigarré existe : il se pour- 
rait toutefois que cette plaine eùt été couverte par une couche de grès 
tendre alors comme ioutes celles du voisinage, qu'elle eût pu être 
détruite. facilement et qu’elle eùt formé les collines de‘sables et de 
cailloux d’alluvions que l’on voit près de Dilling; d’autant plus que 
la couche située au N. E. du Litermont, qui se trouve plus éleyée 
et non dans la direction du torrent, demeure intacte. 

Passant à la période actuelle, M. Schmitt pense que le refroidis— 
sement et les pluies durent contribuer à donner au Litermont une 
surface inégale. 

L'eau qui se précipite par les fentes, a dù notamment en opérant 
la décomposition des matières minérales que contient cette montagne, 
aider à l’altération du porphyre; c’est peut-être le mouf pour lequel 
on le voit si altéré près de la mine; c’est l’eau qui forme l’arrago- 
nite dans les carrières’ à chaux. 

C'est l’eau qui, par les dissolutions et les alluvions qu’elle opère, 
forme le sol, en général trés-léger, sec et stérile , qui couvre la plus 
grande partie de la montagne. 

L'eau filtre à travers les fentes jusqu'à ce qu'ellé rencontre des 
roches massives, et forme une grande quantité de sources qui décou- 
lent de la montagne et surtout près de l'emplacement des mines, 
où la vallée est la plus profonde. 

Examinant ensuite quelles sont les productions de la mon- 
tagne , dont quelques points sont cultivés et une partie est boisée ; 
M. Schmitt fait connaître que les forêts offrent peu de plantes. « Les 


PREMIÈRE SECTION. 75 


convallaria , l'atropa belladona , les digitales lütea et purpurea , et 
dans les fossés profonds la Zsimachia nemorum, la balsamina noli 
me tangere, sont tout ce que leur flore offre de remarquable. 
Avant la révolution, la partie antérieure de la montagne était cou- 
verte d’une belle forét, au milieu d'elle s'élevait, dans des temps 
très-anciens , placé sur la crête des rochers et entouré d’un iriple 
fossé, le château du Litermont. On n’a aucune trace historique de 
la famille qui l'habitait, et seulement quelques rares débris de sa 
demeure , et quelques traditions pieuses et merveilleuses en conser- 
vent le souvenir. Quand on a sayouré pendant toute une journée 
au milieu de l’air pur de la montagne, les charmes et la sr 
de la nature , le pâtre ajoute, vers le soir , au plaisir qu'on éprouve, 
par le récit enfantin de ces, merveilles. » 

Tel est, messieurs, en résumé, le mémoire de M. Schmitt ; ce simple 
apercu suffira peut-être pour apprécier l'importance du sujet et le talent 
de son auteur. Mais de tels travaux souffrent difficilement l'analyse ; ils 
ont besoin qu'on les lise avec tous leurs développemens. Puissé-je 
ne pas avoir trop aflaibli ce travail dont l'original contient vingt-un 


VV VYVYEVY VU V  VY ÿ 


feuillets in-folio , accompagnés d’une carte ; puisséje par ce court ex- 
4 1 EJ ! ’ Q , 
posé, appeler l'attention des géologues sur la contrée intéressante que 
M. Schmitt a si bien décrite, et que j'ai déjà visitée plusieurs fois 
> GLEN À p 
avec un intérêt toujours croissant. 


M. Puton à la parole sur les huitième et neuvième ques- 
tons du programme. Ces questions traitent des modifica- 
tions éprouvées par certaines roches. 

La section vote l'impression du mémoire de M. Puton, 
qui content des faits trop nombreux pour qu'il soit pos- 
sible de les citer ici. Après cette lecture M. Hogard rap- 
pelle qu'il est le premier qui ait rapporté au grès rouge 
les roches argileuses du Valdajoz. H rappelle aussi ce qu'il 
a dit à une des séances précédentes sur les filons de quarz 
d'Hérival. M. Puton dans son mémoire ayant attribué les 
différences de structure que l’on remarquait dans cer- 
laines roches à des modifications causées par la chaleur des 
éruptions quarzeuses , euritiques ou POrphyrAqueS » etc. , 
M. Hogard Jui demande comment il se fait qu'en supposant 


76 PREMIÈRE SECTION. 


à tous ces filons une origine ignée, ils aient modifié les 
roches qui se trouvaient à une certaine distance, tandis 
que celles avec lesquelles ils sont immédiatement en con- 
tact n’ont subi aucun changement. Il demande encore 
comment , près de Plombières, trois ou quatre filons de 
quarz et un filon de chaux fluatée ne formant pas en- 
semble une puissance de 2 mètres auraient pu décom- 
poser une masse granitique qui s'étend sur une longueur 
de plus de 2 myriamètres. 

M. Hogard cite quelques circonstances où des roches 
ont été modifiées par des épanchemens; ainsi des eurites 
sont imprégnés de calcaire au contact de roches de cette 
nature, et des calcaires de transition sont changés en dolo- 
mie au contact des eurites. Mais 1l pense que ces faits ne 
sont pas assez nombreux, et présentent entre eux de trop 
grandes différences pour qu'on puisse chercher à les ex- 
pliquer par des théories générales. 

M. Malherbe Lit sur la vingt-troisième question du pro- 
gramme, un mémoire dans lequel il établit que dans 
l'espèce du Jaseur d'Europe (Bombyciphora ou Bom- 
bycilla garrula), les deux sexes, lorsqu'ils sont com- 
plètement adultes (vers l’âge de trois ans), portent à 
l'extrémité des pennes caudales un appendice vermillon ; 
mais ces appendices parviennent à un plus grand dé- 
veloppement dans le mâle; que la femelle adulte n’a 
pas de bande blanchâtre transversale sur les aîles et que 
le bord extérieur des pennes des aîles est d’un blanc 
jaunâtre chez celle-ci, tandis qu'il est d’un jaune vif chez 
les mâles. 

M. de Selys-Lonchamps, dans une note sur le même 
sujet, dit qu'il n'a pas eu occasion de vérifier la pre- 
mière partie de la question ; mais il regarde comme bien 
certain que les bandes jaunes à l'extérieur, et d'un blanc 


PREMIÈRE SECTION. 77 


jaunâtre sur les autres parties qui bordent les pennes des 
ailes sont particulières aux mâles adultes. 
La séance est levée à dix heures. 


SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE. , 


Présidence de M. Hozanre, vice-président. 


x 


La séance est ouverte à sept heures du matin. 

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et 
adopté. 

L'ordre du jour annonce le rapport de la commission 
sur le travail de M. de Selys-Longchamps , relatif aux oi- 
seaux de l’ordre des passereaux. 

La parole est à M. Holandre , rapporteur : 


M. de Selys-Longchamps a embrassé dans son travail toute l'orni- 
thologie des Passereaux tant indigènes qu’exotiques, et pour donner 
une idée des genres dont il a cru devoir composer la section des 
ténurostres , il présente un tableau dans lequel il indique la distri- 
bution qu'il a adoptée pour l’ordre entier des passereaux. 

Dans ce tableau, l'auteur divise l’ordre des passereaux en six sections, 
‘savoir : 

Les Fissirostres, 

Les Dépressirostres, 
Les Compressirostr'es , 
Les Corurostres, 

Les Subulirostr'es, 
Les Ténuirostres. 

La premiére section , ou les Fissérostres, que M. de Selys-Longchamps 
divise en deux familles , les Caprimulguées et les Hirundinées , covres- 
pond à la famille des fissirostres de’Cuvier ; formée par ce «dernier, 
de deux grands genres principaux, les Hirondelles et les Engouleyens. 


78 PREMIÈRE SECTION. 


La deuxième section, ou Dépresstrostres , comprend quatre familles , 
savoir : les Ampélidées, les Coronidées, les Muscicapidées , les Édolidées. 

Dans la première de ces familles, il place le Jaseur d'Europe; dans 
la troisième , le genre Gobe-Mouche ; les autres familles ne se com-— 
posent que de genres exotiques. 

La troisième section, ou les Compressirostres, est formée de six 
familles : les Leptotéridées, les Laniadées , les Corvidées, les Paradi- 
seidées, les Graculidées et les Glaucopidées. 

Le genre européen Piegrièche, se trouve dans la deuxième famille ; 
les Geais , les Corbeaux, les Cassenoix, le Choquart , dans la troisième ; 
le Loriot, le Martin, les Rolliers, dans la cinquième famille. 

La quatrième section, ou les Comtrostres, se compose de cinq fa-— 
milles , les Buphagidées , les Tanagridées, les Sturnidées, les Fringilli- 
dées et les Ælaudidées. 

Dans la troisième famille , se trouvent les genres européens, Étour- 
neau; dans la quatrième les genres Tarin, Fringille, Gros-Bec, Bec 
Croisé et Bruant, la cinquième famille est caractérisée par le genre 
Alouette. 

La cinquième section, les Subulirostres, ne compte que deux 
familles , les SyZviadées et les Paridées. Dans la première , on trouve 
les genres d'Europe Farlouse, Hoche-Queue , Traquet, Cincle, Troglo- 
dyte , Grive ou Merle, Accenteur , Fauvette , Hypolais et Roitelet. A 
la deuxième famille , appartient le genre Mésange. 

La sixième section, les Témwrostres, celle que l’auteur a voulu 
particuliérement décrire, se compose de dix familles, savoir : les 
Sitidées, les Synallaxidées, les Certhiadées, les Climactéridées , les 
Nectariadées , les Trochilidées, les Cynniridées, les Proméropidées , 
les Épopsidées et enfin les Melliphagidées. 

Dans la première famille, on remarque le genre Sittelle; dans la 
troisième , le genre Grimpereau ; dans la quatrième , le genre Ticho- 
drome, et la neuvième famille , le genre Huppe. Toutes les autres 
familles que nous n'avons point signalées ne renferment que des oiseaux 
étrangers à l'Europe. 

On remarque que toujours, pour la désignation de ses familles , 
l’auteur a pris le nom latin d’un genre qu’il en considère comme le 
type , avec une légère modification dans la terminaison , comme cela 
a lieu dans les méthodes naturelles admises en botanique. 

En examinant le travail spécial que l’auteur a fait sur cette sixième 
section ; les Ténuirostres, on voit qu'ila pris pour caractères géné— 
raux propres à établir ses coupes ou familles: 1° les formes et les 


PREMIÈRE SECTION. | 79 


dimensions de la langue ; 2° la forme du bec; 3° la forme des plumes 
de la queue. 

Ainsi que l’auteur l’a senti lui-même, et dans l'état actuel de la 
science , la forme de la langue n'offre pas un caractère généralement 
applicable , puisque cet organe est encore peu connu dans un grand 
nombre d'oiseaux exotiques , et il a cru pouvoir y suppléer par des 
analogies de formes avec des oiseaux chez lesquels cet organe. était 
bien connu. 

M. de Selys-Longchamps, contrairement aux idées admises par 
la plupart des ornithologistes, ne considère les caractères du bec que 
comme secondaires et néglige tout-à-fait ceux que ces mêmes auteurs 
ont tiré de la forme des pieds. Quant aux caractères tirés de la 
queue , il n’en fait usage que pour ses deux premières coupes, qui 
renferment des oiseaux à queue usée ou non usée, d’après les idées 
de l’auteur. La commission ne pense pas que la dénomination donnée 
à ce caractère soit convenable , attendu que la forme pointue ou 
ébarbée des plumes de la queue de quelques-uns de ces oiseaux ;ne 
provient pas de l'usure des barbes, mais qu'elles sont bien leurs 
formes naturelles ; en effet, on remarque qu'immédiatement aprés la 
mue ou dans le jeune âge, les plumes ont toujours la même forme 
que celles qu'on remarque plus tard. 

La commission croit devoir un tribut d'éloges aux savantes re- 
cherches et au travail consciencieux dont l'auteur a fait preuve dans 
ce mémoire remarquable; néanmoins elle craint qu'il n'y ait plus 
d’inconvéniens que d'avantages à créer une méthode qui détruirait 
en partie celles qui sont généralement admises et qui ont tant servi 
à populariser la science, 


M. le colonel Bouchotte à la parole sur la dix-huitième 
question du programme. 


18° Quelle peut étre l'influence du sujet porteur de 
la greffe sur les fruits de celle-ci > Considérés comme 
semences, et quelles modifications peut-on espérer ob- 
tenir au moyen de la greffe pour les fruits des nouveaux 
sujets provenus de ces semences ? 

Si cette influence est bien reconnue > ne peut-on pas 
espérer de produire, par des croisemens bien calculés 


80 PREMIÈRE SECTION. 


de sujets obtenus , d’autres variétés participant des qua- 
lités de ces nouveaux sujets et de celles des arbres sur 
lesquels on les aurait greffés, ou dont on leur aurait 
imposé des greffes, et ne pourrait-on pas arriver ainsi 
à obtenir presqu'avec certitude des fruits qui auraient 
des qualités désirées ? 

Le mélange du pollen des fleurs peut produire ces 
effets avec plus de promptitude ; mais il y a des arbres 
qui ne fleurissent pas en méme temps que ceux avec 
lesquels on voudrait les combiner, et alors l'autre pro- 
cédé en donnerait le moyen. 


L'on recomnait depuis long-temps , dit M. Bouchotte, l'influence du 
sujet sur la greffe qu'il porte et même sur les fruits de cette greffe ; 
ainsi, certains arbres poussent plus vigoureusement lorsqu'ils sont greflés 
que sur leurs propres racines , par exemple le cytise noirâtre greflé 
sur le cytise des Alpes, l’érable jaspé de Pensylvanie greflé sur l’érable 
sycomore ; le jasmin d'Espagne greflé sur le jasmin blanc commun, etc. 
Le robinia inermis greflé sur le pseudo-acacia ne donne pas de fleurs 
ou n’en donne que rarement (je ne l'ai jamais vu fleurir), le robinia 
hispida (acacia rose) greffé sur le même robinia ou faux acacia com— 
mun , fleurit très-bien mais il ne fructifie jamais, etc. 

Les fruits éprouvent aussi des modifications par l'effet de l'influence 
du sujet sur la greffe: l’on est parvenu ainsi à obtenir des bons- 
chrétiens sans pierres. 

Tous ces effets ont bien été remarqués, mais il ne paraît pas 
qu'on se soit occupé de tirer parti de l’influence des sujets sur les 
semences produites par les greffes pour en obtenir de nouveaux sujets 
participant des qualités des sujets et des grefles. 

Quelques exemples m'ont prouvé que l'on peut paryenir à ce ré- 
sultat, du moins dans certaines espèces; ainsi un chincapin ou chä- 
taignier nain d'Amérique (castanea pumila) greffé sur un châtaignier 
commun , m'a donné par le semis de ses fruits très-petits, solitaires 
et sphériques, des sujets qui ont produit des fruits d’un volume trois 
à quatre fois aussi considérable, affectant les uns la forme sphérique 
et solitaires dans leur enveloppe comme les marrons du chincapin, 
les autres au nombre de trois dans l'enveloppe ayant la forme et 
la disposition des châtaignes, c’est-à-dire applatis d'un côté et celui 


PREMIÈRE SECTION. 81 


du centre des deux côtés. La maturité de ces fruits a jeu lieu à 
une époque intermédiaire entre celle des marrons de chincapin et 
celle des châtaignes qui mürissent vingt jours plus tard. 

Les nouveaux sujets poussent avec plus de vigueur et s'élèvent 
plus que les chincapins; ils commencent à donner du fruit à cinq 
ou six.ans, lorsqu'ils ont six à sept pieds de hauteur, j'en ai eu 
qui ont atteint onze pieds à huit ans. Leurs produits et leurs di- 
mensions paraissent devoir être intermédiaires entre le châtaignier 
nain et le grand châtaignier , je propose de le nommer castanea media, 
et en français marronétier, du nom de son fruit marronet (petit marron), 
car l’on remarquera que le fruit est amélioré par l'influence du 
chincapin dont le fruit est très-sucré. J’élève des sujets provenant 
d'un semis de ces marronets; en les greffant de nouveau sur des 
châtaigniers l’on obtiendra vraisemblablement, du semis de leurs fruits, 
des variétés plus élevées , que les marronétiers de première génération. 

Les faînes d’un hêtre pourpre greffé sur hêtre vert ont produit, 
par le semis, des sujets de différentes teintes depuis ile pourpre 
jusqu'au vert. Ainsi l'influence du sujet n'agit pas d'une maniére ré- 
gulière. 

Un ancien jardinier de la pépinière royale, M. Chevreux, m'a 
assuré qu'ayant semé des graines d'érable jaspé de Pensylyanie , greffé 
sur érable sycomore, il n’avait obtenu que des érables sycomores. 
Je n'ai pas été à portée de vérifier ce fait. Je vais citer un résultat 
tout opposé: j'ai semé des graines d'un cytise noirâtre greflé sur 
un cytise des Alpes, les sujets obtenus semblent n'avoir éprouvé 
aucune influence du cytise des Alpes; ils forment des buissons à 
tiges grèles et traînantes. 

Je pourrais multiplier mes citations mais je me bornerai à celles 
que j'ai faites; elles me paraïssent suffisantes pour établir 4° que la 
sève des sujets a en général de l'influence sur les fruits des greffes 
qui leur sont imposées. 

2° Que cette influence est plus ou moins grande suivant les espèces, 
et qu'elle peut même étre nulle dans certaines espéces. 

Ceci doit étre un sujet d'observations et d'expériences de longue 
durée auxquelles j'invite des hommes plus jeunes que moi à se 
livrer. 

3° Que dans les espèces où cette influence sera reconnue, l’on 
peut espérer par des croisemens bien calculés et repétés sur plu- 
sieurs générations successives, donner à des fruits des qualités dont 
on désire les doter, et arriver ainsi à la longue à former des arbres 


II 


82 PREMIÈRE SECTION. 


ayant les qualités voulues, comme les anglais à force de patience 
sont parvenus par des croisemens bien calculés à former des races 
de chevaux, de bœufs, de moutons et de coqs, ayant les qualités 
qu'ils leur souhaitaient. 

Ainsi, pour donner un exemple d'application du système , en sup- 
posañt que ce qui a lieu pour les châtaigniers ait lieu pour les poiriers , 
on pourrait relever le goût d’une poire grosse et fondante , manquant 
de parfum , en l'alliant par la greffe à l’excéllente poire de rousselet 
qui est très-petite, les sujets provenant du semis des pepins de cette 
greffe pourraient donner une poire fondante parfumée, tenant pour 
la grosseur le milieu entre les deux poires citées. 

Si cette application pouvait se faire aux rosiers, l'on pourrait, 
pour obtenir de nouvelles variétés , faire entrer dans les combinaisons , 
des rosiers à fleurs très-pleines et par conséquent stériles , telles que 
la grosse rose jaune , et beaucoup d’autres en les prenant pour sujets 
et leur imposant des greffes dont les semences donneraient des variétés. 

Pour opérer sur les arbres fruitiers il faudrait commencer par 
obtenir francs de pied, au moyen de boutures ou de marcottes , des 
sujets de ltoutes nos meilleures espèces dont on voudrait employer 
l'influence à améliorer les autres ou à leur donner certaine qualité 
ou certain parfum. 

Mon âge ne me permettant plus de me livrer à une série d’ex- 
périences d’aussi longue haleine , avec un espoir fondé de les mener 
à fin, je livre au public mes Les et lc commencement d’expériences 
qui me les a données: j'espère que quelque jardinier ou amateur 
jeune et intelligent s'en emparera et continuera les expériences 
commencées : je crois en avoir dit assez pour faire comprendre le 
système que je me proposais de suivre, si je puis en voir résulter 
quelques produits nouveaux d'utilité ou d'agrément, je me féliciterai 
d'avoir fait cette communication. 


L'ordre du jour appelle la seizième question sur les 
peupliers nommés à Metz, peuplier du Canada et peuplier 
de Virginie. Il résulte de la discussion qui a lieu sur cette 
question que l’on ne possède de l’une de ces deux espèces, 
que des individus mâles , et de l’autre que des individus 
femelles. On ne peut décider s'ils appartiennent à une seule 
espèce ou à deux espèces distinctes. Il paraît que le mâle 


PREMIÈRE SECTION. 85 


est celui qui a reçu dans l’origine le nom de peuplier Suisse 
ou peuplier de Virgmie (populus virginiana, Desf.), 
tandis que la femelle serait le peuplier du Canada ( populus 
monilifera, Aiton).Mais, depuis vingt à trente ans, les pé- 
piniéristes de Metz ont changé les dénominations récipro- 
ques de ces deux espèces. Il serait important d'étudier 
la question dans les lieux où ces arbres croissent spontané- 
ment, et d'en faire venir des mdividus mâles et femelles 
des deux espèces, s’il y en a deux. 

M. l'abbé Maréchal a la parole sur les questions du 
programme qui se rapportent aux basilics et aux serpens 
volans de la bible. 

Il pense que le basilic de l'écriture est un ophidien , 
et probablement la vipère céraste. Quant aux serpens vo- 
lans on peut, dit-il, former sur eux trois conjectures, 


1° que le mot hébreu qui é traduit par serpent vo- 
lant, pourrait designer un séfpent qui s'élance avec vé- 
locité. 


2° Que leur espèce peut avoir été détruite comme plu- 
sieurs espèces qui ont disparu récemment de la surface 
du globe. 

3° Que les accroissemens de population les auront fait 
émigrer dans des contrées peu connues. 

M. Simon lit un rapport sur l’excursion faite à Gorze 
par trois sections du Congrès. Ce rapport doit être lu en 
séance générale. 

M. Hogard donne quelques détails sur des faits qu'il a 
observés dans les Vosges depuis la publication de son ou- 
vrage, et sur les poissons et autres fossiles du muschel- 
kalk , et du grès bigarré. La collection de ces objets peut 
se voir au musée d'Épinal. On vote l'insertion de la 
note communiquée par M. Hogard. 

M. l'abbé Tihay présente une traduction du poème 


84 PREMIÈRE SECTION. 


d’Ausone, sur la Moselle. Il est invité à lire le passage 
relatif aux poissons de la Moselle. 

D’après les recommandations qui lui ont été faites par 
M. Mougeot, lors de son départ, M. Buvignier demande 
que la société forme pour les mollusques de la Lorraine 
et de l'Alsace, et en général, pour toutes les branches 
de l'histoire naturelle de ces deux anciennes provinces, 
un vœu analogue à celui qu’elle a fait pour la botanique. 
Cette proposition est adoptée. 

La séance est levée à dix heures. 


SÉANCE DU VENDREDI 45 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. | vice-président. 


La séance est ouverte à sept heures du matin. 

Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. 

M. Bouchotte demande à ajouter quelques observations 
à ce qu'il a dit hier sur les châtaigniers. Il dit que cet 
arbre, qui ne vient pas dans les terrains calcaires, peut 
cependant y être cultivé en le greffant sur le chêne; il en 
cite plusieurs exemples chez lui et chez M. Gabriel Si- 
mon , il pense qu'il serait convenable d'opérer cette greffe 
plutôt sur le chêne à glands doux d'Amérique, que sur le 
chêne commun, qui pourrait, peut-être, communiquer 
à la châtaigne une partie de l’âcreté des glands. 

L'ordre du jour est un rapport de M. Lasaulce sur les 
insectes nouveaux offerts au Congrès par M. de Mey. 

Les insectes décrits dans cette notice offrent à la science, 
outre l'mtérêt qui s'attache à la nouveauté et à la décou- 
verte, celui qui peut présenter de très-belles espèces dans 


PREMIÈRE SECTION. 85 


des genres déjà curieux, par leurs espèces les plus com- 
munes. 

Parmi celles-ci, nous citerons le Brachinus melanop- 
terus, le Brachinus Rivieri, le Lampyris Guianensis , 
la Gelocephala rufo-nigra, la Doryphora testudo, la 
Galeruca subvittata, la Cassida metallica et Cassida 
chelidonaria, VErotilus Guerint, Erotylus Debau- 
sei, etc., tous insectes de la Guyane, et rapportés de 
cette contrée par M. Adam de Bauve. 

Il serait à désirer que la description de ces nouvelles 
et intéressantes espèces püût être insérée dans le compte 
rendu des travaux du Congrès, où l'on en trouvera , sans 
doute, peu de ce genre. 

M. de Mey demande que dans le cas où la commission 
ne jugerait pas à propos de publier son mémoire, il lui 
soit rendu, avec les insectes et les figures qui l’accom- 
pagnent, afin qu'il puisse les publier immédiatement. 

L'ordre du jour appelle ensuite des communications 
sur la géologie des départemens voisins de la Moselle. 


x 


M. Buvignier donne quelques détails sur la disposition générale des 
couches dans les départemens de la Meuse et des Ardennes. Ces 
couches , dirigées à peu prés du sud au nord, et s’infléchissant vers 
l'ouest à la hauteur de Dun et de Stenay, disparaissent successivement 
sous les grés verts, depuis Bar-le-Duc jusqu'à Hirson (Aisne). Il fait 
remarquer qu'il existe dans l'argile d'Oxford , deux systèmes d'oolithe 
ferrugineuse : il cite les nombreuses fossiles trouvées à Lannoy dans 
le système supérieur. Aprés avoir décrit rapidement la formation co— 
rallienne , celle de Climmeridge ; il constate la différence remarquable 
qui existe entre la lumachelle du calcaire à astarté et la lumachelle à 
gryphées virgules. Il cite les nombreux ossemens de sauriens trouvés 
dans cette ‘dernière formation. Il indique aussi le Portland-stone, les 
grés verts et Jes diverses alluvions de ces départemens. Il insiste sur— 
tout sur un fait, qui avait paru difficile à expliquer : on trouve dans 
la vallée de la Meuse des alluvions à galets roulés , identiques avec 
les roches de plusieurs localités des Vosges; mais ces localités sont 


86 PREMIERE SECTION. 


éloignées des bords de la Meuse, et se trouvent presque toutes sur les 
rives de la Moselle. M. le docteur Denys, de Commercy, a constaté 
que ces galets ne se rencontraient pas dans la vallée de la Meuse , 
au-dessus de Pagny, et que, de là, ils suivaient le col qui existe 
entre Pagny et Toul, où ils rejoignaient la Moselle, celle-ci aurait donc 
été, avant l’époque actuelle, un des affluens de la Meuse, 


M. Chevereaux a la parole sur les puits artésiens. Après 
quelques considérations générales, il donne des détails 
sur les puits forés de la Touraine et sur ceux de la Nor- 
mandie. Il cite ceux de Tours, de Rouen et d’Elbeuf, 
qui ont été couronnés d’un plein succès. Un autre, com- 
mencé dans les environs d'Evreux , qui a déjà 825 pieds, 
mais qui se continue dans la craie sableuse verte qui ali- 
mente le puits d'Elbeuf, ce qui dônne l'espoir de réussir. 
Tous les puits artésiens qu'il connaît jusqu’à présent, 
sont dans les terrains crétacés et tertiaires ; 1l demande 
s’il y en a qui aient réussi dans des terrains inférieurs à 
ceux-Cl. 

M. Lejeune répond qu'il existe des puits artésiens dans le 
lias des arrondissemens de Mirecourt et Neufchâteau (Vos- 
ges ). Il pense qu’on doit attribuer l'existence de ces puits 
à une circonstance , favorable dans ces localités, du relè- 
vement en forme dé bassin, de la formation Éd) et, 
qu'en général, on devrait être d'autant plus circonspect 
dans l’entreprise de cette espèce de puits, que les terrains 
sont plus anciens. 

M. Reverchon dit que les tentatives faites dans le dé- 
partement de la Moselle et dans la Prusse rhénane pour 
la recherche du sel et de la houille , ont procuré des eaux 
jaillissantes à Téterchen et Klougenhoff, commune de 
Faick (Moselle) et au-delà de Sarreguemines, auprès 
d’Aurschmacker (Prusse rhénane). Ces eaux se trouvent 
au-dessous des formations keupériennes. 


PREMIÈRE SECTION. 87 


L'ordre du jour est la lecture d’un apercu de M. V. Si- 
mon sur la géologie du département de la Moselle; ce 
membre s'exprime ainsi qu'il suit : 


Messieurs , 


L'examen d’une contrée sous le rapport géologique est un des sujets 
les plus intéressans pour un Congrés, soit qu'on l’envisage sous le 
rapport agricole ou purement industriel, soit qu'on se place unique- 
ment sons le point de vue scientifique. 

Le département de la Moselle peut être considéré comme un point 
central pour les géologues. On peut observer vers le midi les Vosges ; 
à l'ouest, la formation oolithique, les grès verts, la craie et même 
les terrains tertiaires; au nord les terrains de transition et vol- 
caniques des Ardennes et de l’Eifel. Enfin à l'est le grès bigarré , le grès 
vosgien , le terrain houiller et d’autres terrains abnornes , tels que des 
porphyres , des amphibolites , des trapps et des spilites. 

Jetons maintenant nos regards sur le département de la Moselle. 

A l'extrémité, ouest, de ce département on se trouve placé près 
des limites de l’oolithe moyenne. Si on se dirige par le canton de 
Gore, l'arrondissement de Briey et une partie de celui de Thionville, ces 
contrées présentent les divisions suivantes : le Bradfort-Clay ; la grande 
oolithe ; le Fullers-eart, un calcaire gris siliceux à rognonssiliceux , un 
calcaire contenant une multitude de polypiers, un calcaire très-bien 
caractérisé par le pecten lens; enfin, les fers oolithiques qui sont 
exploités sur divers points du département. 

Cette formation est bornée par des escarpemens qui dominent la 
Moselle, la Seille et les limites du duché de Luxembourg ; vue en 
général, elle offre un aspect ondulé. On y remarque surtout, deux 
grandes pentes vers la rivière d'Orne, il y existe sur différens points, 
des cavités, quelques-unes renferment des masses plus ou moins considé- 
rables de fer que l’on exploite ; je citerai notamment celles d'Aumetz 
et de Saint-Pancré; dans d’autres, on trouve des fers en grains, 
ou bohnertz, dont quelques-uns sont magnétiques. 

Ces derniers fers ont été généralement considérés comme apparte- 
nant à l'époque du grès vert. Mais j'ai vu à Malancourt du calcaire 
oolithique divisé en feuillets courts, parfaitement stratifiés , recouvrir 
une cavité remplie de ce fer; il est évident que si ce calcaire eùt 
été déposé avant le fer, il aurait rempli cette cavité qui est en 
forme de conduit. Si cette sorte de canal souterrain avait été creusé 


88 PREMIÈRE SECTION. 


postérieurement au calcaire, celui-ci n'aurait pu rester au-dessus 
en suspens. Disons donc que ces fers ont été amenés à l'époque du 
dépôt de la formation. Des fers semblables ont paru aussi à diverses 
autres époques ; ils recouvrent des plaines de lias dans les environs 
de Metz; on les trouve mélés aux alluyions de la Seille, qui con- 
tiennent des ossemens d’éléphans et de rhinocéros et dans des cavités 
profondes exploitées, par puits, dans le muschelkack. 

Le sol de la formation oolithique est généralement très-productif. 
On y remarque dans quelques vallons des dépôts de tufs calcaires. 
L'industrie la plus grande , après l’agriculture , est l'exploitation des 
fers. Les calcaires donnent une chaux grasse. 

Les divers dépôts que j'ai énumérés sont généralement riches en fos- 
siles mais qui sont mal conservés et presque toujours engagés dans une 
gangue très-dure. Le Bradfort-clay est le dépôt qui en contient le plus, 
et dans lequel on peut s’en procurer le plus facilement. 

Cette formation recouvre /e lias qui se divise en grès supraliasique, 
marnes grises micacées, conglomérats coquillers , ovoides ferrugineux 
avec baryte et zinc dans des marnes. Au-dessous de ces ovoïdes 
celles-ci deviennent de plus en plus feuilletées ; vient ensuite le cal- 
caire à bélemnites dont la couleur est généralement grise, brune et 
bleuâtre ; enfin le calcaire bleu si bien caractérisé par la gryphée 
arquée ; occupe la partie inférieure. 

Les conglomérats coquillers offrent sénéralemens dé fossiles et 
des FRE de coquilles bien conservés et faciles à se procurer. Les 
ovoïdes ferrugineux ne sont pas assez riches pour être exploités ; les 
argiles sont employées pour les fabriques de tuiles et de poteries, 
mais la partie la plus importante est celle inférieure qui procure une 
excellente chaux hydraulique. Cette formation existe sur les versans 
de la Seille et de la Moselle * 

Après le lias vient le grès d’Hettange, connu plus généralement 
sous le nom de grès de Luxembourg , ce grès que je regarde comme 
trés distinct du grès keupérien est blanc jaunâtre taché de bleu; ses 
couches alternent de grès friable et de grès dur, les premières con- 
tiennent beaucoup de débris de plantes charbonnées , les autres 
contiennent un grand nombre de coquilles fossiles. 

Il diffère du grès keupérien par le ciment calcaire qui en lie les 
diverses parties, par la dureté de ses couches et par les fossiles 

* J'ai décrit d’une manière plus complète les deux formations dont je viens de parler, 


dans deux mémoires qui sont imprimés dans les comptes rendus des travaux de l'académie 
royale de Metz. 


PREMIÈRE SECTION. ‘89 


nombreux qu'il présente , tandis que l’autre n’en contient pour ainsi 
dire pas; enfin par l'absence ordinaire de mica, 

Sa puissance est grande à Luxembourg , où je l'ai. vu placé im 
médiatement sous le lias. On l’exploite en grand à Hettange prés 
Thionville. 

Quelques géologues le regardent comme une dépendance du lias, 
d'autres le regardent comme appartenant au grès keupérien : pour 
moi il m'a semblé être un dépôt particulier indépendant de l'un et 
de l’autre. Je renvoie pour plus de développemens à une notice 
qui est insérée dans les mémoires de l'académie royale de Metz. 

Vient ensuite le keuper , dont la composition est variée. Ses limites , 
aux yeux de quelques géologues, sont encore incertaines, les uns 
veulent donner au lias le grès qui couronne le keuper ; d’autres 
veulent le laisser à celui-ci. Cette dernière opinion me paraît ad 
missible ; à la vérité la limite n'est pas toujours bien tranchée ; 
mais pour quelques localités elle l'est nettement. Sur quelques points 
de nos contrées on trouve des marnes rouges et bleues interposées 
entre le lias et le grès keupérien. Dans d'autres localités des marnes 
à feuillets trés-courts font la transition entre le lias et le keuper. 
On y trouve même, m'a-t-on dit, des fossiles du lias inférieur. Enfin 
sur- d’autres points on trouve d’abord, à la partie supérieure du 
grès, une mince couche composée de sables et de galets siliceux 
contenant des ossemens, des dents de poissons, des fragmens de 
crustacés et quelquefois d’entroques. De tout ceci on peut , je 
crois, conclure que rien ne détruit l'opinion que j'ai avancée, car 
la présence de marnes feuilletées entre le grès et le lias avec fos- 
siles du lias, laisse, à mon avis , seulement l'opinion que sur quel- 
ques points le dépôt du lias commenca immédiatement sur le grés 
keupérien par des marnes divisées en feuillets courts et minces À 
tandis que sur d’autres points les eaux keupériennes , si je puis 


m'exprimer ainsi, continuérent à former des dépôts sur les grès. 


Les parties qui composent le keuper sont 1° un grès d'abord fer- 
rifère, puis trés-blanc, micacé, dans lequel on remarque quelques 
points noirs charbonnés ; 2° un calcaire dolomitique , blanc jaunâtre ; 
3° des marnes de couleur bleue, verte, blanche et lie de vin , s'en 
trelaçant souvent les unes avec les autres ; 4° ces marnes contiennent 
des gypses en veines en conglomérats et en couches ; 3° vient ensuite 
un grés terreux brun accompagnant des lignites, et 6° enfin les argiles 
salifères et peut-être même les sels en roches. Il est entendu que 
les marnes se montrent dans toutes les divisions de la formation. 


12 


90 PREMIÈRE SECTION. 


Les grès sont généralement tendres et ne peuvent pour ce motif être 
employés que comme des sables ; le calcaire magnésien sert de pierres 
de moelons dans les constructions, les lignites sont employés depuis 
peu par des pauvres habitans pour le chauffage ; mais on les emploie 
notamment pour en obtenir des produits chimiques dans une fa- 
brique établie par M. Dumolard, à Volmunster, près Boulay. Enfin 
plusieurs points donnent des eaux salifères tant dans notre dé- 
partement que dans celui de la Meurthe. On sait qu'on a exploité 
à Vic le sel en roches et qu’on l'extrait maintenant à Dieuze. Cette 
formation traverse le département en passant par Saralbe, Puttelange, 
Morhange , Courcelles-Chaussy , Draugny ,; Hombourg ;, les environs de 
Bouzonville et de Sierck. 

L'agriculture de cette formation est productive, toutefois elle l'est 
moins que les deux précédentes. Ce terrain ainsi que je l'ai dit est 
trés-pauvre en fossiles ; indépendamment de ceux indiqués plus haut 
on y remarque des débris de plantes. 

Le Muschelkalk que quelques géologues regardent aujourd’hui 
comme une des divisions du keuper, vu que sous ce dépôt on trouve 
des argiles et des gypses qui ont des rapports avec cette derniére 
formation, se dirige comme celle-ci du sud au nord; ce calcaire 
est gris de fumée ou jaunâtre , généralement compacte , ses bancs ont 
peu d'épaisseur, et jusqu’à présent, à part des rognons siliceux existant 
dans les couches inférieures, je n'ai rien remarqué qui püt en ca— 
ractériser les divisions. Les bancs sont ordinairement séparés par des 
minces couches des marnes terreuses souvent sans consistance. Outre 
le calcaire que je viens d'indiquer, ce dépôt en contient deux autres, 
l'un gris ou blanchâtre subsaccaroïde , qui dégage au moindre frotte- 
ment une odeur très-fétide ; l’autre qui est une brèche à fragmens 
calcaires gris ou jaunâtres liés par un ciment calcaire spathique. 

Ce terrain renferme du bohnerz ou fér en grains qui a remblayé de 
profondes cavités; on en exploite à Berweiler, près Boulay. Quoique 
l'on n'ait pas encore trouvé dans notre département tous les fossiles 
que ce terrain présente à Lunéville, on peut cependant dire qu'ils 
y existent au moins en grande partie, et que c'est à défaut d’ob- 
servateurs pour suivre les travaux des carrières que l'on n’a pas obtenu 
de plus grands résultats. Cette formation se montre aux environs de 
Rorbach, de Sarreguemines , à Tritilng , Brouck prés Boulay, Trom— 
born, Nunkirchen et sur les hauteurs de Sierck. 

Ce calcaire donne de la chaux grasse, son sol est productif. Les 
warnes dont j'ai parlé et qui servent de base au Muschelkalk, pré- 


PREMIÈRE SECTION. 91 


sentent quelques exploitations de gypse. De pures qu’elles sont, elles 
se chargent de plus en plus de grains siliceux, enfin on ‘arrive à 
un grés coquiller qui est la partie supérieure du grès bigarré. (Hau- 
teur de Vaudrevange). On y retrouve la plupart des fossiles du Mus- 
chelkalk. 

Le grès bigarré se distingue facilement par ses teintes variées de 
blanc et de rouge plus ou moins intenses , il a une grande puissance. 
-On y trouve quelques empreintes de plantes, du cuivre, du plomb 
et de la baryte, mais en petite quantité. 

Des filons de fer le traversent sur quelques points , depuis le pied 
des coteaux jusqu'au sommet. Le grès bigarré peut être observé à 
Wolfbourg, dans les environs de Bitche, à Volmunster, Forbach, 
Saint-Avold, Hargarten, Falck et Sierck. 

Aux environs de Sarrelouis ce grès paraît être en contact immédiat 
avec le terrain houiller, du moins je n'y ai pas reconnu le grès 
Vosgien qui, comme M. Elie de Beaumont l'enseigne dans son savant 
mémoire sur nos contrées , existe dans les environs de Forbach et de 
Creuizwald. Ce même grès est aussi indiqué dans le pays de Bitche. 

On sait que les rapports que plusieurs géologues ont saisis entre le 
keuper , le muschelkalk et le grès bigarré, ont déterminé quelques 
auteurs à ne faire de ces trois terrains qu'une seule formation ; connue 
sous le nom de Tias. S 

Vient ensuite le terrain Aouiller, dont il existe un lambeau ap- 
parent dans notre département à Schœnecken, où l'on tente d'établir 
une exploitation de houille. 

_Ce terrain si bien décrit dans les divers ouvrages de géologie et 
qui_a des caractères généralement si constans , n'offre point, dans nos 
pays , de faits particuliers à décrire. Près de Sarrebruck , une couche 
de houille qui brûle depuis long-temps mérite d’être observée , 
vu surtout les produits chimiques qu'on y observe et les modifica- 
tions que les schistes y ont subies. 

Il me reste à parler des quarzites qui se montrent dans notre dé- 
partement comme un accident tout particulier. En effet, ce dépôt 
ne paraît que sur un seul point à Sierck, sous le grès bigarré et le 
muschelkalk. Le grand développement de roches semblables sur la 
Sarre et en se dirigeant vers Birkenfeld , semble indiquer que c’est 
à la dureté de ces sortes de roches qu'on doit, dans notre départe- 
ment, ce point avancé des terrains de transition parmi nos terrains 
secondaires. 

Les quarzites de Sierck sont de couleur grise rougeäre ou violätre 


92 PREMIÈRE SECTION. 


et se divisent en feuillets, notamment dans la partie supérieure; on 


n'y a pas encore observé de fossiles. 

Après vous avoir donné un apercu général de la géologie de nos 
contrées, dont une partie a été si savamment décrite par M. Elie de 
Beaumont, qu'il me soit permis de faire une excursion sur le terri— 
toire des environs de Sarrelouis. 

Le sol des environs de cette ville, indépendamment du grès bigarré et 
du terrain houiller qui y sont trés-bien développés, présente des faits 
qui n'ont plus aucun rapport avec nos terrains en couches. Les spi 
lites, les trapps , les amphibolites, les quarzites et les schistes y jouent 
un grand rôle, les trois premières espèces de roches offrent des accidens 
très-remarquables de modifications de roches, de schistes et d’argiles. Les 
montagnes du Litermont, de Schambourg, de Ponten, de Metloch, 
méritent toute l'attention du géologue ; qui, après avoir étudié ces 
belles localités, aurait peine à résister au plaisir d’aller visiter tant 
d’autres points voisins , notamment celui classique d’Oberstein , célèbre 
par ses gisemens de calcédoines , dans les spilites et les poudingues. 

Les alluvions de nos contrées ne jouent pas un grand rôle, toute- 
fois la position des plus anciennes situées à diverses hauteurs de nos 
coteaux , en rend l'étude digne d'intérét. 

Les alluvions de la Moselle et de la Sarre , se composent en grande 
partie, surtout celles de la Moselle, de débris de roches descendus 
des Vosges; les autres rivières charrient des débris appartenant aux 
formations de notre département. La Moselle, la Seille , la Sarre et 
la Nied ont, comme tant d’autres rivières, dans leurs alluvions, des 
‘débris de grands animaux qui ne vivent plus librement sur notre 
continent. On y a trouvé des ossemens de rhinocéros et d'éléphans. 
On aurait même pu sauver la tête d’un rhinocéros qui fut trouvée 
dans la vallée de la Seille, si un homme éclairé se fût trouvé sur 
les lieux. Les paysans après l'avoir bien regardée comme une chose 
digne de remarque, la laissèrent briser par celui qui l'avait décou- 
verle ; deux dents seulement furent sauvées. 

D'autres transports plus anciens, ont laissé des traces évidentes 
de leur passage. Des blocs. et des fragmens de quarzites existant 
dans l'arrondissement de Briey et se trouvant en beaucoup plus grand 
nombre et en plus grandes masses dans les départemens de la Meuse 
et des Ardennes , attestent que de grandes révolutions se sont opérées 
dans des temps bien antérieurs à ceux qui ont amené les alluvions 
de nos rivières ; ces faits sont aussi attestés par les fers en masses et 
en grains qui ont aussi été poussés dans des cavités et dont nous 


PREMIÈRE SECTION. 95 


avons déjà parlé. À quelle époque et à quelles localités appartiennent 
ces nombreux témoins de grands cataclysmes ? Mon but n'est pas de 
vous entretenir de ces importantes questions. 

Cependant ayant de terminer , qu'il me soit permis de vous faire con- 
naître l'opinion du savant comte de Rasoumovski sur les blocs erratiques, 
les cailloux roulés et les terrains d’alluvions de la Morayie. Ce savant, 
dont nous déplorons la perte, pensait pouvoir prouver par les faits 
que les blocs qui recouvrent une partie du sol de la Moravie , et en 
immense quantité , ne sont point erratiques , que ce sont tous des blocs 
stationnaires qui se trouvent encore dans les contrées où ils gisaient 
précédemment en couches, dont on ne voit plus aujourd'hui que les 
lambeaux. 

Cet habile géologue, nous avait, Messieurs , fait espérer qu'il en- 
verrait au Congrès deux mémoires , l’un sur les blocs erratiques, les 
cailloux roulés et les terrains d'alluvion en général , l'autre extrait 
d’un travail sur quelques-unes des formations les plus anciennes de la 
Moravie. ; 

Le premier de ces deux mémoires aurait pu, peut-être , répandre 
quelques lumières sur la question relative aux blocs erratiques en gé- 
néral. Mais malheureusement la mort nous a enlevé cet homme res 
pectable, lorsqu'il songeait à se rendre encore utile à la science, 
malgré le triste état de sa santé, qui déjà faisait craindre pour ses 
jours. 

L'opinion que ce savant a émise sur les terrains de transport de 
la Moravie, peut ne pas étre applicable à nos blocs érratiques , 
mais j'ai cru devoir saisir avec empressement cette occasion de vous 
faire connaître qu’il montrait la sympathie la plus grande pour le 
Congrès, et qu'il regrettait vivement que sa santé ne lui permit 
pas de céder au désir qu'il avait de se rendre à la session actuelle, 


La séance est levée à neuf heures et demie. 


Les Secrétaires de la section, Le Président de la section, 
FOURNEL, MOUGEOT. 
BUVIGNIER. Le Vice-Président, 

+ 


HOLANDRE. 


94 DEUXIÈME SECTION. 


DEUXIÈME SECTION. 


AGRICULTURE, INDUSTRIE ET COMMERCE. 


SÉANCE DU MERCREDI 6 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de Pance. 


-La première partie de la séance a été consacrée à réviser 
le programme, à enregistrer les mémoires écrits ou impri- 
més , présentés par divers membres, et à établir l'ordre 
dans lequel les questions seraient traitées. 

Sur la question n° 8. — Quelles seraient les plantes cé- 
réales , fourragères et économiques à introduire dans la 
culture de la Lorraine ? Un membre a fait observer qu'il n’y 
a peut-être pas actuellement de plante nouvelle à introduire 
utilement, mais qu'il yen a plusieurs, telles que la luzerne 
et la betterave, dont la culture est beaucoup trop restremte. 
Par suite de cette observation , la question n° 8 a été amen- 
dée comme il suit : 

Quelles seraient les plantes céréales , fourragères et 
économiques à introduire ou à propager dans la culture 
de la Lorraine? Quels seraient les meilleurs moyens à 
employer ? 

La première question est ajournée jusqu'à l’arrivée de 
M. Gigault d'Olincourt, qui se propose de la traiter. 


DEUXIÈME SECTION. 95 


La discussion est ouverte sur la deuxième question : 
Quelle a été, jusqu’à présent, l'influence des fermes- 
modèles sur les progrès de l’agriculture ? 

M. Lahalle pense que les fermes-mocèles sont le meilleur 
moyen d’enseigner l’agriculture pratique. On y fait les ex- 
périences qui seraient trop coûteuses pour des particuliers. 

M. de Nettancourt partage cet avis et désirerait que le 
gouvernement accordàt plus de fonds pour cet objet. 

M. Chevereaux propose, comme un exemple à suivre, 
ce qui s’est fait dans le département de l'Eure. Le conseil 
général a créé une ferme-modèle au moyen d'un capital de 
cent mille francs, divisé par actions de 250 fr. Le départe- 
ment ne fat par an qu'un sacrifice de six mille francs 
pour servir les intérêts et annuités ; le produit de la ferme 
sert à racheter les actions, et un jour le département se 
trouvera, sans nouveaux frais, seul propriéture de la 
ferme. Il y a place pour trente élèves. 

M. Chevereaux ajoute qu'il est souvent difficile de trou- 
ver des fermes convenables à proximité du chef-ieu, et d'y 
avoir des professeurs; mais qu’en attendant la fondation 
d'une ferme-modèle dans chaque département, ceux qui 
en manqueraient devraient créer des bourses et envoyer 
des élèves dans les meilleurs établissemens qui existent, tels 
que Grignon. 

M. de Nettancourt signale les mconvémens qu'il y au- 
rat à accumuler un grand nombre d'élèves dans une même 
institution agricole. Il répond aux objections que s’est faites 
le préopinant, qu'il y a presque partout des propriétaires 
placés dans des localités convenables, et disposés, par zèle 
pour l'agriculture , à faire les arrangemens qui seraient pro- 
pres à faciliter la création d'une ferme-modèle, et qu’on 
trouverait dans celles qui existent déjà de bons professeurs. 
s'en formera d'ailleurs à mesure que les fermes s'orgami- 


96 DEUXIEME SECTION. 


seront. La discussion est remise au lendemain pour enten- 
dre la lecture du mémoire de M. Lahalle. 

On passe à la troisième question : Quelles sont les bases 
sur lesquelles doit étre fondée toute théorie des assole- 
mens ? 

On entend sur cette question la lecture de plusieurs 
notes de MM. Lapointe et Piobert. Ce dernier a compris 
dans son travail la question suivante n. 4. — Quelle est 
l'influence de la composition chimique des produits ré- 
coltés, et surtout celle des corps simples qui ne se ren- 
contrent qu’accidentellement dans le sol ? 


SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE 1837. 
Présidence de M. de Pace. 


M. Lahalle donne lecture d’un mémoire ayant pour 
ütre: Moyens de diriger l'esprit et les études de la 
jeunesse vers l’agriculture. 

Désespérant de vaincre la routine et les préjugés de 
toutes sortes qui s'opposent à l'adoption de la science 
agricole nouvelle par la génération actuelle, M. Laballe 
pense que nos eflorts doivent se porter sur la jeunesse 
qui s'élève, pour la diriger vers l'étude de l’agriculture. 
L'enseignement classique laisserait donc beaucoup à dési- 
rer : on s'applique trop à former des sujets pour les profes- 
sions savantes et libérales ; si l’on faisait marcherl'instruction 
savante et industrielle avec, l'éducation physique, morale 
et religieuse , il y aurait mois de déceptions pour la jeu- 
nesse à son entrée dans le monde, et plus de sujets propres 


Le. 


DEUXIÈME SECTION. 97 


à faire fleurir les arts utiles , les manufactures et surtout 
l'agriculture. | 

Quant à la propagation des bons principes et d'une 
bonne pratique, après avoir fait l'éloge des académies 
et comices agricoles , et en avoir établi la différence, l'au- 
teur du mémoire pense que la ferme modèle remplit 
toutes les exigences de l'art et de la science, de la pra- 
tique et de la théorie, et propose la création d’un éta- 
blissement pareil dans chaque département. 

Pressentant les difficultés d'un projet aussi vaste, M. La- 
balle sollicite l'appui du gouvernement et entre dans quel- 
ques détails sur l’organisation des fermes modèles et sur 
les moyens d’avoir des professeurs pour tous les cours 
qui entreraient dans leur programme. 

Après quelques considérations sur les obstacles qui s’op- 
posent aux progrès de la bonne culture, tels que la 
vaine pdture , le morcellement et l'enchevêtrement des 
pièces de terre, le mauvais état des chemins, le haut prix 
du sel, etc., M. Lahalle revient sur la nécessité de donner 
une meilleure direction aux études de la jeunesse. Il ajoute 
que la femme, la compagne de l’homme, destinée à le 
suivre partout, à embellir sa demeure, à partager ses 
travaux, en se mêlant à tous les détails de l’entretien 
d'un ménage ; la femme, celle surtout qui doit vivre à 
la campagne, recoit en général une éducation peu en 
harmonie avec ses besoins futurs. Il voudrait donc que 
l'étude des principes généraux d'économie rurale et do- 
mestique , füt le complément de l'éducation de la majorité 
des femmes. 

Après la lecture de son mémoire, M. Lahalle est invité 
à formuler un vœu sur lequel la section puisse être ap- 
pelée à voter. 

M. Watrin insiste sur la nécessité d'établir un cours 


13 


98 DEUXIÈME SECTION. 


d'art vétérinaire dans chaque institut agricole. C'était aussi 
la pensée de l’auteur. 

Un membre fait observer qu’au nombre des moyens à 
employer pour la propagation des idées agronomiques, 
on doit compter la sage influence du clergé qui a déjà 
donné des garanties à cet égard. Il cite, pour exemple, 
trois ecclésiastiques qui vont fonder dans un département 
voism, une école à laquelle seront attachés des cours 
d'agriculture pratique etsdes ateliers de fabrication d’ins- 
trumens aratoires. — On cite encore l'exemple bien connu 
donné par le curé de Bouzonville. 

M. Chatelain, pressé de quitter Metz, demande à être 
entendu sur la dix-septième question. — Quels sont les 
changemens et quels sont les progrès qui ont été amenés 
successivement dans l'agriculture francaise, depuis les 
premiers temps de la monarchie jusqu'à notre époque? 

Par un historique rapide, M. Chatelan rappelle que 
l'agriculture fut dans tous les temps l’art chéri des nations. 
En France, le premier ministre qui se soit occupé d'amé- 
liorations matérielles, Sully, concentra tous ses efforts sur 
les moyens les plus propres à faciliter les progrès des 
procédés agricoles. Cependant Fagriculture eut bientôt à 
partager la faveur de la nation et la protection du gou- 
vernement avec les autres imdustries ; et sous Colbert, la 
prépondérance donnée aux manufactures et au commerce 
fut bien tranchée. Dès ce moment, successivement sou- 
tenue et attaquée par divers économistes, l’agriculture 
n’atteignit qu'un rôle très-secondaire. Sans doute que l’ad- 
mirable position géographique de la France dut favoriser 
singulièrement l'élan du commerce ct promet encore à 
l'art manufacturier les plus belles destinées ; mais l’agri- 
culture ne fra pas moins par reprendre, tôt ou tard, 
le véritable rang qui lui est dû, dès que le public et le 


DEUXIEME SECTION. 99 


gouvernement auront reporté vers elle une partie de leurs 
affections. 

Parmi les causes qui retiennent encore l’art agricole 
dans un état d’abaissement, M. Chatelain signale d'une 
manière toute particulière notre manque d'engrais et leur 
mauvaise qualité. On ne saurait donc trop récompenser 
celui qui viendrait nous apporter le moyen de doubler 
nos ressources à cet égard. Or, la découverte a été faite; 
des expériences nombreuses ont démontré son importance, 
des pièces à l'appui sont: mises sous les yeux de commis- 
sions agricoles qui répètent et constatent l'efficacité des 
procédés ; et cependant l’auteur de l'invention, Jaufiret, 
cultivateur à Aix, qui employa quarante ans à de péni- 
bles études, qui dissipa son patrimoine dans des recher- 
ches coûteuses, a la douleür de voir sa découverte mé- 
connue , repoussée par plusieurs , et partage le sort réservé 
en France aux grands inventeurs. 

En présence de ces faits, il est du devoir des sociétés 
d'agriculture de s’enquérir de la méthode Jauffret, et de 
la propager de toute leur puissance. M. Chatelan pro- 
pose donc au Congrès l'émission d'un vœu qu'il formule 
à la fin de son mémoire. 

Il résulte des explications données par M. €hatelain, 
que la méthode Jauffret résout trois problèmes principaux. 

4° La conversion en fumier de bonne qualité, et en 
peu de jours de diverses plantes, telles que jones , bruyère, 
genets, ajoncs, etc. 

2 L'amélioration des fumiers ordinaires, en les ren- 
dant homogènes par la fermentation, en les débarrassant 
des mauvaises graines, dont la faculté de germination ne 
résiste point à une chaleur qui dépasse 45°. 

3° La création de nouveaux engrais provenant de terre 
‘et même de sable soumis à une lessive peu coûteuse. 


100 DEUXIÈME SECTION. 


La discussion s'ouvre sur l’engrais Jaufret. 

M. Lapointe, en partant de cette assertion de M. Cha- 
telain que par la méthode Jauffret, dix quintaux de 
- paille sont convertis en quarante quintaux de fumier, fait 
observer que ces dix quintaux de paille valent le double 
des quarante quintaux de fumier, et que ce n’est pas la 
peine de recourir à tant de manutention pour changer des 
pièces de A0 francs ‘en pièces de 20 francs. 

M. Chatelam imsiste sur la promptitude avec laquelle 
les matières végétales les plus dures sont converties en 
engrais. 

M. Lapointe réplique que les cultivateurs ne pouvant 
faire qu'une moisson en douze mois, il leur importe peu 
que la conversion des matériaux qu'ils possèdent pour 
faire du fumier, ait lieu en douze heures, douze jours 
ou douze semaines. L'important pour eux, c’est qu’elle 
ait lieu aux moimdres frais possibles, . 

-M. Braconnot est de cette opinion. 

M. de Nettancourt pense que le procédé devrait être 
recommandé lors même qu'il ne ferait que détruire les 
mauvaises graines qui salissent les fumiers. 

D’autres membres sont d'avis de faire des expériences 
dans le département de la Moselle, avant de se prononcer. 

M. Watrin mdique la ferme de la Maison-Rouge, où il 
pourrait être pris des renseignemens. 

M. de Pange fait remarquer que la méthode Jauffret 
tend à diminuer la quantité de bétail déjà trop faible en 
France. Il est d'avis qu'elle ne peut convenir dans le dé- 
partement de la Moselle, et que c’est aux contrées moins 
favorisées sous le rapport du territoire, qu'il appartient de 
se livrer à des expériences directes. 


DEUXIÈME SECTION. 4101 


SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE 1857. 


Présidence de M. de Paxce. 


Continuation de la discussion sur l’engrais Jauffret. 

M. Chatelain donne lecture d’un article contre l’engrais 
Jauflret contenu dans le Courrier de la Moselle, du 30 mars 
dernier ; il s'élève avec force contre ceux qui emploient la 
publicité pour déprécier une méthode qu'ils ont à peine 
étudiée. Il rend compte ensuite d’une visite qu'il vient de 
faire chez M. de Thémines, accompagné de M. Watrin. 
Ce dernier fait part de ses impressions, toutes à l'avantage 
de l’engrais Jauffret, dont il a vu les effets. Il cite quel- 
ques chiffres des expériences faites à la Maison-Rouge. 

Ces données, paraissant insuffisantes, M. Chevereaux 
insiste sur une expérimentation nouvelle, ou au moins, 
sur l'envoi d'une commission d'agriculteurs chez er de 
Thémines. 

M. Charles Bouchotte dit qu'il faut se garder d'admettre 
la méthode avec trop d'engouement, et fait remarquer 
que le bétail est élevé plutôt pour la viande, le lait ou la 
lame, que pour le fumier qu'il produit. 

M. de Nicéville pense que si l’engrais était réellement 
tel qu’on l'annonce, il serait très-avantageux pour les vi- 
gnobles, en ce que, transporté dans les vignes vers l’épo- 
que de la maturité du raisin; il leur communiquerait une 
chaleur bienfaisante. 

M. de Vellecour déclare qu'il y a encore beaucoup de 
bruyères dans le département de la Moselle, et qu’on y 
doit faire des vœux pour la réussite de la nouvelle mé- 
thode. Il ajoute qu'il a vu à Paris M. Jauffret, homme 
simple et modeste, et qu'il l'a quitté convamcu de la 
bonté de son procédé. 


102 DEUXIÈME SECTION 


M. Maudheux dit que si la découverte peut servir réel- 
lement à convertir en bon fumier les plantes dures, telles 
que les bruyères, genets, ete. , elle sera d’une utilité très- 
grande pour toutes les fermes situées dans les montagnes, 
notamment celles des Vosges. Il appuie le vœu proposé 
par M. Chatelamn. 

M. de Nettancourt l’appuie également. On ne saurait, 
ditl, trop encourager les essais en agriculture. 

M. de Pange fait remarquer que l'acceptation du vœu 
énoncé par M. Chatelain n’entraîne point, de la part de 
la section , l'adoption du procédé ; 1l le met aux voix. 

Ce vœu est accepté à une grande majorité ; il est ainsi 
conçu : 

Attendu les résultats satisfaisans des expériences de l’en- 
grais Jauffret , faites à Neuilly, à Lorient, à Bergerac et 
devant la société royale de Seine-et-Oise, sur l'invitation 
de M. le ministre du commerce, le Congrès appelle l’at- 
tention du gouvernement sur la découverte Jauffret, et 
émet le vœu que M. le ministre du commerce et de l’a- 
griculture encourage la propagation de cette méthode 
d'engrais, en recommandant à la société royale et cen- 
trale d'agriculture de Paris , et aux sociétés d'agriculture 
de tous nos départemens, de faire des expériences sur 
cet engrais. 

L'ordre du jour appelle la dix-huitième question. 

Faire connaitre quelles sont les différentes substances 
minérales de la Lorraine qui sont propres à être utilisées 
dans l'industrie ; présenter un apercu général sur l’état 
de l'agriculture et de l'industrie du pays, sur les amé- 
liorations à y introduire , et faire connaitre quel est le 
mode d'écoulement des divers produits de cette province. 

M. Maudheux lit un savant mémoire sur la dernière 
partie de la question. Ce mémoire est intitulée : Des 


DEUXIÈME SECTION. 103 


communications nécessaires à la Lorraine. La secüon en 
demande la lecture en séance générale et invite l’auteur 
à formuler un vœu. 


SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de Pancr. 


M. Laponte lit une réfutation du discours de M. Cha- 
telam. 11 qualifie ce discours de prospectus pour l’engrais 
Jauffret. 1 pense que les conclusions de M. Chatelain, 
tendant à appeler lHntoe du gouvernement et des s0- 
ciétés d'agriculture, ne méritaient pas d’être prises en con- 
Matos. Il se frite sur ce que le gouvernement ayant 
déjà été sollicité d'accorder des encouragemens à l’entre- 
prise de M. Jauffret, a consulté la société royale et centrale 
d'agriculture de Paris. Celle-ci, après avoir pris connais- 
sance de la Fa de l'engrais , du mode de sa pré- 
paration etdéM'état dans loouel ses commissaires 9nt vu 
les différentés#maticres employées dans les tas qui ont été 
amen, a déclaré que l’engrais dont il s’a- 
git, n'étant qu'un compost à peu près semblable à d'autres 
déjà connus, ne présente rien de particulier qui mérite 
d’être signalé à l'intérêt des agriculteurs. 

Après avoir prouvé par des chiffres et suivant les don- 
nées de M. Jauflret lui-même, que son engrais coûte- 
rat, dans le département de la Moselle, plus du double 
du bon fumier d'étable ; après avoir annoncé qu’on ne 
trouverait pas dans le pays un seul cultivateur de profes- 
Sion, disposé à échanger un écu contre le secret de con- 
Vertir la paille en fumier, sans le secours des bestiaux, 


104 DEUXIÈME SECTION. 


l'antagoniste de M. Chatelain rassure celui-ci sur le sort 
de la spéculation, en lui citant l'exemple récent d'un in- 
dustriel de la rue de Richelieu, qui a fait sa fortune en 
vendant à vingt sous la pièce, des graines du chou cavalier, 
auquel il donnait le beau nom de chou colossal de la 
Nouvelle-Zélande. On savait depuis long-temps, dans le 
monde savant, qu'aucun individu du genre chou ne peut 
croître à la Nouvelle-Zélande ; et cependant ce ne sont ni 
les jardiniers, ni les cultivateurs qui ont porté le denier 
de la dupe au comptoir du marchand de bas, mais bien 
les personnes les plus éclairées des villes. C’est parmi cette 
classe seulement que les industriels de l’engrais Jauffret 
doivent répandre leurs prospectus, c'est peine perdue que 
d'en inonder nos campagnes. 

M. Lapointe signale les inconvéniens qu'il y a à recom- 
mander avec emphase des choses qui ne sont pas desti- 
nées à être adoptées ; il prétend que si une découverte 
vraiment utile venait à se produire, on aurait beaucoup 
de peine à la faire apprécier. Les agriculteurs de la Lor- 
raine, dit-il, seront long-temps rebelles aux innovations, 
par suite de ce qui s’est passé pour la ch Grangé. Si 
M. Chatelain a osé dire dans l'enceinte MCongrès que 
l'invention de la vapeur était à peme comparable à celle 
de l’engrais Jauffret , il faut convenir que les sociétés d’a- 
griculture n’ont été guère plus réservées dans leurs exa- 
gérations sur la charrue Grangé. 

M. Lapointe rapporte tout ce qui a été fait à cette épo- 
que, et cite des passages extraits des mémoires des sociétés 
de Metz et de Nancy, où Grangé est représensé comme 
un génie extraordinaire, son invention comme une mer- 
veille digne de l'admiration du genre humain et d’une ré- 
compense nationale. M. Lapointe prétend qu'il ne reste 
de tout ce bruit que des archives pour les académies, et 
des modèles pour leurs conservatoires. 


DEUXIÈME SECTION. 105 


Après avoir établi que notre pays ne nourrit pas assez 
de bestiaux, et que s'il avait plus de paille, il pourrait en 
élever davantage, M. Laponie en conclut que les encou- 
ragemens devraient se porter non pas sur ceux qui ensei- 
gnent le moyen de convertir la paille en fumier sans le 
donner au bétail ; mais sur ceux qui trouveraient le moyen 
de la faire servir deux fois avant de la rendre à la terre. 
On manque si bien de paille, ajoute-t1l, que dans tout 
le département, les feuilles, les mousses, les roseaux , les 
genets, les bruyères, les chaumes mêmes des champs mois- 
sonnés, tout est amassé pour faire de la litière, afin de 
pouvoir entretenir plus de bétail. 

Enfin, il conclut que l’engrais Jauflret coûte plus qu'il 
ne vaut, qu'il ne porte nullement le caractère d’une dé- 
couverte, que c’est tout simplement une spéculation in- 
dustrielle comme on en voit tant, et qu'il scrait indigne 
du Congrès scientifique de l’aider de son approbation. 

M. Maudheux, délégué de la société d'agriculture des 
Vosges, dont Grangé fait partie, demande la parole et ré- 
clame contre l'assimilation que les auditeurs du discours 
précédent pourraient faire entre Grangé et Jauffret. Il 
rappelle le désintéressement de Grangé, qui, après avoir 
été couronné par seize académies , a été obligé de mettre 
en gage ses médailles et d'accepter des secours de la so- 
ciété dont il est membre. 

M. Lapointe répond qu'on ne trouverait pas dans son 
discours un seul mot de blâme contre Grangé; et pour 
prouver qu'il a été bien lom de faire la comparaison qu’on 
pourrait lui prêter, 1l relit une phrase ainsi conçue « On 
» se souviendra long-temps de l’mvention de Grangé, sinon 
» comme d'une découverte utile, du moins comme d'une 
» idée ingénieuse qui méritait d'attirer l'attention ; tandis 
» que bientôt on ne parlera pas plus de l’engrais Jaufret, 


14 


106 DEUXIÈME SECTION. 


» qu'on ne parle aujourd’hui des saint-simoniens qui fai- 
» saient tant de bruit il y a quelques années. >» 

Il sait que Grangé n’a pas pris de brevet et n’a point 
cherché à tirer parti de sa découverte ; tandis que Jauf- 
fret, après avoir pris des brevets dans plusieurs pays, s'est 
ie entrainer aux allures du charlatanisme perfectionné 
qui est en vogue aujourd'hui, et a publié qu'il ne livre- 
rait son secret aux souscripteurs , que lorsqu' il aurait 
réuni 250,000 francs, dont 50,000, payés d'avance. 

Il n’a été parlé de la charrue Grangé, que pour citer 
un exemple du tort que font les sociétés savantes aux pro- 
grès de l’agriculture, en recommandant avec tant d’exa- 
gération de choses fort simples. 

M. Miiens pense que ce sont les éloges exagérés qui 
ont perdu la charrue Grangé. Tandis que Grangé, dit-il, 
répétait à tout le monde qu'il ne prétendait pas autre Lans 
que soulager le garçon qui tient la charrue, les sociétés 
annoncçaient que sa charrue était faite pour marcher seule ; 
et, à Barle-Duc, on disait même que, désormais, il suffirait 
d'un garçon seul pour faire fonctionner plusieurs charrues, 

M. de Rugy prend la parole et fait part à la section de 
son expérience personnelle relativement à la charrue 
Grangé. Il en a donné à ses trois fermiers : ceux-ci, après 
s'en être servi pendant quelque temps, lui ont dit qu'ils 
trouvaient qu'elles exigeaient plus de tirage, et que leurs 
avantages ne valaient pas la peine qu'il faudrait prendre 
pour changer les habitudes des PRE Elles sont 
maintenant sous les hangars , et il n'y en à pas une seule 
en activité dans l'arrondissement de Château-Salins. M. de 
Scitivaux, son voisin, l'un des propagateurs les plus ar- 
dens, en est revenu à la charrue de Roville. 

M. de Pange dit qu'il ne faut pas toujours conclure 
qu’une charrue ne vaut rien, parce qu'on ne peut pas la 


DEUXIÈME SECTION. 107 


faire adopter. Car l’araire de Roville est certainement un 
bon instrument ; et il a vainement tenté de l'introduire 
dans ses fermes du canton de Pange. 

M. Lapointe dit que l'adoption de l’araire présente en 
effet. de grandes difficultés ; mais qu'il se sert avec avan- 
tage depuis trois ans des charrues de Roville, avec avant- 
train. Ses ouvriers et ses voisins conviennent qu’elles sont 
plus faciles à tenir et qu’elles exigent moins de tirage que 
celles du pays. Elles sont en outre d’une solidité beaucoup 
plus grande et présentent d’autres avantages qu'il serait trop 
long d'expliquer ici. Mais il y a un grand obstacle à leur 
adoption : c'est qu’elles reviennent à près de 150 francs. 

M. Devoluet annonce que Grangé lui-même ne se sert 
plus de sa charrue ; mais il pense que c’est parce qu'il 
habite un pays de montagnes. 

M. Maudheux fait observer qu'il n'y a pas renoncé tout- 
à-fait, puisqu'il s'occupe à la perfectionner. 

M. Lapointe croit que c’est cette occupation qui le met 
si mal dans ses affaires. 


SÉANCE DU DIMANCHE 10 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. de Pance. 


M. Maudheux remet sur le bureau les conclusions de 
son mémoire ; M. le président en donne lecture avant de 
la mettre aux voix. Elles sont ainsi conçues : 

« La deuxième section exprime le vœu que le projet de 
> la construction d’un chemin de fer du Hâvre à Strasbourg 
» soit présenté aux chambres dans leur prochaine session, 
> et que le projet de jonction de la Moselle à la Saône soit 


108 DEUXIÈME SECTION. 


» soumis immédiatement à de nouvelles études, afin qu'il 
» puisse être promptement réalisé. 

» La section envisage ces deux lignes de communication 
» comme indispensables à la prospérité des provinces de 
» l'est, et comme devant accroître la richesse du nord et 
» du midi de la France. » 

Après une courte discussion, les propositions de M. Mau- 
d'heux sont mises aux voix, et adoptées à l'unanimité. 

M. Pictte, fabricant de papiers à Dillimg , près de Sar- 
relouis, qui a publié en 1851 un traité sur la fabrication 
du papier, donne communication d’un mémoire sur les 
papiers de paille. 

On croit généralement que c’est une invention nouvelle ; 
M. Piette rappelle qu'elle date de 1765. 

Toutes les pailles peuvent être converties en papier, et 
M. Piette, qui a porté ses expériences sur un grand nom- 
bre, expose d’une manière fort claire le détail des pro- 
cédés qu'il a suivis pour chacune d’elles et les résultats 
différens qu'il en a obtenus. 

La paille de seigle est celle qui offre le plus de dif- 
ficultés mais qui produit aussi le papier le plus fort; 
viennent ensuite le blé et l'orge. La paille d’avome est, 
de toutes les céréales, celle qui exige le moins de ma- 
mipulation ; elle fournit un excellent carton, flexible et 
doué d’une force convenable. 

M. Piette a aussi travaillé des palles de pois, de ha- 
ricots, de lentilles et des feuilles de maïs. Ces pailles 
ne renfermant pas de nœuds, exigent moins d'opérations 
que celles des céréales, mais ne conviennent guères 
que pour les papiers d'emballage. La paille de lentilles 
est la moins avantageuse ; celle de maïs produit un papier 
solide, ayant quelque ressemblance avec le parchemin ; 
il est riche en colle naturelle et demeure rude même 


DEUXIEME SECTION. 109 


après le satinage : 1l casse quand on le frotte long-temps, 
donne malgré cela un bon emballage et un excellent 
carton. ‘ 


Voici en forme de tableau les procédés de M. Piette pour la paille 
de seigle. 

Enlever les herbes qui se trouvent mélées à la paille. 

Couper la paille en morceaux de 2 à 3 lignes. 

Séparer les nœuds. 

Entasser dans une chaudiére. 

Remplir d’eau. 

Faire bouillir pendant trois heures. 

Sortir et réduire en eflilochés à la manière des chiffons. 

Remettre dans la chaudière et cuire pendant trois heures dans une 
lessive composée de 2 kilogr. de potasse et 5o kilogr. de chaux vive 
pour 100 kilogr. de paille. 

Au bout de trois heures, la lessive ayant perdu sa force, la sou- 
tirer et la remplacer par une ncuvelle, composée de 1 kilogr. de 
potasse et 30 kilogr. de chaux. 

Renouveler encore deux fois cette même opération. - 

Les nœuds se traitent à part et demandent encore plus de travail. 

Après la quatrième ébullition , la paille est tendre, les fibres se sé- 
parent et donnent au moyen du raffiuage une pâte convenable à la 
fabrication. 

Selon que cette substance est broyée par les cylindres, ou dans les 
pilons, le papier offre une différence notable. Travaillé par des pilons 
qui exigent une marche de huit à dix heures, le papier retient un 
aspect huileux ; il est transparent, d'un tissu uniforme, libre de 
nœuds et de matière mal broyée , sonnant et fort. Moulu au contraire 
dans des cylindres qui ne demandent que deux heures de travail, le 
papier n’a plus d'aspect huileux, mais est moins fort, casse plus tôt 
et présente un tissu inégal. Le papier blanc ne peut supporter la trans- 
parence ; mais le papier d'emballage doit en premier lieu être ferme. 

Si l’on ajoute des chiffons, et c'est ce ‘qu'il est en général avanta- 
geux de faire, il devient indifférent de travailler aux cylindres ou dans 
des pions. 

“Lorsque le combustible est coûteux , M. Piette indique les procédés 
à suivre pour s’en passer. 

Viennent ensuite les procédés de blanchiment. M. Piette, après, 


410 DEUXIÈME SECTION. 


avoir rappelé ceux qui sont connus, en indique de plus simples qui 
lui paraissent préférables et qu'il conseille d'employer. 

Pour la paille de seigle et de pois, le chlore gazeux ou le déga- 
gement du chlore par l'acide sulfurique. 

Pour la paille de blé, le chlore dégagé du chlorure de chaux au 
moyen de l'acide hydrochlorique. 

Les pailles d'orge et d'avoine se blanchissent comme celles de blé, 
quoïque moins facilement. 

Dans tous les cas, la teinte jaunâtre que retiennent ces pailles, 
disparaît par une addition d’azur. 

La paile de maïs est la plus facile à décolorer. 

Ainsi toutes les pailles peuvent servir à la fabrication des papiers 
ordinaires ; et, après avoir été blanchies , à celle des papiers fins. 


M. Pictte rattachant son mémoire à la sixième question 
du programme, ainsi conçue : La culture des plantes 
propres aux arts, considérée sous le point de vue des 
produits et sous celui d'économie, est-elle favorable 
à la culture des céréales ou lui nuit-elle ? conclut 
en disant que, lom de nuire à l’agriculture, l'emploi de 
la paille dans les papeteries ne ferait que lui rendre ser- 
vice, en augmentant la valeur d’un de ses produits les plus 
abondans ; et qu'en définitive la paille employée revien- 
drait à la terre sous forme de vieux papier. 

La deuxième section est d'avis que la paille ne sera 
jamais employée que pour combler l'insuffisance des chif- 
fons, c’est-à-dire en quantité insignifiante pour l’agricul- 
ture ; autrement toute industrie qui enleverait les pailles 
qui sont si nécessaires à l'entretien du bétail, ferait un 
tort réel à l’agriculture. 

Si la deuxième section ne devait s’occuper que d’a- 
griculture , elle aurait donc pu se croire incompétente ; 
mais son programme comprend en outre le commerce 
et l'mdustrie : c’est sous ce dernier rapport qu’elle re- 
mercie M. Piette de la communication de son mémoire. 


DEUXIÈME SECTION. 111 


Elle regrette seulement qu'il n'y ait pas joint des échan- 
tillons des divers papiers qu'il a confectionnés ; au moins 
aurait-1] dû lui dire si son mémoire est écrit sur du papier 
de paille. 

M. Devoluet donne ensuite lecture d'un mémoire de 
M. de Montureux, relatif à la question n° 15: Quels 
sont les résultats présumés que la richesse nationale ob- 
tiendra du développement de La Jfabrication du sucre de 
beiterave ? 

Ce mémoire, qui est une vive attaque contre le sucre 
indigène, paraît devoir donner lieu à de nombreuses 
critiques ; mais l'heure avancée force à lever la séance. 


SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. pe Paxcc. 


L'un des secrétaires donne lecture d’une proposition 
qui a été renvoyée à la section par le bureau de l'as- 
semblée générale : elle est ainsi conçue : 

« Le gouvernement impérial avait senti l'utilité des sta- 
» tistiques départementales, et avait indiqué un mode pour 
» les rédiger ; Cependant un petit nombre de départemens 
> ont répondu à cet appel. On demande que le Congrès 
> s'occupe à déterminer un mode général qui serait propre 
> à procurer à tous les départemens l'avantage d'avoir une 
» statistique complète, » 

M. de Caumont a la parole : il communique des ren- 
seignemens sur les enquêtes statistiques faites depuis quatre 
ans en Normandie par l'association normande ; il expli- 
que comment l'association, après avoir rédigé un grand 


142 DEUXIÈME SECTION. 


nombre de questions, s'est transportée successivement 
dans divers arrondissemens et a soumis ces questions aux 
agriculteurs qui avaient été préalablement convoqués et 
invités à répondre. Les résultats de cette enquête ont 
été d'autant plus satisfaisans, que les réponses discutées 
et contrôlées par tous les agriculteurs et industriels pré- 
sens, n’ont été consignées au procès-verbal qu'après avoir 
été ramenées à la plus grande exactitude possible et sou- 
mises à l'adoption ce l'assemblée. 

M. Chevereaux, d'Evreux, insiste sur les heureux effets 
de ces enquêtes, en ce qui concerne l’agriculture et 
l'industrie. Les matériaux recueillis à cette époque sont 
déjà considérables et formeront les élémens d’un grand 
ouvrage sur l'exactitude duquel on pourra compter. 

M. Lapointe dit : 


Cette année même une tentative de statistique agricole a été faite 
par le gouvernement. Des tableaux imprimés ont été envoyés dans 
toutes les mairies. Les questions uniformes pour toute la France, 
incomplètes, souvent mal posées, n'étaient accompagnées d’aucune 
explication. On y demandait par exemple quel est le revenu d’une 
vache, sans dire si c'était le produit brut ou le produit net. Aussi 
les réponses à cette question variaient dans l’arrondissement de Metz 
depuis 3 fr. 50 cent. jusqu'a 200 fr., même pour des communes 
où le chiffre devait étre identique. Il en était à peu près de cette 
facon pour les autres objets. Quelquefois la somme des cultures d'une 
commune présentait un chiffre supérieur à la contenance totale de 
son territoire, ou bien une culture importante n'y figurait pas du 
tout. Enfin les conclusions de la commission chargée de réviser ces 
tableaux furent qu'ils ne pouvaient servir que dans le cas où l’on 
préférerait l'erreur à l'ignorance. C’est cependant avec de semblables 
élémens que l’on a composé les documens statistiques publiés récem— 
ment par le ministre du commerce. 


Après quelques autres observations de divers membres, 
la section approuve le mode suivi par l'association nor- 
mande. 


DEUXIEME SECTION, 415 


On passe à la question n° 16 : « Quels sont les moyens 
» les plus efficaces pour détruire les insectes qui dé- 
» vorent les grains déposés sur les greniers ou dans 
> des magasins? » 

M. de Nicéville lit un mémoire dans lequel, en se 
fondant sur les observations de Duhamel et sur l'opinion 
généralement admise que l'aération fréquente est le meil- 
leur moyen pour empêcher et la fermentation des grains 
et la multiplication des insectes qui les dévorent, il pro- 
pose et décrit un procédé mécanique d'insufflation d’air frais 
dans les tas de blé, qui serait plus efficace et pourrait se 
renouveler plus souvent que le remuement à la pelle. 

M. Alfred Malherbe communique à la section une 
note envoyée par M. Linder, de Genève, qui indique le 
moyen suivant employé avec succès depuis douze ans, 
à Genève, pour détruire les charençons. Ce moyen très- 
simple consiste à placer sur les tas de grains des poignées 
de chanvre fraîchement arraché. Les insectes s’y portent 
en foule , et chaque matin on les enlève pour les détruire. 
M. Linder ajoute qu'à défaut de chanvre, on peut em- 
ployer la marjolaine ; le thym, les menthes et d'autres 
plantes aromatiques. 


M. Lapointe dit qu'un grand nombre de plantes fortement odo- 
rantes, telles que la fleur du sureau, la feuille du noyer, l’hiéble, 
ont été indiquées , non pas pour attirer les charançons, mais au 
contraire pour les faire fuir. 

Dernièrement il avait mis sur un tas de blé un panier de fleurs 
de sureau; le lendemain le panier était couvert de charancons. Il 
n'en faut pas conclure que le sureau avait attiré ces insectes : ils S'y 
étaient fixés, parce qu'ils se portent sur un corps quelconque qui 
se trouve placé au sommet d'un tas de blé, surtout si ce tas vient 
d'être rémué. C’est même un assez bon moyen de destruction que 
d'étendre sur le blé, après l'avoir remué, un gros drap mouillé; 
les charançcons qui cherchent toujours à fuir le bruit, le mouyement 


19 


A4 DEUXIÈME SECTION. 


et la lumière, s'assemblent en très-grand nombre contre ce drap; 
quelques-uns passent même à travers son tissu. 


Le même membre, après avoir rappelé le moyen ima- 
giné par M. de Dombasle (voir la 7° livraison des Annales 
de Roville), et qui consiste à mettre et laisser pendant 
quelques minutes le grain dans un tonneau qui vient 
d’être fortement méché, ajoute : 


Qu'il pourrait citer plus de vingt recettes qu'on trouve dans les 
vieux livres, et que tous les ans les journaux ou les almanachs 
remettent au jour comme des découvertes aussi neuves qu'infaillibles. 
Mais tous ces moyens qui sont plus ou moins efficaces , ne s'adressent 
qu'au charançon parvenu à l’état d'insecte parfait. Or, alors ses ra— 
vages sont accomplis , il ne mange plus. On ne connaît aucune ma- 
nière de débarrasser les blés des œufs ou des larves de charancon; 
ces dernières, se tiennent dans l’intérieur du grain, et n’y font d’ou- 
verture qu'après leur transformation. Cependaut on met obstacle à 
leur multiplication, en détruisant ou éloignant les insectes parfaits, 
aussitôt après leur naissance, surtout S'il est vrai que la femelle ne 
pond qu’un œuf par jour. On a peine à croire d’après cela qu'un 
seul couple peut produire six mille charançons pendant les cinq mois 
d'été. Dès que les matinées deviennent fraiches, les œufs cessent 
d'éclore, et les insectes se retirent dans les fentes et les trous. 


De tous les moyens connus, celui qui paraît préférable 
à plusieurs des membres présens , qui en ont l'expérience, 
c’est le suivant : 


On laisse dans son grenier un petit tas de blé, d'un hectolitre ou 
même moins, sans y toucher, tandis que l’on remue fréquemment 
les autres. Les charancons tourmentés se retirent dans le petit tas 
que l’on enlève chaque mois pour le donner aux volailles ou le faire 
moudre. 


L'existence des populations étant fondée sur le blé, 
on peut dire que l’humanité n’a pas, dans le règne ani- 
mal, de plus dangereux ennemi que le charençon qui, 
chaque été, dévore une si grande quantité de ce grain 
précieux. 


EE —————— — — 


DEUXIÈME SECTION. 145 


SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de Pance. 


M. Viville donne lecture d'un projet de banque dé- 
partementale. La section vote l'impression de son mé- 
moire. 

La discussion ayant été ouverte, M. Viville dit que 
son but a été de soustraire les cultivateurs et les petits 
industriels ou commerçans au fléau de l'usure, et de 
donner à l’ouvrier intelligent et probe les moyens de 
s'élever au rang qu’il mérite. La banque de France, dit- 
il, én exigeant trois signatures connues, ne rend service 
qu'à ceux qui en ont le moins besoin. D'un autre côté, 
les banques particulières ne pouvant émettre plus d'argent 
qu'elles n’en ont reçu, ne prêtent qu'à un taux plus 
élevé et à des personnes qui présentent des garanties 
positives. Suivant le plan de M. Viville, une banque dé- 
partementale qui aurait, par exemple , 100,000 fr. , pour- 
rait en outre*émettre pour une égale somme de billets. 
Ainsi prêtant à 5 p. °/,, elle retirerait 10. Les action- 
naires toucheraient un dividende de 5 p. °/; plus une 
partie des bénéfices dont le surplus servirait,à créer un 
fonds de réserve, sur lequel on ouvrirait des ;erédits aux 
cultivateurs, ouvriers et petits commercans. On comprend, 
ajoute M. Viville, quel avantage il y aurait pour les cultiva- 
teurs à pouvoir placer leurs économies, ou l'argent destiné 
au fermage , en attendant son échéance ; ou bien de n'être 
pas forcés de vendre leurs marchandises à l'instant, sou- 
ventinopportun, où ils ont besoin d'argent. 

“M. Viville rappelle Fheureuse influence que ces 
banques ont exercée, dans les pays où elles existent, 


116 DEUXIÈME SECTION. 


sur les progrès de l’agriculture et le développement de 
l'industrie, et même sur la moralité des populations. 
L'Ecosse est couverte de ces banques qui ouvrent des 
crédits aux cultivateurs, sans autre garantie que leur 
bonne foi; l'Amérique leur doit son essor étonnant, et 
si elles sont arrivées à un état de crise dans ce pays, 
c’est parce que, sans contrôle de la part du gouverne- 
ment, elles s'étaient élevées au nombre exagéré de 506 
pour une population de 13 millions. 

M. Lahalle objecte que sur dix cultivateurs qui em- 
pruntent, il y en a huit ou neuf qui se ruinent; c’est 
donc un mauvais service à leur rendre, que de leur 
faciliter les moyens d'emprunter. Ce n’est que par l'éco- 
nomie qu'ils se tirent d'affaire. Le commercant actif qui 
emprunte à cmq, en renouvellant fréquemment ses opé- 
rations, peut augmenter le produit de son capital; mais 
le cultivateur ne saurait faire qu'une moisson par an, et 
les capitaux qu'il emprunterait lui rapporteraient à peme 
de quoi servir les intérêts. 

M. Devoluet dit qu'en admettant que ce soit un mal 
d'emprunter, le mal existe ; et que l'usure l’aggrave d’une 
manière fàcheuse à laquelle le projet proposé serait le 
meilleur remède. 

On ne peut nier, ajoute M. Chevereaux, que l’agricul- 
ture est une industrie qui a besoin de capitaux comme 
les autres, et qui prospère d'autant mieux qu'il s'y trouve 
annexé un établissement mdustriel. Les banques dépar- 
tementales lui paraissent éminemment propres à encou- 
rager cette alliance de l’mdustrie et de l’agriculture. 

M. Maudheux pense que la loi doit régler les statuts 
des banques départementales, principalement en ce qui 
concerne le taux de l'intérêt ; autrement les actionnaires 
tendraient toujours à augmenter leurs bénéfices. Il craint 


DEUXIÈME SECTION. A17 


aussi que la responsabilité des personnes préposées à 
ladministration de la banque ne les empêche d'accueillir 
les demandes qui ne présenteraient d'autre garantie que 
la bonne foi. 

M. Charles Bouchotte est d'avis que les banques seraient 
très-utiles, si elles venaient réellement en aide aux culti- 
vateurs comme on le propose ; mais il est probable qu'elles 
seraient plus occupées de leurs bénéfices que de leur but 
philanthropique, 

Personne ne demande plus la parole : le secrétaire 
propose la rédaction suivante qui est mise aux voix et 
adoptée. 

« La section approuve en principe l'établissement des 
» banques départementales destinées à venir en aide aux 
» agriculteurs et au petit commerce. Sans entrer dans le 
» détail de tous les statuts du projet présenté par M. Vi- 
» ville, elle se prononce pour la disposition par laquelle 
» on prêterait, sans autre garantie que la moralité, le 
» fonds de réserve provenant des bénéfices seulement. » 


M. le président du Congrès a renvoyé à la deuxième 
section l'examen d'une proposition qui avait été déposée 
sur le bureau et qui est ainsi conçue : 


QUESTION SUR LE CODE RURAL. 
BIENS COMMUNAUX. 


À sa précédente session, le Congrès scientifique, en assemblée 
générale, a adopté la réponse suivante : 

Il est de l'intérêt général et de celui des communes, qu'elles 
restent propriétaires de leurs biens communaux. Les communes doi- 
vent avoir la faculté de vendre , en cas de nécessité absolue prononcée 
par le conseil général, d’après les avis des conseils municipaux et de 


118 DEUXIÈME SECTION. 


ceux d'arrondissement. Les moyens de tirer le parti le plus avanta- 
geux des terrains communaux doivent varier suivant la nature du 
sol et les besoins des communes. Le mode de jouissance et d’admi- 
nistration des biens communaux sera déterminé, pour chaque localité, 
par les conseils généraux qui décideront d’après l'avis des conseils 
municipaux et de ceux d'arrondissement. 


La commussion consultative de la Moselle (14 décem- 
bre 1855), a adopté des dispositions différentes ainsi 
concues : 


Les biens communaux sont la propriété de la commune. Il s’en- 
suit que leur produit doit être en premier lieu , affecté à ses be- 
Soins ; 

Que les biens non partagés doivent être loués au profit de la 
caisse municipale ; | 

Et que la commune doit conserver le droit d'imposer annuellement 
une redevance sur les biens partagés. 

Il existe une étonnante diversité dans les modes de jouissance et 
de transmission des biens communaux partagés. Il est nécessaire que 
la loi mette fin aux nombreuses difficultés qui en résultent , en pres- 
crivant une règle uniforme. 

< D'un autre côté, par suite de l'accroissement de la population le 
> nombre des lots n’est plus en rapport avec celui des familles. La 
commission est d'avis que c'est le cas de procéder en même temps 
> à un nouveau partape. 
> La suppression de la vaine-pâture rendrait disponibles beaucoup 
de terrains vagues laissés aux troupeaux communs. Ces terrains, 
comme il a été dit, devront en général être afflermés; mais il 
conviendrait, dans certains cas , comme par exemple celui d'in 
suffisance des lots, que sur la demande du conseil municipal, le 
conseil de préfecture püt ordonner que tout ou partie des biens 
actuellement non partagés fussent compris dans la formation des 
lots du nouveau partage. 

»> Les lots deyront être tirés au sort entre les habitans märiés ou 
» veufs avec famille, établis dans la commune et y tenant ménage 
pote 
> séparé. 
> Nul chef de famille ne devra jouir de plus d’un lot. 
> Le lot vacant par décès, départ ou démission du détenteur pas- 


v 


V VU VV V Y 


a 
mm 


DEUXIÈME SECTION. 149 


> sera au plus ancien marié entre les habitans non pourvus ayant 
> ménage. 

> S' n'y a point d'habitant apte à recueillir le lot vacant il 
» sera loué au profit de la commune par bail annuel. 

> Le détenteur qui quittera la commune pourra conserver la jouis- 
sance deson lot pendant un an. 

» Celui qui entrera en jouissance d’un lot devra rembourser au 
> prédécesseur ou à sa succession les frais de semence et de culture. 

> En cas de décès de l’un des époux , le survivant doit conserver 
> son lot. 

»> Les échanges de lots ne pourront porter atteinte à l’ordre de 
> transmission. 


On demande si le Congrès persiste dans sa résolution 
de l'année dernière, ou s'il est d'avis d'adhérer aux dis- 
positions proposées par la commission consultative de la 
Moselle. 

M. Lapointe demande la parole et fait ressortir la dif- 
férence qu'il y a entre la résolution du Congrès de 1856, 
et celle de la commission consultative de la Moselle, qui 
a été sanctionnée par les vœux des conseils d’arrondisse- 
ment et du conseil général. Il insiste principalement sur 
l'anomalie qui résulte de ce que des communes voisines 
et placées dans des circonstances parfaitement semblables, 
sont soumises à un mode de jouissance et de partage en- 
tièrement différent. Il en résulte du moins dans le dépar- 
teraent de. la Moselle, une sorte de chaos et d’anarchie 
auxquels , suivant lui , le mailleur moyen de mettre fin, est 
d'adopter la mesure générale proposée par la commission 
du- code rural. 

M. Maudkeux cite quelques communes des montagnes 
vosgiennes qui se trouvent dans des circonstances toutes 
parüculières et auxquelles 1l serait impossible d'appliquer 
lès dispositions. proposées. 

La section reconnait la justesse de ses observations, et 


120 DEUXIEME SECTION. 


en conséquence, tout en adoptant d’une manière générale 
les dispositions présentées par la commission consultative 
de la Moselle, elle est d'avis qu'il conviendrait de régler, 
par ordonnance spéciale, sur la demande des conseils 
municipaux, et de l'avis de trois conseils supérieurs, la 
position exceptionnelle de certames communes. 


SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de Paxce. 


M. de Caumont ayant communiqué au secrétaire le 
procès-verbal d'une séance de l'Association Normande 
dans laquelle a été discutée la question des banques dé- 
partementales , il est donné lecture de cette pièce. 

M. Watrin, vétérimaire, à la parole sur la douzième 
question : Quels sont les moyens à employer pour faire 
disparaitre la gale des bétes à laine. 

M. Watrm s'attache à faire connaître les causes de 
cette maladie, l'étendue de la perte qu'elle occasionne 
tous les ans dans le département de la Moselle, et les 
mesures qu'il conviendrait de prendre pour la prévenir 
et pour en débarrasser entièrement les troupeaux. Il cite 
plusieurs communes dans lesquelles ses avis ont été suivis 
avec un grand succès. 

Le secrétaire donne lecture de plusieurs documens en- 
voyés par M. Gigault d'Olincourt et relatifs aux comices 
agricoles. 

M. Gabriel Simon lit un mémoire par lequel il pro- 
pose de créer une école d’acclimatation forestière et frui- 
tière , où seraient enseignés les bons principes d'horticul- 


DEUXIÈME SECTION. 191 


ture , où l’on s’occuperait de la naturalisation d'un grand 
nombre d'arbres étrangers qu'il serait utile d'approprier 
à notre climat, et où l’on prendrait soin de conserver 
les bonnes espèces de fruits dont plusieurs se perdent à 
cause du grand nombre de nouvelles variétés que l’on ob- 
tient annuellement. 

M. Simon-Louis jeune ne croit pas qu'aucune bonne 
espèce de fruit se soit jamais perdue dans le pays. 

M. Lapointe soutient l'opmion contraire. Plusieurs es- 
pèces qui étaient vantées du temps de Duhamel n'existent 
plus; d'ailleurs, dit-1l, les variétés ou les espèces qui ne 
se propagent que par boutures, drageons ou grefes, 
ne peuvent être considérées que comme des membres 
détachés d’un même mdividu, et sont comme tous les 
êtres vivans soumis à des périodes de jeunesse, de vieil- 
leise et de mort. Il cite le peuplier d'Italie, dont le dé- 
périssement est bien apparent ; la poire de Saint-Germain, 
qui devient tellement pierreuse qu'il faudra bientôt l’aban- 
donner , les beurrés gris et dorés qui ne poussent presque 
plus en bois, etc. 

. M. Lapomte ajoute que cette opinion, qui était 

déjà anciennement admise, à fourni à M. Puvis le sujet 
d'un travail fort remarquable, inséré dans le Journal 
d'Agriculture de la société royale d’émulation de l'Ain. 
L'auteur conseille de remédier, par des croisemens et 
des semis , aux pertes que nous font éprouver la dégéné- 
ration et l'extinction des variétés de végétaux propagés 
par les greffes, boutures, tubercules, etc. 

M. Chevereaux fait observer que la Moselle a une pé- 
pmière départementale et qu'il serait facile d'y annexer 
l'école que demande M. Gabriel Simon. 

M. Laponte répond que le conseil général et celui de 
l'arrondissement de Metz, ont. demandé la suppression 

16 


129 DEUXIÈME SECTION. 


de la pépinière départementale, parce qu'il est bien 
certain que dans une localité où la concurrence d’un 
grand nombre de pépmiéristes a réduit le prix des arbres 
à son minimun, ceux que l'administration se charge elle- 
même de produire Jui reviennent plur cher que si elle 
les achetait chez les pépimiéristes. Les chiffres que l'on 
a présentés pour prouver le contraire, sont déduits d’une 
comptabilité tellement incomplète, qu’on n'y fait même 
pas figurer la valeur considérable du capital foncier. 

Mais l’enseignement de l'horticulture, la création de 
nouvelles variétés, la conservation des meilleures, l’ac- 
climatation, etc. , feraient naturellement partie d'un ins- 
titut agricole que chaque département devrait créer avec 
une ferme modèle. 

M. Lahalle rappelle qu'il a proposé de créer une 
chaire d'agriculture dans chaque collége. 11 est inconce- 
vable, dit-il, qu’on veuille tout enseigner dans les colléges, 
excepté l’agriculture. Les gens qui ont fait les meilleures 
études sont dans une complète ignorance d'un art sur 
lequel repose l'existence des hommes et leur bien-être : 
aussi chacun en parle-t-1l à tort et à travers. 

M. de Pange dit que dans l'état actuel, ce qui s’op- 
pose le plus aux progrès de l’agriculture, c’est qu'elle 
est abandonnée aux paysans, et que pour détermmer 
les autres classes à s'y livrer, il n’y aurait pas de meil- 
leur moyen que d'en faire l'objet de l’enseignement. 

M. Lahalle veut un institut agricole dans chaque dé- 
partement. 

M. Chollez objecte qu'on n'y verrait ni élèves m pro- 
fesseurs, et qu'il ne faut émettre qu'un vœu réalisable. 
En conséquence il propose de fonder un institut pour 
plusieurs départemens qui présenteraient des analogies 
de sol et de culture: c'est-à-dire qu'il voudrait dans 


DEUXIÈME SECTION. 193 


chaque zône naturelle un institut qui comprendrait un 
enseignement agricole supérieur, et dans chaque école 
des notions élémentaires. 

M. Simon rappelle les objections qui ont déjà été faites 
contre l'éloignement et l'accumulation d'un grand nombre 
d'élèves. 

M. Lapomte propose d'adopter en principe les propo- 
sions de M. Lahalle ; mais de n’en provoquer la réali- 
sation que successivement en commençant par les localités 
qui offriront le plus de facilités. 

Avec cette modification, la section adopte les proposi- 
üons de M. Lahalle, qui sont ainsi conçues : 


Que l’agriculture fasse partie de l'enseignement public, et qu’en 
conséquence les élémens de cette science soient enseignés dans les 
écoles primaires et dans tous les colléges d'arrondissement. 

Qu'il soit fondé près de chaque chef-lieu de département une ferme 
modèle avec un institut agricole et horticole où la théorie et la pra- 
tique de l’art soient démontrés dans toute leur étendue. 

Qu'il soit établi une société d'agriculture dans chaque cheflieu de 
département , une société secondaire aux chefs-lieux d'arrondissement 
et un comice agricole dans chaque canton. 

Enfin que l’agriculture soit honorée comme le plus utile des arts, 
et que des récompenses soient décernées aux personnes qui, par des 
travaux , des inventions ou des perfectionnemens, lui auront fait faire 


d'utiles progrès. 


M. Devoluet, l’un des secrétaires, demande la parole 
et expose que plusieurs membres lui ont fait remarquer 
que le procès-verbal de la quatrième séance contient une 
phrase qu'il n’a pas été dans leur intention d'adopter, et 
que c'est par erreur qu'elle se trouve consignée dans 
l'expression du vœu provoqué par M. Chatelain, au sujet 
de l’engrais Jauffret. Ce vœu est ainsi concu: « Le congrès 
» appelle l'attention du gouvernement sur la découverte 
> Jauffret, et émet le vœu que M. le ministre du com- 


194 DEUXIÈME SECTION. 


merce et de l’agriculture encourage la propagation de 
cette méthode d'engrais, en recommandant à la société 
royale et centrale d'agriculture de Paris, et aux so- 
ciétés d'agriculture de tous nos départemens, de faire 
des expériences sur cet engrais. » 

M. de Pange, président, rappelle que, lorsqu'il a mis 
aux voix le vœu ci-dessus, il a formellement annoncé 
que la section, ne connaissant pas l’engrais Jauffret, ne 
pouvait en approuver la propagation, et que l’objet du 
vœu était simplement de provoquer des expériences. 

M. Lapointe fait observer qu’il n’y a même pas lieu 
d'appeler l'attention de la société royale et centrale de 
Paris, puisque cette société, déja consultée par le mi- 
nistre, a répondu, au mois de juin dernier, après les 
expériences faites, que l'engrais dont 1l s'agit n'étant 
qu'un compost à peu près semblable à d’autres déjà 
connus ne présente rien de particulier qui mérite d'être 
signalé à l'intérêt des agriclteurs. Cependant M. Lapointe 
reconnaît que ce n'est pas sur cet objet-que peut porter la 


rectification demandée. 
La section consultée, décide qu'il ne peut être fait 


de changement à un procès-verbal précédemment adopté ; 
mais qu'il est constant, suivant les observations de M. 
de Pange, qu’elle n'a pas entendu exprimer d'autre vœu 
que celui de provoquer des expériences ; et décide en 
outre qu'il en sera fait mention dans le procès-verbal 
de la séance actuelle. 


M-:M VEN, -V 


Les Secrétaires de la section, Le Président dela section, 
LAPOINTE, Le marquis de PANGE. 
De VOLUET. Le Vice-Président, 
CHATELAIN. 


or re SU 


TROISIÈME SECTION. 195 


TROISIÈME SECTION. 


SCIENCES MÉDICALES *. 


SÉANCE DU MERCREDI 6 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Lazcemanr, professeur de la faculté de médecine 
de Montpellier. 


M. le président ouvre la séance à onze heures et quart, 
et remarque que M. Braconnot, venant d'être nommé 
président d'une autre section, et que, Îui-même, étant 


* On ne peut se dissimuler que les séances de la troisième section 
n’ont pas été ce qu'elles pouvaient, ce qu’elles devaient être, et 
nous croyons devoir en donner ici la raison. La société de médecine, 
invitée par l'académie à préparer les questions qui devaient être in— 
sérées au programme, n'ayant pas connaissance de la manière dont 
on avait procédé dans les Congrès précédens, arrêta des questions 
sur des points choisis parmi les plus difficiles et les plus obscurs 
de la science, et que ceux mêmes qui les avaient proposées n'é— 
taient pas préparés à traiter; on comptait que des médecins na— 
tionaux ou étrangers, prévenus par le programme, se présenteraient 
avec des travaux sur ces questions ; cela n’a pas eu lieu et il en est 
résulté que la section presqu’exclusivement composée des membres de 
la société de médecine, n'a pu, dans ses séances, suivre rigoureu— 
sement l’ordre tracé dans son programme , et qu'elle a dà les remplir 
de faits particuliers ou de discussions qui s’y rattachaient ; quoi qu’on 
en ait dit, elles sont loin d’avoir été sans intérêt. 

(Note du secrétaire de la section). 


126 TROISIÈME SECTION. 


dans le cas de s'absenter quelquefois, il serait, peut-être, 
à propos de procéder à l'élection d’un autre vice-prési- 
dent ; sur ces entrefaites, M. Braconnot se présente, il est 
invité à prendre place au bureau. 

M. le président donne lecture des questions du pro- 
gramme ; 1l donne à quelques-unes des développemens 
lumineux ; elles sont le sujet de quelques remarques de 
la part de plusieurs membres. 

Celle qui est relative au magnétisme animal donne lieu 
à divers récits peu concluans : on se propose de revenir 
sur ce sujet dans d'autres séances. 

M. le docteur Chaumas regrette que, dans les questions 
posées, on n’en ait pas fait entrer une sur les causes de 
la fréquence des fièvres intermittentes dans la ville de 
Metz ; il émet le vœu qu'on s’en occupe. 

Impatient d'entamer la discussion sur des sujets scien- 
üfiques déterminés, M. le docteur Scoutetten croit re- 
marquer qu’on se livre à des conversations, et demande 
qu’on arrête un ordre du jour. M. le président objecte 
que personne n'étant prêt à parler sur les questions du 
programme, il n'a pu procéder autrement dans cette 
première séance. 

A défaut de matières à l’ordre du jour, le secrétaire, 
après avoir pris l'avis du président, entretient la section 
de l'histoire des épidémies de grippe et de fièvres mu- 
queuses qui ont régné cette année, en remarquant au 
préalable, que ce travail imposé à une commission par 
la société de médecine du département, n'est qu'un rap- 
port à l’autorité, et n'offre n1 les développemens, mi la 
forme qui conviendraient à un mémoire destiné à une 
société scientifique. 

Après lecture faite, M. le docteur Scoutetten demande 
la parole pour attaquer ce rapport et en attaque, en effet, 


TROISIÈME SECTION. 197 


et le fond et la forme avec une vivacité à laquelle on ne 
s'attendait pont. Il blâme non-seulement les auteurs du 
rapport, mais encore il part de là pour critiquer les di- 
verses théories médicales professées aujourd'hui sur la gas- 
tro-enténite, et, par suite, les divers traitemens qui dé- 
coulent de ces théories ; il s'indigne de voir l'académie 
royale de médecine, flotter incertaine entre ces théories 
et laisser ainsi pénétrer le scepticisme en son sein. 

Les membres de la commission répliquent que, dans 
ce travail, ils n’ont dù être qu'historiens et qu'ils ont dû 
s'abstenir de dogmatiser. 

M. le président met un terme à cette discussion à la- 
quelle M. le docteur Scoutetten a donné des formes que 
ne comportent ni le but de la réunion ni la destination 
du rapport incriminé ; il met aux voix si la lecture en 
sera faite en séance générale ; la négative est prononcée à 
l'unanimité. 

M. le docteur Scoutetten lit une observation sur un 
anévrisme de l'origine de l'aorte qui, après avoir usé des 
côtes, moins les cartilages, s'est produit au dehors du 
thorax , sous la peau ; il met sous les yeux des mémbres 
présens, la pièce anatomique préparée. Cette lecture est 
entendue avec intérêt. 

La section regrette que la coïncidence du jubilé de 
Gottingue qui doit s'ouvrir le 17 de ce mois, et attire un 
grand concours de savans de tout genre, empêche les 
médecins d’outre-Rhin de venir prendre part à ses tra- 
vaux. 

Après avoir de nouveau, passé en revue les questions 
du programme, M. le président propose d'arrêter un 
ordre du jour pour la séance suivante; il est fixé ainsi 
qu'il suit : 

1° Lectures et communications de M. le docteur Scou- 


198 TROISIÈME SECTION. 


tetten , sur plusienrs maladies chirurgicales qui ont né- 
cessité des opérations graves. 

20. Quelques personnes étrangères à la section ayant 
témoigné le désir de parler sur la sixième question du 
programme , relative au magnétisme animal, seront 
priées de se rendre à la séance de demain. 

5° MM. Scoutetten et Gromier se proposent de parler 
sur la phrénologie. 

h° MM. Henot et Scoutetten, sur la neuvième question 
du programme qui a trait aux affections cancéreuses. 

M. de Boret, docteur en médecine, dépose sur le bu- 
reau une notice sur la médecine homæopathique. 

La séance est levée à une heure et demie. 


SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. LaLrEmanr. 


Le procès-verbal de la séance précédente est lu ; M. le 
docteur Scoutetten y trouve des interprétations et des ex- 
pressions inexactes en ce qui le concerne, et en demande 
la rectification ; sa réclamation est mise aux voix et n'est 
pas admise. 

M. le docteur Scoutetten obtient la parole et offre d’ex- 
poser et de développer ses idées sur les matières qui ont 
donné lieu à la discussion de la veille ; M. le président lui 
propose de prendre jour à cet effet. 

M. Scoutetten choisit la séance du lundi 11 du mois. 

On passe à l’ordre du jour. 

M. Scoutetten communique à la section plusieurs beaux 
cas de chirurgie tirés de sa pratique, et d’abord l'histoire 


TROISIÈME SECTION. 129 


détaillée d’ün corps fibreux de l'utérus, d’un volume con- 
sidérable , du poids d’un kilogramme , dont la moitié était 
passée dans le vagin ; les accidens qu'il occasionnait avaient 
mis la femme qui le portait dans un danger éminent, il l'en 
délivra en atürant hors du vagin la portion de la tumeur 
qui s'y trouvait, et dans ce canal, à l’aide du forceps, 
celle qui était restée dans la matrice ; cette moitié portait 
un pédicule sur lequel fut jetée une ligature qui étrargla 
la tumeur, et permit de faire, le surlendemain, la section 
du pédicule ammei. La femme s’est rétablie promptement. 

Un ancien militaire, garde-champèêtre, d’un âge moyen, 
avait vu se former assez rapidement, et sans cause ap- 
préciable autre qu'une chute faite , un an auparavant, sur 
le grand trochanter, à la partie supérieure de la cuisse 
gauche, s'étendant à tout le membre et jusqu'à l'abdomen, 
une tumeur dont le prompt accroissement l’incommoda 
bientôt au pont de ne pouvoir plus marcher; elle était 
diffuse, rénitente, douloureuse à la pression; la peau 
tendue, de couleur violacée et parsemée de vemes di- 
latées, sans chaleur, sans fluctuation évidente, sans pul- 
sations. M. Scoutetten la fit voir à quelques confrères ; 
plusieurs opinions furent émises sur son caractère; celle 
de M. Scoutetten fut que c'était une tumeur fongueuse 
sanguine, une sorte de fungus hœmatodes ; une ponction 
exploratrice, toutefois, fut pratiquée, l'issue de quelques 
gouttes d’un sang noir et la résistance crépitante éprouvée 
en plongeant le trocart, et surtout en passant un stylet 
dans sa canule, confirmèrent ce diagnostic. 

Le sujet, quoique affaibli par la douleur, était encore en 
bon état, bien disposé d’ailleurs ; une seule voie de salut 
parut admissible, l'amputation de la cuisse dans l’article, 
elle lui fut proposée, il l’accepta courageusement, on la 
fixa au lendemain. La tumeur occupant la région in- 


7 


. 


130 TROISIÈME SECTION. 


guinale , 1l devenait impossible d'y lier ni d'y comprimer 
l'artère, et cependant il importait de se rendre maître du 
sang avant tout; le seul moyen était la ligature préli- 
minaire de l'artère iliaque externe, que M. Scoutetten 
pratiqua avec quelques difficultés, vu sa profondeur et 
sa déviation, mais avec bonheur ; il passa ensuite à la 
désarticulation du membre par la méthode ovalaire qu'il 
a étendue à toutes les articulations qui en sont suscep- 
tibles * ; la présence de la tumeur mit l'opérateur dans 
la nécessité d'apporter quelques modifications à son pro- 


cédé ; le membre enlevé, il en résulta une plaie énorme ; 


l'artère obturatrice fut la seule qui nécessita une ligature. 
On ne tarda pas à s'apercevoir que la tumeur avait jeté 
deux prolongemens jusque dans l'abdomen, l'un par 
dessous le ligament de Fallope, l’autre par le trou sous- 
pubien. On fit ce que l’on put pour extraire ces appen- 
dices de la tumeur ; ensuite sept points de suture rap- 
prochèrent les lèvres de la plaie qui fut recouverte d’un 
appareil convenable. 

L'examen anatomique de la tumeur fit voir la peau 
rouge et amincie recouvrant un tissu cellulaire condensé ; 
la tumeur molle, encéphaloïde , grisâtre , rougeûtre , 
enveloppant les muscles dénaturés de la partie mterne de 
la cuisse et embrassant la demi-circonférence mterne du 
fémur dénudé et carié. 

Après l'opération, le malade fut pris d’un délire qui 
dura une partie de la nuit ; le lendemain, quelques symp- 
tômes de péritonite furent arrêtés, enfin, après avoir 
donné l'espoir d’un succès, le malade succomba le dix- 


* La méthode ovalaire, ou nouvelle méthode, pour amputer dans 
les articulations, par H. Scoutetten, in-4° ayec 11 planches. Paris, 


chez Me Delaunay, lib. 1827. 


TROISIÈME SECTION, 4151 


neuvième jour après l'opération ; la plaie de l'amputation 
étant complètement cicatrisée * 

M. de Beausire , ancien officier d'artillerie, demande 
à parler sur la sixième question du programme relative 
au magnétisme animal, Il cite des expériences dans les- 
quelles il a été ou témoim ou acteur; 1l donne quelques 
explications confirmatives, selon lui, de la doctrine du 
somnambulisme, et propose d'inviter deux personnes de 
sa connaissance qui s'occupent beaucoup de ce sujet, à 
se rendre un jour à la section. 

M. le docteur Lacauchie a la parole sur le même 
sujet, et, sans rejeter tout ce qui a été avancé sur le 
magnétisme, déclare être convaincu qu'il entre de la 
fraude et du compérage dans toutes les scènes magné- 
tiques et de l'illusion dans ce que des témoins bénévoles 
ont vu ou cru voir; il cite un fait remarquable qui in- 
firme l'existence du somnambulisme et se livre à des con- 
sidérations entendues avec intérêt. 

M. le président dit quelques mots sur le sujet en dis- 
cussion , remercie M. de Bausire et le prie de donner suite 
à sa + aie il ouvre l'avis de nommer une commis- 
sion pour suivre les expériences qui seront faites. 

M. le docteur Hénot raconte des expériences de som- 
nambulisme qui ont été faites en sa présence, à Lille, 
par un jeune médecin , le docteur Berna , qui a choisi le 
sujet pour sa thèse, a été admis, depuis, à en entretenir 
l'académie de médecine de Paris, et à faire pardevant 
une commission prise dans son sein, des expériences dont 
le résultat n’a paru rien moins que coucluant en faveur 

_ du somnambulisme. 
Le fait communiqué par M. Hénot semblerait constater, 


* Nous n'avons pas cru devoir donner ici les détails de la nécropsie. 
(Note du secrétaire de la section.) 


452 TROISIÈME SECTION. 


chez un jeune soldat, comme chez la somnambule de 
M. Berna à Paris, la suspension totale de la sensibilité 
des organes des sens et le retour de cette sensibilité à 
la volonté du magnétiseur. 

La section a reçu les deux premièrs numéros de la 
Revue Austrasienne. 

L'ordre du jour de demain sera 1° une exposition 
succincte de la doctrine phrénoiogique par M. le docteur 
Scoutetten. 2° Une communication de M. le docteur 
Hénot sur une tumeur cancéreuse. 

La séance est levée à une heure et un quart. 


SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. LazLemanr. 


Le procès-verbal est lu et adopté. 

M. de Romécourt, conseiller à la cour royale, matt 
que l'on doit perle sur la phrénologie, demande à 
répliquer à l’orateur ; sa proposition est acceptée. 

L'ordre du jour donne la parole à M. le docteur 
Scoutetten sur la septième question du programme. 

Ce médecm qui, il y a trois ans, à fait, à l’Hôtel- 
de-Ville, un cours de phrénologie qui a été fort suivi, | 
débute par un aperçu historique sur Gall et sa doctrine ; | 
selon lui l'accueil qu'on leur fit d’abord, en France, 
ne fut pas de nature à flatter et satisfaire le savant phy- 
siologiste étranger. 

M. Scoutetten indique le but de la phrénologie, rap- 
pelle les idées des philosophes tant anciens que mo- 
dernes sur les deux principes qui constituent l’homme | 


TROISIÈME SECTION. 133 


et les systèmes des diverses écoles philosophiques ; il 
entre ensuite dans le fond du sujet ; il le divise en quatre 
points fondamentaux qu'il développe autant que le com- 
porte la circonstanee et que le temps le lui permet. 

IL: passe ensuite aux modifications qu'apporte Spurtz- 
heïm à la doctrine de son maître , et rapporte plusieurs 
faits à l'appui de la localisation des facultés ; il fait sentir 
les heureuses applications qu'on a déjà faites de la phré- 
nologie, et celles que l'on peut faire encore à l’éduca- 
tion et à la conduite des hommes, à la direction à donner 
à leurs facultés, à la prévention et à la répression des 
crimes et délits, enfin, au bien-être de l’homme qu'elle 
doit, pour ainsi dire , accompagner depuis sa naissance 
jusqu’au tombeau. 

Cette improvisation chaleureuse est entendue:avec beau- 
coup d'intérêt. 

M. le président met aux voix la question si la section 
proposera au Congrès d'entendre M. Scoutetten sur cette 
matière en séance générale ; la question est résolue par 
l'affirmative. 

Relativement à l'accueil que Gall reçut en France, 
M. Lallemant remarque que les hommes de science , 
indépendas , les philosophes, les médecins l’accueillirent 
avec faveur , à quoi l'orateur ajoute qu’à son apparition, 
Gall fut considéré sous deux rapports, comme anatomiste 
habile, surtout dans l'anatomie du cerveau et du système 
nerveux , en général ; comme phrénologiste et promoteur 
d'une doctrine redoutée de certaines gens. 

M. Grommier, élève distingué de notre école de mé- 
decine et chhurgie militaires , reprend ce sujet en annon- 
ant qu'il va considérer la phrénologie sous des rapports 
plus matériels, en quelque sorte, et comme constituant 
la physiologie du cerveau ; il rappelle que les principes 


415% ÿ TROISIÈME SECTION. 


de cette doctrine ont été fondés par des philosophes de 
l'antiquité, et se livre aux considérations générales que 
comporte le sujet. Avec les phrénologistes les plus mo- 
dernes, il reconnaît, dans le cerveau, des organes con- 
génères et des organes antagonistes, et passe en revue les 
trois grandes divisions sous lesquelles les phrénologistes 
ont rangé toutes les facultés. Ce jeune médecin est entendu 
avec intérêt. 

M. de Romécourt, inscrit pour répliquer, a la parole. 
Il annonce que son intention m'est pas de combattre à 
outrance la doctrine phrénologique , encore moins d’ac- 
cuser Gall d’athéisme et de matérialisme , ainsi que l'ont 
fait quelques personnes, mais, seulement, de présenter 
quelques réflexions dubitatives, capables d’atténuer et de 
restreindre les conséquences que l’on tire de cette doc- 
trine ; il lui reproche d’avoir oublié les considérations 
physiologiques relatives à l'influeuce des autres organes 
sur la pensée et la direction des actions; de l'estomac, 
des intestins, du foie, de la rate, etc., d'accorder trop 
à la matière ; il se demande comment un organe composé 
d'eau, d’albumine, de matière grasse, d’osmazome, de 
soufre, de phosphore, etc., pourrait fournir à des pen- 
chans si divers, à des dispositions si variées, à tant de si 
nobles facultés. À ce sujet, un membre rappelle qu’en 1854, 
un médecim, le docteur Couerbe, présentant à l’acadé- 
mie des sciences de Paris, une nouvelle analyse du cer- 
veau, avança que, de la juste proportion du dernier de 
ces principes , le phosphore, dépendait le libre exercice 
des facultés intellectuelles ; qu’en excès, il produirait la 
folie, en défaut l’idiotisme. 

L'heure avancée ne permettant pas de contmuer la 
discussion , M. le président propose de la remettre à de- 
main. Adopté. 


TROISIÈME SECTION. 4155 


- M. le docteur Hénot demande à être entendu dans la pro- 
chaine séance sur un fait qui a rapport à la neuvième ques- 
tion du programme. L'ordre du jour de cette séance sera : 

1° La communication de M. le docteur Hénot, qui 
obtient la priorité pour la convenance de son malade, 
qu'il présentera à la section. 

2° La continuation de la discussion sur la phrénologie. 

M. le docteur du Haldat, de Nancy, remarque qu'il se- 
rait peut-être plus profitable d'entendre des lectures que 
des improvisations. 

M. le président annonce que M. Maréchal se démet 
des fonctions de secrétaire-adjoint, et propose de le rem- 
placer par M. le docteur Gaillot qui a rempli celles de 
secrétaire-provisoire dans les séances préparatoires. La 
proposition est adoptée ; M. Gillot accepte. 

M. Scoutetten présente à la section un de ses malades, 
homme de 40 ans qui , à la suite d’une apoplexie, a perdu 
la mémoire de plusieurs mots, notamment des noms subs- 
tantif les plus vulgaires , tels que chapeau, par exemple. 

La séance est levée à une heure. 


SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE. 


J 


Présidence de M. LaLzemanr. 


Le procès-verbal est lu et adopté. 

La section a recu de M. Vanderback, chirurgien-major 
en retraite , à Tnonville , une notice sur une source d’eau 
minérale existante aux environs de cette place; M. Ter- 
quem, pharmacien, est prié d'en rendre compte à la 
section. 


156 TROISIÈME SECTION. 


M. le docteur Gaillot fait la proposition de lire, à l’une 
des séances suivantes, comme se rattachant aux premières 
questions du programme, une noce sur le choléra qui 
a régné dans notre département en 1852. 

Après quelques oblervations faites par plusieurs mem- 
bres, la proposition est accueillie. 

M. le docteur Hénot lit une observation ayant trait à 
la neuvième question du programme : Un homme de la 
campagne , âgé de 50 ans, porte, dans la région mastoï- 
dienne, au-dessous de l'oreille droite qu'elle intéresse, 
une tumeur cancéreuse ; cet homme, sain, d’ailleurs, 
d'un caractère ferme et résolu, demande à être débar- 
rassé de sa tumeur. Dans l'opération, le pavillon de l'o- 
reille intact, est détaché et conservé , la tumeur cernée, 
disséquée et enlevée à une grande profondeur , plusieurs 
artères importantes sont liées ; l'hémorrhagie arrêtée , le 
fond de la plaie est touché avec des cautères imcandes- 
cens, afin de consumer ce qui aurait pu échapper à l’ins- 
trument ; après ce, le pavillon de l'oreille, conservé, est 
rapproché et fixé par plusieurs ponts de suture, et l'o- 
péré pansé convenablement. Cette grave opération ne fut 
suivie d'aucun accident, la plaie est sur le point d’être 
guérie, elle ne laisse pas de difformité ; toutefois, l’as- 
pect de ce qui en reste, donne quelques inquiétudes sur 
une récidive ; cet homme courageux est présent au récit 
de ce qui le concerne. 

M. le docteur Chaumas est appelé à rendre compte 
des deux premiers numéros de la Revue Anstrasienne ; 1l 
annonce qu'il ne s'y trouve de médical qu'un article de 
M. le docteur Begin, relatif aux influences sidérales sur 
les corps orgamsés, article écrit avec esprit. 

M. le docteur Scoutetten dit un mot sur la brochure 
présentée à la section par M. Boret, et ayant pour titre: 


TROISIÈME SECTION. 137 


Notice sur la médecine homæopathique ; c’est, dit le rap- 
porteur, une critique fine et spirituelle de cette singu- 
hère doctrine. 

M. Grommier reprend, pour la terminer, sa lecture 
de la veille sur la phrénologie. On reconnaît à cette com- 
position , l'élève d’un des premiers phrénologistes de l’é- 
poque ; elle jette de vives lumières sur la septième ques- 
tion du programme, et est entendue avec plaisir ; la sec- 
tion décide que la lecture de ce mémoire, en séance 
générale, sera proposée au Congrès. 

M. le docteur Scoutetten prend la parole et regrette 
de ne pas voir à la séance quelqu’antagoniste de la doc- 
trine ; il allait entrer en matière, quand M. le docteur 
Chaumas demande à faire connaître une objection qu'il 
adressa, autrefois , à Gall, lui-même, sur l'épaisseur va- 
riable des os du crâne en leurs différens points et sur 
le développement non moms variable des sinus, condi- 
tions qui doivent rendre difficile, smon impossible, l'ap- 
préciation des protubérances, et, par conséquent, celle 
des facultés qu'elles sont censées représenter , objection 
à laquelle Gall ne répondit pas, dit M. Chaumas. 

M. Scoutetten réplique que le système des protubé- 
rances ou bosses, auquel le vulgaire donne une attention 
qu'il ne mérite pas et attache une importance qu'il n’a 
pas réellement, n’est qu'un accessoire, et que cette ob- 
jection ‘ne porte aucune attemte à la doctrme de la 
localisation des facultés. M. Grommier, d'autre part, 
explique comment on peut faire abstraction des smus 
frontaux par un mode de mensuration qu'a indiqué M. 
Dumonter. 

Une autre objection est élevée par quelques membres ; 
elle repose sur l'intervalle qu'à l'ouverture du crâne, 
dans les nécropsies, on trouve quelquefois entre cette 

18 


158 TROISIÈME SECTION. 


boîte osseuse et le cerveau, c’est-à-dire entre les deux 
feuillets de sa membrane séreuse, espace que l’on admet 
généralement comme rempli par un liquide dont la quan- 
tité varie avec l'étendue de l’espace. M. le D' Lacauchie 
fait remarquer que ce liquide n’a jamais été observé qu'a- 
près des recherches nécroscopiques, attendu qu'il est, 
le plus souvent, le produit de la mort, c’est-à-dire un 
effet cadavérique, et même un produit rapide. 

M. le président, prenant part à la discussion, objecte 
qu'après la mort, le mouvement d'absorption persiste 
plus long-temps que celui d’exhalation, ce qui serait 
contraire à l'opinion du préopinant. 

M. Lacauchie réplique que ce qui se passe alors dans 
la cavité arachnoïdienne n’est pas un effet vital, mais 
bien tout physique et il l'explique ainsi: le cerveau di- 
minue de volume au moment de la mort, en perdant 
une grande partie du sang qu'il contenait, il revient 
sur lui-même; mais la boîte osseuse qui le contient ne 
pouvant suivre son retrait, l'espace arachnoïdien doit 
s'agrandir; c’est cet agrandissement ainsi produit qui 
détermine l'accumulation du liquide que l’on trouve 
dans les nécropsies; d'abord parce que la vapeur qui 
occupait cet espace pendant la vie ne suffit plus , par sa 
tension, pour faire équilibre aux pressions concentriques ; 
ensuite parce qu’à la mort la température des organes 
baissant , la plus grande partie de cette vapeur se con- 
dense, de manière qu'il y aurait, dans ce cas, un vé- 
ritable phénomène d'aspiration qui appelle le liquide 
dans la cavité arachnoïdienne, agrandie par les deux 
causes qui viennent d'être mdiquées. 

Après cette discussion incidente , on propose de revenir 
à la question principale , mais l'heure avancée ne permet 
pas de continuer. 


TROISIÈME SECTION. 139 


M: Braconnot vice-président , étant retourné à Nancy, 
M. le président propose de procéder à son remplace- 
ment; on va au scrutin; M. le docteur Lahalle est 
nommé au second tour. 

M. le président annonce que M. le docteur Franck, 
agrégé à la faculté de Montpellier, fera, dans une des 
prochaines séances, une communication sur une des plus 
belles conquêtes de la chirurgie moderne , la lithotricie à 
et Sur la possibilité de la pratiquer par l'hypogastre. 

L'ordre du jour de demain est fixé ainsi qu'il suit: 

1° Lecture de M. le docteur Gillot sur l'épidémie 
cholérique de 1852. 

2° Continuation de la discussion sur la phrénologie. 

M: Grommier devant s'absenter pour une mission, 


demande à être entendu demain en séance générale. 
La séance est levée à une heure. 


SÉANCE DU DIMANCHE 40 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. LaALLEMANT. 


Le procès-verbal est lu ; il subit plusieurs rectifications 
avant d'être adopté. . 

Un jeune médecin , M. Defer, présente à la section 
un tourniquet modifié par lui et destiné à la compres- 
sion des troncs artériels ; il en fait la démonstration et 
en indique l'emploi ; il peut servir aussi pour la saignée. 
La section le trouve remarquable par sa simplicité, la 
facilité et la promptitude de son application. 

M: Gillot Lit son mémoire sur l'épidémie de choléra 
qui a sévi dans le département en 4832. Cette lecture 


440 TROISIÈME SECTION. 


entendue avec intérêt occupe une grande partie de la 
séance et n’est pas terminée; M. Gaillot la suspend vu 


l'heure avancée. M. le docteur Maréchal demande à. 


faire des observations sur ce travail dans une séance 
prochaine. 

La section a recu les brochures suivantes : 

4° De la nécessité d'établir un service médical dans 
les campagnes, par M. le docteur Haxo. 

2° Considérations médico-philosophiques sur quelques 
maladies affectant spécialement les classes pauvres ; par 
le même médecin. 

5° Eloge de feu Gaillardot, docteur en médecme à 
Lunéville et géologue distingué. 

L'ordre du jour de demain est une communication 
de M. le docteur Scoutetten sur l'épidémie de fièvres 
muqueuses qui a régné cette année. 

La séance est levée à une heure et quart. 


SÉANCE DU LUNDI 41 SEPTEMBRE: 
Présidence de M. LaLLEmanT. 


Le procès-verbal est lu et adopté. 

Le bureau du Congrès renvoie à la section un mé- 
moire manuscrit de M. Chavannes, de Mirecourt (Vosges), 
ayant pour titre: Essai sur l'opportunité d’une loi sur la 
propagation de la vaccine. M. le docteur Terquem est 
nommé rapporteur. 

M. le docteur Résimont demande à présenter et pré- 
sente à la section un homme de la campagne, opéré 
par lui, d'un cancer de la commissure gauche des lèvres ; 


! 


TROISIÈME SECTION. . Ai 


l'opération n'a laissé qu'une cicatrice nette et peu dif 
forme, quoique la perte de substance ait été assez con- 
sidérable. Le même médecin présente un bocal renfer- 
mant dans de l'alcool, une tumeur lipomateuse qui 
occupait la partie postérieure de l'épaule droite et le 
creux de l’aisselle qu’elle remplissait, et qu'il a enlevée 
heureusement chez une femme de 56 ans. 

L'ordre du jour donne la parole à M. Scoutetten pour 
sa communication sur la gastro-entérite folliculeuse , et 
incidemment , sur les doctrines médicales actuelles con- 
cernant les fièvres. 

M. Scoutetten, après avoir jeté un coup d'œil sur 
l'origine et les destinées de la doctrine physiologique, 
en disciple reconnaissant, regrette son abandon et la 
marche rétrograde que quelques médecins de l’époque 
semblent vouloir imprimer à la science ; les uns, d’après 
une théorie erronée, n’ont pas craint d’administrer des 
purgatifs dans la maladie dont il s'agit, d’autres des 
désinfectans, d'autres des toniques. Il rejette les déno- 
minations diverses et crompeuses sous lesquelles quelques 
nosologistes modernes désignent les phlegmasies intesti- 
nales. Un des premiers, sous les yeux du maïtre ou en- 
couragé par lui , il s’est livré à de nombreuses recherches 
et expériences sur les divers états de la membrane mu- 
queuse dans ces affections; un des premiers il a dis- 
tingué les caractères anatomiques de la congestion, de 
l'imbibition, de l’inflammation. Il admet dans cette mem- 
brane trois élémens organiques essentiels, les villosités , 


les follicules, les expansions nerveuses; ces élémens 1r- 


rités , enflammés isolément ou simultanément et en des 
proportions diverses, constituent selon lui, la gastro- 
entérite villeuse , la gastro-entérite folliculeuse , la gastro- 
entérite typhoïde. 


142 TROISIÈME SECTION. 


En plaçant des animaux dans des conditions hygié- 
niques particulières , il a produit, à volonté, ces diverses 
maladies. M. Scoutetten est d'avis que les bases de la 
doctrine physiologique étaient assez solidement posées , 
soit par son fondateur , soit par ses principaux disciples , 
pour qu’on continuât à élever l'édifice sur le même plan 
et pour que le traitement de ces maladies n’offrit plus les 
vacillations , les incertitudes, dans lesquelles on voit errer 
les médecins qui ont abandonné ou méconnu la doctrine. 
Loin de là, on a travaillé dans des directions opposées , 
on s’est égaré; et s'il arrivait que les novateurs fissent 
de nombreux prosélytes ; si les voies ouvertes par lil- 
lustre professeur du Val-de-Grâce pouvaient être désertées , 
il en résulterait un chaos déplorable. 

I rappelle comment il convient de procéder à l'étude 
des maladies. La méthode numérique qu'appellent à 
leur aide les médecins qui voudraient fonder des théories 
nouvelles et les justifier par de nouveaux modes de 
traitement ne le satisfait point et ne lui paraît pas avoir 
la spécieuse certitude , ni mériter la confiance, qu'au 
premier apercu, on serait porté à lui accorder. 

M. le docteur Maillot, médecin militaire, arrivant d’A- 
frique, et encore sous l'impression des désastres qu'il y 
a vus causés par l'influence de certaines localités et des 
circonstances insolites dans lesquelles s'y trouvent les 
malades, réplique que toutes les fièvres ne sont pas 
dues à l'inflammation pure de la muqueuse gastro-imtes- 
timale ; que cette proposition qu'a émise , il y a quinze 
ou vingt ans, un médecin jeune encore, sortant de l’école 
physiologique , et qu'un travail intellectuel immodéré a 
enlevé prématurément sous nos yeux, à la science qu'il 
était appelé à agrandir, est pour lui une vérité de 
&°t; 21 dit que l'inflammation pure et simple de la mu- 


TROISIÈME SECTION. 143 


queuse gastro-mtestinale ne tue pas; que le danger est 
dans la réaction de l'inflammation sur les grands centres 
nerveux, réaction qui donne à la maladie le caractère 
ataxique ou la forme intermittente, rémittente plus ou 
moins prononcée et même subcontinue, qui fait quelque- 
fois vaciller le médecin dans sa conduite. 

Que, dans les cas de cette nature, cas trop souvent 
entourés de difficultés, la médication antiphlogistique ne 
suffit plus; qu'omise ou employée préalablement, on a 
senti, en tout temps, la nécessité de recourir à des mo- 
dificateurs du système nerveux de la vie organique, à 
l'écorce du Pérou ou au sulfate de quinine qui la rem- 
place aujourd'hui si avantageusement, aux éthers, etc. 3 
que le fait n’est pas nouveau , puisqu’un celèbre médecin 
itahen , Torti, à fixé, il y a plus d’un siècle, les bases 
de cette médication, et, plus récemment, un illustre pro- 
fesseur de la faculté de Montpellier. 

M. Maillot reproduit ici, un reproche fait aux élèves 
de l’école physiologique, celui de ne tenir aucun compte 
de ce qui a été dit ou fait avant eux; de négliger trop 
l'étude des anciens, surtout des épidémiologistes, attendu 
que, sous le rapport de la gravité, il y a de notables 
différences entre les gastro-entérites sporadiques et les 
épidémiques. Enfin, il rappelle que le chef de l'école, 
lui-même, a senti la nécessité de ces modificateurs dans 
le cas dont il s'agit. 

Arrivé en Afrique, à Bone notamment, où régnait une 
épidémie de gastro-entérite-typhoïde , nourri des principes 
de la doctrine physiologique, M. le docteur Maillot dit 
avoir vu de graves conséquences résulter de son applica- 
tion exclusive ; il s'en est écarté en tremblant , pressé par 
la nécessité et sa conscience, et il a été moins malheu- 
reux ; enhardi par ses premiers succès, il a marché 


444 TROISIÈME SECTION. 


d'un pas plus assuré dans cette nouvelle voie, et il en a 
obtenu de plus concluans qu'il'a consignés dans un ou- 
vrage qui a fait sensation *, 

M. Scoutetten réplique à plusieurs des assertions de 
M. Maillot ; 1l justifie la doctrine physiologique du re- 
proche d’être exclusive; reverse sur quelques-uns des 
médecins qui, aujourd'hui, sont à la tête de l’enseigne- 
ment , le reproche bien plus grave d'abandonner la bonne 
voie, de rétrograder, de faire de l'empirisme, de l’élec- 
tisme, et cela, non toujours par conviction, mais par 
spéculation. 

M. Mallot répond, en disant que ce qu'il a observé 
en Afrique à été vu par plusieurs autres médecins qui, 
en présence des mêmes circonstances, ont été obligés 
d'agir comme lui; que cette médication excitante, toni- 
que, antipériodique, dirigée contre les fièvres intermit- 
tentes, remittentes et pitates , Da point paru exas- 
pérer l'inflammation gastro-intestinale. 

M. Scoutetten remarque que beaucoup de ces préten- 
dues fièvres ne sont que des congestions sanguines sur 
quelqu'un des grands viscères, centres de vitalité ; il est, 
en cela, d'accord avec M. Maillot. 

M. le président fait observer que la question est loin 
d'être épuisée et propose de continuer la discussion dans 
une autre séance. 

L'ordre du jour de celle de demain, sera : 

4° La communication de M. Franck sur la hithotricie 
et la possibilité de pratiquer le broiement par l'hypo- 
gastre, 


* Traité des fièvres ou irritations cérébro-spinales intermittentes, 
d'après des observations recueillies en France, en Corse et en Afrique, 
par F. C. Maillot, etc, Paris, 1856. 


TROISIÈME SECTION. 145 


2° La contimuation de la discussion sur la gastro-en- 
térite. 
La séance est levée à deux heures et demie. 


SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Lazremanr. 


Le procès-verbal est lu et adopté après plusieurs rec- 
üfications et modifications demandées et consenties. 

M. le docteur Franck lit un mémoire imprimé sur 
la possibilité de broyer et d'extraire des calculs par la 
ponction de la vessie faite à l'hypogastre. Cette idée lui 
vint dans un cas d'oblitération de l’urètre à la suite de 
la contusion et de la déchirure de ce canal par une chute 
sur le périné : les accidens de la rétention étant devenus 
pressans , 1] fallut recourir à la ponction, elle fut pra- 
tiquée à l'hypogastre. Ici le hasard, qui, si souvent, 
met sur la voie des découvertes, vint suggérer à M. Franck 
l'idée de porter, par cette voie, des instrumens lithotri- 
teurs dans la vessie, et voici comment : en substituant 
une sonde d'argent droite à une de gomme élastique, il 
s’aperçut que la vessie de son malade recélait des calculs ; 
un petit fragment s’engagea même dans les yeux de la 
sonde et fut retiré avec elle, il avait huït lignes dans son 
plus grand diamètre ; de là , M. Franck a conclu à la pos- 
sibilité qu'il a constatée par des essais sur le cadavre, de 
dilater graduellement le trajet fistuleux à l'aide de l’é- 
ponge préparée et de l'agrandir assez pour livrer pas- 
sage aux instrumens lthotriteurs, et, après eux, à de 
grosses canules par lesquelles sortiraient les fragmens du 
_ calcul. 


19 


446 TROISIÈME SECTION. 


MM. Hénot, Chaumas, Lacauchie, font plusieurs ob- 
jections à ce projet d'opération; M. Franck y répond 
par des faits d'anatomie pathologique, ajoutant que sa 
proposition ne s'applique qu'à certains cas déterminés , 
comme l'oblitération de l’urètre, son excessive étroitesse, 
sa sensibilité portée au point de ne pouvoir supporter le 
contact des instrumens , ainsi que cela se voit quelquefois. 

M. Lahalle, vice-président, rapporte, à ce sujet, un 
fait qui a quelqu'analogie avec la première partie de 
celui de M. Franck, la déchirure du canal par une chute 
sur le périné. 

M. de Gargan, qui n’est point médecin, mais s'oc- 
cupe de magnétisme animal, est présent à la séance; il 
est une des personnes que M. de Beausire a proposé d’y 
amener. 4 

M. le président le remercie et le prie de communi- 
quer à la section quelques-unes de ses observations et 
les résultats de ses expériences, relatifs à la sixième ques- 
tion du programme. M. de Beausire répond pour lui 
qu'un certam degré de souffrance étant nécessaire pour 
disposer un sujet à recevoir l'influence magnétique et, 
surtout, pour décider le somnambulisme, il est difficile, 
sinon impossible, d'improviser des expériences sur un 
sujet sain. Sur ce, M. le docteur Chaumas propose de 
chercher dans les hôpitaux un sujet du sexe féminm 
pour le soumettre à des expériences. 

M. le président propose de nommer une commission 
prise parmi les membres de la société de médecme , qui 
suivrait les expériences de M. de Gargan , afin d'arriver 
à quelque chose de vrai, de positif, et de faire, en 
séance générale du Congrès, appel aux personnes qui 
s'occupent de magnétisme, en les priant de se jomdre à 
la commission ; elle se compose à l'instant de MM. Chau- 


TROISIÈME SECTION. 


mas, Lacauchie, Hénot, Scoutetten, Maréchal ; les ex- 
périences seront faites par MM. de Gargan, de Bausire, 
de Saulcy, Demulier, etc. Un grand nombre de mem- 
bres de la section demandent la faculté d'y assister, et 
se font inscrire à cet effet. 

Ont été présentés à la section, les ouvrages SULVanNS : 

Note sur le choléra, par M. Lepage. 

Mémoire sur le danger des inhumations précipitées. 

Brochure de M. Franck, sur la Lithotricie hypogas- 
trique. 

L'ordre du jour de demain sera : 

1° Une communication de M. Hénot, sur un fat de 
chirurgie ; 

90 La continuation de la discussion sur la gastro-en- 
térite folliculeuse. 

M. le président communique à la section une propo- 
sition faite par M. le président du Congrès, de donner 
un plan d'hygiène publique et privée, en harmonie avec 
les connaissances actuelles. 

La séance est levée à deux heures et demie. 


SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. LamaLe vice-président. 


Le procès-verbal de la séance précédente est lu et 
adopté après une rectification. É 

M. le secrétaire Willaume étant souffrant, M. Gillot, 
secrétaire-adjoint le remplace. 

La section recoit plusieurs brochures qui lui sont 
envoyées par le bureau du Congrès. à 


148 TROISIÈME SECTION. 


4° Lettres sur le choléra par M. Aloysius de Mey. 

2° Réflexions relatives à l’organisation du corps mé- 
dical , présentées au Congrès scientifique de France séant 
à Blois. 

5° Découverte et procès de la médecine synthétique ; 
mémoires justificatifs en appel à la cour royale de Mont- 
pellier, par les sieurs Giaume, Queirel, Labourey, chi- 
muistes à Marsoille. 

h° Découverte de M. Labourey, avec cette épigraphe : 
« frappe, mais écoute. » 

5. Note sur le choléra, par le même. 

6° Adresse à MM. les honorables députés. 

7° Règlement indispensable pour l'instruction de l'af- 
faire Labourey, et mémoire en appel, par le même. 

8° Rapport succinct aux chambres de la cour royale 
de Montpellier, par le même. 

9° Le cercle scientifique de Marseille au Congrès scien- 
üfique de France, par le même. 

Tout ce qui est relatif à M. Labourey est remis à M. le 
docteur Warmé pour en faire un rapport. 

M. Maréchal est chargé de celui de la brochure de 
M. Aloysius de Mey. 

On passe à l'ordre du jour. 

La parole est à M. Hénot ; il communique à la section 
l'histoire d’un militaire qui, après avoir recu un coup 
de carabine qui avait emporté une grande partie de la 
lèvre inférieure, du menton, et de l'os maxillare, un 
an auparavant, offrait une difformité considérable avec 
perte de la faculté de parler, d’avaler, et écoulement 
continuel de salive ; ce dernier accident avait réduit le 
blessé à un état trèsfàcheux ; M. Hénot conçut l’espoir 
de l'en tirer, par une opération qui consistait dans la 
résection des fragmens saillans de l'os maxillaire infé- 


TROISIÈME SECTION. 149 


rieur, dans la dissection des lambeaux cicatrisés de la 
lèvre et du menton, et dans la réparation de ces parües. 
L'opération fut excutée comme elle avait été conçue et 
eut tout le succès qu'on pouvait en attendre. Le sujet 
est soumis à l'examen des membres de la section. 

M. le docteur Terquem, rapporteur du mémoire de 
M. Chavanne, sur la nécessité d’une loi relative à la pra- 
tique de la vaccine, s'associe aux vues philantropiques 
de ce médecin et propose de solliciter cette loi des cham- 
bres et du ministre, par l'intermédiaire du congrès. La 
conclusion du rapporteur est mise aux voix et adoptée, 
nonobstant une observation de M. le docteur Chaumas. 

M. Terquem, pharmacien, chargé d’un rapport sur le 
mémoire de M. Vanderbach, relatif à une source d’eau 
minérale existant aux environs de Thionville, annonce que 
l'examen du gisement de cette source et l'analyse de l’eau 
qu’elle fournit demandent trop de temps pour qu'il puisse 
en entretenir la section pendant l'existence du congrès ; 
il fera, plus tard, son rapport à la société de médecme. 

L'ordre du jour amène la reprise de la discussion sur 
les fièvres dites muqueuses ou folliculeuses et typhoïdes, 
et sur l’étiologie que M. Scoutetten en a donnée dans 
la séance précédente. 

M. Lacauchie combat les conséquences que M. Scou- 
tetten a tirées de ses expériences sur les animaux, tout 
en convenant avec lui de la nécessité d'étudier ces causes 
et leur haison avec les symptômes et les altérations or- 
ganiques subséquentes ; il refuse de regarder les lésions 
anatomiques produites par M. Scoutetten et signalées par 
lui, comme causes suffisantes de ces maladies et comme 
fourmissant, seules, les indications de leur traitement ; 
dans les cas, surtout, où elles ont le caractère épidé- 
mique, comme cela a eu lieu cette année dans notre 


' 


4150 TROISIÈME SECTION. 


x 


ville, 1l admet, comme donnant à ces maladies, une 
forme particulière, un agent modificateur du système 
nerveux, puissant, subtil, dont il ne connaît ni la nature 
ni l'essence, mais dont il est tenté de comparer les effets 
à ceux de l'agent producteur de la variole, et qui, comme 
ce dernier, a aussi sa période d’incubation ; que c’est 
sur l'appareil nerveux ganglionnaire surtout, qu'il porte 
son action, et qu'elle y produit des effets variables selon 
la disposition du sujet et les circonstances dans lesquelles 
il a été ou est encore placé. 

M. Scoutetten réplique qu'il s’en faut que tous les mé- 
decms procèdent dans l'étude et l'appréciation des états 
morbides , comme il a dit qu'il convenait de le faire, et 
cite en preuve Hahnemann et ses partisans. Il cherche à 
démontrer que tous les symptômes des fièvres muqueuses 
s'expliquent très-bien par l'affection de la muqueuse, ses 
divers degrés d'intensité, sa marche rétrograde ou pro- 
gressive, la conduite du malade par rapport aux règles 
de l'hygiène, de la diététique ; celle du médecin, par 
rapport au traitement, sans qu'il soit besoin, pour expli- 
quer les phénomènes qu'offrent ces maladies, de faire 
intervenir un agent inconnu; et, contre l'opinion expri- 
mée par M. le docteur Maillot, dans une des dernières 
séances, qu'elles peuvent se terminer par la mort, sans 
que les centres nerveux soient gravement compromus. Il 
ajoute que dès que la nature intime d’une cause morbi- 
fique est inconnue, il n’y a pas lieu à s'occuper d’elle 
dans le traitement, mais seulement de ses effets, à moins 
qu'il ne s'agisse d’un agent spécifique reconnu. 

M. le président croyant s'apercevoir que la discussion 
s'écarte de l’objet principal et prend de l'extension , la 
résume en disant que M. le docteur Lacauchie admet 
que dans un grand nombre d'affections muqueuses, 


TROISIÈME SECTION. 154 


simples ou typhoïdes , surtout si elles sont épidémiques , 
:l faut admettre comme cause prédisposante et même 
déterminante , une influence miasmatique, une sorte 
d’empoisonnement dont l'effet se fait sentir particulière- 
ment sur le système nerveux ganglionnaire ; tandis que 
M. le docteur Scoutetten n’admettant cette influence 
miasmatique que comme cause secondaire ; possible , 
mais non nécessaire , rapporte tous les phénomènes mor- 
bides à l’action d’agens hygiéniques parfaitement connus, 
appréciables , sur la membrane muqueuse exclusivement. 

L'heure avancée ne permet pas de continuer la dis- 
eussion; la matière offrant un grand intérêt scientifique 
et pratique, elle est remise à l'ordre du jour de demain 
et sera précédée de la lecture des rapports sur les ou- 
vrages adressés à la section. 

La séance est levée à une heure et quart. 


SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. Lame, vice-président. 


Le procès-verbal est lu et adopté après quelques rec- 
tifications. 

M. le docteur Maréchal rend compte des lettres de 
M. le docteur Mey sur le choléra, publiées en 1852 ; 
ces lettres n'ont plus le mérite de la nouveauté ; on 
n'y trouve que des conseils hygiéniques et préservatifs 
fort sages , mais d’ailleurs , rien de nouveau ni qui puisse 
jeter quelque jour sur l’étiologie de cette cruelle maladie. 
* La parole est à M. le docteur Warmé pour rendre 
compte de nombreuses brochures adressées à la section 


152 TROISIÈME SECTION. 


par MM. Labourey et Duclos de Marseille, 11 déclare 
que les sujets traités dans ces brochures et surtout la 
manière dont ils y sont traités, n'ayant rien de scien- 
üfique , et sentant le charlatanisme, des médecins graves 
et judicieux, n’ont pas à s'en occuper; il s’agit d’un 
remède secret et de plusieurs procès qu'il a suscités à 
leur auteur ; le tout ne mérite pas d'occuper plus long- 
temps la section. 

M. Scoutetten reprend la discussion sur les fièvres mu- 
queuses typhoïdes. Après quelques considérations phy- 
siologiques et pathologiques basées sur l'anatomie patho- 
logique , il établit que la muqueuse gastro-intestinale , 
selon la nature des agens qui la sur-excitent, présente 
des altérations différentes; que par exemple, si des al- 
cooliques sont ingérés, soit chez l'homme, soit chez les 
animaux, leur action se porte particulièrement sur les 
villosités qui s'érigent, s’injectent , se conjestionnent ou 
s'enflamment selon l'intensité, la durée d'action de l'ex- 
citant et la disposition du sujet; si des substances vo- 
mitives ou purgatives , ou autres agissant à leur manière, 
c’est sur les follicules que se portera leur action ; irrités 
leur secrétion augmente, le sang y afflue et peut en 
être exhalé. 

C'est par la prédominance de l'excitation dans lun 
ou l’autre de ces élémens anatomiques que l’on peut 
expliquer comment la sur-excitation de l’un fait cesser, 
ou diminuer l'excitation de l’autre ; c’est une véritable 
révulsion ; si elle s'exerce sur les follicules, leur se- 
crétion augmentée entraine, en quelque sorte, l'inflam- 
mation, et la résolution s'opère plus ou moms com- 
plète ; c’est ainsi qu'on peut se rendre compte de quel- 
ques guérisons, parfois assez promptes des affections 
dont il s’agit, par l'emploi des purgatifs ou des vomitifs ; 


‘ TROISIÈME SECTION. 153 


mais aussi, s'il arrive que leur action ne soit pas en 
rapport avec l’état des organes; s'ils ne diminuent pas 
le mal, ils l'augmentent; les employer sans être assuré 
de leur effet, c'est, comme l'a proctamé le fondateur 
de la doctrine physiologique , jouer à quitte ou double. 

Ici, se présente un incident : la plus grande partie 
des membres présens à la séance précédente avaient 
compris que M. Scoutetten n'admettait point l'influence 
des causes spécifiques, comme concourant ou pouvant 
concourir à la production des fièvres typhoïdes ; un 
membre lui en faisant la remarque, ce médecin prétend 
aujourd'hui qu'on l'a mal compris hier, et déclare que 
telle n'est pas sa pensée. Cet incident qui provient de 
l'absence de M. Scoutetten', lors de la lecture du procès- 
verbal , entraîne une nouvelle rectification de ce dernier ; 
non sans avoir donné lieu à une vive discussion. 

Reprenant ensuite ce qu'a dit, dans une des séances 
précédentes , M. le docteur Maillot, des fièvres inter- 
mittentes et rémittentes d'Afrique, M. Scoutetten se livre 
à quelques considérations physiologico-pathologiques sur 
ce qui se passe au sein des principaux viscères. dans 
ces fièvres. D'accord avec les principaux pathologistes 
modernes, il établit que le phénomène capital, essen- 
tel, est une congestion sanguine passagère qui se fait 
dans un des principaux viscères d'une des grandes cavités, 
la tête, la poitrine, l'abdomen ; cette congestion est-elle 
forte, prolongée ? il en résultera une fièvre intermittente 
permicieuse ; est-elle, au contraire, faible, superficielle, 
de peu de durée ? elle donnera lieu à une de ces fièvres 
intermittentes que lon voit dans nos contrées. 

M. le docteur Scoutetten annonce que, le premier, 
ila appelé l'attention du monde médical sur les phéno- 
mènes de ces congestions , sur les différences qu'il y avait 

20 


4154 TROISIÈME SECTION. 


entre elles et les modifications organiques que l'injection 
inflammatoire apportait dans l'organe enflammé , comparé 
à l'organe ou au tissu congestionné, simplement, diffé 
rences souvent difficiles à saisir, et qu'il est cependant si 
important pour les déterminations pratiques, de savoir 
apprecicr. 

Il dit que dans des expériences sur les animaux vivans 
il a, à volonté, déterminé des congestions au cerveau, 
par la strangulation ; dans les organes thoraciques, par 
lemème moyen ; dans les viscères abdominaux par la liga- 
ture de la veine mésentérique ; on conçoit que, dans ces 
expériences , les congestions n'ont pas été suivies de fiè— 
vres intermittentes. Quoi qu'il en soit, d’après cette théo- 
rie, on aurait la fièvre intermittente algide quand la con- 
gestion se serait faite sur plusieurs des principaux viscères ; 
si sur le cerveau, la fièvre intermittente permicieuse apo- 
plectique ; si sur l'appareil digestif, une gastro-entérite 
intermittente, etc. Le caractère particulier de ce cet état 
morbide est de n'être que temporaire, de disparaître et 
de se reproduire à des époques assez rapprochées, régu- 
lières ou irrégulières. 

Le même expérimentateur signale encore un autre état 
pathologique qui n'est ni la congestion ni l’inflammation, 
et qu'il dit avoir reconnu le prennier ; 1l Va appelé imbi- 
bition sanguine ; il le produit aussi à volonté sur le ca- 
davre, mais pour cela, il faut le concours de certaines 
conditions de celui-ci et de l'atmosphère ; ainsi une mort 
lente, l’état orageux du ciel sont des conditions favora- 
bles à la production de ce phénomène. 

M. Scoutetten présente une peinture qui reproduit, 
aussi fidèlement que possible, sur trois portions d’intes- 
ün, limbibition, la congestion, l’inflammation. Il an- 
nonce l'intention de continuer ses recherches sur ce sujet, 


D 


TROISIÈME SECTION. 455 


- sous le rapport de la théorie des fièvres intermittentes 
sur laquelle, dit-il, ses idées ne sont pas encore bien 
arrêtées. 

M. Lacauchie prend la parole et dit qu'il ne prétend 
pas contester les travaux de M. Scoutetten sur ce sujet, 
mais il-lui conteste la priorité qu'il revendique.en faveur 
de MM. Trousseau, Rigaut, Louis, Bouilland, ayant 
suivi lui-même les expérimentations des deux prenners à 
l'école d'Altfort. Il s'établit une discussion entre MM. La- 
cauchie et Scoutetten sur cette prétention à la priorité ; 
M. le docteur Maillot y prend part et cherche à établir 
que c’est aux médecins de l’armée d'Afrique qu'est due 
l'idée d'appeler directement l'attention des médecins sur 
l'action particulière qu'exercent les diverses causes assi- 
gnées aux fièvres intermittentes sur les centres nerveux 
et, surtout, sur le système ganglionnaire, ainsi que sur 
tout ce qui se rattache à la théorie des congestions et 
irritations viscérales dans ces fièvres. Cet énoncé de 
M. Maillot paraît aussi contestable à plusieurs membres. 

M. le président prie ces Messieurs de se résumer, ce 
que fait M. Lacauchie, en disant qu'il défie quelqu'ex- 
périmentateur que ce soit de produire, par l’action seule 
d’agens irritans, tels que le chlore, les gaz ammonia- 
que, acide sulfureux , inspirés , une brouchite absolument 
semblable , par exemple à la grippe qui vient de régner ; 
qu'il faut pour cela, le concours d’une influence atmos- 
phérique, ou autre spiciale, mais dont le mode d'action 
sur l'organisme reste inconnu; qu'il en est de même de 
Vaffection muqueuse typhoïde qui a succédé à la grippe. 

M. Scoutetten se résume aussi, et dit qu’il admet l’in- 
fluence particulière, mconnue, dont on vient de parler, 
laquelle s'ajoute à l’action des causes locales et indivi- 
duelles et peut les modifier; mais, son opimion est que, 


456 TROISIÈME SECTION. 


dans le traitement, on ne doit pas tenir compte de cette 
inconnue qui échappe à nos recherches ; qu’on n’a que 
des symptômes à combattre et qu'il faut se borner à le 
faire. Il termine en qualifiant la maladie qui vient de 
régner à Metz, de fièvre typhoïde. Les médecins présens 
à la séance adoptent cette proposition , en admettant que 
la plupart des maladies ont eu le caractère muqueux , et 
que beaucoup d’entre elles ont revêtu la forme typhoïde. 
La séance est levée à une heure et quart. 


SÉANCE DU VENDREDI 45 SEPTEMBRE. 


Le président et le vice-président étant absens, M. Cuaumas occupe 
le fauteuil. 


Le procès-verbal de la veille est, lu et adopté, après 
quatre rectifications. 

En l'absence de matières à l’ordre du jour, M. le pré- 
sident revenant sur la discussion de la veille, et notam- 
ment sur les diverses médications de la fièvre muqueuse 
typhoïde, qui a régné dans le département, dit qu'il croit 
avoir remarqué que, dans beaucoup de cas, la médecine 
sagement expectante était préférable à une médecine 
active. 

M. Maréchal fait aussi quelques observations sur le 
même sujet, et annonce que, sur treize femmes atteintes 
de fièvre typhoïde à divers degrés de gravité, qu'il a 
soignées à l'hôpital civil, depuis le 1° juillet jusqu'à ce 
jour (45 septembre), et chez lesquelles il s’est borné au 
traitement expectant, dans toute sa pureté, aucune n’a 
succombé ; que toutes, aujourd’hui, sont guéries ou 


TROISIÈME SECTION. 457 


convalescentes ; il ajoute cette remarque, que la durée 
moyenne du délire chez ces femmes, a été de neuf jours. 

“M. le docteur Lacauchie à la parole. Il s'étonne, ainsi 
que plusieurs autres membres de la section, qu'après la 
marche qu'a prise la discussion sur la fièvre muqueuse 
typhoïde, et le point où elle est parvenue, de ne pas 
voir M. le docteur Scoutetten à la-séance; la question 
que ce médecin a souleyée étant loin d'être résolue, et 
la partie la plus importante, essentielle, et, l’on peut 
dire, la seule véritablement utile de la discussion, celle 
relative au traitement, n'ayant pas été abordée. 

M. Lacauchie exprime vivement ses regrets à cet égard, 
et se propose de reprendre ces intéressans débats dans 
le sem de la société des sciences médicales du départe- 
ment, R 

M. Defer lit l'extrait d'un mémoire sur les accouche- 
mens, dont il a donné un exemplaire à la section. 

Cette séance devant être la dernière, le procès-verbal 
est lu et adopté. 


Les Secrétaires de la section, Le Président de la section, 
VILLAUME. LALLEMENT, 
Féux MARÉCHAL. Le Vice-Président, 


GILLOT,,. suppléant. BRACONNOT. 


158 QUATRIÈME SECTION. 


QUATRIÈME SECTION. 


HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE. 


SÉANCE DU MARDI 5 SEPTEMBRE. 


Présidence de M, ne LA SAussAyE. 


La séance s'ouvre à neuf heures. 

La première question , mise à l'ordre du jour est la 
suivante : 

Quel fut l’état de l’art métallurgique dans les Gaules, 
avant l'invasion des Romains , durant la puissance de 
ceux-ci, et sous la première race de nos rois ? 

Faute de documens sur cette question, on passe à la 
seconde ainsi conçue: 

Quelle était la véritable destination des instru- 
mens de bronze , désignés vulgairement sous les noms 
de heches ou coins , que l’on attribue aux Celtes, et 
que l’on trouve en grand nombre dans toutes les 
parties de la France, et dans les pays étrangers? 

Les coms étant un des premiers produits de l’art, 
puisqu'ils répondent aux premiers besoms, plusieurs 
membres s’attachent à en déterminer la composition, la 
forme et l'usage. Ces coins , faits en bronze, se trou- 
vaient emmanchés, dit M. de Saulcy, avec des bois 


QUATRIÈME SECTION. 459 


recourbés en bec à corbin. M. Solerrol observe qu'ils 
devaient être identiques, au métal près , à ceux dont nous 
nous servons encore pour fendre le bois, et qu'ils por- 
taient une douille recevant une tête en bois ou gougeon, 
sur laquelle portait le coup. Il suppose que ces coins 
étaient tenus de loin avec un manche en forme de 
fourche. 

Ce dernier fait est confirmé par M. de Saulcy, qui ajoute 
avoir vu un anneau à l’une des parties latérales des coins 
en question. Un membre ajoute qu'ils devaient s'emman- 
cher comme les herminettes des charpentiers. 

M. de Saulcy demande comment il se fait qu'on en 
ait trouvé des dépôts, et s'étonne qu'ils aient été dési- 
gnés comme instrumens de campement, M. de la Saus- 
saye croit, au contraire , que ces amas indiquent des 
heux de fabrication. 

Dans l’état où se trouve la question , on juge à propos 
d'admettre comme simples renseignemens les données 
précitées et de renvoyer la solution définitive, si elle 
est possible, à une autre séance ; séance pour laquelle 
M. Simon est prié d'apporter les instrumens keltiques ou. 
gallo-romains qu'il possède. 

La discussion s'engage sur la troisième question, for- 
mulée dans les termes suivans: 

Quelles roches les anciens ont-ils employées dans les 
provinces de l’est et du nord , pour construire et dé- 
corer leurs monumens ? 

M. Victor Simon prend la parole et désigne le marbre 
chipolin, le porphyre vert, le vert antique et le calcaire 
oolithique. Il observe que deux colonnes trouvées à 
Metloch, sont en vert antique, que les pierres des arches 
de Jouy ont dû être extraites de la carrière d’Ancy, 
appelée encore carrière des Romains ; et que la grande 


160 QUATRIEME SECTION 


quantité de colonnes trouvées soit à Trèves, soit à Metz, 
colonnes de toutes les formes et de plusieurs granits dif- 
férens, tirés des Vosges , indiquent pour ces deux villes 
une époque de splendeur fort remarquable. 

On met en discussion les quatrième , cinquième et 
sixième questions ; mais plusieurs membres observent que 
les auteurs de travaux particuliers sur ces objets , n'étant 
pas présens , il conviendrait de les remettre au lende- 
main. 

M. le président pose la septième question ainsi concue : 

A quelles marques peut-on distinguer un tombeau 
franck d’un tombeau gaulois, quand ils sont dépour- 
vus d'inscriptions et de bas-reliefs ? 

M. de Saulcy prend la parole en ces termes: 


Messœurs, 


La plupart des tombeaux découverts et décrits jusqu'a présent aux 
environs de Metz, comme gallo-romains , sont des tombeaux franks : 
En effet, les gaulois ou gallo-romains dans un état d’esclavage, ne 
pouvaient porter l'épée , marque distinctüive qui appartenait de droit à 
un peuple libre comme les franks ; les tombeaux trouvés à des époques 
récentes à Kirschnaumen, près de Sierck, à Rogéville, prés de Pont- 
à-Mousson , à Conflans, à Bellevezet, près d'Usez, renfermaient tous des 
épées caraxées, c'est-à-dire à rigole pour recevoir du poison, épées 
semblables à celle indiquée par Grégoire, de Tours, en parlant de l’as- 
sassinat de Childebert. Les ceinturons, les poignées d’épées, les 
agraphes étaient damasquinées avec soin , et l'existence à Trèves d'un 
atelier de fabrication d'armes franques damasquinées, fait présumer 
que toutes émanaient de la même source. Un des squelettes trouvés 
récemment à Rogéville, portait à son cou un Gratien usé. Un tiers de 
sol d’or de Justin 1° fut trouvé dans l’un des tombeaux de Kirsch- 
raumen, et, à Bellevezet , on découvrit 295 deniers de Louis-le-Débon— 
naire, suite métallique qui prouve que les mêmes 1ombeaux et le 
méme genre de sépulture ont été fort long-temps en usage dans les 


Gaules. 


QUATRIÈME SECTION. 161 


Tous les tombeaux d'ailleurs, indiqués jusqu’à présent comme 
gallo-romains, sont en pierres sèches ; ils reposent tantôt sur la terre 
nue, tantôt sur un lit de briques, et renferment presque toujours 
des verroteries. Dans le tombeau d'une femme, découvert à Rogéville, 
se trouvait un collier d'ambre, monument de luxe et de coquetterie 
dont les dames romaines faisaiént, comme on sait, grand usage ; 
mais dont se servaient aussi les Franks, héritiers par droit de con- 
quête des objets de luxe du peuple déchu. 

Cette similitude entre la confection d'un grand nombre de sépul- 
tures ; ces objets d’art, ces médailles et ce sarmes qu'ils contenaient, 
ces dates positives qu'ils fournissent par la nature des monnaies qu’on 
y trouva, ces rapports entre le produit et le lieu de la fabrication, 
indiquent, ce me semble, les sépultures d’un même peuple, peuple 
vainqueur, paré des dépouilles du vaincu, peuple qui ne peut être 
que de race francke. 


M. V. Simon, cite les tombeaux de Montois, près 
de Metz, dans lesquels avaient été déposés une Faustine 
en argent et un petit bronze de Claude-le-Gothique ; 
mais ces monnaies, loin de paraître infirmer le dire de 
M. de Saulcy, et rattacher à l'époque romaine les tom- 
beaux de Montois, semblent, au contraire, confirmer 
ses hypothèses , puisque les monnaies anciennes étaient 
considérées comme sacrées pour les Gaulois et les Franks ; 
puisque d'ailleurs on en a tronvé dans le tombeau de 
Chilpéric lui-même, et qu'on en rencontre dans presque 
toutes les sépultures postérieures. 

M. V. Simon demande comment il se fait que des 
objets d'un style barbare, et d'autres d'une fabrication 
soignée, existent souvent dans les mêmes tombeaux. 
M. Guerrier de Dumast répond que les uns appartien- 
nent à l'industrie nationale, encore dans l'enfance , tandis 
que les choses de fabrication soignée proviennent du 
pillage. 

M. de Villeneuve-Trans s'informe de la direction dans 
laquelle les tombeaux franks étaient placés. M. de Saulcy 


21 


162 QUATRIÈME SECTION. 


les a presque tous vus tournés vers l'Orient; M. Denis 
en a remarqué au sud, et M. de Sauley en a vu d’autres 
croisés à angle droit. 

M. Chevereaux demande quelle pourrait être la date 
précise des cercueils de plomb. On indique les mémoires 
de la société des antiquaires de Normandie , comme ayant 
élaboré cette question d’une mamière satisfaisante, M. Che- 
vereaux ajoute avoir trouvé un de ces cercucils en plomb 
avec un vase de tantale, sorte de syphon, un verre à 
boire à longs traits, plusieurs flacons en verre, quelques 
poteries et des médailles de Constantin. À ce propos, 
on aborde la question relative à la présence des vases 
dans les tombeaux. M. V. Simon croit que ce pourrait 
être en souvenir de l'honneur d’une urne, et il cite les 
inhumations du village de Jœuf comme établissant la 
preuve que le mode d'incmération et celui d’inhuma- 
tion se sont maintenus très-long-temps ensemble. M. Guer- 
rier de Dumast, sans prétendre infirmer le dire de 
M. Y. Simon, observe, à l’occasion d'expressions employées 
dans la discussion , qu'il n’est pas exact d'appeler la com- 
bustion l’ancien mode , le mode primitif de la sépul- 
ture romaine. C’est, au contraire , l'inhumation qui était 
en usage dans les premiers bu de Rome ; et, quand 
elle tomba en désuétude, on conserva l'usage de ré- 
server un oS, pus l'enterrer avec des cérémonies 
étrusques, tandis qu'on brülait le reste du corps. Il y a 
plus , l'illustre famille Cornélia avait continué de pratiquer 
pour ses membres le rite antique de Finhumation. 


QUATRIÈME SECTION. 163 


SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE. 


Présidenee de MM. le marquis de Vizceneuve-Trans et de La Saussave, 


M. de La Saussaye étant absent, on prie M. Bohl de 
prendre la présidence. Sur son refus, M. de Villeneuve- 
Trans veut bien s’asscoir au fauteuil, qu'il cède bientôt 
à M. de La Saussaye. 

Communication d'une lettre de M. Lucy, receveur- 
général du département, dans laquelle il émet l'idée 
que les coms en cuivre ont dù servir d’armure de pi- 
quets destinés à dresser les tentes: « Leur forme, dit- 
» il, semblerait l'indiquer, car, supposez-les fichés en 
» terre, dans le dégré d'inclinaison voulu, et le plat 
» opposé à l'effet de la corde, vous aurez la meilieure 
» condition possible pour l'usage précité. Ajoutez à cela, 
» continue M. Lucy, que les coins en bronze ne pré- 
» sentent jamais des marques de service , inévitable 
» conséquence de leur usage comme coins. » Ces ob- 
servations judicieuses paraissent frapper l'assemblée. 

M. le général de Résimont communique à la section 
trois médailles frappées récemment en Russie, une en 
platime , une en argent et une en bronze grand modèle. 
Chacun admire leur parfaite exécution. 

M. V. Simon, dont le cabmet d'antiquité s'enrichit 
chaque jour d'objets trouvés dans le département, prie 
les membres de la section de lui indiquer le moment 
où ils voudraient le visiter ; le rendez-vous est fixé à 
samedi à onze heures. 

La parole est à M. Denis, de Commercy, pour une 


464 QUATRIÈME SECTION. 


notice sur Vasium ville des Leucques qu’il suppose avoir 
été détruite sous Flavius Julien. 

Parmi limmense quantité de débris intéressans que 
M. Denis a extraits des cendres de cette localité, se 
trouve une anse de préféricule en bronze de Cornthe, 
du travail le plus exquis. Elle est mise sous les yeux 
de l'assemblée, et quoique sa description ait été faite 
et son dessin donné par Grivaud de la Vincelle, d’a- 
près les notes et le prêt officieux du bronze par M. Denis, 
on ne sait pas moins beaucoup de gré à notre honorable 
confrère de la communication d’un morceau si curieux 
pour les arts , les usages religieux et les costumes de 
l'époque gallo-romaine. 

M. Bégin lit un premier mémoire relatif à l'influence 
des idées religieuses sur la construction des monumens 
des anciens peuples, question qui avait été posée dans 
le programme. La section exprime le désir que ce mé- 
moire soit lu en séance générale et imprimé aux frais du 
congrès. 

M. Bégin observe que la quatrième question du pro- 
gramme semble indiquer l'existence d’une seule religion 
dans les Gaules avant l'invasion romaine, erreur grave, 
importante à rectifier. Il propose la rédaction suivante 
qui est adoptée : 

« Lorsqu’après la conquête des Gaules, le paganisme 
» y pénétra, cette religion se fondit-elle avec les an- 
» ciennes croyances, et resta-t-elle sous l'influence 
» des prêtres Gaulois, ou au contraire , son organi- 
» sation fut-elle bien distincte et en opposition avec 
» les religions primitives du pays? 

M. de Caumont expose le plan d'un grand travail 
sur la statistique monumentale du Calvados, comprenant 
à peu près 800 communes. Ce travail statistique d’un 


QUATRIÈME SECTION. 165 


genre nouveau , fruit de seize années d’explorations , est 
à la veille de voir le jour. M. de Caumont en lit quelques 
fragmens desquels il résulte que sa méthode exploratrice 
a fait marcher de front la géographie et l'histoire mo- 
numentale. Il réclame des conseils et manifeste le désir 
de: voir entreprendre des travaux analogues dans les 
autres départemens. 

M. Bégin annonce une statistique semblable pour l'an- 
cienne province de Lorraine ; il se félicite d'être en 
communauté d'idées avec M. de Caumont, et promet, 
pour le lendemain, un exposé verbal de la marche qu'il 
a cru devoir adopter. 


SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de La Saussaye. 


M. de Caumont , après avoir fait hommage au Congrès 
de la seconde édition de son histoire sommaire de l’ar- 
chitecture religieuse , civile et militaire, au moyen-âge, 
prend la parole pour indiquer l'impulsion archéologique 
qu'imprima, en Normandie, le cours d'histoire monumen- 
tale professé à Caen et publié par lui en 1850. 

M. l'abbé Chevereau au séminaire, M. Pesche à l'H6- 
tel-de-Ville du Mans, M. Galeron à Falaise, M. l'abbé 
Michou aux Thibaudières (Charente), M. Gaude au collége 
de Goncourt, M. l'abbé Lafetey au séminaire de Villiers 
(Calvados), un autre professeur à celui de Beauvais, 
s’empressérent d'imiter M. de Caumont, à tel point 
qu'en 1856, les élèves de la maison d'éducation de 
Goncourt. furent en état de répondre d'une mamère 


4166 QUATRIÈME SECTION. 


satisfaisante sur l'architecture grecque, l'architecture re- 
ligicuse et civile du moyen-àge , et de décrire avec pré- 
cision les principaux monumens du pays. 

Des cours semblables vont avoir lieu à Coutance, à 
Séez, à Tours, à Angers. M. de Caumont émet le vœu de 
voir cet exemple suivi par nos séminaires et nos colléges. 
Ii appartient surtout à MM. les ecclésiastiques d'apprécier 
l'importance de cette institution , car ils sont les protec- 
teurs naturels des monumens religieux. 

M. Denis qui avait, avant la séance, communiqué 
à la section un assez grand nombre de dessins curieux 
et inédits sur UVasium, lit un mémoire relatif aux fouilles 
ainsi qu'aux découvertes dont cette ville fut l’objet. M. 
Denis en a exploré les ruines avec une minutieuse atten— 
tion. Le zèle qu'il y a déployé mérite toute la reconnais- 
sance du monde savant, et la section a regretté que l'heure 
avancée imposàt à cet honorable membre l'obligation de 
remettre la fin de sa lecture au lendemain. 

M. Bégin prend la parole pour développer, comme 
il l'avait annoncé la veille, le plan général d'une sta- 
tistique archéologique du nord-est de la France; il 
s'exprime en ces termes : 


Messieurs , 


L'intéressante communication que vous a faite hier notre savant et 
laborieux collègue, M. de Caumont , m'oblige à vous initier aux 
secrets de mon cabinet, car le travail qu’il termine sur le Calvados, 
je le fais aussi sur les quatre départemens qui formaient l’ancienne 
Lorraine. Il ne s’agit point ici d'une question d'initiative, encore 
moins d’une affaire de rivalité d'homme à homme, de province à 
province; mais je crois nécessaire d'établir qu’au milieu du mouve— 
ment d’études qui nous entraine tous vers l'exploration de la vieille 
France , Metz ne demeure ni stationnaire ni indiflérente. 

Lorsqu'en 4827 j'ai publié mon histoire du pays messin , considé- 


\ 


QUATRIÈME SECTION. 167 


rée dans ses rapports littéraires, scientifiques et industriels, j'ai vu 
de combien d'omissions et d'erreurs étaient entachés tous les ouvrages 
relatifs au pays , et combien il y avait hâte de rassembler des maté- 
riaux , de saisir les derniers vestiges des âges que la civilisation efface. 
Je fouillai donc les grandes bibliothèques du pays , je parcourus les 
campagnes, j'étudiai et fis dessiner tous les monumens remarqua- 
bles, je traduisis ce que les auteurs grecs et latins avaient pu écrire 
de relatif à mon objet, et je formai le plan d’une statistique archéo- 
logique et monumentale de la Lorraine. Cette statistique, déjà fort 
avancée , présente la description exacte et pittoresque des monumens 
religieux et civils du pays, 6 vol. in-8° ; l'histoire de toutes les lo— 
calités, groupées par arrondissement, 8 volumes compactes, et la 
description de tous les grands cours d'eau, 4 volumes. Cette des- 
cription des cours d’eau me permet de faire avec précision la géo- 
graphie du pays, de la considérer sous le rapport de l'histoire 
naturelle , aussi bien que sous celui de l'histoire des hommes, de 
suivre les peuples dans leurs conquêtes et leurs établissemens com-— 
merciaux le long des rivières, et de présenter notre histoire par 
grands bassins, seule manière de l’étudier avec ensemble et philoso- 
phie. Des cartes comparatives pour chaque grande époque , des dessins 
de monumens , de costumes , de monnaies , d'armes et d’instrumens, 
de sceaux et d’armoiries accompagnent le texte. J'aurai l'honneur, 
si nos travaux nous laissent quelques loisirs, de vous communiquer 
quelques fragmens de cette grande mosaïque littéraire. 


M. le président donne lecture des premières, cin- 
quième et sixième questions du programme. Mais la dis- 
cussion ne s'engage sur aucune d'elles. 

M. Victor Simon fait voir à l'assemblée des coins en 
bronze et une hache keltique en pierre de grès. Cette 
hache rapprochée d’autres haches du même genre, de 
flèches en silex, trouvées soit dans le pays, soit dans 
d'autres parties de la France , paraissent être à MM. de 
la Saussaye et Bégin , des formes consacrées, des amu- 
lettes keltiques. M. de la Saussaye ajoute avoir découvert 
à Somgs, dans les mêmes tombeaux, un assez grand 
nombre d'oursins que les anciens considéraient comme 


168 QUATRIÈME SECTION. 


étant des œufs de serpent ; des galets roulés de forme 
bizarre ; des picrres plates percées, avec un hameçon 
et des fers de flèches et de lances. Ce ne pouvaient être 
que des amulettes ou des objets symboliques. M. Denis 
remarque, à propos des tombeaux, que d’autres objets 
qu'on y renfermait également, portaient un caractère 
d'emblème manifeste. Les roses, dit-1l, imdiquaient une 
âme pure ; la lampe désignait l'éternité. 

M. Bégin croirait plutôt cette dernière le symbôle de 
la vie qui s'éteint. 

Personne ne demandant la parole , M. de Saulcy ouvre 
la discussion sur la dix-septième question du programme 
ainsi Conçue : : 

Les noms de villes portés sur les monnaies des rois 
de France, jusqu'à saint Louis, indiquent-ils toujours 
quelles ont été fabriquées dans ces villes mémes? 
N'est-ce pas quelquefois un titre de propriété que le 
souverain voulait indiquer. 


Les règnes qui présentent le plus de variétés monétaires, dit M. de 
Saulcy , ont une foule de médailles caractérisées par un air de fa- 
mille tel qu'on les croirait, au premier abord , sorties du même 
atelier. Ainsi dans les 293 médailles découvertes à Bellevezet, on 
trouve des monnaies de trente-deux villes différentes, ayant toutes 
un type commun. Mais leur nombre est d'autant plus considérable 
que le lieu de la trouvaille est plus rapproché de la ville dont elles 
portent le symbole où le nom. 40 sont de Marseille , 50 de Venise, 
30 de Pavie, 20 de Lyon, 1 de Trèves , 4 de Maïence, À de Verdun. 
La même remarque s’applique aux monnaies trouvées depuis peu dans 
la ville du Mans. Ces pièces sont karlovingiennes. Or, ne pourrait-on 
pas admettre que les artistes venus d'Italie à la suite de Karl-le- 
Grand ont été chargés de la confection de tous les coins monétaires de 
l'empire; et que le même esprit artistique s'attachant au même 
objet, a dù établir entre les coins une ressemblance notable. Ou 
bien encore, les coins n’ont-ils pas été gravés dans un seul lieu, 
résidence habituelle ou momentanée du monarque , sous la surveillance 


QUATRIÈME SECTION. 169 


d’un seul maitre et envoyés ensuite à chaque ville ayant privilège 
de battre monnaie. Ne serait-il pas d’ailleurs rationnel d'éiablir un 
point de comparaison entre les ateliers monétaires et les écoles de 
peinture, et de retrouver dans les coins, comme dans les tableaux, 
un caractère commun qui dénote l'inspiration d’un seul , reproduite 
par des artistes secondaires. Au surplus, sept ateliers existaient posi- 
tivement en France sous les Karlovingiens; c’est un fait mis hors de 
doute par l'édit de Pistes, et parmi les 400 deniers connus de Karl- 
le-Chauve il s’en trouve plusieurs dont la fabrication fut exécutée dans de 
simples villa. Or, est-il supposable qu'un artiste de mérite, à une 
époque d’ignorance, se soit trouvé dans un village ? Nul doute qu'il n°y 
ait eu alors plusieurs lieux de fabrication des coins , tous dans des lo 
calités importantes, et sous la direction d’une même société d'artistes 
qui se tenait autour du souverain. 


M. de la Saussaye observe que les coins se cassaient 
fréquemment; qu'il fallait les renouveler avec prompti- 
tude ; que le monarque changeait souvent de résidence, 
et qu'il n’était pas présumable qu’on füt obligé de récla- 
mer à l'hôtel central des monnaies les coins nouveaux 
dont on pouvait avoir besoin. Peut-être, ajoute-til, le 
premier coim était-il fabriqué à cet hôtel central , mais 
il ne devait pas en être de même des autres, coins; 
peut-être encore envoyait-on des dessins aux ‘ateliers 
secondaires. Il existe d’ailleurs un édit de Karl-le-Chauve 
prescrivant aux officiers provinciaux, préposés à la con- 
fection des monnaies, de se rendre chaque six mois au 
palais, afin de s’y pourvoir des lingots nécessaires , mais 
il n'est pas fait mention de coins. 

Les médailles, selon M. de la Saussaye, ont donc 
été frappées dans le lieu même dont elles portent. le 
nom. Celles du palais, dites moneta palatina émanaient 
de l'hôtel central des monnaies. 

M. de Saulcy admet cette dermière opinion ; il pense, 
comme M. de la Saussaye , que les monnaies ont réelle- 
ment reçu leur ernreimte dans le lieu même dont elles 

22 


170 QUATRIÈME SECTION. 


portent Je nom, mais il n’en persiste pas moins dans sa 
manière de voir sur le lieu de fabrication des coins. 

Cette différence d'opmion , au surplus, entre deux hom- 
mes d'un égal mérite, ne touche en rien le fond de la ques- 
tion. Tous deux se rapportent dans ce qui la concerne 
essentiellement. Ils disent même que long-temps après, 
et notamment sous Philippe-Auguste, on fabriquait des 
monnaies ayant toutes l'inscription impériale ou royale 
avec un revers différent, témoignage d’un droit, d’une 
prise de possession où d’une propriété urbaine. Ainsi, 
pour ne citer que Philippe-Auguste, il frappa des monnaies 
. à Montreuil, à Péronne, dans d’autres localités encore, 
toutes semblables d'un côté, mais différentes par le re- 
vers. MM. Bohl et de Saulcy observent que dans beau- 
coup de villes telles que Besançon, Metz, Verdun, il 
exista simultanément plusieurs pouvoirs jouissant du droit 
de frapper monnaie, l'empire, la ville et l'évêque. Les 
concessions étaient même affermées pour un temps limité, 
passé lequel il fallait en renouveler le contrat. 

On passe au vote de la question. M. Guerrier de 
Dumast en réclame la division : M. de Saulcy pense 
qu'il faut répondre affirmativement à la première partie 
et négativement à la seconde. On rappelle à cette occa- 
sion le mensonge numismatique de Napoléon, qui fit 
frapper à Boulogne une médaille datée de Londres. En 
définitif, la section est d'avis de présenter au Congrès 
général la question dans les termes énoncés hier à l’as- 
semblée. 


QUATRIÈME SECTION. 171 


SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. pe LA SAvssAvr. 


La séance s'ouvre par des conversations particulières 
sur divers objets d'antiquité. ; 

Un de nos collègues avait promis d'importantes com- 
munications de la part de M. le vicomte de Saintignon. 
Effectivement, la complaisance de notre compatriote ne 
nous a pas fut défaut , et il vient d'envoyer au Congrès 
des urnes, des armes, des bracelets, des colliers de ver- 
roterie et deux fibules ou fermails en or, enrichis de 
pierres fines. Tous ces objets ont été découverts au 
village de Baslieux , à 12 lieues de Metz, dans des tom- 
beau francks dont l'existence semble remonter à plusieurs 
époques, les uns ayant le caractère de la décadence 
romaine , les autres, plus rapprochés de nous, pouvant 
être placés entre les premiers et les derniers Mérowingiens. 
Les urnes de M. de Saintignon sont de petite dimension ; 
les armes sont presque toutes.caraxées ; les verroteries de 
différentes couleurs, varient aussi quant au volume, 
depuis les dimensions d’une noix jusqu’à celles d’un grain 
de maïs. Elles formaient plusieurs colliers longs d'un 
pied à un pied et demi. Les fermails, bombés au centre, 
plats au pourtour, comme de petits boucliers, présentent 
un diamètre circulaire de vingt et de vingt-six lignes. 
C'est un travail en filagramme sans ciselures, semblable 
aux saint-Eloy qui se faisaient à Limoges. Les pierres fines 
sont enchassées avec régularité dans de petits caissons 
au fond desquels se trouvent des morceaux de drap 
bleus, rouges ou bruns. Ces pierres fines font saillie au- 
dessus des filigranes. Il y a aussi, dans la même col- 


179 QUASRIÈME SECTION. 


lection , des fermails en cuivre ciselé, une croix de Malte 
en cuivre, des bagues et des anneaux de forme et de 
composition bizarres. 

Une partie de la séance a été consacrée à l'examen de 
ces Jolies choses. Les antiquaires étaient au supplice de 
Tantale. Tous ont demandé qu'ellés fussent dessinées. On 
en eût sollicité volontiers la possession définitive pour 
la ville, si l’on ne savait quelle violence est obligé de se 
faire l'archéologue le plus désintéressé, pour se dessaisir 
des objets qu'il affectionne. C'est l'histoire d’une mère 
tendre ayant une fille à marier, et retardant toujours 
l'heure de l’hymen. 

M. Denis, de Commercy, continue ses intéressantes com- 
munications sur Vasium. 11 décrit le cirque de cette ville 
romaine, en parcourt quelques rues, cite plusieurs ins- 
criptions votives, plusieurs cachets de médecins oculistes , 
explore d'énormes monceaux de cendres et des attérisse- 
mens considérables sous lesquels apparaissent des temples 
pavés de mosaïques, et se livre à des inductions sur les 
croyances des habitans de Vasium, sur leur industrie et la 
prospérité commerciale dont leur permettait de jouir une 
position prospère , à l'embranchement de plusieurs routes 
qui les mettaient en rapport direct avec les grandes villes 
du nord-est des Gaules. Cette lecture est entendue avec 
non moins d'mtérêt que celle de la veille. 

M. Bégin lit un second mémoire sur l'influence du 
polythéisme dans les Gaules, considéré sous le rap- 
port monumental. Xl passe en revue toutes les grandes 
constructions , toutes les divinités topiques antérieures à 
l'établissement de la puissance romaine et pendant la 
durée de cette dernière ; 1l cherche à donner l'explication 
de divers points obscurs de la mythologie du nord, et 
montre la filiation des idées religieuses depuis le mono- 


Er re hr DEMREUIN. 173 


Tithe des premiers indigènes , jusqu’à l'implantation de la 
croix catholique dans les Gaules. 

La section vote la lecture de ce travail en séance gé- 
nérale , et son impression parmi les mémoires du Congrès. 
Elle déclare, en outre , que M. Bégin a répondu d’une 
manière satisfaisante aux quatrième et onzième questions 
du programme ainsi conçues : 

Lorsqu'après la conquête des Graules le paganisme 
y pénétra, cette religion se fondit-elle avec l’ancienne , 
et resta-t-elle sous l'influence des Druides, ou au con- 
traire, son organisation fut-elle bien distincte et en 
opposition avec la religion druidique ? 

Quelle a été l'influence des idées religieuses des 
peuples sur la construction de leurs monumens, et 
particulièrement dans ce qui concerne les monumens 
du nord-est de la France ? 

M. Grosset, inspecteur des monumens historiques du 
département de la Nièvre , écrit au Congrès pour lui donner 
la description et lui envoyer le modèle d'une hache kel- 
tique trouvée sur les bords de la Loire. Il demande à 
quels usages pouvait servir ce genre d'instrumens. La 
section ayant répondu la veille d'une manière générale 
à la question de M. Grosset, il n'est pas donné suite à 
la discussion. 

La séance est levée à onze heures et chacun se groupe 
autour de M. Bohl qui avait apporté plusieurs monnaies 
fausses sorties de l'atelier du célèbre Becker, et exécutées 
avec un talent d'imitation fort remarquable. 


174 QUATRIÈME SECTION. 


SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de La Saussaye. 


M. de Villers de Burgeisch, à qui l’on doit de curieuses 
recherches sur la Lorraine allemande et les rives de la 
Sarre, dépose au bureau un cercle en bronze au centre 
duquel sont suspendus deux autres petits cercles égale- 
ment en bronze. Il pense que c'était une enseigne romaine 
et que les petits cercles rendaient un son analogue à celui 
du tamtam, qui servait à guider les légions pendant la 
nuit. MM. de la Saussaye, Dufresne et Bégin, sans re- 
pousser d’une manière positive la pensée de M. de Villers, 
croient voir dans cette pièce antique une balance dite 
romaine. 

M. Guerrier de Dumast a la parole pour la lecture 
d'un mémoire historique annoncé la veille. C'est un ex- 
posé général et rapide de ce que pouvait être Nancy ainsi 
que la Lorraine, depuis les temps anciens jusqu’à nos jours ; 
c'est en même temps une comparaison entre la vie poli- 
tique et morale de deux grandes cités, dont l'existence 
sociale différa toujours l’une de l’autre, Metz n'étant et 
ne pouvant être qu'elle-même, tandis que Nancy, selon 
M. de Dumast, résumait en soi la Lorraine tout entière. 

Cette communication est entendue avec un vif intérêt ; 
M. Bégin manifeste le prix qu'il attache à ce beau tra- 
vail. Il exprime le regret de le voir destiné à une publi- 
cation étrangère au Congrès, un morceau si brillant et 
si pur étant, dit-il, le moyen de faire poser au milieu 
de nous Nancy la belle en habit de bal et de céré- 
monie, telle qu'on la voit lorsqu'on se transporte au 
sein de ses murailles. M. Bégin termine cette allocution 


QUATRIÈME SECTION. 175 


en demandant une seconde lecture pour la première réu- 
nion générale de mardi. Sa proposition est adoptée. 

Plusieurs conversations s'engagent. M. Denis dit avoir 
vu, à Loxéville, près de Commercy, un tertre assez élevé 
qu'il croit être un tumulus gaulois, et près duquel se 
trouve un puits dont le fond était autrefois rempli de 
verres à pied. Il demande quelle origine il conviendrait 
de donner à ces objets. Plusieurs membres citent des 
trouvailles du même genre, .et l’on s'accorde à penser 
que ces verres à pied sont romains. 

M. Lahalle, de Blâmont, parle de quelques découvertes 
faites dans les fondations des châteaux de Blämont et dé 
Réchicourt. À Blämont, on a trouvé deux pièces d’or, 
et, à une profondeur beaucoup plus consiérable, un mors 
de bride ; à Réchicourt , à 50 pieds au-dessous du sol , on 
a rencontré des bois de cerf et des verres à pied sem- 
blables à ceux de Loxéville. L'un d’eux avait cela de par- 
ticulier, qu’à la partie moyenne du pied, se voyaient quel- 
ques gouttes de liquide renfermées là au moment de la 
fabrication. 

M. Bégin démontre l'importance qu'il y aurait d'exécuter 
des fouilles à Réchicourt-le-Château , en allemand Rixin- 
gen; car cette ville paraît avoir été considérable. 


On pense, dit M. Bégin, que les villages de Moussey et d’Ari- 
court en formaient les faubourgs. Ce qu'il y a de certain, c'est que 
son origine date au moins du IX° siècle ; c'est qu'au XIII°, elle 
possédait un chäteau fort, des murailles, et appartenait, en partie 
aux évêques de Metz, en partie aux comtes de Linange. En 1705, 
le comte de Nassau-Sarrebruck acheta 90,000 écus la terre de Réchi- 
court ruinée par les guerres. Elle passa ensuite au duc de Fronsac, 
par sentence de licitation rendue au Châtelet de Paris, le 25 juin 1766. 
Le rôle important que jouaient au moyen âge les comtes de Linange 
et de Réchicourt, les rapports multipliés qui existent entre l’histoire 
de ces princes et celle des dues de Lorraine, font désirer une mono- 


176 QUATRIÈME SECTION. 


graphie spéciale consacrée à Réchicourt. Il en est de même de la 
ville de Blämont, contemporaine et souvent rivale de sa voisine. 


Rien n'étant à l’ordre du jour, M. le président invite 
les membres qui désireraient revenir sur les questions 
traitées précédemment, à prendre la parole. M. Victor 
Simon ne s'étant exprimé qu'en termes énonciatifs et 
généraux sur la troisième question du programme, com- 
plète ses idées de la manière suivante : 


Messreurs , 


La prospérité d’une nation ne se revèle pas seulement par sa puis— 
sance , elle se manifeste encore par son culte pour les arts et les sciences. 

Appliquant ce principe à la ville de Metz, examinons les restes de 
son antique splendeur dans les temps antérieurs au XI° siècle, et no— 
tamment sous l'empire romain. 

Les débris de constructions monumentales qu’on observe en cette 
ville et les arches de Jouy, dépendant de l’aqueduc qui conduisait des 
eaux de Gorze à Metz, sont revêtus de pierres taillées d’échantillon 
et de petit appareil. Des assises et de grands cintres de briques exis— 
ent dans quelques-unes des murailles, tandis que d’autres n’en con- 
tiennent pas. Les briques furent aussi employées exclusivement pour 
quelques constructions particulières , notamment pour celles qui devaient 
subir l’action du feu. 

Les roches employées pour ces constrnctions appartiennent à la for- 
mation oolithique; les revétemens sont de grande oolithe, le massif de 
la maconnerie est de calcaire à polypiers, de Pecten lens et de grande 
oolithe. Onfaissit usage de la grande oolithe et de la partie supérieure 
du calcaire à polypiers pour la sculpture. 

La chaux qui était employée provenait de la formation du as, 
comme celle qu'on emploie de nos jours. Toutefois il paraît constant 
qu'on en fabriqua aussi avec du calcaire .de la formation oohthique. 
Ce fait est attesté par plusieurs fours trouvés sur cette formation. 
L'un d'eux, évidemment antique, était rempli de chaux. J'y ai 
trouvé, à la partie inférieure, des débris de plantes pétrifiées, mé- 
lées à une grande quantité de charbon. Ces débris sont, à n’en pas 
douter, des portions de bois qui n’ont point été consumées. 

Le grand nombre d'Imbrices et de Tegulæ que l'on découvre, lors- 
qu'on fouille le sol de la ville et des environs, prouye que l'usage 


QUATRIÈME SECTION. 177 


de ce mode de couverture , d’ailleurs ordinaire dans les Gaules, exis— 
tait à Metz. 

Ce serait ici le lieu d'examiner si les maisons des particuliers étaient 
bâties en pierres, en bois ou en briques cuites ou non. Mais ce sujet 
nous entrainerait beaucoup trop loin : seulement, je fais observer que 
j'ai trouvé dans Metz des débris de torchis recouverts d’une mince 
couche de chaux, sur laquelle des peintures étaient appliquées. Ce 
mode de décoration fut assez général dans les Gaules. Ce dernier 
usage permettrait de penser que le plâtre, à l'époque de ces pein— 
tures , n’était pas employé dans notre pays. Toutefois, Pline nous en— 
seigne que, de son temps, on se servait du plâtre pour crépir et exé— 
cuter divers ornemens. 

Parmi les roches destinées alors aux fusages domestiques, je ne dois 
pas omettre les meules à bras dont on trouve quelques-unes entres, 
d’autres en débris, soit à Metz, soit à la campagne. Ces meules sont de 
la lave des volcans des bords du Rhin, semblable à celle que l’on 
exploite encore maintenant à Nidermennig et à celle de Volvic, en 
Auvergne. 

Si nous jetons un coup d'œil sur les roches employées pour la 
décoration des monumens de Metz, nous «voyons un grand nombre 
de füts de colonnes gisant aux angles des rues et dans les campagnes, 
Les uns sont de granit, les autres de Syenite des Vosges ; il existe 
aussi sur quelques points des blocs de granit. La cathédrale et la 
bibliothèque présentent deux troncons de colonnes de marbre Cypo- 
lin; celui de la cathédrale, taillé postérieurement en forme de siége, 
a un diamètre de 82 centimètres. Comme je lai succinctement énoncé 
dans une de nos séances précédentes , les marbres de Paros , de Car— 
rare, la scrpentine, l'ophicalce, le serpentin vert antique furent 
mis en usage par les Romains. Les deux pièces les plus remarquables 
que je connaisse dans les environs de Metz; sont deux colonnes de 
vert antique bien conservées , existant à la faïencerie de Metloch, près 
Sarrelouis. Je ne puis dire quelle a été la destination primitive de ces 
deux colonnes. 

La magnifique cuve de porphyre rouge anlique, trouvée sur le sol 
de Meiz, et qui est aujourd'hui placée dans la cathédrale ; un buste 
d’un travail remarquable, dont la tête était de marbre blanc et les 
draperies en porphyre rouge antique, attestent suffisamment avec 
quel luxe cette roche fut recherchée dans l'antique capitale des Mé- 
diomatriciens. 

Je regrette, Messieurs, de ne Pouvoir vous présenter qu’un apercu 


23 


178 QUATRIÈME SECTION. 


bien succinct sur ce sujet, il suffira, je pense, pour vous faire juger 
que l'antique Divodurum ne le cédait point en splendeur à tant 
d'autres villes des Gaules. 

Je me propose de traiter ce sujet plus amplement dans un mé- 
moire spécial. 


On passe à l'examen des huitième et neuvième ques- 
tions du programme, ainsi conçues : 

Quel a été le système général d'invasion suivi en 
Lorraine par les peuples du nord? Ont-ils laissé des 
traces de leur passage ct quelles sont ces traces ? 

Ne pourrait-on pas, au moyen d'objets d’art trouvés 
dans certaines contrées, parvenir à retracer, au moins 
approximativement , les limites territoriales d'anciens 


peuples. 


Personne n'ayant demandé la parole, M. Bégin, sur 
l'invitation du président, entame la discussion et s'ex-. 
prime en ces termes : 


Messieurs, 


J'éprouve quelque hésitation à entrer, sans y étre préparé, dans 
l'examen des faits soumis à votre investigation, car ils sont d’une 
nature si grave, si sujette à l'erreur, qu’on ne peut les aborder 
qu'avec un sentiment de crainte et de défiance en soi-même. Je vois, 
d’ailleurs, parmi ceux qui m'écoutent, des hommes de savoir pour 
lesquels l’archéologie a fort peu de mystères ; et qui peut-être, ont 
déjà des opinions arrêtées sur les objets en discussion. Mais il faut 
que quelqu'un commence , et je souscris aux désirs du bureau, en 
jetant quelques idées dans le domaine commun , afin qu'elles servent 

de texte à une discussion plus sérieuse et plus profonde. D'abord 
les deux questions me semblent tellement liées l’une à l’autre qu'il 
faudrait les confondre en une seule , la première entraînant de fait 
la solution de la seconde. Cela posé, je pense que les peuples du 
nord , tels que les Séquaniens, les Triboques , les Kattes, les Sara- 
kattes, les Rauraciens, les Huns , etc., se sont introduits dans le 
nord-est de la France en suivant les grands cours d’eau et qu'ils 
l'ont fait de deux manières ; les uns par suite de concessions bé- 


QUATRIÈME SECTION. 179 


névoles de terrains, les autres par invasions forcées. Ces deux cir- 
constances différentes me semblent ressortir trés-bien, des conditions 
de bon ou de mauvais voisinage que j'ai remarquées entre les des- 
cendans actuels des peuplades envahissantes et les indigènes du pays. 
Ainsi, les Séquaniens fixés dans la Haute-Alsace et les Triboques 
dans le Bas-Rhin, bien long-temps avant l’arrivée de César, vivaient 
en parfaite harmonie avec les Médiomatrices , harmonie telle qu'après 
la défaite de Vercingétorix, les peuples envahisseurs repassérent le 
Rhin, tandis que les Séquaniens et les Triboques reprirent leur an- 
cien domicile parmi nous. Il n’en a jamais été de même des Kattes, 
des Sarakattes , des Rauraciens et des Huns. Les Kattes, battus sur 
la Moselle et la Sarre par Galba, revenus ensuite vers le 4° siècle 
dans les contrées dont ils avaient été chassés, ont occupé de, vive 
force une partie de la Haute et de la Basse-Sarre. Aux environs de 
Sarrelouis , prés Becking, dans un lieu dit la Mère-Chatte, Mütter- 
Katz se trouvait jadis un monolithe druidique sur lequel était gravée 
grossièrement une tête de chat, symbole par lequel les indigènes dé- 
signaient leurs vainqueurs , car du mot ati, ils avaient, dans léur 
idiome germain, fait katz ou chats. Dans l'arrondissement de Sarre- 
bourg, département de la Meurthe , il n'existe encore que trés-peu 
de sympathie entre les habitans de la ville, descendans des Romaïns 
et des Kattes, et les campagnards issus des races indigènes. Ces 
derniers appellent les Sarrebourgeois les chats de la ville, et aujour- 
d'hui, bien que dans Sarrebourg on ne parle presque plus allemand, 
le peuple donne aux boîtes qui se tirent aux solemnités le nom de 
Katzenkopf, tétes de chats. Evidemment, ces étranges dénominations 
ont la même origine et remontent à la fondation de Sarrebourg par 
les Kattes. Je ne serais même pas éloigné de croire que l'emplacement 
de la ville actuelle formait un faubourg dépendant de la ville romaine 
située où se trouve le village de Galba (Béeling). Les Kattes jouissaient 
de concessions territoriales, le long de la rivière: Kati qui inco— 
luerunt, ripas Saravi, dit un ancien auteur. 

Sur la Meurthe où se sont établis les Rauraciïens venus de l'Hel- 
wétie , une animosité constante, enracinée, existe entre les apciens pos- 
sesseurs du sol, et ces Allemands d'Outre-Rhin. Les Vosgiens, refoulés 
à droite et à gauche d’une longue ligne d'occupation, consérvérent 
unwvieux ferment de haïne contre les Alsaciens qui avaient avec les 
Rauraciens une communauté d’origine: De: semblables observations 
S'appliqueraient à d'autres peuplades, telles que les Huns, les Sunt- 
goïens et les Sarakattes. Les habitans du Hundsruck présentent encore, 


180  QUATRIÈME SECTION. 


‘dans leurs mœurs et dans les mots racines de leurs patois , des traces 
auxquelles on ne saurait se méprendre sur leur origine asiatique. Ré- 
trogradez de quelques siècles, et vous les verrez à peu près tels qu’ils 
ont du sortir de l’armée d’Attila. 

Les Suntgoïens possèdent aussi un langage spécial, un caractère 
d'âpreté sauvage, une propension aux querelles , aux combats qui les 
fout distinguer des autres habitans de la haute et basse Alsace. Pour 
les Strasbourgeois surtout, le Suntgoïen est un type de grossiéreté 
qu’il flétrit d’épithètes passées en proverbes. Quant aux Sarakattes , 
je les crois d’une même origine que les Kattes. Leur nom se sera 
modifié d’après les conditions différentes de leur établissement. 

Toutes les nations du monde ayant suivi, à peu-près , le même 
système d’invasion, par les grands cours d’eau , je pense que cette 
voie était encore la seule que pussent suivre les hordes du nord pour 
pénétrer jusqu’à nous. Je me fonde sur le manque de routes pratica— 
bles , sur les ressources agricoles que devaient présenter les vallées , et 
sur la facilité des transports par les voies fluviales. 

Indépendamment de la division en diocèses et de la zône allemande 
qui donnent, d'une manière approximative, les limites territoriales 
des anciens peuples de la Gaule, je crois que l’on pourrait, à l’aide 
de recherches attentives , fixer ces limites sur l'existence de quelques 
monumens matériels. Ainsi, depuis Seltz jusqu'a Schélestat ; depuis 
Schélestat jusqu’à Markolsheim , on trouve , soit des Wodan-Teutath, 
soit des pierres fichées qui paraissent avoir consacré une frontière , 
soit les restes d'un grand fossé appelé Zand-graben, fosse du pays 
ou de la province, ligne de démarcation entre la Gaule Belgique 
et la Keltique. Cette ligne allait des bords du Rhin vers les Vosges, 
dont le versant occidental, depuis le Donon jusqu'aux sources de 
la rivière de Weïinsteinerbach , servait de limite aux Triboques, en 
décrivant toutefois une ellipse sur Xouaxange. L'inscription ec plus 
ultra gravée en caractères romains sur un monolithe de la vallée d'A 
breschviller, pourrait fort bien aussi avoir servi de borne territoriale. 
imposée par la victoire; et, cette opinion semble d'autant plus fondée 
que la ligne de démarcation entre la zône allemande et le territoire 
francais proprement dit, passe vers le point occupé jadis par le 
Monolithe. Enfin , je citerai comme limite consacrée par des peulvens, 
la grande muraille keltique construite dans une étendue de 22 lieues, 
depuis les hauteurs de Bitche jusqu’au Kaisersberg vis-à-vis Colmar , 
limite antérieure sans doute aux médiomatrices , mais respectée par eux 
pour des raisons politiques analogues à celles qui l'ont fait respecter 
plus tard par les enfans de Rome et des Gaules. 


QUATRIEME SECTION. 181 


Tel est, messieurs, le résumé de ce que je sais touchant les in- 
vasions et les limites territoriales de nos ancêtres. Je n’attache pas 
à mes indications plus de valeur qu’elles n'en ont réellement , et je 
demande qu'une discussion sérieuse s'engage sur les points que je 
viens d'établir, 


MM. Victor Simon et Lahalle citent quelques faits qui 
ne se rattachent pas précisément à la question. Personne 
n'ayant réclamé la parole, la discussion est remise au 
lendemain. 

M. de Saulcy demande que MM. Bégin et Huguenin 
jeune lui soient adjoints, pour expliquer l'autel octogone 
de notre galerie archéologique. M. Bégin appuie la pro- 
position ; cet autel pouvant jeter un grand jour sur la 
mythologie et les divinités topiques du pays. | 


SÉANCE DU DIMANCHE 10 SEPTEMBRE. 


Présidence de MM. le curé Marr et de la Saussavr. 


. La parole est à M. le colonel Parnajon qui déroule 
aux yeux de la section, six cartes d’une exécution topo- 
graphique et d’une fidélité rares. 

La première représente la ville de Metz avant Charles- 
Quint, avec son enceinte primitive et ses agrandissemens 
successifs ; 

La seconde est consatrée au siége de Charles-Quint, 
en 4552 ; 

La troisième retrace les fortifications antérieures aux. 
travaux de Vauban. 1676 ; ” 

La quatrième porte la date de 1798, époque où le sa- 
vant systèmé de cet homme célèbre était adopté ; 


182 QUATRIÈME SECTION. 


La cinquième, 1752, est une ES SLR des travaux 
de Cormontaingne ; 

La sixième br dUAEe Metz actuelle, avec le tracé de ses 
vicilles enceintes, de ses agrandissemens sur la Moselle 
et la Seille, avec l'indication précise de tout ce qui existe 
et de ce qu'on a le projet d'établir dans le plan général 
de défense. 

M. Parnajon entre dans plusieurs considérations du plus 
haut intérêt sur les changemens successifs arrivés à la ville 
de Metz. Il pense que les Romains n'avaient établi qu'une 
simple muraille de sûreté; que les premiers remparts 
élevés à la hâte sur les ruines amoncelées des monu- 
mens du grand peuple, l'ont été après l'invasion des 
Romains, au IX° siècle, lorsque l’évêque Wala, défendit 
vaillamment, le casque en tête, les limites de son diocèse, 
et mourut avec gloire dans la plaine de Remich. Cette 
limite défensive, ajoute M. Parnajon, reçut des dévelop- 
pemens successifs, et, quand Metz se gouvernait en répu- 
blique, elle présentait une ligne de défense protégée par 
des châteaux forts, semblables à la porte des Allemands, 
et par un nombre considérable de tours dont la garde 
était confiée à la milice bourgeoise et aux corps de mé- 
üers. La tour dite Serpenoise, entrait dans la ligne pré- 
citée. L'héroïque défense du duc de Guise, racontée 
sommairement par M. Parnajon, PSS que ce brave 
chevalier n'ignorait pas l'heureux parti qu'on pouvait tirer 
des remparts gaulois faits en terre et en madriers inter- 
posés. Ce fut devant un rempart de cette nature que s'a- 
baiïssa la fierté hautaine du monarque espagnol; ce fut 
là que 500 gentilshommes qui venaient de manier la bêche 
et la pioche comme de simples manœuvres, acquirent les 
plus belles lettres de noblesse que la victoire puisse donner 
à ses élus. Grace au savant officier qui nous servait de 


QUATRIÈME SECTION. , 183 


guide , la quatrième section a pu, en moins d’une heure, 
parcourir d'imagination un espace de quinze siècles, s’en- 
foncer avec lui sous les immenses souterrains du fort 
Belle-Croix, assister à la construction des ouvrages pro- 
jetés pour la défense du pré Samt-Symphorien, pour 
l'inondation de la commune de Devant-lès-Ponts, et pour 
mettre l'enceinte messine presque tout entière à l'abri 
des projectiles de l'ennemi. 

M. de Caumont a voté des remerciemens à M. Par- 
najon, ajoutant que jamais, en aucune ville miiture, 
travail aussi consciencieux n'avait été fait d’une manière 
aussi distinguée. 

M. Emmanuel d'Huart avait promis une description du 
Ring du Dolberg ; de cette forteresse des Huns dont la 
masse cyclopéenne semblerait l'ouvrage des Titans plutôt 
que celui des hommes. Sa lecture, appuyée sur un lever 
fort exact du monument, a fait beaucoup de plaisir. M. Bé- 
gin en a demandé la communication en séance générale, 
et. des vœux unanimés ont accompagné cette proposition. 

On a levé la séance pour visiter les anciennes fortifica- 
tions de la ville, sous la conduite de M. Parnajon. 

Rapport de M. Bégin sur cette promenade archéolo- 
gique : 


Messœurs , 


: L'ancien Metz, le Metz des IX°, XIil°, et XVI° siècles -est encore 
plein de vie dans quelques parties de son enceinte. Au retran- 
chement de Guise, on retrouve cette muraille de:8 pieds :d'épais- 
seur que flanquaient jadis 68 tours menacantes ; la porte des Alle- 
mands rappelle nos vieux donjons; les tours ‘de Serpenoise et d'En- 
fer, se lient aux époques les plus romantiques de l’histoire messine 
et servent de transition entre le moyen-âge et les temps modernes. 
Notre promenade commenca à la porte des Allemands bâtie en 1445, 


184 QUATRIÈME SECTION. 


par le même architecte qui éleva une partie de notre cathédrale, On lit 
à gauche de la porte, l'inscription suivante gravée en caractères 
gothiques : 

Henry. , .....,... de Ranconval 

Fut de cet ouvrage maître principal, 

Nous parcourümes l'intérieur de cette forteresse à quatre tourelles, 
encore déchirée, dans son pourtour et dans toutes ses issues, des balles 
de fauconneau et des autres projectiles lancés contre elle par les bom— 
bardes impuissantes de Charles-Quint. 

De la porte des Allemands on se dirigea vers la tour Serpenoise, 
ouvrage du XVI siècle, et, de là, au grand cavalier de la citadelle, 
sous l’empierrement duquel est enfouie plus d’une page d'histoire 
gallo-romaine. Ses fondations recélent quantité de colonnes, de cor- 
niches sculptées , et d'inscriptions qui jetteraient sans doute un grand 
jour sur les temps anciens. Plus loin, vis-à-vis le pré Saint-Symphorien , 
un long pan de murailles du moyen-äâge semble s'être détaché exprès, 
afin de montrer les secrets de sa construction rapide et les cintres 
d’abbayes renversées pour organiser un système défensif. 

Nous étions à quelques pas de la Tour-d’Enfer, séjour affreux habité 
jadis par le crime et la trahison; séjour où la justice froidement 
cruelle de nos ancêtres est encore riche de souvenirs. Ce fut la que 
le sire de Vieilleville, après la journée des embuscades, enferma les 
pères cordeliers qui avaient trahi la cité; c'est au fond de cette voûte 
sombre qu'ils étranglèrent leur gardien , voulant peut-être lui épargner 
la honte d’un supplice infamant. La torche incandescente qui nous 
précédait, jetait une pâle clarté sous ces immences farceaux ; nous 
étions groupés autour du bäton de résine, et derrière et devant nous, 
les ténèbres semblaient nous presser comme les âges. 

On nous reprocherait de quitter la Tour-d'Enfer sans signaler un 
bas-relief gallo-romain de la plus belle conservation. Il représente 
un esclave tête nue, revêtu du sagum avec un anneau au-dessus de 
chaque malléole. Ses mains tiennent une assiette sur laquelle se trouve 
un poulet parfaitement retroussé , preuve qu’alors comme aujourd'hui, 
les citoyens ailés de la basse-cour devenaient les innocentes victimes 
de la gastronomie. 

M. Parnajon a promis ce bas relief à la ville; et ce ne sera pas 
la première preuve, que notre génie militaire est souvent un bon génie 
pour l'histoire. 


QUATRIÈME SECTION. 185 


SÉANCE DU LUNDI 11 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de LA Saussave. 


M. le président donne lecture des propositions suivantes, 
avec prière de les méditer pour les mettre le lendemain 
en discussion. 

Faire l’histoire progressive de la civilisation Jran- 
case par les lois qui ont paru successivement , depuis 
les premiers temps de l'établissement de la monarchie. 

Demander à M. le ministre de l’instruction publique 
son influence sur les sociétés scientifiques de France 
qui s'occupent spécialement d’études historiques , pour 
les engager à se communiquer mutuellement leurs œu- 
vres , et le prier de leur faciliter les moyens de le faire 
sans frais. 

Ne pourrait-on pas arrêter, pendant le Congrès, un 
travail général de statistique archéologique ? 

Ne pourrait-on pas, à chaque session, essayer de 
coordonner les travaux archéologiques entrepris dans 
divers départemens ? 

Rien n'étant à l’ordre du jour, M. Bégin demande la 
parole pour entretenir la section de l'utilité qu'il ÿ aurait 
d'extraire des œuvres d'Ausone, de traduire et d'annoter 
tout ce qui peut se rattacher à l’histoire. 11 dit avoir fait 
ce travail pour sa propre satisfaction, et en avoir déjà 
retiré de nombreux résultats. 


Si cette muse des derniers empereurs, ajoute M. Bégin, était mieux 
comprise qu'elle ne l’a été par l'abbé Jaubert et par tous ceux qui 
ont voulu l'interpréter, les annales de Trèves, de Bordeaux, de 
Toulouse , celles des Vosges, de la Moselle et de la Sarre seraient 
moins obscures dans ce qui concerne la décadence de l'empire. On 
aurait sur les mœurs et le luxe de cette époque, des documens dont 


24 


186 QUATRIÈME SECTION. 


aucun historien n’a fait usage. Martial et Properce, qu'on cite à chaque 
instant, renferment beaucoup moins de choses positives qu'Ausone, 
qui, ayant écrit plutôt dans le genre descriptif et narratif que dans 
tout autre, offre une source abondante de remarques dignes d'intérêt. 
Elles s'encadreraient à merveille dans une histoire politique et litté— 
raire du IV® siècle. Ausone, entre autres mérites, a celui de retracer 
avec une précision pittoresque admirable les scènes qu'il décrit, et 
de ne parler que de choses qu'il a vues ou d'hommes qu’il a connus. 
Aussi, doit-on considérer ses poèmes comme un panorama fidéle, 
mais dont l'intelligence exige une attention scrupuleuse , quelquefois 
même une étude approfondie d’un texte altéré par d'ignorans com— 
mentateurs. 


M. Bégin, après cette allocution, lit sa traduction du 
poème d’Ausone, sur la Moselle. 

M. Dupré, revenu depuis peu d’un voyage archéolo- 
gique à Trèves, prie la quatrième section d'agréer l'hom- 
mage qu'il lui fait d'un dessin reproduisant la forme et 
les détails d’un encensoir karlovingien découvert dans la 
cathédrale de Trèves. La section ‘décide que cette pièce 
remarquable sera lithographiée et placée dans le volume 
des travaux du Congrès. 


SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de LA Saussaye. 


M. l'abbé Périn a la parole sur la douzième question 
du programme, ainsi concue : 

Faire l'histoire de la peinture sur verre dans notre 
province. On sait que la plupart des artistes peintres 
venaient d'Alsace et de Champagne, et que des ver- 
reries considérables existaient au moyen dge dans les 
Vosges. Serait-il possible, d’après la qualité du verre 


QUATRIÈME SECTION. 187 


et le genre de peinture adopté, d'indiquer les princi- 
paux travaux exécutés hors du pays par des artistes 
champenois, alsaciens et lorrains ? 

M. l'abbé Périn s'excuse de ne pouvoir entamer une 
discussion sur un point d'histoire qu'il n’a pas eu le temps 
d'élaborer convenablement. 

M. Bégin, après avoir reproché à cet honorable membre 
un excès de modestie qui prive le Congrès de fort bonnes 
choses, prend la parole en ces termes : 


Messreurs , 


Si je me substitue à M. l'abbé Périn, c'est à la condition qu'il 
voudra bien rectifier mes erreurs ou compléter mes données. L’ori- 
gine de la peinture sur verre, comme celle de toutes les grandes 
inventions , se perd dans la nuit des temps. Je la crois contemporaine 
du Christianisme. Il en est question dans Saint-Jérôme , dans Grégoire 
de Tours, à propos de l’église Saint-Julien de Bri, dans Fortunat 
qui a chanté l’église Notre-Dame de Paris; mais il s’en fallait bien 
qu’elle fût telle que nous le voyons aujourd’hui. Probablement ce 
sont les dessins en mosaïque qui ont inspiré l'idée des vitraux peints. 
De la mosaïque opaque on sera passé à la mosaïque transparente, de 
la mosaïque en silex ou pierres ordinaires, à celle en pierres fines; 
on aura fait des médaillons , de petits tableaux dont les personnages, 
imparfaitement dessinés, étaient séparés les uns des autres par des 
lamelles d'or ou d'argent. L'exécution de ces images en pièces de 
verres peints ne s'est pas fait attendre, dès que le culte eût acquis 
une certaine splendeur et se füt élevé du simple oratoire à la cons- 
truction des basiliques. Il paraît qu’au X° siècle la peinture sur verre 
était déjà cultivée en France, plus peut-être qu'en aucune autre partie de 
l'Europe , puisque saint Benoit, abbé de Wirmouth (Ecosse), fit venir 
de France des peintres verriers pour décorer son église. Aujourd’hui, 
toutes ces peintures ont disparu. Les plus anciens vitraux cités par 
M. Alexandre Lenoir sont ceux de saint Denis, exécutés au XII* siècle 
sous la direction de l'abbé Suger, mais il n’en reste que peu de chose. 
Quelques églises de Normandie possèdent aussi des vitraux de la 
même époque. Sous ce dernier rapport, la cathédrale de Metz paraît 
être l’une des plus riches de France, puisqu'elle possède , malgré les 


188 QUATRIÈME SECTION. 


dégradations passées et toutes récentes, une suite de vitraux remar— 
quables, depuis le XII° jusqu'au XVI° siècle, 

Un caractère général dans l'emploi des couleurs, s’observe aux pein- 
tures sur verre de chaque époque séculaire. Ainsi, les plus anciens 
vitraux ne présentent généralement que trois couleurs, le bleu, le 
rouge et le jaune; à la fin du XII siècle, apparaissent déjà les sept 
couleurs primitives, puis les teintes se multiplient à mesure que l’art 
est en progrès. Au commencement elles sont plates et sans ombre, 
n'offrant que de simples lignes avec des couleurs brusquement tran— 
chées. A la fin du XII° siècle quelques eflets de lumière se font 
remarquer, mais les images peintes ne sont ni grandes, ni chargées 
de figures. Au XIII siècle, au commencement du XIV°, elles con- 
servent encore généralement de petites dimensions dont l'effet peu gra- 
cieux est compensé par l'éclat des couleurs et l'ordonnance pittoresque 
des détails. Généralement, on connaît peu de peintres verriers. La no- 
menclature qu’en donne M. Langlois, de Rouen, est bien loin de se 
trouver complète. 

Le florentin Cimabué, mort en 1310 , est l'un des plus anciens ar- 
tistes de ce genre cité par l'histoire. , 

Aprés lui, et presque sur la même ligne, vient maistre Harmann 
1; Valrier de Munster en MWaistefalle, lequel fit le grant oz de 
ceans , et morut en mars 1392, dans la ville de Metz où il fut mhumé. 

Depuis ce peintre verrier qui paraît avoir exécuté une grande partie 
des vitraux de notre cathédrale, de l’église des Grands-Carmes et 
de plusieurs autres édifices, il faut franchir un siècle pour retrouver 
en Lorraine un artiste distingué dans ce genre si difficile. Valentin 
Bousch sort de la Basse-Alsace , et vient exercer à Metz sa belle in— 
dustrie. Ce fut lui qui posa en 1521, 1595, 1526, 1558 et 4539, 
les vitraux du chœur de notre cathédrale; il habitait la maison 
occupée aujourd’hui par M. Vincent, agent du Congrès, la même où 
Rœderer a vu le jour ; et, lorsqu'on perca la rue des Jardins en 4755, 
on découvrit, au-dessous du magasin de Chévremont, les traces des 
fours de cet artiste. Bousch mourut au mois d'août 1541, léguant à 
la fabrique de La cathédrale tous les grands patrons desquels il a fait 
les fenestres de la grant église, pour s’en servir et aider à l'avenir 
à la réparation desdites fenestres, toutes et quantes fois qu'il en sera 
necessaire , etc. 

Valentin Bousch n'a pas seulement fait les vitres du chœur de la 
cathédrale ; il a exécuté celles de l'église Sainte-Barbe, sauvées en 
partie des mains des démolisseurs. Les vitraux de Saint-Symphorien 


QUATRIÈME SECTION. 189 


étaient du même peintre. Avec lui dut finir en Lorraine cette 
mission artistique des célébrités allemandes, qui dotèrent nos, pro— 
vinces et particulièrement les villes de Metz et de Toul, d’une infinité 
d'ouvrages remarquables , mais ayant tous, jusqu'à la fin du XV° sic 
cle , soit en architecture, soit en sculpture ou en peinture, un. carac— 
tère germanique. 

La réaction qui avait lieu en Lorraine depuis un siècle dans le 
domaine des beaux-arts , s’appliqua surtout à la peinture des vitraux. 
Elle cessa d’être une importation étrangère, et l’on vit, au XVI° siècle, 
cette industrie fleurir sur les rives de la Meurthe. Thierri Alix qui 
écrivait vers 1550, parle de larges tables en verres et de peintures 
qui se fabriquaient dans les montagnes des Vosges. Il assure qu’on 
trouvait, dans le pays même, les plantes et les autres choses né- 
cessaires à la peinture , et que les vitraux sortis des ateliers Vosgiens, 
envoyés sur tous les points de l'Europe, constituaient une branche 
commerciale fort active. Les vitraux de l'église d'Autrey, si remar- 
quables, sortaient de ces mêmes ateliers. Ainsi, lorsque le génie d'Albert 
Durer donnait à l'Allemagne une impulsion nouvelle, lorsque de 
. grandes pages d'histoire se déroulaient sur les vitraux des ‘provinces 
ultra-rhénanes , des artistes lorrains associés à des artistes Champenois 


représentés par Israël Heuriet et ses élèves, faisaient briller la peinture 
parmi nous. 


L'improvisation de M. Bégin n'ayant entraîné aucune 
discussion sérieuse , il prie M. le président d'inviter M. Hu- 
guenin jeune, à parler sur la huitième et la neuvième 
question du programme relatives aux invasions ainsi qu'aux 
limites présumées des anciens peuples. 

M. Huguenin s'excuse ; il craint de produire des opi- 
mons qu'il ne croit pas avoir suffisamment élaborées. 
Rassuré néanmoins par les pressantes sollicitations de la 
section , il établit-que les barbares envahirent la Lorraine 

“par les deux extrémités de la chaîne des Vosges, tantôt 
"du côté de Mayence , tantôt du côté du lac de Constance; 
et que, non-seulement, ce mouvement d’invasion eut lieu 
lorsque les premiers peuples germaniqnes s'ébranlèrent, 
mais qu'il continua tant qu'il y eut déplacement de peuple 


490 QUATRIÈME SECTION. 


à peuple. Avant César, sous lui, après lui, c’est toujours 
le même système. Les Romains, comptaient si bien sur 
les Vosges , comme défense naturelle, qu'ils ne paraissent 
pas y avoir établi de fortifications ; ils ne se sont guère 
occupés non plus de la partie centrale du Rhin, tandis 
qu'on les voit diriger tous leurs efforts vers les sources 
et les embouchures de ce grand cours d’eau. Ainsi, des 
forteresses furent élevées depuis Saverne jusqu'au lac de 
Constance, depuis Mayence jusqu'aux dernières ramifica- 
üons du flenve. 

Les Boïens et les Triboques paraissent à M. Huguenin 
les dernières peuplades keltiques envahissantes ; elles 
étaient les unes en decà du Rhin, les autres au-delà, 
mais disposées à le franchir, lorsque César arriva dans les 
Gaules. Il cite une inscription prise dans Grüter qui lui 
semble consacrer cette alliance : c’est un vœu formé par 
les Boïens et les Triboques réunis, Boï et Triboci. Au 
reste, il pourrait aussi se faire que deux penples se fus- 
sent unis par communauté d'intérêt plutôt que d’origine. 
M. Huguenin explique ensuite, par le caractère même des 
Triboques, l'espèce de mission belliqueuse qu'ils eurent à 
remplir dans leur nouvelle patrie. Les Mediomatrices , les 
Leucques, adonnés aux travaux champêtres, ont dü laisser 
à une peuplade trois fois terrible (triboï trois, terrible), le 
soin de défendre leur frontière, tandis que les Trevires 
(ri viri) trois fois hommes, trois fois braves, protégeaient 
la leur. 

M. Huguenin pense que les anciennes chartes de do- 
nation ou de partage fourniraient des indications positives 
sur la marche envahissante des hordes du nord. Par exem- 
ple , un titre d'Othon, en faveur de l'abbaye de Senones, 
consacre les mots wia Sarmatorum, mons Hungarorum , 
fontana Hungelina, chemin des Sarmates, montagne 


QUATRIEME SECTION 491 


des uns , fontaine des huns, expressions pittoresques qui 
ne laissent aucun doute sur leur origine. 

M. Bégin confirme l'opinion de M. Huguenin touchant 
ces voies de passage et ces limites. Il rappelle, entr'autres 
heux, une localité de la Lorrame vosgienne, appelée 
Striti-wald, du kelto-breton stread, chemin, qui a 
peut-être donné l'italien Strada , l'anglais Streat, l'alle- 
mand Strass, le hollandais Siraat, etc. L'invasion des 
huns sur Remiremont, vers 898, citée par M. Huguenin, 
est d’ailleurs confirmée par V’aldenaire. 

M. de Saulcy rapporte, à l'appui de l'ingénieuse étymo- 
logie donnée, par M. Huguenim, aux mots Z7i-bocci et 
Treviri, l'inscription de Notre-Dame de Paris, portant 
tauros tri-garanos , taureau à trois grues. 

M. Choley demande que la question des invasions soit 
examinée dans ses rapports avec la géologie, la géogra- 
phie et l'histoire, la position territoriale d’un peuple ex- 
pliquant ses mœurs et son génie. Il ajoute que les Tri- 
Boques étaient un peuple montagnard et qu'il n’occu- 
pait que les sommités vosgiennes. M. Bégin, tout en par- 
tageant la première opinion de M. Choley, n’admet pas la 
dermière. Il croit que les Triboques habitaient presque 
toute la basse Alsace, et fonde son opinion sur les nom- 
breux monumens religieux d’origine tribocienne, que l’on 
remarque dans cette province. 

M. de Saulcy demande, que le Congrès de l’année pro- 
chaine, examine les rapports qui peuvent exister entre les 
Triboques d'Alsace et la nation qui couvrit une partie de 
la Sardaigne de tombeaux parfaitement identiqnes à ceux 
décrits par M. Beaulieu, dans son essai sur Dachsbourg. 
Cette proposition est appuyée. 


192 QUATRIÈME SECTION. 


SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE. 


Présidence de MM. Marr et de La Saussave. 


M. Huguenin jeune, reprenant la question qu'il avait 
traitée la veille, observe qu’à l'embouchure de la Garonne 
se trouvait un établissement de Boïens, qui ont conservé 
le nom de Bouck, expression similaire à celle de boques, 
finale du mot Zriboque. Une discussion s'engage sur cet 
objet. MM. Bégin, de la Saussaye et de Saulcy y prennent 
une part active. 

M. de Saulcy demande que la question relative au ca- 
ractère des tombeaux franks soit renouvelée au Congrès 
de l’année prochaine, se proposant de rédiger un travail 
sur cet objet. Le mème membre propose la question sui- 
vante : 

Les monnaies portant une légende royale et présentant 
en outre l’emblème d'une origine féodale, peuvent-elles 
étre considérées comme monnaies royales ou baronales? 

La sixième question est considérée comme résolue d’une 
manière affirmative, savoir: que les Gaulois ont élevé 
des tumuli dans le nord et l’est des Gaules avant l’inva- 
sion romaine. 

M. de Sauley dit quelques mots sur la dixième question, 
desquels il résulterait que l'architecture militaire du 
nord-est de la France serait absolument semblable à celle 
des autres provinces du royaume ; et que les phases ar- 
chitectoniques de l'architecture civile, si bien présentées 
par M. Caumont, seraient applicables à notre lstoire, 
en ayant soin, toutefois, de devancer ou de retarder leur 
adoption, selon certaines influences ou particularités lo- 
cales. 


QUATRIÈME SECTION. 195 


- M. Victor Simon imdique une découverte faite aux en- 
virons de Metz, à Grosyeulx, d'instrumens et de lonpes 
en fer, et il appelle l'attention des archéologues sur les 
moyens de reconnaître le type de l'art gaulois, antérieu- 
rement aux premières Invasions romaines. 

Les 15°, 14°, 15°, 46° et 18° questions du programme 
ayant été posées par une personne absente qui devait en 
apporter la solution, sont renvoyées au Congrès de l’année 
prochaine. 

M. le baron Gullemin met sous les yeux de la section, 
les planches d’un magnifique travail qui lui est un 
avec notre compatriote M. le capitaine Emy, et dont le 
but est de reproduire l’art de la serrurerie chez les Egyp- 
üens , les Etrusques , les Grecs et les Romains. Onze cents 
clefs ont été déjà dessinées, expliquées par ces Messieurs. 
Hs font un appel aux archéologues pour achever leur 
belle entreprise. La section témoigne à M. Guillemin 
combien sa communication l’a flattée et quel intérêt elle 
attache à ses travaux. 

M. Poncot, devenu depuis peu notre compatriote, 
montre à l'assemblée quelques objets antiques recueillis 
sur les champs de bataille qu'il a parcourus. 

M. Bégin lit quelques fragmens de son travail archéo- 
logique, statistique et pittoresque sur le cours de la 
Moselle. 

M. de la Saussaye prend la parole, et, dans une allo- 
cution vivement applaudie, remercie la section de l’hon- 
neur qu’elle lui à fait de l'élever à la présidence. I rap- 
pelle les travaux de ses collègues, les félicite d’avoir pré- 
féré l'émission de mémoires sérieux à des discussions 
souvent sans résultats pour la science , et considère cette 
nouvelle voie comme étant d'un bon exemple pour les 
Congrès futurs. 

25 


4194 QUATRIÈME SECTION. 


Sur la proposition de M. le colonel Parnajon, des 
remeérciemens sont votés à MM. de la Saussaye et Bégin. 
M. l'abbé Périn demande, en outre, que la section té- 
moïgne , par l'organe de son secrétaire, la reconnaissance 
dont elle est pénétrée pour MM. les président et vice- 
présidens du Congrès. Cette proposition étant admise, on 
lève la séance à dix heures et demie. 


Les Secrétaires de la section, Le Président de la section, 
BÉGIN. De LA SAUSSAIE. 


DENIS père. Le Vice-Président, 
De BOHL, 


CINQUIEME SECTION. 495 


CINQUIÈME SECTION. 


PHILOLOGIE, LITTÉRATURE, BEAUX-ARTS, 
PHILOSOPHIE. 


SÉANCE DU MERCREDI 6 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. CnareLain. 


M. le président lit la première question : La compli- 
cation des formes grammaticales d’une langue fuait-elle 
supposer que le peuple qui la parle; a traversé une 
longue période de civilisation, ou qu'il est resté long- 
temps dans un état de barbarie , ou enfin qu’il est d’une 
origine récente? elle est mise à l’ordre du jour et discutée. 

M. Lafitte fait remarquer que la question est mal posée 
et qu'il conviendrait de remplacer le mot de complication 
par celui de multiplicité. Après plusieurs observations de 
quelques membres, le président pose la question ainsi 
qu'il suit : L’état de simplicité ou de multiplicité gram- 
maticale des formes d’une langue fait-il supposer, etc. 

M. l'abbé Schuine fait d'abord remarquer que plus une 
langue est ancienne, plus elle est riche de formes. À me- 
sure qu'un peuple vieillit, il analyse ses idées, en dis- 
tingue les nuances, et par conséquent a besoin de nouvelles 
formes pour les exprimer. 

M. Guerrier de Dumast dit qu’en effet au premier abord 
il semble qu'on doive être allé du simple au composé, 


496 CINQUIÈME SECTION. 


en fait de formes grammaticales ; mais que la réalité des 
choses, qu'il n’est pas permis d’altérer, conduit à un ré- 
sultat différent, et en général tout opposé, A l'exception 
peut-être de quelques familles de langues, comme le 
groupe sémitique , où la loi de simplification est peu visi- 
ble (parce qu'il n'existe pas là plusieurs générations d'i- 
diomes nés les uns des autres, sur lesquels on puisse 
l'observer), à l'exception, dit M. de Dumast, de cette 
famille, dont tout au plus on ne peut rien conclure mi pour 
ni contre, l'examen des faits doit faire passer en maxime 
que, plus une langue est née tard, plus son système 
grammalical est simple ou pauvre, et plus elle a besoin 
de moyens auxiliaires ou factices pour rendre des idées 
que les langues plus anciennes expriment par un seul 
mot. Les progrès de la civilisation sont en ceci sans in- 
fluence, et ne changent rien au principe. Sans doute, 
un peuple, à mesure qu'il se perfectionne dans les arts 
et les sciences, se crée des termes nouveaux, pour ré- 
pondre à ses nouveaux besoins ; mais ce qu'il acquiert 
se borne à des mots ; sa grammaire et les formes qu'elle 
lui fournit, demeurent dans le même état de dénuement 
relatif et de constante infériorité , auprès des Jlangués nées 
à une époque plus reculée. Ainsi, par exemple, l'anglais 
estinfiniment moins riche de formes que le saxon, dont 
il dérive, et le persan beaucoup moins que le zend, 
dont il tire son origine. Ainsi le français est moins riche 
de formes que le lauün, qui l'était déjà moms que le 
grec, lequel à son tour n'avait pas conservé la totalité 
des belles ressources du sanskrit. On sait quelle multi- 
plicité de nuances primordiales présente la langue tur- 
que, et quelle abondance encore plus grande se montre 
dans les idiomes des sauvages du nord de l'Amérique. Et 
sans aller si loin, une peuplade sans culture, que nous 


CINQUIÈME SECTION. 197 


pouvons étudier à nos frontières, la race euscarienne ou 
basque, indigène des Pyrénées, nous offre le même phé- 
nomène. Le basque, si dénué de mots que sa panvreté 
va jusqu'à l'indigence, possède, dans les cas nombreux 
de sa déclinaison, dans les modes variés et délicats de sa 
conjugaison, dans la flexibilité féconde de cette conju- 
gaison , suivant les régimes directs ou indirects, singuliers 
ou pluriels, sur lesquels le verbe doit agir, et dans mille 
autres facilités heureuses qu'il serait trop long d'expliquer, 
une magnificence de formes, une immensité de richesses 
grammaticales, dont aucune de nos langues modernes ne 
saurait même donner l'idée. 

M. Michel Nicolas fait remarquer que l’on ne peut 
rien conclure de la langue basque, puisqu'on ignore si 
le peuple qui la parle, a passé par un long état de 
civilisation, où est un peuple primitif. D'un autre côté 
il est fâcheux, pour l’opmion du préopinant, qu'il ne 
puisse pas s'appuyer sur les langues sémitiques, qui sont 
aujourd'hui les langues les mieux connues. il paraîtrait 
même des langues sémitiques que les langues augmentent 
le nombre de leurs formes, aimsi que celui de leurs 
mots en vieillissant ; car l'arabe, qui a vécu un àge dou- 
ble de l'hébreu, est infiniment plus riche en formes et 
en mots que celui-ci. | 

M. Guerrier de Dumast, en reconnaissant la justesse 
de ces remarques, fait observer d'abord, par quelques 
détails, que la richesse de formes de l'arabe ne s'étend 
pas si loin en réalité qu’en apparence; mais il s'attache 
surtout à montrer qu'il n’y a pas eu accroissement de 
formes dans l'arabe, depuis le moment où nous en avons 
des monumens, c'est à dire depuis le V° siècle, et que 
nul indice n’annonce qu'il en ait été différemment anpa- 
rävant ; qu'ainsi la multiplicité des formes de cette langue 


198 CINQUIÈME SECTION. 


est constitutive chez elle, et aussi ancienne que l’idiome 
même, c'est-à-dire contemporaine de l'hébreu. 

M. Lafitte pense qu'à mesure qu'une langue vieillit, 
elle se perfectionne et devient plus apte à exprimer la 
pensée, plus complètement et en moins de mots. Il cite 
à ce sujet l'estime que mérite la langue française, et la 
popularité qu'elle s'est acquise et Europe. 

M. l'abbé Schuine fait remarquer qu’une langue, en 
vieillissant, prend de nouvelles formes pour exprimer ce 
qui autrefois n’en avait pas besoin ; ainsi le bengali se sert 
de l’article qui n’est pas dans le sanscrit, 1l perd l'usage 
du duel, etc. ; ainsi le romaïque a substitué des temps 
composés aux temps simples des verbes grecs. 

M. Guerrier de Dumast, applaudissant à ces nouvelles 
lumières jetées sur la question, y voit précisément de 
nouveaux exemples, de nouvelles preuves de la règle 
qu'il a posée. Des dédoublemens de mots, des auxiliaires, 
des particules devenues indispensables, ne sont point des 
enrichissemens de formes ; bien au contraire. Partout où 
une ancienne langue a été remplacée par une nouvelle, 
on a perdu l’opulence première, propre, naturelle, in- 
trinsèque, celle qui résultait de la constitution même du 
langage, souple, flexible, et se prêtant par lui-même, 
au moyen des plus légères variations, à exprimer des dif- 
férences , des délicatesses innombrables. Partout il a fallu, 
ou renoncer tout à fait à certaines richesses, comme pour 
le duel, que ne remplacent point du tout les idiomes 
modernes, ou bien suppléer par des procédés factices à 
celles que l’on a perdues, comme font les langues d’ori- 
gine récente, qui recourent à l'invention de particules 
et à diverses combinaisons toujours plus ou moins pé- 
mbles. 

M. Lafitte pense qu'il s’agit de savoir si les langues, 


CINQUIÈME SECTION. 199 


en se multipliant dans leurs formes, se prêtent mieux 
aux besoins de l'intelligence ou non. Il croit que plus 

les formes sont simples et mieux elles expriment la pensée. 
M. le président fait remarquer qu'il y a au fond deux 
questions dans celle du programme : l'une qui est gram- 
maticale, et l’autre celle exprimée par M. Lafitte ; il 
pense qu'il faut les séparer et les traiter chacune à part. 
IL propose qu’on s'occupe d’abord de la première. 

Après cette discussion, la majorité de la section fait 
connaître sa pensée, qui est que la multiplicité des formes 
du langage en marque l'antiquité. 

M. le président demande ensuite à M. Lafitte de for- 
muler la question telle qu'il l'entend. 

M. Lafitte, tout en soutenant que cette question est 
la même que celle du programme, pose la question sui- 
vante : La simplicité des formes du langage est-elle 
mieux en harmonie que leur multiplicité, avec les 
besoins de la pensée? — Cette question est jugée trop 
grave pour être traitée séance tenante ; elle est renvoyée 
à quelques jours pour qu'on puisse y penser et se pré- 
parer. 

Un mémoire de M. Godin, avocat à Blois, sur cette 
question : De l’influence qu’a exercée la chute de Cons- 
tantinople, au XF® siècle, sur la littérature française, 
est déposée sur le bureau. M. Lafitte veut bien se charger 
de faire un rapport sur ce mémoire. 

M. de Caumont dépose sur le bureau un extrait de 
la Revue normande, qui l'avait emprunté à la Revue 
de Lorraine, sur la résurrection des provinces. 


200 CINQUIÈME SECTION. 


SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Cnarezai, 


Le procès-verbal de la séance précédente est lu. M. La- 
fitte demande qu'il y soit fait mention de son insistance 
à soutenir que la question, telle qu'il l’a formulée, était 
contenue implicitement dans celle du programme. 

M. le président donne lecture d’une lettre de M. le 
comte du Coëtlosquet, par laquelle, conformément à 
l'article 14 du réglement, 1l dépose sur le bureau deux 
questions, qu'il se propose de traiter. La première est : 
4° Quel est le caractère principal qui distingue essen- 
tiellement l’école classique et l’école romantique ? 2° L'une 
et l'autre de ces écoles doit-elle étre regardée comme 
étant exclusivement bonne? ou, au contraire, ny au- 
raït-il pas quelque chose de bon à prendre dans cha- 
cune d'elles ? Dans la dernière hypothèse, quelles 
pourraient étre les bases de cette espèce de transac- 
tion ? — La deuxième : 1° Quelle part convient-il d'as- 
signer aux sciences et aux lettres dans l’enseignement 
de la jeunesse ? 2° Quelles conditions doit remplir l'en- 
seignement des unes et des autres pour atteindre le but 
qu’il se propose ? La section décide qu’on entendra M. du 
Coëtlosquet, et on fixe la discussion de la seconde 
à la séance de lundi procham, 10 septembre. M. du 
Coëtlosquet fait en même temps hommage au Congrès d’un 
rapport sur l’analyse et la synthèse, fait à l'académie 
royale de Metz en 1850, et inséré dans les mémoires 
de ladite année. 

M. Gondon demande à la section qu'on lui laisse 
exposer le système de M. Latouche ; :l désircrait aussi 


CINQUIÈME SECTION. 204 


pouvoir disposer du local d’une heure à trois, pour y 
réunir les membres des différentes sections, qui désire- 
raient être imitiés à cet enseignement. On décide qu’on 
entendra. M. Gondon, mardi 11 septembre, et on le 
renvoie au secrétaire général du Congrès pour ce qui re- 
garde ses deux demandes. 

M. le baron de Romécourt demande de présenter à la 
cmquième section quelques considérations en rapport avec 
les sciences chimique et physiologique sur l'ame, sa spi- 
ritualité, et sur la nature du concours des organes dans 
les opérations de l’intelligence. On décide-qu'on entendra 
M. de Romécourt, samedi prochain , 9 septembre. 

M. Lafitte fait son rapport sur le mémoire de M. Godin. 
Il pense que l’auteur n’a pas traité la question, et qu'en 
conséquence on ne doit pas s'occuper de ce mémoire. Sur 
sa proposition, on passe à l’ordre du jour. 

M. le président lit la seconde question : 7racer les 
délimitations des mères langues et de leurs dérivées de 
toute l’Europe , et expliquer les causes, de quelque na- 
ture qu’elles soient , qui ont tracé cette délimitation. 

Personne ne demandant la parole sur cette deuxième 
question, on passe à la troisième. Déterminer les prin- 
cipales révolutions des peuples qui ont exercé leur in- 

Jluence sur les idiomes des nations européennes. 

M. l'abbé Maréchal annonce qu'il se propose de trai- 
ter cette question, mais son travail n'étant pas encore 
prêt , 1l prie qu'on renvoie la discussion. On la fixe à sa- 
medi. Il demande à traiter demain la dixième question : 
Le syriaque et le grec ont de grandes affinités. Par 
quelles règles pourrait-on distinguer les mots syriaques 
qui ont formé les termes grecs}, des mots syriaques qui 
dérivent de la langue grecque ? 

M. l'abbé Maréchal fait ensuite savoir que la vingt- 

26 


202 CINQUIÈME SECTION. 


… 


deuxième question d'histoire naturelle, se basant sur l'ex- 
plication de textes, la première section a renvoyé cette 
première partie à l'examen de la cinquième section ; on 
charge pour faire un rapport du travail de M. l'abbé 
Maréchal, une commission composée de MM. Guerrier 
de Dumast, Gerson Levy et Michel Nicolas. 

On passe à la quatrième question : Quelle langue par- 
lait les Gaulois et de quelle source dérivait - elle ? 
M. Guerrier de Dumast voudrait savoir si la personne 
qui a posé la question a connaissance de quelques faits 
nouveaux, qui détruisent l'opinion généralement reçue 
qu'il se parlait trois langues dans les Gaules , l’iberienne 
chez les Basques, la germaine dans la partie Belge, et la 
celtique dans le reste du pays. 

Cmquième question : Zndiquer par des recherches 
méthodiques ce qui reste dans le nord et l’est de la 
France de la langue gauloise et de la langue latine, 
et faire connaître, autant qu'il est possible, les modi- 
fications que les divers langages parlés de ces pays ont 
subies en raison des invasions de différens peuples. 

M. Guerrier de Dumast demande que dans le cas que 
quelqu'un se propose de traiter la question, on ajoute 
à ces mots de la langue gauloise et de la langue latine, 
ceux-ci, et de la langue grecque. 

Personne ne se présentant pour traiter cette question, on 
passe à la sixième : De quelle langue le patois de la 
Lorraine , et en particulier, celui du pays messin dé- 
rive-t-il ? etc. 

Personne ne demande la parole sur cette question. 
M. Michel Nicolas fait remarquer la nécessité de l'étude 
des patois. Ces restes de l’ancien langage d’un peuple 
sont dans beaucoup de cas le seul monument de son or- 


gme. Les patois peuvent souvent servir à expliquer l’ori- 


CINQUIÈME SECTION. 203 


gine d'une nation et les invasions qui ont traversé un pays, 
et une foule de faits historiques, obscurs, parce qu'il 
manque l'intelligence d’un mot, que seul donnerait un 
patois et encore les mœurs des ancêtres. Cette connais- 
sance des patois si nécessaire, on peut encore l’acquérir, 
bientôt on ne le pourra plus. Ils tendent aujourd'hui à 
faire partout place au français. Il serait du plus haut inté- 
rêt que les académies de provinces, chacune dans leur 
ressort, fit faire des études sur les patois de sa localité. 
Déjà même quelques-unes l'ont fait, particulièrement dans 
le midi de la France et en ce moment à Nancy. En con- 
séquence, M. Michel Nicolas demande que la cinquième 
section émette le vœu de voir l'académie de Metz pro- 
voquer et encourager des travaux sur les patois mes- 
sins. 

M. Guerrier de Dumast appuie ces observations et 
cite ce qu'a fait l'académie de Stanislas, qui a proposé 
deux prix, l’un sur les chants du pays, et l'autre sur 
les patois des départemens lorrains. 

La cinquième section émet le vœu que l'académie 
royale de Metz encourage de semblables travaux. 

Septième question : La langue allemande est-elle une 
limite certaine entre le peuple allemand et le peuple 
francais ? Cette langue a-t-elle été étendue ou res- 
treinte dans ses limites depuis son introduction dans le 
pays ? 

Après une fort longue discussion pour savoir ce qu’on 
peut entendre par cette question, M. Kœnig demande 
qu'on ne perde plus de temps à parler sur la position 
d'une question, quand personne ne veut la traiter. 

M. Guerrier de Dumast pense que la langue allemande 
était autrefois parlée dans les pays entre la Meuse et le 
Rhin, mais que l'organisation française ayant été plus 


204 CINQUIÈME SECTION. 


puissante, dès le commencement de Ja troisième race, 
l'idiome et la puissance germaniques reculèrent devant 
elle, et que les petits états, moins capables de se défen- 
dre, perdirent leur indépendance et leur langue pro- 
pre. 

Eu conséquence , la majorité des membres de la section 
adopte les conclusions que la langue allemande n’est pas 
une limite positive et certame, mais seulement approxi- 
mative entre le peuple allemand et le peuple français , 
et que cette langue a été restreinte dans ses limites 
depuis son mtroduction dans le pays. 

On passe à la huitième question : La langue latine 
et la langue grecque ont de grandes ressemblances et 
de grandes différences ; en tracer les caractères et en 
marquer les causes : doit-on considérer ces deux langues 
comme provenant d'une même source, ou la première 
comme dérivée de la seconde, ou comme une fusion de la 
seconde et d’une autre langue dont on devra chercher 
l’origine ? 

M. Schuine pense que la langue latine se compose de 
deux élémens : qu’elle a dérivé du grec les termes qui 
ont trait à la vie agricole, et du pélage ou du sanscrit 
ceux qui ont rapport à la vie guerrière. 

M. Guerrier de Dumas fait remarquer la grande res- 
semblance du latin et du grec, surtout dans le dialecte 
dorique, qui semble former la transition des déux langues. 
Cependant, il y a aussi de grandes différences ; ainsi 
les noms de nombre, ordinairement signes non équi- 
voques de la parenté de deux langues, sont ici différens 
dans l’une et dans l’autre. L'étude du sanscrit a jeté un 
grand jour sur cette question, et a expliqué les ressem- 
blances du grec et du latin, en apprenant qu'ils ont 
l’un et l’autre une même origine, d’où ils sortent peut- 


CINQUIÈME SECTION. 205 


être immédiatement tous les deux, peut-être seulement 
médiatement. Il paraît que le grec vient du sanscrit sans 
avoir subi l'influence d’une langue étrangère ; dans l’une 
et dans l’autre on trouve en effet un système gramma- 
tical fortement analogue. Mais il semble qu'il y a, entre 
le sanscrit et le latin, une série plus où moins longue 
de langues qui les rattachent l’une à l’autre. D'ailleurs, 
il serait possible que les langues anciennes de l'Italie 
eussent influé aussi sur la formation du latin. 

M. Michel Nicolas, tout en reconnaissant que dans 
l'état actuel de la philologie comparée, l'opinion émise 
par M. Guerrier de Dumast est la seule admissible, vou- 
drait qu'on restât encore dans le doute. Chaque fois 
qu'on à étudié une langue, on a voulu faire dériver 
d’elle toutes les autres. Au XVI siècle on étudie l'hébreu , 
on en fait aussitôt la langue mère de toutes les autres. 
Au XVII siècle l'école hollandaise étudie l'arabe, et veut 
que tout en dérive. Aujourd’hui qu’on étudie le sanscrit, 
on voudrait aussi en faire le principe de tout. Mais déjà - 
on commence en Allemagne à quitter le ton affirmatif. 
Après avoir proclamé que tout vient de l'Inde, langues, 
civilisation, religion, on avoue, depuis un an ou deux, 
que décidément la question est encore fort obscure; et 
ce qu'une connaissance légère , souvent même fausse, des 
langues de l'Inde avait d’abord fait croire hors de con- 
testalion , rentre aujourd'hui, deyant une connaissance 
plus complète, dans les choses douteuses. 

M Guerrier de Dumast reconnaît la justesse de ces 
observations, et il pense aussi qu'on ne peut encore ré- 
soudre positivement la question. Mais il lui semble que 
le sanscrit est si généralement supérieur aux autres lan- 
gues orientales, tellement important, qu'il est si non le 
principe de toutes les autres langues, du moins une des 


206 CINQUIÈME SECTION. 


plus anciennes. Aussi, sans affirmer encore rien de positif, 
on trouve que l’analogie entre le sanscrit et le latin est si 
frappante , qu’on ne peut se refuser à la reconnaître. Pour 
trouver une analogie entre les langues occidentales et l’hé- 
breu, ou l'arabe, ou le basque, etc. , 1l fallait torturer 
les mots ; ici la ressemblance saute aux yeux. Ainsi l’on 
trouve raja en sanscnit, rex en latin, juvana dans l’un, 
juvenis dans l'autre, agni dans le premier, ignis dans 
le second , et mille mots aussi évidemment ressemblans. 
Dans l’état actuel des connaissances, il paraîtrait que du 
sanscrit sont sorties les langues grecque, latine, et par 
celle-ci le français, l'italien, l'espagnol, etc., et que du 
zend qui est une langue sœur du sanscrit, le persan, 
l'allemand, et les idiomes du nord. 

M. Michel Nicolas remarque que le zend et le sanscrit 
semblent deux branches principales de la langue primi- 
tive, mais que c'est pour cette raison qu'il ne croit pas 
que le berceau du genre humain soit dans l'Inde. Il est 
probable que les premières nations sont parties des pla- 
teaux les plus élevés de l'Asie pour rayonner dans toutes 
les directions. Peut-être le plus grand nombre s’est porté 
dans le midi de l'Asie et y a formé de grands étabhisse- 
mens ; mais rien n'indique encore que d’autres peuplades 
ne se soient pas portées vers le nord et vers l'occident. 
Dans ce cas, les langues germaniques et les langues grec- 
que et latine ne ressembleraient au sanscrit et au zend 
que parce qu’elles seraient des branches sorties d’un même 
tronc. Dans tous les cas, on ne peut méconnaître l'anté- 
riorité de culture des peuplades du midi de l'Asie; ce 
qui ne veut pas dire qu'elles aient été le peuple primiuf. 

M. Guerrier de Dumast pense aussi que ce n’est pas 
dans J’Inde, mais sur les plateaux du Caucase qu'il faut 
chercher le berceau de l'humanité. 


CINQUIÈME SECTION. 207 


® L'heure avancée ne permet pas de continuer la dis- 
cussion, qui est renvoyée au lendemain. 


SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. CHaTErAIN. 


Le procès-verbal de la précédente séance est lu et 
adopté. 

La discussion continue sur la huitième question du 
programme. 

M. l'abbé Maréchal pense que la langue des Etrusques 
doit avoir fourni au latin une portion peut-être consi- 
dérable des élémens dont 1l se compose. 

M. Guerrier de Dumast appuie cette opinion, mais en 
faisant observer que la langue de plusieurs autres peu- 
plades italiques (celle des Osques, par exemple), pa- 
raissent également avoir exercé sur la formation du latin, 
une part d'influence qu’on ne peut pas encore bien assi- 
gner. Il indique à cet égard l'existence de travaux savans 
qui ne lui sont pas connus, et sur lesquels il se borne 
à appeler l'attention pour des sessions ultérieures. 

M. Michel Nicolas parlant dans le même sens, exprime 
le désir de voir traduits en français les divers ouvrages 
qui viennent d'être publiés en Allemagne sur les anciens 
peuples de l'Italie, entr'autres ceux de M. Ottfried 
Müller. | 

La section, consultée sur le pomt à décider, recon- 
naît la nécessité de nouveaux éclaircissemens et l'impos- 
sibiité qu’il y a dans l’état présent de la question, de 
donner autre chose qu’une réponse simplement probable ; 


208 CINQUIÈME SECTION. 


c’est à ce titre seulement qu'elle adopte la résolution sui- 
vante : 

Que le latin ne lui semble pas être né du grec, mais 
que sa ressemblance avec l’hellénique , pourrait provenir 
de ce que les deux langues dérivent du sanscrit : le grec 
directement, et le latin d’une manière indirecte ; soit par 
l'intermédiaire d'un idiome, fils du sanscrit et père du 
latin , soit par le mélange du sanscrit avec un ou plusieurs 
dialectes italiques encore peu connus. 

On passe à la dixième question : Le syriaque et .le 
grec ont de grandes affinités. Par quelles règles pour- 
rait-on distinguer les mots syriaques qui ont formé les 
termes grecs des mots syriaques qui dérivent de la lan- 
gue grecque ? 

M. l'abbé Maréchal lit un mémoire sur cette question. 

Après avoir montré que les langues sénutiques et les ja- 
phétiques forment deux groupes distincts, et qu’elles sont 
séparées, 1° par les migrations diverses des peuples ; 2° par 
des racines toutes différentes dans les deux groupes ; 5° par 
les formes grammaticales différentes, 1l se demande com- 
ment le syriaque, qui fait partie du premier groupe, a 
quelque rapport avec le grec, qui appartient au deuxième. 
Cette affinité peut dater de la révolution qui plaça le sceptre 
de l'Orient entre les mans d’Alexandre-le-Grand. L'auteur 
pense qu'alors il a pu passer dans le syriaque quelques 
termes grecs, et dans le grec quelques mots syriaques ; 
mais on peut toujours reconnaître qu'un mot usité dans 
le grec est syriaque, si sa racine se trouve dans l’hébreu ou 
le chaldéen pourvu qu'elle y soit employée au moins avant 
l'expédition d'Alexandre, et qu’un mot usité en syriaque 
est grec, s’il n’a pas de racine connue dans les langues sé- 
mitiques. 

M. de Dumast montre combien :1l est digne d'attention 


CINQUIÈME SECTION. 209 


que le syriaque, seul des langues sémitiques , ait quelque 
ressemblance avec le grec. Et 1l s'explique généralement, 
comme M. Maréchal, ce phénomène irrégulier, par des 
emprunts d'une date récente, que le syriaque a faits à 
la civilisation grecque, qui était celle de ses souverains. 
Il irait même volontiers plus loin que le préopinant, en 
supprimant à peu près les exceptions à ce principe ; Par, 
en tout, 1l croit peu à l'action des racines sémitiques sur 
la langue de la Grèce. 

M. Michel Nicolas pense qu'il n’est passé que peu ou 
point de mots syriaques dans le grec, mais qu'il est passé 
plusieurs mots grecs dans le syriaque, par un fait bien 
naturel. Tout ce qui nous reste de la littérature syriaque 
consiste dans la Peschito, dans une autre version des livres 
saints , dans quelques écrits de S' Ephrem , dans plusieurs 
fragmens de liturgie, et dans des chroniques historiques 
d’un àge assez moderne. Or, la langue de tous ces écrits 
est formée sur celle de la Peschito, qui est une traduction 
du grec de la Bible ,-et a recu plusieurs termes grecs, soit 
pour rendre des idées nouvelles, soit pour exprimer un 
ordre de faits nouveaux ; il s’est introduit par là dans le 
syriaque plusieurs termes grecs. Il n’est pas nécessaire de 
remonter à Alexandre-le-Grand, puisque nous n'avons point 
de documens de cette époque jusqu'à l'ère chrétienne ; 
tout ce que nous possédons de cette littérature, dérive 
du christianisme et s'est imprégné du grec biblique. 
Ainsi, c'est par ces traductions de la Bible, du grec en 
syriaque, que plusieurs mots grecs ont passé dans cette 
dernière langue. 

La section adopte les conclusions de M. l'abbé Maréchal. 

M. Faivre lit un rapport sur l’état des beaux-arts à Metz. 
La section, qui entend ce mémoire avec le plus vif in- 
térêt, décide qu'il sera lu en séance générale. 

27 


910 CINQUIÈME SECTION. 


M. l'abbé Nicolas fait un rapport sur le mémoire de 
M. de Tertre, conservateur de la bibliothèque de Cou- 
tances, sur la première question du programme. Il trouve 
que, quoique renfermant des vues judicieuses, le mé- 
moire traite la question trop théoriquement ; il ne tient 
pas assez compte des faits. Sur la demande d’un membre 
de la section , 1l est fait lecture de ce mémoire. Comme 
conclusions, il établit trois périodes dans l'histoire de 
chaque langue : 1° l'époque de son enfance, où les formes 
grammaticales, loin d’être compliquées, sont à peine 
soupconnées ; 2° l’époque de son perfectionnement pro- 
gressif, où les formes du langage rangées dans un ordre 
méthodique et clair, fidèles à l’analogie , suffisent gran- 
dement aux besoins les plus étendus et les plus variés 
de la pensée ; 5° l'époque d’une décadence plus ou moins 
rapide, où, sur la ruine des règles et la violation des 
formes grammaticales, chaque écrivain s’érige en arbitre 
souverain du langage. 

La question traitée dans ce mémoire, ayant été déjà 
l'obiet de la disccussion, après cette lecture on passe à 
l’ordre du jour. 

M. Chatelain annonce qu'il part demain , et il exprime 
à la section le plaisir qu'il a éprouvé de passer quelques 
jours au milieu d'elle. 

La séance est levée à une heure. 


SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. pe Dumasr. 


Le procès-verbal de la séance précédente est lu et 
adopté. 


CINQUIÈME SECTION. 211 
Vu le départ de M. Chatelain, président de la cinquième 


section, on procède à la nomination d'un nouveau pré- 
sident. Sont présens 22 votans : M. Guerrier de Dumast 
obtient 21 voix et est élu président. M. du Coëtlosquet 
est élu à sa place vice-président , à la majorité de 15 voix. 

M. le président annonce que M. Choley fait hommage 
au Congrès, des deux volumes déjà publiés de la Revue 
de Lorraine. 

M. de Romécourt a la parole pour lire un travail sur 
l'ame, ses facultés, etc. Il dit que ne sachant pas que 
son tour de lecture était venu, il n'avait pas apporté son 
travail. On remet cette lecture à demain, dimanche. 

M. du Coëtlosquet a la parole pour lire son travail sur 
la part que doivent avoir les sciences et les lettres dans 
l'enseignement de la jeunésse, et sur les conditions que 
doit remplir l'enseignement des unes et des autres dans je 
but qu'il se propose. 

La discussion s'engage sur .ce que vient d'espioes ce 
travail. 

M. Macherez appuie ce qu'a dit M. du Coëtlosquet 
sur l’époque où il convient d'étudier le latin. Il pense 
aussi qu'il ne faut l'aborder que quand la connaissance 
de sa propre langue a donné celle du mécanisme du lan- 
gage, qu'on peut appliquer à la langue que l’on appren 
ce qui en facilite l'étude. Il y aurait dans le pays messin 
un avantage à négliger l'étude du latin. Cette langue 
d'un peuple guerrier, tend à exciter l'esprit guerrier, 
qui est peut être He dominant dans nos localités ; si 
l'on ne l'étudiait qu'à un âge où l'on pourrait se garder 
de cette influence, il y aurait avantage.—M. Macherez 
examme ensuite ce qu'a dit de la méthode Jacotot, 
M. du Coëtlosquet, qui la trouve bonne pour certaines 
études. Or, M. Macherez ne pense pas qu’on puisse ainsi 


2192 CINQUIÈME SECTION. 


diviser; si cette méthode est bonne pour une espèce d'é- 
tude , il est difficile de ne pas accorder qu'elle est bonne 
pour toutes. 

Sur la remarque de M. l'abbé Nicolas, qui demande 
si cette méthode peut être utile à tous les individus , 
M. Macherez déclare qu'il ne la croit pas bonne pour 
toutes les intelligences. 

M. de Romécourt pense aussi qu'elle est bonne pour 
les uns, mauvaise pour les autres. Il remarque qu'il ne 
s'agit pas de savoir ce que peut produire l’étude du latin 
dans le pays messin, il s'agit ici d’une question générale, 
et l’on ne doit pas avoir égard aux localités. Il n'est pes 
d'avis qu'il faille renvoyer l'étude de cette langue à un 
âge très-avancé, et la raison alléguée par M. Macherez 
sur son influence à exciter l'esprit guerrier dans les en- 
fans lui semble mauvaise ; c'est plutôt sur les jeunes gens 
de 16 à 18 ans qu'elle produirait cet effet. D'ailleurs, 
pour apprendre une langue, on ne saurait jamais com 
mencer assez tôt. Il appuie ensuite sur la nécessité de la 
connaissance du latin et du grec, par cette raison générale 
que la langue française est pleme de mots d’étymologie 
grecque, et surtout imprégnée de latin , et par cette raison 
spéciale que plusieurs états, tels que le juriste, le théo- 
logien , le médecin en ont besoin, au moins du latim 
pour pouvoir lire les ouvrages scientifiques écrits en cette 
langue. Enfin, M. de Romécourt fait remarquer qu'il 
serait dangereux de donner des connaissances superficielles 
de droit et de médecine. 

M. Stoffels pense contre M. Macherez, que la méthode 
dite universelle, bonne dans certains cas, cesse de l'être 
par sa prétention même d’être universelle, de s'appliquer 
avec un égal succès à toutes les études, comme du reste 
tout système ordinairement vrai dans une certaine mesure, 


CINQUIÈME SECTION. 215 


ne devient faux que par excès, que par une trop grande 
généralisation. — Cette méthode toute mécanique, est 
aussi heureuse pour les sciences elles-mêmes mécaniques, 
telles par exemple que les langues, qu'elle lui parait 
funeste, appliquée à cette autre partie de l'intelligence 
et la partie la plus haute, celle d’où lui viennent ses plus 
puissantes inspirations, celle qui engendre la croyance et 
le génie, celle en un mot qui dérive de sentiment. 

M. Choley croit que la question est mal posée. Il fau- 
drait que l'éducation fût en rapport avec la profession qu’on 
doit suivre, en conséquence 1l s'agirait de déterminer à 
quelle profession convient une éducation scientifique, à 
quelle, une éducation littéraire. Pour ce qui regarde les 
notions de droit et de médecine que M. du Coëtlosquet 
voudrait qu'on reçût dans les institutions d'éducation, 
M. Choley pense qu’elles seraient plus nuisibles qu'utiles ; 
il remarque en effet, par exemple, que ce n’est ni ceux 
qui n'ont aucune connaissance du droit, ni ceux qui en 
ont une entière connaissance , qui sont portés aux procès, 
mais ceux qui ont quelques notions des lois. 

M. Michel Nicolas fait remarquer que l’on ne se sent 
quelque penchant pour un état, que vers l’âge de 18 à 
20 ans. S'il fallait que l'éducation fût en rapport avec la 
profession qu'on veut embrasser, quand on saurait quelle 
éducation doit recevoir un individu, il serait trop tard 
pour la lui donner ; ou bien préviendra-t-on le choix de 
l'individu et lui assignera-t-on à l'avance la profession 
qu'il doit suivre; mais ce serait violenter la liberté et, 
sans son consentement, emprisonner chacun dans un état 
particulier souvent opposé à ses goûts et à ses facultés. 

Il lui semble que l'éducation doit être générale, au- 
tant scientifique que littéraire, qu’elle ne doit faire que 
préparer Île terrain; ensuite chacun selon la spécialité 


214 CINQUIÈME SECTION. 


de sa profession, développera lui-même la partie qui est 
en rapport avec cette profession. D'ailleurs , une éduca- 
tion exclusivement scientifique serait aussi absurde qu’une 
éducation exclusivement littéraire, quelques sciences 
que réclame une profession. —M. Michel Nicolas fait en- 
suite observer combien il serait utile que tout homme 
eût quelques notions de droit, pour n'être pas exposé 
souvent soit à être dupe soit à se tromper lui-même sans 
le savoir. 

M. Choley ne croit pas que réellement chaque individu 
choisisse une profession , ce sont plutôt les parens et une 
foule de circonstances inévitables qui en décident. Ainsi 
il n’y aurait aucun inconvénient à préparer par une édu- 
cation spéciale la profession que doit ‘exercer l'individu. 

L'heure avancée ne permet pas de continuer la discus- 
sion, qui est renvoyée à la séance suivante : la séance est 
levée à deux heures. 


SÉANCE DU DIMANCHE 140 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. ne Dumasr. 


Le procès-verbal est lu, et après qnelques observations 
de M. Choley, il est adopté sans modification. 

M. de Caumont a la parole pour faire à la section deux 
propositions. 

"A9 I lui semble qu'il appartient au Congrès de faire 
tous ses efforts pour mettre en lumière tous les talens de 
province, si mal appréciés à Paris, et reçus avec tant 
d'indifférence par les organes de la presse. M. de Cau- 
mont propose de nommer une commission pour rechercher 


CINQUIÈME SECTION. 215 


immédiatement le meilleur moyen de remédier à ce dé- 
faut de publicité des ouvrages imprimés en province. 

2° Il serait, selon lui, à désirer, pour l'unité d'action, 
qu'on établit des académies provinciales, sous lesquelles 
se rangeraient les associations littéraires et scientifiques, 
départementales, et que ces académies provinciales fussent 
hées entr’elles , régies par un réglement unique, et or- 
gamisées sur un plan uniforme. 

M. de Caumont formule ainsi sa proposition : 4 une 
époque où tout se morcelle et se divise, où les corps 
savans se multiplient sur tous les points de la France, 
le Congrès pense que tout en favorisant cette multipli- 
cation des corps littéraires, il faudrait penser à en 
créer un certain nombre d’un ordre plus élevé; qu’il 
Jaudrait des académies divisionnaires et provinciales, 
académies qui, embrassant d’un coup d’œil tous les 
travaux possibles des sociétés de département et d’ar- 
rondissement, pussent les réunir, les comparer, et 
produire elles-mêmes des ouvrages plus complets, en 
un mot mettre en œuvre les matériaux préparés par 
les comités dont les recherches sont circonscrites dans 
les limites d’un arrondissement ou d’un canton. 

On nomme une commission pour examiner la première 
question de M. de Caumont : elle se compose de MM. de 
Caumont, de Dumast, du Coëtlosquet, Stoffels, Choley, 
Michelant. 

M. de Romécourt demande ce que deviennent les 
questions laissées indécises dans un congrès. Il propose 
que ces questions soient de droit comprises au programme 
de la session suivante, et que la section à laquelle elles 
appartiennent , fasse un HaBpOr sur leur état. 

de Caumont dit qu'il n’en à pas été ainsi jusqu'à 
présent. Le choix des questions est d'ordinaire subor- 


216 CINQUIÈME SECTION. 


donné à la localité, et telle question qui convient à la 
ville où se tient le congrès une année, ne convient pas 
à celle où 1l se tient l’année suivante. 

M. Kœnig présente un mémoire de M. l'abbé Pierre : 
De l'influence de l'harmonie sur le culte religieux. 

M. Gondon a la parole pour exposer le système phi- 
lologique de M. l'abbé Latouche. 

Il témoigne à la section les regrets de ce savant , qui n’a 
pu se rendre au Congrès, et l’a prié de devenir , dans cette 
circonstance , l'organe de ses convictions ; il développe son 
système après avoir réclamé l'ndulgence de l'assemblée. 

M. Gondon commence par quelques considérations sur 
l'origine du langage, question qu'il s'abstient de traiter 
parce qu'elle n’a pas un rapport direct avec son sujet 
qui , dit-il, repose sur les faits que présentent les langues 
et non sur des hypothèses ; 1l prend l'homme doué de 
cette faculté, quel que soit le moyen par lequel il ait 
pu y arriver. 

Les objets de la nature agissent sur l’ame et se trouvent 
représentés par les idées; l’idée et la pensée sont expri- 
mées par la parole, la parole par des signes dont les 
combinaisons forment les mots: ainsi ces derniers sont 
les signes et la traduction de nos idées, et plus cette 
traduction sera juste, plus la langue sera parfaite. Les 
langues sont donc basées sur la nature, dont l'unité se 
revèle à l'admiration de tous ; et l'étude approfondie que 
nous en ferons nous forcera de reconnaître dans le lan- 
gage, cette umté vers laquelle tout semble tendre. 

Il énumère ensuite les causes qui semblent avoir im- 
flué sur les légères modifications qui différencient les 
langues dans leurs formes, car elles n’ont nullement varié 
pour le fond. Il cite quelques exemples pour proïiver 
que les hommes ont reproduit dans le langage les im- 


CINQUIÈME SECTION. 217 


pressions qu'ils avaient recues de la nature, et il arrive 
à un des principes fondamentaux de ce système : l'ono- 
matopée, pour un très-grand nombre de mots qui le sont 
directement ou par dérivation. Les mots que le déve- 
loppement des sciences et des arts, les besoins de la 
société ont introduits parmi nous ont aussi été déterminés 
par les qualités des objets qu'ils expriment, et peuvent 
être appelés hiéroglyphiques. 

L’analogie vient ensuite à notre secours pour tous les 
objets moraux et intellectuels. M. Gondon pense que 
c'est des idées matérielles que l’on est arrivé aux idées 
morales, et que l’on était dans la nécessité de donner 
une Ph eome au monde imtellectuel pour le me 
accessible à une intelligence servie par des organes. Il 
cite des exemples pour appuyer ces principes et de 
qu'il y a identité parfaite entre l'objet, l’idée, le son et 
le caractère qui le fixe, quel que soit celui de ces trois 
ordres auquel puisse appartenir le mot. 

M. Gondon, en étudiant l'appareil de phonation, à 
l'aide duquel nous exprimons les sons divers, trouve 
que les lettres de tous les alphabets pourraient se classer 
et prendre le nom de l'organe qui sert plus spécialement 
à les exprimer ; il reconnaît quatre principaux organes, 
d'où quatre séries de lettres: gutturales, linguales, 
dentales et labiales. Les lettres d'une même série pour- 
ront se changer entr'elles, car elles sont homophones ; 
et le plus souvent la seule différence qui existe dans un 
mot, quand on passe d’une langue à l’autre, consiste 
dans ce changement. Il cite des exemples à l'appui de 

ces permutations. 
_ Quant à la différence non apparente mais bien réelle 
qui existe entre les mots exprimant un même objet, et 
cela non-seulement chez des peuples différens , mais chez 
28 


218 CINQUIÈME SECTION. 


un même peuple, M. Gondon répond : Si les hommes 
n'avaient pu nommer les objets que d’une seule manière, 
nous n’aurions pas à étudier les langues, nous les con- 
naîtrions toutes, ou plutôt les hommes n'en parleraient 
qu'une. Il explique cette diversité d'expressions pour dé- 
signer un même objet déterminé par les qualités variées 
qu'il peut pr ésenter, et croit que Dieu s'est servi de cette 
diversité d'expressions pour opérer la confusion babylo- 
nienne ; il en conclut qu'il faut aujourd'hui, pour rétablir 
l'édifice linguistique dans ses harmonies primordiales , 
déplacer les lettres, renverser les mots pour faire disparaître 
une confusion qui ne pouvait être qu'apparente, car, par le 
fait de la création, la toute-puissance divine s'était tracée 
des limites qu’elle ne pouvait franchir et le langage calqué 
sur la nature, harmonisé avec elle, n’eût pu être changé 
que par l’anéantissement de tout ce qui était, et par une 
création nouvelle. Un même objet a donc pu être nommé 
diversement, suivant le point de vue sous lequel 1l aura 
été considéré , et au contraire, il sera toujours exprimé 
par la même combinaison de lettres, quand une seule de 
ses qualités aura produit l'impression. À l'appui de ce 
second principe, M. Gondon cite le mot corne en dix lan- 
gues différentes, qui toutes l'ont reproduit de la même 
manière , à l'exception de quelques voyelles, lettres aux- 
quelles 1l donne peu d'importance, vu leur caractère peu 
significatif, il compare ces lettres aux üssus cellulaires 
qui déguisent les formes dans l'échelle organique et aux- 
quelles on ne peut s'arrêter sans tomber dans les erreurs 
les plus grossières, si l’on cherche à détermmer à quelle 
famille appartient un animal. 

M. Gondon expose la manière dont M. Latouche a 
classé par fanuiles tous les mots des langues, il dit que 
l’on ne doit pas être surpris que le nombre de ces familles 


CINQUIEME SECTION. 219 


soit très-limité, car de même que tous les corps de la 
nature sont formés de quelques élémens, nos idées , nos 
pensées ont un germe, un noyau, un ovule, ce qui per- 
met d'établir une classification pareille à celle des sciences 
naturelles. 11 donne des exemples en hébreu, en grec, 
en latin et en français, pour rendre plus intelligible ce 
mode de classification. Après avoir exposé ces principes , 
il en tire une nouvelle méthode d'enseignement linguis- 
tique qui serait applicable aux études classiques, et ex- 
plique de quelle manière on devra procéder en abordant 
l'étude d'une langue. Il recherche ensuite quelle est celle 
d'où l’on doit partir, il expose les raisons qui font choisir 
l'hébreu de préférence aux autres; il compare les mots 
de cette langue aux corps simples de la chimie, sans la 
connaissance desquels il nous est impossible de connaître 
les corps composés qu'il compare aux langues dérivées. 

M. Gondon conclut de l'unité qui existe, non-seule- 
ment entre les langues d’une même famille, mais encore 
entre les grandes familles que l’on avait cru ne pouvoir 
rapprocher, qu'il n'y a qu’une seule langue parlée par le 
genre humain. 

Il explique ensuite comment cette unité peut se con- 
cilier avec toutes les croyances, soit que l'on admette 
une langue donnée de Dieu à un premier homme, ou 
diverses races humaines qui auraient inventé leur langue 
sans avoir eu entr'elles les momdres communications. 

Il entre dans quelques détails sur les avantages que 
l'enseignement des langues devra retirer de cette marche, 
et établit un parallèle entre les travaux de l'immortel 
Cuvier sur l'anatomie comparée et ceux de M. Latouche 
sur la comparaison des langues. Il pense qu'à mesure 
que les sciences et la civilisation font de nouvelles con- 
quêtes, les grandes périodes de la vie des peuples ame- 


290 CINQUIÈME SECTION. 


neront de nouveaux besoins et croit que le nouvel ensei- 
gnement comble une immense lacune. 

Il prouve l'importance des études linguistiques pour 
notre époque, car est-1l une barrière plus odieuse, plus 
insurmontable, une angoise plus poignante que la diver- 
sité de langage entre les cœurs et les peuples, et finit en 
disant que le nouvel enseignement pourra peut-être un 
jour nous ramener à l'unité, que sa propagation préparera 
le bonheur de l'humanité par la fusion de tous les peu- 
ples. 

M. Gondon, afin de mettre les membres du Congrès à 
même de juger des travaux faits pour prouver ce système, 
fait hommage au Congrès, au nom de l’auteur, de sept 
livraisons d'un journal philologique, et recommande sur- 
tout à l'attention les quatre dernières livraisons qui trai- 
tent spécialement le grec et le latin. 

Une commission est nommée pour présenter un rapport 
sur ce système ; elle se compose de MM. Gerson-Levy, 
l'abbé Maréchal, Morhange et Michel Nicolas. 

M. de Romécourt lit un travail sur l'ame, sa spiritua- 
lité et son immortalité. La pensée, la volonté, la domi- 
nation des penchans lui prouvent l'existence d'une ame 
différente du corps, et spirituelle. Cette ame ne peut 
périr, quand 1l n'y a pas dans là nature une seule molé- 
cule qui périsse ; elle est donc immortelle. Après la vie 
elle recueille les fruits de ses travaux. Bonne, elle est 
heureuse ; mauvaise, elle porte la peme de ses fautes. 

La section décide qu’à cause de l’excursion à Gorze, 
il n'y aura pas de séance le 11 septembre. 


CINQUIÈME SECTION. 291 


SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. de Dumasr. 


Le procès-verbal est lu et adopté. 
- Vu le grand nombre de questions à traiter et le peu 
. de temps qui reste, la cinquième section déace qu'il y 
aura une séance du soir à six heures et demie. 

L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion 
sur la part -des lettres et des sciences dans l'instruction. 

M. Choley dit que la part de l’enseignement des lettres 
et des sciences doit être faite relativement aux diverses 
conditions sociales, que chacune d'elles doit trouver ane 
espèce d'éducation qui lui convienne. Il remarque qu'il 
y a trois degrés d'enseignement. Le premier est l'ensei- 
gnement primaire , tout homme doit le posséder ; le se- 
cond est l’enseignement secondaire ; ce degré d’enseigne- 
ment qui se donne dans les colléges, est suivi par beau- 
coup moins de personnes : le troisième est le haut enser- 
gnement, ce sont les études spéciales, droit, médecine, 
théologie et ceux qui y participent sont encore en plus 
peut nombre que ceux qui participent à l’enseignement 
du degré précédent. Il s'agit de savoir dans lequel de ces 
trois degrés on placera l’enseignement industriel. L'étude 
du latin et du grec est importante ; ces deux langues ont 
contribué à l'éducation du genre humain, par conséquent 
on ne saurait les négliger. Mais pour l'industrie elles ne 
sont d'aucune importance. Si l'on donne tout à tous, il 
est à craindre que l'éducation reste superficielle ; pour lui 
donner de la profondeur, il faut la diviser et offrir à 
chaque profession ce qui lui estutile , aux unes les études 
hbérales , aux autres l’enseignement industriel. 


292 CINQUIÈME SECTION. 


M. Stoflels, tout en reconnaissant les inconvéniens d'une 
éducation supérieure à sa condition, pense que chacun 
cependant ne doit embrasser que la vocation pour laquelle 
il a une capacité et un instinct. Il ne faut donc pas donner 
une direction à l'éducation de l'enfant, de peur de le mettre 
en opposition avec ses virtualités. Il faut, au contraire, 
le mettre en état, par une éducation la plus large possible, 
de développer ses virtualités avec connaissance de cause, 
pour qu'il puisse bien choisir l'état qui convient à ses 
facultés. Le plan proposé par M. du Coëtlosquet, lui 
semblerait remplir ce but, en donnant une vue univer- 
selle des différentes branches de l’activité humaine , et en 
mettant le jeune homme à même de voir quelle spécialité 
couvient à sa nature. Ce plan présente le double avan- 
tage de faire bien dessiner la spécialité de chacun, et de 
lui faire connaître l’ensemble et l'unité de la vie humaine, 
de la société, du monde, et par suite, l’importance de 
tous les élémens dont il se compose. Il ne faut pas que 
l'homme ne connaisse que des généralités, mais 1] faut 
encore moins qu'il soit exclusivemeut spécial, qu'il ne 
remplisse dans la machine sociale qui le rôle d’un passif 
ressort, et pour que la fonction qu'il remplira soit bien 
l'expression de son goût, le reflet de ses virtualités essen- 
üelles, il faut que ses études spéciales sorent précédées 
par des études générales et synthétiques , mises à la portée 
de sa naissante intelligence, et propres à éprouver sa 
nature et sonder ses facultés. 

M. Choley fait remarquer que les idées générales ne 
viennent pas au collége ; qu'il faut d’abord recevoir des 
idées spéciales pour de là s'élever aux générales. Il ne 
croit pas que la spécialité de l’homme se détermine avant 
d’avoir parcouru les deux premiers degrés. 


M. de Romécourt dit qu'il ne suffit pas 1ci d'établir 


CINQUIÈME SECTION. 293 


des systèmes, qu'il faut surtout avoir égard à l'applica- 
tion. Selon lui, donner trop de choses aux enfans, c’est 
courir le risque de faire des hommes médiocres sur toutes 
les parties ; pour avoir trop fatigué leurs organes, on perd 
en succès ce que l’on gagne en largeur. 

M. Michel Nicolas fait remarquer qu’on est resté dans 
le vague pour ce qui regarde l’enseignement industriel. 
Il faut distinguer à qui se donne cet enseignement. Il y 
a plusieurs degrés dans l’industrie ; il faut plusieurs de- 
grés dans son enseignement. Celui qui doit être ouvrier 
ou maître ouvrier, trouye dans les écoles primaires supé- 
rieures tout ce qui lui est bon de savoir pour être dans 
sa spécialité un homme intelligent et non une machine. 
Mais celui qui veut se livrer à la haute industrie et aux 
grandes exploitations devrait, après avoir passé par les 
deux degrés d'enseignement, trouver un enseignement in- 
dustriel, parallèle aux enseignemens spéciaux des facultés. 
Le grand mdustriel doit être aussi développé, sous tous les 
rapports, que ceux qui embrassent des vocations libérales ; 
la haute industrie est même une profession libérale. Il 
ne s’agit donc pas de dire que c’est au deuxième degré 
et parallèlement à l’enseignement des colléges que devrait 
se trouver l’enseignement industriel ; 1l faut savoir de 
quelle espèce d'enseignement imdustriel il est question. 
Pour l’ouvrier et le maître ouvrier les écoles primaires 
supérieures ; pour la haute industrie, un enseignement 
plus complet, plus élevé, parallèle aux facultés et qui 
donne à ces hommes d’une position sociale élevée, une 
tournure d'esprit et de cœur libérale. 

M. Choley dit qu'il n’a nullement nié que l’enseigne- 
ment industriel doive avoir différens degrés ; mais il ob- 
serve que la question est si vaste qu'il est impossible de 
fure autre chose qu'émettre des vues générales claires et 
précises. 


294 CINQUIÈME SECTION. 


M. de Saint-Vincent appuie la diffusion de l’enseigne- 
ment. 


Il approuve pleinement toute extension de l'instruction , comme les 
écoles gratuites des beaux-arts, les cours gratuits, et la propagation 
des publications utiles. On a raison surtout de donner dans les colléges 
des notions de toutes les branches principales des connaissances hu- 
maines, ce qui prépare le terrain de l’esprit à recevoir tout ce qui 
pourra y être ensemencé par la suite. 

M. de Saint-Vincent s'élève contre la division proposée de l’en- 
seignement en écoles des sciences et arts et en écoles des lettres. L’en- 
seignement ne doit pas se diviser dès sa base en deux lignes parallèles ; 
c’est plus tard seulement qu'il doit se spécialiser par des branches 
projetées d'un tronc commun. Ces cantonnemens dans l'instruction 
déroberaient bien des sujets à leur spécialité réelle ; l'élève doit faire 
quelques pas à la naissance de toutes les routes pour savoir celle 
dont le terrain lui ira le mieux, et tel a été médiocre littérateur 
qui eùt fait un excellent mathématicien; si, dans le principe, on eût 
sondé cette partie de son intelligence. 

D'ailleurs ces moitiés d’instructioñ ne donneraient de chaque côté 
que des fruits avortés. Des écoles exclusivement littéraires sortiraient 
des esprits sans connaissances posilives, riches de mépris pour tout 
ce qu'ils ignorent, malades d’une instruction incomplète qui se croit 
universelle, et pense méricer d’autant plus qu'elle est propre à moins 
de choses. D'autre part les écoles des sciences et arts favoriseraient 
trop la tendance déjà prononcée à tout ce qui est exclusivement positif 
et le dédain de ce qui n’est pas matériellement appréciable. Il faut 
éviter l'exemple de l'Amérique, oublieuse de tout, excepté de l’in- 
térét individuel, accroupie dans le système utilitaire, qui garde 
l'esclavage parce qu’elle en tire profit, et qui ne voit dans le culte 
des beaux-arts que la perte du temps et le sommeil de ses capitaux. 


Choley répond qu'il ne prétend pas que l’ensei- 
gnement doive être exclusif, mais seulement qu'il soit 
approprié à la profession qu'on doit suivre. Il faut que 
chacun puisse tout apprendre, mais il ne faut, pour cha- 
cun , apprendre que ce qui convient à sa vocation et à sa 
position. Les idées générales ne peuvent servir que quand 
on a fait choix. Ce qu'il est ici important de déterminer, 


CINQUIÈME SECTION. 295 


c'est auquel de ces trois différens degrés d'instruction 
doivent venir les idées générales. Mais, pour éviter les 
demi-savans, il convient d'approprier les connaissances 
aux positions sociales. 

M. du Coëtlosquet fut voir qu'on a employé les mots 
idées générales avec des sens bien différens. Proprement 
les idées générales sont les idées qui résument une 
science et qui sont le propre des esprits élevés qui embras- 
sent toutes les idées spéciales; quelquefois aussi on entend 
par là les notions élémentaires, et c'est celles-la qu'on 
devrait avoir en sortant du coilége. M. du Coëtlosquet 
rappelle que dans son mémoire il a voulu montrer que 
pour les personnes d’une position sociale élevée, l'édu- 
cation ne doit pas se borner aux lettres, mais qu'elle doit 
embrasser les connaissances qui, dans leur position, peu 
vent leur, être utiles et les mettre à même de rendre 
des services. M. du Coëtlosquet appuie son opinion sur 
un ouvrage de l'abbé Fleury : Zraité du choix et de la 
méthode des études, et il fait remarquer qu'on y trouve 
grand nombre d'idées analogues à celles qu'il a dévelop- 
pées. Il fait remarquer que souvent on est obligé de 
rempli des fonctions publiques, et que pour cela il fau- 
drait des connaissances générales de droit, D'ailleurs, 
elles sont encore souvent nécessaires pour la conduite de 
ses intérêts privés. 


M. de Dumast remarque qu'aujourd'hui tout le monde est d'ac- 
cord sur le trop de temps donné au latin; mais que, dés à présent, 
avant d’avoir là-dessus réalisé ce qui est juste, et quoique la réforme 
nécessaire ne soit pas encore arrivée à l'état de pratique , on lui pa- 
rait déjà être allé trop loin en théorie, puisque les esprits, par un 
excès contraire, sont actuellement portés à regarder comme presque 
superflu ce genre d'étude. 

D'abord, en laissant même de côté la littérature, et les annales 
de Rome antique , le latin est l'idiome dans lequel ont été écrits, 


24 


296 CINQUIÈME SECTION. 


pendant quinze siècles , des ouvrages de droit, de médecine et de 
théologie, qu'il faudra toujours consulter, IL est encore de nos jours, 
la langue de l'église. 

Ensuite le latin forme un moyen de s'entendre , un instrument de 
communication , non pas trés-vulgaire sans doute, mais toujonrs 

ossible, et par conséquent précieux, entre les hommes instruits , 
habitans de divers pays. Le français, qu’on avait cru appelé à de- 
venir la langue universelle , commence à être repoussé par les patrio- 
tismes étrangers; celte réaction est trés-visible en Allemagne, où 
certainement on ne supporterait plus, comme à Berlin, sous Frédé— 
tic II, de voir rédiger et publier en francais les mémoires d’une 
académie germanique. Le latin, ne présentant à aucun peuple l’idée 
de suprématie d'un peuple rival, et ne choquant l’amour-propre 
d'aucune nationalité jalouse, peut conserver bien mieux, quoiqu’avec 
moins de vogue apparente, ce rôle d'universalité. — Et l'avantage 
d'un tel moyen ne se borne pas aux relations scientifiques , par lettres 
où mémoires, entre les académiciens. Ainsi le membre qui parle, a 
vu lui-même il ya quelques mois, en notre présente année 1837, 
des hongrois, et des bohèmes venus en France , les premiers pour 
afaires de religion, les seconds pour affaires d'administration et de 
bienfaisance, y arranger très-suflisamment , à l’aide du latin, les in- 
téréts dont ils s'étaient chargés; tandis qu’ils n'auraient pu , autre— 
ment, parvenir à se faire comprendre, n'ayant pas eu le temps de 
joindre à la connaissance de l'allemand, du slayon et de l’idiome 
de l’église, celle de l'anglais et du francais. 

En supposant toutefois, continue M. de Dumast, que le latin, 
considéré sous ce dernier rapport, c'est-à-dire comme langue uni- 
verselle encore actuellement applicable, ne füt plus que d'un emploi 
borné et d'une nécessité secondaire, ce ne serait pas un motif pour 
n’en plus faire l'un des principaux alimens de la jeunesse: il n’y en 
aurait peut-être là qu'une raison de plus. Car, au milieu d’un siècle 
ultrà-positif, où se fait senur le besoin de contrepoids à la tendance 
exagérée qui porte vers l’utilitarisme les générations naissantes , il im— 
porte de conserver, dans leur éducation, une part à quelque chose 
d'idéal et de non utilitaire , à la première et principale de ces études, 
prétendues superflues, qui ne se traduisent pas en écus, et qui ne 
sont que sociales et humanisantes comme les appelaïent les anciens : 
humaniores ltteræ. 

D'ailleurs, si jamais la connaissance du latin , maintenant imposée 
par les convenances à tout homme d’une éducation complète, se 


CINQUIEME SECTION. 227 


réduisait à n'être plus que facultative, il ne faut pas se dissimuler 
qu’elle tomberait avec une rapidité prodigieuse , et qu'on en perdrait 
presque aussitôt les avantages, objet alors d'un regret tardif mais 
impuissant. Que les langues vivantes, en effet, soient ou non ensei- 
gnées dans les classes , elles seront désormais toujours apprises ; il n'y 
a plus à s’en inquiéter; car les transactions commerciales ont. besoin 
de ces langues, et dés-lors on peut s'en rapporter à l'infatigable 
activité des intérêts privés. Mais comme il n’existe plus de villes latines, 
comme il n’y a nul part un peuple de latins, manufacturiers ou 
consommateurs , dont il faille savoir l’idiome pour leur acheter ou 
leur vendre des marchandises , la chose est bien différente: aussitôt 
que le latin cesserait d'être obligatoire dans les colléses, on cesserait 
de le cultiver. IL tomberait au rang des études d’exception, aux— 
quelles se livrent säns conséquence un petit nombre de curieux; et 
sa prompte disparition laisserait un vide déplorable , rempli par ces 
notions de littérature imparfaite dont se contente le vulgaire , ou, 
plus souvent encore , par la pure et simple ignorance. 

» Il est vrai, dit en finissant M. de Dumast , que les sept ou huit 
annéees qu'on a coutume d'y mettre, sont un gaspillage de temps, qui ne 
peut plus être souffert. Mais le remède consiste dans la recherche 
des bonnes méthodes; et de toutes les méthodes , la meilleure serait 
d'avoir des maîtres qui possédassent réellement le latin, et qui, ca- 
pables de rédiger sur tous sujets, des dialogues familiers et corrects 
(chose qui ne s’est plus faite depuis Erasme), enseignassent à leurs 
élèves ce qu'ils sauraient bien eux-mêmes: l'art de penser et parler 
en latin. M. de Dumast a vu de ses yeux, et peut assurer d’après 
expérience, qu'avec ce procédé, on fait parcourir à l'enfant, dans 
une année, le chemin de deux fortes classes, pour ne pas dire de 
trois. 


SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE. 
(Séance du soir.) 


Présidence de M. du Cortrosquer. 


M. Kœnig lit une pièce de vers dont on vote la lec- 
ture en séance. 


298 CINQUIÈME SECTION. 


M. Macherez lit un mémoire sur la question suivante : 
Existe-t-il dans le monde civilisé une nation chez la- 
quelle le législateur se soit occupé de l'éducation du 
peuple ? Déterminer le mode d'éducation qui convient 
le mieux au peuple francais dans l’état de civilisation 
où il se trouve aujourd'hui. 


La premiére partie de ce mémoire présente un tableau comparatif 
des peuples les plus connus jusqu’à nos jours, considérés par rapport 
à la marche de leur civilisation , à l'influence du gouvernement sur 
leur éducation, et de celle-ci sur le bonheur de la société. I résulterait 
de ce parallèie que presque que tous les peuples à leur origine ; 
ont adopté exclusivement le régime de la guerre. Chez les uns, 
comme les spartiates , les perses et les romains , l'éducation du peuple 
toute militaire ; a été réglée par le législateur ct dirigée aux frais de 
la nation: les'arts et l'industrie furent le partage des esclaves que 
le travail et l'étude mirent plus tard en état de briser leur joug. Sui- 
vant les réflexions de l’auteur, les facultés individuelles chez ces 
trois peuples n'ayant été développées que dans un sens, et dirigées 
vers un seul but, cette éducation incomplète ne pouvait faire le 
bonheur de la nation. Cependant tant que la loi du plus fort régla 
la puissance des peuples , cette éducation uniforme , générale et dirigée 
par les soins de l'état eut un grand avantage. D'autres, comme les 
Gaulois, obligés de repousser continuellement des invasions étran- 
gères , ne se sont livrés exclusivement à la guerre que par nécessité. 
Le métier des armes fut long-temps leur unique occupation, et l'é= 
ducation des jeunes gens abandonnée aux pères de famille fat né- 
cessairement négligée. L'auteur nous fait voir les peuples passant 
presque tous du régime de la guerre et des esclaves ; sous celui de 
l'industrie ; il nous présente alors chaque nation partagée en trois classes 
bien distinctes : la première , la moins nombreuse, possédant presque 
tout le territoire; la seconde formant à elle seule presque le corps 
entier de la nation; mais pauvre et obligée de travailler pour vivre, 
esclave de la première chez les uns, et trés-dépendante chez les autres ; 
la troisième aussi peu nombreuse que la première , mais dépositaire 
des sciences et des lois sacrées, exercant une autorité despotique 
chez les. uns, ou une puissante influence chez les autres, ne laissant 
échapper de son sein que la portion d'instruction et de lumiéres, 
«ju'elle jugeait à propos selon les circonstances du moment de laisser 


CINQUIÈME SECTION. 299 


pénétrer dans les masses. Selon l'auteur , l’instruction ne serait des- 
cendue des sommités de la nation que par secousse et partout 
que par suite d'une concession faite de temps en temps à la force 
des choses; que devenue un objet de spéculation et de. vénalité, 
elle n'a pu répandre ses bienfaits que sur le plus petit nombre ; que l'é- 
dueation des 1e gens abandonnée au caprice des familles, livrée 
le plus souvent à l'ignorance et à la grossièreté, n'a pu étre que 
vicieuse, erronée ou inéomplété: 

Dans la deuxième partie de son mémoire, M. Macherez examine 
de quelle manière on stimule chez le peuple francais le développe- 
ment des facultés intellectuelles du corps social. Il voit que si d'un 
côté la loi ouvre à tous le chemin des honneurs et des places admi- 
nistratives, de l’autre la fortune le ferme au plus grand nombre; 
que l'instruction qui donne l'aptitude nécessaire pour y parvenir, 
est une chose vénale , qu'il y a autant de degrés d'instruction que la 
fortune a distingué de classes dans la mation ; que les choses n'ayant 
fait que changer de nom, ce sont toujours à peu prés les mêmes 
tribus qui, autrefois esclaves, ou irès-pauvres, forment aujourd'hui 
les classes d’insdustriels et de manœuvres ; celles qui jouissaient des 
priviléges de la noblesse et de la fortune ; conservent encore aujourd’hui 
par le fait, la même prépondérance , li même supériorité ; l'industrie 
toujours abandonnée à elle-même , ne se développe que péniblement ; 
l'éducation du pauvre abandonnée à l'incurie , à l'ignorance et à la 
grossiéreté est presque une dépravation. Le temps que le jeune pro- 
létaire passe dans les ateliers pour apprendre sa profession ; est moins 
un apprentissage qu'une sorte de servitude, et l’instrucüon prépara- 
toire qu’il a recue, loin de suffire pour lui en aplanir les difficultés, 
le distingue à peine de la brute. 

Aprés ces considérations, M. Macherez pose pour principe que la 
puissance d'une nation dépend du développement et de l'application 
sagement ordonnés de toutes ses facultés individuelles, que les enfans 
nés sur le sol francais, étant tous membres du même corps, enfans 
de la même patrie, et par RE a es tous frères, sont appelés à 
contribuer de toutes leurs facultés à la puissance et au bonheur de 
la famille , que négliger une seule de ces facultés individuelles , c'est 
priver la société Lout entière d’une partie de ses forces. Elles doivent 
donc toutes recevoir le développement dont elles sont susceptibles : 
sans cela, on ne peut juger ce que vaut chaque individu, et lui 
assigner son rang et sa condition. De ce principe, M. Macherez tire 
cette conséquence ; que tous les enfans du même âge, quelles que 


230 CINQUIÈME SECTION. 


soient les familles auxquelles ils appartiennent, doivent être formés 
et instruits simultanément et dans la même enceinte autant qu'il est 
possible , afin que de bonnne heure ils apprennent à se connaître et 
à s'aimer, qu'ils aient les mêmes mœurs et le méme langage, con- 
ditions essentielles à la solidité des liens sociaux ; que l'instruction 
primaire ; la même pour tous, soit une exploration générale des goûts 
et des dispositions naturelles. Qu'elle donne à tous une connaissance 
parfaite de la langue maternelle, l'habitude de parler et d'écrire 
purement et avec précision, la connaissance de l’histoire et de la 
géographie , surtout de celle du pays ; des mathématiques élémentaires 
avec application au dessin et à quelques principes de mécanique , 
des notions de l'histoire naturelle, du droit civil, et surtout de la 
morale. Cet apprentissage, dit l’auteur, exigerait tout au plus sept 
ou huit années d’études ; l'enfant aurait alors atteint sa quinzième ou 
sa seizième année. Un examen sevère ferait connaître sa vocation, 
et il aurait encore le temps de se livrer à l'apprentissage de la pro- 
fession pour laquelle il aurait montré le plus d'aptitude. Ceux dont 
la vocation pour les arts industriels aurait été reconnue, seraient 
admis dans des écoles d’arts et métiers, dans des écoles d'agriculture 
ou de commerce ; où ils recevraient l’instruction spéciale au genre 
de profession qu'ils auraient choisi. Quant à celles qui exigeraient 
des études préparatoires plus étendues, telles que les langues an— 
ciennes , les belles-lettres, une étude plus approfondie des sciences 
mathématiques , quatre à cinq années suffiraient pour ce complément. 
Un second examen déciderait de leur destination pour les grandes 
écoles militaires ou civiles. 

Alors, continue l'auteur, les intelligences se trouveraient ainsi 
chacune à leur place , et les capacités les moins heureusement placées, 
n'auraient à se plaindre que de la nature. L'industrie et les arts 
confiés aux mains les plus habiles , sortiraient enfin de la routine. Les 
places dans l'administration ne seraient occupées que par des capacités 
appréciées; et de l'harmonie de tant d’eflorts, du développement 
et d’une sage application de tant de facultés naîtrait indubitablement 
une puissance, dont les résultats incalculables dépasseraient de beau- 
coup les sacrifices qu’exigeraient les institutions nécessaires à ce nou- 
veau plan d'éducation populaire. 


Le petit nombre de membres présens à cette séance et 
l'heure avancée (la lecture ayant duré près d’une heure) 


CINQUIÈME SECTION. 231 


ne permettent pas qu'on entame la discussion sur ce mé- 
moire. 


SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. ne Dumasr. 


Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

La discussion sur la part des lettres et des sciences dans 
l'instruction continue. 

M. Choley voudrait que M. Dumast eût formulé ses 
conclusions. Il lui semble qu'il y a contradiction à appeler 
le latin une étude inutile, et à la dire en même temps 
bonne à faire Équibre au penchant à l'utilitarisme. Si 
l'étude du latin sert à quelque chose, elle n’est pas de 
luxe. M. Choley croit la ent du latin utile, 
mais pour d’autres raisons : parce qu'il a été un élément 
de la civilisation. D'ailleurs, il ne pense pas qu'il soit 
juste de Jui donner la qualification de humaniores litteræ. 
Cela pouvait se dire du temps de Ciceron, puisqu’alors 
il renfermait toute la littérature vivante, et était l'ex- 
pression de cette littérature vivante ; mais le latin n’a pas 
eu une influence civilisatrice , au contraire ; 1l a exercé une 
mauvaise influence sur la société, en lui inspirant des 
sentimens payens. M. Choley ne croit pas que le latin 
puisse être la langue universelle, ne fût-ce que parce 
qu'il est incapable de rendre les idées des civilisations 
modernes. Le français tend à devenir langue universelle, 
et si maintenant il parait éprouver quelque perte, cela 
tient à des circonstances momentanées. 

M. Stoffels fait remarquer que le la en effet, ne 
peut être qu’une science instrumentale , à l'aide de laquelle 
on peut connaître les écrits des temps passés. 


959 CINQUIÈME SECTION. 


M. de Dumast dit qu'il est lom d'avoir donné aux 
idées qu'il a développées hier, toute l'étendue que vient 
de lui attribuer M. Choley. 

M. de Romécourt fait remarquer qu'il faut distinguer, 
dans l'étude des langues anciennes, le latin du grec; le 
grec n’est utile que pour la connaissance des étymologies, 
d'ailleurs c'est une étude de luxe; le latin doit avoir 
une part bien plus large, parce qu'il est d’une utilité 
plus grande. 

La clôture sur cette discussion est mise aux voix et 
adoptée à la majorité. 

M. du Coëtlosquet propose qu'on émette quelques 
vœux sur ce qui a fait le fond de cette discussion. 

Après quelques observations, ils sont adoptés dans la 
forme suivante : 

La cinquième section émet le vœu 1° que le temps 
qui est consacré à l'étude du latin et du grec, soit 
considérablement réduit, non par l'abandon partiel de 
de ces langues, mais au moyen de meilleures méthodes. 

29 Que dans le plan des études secondaires, soit com- 
prise, 

4° L'étude réelle des langues modernes qui offrent le 
double avantage de posséder une littérature riche, et de 
faciliter nos relations avec des nations voisines, 

2° Des notions élémentaires des diverses sciences, en 
premier ordre celles dont la connaissance nous est utile 
soit pour nos intérêts particuliers, soit pour rendre ser- 
vice à nos semblables. 

La section émet en outre le vœu que cette question 
si vaste soit de nouveau examinée au prochain Congrès, 
relativement détails d'application, et que dans lin- 
tervalle elle soit étudiée d'une manière plus approfondie, 
afin qu'elle puisse être résolue complètement. 


CINQUIÈME SECTION. 233 


M. Duvivier fait remarquer que, quelque bon que soit 
l'enseignement qui sera mis à la portée de classes ou- 
vrières , le travail journalier des ateliers ne permettra 
pas aux enfans d'en profiter. En conséquence il propose 
à la section d'émettre le vœu que le gouvernement trouve 
quelque moyen de faire participer aux bienfaits de l'ins- 
truction, les enfans des fabriques. 

M. de Saint-Vincent propose la législation anglaise 
comme modèle, pour la protection qu’elle accorde au 
bien-être matériel et moral des ouvriers. 


Des actes du parlemeut ont depuis longtemps réglé les caïsses 
d'épargne , les rapports des maîtres et des domestiques ; et surtout 
en ce qui concerne les sociétés de prévoyance ou de secours mutuels 2 
la sollicitude de la loi entre dans les détails les plus sages et les 
plus minutieux, pour assurer leurs membres contre l’imprudence ou la 
mauvaise gestion des administrateurs. 

Il donne lecture des bills rendus au sujet des manufactures de 
laine ou de coton. Ces lois.interdisent, sous des peines sévéres, de faire 
travailler les enfans au-dessous de neuf ans. Elles défendent de faire 
travailler la nuit les ouvriers âgés de moins de vingt-un ans. Elles 
rêglent pour les adultes le maximum des heures de travail , le temps 
qui doit être accordé pour les repas; elles comprennent aussi des 
prescriptions hygiéniques et d’autres propres à prévenir le désordre 
des mœurs. Elles veulent que pendant les quatre premières années 
de leur apprentissage , les apprentis recoivent chaque jour des leçons 
de lecture, d'écriture et de calcul. Enfin » des mesures de surveillance 
et de répression sont prises pour assurer l'exécution de toutes ces 
dispositions. 

M. de Saint-Vincent conclut en pensant que cette législation peut 
être recommandée comme un exemple à imiter en France. 


M: Blanc observe que ces lois n’ont pas même paru 
suffisantes, puisque de nouvelles lois à ce sujet sont en 
ce moment pendantes dans le parlement anglais. 

Sur la proposition de M. Duvivier et les remarques de 
M: de Saint-Vincent, la cinquième section émet le vœu 

30 


234 CINQUIÈME SECTION. 


que le Gouvernement , par des dispositions plus où moins 
analogues à celles que fournit la législation anglaise , mette 
les enfans des fabriques à même de recevoir le genre 
d'éducation dont ils ont besoin. 

La parole est à M. Stoffels, pour lire un travail sur le 
principe de la science. 

Ce mémoire sera lu en séance générale. 

M. Blanc demande à payer sa part de travail à la sec 
tion, dont il fait partie, en lisant quelques vers. Cette 
poésie, qui a excité les applaudissemens de la section, 
sera lue aussi en séance générale. 

La séance est levée à une heure. 


SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de Dumwasr. 


Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 
M. Gerson Levy lit un rapport sur le sytème de 
M. Latouche. 


Après avoir montré qu'il s’agit ici de savoir si, par la comparaison 
des diverses langues, on peut arriver à une unité linguistique et dans 
ce cas, quelle serait la langue à laquelle on devrait rapporter les 
autres, il observe qu’en eflet, il y a bien des mots qui présentent la 
même construction vocale dans toutes les langues , comme par exemple 
la négation qui se rend toujours par n,eni, am, non, nihil, nein, 
no, nit, etc., et la seconde personne du singulier qui s'exprime 
toujours par t ou d, comme ata, tu, du, thou, etc; mais il n’en 
est pas d'ordinaire ainsi. On trouve par exemple que le même mot 
qui en allemand et en anglais signifie fioëd, kalt, kald, désigne la 
chaleur en latin, francais, espagnol , calido, caliente, calidus. Xl y a 
aussi des mots qui signifient à la fois les choses les plus opposées 
ainsi en hébreu nt la clarté et l'obscurité, tp la sainteté et la 


CINQUIÈME SECTION. 235 


rofanation 1} enraciner et déraciner etc. Evidemment l'onoma- 

pre ; 

topée ne peut avoir présidé à la formation de ces mots. — Ensuite les 

principes d'aprés: lesquels on trouve dans ce système les étymologics , 

sont plus ingénieux que fondés, et trop nombreux , pour ne pas jeter 

l'élève dans le tâtonnement. 

Après quelques autres considérations , le rapporteur établit que ce 

GENS > 

système , füt-il fondé, il ne pourrait que faire pressentir le sens des 
, ; P q P ; 

mots, mais ne donnerait jamais le sens précis et encore moins le 

génie d'une langue , sans lequel on essaierait vainement de la com- 

prendre. 


Après la lecture du rapport fait par M. Gerson Lévy, 
au nom de la commission, 


‘ M. Gondon dit que la nature du rapport lui permet, et nécessite 
même, quelques observations de sa part; car aucune conclusion n’a 
été prise par la commission qui ne fait que soumettre des doutes, 
doutes qu’il va essayer d'éclairer. 

On trouve, dit le rapporteur, un grand nombre de mots, absolu- 
ment les mêmes et qui expriment cependant des idées diamétralement 
opposées, ce qui renverse les principes posés par l’auteur, etc. 

À cette objection , M. Gondon répond : que ce n'est pas à la seule 
inspection d'un mot que l’on peut arriver à en connaître la significa- 
tion, que le caractère général des lettres ne peut, même à priort, 
être d'aucune utilité; mais qu'ainsi qu’on l’a toujours fait, il faut 
chercher les mots dans un dictionnaire, et qu'ensuite le caractère 
des lettres employées à l’exprimer, est d'un grand secours pour 
l'étude de l’idée qu'il renferme, étude qui conduit à connaître la 
signification parfaite des mots d’une langue , avantage immense qui 
obvie au vice qui 2 existé jusqu'à ce jour sur ce point; car c’est 
précisément parce qu’on a fait de l'étude des langues , une étude 
mécanique qu'une clameur universelle s'élève aujourd'hui contre elle. 

M. Gondon passe ensuite à une seconde observation du rapporteur, 
sur ce que les données étaient vagues et incertaines, que l’on pou- 
ait toujours arriver à un résultat, satisfaisant d’après l'auteur, et 
qui n'en est pas moins un pur travail de l'imagination. 

Ici , il croit devoir faire observer que si le temps avait permis aux 
membres de la commission d'examiner le travail sur lequel il avait 
spécialement appelé leur attention, ils n'auraient pu avancer une 
pareille assertion, mais il reconnait que le court espace de temps 


236 CINQUIÈME SECTION. 


mis à leur disposition , ne leur a pas permis de faire un examen ap- 
profondi de la question. Il leur fait observer que les principes posés 
ne l'ont point été arbitrairement; que l'observation et l'étude appro— 
fondie des langues avaient seules conduit à posteriori à consigner la 
marche qu’elles avaient suivi dans leur diflérentes et successives mo- 
difications , et que ces principes une fois posés , ceux qui fixent les 
séries de lettres par exemple, ils n'étaient jamais transgressés. Il 
justifie ensuite les anagrammes ou 1ranspositions de mots par les 
manières diverses dont l'écriture était dirigée dans les principes. 
Enfin M. Gondon pense que la manière dont le grec et le latin ont 
été traités par l'auteur, répond au reproche que des anomalies ont 
été prises pour des règles, et que quiconque voudra examiner ce 
travail, se convaincra que l’on a suivi scrupuleusement les principes 
posés , et qu'on ne s’en est jamais écarté pour résoudre d’une manière 
satisfaisante tous les problèmes linguistiques. 

Les faits seuls, ainsi que le rapporteur l'a observé, pouvaient 
résoudre la question d’une manière avantageuse sur ce point. M. Gon- 
don avoue qu'il a raison; il pense que l'établissement ouvert à Paris 
par M. Latouche , va faire avancer la question, et il désirerait , ainsi 


que le fit le Congrès de Blois, que le Congrès prochain examinät la 
question sous ce nouyeau point de vue, 


M. de Dumast fait remarquer que, dans ce système, on 
a confondu les équations générales et les équations part- 
culières, et qu’on a sans cesse conclu des unes aux au- 
autres. M. de Dumast montre ensuite par des exemples 
pris dans le journal de M. Latouche, qu'après avoir posé 
des principes si larges, qu'il semble qu’on pourrait tout 
y ramener, le système est encore obligé souvent d'être 
inconséquent. 

Après quelques remarques de M. Gondon, qui fait ob- 
server que les exemples de M. de Dumast ne sont pris 
que dans le premier numéro du journal, tandis que les 
derniers donnent une idée plus parfaite du système, et 
qu'on ne s’est jamais écarté des principes , et qui demande 
que la cinquième section émette le yœu que la question 
soit traitée au prochain Congrès sous ce dernier point de 


CINQUIÈME SECTION. 237 


vue, des résultats obtenus par les méthodes, et après 
quelques observations de M. Michel Nicolas pour com- 
battre la proposition de M. Gondon, le rapport est adopté. 
M. Durutte lit un rapport sur l'état de la musique à 
Metz. Ce travail intéressant sera lu en séance générale. 


M. du Coëtlosquet lit un travail sur le classicisme et 
le romantisme. 


Dans ce mémoire, M. du Coëtlosquet émet l'opinion que la littéra- 
turc classique se reconnaît à deux caractères principaux : l'mitation 
des auteurs classiques, et l'observation des règles ; que par opposition, 
le romantisme consiste essentiellement dans la double indépendance 
des modèles et des règles, \ 

Il pense que la question se réduit en conséquence à examiner à 
quel point il est utile, à quel point il peut être nuisible de s’assujettir 
et à l’imitation des modeles, et à l'observation des règles. 

Relativement aux modéles, M. du Coëtlosquet expose que l'étude 
des modèles est toujours utile, mais que dans leur imitation il y 
a des conditions essentielles à observer, et des bornes qu'on ne doit 
point franchir. 

IL établit une distinction entre les pensées qui ont un fond de 
vérité absolue, et celles qui se rattachent à certaines circonstances 
particulières de temps et de lieux: c'est sur les premiers points que 
doit porter l'imitation; à l'égard des seconds elle doit se l'interdire. 

Relativement aux régles, il rappelle qu'elles ne sont, dans la 
réalité, qu'une forme concise sous laquelle on a exprimé les prin— 
cipes de l’art, qui se trouvaient déjà implicitement dans les modèles ; 
que par conséquent la règle ne vaut pas absolument que ce que vaut 
le modéle d'où elle a été déduite, et que les mêmes précautions 
indiquées pour limitation des auteurs, sont également applicables à 
l'observation des règles. 

M: du Coëtlosquet termine son mémoire par quelques avis qu'il 
adresse successivement aux écrivains des deux écoles. 

Il dit, d’abord aux classiques : < Vous avez pour vous l'autorité 
des grands exemples, l'expérience des siécles ; ce sont de précieux 
avantages , jouissez-en tranquillement, on essaierait en vain de vous 
les disputer. Méditez sans cesse les grands modeles de'la Grèce et 
de Rome, et ceux qui, dans le siècle de Louis XIV, en marchant sur 
leurs traces , ont mérité de devenir des modéles à leur tour; tout ce 


258 CINQUIÈME SECTION, 


qu'on vous demande , c'est que le juste hommage que vous leur rendez, 
n'ait point un caractère exclusif: continuez à faire vos délices des 
poèmes immortels d'Homère et Virgile; mais ne vous refusez pas à 
sentir les beautés touchantes des chants ossianiques. Que votre pro- 
fonde admiration pour les chefs-d'œuvre de Corneille et de Racine 
ne vous fasse pas fermer les yeux sur le mérite des compositions in— 
formes, incorrectes, mais si énergiques, des Shakespeare et des 
Schiller: souvenez-vous que sentir les beautés partout où elles se 
trouvent, ce n’est pas une délicatesse de moins, c’est une faculté 
de plus*. Etudiez les règles, attachez-vous à les observer, et vous 
ferez très-bien , pourvu que vous n'oubliiez pas que la première de 
toutes les règles , celle sans laquelle toutes les autres ne sont rien, 
et qui, au besoin, pourrait suppléer à tout le reste , c’est d'intéresser, 
qu'un ouvrage intéressant vivra toujours, quels que puissent être ses 
défauts, tandis que celui dépourvu d'intérêt, füt-il d’ailleurs le plus 
régulier du monde, ne fera jamais qu’une méchante composition. ** 
Ainsi, cherchez d'abord à intéresser ; et si, cn même temps, vous 
pouvez suivre les règles, ce sera mieux encore; si l'un et l'autre 
ne peuyent se concilier , sachez, au besoin, sacrifier la règle à l'in- 
térét, vous souvenant que, comme l'a dit Boileau lui-même, 
« Un esprit généreux 


» Trop resserré par l’art, sort des hornes prescrites, 
» Et de l’art même apprend à franchir les limites. » 


— Que dirai-je encore? — Ecrivez correctement, j'y consens; c'est 
trop peu, je vous y exhorte; mais que votre style ait encore plus 
de chaleur que de correction: 


« Qui dit froid écrivain, dit détestable auteur; » 


C'est encore Boileau qui a prononcé cette sentence : que d’auteurs 
n'a-t-elle pas atteints, et n’atteint-elle pas tous les jours derrière ces 
remparts de la grammaire, où ils se retranchent en vain! Un écri- 
vain célèbre *** a dit: Ze ‘style est tout l’homme ; je le crois; c’est 
que, dans le style, il y a autre chose que des mots, des phrases, 
des périodes : le style embrasse et les grandes pensées qui viennent 
du cœur ****, et les sentimens généreux qui l’exaltent ou le remuent. » 


* Expressions de B. Constant : Réflexions sur la tragédie de Walistein et sur le théâtre 
allemand. ’ 

** A book maybe amusing with numerous error, or it may be very dull without a single 
absurdity. (Gocswirun: le ministre de Wakefield.) 

*** Buffon. 

4% Vauvenargues. 


CINQUIÈME SECTION. 239 


Il s'adresse ensuite aux romantiques : « Ne jugez pas des doctrines 
classiques d’après les exagérations de quelques pédans , qui, pour rire 
ou pour pleurer, semblent attendre l'ordre, ou, tout au moins, 
la permission d'Aristote. Le classique par excellence, celui-là même 
qui a tracé les règles de l'art poétique dans un poème qui sera éternelle- 
ment consulté comme le code du bon goût et de la saine raison, 
at-il envisagé cet art comme une espèce de muraille étroite, dans 
laquelle il prétend parquer le génie? Non, nous venons de le voir ; 
il admet qu'on peut, qu'on doit quelquefois franchir les limites : et 
voilà ce qu'après lui, pensent et disent ces hommes contre qui vous 
nourrissez une prévention injuste, ou tout au moins excessive. Vous 
avez ouvert à l'imagination de nouvelles routes, vous ayez agrandi 
et enrichi son domaine; c'est trés-bien, mais n'allez pas faire fable 
rase de tout ce qui vous a précédé. Voyez, non dans les enfans 
perdus de votre éccle, mais dans tout ce qu'elle a produit de plus 
illustre, et l’essor rapide que peut prendre un génie abandonné à 
lui seul, et les chûtes trop fréquentes qui l'attendent : Voyez, dans 
la même page, quelquefois dans la même ligne ou le même vers, 
à côté des pensées les plus sublimes , ou des sentimens les plus pa-— 
thétiques, se glisser le faux , l'ampoulé, l'obscur, l'inintelligible : 
voyez l'admiration ne plus oser payer son tribut, sans traîner à sa 
suite quelque censure. Entre les qualités du style, vous prisez par 
dessus tout la chaleur; votre avis est tout-à-fait le mien ; seulement 
gardez de vous abuser sur cette précieuse qualité, rien n’est à la 
fois plus facile et plus dangereux : la chaleur ne réside pas dans l'éclat, 
dans la singularité des mots ou des tours du langage; elle a son 
foyer dans le cœur, elle part d’un sentiment vrai et profond , elle 
s'allie trés-bien avec la simplicité de l'expression ; que dis-je? elle 
la réclame , elle l'exige. L’enflure , avec laquelle l'ignorance la confond 
quelquefois, est sa plus grande ennemie, Vous vous attachez parti 
culièrement à la peinture de la nature; vous avez en ce point, je 
ne dirai pas surpassé les tableaux des anciens ; mais enfin yous avez 
saisi quelques teintes nouvelles ; soit : je vous approuve en ceci, 
Pourvu que vous reconnaissiez que le cœur humain est une mine 
beaucoup plus féconde » plus inépuisable que la nature physique, et 
que l'imagination soit pour vous, non le but où vous frapperez , mais 
la voie par laquelle vous chercherez à pénétrer jusqu'au cœur. Vous 
voulez sortir des routes battues de la mythologie grecque, et des 
républiques d'Athènes et de Rome ; vous fouillez avec courage dans 
les vieilles chroniques de votre patrie, vous portez un flambeau scruta- 


00 CINQUIÈME SECTION. 


teur dans les ténébres du moyen-âge ; ce zèle est louable , loin de moi de 
vous en détourner ; mais ne vous figurez pas qu'il suffise de nouveaux 
noms pour produire des émotions nouvelles : il appartient au génie 
de rajeunir des sujets qui paraissent épuisés; le mauvais écrivain est 
toujours copiste, même dans ceux qu'il invente. Vous cherchez à 
intéresser ; ah! sans doute, je vous donne’les mains ; vous ne sauriez 
vous proposer un meilleur but; mais ne vous méprenez-vous pas 
quelquefois sur les moyens? Cet intérêt, vous allez le chercher bien 
loin, dans une complication de faits extraordinaires , d’aventures 
prodigieuses, entassés avec’ confusion dans un étroit espace ; il était 
tout près de vous , il était à votre porte ; les circonstances les plus 
simples de la vie commune vous l’eussent fourni sans peine: peu 
d'événemens, mais disposés de manière à agir fortement sur l’âme 
des personnages, à développer leurs caractères, à faire naïître une 
foule de sentimens vifs et variés; voila, voila une voie sùüre et tou- 
jours ouverte pour produire cet intérêt , après lequel vous courez sans 
pouvoir l’atteindre. — Quoi enfin? — Vous voulez nous affranchir 
du joug importun des règles ; mais soyez donc conséquens à vous- 
mêmes ; laissez-nous celte noble indépendance, que vous proclamez 
en principe ; et après avoir rejeté les entraves des anciennes écoles, 
n'ayez pas la prétention de fonder une école à votre tour; ear on 
l'a trés-bien dit *, le pire esclavage de tous, c'est celui qui joue la 
liberté. Vous répudiez des systèmes qui avaient pour eux l'autorité 
des âges , l’ascendant d'anciennes habitudes, l'éclat d’illustres exem— 
ples: et vous nous imposeriez vos théories d'hier ! S'il faut absolu- 
ment nous laisser conduire , souflrez que nous préférions les poétiques 
d'Horace et Boileau à celles de messieurs Hugo et d’Arlaincourt. » 

M. de Saint-Vincent pense que le romantisme ne saurait être défini 
comme étant l'indépendance des règles et des modèles. Il ne serait 
plus alors qu'une négation; c’est prendre le defaut du genre pour 
son essence. 

Les discussions si rebattues des classiques et des romantiques ne sont 
qu'un des épisodes d’une lutte qui date de plusieurs siècles, entre le 
Nord et le Midi. A la fin du moyen âge, la civilisation græco-latine 
a refoulé la civilisation germaine. Les lois romaines ont remplacé le 
droit coutumier, l'architecture grecque s’est substituée à l'architecture 
gothique, et les classiques anciens ont été donnés comme les maitres 
et la source de l’art. 

L'Allemagne et l'Angleterre, chez lesquelles cet envahissement a été 


* M. Casimir Delavigne. 


CINQUIÈME SECTION. 241 


moins .complet , ont toujours conservé cette tendance germanique à 
la réverie et au spiritualisme, qui sympathise avec le mysticisme chré- 
tien et contraste avec le sensualisme payen du midi. 

M. de Staël et M. de Châteaubriand ont importé, l’un de l'Angleterre 
et l'autre de l'Allemagne , les premières notions de cette école. L'étude 
de la langue anglaise, plus répandue en France depuis 1844, à acheyé 
de l’y naturaliser, en faisant connaître Shakespeare, Byron, Walter-Scott 
et ses autres chefs-d’œuvre, et aujourd’hui l'acceptation définitive 
du romantique dans notre littérature est un fait accompli. 

Ces deux écoles, qui se fondront bientôt en une seule par la force 
des choses, ont chacune leurs défauts. Mais bien loin qu'elles soient 


et d’en éviter également les défauts , et c’est à quoi M. de Lamartine 
paraît avoir souvent réussi. 


En résumé, M. de Saint-Vincent pense que l'expression du beau 


est multiple, et qu’au lieu d'en rejeter aucune, on doit s'attacher à 
les grouper toutes ensemble. 


M. Choley fait remarquer que cette question est celle 
qui s’est toujours posée entre l’imitation et l'inspiration, 
c’est-à-dire entre le beau absolu et le beau progressif. Au 
fond, la question est de savoir si, quand la civilisation 
marche et se développe, l'expression de cette civilisation 
doit aussi changer; si la forme, en un mot, doit changer 
avec le fond. La langue doit être l'expression des idées, 
et, comme les idées changent, il est évident que la forme 
doit de même Changer : aussi il est toujours arrivé que 
les modernes ont été romantiques, et les anciens clas- 
siques ;, Racine, de son temps, était romantique, et les 
romantiques de nos jours deviendront à leur tour clas- 
siques. | 
M. de Dumast accorde que, comme on l’a remarqué, 
leromantisme a été une réaction plus ou moins christia- 
misante contre le principe payen. Lors de ia renaissance, 
il y eut, cela. n'est pas douteux, une influence du pa- 


31 


249 CINQUIÈME SECTION. 


- 


ganisme, née de la culture enthousiaste des ouvrages de 
l'art antique, nouvellement remis en lumière. Cette in- 
fluence se prolongea sous le siècle de Louis XIV ; telle- 
ment que, dans les milliers de statues qu'avait fait placer 
à Versailles le roi très-chrétien, il n'y en avait pas une 
qui ne représentàt quelque divinité mythologique. Ce- 
pendant il y avait alors, au fond, un sentiment religieux, 
pour le moins aussi vrai que celui que nous voyons s’é- 
pancher en phrases impropres et purement approxima- 
tives. Son expression, en littérature, à cette époque, était 
le silence. La religion était regardée comme chose trop 
sérieuse pour passer au dehors; elle restait dans le fond 
du cœur. Le romantisme, qui paraît, au premier abord, 
une réaction chrétienne, ne sert qu'une vague religiosité, 
bien différente de la religion positive. Le classicisme, 
quoique trop paganisé dans ses formes , représentait, par 
sa régularité, le principe de l’ordre, qui s’harmonise avec 
le beau et le bon. Le romantisme, au contraire , a rétabli 
le culte du laid, smon au-dessus, du moms à côté de 
celui du beau ; et, par la force des analogies, il a favo- 
risé de même le placement du mal à côté du bien. 

M. Champouillon dit que le classicisme lui paraît pou- 
voir se définir assez bien , limitation de la nature belle 
et normale ; et le romantisme, celle de la nature mons- 
trueuse. M. Kœnig et d’autres membres réclament contre 
cette définition. M. Stoflels discute le plus ou moms de 
réalité des aberrations morales reprochées au romantisme, 
et reconnaît qu'elles ont en effet consisté en ce que la 
nouvelle école a trop regardé la passion comme une 
chose sainte, suffisante pour ennoblir et justifier le dé- 
sordre. L 

M. le président donne lecture de la proposition de 
M. de Caumont, sur une nouvelle organisation des aca- 


CINQUIÈME SECTION. 243 


démies provinciales ; le temps manquant pour l’examiner, 
elle est ajournée. 


SÉANCE DU VENDREDI 15 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. De Duwasr. 


Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

Au sujet de la discussion d'hier, M. de Dumast propose 
à la section, comme doctrme à adopter dans cette matière 
importante, la résolution suivante, formulée en quatre 
articles dont il croit avoir pesé tous les termes : 


Sur la question de préférence entre les écoles de littérature, la 
cinquième section du Congrès scientifique de France est d'avis : 

4° Que le classique et le romantique peuvent et doivent être étu- 
diés tous deux, comme répondant à deux besoins de la nature et 
présentant deux faces de la vérité ; 

2° Qu'il importe de les unir par une alliance intelligente , qui fonde 
ensemble les parties utiles et belles de l'un et de l’autre, en élimi- 
nant les défauts de tous deux ; 

3° Mais que si ces défauts, pris en eux-mêmes et dans la sphère 
purement théorique, peuvent être considérés comme égaux , il n’en est 
pas ainsi dans la pratique; le romantisme, par sa sève du moment et 
par la vogue dont il jouit, pouvant donner aux fautes qui lui sont 
propres, une intensité beaucoup plus grande et plus fächeuse. 

4 Qu'ainsi, sans rien décider d’absolu sur la question générale , 
c'est, quant à présent, contre les travers et les écarts d’un romantisme 
sans raison, sans convenance et sans véritable savoir, que doivent 
se diriger principalement les efforts des hommes de sens; car des 
erreurs Vieillies n'exigent pas que l'on coure aux armes, et il n'y a 
de digne combat que contre des erreurs jeunes et vivaces. 


M. Michel Nicolas fait observer que, dans des sujets 
qui tiennent de si près au sentiment intime, et où les 
plus légères nuances font naître de grandes difficultés, 
il est peu convenable de prendre des conclusions. Cepen- 


944 CINQUIÈME SECTION. 


dant celles de M. de Dumast sont assez larges pour qu'on 
puisse y adhérer sans scrupule. 

À la suite de quelques autres remarques, émises par 
divers membres pour jeter de nouvellés lumières sur la 
controverse, et après l'abandon de plusieurs amende- 
mens, retirés par leurs auteurs presqu'aussitôt que pro- 
posés, M. de Dumast relit ses conclusions, qui, mises 
aux voix article par article, sont finalement adoptées, 
sans aucune modification. 

M. Durutte fait son rapport sur le traité de M. l'abbé 
Pierre : De l’Influence de l'harmonie, etc. 1 voudrait 
que M. l'abbé Pierre prit plus en considération la mu- 
sique d'église de l’école romaine. | 

M. Durand lit un mémoire sur la treizième question. 


Considérant dans la nature un mouvement universel , il aflirme que 
la vie est universelle; considérant les tendances qu'ont les sciences 
de faits et les conyenances métaphysiques à résumer tous les principes 
dits immatériels ou impondérables en un seul, il suppose que le 
principe vital est un; enfin, considérant quelques résultats spirituels 
de ce principe, il le dit immatériel. Aussi, d’après lui, les résultats 
du principe vital ou moteur ne varient, dans les trois règnes de la 
nature, que parce que ce principe est appliqué à des instramens 
matériels divers; aussi, l'ame ou le principe vital, considérée d’après 
des manifestations d’animalité, est spirituelle , est identique dans 
tous les animaux, et possède une puissance toujours conditionnelle à 
la puissance d’orgauisation; et les mêmes circonstances existent pour 
l’âme humaine en particulier. 

Entrant dans l'étude de celle-ci, M. Durand la considère comme 
le mor sentant, pensant et agissant. Il divise ses propriétés en deux 
ordres: 1° celles qu’elle a de pouvoir étre sollicitée à produire des 
résultats ; 2 celles qu’elle a de pouvoir faire agir les organes qui pro- 
duisent ces résultats. 

$ 4%. Les premières constituent l’excitabilité sensitive. Elles se 
manifestent après les actes dits d'impreésion, de transmission et de 
sensation. L'électricité paraîtrait jouer un grand rôle dans les deux 
premiers, car elle est nécessairement produite dans toute impression ; 


CINQUIÈME SECTION. 245 


le troisième, qui est inconnu dans son essence , se résume en deux 
états primitifs : plaisir et douleur. Dans ces trois actes l'ame est pas- 
sive, elle ne joue pas même encore le rôle d'instrument. 
. $ 2. Les propriétés qu'a l'âme de pouvoir faire agir les organes 
qui produisent des résultats, se rattachent à son activité. Elles for- 
ment trois genres de facultés innées : 1° d'affection, 2° d’entendement, 
3° d’impulsion ou de motilité, localisées dans diverses parties de 
l'axe cérébro-spinal. 

1° L'âme affective , sollicitée par un plaisir ou une douleur et après 
cela, manifestant successivement ces quatre actes primitifs : sentiment, 
désir, choix, volonté, est regardée, par M. Durand, comme centre 
de l’activité philosophique. 

2° L'âme intellectuelle, allant à la connaissance des causes qui ont 
sollicité l’activité et des moyens d'action, ét d’après cela , résumant ses 
actes successifs primordiaux en idée , mémoire ou imagination, com— 
paraison, conclusion, actes qui s’engrènent toujours ayec ceux de 
l'âme affective, est considérée comme un instrument philosophique 
dont le résultat est la notion. 

3° Enfin l'âme impulsive ou de motilité opérant par la volition, 
la transmission nerveuse excentrique et l'application, actes pendant 
lesquels se développe l’activité d’un fluide fort analogue à l'électricité, 
est encore examiné comme un 2nstrument d'application dont le résul- 
tat définiuf est le mouvement. 


L'heure avancée ne permet pas à M. Michel Nicolas 
de lire un travail sur la quatorzième question. 

M. de Samt-Vincent lit des vers d'adieu au Congrès. 
La sect on désire qu'ils soient lus en séance générale. 

M. l'abbé Maréchal exprime à la section sa gratitude 
de la bienveillance avec laquelle elle a accueilli les ecclé- 


siastiques , et 1l remercie M. de Dumast d’avoir bien voulu 
se charger de la présidence. 


Les Secrétaires de la section, Le Président de la section, 
Micnez NICOLAS. CHATELAIN. 
NICOLAS. Le Vice-Président, 


P. DE DUMAST. 


246 SIXIÈME SECTION. 


SIXIÈME SECTION. 


SCIENCES PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES. 


SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. Morin. 


Par suite de la non-acceptation de M. Braconnot, la 
section procède à l'élection d'un président et d’un vice- 
président : MM. Morin et de Haldat obtiennent la majorité 
des suffrages. 

M. le président fait part à la section des ouvrages qui 
lui ont été adressés, et en confie l'examen à différens 
membres. 

M. Braconnot a aussi adressé une analyse chimique de 
l'eau de Bulgnéville, dont la section ordonne et entend 
la lecture. Il résulte de cette analyse que l’eau de Bul- 
gnéville renferme un grand nombre de substances mi- 
nérales dont quelques-unes sont douées de propriétés 
médicinales bien reconnues, telles que le sulfate de soude, 
le sulfate de magnésie et le chlorure de sodium. L'auteur 


SIXIÈME SECTION. 947 


remarque que cette eau contient du sulfate de potasse, 
fait très-rare ; mais ce qui lui paraît surtout digue d’at- 
- tention, c’est à présence du carbonate de strontiane qui 
n'a pas encore été trouvé dans les eaux en France. 

M. Gosselin, regardant ce travail comme un modèle 
d'analyse chimique, propose que la section en demande 
l'insertion dans le compte-rendu des séances du Congrès. 
La proposition de M. Gosselin est adoptée. 

M. le capitaine Morin cède le fauteuil à M. de Haldat, 
et fait connaître un travail sur le choc des corps. Cette 
communication se compose de deux parties : 1° les ex- 
périences de M. Morin sur la transmission du mouvement 
par le choc des corps mous; 2° les résultats obtenus sur 
les effets physiques du choc des corps durs, dans les 
opérations d'une commussion composée d'officiers d’ar- 
tillerie dont MM. Piobert et Morin étaient rapporteurs. 

Cette communication a été entendue avec le plus vif 
intérêt : la sixième section prie M. Morin de la renou- 
veler en séance générale, et en propose l'impression dans 
les mémoires du Congrès. 


SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. Morin. 


Le rapport de la dernière séance est lu et adopté. 

Un membre remarquant que plusieurs personnes dont 
les noms se trouvent sur la liste de la section, ne se sont 
point encore présentées, propose de les considérer comme 


948 SIXIÈME SECTION. 


\ 
n'en faisant plus partie, leur absence entravant les déli- 


bérations, qui, d’après le règlement, ne peuvent être 
prises que par Île quart au moins des membres inscrits. 
Cette proposition est adoptée. 

M. le président lit une lettre de M. de Sarrazm, par 
laquelle cet honorable membre fait connaître à la sixième 
section, qu'un accident grave l'empêchera d'assister à 
ses séances. La section regrette qu'une telle circonstance 
la prive de la coopération de M. de Sarrazin. 

M. Gosselin rend un compte verbal du nouveau sys- 
tème de représentation du globe par M. d'Olincourt, et 
présente quelques observations sur ce système. L'auteur 
étant attendu au Congrès, la section décide qu'il est con- 
venable d'attendre son arrivée pour les rendre publiques. 

M. de Haldat lit un mémoire sur des essais destinés 
à faciliter la répétition de l'expérience fondamentale de 
la théorie de l'interférence des rayons lumineux : il donne 
la description d'un appareil qui remplit parfaitement ce 
but. 

M. le président, au nom de la section, remercie M. de 
Haldat de son intéressante communication : ses appareils 
très-ingénieux lui semblent devoir contribuer au progrès 
de l’art expérimental; il propose donc la lecture du 
mémoire de M. de Haldat en séance générale, et son 
insertion au bulletin du Congrès. La section partage l'opi- 
nion de M. le président et appuie ses conclusions. M. de 
Haldat cramt que les détails scientifiques que renferme 
son mémoire ne le rendent généralement peu intelligible 
dans une simple lecture : en conséquence la section décide 
que ce mémoire sera seulement imprimé, et charge son 
secrétaire d'en faire un rapport. 

M. le capitaine Morin succède à M. de Haldat et fait 
un exposé rapide des résultats d’un travail qui lui est 


SIXIÈME SECTION. 249 


commun avec MM. Piobert et Didion, sur les lois de la 
résistance des milieux solides ou mous, à la pénétration 
des projectiles. 

La sixième section adopte, pour cette nouvelle com- 
munication de M. Morin, les conclusions déjà prises pour 
la précédente. 


SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. Mori. 


Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

M. le capitame Didion donne lecture d'un mémoire 
sur les limites de l’art aérostatique, dans lequel il analyse 
les moyens employés jusqu'à présent pour diriger les 
ballons, et démontre que leur impuissance provient de 
ce qu'ils ajoutent à l’aérostat un poids trop grand, re- 
lativement à la force qu'ils peuvent développer ; ainsi, 
c'est de l'invention d’une nouvelle machine qui présente 
un rapport convenable entre ces deux choses qu'il faut 
attendre la direction des ballons tels au moins qu'ils 
sont actuellement construits. 

La section partage les vues judicieuses qui disiinguent 
ce mémoire et en demande la lecture en séance géné- 
rale, ainsi que l'insertion au bulletin du Congrès. 

La section, sur la proposition de M. de Haldat, prie 
M. Didion d'exposer un précis de son mémoire en séance 
générale. 


32 


950 SIXIÈME SECTION. 


SÉANCE DU DIMANCHE 10 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Hazpar (vice-président). 


Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 

M. le capitame Morin donne la description des appareils 
chronométriques qu'il a employés à l'observation des lois 
du mouvement des corps dans diverses expériences et 
pour la construction desquels, en perfectionnant des 
moyens analogues employés par le colonel anglais Bau- 
foy, dans ses recherches sur la résistance de l’eau, et 
celui qui a été mis en usage par M. Eytelwem, dans ses 
expériences sur le bélier hydraulique, il a mis à profit, 
et réalisé sous diverses formes une solution proposée par 
M. Poncelet, et qui consistait à combiner avec conti- 
nuité, un mouvement uniforme connu avec le mouve- 
ment à étudier. Il mdique plusieurs dispositions particu- 
hières à différentes recherches d'un haut intérêt pour les 
sciences physiques. 

La section remercie M. Morin de cette intéressante com- 
munication, et en propose la lecture en séance générale 
et l'impression. 


SÉANCE DU LUNDI 44 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Morin. 


Le procès-verbal de la séance séance est lu et adopté. 
M. de Haldat communique à la section un extrait de 
ses dermiers travaux sur les aimants sans cohésion. Ces 


SIXIÈME SECTION. 951 


aimants sont formés de particules ferrugmeuses, contenues 
dans un tube cylindrique de cuivre fermé invariablement 
à l’une de ses extrémités, et à l’autre par un tampon à 
Vis. 

En les soumettant à l’un des procédés connus d’aiman- 
tation, on y détermine deux pôles comme dan un aimant 
ordinaire. En y mêlant des substances étrangères en dif- 
férentes proportions , les pôles subsistent encore , mais leur 
action s’affaiblit ; en réduisant les particules ferrugmeuses 
à la plus extrême ténuité, et les comprimant, on ne 
remarque pas de changement bien sensible. Ces phéno- 
mènes tendent à prouver que les corps magnétisables doi- 
vent cette propriété à la nature de leurs molécules, et 
non à leurs distances. M. de Haldat pense qu'on pourrait 
attribuer en partie l’état magnétique à une orientation 
particulière de ces molécules ; il cite, à l'appui de cette 
opinion, plusieurs faits très-remarquables d’aimantation 
par ébranlement. Toute cause qui produit des vibrations 
dans un corps magnétisable le prédispose à l’aimantatior ; 
la même cause agissant sur un corps aimanté, tend à lui 
fare perdre la propriété magnétique : ainsi, en agitant 
un aimant sans cohésion on fait évanouir ses pôles ; en 
plaçant une barre de fer entre deux aimants et la met- 
tant en vibration on l'aimante aussitôt. M. de Haldat fait 
connaître plusieurs expériences qu'il a faites sur la forme 
à donner aux corps qu'on veut aimanter; il en résulte 
que la forme oblongue est la plus favorable jusqu'à une 
certaine limite au-delà de laquelle les aimants se frac- 
tionnent ; de sorte qu'il y a un certain rapport entre la 
section et la longueur d’un aimant qui lui donne la forme 
convenable au maximum d'effet. 

Enfin, ce savant physicien mdique un fait qui tend à 
détruire l'identité qu’on à cru apercevoir entre les fluides 


959 SIXIÈME SECTION. 


magnétique et électrique : si l'on met une source quel- 
conque d'électricité, en contact avec une plaque d'acier, 
le fluide s'y disperse; si l'on promène un aimant au- 
dessus de sa surface, le fluide magnétique s’y répand et 
y persiste suivant la figure qu'on a formée, ce dont on 
s'assure en y semant de la poussière de fer, Cette pro- 
priété peut durer pendant un temps très-long, jusqu’à ce 
qu'un ébranlement la fasse disparaître. 

Les membres présens de la sixième section témoignent 
leur reconnaissance à M. de Haldat, et leurs regrets de 
le voir interrompre, par son départ, ses communications 
toujours si plemes d'intérêt. 

M. le colonel Parnajon devant présider à une course 
d'archéologie militaire dans les fortifications de la ville 
de Metz, il n'y aura pas de séance demain mardi. 

Mercredi 15, après les expériences qui seront faites par 
M. le capitaine Morin sur le pendule balistique au polygone, 
la sixième section se réunira à l'heure ordinaire. L'ordre 
du jour est la communication des travaux de MM. Lemas- 
son et Lejoindre pour la navigation de la Moselle. 


SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Morin. 


Le procès-verbal de la dernière séance est lu et 
adopté. | 

La section reçoit MM. Oven, fondateur des salles d’a- 
sile en Angleterre et Whitewell, secrétaire de la société 
des ingénieurs civils à Londres. 

M. Lejoindre donne au nom de M. Lemasson et au 


SIXIEME SECTION. 255 


sien , communication des travaux et projets de ces in- 
génieurs pour l'amélioration de la navigation de la 
Moselle. 

-La section rend hommage à la justesse des vues, à 
la simplicité d'exécution et à l'économie de ces travaux 
remarquables , dont une partie a déjà subi plusieurs 
épreuves décisives et reçu la sanction de l'expérience. 

M. Lejoindre est prié de les faire connaître en séance 
générale, et l'insertion dans le bulletin du Congrès en 
est demandée par la section. 


SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. Morn. 


Le procès-verbal de la dernière séance est lu et 
adopté. 

M. l'abbé Maréchal lit un mémoire sur le mouvement 
propre des étoiles. Le célèbre Herschel à qui l’on doit 
les plus belles observations sur les étoiles multiples, a 
découvert qu'elles se meuvent en groupes, liées par 
une dépendance mutuelle et suivant une trajectoire el- 
liptique, mouvement qui peut être dû à la gravitation 
universelle; ou attribué à celui de la terre vers la cons- 
tellation d'Hercule , démontré par Laplace ; ou bien 
encore à la parallaxe annuelle des étoiles. Quant à cette 
dernière cause , 1l n'y a pas accord entre les astronomes : 
les uns pensent que la parallaxe est nulle, d’autres qu’elle 
a une valeur fime. 

M. l'abbé Maréchal appelle l'attention des savans sur 
cette matière et sollicite vivement une publication plus 
prompte des travaux astronomiques. 


254 ê SIXIÈME SECTION. 


La section adopte les conclusions de l’auteur ét pro 
pose l'insertion au bulletin du Congrès d’un précis de 
son mémoire. 

M. Morin traduit une note de M. Whitewell sur les 
télégraphes électriques. 

La section remercie l’auteur : elle demande la lecture 
de la traduction en séance générale , et son impression. 

M. Morin donne la description des appareils qu'il 
a employés pour la mesure du tirage des voitures, des 
charrues et des bateaux et pour l'observation du mode 
d'action des hommes et des chevaux. Dans ces instru 
mens les eflorts ou la quantité d'action développés par 
le moteur à un instant quelconque sont, suivant les cas, 
tracés par un style sur une feuille de papier mobile ou 
totalisés par un compteur. 

M. Morin déclare devoir à M. Poncelet l'idée pre- 
mière de ces deux moyens d'obtenir des indications per- 
manentes de ces quantités et ne réclame, pour sa part, 
dans le mérite de ces appareils, que celui de la réalisa- 
tion et de l'exécution. 

La section décide que cette communication sera re- 
nouvelée en séance générale. 


SÉANCE DU VENDREDI 45 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. Morin. 


Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté. 
La section reçoit une note de M. Jacotin sur le per- 
fectionnement qu'il a apporté aux balances de précision. 
L'instrument étant actuellement dans les salles de l'expo- 


SIXIÈME SECTION. 955 


sition des produits de l'industrie, les membres du Con- 
grès ont pu reconnaître l'utilité de ces perfectionnemens ; 
elle sera d’ailleurs appréciée et signalée dans le rapport 
de l'académie de Metz, sur cette exposition. 

La section entend la lecture d'une note de M. l'abbé 
Chaussier, sur la température intérieure de la terre. La 
lecture et l'impression de cette note sont proposées. 


Le Secrétaire de la section*, Le Président de La section, 
BOILEAU. MORIN. 
Le Vice - Président, 
pe HALDAT 


* M. Schmitt nommé deuxième secrétaire n’en a pas accepté les 
fonctions. 


256 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


SÉANCE DU MERCREDI 6 SEPTEMBRE 
Présidence de M. de VizzeNEuve-Trans. 


La séance est ouverte à trois heures de l'après-midi. 

Le secrétaire général lit le procès-verbal de la séance 
précédente ; il est adopté. 

Les divers ouvrages adressés au Congrès sont remis 
aux secrétaires des différentes sections pour être examimés. 

M. le président annonce de la part de M. le colonel 
Bergère, commandant l’école d'application, que la salle 
des modèles de cette école sera ouverte à messieurs les 
membres du Congrès, sur l'exhibition de leur carte. 

Messieurs les secrétaires lisent les procès-verbaux des 
séances de leurs sections ; à l'exception du secrétaire de 
la sixième , qui fait connaître que la séance de cette 
section n’a donné aucun résultat, vu que beaucoup de 
membres appartenant à d'autres sections, n’ont pu se 
rendre à celle-ci. M. Boileau demande qu’à l'avenir cette 
section se réunisse de une heure à trois heures; cette 
proposition est adoptée et la lecture des procès-verbaux 
de cette section pourra , au besoin , être ajournée au len- 
demain. 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 957 


M. Chatelain demande que la cinquième section s'oc- 
cupe de statistique, afin que le Congrès ne soit pas privé 
de travaux intéressans en ce genre, qui auraient été 
soumis à la septième section si elle n’eût été supprimée. 

M. de Caumont émet l'opinion que si le Congrès décidait 
qu'il s'occupera de ce genre de travaux, il conviendrait 
beaucoup mieux de les adjoindre à la deuxième section. 

M. Châtelain fait observer que la deuxième section est 
plus riche en matériaux que la cinquième » et aurait par 
conséquent moins de temps pour s'occuper de ces ma- 
tières intéressantes. 

M. de Romécourt appuie l'observation de M. de Cau- 
mont en faisant remarquer qu'il faut apprécier , avant 
tout, les rapports que la statistique peut avoir avec la 
section qui peut s’en occuper. 

M. Lapointe objecte que la statistique est une matière 
plutôt morale qu'agricole ou industrielie, 

M. de Romécourt insiste sur ses observations. 

La question est mise aux voix; mais on fait observer 
qu'avant de savoir à quelle section la statistique sera traitée, 
il convient d'examiner si l’on s’occupera de statistique. 

M. Chatelain dit qu'aux sessions antérieures du Congrès 
il y avait une section de sciences morales économiques 
et législatives, qui avait demandé des détails de statistique, 
notamment sur les hôpitaux ; qu'il croit devoir proposer 
au Congrès qu'on y rattache cette section , sans désigner 
plutôt une matière que l’autre. 

M. Morin s'oppose à la question proposée par M. Cha- 
telun, vu que le Congrès ne doit s'occuper ni de 
questions morales, ni de questions politiques. 

M. Chatelam répond qu'il ne s’agit pas de politique, 
mais seulement de questions de morale ; qu'il serait peiné 
de voir agiter parmi nous des questions de politique. 

33 


258 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


M. de Caumont pense que chaque section peut s’oc- 
cuper de statistique, chacune dans sa spécialité. 

M. Chatelan demande que l'on mette aux voix cette 
proposition : y aura-t-1l une section de sciences morales ? 

M. Lallement appuie la proposition de M. Chatelain. 

M. Morin s'oppose à la prise en considération parce 
qu'il pense que la question proposée pourrait s'étendre 
beaucoup trop, et qu'on pourrait se laisser aller à des 
conséquences très-éloignées. 

M. Chatelan ajoute: la science sociale est une science 
de faits. 

M. le président propose l’ordre du jour. Il est mis 
aux voix , l'épreuve est douteuse. 

M. Lallement demande la contre-épreuve. 

M. le président propose le scrutin secret. 

M. Chatelain appuie cette proposition. 

M. Le Masson prie M. Chatelain de formuler sa de- 
mande par écrit. 

M. Chatclain passe au bureau et la rédige amsi qu'il 
suit : 

« M. Chatelain demande qu'à l’une des sections du 
» Congrès, soit annexée la science de l’économie sociale , 
ou en d’autres mots , si l'expression réelle de science 
d’économie sociale ne paraissait pas convenir au Congrès, 
» il demande que la cinquième section porte ce titre : 

Littérature , beaux-arts, philologie et statistique. 

M. le président donne lecture de la proposition ainsi 
formulée. \ 

M. de Caumont s'oppose à la prise en considération 
parce que les autres spécialités antérieures ont été sup- 


> 


primées. 
La proposition est mise aux voix au scrutin secret. 
M. de Romécourt demande le scrutin par assis et levé. 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 259 


Cette demande est rejetée. 

M. le secrétaire général fait l'appel nominal ; le nombre 
des votans est de 114. 

“M. le président appelle au bureau MM. de Pange et 
Bergère, en qualité de scrutateurs. 

Le dépouillement du scrutin fat connaitre que 45 
voix sont pour la proposition et 69 contre; en consé- 
quence , la proposition de M. Chatelan est rejetée. 

M. Scoutetten a la parole pour demander une rec- 
tification dans le procès-verbal de la section des sciences 
médicales qui rend compte de la séance de ce jour, 
en ce que les opinions qu'il renferme ne sont pas, en ce 
qui le concerne , l'expression de la vérité. 

Le même membre demande également que les procès- 
verbaux des sections soient soumis à celles-ci, avant 
d'être lues en séance générale. 

M. Victor Simon appuie cette dernière proposition. 

M. Willaume, en qualité de secrétaire de la troisième 
section, répond, aux observations faites par M. Scoutetten 
sur le procès-verbal de cette section, que si ce membre 
croit demander la rectification des expressions que ce 
procès-verbal renferme , il déclare tout en rendant hom- 
mage au caractère et au mérite de M. Scoutetten que 
le procès-verbal a été rédigé sous l'impression du bureau , 
qui a vu avec peine que M. Scoutetten avait attaqué 
la faculté présente et absente. 

M. Scoutetten renouvelle à la tribune la proposition 
qu'il a faite précédemment ; cette proposition est appuyée 
par un grand nombre de membres. 

M. Chatelain s'oppose à cette proposition, en ce qui 
touche les autres sections, se fondant sur ce qu'aucun in- 
convénient n’est, jusqu’à présent , résulté d’une telle ma- 
mière de procéder. 


260 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


M. Le Masson appuie la proposition, pensant que des 
erreurs consignées dans les procès-verbaux doivent plutôt 
être rectifiées dans le sein des commissions qu’en séance 
gcnérale. 

La proposition est mise aux voix et adoptée à l'unanimité. 

D'après cette décision les procès-verbaux de la séance 
de ce jour seront lus dans les sections et présentés de 
nouveau à la séance générale. 

Messieurs les secrétaires sont invités à retirer leurs 
procès-verbaux. 

M. le secrétaire général présente une liste d'ouvrages 
adressés au Congrès et prie messieurs les secrétaires de 
vouloir bien se charger de ceux renvoyés à l'examen de 
leur section. 

M. de Caumont, vice-président, rappelle à messieurs 
les membres de la sixième section qu’à l'avenir les réunions 
de cette section auront lieu d’une heure à trois heures 
de l'après-midi. 

M. Holandre est invité à se rendre à la tribune pour 
donner lecture d’une notice géologique que la première 
section a jugée devoir être lue en séance générale; vu 
l'heure avancée cette lecture est ajournée au lendemain. 

Il est cinq heures, la séance est levée. 


SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de Caumonr. 


La séance est ouverte à trois heures après midi. 

M. de Caumont occupe le fauteuil en l'absence de M. le 
marquis de Villeneuve-Trans, président, qui est exoiné. 

M. le secrétaire général lit le procès-verbal de la séance 
précédente ; 1l est adopté. 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 261 


M. le président invite M. le secrétaire de la première 
section à lire le procès-verbal de la séance de sa section, 
qui a eu lieu la veille, et dont il a déjà été donné lecture 
à la séance générale du 6. M. Lapointe demande qu’on 
ne relise pas les procès-verbaux des sections auxquels il 
n’a été fait aucune rectification importante. Cette propo- 
sition, appuyée par MM. Le Masson, Chatelain et Lalle- 
ment, est adoptée. Les procès-verbaux des première et 
deuxième sections ne sont pas lus. M. Lallement fait con- 
naître, en l'absence de M. Willaume, secrétaire de la troi- 
sième section, qu'aucune rectification n’a été faite au 
procès-verbal de la section qu'il préside, qu'en consé- 
quence il n’y a pas lieu de le relire. MM. les secrétaires 
des quatrième et cinquième sections déclarent qu'aucun 
changement n'a été apporté à leurs procès-verbaux. 

M. le secrétaire de la sixième section expose que 
M. Morin a communiqué à cette section, dont 1l est mem- 
bre, un travail très-intéressant fait par plusieurs officiers, 
et dont M. Morin a été rapporteur avec M. Piobert; qu'il 
est chargé d'en proposer la lecture à la séance générale 
de ce jour. Cette proposition est adoptée. 

M. Holandre est prié de lire son travail sur la première 
question proposée à la section d'histoire naturelle. Cette 
question est rédigée en ces termes : 

Comment ont pu se former les escarpemens que l’on 
remarque aux limites de plusieurs formations et de 
plusieurs divisions de formations. 

M. Holandre a accompagné ce travail d’un dessm mis 
en couleur, collé sur un carton, au moyen duquel le 
mémoire qu'il lit, est d'autant plus facile à comprendre. 

M. l'abbé Chaussier est appelé à lire une notice sur 
le même sujet. L'assemblée enténd avec beaucoup d'intérêt 
ces deux communications. 


962 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


M. le docteur Bégin est invité à lire un mémoire, 
dont la lecture en séance générale à été votée par sa 
section; il traite de l'influence des idées religieuses sur 
les monumens des différens peuples. 

Après celle communication à laquelle l'assemblée ap- 
plaudit, M. Guerrier de Dumast demande la parole, il 
monte à la tribune et s'exprime en ces termes : 


Messieurs, 

Dans le morceau distingué que vous venez d'entendre, l’auteur, 
entraîné par la triple force de son talent, de son savoir et de son 
imagination , n'aurait pu que difficilement se restreindre aux bornes 
précises de l’article du programme qui à donné lieu à son discours. Il 
les a donc dépassées, et s’est trouvé conduit à toucher incidemment 
des matières d'un ordre plus élevé, placées en dehors du cercle de 
nos discussions. 

On concoit bien, toutefois, que votre section historique ait admis 
ce mémoire à faire partie des lectures de la séance générale, ne 
voulant pas priver notre assemblée de la connaissance d’un travail si 
remarquable. Mais les questions délicates qu'il soulève, pourraient, 
je dois le dire , donner lieu à quelques observations, de la part sur- 
tout des personnes dont la conviction se refuse à laisser passer comme 
juste l'espèce de rapprochement et d’assimilation , établie par l’élégant 
écrivain , entre des choses qui sont, à leurs yeux, d’une disparité 
totale d'importance et de vérité. 

Comme néanmoins les pensées dont il s’agit sont de nature à ce 
qu'il soit impossible d'essayer aucunement de les combattre sans 
entrer dans une arêne interdite (puisque la plus fondamentale de nos 
dispositions réglementaires , celle qu’on pourrait appeler Za charte du 
Congrès , nous défend toute discussion religieuse), je m’empresse de 
m'arrêter; et je me borne à réclamer mention au procès-verbal, pour 
une remarque que ma conscience m'obligeait à faire, et dont vous 
apprécierez, messieurs, le sens et la portée. Il ne me reste, en ter— 
minant, qu'à joindre mes applaudissemens aux vôtres, et qu’à rendre 
de nouveau justice aux vues ingénieuses et brillantes qui viennent de 
vous être si éloquemment exposées. 


Cette brillante improvisation est suivie d'applaudisse- 
mens unanimes. 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 963. 


M. Le Masson propose au Congrès de prier M. le co- 
lonel Bergère, d'inviter MM. les élèves de l’école d’ap- 
plication d'assister à la séance de dimanche prochain. Cette 
proposition est adoptée. 

M. le colonel Bergère, en qualité de sous-directeur 
de l’école, remercie le Congrès et annonce qu'il fera 
mettre cette invitation à l'ordre du jour. 

M. Morin est appelé à la tribune pour donner lecture 
du mémoire annoncé par M. le secrétaire de la sixième 
section ; il traite des lois de la transmission du mouve- 
ment par le choc et des effets apparens du éhoc des corps 
durs. Cette communication est entendue avec d'autant 
plus d'intérêt que ce membre met sous les yeux des au- 
diteurs une série de projectiles brisés ou aplatis dans des 
formes déterminées, qui confirment les principes qu'il a 
exposés, et dont il a déduit des lois positives, dont les 
applications seront très-utiles pour les sciences en général, 
et notamment pour l'attaque des places fortes. 

M. le secrétaire général prie M. le président d'inviter, 
conformément à l’article 44 du réglement, messieurs les 
présidens et l'un des secrétaires de chaque section, à se 
rendre, un quart d'heure avant la séance générale, dans 
le dt salon, pour y examiner les questions ou les pro- 
positions qui pourraient être présentées par quelques 
membres. 

Il est cinq heures, la séance est levée. 


SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. ne Cauwonr. 


La séance est ouverte à trois heures après midi. 
M. le secrétaire général lit le procès-verbal de la séance 
de la veille ; il est adopté. 


964 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


M. le secrétaire de la première section lit le procès- 
verbal de la séance de sa section. 

M. Blanc, en remplacement des deux secrétaires qui 
sont empêchés, lit le procès-verbal de la deuxième sec- 
tion qui demande l'impression du mémoire lu par M. de 
la Halle, sur la direction que l’on doit donner à l’édu- 
cation pour appeler la jeunesse à embrasser la carrière 
agricole et sur les moyens à employer pour donner du 
développement à cette industrie, mère de toutes les au- 
tres. Ce mémoire a été désigné par la section comme 
devant être lu en séance générale. 

M. Blanc dépose ensuite, sur le bureau, un vœu for- 
mulé par la même section, 1l est exposé en ces termes : 

« Attendu les résultats satisfaisans des expériences de 
» l’engrais Jauffret faites à Neuilly, à Lorient, à Aix, à 
» Bergerac et devant la société royale de Seine-et-Oise, 
» sur l'invitation de M. le ministre de l’agriculture , 

» Le Congrès appelle l'attention du gouvernement sur 
» la découverte Jauffret; il émet le vœu que M. le mi- 
» mistre de l’agriculture encourage la propagation de cette 
» méthode en recommandant à la société royale et cen- 
>» trale d'agriculture de Paris, et aux sociétés d’agricul- 
» ture de tous nos départemens, de faire des expériences 
» sur cet engrais. » 

Le mémoire que M. Chatelain a communiqué a été aussi 
désigné par cette section pour être lu en séance géné- 
rale. 

D'après le vœu émis par la deuxième section , le Congrès 
arrête qu’elle üendra dorénavant ses séances de une heure 
à trois heures. 

Après la lecture des procès-verbaux des autres sections, 
M. le président met aux voix la proposition concernant 
l'engrais Jauflret, elle est adoptée.  :. 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 965 


M. le secrétaire de la cmquième section est invité à 
donner lecture de la solution de la septième question du 
programme ; 1l l’expose en ces termes : 

& La majorité des membres de la section adopte, sur 
» la septième section du programme, une conclusion que 
» la langue allemande n’est pas une limite positive et cer- 
> taime, mais seulement approximative entre le peuple 
» allemand et le peuple français, et que cette langue a 
» été restreinte dans ses limites ce son intr Ébtion 
» dans le pays. > 

Cette question est mise aux voix et adoptée. 

M. Nicolas communique aussi le vœu émis par la même 
section , que l'académie royale de Metz encourage les re- 
cherches sur le patois du pays Messin. Ce désir est par- 
tagé par tout le Congrès. 

M. le président donne lecture de la solution de la dix- 
septième question de la quatrième section, laquelle est 
rédigée dans les termes suivans : 

« Les noms des villes portés sur les bons des rois 
» de France jusqu'à sant Louis, indiquent toujours 
» qu’elles y ont été fabriquées, même lorsque c'est un 
» titre de propriété que le souverain veut mdiquer. » 

Cette solution, mise aux voix, est adoptée à une 
grande majorité. 

MM. de la Halle et Chatelain sont invités successive- 
ment à lire leurs mémoires dont il a été parlé dans le 
procès-verbal de la séance de la deuxième section. 

Ces deux lectures sont entendues avec beaucoup d’in- 
térèt. | 

M. Victor Simon donne lecture de la liste du second 
envoi d'ouvrages adressés au Congrès, et remet à messieurs 
les secrétaires ceux renvoyés à l'examen de leur section. 

La séance est levée à cmq heures. 


34 


266 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de Caumonr. 


La séance est ouverte à trois heures après midi. 

Le secrétaire général lit le procès-verbal de la dernière 
séance ; il est adopté. 

Les procès-verbaux des séances des différentes sections 
sont lus successivement. 

M. le secrétaire de la troisième section fait connaître, 
dans son procès-verbal, que M. Félix Maréchal a donné 
sa démission de second secrétaire de cette section et 
qu'il a été remplacé par M. Gilot. 

D'après l’ordre du jour fixé à la séance précédente, M. le 
docteur Scoutetten est appelé à la tribune pour donner 
un exposé de la science phrénologique. Il trace l'historique 
et les principes de cette science et il indique les applica- 
tions qui en ont été faites. Gall, lorsqu'il se présenta à 
Paris, fut accueilli avec dédain par certaines personnes, 
mais on l’honora comme anatomiste distingué ; quelques 
élèves professaient sa doctrine, non en France d’où elle 
fut repoussée; mais en d’autres états. Le plus célèbre 
de ses élèves fut Spurzeim. Il existe maintenant 28 écoles 
de phrénologie. Ces études une fois comprises doivent 
amener des modifications dans l'éducation et dans le 
régime pénitentiaire. 

En Angleterre cette science est popularisée. En France 
on se livre à de nouvelles recherches. Le ministre, pour 
mieux s’éclairer, a pris des renseignemens en Angleterre ; 
quoique cette science ne soit pas faute, elle a déjà pro- 
curé des résultats ; elle mérite donc d’être étudiée. 

M. Scoutetten examine ensuite le système du docteur 


= 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 267 
Gall : ce savant, frappé des dissidences des philosophes 


les plus célèbres sur l'intelligence et les instincts, pense 
qu'on a négligé l'étude de l’homme en voulant expliquer 
l'homme ; et qu’on ne peut comprendre les phénomènes 
intellectuels, sans l'étude du cerveau. Il observe que les 
hommes et les animaux sont enclins à certains penchans 
qui les portent toujours à certains actes, et il conclut de 
là que c'est le résultat d'une organisation physique. Il 
cite pour exemple chez les animaux, leur instinct qui 
les porte tous à faire les mêmes choses et toujours de 
même, tels sont les nids des oiseaux. 

Il ne faut pas confondre les penchans avec les idées ; 
celles-ci viennent par l'impression extérieure, ceux-là 
par les organes. - 

L'exercice de nos penchans et de nos qualités morales 
est soumis à l'influence des milieux et des organes ma- 
tériels. Les conditions matérielles sont toujours indis- 
pensables et peuvent faire disparaître ou détruire les 
facultés de l’homme. 

Gall pense que les penchans ne résident que dans un- 
organe unique auquel se rattachent les penchans et les 
instincts. Il prétend que dans le plus grand nombre de 
cas et à priori, on peut reconnaître, à l’aide des signes 
qui se manifestent sur la surface du crâne, les facultés, 
les ‘instincts de l’homme et de tout animal. 

M. Scoutetten expose ensuite la division des facultés 
en affectives et perceptives et leurs sous-divisions. Il 
indique quelle partie du cerveau les facultés occupent. 

Il ne faut pas penser que l'homme puisse être obligé 
d'obéir à ses penchans ; ils sont réprimés par l'intelh- 
gence qui les recüfie ;gde là le système d’antagonisme 
entre le bien et:le mali@hez l'homme. 

A ses yeux la doctrine explique les phénomènes des 


268 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


songes et du somnambulisme , la monomanie s'explique 
de la même manière ; ils sont dus à la localisation des 
organes dont les uns peuvent rester éveillés ou valides, 
tandis que les autres sont lésés ou endormis. 

Les reproches que l'on a faits à la phrénologie de 
protéger l'athéisme et le matérialisme sont repoussés par 
M. Scoutetten qu cite la profession de foi de Gall à 
cet égard que: si l’homme était tenté de douter de 
l'existence de Dieu, 1l lui suffirait d'étudier la médecine 
et la phrénologie pour être ramené aux sentimens rel- 
gieux. 

Après cette exposition intéressante, M. de Romécourt 
monte à la tribune ; 1l combat les opinions émises par 
M. Scoutctten, en tant que principes constitutifs de la science 
phrénologique. Selon lui, les différentes parties du cerveau 
étant composées des mêmes élémens ne peuvent avoir des 
fonctions opposées, il rejette le système des protubérances 
vu que nos habitudes pourraient tout autant former celles- 
ci, que les protubérances causer nos habitudes ; d’autres 
causes doivent apporter des modifications aux prédisposi- 
tions du caractère et de l'intelligence , tels sont le mouve- 
ment et la qualité du sang et des fluides, l’état des nerfs et 
des principaux viscères , la nature de l'air respiré , le degré 
de froid ou de chaleur du climat, les premières impressions 
de la vie, les habitudes persévérantes. Les facultés d’ail- 
leurs se développent plus ou moins, selon qu’on les met en 
œuvre. Les conséquences à tirer de cette science sont si 
peu sûres, que M. Baillot, qui avait été jugé par Gall, 
comme incapable de faire de la musique, était cepen- 
dant un très-bon violon et un savant artiste. Ce membre 
pense, toutefois, qu'une bo philosophie demande 
que l'on continue les investi ns ct les expériences ; 
tout en rejetant le système des protubérances, elle dira 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 269 


qu'il a toujours été reconnu que l'organisation prédispose 
à certaines inclinations spéciales , et la science doit recon- 
naître l'mdépendance de l'âme à l'égard de l'instrument 
dont elle se sert pour se manifester et agir. Localiser 
dans les protubérances du cerveau les passions et les fa- 
cultés, c'est aller droit au matérialisme. Sans doute, ni 
Gall ni ses successeurs ne sont matérialistes ; mais la 
manière dont ils formulent leur doctrine , dont ils la po- 
sent, mène contre leur gré au matérialisme. Si l’on consi- 
dère les protubérances du cerveau comme des effets ou 
des indications de nos habitudes et de nos penchans, ou 
au plus comme une simple disposition à ces penchans, 
alors le système sera en voie de devenir utile aux indi- 
vidus et à la société, au contraire, l'extension de ce sys- 
tème deviendrait funeste. 

Avant de lever la séance, M. le président donne lec- 
ture d’une lettre écrite par M. Desvignes, qui invite, au 
nom de la société philharmonique, messieurs les mem- 
bres du Congrès à assister à un concert qui doit avoir lieu, 
dans le but de leur donner une idée de l’état de l’art 
musical dans le département. 

Le Congrès a répondu à cette honorable invitation, 
en se rendant à sept heurés du soir à l'hôtel des specta- 
cles, où il trouva des places réservées. Après cette bril- 
lante soirée, où des personnes d’un talent remarquable 
se firent entendre et dans laquelle on exécuta des mor- 
ceaux d’un excellent choix, notamment deux qui hono- 
rent le talent en composition de MM. Durutte et Des- 
vignes, M. le président et M. le secrétaire général se sont 
rendus près de M. Desvignes, pour remercier la société 
philharmonique de s'être associée aux vues du Congrès 
et de lui avoir fait passer une soirée si agréable. 


—— 


270 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


SÉANCE DU DIMANCHE 10 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. De Vizueneuve-Trans. 


A trois heures la séance est ouverte. 

M. le secrétaire général donne lecture du procès-verbal 
de la séance de la veille ; il est adopté. 

MM. les secrétaires lisent les procès-verbaux des séances 
des différentes sections, Ceux des 4'°, 2°, 4€ et 5° annon- 
cent qu'il n'y aura pas demain séance dans leur section, 
vu le projet formé d’aller faire une promenade géologique 
et archéologique jusqu'à Gorze. 

M. le secrétaire de la troisième section fait connaître 
que M. de la Halle a été nommé vice-président de cette 
section, en remplacement de M. Braconnot qui a été 
obligé de retourner à Nancy. 

L'académie royale de Metz ayant décidé qu'un rapport 
serait fait à la cinquième section du Congrès, sur l’état 
des beaux-arts dans le pays Messin, M. Favre, chargé 
de ce travail, en ce qui regarde les arts du dessin, monte 
à la tribune. Après avoir tracé rapidement la marche 
‘suivie par nos arts depuis le XIV° siècle jusqu’à nos jours, 
il énumère les élémens de progrès qui en secondent le 
développement depuis quelques années, et indique dans 
quelle voie. doivent entrer désormais les artistes de la 
Moselle, s'ils veulent se montrer dignes de la haute 
mission réservée à l'art en province. 

La vive sollicitude que ce savant professeur témoigne 
dans son travail en faveur des jeunes artistes , et les sages 
conseils qu'il leur donne causent une émotion vive qui 
se manifeste dans toute l'assemblée. 

Conformément au vœu exprimé par la sixième section, 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 271 


M. Morin est invité à donner la description des instru- 
mens chronométriques qu'il a inventés pour les observa- 
tions des lois du mouvement et du mode d'action des 
forces. Après en avoir donné la description, il expose 
quel est l'usage qu'il en a déjà fait pour plusieurs re- 
cherches importantes, et les résultats qui ont été obtenus. 

Enfin il fait voir que l'emploi de ces appareils pourrait 
facilement s'étendre aux mouvemens les plus rapides, 
tels que ceux des projectiles dans l'âme de leurs pièces, 
et jusqu'à ceux des fluides impondérables. 

L'intérêt qu'a inspiré la matière traitée si habilement 
par ce savant professeur , la mamière agréable et enjouée 
avec laquelle il a su embelhr un sujet aussi grave, et qui 

a donné lieu à de si profondes recherches, excitent les 
applaudissemens de l'assemblée. 

M. le président annonce que la société, pour la con- 
servation des monumens français, lors de sa première 
séance en cette ville, a fixé à mardi prochain, six heures 
et demie du soir, une seconde séance qui, comme la 
première, sera tenue publiquement dans le petit salon de 
l'hôtel-de-ville. 

L'heure avancée ne permet pas d'entendre la lecture de 
M. Bégm, qui était à l’ordre du jour; elle est remise à 
la séance générale du lendemain. 

: La séance est levée à cinq heures. 


SÉANCE DU LUNDI 11 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. de Vizzeneuve-Trans. 


La séance est ouverte à trois heures. 
Messieurs les membres qui sont partis le matin pour 
Gorze. ne sont point encore de retour, M. Bégin remplit 


979 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


les fonctions de secrétaire général en l'absence de MM. Vic- 
tor Simon et Michelant. 

On ne lit point les procès-verbaux des séances qui ont 
eu lieu la veille dans les sections, vu que la plupart des 
dignitaires et des membres des sections étant absens, on 
n’a pu les leur soumettre. 

M. Gromier est appelé à la tribune pour une lecture 
sur la phrénologie. Il expose que cette science est aussi 
ancienne que lepice humame , les premières observa- 
tions sont dues à des artistes ; il était réservé au génie de 
grouper les faits, ils l'ont été par le docteur Gall. Il pré- 
tend que l'addition ou la suppression de quelqu’organe ne 
détruira en rien la phrénologie, c’est le cerveau dans son 
ensemble qu'il faut considérer. Elle est une science de 
premier ordre, elle est une branche d'histoire naturelle, 
une conquête sur l’obscurantisme, un guide assuré dans le 
chemin de la vie. 

M. de Romécourt prend la parole; il s'étonne de ce 
que le principe étant imparfait on dogmatise déjà. Il 
pense qu'on devrait être plus circonspect, parce que l’es- 
prit humain est beaucoup trop disposé à admettre comme 
démontré ce qui ne l'est pas. Selon lui, l'exagération 
que l’on donne à cette science menant droit au matéria- 
lisme , la rendrait par là même aussi fausse qu'immorale. 

M. Scoutetten demande la parole pour répondre ; on 
demande l’ordre du jour : 1l est adopté. 

M. Le Masson, vice-président, annonce que, mercredi 
prochain , à onze heures, M. Morin fera, dans l’île Cham- 
bière, des expériences sur la vitesse imprimée par la pou- 
dre aux projectiles. Messieurs les membres du Congrès 
sont invités à y assister. 

M. Bégin monte à la tribune pour lire la suite de son 
travail qui traite de l'influence des idées religieuses sur 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 973 


les monumens des différens peuples. Avant d'aborder son 
sujet, l’auteur fait observer que quelques membres ont 
exprimé le désir qu'il supprimât de son travail un para- 
graphe, qu’il pourrait refuser de faire droit aux objections 
qui lui ont été faites, vu que ce mémoire a été adopté 
en séance générale, cependant, par amour pour les con- 
venances et pour ne blesser aucune opinion, il préfère 
supprimer ce paragraphe, quoiqu'il soit plutôt relaüf à 
l'histoire naturelle et à l'histoire, qu'aux idées religieuses. 
Après avoir entendu cette lecture, l'assemblée témoigne 
combien elle apprécie les longues recherches, les rensei- 
gnemens intéressans et les hautes considérations que ren- 
ferme le travail qui lui a été communiqué. 

Beaucoup de membres qui ont pris part à la course 
géologique et archéologique entrent dans la salle. M. Victor 
Simon reprend ses fonctions de secrétaire général, il donne 
lecture du procès-verbal de la séance de la veille; ce 
procès-verbal est adopté. 

M. le président donne ensuite la parole à M. Mau- 
d'heux ; mais attendu l'heure avancée, ce membre de- 
mande que sa lecture soit remise au lendemaim, vu sur- 
tout qu'il désire que les esprits ne soient mi fatigués ni 
préoccupés pour, après sa lecture, délibérer sur un vœu 
émis par la deuxième section. | 

M. le secrétaire de la sixième section fait observer 
qu'il n’a pas de procès-verbal à lire, cette section n Poe 
pas eu de séance la veille. 


SÉANCE DU MARDI 42 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de Vizeneuve-Trans. 


À deux heures et demie la séance est ouverte. 
35 


274 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


M. le secrétaire général lit le procès-verbal de la séance 
précédente ; il est adopté. 

Messieurs les secrétaires des 17°, 2°, 5° et 5° sections, 
lisent les procès-verbaux des séances de la veille. M. le 
secrétaire de la quatrième section étant absent, la lecture 
de son procès-verbal est ajournée au lendemain. La sixième 
section n’a pas eu de séance. M. Boileau, l’un des secré- 
taires de cette section, renouvelle l'invitation de M. Mo- 
rin, pour que le Congrès assiste aux expériences qui auront 
lieu demam, à onze heures, au polygone. 

L'ordre du jour appelle la lecture du mémoire de 
M. Maud'heux, remise à cette séance. L'auteur entre dans 
de vastes considérations sur la position commerciale de 
la Lorraine, par rapport à la France et à l'étranger. Au 
moyen d’une navigation bien réglée et de chemins de 
fer, on pourrait établir des relations fréquentes dans 
l'intérieur de la France et au dehors. Il présente des 
aperçus sur les moyens de joindre la Moselle à la Saone, 
celle-ci au Rhin , et d'établir de grandes communications 
avec l'intérieur de la France. En sa qualité de député 
de la société d'émulation des Vosges, il a cru devoir 
exposer ses pensées au Congrès, étant bien convaincu , à 
l'avance, qu’il serait appuyé par les membres qui appar- 
tiennent aux départemens des Vosges, de la Meurthe et 
de la Moselle. 11 demande que les considérations qu'il 
expose soient appuyées par un vœu qui soit communiqué 
au ministère ; l’assemblée applaudit aux vues et au talent 
de l’auteur. M. Maud'heux est prié, par le bureau, de 
rédiger cette proposition. 

M. de Dumast est prié de monter à la tribune pour 
lire une partie de son mémoire intitulé : Vancy, histoire 
et tableau. L'auteur, avant d'entrer en matière, s'exprime 
dans les termes suivans : 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 275 


Messieurs, 


IL semblerait, aux yeux d'un observateur superficiel , que de tous 
les lieux de la terre, Metz soit le théâtre le moins convenable pour la 
lecture du morceau suivant, qui retrace rapidement, avec fidélité, 
mais en général par ses côtés avantageux, le rôle historique d'une 
ville dont la gloire et la puissance furent long-temps en opposition 
avec la gloire et la puissance messine. 

Mais, d'abord, nous parlons devant un auditoire d'élite, trop 
judicieux , trop large dans ses idées, pour se laisser préoccuper de 
points de vue particuliers. Ensuite, nous avons le bonheur de vivre 
à une époque où les anciennes rivalités des provinces se sont dou- 
cement transformées en une pacifique émulation, que peuvent accom- 
pagner les sentimens les plus affectueux. Enfin , et comme il nous 
est impossible de transporter, sans anachronisme , dans les siècles 
passés , l'état de chose actuel ; si la vérité de couleur nous obligeait 
à laisser paraître quelques traces de l’antagonisme d'autrefois, c'est 
peut-être , Messieurs, cet antagonisme même qui nous garantirait le 
mieux votre bienveillance. Au premier rang des avantages que ré— 
serve aux membres étrangers du Congrès votre gracieuse hospitalité, 
il faut assurément placer pour eux la pleine liberté de penser. En les 
invitant à un noble tournoi dans ses murailles, voire cité n’a point 
voulu leur offrir une faveur soumise à restriction. Dans sa générosité 
chevaleresque , Metz leur accorderait, au besoin , jusqu’à la faculté 
de l'y combattre. 


De nombreux applaudissemens témoignent de la sym- 
pathie qui existe dans l'assemblée pour les sages pensées 
que l’auteur émet. 

M. de Dumast passe ensuite à la lecture de son travail *, 
dans lequel il expose quels furent les motifs qui amenè- 
rent à fonder la ville de Nancy dans l'emplacement qu'elle 
occupe ; son origine n’est m gauloise ni romaine ; elle a 
été fondée dans des temps beaucoup moins anciens. Sa 
prospérité s'accrut rapidement sous le règne paternel des 
ducs de Lorraine. L'auteur entre ensuite dans des con- 
- * Voici la question à laquelle répond le mémoire : 


€ Rechercher, soit dans les faits, soit dans la nature des choses, 
» les causes, jusqu’à présent ignorées, de la naissance de Nancy. 


276 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


sidérations dont l'exposé met clairement sous les yeux 
des auditeurs les causes qui amenèrent peu à peu cette 
ville et la Lorraine à passer en la possession de la France. 
L'assemblée applaudit au talent de M. de Dumast, et 
comme écrivain et comme historien ; elle regrette vive- 
ment que ce travail, qui va être SÉBUE ne puisse être 
inséré dans les mémoires du Congrès. 

Après cette lecture remarquable, M. le Masson appelle 
l'attention sur le vœu émis par la deuxième section, dont 
M. Maud'heux est l'organe ; il est rédigé par ce membre 
dans les termes suivans : 

« Que le projet de la construction d’un canal ou d’un 
» chemin de fer du Hâvre à Strasbourg, soit présenté 
» aux chambres dans leur prochaine session, et que le 
>» projet de jonction de la Moselle à la Saone soit soumis, 
» immédiatement , à de nouvelles études, afin qu'il puisse 
> être promptement réalisé. 

» La seconde section envisage ces deux lignes de com- 
»> munications comme indispensables à la prospérité des 
» provinces de l’est et comme devant accroître la richesse 
» du nord et du midi de la France. » 

M. le Masson, en sa qualité d'ingénieur en chef des 
ponts et chaussées du département de la Moselle , annonce 
que les deux projets demandés seront bientôt soumis aux 
chambres. 

M. Buvignier expose qu'outre le projet de jonction de 
la Moselle à la Saône, il convieudrait qu'il en existât un 
pour établir une communication de la Meuse à la Saone. 

M. le Masson fait observer qu'il existe un projet de 


Relever les principales erreurs accréditées sur le rôle qu'a joue cette 
ville , et sur Les époques réelles de son plus ou moins d'importance. 


6 VO  ÿv 


Caractériser , par un résumé de son histoire , les phases successives 
> de sa vie, en général peu comprises. » 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 977 


chemin de fer de Vitry-le-Français à Gray ; il demande 
que le Congrès passe à l’ordre du jour au sujet des pro- 
positions de messieurs Maud’heux et Buvignier. 

Il est cinq heures, la discussion est remise au lendemain. 


SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE 
Présidence de M. de Vizzeneuve—Trans. 


La séance est ouverte à trois heures. 

M. le secrétaire général lit le procès-verbal de la veille ; 
il est adopté. 

MM. les secrétaires lisent les procès-verbaux des séances 
qui ont eu lieu la veille dans les différentes sections. 

M. Bégin lit le procès-verbal de la cinquième séance 
de la quatrième section qu'il n'avait pu lire, vu qu'il était 
absent. 

M. l'abbé Nicolas, deuxième secrétaire, lit le procès- 
verbal d'une seconde séance que la cinquième section a 
eue le 12 au soir. Il fait connaître que cette section aura 
à l'avenir deux séances par jour, afin de tàcher d'épuiser 
ses travaux. 

M. le Masson a la parole pour donner des renseigne- 
mens sur la proposition de M. Maud'heux, dont la dis- 
cussion a été remise à cette séance. Il expose quels sont 
les projets du gouvernement pour établir des communi- 
cations dans l’est de la France. Des études ayant été faites 
par le gouvernement sur le chemin de fer du Hàvre à 
Strasbourg, les conseils généraux et les chambres peuvent 
seuls agir près de Jui. 

Quant à la question de canalisation, il croit qu'il y 
aura toujours des localités qui réclameront, et que le 
Congrès ne peut avoir pour objet une pareille question ; 
il donne des renseignemens sur les études de canalisation 


278 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES 


demandées qui sont déjà faites au point de pouvoir être 
livrées aux compagnies qui demanderaient de les exécuter. 

Il demande l’ordre du jour ; il est appuyé. 

M. Maud'heux monte à la tribune : il exprime le regret 
qu'un membre, qui a pris la parole à la séance précé- 
dente, ne l'ait pont compris, lorsqu'il demanda l’établis- 
sement du chemin de fer du Hävre. Cette ligne, qui cou- 
perait la Meuse et la Moselle, mettrait réellement la Meuse 
en communication avec la Saone; d’ailleurs, le litige 
n'existe pas entre la Meuse et les Vosges, puisque. les ha- 
bitans du département de la Meuse, présens au Congrès, 
ont apprécié toute l'utilité de sa demande. Le débat a 
lieu seulement entre les arrondissemens de Neufchâteau 
et d'Epinal, l'un, ayant la Meuse, l’autre la Moselle. Il 
croit que les études ne sont pas encore aussi avancées que 
le prétend M. le Masson ; il lit, à l'appui de son opinion, 
un extrait d'une séance de la chambre des députés, où il 
a été question du projet de loi de chemin de fer entre le 
Hâvre et Strasbourg : il croit que les intérêts de la Meuse 
ne sont nullement lésés par son premier projet. Il déclare 
qu'il ne connaissait pas l'étude du second projet, relatif à 
la jonction de la Saone avec la Moselle, quoique membre 
d'un conseil d'arrondissement des Vosges; mais il croit 
que les lignes indiquées ne sont pas les plus favorables 
aux travaux, et que le vœu de la deuxième section pour- 
rait être utile à cet égard. Il pense qu'il convient que les 
Congrès s'occupent de semblables matières ; 1l cite, pour 
exemple, les vœux émis par le Congrès de Caen, et un 
entr'autres de la deuxième section, relatif également à une 
question de communications. 

Plusieurs membres demandent l’ordre du jour, il est 
mis aux voix et adopté à la majorité de 57 membres 
contre 2. 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 279 


M. de Caumont, vice- président, invite messieurs les 
présidens et secrétaires des sections à se réunir aujourd’ hui 
à sept heures et demie, pour discuter sur le choix de la 
localité du prochain Cest 

M. le président annonce que la clôture de la session 
aura lieu vendredi prochain 15 du courant, après la séance 
générale. 

M. Boileau demande la parole pour soumettre au Con- 
grès une proposition rédigée en ces termes : 

« 1° Que toutes les académies et sociétés savantes ou 
» littéraires des départemens, envoient à leurs frais, s'il 
» est nécessaire, ou aux frais des villes, aux Congrès 
» scientifiques futurs, un représentant des connaissances 
» qui recoivent le plus grand développement dans cha- 
» cune de ces sociétés. 

» 20 Que ces délégués soient porteurs d’une statistique 
>» des travaux de leurs sociétés respectives et de l’état in- 
» tellectuel des sociétés où 1ls siégent. | 

» 5° Que leur choix soit uniquement basé sur leur 
» science, sur l'estime qu'ils inspirent et sur les travaux 
» peisonnels qu’ils pourront apporter au Congrès. » 

Cette proposition est appuyée, mise aux voix et adoptée 
à l'unanimité. 

M. Didion a la parole pour la lecture d’un mémoire 
relatif à une des questions du programme, dans lequel 
il traite des aérostats en général et des difficultés qu'offre 
le perfectionnement de ce mode de transport. 

M. de Dumas lit, pour M. Kœnig, qui est indisposé, 
une pièce de vers, dont la cinquième section a demandé 
la lecture en séance générale. La société applaudit au 
talent du jeune poète. 

M. Périn lit, pour M. d'Huart absent, une notice sur 
le Ring, vaste enceinte presque circulaire, composée de 


280 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


pierres amoncelées autour du sommet d'une montagne, 
située près du village de Nonnweiïler, à sept lieues de 
Trèves et neuf lieues de Sarrelouis. 

M. de Caumont expose qu'il serait bon que M. le se- 
crétaire général du Congrès fit connaître, par une cir- 
culaire, avant le mois de janvier prochain, à toutes les 
sociétés savantes, la proposition de M. Boileau, afin 
qu'elles pussent, à l’avance, prendre toutes leurs dispo- 
sitions pour la session suivante. Cette proposition est mise 
aux voix et adoptée. 

M. Morin demande la parole pour donner connaissance 
de quelques opérations relatives aux moteurs hydrauli- 
ques ; il expose que la Moselle peut représenter à Metz 
une force de 400 chevaux, qu'elle l’utilisait seulement 
avec quinze moulins d’une force de 60 chevaux. Un 
emploi utile serait de donner à la ville de l’eau dont elle 
manque. Ce besoin est senti généralement, 1l serait facile 
de donner à Metz de l'eau claire au moyen de filtres sem- 
blables à ceux adoptés pour l'hôtel Dieu de Paris. 

Un des moteurs les plus remarquables seraient les tur- 
bines de M. Fourneyron ; ce moteur utilise 70 à 78 cen- 
tièmes de la force transmise. Il en existe deux dans les 
Vosges ; celle de Senones donne 240 à 250 tours par mi- 
nute. Ce moteur peut marcher submergé ; 1l serait à Metz 
d'une grande utilité, vu que la Moselle a quelquefois des 
crues considérables. Lors même qu'il est inondé, il rend 
70 pour 100 ; il tient très-peu de place, les turbines ont 
en outre la propriété de transmettre une grande vitesse. 
On est sur le point d'établir dans la Forêt-Noire une tur- 
bine qui aura 55 centimètres de diamètre ; elle sera mue 
par une chute d’eau de 100 pieds ; elle donnera une force 
de 80 chevaux. 

Il est près de cinq heures, la séance est levée. 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 284 


SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE. 


Présidence de M. de ViczenEuve-Trans. 


La séance est ouverte à trois heures. 

M. le secrétaire général donne lecture du procès-verbal 
de la séance de la veille; il est adopté. 

MM. les secrétaires lisent les procès-verbaux des séances 
qui ont eu lieu dans les sections. 

Des vœux sont proposés au Congrès par les cinquième 
et sixième sections ; ils vont lui être soumis. 

M. de Caumont a la parole. Il expose les résultats de 
la séance de la commission permanente qui a eu lieu la 
veille. Plusieurs villes ont été indiquées pour lieu de réu- 
mon du Congrès, notamment Strasbourg, Dijon, Besancon 
et Clermont-Ferrand. Les trois premières n’ont pas de 
représentans , la quatrième, au contraire, demande cette 
faveur avec instance. Des lettres ont été adressées par 
M. le maire de Clermont , par M. le comte de Montlosier, 
président de l’académie de cette ville, et par MM. Lecoq 
et Bouillet. 

IL soumet au Congrès l'arrêté rédigé par la commission 
centrale, pour la tenue du prochain Congrès, et la pu- 
blication du compte rendu des travaux de la cinquième 
section. Il est conçu en ces termes : 

Art. 1%. La sixième session du Congrès scientifique de 
France s'ouvrira à Clermont, département du Puy-de- 
Dôme, dans la première quinzaine du mois de septembre 
1858. 

Art. 2. Le Congrès sera divisé en six sections qui por- 


teront, comme à la cinquième session , les dénominations 
suivantes : 


1° Sciences naturelles. 


36 


2892 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


2° Agriculture, industrie et commerce. 

3° Sciences médicales. 

4° Archéologie et histoire. 

5° Littérature et beaux-arts. 

6° Sciences physiques et mathématiques. 

Art. 3. Sous aucun prétexte, il ne pourra être apporté 
de changemens à ces divisions. 

Art. 4. M. Le Coq, professeur d'histoire naturelle à 
Clermont, est chargé de remplir les fonctions de secré- 
taire général de la sixième session, en s’adjoignant M. 
Bouillet, inspecteur des monumens historiques du dé- 
partement du Puy-de-Dôme. 

Art. 5. La convocation pour le prochain Congrès sera 
faite au moyen d'une circulaire écrite par le secrétaire 
de la sixième session. Cette circulaire sera adressée di- 
rectement, par M. Le Coq, aux savans du centre et du 
midi de la France, où le Congrès ne s'est point encore 
assemblé. 

Dans le reste du royaume, elle sera envoyée par l'in- 
termédiaire des secrétaires généraux des précédentes 
sessions, Savoir : = 

Par M. de Caumont, dans les départemens de la Seine, 
de Seine-et-Qise, de l'Oise, de Seine-et-Marne, de la 
Somme, de la Seine-nférieure , de l'Eure, du Calvados, 
de l'Orne, de la Manche, d'Ille-et Vilame , des Côtes-du- 
Nord, du Finistère, du Morbihan, de la Loire-Inférieure, 
les îles de Jersey ; 

Par M. de la Fontenelle, dans les départemens de la 
Vendée, de la Charente-Inférieure , des Deux-Sèvres, de 
la Vienne, de la Charente, de Maine-et-Loire ; 

Par M. de la Saussaye, dans ceux de Loir-et-Cher, de 
la Sarthe, de l’Eure-et-Loir, du Loiret, d’Indre-et-Cher, 
d'Indre-et-Loire, de la Nièvre ; 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 283 


Par M. de Givenchy, dans ceux du Pas-de-Calais, du 
Nord, de l'Aisne, des Ardennes et de la Belgique ; 

Par M. Victor Simon, ceux de la Moselle, de la Meuse, 
de la Meurthe, des Vosges, de la Haute-Marne, de la 
Haute-Saône, de la Côte-d'Or, de l'Aube, du Doubs, des 
Haut et Bas-Rhin, et dans la Prusse rhénane. 

Art. 6. Les commissaires ci-dessus désignés ne pourront 
envoyer aucune invitation hors la circonscription attribuée 
à chacun d'eux. 

Art. 7. Nul ne pourra être admis à se faire inscrire au 
nombre des membres de la sixième session, s’il n’est por- 
teur de sa lettre de convocation. 

Art. 8. M. le secrétaire général du Congrès de 1857, 
s'occupera immédiatement de la publication du compte 
rendu de ce Congrès, de concert avec MM. les présidens 
et secrétaires des sections , en résidence à Metz, qui for- 
meront avec lui le comité de publication. Le volume sera 
tiré à 1000 exemplaires. . 

Art. 9. Cette commission est chargée de revoir les mé- 
moires lus dans les séances ; elle choisira ceux qui lui 
paraîtront les plus importans , et pourra n'imprimer que 
par extrait ou supprimer tout-à-fait si elle le ; juge cor 
venable , les mémoires présentés pendant la session, lors 
même que l'impression en aurait été demandée par une 
section, ou que la lecture en aurait été faite en séance 
générale. 

Art. 10. La même commission présidera à la distribu- 
tion du compte rendu, dont 100 exemplaires au moins 
et 150 exemplaires au plus, seront adressés, au nom du 
Congrès, aux académies et sociétés savantes de France. 
La commission prononcera sur toutes les difficultés qui 
pourraient s'élever ultérieurement ; elle donnera au secré- 
tare général chargé des AUS de la sixième session, 


9284 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


tous les renseignemens qu'il pourra réclamer, en un mot, 
elle sera mvestie des mêmes attributions que le Congrès 


qu'elle représentera jusqu'à la publication du compte 
rendu de la cmquième session. 


Cet arrêté est mis aux voix, et la société l’adopte dans 
son entier. Deux copies de ce programme seront envoyées 
l'une à M. le maire de la ville de Clermont, l’autre à 
M. Lecoq, secrétaire général. 

M. Lejoindre lit en son nom et en celui de M. le Masson, 
un mémoire relatif au perfectionnement de la navigation 
de la Moselle. Cette lecture est suivie d’applaudissemens 
qui sont un juste hommage rendu à ces deux savans 
ingénieurs. 

Le mème membre dépose sur le bureau un vœu concu 
en ces termes : 

« Le Congrès appelle l'attention des physiciens et des 
» ingénieurs sur ce fait, que le cours des rivières à lits 
» affouillables se trouve divisé naturellement et d’une 
» manière à peu près permanente en parties profondes ou 
» biefs consécutifs d’une certaine étendue, séparées par 
» des bancs de graviers ou hauts fonds d’une étendue 
> beaucoup moindre et au-dessus desquels la hauteur 
» d’eau est très-faible par rapport à celle des biefs con- 
>» tigus. 

» Rechercher les causes naturelles de cette division, 
» celles de la permanence des emplacemens des hauts 
» fonds et les rapports qui peuvent exister entre ces em- 
» placemens et la position des anses ou érosions alter- 
.» natives de l’une et l’autre berges de la rivière. » 

Le Congrès s'associe à ces vues d'utilité publique par 
un vote unanime, 

M. le président donne lecture du vœu émis par la 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 285 


cinquième section ; il est rédigé dans les termes suivans : 

« Que le temps qui est consommé à l'étude du latin 
» et du grec soit considérablement réduit non par l’a- 
» bandon partiel de ces langues , mais au moyen de meil- 
‘> leures méthodes. 

» Que dans le plan des études secondaires soit compris : 

>» 1° L'étude réelle de celles des langues modernes qui 
» offrent le double avantage de posséder une littérature 
» riche et de faciliter nos relations avec des nations voi- 
» Ssincs. | 

» 2% Des notions élémentaires des diverses sciences, 
» en plaçant, en premier ordre, celles dont la connais- 
» sance nous est utile, soit pour nos intérêts particubers, 
» soit pour rendre service à nos semblables. » 

Cette section demande que cette question soit examinée 
de nouveau au prochain Congrès, relativement aux détails 
d'application , et que, dans l'intervalle , elle soit étudiée 
d'une manière plus approfondie, afin qu'elle puisse être 
résolue plus complètement. 

Enfin, elle émet le vœu « que le gouvernement, par 
» des dispositions plus ou moins analogues à celles que 
» fournit la législation anglaise , mette les enfans des fabri- 
« ques en situation de recevoir le genre d'éducation dont 
>» ils ont besoin. » 

Ces vœux sont adoptés. 

M. Morin monte à la tribune et lit un mémoire sur 
un dynamomètre qu'il a perfectionné ; il en donne la des- 
criphon et indique les avantages qu’il présente. Il s'excuse 
d'avoir plusieurs fois occupé l'assemblée de choses très- 
sérieuses ; mais l’homme qui se livre tout entier à l'étude 
se sent invinciblement entraîné ; l'amour de la science 
lui fait voir le doigt de Dieu. Des applaudissemens una- 
nimes mamifestent à M. Morin combien toute l'assemblée 


286 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


attache de prix aux diverses communications qu'il a bien 
voulu lui faire. 

Le même membre demande la permission de traduire 
une note que M. Withwel lui a remise, et qui a pour 
objet de fure connaître l'invention d’un télégraphe gal- 
vano-électrique. 

Cette invention , infiniment supérieure à tout ce qui est 
connu, peut donner le moyen de communiquer instanta- 
nément à une centaine, à un millier de lieues. Il a l’avan- 
tage de pouvoir entretenir la correspondance en tout 
temps ; au moyen de notes, on aurait un vocabulaire 
déterminé ; ces notes seraient transmises au moyen d'un 
clavier semblable à celui d'un petit piano. Dans ce télé- 
graphe , une légère pression donne l'indication au corres- 
pondent et à l'écrivain ; les signes se dessinent sur une 
tablette où l'aiguille les trace comme le serait de la mu- 
sique devant le piano. On peut employer plusieurs aï- 
guilles qui, par des combinaisons binaires et ternaires, 
donneront un vocabulaire très-riche. Comme les com- 
munications ne seraient pas continuelles et qu’on aurait 
à craindre que l'opérateur ne s’endormit, il s'y trouve 
jont un réveil égal à une petite cloche ou grosse horloge, 
qui communique aux deux points, et donne l'assurance 
que le correspondant porte attention. Les difficultés ont 
donc été surmontées. Cet instrument, une fois établi, 
surpassera tout ce que l’on aurait pu imaginer. Le vent 
sera un paresseux messager en comparaison de la célérité 
de cet instrument. 

M. le président prie M. Morin d'être l'organe du Con- 
grès près de M. Withwel , et de le remercier d'une si mté- 
ressante communication à laquelle tout le Congrès ap- 
plaudit. 

M. de Romécourt s'étonne que l’on n'ait pas reçu 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 287 


communication d’une invention aussi intéressante , par la 
société royale de Londres ou par le gouvernement anglais. 
M. Morin répond que les expériences ont été faites, et 
que la découverte est du plus haut intérêt. 

M. Stoffels Lit un mémoire sur le principe de la science. 

M. Blanc lit une pièce de vers intitulée Une Nuit. 

L'assemblée témoigne le vif intérêt qu’elle a pris à ces 
deux communications. 

M. le président met aux voix un vœu émis par la troi- 
sième section, tendant à obtenir des dispositions régle- 
mentaires sur la vaccine ; il est adopté à l’unanimité. 

La séance est levée à cinq heures et demie. 


SÉANCE GÉNÉRALE DU VENDREDI 15 SEPTEMBRE. 
Présidence de M. de VizreNEuvEe-TraNs. 


La séance est ouverte à trois heures. 

M. le secrétaire général lit le procès-verbal de la 
séance de la veille ; il est adopté. 

Messieurs les secrétaires lisent les procès-verbaux des 
séances de leur section. 

M. Morin lit le procès-verbal de la sixième section 
en remplacement de M. Boileau empêché. M. le secré- 
taire de la quatrième section expose que celle-ci l'a chargé 
d'exprimer à MM. les présidens et vice-présidens leurs 
remerciemens pour la manière pleine d'urbanité et de 
convenances dont ils ont dirigé les séances générales. 

M. le président donne communication du vœu émis 
par la première section, ayant pour but d'engager les 
naturalistes des départemens de l’est à se concerter pour 
former des catalogues de ce que l’on trouve dans les 
contrées qu'ils habitent. 

Ce vœu est adopté unanimement. 


288 . ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


M. le secrétaire général communique une liste d’ou- 
vrages offerts au Congrès. Il donne ensuite lecture du 
procès-verbal de la course géologique et archéologique qui 
a eu lieu le 11 septembre ; en voici le résumé. Le nombre 
des membres qui y prirent part était de 40, Le départ 
eut lieu à cinq heures et demie du matin. Cette société 
se dirigea sur Jouy, où elle visita les restes des arches de 
l'aqueduc qui conduisait à Metz, les eaux du ruisseau de 
Gorze. Elle apprit avec plaisir que les restes de ce grand 
monument sont placés actuellement sous le double pro- 
tectorat du gouvernement et du département. De ce point, 
elle s'achemina vers le sommet du coteau de Châtel-Sant- 
Blaise. M. Victor Simon fait remarquer que la base de 
cette localité est de lias et la partie supérieure de cal- 
caire à Pecten lens, subdivision appartenant à l’oolithe 
inférieure. La société examina sur sa cime les restes d’un 
ancien château fort lorrain. 

Après un repos de quelques instans, durant lequel la 
société se plut à admirer les effets d’un brouillard. qui lui 
dérobait la vue des vallées de la Seille et de la Moselle , on 
s'achemina vers cette dernière rivière ; plusieurs membres 
se détachèrent pour aller voir des amas puissans de cal- 
caire à polypiers descendu des sommités, où autrefois 
ils recouvraient le calcaire à Pecten lens. On traversa 
la Moselle, sur le pont suspendu, nouvellement étabh 
vis-à-vis Novéant, on suivit, depuis ce village jusqu'à 
Gorze , un joli vallon arrosé par les eaux qui alimen- 
taient autrefois l’aqueduc. Les environs de Gorze in- 
téressaient les naturalistes et les archéologues sous plu- 
sieurs rapports. Le château de l’ancien abbé de Gorze 
fut visité le premier; on vit avec regret que les sculp- 
tures intéressantes qu'il renferme ne sont nullement 
entretenues , de là on se rendit successivement à la roche 


nn - ” 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 289 


dite Pucelle que M. Bégin avait signalée comme ayant 
pu servir au culte des Druides ; aux Bouillons, qui sont 
la source principale du ruisseau de Gorze; à l'entrée 
des-eaux de ce ruisseau dans la partie de l'aqueduc qui 
est établie sous le moulin et qui se continue sous les 
maisons qui longent leur cours , et enfin à la belle fon- 
ane de Parfond-Val, qui est presqu’aussi abondante que 
les sources des Bouillons. 

La société ne quitta pas sans regrets ces lieux si poétiques 
pour gagner les hauteurs d’Ancy. Elle s'arrêta quelques 
instans à côté d’un monument élevé à la mémoire de 
saint Clément, à côté d'une pierre où, selon la tradition, 
ce saint s'agenouilla pour invoquer la puissance divine 
sur la ville de Metz , dont 1l fut le premier évêque. Les 
personnes qui n'avaient pas encore joui du coup d'œil ra- 
vissant que la vallée de la Moselle présente de ce point ne 
pouvaient s’arracher à ce site s1 plein d’mtérêt ; mais 1l fal- 
lait se rendre à la séance générale et l'on s'empressa de 
regagner Metz, après s'être arrêté un instant pour exa- 
miner les arches de l’aqueduc qui existent sur la rive 
droite de la Moselle, entre les villages d'Ars et d’Ancy. 

M. l'abbé Chaussier donne lecture d'un mémoire sur 
la température intérieure de la terre. 

M. Durutte lit un rapport sur l'état de la musique 
à Metz depuis Charlemagne jusqu’à nos jours. 

Ces deux communications sont entendues avec beau- 
coup d'intérêt. 

M. de Dumast a la parole pour une lecture de frag- 
mens de son essai de traduction de psaumes en vers. Il 
s'exprime en ces termes : 

< Messieurs, 

< C'est pour l'ordinaire , il faut l'avouer, une tâche fatigante et 

stérile que celle’ des traductions en vers : insignifiante et justement 


37 


290 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


dédaignée, si elle se borne à des eflorts médiocres; laborieuse au 
dernier excés, si l’on veut la remplir en conscience ; presque inutile 
la plupart du temps, et dont les résultats, même les plus estimables, 
ne méritent communément pas la peine immense qu'ils ont coutée. 
Ou le public, en effet, ne désire connaître que le sens d’un poème : 
dans ce cas, il lui suffit d’une version en prose; ou bien il veut en 
savourer les beautés: alors ce qu'il préfère est de les aller chercher 
dans l'original. 

> S'il y avait quelque chance probable d'exceptions à cette règle 
si décourageante , ce serait pour des dithyrambes qui , par leur vigueur 
et leur pompe , semblent exiger impérieusement le langage rythmique , 
et dont pourtant le texte primitif est dificile , obscur , contesté même , 
en sorte que sa lecture demeure le partage de trop peu de lecteurs 
privilégiés. Ce serait pour des chants animés, qui ont plus de fond 
que de forme, et dont la supériorité consiste dans les sentimens , 
les pensées et les images, plutôt que dans la cadence et la mélodie 
des paroles. — Un écrivain chez qui la perfection du style est le 
mérite principal, perd tout à sortir de sa langue; et voilà pourquoi, 
par exemple, de l’inimitable Virgile, on n’a pu faire, avec beaucoup 
de talent, que des traductions assez päles. 11 n'en est pas ainsi des 
auteurs orientaux, chez qui l'écorce, en général plus négligée, tient 
faiblement à la substance même, et dont les mots, liés ayec moins 
d'art, peuvent, pour peu qu'on soit habile, être remplacés par ceux 
d’un autre peuple, sans que ce changement d'idiôme fasse périr la 
poésie de la phrase. 

> De telles réflexions semblent s'appliquer surtout aux cassidés , 
aux célas des arabes , et aux mizmors des hébreux. Quant aux pre- 
miers, cependant, c’est-à-dire aux productions du génie arabe, 
l'homme qui veut les traduire en vers, y rencontre, dans l'extrême 
incohérence des idées, dans leur manque total de suite, un genre 
d'obstacle presque invincible. A cet égard , il faudrait pouvoir entrer , 
comme nous l'avons fait une fois devant l'académie de Nancy, dans 
quelques détails, assez curieux peut-être, mais que nous interdit la 
nécessité d’être court. Pour les seconds , c’est-à-dire pour les cantiques 
ou psaumes des Hébreux, il est possible, selon nous, quoique très— 
difficile, de les faire passer avec succès dans notre langue poétique. 
Avec succès, nous entendons par là , d’une manière naturelle, correcte, 
et cependant fidèle; d'une manière qui n’ait rien d’étrange, quoi- 

u’en gardant la couleur étrangère ; d'une manière qui, sans jamais 
tomber dans le bizarre, à plus forte raison dans le baroque, laisse 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 291 


apercevoir les allures orientales , et marche appuyée sur une exactitude 
sinon absolue, du moins habituellement égale à celle qu’on a coutunte 
d'apporter dans les traductions versifiées des auteurs grecs et launs. 

» Eh bien, messieurs (sans vouloir ici jeter, sur des poésies mo- 
dernes , les unes brillantes, les autres recommandables , un blâme 
injuste, et qui surtout nous siérait personnellement fort peu), ce 
problème n'a pas encore été résolu en France , disons plus: il n'a 
pas encore été sérieusement abordé. Ce que nous connaissons de mieux , 
en fait de tentatives approchantes, quelque beau qu’on puisse le 
trouver comme ouvrage, nous semble d'une insuffisance extrême 
comme miroir ou reproduction ; car tout y fourmille d’anachronismes , 
dans les termes et les pensées. En général, on y a fait abstraction 
de l'individualité de David : homme de chair et d'os, cependant; 
personnage simple , antique ; pareil sous une foule de rapports aux héros. 
d’Homère ; prince qui fut la figure du Messie, mais non pas le Messie 
lui-même, et à qui l’on prête partout fort mal à propos, un langage 
- clairement chrétien ; postérieur de mille ans à son époque ; un langage 
qu'il a tenu quelquefois, j'en conviens , mais rarement , par intervalles, 
et dans des passages célèbres, pleins de l'esprit de l'avenir. — Certes, 
messieurs , il y a eu d’admirables vers composés sur les psaumes ou 
à leur occasion ; mais David, le pasteur , le guerrier, le roi, l'élu 
souvent encore terrestre, le héros tour à tour fort et faible, tantôt 
prophète et tantôt simple chantre, mais David le poëte et l’homme 
réel, n'a pas encore été traduit. 

‘Il est pénible d’avoir à émettre une opinion qui peut sembler pa- 
radoxale , ou tout au moins un peu tranchante ; etcependant , messieurs, 
elle n'offre cette apparence que fauie de développemens. Si le temps 
nous permettait de vous soumettre un examen approfondi de la questiou, 
vous verriez, de vos yeux, à quel point on s’est écarté en ceci de 
la vérité de costume , et combien on fait parler à faux le successeur 
de Saül, le père de Salomon. Il nè nous serait malheureusement pas 
possible d'excepter de ce grave défaut un de nos meilleurs elassiques , 
Jean-Baptiste Rousseau, chez qui nous aurions à vous montrer mille 
expressions, mille détails de style, qui, placés dans la bouche et 
d’un israélite et d'un contemporain des Ajax , forment ,+ soit quant 
au pays, soit quant au siècle, d’impardonnables contre-sens. Jusqu'à 
présent un seul poëte , messieurs , a su faire enténdre en bon français 
des accents justes de bon hébreu; et cet homme qui, pour n'avoir 
fait que des chœurs et non pas des odes, ne doit pas moins étre 
appelé le prince de nos lyriques, cet homme c’est celui devant lequel 


999 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


il faut se courber d’autant plus bas qu'on a étudié et compris davan- 
tage; vous le nommez avec moi, c'est JEAN RACINE. S'il avait voulu 
traduire les psaumes, tout serait dit; rien ne nous resterait à faire. 

> Messieurs, la franchise sans réserve que nous venons de mettre 
à signaler les défauts de nos prédécesseurs , même les plus illustres, 
serait de notre part un bien mauvais calcul, si le calcul y était entré 
pour quelque chose; car c’est vous avoir engagés, dans le cas où 
nous oserions vous faire entendre de nos vers, à les juger avec plus 
de sévérité. Il faut, cependant que, par trois échantillons, de ca— 

ractéres differents, pris l’un dans le genre pieux ou solemnel, l’autre 
dans le genre brusque ou militaire, le dernier dans le genre tendre 
et gracieux, nous cherchiors à vous faire sentir notre manière de 
concevoir une traduction de David, et la nature des essais qui nous 
paraissent devoir être tentés pour joindre‘aux exigences de la langue 
et de la raison française, un degré de fidélité orientale réputé à 
tort impraticable. Nos justes appréhensions, nos craintes trop bien 
fondées, doivent céder ici à un intérêt plus grand, à celui de l’art 
et de la vérité. Puisque nous y avons immolé , quoiqu’à regret, la 
gloire d'autrui, à plus forte raison devons-nous y faire le sacrifice 
entier de notre amour-propre. » 


Élevant alors la voix, M. de Dumast à lu , pour exemple 
du premier genre, le 7 decet, Deus, hymnus in Sion ; 
du second, le psaume Éxaudiat, et du dernier, le Dominus 
regit me. Voici, faute de place , le premier seulement de 
ces morceaux ; quoique le moins littéral des trois. 


PSAUME Ze decet hymnus *. 


Ils vous sont dus, seigneur , les hymnes de victoire, 
Les chants sacrés d’amour et d’admiration. 
C'est à vous d’agréer, du seuil de votre gloire, 
L'hommage qu'israël vous offre dans Sion. 

Oh! recevez ma prière fervente, 

Avant le jour de deuil et d'épouvante 


* Les psaumes de M. de "Dumast ne sont exclusivement composés ni sur le texte hébreux 
actuel, ni sur les Septante, la Vulgate ou aucune autre version antique, adoptée par lui 
comme indice de l’état du texte au siècle où les interprètes ont écrit; mais sur un mot- 
æiwot latin qu'il rédige lui-même, par voie de recherçhes électiques, et qu'il se propose 
de publier en regard de sa traduction en vers. 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 993 


Où devant vous toute chair paraîtra ! 

De nos forfaits contre nous la voix tonne; 
Mais l'éternel est un roi qui pardonne, 
Et sur Jacob sa bonté s’étendra. 


Heureux celui, mon Dieu, qui, choisi par vous-même, 
De votre sanctuaire habite les parvis, 
Et, dans votre maison, comblé des biens qu'il aime, 
Voit l'équité d'en haut charmer ses yeux ravis ! 
Heureux qui suit vos volontés certaines , 
O vous, l'espoir des peuplades lointaines 
Qu'ignore encor la nef des matelots ; 
O vous, de qui la force calme et pure, 
Des nations comprime le murmure, 
Comme des mers elle appaise les flots! 


Un temps, un temps viendra, qu’au bruit de vos merveilles 
Des peuples inconnus tomberont à genoux, 
Et, fiers de partager vos bontés sans pareilles, 
De l'aurore au couchant vous priront avec nous. 
En tous climats , jusqu’aux bornes du monde, 
Vous aurez fait couler l’urne féconde 
De ces faveurs qui descendent des cieux ; 
Et votre pluie, en visitant la terre, 
Aura gonflé le froment salutaire 
Qui lui prépare un pain délicieux. 


Enivrez ses sillons , multipliez ses gerbes, 
De son sein réjoui fécondez les trésors. 
Déjà je vois au loin, roulant des flots superbes, 
Votre fleuve en tous lieux se répandre à pleins bords. 
Vous bénissez le cercle de l’année, 
Qui, par vos dons, fertile et couronnée, 
Du désert même a vu fleurir les champs. 
Mille troupeaux y paissent la verdure ; 
Votre nom règne, et toate la nature 
Joint son hommage et sa voix à nos chants. 


994 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


Gloire au père immortel *, au fils, dont la clémence 
A du pécheur contrit surpassé l’humble vœu ; 

À l'esprit, qui, partout soufflant un zèle immense, 
Vaincra le monde entier par des langues de feu ; 


A la triade unique et souveraine, 

Qui, des vieux temps faisant rouler la chaine, 
Daigna créer notre univers si beau, 

Et dont l'éclat, qui ne connait point d'ombre, 
Resplendira , FEU les siècles sans nombre, 

Au front des Saints échappés du tombeau! 


L'assemblée manifeste par de vifs applaudissemens son 


admiration pour cette partie de traduction dans laquelle 
on retrouve tout le beau de l'original. 


M. de Caumont a ensuite la Val et s'exprime en 


ces termes. 


LA 


VIT RUE UN NV 


« Les membres du Congrès scientifique de France, 
étrangers au département de la Moselle, m'ont chargé 
de remercier les habitans de Metz de l’obligeant ac- 
cueil , de l’aimable hospitalité qu'ils en ont recu et du 
généreux concours qu'ils ont bien voulu prêter à la 
consolidation de l'institution du Congrès. 

» Nous n'oublierons jamais le temps heureux passé dans 
les murs de cette cité, et pour que le souvenir d’une 
si belle réunion survive à ceux qui ont eu le bonheur 
d'en jouir, nous prions nos honorables confrères de la 
ville de Metz, d'accepter cette médaille, et de la con- 
server dans leurs archives comme un monument de l’u- 
nion et du zèle éclairé qui a constamment animé cette 
année les membres du Congrès scientifique de France. » 
M. le Masson, en sa qualité de vice-président et habi- 


* À la suite de chaque psaume, et quoique n’y appartenant pas, se trouve ajoutée, 


dans le rythme du morceau, la doxologie ordinaire de l'Eglise ou ce qu’on appelle commu- 
némentle Gloria. Cette addition appartenant à des idées d’uué autre époque que les hymnes 
davidiques; on est maître de la supprimer à la lecture. 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 295 


tant de la ville de Metz, remercie messieurs les membres 
du Congrès au nom des membres de cette société qui ap- 
partiennent à cette ville. 

M. de Villeneuve prononce le discours de clôture sui- 
vant : 


Messreurs , 


& Unir plus intimement entr’elles la plupart des nom- 
breuses sociétés savantes répandues sur les divers points 
du royaume; compléter l’ensemble qui a pu leur man- 
quer jusqu'à ce jour; exciter le zèle, l'émulation, au 
sein des localités demeurées étrangères au vaste mouve- 
ment intellectuel qui se développe en France comme en 
Europe; combattre le vieux préjugé que, hors la capi- 
tale, dont nous proeclamons néanmoins la suprématie , 
tout est frappé d'ignorance, de stérilité ou d'inertie ; s’af- 
franchir collectivement du monopole et de la tutelle qu’elle 
prétend s’arroger sur les provinces, tandis qu'elle leur 
doit les plus brillans fleurons de sa triple couronne scien- 
üfique, littéraire et artistique; faire enfin un appel à 
toutes les spécialités du pays, telle est, vous ne l'ignorez 
point, la pensée dominante qui à présidé à la formation 
des Congrès scientifiques de France. 

» Victorieux après quatre épreuves successives ; presque 
revêtus de la sanction du temps, leur importance relative, 
leur utilité générale , seraient-elles encore un problème ? 

>» Votre adhésion, votre présence, semblent en avoir 
donné la solution. 

» En eflet, méconnaître l'influence qu'ils peuvent exer- 
cer, serait mettre en question si l’union des forces n’ac- 
croît pas leur. intensité ; si les relations qu'elle’établit ou 

® facilite, n'augmentent pas sensiblement le ressort indivi- 


296 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


duel des esprits ; ce serait presque dénier le besoin qu’é- 
prouve l’homme de se communiquer à ses semblables. 

» Il y a plus encore. « Si l’étude dans les livres est, 
comme dit Montaigne, un mouvement languissant et faible 
qui n’échaufle point, la conférence apprend et exerce en 
un coup. » 

» Or, dans ces champs clos où l’on combat à armes 
courtoises, quoique souvent à outrance ; où tous se mê- 
lent sans se confondre, l'esprit s’éclaire, le goût s’épure, 
la mémoire s'enrichit ou se ravive, et la supériorité, la 
haute puissance de la raison et du savoir parviennent tou- 
jours à se faire pardonner, puisqu'elles tournent au profit 
de tous; sorte de pas d'armes littéraires, de tournois in- 
tellectuels, où toutes les idées généreuses se font jour, 
honorés comme jadis de la présence des dames, dont la 
gracieuse assiduité, les applaudissemens surtout, perpé- 
tuent la tradition des doulces emprises qu’elles octroyotent 
aux mieulx jouxtart. Pacifique institution appelée à ne 
produire que d'heureux fruits... Vaste chaîne dont cha- 
que anneau peut amener une découverte, un perfection- 
nement, quelquefois un bienfait. 

> Ne pouvant même effleurer un sujet qui eût exigé de 
sérieuses méditations auxquelles 1l m'a été interdit de me 
livrer, et un loisir qui m'est refusé (ayant été loin de 
prévoir l'honneur que vous me destiniez), je ne passerai 
pas , toutefois sous silence, un des résultats précieux que 
me semblent devoir atteindre les Congrès scientifiques, 
si, comme nous en avons l'intime conviction, ils pour- 
suivent leur féconde carrière. 

» Je veux parler de l'adoption simultanée par les hom- 
mes laborieux et spéciaux, d’un plan uniforme pour les 
statistiques provinciales , d’après le système dont nous a 
exposé l'analyse, notre confrère M. de Caumont. Au sa- 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 297 


vant qui a pris l'initiative dans la question de l’oppor- 
tunité des Congrès, appartenait le droit de donner le pré- 
cepte et l'exemple, ce qu'il a accompli avec bonheur, 
en achevant l'exploration d'une portion de la Normandie. 

> Que cet exemple soit swivi sur les mêmes bases dans 
le même ordre, avec la même méthode, dans les pro- 
vinces où siégeront les Congrès scientifiques, et avant 
vingt ans, nous pouvons le prédire, nul doute que la 
France ne soit dotée, non-seulement de tous les élémens 
nécessaires pour la formation d’une statistique complète, 
raisonnée, consciencieuse , de sa topographie, de son sol $ 
de ses ressources , de son industrie, de son commerce, 
du véritable état de la science, mais encore de son his- 
toire monumentale , et de l’ensemble de tous ses souve- 
nirs nationaux. 

> Et comme tout se lie, comme tout s'enchaine dans 
la vraie science ; que rien ne peut lui demeurer étranger 
ou indifférent, ce vaste cadre comprendrait également les 
projets d'utilité générale ou locale ; exprimerait les vœux, 
les besoins du pays; présenterait les catalogues des bi- 
bliothèques et des archives où gisent tant de précieux 
manuscrits, de chroniques, de chartes; il indiquerait 
tout ce qui ressort du domaine de l'archéologie ; il re- 
produirait même les traditions orales, les légendes , jus- 
qu'aux chants naïf et leurs paroles incomplètes en patois 
du pays. 

» Dès-lors, la science, « cette douce compagne des 
> voyages, > loin de marcher souvent en aveugle, se 
montrerait à la fois en conquérante et en conservatrice. 
Elle s'enrichirait en donnant, elle arracherait à la rouille 
des âges tout ce qu'elle menace d'anéantir, et elle n’au- 
rait plus besoin d'efforts multpliés pour faire comprendre 
aux populations averties , que le respect porté aux débris 

38 


298 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


des vieux siécles, aux reliques d’une gloire où d'une 
puissance évanouies, doit nécessairement s’allier avec Ja 
vénération inspirée par les monumens de la foi. 

» Dès-lors aussi s'acheverait (et ce serait une belle des- 
tinée à accomplir) l’histoire.générale de la France, tou- 
jours demandée, jamais obtenue, travail colossal , impos- 
sible sans le concours des Congrès, facile avec eux, car 
ils en auront fait germer partout, sur leur passage, la 
semence féconde. 

» Honneur done aux hommes de science et de cœur, 
de talent et de volonté, qui se mettront à l'œuvre natio- 
nale, et auxquels on n’a pas besoin de rappeler, que la 
persévérance est comme une seconde foi; elle transpor- 
terait des montagnes. 

> Ils la possédaient ces savans bénédictins , édification 
du cloître, flambeaux de l'histoire, dont, il faut bien 
l'avouer malgré l’orgueil dédaigneux du siècle, nous ne 
sommes, sous plus d’un point, que la monnaie, sil est 
permis de le dire, et au milieu desquels, malgré de 
nombreuses erreurs signalées, brillera toujours le gigan- 
tesque dom Calmet, que tout rappelle en Lorraine, en- 
tourés que nous sommes du fruit de ses veilles et de ses 
prodigieux travaux. . 

» Marchant vers le même but : découvrir et conserver ; 
tous héritiers des vœux du célèbre abbé de Senones, et 
quelques-uns de son savoir, les laborieux coopérateurs 
des derniers Congrès ont vu leurs efforts couronnés d’un 
entier succès. 

>» Le cinquième serait-il demeuré en arrière ? aurait-il 
marché dans une ligne décroissante ? serait1l même mort- 
né, ainsi qu’on l'avait prédit ? aurions-nous été destinés à 
assister à ses obsèques ? 

> Ici les faits seuls doivent parler. Je ne connais pas 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 299 


de réponse plus logique, plus péremptoire, car s'adressant 
également à la bonne comme à la mauvaise foi, elle n’a 
nul besoin des artifices de la phraséologie. 

> J'aurais donc voulu vous présenter un tableau rapide, 
mais fidèle, des travaux si variés qui ont rempli l'espace 
accordé à nos séances ; vous donner l'analyse de la foule 
de mémoires remarquables et lumineux, envoyés de toutes 
parts : des brillans morceaux historiques, de littérature ou 
de haute philosophie ; des dissertations curieuses sur l’état 
des arts dans le pays Messin ; indiquer la solution d’une 
grande partie des questions proposées; vous retracer ces 
expériences si curieuses, si neuves, qui ont répandu tant 
d'intérêt sur les séances générales et particulières : re- 
produire les discussions animées, savantes, chaleureuses, 
qu'ont soulevées diverses questions de médecine, d’agro- 
nomie, de philologie, d'éducation publique ; vous offrir 
enfin, autant que possible, une sorte de résumé de la 
réunion de Metz. 

» À défaut de cet exposé que j'avais sollicité des six 
sections et qui n'a pu être complété, j'en appellerai, 
Messieurs, à votre assiduité, à votre attention soutenue, 
à vos souvenirs, et vous attesterez certainement avec nous 
que, loin de déchoir, le cinquième Congrès scientifique 
a marché en voie d’ascension et de progrès. 

» Le choix de la ville où 1l avait été convoqué parais- 
sait d'avance d'ug favorable augure, et l'on comprenait 
qu'il devait en rejaillir un éclat particulier sur ces fêtes 
de la science. 

» À la fois guerrière et Htiéraire, savante et mdustrielle, 
la noble cité de Metz offre un mélange assez rare de mo- 
numens de tous les âges, d’établissemens du premier 
ordre, et de glorieux souvenirs. Comme Nancy, devant 
lequel périt Charles-le-Téméraire, à moins d'un siècle 


300 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


d'intervalle, ses vieux remparts, défendus aussi par un 
prince lorrain (le petit-fils de René I), repoussèrent 
Charles-Quint et ses cent mille soldats ; et ce revers, 
réveillant tout-à-coup César au milieu de ses rêves de 
monarchie universelle, le décida, dit-on, à déposer la 
couronne... Pour le descendant du duc de Bourgogne, 
pour le père de Philippe Il, abdiquer l'empire, c'était 
plus que perdre la vie! 

» Il était également heureux de pouvoir présenter pour 
modèle à la jeunesse studieuse, destinée à continuer des 
travaux auxquels elle s'associe, de lui proposer, dis-je, 
comme objet d’émulation, au sem de sa ville natale et en 
attendant que sa statue frappe les regards, cet Abraham 
Fabert, dont chaque grade fut le prix d’une belle action! 
Ce grand capitame, « qui ne voulait pas mourir par 
pièces » pour toujours servir son pays, ne vit jamais ses 
jours dévorés par l’oisiveté, car il savait que la supériorité 
est fille du travail et de l'expérience. Homme rare, que 
son propre mérite éleva seul sous le règne absolu du grand 
roi! dont le plus soupconneux des ministres, Mazarin, 
disait que : « s'il fallait se défier de lui, toute confiance 
serait détruite ; » qui, pour le peindre d'un trait, vécut 
en héros et mourut à genoux, les yeux fixés sur son livre 
de prières. Haute et pure renommée ! noblesse glorieuse, 
dont l'impreseriptible privilége a le don d'illustrer à la fois 
l'aïeul, le descendant et la cité qui fut son berceau! : 

» A l’école de nombreux émules de Fabert et de Vauban, 
vieillis comme eux aux camps ainsi qu'aux études, cette 
jeunesse pleine d'avenir a pu se convaincre « que la science 
donne en peu d’années l'expérience des siècles; » elle a 
pu surtout apprendre l’art de discuter sans aigreur et sans 
pédantisme ; de répandre de l'intérêt sur les questions les 
plus arides ; d'unir l'originalité à la profondeur ; d’embellir 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. è 304 


même d'une grace toute française , les sciences qui en pa- 
raissaient le moins susceptibles. 

» C'est avec une satisfaction égale, qu’on a vu se presser 
dans les mêmes rangs, les gardiens du sanctuaire, et ces 
lévites pleins d'instruction ; touchante réunion, annonce 
des rapprochemens plus intimes, car on y vérifie mutuelle- 
ment la portée du mot de Newton : « Le demi-savant peut 
douter, le vrai savant croit. » On y comprend mieux aussi 
que la vraie philosophie humaine , comme la philoscphie 
religieuse, doit quelquefois se voiler, et « qu'il faut laisser 
» à Dieu cette nuit profonde où il lui plaît de se retirer 
» avec sa foudre et ses mystères ! » 

» Grâce à l'esprit conservateur transmis et perpétué par 
les Congrès scientifiques, il est permis d'espérer que désor- 
mais le vrai goût monumental se nationalisant de jour en 
jour, n’aura plus à déplorer de nouvelles dégradations des 
monumens des arts, de honteuses mutilations, d'mconce- 
vables transformations, de prétendus embellissemens, ni 
surtout les étranges réparations que l'ignorance leur fit 
subir plus d'une fois. 

» Comment pourrait-on méconnaître entre autres, la 
magie de l'architecture chrétienne dans toute sa pureté, 
en face de cette merveilleuse et poétique cathédrale, dont 
les Messins sont si justement fiers ! placée si heureusement 
devant nos regards, comme pour nous donner à la fois la 
mesure du génie du moyen âge et l'éclatante preuve de 
la toute-puissance d'une foi vive et incessante! qui nous 
montre comment l'artiste faisait jaillir la vie de la pierre, la 
spiritualisait en quelque sorte, et semblait vouloir l'élancer 
jusqu’à la Divinité elle-même ; dont les vitraux légendaires 
aux furtives lueurs, aux fantastiques effets, excitent si 
profondément la jalouse admiration de notre siècle ; qui 
enfin, Messieurs, semble dévoiler pour amsi dire le but 


302 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


moral, élevé de toutes les réunions d'hommes vraiment 
éclairés : qu'employer les sciences, les trésors de l'intelli- 
gence au perfectionnement de l'humanité, c'est rendre le 
plus solennel hommage à la religion « cet aromate précieux 
qui empêche la science de se corrompre, » ou plutôt, foyer 
vivifiant, éternel, d'où elles émanent toutes ! 

» La poésie, fille aussi de la religion , toujours fidèle au 
poste d'honneur, ne pouvait le déserter en Lorraine, la 
patrie des Saint-Lambert, des Vannoz-Sivry, des Amable 
Tastu, etc. Vous avez déjà entendu ses harmonieux pré- 
ludes ; elle fait vibrer l'antique, la sainte harpe du psal- 
miste ; elle se chargera encore de notre adieu. 

» Auraï-je besoin de dire, Messieurs, que j'accomplis 
avec un sentiment pémible le devoir d'annoncer que nos 
travaux collectifs sont terminés! que cette association si 
courte a attemt son terme ! 

» Mais si elle a fui avec la rapidité de tout ce qui est 
jouissance humaine, il n’en sera point ainsi des souvenirs 
qu'elle nous lègue ; elle aura fondé des liaisons d'estime , 
établi des relations, des correspondances fructueuses ; fait 
naître même de durables amitiés, et le silence du cabmet 
comme les travaux agricoles et industriels, y puiseront 
encore de l'utilité et du charme. 

» Si personnellement nous devons emporter un sen- 
&ment plus particulier de reconnaissance, nul d’entre 
nous ne saurait oublier lindulgence accordée au bu- 
reau central, le concours dont on l’a entouré, la cor- 
diale hospitalité, l'accueil plein d’urbanité, de courtoisie, 
de la eité de Metz, et l'administration départementale 
et municipale a une large part dans ce tribut de grati- 
tude. 

» Nancy, l’ancienne rivale, mais mieux encore la sœur 
de Metz, représentée par une députation de l'académie 


ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 303 


de Stanislas, dont le digne président * a si honorablement, 
si hautement soutenu la renommée, est venu s'associer 
aux travaux de la glorieuse capitale de l’Austrasie et des 
Trois-Évêchés , applaudir à ses efforts, jouir de ses suc- 
cès ; elle aussi, conservera de cette confraternité rajeunie 
et cimentée de nouveau, le même précieux souvenir que 
nos sayans confrères d'outre-Moselle et de la Grande- 
Bretagne. 

» Cet adieu qu'il faut enfin prononcer, est du moins 
tempéré par la certitude d’un rendez-vous annuel. L'ap- 
pel donné par la Neustrie, auquel les départemens de la 
Flandre, du Poitou, du Blésois ont déjà réponds l’Au- 
vergne le fait sde aujourd'hui. C'est donc à Cler- 
mont-Ferrand que se réunira, dans la première quinzaine 
de septembre 1858, le sixième Congrès scientifique de 
France. Ù 

» Que vos futurs travaux, Messieurs, soient un écla- 
tant démenti adressé à ceux qui persisteraient à mécon- 
naître les fruits que doit porter l'arbre naissant, mais 
vivace des Congrès. ne ces utiles associations Ian tou- 
jours dirigées Éte le même esprit, sans cesse animées de 
l'amour désintéressé de la vérité, et nous emporterons la 
certitude que leur mission , dont nous sommes cependant 
loin de vouloir exagérer l'importance , n'aura été ni fri- 
vole, ni stérile, ni mdigne de la France provinciale. » 

Après ce discours qui a produit sur l'assemblée une 
vive émotion, M. de Saint-Vincent a la parole pour la 
lecture d’une pièce de vers, intitulée : Adieux au Con- 
grès. 

Après cette lecture, si convenable pour la circonstance, 
et qui excite vivement la sensibilité de l'assemblée, M. le 


. 
M. Guerrier de Dumast. 


304 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 


président annonce la clôture de la session. Les membres 
du Congrès, en se séparant , expriment le regret de voir 
se dissoudre une assemblée, dans laquelle il a régné'une 
harmonie si parfaite et un zèle si soutenu. 


Signé le marquis ne VILLENEUVE-TRANS, président ; 
pe CAUMONT, ze MASSON, vice-présidens, 
et Vicror SIMON, secrétaire général, 


MÉMOIRES ET PIÈCES. 305 


MÉMOIRES ET PIÈCES 


DONT LE CONGRÈS A VOTÉ L'IMPRESSION:. 


PREMIÈRE SECTION. 


CONSIDÉRATIONS 


SUR LA PREMIÈRE QUESTION DE GÉOLOGIE INDIQUÉE AU PROGRAMME DU CONGRÈS 
SCIENTIFIQUE DE METZ ; SAVOIR : 


Comment ont pu se former les escarpemens que l’on remarque aux 
limites de plusieurs formations et de plusieurs divisions de forma- 
tions P 


Par M. HOLANDRE. 


Le département de la Moselle et celui de la Meuse, offrent plu- 
sieurs de ces formations ou parties de formations qui se terminent par 
des escarpemens considérables ; telle est celle du calcaire corallien 
qui, dans le Verdunois , forme, du côté de la Woïivre, une suite de 
côteaux élevés et à pentes raides; telle est aussi dans les environs 
de Metz la formation oolitique ; ou système inférieur oolitique ; qui se 
présente en côtes escarpées tout le long de la rive gauche de la 


39 


306 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Moselle et le long du bassin de la Seille, où ils paraissent former la 
limite de ce terrain. 

En examinant l’ensemble de ces escarpemens , ils m'ont paru être 
formés par érosion et entièrement dus à l'action des mers de l’ancien 
monde et des courans diluviens, qui, en creusant et approfondis— 
sant nos vallées , ont rongé et emporté Sur une assez grande surface, 
les parties qui limitaient dans le principe ces terrains, et ont formé 
de véritables falaises, en laissant toutefois subsister quelques lambeaux 
en forme d'iles, qui attestent leur étendue primitive. En eflet, si 
après avoir visité les hauteurs d'Ars et de Novéant, par exemple, 
où l'on voit aflleurer en bancs assez puissans les étages moyen et 
inférieur de notre système oolitique , nous nous transportons de l’autre 
côté de la Moselle, sur les côtes de Saint-Blaise, de Sommy et de 
Corny , nous y retrouvons les mêmes terrains, mais moins dévelop- 
pés. De ces hauteurs , nous apercevons au levant, à quelques lieues 
de l’autre côté de la Seille, la côte de Delme, dont le sommet est 
encore recouvert par ce même calcaire subcompacte à polypiers , passant 
à l’oolite ferrugineuse et recouvrant les marnes supérieures du lias. 
(Profil n° 4, ci-joint.) 

On peut donc conclure que ces différens points de notre groupe 
oolitique , formaient un banc continu, diminuant d'épaisseur vers ses 
limites , qui, dans l'origine, s’étendaient beaucoup plus loin sur la 
formation du lias , et se terminaient sans escarpement , à la manière des 
formations qui le suivent. La ligne ponctuée du même profil , indique 
la disposition primitive et présumée de ces terrains. 

Il est à remarquer que les escarpemens de l'oolite ne forment 
pas la moitié supérieure des côteaux de la Moselle ; le lias avec ses 
marnes en occupe au moins la moitié inférieure; ainsi c’est la méme 
cause qui a produit les escarpemens de l’un et de l’autre terrain. 

Si nous nous traasportons sur les côtes de la Woivre , nous y trou— 
yons la même disposition dans le calcaire corallien qui borne cette 
plaine à l’ouest en escarpemens considérables, depuis Apremont et 
au-delà, jusques Damvillers; le calcaire corallien ÿ repose aussi sur 
un massif argileux qui représente le terrain oxfordien, ou argiles 
d'Oxford. On y voit de même que pour l'oolite inférieure , la formation 
corallienne interrompue par des vallées et se retrouver par lambeaux 
sur d'autres élévations plus ou moins éloignées , telles que la côte de 
Monsec, vis-à-vis les escarpemens coralliens de Bussières et d’Hatton-— 
chatel, etc. 

Le fond de la plaine de Woivre, où sont situés les villages de 


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PREMIÈRE SECTION. 307 


Bonzée, de Frésnes, de Champlon, de Marchéville , etc., offre sur 
une grande étendue un banc puissant de grèves ou graviers; ces 
graviers sont formés de fragmens arrondis et plus ou moins volumi- 
neux. du même calcaire corallien qui borne la plaine, et l’on peut y 
remarquer des débris de coquilles fossilles propres à cette formation. 
Cette plaine a donc du être un vaste bassin ou mer dont les eaux ont 
rongé en falaises les limites du terrain corallien et le terrain oxfordien, 
et ont étendu en bancs presque horizontaux, les débris qui n’ont pù 
être emportés, dans les dépressions des marnes oxfordiennes qui 
occupent le fond de la plaine. 

On peut se faire une idée de ce travail des eaux, en considérant 
les falaises qui forment les côtes de l’ouest de la France ; d’après des 
observations exactes , on a reconnu que les eaux de l'océan rongent ces 
côtes petit à petit, en les rendant plus escarpées, et que des points 
remarquables autrefois, avaient entièrement disparu ; mais l'ouvrage 
des eaux des mers actuelles est peu de chose dans l'espace d'un 
siècle, en comparaison de ce qu'ont pu opérer les eaux tumultueuses 
de l’ancien monde , sur des terrains qui étaient probablement encore 
dans un état de mollesse et dont les couches pierreuses n'avaient pas 
acquis cette solidité que nous leur voyons aujourd’hui. 

Si l’on fait attention à la manière dont les formations secondaires de 
nos pays se recouvrent les unes les autres, en s'enfonçant du côté de 
l’ouest et présentant leurs bords au jour du côté de l’est sur une assez 
grande étendue, on conçoit que les grands courans qui les ont sillonnés et 
creusés du sud au nord, pour s'y frayer un passage , ont dü néces- 
sairement y former des escarpemens sur leur rive gauche , lorsqu'elles 
les ont attaquées vers les bords, puisque l’épaisseur de ces formations 
augmente de ce côté. (Profil n° 2.) 

Il en est de même des autres formations secondaires que l'onvoit 
sortir les unes au-dessous des autres , si l’on vient de Paris jusqu’à la 
Sarre ; ainsi après avoir passé le terrain de craie, on voit paraître au 
jour les grès verts qui sont en escarpemens dans les environs de 
Sainte-Menehould ; puis on trouve les escarpemens coralliens dans le 
département de la Meuse; ceux du systéme inférieur oolitique bor- 
dant le bassin de la Moselle , et enfin les escarpemens du Ep bigarré 
a la rive gauche de la Sans 

L’inclinaison vers l’ouest de tous ces terrains paraît dk due à une 
action soulevante , telle que celle qui a produit le grand soulèvement 
des Vosges, su des masses porphyriques où autres des pays au- 
delà de la Sarre; mais on ne peut pas dire cependant que les 


308 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


escarpemens de nos terrains ont été formés par rupture , comme dans 
les montagnes du Jura, où l’on voit des escarpemens opposés des 
groupes coralliens et oolithiques qui présentent les mémes couches , 
rompues et divisées par les soulèvemens. 

On remarque dans les environs de Metz des collines élevées en forme 
de promontoires ou d'iles , dont les couches calcaires de leur sommet 
sont renversées et boulversées , telles que les côtes de Saint-Blaise et 
de Sommy; il ne me paraît pas étonnant que leurs couches soient 
ainsi dérangées , puisque ces collines étaient exposées des deux côtés 
à l’action réunie des grands courans qui occupaient, aux époques dilu— 
viennes ou dans les cataclysmes de l’ancien monde , les vallées de la 
Moselle et le bassin de la Seille. 

Aprés cette lecture, M. Chaussier a ajouté : 


Messieurs , 


J'avais préparé quelques considérations sur cette première question 
du programme. Mais M. Holandre, en ayant, dans son mémoire, 
développé une partie beaucoup mieux que je ne l’aurais fait, je me 
bornerai à vous lire la fin de mon travail, qui établit la différence 
entre mon opinion et celle de ce savant. M. Holandre suppose que 
toutes les couches des diverses formations se sont déposées de ma- 
nière à affleurer le sol sans laisser de dépression aux limites des 
formations ; il me semble nécessaire cependant d'admettre aux limites 
de celles qui se terminent par un escarpement , une dépression préexis- 
tante aux grands cours d’eau qui ont opéré l'érosion , et dans laquelle 
ils ont dù trouver un lit déjà tout préparé; comment admettre en 
cflet que ces cours d’eau aient si exactement coincidé avec les limites 
d'une formation , et se soient en quelque sorte promenés autour de ses 
bords , s’il ne se füt trouvé à son contour une dépression et un lit déjà 
tout formé. Or, voici comment j'expliquerais l'existence de ces dé- 
pressions. 

On peut supposer qu’à l’époque qui a été la fin d’une formation et 
le commencement de la suivante , les mouvemens du sol aient amené 
un léger retrait des eaux ; en sorte qu’elles auront laissé à découvert 
une partie de la formation terminée, qui n’aurait point été recouverte 
par la formation suivante. Aïnsi la zône de lias qui se montre au jour, 
y aurait été laissée dès l’origine par le retrait des eaux et n'aurait 
jamais été recouverte par l’oolite. La mer, aprés avoir ainsi abandonné 
une partie de son lit aurait déposé la formation suivante, et à mesure 
que son fond se serait élevé elle aurait poussé, sur ses rivages, des 


PREMIÈRE SECTION. 309 


dunes qui auraient dépassé et protégé les parties régulièrement stratifices ; 
cés dunes en s'élevant auraient produit un talus du côté.opposé au 
lit de la mer, et auraient formé une digue assez puissante pour ar— 
rêter les vagues et empêcher les eaux de la mer de s'étendre de 
nouveau sur la formation abandonnée et dont le niveau serait ainsi 
demeuré plus bas que celui de la mer. 

Cet état de choses aurait persévéré jusqu’à un nouveau retrait des 
eaux, et la formation qui en serait résultée aurait obtenu une puis- 
sance proportionnelle à la durée de cet état et à l'énergie des forces 
qui auraient concouru à sa production. La dépression ainsi formée par 
le talus des dunes et l’inclinaison des couches sur lesquelles on suppose 
ces dunes déposées, auraient enfin, dans les grandes inondations, 
fourni un lit tout préparé et l'écoulement des eaux. Mais ces grands 
cours d’eau ont dû bientôt diviser et dissoudre les pârties meubles 
des dunes, s'en charger, les charier dans les mers pour concourir à 
la formation de nouvelles couches, et laisser ainsi à nu de grandes 
coupes des parties régulièrement stratifiées sous les eaux marines ; ils 
ont dû attaquer même le bord des couches solides , qui, aux limites 
de la formation devaient avoir moins d'homogénéité et moins de con- 
sistance que les parties de ces couches qui avaient été déposées sous 
une mer plus profonde, et par conséquent hors de l'influence de 
l’agitation des flots qui durent troubler la formation des parties littorales. 

Aïnsi s'explique comment les cours d'eau ont suivi exactement les 
contours d’une formation, et comment l'érosion a pu tailler à pic des 
roches qui, aujourd'hui sont d’une trés-grande dureté. 


510 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


NOTICE 


SUR 
LE KEUPER ET LES GRÈS KEUPÉRIENS, 


EN RÉPONSE A LA DEUXIÈME QUESTION DU PROGRAMME : 


Le grès que l’on voit à la partie supérieure du keuper appartient-il 
. à cette formation ou uw Las? 


Par M. LEVALLOIS. 


La formation du keuper ou des marnes trisées est si développée, 
et d'une manière si régulière, dans la vallée de la Seïlle, qu’on peut, 
avec quelque raison, la considérer comme étant la à son état type. 
Or, cette formation reconnue par les travaux de la mine de Dieuze, 
sur une épaisseur de plus de 500 mètres, bien qu’elle soitessentielle- 
ment composée de marnes, comme l'indique son nom, n’en est 
cependant pas exclusivement formée , et elle contient en outre quelques 
bancs et amas pierreux, peu jnportans à la vérité eu égard à la 
masse des marnes, mais trés-importans par cela qu'ils fournissent les 
seuls horizons géognostiques à l'aide desquels on puisse établir des 
subdivisions dans ce grand système. Ce sont , sans parler du sel gemme : 

4° Du gypse. 

2° Du grès argileux. 

Du calcaire magnésien , exploité comme moélon. 

4° Du gypse. 

5° Du calcaire magnésien marneux. 

Puis apparaît tout au sommet un grès siliceux si friable qu'il est 
exploité pour être converti en sable, et que j'appelle provisoirement 
grès keupérien supérieur. Viennent ensuite des marnes r'ouges sur une 


PREMIÈRE SECTION. - 514 


épaisseur de 5 mètres environ ; et c’est seulement au-dessus de celles-ci 
que le calcaire à gryphées bien caractérisé commence à se montrer 
ayec ses marnes grises. 

J'ai signalé deux grès, mais le premier est évidemment hors de 
cause , puis qu'il est au milieu de la formation du keuper. C'est 
celui que dans un mémoire publié l'année dernière, j'ai désigné sous 
le nom de grès de Stuttgard, parce qu'il est exploité en grand 
autour de cette ville. Il est caractérisé par des empreintes d'Equisetum 
arenaceum que j'ai retrouvées à Moyenvic et à Lunéville (département 
de la Meurthe), ainsi que près de Dolsten (Moselle). C'est dans le 
voisinage de ce grès et le plus souvent au-dessous de lui que se 
touve ce dépôt de combustible propre au keuper, et qui donne 
journellement lieu à tant de déceptions financières, 

Le grès auquel se rapporte la question posée dans le Programme 
n'est donc pas celui-là, mais bien le grès dont j'ai parlé sous le 
nom de grés keupérien supérieur , et qui existe aussi dans la Moselle 
et notamment à Kédange et à Saint-Julien-lés-Metz. 

Or, si j'ai dit que ce grés est le plus souvent friable, il convient 
d'ajouter qu'il se présente parfois aussi agglutiné par un ciment calcaire , 
auquel cas il est trés-dur, et c'est à cet état qu'on l’exploite pour 
pierre à paver, près du village de Saint-Médard, entre Dieuze et Marsal. 
Alors il contient une multitude de petites bivalves qui paraissent être 
des Ænatines. Je possède un échantillon de ce même grès décomposé, 
et qui renferme une Gervillie. Îl est essentiel de faire remarquer 
que ce grès calcaire coquillier ne forme point un banc distinct et 
continu dans la masse du grès supérieur, mais plutôt une sorte 
d'amas stratifié, de telle manicre qu'il y aurait continuité entre le 
grès sableux et le grés calcaire. 

Cela posé, l’existence de ces fossiles qui jusqu'ici n’ont d’analogue 
que dans les terrains jurassiques (lias compris), semblerait autoriser > 
faire rentrer dans le lias le grès qui les renferme; tandis que d’une 
autre part, la circonstance que j'ai signalée , que ce grés est séparé 
du calcaire à gryphées par des marnes rouges, lesquelles, à cause 
de leur couleur, semblent se lier intimement avec les marnes keu-— 
périennes, autoriserait à rattacher ledit grès au keuper. 

Il y à donc doute, quant au point de savoir si le grès de Ké- 
dange doit faire partie du keuper ou du lias. 

Mais la question posée par le programme s'applique encore à un 
autre grès, c'est celui de Hettange et plus généralement celui qui 


Y à] { + . 
est connu sous le nom de grès de Luxembourg, à cause de l'im- 


512 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


mense développement qu'il a dans ce pays; car la plupart des géo- 
logues admettent qu'il sépare le calcaire à gryphées des marnes irisées , 
ce qui fait qu'il peut être considéré par les uns comme le membre 
inférieur de la première formation ou par les autres comme le membre 
supérieur de la deuxième. Or, il résulte d'observations que j'ai faites 
dès 1833, et que j'ai encore vérifiées l’année dernière avec M. Re— 
verchon , que telle n’est pas la position de ce grès, et qu’il repose 
au contraire sur des couches appartenant incontestablement au lias ; 
en sorte que comme M. Simon, d'autre part, annonce avoir vu le 
grès du Luxembourg recouvert par des couches liasiques , il s’ensui- 
vrait que ce grès est enclavé dans le lias, et qu'il ne peut pas être 
séparé de cette formation. 

Nos observations ont été faites en deux points: 

4° Prés de Hemelsingen , une lieue et demie rord de Luxembourg , 
dans la vallée de l'Alzette. Une coupe de la colline qui borde la 
rive droite de la rivière, faite de bas en haut, donne la succession 
suivante : 

Des marnes irisées. 

Un banc de calcaire gris noirâtre avec bélemnites et encrines. 

Le grès. 

2% Prés de Hettange', dans le lit d’un ravin qui se dirige vers 
Eutrange. 

On voit dans ce lit la roche qui, à quelques pas de là , est exploitée 
dans la grande carrière d'Hettange, on la voit, dis-je, reposant sur 
un système de marnes bleues renfermant des sphérosidérites, quelques 
ammonites, des bancs de calcaire dit Nagelkak, etc., toutes choses 
qui caractérisent bien le lias tout comme à Hémelsingen. Il faut même 
dire qu'elles caractérisent habituellement la partie supérieure du 
lias; mais ce sera seulement là une exception à signaler, car l'ap- 
plicatiin immédiate, à Hemelsingen, du banc de calcaire à bélemnites 
sut les marnes irisées, ne permet pas de le placer ailleurs qu'à la 
Piftie inférieure du lias. 

Le plus souvent, les relations entre le grès et le calcaire à gryphées 
sont difficiles à établir, et nous avons yu aux environs de Strassen, 
une lieue ouest de Luxembourg, les choses se passer comme s'il y 
avait continuité de l’un à l'autre; et il y a, en vérité, tels échan- 
tillons de grés qui, renfermant les mêmes coquilles que tels autres 
de calcaires lias, ne différent de ceux-ci que par la couleur, comme 
s'il avaient été passés dans un four à chaux. 

Quoi qu'il en soit, le grès dur qu'on exploite pour pierres de 


PREMIÈRE SECTION. 515 


construction à Hettange = dans le Luxembourg ne laisse pas que 
d'avoir assez de ressemblance avec le grès coquiller de Saint-Médard 
dans la vallée de la Seiïlle, et c’est une raison qui me ferait encore 
éviter à séparer ce dernier du lias. 

En résumé. 

Le grès d'Hettange et du Luxembourg fait partie du terrain du lias. 

Quant au grès de Kédange, il ne parait pas possible , dans l’état 
actuel des observations, de décider s’il n’est qu’une dépendance du 
premier, ou s'il doit être rattaché au terrain keupérien, 


40 


344 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


DES MÉTAMORPHOSES 


ET 


DES MODIFICATIONS 


SURVENUES DANS CERTAINES ROCHES DES VOSGES, 


Par Ernesr PUTON, 


Membre de la société Géologique de France, de la société d'Émulation des Vosges, etc. 


Parmi les questions proposées à la section d'histoire naturelle du 
congrès de Metz , plusieurs s'occupent des métamorphoses et des chan- 
gemens survenus dans certaines roches , en raison des circonstances où 
elles se sont trouvées. Un ingénieur des mines de renom, M. Virlet, 
envisage cette importante question d’une manière qui rallie toutes les 
diverses opinions que les observateurs s'étaient faites, sur les roches 
modifiées et métamorphosées, beaucoup regardent encore certaines 
roches d’agrégation mécanique comme des roches d’éruption, c'est 
qu'il est bien difficile souvent de reconnaître les caractères qui peuvent 
distinguer ces roches , les règles minéralogiques et géologiques peuvent 
être quelquefois en défaut; nous demandons à la section la permission 
de l’entretenir un instant de quelques considérations géologiques et 

. géogéniques sur certaines roches des Vosges , où cette question peut 


PREMIÈRE SECTION. 515 


être examinée avec i intérêt. Aujourd'hui que cette étude a pris faveur, 
nous ayons pensé qu’un travail sur les métamorphoses et les modifica- 
tions que présentent certaines roches des Vosges pourrait être de 
quelqu'utilité, nous croirons avoir rendu service à la géologie de ces 
montagnes en provoquant un nouvel examen des faits que nous faisons 
connaître , en attirant l'attention sur des questions que nous ne faisons 
qu’eflleurer ; il est rare d’arriver du premier coup à la vérité, mais on 
doit s’estimer heureux quand on est la cause que la vérité se découvre, 
dût-on, soi-même, être convaincu d’erreur. 


DU TERRAIN DE TRANSITION. 


Nous commencerons cet examen par le terrain de transition, notre 
but n’est pas d'en donner une description , M. Hogard, l’a fait con— 
naître dans son ouvrage sur les Vosges, et nous ne pourrions que 
répéter ce qu'il en dit, nous voulons seulement donner quelques dé- 
tails sur les roches de ce terrain où les phénomènes de métamorphoses 
et de modifications sont fréquemment observés. , 

A Thann , à Bitschwiller et à Masseveaux, de vastes carrières sont 
ouvertes dans un massif de roches tantôt porphyroïdes, tantôt aré- 
nacées et.souvent passant au jaspe , contenant des débris de végétaux ; 
il y a peu de temps encore que ces roches étaient regardées comme 
d’origine ignée et appelées Eurites fragmentaires , elles ont en effet 
une identité minéralogique si frappante avec les roches feldspathiques 
d’éruption, qu’il paraîtrait hasardeux de les considérer comme des 
grauwackes et des schistes argileux , ce sont des masses non strali- 
fiées et qui ne possèdent pas les caractères des roches d’éruption, 
si ce n’est leur structure minéralogique et les élémens de leur com— 
position. . Quelquefois la roche est parsemée de cristaux de feldspath 
parfaitement déterminés , disposés comme dans les porphyres et les 

mélaphyres , et disséminés dans une pâte pémormheense de couleur ver- 
dâtre et rougeâtre , trés-compacte comme si elle était à demi-vitrifiée ; 
dans d'autres endroits, elle est à grains si fins que l'on ne peut re- 
connaître les parties qui la composent; elle devient peu à peu un 
véritable jaspe rubané à cassure fine et vitreuse; souvent elle est 
arénacée , de couleur verdâtre, terreuse et parsemée de cristaux de 
feldspath blanchätre , à la manière des arkoses, sa cassure est terne et 
raboteuse ; souvent encore elle est tout à fait argileuse et parfois péné- 
trée de matières arénacées grossières. Il n’est pas rare de voir toutes 
ces variétés passer de l’une à l’autre sans aucun ordre, et souvent un 


316 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


seul échantillon en présente deux réunies : ces roches contiennent des 
fragmens arrondis de roches préexistantes, ils sont rares dans la 
variété porphyroïde, mais en revanche elle renferme des parties 
fragmentaires compactes où porphyroïdes comme la roche elle-même , 
mais d’une autre couleur ; ces espèces de glandes ne peuvent se dé- 
tacher de la pâte qui les enveloppe, mais elles lui donnent une 
apparence de brèche; on y voit aussi des aglomérations feldspa- 
thiques blanchâtres , quelquefois parsemées de petits points 
alongés verdätres qui semblent être des débris d’aiguilles d'amphi- 
bole qui, pendant la formation par les eaux de cette roche, se sont 
réunis par attraction autour d’un centre commun, de manière à 
présenter quelque ressemblance avec les orbicules de la diorite de 
Corse ; c'est ce qui l’a fait appeler par M, Rozet , diorite suborbicu- 
laire. On remarque dans ces roches beaucoup de débris de grands 
végétaux qui ont appartenu à des calamites, des stigmaria, etc., 
analogues aux espèces du terrain houiller ; les tiges sont remplies de la 
maliére qui les enveloppe ; leur extérieur est charbonné et recouvert 
quelquefois d’un enduit ferrugineux. Comme on ne reconnaît aucune 
apparence de couches , il est difficile de voir dans quelle position ils 
se trouvent , ils se détachent facilement de la roche qui conserve leur 
empreinte, surtout lorsqu'elle est à pâte fine, toutes les variétés de 
roches dont nous venons de donner la description, en contiennent ; 
ils sont plus rares dans la variété porphyroïde. On a tenté quelque- 
fois d'exploiter dans ces localités de petits gisemens d’anthracite, 
mais elle était de mauvaise qualité et les gîtes très-pauvres. On ne 
peut donc attribuer à ces roches une origine ignée, quoiqu'elles en 
aient toutes’ les apparences ; et l'on ne regardera pas les jaspes et les 
quarzites qu’elles renferment comme des filons parce que ces roches 
siliceuses contiennent , comme les argileuses et les porphyroïdes, des 
preuves évidentes d’agrégation mécanique et d’origine Neptunienne. 
On reconnait aussi dans les roches composant le système de la vallée 
de la Thurr , de véritables porphyres qui traversent et se confondent 
avec le terrain de transition, qui, par cette liaison , n’a conservé aucune 
apparence de couches, on ne pourrait tout au plus les désigner que 
par le passage insensible d’une roche à l’autre, on voit cependant 
qu'elles ne se présentent pas à la manière des filons et qu'elles reposent 
en massifs sur le granite qui perce cà et là , qu’elles recouvrent comme 
d’une espèce de manteau, et qui a bien pu, avec les porphyres, 
contribuer à leur changement mécanique et chimique ; quelques filons 
de chaux carbonatée, de baryte, de quartz et de fer hydraté qui y 


PREMIÈRE SECTION. 347 


sont engagés fréquemment, ont aussi joué un rôle dans leur dislo- 
cation et dans la modification de leurs parties constituantes. 

Si l'on remonte la vallée, on verra toujours le même système qui 
change peu d’allure : à Gruth, cependant, il constitue une grauwacke 
peu modifiée; à Urbey, la sdébe devient compacte, dure et sonore; 
sa couleur dominante est un vert noirâtre , elle a une certaine analogie 
avec le grunstein ou l’aphanite , quelquefois des cristaux de feldspath 
et de mica y sont apparens et lui donnent une texture raboteuse , 
elle est associée avec des quartzites rubanés passant au jaspe. On 
exploite dans cette vallée des filons puissans de fer hydraté qui sont 
encaissés dans le terrain de transition. En montant la côte d'Urhbey, 
on voit peu à peu la roche noire d'apparence trappéenne devenir 
schistoïde , se diviser en feuillets minces de peu d’étendue et intercaler 
des petites couches d'une roche arénacée pétro-siliceuse ; ce schisie 
(Thonschiefer) formé d'argile et de mica en parcelles très-fines est 
pénétré ca et là de filons d’eurite compacte , de diorite et d’une roche 
noire, due et tenace, que l’on peut considérer comme un véritable 
trapp: il a quelque ressemblance avec le basalte; comme lui, il ‘est 
magnétique et quelquefois il devient amigdaloïde par la présence de 
nodules de spath calcaire. Ce schiste argileux en approchant de 
Bussang contient des empreintes végétales (eme et fougères), sa 
stratification est trés-confuse, elle est coupée par des fissures qui se 
‘croisent sous différens angles en s'interrompant tout-à-coup; en exami- 
nant avec attention la manière d’être de ces couches, on y remarquera 
plusieurs systèmes de strates, les uns très-verticaux et les autres 
trés-inclinés. 

Les roches schistoïdes de Bussang étaient regardées comme des 
trapps, on se souvient encore des discussions auxquelles elles ont 
donné lieu au Congrès géologique de Strasbourg , depuis cette époque, 
nous regardons avec méfiance les roches à apparence trappéenne, 
nous savons que les schistes argileux peuvent être métamorphosés 
en schistes siliceux ayant à un tel degré l'apparence du trapp et 
de la lydienne > qu'il est souvent hbdeciBlé de lui reconnaitre les 
caractères d’une roche stratifiée et de le distinguer de ces deux ro- 
ches. 

Les Vosges oflrent encore d’autres localités où les roches du terrain 
de transition sont métamorphosées : dans la vallée de la Brusche, à 
Rothau, à Schirmeck et à Vakembach ; les roches ne sont plus por- 
phyroïdes comme dans la vallée de la Thurr , elles sont compactes, 
noirâtres , d'apparence trappéenne ou de grunstein , souvent rougeûtres , 


Me MÉMOIRES ET PIÈCES. 


bleuätres et verdâtres, elles deviennent jaspoïdes, très-siliceuses et 
ayant reçu une espèce de demi-vitrification , elles passent à une grau- 
wacke grossière qui offre des variétés qui fixent l'attention: ce sont 
des grès à noyaux aplatis calcaires et débris de schistes et de feldspath , 
quelquefois les parties constituantes sont à gros grains, ce sont des 
fragmens parfaitement arrondis de quartz et d’une roche noire qui 
rappelle par sa dureté la lydienne, mais qui n’est probablement 
que des fragmens arrondis de schistes endurcis à un degré extrême, 
ces noyaux sont réunis par un ciment argileux et pétro-siliceux , dont 
la force de cohésion indique qu’une action chimique a aussi concouru 
à sa consolidation, Près de Schirmeck, sur la route de Strasbourg , 
une grauwacke trés-sableuse et fort dure, laisse voir dans ses couches 
coupées verticalement les feuillets du schiste argileux contournés et 
repliés d’une manière fort bizarre , imitant dans cette masse arénacée 
l'allure des filons. Teut près de la on observe le calcaire de ce terrain, 
il est grisâtre et rougeâtre, massif, sa stratification est assez distincte, 
surtout dans sa partie supérieure, il contient des polypiers, des 
crynoïdes et plusieurs espèces de conchifères, dont une paraît être 
un spirifère; un filon feldspathique pénètre sa masse et convertit 
le calcaire au point de contact en calcaire saccaroïde. Il est accom- 
pagné de plusieurs veines d’arragonite bacillaire qui paraissent pos- 
térieures el avoir aussi joué un rôle dans sa modification. 

Les calcaires de Vakembach qui sont employés comme marbres et 
ceux qui servent de castine à Framont doivent également leur état 
grenu au même phénomène , ils ont leur gisement dans cette vallée 
et appartiennent aussi au terrain de transition, mais c’est particulière 
ment aux Miniéres qu'il est devenu dolomitique à un degré tel qu’il 
fournit une excellente chaux hydraulique. Le Brand des mines de 
Framont est aussi un fait de métamorphose : de schiste argileux , il 
est passé par le contact des roches plutoniques et le dégagement des 
gaz et des matières volatiles produits lors de l'injection des filons 
métallifères à un argile friable qui a perdu sa structure feuilletée. 

Si l’on descend dans la vallée de Rabodeau on rencontre encore 
les roches compactes du terrain de transition , elles deviennent peu 
à peu schistoïdes et passent à un véritable schiste argileux qui se 
divise en feuillets minces ; mais bientôt il s’altère, et à Moyenmoutier 
il perd sa structure feuilletée, devient compacte et un peu terreux ; 
cette roche que l’on considérait, il y a peu de temps encore, comme 
une eurite compacte, est employée dans la fabrication en grand des 
pierres à aiguiser, elle est pénétrée de filons d’eurite granitoïde. Non 


“PREMIÈRE SECTION. 519 


loin de là, une grauwacke yerdâtre à texture serrée et un peu porphy- 
roïde semble accompagnée de quartzite vert translucide. 

La grande confusion que l’on voit régner dans l’ordre de succession 
des couches du terrain de transition des Vosges fait prévoir avec raison 
qu'il se présente dans ces montagnes sous de grandes différences de 
niveau ; il ne constitue pas de grandes étendues de terrains , il n'existe 
que par lambeaux isolés recouvrant fréquemment le flanc des vallées 
et constituant aussi des sommets élevés, c’est principalement dans les 
vallées du revers oriental et du nord qu’on peut l'observer sur de 
plus grandes surfaces, mais il est quelquefois rejeté loin de sa région 
et isolé au milieu de massifs granitiques, c’est ainsi que l'on voit 
dans la vallée de la Moselle plusieurs parties détachées de schistes siliceux 
qui ont de l’analogie avec celui de Bussang ; il en est de même au 
Valdajol où l'on fait dans ce moment des recherches d’anthracite dans 
un terrain de transition bien caractérisé. 

Partout il ne présente pas des faits de modifications, dans le val 
de Villé, ila conservé une espèce de stratification et tous ses caractères 
argileux, de nombreuses veines de quartz blanc , souvent mélangées 
de schistes, pénétrent à travers ses couches et sont quelquefois pa- 
rallèles à la stratification, ils paraissent aussi étre d’origine ignée, 
quoiqu'ils n'aient pas fait éprouver à la roche une altération sensible; 
cette localité demanderait une attention particulière , il faudrait visiter 
en détail toute la vallée et les pentes du Climont, il serait possible 
que l’on y rencontrât des filons granitiques, et leur action intéresse 
toujours l'observateur. À Andlau, où le schiste est trés-dur, très- 
tenace et trés-siliceux, il est pénétré dans plusieurs endroits par le 
granite , et c’est à ces filons que l’on peut attribuer sa manière d’être. 
M. Voltz regarde le schiste de ces deux localités comme des schistes 
primaires, se liant à la formation du gnéiss et du micaschiste , 
est vrai qu'il différe de ceux du terrain intermédiaire et qu'il ne con- 
üent pas de restes organiques ni de grauwackes ., ni de calcaires; il 
en serait de même de la roche schistoïde de Biarville près Saint-Dié 
qui offre une certaine analogie avec quelques variétés du schiste d’Andlau, 
quelques rapports géologiques avec les schistes primitifs et des quartzites 
comme celui du val de Villé. 

Le terrain de transition des Vosges paraît associé avec des massifs 
de roches en filons ayant évidemment une origine ignce, dans là 
partie méridionale de la chaîne, ce sont des grunsteins, des trapps, 
des porphyres pyroxéniques et des ophites, ces roches sont souvent 
scoriacées et constituent de véritables amigdaloïdes dont les yacuoles 


320 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


sont remplies de spath calcaire. Il est assez singulier de les voir affec- 
tionner aussi manifestement ce terrain. 


pu GRÈS ROUGE (T'odte-liegende). 


Si ces divers faits font concevoir la possibilité donnée aux roches 
plutoniques postérieures de détruire Ja stratification , de modifier les 
caractères arénacés des grauwaches ,, et schisteux des phyllades, et de 
donner à ces roches par une demi-fusion, une texture compacte ou 
grenue, ou cristalline, analogue à celle des eurites et des porphyres 
dans leurs divers états de cristallisation, l’attention doit se porter 
naturellement sur un terrain remarquable par ses nombreux accidens , 
sur le grès rouge (Todte-liegende des allemands). On a appelé ainsi 
une série de roches arénacées formées d’aglomérats anagénitiques , 
c'est-à-dire , de fragmens de roches primordiales , réunis par un ciment 
argileux et siliceux , d’une couleur rouge plus ou moins foncée. Ce 
dépôt qui occupe dans l'échelle géologique des terrains secondaires, 
le deuxième étage, si nous prenons pour base le terrain houiller, 
présente dans les Vosges une suite de couches qui attirent l'attention 
de l'observateur. La disparition de la straüfication des couches, la 
modification des roches sont des faits qui méritent d’être examinés ; 
ici ce ne sont plus des roches feldspathiques ou amphiboliques qui 

pénètrent dans ce terrain, jusqu’à présent on n'a pas vu dans les 
Vosges ces roches dépasser la formation houillère, ce sont de vastes 
filons de quartz apportant avec eux de la baryte , de la chaux fluatée 
et du fer oligiste qui traversent la masse du grès rouge, c'est principale 
ment au Valdajol que ce fait peut être observé: dans la vallée des 
Roches un immense filon de quartz s'est fait jour et s’injecte dans le 
grés rouge qui recouvre les montagnes voisines , il s’y ramifie en 
filets et en veines déliées. Souvent le quartz à son passage a enveloppé 
des fragmens de grès, l'on a alors une brèche à ciment jaspoide, 
dont les parties anguleuses ont recu un coup de feu violent, car le 
grès qui les compose est tout à fait dénaturé et a pris l'aspect de 
fragmens de briques. Ici la masse du grès, traversée par les filons 
quartzeux , ne présente plus qu'une stratification à peine apparente, 
au lieu de se diviser dans le sens de ses couches , de grandes fissures 
la partagent en grands polyèdres irréguliers ; et le ciment qui unit 
ses parties quartzeuses à reçu une demi-vitrification qui rend le grés 
trés-dur et lui donne une cassure unie , semblable à celle des granites. 

On ne peut mettre en doute que le massif de quartz de la vallée 

des Roches ne soit un énorme filon, si l’on considère toutes les 


PREMIÈRE SECTION. 321 


ramificatidns qui partent d’un centre et pénètrent dans les assises 
puissantes du grès par une multitude de veines et de filets extré- 
mernent déliés et la matière quartzeuse qui change à chaque instant 
d'aspect : souvent elle est d’un blanc pur, mais bientôt elle se colore 
diversement par des veines sinueuses rougeâtres , verdâtres * et noi- 
râtres , imitant quelquefois par le mélange de ces couleurs et par l'adou- 
cissement de la pâte quartzeuse lestplus beaux jaspes; on rencontre 
fréquemment, dans les interstices’ des veines, des druses ou cavités 
tapissées des plus belles cristallisations formées de quartz limpide 
(cristal de roche) ou colorées en violet (améthiste) ou ferrugineux 
rouge ( quartz hématoïide) ou brun (quartz enfumé). Le fer oligiste 
s'unit avec le quartz soit amorphe , soit cristallisé et il n’est pas rare 
de le voir dans l'intérieur des prismes quartzeux en paillettes brillantes ; 
mais quelquefois aussi il forme lui seul dans le grès de petites veines 
métalloïdes qui ont beaucoup d'éclat, fréquemment encore on ren- 
contre dans le quartz des petites cavités qui la plupart affectent la 
forme cubique, on ne peut douter qu'elles sont dues à des cristaux 
détruits de chaux fluatée, car ce minéral s'y remarque quelquefois 
soit associé avec de la baryte qui, là encore, s'unit avec ces filons 
quartzeux, soit en cristaux recouverts d’une incrustation de quartz 
cristallisé. Cette masse de quartz dont les couleurs si variées sont dues 
évidemment aux oxides métalliques produits par le dégagement de 
gaz métallifères ou par la sublimation des minéraux que nous venons 
de désigner et qui n’ont pas d'autre origne , est donc un vaste filon 
résultant d’une action pyrogène et non une masse, de silice gélatineuse 
produite par des sources minérales et contemporaines du’ grés comme 
M. Hogard l'a dit récemment. Nous reconnaissons cependant que de la 
silice en dissolution dans les eaux et peut être amenée de l’intérieur: du 
globe par des sources minérales, a pu former le ciment qui aglutine 
lés parties arénacées du grès, et que quelquefois cette silice se 
trouvant en excès, donne au grès une fausse apparence de quartzites ; 
c'est encore ce suc siliceux qui constitue le ciment cristallisé que l’on 
voit parfois au poudingue du grès vosgien et qui forme le vernis 
cristallin que ses galets présentent fréquemment , c'est encore à lui 
que l’on attribue le phénomène des pétrifications siliceuses du grès 


* On pourrait penser que le minéral qui colore en vert le quartz de la vallée des Roches 
est de l'oxide de ehrôme, s'il en était ainsi, il offrirait par là un poiut d’analogie de plus 
avec les conchets Saône et Loire) dont le quartz est aussi en filons dans une arkose grani- 
toïde, dépendant peut-être de la formation du grès rouge, mais nous nous empressons de 
dire que cette couleur verte est due à un silicate de protoxide de fer, M. Berthier qui ep 
a fait l'analyse, nous en a donné l'assurance. 

41 


392 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


rouge. Tous les observateurs qui ont étudié les roches arénacées sé- 
dimentaires, ne contestent pas le concours de cette action chimique 
dans leur consolidation , mais ils ne doutent pas non plus de l’origine 
éruptive d’un grand nombre de filons quartzeux qui existent dans la 
nature et qui ont une identé frappante avec ceux du Valdajol. Un 
ancien naturaliste vosgien, l'abbé Bexon *, ami et collaborateur 
de Buffon, avait déjà reconnu que le quartz de la vallée des Roches 
devait son origine à une action ignée (vo Buffon, hist. des miné— 
r'aux , du jaspe) ; il manifeste cette opinion en insistant sur les asci- 
dens minéralogiques du quartz, accidens que dans ce but nous ayons 
voulu aussi faire connaître; ce sayant décrit cette localité pittoresque 
en peintre habile de la nature , on reconnait là la touche et le coloris 
du maître: « On peut contempler en grand, dit-il, ces effets de la 
nature dans cette bellé montagne : elle est coupée à pic par diffé 
rens groupes, sur trois ou quatre cents pieds de hauteur ; et sur 
ses flancs , couverts d'énormes quartiers rompus et entassés comme 
de vastes ruines , s'élèvent encore d'énormes pyramides de ce même 
rocher, tranché et mis à pic du côté du vallon. Cette montagne 
fermait en effet une vallée très-profonde , dont les eaux, par un 
effort terrible, ont rompu la barrière de roches et se sont ouvert 
un passage au milieu de la masse de la montagne , dont les hautes 
ruines sont suspendues de chaque côté. Au fond , coule un torrent, 
dont le bruit accroît l'émotion qu'inspirent l'aspect menaçant et la 
sauvage beauté de cet antique temple de la nature, l’un des lieux 
du monde, peut-être, où l'on peut voir une des plus grandes 
coupes d’une montagne vitreuse et contempler plus en grand le 
travail de la nature dans ces masses primitives du globe. >» 

Le grès rouge contient des cristaux de feldspath lamellaire qui lui 
ont fait donner le nom d'arkose, nom tout à fait minéralogique, car 
on a reconnu des arkoses dans la plupart des couches arénacées du 
système secondaire. À la Poirie , près de Remiremont , les assises puis- 
santes de cette roche sont pénétrées par des filons de quartz, qui, 
moins puissans que ceux du Valdajol , jouent le même rôle, on n’y 


VV VV OV OV OU VV VV v v v 


* Le plus beau litre de l'abbé Bexon, né à Remiremont en mars1748, et mort à Paris 
le 15 février 1784, est sans doute son histoire de Lorraine, malheureusement inachevée, 
mais il a laissé un grand nombre d’observalions sur l’histoire naturelle et l’agriculture ; il 
s’est occupé particulièrement de la minéralogie et de la géologie des Vosges (voir le conser- 
vateur, publié par François de Neufchâteau); Buffon cite fréquemment ses observations, il est 
à regretter que la majeure partie de ses travaux ne nous soient pas parvenus, il serait cu- 
rieux de connaître comment un observateur de l’école de Buffon voyait la constitution 


géologique des Vosges. 


PREMIÈRE SECTION. 323 


voit plus aucune stratification , il est massif, coupé verticalement par 
de nombreuses fissures, et sa roche a une texture semblable à celle 
des granites ; il serait difhcile de distinguer cette arkose du granite 
sur lequel elle repose , ses élémens étant les mêmes et aussi disposés 
à peu prés comme dans cette roche, si l’on n'apercevait pas deux 
petites couches d'argile schistoïde et rubanée, iutercalées dans sa 
masse, elles ont quelques centimètres d'épaisseur et sont un peu 
inclinées , mais non iuterrompues , on peut les suivre coupant presque 
horizontalement le massif du grès. Cette argile est à pâte fine , rou— 
geâtre et jaspée, on y voit un peu de mica , elle est dure et à 
cassure unie ; elle nous a présenté des impressions végétales (calamites). 
Le feldspath, dans les arkoses du grès rouge , est très souvent passé 
au kaolin, cette transformation ne peut être due à l'action de l’acide 
carbonique que les filons de quartz ont amené avec eux lors de leur érup- 
tion; ce changement après coup dans une roche aussi dure est difficile à 
admettre , il est plus simple de le regarder comme une décomposi- 
tion antérieure de ses élémens. On pense assez généralement que les 
eaux qui ont déposé ces roches arénacées étaient acides ; ne peut-on 
pas présumer que le feldspath qui s’altère assez facilement , doit son 
état de kaolin à une action chimique des eaux. Les arkoses du grès 
rouge sont situées à la base de ce dépôt reposant sur le granite auquel 
elles ont probablement pris leurs matériaux , elles sont souvent rem— 
placées par des argilolites schistoïdes ou compactes, de couleurs et 
d’aspects différens, qui tantôt sont en couches distinctes alternant 
avec l’arkose, tantôt en amas ayant à un tel point l'apparence de 
filons, qu’elles ont souvent été regardées comme des roches feldspa- 
thiques d’éruption , mais ces roches demandent à être décrites sous 
leurs divers points de vue. 

A Lutzelhausen , où de belles carrières sont ouvertes, cette roche 
s’est déposée dans les dépressions du terrain de transition , elle occupe 
le fond d'une espèce de bassin qui donne naissance à une petite 
vallée, on n’y voit aucune apparence de couches, elle est massive 
et prismatique en grand, elle est d’un blanc rosé, rude au toucher 
et contient des fragmens de roches anciennes ; le grès ne la recouvre 
pas immédiatement , il occupe la colline qui s'élève derrière cet amas. 
Quelques observateurs (voir Bullet. de la société géol., réunion de 
Strasbourg, T. VI.) donnent à la roche de Lutzelbausen une origine 
éruptive et pensent que sa couleur blanche est due à des gaz acides 
qui l'ont décolorée : comparant cette action à celle des solfatarres ; 
cette théorie ingénieuse, quant à la décoloration de la roche, est pro- 


524 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


bable, nous ne la contestons pas, mais c’est son origine ignée que 
nous révoquons en doute, parce que nous ayons ici des preuves de 
sédimentation : les fragmens de roches anciennes qu’elle contient, et 
parce que ñous lui trouvons une grande analogie avec d’autres dépôts 
argileux où des preuves d’agrégation mécanique sont plus évidentes. 

A la Beuille, cette argilolite repose au milieu des anfractuosités 
du granite , le grès rouge n’est pas en superposition directe , mais on 
l'apercoit tout près de là, elle n'offre aucune apparence de stratifica- 
tion , elle est massive, coupée par des fissures verticales qui la di- 
visent en grands prismes , elle est argileuse, facile à tailler, d’une 
couleur rouge amaranthe et parsemée d’orbicules blancs, qui, quel- 
quefois sont vides et donnent à la roche une apparence celluleuse, 
elle contient un peu de quartz et de mica. Cette roche est exploitée 
en grand comme, pierre à four, sa qualité réfractaire a été reconrue 
dans un grand nombre d’usages, mais elle ne peut être employée à 
la bâtisse : l'humidité et l'intempérie des saisons la désagrégeant 
dans peu de temps. On concoit par les amas que ces roches forment 
dans les dépressions des roches inférieures que l’on a pu les regarder 
comme des roches feldspathiques en décomposition d'origine éruptive : 
enveloppées de tous côtés par le terrain intermédiaire et le granite, 
et ayant par là de la ressemblance avec un filon; cette position ajoute 
tant de force à l'opinion que l’on a sur son origine plutonique, que 
wous devons chercher à comprendre cette apparence de filon: si 
nous supposons qu'au milieu du granite, il existait une dépression 
profonde opérée lors de son soulèvement, que cette dépression en 
forme de bassin a recu des matières arénacées argileuses et feld— 
spathiques prises aux roches de la contrée et amenées par les eaux , 
qu’elles s’y sont déposées graduellement, et que des filons de quartz 
avec fer oligiste sont venus surgir dans le voisinage , eu s’mjecter dans 
la roche dont ils ont modifié les caractères et la stratification , on 
conceyra que cette roche peut ayoir l'apparence d’un filon, mais être 
sédimentaire. 

C'est dans un dépôt semblable que les bois fossiles de Faymont 
ont leur gisement, les fouilles pratiquées pour leurs recherches ont 
mis à découvert de chaque côté le granite qui forme le fond et les 
bords de ce bassin, cette argilolite est d’une couleur violette rosée 
parsemée de points blanes et verdâtres, doux au toucher; sa stratifica- 
üon est plus apparente que dans les dépôts de Eutzelhausen et de 
la Beuille, mais les couches sont très-interrompues et forment entre 
elles différens angles d’inclinaison, cette roche a un aspect terreux 


PREMIÈRE SECTION. 325 


ét” une texture lâche qui cède facilement à la pioche, elle contient 
des sphéroïdes blanchätres qui , plus durs que l’argitolite, se détachent 
sans eflorts, ils sont la plupart gros comme des noisettes et ils pré- 
sentent quelquefois des couches’ concentriques, quelques-uns de ces 
globules sont formés par une roche poreuse blanchâtre, ayant l'aspect 
des laves ponceuses, elles sont plus grosses que les précédentes et 
paraïssent être de même nature que la roche qui les enveloppe, 
seulement elles proviendraient d’une couche préexistante du même 
terrain, mais qui aurait été détruite. Les bois fossiles que l’on y ren- 
contre en grande quantité sont couchés suivant la direction des strates , 
beaucoup sont encore débout et inclinés dans lesens du petit vallon dont 
ce bassin est l'origine; quelquefois on en rencontre d'une longueur de 
2 mètres, mais ils sont divisés par tronçons séparés les uns des autres, 
par un intervalle de quelques millimètres occupé par la roche argileuse. 
On pensait que ces bois fossiles appartenaient exclusivement à des 
cryptogames vasculaires, il nous paraît hors de doute qu'ils sont la plu 
part des conifères : les couches annuelles qu’ils présentent distinctement 
et leur épaisseur qui augmente de la circonférence au centre, portent à le 
croire; il est probable que ce sont des espèces analogues à celles du terrain 
houiller : nous ne prétendons pas repousser la première opinion que l’on 
en avait. Nous regardons aussi comme certain la présence dans cette loca— 
lité de végétaux monocotyledons , tels que des équisétacées, des fougè- 
res , des Zepidodendron et des lycopodiacées d’une élévation égale à celle 
des conifères ; on les reconnaît à leurs tiges plus ou moins aplaties , ar- 
ticulées de distance en distance, et sillonnées longitudinalement , ou 
présentant aussi des espèces de disques rhomboïdaux disposés régulière- 
ment le long de la tige, ayant une cavité cylindrique d'un à trois 
pouces de diamètre, autour de laquelle on remarque une zône ligneuse 
souvent concentrique et souvent rayonnée du centre à la circonférence. 
C’est principalement à Hérival et dans d’autres vallées qui dépendent 
du Valdajol que les argilolites du grès rouge se présentent sous un 
aspect bien remarquable : elles ont une pâte rougeâtre, argileuse , 
homogéne et terreuse, elles sont tantôt orbiculaires | c'est-à-dire con- 
tenant des parties sphéroïdales blanches , tantôt porphyroïdes, c’est- 
à-dire , contenant des cristaux de feldspath terreux assez nettement 
déterminés mais confusément disposés , elles sent fréquemment com- 
pactes , c’est-à-dire composés d’une seule matière : ces variétés passent 
de l’une à l’autre sans aucun ordre, il y a souvent confusion entr'elles, 
et il n’est pas rare de les voir réunies dans un même fragment ; 
elles contiennent aussi, en quantité assez notable, du quartz sableux 


326 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


qui quelquefois est cristallisé, un peu de mica et des débris de 
roches anciennes ; du fer oligiste en veines extrêmement déliées, 
du manganèse , du fer hydraté , de la baryte , des cristaux de quarz et 
des parties charbonnées qui semblent provenir de restes de végélaux , 
s'y rencontrent aussi souvent. Les couches compactes sont d’une 
couleur blanche rosée souvent maculée et veinée de violet, elles sont 
quelquefois fort dures, à cassure esquilleuse et passant au jaspe, 
mais elles n'occupent pas toujours le fond des dépressions des roches 
inférieures, souvent recouvertes par le grès rouge lui-même, elles 
alternent quelquefois avec lui, on leur reconnait alors une stratifica- 
tion qui n'est pas toujours concordante , elles se divisent en feuillets 
minces, de peu de continuité, c’est près de la cascade de Faymont 
et dans le ruisseau du Géha que ces belles roches à pâte si fine et 
si diversement colorée ont particulièremient leur gisement , c’est aussi 
dans le même ruisseau, près du moulin et sur les hauteurs de la 
Broche et de la Vigotte, que l’argilolite rouge parsemée de sphe- 
roïdes blancs et de mica se montre , là elle est parfaitement strati-— 
fiée , ses couches horizontales et parfois inclinées se divisent en feuillets 
minces et sont recouvertes immédiatement par le grès rouge souvent 
anagénitique et arkosien. 

Dans la partie septentrionale des Vosges les mêmes faits se re— 
présentent , les argiles du grès rouge au moulin de Beulay , à Lubine 
et à Senones sont aussi homogènes, résistantes et à cassure esquilleuse 
demi-vitrée. À Lasalle, une roche argileuse ; parsemée de feldspath ; 
de grains de quartz sableux ou quelquefois cristallisés et de mica , 
a été exploitée autrefois comme pierre meuliére, elle appartient évi- 
demment au grès rouge ; elle a perdu en partie ses caractères arénacés 
qui se sont pour ainsi dire fondus dans sa pâte et ont contribué à 
sa compacité, la seule apparence de stratification qu'elle a conservée 
c'est sa division en plaques longues , peu régulières , que ses fragmens 
présentent et qui m'avait pas échappé aux Romains qui en profitaient 
dans la confection de meules à bras ou Trusatiles. Tous ces caractères 
sont bien ceux d’une arkose granitoïde argileuse, M. Rozet la re- 
garde comme une eurite granitoïde altérée. (Mémoires sur les Vosges, 
page 55.) 

Nous avons dit plus haut que des actions plutoniques avaient 
modifié le grès rouge , mais nous avons reconnu en même temps que 
ses élémens étaient réunis par un ciment siliceux ; il en a été de même 
dans les couches argileuses de ce terrain , sur lesquelles nous venons 
de donner quelques détails, car c'est à cette silice en dissolution que 


PREMIÈRE SECTION. 327 


lon doit attribuer cette dureté et cette compacité qui pourraient les 
faire prendre souvent pour des roches à base de pétro-silex tant leur 
cassure est esquilleuse et translucide sur les bords. On a pensé que 
ces roches résultaient de la di tion des massifs euritiques et por- 
phyriques, cela est probable, quoique composées essentiellement 
d'argile , qui sans doute provient aussi de la destruction des schistes 
argileux du terrain -de transition , on reconnaît que le feldspath à l’état 
de kaolin y existe en quantité notable ; aussi ces belles argiles pour- 
raient être employées avec avantage à la fabrication de Îa poterie 
fine , certaines couches rendent déjà de grands services dans la cons— 
truction des fours ; l’art de fabriquer de bons mortiers, qui est encore 
si peu connu dans nos contrées, trouverait dans cette argile , facile à 
pulvériser, et employée comme trass, une matière précieuse, propre 
à des mortiers hydrauliques. 

L'on sait que la partie supérieure du grès rouge présente des dé- 
pôts d’un calcaire dolomitique grénu et cristallin ; cette dolomie, que 
quelques géologues ont regardée comme l'équivalent du zechstein, 
forme des amas et des couches qui sont trés-irrégulières , elles s’a- 
mincissent et offrent des renflemens considérables, quelquefois elles 
intercalent des lits de grès , et comme lui elles contiennent fréquem- 
ment des galets de diverses roches ainsi que du quartz à l’état sableux , 
des veines et des rognons de quartz agathe rubigineux, on n’y 
remarque aucun reste organique. Cette dolomie, composée suivant 
M. Braconnot, de carbonate de chaux 44,6, de carbonate de ma 
gnésie 52,2 , et de silice mélangée d’argile 3,2, fournit une bonne 
chaux hydraulique, elle est exploitée pour cet objet à la Petite 
Raon, à Robache , à Saäles, à Lubine et à Bruyéres, il en existe 
d’autres gisemens qui aussi pourraient être mis en exploitation. On 
voit encore dans le grès rouge un autre calcaire qui semble avoir une 
certaine identité minéralogique avec les argiles à pâte fine de ce dé- 
pot, il se présente en couches intercalées dans la partie arénacée du 
todte-liegende ; il est compacte, rose, blanchâtre , verdâtre et jau- 
nâtre, un peu cellulaire. C’est à Lubine qu’il existe, ses couches 
sont horizontales et ses variétés passent de l’une à l’autre; il paraît 
que ‘dans le Valdajol il est un calcaire semblable, mais nous ne 
pourrons bien préciser la nature de cette roche que quand une analyse 
exacte en sera faite, nous savons seulement qu'elle est très-argi- 
leuse, qu’elle ne fait aucune effervescence avec les acides, mais que 
calcinée, elle fuse dans l'eau avec bouillonnement et chaleur. 

Les roches argileuses du grès rouge par les divers aspects sous 


598 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


lesquels elles se présentent n’ont pas toujours été rapportées à cette 
formation ; beaucoup d’observateurs les ont considérées comme des 
eurites terreuses et des porphyres décomposés, parce que souvent elles 
se présentent dans la nature sou fausse apparence de filons et 
que leurs matières semblent être en ent feldspathiques, aussi a-t-on 
nommé fréquemment les variétés porphyroïdes : Porphyre argileux 
{thon porphyr) ou argilophyre, porphyre brèche ( trummer porphyr), 
porphyre secondaire; porphyre du grès rouge, et les variétés com— 
pactes: Eurite terreuse ow kaolin; les géologues qui les ont appelés 
ainsi n’ont peut-être pas toujours voulu désigner ure roche plutonique 
car ils ont reconnu souvent qu’elle était stratifiée et dépendait du 
grès rouge, mais c'est donner une fausse signification aux noms por- 
phyre et eurite qui, dans leur acception rigoureuse, indiquent une 
roche d’éruption. 

Il en est de même du mot sprlite qui a été appliqué indistinctement 
à des roches d’éruption et à des roches évidemment stratifiées. Disons 
un mot de cette roche qui tient encore à la formation du grès rouge. 
Dans la partie septentrionale des Vosges, à Säales, à Provenchères , 
à Senones et à la forge de Malencon près Lasalle, on voit des 
roches brunâtres , verdâtres , ou d’un violet foncé contenant des débris 
de roches anciennes et parsemées de nombreuses vacuoles qui lui 
lonnent un aspect celluleux semblable à celui des matières rejetées 
par les forges, ou plutôt elles sont bulleuses comme certaines laves , 
presque spongieuses même , car on y reconnaît plus de vide que de 
plein; mais avec un peu d'attention on voit que cet état n'existe 
qu’à la surface de la roche ou qu’à peu de profondeur: en effet , 
dans son intérieur , ces cellules sont remplies par une matière argi- 
leuse blanche, douce au toucher , et qui parfois a de la ressemblance 
avec la stéatite, par du fer hydraté jaune et noir pulvérulent et 
quelquefois par un calcaire dolomitique rosâtre, plus compacte que 
celui du grès rouge , par de la chlorite et du quartz cristallisé , mais 
jamais par du spath calcaire ni de la zéolithe *. 

Nous ne pouvons supposer que les divers minéraux qui occupent 
les vacuoles de ces roches, vacuoles à peu près uniformes et égale- 
ment répandues, sont des fragmens préexistans et arrondis par le 


* Nous ne pouvons mieux comparer ces roches qu'aux spilites d'Oberstein et des bords 
de la Sarre qui sont comme elles criblées de cavités irrégulières en forme de boursouf- 
flures et remplies ou tapissées de divers minéraux, aussi une ressemblanée si frappante vous 
porte à croire que, dans ces localités, ces roches appartiennent au même terrain que 
æelles des Vosges et mont pas l’origine pyrogène qu’on leur croit. 


PREMIÈRE SECTION. 329 


roulis des matières, ils sont trop friables et trop attaquables par les 
acides pour émettre cette opinion, d’ailleurs d’autres débris de roches 
anciennes (granites, quartz, etc.), s'y rencontreraient au moins en 
quantités égales; on remarquera aussi que souvent ces minéraux ne 
remplissent pas complètement les cellules, il en est qui tapissent 
seulement leurs parois ; il est évident qu'ils sont arrivés la par des 
émanations de gaz acides et métalliques qui se sont fait jour pendant 
que cette couche argileuse était encore à l’état boueux , ces cellules 
donnent en effet l'idée de bulles de gaz qui traversent une masse 
pâteuse, et si elles sont vides vers les surfaces, c'est que les miné- 
raux qui les remplissaient , exposés à l'influence des agens atmosphe- 
riques et marins ont été nécessairement détruits ou altérés. Il n’est 
donc pas possible de douter que cette roche doit sa formation à une 
action neptunienne, sa consolidation et son état celluleux à une action 
plutonique. 

A la forge de Malencon , commune de Lasalle, cette roche a une 
allure toute différente des autres localités : c’est un véritable conglo— 
mérat composé de gros fragmens arrondis de diverses variétés de 
spilites , de roches compactes provenant de la formation du grès rouge 
et de quelques gros galets de granite, ces fragmens sont réunis par 
un, ciment essentiellement argileux et un peu sableux. Ce poudingue 
forme un coteau qui s’abaisse vers la forge et sur sa partie supérieure 
couverte de culture; on reconnaît la même roche en nombreux débris 
jusques près de Nompatelize; sa stratification est inclinée dans le 
sens du coteau , et ses couches que l’on a reconnues dans le terrain 
sur lequel la forge est bâtie semblent plonger sous celles de l'arkose 
granitoïde argileuse de Lasalle , et elles paraissent recouvertes par le 
grés rouge proprement dit, que l'on voit constituant un monticule 
sur lequel s'élève l’église de Nompatelize , et par la dolomie que l’on 
aperçoit en couches minces en descendant vers Biarville, Par ce con- 

* glomérat on voit qu'il y a eu dans les couches sur lesquelles repose la 
partie arénacée du todte-liegende , un mouvement général qui les a dis 
loquées et a dispersé au moment même les fragmens de leurs roches. 

Les roches amigdaloïdes du grés rouge occupent, de même que les 
roches argileuses , la partie inférieure de cette formation et sont dé- 
posées sur les aspérités et dans les dépressions des roches granitiques , 
elles se présentent en couches irrégulières , mais continues entre les 
roches massives et la partie arénacée du dépôt.* 


© M. Hogard qui a adopté, dans sa Description du système des Vosges, la même opinion 
sur Jes srilites que nous venons de décrire, vient de modifier la manière dont il les 


42 


550 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


On voit encore dans les Vosges des roches brunâtres et verdâtres , 
d’une origine ignée évidente , parsemées de nombreuses cellules qui leur 
donnent de même un aspect bulleux, ces cellules sont vides sur les sur— 
faces, mais elles sont remplies par de la chaux carbonatée dans l’intérieur, 


envisageait: il regarde toujours ces roches comme stratifiées, mais il les sépare de la 
formation du grès rouge (Todielicgende) pour les faire dépendre de celle du vieux grès 
rouge (old red sandstone des anglais); ce qui l’a conduit à cette opinion, c’est qu’il a vu, 
à Senones, cette roche traversée par deux filons euritiques , filons qui, assure-t-il, ne peuvent 
pas être regardés comme préexistans parce qu'ils ont évidemment redressé, parallèlement 
à leurs faces, les couches de la spilite. Il étend cette opinion à quelques roches argileuses 
et porphyroïdes qu'il considérait aussi avec nous, comme faisant partie du Todteliegende, 
ce qui le porte à le croire, c’est la discordance que l’on observe dans leurs couches avec 
celles qui caractérisent ce dépôt, les différens angles d’iuclinaison qu'elles aflectent entr’elles 
et quelquefois leur dislocation. 

Nous devons dire que M. Hogard avance cet avis avec beaucoup de réserve, retenue 
qui assure à ses observations la plus grande confiance, il reconnaît lui-même la nécessité 
de revoir de uouveau toutes ces roches avant de ne rien décider, examen qui pourrait lui 
faire abandonner cette manière de voir, car si jusqu’à présent où n'a pas vu daus les 
Vosges de filons feldspathiques pénétrer dans les couches dépendant du grès rouge, doit-on 
conclure de là qu'ils ne peuvent sy rencontrer, et que dans d’autres contrées il en est 
de même? M, l'abbé Schmitt vient de nous entretenir dans sa notice sur le Liedermund 
(Prusse Rhénane), de filons porphyriques qui pénètrent jusques dans le grès bigarré qu’ils ont 
modiliés. Si à Senones des filons euritiques sont injectés dans une roche du grès rouge, 
doit-on par ce seul fait en tirer la conséquence qu’elle dépend du vieux grès rouge? Ce 
terrain inférieur au terrain houiller avec lequel ilse lie souvent n’a pas encore été reconnu 
dans les Vosges, où le terrain houiller existe en petits lambeaux très-circonscrits et fort dis- 
loqués. Enfin les perturbations et les discordances de stratilication que l’on remarque dans 
les argilolites, les argiles compactes et les spilites du grès rouge ne peuvent rien inférer 
en faveur de leur séparation de cette formation: ces roches forment la première série de 
ce dépôt, il est probable qu’elles n’ont pas été formées en un jour; pendant la longue 
période qu’elles ont dû mettre à se constituer, il faut admettre, pour se rendre compte 
de cette dislocation, qu'il y a eu certains foyers de bouleversement, que le sol, à cette 
époque, devait être sans cesse en mouvement, et les couraus d’eau peu constans et peu 
uniformes dans leurs courses; cette hypothèse explique leurs fractures et la discordance 
que leurs conches affectent entr’elles. Les roches, qui composent la seconde série de ce 
puissant dépôt, sont les dolomies, les arkoses, les anagénites et les grès proprement dits 
qui se sont déposés aussi à de longs intervalles , mais dans une mer plus tranquille, et n’ont 
pas éprouvé les mêmes causes perturbatrices. Observons que nous ne parlons ici que des 
perturbations partielles qui ont opéré successivement sur les divers membres de ce dépôt, 
et non du soulèvement général qui a agien masse sur toutes les couches du Todteliegende, 
action que l’on reconnait par leur grande différence de niveau. 

Le vieux grès rouge est caractérisé par un grès très-siliceux , d’un rouge généralement 
sombre , par des conglomérats où les fragmens de quartz dominent et par des argiles 
schisteuses trés-micacées, ce ne sont pas là les caractères minéralogiques qui distinguent 
les roches de la première série du grés rouge , il n’y a donc que leur position géologique 
relative qui peut être consullée, mais avant il faut rechercher si la formation du vieux 
grès rouge est constamment la même, ou bien si nos roches des Vosges ne seraient pas son équi- 
valent. Cette recherche n'est pas sans difficulté, parce que nous n'avons pas de fossiles 
qui peuvent nous aider, et que les diverses opinions émises sur ces terrains jettent plus 
d'incertitude que de lumière sur cette question. Quelques observateurs le regardent comme 
l’équivalent de la partie inférieure du Todteliegende, et il est à présumer que plus tard 
on réunira ces deux terrains sédimentaires au terrain houiller qui les sépare. 


PREMIÈRE SECTION. 331 


ce minéral les distingue des roches de même aspect tenant à la forma- 
tion du grès rouge où nous n'y en ayons jamais vu de traces ; elles 
sont fort dures et tenaces, quelquefois elles sont magnétiques et 
contiennent du fer pyriteux, elles appartiennent aux porphyres, 
aux eurites compactes; aux trapps et même gux diorites compactes ; 
elles se montrent sur les flancs et autour des centres des massifs 
des roches auxquelles elles appartiennent. Après la descripuon de 
ces deux espèces de roches, il reste à juger si le nom de spilite 
peut être donné à l’une ou à l’autre, ne conviendrait-il pas mieux 
de le réserver spécialement aux roches d'origine plutonique et de 
le faire précéder dù nom de la roche à laquelle il appartient comme 
qualification qui indiquerait qu’elle estremplie de cavités , ou bien de 
le remplacer par le nom amigdaloïde déjà recu ? 

Il est bien à désirer que la science adopte un langage uniforme, 
nous en exprimons ici le vœu; elle ferait certainement des progrès 
rapides si une nomenclature établissait des principes sévères de dé- 
termination , combien de discussions sur des mots n'auraient pas lieu 
si nous possédions une bonne description des roches, fondée sur des 
caractères minéralogiques et géologiques savamment étudiés et discutés 
par les autorités de la science qui seraient appelées à concourir à une 
œuvre si éminemment utile ; l’académie française nous a soumis à la 
loi de son dictionnaire, pourquoi la géologie ne nous imposerait-elle 
pas un vocabulaire qui serait l'inventaire actuel de sa langue ? 

M. Hogard, dans sa Description du système des V. osges, a décrit 
avec précision et méthode le terrain du grés rouge , terrain depuis peu 
de temps parfaitement connu , et qui avant présentait dans les Vosges 
tant de problèmes difficiles à résoudre. Nous engageons les obser- 
vateurs qui veulent étudier ce dépôt composé de roches si variées à 
porter leurs pas dans les vallées et sur les hauteurs dépendant du 
Valdajol , à Hérival, à la Beuille et à la Poirie prés de Remiremont, 
c'est là que les argilolites, les argiles compactes et les arkoses se 
présentent sous leurs diverses manières d'être, mais c’est dans la partie 
septentrionale qu'ils devront aller chercher la dolomie, le calcaire 
argileux et les spilites. 


DU GRÈS VOSGIEN *. 


Le grès vosgien constitue toute la partie septentrionale de la chaîne 
des Vosges ; au midi et à l’est il forme des bancs détachés , Mais à 


* Cet aperçu sur ce terrain répond aux tcisième et treizième questions du programme 
ainsi conçues: Doit-on séparer le grès bigarré du grès vosrien, comme le dit M, Elie de Beaumont , 


332 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


l'ouest il est en couches continues ; il repose sur le granite, le lep- 
tynite et le gneiss; au nord de Saint-Dié, à Senones, au Valdajol et 
à Bruyères, il se réunit au grés rouge avec lequel il se confond. 
La stratification de ces deux dépôts nest pas toujours concordante , 
au contact ils contiefiffent les mêmes roches ; enfin à Saint-Hypolite 
et à Sainte-Croix -aux-Mines , il repose sur le terrain houiller avec 
lequel il ne se lie pas. 

Le grès vosgien est formé de grains de quartz sableux et souvent 
d'apparence cristalline , réunis par un ciment ferrugineux, siliceux et 
peu argileux , sa couleur varie du rouge amarante foncé au blanc 
rosätre , quelquefois il est d’un blanc ferrugineux brun. Son conglo— 
mérat ou poudingue est formé par la réunion de fragmens arrondis 
de quartz de différentes couleurs , fortement cimentés par un suc sili- 
ceux qui leur donne une adhérence solide. Le grès vosgien n’a pas 
toujours le méme aspect minéralogique , il oflre fréquemment des 
variétés de roches, qui cependant ne peuvent pas être regardées comme 
des couches différentes, parce qu’elles se rencontrent partout et on 
ne peut leur assigner une place certaine; ce ne sont donc que des 
modifications et des accidens: ainsi quelquefois il a l'aspect d’une 
arkose lorsqu'il contient des petits points blancs de feldspath en dé- 
composition, ou bien celui d'une psammite schistoïde lorsqu'il est 
argileux et micacé. On reconnaît aussi entre les bancs de grès de 
petites couches d’argile micacée se divisant en feuillets minces, cette 
argile se retrouve encore en noyaux aplatis, engagés dans le grès ; quel- 
quefois offrant moins de résistance aux actions atmosphériques, ils 
laissent des cavités qui donnent au grès une apparence carice. Enfin 
parfois il est presque entièrement friable et il se réduit sans efforts en 
sable. 

De même que dans le grès rouge , le grès vosgien doit sa consoli- 
dation à de la silice en dissolution dans les eaux. Il est bien probable 
aussi qu'une partie de ses grains de quartz dont un grand nombre 
présente des facettes cristallines provient d'une action chimique analo— 
gue; c’est encore à cette dissolution siliceuse qui est plus en excès 
dans quelques parties que dans d’autres, que le grès doit quelque- 
fois son aspect de quartzite à texture serzée , plus ou moins homogène. 
On peut encore attribuer à la méme origine ces masses de quartz 
amorphes qui passent souvent à une véritable calcédoine et qui cons- 


ou doit-on l’y réunir, comme le pensent les géologues allemands? — Le grès vosgien provient-il de 
roches préexistantes , ou au contraire, ses grains ont-ils été formés par une cristallisation confuse 
de matières siliceuses amenées, par exemple, par des eaux minérales. 


PREMIÈRE SECTION. 333 


tituent peu à peu, en enveloppant des galets de quartzite, un poudingue 
particulier (forét de Humont , environs de Bains). Les calcédoines que 
l'on rencontre à Vecouf, au Peutet, au haut du Tot, etc., provien— 
nent évidemment du poudingue du grès vosgien, où un ciment de 
cette nature était abondant. Nous ayons vu encore dans le vallon de 
Claire-Fontaine, qui descend dans la vallée de la Sémouze , de nom-— 
breux galets de quartzites qui tous avaient une enveloppe calcédoineuse 
rougeâtre, due probablement aussi à une cause semblable. Le fer 
oligiste forme quelquefois avec la silice un ciment fort dur qui unit 
les galets quartzeux et constitue un poudingue ferrugineux (Remiremont , 
environs de Faucogney, Thirria); il est évident que le fer ne doit pas 
ici sa présence à une action chimique des eaux , mais comme nous l’ayons 
démontré plus haut à des vapeurs métalliféres , d’ailleurs dans quelques 
localités on exploite dans ce dépôt du fer hydroxidé et même du plomb 
(environs de Lembach, Katzenthal, etc., oltz). 

Les matiéres qui forment les assises du grès vosgien ont été exami- 
nées bien des fois. M. Elie de Beaumont-les a étudiées particulière 
ment *, on n'a pas toujours été d'accord sur leur origine, mais l'opinion 
la plus générale est qu’elles proviennent de la destruction du terrain 
de transition : les cailloux quartzeux qui constituent son poudingue 
et qui sont les mêmes dans toute la région occupée par le grès vosgien 
ont, en effet, une analogie frappante avec les quartzites du terrain 
intermédiaire , on y reconnaît ces quartz blancs, grisâtres , rougeûtres , 
quelquefois micacés et ayant uné structure lamellaire , schistoïde et 
compacte ; il en est bien quelques-uns qui ont cette texture grenue , 
analogue à celle des quartzites de Sierck (Moselle). Mais cette variété 
noire souvent veinée de blanc qui a une similitude frappante avec la 
lydienne ou le trapp, ou même avec le schiste modifié, fait plutôt 
présumer qu'ils sont des débris du terrain de transition , d’ailleurs on 
en a trouvé qui contenaient des coquilles (spirifer et productus). Parmi 
ces galets de quartz si variés on distingue aussi des fragmens, de 
granite, de gneiss et de leptynite, ceux d’eurite et de porphyre y 
sont plus rares et sont toujours décomposés, ainsi que les parties 
feldspathiques des roches granitoïdes qui, en général, sont en petits 
débris. Si les plaquettes d'argile disséminées dans le grès vosgien 
proviennent des schistes argileux du terrain intermédiaire, il en est 
qui peuvent devoir leur origine aux couches argileuses du grés rouge. 
Nous avons dit que les grains de quartz à facettes cristallines que l’on 
reconnaît dans ce dépôt étaient probablement un résultat de l'action 


* Observations géologiques sur les terrains secondaires du système des Vosges, 1828. 


: 


334 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


chimique des eaux ; mais il est évident que Ja pluspart sont aussi des 
débris de quartzites ou de roches granitoïdes et même qu'ils provien- 
nent des grauwackes et du Todteliegende. 

La couleur rouge du grés vosgien si constante et si uniforme, a 
été aussi le sujet de scrupuleuses investigations , on est maintenant 
à peu près d'accord sur sa cause: on la considère comme étant due 
à des filons de fer oligiste et de fer hydraté qui se trouvaient dans 
les couches du terrain de transition lors de sa destruction... 

On avai cru que le grès vosgien ne renfermait pas de restes orga- 
niques, mais depuis peu MM. Mougeot et Hogard ont recueilli des 
fragmens de calamites (calamites arenaceus) dans le grès et le pou- 
dingue de ce dépôt; on conçoit que les corps organisés doivent étre 
rares dans une roche sédimentaire formée de gros élémens , et qui con- 
tient peu de parties argileuses favorables à la conservation de corps 
fragiles. 

Tous les observateurs qui ont décrit le grès vosgien : entr’autres 
MM. Elie de Beaumont, Voltz et Rozet, ont pensé que ce terrain 
n'avait éprouvé aucun dérangement depuis son dépôt , que ses couches 
avaient une stratification à peu près horizontale et qu’elles s'étaient 
déposées sur les pentes de la chaîne des Vosges dont elles avaient 
suivi le niveau. 

M. Hogard, qui a fait une étude particulière de son nivellement, 
cite des redressemens remarquables de ses couches. On voit dans son 
ouvrage une coupe partant d’Epinal et allant au haut du Roc, qui donne 
à son opinion un caractère spécieux : ainsi d’Epinal à Jarménil ce 
dépôt est à peu prés dans sa position primitive , mais à partir de là, il 
s'élève de plus en plus jusques au haut du Roc. Il est à remarquer que 
le grès, à Jarménil, n’est qu'a 400 mètres, tandis qu'au haut du 
Roc il est à 1017 mètres , et que la distance à vol d'oiseau, entre 
ces deux points , n’est que de quatre lieues. À une lieue de Jarméhnil, 
à la tête des Cuveaux , il atteint déja une hauteur de 783 mètres et 
à la Charme, qui est peu éloignée , 850 mètres. Devant une aussi 
grande différence de niveau, dans une si petite distance, il est diff- 
cile de ne pas croire qu’il a éprouvé les effets de violentes secousses ; 
ce qu'il y a de plus remarquable encore dans ce redressement c’est 
que les couches du grès n'ont pas perdu leur horizontalité: les seuls 
effets que l’on reconnaît sont de larges fissures qui disjoignent les 
bancs et des éboulemens sur les pentes du sommet et dans le voisi- 
nage des couches. Il est permis de douter que les couches du grès 
ont été portées à de grands niveaux par une force soulevante sans leur 


PREMIÈRE SECTION. 338 


avoir donné une grande inclinaison, op s'attend aprés un pareil effort, 
à voir des glissemens ou des redressemens, parallèles aux pentes des 
sommets, mais c'est en vain qu'on les cherche. 

C'est devant un ordre aussi surprenant, après un pareil eflort, 
que nous avons de la peine à croire que le grès des Vosges a été 
soulevé, car nous avouons ne pas être entièrement convaineu , de même 
que les observateurs cités précédemment, et dont l'autorité est res- 
pectable , nous pensons que ce dépôt est dans sa position premiére. 
Dans sa partie inférieure nous avons bien reconnu qu'il était quel- 
quefois un peu incliné, mais cette inclinaison provient de celle des 
roches inférieures sur lesquelles il s'est déposé. Nous savons qu'il 
existe une grande différence de niveau dans les couches du grès vos- 
gien; mais ne pourrait-on pas s’en rendre compte, par les dénuda- 
tions opérées par les eaux qui ont enlevé, sur un grand nombre de 
points , lors du creusement des vallées, de grandes épaisseurs du dé- 
pôt ? C’est une théorie qui n’est pas sans réplique, nous la soumettons 
néanmoins aux observateurs en nous réservant toutefois de la modifier, 
s’il nous est démontré que seule elle n’est pas applicable ; mais nous 
devons chercher à l’appuyer par des faits. 

Les courans qui opéraient ces dénudations , changeaient probable 
ment fréquemment de directions par suite d’affaissemens et de légères 
oscillations du sol, efforts que nous réduisons à une juste valeur. 
On à la certitude de l'existence de ces courans, dont d’ailleurs per- 
sonne ne doute, en étudiant ce dépôt dans la vallée du Rhin, 
où il est à un niveau supérieur relativement aux distances, il forme 
un rivage contre lequel on apercoit les dénudations que les eaux 
resserrées entre la chaîne des Vosges et celle de la Forêt - Noire 
ont opérées graduellement. On en reconnaît les traces évidentes le long 
de cette haute falaise, et toujours dans la direction du cours du 
Rhin. Cet état de choses trouve du crédit pour supposer que la vallée 
du Rhin était comblée par le dépôt du grès vosgien jusqu'à une 
certaine hauteur, que c'est à une érosion considérable qu’elle doit sa 
configuration actuelle et que les eaux en se retirant ont laissé les 
dépôts du grès bigarré et du muschelkalk que l'on trouve à la base 
des escarpemens du grès vosgien. Beaucoup de vallées étaient comblées 
ainsi par le grès vosgien, on en voit les restes sur les pentes , à une 
hauteur égale et s'inclinant insensiblement, celle de la Moselle en 
donne un bon exemple: on y voit de chaque côté des rochers es- 
carpés , qui, à une hauteur égale bordent le flanc de la vallée, ils 
ressemblent à de hautes murailles destinées à soutenir les terres, ils 


356 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


présentent des sillons profonds, creusés dans la direction de la vallée et 
qui souvent s’avancent en surplomb sur ses pentes ; ils sont recouverts 
d’un attérissement puissant formé de sable et de débris de grès vos- 
gien, provenant évidemment de l’action de l'érosion. On a la preuve 
des différentes directions des courans , dans ces dépressions alongées 
aboutissant à une vallée que l'on rencontre prés d’un sommet cou 
ronné par un banc de grès vosgien, le point culminant de ces gorges, 
souvent très-élevé, est quelquefois dépourvu de grés, et l’on est 
étonné de son absence. On reconnaît encore ces dénudations, mais à 
un niveau d’eau moins élevé, dans ces petites montagnes coniques, 
placées quelquefois au milieu d’une vallée, et qui étaient autant 
d’ilots dans cette nappe d’eau, on en voit autour de Bruyëres et 
dans Îes vallées de la Vologre et de Tendon: elles sont couvertes 
d’un lambeau de grès souvent inaccessible , par l'escarpement que ses 
couches, coupées verticalement, forment tout autour ; les corniches 
qu'elles présentent et qui surplombent sur lés pentes rapides du mon- 
ticule , sont des témoins des efforts des eaux. Fréquemment ces rochers 
présentent les formes les plus bizarres, quelquefois celles des glacis 
d’une forteresse on d’une tour en ruines. 

N'a-t-on pas encore des preuves de l’action des eaux dans ces petits 
bassins ou trous circulaires, appelés cuveaux, qui existent souvent à 
de grands niveaux, à la surface des couches du grès, et qui, une 
grande partie de l’année, sont remplis par une eau pluviale crou- 
pissante ; ne doivent-ils pas leur formation au roulis des matières 
amenées par les eaux et qui, par un tournoiement continuel, élargis-— 
saient les parois de ces cavités? Et ces blocs erratiques, au sommet 
des hautes montagnes , dans le fond et sur les flancs des vallées, 
n’ont-ils pas contribué, par leur émission, à cette action érosive ? 
Mais faut-il d’autres témoins de cette puissante érosion qui a raviné 
ou détruit l'immense dépôt du grès des Vosges, que ces traces d'al- 
luvions que l’on reconnaît sur les crétes des montagnes et dépassant 
le niveau des grès; quelquefois ils sont en petits lambeaux à de 
grandes hauteurs ; ont-ils aussi été soulevés? Il est à remarquer qu’au- 
dessous des grès ou dans la région de ce dépôt , les galets qui com- 
posent le terrain de transport sont en grande partie des quarzites 
provenant de la destruction du poudingue. 

S'il est reconnu que le grès vosgien est soulevé, il doit en être 
de même du grès bigarré. M. Hogard , qui nous donne aussi des ren- 
seignemens sur son niveau, nous dit: que ce terrain, à Rember— 
villers, est à 300 mêtres, et qu'au Haut-du-Bois, il atteint dejà 


PREMIÈRE SECTION. 337 


700 métrés. La distance à vol d'oiseau, entre ces deux points, 
n’a pas plus de quatre lieues. A Fontaine (Haute-Saône), ce dépôt 
est à 270 mètres ; sur les hauteurs du Valdajol, en se rapprochant de 
la vallée de la Mostlle, vers Maxonchamp , il atteint 750 mètres ; sur 
les hauteurs au nord de Rupt, où nous croyons qu'il existe, il 
doit être à 850 mètres , la distance entre ces points extrêmes et.celui 
inférieur , est approximativement de trois à cinq lieues. Ainsi on voit 
que cette différence de niveau peut être comparée, ayant égard à 
la distance et à l’antériorité de sa formation, à celle du grès vosgien. 
Il est assez singulier de voir le grès bigarré placé dans les mêmes 
circonstances de nivellement ; aurait-il suivi les mouvemens du grès 
vosgien ? Mais le muschelkalk aurait dû suivre ce redressement, et 
cependant sa position n’est pas signalée par de grandes différences de 
niveau. Dans la vallée du Rhin, que nous avons citée précédemment, 
le grès bigarré ét le muschelkalk ne suivent pas le niveau du grès 
vosgien , pourquoi n’en est-il pas de même à l'ouest de la chaîne ? 

Nous voudrions pouvoir adopter l’opinion de M. Hogard sur les 
différences de niveau du grès vosgien ; parce qu’elle a une apparence 
de vérité qui appelle la confiance, et parce que nous reconnaïssons 
que la nôtre n'est pas sans réplique. Mais nous ne pouvons con- 
cevoir ces soulèvemens brusques et par étages qui ont conservé au 
grès son horizontalité primitive ; car on se demandera toujours pour- 
quoi les forces soulevantes , qui exerçaient leur action au-dessous de 
cette masse stratifiée si puissante, ne lui ont-elles pas imprimé des 
bombemens que l’on reconnaïitrait aux surfaces supérieures , surtout 
au sommet des cônes granitiques ? Est-ce parce que leur défaut d’é- 
lasticité s'opposait à une courbure aussi apparente? Mais au moins on 
reconnaïîtrait des furlles présentant d’un côté des couches releyées ; 
et de l’autre des couches plongeantes, ou bien on les verrait rejetées 
sur les flancs des montagnes ou souleyées parallélement à l'axe de pro- 
jection. Si les divers accidens minéralogiques que présentent fréquem- 
ment le grès vosgien , et dont nous avons parlé plus haut, occupaient 
une place fixe et s'ils pouvaient par là servir de niveau géognostique , 
on serait moins embarrassé, et cette question pourrait s'éclaircir ; 
mais on sait que tous ces accidens et modifications n'occupent pas 
une position certaine dans la masse du grès, qu'ils se trouvent partout, 
et que le poudingue même, qui semble être la partie inférieure , est 
très-souvent à la partie supérieure et fréquemment encore séparé en 
plusieurs bancs par des lits puissans de grès proprement dit. Néan- 
moins il est important de ne pas négliger ce moyen d'éclaircissement , 


[| 43 


538 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


car il serait possible encore que quelques localités présentassent de ces 
points de repère qui seraient d’un grand secours pour indiquer ou 
retrouver le niveau primitif. Combien il y a loin des faits observés 
dans le soulèvement du grès vosgien avec ceux qui distinguent celui 
du grès rouge (totde-liegende) qui offre un accord extrémement re- 
marquable avec tous les phénomènes qui nous paraissent devoir signaler 
un dépôt sédimentaire ! 

Mais quelle action puissante , opérant de bas en haut, aurait im— 
primé au dépôt du grès des Vosges, une aussi grande différence de 
niveau? On ne peut pas l’attribuer au granite qui avait son relief bien 
antérieurement à la consolidation de ce dépôt arénacé; ni à l'érup- 
tion des basaltes , parce que le redressement aurait eu lieu dans une 
direction paralléle au surgissement des cônes basaltiques ; qui sont: à 
l'ouest de la chaîne, le cône d'Essex, et au nord-est, ceux de Gun- 
dershoffen et de Riquewihr. M. Hogard le rapporte à l’éruption des 
ophiolites : le seul point où cette observation peut être faite, est 
Sainte-Sabine, qu'il cite à l’appui de cette théorie. Justement là le 
grès vosgiéh est d’une horizontalité parfaite ; il se trouve en couches , 
ayant une étendue assez considérable , à quelques pas de ce filon de 
serpentine qui est considéré comme le plus puissant des Vosges; on 
y voit bien quelques éboulemens , mais ce désordre se voit partout. 
Les têtes de dykes qu'il a cru apercevoir à la surface du grès vosgien, 
ne sont que de gros fragmens de serpentine que l’on déplace sans de 
grands efforts , quoiqu'engagés dans l’alluvion ou l'humus qui recouvre 
ce dépôt; et si les blocs de serpentine à arêtes vives, que l’on 
remarque placés au sommet du grès, ont fait penser à cet observateur 
qu'ils étaient des débris de ces têtes de filons, rejetant l'hypothèse 
de leur transport, par une cause violente, sur les couches du grès, 
parce qu'ils sont à angles aigus; n'est-il pas possible d'attribuer leur 
présence sur ce dépôt à des ouragans tels que l'on en voit encore 
dans les déserts de l'Afrique et dans les steppes de la Russie, et qui 
enlèvent tous les objets mobiles, ou brisent tout ce qui s'oppose à la 
furie des vents déchainés; d’ailleurs la distance à parcourir, de bas 
en haut, n'est que de 25 à 30 mètres, ainsi ce transport violent 
n'a pas dû émousser sensiblement les angles de ces fragmens. 
Si la serpentine avait traversé les couches de grès vosgien, comme 
M. Hogard le suppose, elle y aurait laissé des traces de son passage : 
des altérations ou des modifications dans les matières arénacées et 
argileuses de ce grès, de la stéatite, ou de la magnésie, ou des subs- 
tances métalliques remplissant Les fissures. Si parmi les débris de roches 


PRÈMIÈRE SECTION. 339 


anciennes que l'on rencontre quelquefois dans le grès des Vosges 
on ne voit pas de serpentine, peut-on inférer de là que cette roche 
n'était pas sortie du sein de la terre. Il nous semble plutôt que si les 
éaux qui ont déposé le grès étaient acides , comme on le pense géné— 
ralement, cette roche, qui renferme un tiers de magnésie , a dû être 
attaquée par les acides, ou bien sa dureté étant moindre que celle 
des autres roches, elle a été pulvérisée par le roulis des matiéres. Si 
plus tard il nous arrivait de changer notre manière de voir, et que 
nous y fussions conduits par des observations plus concluantes que 
celles qui jusqu'alors nous ont guidé, il est probable que nous attribuerions 
la cause du soulèvement du grès vosgien, non à une action violente, 
due à l'éruption de roches pyrogènes, qui n'ayant pu percer ses 
couches puissantes , se seraient consolidées au-dessous d'elles , mais à 
un mouvement lent qui aurait fait monter tout entier le dépôt du 
grès vosgien; et comme ce redressement a toujours lieu parallèlement 
à l'axe granitique de la chaîne des Vosges, nous en verrions la 
cause dans l’exhaussement lent des montagnes primordiales du système ; 
“ouvement graduel qui n'aurait, en aucune facon, affecté le relief 
des Vosges, mais lui aurait donné seulement un niveau supérieur. 
Nous nous étayerions, dans cette théorie, du soulèvement du terrain 
jurassique , dont M. Thurmann a si bien décrit les phénomènes, et 
dont nous avons vu des exemples frappans dans la, Bourgogne et dans 
les envifons de Lyon ; les couches tertiaires semblent aussi avoir été 
redressées par la même action des convulsions souterraines , et nous 
avons même la preuve sous nos yeux de ce mouvement lent ct con- 
tinu dans ce qui se passe aujourd'hui en Scandinavie et sur les 
rivages du Danemark , où il est bien constaté que le sol se soulève 
progressivement. Les temps historiques nous fournissent aussi, même 
depuis des époques peu reculées ; de nombreux exemples d'exhaus- 
sement du sol, phénomène que l’on attribuait, il y a peu de temps 
encore , à la retraite des eaux de la mer. Il est. bien entendu que 
si, dans la suite, des faits positifs, appuyés par une théorie sévérement 
discutée , nous faisaient adopter cette opinion , nous n’abandonnerions 
pas l’action érosive qui a donné au dépôt du grès des Vosges , T'allure 
qu’on lui reconnaît , elle servirait, au contraire, d'appui à cette ma— 
nière de voir; et expliquerait les saccades de ces couches sédimentaires. 
Il arrive quelquefois que des observateurs expérimentés changent ou 
modifient leurs opinions, à plus forte raison, ne deyons-nous pas 
nous refuser à nous rendre à l'évidence de faits positifs , aussi nous 


A . 
sommes prêts à abandonner la nôtre aussitôt qu’on nous prouyera, par 


340 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


des exemples et par une explication plus satisfaisante , que le grés 
vosgien a été soulevé brusquement , sans perdre, par cet eflort violent , 
son horizontalité primitive , et sans laisser de témoins de la projection 
d’une roche plutonique à travers ou dans le voisinage d’un dépôt 
arénacé. 

Nous avons parlé de l'aspect singulier que présentaient les roches du 
grès vosgien, souvent escarpées et inaccessibles , et que de loin on 
prend pour les débris de la féodalité: l'illusion est d'autant plus 
complète que les pentes de la montagne sont parsemées des débris 
du grès couverts d’un lichen blanchâtre. M. Hogard a donné dans 
son atlas de jolis dessins qui représentent les roches Saint-Martin et 
du Kamberg près Saint-Dié, il ne pouvait pas faire un meilleur 
choix pour donner une idée exacte de ces masses imposantes que l’on 
prend pour des forteresses ; ct qui ne sont que des témoins de la 
continuité de ce puissant dépôt. La roche des Fées, près Saint-Dié, 
les roches du Thim et du Rupthyade, prés de Remiremont, figu- 
reraient trés-bien près des premiers , elles présentent des escarpemens 
à surfaces unies, dominant la vallée , de larges corridors y sont ouverts 
et donnent à peine accès au jour, ils sont quelquefois la demeure 
du Grand-Duc qui y établit son nid; on reconnaît contre leurs parois 
des traces’ d’érosion , et le sol est nivelé par les débris du poudingue 
ou par les alluvions ; au sommet, une bruyére épaisse et des myrüles 
touflues couvrent des fissures étroites où l’on risque de glisser; il 
serait dangereux d’y tomber, parce que, pressé entre deux murailles 
de grès ou de poudingue, on aurait de la peine à se dégager; ces 
gercures sont ordinairement la retraite des renards ou des chevreuils 
qui y trouvent un abri contre la neige et le froid. Il est probable 
que l’on y trouverait des restes de ces animaux, non pas que nous 
voulions comparer ces sortes de cavernes à celles des terrains juras— 
siques, car elles sont peu profondes et elles différent de celles des 
terrains calcaires par la grande largeur de leur ouverture ; nous avons 
cependant plusieurs fois fouillé leur sol, mais nous n’y avons trouvé 
que les débris du grès mélés à de la terre de bruyères que les eaux 
y amènent; peut-être, en creusant plus profondément, y trouverait 
on des restes d’aurochs ou d’ours, car ces animaux ont habité autre- 
fois les Vosges, et les derniers en ont disparu seulement depuis un 
siècle. 

Le grès vosgien acquiert quelquefois une grande puissance , M. Rozet 
lai a reconnu , dans les environs de Raon-l'Etape, plus de 500 mètres. 
Il est massif et il se divise en couches assez régulières, des fissures 


PREMIÈRE SECTION. 3441 


verticales les coupent en gros blocs, il fournit de bonnes pierres de 
taille, et il est exploité pour cet usage dans toutes les localités où 
il se trouve ; il est réfractaire et comme tel employé dans la construc- 
tion des fours de forges et de fonderies, les couches minces sont 
employées comme dalles, mais rarement pour couvrir les habita- 
tions. 

Quelques géologues rapportent le grès vosgien au grès bigarré , et le 
regardent comme sa partie inférieure , d’autres observateurs le réunis- 
sent au grés rouge dont il constituerait la partie supérieure. C'est 
plutôt à ce ac dépôt qu’il pourrait avoir de l’analogie, car il se 
lie quelquefois avec lui en couches concordantes, mais il est regardé 
comme une formation indépendante , et lorsqu'il est recouvert par le 
grès bigarré, c'est presque toujours en stratification discordante. 

Le grès bigarré qui est plus argileux et plus micacé, ne peut être 
confondu avec lui , il renferme bien quelquefois des galets de quartz, 
mais ils sont fort petits et rares. Sa couleur est irrégulière et celle 
qui domine est d’un blanc jaunâtre. Ses bancs, plus minces, sont plus 
réguliers et plus schistoïdes , enfin c’est une véritable psammite. Il se 
lie avec le muschelkalk avec lequel il est en concordance. M. d’Al- 
berti, savant géologue du Wurtemberg, regarde le grès bigarré, le 
muschelkalk et le keuper comme appartenant à la même formation, 
à laquelle il donne le nom de Trias*; il appuie cette opinion de 
considérations importantes. L’analogie qui existe entre les fossiles qui 
caractérisent ces trois dépôts, est suffisamment prouvée: les observa- 
tons de MM. Voltz, Mougeot et Hogard , et les nôtres , sur les côrps 
organisés de ce terrain, peut aussi contribuer à appuyer cette liaison. 


DU GNEISS ET DU LEPTYNITE. 


Après avoir passé en revue les roches d’agrégation mécanique in- 
termédiaires et secondaires qui présentent des métamorphoses et des 
modifications, disons un mot des roches appartenant aux formations 
primordiales où ces phénomènes peuvent être observés. Le gneiss oc- 
cupe dans les Vosges peu de surface, il se présente en lambeaux 
au milieu du granite et du leptynite, la contrée où on le reconnait 
sur une plus grande étendue est celle occupée par les communes 
de Laveline, Lacroix-aux-Mines, Wissembach, Colroy , Sainte-Marie- 
aux-Mines, etc. Il est souvent décomposé ct il offre des variétés re- 


marquables : ainsi depuis Corcieux et Gerbépal jusqu'à Arnould , on 


“Monographie du Trias, Stutigart 1834. 


342 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


reconnaît un gneiss que l’on peut appeler ta/queux , constituer toute 
la longue côte que l’on descendait pour aller à Saint-Dié , avant que 
cette route ne füt rectifiée, ce gneiss est rosâtre, et le mica qui 
n’est pas complètement passé au talc en a cependant quelques ca- 
ractéres, sa présence est désignée par des petites couches brunâtres 
et ternes dont la division en lamelles est impossible, la structure 
de cette roche est schistoïde, et ses feuillets qui se partagent facilement 
sont enduits de talc reconnaissable au toucher onctueux que leurs sur— 
faces présentent. Non loin de là : à la Croïx-aux-Mines , à Gemaingoutte 
et à Wissembach, une autre modification du gneiss semble succéder 
à celle-ci, on n’y reconnaît plus de mica ni de tale, c'est le graphite 
qui a pris la place de ces deux substances , ses écailles se sont em— 
parées de cette roche où le feldspath est peu abondant et souvent à 
l'état de kaolin , mais peu à peu le mica reparaït , il finit par reprendre 
toute sa puissanee et avec lui le gneiss ses caractères distinctifs. A 
l'Allemend-Rombach', dans le voisinage du granite , il est très-feldspa- 
thique , c'est peut-être une modification due au granite qui aura 
donné à son feldspath plus d'apparence , et à Colroy il est traversé 
par des petits filets de quartz translucide, mais d'un blanc sale, 
qui sont interposés dans ses feuillets où ils présentent fréquemment 
des renflemens et des nodules. Lorsque le gneiss est en lambeaux 
peu étendus au milieu du granite, ses feuillets sont contournés, sa 
texture est trés-serrée, sa force de cohésion est extrême et son mica , 
en lamelles fines, lui donne l’aspect d'une diorite schistoïde. (Environs 
de Remiremont, Sapois, etc.) 

Il semble reconnu que le leptynite, roche composée de feldspath 
grénu et de quartz sableux et trés-souvent de mica en paillettes dissé- 
minées, forme dans les Vosges le passage du gneiss au granite commun, 
et qu'il s'est constitué aux dépens du premier; ce terrain encore 
peu connu a été étudié, dans nos montagnes, par M. Rozet, en ob— 
servateur exercé, il est le premier qui en a tracé avec exactitude les 
caractères, les limites, et fait ressortir ses relations avec le granite 
et son passage insensible au gneiss. C’est en effet dans les montagnes 
des Vosges que cette roche peut être observée avec le plus d'avantage, 
elle y occupe de grandes surfaces et constitue même le groupe de 
montagnes entre Remiremont, Gérardmer, Bruyères, Docelles et 
Eloyes, où, souvent recouvert par le grès vosgien, il est pénétré par 
les massifs de granite qui occupent le fond des vallées; dans cette 
vaste étendue de terrain, le leptynite présente toutes ses variétés 
d'aspect : on y voit son mica tantôt disposé en lignes planes ou con- 


\ PREMIÈRE SECTION. 343 


tournées comme dans le gneiss, tantôt en petits amas formant des 
nids ou des taches arrondies ou alongées; ou bien disséminé comme 
dans les granites. Ces variétés l’ont fait nommer /eptynite gnerssique , 
deptynite macudé , leptinite graphique et leptynite granitoïde, quelque- 
fois le mica s'unit à l’amphibole et constitue un leptynite que l’on 
pourrait appeler siénitique, mais peu à peu l’amphibole remplace 
complétement le mica, et devient même si abondante que la roche 
prend l'aspect d'une véritable diorite (Ranfaing), qui a parfois une 
structure schistoïde (diorite schistoïde de l'étang de Fondromé), sou- 
vent encore le leptynite est privé entièrement de mica, c’est alors 
une roche presque homogène, blanchâtre , où le feldspath grénu et le 
quartz sableux, ses parties essentielles, sont ses seuls composans ; 
mais bientôt on y aperçoit de trés-petits grenats disséminés qui lui 
ont fait donner, par M. Brongniart, le nom de leptynite granatique. 
(Ranfaing, Gérardmer, Sainte-Sabine , Sainte-Marie-aux-Mänes > etc.), 
dans d’autres localités (Eloyes, Tendon), son feldspath rosätre trés- 
abondant, lui donne une espèce de compacité qui , au pemier abord, 
pourrait le faire prendre pour une eurite, c’est principalement dans 
les fragmens détachés et polis par l’action de l'influence atmosphérique 
que l'illusion est complète. Tous ces divers aspects sous lesquels 
cette roche se présente ne peuvent pas constituer différentes espèces 
au Leptynite, ce ne sont que des modifications dont il est aisé de 
se convaincre à Ranfaing près de Remiremont, où l'on rencontre 
toutes ces variétés passant alternativement de l’une à l’autre, sans 
aucun ordre, et où fréquemment encore un bloc détaché de la roche 
en présente plusieurs réunies ; c'est dans cette localité curieuse que 
nous avons signalé cette belle variété parsemée de pinites et de grenats. 

Le leptynite dans les Vosges est le seul gisement des ophiolites 
(serpentine), car il ne paraît pas prouvé que la roche indiquée par 
M. Voltz à Odern, entre le granite et le terrain de transition est 
une serpentine, elle semble être plutôt une vyariolite à base d’am- 
phibole. Le gneiss paraît ‘étre aussi le gisement spécial des massifs 
de calcaires lamellaires appelé cipolin et ophicalce, qui, de'même que 
les ophiolites, se présentent en amas subordonnés. La serpentine ne 
paraît pas avoir fait subir de modifications à la roche encaissante , 
seulement on remarque dans ses fissures un enduit stéatiteux souvent 
acquérant plus d’un millimètre d'épaisseur , il pourrait bien devoir 
son origine à l’éruption de cette roche si riche en magnésie ; les 
calcaires cipolins au contraire ont fait éprouver aux roches qui les 
environnent une modification remarquable. Au Chipal, à Layeline 


344 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


et à Saint-Philippe , elles sont pénétrées de chaux au point de contact 
à un tel point que l'on ne sait si c’est un gneiss avec chaux €ar- 
bonatée ou bien un calcaire micacé, car le gneiss fait une vive efler- 
vescence avec les acides. Les feuillets du gneiss sont sensiblement 
contournés dans le voisinage du foyer d’éruption du calcaire de Laveline, 
mais il serait hasardeux d'attribuer à la méme action l’état de dé- 
composition de cette roche, on doit plutôt en rechercher la cause 
dans les agens atmosphériques, dans l’humus et dans les alluvions 
qui l'ont recouvert , cette roche , par l'abondance de son mica, étant 
très-perméable à l’eau ; il en est de même du gneiss de la Chapelle, 
près Bruyères , que les habitans de cette localité, après l'avoir lavé 
et placé dans un four à une forte chaleur, livraient autrefois au 
commerce sous le nom de sable doré ou de poudre d'or. Le leptynite 
contient fréquemment des fragmens anguleux et arrondis de gneiss 
qui lui dohnent quelquefois un aspect bréchiforme, cela ne doit pas 
étonner’, s'il a été formé aux dépens de cette roche il peut bien 
contenir de ses débris. 

Nous ne discuterons pas ici la cause modifiante du gneiss ni sa pré- 
sence en petits lambeaux épars au milieu du terrain granitique, il 
en sera de même de la position du leptynite au-dessus du granite, 
parce que cette discussion nous entrainerait à émettre une théorie qui 
n’est pas appuyée généralement : celle qui voudrait que le gneiss füt 
la première roche consolidée du globe, et que le leptynite se fût 
constitué à ses dépens. Cette opinion à laquelle M. Rozet a donné de 
l'importance en faisant connaître dans les Vosges de nombreux faits 
qui la soutiennent , a été combattue par M. Hogard qui, comme 
M. Elie de Beaumont, considère le gneiss , le leptynite et le granite 
commun comme ne pouvant être séparés les uns des autres. Pour 
concilier ces deux théories, nous dirons seulement qu’il serait pos- 
sible que le granite existät déjà lorsque le gneiss et le leptynite se 
sont fdéposés, mais que ce n’était qu'un bain métallique dans une 
inertie complète , et qui ne s’est soulevé qu'après le dépôt des roches 
qui nous occupent. C'est à ce soulèvement que l’on peut attribuer 
leur dislocation et l'existence des masses et des filons granitiques qui 
les traversent et s’épanchent fréquemment sur elles. Il est bien en— 
tendu que nous ne parlons pas ici des divers soulèyemens qui ont donné 
aux Vosges la configuration actuelle, mais de celui qui leur a donné 
un premier relief. 

Il n'est plus permis aujourd’hui de nier la stratification du gneiss, 
les observations que l’on fait tous les jours appuient de plus en plus 


PREMIÈRE SECTION. 345 


cette opinion, mais ce n’est pas dans les Vosges qu'elle a pu acquérir 
de la force, car l'aspect général de cette roche toute contournée et 
fissurée y offirait plutôt des remarques fayorables à l'avis contraire. 
Nous sommes porté à croire que le leptynite, constitué évidemment 
aux dépens du gneiss, est comme lui déposé en couches formées par 
un concours d'agens aqueux , gazeux et galvaniques , et que, de même 
que dans le gneiss, ses variétés minéralogiques prouvent que ses élémens 
étaient inégalement répandus dans la dissolution ; son quartz sableux , 
les fragmens de gneïiss souvent roulés qu'il contient, sa granulation 
confuse, les strates qu’ils offrent fréquemment, strates formées de di- 
verses variétés de la roche et alternant entre elles, ses fissures se di- 
visant presque toujours en feuillets , enfin la large bande qu'il forme 
au nord de Remiremont , entre le granite et le grés Yosgien, bande 
qui est souyent pénétrée par la première de ces roches, sont des faits 
qui chez nous trouvent de la considération Pour oser soumettre aux 
observateurs cette manière de voir que, du reste, nous n’adopterons 
qu'après lavoir bien étudiée, parce que nous reconnaissons qu’il est 
des contradictions à cette opinion. 


DU GRANITE. 


Le granite est, dans les Vosges , la roche la plus répandue ; c’est 
sur lui que se sont groupées toutes les autres formations ; il constitue 
les montagnes les plus élevées du système : le eck (1367), le 
Rotabac (1319®), le Brésouar (12517), le és AR le Champ- 
du-Feu (1057), etc., et vers les pentes de la chaîne , dans la région 
du grès rouge et du grès vosgien , il occupe le fond de la plupart des 
vallées. Disons quelques mots de ses diverses manières d'être ayant de 
faire connaître les modifications et les altérations qu’il présente et que 
nous avons reconnues dans ces montagnes. 

Le granite commun est une roche à petits grains cristallisés confu— 
sément, il varie peu dans son aspect; quelquefois cependant les 
cristaux de feldspath, généralement blancs » deviennent plus gros’ et 
lui donnent par là les conditions exigées pour être un granite porphy— 
roïde, mais bientôt ilreprend son maintien ordinaire, aussi ce n’est qu'un 
accident et non un système d’autres filons granitiques injectés dans 
un massif préexistant. Cependant, à Ranfaing, il existe un granite 
à très-petits grains cristallisés confusément, à feldspath rougeâtre, 
dont la manière d’être n’est pas la même que celle du granite commun , 
il est traversé par des filons d’une eurite violette, maculée de violet 

plus intesge, sa couleur est rosâtre, mais peu à peu elle devient bleuâtre ; 


44 


346 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


cette roche, que nous regardions comme faisant partie de Ja masse 
leptynitique de cette localité, doit en être cependant séparée, parce 
que ses élémens n’y sont pas disposés, ni cristallisés comme dans le 
leptynite , qu'ils ne varient pas un seul instant d'aspect et que le seul 
changement que cette roche éprouve n'est que dans sa couleur. Le 
granite commun est l'espèce qui occupe le plus d’étendue , car il cons— 
titue sans interruption toute la base de la vallée de la Moselle, depuis 
Epinal jusqu’à Rupt, de celles de la Vologne, du Tholy, de Vagney, 
de Rochesson, de Saulxures, etc. Il se trouve très-souvent en contact 
avec le leptynite ; est-ce cette circonstance qui l’a fait réunir par M. 
Hogard au groupe du leptynite et du gnéïss, et qui lui fait considérer 
ces roches comme inséparables les ures des autres? Que l’on ob- 
serve mwinéralogiquement les élémens de ce granite : l’on verra qu'ils 
ne sont pas cristallisés comme dans le leptynite et que c’est une autre 
combinaison chimique qui a procédé à leur réunion et à la formation 
de la roche; nous avons dit aussi que ce granite changeait peu d’as— 
pect, que partout il était de même, tandis que le leptynite varie de 
maintien à chaque pas, même dans chaque fragment. Nous sayons que 
la ligne de démarcation entre ces deux roches est très-difficile à éta- 
blir, et que si l’on marche sur le leptynite croyant pouvoir le suivre 
quelques instans, on est tout-à-coup sur le granite sans avoir rencontré 
le point de partage, parce que les élémens de ces deux roches se 
mélangent insensiblement sans qu'il soit possible d’apercevoir au pomt 
de contact aucune soudure entr’elles. On peut, je crois, reconnaître 
cette ligne de partage en suivant la base du Grismouton, depuis le 
Saint-Mont jusques à Eloyes : là le granite est constamment au-dessous, 
poussant des pointes dans le leptynite qui, par ce mouvement, varie 
beaucoup dans son niveau. On peut se rendre compte du mélange 
insensible des élémens des deux roches, en admettant que le granite, 
en s'injectant dans le leptynite, a dù prendre au passage des parties 
de la roche ambiante qui n'avait pas encore une consolidation par- 
faite, ou qui se trouvait à l’état d'arène, ou bien que la matière 
granitique à l’état de fusion, en s’introduisant dans les fractures et 
même dans les fissures du leptynite, a dû briser et empâter tous les 
fragmens détachés, ainsi que les portions saillantes qui s'opposaient 
à la violence de son intuition, on observe que ce mélange n'existe 
que dans les salbandes du filon, c’est-à-dire que dans les deux surfaces 
qui le limitent et le séparent de la roche environnante, il pénètre peu 
profondément, pourquoi? Parce que la matière ignée, dans sa pro— 
jection , était accompagnée de vapeur élastique qui tenait en suspension 


PREMIÈRE SECTION. 347 


les débris arrachés et les refoulait vers les surfaces jusqu’à ce que la 
matiére, en se refroidissant et en se consolidant, les a retenus. 

Dans la vallée de Tendon, sur le revers opposé à celui de la cascade, 
on voit un bon exemple qui peut appuyer cette théorie: c'est un 
lambeau de leptynite qui présente une stratification parfaite , et dont 
les couches peu épaisses alternent entre elles d’une manière fort re— 
marquable, il se trouve accolé à un filon granitique, et il est incliné 
dans un sens inverse à la projection du filon, c’est-à-dire qu'au lieu 
d'être redressé par la force de l'injection il s’est au contraire affaissé, 
la face du filon qui se trouve en contact avec les couches du leptynite 
ne présente aucun mélange de cette dernière roche, le passage est 
brusque, on pourrait presque dire qu'il y a un point de soudure, 
tandis que la face opposée présente un mélange de matières granitiques 
et leptynitiques , comme on l’observe ordinairement ; s’il nous est permis 
d'appliquer ce fait à notre manière d’envisager ces roches, nous 
dirons qu'au moment du déplacement de la matière en fusion les 
couches du leptynite s'étant affaissées , il en est résulté une pression 
considérable sur la matière granitique , pression qui a projeté dans 
les fractures de la roche préexistante la substance en fusion et qui a 
dû nécessairement s'exercer avec plus de force sur un côté que sur 
l'autre. Nous avons dit que le granite commun présentait quelquefois 
des parties porphyroïdes, ce changement dans sa matière se remarque 
principalement lorsqu'il est en filons , c'est, je crois, à cette circons- 
tance qu'il doit cette variation dans son aspect , parce quela matière 
injectée dans une fracture étant moins comprimée que celle dela masse 
principale sur laquelle une grande pression s’exercçait , a dù trouver 
des circonstances plus favorables au développement de ses cristaux. 

On 2 appelé granite porphyroïde un granite où les cristaux de 
feldspath sont développés ou cristallisés assez nettement et abondans, 
il est aussi trés-répandu dans les Vosges où il offre quelquefois des 
nuances très-variées dues à la coloration du feldspath ; le granite por- 
phyroïde du Champ-du-Feu a un autre aspect, son feldspath est 
généralement blanc et il prend de l’amphibole; celui du Honeck, du 
Rotabac et de la vallée de la Thurr, a quelqu’analogie avec lui, mais 
il offre une variété distincte ; celui de Sainte-Marie-aux-Mines en 
présente encore une autre, enfin celui de Plombiéres et de Bains, 
qui forme une masse décomposée, doit être aussi mis à part et atiirer 
une attention particulière. 

Le granite PITURARE est un granite avec amphibole ; il serait une 
véritable siénite s'il n'avait pas autant de mica, mais ce minéral do- 


548 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


mine encore sur l’amphibole, c’est une fort belle roche; ses grands 
cristaux de feldspath en font reconnaître deux variétés bien tranchées, 
l'une à cristaux blancs et à cristaux verts plus petits, et l'autre à 
cristaux rougeâtres ; quelquefois on y distingue des veines feldspathiques 
d'un blanc rosätre avec amphibole du plus joli effet, quélquefois 
encore l’amphibole y forme des agglomérations qui figurent assez 
parfaitement des étoiles et qui, si elles étaient circonscrites par un 
cercle feldspathique, donneraient à la roche l'aspect de la diorite de 
Corse. C’est cette roche qui forme la plupart des blocs erratiques 
des valiées occidentales des Vosges, il en est quelquefois de fort 
gros et qui mesurent 50 à 55 mètres cubes, quelques-uns jouissent 
de quelque célébrité ou sont vénérés par le peuple qui y attache 
des croyances superstitieuses : la pierre Charlemagne à Gérardmer , 
le fardeau Saint-Christophe au sommet du Grismouton , le Pas-de-l'Ane 
et la pierre Tounerosse à Remiremont , etc. À la Bresse, à Cornimont 
et à Ventron, ce granite est la roche dominante, on l’emploie dans 
ces localités comme pierre de taille dans les constructions, on en 
fait même des bassins de fontaine, quoique trés-dure elle se taille 
avec assez de facilité. On pourrait l'employer dans l'architecture mo- 
numentale avec un grand succés parce qu’elle peut offrir un poli bril- 
lant et qu'il est possible d’en obtenir des blocs de grande dimension*. 

Le granite micacé est un granite où le mica domine, il a quelque- 
fois une apparence de gnéiss due à la superposition des lamelles de 
son mica. On le rencontre au Valdajol: dans la vallée des Roches et 
au moulin du Géha où il forme dans le ruisseau des rochers forts pit- 
toresques ; à Plainfaing, dans la vallée de Ban-sur-Meurthe et à 
Clefcy. Dans cette derniére localité cette roche paraît étre spéciale- 
ment composée de mica : le quartz et Le feldspath, qui ordinairement 
dans le granite sont mélangés intimement avec le mica , forment ici 
des veines sinueuses rosätres, où cette dernière substance manque 
totalement. Au premier aspect, et surtout si l'on est indécis sur la 
détermination de cette roche, on est tenté de les considérer comme 


* En 1828, M. Bresson, maire de Remiremont, avait conçu le projet d’elever sur une 
des places de cette ville un obélisque dont l’aiguille qui devait être monolithe aurait eu 
27 pieds et le soubassement 10 pieds, la pierre principale était dejà ébauchée, mais l’ad- 
ministration muvicipale a reculé devant Les frais de transport de ces énormes blocs de Ja 
Bresse à Remiremont, elle a préféré abandonver l’ouvrage commencé. Nous aimons à espérer 
encore qu’un jour un administrateur, ami du beau, voudra attacher son nom à un mo- 
pument aussi impérissable élevé à l'entrée de nos belles montagnes; une souscription entre 
les habitans aisés pourrait venir à l'aide de Ja caisse municipale, qui d’ailleurs, a prouxé 


depuis par des constructions autrement onéreuses que l’économie n’était pas toujours son 
mobile, 


« 


| PREMIÈRE SECTION. 549 


des filons indépendans et postérieurs ; mais il est des exceptions à 
la régle granitifiante : ainsi quelquefois les élémens granitiques peuvent 
étre isolés ou former deux à deux un composé sans cesser d’être un 
granite, parce qu'ils finissent par se réunir et reprendre leur allure 
ordinaire. Le fait de celui de Clefcy est cependant assez rare pour 
étre cité: il est en effet bizarre de voir des amas de mica aussi con— 
sidérables sans aucun mélange apparent d’autres substances et coupés 
par des veines assez régulières de quartz et de feldspath où le mica 
n’a pas accés ; on cherche en vain la cause qui a empêché l'association 
ordinaire de ce minéral avec le quartz et le feldspath, et pourquoi il 
s'est emparé de toute la place, ne laissant aux deux autres que des 
limites fort resserrées. La roche de Clefcy a été un moment exploitée, 
par la société anonyme des marbres des Vosges ; sous le nom de Afi- 
caschiste, nom qui la désignait minéralogiquement parlant avec assez 
de précision ; sa couleur noirâtre la faisait employer dans les monu- 
mens funéraires, on choisissait pour cela les parties privées de veines 
feldspathiques et quartzeuses, mais les influences atmosphériques la 
ternissaient dans peu de temps, d’ailleurs le mica prend mal le poli. 

Les observateurs reconnaissent dans le granite plusieurs époques 
d’éruption, mais la science ne nous donne aucun moyen pour dé- 
terminer l'âge relatif de ces divers soulèvemens, ou du moins ceux 
qu’elle nous donne sont tout à fait hypothétiques. Il est certain que 
dans les Vosges le granite commun est le premier arrivé à la surface 
du globe, et il est probable que les massifs qui offrent entr'eux une 
grande différence minéralogique sont autant de diverses époques de 
formations granitiques: le granite siénitique est certainement une 
époque, le granite micacé une autre et celui de Ranfaing , si différent 
du granite commun, pourrait aussi être d’un autre âge. 

Il existe dans le granite deux sortes de feldspath : 7’Orthose ou 
feldspath à base de potasse ; et /_4lbite ou feldspath à base de soude , 
on distingue entre eux une différence cristallographique (voir Beudant 
T. 4. p. 559 et T 2. p, 103), le premier est beaucoup plus abon- 
dant que le second qui ne se trouve le plus souvent dans les masses 
granitiques qu’en agglomération particulière ou qu’en veines distinctes. 
Cette dissemblance de feldspath pourrait servir à fixer l’âge des érup- 
tions granitiques ; mais malheureusement nous manquons de moyens 
physiques pour en faire la différence et il faut être minéralogiste et 
chimiste parfait pour arriver à les reconnaître. Le granite commun : 
et certain granite porphyroïde contiennent fréquemment des aggloméra- 
tions de mica qui se détachent parfois de la masse qui les empâte, 


330 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


surtout lorsqu'elle est en décomposition, au premier aspect on pour- 
rait les prendre pour des fragmens de gnéiss, mais un examen at— 
tentif fait bientôt reconnaître que ces petits amas sont contemporains 
de la roche principale, que ce n’est qu’un jeu de cristallisation et 
d'affinité du mica. Ce n’est pas que nous révoquions en doute la 
présence de fragmens de gnéiss dans le granite, et si les nodules 
micacés que l’on y a rencontrés jusqu’à présent ne réunissent pas com- 
plètement les caractères gnéissiques pour les considérer comme des 
fragmens de gnéiss, empâtés dans le granite, nous regardons comme 
possible leur présence dans celui des Vosges, on en a bien reconnu 
dans celui de Cherbourg et d’autres contrées. 

Toutes les variétés de granite que nous venons de décrire sont assez 
constantes dans la manière d’être de leurs élémens, mais nous avons 
dit que leur composition pouvait naturellement varier et qu'elle dé- 
pendait beaucoup des circonstances locales , il est aussi des causes dont 
on ne peut guère se rendre compte, parce qu'elles peuvent dépendre 
de combinaisons chimiques inconnues ou hypothétiques; mais il est 
d’autres altérations et modifications dans les masses granitiques que 
nous croyons pouvoir expliquer par des causes probables telles qu'a 
des filons de roches feldspathiques ou quartzeuses, ou d’autres subs— 
tances minérales , et aux agens atmosphériques. Examinons les diverses 
localités qui peuvent servir d'exemples à cette théorie : à Plombières, 
plusieurs filons de chaux fluatée verdâtre, de baryte et de quartz, 
poussent de nombreuses ramifieations dans un granite en décomposition 
qui constitue des escarpemens considérables dans le fond de la vallée, 
des veines d’une substance feldspathique de la nature des eurites et des 
filets d'une matière rosée , appelée savon minéral, composée, d’après 
M. Berthier, de silice, d’alumine et d'un peu de magnésie , s'associent 
et se ramifient avec la chaux fluatée. Les cristaux de feldspath sont 
mats, ils ont perdu leur transparence , le mica d’une couleur cuivreuse 
est passé souvent au talc, et la désagrégation de la roche est telle 
qu’elle sert de sable pour le mortier des constructions de la localité. 
Il serait possible que l'état d'arène du granite füt dû à l’action des 
filons de ces substances minérales , ainsi que la transformation du mica 
en talc et en stéatite, métamorphose qui est considérée aujourd’hui 
comme possible; il y a d’ailleurs des micas à base de magnésie, dont 
l'analyse diffère peu de celles de la stéatite et du talc. Le granite de 
Plombières pourrait être regardé comme faisant une époque d’éruption 
à part, car il ne fait pas évidemment partie du massif qui forme la 
vallée de l’Augronne du côté de Remiremont, quoiqu'il soit en con- 


PREMIÈRE SECTION. 351 


tact avec lui. A Bains, les mêmes faits et la même altération se 
remärquent dans le granite de cette localité, en tout semblable à 
celui de Plombiëres. Cette théorie, pour expliquer la décomposition 
du granite de Plombières et de Bains, paraîtra hasardée, parce que 
ces massifs sont considérables et s'étendent au loin, que leur dé- 
composition est parfaite, sauf quelques gros fragmens qui n'ont qu’un 
commencement de désagrégation, et qui sont dispersés çà et là dans 
les massifs; mais il est à remarquer que dans ces deux localités, des 
eaux thermales sourdent en abondance des crevasses de ces masses 
granitiques ; les eaux thermales de Luxeuil qui font partie du même 
rayon géologique sortent du grès bigarré, mais il est certain 
qu’elles traversent aussi le granite , puisque près de là cette roche se 
montre, et avec des circonstances à peu près semblables à celles de 
Plombières et de Bains. L'opinion la plus générale est que les sources 
chaudes sont dues à une action ignée dont le foyer est situé à de 
grandes profondeurs, leur projection à la surface a dù être accom- 
pagnée , dans l'origine, de dégagemens considérables de vapeurs mi- 
nérales et de matières en fusion, qui se sont condensées dans les 
fissures de la roche ou se sont injectées dans son massif; cette érup— 
tion, produite par la grande réaction chimique qui se faisait à l’intérieur, 
a dû nécessairement décomposer les obstacles qui s’opposaient à son 
passage : joignons aussi à ces circonstances l’action calorique des 
eaux thermales qui ont dû, dans l’origine, être à une température 
plus élevée, quoique de nos jours leur chaleur ne paraît pas dimi- 
nuer ; il est à remarquer que les eaux thermales de Plombières, de 
Bains et de Luxeuil contiennent en dissolution les mêmes substances 
que l’on rencontre en filons dans leur granite , il est donc à présumer 
qu'en suivant les fissures de la roche elles se chargent, dans leur 
chemin, des substances minérales qu’elles rencontrent et qu’elles ap— 
portent avec elles. Dans ces localités, il n'existe pas seulement des 
sources thermales, plusieurs sources minérales froides fournissent aussi 
leurs principes bienfaisans, et concourent avec elles pour rendre la 
santé aux nombreux malades qui, tous les ans, viennent y ‘chercher 
du soulagement à leurs maux, ce sont des eaux ferrugineuses et 
des eaux dites savonneuses, elles doivent probablement leur qualité 
à des amas et à des filons de fer hydraté et de savon minéral, sur 
lesquels elles reposent ou qu’elles traversent , en se saturant de leurs 
principes. s 
À Reherrey, commune de Dommartin, où M. Friry, maître de 
forges à Saint-Amé, recherche dans ce moment du minerai de fer, 


À 


552 MÉMOIRES ET PIÈCES, 


on voit, dans les coupures faites dans ce but sur les flancs de la 
montagne , de nombreux filons de fer oligiste qui, en veines déliées, 
parcourent un massif granilique tout décomposé. Le fer oligiste en 
lames éclatantes enveloppe quelquefois des parties argileuses qui ont 
pris ; par l’action ignée de ces filons métalliques , l'aspect de fragmens 
de briques à pâte fine. Le granite de cette localité a la plus grande 
analogie avec celui de Plombiéres, il se réduit de même sous la 
pioche en sable: propre à la confection des mortiers ; les fissures qui 
le traversent sont aussi quelquefois enduites d’une substance blanche 
et onctueuse qui a de la ressemblance avec le savon minéral de 
Plombières. On remarquera que prés de là une source thermale , appelée 
Chaude-Fontaine vient sortir à la surface du terrain, et que non loin 
il existe encore une source ferrugineuse appellée la Sa/mate ou la 
Tioche. La présence du fer oligiste dans le granite est un fait très— 
commun dans les Vosges, surtout dans la région méridionale; ainsi 
parmi beaucoup d'autres localités on peut le citer à Gerbamont, 
Cornimont, Dommartin, Rupt, dans la vallée de Travexin, le mont 
de Fourche, à la Croisette, Xonviller, Faymont, etc., mais il n’y 
existe qu’en veines extrêmement minces et souvent interrompues, aussi 
son exploitation serait fort incertaine. Il est en lamelles lenticulaires 
brillantes formant quelquefois de jolis faisceaux cristallisés en rhom- 
boïdes, ou bien il est micacé , se divisant en écailles fines , onctueuses 
et s’attachant aux doigts. Rarement il est accompagné de quartz , mais 
quelquefois de manganèse pulvérulent. A Châtillon, commune du 
Valdajol, le fer oligiste n'a pas le même aspect: son éclat est peu 
métallique, il est mamelonné, à structure fibreuse et se séparant en 
aiguilles fines ; c’est Le fer oxidé rouge concrétionné de Hauy (kématite 
rouge) qui produit un fer de très-bonne qualité et qui est recherché 
pour faire les brunissoirs dont on se sert pour polir certains corps et 
en particulier les métaux. Les ouvriers de Plombières , si renommés 
par leurs jolis ouvrages en fer poli, trouveraient là de quoi s’approvi- 
sionner. Le fer oligiste en s’introduisant dans le granite y a occasionné 
des perturbations remarquables : cette roche est presque toujours dans 
une désagrégation plus ou moins avancée, et cet état est plus complet 
lorsque les veines sont plus nombreuses ou plus épaisses. Dans les 
travaux de M. Friry, à Reherrey, on voit dans le voisinage du fer 
oligiste de larges fissures, se terminant en coin, remplies de frag- 
mens angulaires de granite mélangés d'argile ; ces fragmens proviennent 
de la mêrne masse granitique, mais ils ne sont pas dans le même état 
de décomposition, L’injection du fer oligiste a du avoir lieu après le 


PREMIÈRE SECTION. 353 


dépôt du grès Vosgien, car on n’en voit aucune trace dans le grès 
bigarré, et il est à remarquer que dans les roches sédimentaires où 
il se trouve, ses cristaux sont bien moins développés que dans les 
roches d'origine pyrogène. 

Cette coïncidence de mêmes faits et de mêmes circonstances dans 
quatre localités différentes où existent des eaux thermales et minérales 
froides nous engage à dire quelques mots sut leur gisement. M. Rozet 
considère le groupe trappéen comme la région des eaux minérales 
et thermales et il ajoute: « que toutes celles qu'on voit sortir des 
> granites , des gnéiss et des autres roches feldspathiques (Plombiéres, 
> Bains, Luxeuil, Bade, etc.) en proviennent et sont élevées d'une 
> grande profondeur par la pression des fluides élastiques ; » ce qui 
porte cet observateur à émettre cette théorie, c’est que les fontaines 
minérales de Bussang sortent du trapp, ainsi que les eaux thermales 
de Badenwiiler (pays de Bade). Nous répondrons à cette opinion 
qu’il est reconnu que la roche de laquelle sortent les eaux acidules de: 
Bussang est un schiste de transition pénétré de filons éuritiques, et 
qu'il en est de même de celles de Badenwiller (le docteur Boué) ; 
mais quand même la roche de ces deux localités serait un trapp, 
peut-on inférer de là que cette roche doit étre la région des eaux 
minérales ? Il nous semble qu'il faut, à cette manière de voir, pour être 
étayée, un plus grand nombre d'observations. Puisque la science re 
connaît que les eaux minérales proviennent d'une grande profondeur , 
il est probable qu'elles arrivent à la surface de la terre aprés avoir 
traversé des massifs de granite, roche qu'elle reconnaît encore comme 
formant la base de l'édifice terrestre, sous laquelle il n'existe aucune 
autre roche, et qui entre pour trois quarts au moins dans les roches 
d’origine pyrogène qui forment notre planète; en effet la plupart 
des eaux minérales des Vosges sourdent du granite (Plombières , 
Bains, Chaudefontaine, Sultzbach, Saint-Dié, Laval, etc.), et s'il 
en est qui sortent du terrain de transition (Bussang), du grès Vosgien 
(Sultzmatt, Wattwiller), du grès bigarré (Luxeuil, Soultz-les-Bains, Nie_ 
derbronn) du muschelkalk (Bourbonne, Contréxéville) et du keuper 
(Saint-Vallier, Virine), ce n’est qu'après avoir traversé le massif in- 
férieur , le granite, qui d’ailleurs se montre non éloigné de quelques 
unes des localités citées. ; 

Nous ne mentionnons ici que des eaux minérales des Vosges , puisque 
ce travail est spécial à ces montagnes, mais si nous généralisions 
cette question nous trouverions certainement beaucoup plus de sources 
minérales et thermales sortant immédiatement du granite que d'autres 


45 


354 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


formations, disons seulement que la plupart des eaux minérales des 
Pyrénées sourdent du granite. Mais revenons à notre sujet, c'est-à- 
dire à la décomposition que les massifs granitiques présentent fré— 
quemment. 

Prés de Remiremont, les trayaux de la nouvelle route du Valdajol 
ont mis à découvert un filon de chaux fluatée d'un beau violet foncé, 
ses rameaux parcourent de même une masse de granite commun très- 
décomposé ; cette chaux fluatée est quelquefois mélangée avec les 
élémens constitutifs de cette roche à un tel point qu’elle semble être 
partie essentielle dans sa composition, elle est colorée en violet par 
le manganèse , en effet les fissures du granite, couvertes d'un enduit 
stéatiteux, présentent ce minéral à l'état d’oxide, soit terreux, soit 
formant de belles dendrites. Le même granite constitue toute la mon- 
tagne du Bosson; en suivant la route tracée sur ses flancs, on y re- 
connaît de nombreux filons feldspathiques et amphiboliques qui le 
pénètrent en s’y ramifant, ils ont fait éprouver à son massif la même 
altération et ont jeté de même dans ses fissures des vapeurs mragné- 
siennes et manganésiennes qui, s'y condensant , ont formé de la stéatite 
et du manganèse en dendrites. 

M. Voltz, inspecteur général des mines, a remarqué que des filons 
d'une certaine eurite micacée appelée Minette, nom donné à cette 
substance‘ par les mineurs du pays, avait la singulière propriété de 
désorganiser et de décomposer les roches dans lesquelles elle se 
trouve en filons, ainsi des calcaires et des schistes de transition à 
Schirmeck et à Framont sont modifiés par cette puissance, le granite 
qui forme les pentes orientales et occidentales du Champ-du-Feu doit 
son état d'arène à des filons de cette substance, injectés dans son 
massif. Le granite du Champ-du-Feu, principalement du côté de Barr, 
est en effet dans un état de décomposition telle, qu’il se désagrége 
sous les pieds, que les roues des voitures y tracent de profonds 
sillons, et les eaux pluviales de larges ravines. Ceite opinion d'un 
observateur expérimenté peut trouver de la contradiction dans d’au- 
tres faits analogues : ainsi près de Remiremont et dans d’autres lo- 
calités, des filons d’eurite micacée s'élèvent dans des massifs grani- 
tiques sans désorganiser la roche , il est bon de dire que cette eurite 
micacée a une diflérence minéralogique sensible avec celle appelée 
Minette , et il est probable que sa composition chimique n’est pas la 

à 
même. 

Il est encore d’autres causes à la décomposition du granite: l'in 
tempérie des saisons ; l'humidité et le séjour prolongé dans les eaux, 


PREMIÈRE SECTION. 355 


mais de nombreux faits détruisent encore cette opinion ou du moins 
en atténuent la vraisemblance , et cette cause ne peut s'appliquer que 
dans des détails fort minimes ; ainsi nous voyons tous les jours des 
granites mis à découvert dans des lacs, des étangs et des tourbières 
même , qui n’offrent aucune altération, des blocs erratiques dans les 
vallées et sur les montagnes, des granites en blocs roulés dans les 
alluvions anciennes, qui ne présentent aucune trace de désorganisation 
et paraissent même avoir contracté une plus grande cohésion. Nean- 
moins parmi ces bloës roulés il en est dans les alluvions qui se dé- 
composent , et qui, par le moindre choc, se divisent en arène, c’est 
sans doute parce que le: feldspath de certains graniles à, plus d’af- 
finité pour l'eau que d’autres feldspaths, cette différence venant de 
la potasse ou de la soude dont ils sont composés ; cette désagrégation 
est remarquable, elle s'opére de l'extérieur au centre par feuillets 
superficiels, à la manière des boules basaltiques, comme s'ils étaient 
formés. de couches concentriques. Il y a aussi des granites qui sont 
plus perméables à l'eau que d’autres ; ce sont ceux qui contiennent 
beaucoup de mica. Il n'est pas présumable que les masses granitiques 
de Plombières, de Bains, du Champ-du-Feu ;: etc., doivent leur dé- 
composition aux agens atmosphériques, celte action est beaucoup 
trop lente ; citons les observations de M. Becquerel à ce sujet : l’église 
de Notre-Dame de Limoges est bâtie en granite du Limousin, et elle 
a 400 ans. On sait que le granite de cette province se montre presque 
partout trés-profondément altéré, et celui qu'on a taillé pour la 
construction des murs de l’église se trouve déjà décomposé jusqu’à 
trois lignes et demie de profondeur dans les parties exposées aux actions 
atmosphériques , tandis qu'il est encore intact dans l'intérieur de 
l'église. Il est donc facile de calculer, pour le granite du Limousin, 
le temps nécessaire à sa décomposition. Or, dans les carrières ex 
ploitées aux environs de Limoges , on reconnaît,qne la décomposition 
a gagné jusqu'à six pieds et demi ou 720 lignes de profondeur , ce 
qui donnerait 82,000 ans! (Cours de M. Elie de Beaumont.) Du 
reste on conçoit qu'il est des circonstances dans lesquelles cette alté—. 
ration doit étre plus ou moins rapide ; en effet l'infiltration peut être- 
plus ou moins abondante dans certains cas. C’est cette action lente 
qui peut ‘avoir donné la forme arrondie que les montagnes granitiques 
des Vosges présentent généralement , mais ici combien il y a loin de 
cette espèce de décomposition à celle qui rend cette roche friable 
et arénacée, c'est plutôt une-sorte de nivellement des aspérités que 
les massifs granitiques ont dà présenter vers leur sommet, car la 


356 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


roche ne montre pas de désorganisation soit intérieure, soit su 
perficielle.. Nous avons remarqué que la siénite porphyroïde des ballons 
de Saint-Maurice et de Servance en massifs ou en blocs roulés se 
décomposait rarement, cette exception provient sans doute de l'am- 
phibole qui, cristallisée en longues aiguilles, donne à ces roches une 
plus grande cohésion, et qui, par l'entrelacement de ses cristaux 
retient les autres élémens avec lesquels elle est associée; cependant 
on apercoit dans les blocs isolés un relief souvent fortement prononcé, 
produit par les grands cristaux de feldspath qui distinguent ces 
roches, et qui quelquefois ont plus d’un pouce de longueur, ce 
relief dù à l’action de l'intempérie des saisons donne à ces blocs 
un aspect remarquable. 

M. Rozet a remarqué que le granite, le gneiss et le leptynite étaient 
assez profondément décomposés lorsqu'ils étaient recouverts par les 
couches du grès rouge ou du grès vosgien , et même par les alluvions 
anciennes : cette altération proviendrait des eaux plus ou moins acides 
dans lesquelles ces dépôts se sont formés, et qui par leur séjour sur 
les masses granitiques où gnéissiques, auraient corrodé leur surface; 
on peut trouver de bons exemples à cette théorie ingénieuse, à la 
Poïrie ct le long de la route de Docelles à Bruyères, mais elle pré- 
sente trop de faits contradictoires pour étre adoptée sans restric— 
tion. 

Il est encore un autre phénomène de modification que des filons 
de quartz ont seuls occasionné lors de leur éruption dans les roches 
granitiques des Vosges : au Valtin, le granite passe peu à peu à une 
protogyne par le changement de son mica en stéatite, c'est que des 
filons de quartz sont en contact avec lui. Mais on peut en quelque 
serte prendre la nature sur le fait et assister pour ainsi dire à la 
transformation de ces substances dans la vallée de Bramont prés la 
Bresse, où un filontde quartz assez puissant, s'élève ‘perpendiculai- 
rement dans un massif de granite sur une hauteur de plus de 200 mètres, 
Son épaisseur est à peu près égale dans l’espace qu’il parcourt, il a 
peu de ramifications , la montagne dépouillée de forêts le laisse aper— 
cevoir dans toute son étendue, et à une certaine distance il paraît 
être un torrent qui se précipite en bouillonnant. Les salbandes de ce 
filon sont une protogyne qui offre une épaisseur de 50 à 50 centi- 
mètres, et il contient lui-même des noyaux de stéatite verdâtre. A 
ces faits on peut ajouter celui du Brésouar, où le granite qui com- 
pose celte montagne passe insensiblement à une veritable protogyne, 
par la transformation de son mica en stéatite ; il est probable que 


+ 


PREMIÈRE SECTION. 357 


la cause de ce phénomène est l’éruption de plusieurs filons de ser- 
pentine près de là. + j 

Dans les environs de Remiremont , et aussi près d'Epinal, on voit 
dans le granite commun des changemens brusques sans aucune ap- 
parition de filons quartzeux ou feldspatiques, le mica est tout à coup 
altéré, il prend une fausse apparence de tale, ou bien il disparaît 
complètement; cette modification qui n'occupe qu’un espace de 4 à 
6 mètres au plus se fait remarquer ordinairement par une couleur 
ferrugineuse rougeâtre répandue dans cette limite. Ce phénomène sin- 
gulier peut étre observé d'une manière convenable au bois l'Abbesse, 
à la base du Saint-Mont ; nous disons d’une manière convenable parce 
que, situé au milieu d'une carrière en exploitation, on peut étudier 
son allure ct ses caractères minéralogiques et borner l’espace qu’il occupe 
dans le granite : on sait que dans les carrières granitiques, comme dans 
celles de roches sédimentaires, les ouvriers appellent Zts les divers systé- 
mes de fractures verticales qui se croisent par différens angles et dans 
des directions opposées, quelquefois une fracture conserve sa direction 
en mesurant quelques mètres sans être coupée par une autre , heureux 
alors l’ouvrier s'il sait la ménager , sa tâche pénible est bien allégée ! 
C’est justement dans un de ces lits conservé par l'ouvrier, parce qu’il 
présente une surface coupée verticalement sur une hauteur de 3 à 
#4 mètres, que l’on peut observer le changement brusque opéré dans 
la matière granitique, ce lit, dont il est difficile de mesurer l'épaisseur 
parce qu'une partie paralléle en a déjà été enlevée, se dirige de 
l’est à l'ouest et l’altération produite n'existe que sur un espace de 
deux mêtres, ce qu'il y à de singulier dans ce phénomène c’est qu'une 
fracture opposée qui se dirige du nord au sud, qui aussi est coupée 
verticalement sur une hauteur de deux mêtres et qui vient s'appuyer 
sur la limite de l’altération granitique, n’est nullement atteinte par 
l'action désorganisatrice qui à modifié l’autre fracture, seulement sa 
surface est couverte d’un vernis stéatiteux et de’trace de manganèse. 
Aïnsi donc, cette modification du granite n'existe que dans une 
seule fracture , et son influence s'est à peine fait sentir sur les fractures 
voisines ; vue de quelque distance elle paraît être un filon euritique 
à cause de sa couleur fortement ferrugineuse rouge qui la distingue 
de la masse granitique , mais de près on reconnaît un granite modifié 
dont le mica altéré a souvent une apparente talqueuse, et dont le 
feldspath blanchâtre est passé au kaolin ;*+la couleur rougeâtre est 
vague dans l’intérieur, mais elle est intense dans les fissures où elle 
tache fortement les doigts et où elle forme quelquefois un enduit 


* 


358 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


épais , sableux, gras au toucher, qui se pétrit dans la main et qui 
dégage par l’insufllation une odeur argileuse ; parfois les surfaces de 
ces fissures sont cellulaires, mais on reconnait que ces cellules sont 
dues à des cristaux de feldspath et de mica détruits. Le granite en— 
vironnant ne passe pas promplement à cette altération , le passage 
est au contraire insensible et gradué. Nous devons dire aussi qu'à 
quelques pas de là un dicke d’eurite micacée s'élève dans le granite, 
mais que la roche encaissante n'en est nullement altérée. Pour ex- 
pliquer la cause qui a produit ces phénomènes intéressans , ne vient-il 
pas à la pensée de la rechercher dans une action analogue à celle 
qui a occasionné les salses et les volcans d’air qui existent encore 
dans quelques contrées et qui dégagent des matières argileuses, de 
la vapeur d’eau et des exhalaisons gazeuses ? Il est encore à présumer 
que cette action a été sous-marine, car c’est au moyen d’une forte 
pression que l'on peut se rendre compte de cette disposition par- 
ticulière de l’action modifiante, de cette docilité, si l’on peut s'ex- 
primer ainsi, à rester dans des limites aussi étroites et tracées si 
régulièrement... La compressibilité de l’eau a été d’autant plus forte à 
sa base qu'il existait probablement une grande profondeur , ajoutons- 
y encore sa pesanteur spécifique et nous aurons une pression énorme 
qui pourra tenir en respect les mouvemens intérieurs d’une éruption 
gazeuse. Aü reste nous donnons cette explication pour ce qu'elle 
veut, nous ne prétendons pas qu'elle soit la seule fondée, mais les 
observateurs qui sont animés de scepticisme verront du moins dans 
ces faits un caractère spécieux. La montagne du Parmont, à l'ouest 
de Remiremont, présente encore un phénomène semblable mais plus 
en grand: l’altération du granite commun qui la constitue n'existe 
que dans la partie nord. C’est une masse en décomposition, pénétrée 
intimement de stéatite et d’une matière argilo-ferrugineuse et où fré-— 
quemment ses -élémens constitutifs ne peuvent étre reconnus tant 
l’action modifiante les a confondus. On remarquera que sur le revers 
opposé, le granite est doué de toute sa force de cristallisation , que 
dans la partie en décomposition , il y a un grand nombre de sources qui 
fournissent à la ville de Remiremont une eau excellente, et que non 
loin de là, au Buisson-Ardent, il est encore un dike d’eurite micacée 
qui s'élève dans le granite sans le modifier. Une matière ferrugineuse 
analogue qui tache fortement les doigts, s'observe aussi dans un 
grand nombre de localités granitiques et leptynitiques (Cleurie , Saint 
Amé, Saut-de-la-Cuve, Xennois , Eloyes, etc.); quoiqu’elle ne soit 
pas accompagnée des mêmes perturbations , nous sommes portés à 


PREMIÈRE SECTION. 359 


lui croire une même origine que celle mentionnée ci-dessus, car ül 
n'est pas probable qu'elle est due à une coloration d’un liquide, 
analogue à celui qui a coloré les grès rouges et les grès vosgiens. Ces 
divers faits nous portent à croire que la protogyne n’est: qu'une mo 
dification du granite, modification produite par des émanations gazeuses, 

Nous ne pouvons omettre de dire que les Vosges offrent encore 
une autre variété de protogyne qui est à base de feldspath compacte 
un peu laminaire, d'un rouge de brique parsemé soit de chlorite 
soit de’stéatite verdâtre ou jaunâtre disséminés assez régulièrement ; 
elle’se présente en filons de 3 à 5 mètres de puissance dans le granite 
des vallées du Tholy , de Feutières et du Chaud-Côté; situés’ à peu 
de distance l’un de l’autre , mais séparés par le massif du Gris-Mouton 4 
ils montrent des caractères assez particuliers pour me les faire con- 
sidérer comme indépendans. 

Il est fort étonnant que ces roches, où des minéraux magnésiens 
entrent comme parties caractéristiques , se trouvent justement dans le 
voisinage de plusieurs masses très-puissantes de serpentine si riche en 
magnésie ; ne pourrait-on pas croire que ces protogynes sont aussi 
des eurites dont le mica est modifié, ou bien que ces roches sont 
simplement des eurites ayant , comme parties accessoires, de la stéatite 
apportée par l'éruption des serpentines, comme elle en a déja jeté 
d’une manière si remarquable dans les fissures du leptynite et du 
granite. Nous laissons cette question à décider aux observateurs plus 
expérimentés que nous , nous nous ‘contentons de signaler ces faits 
ct d'appeler sur eux leur attention; mais le résultat de’ leurs ‘ob-- 
servations tendra à considérer la : protogyne des Vosges comme une 
modification d'un granite, produite par cas fortuit, -ou quelquefois 
comme uñe variété d’eurite-et ne:constituant pes une formation in 
dépendante. 

Il est encore dans les Vosges d'autres filons de quartz qui n'ont 
pas apporté avec eux une puissance désorganisatrice ou modificative 
comme ceux dont nous venons de parler, ils pourräient bien étre 
d’une époque antérieure à ceux-là, car ils offrent de grandes diffé- 
rences minéralogiques. Ils sont en ramifications dans le ‘gneiïss ‘et le 
leptynite qu'ils n’ont aucunement altérés, ils contiennent du feldspath 
rose lamellaire et de grandes lames de mica argentin. La matière prin- 
cipale de ces filons est un quartz blanc hyalin limpide, quelques-unes 
de leurs parties, par l'absence du mica, présentent tous les caractères 
de véritables pegmatites, et même quelquefois le quartz, par sa dis- 
position , rappelle la variété de cette roche nommée graphique. Nous 


360 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


avons élé à même d'observer en 4836 la pegmatite de Marmagne 
et de Saint-Symphorien (Saône-et-Loire), nous avons acquis la cer— 
titude qu’elle était un accident des nombreux filons de quartz qui 
s'observent dans le granite et le gneiss de ces localités; nous ne 
considérons aussi ceux des Vosges que comme des filons de quartz 
qui pourraient être rapprochés de l’Ayalomicte s'ils se trouvaient en 
plus grandes masses dans les roches, mais ils ne se ramifient qu’en 
filons de peu de puissance et qu'en veines déliées; une analogie 
de plus qu'ils offrent avec ceux des montagnes de la Bourgogne, 
c'est qu'ils renferment de grandes aiguilles de tourmaline et de la 
stéatite verdâtre. On remarquera que cette espèce de filons quartzeux 
ne se trouve pas en ramifications dans le granite commun des Vosges, 
du moins nous ne l'y avons pas encore vue ; celte exception ne serait- 
elle pas encore en faveur de la séparation de cette roche de la for 
mation leptynitique ? 

Un fait digne de remarque, qui n’a pas encore été signalé et qui 
peut aussi appuyer la séparation du leptynite du granite, c'est que 
nous n'avons pas vu pénétrer dans la première roche des filons feld- 
spathiques ou amphiboliques, nous avons déjà dit que nous ne re— 
gardons pas les roches à amphibole de Ranfaing et de l'étang de 
Fondromé comme de véritables diorites, mais comme des leptynites 
siénitiques. En attirant l'attention sur cette exception, nous ne pré— 
tendons pas en faire une règle générale ni donner à entendre que 
ces filons ne peuvent pas avoir accès dans le leptynite, car ce serait 
présumer que cette roche est d’une époque postérieure à leur érup- 
tion ; nous voulons seulement faire observer que tous les filons d’eu-— 
rite, que l’on rencontre dans les contrées où le leptynite occupe une 
certaine surface, ne sont injectés que dans le granite. C’est un fait 
assez remarquable que cette affection des filons euritiques pour une 
roche, et l'éloignement qu'ils témoignent pour l'autre, nous n’en 
concevons pas la cause, aussi nous ne le mentionnons que comme 
une bizarrerie sans y attacher d'importance, et qui demande à être 
vérifié de nouveau. 

Prés de Gérardmer, sur la route de Rochesson, le granite, en se 
privant de son mica, offre tout-à-coup une véritable pegmatite : nous 
présumons que des faits semblables se rencontrent aussi dans d’autres 
parties des Vosges, et nous ayons encore yu le même accident dans 
le granite de Couches (Saône-et-Loire). Enfin la roche appelée peg— 
matite de Raon-l'Etape a tous les caractères d’un véritable granite 
où le mica serait peu abondant ; cette roche, employée à la confec- 


PREMIÈRE SECTION. 564 


tion des meules, a une fausse apparence de stratification remarquable ; 
‘si les élémens qui la composent n'étaient pas aussi cristallisés, et si 
sa puissance n'était pas aussi grande sans varier d'aspect, on serait 
tenté de regarder cette roche comme une arkose. Un granite d’une 
identité minéralogique frappante avec la roche de Raon-l’Etape existe 
au Valtin et à la Bresse. La pegmatite dans les Vosges appartient donc 
aux roches granitiques dont elle ne serait qu'un accident ou une va— 
riété ; elle pourrait aussi être regardée comme un cas fortuit des filons 
de quartz en ramifications dans le gneiss et le leptynite. 


DES ROCHES EN FILONS. 


Nous devrions décrire ici quelques roches en filons, telles que des 
diorites, des amphibolites, des eurites, des porphyres, des trapps, 
des serpentines et des cipolins, mais comme le but de ce travail n’est 
pas de donner une description générale de toutes les roches qui com- 
posent le système des Vosges, mais seulement de faire connaître les 
métamorphoses ou les modifications survenues dans les masses et dans 
les couches les plus importantes, en raison des circohstances où elles 
se sont trouvées ; nous renvoyons donc aux ouvrages de MM. Rozet 
et Hogard qui donnent de précieux renseignemens sur toutes les 
roches des Vosges. Les observateurs qui n'ont pas encore visité ces 
montagnes ne peuvent pas se servir de meilleurs guides. Les roches 
en filons que nous venons de nommer ne présentent pas de modifi- 
cations bien remarquables, sauf quelques rares décompositions ou 
altérations, on en reconnaît presque toujours la cause dans la su- 
perposition de couches sédimentaires ou d’alluvions, car la roche 
encaissante est elle-même altérée ; c'est aussi dans les surfaces exposées 
à l'air, surtout lorsqu'elles sont en blocs roulés, qu’elles présentent 
une altération sensible, mais qui n’atteint qu'une épaisseur de deux 
ou trois millimètres ; c'est principalement dans les roches où l’amphi- 
bole domine que ce changement d'état est digne d’être remarqué, 
parce qu'elles offrent une surface blanche ou d'un blanc verditre. 
On concoit que ces roches ne peuvent pas présenter de métamorphoses 
bien apparentes, puisque ce sont elles qui les ont fait éprouver aux 
massifs dans lesquels elles sont injectées ; quelquefois méme il est 
arrivé qu'un filon trappéen est venu faire son éruption au milieu d'un 
filon de roche feldspathique, cet entrecroisement ou cet accolement 
de filons est assez fréquent : ainsi dans le granite à Balverche, vers 
Retournemer, on voit une eurite compacte, rose, unie à un trapp; 
dans le granite du Rotabac, c'est une eurite granitoïde intimement 


46 


362 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


liée à un filon de trapp; à la côte d’Urbey et dans les vallées qui 
avoisinent les Ballons, l’eurite est associée au trapp où à la diorite 
et réciproquement, on ne voit pas si l’une de ces roches a fait 
éprouver une modification à l’autre, au reste je ne crois pas qu’un 
trapp en fusion modificrait sensiblement une eurite, il ne pourrait 
que lui donner plus de dureté, plus de compacité, ou une texture 
demi-vitrée, c’est justement ce qu’on observe lorsqu'il y à entre— 
croisement <é filons. 

Nous avons dans les Vosges des brèches euritiques et dioritiques 
dont nous n’entreprendrons pas de discuter la formation. Des théoriciens 
expérimentés ont tenté d'approfondir cette question, ils ont proposé 
des idées plus où moins ingénieuses , sans arriver à une méthode ra- 
tionnelle, c'est que le champ des hypothèses est si vaste que l’on 
s'y égare souvent; mais si nous ne pouvons traiter une discussion 
aussi délicate, rien ne nous empéche d’en donner une description 
géologique et minéralogique. Les travaux de la nouvelle route de 
Saales à Schirmeck, près du pont des Bats, ont mis à découvert 
un dike de quelques mètres d'épaisseur qui s'élève dans le granite, 
sa roche a une apparence bréchiforme remarquable , les fragmens an- 
guleux qui la caractérisent sont trappéens tandis que son ciment grisätre 
est euritique, elle est pénétrée de chaux carbonatée blanche, tellement 
répandue dans sa masse qu'elle semble étre là comme partie cons- 
tituante. Au ballon de Giromagny , une brèche appelée variolitique 
est à pâte pétro-siliceuse verte , et à fragmens trappéens ou dioritiques. 
À Saint-Maurice , aux Neuf-Bois et le long de la côte d'Urbey, on 
rencontre fréquemment de gros blocs de diorite variolitique ou de 
brèche dioritique dont la pâte est une dicrite verdätre contenant des 
fragmens anguleux de trapp et des petits nids d’épidote et du fer 
pyriteux cristallisé. Ces brèches offrent cette particularité que les 
fragmens anguleux qui les caractérisent sont à un degré extrême ma- 
gnétique, tandis que le ciment qui les unit ne l’est pas du tout; 
c'est principalement dans celle de la vallée de la Brusche que cette 
propriété magnétique est à remarquer, aussi nous n’hésitons pas à 
regarder ses fragmens comme des trapps , non -seulement à cause qu’ils 
ont de l’action sur le barreau aimanté, mais parce qu'ils présentent 
encore tous les autres caractères minéralogiques que l’on donne à cette 
roche. Nous devons dire cependant que les caractères qui distinguent 
les trapps sont bien arbitraires , car jusqu'ici la nature de cette roche 
est pour ainsi dire inconnue , ilen existe cependant beaucoup d'analyses, 
mais elles peuvent autant se rapporter à des eurites, à des diorites 


PREMIÈRE SECTION... 363 


et. même à des basaltes qu'a des trapps; c’est ce qui fait que l’on 
pr réduit à caractériser cette roche par le faciès, mais il résulte de 
là que personne ne peut s'entendre, et que souvent on applique ce 
nom à une roche tout-à-fait au hasard, ou sur des soupcons plus ou 
moins fondés. Chaque observateur s’est toujours bien entendu , mais il 
ne s’est. pas fait comprendre. Il ne m'’appartient pas de donner une 
règle certaine servant de caractères irvariables au trapp, elle doit 
être nécessairement imposée par les maîtres de la science, mais dans 
cet état d'incertitude nous proposons un moyen qui peut quelquefois 
conduire à en sortir: c’est le barreau aimanté; les réactifs, dans ce 
cas , ainsi que le chalumeau , n'offrant que des secours bien insuffisans. 
Un ancien géologue, Faujas de Saint-Fond, qui a essayé de donner 
une histoire des trapps, fondait sur leur nroprété attractive un 
caractère concluant, nous n’y ajoutons cependant qu’une importance 
secondaire, car si la plupart des trapps des Vosges jouissent de 
la propriété magnétique , il est aussi des porphyres, des eurites, 
des diorites et même une serpentine qui sont attrables à l’aimant. 
M, Rozet considère le trapp comme la roche la plus inférieure ct 
la dernière sortie des entrailles de la terre, il nous semble assez 
difficile de résoudre une question semblable lorsque l’on voit dans 
les Vosges cette roche associée avec des eurites compactes et des 
diorites compactes, se mélanger avec ces deux roches et passer de 
l’une à l’autre par des nuances tellement insensibles qu'il n’est pas 
possible de fixer leurs limites , il y a non-seulement mélange de 
couleurs mais aussi mélange de matières ; cette question nous semble 
encore bien plus incertaine lorsque nous voyons des bréches euritiques 
et dioritiques à fragmens anguleux de trapp. Ne pourrait-on pas croire 
que ces roches compactes ont fait leur éruption à la même époque, 
réunies deux à deux, trois à trois ou bien séparément, car elles se 
présentent aussi fréquemment isolées. Cette idée à laquelle nous n'at- 
tachons pas la moindre importance , parce qu'elle n'est basée que 
sur des conjectures , ne pourrait s'appliquer qu’à des roches de même 
couleur, de même compacité, de même aspect et se mélangeant 
entr'elles, mais de nature différente ; car on reconnaîtra toujours deux 
époques d'éruption dans, les filons de Balverche et du Rotabac, 
dont il a été question plus. haut. 

Quelques observateurs n'admettent pas la théorie des métamorphoses 
et des modifications par des agens pyrogènes, parce qu'il est dans 
la nature beaucoup de filons de roches feldspathiques où amphiboliques 
qui n'ont agi en aucune maniere sur les masses encaissantes ou en- 


364 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


vironnantes : dans la discussion de cette question, qui est appelée 
à jouer un grand rôle dans l’histoire de la terre, il ne faut pas 
perdre de vue que les filons se sont introduits , dans les roches stra- 
üfiées et dans les roches plus anciennes, de deux manières: la pre- 
miére à l’état de fusion ignée et la seconde à l’état solide et refroïdi. 

Dans le premier cas on conçoit que si la matière des filons est 
en fusion et fluide elle pénétrera et se ramifiera dans les fentes étroites 
produites par cette secousse violente, et que cette projection a été 
accompagnée de vapeurs minérales et désorganisatrices. Dans le second 
cas, on comprend que si la roche s’est élevée à l'état solide et re— 
froidi et d’un seul jet, la masse encaissante a dù échapper à la mo- 
dification. * 

Nous avons dans les Vosges une foule d'exemples de cette seconde 
espèce d’intuition de filons ; il est important de citer les cas les plus re- 
marquables : prenons d’abord une roche dont la modification est presque 
toujours admise par l’action d’une éruption plutonique : un carbonate de 
chaux qui devient dolomitique au contact d’une roche pyrogène : ainsi 
le cipolin du Chipal qui est traversé par un dike d’eurite granitoïde , 
formé d’un seul jet sans ramification , n'a pas éprouvé la moindre 
altération par cette puissance, seulement de la stéatite semble aflec- 
tionner le contact euritique ; quelques minéraux s'y rencontrent, c’est 
du quartz, du feldspath, du fer oxidulé, de la condrodite, etc., 
mais ils sont contemporains du calcaire et non apportés par le filon 
curitique. On sait que ces calcaires , qui se présentent en masses trans- 
versales , en véritables filons dans le gneiss, sont des roches d’origine 
ignée ; il est probable que leur structure cristalline et lamellaire , ainsi 
que l'odeur fortement bitumineuse que celui de Laveline dégage par 
le choc, est due à l’influence des phénomènes qui ent accompagné la 
sortie de leurs masses. 

Citons encore de préférence, comme exemple de filons qui ont été 
poussés après leur consolidation, le dike euritique de Ranfaing , si 
remarquable par son allure franche et son épaisseur invariable, qui 
s'élève dans un granite à petits grains sans y occasionner aucune 
modification : il en est de même des filons d’eurite granitoiïde du 
Saut-du-Bouchot, du Saut-des-Cuves, de la Roche-des-Ducs, de la 
route de Rochesson à Gérardmer, de la vallée de la Brusche, etc., 
qui sont encaissés dans le granite sans aucune ramification et formant 
des lignes de partage droites et verticales. Les plans de contact de 
ces filons sont ordinairement trés-réguliers ainsi que ceux des roches 
encaissantes, mais il arrive souvent qu'ils sont polis ou frottés et 


PREMIÈRE SECTION. 365 


que leur surface est décolorée ; cette espèce de poli est dù aux glisse- 
mens et aux frictions produits lorsqu'ils ont été poussés dans la roche 
qui les recèle. 

Enfin les eurites compactes roses de la base du Saint-Mont et de 
la forge du Blanc-Meurger , dans la vallée de la Sémouze, sont encore 
des filons qui se sont élevés dans le granite d’un seul jet sans ramifica- 
tion. Ces roches ont une structure particulière qui leur a fait donner 
le nom d’eurite ligniforme , parce que se divisant irrégulièrement et 
paraissant formées de couches minces et appliquées les unes contre les 
autres , elles ont l’aspect de bois; cette structure, pour ainsi dire 
schistoïde , a des analogues dans beaucoup d’eurites compactes des 
Vosges , mais nous ne connaissons pas de trapps avec une structure 
semblable. 

Les ophiolites où serpentines, qui forment dans le leptynite des 
amas subordonnés, sont peut-être sorties du sein de la terre à 
l'état pâteux ou boueux: les larges fissures entrelacées, quelquefois 
quadrangulaires , que présentent les surfaces exposées à l'air, donnent 
l'idée d’un retrait que cette roche aurait éprouvé en séchant, et le 
vaste massif de Sainte-Sabine représente assez bien une coulée dont 
le foyer d’éruption ou cratère , situé au sommet, serait comblé. 

Leur injection dans le leptynite n'est signalée par aucune altération, 
seulement de la stéatite qui remplit fréquemment ses fissures a pu 
être apportée par cette roche magnésienne ; à Sainte-Sabine de nom- 
breux blocs angulaires et à arêtes vives de leptynite sont rejetés à 
droïte et à gauche et même portés au sommet de ce massif. La 
cause d’un pareil bouleversement est évidemment due à la force de 
l'injection , mais il ne traverse pas le grès Vosgien , nous l'avons déjà 
dit en parlant de ce terrain. On ne voit aucune roche superposée 
aux serpentines des Vosges , aussi leur âge est-il trés-douteux , on re- 
garde les cipolins comme appartenant à la même époque , nous ne 
voyons pas quels rapports on peut établir entre ces deux roches, 
elles se présentent, il est vrai, toutes deux en amas et ont un gise- 
ment à peu près identique, mais si l'on ne rencontre pas de leurs 
débris dans le grés rouge et dans le grès vosgien, on ne peut, par 
ce seul fait, les considérer comme postérieurs à la formation de ces 
deux dépôts : il est présumable, nous l'avons déja dit, qu'elles ont 
été détruites par le roulis des matières plus dures que ces deux roches, 
ou altérées et dissoutes par les eaux acides qui ont déposé ces grès. 
La serpentine se décompose assez facilement à l’air, elle a alors une 
couleur ocreuse trés-proncncée, et il est à présumer que celle qui 


366 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


se trouve près du village d'Eloyes, au niveau de la Moselle, doit 
son altération aux eaux de cette rivière ou à l'alluvion de la vallée. 
Les grains ou pois ferrugineux et magnésiens qui sont disséminés 
dans sa pâte, résistent davantage aux actions atmosphériques ; on 
les voit former un relief rugueux d’un aspect bizarre que l’on ne 
peut mieux comparer qu'a des boutons de petite-vérole répandus 
en grand nombre sur le visage d'un individu. La serpentine est une 
roche compacte, brune et verdâtre, à pâte fine sans aucune cristal- 
lisation ou granulation apparente ; elle contient un tiers de magnésie, 
et elle renferme, disséminés ou en veines, ou en enduits dans ses 
fissures : du mica, dela diallage, de la stéatite compacte et fibreuse, 
de l'asbeste, de lamphibole trémolite, de la magnésie hydratée 
et carbonatée, de la chaux carbonatée, du fer chromaté, du. fe: 
oligiste, etc. Au Goujot, on distingue une variété de serpentine ap— 
pelée prkrolite : elle est en veines de peu d'épaisseur, d’un vert 
glauque, à cassure fine et esquilleuse; elle est plus dure que l’ophio- 
lite. La serpentine de Neyront jouit de la propriété magnétique, elle 
a en outre le magnétisme polaire, comme certains basaltes, c’est la 
seule des serpentines des Vosges qui soit attirable à l’aimant; cette 
faculté est probablement due à du fer magnétique qui entre dans sa 
composition. La serpentine du Goujot et les cipolins du Chipal et de 
Laveline sont employés comme marbres qui sont quelquefois du plus 
joli effet. 

L'examen auquel nous venons de nous livrer sur les diverses roches 
qui, dans le système des Vosges, présentent des modifications et des 
métamorphoses, peut répondre en partie aux questions sur ce sujet, 
proposées dans la section géologique du Congrès, mais nous recon— 
naissons qu'il ne faut pas donner à cette théorie une trop grande 
étendue, car si l’on en abusait on tomberait bien vite dans les plus 
graves erreurs. Cette revue nous a conduit à faire connaître des roches 
que l’on considère généralement comme des formations indépendantes 
et qui ne sont dans les Vosges que des accidens produits par cas for- 
tuits. En mentionnant ces faits nous engageons les observateurs à 
étudier les mêmes roches dans d’autres contrées, et à suivre un genre 
d'investigation qui peut les conduire à la découverte de précieux 
renseignemens pour l’histoire de la terre, mais ils auront soin de ne 
_pas trop généraliser les faits, car ilest bien possible qu'ils soient plus 
ou moins particuliers aux Vosges. Nous avons cru devoir accompagner 
les faits cités de quelques considérations générales et succinctes sur 
es formations qui composent le système des Vosges afin de donner 


PREMIÈRE SECTION. 367 


une idée plus complète de la manière d'être de leurs roches, quoique 
l'ouvrage de M. Hogard ne laisse rien à désirer sous ce rapport, aussi 
est-il accueilli avec intérêt. è 

Notre travail est le résultat d'observations scrupuleuses , sou— 
vent revues plusieurs fois dans des courses fréquemment faites avec 
M. le docteur Mougeot dont l'amitié nous est si précieuse et qui a 
guidé nos premiers pas dans la science ; nous ne prétendons pas 
cependant l’associer à la responsabilité que quelques idées un peu 
hardies pourraient nous faire encourir, mais si elles obtiennent quelque 
faveur, à lui revient la louange qu’elles mériteraient ; si au contraire 
elles sont regardées comme des rêveries sans fondement, c’est à nous 
qu’en reviendra le blime. 


568 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


ORDRE DE SUPERPOSITION 


DES 


TERRAINS DE LA SICILE, 


DISPOSÉ PAR LE PROFESSEUR 


CHARLES GEMMELLAR O *. 


La Sicile, dans son côté oriental, n'est séparée des terrains de la 
Calabre que par un vallon appelé Détroit de Messine. Dans quelques 
parties des montagnes au-delà du Peloro, les terrains primitifs et 
de transition sont en rapport parfait avec ceux de la Calabre ; pour 
le reste, les formations de la Sicile paraissent indépendantes de 
celles du continent. 

Pour en donner un apercu succinct, on peut commencer par les 
roches les plus modernes, et parmi celles-ci, il paraît que le premier 
banc touche aux courans actuels de l’Etna. 

4° Elles proviennent des flancs du volcan, et couvrent non-seule- 
ment les feux récens des terrains de transport, mais encore le 
terreau ordinaire et celui des forêts. La roche dont elles sont formées 
est pyroxénique et semble provenir du basalte. Les courans de l'Etna 
occupent presque enlièrement tous les bords de la montagne. 

90 Le terrain alluvial de Sicile est de nature différente en raison 
des terrains divers dont il provient: de sable siliceux et de masses 
roulées de roches primitives et de transition sur toute la surface de 


* Cette notice de M. Gemmellaro, professeur d'histoire naturelle à Catane, a été traduite 
de l'italien, par M. Poncot, membre du Congrès et de la société d'histoire naturelle du 
département de la Moselle. 


PREMIÈRE SECTION. 369 


la vallée de Messine; de bitume calcaire et argileux dans tout le 
reste des terrains bas de l'ile , et sur toute la surface de son littoral. 

3° Le terrain diluvial est également commun. Cependant celui qui 
se caractérise par des blocs erratiques ne l’est pas autant. On en voit 
une forte partie couverte de gros blocs aux bords des collines qui 
forment le talus de la montagne de Centorbe vers le midi. 

4° Calcaire nymphéen. — Celui qui appartient à la période moderne 
se réduit à des tufs, de l'albâtre et des stalactites, dont les grottes 
de terrains calcaires abondent ; mais celui qui appartient à la période 
tertiaire se trouve en formation bien déterminée dans les environs de 
Paléone et forme évidemment un bassin où il prédomine. Il n'est pas 
aussi abondant en coquillages d’eau douce que celui qui ayoisine Spacca- 
forno. Le calcaire nymphéen n'est rare ni dans les plaines d'Avyola ni 
dans les autres sites bas de la Sicile. 

5° L’arénaire d’Aidone est une formation étendue qui traverse presque 
entiérement la Sicile du nord au sud, et couvre les formations calcaires 
de période tertiaire, Elle est stérile, contient des twrritelles, des buccins, 
des mitres, et autres restes organiques marins. 

6° La brèche calcaire de Syracuse, Augusta , Agrigente, etc., est 
le plus récent des calcaires tertiaires. Elle est formée de débris or- 
ganiques marins , d’astrées , de caryophillées, de madrépores et d’une 
immense quantité de coquillages , et plus particuliérement du cardium 
tuberculatum et du cerithium vulgatum. Sur quelques points, le 
bitume est si EU y distingue à peine les restes organiques ; 
mais ici en revanche les squelettes de poissons sont bien conservés. 

7° Le grès et l'argile des coteaux d'Aderno et des environs de 
l'Etna forment le terrain où l'on peut établir l'horizon géognostique 
du yrai basalte en Sicile. Cette roche pyrogénique se rencontre ici 
en groupes au travers des collines d’Aci-Castello, de Trezia, de Val- 
corrente, Scala, etc.; et avant ce terrain, le basalte ne se trouve 
supérieur à nulle autre des roches mentionnées jusqu’à présent. 

8° Le calcaire pectinifère et ostracifére du val de Mazzara et partie 
du val de Noto, occupe une place considérable parmi les terrains 
de Sicile. Souvent cependant il se confond facilement avec la brèche 
d'Agrigente et d'Augusta, mais partout où ces deux roches sont en 
point de contact, comme dans les environs de Caltanisetta , le pec- 
tinifére est inférieur à la bréche. 

9° L'arénaire du val de Noto couvre d'ordinaire le calcaire Ibléen 
comme dans toutes les places de volcans éteints; et dans ce calcaire , 

* ainsi que dans le pectinifére , le basalte s'observe quelquefois en couches 


47 


370 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


alternantes; et jamais on ne le voit inférieur aux formations antérieures 
aux deux indiquées. | 

40° Roche et soufre. — Roches principales de la grande formation 
de l'argile bleue du val de Mazzara. 

41° Formation de l’argile bleue qui occupe la majeure partie du 
terrain tertiaire du val de Mazzara, et autres terrains bas de Sicile. 
Elle comprend les trois précédentes roches, n° 8, 9 et 19, et se 
distingue principalement de l'argile bleue de M. Daubeny. Le sel et 
le lignite y sont cependant communs, 

12° Le calcaire Ibléen du val de Noto est une formation indépen- 
dante, que l’on peut considérer comme la plus ancienne de toute la 
période tertiaire de Sicile. Dans les terrains creux de la partie oc 
cidentale , cette même argile bleue forme la couche supérieure; et 
les autres calcaires n°° 6, 8 et Ibléen , y forment constamment le gise- 
ment supérieur. 

La formation jurassique en Sicile, bien que fotr étendue et très 
importante, n’a été reconnue que depuis peu, par suite de nos ob— 
‘servations. Les quatre roches du plan supérieur sont décrites. Le plan 
moyen n’en offre que deux ; et jusqu’à présent, on n’en connaît qu’une 
au plan inferieur. 

43° Le calcaire oolitique de Troina, correspond au Portland-stone 
du type normal d'Angleterre. 

44° L’argile schisteuse de Pretraoolite près de Tauromina, se rap- 
porte au ÆAimmeridje-clay. 

45° Le calcaire corallique à nummulites de LE , de Judica, 
de Matonia, au Coral-clay. 

46° La marne blanche des Jardins et de Tauromina, à l'Oxford-clay. 

47° Le calcaire du théâtre de Tauromina et de la grande partie 
des montagnes de cette formation en Sicile, et principalement celles 
qui sont autour de Palerme, correspond au Cornbrash. 

48° Le calcaire marneux bleu et rouge à bélemnites et ammonites, 
au forest marble. 

49 Le calcaire gris à entroques de Tauromina et du plan inférieur 
des montagnes de Palerme , représente le plan inférieur d'Angleterre , 
correspondant à l'oolite inférieure. 

Entre la formation jurassique et celle de transition, les terrains 
liasiques et keupériques ont été peu étudiés; mais nous avons re— 
connu le terrain anthracifère dans le gisement des roches qui se mélent 
au terrain jurassique de Tauromina et celui de transition d'Aci. Ce 


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PREMIERE SECTION. 374 


20° Le calschiste de Latojannt au levant de Tauromina. 

24° Le schiste charboneux de Saint-Alessio , Villa fiorita et Limina. 

22° Le grès rouge ancien de Limina, et le grès carbonifère de 
Calyaruso. 

23° La grauwacke de Limina. 

24° L'ampélite avec alunite de Rocca-Allumiera près d’Aci. 

Viennent immédiatement les roches suivantes de transition : 

25° Le calcaire de transition d’Aci. 

26° La grauwacke d’Aci à pâte de schiste argileux rouge. 

27° Le schiste argileux d'Aci, qui se trouve dans la roche calcaire 
de transition et dans celle de même nature de Scaletta. 

28° Calcaire de transition de Scaletta. 

Les roches primitives des montagnes Peloritaines ne sont pas bien 
caractérisées comme telles, et pourraient en certains points se rap— 
porter à la transition, savoir : 

29° La grande formation du schiste micacé des montagnes Pelori- 
taines , et celle du gneiss des montagnes de Messine. 

30° Dans cette dernière roche on trouve en filons le calcaire saccha— 
roïde à la Scala près Messine ; à Savarella près Calvaruso ; à Santa- 
Lucia près Melazzo , etc. 

On trouve un poudingue à gros élémens, erratiquement répandu 
parmi les roches de la formation jurassique de transition et primitive. 
Les masses roulées qu’il contient sont de granit, de porphyre rouge 
ou vert, de siénite, de grès rouge, de gneiss, de micaschiste, etc. 
Mais aucun morceau , autant qu'on a pu l’observer , n'appartient aux 
roches de Sicile. 


379 MÉMOIRES ET Piftss. 


DEUXIÈME SECTION. 


MOYENS 


DE DIRIGER 


L'ESPRIT ET LES ÉTUDES DE LA JEUNESSE 


VERS L'AGRICULTURE ; 


Par le Docteur LAHALLE, de Blamont. 


Tant qu'une éducation premiére fondée sur de bonnes bases, 
ne sera point introduite dans les campages, on ne pourra 
espérer de perfectionnement complet en agriculture. 


(BOSG. Diet. d’Agricult., t& var, p. 182.) 


L'enseignement classique actuel ne laisse-t-il rien à désiser? Ne 
déterminerait-il pas une influence fàcheuse sur la jeunesse française 
qu’il tendrait à éloigner des travaux manuels? Ne s’applique-t-on 
pas trop uniquement à former des sujets pour les professions savantes 
et libérales, et pas assez pour les professions industrielles et agri- 
coles ? — La plupart des jeunes gens qui ont consacré quelques années 
à l'étude des langues anciennes, de la littérature, de l'histoire, 
croiraient leur dignité compromise s'ils embrassaient un état méca- 
nique ou s'ils se livraient à des travaux de même nature; de là 
plusieurs milliers de jeunes gens qui, tous les ans, sont lancés dans 
la société sans autre ressource que d'entrer dans les fonctions pu- 
bliques, au barreau ou dans la medecine, et quand ils n’y trouvent 


DEUXIÈME SECTION. 373 


pas tous les avantages qu'ils avaient espéré y rencontrer, ils crient à 
l'injustice ; ils sont mécontens de leur sort et dangereux pour l’état ; 
tandis que si l'éducation était mieux dirigée, si l'on s’attachait autant 
à l'étude des sciences positives et des arts industriels qu’à l'étude des 
lettres, si l'on ne négligeait pas la doctrine des devoirs sur lesquels 
repose l’état social, si l'on persuadait aux jeunes gens que non-seu— 
lement le travail manuel n'est ni une honte ni un déshonneur, mais 
qu’il est la base de toutes les sociétés ; si, en un mot, on faisait 
marcher l'instruction avec l'éducation physique, morale et religieuse, 
il y aurait moins de déceptions par la suite, et plus de sujets propres 
à faire fleurir les arts utiles, les manufactures et surtout l’agriculture. 

En effet, si on enseignait dans nos écoles primaires supérieures et 
dans les collèges, la chimie, la mécanique, la minéralogie, l'agri- 
culture, l’économie et la comptabilité rurales ; si par ces moyens les 
propriétaires devenaient aptes à gérer eux-mêmes leurs domaines, à 
en tirer le meilleur parti possible et à se rendre compte de leurs 
opérations; s'ils apprenaient comment ils peuvent améliorer leur bien- 
être intérieur, « par ces principes de sagesse qui ne parlent pas moins 
»> au cœur qu’à l'esprit, qui dirigent avec sûreté dans les difficultés 
» de la vie et qui consolent dans le malheur, par une céleste rési— 
> gnation. » Si enfin ils connaissaient tous les avantages qu'offre le 
séjour paisible des champs, ils s'y plairaient, ils y éleveraient con 
venablement leur famille, leurs fils reprendraient avec joie la modeste 
profession de leurs pères et ne seraient point tentés d'aller grossir le 
nombre des oisifs des villes. Ainsi, il est donc bien important qu'un 
meilleur système d'éducation et d'instruction ramène notre jeunesse 
vers les principes dont elle tend à s'éloigner. 

On ne peut pas douter que l'agriculture ne soit une véritable 
science composée de principes certains, qui recoivent bien quelques 
petites modifications selon les divers pays et les divers sols, mais 
dont le fond n’en est pas moins d'une vérité incontestable. Eh bien, 
si cette science est de la plus haute importance et de la plus grande 
utilité, puisqu'elle traite des choses les plus nécessaires à l'homme, 
de sa nourriture, de ses vêtemens, des premiers élémens de son 
industrie et de son commerce, pourquoi ne l’enscignerait-on pas aux 
jeunes gens dans nos colléges, ct même aux enfans dans les écoles 
primaires, comme on enseigne l'histoire, la géographie, le latin, le 
grec, etc. ; ou plutôt pourquoi n'est-ce pas la premiére chose qu'on 
leur enseigne, puisque c'est la plus utile ? 

Cette proposition paraîtra peut-être oiseuse et peu réfléchie aux 


574 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


a superficiels ou indiflérens aux progrès de la science, parce 
qu'on n’est pas dans l'habitude de voir Ne faire partie de 
l’enseignement public; cependant on conviendra qu'à un petit nombre 
d’exceptions prés, l'ignorance est le partage des cultivateurs, et que 
c'est précisément cette ignorance , jointe aux préjugés qui empéchent 
l'introduction des améliorations agricoles les plus importantes et les 
plus faciles. Je vois, tout autour de moi, que s’il est quelques cul- 
tivateurs qui s'élèvent à des pratiques nouvelles et raisonnées, la plu 
part se traînent encore dans l’ornière de la routine et y végètent 
sans savoir tirer parti des moyens d'amélioration qui seraient en leur 
pouvoir. Il est diflicile de changer la marotte des vieux cultivateurs ; 
ils sont attachés à leurs anciennes habitudes et ennemis des nouyeau- 
tés, ils sont persuadés d’ailleurs que ceux qui étudient la culture 
dans les livres n’apprennent que de fausses théories qui ne tardent 
pas à les conduire à leur ruine; aussi ils n’en parlent qu'avec ironie 
et en cherchant à les rendre ridicules. On ne peut espérer de régé— 
nérer l’agriculture que par les jeunes gens et les enfans; c'est à ces 
ames neuves et exemptes de préjugés qu'il faut s'adresser pour y 
répandre et y faire germer les élémens de cette science: on ne 
saurail trop Lôt les initier à la connaissance d'un art dont les adultes 
doivent être honteux d'ignorer les principes. 

Dans le siècle où nous vivons, l'instruction doit étre portée dans 
tous les rangs, la science dans toutes les professions. Aujourd'hui 
l'étude n’est plus une affaire de luxe, un privilége des classes aisées ; 
elle est devenue une nécessité pour les arts, l’industrie et le com— 
merce. Le besoin d'instruction agricole se fait sentir de toute part, 
maintenant que les sciences naturelles ont pris un développement et 
des applications d’une telle étendue qu’elles sont désormais indispen—- 
sables à l'exercice de la plupart des métiers. C'est donc une grande 
lacune dans l'instruction en France, que d’avoir omis l’enseignement 
agricole, « tandis que dans plusieurs états de l'Allemagne, dit M. 
Passy, V'agriculture doit en grande partie sa prospérité à l'usage 
adopté d'en faire exposer les principes dans les moindres écoles de 
village et d'exiger des jeunes gens admis aux fonctions pastorales 
la preuve qu'ils en ont fait une étude approfondie. La France n'a 
que peu d'établissemens où l'art rural soit enseigné, et compte à 
peine quelques hommes en état de le professer. C'est là un grave 
inconvénient; tant que nos cultivateurs n'auront d'autres sources 
d'instruction que les exemples de leurs devanciers, ils n'échappe- 
ront pas à l'inertie et aux habitudes routiniéres qu’on leur reproche. 


VU VW. V, Vs M v. M M 


DEUXIÈME SECTION. 375 


» Si ces connaissances scientifiques dont ils manquent devenaient au 
> contraire assez communes pour arriver jusqu’à eux, leurs conceptions 
> prendraient plus de hardiesse et de fécondité; la capacité d’amé- 
» Jiorer en stimulerait le désir, et l’agriculture approcherait plus ra- 
»> pidement du degré de perfection que l’ensemble des circonstances 
» sociales leur permet d’atteindre. » (Rapport au roi. Août 1836.) 

On péut distinguer dans l’agriculture l’art et la science ; l’art est, 
selon l'idée que je m'en forme, la description des procédés ou des 
méthodes agricoles, et la manière de les mettre en pratique, tandis 
que la science est plutôt l'ensemble des principes confirmés par l’ex- 
périence ou les conséquences rigoureusement déduites des faits bien 
observés et qui sont en quelque sorte devenues lois agricoles. Si l’on 
voulait désigner l’art et la science par deux mots, agriculture ex— 
primerait mieux l’art et agronomie , la science, mais on emploie in 
différemment l’un et l’autre et l’un pour l’autre. 

L'enseignement agricole peut être théorique ou pratique : le premier 
instruit par les préceptes , le second confirme ceux-ci par les exemples. 
La théorie peut être enseignée dans les écoles, dans les collèges ou 
puisée dans les livres comme tous les autres genres d'instruction. La 
pratique ne peut s’apprendre que chez les cultivateurs ou dans les 
fermes modèles. On pense généralement que les arts s'apprennent 
bien mieux par l’exemple et les leçons de la pratique que par les 
préceptes de la théorie, néanmoins il est bon de savoir raisonner 
toutes ses opérations, de pouvoir se rendre compte de ses procédés 
ou méthodes agricoles et de s'expliquer la préférence qu'on leur ac- 
corde sur d’autres, en un mot il convient que la pratique soit éclairée 
du flambeau de la théorie, que l’une et l’autre marchent de front 
ét se prêtent un mutuel appui. 

La science agricole doit beaucoup aux sociétés d'agriculture; ces 
réunions si propres à exciter autour d'elles, le zèle, l'amour de 
l'art et une noble émulation ne sauraient être trop multipliées ; c’est 
dans leurs archives, ainsi que dans les journaux qu'elles publient, 
qu'on peut trouver tous les documens de la science. 

Les comices agricoles, composés principalement de propriétaires , 
de cultivateurs aisés, sont aussi, comme je les concois, de petites 
sociétés d'agriculture s’occupant spécialement des améliorations de 
la contrée où ils sont situés. Chacun fait part de ses observations 
sur la meilleure culture à donner aux terres de tel canton, sur le 
temps Le plus propice à le faire, sur l’engrais ou l'amendement le 
plus convenable, sur le moment de le répandre, sur l’espèce de 


376 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


grains qui y réussit le mieux. Les comices s'occupent aussi des amé- 
liorations des différentes races de bestiaux ; ils distribuent des primes 
d'encouragement aux cultivateurs zélés qui s'en occupent avec le plus 
de constance et de succès. Ils récompensent la moralité et l’habileté 
chez les domestiques qui s'en sont montrés les plus dignes, ou chez 
les ouvriers mécaniciens qui ont perfectionné , fait des découvertes 
ou des inventions utiles. On ne lit guëre de mémoires dans les comices, 
mais on s’entretient de différens sujets pratiques qui ont élé traités 
dans les sociétés d'agriculture ; on discute sur le plus ou le moins 
d'avantages qu'ils présentent; on stimule utilement, soit par des 
éloges , soit par des récompenses, l’émulation parmi les cultivateurs et 
les riches propriétaires ; on les engage à donner eux-mêmes l’exemple 
a leurs voisisins, à faire des essais dans les intérêts de l’art, à per- 
fectionner des méthodes déjà connues , à en surveiller l'exécution avec 
soin, intelligence et économie. On ne peut que gagner à encourager 
la culture qui améliore à la fois le sol et la condition des habitans, 
parce qu’à mesure que le bien-être des populations augmentera , elles 
seront amenées à se laisser aller à des jouissances plus agréables. On 
voit donc que les comices et les sociétés d’agriculture dont l'objet 
est le méme , sont d’un très-grand avantage pour la propagation de 
la science, et il serait à désirer que le gouvernement en favorisät 
l'établissement de manière qu'il y eût une société centrale dans chaque 
département , une société secondaire dans chaque chef-lieu d’arron- 
dissement et un comice agricole dans chaque chef-lieu de canton. 
Quant aux fermes modèles, l'utilité ne peut en étre contestée non 
plus. Voici d’ailleurs ce qu’en dit M. Passy, ministre du commerce 
et des travaux publics, le 30 juillet 4836, dans sa circulaire aux 
préfets. « De tous les moyens de faire avancer l’agriculture, le plus 
sûr, le plus puissant c’est l'établissement des fermes modèles bien 
conduites où les jeunes gens qui se destinent aux carrières rurales 
viennent chercher une instruction à la fois théorique et pratique 
qu'ils ne sauraient trouver ailleurs aussi complète. Les avantages 
inhérens à l'existence des fermes modèles ne sont pas recueillis 
seulement par le petit nombre de ceux qui y vont terminer leur 
éducation agricole : la force des choses y fait participer le reste de 
la population. A mesure que les élèves qui en sortent s’établissent 
dans les campagnes, ils mettent en pratique les lecons qu'ils ont 
recues, et comme les succès qu'ils obtiennent engagent à imiter 
les procédés dont ils font usage, leurs exploitations deviennent 


8 
pour le voisinage de véritables foyers d'enseignement. » 


VMOMOIMEVON  V VW IV IN 


DEUXIÈME SECTION. 579 


Pourquoi donc M. le ministre, qui sent si bien les ayantages que 
pourraient procurer les fermes-modèles , dit-il quatre lignes plus bas: 
< Quelle que soit la supériorité que paraissent avoir les fermes-modèles ; 
> leur établissement présente trop de difficultés pour qu'il soit pré- 
» sumable qu’il s'en fonde prochainement un grând nombre? » 

Il est certain que si M. le ministre pense que c’est au gouyerne- 
ment à faire les premières mises de fonds pour l'établissement de ces 
fermes, ce qui comprendrait l'acquisition de la propriété, celle du 
mobilier attaché à chaque ferme, comme bestiaux de toute espèce, 
chars, charrues et généralement tous les instrumens d'agriculture, 
ensuite les appointemens du directeur ou régisseur, les gages des 
domestiques , le traitement des professeurs, etc. elc., si, dis-je, le 
ministre pense que c'est au gouvernement à faire une telle dépense 
qui s’éleverait à prés de 50 millions pour les 86 départemens, je ne 
suis pas étonné qu'il y voie tant de difficultés, mais je vais indiquer 
un moyen plus économique et non moins utile que celui dont je 
viens de parler, lequel ne coûterait pas plus de 2 ou 3 millions par 
an, beaucoup moins encore si l’on voulait, et suflirait grandement pour 
répandre dans toute la France l'instruction théorique et pratique nc- 
cessaire pour élever l’agriculture dans notre beau pays au point de 
prospérité où elle existe dans les contrées de la Flandre, de la Suisse, 
de l'Angleterre où elle est le plus florissante. Voici sis] serait mon 
projet. 


INSTITUT AGRICOLE. 
ÉCOLE CENTRALE OU SUPÉRIEURE D’AGRICULTURE. 


Il y aurait dans chaque chef-lieu de département un institut agricole 
M et pratique , sous la direction immédiate de la société centrale 

d'agriculture et du préfet et sous la surveillance de l’université et 
du ministre du commerce et des travaux publics. Trois professeurs 
feraient des cours publics dans le chef-lieu, un quatrième serait 
chargé de FR PRA TOR ou du cours pratique. 

En attendant qu'on puisse former des professeurs, on trouverait 
dans le sein de la société centrale du département des membres assez 
zékés, assez instruits et ascez partisans de la propagation des lumières 
pour se charger des différens cours. Malgré le peu de confiance que 
je puisse avoir dans les professeurs-amateurs qui, ne recevant aucun 
salaire , agissent selon leur bon plaisir et n’écoutent les ordres de l'ad- 
ministration centrale qu'autant que cela leur convient , on est cependant 


48 


578 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


bien obligé dans ce cas de recourir à leur bienveillance et à leur ps- 
iriotisme. Ainsi les cours seraient divisés comme il suit : 

4° Cours de culture , dans lequel on traite de la nature des terres, 
de la théorie des engrais et des amendemens , des assolemens, des 
prairies naturelles ét arüficielles , des irrigations, des travaux et ins- 
tuméns, de la culture des diflérentes espèces de plantes, de la 
botanique et physiologie végétale, des semailles , récoltes et conserva- 
tion des grains ; du bétail, de son éducation et de son emploi ; enfin 
de l'économie agricole. 

2° Cours de mécanique et de construction rurale , comptenant les 
premiers clémens de géologie, de météorologie, de physique, de mé- 
canique , de statique et leur application aux constructions, à l'architec- 
ture rurales ; le dessin linéaire, les machines et instrumens aratoires ; 
tout ce qui a rapport à l'aménagement des eaux , à les élever au-delà 
de leur niveau, soit pour l'usage , soit pour l'irrigation, par le moyen 
de vannes , digues ou autres procédés mécaniques. 

3° Cours de chimie agricole , traitant des premiers élémens de cette 
science, de l'analyse des terres, de l’action chimique des engrais, des 
diverses espèces de fermentations, de la fabrication des vin, bière, 
huile, sucre, beure, fromage; tout ce qui concerne la tenue des 
livres, etc. 

4° Cours pratique. Je suppose qu'il y aura prés du chef-lieu du 
département un cultivateur membre de la société centrale qui se fera 
un plaisir de laisser voir aux élèves son établissement, son train de 
culture, ses labours, binages , sarclages, butages, exécutés, autant 
que possible ; avec les nouveaux instrumens dont on expliquera les 
fonctions et les avantages. Les élèves assisteront au chaulage des grains, 
à l'emploi du semoir et feront la comparaison du résultat de cette 
opération avec celui que donne la semaille à la volée; ils verront 
fonctionner la machine à battre et à vanner, et ils tâcheront d'en 
bien comprendre tout le mécanisme afin que chacun puisse la réparer 
quand il y manque quelque petite chose. Enfin toutes les céréales, les 
légumineuses, les racines dont on fait usage en agriculture seront 
cultivéès chacune dans Je terrain qui leur convient et avec les pré- 
cautions qu'elles exigent. (11 va sans dire que l'honorable citoyen qui 
prêtera sa ferme sera indemnisé au prorata de ses dépenses.) Ce sera 
donc une véritable ferme-modéle où les élèves viendront perfectionner 
leur instruction et leur éducation agricole. Ils iront visiter les fermes 
voisines et jugeront de la différence des produits. Il leur sera donné 
aussi des lecons d'horticulture, d’arboriculture, ainsi que des notions 
générales sur l’art d'aménager les forêts. 


DEUXIÈME SECTION. 379 


ÉCOLE SECONDAIRE D'AGRICULTURE. 

23 

11 y aurait au chef-lieu de chaque arrondissement un seul cours 
d'agriculture qui traiterait succinctement de la plus grande partie des 
matières désignées dans les quatre cours ci-dessus. Le professeur serait 
pris aussi parmi les membres de la société de l'arrondissement, en. 
attendant que les écoles normales ou les écoles spéciales d'agriculture 
soient parvenues à former des sujets aptes au professorat, et dont on 
exigerait plus de connaissances qu’on ne peut en demander aux ho- 
norables citcyens qui veulent bien faire le sacrifice de leur temps et 
de leur amour-propre pour l'établissement de ces écoles. Les élèves 
des colléges seraient invités à suivre ce cours. Le meilleur ouvrage 
élémentaire que je connaisse et qui pourrait servir de guide au pro— 
fesseur et aux élèves, est celui de M. Moll, intitulé : Manuel d'Agri- 
culture, ou Traité élémentaire de la science agricole , pour les écoles 
rurales du nord-est de la France. 

Au chef-lieu du canton, un membre du comice agricole tiendrait, 
les jours de congé, des conférences sur l’agriculture en général ; AUX— 
quelles seraient tenus d'assister tous les instituteurs du canton. 

On rédigerait, à l'usage des enfans qui fréquentent les écoles pri- 
maires, des notions élémentaires d’agriculture contenant les principes 
clairs et précis de la science, soit en forme d’aphorismes, soit en 
forme de catéchisme, que le maître ferait apprendre par cœur aux 
écoliers, ce qui serait beaucoup plus facile à retenir que les principes 
de la grammaire ou de la doctrine chrétienne que l’on est dans l'usage 
de leur faire apprendre aussi. 

Il y a ordinairement dans les sociétés d'agriculture des chefs-lieux, 
un conservatoire de machines et instrumens. Le professeur de méca- 
nique en fait la démonstration aux élèves et en montre l'application. 
L'utilité des machines est maintenant trop généralement reconnue, et 
leur application trop inséparable de toute espèce de production, pour 
qu’il soit besoin de s'étendre beaucoup sur cet objet. Tout ce qui dimi- 
nue les peines de l’homme est un progrès. Plus on multiplie les ma- 
chines moins on a besoin de bras, et plus on met d'économie dans le 
prix de la main-d'œuvre et dans le temps du travail. L'emploi des ma- 
chines élève la condition de l’homme, étend son intelligence dont le 
développement vient remplacer et surpasser toute force musculaire. 

Il conviendrait donc d'établir dans chaque arrondissement une école 
de charronnage, de fonderie, d’ajustage ou fabrique de machines et 
isstrumens agrigoles perfectionnés. On céderait ces instrumens aux 


380 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


agriculteurs, aux prix les plus modiques; il en serait aussi donne 
en primes ou récompenses en ylace d'argent ou de médailles. 

On pourrait réunir dans le conservatoire ou musée, outre les ins— 
trumens dont on se sert habituellement, plusieurs autres objets qui 
peuvent présenter de l’intérét aux cultivateurs, tels que divers mo— 
déles ou dessins d’instrumens, machines dont on se sert dans des 
pays plus ou moins éloignés, divers objets d'histoire naturelle ; une 
collection de toutes les espèces de plantes, tiges, racines et graines 
servant à l'agriculture, étiquetées et soigneusement conservées, avec 
VPindication des terrains et des lieux dans lesquels elles croissent, de 
leurs usages, de l'abondance où de l’exiguité de leurs produits. 

Mais une chose de la plus grande utilité et qui non-seulement de— 
vrait figurer au musée départemental, mais aussi qui devrait exister 
dans les salles des séances de toutes les sociétés d'agriculture, ce 
serait une carte géologique et minéralogique trés-détaillée et sur une 
grande échelle, exposant la nature des divers terrains du départe- 
ment ou de l'arrondissement, divisés par zones et bassins diversement 
coloriés, de manière à reconnaître facilement les terrains primiufs, 
secondaires, tertiaires, les terrains d’alluvion, les grès; à pouvoir dis— 
tinguer, dans les terrains secondaires par exemple, le lias du calcaire 
coquillier, l’oolithe des marnes irisées , etc. Cette carte qui indiquerait 
aussi l’inclinaison et la direction des coteaux, serait appuyée d’échan— 
tillons réels des différentes terres mélangées avec les pierres ou miné— 
raux qu’elles recélent , composant les différens sols de chaque commune 
avec l'indication de l'épaisseur de la couche végétale et de la nature 
du sous-sol. Au moyen d’une telle carte bien faite et des échantillons 
exacts qui l’accompagneraient, casés par commune , on pourrait in— 
diquer avec certitude l’assolement qui convient à telle ou telle section 
de commune, dire positivement si telle plante réussira ou non. Je 
regarde ce travail tellement important que je pense que c’est une des 
premières choses dont les sociétés d'agriculture doivent s'occuper; car 
à mon avis, la connaissance de la terre est à la culture ce que l’ana- 
tomie est à la médecine. 

Il est certain que s’il se formait dans toute la France des écoles 
d’agriculture comme je viens de l’indiquer, où toutes les parties de 
la science et de l’art fussent enseignées et confirmées d’une manière 
pratique, près d’etablissemens ruraux, où la démonstration des ré 
sultats accompaguät toujours l’enseignement théorique , le succès serait 
indubitable , notre agriculture atteindrait promptement au haut degré 
de perfection où elle est parvenue en Angleterre et en Allemagne. 


DEUXIÈME SECTION. 381 


Trop long-temps livrée à une routine ignorante, elle n'avait pas. 
amassé assez de résultats généraux et certains pour fournir la matière 
de cours utiles; mais maintenant qu'elle est enrichie d'une foule 
d'observations plus ou moins exactes, et que ses principes se sont 
établis d'une manière plus fixe, elle peut figurer honcrablement à 
côté des autres objets de l’enseignement. Tout est prèt, les matériaux 
sont la, il ne s'agit que de les mettre en œuvre, et quoique les ou— 
yriers en ‘ce genre ne soient pas communs, on peut pourtant encore 
en trouver; d’ailleurs il s’en formera tous les jours, mais on conçoit 
sans peine que, pour une telle entreprse, il faut la volonté, l'appui 
et l’aide du gouvernement. 

Pour opérer toutes les améliorations désirables en agriculture , il 
faudrait que le gouvernement voulüt y consacrer annuellement , pen— 
dant dix ans, une somme de deux à trois millions, ce qui ferait 
de 50 à 40 mille francs par département. Trente mille francs par dé- 
partement donneraient pour les 86, 2 millions 580 mille francs. 

Sur cette somme de 30 mille francs, moitié ou un grand tiers 
devrait rester aw chef-lieu du département pour étre distribué en 
primes sur l'avis de la société centrale. Les encouragemens sont un 
puissant moyen d'agir sur l'esprit des français , il faut les distribuer 
avec sagesse mais avec libéralité. 

L'autre moitié serait employée au traitement des professeurs que 
je suppose au nombre de huit, savoir : quatre au chef-lieu du départe— 
ment et un dans chacun des arrondissemens que je suppose être de 
quatre, terme moyen. ‘ 

Le traitement de chaque professeur serait de 1,000 à 4,200 fr. Il 
y aurait ensuite à payer la rétribution à l’honnéte citoyen qui prêterait 
son exploitation pour servir de ferme-modéle. Je suppose que cette 
rétribution qui serait évaluée et réglée par la société centrale, se 
monterait à 2 ou 3 mille francs. 

La fabrique d’instrumens exigerait sans doute aussi quelques avances. 

Une bibliothèque agricole dans chaque arrondissement serait sans 

doute aussi jugée nécessaire. 
Chaque amélioration, découverte , perfectionnement qui aurait lieu 
dans un canton, serait signalée par le comice à la société d'arrondisse- 
ment qui jugerait de son importance et en ferait son rapport à la 
société centrale. Celle-ci ferait examiner attentivement la chose par 
une commission et déciderait du montant de la prime accorder ou 
de, sa nature. 


Je pense donc que tous les moyens que je viens d'indiquer sont 


389 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


très-propres à diriger l’esprit de la jeunesse vers l’agriculture. Oui! 
je le répète, l’agriculture doit être avant tout soutenue, encouragée, 
développée; c'est la véritable, la plus solide industrie de la France. 
La France est destinée à prendre un avenir immédiat, un immense 
développement sous le triple rapport de l’agriculture de l’industrie 
et du commerce, et c’est surtout vers le travail matériel que l’activité 
des générations nouvelles doit être dirigée. Il est impossible que l’agri— 
culture demeure dans un état de langneur K où les manufactures 
frémissent , et qu'est-ce donc que trois millions par an pour une nation 
dont le budget s'élève à plusieurs millions au-delà d'un milliard ?.. 
D'ailleurs cette somme ne serait point donnée en pure perte pour 
l'état; l’état la retirerait et même au-delà, tant par les droits de 
mutation qui augmenteraient avec la valeur vénale des propriétés 
que par l'accroissement de la fortune publique qui, en dernière ana- 
lyse est toujours en raison des fortunes particulières. 

Le gouvernement est venu plusieurs fois au secours du commerce 
et des manufactures , il est donc juste qu'il agisse de même pour 
l’agriculture, mais une première chose à faire sans laquelle nos efforts 
ne seront qu'incomplétement couronnés de succés, ce serait d'écarter 
de notre législation certains obstacles qui s'opposent directement aux 
progrès de l’art agricole. Ces principaux obstacles sont : 

4° Le droit de vaine pâture , droit absurde qui porte les plus graves 
atteintes à la prospérité du sol, par les dégâts et les dilapidations qu'il 
entraîne, qui restreint singulièrement le droit de propriété par l’impos- 
sibilité où se trouve le propriétaire de jonir de son bien comme bon 
lui semble, et d'établir le mode d’assolement qu'il juge à propos. 

2 L’extréme division des propriétés. Si la grande division des 
propriétés a été avantageuse à l’agriculture, ce dont on ne peut 
douter , il arrive pourtant un terme où cette extrême division est 
nuisible, c’est lorsque les parcelles, par leur exiguité, se trouvent 
enclavées , enchevétrées dans la masse totale et ne sont plus accessibles, 
en tout temps, à leurs propriétaires sans être obligés de passer sur 
celles de plusieurs autres, ce qui oblige à un assolement commun 
(V. Berthier de Roville). Il serait donc important d'opérer quelques 
réunions ou au moins d'établir des chemins d'exploitation qui facili- 
tassent en tout temps l’accés de ces parcelles. 

3° Un autre obstacle provient du mauvais état des chemins vicinaux, 
de grande & de petite communication. 

4° Enfin un dernier obstacle, c'est la grande élévation du prix du 
sel, ce qui empêche de l'employer pour l'usage des bestiaux, malgré 


DEUXIÈME SECTION. 383 


qu’on soit bien persuadé de ses bons effets, tels que d'exciter l'ap- 
pétit, de stimuler agréablement l'estomac, de faciliter la digestion, 
de procurer un air de gaieté et de santé à l'animal, etc. 

Toutefois, en reportant l’activité française sur les travaux et les 
entreprises agricoles, on l’éloignera de ces idées vagues de politique, 
de philosophie spéculative qui naguère troublaient encore toutes les 
têtes de notre bouillante jeunesse. Le mal est que l’agriculture n’est 
pas assez relevée et que beaucoup de personnes regardent comme 

au-dessous d'elles de s'y livrer. C'est au gouvernement d’en rehausser 

l'éclat, et il ne peut le faire avec plus d'avantage qu’en accordant 
considération et protection à ceux qui s'y livrent avec ardeur et 
discernement ; qu’en faisant distribuer généreusement des primes à 
à ceux qui les auront méritées par des travaux utiles en tout genre, 
et surtout en faisant enseigner l’agriculture dans les écoles primaires 
et dans les colléges. Ce sont vraiment là les meilleurs moyens de 
diriger vers cet art utile l'esprit et les études de la jeunesse, 

Les écoles d'agriculture seront utiles non-seulement aux jeunes gens 
qui se proposent de suivre la carrière laborieuse et honorable du cul- 
tivateur, soit en qualité de fermier, de régisseur ou de propriétaire, 
mais encore à ceux qui, indépendans par leur fortune , sont dispensés 
d’embrasser une profession et qui pourtant sont désireux de voir par 
eux-mêmes si leurs domaines sont bien administrés, si leurs fermiers 
en tirent tout le parti convenable, si en les aidant, souvent de peu 
de chose, soit à dessécher un marais, soit à défricher un terrain 
inculte, soit à faire quelques plantations utiles, soit en établissant 
un troupeau s'il n’en existe point, ou en améliorant les races s’il en 
existe, soit en créant un système d'irrigation sur une prairie, etc., 
ils n’augmenteront pas de beaucoup la valeur de leur propriété. 

D'ailleurs l'étude d'une science donne souvent le goût de la mettre 
en pratique, et je ne doute pas qu’une partie des jeunes gens riches 
des villes, qui ont recu une instruction générale et qui auront suivi, 
pour compléter leur éducation, des cours d'agriculture comme étude 
d'agrément, craignant de s'engager dans la carrière encombrée du 
droit ou de la médecine, n’aillent s'établir sur leurs propriétés et n'y 
devicnnent d’excellens agronomes; c'est ce qui pourrait arriver de 
plus heureux, parce qu'ayant de la fortune ils seraient à même de 
faire sur leurs terres des dépenses bien entendues dont ils retireraient 
de grands bénéficess La présence du maître sur le sol en augmente 
le revenu d’un tiers, dit Parmentier. Ce qu’il y a de positif, c'est 
que toutes les grandes améliorations opérées en agriculture et les écrits 


584 MÉMOIRES ET PIECES. 


utiles qui les ont constatées, sont dus absolument à des propriétaires 
résidans sur leurs domaines. C’est à la campagne, dans une ferme au 
Pradel, qu'Olivier de Serres composa son immortel ouvrage, le 
Théâtre d'Agriculture et du Ménage des champs. Cest dans les 
environs de Bezières, sous le beau ciel du Languedoc, que l'abbé 
Rosier rédigea paisiblement ses observations agronomiques qui font 
l'objet constant de son cours complet d'agriculture. 

La femme étant la compagne de l’homme, destinée à le suivre 
partout où il va s'établir, vient aussi embellir sa demeure quand il 
se fixe à la campagne; c'est elle qui est ordinairement chargée des 
soins du ménage, de la basse-cour, de la laiterie et de beaucoup 
d’autres petits détails qui exigent qu’elle sache faire et commander 
les choses à propos, qu’elle soit douée de cet esprit d'ordre, de 
perspicacité, de surveillance qui sait tout voir, tout embrasser d’un 
coup d'œil, chose si nécessaire dans un train de culture ! car quand les 
maîtres ne surveillent pas les domestiques, les domestiques surveillent 
les maîtres, et une fois qu'ils voient du laisser-aller, ils sont toujours 
très-disposés à le favosiser et à en tirer parti pour leur propre compte. 
Il ne serait donc pas superflu de faire entrer dans le plan d’études 
des jeunes personnes quelques notions de la tenue du ménage des 
champs , d'économie rurale et domestique. « Partout, à la ville comme 
à la campagne, la bonne ménagère est un trésor ; tout prospère sous 
la main d’une femme active et soïigneuse, comme tout se perd, se 
‘détériore ou périt par l'incurie et la négligence d’une maîtresse de 
xmaison ignorant ses devoirs. Combien de femmes ne savent pas 
æar exemple que les poules et les pigeons ne pondent que jusqu’à 
4 ans; quand on les nourrit au-delà, c'est donc en pure perte, et 
il n'y a pas de petites pertes ni de petits bénéfices qui, répétés tous 
les jours, ne produisent une certaine somme en moins ou en plus à la 
fin de l’année. » L'étude des principes généraux d'économie rurale et 
-domestique concernant les femmes , serait donc d’une grande utilité et 
une sorte de complément pour l'éducation des filles, surtout pour 
celles qui sont destinées à habiter la campagne. Dans notre siècle 
où on leur enseigne tant de choses inutiles, il est bon qu’elles ap- 
prennent les choses nécessaires, et sans vouloir en faire des femmes 
savantes, il faut au moins qu'une femme sache ce que Molière exi- 
geait d'elle : 


Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfans, 
Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens, 
Et régler sa dépense avec économie, 
Doit être son étude et sa philosophie. 


; DEUXIÈME SECTION. 385 


Maintenant je me résume et je dis que les moyens de diriger vers 
l'agriculture, l'esprit et les études de la jeunesse sont : 

4° De faire en sorte que dans l'enseignement classique en général, 
une bonne éducation n 
l’autre soient en ra 


e de pair avec l'instruction, que l'üne et 
c nos besoins, nos mœurs et notre in— 
iques soient enseignés comme les belles- 


dustrie ; que les arts 
lettres, et la philosophie. 

ga D'hondfer l'agriculturé come lé premier et le plus utile des 
arts ; 

3° D'en faire enseigner les élémens dans nos écoles primaires, et d’exi- 
ger par la suite que les instituteurs aient des notions plus ou moins 
étendues de cette science. 

4° De créer une chaire d'agriculture dans chaque collége d’arron- 
dissement. 

3° D'établir dans chaque département un institut agricole où la 
théorie et la pratique de l'art soient enseignées dans tous les détails 
que comporte un si intéressant sujet. 

6° De multiplier les sociétés et les comices agricoles. 

7° D'encourager les travaux, les perfectionnemens , les découvertes 
utiles, par d’honorables récompenses, soit en numéraire, soit en 
médailles, soit par des instrumens nouveaux ou par des animaux de 
races distinguées. 


49 


386 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


DES 


COMMUNICATIONS : 


NÉCESSAIRES 


A LA LORRAINE. 


Par M. MAUD'HEUX, d'Épinal. 


De toutes paris les peuples réclament des communications nou- 
velles ; les gouvernemens les plus absolus, ceux que l’on accuse de 
chercher la garantie de leur stabilité dans la pauvreté et l'ignorance 
de leurs sujets, s'empressent d'obtempérer à ces vœux; partout il 
n'est question que de chemins de fer et de canaux. La France seule 
se laisse accuser de rester en arrière et de se trainer à la suite des 
autres peuples. | 

Sans rechercher les causes qui ont pu amener cette lenteur si fu 
neste aux intérêts généraux, il est temps de proclamer hautement 
que , prolongée davantage , elle conduirait aux conséquences les plus 
déplorables. En effet, nos voisins marchent toujours; plus hardis à 
concevoir et plus prompts à exécuter , ils nous laissent loin derrière 
eux. Déjà peut-être il ne s’agit plus de les devancer, mais seulement 
de les suivre et de conserver des avantages qui vont nous être ravis. 
D'ailleurs, la France riche et prospère ne peut plus se contenter de 
faibles et timides essais. Ce qu’elle veut : ce sont les hautes conceptions 
du génie, ces entreprises hardies , téméraires , si l’on veut, mais qui 


DEUXIÈME SECTION. 387 


changent la condition des peuples. La France ne veut pas marcher 
la dernière dans la voie du progrès. En fait de communications , 
elle aspire à devenir l’égale de l'Angleterre et de l'Amérique ; sa 
gloire et sa fortune en dépendent. Pour y parvenir , “elle est prête 
encore à prodiguer ses richesses. 

"Oui, telle est aujourd'hui la disposition des esprits ; et dans n6s 
contrées surtout, dans nos belles provinces de l'est qui, abandonnées 
à elles-mêmes, ont fait de si grands et de si rapides progrès, de 
toutes parts des communications nouvelles sont réclamées ! 

.….Les anciennes provinces de Lorraine, de Bar èt des trois évêchés 
ont formé les quatre départemens de la Meurthe, de la Meuse, de 
la Moselle et des Vosges. Il en est peu en France qui les égalent , 
soit par la richesse et la variété de leurs productions naturelles , soit 
par le nombre et l'importance de leurs établissemens d'industrie, 
soit par l'intelligence et le patriotisme de leurs habitans. Limites 
par la Belgique , la Prusse et la Bavière, entourés des riches provinces 
d'Alsace , de Champagne et de Franche-Comté , à peine éloignés de 
vingt lieues de la Suisse et de l'Allemagne , sillonnés par de nombreux 
cours d'eau, divisés par la nature en partie de plaine et partie dé 
montagne que la différence de leurs produits force à de continuels 
échanges, ces beaux départemens semblent appelés à un grand com- 
merce intérieur et à former le centre d'une immense circulation dont 
Metz et Nancy deviendraient les entrepôts. Que leur manque“t-il pour 
remplir cette destinée? Des communications plus faciles , une naviga- 
tion, et des chemins de fer. x 

Que les belles riviéres de la Moselle et de la Meuse soient unies 
à la Saône, et par deux lignes nouvelles, le Rhône sera uni au 
Rhin, l'Océan à la Méditerranée ! Qu'un canal on un chemin de 
fer soit ouvert du Hâvre à Strasbourg où il rencontrera le canal projeté 
en Allemagne du Rhin au Danube, et une autre jonction s’opérera 
entre l'Océan et la mer Noire, Dans ce beau système de communications , 
la Prusse, la Bavière, la Hollande, la Belgique , le Dannemarck ; 
les villes anséatiques établiront des rapports avec la Suisse , l'Italie et 
l'Espagne ; l'Angleterre et l'Amérique avec l'Allemagne , la Hongrie , 
la Turquie et la Russie méridionale. Metz et Strasbourg , l'Alsace 
et la Lorraine, occuperont le centre de ce grand mouvement com— 
mercial , à l'intersection des lignes qui lui seront ouvertes. La jonction 
de la Moselle à la Meuse , celle de la Meuse à la Marne, et la création 
de la navigation sur les aflluens de ces grandes rivières compléteront 
et entichiront ce vaste réseau de communications. Fr Re 


388 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Si vous êtes frappés des avantages attachés à l'exécution de ce 
beau projet qui ne date pas de nos jours , vous vous demandez combien 
d'années et de sacrifices suffiront pour l'accomplir. Qu'importe le 
temps nécessaire ? Sans doute le gouvernement devra chercher à 
l'abréger, afin d’appeler les populations à jouir plus tôt des bienfaits 
de cette grande création? Mais dix années ne sont rien dans la vie 
d’un peuple; et dix années doivent suflire. Les sacrifices , ils seront 
grands; mais répartis sur cet espace de temps, ils deviendront peu 
sensibles ; ils n'excéderont pas les forces de la France; ils ne l'em— 
pécheront pas de consacrer une partie de ses ressources aux améliora- 
tions réciamées par les provinces de l'ouest et du centre. Loin de 
moi la pensée de demander que tous les trésors de l’état soient 
réservés pour ce seul projet qui pourtant doit enrichir à la fois le 
nord, l'est et une parüe#du midi de la France. Un gouvernement 
sage et juste doit répartir entre toutes les provinces, les bienfaits 
dont le trésor public fait les frais; mais nos contrées toujours aban— 
données, si mal dotées en routes et en canaux, nos contrées qui 
ne recoivent en échange de leur or et de leur sang que de faibles 
améliorations accordées d’une main avare pour elles et prodigue pour 
les autres, nos contrées ont le droit d'obtenir enfin une justice égale 
et en quelque sorte l’arriéré qui leur est dû depuis long-temps. Qué 
cette réparation leur soit accordée ? Qu'elle soit combinée de ma-— 
nière à ne pas faire peser sur les autres un oubli dont nous avons 
trop gémi pour nous-mêmes? Voila ce qu'elles demandent, ce qu'il 
est impossible de leur refuser. 

Dans l'exécution du plan que je viens de tracer, il faudra com- 
mencer par les lignes principales, c'est-à-dire, par le chemin de fer 
ou le canal du Hävre à Strasbourg er par la jonction de la Moselle 
à la Saône. 

La ligne du Hävre à Strasbourg, cette grande. communication 
qui s'allie si bien au plus beau projet que l'Allemagne ait concu , 
se recommande par des intérêts si nombreux , par des avantages si 
grands, par des considérations qui touchent de si près à l'honneur 
et à la prospérité de la France, que je n'essaierai même pas de les 
retracer. 

.….La ligne de la Moselle à la Saône n'offre pas des avantages 
moins grands, moins faciles à apprécier ; mais le gouvernement semble 
préférer la jonction de la Meuse à la Saône : il la soumet à des études, 
tandis qu’il laisse dans un oubli profond la ligne de la Moselle. 

Quel motif assez grave peut justifier cette préférence ? 


DEUXIÈME SECTION. 389 


Est-ce qu'au delà de nos frontières, la Meuse traverse des contrées 
plus riches et plus commercçantes ? Est-ce qu’elle nous met en rapport 
avec plus de peuples et sert ainsi à ouvrir plus de relations? Non 
sans doute. Le pays de Trèves, le Palatinot, les provinces Rhénanes 
ne le cèdent ni en industrie , ni en fertilité, aux environs de Liége 
et de Namur. La Meuse nous fera communiquer avec la Belgique 
et la Hollande ; mais la Moselle nous fera communiquer en outre avec 
la Bavière et la Prusse. L'avantage est donc pour la Moselle. 

Est-ce qu'au dedans de nos frontières, et à partir de la Saône , la 
ligne de la Meuse traversera des villes plus populeuses et plus im- 
portantes? Non encore. Sur la Meuse les sept villes les plus impor- 
tantes ne présentent ensemble qu'une population d'environ 50 mille 
âmes ; sur la Moselle , la population des sept villes principales s'élève 
à près de 407 mille. Sur la Meuse pas une ville de 45 mille habitars : 
sur la Moselle deux villes de plus de trente mille. L'avantage est 
encore pour la Moselle. 

* Est-ce que la ligne de la Meuse doit favoriser un commerce plus 
grand et plus étendu? Quant aux relations du nord au midi, si l'on 
prétendait contester la supériorité de la ligne de la Moselle, au moins 
faudrait-il bien accorder qu'il y aurait égalité? Quant au commerce 
intermédiaire, quant à ce commerce qui doit être pris en haute con— 
sidération, puisqu'il appartiendra tout entier à la France, il est im— 
possible de contester les avantages de la ligne de la Moselle. De 
Mézières à Ja Saône, la ligne de la Meuse traverse sans doute des 
pays riches et fertiles ; mais dont les produits sont identiques et suflisent 
à tous les besoins des habitans ; leur superflu s'écoule dans une autre di- 
rection ; ils ne peuvent donc avoir entr'eux qu'un commerce d'échange 
accidentel et par conséquent trés-limité. La ligne de la Moselle , au con 
traire , après avoir traversé les beaux vignobles et les riches campagnes 
ües départemens de la Moselle et de la Meurthe , vient s'enfoncer dans 
les montagnes des Vosges, au centre des forêts et des manufactures, 
dans les cantons où le sol ne produit point de vins et ne fournit pas 
les grains nécessaires à ses habitans. Ainsi elle lie aux montagnes la 
plaine qui leur envoie ses vins, ses grains , ses cendres, les sels de 
Dicuze et les houilles de Sarrebruck ; elle unit à la plaine, les mon- 
tagnes qui lui expédient les bois de construction, les planches, les 
merrains , les fers, le verre, le papier, les tissus, les marbres et 
tous les produits de leurs manufactures. Sans doute sur la ligne de 
la Meuse, on trouve aussi de nombreuses forges et de florissantes 
industries ; mais ces forges ont la mine à leurs portes; ées industries 


390 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


ont leur écoulement sur la capitale et la ligne de la Meuse les écarte de 
cette direction. Au contraire les forges des bords de la Moselle tirent 
leurs fontes de la Franche-Comté et les recoivent par la ligne de la 
Moselle à la Saône; les industries des Vosges, pour écouler leurs 
produits sur la capitale, suivent cette ligne au moins d’Epinal à 
Toul. La ligne de la Meuse desservira-t-elle ces vastes sapinières , 
ces immenses forêts que l’état possède dans les arrondissemens de 
Saint-Dié , d'Epinal et de Remiremont , et dont les produits, comme 
ceux des forêts des communes et des particuliers , sont expédiés par 
la Saône jusqu'à Marseille , par la Moselle jusqu’à Toul pour Paris, 
et jusqu’au-dela de Metz pour la Belgique? De ces forêts, celles 
qui appartiennent à l’état dans les Vosges, ne rapportent pas moins 
de deux millions par an. Où sont sur la ligne de la Meuse, celles 
qui, dans un seul département, donnent un revenu aussi élevé, et 
fournissent à un commerce aussi étendu? La ligne de la Moselle à 
Epinal n’est plus qu'à une journée de marche du chemin de fer de 
Thann à Mulhouse qu'il est déjà question de prolonger jusqu’à Bâle. 
Qu'un canal ou un chemin de fer soit ouvert du Hâvre à Strasbourg, 
tout le commerce du Hävre et de Paris avec l’industrie cotonnière 
des Vosges, de Wesserling, de Thann, de Cernay, de Mulhowe, 
et tout le transit destiné à la Suisse et à l'Allemagne méridionale, 
aprés avoir suivi ce canal ou ce chemin de fer jusqu'à son intersection 
avec la Moselle, empruntera cette rivière jusqu'à Epinal pour gagner 
de là le chemin de fer de Thann à Mulhouse. La Meuse présente- 
t-elle le même avantage ? N’est-il pas juste de reconnaître que la ligne 
de ia Moselle offre, quant au commerce intermédiaire , une immense 
supériorité sur celle de la Meuse. 

Est-ce donc que la jonction de la Meuse à la Saône exigerait moins 
de dépenses et de sacrifices? Mais l'étude approfondie, des deux 
projets, et la comparaison de ces études peuyent seules conduire à la 
solution exacte de cette grave question. S'il en est ainsi, pourquoi 
donc le gouvernement n'en fait-il étudier qu'un seul? 

En l'absence des renseignemens décisifs que cet examen fournirait , 
il faut consulter ceux que peuvent présenter des faits certains el 
incontestables. 

L'ordonnance du 10 juillet 1835, qui a fixé la limite légale de la 
navigation par, bâteaux pour toutes les rivières de France, la place 
à Verdun pour la Meuse, à Frouare pour la Moselle, à Gray pour 
la Saône. Or, à vol d'oiseau, la distance de Verdun à Gray est 
de 20 myriamètres; de Frouard à Gray, elle n’est que de 45. Mais 


DEUXIÈME SECTION. 591 
éstice bien de Verdun qu'il faut partir, et à Gray qu'il faut aboutir? 
Non, sans doute. D'un côté, la loi du 49 juillet 4837, en consacrant 
7 millions pour perfectionner la navigation de la Meuse depuis Sedan 
jusqu’à la frontière, nous apprend qu'il est impossible de considérer 
le cours de cette rivière de Verdun à Sedan, comme né devant exiger 
aucun sacrifice , c'est donc à parür de Sedan qu'il faut compter la 
distance à canaliser pour unir la Meuse: à la Saône, même aprés une 
première dépense de 7 millions. La même loi consacre prés de 15 
millions pour amener la navigation de la Saône jusqu’à Port-sur- 

‘Saône. C'est donc à Port qu'it faut aboutir. Or, de Sedan à Port, 
la distance à vol d'oiseau est de. 24 myriamètres; de Frouard à, 
Port , ‘elle n’est que de 12. Ainsi après un premier sacrifice de 7 
nullions pour la Meuse, il faudra perfectionner la pe ou bien 
ouvrir un canal sur une longueur de 24 myriamètres à vol d'oiseau, 
tandis que de Frouard à Port » après un premier sacrifice d’un million 
seulement , que la loi du 50 ; juin 1855 a affecté à perfectionner la 
navigation de la Moselle de Frouard jusqu'à la frontière , les travaux 
à fairé occuperont une ligne de 42 myriamètres seulement. En comptant 
4 million par myriamètre , on arrive à ce résultat que la ligne de la 
Moselle coûtera 48 millions de moins que celle dé la Meuse: 

+ Personne n'ignore que dans la recüfication du cours des rivières, 
‘comme ‘dans la construction des canaux , de fortes sommes sont ab- 
Sorbées par l'acquisition des terrains nécessaires. Or, la Meuse dans 
tout son cours, est bordée de belles prairies et de’ terrains fertiles : 
le pays qui la sépare de la Saône n'est pas moins riche. Ainsi sur 
24 myriamêtres dé distance , les acquisitions! portant sur des propriétés 
d'une grande valeur, exigeront des sommés considérables. Sur la 
ligne dela Moselle ; dans la vallée étroite où coule cette rivière , 
les terrains qui occupent ses'bords et où l’on pourrait creuser un 
canal latéral d'Epinal à Toul, bien différens de ceux qui couvrent 
les pentes et les sommets des hauteurs voisines, ne sont que des 
grèves incultés et stériles , des champs maigres et pierreux, ou dés 
prairies médiocres! D D'Épirial à à Port la ligne de jonction travérserait 
aussi les mauvais ‘terrains de la Vosge, et sur plus de vingt lieues 
d'étendue, les PE par ne portant que sur des propriétés presque 
sans valeur, n ’exigeräierit que ‘de’ minimes sacrifices. Les communes 
qui en possèdent une partie, en feraient l'abandon en vue des avan- 
tages _que la navigation leur procurerait. 

“D'Épinal à Filèrdis l'infertilité des terrains de la vallée, résultat 
des fréquens DÉHOrdn Be de la Moselle qui les dépouille de leur 


392 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


terre végétale donnerait au canal qui y serait ouvert , une triple utilité. 
Non-seulement il constituerait une voie précieuse de communication; 
mais il serait aussi un canal de desséchement et de protection contre 
les ravages des inondations; mais il serait encore un canal de fer— 
ulisation parce qu'il est facile d'y rassembler les eaux nécessaires pour 
arroser la vallée et convertir les grèves en prairies fertiles. 

De la Moselle à la Saône, il faut franchir un col qui sépare les 
deux versans. Il en est de même de la Meuse à la Saône. En ad- 
mettant que ce trajet düt coûter dayantage de la Moselle à la Saône, 
il faut bien reconnaître que la différence des distances, et le prix 
plus élevé des acquisitions sur la ligne de la Meuse, excéderont tou— 
jours d’une somme considérable , le surcroît de dépenses que présen- 
terait ce trajet. 

D'Epinal à Toul, le canal ouvert dans des sables et des grèves, 
semblerait exiger des précautions spéciales pour prévenir l’infiltration 
des eaux; mais les terrains voisins fournissent l'argile en abondance, 
et il est prouvé par les canaux d'irrigation ouverts entre Epinal et 
Chatel, sur plus d’une lieue d’étendue et dans une dimension de 
dix mètres de largeur sur deux de profondeur, que, sans cette pré- 
caution, les terres de la vallée de la Moselle retiennent parfaitement 
les eaux. La Meuse perd les siennes dans une partie de son cours, 
par les fissures des rochers sur lesquels elle a creusé son lit. Ainsi 
l'objection qu’on pourrait élever contre une partie de la ligne de la 
Moselle, s'élève tout aussi forte, tout aussi puissante contre une partie 
de la ligne de la Meuse. 

11 faut ajouter encore que sur la ligne de la Moselle, les bois, les 
pierres, la main-d'œuvre, tous ces élémens de dépense, sont incon- 
testablement à plus bas prix que sur la ligne de la Meuse. 

Ainsi, sans recourir à des études approfondies, en s’arrétant seu— 
lement à des faits évidens et irrécusales, il est facile d'établir que 
la jonction de la Moselle à la Saône exigera moins de dépenses et 
de sacrifices, tandis que pourtant elle se recommande par la supério— 
rité de ses avantages et de l’activité du commerce qui doit en profiter. 

Comment donc ne pas s'étonner que le gouvernement donne la pré- 
férence à la jonction de la Meuse à la Saône, qu'il la soumette à 
des études, tandis que l’autre reste condamnée à l'oubli? Loin de 
moi l'idée de demander l'interversion du sort fait à chacune d'elles; 
loin de moi le désir de faire rejeter à jamais la jonction de la Meuse 
pour la remplacer par celle de la Moselle; loin de moi surtout l'in- 
tention de solliciter du Congrès un vœu qui favoriserait celle-ci et 


DEUXIÈME SECTION. 393 


exclurait celle-là. Non; ces deux lignes sont nécessaires ; toutes deux 
elles forment des parties importantes du système général des com- 
munications de l’est de la France : mais si, dans l’ordre de l'exécution, 
une prédominance doit être accordée à l’une d'elles, que ce soit au 
moins à la plus utile, füt-elle même la plus coûteuse! Ce que je 
veux, ce que je supplie le Congrés de solliciter, c'est que les deux 
lignes soient étudiées simultanément ; c’est que le résultat de ces 
études soit comparé; c’est enfin que le gouvernement ne se décide 
qu’en parfaite connaissance de cause , et que les populations ne puissent 
pas dire que de vaines et futiles raisons ont fait préférer la ligne de 
la Meuse à celle de la Moselle, quoique la première exige plus de 
sacrifices et doive produire moins d'avantages. 

-...... Je viens d'exposer la plus grande partie des avantages de 

la jonction de la Moselle à la Saône; qu'il me soit permis d'ajouter 
encore quelques détails sur l'histoire de ce projet, sur les moyens de 
le réaliser, sur les bienfaits qu’il produirait. 
* Sous le règne de Néron, Lucius Vetus, qui commandait dans une 
partie de la Germanie, voulait employer ses légions à creuser un canal 
de la Saône à la Moselle; mais OElius Gracilis, gouverneur de la Bel- 
gique , lui persuada que l’empereur en concevrait des inquiétudes, et 
le détourna de cette belle entreprise si digne des Romains. 

Si l’on en croit M. Bégin, à qui Metz doit tant et de si utiles 
recherches sur son histoire et sur celle de nos contrées, Brunehaut, 
cette grande reine dont le nom domine l’Austrasie, cette princesse 
à qui l’histoire partiale imputa tant de crimes, et à qui le peuple 
reconnaissant attribue tant de grandes choses, voulut à son tour réa 
liser les plans de Lucius Vetus. Les ducs de Lorraine l’essayérent en 
partie : nos annales conservent le souvenir des trayaux qu'ils entre- 
prirent pour fixer le cours inconstant de la Moselle et pour rechercher 
les moyens de l'unir à la Saône. Pendant les dernières années de 
l'ancienne monarchie, M. Lecreulx, ingénieur en chef de la province 
de Lorraine, étudia de nouveau le projet des Romains. Dans un 
mémoire publié en l'an IV, sur la navigation des rivières de Lorraine, 
il exprime la pensée que Lucius Vetus voulait unir la Moselle à la 
Saône par l’étang de Cone, qui verse ses eaux dans l’une et dans 
l’autre ; il démontre la possibilité d'amener la navigation de la Mo- 
selle, par un canal latéral, jusqu'à deux lieues au-dessus d'Epinal, 
celle de la Saône par le Coney jusqu’à Fontenoy-le-Château, et de 
franchir le col qui sépare ces deux points, par un système d’écluses ; 
mais, à raison de la dépense que ce système devait exiger et qu'il 


5o 


594 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


évaluait à 7 millions de livres, il proposait une route en terre entre 
Epinal et Fontenoy , séparés seulement par une distance de sept lieues. 

En 4898, M. Cordier, dont le nom est glorieusement connu dans 
l'administration des ponts et chaussées, reprit, dans l'intérêt d'une 
compagnie, l'étude des plars de M. Lecreulx. Le mémoire qu'il a 
publié démontre la possibilité de la jonction de la Moselle à la Saône, 
et en porte la dépense à 26 millions, y compris le perfectionnement 
de la navigation de la Saône depuis Chälons. Sur cette somme, M. 
Cordier affecte douze millions au trajet d’Epinal à Fontenoy; dans 
ce trajet, il propose une galcrie souterraine et une tranchée à ciel 
ouvert pour couper la partie la plus élevée du col. Il emploie les eaux 
de la Moselle pour alimenter le bief de partage. 

Depuis cette époque , le temps a marché, et loin d’apporter des 
obstacles à l'exécution de ce beau projet, il a tout fait au contraire 
pour en préparer la réalisation et en accroître les avantages. 

Déjà, de Châlons à Port-sur-Saône , le perfectionnement de la na- 
vigation de la Saône est assuré; le gouvernement lui a consacré des 
sommes considérables et qui sufhront , à ce qu'il paraît, pour amener 
cette navigation jusqu’à Cendrecourt. De là jusqu’à Fontenoy-le-Château, 
si j'en crois des renseignemens que je dois considérer comme certains, 
une somme de 900 mille francs suffirait pour faire remonter la na- 
vigation par le Coney. 

Déjà, d’un autre côté, le perfectionnement de la Moselle, depuis 
Sierck jusqu'à Frouard , est également assuré. Cette année, le ministre 
répondant aux interpellations d’un député de la Meurthe, a annoncé 
l'étude d’un projet qui ferait remonter cette navigation jusqu'à Toul, 
peut-être même jusqu’à Flavigny. L’avant-projet d'un chemin de 
fer du Hävre à Strasbourg, comprenait un embranchement sur la 
Saône par la vallée de la Moselle. 

Ainsi leë distances se rapprochent; quelques pas encore elles dis- 
paraîtront. Ainsi les sacrifices a faire diminuent de tous ceux qui 
sont déjà faits; quelques millions encore et la jonction sera exécutée. 

D'Épinal à Toul , la Moselle coule dans une vallée dont la largeur 
varie de 600 à 4,600 mètres; en quelques points seulement, elle 
est inférieure à 200; mais partout il y a place pour le lit or- 
dinaire et pour un canal latéral ; à Épinal , la Moselle fournit plus 
d’eau qu’il n’en faut pour alimenter ce canal. Les terrains à acquérir 
sont de la plus faible valeur ; ils sont faciles à creuser; dans cette 
distance de dix-sept lieues, il n'y a ni hauteur à trancher, ni 
côte à percer. Nulle part, l'ouverture d’un canal ne peut exiger 


DEUXIÈME SECTION. 395 


moins de sacrifices. Nulle part, il ne présenterait d'aussi grands 
avantages. 

Ces avantages, je les ai déjà indiqués en partie, et, je puis le 
dire, ils sont si grands, si incontestables, qu'indépend2mment de 
sa jonction à la Saône, ce canal doit être exécuté. J'ai dit que ce 
n'était pas seulement comme voie de communication , qu'il présentait 
un haut degré d'utilité. Il me sera facile d’en fournir une preuve irré- 
cusable. 

& En mars 1754, dit M. Lecreulx, une compagnie demandait à 
Stanislas de rendre la Moselle navigable de Frouard à Épinal, moyen— 
nant un tarif, une taxe pendant quinze ans sur les terrains qu’elle 
exempterait des inondations et qu'elle évaluait à 62 mille arpents 
(taxe de vingt sous par arpent). Elle supprimait dix-sept moulins 
existants sur son cours ou sur des canaux qui en sont dérivés, cons— 
truisait des moulins à vent pour les remplacer, prenait les dix- 
sept moulins pour 9 ans, au même prix de loyer que les anciens, 
et demandait la permission d’employer les communautés par corvées 
aux déblais et remblais, dans les mêmes proportions qu'elles étaient 
employées annuellement à la construction des chemins. Elle s’obligeait 


VU OV V UV OV VO V y v 


à terminer dans cinq ans. » 
Pourquoi le gouvernement , en ouvrant un canal d'Epinal à Toul, 
ne pourrait-il pas réclamer une taxe spéciale sur les terrains qui 
seraient désormais garantis des inondations? Pourquoi, aprés ayoir 
conduit dans ce canal toutes les eaux nécessaires pour fournir aux 
arrosages de la vallée, ne mettrait-il pas un prix à la concession 
de ces eaux? A Épinal ; la Moselle en fournirait assez; les affluens 
qu'elle recoit, remplaceraient successivement celle que les concessions 
auraient dépensce. Sur les grèves de la vallée, il ne faut qu'un peu 
de sable et de l’eau pour faire une prairie. Déjà les canaux ouverts 
d’Epinal à Châtel, ont fertilisé de cette manière plus de mille arpens 
de grèves. incultes; ce grand résultat dû au génie actif et à l'in 
fatigable persévérance de MM. Dutac frères, d’Epinal, ne démontre 
til pas tous les bienfaits que pourrait produire la création d'un 
canal d’Epinal à Toul ? Ne prouve-t-il pas que le gouvernement pourrait 
tirer de ce canal, un reyenu égal, peut-être même supérieur à l’intérét 
des fonds qu'il aurait coûtés? Qn a évalué à 42 millions les améliora- 
tions foncières que ce canal assurerait d'Epinal à Frouard ; les dépenses 
n’excéderaient peut-être pas la moitié de cette somme. 

Ainsi, pour amener la navigation de la Saône jusqu’à Fontenoy-le- 
Château, pour construire un canal de Frouard jusqu'a Epinal, il 


396 MÉMOIRES ET PIECES. 


faudrait peu de dépenses et ces dépenses seraient largement com— 
pensées. Le trajet entre les deux bassins présente seul des difficultés. 

L'Etang de Cône que MM. Lecreulx et Cordier adoptent pour point 
de partage , est situé à trois lieues au-dessus d’Epinal et placé sur 
une hauteur. 11 est alimenté par plusieurs sources et par un étang 
plus élevé encore , il verse ses eaux, d’un côté dans le Coney l’un 
des aflluens de la Saône, et de l'autre dans le ruisseau de la Niche 
qui se jette dans ja Moselle, auprès des papeteries d'Arches. La po- 
sition remarquable de cet étang a de tout temps attiré l’attention des 
ingénieurs qui se sont occupés de la navigation lorraine. La nature 
elle-même semblait le leur offrir pour en faire le bicf de partage de 
la jonction de la Moselle à la Saône: mais peut-être ce phénomène 
qui fait couler les eaux du même étang vers deux mers différentes, 
a-t-il trop préoccupé l'attention de MM Cordier ct Lecreulx? Peut- 
être n'ont-ils pas recherché avec assez de soin, si entre Epinal et 
Arches , il ne se rencontrerait pas des cols moins éleyés et moins 
difficiles à franchir ? La société d’émulation des Vosges peut en signaler 
d’autres ; des études approfondies établiront qu'en les adoptant, la 
jonction des deux bassins deviendra plus facile et exigera moins de 
sacrifices. 

D'ailleurs, n'y a-t-l pas à examiner aussi si à la jonction par un 
canal, il ne serait pas possible de substituer la jonction par un 
Struts de fer? Déja une communication nouvelle sur des pentes 
plus douces et mieux ménagées , doit s'ouvrir entre les deux bassins, 
aux frais du département et des communes. Existe-t-il des obstacles 
suflisans pour empêcher de la convertir en chemin de fer? C'est 
encore une étude approfondie qui permettra de résoudre cette question. 
M. Cordier rejetait cette idée parce que la pente devait être d’un 
centimètre par mêtre; mais cette pente, c'était à l'étang de Cône 
qu'il l’avait mesurée ; dans la direction de la route nouvelle, le col 
est bien moins élevé et par conséquent la pente peut être considérable- 
ment réduite. D'ailleurs la construction des chemins de fer a fait 
d'immenses progrès, et ce qui pouvait paraître diflicile ou inexécu- 
table en 1828, n'oflrira plus aujourd'hui que des obstacles faciles à 
surmonter. 

Ainsi, que la jonction s'opère par un canal, par un chemin de 
fer, ou seulement par une bonne route, depuis Epinal jusqu'à Fon- 
tenoy-le-Chäteau , sans doute les avantages ne seront pas les mêmes. 
Ils décroîtront si le chemin de fer est préféré au canal, si la route 
est préférée à tous les deux , mais les dépenses décroîtront aussi et 


DEUXIÈME SECTION. 397 


dans une proportion probablement plus large; mais il restera encore 
des avantages immenses, incalculables. 

Faut-il maintenant vous parler encore de ces avantages? Faut:il 
signaler les titres de nos départemens à obtenir cette création qui 
enrichirait tout l’est et une partie du midi de la France et doublerait 
les bienfaits d’un canal ouvert du Hävre à Strasbourg? Lisez le mé- 
moire publié par M. Cordier et vous reconnaïitrez qu’il est impossible 
de rien ajouter aux considérations qu’il a présentées avec une grande 
hauteur de vues, et avec la plus exacte apprécialion des ressources 
et des besoins de cette partie de la France. 

.....Le canal de la Saône à la Moselle établirait une communication 
prompte et facile entre les départemens de l’est et ceux du midi, il 
traverserait les pays les plus riches en vins, en mines, en forêts, en 
carrières de marbre, etc., ceux qui ont le plus besoin de faire entre eux 
des échanges. Souvent dans le bassin de la Moselle, le prix du blé 
descend à 12 fr. l’hectolitre, tandis que dans celui de Ja Saône et 
du Rhône, il dépasse 48 fr. Au moyen du canal, le transport d’un 
hectolitre d'un bassin à l'autre, n'excéderait pas À fr. 50; la dif- 
férence se partagerait en bénéfice entre le consommateur et le pro 
ducteur. Et aujourd'hui déjà ce commerce est immense. Dieuze, 
Château-Salins, la Voivre , fournissent d'énormes quantités de grains 
qui, depuis Gray, descendent dans les vallées du Rhône et de la 
Saône. Les marchandises expédiées du midi n'auraient à traverser 
qu'un seul bief de partage pour arriver en Belgique, en Hollande 
ct en Allemagne, en évitant les états des petits princes allemands 
qui génent la navigation du Rhin par des péages. Les forges des 
Vosges et de la Haute-Saône réaliseraient par l'abaissement du prix 
des transports, des bénéfices qui se répartiraient entre le maître de 
forges, le proprictaire des forêts et les consommateurs. En temps 
de guerre, les armées placées sur la Moselle et le Rhin recevraient 
leurs approvisionnemens par le canal de la Saône. Toute la navigation 
que la guerre interromprait sur le Rhin, se reporterait sur ce canal. 
Par lui la Suisse recevrait les expéditions de la Hollande. Il n'existe 
dans aucun état de l'Europe, une navigation plus étendue, plus 
directe, plus importante. 

Le temps dans sa marche n’a fait qu'ajouter à tant d'avantages si- 
gnalés par M. Cordier qui les justifie par des calculs. Les projets 
conçus ; entrepris ou déjà exécutés ont apporté un nouveau degré d’im— 
portance à la jonction de la Moselleà la Saône. Les nouvelles houillères 
découvertes dans le bassin de la Saône réclament cette voie de com— 


398 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


munication. Leurs produits amenés dans les Vosges avec ceux des 
houilléres de la Prusse et de la Belgique , permettraient d’accroître l'ex- 
portation du bois que les montagnes fournissent aux départemens voisins. 
La fabrication des cotons qui a doublé d'importance depuis dix ans, 
dans une partie des Vosges, prendrait un essor encore plus rapide. 
Les cours d’eau des montagnes alimenteraient de nouvelles usines. 

L'exploitation des marbres serait doublée ; on verrait renaître celle 
des granits et des porphyres que la difficulté des communications 
a fait interrompre depuis vingt ans. Partout, aux abords de cette 
belle ligne, l’agriculture deviendrait plus prospère et l'industrie plus 
active. En enrichissant l’est et le midi dela France, le gouvernement 
aurait enfin accordé une juste part dans les améliorations publiques, 
à nos départemens si long-temps délaissés. En même temps, des 
rapports plus intimes s'établiraient entre la France et les peuples 
voisins ; on verrait S’éteindre ces ressentimens et ces préventions na— 
tionales qui nous séparent encore de la Prusse, ce pays si riche, 
si intelligent, si digne de marcher avec la France au premier rang 
de la civilisation continentale. 

Il est une dernière considération que le gouvernement doit peser 
avec la plus sérieuse attention. Jusqu'à nos jours, l’industrie a re- 
cherché les pays de montagne : elle trouvait dans leurs cours d’eau 
des moteurs économiques, dans la pauvreté de leurs habitans le bas 
prix de la main-d'œuvre. Aujourd'hui, la vapeur fournit partout des 
moteurs plus chers, sans doute, mais d'une puissance plus facile à 
régler et surtout indépendante de l'influence des saisons. Aussi lin 
dustrie tend-elle à rapprocher ses établissemens des grands centres de 
consommation , et des grandes lignes d’une communication facile. L’é— 
concmie qu’elle obtient sur les transports, compense et au-delà la 
dépense des machines à vapeur et le plus haut prix de la main 
d'œuvre. Ainsi, les pays de plaine qui possèdent toutes les richesses 
de l’agriculture vont y joindre bientôt toutes celles de l’industrie; les 
pays de montagnes qui trouvaient dans le travail apporté par les 
manufactures , une compensation à l'infertilité de leur sol et les moyens 
de se procurer les productions que la nature leur a refusées, tom— 
beront bientôt dans l'excès de la pauvreté et de la misère. La plaine 
se couvrira d'une population nombreuse et riche; la montagne ne 
conservera plus qu’une population malheureuse et rare. L'abondance 
et le bas prix du bois dans les montagnes suspendent seuls ce dé- 
plorable résultat; mais tous les ans, le prix du bois s'élève dans une 
progression rapide. 


DEUXIÈME SECTION. 399 


Quels sont les moyens de prévenir un état de choses qui ruinerait 
et dépeuplerait une partie de la France, au profit de l’autre, et 
nuirait en dernier résultat à la prospérité de toutes les deux? Ce 
serait d'adopter un système plus juste et plus équitable dans la ré- 
partition des améliorations publiques et surtout des grandes lignes 
de commvnication. Ce serait de ne plus donner aux seuls pays de 
plaine les belles routes, les canaux et les chemins de fer: ce serait 
enfin d'appeler les pays de montagnes à jouir des mêmes bienfaits, 
dussent ces bienfaits exiger de plus grands sacrifices. 

Eh bien, l’ouverture d’un canal du Hävre à Strasbourg , et la jonc— 
tion de la Moselle à la Saône, ces deux lignes de communication 
recommandées par tant d'utilité, auraient encore l'immense avantage 
d’assurer aux montagnes de l'est de la France, la conservation de 
leurs établissemens d'industrie et le maintien de l’aisance et du bien- 
être dont jouissent leurs habitans. Sans elles, leur prospérité décroîtra 
tous les jours; sans elles, comme le disait M. Cordier, leur état 
stationnaire sera suivi de maux prochains plus grands. Je puis donc 
le proclamer: elles sont indispensables à nos départemens lorrains ; 
elles profiteront à vingt autres; elles accroîtront la richesse de la 
France de toute la prospérité dont elles doteront ces départemens, 
et des bénéfices que lui apporteront les nouvelles relations ouvertes 
avec tant de peuples voisins. ....,........ 


100 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


BANQUE 


DU 


DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE, 


Par M. Févrx ne VIVILLE. 


Depuis long-temps on recherche en France les moyens d'améliorer 
l'existence des classes inférieures, de donner un plus grand essor à 
l'industrie et au commerce , et de faire faire des progrès à l’agricuhure. 

La prospérité de l'Angleterre, de l’Ecosse, et surtout des Etats- 
Unis nous étonne. Nous admirons les canaux , les chemins de fer qui 
sillonnent ces contrées ; les nombreuses manufactures qui livrent leurs 
produits à bas prix ; les fermes cultivées avec une rare perfection, et 
nous sommes forcés d’ayouer notre infériorité. 

Il est facile de se convaincre qu’une si brillante situation est due 
au grand nombre de banques provinciales qui étendent leurs rami- 
fications jusque dans les plus humbles hameaux. La France est ar— 
rivée sans doute à un degré de civilisation assez marqué, pour qu'il 
lui soit permis de marcher sur les traces de ces états, en se garan- 


DEUXIÈME SECTION. 401 


cés états, en se garantissant toutefois des écarts qui viennent mettre 
en péril leur commerce et leur industrie (E)e 

En effet, les /capitaux sans l'industrie restent stériles, et sans ca- 
pitaux l’industrie languit. Mais partout où ces deux élémens de la 
richesse publique se combinent, on voit croître rapidement le bien- 
être et l’aisance, et se développer la prospérité du pays. 

Les banquiers recoivent de l'argent à intérêt et escomptent des effets 
de commerce ; mais il ne leur est pas permis de mettre des billets de 
banque en circulation, ni par conséquent d'augmenter les signes moné- 
taires ou les capitaux d'un pays; tandis qu'une banque publique a le 
privilége d'émettre des billets pour une somme plus forte que le nu- 
méraire dont elle dispose. En escomptant contre ces mêmes billets des 
effets de commerce, elle multiplie les sources de la richesse, puisque 
ces billets s’élévent ordinairement à une valeur double du capital de 
la banque. L'intérêt de ses fonds est donc aussi doublé; et ce bénéfice 
lui permet, non-sculement d’escompter et d'ouvrir des crédits à un 
taux modéré, mais encore de se créer une dotation (**). 

Ainsi ces banques sont utiles à toutes les classes de la société, aux— 
quelles elles offrent en tous temps des moyens de crédit ; et l'on sait 
que le crédit est l'ame de toutes les entreprises industrielles. En pré- 
tant à un taux modéré aux manufacturiers , aux commercans et aux 
agriculteurs, elles les mettent à même de livrer leurs produits à un 
prix plus bas que les contrées dépourvues d’un si précieux établisse— 
ment, et de soutenir ayec avantage la concurrence. 

Ces banques font fructifier les capitaux qu'on leur confie, en les 
répartissant sur la surface du sol. Elles entretiennent entre les capi— 


{‘) Au er janvier 1835, il y avait en Amérique, outre la banque des Etats-Unis, 557 


banques et 121 succursales. dolls 
Capital de ces établissemens, ...,..................,. 231,250,337 ’ 
DÉPOT. she mp») clsdele) els ape ustapred e alice = esse e + «+ 83,084,365 
Total. - .... . . . . 314,331,702 
Prêts et comptes... ..... sus ses sers. es «0 265,163,834 
Circulation, ... .. . . .. oise also eee Men 2 ete a re Ce ++ 103,692,40% 
Espèces. . 4... dose. snnssss esse...  A6,699,444 
Fonds... ,..,...... er. omess soute 9,210,579 
Enrenhlenen le close vante ngelol ohne eee Rae A QT ue nf 11,140,657 


Toraz, . ....... 536,207,009 


{‘*) Avec uu capital de 100,000 fr., une, banque peut facilement émettre des billets pour 
une valeur de 200,000 fr,; d’où il résulte qu’en escomptant des effets pour cette somme, à 
raison de 5 pour cent, elle retire 10 pour cent de son capital. 
br 


102 MÉMOIRES ET PiËCÉS. 


talistes et les industriels des relations qui, sans elles, ne pourraient 
s'établir. Elles empêchent l'argent de s'accumuler sur un seul point, 
et enfin elles en égalisent la rente. 

La valeur de l'argent, comme celle de toutes les marchandises, 
dépend du rapport qui existe entre les demandes et la quantité qui 
en existe. Ainsi, là où abonde, soit le numéraire, soit le signe ou le 
papier qui en tient lieu , là aussi l'intérêt doit infailliblement diminuer. 
Au contraire, plus l'argent devient rare, plus l'intérêt augmente, et 
toutes les transactions en souflrent. 

Ces établissemens se prêtent à toute espèce d'emprunt. Celui qui a du 
crédit obtient des fonds sur sa signature; le propriétaire emprunte sur 
hypothèque ; le marchand , le manufacturier donnent en nantissement 
leurs marchandises ; l’agriculiteur se procure de l'argent sur le dépôt 
de ses denrées, et le prolétaire sur celui de son mobilier. 

Ce système de banque, dit la Revue Britannique , présente trois 
avantages principaux. 4° Il donne aux habitans laborieux et amis de 
l'ordre, un moyen de placer les économies qui ne peuvent être 
admises dans les caisses d’épargnes. 2° 11 procure aux hommes in— 
dustrieux de tout rang et de toute condition des emprunts à un taux 
modéré. 3° Enfin il offre au public, en général, un moyen de cireu— 
lation économique et sur. 

Aucun pays n'obtiendra des banques tous les avantages qui peuvent 
en résulter, tant qu'elles n'auront pas été constituées sur des principes 
qui puissent attirer à ces réservoirs les épargnes de chaque province, 
de manière à mettre en valeur toutes leurs ressources. 

L'établissement des caisses d'épargnes a produit un grand bien; 
mais comme on ne peut y déposer plus de 2 à 5000 fr., la difficulté 
de placer avec sûreté des sommes plus considérables , a occasionné 
la perte d'une foule de capitaux compromis par des faillites, 

Quelqu'utiles qu’aient été les banques d’Ecosse, comme déposi- 
taires des économies des classes inférieures, sous d’autres rapports 
elles ont rendu encore de plus importans services au public, par les 
encouragemens qu'elles donnent à l'esprit d'entreprise. Leurs direc— 
teurs sont forcés, par les considérations les plus puissantes, à s'em— 
ployer sans cesse pour découvrir des moyens sûrs d'utiliser les ca— 
pitaux qu’ils ont entre leurs mains. Or les placemens ne peuvent se 
faire que parmi ceux qui, jouissant d’une réputation bien éprouvée 
d'intégrité et d'habileté, manquent des capitaux nécessaires pour les 
entreprises qu'ils ont à conduire. Les banques ne sont pas moins 
attentives à découvrir ces hommes dignes de leur confiance, que 


DEUXIÈME SECTION. 403 


ceux-ci ne sont empressés à leur demander des fonds. Ce sont, d'une 
part, les épargnes des hommes laborieux , et de l’autre, les encou- 
ragemens donnés avec discernement à l’agriculture et à l’industrie 
qui ont été la cause déterminante des progrès que l’Ecosse à faits dans 
les voies. de la richesses. 

Les avances que font'ces banques sont bien plus avantageuses à 
l'industrie agricole qu’aux classes marchandes. Le petit marchand bien 
famé peut facilement obtenir du crédit des négocians en gros, tandis 
que le fermier qui a besoin de capitoux n’a pas la même ressource. Il 
est obligé d’ajourner toutes les améliorations qu’il médite, et même 
d'y renoncer entitrement, parce qu'il manque de l'argent nécessaire 
pour les exécuter. Alors le sol est mal cultivé, le produit brut trés 
faible, et le revenu du propriétaire peu élevé. 

Lorsque la banque ouvre un crédit à un fermier, un maximum- 
est établi; ce maximum ne peut être dépassé par l'emprunteur ; mais, 
d’un autre côté, il n'est pas obligé de prendre cette somme tout à 
la fois, et d’en payer l'intérêt intégral. 11 la retire graduellement, à 
mesure de ses besoins. Il a encore un autre avantage, celui dle verser 
à la banque le prix qu'il retire de ses denrées, de son bétail, et 
dont l'intérét court à son profit. 

Quand, en France, un fermier vend ses récoltes, il en garde le- 
prix jusqu’au jour du paiement de son fermage; s'il fait des béné- 
fices, il les conserve jusqu'a ce qu'il ait trouvé l’occasion de les 
mettre en fonds de terre ou en achat de bestiaux. Il s'ensuit qu'une 
grande parlie des capitaux employés dans l'agriculture de ce pays 
y reste stérile, tandis qu'en Ecosse la totalité des capitaux est main— 
tenue dans un état de circulation continuelle. Aucun d'eux, quelque 
faible qu'il soit, ne reste inactif. L'excédant du fermier riche passe 
sans délai dans le réservoir de la banque , pour se diriger ensuite dans 
les mains de son voisin moins opulent , qui a besoin d’un secours mo- 
mentané. 

Les petites sommes économisées par les ouvriers sont régulièrement 
déposées dans les caisses de ces banques. Elles en sortent ensuite, 
réunies en sommes plus considérables, pour alimenter l’industrie des 
manufacturiers et des fermiers , et après avoir passé dans leurs mains, 
elles rentrent de nouveau, sous la forme de salaires, dans la bourse 
des ouvriers. Aussi ce système a procuré au propriétaire une rente 
plus considérable , le fermier en a retiré un excédant de profit au- 
dela de l'intérêt de l'argent qu'il avait emprunté à la banque; les 
ouvriers ont eu à la fois plus de travail, et un travail mieux rétribué, 
et ils sont devenus plus laborieux et plus économes. 


404 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Ces ävantages ne sont pas les seuls qu’ait produits ce système ; en effet, 
tandis qu’il entretenait dans une espèce d’aisance tous les journaliers , il 
procurait à ceux d’entre eux qui étaient doués de quelqu’énergie et 
de quelqu'’intelligence, les moyens de sortir de leur condition. Là 
les degrés de l'échelle sociale sont abordables aux plus humbles des 
ouvriers : s'ils ont l'amour du travail et l'esprit de conduite nécessaires 
pour inspirer la confiance, les fonds ne leur manquent pas. 

Les administrateurs de ces banques forment une classe d’observateurs 
poussés par l'intérêt particulier à surveilier avec l’attention la plus 
sévère les personnes qui ont des crédits ouverts dans ces établissemens, 
et cette surveillance exerce une grande irfluence morale sur toute la 
généralité des habitans. 

Le pauvre industrieux voit donc une route immense ouverte devant 
lui, et à chaque point de la route il trouve les secours dont il a 
besoin pour la poursuivre. En Ecosse les classes laborieuses sont con 
vaincues qu'il n’y a que l’indolence et la mauvaise conduite qui 
puissent les empêcher d'acquérir des richesses et de la considération. 
Le désir d'améliorer leur position provient naturellement de la facilité 
qu’elles ont d'y réussir: c’est à cette cause qu’on doit attribuer d’une 
part l'industrie, l’économie et l'esprit d'ordre qui distinguent les 
habitans de ce pays, et de l’autre le trés-petit nombre de pauvres 
dont les riches sont appelés à soulager la misère. 

Il est certain que ce système appliqué à la France vivifierait l'in 
dusirie, ferait fleurir l’agriculture, si négligée sur un grand nombre 
de points, et emploierait avantageusement les capitaux surabondans 
du pays. D'un autre côté, en donnant une nouvelle impulsion à lin— 
dustrie agricole , commerciale et manufacturière, ces banques in- 
flueraient puissamment sur l'augmentation des revenus de l’état. L'ac- 
croissement de la production serait nécessairement suivi de l’accroisse-— 
ment des objets imposables. De cette maniére en étendant les surfaces 
sur lesquelles pésent les contributions indirectes, le poids en serait 
nécessairement allégé. Cet accroissement des revenus de l’état, per— 
mettrait , soit de réduire les taxes dans une proportion correspondante 
à son montant , soit d'entreprendre de grands travaux d'utilité publique. 

Tels sont les précieux avantages qui résultent du système de banque 
introduit en Ecosse. S'il n’est pas possible d'entrer sur-le-champ dans 
des voies si larges et si généreuses, du moins est-il permis de doter 
notre département d’une banque publique. Cet utile établissement, 
dirigé avec prudence et sagesse , réalisera des bénéfices, se formera 
un fonds de réserve, et se créera une dotation. C'est alors qu'il lui 


DEUXIÈME SECTION. 405 


sera possible d'établir des succursales dans les villes et les bourgs du 
département et d'embrasser les mêmes opérations que les banques 
d’Ecosse. 

La banque doit offrir à toute personne qui présente des garanties, 
les moyens, soit d'entreprendre une industrie manufacturière , com— 
merciale ou agricole, soit d'en perfectionner le système. C’est pour 
atteindre ce but que des actionnaires sont appelés à former le capital 
nécessaire aux opérations de la banque, et que des particuliers sont 
admis à y placer des fonds à intérêt. Ces capitaux sont doublés ou 
triplés par les billets de circulation. 

Avec ces ressources la banque peut se livrer aux opérations suivantes : 

1° Elle escompte des lettres de change et tous autres effets de 
commerce. 

2° Elle ouvre des crédits en compte aux personnes qui lui présentent 
des garanties. 

3° Elle fait des prêts sur première hypothèque , prêts qui ne doivent 
pas dépasser la moitié de la valeur estimative de la propriété. 

4° Elle se charge de l’encaissement des effets qui lui sont remis. 

5° Elle recoit en compte courant, sans intérêt, les sommes qui lui 
sont confiées , et paie les mandats jusqu'à concurrence des sommes 
qui lui ont été versées. 

6° Elle prend part aux emprunts, soit municipaux, soit départe— 
mentaux. : 

7° Elle fait des avances sur dépôts d'effets publics francais. 

8° Elle en achète pour son propre compte. 

0° Elle fait des avances pour l'exécution des travaux d'utilité pu- 
blique. 

10° Elle fournit des lettres de change sur toutes les places où elle 
a des succursales ou des agens. 

Aünsi cet établissement embrasserait toute espèce de prêts. Mais 
comme le but qu'on se propose d'atteiadre est moins de procurer 
de grands bénéfices aux actionnaires , que de travailler à la prospérité 
générale du pays’, en marchant sur les traces de l’Ecosse , les bénéfices 
réalisés au-dessus d’un certain dividende payé aux actionnaires , 
seraient mis en réserve, pour doter cet établissement. À ce fonds 
viendraient se joindre des dons et des legs: cette dotation servirait 
à assurer en tout temps aux actionnaires un intérêt de 5 à 6p. °/,; 
àrelever le crédit ébranlé dans les momens de crise commerciale , alors 
que les capitalistes retirent leurs fonds de la circulation et mettent en 
péril les maisons les plus solides ; à ouvrir des crédits aux fermiers et 


206 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


aux artisans qui ne présentent pour garantie qu’une bonne réputation ; 
enfin à prendre part aux grands travaux d'utilité publique , sans exiger 
aucun intérêt des fonds prétés. 

A l'expiration du terme fixé pour la durée de la société, cette do- 
tation resterait la propriété des actionnaires qui la consacreraient soit 
à la fondation d'une nouvelle banque, soit à des travaux d'utilité 
publique. 

Quant au prêt sur nantissement d'effets mobiliers, comme la loi 
du 16 pluviôse an XII ne permet cette espèce de prêt qu'a la con- 
dition que les bénéfices retourneront aux pauvres, et que le législateur 
reconnait comme pauvre l’emprunteur sur nantissement , c’est à la caisse 
d’épargnes et à la maison de prêts sur nantissemens que devra s’adres-— 
ser cette classe d'emprunteurs. En eflet, à Metz, une partie des fonds 
de la caisse d’épargnes est employée en prêts sur nantissemens; l’autre 
partie est placée à la caisse des dépôts et consignations sous la garantie 
du trésor public. Les bénéfices qui résulient de ces opérations for- 
ment une dotation qui consolide ces établissemens, et qui donne à 
l'administration les moyens de faire baisser le taux de l'intérêt du 
prêt, er d'élever le taux de la rente servie aux personnes économes. 

Cette organisation, qui offre aux déposans les garanties les plus 
solides pour la conservation des leurs fonds, excite les classes la— 
borieuses à l’économie, et c'est à elle qu'est due la supériorité que 
la caisse d’épargnes de Metz a acquise sur les autres caisses du 
royaume 

La banque pourrait être placée dans le local occupé par la caisse 
d'épargnes et la maison de prêt sur nantissemens , mais son admi- 
nistration et sa comptabilité en seraient distinctes et séparées. 

D'après le système qui vient d’être développé, une notable portion 
des économies faites par les classes laborieuses, au lieu d'être enlevée 
aux départemens qui déjà manquent de capitaux, pour être dirigée 
sur la capitale qui en regorge, serait répandue dans tout le pays. 
On ne verrait plus dans le centre de la France, l'intérét commercial 
à 8 et même à 42 p. ‘/,, alors qu'à Paris il est à 5 et à 4p. °/.. 

Ainsi donc cet établissement se préterait à tous les genres d’em-— 
prunts. Les négocians , les fabricans , les agriculteurs , etc. , qui jouissent 
d'une bonne réputation, et dont le crédit est fortement consolidé, 

- trouveraient, à un taux d'intérêt modéré, des fonds sur leur signa- 
ture et sur celle de leur caulioh; les personnes qui présenteraient 
peu de solvabilité emprunteraient sur leurs propriétés, soit immobi-— 
lières, soit mobilières ; enfin, grâce à la dotation de la banque, des 


DEUXIÈME SECTION. 407 


crédits seraient ouverts aux fermiers et aux artisans probes et amis 
du travail. 

Il est sans doute permis d'espérer que les amis sincères du bien 
public, que le conseil municipal de Metz et le conseil général du 
département ne balanceront pas à prendre part à une œuvre qui doit 
exercer une puissante influence sur la prospérité du pays, en ouvrant 
les portes de la fortune aux hommes d'intelligence, d'habileté, d'é- 
nergie et de probité. 

On ne peut disconvenir sans doute que les sommes attribuées à 
l'entrepôt du commerce ne fussent plus utilement employées, dans 
l'intérêt général des citoyers, si elles étaient affectées à la dotation 
d'une banque qui escompterait les effets du petit commerce, 


PROJET DE STATUTS. 


TITRE I. 
DE LA BANQUE. 


SECTION 1". 
CONSTITUTION ET DURÉE DE LA SOCIÉTÉ. 


Art. À. Il sera établi à Metz, avec l'autorisation du gouvernement, 
une banque publique de circulation , d'escompte , de comptes courans 
et de crédits , sous la dénomination de banque du département de 
la Moselle. 

Des succursales pourront être créées dans les chefs-lieux d’arrondisse- 
ment de ce. département. 

Art. 2. Cet étabissement sera formé en société anonyme. Les fonds 
en seront faits par des actions. 

Art. 3. La durée de cette société sera de trente ans , à partir de 
la date de l'ordonnance royale que l'aura autorisée. 

Art. 4. Elle pourra être renouvelée en observant les formalités prescrites 
par le code de commerce; mais le vœu de la majorité pour ce re- 
nouvellement ne sera pas obligatoire pour la minorité , laquelle n'aura 
que le droit de réclamer ce qui lui revient au prorata dans la liquida- 
ton, 7 


408 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


SECTION II. 


DU CAPITAL DE LA BANQUE ET DE SES ACTIONS. 


Art. 5. Le fonds capital de la banque sera d’un million divisé en 
mille actions de mille francs chacune. 

Art. 6. Si ce fonds devenait insuffisant , il pourrait être augmenté 
par une nouvelle émission d’actions, dont le mode et la quotité 
seront réglés par l'assemblée générale des actionnaires, sur la proposition 
du conseil général. 

Cet accroissement de capital ne pourra avoir lieu qu'avec l’autorisa- 
tion du gouvernement. 

Art. 7. Aussitôt que l'établissement sera constitué, et dans la quin— 
zaine qui suivra l'avis qui leur en sera donné, les actionnaires seront 
tenus de verser à sa caisse le montant de leurs actions en espèces. 

Art. 8. Les actionnaires de la banque ne seront responsables de ses 
engagemens que jusqu'à concurrence du montant de leurs actions. 

Art. 9. Ces actions seront nominatives; dans aucun cas elles ne 
pourront étre au porteur. 

Elles seront représentées par une inscription nominale sur les re- 
gistres de la banque tenus doubles à cet effet. 

Il sera délivré aux propriétaires desdites actions un certificat de 
cette inscription. 

Elles pourront être acquises par des étrangers, aussi bien que par 
des francais. 

Art. 10. La transmission des actions s'opérera par de simples transferts 
sur les registres tenus en double à cet effet. 

Elles seront valablement transférées par la déclaration du propriétaire 
ou de son fondé de pouvoirs , signée sur les registres et certifiée par 
un agent de change en cas de vente, et par un notaire, dans le 
cas de transmission par succession. 

S'il y a opposition signifiée à la banque, et visée par elle, le 
transfert ne pourra s’opérer qu'après la levée de l'opposition. 


l 


DEUXIÈME SECTION. 109 


SECTION If. 


DES OPÉRATIONS DE LA BANQUE. 


Art. Â1. La banque ne pourra dans aucun cas, ni sous aucun 
prétexte, faire ou entreprendre d'autres opérations que celles qui 
sont spécifiées dans les présens statuts. 

Art. 12. Les opérations de la banque consisteront : 

1° À escompter des lettres de change et tous autres effets de com- 
merce, à ordre et à échéances déterminées. 

2° À ouvrir des crédits limités aux personnes qui s'adonnent au 
commerce, à l'industrie ou à l’agriculture, et qui présentent des 
sûretés. 

3° À en ouvrir aux mémes personnes, ayec dispense de caution, 
dans le cas prévu par les articles 26 et 33, 

4° A prêter sur hypothèque. 

5° A faire pour le compte des particuliers, des maisons de commerce 
et des éiablissemens publics l’encaissement gratuit des effets sur Metz 
qui lui seront remis. 

6° À recevoir en compte courant, sans intérêts et sans frais, les 
sommes qui lui seront versées , et à payer tous les mandats et assigna- 
tions sur elle, jusqu’à concurrence des sommes encaissées au crédit 
de ceux qui auront fourni les mandats ou assignations. s 

7° À faire des avances sur le dépôt d'effets publics francais, en 
se conformant à la loi du 47 mai 4854, et à l'ordonnance du roi 
du 15 juin suivant. | 

8° A acheter de ces mêmes effets pour son propre compte. 

9° À recevoir en compte courant et à intérêts, les fonds qui lui 
seront confiés par des particuliers ou par des établissemens publics. 

10° À prendre part aux emprunts, soit du département de la Moselle, 
soit des villes de ce même département et aux trayaux d'utilité pu 
blique. 

11° À recevoir en dépôt des lingots et des monnaies d’or et d'argent 
de toute espèce et de tout titre. 

Art. 13. Le conseil général fixera la somme que ne devra pas dé- 
passer l'émission des billets de banque. 6 

Art. 14. Ces billets seront de 1,000 fr., de 500 fr., de 250 fr., 
de 100 fr. et de 50 fr., et confectionnés à Paris, conformément à 
l’art. 31 de la loi du 24 germinal an XI. 


bo: 


410 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Art. 45. Le montant des billets en circulation, cumulé avec celui 
des sommes dues par la banque en comptes courans et payables à 
volonté, ne pourra excéder le triple du numéraire existant matérielle 
ment en caisse. 

Art. 46. Pour la facilité et la sureté de la circulation , la banque 
pourra émettre , dans les mêmes coupures , des billets à ordre payables 
à un nombre de jours de vue déterminé, et dont la propriété ne 
pourra être transmise que par la voie de l’endossement. 

Art. 47. La banque n'admettra à l’escompte que des eflets de 
commerce à ordre et timbrés, payables à Metz ou à Paris, et garantis 
par la signature de trois personnes au moins , notoirement solyables. 
L'une d'elles devra être domiciliée à Metz. 

L'échéance de ces eflets ne pourra excéder quatre-vingt-dix jours. 

Art. 48. Néanmoins elle pourra admetire à l’escompte des effets 
garantis par deux signatures seulement , mais de personnes notoirement 
solvables , si l'on ajoute à la garantie de ces deux signatures un transfert 
d'actions de la banque ou d'effets publics du gouvernement français , 
ou de coupons d'emprunts, soit du département de la Moselle , soit 
de l'une des villes de ce même département. 

Art. 19. En cas de non-paiement des effets garantis, la banque pour- 
ra, après la simple dénonciation de l'acte du protét, faire procéder 
immédiatement, par l'intermédiaire d’un agent de change, à la vente 
des valeurs transférées en garantie , sans que cette vente puisse arrêter 
les autres poursuites dirigées pour obtenir l’entier remboursement en 
capital, intérêts et frais des effets protestés. 

Ârt. 20. La banque refusera d’escompter des effets dits de cr 
culation, créés collusoirement entre les signataires, sans cause , ni 
valeur réelle. . 

Art. 21. Le taux de l’escompte des effets sur Metz, ainsi que le 
cours du papier sur Paris, sera fixé par le conseil général, 

Ârt. 22. L'escompte sera perçu à raison du nombre de jours que les ef- 
fets auront à courir : cet escompte sera percu même pour un seul jour. 

Art. 25. Toute personne domiciliée à Metz, et notoirement sol- 
vable , pourra, sur sa demande appuyée par deux membres du conseil 
général, ou par deux personnes ayant des compies à la banque, ob- 
tenir un compte courant et être admise à l'escompte. 

La qualité d’actionnaire ne donne droit à aucune préférence, 

Art. 24. Conformément aux dispositions de la loi du 16 germinal 
an XI, aucune opposition ne sera admise sur les sommes placées en 
compte courant à la banque. 


DEUXIÈME SECTION. AU 


Art: 25. Des crédits limités ne seront ouverts qu'aux personnes 
notoirement solvables, qui seront cautionnées par une ou deux per- 
sonnes également solvables. 

Art. 26. Des crédits ne seront ouverts à des fermiers, à des fa- 
bricans et’ à des artisans, avec dispense de fournir des cautions ou 
des süretés, que quand la dotation sera assez considérable pour 
permettre à la banque de se livrer sans danger à ces opérations. 

Ces crédits ne seront accordés qu'aux personnes qui jouissent d’une 
réputation bien éprouvée d’intégrité et d’habileté. 

Art. 27. La banque pourra prêter sur première hypothèque. Ces 
prêts ne dépasseront jamais la moitié de la valeur estimative de la 
propriété. 

Art. 28. Elle pourra aussi faire des avances sur des dépôts de lingots 
ou de monnaies étrangères d’or et d'argent. 

Les conditions de ces avances et le taux de l'intérét à percevoir 
seront déterminés par le conseil général. 


SECTION IV. 


DIVIDENDES , FONDS DE RÉSERVE ET DOTATION. 


Art. 29. Le dividende des actions sera réglé tous les six mois : 
il se composera : 

1° D'une répartition des intérêts acquis à chaque action, à raison 
de 5 p. ‘/, sur leur valeur nominale de 1000 fr. ; 

2° D’une répartition de la moitié des bénéfices qui excéderont 
ces 5 p. ; 

L'autre moitié formera un fonds de réserve. 

Art. 50. Lorsque cette réserve aura atteint le cinquième du ca- 
pital des actions , l’excédant servira à doter l'établissement. 

Art. 51. À ce fonds viendront se joindre les sommes votées ou données 
par le conseil général du département, le conseil municipal de Metz 
et Les citoyens. 

Ari. 32. S'il arrivait que les revenus du sémestre ne suffissent pas 
pour donner aux actionnaires un intérêt de 3 p. %,, la somme 
manquante serait prise sur la réserve, et dans le cas où cette réserve 
serait épuisée , le dividende se borneraït au seul produit du sémestre. 

Art. 53. Quant au capital de dotation, il sera consacré à pourvoir 
aux crédits dont il est question à l'art. 26. 

Il ne sera permis d'y porter atteinte que dans le cas prévu par 
Particle 63. 


449 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Art. 54. A l'expiration du terme fixé pour la durée de la société, 
la dotation existante alors sera conservée à la banque nouvelle. Mais 
si elle ne se reconstituait pas, ce capital serait employé par les an- 
ciens actionnaires à des travaux d'utilité publique. 


TITRE IT. 
DE L'ADMINISTRATION DE LA BANQUE. 


SECTION I. 


DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES ACTIONNAIRES. 


Art. 55. La première assemblée générale sera composée de tous 
les actionnaires fondateurs. 

À l'avenir, l’universalité des actionnaires sera représentée par une 
assemblée générale composée de cinquante actionnaires, propriétaires 
depuis plus de trois mois du plus grand nombre d’actions non 
engagées. 

En cas d'égalité dans le nombre des actions, l'actionnaire le plus 
anciennement inscrit sera préféré. 

Art. 56. Pour être membre de l'assemblée générale, il faudra être 
citoyen francais, ou naturalisé, ou domicilié à Metz depuis deux ans 
au moins. 

Les membres de l'assemblée générale devront y assister et y voter 
en personne : ils ne pourront se faire représenter. 

Chacun d’eux n'aura qu’une voix , quel que soit le nombre d'ac- 
tions qu'il possède. 

Art. 37. L'assemblée générale se réunira ordinairement une fois 
par année, à l'époque qui sera déterminée par le réglement. 

Elle sera convoquée par le conseil général de la banque, et pré- 
sidée par le régent, président de ce conseil. 

Les fonctions de secrétaire seront remplies par le secrétaire de ce 
même conseil. 


Art. 38. Il sera rendu compte à cette assemblée de toutes les 
opérations de la banque. 

On procédera, à la fin de la séance, à l'élection des régens et 
des censeurs. Ils seront nommés au scrutin et à la majorité absolue 
des suffrages des membres présens. 


DEUXIÈME SECTION. 143 


Art. 39. L'assemblée générale sera en outre convoquée extraor-— 
dinairement dans les cas prévus par les articles 42, 65 et 66, ou 
lorsque les circonstances l'exigeront. 

Dans ce dernier cas, la convocation devra être requise par deux 
censeurs au moins, et adoptée par le conseil général. 


SECTION II. 


DU CONSEIL GÉNÉRAL. 


Art. 40. Le conseil général sera composé de douze régens, de trois 
censeurs et du directeur. 

Il s’adjoindra neuf négocians pour former avec lui le conseil d’es- 
compte et de crédit. 

Les régens auront voix délibérative , et les censeurs et le directeur 
voix consultative. 

Art. 41. Les régens et les censeurs seront nommés pour trois ans; 
ils seront renouvelés par tiers chaque année; les membres sortans 
seront récligibles. 

Pendant les deux premières années, le sort désignera les régens et 
les censeurs qui devront être renouvelés. On suivra ensuite le rang 
d'ancienneté et de nomination. 

Art. 42. S'il arrivait que, par suite de retraite ou de décès, le 
nombre des régens fût réduit à huit, et celui des censeurs à un, 
l'assemblée générale serait convoquée extraordinairement , à l'effet de 
procéder au remplacement de ceux des régens et des censeurs qui 
auraient cessé de faire partie du conseil général. 

Les nouyeaux membres élus n’exerceront leurs fonctions que pen- 
dant le temps qui restait à courir à ceux qu’ils remplacent. 

Art. 43. Les fonctions de régent et de censeur seront gratuites. 
Il leur sera seulement attribué des jetons de présence. 

Art. 44. Les régens et les censeurs seront tenus, avant d'entrer 
en fonctions, de justifier qu'ils sont propriétaires de vingt actions 
de la banque : ces actions devront être libres et demeureront ina- 
liénables pendant la durée de leurs fonctions. 

Art. 45. Le conseil général élira chaque année un président et un 
secrétaire , ils seront choisis parmi les régens. 

Ces deux fonctionnaires pourront être réélus deux années de suite. 
Ils ne seront ensuite rééligibles qu'après l'intervalle d’un an. 

Art. 46. Le conseil général sera chargé de régir l'établissement, 
et de prendre toutes les mesures qui peuvent l'intéresser. 


414 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Art. 47. I] se réunira une fois par semaine, et lorsque le président le 
Jugera nécessaire , ou quand la demande en sera faite par les censeurs. 

IL procède , sur la proposition du directeur , à l'organisation des bu— 
reaux. Il nomme et révoque le directeur, le caissier principal et le chef de 
la comptabilité ; il détermine le nombre des autres employés , approuve 


la nomination qui en est faite par le directeur, et peut en exiger 


5 
le remplacement; il fixe le traitement aflecté à chaque emploi; il 
autorise toutes les opérations permises par les statuts, et en détermine 
les conditions ; il statue sur la création, l'émission, le retrait ou 
l'annulation des billets; sur la forme qui leur sera donnée, et sur 
les signatures dont ils devront être revétus ; il fait le choix des effets 
qui doivent être admis à l'escompte; il examine les süretés offertes 
à l'appui des crédits demandés, et choisit les personnes auxquelles 
la banque peut ouvrir des comptes; il fixe le taux de l'intérêt et de 
l’escompte à percevoir, ainsi que le montant des sommes qu’il convient 
de consacrer à ces opérations , aux diverses époques de l'année , d’après 
la situation de la banque ; il détermine le taux de l’intérét à allouer 
aux personnes qui placent des fonds à cet établissement ; il arrête 
tous les traités, conventions et transactions , lesquels sont signés en 
son nom par le président, le secrétaire et le directeur; il arrête le 
budget de toutes les dépenses d'administration, ainsi que le compte 
annuel des opérations de la banque. Ce compte sera présenté par le 
président à l'assemblée générale du conseil, il sera ensuite imprimé et 
remis au préfet, au maire de Metz, à la chambre et au tribunal de 
commerce ainsi qu'à chacun des membres de l'assemblée générale. 

Art. 48. Aucune résolution ne pourra être prise sans le concours 
de sept régens et la présence d’un censeur. 

Les délibérations se prendront à la majorité absolue. En cas de 
partage , la voix du président sera prépondérante. 

Art. 49. Toute délibération ayant pour objet la création ou l'émission 
de billets devra être approuvée par les censeurs ; leur refus unanime 
en suspendra l'effet. 


SECTION III. 


DU CONSEIL D'ESCOMPTE ET DE CRÉDIT. 
i 


Art. 50. Le conseil d'escompte et de crédit sera composé de neuf 
négocians , exercant le commerce à Metz. 

Art. 51. Les membres de ce conseil seront choisis par les censeurs, 
sur une liste triple présentée par les régens. 


DEUXIÈME SECTION. 415 


Ils seront nommés pour trois ans, et renouvelés par tiers chaque 
année : ils seront rééligibles. 

Art. 52. Ils seront tenus de justifier, avant d’entrer en fonctions, 
qu'ils possèdent cinq actions de la banque : ces actions seront inalié- 
nables pendant la durée de leurs fonctions. 

Art. 55. Ils concourront avec Les régens et les censeurs, dans la pro- 
portion qui sera indiquée par les réglemens , à la formation du comité 
chargé de choisir les effets qui devront être admis à l’escompte, ainsi 
que les personnes auxquelles la banque pourra ouvrir des crédits. 


SECTION IV. 


DES CENSEURS. 


Art. 54. Les censeurs veilleront spécialement à l'exécution des 
statuts et des réglemens de la banque ; ils exerceront leur surveillance 
sur toutes les opérations ‘de l'établissement et sur les trayaux des 
employés. , 

Art. 55. Ils se feront représenter l’état des caisses, les registres et les 
porte-feuilles de la banque toutes les fois qu'ils le jugeront convenable. 

Art. 56. Ils proposeront au conseil général toutes les mesures qu'ils 
jugeront utiles, et, si leur$ propositions ne sont pas adoptées, ils 
auront le droit d’en requérir la transcription sur le registre des déli- 
bérations. 

Art. 57. Ils rendront compte chaque année à l'assemblée générale 
des actionnaires de la surveillance qu'ils auront exercée. 


SECTION V. 
DU DIRECTEUR. 


Art. 58. Le directeur exercera, au nom du conseil général, la di- 
- xection des affaires de la banque et de ses bureaux. 

Art. 59. Il présentera aux emplois supérieurs et choisira et révo— 
quera les autres employés : il signera la correspondance, les acquits 
des eflets sur Metz et les endossemens du papier sur Paris, ainsi que 
les traités et conventions délibérés et arrêtés par le conseil général ; 
il exercera aussi les actions judiciairesfau nom du même conseil. 

Art. 60. Il assistera de droit, avec voix consultative, aux séances 
du conseil général et du comité d’escompte et de crédit. 

Art. 61. Le directeur deyra posséder vingt actions de la banque, 


416 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


qui seront affectées à la garantie de sa gestion, et qui ne pourront 
être aliénées pendant la durée de ses fonctions. 

Art. 62. Il ne pourra être révoqué que par une délibération du 
conseil général, prise dans une séance à laquelle assisteront au moins 
neuf régens et deux censeurs. 

La décision sera prise à la majorité absolue des voix. 


TITRE HT. 


DISPOSITIONS GÉNÉRALES. 


Art. 63. Si, par suite d’événemens quelconques, la réserve et la 
portion de la dotation dont il est nn. à l’article 30 , se trouvaient 
absorbées par des pertes, et qu'en outre le capital social fût réduit 
aux deux tiers , l'assemblée générale des actionnaires serait immédia- 
tement convoquée à l'effet d'examiner s'il y a lieu de dissoudre la 
société et de procéder à sa liquidation. 

Art. 64. La délibération qui prononcerait cette dissolution ne pourra 
être prise qu’à la majorité de la moitié en nombre des actionnaires, 
et des trois quarts en somme. 

Art. 65. Un an avant le terme de trente années, fixé pour la durée 
de la société, tous les actionnaires seront convoqués pour statuer s’il 
convient de procéder à une liquidation ou à un renouvellement de 
la banque. 

Cette même assemblée décidera aussi à quels travaux d'utilité pu- 
blique devra étre consacré le capital de doiation qui pourrait exister 
au moment de la dissolution de la société. 

Art. 66. Les modifications que l'expérience aurait fait juger né- 
cessaire d'introduire dans les présens statuts seront proposées par le 
conseil général à l’assemblée générale qui sera convoquée extraordinaire- 
ment. 

La délibération devra étre prise à la majorité des trois quarts en 
nombre et en somme. 

Ces modifications seront soumises à l'approbation du gouvernement. 


es 


TROISIÈME SECTION. 447 


EE ————_—_—_—_———— 


TROISIÈME SECTION. 


CONSIDERATIONS 


SUR LE SYSTÈME 


“PHRÉNOLOGIQUE, 


Par M. GROMIER, chirurgien sous-aide, 


L'étude des facultés de l’homme ne peut plus se séparer de la 
physiologie en général, et soit que l'on admette que ces facultés ne 
sont que le résultat de l’action organique du cerveau, soit que l’on 
considère cet organe comme l'instrument passif de l'âme ou de l'es 
prit, toujours est-il que ses manifestations ne peuvent se montrer x 
nous, que par l'intermède d’un organe, et que lui seul nous donne 
la mesure de son activité. 

Le cerveau est l'organe d'où partent toutes nos manifestations 
et où viennent aboutir toutes nos sensations. Les philosophes les 

- plus anciens avaient senti cette vérité; ils s'étaient méme douté 
que la pluralité de nos actes ne pouvait correspondre à la même 
portion du cerveau, et avaient cherché le point d'où partait chaque 
manifestation. C'était déja de la phrénologie, mais encore au ber- 
ceau, chaque localisation n'était qu’un caprice, et si quelques points 
se sont vérifiés à notre époque, la plupart restent complétement 


53 


118 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


dans l'oubli. Les artistes seuls, dans leurs peintures et leurs statues, 
ont reproduit fidélement la nature, c'est qu'eux seuls examinaient 
sérieusement les formes extérieures, et qu'un artiste n’est vraiment 
artiste qu’à la condition de faire revivre la nature belle qu'elle est, 
dans ses beautés et ses horreurs. 

Ainsi, Messieurs, tout avait été vu avant notre époque, étudié et 
consigné : manifestations intellectuelles, rapport de ces manifestations 
avec le cerveau , formes qu’aflecte celui-ci dans des conditions données, 
et cependant il n’y avait point encore de science. C’est qu'un génie 
n'avait point embrassé tous ces rapports. Ne nous en étonnons point ; 
n’avons-nous pas vu toutes les autres branches de physiologie obs— 
curcies d'erreurs et d’absurdités, et cependant chaque organe était 
presque sous les yeux. Les dissections avaient permis de saisir la nature 
presque sur le fait. Ici tout est envoloppé d’un voile si épais que l’on 
est encore à se demander comment on a pu, dans une pulpe homo— 
gène , déterminer la place qu'occupe chaque groupe d'organes. 

Le hasard y fut sans doute pour beaucoup, mais ces hasards n’ar— 
rivent qu'aux hommes de génie. Ce fut en constatant un rapport entre 
le développement d’une partie du cerveau et certaines manifestations, 
en recherchant chez les hommes où ces mêmes manifestations étaient 
trés-prononcées, si la même partie de la tête n’était pas également 
développée ; ce rapport ayant été trouvé constant, fut-il possible de 
ne pas arriver à la conclusion des phrénologisies ? et de ne pas em— 
brasser avec enthousiasme une idée qui promettait d'aussi beaux 
résultats. 

Un fait bien digne de remarque, c’est que pendant que Gall arrivait , 
par la voie de l'observation, à la détermination empirique de non— 
faculté, l'école écossaise arriva précisément au même résultat, en se 
conformant aux lois du simple bon sens. 

Cette manière de procéder fut un grand progrès, on entrait dans 
la voice de la vérité , il ne s'agissait plus que de procéder de la même 
manière pour arriver à la connaissance exacte du cerveau ct de ses 
actes physiologiques. Sans doute Gall ne put pas tout faire ; Spurzheim 
n’épuisa pas la science , tous les phrénologistes qui l'ont suivi ne l'ont 
pes poussée au degré de perfectionnement auquel elle peut attcindre, 
mais chacun a posé sa pierre à l'édifice, chacun suivant son aptitude et 
le genre de ses études lui a fait subir un perfectionnement. Spurzheim 
en rendant plus précises les dénominations , en découvrant quelques 


organes; M. Vimont en montrant les rapports ou les anneaux qui 


unissent l’homme à la chaîne de tous les étres, enfin M. Broussais 


TROISIÈME SECTION. 449 


en animant de son esprit philosophique tous ces organes isolés, en 
montrant les rapports qui les unissent les uns aux autres, l'anta- 
gonisme auquel ils sont soumis, en faisant la part de l'instinct et de 
l'intelligence , enfin, en déduisant les conséquences qui découlent na- 
turellement de ces considérations. Mais une chose qu'il est important 
de ne point perdre de vue, c'est que la même méthode a toujours 
présidé à ces recherches. C'est toujours par la voie de la saine ob- 
servation que l’on est arrivé à un nouveau résultat. 

Et cependant, Messieurs, nous avons entendu au sein de cette 
assemblée un homme que je respecte infiniment, tirer de ces perfec- 
tionnemens successifs un argument contre la phrénolopie. Comme 
s’il était dans les lois de la nature que tout füt parfait dés son origine : 
ne voir dans ce changement qu’un signe d'incertitude et d'erreur, 
un jeu de l'imagination, ce serait se montrer étranger à la marche 
de toutes les sciences naturelles ; dire que la science la plus per- 
fectionnée est la plus incertaine, 

Mais je ne veux point être exclusif; si quelques hommes ont exagéré 
la phrénologie , si, dominés par quelques-unes de leurs facultés, ils 
se sont lancés dans les abstractions en négligeant les faits qu’ils n’ont 
point été aptes à saisir, ou qu'ils n'ont point voulu comprendre ; 
si, en un mot, ils ont fait le charlatanisme ou le romantisme de la 
science, ne confondons pas avec eux les hommes consciencieux et 
logiques qui ont créé cette science et qui travaillent à son per- 
fectionnement. . 

Ainsi en faisant la part des hommes et de la science, nous sommes 
fondés à ne point regarder la phrénologie comme une science spé- 
culative et: d'imagination. 

Cependant , messieurs , je me suis trop occupé de phrénologie pour 
ne point comprendre toute la valeur de ce reproche et ne point 
sentir combien il était important d'accumuler les faits propres à 
l'anéantir. PTE 

Dans une science toute de faits et d'application, il ne suffit pas 
de prouver l'évidence du principe. On n’est pas phrénologiste lorsque 
l'on sait que les facultés ont leur point de départ dans le cerveau, 
que chaque faculté a son siége dans une partie de cet organe ,. il 
faut discuter si les localisations sont possibles, quels sont les écueils 
à éviter, les jalons qui peuvent nous guider, enfin pouvoir embrasser 
d'un coup d'œil toute cette scène vivante , et comprendre ses mouve- 
mens pour prévoir le résultat. 

Permettez-moi donc de vous exposer le plus brièvement possible, 


420 MÉMOIRES ET PIECES. 


les principes que j'ai puisés dans les lecons et les conversations de 
l’homme illustre qui présida avec tant d'intérêt à mon éducation 
médicale et phrénologique. 

La phrénologie n'est point encore une science faite, il serait té— 
méraire de dire que telle partie du système nerveux , telle circonvolu- 
tion est le siége de telle ou telle faculté; autant vaudrait, comme 
Aristote , mettre l'âme à cheval sur la glande pinéale. ‘ 

Il est possible que tout le cerveau soit en action dans toutes nos 
excitations , mais que certaine partie donnant plus d’impulsion porte a 
un acte déterminé, pour le moment, il faut se contenter de ce 
fait empirique, savoir, que telle faculté correspond à telle forme 
du cerveau , sans vouloir trop circonscrire ses limites. 

Ce principe étant désormais incontestable, c'est moins à sa dé- 
monstration qu'il faut s'attacher qu’à l'appréciation exacte des moyens 
qui peuvent nous conduire à la détermination des différentes facultés. 

C'est vraiment aujourd'hui le point essentiel de Ja science , et je 
le dis avec peine, le seul peut-être qu'on n'ose pas aborder, le 
seul cependant qui puisse faire marcher la science, en la rendant 
inabordable aux hommes superficiels, et en faisant jaillir la vérité 
des mains de l’homme habile. 

Toutes les fois que l’on voudra porter un jugement sur une têle , 
il faudra d’abord estimer l'influence des masses avant de passer à 
une spécialisation. Il ne faut pas oublier que les organes analogues 
peuvent se suppléer, occuper la place les uns des autres, que dans 
son développement excessif l'une empiète sur l'autre , il faut user: de 
la plus grande circonspection lorsque deux organes sont voisins. Heu- 
reusement , Messieurs , les organes tendant au même but, sont en 
général réunis en une masse, en sorte que la méprise ne peut point 
avoir autant d'inconyéniens qu'on pourrait le penser au premier abord. 

Tous les hommes possèdent les mêmes organes, car sans cela nous 
ne pourrions pas nous comprendre; la seule différence qui existe 
entre eux , dépend du développement général ou de celui d’une partie 
déterminée. — Ces organes sont divisés en trois groupes , l’un pour 
les instincts de conservation et d'égoïsme, le second pour les instincts 
sociaux décorés du nom de sentiment, un troisième pour les facultés 
de l'intelligence, au milieu desquelles se distinguent, le sentiment 
de la personnalité , la comparaison et la causalité. Chaque groupe se 
subdivise en organes. 

Cette division n’a jamais trompé la sagacité des véritables phré- 
nologistes , si nous ne pouvons pas loujours spécifier chaque élément 


TROISIÈME SECTION. 491 


du moral humain , ou chaque faculté, en préciser le siége d'une 
manière absolue, nous pourrons toujours apprécier les masses , et 
signaler , sinon l'espèce, du moins le genre. 

Si aucune faculté n’est fortement développée, le phrénologiste ne 


vous dira pas, telle passion , tel goût vous dominera; mais il re- 


connnaîtra qu'un certain nombre d’insuiniëts où de sentimens ont dû 
régler votre conduite dans le monde, et que votre éducation a dû 
rendre quelques-uns d’entre eux les arbitres de vos destinées.  ; 

Quant aux organes en particulier, il faut d’abord les étudier chez 
les hommes où ils sont trés-prononcés, car on ne peut en faire une 
idée sur les têtes insignifiantes. Leur nombre n’est pas irrévocablement 
déterminé, on pourra en supprimer, en ajouter, ce qui ne fait rien 
au principe de la phrénologie. 

Soyez persuadés qu'elle ne s'apprend pas facilement, car il est évi- 
dent, d’après ce que je viens de dire , que les organes n’ont point une 
position fixe et précise , ils ne se reconnaissent que par leurs rapports 
les uns avec les autres. à 

Il faut avant de se hasarder à porter un jugement sur une tête; 
s'être à plusieurs reprises habitué à confirmer l'a priori par l'a posteriort , 
alors seulement on peut espérer un heureux résultat. 

Il faut avoir égard aux crêtes et aux saillies osseuses, aux sinus 
frontaux, si l'on examine la partie antérieure et inférieure. Je fais 
abstraction des cas pathologiques, à la pureté de la fibre cérébrale , si 
je puis m'exprimer ainsi, car combien ne voit-on pas d'énormes têtes 
sans résultat, dans le nord surtout, tandis que les petites têtes du 
midi et plus rarement du nord nous étonnent par leur énergie vitale : 
ici, Messieurs , il y a plusieurs observations à faire : ces petites têtes 
ne doivent pas dépasser certaines limites , il n'est pas d'homme su- 
périeur dont la tête n'ait au moins 22 pouces de circonférence, et 
si on les examine avec soin on ne tarde pas à se convaincre qu'elles 
sont harmoniques; c'est-à-dire qu'elles renferment des groupes 
d’organes tendant au même but, aidés d’autres organes qui poussent 
à l’action, tandis qu'elles manquent de ceux qui le plus souvent 
nous distrairaient de notre route. 

Si votre intelligence est fortement développée et accompagnée de 
la fermeté , le phrénologiste se tiendra dans une grande réserve 
dans la détermination de vos facultés. — Mais si le jugement et la 
raison sont faibles , avec des instincts bien développés , il n’hésitera 
pas à avancer que vous avez été entraîné vers des actes peu relevés, 
et soyez sûr qu'il ne tombera pas dans l'erreur. 


429 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Il est constant que des personnes, et la Gazette des Tribunaux en 
offrait derniérement un exemple, qui, dans l’état ordinaire, passent 
pour idiotes , manifestent des facultés surprenantes si le cerveau vient 
à subir une forte stimulation. 

Il faut encore avoir égard à l’activité des mouvemens; on peut 
avoir beaucoup de facultésket une grande paresse; il ne faut pas 
juger un homme par le bruit qu'il fait dans le monde, mais le voir 
de près; il peut, indépendamment de sa paresse, être retenu par trop 
de vanité ou de circonspection. 

Mais le cerveau n’agit pas seulement sous l'influence des stimulations 
qui lui viennent des sens externes , il en recoit des viscerès. Voyez 
un homme avant ou aprés le repas, un hypocondriaque , surtout s’il 
manque de courage; un phthisique , et dites-moi si leurs manifestations 
sont les mêmes. 

Il existe pour un organe, l’amativité, un appareil extra-cérébral 
qu'il ne faut pas oublier. L'eunuque n’est presque plus un homme. 

L'âge n'apporte pas des modifications moins importantes. Spurzheim 
a montré la tête d'un homme dont la moulure avait sensiblement 
changé au bout de 30 ans. 

La partie de l'intelligence qui s'exprime par la volonté, agit puis- 
samment sur les instincts dont elle modifie les impulsions, mais elle 
est nulle sur les sensations internes. Elle constitue l’antagonisme le 
plus puissant des instincts et des sentimens. 

C'est surtout lorsqu’elle est faible que l’on a tout à redouter, dans 
l'enfance et même dans l’âge mùr, de l'influence de l'exemple; c'est 
à lui en grande partie que l'on peut attribuer ces périodes de l’his— 
toire , si caractéristiques par leurs manifestations générales : cet exemple 
a une influence d'autant plus prononcée, qu'il est donné par des 
hommes remarquables par leur position sociale, et dont quelques 
facultés brillantes ont dû nous fasciner. 

Si l'homme peut subir l'influence du mal, il peut aussi obéir à 
celle du bien et se modifier par l'éducation. 

IL faudra donc, avant de porter un jugement sur une tête, tenir 
compte de toutes ces circonstances ; avant de désespérer d’un enfant, 
le mettre dans les circonstances propres à modeler, pour le bien, sa 
jeune organisation yierge encore de toute impression vicieuse ; car toutes 
nos facultés, tous nos instincts, tous nos sentimens nous ont été ré— 
partis dans un but d'utilité, le vice n’est point inné en nous, et n’est 
que la conséquence du désir de quelques organes, qui, mieux dirigés, 
eussent produit d’excellens résultats ; le vol n’est qu’une exagération 


TROISIÈME SECTION. 493 


de la propriété, souvent intelligente, souvent une honte, non pour 
celui qui le commet, mais pour la société toute entière, qui laisse 
ün de ses membres manquer des choses les plus nécessaires à la vie. 
Je pourrais poursuivre bien plus loin ces considérations > Mais je sens 
déjà qu’elles m’entraînent au-delà des limites que je me suis imposées. 
Arrétons-nous donc un instant ; et demandons-nous si le phrénolo- 
giste qui procède comme je l'ai indiqué dans le principe, qui met 
dans ses jugemens autant de réserve et de circonspection, qui tient 
compte de tant de considérations, mérite les sarcasmes dont la science 
a été assaillie, l’espèce de réprobation dont sont frappés, aux yeux 
d’une grande partie encore de la société, les hommes progressifs qui 
S'y consacrent avec ardeur. Messieurs , alors même que l’on n'embrasse 
pas leurs idées, il faut tenir compte de leurs travaux, se soûvenir 
que c’est de l’histoire naturelle qu'ils font, et bien se convaincre que 
les objections n'auront quelque portée que lorsqu'elles seront la con- 
séquence de faits observés, et fussent-ils contradictoires, que jamais 
un fait négatif ne détruit un fait positif lorsqu'il est du domaine de 
la saine observation. 

Indépendamment du plus ou moins d'activité du cerveau en gé— 
néral, chaque organe formule, suivant son développement et la sti- 
mulation qu’il éprouve, ses manifestations de différentes maniéres: ici : 
et je prends pour exemple l'organe de la musique, c'est une insen— 
sibilité presque complète, dans le second degré une vive satisfaction, 
dans le troisième la faculté de reproduire les sons que l'on vient 
d'entendre ; enfin, et comme pour couronner l’œuvre, celle de créer 
de toute pièce des œuvyzes musicales. 

Vous le voyez, Messieurs, a science est entourée de difiicultés et 
d'obstacles, mais faut-il arguer à son impossibilité ? loin de nous cette 
pensée. 

Plusieurs conséquences découlent naturellement de toutes ces con 
sidérations : c'est qu'il faut mettre dans les jugemens que l’on porte 
sur la phrénologie, autant de circonspection que les phrénologistes 
en ont mis dans leurs conclusions; c'est, en second lieu, et pour 
répondre au dernier paragraphe du programme, que la phrénologie 
n'est point à la portée du vulgaire : cependant il importe infiniment 
de lui en faire sentir toute l'importance ; mais pour rendre populaires 
“les. études phrénologiques, et pour éviter les dangers et les erreurs 
dont elle pourrait être la source, il ne faut pas la livrer aux hommes 
‘du monde, elle doit, comme toutes les Sciences, être le: domaine 
exclusif des personnes qui en ont fait une étude spéciale , à elles seules 


494 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


appartient le droit de faire des applications , alors la science se trouve 
réduite à ses plus simples élémens ; on peut voir et juger ses résultats, 
le monde qui n’est plus juge et partie apprécie sans passion, et la 
science est en voie de progrés. Venons enfin à l'appréciation de l'in 
fluence qu’elle doit exercer sur le bien-être des hommes par les vérités 
qu’elle est en voie de démontrer, et à sa justification scientifique. 
En philosophie, en tenant compte de toutes les manifestations de 
tous les hommes, elle fait disparaître le vague des classifications ar- 
bitraires de nos facultés; classifications qui ne sont autre chose que 
le rêve d'un seul homme qui s’écoute penser dans le silence du ca-— 
_binet, et qui a la prétention de réduire tous les hommes à son modéle. 
Par elle le père ne jettera plus son fils dans une carrière pour laquelle 
il n'a aucune aptitude, l’instituteur continuera la même épreuve, et 
chacun dans l’âge mûr se trouvera occuper la place qui lui convient. 
Ah! Messieurs, si nous en venions à celte épreuve, combien la so— 
ciété changerait d’aspect. 

En économie politique elle montre au chef d’atelier à quel genre 
de travail il doit appliquer les têtes qui sont sous sa direction, afin 
qu’elles rapportent le plus de profit. 

Elle fait sentir combien il est important de donner à la jeunesse 
les moyens de satisfaire son activité, afin qu’elle ne se lance pas dans 
des routes vicieuses. Elle dirige l'éducation des passions aussi bien 
que celle de l'intelligence, en réprimant, dès le bas-âge, celles qui 
dévient de leur but, et en développant celles qui peuvent leur former 


> 


antagonisme. 

Elle limite la partie de notre intelligence, en indiquant ce qui 
est rigoureusement susceptible de démonstration et ce qui appartient 
à l'imagination. Elle est donc le critérium le plus puissant de toutes 
les sciences. . 

Elle nous guide dans le commerce que nous devons avoir avec nos 
semblables, et nous donnant à peu près la mesure de la confiance 
que nous devons avoir les uns à l'égard des auires. 

Elle guide le médecin dans l'analyse de certaines maladies simulées , 
surtout chez les militaires qui ont souvent tant d'intérêt à tromper 
‘sa bonne foi. 

Un de ses plus beaux résultats c'est de conduire à la tolérance, 
en démontrant qu'il faut chercher à corriger et ne point condamner 
de prime-abord. 

En précisant le but de nos facultés, elle ‘nous indique l'usage 
que nous devons en faire les uns à l'égard des autres. Elle démontre 


TROISIÈME SECTION. 425 


notre égalité primitive; pourquoi l'homme supérieur plane au-dessus 
du vulgaire , pourquoi , il nous faut des chefs et le but de leur élection. 

Enfin elle nous éclaire sur l'emploi de la vie en montrant notre 
supériorité sur les autres êtres , et notre faiblesse en regard de l’im- 
mensité. | 

Elle mène dit-on au matérialisme ; y méne-t-elle plus que l'opinion 
de ceux qui considèrent en masse le cerveau comme l'organe de la 
pensée, ne voyez-vous pas que sans le cerveau il n'existe pas de faculté ? 
Qu'il agisse en masse ou isolément , c’est absolument là même chose. 

Au fatalisme, c’est encore une erreur , la phrénologie ne change rien 
en rien, elle observe et consigne simplement ses observations. 

Elle condamne les lois, mais il est de fait que vous ne punissez 
pas l'enfant, l'idiot, le somnambule, le fou, parce que vous re— 
connaissez qu'il a agi sans volonté, mais si l'on peut démontrer que 
dans certaines circonstances , l'homme a été entrainé par la violence 
de ses passions , n’y at-il pas humanité à le juger moins séyérement. 
Croyez-vous qu’un juré, un juge ne puisse pas retirer quelques ren— 
seignemens de la phrénologie. A la fin du dernier siècle , Hiascardi, 
chef de la justice à Naples, ne dédaigna point cette épreuve , puisque 
chacun de ses procès-verbaux porte en tête, auditis testibus pro et 
contrà, visd facie et examinato capite, ad furcas damnamus , et dans 
d’autres cas ; zon ad furcas sed ad catenias damnamus. 

Quant à la législation en elle-même il faut désespérer d'arriver à 
son perfectionnement , tant qu’elle ne reposera pas sur la connaissance 
approfondie de la manifestation de nos instincts, de nos sentimens et 
de nos facultés intellectuelles. 

Elle tend dit-on à renverser les principes religieux , mais en quoi, 
je vous le demande? elle qui pose en principe, qu'il est des organes 
qui poussent à cette tendance. Elle attaque le fanatisme , et lui seul, 
en le renversant elle laissera la religion plus pure, parce qu’elle 
l'aura débarrassée de tout ce qui n’est pas naturel. 

Elle conduit à l’athéisme, elle est trop logique pour cela. Mais 
comment se fait-il qu'une pulpe homogène dans toutes ses parties puisse 
présider à des manifestations si diflérentes que la destruction et la 
justice; comment se fait-il que l’âme daiïgne s’abaisser à s'unir à de 
la matiére. — Je demanderai à mon tour pourquoi telle circonstance 
détermine des cristallisations différentes dans un méme corps ; pourquoi 
telle substance , composée des mêmes élémens et dans les mêmes 
proportions, est tantôt inerte et tantôt un poison; et pour en venir à 
des actes physiologiques , pourquoi le nerf optique préside à la vision, 


54 


426 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


le lingual à la gustation, et le grand hypoglosse aux mouvemens. Cette 
union de l'âme à la matière paraît tellement évidente aux philosophes 
mêmes les plus spiritualistes, que saint Thomas d'Aquin dit, que 
cette âme ne peut exister dans l’autre monde, indépendante de la ma- 
tière, que par un miracle. 

Souyenons-nous du reste que les phrénologistes s'en tiennent à la 
simple observation des faits, que comme naturalistes, ils se bornent 
aux phénomènes naturels, sans rechercher le pourquoi des problèmes 
insolubles. Ils observent, consignent leurs observations , les consé— 
quences ne leur appartiennent point, c’est l'intelligence de la nature. 

Si je ne m'abuse point, il me semble, Messieurs , avoir démontré, 
que la phrénologie n’est point un jeu de l'imagination , mais une 
branche de l'histoire naturelle, que cette science est difficile à aborder , 
mais que l’on peut parvenir à sa connaissance par des études sérieuses 
et réfléchies. Qu'il est avantageux d'en faire sentir l'importance ; que 
loin d'enseigner des erreurs, elle est au contraire la plus belle con- 
quête de notre époque sur l'ignorance et l’obscurantisme , et que sans 
elle il est impossible de faire un pas dans l'étude des facultés de 
l'homme et dans la recherche de son perfectionnement. 

Sans doute je n'ai pas atteint complètement mon but. Le sujet 
est trop au-dessus de mes forces, trop difficile et trop aride, mais 
je suis au début de ma carrière, et si je vous ai soumis ces idées, 
c'est moins pour faire preuve de connaissances que pour m'éclairer 
des conseils que vous voudrez bien donner , et que j'attends de votre 
bienveiljance. 


QUATRIÈME SECTION. 427 


—— — 


QUATRIÈME SECTION. 


INFLUENCE 


DES 


CROYANCES RELIGIEUSES 


SUR LES MONUMENS DES ANCIENS PEUPLES ; 


Par E. A. BÉGIN, docteur-médecin. 


PREMIÈRE PARTIE. 


UEL À PU ÊTRE L'EMPIRE DU POLYTHÉISME SUR LES BEAUX-ARTS , ET 
2 L? 2 

QUELLE ÉTAIT L'EXPRESSION SYMBOLIQUE DES MONUMENS RELIGIEUX 
DES ANCIENS PEUPLES ? f 


Les monumens qui ont fu résister à la 
destruction des siècles, sont pour l’histoire 
ce que les éclipses sont pour la chronologie, 

ps PEnnousr. 


I. 


Exposée à des chances infinies de progrès et de dissolution, l’exis- 
tence des nations comme celle des hommes, présente à l'œil attentif 
qui l’étudie, deux grandes périodes dans lesquelles se résume l'action 
sociale des peuples du monde. La première de ces périodes, est une 
époque d'organisation , de développement , de croyances, d'inspiration 
religieuse et de poésie ; la seconde, une époque de maturité, d'analyse, 
de philosophie, de doute et de froideur. Sous l'influence de l’une 
apparaissent avec majesté la poésie dans toute la pompe de ses images ; 


198 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


la religion dans ses allégories morales, et l’homme se rapprochant de 
la divinité par un commerce plus intime d'idées abstraites et sublimes , 
par une foi vive à laquelle les nuages de la vie semblent prêter une 
nouvelle force et transmettre un nouvel éclat. Sous l'influence de l’autre 
naissent au contraire, les discussions dans les sciences , les critiques 
dans les lettres, les hérésies dans les dogmes, les imitations régulières 
où les monstruosités dans les arts. À celle-ci le travail et le talent; à 
celle-là l'inspiration et le génie. À la première, la verge de Moïse, le 
mythe de Zoroastre, la lyre d'Orphée, d'Homère ou d’Ossian pour 
symbole ; à la seconde, les livres d’Aristote ou le compas d’Archimède. 

Inspiré par une imagination orientale , ou par de saintes révélations , 
prenant le ciel pour point d'appui, pour armes une théogonie nouvelle 
dont il poursuit l’application avec une persévérance remarquable , 
Moïse, législateur, prêtre et poëte à la fois, réveille le souvenir de 
Jéhovah et, du sein de l'esclavage , fait surgir un peuple entier qu’il 
rajeunit : la terre promise s'ouvre ; les enfans d'Israël y plantent leurs 
étendarts ; une suite de prêtres rois, artistes théocrates , maniant de 
la même main le sceptre, la lyre et l’épéc, laissent après eux deux 
immenses épopées saintes, la Bible, mére de toutes les histoires ; le 
temple, sanctuaire des beaux-arts. Il y a, dans cette double mer— 
veille, révélation de Ja vie extatique d’un peuple ayant foi dans son 
Dieu, dans ses dogmes et dans son propre avenir. 

Les phallagogies égyptiennes , la lévende fabuleuse d’Osiris , symbole 
du soleil (le Dieu tout puissant), rappellent l’histoire obscure et ce- 
pendant positive de la lutte des races pastorales contre les races no- 
mades , de ces alternatives entre la barbarie et la civilisation pendant 
lesquelles l'espèce humaine, se déroulant sous des noms propres, 
imprime un caractère matériei à chaque fait, à chaque idée , à chaque 
puissance physique de la nature. C’est la théocratie sacerdotale an- 
térieure aux Pharaons, non pas représentée par Osiris, comme on 
l'a cru, mais seulement consacrée par des rapports entre le culte et 
la succession des choses. Le mythe d’Osiris nous le dépeint tour-à-tour, 
législateur et conquérant, agriculteur et poète, artiste et philosophe. 
Sous lui, la vallée niliaque se peuple d'habitans , les huttes sauvages 
sont remplacées par des maisons régulitres, les habitations se rap- 
prochent et se groupent entr'elles ; des principes d'ordre et de fixite 
engendrent l'harmonie sociale ; une philosophie religieuse commence à 
poindre, et le prêtre, trinité poétique , dogmatique et militaire , résume 
en soi tous les élémens d'avenir de l'Egypte. Elle naissait au bonheur, 
disent les brillans interprètes des mystères phonético-hiéroglyphiques , 


3 v 
QUATRIEME SECTION. 429 


lorsqu'Osiris, ayant conféré à Isis (la terre) l'administration de son 
empire, donné au sage Hermés le droit de conseil, à Hercule le 
commandement des troupes, partit avec ses deux fils, avec Maron 
le vignicole, Triptolème l’agriculteur, Apollon et neuf musiciennes 
qui n’ayaient pas encore le nom de muse , et commenca par l'Ethiopie 
la conquête du monde. Ses nombreuses phalanges n’ont d’autres armes 
que la musique, la poésie, les arts et Je plaisir , et cependant tous 
les peuples se soumettent, tous recoivent des bienfaits et bénissent 
la chaîne d’or qui les enlace de ses anneaux.... Voilà l’histoire 
allégorique de la civilisation Egyptienne ; les beaux-arts, après un 
long sommeii , venus en aide de la théogonie politique, et la religion 
marchant sous leur égide tutélaire. À Rhamsès, devait appartenir la 
gloire de les propager depuis l'extrémité de l'Océan des Indes jus- 
qu’aux frontières de l’Europe, de grouper leurs symboles sous d'énormes 
déifications , et d'opérer par le glaive un mouvement artistique analogue 
à celui que devait produire Salomon, cinq siècles plus tard, en appelant 
à la fondation du temple de Jérusalem , les architectes et les figuristes 
orientaux les plus célèbres. 

Zoroastre, dont l'existence fut tour-à-tour admise et rejetée dus les 
ténèbres de l'antiquité fabuleuse, Zoroastre, contemporain du pére 
des historiens profanes , et maître de Pythagore, apparut sur la scène 
du monde avec les dogmes épurés du Zend-Avesta , avec une hiérarchie 
symbolique nouvelle toute empreinte de sabéisme, religion parlant à 
l’âme aussi bien qu'aux yeux, surchargée de cérémonies dramatiques, 
d’ornemens empruntés aux beaux-arts. Et cette religion méditée long— 
temps par les sages de la Chaldée au sein des montagnes arméniennes, 
vint au secours des Mèdes récemment asservis par les hordes belliqueuses 
de Cyrus, comme plus tard la religion du Christ, véritable rosée 
céleste, tempéra la barbarie des peuples qui se ruaient sur l'empire 
romain. Ainsi la Pyrodulie et la Pyrolatrie s'implantérent au milieu de 
la Perse pacifée ; la Bactriane ressaisit par le culte l'influence qu'elle 
avait perdue par les armes; et sous les images de la lumière et des 
ténèbres , sous les figures allésoriques de Sapandomad , de Khordad, 
d'Amerdad et d’autres génies bienfaisans, se révéla un vaste système 
d'économie politique dont l’agriculture forme la base. Ici les beaux-arts 
ont mis l’abstrait sous des formes concrètes appréciables à des con- 
quérans sauvages , beaucoup moins civilisés que les Mèdes; et les êtres 
célestes et les choses de la terre sont venus se produire au dehors 
par des signes, lorsque l’enseignement ésotérique se conservait pur 
au sein des colléges zoroastériens, écoles puritaines du paganisme. 


430 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Quel que soit le fond de vérité qui s'attache à la fable ingénieuse 
de l'époux d'Euridice, elle nous le peint éleyant des villes par les 
charmes de l'harmonie, apprivoisant des animaux sauvages, rendant 
sensibles les pierres elles-mêmes, et captivant l’attention des esprits 
infernaux auxquels il redemande l’objet bien-aimé qu'il a perdu. C’est 
qu'alors les beaux-arts, étaient la seule puissance civilisatrice qu’on püt 
employer sur des êtres sauvages toujours rebelles à la raison, mais 
dans l’organisation desquels la nature prévoyante avait mêlé des germes 
d'avenir; c'est que les grands hommes, véritables émanations de la 
divinité, parlaient au nom du ciel à des peuples vierges encore , éclairés 
par le sens intime plus que par la philosophie ; c’est que pour un 
peuple à son enfance , l'éternité, la foi, le dogme, l'autel, le prêtre 
se confondent dans une même pensée éminemment religieuse, pensée 
que j'appellerai génératrice, car elle fait éclore des milliers de pensées 
secondaires, comme la poudre fécondante des plantes qui s'épanouit 
au soleil , sous l'influence heureuse des vents alisés du jour. Ceux qui 
ont bien compris cette pensée-mére, qui ont su l’analyser, la trans- 
former ensuite en des lois politiques et sociales, ceux qui sont parvenus 
les premiers à lui imprimer un développement pittoresque plütôt que 
rationnel , à la représenter par des signes et des symboles, sont devenus 
les premiers rois, les premiers législateurs , les premiers prêtres', les 
premiers poëtes et les premiers artistes du monde. 

Le souvenir d'Orphée, semblable à ces lueurs flamboyantes qui, s’éle- 
vant dans l'obscurité des nuits, donnent une idée vague des objets 
placés autour d'elles, est venu jusqu’à nous pour initier l'histoire au 
mystérieux développement de la Grèce antique. Orphée est une per- 
sonnification artistique, applicable à beaucoup d'individus de même 
nom, peut-être même à tous les sages qui les premiers ont éclairé 
l’Archipel. Orphée est à mes yeux une époque tout entière probable- 
ment fort longue , et pendant laquelle les idées religieuses et morales 
se reyêtaient de formes séduisantes pour arriver jusqu'aux âmes (1). 

Homère, qui, dans ses poèmes immortels, s'est fait le chantre 
du Polythéisme, qui fut à lui seul toute la Mythologie , toute la 
poésie du paganisme, nous a peint beaucoup moins les mœurs de 
son siècle, que celles des siècles antérieurs. Dernier des poëtes cycliques, 
de ces missionnaires du genre d’Orphée qui furent poëtes et prètres 
à la fois, il semble avoir rayi du fond des temples le feu des autels 
pourlen animer ses vers ; il a mis au jour les secrets de la Mythologie 


(4) Le Péri-Lithon, poème d’Orphée sur les pierres, est nne énigme incompréhensible, 
parce qu'il se trouve écrit dans la langue symbolique de l’époque. 


QUATRIÈME SECTION. 431 


païenne, et composé une sorte de bible militaire où se montrent à 
chaque page, sous un même jour, la foi, l'indépendance et la verve 
d’un artiste. 

Quelques ouvrages célébres dans la littérature chinoise et la littéra— 
ture indienne, tels que le Mahabharrat, véritable épopée à formes 
gigantesques, renferment les traces de cette organisation religieuse 
qui paraît avoir dominé, pour le bien-être des masses, le chaos des 
sociétés naissantes. On y voit, comme en Palestine, comme en Grèce, 
dans un obscur lointain dont l’immobilité n’est qu'apparente, poindre 
une orthodoxie fondée sur les puissances physiques de la nature, et 
les Jédams réfléter, par des images, leur doctrine réveuse chez les 
peuples retardataires, conviés beaucoup plus tard aux banquets de la 
civilisation (1). 

Lorsque Pythagore, après de longs pélerinages en Egypte, en Phé- 
nicie, dans l'Asie mineure et la Grèce, se fut bien pénétré des tra- 
ditions antiques ; lorsqu'il eût élaboré es doctrines du spiritualisme, 
établi la chaine qui devait unir la mysticité orientale aux formes con— 
crêtes d’un fétichisme perfectionné; lorsque son principe d'harmonie 
entre les mondes, entre toutes les créations humaines, principe res— 
sortant de l'unité primordiale, eût passé du sanctuaire des temples au 
sein de la haute société; lorsque, pour expliquer l'infini, pour faire 
ressortir les attributs essentiels d'une souveraine sagesse présidant à 
l'univers, le philosophe de Samos eût appelé le concours des beaux- 
arts, les beaux-arts s’élevèrent aussitôt à la hauteur du dogme. Jamais 
perfection ne s’approcha davantage de l’idéalité, jamais monumens 
matériels n'inspirèrent une morale plus douce , une croyance plus 
sublime. Ce n'était pas encore le christianisme, mais c'était l’âge 
précurseur des révélations célestes, de l'unité faite homme, unité 
palpable et symbolique, résultat parfait de toutes les civilisations an- 
térieures: 

Si de ces climats heureux qu’échaufle un Soleil toujours pur, rous 
passons aux régions septentrionales, le spectacle d'un culte différent 
vient tout-à-coup frapper nos regards. Ici, la divinité, aussi inflexible, 
aussi âpre que peut l'être la température , se cache dans l’épaisseur 
des sombres forêts, ou repose dars les nuages sur un trône de glace. 
Son regard farouche provoque les tempêtes, sa main accablante 
répand de toutes parts des fléaux dévastateurs; avide de sang et 
de carnage, elle ne s'apaise que par des sacrifices humains, et les 


(4) Vischnou, Mitbras, Horus, Apollon sont une même divinité, représentative d’un même 
dogme, celui du Soleil, 


432 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


prêtres enfoncent leurs bras dans les entrailles des victimes pour les 
élever pures vers les dieux. Ecoutez les bardes qui habitaient les 
roches de la Calédonie ; pénétrez dans la vallée de Cona; faites redire 
aux échos l’histoire du fils de Fingal et de cette longue süite de 
héros qui ont résisté à l'aigle romaine ; et les hymnes d'Ossian, palpi- 
tantes de sentimens, riches d'une poésie fantastique, nébuleuse, presque 
toujours sublime, vous feront comprendre mieux que toute autre 
chose , les mystères d’une religion née probablement sur le sol qu'elle 
divinisa, et dont les premiers prêtres ont été des chevaliers, qui dé- 
fendirent pied-à-pied la terre natale contre les tentatives liberticides 
de ses ennemis. 


IT. 


En jetant un coup-d'œil sur les croyances et les symboles des peuples 
primitifs, en retrouvant partout une orthodoxie matérielle et saisis- 
sable, un fétichisme barbare qui s'accorde si mal avec la haute phi- 
losophie de leurs prêtres, on s’étonnerait que des superstitions gros— 
sières eussent emprunté pour se’répandre, le langage épuré de la 
poésie et des beaux-arts , si l’on ne savait qu’un double culte marchait 
avec une double civilisation. En Egypte comme en Grèce , en Grèce 
comme dans les Indes, dans les Indes comme dans les Gaules , il 
y eut des colléges de prêtres, conservateurs du dépôt sacré des 
sciences et des lettres, révélant à leurs disciples le dogme d’un Dieu 
créateur et les secrets d’une vie future. Au vulgaire , mais au vulgaire 
seulement, appartenait le culte des êtres sensibles , et cette déification 
multiple qui s’attachait aux objets de sa crainte et de son affection. 

Le savant Hetzrodt a commis une erreur des plus graves en disant 
que le culte purement abstrait précéda tous les autres cultes (1). Il 
faut un grand effort de l'esprit pour s'élever aux abstractions; on n'y 
arrive que par degrés, et l'éducation des peuples est si lente qu'il 
a fallu des siècles pour passer de la pyrolätrie brute à la pyrolâtrie 
perfectionnée , et de cette dernière au culte d’une intelligence su— 
prême, immatérielle jusques dans ses allégories. Le veau d’or brisé 
par Moïse à son retour du mont Sina (2), prouve quelle tendance avait 
encore le peuple le plus éclairé du monde , à quitter l’idéalisme pour 
la contemplation matérielle. Eh bien, il en a été ainsi de tous les 

(4) Mémoires de l’académie Celtique, T. V. page 367. 


(2) Ce fétiche des hébreux était, à ce qu'il paraît, une tête de veau sur un corps hu- 
main, V., Wiokelmann, hist, de l’art, , t. I, p. 203, note 4; éd. de Paris, an XI. 


QUATRIÈME SECTION. 435 


peuples , sans exception ; et, même en admettant , comme nous l'avons 
fait en principe , deux grandes périodes où se résume l’histoire de 
chaque nation, nous devons voir dans ces périodes une foule de 
modifications, de transformations religieuses imprimant aux beaux-arts 
un caractère varié, toujours en harmonie avec les croyances à la 
mode. 

Ce caractère se retrouve dans l’ancienne Gaule, avec des images 
de poésie, tantôt sombres et terribles, tantôt riantes et giacieuses. 
Si l'Ecosse, l'Irlande et la Suède en ont conservé les traces ‘originelles 
avec plus de fidélité, c'est que leur isolement des vastes territoires 
où se vidaient alors les querelles des peuples, les a laissées long— 
temps hors du contact des mœurs étrangères ; c'est que la hauteur de 
courage avec laquelle ces peuples ont repoussé la domination romaine, 
a dû les détourner d'échanger leurs dieux et leurs autels contre les 
autels et les dieux de l'Italie. 11 en fut de même dans certaines parties 
des Pyrénées, des Alpes, du Jura, des Vosges, de la Bretagne 
et de quelques lieux déserts où les siècles ajoutés aux siècles n’ont 
pas opéré de notables changemens. Ces contrées, demcurées vierges 
jusqu’à nos jours , ayant une langue propre , une histoire traditionnelle, 
se sont présentées aux savans explorateurs modernes, avec une phy— 
sionomie piquante d'originalité , quoique déjà passablement altérée par 
les efforts que fait depuis long-temps la civilisation pour s’introduire 
au milieu d’elles. Et certes , quel que soit notre amour des lumières, 
notre désir de les répandre , nous déplorerons ; loin de bénir, l’époque 
où ces petites peuplades , dépositaires des secrets de l’ancien monde, 
disposées à les révéler au monde nouveau s'il eut été curieux de 
les connaître, ont vu s’eflacer insensiblement une grande partie des 
souveniis de leur enfance. Le peu qui en reste, recueilli avec transport 
par les archéologues , a servi de canevas aux plus riches compositions 
modernes. L'école de Walter-Scait s’en est emparée ; et s'il devient 
parfois difficile au vulgaire de déméler le vrai du faux, l'homme qui 
aime à creuser la matière, peut reprendre l'histoire en nouvelle œuvre 
et percer les mystères de notre berceau social. 

Trois moyens se présentent pour y parvenir : 4° l'étude des tradi- 
tions orales, et dans cette classe se rangent les chants populaires, les 
croyances superstitieuses, les histoires locales qui alimentent l’ima- 
gination crédule des campagnards ;. 2° l'examen des traditions écrites 
non publiées, l'analyse des divers idiômes de provinces comparés 
entre eux et aux langues dont ils proviennent ; 5° enfin l'exploration 
des monumens, témoins impassibles «et véridiques de toutes les ré- 


55 


434 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


velutions qui ont changé si souvent la surface du globe. L'historien 
n'est exact qu'autant qu'il bâtit son édifice sur cette triple base : c’est 
pour y avoir manqué que la plupart des annales publiées jusqu’à nous 
sont à refaire. On le voit, je suis bien loin de compte avec ceux qui, 
par ignorance ou paresse, prétendent que rien de nouveau ne peut 
se produire sous le soleil. S’ils entendent parler du domaine exploité 
par l'imagination, je ne m’éloignerai probablement pas beaucoup de 
leur opinion, quoique je prétende qu’on n’a pas encore bien mesuré, 
bien approfondi les capacités intellectuelles de l’homme; mais s'ils 
comprennent dans leur décision ce qui tient aux sciences d’observa- 
tion , à la littérature appliquée , je m'inscrirai en faux contre un pareil 
jugement. Oui, l'histoire de la vieille Europe se raconte encore aux 
veillées du village , se répète dans les collines solitaires par des bergers 
devenus sans le savoir , les rhapsodes des âges anciens ; elle se Jit sur 
les monumens, car un édifice, quel qu’en soit le but, est une sorte 
de présage visible pour tous, parlant aux générations successives, et 
révélant par sa présence seule, le double secret de son origine et de 
sa destinée. Il faut donc aujourd'hui , si l’on veut répondre aux besoins 
de l'époque , à ce désir inquiet de connaître qui tourmente la société, 
puiser, en même temps , aux trois sources que nous venons d'indiquer , 
éclairer les faits les uns par les autres , tirer les corollaires qni peuvent 
en découler, et jeter ainsi , autant que le permettront les circonstances, 
les fondemens de notre histoire nationale, L'interrogatoire scrupuleux 
auquel doivent être soumis les siècles est une étude grande, sérieuse, 
digne de l'attention des archéologues ; c’est l’aflaire urgente du mo- 
ment , le nœud par lequel se lie le passé à l'avenir. Il importe 
qu’à nos yeux chaque âge apparaisse avec ses féeries, ses combats, 
ses conquêtes ou ses désastres, que l'ombre des peuples se fasse 
voir derrière leurs monumens, et qu’autour de ces imposantes images, 
on puisse grouper les choses et les hommes de manière qu'ils s’har- 
monisent avec vérité, 


III. s 


En conservant à part soi, une propension déterminée pour un 
ordre particulier de recherches, nous voulons tous soulever le voile 
épais qui couvre encore le berceau de l’histoire. Mais nous le 
voulons par des moyens diflérens, selon notre aptitude individuelle, 
Aünsi, le but restant le même, chacun s'y achemine en suivant la 
voie qui lui sourit davantage. Il en est une cependant sur laquelle, 
archéologues, numismates , poètes , artistes , tous doivent se rencontrer : 


QUATRIÈME SECTION. 435 


cette voie, la plus belle, la plus variée de celles qui s'ouvrent 
à Ja fois devant nous , c’est l'étude des monumens dans ce qui ressort 
des arts du dessin, Divers intérêts s'y rattachent; et, soit qu’on les 
analyse avec profondeur , soit qu’on les examine d'un œil superficiel, 
on éprouve , en les voyant, je ne sais quel sentiment mélancolique et 
religieux, quel mélange de respect pour le passé, d'inquiétude pour 
lavenir , qui fixant nos pensées sur un symbole , retrace à notré ima- 
gination l’époque éloignée qu'il désigne. Cependant les beaux-arts 
dont le dessin fait la base, ne jouissent pas tous au même degré, 
du priviléce de frapper nos sens et d’exciter en nous des émotions 
durables. La sculpture et la peinture, par exemple , surtout lorsqu'elles 
sont réduites à de petites proportions , lorsqu'elles ne représentent 
pas un type de perfection idéale, une page d'histoire, un fait 
majeur caractérisant une époque, n’engendrent guëre qu’une sensa— 
tion de simple curiosité; tandis que l'architecture , fille du besoin, 
n'ayant pas de type dans la nature, se produisant chez tous les 
peuples avec ün caractère d'originalité propre à chacun d'eux, nous 
frappe bien plus que les arts précités dont la théorie est toujours 
une théorie d'imitation. Ainsi, à part les images théogoniques , à part 
Ja reproduction de costumes , d'armes ou d’instrumens , la sculpture et 
la peinture considérées dans l’enfance des sociétés, n'offrent pas à 
lantiquaire des révélations fort utiles ; encore ne parlent-elles le plus 
souvent à son esprit que lorsqu'étant associées à l'architecture, ces 
trois arts s'éclairent l’un par l’äutre et révélent leur destinée commune. 
C’est ce qui arrive pour les temples payens et généralement pour toutes 
les anciennes constructions religieuses: tirez du milieu des ruines 
qui les recouvrent un morceau de sculpture ou de peinture bien 
conservé, en supposant que son examen ne laisse aucune ombre de 
doute ni de vague, que vous en ayez parfaitement assigné l’origine , 
et le but et la place; ce bas-relief, ce tableau ne vons frapperont 
jamais que d’une seule idée, celle de la croyance superstitieuse qu'ils 
rappellent. 11 n’en est pas de même des édifices plus durables que 
les générations semblent avoir laissés derrière elles, pour informer 
la’ postérité de leur passage sur la terre. Ces monumens parlent comme 
parleraient un livre , un poëme écrits d'inspiration ; ils deviennent les 
interprètes , les échos du passé , long-temps même après que sa voix 
s’est perdue. Car ce n’est pas à la main d’un seul homme que les 
édifices religieux doivent leur existence , c’est aux efforts d’un peuple 
entier; ce n’est pas la pensée d’un seul qu’ils reproduisent , c’est la 
pensée de plusieurs , c'est le goût, la religion ; ce sont les mœurs d’une 
époque dont le souvenir semble grandir à mesure qu’il s'éloigne. 


436 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


On peut considérer l'architecture comme le plus ancien de tous les 
arts, parce qu'il s’est trouvé, à la naissance des sociétés, intimement 
lié au principe de leur conservation. La nécessité de se garantir du 
soleil, dans un climat brülant, celle d'éviter la rigueur des frimas 
dans un pays glacé, a dù porter l’homme à la construction des ca- 
banes, à l'emploi du chaume ou des feuillages pour les couvrir. Ces 
premiers ‘asiles, élevés sans méthode sur le bord des fleuves ou 
dans l'épaisseur des forêts, ont sufli long-temps à des peuplades er- 
rantes qui n'avaient d’autres occupations que la chasse et la péche. 
Adorant le soleil, la lune, les astres, les fleuves et toutes les puis— 
sances physiques qui semblaient influencer leur destinée, elles priaient 
sur la colline , sous l'arbre consacré, comme elles l’ont fait plus tard 
dans un temple. 

Sans doute il a fallu plusieurs siècles pour que les hommes sor— 
tissent de cet état sauvage ; il a fallu que la société s'agrandit, que 
les rapports devinssent plus intimes, les intéréts plus compliqués. 
Alors naquirent les bourgades et avec elles une architecture indi- 
viduelle mieux entendue, un principe d’organisation sociale ; alors 
commencèrent les guerres de familles , de castes, de tribus, de 
peuples, et l’on vit naître l'architecture militaire censidérée comme 
moyen de défense, formée de branchages entrelacées, de fascines, 
d'arbres amoncelés et de longues murailles; alors se montra pour la 
première fois, d'une manière bien distincte, l'influence de plusieurs 
hommes adroits que la nécessité rendit les chefs civils, militaires et 
religieux de leurs castes respectives. De ce moment, la puissance 
sacerdotale fit un pas immense, d'autant plus rapide qu'elle était 
devenue nécessaire ; un culte extérieur s’harmonisa avec le caractère 
de chaque peuple ; et la statuaire prit naissance , ayant l'architecture 
religieuse. Cette statuaire reproduisit matériellement toutes les idées 
à la portée du vulgaire, les faits d'ordre physique, les passions, 
les vices, les vertus ; elle personnifia les agens invisibles par lesquels 
tout s’anime et tout meurt; elle consacra le souvenir des grandes 
catastrophes , l'image des bierfaiteurs, des héros de l'humanité, et 
ses travaux ont constamment offert une analogie remarquable avec 
le climat où elle a pris naissance et le tempérament des peuples 
qui l'ont cultivée; car la sculpture et la peinture sont toujours 
pour le monde physique ce qu'est la pensée écrite pour le monde 
immatériel, savoir , l'expression d’une idée ou d’un sentiment, la 
représentation d’une chose que l’ime inspire et qui a besoin de 
prendre une forme quelconque, dés qu’elle entre comme élément de 


QUATRIÈME SECTION. 437 


croyance dans la vie sociale des peuples. Voilà pourquoi le polythéisme 
statuaire enfanta des images si diverses et si bizarres, pourquoi l’on 
reconnaît, en le suivant depuis son berceau jusqu'à nous, les trans 
formations successives que les croyances religieuses ont subies et les 
phases infiniment variées de la civilisation. Prenez toutes les nations 
l’une après l’autre, et vous verrez chez toutes , le ciel et la terre se 
peupler de divinités senstbles à mesure que les besoins naissent et 
que les idées se multiplient; vous verrez la langue , réduite d’abord 
à quelques sons voyelles, marcher simultanément avec le culte, avecles 
arts, dans une voie de progression graduée, et la religion envelopper 
de son vaste réseau les pensées et les créations des hommes. Ainsi, 
pour n’envisager que la sculpture, c’est d’abord le plus grossier féti- 
chisme qu’elle consacre ; les dieux qu’elle représente sont d’une espèce 
toute vulgaire , ou plutôt ce sont autant d’attributs isolés d’une nature 
immense , d’un esprit invisible que la classe sacerdotale révère et qu’elle 
met en rapport ayec les masses, par des symboles propres à les frapper. 
A mesure qu'on avance, le fétichisme s'épure et s'agrandit; les 
symboles deviennent plus parfaits ; l’art ne se borne plus à les prendre 
parmi les objets matériels , il personnifie , caractérise Les élans passionnés 
de l'âme, réunit plusieurs pensées sous un même attribut , déifie Les 
grands hommes , les bienfaiteurs de l'humanité et consacre un système 
de patronage utile aux imaginations faibles ou mobiles, en plaçant 
un ordre quelconque de faits sous l'attribution distinctive d’un génie 
particulier, Ce fut ainsi que la chasse , la guerre, la paix, l'amour, 
le commerce eurent chacun leurs divinités, lesquelles étaient autant 
de personnifications distinctes de l’âme du monde. Lorsque Varron 
assure que les Romains avaient trois théogonies différentes , la première 
à l'usage des poètes , la seconde à l’usage des philosophes etla troisième 
à celui du peuple romain , nous pouvons ajouter que tous les peuples 
ont présenté les mêmes théogonies , l’une presqu'idéale embellie des 
charmes de la poésie , aussi variable dans ses formes que l'imagination 
humaine est variable dans sa pensée ; l’autre empreinte d’un spiritua- 
lisme qui dédaigne les images, fussent-elles émanées du plus parfait 
ciseau ; la troisième toute populaire, adorant la statue plutôt que le 
Dieu , brülant devant elle l’encens des temples, lui consacrant des 
amulettes , la faisant asseoir au foyer domestique ou voyager quand 
l’exigent d’impérieuses circonstances. Tels nous sont représentés par 
Homère les Troyens enlevant Les dieux de leur ville en flammes ; telles 
ont été les prétresses romaines lorsqu'elles iransportérent à Ceré la 
déesse Vesta , sous la conduite d’Albinius; tels on a vu les Germains 


458 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


et les Gaulois marcher aux combats ayant à leur tête la déesse Herta 
ou le dieu Kamulus ; tel enfin nous est représenté Sylla, professant 
un si grand respect pour l’image d'Apollon, qu’il n’eût jamais livré 
bataille sans donner un baiser respectueux, cn présence de son armée, 
au Fétiche qu'il avait enleyé dans le temple de Delphes. Nous mul- 
tiplierions inutilement les exemples, Ils prouvent tous que les symboles 
du polythéisme ont été destinés aux âmes vulgaires et timorées, et 
que la sculpture, qui n'entra sans doute pour rien dans le culte intime 
du spiritualisme sacerdotal, servit à sa transformation matérielle, à 
son implantation progressive au sein des peuples. 

Ces considérations posées, nous distinguerons trois époques dans 
l'histoire de la sculpture religieuse ou symbolique. La première con- 
sacrant des, idées sensibles et matérielles, se plie à l'imagination 
sauvage d'hommes barbares aussi incapables de former des abstractions 
que de les comprendre. Cette sculpture multiple devait avoir autant 
de caractères isolés qu'il y a d'idées et de mots dans la langue religieuse 
des nations primitives ; elle formait ; si je puis m’exprimer de la sorte, 
un code palpable dont les principes détachés un à un, inspiraient 
aux masses une morale théocratique ; dont le haut enseignement n’eüt 
jamais été compris ni respecté par la seule puissance de la parole. 
Il serait difficile auourd'hui de fixer le véritable caractére de cette 
époque où l’art sans théorie , frappé d'indécision , marchait sans boussole 
dans le vague d’une imitation barbare ; mais il serait plus difficile encore 
d'en assigner la durée, de marquer du doigt le point obscur où le 
premier symbole du fétichisme a pris naissance, et celui non moins 
incertain où l’art est devenu une imitation perfectionnée. 

Cette seconde époque de la statuaire religieuse fait supposer quelques 
élémens d'organisation sociale , des rapports d'intelligence entre les 
hommes, des essais dans la voie du perfectionnement, des sentimens 
élevés au-dessus de l'instinct physique de la vie animale. Il faut que 
certaines idées abstraites se soient déja développées au cœur d'une 
société progressive , pour élucider le domaine de la théocratie, pour 
opérer le moindre changement dans les symboles lorsqu'ils se con— 
fondent initimement avec le dogme. Une telle révolution n’a pu 
s'effectuer que par la force impérieuse des choses, par cette force 
qui sommeille plusieurs siècles dans le berceau des nations, et qui, 
surgissant tout-à-coup, comme la flamme incandescente du cratère, 
sillonne en longs traits de lumière les nouvelles routes où la pensée 
va marcher. 


C'est à la seconde statuaire qu’appartiennent les symboles bizarres 


QUATRIÈME SECTION. 439 


du dualisme , les premiers accouplemens des formes humaines avec 
les formes animales qu'on retrouve à chaque pas dans les mythes de 
la Perse, de l'Egypte et de l'Inde. Ils furent imites par les Phéniciens, 
les Grecs, les Romains et quelques peuplades des Gaules, mais, en 
quittant le sol qui les avait vus naître, ces produits monstrueux per- 
dirent leur sens allégorique, et bientôt ils furent jugés indignes d’une 
civilisation perfectionnée. 

Lorsque les créations hibrides eurent disparu de l’Archipel, lors- 
que les divinités recurent des attributs distinctifs, la statuaire fit un 
pas immense dans l'empire du beau; elle eut décidément franchi 
l’espace qui séparait la seconde époque de la troisième, et consacra 
bientôt par des chefs-d’œuvre le règne de l’idéalité. Alors parurent 
Phidias et le Jupiter olympien regardé comme le plus sublime effort de 
la statuaire perfectionnée ; de grandes écoles s'ouvrirent ; l'art étendit 
sou domaine hors de l'enceinte des temples, mais insensiblement il 
s'altéra, non plus dans ses formes demeurées toujours pures, mais 
dans l'expression variable, souvent arbitraire de ses symboles. La 
lettre du dogme , la légende cachée s’eflacérent , et l'Olympe fut peu 
plé de créations charmantes , n'ayant aucun rapport entr'elles ni avec 
les divinités du vieil âge; ce fut le ciel des artistes substitué à celui 
des prêtres; ce fut le témoignage le plus frappant d'un changement 
complet de direction dans l’action gouvernementale, qui abandonnaït aux 
exigences du rationalisme une théocratie que le temps avait usée (4). 

La peinture, plus tardive que la statuaire dans son mode de dé 
veloppement, a dû suivre néanmoins une marche analogue à celle de 
son aînée. 

Dés que le dualisme apparaît sous le soleil d'Orient, dés qu'il 
consacre le double empire de la lumière et des ténèbres, du bien 
et du mal, du bon et du mauvais principe , deux couleurs, les pre— 
mières sans doute que la religion ait employées pour symboles, sont 
chargés de reproduire cette doctrine au sein du monde profane (2). 
En Perse, dans les Indes, en Chine, en Egypte, c’est le blanc et 
le noir; chez les Etrusques , le blanc et le rouge (3). Cette dernière 


(1) 11 paraît certain, d’après le dire d'Hérodote, que les Grecs sont redevables à Hésiode 
£êt à Homère de leur mythologie multiple. 

Unde autem singuli deorum extiterint, an cuncii semper fuerint, aul quà specie , haud ità multd 
ante hoc tempus ignorabatur, ut ingenuè loquar. Nam Iesiodus aique Homerus, quos 400 non 
amplius annis anté me opinor ertilisse , it fuere qui grœcis deorum prolem introduxerunt , ejsque 
el cognomina , et honores, et diversa artificia et figuras attribuerunt. Herovore, lib, I. 

+2) Hori Apollinis hieroglyphica , lib. IL, cap. 20; Hygin. astronom., lib, IL, p. 75; Boun 
Deheselh, p. 378 ; Apollodori, lib, TTL, p. 296. « 

{3) Presque tous les vases étrusques ne présentent que ces deux couleurs. 


440 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


couleur acquit même presque dès sa naissance plusicurs significations 
différentes. Elle désigna le feu, l'esprit vivifiant, la régénération de 
l'ame humaine, l'éternité. 

Lorsque le rouge fut entré de la sorte dans le domaine immense 
de la nature incréée, il n’y pénétra pas seul; deux autres couleurs 
se joignirent à lui: le jaune, comme symbole de la sagesse et de l'in- 
telligence; le bleu, comme symbole de la création (1). 

Voilà quelles ont été les cinq couleurs primitives ; leur langage fut 
d'une simplicité rudimentaire remarquable , appropriée comme il con 
venait, aux sentimens moraux, à l'épaisse intelligence des anciens 
peuples. Peu à peu, la symbolique s'agrandit ; un progrès dans l’ordre 
social coïncidant toujours avec un progrès dans la civilisation , et cette 
civilisation puisant au fond des temples la plus grande partie de ses 
lumières, il fallut que le dogme prit insensiblement des formes en 
harmonie avec la pensée vulgaire. Ainsi l'on a vu les cinq couleurs 
combinées entr’elles, indiquer une association d'idées plus ou moins 
abstraites ; on a vu la même couleur varier dans ses nuances, de 
manière à présenter plusieurs emblêmes diflérens (2). 

Cette complexité fait supposer un âge en rapport avec la seconde 
statuaire dont la peinture a singulièrement développé le domaine sym-— 
bolique. 

On ne peut, en eflet, isoler ces deux arts l’un de l’autre, tant 
qu'on les considère sous un point de vue religieux. Chez les peuples 
primitifs, la couleur a tenu lieu de l'expression, parce que cette 
qualité résumant en soi toutes les qualités incorporelles, est la der— 
nière limite des efforts humains, le point que le génie lui-même ne 
saurait dépasser. Un arüste eût-il enfanté quelque chef-d'œuvre d’ex- 
pression, füt-il parvenu à fixer sur l’immobilité du marbre, les mou 
yemens passionnés, les agitations cachées qu’on prétait aux déités de 
l'Olympe, jamais un tel homme n’eüt osé produire son chef-d'œuvre ; 
des lois sévères l'en empéchaient, ou punissaient le crime en mu- 


tilant la statue (3). 


(4) Le dieu Vichnou est peint de couleur bleue; il en est de même du Kneph Egyptien et du 
Jupiter de la Grèce. 

(2) Le vert, par exemple, formé du jaune et du bleu, signifia l'amour de la sagesse ; le 
pourpre ou rouge azuré, le dualisme de l’amour et de la vérité, du mal et de l’erreur: le 
jaune doré, fut le symbole de la sagesse éternelle; le jaune pâle celui de la trahison, de 
l'égoisme et des passions mauvaises, 

(3) Chez les Egyptiens, écrit Synésius, les prophètes ne permettent point à ceux qui fon- 
dent les métaux, ni aux statuaires, de représenter les dieux, de peur qu’ils ne sécartent 


de la règle. 
« Dans les temples de l'Egypte, dit Platon (les lois de P. liv. II.), on n’a jamais permis 


QUATRIÈME SECTION. HA 


Que faisaient donc les prêtres pour conserver aux images symbo- 
liques de la statuaire leur esprit sacerdotal, et répondre en même 
temps aux exigences croissantes de la civilisation? Ils attachaient à 
gai— 
fication, selon qu’elles cachaient telle ou telle partie du corps, ou 
qu’elles offraient telle ou telle nuance (1). 

Voilà tout le secret de la symbolique ; voilà le point d'origine de 
ces hiéroglyphes qu'on observe sur les rives du Gange et parmi les 
glaciers des Alpes, qu'on étudie sous les ruines de Memphis ét dans 
les champs de la Bretagne , qu'on retrouve, après de nombreuses trans— 
formations, sur le vêtement du prêtre et dans les vitraux de l’église 
catholique (2). 

Le troisième âge de la peinture religieuse nous la représente fuyant 
le sanctuaire des temples, secouant les lourdes chaînes dont elle est 


ces images sculptées, certaines couleurs qui variaient dans leur si 


» et on ne permet pas encore aujourd'hui, ni aux peintres, ni aux autres artistes qui fong 
» des figures ou d’autres ouvrages semblables, de rien innover, ni de s’écarter en rien de 
»,ce qui a été réglé par les lois du pays; et si l’on veut y faire attention, on trouvera chez 
eux des ouvrages de peinture et de sculpture faits depuis dix mille ans, ouvrages ni 
plus ni moins beaux que ceux d’aujourd'hui, et qui ont été travaillés sur les mêmes régles. 
Quand je dis dix mille ans, ce n’est pas pour ainsi dire, mais à la lettre » 

La peinture chez les Indous, les Egyptiens, és Chinois, a puisé ses régles dans le culte 
palional et les lois politiques. La moindre altération entraïînait une peine grave, 

Les quipos du Pérou et les cordelettes de la Chine teints de diverses nuances, formaient 
les archives religieuses, politiques et adminstratives de ces peuples enfans. (Garcilasso de la 
Vega. Ilistoire des Incas.) 

Les Mexicains ont fait un pas de plus dans l’art de représenter la parole; les couleurs 
jouent un grand rôle dans leurs peintures, 

(1j La déesse Syva des Indous, principe de destruction et de régénération, était brune; le typhon 
des Égyptiens, pérsonnification du mal, était brun; Ganeca, divinité de l'Inde, qui présidait 
au mariage, était verte; le Jannès égyptien, le Janus des Grecs étaient également verts; Isis, 
symbole de la terre fécondée, brillait de toutes les couleurs, etc. On voyait jadis incrusté» 
dans lun des piliers du chœur de la Cathédrale de Metz, un bas-relief en pierre calcaire, 
haut de seize pouces et large de onze. Ce bas-relief représentait une jeune fille. Sa tête, 
qui faisait une saillie de sept pouces, était couverte d’un voile dont les plis ondoyans des- 
cendaient sur les épaules, et semblaient se réunir au milieu du dos. Deux mamelles pendaïent 
à sa poitrine comme celles qu’on observe dans les statues de la Diane d'Éphèse, et un vête- 
ment contournait les seins jusqu’à la ceinture, 

La figure et les seins de la statuette étaient colorés en rouge, et la draperie en noir, 
<irconstances dont la symbolique doit profiter. Le rouge, dans les mystères d’Éleusis signifiait 
linnocence et la virginité; et cette couleur appliquée sur le sein, sur la figure d’une jeune 
fille, devait faire ressortir bien davantage le genre de vertu qui la caractérisait. Je pense 
qu'ici l’adjonction du manteau noir indique probablement la messagère des songes heureux; 
l'emblème des rêves de l'innocence. Une statue du même genre existait à l’église Saint-Étienne 
de Lyon, et une autre à Paris, dans celle de Saint-Germain-des-Prés. 

2) Nous ferous voir plus tard que des pages entières de la mythologie égyptienne et de la 
mythologie indouse sont reproduites avec leurs couleurs symboliques sur des vitraux de plusieurs 
cathédrales françaises. On y retrouve bien plus rarement les fables de la Grèce. Ces dernières 
ne sont venues qu'avec la renaissance. L'église St-Vincent de Metz, possédait un vitrail du 
treizième siècle qui rappelait exactement l’un des mythes de Vichnou, 

56 


= 


442 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


enlacée, et se produisant au milieu du monde profane comme une 
belle affranchie qui veut désormais vivre de la vie des arts, et marcher 
avec la sculpture son auguste compagne , dans les hautes régions de 
l'idéalité. Elle flotte quelque temps incertaine entre les symboles 
mystiques et les riantes images d’une nature perfectionnée , elle associe 
la langue des couleurs aux traditions humaines, aux faits de l’histoire 
ou de la politique; puis elle transforme peu à peu son caractère 
sacré en un caractère profane sous l'influence duquel se brisent les 
derniers fils qui l’attachaient au culte. C’est alors qui furent aban- 
données les teintes plates pour les demi-teintes , qu’on fit de la pers- 
pective et du clair obscur, qu'au lieu de couleurs bien tranchées on 
introduisit toutes les nuances possible dans la représentation des objets, 
et que la peinture s’isola complétement de la statuaire (1). 

Aïnsi doivent s'expliquer les transformations insensibles de ces deux 
arts, les causes cachées de leur ascension et de leur décadence, le 
secret de cette identité remarquable entre les formes et les couleurs 
adoptées chez les peuples primitifs, et devenues des problèmes insolubles 
aux générations qui leur ont succédé. Ainsi l'on peut comprendre 
comment il se fait que l’art étant si vieux, les premiers élémens de 
son histoire aient une date si récente (2). 

Lorsque l’architecture devint un symbole pour le culte , des masses 
colossales lui servirent de type. Toutes rappellent une vigueur d’exé- 
cution qu’on rencontre aux époques primordiales de l'histoire, lorsqu'une 
foi vive engendre cette continuité d'efforts unanimes nécessaires pour 
l'achèvement des grandes constructions religieuses. L’Assyrie dans ses 
temples (5) ; l'Égypte dans quelques-uns de ses obélisques, dars ses 
pyramides ou ses tombeaux ; le Pérou dans ses masses d’architecture 

(1) Les peintures indiennes, égyptiennes, et celles d’origine grecque faites en Etrurie, se 
composent toutes de teintes-plates, d’un coloris brillant, mais sans demi-teinte. Cela devait 
être, dit Quatremère de Quincy; Part ne parlait pas seulement aux regards des profanes, 
il était encore l'interprète et le dépositaire des mystères sacrés, 

(2) Les anciens auteurs ont publié d’absurdes commentaires sur la naissance de la sculpture 
et de la peinture. A les entendre, elles ont eu pour créateur un homme heureusement 
inspiré, une femme désireuse de reproduire les traits de son bien-aimé.... Reléguons ces 
fausses origines dans les Contes arabes, et ne nous occupons pas plus de Potier de Sycione 
que de sa fille. Les idoles de Laban, eulevées par Rachel, le veau d’or du désert, les 
ouvrages faits dans l’île de Samos par Ideocus et Théodore, les œuvres de l’égyptien Philo- 
clès, de Cléanthe le corinthien, et de tant d’autres, ne prouvent pas que les beaux-arts 
sortaient alors de leur berceau. Ils indiquent seulement, d’une manière approximalive, l’é- 
poque où la statuaire et la peinture sont entrées dans le domaine public. 11 y a 2500 ans 
qu'un roi de Lydie acheta, au poids de Por, un tableau du peirtre Bularchus , représentant 


la bataille des Magnésiens; mais, bien avant lui, les faits historiques étaient peints en mo- 


saïque sur les murailles des temples. 
(8) Hérodot, lib, J, n. 181; Diodore, liv, 11, p. 123; Swabon., lib. XVI, p. 1072. 


QUATRIÈME SECTION. 445 


sacrée (1) ; la Phénicie dans ses pierres cubiques d’une hauteur colos- 
sale (2), retracent les mêmes difficultés vaincues, le même concours, 
la même volonté, dirigés sous l'inspiration de croyances analogues. 
C’est toujours le: polythéisme entouré de ses formes grandioses , de 
ses proportions gigantesques ; c'est toujours cette même religion qui, 
pénétrant fort peu le fond des âmes, s’attachait bien plus à frapper 
les sens ; honorait la divinité par un déploiement extraordinaire de 
forces elles ; et peignait l’immensité de sa puissance, par l'im- 
mensité de moyens employés pour lui dresser des autels. Mais l'Égypte 
a cela de particulier dans l'histoire des beaux-arts, qu’elle a joui du 
privilége heureux d'accomplir elle-même , avec ses propres ressources, 
les révolutions successives de son incomplète civilisation. Les peuples 
voisins n’ont pas interposé, dans ses phases artistiques, des principes 
étrangers en désaccord avec les doctrines établies ; ils se sont béné- 
volement condamnés à subir le goût, les croyances, les mœurs de 
l'Égypte, et ce pays est deyenu de la sorte un vaste foyer, trésor 
inépuisable d'originalités diverses , se fécondant soi-même , où l’ancien 
monde a puisé une partie de ses lumières. Cependant, comme nous 
l'avons indiqué plus haut, tous les peuples primitifs ont eu des théories 
à eux ayant de se jeter dans des théories d'imitation ; tous ont porté 
les sciences, les lettres et les arts à un degré plus ou moins élevé, 
avant de chercher au dehors des ressources qu'ils eussent trouvées 
plus tard en eux-mêmes. 

La première époque de l'architecture religieuse fut sans doute dans 
l'univers entier, ce qu'elle était dans la Gaule. Cet âge obscur n’a 
laissé derrière lui que des monumens informes, des pierres alignées , 

des pierres levées, tournées en certains sens, superposées les unes 
aux autres, d’après certaines conventions mystiques inconnues au 
vulgaire. La pierre servait d'autel au temple dont l’espace constituait 
les limites, et dont le ciel formait le dôme. 

Entre le premier et le second âge architectural , il existe un espace 
immense que l’histoire ne peut remplir ; c’est la distance qui sépare 

(1) V. Acosta, Hist, nat. des Indes occid., liv. VI, chap. XIV; Hist. des Incas, 1, 1, 


p: 60, 61, 264, 265 et 268; Mém. de Trev., 1750, p. 269; Bouguer, voyage au Pérou, p. cv. 
On reconnait, par ces citations’, que les Péruviens avaient un genre d'architecture religieux 


analogue à celui de l'Egypte, mais plus perfectionné, Ils élevaient des pierres énormes 
à une hauteur surprenante. 

(2) Le cube , disait Pythagore, est pour l'architecture ce qu’est le chiffre 4 pour les nombres. 
Le cube contient en soi loutes les formes et quaire possède en soi tous les nombres. Le 
cube passait pour un symbole de perfection et de vérité, au point que la nouvelle Jérusalem 
promise dans lapocalypse, fut annoncée comme devant être égale en longueur, largeur ex 
hauteur, 


444 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


l'état sauvage de l’état de civilisation, le peuple nomade du peuple 
agricole, Pour qu'un temple se soit élevé , il a fallu l'établissement préa- 
lable d’une association, et des liens de fixité difficiles à former chez 
les peuples au berceau ; il a fallu des principes théogoniques plus 
parfaits, des rapports entre le culte et la science, entre la science 
et les arts. Dès que le prêtre eut osé faire descendre les divinités 
de leur trône aérien pour les asseoir dans un sanctuaire, dès que 
le peuple eut compris que la prière pouvait s'élever aussi pure d’un 
palais de marbre que d’une montagne consacrée, la statuaire et la 
peinture sont venues en aïde de l'architecture, et ces trois arts ont 
marché simultanément dans la même voie. C’est l’époque des bas-reliefs 
symboliques, des hiéroglyphes gravés à la surface des monumens, 
époque à laquelle règne un parfait ensemble entre des arts qui obéissent 
à l'impulsion sacerdotale. On conçoit combien ils ont dù demeurer 
stationnaires : avec quelle réserve on y touchait même pour les per— 
fectionner ; et quel bouleversement politique il a fallu pour aban- 
donner les traditions du sanctuaire, et réduire les beaux-arts à des 
conditions profanes. L'Assyrie, l'Égypte ; le Pérou ; immobiles pendant 
des siècles, sous le rapport des arts; devaient étre ce qu'est aujour— 
d'hui la Chine. Ces vastes contrées; après avoir atteint un certain 
degré de perfection, ont subi le joug du gouvernement théocratique 
jusqu’au moment de leur décadence. En sorte que la civilisation 
incompressible, quant aux idées, fut arrêtée dans leur manifestation 
matérielle. De là résulte le type d’uniformité, l’incorrection de dessin, 
le manque absolu de proportions, l'ignorance presque totale des effets 
pittoresques qu’on observe dans les monumens du vieux monde. 
Quand la Perse et l'Égypte, asservies par les armes, sont tombées 
du haut degré de splendeur où les avaient portées la civilisation , elles 
n'avaient pas encore achevé leur carriére ; elles étaient arrivées à peu 
prés au même point que le peuple Chinois; elles faisaient, depuis 
des siècles , une halte commandée par la superstition des castes sacer- 
dotales. Aussi l'époque émancipatrice où la science, la littérature 
et l’art se font peuple, n'a-t-elle point eu lieu pour les nations 
orientales précitées, pas plus qu’elle n’existe aujourd'hui dans le 
vaste empire de la Chine. Les temples ont absorbé la puissance 
intellectuelle de ces nations primitives. C’est au fond des sanctuaires 
consacrés que sont morts, faute de culture, les germes de l'avenir, 
et que la symbolique des beaux-arts s’est perdue. 

Quand l'Egypte marcha vers sa décadence ayant d’avoir atteint son 
apogée, la Grèce reprit en sous- œuvre Ja civilisation orientale, mais 


QUATRIÈME SECTION. 445 


comme elle possédait alors des dogmes et des symboles qui lui étaient 
propres , l’art égyptien ne fut jamais dans l'archipel qu'un art profane. 
_ La Grèce, quoi qu’on dise, ne devint tributaire que d'elle-même ; 
les ordres d'architecture, l’art de suspendre sur des colonnes des 
voûtes imposantes , les combinaisons les plus riches et les plus ré- 
guliéres de la nature et de la géométrie ont pris naissance sur le sol 
privilégié des Hellènes ; nulle part ailleurs on ne suit avec plus d’exac- 
titude la période trinaire que nous avons signalée. 

Les Etrusques, issus peut-être d’une colonie de Grecs-Tyrréniens , 
quoiqu'ayant épousé comme ces derniers , les idées égyptiennes, ont 
montré néanmoins un degré remarquable d'indépendance et d’origi- 
nalité. Il n’en a pas été de même des Romains, peuple imitateur dans 
les arts. Initiés par les conquêtes des premiers rois de Rome, aux 
sciences cultivées ayec tant de succès dans l’Etrurie , ils sont devenus 
par les victoires de Lucullus, de Pompée et d'Auguste, les tribu- 
taires , les vassaux intellectuels de la Grèce ; et cette nation qu'ils 
asservissaient par les armes , continua de les dominer par les beaux-arts. 

IL nous sera facile de démontrer que les Gaules ont présenté les 
mêmes phases, les mêmes révolutions artistiques que les peuples de 
l'Asie, en tenant compte toutefois des variétés de climat, de mœurs, 
de croyances et de toutes les causes qui différencient les nations. On 
verra nos ancêtres, puiser en eux-mêmes un type d'originalité qui 
s'est marié plus tard avec les traditions orientales, sans perdre ce 
caractère indigène dont les traits ont traversé trente siècles pour 
arriver Jusqu'à nous. 


446 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


DEUXIÈME PARTIE. 


QUEL A ÉTÉ L'EMPIRE DU POLYTHÉISME DANS LES GAULES ET 
PRINCIPALEMENT DANS LE NORD-EST DE LA FRANCE. 


Turpe est in patrid peregrinari et in üis 
rebus qua ad patriam pertinent hospitem esse. 


Alde manuce, 


Iles: honteux d’être dans sa patrie comme 
en un pays inconnu; et de demeurer 
étrauger aux choses qui la concernent. 


Athènes, Rome et Carthage sommeillaient encore dans les entrailles 
de l’avenir , que déjà Rhamsés et Bélus fatiguaient la terre du poids 
de leurs monumens; et le génie de la Gaule élevant sa grande tête 
au-dessus des forêts-vierges qui cachaient ses mystères, rivalisait de 
croyances et de pensées avec ces plages orientales considérées jusqu'ici 
comme le seul berceau de la civilisation. Tous les peuples du monde 
avaient vieilli presque ensemble ; tous présentaient avec certaines 
nuances inhérentes à la nature du sol, un caractère de virginité originelle, 
de religion primitive , qui, entachée d’abord d’un fétichisme vulgaire 
et grossier , s’est élevée graduellement à l’idée d’une puissance terrible 
et bienfaisante, d’une éternité de plaisirs et de douleurs , d’un rapport 
invisible du Créateur aux créatures, entre lesquels l'imagination placa 
les génies, intermédiaires célestes et terrestres à la fois, ayant pour 
mission de régler l'harmonie des mondes. 

La Gaule primitive , antérieure aux âges connus, se présente donc 
à ma pensée, sous trois physionomies différentes ; la première ignorante 
et sauvage , livrée aux pratiques grossiéres du matérialisme le moins 
épuré ; la seconde empreinte d’idéalisme; la troisième riche de sym- 
boles empruntés, féconde en théories d'imitation. 

Nous ne parlerons pas de la première, parce que les faits manquent 
à l'histoire , et qu'il faudrait inutilement reproduire ce que nous avons 
dit des peuples de l'Asie. Mais la seconde vient s'offrir avec un en— 
semble si complet de monumens, avec une théogonie si palpable, 
qu'on ne peut révoquer en doute l’existence d’un spiritualisme avancé. 


QUATRIÈME SECTION. 447 


L'Europe, théocratiquemeñt instituée , possédait alors des chefs 
ou mages , confondus à tort avec les Druides, de beaucoup postérieurs. 
Ce sont ces mages qui, après avoir jeté les fondemens d’une or- 
ganisation sociale et d’un culte enchaïnés l’un à l’autre par des dogmes 
toujours plus puissans que les lois humaines , ont dû présider à l'érec— 
tion de monumens gigantesques analogues aux obélisques de l'Egypte 
et de l'Inde. Le sommet des montagnes qui semblent communiquer 
directement avec le ciel, et que le soleil gratifie de ses premiers 
rayons; les glaciers dont les aiguilles resplendissantes divisent les 
nuages et se colorent ou s'assombrissent selon que la tempête s'éloigne 
ou s'approche, ont été des lieux consacrés au culte d'un bon ou d’un 
mauvais génie, d’une puissance céleste ou d’une puissance infernale : 
quand les anciens Keltes ont amoncelé, pour la première fois, des 
pierres sur une large base terminée par une pointe, quand ils 
ont voulu produire artificiellement ce dont la nature leur offrait 
Vimage, je ne doute pas qu’ils aient eu l'idée d’honorer une in— 
telligence universelle insaisissable, ne pouvant par conséquent figurer 
dans un temple. Et comme ces montagnes étaient à la fois un symbole 
d'unité et de puissance, on déploya des forces surhumaines pour les 
former, on voulut que leur grandeur colossale répondit à l’idée d’un 
être suprême, et que le culie extérieur fût une personnification ma— 
nifeste de la divinité (1). 

Ce fut en retrécissant la base des premières masses pyramidales, 
et en liant Îes moellons avec plus d'art, qu'on parvint à former 
des obélisques, des aiguilles et des colonnes (2), emblèmes plus phi- 
Josophiquement caractéristiques, d’une intelligence infinie que tous 
les ouvrages de sculpture émanés de la Grèce. Les prétendues colonnes 
d'Hercule que Tracite a placées chez les Frisons (3) , les monolithes de 
l'Ecosse et de la Bretagne appartiennent au culte spiritualisé de l’an- 
cienne Gaule (4). Il en est de même de la plupart des dolmens, des 
peulvens (5), des crom-lechs (6), décrits par les antiquaires comme sym- 
boles du druidisme. Le Château-des-Fées, situé à trois lieues de Tours, 
formé de douze pierres énormes disposées de l'orient à l'occident 


{1} Deorumque nominibus appellant secretum illud quod solà reverentià vident, Tacit., Mor. Germ. 

(2) Winkelmann , Histoire de l'art. — Lettre du pére Paolo sur l’origine et l'antiquité de 
Tarchitecture, Paris, an XI (1803), p. 56. 

(3) Tacit. De Mor, Germ., cap. xxxiv. 

(4) Pierres posées les uues sur les autres, en forme de table, C’étaient des autels ou des 
siéges sur lesquels le prêtre rendait la justice. 

(5) Pierres droites ou inclinées, 

(6) Pierres groupées en cercle, 


118 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


équinoxial (4) ; la Roche-aux-Fées près de Rouvroy (Hle-et-Vilaine) (2) ; 
la Groite-du-Diable qui tenait de ces deux constructions, et qu'on 
voyait encore , il y a cent ans, au milieu de la grande forêt de Kattel- 
bausen (Moselle); plusieurs monumens analogues, me semblent ap- 
partenir à la seconde époque celtique plutôt qu’à la troisième. Je 
porterai le même jugement sur les trois kunkel, men-hirs à propertions 
colossales qui occupaient la délicieuse vallée d’Abreschwiller (Meurthe), 
sur les men-hirs d’Obersteigen (Meurthe), de Fontaines (Meuse), de 
Bitche , de Lunéville, sur le goZdenstein de Bliescastel, le ktrmenspill 
de Saint-Imbert (5), le spilztein (4), le breitenstein , seul monolithe 
resté debout de tous ceux décrits il y a trois siècles par Specklin, 
et sur d’autres peulvens remarquables du pays (>), tels que la pierre 
kerlinkin de Remiremont , et le fardeau de saint Christophe, pesant 
chacun plus de cent mille kilogrammes, 

Nous n'avons rien en Lorraine qui puisse être comparé à ces onze 
lignes peulvéniennes de Carnac, symbole de quelque thême céleste (6) : 
nos dolmens ont été presque tous christianisés ; les peulvens qu’on 
doit considérer, tantôt comme les génics tutélaires des voyageurs, 
tantôt comme des cénotaphes érigés par la gloire ou la reconnaissance, 
tantôt comme des limites entre les peuples, ont presque tous disparu, 
quoique nous en eussions retrouvé plusieurs, dont trente siècles 
n'ont pas changé la destination. L'action fécondante des instrumens 
agricoles nivelle le sol à mesure que Ja population s'accroît, et le 
positivisme substituant les calculs d'intérêt aux souvenirs de la mytho- 
logie , rend tous les jours plus rares les monumens qui parlent du 
passé. C’est principalement au fond des montagnes ardennaises et 
vosgiennes que revivent les âges anciens. Là se trouvent quelques 
mallus , quelques montagnes saintes dont l'habitant ne s'approche 

‘avec une vénération profonde ; tels sont le Donon si souvent décrit, 
le Ballan, le Chazeté, le Noirmont, le Climont, les Jumeaux , le 
Jardin des Fées, etc., sommets coniques où existent encore, soit 


(1) Décrite dans les Mémoires de l'académie Cellique, t. V. 

(2) Mémoires de la même académie, t. V. 

(3) Ancien département de la Sarre, arrondissement de Sarrebruck (pays des Médiomatrices}. 

(4) Vues pittoresques des châteaux, monumens et sites remarquables de PAlsace, dessinées 
d’après nature et lithographiées par J. Rothmuller, avec texte historique et descriptions 
in-4°, septième livraison. 

(5) Onypeut consulter à cet égard une carte dressée en 1585, par Specklin et le Mémoire 
de M. Schweighœuser, inséré parmi les mémoires de la société royale des antiquaires de 
France. Nouvelle série, t. I[, p. 2 et suiv. 

(6) Plus de 4000 peulvens sont rangés sur onze lignes tirées au cordeau, dans une plaine 
immense, près de la mer et du bourg de Carnac (Morbihan), 


.  QUATRIÈME SECTION. 449 


en réalité, soit en souvenirs, des traces d'enceintes consacrées , des 
cromlechs, des dolmens et des peulvens utilisés par les Druides , et 
non pas établis par eux. 

Sl en était autrement, si le Druidisme avait précédé tous les cultes 
dans la Gaule, on s'étonnerait que César, durant les cinq années de 
séjour qu'il y fit, n'eüût rien appris d’un spiritualisme dont les mo— 
numens précités consacraient les symboles. Les Druides, il est vrai, 
gardaïent un profond silence sur les mythes de leur croyance, surtout 
envers les étrangers; « mais, observe M. Beaulieu (1), cette discrétion 
excessive dont ils usaient envers le marchand de Marseille ou le soldat 
romain, l’eussent-ils observée de même avec César, avec un conquérant 
qui ce tout savoir et qui pouvait tout ce qu x voulait? Le druide 
Divitiacus , entre autres, l'ami de César et de Cicéron , homme con- 
sidéré alors comme très-érudit et surtout trés-versé dans la connais- 
sance des sujets de la nature , aurait-il donc gardé le silence envers 
eux sur la destination première et l'espèce de culte rendu à ces mo— 
numens. >» On aura peine à le croire, et s'il ne leur apprit rien, c'est 
que lui-même ignorait les mystères du culte primitif; c’est qu'avant 
l'arrivée de César ses traces originelles avaient disparu sous le mélange 
d’une théogonie émanée de trois sources différentes, du sok d’abord 
et ensuite des régions septentrionales et méridionales, 

Des écrivains enthousiastes ont placé l’histoire théogonique des Keltes 
à la tête de toutes les histoires. M. Lavallée, ancien président de 
l'Académie celtique, veut que les principes du Druidisme aient ins 
piré Zoroastre , Orphée, Pythagore, Zalmokzis ; que les Druides aient 
développé leurs mystères astronomiques dans l'empire de la Chine et 
des Indes ; qu'ils soient devenus les agens civilisateurs de la Réthie, 
toute celtique, de l’Archipel, de la Thrace, des Gètes, des Albiens, 
des Bactriens, des Étrusques primitifs, sortis de’la Rhétie, et > par 
conséquent des Romains eux-mêmes qui puisérent en Etrurie les élé— 
mens de leur domaine intellectuel ; mais il est positif que ces auteurs 
ont exagéré la prépondérance des Keltes sur les autres peuples, qu'ils 
ont confondu les époques de leur histoire, et attribué faussement aux 
Druides un théisme qui fut le partage de tous les peuples primitifs 
perfectionnés. 


(1) Recherches archéologiques et historiques sur le comté de Dachsbourg; Paris, veuve 
Normant, in-8° 1836, 320 p. et 6 pl. lithographiées. 

Cet ouvrage, rempli de recherches curieuses, de développemens judicieux, écrit ayec un 
style élégant et pur, est une des sources historiques auxquelles on peut puiser avec le plus 
de fruit. 


57 


450 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Il y a presque trois mille années que la Gaule était couverte d'une 
population remuante , agitée, pleine de vie et de sève; existant par 
la fécondité du sol bien plus que par l’industrie ; population voyageuse , 
errant par instinct, revenant à de longs intervalles au berceau com- 
mun, et reprenant ensuite ses habitudes nomades. 

Un jour enfin la Gaule, mère et nourrice à la fois d'une famille 
trop nombreuse, fatiguée d’un allaitement qui l’épuise, et voulant 
réserver ses mamelles aux générations qui s’élévent, rassemble les aînés 
de sa race , les presse de quitter leurs huttes sauvages , leur montre 
des champs plus fertiles, des plages moins arides et leur dit, d’une 
voix solennelle, partez; et tous obéissent à cette voix qui s'accorde 
avec leurs vagues désirs; et des prètres se mettent à leur tête ; 
et l'on voit passer de longues colonies armées le long des fleuves, 
comme des nuages sombres qu'un vent impétueux presse avec fureur 
sur la crète des montagnes, et qui, chargés de la foudre, gros de 
tempêtes, se hätent de les porter aux contrées malheureuses que le 
destin a frappées. 

Rome naissante était gouvernée par Tarquin-l’Ancien, lorsqu'une colc- 
nie gauloise, sous les ordres de Sigovèse, se dirigeant vers le nord , 
opère de: vastes défrichemens dans la forêt d'Hercynie, propriété des 
Germains dont elle adopte les usages et les mœurs (1). Une autre colonie, 
conduite par Bellovèse, franchit les Alpes, et consiruit la ville de 
Milan; tandis qu'une troupe ayentureuse de Phocéens, débarquant 
sur les bords de la Méditerranée, fonde Marseille (2), Avignon (3) et 
introduit ainsi les mœurs asiatiques dans la Gaule méridionale. 

Quatre siècles après la fondation de Rome, nos ancêtres aguerris 
se signalaient par leurs hostilités contre elle (4); ils se liaient avec 
les peuples orientaux à la fortune d'Alexandre (5), saccageaient Rome 
devenue déja la terreur du monde, traversaient l’Archipel pour s'im— 
planter au cœur de l'Asie (6), formaient une fusion politique et reli- 
gieuse avec les indigènes de l'Ibérie, colonisaient le Portugal , la Gel- 
tübérie, la Galatie , et recevaient en retour, parmi eux, des peuplades 


(A) Tite Liv., lib. V, cap. xxxiv et seq. — Plutarchus Cheron. in Camillo. — Cæsar. De bel, 
gall., lib. VI, cap. xxiv. 

(2 Tit. Liv., lib, V, cap. xxxiv. — Justinus, lib. XLITI, cap. I. 

(3) En 1824, je me rappelle avoir vu, au musée Calvet d'Avignon, des médailles phocéennes 
et quelques figures égyptiennes qu’on avait trouvées à une grande profondeur, en creusant 
les fondations du théâtre, 

(4 Tit. Liv., lib, V et seq. 

(5) Justini bist., lib, XL, cap. XIII. — Diodor. Sicil., lib. XVII. 

(6) Pausanias, lib. 1, VIT, VIIT, — Polyb,, lib. I. — Suidæ lexic., t. I. 


QUATRIÈME SECTION. 454 


venues des bords de la Baltique, du Danube et de la Scandinavie, 
De ce grand mouvement social, que nous ne faisonsiquesquisser, 
mouvement qui dura plus d’un millier d'années, il devait résulter 
un mélange indéfinissable de mœurs, d'habitudes, de langages et 
de croyances qui désespère aujourd'hui l'historien et l'égare dans 
un labyrinthe obscur où le fil d’Ariadne lui échappe lorsqu'il croit 
pouvoir le saisir. Ne soyons pas étonné, d’après cela, si tant d’esprits 
judicieux ont élevé des systèmes hypothétiques sur l’ancienne Gaule ; 
si pour les uns elle est encore la source de toutes les civilisations 
européennes, tandis qu'à d’autres, elle ne présente pas même le 
développement industriel et moral des peuplades sauvages de l'Afrique. 

Pour demeurer dans les limites du vrai, nous n'adopterons la ma- 
nière de voir ni des uns ni des autres, et nous dirons qu'on se ferait 
une étrange idée de la Gaüle, en la comparant aux nations plus ou 
moins éclairées avec lesquelles nous sommes en contact. La Gaule 
m'avait que deux élémens d'organisation ; l’un tout-à-fait machinal, 
doué d’une force aveugle, obéissant au moteur qui lui imprimait une 
direction quelconque, tour à tour soldat, commercant, laboureur, 
c'était le peuple ; l’autre, formant caste, à la fois, juge, adminis- 
trateur et guerrier, jouissant d’une force morale entée sur la religion, 
n'ayant qu’une pensée, celle de dominer, et subordonnant à celle-là 
toutes les considérations sociales, c'était le prêtre. 

Lorsque Diogène-Laerce, Aristote, Julien, Clément d’Alexandrie 
et leurs copistes modernes, assurent que les Keltes ont donné aux 
peuples de l'Asie mineure, de la Grèce et d'une partie de l’Europe, 
tous les principes nécessaires à l’organisation des sociétés , aux calculs 
de la politique, aux intérêts de l'humanité , ils n’entendent parler 
que des prêtres, seule classe instruite qui fût alors; et certainement 
ils exagérent leurs bienfaits, car à l'époque des grandes émigrations 
gauloises, les Keltes n'avaient pas encore atteint un degré de civili- 
sation comparable aux beaux jours d'Athènes et de Rome. 

L'action envahissante des Gaulois, leurs courses dévastatrices , les 
colonies que Rome détachait au loin, les, expéditions eommerciales 
de la Phénicie et de la Grèce, l'immense inondation que la mer 
opéra sur les confins de la Germanie, causèrent un tel déplacement 
d'intérêts , qu’on vit tout-à-coup , à la surface de l’Europe, des peuples 
entiers voyager comme de grandes familles, et chercher des lieux 
propices pour y asseoir leurs divinités, et s'arracher aux incertitudes 
de l'avenir. Ce fut alors que s’opéra le mélange du spiritualisme 
gaulois ayec les mythes de l'Asie ; que les traces de l’ancienne religion 


459 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


se perdirent, et que le culte du chêne, joint au sabéisme égyptien, 
au fétichismetdu nord , envahirent drhfii de l'Europe. On a beau 
coup parlé de la mission d'Hercule dans les Gaules : adoptée, rejetée 
tour-àa-tour elle est devenue un sujet de graves discussions qui n’eus— 
sent point eu lieu, si l’on avait songé que ce voyage allégorique 
désignait le culte du Soleil, se répandant au milieu des Gaules sous 
les traits d'Hercule, le front couronné de la nymphea et les hanches 
ceintes d’une guirlande de chêne. Or ce costume a toujours désigné, 
en Phénicie, dans les Indes et la Grèce, le pére de la patrie, la 
force active, le principe fécondant de la nature, ou le Soleil. 

Il serait beaucoup plus difficile de suivre en Italie, en Grèce, en 
Afrique, en Asie, les traces de l’ancien culte gaulois, qu'il ne l'est 
d'étudier dans la Gaule, d'observer pas à pas l'infiltration des croyances 
étrangères. Et cela tient à ce que les prêtres gaulois primitifs, imbus 
de spiritualisme , n’admettaient point de symboles pour eux-mêmes, 
et retrouyaient, dans la classe éclairée des autres nations, des idées 
religieuses en harmonie avec les leurs ; en sorte qu’ils n'avaient aucun 
effort à tenter pour substituer leur théisme à celui des autres prêtres, 
et qu’il leur importait peu que les masses, venues à leur suite, échan- 
geassent quelques fétiches en bois contre les divinités plus gracieuses 
des régions orientales. L'an de Rome 564, les gaulois de la Grèce 
et de l'Asie, fixés à peine depuis un siècle dans leur nouvelle patrie, 
avaient adopté déjà les symboles religieux de leurs hôtes, car ils sont 
venus au devant de l’armée romaine iriomphante, précédée de la 
déesse Cybèle et de ses attributs (4). Et les Romains étaient alors 
pour eux presque des compatriotes, en raison des rapports commer-— 
ciaux de la Gaule avec la Grèce et Titalie , rapports qui avaient 
introduit, bien plus encore que les conquêtes, une foule de mots 
Kkeltiques dans le langage du peuple de Rome. Les Druides, de leur 
côté, cultivaient le grec (2), mais bien peu le parlaient, puisqu'il 
fallut un interprète à César pour s’entretenir avec Divitiacus, Druide 
et Tétrarque des Eduens (3) 

Voilà donc la troisième époque de la civilisation keltique arrivée ; 
époque riche de symboles et d'images empruntés à toutes les nations 


(4) Fit. Liv., lib, XXXVIIT, cap. xviii. 

(2) L'écriture grecque était d’un usage presque universel dans les Gaules, Elle se composait 
des caractères grecs pélasgiques types des caractères étrusques, scandinaves et même 
latins. Sans doute les Etrusques les auront fait connaitre aux Grecs ainsi qu’anx Keltes, 
d'ou l’on doit conclure que Pécriture de ces trois nations devait dilérer très-peu l’une de 


l'autre, Cest, au reste, ce que confirme très-bien l'étude des monnaies gauloises, 
(35) Cws. de bell, ga!ll 


QUATRIÈME SECTION. 453 


du monde, et pendant laquelle se dessinent, d'une maniére bien 
tranchée, les invasions successives des peuples étrangers. Les Druides 
apparaissent , mais non pas seuls, car ils ne représentent qu'une seule 
grande communauté barbare , tandis que d’autres phalanges marchaient 
sous la direction d’autres prêtres (1). Ainsi, dans le nord-est de la 
France, on voit les Triboques (2) envahir la Séquanie (3), la Médioma- 
tricie (4), se fixer le long du Rhin depuis Seltz (#7 alatio) jusqu’à 
Schélestat , et embrasser une courbe dont le développement compre- 
nait la basse Alsace et moitié de l'arrondissement de Sarrebourg ; 
on voit les Rauraques suivre la Meurthe, depuis son embouchure 
jusqu'au tiers de son cours ; les Kattes planter leurs enseignes sur 
la Moselle et la Sarre, et toutes ces peuplades germaines s'étendre 
comme un croissant, de Schélestat à Sarrebourg, de Sarrebourg à 
Morhange, et de Morhange à Thionville. En decà de la limite alle- 
mande , sur la Meurthe , la Saône, la Moselle , la Meuse, on retrouve 
les Druides et leurs symboles tels que nous les présentent les des— 
criptions de la Bretagne et du pays chartrain ; mais, si nous venons 
à franchir cette limite, on ne peut méconnaître le caractère plus 
sombre et moins avancé de la théogonie germaine. 

A l’époque dont nous parlons, les colonies Teutones, et particu— 
liérement les Triboques, établis au nord-est des Gaules, adoraient 
un grand nombre de divinités, parmi lesquelles on cite la déesse 
Herta (5), déité guerrière et mystérieuse , voilée comme une vierge 
sans tache; Granus (6), symbole de l’astre bienfaisant qui vivifie la 


(1) César, en parlant des Uhiens (habitans de Cologne), s'exprime de la manière suivante : 
Germani neque Druides habent, qui rebus divinis præsint, neque sacrificiis strudent. Deorum numero 
solos ducunt, quos cernunt, et quorum opibus apertè juvantur, Solem et Vulcanum et Lunam, 
reliquos nec famä quidem acceperunt. (De bell, gall., lib. NT, cap. xx). Il est certain que le 
mot Vulcanum est ici pour le feu. Or, nous aurons occasion de prouver plus loin que le Soleil, 
le feu et la Lune étaient adorés sur nos rives. Quant à la non existence des Druides chez 
les Germains, elle ressort de monumens matériels aussi bien que du texte de l’auteur 
romain. 

(2; Les Triboques, Triboci, Tribocci, Tribunci, Tribochi, sont origiuaires des vastes plaines 
situées entre le Danube et la mer Baltique. Ce sont des enfans dela grande famille germaine. 

{3) Les Séquaniens occupaiant la Franche-Comté, le Haut-Rhin et une partie des Vosges, 
Qn les a dit Belges. M. de Golbéry a démontré d’une marière positive qu'ils étaient Germains, 
On peut, à cet égard, consulter son savant Mémoire sur quelques fortifications des Vosges, 
inséré dans le t. V des travaux de la société royale des antiquaires de France. 

(4) La Médiomatricie comprenait les départemens du Bas-Rhin, de la Meurthe, de la Moselle, 
et en partie celui des Vosges et de la Meuse, 

(5) Reudigni deindè et Ariones et Angli..…..… Hertum colunt. Tacit. de Mor. Germ., cap. . 

16) Gran ou Granus dont on a fait dériver la dénomination de la ville de Gran, avait des 
temples sur les bords du Danube, On a trouvé en Alsace beaucoup d'inscriptions volives en 
son honneur. 


454 ‘ MÉMOIRES ET PIÈCES. 


nature ; Wodan (1), Dieu terrible auquel les lieux les plus sombres 
et les plus sauvages servaient de sanctuaire , et qu'on à confondu bien 
à tort avec l'Odin Scandinave , introduit beaucoup plus tard dans les 
Gaules; Teutath (2), non moins terrible que Wodan, ayant avec 
Jui une telle communauté d’origine et d’attributs que les Germains 
Triboques les ont confondus dans une même croyance. Ce #odan- 
Teutath (3) est représenté sur les nombreux bas-reliefs trouvés dans 
la province, sous les traits d’un jeune homme, à formes grasses et 
massives, tout-à-fait nu, sans barbe, avec des cheveux courts el 
bouclés, ayant deux saillies en forme d'oreilles d'âne qui partent de 
l'occiput ; il porte des tablettes dans la main droite, et une verge 
ou massue dans la gauche. Hésus, adoré par les Druides de la Seine 
et de la Méditerranée , paraît l'avoir également été par les Triboques, 
mais ayec un caractère spécial qui transformait ce Dieu terrible en 
une divinité guerrière et bienfaisante. Ouvrez l’Æ/sace Illustre de 
Schæpftin et vous y verrez le dessin d'un bas-relief trouvé sur le 
Klein-Man (4), c'est aussi un jeune homme dont les cheveux sont 
courts et dout la barbe ovale ne dépasse pas les clavicules; de la 
main gauche il lient une serpe, sans doute une serpe d’or; de la 
droite une javeline ou hasta, longue d'environ six pieds. Un sagum 
à manches , médiocrement serré autour des reins, lui descend jusqu'aux 
genoux, et le camail qui couvre son épaule gauche et la partie pos- 
térieure du tronc, attaché sur l'épaule droite par une agraphe fibu— 
laire, est un vêtement topique qu’on retrouve dans le bas-relief d'Hesus 
découvert il y a plus d’un siècle à Paris (5). J'ai trouvé moi-même, 
il y a une dixaine d'années dans la forêt de Bærenthal, non loin de 
Bitche, la statue mutilée d’un jeune homme à longues oreilles, dont 
on ne voyait que le haut du corps, et qui tenait une serpe de la main 
gauche, et de la droite une branche de chêne; je le pris pour un 
druide, mais les rapports de cette sculpture avec les deux bas-reliefs 
précédens, me confirment aujourd'hui dans l'opinion que ce devait 
être Hesus présentant aux humains le gui de chêne, auguste panacée 
qu'il vient d'enlever à la forêt sacrée. Au reste, l'aspect horriblement 


(1) C'était la principale divinité des Germains, On croit que son nom a servi de racine à 
V'audémont , Wodanus mons. 

(2) Taut, Teuth ou Teutath. 

(3) Beaulieu, Recherches archéologiques et historiques déjà citées, p. 57 et suivantes, 

(4) Le Klein- Man, le Gros-Man sont deux montagnes du pays de Dachsbourg qui doivent 
leur dénomination à des statues de l’époque Tribocienne, 

(5) V. une savante dissertation de M, Jorand, insérée dans le &. IV des Mémoires de la 
société royale des antiquaires de France, 


QUATRIÈME SECTION. 455 


sauvage du X/ein-Man et du Bærenthal (1), augmenté encore par la 
présence de chênes séculaires dont le soleil ne pouvait traverser l’épais 
feuillage, faisaient de ces deux sites une retraite analogue aux idées 
que les Gaulois se formaient d'Hesus. 

Les Triboques adoraient encore le Rhern (le Rhin) (2), symbole du 
courage, limite redoutable et glorieuse placée entre eux .et leurs 
ennemis. C'était une application faite en grand de l'espèce de con- 
sécration religieuse sous laquelle se tracaient les limites des propriétés 
particuliéres et celles des nations; car, pour un peuple sauvage, il 
n'y avait de respecté que ce qui devenait partie intégrante du culte 
et de la croyance commune (3). 

Les sources salées, les rivières, les lacs, les fontaines, considérés 
comme génies bienfaiteurs de l'humanité, recevaient aussi les hom-— 
mages des Keltes ; et la célèbre Néhalennia, déesse qui pésidait aux 
cours d’eau , au commerce, aux marchés publics de la Zélande, était 
certainement l’une des divinités topiques ou locales dont parlent 
Armmien Marcellin, Minutius Félix et d’autres auteurs. 

En regard de ces personnages symboliques , nous placerons Apollon 
des régions hyperboréennes , non pas qu'il appartienne à nos provinces 4 
mais, Parce qu'en supposant son culte au sein des îles britanniques, 
dont les Hyperboréens ont été, selon toute probabilité, les premiers 
habitans, nous expliquons quelques mystères de la nuit cymérienne 
qui nous enveloppe encore de ses ténèbres. Les auteurs anciens qui 
se sont occupés des rations occidentales, n’oublient pas d'indiquer 
la peuplade précitée comme une nation réelle, dont le nom s'est 
altéré avec les années. Diodore de Sicile (4), plus positif, parlant 
d’ailleurs d'aprés Hécatée et d’autres écrivains dignes de foi, désigne 
dans l'Océan, vis-à-vis le pays des Keltes, une ile plus grande que 
la Sicile, dont les indigènes, nommés Hyperboréens , prétendent que 
Latone a vu le jour au milieu d'eux. Ces habitans, continue-t-il, 
ont pour Apollon une vénération plus grande que pour les autres 
divinités ; ils chantent devant lui des hymnes journalières en s'aocom- 


(1) In summo horridoque Vosgesi apice. Schoepflin. 

(2) Ce fleuve, dit M. Beaulieu, tenait lieu, chez les Germains et les Gaulois, des eaux 
de jalousie des Juifs. Suivant l'empereur Julien, lorsque les maris soupconnaient la fidélité 
de leur femme, ils exposaient leurs enfans nouveau-nés à la merci du fleuve, lequel englou- 
üssait ceux qui n'étaient pas légitimes et portait doucement les autres sur le rivage, 

. (3) On appelait ordinairement les pierres itinéraires des Gaulois lzheren des mots lec’h er ren, 
pierre de conduite, Les mots qui commencent ou finissent par l’une des syllabes Lars, hers, 
herz, hertz, borne, limite, indiquent bien souvent d'anciennes divisions territoriales, 

{4) Diodor. Sicil., lib, II, cap. xlvi. 


456 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


pagnant du son de la lyre ; et Pindare (1) confirme le même fait en 
disant : a muse n’est pas étrangère à leurs habitudes ; partout l'on 
voit des chœurs de vierges, partout résonne la voix de la lyre et le 
bruit des flûtes, etc... Évidemment Apollon est ici pour le Soleil ; 
les dons offerts au temple de Délos, par les Hyperboréens, étaient 
en souvenir du voyage périlleux de Latone, et de ses couches dans 
l'ile flottante que Neptune avait fixée. Hérodote et Pausanias, qui 
en parlent, les font venir de l'Asie par le golfe adriatique, erreur 
palpable que le père de l'histoire eût évitée, si, au licu de supposer 
des hyperboréens asiatiques , il les avait placés en Europe. Au reste, 
il paraît que les prêtres de Délos , contemporains d'Hérodote, n'avaient 
pas recu depuis fort long-temps les hommages du peuple en question, 
car ils en eussent entretenu l'historien grec d'une manière plus positive. 
Tout nous reporte donc à une époque bien antérieure à Jésus-Christ, 
pendant laquelle les Druides de nos provinces allaient approfondir, 
sous le ciel hyperboréen, les mystères de leur mythologie. L’autel 
d'Apollon grane-magune découvert près de Strasbourg et décrit par 
Schæpflin (2), appartient au culte mythriaque du nord, et rappelle 
l'influence syncrétique de plusieurs croyances similaires. 11 en est de 
même d’un bas-relief qu'on voyait jadis à Wolffskirchen, près de la 
Sarre , lequel représentait une femme gauloise avec une tête de Louve, 
image de Latone lorsqu'elle fuyait du nord de l’Europe en Asie. 

Le savant Schweighæuser, qui reconnait dans les statues du Donon 
autant de divinités androgynes (3), trouve une ressemblance frappante 
entre la Diane gauloise du musée de Paris et l'espèce de cerf tenu par 
les cornes que Dom Calmet et M. Jollois ont dessiné sur la montagne 
en question. 

Une Diane androgyne ou masculine, ajoute Schweigheuser, peut 


(1) Pindare, dixième ode pythique. Ce grand poète place les Hyperboréens sur la route que 
dut suivre Persée pour combattre les Gorgones à l’extrémité de la Lybie, 

(2) Alsat. Illustrata. I. vi. 

(3) Mémoire sur les monumens celtiques du département du Bas-Rhin, et de quelques cantons 
adjacens des départemens de la Meurthe et des Vosges. Nouvelle série des mémoires publiés 
par la société des antiquaires de France, t 11, 1836, p. 12 et suiv. 

L’Androgynie signifie l'alliance de la chaleur et de la lumière, le double principe mâle 
et femelle, l'amour et la sagesse de Dieu. 

Le Kneph ou l'Éternel égyptien était Androgyne. Plutarch. Isis et Osir. 

D'après Orphée, Jupiter est l'époux, et Mithra, divinité femelle, la nymphe. 

Adam ou l'humanité fut créé mâle et femelle, L'amour et la sagesse existaient en lui. Il 
fut le réceptacle de l'amour divin. Son nom hébreu signifie rouge. Adam, sicut beatus hiero- 
nymus tradidit, homo sive terrenus, sive terra rubra interpretatur. ON Adam, l'homme. 

Te 


Isidori Originum, lib. VIT, cap. vi. 


QUATRIÈME SECTION. 437 


sans doute paraître , au premier coup - d'œil, un paradoxe absurde ou 
monstrueux ; mais on changera peut-être d'avis à cet égard, en se 
rappelant le deus lunus de plusieurs monumens classiques, dont 
quelques-uns proviennent plus spécialement des Galates ou, Gaulois 
de l'Asie mineure. La ressemblance avec une célèbre statue de Diane, 
que paraît offrir le bas-relief du Donon, prend un intérêt particulier 
par le rapprochement judicieux que le savant antiquaire de l'Alsace 
a cru pouvoir y rattacher. On sait, d'aprés les ingénieuses recherches 
de M. Visconti, que l'animal qui accompagne la Diane du musée, 
est cette biche aux cornes d’or et aux pieds d'airain, consacrée à 
Diane par la nymphe Taygète, et qu'Hercule a poursuivie par l’ordre 
d'Eurysthée. Or, selon Pindare (1), cette poursuite conduit le héros 
jusqu'auprès des sources de l'Ister, dans le pays des Hyperboréens, 
où il trouve l'olivier sauvage, qu'il transporte à la carrière d'Olimpie. 
Eh bien! ces sources de l'Ister ou du Danube, sont dans la Forét- 
Noire, à deux journées de marche seulement et précisément en face 
de notre Donon. On croyait même, du temps de Pindare et d'Héro- 
dote, que ce fleuve traversait tout le pays des Keltes, mais c'était 
une erreur géographique comme on en trouve un si grand nombre chez 
les auteurs anciens. Cette biche semble donc avoir eu, selon Pindare 
du'moins; un rapport quelconque avec la Gaule, et il est assez cu— 
rieux de la retrouver, mêlée à des monumens keltiques. Plus tard, 
les Romains établis sur les rives de la Moselle ont consacré, par des 
monumens, le souvenir du même culte. Metz possédait un temple de 
Diane, dont l'élégante mosaïque représentait une biche aux cornes 
d’or et aux pieds d'argent (2). Les réflexions auxquelles ces rap— 
prochemens peuvent donner lieu , prennent encore un plus haut degré 
d'intérêt, lorsqu'on se rappelle le grand nombre de traditions clas- 
siques qui rattachent aux Hyperboréens le perfectionnement du culte 
d’Apollon. On serait bien tenté d'admettre que les symboles de cette 
“divinité, comme dieu des muses, et.ceux de Diane, comme déesse 
de la chasse, ont été transmis à la Grèce par nos contrées occi- 
Ndentales, où Diane était révérée depuis fort long-temps sous le nom 


{1) V. sa troisième ode olympique. 

(2) Cette mosaïque, l’une des plus belles et des plus curieuses qui aient été découvertes 
dans les Gaules, a été gravée et décrite dans l’histoire de Metz, par les bénédictins; mais 
d'une manière incomplète et avec des interprétations erronées. Nos savans prédécesseurs ne 

“se doutant pas de la symboliqne chez les anciens, ont presque toujours négligé d'indiquer 
les couleurs des mosaïques: c’est un grand malheur pour l'histoire de l’art. Nous regretterions 
particulièrement cet oubli dans la description de la mosaïque précitée, si nous n’ayions ‘pas 
eu le bonheur de trouver manuscrits les documens qu’on n'avait pas cru devoir imprimer. 


58 


458 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


d’'Arduina, c'est-à-dire en qualité de déesse des forêts et des hau— 
teurs ; tandis que l’orient fit connaître aux Grecs cette Diane san— 
guinaire de la Tauride, à laquelle on offrait des sacrifices humains, 
et dont Iphigénie a failli devenir la victime. « Il est, ce me semble, 
> assez satisfaisant de pouvoir opposer quelques témoignages d’un culte 
» humain et gracieux établi chez nos ancétres, au témoignage mal- 
» heureusement trop irrécusable qui leur attribue un culte sanguinaire 
» et cruel (1). >» 

Mais c'est surtout en remontant le cours de la Moselle , depuis les 
frontières prussiennes , que l'imagination est frappée des traces nom- 
breuses laissées par le culte de Mrithra ou d'Apollon Dieu-Soleil. 
Après la roue enflammée des bouchers de Trèves, après celles des 
villes de Sierck et d’Epinal, dont l’origine ne paraît pas douteuse, 
nous indiquerons , au-dessus de Greven-Marckeren , un monolithe gros- 
siérement sculpté, connu sous le nom de pierre du Soleil; sur les 
hauteurs de Gorze , vers l'emplacement de la croix de Saint-Clément, 
un autre monolithe d'environ trois mètres de hauteur à la face occi— 
dentale duquel était un croissant sculpté , image de la /une régulatrice 
de la vie humaine, selon Macrobe, et compagne ordinaire du soleil 
dans le culte mythriaque. À Mousson se trouvait encore, il y a qua- 
rante ans, une pierre zodiacale dont les caractères n'avaient rien qui 
rappelât la période romaine. Enfin, en arrivant à Remiremont, on 
reconnait à chaque pas, soit dans les dénominations locales , soit 
dans le souvenir des lieux consacrés , soit dans quelques symboles 
conservés intacts malgré la longue succession des siècles , une foule de 
preuves qu’on ne peut révoquer en doute. Ainsi, le Thot égyptien (2) 
se trouve dans l’éthymologie de la Basse-Théaut , de la Croër-Théaut , 
du Haut de Thot; le Noir-Homme rappelle l'habitude qu'avaient les 
égyptiens de présenter, sous une forme humaine , de couleur noirätre, 
le Dieu qui organisa l'univers. Je sais que je marche dans la voie 
des conjectures, voie tortueuse où il est si facile de s’égarer, mais 
ces conjectures deviendraient presque des preuves palpables si j'y rat- 
tachais les croyances populaires , les souvenirs et les usages conservés 
au sein des Vosges presque dans toute lenr pureté originelle (3). 

(1) Schweigheuser. ; 

(2) Thot, dont on a fait Theos, Totus, Deus, Dieu , désignait, chez les Egyptiens, l'inventeur 
des sciences et des arts, le génie grand et sublime auquel la civilisation devait le plus, le 
ministre d’Osiris et d’Isis. Les Grecs lui donnèrent le surnom de Trismégiste, trois fois grand, 
et l’appellèrent aussi Hermès, à cause de son éloquence. D'Hermès les Romains ont fait Mercure; 
mais les Gaulois adorèrent le Thot égyptien qu’ils confondirent souvent avec Teutath ou Teutaties, 


(1) Je me suis appliqué à les reproduire dans ma description du cours de la Moselle , depuis 
ses sources jusqu’à son embouchure , que je publierai incessamment. 


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QUATRIÈME SECTION. 439 
Le lion emblématique, domicile du Soleil, dispensateur des plus 


éclatantes lumières , symbole représentatif du bien , image-de la force, 
de la noblesse et du courage, était connu dans les Gaules, même 
avant les Romains, et, sous ce rapport nous nous trouvons en opposi— 
tion avec le savant auteur de l'histoire de Saint-Dié (1) qui ne cénnaissait 
probablement ni le lion druidique de Beuviller (Moselle) , décrit par 
M. Victor Simon (2), ni un petit lion trouvé à Rixing (Moselle), 
avec un #odan-Teutath, lares en bronze qui ne présentent aucun 
doute sur leur origine keltique, et dont la découverte prend un 
degré d’intérét d’autant plus grand qu'on a tiré des mêmes décombres 
la statuette d’un druide accolé à une druidesse. M. Victor Simon 
vient d'en rendre compte (3), et sa description se rapproche plus 
du vrai que celle donnée par M. Botain (4). 

Le sanglier des OEstiens dont parle Tacite devait être un are 
symbolique de la Germanie qu'on imita dans les Gaules, et surtout en 
Alsace , ainsi que dans la partie des Vosges, de la Meurthe et de la 
Moselle occupée par des colonies ultra-rhénanes (1). Enfin nos ancêtres 
honoraient particulièrement le serpent, image de la nature dépouillée 
de sa parure , et le crapaud ; symbole de destruction des germes 
fécondans. 

Oserai-je rappeler ici: les fables et les imitations burlesques de oups 
garous et de géans dont le souvenir peuple encore les campagnes ; 
me permettra-t-on d'enlever à Rabelais l’idée de Gargantua pour re— 
produire , sous les mêmes traits , l’Hercule pantophage de la Gaule (6). 
Je n'ose l'espérer, aussi n’insisterai-je pas dans la crainte de mêler 
une mythologie enfantine aux discussions sérieuses de cette dissertation. 

Telles sont, en abrégé, les indications qu'il nous a été possible 
de recueillir sur les sculptures religieuses du nord-est de la France, 
antérieures à l'invasion romaine. Mais ce serait n’avoir accompli qu'une 


(1) Histoire de la ville épiscopale et de l'arrondissement de Saint-Dié, sous le gruvernement 
théocratique de quatre monastères, en opposition avec les ducs de Lorraine et les princes 
constitutionnels de Salm. Par N. F. Gravier. Épinal, Gérard, 1836; in-8° de xxxü, 400 p. 
avec un plan et deux planches lithographiées. V. la p. 19. 

(2) Mémoires de l’Académie royale de Metz. 

(3\ Mémoires de l'Académie royale de Metz, 1836-1837. 

(4), Mém. de la Soc. royale des antiq. de France, 

(5) Matrem deum venerantur, énsignæ superstitionis, formas aprorum gestant. De mor. Germ. 
cap. xlv. 

Schæpflin. Alsat. illust., t, I, p. 44 et 457, parle de figures de sangliers trouvées sur des 
monumens et des médailles du pays. Millin dit avoir reconnu des traces du même culte {Voy. 
dans le midi de Ja France, t, II, p. 237). 

(6) Mém. de la Soc, royale des antiq. de France, t V, p. 300 et suiv. 


460 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


partie de notre tâche si nous ne jetions pas en méme temps un coup 
d'œil sur l’architecture et la peinture de nos ancêtres. 

De la simple pierre fichée, considérée d’abord comme une limite 
territoriale, au cromleck ou sanctuaire sacré, il n’y avait qu’un pas 
facile à faire, puisque le cromleck résulte d’un ensemble de pierres 
disposées circulairement ou ovalairement selon le mythe symbolique 
adopté. Le cromleck a dû être, en conséquence, le rudiment pri- 
mordial des sanctuaires de la divinité. Plus tard, quand les peuplades 
eurent acquis de la stabilité, ou substitua aux pierres fichées des 
murailles sèches, peu élevées, mais quelquefois d’un immense dé- 
veloppement, et l’on forma de la sorte des enceintes qui pouvaient 
contenir quelquefois un peuple entier. Elles étaient placées, le plus 
souvent , au sommet des montagnes : cependant , on en cite quelques- 
unes situées dans des plaines, et je ne serais pas éloigné de croire 
qu’un fait glorieux , tel qu'une bataille gagnée , fût devenu quelquefois 
la raison déterminante de l'érection d’une enceinte consacrée à la 
divinité. Telles ont dû étre ces enceintes de plusieurs lieues de cir- 
conférence qu’on reconnait entre Briey et Saint-Pierremont. L'Alsace 
et les Vosges présentaient un assez grand nombre de cromlecks ; nous 
ne ferons que citer, sans les décrire, ceux du Chazeté, du Donon, 
de Sainte-Odile, de la Valette, de l'Engelberg, d’Altdorf , de Frey- 
wald, le Jardin-des-Fées dans la vallée de la Bruche, et le château 
égypüen de Soldatenthad : les uns, presque entièrement détruits, n’ont 
pour eux que des souvenirs, les autres sont facilement reconnaissables : 
on retrouve méme à Freywald la cella de la divinité , et dans la vallée 
de la Bruche , au-dessus du Jardin-des-Fées ; un dolmen gigantesque 
qui servait d’autel. Les Grecs appelaient ces augustes enceintes Hy- 
pethres ; Festus les nomme Sacella (4). Le sanctuaire germain indiqué 
par Tacite dans le pays des Marses (2), ne pouvait étre qu’une 
enceinte, car ce scrait le seul exemple d'un temple construit dans les 
Gaules , antérieurement aux invasions romaines. 

À ces témoignages d’un culte grandiose , mélange incompréhensible 
aujourd'hui des mystères de l'Asie, de la Grèce, de l’effrayante my 
thologie du nord, culte exercé à la face du ciel, sous l’inspiration 
de la lumière solaire et de la muette éloquence d’un sol aride et 
sauvage, nous ajouterons l'indication de quelques lieux jadis habités 
et consacrés par les Druides. Ces lieux retirés où le chène antique 


(1} Sacella dicuntur loca diis sacrata sine tectis, De verb, signi., lib, XVIL 
(2) Tacit ann, cap. V. 


QUATRIÈME SECTION. 461 


croit encore (1), où la terre semble recéler des secrets qu’elle est 
jalouse de conserver, où les rochers parlent et s'animent aux idées 
réveuses que vous y attachez, lieux magiques au fond desquels le 
villageois timide croit revoir l'esprit de leurs anciens possesseurs, 
sous les traits d’une blanche dame ou d'une fée, tantôt cruelle, 
tantôt bienfaisante, ces lieux ne semblent inhabités que depuis hier, 
tant la nature est uniforme dans sa marche, tant les croyances et les 
souvenirs ont de puissance sur les âmes. 

À Gorze , aux environs de Sierck , de Remiremont , de Sainte-Odile 
et de Wasselone , on rencontre de ces sombres retraites où les derniers 
chants des Druides semblent résonner encore; et, quoique l’ancien 
culte n’y ait souvent laissé aucune trace, on s'inspire en les visitant 
d’une conviction si profonde qu'on peut la considérer comme une 


révélation du passé. Ainsi, que le Mennelstein (2) dont la tête chauve 


et ridée s'élève à 70 pieds au-dessus du sol, passe comme le Wachstein 
pour une pierre d'observation , ou l'assise d'un vieux château, l'an- 
tiquaire ne pourra s'empêcher d’y voir un collége druidique sacrifiant 
à l'Eternel ; que la pierre de Gorze se soit détachée du rocher paï 
uné cause naturelle, que la main des Druides n'ait été pour rien 
dans son placement, chose que j’admets volontiers, on ne devra 
pas moins la considérer comme une roche aux vierges, roc’h werc’het 
de la Bretagne, pierre d’épreuve sur laquelle le Gaulois, pressé d’un 
doute affreux, conduisait la jeune fille dont il voulait faire son 
épouse (35). 

Lorsque Tacite écrivait, les peuples de l’ancienne Germanie s’as— 
semblaient encore dans les lieux sombres et solitaires, pour adorer la 
divinité (4). IL cite les Sennones et les Naharvaliens (5) comme étant 
demeurés fidèles au culte de leurs ancêtres, et nous pourrions ajouter 


(1) Pline dit (Hist. nat., liv. XVI, c. 44) que les Druides n’ont rien de plus sacré que le 
chêne; et Maxime de Tyr (serm. 38) que le- dieu des Keltes est un gros chêne, César atteste 
WI, c. 16) que les Gaulois ont des idoles de bois d’une grandeur extraordinaire et dont, 
les membres sont liés ensemble, et Lucain (Pharsal, liv. III, v. 414), que les simulacres 
des lares du pays consistent en des troncs d'arbres sculptés grossièrement et sans art, 

(2) Vues pittoresques de l'Alsace. Ouvr. déjà cité; cinquième livraison. 

{3h 1! y avait aussi des pierres aux cocus, monumens terribles,.car les Gaulois avaient droit 
de vie et de mort sur leurs femmes, Valère Maxime, 

(4) Nec cohibere parietibus deos, meque in ullam humani oris speciem assimulare, ex magnitudine 
cælestium arbitrantur: Lucos ac nemora consecrant, deorumque nominibus appellant secretum üllud 
quodysola. reverentia vident. Taçit. de, mor, germ., cap. ix 

(5) Stato tempore in syluam, auguriis patrum et prisc& formidine sacram coeunt, etc., id. cap. xxxix. 

Apud Naharvalos antique religionis lucus ostenditur, — Nulla simulacra, nullum peregrinæ su- 
perstitionis vestigium, Id. cap. xliii, 


462 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


sans crainte d’être démentis par l’histoire ; nos voisins de la Séquamie , 
les Triboques et les Ubiens, 

Quelle différence m'écrirai-je, en terminant ce que j'avais à dire 
sur les Keltes, entre ces monumens simples et sévères dont la puis- 
sante gravité rappelle tout ce que l'âme offre de plus pur , la morale 
de plus simple, la pensée de plus sublime, et ces temples qui vont 
surgir avec le génie de Rome, temples fastueux, où l’encens des 
mortels brülera tour-à-tour devant les tyrans de la terre et les im— 
pudicités de l'olympe!... Mais les immenses colonnades de la vieille 
Egypte, les splendeurs du Colysée , les ruines imposantes du Par- 
thénon frappent l'orgueil artistique de l’homme bien autrement que 
les roches alignées de Carnac ou la cellule de grès d'Amasis ; chacun 
s'arrête étonné, confondu sous l’accablante impression d’un monde 
de merveilles, et les beaux-arts servent ainsi de honteux passeport 
aux passions désordonnées du paganisme. 

Dés que Rome victorieuse et hautaine se fut placée au cœur de la 
Gaule comme un immense rocher au milieu du cours d’un fleuve , les 
Keltes refoulés dans les montagnes y conservèrent leurs croyances tradi- 
tionnelles, leurs mœurs, leur liberté, leurs monumens : mais peu-à-peu, 
le montagnard visita la plaine ; l'habitant des vallées se hasarda vers la 
montagne ; des rapports d'intérêt s’établirent ; des routes furent tracées; 
la politique invariable du sénat romain poursuivit les prêtres Gaulois 
qu'il considérait avec raison comme chefs de factions ; et le druidisme, 
proscrit d’abord de la Gaule Narbonnaise , le fut également plus tard 
de toutes les provinces par Auguste et Tibère. L’insurrection fomentée 
sur le Rhin et la Moselle par le Trévirois Julius Florus (4), servit 
de prétexte à des rigueurs nouvelles, et de ce moment, l'édit de Tibère 
qui proscrivait les sacrifices humains , reçut une entière exécution. 
On trouve dans l'inscription BELLICCVS  SVRBVR du Donon, et 
dans le bas-relief qui l'accompagne , bas-relief expliqué différemment 
par plusieurs écrivains recommandables, un témoignage authentique 
de l'alliance forcée qui se fit alors entre le culte des Druides et la 
religion payenne. Belliccus est le Zion, le lion belliqueux et vain 
queur , symbole de la puissance romaine; swrbur est le sanglier eu 
le porc, emblème des Gaulois. On le voit accolé au rocher, pressé 
jusqu’au fond de sa dernière retraite , et néanmoins défendant encore 
le sanctuaire préposé à la garde des Druides. Ce monument curieux 
de la religion de nos pères est grossièrement travaillé. » Quelle autre 
main que celle d'un soldat eut gravé le belliccus avec toute la dureté 


(1) Ce fut l'an 21 de Père chrétienne, Tacit. Jib. III, ann. 


QUATRIÈME SECTION. 465 


de la prononciation? L'esprit orgueilleux et satirique qui a concu 
cette image , décèle l'enfant du Tibre; celui qui, après avoir conduit 
en triomphe et adoré le phallus comme une divinité, n'employait 
gne de débauche; celui 
enfin qui. défendait l’effusion du sang humain sur les autels gaulois, 
et qui le répandait par torrent dans ses amphithéätres et jusque dans 
ses salles de festins (1). : 

L'inscription belliccus-surbur formée d’un mot latin et d'un 
mot keltique, le bas-relief offrant la réunion de deux symboles qui 
appartiennent à deux cultes opposés , prouvent la tendance qu’avaient 
déjà les Romains d'établir une fusion entre les vainqueurs et les vaincus, 
par tous les moyens puisés dans une communauté de langage et de 
croyances. Et cette remarque s'applique non-seulement à l'histoire 
du Donon, mais encore à l'explication d'une foule de monumens 
décrits par nos devanciers. 


plus cet emblème que par dérision ou en si 


En face des montagnes consacrées au culte mithriaque , les pontifes 
romains élevèrent des autels à Jupiter, à Bélénus ; tels furent le Mont- 
Joux dans les Alpes, les Jomont dans les Vosges. Les pierres fichées, 
les peulvens devinrent presque tous des dieux termes, Der termini; 
Hesus partagea les honneurs suprêmes avec les divinités victorieuses (2) ; 
aux nombreuses images du Wodan-Teutath on substitua quantité de 
Mercures , les uns sans pétasse mais avec caducée serpenté et une 
bourse à la main; ce sont des Mercures Dreu-Soleil dont le caducée 
représente le cours tortueux des astres, et dont la bourse signifie 
la richesse et l'abondance que l’astre du jour amène (5) ; les autres 
sans caducée, mais avec les ailes aux pieds, unc bourse, un oïiseau 
ou un poisson à la main ; ce sont des Mercures Dieu du Commerce et 
des voyages , ou des lares protecteurs. Des images de Jupiter, de Junon, 
d'Hercule, de Bacchus, de Pluton, et surtout d’'Hercule Saxan, de 
Diane, de Mars, de Castor et Pollux, d’Apollon considéré tantôt 
comme Dieu de la Médecine, de la Musique ou des arts, tantôt comme 
Dieu-Soleil, devinrent trés-communes dans le nord-est de la. France. 
J'y ai vu es Dieux sylvains , plusieurs faunes , un Dieu-Priape ; 
une Cérès, et l’on peut, en étudiant, en comparant entre eux ces 


(1) Hist. de la ville de Saint-Dié, p. 19 et suiv. On peut aussi consulter sur la même 
inscription les écrits de Dom Ruinart, Alliot, Montfaucon, Schæpilin, Dom Calmet, 
MM. Schweighæuser, Jollois, Frizy, Beaulieu, etc. Tous ont donné sur le Donon des disser- 
tations fort savantes. Nous y renvoyons. 

(2) On peut s’en convaincre par les bas-reliefs d’un autel octogone déposé dans le musée 
archéologique de Metz. Cet autel a été trouvé près d’'Havange (Moselle). : 

13) Macrob., lib. I. 


464 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


objets d'art, suivre les révolutions religieuses qui se sont succédé 
dans nos provinces pendant quatre siécles (1). 

Les formes lourdes et massives des hordes germaines se mélent 
d'abord aux formes plus sveltes et plus dégagces de la Grèce et 
de l'Italie; puis, peu à peu le goût s'épure, le beau se conçoit, 
s'apprécie, des artistes habiles ne dédaignent pas d'enrichir la Gaule 
du produit de leur ciseau, et quelques compositions rivalisent avec 
celles de Rome au siècle d’Auguste. 

Voila pour la statuaire religieuse: la peinture, plus lente à se 
développer, demeurait dans les conditions uniformes imposées à la 
mosaïqne, que je crois devoir considérer comme le seul genre de 
peinture adopté par le culte. C'était une peinture essentiellement 
symbolique, qui, de l’orient, avait passé dans la Troade, dans la 
Phénicie, dans la Grèce, l'Etrurie, et de la chez le peuple romain. 
Ce dernier la propagea sur tous les points du monde connu, mais 
sans la perfectionner, sans lui ôter le caractère d’un art à sa naissance. 
Ainsi l’exigeait l'esprit sacerdotal , pour que la symbolique des couleurs 
ne se perdit pas, pour que la morale et l’histoire formassent un code 
dont les prêtres auraient seuls la clef. Dans le monde profane, on 
finit par adopter, comme un usage, une simple mode, les.combi- 
naisons, les associations de couleurs, plattes et tranchées, qui revé- 
taient les murailles des temples ; et quand l’époque fut arrivée de 
perfectionner ce genre de peinture, parce qu'il échappait au domaine 
religieux, l’art tombait en décadence, la civilisation dégénérait. 

Dans nos provinces comme ailleurs, la mosaïque présente consé-— 
quemment ur type d’uniformité remarquable. C'est partout l’art oriental 
accommodé aux croyances du peuple de Rome, ou si l’on veut, l’art 
romain lui-même ayant ses formes propres, ses images et ses cou- 
leurs. 

On peut assurer sans crainte que les Gaulois ne connaissaient point 
la peinture en mosaïque, ou du moins qu'ils ne l’employaient pas 
pour symboles religieux, car s'ils l’eussent fait, on trouverait, parmi 
les mosaïques ; des formes bätardes, indécises et barbares , retraçant, 
comme en sculpture, l'alliance des mythes du nord avec ceux du 
midi. 

Ainsi, la mosaïque resta romaine jusqu’au moyen âge : il ne paraît 
pas que les peuples envahisseurs de l'empire, aient interposé leurs 
principes dans l’uniformité rationnelle de ses phases ; il ne paraît pas 


(1) Voyez, pour plus dé détails, les Mémoires de la société des antiquaires de France, 
t 1, p. 109 à 145. 


QUATRIÈME SECTION. 465 


non plus qu’elle ait sensiblement dégénéré, car, sous les premiers rois 
chevelus, elle sortit brillante du chaos où l’art était tombé. 

Nous ne ferions qu'indiquer d’une manière imparfaite les transfor— 
mations mythologiques survenues dans nos provinces, si nous n'y 
ajoutions pas celles qu'elles ont éprouvées, lorsque les légions ; venues 
de l'Afrique et de l'Égypte , couvrirent le sol d'une foule de symboles 
empruntés au culte d'Osiris. Ce fut surtout après la guerre entre 
César et Pompéc qu'elles envahirent les Gaules. La légion, dite la 
Victorieuse , pénétra dans la Médiomatricie , apportant avec soi les lares , 
compagnons de ses triomphes sur les bords du Nil; le corps de 
Labiénus , formé en grande partie de soldats égyptiens, mit en crédit 
les divinités hiéroglyphiques , et bientôt elles pullullèrent sur les rives 
de la Moselle et de la Sarre. Quand commencérent les rapports com- 
merciaux des Gallo-Romains avec les peuples du nord , eL plus encore 
lorsqu'un système de colonisation, imposé par le glaive , s'établit entre 
les hordes septentrionales et les Belges, on vit surgir de nouvelles 
divinités , échappées du ciel brumeux de la Scandinavie; mais il ne 
paraît pas qu'elles aient eu un grand crédit parmi nous. Le nom 
d'Odin figure bien peu dans nos vieilles légendes ; s’il y paraît, c’est 
au fond des bois qu’on le retrouve. Je ne connais qu'un seul monu— 
ment de Metz, celui des trois déesses maires qui puisse être rapporté 
à la religion scandinave, encore n'oserai-je pas lui assigner positi- 
vement cette origine (1). Il n'est pas étonnant qu'un peuple mou, 
abâtardi, entraîné dans les voies d'une civilisation effémince, n'ait pas 
voulu d’une religion sauvage , peut-être plus pure que la sienne, mais 
qui devait contraster beaucoup avec ses mœurs et ses habitudes. Cela 
explique comment il se fait qu'a l’époque des grandes invasions, le 
culte des hommes du nord ne pénétra point au scin des villes, 
tandis qu'il compta de nombreux adhérens parmi les campagnards. 

Au reste, rien ne prouve que les Gallo-Romains aient accordé une 
confiance bien profonde aux divinités , soït indigènes, soit étrangères, 
lorsque l'empire marchait vers sa dissolution. C'était un âge de scepti— 
cisme et d’indifférence , tel qu'on en voit chez tous les peuples vieillis, 
fatigués de leur bien-être même, äge critique où la société s’épuise 
en vains efforts pour établir des principes d'union là où l'unité manque , 
âge pendant lequel on existe pour l'intérêt du moment, tant l'in- 
certitude de l'avenir vous obsède et vous tourmente. Les prêtres alors 
enseignaient mal ce qu'ils ne croyaient pas eux-mêmes, les prêtres 


{1) V. la grande Histoire de Metz, par les bénédictins; t. 1, p. 72 et suiv. 


59 


466 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


quittaient le temple pour le forum, et le plebs imitait le prêtre. 
Un manque de ferveur si prononcé n'était cependant pas général au 
sein de Ja Gaule : mais lorsque le midi montrait encore de la piété, et 
déployait une pompe solennelle dans les cérémonies du culte ; lorsque 
des temples majestueux embellissaient Marseille, Arles, Nimes, Avi- 
gnon, Vienne et Lyon; le nord songeait au positif, négligeait tout 
ce qui n'avait pas un rapport matériel avec le bonheur, élevait peu 
de temples, et les construisait tous dans des proportions mesquines, 
témoignage irrécusable de la tiédeur religieuse de nos ancêtres. A 
Metz, par exemple; où tant d'édifices étaient consacrés au bien-être, où 
l'on voyait un aqueduc magnifique transporter, dans la Naumachie , les 
eaux limpides d’une fontaine distante de cinq lieues , où régnaient trois 
établissemens de bains publics, un amphithéätre , des arcs de triomphe, 
des palais splendides, on n'avait construit que des monumens reli- 
gieux fort petits, destinés à un nombre peu considérable de croyans. 
Les recherches que j'ai pu faire sur Metz ancien ne m'y ont laissé 
découvrir qu'un seul édifice religieux à grandes proportions ; c'étart 
le temple de la Victoire, enceinte consacrée par l'esprit de conquête , 
espèce de forum militaire où se résumaient les croyances les plus 
intimes du soldat, et la politique du peuple romain. 

Tel devait être l’aspect monumental et religieux du nord-est de 
la France, lorsqu'une lumière céleste éclaira le monde ; lorsque le 
monothéisme le plus parfait répandit ses dogmes si consolans et si 
purs. Dans le chaos immense de pensées profanes et matérielles, de 
scepticisme et de frivolité, d’insouciance et de passions mauvaises, 
qui précipitaient un grand peuple à sa ruine, il fallait une religion 
qui établit de nouveaux liens entre les hommes, de nouveaux rapports 
entre les choses , et cette religion ne pouvait être que celle du Christ, 


CINQUIÈME SECTION. 467 


CINQUIÈME SECTION. 


RAPPORT 


L'ÉTAT DE LA PEINTURE 
A METZ, 


Par M. B. FAIVRE. 


Messeurs, 


L’atadémie ayant décide, dans sa séance du 27 août, qu'un coup 
d'œil sur l'état des arts dans le Pays-Messin serait soumis à Ja 
cinquième section du congrès, cette tâche m'a été commise en ce 
qui regarde les arts du dessin , non qu’elle me revint de droit, mais 
parce que j'ai paru moins directement intéressé dans la question que 
la plupart des personnes placées en première ligne pour cet objet 
par la nature de leur talent, l'étendue de leurs connaissances, et 
l'autorité qui s’attacherait naturellement à leur opinion. J'ai donc 
accepté , regrettant à Ja fois que le choix ne püt tomber sur un autre, 


468 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


et qu'un délai si court fût assigné pour un travail qui méritait quelque 
méditation. Je réclame toute votre indulgence. 

Si Metz jouit de quelque renommée ; ce n’est point aux arts qu’elle 
en est redevable. L'histoire parle de son commerce , de sa richesse, de 
son importance politique , de sa force militaire ; elle célébre son an— 
tiquité, elle vante sa constitution libre, elle nomme ses magistrats, 
ses guerriers, ses sayans, elle ne nomme point ses artistes; elle 
laisse dans l’oubli quelques médiocrités à peine connues de leurs con 
temporains , dont les œuvres mêmes ne sont point parvenues jusqu'à 
nous. En eflet, tandis que la Lorraine s'enorgueillit à si juste titre 
de son Callot, et surtout de son immortel Claude , si heureusement 
pour la gloire de sa patrie surnommé Ze Lorrain, Metz osera-t-elle 
rappeler qu’elle a donné le jour au graveur Sébastien Leclerc? La 
comparaison serait moins à son désavantage, s'il était prouvé que 
le Pays-Messin à vu naître le baron Hegnault, ce digne émulé de 
David, et l’un des restaurateurs de la peinture en France. Mais il 
n’est point certain que Sarreguemines , qui le réclame, soit le véritable 
lieu de sa naissance, et notre amour-propre national ne doit point 
se hâter d’usurper un titre que la vérité historique nous forcerait 
peut-être de restituer un jour à quelque localité plus heureuse. 

: Toutefois, malgré le peu de renom de ses artistes, Metz compte dans 
son histoire artistique des époques moins stériles. Le xm°, le xiv° et le 
xv° siècle virent fleurir plusieurs architectes habiles, que cet âge naïf 
désignait sous le titre modeste de macons. De ce nombre étaient Péerre 
Perrat, Thierry, de Sierck , les deux Renconval, père et fils, Jacomunr, 
de Commercy, à qui sont dues diverses parlies de notre élégante ca- 
thédrale.! Une foule d’autres monumens, entre autres les cathédrales de 
Toul et de Verdun, et l’église si regrettable , dite des Grands-Carmes, 
dont ilne reste plus qu'un fragment , ont été élevés d’après les plans et 
sous la direction de ces génies ignorés , qui possédaient à un si haut 
degré l'intelligence de leur art, et qui imprimaient à la pierre, avec 
tant d’éloquence, l'esprit religieux de leur époque. 

L'aurore de la renaissance ne brilla point sur notre ville; c’est 
l'époque de la douloureuse révolution qui anéantit sa constitution 
libre pour transformer la cité impériale en une bonne ville du roi 
de France; c'est l’époque des troubles religieux, qui agitèrent si 
tristement notre malheureuse province; c’est l'époque pour le Pays- 
Messin d’une décadence rapide , peu propre à faire éclore et prospérer 
les arts. L 


Il n'en fut pas ainsi du siècle de Louis XIV, qui jeta sur toute 


CINQUIÈME SECTION. 469 


l'Europe une si vive lumière, et dont l'influence féconde se fit sentir 
avec tant de puissance jusqu’au fond de nos plus obscures provinces. 
Le peintre Naucret, le SOPpISUS Chassel, le graveur Leclerc, qui 
jouirent de quelque estime, même parmi les artistes de la capitale, 
étaient de Metz; et tandis qu ils honoraient ainsi au-dehors leur 
pays natal par de talens du second ou du troisième ordre, des 
étrangers y faisaient à leur tour fleurir la sculpture, la gravure et 
la peinture. On y vit, dans le cours du xvnf siècle, un Etienne Racle, 
qui avait quitté Nancy, sa patrie, pour venir à Metz graver les coins 
de la monnaie; un Jacob Adam, sculpteur habile, qui exécutait 
des figures en bronze très-recherchées des amateurs; un Willaume , 
assez bon peintre d'histoire, qui travaillait pour le maréchal de la 
Ferté et d’autres personnages de distinction. Enfin les particuliers et 
les monastères achetaient et commandaïent des tableaux , et les artistes 
de Nancy et de Verdun eurent plus d’une occasion d’y placer avanta- 
geusement leurs ouvrages. 

La révocation de l’édit de Nantes dut porter un coup funeste à 
l’industrie , aux sciences , aux arts, dans une ville qui avait embrassé 
avec chaleur le parti de la réforme. Les beaux-arts, en particulier , 
y tombérent dans une déplorable langueur , d’où la protection éclairée 
du maréchal de Belle-Isle parvint à peine à les faire sortir. On sait 
combien à cette époque le goût. s'était égaré. Les œuyres produites 
au xwn° siècle par les artistes de tous les degrés furent justement 
confondues dans un oubli commun avec celles des Boucher et des 
Vanloo, les chefs de cette triste école, si loin de la vérité et du 
noble but auquel doivent tendre les arts. C'est ainsi, par exemple, 
que se perdirent les peintres Jean Leprince, de Metz, et Joseph 
Ajeïling, de Saint-Avold , qui auraient peut-être laissé d’honorables 
productions de leurs talens, si le mauvais .goût du siècle n'eut fait 
avorter les dispositions dont la nature les avait doués. Le sculpteur 
Masson , plus heureux, dut à de solides et consciencieuses études 
l'honneur de laisser des travaux estimés, que beaucoup de nos artistes 
modernes ne seraient pas en droit de renier. 

Deux de nos compatriotes, dont la jeunesse est contemporaine de 
l'heureuse révolution qui a restauré les arts en France, et auxquels 
nous voudrions , dans notre orgueil national , pouvoir associer le baron 
Regnault, leur camarade et, pour ainsi dire, leur condisciple ; J'ean— 
Martin Renaud, de Sarreguemines, honoré de l'amitié de Denon, 
et Charles-Augustin Pioche, de Metz, artiste vénérable par son âge 
et par. ses trayaux, que nous ayons Je bonheur de compter encore 


470 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


parmi nous, appartiennent à la fois, par la nature de leur talent, 
à l’ancienne et à la nouvelle école. Placés sur la limite de deux âges, 
ils ont imprimé à leurs œuvres une sorte de caractère indécis et transi— 
toire qui n’est déjà plus le laisser-aller du xvin® siècle, qui n'est pas 
encore la sévérité du xix°. Mais ni l’un ni l’autre , surtout le dernier, 
m'ont atteint les limites dans lesquelles il était donné à leur génie de 
se développer. Ce n’est point le lieu d’en rechercher les causes. 

Toutefois ces deux hommes sont les seules lumières, sous le 
rapport des arts, qui jetèrent quelque éclat sur le Pays-Messin à 
une époque où la France, dans tous les modes de l’activité humaine, 
recueillit une si ample moisson de gloire. Encore même avaient-ils 
renié leur obscure patrie , pour aller chercher la célébrité et la fortune 
dans la capitale, ce foyer absorbant vers lequel se précipitaient déjà 
tous les talens , toutes les ambitions. Et quand Charles-Augustin Pioche 
fut ramené dans sa ville natale par un juste ressentiment de sa bonne 
foi jouée et de son mérite obstinément méconnu , il y trouva les arts 
plongés dans les plus épaisses et les plus décourageantes ténèbres. 

Pendant les quinze ou vingt premières années du siècle, Metz ne 
compta qu'un seul artiste, celui dont nous venons d’énumérer les 
titres ; encore bien faut-il reconnaître qu'il était déjà sur son déclin. 
L'atelier qu'il avait ouvert était la seule école qui méritât ce nom. 
De musée, Metz n'en avait jamais eu; elle n'en a point encore. Le 
seul de nos cabinets particuliers digne de fixer les regards, celui de 
M. Gorcy, se formait seulement. À aucune époque de son histoire, 
sans contredit , l'antique capitale des Médiomatrices n'avait plus hon— 
teusement justifié l'injurieuse épithète de mardtre des arts dont l'étranger 
l'avait flétrie. | 

Mais précisément parce que cet état de choses était extrême, il ne 
pouvait long-temps durer. On vit bientôt, mais avec lenteur , s'opérer 
un heureux changement. 

Une école gratuite de dessin fut fondée par la ville. Cet établisse- 
ment, inaperçu d’abord; mal soutenu et mal dirigé, ne tarda point 
à tomber entre les mains d’un homme plein de zéle, de savoir et 
de bon esprit, qui l'éleva à un haut degré de prospérité. Aujourd’hui 
cette école, qui compte annuellement deux ou trois cents élèves, 
est dans son genre une institution du premier ordre, et contribue 
puissamment à répandre dans la classe ouvrière le goùt du beau et 
le sentiment de la précision. 

À côté de cet établissement s’en éleva bientôt un autre , aux frais 
du département, sous le titre d’école de peinture. L'idée seule d’une 


CINQUIÈME SECTION. 474 


telle institution dans nos murs était l'indice qu'une ère nouvelle avait 
commencé. Mais déjà c'était aller un peu vite. Cette école dépassait 
les besoins actuels de la population. Assise d’ailleurs sur des bases 
assez mesquines, confiée à des mains médiocrement habiles, créée 
enfin sous l'influence de je ne sais quelle pensée politique , elle disparut 
un matin, nous laissant deux ou trois jeunes artistes de plus, mais 
ayant, en définitive, assez mal tenu ce qu’elle avait promis et ce 
qu'on avait droit d'en attendre. 

Pendant qu'elle s'en allait ainsi avec les circonstances qui l'avaient 
fait naître, l’école de la ville préparait à l'écart des résultats plus 
satisfaisans et d’un intérêt plus général. L'enseignement des arts du 
dessin, qui y avait été d'abord un peu confus, peu à peu se dé- 
brouilla, se divisa, et prit un caractére positif et simple, parfai- 
tement approprié aux besoins de la classe de citoyens en faveur de 
laquelle cet établissement avait été fondé. Les arts de pur agrément y 
cédérent insensiblement la place aux arts directement utiles. M. Dupuy, 
directeur de l’école, proposa à l'académie, dès l'année 4898, en 
offrant de faire lui-même les frais du prix, de mettre au concours la 
question suivante: Déterminer, pour l’enseignement du dessin, un 
mode qui convienne à la fois aux ouvriers, aux élèves des colléges, 
et aux jeunes gens qui se destinent aux beaux-arts. Deux mémoires 
en réponse à cette question ayant été couronnés l’année suivante par 
l'académie, M. Dupuy , avec autant de modestie que de zële bien 
entendu pour les progrès de l'établissement, se hâta de modifier son 
système d'enseignement d’après les principes émis dans l’un et l’autre 
mémoire. C’est de ce moment surtout que l’enseignement s’y dégagea 
de tout ce qu’il a d’aristocratique , si je puis m’exprimer ainsi, pour 
devenir essentiellement populaire ; pour se réduire , dans son principe 
fondamental, au tracé libre et à l'imitation graduée et rationnelle 
de tous les corps; pour s’assimiler, en un mot, par la simplicité de 
ses principes et l’universalité de ses applications, au plus vulgaire de 
tous les arts, l'écriture. De la sorte l'école municipale des arts prit 
rang parmi nos plus utiles, nos plus indispensables institutions. La 
génération présente en reconnait déja les nombreux et importans 
bienfaits ; la génération qui s'élève les appréciera mieux encore ; nous 
n’en doutons pas. 

Du reste, à mesure que l’enseignement se simplifiait à l’école mu— 
nicipale, il s'élevait des établissemens particuliers propres à recueillir 
et à développer les diverses parties de l’art que ne comportait point 
le programme sévère d'une institution gratuite. 


472 MÉMOIRES ET PIÈCES. ° 


L'établissement simultané d'une école de peinture ct d’une école 
de dessin, auxquelles était affecté un prix de trois mille francs, 
décerné tous les trois ans pour aller perfectionner ses études dans 
la capitale, à l'élève qui s'en était montré le plus digne, avait en 
peu d'années doté notre ville de plusieurs jeunes artistes de belle 
espérance. De là plusieurs ateliers où l’on cultivait les différens genres 
avec succès ; de là aussi nombre d'amateurs et de personnes étran- 
gères au métier proprement dit, qui luttérent, souvent avec avantage, 
contre les artistes eux-mêmes, et qui contribuërent puissamment à 
éveiller parmi nos concitoyens le goût d’un art si fertile en jouissances , 
et si favorable à l'expression et à la propagation de la pensée. 

Mais à ces causes diverses de progrès vinrent s’en joindre d’autres , 
qui ne furent pas moins efficaces peut-être. Dès l'année 1825, l'académie, 
qui avait pris le titre de Société des lettres, sciences et arts, fonda 
des expositions quinquennales de l’industrie du département , et invita 
les artistes à s'y adjoindre aux industriels, afin que le public put 
connaître à la fois ses richesses dans ces deux modes importans du 
travail humain. Il y eut ainsi successivement quatre expositions ; dont 
la dernière, celle de 4854 , rendit si manifeste la marche ascendante 
de nos arts, que de ce moment il fut jugé opportun de leur ouvrir 
des expositions spéciales , et qu'il se forma dans ce but une société, 
qui réalise en ce moment pour la seconde fois l’objet en vue duquel 
elle a été créée. 

L'établissement de la Société des amis des arts fera époque dans 
l'histoire de nos ateliers modernes. Grâce à cette sage institution , 
nos artistes, de concert avec ceux de Nancy, qui sont régis d'une 
manière analogue, exposent alternativement chaque année, dans l’une 
et dans l’autre ville. De la sorte, il s'établit entre les deux cités rivales 
une émulation généreuse, dont l'avenir , sous le rapport de l’art, 
doit recueillir les fruits les plus heureux. D'une autre part, chaque 
exposition devient tour-à-tour, pour chacune des deux sociétés, l'oc— 
casion d’acheter un certain nombre d'ouvrages, qui, ensuite répartis 
par le sort entre tous les actionnaires , répandent dans le public les 
productions les plus aimables du crayon ou du pinceau, et offrent 
ainsi aux artistes le moyen de placer lucrativement et honorablement 
leurs œuvres. Une telle institution est un véritable bienfait. L'artiste 
habile , le protecteur éclairé des arts à qui nous en sommes redevables, 
et qui la soutient avec un zèle à la fois si persévérant et si judicieux , 
a mérité toute notre reconnaissance. 

Quelque jour, à tant d’élémens de succès nous joindrons vyrai- 


CINQUIÈME SECTION. 473 


semblablement la possession d’un musée , établissement dont le projet, 
concu depuis long-temps, voit son exécution reeuler d'année en année. 
Déjà cependant nous sommes en mesure d’en fofmer le premier noyau. 
Si l’on réunissait les sculptures et les tableaux épars à la bibiothèque 
et à l’hôtel-de-ville, et qu'on y joignit les grands plâtres antiques 
déposés à l’école de dessin, on obtiendrait de la sorte un certain 
ensemble qui s'augmenterait avec rapidité, soit par les dons du gou- 
vernement ou des particuliers, soit, par les acquisitions que pourrait 
faire la ville, et qu’elle ferait plus volontiers sans doute du moment 
qu'elle y verrait un but réel d'utilité. Depuis moins d'une année 
n’avons-nous pas accru nos richesses artistiques de trois pièces capi- 
tales : les beaux bronzes de M. Fratin et le tableau de mérite con- 
sacré à la gloire du général Richepance ? Ce seul fait donne la mesure 
de ce qu'il en pourrait étre, si les arts avaient leur temple dans 
nos murs, et que les œuvres du génie fussent certaines d’y trouver 
. un asile révéré. 

Espérons enfin que le monument que nous allons élever à notre 
illustre et trop négligé Fabert, sera un noble sujet d'émulation pour 
le guerrier et pour le citoyen , et. en même temps une source d’ins- 
pirations héroïques et vraies pour nos jeunes artistes. Si le monument 
est bien compris, ce double but sera atteint, et là postérité applaudira 
au judicieux emploi que nous aurons su faire de nos deniers. 

Nos arts ont donc de l'avenir , si les hommes répondent aux choses, 
si les artistes de la Moselle, secondés par de si nombreux et de si 
puissans motifs d'encouragement , savent s'élever à la hauteur de leur 
mission , et reconnaître le véritable champ que l'art en province est 
appelé à parcourir. 

Nous sommes trop à l'écart pour qu'il nous appartienne de tracer 
au talent une route, où le génie seul a droit de servir de guide; 
cependant, si nous interrogeons les plus nobles et les plus naïves 
tendances parmi celles que nous voyons se manifester âutour de nous, 
il nous semble qu'ilenest de l'art, dans les provinces, comme il en 
est de la littérature, comme il en est de l’histoire. Etudier la localité 
pour la mettre en relief avec sa physionomie native , telle est la tâche 
dévolue au poëte, à l'historien , à l'artiste, quel qu’il soit, fixé par 
le sort ou par ses propres affections sur quelqu'un des points de cet 
orbe immense que Paris a la prétention de représenter exclusivement 
en disant , comme autrefois le plus superbe de nos monarques : l'état, 
c’est mot. 


Le caractère commun de nos arts modernes, c’est précisément de 


60 


474 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


one de caractère. Comme les artistes sont tous agglomérés sur 
le même point, ils n’ont tous sous les yeux qu ’un seul et même type 4 
reproduit sous mille aspects divers, mais toujours et toujours le même; 
ou bien, pour en sortir, ils s'aventurent dans le domaine vague de 
l'imagination , ils font du fantastique , et nous offrent pour du vrai une 
nature bizarre et monstrueuse qui n'existe que dans leur cerveau. 
Or chaque localité a son ciel, son sel, ses eaux , sa végétation, ses 
accidens de terrain ou de lumière; chaque contrée a ses monumens, 
son architecture; chaque province ses mœurs, ses usages , ses sou— 
venirs, chaque population son costume , son allure, ses sympathies, 
ses répugnances, surtout son type caractéristique et distinctif. Eh 
bien , c’est tout cela qui doit être reflété , reproduit, avec une candeur 
énergique, par l'artiste plongé , pour ainsi dire , dans cette atmosphère 
natale, pleine de vie simple et de franche originalité. 

Nous suivons peu, il faut le dire, cette marche si naturelle. Do- 
minés , entraînés par l'influence de la capitale, nous cheminons ti 
midement sur ses traces, nous nous réglons sur ses modèles ; nous 
subissons l'empire de ses modes , de ses préjugés, de ses caprices ; 
ce qu’elle hait, nous le haïssons; ce qu’elle aime, nous l’aimons; 
ce qu’elle fait, nous le faisons après elle, et toujours moins bien 
qu’elle, précisément parce qu’au lieu de prendre l'initiative dans 
la part de travaux qui nous est réservée, nous nous mettons humble- 
ment à sa remorque. 

Jeunes talens que la province voit éclore de toutes parts , pensez-y 
bien , comme l'historien, il faut que l'artiste aille aujourd'hui puiser 
aux sources. Or les sources, pour vous, ne sont ni dans les archives 
poudreuses , ni dans les savantes galeries, ni dans les portefeuilles 
vermoulus ; elles sont partout, sous le ciel, dans vos hameaux, sur 
vos côtes, sur vos montagnes; elles sont dans vos ateliers et dans 
vos places publiques. Elles seront aussi , du moment où vous posséderez 
bien le type national, dans les réciis de vos chroniqueurs, dans 
les traditions du foyer de vos péres. 

Secouez donc un joug que vous vous êtes imposé vous-mêmes , et qui 
comprime votre essor, bien loin de le favoriser. Mais rappelez-vous 
surtout que si les arts ont pour objet de décorer, d'embellir la demeure 
des hommes, ils ont aussi pour mission de révéler la vie, dont ils 
sont la manifestation la plus vive, d'exprimer le vrai et le beau dans 
l'ordre moral comme dans l’ordre physique, d'inspirer tous les nobles 
sentimens , de consacrer tous les actes généreux , de faire aimer, en 
un mot , et yénérer tout ce qui a droit à l'amour et à la vénération. 


CINQUIÈME SECTION. 475 


MÉMOIRE 


SUR 


LES QUESTIONS SUIVANTES: 


& 4° Quelle part convient-il d’assigner aux sciences et aux lettres 
> dans l’enseignement de ‘la jeunesse ? 

»> 2° Quelles conditions doit remplir l’enseignement des unes et 
» des autres, pour atteindre le but qu’il se propose? >» 


Par M. le comte DU COETLOSQUET. 


Messieurs, 


On a souvent agité la question de prééminence entre les sciences et 
les lettres: question oïseuse, que chacun résoudra dans le sens le 
plus conforme à ses facultés naturelles et à la disposition particulière 
de son esprit, et sur laquelle on se débattra pendant des siècles 
entiers , avant que des argumens, plus ou moins plausibles, manquent 
aux disputeurs. 

Une question plus solidement utile est celle-ci: Rechercher de 
quelle manière les sciences et les lettres concourent à former l'in- 


476 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


telligence et le cœur de l'homme; et quelle part il convient d’assigner 
aux unes et aux autres, dans l’enseignement de la jeunesse. 

Cette question est immense, et je n'ai pas l'ambition de chercher 
à la résoudre complèternent. J’essaierai seulement de vous soumettre 
quelques aperçus sur le sujet qu’elle embrasse ; cela fait, j'indiquerai 
plusieurs règles qui me paraissent devoir être observées dans l'en 
seignement et des lettres et des sciences , pour qu’elles puissent remplir 
leur noble destination. 

Avant d’entrer en matière, il sera à propos de présenter quelques 
considérations préliminaires. 

L'homme est un composé de deux substances unies entr'elles, sur 
cette terre, par un lien mystérieux, incompréhensible, mais dont 
le sens intime , l'expérience de tous les instans nous révèle l'existence : 
l'une , matérielle, sujette à la décomposition et à la mort; l’autre, 
simple, indivisible, incorruptible, immortelle: celle-là destinée à 
servir, esclave souvent fächeux , indocile, et toutefois indispensable ; 
celle-ci portant, au milieu des liens qui l’enveloppent, les marques 
glorieuses de son origine et de sa fin céleste. De là, deux sortes 
de besoins pour l'homme: les uns physiques et les autres moraux ; 
de là aussi deux espèces de devoirs : devoirs envers le corps, et 
devoirs envers l’âme. 

Si maintenant nous demandons quelle doit être la matière de l’en- 
seignement, la réponse sera facile: Toutes les connaissances qu’il 
est utile à l’homme d'acquérir. Entendons-nous bien toutefois sur la 
Signification exacte de ce mot wtrle; ear il a deux acceptions bien 
différentes. Queïquefois il s'emploie dans un sens limité aux intérêts 
matériels de la vie; c’est ainsi qu’on doit l'entendre toutes les fois 
que, dans le langage, il est mis en opposition avec le juste ou l'Aon— 
néte. Le second sens, beaucoup plus large, embrasse tout l'ensemble 
des devoirs de l’homme ; tout ce qui contribue soit à son bien-être 
physique, soit à l'amélioration de ses mœurs. C’est cette dernière 
acception qu'a envisagée l'Académie de Metz, lorsqu'elle a adopté 
ce mot /’Utile pour devise. C’est encore évidemment la même accep- 
tion qu’il doit recevoir dans la phrase où il a été placé tout-à-l’heure. 

Poursuivons. — Quelles sont les connaissances qu'il est utile à l’homme 
d'acquérir ? — Cette question, on le sent bien, se complique ; et sa 
solution doit varier suivant qu’elle s'applique à l’homme placé dans 
telle ou telle condition sociale. 

Posons d’abord un fait incontestable : le travail est une loi générale 
imposée par le créateur à tous les hommes ; mais en quoi consiste-t-il? 


CINQUIÈME SECTION. 477 


Pour la presque totalité du genre humain, c'est le travail manuel; 
pour un petit nombre, qui jouissent d'une position indépendante, 
le travail de l'intelligence. Est-ce donc à dire que la culture de 
l’âme soit un privilége réservé exclusivement à quelques êtres fortunés, 
et que le reste des individus de notre espèce soit destiné à laisser 
croupir misérablement, dans la fange de l'ignorance, la plus noble 
portion de son être? Loin de nous, Messieurs, un tel blasphème : 
hâtons-nous de proclamer que, pour tout homme, même placé dans 
les conditions les moins favorables , il doit y avoir un enseignement 
intellectuel à sa portée, el qui satisfasse à ses besoins les plus es- 
sentiels. 

Cet enseignement, c'est, en premier lieu, l'instruction religieuse. 
Tous les législateurs ont senti qu’elle devait présider à l'éducation de 
la jeunesse, sans distinction des conditions de fortune ou d’indépen— 
dance : pouvait-il en étre autrement en France, où l'immense ma— 
jorité des citoyens professe une religion qui tient à honneur d’avoir 
admis, au rang de ses disciples, les bergers avant les rois; une 
religion, dont le livre sacré a ce double caractère : de fournir aux 
esprits les plus sublimes un texte inépuisable de méditations, et 
d’être , par sa simplicité, accessible aux intelligences les plus bornées ? 

Aussi la loi sur l'instruction primaire du 28 juin 4833, a-t-elle 
placé (Art. 4%), l’Znstruction Morale et Religieuse en tête du pro— 
gramme des objets que comprend nécessairement l'Instruction pri- 
maire élémentaire, celle qui doit être donnée dans toute commune sans 
exception, au moyen d’une école au moins qu’elle entretient, soit 
par elle-même, soit en se réunissant à une ou plusieurs autres 
communes voisines (Art. 9). 

Les autres objets dont se compose le programme de l'instruction 
primaire élementaire , sont : la Lecture, écriture, les élémens de la 
langue française et du calcul, et le système légal des poids et 
mesures (Art. 1”). 

De plus, la même loi, dans la vue de combler une lacune essentielle 
qui existait entre l’enseignement primaire et le secondaire (celui 
qu’on recoit dans les colléges *), a institué, sous le nom d'Instruction 
primaire supérieure , un second degré d'enseignement qui sera pra— 
tiqué au moins dans les villes chefs-lieux de département, et dans 
celles dont la population excède six mille ames (Art. 40). 


* Avant la loi de 1833, cette lacune avait été comblée dans quelques rares localités, et 
notamment à Metz, par les Cours industriels , institués en 1825, sous les auspices de l’Académie, 
et professés avec succés par plusieurs de ses membres. 


478 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Le programme de ce second degré d'enseignement, donné pareil 
lement par la loi, comprend Les éemens de la géométrie et ses ap— 
plications usuelles, spécialement le dessin linéaire et l’arpentage ; des 
notions des sûiences physiques et de l’histoire naturelle applicables aux 
usages de la vie; le chant; les élémens de l’histoëre et de La géo 
graphie, et surtout de lhistowre et de la géographie de la France 
(Art. 1%), 

Les deux programmes que nous venons de copier ne sont, au 
surplus, qu’énonciatifs et non limitatifs, puisque, aux termes de la 
loi, selon Les besoins et Les ressources des localités , l'instruction 
primaire (soit élémentaire soit supérieure), pourra recevoir Les déve— 
doppemens qué seront jugés convenables * (Même article). 

Voilà donc les deux premiers degrés d'instruction, qui présentent 
un système bien lié dans ses diverses parties. D'abord l'enseignement 
élémentaire, en même temps qu'il pourvoit aux besoins essentiels de 
l'âme qui doivent passer avant tout, fournit à l’ouvrier, à l'artisan 
des villes ou des campagnes, le petit nombre de connaissances qui, 
dans l’étal actuel de la société, lui sont, sinon absolument indis- 
pensables, du moins trés-utiles pour gagner sa vie. Cet enseignement 
devait être, et il est en effet accessible à tous, sans exception , 
puisque ceux des élèves de la commune que le conseil municipal 
reconnait ne pouvoir, à raison de leur indigence, payer aucune 
rétribution, sont admis gratuitement dans l'école élémentaire (Art. 44). 

Vient ensuite un second degré d'instruction, un peu plus relevé, 
au moyen de laquelle les enfans pourront aspirer à devenir des ou- 
vriers distingués dans un art mécanique quelconque , des chefs d'ateliers, 
des commis dans une maison de commerce ou une administration, 


- * A Metz, l'instruction primaire a reçu, dans les écoles municipales, un assez grand 
nombre de développemens. 

4° L'instruction primaire élémentaire y comprend, outre les objets désignés au paragraphe 2 
de l’article 4er de la loi, le dessin linéaire à vue, et un covrs primaire de musique vocale; 

2° De même, pour l'instruction primaire supérieure, on a ajouté , aux objets énancés au 
paragraphe 3 du même article, des élémens de mécanique et de cosmographie ; 

3° Les jeunes ouvriers qui sortent de l’école primaire supérieure, sont admis à suivre les 
cours dits industriels supérieurs, dans lesquels ils reçoivent une instruction plus développée 
en géométrie, en physique et en mécanique, et, de plus, des notions d’algèbre , d'arithmélique 
des spéculations , de géométrie descriptive et de chimie ; 

4° Pour mettre à même les jeunes ouvriers qui n'auraient pas joui, dans leur enfance, 
du bienfait de l'instruction élémentaire, de pouvoir suivre les cours ci-dessus, on a créé 
pour eux des cours industriels élémentaires, qui comprennent à peu près les divers objets 
enseignés dans les écoles primaires élémentaires. 

b Enfin une école des arts ou de dessin et une école de musique, fondées et entretenues 
pareillement par la ville, complètent, à Metz, le vaste plan de l’enseignement, indépendant 
de” celui dit secondaire , ou des collèges, 


CINQUIÈME SECTION. | 479 


ou à exercer quelque autre emploi honorable et lucratif. Cette ins- 
truction est accessible, et aux enfans nés dans une position pécuniaire 
un peu plus favorable que les premiers, et aussi à ceux qui, dé- 
pourvus de moyens d'existence, auront annoncé, dans Je cours de 
l'instruction élémentaire, des dispositions particulières pour l'étude : 
car c’est cette classe intéressante qu'a eue en vue la disposition sage 
et bienfaisante de la loi, qui porte que, dans les écoles primaires 
supérieures, un nombre de places gratuites, déterminé par le conseil 
municipal, pourra étre réservé pour les enfans qui, après concours, 
auront été désignés par le comité d'instruction primaire, dans les 
familles qui seront hors d'état de payer la rétribution (Même article). 

Au-dessus de ces deux degrés d'instruction, il en est un troisième 
que nous avons déjà eu occasion de nommer : c'est ce qu’on désigne 
sous le titre d’Instruction Secondaire ; elle se donne dans les colléges, 
et elle embrasse proprement les sciences et les lettres. Ainsi nous 
voilà arrivés naturellement à l'examen de la question que nous nous 
sommes proposé de traiter. 

Ici il se présente une observation qui demande à être placée en 
premier ordre. Les deux branches de l'instruction primaire , — l’élé- 
mentaire et la supérieure , — se lient entr'elles , ainsi que nous l'avons 
vu; de manière à ce que la seconde soit le complément de la 
première : une liaison analogue ne devrait-elle pas avoir lieu entre 
l'instruction primaire supérieure et l'instruction secondaire ? et cette 
liaison existe-t-elle? l'instruction secondaire est-elle bien le com-— 
plément de celle qui, dans l’ordre naturel, vient immédiatement 
avant elle ? celle-ci l’a-t-elle précédée toujours dans la réalité ? a-t-elle 
même pu toujours la précéder ? Sur la masse des enfans qui, au 
renouvellement d'une année classique, entrent pour la première fois 
dans un collége, une portion considérable, plus de la moitié peut- 
être, appartient à des parens qui habitent ou la campagne, ou 
une petite ville au-dessous de six mille ames, dans laquelle il n’existe 
pas une école primaire supérieure. Comme il n'y a pas de pensionnat 
attaché à ces dernières, les parens n’ont pu, pour la plupart, faire 
jouir leurs enfans de l'instruction qu’on y recoit. Et, parmi ceux 
mémes qui avaient cette ressource à leur portée, combien n’auront 
pas jugé à propos d’en profiter, regardant cette instruction comme 
au-dessous de leurs enfans, comme faite pour des classes inférieures 
à la leur! 

Je souhaiterais donc que, dans chaque collége , il y eût des cours 
préparatoires comprenant tout ce qu’on enscigne dans les écoles pri- 


480 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


maires supérieures ; et que chaque enfant , qui est présenté pour entrer 
au collége, füt obligé de commencer par suivre ces cours, à moins 
qu'il ne justifiät de les avoir suivis dans une école commuünale, ou 
d’avoir appris chez ses parens les matières qu'ils embrassent, et que, 
de plus, dans l’une comme dans l’autre hypothèse , il ne fût constaté, 
par un examen préalable, qu’il possède bien cette instruction. Par 
là on blesserait peut-être la sotte vanité de quelques parens, qui 
visent à donner à leurs enfans une instruction plutôt brillante que 
solide ; mais, en vérité, je ne crois pas qu'il y ait là un grand mal. 


Passons aux objets qui sont la matière de l’enseignement dans les 


5 
colléges. Ils se divisent naturellement en deux grandes catégories : les 
sciences et les lettres. La partie qui est assignée à chacune d'elles, 
est-elle établie dans une juste proportion ? l’ordre dans lequel on 
les enseigne les unes et les autres, est-il bien le plus convenable? Il 
n’est aucun de nous, Messieurs, qui ne se soit adressé ces questions 
plusieurs fois dans sa vie, qui n’en ait été plus ou moins préoccupé ; 
elles ont été souvent agitées, elles ont fourni matière à des disser- 
tations savantes et ingénieuses ; elles ont même été, à la tribune 
nationale, l’occasion d’une lutte animée, également remarquable par 
l'illustration qui s’attache au nom des deux athlètes, et par l’éloquence 
qu'ils y ont déployée de part et d'autre. 

U ya deux points de fait, qu'après toutes ces discussions on peut 
regarder comme bien établis: l’un, que dans l’enseignement des 
colléges la part la plus large, la part prépondérante est faite aux 
lettres ; l’autre, que l’enseignement des lettres, en France, se com-— 
pose presque exclusivement, outre l'étude de la langue maternelle, 
de celle de deux langues anciennes : le latin et le grec. Quant aux 
langues modernes , autres que le français, l'étude n'en est qu'acces- 
soire, souvent même facultative : et l’on sait quel fond, en général, 
il faut faire sur une étude laissée à la faculté des élèves. 

Cela posé, il est évident que la difficulté réside essentiellement 
dans la grande extension donnée à l'étude des langues anciennes 
(car, pour ce qui est de celle du français, personne n’a songé sérieu— 
sement à en contester la haute importance, ou à se plaindre qu'on 
y consacrât trop de temps dans le cours des études classiques). 

Jci M. du Coëllosquet présente quelques considérations détaillées sur le peu de fruit que 


retirent, en général, de l’étude des langues anciennes, la plupart de ceux qui ont fait 
leurs classes; puis il ajoute: 


Et cependant, ils seront sortis du collège, avec une ignorance 
complète sur une foule de choses qu'il leur serait très-utile de 


CINQUIÈME SECTION. 481 


savoir. Ainsi; pour prendre quelques exemples au hasard entre beau- 
coup d'autres, ils seront à la merci des gens d’affaires pour leurs 
_procës, à la merci des architectes pour leurs constructions , elc., etc. 
Est-ce donc à dire que je veuille faire, de tous les jeunes gens entrant 
dañsle monde, autant d'avocats ou d'architectes ? — Non, sans doute ; 
mais autre chose est d’être en état d'exercer une profession quelcon- : 
que, autre chose d'en connaître la langue, et de pouvoir apprécier 
le fort ou le faible de tel argument, les avantages ou les inconvé— 
| miens de tel projet: et c’est là le point où je voudrais que tous 
arrivassent. Si nos intérêts personnels étaient seuls à souffrir de notre 
ignorance, ce ne serait encore là qu’un mal assez léger. Mais vous 
voilà appelé à prononcer, comme juré, sur une accusation de ban- 
queroute frauduleuse ; et la langue commerciale vous est étrangère, 
et vous n'avez pas seulement la moindre idée de la tenue des livres 
de commerce ! — Ou bien encore, la confiance de vos concitoyens 
vous a donné l'honorable mission de défendre les intérêts de la 
cité dans un conseil municipal. Il est question d’une construction 
importante; un devis passe sous vos yeux ; force est à vous de 
l'approuver de confiance; et votre ignorance , complice en cela 
de l’ineptie d’un architecte, va entrainer une ville dans des dé- 
penses inconsidérées ou mal entendues. — Ce que je viens de dire 
s'applique, avec plus de force encore, aux fonctions supérieures de 
l'administration. N'est-ce pas une chose dérisoire et vraiment dé- 
plorable, que les préfets soient appelés tous les jours à approuver 
des devis, et qu'on n'exige pas d’eux les plus légères notions d’ar— 
chitecture? ou bien encore qu'ils aient à prononcer sur une foule de 
questions relatives à des cours d'eau, tandis qu'ils sont, pour la plupart, 
totalement étrangers aux premiers élémens de la mécanique ? 
L'ignorance dont je me plains est donc très-souvent préjudiciable 
aux hommes qui ont fait leurs études classiques ; elle l’est surtout à 
ceux d’entre eux qui exercent des fonctions publiques. J'ajoute qu’elle a 
pour tous un autre inconvénient, qui, bien que moins important, ne 
laisse pas d’être réel: c'est de les priver d'une foule de jouissances 
de l'esprit, qu'un degré de plus d'instruction les eût mis à même 
de se procurer. Que de fois, par exemple , m’est-il arrivé, en visitant 
une usine, en regardant une machine quelconque, d’envier le sort 
de ceux qui étaient en état d’en saisir le mécanisme , et de se rendre 
compte de ses avantages ou de ses défauts ! Que de fois encore, 
en assistant à une réunion de gens instruits, qui discouraient entr'eux 
sur un objet relatif à une science quelconque (la géologie par exemple, 


6x 


482 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


ou la chimie, où la musique), ai-je éprouvé un dépit secret, de ne 
pouvoir, non-seulement me méler à la conversation, mais même pro 
fiter de ce qui se disait, tout cela faute de quelques notions géné— 
rales, qu'il m’eüût été facile d'acquérir, dans le cours de mes études 
classiques ! 

Si, de tout ce que je viens de dire, on se hâtait de conclure 
que, dans mon opinion, l'étude des langues anciennes dût étre 
supprimée de l’enseignement des colléges, on s’abuserait beaucoup. 
Une telle pensée a toujours été, elle est encore bien loin de mon 
esprit. Tout en retranchant beaucoup de la part excessive, à mon gré, 
qu’elles occupent dans cet enseignement, je leur en laisserais encore 
une bien belle. Je vais résumer, en peu de mots, les modifications 
que je désirerais voir adopter dans leur étude. 

4° Je me bornerai à mentionner.ici, pour mémotre , le vœu que 
j'ai émis dans un autre endroit, que nul enfant ne fût admis à 
commencer les classes de latin et de grec, avant d’avoir suivi tous 
les cours qui se professent dans les écoles primaires supérieures. 

20 Je voudrais que l'étude des langues anciennes füt considérée 
en quelque sorte comme une #nstruction secondaire supérieure, destinée 
seulement à ceux qui devront parcourir, dans son entier, le troisième 
degré de l'instruction, Parmi les langues modernes étrangères qui 
sont, ou tout-à-fait négligées dans les colléges, ou traitées d’une 
manière trop superficielle, il en est trois (l'allemand, l'anglais et 
l'italien), qui, sous le rapport de la littérature, offrent à peu près 
les mêmes avantages que les deux langues classiques , et qui, de plus, 
ont celui de servir de moyen de communication avec celles des nations 
voisines ayec qui nous ayons de plus fréquentes relations ; par con— 
séquent, leur étude n’a pas pour unique objet de cultiver et d’orner 
l'esprit, elle peut, dans une foule de circonstances, satisfaire à un 
besoin réel. Je pencherais donc pour que l'étude des langues com- 
mencät par celles-ci ; et, s'il était question d'opter, c’est à elles que 
je donnerais la préférence. Mais tout ce que je demande, e’est un 
partage à peu près égal. 

3° Je souhaiterais encore qu'au lieu de commencer, à l’âge de 
huit ou neuf ans, l'étude du latin et du grec, on attendit jusqu'à 
douze ans au moins. L'étude théorique des langues est sans doute un 
excellent exercice de l'esprit; mais ce n’est pas assurément pour l’en- 
fance. D'ailleurs , faire pâlir pendant huit années de malheureux écoliers 
sur un même objet, n'est-ce pas le moyen le plus sûr de les en 
dégoûter ? Si de meilleures méthodes permettent de réduire ces études 


CINQUIÈME SECTION. 493 


à trois années au plus, et de répartir le surplus du temps qu'on y 
consacre aujourd'hui sur d’autres non moins utiles, ne devrait-on pas 
accueillir ces méthodes comme un bienfait? ( Nous reviendrons plus 
tard sur ces considérations.) 

4° Enfin je voudrais qu'on se bornât, dans l'étude des langues 
anciennes , à ce qui est strictement nécessaire pour l'intelligence des 
auteurs grecs et latins; car c'est là le seul but raisonnable qu'elle 
puisse et doive avoir aujourd’hui. À quoi bon faire composer des 
narrations latines, des discours latins ? Est-ce que, dans le cours 
de leur vie, vos écoliers auront une seule fois occasion d'écrire dans 
cette langue? Qu'ils s’exercent à écrire correctement et avec élégance 
dans leur langue maternelle , voilà tout ce dont ils ont besoin. A plus 
forte raison , je rejetterais les compositions en vers latins. On n’a jamais 
prétendu que ce füt l'affaire des colléges de faire des versificateurs ; 
mais des versificateurs dans une langue morte... ! ce serait en vérité 
par trop étrange. 

Je n'essaierai pas, Messieurs, de vous soumettre une espèce de 
programme des matières qui devraient entrer dans un plan d'en— 
seignement secondaire. Pour être traité d’une manière complète, 
un tel sujet exigerait des développemens immenses; c’est une tâche 
qui, Je le sens, excéderait mes forces. Je me bornerai, à mesure 
que l'occasion s'en présentera, à indiquer sommairement quelques- 
unes de ces maticres, à titre d'exemple, ainsi que je l'ai déjà fait 
ailleurs. Ici, avant de passer plus avant, citons-en encore un ou deux 
pour mieux nous faire comprendre. 

Premier exemple. — Je voudrais (et je lai déjà fait pressentir), 
qu'on recût dans les colléges quelques notions élémentaires de droit. 
On sent assez, sans que j'aie besoin de le répéter, qu’il ne s’agit 
pas ici de faire des avocats, ides jurisconsultes. Mais ne serait-il pas 
éminemment utile que chaque homme , qui sort du collége pour entrer 
dans la société, fût en état de pouvoir étudier quelque question de 
droit que ce füt, à mesure que l'intérêt de ses affaires personnelles 
l'exigerait, et d'apprécier s'il lui convient, ou non, d’intenter tel 
ou tel procës? Pour cela, il est essentiel d'être familiarisé .avec la 
langue du droit; et c'est ce qui pourrait avoir lieu dans un cours 
élémentaire de quelques mois. Il s'agirait de donner des notions gé- 
nérales sur les différentes parties dont se compose le code civil par 
exemple ; de classer les différens titres, et, à chaque titre, les prin— 
cipaux points dont il y est traité, dans un ordre plus méthodique 
que celui du code ou de ses commentateurs , de manière à s’en former 


484 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


un plan régulier; et, quant aux questions particulières de quelque 
importance, d'indiquer seulement l’article du code qui les décide, 
et, de plus, s'il y a lieu, les arrêts ou les opinions des jurisconsultes 
à consulter. On devrait s'arrêter un peu plus sur les questions de 
propriété et de servitudes , si importantes pour les personnes destinées 
à habiter la campagne : indépendamment du profit qu’elles en tire 
raient pour leurs intérêts personnels, n’y aurait-il pas un avantage 
inappréciable à ce qu’elles fussent en état de donner des consultations 
gratuites aux pauvres cultivateurs du voisinage, et de prévenir par 
là bien des procès? — Ce qui vient d'être dit du code civil, s'ap- 
plique également au code rural, au code forestier, au code de com- 
merce , etc. ù 

Second exemple. — Je voudrais encore, dans l’enseignement des 
colléges , quelques notions de médecine. Ici, Messieurs, je prévois 
une objection qui se présente naturellement, et elle est extrêmement 
graye. — Quoi donc ! prétendez-vous faire sortir des bancs du collége 
une nuée d’assassins ; de bourreaux ? S'il est une science où des études 
approfondies soient indispensables , où le demi-savoir soit dangereux , 
n'est-ce pas surtout celle qui vient d’être nommée? là l'erreur n’est 
pas seulement préjudiciable , elle est funeste , elle peut être mortelle. — 
Sur tous ces points je suis parfaitement d'accord: aussi ai-je besoin 
d'expliquer nettement toute ma pensée. Non, sans doute, je ne 
prétends point faire des quasi-médecins : ce que je désire, et ce vœu 
n'a, je crois, rien que de raisonnable, c'est qu’un jeune homme 
qui a fait ses classes soit en état de rendre service à ses semblables, 
quand ils viennent à éprouver quelques-uns de ces accidens assez 
communs , à la suite desquels le mal fait souvent des progrès trop 
rapides pour qu'il soit possible d'attendre les secours du médecin, 
surtout à la campagne: tels sont les cas de noyade ou d’asphyxie, 
d'empoisonnement , de morsure d'animaux venimeux, etc. N'est-ce 
pas chose déplorable que la malheureuse victime périsse au milieu 
de ses proches et d'une foule d'étrangers, qui tous, ou ne savent 
quel genre de secours apporter, ou prennent les moyens diamétrale- 
ment contraires à ceux qui conviendraient? Et voilà pourtant ce qui 
arrive tous les jours. — Et quant à d’autres accidens moins graves, 
tels que coupures, brûlures, foulures, etc., n'estil pas honteux 
d'ignorer le remède à employer , remède qui souvent est à notre 
portée ? On attend l’arrivée d’un homme de l’art; et , dans l'intervalle, 
la plaie s’envenime, et la guérison en devient plus lente et plus 
difficile. — Une étude qui se lie étroitement à la botanique, c'est 


CINQUIÈME SECTION. 485 


la connaissance des simples et de leurs vertus spécifiques. J'ai connu 
des personnes bienfaisantes qui, destinées à habiter la campagne, 
s'y étaient composé une petite pharmacie, et étaient devenues en 
quelque sorte la providence visible des malheureux : toute personne 
riche et instruite ne devrait-elle pas étre en état d’en pouvoir faire 
autant ? 

Je passe , Messieurs , à la discussion des objections contre le plan 
d'études que j'ai indiqué. 

Première objection : Un telplan est beaucoup trop vaste : il est im- 
possible, dans le cours des années consacrées aux études classiques, 
d’embrasser une aussi grande multitude d'objets. 

Réponse : 4° Il ne s'agit pas, comme on pourrait étre tenté de le 
croire au premier apercu, de surcharger la tête des enfans d’un travail 
excessif; mais de mieux répartir le temps, et d'employer au profit 
d’un certain nombre d’études trop négligées, malgré leur utilité in 
contestable, ce qui, dans l’état actuel des choses, est donné par 
excès à deux langues anciennes. 

2 Notons encore que la variété des études est par elle-même un 
attrait, et qu'elles se servent mutuellement à faciliter l'intelligence les 
unes des autres, pourvu qu'elles ne soient pas envisagées isolément , 
mais qu’on ait soin d’embrasser leurs rapports respectifs. Pour les 
langues, par exemple, n'est-il pas hors de doute que plus on en 
sait, moins on éprouvera de difficultéssà en apprendre une nouvelle ? 
Ainsi du reste. 

3° D'ailleurs il ne faut pas s’abuser sur la durée que peut exiger 
l'étude élémentaire des sciences d'observation, telles que l’Aistoire 
naturelle. 


Pour éclaircir sa pensée, M. du Coëtlosquet prend pour exemple une des branches de 
Vhistoire naturelle, la Botanique; et il trace le plan d’un cours élémentaire, comprenant 
les notions nécessaires pour apprendre aux enfans la langue de cette science; et pour mettre 
ceux qui en auraient le goût et l’aptitupe, à portée de profiter des occasions favorables qui 


se présenteraïent plus tard pour Papprofondir. Un tel cours n’exigerait pas plus de vingt 
ou trente lecons, 


4° Quant aux sciences mêmes qui se composent à la fois d'observa- 
tion et de calcul, et qui, par là , paraissent plus difficiles à acquérir , 
telles que la physique , V'astronomie , etc., il ne faut pas non plus 
s’exagérer la difficulté. Dans l'astronomie , par exemple, les calculs 
présupposent la connaissance des mathématiques supérieures ; les ob- 
servations exigent beaucoup de temps, une grande patience, une 
habitude . péniblement acquise: mais, dans un cours élémentaire, 


486 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


tel que celui que je propose , de quoi s'agit-il ? Sauf un petit nombre 
d'observations faciles qu'on constate , on admet celles qui ont été faites, 
ainsi que les formules de calculs démontrées par les sayans ; et l’on 
part de ces données pour expliquer le système du monde: rien de 
plus simple , comme de plus attrayant *. 

2° Une grande partie de ces études peut et doit être envisagée 
comme un objet de distraction. Ainsi, les jours de congé, pendant 
l'été, au lieu de se promener sur une grande route, ou de s'arrêter 
dans une prairie pour jouer aux barres, les enfans ne pourraient-ils, 
sous la direction d’un professeur, s'occuper, ou plutôt s'amuser à 
faire des herborisations ? Ne serait-ce pas un moyen sûr d’allier l’utile 
à l’agréable, l'instruction au plaisir? Chacun se ferait un herbier ; 
celui qui aurait réussi à enrichir le sien de quelque plante rare, en 
serait heureux et fier. Le professeur aurait soin d’expliquer à propos les 
propriétés nutritives, médicinales où vénéneuses des diverses plantes. 
— D'autres fois, les excursions auraient pour objet la recherche de 
minéraux ou de pétrifications , ou l'examen de la formation des couches 
géologiques de la contrée: ce serait un objet non moins amusant , 
et plus utile encore peut-être, surtout si l’on a l'avantage d’être 
placé dans un pays de hautes montagnes; dans le cas contraire, 
on pourrait y suppléer, en faisant un voyage géologique au com-— 
mencement des vacances. — L'hiver aurait à son tour ses récréations 
instructives: ce serait tantôt un cabinet de physique , tantôt un la— 
boratoire de chimie, tantôt un observatoire d'astronomie, etc. Si le 
maître a le don de rendre ses explications attrayantes, ce seront la 
pour les enfans des heures de fêtes: la permission de passer une 
partie de la nuit à l'observatoire par exemple, serait accordée, à 
titre de récompense, à ceux quise seraient le plus distingués pendant 
la semaine, et deviendrait un moyen d’'émulation. 

6° Enfin si toutefois il était démontré que tout ce que je demande 
ne püt se faire dans l’espace de temps affecté aujourd’hui aux études 
classiques , et qui se termine ordinairement vers l’âge de dix-sept 
ou dix-huit ans, ne pourrait-on pas en reculer le terme de deux 
ou trois années, et imposer des conditions d'âge plus élevées pour 
l'admission dans les écoles militaires, comme dans celles de droit et 
de médecine? Cela pourrait contrarier un peu les idées ambitieuses 
de quelques jeunes gens, de quelques parens ; mais ÿ aurait-il là un 


* Je citerai comme un modèle de cours élémentaire de ce genre, celui d'astronomie que 
professe au Collége de France le respectable M. Binet, 


CINQUIÈME SECTION. 487 


si grand mal? Ne serait-ce pas un moyen de diminuer un peu l’en- 
combrement des carrières publiques, dont on se plaint avec tant de 
raison? et n'y aurait-il pas un avantage réel à ce que les jeunes gens 
qui s’y précipitent à l'envi ne pussent y pénétrer qu'après être munis 
d'une instruction plus forte et plus solide ? 

Seconde objection : Que gagnerez-vous à charger la tête de votre 
élève d’une si grande variété de connaissances ? vous allez en faire 
ce qu'il y a de pire au monde, un demi-savant. Qui trop embrasse , 
mal étreint, dit un vieux proverbe ; et le proverbe a raison. Cet 
élève aura des notions superficielles sur une foule de choses, et il 
n'en possédera bien aucune. Qu'il apprenne peu de choses, mais 
qu'il les approfondisse. Le temps des classes n’est qu'un temps pré— 
paratoire ; il doit servir à exercer l'esprit, à faire contracter l'habitude 
du travail: une fois qu’elle sera acquise, chacun apprendra, dans 
la suite de sa vie, ce qu'il lui sera réellement utile de connaître , CU 
égard à sa position particuliére. 

Réponse : Je conviens qu'il est impossible , dans le cours des classes : 
d'apprendre à fond toutes les sciences. Mais reste à savoir, lequel 
des deux sera le mieux préparé à cette étude approfondie, de celui 
qui sait le grec et le latin, et rien que cela, ou de celui qui aura acquis 
les différentes notions élémentaires dont j'ai parlé. 

— Vous allez faire des demi-sayans. — Non, encore non, mille fois 
non. Le demi-savant, ce fléau de la société, qu'on redoute avec tant 
de raison, c’est celui à qui (comme il n'arrive que trop souvent) , on 
a appris des mots, et qui prétend juger des choses; le demi-savant, 
c'est celui qui s’avise de discourir sur une matière, dépourvu qu'il 
est de ces notions élémentaires, sans lesquelles il lui sera impossible 
de recueillir ce qu'il entendra par la suite de plus approfondi, et 
d’en faire son profit. 

Mais allons plus loin. Pour l’immense majorité des hommes , quel 
est le temps des études sérieuses ? Le temps des classes, et voilà 
tout. On citera l'exemple de quelques hommes qui, dans la suite 
de leur vie, et même à un âge avancé, n'ont pas dédaigné de se 
faire écoliers pour acquérir la connaissance d'une science dont ils 
ignoraient jusqu'aux premiers élémens. Mais que prouvent ces rares 
exemples? N'est-ce pas là de ces exceptions qui, loin de porter at- 
tente à la règle, la prouvent et la confirment? 

Que de conditions en eflet ne faut-il pas réunir pour cela? Ré- 
sumons-les en trois principales : l'occasion, le temps, la volonté. 

Occasion. — Les uns, à la fin de leurs études classiques, sont 


488 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


destinés à habiter la campagne, ou de petites villes, où il n'y a 
nulle facilité pour s'instruire. 

Temps. — D'autres, qui habitent Paris, ou une grande ville de 
province, dans laquelle les moyens d'instruction abondent, ont un 
état, un emploi qui absorbe la majeure partie de leurs journées : 
peut-on s'attendre à ce que, sur le petit nombre d'heures de loisir 
qu’il leur reste, ils retranchent une partie à la récréation, pour le 
donner à l'étude ? 

Volonté. — Parmi ceux-là même qui ont à la fois, et les moyens 
d'instruction à leur portée, et tout le loisir nécessaire pour en profiter, 
combien peu en rencontrera-t-on qui aient la passion de l'étude , et 
une volonté forte pour s’y appliquer avec ardeur et persévérance ? 

Supposons un homme dans la maturité de l’âge, et jouissant d’une 
position indépendante, qui, honteux d'ignorer une foule de choses 
qu’il lui serait utile de savoir, prenne la résolution de suppléer à 
l'imperfection de sa première éducation ; il va s'établir à Paris pendant 
deux ou trois années, il consacre à des études sérieuses ce temps que 
tant d’autres dissipent dans le jeu , la débauche , ou les plaisirs frivoles 
du monde: quelle impression pensez-vous que sa conduite va faire 
dans sa ville-natale ? Les uns l’admireront , les autres se moqueront de 
lui; pour ceux-ci ce sera un original , presque un fou; pour ceux-là, 
ce sera une espèce de prodige: et toutefois, qu'y a-t-il, ce semble, 
de plus naturel à l’homme que l'amour de la science, et le désir 
de la posséder ? . 

Que conclure de tout ceci? — Que c’est dans le temps des études 
classiques qu’il est bon d’acquérir des matériaux, puisqu'on ne peut 
“raisonnablement se reposer là-dessus sur le temps qui doit suivre. 

Troisième objection. — L'étude des langues, et surtout des langues 
anciennes doit être envisagée , moins sous le rapport des choses mêmes 
qu'on apprend, que comme un exercice utile pour l'esprit: il est 
prouvé par l'expérience que, de tous les procédés pour l'exercer, 
celui-là est le plus fructueux. 

Réponse. — Je crois que tous les genres d'exercices sont à peu prés 
également fructueux , quand la méthode est bonne. Langues anciennes 
ou modernes ; sciences exactes ou naturelles : toute partie quelconque 
qui sera bien enseignée et bien étudiée, profitera. Choisissons, en 
premier ordre, celles qui, dans le cours habituel de la vie, auront 
plus d'occasions d’être appliquées ; si-ensuite il reste du temps, éten— 

.dons davantage le cercle de nos connaissances : voilà, à mon gré, 
la seule marche vraiment rationnelle. 


CINQUIEME SECTION. 189 


T1 est une quatrième objection qu'on ne fait pas tout haut, il est 
vrai, mais dans laquelle git, je crois, la véritable difficulté, la seule 
qui soit réellement sérieuse. Dans l'état actuel des choses, le per- 
sonnel des professeurs est composé de telle manière, que l'immense 
majorité, les neuf dixièmes peut-être, sont en état d'enseigner le grec 
et le latin, et rien de plus : si vous abrégez considérablement le nombre 
d’années affecté à l'étude des langues anciennes, et, chaque année, 
le nombre d'heures qui lui est consacré, qu’allez-vous faire de tous 
ces hommes recommandables ? Le prix d'une vie de travail et de 
dévouement, peut-être usée par l'étude et par la pratique de l'en- 
seignement , sera-t-il une réforme ? On sent ici que c'est par l’école 
normale supérieure que les modifications demandées devraient com-— 
mencer ; qu’il s'agirait, avant tout, de diriger les études des aspirans 
au professorat, dans un sens qui correspondit mieux aux besoins 
actuels de la société. Quant aux colléges eux-mêmes , les modifications 
ne pourront être que graduelles, et accompagnées de certains mé- 
nagemens indispensables ; mais il est temps de songer sérieusement, 
avec sincérité, sans arrière-pensée, à entrer dans cette voie de 
réforme. 

J'ai annoncé en commencant, Messieurs, que je terminerais cette 
dissertation, par indiquer quelques règles qui me paraissent devoir 
être observées dans l’enseignement des sciences et des lettres. 

Je considérerai ici successivement 1° les sczences exactes; 2° Les 
langues ; 3° l'histoire ; 4° la philosophie. 


SCIENCES EXACTES. 


Il ne m'appartient point, je le sens, de parler ex professo sur 
cette matière: aussi me renfermerai-je donc dans quelques considé- 
rations très-sommaires. 

1° Souvent dans l'étude des mathématiques pures , il arrive qu'après 
la démonstration d'un théorème, l’écolier se dit, avec un certain 
dépit : C’est fort beau assurément, mais à quoi cela servira-t-1l? Et 
aussitôt l'ennui, le dégoût de s'emparer de son esprit. C’est ce que 
je me souviens d’avoir éprouvé bien des fois. 

Rien n’est plus propre à obvier à cet inconvénient grave, que de 
prendre soin, après chaque théorème principal, d'en indiquer im— 
médiatement les applications pratiques, soit aux lois de la nature, 
soit aux arts mécaniques ou libéraux * ; 


+ C'est ainsi qu'a été rédigé le traité de Géométrie de M. Bergery. 


62 


490 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


20 Une autre précaution essentielle, c'est de ne faire aucune dé- 
monstration qui suppose l'usage de quelque instrument, sans que cet 
instrument, ou son modèle en petit, soit mis sous les yeux. Ceci 
est d'une haute importance, surtout pour la géométrie descriptive. 
Certaines personnes sont douées de la faculté de voir Les objets dans 
l’espace ; mais il en est d’autres (et je suis du nombre), qui ont 
une peine infinie à s’y accoutumer : il faut donc que l’enseignement 
s'accommode aux besoins de ceux-ci ; car peut-être tel élève qui était 
destiné à devenir un savant distingué, se rebutera, et ne fera rien 
du tout , si vous voulez aller trop vite. Ne regrettez donc pas le temps 
que vous aurez consacré à accoutumer vos élèves à se figurer, sur 
une surface plane, les objets en relief; pour cela, commencez par 
leur mettre sous les yeux des modèles en relief, et ne supprimez 
ces derniers qu'après que vous vous serez assurés qu’on est en état 
de s'en passer: car, tant que cette Ztuition n'aura pas eu lieu, 
toutes les démonstrations seront peine perdue; vous croirez avoir 
gravé des idées dans la tête de l'élève, et vous n'y aurez fait 
entrer rien autre chose que des mots: une fois, au contraire, que 
vous serez arrivé à ce point, tout le reste n'offrira pas de difficulté 
sérieuse. 

Ayez de même des modèles en relief pour la cristallographie. — 
Que les instrumens de physique soient aussi complets que possible, 
en s’attachant toutefois moins à ceux qui servent à quelque expé- 
rience curieuse, qu'à ceux qui aident à démontrer quelque propriété 
importante des corps. 

Pour les machines dont le mécanisme principal est à l’intérieur, 
telles que les pompes à feu, je voudrais des modèles en verre. 

Dans tous les cas, que le modéle soit exactement semblable à l’objet 
qu’il est destiné à figurer. Ainsi, par exemple , on sent que c’est non— 
seulement inutilement, mais bien mal à propos que, dans la plupart 
des globes célestes, on à imaginé de représenter des figures d'hommes, 
d'animaux, d'êtres fantastiques, avec lesquels les constellations n'ont 
pas la moindre analogie : cette complication n'est propre qu'a em— 
brouiller les idées et à engendrer la confusion. 

On objectera que tout ce que je demande est fort bien, mais que 
ce serait entrainer dans des frais excessifs, sinon pour les colléges 
universitaires, du moiss pour les institutions secondaires privées. — 
Mais d'abord , il faut distinguer avec soin, entre les instrumens né— 
cessaires pour faire des expériences scientifiques, et ceux qui ont 
uniquement pour objet de faciliter la démonstration de la science : 


CINQUIÈME SECTION. 491 


les premiers comportent nécessairement un degré de précision, que 
les seconds n’exigent pas. à beaucoup près. Prenons pour exemple, 
dans l’astromie , la Zunette méridienne , qui est un instrument d'un 
prix excessivement élevé ; le modéle , tel qu’il en faut pour l'intelli- 
gence des cours, est une bagatelle. 

D'ailleurs, si la désignation des modèles et instrumens était arrétce 
uniformément par l'Université pour tous les colléges royaux et commu- 
naux de France, et que les chefs des autres institutions secondaires 
l'adoptassent , il en résulterait nécessairement une grande économie 
dans les prix. — Enfin, qui empécherait que, dans les grandes villes, 
plusieurs institutions ne se réunissent pour acheter en commun ceux 
qui seraient le plus dispendieux, en convenant de s'en servir tour— 
àä-tour, à des jours et des heures divers ? * 


LANGUES, 


Ici se présente la question des méthodes destinées à abréger la 
durée de l'étude des langues. 

Parmi ces méthodes, il en est une qui, depuis quelques années, 
a beaucoup occupé les esprits, et qui a été l’objet, tour-à-tour, d’un 
engouement qui allait jusqu’au fanatisme, et de préventions aveugles. 

Les préventions très-communes qui existent contre la méthode du 
docteur Jacotot (vous avez compris, Messieurs, que c'est d'elle. que 
je voulais parler), s’expliquent facilement par les causes suivantes : 

1° Nom de méthode naturelle attribué à cette méthode par son 
inventeur. — On a été conduit à se demander si et comment elle 
concordait avec la marche de la nature elle-même. Est-il natwrel ; 
s’est-on demandé, de rapporter tout ce qu’on apprend à un type 
unique ? Est-il naturel de répéter chaque jour ce qu’on a appris, 
non-seulement la veille, mais la surveille, mais depuis un nombre 
illimité de jours ? etc. Est-ce ainsi qu’un enfant apprend sa langue 
maternelle (car où chercher ailleurs la marche même de la nature) ? 
Des discussions interminables se sont engagées sur ce point; on a 
opposé argumens à argumens : il eût bien mieux valu les laisser de 
côté, pour s'en tenir aux faits. Les progrés qu'on fait avec cette mé— 


* Aux règles qui viennent d’être énoncées, on peut ajouter la suivante , que j'hésite à men- 
tiouner , tant elle paraît minutieuse ; et toutefois je crois qu’elle est loin d’être sans importance. 
Dans un ouvrage littéraire, on regarde comme un mérite l’art avec lequel l’auteur a ménagé 
les transitions : dans un livre élémentaire, au contraire, les transitions ne valent rien, A 
chaque changement de matière, un alinéa: à chaque membre d’une division, un numéro 
d'ordre: de cette manière, l’enseignement se présentera sous une forme synoplique, etil sœ 
gravera aisément dans la mémoire, 


499 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


thode sont-ils rapides? voilà ce qu'il était essentiel de signaler : 
quant au pourquoi, au comment de ces progrès, cela n'avait qu'une 
importance secondaire ; 

2° Style bizarre, capricieux, dont l’auteur de la méthode s’est 
souvent servi pour développer ses idées. — Telles sont, par exemple, 
ses deux fameuses propositions : Tout est dans tout ; — Rien nest 
dans rien; qui ont souleyé contre lui des flots de critiques et de 
sarcasmes *. Et’ pourtant la première n’est autre chose que l'énoncé, 
sous une forme insolite et peu correcte de langage, d'un principe 
que personne ne scnge sérieusement à révoquer en doute; sayoir : 
que dans l’ordre moral, aussi bien que dans l’ordre physique, tout se 
lie, tout s'enchaîne, tout se coordonne ; qu'entre les objets même 
qui paraissent le plus hétérogènes, il existe des rapports peu apparens 
peut-être, mais réels, et que le soin de les saisir est un des exercices 
les plus utiles pour l'esprit ; 

3° Principes erronés que l’auteur a soutenus en développant sa 
méthode. — Telle est cette trop fameuse proposition, qu'il défend 
avec un acharnement inconcevable, et qui ne mérite pas méme l’hon- 
neur d’une réfutation sérieuse : Toutes les intellisences sont égales. 
Que le lesteur, après l'avoir entendu développer, commenter sous 
cent formes diverses, ferme le livre de dépit ; qu'il se hâte de pro- 
noncer que l’auteur est un fou; cela se conçoit aisément. Mais, au 
fond , elle est tout-à-fait étrangère à la méthode ; par conséquent, la 
réprobation que mérite l’une ne doit pas influer sur le jugement à 
porter à l'égard de l'autre ; 

4° Extension outrée donnée à la méthode, dans son application à 
diverses études. Ainsi, pour les langues , dont l'étude grammaticale 
n’est réellement qu'une sorte de mécanisme, on concoit qu’elle puisse 
être excellente. On a pu encore en faire des applications plus ou 
moins heureuses aux principes de la musique, aux sciences exactes ou 
naturelles, ete. Mais, toutes les fois qu'il s'agit d’un genre d’études, 
qui a pour objet d'exercer l'imagination (comme les belles-lettres ou 
les arts libéraux), vouloir forcer l'élève à tout rapporter à un type 
unique que le maître lui a donné, c'est, à mon sens, un procédé 
détestable. Celui qui, pour développer un sujet de composition oratoire, 
aura besoin de le comparer préalablement à tel ou tel morceau de 


* Ces deux fameuses propositions n’ont pas le mérite de la nouveauté. Montaigne, dans 
V'Apologie de ‘Raimond' de Sebonde, après s'être moqué de certain système ridicule de deux 
philosophes grecs, conclut ainsi: « .…. Qui est dire que tout est en toutes choses, el, par 
conséquent, rien en aucune; car rien n’est, où tout est, » 


CINQUIÈME SECTION. 193 


Télémaque, peut être assuré à l'avance qu'il ne fera rien autre 
chose qu’une méchante rapsodie, qu’un assemblage insipide de lieux 
communs. Pour la grammaire, la versification, le solfége, qu'on 
procède par voie d'imitation, rien de mieux ; pour l’éloquence , pour 
la poésie, pour la composition musicale, c’est tout autre chose : il 
faut de l'élan, il faut un libre essor laissé à l'imagination, il faut 
de l'originalité. Point de génie qui ne soit original. Aussi, où l'esprit 
de système a-t-il fini par conduire M. Jacotot? — Il la conduit à 
soutenir que le génie n’est qu'un mot vide de sens: paradoxe qui a 
soulevé contre lui une réprobation non moins vive, que celui sur 
l'égalité des intelligences. Cette fois, la réprobation frappe justement , 
non contre la méthode même, mais contre son abus ; 

5° Enfin extension outrée de la méthode, même dans le genre 
d'études auquel elle s'applique le mieux. — Les anciennes méthodes 
commencaient par les règles, et c'était un mal; M. Jacotot veut 
les supprimer tout-à-fait, et c'est mal encore. Comme principe des 
connaissances à acquérir, les règles ne valent rien ; comme résumé 
des connaissances acquises, elles sont excellentes. 

M. Jacotot ne veut Hi de grammaire. Moi je désire que la 
grammaire soit toujours à côté de l’élève, mais non pour être apprise 
mot à mot, et de suite, comme dans les anciennes méthodes. Qu'il 
commence par apprendre par cœur, et par traduire un auteur ; qu’ à 
mesure qu'il traduit une phrase , il s’accoutume à distinguer du radical 
la terminaison ; qu'il cherche dans la grammaire la raison de cette 
dernière : de la sorte , il aura appris , avant peu de temps, les décli- 
naisons et les conjugaisons, et il saura rattacher chaque cas du nom, 
chaque temps où chaque mode du verbe, à tel ou tel passage de son 
auteur. Un peu plus tard, il saura de même y rattacher, par un 
procédé’analogue, les différentes règles de la syntaxe. \ 

La méthode Jacotot, modifiée ainsi qu'il vient d'être dit, est, à 
mon sens, excellente pour l'étude des langues. La conviction que 
j'ai acquise à cet égard, n’est point basée sur une théorie à priort; 
elle est le résultat de l'expérience que j'en ai faite * 


HISTOIRE» 


La manière dont l’histoire est généralement enseignée, me paraît 
défectueuse. Pour les écoles primaires, et pour les classes inférieures- 


* C'est par la méthode que je viens d'indiquer, que j'ai appris l'anglais en soixante leçons, 


avec l’aide d'un excellent professeur (M. Reeves); et ensuite l'italien, dans un temps à peu 
près équivalent, 


49% MÉMOIRES ET PIÈCES. 


des colléges, on a composé des histoires abrégées; rien de mieux 
assurément, si elles étaient bien faites : mais comment sont rédigés 
ces abrégés ? d'une manière sèche, dénuée de tout intérêt. Prenons 
pour exemple l’histoire abrégée de France ; vous y trouverez les noms 
et la suite de nos rois, la date de leur avènement au trône, les 
principaux faits généraux qui se sont passés sous leur règne : du reste, 
pas le moindre détail de mœurs, pas la moindre anecdote qui fixe 
l'attention. , 

Ce que je voudrais, pour les enfans en bas-âge, c’est une histoire 
purement anecdotique. Ils n'ont que faire des faits généraux ; ils ne 
sont pas en état de les comprendre : le temps de ceux-ci viendra 
à son tour ; ne l’anticipons pas. Pour le moment présent, bornons-— 
nous à noter quelques-unes de ces révolutions qui ont bouleversé le 
monde, ou, tout au moins, changé la face d'une grande nation ; 
qu'elles servent en quelque sorte d'encadrement ; que le cadre soit 
rempli par des traits anecdotiques, qui se gravent dans l’esprit des 
enfans , qui les attachent. 

Pour faire saisir ma pensée, je vais prendre pour exemple un des 
faits les plus mémorables de l’histoire ancienne : Ze combat des Ther— 
mopyles. — Si vous dites simplement aux enfans que trois cents Spar- 
viates, commandés par leur roi Léonidas, ont défendu, plusieurs 
jours entiers, un défilé important, contre l’armée innombrable des 
Perses ; qu'ils ont péri jusqu’au dernier à leur poste, plutôt que de 
céder d’un pas; que ce noble dévouement a réveillé le courage de 
tous les peuples de la Grèce, qu'il les a animés à défendre à tout 
prix l'indépendance de leur pays, qu’il a été par conséquent la cause 
première de leur délivrance : tout cela est fort beau assurément , je 
doute toutefois que les enfans saisissent parfaitement cet enchaîne 
ment de faits, qu'ils s'en forment une idée bien nette. Mais racon— 
tez-leur que le général persan, ayant envoyé sommer Léonidas de 
rendre les armes, recut de lui cette fière réponse : Wrens les chercher ; 
ajoutez que le même roi, entendant un soldat de sa troupe observer 
que les baiaillons des Perses étaient si nombreux, que leurs traits 
cachaient le soleil, se mit à sourire, en disant : Tant mieux, nous 
combattrons à l’ombre ; enfin, citez cette inscription sublime que les 
Grecs, après la fin heureuse de cette guerre, firent graver sur le 
rocher des Thermopyles : Passant, va dire à Lacédémone que nous 
sommes morts ici en combattant pour la défense de ses saintes lors : 
pensez-vous que vos écoliers puissent oublier ces traits ? ou que le nom 
de Thermopyles soit jamais prononcé devant eux , sans réveiller aussitôt 
daus leurs ames les idées de courage et de dévouement? ...............… 


1 CINQUIÈME SECTION. 495 


Je m'attacherais essentiellement aux traits qui sont propres à inspirer 
aux cnfans l'amour de la vertu. Que le nom d’Epaminondas ne soit pas 
Prononcé devant eux, sans qu'ils sachent que ce grand général, le 
Soir qui suivit la bataille de Leuctres , disait , en rentrant dans sa tente : 
Ma plus grande joie, c'est de penser à celle qu'éprouveront mon 
pére et ma mère, en apprenant la nouvelle de ma wictorre. Qu'ils- 
s'attendrissent au técit de Coriolan, laissant tomber les armes de 
ses mains, quand il voit sà mére Veturie prosternée à ses pieds. Qu’on 
leur mette tour-à-tour sous les yeux des modéles de l'amour maternel, 
dans les belles paroles de Cornélie, et de la reine Blanche ; de l'amitié, 
dans la touchante histoire de Damon et Pythias ; de l'amour conjugal, 
dans celles d’Eponine et Sabinus, et des femmes de Winsberg. Qu'on 
wait garde d'omettre de leur citer cette exclamation sublime d’un 
de nos rois, vaincu et prisonnier : Tout est perdu, hors l'honneur ; 
et cette belle maxime, sortie de la bouche d’un de ses prédécesseurs : 
S la vérité et la bonne Jot étaient bannies de la terre , elles devraient 
se retrouver dans le cœur des rois ; et ces paroles d’un grand capitaine 
et d’un grand citoyen, à qui Metz s’enorgueillit d’avoir donné le jour, 
et dont le nom sera toujours synonyme de la fidélité comme du cou 
rage : S?, pour défendre une place que le roë m'a confiée, il fallait, 
disait Fabert, monter sur la brèche avec ma Jemme et mes enfans , 
Je nhésiterais pas un instant. 

Voilà, Messieurs, quelques traits, pris au hasard entre ceux que 
l’histoire ancienne et moderne nous fournit par milliers , et qui sont 
si bien à la portée de la plus tendre enfance > Si propres à former 
le cœur, à y faire germer la vertu. Une histoire abrégée , qui les 
réunirait comme en faisceau » ne serait-elle pas un des livres élémen- 
taires le plus éminemment utiles ? 

Passons aux classes supérieures. Celles-ci ont des histoires faites aussi 
pour elles , mais non moins défectueuses peut-être que les précédentes. 

Autrefois , dans le cours des études classiques , ou s’occupait beau 
coup de l'histoire des républiques de la Grèce et de Rome, fort 
peu de l'histoire des nations modernes » €t même, chose étrange ! 
de celle de la France. Sous ce rapport, l'enseignement de l'histoire 
a recu d'importantes et d’heureuses modifications. Mais, si les ma 
tériaux de l'enseignement ont varié la maniére d’enscigner est restée à 
Peu prés la même. Toujours de longs détails de siéges , de combats, etc. 
qui seraient excellens pour une école militaire , mais qui seront perdus 
pour plus de la moitié des élèves, et qui, pour le reste, sont au 
moins prématurés. 


196 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Ainsi, dans l'histoire de chacun de nos rois, par exemple, les 
guerres qui ont eu lieu sous son règne, occupent la plus grande place : 
le reste se trouve rempli par des recherches curieuses sur la législation , 
les mœurs , les usages de ce siècle, etc. Beaucoup d’érudition, telle 
est la tendance de notre siècle; et je suis loin de nier que l’érudition 
ne soit une fort bonne chose , ou de contester les services que rendent 
à la science les érudits. Que les jeunes gens sortant du collége , qui 
se sentent le goût et l'aptitude pour ces sortes d’études laborieuses, 
s'y livrent avec ardeur, avec persévérance; on ne peut qu’applaudir 
à leur zèle , il mérite assurément tous nos encouragemens. Mais l’en— 
seignement des colléges n’a pas pour objet de former des érudits ; 
son but, en ce qui concerne l'histoire , c’est de procurer à tous, 
dans l'étude des faits, une instruction morale utile pour les diverses 
circonstances de la vie. Ainsi donc, ce que je voudrais, pour les 
classes supérieures, ce serait une istoire morale, concue dans le 
méme esprit que l’histoire anecdotique dont je parlais tout-à-l'heure , 
et qui en fût le développement. Pour mon compte, ce que je cherche 
dans l'histoire, ce sont les traits qui sont propres à inspirer de 
nobles et généreux sentimens , à exciter l'amour de la vertu et l’hor- 
reur du vice, à servir de règle pour la conduite de la vie: tout le 
reste peut être plus ou moins curieux, mais il est sans utilité pra— 
tique; et pourtant voilà ce’ qui remplit les trois quarts et demi de 
nos livres d'histoire *. 

Après l'histoire anecdotique , et l'histoire morale , j'en voudrais une 
troisième , non plus pour les colléges , mais pour les facultés supérieures : 
ce” serait une histoire politique. ci, messieurs, je me bornerai à 
cette énonciation ; sans entrer dans aucun développement : quand votre 
réglement ne me l'interdirait pas, le peu de propension que j'ai à 
m'occuper de tout ce qui se rattache à la politique, suffirait pour me 
dicter cette réserve. 

Il resterait encore à composer , pour les écoles militaires , une Arstoire 
mulitaire , à la facon de Xénophon, de Polybe et de César; et, 


* On ne peut rien lire de plus sage, de plus judicieux, de plus substantiel que les 
réflexions contenues dans le Traîté des Études de Rollin sur l’enseignement de l'histoire, 
qu'il appelle si bien l'école commune du genre humain, Quelle noble idée il nous donne de 
la mission de l'écrivain! Comme il ramène tout à ce but essentiel: le goût de la solide 
gloire et de la véritable grandeur! Nul assurément n’était, plus que lui, digne de mettre 
ces importantes leçons en pratique: et toutefois, il faut l’avouer, dans ses histoires ancienne 
et romaine il ne s’est pas soutenu toujours à la hauteur de sa tâche. Il a voulu s’astreindre à 
suivre de trop près la marche des historiens anciens d’après lesquels il travaillaft : et c’est ainsi 
que les excellentes leçons morales que renferment ces histoires, sont, en quelque sorte, noyées 
dans une foule de détails longs et quelquelois fastidieux de sièges , de combats, etc. 


CINQUIÈME SECTION. 497 


de même, pour les écoles de diplomatie, d'administration, etc., d’autres 
histoires spéciales appliquées chacune à sa destination respective. 


PIIILOSOPHIE. 


Après quelques réflexions critiques sur la manière dont se professe généralement la phi- 
losophie dans les collèges, M. du Coëtlosquet poursuit ainsi : 


Si, dans un temps, on a donné trop d'importance à la dialectique, 
si aujourd’hui on en donne peut-être encore trop à l'idéologie ; en 
revanche, la morale n’est-elle pas généralement traitée d'une ma 
miére trop succincte , trop superficielle ? On rapporte que Socrate avait 
coutume de dire, qu’il avait trouvé la philosophie égarée dans les cieux À 
et qu'il l'avait ramenée sur la terre: ne faudrait-il pas, par un pro- 
cédé analogue, dégager la philosophie des subtilités et des systèmes 
dans lesquels elle se perd , pour la réduire à quelque chose de pra- 
tique, de substantiel, de solidement utile? Si les limites d'un cours 
permettent difficilement de parcourir le cercle immense des questions 
de morale, au moins faudrait-il en approfondir quelques-unes des 
plus importantes , telles que celles du suicide , du duel, du divorce , etc. 

Pour éclaircir ma pensée , permettez , Messieurs, que je vous expose 
rapidement la manière dont je concois que devrait être traitée l’une 
de ces questions : (je choisis pour exemple celle du duel, parce qu’elle 
a été, depuis bien des années , l'objet de mes méditations sérieuses). 

Dans les cours de philosophie, il est quelquefois question du duel; 
mais à quoi se réduit ce qu'on en dit? A quelques considérations 
purement théoriques. Le plus souvent onse borne à analyser, peut-être 
à commenter les raisonnemens de Rousseau. Rousseau a écrit des pages 
très-belles, très-éloquentes contre le duel; mais s’était-il placé sous 
le vrai point de vue pour envisager ce sujet? mais l'a-t-il envisagé 
dans toute sa hauteur? Il suppose que, tôt ou tard , le monde finira 
par rendre hommage à l’homme vertueux qui, par principe de cons- 
cience , aura refusé de se battre: cela aura-t-il toujours lieu? et s'il 
en arrivait autrement, deyons-nous en conclure que cet homme a 
eu tort d’agir ainsi ; qu'il aurait mieux fait d'accepter le duel? 

On le sent très-bien, la question s'agrandit beaucoup : il s'agit de 
savoir si, dans quelque circonstance que ce soit , quelles que puissent 
être les conséquences de notre conduite , il est jamais permis d'agir 
contre le sentiment du devoir ? La question du duel , quelque grande, 
quelque importante qu'elle soit en elle-même, rentre comme une 
espèce particulière, dans cette autre question plus générale : et en 
est-il de plus belle, comme de plus immense que celle-ci ? 


63 


198 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Je ne sache pas qu'elle ait été traitée d’une manière complète ; 
mais, en réunissant différens aperçus, que nous pouvons recueillir, 
par-ci par-là, et en les groupant comme en faisceau, il sera facile 
de le faire. On rappellera que Salluste a cru ne pouvoir faire un 
plus bel éloge de Caton d'Utique, qu’en disant de lui qu'il aimait 
mieux être bon, que de le paraître : Esse, quam vidert, bonus ma- 
Zebat. On établira , d’après les propres paroles de Cicéron , une espèce 
d'échelle ascendante entre les dignités, la réputation, et la vertu : 
Equidem , primôüm ; ut honore dignus essem , maximè semper laboravi; 
secundà , ut existimarer ; tertium muühi fuit illud, quod plerisque 
primum est, ipse honos. On citera ces paroles de madame de Staël, 
si frappantes de vérité et si éloquentes: S2 deux et deux ne font pas 
quatre , les plus profonds calculs de l'algèbre sont absurdes : s'il y 
a dans la théorie un seul cas où l’homme doive manquer à son devoir , 
toutes les maximes philosophiques et religieuses sont renversées , et 
ce qui en reste n'est plus que de la prudence ou de l'hypocrisie. 

Ainsi l'homme vraiment vertueux doit être prêt à sacrifier au devorr, 
non-seulement sa fortune , non-seulement sa vie, mais, au besoin, 
ce qui lui est plus cher que la fortune et que la vie ensemble, ce à 
quoi il sacrifierait volontiers l’une et l’autre : — la réputation. 

Cette morale, dira-t-on, est bien dure. — Mais , si elle est ri- 
goureusement vraie, qu'importe ? — Le sacrifice qu'elle exige de nous 
est impossible. — Diflicile, soit; et qui doute que le sacrifice de la 
réputation ne soit, de tous, le plus pénible à la nature, comme 
aussi il est le plus méritoire ? Mais où en serait-on si la loi du devoir 
était jamais obligée de fléchir sous une prétendue impossibilité de 
l'accomplir ? — Mais enfin n'est-il pas des circonstances où... — 
Les circonstances ! elles sont susceptibles d’atténuer une faute, de lui 
préter des motifs d’excuse; mais elles sont impuissantes pour changer 
la nature des choses : jamais elles ne feront que le bien devienne mal, 
que le malse transforme en bien. En un mot , les circonstances peuvent 
et doivent souvent nous porter à l’indulgence envers les personnes ; 
mais nous faire dévier de la sévérité sur les principes, jamais. 

La question du devoir west pas la seule qui ait une connexion in— 
time avec celle du duel; celle-ci se rattache à plusieurs autres , égale 
ment trés-importantes , telles que celles de la tolérance, de la liberté 
de conscience , etc. 

Que deux hommes aveuglés l’un et l’autre par le préjugé du pornt 
d'honneur , se battent entr'eux, il y a là assurément un désordre ; 
toutefois on peut dire jusqu'à un certain point que c'est, au fond, 


CINQUIÈME SECTION. 499 


leur affaire. Mais que , dans une société civilisée, dans un siècle qui 
se vante de ses lumières , il arrive à un malheureux jeune homme d’être 
placé dans cette affreuse alternative : ou d’être avill aux yeux des 
hommes , et de n'oser plus paraître en public; ou de souiller sa cons- 
cience de ce qu’à droit ou à tort il regarde comme un crime : où est le 
respect pour la plus précieuse de toutes les libertés , celle de la cons-— 
cience ? Et est-il rien de plus odieux , de plus tyrannique, que cette 
intolérance de l'opinion? Comme si ce n'était pas assez, misérables 
créatures que nous sommes ! de tous les maux que la nature verse 
sur nous avec une prodigalité si rigoureuse ! et qu'il nous fallût encore, 
de nos propres mains, forger une idole cent fois plus inexorable , 
plus ingénieuse à nous tourmenter, que la nature elle-même ! 

Enfin ce serait le lieu de faire observer certains indices qui sem— 
blent annoncer, dans l'opinion publique , un prochain retour aux vrais 
principes, ou, du moins, une disposition favorable à seconder les 
efforts qui seront faits pour l’y ramener. Ainsi, un homme dont le 
nom est justement réyéré dans toute l'Europe (Silvio Pellico) a pro— 
noncé cette belle maxime, qui n’a point rencontré de contradicteurs : 
< Le comble de la lâcheté, c'est de se faire l’esclaye des jugemens 
> d'autrui, quand on a la conviction de leur fausseté. » Depuis, deux 
autres hommes, avec la triple autorité d’une haute position socüle, 
d'un talent supérieur et d'une brillante renommée ; ont attaqué le 
duel plus directement et sans ménagement. L’un (M. de Lamartine), 
s’est écrié du haut de la tribune nationale : < Dans un pays où l'honneur 
» est plus cher que la vie, il y a plus de courage à refuser un duel 
> qu'à en accepter dix. » L'autre, (M. Dupin aîné), a fait retentir 
les voütes du temple de la justice de cette exclamation: « Le moment 
> est venu de dire : Honneur à ceux qui refusent un duel! » 

Vous aurez remarqué, Messieurs, que tout ce que je viens de dire 
sur la question du duel, n’est, en quelque sorte ; qu’un cadre à 
remplir ; encore ce cadre est-il bien incomplet; et, si je n'avais craint 
d’abuser de votre patience, j'aurais pu l'agrandir beaucoup , en ajou-— 
tant une foule de points de vue à ceux que j'ai indiqués. Certes, 
ou je me trompe beaucoup , ou un cours de philosophie , dans lequel 
les grandes questions morales , telles que celle que j'ai donnée pour 
exemple , seraient développées avec conviction et avec talent, pourrait 
avoir une influence incalculable sur l'amélioration de la génération 
qui s'élève sous nos yeux. 

De même que les lecons du professeur , les compositions des élèves 
devraient , à mon avis, avoir le plus souvent pour objet quelque ques- 


500 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


tion morale d'un haut intérêt. Telle est celle dont je parlais tout-à— 
l'heure : Est-il jamais permis d'agir contre le devoir ? — Telles encore 
les propositions suivantes : La vertu conduit plus sûrement au bonheur 


que le génie. — Le germe du chädtiment du coupable est dans sor 
crime méme. etc, 


RÉSUMÉ. 


Il me reste, Messieurs ; à me résumer en quelques lignes. 

L'instruction de la jeunesse doit comprendre toutes les connaissances 
qu'il est utile à l'homme d'acquérir. 

Ce mot wtile embrasse à la fois les besoins du corps, et ceux de 
l'ame. 

Ces besoins ne sont pas les mêmes pour tous les hommes: aussi 
doit-il y avoir différens degrés d'instruction , suivant la position sociale 
de ceux à qui elle est donnée , mais de manière à ce qu'aucun homme 
ne soit privé des connaissances essentiellement utiles à tous. 

Pour les besoins de l’ame, il est pourvu, à l'égard de tous, par 
l'énstruction religieuse, qui renferme tout ce qu'il est vraiment né— 
cessaire à l’homme de savoir. 

Les Zetures servent à former l'ame , en ornant l'esprit et en excitant 
lé cœur au bien par les sages maximes qu’elles inculquent, et par 
les belles actions qu’elles offrent à admirer et à imiter. Leur étude 
est donc utile, mais à ceux-la seulement qui sont destinés à une po- 
sition sociale qui offre l'indépendance et le loisir nécessaires pour les 
cultiver avec fruit. ; 

Il est pourvu par les serences , aux besoins du corps. 

A cet effet, l'enseignement des sciences doit être dirigé de telle 
manière qu’il fournisse à chacun les moyens de se distinguer dans la 
profession à laquglle il est destiné, et qu’il facilite à ceux qui sont 
nés avec des talens supérieurs , l'accès d’une profession plus relevée. 

Mais les sciences n’ont pas seulement pour objet les besoins phy-— 
siques de l'homme: elles concourent avec l'instruction religieuse et 
avec les lettres à former son ame, soit en procurant à son intelligence 
des idées plus relevées de la grandeur de Dieu, et de la noble destinée 
de l'homme , soit en lui fournissant des moyens de se rendre utile 
à ses semblables, 

Plus les sciences et les lettres seront dirigées , soit dans leur objet, 
soit dans leur mode d'enseignement, vers un but solidement utile, 
c'est-à-dire , approprié aux besoins réels de ceux à qui l'instruction est 
donnée ; et mieux elles rempliront leur noble et importante destination. 


CINQUIEME SECTION. 501 


DU PRINCIPE 


DE 


LA SCIENCE, 


Par M. Cu. STOFFELS. 


Messieurs , 


Il est une foi et une raison toute d'intelligence, opposées l’une à 
l’autre , et éternellement inconciliables entre elles, car elles sont aussi 
fausses l’une que l'autre. 

Cette raison qui ne spécule que sur les faits que peuvent toucher 
et nos yeux et nos mains, est essentiellement incomplète, et par con- 
séquent impuissante à nous donner la vérité; car nous pouvons toucher 
très-peu de chose de ce qui existe réellement. Au-delà du monde 
des corps est celui des essences qui soutient le premier, qui le fait 
être, qui le fait vivre , dont il n'est que l'ombre grossière et passagère, 
et qui demeure insaisissable et invisible à nos sens matériels. 

L'impuissance irremédiable de cette raison, une fois constatée, le 
scepticisme démontré comme l'abime irrésistible où elle vient s'anéantir, 
paraît alors sur les ruines de ses syllogismes et de ses hypothèses 
la foi ayec ses traditions, son autorité, sa vérité toute formulée, 


509 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


auxquels il ne reste plus, selon elle, qu'à abandonner et soumettre 
son esprit fatigué ct déçu. Et toutes saintes que peuveut être ces 
traditions , toutes vraies que soient ces formules, cette foi est cependant 
impie , elle est fausse , elle est selon l'expression même de l’apôtre , une 
foi morte, par la prétention absurde qu’elle a d'imposer la vérité, 
de soumettre la raison. 

Car il implique contradiction que la raison se soumette; /a raison 
ne se soumeltrait jamais, si elle ne jugeait qu’il est des occasions 
où elle doit se soumettre , dit saint Augustin. Elle ne se soumet donc 
que sur un jugement antérieur, une démonstration préalable qui lui 
persuade de se soumettre ; elle ne se ‘soumet donc jamais. 

L'homme peut laisser enchaîner ses bras, sa parole; sa pensée, il 
ne le peut pas; la liberté peut être vaincue dans le monde, mais 
dans la conscience elle est inexpugnable. 

Et cette soumission , si elle était possible, ne serait que le suicide 
de l’intelligence, non moins immoral que celui de la vie. 

Cette foi est donc aussi fausse que cette raison ; elles ménent toutes 
deux à la mort , et c'est pour cela qu’elles sont mortes l’une et l’autre, 

Mais assez sur elles ; car si leurs cendres ennemies doivent se com— 
battre quelque temps encore, l'avenir ne les ressuscitera pas. 

Il est une autre raison, une autre foi, qui naissent du cœur, qui 
jaillissent de la charité, qui s’engendrent de l'amour divin. C'est cette 
foi, cette raison supérieures qui sont destinées à réunir la religion 
et la philosophie, Dieu et la liberté, que les deux autres avaient 
séparées et rendues inconciliables. Et la religion et la philosophie , sous 
ces nouyaux hospices ne se développeront pas seulement parallèlement 
sans se jalouser ou se combattre ; elles se confondront en une même 
science, comme leurs deux véritables principes s'identifient eux-mêmes 
en une seule faculté. 

Ce sera la science de vie, et par conséquent le christianisme , auquel 
la raison ne se soumettra pas, mais que l'amour révélera à l’intel- 
ligence libre. Car cette parole venant d’un dieu d'amour, enseignant 
l'amour au hommes , se fait entendre dans toutes ses célestes harmo- 
nies, à l'ame ouverte à l'amour. 

Voilà pourquoi l'intelligence qui n’est pas libre de croire ou de 
ne pas croire à telle ou telle vérité, est rendue cependant respon- 
sable de sa foi en cette vérité, parce qu'il ne faut qu'aimer pour la 
recevoir et la comprendre, et qu'il n’est point de salut pour ceux qui 
la repoussent; car le salut étant la possession de Dieu, ne s’acquiert 
que par l'amour de Dieu et dans la mesure de ect amour. 


CINQUIÈME SECTION. 803 


Déterminons donc la nature de cette foi, de cette raison (comme 
on voudra l'appeler), qui doit rendre à l'intelligence humaine sa vie 
et sa liberté, et sa vie par la liberté. 


Tout corps éclairé projette dans une sphère plus ou moins étendue 
un faisceau de rayons qui représente dans toutes les sections coniques 
de ce faisceau, l'image, la forme extérieure de la surface dont ils 
jaïllissent. Quand notre œil devient la base de ce cône lumineux, le 
phénomène de la perception a lieu. Cette image réfléchie pénètre dans 
l'organe , se modifie de diverses facons, en passant à travers ses divers 
milieux réfractaires, arrive à la rétine, et enfin tombe dans la cons- 
cience où elle se spiritualise en idée. 

Après avoir recu l'impression du monde extérieur, l'ame entre 
aussitôt en réaction contre lui. Contractée d'abord, elle se dilate et 
s’épanche dans ce second mouvement. Et cette réaction projette au- 
dehors la lumière spirituelle, comme la lumière naturelle est projetée 
de la surface des corps dans l’espace ; et comme celle-ci en pénétrant 
dans l'œil et conduite au cerveau , s'est transformée en idée, la pre 
mière en rayonnant dans l'espace , se modifie sur les objets qu’elle y 
rencontre, et cette impression communiquée à la conscience se résout 
de même en idée. 

Ces irradiations de la lumière spirituelle produites par l'impulsion 
de la sensibilité, se déploient dans une sphère d'autant plus étendue 
que ceite force réactive est énergique, mettent la conscience en pos- 
session d'idées plus ou moins claires, plus ou moins confuses, selon 
que les désirs, les affections, la volonté se répandent en eflusions plus 
puissantes et projettent plus vivement l'intelligence hors d'elle-même. 

Le premier degré de ce développement de l'intelligence se mani- 
feste dans cette pénétration qu'acquiert notre regard, et que l’on a 
caractérisée en la distinguant de notre réflexion toute passive des objets, 
par ces deux mots, voir et regarder. La lumière intérieure va comme 
au-devant de celle qui nous apporte l’image des objets extérieurs, et 
ne la laisse pas arriver jusque la conscience, l’arrêtant à son passage, 
la recueillant à la surface de l'organe, et la transmettant elle-même 
avec plus de netteté et de vivacité. 

Un nouveau degré d'émotion dans l'ame , ajoute une nonvelle puis- 
sance à la pénétration du regard , l'œil s’illumine et s'enflamme, il 
lance des éclairs , il fascine celui sur qui tombe sa foudre ; il semble 


504 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


plonger dans les profondeurs de votre être , et y surprendre la pensée 
que vous y tenez cachée. 

Enfin une plus grande énergie encore dans l’eflusion de la volonté 
imprime à l'intelligence une nouvelle puissance de pénétration, qui 
lui fait abolir les limites de son propre corps comme celles des corps 
extérieurs avec lesquels elle se met en rapport sans n’avoir plus besoin 
de l'intermédiaire de ses organes. Dans cet état, elle voit sans le 
moyen des yeux, entend sans le secours des oreilles, et elle voit et 
entend beaucoup mieux que par cet appareil organique, qui lui est 
désormais inutile. Soleil intérieur , elle rayonne dans l’espace comme 
elle rayonnait dans les limites de son enveloppe corporelle, avant 
d’avoir acquis l'énergie suflisante pour les franchir. 

Cet état de rayonnement et de pénétration se développe dans des 
circonstances très-diverses, quoiqu’elles peuvent toutes se réduire à 
une même cause essentielle, l’exaltation de la sensibilité, et par son 
mouvement d'expansion, la projection excentrique de la lumière spi- 
rituelle, 

Plutarque nous parle de « certaines exhalaisons de la terre qui se 
mélant dans le corps y engendrent une température et disposition 
non accoutumée aux ames, qui ouvre ne sais quels petits pertuits où 
il y a force imagination de l'avenir. Cette partie de notre ame pré- 
voyante de l'avenir, s'aiguise comme le fer s’afline par la trempe, 
et rien n'empêche que l’exhalaison divinatrice ayant quelque chose 
de particulièrement conforme aux ames ne développe cette faculté. » * 
Et il attribue la cessation des oracles à l'extinction de ces exhalaisons 
souterraines qui inspiraient les Sibylles dans leurs crises et leurs con— 
vulsions , si ressemblantes à celles que Mesmer reproduisait de nos 


YO VV V Y  V 


jours autour de ses baquets. 

L'influence des astres paraît être une autre cause physique qui peut 
sur certaines organisations produire de semblables résultats. 

Le somnambulisme , la catalepsie, etc., attestent également qu’une 
réaction toute physique peut développer dans l'ame ces puissances 
spirituelles, ou leur donner du moins une surexcitation propre à 
opérer le déplacement excentrique de ses sens. 

Dans le magnétisme animal, c'est encore un principe extérieur, 
quoique plus spirituel qui développe cette faculté, dont les forces sont 
projetées par une volonté étrangère, au lieu de recevoir cette im— 
pulsion de la volonté propre. 


* Traduction d’Amiot, 


CINQUIÈME SECTION. 505 


Je ne parle pas de tous ces phénomènes de fascination d’un être 
surun autre être, produits par l'amour , l'éloquence le fanatisme , et 
en général toute énergique passion, et qui peuvent être rapportés à 
cette action magnétique , c'est-à-dire extensive de la volonté des êtres 
sur d’autres êtres. a 

La communication de l’ame avec les esprits n'est pas plus inad- 
missible, que les rapports immédiats de l'ame avec d’autres ames. 

Puis vient la puissance sur l'organisation de l'imagination ; qui, à 
certains degrés d'exaltation , peut reproduire les mêmes effets que la 
réalité. IL est rare que son influence ue se mêle pas aux autres actions 
dont nous avons parlé , leur prétant quelquefois de nouvelles forces, 
mais le plus souvent défigurant leurs résultats, en mélant ses fantaisies 
et ses rêves à des perceptions réelles. 

La puissance que l’ame exerce dans le magnétisme sur une autre 
ame peut à plus forte raison s'exercer sur elle-même. Un désir pas- 
sionné, un puissant amour, une énergique et constante concentration 
de la volonté, une spiritualisation continue et progressive des forces 
de lame, les fait passer de leur état latent à celui de liberté rayon- 
nante, qui produit alors dans ces circonstances les phénomènes connus 
sous le nom d’extase. 

Mais si cette plénitude spirituelle, qui donne à cette faculté de 
pénétration intellectuelle, la clarté et la lucidité de la vision, est 
exceptionnelle, son état de rayonnement qui nous fait prendre 
conscience de l’extériorité d’une manière plus vague, plus confuse, 
qui ne développe que des pressentimens, des croyances, des aper— 
ceptions de foi, est non-seulement plus commun, mais même est 
un état habituel et normal. 

De la foi à la vision il n'y a qu'une différence de degrés dans 
les développemens de la même faculté ; faculté que nous appellerons 
perception pénétrante, puisqu'elle pénètre en effet et le corps qui 
l'enveloppe, et les corps extérieurs sur lesquels elle projette ses rayons, 
comme nous appellerons perception réfléchissante , celle qui ne fait que 
recueillir les images réfléchies du corps, et projetées jusqu’à elle. 

La foi n’est donc qu'une vue voilée, la vision qu’une foi plus 
nette plus lucide ; et cette faculté dont les deux termes extrêmes de 
développement sont la foi et la vision, est une véritable perception, 
comme celle de nos sens extérieurs, et même la seule que l’on aurait 
dù appeler de ce nom, comme pouvant seule nous mettre en pos- 
session de la réalité des substances extérieures qu’elle pénètre, au 
lieu , comme on l’a fait, de ne le donner , qu'à celle qui ne nous livre 


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506 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


du monde que des surfaces, et ne nous en livre méme que des images 
réfléchies , que des apparences, que des fantômes, comme l'avaient 
si bien dit les anciens philosophes. 

Et c'est pour n'avoir pas attribué à cette faculté de foi le caractère 
d’une perception objective , c’est pour n’avoir fait des vérités qu’elle 
nous livrait que des idées innées, des principes rationnels, des ca- 
tégories, que le monde extérieur ne nous arrivant plus que par ces 
images , ces réflexions , ces apparences , est allé s'abimer dans l’idéa- 
lisme, et s’est évanoui comme une ombre, que l’homme s'était plu 
à évoquer dans cette nuit qu'il appelle le jour, dans cette réverie 
qu'il appelle la vie, et dont il ne doit se réveiller qu'a la mort, 
époque où l'homme, nous assurent nos idéalistes, du reste les plus 
logiciens de tous, s'apercevra de l'illusion qui portait les intelligences 
grossières à croire à l'existence d’un monde matériel. 

Et cette conséquence de scepticisme qui n’a été tirée que par quel- 
ques philosophes de ce système unique de perception est, comme nous 
l'avons dit, d’une rigueur logique irrésistible. Si nous ne pouvons 
voir le monde que par les idées qui nous le réprésentent média 
tement, nous ne le voyons réellement pas, nous ne voyons que nos 
idées, nous ne touchons, nous ne sentons que nos idées, nous ne 
sommes sûrs que de l’existence de nos idées, le monde extérieur n’est 
pour nous qu'une idée. 

Pour sortir de ce cercle vicieux, qu'avait rivé l’indélébile logique 
de Bercley et de Hume, les Ecossais admirent à priori, et sur 
la simple foi de notre croyance invincible au monde extérieur, 
une perception immédiate qui püt nous mettre en possession de sa 
réalité, et légitimer cette croyance. Mais ils furent timides dans leur 
réforme. Ils conseryérent à la raison spéculative une sphère d'activité 
trop étendue , et qui devait bientôt absorber l’objectivité faible, in 
certaine et chancelante , qu'ils avaient obtenue de leur système in- 
complet ; leurs principes rationnels, n'étant point fournis par la per- 
ception , mais reconnus, au Contraire, comme nécessaires pour servir 
de base à ses données, devaient en les transformant , les informant 
et par conséquent les subjectivant , les faire retomber du scepticisme 
absolu, dans le criticisme kautien, qui n’est plus seulement le moi, 
mais qui n'est point encore le vrai univers, celui de notre conscience ; 
où nous aperceyons bien des objets extérieurs, mais que nous ne 
pouvons connaître dans leur réalité, où nous touchons aux corps, mais 
qui ne sont encore que des phénomènes, ne pouvant dégager, pour parler 
la langue de Kant, le noumene pur de son enyeloppement subjectif. 


CINQUIÈME SECTION. 507 


Ce scepticisme bâtard devait bientôt retourner sous la logique 
plus rigoureuse de Fichte à l'idéalisme absolu , dont il avait essayé de 
sortir, le principe de causalité qui mêne au monde extérieur, ne 
aa dans ce système qu'un principe rationnel , un élément sub- 
jecuf, une forme du moi. 

Jacobi recommenca cette œuvre de réforme dans la théorie de 
la perception. Mais s’il s'approcha plus près que Reid de la vérité, 
comme ce dernier, sa timidité l’empécha de l’accomplir. En faisant 
tomber la raison dans la sphère de nos perceptions , ce qui était un 
pas immense sur l'école Ecossaise , il resireignit cette vue rationnelle, 
au monde spirituel et moral, à Dieu, l'immortalité, la liberté, au 
lieu d'en faire une faculté objective dans toute son étendue. Il eût 
donc besoin pour passer du sujet à l'objet de son salio mortale qui 
replacait la conscience au point de vue du sens commun, mais qui 
n’était en philosophie qu’un véritable avortement , qui ramena la science 
ontologique à son point de départ, malgré la large issue qu’il avait 
frayée au moi pour descendre et prendre pied dans le monde. 

Quand donc à l'apparition , dans notre conscience, des images ré 
fléchies des corps, surgit en elle la croyance à leur réalité substantielle , 
ce ne sont point nos sens qui nous élèvent à cette croyance ; ils 
ne nous peuvent rien apprendre du monde; mais c’est la substance 
même du monde, que dans le mouvement de réaction de notre 
sensibilité nous pénétrons de notre essence , que nous enveloppons 
des lumineuses irradiations de notre être, dont notre conscience de- 
vient en quelque sorte dans sa sphère d’activité plus ou moins étendue, 
le milieu et l’espace spirituel, comme est la conscience divine, mais 
dans les proportions de l’immensité, en qui vivent, se meuvent, sont 
tous les êtres. Notre moi s’assimile les objets de ses affections , il ne 
va plus au non moi, il se fait, il devient non moi, et le non moi 
devient moi, de même que notre corps s’assimile les corps environ 
nans , dont il se nourrit et qu'il convertit en sa propre substance. 

Les philosophes pour avoir trop isolé l'intelligence de la sensibilité, 
comme s’il n'y avait que parallélisme et non solidarité et unité entre 
tous. les élémens de notre être, ont été ainsi amenés à ne faire de 
l'intelligence qu'une faculté représentative, qui peut fort bien alors, 
comme l'ont prouvé les idéalistes , ne rien représenter. 

Il n’y a point simple représentation de l’objet dans le sujet, il 
n’y a point juxta-position du moi et du non moi; mais une véritable 
transsubstantiation, une conversion du non moi, dans la substance 
du moi, qui prend alors conscience de ce non moi, comme il prend 


508 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


conscience de lui-même , immédiatement sans l’interposition des idées 
représentatives et antérieurement à leur formation. 

De nombreuses observations psychologiques , faites sur les phéno— 
mênes de l’extase , du somnambulisme , ou produits par le développe- 
ment d'énergiques passions, établissent d’une manière positive l'existence 
de cette faculté de notre ame, de s'identifier aux objets de nos 
affections. De l'assimilation sympathique * qui nous fait ressentir toutes 
les manières d’être de ceux sur qui se porte notre amour, à l’unifica- 
tion complète de deux êtres, il n'y a qu’une différence de degrés, 
produite par la plus ou moins grande énergie de l'amour , qui en— 
traîne aprés lui ces effets ; degrés qui déterminent dans l'intelligence 
les variétés de la perception , depuis les obscures lueurs de la foi, 
jusqu'aux lucides clartés de la vision. 

En généralisant ces observations, en systématisant ces faits, en 
faisant de cet état d'excentricité morale , qui développe ces phénomènes, 
un état de l'ame, normal et naturel dans une certaine mesure, ex— 
ceptionnelle seulement au-delà de certaines autres limites, le prin— 
cipe transcendental sera enfin trouvé, la réalité substantielle devient 
aussi certaine empiriquement , qu’invincible est la croyance que nous 
avons en son existence, la conscience du non moi égale en véracité 
la conscienee du moi que l’amour xelie et identifie en une même 
essence. 

Nous n’ayons pas eu la puérile intention de prouver la réalité du 
monde ; nous ne l'avons fait que pour établir la supériorité sur toutes 
les autres , de cette faculté que nous avons décrite , qui pouvant seule 
établir l'objectivité de nos connaissances , doit être par conséquent re— 
gardée comme l'instrument, le principe constitutif de la science. 

Car ce n’est point seulement la partie phénoménale du monde, 
le mécanisme physiologique des êtres qu'elle nous livre, c’est le fait 
même de la vie qu'elle surprend dans l'immense variété de ses 
manifestations , c’est cette force invisible intangible à nos sens gros- 
siers, cette essence mystérieuse qu’elle s’assimile dans son simple et 
indécomposable principe. 

Mais l'homme n'est pas fait pour réfléchir solitairement la vérité; 
il faut qu'il la communique aux autres hommes , quand il l’a trouvée ; 
et comme il ne peut à lui seul la trouver toute entière, il faut qu'il 
recoive d'eux celle dont ils sont déjà en possession. 


* Sympathie guy mal, sentir avec, Certains somnambules dans le dérangement organique 
des corps étrangers, avec lesquels ils sont mis en communication, ressentent ces perturbations 
mäladives dans la parlie de leur corps qui y correspond. 


CINQUIÈME SECTION. 509 


La communion est non-seulement nécessaire à la faiblesse de l'homme, 
elle est surtout un état moral en elle-même. La vie de l’homme doit 
être une vie de charité, il doit recevoir et donner, c'est l'aspiration 
et la respiration de son ame. Et il n’a été créé plus faible que l'animal 
qui se suffit à peu prés à lui-même, que pour que le premier de 
ses devoirs recoive une nouvelle impulsion de son besoin le plus 
impérieux. 

C'est donc en donnant à cet amour universel qui l'a mis en com- 
munion avec la nature et lui en a livré les secrets, les caractères de 
la charité qu’il entrera en communion avec l'Humanité, qu'il recevra 
d’elle la vérité dont elle est déjà investie , et qu’il trouvera le secret 
de lui faire accepter sa vérité nouvelle. Et ce ne sera pas par voie 
d'autorité, de juxta-posilion qu'il recevra ou qu’il donnera, mais ce 
sera par une assimilation organique , en quelque sorte , qu'il se fera 
membre vivant et libre du grand corps de l'humanité. 

Enfin l’homme ne doit pas être seulement uni avec l’homme et le 
monde. Il faut que cette unité secondaire se consomme dans l'unité 
absolue. Et Dieu a gardé en lui la suprême lumière pour convier 
l'homme à cette suprême communion. Et la charité universelle en 
s'élevant, se sublimant en amour divin, devient pour l'intelligence 
une nouvelle , une dernière révélation. Car Dieu par son amour infini, 
rayonnant dans limmensité se répand dans l'ame de ses créatures 
en raison de leurs aspirations. Et plus ces ardeurs sont saintes, pures, 
énergiques, plus elles se nourrissent de l’esprit divin , plus elles s’as- 
similent sa lumière , plus elles entrent en possession de son essence *. 

Du haut de cet amour , les ombres du temps et de l’espace s’enfuient, 
l'avenir et le passé se résolvent dans un éternel présent, l’immensité 
se concentre en un point , et l’homme devient prophète. 

Celui qui a apporté au monde la charité universelle et l'amour divin, 
est donc la vraie lumière du monde. Sa parole est bien plus qu’une 
science, qu'une révélation; mais elle est un principe de science, une 
source de révélation; elle n’est point une croyance qui s'impose à 
l'intelligence esclave; mais une foi vivante qui fait jaillir dans l'ame 
les ondes resplendissantes de l’éternelle et infinie vérité. 


* Ce phénomène d’assimilation de l'esprit divin connu sous le nom de grace, n’est point 
un acte spontané de la part de Dieu, dont l’effusion dans les êtres est imminente et con- 
tinue, mais seulement de l’homme qui se met dans les conditions spirituelles nécessaireg pour 
entrer en communion avec lui, et prendre conscience et possession de son être. 


510 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


COUP -D’OEIL 


SUR 


L'ÉTAT -DE LA MUSIQUE 


A METZ, 


DEPUIS CHARLEMAGNE JUSQU'A NOS JOURS, 


Par M. Came DURUTTE. 


Messieurs, 


Si nous avions à vous présenter un résumé de l’histoire religieuse , 
civile; ou militaire de Metz, notre tâche serait immense sans doute, 
mais les matériaux du moins ne nous manqueraient pas : il n’en est plus 
de même dés qu’il s’agit de son histoire artistique, et surtout de celle 
de sa musique. En eflet, les archives de la cathédrale, si riches 
autrefois, et la bibliothèque de la ville, qui contenait aussi des 


CINQUIÈME SECTION. BA 


documens précieux, ne renferment plus rien, ou presque plus rien 
aujourd’hui, qui ait rapport à l'art musicil. 

A défaut de manuscrits authentiques, nous ayons puisé dans les 
meilleurs ouvrages imprimés sur l’histoire de la musique, nous avons 
eu recours à l'érudition du spirituel auteur de la biographie de la 
Moselle, et de cette manière, il nous a été possible de jeter un 
coup-d’œil sur le passé, avant d'arriver aux faits contemporains. Mais, 
au lieu de rattacher le développement musical, dans notre pays, au 
développement politique et religieux , nous l'avons comparé aux progrès 
mêmes de la musique en Europe, depuis l’année 787 ; évitant ainsi, 
tout à la fois, la comparaison de notre travail avec le beau rapport 
qui vous a été lu sur les arts du dessin, et beaucoup de redites 
qui devenaient inévitables. 


ÉTAT DE LA MUSIQUE À METZ AU TEMPS DE CHARLEMAGNE. 


Certes, on ne peut nier que notre ville n'ait été, en tout temps, 
plus féconde en guerriers, en magistrats, en savans, qu’en poëtes 
et en artistes; cependant, à diverses époques, les beaux-arts ÿ ont 
brillé d’un éclat assez vif. Ainsi, du temps de Charlemagne, la prin-— 
cipale école de chant était à Metz. Comme ce fait est important, 
je citerai en entier le passage des annales de France qui l'établit. 

« Le trés-pieux roi Charles, étant rétourné célébrer la päque à 
» Rome (787), avec le seigneur apostolique , il s’émeut, durant les 
» fêtes, une querelle entre les chantres romains et les chanties fran- 
cais. Les francais prétendaient chanter mieux et plus agréablement 
que les romains, qui, se disant plus savans dans le chant ecclé- 


2 


siastique qu'ils avaient appris de saint Grégoire, accusaient les 
francais de corrompre, écorcher et défigurer le vrai chant. La 
dispute ayant été portée devant le seigneur roi, les français, qui 
se tenaient forts de son appui, insultaient aux chantres romains ; 
les romains, fiers de leur grand savoir, et, comparant la doctrine 
de saint Grégoire à la rusticité des autres, les traitaient d’ignorans , 
de rustres, de sots et de grosses bêtes. Comme cette altercation 


% 4° Ÿ VW V Vi 


ne finissait point, le très-pieux roi Charles dit à ses chantres : 


ÿ 


déclarez-nous quelle est Veau la plus pure et la meilleure, celle 
qu'on prend à la sourée vive d’une fontaine , ou celle des rigoles 
qui n’en découlent que de bien loin? Xls dirent tous que l’eau de 
la source était la plus pure, et celle des rigoles d'autant plus 
altérée et sale qu’elle venait de plus loin. Remontez donc, reprit 
le seigneur roi Charles, à la fontaine de saint Grégoire, dont 


Y M V  Y Y 


519 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


vous avez évidemment corrompu le chant. Ensuite le seigneur roi 
demanda, au pape Adrien, des chantres pour corriger le chant 
français , et le pape lui donna Theodore et Benedict, deux chantres 
trés-savans et instruils par saint Grégoire méme ; il lui donna 
aussi des antiphoniers de saint Grégoire , qu’it avait notés lui-même 
en notes romaines. De ces deux chantres, le seigneur roi, de 
retour en France, en envoya un à Metz, et l’autre à Soissons, 
ordonnant à tous les maîtres de chant des villes de France, de 
leur donner à corriger les antiphoniers, et d’apprendre d'eux à 
chanter. Ainsi furent corrigés les antiphoniers francais, que chacun 
avait altérés par des additions et retranchemens à sa mode, et 
tous les chantres de France apprirent le chant romain, qu'ils 
appellent maintenant chant francais ; mais quant aux sons trem— 
blans , flaués, battus, coupés dus le chant, les français ne purent 


V OV VO VV VV, V VV V. Y V  v  V 


jamais bien les rendre, faisant plutôt des chevrotemens que des 
roulemens, à cause de la rudesse naturelle et barbare de leur 
gosier. Du reste, la principale école de chant demeura toujours 


Y 


à Metz ; et autant le chant romain surpassait celui de Metz, autant 
» le chant de Metz surpassait celui des autres écoles francaises. Les 
> chantres romains apprirent de même aux chantres francais à s’ac— 
> compagner des instrumens, et le seigneur roi Charles, ayant de 
» rechef amené avec soi en France des maîtres de grammaire et de 
> calcul, ordonna qu'ou établit partout l'étude des lettres , car, avant 
» ledit seigneur roi, l'on n'avait en France aucune connaissance des 
>» arts libéraux. » 

La suprématie de l’école musicale de Metz dura plusieurs siècles ; 
les hommes qui contribuërent le plus à l’établir, furent : Drocox , fils 
de Charlemagne, évêque de Metz. Aime, grand-chantre de la 
cathédrale ; sous Drocox, et surtout AwazaiRe, élève d'Æ/euir, qui, 
à cause de ses grandes connaissances en musique, fut surnommé 
Symphonins. Parmi les nombreux ouvrages d'AmaLaire , il s’en trouve 
un intitulé < De l'ordre de l'antiphonier > compilation des antipho— 
niers de Rome et de France, dont l’auteur donna une nouvelle 
édition aprés un voyage fait à Rome en 827, par ordre de l’empereur 
Louis-le-D ébonnatre, pour y examiner l'ordre des antiennes dont on 
se servait dans l'office divin. 

Avant d’aller plus loin, nous dirons un mot sur l’état du système 
musical suivi en Europe dans ces temps reculés. Le chant Grégorien 
y était alors d’un usage presque général ; on sait que c’est un reste 
précieux de la musique grecque , auquel saint Ambroise, le premier, 


CINQUIÈME SECTION. 543 


donna une constitution vers la fin du quatrième siècle. Saint Gré- 
goire, qui vint environ deux cents aprés lui, compléta le système 
ambroisien par l'addition des quatre tons plagaux. 

Dans cet état, le plain-chant comptait huit modes ou tons: les 
quatre tons impairs Ou authentiques dus à saint Ambroise, et les 
quatre tons pairs ou plagaux dus à saint Grégoire. 

Quant au rythme, il était nul ou à peu près. Mais une innovation 
de haute importance, dont on est encore redevable à saint Grégoire, 
c’est la substitution des sept premières letires de l'alphabet, à la 
notation si compliquée de la musique grecque. Le système grégorien 
a traversé les siècles, et subsiste encore aujourd'hui tel qu'il à été 
établi par son inventeur. 

L'usage dé l'orgue était déjà général à cette époque, en Italie, 
en France et en Angleterre , mais cet instrument dont l'influence devait 
être-si grande sur les progrès de l’art musical, était alors borné à un 
seul jeu, et il accompagnait les voix à l'unisson, où tout au plus 
faisait entendre la tierce mineure à la fin des morceaux, c'est ce 
qu'on nommait organiser. 

Depuis AmazaRe (827), jusqu'à Brunon, évêque de Toul, en 1026, 
l'histoire ne dit rien de la culture musicale dans notre pays, mais 
il est à présumer qu'elle y était au moins au niveau des progrès de 
l’art, dans les contrées de l'Europe les plus avancées sous ce rapport. 
Au 41° siècle (1026) Brunon, évêque de Toul, donnait un nouvel éclat 
au culte dans son diocèse , et composait des cantiques que Sigebert, bon 
juge en cette matière, place à côté de ceux de saint Grégoire. Devenu 
pape, sous le nom de Léon IX, Brunon vint à Metz en 1049, et 
accorda les bulles aux abbayes chargées du soin de la jeunesse, donnant 
ainsi une impulsion salutaire à l'étude des sciences et des arts. Il 
nous reste de ce pape, outre plusieurs cantiques, l’histoire de saint 
Grégoire qu'il a mise en musique ; et l’on chante encore, le jour de 
St-Hydulphe, les cantiques qu'il a composés pour la fête de ce saint. 
C'est au commencement du onzième siècle qu’il faut rapporter l’inven- 
tion de la gamme et de la notation moderne, invention dont beaucoup 
d'écrivains font honneur au seul Guido d’Arezzo , et qui, dans le fait, 
appartient à plusieurs, mais dont Gwdo eut la gloire de compléter 
et de formuler le système. Eh bien ! ces inventions toutes récentes, 
avaient déjà pénétré dans l’enseignement dans nos contrées : l'histoire 
des papes en fait foi. Elle nous apprend en effet, que dans plusieurs 
villes d'Allemagne et du nord-est de la France, on avait l'habitude 
de faire chanter, par un diacre , une leçon en musique après la première 


65 


514 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


oraison de la messe, et qu'on chantait même plusieurs de ces lecons 
aux fêtes solennelles * la musique de ces lecons n'était pas du plain- 
chant, mais bien de la musique rythmée, de la musique profane. 
A défaut d’un lieu consacré à ce genre de musique , l’église lui donnait 
asile, et devenait ainsi momentanément une salle de concert, ce qui 
cesse d’étonner quand on songe que dans le moyen-äge on dansait 
quelquefois dans notre cathédrale de Metz. 

À la fin du onzième siècle et au commencement du douzième, nous 
trouvons encore dans notre pays un grand musicien dans l'illustre 
Sigebert, écolâtre à l'abbaye de St-Vincent de Metz. Le prince abbé 
Martin Gerbert en parle dans son histoire de la musique d'église, 
et donne le catalogue de ses compositions. 

A cette même époque (1066), vivait le célèbre Franco, auteur 
d'un manuscrit conservé dans la bibliothèque ambroisienne de Milan, 
et intitulé < Ærs cantus mensurabilis. > Cet ouvrage que Gerbert a 
inséré tout entier dans son recueil ( Scriptores ecclesiastici de music 
sacrà potissimum), constate les progrès de la musique depuis Cuido, 
tant sous le rapport du rythme que sous celui du déchant qu'il définit : 
L'union de plusieurs mélodies concordantes entre elles, et composées 
de diverses figures. Du reste, Franco parait être l'inventeur de la 
mesure des temps dans la musique, invention qu’on avait attribuée 
mal à propos à Jean de Muris, plus moderne de deux siècles, 

Nous ne parlerons pas des commentateurs de Franco , dont quelques- 
uns perfectionnèrent ses travaux sur le rythme, nous nous conten— 
terons de dire que la musique resta stationnaire pendant plus d’un 
siècle, surtout sous le rapport de l'harmonie , ce qu'il faut sans doute 
attribuer aux croisades qui eurent lieu à cette époque. 


* Or il advint en l’année 1052 que le pape et l’empereur, célébrant la fête de Noël à 
Worms, le pape dit 1a messe solennelle le jour de la fête, et le lendemain il fit officier 
Liupold archevèque de Mayence, parce que cétait sa province. Un des diacres de ce prélat 
après la première oraison de la messe, chanta une leçon; car c'était l'usage de quelques 
églises d'en chanter plusieurs aux fêtes solennelles ; mais, comme cet usage était contraire 
à celui de Rome, quelques-uns des romains, qui étaient auprès du pape, lui persuadèrent 
d'envoyer défendre au diacre de chanter. Le diacre, qui était un jeune homme fier, refusa 
dobéir; et quoique le pape lui eût défendu un seconde fois, il n’en chanta pas moins 
baut la leçon. Le pape le fit appeler, et le dégrada sur-le-champ. 

L’archevéque de Mayence lui envoya redemander son diacre. Le pape le refusa, l’arche- 
vêque prit patience pour lors; mais après l’évangile et l’offertoire , l’archevèque s'assit dans 
son siége, et protesta que ni lui ni autre n’acheverait cet oflice, si on ne lui rendait 
son diacre. 

Le pape céda, et le lui renvoya aussitôt revêtu de ses ornemens, 

En quoi, dit l’auteur original, on doit considérer la fermeté de l’archevéque à soutenir sa 
dignité, et l'humilité du pape qui voyait qu’il fallait céder au métropolitain dans sa province. 

(Hist, des papes, tome Il, pages 358— 359.) 


CINQUIÈME SECTION. B15 


Quant à la culture musicale dans le pays messin, nous n'avons pu 
trouver aucun document historique , sauf les épitaphes de notre ca- 
thédrale dont plusieurs consacrent la mémoire d'anciens chantres des 
douzième , treizième, quatorzième et quinzième siècles. 

Dans le nombre se trouve celle de CoZlignon Cassamus , né à Metz, 
au commencement du quatorzième siècle, et mort en 4380 dans la 
même ville, il avait été ménestrel de l'empereur Charles de Bohême, 
de Louis, roi d'Espagne, et d’Alphonse, roi de Castille; fait qui 
prouve assez que l’école messine n'était point restée en arrière dans 
le mouvement qui se faisait à cette époque, mouvement rapide qui 
porta bientôt les écoles Flamande et Francaise à la tête de toutes les 
écoles musicales de l’Europe, et d’où sortirent J. Hobrecth, J. Ockei- 
nem; Josquin-dés-Prez; Roland-de-Lassus, que les italiens nomment 
Orlando-di-Lasso : Bromel, chef de l’école francaise , élève d’Ockeinem ; 
Févim, d'Orléans; Arcadet, maître de chapelle du cardinal de Lor- 
raine: J. Mouton, maître de chapelle de Francois I"; et surtout 
Claude Gaudimel, de Besancon. 

Ici arrétons-nous pour prononcer une parole sévère mais vraie, 
c'est que les œuvres sublimes de Claude Gaudimel, ne sont pas 
même connues en France, et se trouvent dispersées dans les biblio 
thèques du Vatican et des couvens de Rome. Ce n'était pourtant 
pas un homme vulgaire, que le fondateur de l’école romaine; ce 
n'était pas un homme vulgaire, que celui qui comptait parmi ses 
élèves les Naninr et les Palestrina ! 

La France a été, au reste, cruellement punie de sa coupable 
indifférence, car tandis que l'Italie et l'Allemagne recueillaient aux 
dix-septième et dix-huitième siècles , le fruit des nobles trayaux des 
écoles Franco-Belges , sa réputation musicale se perdait insensiblement, 
et elle s’égara enfin si complètement sur les traces de Rameau , que l’on 
finit par mettre en doute l'aptitude des Français pour la musique. 

L'école musicale messine suivit les phases de l’école française, dans 
le quinzième siècle (dit l'auteur de l'histoire des sciences et des 
arts dans le pays messin) , on faisait à Metz beaucoup de chansons et 
ballades. Remarquons que ces chansons étaient encore composées dans 
les modes ecclésiastiques, car ce n’est que dans le courant du sei- 
zième siècle que la tonalité moderne prévalut *. 


* 1563. Un livre très-rare et trés-singulier, publié en 1563 par Claude Sébastiani, organitle 
de Metz, établit, d’une mauière plaisante, les situations respectives des deux tonalités à 
cette époque. Il est intitulé: « Bellum musicale inter planis et mensurabilis cantûs reges. » 
L'auteur, par une figure de rhétorique assez bizarre, fait de la musique un pays, dent il 


516 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


La prédominance de la tonalité moderne est due en grande partie 
aux chansons populaires, et particulièrement aux chansons françaises , 
à l'invention des madrigaux qui date des jours de l’école flamande, 
et surtout à la musique dramatique qui prit naissance à la fin du 
seisième siècle. On chantait à cette époque à Metz, et sans aucune 
répréhension, les pseaumes de Clément Marot par les rues*; nous 
ajouterons que la musique en avait été composée par Claude Gaudimel. 

La musique profane joua sans doute un rôle dans les fêtes splen- 
dides qui eurent lieu à Metz pendant le séjour qu'y fit Henri IV 
en 4605 (dix-septième siècle), mais nous n’ayons pu trouver aucun 
renscignement précis à cet égard. Nous savons seulement qu’en 1624 , 
à la réception de Gabrielle de Bourbon, l’on joua à Metz une pièce 
intitulée Phrllis retrouvée, où pastourelle des nymphes d’Austrasie , 


dans laquelle on entendit deux chœurs accompagnés par des instru 
mens **, 


décrit la situation, les mœurs et la frugalité des habitans. Deux frères y règnent : l’un sur 
la province du plain-chaut, l’autre sur celle du chant figuré. L’envie et l'ivrognerie brouillent 
les deux frères. Chacun cependant publie un manifeste et se prépare à la guerre. Enu- 
mération des troupes: plusienrs nations viennent au secours du roi du plain-chant; les 
papes, les cardinaux, évêques, abbés, chanoïnes, loute la nation papislique et sorbonique , 
même les ministres luthériens avec leurs femmes; les vieilles femmes se joignent à l’armée 
pour jeter des sorts contre l’ennemi. Les paysans avec des fourches et des faulx, une 
troupe de râcleurs et de gens qui chantent faux, se rangent sous les drapeaux du roi du 
plain-chant. L'armée du roi du chant figuré était composée des mesures, des modes, des 
temps, des prolations. Ces princes du sang commaudent chacun un corps de troupes composé 
de notes, etc. 

Les discantes, le tenor et la basse, etc., étaient les troupes auxiliaires, 

Lamentation de tout le peuple musical à l'approche de Ha guerre. Les allemands mu- 
gissaient ; les oiseaux, les poissons même faisaient entendre leurs plaintes, Toute la nature 
tentait en vain d’adoucir la colère des deux monarques. Trois envoyés du roi du plain- 
chant, Messieurs ut, ré, mi, sont arrêtés par le roi du chant figuré, qui bientôt en retient 
encore trois autres, Messieurs fa, sol, la. Quelques notes recurent tant de blessures, qu’elles 
en devinrent toutes noires, Le combat s'engage: les trompettes sonuent. Les abeïlles et les 
grillons y mêlent leur bourdonnement, etc... 

L'abbesse des bémols et quelques-unes de ses religieuses en f, ut, fa, sont outragées, 
Ées chats égratignèrent et arrachèrent les yeux de ceux qui voulaient les tuer pour faire 
des chanterelles avec leurs boyaux; et voilà, dit l’auteur, d'où vient que l'on voit tant 
de luthiers et de joueurs de guitares, borgnes ou aveugles. Le succès du combat devient 
incertain : perte de part et d'autre, Enfin, la victoire se déclare en faveur du roi du 
chant figuré. Le roi du plain-chant se réconcilie avec son frère. Des plénipotentiaires 
sont nommés pour travailler au traité de paix, savoir: le pape Grégoire et saint Ambroise 
d'une part; et de lPautre Jacques Lefèvre d'Étaples et André Ornithoparcus (célèbres musi- 
ciens théoriciens de ce temps. Le vrai nom d’Ornithoparcus est Vogelsang). Traité de paix 
t pertage des deux royaumes, 

+5) (Dict. des Musicieus, par Fayole et Choron, article 
Sébastiani (Claude). 

* Bégin, Histoire des sciences, des arts et de Ja civilisation dans le pays messin, 

*‘* Même ouvrage, page 435, 


«4 


CINQUIEME SECTION. 517 


Du reste, parmi les hommes célèbres qui illustrèrent la ville de 
Metz à cette époque, l'histoire ne cite aucun musicien. Les écoles 
musicales du pays avaient alors bien dégénéré, et depuis long-temps 
l'impulsion ne venait plus de la collégiale de Metz. 

Le dix-huitième siècle fut moins stérile. Un prélat, M. -de Mont- 
morency Laval, excellent musicien fit fleurir la musique dans notre 
diocèse , il avait pour maître de chapelle Persuis Le père; qu'il avait 
amené de Condom. Parmi les compositions de cet artiste on cite une 
messe de Saint-Etienne; son obdormivit de l'office de noël passe pour 
un chef-d'œuvre ; les O qu'on chantait huit jours avant Noël sont de 
lui, la Cathédrale devenait alors le lieu d’une aflluence extraordinaire 
tant cette musique y atlirait de monde. 

Parmi ses élèves on cite Persuis fils qui lui était inférieur 'et qui 
lui doit sa gloire; Milet, Valentin, Lagrange, Thomas, dont le fils, 
pensionnaire du gouvernement à Rome, justifie de jour en jour les 
brillantes espérances que son début dans la carrière musicale a fait 
récemment concevoir. 

C'est au milieu du dix-huitième siècle que la plupart des évêques 
français réformérent leur liturgie, substituant au plain-chant grégorien ; 
des chants dépourvus de caractère et de grandeur, ce qui ne con 
tribua pas médiocrement à perdre l’école française , passablement com 
promise déjà par l'adoption du système harmonique de Rameau. C'était 
alors le temps des systèmes de musique, ou en faisant aussi en 
Italie, mais les illustres maîtres de ce pays avaient le bon esprit de 
ne point les introduire dans l'enseignement. 

Malgré le mauvais goût qui régnait alors , la France ne manquait pas 
dé musiciens de mérite, nous devons citer comme appartenant au 
nord-est de la France, Désormery né à Bayon en 4740, et qui fit 
ses premières études à la primatiale de Nancy. Martini, né dans le 
Haut-Palatinat à la même époque, et que Naucy compta quelque 
temps au nombre de ses artistes. 

Martini répétait souvent que l'audition et l'exécution des chefs— 
d'œuvre de la musique d'église peuvent seules former des chanteurs 
et des compositeurs. N'oublions pas Mehul qui, dans sa jeunesse , alla 
se perfectionner à l'abbaye de la Valle - Dieu près de Charleville où 


l'un des religieux Gwllaume Hauser ; três-versé dans la science du 
contre point ; lui donna des lecons d'harmonie et de composition. 

Nancy possédait eñcore à cette époque le célébre violon Eck (Jean- 
Fréderic), et Montmédy donnait le jour à Bochsa ; auteur de la 
dansomanie. 


518 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Enfin le conservatoire de Paris fut créé, mais un seul établissement 
de ce genre ne suflisait pas pour toute la France, et ne pouvait d'ail- 
leurs tenir lieu de maîtrises des cathédrales. Néanmoins il donna une 
impulsion salutaire à toutes les branches de l’art musical , et bientôt 
se formèrent en province des sociétés philharmoniques, et plus tard 
et des conservatoires, sur le modèle de celui de Paris. Mais tous 
ces établissemens pêchent par la base , l’enseignement du chant, qui, 
il faut bien le dire, est encore dans une mauvaise voie dans l'établisse— 
ment modèle, ce qui tient à ce qu'il est confié à des hommes qui 
ne sentant pas toute la dignité de l’art, font exécuter de la musique 
médiocre, au lieu des chefs-d'œuvre des maîtres. 

Dix-neuvième siècle. Malgré quelques tentatives heureuses de Pavant 
qui datent déjà de 20 ans , malgré le zèle de notre collègue M. Soleirol , 
notre ville était généralement restée en arrière en fait de musique, 
surtout si on la compare à quelques villes du nord de la France, 
mais depuis 1834, un heureux changement tend à s'opérer. Trois 

‘écoles de chant y ont été établies depuis cette époque, et confiées 
à d’habiles professeurs. 

La première en date est celle de l’école normale dirigée par M. Leré, 
auteur d'une méthode élémentaire de musique , composée pour son 
école. Bien que les élèves ne recoivent que deux lecons d’une heure 
par semaine, et que leurs autres études ne leur permettent point 
de consacrer plus de temps à la musique, nous avons été frappé 
de leurs progrès et de la solidité de leur instruction ; un rapport 
extrêmement favorable de M. Orfila confirme à cet égard notre propre 
jugement. Mais pour que l’enseignement de la musique à l'école 
normale, remplisse complètement le but que l’on s'est proposé, les 
élèves devraient rester un an de plus dans l'établissement , afin d’ap- 
prendre à toucher l'orgue, et de se familiariser avec l’art d'enseigner. 
De cette manière, devenus instituteurs , ils propageraient l'étude et le 
goût de la musique dans nos campagnes. 

L'introduction prochaine de l’acolodicon pour l'accompagnement 
des voix, est un progrès que nous aimons à signaler. 

La seconde école de chant est celle du petit séminaire, dont la 
direction a été confiée à M. Dallemont; elle compte près de deux 
cents élèves. Quant à la méthode suivie pour l'enseignement , elle est 
tout-à-fait électique; ainsi le professeur a puisé dans les méthodes 
de Choron, Wilhem, Galin, Massimino , Mainzer , etc., etc. 

Ce cours de musique se lie admirablement à celui de l'école 
normale , en ce que plusieurs des jeunes gens qui y assistent sont 


CINQUIÈME SECTION. 519 


destinés à l’état ecclésiastique et trouveront , au sortir de leurs études , 
et lorsqu'ils auront recu les ordres , un homme capable de les se- 
conder musicalement parlant, dans l'instituteur de la commune. 

Rendons hommage au vénérable abbé Chaussier , supérieur du petit 
séminaire qui, par son zèle et par ses connaissances musicales, a 
puissamment secondé le professeur , en se chargeant de l’enseignement 
des soprani, ce qui était réellement la partie la plus fatigante , les 
enfans étant à raison de leur âge les moins attentifs et les plus bruyans. 
Parmi les morceaux exécutés cette année dans cette école , nous avons 
remarqué avec plaisir un chœur de l’oratorio du christ de Bethoven, 
l'O salutaris de Gossec et quelques autres compositions d'un grand 
style. 5 , 

Il nous reste à parler de l’école municipale, dont la fondation est 
due en grande partie au zèle de M. Desvignes qui, dés 1834, en 
avait soumis le plan au conseil municipal, le projet fut approuvé, et 
l’école fut ouverte au mois de janvier 48536, et placée sous la direction 
de celui qui en avait provoqué l'établissement. 

Une commission nommée par la ville, surveille et inspecte l’école. 

La méthode d'enseignement pour le chant, est la même que celle 
suivie au petit séminaire. Get enseignement est réparti sur six classes, 
dont trois pour les jeunes garcons, et trois pour les jeunes filles : 
dans la première classe de chaque sexe, il est gratuit et comprend 
les premiers élémens de la musique. 

Dans la deuxième classe, où l’instruction est plus forte et plus 
étendue , la ville demande uné rétribution de 2 francs par mois, 
mais seulement aux élèves dont les parens ont le moyen de faire cette 
dépense, . 

Dans la troisième classe, on étudie le solfége et l'on s'exerce à 
la vocalisation ; cette classe se forme des élèves des deux premières 
qui annoncent des dispositions remarquables. 

La musique instrumentale n’a pas été oubliée dans le plan du 
directeur. Déjà , les instrumens les plus essentiels dans les orchestres, 
les violons et les violoncelles ont des professeurs et des élèves. Cet 
enseignement, que dirigent MM. Giraud pour le violon, et Fibich 
pour les basses, est réparti sur deux classes. 

Les élèves de la deuxième classe recoivent leur lecon de ceux de 
la première, en présence du professeur. Nous félicitons le directeur 
d’avoir adopté cette méthode, autrefois en usage dans les conserva— 
toires d'Italie; outre l'avantage de forcer l'élève à plus d'attention, 
elle à encore celui de le former à l'enseignement. 


520 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Nous ne mentionnons point une foule de cours particuliers, non 
plus que le nombre des professeurs de musique dans chaque spécialité ; 
ce qui nous entrainerait beaucoup trop loin. Nous nous borne- 
rons à remarquer qu'en général la musique est très-cultivée à Metz, le 
piano surtout qui ne compte rien moins que vingt-cinq professeurs. 
Somme toute, il s'opère à Metz un mouvement musical très-prononcé 
depuis quelques années, mais il nous manque encore une société philhar- 
monique bien assise , il manque à nos amateurs et à nos artistes , préoc— 
cupés de ce qui se fait à Paris, un peu plus d'indépendance. Espérons 
que le temps aménera de nouveaux progrès ; en attendant, félicitons nos 
magistrats d’avoir compris que ce n'était pas tout de pourvoir aux 
besoins matériels du peuple, mais qu’il fallait encore pourvoir a ses 
besoins moraux : ce devoir, nous n’hésitons pas à le dire, ils l'ont 
rempli dignement. Puissent leurs eflorts rendre bientôt aux écoles 
messines, l'éclat qui les environnait aux époques les plus brillantes 
de l’histoire de notre ville ! Puissent nos fêtes populaires , vivifiées par 
la musique , revêtir ce caractère religieux et grand qu’elles ont en 
Allemagne, et devenir ainsi une source féconde de nobles émotions 
pour toutes les classes de la société, : 


SIXIÈME SECTION. 594 


SIXIÈME SECTION. 


ESSAIS 


DESTINÉS 


A FACILITER LA RÉPÉTITION DE L'EXPÉRIENCE FONDAMENTALE 
DE LA THÉORIE DE L'INTERFÉRENCE DES RAYONS LUMINEUX, 


Par M. ze pocreur DE HALDAT. 


Le système de l’interférence des rayons lumineux, déduction des 
idées de Descartes, établie de nos jours sur des preuves nombreuses 
par le docteur Young , n’a, comme on sait, acquis le dernier degré 
de certitude que par les travaux de Fresnel, dont l'expérience fonda- 
mentale consiste à recevoir sur deux miroirs plans, qui font entre eux 
un angle trés-obtus des rayons solaires, atténués par l'interposition d'une 
lentille d'un court foyer, et à recevoir ces rayons convergens sur la 
surface d’une lentille derrière laquelle se place l’œil de l'observateur. 

Rien n’est plus simple que l'énoncé de cette expérience et ne paraît 
au premier apercu d’une exécution plus facile, cependant le nombre 
des physiciens qui l'ont répétée est trés-petit, car, à deux exceptions 
près, tous ceux auxquels j'en ‘ai parlé, parfaitement convaincus de 
l'exactitude du résultat, m'ont déclaré ne l'avoir ni exécutée eux 
mêmes, ni vu exécuter par d’autres. Doit-on attribuer cette lacune 
dans l’art de l'expérience à la juste confiance due aux travaux de 
l’auteur, ou à l'indifférence des sayans qui, de nos jours, se montrent 
généralement très-empressés de vérifier par eux-mêmes des faits bien 
moins importans ? Ni à l’une ni à l’autre de ces causes, ce me semble , : 
mais bien aux difficultés que l’on rencontre dans l'exécution, et 
dont Fresnel nous avertit dans le supplément à la traduction francaise 


66 è 


522 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


de la chimie de Thomson , où il affirme que la saillie de l'un des 
miroirs sur l'autre, d’une quantité égale à un ou deux centièmes de 
millimètre suffit pour empécher l'apparition des franges caractéristiques 
de l'interférence. Le moyen qu'il propose pour obtenir le résultat désiré 
consiste à employer deux petits miroirs plans de métal ou de verre 
noir, de les placer dans une boîte de laiton propre à les contenir 
librement , et dans laquelle on a préalablement établi une couche de 
cire molle sur laquelle on les presse de manière à obtenir un angle 
d'une grande ouverture sans la moindre saillie d’une surface sur l’autre , 
et cela par un tâtonnement où le hasard joue un rôle si peu favo- 
rable au succès, qu'il n’est pas étonnant qu'un si grand nombre de 
physiciens aient été jusqu'alors privés de la satisfaction d'observer le 
phénomène le plus curieux et le plus important de cette partie de 
l'optique, nouvellement enrichie de tant de belles inventions, et 
d'obtenir, en faveur de la théorie de l'interférence , des rayons lumi— 
neux comme le dit M. Pouillet, dans l'exposé qu'il en a donné avec 
la clarté qui le distingue, la preuve où l'esprit le plus sévère, le plus 
difficile à convaincre , ne peut plus recourir à des actions inconnues 
invoquées avec plus ou moins de raison avant cette expérience. 

Pour éluder les difficultés que présente l’arrangement des miroirs 
de Fresnel, on a substitué à cet appareil un prisme isocèle de verre 
à angle très-obtus qui, placé dans le trajet des rayons lumineux les 
fait coïncider en des plans parallèles à l’arête du prisme. Ce moyen 
d'un emploi trés-facile donne de belles franges, mais opérant né- 
cessairement la dispersion des rayons qui en traversent les faces in- 
clinées fouruit la matière d’une objection que Fresnel voulait éviter, 
et qu'il aurait sûrement condamnée, puisqu'il rejette même l'emploi 
de glaces étamées, à raison sans doute de la double image qu’elles 
produisent; à plus forte raison il eût condamné l'emploi d’un même 
prisme de verre étamé sur les deux faces qui forment l'angle obtus, 
instrument qui donne aussi de fort belles franges , mais qui réunit le 
double inconvénient de disperser les rayons et de doubler les images. 
Désireux d'observer enfin les résultats d'une expérience devenue si 
célèbre, et peu satisfait des essais que j'avais faits en suivant le 
procédé de l’auteur, j'ai cherché des moyens indépendans du hasard 
et propres à assurer Je succès de l'expérience dans sa pureté, entre 
les mains les moins exercées. Persuadé que les mécomptes de l’ex- 
périence sont parfois utiles à la science, je ferai connaître les ten- 
tatives infructueuses comme celles qui ont été couronnées de succès 

L'ebstacle principal à la production des franges dépendant de la 


: SIXIÈME SECTION. 593 


difficulté de disposer les miroirs sous l'angle convenable , sans que l'un 
anticipe sur l'autre de plus d’un ou deux centimes de millimètre , je 
pensai qu’on obtiendrait ces conditions en imprimant sur quelque 
substance propre à conserver une empreinte brillante l'angle obtus 
d'un prisme bien poli et semblable à celui par le moyen duquel 
on obtient les franges par réfraction. Pour m'en assurer je fis exécuter 
par M. Soleil fils, opticien à Paris, très-versé dans la construction 
des appareils destinés aux expériences de diffraction et de polarisation 
deux prismes de ce genre, l’un en verre et l’autre en acier. Le premier 
fut imprimé par sa double surface sur une couche de cire à cacheter 
noire la plus homogène que je pus me procurer et préalablement 
étendue à l’état liquide sur une lame de cuivre. Par ce procédé j'obtins 
en effet une double surface miroïitante qui réfléchissait assez bien 
l’image des objets, mais qui, employée pour obtenir des franges, ne 
donna que des résultats peu satisfaisans à raison de leur irrégularité 
et du peu d’éclat qu’elles produisaient. Après cet essai j'employai 
le prisme d'acier qui fut enfoncé au moyen du balancier dans une 
lame épaisse d’étain de Banca, préalablement dressée à la lime, puis 
avivée aveo le grattoir. Par ce procédé mécanique , j'obtins une double 
surface miroitante dont le poli égalait celui de l'instrument d'acier 
employé pour- la produire. Ce double miroir placé dans, le trajet des 
rayons solaires réfléchis horizontalement par l'héliostat, donna en effet 
des franges brillantes très-distinctes à la loupe qui n'occupent que 
le centre de l'image réfléchie, et dont la régularité n'est pas parfaite, 
mais qui offrent vers leur bord commun extérieur des stries irrégulières 
qui réunissent l'éclat des plus vives couleurs, aux formes les plus 
variées, et rappellent l'idée d’un tapis de Turquie tissu d'or et de- 
soie. Cesyphénomènes qu’avaient aussi présentés les réflecteurs en cire 
à cacheter, mais dans une teinte beaucoup plus sombre et d'une 
manière moins distincte, me rappela ce que n'ignore aucun physicien, 
l'imperfection des surfaces réfléchissantes obtenues au marteau, quand 
il s’agit de les empleyer dans la construction des instrumens d'optique 
qui exigent une grande régularité. É 
On doit regretter que ce procédé, le seul à l'abri de toute objec— 
tion, ne soit pas à l'abri du défaut que nous avons signalé, puisqu'il 
est à la fois le plus. propre à confirmer la théorie, le plus commode 
à employer , et le moins dispendieux ; toutefois loin de l'abandonner 
il me semble digne de recherches propres à le perfectionner en donnant 
au prisme d'acier un poli plus parfait. Je ne parle pas des essais in- 
fructueux, faits ayec l’alliage de Darcet et d’autres analogues, pour 


594 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


donnér à de petites masses de ces substances ; à l'état fluide , la forme 
du double réflecteur, en leur appliquant , dans le moment de la so— 
lidification , l'un de nos prismes générateurs , parce qu'ils n'ont donné 
que des surfaces grenues, et dont un petit nombre de points apparte- 
naient à des surfaces planes. 

Après ces succès variés et incomplets , je me suis engagé, pour par— 
venir au but que je me proposais, dans une voie nouvelle ; persuadé 
comme je l'étais, qu’il n'était pas impossible d'obtenir mécaniquement 
une disposition des miroirs telle que la leur donnait Fresnel par une 
dextérité qui lui était propre, et dont il a emporté le secret; je me 
suis efforcé de remplir les vues de ce grand physicien, en construisant 
an instrument tel qu’il l'avait désiré, et tel qu'il l’eùt sans doute exé- 
cuté, si, moins occupé des hautes spéculations auxquelles le portait 
son génie, il eût pu le fixer sur des objets de moindre importance. 
Comme la valeur de l'angle est indéterminée, et que la condition 
fondamentale est d'obtenir une MALE pô des miroirs, telle que 
formant entre eux un angle obtus, l’un n'anticipe pas sur l’autre de 
plus d'un à deux centièmes de millimètre, nous avons satisfait à ces 
données au moyen d’une petite boîte de laiton qui contient librement 
deux petits réflecteurs en verre noir ou en métal blanc de 6 à 8 cen- 
timètres de surface. Cette boîte , dont la profondeur est triple de l'é- 
paisseur des miroirs, porte dans le milieu de ses bords supérieurs et 
inférieurs , une tige d'acier de trois à quatre millimètres de diamètre, 
tournée, calibrée et rendue exactement cylindrique par le rodage. 
C'est contre cette tige que les deux miroirs appliqués par un ressort 
en C, établi verticalement au fond de la boîte, prennent une position 
qui, au moyen de ressorts dans une direction transversale , placés près 
des bords latéraux et de vis de pression, peuvent étre amenés dans un 
même plan ou former à volonté l'angle qui produit l'interférence des 
rayons. Avec ce petit appareil on obtient facilement les franges carac- 
téristiques du phénomène, et les plus simples notions de géométrie 
prouvent que cela doit être; mais comme le cilindre placé en avant 
des deux glaces produit aussi des franges par diffraction qu’on pourrait 
confondre avec celles produites par l’inclinaison des miroirs , je me suis 
définitivement arrêté à un autre petit instrument qui m'a été proposé 
par M. Gaisse, mécanicien à Nancy, il est aussi composé d’une boîte 
de laiton propre à contenir les réflecteurs, qui , poussés par des ressorts 
appuyés contre son fond, sont forcés de se coucher sur les bords 
d'un châssis de cuivre qui, par sa forme, leur donne l'inclinaison né- 
cessaire. Toute la difliculté dans la construction de ce petit appareil 


SIXIÈME SECTION. 595 


consiste à donner aux bords du châssis qui doivent déterminer l'in- 
clinaison des miroirs la pente convenable, ce qui s'obtient en les tra- 
vaillant sur une glace après les avoir ajustés à la lime. Cette disposition 
simple et commode donne de belles franges qu'on doit observer avec 
une loupe d’un court foyer et qu'on peut mesurer avec l'appareil in- 
venté par Fresnel. Si on ne le possède pas, on le remplace avec une 
pièce à coulisse horizontale , établie sur un LES de graphomètre, avec 
laquelle on conserve à la lentille oculaire qu on y place, une position 
fixe qui facilite l'observation. 

Maintenant, si nous comparons les Es procédés destinés à favo— 
riser la répétition de l'expérience de M. Fresnel, nous trouvons que 
celui où l’on emploie Les réflecteurs en étain obtenus par la percussion, 
le plus simple et le moins dispendieux de tous serait encore le plus 
parfait si l’on pouvait éviter les défauts que j'ai signalés, parce qu'il 
est le seul contre lequel il n’y ait aucune objection ; car dans le pro— 
cédé de Fresnel les bords des miroirs produisent aussi des franges 
qui peuvent compliquer le phénomène. Après celui-ci nous placerons 
celui où l’on couche les réflecteurs sur les bords d’un châssis de laiton 
dont les plans formés par les bords représentent un prisme isocèle 
à angle obtus. Après ce dernier, celui où l'angle des réflecteurs est 
produit par une tige cylindrique d'acier ; nous ne donnerons enfin que 
les derniers rangs aux procédés où l’on emploie les prismes de verre 
par réflexion et par réfraction comme les moins à l'abri des objections 
qui ont retardé le triomphe de la théorie des ondulations lumineuses. 


596 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


NOTE 


SUR 


LES EFFETS ET LES LOIS DU CHOC, DE LA PÉNÉTRATION 
ET DU MOUVEMENT DES PROJECTILES DANS LES 
DIVERS MILIEUX RÉSISTANS, 


Par MM. PIOBERT, MORIN ET DIDION, 


Capltaines d’Artillerie, 


4. Nous nous proposons, dans cette note, de donner un résumé 
succinct des résultats des nombreuses expériences faites de 1834 à 
4835, sur le choc et la pénétration des projectiles dans les divers 
milieux résistans, par une commission d'ofliciers d'artillerie de l’école 
de Metz, et dont nous avons été les rapporteurs. Nous nous bornerons 
à signaler les eflets principaux et les lois mathématiques auxquelles on 
est parvenu , par la discussion de tous les résultats des expériences. 

2. Distinction des effets produits par le choc. Dans les effets dont 
nous avons à parler, nous distinguerons deux objets différens, les 
effets apparens et physiques et les effets mécaniques. 

Les premiers sont principalement relatifs aux modes de rupture 
et de déformation des projectiles et des milieux pénétrés ou choqués, 
et nous avons été à même d'observer des faits assez remarquables 
pour nous y arrêter quelques instans. 

Lorsqu'un projectile, animé d’une certaine vitesse, vient choquer 
un corps résistant, il se produit d'abord, aux parties en contact, 
des effets qui dépendent de cette vitesse, de la dureté du corps 
et de celle du milieu, et pour s'en rendre compte il faut examiner 
successivement ce qui se passe avec les différens milieux. 

3. Choc et pénétration des projectiles contre les maçonneries de 
moellons de bonne qualité. Quand un boulet atteint une maçonnerie 


SIXIÈME SECTION. 597 


de moellons, le trou formé par la pénétration présenté deux parties 
distinctes, l’une extérieure irrégulièrement évasée , l'autre intérieure de 
forme tronc-conique légèrement évasée vers l'extérieur, et terminée au 
fond par une calotte hémisphérique d’un diamêtre à peu près égal à celui 
du projectile. En comparant entr'eux les profils horizontaux et ver- 
ticaux des trous formés par les boulets de 24, de 12 et de 8, on 
trouve que le diamètre extérieur de ces trous est moyennement égal 
à cinq fois celui du projectile. Ces entonnoirs extérieurs sont produits 
par la réaction de la maconnerie qui, après avoir cédé et fléchi sous 
l’action du projectile , revient en avant par son élasticité, se rompt 
et est lancée en débris, à des distances qui excédent souyent 40 ou 
50 mètres, ce qui rend ces éclats fort dangereux pour les canonniers 
des batteries de brèche. 

Il arrive méme souvent que le projectile est rejeté hors de son 
trou à une certaine distance de l’escarpe, et parfois jusqu'a 2 à 3". 
La trainée des décombres qui se forme devant les trous, s'étend 
parfois à 6" perpendiculairement à l'escarpe. 

L'action des projectiles sur les maçonneries, produit en outre, 
tout autour du vide apparent, un ébranlement qui désunit les pierres 
jusqu’à une certaine distance. Le diamètre extérieur de la partie ainsi 
ébranlée , est à peu près double de celui du trou et d'environ 4,15 
pour le calibre de 24, de 0",90 pour le 16, et de 0,80 pour le 12. 

Il se produit aussi une élévation considérable de température à 
peu prés impossible à mesurer, mais qui est telle, qu’en allant retirer 
un boulet quelques secondes après qu’il a été lancé, on sent une forte 
chaleur. Dans quelques trous formés dans des joints, on a observé 
que la chaux du mortier et même celle du calcaire de la maconnerie 
acquérait l’odeur et la saveur légèrement caustique de la chaux vive 
en poudre, ce qui indique un certain degré de recuit. 

Les boulets retirés de leur logement offrent tous, à leur surface 
antérieure , qui a formé le trou , des rayonnemens méridiens, partant, 
comme d’un pôle commun, du point qui a atteint le premier la ma- 
connerie, et allant en divergeant et en diminuant, de manitre à 
disparaître à 90° de ce pôle. Ces sillons ont parfois un millimètre 
de profondeur, selon la dureté respective des projectiles et de la 
pierre. 

4. Rupture des projectiles. Aux charges de moitié et du tiers du 
poids du projectile, c’est-à-dire à des vitesses de 570% et 500" 
environ par seconde, les projectiles tirés dans les maçonneries de 
moellons durs sont brisés. Il en est de même, à plus forte raison, 


598 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


contre les roches de calcaire oolithique très-dur. A la charge du 
quart du poids du projectile, ou à une vitesse de 440" environ, 
les trois quarts des boulets sont aussi brisés. 

La rupture se fait suivant une série de plans méridiens, dont 
l'axe commun est dirigé suivant la trajectoire, et qui ont pour pôle 
le point qui rencontre le premier la maçonnerie. Cet effet est général, 
et n’a d'exception que quand il y a dans la fonte quelque défaut 
d'homogénéité. 

Quand la fonte du projectile est très-grise et douce , les fragmens 
ne se séparent pas tout-à-fait. La figure 41 montre quel est alors le 
mode de déformation, par l'exemple d’un boulet de huit tiré à la 
charge de la moitié de son poids. La partie antérieure, en rencontrant 
la maçonnerie , a été aplatie, tandis que le grand cercle, perpendi- 
culaire à Ja trajectoire, s'est renflé et a augmenté de diamètre d'une 
manière notable. La dépression de la surface antérieure s’étend jusqu'à 
un petit cercle de 0",074 environ de diamètre , placé à 0,087 du 
sommet postérieur, et à partir duquel commence le renflement, qui 
se propage insensiblement jusqu’au pôle postérieur, où la surface se 
raccorde avec la sphère de la forme primitive. 

Par suite de cette déformation, l'axe correspondant à la trajectoire, 
est réduit, de 0®,1095 qu'il avait avant le choc, à 0,098 ; c’est-à-dire 
qu'il est diminué de 0®,0045, tandis que le grand cercle perpendi- 
culaire a acquis un diamètre de 0®,1056 au lieu de 0",1025, ce 
qui correspond à une augmentation de 0*,0053. Le peu d'élasticité 
de la’ fonte n’a pas permis des compressions et des dilatations aussi 
grandes, ‘sans que la rupture s'ensuivit, et le projectile s’est fendu 
et partagé en plusieurs sections sphériques, dont dix sont bien ap- 
parentes, et dont les surfaces de séparation sont toutes dirigées sen— 
siblement dans des plans méridiens. 

5. Pénétration des projectiles dans des murs en pierre de taille 
de calcaire oolithique. Le choc des projectiles animés de grandes 
vitesses contre des murs en pierre de taille, cubant de un à deux 
mètres, a offert des circonstances fort remarquables, quant au mode 
de rupture des pierres. ” 

Lorsqu'un boulet avait frappé le milieu d’une pierre, le fond du 
trou, formé par le projectile, était entièrement mis à découvert par 
l'éclatement des parties latérales, et paraissait être devenu le sommet 
d'une pyramide à quatre faces, dont la base était la section faite 
dans la pierre choquée, perpendiculairement à la direction du tir. De 
sorte qu'après quelques coups tirés au milieu de chacune des pierres, 


SIXIÈME SECTION. 599 


le mur présentait l'aspect de ce que l'on nomme ordinairement une 
taille à pointes de diamant 

Or, on sait que ce mode de rupture est précisément celui qui 
se produit par la compression, et en comparant des cubes de la 
même pierre, ainsi brisés, on a reconnu une identité complète dans 
les formes et les inclinaisons des faces. 

Outre cette division par quatre plans inclinés , formant les faces d’une 
pyramide , chaque bloc est en outre partagé par un grand nombre de 
plans , qui se coupent tous suivant l'axe de la trajectoire. 

Ces éxpériences ont montré que des murs construits en blocs de 
pierre de taille de grandes dimensions , n'offriraient pas à l’action 
des projectiles , une résistance plus grande que de bonnes maconneries 
de moellons. 

6. Résuliat général du tir des projectiles contre les maçonneries. 
Les expériences faites sur le tir en brèche, exécuté contre la Citadelle 
de Metz, ont conduit à un résultat remarquable par sa simplicité; 
c'est qu'il faut, avec tous les calibres, le même poids de poudre 
et de fonte pour ouvrir une brèche, et que le nombre de coups 
est en raison inverse du calibre. On formule cette conséquence, en 
disant que, par mètre courant de brèche à ouvrir, il faut consommer 
50 kilogrammes de poudre et 100 kilogrammes de fonte. 

7. Pénétration des projectiles dans les terres. En pénétrant dans 
des terres végétales plus ou moins argileuses, les projectiles y forment 
un vide évasé à l'entrée, et dont la forme régulière est celle d’un 
solide de révolution, engendré par une courbe convexe vers l'axe. 
L'évasement du trou est d'autant plus grand vers l'entrée, que la 
vitesse: du projectile était plus considérable et la terre plus molle et 
plus argileuse ; il s’est élevé parfois à près de 4" à l'entrée. 

En examinant attentivement la surface intérieure de ce vide, on 
reconnaît qu'elle est déchirée dans le sens des-plans perpendiculaires 
à l’axe longitudinal, et qu'une partie de son contour a été touchée 
par le projectile. Si l’on relève avec soin des sections transversales 
du vide, et qu’on fasse, dans chaque section, la somme de tous 
les arcs qui portent des traces bien visibles du contact du projectile , 
on trouve que cette somme est constante et égale à la circonférence 
de ce corps; ce qui prouve que c’est en projetant latéralement les 
parties qu’il touche, que le mobile forme l'évasement du trou et 
explique comment il croît avec la vitesse de ce corps êt la mobilité 
du milieu. À 


Pour bien obseryer tous ces effets et pour en saisir les lois, on 


67 


530 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


a tiré dans un coffrage de 25 mètres quarrés de surface sur 3 mètres 
de hauteur, rempli de terre argileuse , et après chaque coup on relevait, 
avec le plus grand soin, toutes les dimensions des entonnoirs, qui 
restaient ordinairement bien formés. 

Œette opération, a d'abord fait reconnaitre un fait remarquable , 
c'est qu'aussitôt après le passage du projectile, la terre lancée nor- 
malement à sa surface , revient sur elle-même, et que les dimensions 
du vide diminuent notablement, dans un rapport qui a été trouvé 
moyennement égal à celui de 100 à 85. Ce fait résulte de ce que la 
terre glaise jouit, à un degré remarquable, d’une certaine élasticité , 
et qu'après avoir été comprimée elle revient sur elle-même, et est 
susceptible d'une certaine force de ressort. 

Nous verrons plus loin que l'observation de ces eflets conduit à la 
démonstration de la loi que suit la résistance du milieu , et nous allons 
auparavant continuer à signaler les autres phénomènes apparens du 
choc et de la pénétration. 

Dans les terres les boulets ne se brisent pas, mais les obus de 
24 , tirés à 40 ou 50" de distance , se brisent souvent dans des terres 
rassises de consistance moyenne, à la faible charge de 0kl,50 , et à celle 
de 0Kl,75 quand elles sont fraîchement remuées. L’obus de 8 pouces 
se brise dans les terres rassises , à la charge de 4, et dans les terres 
fraîchement remuées, à celle de 41,50. 

8. Pénétration des projectiles dans les sables. Lorsqu'un projectile 
pénètre dans du gravier fin ou gros sable, il se rayonne à sa surface 
antérieure à peu près de la même manière que dans la pierre , et les 
sillons offrent au moins autant de profondeur. Le frottement et la 
compression éprouvés par le métal et par le milieu développent une 
chaleur telle que le sable pulvérisé est desséché, recuit, et prend 
une couleur blanc grisâtre qui, depuis l'entrée du corps jusqu’au 
point où il s’est arrêté , remplit le trou par lequel il a passé et sert 
à le retrouver. La consistance de ce sable broyé est un peu moindre 
que celle de la masse environnante , la sonde y pénètre plus facilement, 
mais il remplit exactement le canal du passage. 

Au fond du logement du boulet, ôn sent encore après plusieurs 
minutes une chaleur qui s'élève parfois, au-delà de 30 à 40°. La 
température acquise par les projectiles pénétrant dans les terres est 
telle qu’un boulet de 24 ayant traversé un parapet et étant allé tomber 
à 40 mètres au-delà du point où il avait passé, un homme qui s’avisa 
de le ramasser aussitôt eùt les mains légèrement brulées. 

Le fond du trou est comprimé et présente toute l'apparence d’un 


SIXIÈME SECTION. 531 


moule en sable, qui a été recuit. La compression produite par le 
corps choquant ne s'étend d’ailleurs qu’à une fort petite distance 
égale au plus à 0,01 ou 0,02. 

Il arrive quelquefois que les boulets sont brisés par le choc dans 
le sable mélé de gravier. Cela est rare au premier coup, mais si le 
même boulet est tiré plusieurs fois de suite, même dans le sable le 
plus fin, il s'use par le frottement, perd environ GK1,045 par coup 
aux grandes vitesses et se brise après quelques coups. 

9. Pénétration des projectiles dans les bois. Le chêne se laisse 
moins pénétrer que le sapin et ne présente , après le passage du pro- 
jectile, qu’un vide à peine suffisant pour y introduire une sonde, 
même pour le. calibre de 24, qui a 0,449 de diamètre. Les fibres 
du bois se déplacent latéralement et se resserrent après le passage. 
Dans le sapin au contraire toutes les fibres choquées sont à peu près 
rompues. Mais l’écartement des fibres du chêne produit des déchirures 
longitudinales considérables, qui ont été de deux mètres de longueur ; 
avec les plus petits boulets tirés avec de faibles charges et des éclats 
de bois ont été lancés quelquefois jusqu’à 12 et 45 mètres, dans 
différentes directions , de sorte que les pièces de bois de chêne du 
plus fort échantillon peuvent être mises complétement hors de service 
d’un seul coup, tandis que dans le sapin l'effet se borne au vide 
des trous et ne fait que diminuer les dimensions des pièces de 
bois. 

40. Choc des projectiles contre des masses de fonte. Dans la des- 
cription des effets de ce tir, nous distinguerons ceux qui se passent 
au point de contact ou dans son voisinage et ceux qui se propagent 
à distance dans la masse choquée. Les premiers se rapportent prin- 
cipalement au projectile et à l'impression qu’il produit. 

Aux plus faibles charges et à des vitesses de 60 à 70® au plus 
par seconde , les boulets qui choquent une masse de fonte se brisent, 
en se partageant suivant des plans méridiens, comme dans les ma- 
conneries de roches calcaires. 

A la charge de +3 du poids du projectile , ou à la vitesse d'environ 
100 mètres le boulet se brise de la manière suivante. La partie an- 
térieure, qui choque le bloc de fonte, se déprime sur une étendue 
circulaire de 0%,065 à 0,070 de diamètre, qui devient la base d’une 
sorte de pyramide à cinq pans, dont le sommet paraît être au centre 
duprojectile. Autour de ce noyau se forment cinq fragmens principaux 
(fig. 4, 5 et 6), séparés par des plans méridiens, passant par son 
axe et appuyés sur ses faces. Les secteurs en glissant sur le noyau en 


532 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


rayent la surface en même temps que la leur, et ces parties présentent 
un aspect fibreux analogue à celui du fer nerveux. 

Dés que la charge atteint + du poids du boulet, ou la vitesse 150® 
environ; le noyau apparent que l’on trouve après chaque coup, au 
lieu d'être unique, est composé de plusieurs enveloppes de même 
forme, dont les axes ont la même hauteur, et qui en glissant les 
unes sur les autres sont venues successivement par leurs bases an— 
nulaires rencontrer le bloc et y produire des empreintes, Ge mouve— 
ment relatif des diverses enveloppes les unes sur les autres est ma- 
nifesté par les silluns que présentent leurs surfaces respectives, et 
surtout par la séparation complète des parties les plus voisines de la 
base, qui se débordent les unes les autres de plusieurs millimètres. 
Souvent une portion de ces enveloppes se brise, et met ainsi à 
découvert l'enveloppe suivante, de sorte que la simple inspection d’un 
noyau fait remarquer trois ou quatre enveloppes. Il y a tel boulet 
qui offre ainsi un noyau entouré de six à sept enveloppes dont les bases 
annulaires se dépassent de plusieurs millimètres (fig. 4, 2 et 3). 

Toutes ces surfaces sont de révolution autour d'un axe normal à 
la face choquée , et la courbe de leur profil générateur tourne toujours 
sa convexité vers l'axe. Quant à la longueur de cet axe elle diminue 
à mesure que la vitesse augmente, et ne paraît pas être la même pour 
toutes les enveloppes d'un même noyau. 

Les noyaux et leurs diverses enveloppes présentent un aspect fibreux 
analogue à celui du fer. Les sillons très-visibles , dont leurs surfaces 
sont chargées, paraissent en général dirigés suivant la ligne de plus 
grande pente, etse manifestent sur les faces extéricures et intérieures de 
toutes les enveloppes. Cette apparence n’est, comme on le pense bien, 
qu’un effet mécanique produit par le glissement des surfaces , les unes 
sur les autres, et les ruptures du noyau et de ses enveloppes offrent 
d’ailleurs le même grain que tous les autres fragmens du boulet. 

Ce déplacement si violent des molécules ne peut avoir lieu sans 
produire une élévation considérable de température , qu'il est dificile 
de déterminer. En examinant des boulets tirés à la charge de moitié de 
leur poids, on remarque que les bords tranchans des diverses surfaces 
enveloppes qu'ils présentent sont colorés en bleu. Si l’on admet avec 
Karsten que la fonte grise exige , pour parvenir à une même couleur, 
plus de chaleur que le fer, et que celui-ci atteigne le recuit bleu à 
à la température de 540 degrés, on voit que celle du noyau serait 
voisine de 600 degrés centigrades. 

Un autre eflet fort remarquable, c'est que, par suite de Ja violence 


SIXIÈME SECTION. 535 


du choc, l'élasticité des parties en contact, tant du boulet que de la 
masse choquée est totalement altérée et détruite. Dans toutes les ex- 
périences le projectile a été retrouvé tout prés du but ; mais de ce 
“que l'élasticité a été altérée aux points de contact, il ne s'ensuit pas 
qu'il 'en soit de même de la force de ressort développée dans la masse 
par sa flexion générale. 

41. Effets produits sur la masse choquée. Les parties du bloc, qui 
sont choquées par le projectile et par les enveloppes annulaires de 
son noyau, présentent l'empreinte de sa forme extérieure , comme si 
elles avaient été moulées l’une et l’autre. Cette empreinte forme la 
base d'un noyau de forme conique, qui est poussé dans l’intérieur de 
la masse. Autour de ce noyau principal, correspondant à celui du 
boulet , il se forme d’autres cônes enveloppes du premier dont les sur- 
faces se, rapprochent de plus en plus de la direction normale à la 
face choquée. En examinant l'empreinte des coups tirés avec des boulets 
de 24, à la charge de + et ? du poids du projectile , on remarque 
autour du cercle principal six à sept cônes annulaires, produits par 
l'action des surfaces enveloppes correspondantes du noyau du boulet. 
Ces zônes forment dans cette partie de l'empreinte des sillons dont 
la profondeur s'élève parfois jusqu’à trois ou quatre millimètres, et: 
va généralement en décroissant à mesure qu'elle s'éloigne du centre. 

La profondeur de ces impressions annulaires montre que les frag- 
mens du projectile, après avoir surmonté la résistance moléculaire de 
leur surface de rupture, sont encore animés d'une vitesse considérable 
et capables de produire des effets trés-meurtriers. 

Le noyau intérieur et les surfaces enveloppes de forme conique, qui 
sont produits par le choc, déterminent la rupture de la masse choquée. 
On conçoit, en effet, que ces diverses parties glissant successivement 
les unes sur les autres et sur les pre contiguës du bloc, elles forment 
autant de cônes, qui tendent à s’insérer dans la masse, et comme celle-ci 
est sensiblement incompressible , il faut qu’elle se fende suivant des 
directions normales aux cercles de base du noyau de ces enveloppes, 
pour leur livrer passage. 

A mesure que la vitesse du projectile est plus grande, les effets de 
rupture deviennent plus sensibles , et la masse choquée se brise en frag- 
mens de plus en plus nombreux, qui, par suite de l’action du coin et 
de la force de ressort développée par la flexion générale de la masse, sont 
parfois lancés à de grandes distances. Ainsi l'élasticité , qui paraît avoir 
été totalement détruite au point de contact , où les flexions ont dépassé 
“les limites d'extension que la matière peutsupporter, n'a pas subi la même 


534 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


altération à une certaine distance , où l'amplitude de ces flexions a été 
beaucoup moindre. Mais, outre les ruptures qui se produisent dans le 
voisinage de l’empreinte , et qui sont déterminées par le prolongement 
des fissures qui se forment à son contour, il s'en produit d’autres à 
des distances considérables du point choqué, par suite des vibrations 
générales , qui se propagent dans la masse. 

Ces résultats remarquables prouvent que le choc des boulets contre 
la fonte, produit deux effets bien distincts, l’un de compression au 
contact , par suite duquel l'élasticité des parties choquées est détruite , 
Vautre de flexion générale par suite duquel l’élasticité de la masse choquée 
est mise en jeu, et peut, selon les rapports des masses , des vitesses 
et des dimensions , être totalement altérée, comme dans le cas de la 
rupture. Par suite de ce dernier effet, il se forme dans la masse cho- 
quée des nœuds et des ventres de vibration , et lorsque l'amplitude des 
oscillations dépasse les limites que peut supporter l'élasticité de la ma- 
tiére , il se produit dans les ventres des ruptures ou des solutions de 
continuité plus ou moins prononcées. 

12. Mode de rupture des boulets qui se choquent. Aux détails que 
nous venons de donner sur Ja rupture des projectiles et des masses 
qu'ils choquent, il ne sera sans doute pas inutile d’ajouter quelques 
mots sur celle des projectiles qui se choquent entr'eux. 

Lorsque deux boulets se rencontrent avec de faibles vitesses, ils se 
compriment réciproquement aux environs du point de contact, de ma- 
nière à former une surface plane de contact. Cet aplatissement est 
presque toujours suivi de la rupture suivant des plans méridiens. 

Mais à de plus grandes vitesses, le mode de rupture change : le point 
choqué et déprimé devient légèrement concave , et présente la forme 
d’un pentagone sensiblement régulier, qui sert de base supérieure à une 
pyramide tronquée à cinq faces légèrement concaves , dont la base infé- 
rieure est un pentagone sphérique. (fig. 7 et 8). 

Lorsque le plan tangent aux points de contact est normal à la direc- 
üon du choc, la pyramide est droite; lorsqu'il est oblique, elle est 
biaise. C'est la seule différence que l’on observe entre tous les boulets 
qui se sont brisés quel que soit d’ailleurs leur calibre. Le défaut d’ho- 
mogénéité de la matière altère souvent la régularité des faces; mais 
quant à la forme générale elle paraît tellement soumise à une même loi, 
que sur deux cent cinquante boulets ainsi brisés , retirés de la butte du 
polygone de Metz en 4854, il n'y a eu qu'une seule exception offerte 
par un boulet, qui avait sept faces de rupture, au lieu de cinq: 

13. Mode de rupture des obus qui se choquent. Lorsqu'un obus est 


SIXIÈME SECTION. 535 


choqué par un autre ou par un boulet animé d'une assez grande vitesse, 
le choc détermine d’abord l’aplatissement des surfaces extérieures dont 
la courbure dépend du rapport des masses et du calibre. Cette em- 
preinte forme la base d’un noyau conique dont le sommet est à l’in- 
térieur , et qui détermine autour de lui la formation de surfaces en- 
veloppes de forme aussi conique, mais dont le sommet est extérieur. 
Quand la vitesse est suflisante , le noyau n'offre guère qu’une surface 
de rupture lésérement conique, dont les deux bases extérieure et 
intérieure ne diffèrent pas beaucoup lune de l’autre ; maïs si la vitesse 
est moindre , la base extérieure du noyau est beaucoup plus petite 
que la base intérieure , il est étranglé vers le milieu de sa longueur. 
Sa surface est fibreuse vers l'extérieur et grenue à l’intérieur, ce qui 
montre qu'après un léger déplacement du noyau conique ;, il s’est formé 
intérieurement une surface de rupture par arrachement. Dans ce cas, 
si l'obus n’est pas brisé, le noyau chassé en dedans ayant sa base in 
térieure plus grande que l’extérieure , on ne peut le retirer. Enfin, si la 
vitesse est encore moindre , l’obus n'offre à l'extérieur qu'une dépres- 
sion de sa surface avec ou sans ouverture apparente. Cependant en le 
secouant , on reconnaît la présence d’un noyau de rupture dé forme 
conique, dont le sommet se trouve vers le centre de la face de dé- 
pression et dont la base circulaire plus étendue que cette face s'appuie 
à la surface intérieure de l’obus. 

Enfin toutes les fois que l’obus est brisé et qu'il ne présente pas 
de défauts notables, le plan méridien qui passe par le point choqué 
et par l'œil étant celui de moindre résistance , la rupture à toujours 
lieu dans ce plan. 

44. Choc des projectiles contre le fer forgé. Les projectiles qui 
choquent des masses de fer forgé se brisent d'une manière semblable 
à celle que nous venons de décrire pour le cas où la masse choquée 
était en fonte. 

45. Effets produits par la musse choquée. Les expériences ont été 
faites sur des plaques de fer corroyé de 0,036 , 0,048 et 0®,077 
d'épaisseur de 0,40 à 0,45 de largeur et de 47,30 à 1",50 de 
longueur, appliquées contre un bloc de chêne de 0,20 d’équarrissage. 

Aux faibles vitesses la plaque n’est pas brisée, il s’y forme une 
empreinte à peu près hémisphérique, et par la réaction du bois le 
projectile est souvent rejeté à une assez grande distance. Mais à 
mesure que la vitesse augmente les impressions deviennent plus profon- 
des , et la plaque est traversée. Ainsi une plaque de 0,056 l'a été par 
un boulet de 12 à la vitesse de 180% environ, une autre de 0,048 l'a 


536 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


été par un boulet de'même calibre à la vitesse de 365" environ , et une 
troisième de 0,077 T'a été par un boulet de 24 à la vitesse de 450". 

Les pibiccilés se brisant en formant des noyaux de rupture avec 
enveloppes annulaires , les empreintes présentent des formes sem- 
blables en creux, et le métal étant ici malléable, il se produit sur 
les bords des refoulemens et des déchiremens symétriquement répartis 
d’un eflet très-remarquable. 

La chaleur qui se développe pendant le choc donne au fer une 
belle couleur bleue très-prononcée. 

46. Choc des propectiles contre une masse de plomb. Un projectile en 
fonte, qui pénètre dans une masse de plomb , à des vitesses inférieures 
à 200 ou 250% ne se brise pas et forme dans la masse un vide de 
forme régulière. Le métal refoulé par la pression du boulet se porte 
à l’extérieur , et l'ouverture du trou, eu s'évasant, se déchire et pré- 
sente à l'extérieur une bordure dentelée analogue aux feuilles d’acanthe 
du chapiteau corinthien. L'éclat du métal , la symétrie des formes et 
la régularité du vide donne à ces eflets un aspect tout à fait agréable, 
(fig. 9 et 40). 

A de plus grandes vitesses , le projectile se brise et ses fragmens sou- 
vent très-nombreux altérent la régularité de la partie intérieure du 
vide, mais sa partie extérieure présente alors des bordures beaucoup 
plus belles et plus développées. Un coup tiré à la vitesse de 380" 
ezviron a donné un trou de 0®,280 de diamètre, à peu prés double 
de celui du projectile. Le boulet du calibre de 24 a été brisé en plus 
de cent morceaux et la pénétration n’a pas été de plus de 0",16. 

Un boulet de 8 tiré à la vitesse de 315", qui a été mis sous les 
yeux du congrès , s’est fendu en quatre fragmens principaux selon 
des plans méridiens (fig. 42 et 43). Les deux plus gros offraient en 
outre des fissures dans lesquelles le plomb comprimé par le boulet 
s'est introduit. 

La face antérieure a été fortement déprimée et aplatie de 0”,009, 
sur une zône annulaire, dont le rayon intérieur est d'environ 0",035 
et le rayon extérieur de 0,065. Cette portion de la sûrface du 
boulet présente des courbures concentriques formées par le plomb, 
qui s'y est logé. 

Le métal le plus dur à donc été non-seulement brisé äans le choc, 
mais encore sa surface a été déprimée et refoulée par celui qui était 
d’abord le plus mou. 

47. Lois mathématiques de la résistances des divers milieux à la 
pénétration des projectiles. 1] ne nous est pas possible d'entrer ici 


SIXIÈME SECTION. 837 


dans l'explication détaillée des diverses considérations à laide des 
quelles nous sommes parvenus , en nous basant sur les résultats de 
l'expérience , à établir les lois mathématiques de la résistance que les 
milieux solides et mous offrent à la pénétration des projectiles. Nous 
nous bornerons à indiquer succinctement la marche que nous ayons 
suivie et les conséquences auxquelles nous sommes arrivés. 

48, Relation entre la force vive du projectile et le volume de 
Timpression. Ayant, dans toutes nos expériences ; releyé avec soin les 
profondeurs de pénétration et des profils exacts de la forme des 
trous produits par les projectiles dans les roches calcaires, les ma- 
conneries de moellons , les bois, la fonte, le fer et le plomb, nous 
avons pu calculer pour chaque coup le volume correspondant de l’im- 
pression ou du vide formé. Puis, en comparant ce volume à à la force 
vive du projectile ou au produit de sa masse par le quarré de sa 
yitesse, nous ayons reconnu que 


Le rapport de la force vive du projectile au volume de lim 
pression est une quantité constante , 


dont nous ayons déterminé la valeur pour les milieux soumis à l'ex- 
périence. Elle est pour 


Les roches dures de calcaire oohihique.......….. 8350000 
Les maconneries de moellons avec chaux de Metz... 4 620 000 
Eetbois detchédez D. 114800. SUD, A7, PRUIOE, C2 31008 000 
Le bois de sapin. ......:.................. 1970 000 


La Monte. -LaeC Red. -Eecr l'es. Le 164600 000 


Le plomb.................................. 22 155 000 


49: Lors de la résistance éprouvée par les projectiles. Examinant 
ensuite et discutant les profondeurs de pénétration obtenues dans les 
divers milieux, et surtout les résultats des expériences sur la terre 
argileuse, qui avait présenté des entonnoirs de forme si remarquable, 
nous ayons reconnu que la résistance devait être exprimée par deux 
termes, l’un indépendant de la vitesse du projectile , l'autre pro- 
portionnel à une puissance de la vitesse. 

Des expériences directes sur la pénétration et le mouvement des 
projectiles animés de faibles vitesses dans les divers milieux, nous 
avaient déjà appris que, dans ce cas, la résistance ‘est indépendante 
de la vitesse et d’un autre côté la forme des entonnoirs produits dans 
les terres montrait évidemment qu'aux grandes vitesses la résistance 
devait être dépendante de la rapidité du mouvement. 


63 


538 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Il paraissait d'ailleurs naturel d'admettre que cette résistance devait 
être proportionnelle à l'aire du grand cercle du projectile. 

D'après ces considérations, nous ayons supposé que la résistance 
de ces milieux était 

1° Proportionnelle à l'aire du grand cercle du projectile , 

2 Proportionnelle à un facteur composé de deux termes, l’un 
indépendant de la vitesse, l’autre proportionnel au quarré de cette 
vilesse. 

De sorte qu'en appelant 
D le diamètre du projectile, 

p son poids, 

S sa densité, } 

d, la densité du milieu, 

V et v les vitesses du projectile à son arrivée au but et à un instant 
quelconque de sa pénétration, 

e la profondeur de pénétration au même instant, 

æ et B des coëéfliciens constans dépendant de la nature du milieu, 

R la résistance éprouvée par le projectile à l'instant que l’on considère, 
On a, dans cette hypothèse, 


rD? 
R= — (2 v?). 
F (2 + 820?) 


Le principe des forces vives nous donnait d'ailieurs 


D 
= La "= Fée ES w*)de, 
D 


équation dans laquelle l'intégrale doit être prise depuis » = 0 jusqu’à 
v—= V. 

L'expérience nous ayant appris que la force vive est proportionnelle 
au volume de l'impression, on avait aussi 


P NEUF, VE a 
AU 1) = ak Jade, 


En nommant 
2k le rapport de la force vive au volume de l'impression , 
d le diamètre de l’entonnoir en un point quelconque de la péné- 
tration. 
De ces formules on déduit, d’une part, l'expression de la pro- 
fondeur de pénétration twtale en fonction du diamètre et de la vitesse 


SIXIÈME SECTION. 539 


du projectile, 
1 DS : 4 
e— 5, X 2,3026 log (a Æ89,V?), (4) 
et de l'autre l'équation du profil de la courbe génératrice du vide 
de l'impression , 


x BT, 3 Bad 
Ë 1 Lapaÿ 9 2 Rene EN le 
Log d log D + = 108 (x + K V ) 2 2,3026D4 É ( ) 


En comparant ensuite ces deux formules avec les profondeurs de 
pénétration observées, et avec la forme des entonnoirs relevés dans 
la terre argileuse, nous avons déterminé les valeurs des coëfficiens 
constans « et 89, de la résistance, puis nous ayons vérifié que la 
courbe , représentée par l'équation (2), étant construite et rapprochée 
des profils relevés, elle représentait , comme une sorte de moyenne, 
tous les résultats de l'expérience. Nous avons ensuite calculé les pro— 
fondeurs de pénétration déduites de la formule (1), et en Les compa- 
rant avec celles qui avaient été observées , nous avons reconnu que cette 
formule reproduisait ces dernières avec toute l'exactitude désirable. 

Cette discussion se trouve détaillée dans un mémoire que nous 
avons adressé au ministre de la guerre, et qui a été inséré dans le 
quatrième numéro du Mémorial de l'artillerie, publié par les siins 
du comité de cette arme. 

Il résulte donc de ces deux modes de vérification ,; que l’hypothése 
que nous avions admise sur la loi de la résistance est conforme à la 
nature, et que toutes les conséquences que l’on en déduit sont com- 
plétement d'accord avec les faits. 

En résumé l’on voit donc que dans le choc, la rupture et la pé- 
nétration des projectiles dans des corps durs ou mous ; les phénomènes 
qui s’accomplissent dans des espaces de temps si courts et ayec des 
circonstances qui, au premier abord, ne semblent pas de nature 
à être soumises au calcul, sont cependant assujettis à des règles, à des 
lois mathématiques simples, comme tous les autres phénomènes de 
la nature. 


540 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


RECHERCHES 


SUR 


LA PLUS GRANDE VITESSE QUE L'ON PEUT OBTENIR PAR 
LA NAVIGATION AÉRIENNE, 


Par I. DIDION, capitaine d'artillerie. 


Serait-1l possible de perfectiormer l'art aérostatique par une meilleure 
combinaison des moyens employés jusqw’ici, pour élever les aérostats 

x T1 ,? 

et pour les diriger: 


À une époque où le génie de l'homme a déjà su se créer des 
moyens rapides, de transport sur terre et sur mer, lorsque sur le 
dernier de ces élémens il emploie, comme force motrice, la vitesse 
dont l'air. est sans cesse animé, et qu'il est parvenu à s’avancer ainsi, 
lors même que le vent, dirigé en sens opposé à la route qu'il veut 
suivre, semble devoir le faire reculer ; lorsque plus récemment il a su 
employer la force de la vapeur pour suppléer à limpulsion de l'air, 
et obtenir ainsi une vitesse régulière en se rendant indépendant du 
caprice des vents ; Jlorsqu'enfin sur terre il a su, en appliquant ce 
même moteur au transport des voitures sur des rails en fer, qui forment 
nos routes d'invention moderne, et qu'il a pu arriver à des vitesses 
qui dépassent déjà celles qu'il n'avait pas osé ambitionner, et que rien 
ne l’empéche de les augmenter encore ; il ne sera pas sans intérêt d’exa- 
miner si un troisième élément, qui offre au mouvement des corps, des 
résistances beaucoup moindres que l'eau , si l'air, qui existe tout autour 
de la surface de la terre, sans ggterruption, sur des hauteurs considé— 


SIXIÈME SECTION. 54Â 


rables et qui ne nécessiterait, par conséquent , aucuns des dispendieux 
travaux qu’exigent l'établissement du moindre chemin de fer, si law, 
dis-je, ne pourrait pas servir à une navigation nouvelle, quand. nous 
voyons des animaux s'y mouvoir avec une grande vitesse et sans grands 
eflorts apparens. 

Le désir de se transporter dans l'air a dû naître très-anciennement , 
et l'on a cru en trouver le moyen en imitant le vol des oiseaux. Les 
poètes, sans doute, ont cru à la possibilité de réussir; ils nous en 
donnent la preuve dans le récit qu'ils font du voyage d'Icare et 
de la chûte de l’imprudent, qui provenait selon eux , non pas de ce que 
les moyens employés étaient défectueux , mais de la faute du voyageur, 
qui, disent-ils, s'était trop approché du Soleil, et fit ainsi fondre la 
cire qui servait à attacher les plumes de ses ailes. 

On est généralement porté à croire maintenant que l'homme, qui 
n'a pas une disposition naturelle propre à ce mode de locomotion , 
ne peut y suppléer par des moyens artificiels ; et l'histoire est rem- 
plie des faits d’inventeurs malheureux, qui n'ont pas même pu s'em- 
pêcher de tomber si rapidement qu'ils ne fussent victimes de leur 
invention. 

Nous allons rechercher à quelles conditions doivent satisfaire des 
machines qui puissent servir au transport à travers les régions un 
peu élevées de l’atmosphère, et quelle vitesse il serait possible de leur 
communiquer. 

Le poids moyen d'un homme étant de 65%, cet homme, pour se 
soutenir en l'air, doit exercer un effort continu égal à ce poids. Il 
l'exerce facilement à l'aide de ses pieds, quand par exemple, il 
s'élève en marchant sur un escalier ou sur une échelle, qui lui offrent 
un appui solide ei fixe, ou même à l’aide de ses bras.  - 

Pour que l'homme puisse produire le même effort en utilisant la 
résistance que l'air oppose au mouvement des corps ; il faudrait qu'il fit 
mouvoir des surfaces étendues dans un sens opposé à la direction de la 
pesanteur , c'est-à-dire de haut.en bas, et le mouvement devrait être 
d'autant plus rapide que les surfaces auraient moins de superficie. 

Les expériences faites récemment pour connaître l'intensité dé cette 
résistance, nous ont montré qu’elle est proportionnelle à leur étendue, et 
qu'elle croît à peu près comme le quarré des vitesses tant que celles-ci 
ne sont pas trés-grandes; que dans le mouvement uniforme, pour une 
surface plane de un mètre carré. et pour, des vitesses de un mètre à 
dix mêtres par seconde, elle est égale à 0k,056., augmenté du produit 
de:0k,084 par le quarré de la vitesse; et qu'elle est à peu prés 


542 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


double sur des surfaces concaves comme celle des parachütes , et seu— 
lement les trois quarts sur des surfaces convexes comme celle du para- 
chute renversé ; nous partirons de ces données et nous nous servirons 
de cette règle, en l’étendant au besoin, pour calculer les résis— 
tances. 

L'homme qui produit la plus grande quantité de travail d'une ma- 
nière continue est celui qui monte un escalier ; il s'élève avec une vitesse 
de 0,15 par seconde, et fait bien alors l'effort nécessaire 65*; en 
recherchant quelle devrait être l'étendue de la surface convexe animée 
de cette vitesse pour produire une pression équivalente à 65*, on la 
trouve égale à plus de 600 mètres carrés. Cette étendue est énorme, et 
encore faudrait-il que la surface fût double afin que l’une püt étre 
relevée pendant que le mouvement de haut en bas de l’autre, servirait 
à soutenir le corps de l’homme, je dis soutenir, car il n°y aurait pas 
ascension du moteur. 

Une vitesse, même beaucoup plus grande, nécessiterait encore une 
grande surface ; un manœuvre exercé poussant et tirant alternativement 
dans le sens vertical et agissant avec une vitesse de 1",10 par seconde, 
exige encore une surface égale à environ 2452, Mais avec cette vitesse 
le moteur ne produit qu’un effort continu égal à 5k, lequel n’est suscep- 
tible de soutenir que L seulement du poids d'un homme. 

On voit ainsi qu'une vitesse aussi grande que celle qu'on emploie dans 
des travaux continus , ne permet qu'un eflort bien au-dessous de celui 
qui est nécessaire , et l'on ne peut pas espérer qu'avec des combinaisons 
de leviers, de communication de mouvement, on puisse, en agissant 
avec une vitesse moindre afin de produire une plus grande quantité de 
travail, n’ayoir besoin que de surfaces d'une étendue modérée; consi- 
dérons toujours pour le faire voir l’homme dans l’un des modes habituels 
de l'emploi de ses forces. 

Un manœuvre agissant à une manivelle, exerce un eflort de 8k avec 
une vitesse de @",75 par seconde ; à l’extrémité d’un levier dix fois 
plus long que celui auquel il l'applique , un effort de 0k,8 fera équi- 
libre au premier ; avec la vitesse 7,50 de ce point la surface devrait être 
égale à 0®2,168. Mais au point d'application de la force, celui où est 
appliqué le moteur, il n’en résulte qu’un effort de 8*; et en le suppo- 
sant toujours exercé de haut en bas, il ne serait susceptible que de 
faire équilibre à un poids de moins de + seulement de celui de l’homme. 

Lorsque nous ayons supposé les pieds de l'homme armés de ces 
énormes pédales dont nous avons calculé l'étendue, pour produire avec 
une vitesse de 0,15 un eflort égal à son poids, nous ayons négligé 


SIXIÈME SECTION. 545 


l'effort à faire pour relever le pied et la pédale de la quantité dont 
l’autre pied descend ; on peut bien imaginer des dispositions conve- 
nables pour diminuer la résistance, mais non pour l’anéantir ; et par 
conséquent, même avec ces énormes ailes, l’homme ne pourrait se 
soutenir; la descente du moteur et de la machine serait inévitable. 

Pour qu’il n'en fût pas ainsi, il faudrait que le moteur eût un poids 
moindre relativement aux efforts dont il est susceptible, et pour que 
les surfaces n’eussent pas une étendue trop considérable , il devrait être 
constitué de manière à les faire mouvoir avec une grande agilité. LeS 
oiseaux que nous voyons sillonner l'air en tous sens avec une si grande 
vitesse satisfont à cette condition. 

Lorsque dans les temps peu éloignés de nous, les progrés des sciences 
chimiques eurent fait découvrir, dans le gaz hydrogène, un fluide aéri- 
forme treize fois plus léger que l’air atmosphérique, ‘on entrevit la pos- 
sibilté de se soutenir dans l'atmosphère , en renfermant dans une 
enveloppe trés-iégère un volume d'hydrogène assez grand, pour que la 
différence de son poids avec celui du volume d'air qu'il déplace fût 
égale au moins au poids d’un homme , augmenté de celui de l'appareil. 
qui le supporte, et du ballon qui contient le gaz. 

Le problème était donc résolu en parte ; l’homme soutenu dans les 
airs, ayant vaincu la pesanteur, n’ayait plus besoin d'appliquer ses forces 
pour produire cet effet ; elles restaient libres > et il lui devenait possible 
de les employer à opérer des mouvemens horizontaux et à se diriger en 
tous sens. Il lui suffisait, pour s'élever plus ou moins, d'augmenter le 
volume du ballon ou de diminuer le poids qu'il supporte, en abandon- 
nant une partie du lest dont il était chargé. 

Examinons quels effets pourraient ainsi produire les forces musculaires 
de l’homme , et d’abord cherchons quelles doivent être les dimensions 
d’un ballon destiné à en supporter un seul; le’ poids de la nacelle 
avec la ficelle pesant au moins 5k, le poids total à supporter par le 
ballon sera d'environ de 70%. 

Un mètre cube d'air atmosphérique , à la température de zéro et à 
une pression de 0®,76 de mercure pèse 4k,300 , tandis que le même 
volume de gaz hydrogène impur et humide » tel qu'on le fabrique pour 
l'usage en grand, pèse 0,100 ; la différence 1K,200 est le poids que 
pourrait soutenir dans l'air 4%5 de ce gaz. Mais comme l'air et le gaz 
seraient soumis dans les régions plus élevées à une pression moins 
grande , leur densité y serait moindre ; la différence due aux pres- 
sions ainsi qu’à celle qui provient de la différence des températures, 
variant dans le même rapport pour les deux fluides, la différence de 


544 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


leurs poids sera aussi la même; seulement le volume du ballon sera 
plus considérable et dépendra de son élévation. 

Comme il faut être au-dessus des saillies ordinaires du terrain, on 
peut compter sur une hauteur de 800" au-dessus du niveau de la mer ; 
la pression sera alors de 0,9 de la première ; si de plus la température 
est de 40°, il en résultera que le poids 0*,100 au lieu d'occuper 1475 
aura un volume de 45,15 et par conséquent 1"5 de gaz ne pourra 
faire équilibre qu'à un poids de 4k,04; le poids de 70k exigera donc 
un volume de 665,2 qui est celui d’une sphère de 5,04 de diamètre. 
Mais il faut encore tenir compte du poids de l’enveloppe; or le mètre 
carré du tafetas verni qu'on emploie ordinairement à cet usage pése 
0k,250, de sorte que le diamètre du ballon supposé sphérique , devra 
être 5,59. 

Pour des poids plus considérables, le diamètre du ballon croîtrait 
aussi, et en cherchant les dimensions des ballons qui devraient sou- 
tenir un plus grand nombre d'hommes, on trouve que 
Pour un nombre d'hommes de 1 2 3 A 5 6 ri 8 9 10 
Ou pour des poids, y compris la 

nacelle de (en kilogrammes;, 70 140 210 250 350 420 490 560 630 700 
Le diamètre devrait être (en met.) 5,59 6,88 7,74 8,50 9,14 9,16 10,15 10,60 11,01 11,30 

A l’aide de ballons de ces dimensions, le moteur est soutenu dans 
les airs , mais il est encore incapable de mouvement , et dans cet état 
il serait entraîné par les courans d’air quelque faibles qu'ils fussent. 
On a pensé que pour se diriger dans l'air on pourrait s'élever jusqu'a 
ce qu'on renconträt un courant dirigé dans le sens du mouvement 
que l’on veut prendre ; il arrive.souvent en effet que dans l’atmos- 
phère, il existe des courans opposés, et l’on pourrait alors se faire 
transporter dans l’un ou l’autre des deux sens; mais il serait rare que 
l’un des deux füt justement celui dans lequel on se propose d'aller; 
comme on serait, au reste , toujours incertain de rencontrer ce courant, 
il n’est pas possible de compter sur ce moyen pour se diriger. 

On a dù songer à employer, pour le faire, la force motrice du na- 
vigateur ; il est facile d'imaginer des systèmes de rames, en étofle 
légère, se resserrant par l’eflet même de l'air, quand on les fait 
mouvoir dans le sens du mouyement, et s'étendant au contraire 
lorsqu'on les fait mouvoir dans le sens opposé et construites à peu 
près comme des pattes d'oie; ou bien des roues à palettes mobiles 
qui, comme celles des moulins à vent à la hollandaise, se placent 
perpendiculairement à la direction du vent sur un des côtés de la 
roue et dans le sens du courant sur la partie opposée , pour produire 


SIXIÈME SECTION. 545 


ainsi constamment des pressions dans le même sens; par ce moyen 
on appliquerait la force motrice en se servant de la résistance de 
l'air en certains points pour la vaincre dans d’autres, comme on le 
fait dans la navigation à la rame sur l’eau *. L'aréonaute alors soutenu 
dans sa nacelle par le ballon, traînerait celui-ci à sa suite. : 

De cette manière quelle que soit la force motrice développée , elle 
sera susceptible de communiquer un certain mouvement au ballon , et 
certes dans un air parfaitement tranquille on pourrait ainsi naviguer. 
Il est important de savoir quelle est la plus grande vitesse qu'il serait 
possible d'obtenir. Le ballon sphérique qui porte un homme deyant 
avoir 5®,59 de diamètre, offre une superficie de 242,25, et un homme 
faisant effort à une manivelle, agissant ainsi à peu près comme à 
une rame, exerce une pression de 8* avec une vitesse de 0,75 par 
seconde ; il produit dans ce temps une quantité de travail de 64m, 
et cet eflet doit être transmis au ballon. Mais comme il y a toujours 
des pertes de force motrice , par suite des chocs ou des flexions 
des pièces du mécanisme , on ne Peut guëre compter que, comme 

- dans les meilleures machines, sur # de l'effet, ce qui ferait pour le 
ballon 4*®,8 par seconde ; et si l'on calcule d'aprés les résultats des 
expériences , la vitesse uniforme pour laquelle la résistance que l'air 
exercerait sur le ballon serait égale à l'effet exercé par l'homme, on 
trouve 4,77 par seconde **. 

* On ne parle pas ici des conditions auxquelles devrait satisfaire lappareil ni de sa position 
par rapport au ballon, le but de cette note étant de calculer ce que l’on peut attendre de 


Yemploï des forces motrices connues appliquées à la navigation aérienne et quelle que soit 
l’excellence des moyens employés. 


** En représentant par V le chemin parcouru dans une seconde, et par R la résistance que 
le ballon éprouve par suite de son mouvement dans l'air avec cette vitesse, VR sera la quan- 
tité de travail de la résistance; elle devra être égale à celle du moteur et l 


4xn,8 
VR = 4in,s ou V = & 
D’après les expériences connues, la résistance croît à très peu près pour les vitesses de 1m 
à 5® proportionnellement au quarré de cette vitesse et à la superficie, et elle est sensiblement 
égale au produit de ces quantités multiplié par 0,0375 kilogramme, De sorte que la résis- 
tance R étant remplacée par 


on aura, 


» 


mD*° . : 
Er X 0<,0375 
on detra avoir . 
= cab ne à 2 nt dl 18 
242,25 X 0,0375 XV? ? 
. y: cé 4x,8 


24,25 X 0,0375 
= 17377 69 


d’où 


d’où enfin 


546 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


On voit ainsi que la vitesse avec laquelle un homme, placé dans 
une nacelle suspendue à un ballon d'un volume suflisamment grand 
pour faire équilibre à son poids à 800 mètres de hauteur au-dessus 
de la mer, pourrait s’avancer à l'aide d'un appareil aussi parfait qu'on 
puisse l’imaginer, n’est pas très-considérable ; mais encore la quantité 
de travail du moteur ne peut guère être produite que pendant huit 
heures par jour avec des interruptions , et pour faire un trajet de 
quelque étendue, il faudrait aux moins deux hommes ne travaillant 
qu'alternativement. 

Cette vitesse obtenue, sur terre ou sur les eaux tranquilles, et 
correspondant à 6 kilomètres £ environ par heure, aurait déjà une 
utilité notable ; elle serait égale à celle d'un bon marcheur, et plus 
grande que celle des forts courans des rivières. Mais dans l'air, 
elle laisserait l'aéronaute soumis aux mouyemens de l'atmosphère. 

Si le navire aérien était destiné à porter un plus grand nombre 
d'hommes, les dimensions du ballon devraient être plus considérables ; 
mais comme le poids qu'il peut porter, et par suite la puissance 
motrice qu'il peut recevoir, croit plus rapidement que les cubes des 
rayons, et que la résistance pour une même vitesse croît sensiblement 
comme les superficies ou comme les quarrés des rayons , il en résulte, 
qu'avec un plus grand ballon, on pourra obtenir une plus grande 
vitesse ; voici ce qu’un calcul semblable au précédent fournit pour 
les ballons susceptibles de porter plusieurs hommes. 

Pour un nombre d'hommes de 4 2 3 4 5 6 7 8 9 10 
Le diamètre étant (en mètre) 5,59 6,88 7,74 8,50 9,14 9,66 10,15 10,60 11,01 41,30 
Les forces motrices (en km.) 4,80 9,60 14,4 19,2 24,0 28,8 33,6 38,4 43,20 48,0 


Les vitesses qu’il est possible d’ob- ’ 
tenir sont (en métrepar seconde) 1,77 1,91 2,04 2,09 2,14 2,18 2,22 2,24 2,30 2,34 


On voit par là que, même avec des ballons de très-grandes 
dimensions, la vitesse que l’on peut obtenir est toujours très-faible. 
Cette vitesse serait encore plus faible dans un trajet d’un jour, 
et pendant lequel le moteur ne pourrait agir que la moitié et même 
le tiers du temps, à cause du repos qui lui est nécessaire. 

On doit remarquer en second lieu que, lorsqu'une force motrice 
est communiquée à une masse par l'intermédiaire de la résistance 
qu'un fluide oppose au mouvement des corps, la vitesse com-— 
muniquée en pure perte à une partie du fluide diminue consi- 
dérablement la quantité de trayail transmise à ce corps; c'est ainsi 
qu'une machine à vapeur, placée sur un bateau pour lui communiquer, 
à l’aide de palettes, une vitesse ordinaire, ne produit que le tiers 


SIXIÈME SECTION. 547 


de l'effet qu’elle donnerait si elle était employée comme machine de 
hallage ; en adoptant ce même rapport pour la navigation aérienne, 
on,Voit que, par ces deux raisons , la force motrice se trouve réduite 
au sixième de ce que nous l’ayons supposée, et que les vitesses le seront, 
par conséquent, comme les racines cubiques de cette fraction , et égales 
à un peu moins des trois cinquièmes des premières; ainsi, pour un 
ballon portant 


Un nombre d'hommes de 1 2000 A 5 6 7 8 9 10 
Les vitesses seraient (en mètres) 1,05 4,13 4,21 1,24 1,27 1,29 1,32 1,34 1,36 1,39 


et par suite dix hommes portés par un ballon de dimensions suffisantes, 
pourraient à peine s'empêcher d’être entraînés par le vent dés qu'il 
deviendrait sensible, et le seraient avec une vitesse de 02,60 par 
seconde, par un vent même modéré. 

Ce qui laisse à l’homme, tout en s’'aidant de la puissance des moyens 
artificiels que son génie à pu créer, une si grande infériorité relative— 
ment aux oiseaux , tient au rapport de son poids à la force motrice qu'il 
est capable de produire, lequel est beaucoup plus grand chez lui 
que chez les oiseaux, et fait qu’il ne peut se procurer que des vitesses 
de transport inférieures à celles de sa marche sur terre. 

IL est facile de voir que l'emploi d'autres moteurs animés, ne 
produiraient pas plus d’eflet, car si le cheval, par exemple; est capable 
d’une force motrice environ sept fois plus grande que celle de l'homme, 
son poids étant à très-peu prés dans le même rapport , il se trouverait 
inférieur à l'emploi de sept hommes, puisqu'il faudrait ajouter à son 
poids celui de l'appareil propre à transmettre le mouyement aux 
rames. On ne peut pas compter non plus sur l'emploi des machines à 
vapeur ; car quoique dans les locomotives d’une force de 30 à 40 che- 
vaux le rapport du poids à la force motrice , soit moitié moins grand 
que chez l’homme , dans celles de moindre force ce rapport ne serait 
plus aussi favorable. 

On peut encore, pour naviguer, se servir de l'ascension et de la 
descente même du ballon en l'armant de grands plans inclinés; on 
produirait la descente par une compression exercée sur la surface du 
ballon pour en augmenter la densité, puis on changerait le sens de 
l'inclinaison des plans dans la remonte qu'on obtiendrait en rendant 
au ballon son volume primitif. Ces oscillations verticales ayant lieu 
dans les environs de la couche où le ballon est en équilibre, ne peu— 
vent pas être très-rapides ; la vitesse se trouvant d'ailleurs fort réduite 
par la résistance de l’air, le mouvement horizontal que le plan incliné 


548 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


ferait prendre, serait lui-méme trop petit, pour permettre de surmonter 
des courans à peine sensibles. 

I1 paraît donc que la faculté de naviguer dans l'air qui est possible 
à l'homme , ne peut fournir des vitesses susceptibles de vaincre les 
courans, même trés-faibles, qui existent toujours dans l'atmosphère 
dans des sens divers et très-variables, et qui rendent ainsi illusoire la 
vitesse qu’il pourrait se procurer dans un air parfaitement calme. 

La navigation aérienne n'aura de chance de succès que si l’on trouve 
un moteur capable de produire une force motrice dont le rapport 
avec le poids de Ja machine qu’elle exigerait pour étre soutenue , 
soit plus grand que dans les machines à vapeur actuelles , ou que chez 
l’homme et chez la plupart des animaux. Il y à peu d’espoir de trouver 
ce moteur ; tout autre fluide élastique que la vapeur exigeant d'ailleurs , 
pour les cylindres , des enveloppes d'une épaisseur proportionnelle à la 
tension, les poids des machines augmenteraient comme les forces 
motrices et par suite , ne présenteraient pas l'avantage qu’on semblerait 
devoir obtenir ; si l'on possède jamais ce moteur, on devra seulement 
alors chercher un mécanisme comme celui des roues à palettes, des 
rames , etc., qui soit aussi trés-léger , et aviser enfin à des moyens 
de stabilité dans l’air afin d’être à l’abri des secousses violentes que 
produisent les divers courans; alors encore il sera bien difficile de 
naviguer contre les vents un peu forts, et il y a peu d'espoir, même 
aprés cette invention , de parvenir à une navigation régulière dans l'air. 


SIXIÈME SECTION. 549 


== 


DESCRIPTION 


DES 


APPAREILS CHRONOMÉTRIQUES A STYLE 


PROPRES A LA REPRÉSENTATION GRAPHIQUE ET A LA DÉTER- 
MINATION DES LOIS DU MOUVEMENT DANS DIVERS GENRES 
D'EXPÉRIENCES, 


Par Arraur MORIN , capitaine d'artillerie. 


4. But et utilité de ces appareils. Les principes de la mécanique 
et les ressources de l'analyse permettent, en général, de déterminer 
la loi du mouvement que prend un corps, sous l'action de forces dont 
l'intensité est connue, pour chaque position du mobile , ou pour chaque 
instant , et réciproquement de déduire l'expression de la loi d'une force, 
lorsque l’on connaît celle du mouvement ; et, comme dans l'étude des 
lois naturelles, on ne peut remonter aux causes que par l'observation des 
effets, il peut être fort utile, dans beaucoup de recherches, d’avoir an 
moyen précis de déterminer à priori, par l'observation, les lois du mou— 
vement des corps soumis à l'action des forces dont on veut obtenir la loi. 

Ce mode d'investigation a été depuis long-temps mis en usage par les 
physiciens , Atwood , à l’aide de la machine qui porte son nom, a 
cherché à établir la loi de la chute des graves , pour rendre sensible celle 
de la pesanteur ; Huyghens par l'observation de la durée des oscillations 
du pendule est parvenu au même but ; la société pour le perfectionne- 
ment de la navigation établie en Angleterre , et dont le colonel Beaufoy 
a été le rapporteur, a aussi employé le pendule à l'observation de la loi 
du mouvement des corps flottans ou immergés dans l’eau, sous l’action 


550 MEMOIRES ET PIÈCES. 


d'un eflort constant ; plus tard, M. Eytelwein, dans ses belles expé- 
riences sur le bélier M ro à l’aide d’un appareil assez simple , 
a observé le mouyement des soupapes de cette ingénicuse machine. 

Mais jusqu'à ces dernières années, tous Îles moyens employés n’a- 
vaient conduit qu'à des résultats imparfaits ou à la détermination des 
espaces parcourus à cerlains instans, ou après des intervalles détermi- 
nés. De sorte que , si l’on représentait la loi du mouvement cherché par 
une courbe , dont les espaces parcourus fussent les abscisses , et les or- 
données les temps écoulés, on n’obtenait qu'un certain nombre de points 
de cette courbe et presque jamais assez de continuité dans son tracé 
pour pouvoir étudier des lois un peu compliquées. Pour remédier à cet 
inconvénient , M. Poncelet eut l’idée de combiner d’une manière plus 
continue le mouvement uniforme d’un style ou d’un plateau avec celui 
dont on voulait observer la loi, et c’est cette pensée ingénieuse que 
nous avons réalisée sous diverses formes et par des moyens qui nous 
sont propres. 

De nombreux essais ont fait faire à ces instrumens d’assez grands pas 
vers la perfection qu’on peut désirer, pour que leur description dé- 
taillée puisse être utile au progrès des sciences physiques, et l’on se 
propose ici de donner sur leur disposition et leur emploi tous les ren- 
seignemens nécessaires. 

2. Rappel du premier appareil construit en 1831. On connaît déja 
l'appareil chronométrique à style que nous avons employé de 1831 
à 4834 pour les expériences sur le frottement *, ainsi que celui qui a été 
mis en usage pour les recherches sur les lois de la transmission du 
mouvement par le choc et sur la pénétration des projectiles tombant de 
petites hauteurs, dans la terre argileuse et dans le sable. Ils sont dé 
crits en détail dans le recueil des savans étrangers publié par l'académie 
des sciences ; mais il ne sera pas inutile de faire quelques remarques 
sur le premier de ces appareils. 

Il consiste en un mouvement d'horlogerie , mu par un ressort et ré— 
gularisé par un volant à ailettes ; le style est un pinceau que l'on imbibe 
d'encre de Chine; sa marche est assez régulière et son mouvement dans 
une même révolution est assez exactement uniforme, pour que les courbes 
qu'il trace soient parfaitement continues et sans aucune apparence d’on- 
dulation périodique , mais d'une part l’action nécessairement yariable 
du ressort et de l'autre la nécessité de faire tracer au style un cercle 


* Nouvelles expériences sur le frottement faites à Metz en 1831, 1832, 1833, imprimées 
par ordre de l’Académie des sciences; chez Bachelier, libraire à Paris. 


SIXIÈME SECTION. 551 


de départ avant l’expérience , pour pouvoir observer la vitesse de l’ins- 
trument , l'empéchent d'être assez précis pour certaines recherches. 

* On observera, en effet, que, dans les expériences sur le frottement, la 
résistance s'étant trouvée indépendante de la vitesse, et la loi du mou- 
vement observée étant celle d’un mouvement uniformément accéléré 
représentée par une courbe , qui, transformée en une autre à ordonnées 
rectangulaires , était une parabole, une petite variation dans la vitesse 
du mouvement ne pouvait exercer qu’une faible influence sur les résul- 
tats; mais il n'en serait pas du tout de même dans l'observation des 
lois de mouvement où la vitesse jouerait un rôle important, car dans 
tous les cas pareils les résistances variant comme une fonction de la 
vitesse , de petites différences dans celle du style pourraient conduire 
à des erreurs très-graves. C'est ce que l’on reconnut en 4833, lorsqu'on 
voulut employer cet instrument à la détermination de la loi du mou- 
vement de descente des corps sphériques dans l'eau. Le relèvement 
des courbes marquait bien que le mouvèment devenait promptement 
uniforme, mais les petites variations de la vitesse du style en introdui- 
saient d’autres dans l'estimation de celle des corps, et l'on dut ajourner 
à d’autres temps les expériences que l’on avait commencées à ce sujet. 

Les inconvéniens les plus graves de cet appareil sont: 4° Que la 
viscosité de l'encre contenue dans le pinceau, oppose au mouvement 
une résistance, qui à une influence notable sur la vitesse , et qui varie 
avec l'état de fluidité de cette encre et avec son abondance; 2° qu'il 
estindispensable de faire tracer au style un cercle de départ, avant de 
commencer l'expérience , pour pouvoir déterminer par l'observation sa 
vitesse de régime pendant chaque expérience , et que, par suite, il'est 
difficile et à peu prés impossible dans certains cas, de retrouver l’ori- 
gine de la courbe du mouvement. 

Tous ces inconyéniens seraient encore bien plus graves, si par la 
nature même du mouvement à étudier, il n'était pas possible d’em- 
ployer pour style un pinceau, et que la résistance dût étre’ plus 
grande. 

3. Conditions que l’on, s’est imposées pour l'exécution des nouveaux 
instrumens. De ces observations, il faut donc conclure que l’emploi 
des ressorts comme puissance motrice des chronomètres à style n’est 
pas avantageux, et qu'il faut recourir à l’usage des poids en régula- 
risant leur mouvement de descente par un volant à äilettes. Mais ce 
perfectionnement n'est pas le seul à introduire, et dans l'exécution des 
nouyeaux appareils que nous avons fait établir, nous nous sommes 
proposés de satisfaire aux conditions suivantes : 


552 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


4° Que le moteur exerce un effort constant ; 

2° Que la résistance du style ne puisse dans aucun cas avoir une 
influence sensible sur la loi du mouvement ; 

3° Que l’origine du mouvement soit exactement indiquée sur la 
courbe ; 

4° Que la vitesse de régime de l'appareil puisse varier selon la 
rapidité du mouvement à étudier ; 

5° Que dans certains cas l'appareil soit transportable et n'occupe 
qu’une petite hauteur ; 

6° Qu: le mouvement uniforme dure assez long-temps pour qu'il 
soit possible d'en observer à plusieurs reprises la vitesse avec une 
exactitude suffisante. t 

Nous pensons avoir rempli ces conditions dans les deux appareils 
que nous allons décrire. Le premier, destiné à l’observation des lois 
de mouvement où la vitesse n'excède pas 20 à 25 mètres en une 
seconde, s'établit dans un lieu où l’on peut disposer d’une hauteur 
de 12 à 15% pour la descente du poids moteur. Le second, particulière- 
ment construit pour observer les lois des mouvemens très-rapides, peut 
aussi fonctionner à de petites vitesses , et n'ayant que 4 mètres environ 
de hauteur , il a de plus l'avantage d’être portatif et de pouvoir se 
placer dans une chambre de hauteur ordinaire. 


« 


4. Appareil chronométrique à style pour l'observation des mouve- 
mens à petites vitesses. L'appareil est monté sur un bâtis en char- 
pente MNPQ, (fig. À et 2), et se compose de trois parties princi- 
pales. La 1"° est le treuil aa, de 0",40 de diamètre sur 0®,251 de 
longueur au corps ; sur ce treuil s’enroule un fil de soie de 0®,0015 
de diamètre , auquel est suspendu le poids moteur. Pour augmenter 
la durée de la descente de ce poids, on peut le suspendre à une 
poulie mobile et attacher l'extrémité du fil de soie au chässis. A cet 
effet, une tringle horizontale bb est fixée vers le sommet des montans 
du châssis et sert de guide à une petite poulie à gorge C, de 0®,05 
de diamètre, portant une chappe à anneau, à laquelle s'attache Le fil. 
Par ce moyen, les deux brins, qui passent sur la gorge de la poulie 
mobile D, sont toujours à trés-peu près parallèles, parce qu’une légère 
obliquité dans leur direction fait rouler la poulie C sur son guide. 

Une poulie en fonte EE, de 0,495 de diamètre extérieur, est 
montée sur l'axe du treuil et tourne avec lui. Ce treuil est posé sur 
un petit bâtis en bois indépendant, de sorte que cette pièce peut 
se placer dans telle position que les localités ou les expériences l’exigent. 

La seconde pièce de l'appareil est le volant à ailettes , porté aussi 


SIXIÈME SECTION. 553 


sur un bâtis particulier et monté sur un axe en fer. Ce volant a 
quatre bras taillés en biseau et méplats, à l'extrémité de chacun 
desquels est une ailette plane G de ܮ1,01 de surface. Aux deux 
bouts de l'arbre et en dehors du bâtis sont deux poulies en fonte 
H et I de 0,11 de diamètre. La première est embrassée par une 
courroie en cuir, qui entoure aussi la poulie EE et qui transmet 
ainsi au volant le mouvement du treuil. D'’aprés le rapport des 
diamètres des poulies EE et HH, l'arbre du volant fait 3,85 tours 
pour un tour du treuil. La distance du milieu des aïlettes G à l’axe 
de rotation étant de 0®,299, il s'ensuit que, quand l'axe du volant 
fait deux tours par seconde, la vitesse de ce centre d’impulsion est 
de 5®,75 par seconde , et que la résistance de l’air régularise prompte- 
ment le mouvement de ces axes. On voit que si l’on voulait obtenir 
plus tôt le mouvement uniforme à celte vitesse ou à une vitesse moindre 
il suffirait d'augmenter la surface des aïlettes. 

La poulie I, qui a aussi 0®,11 de diamètre, transmet le mouve- 
ment à la troisième pièce par une courroie , qui l'entoure , ainsi que 
la poulie K de même diamètre. Celle-ci est fixée à l'extrémité d’un 
arbre qui porte à l’autre bout une embase tronconique, perpendiculaire 
à l'axe de rotation , parfaitement plane contre laquelle se fixe un pla- 
teau MM, destiné à conserver la trace du style et qui, recevant son 
mouvement du volant à aïlettes, dont la vitesse est uniforme, est né- 
cessairement aussi animé d’un mouvement pareil. ME 

Tel est l’ensemble de l'appareil chronométrique en lui-même, et 
par cette description on voit, qu’au lieu de porter le style, il recoit 
le plateau sur lequel doit être tracée la loi du/mouvement à observer. 
De cette disposition il résulte un avantage notable, c'est que tous les 
axes ayant été exactement centrés , de façon que leurs centres de gravité 
se trouÿŸent précisément sur l’axe de figure , et tout étant symétrique 
autour des trois axes de rotation, ce mouvement devient nécessaire 
ment uniforme, et que par suite de la masse du plateau en cuivre 
l'influence de la résistance du style est tout-à-fait négligeable. Dès- 
lors il n’est pas nécessaire que ce style touche le plateau avant le 
commencement de l'expérience, et il devient facile, comme on le 
verra tout-à-l'heure, d'obtenir l’origine de la courbe. Mais avant 
d'indiquer comment on y parvient, disons un mot de diverses dis— 
positions assez simples, ayant pour objet de servir à rendre le plan 
du plateau exactement paralléle à celui du cercle que le style doit 
décrire, ce qui est indispensable. A cet effet, l'arbre du plateau est 
monté sur un support à fourche MNPQ, dont les branches MN - 


79 


BB4 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


écartées de 0,066 intérieurement, recoivent des tourillons , et dont 
les pattes P, Q, reposent sur une platine R. La patte Q est percée 
d’ un trou ados traversé par une vis avec écrou äañoreilles pour 
la serrer ; la patte P est percée d’un trou allongé concentriquement 
au précédent, et traversé aussi par une vis avec écrou à oreilles, de 
sorte que la fourche MNPQ peut prendre autour du boulon Q un 
mouvement de rotation, qui permet de rendre le diamètre horizontal 
du plateau paralléle au plan du style. Ce mouvement de rotation lui 
est communiqué à l'aide d’une vis sans fin engrenant dans un petit 
arc de cercle denté, placé à l'extrémité de la patte P. 

Lorsque l’on a réglé convenablement la direction du diamètre ho- 
rizontal, on serre les deux écrous à oreilles P et Q, et la fourche 
MNPQ devient solidaire avec la platine RR. 

Cette platine repose elle-même sur une autre plaque SS, qui, au 
moyen de deux tourillons TT, peut tourner et prendre diverses in 
clinaisons avec l'horizon, une lame de ressort interposée entre le bâtis 
et la surface inférieure de la plaque SS , tend toujours à l'en éloigner 
et des vis UU, en s'opposant à ce mouvement, servent à régler la 
position de la plaque, de facon que le diamètre vertical du plateau 
MM soit aussi parallèle au plan du cercle décrit par le style. A l'aide 
de ces mouvemens , il est donc facile de régler le parallélisme de ces 
deux plans. 

Enfin la platine RR glisse à coulisse sur la plaque SS, à l’aide 
d'une vis X avec écrou à manivelle YŸ, ce qui permet de rapprocher 
ou d'éloigner à volonté le plateau de la pointe du style. 

Tous ces mouvemens , dont l'amplitude est trés-petite , ne font pas 
varier la longueur, et par suite la tension de la courroie, de quan- 
ütés capables d'exercer de l'influence sur le mouyement. On remar- 
quera d’ailleurs que les deux premiers servent à régler une fois pour 
toutes le parallélisme, et que le dernier, qui est perpendiculaire au 
plan de la courroie, ne peut produire aucune variation notable sur 
sa longueur. 

La troisième pièce que nous venons de décrire, est aussi fixée sur 
un bâtis particulier, de sorte que, selon les besoins des expériences, 
les trois parties de l'appareil peuvent être placées à telle distance 
que l’on voudra, en réglant convenablement la longueur des cour- 
roies. Lorsqu'elles sont montées sur le support MNPQ, elles peuvent 
aussi être écartées à volonté l’une de l’autre, par la liberté qu'ont 
les deux premières de glisser dans les coulisses pratiquées dans la 
longueur des chapeaux MN, ce qui permet de tendre les courroies. 


SIXIÈME SECTION. 555 


Tel est l'ensemble de l'appareil chronométrique que l'on a employé 
en 1835 et 1856, pour les expériences sur la résistance de l'air. 

D'après ce que nous en avons dit , il satisfait à la première condition 
que nous ayons posée, d'être mu par un effort constant, ainsi qu’à 
la seconde, puisque la masse et la vitesse du plateau, qui est animé 
du mouvement uniforme, sont assez considérables pour que la résis- 
tance éprouvée par le style, qui est un pinceau, ne puisse exercer 
sur le mouvement aucune influence sensible, aiusi qu’on s'en est 
assuré par des observations directes. 5 

5. On peut obtenir des mouvémens uniformes à diverses vitesses. 
La vitesse uniforme du plateau peut à volonté varier entre des limites 
trés-étendues , soit en changeant le poids moteur, soit en remplaçant 
la poulie I de l'arbre du volant par une autre de 0",423 de diamètre, 
de sorte qu'alors l'arbre du plateau MM fait 3,85 pour un tour de 
l'arbre du volant ou 44,85 tours pour un tour du treuil. Mais comme 
le mouvement se régularise d'autant plus tôt que le mouvement du 
volant est plus rapide, il convient mieux, en général, d'augmenter 
le poids moteur jusqu'à certaines limites, que de remplacer la poulie 
I par une plus grande, dont l'inertie tend au contraire à retarder 
l'instant où le mouvement atteint l’uniformité. Ce n’est que dans le 
cas où l’on aurait besoin de faire marcher le plateau à des vitesses de 
kuit à dix tours par seconde, qu'il faudrait recourir à ce moyen, et 
alors il faudrait se servir d'une poulie I de 0,20 à 0,25 seulement 
de diamètre, afin d'employer simultanément les deux moyens d'accé- 
lération du mouvement du plateau. 

Dans les expériences faites en 1835 et 1836, sur la résistance de 
l'air, il a sufh que le plateau eût une vitesse uniforme d'environ 
deux tours par seconde, pour obtenir le degré de précision nécessaire, 
et alors le poids moteur était de 5M1,193, y compris celui de la 
poulie mobile. 

À cette vitesse le poids descendait de 0",0816 environ par seconde, 
ou mettait 42,95 à parcourir un mètre, quand ce mouvement était 
uniforme, et comme l'observation a montré que cet état de régime 
était toujours atteint après D à 6 mètres de chute au plus, on voit 
que la chute totale étant de 16 mètres, on avait le mouvement uni 
forme bien établi pendant ‘plus de deux minutes, ce qui suflisait 
pour la durée de toutes les observations. Il est d’ailleurs évident que 
si le mouvement à observer avait dû étre lent, on aurait pu ralenuür 
aussi celui du plateau en diminuant le poids moteur. 

À la vitesse de deux tours par seconde un point de la circonfésence 


556 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


du plateau, qui avait un mètre de développement, parcourait donc 
deux mètres en 4!! ou 2000 millimètres, et comme à l’aide de l'ins- 
trument que l’on employant au relèvement des courbes, on pouvait 
apprécier un na de Rte el il s'ensuit que T'on pouvait 
rigoureusement. apprécier 0556 de seconde. 

Nous reviendrons plus tard sur les précautions à prendre pour que 
les autres moyens d'exécution et de relèvement aient la précision con— 
venable pour qu'on puisse approcher de l'exactitude que permet par 
lui-même cet appareil chronométrique, mais auparavant nous devons 
indiquer comment on a disposé le style pour obtenir une trace de l’ori- 
gine de la courbe du mouvement. 

6. Disposition pour obtenir l'origine du mouvement. Le mouvement 
qu'il s’agit d'observer est transmis par un fil de soie à une poulie AB 
(Fig. 4) dont l'axe est paralléle à celui du plateau, mais placé à une 
certaine distance en dessus ou en dessous à volonté pour la facilité 
des opérations, Du côté de la pièce n° 3, l'axe est 1erminé par une em— 
base qui peut recevoir un plateau , mais où l’on fixe ordinairement le 
style, au bout d’un petit bras B maintenu au centre par un écrou , et 
vers son milieu par une goupille et qui, par conséquent , tourne avec 
la poulie. 

L'extrémité de ce petit bras est percée d’un œil, dans lequel glisse 
à frottement doux et à volonté une tige ab, qui recoit à vis la douille 
c, dans laquelle est placé le pinceau. La tête de la tige ab, porte en 
dehors et en dedans deux épaulemens a et b. Le premier a du côté 
de la poulie, n’a sur la tige ab qu’une saillie d’un millimètre; le se- 
cond à, un peu plus large, sert à saisir la tige, pour l’éloigner du 
plan du plateau. Un ressort 4, fixé sur le bras B, et qui embrasse 
l’épaulement, résiste à ce mouvement et repousse au contraire la 
douille et le pinceau vers le plateau, dès qu'il cesse d’être retenu 
par la main ou par un arrêt fixe. D'une autre part, un ressort c , fixé 
sur le bâtis de la poulie et dont l'extrémité E se place à tel point que 
Ton veut, par rapport au centre de cette poulie, peut, quand on le 
fléchit un peu, qu'on amène le bras B à sa hauteur, et qu’on pousse 
Ja tige ab en arrière, s'engager entre l'épaulement a et le bras B, de 
manière à maintenir le pinceau éloigné du plan du plateau d’une petite 
quantité. Dans cette position représentée (Fig. 5), la pointe du pinceau 
ne touche pas le plateau, mais elle peut en être aussi près que l’on 
veut, puisqu'on peut approcher celui-ci à l’aide de la manivelle Y 
avant l'expérience. La poulie AA est maintenue dans cette position à 
Vaide d’un crochet et d’un pit déclic, qui s'opposent à son mouve- 


SIXIÈME SECTION. 857 


ment dans le sens de la tension motrice du corps mis en expérience. 
Mais , dés qu’on dégage le déclic, le mouvement commence et l’épaule- 
ment a de la tige a n'ayant qu'un millimètre, et pouvant d'ailleurs 
n'être engagé que d’une moindre quantité, il s'échappe du ressort c ; 
la tige ab cède alors à l’action du ressort d, qui tend à la rapprocher 
du plan du plateau, et le style marque sur la feuille l’origine de la 
courbe du. mouvement. Dès que la tige s’est dégagée du ressort c, 
celui-ci revient sur lui-même et se retire assez loin pour ne pas être ren— 
contré par l'épaulement a dans les révolutions successives de la poulie. 

Le jeu de la tige, l’écartement du pinceau, la quantité dont l'épaule- 
ment est engagé, peuvent être et sont réduits à moins d'un millimètre, 
et comme le mouvement de la poulie commence toujours ayec une 
vitesse nulle, on obtient ainsi, avec toute la précision désirable, l'ori- 
gine des courbes bien nettement marquée sur le papier. 

7. Mioyens employés pour obtenir un relèvement exact de la courbe 
du mouvement. C’est par ces dispositions que l’on a satisfait à la con- 
dition que l'on s'était imposée d'obtenir sur le plateau l'origine de la 
courbe du mouvement. Cette courbe, dans toutes les expériences faites 
en 1855 et 1856, a été tracée sur une feuille de papier que l’on collait 
par les bords sur le plateau MM, aprés l'avoir légèrement mouillée pour 
qu'elle s'étendit. On enlevait la feuille après chaque experience , et on 
la remplacait par une autre. Dans les expériences où l'on n’a pas besoin 
d'une très-grande précision, ce procédé est suffisamment exact, mais 
quand on veut que tous les élémens de l'opération aient un degré 
d’exactitude comparable et qu'on désire opérer avec toute la précision 
possible le retrait du papier exerce une influence quin'est plus né- 
gligeable. Aussi, quoique l’on ait eu la précaution de se servir de papier 
fait à la mécanique et collé à la cuve, qui, par l'égalité de sa pâte et 
sa facilité à se mouiller , s'étend et se retire à peu près également en 
tous sens on a reconnu qu'il fallait parvenir à éviter entièrement les 
‘effets du retrait. : 

Si l’on n'avait que peu d'expériences à faire, il suflirait d’avoir plu- 
sieurs plateaux de rechange et de tracer sur le métal même les courbes 
du mouvement. Mais quand on a de nombreuses séries d'expériences 
à exécuter , qu'on trace 50 ou 40 courbes dans un jour, qu’on ne veut 
pas interrompre son iravail pour les relever, il faut recourir à un autre 
moyen. : 

Voici celui que l'on a employé avec succès dans les expériences de 
1856 , sur le mouvement des projectiles dans l’eau : 

On a pris des feuilles de zinc laminé bifh dressées , on les a montées 


558 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


entre deux plateaux sur le tour, et on y a percé au centre un trou 
d'un diamètre, exactement égal à celui de l'extrémité de l'arbre qui 
traverse le plateau MM, puis on a ajusté sur ce plateau un anneau en 
cuivre qui s’y fixait à l’aide de six vis. La feuille de zinc, sur laquelle 
on collait le papier, était placée sur le plateau, serrée vers le centre 
par un écrou, maintenue vers la circonférence par l'anneau, et était 
ainsi exactement dressée et appliquée contre le plateau de cuivre , et 
comme elle était parfaitement égale d'épaisseur , on obtenait ainsi une 
surface plane que le pinceau touchait partout également. 

Ces feuilles de zinc étant à fort bon marché, on a pu en faire faire 
un grand nombre et laisser sur chacune d'elles les courbes tracées jus- 
qu’à ce qu'elles fussent relevées. On avait eu, au préalable, le soin de les 
tourner et de les centrer exactement, de sorte qu’en les préseniant sur 
l'appareil de relèvement elles se trouvaient aussi parfaitement concen- 
triques avec lui; ce qui rendait cette opération plus rapide et plus sûre. 

8. Moyens d'augmenter la durée du mouvement uniforme. L'appa- 
reil que nous venons de décrire exige , comme on le voit, que le poids 
moteur puisse avoir 44 à 15" de course, ce qui ne présente pas de 
difficulté d'exécution, car en le supposant même placé dans un local 
beaucoup moins élevé ; il serait presque toujours facile à l'aide de poulies 
de renvoi de faire mouvoir ce poids en dehors du bâtiment et à partir 
des combles. On pourrait d’ailleurs , au lieu d’une poulie simple , avoir 
un petit mouflle équipé à quatre brins, ce qui doublerait la durée de 
la descente pour une même hauteur. On parviendrait encore au même 
but en diminuant le diamètre du treuil et en augmentant en raison 
inverse le poids moteur, ce qui, jusqu'à certaines limites, n'offrirait 
point d'’inconvéniens. 

Mais il est une modification beaucoup plus importante que l’on pour- 
rait faire subir à cet appareil si l’on voulait diminuer de beaucoup la 
hauteur de descente des poids , accélérer l'instant où le mouvement est 
devenu sensiblement uniforme , et prolonger beaucoup plus long-temps 
sa durée; nous y reviendrons plus tard et nous terminerons ce qui nous 
reste à dire sur ce premier appareil chronométrique , en indiquant une 
précaution qui nous semble indispensable pour assurer la régularité du 
mouvement. 

9. Précaution nécessaire pour maintenir les axes au même état d’onc- 
tuosité. On sait, d’après les récentes expériences sur le frottement des 
axes de rotation que nous avons faites à Metz en 1854 *, que le frot- 


* Nourelles expériences sur le frottement des axes de rotation, sur la variation de tension 
des courroies ou cordes sans fin, employées à Ja transmission du mouvement, sur le frot- 


SIXIÈME SECTION. 539 


tement des tourillons sur leurs coussinets est beaucoup moindre quand 
ils sont continuellement alimentés d'enduit à l'aide d’un appareil 
spécial, que quand on se contente de les lubrifier de temps en 
temps. 

Le rapport du frottement à la pression , qui, dans le premier cas, n’est 

uëre que 0,05, s'élève dans le second à 0,07, ou 0,08 quand les 
FRE sont encore bien graissées, puis à 0,10, et enfin à 0,15 quand 
elles ne sont plus qu’onctueuses. Il est donc trés-important, pour la 
régularité du mouvement, que les appareils chronométriques soient 
munis des moyens nécessaires de renouveler l'enduit. C’est à quoi l'on 
parvient facilement en plaçant sur les coussinets de petites boîtes dont 
le fond est percé d’un trou, sur lequel s'élève un petit tube destiré à 
recevoir le bout d'une mèche de coton , dont l’autre extrémité plonge 
dans l'huile contenue dans la boîte. Le sommet du tube s'élevant au-dessus 
du niveau de l'huile, le liquide ne peut arriver sur le tourillon que par 
l'action capillaire de la mèche et en proportionnant convenablement le 
nombre de fils de cette mèche à la quantité d'huile nécessaire à l’abl— 
mentation, on maintient les tourillons à un état constant et uniforme 
d'onctuosité. IL est inutile sans doute de dire que dans l'usage habituel 
du chronomètre, il est indispensable de nettoyer souvent toutes les 
pièces frottantes. On observera aussi qu'il faut éviter avec soin qué 
l'extrémité des méches ne s'engage entre l'axe et le coussinet, ce qui 
aliérerait notablement la régularité du mouvement, auquel cas on en 
serait d’ailleurs averti par l'observation de sa vitesse. 

L'appareil chronométrique ; que nous venons de décrire, est d’un 
usage fort commode, et il a été employé avec succès pour les ex- 
périences sur la résistance de l’air faites en 1855 et en 48536. La 
vitesse uniforme que l'on peut obtenir pour son plateau a-été dans 
ces expériences habituellement de deux tours environ par seconde ; elle 
pourrait étre, pour certains Cas , portée à trois ou quatre. Elle suffit 
pour toutes les expériences du même genre, qui ne durent pas très 
long-temps. Mais, dans d’autres cas, il peut être nécesaire d'obtenir 
une vitesse beaucoup plus grande et de prolonger davantage la durée 
du mouvement uniforme. Enfin il y a certaines expériences pour les- 
quelles il est indispensable que l'appareil soit transportable et d’une 
petite hauteur. C'est ce qui a conduit à en faire établir un autre 
destiné à satisfaire à ces nouvelles conditions. 

40. Appareil chronométrique à grandes vitesses. Le second ap- 


i 


tement des courroies à ln surface des tambouys, faites à Metz en 1834; à Paris, chez 
Carillan-Gœury, 


560 | MÉMOIRES ET PIÈCES. 


pareil est tout-à-fait du même genre que celui que nous avons décrit 
précédemment et n'en diflère que par le mode d'exécution et par 
la réunion de toutes les pièces du mécanisme sur le même plateau 
et dans une caisse de 4 mètres de hauteur. 

Un treuil AA de 0,050 de diamètre recoit un cordon de soie 
qui s’enroule à sa surface des deux côtés de la roue dentée B en 
la traversant prés de l'arbre (Fig. 1 et 2). Les deux bouts de cé 
cordon viennent passer sur deux poulies en cuivre montées sur un 
plateau de chêne placé au sommet de la caisse. Ce plateau avec les 
poulies qu'il porte peut glisser dans des coulisses, de manière que 
les poulies sortent de la moitié de leur diamètre en dehors de la 
caisse. Les poids moteurs suspendus aux cordons se trouvent alors 
en dehors de cette caisse. 

Le mouvement communiqué au treuil par la descente des poids 
est transmis à un arbre intermédiaire EE par la roue dentée B, qui 
a 467 dents, le pignon E n'en ayant que 28, il s'ensuit que son 
arbre fait 5,964 tours pour un tour du treuil. Sur le même arbre 
E est une roue dentée ayant 167 dents, qui engrène avec un pignon 
Q, de 28 dents, montésur l'arbre H, celui-ci fait par conséquent 5,964 
tours pour un tour de l'arbre EE ou 55,6 tours par tour du treuil. 

Il suit de ces rapports que la circonférence moyenne de l'arbre, y 
compris le cordon de 0*,005 de diamètre, étant de 0”,1039 le poids 
descend de 0®,00292 par tour du plateau ou du volant. Si le poids 
moteur descend de 3" pendant le mouvement uniforme et que le 
plateau fasse 


deux tours en 4/ le mouvement uniforme durera.. 518! environ 
cinq id oid....................ssssscescse 205,5 
ados ren ttaeitdiere ects 409 


L'arbre H, prolongé de part et d'autre de ses tourillons, recoit à 
un bout un volant à ailettes et de l’autre un plateau en cuivre, sur 
lequel on fixe des feuilles de papier collées sur zinc, comme on l’a 
vu au n° 7. Il y a deux volans de rechange destinés à différens 
usages, l’un représenté figure 6, est léger , les quatre ailettes ont 
0®,00393 de surface chacune et leur rayon moyen est de 0®,189. 
Il est employé quand Ja résistance du style est très-faible, comme 
celle d'un pinceau, qui trace sur du papier, parce qu’alors l'inertie 
du plateau suffit pour empécher l’eflet de cette résistance sur la 
vitesse du mouvement. L'autre représenté se compose aussi de quatre 
ailettes, qui sont montées sur un annçau massif en bronze. Il est des- 


SIXIÈME SECTION. 561 


tiné à agir d’une part comme régulateur à ailettes , de l’autre comme 
volant proprement dit, pour rendre insensibles par son inertie, les 
effets de la résistance d'un style qui tracerait une courbe de mouve- 
ment dans une matière plus ou moins molle; ce cas devant se pré- 
senter dans les expériences que la commission des principes du tir 
de l’école d'artillerie de Metz doit faire par la suite, on a dû dis- 
poser l'appareil dans cette prévision ; mais, pour les expériences or- 
dinaires , le poids du second volant éloignant l'instant où le mouvement 
devient uniforme, on a dû lui substituer le premier, plus léger et 
uniquement destiné à agir comme régulateur. 

Les dispositions prises pour pouvoir rendre le plan du plateau qui 
doit recevoir la trace du style parallèle à celui du cercle décrit par 
la pointe de celui-ci sont analogues à celles que nous avons décrites 
précédemment n° 4, nous nous contenterons de les indiquer suc 
cinctement. 

Les deux arbres À et E sont posés sur deux supports MM, fixée 
à vis sur un plateau N. L'arbre E ne peut pas varier de position , 
mais l'arbre À du treuil est porté sur des coussinets mobiles qui, à 
l’aide des vis de pression PP peuvent s'approcher ou s'éloigner à 
volonté de ceux de l’autre arbre. Il est donc facile de rendre les 
deux arbres A et E poralléles, et de faire engrener la roue B et le 
pignon E, de facon qu’il n’y ait dans l’engrenage que le jeu indis- 
pensable. 

L'arbre H du volant est aussi porté sur deux coussinets mobiles, à 
l'aide de vis de pression Q, qui permettent de le rapprocher où de 
l’'éloigner de l'arbre E et de faire engrener convenablement le pignon 
G et la roue F. On peut donc établir ainsi le parallélisme des trois 
arbres et l'exactitude de l’engrenage. 

La platine N peut prendre dans les coulisses B un mouvement 
de translation, qui lui est communiqué par la vis S. Cette platine et 
ces coulisses sont montées sur une seconde platine T', susceptible de 
prendre autour d’un axe vertical: V un mouvement de rotation ho— 
rizontal, qu’on jui imprime ou qu’on empéche à volonté par la vis X, 
et un mouvement de rotation autour de ses tourillons horizontaux à 
l’aide des vis Y. 

Cette courte description, jointe à l'examen des dessins , suffit sans 
doute pour donner une idée exacte de la disposition de l'appareil , qui 
est d’ailleurs muni de boîtes à l'huile pour l'alimentation des axes. 

Les arbres portent en outre des indicateurs, qui servent à compter 
les nombres de tours faits dans un temps donné. 


71 


562 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Toutes les précautions décrites au n° 6 pour obtenir l'origine 
exacte de la courbe du mouvement étant d’ailleurs indépendantes de 
l'appareil et étant adaptées au corps dont on observe le mouvement, 
il n'est pas nécessaire d’en parler de nouveau, il est évident qu'elles 
recoivent également leur application, quand on se sert du second 
chronomitre. 

A1. Exécution des expériences. D’après la description que l’on vient 
de donner des deux appareils, il est facile de se rendre compte du 
mode à suivre pour l'exécution même des expéricnces, on se con- 
tentera donc ici d’en dire quelques mots. 

Le plateau étant garni de la feuille de papier destinée à recevoir la 
trace du style et son parallélisme au cercle décrit par ce style étant 
assuré et vérifié par les moyens indiqués au n° 4, on approche la 
pointe du pinceau aussi près qu’il egt nécessaire , afin que, quand celui- 
ci échappera à l'arrêt qui le tient éloigné, il touche assez, pour que 
le trait soit net et bien marqué. Cela fait, on abandonne le poids 
moteur à l’action de la gravité, lorsqu'il est arrivé à la hauteur à la- 
quelle l'observation a appris que le mouvement était devenu uniforme, 
on commence à compter ayec une montre à pointage de Bréguet, 
donnant les dixièmes de seconde, la durée de dix ou de vmgt révo- 
lutions du plateau; on répète trois fois cette observation , et quand 
la durée observée est la même ou ne diflére que d'environ deux 
dixièmes de seconde , tantôt en plus, tantôt en moins, ce qui peut 
venir de l'observation même du compteur , on donne le signal auquel 
on dégage le déclic. Le mouvement commence alors, le style échappe 
à son arrêt et trace la courbe. Dés que le corps en expérience atteint 
le bas de sa chute ou en approche, on appuie à la main contre la 
circonférence de la poulie à laquelle il est suspendu, un morceau 
de bois, faisant fonction de frein , à l’aide duquel on retarde , et l’on 
éteint graduellement le mouvement de cette poulie. Dans le cas où 
le corps mis en expérience est fragile ou susceptible de se détériorer 
en arrivant au bas de la course, il convient de disposer pour le recevoir 
une couche de corps mous, tels que du foin ou de la paille qui affai- 
blisse l'intensité du choc. 

Aussitôt que la portion de la courbe que l’on veut relever est tracée, 
ou dès qu'on commence à ralentir le mouvement de la poulie, on 
éloigne rapidement le plateau du style, en faisant reculer la platine 
qui le porte et dès-lors le style cesse de tracer. 

On enlève la feuille de papier ou celle de zinc qu’elle recouvre, on 
la remplace par une autre et l’on commence une autre expérience. 


SIXIÈME SECTION. 565 


19. Mode de relèvement des courbes. Pour compléter cette des- 
cription , il reste à faire connaître les procédés employés pour accélérer 
le relèvement des courbes tracées par le style. Indiquons d’abord la 
construction ‘par laquelle s’opére le relèvement pour faciliter l’intel- 
ligence de l'appareil à l’aide duquel on l’exécute. 

Le style tournant excentriquement et parallèlement à l'axe de 
rotation du plateau, il est évident que toutes les courbes tracées 
sur celui-ci seront tangentes à deux cercles, l'un extérieur , l'autre 
intérieur à leur contour, dont les rayons auront pour différence le 
d'amètre du cercle décrit par le style. Cela seul suffirait pour retrouver 
ce diamètre, mais comme il est facile et toujours convenable, avant 
ou après chaque expérience de décrire ce cercle sur le plateau im— 
mobile, nous pouvons le prendre pour base de la construction. Cela 
posé, l’origine A de la courbe à relever étant bien indiquée, par ce 
point faisons passer un cercle de même diamètre que celui du style, ce 
qui n'offre aucune difficulté, puisque son rayon est connu, ainsi que 
la distance constante de son centre à l’axe du plateau. 

Chaque révolution du style correspondant à un tour de la poulie 
à laquelle est suspendu le corps en observation et dont le développe- 
ment est connu, il s'ensuit qu'il y a un rapport constant entre les es— 
paces parcourus et les angles décrits par le style ; ainsi, par exemple, 
dans les expériences sur la résistance de l’air , la circonférence moyenne 
de la poulie , y compris la demi-épaisseur du cordon , était de 1°,5849 ; 
par conséquent à chaque tour du style correspondait. une hauteur ver- 
ticale parcourue par le corps égale à 1",5849. D’après cela, si nous par- 
tageons la circonférence du style , qui passe par le point A en dix parties 
égales , aux points 0,1,2, 3, 4, 5,6, 7, 8,9, chacun de ces points cor- 
respondra à 0®,15849 de chute du corps. Mais, pendant le mouvement , 
le plateau animé d'un mouvement uniforme s’est déplacé de quantités 
qu'il est facile de mesurer, car il est évident, par exemple , que pen- 
dant que le style aura parcouru l'arc A1, Le plateau aura décrit l'angle 
AC1 , déterminé par la rencontre du cercle de rayon C1, décrit du 
centre C, avec la courbe du style. On voit en eflet de suite que le 
point À est nécessairement celui qui a dû venir passer en À, à l'instant 
où le style avait décrit l'arc A1. 

De là il résulte que, si du centre Cet des rayons CA , C1, C2... C9, 
on décrivait des circonférences de cercle, l'arc de chacun de ces 
cercles compris entre les points À, 4, 2... 9, et leur rencontre avec 
la courbe, donnerait pour chacun des espaces correspondans aux arcs 
A4, A2... A9, les temps écoulés depuis l’origine du mouvement. I 


564 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


est clair encore , qu'après la première révolution du style , comme aprés 
le premier tour du plateau , il faudrait ajouter aux ares observés une 
circonférence entière, deux après le second tour et ainsi de suite. 

Le relèvement des courbes ne présente donc aucune dificulté, et 
comme on connaît par l'observation de la durée uniforme des révolu- 
tions du plateau, le 1emps correspondant aux ares qu’il décrit , il 
s'ensuit qu'on peut facilement former pour chaque expérience une 
table des espaces parcourus et des temps employés. Puis, en prenant 
les espaces pour abscisses et les temps pour ordonnées ; on représentera 
graphiquement la loi du mouvement par une courbe à coordonnées rec- 
tangulaires, dont l'étude doit conduire aux lois physiques que l’on 
* cherche. 

Mais , si la marche à suivre pour le relèvement des courbes est simple , 
l'exécution est fort longue, par suite de la multiplicité des angles à 
mesurer, ét surtout par le grand nombre des expériences. 

11 n’en a pas été fait en 4855, sur la résistance de lai: au mouvement 
des corps de diverses formes, moins de 600 et dans chacune d'elles la 
course ayant été de 44" mêtres environ , on a eu à relever des courbes 
dont le développement correspondait à 8400 mètres ou à 2,1 lieues de 
chemin parcouru. Le relévement se faisant par dixièmes de la révolu- 
tion du style on de 0",157 en 0,157 , on avait 800000 points environ 
à relever par abscisses et par ordonnées ; il eût fallu renoncer à un tra- 
vail pareil, si l'on n'eût pu l'abréger par un instrument particulier. 

15. Znstrument employé au relèvement des courbes. Le rapporteur à 
branches mobiles employé de 1851 à 1854, suffisant pour le relève- 
ment des courbes tracées par J'appareil mis en usage , n'était plus assez 
expédilif pour le cas actuel, et c’est ce qui a engagé à faire construire 
exprès un appareil, qui a été exécuté sur les dessins du capitaine 
Didion aux ateliers de l’école d'application ; nous allons le décrire en 
détail, ainsi que la suite des opérations à exécuter. 

La feuille sur laquelle la courbe est tracée se pose sur un plateau en 
cuivre AA (Fig. 9), portant au milieu un axe de centrage ; un anneau 
plat BB recouvre cette feuille, et à l’aide de vis garnies de rosettes , 
on la serre entre cet anneau et le plateau, de sorte qu'elle ne puisse 
plus varier de position. Au préalable, on a eu la précaution de la cen- 
trer exactement par rapport au plateau et au cercle de la manière que 
nous indiquerons plus tard. 

Le dessus de l'anneau BB est un limbe, divisé en 4000 parties, pour 
rendre la réduction des révolutions en tours plus facile. 

Sur l'axe C se place ensuite un rayon composé d’un bras DD , ouvert 


SIXIÈME SECTION. 565 


sursa largeur, qui repose à son extrémité sur g limbe ; et qui porte en E 
unpetit vernier curseur, lequel peut donner 3555 de la circonférence du 
plateau, mais qui sert surtout à faire correspondre le point de départ 
du relèvement au zéro du limbe. En plaçant la He on a eu la 
précaution de chercher lerayon ca , qui passe par l'origine de la courbe, 
de manière que le milieu du bas DD correspondit déjà à peu près au 
zéro du limbe, et l’on achève l'ajustage en faisant glisser Le vernier. 
D'après cela, tous les angles décrits par le rayon mobile sont comptés 
depuis le zéro du limbe et depuis l’origine du mouvement. L'usage du 
limbe et de ce rayon mobile faciliterait déja beaucoup le relévement, 
mais il y a une autre disposition qui le rend encore plus rapide. Ce 
bras mobile entraîne avec lui un disque F, dont le centre correspond 
exactement à celui de la circonférence du style et qui porte dix pointes 
correspondantes à autant de parties égales de la circonférence ; et dont 
les extrémités sont à une distance du centre égale au rayon de celle 
du style , de sorte qu’elles représentent les divisions A, 4; 2...., 9 de 
cette circonférence. Ce disque et ses pointes étant ajustés, comme 
nous le dirons tout à l'heure , de manière que l’une d’elles corresponde 
exaciement à l’origine de la courbe, il est clair que la suivante, dans 
le sens du mouvement, correspondra au point 4, la deuxième au 
point 2, etc. 

D'après cela, si l'on fait mouvoir le bras mobile en suivant le mou- 
vement de la courbe, il est clair que la pointe décrira l’are Ad, et que 
quand elle sera au-dessus du point À, on aura l’angle décrit par le 
plateau pendant le déplacement du style correspondant à l'arc Al, 
en lisant sur le limbe à quelle division s’est arrêté le zéro du vernier. 
En faisant airsi successivement répondre chacune des pointes du disque 
F aux pointes 2, 5,4...,9, on aura de suite les angles décrits par le 
plateau. On voit donc que le relèvement s'effectuera rapidement ; mais 
l ya plus, c’est qu'avec un peu d'habitude de l'usage de l'instru— 
ment et de la marche des courbes ; on n'a pas besoin de tracer ni de 
diviser le cercle primitif. 

Il suflit de connaître son diamètre et d'ajuster les pointes sur le 
cercle pareil, décrit en un endroit quelconque de la feuille, lors de l’ex- 
périence , puis ensuite d'amener l'une d'elles sur l’origine de la courbe 
de facon que le zéro du vernier corresponde à celui du limbe. Après 
cela, en faisant mouvoir le rayon mobile autour de l'axe, de manière 
que les pointes viennent successivement rencontrer la courbe, et lisant 
les angles correspondans à chaque position , on obtient de suite et trés” 
rapidement les temps correspondans aux espaces parcourus. 


566 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Il nous reste à indiquer comment on ajuste les pointes à leur lon 
gucur, et comment on place leur centre à la distance convenable. Pour le 
second objet, le disque porte un axe G, qui traverse à frottement doux 
un guide 2, celui-ci glisse à volonté dans une coulisse du bras mobile 
et dans le sens de sa longueur; une vis tournant autour du sommet 
fileté de ce guide permet de l'arrêter sur la coulisse; on peut donc 
aussi placer le centre du disque à la distance convenable, et l'axe g 
étant à frottement doux dans le guide A, le disque n'en conserve pas 
moins la faculté de tourner autour de cet axe. 

A l’aide du mouvement de translation, on peut, en présentant le 
disque sur le cercle du style tracé avant ou aprés l'expérience, le placer 
concentriquement à ce cercle. Le diamètre de ce cercle dans une même 
série d'expériences faites avec le même appareil est constant, mais 
quand on change de poulie, ce diamètre peut varier un peu, il faut 
donc pouvoir donner aux pointes la longueur convenable à cet eflet. 
Sur le disque F et concentriquement avec lui est une plaque K, portant 
dix fentes excentriques toutes de même rayon dans chacune desquelles 
s'engage une cheville que portent les aiguilles. Celles-ci sont engagées 
dans des rainures faites sur le disque F, dans le sens de ses dix rayons 
et ne peuvent que glisser dans ce sens. On concoit, d'après cela, que 
si l’on fait tourner la plaque autour de l'axe, ces fentes conduisant 
les chevilles des aiguilles , forceront celles-ci à s'éloigner ou à se rap— 
procher du centre, et si elles ont été bien ajustées une fois, les extré— 
mités resteront. toujours à des distances égales de ce centre. La variation 
totale de saillie des aiguilles peut s'élever à 0®,010, ce qui dépasse toutes 
les différences entre les cercles décrits par les styles de nos appareils. 

Les pointes étant ajustées à leur longueur et le disque F mis à la 
distance convenable du centre €, il ne reste plus qu'a placer l’une des 
aiguilles sur l’origine de la courbe; c'est ce qui est facile, puisque le 
disque F a encore la liberté de tourner autour de son axe G. Cela 
fait, on serre la vis de pression, et dès-lors l'appareil est ajusté et ne 
doit plus varier. 

On observera que cet ajustage des pointes ne se fait qu'une fois 
pour toutes, pour une même série d'expériences, où le style ayant tou- 
jours la même position et la même distance, l’origine se retrouve, 
pour toutes les courbes, à la même distance du centre du plateau. 

14. Manière de centrer Les feuilles. Nous avons supposé jusqu'ici 
que la feuille sur laquelle la courbe était tracée, avait été exactement 
centrée par rapport à l'appareil de relèvement ; il faut dire comment 
on y parvient. 


SIXIÈME SECTION. 567 


Dans les expériences de 4855 sur la résistance de l'air, la feuille de 
papier était simplement collée par ses bords sur le plateau animé du 
mouvement uniforme et après chaque expérience on l’enlevait pour le 
remplacer par une autre. On opérait donc le relèvement sur ces feuilles 
détachées, qui ayant été mouillées avant d’être collées, se retiraient 
parfois un peu inégalement. Pour retrouver le centre on fermait d'abord 
le trou de l'axe, en y collant un petit morceau de papier, puis en 
posant sur la feuille un plateau de centrage (Fig. 9) en cuivre évidé 
vers le centre, vers les bords et dans une partie intermédiaire. Les 
vides étaient garnis de morceaux de corne transparens , sur lesquels 
étaient tracés des cercles concentriques équidistans de 0",002 en 
0®,002. Au centre, était percé un petit trou pour le passage d’une 
aiguille. En promenant ce plateau sur la feuille , on trouvait facilement 
la position qui correspondait le mieux au centre des courbes et alors 
on piquait sur la feuille la place de ce centre, puis à l’aide d’un com- 
pas tranchant, par une de ses pointes, on découpait une petite rondelle 
d'un diamètre égal à celui de l'axe de l'appareil de relèvement. En 
posant alors la feuille sur cet instrument, on était ainsi certain de l'avoir 
centrée, aussi exactement que le permettait le retrait du papier. 

Le relévement de ces courbes a montré que ce retrait quoiqu’assez 
faible, et à peu près régulier , pouvait néanmoins avoir quelqu'influence 
sur l'exactitude des résultats, et c’est ce qui a déterminé à coller 
le papier sur des feuilles de zinc que l’on remplacait aprés chaque 
expérience et sur lesquelles il restait collé jusqu'à ce que la courbe 
eùüt été relevée. On a, par ce moyen, évité les effets des inégalités du 
retrait et Île centrage des feuilles de zinc est devenu encore plus facile 
que celui des feuilles de papier. Car ayant eu la précaution de les faire 
tourner et percer au centre d’un trou, d’un diamètre égal à celui de 
l'arbre de la poulie, et ayant placé sur l'axe de l'instrument de relève- 
ment un anneau de même diamètre , il a suffi de poser la feuille sur cet 
instrument , pour qu’elle se trouvât exactement centrée. 

A l’aide des moyens, que nous venons de décrire, le relèvement des 
courbes est devenu facile et en y employant deux dessinateurs , dont 
lun, maniant l'instrument, lisait et dictait les angles, que l'autre 
écrivait, on est parvenu à en relever jusqu’à 20 par jour, pour les 
expériences sur la résistance de l'air, ce qui correspond à environ 
280 mètres d'espace parcouru. 

On remarquera que l'usage de cet instrument réunit l'exactitude 
à la célérité, et qu'il donperait au besoin 305% de la circonférence 
du plateau. Or celui-ci pouyant marcher à des vitesses variables depuis 


568 __ MÉMOIRES ET PIÈCES. 


deux jusqu'à dix tours en 4/, on aura par ce moyen la valeur du 
temps avec une approximation qui dépasse tout ce qui a été obtenu 
jusqu'à ce jour. 

45. Modifications que l’on pourrait apporter à ces appareils. Après 
ayoir décrit les appareils qui ont été construits et les moyens em— 
ployés pour le relèvement des courbes , il ne sera sans doute pas hors 
de propos d'indiquer quelques dispositions qui pourraient les per— 
fectionner et en étendre l'usage , soit en en réduisant beaucoup les di- 
mensions, la complication et le prix, soit en prolongeant la durée 
du mouvement uniforme. 

Remarquons d’abord que, dans les appareils décrits plus haut, le 
mouvement ne devient uniforme qu'au bout d'un certain temps et 
après que le poids moteur est descendu d’une certaine hauteur, et 
qu’il atteindra cette limite d'autant plus tard que les masses du système 
auront up moment d'inertie plus considérable ; et, comme pour certaines 
expériences, il peut être nécessaire que le volant à ailettes soit ac— 
compagné d’un volant proprement dit d’une masse assez grande, pour 
rendre insensible la résistance du style, on voit que le mouvement 
n’arriverait que tard à l’uniformité et ne durerait pas assez long-temps. 
Il est facile de remédier à cet inconvénient, soit en ajoutant au poids 
moteur constant un poids additionnel assez considérable, pour que, 
son action concourant avec celle du premier, le mouvement approche 
promptement de la vitesse qu'on veut lui donner, et qui touchant 
à terre, à partir de cet instant, laisserait l'appareil soumis à la seule 
action du poids constant. Mais il est, dans la plupart des cas, plus 
simple et plus commode au moment de la mise en mouvement de 
l'appareil chronométrique, d’agir à la main sur le volant et de lui 
imprimer directement une grande vitesse, que le poids moteur ne 
devra plus que ramener à la vitesse de régime. 

Un perfectionnement beaucoup plus important que ces appareils 
pourraient recevoir est fondé sur l'observation suivante. On sait que 
la résistance des milieux croît avec leur densité, et que par conséquent 
si le volant à ailettes se mouvait dans un milieu plus dense que l'air, 
le mouvement serait bien plus tôt régularisé , et comme il ne serait pas 
nécessaire alors que les ailettes eussent une grande vitesse, on pour- 
rait réduire l'appareil à deux axes de rotation pour les grandes vitesses , 
et à un seul pour les petites. Une disposition de ce genre a déjà été 
mise en usage ayec succés par un artiste ingénieux *, qui est ainsi 

* M. Gctten, fabricant de lampes mécaniques, a présenté, à la dernière exposition des 
produits de l'isdustrie, des Jampes dout Je régulateur marche dans l'huile, 


SIXIEME SECTION. 569 


parvenu à établir des lampes mécaniques d’un mouvement très-régulier 
à un prix bien inférieur à celui auquel il pouvait les livrer auparavant. 

En appliquant cette idée, on pourrait réduire de beaucoup les di- 
mensions du volant, sa vitesse, le poids, le volume et le prix des 
appareils : mais , ce qui est encore plus important, c’est que l’on pourrait 
prolonger de beaucoup la durée de leur mouvement uniforme sans 
augmenter la hauteur de chûte du poids moteur. 

Cette idée serait particulièrement applicable , avec la plus grande 
facilité, aux chronomètres dont le style ou le plateau devraient se mou- 
voir horizontalement, 

Il y a plus, l'emploi des régulateurs mus dans un liquide d’une 
grande dexsité, pourrait conduire sans doute à d’importans perfec- 
tionnemens pour les horloges à contre-poids ou même à ressort et 
permettrait de supprimer l'usage du pendule: et il nous semble fort 
à désirer que des artistes habiles fassent à ce sujet quelques tentatives 
auxquelles la nature de nos occupations ne nous permet pas de songer. 
Nous remarquerons que l’eau, par la constance de sa densité entre 
des limites de température qu’il est toujours facile de conserver dans 
les appartemens , paraît essentiellement propre à étre employée comme 
milieu régulateur. 

Nous nous contenterons d’avoir indiqué ces perfectionnemens , qui 
nous paraissent susceptibles d’être utilement appliqués dans beaucoup 
de cas, et nous serions heureux de les voir mettre en usage, soit 
pour le progrès des sciences physiques , soit pour celui de l'horlogerie, 


72 


570 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


NOTICE 


SUR 


LE SYSTÈME ET LES RÉSULTATS DES TRAVAUX ADOPTÉS POUR 
L'AMÉLIORATION DE LA NAVIGATION DE LA MOSELLE , 


Par MM. 


LE MASSON, ingénieur en chef des ponts et chaussées, 


LE JOINDRE, ingénieur ordinaire, chargé du service de la 


navigation de la Moselle, 


Messieurs, 


Pour compléter le système général de navigation intérieure en France , 
il ne suffisait pas d'achever nos canaux dans leur immense développe- 
ment , il fallait encore assurer aux bateaux un tirant d’eau suflisant 
dans les rivières qui sont la continuation des canaux , ou que ceux-ci 
relient entre elles ; il fallait, en outre, perfectionner les rivières qui 
à elles seules forment déja des voies navigables importantes. 

Vous le savez, Messieurs, deux lois spéciales ont été promulguées 
pour atteindre ce but; la première est du 50 juin 4855, l’autre ne 
date encore que de la dernière session des chambres , celle de 1837. 

Les ingénieurs de la Moselle ont eu la douce satisfaction d'avoir pu 
présenter leurs projets d'ensemble assez à temps pour faire comprendre 
la Moselle dans la première de ces deux lois , celle du 50 juin 14855, 
qui, en conséquence de ces projets, a créé un fond d’un million pour 


SIXIÈME SECTION. 574 


le perfectionnement de la navigation de la Moselle , depuis le confluent 
de la Meurthe, à Frouard , jusqu'à la frontière de France, au-delà 
de Sierck. 

Cette étendue totale du cours de la rivière; forme un développe- 
ment de plus de 415 kilomètres, c'est-à-dire de près de 29 lieues ; et 
la partie qui concerne le seul département de la Moselle a une longueur 
de 80 kilomètres ou 20 lieues. 

Nos projets ne sont relatifs qu'à cette dernière partie ; l'évaluation 
sommaire des dépenses monte à 842,000 fr., dont 192,000 fr. pour les 
travaux du chemin de halage, et 650,000 fr. pour ceux à exécuter en lit 
de rivière. L'on peut déjà conclure de là que le crédit d'un nullion 
sera insuffisant pour les dépenses à faire sur toute l'étendue du cours 
entre Frouard et la frontière; maïs on suppléera à cette insuffisance 
par des allocations prélevées sur les fonds ordinaires du budget destinés 
aux travaux des rivières navigables. 

Notre but ici, Messieurs, n'est que de vous rendre compte des ré- 
sultats de nos premiers travaux d'essai , de décrire les effets physiques 
que nous avons observés, et de fournir quelques élémens de plus à la 
science encore si incomplète de l'hydraulique pratique. Nous n'avons 
donc pas à entrer dans les détails du mémoire que nous avons rédigé, 
en 4834, à l'appui de nos projets sur la navigation de la Moselle, et 
à la suite d’études et d’investigations minutieuses sur tout.ce qui Con- 
cerne le régime de cette rivière , la formation de son lit, les documens 
statisques, l'importance et les habitudes actuelles de la navigation 
depuis la Meurthe jusqu'à Coblentz; nous nous bornerons à rappeler 
quelques-unes des observations qui ont motivé l'adoption des projets 
que nous avons proposés. 

La ville de Metz, par sa position géographique , se trouve sur la 
communication directe du midi et de l'ouest de la France, avec Co— 
blentz, Cologne, la Prusse et toute l'Allemagne septentrionale, et sur 
celle de l'Alsace, et de la Suisse avec la Belgique. 

Cette position fait ressortir toute l'importance de la navigation de la 
Moselle, rivière qui relie Metz à Coblentz et au Rhin, qui longe une 
partie de la Belgique, et qui recoit par la Sarre les produits des belles 
et inépuisables houillères du pays de Sarrebruck. 

Malgré les obstacles naturels que rencontre la navigation de la Mo- 
selle, elle donne déjà lieu à un mouvement commercial considérable, 
qui, en dix ans , de 1823 à 1834, a suivi ane loi progressive du simple 
au double. 


Dans notre mémoire de 4834, nous ayons montré que, pour une 


#79 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


année moyenne ; la quantité de matières ou marchandisas transportées , 
soit à la remonte, soit à la descente , et constatée à Thionville , pou- 
vait être évaluée , pour la Moselle inférieure à Metz à 33,000 tonnes de 
1,000 kilogrammes : chiflre que l’on jugera considérable si on le com— 
pare à celui du canal du midi, dont le mouvement commercial annuel 
moyen, évalué dans une statistique de 4822 , n’est que de 92,000 tonnes. 
C'est-à-dire que, sur ce grand canal, l’activité des transports n’était 
pas le triple de celle de la navigation naturelle de la Moselle. 

Or, en 1856, année pluvieuse, très-favorable à la navigation, le 
poids des matières transportées en aval de Metz, - 

HÉSLIÉIEVÉ A ee + nier tele er ede te el RS UBDRIETNTES: 

Enfin dans les huit premiers mois de 1857, année 
plus favorable encore , elle atteint déjà le poids de 
40,900 tonnes; et pour l’année entière il est donc 
probable qu'elle atteindra, en 4857 . . . . . . . . 60,000 tonnes, 
c'est-à-dire environ les + du chiffre moyen constaté en 1822 pour le 
canal du midi. 

Une telle importance et une telle activité, dénotent déjà , dans l’état 
naturel de la Moselle, de grandes ressources auxquelles on ne doit pas 
renoncer, et supposent , dans les procédés de navigation , des habitudes 
établies qu'il n'eût pas été convenable de venir renverser. Aussi les 
ingénieurs ne se sont-ils pas arrêtés un seul instant à l’idée de proposer 
un canal latéral à la Moselle, et ils n’ont pas davantage pensé qu'il y 
eût lieu à canaliser le lit même de la rivière au moyen de barrages 
éclusés ; système qui, outre l'incertitude du succés, dans un lit affouil- 
lable , aurait l'inconvénient de faire renoncer à toujours à la navigation 
des bateaux à vapeur, et de n'être pas en rapport avec le système de 
travaux qui paraît projeté par les ingénieurs prussiens dans la Basse- 
Moselle. 

En outre, la dépense d’un canal latéral pour les 80 kilomètres du 
cours de Ja Moselle dans ce département , se serait élevée 
au moins à , 8,000,000 fr. 

Cellé de la canalisation de la rivière elle-même, au 
moyen de barrages et d’écluses aurait atteint au moins 4,000,000 

Tandis que , d'aprés nos projets, les travaux en lit de 
rinière ne s'élévent qu'à : . . . , . . . . , . . . « + . 650,000 

C'est-à-dire qu'un canal latéral coûterait douze fois plus, et la ca- 
nalisation de la rivière coûterait six fois plus que l'exécution des projets 
que nous proposons ; lesquels tant pour les travaux en lit de rivière que 
pour l'amélioration du chemin de halage , n’entraineront qu'a une dé- 


* SIXIÈME SECTION. 575 
pense de 842,000 fr. pour 80 kilomètres de rivière, ou 40 fr. 53 par 


mètre courant ; c'est-à-dire à la faible dépense seulement que nécessite 
l'ouverture ordinaire d’une route départementale. 

L'utilité d'améliorer la navigation fluviale naturelle , sans barrages 
et sans écluses , se trouvant motivée par ces observations préliminaires, 
nous arrivons, Messieurs, à vous exposer Les faits naturels sur lesquels est 
basé le système de nos travaux et les résultats que nous avons obtenus. 

Un fait principal qui nous a frappés dans l'exploration que nous avons 
faite en 4833 du cours de la Moselle , depuis l’origine de notre dépar- 
tement jusqu'a Coblentz, consiste dans la division naturelle et perma- 
nente de la rivière en parties profondes d'une grande étendue , séparées 
par des bancs de gräviers, ou hauts-fonds , d’une étendue beaucoup 
moindre , et au-dessus desquels la hauteur d’eau est trés-faible. 

Des phénomènes analogues de brefs naturels consécutifs et de hauts— 
Jonds, se présentent sur toutes les rivières à fond de gravier *. 

Dans toute l'étendue des biefs la surface de la rivière a peu de pente 
et peu de vitesse; sur les hauts-fonds , au contraire, la pente et la 
vitesse sont considérables. , 

Les hauts-fonds sont de véritables barrages naturels, terminés par 
des plans inclinés, sur lesquels la rivière se déverse; on les désigne 
par diflérens noms , qui tous se rapportent au peu de profondeur d’eau 
et à la grande vitesse qu'ils présentent : on les appelle seuils, maigres, 
baïssiers, sauts, rapides; sur la Moselle on leur a donné le nom de 
coulants, et plus ordinairement celui de gué, parce qu'en été ils 
servent au passage des voitures d’une rive à l'autre. 

Cette observation de la division de la rivière en biefs consécutifs 
et hauts-fonds , serait sans importance, si l’on n'ÿ joignait en mêmé 
temps celle de la permanence de cette division. 

De nombreux bouleversemens surviennent à la suite des crues dans 
les rivières à fond mobile ; des plages de graviers se forment, d'autres 
disparaissent , la ligue de navigation et tout le lit même se déplacent 
latéralement ; müis, malgré tous ces changemens, le nombre des 
hauts-fonds reste le même, et leur emplasement ne varie pas; la 
barre naturelle et les biefs qu’elle sépare existent toujours, par rapport 
au cours général de la rivière , à trés-peu près là où ils existaient avant 
la crue : c'est ce que savent tous les bateliers , qui ont donné à chaque 
haut-fond le nom de la commune ou de la localité à laquelle il ap- 


* M. Borel, ingénieur des ponts et chaussées, les a signalés dans un mémoire important 
sur la navigation de la Garonne, inséré davs les annales des ponts et chaussées, premier 
semestre 1836, 


574 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


partient; c'est ce que tout le monde peut observer de méme , parcé 
que, pour la Moselle, par exemple, les hauts-fonds sont des gués, 
et que les chemins qui y aboutissent sur chaque rive, et qui existent 
de temps immémorial , aux mêmes points, sont l'indice le plus certain 
de la firité des hauts-fonds. 

Nous ne sayons pas quelles sont les causes naturelles de ces phé- 
nomènes constans dans le régime si variable des rivières à fond 
mobile, et nous exprimons le vœu que le Congrès appelle l'attention 
des physiciens et des ingénieurs sur leur étude ; mais quelles que 
soient ces causes, l'on conçoit dès à présent combien cette circons-— 
tance de la permanence des biefs et des hauts-fonds est heureuse, 
et quels avantages on en peut tirer dans l'intérêt de la navigation, 
et pour l'économie des dépenses. 

Les biefs, en effet, dans lesquels les bateaux trouvent en tout 
temps un tirant d’eau suffisant , forment l'étendue la plus considérable 
des rivières, et les hauts-fonds n’en sont que l'exception. Sur la 
Moselle , par exemple, sur 80 kilomètres dans notre département, le 
nombre des hauts-fonds est de 40, ou moyennement 4 par 2 kilo- 
métres ; et leur longueur moyenne est de 220 mètres, c’est-à-dire que 
leur ensemble ne forme environ que le + de tout le cours de la 
rivière. 

Si donc, l’on peut coordonner des travaux de perfectionnement 
de manière à ne les appliquer que sur ce 9°, sans altérer les avan- 
ages que le régime naturel a toujours offert dans les biefs intermé- 
diaires aux hauts-fonds , ou aura résolu de la manière la plus éco- 
nomique et la plus conforme aux lois naturelles, l'amélioration de 
la navigation fluviale. 

Tel est le but que nous nous sommes proposé en bornant nos travaux 
à la seule étendue des hauts-fonds, au-dessus desquels nous cherchons 
à obtenir, d’une manière permanente, la hauteur d’eau que ré- 
clament les besoins de la navigation. 

Avant dé vous donner l'exposé du système de ces travaux, nous 
ne pouvons nous dispenser de vous faire remarquer , Messieurs , qu'un 
curage général des hauts-fonds n’eût pu remplir ce but. En eflet le 
résultat immédiat d’un eurage est de faire baisser la surface de l’eau , 
non pas autant , mais en même temps que le fond du lit curé; il 
arrive donc qu'il faut un approfondissement beaucoup plus considérable 
que l'augmentation de profondeur d’eau que l’on obtient; l'on détruit, 
par là, le barrage naturel, et en baissant en même temps la surface 
de la rivière, le bief supérieur se vide et ses avantages naturels dis- 


SIXIÈME SECTION 575 


paraissent. La conséquence d’un curage complet serait donc d'obtenir, 
à peu près une profondeur uniforme de toute la rivière ; mais aucun 
travail permanent ne maintenant cet état artificiel , la rivière ne tar- 
derait pas à reprendre son régime naturel, de division en brefs et hauts- 
Jonds, que nous avons signalé. Ainsi malgré l'opinion naturelle et presque 
générale qui existe en faveur des curages, on ne peut les adopter 
comme système d’un perfectionnement durable. De simples curages 
-peuvent être bons pour produire des améliorations faibles et passagères, 
mais pour une amélioration notable et permanente, il faut des travaux 
permanens. 

Le système que nous avons adopté, Messieurs, consiste à rétrécir 
le lit de la rivière sur toute l'étendue des hauts-fonds, de maniére à 
obtenir par ce rétrécissement un relèvement du plan d’eau, et par 
l'accélération de la vitesse du courant un approfondissement du lit. 

L'on aurait pu tenter de produire ce rétrécissement au moyen d’une 
série de digues transversales ou d’épis consécutifs ; mais des expériences 
faites dans ce sens à Chouzé sur la Loire, quoique toutefois incom— 
plètes, n'ayant pas réussi, et les digues transyersales des moulins 
de la Moselle, entre Metz et Thionville, présentant des hauts-fonds 
peu en aval des rétrécissemens qu’elles opèrent , nous ayons préféré 
nous arrêter à un système de digues longitudinales continues » Tat— 
tachées aux rives en amont des hauts-fonds. ï 

Deux raisons principales nous ont conduits à conserver au lit rétréci 
une largeur de 50 mètres ; la premiére est que cette largeur est né- 
cessaire, ou du moins commode pour les bateaux descendans ; la 
seconde tient à ce qu'il ne faut pas donner au courant du nouveau 
chenal une vitesse tellement considérable que le nombre ordinaire 
des chevaux de halage ne pourrait la surmonter. Or, lapplication des 
formules d’hydrodynamique de M. de Prony, démontre que, d’aprés 
la largeur, la profondeur et la vitesse moyenne sur les hauts-fonds, au 
niveau des plus basses eaux, et en admettant qu’à ce niveau le débit 
de la Moselle inférieure , soit de 25 mètres cubes par seconde, le ré- 
trécissement à 30 mètres produit une vitesse à la surface de 2",09, 
qui est, à peu près, celle des plus forts courans naturels de la 
Moselle. 

Il résulte des mêmes formules que le gonflement de la surface de 
Veau, dû au rétrécissement n'est que de 0,20, c’est-à-dire que, 
s’il n’y avait pas approfondissement du lit, le nouveau chenal ne 
donnerait que 0,60 de hauteur au lieu de celle de 0®,40 existant 
sur le haut-fond à l'étiage, ou niveau le plus bas des eaux ; ayant 


576 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


les travaux. Mais le gonflement n'est pas le seul effet produit; la 
vitesse du courant s'accélère et cette accélération doit déterminer l’ap- 
profondissement du lit aflfouillable ; à la suite de l’approfondissement 
le gonflement primitif doit diminuer, mais d'une quantité moindre 
que l'augmentation de profondeur correspondante du lit; car la pre- 
mière conséquence de la diminution du gonflement , est une diminution 
de la vitesse; et comme le débit reste constant, il faut qu’alors la sec- 
tion du lit rétréci augmente; or, sa largeur reste constante, il faut 
donc, en définitive, que sa hauteur devienne plus grande. C’est 
par ces calculs et raisonnemens, et nous basant aussi sur l'observation 
du coulant de Cattenom, qui à l'étiage, ou niveau des basses eaux, 
se trouve naturellement réduit à une largeur d'environ 50 mètres, 
que nous ayons annoncé, dans notre mémoire de 1834, l'espérance 
d'obtenir par nos travaux sur les hauts-fonds au moins (°,80 de tirant 
d’eau ,dans la Moselle inférieure à Metz, où le débit minimum, par seconde, 
est de 25 mètres cubes, et au moins 0,70 dans laMoselle supérieure 
où le débit minimum, par seconde n'est que de 48 mètres cubes. 

L'on objectera peut être que ce tirant d'eau de 0,70 et même 
de 0®,80 est très-faible par rapport à celui des canaux de grande 
navigation qui est de 1,40; mais il faut observer qu'il n’est relauf 
qu’à l’étiage, ou niveau des basses eaux extraordinaires de 1832; 
que les bases eaux des années ordinaires sont de 0",10 plus élevées , 
enfin que cet état minimum n'a qu'une très-courte durée, et que 
pendant la moitié de l'année le niveau de la Moselle se maintient à 
plus de 0,70 au-dessus de celui de l’étiage : c’est-à-dire que si nos 
trävaux amènent le résultat désiré , la navigation pourra compter , 
pendant plus de la moitié de l’année, sur un tirant d’eau de 47,40 
dans la Moselle supérieure , et 1,50 dans la Moselle inférieure à Metz ; 
et l’on jugera même, dans tous les cas , que cette profondeur de 0®,70 
et 0,80 , assurée à l'époque des plus basses eaux, aura alors encore 
les plus heureuses conséquences ; car il suffit de remarquer que des 
bateaux à vapeur , tels que ceux qui font le service sur la Saône entre 
Châlons et Lyon, et qui souvent, en été ; sont obligés sur cette rivière 
de chômer, n'ont cependant avec leur charge qu’un tirant d'eau de 
0®,70; et que sur la Moselle, quand même Jes eaux sont favorables , 
et malgré une activité trés-grande de la navigation , la charge des bateaux 
dépasse rarement 30 pouces ou 0",80 de tirant d’eau. 

C'est d’après ces motifs que nos projets pour le perfectionnement 
de Ja navigation de la Moselle ont été approuvés par M. le directeur- 
général des ponts et chaussées, et qu'un essai complet en a été auto 


SIXIÈME SECTION. 577 


xisé en 4835 au haut-fond inférieur de Haute- Ham, dans le 40° kilo- 
mèétre en aval de Metz. 

Le lit de la Moselle a été réduit dans cette localité à une largeur 
de 50 mètres , entre deux digues submersibles parallèles , élevées seule- 
ment à 0®,60 au-dessus du niveau de l’étiage , et rattachées, en amont, 
aux deux rives par des courbes de raccordement. 

Chaque digue est formée d'un noyau en gravier maintenu entre 
deux massifs de fondations en enrochemens, el couvert d’un couronne- 
ment en perré régulier, qui n’a, au sommet , que 0",80 de largeur. 

Les travaux ont été commencés en août 1835, c’est-:-dire peu de 
temps aprés le vote de la loi du 50 juin précédent. La digue de gauche 
a été faite, cette même année de 4835 , environ aux ? de sa longueur ; 
mais les hautes eaux l’ont suspendue, et elle n’a pu être terminée, 
ainsi que celle de droite , qu’en août 1836. 

Voici le résumé des changemens qui ont été la conséquence de l'exé- 
cution des travaux , et qui ont été constatés par des plans, des sondes 
et nivellemens , et des observations sur les vitesses , faits avec le plus 


grand soin en 1835 , 1836 et 1837. 


4° YARIATIONS- DANS LES PROFONDEURS DU THALWEG, A L'ÉTIAGE. 


Avant les travaux, la profondeur du thalweg à l’étiage n'était, en 

plusieurs points, du haut-fond inférieur de Haute-Ham que de 0,49 
Et la navigation qui ne peut suivre toutes les sinuosités 

du thalweg, n'avait à compter à l'étiage, que sur un tirant 

et, COR RE PMR STE MORE MATE) 
Immédiatement après la construction des digues la pro- 

fondeur s’est successivement accrüe dans l'étendue du che- 

nal rétréci. 
Les sondes faites le. 29 octobre 1836, c'est-à-dire deux 

mois aprés l'achèvement des digues , constatent qu'elle avait 

déjà atteint ax minimum. . . . . . . . . . . . . . . . . . 0,87 

et qu'elle était moyennement de . . . . . . . . . . . . . A",15 
Les sondes de juin et d'août 4837, c’est-à-dire après 

l'effet des crues nombreuses de l’hiver et du printemps pré- 

cédens , ont constaté une profondeur minimum . . . . . . 4",01 
Cette profondeur, à l’étiage, varie généralement dans toute 

l'étendue du’ chenal, de: + . . 4... ... . . . 1m45 2436 
L'effet des crues a été de creuser les parties du thalweg qui l'étaient 

le moins, mais il a y eu peu de variations dans l’ensemble des profon- 

deurs les plus fortes qui paraissent avoir atteint leur limite. 


73 


578 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


29 VARIATIONS DANS LES VITESSES. 


La vitesse à la sarface du plus fort courant , sur le haut-fond , a été 
observée avant le commencement des travaux , le 40 août 4835, la Mo— 
selle étant à 0,14 au-dessus de l'étiage, elle a été trouvée être par 
SCORE BIB Ie ae vs eo aie eslieile Le le llele) sue ce se A EE 

Immédiatement aprés l'achèvement des digues , le 22 août 
1836, la Moselle étant à 0,22 au-dessus de l’étiage, la 
vitesse maximum est devenue égale à . . . . . . . . . . . ‘2",60 
mais bientôt elle a diminué ; le 29 octobre, la Moselle étant 
à plein bord entre les digues (0®,65 au-dessus de l'étiage), 
la vitesse, devenue uniforme dans toute l'étendue du che- 
nal rétree1, n'était plus que de . . . . . . . . . . . ... 92,27 

Le 9 août 1837, à 0,55 au-dessus de l’étiage , la vitesse 
maximum n’était plus que de . .. .... , . .. . .. . 41,90 

Le 26 juin 1837, à 0,52 au-dessus de l’étiage, elle 
n'était plus que de... ............,.... 41",62 

Enfin l'on peut , d’après cette série d'observations , pré- 
voir qu'aux environs de l’étiage le maximum de la vitesse 
seraran pluside .. 1... ....:,. ::....... 14%30 
c'est-à-dire qu’il ne dépassera pas le maximum observé avant les tra 


vaux. 


5° YARIATIONS DANS LE GONFLEMENT DE LA SURFACE DE LA RIVIÈRE EN 
AMONT DU HAUT-FOND. 


Le gonflement maximum des eaux produit immédiatement après le 
rétrécissement s'est trouvé être de . . . . . . . . . , . . 0",25 
et correspondre à la hauteur de la Moselle de 0”,40 à 0”,50 
au-dessus de l'étiage. 

Mais ce gonflement qui a pu être constamment observé au moyen 
des échelles placées en amont et en aval du haut-fond, et de leur 
comparaison avec l'échelle régulatrice d'Uckange , a successivement di- 
minué, et il est probable qu'à l’étiage il est nul ou même négatif d'environ 


0,03 à 07,05. 


4° VARIATIONS DANS LES PENTES DE LA SURFACE DE LA RIVIÈRE. 


Le nivellement de la surface de la rivière fait en juin 4837, la Mo- 
selle étant à 0,45 au-dessus de l’étiage, a démontré qu'il n’était pas 
survenu de changement dans la pente totale de la rivière depuis l'amont 


SIXIÈME SECTION... 579 


jusqu'à l'aval du haut-fond ; mais il y a eu des changemens notables 

dans la répartition de ces pentes, qui aujourd'hui est à peu près 

uniforme sur toute l'étendue du rétrécissement , et par hectomètre, 

M etat en de alfa MUC 1e CAGE Aire 1 OA 

tandis, qu'avant les travaux, le 8° hectom. du 40° kilom. 

présentait seul une penteuyder 40 Jen MO STE 20m 28 
Voici du reste le tableau comparatif de ces variations de pentes : 


PENTES PAR HECTOMÈTRE 


PT, 
En août 1835. En juin 1837. 


De 39,400 à 39,500............. 
De 39,500 à 39,600.............. 
De 39,600 à 39,700.............. 
De 39,700 à 39,800... ces... 
De 39,800 à 39,900.............. 


De 39,900 à 40,000.,........... 


Totaux. ....... 


5° CHANGEMENT DU LIT EN AVAL DU CHENAL RÉTRÉCI, DE 1835 À 1837. 


Les sondes rendent parfaitement compte des changemens survenus 
en chaque point du lit, tant en aval qu’en amont, et que sur l'étendue 
même du chenal rétréci. 

En calculant, d'aprés les anciens et les nouveaux profils transversaux, 
le cube des graviers remués par suite de l’approfondissement du lit, 
on, trouve que la masse totale, enlevée dans le chenal rétréci sur 
320 mètres de longueur, est de................... 4,968 : 
et que la partie de ces praviers qui se sont déposés en 
aval des digues sur 460 mètres de longueur, est de... 3,044 

A la suite de cette longueur de 460", aucun atterrissement n’x 
été remarqué. 


580 MÉMOIRES ÉT PIÈCES. 


Ainsi environ les 2 seulement du cube déblayé par le courant, et 


formés , soit de sable, soit de menus graviers, ont été chariés au loin 
ou jetés sur les rives; les trois autres cinquièmes se sont déposés en 
aval du chenal rétréci, et ont formé un ilot de gravier que la navi- 
gation a dü contourner pour arriver aux digues. 

Ce résultat inévitable était déjà à peu près complétement produit 
lors des sondes du 29 octobre 4856; le thalweg, sur la droite de 
cet atterrissement nouveau, présentait alors deux cotes inférieures à 
0",80, savoir : l’une de 0®,72, l’autre de 0®,77. Pendant l'hiver 
l'atterrissement a été quelque peu augmenté et prolongé. Les sondes 
de juin 4857 ont constaté, dans le thalweg contigu, trois cotes 
successives de 07,68. 

Aujourd’hui toute cette masse de graviers a été enleyée au moyen 
d'un dragage qu'on a prolongé jusqu’à la profondeur d'un mètre, 
c'est-à-dire à la profondeur moyenne du lit de la rivière, dans cette 
localité, avant les travaux. 

Ce dragage vient d’être terminé, ét la navigation peut aujourd’hui 
franchir le passage du haut-fond inférieur de Haute-Ham, avec un 
tirant d’eau correspondant à un mètre, au lieu de 0%,49 de pro- 
fondeur à l'étiage, en suivant une ligne de thalweg presque droite 
de sinueuse qu'elle était, et n'ayant pas à surmonter un courant plus 
rapide que celui qui y existait avant les travaux. 

Il y a tout lien d'espérer que cet état favorable se maintiendra, 
car rien ne fait prévoir qu'il puisse survenir un changement dans le 
régime spontané que la rivière s'est formé depuis un an, soil en 
amont, soit dans l'étendue du chenal rétréci. Quant à laval, il est 
évident que l’atterrissement qu'on vient d'enlever, n’était dù qu'aux 
déblais du chenal approfondi ; et que, dès que cet approfondissement 
aura atteint son terme (ce qui paraît déjà avoir lieu), il n’y aura plus 
aucune raison pour qu'il se fasse un nouveau dépôt en aval. 

Enfin les graviers, que la rivière déplace ou transporte dans son 
cours ordinaire , ne se déposeront pas là plus qu'ils ne le faisaient avant 
les travaux, puisque ceux-ci n'ont fait qu'augmenter un peu la pente, 
et assez sensiblement la vitesse dans cette localité, ainsi là où il y a 
eu de tout temps une profondeur moyenne de plus d'un mètre , la 
même profondeur doit se maintenir. 

L'expérience des travaux du haut-fond inférieur de Haute-Ham , 
peut donc être considérée comme ayant eu un succés plus complet 
que celui qu’on espérait; puisque l’on ne calculait que sur une pro— 
fondeur de 0,80 , et qu'aujourd'hui la navigation peut y compter, à 


SIXIÈME SECTION. | B8l 


l'étiage extraordinaire de 4832, sur un tirant d'eau de un mètre, et, 
pendant plus de huit mois de l'année, sur un tirant d'eau de 1,40 
qui est celui des plus grands canaux. 

Bien des objections cependant avaient été faites contre le système de 
iravaux qui a été suivi; on pensait que nos faibles digues, avec un 
noyau en gravier, ne résisteraient pas à l’action de la rivière ou que 
le rétrécissement augmenterait la hauteur des crues; l’on prétendait 
aussi que l'approfondissement du lit amenant une diminution dans le 
gonflement de la surface, ces deux effets pourraient fort bien se dé- 
truire, et que les travaux n'auraient alors aucun avantage pour la 
navigation; enfin l'on objectait qu'un nouveau haut-fond viendrait à 
se former en aval du chenal rétréci. 

Nous venons de vous le dire, Messieurs ; aucune de ces objections 
ne s'est réalisée. 4° Malgré des crues répétées de 4 à 3 mètres, dans 
les deux dernières années pluvieuses de 1836 et 1837, malgré de 
fortes débacles de glaces, nos petites digues ont résisté sans la moindre 
avarie, eL il est probable qu'elles résisteront toujours de même. 

90 A la hauteur d'un mètre déjà, les digues submergées de 0®,40 
ne produisent plus de gonflement, et ne sont plus visibles que par 
le jeu de la lumière à la surface irradiée qui correspond à leur empla- 
cement, Elles sont donc sans influence aucune Sur l'écoulement des 
crues ; 

3° Les deux effets de l'approfondissement du lit et de la diminu- 
tion du gonflement de la surface , ont été loin d'annuler l'augmentation 
de hauteur d’eau , puisqu’en définitive la profondeur minimum a été de 
4,01, tandis qu'avant ces travaux elle n’était que de 0,49; 

4° Enfin , une fois que le régime sera établi dans le chenal rétréci , 
il est probable qu'il ne se formera plus aucun atterrissement en aval, 
puisque c'est là un bief naturel, et que les graviers chariés par la 
rivière dans son cours ordinaire ; qui ne s'arrétaient pas là avant les 
iravaux , ne s'y arrêteront pas davantage aujourd'hui qu'aucun chan- 
gement n’est survenu ; qu'une faible augmentation dans la vitesse. 

Il résulte de ces observations ; Messieurs; que nous pouvons conti- 
nuer en toute confiance , à appliquer le même système de travaux Sur 
tous les autres hauts-fonds, soit en resserrant la rivière entre deux 
digues parallèles , soit en remplaçant l’une des digues par une rive 
solide ou consolidée par des enrochemens. 

Les travaux pour 21 des 40 hauts-fonds sont déjà adjugés , et au- 
raient été en grande partie terminés en 4837 sans la hauteur constante 
des eaux ; mais en 4836 on n'a pu travailler aux digues submersibles 


582 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


que pendant 40 jours; en 1837, année plus défavorable encore; 
les crues se sont tellement succédé , qu'au bout de 20 jours seulement 
de travail, et au moment où près de 300 maçons étaient employés 
sur la Moselle , il a fallu abandonner toutes les digues submersibles , 
et il n’y a plus aujourd'hui d'espoir de les reprendre dans l’arrière- 
saison. 

Les ouvrages du chemin de halage ont seuls pu étre continués, ét 
d'immenses améliorations seront obtenues avant la fin de cette année ; 
tous les bras secondaires seront barrés , toutes les vieilles eaux , toutes 
les parties basses des rives seront traversées ou couvertes par des levées 
de halage. 

Si les années suivantes ne sont pas aussi contraires que 4836 et 
4837 , nous conservons l’espérance de terminer en 1839 tous les tra- 
vaux de perfectionnement de la navigation dans notre département ; 
et nous avons aussi celle d'obtenir des résultats qui ne seront pas 
moins heureux que ceux de Haute-Ham. 

Alors ; Messieurs, sans avoir porté atteinte aux propriétés rive- 
raines, sans avoir troublé aucune des habitudes établies pour une 
navigation déja importante, sans avoir entravé la marche des bateaux 
à vapeur et sans avoir augmenté, comme pour un canal , la durée des 
chômages dus à l'existence des glaces dans une eau presque stagnante, 
mais en maintenant dans le régime naturel ce qui est favorable, et ne 
perfectionnant que ce qui est insuflisant , nous aurons produit pour la 
navigation fluviale de la Moselle, sur vingt lieues de longueur, des 
améliorations durables ; nous lui aurons assuré un tirant d’eau qui, à 
l’époque des plus basses eaux, sera égal à celui qui répond aujourd'hui 
aux grandes charges habituelles des bateaux , et qui, pendant près de 
huit mois de l’année, sera égal ou supérieur à celui des canaux de 
premier ordre. 

Enfin, si tous ces résultats se réalisent, mous les aurons obtenus au 
moyen de la faible dépense qu'eüt exigée l'ouverture d'une route de 
terre, et nous aurons , Messieurs , la bienfaisante pensée d’avoir con- 
tribué, dans l’étendue restreinte de nos forces , à la prospérité du pays 
auquel nous devons , auquel nous consacrons notre existence. 


Metz, 13 septembre 1857. 


SIXIÈME SECTION. 583 


NOTICE 


SUR 


DIVERS APPAREILS DYNAMOMÉTRIQUES 


PROPRES A MESURER L'EFFORT OU LE TRAVAIL DÉVELOPPÉ PAR 
LES MOTEURS ANIMÉS OU INANIMÉS ET PAR LES ORGANES DE 
TRANSMISSION DU MOUVEMENT DANS LES MACHINES, 


Par Arraur MORIN, capitaine d'artillerie. 


AVANT -PROPOS. 


Les instrumens que nous nous proposons de décrire dans cette 
notice servent depuis l’année 1831 , aux diverses expériences que nous 
avons exécutées ou entreprises sur le frottement, sur la transmission 
du mouvement par le choc , sur les variations de tension des courroies, 
sur le tirage des voitures, des charrues et le halage des bateaux. 
L'usage et les circonstances différentes dans lesquelles ils devaient 
être employés en ont fait souvent modifier les parties accessoires , mais 
les dispositions principales ont toujours été les mêmes, ainsi que le 
principe fondamental qui en a été la base. 

Le but de leur construction était de rendre les observations plus 
faciles et plus exactes que celles que l’on peut exécuter avec les autres 
dynamomètres connus jusqu’à ce jour, en obtenant des indications 
permanentes des efforts ou des quantités d’action développées par la 
puissance motrice, {qui fait mouvoir un appareil quelconque et il a 
été atteint de deux manières différentes , selon la nature et la durée 
des observations. L'une des solutions est relative au cas où les ex— 
périences ne doivent être prolongées que pendant un intervalle de 
chemin parcouru ou de temps assez court et correspondant par exemple 


584 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


à 400 ou 500 mètres ou à une demi-heure au plus, alors on se 
contente d'obtenir sur une feuille de papier une trace écrite de tous 
les eflorts exercés par la puissance motrice. L'autre se rapporte au 
cas où l'étendue de l'expérience doit étre beaucoup plus considérable 
et correspondre à plusieurs lieues ou à plusieurs heures et on emploie 
alors un compteur, qui totalise la quantité d'action développée par 
le moteur dans tout cet intervalle, en jouissant aussi de la propriété 
d'indiquer celle qui correspond à telle fraction que l’on veut. 

Je dois au savant M. Poncelet mon maître et mon ami l'idée fon- 
damentale de ces deux solutions, savoir : 4° l'emploi d’un style tracant 
une courbe des efforts sur une feuille dé papier mise en mouvement 
par un moyen direct et 2° l'usage du compteur à roulette , qui totalise 
la quantité d’action. En le déclarant à diverses reprises, dans mes 
mémoires sur les nouvelles expériences sur le frottement, dans celui 
qui a obtenu de l'académie des sciences le prix de mécanique de la 
fondation Monthyon, dans celui qui a obtenu la médaille d’or de la 
société d'encouragement pour l'industrie nationale , ainsi qu’à l'académie 
royale de Metz, et dans les séances particulières et publiques de la 
5° session du congrès scientifique , tenu à Metz en 4857 , je n'ai fait 
qu'acquitter la dette de l’amitié. La part qui peut me revenir dans 
le mérite d'exécution de ces instrumens n’est relative qu’à la forme 
et à la proportion des lames dynamométriques , aux divers moyens 
d'obtenir la trace de leur flexion sur des feuilles de papier douées 
d’un mouvement circulaire ou de translation, à la construction du 
compteur et aux modes d'obtenir à volonté des indications de ses 
révolutions , et à l'agencement général des divers dispositifs à employer 
pour les adapter à tous les appareils soumis à l’expérimentation, et 
dont les formes variables se prêtaient plus ou moins facilement à cette 
application. 

Entre les mains d'artistes habiles, ces dynamomètres recevront sans 
doute encore bien des perfectionnemens , leur disposition se simplifiera ; 
mais, après avoir recu la sanction de sept années d'usage et d'emplois 
variés, où l'exactitude de leurs indications a été constatée par l'accord 
des résultats et par des vérifications directes et nombreuses, ils sont 
déjà, je pense, parvenus à un point assez satisfaisant, pour étre 
livrés avec confiance à l’industrie et offerts aux expérimentateurs, pour 
la solution d’un grand nombre de questions. C'est ce qui m'a déter- 
miné à en donner une description détaillée accompagnée d'une notice 
sur les divers dispositifs de montage à employer selon les cas et sur la 
manière de s'en servir. 


SIXIÈME SECTION. 585 


DESCRIPTION DES APPAREILS. 


1. L'industrie et l’agriculture éprouvent depuis long-temps le besoin 
d'un instrument qui permette de mesurer ayec une exactitude, sinon 
mathématique , au moins suffisante , les eflorts développés par les diverses 
puissances ou résistances qui sollicitent les machines ou les instrumens 
qu’elles emploient. 

Si l’on réfléchit au grand nombre de questions encore indécises 
qu'un pareil instrument Pourrait servir à résoudre, on s'étonne à juste 
tre que jusqu'ici les tentatives faites pour l'obtenir, n'aient été ni 
plus nombreuses ni plus heureuses. En effet le législateur est encore 
incertain sur les bases des lois relatives aux routes, car les rapports 
entre le tirage des voitures, leurs dimensions et les dégradations 
qu'elles causent aux routes ne sont pas établis d’une manière positive. 
L'agriculteur, pour fixer son choix sur les diverses charrues vantées 
par les uns et décriées par les autres, et sur les diverses machines 
d'agriculture , n’a que des instrumens imparfaits , où chacun selon son 
intérét ou ses préventions peut voir à peu près ce qu'il veut. Aussi 
ne doit-on pas s'étonner du désaccord que l’on remarque dans les opi- 
nions des diverses sociétés d'agriculture. Parmi les nombreuses indus- 
tries, qui, à l’aide de machines ingénieuses , préparent avec économie 
les produits perfectionnés dont l'usage se répand avec profusion dans 
toutes les classes, la plus avancée sans doute est celle de la filature 
et du tissage du coton, et cependant, depuis nombre d'années, elle 
réclame en vain un moyen de mesurer d’une manitre précise la force 
nécessaire aux machines varices qu’elle emploie. Nous nous bornerons 
à ces exemples pour faire sentir toute l'importance de la question 
que nous allons traiter dans ce mémoire, et si les appareils. que nous 
allons décrire peuvent remplir l'objet auquel ils sont destinés, nous 
croirons avoir rendu un véritable service aux arts industriels, 

2. Des conditions auxquelles un dynamomitre doit satisfaire. 
Pour être d’un usage sûr et commode, un dynamométre doit satisfaire 
aux conditions suivantes : 

4° La sensibilité de l'instrument doit être proportionnée à l'in 
tensité des eflorts à mesurer et ne doit pas être altérée par l'usage. 

2° Les indications de Fe. doivent étre obtenues d'une ma 
nière indépendante de l'attention, de la volonté où des préventions 
de l'observateur , et par conséquent fournies par l'instrument lui-méme 
au moyen de traces ou de résultats matériels, qui subsistent aprés 
lexpérience. 

74 : 


586 MEMOIRES ET PIECES. 


3° Il faut que l'on puisse obtevir l’eflort exercé en chaque point 
de l'espace parcouru par le point d'application de l'effort, ou dans 
certains cas à chaque instant de la durée des observations. 

4 Si l'expérience doit être par sa nature continuée long-temps, il 
faut que l'appareil permette de totaliser facilement la quantité d'action 
ou de travail dépensée par le moteur ou dans certains cas la quantité 
de mouvement ou le produit des efforts par leur durée. 

Telles sont les conditions principales que nous nous sommes imposées 
dans la disposition des divers appareils dynamométriques que nous 
avons fait construire, et que nous avons déja employés à un assez 
grand nombre d'expériences diverses pour les offrir avec confiance 
à l'industrie. 

5. Construction du ressort dynamométrique. Pour satisfaire à la 
première condition, et pour faciliter l'examen des indications laissées 
par les ressorts dynamometriques , nous avons cherché à construire 
des ressorts qui prissent des flexions proportionnelles aux efforts exercés, 
ce qui devait rendre ces instrumens d’un usage bien plus commode 
que tous ceux qu'on à faits jusqu'à ce jour; puisque le rapport des 
efforts aux flexions étant une fois connu, il suffira de mesurer celles-ci 
ou d'en avoir une trace pour obtenir l'expression de l'effort, sans 
calcul et à l’aide d’une simple proportion. 

Pour y parvenir, nous nous sommes basés sur les résultats suivans 
de la théorie de la résistance des matériaux à la flexion, savoir: 

La flexion d’une lame élastique à section rectangulaire encastrée 
par l'une de ses extrémités ou posée librement sur deux appuis sous 
l'action d'un effort perpendiculaire à sa direction primitive dans sa 
position de repos est 

4° Proportionnelle à cet eflort ; 

2° Proportionnelle au cube de la longueur c de la lame ou du 
bras de levier de l'effort ; 

5° En raison inverse de la largeur a de la lame dans le sens per- 
pendiculaire au plan de flexion ; 

4° En raison inverse du cube de l'épaisseur » de la lame à sa 
partie encastrée dans le sens du plan de flexion ; 

5° En raison inverse du coeflicient E d'’élasticité de la matière em— 
ployée. s 

6° Si le profil longitudinal de la lame présente la forme para- 
bolique des solides d’égale résistance, les flexions sont doubles de 
celles que prendrait une lame d'épaisseur uniforme sur toute sa lon— 
gueur. 


SIXIÈME SECTION. 387 


Ges résultats de la théorie * sont d’accord avec l'expérience, toutes 
les fois que les flexions ne dépassent pas les limites de l'élasticité , 
c'est-à-dire lorsque les corps fléchis reprennent leur forme primitive, 
dés que l'effort cesse son action. La constructiou même et la vérifi- 
cation des instrumens que nous allons décrire, ont fourni de nouvelles 
preuves de l'exactitude de ces bases. 

D'aprés ce qui précède, on aura donc, pour des ressorts d'égale 
résistance, la relation 

ane 8Pc? 
M 
formule à l’aide de laquelle on peut calculer l’une quelconque des 
quantités qui y entrent, quand on convaît les autres. 

À l’époque où nous avons fait établir les premiers dynamomètres , 
le coeflicient E d'élasticité de l'acier n’était pas bien déterminé, mais la 
construction même de ces instrumens nous a permis d'en obtenir la 
valeur pour les ressorts, et nous ayons trouvé qu'elle était pour 


L’acier fondu E — 31945 560 oookil 
L’acier d'Allemagne E — 16904000 000. 


4. Rapporis qu'il convient d'établir entre les diverses proportions. 
La largeur a de la lame doit être limitée à 0,040 ou 0®,050 , parce 
que le gauchissement produit par la trempe est d'autant plus sensible 
que la lame est plus large , ce qui offre des difficultés dans l’ajustage. 

L'observation des ressorts déjà exécutés nous a fait reconnaître que 
les flexions des lames restaient proportionnelles aux efforts tant qu'elles 
ne dépassaient pas 5 à 5 de leur longueur à partir de la partie encastrée. 

D'aprés ces données il sera donc facile de calculer l'épaisseur b qu'il 
conviendra de donner à une lame à sa partie encastrée, pour que, 
sous un effort déterminé elle prenne une flexion connue. Elle sera 
fournie par la formule 


Nous en donnerons tout-à-l’heure des exemples. 

5. Forme et courbure du profil longitudinal des lames de ressort. 
L’épaisseur de la lame, dans le sens de la flexion, à la partie où elle 
est encastrée, étant déterminée , et le profil de la lame dans le même 
sens, devant être celui d’un solide d'égale résistance, il est facile de 
construire Ja courbe de ce profil. On sait, en eflet, d'aprés la tñéorie 


* Résumé des Jeçons de mécanique données à l’école des ponts et chaussées, par M. Navier: 


588 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


et les résultats d'expériences connus sur la résistance des matériaux 
à la rupture *, que la résistance d'un solide à section rectangulaire 
encastré à l’une de ses extrémités , et sollicité à l’autre par un effort 
perpendiculaire à sa direction, est en un point quelconque : 

4° Proportionnelle à sa largeur constante a ; 

2° Proportionnelle au quarré de son épaisseur au point considéré ; 

3° En raison inverse de la distance de ce même point à l'extrémité 
sur laquelle agit le poids ou l’effort. 

Ces résultats de la théorie sont d'accord avec l'expérience, tant que 
la flexion ne dépasse pas les limites de l’élasticité, ce qui est le cas 
de nos ressorts, dont la flêche de courbure ne doit pas excéder +5 à & 
de leur longueur, comme on l’a dit au n° 4. 

Si donc nos lames ont une face en ligne droite perpendiculaire à 
la direction de l'effort et l’autre courbe, en appelant 
x l’abscisse de la courbe mesurée à partir du point où agit l'effort, 
7 l'ordonnée de la courbe perpendiculaire à Ja ligne des abscisses , 

On aura pour l'équation de la courbe 


b? 
DRE) 
c 
> 4 Pb? 
qui est celle d’une parabole dont le paramètre — est connu. En se 
c 


donnant des valeurs successives de x, on aura donc facilement les 
ordonnées y correspondantes. 

6. Disposition des lames de ressort. Les lames de ressort, disposées 
pour mesurer Ja iraction des chevaux sur les voitures, les charrues, 
les bateaux , etc. , sont disposées comme l'indique la fig. 4, PI. E. 

Deux lames aa! et bb!, exactement semblables, dont les faces in-- 
térieures sont planes et les faces extérieures paraboliques sont ter- 
minées, à leurs extrémités, par un nœud d’articulation de même 
largeur, percé d’un trou allésé dans le sens de cette dimension. De 
petits boulons en acier traversent à frottement doux ces oreilles, ainsi 
que des brides ff placées au-dessus et au-dessous des lames, et y 
sont fixés par des écrous, de sorte que les lames ont la liberté 
de se mouvoir facilement dans le sens de leur longueur, et se placent 
naturellement dans une position parallèle, lorsque l’eflort est dirigé 
perpendiculairement à la lame D£, qui est fixée au corps à tirer de 
la manitre suivante. 


Une grifle postérieure € est percée d’une ouverture pour le passage 


* Résumé des lecons de M, Navier. 


SIXIÈME SECTION. 589 


de la lame qui s'y introduit dans le sens de sa longueur. Un épau- 
lement d'une longueur égale à la largeur de la grifle , a été ménagé 
au milieu de la lame, et entre avec précision dans cette ouverture. 
Des vis de pression g à pointe conique, serrent la lame dans cet 
encastrement, et c’est à partir du dehors de la grifle c et jusqu’au 
centre des trous b et D! que se compte la longueur de la lame. 


Une griffe antérieure d recoit pareillement la lame ad! 


et porte 
un anneau 7 auquel s'accroche la volée ou la corde sur laquelle le 
moteur agit. 

I convient de disposer les griffes c, de telle facon qu'elles se 
touchent quand l'instrument est au repos, on en verra plus loin les 
avantages. 

Enfin les mêmes griffes peuvent recevoir des lames de diverses 
forces. 

7. Observation sur l'effet de l'accouplement des lames. On remar- 
quera que, par cet accouplement de deux lames, l'écartement de leurs 
milieux est double de la flexion de chacune des extrémités. On 
pourrait ainsi réunir plusieurs paires de lames de même force, dont 
les flexions, s’ajoutant sans que l'effort supporté par chacune d'elles 
augmentât, donneraient à l'appareil plus de sensibilité ; mais la mul- 
üplicité des articulations pourrait peut-être nuire à l'exactitude, et 
il nous semble que, dans les proportions adoptées , il est facile d’avoir 
un instrument qui donne des indications suffisamment approchées. 

8. Moyen d'éviter que les ressorts ne soient forcés. Le plus grand 
effort que le ressort doive supporter; étant connu par la condition 
que la flexion correspondante ne dépasse pas le dixième de la longueur 
des lames, .on évitera que, par un acoup, il ne puisse être forcé, 
en fixant à la griffe postérieure c une bride d'arrêt suflisamment forte, 
contre laquelle la lame antérieure vienne s'appuyer, quand ‘la tension 
atteint son maximum. 

9: Lames de ressort isolées: Tout ce que nous avons dit sur la 
forme des ressorts peut s'appliquer à des lames dynamométriques 
isolées à une ou à deux branches. C’est ce que nous avons fait en 1834 
pour la construction d'un dynamomètre de rotation, que nous avons 
employé à l'exécution d'expériences sur le frottement des axes de 
rotation *, et dont nous donnerons plus loin la description. 

40. Résultats d'expérience sur les dynamomètres. Les principes que 


* Nouxelles expériences sur le frottement des axes de rotation, sur la variation de tension 
des courroies ou cordes sans fin employées à la transmission du mouvement sur Je frottement 
des courroies à la surface des tambonrs, faites à Metz en 1834 ; à Paris, chez Çarillan-Gœury. 


590 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


nous ayons rappelés et les proportions que nous avons indiquées dans 
les numéros précédens, ont été ‘appliqués à la construction de sept 
dynamomètres de diverses forces, et les résultats que nous avons 
annoncés, ont été obtenus et vérifiés en présence de plusierrs in— 
génieurs et du comité des arts mécaniques de la société d’encourage- 
ment. Nous les indiquons avec les dimensions principales des lames 
dans le tableau suivant : 


Taszeau des dimensions et des flexions de plusieurs dynamomètres. 


FORCE LARGEUR | LONGUEUR | ÉPAISSEUR | Hénoenent ACIER 
CES ds des lames L 
des lames, lames. branche. encastrée, ps employé. 


maximum des de chaque 


m m 
e Le 
0,0045 | 0,00220 


0,0079 | 0,00276 
0,0079 | 0,00307 
0,0135 | 0,00135 


o,0147 | 000265} Acier 
o,0147 | 0,00125 (d'Allemagne 


0,0211 | 0,00102 


Quant aux dimensions du profil des lames, elles ont été déterminées 
par la formule du n° 5, qui a donné les résultats suivans. 


FORCE VALEURS DE L'ORDONNÉE y 

maxi CORRESPONDANTES À DES VALEURS DE æ LGALES A 

UD | 

des lamtes|| Gm 04, 0m,10, | 0,15. | Om,20. | 0w,25. | 0m,30. [0w,411 |0w,50, 

m m m m m m m m im m 

100 |l000125/000213| 0,0027| 0,0038| 0,0047| » » » » » 
200 || 0,0016] 0,0035| » 0,0050| 0,0061| 0,0070| 0,0079| » » , 
400 || 0,0025| 0,0055| 0,0055| 0,0075| 0,0095| 0,0110| 0,0123| 0,0135| » | ; 


300 | 0,0023| 0,032] 0,0051| 0,0075| 0,080! 0,0105| 00119} 0,0125. 0,047! » 

600 || 0,0023| 0,0032| 0,0051 | 0,0073| 0,0089| 0,0105| 0,0119| » 5 

1000 || 0,000! 0,0042| 0,0067| 0,0095| 0,0146| 0,0134| 0,0149/ 0,0164| >» 0,0211 
| 


SIXIÈME SECTION. 594 


11. Observation relative à la lame de 6oo"il en acier d’ Allemagne. 
On remarquera que la lame en acier d'Allemagne de 600 kilogrammes, 
a la même largeur, la même épaisseur à la partie encastrée , et le même 
profil longitudinal que celle de 300 kilogrammes, et qu'elle n'en diffère 
que par la longueur de la branche ou du bras de levier de l'effort, et 
qu'ainsi que la théorie l'indique , les flexions de ces lames sont en raison 
directe du cube des bras de levier. On a adopté cette disposition, 
afin de pouvoir placer à volonté dans la monture de la lame de 
300 kilogrammes, un autre ressort de la force de 600 kilogrammes, 
pour mesurer de plus grands efforts. 

42. Moyen d'obtenir une trace permanente des flexions du ressort. 
Pour sausfaire à la seconde des conditions que nous avons posées au 
n° 2, nous avons réalisé une idée, qui nous a été suggérée par le 
savant M. Poncelet, et qui consistait à armer la lame antérieure d’un 
style, qui laissât, sur une surface mobile, suivant une loi connue, 
une trace de toutes les flexions des lames. Nous y sommes parvenu 
par plusieurs moyens qui nous sont propres et qui ont varié 
selon la nature et le but des expériences. Voici celui auquel nous 
nous sommes arrêté en dernier lieu comme le plus commode dans 
l'exécution , et le plus propre à un grand nombre de recherches. | 

La griffe antérieure 4 est percée d’un trou taraudé, que traverse 
une vis suivant l'axe de laquelle peut glisser à frottement doux, un 
tuyau en cuivre garni à sa parte inférieure d’une douille tronconique 
à vis, dans laquelle on ajuste un petit pinceau. On remplit le tube 
d’encre de chine délayée à la consistance convenable, et on ferme 
son extrémité avec un petit bouchon métallique. Un petit trou percé 
au haut et sur le côté du tube, permet à l'air d'y pénétrer à mesure 
que l'encre s'écoule par le bas. Lorsque le pinceau est bien lavé, 
convenablement serré dans la douille; la capillarité suffit pour produire 
une alimentation constante et régulière de la pointe du pinceau. 

On objectera peut-être que, dans les variations de la tension du 
ressort, la pointe du pinceau s'ifléchissant, pourrait occasionner des 
erreurs sur l'appréciation de ces efforts. Mais on remarquera que la 
pointe du pinceau prend la direction de la résultante des vitesses 
du papier et de la lame dans ces oscillations, et que cette dernière 
étant. généralement beaucoup plus petite que la premiére, l'erreur à 
craindre est très-faible. Au surplus, on peut remplacer le pinceau 
par un crayon de mine de plomb, mais nous préférons le premier 
moyen à cause de la netteté de ses indications. 

La partie supérieure du tube porte un épaulement au-dessous 


592 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


duquel s’interpose un petit ressort à boudin, qui tend à relever le 
pinceau. Une bascule e (Fig. 4 et2, PI. 1), garnie d’un ressort d'arrêt, 
permet au contraire d’abaisser ce tuyau, en comprimant le ressort 
à boudin, lorsqu on veut obtenir la trace de Ja pointe du pinceau. 

Si l’on employait un crayon pour style, on pourrait disposer la 
bascule, de manière à laisser retomber le crayon dont on augmente- 
rait le poids autant qu'il serait nécessaire, et à le relever à la fin de 
chaque expérience. 

Pour recevoir la trace du style, une bande de papier enroulée sur 
un cylindre f'servant de magasin , passe sur un deuxième cylindre g, 
placé immédiatement au-dessous du style, et dont l'axe est parallèle 
à la ligne décrite par la pointe du pinceau. Il suit de là que le papier 
ne peut fléchir sous l’action du vent ou sous son propre poids. 

La feuille de papier s’enroule d’elle même sur un troisième rouleau £ 
qui sert de récepteur. 

On trouve dans le commerce , à bas prix, des papiers blancs faits 
à la miécanique, destinés à la tenture , en rouleaux de 9 mètres de 
longueur. On roule ces feuilles sur un mandrin cylindrique , et on les 
coupe au tour trés-facilement à la longueur des cylindres ,-de sorte 
que le papier a partout la même dimension. 

Il serait, au besoin, trés-facile de tirer des fabriques des papiers 
beaucoup plus longs ou de coller deux ou plusieurs bandes les unes 
au bout des autres. * 

On concoit facilement que le style étant, à l'aide de la bascule e 
et de la vis, amené au contact de la feuille de papier , la pointe du 
pinceau y décrira une courbe qui sera la trace permanente des flexions 
des lames et par conséquent des eflorts exercés. 

Un second style k, fixé à la griffe postérieure c , et par conséquent 
immobile, trace sur le papier une ligne, qui correspond à un effort 
nul ou à la position des lames au repos , et donne ainsi le zéro des 
efforts; de sorte que l'effort exercé est toujours mesuré par l’écarte- 
ment de la courbe à cette ligne du zéro. 

15. Manière de faire mouvoir le papier qui reçoit les traces du style. 
Le mouvement du transport , perpendiculaire à la direction des efforts, 
peut être communiqué à la bande de papier de plusieurs manières, 
selon le but que se propose l'expérimentateur et les machines sur les- 
quelles il opère. Ainsi pour les observations sur les voitures et sur les 
charrues à ayant-train , marchant à une vitesse périodique et à peu près 
uniforme , le mouvement se prend sur le moyeu d’une des roues de 
devant par une corde sans fin et des poulies de renvoi. En proportion- 


SIXIÈME SECTION. 393 


mant convenablement cette transmission de mouvement , facile à placer 
sur toutes les voitures, on peut tracer avec des bandes de 9 mètres 
des courbes de flexion correspondantes à des étendues de chemin de 
4, 5 et 600 mètres, ce qui est bicn suffisant pour des expériences 
sur le tirage des voitures ct des charrues. 

Mais , pour les charrues sans avant-train et pour les bateaux , il serait 
peu commode ; fort assujettissant et souvent impraticable de prendre 
le mouvement sur des points fixes ; il faut employer un autre moyen 
qui consiste en un moteur chronométrique dont le mécanisme , analogue 
à celui des tournebroches, peut être muni d’une fusée et d’un volant 
à ailettes pour obtenir une régularité suffisante dans le mouvement. 
Un des axes de ce moteur est mis en communication avec l'arbre du 
cylindre distributeur du papier, qui alors se développe sous le style 
d'un mouvement uniforme. 

En ajoutant à la monture un troisième style Z, que l’on fait manœuvrer 
soit à la main, soit', pour les voitures, par un mécanisme facile à con 
cevoir, on peut, en employant le moteur chronométrique, indiquer 
sur le papier les chemins parcourus. 

44. Disposition pour communiquer au papier un mouvement de 
transport régulier. On voit donc qu’en prenant pour moteur l’une des 
roues de la voiture ou un appareil chronométrique , on peut, à volonté, 
obtenir un mouvement régulier en rapport constant, soit avec l'espace 
parcouru soit avec le temps. Mais si ce mouvement était transmis di- 
rectement à l'arbre du cylindre récepteur dont le papier, en s'enrou-— 
lant , augmente le diamètre extérieur , il s'ensuivrait que, bien que le 
mouvement du cylindre fût uniforme , celui de transport de la bande 
de papier s’accélérerait sans cesse. Il est facile d'éviter cet inconvénient 
de plusieurs manières, et parmi celles que nous avons essayées et pro- 
posées , la plus simple et la plus exacte est la suivante. 

Le mouvement est transmis à un cylindre intermédiaire 7 sur lequel 
s'enroule un fil de soie, qui y est fixé par un bout, tandis que son 
autre extrémité est attachée à une fusée conique »m, montée sur l'axe 
du récepteur. Les diamètres de cette fusée sont calculés, de facon 
que le mouvement du cylindre moteur 7 étant uniforme, celui du 
récepteur g se ralenit en raison directe de l'accroissement de son 
diamètre extérieur par l’enroulement du papier. Le calcul des dimen- 
sions de la fusée est trés-facile. En effet, si l'on dispose près du 
cylindre récepteur un ressort de pression, qui occasionne une résistance 
constante au déroulement du papier , il s’ensuivra que , pour un nombre 
de tours donné, l'accroissement du diamètre du récepteur g sera tou- 


75 


594 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


jours le même, et que, par une observation préalable , il sera toujours 
aisé de connaître le diamètre extérieur du récepteur correspondant à 
l'enroulement des neuf mètres de la bande de papier. Par exemple, 
sur un rouleau d’un diamètre de 0,051, cette longueur s'enroule en 
45 tours et donne un diamètre extérieur de 0®,058. 

Si les diamètres de la fusée sont égaux à ceux du récepteur avant 
et après l’enroulement, ou s'ils leur sont toujours proportionnels , il 
est clair que la longueur de papier qui se développera sera toujours la 
même , ou dans un rapport constant avec la longueur de fil développé, 
et par conséquent avec l’espace parcouru ou avec le temps. 

On pourrait objecter que la régularité de ce mode de transmission 
repose sur la supposition qu'on emploiera toujours du papier de même 
épaisseur. Or, c’est en effet ce qu'il est très-facile d'obtenir dans le 
commerce, par la grande variété des fabrications et en achetant les rou-— 
leaux au poids. Il est d’ailleurs clair que de petites différences d'épais- 
seur pourront facilement être compensées par une tension plus ou 
moins grande du ressort modérateur, qui ferait alors serrer plus ou 
moins le papier sur le récepteur. 

45. Dynamomètre à style et à plateau tournant. Dans nos expé— 
riences sur le frottement où le chemin parcouru n’était que de quelques 
mètres, et dans d’autres recherches, où il ne s'élevait qu'a 80 ou 
400 mètres au plus, nous avons employé, pour recevoir les traces du 
style, un plateau, mobile autour d'un axe , sur lequel on collait une 
feuille de papier. 

Les courbes tracées par le style, se recroisaient à plusieurs reprises, 
mais elles pouvaient encore se relever assez facilement à l’aide d’un 
rapporteur particulier. Ce dispositif est représenté (PI. 1, Fig. 3 et 4), 
mais il ne convient que pour des circonstances analogues à celles pour 
lesquelles il a été fait. 

46. Observation sur la quadrature des courbes tracées. D’après 
cette description sommaire, on voit donc que le papier se déroulant 
sous le style, dans le premier disposiuf avec une vitesse qui est dans 
un rapport constant avec le chemin parcouru , les longueurs de papier 
représenteront ces chemins à une certaine échelle, connue par ce rap- 
port, et que dans le second dispositif, il passe des longueurs égales 
de papier dans des temps égaux ; de sorte qu'alors ces longueurs re- 
présenteront les temps écoulés à une échelle connue. Il est donc 
évident que l'aire comprise entre la courbe des flexions et la ligne 
du zéro ou des abscisses , exprimera , dans le premier cas , la quantité 
d'action ou de trayail développée , pendant l'espace considéré , et dans 


SIXIÈME SECTION. 595 


le second cas, le produit des efforts par leur durée ou la quantité de 
mouvement développée dans le temps écoulé pendant l'expérience. 
Puis, si l’on divise cette aire par la longueur totale de la ligne des 
abscisses, on aura, dans les deux cas, l'effort moyen.qui, dans le 
fon : produirait la même quantité de travail, et dans le second 
la même quantité de mouvement. 

47. Relè-ement des courbes. Pour faire la qd ts de ces courbes 
par les méthodes connues , il faut mesurer les valeurs des ordonnées 
correspondantes à des abscisses équidistantes. C'est ce qui s'exécute 
trés-facilement et avec promptitude, à l’aide d’une glace divisée dans 
le sens de la longueur en centimètres et dans celui de la hauteur en 
millimètres. En la posant par sa face divisée sur la bande de papier 
étendue sur une table, on lit de suite les valeurs de l’ordonnée. 

On remarquera qu’attenäu la périodicité des variations des efforts , 
lorsqu'il s’agit des voitures ou des bateaux traînés par des chevaux 
marchant à des allures réglées et le grand nombre de valeurs de ces 
efforts, il suflira presque toujours de prendre la moyenne arithmétique 
des valeurs obtenues pour avoir la valeur moyenne. 

18. Manïère de se dispenser du relèvement des courbes. Mais de 
ce qui précède , il résulte une conséquence qui dispense de tout relé- 
yement, et met cet instrument à la portée des personnes le moins 
versées dans le calcul. En eflet, si l’on concoit que , parallèlement à la 
ligne du zéro, on mène une ligne équidistante , correspondante à la 
plus grande tension du ressort , à 0®,070 , par exemple, la bande, de 
largeur uniforme , représenterait une certaine quantité d’action ou de 
mouvement connue , et cette quantité serait évidemment à celle qui 
correspond à la courbe tracée comme l'aire du rectangle de 0",070 
de hauteur, est à celle de la partie comprise entre la courbe et la ligne 
du zéro, ou encore, attendu l'égalité de longueur des deux surfaces, 
l'effort correspondant à 0,070 de flexion du ressort est à l'effort 
moyen exercé par le moteur , comme l’aire du rectangle est à celle 
de la partie comprise entre la courbe et la ligne du zéro. 

Mais le papier employé étant fait à la mécanique, et ce procédé 
donnant une grande uniformité d'épaisseur à la même feuille , les deux 
surfaces à quarrer sont entr’elles comme leurs poids. Si donc, on pèse la 
bande de 0,070 de hauteur, puis qu’on découpe la courbe tracée et 
qu'on pèse la partie comprise entre cette courbe et la ligne du zéro, 
on aura cette autre proportion : 

Le poids de la bande de 0,070 de largeur est au poids de la 
partie comprise entre la courbe et la ligne du zéro, comme l'effort 
correspondant à 0,070 est à l'effort moyen du moteur. 


y96 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


Ainsi, par exemple, si l’on a employé le ressort de 600 kilogrammes 
pour lequel un accroissement de flexion de 4%:11,95 correspond à un 
effort de 10 kilog. ou 70 millimètres à 560 ke. ; en appelant 
P le poids de-la bande de 0,070 de largeur, 

p le poids de la partie comprise entre la courbe et la ligne du zéro, 
F l'effort moyen cherché, on aura 


F = 560 : kilogrammes. 
P 

Pour chaque instrument on donnerait de même le nombre de kilo- 
grammes corre$pondant à une flexion de 0,070 et alors la recherche 
de l'effort moyen se réduirait à celle du quairième terme d’une pro- 
portion. 

Cette méthode simple et exempte de tout calcul est d’une exactitude 
bien supérieure aux besoins de la pratique et qui dépasse même ce que 
l'on pouvait en espérer. Des relèvemens faits successivement par les 
deux procédés indiqués ont donné des valeurs de l'effort moyen qui 
s'accordent à 555 près. 

49. Appareil pour totaliser la quantité d'action ou de mouvement 
développée pendunt un intervalle de chemin ou de temps considérable. 
L'instrument avec son style et avec des feuilles de papier d’une lon- 
gueur usuelle de neuf mètres pouvant servir pour des espaces par— 
courus de 500 mètres et plus, selon les rapports que l’on établira 
entre les renvois de mouvement , ou pendant environ une heure avec 
le moteur chronométrique , il est évidemment suffisant pour des ex- 
périences d'étude sur le tirage des voitures, les chemins de fer, le 
balage des bateaux , le tirage des charrues ; etc. Mais lorsqu'il s'agira 
d'observer les quantités d'action développées par les divers moteurs 
animés , dans un travail suivi et continu pendant toute une journée, 
ou quand cn voudra parcourir sur des routes ou sur des chemins 
de fer des étendues considérables, et qu’on ne voudra ou ne pourra 
pas s'arrêter pendant les expériences , on sent que ce dispositif ne 
suffirait plus, et qu'il faut avoir un moyen commode de totaliser les 
quantités d'action ou de mouvement dépensées , c’est le but que nous 
avons atteint à l’aide du compteur que nous allons décrire , et dont le 
principe est encore dû à M. Poncelet, qui nous l’a communiqué. 

La grifie postérieure C (Fig. 5) est traversée par un axe de rotation 
sur lequel est vissé un plateau B de 0®,076 de rayon placé au-dessus 
des lames et qui recoit à sa partie inférieure une poulie D , à laquelle 
le mouvement est transmis, soit pour les voitures ; par une corde sans 


SIXIÈME SECTION. 597 


fin entourant le moyeu d’une des roues, soit pour lesybateaux, par 
un moteur chronométrique. Un support E faisant corp$fävec la griffe 
antérieure d soutient un compteur qui, par conséquent suit tous les 
mouvemens de flexion de la lame antérieure. 

La pièce principale de ce compteur est une roulette F, de 0®,050 
de diamètre, montée sur un axe qui est parallèle au plateau B et a 
la direction des efforts de traction, quand le compteur est abaissé. 
Ceite roulette repose sur le centre du plateau, quand le ressort n’est 
pas tendu , ou quand les griffes se touchent et par conséquent elle 
reste alors immobile , si le plateau tourne. Mais quand le ressort est 
tendu la roulette suivant le mouvement de la griffe antérieure’ d, 
s'éloigne du centre, et par conséquent elle recoit du plateau un mouve- 
ment de rotation sur son axe, d’autant plus rapide que l'effort exercé 
est plus grand et que le plateau marche plus vite. 

D'après cet apercu la théorie de cet appareil est facile à établir. 
En cflet, en nous occupant d’abord des voitures avec lesquelles le 
mouvement du plateau se prend sur l’une des roues et se trouve ainsi 
dans un rapport constant avec le chemin parcouru , si nous appelons, 

r la distance en mètres de la roulette au centre du plateau, sous l'effort 
de traction F exprimé en kilogrammes, 

pe le rayon de la roulette, 

e le chemin parcouru en 4! par la voiture dans le sens du tirage, 

R le rayon de la roue sur laquelle on prend le mouvement, 


me ] 
es le nombre de tours de la roue correspondant au chemin e, 
27 


F 
k= - le rapport des efforts aux flexions mesurées, 
_ 


N le nombre de tours de la roulette en 1! ou pour le chemin e, 

R!le rayon du moyeu de la roue sur laquelle se prend le mouvement 
du plateau, 

7) le rayon de la poulie du plateau, 


R' 
ce plateau fera évidemment un nombre de tours égal à — pour un 
7 


tour de la roue ou bien 


e R! 
RTC en 


tours pour le chemin e parcouru dans le sens du tirage. 


r 
La roulette fera - tours pour un tour du plateau; on aura donc 
P 


598 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


pour le nombre de tours de la roulette correspondant au chemin e 
sous l'effort de traction F. 


Mais on a 
F F 
k =, 7 d’où D F , 
et par suite 
R' 
N= XF 
RES À 
d'où , 
Rr'phe 
Fe Fu SAN 


R' 


erRr'p , 

Or le facteur DS TRER n'étant composé que de quantités constantes, 
dépendantes des proportions adoptées pour les rayons et de l’élasticité 
du ressort, il s'ensuit que le nombre N de tours faits par la roulette, 
pendant que la voiture aura parcouru l'espace e, est dans un rapport 
constant avec le travail développé et que ce facteur étant une fois 
calculé pour un dynamomètre et pour la voiture à laquelle on l’applique, 
il sufira de le multiplier par le nombre de tours N de la roulette, 
pour en déduire la quantité d'action développée par le moteur. 

S'il s'agissait d’un bateau sur lequel le mouvement fût communiqné 
au plateau B par un moteur chronométrique avec une vitesse uniforme 
connue; en appelant 
t la durée d’un tour du plateau en secondes, 

T la durée totale de l'observation, 


L T 7 
sera le nombre de tours du plateau pendant l'observation et 7 N 
P 


sera le nombre de tours de la roulette pendant le même temps, 
et à cause de 


on aurâ 
ET — tpAN. 


Le tour & étant observé au commencement de l'expérience, p et Æ 
étant connus, on voit encore que la quantité de mouvement FT de- 
veloppée par le moteur dans le temps T est proportionnelle au nombre 
N de tours faits par la roulette dans le même temps. 


SIXIÈME SECTION. 599 


20. Dispositif pour obtenir des indications des nombres de tours 
Jaits par la roulette. Cela posé, il ne nous reste plus qu’à indiquer 
comment le compteur permet de noter sans arrêter le mouvement et 
sans regarder le nombre de tours de la roulette. \ 

L'arbre a de cette roulette (Fig. 6 et 7) porte une vis sans fin b, 
qui engrène avec un pignon €, à un axe vertical de 25 dents et le 
pas de la vis étant égal à celui de l'engrenage , il passe une dent du 
pignon pour chaque tour de la roulette, ou le pignon fait un tour 
pour 25 tours de la roulette. L'arbre du pignon porte un autre pignon 
d de 10 dents, qui conduit une roue e de 40 dents, laquelle ne fait 
par conséquent qu'un tour pour quatre tours du pignon ou pour 
400 tours de la roulette. Sur l'arbre de cette roue est un premier 
limbe f en émail divisé en 400 parties, dont chacune correspond par 
conséquent à un tour de la roulette. Le même arbre transmet par 
un pignon et une roue intermédiaire son mouvement à un second 
limbe g, émaillé , divisé en 100 parties , qui fait un tour pour 50 tours 
du premier limbe , ou par conséquent pour 5000 tours de la roulette, 
et dont chaque division correspond à 50 tours de la roulette. Le 4° 
limbe sert à compter les tours et dixaines de tours de la roulette et 
le second les centaines de tours. 

Mais il faut avoir un moyen de marquer sur ces limbes le nombre 
de divisions, qui ont passé dans un intervalle donné. A cet effet un 
petit pont À , placé au-dessus des deux limbes, est percé de deux trous 
tronconiques , correspondans aux cercles divisés et dans la direction de 
la ligne des centres. Deux petits tire-lignes z et X traversent ces godets 
et sont tenus ordinairement à distance des limbes par un ressort 
qui les relève , mais peuvent être amenés au contact par une pression 
ou un coup léger donné sur le bouton Z. Les godets sont remplis 
d'encre grasse, faite avec du noir d'ivoire et de l'huile d’horloger et 
les tirelignes , qui s’en chargent, en les traversant, marquent simul- 
tanément sur les limbes des points noirs, qui se correspondent et se 
trouvent sur le prolongement de la ligne des centres. Il suit de là 
qu'il ne peut jamais y avoir de confusion entre les points marqués sur 
les limbes, parce que ceux qui l’ont été à un même instant doivent 
se trouver ensemble sous les styles. On peut donc multiplier les ob- 
servations pendant une même expérience et, par exemple sur une route 
marquer les nombres de tours de kilomètre en kilomètre ou de lieue 
en lieue. 

Le compteur est renferme dans une boîte (Fig. 7) qui le met à l'abri 
de la poussière et de la pluie, et pour empêcher que les cahots ne 


600 MÉMOIRES ET PIÈCES, 


fassent sauter l'instrument et n’interrompent le mouvement de la rou- 
lette, deux ressorts », placés sur les côtés, pressent la boîte sur le 
plateau ou plutôt sont ajustés de manière à s'opposer à tout soulève 
ment. On peut à volonté relever le compteur et l’accrocher à un arrêt n, 
lorsqu'une expérience est terminée ou n'est pas commencée. 

Enfin par unc disposition de vis de rappel et de mouvemens qu'il 
est superflu de détailler on amène facilement la roulette au centre 
du plateau, lorsque le ressort est débandé. 

21. Observation sur l’étendue de chemin que l'on peut parcourt 
avec cet appareil. On conçoit d’ailleurs que moins le plateau fera de 
tours par tour de roue ou par seconde, et plus le ressort sera raide, 
plus la roulette marchera lentement, et, comme on est maître de faire 
varier ces rapports entre des limites très-étendues, on pourra toujours 
disposer les choses de manière que les 5000 tours de la roulette, 
correspondans à une révolution entière du second limbe, ne soient 
accomplis qu’au bout de plusieurs lieues ou de plusieurs heures. . 

Avec la lame de 600 kilogrammes et quatre chevaux attelés à une 
diligence pesant 5 000 kilogrammes ; on pourrait , sur une route en trés- 
bon état, observer la quantité d’action développée par les chevaux 
pendant huit ou dix lieues. Et, comme le compteur ne marche que 
quand le ressort est tendu , on voit de suite que si, par une circonstance 
quelconque, les cheyaux cessaient d'agir pendant un moment, l'appareil 
en tiendrait compte. On peut donc arrêter, pour laisser reposer les 
chevaux , et repartir quand l’on veut sans toucher à l'instrument. 

29. Utilité de cet appareil pour estimer la quantité de travail 
développée dans une journée par les moteurs animés. On voit de 
suite combien cet appareil sera commode pour déterminer, avec 
plus de précision qu'on ne l'a fait jusqu'ici la quantité d’action 
ou de travail développée par les moteurs animés employés au tirage 
des voitures, des charrues, dans les manéges, et par suite pour leur 
achat. 

95. Dynamomètre de rotation. Les principes et les dispositions pré- 
cédentes , relatives aux dynamomètres employés au tirage des voitures, 
peuvent, avec quelques modifications fort simples, s'appliquer à la 
mesure des efforts transmis à des axes de rotation. Déjà en 1834 nous 
en ayons fait usage avec succës , pour mesurer l'effort transmis par une 
courroie à une poulie. Nous allons décrire succinctement un petit ap- 
pareil de ce genre, tout à fait analogue. 

Sur l'arbre MN (Fig. 5, 6 et7) d’un métier , par exemple, concevons 
une poulie folle AB, qui recoive le mouyement par une courroie , et 


SIXIÈME SECTION. 601 


visà-vis cette poulie un manchon fixe CD concentrique et solidaire avec 
l'arbre , vers l'extrémité D duquel une lame de ressort EF est implantée 
et dirigée à peu prés dans le sens d’un rayon. Une cheville G, placée 
sur l’un des bras de la poulie et qui traverse une bague ménagée à 
l'extrémité du ressort, fait fléchir celui-ci, quand la poulie tourne, 
jusqu'à ce que l’effort exercé soit suffisant pour entrainer l'arbre MN 
et les machines qu'il conduit. Si la puissance et la résistance sont 
constantes, la flexion du ressort qui les mesure, l'est aussi; si au 
contraire ces forces varient, les oscillations de la lame en suivent 
toutes les périodes et la flexion de la lame étant évidemment la mesure 
. des efforts transmis à la poulie à la courroie et celle de la résistance 
du métier , il ne s'agit plus que d'en obtenir une trace permanente ; 
c'est à quoi l'on parvient de la manière suivante: 

Sur le manchon fixe CD, glisse à frottement doux, dans le sens 
de l'axe , un manchon mobile KL, qui porte deux branches de support 
o et 0!, bifurquées à leurs extrémités , pour recevoir un axe de ro- 
tation parallèle à MN. A l’une des extrémités de cet arbre est un 
plateau plan ab, sur lequel on colle une feuille de papier, et à 
l'autre est une roue d’engrenage cd. Une chaîne de Vaucanson sans 
fin, enveloppe cette roue, et le pignon R placé sur un autre axe 
parallèle au premier, et à celui de l'arbre MN placé dans un plan 
perpendiculaire à celui des branches de support o et 0!. Sur ce dernier 
arbre, est une autre roue dentée g enveloppée aussi par une chaîne de 
Vaucanson, qui entoure un anneau denté ef monté à frottement doux 
sur le manchon mobile, et qui peut étre rendu fixe dans l’espace, 
quand tout le système tourne ; ce qui se fait au moyen d’une ficelle 
attachée à l’une des oreilles annulaires e ou f et à un point fixe. 
De la sorte, la roue intermédiaire g ayant un diamètre égal à une 
fois et demie celui de l'anneau mobile, son axe ne fera que deux 
tours pour trois tours de l'arbre. Le pignon hk, ayant un diamètre 
égal à + de celui de la roue cd, l'arbre de celle-ci ne fera qu’un tour 
par tour de la roue g, ou 2 de tour par tour de l'arbre. Par con- 
séquent le plateau, qui doit recevoir les traces du style, ne fera que 
le même nombre de tours, et l’une de ses révolutions correspondra à 
7,3 tours de l'arbre. Comme on peut, sans confusion , tracer des 
courbes de flexion pendant quatre révolutions au moins , il s'ensuit 
que l’on pourra observer les efforts exercés pendant trente tours au 
moins de l'axe MN , et, par conséquent , déterminer exaclement toutes 
les circonstances du mouvement. 

Lorsque les efforts à mesurer sont grands , on peut employer simul- 


76 


602 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


tanément deux ressorts et deux plateaux , et de la somme des flexions 
on déduit l'effort total exercé à la circonférence de la poulie. Il faut 
encore ici éviter que les ressorts ne puissent être forcés en dépassant 
les limites de flexion correspondantes à leur élasticité. On y parvient 
facilement en ménageant sur le manchon fixe des arrêts contre les- 
quels viennent s'appuyer les talons réservés au moyeu de la poulie, 
lorsque les ressorts ont atteint une flexion égale à SU- de leur 
longueur. 

Les lames de ressort peuvent, à volonté, se changer et être rem— 
placées par d’autres plus raides ou plus flexibles, selon l'intensité 
des efforts à mesurer. 

On conçoit que cet appareil s’appliquerait à une roue d’engrenage, 
comme à une poulie, et qu’alors on peut, avec son secours, pendant 
qu'une machine fonctionne , mesurer la portion de la puissance motrice 
qu'elle consomme, et connaître ainsi, dans une usine qui contient un 
grand nombre de métiers ou de machines différentes, quelle est la 
répartition qui se fait entr’elles de la force totale. Ce résultat, qui nous 
paraît d’une grande importance pour l'industrie, n'avait encore été 
obtenu jusqu’à ce jour, par aucun des appareils connus. 

24. Modifications que l’on peut apporter à cet appareil selon ces 
besoïns. On pourrait remplacer les plateaux, par un système de 
cylindres analogues à ceux que nous avons décrits au n° 44, et qui 
recevraient une bande de papier assez longue pour pouvoir continuer 
l'expérience pendant plus long-temps qu’on ne peut le faire avec les 
plateaux, sans craindre la confusion des traces. Le mouvement de 
l'arbre se communiquerait aux cylindres d’une manière analogue à 
celle que nous venons de décrire. 

Pour des machines puissantes, dont on voudrait mesurer le travail 
pendant un long espace de temps, on pourrait adapter, à ce dynamo- 
mètre de rotation, un compteur semblable à celui du n° 49. 

Enfin si l'anneau ef, au lieu d'étre immobile dans l'espace, avait 
un mouvement propre qui lui fût communiqué par un appareil chro— 
nométrique, la trace des flexions obtenues serait une courbe qui re- 
présenterait l'ensemble de toutes les circonstances du mouvement pour 
les eflorts, les temps et les espaces correspondans. x 

25. Disposition pour monter le dynamomètre sur des arbres de 
différentes dimensions. Les dimensions des arbres de rotation et des 
poulies motrices, variant à l'infini, on peut éviter la sujétion d’avoir 
autant d’instrumens que de machines, en laissant au vide intérieur 
de la poulie et du manchon fixe, une ouverture suflisante pour le 


SIXIÈME SECTION. 603 


passage de presque tous les arbres des machines du même genre, 
ou de proportions peu différentes. Le manchon fixe se centre alors 
sur les arbres avec des vis, et on rapporte, dans le moyeu de la 
poulie , un centre en plomb , dont l'ouverture intérieure est exactement 
celle de l'arbre sur lequel on veut opérer. 

Quant à la surface extérieure de la poulie, on peut facilement 
rapporter sur sa circonférence extérieure, des jantes plus ou moins 
épaisses, pour amener son diamètre extérieur à étre le même que 
celui de la poulie, qui conduit ordinairement la machine. 

Par ces moyens, pour avoir dans un atelier de construction un 
système complet de dynamomètres de rotation , il sufirait d'en établir 
de deux ou trois proportions différentes seulement, avec lesquels 
on pourrait opérer sur toutes les machines. 

26. Application des mémes principes aux machines à vapeur. Il 
est aussi trés-facile d'appliquer le principe de nos dynamomètres aux 
machines à vapeur, pour connaître la pression de la vapeur dans le 
cylindre, à un instant quelconque de la course du piston. En effet, 
si l’on fixe au chapeau de la machine un petit tube droit ou recourbé, 
selon la position du cylindre, et que dans ce tube allésé, on intro- 
duise un petit piston, il est clair que , si ce piston est lié à une lame 
dynamométrique , les flexions de cette lame, soit de dedans en dehors, 
soit de dehors en dedans, donneront la mesure de la pression de 
la vapeur à un instant quelconque. Cet appareil est celui que Watt 
employait sous le nom d’indicateur de la pression , mais il en obser- 
vait la marche à l’aide d’une échelle des flexions , moyen incertain et 
peu commode, tandis qu’en adaptant à ce piston un style, et plaçant 
au-dessous un système de cylindres, qui conduisent une feuille de 
papier sur laquelle la puissance trace la courbe des flexions , on aura 
les variations de la pression, les effets de la détente et ceux de la 
condensation, avec toute la précision désirable. 

Il est d'ailleurs évident que si l’on veut prolonger l'expérience 
pendant long-temps, il serait trés-facile d'adapter ici le compteur décrit 

au n° 49, pour obtenir la quantité d'action totale développée dans 
un jour, sur le piston d’une machine à vapeur. 

Nous croyons que l'usage de cet instrument serait propre à jeter un 
grand jour sur la théorie encore incomplète des machines à vapeur, 
et des essais déjà tentés nous ont montré qu’il remplirait parfaitement 
son but. 

27. Conclusion. En résumé, on voit douc que les appareils décrits 
dans cette notice, permettent d’obtenir des indications permanentes 


604 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


de tous les efforts exercés, ou des quantités de travail développées 
par les moteurs animés ou inanimés dans le mouvement des machines, 
que ces indications sont fournies par les moteurs eux-mêmes, ce qui 
les met à l'abri de toute altération provenant de la volonté de l'homme. 
Nous avons ainsi vérifié cet adage de la science que nous avons pris 
pour épigraphe : La nature parle à ceux qui savent l'interroger, et 
nous sommes parvenus, ainsi que nous l'avons dit au Congrès scienti— 
fique de Metz, à faire écrire et compter les animaux. 


NOTE SUR LES DIVERS DISPOSITIFS DE MONTAGE DES DYNAMOMÈTRES 


À LMPLOYER DANS DIFFÉRENS CAS. 


28. Dynamomètre appliqué aux charrues avec avant-tr'ain. Lorsqu'il 
s’agit d'expériences sur le tirage des charrues avec avant train , l’instru- 
ment se fixe au devant de la fourchette de l’avant-train (PI. I, Fig. 8), 
par l'intermédiaire d’une pièce en fer mn , maintenue par deux boulons 
a et b. Une patte cd est liée à la platine mn par deux boulons. Afin 
de pouvoir faire tracer à la charrue des sillons de différentes largeurs. 
on a percé sur la longueur de la platine mn, qui est parallèle à l'axe 
de l’essieu , des trous, qui sont deux à deux perpendiculaires à sa di- 
rectuon. 

Le cylindre moteur du dynamomètre recoit le mouvement de la 
roue , par l'intermédiaire de deux poulies doubles e, f, qui changent 
la direction d'une corde de boyaux , enveloppée sur l’une des gorges 
du moyeu ou sur un anneau à vis de centrage , qu'on y fixe. Cette 
corde entoure une poulie g, sur l'axe de laquelle est une autre poulie 
hk, plus petite, qui, par une seconde corde sans fin, transmet le 
mouvement à la poulie du cylindre moteur. I 

Selon les rapports qui existent entre les diamètres de la roue , du 
moyeu et ceux des poulies, dont on peut disposer, il est facile d’éta- 
blir entre la vitesse de la charrue et celle de la bande de papier , telle 
relation que l’on veut, et par conséquent , de disposer les choses de 
manière à obtenir des sillons d’une grande longueur. Dans la disposi- 
tion indiquée sur la figure, on pourrait tracer des sillons de 208 à 
250 métres , avec une bande de papier de g mètres, et il passerait 
environ 0,023 de papier par mètre courant de chemin parcouru. Il 


SIXIÈME SECTION. 60% 


serait très-facile de modifier les choses de facon à tracer avec la même 
longueur des sillons de 4 à 500 mètres. 

29. Dynamomètre appliqué aux diligences, aux autres voitures 
et aux charrettes. L'application du dynamomètre aux diligences se 
fait d'une manière tout à fait analogue et avec d'autant plus de facilité, 
que l'instrument doit être constamment maintenu dans une même 
direction , qui est celle des traits, quand ils sont tendus. 

Une pièce en fer a (Fig. 8, PI. II) , se fixe à la fourchette , en arrière 
de la volée fixe, au moyen de ses deux pattes percées et d’un étrier b, 
qui embrasse les armons. À cette pièce, se lie, par deux boulons, la. 
patte qui s'engage dans la griffe postérieure de l'instrument. Pour 
éviter que les vibrations de l'avant-train ne se transmettent à l'appa- 
reil ;. on dispose en avant et au-dessous de la griffe d'arrêt un taquet 
en bois d, arrêté à vis sur le timon. 

Le mouvement du cylindre moteur se prend sur la roue , par un 
dispositif de poulies de renvoi analogue à celui que nous avons décrit 
au numéro précédent, 

Il est facile, avec une diligence , de faire une expérience sur une 
étendue de 4 à 500 mètres et plus, avec une seule bande de papier 
de 9 mètres de longueur. 

Le même mode de montage s'appliquant à toutes les voitures et char- 
reltes , il est inutile d'entrer dans aucun détail à ce sujet. 

30. Dynamomètre appliqué aux charrues sans avant-train." Pour 
les charrues sans avant-train, parmi lesquelles nous prendrons pour 
exemple la charrue de M. de Dombasle, on remplace le régulateur par 
une pièce en fer a, (Fig. 3 et 4, PJ. IT), qui traverse la haie de la même 
maniére , et peut , à volonté, s'élever ou s’abaisser. La partie inférieure 
de cette pièce est recourbée à angle droit et horizontalement, de ma- 
nière à présenter une platine c dont la longueur est perpendiculaire 
à la haie. 

C’est sur cette platine que se pose une seconde platine à oreilles 4, 
qui porte le dynamomètre et un moteur chronométrique à ressort, 
analogue à un mouvement de tournebroche , qui, par une poulie e et 
une chaîne à la Vaucanson , fait marcher le cylindre moteur de l’ins- 
trument. Le dynamomètre se fixe à une patte f; qui fait corps avec 
la platine d. 

Pour faire varier les largeurs des sillons , il est nécessaire que l'ins- 
trument puisse être transporté à des distances différentes du plan 
milieu de la haie. À cet eflet, la platine de la pièce ab est fendue 
sur une partie de sa longueur, ce qui permet aux boulons g ; qui la 


606 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


lient à la platine d, de se mouvoir perpendiculairement à la haie de 
toute la quantité nécessaire. Dés que ces boulons sont serrés, linstru- 
ment a une position invariable. 

Un anneau A est ménagé sur le derrière de la platine d pour l’attache 
de la chaîne de retraite de la charrue , dont les maillons extrêmes sont 
à vis, afin qu’on puisse tendre la chaîne dans les positions obliques , 
ce qui contribue à donner à l'appareil toute la fixité désirable. 

Le moteur chronométrique communiquant au papier une vitesse de 
transport uniforme , mais variable, à volonté de 0®,0045 à 0®,045 
en 4/, il s'ensuit qu'avec une seule bande de papier de 9 mètres on 
peut opérer pendant 2000 mètres ou 600 mètres, selon les cas, si les 
chevaux marchent à la vitesse de un mètre en 4/, ou ce qui revient 
au même, pendant 53! au plus. 

31. Dynamomètre appliqué aux bateaux. Lorsqu'on veut faire des 
expériences sur le halage des bateaux , il faut aussi employer un mo- 
teur chronométrique. A cet eflet, le dynamomètre et son moteur sont 
fixés sur un support a (Fig. et 2, PL II), qui, par une tige ronde b, 
s'engage dans un trou pratiqué au plat bord du bateau , ou mieux 
dans un gros taquet fixé à ce plat bord. De la sorte, l'instrument peut 
suivre toutes les directions de la ligne de halage. 

Le mouvement étant communiqué au papier par l'appareil chrono— 
métrique , les longueurs passées sous le style représenteront les temps, 
et comme il peut être nécessaire d'y joindre l’indication des espaces 
parcourus , c’est alors que le troisième style du dynamomëtre sera très- 
utile ; puisqu'en passant devant des objets fixes sur la rive, on pourra 
pointer sur la feuille l'instant de ce passage. On aura donc ainsi sur la 
même bande, par une courbe continue, l'indication des efforts et des 
temps correspondans et par points celles des espaces parcourus. 

32. Dispositif pour mesurer l'effort exercé par des chevaux pour 
retenir une voiture. Une douille ab (Fig. 9, PI. IT) , s'emmanche sur le 
bout du timon et s'y fixe par des vis de pression c , et par des clefs de 
calage. Sa partie supérieure forme une chappe , qui recoit deux poulies 
dont le plan est paralléle au timon et de 0",10 environ de diamètre 
à la gorge. Chacun des bouts d’une corde , dont le milieu est fixé à 
l’anneau du dynamomètre placé sur l’avant-train, vient passer dans 
l'une de ces poulies, et s'attache au collier ou à l'anneau du poitrail 
du harnais. Il résulte de cette disposition que chacun des chevaux, en 
retenant, tend un des brins de la corde et que la somme des ten- 
sions mesurée par le dynamomètre , indique celle des composantes 
de l'effort exercé dans le sens du mouvement de la voiture. 


SIXIÈME SECTION. 607 


Par ce dispositif trés-simple , l'instrument peut fonctionner successi- 
vement dans les descentes par les cordes de retraite , et dans les mon- 
tées par les traits. Le pinceau de pointage permet d’ailleurs d'indiquer 
facilement les traces qui appartiennent à chaque période. Cet appareil 
appliqué à une diligence a parfaitement fonctionné. 

Nous pensons que ces détails sur les dispositions de montage, adoptées 
pour les expériences variées que l’on peut avoir à faire sur les divers 
véhicules ou machines, sont plus que suflisans pour indiquer la marche 
à suivre pour tous les autres cas qui pourraient se présenter, et nous 
terminerons cette notice par l'indication de quelques précautions à 
prendre pour assurer le succès des expériences et la netteté des indi- 
cations. 

33. Vérification des lames. Nous ne croyons pas devoir parler en 
détail de la vérification de la tare des lames dynamométriques, c’est 
une opération préalable de rigueur , qui doit être faite en suspendant 
des poids à l'instrument et en mesurant ces flexions, à l’aide d'un 
compas à coulisse donnant les dixièmes de millimètre. Nous recom-— 
manderons seulement de ne faire cette vérification qu'avec la griffe 
d'arrêt, afin d'éviter que quelque maladresse dans la pose des poids 
n’occasionne des oscillations qui, en dépassant les limites fixées , se— 
raient susceptibles d’altérer l’élasticité de la lame. 

54. Du style. Si l'on emploie pour style un pinceau alimenté d’encre 
de Chine, contenue dans un tube, ainsi que nous l’avons fait ordi- 
nairement , il faut , avant et après chaque reprise des expériences , laver 
ce pinceau, en le pressant et en le roulant dans les doigts, pour éviter 
que les petits conduits capillaires , qui existent entre les poils , ne se 
trouvent obstrués. L'encre préparée d'avance et contenue dans une 
petite fiole , ne doit pas être trop épaisse ni trop claire. Si le pinceau 
en fournit trop, il suffit de le tirer en dehors pour le serrer plus for- 
tement dans sa douille conique. Si, au contraire, il cesse de s’ali- 
menter , on le repoussera un peu en dedans du tube, et en soufflant 
par le haut, on déterminera l'écoulement d’une goutte d'encre , après 
quoi on le tirera de nouveau en dehors. 

La yis et le petit ressort à boudin interposé entre la tête de cette 
vis et l’épaulement du tube, facilitent le réglement de la hauteur du 
style, de manière à obtenir des indications nettes et fines. 


608 MÉMOIRES ET PIÈCES. 


MÉMOIRE 


SUR 


LA TEMPÉRATURE INTÉRIEURE DE LA TERRE, 


Par M. l'abbé CHAUSSIER. 


Il y a long-temps que l’on a remarqué que le globe terrestre con- 
serve dans son intérieur une température constante et tout-2-fait 
indépendante des variations de chaleur et de froid qui se manifestent 
à sa surface, selon la différence des saisons. Les observations de MM. 
Gensanne, Daubuisson , de Humbold, Cordier, faites dans les mines, 
à diverses profondeurs et discutées par M. Cordier , celles que M. Arago 
a faites ou recueillies sur la température des eaux artésiennes, ont mis 
hors de doute. le fait de l'accroissement de cette température à mesure 
que l'on s'enfonce plus avant dans la croûte solide de la terre. Cet 
accroissement a été trouvé , terme moyen, d’un degré centigrade pour 
environ trente mêtres de. profondeur. 

Faut-il attribuer , avec les géologues, cet accroissement à un foyer 
de chaleur centrale, reste d’une température trés-élevée , qui aurait 
primitivement été commune aux couches extérieures aussi bien qu'aux 
parties internes du globe, et qui , par suite du refroidissement , n’exis— 
terait plus qu'au noyau central , d'où elle irait en décroissant jusqu'a 
la surface ; ou bien faut-il le regarder comme le reste d’une tempé- 
rature peu élevée qu'aurait acquise notre globe , en supposant que par 
les siècles passés, cet astre ait gravité dans des espaces dont la tem- 
pérature était plus haute que celle des régions que nous traversons 
maintenant ? 

Remarquons d'abord que dans la seconde hypothèse on est obligé, 
aussi bien que dans la premiére, de recourir à la supposition d’une 
température primitive très-élevée , pour rendre raison, soit de la forme 


SIXIÈME SECTION. 609 


sphéroïdale du globe terrestre , soit des phénomènes étonnans que les 
observations géognostiques ont constatés. Seulement, dans la seconde 
‘hypothèse, cette chaleur primitive se serait dissipée dans les espaces, 
et depuis long-temps la terre aurait atteint son dernier degré de re- 
froidissement ; tandis que dans la première , le refroidissement , quoique 
déjà bien avancé peut-être , n'aurait pas encore pénétré jusqu'au noyau 
central de notre planète. 

Voyons d'abord les raisonnemens,sur lesquels on peut appuyer l'hy- 
pothèse de la chaleur d’origine. 

Si l’on admet que primitivement le globe terrestre a eu une tem- 
pérature trés-élevée , et.que, lancé dans les espaces, il se soit refroidi 
par rayonnement, n'est-on pas conduit naturellement à attribuer l'ac- 
croissement de température avec la profondeur, à un reste de chaleur 
primitive ! Cette conclusion acquiert de la probabilité lorsque l'on 
considère l'ensemble des phénomènes géologiques , qui ont dû étre les 
résultats de cette chaleur primordiale. On voit la force qui les a pro- 
duiïts se manifester, depuis les époques primitives jusqu’à nos jours, 
par des effets qui, quoique düs à la même cause , se modifient à me- 
sure que son énergie s’affaiblit et que les forces antagonistes grandis— 
sent. La texture cristalline des terrains les plus anciens indique qu'ils 
sont le résultat de la solidification par refroidissement d’une masse 
portée par la température à un état voisin de la liquidité. Cette pre- 
miére croûte une fois formée, fut, à cause de son peu d'épaisseur, 
facilement et fréquemment rompue par les matières pâteuses que la 
contraction produite par le refroidissement , forçait à s’épancher à l'exté- 
rieur. C'est ce qu'attestent les masses de roches subordonnées d’origine 
ignée , qui sillonnent en si grand nombre les terrains primordiaux. 
Cependant ces ruptures , ces premiers soulèvemens , ne produisaient pas 
d'inégalités bien remarquables à la surface du globe: ce ne fut que 
dans les périodes suivantes que cette croûte, devenant plus épaisse et 
plus résistante, exigeait, avant de céder , l'accumulation d'une plus 
grande quantité de forces, et se brisait sur une plus grande échelle. 
C'est ainsi que les terrains de transition nous offrent déjà des chaînes 
de montagnes d’une certaine élévation; que les plus grandes mon- 
tagnes du globe n'ont été soulevées qu'après le dépôt des terrains se- 
condaires, et que la chaine la plus étendue, celle des Andes, est 
aussi celle dont le soulèvement est regardé comme le plus récent par 
M. Elie de Beaumont. Depuis ce dernier effort , la température affaiblie 
n’a plus donné lieu qu'à des effets auxquels la résistance d’une croûte, 
devenue plus solide encore, a fait équilibre. 


77 


610 MÉMOIRES ET PIÈCIS. 


Depuis les époques tertiaires, elle ne s’est donc plus manifestée 
que par des déjections volcaniques. Ce furent d'abord les trachytes 
et des basaltes qui firent éruption; apparurent ensuite, aux époques 
diluyienne et actuelles, les laves poussées à l'extérieur par des ouver- 
tures peu étendues, espèces d’évents naturels que l’on a nommés 
volcans. Un grand nombre de volcans contemporains de l’époque 
diluvienne, se sont éteints aujourd'hui, mais plusieurs ont per- 
sévéré ou se sont ouverts depuis, et sont en pleine activité sur divers 
points de la terre. Cet ensemble’ de phénomènes , enchaïnés par une 
seule cause; la chaleur centrale, ne conduit-elle pas à en admettre 
encore l'existence actuelle ; c’est d’ailleurs dans cette hypothèse que 
l'on trouve la seule explication plausible des phénomènes volcaniques, 
qui ait été émise jusqu'à ce jour. 

Elle n'est cependant pas sans difficultés. Celle qui se présente la 
première, est le résultat erroné auquel conduit la progression de 
l'accroissement de température, Si en effet cet accroissement est de 
4° pour 50 mètres, à moins d’une lieue de profondeur on aura la 
température de l’eau bouillante , à 20 lieues la chaleur sera suffisante 
pour tenir en fusion les corps les plus réfractaires , et à 4 400 lieues, 
c’est-à-dire aux environs du centre de la terre, non-seulement tout 
serait volatilisé , mais les vapeurs y auraient une tension telle que 
la croute solide serait incapable de leur faire résistance, et que notre 
planète volerait en éclats, dans les espaces, par une détonnation ef- 
froyable et immensément plus désastreuse que celle de la plus puis- 
sante machine à vapeur. Mais rassurons-nous, Pour faire disparaître 
ce danger il suffit que la progression d’accroissement de température 
ne se continue pas jusqu’au centre de la terre, et cette supposition 
n’est pas sans quelque probabilité. Admettons en eflet que la masse 
du globe ait été créée à une température, non pas excessive, mais à 
une température de 2000° par exemple ; lorsqu'elle a été lancée dans 
l'espace par la main puissante qui l'avait formée, le refroidissement 
commencant par la surface à dù se propager vers le centre selon les 
lois établies par M. Fourrier. Concevons qu'il ait atteint maintenant les 
couches jusqu’à la profondeur de 20 ou 30 lieues, nous aurons alors 
l'accroissement indiqué par l'observation , sans être exposés au danger 
d’une funeste explosion , puisqu’au-delà de cette limite la température 
serait uniforme et ne dépasserait pas 2 000 degrés. 

On tire une autre objection des faits astronomiques. Les observa- 
tions d'Hypparque comparées à celles des astronomes modernes ont 
démontré que la vitesse de rotation de la terre n'a pas changé depuis 


SIXIÈME SECTION. él 


plus de 2000 ans : donc la terre ne s'est point refroidie depuis cette 
épôque , car autrement son volume serait devenu plus petit, et chaque 
point ayant conservé toute sa vitesse , aurait employé moins de temps 
à faire sa révolution autour de l'axe, puisqu'il aurait alors décrit 
un cercle d’un rayon plus court. Cela est vrai; mais en cubant les 
matières ignées rejetées par les volcans à la surface du globe , et en les 
considérant comme la mesure de la contraction de sa croute et de sa 
diminution de capacité, M. Cordier a calculé qu’elles ne supposent , 
pour un intervalle de 4000 ans , qu'une diminution d’un centimètre sur 
la longueur du rayon de la terre, quantité beaucoup irop faible pour 
exercer une influence appréciable sur la vitesse de rotation du globe. 

En partant de la supposition d’un mouvement de translation de 
notre systéme planétaire vers la constellation d'Hercule, de l'inégale 
distribution de la chaleur aux différentes régions delespace , M. Poisson 
explique l'accroissement de la température avec la profondeur par une 
autre hypothèse. Selon ce sayant physicien , notre globe complètement 
refroidi de sa chaleur d'origine , aurait traversé des espaces dont la 
température élevée lui aurait communiqué un certain nombre de 
degrés de chaleur au-dessus de zéro, et maintenant, arrivé dans des 
régions, qui selon M. Fourrier, sont à environ 50° au-dessous de 
zéro , il se refroidit peu à peu, et présente par suite de ce re— 
froidissement commencé, un accroissement de température avec la 
profondeur jusqu’à une certaine limite, au-delà de laquelle la chaleur 
devient uniforme. — Cette hypothèse ingénieuse et digne de la sagacité 
de son savant auteur, me paraît cependant n’avoir en sa faveur qu'une 
simple possibilité ; tout y est hypothétique , tandis que l'opinion des 
géologues est appuyée sur une preuve positive tirée de l'ensemble des 
phénomènes géologiques qui exigent pour cause une action ignée qui 
<e manifesterait encore dans les phénomènes volcaniques de notre 
époque. Cet ensemble qui résulte des faits observés , serait-il rompu 
par la simple possibilité d’un autre ordre de choses *. Nonobstant 
l'autorité si grave que présentent toujours les idées de M. Poisson , je 
dois dire que, d’après cette discussion, l'opinion de ce savant sur la 
chaleur du globe, me paraît moins fondée en raison, que celle qui est 
généralement admise parmi les géologues. 

= Si le refroidissement des planètes était dû à linégale distribution de la chaleur, dans 
les espaces, comment admettre qu’à une si petite distance de la Terre le Soleil soit main- 
tenant incandescent, tandis que celle-ci aurait atteint une si bonne température? M. Arago, 


se fondant sur une propriété des courans électriques, assigne d'ailleurs une autre cause à 
la haute température du Soleil, 


612 LISTE DES MEMBRES. 


LISTE DES MEMBRES 


DE 


LA CINQUIÈME SESSION DU CONGRÈS 


ET INDICATION DES SECTIONS AUXQUELLES ILS APPARTIENNENT. 


Ava, pharmacien, membre du jury de médecine , à Metz. — 1, 2. 

Baupesson , avocat, à Metz. — 1, 2, 5,4, 5, G. 

BertranD , professeur de littérature grecque à la faculté des lettres 
de Caen. — 4, 5. 

Beuuiver , membre du conseil administratif de la société pour la con- 
seryation des monumens nationaux, à Caen. — 4, 5. 

Bécin, docteur en médeciné, membre de l'académie royale de Metz 
et de plusieurs autres sociétés savantes. — 3, 4, D. 

Bencène , colonel du génie , commandant par intérim l’école d'applica- 
tion, membre de l'académie royale de Metz. — 4, 6. 

Berca, notaire, à Metz, — 2, 5. 

Beneyron , directeur des subsistances militaires , membre de la société 
d'histoire naturelle du département dela Moselle , à Metz. — 1, 2, 4. 

Brausire (de), ancien capitaine d'artillerie, à Metz. — 2, 6. 

Berrincer , médecin vétérinaire ; au 10° régiment d'artillerie, à Metz. 
—1, 2. 

Bcenrorr , directeur de la fabrication des fusées de guerre, à Metz. — 
472 19; 455410. 

BerrmauD , procureur général, prés la cour royale de Caen. — 2, 4, 5. 

Branc, journaliste , membre de l'académie royale de Metz. — 2, 5. 

Bzerrxer (l'abbé) , professeur de théologie au séminaire de Metz. — 4. 

Bovcnorte (Charles), ancien colonel d'artillerie, membre de l'académie 
royale de Metz. — 2. | 


LISTÉ DES MEMBRES. 613 


Boucuotre (Emile), ancien maire de Metz et membre de l'académie 
royale de Metz. — 2, 5. 

Bovvize (de) , membre de plusieurs sociétés savantes , à Blois. —9, 5, 4. 

Bovreer (de), colonel directeur d'artillerie, à Metz. — 6. 

Bouc (de), secrétaire de régence, homme de lettres à Coblentz, 4,5. 

Borzrau , officier au 8° régiment d'artillerie, à Metz. —5, 6. 

Boucuer (Hubert), professeur au petit séminaire de Metz. —1,4, 5. 

Borranx , ancien secrétaire de la société royale des antiquaires ; à Paris. 

Braconxor, correspondant de l'institut, à Nancy. — 4, 2, 5. 

Buviexier , propriétaire , membre et député de la société philomatique 
de Verdun (Meuse). — 1,4, 6. 

Bureaux (l'abbé), chef d'institution, à Metz — 4, 5, 6. 

Cauwoxr (de) ; membre correspondant de Pinstitut et directeur de l'as 
sociation normande à Caen. — À, 2, 4; 5. 

Cauxx, chef d'escadron d'artillerie, membre de l'académie royale de 
Metz. — 5, 6. 

Cargauzr, rentier à Metz. — 5. 

Cauvnx , inspecteur divisionnaire des monumens historiques de France; 
au Mans, — 1,2, 4, 5. 

Cuaussrer , supérieur du petit séminaire, professeur de physique et 
d'histoire naturelle, membre de la société d'histoire naturelle du 
département de la Moselle, à Metz. — 1, 6. 

Crawpouizzox , professeur , membre de l'académie royale de Metz. — 5. 

Cuauwas ; docteur en médecine, adjoint à la mairie, membre de 
l'académie royale et de la société de médecine de Metz. — 2,5, 6. 

Cuuixe (l’abbé), professeur au grand séminaire de Metz, — 5, 2. 

Cuume (l'abbé), professeur de rhétorique au petit séminaire de Metz. —5. 

Carezain , homme de lettres, député de l'académie de l’industrie 
agricole, manufacturière et commerciale et de la société française 
de statistique universelle, à Paris. — 2, 5. 

Cusvreaux , avocat, secrétaire de la société d’agriculture de l'Eure, à 
Evreux. — 1, 2, 4, 6. 

Cuozey, avocat, membre de l'académie royale de Nancy.—1,2,5,4,5,6. 

Corger (le général), commandant le département du Calvados. — 4, 5. 

Corze, ancicn officier d'artillerie, agronome, membre de l’académie 
royale de Metz. — 2. , 

Du Cozrrosquer (le comte), membre associé libre de l'académie royale 
de Metz. — 5. 

Cogvs , professeur de dessin à Lunéville. — 4, 5. 

Coxser, sous-lieutenant au train d'artillerie, à Metz. — 1, 2,6. 


614 LISTE DES MEMBRES. 


Cosserre (de), chef d’escadron , membre de plusieurs sociétés savantes, 
à Montreuil-sur-Mer. — 2, 4,5. 

Czercx, sous-bibliothécaire de la ville de Metz. — 4. 

Cuzwaxx , chef d’escadron d'artillerie , professeur à l’école d'application , 
membre de l'académie royale de Metz. — 6. 

Cuxix, membre du conseil municipal de Metz, du conseil général du 
département de la Moselle , et du conseil académique , à Metz. —2. 

Dersoces, membre de l'académie royale des sciences, arts et belles 
lettres de Caen. — 5, 6. u 

Dewsour , graveur, membre de l'académie royale de Metz. — 2, 5. 

Desrogerr , substitut du procureur-général, membre de la société 
d'encouragement des beaux-arts, à Metz. — 5. 

Devozuer , officier d'artillerie, à Metz. — 9. 

Desounix, docteur en médecine , à Metz. — 3. 

Denis, ancien maire de Commercy, membre de plusieurs sociétés 
savantes. — 4. 

Demoxpesir , chef de bataillon du génie, à Metz. — 6. 

Derer , docteur en médecine, à Paris. — 53. 

Deussway , membre de l'académie royale de Besancon.—1, 2,3, 4, 5,6. 

Decoums, substitut du procureur du roi, à Briey (Moselle). — 4. 

Dion, capitaine d'artillerie, vice-président de l'académie royale de 
Metz. — 6. 

Duwasr (Guerrier de), président de la société royale de Nancy (Meurthe). 
— 4, 5. 

Durré (l'abbé), membre de la société pour la conservation des mo- 
numens nationaux, à Avranches (Calvados). — 1, 4, 5, 6. 

Dupuy, directeur de l’école des arts, associé libre de l'académie 
royale de Metz. — 5. 

Doviviers , avocat, à Metz. — 2, 4, 5. 

Durour, conseiller auditeur à la cour royale de Metz. — 2. 

DururTe, compositeur de musique, membre de l'académie royale de 
Metz. — 5. 

Duran , docteur en médecine au Val-de-Grâce , à Paris. — 14,53, à. 

Duovernier, conseiller à la cour royale de Metz, — 4. 

Erzrar , notaire à Bruxelles. — 4. 

Eux , capitaine d'artillerie , attaché à l’école d'application , à Metz. —4. 

Esrinose (d°), membre de la société pour la conservation des monumens 
nationaux , à Cherbourg. — 4. 

Faivre, professeur, membre de l'académie royale de Metz. — 4, 5. 

Faucon pu Quesnay, docteur en médecine , à Caen. — 1,2,3, 4. 


LISTE DES MEMBRES. 615 


Faucrrten (Alfred de), substitut du procureur général, prés la cour 
royale de Metz. — 2, 4, 5. 

Fervez , officier du génie, à Metz. 

Fourxez , professeur d'histoire naturelle, membre de l'académie et 
de la société d'histoire naturelle, à Metz. — 1, 4. 

Frorent (de Sainr), membre de la société entomologique de France. 
— 1,5. 

Franc, professeur de médecine, à Montpellier. — 3. 

François, pharmacien, à Metz. — À, 5. 

Fresxe (du), avocat, à Toul (Meurthe). — 4. 

GauiarD , professeur de physique, membre et député de la société 
philomatique de Verdun. — 1, 4, 6. 

GaurtER, architecte à Metz. — 5. 

GaLERON, procureur du roi, à Falaise. 

GarGax (de), propriétaire , ancien ingénieur des mines, membre de 
l'académie royale de’Metz. — 3. 

Gerson-Lévy, libraire , ancien professeur de langues orientales , membre 
de l'académie royale de Metz. — 4, 5. 

Giro, docteur en médecine, membre de la société de médecine 
de Metz. — 4,5,5, 6. 

Gicauzr p’ouncourr , ingénieur civil à Bar-le-Duc, membre correspon- 
dant de l'académie royale de Metz. — 14, 2, 5, 6. 

GossELiN, capitaine du génie, secrétaire de l'académie royale de 
Metz. — 9, 6. 

Gonnow, professeur à Paris, membre de l'académie royale d’Evreux. 
— 4, 5. 

Grower (Emile) ; chirurgien sous-aide à l'hôpital-militaire de Metz. 
— 3, 6. 3 

Guexon—Dosse, chaudronnier-fondeur, à Metz. — 9, 6. 

Guuxemix (le baron de), rentier à Metz. —9, 4. 

Haro , doct. en méd., à Metz, membre de l’acad. royale de Metz et 
de la société d'histoire naturelle du département de la Moselle.—4,9,3. 

Harrmanx, fabricant à Munster (Haut-Rhin). — 2. 

Hazpar (de), docteur en médecine , secrétaire de la société royale des 
sciences , lettres et arts de Nancy, correspondant de l’académie royale 
de Metz et de la société d'histoire naturelle du département de la 
Moselle. — 1, 3, 6. 

HexrQUELLE , propriétaire, à Metz. — 9. 

Hénor , chirurgien en chef, premier professeur à l'hôpital militaire de 


Metz. — 3, 


616 Ÿ LISTE DES MEMBRES. 


Horanore , bibliothécaire de la ville, secrétaire de la société d'histoire 
naturelle du département de la Moselle , à Metz. — 4, 4, 6. 

Hozanpre (Charles) , receveur de l'enregistrement , à Stenay. — 14, 2, 
3 430; 6: 

Hounier, membre de la société francaise de statisque universelle, à 
Metz. — 2, 5. 

Hocan , directeur des chemins vicinaux , député de la société d'émula- 
tion des Vosges, à Epinal. — 1. 

D'Huarr (Victor), propriétaire , à Metz. — 5. 

Huarr, banquier, à Metz. — 1, 2,3, 4, 5, 6. 

Huarr (Emmanuel baron d’), propriétaire, à Metz. — 4. 

Huçuenix jeune, professeur au collége royal et membre de l'académie 
royale de Metz. — 4. 

Jauxez (Pierre-Sylvestre), ancien ingénieur en chef du cadastre, ancien 
membre de la société d'agriculture de la Moselle. — 2, 4, 6. 

Jauwez (Edouard), géomètre en chef du cadastre du département de la 
Moselle, à Metz. — 2, 6. 

Jauxez (Octave) , secrétaire particulier, à Paris. — 4, 5. 

Jacquemin , pharmacien , à Metz. — 1, 3. 

Jacouin (Isidore), capitaine d'état-major, à Metz. — 1, 6. 

Jacouin (Etienne), docteur en médecine, à Gorze (Moselle). — 3. 

Josa, garde-magasin du Mont-de-Piété, membre de la société d'histoire 
naturelle du département de la Moselle , à Metz. —1, 4, 6. 

Jurécourr (Srnème de), élève de l’école centrale des arts et manufac- 
tures , membre de la société d'histoire naturelle du département 
de la Moselle, à Rouvres (Meuse). — 1, 6. 

Koenic, homme de lettres, membre de l'académie royale de Metz. 
—1, 4,5. 

Laporte (Louis-Eugène), avocat et agronome , membre associé libre 
de l'académie royale de Metz. — 2. 

Lasaurce, directeur de l’école normale , membre de la société d'histoire 
naturelle du département de la Moselle , à Metz. — 1. 

Lam, conseiller de préfecture , secrétaire perpétuel de la société royale 
d'agriculture et de commerce , à Caen. — 2, 4, 5. 

Lacaveme , docteur en médecine , professeur d'anatomie à l'hôpital mili- 
taire d'instruction de Metz. — 3, 6. 

Lazzewanr, professeur à l'école de médecine de Montpellier , membre 
correspondant de l'académie royale de Metz. — 3. 

Larire , propriétaire à Metz. — 5, 4, 5. 

Lamoureux , professeur à l’école forestière , membre de l'académie royale 


. 
4 


LISTE DES MEMBRES. 617 


de Nancy, correspondant de la société d'histoire naturelle du dépar- 
tement de la Moselle, — 4. 1 

Lanoucerre (le baron de) député du département de la Moselle, secrétaire 
perpétuel de la société philotechnique , à Paris. — 1, 2, 5, 4, 5, 6. 

Lamazze , docteur en médecine , à Blamont. — 9, 5, 4. 

Leseuxe , chef de bataillon du génie en retraite , membre !de la société 
d'histoire naturelle du département de la Moselle, de la société 
géologique de France, etc., à Metz. —1. 

Le Jonore, ingénieur des ponts et chaussées , membre de l’académie 
royale de Metz. — 1, 2, 3, 4, 5, 6. 

LevazLois , ingénieur en chef des mines, membre de la société géolo- 
gique de France, correspondant de la société d'histoire naturelle 
du département de la Moselle, à Dieuze. — 4, 6. 

Lrcrerc, juge, à Epinal. — 4, 5. 

Leneveux, avocat, à Metz. — 4,5. 

Lepace , docteur en médecine , à Orléans, membre de plusieurs sociétés 
savantes. — 1, 3, 4. 

Lever (le marquis de), ancien colonel, membre de plusieurs sociétés 
savantes , à Rochefort (Seine-Inférieure). — 4, 5. 

Lover, chirurgien sous-aide à l'hôpital militaire de Metz. — 5, 6. 
Luox, receveur-général, à Metz, membre de l'académie royale de 
Metz , et président de la société des amis des arts de la Moselle. 
Le Massox, ingénieur en chef des ponts et chaussées, président de 

l'académie royale de Metz. — 9, 6. 

Manécuar (Félix), docteur en médecine , à Metz, membre de l'académie 
royale-et de la société de médecine de Metz. — 5. 

Mazmerse, juge au tribunal civil, membre de la société d'histoire na- 
turelle du département de la Moselle, à Metz. — 14, 2, 3, 4, 5. 

Macuiw, commissaire en chef des poudres, à Metz. — 5, 6. 

Macuin , inspecteur des lignes télégraphiques, membre de plusieurs 
sociétés savantes, à Metz. — 1, 2, 5, 4, 5, 6. 

Marécnas (l'abbé), professeur d'écriture sainte au séminaire de Metz, 


et membre de la société d'histoire naturelle du département de la 
Moselle. —1, 5. 


Mauxar, ancien professeur de littérature en Allemagne, à Corny , 


près Metz. — 1, 5. 
Marre (l'abbé), archiprêtre, curé de Sainte-Ségolène , à Metz. — 
4, 2, 5, 4, 5, 6. 


MacnËvize (comte de), inspectour divisionnaire de l'association nor- 
mande. 


78 


618 LISTE DES MEMBRES. 


Maur'aeux, greffier du tribunal civil, membre et député de la société 
d’émulation des Vosges , à Epinal. — 2, 4. 

Marmieu, avocat, membre de la société centrale d'agriculture de 
Nancy. — 2, 5. 

Mas, professeur de langue allemande à l’école d'application de l’ar- 
tillerie et du génie, à Metz. — 2,4, 5. 

Mamesse (de), officier comptable à Metz. —1, 2. 

Macnerez, professeur et membre de l'académie royale de Metz, — 5. 

Musso, docteur en médecine, professeur à l'hôpital militaire de 
Metz. — 5. 

Mey (de), docteur en médecine , à Paris , membre de la société géolo- 
gique de France. — 4. 

Micuezanr père, docteur en droit, ancien conseiller de diverses cours 
royales. — 4, 5. 

Micnez , élève à l’école des ponts et chaussées, à Paris. — 6. 

Micuezanr , greffier du tribunal civil, philologue , à Metz. — 14, 5. 

Mon, capitaine d'artillerie, membre de l'académie royale de Metz. — 6. 

Moxrureux (de), correspondant de plusieurs sociétés savantes, à Vic 
(Meurthe). — 2, 4, 54 

Mouceor, docteur en médecine à Bruyères, membre et député de 
la société d’émulation des Vosges, correspondant de la société 
d'histoire naturelle du département de la Moselle, — 4. 

Moreau , procureur-général près la cour royale de Metz. — 4. 

Moreau (Jean) substitut du procureur du roi à Verdun, membre et 
député de la société philomatique de la même ville. — 4. 

Moruance, professeur de l'école rabbinique , à Metz. — 5. 

Nerrancourr (le vicomte de), colonel en retraite, à Tillombois, près 
Saint-Mihiel. — 2. 

Nicozas (Jean-Francois), curé à Lessy, près Metz. — 4 et 5. 

Nicozas (Michel), pasteur de l’église réformée, membre de la société 
asiatique de Paris, à Metz, — 4, 5. 

Nicévizze (Joseph de), membre de l'académie royale de Metz. — 2. 

Nicévizze (Hyacinthe de), contrôleur surnuméraire des contributions 
directes à Metz. — 2. 

Noëz , avocat, à Nancy, membre de la société d'éemulation des Vosges. 
— À. 

Onœain, procureur du roi, à Metz. — 1,2,3, 4, 5, 6. 

Owen (Roserr), de Londres, membre de la société historique de 
France, de la société de statistique universelle et de la société royale 
d'industrie de Paris. 


LISTE DES MEMBRES. 619 


Paixans , colonel d'artillerie, député du département de la Moselle, 
membre de l'académie royale de Metz. — 2. 

Parron, médecin vétérinaire au 8° d'artillerie à Metz. — 4, 2. 

Pance (le marquis de), pair de France, membre de l'académie royale 
de Nancy. — 2, 5. 

Parvaron , colonel du génie, à Metz. — 4, 6. 

Péri (l'abbé) numismatiste, à Metz. — 4. 

Peyrrai, chirurgien, sous-aide à l'hôpital militaire de Metz. — 3. 

Prarrennorren (le baron de), numismatiste , à Donaueschingen , grand 
duché de Bade. — 4, 5. 

Piogerr, capitaine d'artillerie, membre de l'académie royale de Metz. 
2, 6. 

Prre, peintre, membre de l'académie royale de Nancy. — 4. 5. 

Prxerécourt (de), homme de lettres , à Paris. — 4, 5. 

Prassiarp, ingénieur des ponts et chaussées , membre de la société 
d'histoire naturelle du départément de la Moselle, à Metz. — 1. 6. 

Poxçor , sous-intendant militaire en retraite à Metz, membre de l’aca- 
démie royale de Besancon et de la société d'histoire naturelle du 
département de la Moselle. — 4, 5. 

Povixzon DE Boszave, capitaine aide-de-camp du général commandant 
l'artillerie de Metz. — 4, D. 

Poiton ; propriétaire, à Paris. — 1. 

Prorcue , élève de l'école polytechnique, à Metz. — 6. 

Puron, membre de la société géologique de France, correspondant 
de la société d'histoire naturelle du département de la Moselle , 

-à Remiremont (Vosges). — 4, 2, 4. 

Résmonr (Jean-Baptiste de), général major au service de Russie, 
à Saint-Pétersbourg. — 4 , 2, 6. 

Résimonr (Charles de), docteur en médecine, membre de la société 
d'histoire naturelle du département de la Moselle, à Metz. — 
4,2,3,4,6. 

RevercuoN , ingénieur des mines du département de la Moselle , membre 
de l'académie royale de Metz, membre de la société d'histoire 
naturelle du département de la Moselle, à Metz. — 1, 6. 

Reuv, docteur en médecine, à Courcelles - Chaussy (Moselle). — 

2%, 536. 

Ropozpne, capitaine d'artillerie, membre de la société d'histoire na- 

*turelle du département de la Moselle, à Metz. — 1, 4, 6. 

Rowécourr (le baron de), conseiller à la cour royale, et président 
honoraire de la société de prévoyance de Metz. — 5. 


620 LISTE DES MEMBRES. 


Rousseui , premier président à la cour royale et membre de l'académie 
royale de Caen. —2, 4, 5. 

Rousseau (l'abbé), demeurant à Beaugency (Loiret). 

Rosrères (le comte Gaston de), rentier à Metz. 

Rice (de), ancien colonel d'artillerie, membre de la société des 
beaux-arts et d'agriculture de Caen, à Metz. — 2. 

Sauzcy (de), capitaine d'artillerie, membre de l'académie royale de 
Metz et de plusieurs autres sociétés savantes, à Metz. — 4, 6. 
Sarrazin (de), ancien membre de l'académie royale de Metz. — 6. 
Saussaye (de la), propriétaire à Blois, secrétaire général de la qua- 
trième session du congrès , directeur de la revue de numismatique 
française , député de la société des sciences et des lettres de Blois. 

—92, 4, 5: 

ScoureTTen, docteur en médecine, professeur de la faculté de mé- 
decine ; membre de la société de médecine de Metz: — 1, 9, 5, 4, 5, 6. 

Scuwazrz, percepteur ; près Metz. — 4. 

Scuurrr (l'abbé); curé à Dilling (Prusse), membre de la société des 
recherches utiles de Trêves. = 4, 6. 

Ses (le baron) , préfet du département de la Moselle. —1, 2, 3; 4, 5, 6. 

SeroT, avocat, membre de sociétés philantropiques , à Metz. — 
2, 4, 5. 

Secys Lonccnamps (de); naturaliste, membre correspondant de l’aca— 
démie royal de Metz, à Liége. — 4. 

Simon (Victor) , juge au tribunal civil, secrétaire archiviste de l'aca- 
démie royale de Metz, président de la société d’histoire naturelle 
du département de la Moselle, membre de la société géologique 
de France, etc. — 1,2, 3, 4;,5, 6. 

Smon (Gabriel), pépiniériste et conservateur du jardin des plantes; 
à Metz. — 2. 

Simon (Louis) jeune , pépiniériste ; membre de l'académie royale de 
Metz. — 2. 

Siege, professeur , à Metz. —5, 6. 

Sozeiroz ; chef de bataillon du génie, membre de l'académie royale 
de Metz. —14,4,5, 6. 

Srorreis , avocat, à Metz. — 3, 5, 6. 

Srozrz , docteur en médecine , membre de l'académie royale de me- 
decine , à Strasbourg. — 4, 3. 

Terquem, pharmacien, membre de l'académie royale de Metz et de 
la société d'histoire naturelle du département de la Moselle. — 
4,49, 44103 


LISTE DES MEMBRES. 621 


Terouem (Lazard), docteur en médecine, membre de la société de 
médecine, à Metz. — 3. 

Tuowas , professeur de philosophie au petit séminaire de Metz. —1, 5. 

Tniva, maire de la commune de Lessy, près Metz. — 2. 

Timax; professeur au séminaire de Verdun , membre et député de 
la société philomatique de Verdun. — 14, 4. 

Turiscuer (Simon), professeur au petit séminaire de Metz, — 5. 6. 

Warrin, médecin vétérinaire, membre de la société de médecine , 
à Metz. — 2. 3. 

Warmé, docteur en médecine, chirurgien-major du 50° régiment 
de ligne en garnison à Metz, membre des sociétés de médecine 
de Marseille et de Toulouse. — 3. 

Vanperracn, docteur en médecine, correspondant de la société d’his- 
toire naturelle du département de la Moselle, à Thionville. — 4 , 3. 

Verzecour (de), proprictaire , membre correspondant de l'académie 
royale de Metz, à Blettange. — 2. 


$ 
Warwezz, secrétaire d'une commission d'ingénieurs civils à Londres. 


— 6. 

Wairraume, docteur en médecine , membre de la société de médecine 
de Metz et de plusieurs autres sociétés savantes. — 3. 

Vizeneuve Trans (le marquis de), correspondant de l'institut, à 
Nancy. — 4, 5. 

Vie (de), directeur de la caisse d'épargnes, ancien président de 
la société de prévoyance et de secours mutuels de Metz. — 2, 5. 

Viazars , négociant à Montpellier , membre de la société d'agriculture 
et d’horticulture de Paris. — 2. 

VrrioN, professeur à la maison d'éducation de Sierck (Moselle). 1 , 6: 

Samwr-Vincenr (de), substitut du procureur du roi, à Metz. — 
AE20 3 "4%" 516: 

Vizers (le marquis de), ancien colonel , à Bourgesch (Moselle). — 4. 

Wommaye, avocat, membre de sociétés philantropiques, à Metz. — 
DH ND: 

Worms , pharmacien, à Metz. — 3. 


Le nombre des membres est de 224; 


622 OUVRAGES OFFERTS 


OUVRAGES 


OFFERTS 


A LA CINQUIÈME SESSION DU CONGRÈS. 


Nota. Les titres des mémoires dont il est fait mention dans les procès-verbaux des séances 
vont point été reproduits dans cette liste. 


Bulletin de la société géologique de France (réunions extraordinaires 
tenues à Caen), offert par M. de Caumont ; in-8°. 

Carte géologique du département de la Manche , par M. de Caumont, 
vice-président du Congrès. 

Explication de la carte géologique du département de la Manche, par 
M. de Caumont; broch. in-4°. 

Coup d'œil sur la constitution géognostique des cinq départemens de 
la Normandie, par M. de Caumont ; broch. in-8°. 

Second mémoire sur la géologie de l'arrondissement de Bayeux , par 
M. de Caumont; broch. in-8°. 

Mémoire pour servir à une description géologique du département de 
la Meuse, par M. Gaulard, membre du Congrès ; broch. in-8°. 

Description minéralogique et géologique du système des Vosges, par 
M. Henry Hogard , membre du Congrés ; un vol. in-8° avec un atlas 
de 13 planches. 

Catalogue des plantes qui croissent spontanément dans le départe- 
ment de Loir-et-Cher, par MM. J. Lefrou et Blanchet ; broch. in-8°. 

Notice sur les graminées qui croissent spontanément dans le départe- 
ment de la Moselle, considérés comme plantes fourragères, par 
M. Fournel, membre du Congrés ; broch. in-8°. 


AU CONGRÈS. 623 


Essai monographique sur Les Campagnols des environs de Liège, par 
M. de Selys Lonchamps; une broch. in-8°. 

Addition à l'essai précédent, par le même; ouvrage manuscrit. 

Catalogue des lépidoptéres ou papillons de la Belgique , par le même; 
une broch. in-8°. 

Mémoires sur les causes de la vie, par M. le chevalier Cassaignade , 
ancien officier supérieur; un vol. in-8°. 

Sciences naturelles et historiques (extrait de l'Écho de la Nièvre); 
broch. petit in-8°. 

Considérations sur la résurrection des provinces (extrait de la Revue 
de Lorraine); broch. petit in-8°. 

Notice manuscrite sur la spergule , offerte par M. Gigault d’Olincourt. 

Mémoire sur le commerce des chevaux en Normandie, par M. Caillieux, 
vétérinaire à Caen. 

Mémoire sur l'emploi pernicieux des fourrages mal récoltés, par le 

à 
même. 

Correspondenz blatt des koniglich Wurtembergischen Landwirthchaft- 
lichen Vereins ; deux cahiers. 

Plus un mémoire manuscrit qui est le complément du travail de 
M. Bosch, qui traite de l'influence de la greffe sur les arbres ; oflert 
par l’auteur. 

Mémoires de la société royale d'agriculture et de commerce de Caen, 
tome IV°.— 4837 ; broch. détachées , envoyées par M. Lair, secré- 
taire de cette société. 

Petite histoire des grands hommes les plus célèbres de l'antiquité et des 
temps modernes, par F. Châtelain, in-18: 1836, IV avec grav. 

Fragment d'une lettre sur l'origine de l'ogive et sur l'architecture 
dite Bizantine, adressé à M. de Caumont par M. Ch. Lenormant ; 
broch. in-8° avec une planche. 

Erfundliche Polarisirung de Weltgeschichte , etc. ; in-8° de une feuille, 
de la part de M. de Senne. 

Dissertation sur des caractères angulaires des monnaies de la Gaule 
belgique , comparés avec ceux qui ont été employés en Laconie , par 
M. Liénard , de Châlons; broch. lithographiée avec planches. * 

Dissertation sur une médaille attribuée à Néron , et sur quelques autres 
médailles trouvées près de Sisteron, par M. Ed. de Laplane; bro- 
chure d'une feuille, 1836. 

Ruine de l’ancien château de Ludre et du camp romain, dit Ja cité 
d'Afrique , par Charles-Léopold Mathieu, membre du Congrès. Nancy 
4899 ; broch. in-8° avec deux plans. 


624 OUVRAGES OFFERTS 


Dix-septième livraison de la Revue Anglo-Francaise , publiée par M. de 
la Fontenelle de Vaudoré, 1837 ; in-8°, 

Ruines de Scarpone , l'antique Serpane, et histoire de cette ville, 
par Charles-Léopold Mathieu. Nancy 1854; broch, in-8° avec pl. 

Description de la‘commune de Boulon , arrondissement de Falaise, 
par Fréd. Galeron. Falaise 1837 ; in-8°. 

Episode de l’histoire d’'Epinal, par M. Maud’heux ; br. in-8°, Epinal 1837. 

Description d'objets d'art attribués aux Celtes, trouvés dans la com— 
mune’ de Chevenon (Nièvre), par Auguste Brasset. Nevers 1856; 
brochure in-8° avec une planche. 

Rapport au conseil général du département de la Nièvre, en Ja session 
de 1856, par M. Auguste Grasset, inspecteur des monumens his- 
toriques , Nevers ; in-8°, 

Notice sur l'origine des bas-reliefs, placés le 15 juillet 4835, dans 
l'église de la ville de la Charité-sur-Loire, par le même, Nevers 
4855 , in-12. 

Visites pastorales d'Odon Rigault, archevêque de Rouen, par M. de 
Caumont, correspondant de l'institut. 1837 , suite n° 4 ; broch. in-8°. 

Chapelle ducale de Nancy , par M. le vicomte de VilendoséMeaout . 
marquis de Trans, président du Congrès, Nancy 1826, in-8°. 

Die Trierischen münzen, bios Geordnet, und beschrieben 
durch , J. J. Bohl. Coblenz ; 1823, in-8°. 

Mémoire archéologique sur la tour de Baugency, par M, Duchalais, 
de Baugency ; broch. in-8° avec deux planches. 

Rapport fait à l'académie royale de Metz, par M. Gerson-Lévy, sur 
le mémoire relatif à une médaille en l’honneur de Louis le dé- 
bonnaire, par M. Carmoly; in-8° avec une planche, 

Revue de la numismatique francaise , dirigée par E. Cartier et L. de 
la Saussaye Blois, 1837 ; in-8° n°° de juillet et d’août. 

Précis de l’histoire des sciences et des lettres dans le Blésois, par L. de 
la Saussaye , membre du Congrès. Blois , 1856 ; brochure in-8°. 

Die Trierischen münzen chronologissch geordnet Dursch, J. J. Bohl, 
membre du Congrès. Hannover, 4837 ; broch. in-4° avec 40 pl. 

Blatter für munzkunde. Journal numismatique de Hannovre. Leipzig 
4837, avec 6 planches 

Château de Chambord , par L. de la Saussaye; première livraison 
5° édit. in-4°. 1836; broch. avec 3 pl. lithographices. 

Histoire sommaire de l'architecture religieuse, civile et militaire, au 
moyen âge , par M. de Caumont, membre de l'institut, vice-président 
du Congrès, seconde édition. 4837 ; in-8° avec planches. 


AU CONGRÈS, 625 


Notice sur une hache keltique envoyée par M. frasset avec le fac 
simile, en plâtre, de cette hache. 

Annuaire des cinq départemens de l’ancienne Normandie, publié par 
l'association normande; année 1836, offert par M. de Caumont, 
vice-président du Congrès. 

Matériaux pour servir à la statistique du département de l'Orne; un 
vol. in-8°, offert par M. de Caumont. 

Société française pour la conservation des monumens. Séance générale 
tenue en 1856 ; une broch. in-8°, offerte par M, de Caumont. 

Association normande. Séance générale , 18 et 19 avril 1854 ; une broch. 
in-8°, offerte par M. de Caumont. 

Société linnéenne du Calvados, année 1825 ; une broch. in-8°, offerte 
par M. de Caumont. 

Société philharmonique du Calvados, Compte rendu des travaux de 
4827 et 14828; une broch. in-8°, offerte par M. de Caumont. 

Rapport fait à l’association normande , par M. de Saint-Germain, 4835, 
ayant pour but de constater , à cette époque, l'état de la musique 
dans la basse Normandie , et d'indiquer les améliorations qu'il ré- 
clame; une broch. in-8°, offerte par M. de Caumont. 

Rapport sur les travaux de la société linnéenne du Calvados, depuis 
son origine jusqu'au 24 mai 4824, par M. de Caumont ; une broch. 
in-8°, offerte par l’auteur. ° 

Société libre d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres du départe- 
ment de l'Eure. De l'amendement des terres les unes par les autres ; 
broch. in-8°, offerte par M. de Caumont. 

Congrès scientifique de France première session, tenue à Caen en 
juillet 4855 ; un vol. in-8°, offert par M. de Caumont. 

Congrès scientifique de France , troisième session, tenue à Douay ; un 
vol. in-8°, offert par M. de Givenchy, secrétaire-général. 

Congrès scientifique de France, quatrième session , tenue à Blois; un 
vol. in-8°, offert par M. de Lassaussaye , secrétaire-général. 

Revue de Lorraine , tome I‘, 1835-1836 ; tome II, premier sé 
mestre 1837 ; in-8°, offerts par M. Gustave Choley, directeur de 
cette Revue. 

L'Austrasie, Revue du nord-est de la France. Cahier d’août 1837, in-8e, 
offert par le comité de publication. 

Six numéros de l’Écho du panorama des langues , par M. À, Latouche; 
4886-1837 ; in-8°, offerts au nom de l'auteur, par J. Gondon, 
membre du. Congrès. 

Bulletin des concours, publié par M. Eugène Cassin ; une broch. in-8°, 


73 


626 OUVRAGES OFFERTS 


L'éducation au IX° siècle , par M. Paul Charrau du Hävre; un vol. 
in-8°, offert par l’auteur. 

France départementale, Revue de la Province, sous la direction de 
M. Nestor Urbain ; un cahier in-8°. 

Sept ans de règne ou statistique générale de la chambre des députés, 
par F. Chatelain, membre du Congrès; un vol. in-8°, offert par 
l’auteur. 

Annales de la société d’émulation du département des Vosges, troi- 
sième cahier du tome IT, premier cahier du tome II ; in-8°, offertes 
par la société d’émulation. 

Lettres de MM. Dufeu et Duclo, relative à la fondation du cercle 
scientifique ; une broch. in-8°. 

Su la vita et su le opere dell’abate Domenico Seina ; une broch. in-8°. 

La philosophie de Pythagore et de Schelling , trouvée dans la tenue 
des livres en parties doubles par M. J. 4. Chabaud; une broch. 
in-8°. 

Elémens d’une nouvelle grammaire allemande à l’usage de la jeunesse 
française. 1857 ; un vol. in-12. 

Cours de thèmes sur le drame allemand , ayant pour titre Edouard en 
Ecosse. 

Guide de la conversation allemande. Premier cahier, format in-12. 

Edouard en Ecosse. Deux cahiers ir-12, 

Ces quatre ouvrages de M. Siebert, ont été offerts par l’auteur, membre 
du Congrès. 

Ode par M. Mollevaut, membre de l'institut royal de France, inti- 
tulée la Postérité ; in-18, offerte par l’auteur. 

Distribution solennelle des prix. Petit séminaire de Metz, août 4836 ; 
une broch. in-8°. 

Distribution solennelle des prix. Petit séminaire de Metz, août 4837; 
une broch. in-8°. 

Amtlicherbericht über die Versammlung deutscher naturforscher und 
aerzte zu Jena im september 1836. Un cahier in-4°. Ce rapport ofh- 
ciel de la quatorzième session de la société des naturalistes et mé— 
decins de l'Allemagne, a été adressé au Congrés par M. le docteur 
de G. Kieser ; à ce rapport était jointe une médaille frappée pour 
cette session, elle est déposé dans le médailler de la ville de Metz. 

Analyse chimique de l’eau de Bulgnéville , par M. Henry Braconnot ; 
une broch. in-8°, offerte par l’auteur, membre du Congrès. 

Sur le désastreux système du défrichement des forêts en France , par 
M. Joseph Humbert , curé d'Haussonyille ; une broch. in-8°, offerte 
par M. Chatel, avoué, à Metz. 


AU CONGRÉS. 697 


Rapport sur l'analyse et la synthèse, par M. le comte du Coëlosquet , 
membre du Congrés; une broch. in-8°, offerte par l’auteur. 

Notice sur la culture des oseraies dans le, département de l'Aisne , par 
M. M. C. Billet d'Aubenton , garde général des forêts; une broch: 
in-8°, offerte par l’auteur. 

4° Séances publiques des 14 mai 1829 et 7 juillet 1833 , de la société 
royale des sciences , lettres et arts de Nancy. Deux broch.. petit in-8°. 

2° La Navarre et l'Espagne ; broch. in-8. 

3° Le tombeau des deux amans de Clermont ; broch. in-8°. 

Ces quatre brochures ont été offertes par M. Guerrier de Dumast, 
membre du Congrés. 

Cours d’analogie logique et mnémonique , ou méthode élémentaire sur 
un plan nouveau, pour apprendre simultanément l'orthographe et 
la signification des mois français en dix séances, par M. Dantec, 
maître de pension à Metz; prospectus offert par l'auteur. 

Société francaise pour la propagation et le: progrès des sciences natu- 
relles, fondée par M. Nerée Boubée. Prospectus et autres documens 
relatifs à cette société, plus un livre ouvert pour recevoir la signature 
de MM. les actionnaires. 

Ge livre et les documens qui l'accompagnent sont déposés dans les 
archives de l'académie royale de Metz. 

Discours sur la physique et la chimie, par Ch. Léopold Mathieu de 
Nancy, membre du Congrés ; broch. in-8° offerte par l’auteur. 

Ordre et nomenclature analytiques pour la lithologie , par Ch. I. 
Mathieu de Nancy; broch. in-8° offerte par l’auteur. 

Le Printemps premier chant du poème chinois, par Ch. L. Mathieu; 
broch. in-8°, offerte par l’auteur. 

Discours sur l'instruction publique, par Ch. L. Mathieu , broch. in-8° 
offerte par l’auteur. 

Rapport sur les travaux de la deuxième année de l'association , par 
M. Galeron, secrétaire, pour les progrès de l’agriculture , de l’in- 
dustrie et de l'instruction dans l'arrondissement de Falaise. 

Essai sur l'opportunité d'une loi sur la vaccine, par M. Chavane, et 
offert par lui. 

Quelques lettres sur le choléra-morbus , offertes par l’auteur, M. de 
Mey, membre du Congrés. 

De la part de M. Duclo de Marseille , plusieurs feuilles et brochures 
dont les titres suivent : 

4° Note sur le choléra-morbus ; 

2° Rapport succinct aux chambres assemblées de la cour royale de 
Montpellier ; 


628 OUVRAGES OFFERTS AU CONGRÈS. 


3° Une pétition à la chambre des députés au sujet d'une découverte 
médicale ; 

4° Découverte du sieur Labourey ; 

5° Les partisans de la poudre Labourey à M. le rédacteur de la 
Gazette du midi; 

6° Rapport succinct aux chambres assemblées de la cour royale &e 
Montpellier ; 

7° Précis des débats en la cause des sieurs Giaume, Queirel, La— 
bourey, demeurant à Marseille ; 

8° Une lettre imprimée adressée au Congrès scientifique de France, 
pour la cinquième session ; 

9 Réflexions relatives à l’organisation du corps médical, présentées 
au Congrès scientifique de France pendant sa quatrième session ; 

10° Le cercle scientifique de Marseille au Congrès scientifique de 
France. — Réflexions concernant une question d'utilité publique 
posée au programme du Congrès pour sa quatrième session fixée 
à Blois. 

De la nécessité d'établir un service médical dans les campagnes, par 
M. Haxo. 

Considérations médico-philosophiques sur quelques maladies affectant 
spécialement les classes pauvres. 

Ces deux ouvrages ont été déposés par MM. les députés de la société 
d'émulation des Vosges. 

Eloge de M. Gaillardot, offert par M. Lamoureux , membre du Congrès. 

Notice sur la médecine homéopathique, en réponse à une question qui 
doit être discutée par la troisième section du Congrès, offerte pas 
M. Boret. 

Deux volumes de la bibliothèque anglo-francaise ou collection der 
poètes anglais les plus estimés, traduction française en regard, de 
la part de M. le docteur O'sullivan. 

Annuaire de l'arrondissement de Falaise, offert par M. Galeron. 

Nouvelle géométrie et trigonométrie. 

Appendice à une nouvelle géométrie et trigonométrie. 

Principes généraux propres à accélérer l'éducation de la jeunesse. 

Ces trois ouvrages ont été offerts par M. de Sarrazin, membre du 
Congrès, 


D’après le compte rendu des travaux de la session , on remarquera 
que beaucoup de mémoïres manuscrits adressés ou communiqués au 
Congrès n’ont, point été imprimés. La commission regrette vivement 


que ses ressources pécuniaires l’aient privée de donner à ces travaux 


intéressans La publicité dont ils sont dignes. 


TABLE DES MATIÈRES. 


ARANEERHOMDEN NE Mes o:eleiais dede die sin cie alu e octo este do slelet 
Arrêté pris par le Congrès scientifique de France, pour la tenue 
denestron de 19972: ui ecn Locle en tie 
Commission préparatoire nommée par l'académie , la société des 
sciences médicales, la société d'histoire naturelle et la so- 
CICR NES amis  A6St AIS « d'ee onto oi o.0 2j le Lolrtats ej0 ete 108 00 
Circulaire du secrétaire général de la 5° session du congrès scien- 
Etre ranelrr Semi es cviele te plots ee 
Programme de la cinquième session. .............:...4.... 
Questions proposées pour chaque section.................. 
Séance d'ouverture de la 5° session du Congrès scientifique de 


Prancen PAIN, Die MARS DEL HUQR SAN 


TRAVAUX DES SECTIONS. 


PREMIÈRE SECTION. Histoire naturelle........................ 
Deuxième secrion. Agriculture, industrie et commerce....... 
TROISIÈME SECTION. Sciences médicales. ..................... 
Quarrièxe secrion. Histoire et archéologie.................. 
Cinquième section. Philologie , littérature , beaux-arts, philosophie. 
SIXIÈME secrion. Sciences physiques et mathématiques. ...... 
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 200 10e CES JADE CRE 


MÉMOIRES ET PIÈCES 


DONT LE CONGRÈS A VOTÉ L'IMPRESSION:. 


Première section. — Considérations sur la première question de 
géologie indiquée au programme du congrès scientifique de 
Metz; savoir : « Comment ont pu se former les escarpemens 
que l’on remarque aux limites de plusieurs formations et de 
plusieurs divisions de formations ? » Par M. Holandre....... 

Notice sur le keuper et les grès keupériens, en réponse à la 
deuxième question du programme : « Le grès que l’on voit à la 
partie supérieure du keuper appartient-il à cette formation 
ouate Par M. Levallois... : 2e siot à soient atetelerste oo 

Des métamorphoses et des modifications survenues dans certaines 
roches des Vosges; par M. E. Puton, membre de la société 
d'émulation des MVospess fetes. #0... 2.0.4... 

Ordre de superposition des terrains de la Sicile, disposé par 
le professeur Charles Gemmellaro....................... 

Deuxième section. — Moyens de diriger l'esprit et les études 

de la jeunesse vers l’agriculture ; par le docteur Lahalle, de 

DÉnROR Re PR is de dalS ie ain eo Gta late o el steje ee 


Pag: 


125 
158 
495 
216 
256 


TABLE DES MATIÈRES. 


Des communications nécessaires à Ja Lorraine ; par M. Maud’heux, 
d'Epinal..........Reecsonscenss es dosece secoue 
Banque du département de la Moselle; par M. Félix de Viville. 
Troisième section. — Considérations sur le système phrénolo- 
gique, par M. Gromier, chirurgien sous-aide. ............ 
Quatrième section. — Influence des croyances religieuses sur 
les monumens des anciens peuples ; par E. A. Bégin, docteur- 
DRE TÉC IE ele leiminie is Dtads mie ace d'piouee one eiou ee VOTE es ai a ee 
Cinquième section. — Rapport sur l’état de la peinture à Metz; 
par M. B, Faivre...................... soso 
Mémoire sur les questions suivantes: « 4° Quelle part con- 
> vient-il d’assigner aux sciences et aux lettres dans l’ersei- 
> gnement de la jeunesse? 2° Quelles conditions doit remplir 
> l'enseignement des unes et des autres , pour atteindre le but 
> qu'il se propose? » Par M. le comte du Coëtlosquet..... 
Du principe de la science, par M. Ch. Stoflels........,,.. 
Coup-d'œil sur l’état de la musique à Metz , depuis Charlemagne 
jusqu'a nos jours, par M. Camille Durutte.............. 
Sixième section. — Essais destinés à faciliter la répétition de 
l'expérience fondamentale de la théorie de l'interférence des 
rayons lumineux, par M. le docteur de Haldat.........., 
Note sur les eflets et les lois du choc, de la pénétration et du 
mouvement des projectiles dans les divers milieux résistans, 
par MM. Piobert, Morin et Didion, capitaines d'artillerie. . 
Recherches sur la plus grande vitesse que l’on peut obtenir par la 
navigation aérienne , par M. Didion, capitaine d'artillerie. . . 
Description des appareils chronométriques à style propres à la 
représentation graphique et à la détermination des lois du 
mouvement dans divers genres d'expériences, par M. Arthur 
Morin, capitaine d'artillerie... ....... 2.0... 
Notice sur le système et les résultats des travaux adoptés pour 
l'amélioration de la navigation de la Moselle, par MM. Le 
Masson, ingénieur en chef des ponts et chaussées , et Le Join- 
dre, ingénieur ordinaire, chargé du service de la nayigation 
Me aiMoelle ss Les dec An RRe le en A VEN 
Notice sur divers appareils dynamométriques propres à mesurer 
l'effort ou le travail développé parles moteurs animés ouinanimés 
et par les organes de transmission du mouvement dans les 
machines, par M. Arthur Morin, capitaine d'artillerie. .... 
Mémoire sur la température intérieure de la terre, par M. l'abbé 
HEURE U ABR RAR POUR EE RE EE 
Liste des membres de la cinquème session du Congrés....... 
Ouvrages offerts à la cinquième session du Congrés.......... 


549 


570 


583 


608 
612 
622 


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ne carrue- 


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lth de Nouvian à Metx 


Appareils dynamometriques propres a mesurer le travail des moteurs animes ou inanimes . PI ] 


Dynamometre «à Style et à bandes de paptier 


Plan Dynamometre applique. à une charrue 
Elevation longut le 
ä vation longitudinale 


avec-avart. train 


Plan 


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Compteur 


2) Echelle de o 33 pour metre pour l« fig: Ô 
Hlcoation longitudinale Elevation transversale cs 


Dynamometre a plateau 


laurrant 


Echelles de 07166 pour mtre pour les fig: À & 4 . 


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Echelle de 07$o pour mètre pour Le fig: 6 7 


6 Déumetres 


2 décimétres. Vi 
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dth* de Nourian à Mix. 


PL.IT. 


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Lith.de Nouvian & Metx - 


Appareils dynamometriques propres a mesurer le {ravail des moteurs animes ou inanimes . 


Dynamometre. : noteur  chronome Dynamometre. à style applique aux. dilegences 


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Dynamometre de rotation 
Poules de retraite, 


Echelle de 0770 pour mètre, pour Les fig: 12 8456.> & 9 


8 


Echelle cle 0" 08 pour metre. pour la, fig 


Lüth. de Nouvrcar & Mets - 


Goula. de 24 té ouv fa fonte. 


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