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SCIENTIFIQUE
DE FRANCE.
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METZ, IMPRIMERIE DE S, LAMORT..
CONGRÈS
SCIENTIFIQUE
DE FRANCE.
CINQUIÈME SESSION,
ue x 107 en) Cepteubre 1837.
SE TROUVE:
METZ, CHEZ LAMORT , IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ;
PARIS , CHEZ DERACHE , LIBRAIRE, RUE DU BOULOY, N° 7,5
BLOIS ; CHEZ LES PRINCIPAUX LIBRAIRES.
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AVANT - PROPOS.
La cinquième session du Congrès scientifique de
France qui à été tenue à Metz, fut une véritable
fête pour les amis des sciences et des arts.
A peine eut-on connaissance, dans cette ville, de
ce projet de réunion , que son utilité fut appréciée
par toutes les classes de la population. L’académie,
la société des sciences médicales, la société d'histoire
naturelle , et la société des amis des arts, choisirent
dans leursein,des membres pour former une commis-
sion chargée des travaux préparatoires du Congrès:
de concert avec le secrétaire général, une circulaire,
puis le programme des questions à soumettre aux
différentes sections, furent adressés à des hommes
connus par leurs travaux, ainsi qu’à la plupart des
sociétés savantes françaises et étrangères. Un agent
V}
fut nommé pour s'occuper de tous les détails d’exé-
cution.
Les industriels et les horticulteurs songérent, les
uns, à présenter aux étrangers une exposition des
produits de l'industrie du département, les autres,
à mettre, sous les yeux, pour la première fois, l’en-
semble de tout ce que notre pays offre d’utile et
d’agréable en horticulture. Ces deux expositions eu-
rent lieu sous le patronage de l'académie royale de
Metz. D'un autre côté, une exposition de dessin et
de peinture se préparait sous les auspices de la so-
ciété des amis des arts. Des emplacemens spacieux
et commodes furent mis par l'autorité à la disposi-
tion des exposans. La commission , chargée de l’im-
pression des travaux du Congrès, laisse aux sociétés
dont elle vient de parler, le soin de rendre compte
de ces expositions.
Trois vastes salles furent ouvertes au palais de
justice pour les séances des sections ; deux salons
furent disposés à l’hôtel-de-ville; l'un pour les
séances générales, l’autre pour les réunions du
soir. Telles furent les dispositions qui précédérent
l'ouverture du Congrès.
Dès la veille de la première séance , une as-
semblée nombreuse eut lieu ; on y remarquait
plusieurs hommes bien connus par leurs travaux
scientifiques ou littéraires. Chacun augurait bien
vi)
de la session qui allait s'ouvrir et se félicitait
à l'avance, de pouvoir saisir cette circonstance pour
entrer en relation avec des hommes que leur répu-.
tation avait devancés.
L'idée que l'on s'était faite de cette session ne fut
point déçue. Les séances des sections prirent, par
les sujets qu'on y traita et par l’ordre qu’on y ob-
serva dans les discussions, un caractère grave et
digne du but que l’on se proposait. Les résultats de
tous ces travaux donnèrent aux séances générales
quelque chose de solennel. Des dames invitées à
ces séances générales, y assistèrent en grand nom-
bre etmontrèrent par là, combien elles appréciaient
tout ce qui honore l'esprit humain.
Pour faire diversion à la gravité des séantes, les
établissemens publics de la ville et les divers ca-
binets des particuliers furent ouverts aux mem-
bres du Congrès; des promenades géologiques et
archéologiques, eurent lieu à Metz et aux environs;
un concert fut offert par la société philharmonique ;
deux banquets eurent lieu sur la fin de la session,
et une soirée fut donnée par M. le Préfet. Cepen-
dant les séances des sections ne furent interrompues
qu’ une seule fois, pour une course géologique et
archéologique ; les séances générales ne le furent
point,
Si la réunion ne fut pas aussi nombreuse qu’on
vil
pouvait l'espérer, il faut en attribuer la cause à di-
verses circonstances.
La position de Metz, à l'extrême frontière, Est ,
de la France, ne pouvait laisser espérer qu’on réu-
nirait beaucoup de savans des départemens éloignés.
Les pluies continuelles qui précédèrent le Congrès ;
le choléra qui sévissait alors dans le midi et en Sicile,
privèrent l'assemblée de plusieurs savans qui avaient
annoncé leur arrivée. Pendant que la session avait
lieu, la réunion de la société géologique se tenait à
Alencon ; deux assemblées avaient lieu en Allemagne,
l'une à Prague, l’autre à Goettingue ; une réunion
scientifique venait d’avoir lieu en Suisse ; d’un autre
côté, des prédictions sinistres pouvaient faire ap-
préhender qu'il ne s’élevât des discussions fâcheuses
au sujet de la suppression de la section des sciences
morales économiques et législatives. Enfin , quelques
personnes ignorant encore quels résultats on pou-
vait obtenir d’une réunion de ce genre, dont on
n'avait pas d'exemple dans le pays, s'étaient abste-
nues de s'associer. Les unes étaient mues par la pré-
vention que les travaux auraient peu d'intérêt, les
autres étaient retenues par la crainte trop modeste
de ne pouvoir y prendre qu'une faible part.
Malgré tant de circonstances défavorables , la réu-
nion fut cependant plus nombreuse que celle de
l'année dernière , et l’abondances des travaux fut telle
ix
que la 5° section se vit obligée d’avoir deux séances
par jour; que la plupart des séances des sections
et d’assemblées générales eurent une durée plus lon-
gue que celle fixée, et que l’on se vit obligé de pro-
roger d'un jour la clôture de la session. Le co-
mité *, chargé de la publication des travaux du
Congrès, va mettre en situation de les apprécier par
le compte rendu qui suit.
* Ce comité a été institué par l’art. 8 de l’arrêté pris par le
Congrès à la séance générale du 14 septembre 1837. Les mem-
bres qui le composent sont MM. Lemasson, président; Mon,
Hozanpre, Virzaume, Michel Nicozas , Ducosrzosquer , Béenv,
Fourwez, Laponvre, DE Sauzcyx, Micueranr, Boceau; Victor
SIMON , secrétaire.
ARRÉTÉ
PRIS
PAR LE CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE,
POUR LA TENUE
DE LA SESSION DE 1857.
ExTrarr du procès-verbal de la séance générale
du 17 septembre 1836.
Arr, 4%. Le Congrès, après avoir pris connaissance des
demandes adressées par les villes de Metz, Autun , Mar-
seille, Tours et Chartres, pour la tenue de la 5° session,
a décidé que cette session aurait lieu à Metz, et devrait
s'ouvrir du 1% au 5 septembre de l'année 1837.
Arr. 2. Monsieur Victor Simon, membre de l'académie
royale de Metz, et juge au tribunal de première instance
de la même ville, sera chargé des fonctions de secrétaire
genéral.
Arr. 5. L'académie royale de Metz est priée de vouloir
bien nommer une commussion préparatoire, qui devra
s'entendre avec M. le secrétaire général pour tous les tra-
vaux relatifs à l’organisation de la D° session du Congrès
scientifique de France.
Pour copie conforme :
Le Secrétaire général de la 4° session,
Signé ne La Saussaye.
COMMISSION PRÉPARATOIRE
NOMMÉE
PAR L'ACADÉMIE, LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES MÉDICALES,
LA SOCIÉTÉ D'HISTOIRE NATURELLE
ET LA SOCIÉTÉ DES AMIS DES ARTS.
MM.
DE Sausey, membre de l'académie royale de Metz.
FAIVRE, idem.
Fourxez, idem.
BLanc, idem.
Boucuorte (Charles), idem.
TERQUEM, idem.
GErsoN-Levy, idem.
PIOBERT, idem.
WizLauME, membre de la société des sciences médicales
de Metz.
Gizzor, membre de la même société.
Horanpre, membre de la société d'histoire naturelle du
département de la Moselle.
LEJEUNE, membre de la même société.
Lucy, membre de la société des amis des arts du dépar-
tement de la Moselle.
MExESssIER, membre de la même société.
Et Victor Smox, secrétaire général du Congrès, membre
de l'académie royale de Metz et de la société d'histoire
naturelle du département de la Moselle.
xij
CIRCULAIRE
DU SECRÉTAIRE GÉNÉRAL
DE LA 5° SESSION
DU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE.
Moxsrecr ,
Depuis long-temps les amis du progrès ont senti combien
il est utile pour tous, qu'à des époques déterminées des
réunions se tiennent sur divers points du royaume.
Quatre sessions du Congrès scientifique de France ont
déjà eu lieu, successivement, dans différentes villes, et
le résultat a répondu à l'attente de ses fondateurs.
En eflet, les échanges de travaux entre les différentes
provinces, la capitale et l'étranger, les observations faites
dans chaque localité, et à l’aide des hommes spéciaux
de ces localités, sont d’une utilité bien sentie pour ceux
qui veulent arriver promptement à de bons et solides ré-
sultats.
De ces réunions il est né des relations pleimes d'intérêt
entre des hommes qui, par l’analogie de leur goûts, dé-
siraient se connaître.
Nous avons donc, à l'avance, la garantie des avantages
qui peuvent résulter de la cinquième session du Congrès
qui doit s'ouvrir à Metz, au mois de septembre procham.
Metz espère justifier, sous plus d'un rapport, la dis-
tinction dont elle a été honorée entre plusieurs autres
‘villes.
Ce espoir est fondé sur les ressources et sur l'intérêt
que présente son industrie, et sur les différentes institu-
tions dont notre ville est dotée. Parmi celles-ci nous ci-
terons l’école d'application de l'artillerie et du gémie, et
ses collections remarquables de modèles ; l'hôpital muili-
taire d'instruction ; son académie royale ; ses sociétés de
médecine, d'histoire naturelle, des amis des arts, d’en-
couragement de jeunes israélites, de prévoyance et de
secours mutuels ; ses établissemens de bienfaisance ; ses
écoles: publiques et privées, dirigées par d’habiles pro-
fesseurs ; son beau système d'enseignement élémentaire su-
périeur et industriel ; sa bibliothèque publique ; ses col-
lections archéologiques, et enfin son muséum d'histoire
naturelle.
L'importance que les études mathématiques ont acquise
en cette ville, engagera à présenter avec confiance, au
Congrès, des questions sur les sciences exactes : aussi
l'académie a-t-elle décidé, provisoirement, qu'il serait
créé une septième section spéciale pour les mathémati-
ques, sauf à soumettre au Congrès réuni en séance géné-
rale, cette modification d'organisation.
Metz antique et Metz moderne, si riche de faits liés à
l'histoire de tous les temps de la France et de l'Allemagne ;
ses monumens d'architecture religieuse, civile et militaire,
et en premier ordre sa magnifique cathédrale et les arches
de son grandiose aqueduc de Jouy; voilà des sujets d’é-
tudes et d'observations bien suffisans pour ceux qui se
livrent aux recherches historiques et archéologiques.
Le naturaliste aura , dans les environs de Metz, à ob-
server des formations géologiques variées, dont quelques-
XIV
unes doivent être étudiées dans notre pays. Les autres
branches d'histoire naturelle, notamment la botanique,
présenteront un champ non moins fécond à explorer.
Nos contrées, qui d'ailleurs offrent des paysages si
rians, fixeront l'attention des industriels, des agronomes
et des horticulteurs, qui visiteront avec un haut intérêt
les pépinières, les nombreuses exploitations et les impor-
tantes usines de notre département.
Enfin nous ne devons pas omettre que Metz, située
près de la frontière de l'Allemagne, paraît destinée à
réunir dans son sein , lors du Congrès, un grand nombre
de savans de ce pays.
Nous osons espérer, Monsieur, que toutes ces consi-
dérations vous engageront dès à présent, à nous indiquer
des sujets de questions qui se rattachent aux matières dont
le Congrès s’occupera, et à nous les transmettre avant le
le 4° avril prochain. Nous espérons aussi qu'à l’époque
de la session, vous vous empresserez de vous rendre à
Metz pour contribuer, par vos lumières, à donner à
cette réunion l'importance dont elle est susceptible.
Si vous acceptez notre invitation, une convocation indi-
quant l'époque précise de l'ouverture des travaux vous
sera adressée avec le programme des questions qui devront
être discutées au Congrès. =
Recevez, Monsieur, l'assurance de mes sentimens de
considération les plus distingués.
Vicror SIMON,
Secrétaire-archiviste de l’académie royale de Metz, président
de la société d'histoire naturelle du département de la Mo-
selle, membre de la société géologique de France, etc.
PROGRAMME
DE LA CINQUIÈME SESSION.
{Cette réunion a été autorisée par arrêté de M. le Préfet, en date du 8 lyars 1837;
le réglement à été approuvé par la même autorité le 31 mai suivant.)
4° La 5° session du Congrés scientifique de France s'ouvrira à Metz A
le mardi 5 septembre, à midi, dans la grande salle de l'hôtel de ville.
2° La durée de la session sera de dix jours au plus.
3° Les travaux du Congrès seront répartis en six sections *,
4°0Dans la première séance, aprés le discours d'ouverture du se
crétaire général, on nommera le président et les deux vice-présidens
du Congrès, qui, avec le secrétaire général, composeront le bureau
central.
Les secrétaires provisoires de sections choisis par le comité d’orgä-
nisation , inscriront les noms des membres du Congrès dans les sections
dont ils désireront faire partie. \10 4
Chacun pourra se faire inscrire dans plusieurs sections à la fois.
Indépendamment des secrétaires , il sera nommé un commissaire
pour chaque section «et un agent pour tout le Congrès.
5° Il sera adjoint au bureau central un suppléant au secrétaire géné-
ral, et un trésorier-archiviste , chargé de la comptabilité de la 5° session
et du dépôt des ouvrages dont il sera fait hommage à l'assemblée.
‘6° Le président ,. le vice-président et les deux secrétaires de chaque
section seront nominés pa les sections mêmes, le lendemain de l'ou-
verture du Céngrès.
7° Les sections s'assembleront tous les matins ; elles fixeront elles
mêmes la durée de leurs séances. L'ordre d'ouverture des séances sera
" L'arrêté de M. le préfet, qui autorise la réunion du Congrès, indique les titres des
différentes sections.
XV}
indiqué sur une carte particulière qui sera remise à chaque membre
du Congrès.
8° Chaque jour, à deux heures après midi, il y aura assemblée de
toutes les sections réunies. Le secrétaire général lira le procès-verbal
de la séance de la veille ; les secrétaires des sections donneront lecture
des procès-verbaux des séances particulières tenues dans la matinée.
L'’asssemblée sera consultée sur les conclusions adoptées par les
sections. %#
On pourra ensuite entendre des lectures et recevoir des communi-
cations yerbales ou autres.
9° Nul ne pourra prendre la parole, à une séance, sans en avor
obtenu la permission du président, à qui la police de la séance ap-
partient de droit.
40° Aucune délibération ne pourra être prise, soit dans les sections
soit dans les réunions générales, si le quart au moins des membres
inscrits n’est pas présent.
41° Toute discussion sur des matières politiques ou religieuses est
interdite.
42°. Aucune lecture ne sera entendue en séance générale, qu’elle
n'ait été approuvée par les sections, chacune dans leur spécalité.
43° Le Congrès pourra ordonner, sur la proposition des sections
respectives , Lee des mémoires qui lui seront présentés.
4%° Outre les questions et propositions indiquées au programme
du Congrès, tous les membres ont le droit de lui en présenter de
nouvelles ; mais elles devront être formulées par écrit et déposées sur
le bureau du Congrès, en séance générale. Elles seront examinées le
soir même, par une commission permanente qui jugera si elles peuvent
être admises. Le résultat de la délibération sera communiqué le len—
demain aux sections compétentes. ,
45° La commission permanente est composée des membres du nn
central, du président et d’un des secrétaires de chaque section.
46° Pendant la tenue du Congrès, il sera fait des excursions scientifiques.
47° Nul ne sera admis à se faire inscrire parmi les membres du
Congrès, s’il ne justifie de sa lettre de convocation, et ne verse entre
les mains du trésorier ou de son délégué, une somme de dix francs.
Chaque personne inscrite devra signer le réglement ; cette adhésion
lui donnera droit à une carte d'entrée et au volume où sera consigné
le compte-rendu des travaux du Congrès.
48° Ce volume sera publié par les soins du secrétaire général et
des secrétaires des sections.
Lo
XVI)
19° Les personnes qui ne pourraient pas se rendre au Congés, sont
invitées à y envoyer des mémoires sur les diverses questions contenues
au programme, ou sur tout autre sujet qui pourrait être compris dans
les travaux de l’une des sections. N
20° Sont convoqués de droit au Congrès : les membres des sociétés
savantes, ceux des corps universitaires, les fonctionnaires supérieurs
dans l’ordre ecclésiastique, civil ou militaire, et toutes les personnes
qui ont assisté aux sessions précédentes.
La même invitation est faite aux étrangers qui sont dans les mêmes
conditions, ou qui ont assisté aux Congrès étrangers, ou qui sont
connus par des trayaux scientifiques. 2
21° Avant de se séparer, le Congrès fixera la date et le lieu de la
sixième session , nommera le secrétaire général, et invitera les sociétés
savantes de la ville désignée, à choisir le comité d'organisation de la
nouvelle réunion.
22° Toute difiiculté non prévue par les présentes dispositions, sera
portée au comité d'organisation, ou à la commission permanente qui
en décidera.
QUESTIONS
PROPOSÉES POUR CHAQUE SECTION.
PREMIÈRE SECTION.
HISTOIRE NATURELLE.
1° Comment ont pu se former les escarpemens que l’on remarque
aux limites de plusieurs formations et de plusieurs divisions de for-
mations ?
2° Le grès que l'on voit à la partie supérieure du keuper appartient-
il à cette formation ou au lias ?
3° Doit-on séparer le grès bigarré du grés vosgien, comme le dit
M. Elie de Beaumont, ou doit-on l'y réunir,
géologucs allemands ?
4° La couleur verte qui se présente à la partie inférieure de plusieurs
formations ne pourrait-elle pas étre prise pour une limite certaine de
ces formations ?
comme le pensent les
3
XVII]
5° On remarque , dans des circonstances semblables, que des co-
quilles dont le tét était trés-épais ne sont plus figurées uniquement
que par des moules, tandis que d’autres beaucoup plus minces sont
demeurées intactes : quelle peut avoir été la cause de ces différences ?
6° La science fournit-elle quelques données d’où l’on puisse conjec—
turer quelle a dù être l’origine du calcaire dont les masses existent
dans la nature ?
7° Les gneis et les micaschistes qui sont regardés par quelques
géologues comme des schistes cristallisés, sont classés par eux dans
les terrains primitifs, et considérés comme d'origine aqueuse ; quel-
ques-uns les regardent comme des roches originairement arenacées qui
ont changé de nature par le contact avec les roches ignées, lors de
l'émission de celles-ci. Ne peuvent-ils pas aussi être considérés comme
produits immédiatement par l’action ignée ?
8° Des roches qui étaient en contact immédiat avec l'atmosphére, et
qui plus tard furent recouvertes par d'autres terrains, ne furent-elles
pas modifiées par l'action de la chaleur centrale ?
9° A quelles causes peut-on attribuer les modifications de substances
minérales que l’on remarque dans certaines formations ; tels sont les
calcaires devenus dolomitiques, les grès et même les argiles passés
au jaspe ?
40° Quelles causes ont pu faire passer à l'état siliceux des corps qui
étaient primitivement calcaires ; tels sont notamment les polypiers?
44° Peut-on prouver les rapports qui existent entre le basalte et la
téfrine, par l'examen des propriétés oryctognostiques et par le gi
sement, de manière à pouvoir en conclure l'identité d’origine et de
formation ?
49° Trouve-t-on dans la nature la tolfa cristallisée en prisme rec
tangulaire oblique et en formes secondaires dépendant de ce type?
43° Le grès vosgien provient-il de roches préexistantes, ou au contraire
ses grains ont-ils été formés par une cristallisation confuse de matières
siliceuses amenées, par exemple, par des eaux minérales ?
44° Les cimens calcaires ou siliceux que l’on voit entrelacer les
parties de roches arenacées , ou fragmentaires , émanent-ils de la trans
sudation de la matière dont ces roches sont constituées ; ou au contraire
ont-ils pénétré à travers les diverses parties de celles-ci au moment où
elles se déposaient, ou postérieurement ?
15° Les géologues des départemens de l’est de la France et des pays
de l’Allemagne qui les avoisinent, sont invités à présenter au Congrès
de Metz un précis de géologie des contrées qu'ils habitent; à indiquer
xIX
les découvertes récentes qui y ont été faites, et à dire si parmi les
fossiles recueillis il s'est trouvé des espèces rares et inédites; à faire
connaître les tentatives exécutées pour l'établissement de puits arté—
siens, si elles ont été couronnées de succès, et, dans ce cas, quels
phénomènes particuliers ont accompagné le jaïllissement de l’eau.
46° Des deux peupliers désignés dans la nomenclature, par les noms
de peuplier de Virginie et de peuplier du Canada, quel est celui
auquel on doit donner le nom de peuplier du Canada ?
Si c’est le populus molinifera qui est femelle, alors le peuplier de
Virginie serait le peuplier mâle, et comme les jardiniers ne sont pas
d'accord à cet égard, et qu’à Metz, surtout, ce qu’on appelle peuplier
du Canada généralement, est un peuplier mûâle; ne conviendrait-il
pas, pour faire cesser cette confusion, d'ajouter , à la description de ces
arbres, en francais , l’indication bien plus positive de’mäle ou de femelle ?
47. Le pollen d'une espèce différente influe-t-il toujours sur les
caractères botaniques des individus provenant des fruits de l'espèce
fécondée ?
48° Quelle peut être l'influence du sujet porteur de la greffe sur
les fruits de celle-ci, considérés comme semences , et quelles modifica—
tions peut-on espérer obtenir au moyen de la greffe pour les fruits
des nouveaux sujets proyenus de ces semences ?
- Si cette influence est bien reconnue, ne peut-on pas espérer de
produire, par des croisemens bien calculés de sujets déjà obtenus,
d'autres variétés participant des qualités de ces nouveaux sujets et de
celles des arbres sur lesquels on les aurait greffés, ou dont on leur
aurait imposé des greffes, et ne pourrait-on pas arriver ainsi à obtenir
presqu’avec certitude des fruits qui auraient des qualités désirées ?
Le mélange du pollen de fleurs peut produire ces eflets avec plus
de promptitude ; mais il y a des arbres qui ne fleurissent pas en même
temps que ceux avec lesquels on voudrait les combiner, et alors l’autre
procédé en donnerait le moyen.
19 Est-il vrai que certaines plantes sont, par leur nature, nuisibles
à d’autres plantes qui les avoisinent ?
20° Les botanistes lorrains sont invités à présenter les élémens
nécessaires pour parvenir à former un catalogue général, raisonné et
comparé, des plantes de cette province.
24° Le serpent basilic, dont il est souvent parlé dans la Bible,
est-il la vipère cerasto, comme l’a cru le docte Grotius ?
22° Faut-il s'en rapporter au témoignage des auteurs anciens ot
admettre des serpens volans ?
XX
Cette espèce serait-elle perdue, puisqu'elle n'a point été observée
par les naturalistes modernes ?
25° Dans l'espèce de Jaseur d'Europe (Bombyciphora où Bomby-—
cilla Garrula), les deux sexes, à l'état adulte, ne portent-ils point
aux extrémités des douze pennes caudales, des appendices rouge ver-
millon, semblables à celles qui terminent les pennes secondaires des
ailes? ou bien cet ornement est-il particulier au mäle adulte?
À quel âge ces diverses sortes d’appendices ont-elles acquis tout
leur développement ?
Les bandes longitudinales d’un jaune vif qui bordent la barbe
extérieure de la plupart des pennes des ailes, et les bandes blanc
jaunâtre qui bordent l'extrémité et le contour intérieur des mêmes
pennes dans quelques Jaseurs , n'existent-elles simultanément que sur
le mâle et à l’état adulte ?
DEUXIÈME SECTION.
AGRICULTURE , INDUSTRIE ET COMMERCE,
4° Quels seraient les moyens de donner aux comices une existence
durable ?
Ne conviendrait-il pas de leur donner quelques attributions admi-
nistratives ou judiciaires ?
Ne pourraient-elles pas être renouvelées périodiquement par l'élec—
tion des cultivateurs ?
2 Quelle a été, jusqu'à présent, l'influence des fermes modèles
sur les progrès de l’agriculture ?
3° Quelles sont les bases sur lesquelles doit être fondée toute théorie
des assolemens , tant de la grande que de la petite culture ?
4° Quelle est l'influence de la composition chimique des produits
récoltés et surtout celle des corps simples qui ne se rencontrent qu’ac-
cidentellement dans le sol ?
5° Quelle est l'influence de la culture, en grand, des pommes de
terre sur la culture des blés et de la culture du colza sur celle de
ceux-ci ?
6° La culture des plantes propres aux arts, considérée sous le point
de vue des produits et sous celui d'économie, est-elle favorable à la
culture des céréales ou lui nuit-elle ?
Est-elle favorable aux prairies artificielles ou lui nuit-elle ?
7° La France paie annuellement plus de deux millions à l'étranger
pour achat de houblon.
XX}
1° Quel serait le moyen d'affranchir notre patrie de cette dépense
immense ?
2€ Comment pourrait-on propager efficacement la culture du hou-
blon dans une infinité de localités où le sol lui conviendrait parfai—
tement ?
3° Serait-il possible de vaincre le préjugé généralement répandu que
les houblons français sont de beaucoup inférieurs en qualité aux houblons
de la Belgique et de l'Allemagne ?
8 Quelles seraient les plantes céréales, fourragères et économiques
à introduire dans la culture de la Lorraine ?
9 Quels sont les moyens dépendans, soit de l'action du gouverne-
ment, soit du perfectionnement de l’industrie agricole , qui seraient les
plus efficaces pour améliorer, dans la Lorraine, la race des chevaux ?
Et quelles sont les races qu'il conviendrait le mieux d'y propager?
Même question pour perfectionner la race des bêtes à cornes ?
40° Est-il avantageux, pour l'agriculture du département de la
Moselle et des pays qui l’avoisinent, de substituer l’usage des bœufs
à celui des chevaux ? En cas d’aflirmative , indiquer de quelle manière
on pourrait introduire cet usage ?
41° Les droits sur le bétail, à l’entrée en France, sont-ils ayan—
tageux à l'État ou sont-ils seulement profitables à certaines classes,
nuisibles à certaines autres classes, et en somme préjudiciables à la
masse de la nation ?
42 Quels sont les moyens à employer pour faire disparaître la
gale des bêtes à laine ? à
43. N'a-t-on pas donné une extension trop grande aux avantages
que l’agriculture peut retirer du sel, en disant qu’on peut l’employer
pour Éréliber les terres ?
14° Quel est le meilleur mode d’acclimatation pre plantes et des
bestiaux pour le nord et l’est de la France ?
45° Quels sont les résultats présumés que la so A nationale ob-
tiendra du développement de la fabrication des sucres de betterave ?
16° Quels sozt les moyens les plus efficaces pour détruire les insectes
gasins ?
17° Quels sont les changemens et quels sont les progrès qui ont été
amenés , successivement dans l’agriculture française , depuis les premiers
temps de la monarchie jusqu’à notre époque ?
18° Faire connaître quelles sont les différentes substances miné-
rales de la Lorraine qui sont propres à être utilisées dans l’industrie ;
présenter un aperçu général sur l’état de l’agriculture et de l’industrie
qui dévorent les grains déposés sur les greniers ou dans les ma
XXI}
de ce pays, sur les améliorations à y introduire et à y faire con
naître quel est le mode d'écoulement des divers produits de cette
province.
TROISIÈME SECTION.
SCIENCES MÉDICALES.
4° Quelles ont été les épidémies et les épizooties qui ont régné dans
le nord-est de la France? Dans quels rapports ont-elles dififéré de
celles observées ailleurs ? Par quelle nature de moyens a-t-on cherché
d'arrêter Jeur marche ?
90 Quelles ont été les causes des maladies qui ont régné cette
année généralement en Europe? Ces maladies ne se sont-elles pas
développées avec une énergie plus ou moins grande, en raison de
la situation des localités ?
3° Les causes générales, qui déterminent les maladies épidémiques
sur l'espèce humaine , soit qu’elles dépendent des influences météo—
rologiques, ou de l’action d’autres agens modificateurs , agissent-elles
en même temps et de la même manière sur les diverses autres
espèces d'animaux ? Et quelles sont les espèces qui paraissent être le
plus facilement et plus fortement impressionnées par ces mêmes causes
générales ?
4° À quelles causes peut-on attribuer les goitres que l'on remarque
particulièrement dans quelques communes du département de la Mo-
selle ? Quelle analogie y a-t-il entre l’action de ces causes et celles des
causes qui développent cette affection dans d’autres points de la France
ou dans d’autres pays ?
5° Est-il constant que la méthode oméapathique aurait obtenu des
succés positifs en médecine ?
6° Qu'est-ce que le magnétisme animal? Jusqu’à quel point son in—
fluence peut-elle être exercée, être avérée ou positive ?
Est-il vrai que l'on puisse, par l’action magnétique seule, suspendre
complètement la sensibilité morale et physique, lui faire changer de
caractère et de direction ? Quelles sont les modification physiologiques
qui s'opérent dans l'organisme , pendant et après la durée de l'influence
magnétique ? Les autres espèces d'animaux peuvent-elles ressentir l'in-
fluence du magnétisme animal ?
7° Est-il vrai que la doctrine phrénologique, en suivant la direction
qui lui a été imprimée jusqu'alors, doive bientôt exercer une influence
aussi utile qu'heureuse sur le bien-être des hommes ; et cela, par les
XXII)
vérités importantes et nombreuses qu’elle est, dit-on, en voie de dé-
montrer? N’eslil pas plutôt à craindre, au contraire, que la phréno-
logie, de même que les autres sciences à leur origine, ne répande
d’abord beaucoup d'erreurs dangereuses avant que d’enseigner quelques
vérités réellement utiles ?
Ne pourrait-on pas soustraire les études phrénologiques, aux spécu-
lations exclusives et séduisantes , mais fausses et dangereuses de l’ima-
gination, qui sont les sources de presque toutes nos erreurs ?
Quels seraient les moyens d'arriver à ce résultat ?
N'est-il pas plus nuisible qu'utile, de rendre vulgaires ou populaires
les connaissances phrénologiques, à raison du degré d'incertitude qui
règne encore sur la plupart des points de cette science naissante ?
8° Par quels moyens pourrait-on introduire dans nos mœurs et dans
nos lois, l'usage et même l'obligation aux médecins, d’ouvrir ou de
faire ouvrir sous leurs yeux, les corps des malades qui auraient suc
combé ; aux familles le devoir de ne pas s’y opposer, de favoriser au
contraire, cette ouverture que l'autorité judiciaire a seule Le droit de
prescrire aujourd'hui ?
9° Malgré les travaux d’une foule d'hommes capables, l’origine, la
marche, la terminaison des affections dites cancéreuses, sont encore
couvertes d’un voile épais; tout ce qui a trait à leur histoire, n’est
guère qu'hypothèses, incertitudes, contradictions ?
Rechercher, d'où et comment viennent ou se forment, dans l'orga-
nisme, ces molécules d’une matière animale, qui se développent à une
certaine époque de la vie de l'individu, dans un système d'organes
plutôt que dans un autre ; qui, enlevées, se reproduisent et entrainent,
quoi qu’on fasse, la perte de l'individu ?
Ces affections sont-elles toujours le produit d’une irritation sourde
et prolongée ? Le temps n'est-il pas venu de s’en tenir à l'expérience,
à la sagesse de l'antiquité, exprimée par cette sentence du pére de
la médecine, parlant des cancereux. < Curati autem citins pereunt,
non curati diutits perdurant. »
10° L’hygiène des sujets prédisposés, ou en proie à la phthisie
pulmonaire tuberculeuse, est-elle bien ce qu'elle doit être ? N'y a-t-il
pas lieu à reviser tout ce qui a été dit sur ce sujet, de l’étudier plus
à fond ?
41° Le public, celui des salons, plus encore peut-être que celui des
classes inférieures de la société, n’a que des idées fausses sur la mé-
decine et les médecins ; il ne sait ni en user ni les apprécier, et de-
raisonne incessamment sur tout ce qui y a rapport. Quelques mémoires
XXIV
ou opuscules, ont été publiés dans la louable intention de l'éclairer ;
suflisent-ils? N'y a-til pas utilité de s'occuper de cet objet?
42° La santé publique , l'honneur de la médecine et de la pharmacie,
demandent la répression du charlatanisme, qui exploite la crédulité
et l'ignorance publiques. Ils réclament l'interdiction des prétendus
remèdes secrets.
La législation sur la matière, est-elle insuflisante ou imyuissante ?
N’appartient-il pas à l’Académie royale de médecine de Paris de signa-
ler les infractions ? N’a-t-elle, par elle-même ou par ses commissions,
rien à se reprocher sur l'émission de ces remèdes ?
Faut-il absolument que le peuple soit trompé ainsi qu’il le veut au
dire d'un adage bien connu; ou, faut-il demander à l’autorité, de
nouveaux moyens plus eflicaces de répression ?
45° Dans l’état avancé où est la chimie, dans l'intérêt du pharma-
cien, comme dans celui de la santé publique, peut-il, doit-il être
permis au pharmacien, de faire dans son oflicine, une disposition
arbitraire des médicamens ; d'adopter pour ses étiquettes une no—
menclature, soit francaise , soit latine, autre que celle du codex? Ce
défaut d'unité de langage, dans la pratique de la pharmacie, ne peut-
il pas avoir de graves, de nombreux inconvéniens ou dangers? Nos
voisins d'Allemagne ne nous fournissent-ils pas un bon exemple à
suivre, à l'égard du réglement sage et sévère qui régit les pharma-
cies de ce pays ainsi que de sa scrupuleuse exécution ?
QUATRIÈME SECTION.
HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE.
4° Quel fut l’état de l’art métallurgique dans les Gaules, avant l’n-
vasion des Romains, durant la puissance de ceux-ci, et sous la pre
mière race de nos rois ?
2° Quelle était la véritable destination des instrumens de bronze,
désignés vulgairement sous les noms de Æaches ou coins, que l'on
attribue aux Celtes, et que l’on trouve en grand nombre dans toutes
les parties de la France, et dans quelques pays étrangers ?
3° Quelles roches les anciens ont-ils employées dans les provinces
de l’est et du nord, pour construire et décorer leurs monumens ?
4° Lorsqu'après la conquête des Gaules le paganisme y pénétra,
cette religion se fondit-elle avec l’ancienne, et resta-t-elle sous l'in-
fluence des Druides, ou au contraire, son organisation fut-elle bien
me . Se ner
distincte et en opposition avec la religion druidique ?
XXV
5° Quel but les anciens se proposaient-ils en placant des vases dans
Îes tombeaux ? À quel motif peut-on attribuer l'identité de formes que
l'on remarque parmi ces vases, même parmi ceux trouvés à de très-
grandes distances les uns des autres ?
6° Les Gaulois ont-ils élevé des Tumult dans le nord et l’est de la
France, ayant l'invasion des Romains?
7° À quelles marques peut-on distinguer un tombeau frank dus
tombeau gaulois, quand ils sont dépourvus d'inscriptions et de bas-
reliefs ?
8° Quel a été le système général d’invasien suivi en Lorraine par les
peuples du nord? Ont-ils laissé des traces de leur passage , et quelles
sont ces traces ? ÿ
9 Ne pourrait-on pas, au moyen d'objets d’art trouvés dans certaines
contrées, parvenir à retracer, au moins approximativement , les limites
territoriales d'anciens peuples ?
40° L'architecture civile et l'architecture militaire du nord et de
l'est de la France n’ont pas encore été classées ? Quels sont les carac- .
tères propres à en donner une bonne classification ?
41° Quelle a été l'influence des idées religieuses des peuples sur la
construction de leurs monumens, et particulièrement dans ce qui con-
cerne les monumens du nord-est de la France ?
42% Faire l’histoire de la peinture sur verre dans notre province.
On sait que la plupart des artistes peintres venaient d'Alsace et de
Champagne, et que des verreries considérables existaient au moyen—
âge dans les Vosges. Serait-il possible, d’après la qualité du verre
et le genre de peinture adopté, d'indiquer les principaux travaux
exécutés hors du pays par des artistes champenois, alsaciens et
lorrains ?
43° À quelle date peut-on faire remonter en France l’origine de la
noblesse héréditaire et celle de la noblesse comme caste; distinction
nécessaire pour bien apprécier les faits de chaque époque ?
14° L'institution communale est-elle le véritable point de départ
de la formation d'une classe moyenne? Cette institution, qui a pré-
cédé , pour les grandes villes, l'octroi de chartes, de priviléges, n’est-
elle pas, au contraire, la sanction donnée à l'existence antérieure de
cette même classe ?
45° Le système historique de la lutte des races, prouvé par l’histoire
d'Angleterre, jusqu'à une époque rapprochée de la nôtre, peut-il être
appliqué à la France après le 12° siècle? Y a-t-il eu depuis lors en
France autre chose que la lutte des opprimés contre les oppresseurs ?
4
XXV/}
46° Quelle est la valeur des caractères paléographiques pour la elas-
sification des monnaies du moyen-âge? Les changemens progressifs
dans la forme des lettres ont-ils été uniformes dans toute la France?
Quelles sont les dates que l’on peut affecter pour les monnaies aux
périodes archéologiques connues sous les noms de romane, de tran—
sition, de gothique, ou ogivale, enfin de Ja renaissance ?
47° Les noms de villes portés sur les monnaies des rois de France
jusqu'à saint Louis indiquent-ils toujours qu’elles ont été fabriquées
dans ces villes mêmes? n'est-ce pas quelquefois un titre de propriété
que le souverain voulait indiquer ?
18 Dans quel sens doit-on prendre les noms des villes joints
au mot »”onela que l’on trouve dans les actes des XI°, XII et
XIIIe siècles: par exemple, moneta Lillensis, Iprensis, Audoma-
rensis, Gandensis, eto. ? Ces noms indiquent-ils toujours une monnaie
frappée au nom du prince, du seigneur, ou bien une monnaie
frappée au nom de ces mêmes villes? Le système monétaire était-il
uniforme pour les pièces fabriquées dans les diverses villes soumises
à la puissance du même seigneur ?
49° Présenter des travaux sur ce que l’on aurait découvert d'in
téressant ?
CINQUIÈME SECTION.
PHILOLOGIE , LITTÉRATURE , BEAUX-ARTS ;, PHILOSOPHIE.
1° La complication des formes grammaticales d’une langue, fait-elle
supposer que le peuple qui la parle, a traversé une longue carrière
de civilisation , ou qu’il est resté long-temps dans un état de barbarie,
ou enfin qu'il est d'une origine récente ;
99 Tracer les délimitations des mères langues et de leurs dérivées
de toute l'Europe , et expliquer les causes, de quelque nature qu'elles
soient, qui ont tracé cette délimitation.
3° Déterminer les principales révolutions des peuples qui ont exercé
leur influence sur les idiômes des nations européennes,
4° Quelle langue parlaient les Gaulois et de quelle source leur langage
dérivait-il ?
5° Indiquer par des recherches méthodiques ce qui reste dans le
nord et l’est de la France de la langue gauloise et de la langue latine,
et faire connaître , autant qu'il est possible, les modifications que les
divers langages parlés dans ces pays ont subies en raison des invasions
des différens peuples.
XXVI)
- 6° De quelle langue le patois de la Lorraine , et en particulier celui
du pays messin, dérive-t-il? Y remarque-t-on des différences ou des
modifications assez sensibles pour qu'on puisse reconnaître qu'il a
été (modifié dans certaines contrées ou certaines localités, par des
circonstances ou des influences particulières , appartenant à des temps
plus où moins reculés, ou enfin à des positions géographiques diffé
rentes ?
7° La langue allemande est-elle une limite certaine entre le peuple
allemand et le peuple francais? Cette langue a-t-elle été étendue ôu
restreinte dans ses limites depuis son introduction dans le pays?
8° La langue latine et la langue grecque ont de grandes ressemblances
et de grandes différences ; en tracer les caractères et en marquer les
causes: doit-on considérer ces deux langues comme provenant d’une
même source, ou la première comme dérivée de la seconde , ou comme
une fusion de la seconde, et d’une autre langue dont on devra chercher
l'origine ?
9° Les étymologies sont en partie fondées sur les équations générales
et particulières des lettres des idiômes comparés. Trouver ecs équations
pour l'hébreu , le chaldéen, le syriaque, le sanskrit, le grec, le latin
et l’allemand.
10° Le syriaque et le grec ont de grandes affinités. Par quelles
règles pourrait-on distinguer les mots syriaques qui ont formé les
termes grecs des mots syriaques qui dérivent de la langue grecque.
41° Notre langue et nos beaux-arts sont-ils en progrès ou ne
présentent-ils pas quelques indices de décadence ?
12° L'art de la sculpture est aujourd’hui peu pratiqué. Quels seraient
les moyens de le faire revivre en province?
43° Quel est le rôle de la psychologie en philosophie ? Est-elle le
centre des sciences philosophiques, ou ne serait-elle pas plutôt une
science simplement instrumentale, en tant qu'elle 3'est que la connais
sance de l'instrument qui philosophe ?
14° La philosophie de l'Inde ancienne at-elle eu quelqu'influence
sur la philosophie des peuples de l'occident?
SIXIÈME SECTION.
SCIENCES PHYSIQUES ET MATHÉMATHIQUES.
4° Un seul fluide ne suffit-il pas pour rendre raison de tous les
phénomènes qui dépendent des principes connus en physique sous le
nom de fluides impondérables ?
XXVI)
2 L'hypothèse des ondulations appliquée à la chaleur, enchaine—
t-elle mieux les phénomènes qui dépendent de ce principe, que l'hy—
pothèse des émanations qui suppose la matérialité du calorique ?
3° Le soleil lance-t-il des rayons calorifiques différens des rayons
lumineux, ou la chaleur qu’il produit est-elle développée dans les
corps mêmes soumis à l’action des rayons lumineux émanés de cet
astre ?
4° On a adopté généralement l'hypothèse de la liquidité primitive
du globe terrestre, et l’on explique l'accroissement de température
que l'on observe avec la profondeur, par un reste de chaleur d’origine;
ne suflirait-il pas de supposer, avec M. Poisson, que la terre passe
actuellement d’un lieu chaud dans un plus froid; l'accroissement
de température avec la profondeur pourrait alors ne pas continuer
jusqu’au centre ; on propose de comparer ces deux hypothèses ?
5° Quel est le système de représentation du globe et de ses diverses
parties, qu'il convient d'adopter pour faciliter l’étude de la géographie?
6° Le mouvement, moyen journalier de la lune, est de 43°, 40'
35,027 pour le 19° siècle; ce mouvement s'accélère de siècle en siècle
d’une petite quantité; quelle est la limite de cette accélération ?
7° Quelles sont les causes qui peuvent influer sur le mouvement
propre des étoiles ?
8 Quelles sont les lois du mouvement des corps solides dans les
divers milieux résistans ?
9 Quelles sont les lois du choc des corps solides ?
10° Quelles sont les lois du mouvement des liquides près des
obstacles qu'ils rencontrent ? <
A4° Quelles sont les machines les plus propres à représenter le
mouvement des fluides près des obstacles qu'ils rencontent ?
12° Serait-il possible de perfectionner l’art aérostatique, par une
meilleure combinaison des moyens employés jusqu'ici, pour élever
les aérostats et pour les diriger.
XXIX
SÉANCE D'OUVERTURE
DE LA 5° SESSION
DU CONGRÈS SCIENTIFIQUE DE FRANCE.
SÉANCE DU 5 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Le Masson.
Le mardi 5 septembre à midi, une nombreuse réumion
de membres inscrits a lieu à l'Hôtel-de-Ville.
M. le secrétaire général prie, au nom de l'assemblée,
M. Lemasson, président de l'académie royale de Metz,
de présider la séance jusqu'à ce que le bureau soit défi-
. mtivement constitué.
La séance est ouverte par un discours que M. Victor
Simon prononcé dans les termes suivans :
Messreurs ,
Un des premiers devoirs de l’homme est de vivre pour la société ;
nous avons tous besoin sans cesse de l'expérience et des secours de
nos semblables ; seuls nous pourrions à peine subvenir à nos premières
nécessités.
Aussi voyons-nous les hommes dont l'état de civilisation est le moins
avancé, être obligés de s’entr'aider, d'unir leurs efforts, soit’pour
améliorer leur position soit pour résister à un ennemi commun.
Chez des peuples policés, dont l'état social est réglé; qui vivent
XXX
en paix au dehors et au dedans ; on s'efforce sans cesse de créer des
germes de prospérité nationale. Alors l'association prend un nouveau
caractère , son but est de développer et de propager les connaissances
humaines; de faire naître parmi les hommes et les peuples des sen
timens d’aflection et d'estime réciproques; d'appeler l'attention sur
tout ce qui peut être utile au bonheur du genre humain.
En un mot, l'association ainsi entendue , est une mère bienfaisante
qui veille pour tous, qui tend à assurer le bonheur de tous.
Telle est, Messieurs , la haute mission des sociétés savantes , tel est
le partage de tous les hommes qui s'associent pour un but aussi ho—
norable. On peut dire d’eux ce que Tigrane disait à Mardonius des
hommes qui prenaient part aux jeux si fameux de la Grèce: « insen-
sibles à l'intérêt, ils ne combattent que pour la gloire. »
Les sociétés savantes font en général leurs efloris pour s'acquitter
de leurs hautes fonctions ; mais n'étant établies la plupart que pour
s'occuper des intérêts d’une province ou d’un département , suffsent-
elles à tous les besoins des sciences et des arts? Vous avez depuis
long-temps résolu cette haute question. Il convenait de faire un tout
de ces différentes parties; il fallait que les diverses sociétés établissent
des relations entr'elles ; il fallait que les hommes mus par les mêmes
gouts se réunissent, se connussent et s'éclairassent mutuellement.
Les Congrès remplissent toutes ces conditions, ils offrent aussi
l'avantage de pouvoir en peu de jours, et sous la direction de guides
sûrs et éclairés, apprendre à connaître ce qu'un pays offre d’intéres—
sant sous différens rapports. En présence de ces institutions, les barrières
qui séparent les différentes nations s’abaissent, tous les hommes se
regardent comme unis pour contribuer à la prospérité de tous.
Metz, voisine de différens peuples ; semble plus qu'aucune autre
ville, devoir concourir à la noble tâche que vous vous êtes imposée.
Si elle sut résister avec tant de gloire dans la guerre, aujourd'hui
l'olivier et le caducée à la main, elle se plaît à accueillir, au sein
de ses formidables remparts , les hommes éclairés de toutes les na-
tions ; elle est heureuse, grâce au choix dont vous l'avez honorée ,
de pouvoir vous montrer les institutions qu'elle a créées pour ses en—
fans , si riches d'avenir, et de voir se préparer dans son sein des
luttes qui ne coûteront point de larmes, qui tourneront même à
l'avantage et à l'honneur des vaincus.
Nous avons fait, messieurs, tous nos efforts pour répondre digne-
ment à la confiance dont le Congrès a bien voulu nous honorer. Les
questions qui vous sont présentées ont été choisies parmi un grand
XXX)
nombre d'autres non moins importantes, qui, au besoin, pourraient
être soumises à votre examen. Des propositions ont été faites par des
sociétés et par des savans , elles vous seront communiquées.
L’académie a pensé qu'il ne suffisait pas de se livrer uniquement
à des travaux scientifiques ; qu'il'convenait aussi, dans cette circons-
tance mémorable, de vous faire connaître , autant que possible, quel
est le degré de prospérité des beaux-arts , des arts et de l’industrie
de notre pays. Dans ce but, l'autorité administrative , l'académie,
la société des amis des arts , la société philharmonique et des hommes
éclairés ont rivalisé chacun dans eur spécialité.
Puissions-nous , messieurs, avoir tous rempli notre tâche d’une
manière digne de yous et de notre département; puissions-nous à
l'occasion de la fête scientifique qui se prépare avoir fait naître parmi
nous les germes d’autres relations savantes, avoir contribué à de
nouveaux progrès , et créé de nouveaux débouchés pour votre indus-
trie et pour la nôtre.
Puisse cet heureux concours d'hommes et de choses, laisser parmi
nous des souvenirs durables! Puisse-t-il tourner à l'avantage des dif-
férens peuples! alors nous serons tous fiers d’avoir ajouté quelque
chose au bonheur de l'humanité.
M. le secrétaire général fait ensuite l’appel nominal des
membres inscrits, et l'on procède à la formation du bu-
reau général ; le nombre des votans est de 196.
Il est décidé que le premier tour de scrutin aura lieu
à la majorité absolue, et le second à la majorité relative.
Le premier et seul scrutin qui ait eu lieu, donne les
résultats suivans :
MM.
Le marquis de VizLENEUVE-TRANS , président.
DE Caumowr, vice-président.
Le Masson , idem.
MicuELanT, secrétaire adjoint au secrétaire général.
DE Sauicy, trésorier.
Après l'installation du bureau, messieurs les membres
XXXI)
sont invités à procéder à l'élection des membres des bu-
reaux des sections auxquelles ils appartiennent.
Le dépouillement des différens scrutins remis à M. le
président, fait connaître que les bureaux des sections sont
composés ainsi qu’il suit :
PREMIÈRE SECTION.
MM.
Moucgor, président.
Horanpre, vice-président.
FourxeL, secrétaire.
Buvicnier, idem.
DEUXIÈME SECTION.
MM.
Le marquis de PANGE, président.
CHATELAIN, vice-président.
LaponTE, secrétaire.
De Vozuer, idem.
TROISIÈME SECTION.
MM.
LaLLEMENT, président.
BracoNNoT, vice-président. .
ViLLAUME, secrétaire.
Félix MarécHaL, idem.
+
QUATRIÈME SECTION.
MM.
DE La SAuUSSsAIE, président.
De Bouz, vice-président.
BÉGN , secrétaire.
Denis père , idem.
CINQUIÈME SECTION.
MM.
CHATELAIN, président.
DE Dumisr, vice-président.
Nicozas (pasteur), secrétaire.
Nicoras (abbé), idem.
SIXIÈME SECTION.
MM. 2
BRACONNOT, président.
Mon, vice-président.
BorEau, secrétaire.
ScHMiITT, idem.!
M. le président fait connaître que les différentes sec-
tions tiendront leurs séances au palais de justice , dans les
salles de la cour d'assises et de police correctionnelle.
M. le secrétaire général annonce qu'un des salons de
l'hôtel-de-ville sera ouvert tous les jours à sept heures du
soir, afin de procurer les moyens d'établir plus facile-
ment des relations entre les membres du Congrès, et de
donner aux membres des commissions, les moyens de
conférer entr'eux sur les divers travaux qui leur seront
confiés.
Signé le marquis de VILLENEUVE-TRANS, président ;
de CAUMONT, LEMASSON, vice-présidens ,
et Vicror SIMON, secrétaire général.
XXXIV
ORDRE DU JOUR DES TRAVAUX DE LA SESSION.
Les lieux et les heures des séances générales, et des sections, ont
été fixés à la séance d'ouverture ainsi qu'il suit : |
Les séances des sections se tiendront au palais de justice.
La 4", de 7 à 9 heures, dans la salle de la cour d'assises.
La 2°, de 9 à 41 heures, dans la même salle.
La 5°, de 41 à 4 heure, dans la salle de police correctionnelle.
La 4°, de 9 à 44 heures, dans la même salle.
La 5°, de 11 à 1 heure, dans la salle de la cour d'assises.
La 6°, de 7 à 9 heures, dans la salle de police correctionnelle.
Les réunions générales continueront d’avoir lieu à l'hôtel de ville;
elles se tiendront de 3 à 5 heures *.
* Plusieurs sections ont pensé qu'il leur serait plus commode de se réunir à des heures
autres que celles fixées; les procès-verbaux feront connaître les différens changemens qui
ont été apportés. Il en sera de même pour les changemens qui ont eu lieu dans le per-
sonnel de plusieurs bureaux de sections,
Durant la session, la société française, pour la conservation et la description des mo-
numens historiques, a tenu deux séances, Un grand nombre de membres du Congrès y
assista, et beaucoup furent admis dans cette société, qui nomma M. Bégin, inspecteur des
monumens du département de la Meurthe, et M. Victor Simon, inspecteur des monumens
du département de la Moselle.
TRAVAUX
DES SECTIONS.
PREMIÈRE SECTION.
HISTOIRE NATURELLE.
SÉANCE DU MERCREDI 6 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Movcror.
A sept heures la séance est ouverte.
M. Holandre présente de la part de M. le comte d'Our-
ches , une fleur de Magnolia grandiflora. Cette variété
semi-double plus pleine que la semi-plena ; fleurit pour
la première fois dans ce pa La séction invite M. Ho-
landre à déposer cette fleur à l'exposition.
Le président met à l'ordre du jour la première question
du programme : Comment ont pu se former les escarpe-
mens que l’on remarque aux limites de plusieurs forma-
tions et de plusieurs divisions de formations ?
36 PREMIÈRE SECTION.
M. Holandre lit quelques considérations sur cette
question : il pense que ces escarpemens sont le résultat
d'une érosion analogue à celle qui a lieu actuellement
sur les côtes de l’ouest de la France.
M. Chaussier se proposait de lire un mémoire sur le
même sujet, mais ses idées étant en partie les mêmes
que celles de M. Holandre, il s’est borné à lire la partie
dans laquelle 1l n’était pas tout-à-fait d'accord avec lui.
La principale différence c'est que M. Holandre suppose
que toutes les couches des diverses formations se sont
déposées de manière à affleurer le sol, tandis que M. Chaus-
sier pense qu'il y avait aux limites des diverses formations,
des dépressions préexistantes aux grands cours d’eau dont
l'action érosive a complété les escarpemens. Après cette
lecture, la section décide que le mémoire de M. Ho-
landre et celui de M. Chaussier seront communiqués à
l'assemblée générale.
M. Lamoureux cite à l’appui de cette opinion le lias
de la Chartreuse de Nancy, où des coquilles de toutes
espèces parfaitement conservées , sont soudées à la sur-
face du banc, d’où il conclut que les bassins ont dû être
formés par érosion avant le dépôt des terrains jurassiques
qui les recouvrent.
M. Buvignier acte des faits analogues dans la Meuse
et dans les Ardennes où les vallées suivent aussi la direc-
ton des terrains. ;
M. Lejeune fait des observations sur l’assertion de
M. Holandre , qui pense que les escarpemens et les in-
clinaisons des terrains jurassiques de la Moselle ne doivent
point être attribués à l’action des soulèvemens, il cite à
ce sujet le peu d’inclinaison des terrains jurassiques du
Vurtemberg et de la Franche-Comté, que MM. de Man-
delslohe et Thirria attribuent aux soulèvemens du por-
PREMIÈRE SECTION. 37
phyre noir pour les Vosges, et du basalte pour le
Vurtemberg.
M. Buvignier fait remarquer que l'inclinaison des terrains
jurassiques de la Meuse et des Ardennes n’excédant guère
deux ou trois degrés, il n’est pas nécessaire de recourir
à un soulèvement pour l'expliquer. M. V. Simon cite aussi
des faits pris dans le pays messin, tendant à prouver
que ces couches ont été formées dans là mer dans leur
position actuelle, il ajoute que si le lias inférieur se
trouve souvent plus haut que le lias supérieur , c'est que
ce dernier a été déposé dans des cavités creusées avant
sa formation. Cependant il reconnaît qu'il existe des failles
dans le département de la Moselle | notamment à Gorze
et à Fontois.
M. Lejeune s'appuie sur les failles "pour soutenir l'opi-
“nion des soulèvemens, il pense aussi que l'inclinaison
générale des couches, depuis les Vosges jusqu'à Paris, est
due au soulèvement des Vosges. M. Buvignier répète que
ces couches peuvent avoir été déposées dans leur situation
actuelle sur le terrain préalablement soulevé par la for-
mation des Vosges, formation qui paraît antérieure à
celle des terrains secondaires.
M. Lejeune persiste dans son opinion et dit que la
question ne peut être résolue que par un travail sur
les failles de la Moselle , analogue à celui de M. Thirria
sur les failles de la Haute-Saône.
La section reconnaissant l'utilité d’un semblable tra-
vail, engage les géologues du pays à s'en occuper.
M. Levallois demande la parole sur la position de la
deuxième question : /£ grès qu’on voit à la partie su-
périeure du keuper , appartient-il à cette formation
ou au lias ? Il existe près de Marsal, dit M. Levallois,
un grès consolidé par un ciment calcaire renfermant
38 PREMIÈRE SECTION.
une grande quantité de coquilles qui paraissent être des
Anatines. Ce grès dans lequel on a trouvé une Gervilie
et quelques fossiles qui paraissent appartenir au lias est
recouvert par trois ou quatre mètres de marnes rougeâtres
qui paraissent identiques avec celles du keuper. Ce grès
est-il le méme que celui d’Hettange contenant des
Gryphées , et des Bélemnites qui appartiennent au lias ?
M. Puton établit un parallèle entre le keuper de la
Lorraine et celui de la Bourgogne , il ajoute que l’Ar-
kose appartient à des formations très-différentes , au grès
rouge , au keuper, au lias.
M. V. Simon trouve une diflérence sensible entre le grès
d'Hettange ou de Luxembourg et le grès keupérien.
On ne voit dans celui-ci d'autres traces de fossiles que
des taches charbonnées dues probablement à des débris
de végétaux , 1l est micacé, blanc et friable à l'intérieur,
mas dur et{ferrugmeux à la surface des paremens aux-
quels des fissures régulières donnent l'apparence d’une
muraille. Le grès de Luxembourg, au contraire, est à
ciment calcaire et en couches peu épaisses , alternative-
ment friables et solides , il contient rarement du mica,
mais On y trouve une grande quantité de fossiles, des
Plagiostomes , des Turbos, etc., il regarde ce terrain
comme une formation inférieure au has, et qui en est
tout à fait indépendante.
M. Levallois n'admet pas cette indépendance , 1l a vu
à Luxembourg le grès reposant sur le lias inférieur.
I a même vu sur un terrain horizontal le lias et le
grès au même niveau, à une faible distance ,. ce qu'il
serait tenté d'expliquer par une transformation du lias
en grès. Cette circonstance peut aussi s'expliquer par le
dépôt du grès dans une cavité du lias.
Plusieurs membres ajoutent que l'on a trouvé dans
PREMIÈRE SECTION. 39
le grès de Luxembourg, la Gryphée arquée avec d’autres
coquilles du lias. On cite dans le grès keupérien de Hay,
des Calamites et des empreintes de bivalves. M. V. Simon
observe qu'il n'a pas trouvé ces fossiles dans les environs
de Metz.
M. Lamoureux pense que les marnes rouges qui re-
couvrent le grès de Marsal doivent le faire rapporter
au grès de Stuttgard, mais M. Levallois dit que celui-
ci qui est caractérisé par plusieurs végétaux * se trouve
plus bas dans les marnes irisées , c'est le grès moyen du
keuper. Quant au grès de Luxembourg, il dit lavoir
vu intercalé dans le lias. M. Buvigmier a vu dans les
Ardennes le lias compris entre deux formations de grès
calcaires contenant chacune des fossiles particuliers ,
mais qui les rapprochent toutes deux du lias.
M. V. Simon indique à la partie supérieure du grès
keupérien , l'existence d’une petite couche de poudingues
empâtant des débris de crustacés , des dents et des osse-
mens de poissons.
M. Puton demande si les marnes rouges qui recouvrent
le grès de Marsal, ne représenteraient pas le terrain de
la Bourgogne que M. de Bonnard appelle terram de
Lumachelle , et qu'il regarde comme intermédiaire entre
le keuper et le lias; s'il en était amsi, le grès de
Marsal, malgré l'existence d'une Gervilie appartiendrait
au keuper. M. Buvignier pense que les espèces seules
et non les genres, doivent être indiquées comme ca-
ractéristiques des terrans , et que si la Gervilie dont il
est question appartient à une espèce nouvelle, elle ne
peut donner aucun renseignement sur la position du
terrain où on l'a trouvée. Il cite à l'appui de cette opi-
* Equisetum arenaceum. A. Brong et d’autres mentionnés dans
l'ouvrage de M. Jaeger, sur le grès à roseaux de Stuttgard.
10 PREMIÈRE SECTION.
nion le genre ÂWérinée que l'on a long-temps regardé
comme caractéristique du coral-rag, tandis que plusieurs
espèces de ce genre ont été découvertes dans l'argile
d'Oxford , le forest-marble et même dans l’oolithe in-
férieure. Pour mettre fin à la discussion , la section, sur
la proposition de M. Lejeune , décide qu'elle se trans-
portera à Hettange*.
La séance est levée à neuf heures.
SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Movcror.
La séance est ouverte à sept heures.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. V. Simon propose à la section de se transporter au
pied de la côte Saint-Julien, où elle pourra voir dans
une course de deux heures, un lambeau de keuper , de
grès keupérien et de lias.
On décide que lon se réunira à onze heures à l’hôtel-
de-ville, afin d’être de retour de cette course pour l'ou-
verture de la séance des sciences physiques et mathéma-
tiques.
Le président communique une lettre de M. Fabre, de
Bourges, par laquelle il adresse au Congrès quelques
essais sur les solutons de quelques-unes des questions
portées au programme.
La section décide que ces communications seront faites
au fur et à mesure que les questions viendront à l’ordre
* Cette décision n'a pas eu de suite. Cependant quelques membres
s'y sont transportés individuellement.
PREMIÈRE SECTION. 4
du jour. On lit immédiatement ce qui a rapport aux deux
premières questions qui ont déjà été traitées.
M. Fabre suppose que les escarpemens des formations
secondaires sont dus, comme ceux des terrains primitifs
et volcaniques, à des soulèvemens et à des éruptions. Il
regarde les terrains secondaires comme produits par des
dépôts, devant leur existence à des volcans boueux , sous-
marins et locaux. De là, des secousses et des bouleverse-
mens qui ont concouru avec l’action des eaux de lacs ten-
dant à s'échapper dans des bassins inférieurs, à former
les escarpemens que l’on voit, non seulement dans la
formation secondaire , mais encore dans les premiers dé-
pôts rocheux de la formation tertiaire.
M. le président demande si l’on a quelques observations
à faire sur ce mémoire. Plusieurs membres pensent que
les considérations présentées hier l'ont suffisamment ré-
futé. Cependant M. l'abbé Chaussier , dit :
41° Que les escarpemens se sort formés à une époque où l'épaisseur
et la solidité de la croûte du globe ne permettent plus de supposer des
soulèvemens qui auraient eu de si faibles résultats : 2° Qu'il faudrait
supposer que la ligne de rupture aurait coïnsidé exactement avec la
limite de la formation soulevée; coïncidence dont on ne trouve point
la raison, ni dans les forces qui auraient produit le soulèvement , ni
dans celles qui auraient dù y résister : 3° Que cette rupture aurait dû
laisser au pied de l’escarpement des couches de même nature que
celles du sommet de l’escarpement dont elles auraient été séparées,
ce qui n’a pas lieu puisque l’on trouve au bas des escarpemens les
couches de la formation inférieure, plongeant sous celles qui consti-
tuent l'escarpement.
M. V. Simon dit aussi que les volcans n'auraient pu avoir
une action assez puissante pour déterminer des escarpe-
mens aussi étendus que ceux qui existent aux limites des
formations. |
M. Levallois demande à résumer les idées qu'il a émises
6
,
19 PREMIÈRE SECTION.
hier pendant la durée de la discussion, sur la deuxième
question , après avoir décrit les. terrams dont 1l s’agit, il
conclut :
Que le grès d'Hettange et de Luxembourg fait partie
des terrains du lias. Quant au grès de Kédange, il ne
lui paraît pas possible, dans l’état actuel des observations ,
de décider s'il n’est qu'une dépendance du premier, ou
s'il doit être rattaché au terrain keupérien.
La section vote l'insertion textuelle de la communica-
tion.
L'ordre du jour appelle la discussion sur la troisième
question : Doit-on séparer le grès bigarré du grès vos-
gen, comme le dit M. Elie de Beaumont , ou doit-on
l'y réunir comme le pensent les géologues allemands ?
M. Hogard demande l’ajournement de la discussion ;
cette proposition est adoptée.
M. le président demande si quelqu'un veut A à la
parole sur la quatrième question : La couleur verte qui
se présente à la partie inférieure de plusieurs forma-
tions, ne pourrait-elle pas étre prise pour une limite
certaine de ces formations ?
M. Fabre n’a observé cette limite dans le département
du Cher, qu'à la base de la craie.
M. V. Simon indique des couches vertes à la base de plu-
sieurs formations. Il cite des marnes vertes ferrugineuses
à la base de l’oolithe inférieure ; il indique aussi la partie
inférieure du grès vert, de la craie et du calcaire grossier.
M. Hogard cite une marne verte entre le muschelcalk
et le grès bigarré, mais il ne sait pas si elle appartient
à l’une ou à l’autre formation.
M. Levallois croit devoir la rapporter au grès bigarré;
elle se trouverait alors au contraire à la partie supérieure
de la formation. Il ajoute, ainsi que M. Buvignier, d’au-
PREMIÈRE SECTION. 43
tres faits tendant à prouver qu'il y a des couches vertes
à différentes hauteurs dans les formations.
M. Lamoureux pense que l'on ne pourra prendre
aucune conclusion avant d’avoir des observations plus
générales. Sur sa demande, l'assemblée appelle l'attention
des géologues sur cette question.
M. de Caumont indique dans le Calvados des teintes
vertes : - 5
1° A la base du calcaire de Valognes, qui repose sur
le grès bigarré et qui paraît se rapprocher du quader-
sandstein ;
2 Vers la partie supérieure du las dans le marly-
sandstone ;
3° A Ja partie inférieure du coral-rag ;
4° A la partie inférieure d’une formation qui paraît
être le Portland-stone.
Il termine en déclarant qu'il n’insiste pas sur ces faits
et qu'il n’en veut déduire aucune conséquencé.
Sur la cinquième question : On remarque dans des
circonstances semblables, que des coquilles dont le têt
était très-épais, ne sont plus figurées uniquement que
par des moules, tandis que beaucoup d’autres plus
minces sont demeurées intactes. Quelle peut avoir été
la cause de ces différences ?
M. Fabre explique ce fait en recourant à ses éruptions
boueuses. 11 pense que les coquilles qui.contenaient en-
core l'animal lors de l’épanchement , ont été conservées,
tandis que celles où il ne restait plus de traces de l'ani-
mal ont été détruites.
M. V. Simon dit que dans le Bradford-claÿ des environs
de Metz, des coquilles très-épaisses ont perdu leur têt,
tandis que généralement les Térébratules dont la coquille
est mince sont très-bien conservées. Ces coquilles, quoi-
44 PREMIÈRE SECTION.
que parfaitement fermées, sont remplies de la marne qui
les enveloppe et contiennent comme elles des oolithes fer-
rugineuses.
M. Lamoureux a vu aussi des coquilles à têt très-
épais détruites, lorsque d’autres étaient conservées dans
le même terrrain ; mais il en a vu plusieurs qui, étant
empâtées en partie dans une roche dure, avaient conservé
ieur têt à la partie ‘extérieure, tandis que la partie ren-
fermée dans la roche avait perdu le sien. Il pense que
les coquilles qui ont été d'abord empâtées dans l'argile,
se sont conservées plus facilement que celles qui ont été
enveloppées subitement par un suc pierreux.
M. Buvignier a remarqué que les huîtres, les gry-
phyées et les autres coquilles à têt lamelleux, ainsi que
les pnes et les autres coquilles à têt fibreux , sont géné-
ralement celles qui sont ile mieux conservées : il croit
pouvoir conclure de là (sans mier l'influence de la cir-
constance citée par M. Lamoureux), que la conservation
des coquilles peut dépendre souvent de leur texture : la
conservation fréquente des térébratules vient aussi à l'ap-
pui de cette opinion ; car en examinant à la loupe leurs
coquilles, on y remarque des perforations disposées dans
un certain ordre, et qui paraissent annoncer une texture
particulière.
M. Hogard cite à cette occasion des lingules à têt très-
mince , parfaitement consérvées dans le muschelkalk où
toutes les autres coquilles sont détruites. Or les lingules,
voisines des térébratules par leur organisation, pourraient
ave un têt analogue au leur.
MM. Chaussier et Rodolphe citent des fossiles de mêmes
espèces, l’un conservé et l’autre détruit, dans le même bloc.
La section appelle l'attention des géologues et des chi-
mistes sur cette circonstance qui paraît assez fréquente.
PREMIÈRE SECTION. 43
La discussion s'établit sur la sixième question : La
science fournit-elle quelques données d’où l’on puisse
conjecturer quelle a dû être l’origine du calcaire dont
les masses existent dans la nature ?
L'un des secrétaires donne lecture de la communica-
tion de M. Fabre. .
La science appuyée sur les résultats soumis à son investigation,
admet deux grandes époques dans la formation de notre planète.
4° L'époque des terrains prozoïques et de la mer.
2° L'époque nécessairement postérieure des terrains métazoïques.
3° L'action d’un feu central.
4° L'existence des roches calcaires dans les terrains cristallisés de la
première époque.
En admettant les roches cristallisées de la première époque et les
eaux de la mer, sans chercher à expliquer leur mode de formation,
mode qui, jusqu'à présent, a été l'objet d'une foule de systèmes
plus ou moins brillans, qui ne sont pas même fondés sur des raison-
nemens par analogies dont la science puisse reconnaître l’exactitude ;
car il faudrait pour cela connaître ce qui se passe dans les planètes
qui roulent dans l’espace, et qui sont encore à leur première époque
de formation,
En admettant, disje, pour point de départ la formation primi-
tive, on conçoit que les roches de carbonate calcaire cristallisé, qui
font partie de cette formation, ont dü, ainsi que les autres roches
contemporaines, étre en prise aux agens ignés et aqueux, et par
conséquent, éprouver de grandes modifications, former souvent de
nouvelles combinaisons avec les roches contemporaines, attaquées par
les mêmes agens, et des gaz provenant de vapeurs métalliques aux
quels on attribue avec raison , la coloration des roches.
Ces nouveaux produits ont concouru à former par leurs épanche-
mens les terrains de la seconde époque.
Si on considère, de plus, que la mer a été l'élément dans lequel
les premiers animaux ont vécu, que les mollusques ont la faculté de
s’assimiler les élémens du carbonate calcaire , et de produire ce sel
sous des formes diverses de polypiers, de madrépores, de coraux
et de coquilles , qui constituent méme. encore dans les mers actuelles,
des masses considérables.
On en conclura que l'origine des grands dépôts calcaires, posté-
46 PREMIÈRE SECTION.
rieure à l'époque prozoïque, est due aux deux causes que nous
venons d'indiquer. Les modifications éprouvées par les roches cal-
caires primitives, et le détritus des habitations des mollusques.
Après cette communication , M. Chaussier lit la note
suivante :
Le calcaire est répandu dans la nature avec tant de profusion,
qu’il forme à lui seul la presque totalité des roches dures des terrains
secondaires et tertiaires, et se trouve en grandes masses dans les
terrains primitifs. C'est cette abondance même qui rend difficile la
solution complète de l'origine des calcaires. On a supposé que le
calcaire est un produit de l’organisation ; qu’il a été secrété à toutes
les époques par les mollusques et les zoophytes. La nature calcaire
des parties solides de ces animaux , leur existence souvent en quantité
prodigieuse dans les bancs calcaires de diverses formations, a pu en
effet conduire à cette idée , qu'ils secrètent non-seulement la substance
nécessaire pour s’envelopper d'un têt protecteur, ou se fixer aux corps
sous-marins par un pied selide, mais qu'ils répandent encore dans
les eaux une surabondance de secrétion calcaire, qui, suspendue dans
le liquide, finit par s'y déposer et concourt ainsi à la formation des
couches.
Cette opinion, toute bizarre qu’elle peut paraître, puisqu'elle a donné
lieu à ce mot plaisant que es montagnes ont été digérées par des
hutres, ne devrait pas être rejetée si elle était suffisante pour résoudre
la question de l’origne du calcaire.
Mais quand on songe que ces êtres n’habitent point toute l'étendue
des mers, qu'ils se trouvent circonscrits par le besoin de lumière et
de substances végétales ou animales dont ils puissent se nourrir, à une
zone littorale de peu d'étendue et de peu de profon ‘eur, que méme,
ils ne se tiennent point indifféremment sur tous les points des rivages
de la mer, maïs se réunissent dans des sites d'élection en rapport
avec leurs habitudes et leur genre de vie; que par conséquent la
portion du sol sous-marin occupée par les coquillages ou les poly-
piers est dans un rapport infiniment petit avec la vaste étendue des
mers; On à peine à concevoir que de ces quelques points du globe
soient partis ces immenses bancs de calcaires que l’on rencontre si
fréquemment dans la nature. À
D'un autre côté, si, dans certains cas, les calcaires grenus peu—
vent et doivent même être considérés comme des calcaires de sédi-
ment, qui seraient devenus cristallins sous l'influence de la tempé-
PREMIÈRE SECTION. 47
rature élevée des roches d’épanchement qui les ont traversés, il
est d’autres cas où il est difficile de ne pas admettre que ces
calcaires sont eux-mêmes des terrains d’épanchement qui ont fait
éruption à travers les formations primitives. C’est du moins l'opi-
nion de M. Léonhard, de Heidelberg, relativement aux calcaires pri-
mitifs que l'on exploite à Auerbach dans les gneiss de la Bergstraas :
il regarde les calcaires lamellaires de cette localité comme un exemple
classique des calcaires d'épanchement. D'après les indications de ce
savant, M. Holandre et moi, avons visité cette localité ; la disposi-
tion des masses calcaires et du gneiss qui les recouvre, l’altération
qu'a subie ce gneiss, jusqu'à une distance assez cousidérable du
centre de soulèvement , l'état des surfaces de contact des deux roches
sur lesquelles on trouve des stries , et même quelquefois un poli assez
prononcé, indice évident de leur frottement réciproque, nous ont
pleinement convaincus que ce calcaire a réellement été poussé de l'in
térieur" jusqu'à la surface du sol à travers le gneiss à la manière
des roches d'épanchement si fréquentes dans les terrains primordiaux.
Je puis en pre ve de ce fait important, mettre sous vos yeux des
échantillons recueillis dans les carrières d'Auerbach. Or ce calcaire du
moins ; n’est point secrété par des êtres organisés, puisqu'il s’est épanché
de l'intérieur, poussé à travers le gneiss; mais si une fois on recon-
naît du calcaire qui ne soit pas d’origine animale , pour avancer que
le calcaire stratifié est un produit de l’organisation , il faudra autre
chose qu'une conjecture que la considération des faits repousse
d’ailleurs comme insuffisante pour résoudre la question proposée.
Faut-il dire maintenant que tout le calcaire de sédiment a été
éjaculé tout formé de l’intérieur du globe? Le petit nombre de lo-
calités où le calcaire d’épanchement peut être constaté avec quelque
probabilité n’est nullement dans un rapport assez grand avec l'im-
mense étendue de masses calcaires stratifiées, pour que l’on puisse
regarder les épanchemens comme les sources uniques de tout le
calcaire de la nature. Cherchons-en donc l’origine ‘ailleurs. Rappe-
lons-nous d’abord que la végétation gigantesques des époques anciennes
et la non-existence d'êtres à respiration pulmonaire contemporains
de ces époques ; établissent parmi les savans , comme asséz probable,
l'opinion que l'acide carbonique était alors beaucoup plus abondant
dans l'atmosphère qu'il ne l’a été aux époques paléothériennes et à
celles qui les ont suivies; rappelons-nous , en outre, que d'après
des découvertes récentes de la chimie, il y a lieu de croire que
bien des corps que nous regardons comme simples , sont de véritables
418 PREMIÈRE SECTION.
composés, — que Berzelius a été conduit à regarder l’ammonium
comme un métal, quoique cependant ce corps soit composé d'azote
et d'hydrogène, et en partant de ces faits nous pourrons peut-être
assigner au calcaire une origine plausible. Ne peut-il pas se faire,
en eflet, que le calcium soit ainsi que l’ammonium, un composé
dont les élémens auraient existé dans l'atmosphère, et qui, formé
sous des conditions convenables , se serait ensuite oxidé , puis parvenu
ainsi à l'état de chaux, se serait enfin combiné avec l'acide carbo—
nique de l'atmosphère? Le carbonate de chaux qui en serait résulté,
tombé dans les eaux à l’état pulvérulent et peut-être quelquefois en
grains et sous la forme d'une grêle oolithique , s'y serait déposé en
lits plus ou moins puissans, selon l'activité et la persévérance des
causes qui auraient concouru à sa production.
Le calcaire d’épanchement lui-même ne pourrait-il pas être le ré-
sultat de semblable combinaison produite dans l'intérieur de la terre
par la réunion dans un même point des élémens convenables , et
peut-être par des épigenies analogues à celle , qui selon M. de Buch,
a converti le calcaire en dolomie sur plusieurs points des Alpes.
M. Levallois n'étaitil pas tenté dans la première séance, de nous
parler de calcaire changé en grès? et pourquoi la réciproque ne nous
tenterait-elle pas également et ne soupçonnerions-nous pas que des
roches siliceuses ont pu être transformées en calcaire ?
Ce ne sont là, Messieurs, que des conjectures, mais remarquez
que le programme , reconnaissant sans doute la difficulté de la ques-
tion n’en demande pas davantage. Quoi qu’il en soit de celles aux-
quelles je viens de me livrer sur le calcaire primitif d’épanchement ;
celle que j'ai développée d’abord sur la formation du calcaire dans
l'atmosphère, ou en assignant à ce minéral une origine plausible, a
l'avantage d'expliquer comment aurait disparu cette grande disproportion
d’acide carbonique qui a dù exister primitivement dans l'atmosphère,
et peut-être aussi comment se seraient formées les textures oolithiques
qui se rencontrent dans plusieurs formations jurassiques.
M. Buvignier dit que l’ammonium supposé par M. Ber-
zelius serait un métal simple dont l'hydrogène et l'azote
seraient des oxides, et dont l’ammoniaque composée
d'azote et d'hydrogène serait un autre oxide intermédiaire,
il pense que les conclusions déduites par M. Chaussier
ne peuvent pas être admises.
: PREMIÈRE SECTION. 49
M. Braconnot consulté par M. le président, dit que
l'existence de l’ammonium n’est qu’une pure hypothèse, et
que l'on n’en pourrait pas tirer les conséquences qu’en
déduit M. Chaussier.
M. Buvignier croit que les phénomènes que nous re-
marquons actuellement dans les fontaines incrustantes
peuvent avoir eu autrefois plus d'intensité , que d’ailleurs
leur action a pu avoir lieu pendant un temps extrêmement
long. 11 demande si l’on ne pourrait pas leur attribuer
l'existence de quelques dépôts calcaires.
La séance est levée à neuf heures.
SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE.
. Présidence de M. Moucror.
La séance est ouverte à sept heures.
Le procès-verbal de la séance du 7 est lu et adopté.
M. Vanderbach fait une communication sur des eaux
minérales qu'il a découvertes, près de Florange, dans les
propriétés de messieurs d'Huart et de Wendel, et qu'il
a employées avec succès dans plusieurs maladies chro-
niques et rebelles , il indique des essais qu'il a faits pour
les analyser , il offre au congrès un grand nombre de
fossiles trouvés dans les terrams voisins ; la section décide
que ce mémoire sera communiqué à la section des sciences
médicales.
La parole est à M. Hogard sur la troisième question:
Doit-on'séparer le grès bigarré du grès vosgien , comme
7
50 PREMIÈRE SECTION.
14
le dit M. Elie de Beaumont, ou doit-on l'y réunir
comme le pensent les géologues allemands ?
Il est difficile, dit M. Hogard , de distinguer dans le plus grand
nombre de cas, ces deux grès par leur caractère minéralogique ; le
grés bigarré formé des débris du grès vosgien, renferme au contact
de celui-ci des galets de quarz et de diverses roches ; mais en général
les élémens en sont décolorés surtout dans la partie inférieure du
dépôt, ils sont plus ténus, plus fins, mélangés d'une grande quantité
d'argile. Les fossiles tels que fougères , coquilles et ossemens , propres
au grès bigarré , le distinguent beaucoup mieux du grès des Vosges,
qui n'a offert jusqu'alors qu'un seul fossile ; il appartient au genre
Calamiics.
La masse du grès des Vosges a été soulevée et placée à diverses
hauteurs, suivant des lignes partant du faite des montagnes et allant
se terminer à l’extrémité de la formation dans les directions nor-
males à celle de la chaîne. Sur quelques points, les couches du grès
des Vosges sont fortement inclinées , et sur d’autres elles ont conservé
une position à peu près horizontale; mais en général elles occupent
divers étages qui sont de plus en plus élevés dans le voisinage des
montagnes.
Le grès bigarré s’est placé au pied des escarpemens formés par le
grès des Vosges autour du système, et nulle part, de Thann à
Landau, on ne le retrouve en lambeaux isolés au-dessus des buttes
coniques de ce dernier grès, qui formait une falaise au pied de la-
quelle des dépôts plus récens se sont formés.
Le grès bigarré qui repose sur le grès des Vosges, tantôt à stratifi-
cation continue, tantôt à stralification discontinue , vient, dans le
plus grand nombre de cas, s'adosser contre les tranches des couches
constituant les escarpemens de la falaise du grés des Vosges. Dans
toute l'étendue du système, le muschelkalk recouvre le grès bigarré
à stratification continue. On remarque à son étage supérieur des
argiles rouges et vertes avec quelques couches de marnes et de dolomies
formant le passage avec le muschelkalk dont l'étage inférieur offre
une série d’argiles et de marnes, et de lits de grès à ciment calcaire
(macigno). À son tour, le muschelkalk est recouvert, à stratification
continue , par le dépôt des marnes irisées.
Ces trois dépôts, le grès bigarré, le muschelkalk et les marnes
irisées forment un système dans lequel on voit se développer alterna-
tivement des masses arénacées , des marnes et des calcaires. La cou-
PREMIÈRE SECTION. 54
leur rouge domine dans toute l'étendue de ce système. À la partie
supérieure (marnes irisées), on trouve des amas cons'dérables de
gypse et de sel qui se présentent déjà sur quelques points du globe
dans les assises de la partie inférieure (grès bigarré). Le muschelkalk
manque dans quelques contrées, alors les marnes irisées et le grès
bigarré se trouvent en rapport direct; toutefois le muschelkalk avec
ses marnes et ses calcaires dolomitiques rappelle une partie de la
formation des marnes irisées composées aussi de marnes et de calcaires
compactes. La liste des fossiles du grès bigarré, du muschelkalk
et des marnes irisées, offre une analogie remarquable. Avec le grès
bigarré, apparaît une nouvelle série d'êtres organisés, qui se retrou-
vent pour la plupart dans les deux dépôts qui lui sont supérieurs
et plus particulièrement dans le muschelkalk. Parmi les plantes
fossiles , quelques-unes appartiennent indistinctement aux marnes irisées
et au grès bigarré et les coquilles de ce: dernier dépôt se retrouvent
toutes dans le muschelkalk. Ainsi , dans toute l'étendue du système des
Vosges, on voit le grès bigarré séparé du grès des Vosges par un
système de failles qui indique la révolution géologique qui a séparé
ces: deux formations. Le grés bigarré, placé au pied des escarpemens
du grès des Vosges, ne recouvre celui-ci à stratification concordante
que. très accidentellement : tandis qu'il existe entre le grès bigarré
et le muschelkalk un: liaison intime de siraufication. La partie
supérieure du grés bigarré offre les mêmes alternances de roches que
la partie inférieure du muschelkalk : nulle part, dans l'étendue de
la formation du grès des Vosges ne se présentent de.traces de ces
êtres organisés propres au trois dépôts suivans, formés , ainsi que l'in-
diquent ces êtres organisés, par suite des mêmes causes et sous de
mêmes influences. Avec le grès bigarré, commence une nouvelle série
de dépôts offrant des caractères particuliers et qui se sont déposés
dans des bassins au-dessus desquels s'élevait la grande formation
arénacée désignée sous le nom de grès des Vosges qui, depuis, n’a
plus été recouverte que par les eaux alluviales, et qui , ainsi se trouve
séparée d’une manière tranchée du dépôt du grès bigarré qu'on ne
pourrait séparer à son tour du muschelkalk qu’en détruisant par de
nouvelles observations les considérations générales que nous venons
de présenter.
M. Hogard , avant de terminer, ajoute des considéra-
tions sur l’âge de quelques roches des Vosges.
59 PREMIÈRE SECTION.
Les spilites de Senones qui ont été regardées tantôt comme dépen-
dantes du terrain euritique, tantôt comme se rattachant au grès rouge,
se trouvent quelquefois en stratification concordante avec ce dernier ;
mais on voit dans le haut de la vallée que celui-ci repose sur une
Anagénite contenant des débris de spilite et de roches de la formation
euritique. Cette arkose est donc plus récente que le spilite; il doit
en être de même du grés rouge qui repose sur l’arkose. D'ailleurs le
spilite est souvent traversé par des masses euritiques qui ne péné-
trent jamais dans le grès rouge. C’est donc entre ce grès rouge et
les terrains de transition qu’il faut placer les spilites qui devront se
rapporter soit au terrain houiller , soit au vieux grès rouge. L'absence
du terrain houiller dans cette localité, rend la question plus difficile,
mais la dernière opinion paraît la plus probable.
On voit aussi à Saint-Dié le grès rouge reposant dans
des ondulations sur une arkose granitoïde.
Les argilophyres et les argilolithes du Valdajoz parais-
sent supérieurs aux arkoses; mais en quelques endroits
leur position ne peut pas être vérifiée facilement. M. Ho-
gard pense qu'il serait nécessaire de faire de nouvelles
recherches sur le terrain.
M. Lejeune abordant la première question traitée par
M. Hogard, observe que le muschelkalk ne contient
pas de: mica, ni de débris roulés du grès vosgien, ce
qui tenderait à le séparer du grès bigarré. M. Hogard
répond que l'identité des fossiles est un caractère beau
coup plus important que l'absence ou la présence du mica,
qu’il existe d’ailleurs du mica dans les roches arénacées
du muschelkalk , il ajoute qu'il a dit que le grès bigarré
était souvent formé de sables provenant de débris du
grès des Vosges. Il avait annoncé en outre au contact
de ces deux dépôts, que le grès bigarré renfermait des
galets siliceux provenant du grès des Vosges, mais non
des fragmens roulés de ce dermier grès.
M. Puton appuie l'opinion de M. Hogard sur la troi-
PREMIÈRE SECTION. 53
sième question du programme. Il demande la parole sur
la seconde, vu l'heure ayancée la discussion est ajournée
au lendemain.
M. Moreau demande à faire une dernière communica-
tion , il annonce qu'il a trouvé dans le coral-rag du dé-
partement de la Meuse plusieurs plantes fossiles, il de-
mande si les géologues des autres contrées en ont observé.
L'assemblée l'invite à faire revenir pour les lui commu-
niquer, dans une prochaine séance, les dessins qu'il
possède de ces plantes.
M. le président propose que M. Hogard soit invité
à renouveler à l'assemblée générale la communication
qu'il a faite à la section. M. Lamoureux appuie cette
propositisn qui est adoptée par la section.
La séance est levée à neuf heures.
SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Mocucror.
La séance est ouverte à sept heures du matin.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu et
adopté. ;
M. Hogard pense que ce procès-verbal, contenant une
analyse assez étendue des opinions qu'il a exposées sur la
troisième question , il est inutile qu'il renouvelle cette
commumication à la séance générale.
M. Lejeune demande à faire une communication sur
les terrains jurassiques, elle est mise à l’ordre du jour de
demain.
M. de Selys-Longchamp envoie deux mémoires manus-
54 PREMIÈRE SECTION.
crits, l'un sur les passereaux ténuirostres, l’autre sur la
distribution des genres de l’ordre des passereaux.
La section nomme, pour lui faire un rapport sur ces
mémoires , une commission composée de MM. Holandre,
Lasaulce et Malherbe.
M. Chaussier à qui l’on avait contesté, dans la seconde
séance, que l'opinion qu'il attribuait à Berzélius, sur la
nature composée de l'ammonium , fût réellement celle de
ce savant, communique à la section les passages suivans
de la chimie de Bouchardat, qui justifient son assertion.
« De l’ammonium. Berzélius décrit sous ce nom un
» métal qui n’a point encore été isolé, qu'on n'a obtenu
» qu'en combinaison avec le mercure à l'état d’amal-
» game, et, ce qui est plus remarquable, qui se rap-
» proche de la manière la plus intime des métaux des
» alcalis, par les propriétés des sels et de la plupart
» des combinaisons qu'il peut former, et qui cependant
» est un corps composé d'azote et d'hydrogène ; qui
» serait aux métaux des alcalis ce que le cyanogène est
» au chlore, à l'iode, au brome, au fluor... »
« Formule de l’'ammoniaque NH° ; formule de l’am-
» monium NH#.... »
« Cet ammonium et le cyanogène qui réagissent comme
» des corps simples pourraient faire penser avec quelque
» fondement, que la plupart des corps que nous, regar-
» dons comme simples sont de vrais composés....* »
M. V. Simon présente, de la part de M. Schmitt, un
mémoire sur le Liedermund , la section décide qu'elle en
entendra la lecture dans une de ses prochaimes séances.
L'ordre du jour appelle le rapport de M: V. Simon
sur la course faite dans la matinée du 7 par la section
d'histoire naturelle aux environs de Saint-Julien.
* Cours de chimie élém., par Bouchardat , page 431 et 435.
PREMIÈRE SECTION. 5
Il résulte de ce rapport qu'on a d’abord: observé une source salée
qui se jette dans le ruisseau de Vallières, sur l’autre rive on a
observé le grès keupérien au commencement du chemin de Sainte-
Barbe, d’abord friable et trés-incliné, à quelques pas de là, il est
plus dur et se divise en feuillets sur l'un desquels M. Simon a trouvé
un moule de coquilles qui paraît être une zwmie. Au-dessus de ce
grès il en existe un autre ferrugineux et friable. La section a remarqué
au-dessus de ces grès des marnes d'environ 20 mètres de puissance et
de couleur bleue et rouge, identiques avec celles de la formation
keupérienne.
Ges marnes sont immmédiatement recouvertes par les couches du
Jias inférieur que l’on voit sur le même chemin.
La société s’est transportée ensuite au sommet de la côte de Grimont.
De ce point qui présente un panorama magnifique , M. Simon expose
quelles sont les formations qui constituent le sol de ce vaste cirque;
indique les points occupés par l’oolithe inférieure, les différens étages du
lias; le Keuper et le muschelkalk. Il attire l'attention de la société
sur les ovoïdes ferrugineux disposés par lits dans des marnes grises
présentant quelquefois des feuillets minces mais très, courts. Ces.ovoïdes
formés souvent de couches concentriques ont quelquefois un noyau
très-dur et trés-pesant qui paraît étre du fer carbonaté. On y a trouvé
des cristallisations calcaires, il y existe aussi de la baryte , du fer et du
zinc sulfurés. On examine ensuite les argiles schisteuses que l’on re-
marque au bas de Ja côte de Saint-Julien.
La parole est à M. Puton pour continuer la discussion
d'hier sur les Vosges: il pense que l’inclinaison des cou-
ches du grès des Vosges est généralement assez faible pour
que lon ne soit pas obligé de recourir à un soulèvement
pour l'expliquer, elles pourraient, dans le plus grand
nombre de cas, avoir été formées dans leur position ac-
tuelle sur un sol incliné qui aurait éprouvé ensuite des
dénudations et quelques oscillations. Quant aux spilites
de Senones, que M. Hogard paraît rattacher au vieux
grès rouge, 1l fait remarquer que jusqu'à présent on n’a
observé, dans les Vosges , aucune trace de cette formation.
Il convient que les spilites qui se trouvent toujours à la base
56 PREMIÈRE SECTION.
du grès rouge (tod liegende) n’ont pas avec lui une haï-
son bien évidente ; mais il demande si les roches pluto-
niques qui existent dans les spilites, ne pourraient pas
être attribuées à des dykes préexistans, entre lesquels les
spilites seraient déposés. Il cite, près de la forge de Mal-
lençcon, une roche bréchiforme formée d’un conglomerat
de spilite et de granite réunis par un ciment de spilite.
M. Hogard donne des coupes de terram desquelles 1l
résulte, qu'à partir d'Epinal, qui est à 400 mètres au-
dessus de l'océan, jusqu'à une distance de quatre lieues
de poste, le grès des Vosges se montre sur plusieurs pla-
teaux en s’élevant successivement et comme par étages jus-
qu'à une hauteur de 1000 mètres. Une aussi grande dif-
férence de niveau, 600 mètres, ne peut guère s'expliquer
que par des soulèvemens, ou, si l’on veut, par des affais-
semens postérieurs à cette formation. Il ajoute que les
différentes eouches du grès des Vosges, un peu irrégu-
lières, mais toujours disposées dans le même ordre, se
retrouvent aux différentes hauteurs.
M. Hogard regarde les spilites de Senones non comme
des roches ignées et boursoufflées, mais bien comme une
amygdaloïde argileuse à noyaux de stéatite, de manganèse
pulvérulent, de calcaire magnesifère. Des infiltrations, en
détruisant quelques-uns de ces noyaux, produisent les
vacuoles qui existent dans cette roche; mais ces vacuoles
ne portent aucuns caractères qui puissent les faire attri-
buer à des dégagemens de gaz.
Répondant à l'assertion de M. Puton, que les spilites
peuvent avoir été déposés entre des dykes euritiques
préexistans ; 1] présente encore des coupes, desquelles il
résulte que les spilites qui se trouvent peu inclinés et
disposés régulièrement vers le haut des pentes à la surface
desquelles viennent affleurer des dykes euritiques, sont
PREMIÈRE SECTION. 57
au contraire fortement inclinés et contournés dans leur
voisinage. Il résume quelques-uns des argumens qu'il a
présentés hier pour établir la distinction du grès rouge et
des spilites ; il insiste sur l'absence des eurites dans le
premier , sur la différence de stratification et sur les dé-
bris de spilite trouvés dans l'anagenmite qui est, sans con-
tredit, antérieure au grès rouge.
M. Hogard parle ensuite des rochers quarzeux d'Herival,
aux environs du Valdajoz. Il pense que ces rochers n’ont
aucun des caractères des filons d’épanchemens, et qu’ils
sont dus à des infiltrations du ciment quarzeux qui a
formé les arkoses dans lesquels ils se trouvent. Il ajoute
que des observations nombreuses l'ont convaincu que,
selon que le ciment était plus ou moins abondant, les ar-
koses passaient insensiblement à des couches pr Ee
quarzeuses.
M. Puton dit qu'il n'a pas remarqué de chaux carbo-
natée dans les cavités des spilites de Senones. Il pense
que les spilites à noyaux calcaires seraient des roches d’é-
panchemens ; 1l regarde l’existence du fer oligiste cristallisé
en assez grande quantité dans le quarz d'Evion , comme
une preuve que ces rochers doivent leur origine à des
épanchemens.
M. Hogard répond que les filons d’épanchemens por-
tent toujours des traces de frottement sur leurs parois, et
que la matière épanchée est toujours distincte de la gan-
gue. Ici, au contraire, il n’y a aucune trace de frotte-
ment, et le quarz des filons se fond msensiblement dans
l'arkose. Il ajoute que l'existence des métaux ne prouve
pas que le quarz provient d’épanchemens, puisque les
mêmes métaux se trouvent beaucoup plus abondamment
dans les terrains voisins, et que, d’ailleurs, le fer oligiste
tapisse seulement les parois des fentes qui se trouvent
8
ÿ PREMIÈRE SECTION.
dans le quarz. 11 pense que le quarz paraît s’étre déve-
loppé à la base du grès rouge de même que dans les
divers terrains supérieurs à ce dépôt, auxquels cependant
on n'atiribue pas une origine ignée.
Plusieurs membres insistent sur la nécessité d’une plus
grande précision dans les nomenclatures, et sur la dis-
tinction à établir entre plusieurs roches qui ont été con-
fondues sous le nom de Spilite.
M. Soleirol communique quelques faits tendant à éta-
blir aussi dans les environs de Sarrelouis, la différence
déjà constatée dans les Vosges entre le grès bigarré et le
grès des Vosges. Il cite ensuite dans les environs de Ni-
derbronn, une carrière de muschelkalk, dans laquelle
les couches , d'abord régulières , paraissent s'être inclinées
après leur formation , pour aller se butter contre les mon-
tagnes du grès vosgien. Malgré la circonspection avec la-
quelle il admet les systèmes géogéniques, il croit que
ce fait pourrait s'expliquer par un soulèvement des Vos-
ges, postérieur au dépôt du muschelkalk.
A cette occasion, M. Hogard cite la vallée de Sultz,
qui présente aussi tous les caractères d’un soulèvement.
Cette vallée a été visitée en 1854, par la société géolo-
gique de France.
M. Simon , revenant sur la discussion précédente, pense
que les filons de quarz sont plus souvent des accidens de
formation que des résultats de soulèvemens. Il cite ceux
des schistes et des quarzites qui paraissent dus à des infil-
trations qui ont pu remplir des fissures et des cavités dans
les roches. Ce mode de formation serait analogue à ce que
nous voyons encore se faire dans les terrains calcaires.
La séance est levée à neuf heures et demie.
PREMIÈRE SECTION. 59
SÉANCE DU DIMANCHE 10 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Mouceor.
La séarice est ouverte à sept heures du matin.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu et
adopté.
M. Lamoureux demande à faire une commumication.
Il à visité le grès d'Hettange. Il pense que si la section
l'avait vu avant la discussion à laquelle il a donné lieu,
celle-ci aurait été inutile. Il y a recueilli, en six heures, une
grande quantité de fossiles qui n’ont aucune analogie avec
ceux du keuper et qui le rapprochent tous du las. Il
cite plusieurs ammonites et des gryphées qui sont trop
incomplètes pour qu'il puisse les rapporter avec certitude
à la Gryphæa arcuata. I appartient sans aucun doute au
quadersandstem qu’il appellerait volontiers lias-sandstein
ou simplement grès de Luxembourg , afin d'éviter la con-
fusion produite par la première dénomination. Il cite dans
ce terrain un banc contenant des végétaux, 1l insiste sur
les caractères minéralogiques de cette formation , carac-
tères qui la rapprocheraient des grès de Flavigny et de
Dombale dans le département de la Meurthe.
M. Levallois répond qu'il n'y a jamais eu de doute
sur la position du grès d'Hettange , qui repose sur le lias
inférieur | mais il croit qu'il en existe encore sur ceux
de Flavigny et de Dombale qui ne sont pas recouverts.
L'ordre du jour amène une communication de M. Le-
jeune sur la position des terrains jurassiques à l'égard
des terrains primordiaux. Il dit qu'il profite de la pré-
sence de M. de Caumont pour lui demander s'il existe
dans les terrains jurassiques de la Normandie des faits
60 PREMIÈRE SECTION,
analogues à ceux que M. de Buch a observés dans la
ceinture formée autour des Vosges et de la forêt noire
par le Jura allemand, le Jura suisse et le Jura français.
Ces faits sont 1° l'absence de la craie dans l’intérieur
de cette enceinte. 2° La présence de grandes masses
dolomitiques vers l'extrémité du Jura allemand. 3° Enfin
l'inégalité dans la pente des versans des chaînes qui sont
généralement terminés d'une manière abrupte du côté
des terrains primordiaux. M. Lejeune rend compte aussi
de quelques autres communications faites à la réunion
de la société helvétique des sciences naturelles et de
quelques discussions qui y ont eu lieu. Plusieurs géo-
logues suisses voulaient réunir les groupes coralliens et
portlandiens dont la distinction paraît difficile à établir
dans la chaîne du Jura; mais il a fortement insisté sur
la limite bien tranchée qu'établissent entre ces deux
groupes, les marnes à gryphées virgules qui sont si dé-
veloppées dans le département de la Meuse.
M. Lejeune passe ensuite au terrain néocomien si dé-
veloppé dans les environs de Neufchitel , et caractérisé
par de grandes Æxogyres et la Serpula héliciformis. Ce
terrain a été appelé jura-crétacé par d’autres géologues
qui disent y avoir trouvé des fossiles de la craie et des
fossiles jurassiques : fait qui est contesté. M. Elie de Beau-
mont regarde ce terrain comme contemporain des terrains
wealdiens de l'Angleterre. Ceux-ci formés dans l’eau douce
ue seraient qu'une exception , tandis que les terrains néo-
comiens seraient le fait général. M. Lejeune insiste sur ce
fat pour faire adopter la dénomination de terrains néo-
comiens.
M. de Caumont répond à l'interpellation de M. Le-
jeune , que dans la Normandie le las et le terrain ju-
rassique sont peu accidentés , mais qu'ils se relèvent vers
PREMIÈRE SECTION. 61
les terrains anciens auxquels ils présentent leurs escarpe-
mens. Les terrains inférieurs sont ceux qui atteignent le
niveau le plus élevé.
On passe à la discussion de la 15° question du pro-
gramme : « Le grès vosgien provient-il de roches préexis-
» tantes , ou au contraire ses grains ont-ils été formés
» par une cristallisation confuse de matières siliceuses
» amenées, par exemple, par des eaux minérales? »
M. V. Simon rappelle qu’à la réunion géologique de
Strasbourg, un membre a attribué les grains de quarz à
une cristallisation.
M. Hogard dit que plusieurs personnes ont cru que
les grains de quarz qui présentent des facettes régulières
avaient été cristallisés par l’action des porphyres. Mais
il n'existe pas de porphyre dans les environs. Les roches
que l’on avait prises pour celle-ci sont des argilolithes ,
des argilophyres et des anagénites qui ne sont nullement
des produits ignés, mais qui ont été formés dans les
eaux. M. Hogard rappelle la structure de ces grès. Lors-
qu'ils contiennent des galets , soit de grès, de quarz, ou
même de fragmens de roches primitives, ce qui arrive
dans le voismage de celles-ci , ces galets sont posés à
plat et dans la direction de leur grand axe, comme
ceux qui se déposent dans les inondations. Les intervalles
qui existent entre ces galets sont remplis de petits grains
de quarz réunis eux-mêmes par un ciment siliceux telle-
ment solide, que si l'on veut séparer deux galets, l'un
des deux est presque toujours brisé. Les grains de quarz
ont tous une forme à peu près la même, des faces ré-
gulières et des arêtes qui ne permettent pas de croire
qu'ils aient été roulés. Ils ont dû être formés dans les
eaux par voie chimique , par la précipitation de la matière
siliceuse qui était sans doute suspendue en excès dans
62 PREMIÈRE SECTION.
les eaux , et qui a formé plus tard le ciment qui les a
réunis. Toutefois il peut y avoir aussi quelques grains de
transport.
Dans les grès argileux les grains sont généralement très
ténus, sans forme régulière, réunis par une pâte argileuse.
Ces grès paraissent avoir été formés dans les eaux qui
ne contenaient pas de silice. Les grains de quarz y sont
évidemment roulés.
À lappui de l'opinion émise par M. Hogard, que des
galets quarzeux du grès des Vosges, provenaient du terrain
de transition, M. Puton, M. Mougeot et M. Hogard citent
plusieurs de ces galets contenant des spirifères et des
plantes qui paraissent appartenir au terrain de transition.
M. Mougeot lit la note suivante sur la 20° question du
programme : Les botanistes lorrains sont invités à pré-
senter les élémens nécessaires pour parvenir à former
un catalogue général raisonné et comparé des plantes
de cette province.
La Lorraine possède aujourd’hui les documens les plus certains
pour composer ce catalogue général. Ils sont consignés dans les ob-
servations de M. Soyer-Willemet sur les plantes des environs de
Nancy , publiées avec les mémoires de l’académie royale de cette ville.
Dans la flore de la Moselle de M.- Holandre aidé des botanistes
messins ;
Dans celle de la Meuse de M. Doisy ;
Dans les considérations générales sur la végétation spontanée du dé-
partement des Vosges , développées par le docteur Mougeot, et in-
sérées dans les annales de la société d'émulation de ce département.
Enfin dans plusieurs mémoires qu'il serait trop long d’énumérer ici.
D'un autre côté les recherches et les trayaux des botanistes de
l'Alsace se rattachent tellement à ceux entrepris pour la Lorraine,
lorsqu'ils parlent des plantes de la chaîne des Vosges, qu'ils sont
aussi devenus une mine féconde pour compléter le catalogue général,
raisonné et comparé que désigne la vingtième question du programme.
C’est surtout dans le prodrome de la flore d'Alsace que vient de faire
PREMIÈRE SECTION. 63
paraître M. Kirschleger que se trouvent consignées les découvertes
les plus importantes du botaniste le plus zélé, le plus capable de
publier la flore d'Alsace, celles du savant professeur Nestler , d'éter-
nels regrets, de ses amis Schawembourg , Mougeot, Mulhemback, etc.
Tout récemment le docteur Schuliz de Bitche a donné la premitre
centurie des plantes qui formeront un herbier général de la France
et de l'Allemagne, où se trouvent parfaitement conservées et dé-
crites plusieurs espèces en litige et leurs variations, qui jusqu'alors
embarrassaient singulièrement les botanistes. Ainsi il est possible
de nos jours, de dresser pour les phanérogames, le catalogue de-
mandé. j
Quant aux plantes cellulaires , leur étude a aussi été poussée si loin
dans la Lorraine, et surtout dans la chaîne des Vosges, que leur
énumération méthodique peut marcher de front’ avee celles des plantes
phanérogames.
La précieuse collection des plantes cryptogames vogeso-rhénanes,
entreprise depuis plus de 25 ans, par les’ docteurs Nestler et Mougeot,
et que ce dernier continue, et dont il va faire paraître la onzième
centurie, fournira pour le catalogue en question les données néces-
saires. La flore de la Lorraine peut être d'autant plus tôt publiée, que
des herbiers bien conservés sont déposés dans les musées des divers
départemens dont était formée cette province, que les botanistes
nombreux qui l'habitent ont eux-mêmes des collections des plantes
spontanées déterminées avec un exactitude rigoureuse ; et que , dans
leurs herborisations, il ont apporté le plus grand soin à noter la
nature du sol où se plaisent exclusivement certaines espèces , l'élé-
vation, l'exposition, les localités positives qu’elles préfèrent, et
qu’au lieu de trouver dans un catalogue la nomenclature sèche des
plantes, on y rencontrerait tout ce qui a rapport à la géographie
botanique.
Depuis plusieurs années, les botanistes Lorrains et Alsaciens séparés
par la chaîne des Vosges, et qui s’en partagent les flancs oriental
et occidental, ont le projet de se réunir pour publier une flore des
département de l'Est de la France, le catalogue devrait comprendre
au moins les deux provinces en question.
Après cette lecture, la section émet le vœu que le
Congrès engage les botanistes de la Lorraine et de l'Alsace
à se réumr pour publier une flore des départemens de
l'Est.
64 PREMIÈRE SECTION.
M. Levallois demande à communiquer des roches qu'il
a recueillies avec M. Reverchon. Il indique sur la route
de Metz à Bouzonville par Boulay , une localité où l’on
peut voir toute la formation du keuper dans un espace
de 700 à 800 mètres.
On trouve d’abord au pied de la côte de Holling les marnes in
férieures du keuper. On rencontre un peu plus haut des carrières de
grès argileux nuancé de rouge à la partie supérieure. C'est le grès
de Stutigard qui forme un niveau bien tranché dans le keuper. Au-
dessus de ce grès on voit des assises dolomitiques alternant avec
des marnes quelquefois aussi dolomitiques et contenant quelques
grains de quarz; en s'élevant au-dessus de ces marnes, on remarque
ca et là des fragmens de grès qui proviennent du grès supérieur
du keuper. Celui-ci se trouve en effet sur un monticule stérile qui
termine une extrémité du coteau; mais il a été détruit sur tous
les autres points. La preuve de cette destruction est la grande
quantité de cailloux répandus à la surface du sol, et qui sont iden-
tiques avec ceux qui sont contenus dans le grès-
Un peu plus au nord, à Valmunster on exploite pour la fabrication
de la couperose la couche de combustible des marnes irisées. Elle
repose sur du gypse marneux gris. On trouve au-dessus une marne
schisteuse feuilletée. Cette espèce de houille est recouverte d’un grès
assez dur avec des veines de gypse fibreux qui pénètrent aussi dans
la houille. M. Levallois a vu ce grès dans la Saône, dans les Vosges,
dans le Wurtemberg et partout où il a vu la houille du keuper,
Au-dessus de ee grès on exploite un gypse très-beau passant à l'al-
bâtre, et plus haut encore, de la dolomie.
M. le docteur Mougeot adresse à la section ses remer-
ciemens de ce qu’elle a bien voulu l'appeler à l’hon-
neur de la présider et lui témoigne tous les regrets qu'il
éprouve en se trouvant forcé de la quitter.
La séance est levée à neuf heures un quart.
PREMIÈRE SECTION. 65
SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Hozanpre, vice-président.
La séance est ouverte à sept heures du matin.
Le procès-verbal de la séance du 10 est lu et adopté.
L'ordre du jour est une commumication de M. Soleirol
sur le lias.
M. Soleirol ayant entendu dire à un ancien chaufour-
mer que les différens bancs de pierres à chaux se trou-
vaient dans plusieurs carrières où les ouvriers les dé-
signaient chacun par des dénominations particulières , 1l
a cherché à vérifier si ces bancs se reproduisaient dans
- un ordre constant dans les diverses carrières du pays. Il
indique les différentes parties dont se compose le terrain
à gryphées dans cette contrée. Il y a trouvé 1° des couches
argileuses généralement d'un bleu d'ardoise assez foncé, sur-
tout lorsqu'elles sont à plus de 1 ou 2 mètres de la surface
du sol. 2° Des bancs calcaires argileux durs et bleuâtres
vers le centre, mais jaunâtres et friables sur l’une et l’autre
face. Ces parties jaunes doivent être enlevées lorsque l’on
veut avoir une bonne chaux. Lorsque les bancs calcaires
se trouvent près de la surface du sol, ils sont générale-
ment mal réglés et peu puissans, se réduisant souvent à
des lits de rognons ; 5° on trouve enfin dans les couches
argileuses des lits de rognons calcaires auxquels les ou-
vriers ont donné le nom de couilleries. Lorsque le dépôt
lithogène a été très-abondant dans ces couilleries, elles
forment des apparences de bancs; mais en général elles
ne sont indiquées que par des masses calcaires rémiformes,
jaunâtres à la surface et bleues à l'intérieur, lorsque leur
volume est assez considérable, Ces calcaires donnent une
9
66 PREMIÈRE SECTION.
chaux d’un jaune verdâtre, dans laquelle on reconnaît à
leur couleur blanche les coquilles qui étaient empâtées
dans la roche.
M. Soleirol présente un grand nombre de coupes des
carrières ouvertes sur ce terrain dans les environs de
Metz et dans le département. Il résulte de ces coupes
que la plupart des bancs et des couilleries se retrou-
vent dans un ordre constant. M. Soleirol termine en re-
grettant que ce travail qui demande des recherches très-
longues, ne soit pas encore terminé. Il communique en-
suite les fossiles trouvés dans cette partie du lias. La
plupart d’entre eux lui ayant été remis par des ouvriers,
il ne peut dire s'ils se trouvent dans des bancs particu-
liers. Il désire que des observations ultérieures puissent
apprendre s'il ne serait pas possible de caractériser cha-
que banc par ses fossiles.
Plusieurs membres pensent que cela serait possible.
M. Holandre pense que les couilleries pourraient être
le résultat d’un mouveinent des eaux qui auraient brisé
quelques bancs et arrondi leurs fragmens.
M. Buvignier lit une note sur le lias du département
des Ardennes.
Après quelques considérations sur l'aspect général du sol, sur sa
configuration extérieure, et sur les difficultés qu'ils peuvent pré-
senter lorsqu'on n'étudie qu’une petite étendue de ces terrains, il
décrit dans le lias des Ardennes et du nord de la Meuse six divisions
bien tranchées par leur position et par leurs caractères minéralogiques
et paléontologiques ; savoir :
4° Un calcaire passant au grés et aux poudingues.
90 Les marnes et les calcaires à gryphée arquée caratérisés par ce
dernier fossile, le Cyclolites numismalis, etc.
3° Un système qu’il appelle calcaire sableux et qu'il divise en trois
étages dont l’inférieur lui paraît analogue au grès de Luxembourg ; toute-
fois comme il n’a vu de celui-ci que des échantillons sans fossiles , et
que quelques géologues le regardent comme inférieur aux gryphées
arquées, il n'ose prononcer sur leur identité. »
! PREMIÈRE SECTION. 67
4° Une marne grise, bleuâtre, micacée à la partie inférieure et
contenant des rognons ou oyoïdes à la partie supérieure avec des
ammonites, des bélemnites, etc.
5° Un calaire ferrügineux contenant des bélemnites, des térébra-
tules et quelques modioles. 1
6° Enfin .une marne schisteuse noire et bitumineuse ayec Bélemnites
digitalis et plusieurs autres, des ammonites, des posidonies, etc.
Ces deux dernières divisions avaient été rapportées par M. Boblaye
à l’oolithe inférieure et au fullers-earth. Mais ces deux formations se
trouveront facilement dans le système si puissant et si complexe que
M. Boblaye rapporte à la grande oolithe , M. Buvignier ne veutémettre
aucune opinion sur ce groupe avant d'avoir vérifié la détermination
des nombreux fossiles qu'il y a recueillis. 11 donne des croquis de
quelques coupes indiquant les dénudations causées par la formation
de la vallée de la Chiers et de la Meuse.
M. Buvignier regrette que l'heure avancée et le nombre
des matières à l'ordre du jour ne lui permettent pas de
donner une idée de la disposition générale des divers
terrains qui forment le sol des départemens de la Meuse
et des Ardennes.
. La section demande-qu'il en fasse communication dans
une des séances suivantes.
M. Tihay lit sur les premiers numéros de l'Austrasie
offerts à la section , un rapport favorable que nous n’ana-
lyserons pas ici, parce que ces numéros traitent de ma-
tières étrangères aux travaux de la section.
M. le général de Résimont lit une notice sur le gise-
ment du bitume exploité dans le parc de Pariou, près
de Seyssel (département de l'Ain), sur la mamière de
l'employer, et en particulier sur la construction des trot-
toirs de Paris, avec cette substance. Il présente ensuite
divers échantillons des terrains où on l’exploite. Il ajoute
que le bitume de Lobsanne (Bas-Rhin), pourrait sans
doute être employé aux mêmes usages si l’on pouvait le
68 PREMIÈRE SECTION.
priver de la partie de petrole et d’asphalte qu'il contient
en excès.
On met aussi à l’ordre du jour de demain, 1° une
communication sur quelques insectes nouveaux de Cayenne.
2 Une communication ornithologique de M. Malherbe,
sur le Jaseur d'Europe.
3° Sur la demande de M. Puton, les questions 7, 8
et 9 du programme sur les modifications éprouvées par
quelques espèces de roches.
h° Enfin, la dix-huitième question du programme re-
lative à l'influence du sujet porteur de la greffe sur les
fruits de celle-ci.
M. Buvigmer, ayant recu de M. Moreau les figures des
plantes fossiles trouvées dans le coral-rag de la Meuse, il les
met sous les yeux de la section, pour se conformer au
désir qu’elle a mamifesté dans une de ses séances précé-
dentes. Ces plantes paraissent appartenir, pour la plupart,
aux familles des fougères, des cicadées et des lycopodia-
cées, ou peut-être des comfères.
La séance est levée à neuf heures et demie, après que
M. le président a communiqué à la section l'avis que la
séance générale aurait lieu à deux heures.
PREMIÈRE SECTION. 69
SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE.
Présidence de M. HozaNDRE vice-président.
La séance est ouverte à sept heures.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
La section recoit les communications suivantes :
4° De la part de M. de Mey, quatre insectes de Cayenne
avec les figures et les descriptions de plusieurs autres.
Elle charge M. Lasaulce de lui fare un rapport sur ce
travail.
90 De la part de M. Steininger , une lettre dans laquelle
à l'occasion de la vingtième question, il en pose quel-
ques autres que la section regrette de n'avoir pas connues
plus tôt. Il désire voir exécuter le nivellement barômé-
trique des pays entre les Ardennes et la Champagne.
M. Buvignier qui a commencé avec M. Sauvage, ingé-
nieur des mines à Mézières , la carte géologique du dé-
partement des Ardennes , annonce qu'ils se proposent
d'exécuter ce travail sans lequel il leur serait impossible
de coordonne: leurs observations. La section émet le vœu
que ce travail soit aussi exécuté dans les autres départe-
mens, compris dans les limites fixées par M. Steiminger.
L'ordre du jour estla lecture du mémoire de M. Schmitt.
Ce mémoire étant très-long, M. Victor Simon propose
d'en faire une analyse , dont voici le contenu :
Le mémoire M. Schmitt, curé à Dilling, est intitulé Études Géo-
gnostiques sur le Litermont, montagne située prés de Sarrelouis.
C'est à partir de ce lieu que commencent les poinis porphyriques
qui s'étendent jusqu'au Rhin, en passant par Birkenfeld. Cette localité
offre dans un espace étroit l’histoire des roches porphyriques. Cette
montagne est entourée d'une plaine qui s'élève d'environ 174 pieds
au-dessus de la vallée de la Sarre , près Dilling, et s'étend de deux
70 PREMIÈRE SECTION.
lieues en tous sens. L'auteur entre dans des considérations ue les
alluvions anciennes et actuelles de cette contrée, et sur les roches
composant la plaine ; qui sont: le grès bigarré, le grès rouge et le
terrain houiller, etc.
Le point le plus élevé du Litermont observé barométriquement
par M. Schmitt, s'élève à 565 pieds de France au-dessus du niveau
de la plaine, et de 726 pieds au-dessus du sol du presbytère de
Dilling; cette maison étant à 37 pieds au-dessus du niveau de la
mer, la pointe du Litermont se trouve être située à 1263 pieds
au-dessus du niveau de la mer.
Le sommet et le versant nord-est de cette montagne sont recou—
verts de débris incohérens de roches quarzeuses modifiées de difé-
rentes manières; ces masses quarzeuses se montrent sur plusieurs
points. La masse de la montagne est de porphyre, que l’auteur
a vu avec et sans mica, à l’état de brèche, avec ciment porphyrique,
ctavec ciment de dolomie, enfin à l’état de tuf porphyrique.
Il décrit ces roches avec détails. On y trouve des grenats dont les
axes n'excèdent pas deux millimètres de diamètre.
Passant ensuite aux roches siliceuses qui existent sur cette mon—
tagne , il les regarde cemme plus intéressantes que le porphyre. Elles
se présentent à un état approchant du jaspe, tantôt leur aspect est
mat, tantôt il est granulaire, la couleur de la masse est blanche,
avec un faible mélange de couleur jaune de soufre à divers degrés;
elle passe au gris, au brun , au rougeâtre et au rouge. Si l’on s'éloigne
de la cime du Litermont, ces roches se montrent mélangées de
cailloux plus ou moins fondus ou plus ou moins engagés dans Ja
roche. On voit que ceux-ci ont subi aussi une altération dans leurs
couleurs et dans leur pâte.
Ces amas de masses quarzeuses ont sur les pentes une puissance de
6 à 10 mètres, mais elle est plus grande au sommet. L'auteur décrit
ensuite une plus grande couche de dolomie qui perce à travers
les brèches porphyri riques dans une direction du nord-est au sud-ouest.
Sa cassure a un éclat soyeux et blanc, avec une nuance pourprée
ou jaune plus ou moins foncée, inégale et esquilleuse. Les fentes et
les parois de ces roches renferment des stalactites d’arragonite, de
la baryte, des traces de carbonate de cuivre et de mélaconise. La
dolomie est exploitée pour en faire une chaux hydraulique. Passant
aux exploitations minérales; suivant l'auteur , le métal est contenu
dans des masses pures de dolomie, et dans la masse du porphyre
on trouve dispersés des grains et des petites feuilles d'une mine de
PREMIÈRE SECTION. 74
cuivre noire, verte et rouge , des veines minces de chalcosine et des
chalcopyrites. On a travaillé aux mines de cette localité depuis 1720.
Elle furent exploitées par une société francaise daps laquelle se trouvait,
comme secrétaire en 1787, celui qui plus tard fut le maréchal Ney.
En 4890 la société des forges de Dilling reprit les travaux abandonnés,
mais elle n’obtint point de résultats. La même société tenta, égale-
ment sans succès, d’exploiter le terrain houiller qui se montre près
de cette montagne.
M. Schmitt décrit ensuite des roches de trappite existant dans
les environs de Dippenweiler.
Elles se montrent à un état argileux et à un état de trappite
solide , celle-ci contient des petits feuillets de dolomie, d’un rouge
foncé, et beaucoup d'orthose tendre et blanc. Le grès bigarré existe
dans ces localités, et à sa limite on voit une masse trés-fine de
jaspe luisant aux bords, d’un aspect gras, rouge , d'une cassure con-
choïdale et! esquilleuse, renfermant des brèches de trappite. Ce jaspe
est tantôt vert tantôt blanc et transparent comme de la chalcédoine
pure.
Le trappite se montre aussi dans le grès bigarré, près de la ferme
de Wiltscheid , les jaspes dont il vient d'être parlé, reparaissent près
de cette même ferme.
M. Schmitt après avoir décrit les différentes roches que renferme
le Litermont , déduit les conséquences dérivant de la nature des
lieux.
Selon lui le porphyre réduit en fragmens , les modifications que
les argiles ont subies à la limite des porphyres , les brèches porphy-
riques, la présence du trappite qui, du côté de l’est, est réduit à
l'état de brèche , et le grès passé à l’état de jaspe, attestent l’action
de la chaleur.
« Les autres preuves de l’origine du porphyre et du trappite,
c'est-à-dire leur formation en colonnes, le changement du porphyre
en trappiteet la transition des deux en roches amygdaloïdes ; enfin
un percement des roches environnantes ne se présentent pas ici.
Le manque de stratification et l'apparition des grenats dans le por-
phyre sont aussi des signes, mais non suffisans par eux-mêmes.
V VO VO YV V
> Le soulévement de la montagne est annoncé par son isolement,
» par la forme en coin dle sa hauteur principale et par ses deux
R
-> cônes.
L'auteur s'attache à déduire des preuves d'un soulèvement de
l'examen des faits que présentent les localités , tels que des pentes
72 PREMIÈRE SECTION.
abruptes , la modification de roches demeurées intactes sur d’autres
points de la montagne , mais soulevées , les courbures que le terrain
houiller et le grès bigarré présentent en se rapprochant du Litermont.
Suivant M. Schmitt le soulèvement eut lieu après la formation du
terrain houiller, car celui-ci forme les deux cônes de cette montagne
et se redresse devant elle.
Passant à l'examen du porphyre, l’auteur fait connaître que cette
roche ayant dû se méler à sa surface avec de la silice, il a par ce
fait acquis une plus grande dureté , et a pris les couleurs grisätres
ou rouges, l’orthose etle mica ne s’en sont plus séparés. Les schistes
du terrain houiller ont été également altérés dans le voisinage du
porphyre : le schiste est comme demi-fondu , les couleurs
brunes deviennent plus claires ou se changent en bleu , et les
pierres argileuses ont à leur surface l'apparence d’une écorce quar-
zeuse. Le porphyre en contact avec le grès bigarré est altéré comme
quand il est en contact avec les conglomérats siliceux , le grès de
son côté se trouve être plus dur. Si on ne voit pas le porphyre
engagé dans le terrain houiller ou dans les conglomérats siliceux ,
on a du moins observé un écoulement du ne sur ce dernier
terrain , dans les mines; car on y a percé verticalement le porphyre
jusqu'au quarz.
Après l’éruption de la masse de porphyre qui constitue le Liter-
mont, M. Schmitt pense qu'il survint une nouvelle catastrophe pos-
térieure au refroidissement du porphyre, occupant la côte principale
et le haut mamelon. Il s'opéra un nouveau mouvement ; trois fentes
parallèles entr’elles et parallèles à la côte principale s’ouvrirent ; la
masse du porphyre fut brisée en petites parties, et au même moment
une nouvelle masse sortit de l’intérieur de la terre , remplit les fentes ,
enveloppa les fragmens de roches et en forma les brèches : ces débris
ainsi enveloppés perdirent leur couleur sans cependant entrer en fu—
sion, et conseryérent leurs arêtes.
La masse porphyrique de la fente du côté nord-est a tout-à-fait
la nature du porphyre; mais aux autres endroits elle est altérée et
seulement reconnaissable par ses transitions. Lé fer ‘et la chaux y
jouèrent un grand rôle, tantôt l’oxide du fer domina et y forma
l'hématite avec des cristaux d’oxide de fer dans ses cavités, et avec
des nœuds de dolomie cristallisés dans son intérieur ; tantôt la chaux
et le fer restèrent unis et produisirent de la dolomie ferrugineuse.
On peut présumer que vers le centre de la montagne était le centre
de l’action ; le porphyre y était brisé en grains arrondis; c'est aussi
PREMIÈRE SECTION. 73
là qu'on rencontre les grains de quarz ainsi que les métaux et les
autres produits dont il a été parlé.
Sur la côte de la carrière de chaux, la masse dolomitique rencon-
tra sur ses bords les couches de grès et d'argile du terrain houïller ;
le grès fut frité ct en partie cassé en coins ou en grains. La dolomie
servit à ceux-ci de ciment, en forma un grès dolomitique dont les druses
purent facilement se remplir de cristaux de dolomie ; et ce grès lui-même
se perdit insensiblement dans l’autre grès ; l'argile devint plus dure.
L'auteur examine ensuite à quelle époque a dü avoir lieu le soulé
vement de la montagne. Il est hors de doute qu'il y avait du grès bi
garré lorsque se formérent letrappite dans la profondeur et le por-
phyre dans les hauteurs, puisqu'il fut modifié par ces roches. Mais
il est aussi constant que dans la contrée dont il s’agit, il se trou-
vait des roches de trappite non-seulement avant la formation du grès
bigarré, mais encore avant celle du grès rouge; car le grés bigarré
contient des débris roulés de trappites, et le grès rouge est en des-
cendant la Brême de Schwarzenbach à Aussen, pénétré de trappite
en couches, et en contient en outre des débris roulés. Près de Barden-—
bach, « du trappite brisé et ramolli forme la plus grande partie du
» ciment de ce conglomérat; mais ni dans les conglomérats de Nal-
> bach, ni dans le grès bigarré qui entoure le Litermont, on n'a-
» perçoit de traces de ces formations. » Ce qui rend vraisemblable
que la montagne fut soulevée lors de la formation du grès bigarré,
c'est qu'on voit sur les rives du ruisseau de Siesbach, le grés bigarré
horizontal , tandis que le terrain houiller est au contraire incliné d'une
manière abrupte. M. Schmitt fait observer que malgré la vive cha-
leur qui a du être développée lors de la formation des trappites ,
des porphyres et de la dolomie , on ne remarque point de boursou—
flures et que cette circonstance paraît être favorable à l'opinion des
géologues qui pensent que ces roches ont dû être formées sous l’eau.
L'auteur se demande de quelle manière ce souléyement a dû so
pérer; « il pense que la montagne dut se soulever verticalement
> tout-à-coup avec la plus grande vitesse, sans que ce soulèvement
> fut accompagné d'une catastrophe remarquable sur les contrées en-
> vironnantes, » Il donne pour motif qu'à Nalbach le grès rouge est
resté immobile; « qu'il en est de méme du grés bigarré de Nalbach
» à Dilling et à Duppenweiler, du terrain houiller de Siesbach à
» Bupperich et du grès bigarré aux sources du ruisseau de Buppe-
> rich. La marche verticale de la force entière explique selon lui,
> la formation des cônes. »
10
74 PREMIÈRE SECTION.
€ La plaine actuelle était-elle déjà placée sur le terrain, lorsque la
» montagne fut formée? fut-elle couverte de grès bigarré? Le Li-
> termont lui-même en fut-il couvert ? » telles sont les questions que
M. Schmitt essaie de résoudre ainsi qu'il suit: La plaine existait
déjà et ne fut pas le résultat d’un torrent diluvien. Quant à la der—
nière question, il est constant que l’on trouve du grés bigarré sur
les hauteurs du Litermont; on en voit encore sur le plateau
au-dessus des mines abandonnées comme s'ils étaient les derniers
restes durs et noueux de ces roches emportées par les eaux. A côté
du point le plus élevé, ily a une couche de grès bigarré à 560 pieds
au-dessus de la Sarre , on pourrait admettre que celui-ci a été sou—
leyé avec la montagne ; cela paraît constant, vu que plus on approche
du sommet, plus le grès est changé et frité.
On ne pourrait prétendre que le grès bigarré a couvert la plaine
devant le Litermont , à la hauteur du Limberg élevé de 511 pieds
au-dessus de la Sarre, et sur lequel le grès bigarré existe : il se pour-
rait toutefois que cette plaine eùt été couverte par une couche de grès
tendre alors comme ioutes celles du voisinage, qu'elle eût pu être
détruite. facilement et qu’elle eùt formé les collines de‘sables et de
cailloux d’alluvions que l’on voit près de Dilling; d’autant plus que
la couche située au N. E. du Litermont, qui se trouve plus éleyée
et non dans la direction du torrent, demeure intacte.
Passant à la période actuelle, M. Schmitt pense que le refroidis—
sement et les pluies durent contribuer à donner au Litermont une
surface inégale.
L'eau qui se précipite par les fentes, a dù notamment en opérant
la décomposition des matières minérales que contient cette montagne,
aider à l’altération du porphyre; c’est peut-être le mouf pour lequel
on le voit si altéré près de la mine; c’est l’eau qui forme l’arrago-
nite dans les carrières’ à chaux.
C'est l’eau qui, par les dissolutions et les alluvions qu’elle opère,
forme le sol, en général trés-léger, sec et stérile , qui couvre la plus
grande partie de la montagne.
L'eau filtre à travers les fentes jusqu'à ce qu'ellé rencontre des
roches massives, et forme une grande quantité de sources qui décou-
lent de la montagne et surtout près de l'emplacement des mines,
où la vallée est la plus profonde.
Examinant ensuite quelles sont les productions de la mon-
tagne , dont quelques points sont cultivés et une partie est boisée ;
M. Schmitt fait connaître que les forêts offrent peu de plantes. « Les
PREMIÈRE SECTION. 75
convallaria , l'atropa belladona , les digitales lütea et purpurea , et
dans les fossés profonds la Zsimachia nemorum, la balsamina noli
me tangere, sont tout ce que leur flore offre de remarquable.
Avant la révolution, la partie antérieure de la montagne était cou-
verte d’une belle forét, au milieu d'elle s'élevait, dans des temps
très-anciens , placé sur la crête des rochers et entouré d’un iriple
fossé, le château du Litermont. On n’a aucune trace historique de
la famille qui l'habitait, et seulement quelques rares débris de sa
demeure , et quelques traditions pieuses et merveilleuses en conser-
vent le souvenir. Quand on a sayouré pendant toute une journée
au milieu de l’air pur de la montagne, les charmes et la sr
de la nature , le pâtre ajoute, vers le soir , au plaisir qu'on éprouve,
par le récit enfantin de ces, merveilles. »
Tel est, messieurs, en résumé, le mémoire de M. Schmitt ; ce simple
apercu suffira peut-être pour apprécier l'importance du sujet et le talent
de son auteur. Mais de tels travaux souffrent difficilement l'analyse ; ils
ont besoin qu'on les lise avec tous leurs développemens. Puissé-je
ne pas avoir trop aflaibli ce travail dont l'original contient vingt-un
VV VYVYEVY VU V VY ÿ
feuillets in-folio , accompagnés d’une carte ; puisséje par ce court ex-
4 1 EJ ! ’ Q ,
posé, appeler l'attention des géologues sur la contrée intéressante que
M. Schmitt a si bien décrite, et que j'ai déjà visitée plusieurs fois
> GLEN À p
avec un intérêt toujours croissant.
M. Puton à la parole sur les huitième et neuvième ques-
tons du programme. Ces questions traitent des modifica-
tions éprouvées par certaines roches.
La section vote l'impression du mémoire de M. Puton,
qui content des faits trop nombreux pour qu'il soit pos-
sible de les citer ici. Après cette lecture M. Hogard rap-
pelle qu'il est le premier qui ait rapporté au grès rouge
les roches argileuses du Valdajoz. H rappelle aussi ce qu'il
a dit à une des séances précédentes sur les filons de quarz
d'Hérival. M. Puton dans son mémoire ayant attribué les
différences de structure que l’on remarquait dans cer-
laines roches à des modifications causées par la chaleur des
éruptions quarzeuses , euritiques ou POrphyrAqueS » etc. ,
M. Hogard Jui demande comment il se fait qu'en supposant
76 PREMIÈRE SECTION.
à tous ces filons une origine ignée, ils aient modifié les
roches qui se trouvaient à une certaine distance, tandis
que celles avec lesquelles ils sont immédiatement en con-
tact n’ont subi aucun changement. Il demande encore
comment , près de Plombières, trois ou quatre filons de
quarz et un filon de chaux fluatée ne formant pas en-
semble une puissance de 2 mètres auraient pu décom-
poser une masse granitique qui s'étend sur une longueur
de plus de 2 myriamètres.
M. Hogard cite quelques circonstances où des roches
ont été modifiées par des épanchemens; ainsi des eurites
sont imprégnés de calcaire au contact de roches de cette
nature, et des calcaires de transition sont changés en dolo-
mie au contact des eurites. Mais 1l pense que ces faits ne
sont pas assez nombreux, et présentent entre eux de trop
grandes différences pour qu'on puisse chercher à les ex-
pliquer par des théories générales.
M. Malherbe Lit sur la vingt-troisième question du pro-
gramme, un mémoire dans lequel il établit que dans
l'espèce du Jaseur d'Europe (Bombyciphora ou Bom-
bycilla garrula), les deux sexes, lorsqu'ils sont com-
plètement adultes (vers l’âge de trois ans), portent à
l'extrémité des pennes caudales un appendice vermillon ;
mais ces appendices parviennent à un plus grand dé-
veloppement dans le mâle; que la femelle adulte n’a
pas de bande blanchâtre transversale sur les aîles et que
le bord extérieur des pennes des aîles est d’un blanc
jaunâtre chez celle-ci, tandis qu'il est d’un jaune vif chez
les mâles.
M. de Selys-Lonchamps, dans une note sur le même
sujet, dit qu'il n'a pas eu occasion de vérifier la pre-
mière partie de la question ; mais il regarde comme bien
certain que les bandes jaunes à l'extérieur, et d'un blanc
PREMIÈRE SECTION. 77
jaunâtre sur les autres parties qui bordent les pennes des
ailes sont particulières aux mâles adultes.
La séance est levée à dix heures.
SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE. ,
Présidence de M. Hozanre, vice-président.
x
La séance est ouverte à sept heures du matin.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu et
adopté.
L'ordre du jour annonce le rapport de la commission
sur le travail de M. de Selys-Longchamps , relatif aux oi-
seaux de l’ordre des passereaux.
La parole est à M. Holandre , rapporteur :
M. de Selys-Longchamps a embrassé dans son travail toute l'orni-
thologie des Passereaux tant indigènes qu’exotiques, et pour donner
une idée des genres dont il a cru devoir composer la section des
ténurostres , il présente un tableau dans lequel il indique la distri-
bution qu'il a adoptée pour l’ordre entier des passereaux.
Dans ce tableau, l'auteur divise l’ordre des passereaux en six sections,
‘savoir :
Les Fissirostres,
Les Dépressirostres,
Les Compressirostr'es ,
Les Corurostres,
Les Subulirostr'es,
Les Ténuirostres.
La premiére section , ou les Fissérostres, que M. de Selys-Longchamps
divise en deux familles , les Caprimulguées et les Hirundinées , covres-
pond à la famille des fissirostres de’Cuvier ; formée par ce «dernier,
de deux grands genres principaux, les Hirondelles et les Engouleyens.
78 PREMIÈRE SECTION.
La deuxième section, ou Dépresstrostres , comprend quatre familles ,
savoir : les Ampélidées, les Coronidées, les Muscicapidées , les Édolidées.
Dans la première de ces familles, il place le Jaseur d'Europe; dans
la troisième , le genre Gobe-Mouche ; les autres familles ne se com-—
posent que de genres exotiques.
La troisième section, ou les Compressirostres, est formée de six
familles : les Leptotéridées, les Laniadées , les Corvidées, les Paradi-
seidées, les Graculidées et les Glaucopidées.
Le genre européen Piegrièche, se trouve dans la deuxième famille ;
les Geais , les Corbeaux, les Cassenoix, le Choquart , dans la troisième ;
le Loriot, le Martin, les Rolliers, dans la cinquième famille.
La quatrième section, ou les Comtrostres, se compose de cinq fa-—
milles , les Buphagidées , les Tanagridées, les Sturnidées, les Fringilli-
dées et les Ælaudidées.
Dans la troisième famille , se trouvent les genres européens, Étour-
neau; dans la quatrième les genres Tarin, Fringille, Gros-Bec, Bec
Croisé et Bruant, la cinquième famille est caractérisée par le genre
Alouette.
La cinquième section, les Subulirostres, ne compte que deux
familles , les SyZviadées et les Paridées. Dans la première , on trouve
les genres d'Europe Farlouse, Hoche-Queue , Traquet, Cincle, Troglo-
dyte , Grive ou Merle, Accenteur , Fauvette , Hypolais et Roitelet. A
la deuxième famille , appartient le genre Mésange.
La sixième section, les Témwrostres, celle que l’auteur a voulu
particuliérement décrire, se compose de dix familles, savoir : les
Sitidées, les Synallaxidées, les Certhiadées, les Climactéridées , les
Nectariadées , les Trochilidées, les Cynniridées, les Proméropidées ,
les Épopsidées et enfin les Melliphagidées.
Dans la première famille, on remarque le genre Sittelle; dans la
troisième , le genre Grimpereau ; dans la quatrième , le genre Ticho-
drome, et la neuvième famille , le genre Huppe. Toutes les autres
familles que nous n'avons point signalées ne renferment que des oiseaux
étrangers à l'Europe.
On remarque que toujours, pour la désignation de ses familles ,
l’auteur a pris le nom latin d’un genre qu’il en considère comme le
type , avec une légère modification dans la terminaison , comme cela
a lieu dans les méthodes naturelles admises en botanique.
En examinant le travail spécial que l’auteur a fait sur cette sixième
section ; les Ténuirostres, on voit qu'ila pris pour caractères géné—
raux propres à établir ses coupes ou familles: 1° les formes et les
PREMIÈRE SECTION. | 79
dimensions de la langue ; 2° la forme du bec; 3° la forme des plumes
de la queue.
Ainsi que l’auteur l’a senti lui-même, et dans l'état actuel de la
science , la forme de la langue n'offre pas un caractère généralement
applicable , puisque cet organe est encore peu connu dans un grand
nombre d'oiseaux exotiques , et il a cru pouvoir y suppléer par des
analogies de formes avec des oiseaux chez lesquels cet organe. était
bien connu.
M. de Selys-Longchamps, contrairement aux idées admises par
la plupart des ornithologistes, ne considère les caractères du bec que
comme secondaires et néglige tout-à-fait ceux que ces mêmes auteurs
ont tiré de la forme des pieds. Quant aux caractères tirés de la
queue , il n’en fait usage que pour ses deux premières coupes, qui
renferment des oiseaux à queue usée ou non usée, d’après les idées
de l’auteur. La commission ne pense pas que la dénomination donnée
à ce caractère soit convenable , attendu que la forme pointue ou
ébarbée des plumes de la queue de quelques-uns de ces oiseaux ;ne
provient pas de l'usure des barbes, mais qu'elles sont bien leurs
formes naturelles ; en effet, on remarque qu'immédiatement aprés la
mue ou dans le jeune âge, les plumes ont toujours la même forme
que celles qu'on remarque plus tard.
La commission croit devoir un tribut d'éloges aux savantes re-
cherches et au travail consciencieux dont l'auteur a fait preuve dans
ce mémoire remarquable; néanmoins elle craint qu'il n'y ait plus
d’inconvéniens que d'avantages à créer une méthode qui détruirait
en partie celles qui sont généralement admises et qui ont tant servi
à populariser la science,
M. le colonel Bouchotte à la parole sur la dix-huitième
question du programme.
18° Quelle peut étre l'influence du sujet porteur de
la greffe sur les fruits de celle-ci > Considérés comme
semences, et quelles modifications peut-on espérer ob-
tenir au moyen de la greffe pour les fruits des nouveaux
sujets provenus de ces semences ?
Si cette influence est bien reconnue > ne peut-on pas
espérer de produire, par des croisemens bien calculés
80 PREMIÈRE SECTION.
de sujets obtenus , d’autres variétés participant des qua-
lités de ces nouveaux sujets et de celles des arbres sur
lesquels on les aurait greffés, ou dont on leur aurait
imposé des greffes, et ne pourrait-on pas arriver ainsi
à obtenir presqu'avec certitude des fruits qui auraient
des qualités désirées ?
Le mélange du pollen des fleurs peut produire ces
effets avec plus de promptitude ; mais il y a des arbres
qui ne fleurissent pas en méme temps que ceux avec
lesquels on voudrait les combiner, et alors l'autre pro-
cédé en donnerait le moyen.
L'on recomnait depuis long-temps , dit M. Bouchotte, l'influence du
sujet sur la greffe qu'il porte et même sur les fruits de cette greffe ;
ainsi, certains arbres poussent plus vigoureusement lorsqu'ils sont greflés
que sur leurs propres racines , par exemple le cytise noirâtre greflé
sur le cytise des Alpes, l’érable jaspé de Pensylvanie greflé sur l’érable
sycomore ; le jasmin d'Espagne greflé sur le jasmin blanc commun, etc.
Le robinia inermis greflé sur le pseudo-acacia ne donne pas de fleurs
ou n’en donne que rarement (je ne l'ai jamais vu fleurir), le robinia
hispida (acacia rose) greffé sur le même robinia ou faux acacia com—
mun , fleurit très-bien mais il ne fructifie jamais, etc.
Les fruits éprouvent aussi des modifications par l'effet de l'influence
du sujet sur la greffe: l’on est parvenu ainsi à obtenir des bons-
chrétiens sans pierres.
Tous ces effets ont bien été remarqués, mais il ne paraît pas
qu'on se soit occupé de tirer parti de l’influence des sujets sur les
semences produites par les greffes pour en obtenir de nouveaux sujets
participant des qualités des sujets et des grefles.
Quelques exemples m'ont prouvé que l'on peut paryenir à ce ré-
sultat, du moins dans certaines espèces; ainsi un chincapin ou chä-
taignier nain d'Amérique (castanea pumila) greffé sur un châtaignier
commun , m'a donné par le semis de ses fruits très-petits, solitaires
et sphériques, des sujets qui ont produit des fruits d’un volume trois
à quatre fois aussi considérable, affectant les uns la forme sphérique
et solitaires dans leur enveloppe comme les marrons du chincapin,
les autres au nombre de trois dans l'enveloppe ayant la forme et
la disposition des châtaignes, c’est-à-dire applatis d'un côté et celui
PREMIÈRE SECTION. 81
du centre des deux côtés. La maturité de ces fruits a jeu lieu à
une époque intermédiaire entre celle des marrons de chincapin et
celle des châtaignes qui mürissent vingt jours plus tard.
Les nouveaux sujets poussent avec plus de vigueur et s'élèvent
plus que les chincapins; ils commencent à donner du fruit à cinq
ou six.ans, lorsqu'ils ont six à sept pieds de hauteur, j'en ai eu
qui ont atteint onze pieds à huit ans. Leurs produits et leurs di-
mensions paraissent devoir être intermédiaires entre le châtaignier
nain et le grand châtaignier , je propose de le nommer castanea media,
et en français marronétier, du nom de son fruit marronet (petit marron),
car l’on remarquera que le fruit est amélioré par l'influence du
chincapin dont le fruit est très-sucré. J’élève des sujets provenant
d'un semis de ces marronets; en les greffant de nouveau sur des
châtaigniers l’on obtiendra vraisemblablement, du semis de leurs fruits,
des variétés plus élevées , que les marronétiers de première génération.
Les faînes d’un hêtre pourpre greffé sur hêtre vert ont produit,
par le semis, des sujets de différentes teintes depuis ile pourpre
jusqu'au vert. Ainsi l'influence du sujet n'agit pas d'une maniére ré-
gulière.
Un ancien jardinier de la pépinière royale, M. Chevreux, m'a
assuré qu'ayant semé des graines d'érable jaspé de Pensylyanie , greffé
sur érable sycomore, il n’avait obtenu que des érables sycomores.
Je n'ai pas été à portée de vérifier ce fait. Je vais citer un résultat
tout opposé: j'ai semé des graines d'un cytise noirâtre greflé sur
un cytise des Alpes, les sujets obtenus semblent n'avoir éprouvé
aucune influence du cytise des Alpes; ils forment des buissons à
tiges grèles et traînantes.
Je pourrais multiplier mes citations mais je me bornerai à celles
que j'ai faites; elles me paraïssent suffisantes pour établir 4° que la
sève des sujets a en général de l'influence sur les fruits des greffes
qui leur sont imposées.
2° Que cette influence est plus ou moins grande suivant les espèces,
et qu'elle peut même étre nulle dans certaines espéces.
Ceci doit étre un sujet d'observations et d'expériences de longue
durée auxquelles j'invite des hommes plus jeunes que moi à se
livrer.
3° Que dans les espèces où cette influence sera reconnue, l’on
peut espérer par des croisemens bien calculés et repétés sur plu-
sieurs générations successives, donner à des fruits des qualités dont
on désire les doter, et arriver ainsi à la longue à former des arbres
II
82 PREMIÈRE SECTION.
ayant les qualités voulues, comme les anglais à force de patience
sont parvenus par des croisemens bien calculés à former des races
de chevaux, de bœufs, de moutons et de coqs, ayant les qualités
qu'ils leur souhaitaient.
Ainsi, pour donner un exemple d'application du système , en sup-
posañt que ce qui a lieu pour les châtaigniers ait lieu pour les poiriers ,
on pourrait relever le goût d’une poire grosse et fondante , manquant
de parfum , en l'alliant par la greffe à l’excéllente poire de rousselet
qui est très-petite, les sujets provenant du semis des pepins de cette
greffe pourraient donner une poire fondante parfumée, tenant pour
la grosseur le milieu entre les deux poires citées.
Si cette application pouvait se faire aux rosiers, l'on pourrait,
pour obtenir de nouvelles variétés , faire entrer dans les combinaisons ,
des rosiers à fleurs très-pleines et par conséquent stériles , telles que
la grosse rose jaune , et beaucoup d’autres en les prenant pour sujets
et leur imposant des greffes dont les semences donneraient des variétés.
Pour opérer sur les arbres fruitiers il faudrait commencer par
obtenir francs de pied, au moyen de boutures ou de marcottes , des
sujets de ltoutes nos meilleures espèces dont on voudrait employer
l'influence à améliorer les autres ou à leur donner certaine qualité
ou certain parfum.
Mon âge ne me permettant plus de me livrer à une série d’ex-
périences d’aussi longue haleine , avec un espoir fondé de les mener
à fin, je livre au public mes Les et lc commencement d’expériences
qui me les a données: j'espère que quelque jardinier ou amateur
jeune et intelligent s'en emparera et continuera les expériences
commencées : je crois en avoir dit assez pour faire comprendre le
système que je me proposais de suivre, si je puis en voir résulter
quelques produits nouveaux d'utilité ou d'agrément, je me féliciterai
d'avoir fait cette communication.
L'ordre du jour appelle la seizième question sur les
peupliers nommés à Metz, peuplier du Canada et peuplier
de Virginie. Il résulte de la discussion qui a lieu sur cette
question que l’on ne possède de l’une de ces deux espèces,
que des individus mâles , et de l’autre que des individus
femelles. On ne peut décider s'ils appartiennent à une seule
espèce ou à deux espèces distinctes. Il paraît que le mâle
PREMIÈRE SECTION. 85
est celui qui a reçu dans l’origine le nom de peuplier Suisse
ou peuplier de Virgmie (populus virginiana, Desf.),
tandis que la femelle serait le peuplier du Canada ( populus
monilifera, Aiton).Mais, depuis vingt à trente ans, les pé-
piniéristes de Metz ont changé les dénominations récipro-
ques de ces deux espèces. Il serait important d'étudier
la question dans les lieux où ces arbres croissent spontané-
ment, et d'en faire venir des mdividus mâles et femelles
des deux espèces, s’il y en a deux.
M. l'abbé Maréchal a la parole sur les questions du
programme qui se rapportent aux basilics et aux serpens
volans de la bible.
Il pense que le basilic de l'écriture est un ophidien ,
et probablement la vipère céraste. Quant aux serpens vo-
lans on peut, dit-il, former sur eux trois conjectures,
1° que le mot hébreu qui é traduit par serpent vo-
lant, pourrait designer un séfpent qui s'élance avec vé-
locité.
2° Que leur espèce peut avoir été détruite comme plu-
sieurs espèces qui ont disparu récemment de la surface
du globe.
3° Que les accroissemens de population les auront fait
émigrer dans des contrées peu connues.
M. Simon lit un rapport sur l’excursion faite à Gorze
par trois sections du Congrès. Ce rapport doit être lu en
séance générale.
M. Hogard donne quelques détails sur des faits qu'il a
observés dans les Vosges depuis la publication de son ou-
vrage, et sur les poissons et autres fossiles du muschel-
kalk , et du grès bigarré. La collection de ces objets peut
se voir au musée d'Épinal. On vote l'insertion de la
note communiquée par M. Hogard.
M. l'abbé Tihay présente une traduction du poème
84 PREMIÈRE SECTION.
d’Ausone, sur la Moselle. Il est invité à lire le passage
relatif aux poissons de la Moselle.
D’après les recommandations qui lui ont été faites par
M. Mougeot, lors de son départ, M. Buvignier demande
que la société forme pour les mollusques de la Lorraine
et de l'Alsace, et en général, pour toutes les branches
de l'histoire naturelle de ces deux anciennes provinces,
un vœu analogue à celui qu’elle a fait pour la botanique.
Cette proposition est adoptée.
La séance est levée à dix heures.
SÉANCE DU VENDREDI 45 SEPTEMBRE.
Présidence de M. | vice-président.
La séance est ouverte à sept heures du matin.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté.
M. Bouchotte demande à ajouter quelques observations
à ce qu'il a dit hier sur les châtaigniers. Il dit que cet
arbre, qui ne vient pas dans les terrains calcaires, peut
cependant y être cultivé en le greffant sur le chêne; il en
cite plusieurs exemples chez lui et chez M. Gabriel Si-
mon , il pense qu'il serait convenable d'opérer cette greffe
plutôt sur le chêne à glands doux d'Amérique, que sur le
chêne commun, qui pourrait, peut-être, communiquer
à la châtaigne une partie de l’âcreté des glands.
L'ordre du jour est un rapport de M. Lasaulce sur les
insectes nouveaux offerts au Congrès par M. de Mey.
Les insectes décrits dans cette notice offrent à la science,
outre l'mtérêt qui s'attache à la nouveauté et à la décou-
verte, celui qui peut présenter de très-belles espèces dans
PREMIÈRE SECTION. 85
des genres déjà curieux, par leurs espèces les plus com-
munes.
Parmi celles-ci, nous citerons le Brachinus melanop-
terus, le Brachinus Rivieri, le Lampyris Guianensis ,
la Gelocephala rufo-nigra, la Doryphora testudo, la
Galeruca subvittata, la Cassida metallica et Cassida
chelidonaria, VErotilus Guerint, Erotylus Debau-
sei, etc., tous insectes de la Guyane, et rapportés de
cette contrée par M. Adam de Bauve.
Il serait à désirer que la description de ces nouvelles
et intéressantes espèces püût être insérée dans le compte
rendu des travaux du Congrès, où l'on en trouvera , sans
doute, peu de ce genre.
M. de Mey demande que dans le cas où la commission
ne jugerait pas à propos de publier son mémoire, il lui
soit rendu, avec les insectes et les figures qui l’accom-
pagnent, afin qu'il puisse les publier immédiatement.
L'ordre du jour appelle ensuite des communications
sur la géologie des départemens voisins de la Moselle.
x
M. Buvignier donne quelques détails sur la disposition générale des
couches dans les départemens de la Meuse et des Ardennes. Ces
couches , dirigées à peu prés du sud au nord, et s’infléchissant vers
l'ouest à la hauteur de Dun et de Stenay, disparaissent successivement
sous les grés verts, depuis Bar-le-Duc jusqu'à Hirson (Aisne). Il fait
remarquer qu'il existe dans l'argile d'Oxford , deux systèmes d'oolithe
ferrugineuse : il cite les nombreuses fossiles trouvées à Lannoy dans
le système supérieur. Aprés avoir décrit rapidement la formation co—
rallienne , celle de Climmeridge ; il constate la différence remarquable
qui existe entre la lumachelle du calcaire à astarté et la lumachelle à
gryphées virgules. Il cite les nombreux ossemens de sauriens trouvés
dans cette ‘dernière formation. Il indique aussi le Portland-stone, les
grés verts et Jes diverses alluvions de ces départemens. Il insiste sur—
tout sur un fait, qui avait paru difficile à expliquer : on trouve dans
la vallée de la Meuse des alluvions à galets roulés , identiques avec
les roches de plusieurs localités des Vosges; mais ces localités sont
86 PREMIERE SECTION.
éloignées des bords de la Meuse, et se trouvent presque toutes sur les
rives de la Moselle. M. le docteur Denys, de Commercy, a constaté
que ces galets ne se rencontraient pas dans la vallée de la Meuse ,
au-dessus de Pagny, et que, de là, ils suivaient le col qui existe
entre Pagny et Toul, où ils rejoignaient la Moselle, celle-ci aurait donc
été, avant l’époque actuelle, un des affluens de la Meuse,
M. Chevereaux a la parole sur les puits artésiens. Après
quelques considérations générales, il donne des détails
sur les puits forés de la Touraine et sur ceux de la Nor-
mandie. Il cite ceux de Tours, de Rouen et d’Elbeuf,
qui ont été couronnés d’un plein succès. Un autre, com-
mencé dans les environs d'Evreux , qui a déjà 825 pieds,
mais qui se continue dans la craie sableuse verte qui ali-
mente le puits d'Elbeuf, ce qui dônne l'espoir de réussir.
Tous les puits artésiens qu'il connaît jusqu’à présent,
sont dans les terrains crétacés et tertiaires ; 1l demande
s’il y en a qui aient réussi dans des terrains inférieurs à
ceux-Cl.
M. Lejeune répond qu'il existe des puits artésiens dans le
lias des arrondissemens de Mirecourt et Neufchâteau (Vos-
ges ). Il pense qu’on doit attribuer l'existence de ces puits
à une circonstance , favorable dans ces localités, du relè-
vement en forme dé bassin, de la formation Éd) et,
qu'en général, on devrait être d'autant plus circonspect
dans l’entreprise de cette espèce de puits, que les terrains
sont plus anciens.
M. Reverchon dit que les tentatives faites dans le dé-
partement de la Moselle et dans la Prusse rhénane pour
la recherche du sel et de la houille , ont procuré des eaux
jaillissantes à Téterchen et Klougenhoff, commune de
Faick (Moselle) et au-delà de Sarreguemines, auprès
d’Aurschmacker (Prusse rhénane). Ces eaux se trouvent
au-dessous des formations keupériennes.
PREMIÈRE SECTION. 87
L'ordre du jour est la lecture d’un apercu de M. V. Si-
mon sur la géologie du département de la Moselle; ce
membre s'exprime ainsi qu'il suit :
Messieurs ,
L'examen d’une contrée sous le rapport géologique est un des sujets
les plus intéressans pour un Congrés, soit qu'on l’envisage sous le
rapport agricole ou purement industriel, soit qu'on se place unique-
ment sons le point de vue scientifique.
Le département de la Moselle peut être considéré comme un point
central pour les géologues. On peut observer vers le midi les Vosges ;
à l'ouest, la formation oolithique, les grès verts, la craie et même
les terrains tertiaires; au nord les terrains de transition et vol-
caniques des Ardennes et de l’Eifel. Enfin à l'est le grès bigarré , le grès
vosgien , le terrain houiller et d’autres terrains abnornes , tels que des
porphyres , des amphibolites , des trapps et des spilites.
Jetons maintenant nos regards sur le département de la Moselle.
A l'extrémité, ouest, de ce département on se trouve placé près
des limites de l’oolithe moyenne. Si on se dirige par le canton de
Gore, l'arrondissement de Briey et une partie de celui de Thionville, ces
contrées présentent les divisions suivantes : le Bradfort-Clay ; la grande
oolithe ; le Fullers-eart, un calcaire gris siliceux à rognonssiliceux , un
calcaire contenant une multitude de polypiers, un calcaire très-bien
caractérisé par le pecten lens; enfin, les fers oolithiques qui sont
exploités sur divers points du département.
Cette formation est bornée par des escarpemens qui dominent la
Moselle, la Seille et les limites du duché de Luxembourg ; vue en
général, elle offre un aspect ondulé. On y remarque surtout, deux
grandes pentes vers la rivière d'Orne, il y existe sur différens points,
des cavités, quelques-unes renferment des masses plus ou moins considé-
rables de fer que l’on exploite ; je citerai notamment celles d'Aumetz
et de Saint-Pancré; dans d’autres, on trouve des fers en grains,
ou bohnertz, dont quelques-uns sont magnétiques.
Ces derniers fers ont été généralement considérés comme apparte-
nant à l'époque du grès vert. Mais j'ai vu à Malancourt du calcaire
oolithique divisé en feuillets courts, parfaitement stratifiés , recouvrir
une cavité remplie de ce fer; il est évident que si ce calcaire eùt
été déposé avant le fer, il aurait rempli cette cavité qui est en
forme de conduit. Si cette sorte de canal souterrain avait été creusé
88 PREMIÈRE SECTION.
postérieurement au calcaire, celui-ci n'aurait pu rester au-dessus
en suspens. Disons donc que ces fers ont été amenés à l'époque du
dépôt de la formation. Des fers semblables ont paru aussi à diverses
autres époques ; ils recouvrent des plaines de lias dans les environs
de Metz; on les trouve mélés aux alluyions de la Seille, qui con-
tiennent des ossemens d’éléphans et de rhinocéros et dans des cavités
profondes exploitées, par puits, dans le muschelkack.
Le sol de la formation oolithique est généralement très-productif.
On y remarque dans quelques vallons des dépôts de tufs calcaires.
L'industrie la plus grande , après l’agriculture , est l'exploitation des
fers. Les calcaires donnent une chaux grasse.
Les divers dépôts que j'ai énumérés sont généralement riches en fos-
siles mais qui sont mal conservés et presque toujours engagés dans une
gangue très-dure. Le Bradfort-clay est le dépôt qui en contient le plus,
et dans lequel on peut s’en procurer le plus facilement.
Cette formation recouvre /e lias qui se divise en grès supraliasique,
marnes grises micacées, conglomérats coquillers , ovoides ferrugineux
avec baryte et zinc dans des marnes. Au-dessous de ces ovoïdes
celles-ci deviennent de plus en plus feuilletées ; vient ensuite le cal-
caire à bélemnites dont la couleur est généralement grise, brune et
bleuâtre ; enfin le calcaire bleu si bien caractérisé par la gryphée
arquée ; occupe la partie inférieure.
Les conglomérats coquillers offrent sénéralemens dé fossiles et
des FRE de coquilles bien conservés et faciles à se procurer. Les
ovoïdes ferrugineux ne sont pas assez riches pour être exploités ; les
argiles sont employées pour les fabriques de tuiles et de poteries,
mais la partie la plus importante est celle inférieure qui procure une
excellente chaux hydraulique. Cette formation existe sur les versans
de la Seille et de la Moselle *
Après le lias vient le grès d’Hettange, connu plus généralement
sous le nom de grès de Luxembourg , ce grès que je regarde comme
trés distinct du grès keupérien est blanc jaunâtre taché de bleu; ses
couches alternent de grès friable et de grès dur, les premières con-
tiennent beaucoup de débris de plantes charbonnées , les autres
contiennent un grand nombre de coquilles fossiles.
Il diffère du grès keupérien par le ciment calcaire qui en lie les
diverses parties, par la dureté de ses couches et par les fossiles
* J'ai décrit d’une manière plus complète les deux formations dont je viens de parler,
dans deux mémoires qui sont imprimés dans les comptes rendus des travaux de l'académie
royale de Metz.
PREMIÈRE SECTION. ‘89
nombreux qu'il présente , tandis que l’autre n’en contient pour ainsi
dire pas; enfin par l'absence ordinaire de mica,
Sa puissance est grande à Luxembourg , où je l'ai. vu placé im
médiatement sous le lias. On l’exploite en grand à Hettange prés
Thionville.
Quelques géologues le regardent comme une dépendance du lias,
d'autres le regardent comme appartenant au grès keupérien : pour
moi il m'a semblé être un dépôt particulier indépendant de l'un et
de l’autre. Je renvoie pour plus de développemens à une notice
qui est insérée dans les mémoires de l'académie royale de Metz.
Vient ensuite le keuper , dont la composition est variée. Ses limites ,
aux yeux de quelques géologues, sont encore incertaines, les uns
veulent donner au lias le grès qui couronne le keuper ; d’autres
veulent le laisser à celui-ci. Cette dernière opinion me paraît ad
missible ; à la vérité la limite n'est pas toujours bien tranchée ;
mais pour quelques localités elle l'est nettement. Sur quelques points
de nos contrées on trouve des marnes rouges et bleues interposées
entre le lias et le grès keupérien. Dans d'autres localités des marnes
à feuillets trés-courts font la transition entre le lias et le keuper.
On y trouve même, m'a-t-on dit, des fossiles du lias inférieur. Enfin
sur- d’autres points on trouve d’abord, à la partie supérieure du
grès, une mince couche composée de sables et de galets siliceux
contenant des ossemens, des dents de poissons, des fragmens de
crustacés et quelquefois d’entroques. De tout ceci on peut , je
crois, conclure que rien ne détruit l'opinion que j'ai avancée, car
la présence de marnes feuilletées entre le grès et le lias avec fos-
siles du lias, laisse, à mon avis , seulement l'opinion que sur quel-
ques points le dépôt du lias commenca immédiatement sur le grés
keupérien par des marnes divisées en feuillets courts et minces À
tandis que sur d’autres points les eaux keupériennes , si je puis
m'exprimer ainsi, continuérent à former des dépôts sur les grès.
Les parties qui composent le keuper sont 1° un grès d'abord fer-
rifère, puis trés-blanc, micacé, dans lequel on remarque quelques
points noirs charbonnés ; 2° un calcaire dolomitique , blanc jaunâtre ;
3° des marnes de couleur bleue, verte, blanche et lie de vin , s'en
trelaçant souvent les unes avec les autres ; 4° ces marnes contiennent
des gypses en veines en conglomérats et en couches ; 3° vient ensuite
un grés terreux brun accompagnant des lignites, et 6° enfin les argiles
salifères et peut-être même les sels en roches. Il est entendu que
les marnes se montrent dans toutes les divisions de la formation.
12
90 PREMIÈRE SECTION.
Les grès sont généralement tendres et ne peuvent pour ce motif être
employés que comme des sables ; le calcaire magnésien sert de pierres
de moelons dans les constructions, les lignites sont employés depuis
peu par des pauvres habitans pour le chauffage ; mais on les emploie
notamment pour en obtenir des produits chimiques dans une fa-
brique établie par M. Dumolard, à Volmunster, près Boulay. Enfin
plusieurs points donnent des eaux salifères tant dans notre dé-
partement que dans celui de la Meurthe. On sait qu'on a exploité
à Vic le sel en roches et qu’on l'extrait maintenant à Dieuze. Cette
formation traverse le département en passant par Saralbe, Puttelange,
Morhange , Courcelles-Chaussy , Draugny ,; Hombourg ;, les environs de
Bouzonville et de Sierck.
L'agriculture de cette formation est productive, toutefois elle l'est
moins que les deux précédentes. Ce terrain ainsi que je l'ai dit est
trés-pauvre en fossiles ; indépendamment de ceux indiqués plus haut
on y remarque des débris de plantes.
Le Muschelkalk que quelques géologues regardent aujourd’hui
comme une des divisions du keuper, vu que sous ce dépôt on trouve
des argiles et des gypses qui ont des rapports avec cette derniére
formation, se dirige comme celle-ci du sud au nord; ce calcaire
est gris de fumée ou jaunâtre , généralement compacte , ses bancs ont
peu d'épaisseur, et jusqu’à présent, à part des rognons siliceux existant
dans les couches inférieures, je n'ai rien remarqué qui püt en ca—
ractériser les divisions. Les bancs sont ordinairement séparés par des
minces couches des marnes terreuses souvent sans consistance. Outre
le calcaire que je viens d'indiquer, ce dépôt en contient deux autres,
l'un gris ou blanchâtre subsaccaroïde , qui dégage au moindre frotte-
ment une odeur très-fétide ; l’autre qui est une brèche à fragmens
calcaires gris ou jaunâtres liés par un ciment calcaire spathique.
Ce terrain renferme du bohnerz ou fér en grains qui a remblayé de
profondes cavités; on en exploite à Berweiler, près Boulay. Quoique
l'on n'ait pas encore trouvé dans notre département tous les fossiles
que ce terrain présente à Lunéville, on peut cependant dire qu'ils
y existent au moins en grande partie, et que c'est à défaut d’ob-
servateurs pour suivre les travaux des carrières que l'on n’a pas obtenu
de plus grands résultats. Cette formation se montre aux environs de
Rorbach, de Sarreguemines , à Tritilng , Brouck prés Boulay, Trom—
born, Nunkirchen et sur les hauteurs de Sierck.
Ce calcaire donne de la chaux grasse, son sol est productif. Les
warnes dont j'ai parlé et qui servent de base au Muschelkalk, pré-
PREMIÈRE SECTION. 91
sentent quelques exploitations de gypse. De pures qu’elles sont, elles
se chargent de plus en plus de grains siliceux, enfin on ‘arrive à
un grés coquiller qui est la partie supérieure du grès bigarré. (Hau-
teur de Vaudrevange). On y retrouve la plupart des fossiles du Mus-
chelkalk.
Le grès bigarré se distingue facilement par ses teintes variées de
blanc et de rouge plus ou moins intenses , il a une grande puissance.
-On y trouve quelques empreintes de plantes, du cuivre, du plomb
et de la baryte, mais en petite quantité.
Des filons de fer le traversent sur quelques points , depuis le pied
des coteaux jusqu'au sommet. Le grès bigarré peut être observé à
Wolfbourg, dans les environs de Bitche, à Volmunster, Forbach,
Saint-Avold, Hargarten, Falck et Sierck.
Aux environs de Sarrelouis ce grès paraît être en contact immédiat
avec le terrain houiller, du moins je n'y ai pas reconnu le grès
Vosgien qui, comme M. Elie de Beaumont l'enseigne dans son savant
mémoire sur nos contrées , existe dans les environs de Forbach et de
Creuizwald. Ce même grès est aussi indiqué dans le pays de Bitche.
On sait que les rapports que plusieurs géologues ont saisis entre le
keuper , le muschelkalk et le grès bigarré, ont déterminé quelques
auteurs à ne faire de ces trois terrains qu'une seule formation ; connue
sous le nom de Tias. S
Vient ensuite le terrain Aouiller, dont il existe un lambeau ap-
parent dans notre département à Schœnecken, où l'on tente d'établir
une exploitation de houille.
_Ce terrain si bien décrit dans les divers ouvrages de géologie et
qui_a des caractères généralement si constans , n'offre point, dans nos
pays , de faits particuliers à décrire. Près de Sarrebruck , une couche
de houille qui brûle depuis long-temps mérite d’être observée ,
vu surtout les produits chimiques qu'on y observe et les modifica-
tions que les schistes y ont subies.
Il me reste à parler des quarzites qui se montrent dans notre dé-
partement comme un accident tout particulier. En effet, ce dépôt
ne paraît que sur un seul point à Sierck, sous le grès bigarré et le
muschelkalk. Le grand développement de roches semblables sur la
Sarre et en se dirigeant vers Birkenfeld , semble indiquer que c’est
à la dureté de ces sortes de roches qu'on doit, dans notre départe-
ment, ce point avancé des terrains de transition parmi nos terrains
secondaires.
Les quarzites de Sierck sont de couleur grise rougeäre ou violätre
92 PREMIÈRE SECTION.
et se divisent en feuillets, notamment dans la partie supérieure; on
n'y a pas encore observé de fossiles.
Après vous avoir donné un apercu général de la géologie de nos
contrées, dont une partie a été si savamment décrite par M. Elie de
Beaumont, qu'il me soit permis de faire une excursion sur le terri—
toire des environs de Sarrelouis.
Le sol des environs de cette ville, indépendamment du grès bigarré et
du terrain houiller qui y sont trés-bien développés, présente des faits
qui n'ont plus aucun rapport avec nos terrains en couches. Les spi
lites, les trapps , les amphibolites, les quarzites et les schistes y jouent
un grand rôle, les trois premières espèces de roches offrent des accidens
très-remarquables de modifications de roches, de schistes et d’argiles. Les
montagnes du Litermont, de Schambourg, de Ponten, de Metloch,
méritent toute l'attention du géologue ; qui, après avoir étudié ces
belles localités, aurait peine à résister au plaisir d’aller visiter tant
d’autres points voisins , notamment celui classique d’Oberstein , célèbre
par ses gisemens de calcédoines , dans les spilites et les poudingues.
Les alluvions de nos contrées ne jouent pas un grand rôle, toute-
fois la position des plus anciennes situées à diverses hauteurs de nos
coteaux , en rend l'étude digne d'intérét.
Les alluvions de la Moselle et de la Sarre , se composent en grande
partie, surtout celles de la Moselle, de débris de roches descendus
des Vosges; les autres rivières charrient des débris appartenant aux
formations de notre département. La Moselle, la Seille , la Sarre et
la Nied ont, comme tant d’autres rivières, dans leurs alluvions, des
‘débris de grands animaux qui ne vivent plus librement sur notre
continent. On y a trouvé des ossemens de rhinocéros et d'éléphans.
On aurait même pu sauver la tête d’un rhinocéros qui fut trouvée
dans la vallée de la Seille, si un homme éclairé se fût trouvé sur
les lieux. Les paysans après l'avoir bien regardée comme une chose
digne de remarque, la laissèrent briser par celui qui l'avait décou-
verle ; deux dents seulement furent sauvées.
D'autres transports plus anciens, ont laissé des traces évidentes
de leur passage. Des blocs. et des fragmens de quarzites existant
dans l'arrondissement de Briey et se trouvant en beaucoup plus grand
nombre et en plus grandes masses dans les départemens de la Meuse
et des Ardennes , attestent que de grandes révolutions se sont opérées
dans des temps bien antérieurs à ceux qui ont amené les alluvions
de nos rivières ; ces faits sont aussi attestés par les fers en masses et
en grains qui ont aussi été poussés dans des cavités et dont nous
PREMIÈRE SECTION. 95
avons déjà parlé. À quelle époque et à quelles localités appartiennent
ces nombreux témoins de grands cataclysmes ? Mon but n'est pas de
vous entretenir de ces importantes questions.
Cependant ayant de terminer , qu'il me soit permis de vous faire con-
naître l'opinion du savant comte de Rasoumovski sur les blocs erratiques,
les cailloux roulés et les terrains d’alluvions de la Morayie. Ce savant,
dont nous déplorons la perte, pensait pouvoir prouver par les faits
que les blocs qui recouvrent une partie du sol de la Moravie , et en
immense quantité , ne sont point erratiques , que ce sont tous des blocs
stationnaires qui se trouvent encore dans les contrées où ils gisaient
précédemment en couches, dont on ne voit plus aujourd'hui que les
lambeaux.
Cet habile géologue, nous avait, Messieurs , fait espérer qu'il en-
verrait au Congrès deux mémoires , l’un sur les blocs erratiques, les
cailloux roulés et les terrains d'alluvion en général , l'autre extrait
d’un travail sur quelques-unes des formations les plus anciennes de la
Moravie. ;
Le premier de ces deux mémoires aurait pu, peut-être , répandre
quelques lumières sur la question relative aux blocs erratiques en gé-
néral. Mais malheureusement la mort nous a enlevé cet homme res
pectable, lorsqu'il songeait à se rendre encore utile à la science,
malgré le triste état de sa santé, qui déjà faisait craindre pour ses
jours.
L'opinion que ce savant a émise sur les terrains de transport de
la Moravie, peut ne pas étre applicable à nos blocs érratiques ,
mais j'ai cru devoir saisir avec empressement cette occasion de vous
faire connaître qu’il montrait la sympathie la plus grande pour le
Congrès, et qu'il regrettait vivement que sa santé ne lui permit
pas de céder au désir qu'il avait de se rendre à la session actuelle,
La séance est levée à neuf heures et demie.
Les Secrétaires de la section, Le Président de la section,
FOURNEL, MOUGEOT.
BUVIGNIER. Le Vice-Président,
+
HOLANDRE.
94 DEUXIÈME SECTION.
DEUXIÈME SECTION.
AGRICULTURE, INDUSTRIE ET COMMERCE.
SÉANCE DU MERCREDI 6 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de Pance.
-La première partie de la séance a été consacrée à réviser
le programme, à enregistrer les mémoires écrits ou impri-
més , présentés par divers membres, et à établir l'ordre
dans lequel les questions seraient traitées.
Sur la question n° 8. — Quelles seraient les plantes cé-
réales , fourragères et économiques à introduire dans la
culture de la Lorraine ? Un membre a fait observer qu'il n’y
a peut-être pas actuellement de plante nouvelle à introduire
utilement, mais qu'il yen a plusieurs, telles que la luzerne
et la betterave, dont la culture est beaucoup trop restremte.
Par suite de cette observation , la question n° 8 a été amen-
dée comme il suit :
Quelles seraient les plantes céréales , fourragères et
économiques à introduire ou à propager dans la culture
de la Lorraine? Quels seraient les meilleurs moyens à
employer ?
La première question est ajournée jusqu'à l’arrivée de
M. Gigault d'Olincourt, qui se propose de la traiter.
DEUXIÈME SECTION. 95
La discussion est ouverte sur la deuxième question :
Quelle a été, jusqu’à présent, l'influence des fermes-
modèles sur les progrès de l’agriculture ?
M. Lahalle pense que les fermes-mocèles sont le meilleur
moyen d’enseigner l’agriculture pratique. On y fait les ex-
périences qui seraient trop coûteuses pour des particuliers.
M. de Nettancourt partage cet avis et désirerait que le
gouvernement accordàt plus de fonds pour cet objet.
M. Chevereaux propose, comme un exemple à suivre,
ce qui s’est fait dans le département de l'Eure. Le conseil
général a créé une ferme-modèle au moyen d'un capital de
cent mille francs, divisé par actions de 250 fr. Le départe-
ment ne fat par an qu'un sacrifice de six mille francs
pour servir les intérêts et annuités ; le produit de la ferme
sert à racheter les actions, et un jour le département se
trouvera, sans nouveaux frais, seul propriéture de la
ferme. Il y a place pour trente élèves.
M. Chevereaux ajoute qu'il est souvent difficile de trou-
ver des fermes convenables à proximité du chef-ieu, et d'y
avoir des professeurs; mais qu’en attendant la fondation
d'une ferme-modèle dans chaque département, ceux qui
en manqueraient devraient créer des bourses et envoyer
des élèves dans les meilleurs établissemens qui existent, tels
que Grignon.
M. de Nettancourt signale les mconvémens qu'il y au-
rat à accumuler un grand nombre d'élèves dans une même
institution agricole. Il répond aux objections que s’est faites
le préopinant, qu'il y a presque partout des propriétaires
placés dans des localités convenables, et disposés, par zèle
pour l'agriculture , à faire les arrangemens qui seraient pro-
pres à faciliter la création d'une ferme-modèle, et qu’on
trouverait dans celles qui existent déjà de bons professeurs.
s'en formera d'ailleurs à mesure que les fermes s'orgami-
96 DEUXIEME SECTION.
seront. La discussion est remise au lendemain pour enten-
dre la lecture du mémoire de M. Lahalle.
On passe à la troisième question : Quelles sont les bases
sur lesquelles doit étre fondée toute théorie des assole-
mens ?
On entend sur cette question la lecture de plusieurs
notes de MM. Lapointe et Piobert. Ce dernier a compris
dans son travail la question suivante n. 4. — Quelle est
l'influence de la composition chimique des produits ré-
coltés, et surtout celle des corps simples qui ne se ren-
contrent qu’accidentellement dans le sol ?
SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE 1837.
Présidence de M. de Pace.
M. Lahalle donne lecture d’un mémoire ayant pour
ütre: Moyens de diriger l'esprit et les études de la
jeunesse vers l’agriculture.
Désespérant de vaincre la routine et les préjugés de
toutes sortes qui s'opposent à l'adoption de la science
agricole nouvelle par la génération actuelle, M. Laballe
pense que nos eflorts doivent se porter sur la jeunesse
qui s'élève, pour la diriger vers l'étude de l’agriculture.
L'enseignement classique laisserait donc beaucoup à dési-
rer : on s'applique trop à former des sujets pour les profes-
sions savantes et libérales ; si l’on faisait marcherl'instruction
savante et industrielle avec, l'éducation physique, morale
et religieuse , il y aurait mois de déceptions pour la jeu-
nesse à son entrée dans le monde, et plus de sujets propres
Le.
DEUXIÈME SECTION. 97
à faire fleurir les arts utiles , les manufactures et surtout
l'agriculture. |
Quant à la propagation des bons principes et d'une
bonne pratique, après avoir fait l'éloge des académies
et comices agricoles , et en avoir établi la différence, l'au-
teur du mémoire pense que la ferme modèle remplit
toutes les exigences de l'art et de la science, de la pra-
tique et de la théorie, et propose la création d’un éta-
blissement pareil dans chaque département.
Pressentant les difficultés d'un projet aussi vaste, M. La-
balle sollicite l'appui du gouvernement et entre dans quel-
ques détails sur l’organisation des fermes modèles et sur
les moyens d’avoir des professeurs pour tous les cours
qui entreraient dans leur programme.
Après quelques considérations sur les obstacles qui s’op-
posent aux progrès de la bonne culture, tels que la
vaine pdture , le morcellement et l'enchevêtrement des
pièces de terre, le mauvais état des chemins, le haut prix
du sel, etc., M. Lahalle revient sur la nécessité de donner
une meilleure direction aux études de la jeunesse. Il ajoute
que la femme, la compagne de l’homme, destinée à le
suivre partout, à embellir sa demeure, à partager ses
travaux, en se mêlant à tous les détails de l’entretien
d'un ménage ; la femme, celle surtout qui doit vivre à
la campagne, recoit en général une éducation peu en
harmonie avec ses besoins futurs. Il voudrait donc que
l'étude des principes généraux d'économie rurale et do-
mestique , füt le complément de l'éducation de la majorité
des femmes.
Après la lecture de son mémoire, M. Lahalle est invité
à formuler un vœu sur lequel la section puisse être ap-
pelée à voter.
M. Watrin insiste sur la nécessité d'établir un cours
13
98 DEUXIÈME SECTION.
d'art vétérinaire dans chaque institut agricole. C'était aussi
la pensée de l’auteur.
Un membre fait observer qu’au nombre des moyens à
employer pour la propagation des idées agronomiques,
on doit compter la sage influence du clergé qui a déjà
donné des garanties à cet égard. Il cite, pour exemple,
trois ecclésiastiques qui vont fonder dans un département
voism, une école à laquelle seront attachés des cours
d'agriculture pratique etsdes ateliers de fabrication d’ins-
trumens aratoires. — On cite encore l'exemple bien connu
donné par le curé de Bouzonville.
M. Chatelain, pressé de quitter Metz, demande à être
entendu sur la dix-septième question. — Quels sont les
changemens et quels sont les progrès qui ont été amenés
successivement dans l'agriculture francaise, depuis les
premiers temps de la monarchie jusqu'à notre époque?
Par un historique rapide, M. Chatelan rappelle que
l'agriculture fut dans tous les temps l’art chéri des nations.
En France, le premier ministre qui se soit occupé d'amé-
liorations matérielles, Sully, concentra tous ses efforts sur
les moyens les plus propres à faciliter les progrès des
procédés agricoles. Cependant Fagriculture eut bientôt à
partager la faveur de la nation et la protection du gou-
vernement avec les autres imdustries ; et sous Colbert, la
prépondérance donnée aux manufactures et au commerce
fut bien tranchée. Dès ce moment, successivement sou-
tenue et attaquée par divers économistes, l’agriculture
n’atteignit qu'un rôle très-secondaire. Sans doute que l’ad-
mirable position géographique de la France dut favoriser
singulièrement l'élan du commerce ct promet encore à
l'art manufacturier les plus belles destinées ; mais l’agri-
culture ne fra pas moins par reprendre, tôt ou tard,
le véritable rang qui lui est dû, dès que le public et le
DEUXIEME SECTION. 99
gouvernement auront reporté vers elle une partie de leurs
affections.
Parmi les causes qui retiennent encore l’art agricole
dans un état d’abaissement, M. Chatelain signale d'une
manière toute particulière notre manque d'engrais et leur
mauvaise qualité. On ne saurait donc trop récompenser
celui qui viendrait nous apporter le moyen de doubler
nos ressources à cet égard. Or, la découverte a été faite;
des expériences nombreuses ont démontré son importance,
des pièces à l'appui sont: mises sous les yeux de commis-
sions agricoles qui répètent et constatent l'efficacité des
procédés ; et cependant l’auteur de l'invention, Jaufiret,
cultivateur à Aix, qui employa quarante ans à de péni-
bles études, qui dissipa son patrimoine dans des recher-
ches coûteuses, a la douleür de voir sa découverte mé-
connue , repoussée par plusieurs , et partage le sort réservé
en France aux grands inventeurs.
En présence de ces faits, il est du devoir des sociétés
d'agriculture de s’enquérir de la méthode Jauffret, et de
la propager de toute leur puissance. M. Chatelan pro-
pose donc au Congrès l'émission d'un vœu qu'il formule
à la fin de son mémoire.
Il résulte des explications données par M. €hatelain,
que la méthode Jauffret résout trois problèmes principaux.
4° La conversion en fumier de bonne qualité, et en
peu de jours de diverses plantes, telles que jones , bruyère,
genets, ajoncs, etc.
2 L'amélioration des fumiers ordinaires, en les ren-
dant homogènes par la fermentation, en les débarrassant
des mauvaises graines, dont la faculté de germination ne
résiste point à une chaleur qui dépasse 45°.
3° La création de nouveaux engrais provenant de terre
‘et même de sable soumis à une lessive peu coûteuse.
100 DEUXIÈME SECTION.
La discussion s'ouvre sur l’engrais Jaufret.
M. Lapointe, en partant de cette assertion de M. Cha-
telain que par la méthode Jauffret, dix quintaux de
- paille sont convertis en quarante quintaux de fumier, fait
observer que ces dix quintaux de paille valent le double
des quarante quintaux de fumier, et que ce n’est pas la
peine de recourir à tant de manutention pour changer des
pièces de A0 francs ‘en pièces de 20 francs.
M. Chatelam imsiste sur la promptitude avec laquelle
les matières végétales les plus dures sont converties en
engrais.
M. Lapointe réplique que les cultivateurs ne pouvant
faire qu'une moisson en douze mois, il leur importe peu
que la conversion des matériaux qu'ils possèdent pour
faire du fumier, ait lieu en douze heures, douze jours
ou douze semaines. L'important pour eux, c’est qu’elle
ait lieu aux moimdres frais possibles, .
-M. Braconnot est de cette opinion.
M. de Nettancourt pense que le procédé devrait être
recommandé lors même qu'il ne ferait que détruire les
mauvaises graines qui salissent les fumiers.
D’autres membres sont d'avis de faire des expériences
dans le département de la Moselle, avant de se prononcer.
M. Watrin mdique la ferme de la Maison-Rouge, où il
pourrait être pris des renseignemens.
M. de Pange fait remarquer que la méthode Jauffret
tend à diminuer la quantité de bétail déjà trop faible en
France. Il est d'avis qu'elle ne peut convenir dans le dé-
partement de la Moselle, et que c’est aux contrées moins
favorisées sous le rapport du territoire, qu'il appartient de
se livrer à des expériences directes.
DEUXIÈME SECTION. 4101
SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE 1857.
Présidence de M. de Paxce.
Continuation de la discussion sur l’engrais Jauffret.
M. Chatelain donne lecture d’un article contre l’engrais
Jauflret contenu dans le Courrier de la Moselle, du 30 mars
dernier ; il s'élève avec force contre ceux qui emploient la
publicité pour déprécier une méthode qu'ils ont à peine
étudiée. Il rend compte ensuite d’une visite qu'il vient de
faire chez M. de Thémines, accompagné de M. Watrin.
Ce dernier fait part de ses impressions, toutes à l'avantage
de l’engrais Jauffret, dont il a vu les effets. Il cite quel-
ques chiffres des expériences faites à la Maison-Rouge.
Ces données, paraissant insuffisantes, M. Chevereaux
insiste sur une expérimentation nouvelle, ou au moins,
sur l'envoi d'une commission d'agriculteurs chez er de
Thémines.
M. Charles Bouchotte dit qu'il faut se garder d'admettre
la méthode avec trop d'engouement, et fait remarquer
que le bétail est élevé plutôt pour la viande, le lait ou la
lame, que pour le fumier qu'il produit.
M. de Nicéville pense que si l’engrais était réellement
tel qu’on l'annonce, il serait très-avantageux pour les vi-
gnobles, en ce que, transporté dans les vignes vers l’épo-
que de la maturité du raisin; il leur communiquerait une
chaleur bienfaisante.
M. de Vellecour déclare qu'il y a encore beaucoup de
bruyères dans le département de la Moselle, et qu’on y
doit faire des vœux pour la réussite de la nouvelle mé-
thode. Il ajoute qu'il a vu à Paris M. Jauffret, homme
simple et modeste, et qu'il l'a quitté convamcu de la
bonté de son procédé.
102 DEUXIÈME SECTION
M. Maudheux dit que si la découverte peut servir réel-
lement à convertir en bon fumier les plantes dures, telles
que les bruyères, genets, ete. , elle sera d’une utilité très-
grande pour toutes les fermes situées dans les montagnes,
notamment celles des Vosges. Il appuie le vœu proposé
par M. Chatelamn.
M. de Nettancourt l’appuie également. On ne saurait,
ditl, trop encourager les essais en agriculture.
M. de Pange fait remarquer que l'acceptation du vœu
énoncé par M. Chatelain n’entraîne point, de la part de
la section , l'adoption du procédé ; 1l le met aux voix.
Ce vœu est accepté à une grande majorité ; il est ainsi
conçu :
Attendu les résultats satisfaisans des expériences de l’en-
grais Jauffret , faites à Neuilly, à Lorient, à Bergerac et
devant la société royale de Seine-et-Oise, sur l'invitation
de M. le ministre du commerce, le Congrès appelle l’at-
tention du gouvernement sur la découverte Jauffret, et
émet le vœu que M. le ministre du commerce et de l’a-
griculture encourage la propagation de cette méthode
d'engrais, en recommandant à la société royale et cen-
trale d'agriculture de Paris , et aux sociétés d'agriculture
de tous nos départemens, de faire des expériences sur
cet engrais.
L'ordre du jour appelle la dix-huitième question.
Faire connaitre quelles sont les différentes substances
minérales de la Lorraine qui sont propres à être utilisées
dans l'industrie ; présenter un apercu général sur l’état
de l'agriculture et de l'industrie du pays, sur les amé-
liorations à y introduire , et faire connaitre quel est le
mode d'écoulement des divers produits de cette province.
M. Maudheux lit un savant mémoire sur la dernière
partie de la question. Ce mémoire est intitulée : Des
DEUXIÈME SECTION. 103
communications nécessaires à la Lorraine. La secüon en
demande la lecture en séance générale et invite l’auteur
à formuler un vœu.
SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de Pancr.
M. Laponte lit une réfutation du discours de M. Cha-
telam. 11 qualifie ce discours de prospectus pour l’engrais
Jauffret. 1 pense que les conclusions de M. Chatelain,
tendant à appeler lHntoe du gouvernement et des s0-
ciétés d'agriculture, ne méritaient pas d’être prises en con-
Matos. Il se frite sur ce que le gouvernement ayant
déjà été sollicité d'accorder des encouragemens à l’entre-
prise de M. Jauffret, a consulté la société royale et centrale
d'agriculture de Paris. Celle-ci, après avoir pris connais-
sance de la Fa de l'engrais , du mode de sa pré-
paration etdéM'état dans loouel ses commissaires 9nt vu
les différentés#maticres employées dans les tas qui ont été
amen, a déclaré que l’engrais dont il s’a-
git, n'étant qu'un compost à peu près semblable à d'autres
déjà connus, ne présente rien de particulier qui mérite
d’être signalé à l'intérêt des agriculteurs.
Après avoir prouvé par des chiffres et suivant les don-
nées de M. Jauflret lui-même, que son engrais coûte-
rat, dans le département de la Moselle, plus du double
du bon fumier d'étable ; après avoir annoncé qu’on ne
trouverait pas dans le pays un seul cultivateur de profes-
Sion, disposé à échanger un écu contre le secret de con-
Vertir la paille en fumier, sans le secours des bestiaux,
104 DEUXIÈME SECTION.
l'antagoniste de M. Chatelain rassure celui-ci sur le sort
de la spéculation, en lui citant l'exemple récent d'un in-
dustriel de la rue de Richelieu, qui a fait sa fortune en
vendant à vingt sous la pièce, des graines du chou cavalier,
auquel il donnait le beau nom de chou colossal de la
Nouvelle-Zélande. On savait depuis long-temps, dans le
monde savant, qu'aucun individu du genre chou ne peut
croître à la Nouvelle-Zélande ; et cependant ce ne sont ni
les jardiniers, ni les cultivateurs qui ont porté le denier
de la dupe au comptoir du marchand de bas, mais bien
les personnes les plus éclairées des villes. C’est parmi cette
classe seulement que les industriels de l’engrais Jauffret
doivent répandre leurs prospectus, c'est peine perdue que
d'en inonder nos campagnes.
M. Lapointe signale les inconvéniens qu'il y a à recom-
mander avec emphase des choses qui ne sont pas desti-
nées à être adoptées ; il prétend que si une découverte
vraiment utile venait à se produire, on aurait beaucoup
de peine à la faire apprécier. Les agriculteurs de la Lor-
raine, dit-il, seront long-temps rebelles aux innovations,
par suite de ce qui s’est passé pour la ch Grangé. Si
M. Chatelain a osé dire dans l'enceinte MCongrès que
l'invention de la vapeur était à peme comparable à celle
de l’engrais Jauffret , il faut convenir que les sociétés d’a-
griculture n’ont été guère plus réservées dans leurs exa-
gérations sur la charrue Grangé.
M. Lapointe rapporte tout ce qui a été fait à cette épo-
que, et cite des passages extraits des mémoires des sociétés
de Metz et de Nancy, où Grangé est représensé comme
un génie extraordinaire, son invention comme une mer-
veille digne de l'admiration du genre humain et d’une ré-
compense nationale. M. Lapointe prétend qu'il ne reste
de tout ce bruit que des archives pour les académies, et
des modèles pour leurs conservatoires.
DEUXIÈME SECTION. 105
Après avoir établi que notre pays ne nourrit pas assez
de bestiaux, et que s'il avait plus de paille, il pourrait en
élever davantage, M. Laponie en conclut que les encou-
ragemens devraient se porter non pas sur ceux qui ensei-
gnent le moyen de convertir la paille en fumier sans le
donner au bétail ; mais sur ceux qui trouveraient le moyen
de la faire servir deux fois avant de la rendre à la terre.
On manque si bien de paille, ajoute-t1l, que dans tout
le département, les feuilles, les mousses, les roseaux , les
genets, les bruyères, les chaumes mêmes des champs mois-
sonnés, tout est amassé pour faire de la litière, afin de
pouvoir entretenir plus de bétail.
Enfin, il conclut que l’engrais Jauflret coûte plus qu'il
ne vaut, qu'il ne porte nullement le caractère d’une dé-
couverte, que c’est tout simplement une spéculation in-
dustrielle comme on en voit tant, et qu'il scrait indigne
du Congrès scientifique de l’aider de son approbation.
M. Maudheux, délégué de la société d'agriculture des
Vosges, dont Grangé fait partie, demande la parole et ré-
clame contre l'assimilation que les auditeurs du discours
précédent pourraient faire entre Grangé et Jauffret. Il
rappelle le désintéressement de Grangé, qui, après avoir
été couronné par seize académies , a été obligé de mettre
en gage ses médailles et d'accepter des secours de la so-
ciété dont il est membre.
M. Lapointe répond qu'on ne trouverait pas dans son
discours un seul mot de blâme contre Grangé; et pour
prouver qu'il a été bien lom de faire la comparaison qu’on
pourrait lui prêter, 1l relit une phrase ainsi conçue « On
» se souviendra long-temps de l’mvention de Grangé, sinon
» comme d'une découverte utile, du moins comme d'une
» idée ingénieuse qui méritait d'attirer l'attention ; tandis
» que bientôt on ne parlera pas plus de l’engrais Jaufret,
14
106 DEUXIÈME SECTION.
» qu'on ne parle aujourd’hui des saint-simoniens qui fai-
» saient tant de bruit il y a quelques années. >»
Il sait que Grangé n’a pas pris de brevet et n’a point
cherché à tirer parti de sa découverte ; tandis que Jauf-
fret, après avoir pris des brevets dans plusieurs pays, s'est
ie entrainer aux allures du charlatanisme perfectionné
qui est en vogue aujourd'hui, et a publié qu'il ne livre-
rait son secret aux souscripteurs , que lorsqu' il aurait
réuni 250,000 francs, dont 50,000, payés d'avance.
Il n’a été parlé de la charrue Grangé, que pour citer
un exemple du tort que font les sociétés savantes aux pro-
grès de l’agriculture, en recommandant avec tant d’exa-
gération de choses fort simples.
M. Miiens pense que ce sont les éloges exagérés qui
ont perdu la charrue Grangé. Tandis que Grangé, dit-il,
répétait à tout le monde qu'il ne prétendait pas autre Lans
que soulager le garçon qui tient la charrue, les sociétés
annoncçaient que sa charrue était faite pour marcher seule ;
et, à Barle-Duc, on disait même que, désormais, il suffirait
d'un garçon seul pour faire fonctionner plusieurs charrues,
M. de Rugy prend la parole et fait part à la section de
son expérience personnelle relativement à la charrue
Grangé. Il en a donné à ses trois fermiers : ceux-ci, après
s'en être servi pendant quelque temps, lui ont dit qu'ils
trouvaient qu'elles exigeaient plus de tirage, et que leurs
avantages ne valaient pas la peine qu'il faudrait prendre
pour changer les habitudes des PRE Elles sont
maintenant sous les hangars , et il n'y en à pas une seule
en activité dans l'arrondissement de Château-Salins. M. de
Scitivaux, son voisin, l'un des propagateurs les plus ar-
dens, en est revenu à la charrue de Roville.
M. de Pange dit qu'il ne faut pas toujours conclure
qu’une charrue ne vaut rien, parce qu'on ne peut pas la
DEUXIÈME SECTION. 107
faire adopter. Car l’araire de Roville est certainement un
bon instrument ; et il a vainement tenté de l'introduire
dans ses fermes du canton de Pange.
M. Lapointe dit que l'adoption de l’araire présente en
effet. de grandes difficultés ; mais qu'il se sert avec avan-
tage depuis trois ans des charrues de Roville, avec avant-
train. Ses ouvriers et ses voisins conviennent qu’elles sont
plus faciles à tenir et qu’elles exigent moins de tirage que
celles du pays. Elles sont en outre d’une solidité beaucoup
plus grande et présentent d’autres avantages qu'il serait trop
long d'expliquer ici. Mais il y a un grand obstacle à leur
adoption : c'est qu’elles reviennent à près de 150 francs.
M. Devoluet annonce que Grangé lui-même ne se sert
plus de sa charrue ; mais il pense que c’est parce qu'il
habite un pays de montagnes.
M. Maudheux fait observer qu'il n'y a pas renoncé tout-
à-fait, puisqu'il s'occupe à la perfectionner.
M. Lapointe croit que c’est cette occupation qui le met
si mal dans ses affaires.
SÉANCE DU DIMANCHE 10 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de Pance.
M. Maudheux remet sur le bureau les conclusions de
son mémoire ; M. le président en donne lecture avant de
la mettre aux voix. Elles sont ainsi conçues :
« La deuxième section exprime le vœu que le projet de
> la construction d’un chemin de fer du Hâvre à Strasbourg
» soit présenté aux chambres dans leur prochaine session,
> et que le projet de jonction de la Moselle à la Saône soit
108 DEUXIÈME SECTION.
» soumis immédiatement à de nouvelles études, afin qu'il
» puisse être promptement réalisé.
» La section envisage ces deux lignes de communication
» comme indispensables à la prospérité des provinces de
» l'est, et comme devant accroître la richesse du nord et
» du midi de la France. »
Après une courte discussion, les propositions de M. Mau-
d'heux sont mises aux voix, et adoptées à l'unanimité.
M. Pictte, fabricant de papiers à Dillimg , près de Sar-
relouis, qui a publié en 1851 un traité sur la fabrication
du papier, donne communication d’un mémoire sur les
papiers de paille.
On croit généralement que c’est une invention nouvelle ;
M. Piette rappelle qu'elle date de 1765.
Toutes les pailles peuvent être converties en papier, et
M. Piette, qui a porté ses expériences sur un grand nom-
bre, expose d’une manière fort claire le détail des pro-
cédés qu'il a suivis pour chacune d’elles et les résultats
différens qu'il en a obtenus.
La paille de seigle est celle qui offre le plus de dif-
ficultés mais qui produit aussi le papier le plus fort;
viennent ensuite le blé et l'orge. La paille d’avome est,
de toutes les céréales, celle qui exige le moins de ma-
mipulation ; elle fournit un excellent carton, flexible et
doué d’une force convenable.
M. Piette a aussi travaillé des palles de pois, de ha-
ricots, de lentilles et des feuilles de maïs. Ces pailles
ne renfermant pas de nœuds, exigent moins d'opérations
que celles des céréales, mais ne conviennent guères
que pour les papiers d'emballage. La paille de lentilles
est la moins avantageuse ; celle de maïs produit un papier
solide, ayant quelque ressemblance avec le parchemin ;
il est riche en colle naturelle et demeure rude même
DEUXIEME SECTION. 109
après le satinage : 1l casse quand on le frotte long-temps,
donne malgré cela un bon emballage et un excellent
carton. ‘
Voici en forme de tableau les procédés de M. Piette pour la paille
de seigle.
Enlever les herbes qui se trouvent mélées à la paille.
Couper la paille en morceaux de 2 à 3 lignes.
Séparer les nœuds.
Entasser dans une chaudiére.
Remplir d’eau.
Faire bouillir pendant trois heures.
Sortir et réduire en eflilochés à la manière des chiffons.
Remettre dans la chaudière et cuire pendant trois heures dans une
lessive composée de 2 kilogr. de potasse et 5o kilogr. de chaux vive
pour 100 kilogr. de paille.
Au bout de trois heures, la lessive ayant perdu sa force, la sou-
tirer et la remplacer par une ncuvelle, composée de 1 kilogr. de
potasse et 30 kilogr. de chaux.
Renouveler encore deux fois cette même opération. -
Les nœuds se traitent à part et demandent encore plus de travail.
Après la quatrième ébullition , la paille est tendre, les fibres se sé-
parent et donnent au moyen du raffiuage une pâte convenable à la
fabrication.
Selon que cette substance est broyée par les cylindres, ou dans les
pilons, le papier offre une différence notable. Travaillé par des pilons
qui exigent une marche de huit à dix heures, le papier retient un
aspect huileux ; il est transparent, d'un tissu uniforme, libre de
nœuds et de matière mal broyée , sonnant et fort. Moulu au contraire
dans des cylindres qui ne demandent que deux heures de travail, le
papier n’a plus d'aspect huileux, mais est moins fort, casse plus tôt
et présente un tissu inégal. Le papier blanc ne peut supporter la trans-
parence ; mais le papier d'emballage doit en premier lieu être ferme.
Si l’on ajoute des chiffons, et c'est ce ‘qu'il est en général avanta-
geux de faire, il devient indifférent de travailler aux cylindres ou dans
des pions.
“Lorsque le combustible est coûteux , M. Piette indique les procédés
à suivre pour s’en passer.
Viennent ensuite les procédés de blanchiment. M. Piette, après,
410 DEUXIÈME SECTION.
avoir rappelé ceux qui sont connus, en indique de plus simples qui
lui paraissent préférables et qu'il conseille d'employer.
Pour la paille de seigle et de pois, le chlore gazeux ou le déga-
gement du chlore par l'acide sulfurique.
Pour la paille de blé, le chlore dégagé du chlorure de chaux au
moyen de l'acide hydrochlorique.
Les pailles d'orge et d'avoine se blanchissent comme celles de blé,
quoïque moins facilement.
Dans tous les cas, la teinte jaunâtre que retiennent ces pailles,
disparaît par une addition d’azur.
La paile de maïs est la plus facile à décolorer.
Ainsi toutes les pailles peuvent servir à la fabrication des papiers
ordinaires ; et, après avoir été blanchies , à celle des papiers fins.
M. Pictte rattachant son mémoire à la sixième question
du programme, ainsi conçue : La culture des plantes
propres aux arts, considérée sous le point de vue des
produits et sous celui d'économie, est-elle favorable
à la culture des céréales ou lui nuit-elle ? conclut
en disant que, lom de nuire à l’agriculture, l'emploi de
la paille dans les papeteries ne ferait que lui rendre ser-
vice, en augmentant la valeur d’un de ses produits les plus
abondans ; et qu'en définitive la paille employée revien-
drait à la terre sous forme de vieux papier.
La deuxième section est d'avis que la paille ne sera
jamais employée que pour combler l'insuffisance des chif-
fons, c’est-à-dire en quantité insignifiante pour l’agricul-
ture ; autrement toute industrie qui enleverait les pailles
qui sont si nécessaires à l'entretien du bétail, ferait un
tort réel à l’agriculture.
Si la deuxième section ne devait s’occuper que d’a-
griculture , elle aurait donc pu se croire incompétente ;
mais son programme comprend en outre le commerce
et l'mdustrie : c’est sous ce dernier rapport qu’elle re-
mercie M. Piette de la communication de son mémoire.
DEUXIÈME SECTION. 111
Elle regrette seulement qu'il n'y ait pas joint des échan-
tillons des divers papiers qu'il a confectionnés ; au moins
aurait-1] dû lui dire si son mémoire est écrit sur du papier
de paille.
M. Devoluet donne ensuite lecture d'un mémoire de
M. de Montureux, relatif à la question n° 15: Quels
sont les résultats présumés que la richesse nationale ob-
tiendra du développement de La Jfabrication du sucre de
beiterave ?
Ce mémoire, qui est une vive attaque contre le sucre
indigène, paraît devoir donner lieu à de nombreuses
critiques ; mais l'heure avancée force à lever la séance.
SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE.
Présidence de M. pe Paxcc.
L'un des secrétaires donne lecture d’une proposition
qui a été renvoyée à la section par le bureau de l'as-
semblée générale : elle est ainsi conçue :
« Le gouvernement impérial avait senti l'utilité des sta-
» tistiques départementales, et avait indiqué un mode pour
» les rédiger ; Cependant un petit nombre de départemens
> ont répondu à cet appel. On demande que le Congrès
> s'occupe à déterminer un mode général qui serait propre
> à procurer à tous les départemens l'avantage d'avoir une
» statistique complète, »
M. de Caumont a la parole : il communique des ren-
seignemens sur les enquêtes statistiques faites depuis quatre
ans en Normandie par l'association normande ; il expli-
que comment l'association, après avoir rédigé un grand
142 DEUXIÈME SECTION.
nombre de questions, s'est transportée successivement
dans divers arrondissemens et a soumis ces questions aux
agriculteurs qui avaient été préalablement convoqués et
invités à répondre. Les résultats de cette enquête ont
été d'autant plus satisfaisans, que les réponses discutées
et contrôlées par tous les agriculteurs et industriels pré-
sens, n’ont été consignées au procès-verbal qu'après avoir
été ramenées à la plus grande exactitude possible et sou-
mises à l'adoption ce l'assemblée.
M. Chevereaux, d'Evreux, insiste sur les heureux effets
de ces enquêtes, en ce qui concerne l’agriculture et
l'industrie. Les matériaux recueillis à cette époque sont
déjà considérables et formeront les élémens d’un grand
ouvrage sur l'exactitude duquel on pourra compter.
M. Lapointe dit :
Cette année même une tentative de statistique agricole a été faite
par le gouvernement. Des tableaux imprimés ont été envoyés dans
toutes les mairies. Les questions uniformes pour toute la France,
incomplètes, souvent mal posées, n'étaient accompagnées d’aucune
explication. On y demandait par exemple quel est le revenu d’une
vache, sans dire si c'était le produit brut ou le produit net. Aussi
les réponses à cette question variaient dans l’arrondissement de Metz
depuis 3 fr. 50 cent. jusqu'a 200 fr., même pour des communes
où le chiffre devait étre identique. Il en était à peu près de cette
facon pour les autres objets. Quelquefois la somme des cultures d'une
commune présentait un chiffre supérieur à la contenance totale de
son territoire, ou bien une culture importante n'y figurait pas du
tout. Enfin les conclusions de la commission chargée de réviser ces
tableaux furent qu'ils ne pouvaient servir que dans le cas où l’on
préférerait l'erreur à l'ignorance. C’est cependant avec de semblables
élémens que l’on a composé les documens statistiques publiés récem—
ment par le ministre du commerce.
Après quelques autres observations de divers membres,
la section approuve le mode suivi par l'association nor-
mande.
DEUXIEME SECTION, 415
On passe à la question n° 16 : « Quels sont les moyens
» les plus efficaces pour détruire les insectes qui dé-
» vorent les grains déposés sur les greniers ou dans
> des magasins? »
M. de Nicéville lit un mémoire dans lequel, en se
fondant sur les observations de Duhamel et sur l'opinion
généralement admise que l'aération fréquente est le meil-
leur moyen pour empêcher et la fermentation des grains
et la multiplication des insectes qui les dévorent, il pro-
pose et décrit un procédé mécanique d'insufflation d’air frais
dans les tas de blé, qui serait plus efficace et pourrait se
renouveler plus souvent que le remuement à la pelle.
M. Alfred Malherbe communique à la section une
note envoyée par M. Linder, de Genève, qui indique le
moyen suivant employé avec succès depuis douze ans,
à Genève, pour détruire les charençons. Ce moyen très-
simple consiste à placer sur les tas de grains des poignées
de chanvre fraîchement arraché. Les insectes s’y portent
en foule , et chaque matin on les enlève pour les détruire.
M. Linder ajoute qu'à défaut de chanvre, on peut em-
ployer la marjolaine ; le thym, les menthes et d'autres
plantes aromatiques.
M. Lapointe dit qu'un grand nombre de plantes fortement odo-
rantes, telles que la fleur du sureau, la feuille du noyer, l’hiéble,
ont été indiquées , non pas pour attirer les charançons, mais au
contraire pour les faire fuir.
Dernièrement il avait mis sur un tas de blé un panier de fleurs
de sureau; le lendemain le panier était couvert de charancons. Il
n'en faut pas conclure que le sureau avait attiré ces insectes : ils S'y
étaient fixés, parce qu'ils se portent sur un corps quelconque qui
se trouve placé au sommet d'un tas de blé, surtout si ce tas vient
d'être rémué. C’est même un assez bon moyen de destruction que
d'étendre sur le blé, après l'avoir remué, un gros drap mouillé;
les charançcons qui cherchent toujours à fuir le bruit, le mouyement
19
A4 DEUXIÈME SECTION.
et la lumière, s'assemblent en très-grand nombre contre ce drap;
quelques-uns passent même à travers son tissu.
Le même membre, après avoir rappelé le moyen ima-
giné par M. de Dombasle (voir la 7° livraison des Annales
de Roville), et qui consiste à mettre et laisser pendant
quelques minutes le grain dans un tonneau qui vient
d’être fortement méché, ajoute :
Qu'il pourrait citer plus de vingt recettes qu'on trouve dans les
vieux livres, et que tous les ans les journaux ou les almanachs
remettent au jour comme des découvertes aussi neuves qu'infaillibles.
Mais tous ces moyens qui sont plus ou moins efficaces , ne s'adressent
qu'au charançon parvenu à l’état d'insecte parfait. Or, alors ses ra—
vages sont accomplis , il ne mange plus. On ne connaît aucune ma-
nière de débarrasser les blés des œufs ou des larves de charancon;
ces dernières, se tiennent dans l’intérieur du grain, et n’y font d’ou-
verture qu'après leur transformation. Cependaut on met obstacle à
leur multiplication, en détruisant ou éloignant les insectes parfaits,
aussitôt après leur naissance, surtout S'il est vrai que la femelle ne
pond qu’un œuf par jour. On a peine à croire d’après cela qu'un
seul couple peut produire six mille charançons pendant les cinq mois
d'été. Dès que les matinées deviennent fraiches, les œufs cessent
d'éclore, et les insectes se retirent dans les fentes et les trous.
De tous les moyens connus, celui qui paraît préférable
à plusieurs des membres présens , qui en ont l'expérience,
c’est le suivant :
On laisse dans son grenier un petit tas de blé, d'un hectolitre ou
même moins, sans y toucher, tandis que l’on remue fréquemment
les autres. Les charancons tourmentés se retirent dans le petit tas
que l’on enlève chaque mois pour le donner aux volailles ou le faire
moudre.
L'existence des populations étant fondée sur le blé,
on peut dire que l’humanité n’a pas, dans le règne ani-
mal, de plus dangereux ennemi que le charençon qui,
chaque été, dévore une si grande quantité de ce grain
précieux.
EE —————— — —
DEUXIÈME SECTION. 145
SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de Pance.
M. Viville donne lecture d'un projet de banque dé-
partementale. La section vote l'impression de son mé-
moire.
La discussion ayant été ouverte, M. Viville dit que
son but a été de soustraire les cultivateurs et les petits
industriels ou commerçans au fléau de l'usure, et de
donner à l’ouvrier intelligent et probe les moyens de
s'élever au rang qu’il mérite. La banque de France, dit-
il, én exigeant trois signatures connues, ne rend service
qu'à ceux qui en ont le moins besoin. D'un autre côté,
les banques particulières ne pouvant émettre plus d'argent
qu'elles n’en ont reçu, ne prêtent qu'à un taux plus
élevé et à des personnes qui présentent des garanties
positives. Suivant le plan de M. Viville, une banque dé-
partementale qui aurait, par exemple , 100,000 fr. , pour-
rait en outre*émettre pour une égale somme de billets.
Ainsi prêtant à 5 p. °/,, elle retirerait 10. Les action-
naires toucheraient un dividende de 5 p. °/; plus une
partie des bénéfices dont le surplus servirait,à créer un
fonds de réserve, sur lequel on ouvrirait des ;erédits aux
cultivateurs, ouvriers et petits commercans. On comprend,
ajoute M. Viville, quel avantage il y aurait pour les cultiva-
teurs à pouvoir placer leurs économies, ou l'argent destiné
au fermage , en attendant son échéance ; ou bien de n'être
pas forcés de vendre leurs marchandises à l'instant, sou-
ventinopportun, où ils ont besoin d'argent.
“M. Viville rappelle Fheureuse influence que ces
banques ont exercée, dans les pays où elles existent,
116 DEUXIÈME SECTION.
sur les progrès de l’agriculture et le développement de
l'industrie, et même sur la moralité des populations.
L'Ecosse est couverte de ces banques qui ouvrent des
crédits aux cultivateurs, sans autre garantie que leur
bonne foi; l'Amérique leur doit son essor étonnant, et
si elles sont arrivées à un état de crise dans ce pays,
c’est parce que, sans contrôle de la part du gouverne-
ment, elles s'étaient élevées au nombre exagéré de 506
pour une population de 13 millions.
M. Lahalle objecte que sur dix cultivateurs qui em-
pruntent, il y en a huit ou neuf qui se ruinent; c’est
donc un mauvais service à leur rendre, que de leur
faciliter les moyens d'emprunter. Ce n’est que par l'éco-
nomie qu'ils se tirent d'affaire. Le commercant actif qui
emprunte à cmq, en renouvellant fréquemment ses opé-
rations, peut augmenter le produit de son capital; mais
le cultivateur ne saurait faire qu'une moisson par an, et
les capitaux qu'il emprunterait lui rapporteraient à peme
de quoi servir les intérêts.
M. Devoluet dit qu'en admettant que ce soit un mal
d'emprunter, le mal existe ; et que l'usure l’aggrave d’une
manière fàcheuse à laquelle le projet proposé serait le
meilleur remède.
On ne peut nier, ajoute M. Chevereaux, que l’agricul-
ture est une industrie qui a besoin de capitaux comme
les autres, et qui prospère d'autant mieux qu'il s'y trouve
annexé un établissement mdustriel. Les banques dépar-
tementales lui paraissent éminemment propres à encou-
rager cette alliance de l’mdustrie et de l’agriculture.
M. Maudheux pense que la loi doit régler les statuts
des banques départementales, principalement en ce qui
concerne le taux de l'intérêt ; autrement les actionnaires
tendraient toujours à augmenter leurs bénéfices. Il craint
DEUXIÈME SECTION. A17
aussi que la responsabilité des personnes préposées à
ladministration de la banque ne les empêche d'accueillir
les demandes qui ne présenteraient d'autre garantie que
la bonne foi.
M. Charles Bouchotte est d'avis que les banques seraient
très-utiles, si elles venaient réellement en aide aux culti-
vateurs comme on le propose ; mais il est probable qu'elles
seraient plus occupées de leurs bénéfices que de leur but
philanthropique,
Personne ne demande plus la parole : le secrétaire
propose la rédaction suivante qui est mise aux voix et
adoptée.
« La section approuve en principe l'établissement des
» banques départementales destinées à venir en aide aux
» agriculteurs et au petit commerce. Sans entrer dans le
» détail de tous les statuts du projet présenté par M. Vi-
» ville, elle se prononce pour la disposition par laquelle
» on prêterait, sans autre garantie que la moralité, le
» fonds de réserve provenant des bénéfices seulement. »
M. le président du Congrès a renvoyé à la deuxième
section l'examen d'une proposition qui avait été déposée
sur le bureau et qui est ainsi conçue :
QUESTION SUR LE CODE RURAL.
BIENS COMMUNAUX.
À sa précédente session, le Congrès scientifique, en assemblée
générale, a adopté la réponse suivante :
Il est de l'intérêt général et de celui des communes, qu'elles
restent propriétaires de leurs biens communaux. Les communes doi-
vent avoir la faculté de vendre , en cas de nécessité absolue prononcée
par le conseil général, d’après les avis des conseils municipaux et de
118 DEUXIÈME SECTION.
ceux d'arrondissement. Les moyens de tirer le parti le plus avanta-
geux des terrains communaux doivent varier suivant la nature du
sol et les besoins des communes. Le mode de jouissance et d’admi-
nistration des biens communaux sera déterminé, pour chaque localité,
par les conseils généraux qui décideront d’après l'avis des conseils
municipaux et de ceux d'arrondissement.
La commussion consultative de la Moselle (14 décem-
bre 1855), a adopté des dispositions différentes ainsi
concues :
Les biens communaux sont la propriété de la commune. Il s’en-
suit que leur produit doit être en premier lieu , affecté à ses be-
Soins ;
Que les biens non partagés doivent être loués au profit de la
caisse municipale ; |
Et que la commune doit conserver le droit d'imposer annuellement
une redevance sur les biens partagés.
Il existe une étonnante diversité dans les modes de jouissance et
de transmission des biens communaux partagés. Il est nécessaire que
la loi mette fin aux nombreuses difficultés qui en résultent , en pres-
crivant une règle uniforme.
< D'un autre côté, par suite de l'accroissement de la population le
> nombre des lots n’est plus en rapport avec celui des familles. La
commission est d'avis que c'est le cas de procéder en même temps
> à un nouveau partape.
> La suppression de la vaine-pâture rendrait disponibles beaucoup
de terrains vagues laissés aux troupeaux communs. Ces terrains,
comme il a été dit, devront en général être afflermés; mais il
conviendrait, dans certains cas , comme par exemple celui d'in
suffisance des lots, que sur la demande du conseil municipal, le
conseil de préfecture püt ordonner que tout ou partie des biens
actuellement non partagés fussent compris dans la formation des
lots du nouveau partage.
»> Les lots deyront être tirés au sort entre les habitans märiés ou
» veufs avec famille, établis dans la commune et y tenant ménage
pote
> séparé.
> Nul chef de famille ne devra jouir de plus d’un lot.
> Le lot vacant par décès, départ ou démission du détenteur pas-
v
V VU VV V Y
a
mm
DEUXIÈME SECTION. 149
> sera au plus ancien marié entre les habitans non pourvus ayant
> ménage.
> S' n'y a point d'habitant apte à recueillir le lot vacant il
» sera loué au profit de la commune par bail annuel.
> Le détenteur qui quittera la commune pourra conserver la jouis-
sance deson lot pendant un an.
» Celui qui entrera en jouissance d’un lot devra rembourser au
> prédécesseur ou à sa succession les frais de semence et de culture.
> En cas de décès de l’un des époux , le survivant doit conserver
> son lot.
»> Les échanges de lots ne pourront porter atteinte à l’ordre de
> transmission.
On demande si le Congrès persiste dans sa résolution
de l'année dernière, ou s'il est d'avis d'adhérer aux dis-
positions proposées par la commission consultative de la
Moselle.
M. Lapointe demande la parole et fait ressortir la dif-
férence qu'il y a entre la résolution du Congrès de 1856,
et celle de la commission consultative de la Moselle, qui
a été sanctionnée par les vœux des conseils d’arrondisse-
ment et du conseil général. Il insiste principalement sur
l'anomalie qui résulte de ce que des communes voisines
et placées dans des circonstances parfaitement semblables,
sont soumises à un mode de jouissance et de partage en-
tièrement différent. Il en résulte du moins dans le dépar-
teraent de. la Moselle, une sorte de chaos et d’anarchie
auxquels , suivant lui , le mailleur moyen de mettre fin, est
d'adopter la mesure générale proposée par la commission
du- code rural.
M. Maudkeux cite quelques communes des montagnes
vosgiennes qui se trouvent dans des circonstances toutes
parüculières et auxquelles 1l serait impossible d'appliquer
lès dispositions. proposées.
La section reconnait la justesse de ses observations, et
120 DEUXIEME SECTION.
en conséquence, tout en adoptant d’une manière générale
les dispositions présentées par la commission consultative
de la Moselle, elle est d'avis qu'il conviendrait de régler,
par ordonnance spéciale, sur la demande des conseils
municipaux, et de l'avis de trois conseils supérieurs, la
position exceptionnelle de certames communes.
SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de Paxce.
M. de Caumont ayant communiqué au secrétaire le
procès-verbal d'une séance de l'Association Normande
dans laquelle a été discutée la question des banques dé-
partementales , il est donné lecture de cette pièce.
M. Watrin, vétérimaire, à la parole sur la douzième
question : Quels sont les moyens à employer pour faire
disparaitre la gale des bétes à laine.
M. Watrm s'attache à faire connaître les causes de
cette maladie, l'étendue de la perte qu'elle occasionne
tous les ans dans le département de la Moselle, et les
mesures qu'il conviendrait de prendre pour la prévenir
et pour en débarrasser entièrement les troupeaux. Il cite
plusieurs communes dans lesquelles ses avis ont été suivis
avec un grand succès.
Le secrétaire donne lecture de plusieurs documens en-
voyés par M. Gigault d'Olincourt et relatifs aux comices
agricoles.
M. Gabriel Simon lit un mémoire par lequel il pro-
pose de créer une école d’acclimatation forestière et frui-
tière , où seraient enseignés les bons principes d'horticul-
DEUXIÈME SECTION. 191
ture , où l’on s’occuperait de la naturalisation d'un grand
nombre d'arbres étrangers qu'il serait utile d'approprier
à notre climat, et où l’on prendrait soin de conserver
les bonnes espèces de fruits dont plusieurs se perdent à
cause du grand nombre de nouvelles variétés que l’on ob-
tient annuellement.
M. Simon-Louis jeune ne croit pas qu'aucune bonne
espèce de fruit se soit jamais perdue dans le pays.
M. Lapointe soutient l'opmion contraire. Plusieurs es-
pèces qui étaient vantées du temps de Duhamel n'existent
plus; d'ailleurs, dit-1l, les variétés ou les espèces qui ne
se propagent que par boutures, drageons ou grefes,
ne peuvent être considérées que comme des membres
détachés d’un même mdividu, et sont comme tous les
êtres vivans soumis à des périodes de jeunesse, de vieil-
leise et de mort. Il cite le peuplier d'Italie, dont le dé-
périssement est bien apparent ; la poire de Saint-Germain,
qui devient tellement pierreuse qu'il faudra bientôt l’aban-
donner , les beurrés gris et dorés qui ne poussent presque
plus en bois, etc.
. M. Lapomte ajoute que cette opinion, qui était
déjà anciennement admise, à fourni à M. Puvis le sujet
d'un travail fort remarquable, inséré dans le Journal
d'Agriculture de la société royale d’émulation de l'Ain.
L'auteur conseille de remédier, par des croisemens et
des semis , aux pertes que nous font éprouver la dégéné-
ration et l'extinction des variétés de végétaux propagés
par les greffes, boutures, tubercules, etc.
M. Chevereaux fait observer que la Moselle a une pé-
pmière départementale et qu'il serait facile d'y annexer
l'école que demande M. Gabriel Simon.
M. Laponte répond que le conseil général et celui de
l'arrondissement de Metz, ont. demandé la suppression
16
129 DEUXIÈME SECTION.
de la pépinière départementale, parce qu'il est bien
certain que dans une localité où la concurrence d’un
grand nombre de pépmiéristes a réduit le prix des arbres
à son minimun, ceux que l'administration se charge elle-
même de produire Jui reviennent plur cher que si elle
les achetait chez les pépimiéristes. Les chiffres que l'on
a présentés pour prouver le contraire, sont déduits d’une
comptabilité tellement incomplète, qu’on n'y fait même
pas figurer la valeur considérable du capital foncier.
Mais l’enseignement de l'horticulture, la création de
nouvelles variétés, la conservation des meilleures, l’ac-
climatation, etc. , feraient naturellement partie d'un ins-
titut agricole que chaque département devrait créer avec
une ferme modèle.
M. Lahalle rappelle qu'il a proposé de créer une
chaire d'agriculture dans chaque collége. 11 est inconce-
vable, dit-il, qu’on veuille tout enseigner dans les colléges,
excepté l’agriculture. Les gens qui ont fait les meilleures
études sont dans une complète ignorance d'un art sur
lequel repose l'existence des hommes et leur bien-être :
aussi chacun en parle-t-1l à tort et à travers.
M. de Pange dit que dans l'état actuel, ce qui s’op-
pose le plus aux progrès de l’agriculture, c’est qu'elle
est abandonnée aux paysans, et que pour détermmer
les autres classes à s'y livrer, il n’y aurait pas de meil-
leur moyen que d'en faire l'objet de l’enseignement.
M. Lahalle veut un institut agricole dans chaque dé-
partement.
M. Chollez objecte qu'on n'y verrait ni élèves m pro-
fesseurs, et qu'il ne faut émettre qu'un vœu réalisable.
En conséquence il propose de fonder un institut pour
plusieurs départemens qui présenteraient des analogies
de sol et de culture: c'est-à-dire qu'il voudrait dans
DEUXIÈME SECTION. 193
chaque zône naturelle un institut qui comprendrait un
enseignement agricole supérieur, et dans chaque école
des notions élémentaires.
M. Simon rappelle les objections qui ont déjà été faites
contre l'éloignement et l'accumulation d'un grand nombre
d'élèves.
M. Lapomte propose d'adopter en principe les propo-
sions de M. Lahalle ; mais de n’en provoquer la réali-
sation que successivement en commençant par les localités
qui offriront le plus de facilités.
Avec cette modification, la section adopte les proposi-
üons de M. Lahalle, qui sont ainsi conçues :
Que l’agriculture fasse partie de l'enseignement public, et qu’en
conséquence les élémens de cette science soient enseignés dans les
écoles primaires et dans tous les colléges d'arrondissement.
Qu'il soit fondé près de chaque chef-lieu de département une ferme
modèle avec un institut agricole et horticole où la théorie et la pra-
tique de l’art soient démontrés dans toute leur étendue.
Qu'il soit établi une société d'agriculture dans chaque cheflieu de
département , une société secondaire aux chefs-lieux d'arrondissement
et un comice agricole dans chaque canton.
Enfin que l’agriculture soit honorée comme le plus utile des arts,
et que des récompenses soient décernées aux personnes qui, par des
travaux , des inventions ou des perfectionnemens, lui auront fait faire
d'utiles progrès.
M. Devoluet, l’un des secrétaires, demande la parole
et expose que plusieurs membres lui ont fait remarquer
que le procès-verbal de la quatrième séance contient une
phrase qu'il n’a pas été dans leur intention d'adopter, et
que c'est par erreur qu'elle se trouve consignée dans
l'expression du vœu provoqué par M. Chatelain, au sujet
de l’engrais Jauffret. Ce vœu est ainsi concu: « Le congrès
» appelle l'attention du gouvernement sur la découverte
> Jauffret, et émet le vœu que M. le ministre du com-
194 DEUXIÈME SECTION.
merce et de l’agriculture encourage la propagation de
cette méthode d'engrais, en recommandant à la société
royale et centrale d'agriculture de Paris, et aux so-
ciétés d'agriculture de tous nos départemens, de faire
des expériences sur cet engrais. »
M. de Pange, président, rappelle que, lorsqu'il a mis
aux voix le vœu ci-dessus, il a formellement annoncé
que la section, ne connaissant pas l’engrais Jauffret, ne
pouvait en approuver la propagation, et que l’objet du
vœu était simplement de provoquer des expériences.
M. Lapointe fait observer qu’il n’y a même pas lieu
d'appeler l'attention de la société royale et centrale de
Paris, puisque cette société, déja consultée par le mi-
nistre, a répondu, au mois de juin dernier, après les
expériences faites, que l'engrais dont 1l s'agit n'étant
qu'un compost à peu près semblable à d’autres déjà
connus ne présente rien de particulier qui mérite d'être
signalé à l'intérêt des agriclteurs. Cependant M. Lapointe
reconnaît que ce n'est pas sur cet objet-que peut porter la
rectification demandée.
La section consultée, décide qu'il ne peut être fait
de changement à un procès-verbal précédemment adopté ;
mais qu'il est constant, suivant les observations de M.
de Pange, qu’elle n'a pas entendu exprimer d'autre vœu
que celui de provoquer des expériences ; et décide en
outre qu'il en sera fait mention dans le procès-verbal
de la séance actuelle.
M-:M VEN, -V
Les Secrétaires de la section, Le Président dela section,
LAPOINTE, Le marquis de PANGE.
De VOLUET. Le Vice-Président,
CHATELAIN.
or re SU
TROISIÈME SECTION. 195
TROISIÈME SECTION.
SCIENCES MÉDICALES *.
SÉANCE DU MERCREDI 6 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Lazcemanr, professeur de la faculté de médecine
de Montpellier.
M. le président ouvre la séance à onze heures et quart,
et remarque que M. Braconnot, venant d'être nommé
président d'une autre section, et que, Îui-même, étant
* On ne peut se dissimuler que les séances de la troisième section
n’ont pas été ce qu'elles pouvaient, ce qu’elles devaient être, et
nous croyons devoir en donner ici la raison. La société de médecine,
invitée par l'académie à préparer les questions qui devaient être in—
sérées au programme, n'ayant pas connaissance de la manière dont
on avait procédé dans les Congrès précédens, arrêta des questions
sur des points choisis parmi les plus difficiles et les plus obscurs
de la science, et que ceux mêmes qui les avaient proposées n'é—
taient pas préparés à traiter; on comptait que des médecins na—
tionaux ou étrangers, prévenus par le programme, se présenteraient
avec des travaux sur ces questions ; cela n’a pas eu lieu et il en est
résulté que la section presqu’exclusivement composée des membres de
la société de médecine, n'a pu, dans ses séances, suivre rigoureu—
sement l’ordre tracé dans son programme , et qu'elle a dà les remplir
de faits particuliers ou de discussions qui s’y rattachaient ; quoi qu’on
en ait dit, elles sont loin d’avoir été sans intérêt.
(Note du secrétaire de la section).
126 TROISIÈME SECTION.
dans le cas de s'absenter quelquefois, il serait, peut-être,
à propos de procéder à l'élection d’un autre vice-prési-
dent ; sur ces entrefaites, M. Braconnot se présente, il est
invité à prendre place au bureau.
M. le président donne lecture des questions du pro-
gramme ; 1l donne à quelques-unes des développemens
lumineux ; elles sont le sujet de quelques remarques de
la part de plusieurs membres.
Celle qui est relative au magnétisme animal donne lieu
à divers récits peu concluans : on se propose de revenir
sur ce sujet dans d'autres séances.
M. le docteur Chaumas regrette que, dans les questions
posées, on n’en ait pas fait entrer une sur les causes de
la fréquence des fièvres intermittentes dans la ville de
Metz ; il émet le vœu qu'on s’en occupe.
Impatient d'entamer la discussion sur des sujets scien-
üfiques déterminés, M. le docteur Scoutetten croit re-
marquer qu’on se livre à des conversations, et demande
qu’on arrête un ordre du jour. M. le président objecte
que personne n'étant prêt à parler sur les questions du
programme, il n'a pu procéder autrement dans cette
première séance.
A défaut de matières à l’ordre du jour, le secrétaire,
après avoir pris l'avis du président, entretient la section
de l'histoire des épidémies de grippe et de fièvres mu-
queuses qui ont régné cette année, en remarquant au
préalable, que ce travail imposé à une commission par
la société de médecine du département, n'est qu'un rap-
port à l’autorité, et n'offre n1 les développemens, mi la
forme qui conviendraient à un mémoire destiné à une
société scientifique.
Après lecture faite, M. le docteur Scoutetten demande
la parole pour attaquer ce rapport et en attaque, en effet,
TROISIÈME SECTION. 197
et le fond et la forme avec une vivacité à laquelle on ne
s'attendait pont. Il blâme non-seulement les auteurs du
rapport, mais encore il part de là pour critiquer les di-
verses théories médicales professées aujourd'hui sur la gas-
tro-enténite, et, par suite, les divers traitemens qui dé-
coulent de ces théories ; il s'indigne de voir l'académie
royale de médecine, flotter incertaine entre ces théories
et laisser ainsi pénétrer le scepticisme en son sein.
Les membres de la commission répliquent que, dans
ce travail, ils n’ont dù être qu'historiens et qu'ils ont dû
s'abstenir de dogmatiser.
M. le président met un terme à cette discussion à la-
quelle M. le docteur Scoutetten a donné des formes que
ne comportent ni le but de la réunion ni la destination
du rapport incriminé ; il met aux voix si la lecture en
sera faite en séance générale ; la négative est prononcée à
l'unanimité.
M. le docteur Scoutetten lit une observation sur un
anévrisme de l'origine de l'aorte qui, après avoir usé des
côtes, moins les cartilages, s'est produit au dehors du
thorax , sous la peau ; il met sous les yeux des mémbres
présens, la pièce anatomique préparée. Cette lecture est
entendue avec intérêt.
La section regrette que la coïncidence du jubilé de
Gottingue qui doit s'ouvrir le 17 de ce mois, et attire un
grand concours de savans de tout genre, empêche les
médecins d’outre-Rhin de venir prendre part à ses tra-
vaux.
Après avoir de nouveau, passé en revue les questions
du programme, M. le président propose d'arrêter un
ordre du jour pour la séance suivante; il est fixé ainsi
qu'il suit :
1° Lectures et communications de M. le docteur Scou-
198 TROISIÈME SECTION.
tetten , sur plusienrs maladies chirurgicales qui ont né-
cessité des opérations graves.
20. Quelques personnes étrangères à la section ayant
témoigné le désir de parler sur la sixième question du
programme , relative au magnétisme animal, seront
priées de se rendre à la séance de demain.
5° MM. Scoutetten et Gromier se proposent de parler
sur la phrénologie.
h° MM. Henot et Scoutetten, sur la neuvième question
du programme qui a trait aux affections cancéreuses.
M. de Boret, docteur en médecine, dépose sur le bu-
reau une notice sur la médecine homæopathique.
La séance est levée à une heure et demie.
SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE.
Présidence de M. LaLrEmanr.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu ; M. le
docteur Scoutetten y trouve des interprétations et des ex-
pressions inexactes en ce qui le concerne, et en demande
la rectification ; sa réclamation est mise aux voix et n'est
pas admise.
M. le docteur Scoutetten obtient la parole et offre d’ex-
poser et de développer ses idées sur les matières qui ont
donné lieu à la discussion de la veille ; M. le président lui
propose de prendre jour à cet effet.
M. Scoutetten choisit la séance du lundi 11 du mois.
On passe à l’ordre du jour.
M. Scoutetten communique à la section plusieurs beaux
cas de chirurgie tirés de sa pratique, et d’abord l'histoire
TROISIÈME SECTION. 129
détaillée d’ün corps fibreux de l'utérus, d’un volume con-
sidérable , du poids d’un kilogramme , dont la moitié était
passée dans le vagin ; les accidens qu'il occasionnait avaient
mis la femme qui le portait dans un danger éminent, il l'en
délivra en atürant hors du vagin la portion de la tumeur
qui s'y trouvait, et dans ce canal, à l’aide du forceps,
celle qui était restée dans la matrice ; cette moitié portait
un pédicule sur lequel fut jetée une ligature qui étrargla
la tumeur, et permit de faire, le surlendemain, la section
du pédicule ammei. La femme s’est rétablie promptement.
Un ancien militaire, garde-champèêtre, d’un âge moyen,
avait vu se former assez rapidement, et sans cause ap-
préciable autre qu'une chute faite , un an auparavant, sur
le grand trochanter, à la partie supérieure de la cuisse
gauche, s'étendant à tout le membre et jusqu'à l'abdomen,
une tumeur dont le prompt accroissement l’incommoda
bientôt au pont de ne pouvoir plus marcher; elle était
diffuse, rénitente, douloureuse à la pression; la peau
tendue, de couleur violacée et parsemée de vemes di-
latées, sans chaleur, sans fluctuation évidente, sans pul-
sations. M. Scoutetten la fit voir à quelques confrères ;
plusieurs opinions furent émises sur son caractère; celle
de M. Scoutetten fut que c'était une tumeur fongueuse
sanguine, une sorte de fungus hœmatodes ; une ponction
exploratrice, toutefois, fut pratiquée, l'issue de quelques
gouttes d’un sang noir et la résistance crépitante éprouvée
en plongeant le trocart, et surtout en passant un stylet
dans sa canule, confirmèrent ce diagnostic.
Le sujet, quoique affaibli par la douleur, était encore en
bon état, bien disposé d’ailleurs ; une seule voie de salut
parut admissible, l'amputation de la cuisse dans l’article,
elle lui fut proposée, il l’accepta courageusement, on la
fixa au lendemain. La tumeur occupant la région in-
7
.
130 TROISIÈME SECTION.
guinale , 1l devenait impossible d'y lier ni d'y comprimer
l'artère, et cependant il importait de se rendre maître du
sang avant tout; le seul moyen était la ligature préli-
minaire de l'artère iliaque externe, que M. Scoutetten
pratiqua avec quelques difficultés, vu sa profondeur et
sa déviation, mais avec bonheur ; il passa ensuite à la
désarticulation du membre par la méthode ovalaire qu'il
a étendue à toutes les articulations qui en sont suscep-
tibles * ; la présence de la tumeur mit l'opérateur dans
la nécessité d'apporter quelques modifications à son pro-
cédé ; le membre enlevé, il en résulta une plaie énorme ;
l'artère obturatrice fut la seule qui nécessita une ligature.
On ne tarda pas à s'apercevoir que la tumeur avait jeté
deux prolongemens jusque dans l'abdomen, l'un par
dessous le ligament de Fallope, l’autre par le trou sous-
pubien. On fit ce que l’on put pour extraire ces appen-
dices de la tumeur ; ensuite sept points de suture rap-
prochèrent les lèvres de la plaie qui fut recouverte d’un
appareil convenable.
L'examen anatomique de la tumeur fit voir la peau
rouge et amincie recouvrant un tissu cellulaire condensé ;
la tumeur molle, encéphaloïde , grisâtre , rougeûtre ,
enveloppant les muscles dénaturés de la partie mterne de
la cuisse et embrassant la demi-circonférence mterne du
fémur dénudé et carié.
Après l'opération, le malade fut pris d’un délire qui
dura une partie de la nuit ; le lendemain, quelques symp-
tômes de péritonite furent arrêtés, enfin, après avoir
donné l'espoir d’un succès, le malade succomba le dix-
* La méthode ovalaire, ou nouvelle méthode, pour amputer dans
les articulations, par H. Scoutetten, in-4° ayec 11 planches. Paris,
chez Me Delaunay, lib. 1827.
TROISIÈME SECTION, 4151
neuvième jour après l'opération ; la plaie de l'amputation
étant complètement cicatrisée *
M. de Beausire , ancien officier d'artillerie, demande
à parler sur la sixième question du programme relative
au magnétisme animal, Il cite des expériences dans les-
quelles il a été ou témoim ou acteur; 1l donne quelques
explications confirmatives, selon lui, de la doctrine du
somnambulisme, et propose d'inviter deux personnes de
sa connaissance qui s'occupent beaucoup de ce sujet, à
se rendre un jour à la section.
M. le docteur Lacauchie a la parole sur le même
sujet, et, sans rejeter tout ce qui a été avancé sur le
magnétisme, déclare être convaincu qu'il entre de la
fraude et du compérage dans toutes les scènes magné-
tiques et de l'illusion dans ce que des témoins bénévoles
ont vu ou cru voir; il cite un fait remarquable qui in-
firme l'existence du somnambulisme et se livre à des con-
sidérations entendues avec intérêt.
M. le président dit quelques mots sur le sujet en dis-
cussion , remercie M. de Bausire et le prie de donner suite
à sa + aie il ouvre l'avis de nommer une commis-
sion pour suivre les expériences qui seront faites.
M. le docteur Hénot raconte des expériences de som-
nambulisme qui ont été faites en sa présence, à Lille,
par un jeune médecin , le docteur Berna , qui a choisi le
sujet pour sa thèse, a été admis, depuis, à en entretenir
l'académie de médecine de Paris, et à faire pardevant
une commission prise dans son sein, des expériences dont
le résultat n’a paru rien moins que coucluant en faveur
_ du somnambulisme.
Le fait communiqué par M. Hénot semblerait constater,
* Nous n'avons pas cru devoir donner ici les détails de la nécropsie.
(Note du secrétaire de la section.)
452 TROISIÈME SECTION.
chez un jeune soldat, comme chez la somnambule de
M. Berna à Paris, la suspension totale de la sensibilité
des organes des sens et le retour de cette sensibilité à
la volonté du magnétiseur.
La section a reçu les deux premièrs numéros de la
Revue Austrasienne.
L'ordre du jour de demain sera 1° une exposition
succincte de la doctrine phrénoiogique par M. le docteur
Scoutetten. 2° Une communication de M. le docteur
Hénot sur une tumeur cancéreuse.
La séance est levée à une heure et un quart.
SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE.
Présidence de M. LazLemanr.
Le procès-verbal est lu et adopté.
M. de Romécourt, conseiller à la cour royale, matt
que l'on doit perle sur la phrénologie, demande à
répliquer à l’orateur ; sa proposition est acceptée.
L'ordre du jour donne la parole à M. le docteur
Scoutetten sur la septième question du programme.
Ce médecm qui, il y a trois ans, à fait, à l’Hôtel-
de-Ville, un cours de phrénologie qui a été fort suivi, |
débute par un aperçu historique sur Gall et sa doctrine ; |
selon lui l'accueil qu'on leur fit d’abord, en France,
ne fut pas de nature à flatter et satisfaire le savant phy-
siologiste étranger.
M. Scoutetten indique le but de la phrénologie, rap-
pelle les idées des philosophes tant anciens que mo-
dernes sur les deux principes qui constituent l’homme |
TROISIÈME SECTION. 133
et les systèmes des diverses écoles philosophiques ; il
entre ensuite dans le fond du sujet ; il le divise en quatre
points fondamentaux qu'il développe autant que le com-
porte la circonstanee et que le temps le lui permet.
IL: passe ensuite aux modifications qu'apporte Spurtz-
heïm à la doctrine de son maître , et rapporte plusieurs
faits à l'appui de la localisation des facultés ; il fait sentir
les heureuses applications qu'on a déjà faites de la phré-
nologie, et celles que l'on peut faire encore à l’éduca-
tion et à la conduite des hommes, à la direction à donner
à leurs facultés, à la prévention et à la répression des
crimes et délits, enfin, au bien-être de l’homme qu'elle
doit, pour ainsi dire , accompagner depuis sa naissance
jusqu’au tombeau.
Cette improvisation chaleureuse est entendue:avec beau-
coup d'intérêt.
M. le président met aux voix la question si la section
proposera au Congrès d'entendre M. Scoutetten sur cette
matière en séance générale ; la question est résolue par
l'affirmative.
Relativement à l'accueil que Gall reçut en France,
M. Lallemant remarque que les hommes de science ,
indépendas , les philosophes, les médecins l’accueillirent
avec faveur , à quoi l'orateur ajoute qu’à son apparition,
Gall fut considéré sous deux rapports, comme anatomiste
habile, surtout dans l'anatomie du cerveau et du système
nerveux , en général ; comme phrénologiste et promoteur
d'une doctrine redoutée de certaines gens.
M. Grommier, élève distingué de notre école de mé-
decine et chhurgie militaires , reprend ce sujet en annon-
ant qu'il va considérer la phrénologie sous des rapports
plus matériels, en quelque sorte, et comme constituant
la physiologie du cerveau ; il rappelle que les principes
415% ÿ TROISIÈME SECTION.
de cette doctrine ont été fondés par des philosophes de
l'antiquité, et se livre aux considérations générales que
comporte le sujet. Avec les phrénologistes les plus mo-
dernes, il reconnaît, dans le cerveau, des organes con-
génères et des organes antagonistes, et passe en revue les
trois grandes divisions sous lesquelles les phrénologistes
ont rangé toutes les facultés. Ce jeune médecin est entendu
avec intérêt.
M. de Romécourt, inscrit pour répliquer, a la parole.
Il annonce que son intention m'est pas de combattre à
outrance la doctrine phrénologique , encore moins d’ac-
cuser Gall d’athéisme et de matérialisme , ainsi que l'ont
fait quelques personnes, mais, seulement, de présenter
quelques réflexions dubitatives, capables d’atténuer et de
restreindre les conséquences que l’on tire de cette doc-
trine ; il lui reproche d’avoir oublié les considérations
physiologiques relatives à l'influeuce des autres organes
sur la pensée et la direction des actions; de l'estomac,
des intestins, du foie, de la rate, etc., d'accorder trop
à la matière ; il se demande comment un organe composé
d'eau, d’albumine, de matière grasse, d’osmazome, de
soufre, de phosphore, etc., pourrait fournir à des pen-
chans si divers, à des dispositions si variées, à tant de si
nobles facultés. À ce sujet, un membre rappelle qu’en 1854,
un médecim, le docteur Couerbe, présentant à l’acadé-
mie des sciences de Paris, une nouvelle analyse du cer-
veau, avança que, de la juste proportion du dernier de
ces principes , le phosphore, dépendait le libre exercice
des facultés intellectuelles ; qu’en excès, il produirait la
folie, en défaut l’idiotisme.
L'heure avancée ne permettant pas de contmuer la
discussion , M. le président propose de la remettre à de-
main. Adopté.
TROISIÈME SECTION. 4155
- M. le docteur Hénot demande à être entendu dans la pro-
chaine séance sur un fait qui a rapport à la neuvième ques-
tion du programme. L'ordre du jour de cette séance sera :
1° La communication de M. le docteur Hénot, qui
obtient la priorité pour la convenance de son malade,
qu'il présentera à la section.
2° La continuation de la discussion sur la phrénologie.
M. le docteur du Haldat, de Nancy, remarque qu'il se-
rait peut-être plus profitable d'entendre des lectures que
des improvisations.
M. le président annonce que M. Maréchal se démet
des fonctions de secrétaire-adjoint, et propose de le rem-
placer par M. le docteur Gaillot qui a rempli celles de
secrétaire-provisoire dans les séances préparatoires. La
proposition est adoptée ; M. Gillot accepte.
M. Scoutetten présente à la section un de ses malades,
homme de 40 ans qui , à la suite d’une apoplexie, a perdu
la mémoire de plusieurs mots, notamment des noms subs-
tantif les plus vulgaires , tels que chapeau, par exemple.
La séance est levée à une heure.
SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE.
J
Présidence de M. LaLzemanr.
Le procès-verbal est lu et adopté.
La section a recu de M. Vanderback, chirurgien-major
en retraite , à Tnonville , une notice sur une source d’eau
minérale existante aux environs de cette place; M. Ter-
quem, pharmacien, est prié d'en rendre compte à la
section.
156 TROISIÈME SECTION.
M. le docteur Gaillot fait la proposition de lire, à l’une
des séances suivantes, comme se rattachant aux premières
questions du programme, une noce sur le choléra qui
a régné dans notre département en 1852.
Après quelques oblervations faites par plusieurs mem-
bres, la proposition est accueillie.
M. le docteur Hénot lit une observation ayant trait à
la neuvième question du programme : Un homme de la
campagne , âgé de 50 ans, porte, dans la région mastoï-
dienne, au-dessous de l'oreille droite qu'elle intéresse,
une tumeur cancéreuse ; cet homme, sain, d’ailleurs,
d'un caractère ferme et résolu, demande à être débar-
rassé de sa tumeur. Dans l'opération, le pavillon de l'o-
reille intact, est détaché et conservé , la tumeur cernée,
disséquée et enlevée à une grande profondeur , plusieurs
artères importantes sont liées ; l'hémorrhagie arrêtée , le
fond de la plaie est touché avec des cautères imcandes-
cens, afin de consumer ce qui aurait pu échapper à l’ins-
trument ; après ce, le pavillon de l'oreille, conservé, est
rapproché et fixé par plusieurs ponts de suture, et l'o-
péré pansé convenablement. Cette grave opération ne fut
suivie d'aucun accident, la plaie est sur le point d’être
guérie, elle ne laisse pas de difformité ; toutefois, l’as-
pect de ce qui en reste, donne quelques inquiétudes sur
une récidive ; cet homme courageux est présent au récit
de ce qui le concerne.
M. le docteur Chaumas est appelé à rendre compte
des deux premiers numéros de la Revue Anstrasienne ; 1l
annonce qu'il ne s'y trouve de médical qu'un article de
M. le docteur Begin, relatif aux influences sidérales sur
les corps orgamsés, article écrit avec esprit.
M. le docteur Scoutetten dit un mot sur la brochure
présentée à la section par M. Boret, et ayant pour titre:
TROISIÈME SECTION. 137
Notice sur la médecine homæopathique ; c’est, dit le rap-
porteur, une critique fine et spirituelle de cette singu-
hère doctrine.
M. Grommier reprend, pour la terminer, sa lecture
de la veille sur la phrénologie. On reconnaît à cette com-
position , l'élève d’un des premiers phrénologistes de l’é-
poque ; elle jette de vives lumières sur la septième ques-
tion du programme, et est entendue avec plaisir ; la sec-
tion décide que la lecture de ce mémoire, en séance
générale, sera proposée au Congrès.
M. le docteur Scoutetten prend la parole et regrette
de ne pas voir à la séance quelqu’antagoniste de la doc-
trine ; il allait entrer en matière, quand M. le docteur
Chaumas demande à faire connaître une objection qu'il
adressa, autrefois , à Gall, lui-même, sur l'épaisseur va-
riable des os du crâne en leurs différens points et sur
le développement non moms variable des sinus, condi-
tions qui doivent rendre difficile, smon impossible, l'ap-
préciation des protubérances, et, par conséquent, celle
des facultés qu'elles sont censées représenter , objection
à laquelle Gall ne répondit pas, dit M. Chaumas.
M. Scoutetten réplique que le système des protubé-
rances ou bosses, auquel le vulgaire donne une attention
qu'il ne mérite pas et attache une importance qu'il n’a
pas réellement, n’est qu'un accessoire, et que cette ob-
jection ‘ne porte aucune attemte à la doctrme de la
localisation des facultés. M. Grommier, d'autre part,
explique comment on peut faire abstraction des smus
frontaux par un mode de mensuration qu'a indiqué M.
Dumonter.
Une autre objection est élevée par quelques membres ;
elle repose sur l'intervalle qu'à l'ouverture du crâne,
dans les nécropsies, on trouve quelquefois entre cette
18
158 TROISIÈME SECTION.
boîte osseuse et le cerveau, c’est-à-dire entre les deux
feuillets de sa membrane séreuse, espace que l’on admet
généralement comme rempli par un liquide dont la quan-
tité varie avec l'étendue de l’espace. M. le D' Lacauchie
fait remarquer que ce liquide n’a jamais été observé qu'a-
près des recherches nécroscopiques, attendu qu'il est,
le plus souvent, le produit de la mort, c’est-à-dire un
effet cadavérique, et même un produit rapide.
M. le président, prenant part à la discussion, objecte
qu'après la mort, le mouvement d'absorption persiste
plus long-temps que celui d’exhalation, ce qui serait
contraire à l'opinion du préopinant.
M. Lacauchie réplique que ce qui se passe alors dans
la cavité arachnoïdienne n’est pas un effet vital, mais
bien tout physique et il l'explique ainsi: le cerveau di-
minue de volume au moment de la mort, en perdant
une grande partie du sang qu'il contenait, il revient
sur lui-même; mais la boîte osseuse qui le contient ne
pouvant suivre son retrait, l'espace arachnoïdien doit
s'agrandir; c’est cet agrandissement ainsi produit qui
détermine l'accumulation du liquide que l’on trouve
dans les nécropsies; d'abord parce que la vapeur qui
occupait cet espace pendant la vie ne suffit plus , par sa
tension, pour faire équilibre aux pressions concentriques ;
ensuite parce qu’à la mort la température des organes
baissant , la plus grande partie de cette vapeur se con-
dense, de manière qu'il y aurait, dans ce cas, un vé-
ritable phénomène d'aspiration qui appelle le liquide
dans la cavité arachnoïdienne, agrandie par les deux
causes qui viennent d'être mdiquées.
Après cette discussion incidente , on propose de revenir
à la question principale , mais l'heure avancée ne permet
pas de continuer.
TROISIÈME SECTION. 139
M: Braconnot vice-président , étant retourné à Nancy,
M. le président propose de procéder à son remplace-
ment; on va au scrutin; M. le docteur Lahalle est
nommé au second tour.
M. le président annonce que M. le docteur Franck,
agrégé à la faculté de Montpellier, fera, dans une des
prochaines séances, une communication sur une des plus
belles conquêtes de la chirurgie moderne , la lithotricie à
et Sur la possibilité de la pratiquer par l'hypogastre.
L'ordre du jour de demain est fixé ainsi qu'il suit:
1° Lecture de M. le docteur Gillot sur l'épidémie
cholérique de 1852.
2° Continuation de la discussion sur la phrénologie.
M: Grommier devant s'absenter pour une mission,
demande à être entendu demain en séance générale.
La séance est levée à une heure.
SÉANCE DU DIMANCHE 40 SEPTEMBRE.
Présidence de M. LaALLEMANT.
Le procès-verbal est lu ; il subit plusieurs rectifications
avant d'être adopté. .
Un jeune médecin , M. Defer, présente à la section
un tourniquet modifié par lui et destiné à la compres-
sion des troncs artériels ; il en fait la démonstration et
en indique l'emploi ; il peut servir aussi pour la saignée.
La section le trouve remarquable par sa simplicité, la
facilité et la promptitude de son application.
M: Gillot Lit son mémoire sur l'épidémie de choléra
qui a sévi dans le département en 4832. Cette lecture
440 TROISIÈME SECTION.
entendue avec intérêt occupe une grande partie de la
séance et n’est pas terminée; M. Gaillot la suspend vu
l'heure avancée. M. le docteur Maréchal demande à.
faire des observations sur ce travail dans une séance
prochaine.
La section a recu les brochures suivantes :
4° De la nécessité d'établir un service médical dans
les campagnes, par M. le docteur Haxo.
2° Considérations médico-philosophiques sur quelques
maladies affectant spécialement les classes pauvres ; par
le même médecin.
5° Eloge de feu Gaillardot, docteur en médecme à
Lunéville et géologue distingué.
L'ordre du jour de demain est une communication
de M. le docteur Scoutetten sur l'épidémie de fièvres
muqueuses qui a régné cette année.
La séance est levée à une heure et quart.
SÉANCE DU LUNDI 41 SEPTEMBRE:
Présidence de M. LaLLEmanT.
Le procès-verbal est lu et adopté.
Le bureau du Congrès renvoie à la section un mé-
moire manuscrit de M. Chavannes, de Mirecourt (Vosges),
ayant pour titre: Essai sur l'opportunité d’une loi sur la
propagation de la vaccine. M. le docteur Terquem est
nommé rapporteur.
M. le docteur Résimont demande à présenter et pré-
sente à la section un homme de la campagne, opéré
par lui, d'un cancer de la commissure gauche des lèvres ;
!
TROISIÈME SECTION. . Ai
l'opération n'a laissé qu'une cicatrice nette et peu dif
forme, quoique la perte de substance ait été assez con-
sidérable. Le même médecin présente un bocal renfer-
mant dans de l'alcool, une tumeur lipomateuse qui
occupait la partie postérieure de l'épaule droite et le
creux de l’aisselle qu’elle remplissait, et qu'il a enlevée
heureusement chez une femme de 56 ans.
L'ordre du jour donne la parole à M. Scoutetten pour
sa communication sur la gastro-entérite folliculeuse , et
incidemment , sur les doctrines médicales actuelles con-
cernant les fièvres.
M. Scoutetten, après avoir jeté un coup d'œil sur
l'origine et les destinées de la doctrine physiologique,
en disciple reconnaissant, regrette son abandon et la
marche rétrograde que quelques médecins de l’époque
semblent vouloir imprimer à la science ; les uns, d’après
une théorie erronée, n’ont pas craint d’administrer des
purgatifs dans la maladie dont il s'agit, d’autres des
désinfectans, d'autres des toniques. Il rejette les déno-
minations diverses et crompeuses sous lesquelles quelques
nosologistes modernes désignent les phlegmasies intesti-
nales. Un des premiers, sous les yeux du maïtre ou en-
couragé par lui , il s’est livré à de nombreuses recherches
et expériences sur les divers états de la membrane mu-
queuse dans ces affections; un des premiers il a dis-
tingué les caractères anatomiques de la congestion, de
l'imbibition, de l’inflammation. Il admet dans cette mem-
brane trois élémens organiques essentiels, les villosités ,
les follicules, les expansions nerveuses; ces élémens 1r-
rités , enflammés isolément ou simultanément et en des
proportions diverses, constituent selon lui, la gastro-
entérite villeuse , la gastro-entérite folliculeuse , la gastro-
entérite typhoïde.
142 TROISIÈME SECTION.
En plaçant des animaux dans des conditions hygié-
niques particulières , il a produit, à volonté, ces diverses
maladies. M. Scoutetten est d'avis que les bases de la
doctrine physiologique étaient assez solidement posées ,
soit par son fondateur , soit par ses principaux disciples ,
pour qu’on continuât à élever l'édifice sur le même plan
et pour que le traitement de ces maladies n’offrit plus les
vacillations , les incertitudes, dans lesquelles on voit errer
les médecins qui ont abandonné ou méconnu la doctrine.
Loin de là, on a travaillé dans des directions opposées ,
on s’est égaré; et s'il arrivait que les novateurs fissent
de nombreux prosélytes ; si les voies ouvertes par lil-
lustre professeur du Val-de-Grâce pouvaient être désertées ,
il en résulterait un chaos déplorable.
I rappelle comment il convient de procéder à l'étude
des maladies. La méthode numérique qu'appellent à
leur aide les médecins qui voudraient fonder des théories
nouvelles et les justifier par de nouveaux modes de
traitement ne le satisfait point et ne lui paraît pas avoir
la spécieuse certitude , ni mériter la confiance, qu'au
premier apercu, on serait porté à lui accorder.
M. le docteur Maillot, médecin militaire, arrivant d’A-
frique, et encore sous l'impression des désastres qu'il y
a vus causés par l'influence de certaines localités et des
circonstances insolites dans lesquelles s'y trouvent les
malades, réplique que toutes les fièvres ne sont pas
dues à l'inflammation pure de la muqueuse gastro-imtes-
timale ; que cette proposition qu'a émise , il y a quinze
ou vingt ans, un médecin jeune encore, sortant de l’école
physiologique , et qu'un travail intellectuel immodéré a
enlevé prématurément sous nos yeux, à la science qu'il
était appelé à agrandir, est pour lui une vérité de
&°t; 21 dit que l'inflammation pure et simple de la mu-
TROISIÈME SECTION. 143
queuse gastro-mtestinale ne tue pas; que le danger est
dans la réaction de l'inflammation sur les grands centres
nerveux, réaction qui donne à la maladie le caractère
ataxique ou la forme intermittente, rémittente plus ou
moins prononcée et même subcontinue, qui fait quelque-
fois vaciller le médecin dans sa conduite.
Que, dans les cas de cette nature, cas trop souvent
entourés de difficultés, la médication antiphlogistique ne
suffit plus; qu'omise ou employée préalablement, on a
senti, en tout temps, la nécessité de recourir à des mo-
dificateurs du système nerveux de la vie organique, à
l'écorce du Pérou ou au sulfate de quinine qui la rem-
place aujourd'hui si avantageusement, aux éthers, etc. 3
que le fait n’est pas nouveau , puisqu’un celèbre médecin
itahen , Torti, à fixé, il y a plus d’un siècle, les bases
de cette médication, et, plus récemment, un illustre pro-
fesseur de la faculté de Montpellier.
M. Maillot reproduit ici, un reproche fait aux élèves
de l’école physiologique, celui de ne tenir aucun compte
de ce qui a été dit ou fait avant eux; de négliger trop
l'étude des anciens, surtout des épidémiologistes, attendu
que, sous le rapport de la gravité, il y a de notables
différences entre les gastro-entérites sporadiques et les
épidémiques. Enfin, il rappelle que le chef de l'école,
lui-même, a senti la nécessité de ces modificateurs dans
le cas dont il s'agit.
Arrivé en Afrique, à Bone notamment, où régnait une
épidémie de gastro-entérite-typhoïde , nourri des principes
de la doctrine physiologique, M. le docteur Maillot dit
avoir vu de graves conséquences résulter de son applica-
tion exclusive ; il s'en est écarté en tremblant , pressé par
la nécessité et sa conscience, et il a été moins malheu-
reux ; enhardi par ses premiers succès, il a marché
444 TROISIÈME SECTION.
d'un pas plus assuré dans cette nouvelle voie, et il en a
obtenu de plus concluans qu'il'a consignés dans un ou-
vrage qui a fait sensation *,
M. Scoutetten réplique à plusieurs des assertions de
M. Maillot ; 1l justifie la doctrine physiologique du re-
proche d’être exclusive; reverse sur quelques-uns des
médecins qui, aujourd'hui, sont à la tête de l’enseigne-
ment , le reproche bien plus grave d'abandonner la bonne
voie, de rétrograder, de faire de l'empirisme, de l’élec-
tisme, et cela, non toujours par conviction, mais par
spéculation.
M. Mallot répond, en disant que ce qu'il a observé
en Afrique à été vu par plusieurs autres médecins qui,
en présence des mêmes circonstances, ont été obligés
d'agir comme lui; que cette médication excitante, toni-
que, antipériodique, dirigée contre les fièvres intermit-
tentes, remittentes et pitates , Da point paru exas-
pérer l'inflammation gastro-intestinale.
M. Scoutetten remarque que beaucoup de ces préten-
dues fièvres ne sont que des congestions sanguines sur
quelqu'un des grands viscères, centres de vitalité ; il est,
en cela, d'accord avec M. Maillot.
M. le président fait observer que la question est loin
d'être épuisée et propose de continuer la discussion dans
une autre séance.
L'ordre du jour de celle de demain, sera :
4° La communication de M. Franck sur la hithotricie
et la possibilité de pratiquer le broiement par l'hypo-
gastre,
* Traité des fièvres ou irritations cérébro-spinales intermittentes,
d'après des observations recueillies en France, en Corse et en Afrique,
par F. C. Maillot, etc, Paris, 1856.
TROISIÈME SECTION. 145
2° La contimuation de la discussion sur la gastro-en-
térite.
La séance est levée à deux heures et demie.
SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Lazremanr.
Le procès-verbal est lu et adopté après plusieurs rec-
üfications et modifications demandées et consenties.
M. le docteur Franck lit un mémoire imprimé sur
la possibilité de broyer et d'extraire des calculs par la
ponction de la vessie faite à l'hypogastre. Cette idée lui
vint dans un cas d'oblitération de l’urètre à la suite de
la contusion et de la déchirure de ce canal par une chute
sur le périné : les accidens de la rétention étant devenus
pressans , 1] fallut recourir à la ponction, elle fut pra-
tiquée à l'hypogastre. Ici le hasard, qui, si souvent,
met sur la voie des découvertes, vint suggérer à M. Franck
l'idée de porter, par cette voie, des instrumens lithotri-
teurs dans la vessie, et voici comment : en substituant
une sonde d'argent droite à une de gomme élastique, il
s’aperçut que la vessie de son malade recélait des calculs ;
un petit fragment s’engagea même dans les yeux de la
sonde et fut retiré avec elle, il avait huït lignes dans son
plus grand diamètre ; de là , M. Franck a conclu à la pos-
sibilité qu'il a constatée par des essais sur le cadavre, de
dilater graduellement le trajet fistuleux à l'aide de l’é-
ponge préparée et de l'agrandir assez pour livrer pas-
sage aux instrumens lthotriteurs, et, après eux, à de
grosses canules par lesquelles sortiraient les fragmens du
_ calcul.
19
446 TROISIÈME SECTION.
MM. Hénot, Chaumas, Lacauchie, font plusieurs ob-
jections à ce projet d'opération; M. Franck y répond
par des faits d'anatomie pathologique, ajoutant que sa
proposition ne s'applique qu'à certains cas déterminés ,
comme l'oblitération de l’urètre, son excessive étroitesse,
sa sensibilité portée au point de ne pouvoir supporter le
contact des instrumens , ainsi que cela se voit quelquefois.
M. Lahalle, vice-président, rapporte, à ce sujet, un
fait qui a quelqu'analogie avec la première partie de
celui de M. Franck, la déchirure du canal par une chute
sur le périné.
M. de Gargan, qui n’est point médecin, mais s'oc-
cupe de magnétisme animal, est présent à la séance; il
est une des personnes que M. de Beausire a proposé d’y
amener. 4
M. le président le remercie et le prie de communi-
quer à la section quelques-unes de ses observations et
les résultats de ses expériences, relatifs à la sixième ques-
tion du programme. M. de Beausire répond pour lui
qu'un certam degré de souffrance étant nécessaire pour
disposer un sujet à recevoir l'influence magnétique et,
surtout, pour décider le somnambulisme, il est difficile,
sinon impossible, d'improviser des expériences sur un
sujet sain. Sur ce, M. le docteur Chaumas propose de
chercher dans les hôpitaux un sujet du sexe féminm
pour le soumettre à des expériences.
M. le président propose de nommer une commission
prise parmi les membres de la société de médecme , qui
suivrait les expériences de M. de Gargan , afin d'arriver
à quelque chose de vrai, de positif, et de faire, en
séance générale du Congrès, appel aux personnes qui
s'occupent de magnétisme, en les priant de se jomdre à
la commission ; elle se compose à l'instant de MM. Chau-
TROISIÈME SECTION.
mas, Lacauchie, Hénot, Scoutetten, Maréchal ; les ex-
périences seront faites par MM. de Gargan, de Bausire,
de Saulcy, Demulier, etc. Un grand nombre de mem-
bres de la section demandent la faculté d'y assister, et
se font inscrire à cet effet.
Ont été présentés à la section, les ouvrages SULVanNS :
Note sur le choléra, par M. Lepage.
Mémoire sur le danger des inhumations précipitées.
Brochure de M. Franck, sur la Lithotricie hypogas-
trique.
L'ordre du jour de demain sera :
1° Une communication de M. Hénot, sur un fat de
chirurgie ;
90 La continuation de la discussion sur la gastro-en-
térite folliculeuse.
M. le président communique à la section une propo-
sition faite par M. le président du Congrès, de donner
un plan d'hygiène publique et privée, en harmonie avec
les connaissances actuelles.
La séance est levée à deux heures et demie.
SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE.
Présidence de M. LamaLe vice-président.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu et
adopté après une rectification. É
M. le secrétaire Willaume étant souffrant, M. Gillot,
secrétaire-adjoint le remplace.
La section recoit plusieurs brochures qui lui sont
envoyées par le bureau du Congrès. à
148 TROISIÈME SECTION.
4° Lettres sur le choléra par M. Aloysius de Mey.
2° Réflexions relatives à l’organisation du corps mé-
dical , présentées au Congrès scientifique de France séant
à Blois.
5° Découverte et procès de la médecine synthétique ;
mémoires justificatifs en appel à la cour royale de Mont-
pellier, par les sieurs Giaume, Queirel, Labourey, chi-
muistes à Marsoille.
h° Découverte de M. Labourey, avec cette épigraphe :
« frappe, mais écoute. »
5. Note sur le choléra, par le même.
6° Adresse à MM. les honorables députés.
7° Règlement indispensable pour l'instruction de l'af-
faire Labourey, et mémoire en appel, par le même.
8° Rapport succinct aux chambres de la cour royale
de Montpellier, par le même.
9° Le cercle scientifique de Marseille au Congrès scien-
üfique de France, par le même.
Tout ce qui est relatif à M. Labourey est remis à M. le
docteur Warmé pour en faire un rapport.
M. Maréchal est chargé de celui de la brochure de
M. Aloysius de Mey.
On passe à l'ordre du jour.
La parole est à M. Hénot ; il communique à la section
l'histoire d’un militaire qui, après avoir recu un coup
de carabine qui avait emporté une grande partie de la
lèvre inférieure, du menton, et de l'os maxillare, un
an auparavant, offrait une difformité considérable avec
perte de la faculté de parler, d’avaler, et écoulement
continuel de salive ; ce dernier accident avait réduit le
blessé à un état trèsfàcheux ; M. Hénot conçut l’espoir
de l'en tirer, par une opération qui consistait dans la
résection des fragmens saillans de l'os maxillaire infé-
TROISIÈME SECTION. 149
rieur, dans la dissection des lambeaux cicatrisés de la
lèvre et du menton, et dans la réparation de ces parües.
L'opération fut excutée comme elle avait été conçue et
eut tout le succès qu'on pouvait en attendre. Le sujet
est soumis à l'examen des membres de la section.
M. le docteur Terquem, rapporteur du mémoire de
M. Chavanne, sur la nécessité d’une loi relative à la pra-
tique de la vaccine, s'associe aux vues philantropiques
de ce médecin et propose de solliciter cette loi des cham-
bres et du ministre, par l'intermédiaire du congrès. La
conclusion du rapporteur est mise aux voix et adoptée,
nonobstant une observation de M. le docteur Chaumas.
M. Terquem, pharmacien, chargé d’un rapport sur le
mémoire de M. Vanderbach, relatif à une source d’eau
minérale existant aux environs de Thionville, annonce que
l'examen du gisement de cette source et l'analyse de l’eau
qu’elle fournit demandent trop de temps pour qu'il puisse
en entretenir la section pendant l'existence du congrès ;
il fera, plus tard, son rapport à la société de médecme.
L'ordre du jour amène la reprise de la discussion sur
les fièvres dites muqueuses ou folliculeuses et typhoïdes,
et sur l’étiologie que M. Scoutetten en a donnée dans
la séance précédente.
M. Lacauchie combat les conséquences que M. Scou-
tetten a tirées de ses expériences sur les animaux, tout
en convenant avec lui de la nécessité d'étudier ces causes
et leur haison avec les symptômes et les altérations or-
ganiques subséquentes ; il refuse de regarder les lésions
anatomiques produites par M. Scoutetten et signalées par
lui, comme causes suffisantes de ces maladies et comme
fourmissant, seules, les indications de leur traitement ;
dans les cas, surtout, où elles ont le caractère épidé-
mique, comme cela a eu lieu cette année dans notre
'
4150 TROISIÈME SECTION.
x
ville, 1l admet, comme donnant à ces maladies, une
forme particulière, un agent modificateur du système
nerveux, puissant, subtil, dont il ne connaît ni la nature
ni l'essence, mais dont il est tenté de comparer les effets
à ceux de l'agent producteur de la variole, et qui, comme
ce dernier, a aussi sa période d’incubation ; que c’est
sur l'appareil nerveux ganglionnaire surtout, qu'il porte
son action, et qu'elle y produit des effets variables selon
la disposition du sujet et les circonstances dans lesquelles
il a été ou est encore placé.
M. Scoutetten réplique qu'il s’en faut que tous les mé-
decms procèdent dans l'étude et l'appréciation des états
morbides , comme il a dit qu'il convenait de le faire, et
cite en preuve Hahnemann et ses partisans. Il cherche à
démontrer que tous les symptômes des fièvres muqueuses
s'expliquent très-bien par l'affection de la muqueuse, ses
divers degrés d'intensité, sa marche rétrograde ou pro-
gressive, la conduite du malade par rapport aux règles
de l'hygiène, de la diététique ; celle du médecin, par
rapport au traitement, sans qu'il soit besoin, pour expli-
quer les phénomènes qu'offrent ces maladies, de faire
intervenir un agent inconnu; et, contre l'opinion expri-
mée par M. le docteur Maillot, dans une des dernières
séances, qu'elles peuvent se terminer par la mort, sans
que les centres nerveux soient gravement compromus. Il
ajoute que dès que la nature intime d’une cause morbi-
fique est inconnue, il n’y a pas lieu à s'occuper d’elle
dans le traitement, mais seulement de ses effets, à moins
qu'il ne s'agisse d’un agent spécifique reconnu.
M. le président croyant s'apercevoir que la discussion
s'écarte de l’objet principal et prend de l'extension , la
résume en disant que M. le docteur Lacauchie admet
que dans un grand nombre d'affections muqueuses,
TROISIÈME SECTION. 154
simples ou typhoïdes , surtout si elles sont épidémiques ,
:l faut admettre comme cause prédisposante et même
déterminante , une influence miasmatique, une sorte
d’empoisonnement dont l'effet se fait sentir particulière-
ment sur le système nerveux ganglionnaire ; tandis que
M. le docteur Scoutetten n’admettant cette influence
miasmatique que comme cause secondaire ; possible ,
mais non nécessaire , rapporte tous les phénomènes mor-
bides à l’action d’agens hygiéniques parfaitement connus,
appréciables , sur la membrane muqueuse exclusivement.
L'heure avancée ne permet pas de continuer la dis-
eussion; la matière offrant un grand intérêt scientifique
et pratique, elle est remise à l'ordre du jour de demain
et sera précédée de la lecture des rapports sur les ou-
vrages adressés à la section.
La séance est levée à une heure et quart.
SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Lame, vice-président.
Le procès-verbal est lu et adopté après quelques rec-
tifications.
M. le docteur Maréchal rend compte des lettres de
M. le docteur Mey sur le choléra, publiées en 1852 ;
ces lettres n'ont plus le mérite de la nouveauté ; on
n'y trouve que des conseils hygiéniques et préservatifs
fort sages , mais d’ailleurs , rien de nouveau ni qui puisse
jeter quelque jour sur l’étiologie de cette cruelle maladie.
* La parole est à M. le docteur Warmé pour rendre
compte de nombreuses brochures adressées à la section
152 TROISIÈME SECTION.
par MM. Labourey et Duclos de Marseille, 11 déclare
que les sujets traités dans ces brochures et surtout la
manière dont ils y sont traités, n'ayant rien de scien-
üfique , et sentant le charlatanisme, des médecins graves
et judicieux, n’ont pas à s'en occuper; il s’agit d’un
remède secret et de plusieurs procès qu'il a suscités à
leur auteur ; le tout ne mérite pas d'occuper plus long-
temps la section.
M. Scoutetten reprend la discussion sur les fièvres mu-
queuses typhoïdes. Après quelques considérations phy-
siologiques et pathologiques basées sur l'anatomie patho-
logique , il établit que la muqueuse gastro-intestinale ,
selon la nature des agens qui la sur-excitent, présente
des altérations différentes; que par exemple, si des al-
cooliques sont ingérés, soit chez l'homme, soit chez les
animaux, leur action se porte particulièrement sur les
villosités qui s'érigent, s’injectent , se conjestionnent ou
s'enflamment selon l'intensité, la durée d'action de l'ex-
citant et la disposition du sujet; si des substances vo-
mitives ou purgatives , ou autres agissant à leur manière,
c’est sur les follicules que se portera leur action ; irrités
leur secrétion augmente, le sang y afflue et peut en
être exhalé.
C'est par la prédominance de l'excitation dans lun
ou l’autre de ces élémens anatomiques que l’on peut
expliquer comment la sur-excitation de l’un fait cesser,
ou diminuer l'excitation de l’autre ; c’est une véritable
révulsion ; si elle s'exerce sur les follicules, leur se-
crétion augmentée entraine, en quelque sorte, l'inflam-
mation, et la résolution s'opère plus ou moms com-
plète ; c’est ainsi qu'on peut se rendre compte de quel-
ques guérisons, parfois assez promptes des affections
dont il s’agit, par l'emploi des purgatifs ou des vomitifs ;
‘ TROISIÈME SECTION. 153
mais aussi, s'il arrive que leur action ne soit pas en
rapport avec l’état des organes; s'ils ne diminuent pas
le mal, ils l'augmentent; les employer sans être assuré
de leur effet, c'est, comme l'a proctamé le fondateur
de la doctrine physiologique , jouer à quitte ou double.
Ici, se présente un incident : la plus grande partie
des membres présens à la séance précédente avaient
compris que M. Scoutetten n'admettait point l'influence
des causes spécifiques, comme concourant ou pouvant
concourir à la production des fièvres typhoïdes ; un
membre lui en faisant la remarque, ce médecin prétend
aujourd'hui qu'on l'a mal compris hier, et déclare que
telle n'est pas sa pensée. Cet incident qui provient de
l'absence de M. Scoutetten', lors de la lecture du procès-
verbal , entraîne une nouvelle rectification de ce dernier ;
non sans avoir donné lieu à une vive discussion.
Reprenant ensuite ce qu'a dit, dans une des séances
précédentes , M. le docteur Maillot, des fièvres inter-
mittentes et rémittentes d'Afrique, M. Scoutetten se livre
à quelques considérations physiologico-pathologiques sur
ce qui se passe au sein des principaux viscères. dans
ces fièvres. D'accord avec les principaux pathologistes
modernes, il établit que le phénomène capital, essen-
tel, est une congestion sanguine passagère qui se fait
dans un des principaux viscères d'une des grandes cavités,
la tête, la poitrine, l'abdomen ; cette congestion est-elle
forte, prolongée ? il en résultera une fièvre intermittente
permicieuse ; est-elle, au contraire, faible, superficielle,
de peu de durée ? elle donnera lieu à une de ces fièvres
intermittentes que lon voit dans nos contrées.
M. le docteur Scoutetten annonce que, le premier,
ila appelé l'attention du monde médical sur les phéno-
mènes de ces congestions , sur les différences qu'il y avait
20
4154 TROISIÈME SECTION.
entre elles et les modifications organiques que l'injection
inflammatoire apportait dans l'organe enflammé , comparé
à l'organe ou au tissu congestionné, simplement, diffé
rences souvent difficiles à saisir, et qu'il est cependant si
important pour les déterminations pratiques, de savoir
apprecicr.
Il dit que dans des expériences sur les animaux vivans
il a, à volonté, déterminé des congestions au cerveau,
par la strangulation ; dans les organes thoraciques, par
lemème moyen ; dans les viscères abdominaux par la liga-
ture de la veine mésentérique ; on conçoit que, dans ces
expériences , les congestions n'ont pas été suivies de fiè—
vres intermittentes. Quoi qu'il en soit, d’après cette théo-
rie, on aurait la fièvre intermittente algide quand la con-
gestion se serait faite sur plusieurs des principaux viscères ;
si sur le cerveau, la fièvre intermittente permicieuse apo-
plectique ; si sur l'appareil digestif, une gastro-entérite
intermittente, etc. Le caractère particulier de ce cet état
morbide est de n'être que temporaire, de disparaître et
de se reproduire à des époques assez rapprochées, régu-
lières ou irrégulières.
Le même expérimentateur signale encore un autre état
pathologique qui n'est ni la congestion ni l’inflammation,
et qu'il dit avoir reconnu le prennier ; 1l Va appelé imbi-
bition sanguine ; il le produit aussi à volonté sur le ca-
davre, mais pour cela, il faut le concours de certaines
conditions de celui-ci et de l'atmosphère ; ainsi une mort
lente, l’état orageux du ciel sont des conditions favora-
bles à la production de ce phénomène.
M. Scoutetten présente une peinture qui reproduit,
aussi fidèlement que possible, sur trois portions d’intes-
ün, limbibition, la congestion, l’inflammation. Il an-
nonce l'intention de continuer ses recherches sur ce sujet,
D
TROISIÈME SECTION. 455
- sous le rapport de la théorie des fièvres intermittentes
sur laquelle, dit-il, ses idées ne sont pas encore bien
arrêtées.
M. Lacauchie prend la parole et dit qu'il ne prétend
pas contester les travaux de M. Scoutetten sur ce sujet,
mais il-lui conteste la priorité qu'il revendique.en faveur
de MM. Trousseau, Rigaut, Louis, Bouilland, ayant
suivi lui-même les expérimentations des deux prenners à
l'école d'Altfort. Il s'établit une discussion entre MM. La-
cauchie et Scoutetten sur cette prétention à la priorité ;
M. le docteur Maillot y prend part et cherche à établir
que c’est aux médecins de l’armée d'Afrique qu'est due
l'idée d'appeler directement l'attention des médecins sur
l'action particulière qu'exercent les diverses causes assi-
gnées aux fièvres intermittentes sur les centres nerveux
et, surtout, sur le système ganglionnaire, ainsi que sur
tout ce qui se rattache à la théorie des congestions et
irritations viscérales dans ces fièvres. Cet énoncé de
M. Maillot paraît aussi contestable à plusieurs membres.
M. le président prie ces Messieurs de se résumer, ce
que fait M. Lacauchie, en disant qu'il défie quelqu'ex-
périmentateur que ce soit de produire, par l’action seule
d’agens irritans, tels que le chlore, les gaz ammonia-
que, acide sulfureux , inspirés , une brouchite absolument
semblable , par exemple à la grippe qui vient de régner ;
qu'il faut pour cela, le concours d’une influence atmos-
phérique, ou autre spiciale, mais dont le mode d'action
sur l'organisme reste inconnu; qu'il en est de même de
Vaffection muqueuse typhoïde qui a succédé à la grippe.
M. Scoutetten se résume aussi, et dit qu’il admet l’in-
fluence particulière, mconnue, dont on vient de parler,
laquelle s'ajoute à l’action des causes locales et indivi-
duelles et peut les modifier; mais, son opimion est que,
456 TROISIÈME SECTION.
dans le traitement, on ne doit pas tenir compte de cette
inconnue qui échappe à nos recherches ; qu’on n’a que
des symptômes à combattre et qu'il faut se borner à le
faire. Il termine en qualifiant la maladie qui vient de
régner à Metz, de fièvre typhoïde. Les médecins présens
à la séance adoptent cette proposition , en admettant que
la plupart des maladies ont eu le caractère muqueux , et
que beaucoup d’entre elles ont revêtu la forme typhoïde.
La séance est levée à une heure et quart.
SÉANCE DU VENDREDI 45 SEPTEMBRE.
Le président et le vice-président étant absens, M. Cuaumas occupe
le fauteuil.
Le procès-verbal de la veille est, lu et adopté, après
quatre rectifications.
En l'absence de matières à l’ordre du jour, M. le pré-
sident revenant sur la discussion de la veille, et notam-
ment sur les diverses médications de la fièvre muqueuse
typhoïde, qui a régné dans le département, dit qu'il croit
avoir remarqué que, dans beaucoup de cas, la médecine
sagement expectante était préférable à une médecine
active.
M. Maréchal fait aussi quelques observations sur le
même sujet, et annonce que, sur treize femmes atteintes
de fièvre typhoïde à divers degrés de gravité, qu'il a
soignées à l'hôpital civil, depuis le 1° juillet jusqu'à ce
jour (45 septembre), et chez lesquelles il s’est borné au
traitement expectant, dans toute sa pureté, aucune n’a
succombé ; que toutes, aujourd’hui, sont guéries ou
TROISIÈME SECTION. 457
convalescentes ; il ajoute cette remarque, que la durée
moyenne du délire chez ces femmes, a été de neuf jours.
“M. le docteur Lacauchie à la parole. Il s'étonne, ainsi
que plusieurs autres membres de la section, qu'après la
marche qu'a prise la discussion sur la fièvre muqueuse
typhoïde, et le point où elle est parvenue, de ne pas
voir M. le docteur Scoutetten à la-séance; la question
que ce médecin a souleyée étant loin d'être résolue, et
la partie la plus importante, essentielle, et, l’on peut
dire, la seule véritablement utile de la discussion, celle
relative au traitement, n'ayant pas été abordée.
M. Lacauchie exprime vivement ses regrets à cet égard,
et se propose de reprendre ces intéressans débats dans
le sem de la société des sciences médicales du départe-
ment, R
M. Defer lit l'extrait d'un mémoire sur les accouche-
mens, dont il a donné un exemplaire à la section.
Cette séance devant être la dernière, le procès-verbal
est lu et adopté.
Les Secrétaires de la section, Le Président de la section,
VILLAUME. LALLEMENT,
Féux MARÉCHAL. Le Vice-Président,
GILLOT,,. suppléant. BRACONNOT.
158 QUATRIÈME SECTION.
QUATRIÈME SECTION.
HISTOIRE ET ARCHÉOLOGIE.
SÉANCE DU MARDI 5 SEPTEMBRE.
Présidence de M, ne LA SAussAyE.
La séance s'ouvre à neuf heures.
La première question , mise à l'ordre du jour est la
suivante :
Quel fut l’état de l’art métallurgique dans les Gaules,
avant l'invasion des Romains , durant la puissance de
ceux-ci, et sous la première race de nos rois ?
Faute de documens sur cette question, on passe à la
seconde ainsi conçue:
Quelle était la véritable destination des instru-
mens de bronze , désignés vulgairement sous les noms
de heches ou coins , que l’on attribue aux Celtes, et
que l’on trouve en grand nombre dans toutes les
parties de la France, et dans les pays étrangers?
Les coms étant un des premiers produits de l’art,
puisqu'ils répondent aux premiers besoms, plusieurs
membres s’attachent à en déterminer la composition, la
forme et l'usage. Ces coins , faits en bronze, se trou-
vaient emmanchés, dit M. de Saulcy, avec des bois
QUATRIÈME SECTION. 459
recourbés en bec à corbin. M. Solerrol observe qu'ils
devaient être identiques, au métal près , à ceux dont nous
nous servons encore pour fendre le bois, et qu'ils por-
taient une douille recevant une tête en bois ou gougeon,
sur laquelle portait le coup. Il suppose que ces coins
étaient tenus de loin avec un manche en forme de
fourche.
Ce dernier fait est confirmé par M. de Saulcy, qui ajoute
avoir vu un anneau à l’une des parties latérales des coins
en question. Un membre ajoute qu'ils devaient s'emman-
cher comme les herminettes des charpentiers.
M. de Saulcy demande comment il se fait qu'on en
ait trouvé des dépôts, et s'étonne qu'ils aient été dési-
gnés comme instrumens de campement, M. de la Saus-
saye croit, au contraire , que ces amas indiquent des
heux de fabrication.
Dans l’état où se trouve la question , on juge à propos
d'admettre comme simples renseignemens les données
précitées et de renvoyer la solution définitive, si elle
est possible, à une autre séance ; séance pour laquelle
M. Simon est prié d'apporter les instrumens keltiques ou.
gallo-romains qu'il possède.
La discussion s'engage sur la troisième question, for-
mulée dans les termes suivans:
Quelles roches les anciens ont-ils employées dans les
provinces de l’est et du nord , pour construire et dé-
corer leurs monumens ?
M. Victor Simon prend la parole et désigne le marbre
chipolin, le porphyre vert, le vert antique et le calcaire
oolithique. Il observe que deux colonnes trouvées à
Metloch, sont en vert antique, que les pierres des arches
de Jouy ont dû être extraites de la carrière d’Ancy,
appelée encore carrière des Romains ; et que la grande
160 QUATRIEME SECTION
quantité de colonnes trouvées soit à Trèves, soit à Metz,
colonnes de toutes les formes et de plusieurs granits dif-
férens, tirés des Vosges , indiquent pour ces deux villes
une époque de splendeur fort remarquable.
On met en discussion les quatrième , cinquième et
sixième questions ; mais plusieurs membres observent que
les auteurs de travaux particuliers sur ces objets , n'étant
pas présens , il conviendrait de les remettre au lende-
main.
M. le président pose la septième question ainsi concue :
A quelles marques peut-on distinguer un tombeau
franck d’un tombeau gaulois, quand ils sont dépour-
vus d'inscriptions et de bas-reliefs ?
M. de Saulcy prend la parole en ces termes:
Messœurs,
La plupart des tombeaux découverts et décrits jusqu'a présent aux
environs de Metz, comme gallo-romains , sont des tombeaux franks :
En effet, les gaulois ou gallo-romains dans un état d’esclavage, ne
pouvaient porter l'épée , marque distinctüive qui appartenait de droit à
un peuple libre comme les franks ; les tombeaux trouvés à des époques
récentes à Kirschnaumen, près de Sierck, à Rogéville, prés de Pont-
à-Mousson , à Conflans, à Bellevezet, près d'Usez, renfermaient tous des
épées caraxées, c'est-à-dire à rigole pour recevoir du poison, épées
semblables à celle indiquée par Grégoire, de Tours, en parlant de l’as-
sassinat de Childebert. Les ceinturons, les poignées d’épées, les
agraphes étaient damasquinées avec soin , et l'existence à Trèves d'un
atelier de fabrication d'armes franques damasquinées, fait présumer
que toutes émanaient de la même source. Un des squelettes trouvés
récemment à Rogéville, portait à son cou un Gratien usé. Un tiers de
sol d’or de Justin 1° fut trouvé dans l’un des tombeaux de Kirsch-
raumen, et, à Bellevezet , on découvrit 295 deniers de Louis-le-Débon—
naire, suite métallique qui prouve que les mêmes 1ombeaux et le
méme genre de sépulture ont été fort long-temps en usage dans les
Gaules.
QUATRIÈME SECTION. 161
Tous les tombeaux d'ailleurs, indiqués jusqu’à présent comme
gallo-romains, sont en pierres sèches ; ils reposent tantôt sur la terre
nue, tantôt sur un lit de briques, et renferment presque toujours
des verroteries. Dans le tombeau d'une femme, découvert à Rogéville,
se trouvait un collier d'ambre, monument de luxe et de coquetterie
dont les dames romaines faisaiént, comme on sait, grand usage ;
mais dont se servaient aussi les Franks, héritiers par droit de con-
quête des objets de luxe du peuple déchu.
Cette similitude entre la confection d'un grand nombre de sépul-
tures ; ces objets d’art, ces médailles et ce sarmes qu'ils contenaient,
ces dates positives qu'ils fournissent par la nature des monnaies qu’on
y trouva, ces rapports entre le produit et le lieu de la fabrication,
indiquent, ce me semble, les sépultures d’un même peuple, peuple
vainqueur, paré des dépouilles du vaincu, peuple qui ne peut être
que de race francke.
M. V. Simon, cite les tombeaux de Montois, près
de Metz, dans lesquels avaient été déposés une Faustine
en argent et un petit bronze de Claude-le-Gothique ;
mais ces monnaies, loin de paraître infirmer le dire de
M. de Saulcy, et rattacher à l'époque romaine les tom-
beaux de Montois, semblent, au contraire, confirmer
ses hypothèses , puisque les monnaies anciennes étaient
considérées comme sacrées pour les Gaulois et les Franks ;
puisque d'ailleurs on en a tronvé dans le tombeau de
Chilpéric lui-même, et qu'on en rencontre dans presque
toutes les sépultures postérieures.
M. V. Simon demande comment il se fait que des
objets d'un style barbare, et d'autres d'une fabrication
soignée, existent souvent dans les mêmes tombeaux.
M. Guerrier de Dumast répond que les uns appartien-
nent à l'industrie nationale, encore dans l'enfance , tandis
que les choses de fabrication soignée proviennent du
pillage.
M. de Villeneuve-Trans s'informe de la direction dans
laquelle les tombeaux franks étaient placés. M. de Saulcy
21
162 QUATRIÈME SECTION.
les a presque tous vus tournés vers l'Orient; M. Denis
en a remarqué au sud, et M. de Sauley en a vu d’autres
croisés à angle droit.
M. Chevereaux demande quelle pourrait être la date
précise des cercueils de plomb. On indique les mémoires
de la société des antiquaires de Normandie , comme ayant
élaboré cette question d’une mamière satisfaisante, M. Che-
vereaux ajoute avoir trouvé un de ces cercucils en plomb
avec un vase de tantale, sorte de syphon, un verre à
boire à longs traits, plusieurs flacons en verre, quelques
poteries et des médailles de Constantin. À ce propos,
on aborde la question relative à la présence des vases
dans les tombeaux. M. V. Simon croit que ce pourrait
être en souvenir de l'honneur d’une urne, et il cite les
inhumations du village de Jœuf comme établissant la
preuve que le mode d'incmération et celui d’inhuma-
tion se sont maintenus très-long-temps ensemble. M. Guer-
rier de Dumast, sans prétendre infirmer le dire de
M. Y. Simon, observe, à l’occasion d'expressions employées
dans la discussion , qu'il n’est pas exact d'appeler la com-
bustion l’ancien mode , le mode primitif de la sépul-
ture romaine. C’est, au contraire , l'inhumation qui était
en usage dans les premiers bu de Rome ; et, quand
elle tomba en désuétude, on conserva l'usage de ré-
server un oS, pus l'enterrer avec des cérémonies
étrusques, tandis qu'on brülait le reste du corps. Il y a
plus , l'illustre famille Cornélia avait continué de pratiquer
pour ses membres le rite antique de Finhumation.
QUATRIÈME SECTION. 163
SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE.
Présidenee de MM. le marquis de Vizceneuve-Trans et de La Saussave,
M. de La Saussaye étant absent, on prie M. Bohl de
prendre la présidence. Sur son refus, M. de Villeneuve-
Trans veut bien s’asscoir au fauteuil, qu'il cède bientôt
à M. de La Saussaye.
Communication d'une lettre de M. Lucy, receveur-
général du département, dans laquelle il émet l'idée
que les coms en cuivre ont dù servir d’armure de pi-
quets destinés à dresser les tentes: « Leur forme, dit-
» il, semblerait l'indiquer, car, supposez-les fichés en
» terre, dans le dégré d'inclinaison voulu, et le plat
» opposé à l'effet de la corde, vous aurez la meilieure
» condition possible pour l'usage précité. Ajoutez à cela,
» continue M. Lucy, que les coins en bronze ne pré-
» sentent jamais des marques de service , inévitable
» conséquence de leur usage comme coins. » Ces ob-
servations judicieuses paraissent frapper l'assemblée.
M. le général de Résimont communique à la section
trois médailles frappées récemment en Russie, une en
platime , une en argent et une en bronze grand modèle.
Chacun admire leur parfaite exécution.
M. V. Simon, dont le cabmet d'antiquité s'enrichit
chaque jour d'objets trouvés dans le département, prie
les membres de la section de lui indiquer le moment
où ils voudraient le visiter ; le rendez-vous est fixé à
samedi à onze heures.
La parole est à M. Denis, de Commercy, pour une
464 QUATRIÈME SECTION.
notice sur Vasium ville des Leucques qu’il suppose avoir
été détruite sous Flavius Julien.
Parmi limmense quantité de débris intéressans que
M. Denis a extraits des cendres de cette localité, se
trouve une anse de préféricule en bronze de Cornthe,
du travail le plus exquis. Elle est mise sous les yeux
de l'assemblée, et quoique sa description ait été faite
et son dessin donné par Grivaud de la Vincelle, d’a-
près les notes et le prêt officieux du bronze par M. Denis,
on ne sait pas moins beaucoup de gré à notre honorable
confrère de la communication d’un morceau si curieux
pour les arts , les usages religieux et les costumes de
l'époque gallo-romaine.
M. Bégin lit un premier mémoire relatif à l'influence
des idées religieuses sur la construction des monumens
des anciens peuples, question qui avait été posée dans
le programme. La section exprime le désir que ce mé-
moire soit lu en séance générale et imprimé aux frais du
congrès.
M. Bégin observe que la quatrième question du pro-
gramme semble indiquer l'existence d’une seule religion
dans les Gaules avant l'invasion romaine, erreur grave,
importante à rectifier. Il propose la rédaction suivante
qui est adoptée :
« Lorsqu’après la conquête des Gaules, le paganisme
» y pénétra, cette religion se fondit-elle avec les an-
» ciennes croyances, et resta-t-elle sous l'influence
» des prêtres Gaulois, ou au contraire , son organi-
» sation fut-elle bien distincte et en opposition avec
» les religions primitives du pays?
M. de Caumont expose le plan d'un grand travail
sur la statistique monumentale du Calvados, comprenant
à peu près 800 communes. Ce travail statistique d’un
QUATRIÈME SECTION. 165
genre nouveau , fruit de seize années d’explorations , est
à la veille de voir le jour. M. de Caumont en lit quelques
fragmens desquels il résulte que sa méthode exploratrice
a fait marcher de front la géographie et l'histoire mo-
numentale. Il réclame des conseils et manifeste le désir
de: voir entreprendre des travaux analogues dans les
autres départemens.
M. Bégin annonce une statistique semblable pour l'an-
cienne province de Lorraine ; il se félicite d'être en
communauté d'idées avec M. de Caumont, et promet,
pour le lendemain, un exposé verbal de la marche qu'il
a cru devoir adopter.
SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de La Saussaye.
M. de Caumont , après avoir fait hommage au Congrès
de la seconde édition de son histoire sommaire de l’ar-
chitecture religieuse , civile et militaire, au moyen-âge,
prend la parole pour indiquer l'impulsion archéologique
qu'imprima, en Normandie, le cours d'histoire monumen-
tale professé à Caen et publié par lui en 1850.
M. l'abbé Chevereau au séminaire, M. Pesche à l'H6-
tel-de-Ville du Mans, M. Galeron à Falaise, M. l'abbé
Michou aux Thibaudières (Charente), M. Gaude au collége
de Goncourt, M. l'abbé Lafetey au séminaire de Villiers
(Calvados), un autre professeur à celui de Beauvais,
s’empressérent d'imiter M. de Caumont, à tel point
qu'en 1856, les élèves de la maison d'éducation de
Goncourt. furent en état de répondre d'une mamère
4166 QUATRIÈME SECTION.
satisfaisante sur l'architecture grecque, l'architecture re-
ligicuse et civile du moyen-àge , et de décrire avec pré-
cision les principaux monumens du pays.
Des cours semblables vont avoir lieu à Coutance, à
Séez, à Tours, à Angers. M. de Caumont émet le vœu de
voir cet exemple suivi par nos séminaires et nos colléges.
Ii appartient surtout à MM. les ecclésiastiques d'apprécier
l'importance de cette institution , car ils sont les protec-
teurs naturels des monumens religieux.
M. Denis qui avait, avant la séance, communiqué
à la section un assez grand nombre de dessins curieux
et inédits sur UVasium, lit un mémoire relatif aux fouilles
ainsi qu'aux découvertes dont cette ville fut l’objet. M.
Denis en a exploré les ruines avec une minutieuse atten—
tion. Le zèle qu'il y a déployé mérite toute la reconnais-
sance du monde savant, et la section a regretté que l'heure
avancée imposàt à cet honorable membre l'obligation de
remettre la fin de sa lecture au lendemain.
M. Bégin prend la parole pour développer, comme
il l'avait annoncé la veille, le plan général d'une sta-
tistique archéologique du nord-est de la France; il
s'exprime en ces termes :
Messieurs ,
L'intéressante communication que vous a faite hier notre savant et
laborieux collègue, M. de Caumont , m'oblige à vous initier aux
secrets de mon cabinet, car le travail qu’il termine sur le Calvados,
je le fais aussi sur les quatre départemens qui formaient l’ancienne
Lorraine. Il ne s’agit point ici d'une question d'initiative, encore
moins d’une affaire de rivalité d'homme à homme, de province à
province; mais je crois nécessaire d'établir qu’au milieu du mouve—
ment d’études qui nous entraine tous vers l'exploration de la vieille
France , Metz ne demeure ni stationnaire ni indiflérente.
Lorsqu'en 4827 j'ai publié mon histoire du pays messin , considé-
\
QUATRIÈME SECTION. 167
rée dans ses rapports littéraires, scientifiques et industriels, j'ai vu
de combien d'omissions et d'erreurs étaient entachés tous les ouvrages
relatifs au pays , et combien il y avait hâte de rassembler des maté-
riaux , de saisir les derniers vestiges des âges que la civilisation efface.
Je fouillai donc les grandes bibliothèques du pays , je parcourus les
campagnes, j'étudiai et fis dessiner tous les monumens remarqua-
bles, je traduisis ce que les auteurs grecs et latins avaient pu écrire
de relatif à mon objet, et je formai le plan d’une statistique archéo-
logique et monumentale de la Lorraine. Cette statistique, déjà fort
avancée , présente la description exacte et pittoresque des monumens
religieux et civils du pays, 6 vol. in-8° ; l'histoire de toutes les lo—
calités, groupées par arrondissement, 8 volumes compactes, et la
description de tous les grands cours d'eau, 4 volumes. Cette des-
cription des cours d’eau me permet de faire avec précision la géo-
graphie du pays, de la considérer sous le rapport de l'histoire
naturelle , aussi bien que sous celui de l'histoire des hommes, de
suivre les peuples dans leurs conquêtes et leurs établissemens com-—
merciaux le long des rivières, et de présenter notre histoire par
grands bassins, seule manière de l’étudier avec ensemble et philoso-
phie. Des cartes comparatives pour chaque grande époque , des dessins
de monumens , de costumes , de monnaies , d'armes et d’instrumens,
de sceaux et d’armoiries accompagnent le texte. J'aurai l'honneur,
si nos travaux nous laissent quelques loisirs, de vous communiquer
quelques fragmens de cette grande mosaïque littéraire.
M. le président donne lecture des premières, cin-
quième et sixième questions du programme. Mais la dis-
cussion ne s'engage sur aucune d'elles.
M. Victor Simon fait voir à l'assemblée des coins en
bronze et une hache keltique en pierre de grès. Cette
hache rapprochée d’autres haches du même genre, de
flèches en silex, trouvées soit dans le pays, soit dans
d'autres parties de la France , paraissent être à MM. de
la Saussaye et Bégin , des formes consacrées, des amu-
lettes keltiques. M. de la Saussaye ajoute avoir découvert
à Somgs, dans les mêmes tombeaux, un assez grand
nombre d'oursins que les anciens considéraient comme
168 QUATRIÈME SECTION.
étant des œufs de serpent ; des galets roulés de forme
bizarre ; des picrres plates percées, avec un hameçon
et des fers de flèches et de lances. Ce ne pouvaient être
que des amulettes ou des objets symboliques. M. Denis
remarque, à propos des tombeaux, que d’autres objets
qu'on y renfermait également, portaient un caractère
d'emblème manifeste. Les roses, dit-1l, imdiquaient une
âme pure ; la lampe désignait l'éternité.
M. Bégin croirait plutôt cette dernière le symbôle de
la vie qui s'éteint.
Personne ne demandant la parole , M. de Saulcy ouvre
la discussion sur la dix-septième question du programme
ainsi Conçue : :
Les noms de villes portés sur les monnaies des rois
de France, jusqu'à saint Louis, indiquent-ils toujours
quelles ont été fabriquées dans ces villes mémes?
N'est-ce pas quelquefois un titre de propriété que le
souverain voulait indiquer.
Les règnes qui présentent le plus de variétés monétaires, dit M. de
Saulcy , ont une foule de médailles caractérisées par un air de fa-
mille tel qu'on les croirait, au premier abord , sorties du même
atelier. Ainsi dans les 293 médailles découvertes à Bellevezet, on
trouve des monnaies de trente-deux villes différentes, ayant toutes
un type commun. Mais leur nombre est d'autant plus considérable
que le lieu de la trouvaille est plus rapproché de la ville dont elles
portent le symbole où le nom. 40 sont de Marseille , 50 de Venise,
30 de Pavie, 20 de Lyon, 1 de Trèves , 4 de Maïence, À de Verdun.
La même remarque s’applique aux monnaies trouvées depuis peu dans
la ville du Mans. Ces pièces sont karlovingiennes. Or, ne pourrait-on
pas admettre que les artistes venus d'Italie à la suite de Karl-le-
Grand ont été chargés de la confection de tous les coins monétaires de
l'empire; et que le même esprit artistique s'attachant au même
objet, a dù établir entre les coins une ressemblance notable. Ou
bien encore, les coins n’ont-ils pas été gravés dans un seul lieu,
résidence habituelle ou momentanée du monarque , sous la surveillance
QUATRIÈME SECTION. 169
d’un seul maitre et envoyés ensuite à chaque ville ayant privilège
de battre monnaie. Ne serait-il pas d’ailleurs rationnel d'éiablir un
point de comparaison entre les ateliers monétaires et les écoles de
peinture, et de retrouver dans les coins, comme dans les tableaux,
un caractère commun qui dénote l'inspiration d’un seul , reproduite
par des artistes secondaires. Au surplus, sept ateliers existaient posi-
tivement en France sous les Karlovingiens; c’est un fait mis hors de
doute par l'édit de Pistes, et parmi les 400 deniers connus de Karl-
le-Chauve il s’en trouve plusieurs dont la fabrication fut exécutée dans de
simples villa. Or, est-il supposable qu'un artiste de mérite, à une
époque d’ignorance, se soit trouvé dans un village ? Nul doute qu'il n°y
ait eu alors plusieurs lieux de fabrication des coins , tous dans des lo
calités importantes, et sous la direction d’une même société d'artistes
qui se tenait autour du souverain.
M. de la Saussaye observe que les coins se cassaient
fréquemment; qu'il fallait les renouveler avec prompti-
tude ; que le monarque changeait souvent de résidence,
et qu'il n’était pas présumable qu’on füt obligé de récla-
mer à l'hôtel central des monnaies les coins nouveaux
dont on pouvait avoir besoin. Peut-être, ajoute-til, le
premier coim était-il fabriqué à cet hôtel central , mais
il ne devait pas en être de même des autres, coins;
peut-être encore envoyait-on des dessins aux ‘ateliers
secondaires. Il existe d’ailleurs un édit de Karl-le-Chauve
prescrivant aux officiers provinciaux, préposés à la con-
fection des monnaies, de se rendre chaque six mois au
palais, afin de s’y pourvoir des lingots nécessaires , mais
il n'est pas fait mention de coins.
Les médailles, selon M. de la Saussaye, ont donc
été frappées dans le lieu même dont elles portent. le
nom. Celles du palais, dites moneta palatina émanaient
de l'hôtel central des monnaies.
M. de Saulcy admet cette dermière opinion ; il pense,
comme M. de la Saussaye , que les monnaies ont réelle-
ment reçu leur ernreimte dans le lieu même dont elles
22
170 QUATRIÈME SECTION.
portent Je nom, mais il n’en persiste pas moins dans sa
manière de voir sur le lieu de fabrication des coins.
Cette différence d'opmion , au surplus, entre deux hom-
mes d'un égal mérite, ne touche en rien le fond de la ques-
tion. Tous deux se rapportent dans ce qui la concerne
essentiellement. Ils disent même que long-temps après,
et notamment sous Philippe-Auguste, on fabriquait des
monnaies ayant toutes l'inscription impériale ou royale
avec un revers différent, témoignage d’un droit, d’une
prise de possession où d’une propriété urbaine. Ainsi,
pour ne citer que Philippe-Auguste, il frappa des monnaies
. à Montreuil, à Péronne, dans d’autres localités encore,
toutes semblables d'un côté, mais différentes par le re-
vers. MM. Bohl et de Saulcy observent que dans beau-
coup de villes telles que Besançon, Metz, Verdun, il
exista simultanément plusieurs pouvoirs jouissant du droit
de frapper monnaie, l'empire, la ville et l'évêque. Les
concessions étaient même affermées pour un temps limité,
passé lequel il fallait en renouveler le contrat.
On passe au vote de la question. M. Guerrier de
Dumast en réclame la division : M. de Saulcy pense
qu'il faut répondre affirmativement à la première partie
et négativement à la seconde. On rappelle à cette occa-
sion le mensonge numismatique de Napoléon, qui fit
frapper à Boulogne une médaille datée de Londres. En
définitif, la section est d'avis de présenter au Congrès
général la question dans les termes énoncés hier à l’as-
semblée.
QUATRIÈME SECTION. 171
SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE.
Présidence de M. pe LA SAvssAvr.
La séance s'ouvre par des conversations particulières
sur divers objets d'antiquité. ;
Un de nos collègues avait promis d'importantes com-
munications de la part de M. le vicomte de Saintignon.
Effectivement, la complaisance de notre compatriote ne
nous a pas fut défaut , et il vient d'envoyer au Congrès
des urnes, des armes, des bracelets, des colliers de ver-
roterie et deux fibules ou fermails en or, enrichis de
pierres fines. Tous ces objets ont été découverts au
village de Baslieux , à 12 lieues de Metz, dans des tom-
beau francks dont l'existence semble remonter à plusieurs
époques, les uns ayant le caractère de la décadence
romaine , les autres, plus rapprochés de nous, pouvant
être placés entre les premiers et les derniers Mérowingiens.
Les urnes de M. de Saintignon sont de petite dimension ;
les armes sont presque toutes.caraxées ; les verroteries de
différentes couleurs, varient aussi quant au volume,
depuis les dimensions d’une noix jusqu’à celles d’un grain
de maïs. Elles formaient plusieurs colliers longs d'un
pied à un pied et demi. Les fermails, bombés au centre,
plats au pourtour, comme de petits boucliers, présentent
un diamètre circulaire de vingt et de vingt-six lignes.
C'est un travail en filagramme sans ciselures, semblable
aux saint-Eloy qui se faisaient à Limoges. Les pierres fines
sont enchassées avec régularité dans de petits caissons
au fond desquels se trouvent des morceaux de drap
bleus, rouges ou bruns. Ces pierres fines font saillie au-
dessus des filigranes. Il y a aussi, dans la même col-
179 QUASRIÈME SECTION.
lection , des fermails en cuivre ciselé, une croix de Malte
en cuivre, des bagues et des anneaux de forme et de
composition bizarres.
Une partie de la séance a été consacrée à l'examen de
ces Jolies choses. Les antiquaires étaient au supplice de
Tantale. Tous ont demandé qu'ellés fussent dessinées. On
en eût sollicité volontiers la possession définitive pour
la ville, si l’on ne savait quelle violence est obligé de se
faire l'archéologue le plus désintéressé, pour se dessaisir
des objets qu'il affectionne. C'est l'histoire d’une mère
tendre ayant une fille à marier, et retardant toujours
l'heure de l’hymen.
M. Denis, de Commercy, continue ses intéressantes com-
munications sur Vasium. 11 décrit le cirque de cette ville
romaine, en parcourt quelques rues, cite plusieurs ins-
criptions votives, plusieurs cachets de médecins oculistes ,
explore d'énormes monceaux de cendres et des attérisse-
mens considérables sous lesquels apparaissent des temples
pavés de mosaïques, et se livre à des inductions sur les
croyances des habitans de Vasium, sur leur industrie et la
prospérité commerciale dont leur permettait de jouir une
position prospère , à l'embranchement de plusieurs routes
qui les mettaient en rapport direct avec les grandes villes
du nord-est des Gaules. Cette lecture est entendue avec
non moins d'mtérêt que celle de la veille.
M. Bégin lit un second mémoire sur l'influence du
polythéisme dans les Gaules, considéré sous le rap-
port monumental. Xl passe en revue toutes les grandes
constructions , toutes les divinités topiques antérieures à
l'établissement de la puissance romaine et pendant la
durée de cette dernière ; 1l cherche à donner l'explication
de divers points obscurs de la mythologie du nord, et
montre la filiation des idées religieuses depuis le mono-
Er re hr DEMREUIN. 173
Tithe des premiers indigènes , jusqu’à l'implantation de la
croix catholique dans les Gaules.
La section vote la lecture de ce travail en séance gé-
nérale , et son impression parmi les mémoires du Congrès.
Elle déclare, en outre , que M. Bégin a répondu d’une
manière satisfaisante aux quatrième et onzième questions
du programme ainsi conçues :
Lorsqu'après la conquête des Graules le paganisme
y pénétra, cette religion se fondit-elle avec l’ancienne ,
et resta-t-elle sous l'influence des Druides, ou au con-
traire, son organisation fut-elle bien distincte et en
opposition avec la religion druidique ?
Quelle a été l'influence des idées religieuses des
peuples sur la construction de leurs monumens, et
particulièrement dans ce qui concerne les monumens
du nord-est de la France ?
M. Grosset, inspecteur des monumens historiques du
département de la Nièvre , écrit au Congrès pour lui donner
la description et lui envoyer le modèle d'une hache kel-
tique trouvée sur les bords de la Loire. Il demande à
quels usages pouvait servir ce genre d'instrumens. La
section ayant répondu la veille d'une manière générale
à la question de M. Grosset, il n'est pas donné suite à
la discussion.
La séance est levée à onze heures et chacun se groupe
autour de M. Bohl qui avait apporté plusieurs monnaies
fausses sorties de l'atelier du célèbre Becker, et exécutées
avec un talent d'imitation fort remarquable.
174 QUATRIÈME SECTION.
SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de La Saussaye.
M. de Villers de Burgeisch, à qui l’on doit de curieuses
recherches sur la Lorraine allemande et les rives de la
Sarre, dépose au bureau un cercle en bronze au centre
duquel sont suspendus deux autres petits cercles égale-
ment en bronze. Il pense que c'était une enseigne romaine
et que les petits cercles rendaient un son analogue à celui
du tamtam, qui servait à guider les légions pendant la
nuit. MM. de la Saussaye, Dufresne et Bégin, sans re-
pousser d’une manière positive la pensée de M. de Villers,
croient voir dans cette pièce antique une balance dite
romaine.
M. Guerrier de Dumast a la parole pour la lecture
d'un mémoire historique annoncé la veille. C'est un ex-
posé général et rapide de ce que pouvait être Nancy ainsi
que la Lorraine, depuis les temps anciens jusqu’à nos jours ;
c'est en même temps une comparaison entre la vie poli-
tique et morale de deux grandes cités, dont l'existence
sociale différa toujours l’une de l’autre, Metz n'étant et
ne pouvant être qu'elle-même, tandis que Nancy, selon
M. de Dumast, résumait en soi la Lorraine tout entière.
Cette communication est entendue avec un vif intérêt ;
M. Bégin manifeste le prix qu'il attache à ce beau tra-
vail. Il exprime le regret de le voir destiné à une publi-
cation étrangère au Congrès, un morceau si brillant et
si pur étant, dit-il, le moyen de faire poser au milieu
de nous Nancy la belle en habit de bal et de céré-
monie, telle qu'on la voit lorsqu'on se transporte au
sein de ses murailles. M. Bégin termine cette allocution
QUATRIÈME SECTION. 175
en demandant une seconde lecture pour la première réu-
nion générale de mardi. Sa proposition est adoptée.
Plusieurs conversations s'engagent. M. Denis dit avoir
vu, à Loxéville, près de Commercy, un tertre assez élevé
qu'il croit être un tumulus gaulois, et près duquel se
trouve un puits dont le fond était autrefois rempli de
verres à pied. Il demande quelle origine il conviendrait
de donner à ces objets. Plusieurs membres citent des
trouvailles du même genre, .et l’on s'accorde à penser
que ces verres à pied sont romains.
M. Lahalle, de Blâmont, parle de quelques découvertes
faites dans les fondations des châteaux de Blämont et dé
Réchicourt. À Blämont, on a trouvé deux pièces d’or,
et, à une profondeur beaucoup plus consiérable, un mors
de bride ; à Réchicourt , à 50 pieds au-dessous du sol , on
a rencontré des bois de cerf et des verres à pied sem-
blables à ceux de Loxéville. L'un d’eux avait cela de par-
ticulier, qu’à la partie moyenne du pied, se voyaient quel-
ques gouttes de liquide renfermées là au moment de la
fabrication.
M. Bégin démontre l'importance qu'il y aurait d'exécuter
des fouilles à Réchicourt-le-Château , en allemand Rixin-
gen; car cette ville paraît avoir été considérable.
On pense, dit M. Bégin, que les villages de Moussey et d’Ari-
court en formaient les faubourgs. Ce qu'il y a de certain, c'est que
son origine date au moins du IX° siècle ; c'est qu'au XIII°, elle
possédait un chäteau fort, des murailles, et appartenait, en partie
aux évêques de Metz, en partie aux comtes de Linange. En 1705,
le comte de Nassau-Sarrebruck acheta 90,000 écus la terre de Réchi-
court ruinée par les guerres. Elle passa ensuite au duc de Fronsac,
par sentence de licitation rendue au Châtelet de Paris, le 25 juin 1766.
Le rôle important que jouaient au moyen âge les comtes de Linange
et de Réchicourt, les rapports multipliés qui existent entre l’histoire
de ces princes et celle des dues de Lorraine, font désirer une mono-
176 QUATRIÈME SECTION.
graphie spéciale consacrée à Réchicourt. Il en est de même de la
ville de Blämont, contemporaine et souvent rivale de sa voisine.
Rien n'étant à l’ordre du jour, M. le président invite
les membres qui désireraient revenir sur les questions
traitées précédemment, à prendre la parole. M. Victor
Simon ne s'étant exprimé qu'en termes énonciatifs et
généraux sur la troisième question du programme, com-
plète ses idées de la manière suivante :
Messreurs ,
La prospérité d’une nation ne se revèle pas seulement par sa puis—
sance , elle se manifeste encore par son culte pour les arts et les sciences.
Appliquant ce principe à la ville de Metz, examinons les restes de
son antique splendeur dans les temps antérieurs au XI° siècle, et no—
tamment sous l'empire romain.
Les débris de constructions monumentales qu’on observe en cette
ville et les arches de Jouy, dépendant de l’aqueduc qui conduisait des
eaux de Gorze à Metz, sont revêtus de pierres taillées d’échantillon
et de petit appareil. Des assises et de grands cintres de briques exis—
ent dans quelques-unes des murailles, tandis que d’autres n’en con-
tiennent pas. Les briques furent aussi employées exclusivement pour
quelques constructions particulières , notamment pour celles qui devaient
subir l’action du feu.
Les roches employées pour ces constrnctions appartiennent à la for-
mation oolithique; les revétemens sont de grande oolithe, le massif de
la maconnerie est de calcaire à polypiers, de Pecten lens et de grande
oolithe. Onfaissit usage de la grande oolithe et de la partie supérieure
du calcaire à polypiers pour la sculpture.
La chaux qui était employée provenait de la formation du as,
comme celle qu'on emploie de nos jours. Toutefois il paraît constant
qu'on en fabriqua aussi avec du calcaire .de la formation oohthique.
Ce fait est attesté par plusieurs fours trouvés sur cette formation.
L'un d'eux, évidemment antique, était rempli de chaux. J'y ai
trouvé, à la partie inférieure, des débris de plantes pétrifiées, mé-
lées à une grande quantité de charbon. Ces débris sont, à n’en pas
douter, des portions de bois qui n’ont point été consumées.
Le grand nombre d'Imbrices et de Tegulæ que l'on découvre, lors-
qu'on fouille le sol de la ville et des environs, prouye que l'usage
QUATRIÈME SECTION. 177
de ce mode de couverture , d’ailleurs ordinaire dans les Gaules, exis—
tait à Metz.
Ce serait ici le lieu d'examiner si les maisons des particuliers étaient
bâties en pierres, en bois ou en briques cuites ou non. Mais ce sujet
nous entrainerait beaucoup trop loin : seulement, je fais observer que
j'ai trouvé dans Metz des débris de torchis recouverts d’une mince
couche de chaux, sur laquelle des peintures étaient appliquées. Ce
mode de décoration fut assez général dans les Gaules. Ce dernier
usage permettrait de penser que le plâtre, à l'époque de ces pein—
tures , n’était pas employé dans notre pays. Toutefois, Pline nous en—
seigne que, de son temps, on se servait du plâtre pour crépir et exé—
cuter divers ornemens.
Parmi les roches destinées alors aux fusages domestiques, je ne dois
pas omettre les meules à bras dont on trouve quelques-unes entres,
d’autres en débris, soit à Metz, soit à la campagne. Ces meules sont de
la lave des volcans des bords du Rhin, semblable à celle que l’on
exploite encore maintenant à Nidermennig et à celle de Volvic, en
Auvergne.
Si nous jetons un coup d'œil sur les roches employées pour la
décoration des monumens de Metz, nous «voyons un grand nombre
de füts de colonnes gisant aux angles des rues et dans les campagnes,
Les uns sont de granit, les autres de Syenite des Vosges ; il existe
aussi sur quelques points des blocs de granit. La cathédrale et la
bibliothèque présentent deux troncons de colonnes de marbre Cypo-
lin; celui de la cathédrale, taillé postérieurement en forme de siége,
a un diamètre de 82 centimètres. Comme je lai succinctement énoncé
dans une de nos séances précédentes , les marbres de Paros , de Car—
rare, la scrpentine, l'ophicalce, le serpentin vert antique furent
mis en usage par les Romains. Les deux pièces les plus remarquables
que je connaisse dans les environs de Metz; sont deux colonnes de
vert antique bien conservées , existant à la faïencerie de Metloch, près
Sarrelouis. Je ne puis dire quelle a été la destination primitive de ces
deux colonnes.
La magnifique cuve de porphyre rouge anlique, trouvée sur le sol
de Meiz, et qui est aujourd'hui placée dans la cathédrale ; un buste
d’un travail remarquable, dont la tête était de marbre blanc et les
draperies en porphyre rouge antique, attestent suffisamment avec
quel luxe cette roche fut recherchée dans l'antique capitale des Mé-
diomatriciens.
Je regrette, Messieurs, de ne Pouvoir vous présenter qu’un apercu
23
178 QUATRIÈME SECTION.
bien succinct sur ce sujet, il suffira, je pense, pour vous faire juger
que l'antique Divodurum ne le cédait point en splendeur à tant
d'autres villes des Gaules.
Je me propose de traiter ce sujet plus amplement dans un mé-
moire spécial.
On passe à l'examen des huitième et neuvième ques-
tions du programme, ainsi conçues :
Quel a été le système général d'invasion suivi en
Lorraine par les peuples du nord? Ont-ils laissé des
traces de leur passage ct quelles sont ces traces ?
Ne pourrait-on pas, au moyen d'objets d’art trouvés
dans certaines contrées, parvenir à retracer, au moins
approximativement , les limites territoriales d'anciens
peuples.
Personne n'ayant demandé la parole, M. Bégin, sur
l'invitation du président, entame la discussion et s'ex-.
prime en ces termes :
Messieurs,
J'éprouve quelque hésitation à entrer, sans y étre préparé, dans
l'examen des faits soumis à votre investigation, car ils sont d’une
nature si grave, si sujette à l'erreur, qu’on ne peut les aborder
qu'avec un sentiment de crainte et de défiance en soi-même. Je vois,
d’ailleurs, parmi ceux qui m'écoutent, des hommes de savoir pour
lesquels l’archéologie a fort peu de mystères ; et qui peut-être, ont
déjà des opinions arrêtées sur les objets en discussion. Mais il faut
que quelqu'un commence , et je souscris aux désirs du bureau, en
jetant quelques idées dans le domaine commun , afin qu'elles servent
de texte à une discussion plus sérieuse et plus profonde. D'abord
les deux questions me semblent tellement liées l’une à l’autre qu'il
faudrait les confondre en une seule , la première entraînant de fait
la solution de la seconde. Cela posé, je pense que les peuples du
nord , tels que les Séquaniens, les Triboques , les Kattes, les Sara-
kattes, les Rauraciens, les Huns , etc., se sont introduits dans le
nord-est de la France en suivant les grands cours d’eau et qu'ils
l'ont fait de deux manières ; les uns par suite de concessions bé-
QUATRIÈME SECTION. 179
névoles de terrains, les autres par invasions forcées. Ces deux cir-
constances différentes me semblent ressortir trés-bien, des conditions
de bon ou de mauvais voisinage que j'ai remarquées entre les des-
cendans actuels des peuplades envahissantes et les indigènes du pays.
Ainsi, les Séquaniens fixés dans la Haute-Alsace et les Triboques
dans le Bas-Rhin, bien long-temps avant l’arrivée de César, vivaient
en parfaite harmonie avec les Médiomatrices , harmonie telle qu'après
la défaite de Vercingétorix, les peuples envahisseurs repassérent le
Rhin, tandis que les Séquaniens et les Triboques reprirent leur an-
cien domicile parmi nous. Il n’en a jamais été de même des Kattes,
des Sarakattes , des Rauraciens et des Huns. Les Kattes, battus sur
la Moselle et la Sarre par Galba, revenus ensuite vers le 4° siècle
dans les contrées dont ils avaient été chassés, ont occupé de, vive
force une partie de la Haute et de la Basse-Sarre. Aux environs de
Sarrelouis , prés Becking, dans un lieu dit la Mère-Chatte, Mütter-
Katz se trouvait jadis un monolithe druidique sur lequel était gravée
grossièrement une tête de chat, symbole par lequel les indigènes dé-
signaient leurs vainqueurs , car du mot ati, ils avaient, dans léur
idiome germain, fait katz ou chats. Dans l'arrondissement de Sarre-
bourg, département de la Meurthe , il n'existe encore que trés-peu
de sympathie entre les habitans de la ville, descendans des Romaïns
et des Kattes, et les campagnards issus des races indigènes. Ces
derniers appellent les Sarrebourgeois les chats de la ville, et aujour-
d'hui, bien que dans Sarrebourg on ne parle presque plus allemand,
le peuple donne aux boîtes qui se tirent aux solemnités le nom de
Katzenkopf, tétes de chats. Evidemment, ces étranges dénominations
ont la même origine et remontent à la fondation de Sarrebourg par
les Kattes. Je ne serais même pas éloigné de croire que l'emplacement
de la ville actuelle formait un faubourg dépendant de la ville romaine
située où se trouve le village de Galba (Béeling). Les Kattes jouissaient
de concessions territoriales, le long de la rivière: Kati qui inco—
luerunt, ripas Saravi, dit un ancien auteur.
Sur la Meurthe où se sont établis les Rauraciïens venus de l'Hel-
wétie , une animosité constante, enracinée, existe entre les apciens pos-
sesseurs du sol, et ces Allemands d'Outre-Rhin. Les Vosgiens, refoulés
à droite et à gauche d’une longue ligne d'occupation, consérvérent
unwvieux ferment de haïne contre les Alsaciens qui avaient avec les
Rauraciens une communauté d’origine: De: semblables observations
S'appliqueraient à d'autres peuplades, telles que les Huns, les Sunt-
goïens et les Sarakattes. Les habitans du Hundsruck présentent encore,
180 QUATRIÈME SECTION.
‘dans leurs mœurs et dans les mots racines de leurs patois , des traces
auxquelles on ne saurait se méprendre sur leur origine asiatique. Ré-
trogradez de quelques siècles, et vous les verrez à peu près tels qu’ils
ont du sortir de l’armée d’Attila.
Les Suntgoïens possèdent aussi un langage spécial, un caractère
d'âpreté sauvage, une propension aux querelles , aux combats qui les
fout distinguer des autres habitans de la haute et basse Alsace. Pour
les Strasbourgeois surtout, le Suntgoïen est un type de grossiéreté
qu’il flétrit d’épithètes passées en proverbes. Quant aux Sarakattes ,
je les crois d’une même origine que les Kattes. Leur nom se sera
modifié d’après les conditions différentes de leur établissement.
Toutes les nations du monde ayant suivi, à peu-près , le même
système d’invasion, par les grands cours d’eau , je pense que cette
voie était encore la seule que pussent suivre les hordes du nord pour
pénétrer jusqu’à nous. Je me fonde sur le manque de routes pratica—
bles , sur les ressources agricoles que devaient présenter les vallées , et
sur la facilité des transports par les voies fluviales.
Indépendamment de la division en diocèses et de la zône allemande
qui donnent, d'une manière approximative, les limites territoriales
des anciens peuples de la Gaule, je crois que l’on pourrait, à l’aide
de recherches attentives , fixer ces limites sur l'existence de quelques
monumens matériels. Ainsi, depuis Seltz jusqu'a Schélestat ; depuis
Schélestat jusqu’à Markolsheim , on trouve , soit des Wodan-Teutath,
soit des pierres fichées qui paraissent avoir consacré une frontière ,
soit les restes d'un grand fossé appelé Zand-graben, fosse du pays
ou de la province, ligne de démarcation entre la Gaule Belgique
et la Keltique. Cette ligne allait des bords du Rhin vers les Vosges,
dont le versant occidental, depuis le Donon jusqu'aux sources de
la rivière de Weïinsteinerbach , servait de limite aux Triboques, en
décrivant toutefois une ellipse sur Xouaxange. L'inscription ec plus
ultra gravée en caractères romains sur un monolithe de la vallée d'A
breschviller, pourrait fort bien aussi avoir servi de borne territoriale.
imposée par la victoire; et, cette opinion semble d'autant plus fondée
que la ligne de démarcation entre la zône allemande et le territoire
francais proprement dit, passe vers le point occupé jadis par le
Monolithe. Enfin , je citerai comme limite consacrée par des peulvens,
la grande muraille keltique construite dans une étendue de 22 lieues,
depuis les hauteurs de Bitche jusqu’au Kaisersberg vis-à-vis Colmar ,
limite antérieure sans doute aux médiomatrices , mais respectée par eux
pour des raisons politiques analogues à celles qui l'ont fait respecter
plus tard par les enfans de Rome et des Gaules.
QUATRIEME SECTION. 181
Tel est, messieurs, le résumé de ce que je sais touchant les in-
vasions et les limites territoriales de nos ancêtres. Je n’attache pas
à mes indications plus de valeur qu’elles n'en ont réellement , et je
demande qu'une discussion sérieuse s'engage sur les points que je
viens d'établir,
MM. Victor Simon et Lahalle citent quelques faits qui
ne se rattachent pas précisément à la question. Personne
n'ayant réclamé la parole, la discussion est remise au
lendemain.
M. de Saulcy demande que MM. Bégin et Huguenin
jeune lui soient adjoints, pour expliquer l'autel octogone
de notre galerie archéologique. M. Bégin appuie la pro-
position ; cet autel pouvant jeter un grand jour sur la
mythologie et les divinités topiques du pays. |
SÉANCE DU DIMANCHE 10 SEPTEMBRE.
Présidence de MM. le curé Marr et de la Saussavr.
. La parole est à M. le colonel Parnajon qui déroule
aux yeux de la section, six cartes d’une exécution topo-
graphique et d’une fidélité rares.
La première représente la ville de Metz avant Charles-
Quint, avec son enceinte primitive et ses agrandissemens
successifs ;
La seconde est consatrée au siége de Charles-Quint,
en 4552 ;
La troisième retrace les fortifications antérieures aux.
travaux de Vauban. 1676 ; ”
La quatrième porte la date de 1798, époque où le sa-
vant systèmé de cet homme célèbre était adopté ;
182 QUATRIÈME SECTION.
La cinquième, 1752, est une ES SLR des travaux
de Cormontaingne ;
La sixième br dUAEe Metz actuelle, avec le tracé de ses
vicilles enceintes, de ses agrandissemens sur la Moselle
et la Seille, avec l'indication précise de tout ce qui existe
et de ce qu'on a le projet d'établir dans le plan général
de défense.
M. Parnajon entre dans plusieurs considérations du plus
haut intérêt sur les changemens successifs arrivés à la ville
de Metz. Il pense que les Romains n'avaient établi qu'une
simple muraille de sûreté; que les premiers remparts
élevés à la hâte sur les ruines amoncelées des monu-
mens du grand peuple, l'ont été après l'invasion des
Romains, au IX° siècle, lorsque l’évêque Wala, défendit
vaillamment, le casque en tête, les limites de son diocèse,
et mourut avec gloire dans la plaine de Remich. Cette
limite défensive, ajoute M. Parnajon, reçut des dévelop-
pemens successifs, et, quand Metz se gouvernait en répu-
blique, elle présentait une ligne de défense protégée par
des châteaux forts, semblables à la porte des Allemands,
et par un nombre considérable de tours dont la garde
était confiée à la milice bourgeoise et aux corps de mé-
üers. La tour dite Serpenoise, entrait dans la ligne pré-
citée. L'héroïque défense du duc de Guise, racontée
sommairement par M. Parnajon, PSS que ce brave
chevalier n'ignorait pas l'heureux parti qu'on pouvait tirer
des remparts gaulois faits en terre et en madriers inter-
posés. Ce fut devant un rempart de cette nature que s'a-
baiïssa la fierté hautaine du monarque espagnol; ce fut
là que 500 gentilshommes qui venaient de manier la bêche
et la pioche comme de simples manœuvres, acquirent les
plus belles lettres de noblesse que la victoire puisse donner
à ses élus. Grace au savant officier qui nous servait de
QUATRIÈME SECTION. , 183
guide , la quatrième section a pu, en moins d’une heure,
parcourir d'imagination un espace de quinze siècles, s’en-
foncer avec lui sous les immenses souterrains du fort
Belle-Croix, assister à la construction des ouvrages pro-
jetés pour la défense du pré Samt-Symphorien, pour
l'inondation de la commune de Devant-lès-Ponts, et pour
mettre l'enceinte messine presque tout entière à l'abri
des projectiles de l'ennemi.
M. de Caumont a voté des remerciemens à M. Par-
najon, ajoutant que jamais, en aucune ville miiture,
travail aussi consciencieux n'avait été fait d’une manière
aussi distinguée.
M. Emmanuel d'Huart avait promis une description du
Ring du Dolberg ; de cette forteresse des Huns dont la
masse cyclopéenne semblerait l'ouvrage des Titans plutôt
que celui des hommes. Sa lecture, appuyée sur un lever
fort exact du monument, a fait beaucoup de plaisir. M. Bé-
gin en a demandé la communication en séance générale,
et. des vœux unanimés ont accompagné cette proposition.
On a levé la séance pour visiter les anciennes fortifica-
tions de la ville, sous la conduite de M. Parnajon.
Rapport de M. Bégin sur cette promenade archéolo-
gique :
Messœurs ,
: L'ancien Metz, le Metz des IX°, XIil°, et XVI° siècles -est encore
plein de vie dans quelques parties de son enceinte. Au retran-
chement de Guise, on retrouve cette muraille de:8 pieds :d'épais-
seur que flanquaient jadis 68 tours menacantes ; la porte des Alle-
mands rappelle nos vieux donjons; les tours ‘de Serpenoise et d'En-
fer, se lient aux époques les plus romantiques de l’histoire messine
et servent de transition entre le moyen-âge et les temps modernes.
Notre promenade commenca à la porte des Allemands bâtie en 1445,
184 QUATRIÈME SECTION.
par le même architecte qui éleva une partie de notre cathédrale, On lit
à gauche de la porte, l'inscription suivante gravée en caractères
gothiques :
Henry. , .....,... de Ranconval
Fut de cet ouvrage maître principal,
Nous parcourümes l'intérieur de cette forteresse à quatre tourelles,
encore déchirée, dans son pourtour et dans toutes ses issues, des balles
de fauconneau et des autres projectiles lancés contre elle par les bom—
bardes impuissantes de Charles-Quint.
De la porte des Allemands on se dirigea vers la tour Serpenoise,
ouvrage du XVI siècle, et, de là, au grand cavalier de la citadelle,
sous l’empierrement duquel est enfouie plus d’une page d'histoire
gallo-romaine. Ses fondations recélent quantité de colonnes, de cor-
niches sculptées , et d'inscriptions qui jetteraient sans doute un grand
jour sur les temps anciens. Plus loin, vis-à-vis le pré Saint-Symphorien ,
un long pan de murailles du moyen-äâge semble s'être détaché exprès,
afin de montrer les secrets de sa construction rapide et les cintres
d’abbayes renversées pour organiser un système défensif.
Nous étions à quelques pas de la Tour-d’Enfer, séjour affreux habité
jadis par le crime et la trahison; séjour où la justice froidement
cruelle de nos ancêtres est encore riche de souvenirs. Ce fut la que
le sire de Vieilleville, après la journée des embuscades, enferma les
pères cordeliers qui avaient trahi la cité; c'est au fond de cette voûte
sombre qu'ils étranglèrent leur gardien , voulant peut-être lui épargner
la honte d’un supplice infamant. La torche incandescente qui nous
précédait, jetait une pâle clarté sous ces immences farceaux ; nous
étions groupés autour du bäton de résine, et derrière et devant nous,
les ténèbres semblaient nous presser comme les âges.
On nous reprocherait de quitter la Tour-d'Enfer sans signaler un
bas-relief gallo-romain de la plus belle conservation. Il représente
un esclave tête nue, revêtu du sagum avec un anneau au-dessus de
chaque malléole. Ses mains tiennent une assiette sur laquelle se trouve
un poulet parfaitement retroussé , preuve qu’alors comme aujourd'hui,
les citoyens ailés de la basse-cour devenaient les innocentes victimes
de la gastronomie.
M. Parnajon a promis ce bas relief à la ville; et ce ne sera pas
la première preuve, que notre génie militaire est souvent un bon génie
pour l'histoire.
QUATRIÈME SECTION. 185
SÉANCE DU LUNDI 11 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de LA Saussave.
M. le président donne lecture des propositions suivantes,
avec prière de les méditer pour les mettre le lendemain
en discussion.
Faire l’histoire progressive de la civilisation Jran-
case par les lois qui ont paru successivement , depuis
les premiers temps de l'établissement de la monarchie.
Demander à M. le ministre de l’instruction publique
son influence sur les sociétés scientifiques de France
qui s'occupent spécialement d’études historiques , pour
les engager à se communiquer mutuellement leurs œu-
vres , et le prier de leur faciliter les moyens de le faire
sans frais.
Ne pourrait-on pas arrêter, pendant le Congrès, un
travail général de statistique archéologique ?
Ne pourrait-on pas, à chaque session, essayer de
coordonner les travaux archéologiques entrepris dans
divers départemens ?
Rien n'étant à l’ordre du jour, M. Bégin demande la
parole pour entretenir la section de l'utilité qu'il ÿ aurait
d'extraire des œuvres d'Ausone, de traduire et d'annoter
tout ce qui peut se rattacher à l’histoire. 11 dit avoir fait
ce travail pour sa propre satisfaction, et en avoir déjà
retiré de nombreux résultats.
Si cette muse des derniers empereurs, ajoute M. Bégin, était mieux
comprise qu'elle ne l’a été par l'abbé Jaubert et par tous ceux qui
ont voulu l'interpréter, les annales de Trèves, de Bordeaux, de
Toulouse , celles des Vosges, de la Moselle et de la Sarre seraient
moins obscures dans ce qui concerne la décadence de l'empire. On
aurait sur les mœurs et le luxe de cette époque, des documens dont
24
186 QUATRIÈME SECTION.
aucun historien n’a fait usage. Martial et Properce, qu'on cite à chaque
instant, renferment beaucoup moins de choses positives qu'Ausone,
qui, ayant écrit plutôt dans le genre descriptif et narratif que dans
tout autre, offre une source abondante de remarques dignes d'intérêt.
Elles s'encadreraient à merveille dans une histoire politique et litté—
raire du IV® siècle. Ausone, entre autres mérites, a celui de retracer
avec une précision pittoresque admirable les scènes qu'il décrit, et
de ne parler que de choses qu'il a vues ou d'hommes qu’il a connus.
Aussi, doit-on considérer ses poèmes comme un panorama fidéle,
mais dont l'intelligence exige une attention scrupuleuse , quelquefois
même une étude approfondie d’un texte altéré par d'ignorans com—
mentateurs.
M. Bégin, après cette allocution, lit sa traduction du
poème d’Ausone, sur la Moselle.
M. Dupré, revenu depuis peu d’un voyage archéolo-
gique à Trèves, prie la quatrième section d'agréer l'hom-
mage qu'il lui fait d'un dessin reproduisant la forme et
les détails d’un encensoir karlovingien découvert dans la
cathédrale de Trèves. La section ‘décide que cette pièce
remarquable sera lithographiée et placée dans le volume
des travaux du Congrès.
SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de LA Saussaye.
M. l'abbé Périn a la parole sur la douzième question
du programme, ainsi concue :
Faire l'histoire de la peinture sur verre dans notre
province. On sait que la plupart des artistes peintres
venaient d'Alsace et de Champagne, et que des ver-
reries considérables existaient au moyen dge dans les
Vosges. Serait-il possible, d’après la qualité du verre
QUATRIÈME SECTION. 187
et le genre de peinture adopté, d'indiquer les princi-
paux travaux exécutés hors du pays par des artistes
champenois, alsaciens et lorrains ?
M. l'abbé Périn s'excuse de ne pouvoir entamer une
discussion sur un point d'histoire qu'il n’a pas eu le temps
d'élaborer convenablement.
M. Bégin, après avoir reproché à cet honorable membre
un excès de modestie qui prive le Congrès de fort bonnes
choses, prend la parole en ces termes :
Messreurs ,
Si je me substitue à M. l'abbé Périn, c'est à la condition qu'il
voudra bien rectifier mes erreurs ou compléter mes données. L’ori-
gine de la peinture sur verre, comme celle de toutes les grandes
inventions , se perd dans la nuit des temps. Je la crois contemporaine
du Christianisme. Il en est question dans Saint-Jérôme , dans Grégoire
de Tours, à propos de l’église Saint-Julien de Bri, dans Fortunat
qui a chanté l’église Notre-Dame de Paris; mais il s’en fallait bien
qu’elle fût telle que nous le voyons aujourd’hui. Probablement ce
sont les dessins en mosaïque qui ont inspiré l'idée des vitraux peints.
De la mosaïque opaque on sera passé à la mosaïque transparente, de
la mosaïque en silex ou pierres ordinaires, à celle en pierres fines;
on aura fait des médaillons , de petits tableaux dont les personnages,
imparfaitement dessinés, étaient séparés les uns des autres par des
lamelles d'or ou d'argent. L'exécution de ces images en pièces de
verres peints ne s'est pas fait attendre, dès que le culte eût acquis
une certaine splendeur et se füt élevé du simple oratoire à la cons-
truction des basiliques. Il paraît qu’au X° siècle la peinture sur verre
était déjà cultivée en France, plus peut-être qu'en aucune autre partie de
l'Europe , puisque saint Benoit, abbé de Wirmouth (Ecosse), fit venir
de France des peintres verriers pour décorer son église. Aujourd’hui,
toutes ces peintures ont disparu. Les plus anciens vitraux cités par
M. Alexandre Lenoir sont ceux de saint Denis, exécutés au XII* siècle
sous la direction de l'abbé Suger, mais il n’en reste que peu de chose.
Quelques églises de Normandie possèdent aussi des vitraux de la
même époque. Sous ce dernier rapport, la cathédrale de Metz paraît
être l’une des plus riches de France, puisqu'elle possède , malgré les
188 QUATRIÈME SECTION.
dégradations passées et toutes récentes, une suite de vitraux remar—
quables, depuis le XII° jusqu'au XVI° siècle,
Un caractère général dans l'emploi des couleurs, s’observe aux pein-
tures sur verre de chaque époque séculaire. Ainsi, les plus anciens
vitraux ne présentent généralement que trois couleurs, le bleu, le
rouge et le jaune; à la fin du XII siècle, apparaissent déjà les sept
couleurs primitives, puis les teintes se multiplient à mesure que l’art
est en progrès. Au commencement elles sont plates et sans ombre,
n'offrant que de simples lignes avec des couleurs brusquement tran—
chées. A la fin du XII° siècle quelques eflets de lumière se font
remarquer, mais les images peintes ne sont ni grandes, ni chargées
de figures. Au XIII siècle, au commencement du XIV°, elles con-
servent encore généralement de petites dimensions dont l'effet peu gra-
cieux est compensé par l'éclat des couleurs et l'ordonnance pittoresque
des détails. Généralement, on connaît peu de peintres verriers. La no-
menclature qu’en donne M. Langlois, de Rouen, est bien loin de se
trouver complète.
Le florentin Cimabué, mort en 1310 , est l'un des plus anciens ar-
tistes de ce genre cité par l'histoire. ,
Aprés lui, et presque sur la même ligne, vient maistre Harmann
1; Valrier de Munster en MWaistefalle, lequel fit le grant oz de
ceans , et morut en mars 1392, dans la ville de Metz où il fut mhumé.
Depuis ce peintre verrier qui paraît avoir exécuté une grande partie
des vitraux de notre cathédrale, de l’église des Grands-Carmes et
de plusieurs autres édifices, il faut franchir un siècle pour retrouver
en Lorraine un artiste distingué dans ce genre si difficile. Valentin
Bousch sort de la Basse-Alsace , et vient exercer à Metz sa belle in—
dustrie. Ce fut lui qui posa en 1521, 1595, 1526, 1558 et 4539,
les vitraux du chœur de notre cathédrale; il habitait la maison
occupée aujourd’hui par M. Vincent, agent du Congrès, la même où
Rœderer a vu le jour ; et, lorsqu'on perca la rue des Jardins en 4755,
on découvrit, au-dessous du magasin de Chévremont, les traces des
fours de cet artiste. Bousch mourut au mois d'août 1541, léguant à
la fabrique de La cathédrale tous les grands patrons desquels il a fait
les fenestres de la grant église, pour s’en servir et aider à l'avenir
à la réparation desdites fenestres, toutes et quantes fois qu'il en sera
necessaire , etc.
Valentin Bousch n'a pas seulement fait les vitres du chœur de la
cathédrale ; il a exécuté celles de l'église Sainte-Barbe, sauvées en
partie des mains des démolisseurs. Les vitraux de Saint-Symphorien
QUATRIÈME SECTION. 189
étaient du même peintre. Avec lui dut finir en Lorraine cette
mission artistique des célébrités allemandes, qui dotèrent nos, pro—
vinces et particulièrement les villes de Metz et de Toul, d’une infinité
d'ouvrages remarquables , mais ayant tous, jusqu'à la fin du XV° sic
cle , soit en architecture, soit en sculpture ou en peinture, un. carac—
tère germanique.
La réaction qui avait lieu en Lorraine depuis un siècle dans le
domaine des beaux-arts , s’appliqua surtout à la peinture des vitraux.
Elle cessa d’être une importation étrangère, et l’on vit, au XVI° siècle,
cette industrie fleurir sur les rives de la Meurthe. Thierri Alix qui
écrivait vers 1550, parle de larges tables en verres et de peintures
qui se fabriquaient dans les montagnes des Vosges. Il assure qu’on
trouvait, dans le pays même, les plantes et les autres choses né-
cessaires à la peinture , et que les vitraux sortis des ateliers Vosgiens,
envoyés sur tous les points de l'Europe, constituaient une branche
commerciale fort active. Les vitraux de l'église d'Autrey, si remar-
quables, sortaient de ces mêmes ateliers. Ainsi, lorsque le génie d'Albert
Durer donnait à l'Allemagne une impulsion nouvelle, lorsque de
. grandes pages d'histoire se déroulaient sur les vitraux des ‘provinces
ultra-rhénanes , des artistes lorrains associés à des artistes Champenois
représentés par Israël Heuriet et ses élèves, faisaient briller la peinture
parmi nous.
L'improvisation de M. Bégin n'ayant entraîné aucune
discussion sérieuse , il prie M. le président d'inviter M. Hu-
guenin jeune, à parler sur la huitième et la neuvième
question du programme relatives aux invasions ainsi qu'aux
limites présumées des anciens peuples.
M. Huguenin s'excuse ; il craint de produire des opi-
mons qu'il ne croit pas avoir suffisamment élaborées.
Rassuré néanmoins par les pressantes sollicitations de la
section , il établit-que les barbares envahirent la Lorraine
“par les deux extrémités de la chaîne des Vosges, tantôt
"du côté de Mayence , tantôt du côté du lac de Constance;
et que, non-seulement, ce mouvement d’invasion eut lieu
lorsque les premiers peuples germaniqnes s'ébranlèrent,
mais qu'il continua tant qu'il y eut déplacement de peuple
490 QUATRIÈME SECTION.
à peuple. Avant César, sous lui, après lui, c’est toujours
le même système. Les Romains, comptaient si bien sur
les Vosges , comme défense naturelle, qu'ils ne paraissent
pas y avoir établi de fortifications ; ils ne se sont guère
occupés non plus de la partie centrale du Rhin, tandis
qu'on les voit diriger tous leurs efforts vers les sources
et les embouchures de ce grand cours d’eau. Ainsi, des
forteresses furent élevées depuis Saverne jusqu'au lac de
Constance, depuis Mayence jusqu'aux dernières ramifica-
üons du flenve.
Les Boïens et les Triboques paraissent à M. Huguenin
les dernières peuplades keltiques envahissantes ; elles
étaient les unes en decà du Rhin, les autres au-delà,
mais disposées à le franchir, lorsque César arriva dans les
Gaules. Il cite une inscription prise dans Grüter qui lui
semble consacrer cette alliance : c’est un vœu formé par
les Boïens et les Triboques réunis, Boï et Triboci. Au
reste, il pourrait aussi se faire que deux penples se fus-
sent unis par communauté d'intérêt plutôt que d’origine.
M. Huguenin explique ensuite, par le caractère même des
Triboques, l'espèce de mission belliqueuse qu'ils eurent à
remplir dans leur nouvelle patrie. Les Mediomatrices , les
Leucques, adonnés aux travaux champêtres, ont dü laisser
à une peuplade trois fois terrible (triboï trois, terrible), le
soin de défendre leur frontière, tandis que les Trevires
(ri viri) trois fois hommes, trois fois braves, protégeaient
la leur.
M. Huguenin pense que les anciennes chartes de do-
nation ou de partage fourniraient des indications positives
sur la marche envahissante des hordes du nord. Par exem-
ple , un titre d'Othon, en faveur de l'abbaye de Senones,
consacre les mots wia Sarmatorum, mons Hungarorum ,
fontana Hungelina, chemin des Sarmates, montagne
QUATRIEME SECTION 491
des uns , fontaine des huns, expressions pittoresques qui
ne laissent aucun doute sur leur origine.
M. Bégin confirme l'opinion de M. Huguenin touchant
ces voies de passage et ces limites. Il rappelle, entr'autres
heux, une localité de la Lorrame vosgienne, appelée
Striti-wald, du kelto-breton stread, chemin, qui a
peut-être donné l'italien Strada , l'anglais Streat, l'alle-
mand Strass, le hollandais Siraat, etc. L'invasion des
huns sur Remiremont, vers 898, citée par M. Huguenin,
est d’ailleurs confirmée par V’aldenaire.
M. de Saulcy rapporte, à l'appui de l'ingénieuse étymo-
logie donnée, par M. Huguenim, aux mots Z7i-bocci et
Treviri, l'inscription de Notre-Dame de Paris, portant
tauros tri-garanos , taureau à trois grues.
M. Choley demande que la question des invasions soit
examinée dans ses rapports avec la géologie, la géogra-
phie et l'histoire, la position territoriale d’un peuple ex-
pliquant ses mœurs et son génie. Il ajoute que les Tri-
Boques étaient un peuple montagnard et qu'il n’occu-
pait que les sommités vosgiennes. M. Bégin, tout en par-
tageant la première opinion de M. Choley, n’admet pas la
dermière. Il croit que les Triboques habitaient presque
toute la basse Alsace, et fonde son opinion sur les nom-
breux monumens religieux d’origine tribocienne, que l’on
remarque dans cette province.
M. de Saulcy demande, que le Congrès de l’année pro-
chaine, examine les rapports qui peuvent exister entre les
Triboques d'Alsace et la nation qui couvrit une partie de
la Sardaigne de tombeaux parfaitement identiqnes à ceux
décrits par M. Beaulieu, dans son essai sur Dachsbourg.
Cette proposition est appuyée.
192 QUATRIÈME SECTION.
SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE.
Présidence de MM. Marr et de La Saussave.
M. Huguenin jeune, reprenant la question qu'il avait
traitée la veille, observe qu’à l'embouchure de la Garonne
se trouvait un établissement de Boïens, qui ont conservé
le nom de Bouck, expression similaire à celle de boques,
finale du mot Zriboque. Une discussion s'engage sur cet
objet. MM. Bégin, de la Saussaye et de Saulcy y prennent
une part active.
M. de Saulcy demande que la question relative au ca-
ractère des tombeaux franks soit renouvelée au Congrès
de l’année prochaine, se proposant de rédiger un travail
sur cet objet. Le mème membre propose la question sui-
vante :
Les monnaies portant une légende royale et présentant
en outre l’emblème d'une origine féodale, peuvent-elles
étre considérées comme monnaies royales ou baronales?
La sixième question est considérée comme résolue d’une
manière affirmative, savoir: que les Gaulois ont élevé
des tumuli dans le nord et l’est des Gaules avant l’inva-
sion romaine.
M. de Sauley dit quelques mots sur la dixième question,
desquels il résulterait que l'architecture militaire du
nord-est de la France serait absolument semblable à celle
des autres provinces du royaume ; et que les phases ar-
chitectoniques de l'architecture civile, si bien présentées
par M. Caumont, seraient applicables à notre lstoire,
en ayant soin, toutefois, de devancer ou de retarder leur
adoption, selon certaines influences ou particularités lo-
cales.
QUATRIÈME SECTION. 195
- M. Victor Simon imdique une découverte faite aux en-
virons de Metz, à Grosyeulx, d'instrumens et de lonpes
en fer, et il appelle l'attention des archéologues sur les
moyens de reconnaître le type de l'art gaulois, antérieu-
rement aux premières Invasions romaines.
Les 15°, 14°, 15°, 46° et 18° questions du programme
ayant été posées par une personne absente qui devait en
apporter la solution, sont renvoyées au Congrès de l’année
prochaine.
M. le baron Gullemin met sous les yeux de la section,
les planches d’un magnifique travail qui lui est un
avec notre compatriote M. le capitaine Emy, et dont le
but est de reproduire l’art de la serrurerie chez les Egyp-
üens , les Etrusques , les Grecs et les Romains. Onze cents
clefs ont été déjà dessinées, expliquées par ces Messieurs.
Hs font un appel aux archéologues pour achever leur
belle entreprise. La section témoigne à M. Guillemin
combien sa communication l’a flattée et quel intérêt elle
attache à ses travaux.
M. Poncot, devenu depuis peu notre compatriote,
montre à l'assemblée quelques objets antiques recueillis
sur les champs de bataille qu'il a parcourus.
M. Bégin lit quelques fragmens de son travail archéo-
logique, statistique et pittoresque sur le cours de la
Moselle.
M. de la Saussaye prend la parole, et, dans une allo-
cution vivement applaudie, remercie la section de l’hon-
neur qu’elle lui à fait de l'élever à la présidence. I rap-
pelle les travaux de ses collègues, les félicite d’avoir pré-
féré l'émission de mémoires sérieux à des discussions
souvent sans résultats pour la science , et considère cette
nouvelle voie comme étant d'un bon exemple pour les
Congrès futurs.
25
4194 QUATRIÈME SECTION.
Sur la proposition de M. le colonel Parnajon, des
remeérciemens sont votés à MM. de la Saussaye et Bégin.
M. l'abbé Périn demande, en outre, que la section té-
moïgne , par l'organe de son secrétaire, la reconnaissance
dont elle est pénétrée pour MM. les président et vice-
présidens du Congrès. Cette proposition étant admise, on
lève la séance à dix heures et demie.
Les Secrétaires de la section, Le Président de la section,
BÉGIN. De LA SAUSSAIE.
DENIS père. Le Vice-Président,
De BOHL,
CINQUIEME SECTION. 495
CINQUIÈME SECTION.
PHILOLOGIE, LITTÉRATURE, BEAUX-ARTS,
PHILOSOPHIE.
SÉANCE DU MERCREDI 6 SEPTEMBRE.
Présidence de M. CnareLain.
M. le président lit la première question : La compli-
cation des formes grammaticales d’une langue fuait-elle
supposer que le peuple qui la parle; a traversé une
longue période de civilisation, ou qu'il est resté long-
temps dans un état de barbarie , ou enfin qu’il est d’une
origine récente? elle est mise à l’ordre du jour et discutée.
M. Lafitte fait remarquer que la question est mal posée
et qu'il conviendrait de remplacer le mot de complication
par celui de multiplicité. Après plusieurs observations de
quelques membres, le président pose la question ainsi
qu'il suit : L’état de simplicité ou de multiplicité gram-
maticale des formes d’une langue fait-il supposer, etc.
M. l'abbé Schuine fait d'abord remarquer que plus une
langue est ancienne, plus elle est riche de formes. À me-
sure qu'un peuple vieillit, il analyse ses idées, en dis-
tingue les nuances, et par conséquent a besoin de nouvelles
formes pour les exprimer.
M. Guerrier de Dumast dit qu’en effet au premier abord
il semble qu'on doive être allé du simple au composé,
496 CINQUIÈME SECTION.
en fait de formes grammaticales ; mais que la réalité des
choses, qu'il n’est pas permis d’altérer, conduit à un ré-
sultat différent, et en général tout opposé, A l'exception
peut-être de quelques familles de langues, comme le
groupe sémitique , où la loi de simplification est peu visi-
ble (parce qu'il n'existe pas là plusieurs générations d'i-
diomes nés les uns des autres, sur lesquels on puisse
l'observer), à l'exception, dit M. de Dumast, de cette
famille, dont tout au plus on ne peut rien conclure mi pour
ni contre, l'examen des faits doit faire passer en maxime
que, plus une langue est née tard, plus son système
grammalical est simple ou pauvre, et plus elle a besoin
de moyens auxiliaires ou factices pour rendre des idées
que les langues plus anciennes expriment par un seul
mot. Les progrès de la civilisation sont en ceci sans in-
fluence, et ne changent rien au principe. Sans doute,
un peuple, à mesure qu'il se perfectionne dans les arts
et les sciences, se crée des termes nouveaux, pour ré-
pondre à ses nouveaux besoins ; mais ce qu'il acquiert
se borne à des mots ; sa grammaire et les formes qu'elle
lui fournit, demeurent dans le même état de dénuement
relatif et de constante infériorité , auprès des Jlangués nées
à une époque plus reculée. Ainsi, par exemple, l'anglais
estinfiniment moins riche de formes que le saxon, dont
il dérive, et le persan beaucoup moins que le zend,
dont il tire son origine. Ainsi le français est moins riche
de formes que le lauün, qui l'était déjà moms que le
grec, lequel à son tour n'avait pas conservé la totalité
des belles ressources du sanskrit. On sait quelle multi-
plicité de nuances primordiales présente la langue tur-
que, et quelle abondance encore plus grande se montre
dans les idiomes des sauvages du nord de l'Amérique. Et
sans aller si loin, une peuplade sans culture, que nous
CINQUIÈME SECTION. 197
pouvons étudier à nos frontières, la race euscarienne ou
basque, indigène des Pyrénées, nous offre le même phé-
nomène. Le basque, si dénué de mots que sa panvreté
va jusqu'à l'indigence, possède, dans les cas nombreux
de sa déclinaison, dans les modes variés et délicats de sa
conjugaison, dans la flexibilité féconde de cette conju-
gaison , suivant les régimes directs ou indirects, singuliers
ou pluriels, sur lesquels le verbe doit agir, et dans mille
autres facilités heureuses qu'il serait trop long d'expliquer,
une magnificence de formes, une immensité de richesses
grammaticales, dont aucune de nos langues modernes ne
saurait même donner l'idée.
M. Michel Nicolas fait remarquer que l’on ne peut
rien conclure de la langue basque, puisqu'on ignore si
le peuple qui la parle, a passé par un long état de
civilisation, où est un peuple primitif. D'un autre côté
il est fâcheux, pour l’opmion du préopinant, qu'il ne
puisse pas s'appuyer sur les langues sémitiques, qui sont
aujourd'hui les langues les mieux connues. il paraîtrait
même des langues sémitiques que les langues augmentent
le nombre de leurs formes, aimsi que celui de leurs
mots en vieillissant ; car l'arabe, qui a vécu un àge dou-
ble de l'hébreu, est infiniment plus riche en formes et
en mots que celui-ci. |
M. Guerrier de Dumast, en reconnaissant la justesse
de ces remarques, fait observer d'abord, par quelques
détails, que la richesse de formes de l'arabe ne s'étend
pas si loin en réalité qu’en apparence; mais il s'attache
surtout à montrer qu'il n’y a pas eu accroissement de
formes dans l'arabe, depuis le moment où nous en avons
des monumens, c'est à dire depuis le V° siècle, et que
nul indice n’annonce qu'il en ait été différemment anpa-
rävant ; qu'ainsi la multiplicité des formes de cette langue
198 CINQUIÈME SECTION.
est constitutive chez elle, et aussi ancienne que l’idiome
même, c'est-à-dire contemporaine de l'hébreu.
M. Lafitte pense qu'à mesure qu'une langue vieillit,
elle se perfectionne et devient plus apte à exprimer la
pensée, plus complètement et en moins de mots. Il cite
à ce sujet l'estime que mérite la langue française, et la
popularité qu'elle s'est acquise et Europe.
M. l'abbé Schuine fait remarquer qu’une langue, en
vieillissant, prend de nouvelles formes pour exprimer ce
qui autrefois n’en avait pas besoin ; ainsi le bengali se sert
de l’article qui n’est pas dans le sanscrit, 1l perd l'usage
du duel, etc. ; ainsi le romaïque a substitué des temps
composés aux temps simples des verbes grecs.
M. Guerrier de Dumast, applaudissant à ces nouvelles
lumières jetées sur la question, y voit précisément de
nouveaux exemples, de nouvelles preuves de la règle
qu'il a posée. Des dédoublemens de mots, des auxiliaires,
des particules devenues indispensables, ne sont point des
enrichissemens de formes ; bien au contraire. Partout où
une ancienne langue a été remplacée par une nouvelle,
on a perdu l’opulence première, propre, naturelle, in-
trinsèque, celle qui résultait de la constitution même du
langage, souple, flexible, et se prêtant par lui-même,
au moyen des plus légères variations, à exprimer des dif-
férences , des délicatesses innombrables. Partout il a fallu,
ou renoncer tout à fait à certaines richesses, comme pour
le duel, que ne remplacent point du tout les idiomes
modernes, ou bien suppléer par des procédés factices à
celles que l’on a perdues, comme font les langues d’ori-
gine récente, qui recourent à l'invention de particules
et à diverses combinaisons toujours plus ou moins pé-
mbles.
M. Lafitte pense qu'il s’agit de savoir si les langues,
CINQUIÈME SECTION. 199
en se multipliant dans leurs formes, se prêtent mieux
aux besoins de l'intelligence ou non. Il croit que plus
les formes sont simples et mieux elles expriment la pensée.
M. le président fait remarquer qu'il y a au fond deux
questions dans celle du programme : l'une qui est gram-
maticale, et l’autre celle exprimée par M. Lafitte ; il
pense qu'il faut les séparer et les traiter chacune à part.
IL propose qu’on s'occupe d’abord de la première.
Après cette discussion, la majorité de la section fait
connaître sa pensée, qui est que la multiplicité des formes
du langage en marque l'antiquité.
M. le président demande ensuite à M. Lafitte de for-
muler la question telle qu'il l'entend.
M. Lafitte, tout en soutenant que cette question est
la même que celle du programme, pose la question sui-
vante : La simplicité des formes du langage est-elle
mieux en harmonie que leur multiplicité, avec les
besoins de la pensée? — Cette question est jugée trop
grave pour être traitée séance tenante ; elle est renvoyée
à quelques jours pour qu'on puisse y penser et se pré-
parer.
Un mémoire de M. Godin, avocat à Blois, sur cette
question : De l’influence qu’a exercée la chute de Cons-
tantinople, au XF® siècle, sur la littérature française,
est déposée sur le bureau. M. Lafitte veut bien se charger
de faire un rapport sur ce mémoire.
M. de Caumont dépose sur le bureau un extrait de
la Revue normande, qui l'avait emprunté à la Revue
de Lorraine, sur la résurrection des provinces.
200 CINQUIÈME SECTION.
SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Cnarezai,
Le procès-verbal de la séance précédente est lu. M. La-
fitte demande qu'il y soit fait mention de son insistance
à soutenir que la question, telle qu'il l’a formulée, était
contenue implicitement dans celle du programme.
M. le président donne lecture d’une lettre de M. le
comte du Coëtlosquet, par laquelle, conformément à
l'article 14 du réglement, 1l dépose sur le bureau deux
questions, qu'il se propose de traiter. La première est :
4° Quel est le caractère principal qui distingue essen-
tiellement l’école classique et l’école romantique ? 2° L'une
et l'autre de ces écoles doit-elle étre regardée comme
étant exclusivement bonne? ou, au contraire, ny au-
raït-il pas quelque chose de bon à prendre dans cha-
cune d'elles ? Dans la dernière hypothèse, quelles
pourraient étre les bases de cette espèce de transac-
tion ? — La deuxième : 1° Quelle part convient-il d'as-
signer aux sciences et aux lettres dans l’enseignement
de la jeunesse ? 2° Quelles conditions doit remplir l'en-
seignement des unes et des autres pour atteindre le but
qu’il se propose ? La section décide qu’on entendra M. du
Coëtlosquet, et on fixe la discussion de la seconde
à la séance de lundi procham, 10 septembre. M. du
Coëtlosquet fait en même temps hommage au Congrès d’un
rapport sur l’analyse et la synthèse, fait à l'académie
royale de Metz en 1850, et inséré dans les mémoires
de ladite année.
M. Gondon demande à la section qu'on lui laisse
exposer le système de M. Latouche ; :l désircrait aussi
CINQUIÈME SECTION. 204
pouvoir disposer du local d’une heure à trois, pour y
réunir les membres des différentes sections, qui désire-
raient être imitiés à cet enseignement. On décide qu’on
entendra. M. Gondon, mardi 11 septembre, et on le
renvoie au secrétaire général du Congrès pour ce qui re-
garde ses deux demandes.
M. le baron de Romécourt demande de présenter à la
cmquième section quelques considérations en rapport avec
les sciences chimique et physiologique sur l'ame, sa spi-
ritualité, et sur la nature du concours des organes dans
les opérations de l’intelligence. On décide-qu'on entendra
M. de Romécourt, samedi prochain , 9 septembre.
M. Lafitte fait son rapport sur le mémoire de M. Godin.
Il pense que l’auteur n’a pas traité la question, et qu'en
conséquence on ne doit pas s'occuper de ce mémoire. Sur
sa proposition, on passe à l’ordre du jour.
M. le président lit la seconde question : 7racer les
délimitations des mères langues et de leurs dérivées de
toute l’Europe , et expliquer les causes, de quelque na-
ture qu’elles soient , qui ont tracé cette délimitation.
Personne ne demandant la parole sur cette deuxième
question, on passe à la troisième. Déterminer les prin-
cipales révolutions des peuples qui ont exercé leur in-
Jluence sur les idiomes des nations européennes.
M. l'abbé Maréchal annonce qu'il se propose de trai-
ter cette question, mais son travail n'étant pas encore
prêt , 1l prie qu'on renvoie la discussion. On la fixe à sa-
medi. Il demande à traiter demain la dixième question :
Le syriaque et le grec ont de grandes affinités. Par
quelles règles pourrait-on distinguer les mots syriaques
qui ont formé les termes grecs}, des mots syriaques qui
dérivent de la langue grecque ?
M. l'abbé Maréchal fait ensuite savoir que la vingt-
26
202 CINQUIÈME SECTION.
…
deuxième question d'histoire naturelle, se basant sur l'ex-
plication de textes, la première section a renvoyé cette
première partie à l'examen de la cinquième section ; on
charge pour faire un rapport du travail de M. l'abbé
Maréchal, une commission composée de MM. Guerrier
de Dumast, Gerson Levy et Michel Nicolas.
On passe à la quatrième question : Quelle langue par-
lait les Gaulois et de quelle source dérivait - elle ?
M. Guerrier de Dumast voudrait savoir si la personne
qui a posé la question a connaissance de quelques faits
nouveaux, qui détruisent l'opinion généralement reçue
qu'il se parlait trois langues dans les Gaules , l’iberienne
chez les Basques, la germaine dans la partie Belge, et la
celtique dans le reste du pays.
Cmquième question : Zndiquer par des recherches
méthodiques ce qui reste dans le nord et l’est de la
France de la langue gauloise et de la langue latine,
et faire connaître, autant qu'il est possible, les modi-
fications que les divers langages parlés de ces pays ont
subies en raison des invasions de différens peuples.
M. Guerrier de Dumast demande que dans le cas que
quelqu'un se propose de traiter la question, on ajoute
à ces mots de la langue gauloise et de la langue latine,
ceux-ci, et de la langue grecque.
Personne ne se présentant pour traiter cette question, on
passe à la sixième : De quelle langue le patois de la
Lorraine , et en particulier, celui du pays messin dé-
rive-t-il ? etc.
Personne ne demande la parole sur cette question.
M. Michel Nicolas fait remarquer la nécessité de l'étude
des patois. Ces restes de l’ancien langage d’un peuple
sont dans beaucoup de cas le seul monument de son or-
gme. Les patois peuvent souvent servir à expliquer l’ori-
CINQUIÈME SECTION. 203
gine d'une nation et les invasions qui ont traversé un pays,
et une foule de faits historiques, obscurs, parce qu'il
manque l'intelligence d’un mot, que seul donnerait un
patois et encore les mœurs des ancêtres. Cette connais-
sance des patois si nécessaire, on peut encore l’acquérir,
bientôt on ne le pourra plus. Ils tendent aujourd'hui à
faire partout place au français. Il serait du plus haut inté-
rêt que les académies de provinces, chacune dans leur
ressort, fit faire des études sur les patois de sa localité.
Déjà même quelques-unes l'ont fait, particulièrement dans
le midi de la France et en ce moment à Nancy. En con-
séquence, M. Michel Nicolas demande que la cinquième
section émette le vœu de voir l'académie de Metz pro-
voquer et encourager des travaux sur les patois mes-
sins.
M. Guerrier de Dumast appuie ces observations et
cite ce qu'a fait l'académie de Stanislas, qui a proposé
deux prix, l’un sur les chants du pays, et l'autre sur
les patois des départemens lorrains.
La cinquième section émet le vœu que l'académie
royale de Metz encourage de semblables travaux.
Septième question : La langue allemande est-elle une
limite certaine entre le peuple allemand et le peuple
francais ? Cette langue a-t-elle été étendue ou res-
treinte dans ses limites depuis son introduction dans le
pays ?
Après une fort longue discussion pour savoir ce qu’on
peut entendre par cette question, M. Kœnig demande
qu'on ne perde plus de temps à parler sur la position
d'une question, quand personne ne veut la traiter.
M. Guerrier de Dumast pense que la langue allemande
était autrefois parlée dans les pays entre la Meuse et le
Rhin, mais que l'organisation française ayant été plus
204 CINQUIÈME SECTION.
puissante, dès le commencement de Ja troisième race,
l'idiome et la puissance germaniques reculèrent devant
elle, et que les petits états, moins capables de se défen-
dre, perdirent leur indépendance et leur langue pro-
pre.
Eu conséquence , la majorité des membres de la section
adopte les conclusions que la langue allemande n’est pas
une limite positive et certame, mais seulement approxi-
mative entre le peuple allemand et le peuple français ,
et que cette langue a été restreinte dans ses limites
depuis son mtroduction dans le pays.
On passe à la huitième question : La langue latine
et la langue grecque ont de grandes ressemblances et
de grandes différences ; en tracer les caractères et en
marquer les causes : doit-on considérer ces deux langues
comme provenant d'une même source, ou la première
comme dérivée de la seconde, ou comme une fusion de la
seconde et d’une autre langue dont on devra chercher
l’origine ?
M. Schuine pense que la langue latine se compose de
deux élémens : qu’elle a dérivé du grec les termes qui
ont trait à la vie agricole, et du pélage ou du sanscrit
ceux qui ont rapport à la vie guerrière.
M. Guerrier de Dumas fait remarquer la grande res-
semblance du latin et du grec, surtout dans le dialecte
dorique, qui semble former la transition des déux langues.
Cependant, il y a aussi de grandes différences ; ainsi
les noms de nombre, ordinairement signes non équi-
voques de la parenté de deux langues, sont ici différens
dans l’une et dans l’autre. L'étude du sanscrit a jeté un
grand jour sur cette question, et a expliqué les ressem-
blances du grec et du latin, en apprenant qu'ils ont
l’un et l’autre une même origine, d’où ils sortent peut-
CINQUIÈME SECTION. 205
être immédiatement tous les deux, peut-être seulement
médiatement. Il paraît que le grec vient du sanscrit sans
avoir subi l'influence d’une langue étrangère ; dans l’une
et dans l’autre on trouve en effet un système gramma-
tical fortement analogue. Mais il semble qu'il y a, entre
le sanscrit et le latin, une série plus où moins longue
de langues qui les rattachent l’une à l’autre. D'ailleurs,
il serait possible que les langues anciennes de l'Italie
eussent influé aussi sur la formation du latin.
M. Michel Nicolas, tout en reconnaissant que dans
l'état actuel de la philologie comparée, l'opinion émise
par M. Guerrier de Dumast est la seule admissible, vou-
drait qu'on restât encore dans le doute. Chaque fois
qu'on à étudié une langue, on a voulu faire dériver
d’elle toutes les autres. Au XVI siècle on étudie l'hébreu ,
on en fait aussitôt la langue mère de toutes les autres.
Au XVII siècle l'école hollandaise étudie l'arabe, et veut
que tout en dérive. Aujourd’hui qu’on étudie le sanscrit,
on voudrait aussi en faire le principe de tout. Mais déjà -
on commence en Allemagne à quitter le ton affirmatif.
Après avoir proclamé que tout vient de l'Inde, langues,
civilisation, religion, on avoue, depuis un an ou deux,
que décidément la question est encore fort obscure; et
ce qu'une connaissance légère , souvent même fausse, des
langues de l'Inde avait d’abord fait croire hors de con-
testalion , rentre aujourd'hui, deyant une connaissance
plus complète, dans les choses douteuses.
M Guerrier de Dumast reconnaît la justesse de ces
observations, et il pense aussi qu'on ne peut encore ré-
soudre positivement la question. Mais il lui semble que
le sanscrit est si généralement supérieur aux autres lan-
gues orientales, tellement important, qu'il est si non le
principe de toutes les autres langues, du moins une des
206 CINQUIÈME SECTION.
plus anciennes. Aussi, sans affirmer encore rien de positif,
on trouve que l’analogie entre le sanscrit et le latin est si
frappante , qu’on ne peut se refuser à la reconnaître. Pour
trouver une analogie entre les langues occidentales et l’hé-
breu, ou l'arabe, ou le basque, etc. , 1l fallait torturer
les mots ; ici la ressemblance saute aux yeux. Ainsi l’on
trouve raja en sanscnit, rex en latin, juvana dans l’un,
juvenis dans l'autre, agni dans le premier, ignis dans
le second , et mille mots aussi évidemment ressemblans.
Dans l’état actuel des connaissances, il paraîtrait que du
sanscrit sont sorties les langues grecque, latine, et par
celle-ci le français, l'italien, l'espagnol, etc., et que du
zend qui est une langue sœur du sanscrit, le persan,
l'allemand, et les idiomes du nord.
M. Michel Nicolas remarque que le zend et le sanscrit
semblent deux branches principales de la langue primi-
tive, mais que c'est pour cette raison qu'il ne croit pas
que le berceau du genre humain soit dans l'Inde. Il est
probable que les premières nations sont parties des pla-
teaux les plus élevés de l'Asie pour rayonner dans toutes
les directions. Peut-être le plus grand nombre s’est porté
dans le midi de l'Asie et y a formé de grands étabhisse-
mens ; mais rien n'indique encore que d’autres peuplades
ne se soient pas portées vers le nord et vers l'occident.
Dans ce cas, les langues germaniques et les langues grec-
que et latine ne ressembleraient au sanscrit et au zend
que parce qu’elles seraient des branches sorties d’un même
tronc. Dans tous les cas, on ne peut méconnaître l'anté-
riorité de culture des peuplades du midi de l'Asie; ce
qui ne veut pas dire qu'elles aient été le peuple primiuf.
M. Guerrier de Dumast pense aussi que ce n’est pas
dans J’Inde, mais sur les plateaux du Caucase qu'il faut
chercher le berceau de l'humanité.
CINQUIÈME SECTION. 207
® L'heure avancée ne permet pas de continuer la dis-
cussion, qui est renvoyée au lendemain.
SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE.
Présidence de M. CHaTErAIN.
Le procès-verbal de la précédente séance est lu et
adopté.
La discussion continue sur la huitième question du
programme.
M. l'abbé Maréchal pense que la langue des Etrusques
doit avoir fourni au latin une portion peut-être consi-
dérable des élémens dont 1l se compose.
M. Guerrier de Dumast appuie cette opinion, mais en
faisant observer que la langue de plusieurs autres peu-
plades italiques (celle des Osques, par exemple), pa-
raissent également avoir exercé sur la formation du latin,
une part d'influence qu’on ne peut pas encore bien assi-
gner. Il indique à cet égard l'existence de travaux savans
qui ne lui sont pas connus, et sur lesquels il se borne
à appeler l'attention pour des sessions ultérieures.
M. Michel Nicolas parlant dans le même sens, exprime
le désir de voir traduits en français les divers ouvrages
qui viennent d'être publiés en Allemagne sur les anciens
peuples de l'Italie, entr'autres ceux de M. Ottfried
Müller. |
La section, consultée sur le pomt à décider, recon-
naît la nécessité de nouveaux éclaircissemens et l'impos-
sibiité qu’il y a dans l’état présent de la question, de
donner autre chose qu’une réponse simplement probable ;
208 CINQUIÈME SECTION.
c’est à ce titre seulement qu'elle adopte la résolution sui-
vante :
Que le latin ne lui semble pas être né du grec, mais
que sa ressemblance avec l’hellénique , pourrait provenir
de ce que les deux langues dérivent du sanscrit : le grec
directement, et le latin d’une manière indirecte ; soit par
l'intermédiaire d'un idiome, fils du sanscrit et père du
latin , soit par le mélange du sanscrit avec un ou plusieurs
dialectes italiques encore peu connus.
On passe à la dixième question : Le syriaque et .le
grec ont de grandes affinités. Par quelles règles pour-
rait-on distinguer les mots syriaques qui ont formé les
termes grecs des mots syriaques qui dérivent de la lan-
gue grecque ?
M. l'abbé Maréchal lit un mémoire sur cette question.
Après avoir montré que les langues sénutiques et les ja-
phétiques forment deux groupes distincts, et qu’elles sont
séparées, 1° par les migrations diverses des peuples ; 2° par
des racines toutes différentes dans les deux groupes ; 5° par
les formes grammaticales différentes, 1l se demande com-
ment le syriaque, qui fait partie du premier groupe, a
quelque rapport avec le grec, qui appartient au deuxième.
Cette affinité peut dater de la révolution qui plaça le sceptre
de l'Orient entre les mans d’Alexandre-le-Grand. L'auteur
pense qu'alors il a pu passer dans le syriaque quelques
termes grecs, et dans le grec quelques mots syriaques ;
mais on peut toujours reconnaître qu'un mot usité dans
le grec est syriaque, si sa racine se trouve dans l’hébreu ou
le chaldéen pourvu qu'elle y soit employée au moins avant
l'expédition d'Alexandre, et qu’un mot usité en syriaque
est grec, s’il n’a pas de racine connue dans les langues sé-
mitiques.
M. de Dumast montre combien :1l est digne d'attention
CINQUIÈME SECTION. 209
que le syriaque, seul des langues sémitiques , ait quelque
ressemblance avec le grec. Et 1l s'explique généralement,
comme M. Maréchal, ce phénomène irrégulier, par des
emprunts d'une date récente, que le syriaque a faits à
la civilisation grecque, qui était celle de ses souverains.
Il irait même volontiers plus loin que le préopinant, en
supprimant à peu près les exceptions à ce principe ; Par,
en tout, 1l croit peu à l'action des racines sémitiques sur
la langue de la Grèce.
M. Michel Nicolas pense qu'il n’est passé que peu ou
point de mots syriaques dans le grec, mais qu'il est passé
plusieurs mots grecs dans le syriaque, par un fait bien
naturel. Tout ce qui nous reste de la littérature syriaque
consiste dans la Peschito, dans une autre version des livres
saints , dans quelques écrits de S' Ephrem , dans plusieurs
fragmens de liturgie, et dans des chroniques historiques
d’un àge assez moderne. Or, la langue de tous ces écrits
est formée sur celle de la Peschito, qui est une traduction
du grec de la Bible ,-et a recu plusieurs termes grecs, soit
pour rendre des idées nouvelles, soit pour exprimer un
ordre de faits nouveaux ; il s’est introduit par là dans le
syriaque plusieurs termes grecs. Il n’est pas nécessaire de
remonter à Alexandre-le-Grand, puisque nous n'avons point
de documens de cette époque jusqu'à l'ère chrétienne ;
tout ce que nous possédons de cette littérature, dérive
du christianisme et s'est imprégné du grec biblique.
Ainsi, c'est par ces traductions de la Bible, du grec en
syriaque, que plusieurs mots grecs ont passé dans cette
dernière langue.
La section adopte les conclusions de M. l'abbé Maréchal.
M. Faivre lit un rapport sur l’état des beaux-arts à Metz.
La section, qui entend ce mémoire avec le plus vif in-
térêt, décide qu'il sera lu en séance générale.
27
910 CINQUIÈME SECTION.
M. l'abbé Nicolas fait un rapport sur le mémoire de
M. de Tertre, conservateur de la bibliothèque de Cou-
tances, sur la première question du programme. Il trouve
que, quoique renfermant des vues judicieuses, le mé-
moire traite la question trop théoriquement ; il ne tient
pas assez compte des faits. Sur la demande d’un membre
de la section , 1l est fait lecture de ce mémoire. Comme
conclusions, il établit trois périodes dans l'histoire de
chaque langue : 1° l'époque de son enfance, où les formes
grammaticales, loin d’être compliquées, sont à peine
soupconnées ; 2° l’époque de son perfectionnement pro-
gressif, où les formes du langage rangées dans un ordre
méthodique et clair, fidèles à l’analogie , suffisent gran-
dement aux besoins les plus étendus et les plus variés
de la pensée ; 5° l'époque d’une décadence plus ou moins
rapide, où, sur la ruine des règles et la violation des
formes grammaticales, chaque écrivain s’érige en arbitre
souverain du langage.
La question traitée dans ce mémoire, ayant été déjà
l'obiet de la disccussion, après cette lecture on passe à
l’ordre du jour.
M. Chatelain annonce qu'il part demain , et il exprime
à la section le plaisir qu'il a éprouvé de passer quelques
jours au milieu d'elle.
La séance est levée à une heure.
SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE.
Présidence de M. pe Dumasr.
Le procès-verbal de la séance précédente est lu et
adopté.
CINQUIÈME SECTION. 211
Vu le départ de M. Chatelain, président de la cinquième
section, on procède à la nomination d'un nouveau pré-
sident. Sont présens 22 votans : M. Guerrier de Dumast
obtient 21 voix et est élu président. M. du Coëtlosquet
est élu à sa place vice-président , à la majorité de 15 voix.
M. le président annonce que M. Choley fait hommage
au Congrès, des deux volumes déjà publiés de la Revue
de Lorraine.
M. de Romécourt a la parole pour lire un travail sur
l'ame, ses facultés, etc. Il dit que ne sachant pas que
son tour de lecture était venu, il n'avait pas apporté son
travail. On remet cette lecture à demain, dimanche.
M. du Coëtlosquet a la parole pour lire son travail sur
la part que doivent avoir les sciences et les lettres dans
l'enseignement de la jeunésse, et sur les conditions que
doit remplir l'enseignement des unes et des autres dans je
but qu'il se propose.
La discussion s'engage sur .ce que vient d'espioes ce
travail.
M. Macherez appuie ce qu'a dit M. du Coëtlosquet
sur l’époque où il convient d'étudier le latin. Il pense
aussi qu'il ne faut l'aborder que quand la connaissance
de sa propre langue a donné celle du mécanisme du lan-
gage, qu'on peut appliquer à la langue que l’on appren
ce qui en facilite l'étude. Il y aurait dans le pays messin
un avantage à négliger l'étude du latin. Cette langue
d'un peuple guerrier, tend à exciter l'esprit guerrier,
qui est peut être He dominant dans nos localités ; si
l'on ne l'étudiait qu'à un âge où l'on pourrait se garder
de cette influence, il y aurait avantage.—M. Macherez
examme ensuite ce qu'a dit de la méthode Jacotot,
M. du Coëtlosquet, qui la trouve bonne pour certaines
études. Or, M. Macherez ne pense pas qu’on puisse ainsi
2192 CINQUIÈME SECTION.
diviser; si cette méthode est bonne pour une espèce d'é-
tude , il est difficile de ne pas accorder qu'elle est bonne
pour toutes.
Sur la remarque de M. l'abbé Nicolas, qui demande
si cette méthode peut être utile à tous les individus ,
M. Macherez déclare qu'il ne la croit pas bonne pour
toutes les intelligences.
M. de Romécourt pense aussi qu'elle est bonne pour
les uns, mauvaise pour les autres. Il remarque qu'il ne
s'agit pas de savoir ce que peut produire l’étude du latin
dans le pays messin, il s'agit ici d’une question générale,
et l’on ne doit pas avoir égard aux localités. Il n'est pes
d'avis qu'il faille renvoyer l'étude de cette langue à un
âge très-avancé, et la raison alléguée par M. Macherez
sur son influence à exciter l'esprit guerrier dans les en-
fans lui semble mauvaise ; c'est plutôt sur les jeunes gens
de 16 à 18 ans qu'elle produirait cet effet. D'ailleurs,
pour apprendre une langue, on ne saurait jamais com
mencer assez tôt. Il appuie ensuite sur la nécessité de la
connaissance du latin et du grec, par cette raison générale
que la langue française est pleme de mots d’étymologie
grecque, et surtout imprégnée de latin , et par cette raison
spéciale que plusieurs états, tels que le juriste, le théo-
logien , le médecin en ont besoin, au moins du latim
pour pouvoir lire les ouvrages scientifiques écrits en cette
langue. Enfin, M. de Romécourt fait remarquer qu'il
serait dangereux de donner des connaissances superficielles
de droit et de médecine.
M. Stoffels pense contre M. Macherez, que la méthode
dite universelle, bonne dans certains cas, cesse de l'être
par sa prétention même d’être universelle, de s'appliquer
avec un égal succès à toutes les études, comme du reste
tout système ordinairement vrai dans une certaine mesure,
CINQUIÈME SECTION. 215
ne devient faux que par excès, que par une trop grande
généralisation. — Cette méthode toute mécanique, est
aussi heureuse pour les sciences elles-mêmes mécaniques,
telles par exemple que les langues, qu'elle lui parait
funeste, appliquée à cette autre partie de l'intelligence
et la partie la plus haute, celle d’où lui viennent ses plus
puissantes inspirations, celle qui engendre la croyance et
le génie, celle en un mot qui dérive de sentiment.
M. Choley croit que la question est mal posée. Il fau-
drait que l'éducation fût en rapport avec la profession qu’on
doit suivre, en conséquence 1l s'agirait de déterminer à
quelle profession convient une éducation scientifique, à
quelle, une éducation littéraire. Pour ce qui regarde les
notions de droit et de médecine que M. du Coëtlosquet
voudrait qu'on reçût dans les institutions d'éducation,
M. Choley pense qu’elles seraient plus nuisibles qu'utiles ;
il remarque en effet, par exemple, que ce n’est ni ceux
qui n'ont aucune connaissance du droit, ni ceux qui en
ont une entière connaissance , qui sont portés aux procès,
mais ceux qui ont quelques notions des lois.
M. Michel Nicolas fait remarquer que l’on ne se sent
quelque penchant pour un état, que vers l’âge de 18 à
20 ans. S'il fallait que l'éducation fût en rapport avec la
profession qu'on veut embrasser, quand on saurait quelle
éducation doit recevoir un individu, il serait trop tard
pour la lui donner ; ou bien préviendra-t-on le choix de
l'individu et lui assignera-t-on à l'avance la profession
qu'il doit suivre; mais ce serait violenter la liberté et,
sans son consentement, emprisonner chacun dans un état
particulier souvent opposé à ses goûts et à ses facultés.
Il lui semble que l'éducation doit être générale, au-
tant scientifique que littéraire, qu’elle ne doit faire que
préparer Île terrain; ensuite chacun selon la spécialité
214 CINQUIÈME SECTION.
de sa profession, développera lui-même la partie qui est
en rapport avec cette profession. D'ailleurs , une éduca-
tion exclusivement scientifique serait aussi absurde qu’une
éducation exclusivement littéraire, quelques sciences
que réclame une profession. —M. Michel Nicolas fait en-
suite observer combien il serait utile que tout homme
eût quelques notions de droit, pour n'être pas exposé
souvent soit à être dupe soit à se tromper lui-même sans
le savoir.
M. Choley ne croit pas que réellement chaque individu
choisisse une profession , ce sont plutôt les parens et une
foule de circonstances inévitables qui en décident. Ainsi
il n’y aurait aucun inconvénient à préparer par une édu-
cation spéciale la profession que doit ‘exercer l'individu.
L'heure avancée ne permet pas de continuer la discus-
sion, qui est renvoyée à la séance suivante : la séance est
levée à deux heures.
SÉANCE DU DIMANCHE 140 SEPTEMBRE.
Présidence de M. ne Dumasr.
Le procès-verbal est lu, et après qnelques observations
de M. Choley, il est adopté sans modification.
M. de Caumont a la parole pour faire à la section deux
propositions.
"A9 I lui semble qu'il appartient au Congrès de faire
tous ses efforts pour mettre en lumière tous les talens de
province, si mal appréciés à Paris, et reçus avec tant
d'indifférence par les organes de la presse. M. de Cau-
mont propose de nommer une commission pour rechercher
CINQUIÈME SECTION. 215
immédiatement le meilleur moyen de remédier à ce dé-
faut de publicité des ouvrages imprimés en province.
2° Il serait, selon lui, à désirer, pour l'unité d'action,
qu'on établit des académies provinciales, sous lesquelles
se rangeraient les associations littéraires et scientifiques,
départementales, et que ces académies provinciales fussent
hées entr’elles , régies par un réglement unique, et or-
gamisées sur un plan uniforme.
M. de Caumont formule ainsi sa proposition : 4 une
époque où tout se morcelle et se divise, où les corps
savans se multiplient sur tous les points de la France,
le Congrès pense que tout en favorisant cette multipli-
cation des corps littéraires, il faudrait penser à en
créer un certain nombre d’un ordre plus élevé; qu’il
Jaudrait des académies divisionnaires et provinciales,
académies qui, embrassant d’un coup d’œil tous les
travaux possibles des sociétés de département et d’ar-
rondissement, pussent les réunir, les comparer, et
produire elles-mêmes des ouvrages plus complets, en
un mot mettre en œuvre les matériaux préparés par
les comités dont les recherches sont circonscrites dans
les limites d’un arrondissement ou d’un canton.
On nomme une commission pour examiner la première
question de M. de Caumont : elle se compose de MM. de
Caumont, de Dumast, du Coëtlosquet, Stoffels, Choley,
Michelant.
M. de Romécourt demande ce que deviennent les
questions laissées indécises dans un congrès. Il propose
que ces questions soient de droit comprises au programme
de la session suivante, et que la section à laquelle elles
appartiennent , fasse un HaBpOr sur leur état.
de Caumont dit qu'il n’en à pas été ainsi jusqu'à
présent. Le choix des questions est d'ordinaire subor-
216 CINQUIÈME SECTION.
donné à la localité, et telle question qui convient à la
ville où se tient le congrès une année, ne convient pas
à celle où 1l se tient l’année suivante.
M. Kœnig présente un mémoire de M. l'abbé Pierre :
De l'influence de l'harmonie sur le culte religieux.
M. Gondon a la parole pour exposer le système phi-
lologique de M. l'abbé Latouche.
Il témoigne à la section les regrets de ce savant , qui n’a
pu se rendre au Congrès, et l’a prié de devenir , dans cette
circonstance , l'organe de ses convictions ; il développe son
système après avoir réclamé l'ndulgence de l'assemblée.
M. Gondon commence par quelques considérations sur
l'origine du langage, question qu'il s'abstient de traiter
parce qu'elle n’a pas un rapport direct avec son sujet
qui , dit-il, repose sur les faits que présentent les langues
et non sur des hypothèses ; 1l prend l'homme doué de
cette faculté, quel que soit le moyen par lequel il ait
pu y arriver.
Les objets de la nature agissent sur l’ame et se trouvent
représentés par les idées; l’idée et la pensée sont expri-
mées par la parole, la parole par des signes dont les
combinaisons forment les mots: ainsi ces derniers sont
les signes et la traduction de nos idées, et plus cette
traduction sera juste, plus la langue sera parfaite. Les
langues sont donc basées sur la nature, dont l'unité se
revèle à l'admiration de tous ; et l'étude approfondie que
nous en ferons nous forcera de reconnaître dans le lan-
gage, cette umté vers laquelle tout semble tendre.
Il énumère ensuite les causes qui semblent avoir im-
flué sur les légères modifications qui différencient les
langues dans leurs formes, car elles n’ont nullement varié
pour le fond. Il cite quelques exemples pour proïiver
que les hommes ont reproduit dans le langage les im-
CINQUIÈME SECTION. 217
pressions qu'ils avaient recues de la nature, et il arrive
à un des principes fondamentaux de ce système : l'ono-
matopée, pour un très-grand nombre de mots qui le sont
directement ou par dérivation. Les mots que le déve-
loppement des sciences et des arts, les besoins de la
société ont introduits parmi nous ont aussi été déterminés
par les qualités des objets qu'ils expriment, et peuvent
être appelés hiéroglyphiques.
L’analogie vient ensuite à notre secours pour tous les
objets moraux et intellectuels. M. Gondon pense que
c'est des idées matérielles que l’on est arrivé aux idées
morales, et que l’on était dans la nécessité de donner
une Ph eome au monde imtellectuel pour le me
accessible à une intelligence servie par des organes. Il
cite des exemples pour appuyer ces principes et de
qu'il y a identité parfaite entre l'objet, l’idée, le son et
le caractère qui le fixe, quel que soit celui de ces trois
ordres auquel puisse appartenir le mot.
M. Gondon, en étudiant l'appareil de phonation, à
l'aide duquel nous exprimons les sons divers, trouve
que les lettres de tous les alphabets pourraient se classer
et prendre le nom de l'organe qui sert plus spécialement
à les exprimer ; il reconnaît quatre principaux organes,
d'où quatre séries de lettres: gutturales, linguales,
dentales et labiales. Les lettres d'une même série pour-
ront se changer entr'elles, car elles sont homophones ;
et le plus souvent la seule différence qui existe dans un
mot, quand on passe d’une langue à l’autre, consiste
dans ce changement. Il cite des exemples à l'appui de
ces permutations.
_ Quant à la différence non apparente mais bien réelle
qui existe entre les mots exprimant un même objet, et
cela non-seulement chez des peuples différens , mais chez
28
218 CINQUIÈME SECTION.
un même peuple, M. Gondon répond : Si les hommes
n'avaient pu nommer les objets que d’une seule manière,
nous n’aurions pas à étudier les langues, nous les con-
naîtrions toutes, ou plutôt les hommes n'en parleraient
qu'une. Il explique cette diversité d'expressions pour dé-
signer un même objet déterminé par les qualités variées
qu'il peut pr ésenter, et croit que Dieu s'est servi de cette
diversité d'expressions pour opérer la confusion babylo-
nienne ; il en conclut qu'il faut aujourd'hui, pour rétablir
l'édifice linguistique dans ses harmonies primordiales ,
déplacer les lettres, renverser les mots pour faire disparaître
une confusion qui ne pouvait être qu'apparente, car, par le
fait de la création, la toute-puissance divine s'était tracée
des limites qu’elle ne pouvait franchir et le langage calqué
sur la nature, harmonisé avec elle, n’eût pu être changé
que par l’anéantissement de tout ce qui était, et par une
création nouvelle. Un même objet a donc pu être nommé
diversement, suivant le point de vue sous lequel 1l aura
été considéré , et au contraire, il sera toujours exprimé
par la même combinaison de lettres, quand une seule de
ses qualités aura produit l'impression. À l'appui de ce
second principe, M. Gondon cite le mot corne en dix lan-
gues différentes, qui toutes l'ont reproduit de la même
manière , à l'exception de quelques voyelles, lettres aux-
quelles 1l donne peu d'importance, vu leur caractère peu
significatif, il compare ces lettres aux üssus cellulaires
qui déguisent les formes dans l'échelle organique et aux-
quelles on ne peut s'arrêter sans tomber dans les erreurs
les plus grossières, si l’on cherche à détermmer à quelle
famille appartient un animal.
M. Gondon expose la manière dont M. Latouche a
classé par fanuiles tous les mots des langues, il dit que
l’on ne doit pas être surpris que le nombre de ces familles
CINQUIEME SECTION. 219
soit très-limité, car de même que tous les corps de la
nature sont formés de quelques élémens, nos idées , nos
pensées ont un germe, un noyau, un ovule, ce qui per-
met d'établir une classification pareille à celle des sciences
naturelles. 11 donne des exemples en hébreu, en grec,
en latin et en français, pour rendre plus intelligible ce
mode de classification. Après avoir exposé ces principes ,
il en tire une nouvelle méthode d'enseignement linguis-
tique qui serait applicable aux études classiques, et ex-
plique de quelle manière on devra procéder en abordant
l'étude d'une langue. Il recherche ensuite quelle est celle
d'où l’on doit partir, il expose les raisons qui font choisir
l'hébreu de préférence aux autres; il compare les mots
de cette langue aux corps simples de la chimie, sans la
connaissance desquels il nous est impossible de connaître
les corps composés qu'il compare aux langues dérivées.
M. Gondon conclut de l'unité qui existe, non-seule-
ment entre les langues d’une même famille, mais encore
entre les grandes familles que l’on avait cru ne pouvoir
rapprocher, qu'il n'y a qu’une seule langue parlée par le
genre humain.
Il explique ensuite comment cette unité peut se con-
cilier avec toutes les croyances, soit que l'on admette
une langue donnée de Dieu à un premier homme, ou
diverses races humaines qui auraient inventé leur langue
sans avoir eu entr'elles les momdres communications.
Il entre dans quelques détails sur les avantages que
l'enseignement des langues devra retirer de cette marche,
et établit un parallèle entre les travaux de l'immortel
Cuvier sur l'anatomie comparée et ceux de M. Latouche
sur la comparaison des langues. Il pense qu'à mesure
que les sciences et la civilisation font de nouvelles con-
quêtes, les grandes périodes de la vie des peuples ame-
290 CINQUIÈME SECTION.
neront de nouveaux besoins et croit que le nouvel ensei-
gnement comble une immense lacune.
Il prouve l'importance des études linguistiques pour
notre époque, car est-1l une barrière plus odieuse, plus
insurmontable, une angoise plus poignante que la diver-
sité de langage entre les cœurs et les peuples, et finit en
disant que le nouvel enseignement pourra peut-être un
jour nous ramener à l'unité, que sa propagation préparera
le bonheur de l'humanité par la fusion de tous les peu-
ples.
M. Gondon, afin de mettre les membres du Congrès à
même de juger des travaux faits pour prouver ce système,
fait hommage au Congrès, au nom de l’auteur, de sept
livraisons d'un journal philologique, et recommande sur-
tout à l'attention les quatre dernières livraisons qui trai-
tent spécialement le grec et le latin.
Une commission est nommée pour présenter un rapport
sur ce système ; elle se compose de MM. Gerson-Levy,
l'abbé Maréchal, Morhange et Michel Nicolas.
M. de Romécourt lit un travail sur l'ame, sa spiritua-
lité et son immortalité. La pensée, la volonté, la domi-
nation des penchans lui prouvent l'existence d'une ame
différente du corps, et spirituelle. Cette ame ne peut
périr, quand 1l n'y a pas dans là nature une seule molé-
cule qui périsse ; elle est donc immortelle. Après la vie
elle recueille les fruits de ses travaux. Bonne, elle est
heureuse ; mauvaise, elle porte la peme de ses fautes.
La section décide qu’à cause de l’excursion à Gorze,
il n'y aura pas de séance le 11 septembre.
CINQUIÈME SECTION. 291
SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de Dumasr.
Le procès-verbal est lu et adopté.
- Vu le grand nombre de questions à traiter et le peu
. de temps qui reste, la cinquième section déace qu'il y
aura une séance du soir à six heures et demie.
L'ordre du jour appelle la continuation de la discussion
sur la part -des lettres et des sciences dans l'instruction.
M. Choley dit que la part de l’enseignement des lettres
et des sciences doit être faite relativement aux diverses
conditions sociales, que chacune d'elles doit trouver ane
espèce d'éducation qui lui convienne. Il remarque qu'il
y a trois degrés d'enseignement. Le premier est l'ensei-
gnement primaire , tout homme doit le posséder ; le se-
cond est l’enseignement secondaire ; ce degré d’enseigne-
ment qui se donne dans les colléges, est suivi par beau-
coup moins de personnes : le troisième est le haut enser-
gnement, ce sont les études spéciales, droit, médecine,
théologie et ceux qui y participent sont encore en plus
peut nombre que ceux qui participent à l’enseignement
du degré précédent. Il s'agit de savoir dans lequel de ces
trois degrés on placera l’enseignement industriel. L'étude
du latin et du grec est importante ; ces deux langues ont
contribué à l'éducation du genre humain, par conséquent
on ne saurait les négliger. Mais pour l'industrie elles ne
sont d'aucune importance. Si l'on donne tout à tous, il
est à craindre que l'éducation reste superficielle ; pour lui
donner de la profondeur, il faut la diviser et offrir à
chaque profession ce qui lui estutile , aux unes les études
hbérales , aux autres l’enseignement industriel.
292 CINQUIÈME SECTION.
M. Stoflels, tout en reconnaissant les inconvéniens d'une
éducation supérieure à sa condition, pense que chacun
cependant ne doit embrasser que la vocation pour laquelle
il a une capacité et un instinct. Il ne faut donc pas donner
une direction à l'éducation de l'enfant, de peur de le mettre
en opposition avec ses virtualités. Il faut, au contraire,
le mettre en état, par une éducation la plus large possible,
de développer ses virtualités avec connaissance de cause,
pour qu'il puisse bien choisir l'état qui convient à ses
facultés. Le plan proposé par M. du Coëtlosquet, lui
semblerait remplir ce but, en donnant une vue univer-
selle des différentes branches de l’activité humaine , et en
mettant le jeune homme à même de voir quelle spécialité
couvient à sa nature. Ce plan présente le double avan-
tage de faire bien dessiner la spécialité de chacun, et de
lui faire connaître l’ensemble et l'unité de la vie humaine,
de la société, du monde, et par suite, l’importance de
tous les élémens dont il se compose. Il ne faut pas que
l'homme ne connaisse que des généralités, mais 1] faut
encore moins qu'il soit exclusivemeut spécial, qu'il ne
remplisse dans la machine sociale qui le rôle d’un passif
ressort, et pour que la fonction qu'il remplira soit bien
l'expression de son goût, le reflet de ses virtualités essen-
üelles, il faut que ses études spéciales sorent précédées
par des études générales et synthétiques , mises à la portée
de sa naissante intelligence, et propres à éprouver sa
nature et sonder ses facultés.
M. Choley fait remarquer que les idées générales ne
viennent pas au collége ; qu'il faut d’abord recevoir des
idées spéciales pour de là s'élever aux générales. Il ne
croit pas que la spécialité de l’homme se détermine avant
d’avoir parcouru les deux premiers degrés.
M. de Romécourt dit qu'il ne suffit pas 1ci d'établir
CINQUIÈME SECTION. 293
des systèmes, qu'il faut surtout avoir égard à l'applica-
tion. Selon lui, donner trop de choses aux enfans, c’est
courir le risque de faire des hommes médiocres sur toutes
les parties ; pour avoir trop fatigué leurs organes, on perd
en succès ce que l’on gagne en largeur.
M. Michel Nicolas fait remarquer qu’on est resté dans
le vague pour ce qui regarde l’enseignement industriel.
Il faut distinguer à qui se donne cet enseignement. Il y
a plusieurs degrés dans l’industrie ; il faut plusieurs de-
grés dans son enseignement. Celui qui doit être ouvrier
ou maître ouvrier, trouye dans les écoles primaires supé-
rieures tout ce qui lui est bon de savoir pour être dans
sa spécialité un homme intelligent et non une machine.
Mais celui qui veut se livrer à la haute industrie et aux
grandes exploitations devrait, après avoir passé par les
deux degrés d'enseignement, trouver un enseignement in-
dustriel, parallèle aux enseignemens spéciaux des facultés.
Le grand mdustriel doit être aussi développé, sous tous les
rapports, que ceux qui embrassent des vocations libérales ;
la haute industrie est même une profession libérale. Il
ne s’agit donc pas de dire que c’est au deuxième degré
et parallèlement à l’enseignement des colléges que devrait
se trouver l’enseignement industriel ; 1l faut savoir de
quelle espèce d'enseignement imdustriel il est question.
Pour l’ouvrier et le maître ouvrier les écoles primaires
supérieures ; pour la haute industrie, un enseignement
plus complet, plus élevé, parallèle aux facultés et qui
donne à ces hommes d’une position sociale élevée, une
tournure d'esprit et de cœur libérale.
M. Choley dit qu'il n’a nullement nié que l’enseigne-
ment industriel doive avoir différens degrés ; mais il ob-
serve que la question est si vaste qu'il est impossible de
fure autre chose qu'émettre des vues générales claires et
précises.
294 CINQUIÈME SECTION.
M. de Saint-Vincent appuie la diffusion de l’enseigne-
ment.
Il approuve pleinement toute extension de l'instruction , comme les
écoles gratuites des beaux-arts, les cours gratuits, et la propagation
des publications utiles. On a raison surtout de donner dans les colléges
des notions de toutes les branches principales des connaissances hu-
maines, ce qui prépare le terrain de l’esprit à recevoir tout ce qui
pourra y être ensemencé par la suite.
M. de Saint-Vincent s'élève contre la division proposée de l’en-
seignement en écoles des sciences et arts et en écoles des lettres. L’en-
seignement ne doit pas se diviser dès sa base en deux lignes parallèles ;
c’est plus tard seulement qu'il doit se spécialiser par des branches
projetées d'un tronc commun. Ces cantonnemens dans l'instruction
déroberaient bien des sujets à leur spécialité réelle ; l'élève doit faire
quelques pas à la naissance de toutes les routes pour savoir celle
dont le terrain lui ira le mieux, et tel a été médiocre littérateur
qui eùt fait un excellent mathématicien; si, dans le principe, on eût
sondé cette partie de son intelligence.
D'ailleurs ces moitiés d’instructioñ ne donneraient de chaque côté
que des fruits avortés. Des écoles exclusivement littéraires sortiraient
des esprits sans connaissances posilives, riches de mépris pour tout
ce qu'ils ignorent, malades d’une instruction incomplète qui se croit
universelle, et pense méricer d’autant plus qu'elle est propre à moins
de choses. D'autre part les écoles des sciences et arts favoriseraient
trop la tendance déjà prononcée à tout ce qui est exclusivement positif
et le dédain de ce qui n’est pas matériellement appréciable. Il faut
éviter l'exemple de l'Amérique, oublieuse de tout, excepté de l’in-
térét individuel, accroupie dans le système utilitaire, qui garde
l'esclavage parce qu’elle en tire profit, et qui ne voit dans le culte
des beaux-arts que la perte du temps et le sommeil de ses capitaux.
Choley répond qu'il ne prétend pas que l’ensei-
gnement doive être exclusif, mais seulement qu'il soit
approprié à la profession qu'on doit suivre. Il faut que
chacun puisse tout apprendre, mais il ne faut, pour cha-
cun , apprendre que ce qui convient à sa vocation et à sa
position. Les idées générales ne peuvent servir que quand
on a fait choix. Ce qu'il est ici important de déterminer,
CINQUIÈME SECTION. 295
c'est auquel de ces trois différens degrés d'instruction
doivent venir les idées générales. Mais, pour éviter les
demi-savans, il convient d'approprier les connaissances
aux positions sociales.
M. du Coëtlosquet fut voir qu'on a employé les mots
idées générales avec des sens bien différens. Proprement
les idées générales sont les idées qui résument une
science et qui sont le propre des esprits élevés qui embras-
sent toutes les idées spéciales; quelquefois aussi on entend
par là les notions élémentaires, et c'est celles-la qu'on
devrait avoir en sortant du coilége. M. du Coëtlosquet
rappelle que dans son mémoire il a voulu montrer que
pour les personnes d’une position sociale élevée, l'édu-
cation ne doit pas se borner aux lettres, mais qu'elle doit
embrasser les connaissances qui, dans leur position, peu
vent leur, être utiles et les mettre à même de rendre
des services. M. du Coëtlosquet appuie son opinion sur
un ouvrage de l'abbé Fleury : Zraité du choix et de la
méthode des études, et il fait remarquer qu'on y trouve
grand nombre d'idées analogues à celles qu'il a dévelop-
pées. Il fait remarquer que souvent on est obligé de
rempli des fonctions publiques, et que pour cela il fau-
drait des connaissances générales de droit, D'ailleurs,
elles sont encore souvent nécessaires pour la conduite de
ses intérêts privés.
M. de Dumast remarque qu'aujourd'hui tout le monde est d'ac-
cord sur le trop de temps donné au latin; mais que, dés à présent,
avant d’avoir là-dessus réalisé ce qui est juste, et quoique la réforme
nécessaire ne soit pas encore arrivée à l'état de pratique , on lui pa-
rait déjà être allé trop loin en théorie, puisque les esprits, par un
excès contraire, sont actuellement portés à regarder comme presque
superflu ce genre d'étude.
D'abord, en laissant même de côté la littérature, et les annales
de Rome antique , le latin est l'idiome dans lequel ont été écrits,
24
296 CINQUIÈME SECTION.
pendant quinze siècles , des ouvrages de droit, de médecine et de
théologie, qu'il faudra toujours consulter, IL est encore de nos jours,
la langue de l'église.
Ensuite le latin forme un moyen de s'entendre , un instrument de
communication , non pas trés-vulgaire sans doute, mais toujonrs
ossible, et par conséquent précieux, entre les hommes instruits ,
habitans de divers pays. Le français, qu’on avait cru appelé à de-
venir la langue universelle , commence à être repoussé par les patrio-
tismes étrangers; celte réaction est trés-visible en Allemagne, où
certainement on ne supporterait plus, comme à Berlin, sous Frédé—
tic II, de voir rédiger et publier en francais les mémoires d’une
académie germanique. Le latin, ne présentant à aucun peuple l’idée
de suprématie d'un peuple rival, et ne choquant l’amour-propre
d'aucune nationalité jalouse, peut conserver bien mieux, quoiqu’avec
moins de vogue apparente, ce rôle d'universalité. — Et l'avantage
d'un tel moyen ne se borne pas aux relations scientifiques , par lettres
où mémoires, entre les académiciens. Ainsi le membre qui parle, a
vu lui-même il ya quelques mois, en notre présente année 1837,
des hongrois, et des bohèmes venus en France , les premiers pour
afaires de religion, les seconds pour affaires d'administration et de
bienfaisance, y arranger très-suflisamment , à l’aide du latin, les in-
téréts dont ils s'étaient chargés; tandis qu’ils n'auraient pu , autre—
ment, parvenir à se faire comprendre, n'ayant pas eu le temps de
joindre à la connaissance de l'allemand, du slayon et de l’idiome
de l’église, celle de l'anglais et du francais.
En supposant toutefois, continue M. de Dumast, que le latin,
considéré sous ce dernier rapport, c'est-à-dire comme langue uni-
verselle encore actuellement applicable, ne füt plus que d'un emploi
borné et d'une nécessité secondaire, ce ne serait pas un motif pour
n’en plus faire l'un des principaux alimens de la jeunesse: il n’y en
aurait peut-être là qu'une raison de plus. Car, au milieu d’un siècle
ultrà-positif, où se fait senur le besoin de contrepoids à la tendance
exagérée qui porte vers l’utilitarisme les générations naissantes , il im—
porte de conserver, dans leur éducation, une part à quelque chose
d'idéal et de non utilitaire , à la première et principale de ces études,
prétendues superflues, qui ne se traduisent pas en écus, et qui ne
sont que sociales et humanisantes comme les appelaïent les anciens :
humaniores ltteræ.
D'ailleurs, si jamais la connaissance du latin , maintenant imposée
par les convenances à tout homme d’une éducation complète, se
CINQUIEME SECTION. 227
réduisait à n'être plus que facultative, il ne faut pas se dissimuler
qu’elle tomberait avec une rapidité prodigieuse , et qu'on en perdrait
presque aussitôt les avantages, objet alors d'un regret tardif mais
impuissant. Que les langues vivantes, en effet, soient ou non ensei-
gnées dans les classes , elles seront désormais toujours apprises ; il n'y
a plus à s’en inquiéter; car les transactions commerciales ont. besoin
de ces langues, et dés-lors on peut s'en rapporter à l'infatigable
activité des intérêts privés. Mais comme il n’existe plus de villes latines,
comme il n’y a nul part un peuple de latins, manufacturiers ou
consommateurs , dont il faille savoir l’idiome pour leur acheter ou
leur vendre des marchandises , la chose est bien différente: aussitôt
que le latin cesserait d'être obligatoire dans les colléses, on cesserait
de le cultiver. IL tomberait au rang des études d’exception, aux—
quelles se livrent säns conséquence un petit nombre de curieux; et
sa prompte disparition laisserait un vide déplorable , rempli par ces
notions de littérature imparfaite dont se contente le vulgaire , ou,
plus souvent encore , par la pure et simple ignorance.
» Il est vrai, dit en finissant M. de Dumast , que les sept ou huit
annéees qu'on a coutume d'y mettre, sont un gaspillage de temps, qui ne
peut plus être souffert. Mais le remède consiste dans la recherche
des bonnes méthodes; et de toutes les méthodes , la meilleure serait
d'avoir des maîtres qui possédassent réellement le latin, et qui, ca-
pables de rédiger sur tous sujets, des dialogues familiers et corrects
(chose qui ne s’est plus faite depuis Erasme), enseignassent à leurs
élèves ce qu'ils sauraient bien eux-mêmes: l'art de penser et parler
en latin. M. de Dumast a vu de ses yeux, et peut assurer d’après
expérience, qu'avec ce procédé, on fait parcourir à l'enfant, dans
une année, le chemin de deux fortes classes, pour ne pas dire de
trois.
SÉANCE DU MARDI 12 SEPTEMBRE.
(Séance du soir.)
Présidence de M. du Cortrosquer.
M. Kœnig lit une pièce de vers dont on vote la lec-
ture en séance.
298 CINQUIÈME SECTION.
M. Macherez lit un mémoire sur la question suivante :
Existe-t-il dans le monde civilisé une nation chez la-
quelle le législateur se soit occupé de l'éducation du
peuple ? Déterminer le mode d'éducation qui convient
le mieux au peuple francais dans l’état de civilisation
où il se trouve aujourd'hui.
La premiére partie de ce mémoire présente un tableau comparatif
des peuples les plus connus jusqu’à nos jours, considérés par rapport
à la marche de leur civilisation , à l'influence du gouvernement sur
leur éducation, et de celle-ci sur le bonheur de la société. I résulterait
de ce parallèie que presque que tous les peuples à leur origine ;
ont adopté exclusivement le régime de la guerre. Chez les uns,
comme les spartiates , les perses et les romains , l'éducation du peuple
toute militaire ; a été réglée par le législateur ct dirigée aux frais de
la nation: les'arts et l'industrie furent le partage des esclaves que
le travail et l'étude mirent plus tard en état de briser leur joug. Sui-
vant les réflexions de l’auteur, les facultés individuelles chez ces
trois peuples n'ayant été développées que dans un sens, et dirigées
vers un seul but, cette éducation incomplète ne pouvait faire le
bonheur de la nation. Cependant tant que la loi du plus fort régla
la puissance des peuples , cette éducation uniforme , générale et dirigée
par les soins de l'état eut un grand avantage. D'autres, comme les
Gaulois, obligés de repousser continuellement des invasions étran-
gères , ne se sont livrés exclusivement à la guerre que par nécessité.
Le métier des armes fut long-temps leur unique occupation, et l'é=
ducation des jeunes gens abandonnée aux pères de famille fat né-
cessairement négligée. L'auteur nous fait voir les peuples passant
presque tous du régime de la guerre et des esclaves ; sous celui de
l'industrie ; il nous présente alors chaque nation partagée en trois classes
bien distinctes : la première , la moins nombreuse, possédant presque
tout le territoire; la seconde formant à elle seule presque le corps
entier de la nation; mais pauvre et obligée de travailler pour vivre,
esclave de la première chez les uns, et trés-dépendante chez les autres ;
la troisième aussi peu nombreuse que la première , mais dépositaire
des sciences et des lois sacrées, exercant une autorité despotique
chez les. uns, ou une puissante influence chez les autres, ne laissant
échapper de son sein que la portion d'instruction et de lumiéres,
«ju'elle jugeait à propos selon les circonstances du moment de laisser
CINQUIÈME SECTION. 299
pénétrer dans les masses. Selon l'auteur , l’instruction ne serait des-
cendue des sommités de la nation que par secousse et partout
que par suite d'une concession faite de temps en temps à la force
des choses; que devenue un objet de spéculation et de. vénalité,
elle n'a pu répandre ses bienfaits que sur le plus petit nombre ; que l'é-
dueation des 1e gens abandonnée au caprice des familles, livrée
le plus souvent à l'ignorance et à la grossièreté, n'a pu étre que
vicieuse, erronée ou inéomplété:
Dans la deuxième partie de son mémoire, M. Macherez examine
de quelle manière on stimule chez le peuple francais le développe-
ment des facultés intellectuelles du corps social. Il voit que si d'un
côté la loi ouvre à tous le chemin des honneurs et des places admi-
nistratives, de l’autre la fortune le ferme au plus grand nombre;
que l'instruction qui donne l'aptitude nécessaire pour y parvenir,
est une chose vénale , qu'il y a autant de degrés d'instruction que la
fortune a distingué de classes dans la mation ; que les choses n'ayant
fait que changer de nom, ce sont toujours à peu prés les mêmes
tribus qui, autrefois esclaves, ou irès-pauvres, forment aujourd'hui
les classes d’insdustriels et de manœuvres ; celles qui jouissaient des
priviléges de la noblesse et de la fortune ; conservent encore aujourd’hui
par le fait, la même prépondérance , li même supériorité ; l'industrie
toujours abandonnée à elle-même , ne se développe que péniblement ;
l'éducation du pauvre abandonnée à l'incurie , à l'ignorance et à la
grossiéreté est presque une dépravation. Le temps que le jeune pro-
létaire passe dans les ateliers pour apprendre sa profession ; est moins
un apprentissage qu'une sorte de servitude, et l’instrucüon prépara-
toire qu’il a recue, loin de suffire pour lui en aplanir les difficultés,
le distingue à peine de la brute.
Aprés ces considérations, M. Macherez pose pour principe que la
puissance d'une nation dépend du développement et de l'application
sagement ordonnés de toutes ses facultés individuelles, que les enfans
nés sur le sol francais, étant tous membres du même corps, enfans
de la même patrie, et par RE a es tous frères, sont appelés à
contribuer de toutes leurs facultés à la puissance et au bonheur de
la famille , que négliger une seule de ces facultés individuelles , c'est
priver la société Lout entière d’une partie de ses forces. Elles doivent
donc toutes recevoir le développement dont elles sont susceptibles :
sans cela, on ne peut juger ce que vaut chaque individu, et lui
assigner son rang et sa condition. De ce principe, M. Macherez tire
cette conséquence ; que tous les enfans du même âge, quelles que
230 CINQUIÈME SECTION.
soient les familles auxquelles ils appartiennent, doivent être formés
et instruits simultanément et dans la même enceinte autant qu'il est
possible , afin que de bonnne heure ils apprennent à se connaître et
à s'aimer, qu'ils aient les mêmes mœurs et le méme langage, con-
ditions essentielles à la solidité des liens sociaux ; que l'instruction
primaire ; la même pour tous, soit une exploration générale des goûts
et des dispositions naturelles. Qu'elle donne à tous une connaissance
parfaite de la langue maternelle, l'habitude de parler et d'écrire
purement et avec précision, la connaissance de l’histoire et de la
géographie , surtout de celle du pays ; des mathématiques élémentaires
avec application au dessin et à quelques principes de mécanique ,
des notions de l'histoire naturelle, du droit civil, et surtout de la
morale. Cet apprentissage, dit l’auteur, exigerait tout au plus sept
ou huit années d’études ; l'enfant aurait alors atteint sa quinzième ou
sa seizième année. Un examen sevère ferait connaître sa vocation,
et il aurait encore le temps de se livrer à l'apprentissage de la pro-
fession pour laquelle il aurait montré le plus d'aptitude. Ceux dont
la vocation pour les arts industriels aurait été reconnue, seraient
admis dans des écoles d’arts et métiers, dans des écoles d'agriculture
ou de commerce ; où ils recevraient l’instruction spéciale au genre
de profession qu'ils auraient choisi. Quant à celles qui exigeraient
des études préparatoires plus étendues, telles que les langues an—
ciennes , les belles-lettres, une étude plus approfondie des sciences
mathématiques , quatre à cinq années suffiraient pour ce complément.
Un second examen déciderait de leur destination pour les grandes
écoles militaires ou civiles.
Alors, continue l'auteur, les intelligences se trouveraient ainsi
chacune à leur place , et les capacités les moins heureusement placées,
n'auraient à se plaindre que de la nature. L'industrie et les arts
confiés aux mains les plus habiles , sortiraient enfin de la routine. Les
places dans l'administration ne seraient occupées que par des capacités
appréciées; et de l'harmonie de tant d’eflorts, du développement
et d’une sage application de tant de facultés naîtrait indubitablement
une puissance, dont les résultats incalculables dépasseraient de beau-
coup les sacrifices qu’exigeraient les institutions nécessaires à ce nou-
veau plan d'éducation populaire.
Le petit nombre de membres présens à cette séance et
l'heure avancée (la lecture ayant duré près d’une heure)
CINQUIÈME SECTION. 231
ne permettent pas qu'on entame la discussion sur ce mé-
moire.
SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE.
Présidence de M. ne Dumasr.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
La discussion sur la part des lettres et des sciences dans
l'instruction continue.
M. Choley voudrait que M. Dumast eût formulé ses
conclusions. Il lui semble qu'il y a contradiction à appeler
le latin une étude inutile, et à la dire en même temps
bonne à faire Équibre au penchant à l'utilitarisme. Si
l'étude du latin sert à quelque chose, elle n’est pas de
luxe. M. Choley croit la ent du latin utile,
mais pour d’autres raisons : parce qu'il a été un élément
de la civilisation. D'ailleurs, il ne pense pas qu'il soit
juste de Jui donner la qualification de humaniores litteræ.
Cela pouvait se dire du temps de Ciceron, puisqu’alors
il renfermait toute la littérature vivante, et était l'ex-
pression de cette littérature vivante ; mais le latin n’a pas
eu une influence civilisatrice , au contraire ; 1l a exercé une
mauvaise influence sur la société, en lui inspirant des
sentimens payens. M. Choley ne croit pas que le latin
puisse être la langue universelle, ne fût-ce que parce
qu'il est incapable de rendre les idées des civilisations
modernes. Le français tend à devenir langue universelle,
et si maintenant il parait éprouver quelque perte, cela
tient à des circonstances momentanées.
M. Stoffels fait remarquer que le la en effet, ne
peut être qu’une science instrumentale , à l'aide de laquelle
on peut connaître les écrits des temps passés.
959 CINQUIÈME SECTION.
M. de Dumast dit qu'il est lom d'avoir donné aux
idées qu'il a développées hier, toute l'étendue que vient
de lui attribuer M. Choley.
M. de Romécourt fait remarquer qu'il faut distinguer,
dans l'étude des langues anciennes, le latin du grec; le
grec n’est utile que pour la connaissance des étymologies,
d'ailleurs c'est une étude de luxe; le latin doit avoir
une part bien plus large, parce qu'il est d’une utilité
plus grande.
La clôture sur cette discussion est mise aux voix et
adoptée à la majorité.
M. du Coëtlosquet propose qu'on émette quelques
vœux sur ce qui a fait le fond de cette discussion.
Après quelques observations, ils sont adoptés dans la
forme suivante :
La cinquième section émet le vœu 1° que le temps
qui est consacré à l'étude du latin et du grec, soit
considérablement réduit, non par l'abandon partiel de
de ces langues, mais au moyen de meilleures méthodes.
29 Que dans le plan des études secondaires, soit com-
prise,
4° L'étude réelle des langues modernes qui offrent le
double avantage de posséder une littérature riche, et de
faciliter nos relations avec des nations voisines,
2° Des notions élémentaires des diverses sciences, en
premier ordre celles dont la connaissance nous est utile
soit pour nos intérêts particuliers, soit pour rendre ser-
vice à nos semblables.
La section émet en outre le vœu que cette question
si vaste soit de nouveau examinée au prochain Congrès,
relativement détails d'application, et que dans lin-
tervalle elle soit étudiée d'une manière plus approfondie,
afin qu'elle puisse être résolue complètement.
CINQUIÈME SECTION. 233
M. Duvivier fait remarquer que, quelque bon que soit
l'enseignement qui sera mis à la portée de classes ou-
vrières , le travail journalier des ateliers ne permettra
pas aux enfans d'en profiter. En conséquence il propose
à la section d'émettre le vœu que le gouvernement trouve
quelque moyen de faire participer aux bienfaits de l'ins-
truction, les enfans des fabriques.
M. de Saint-Vincent propose la législation anglaise
comme modèle, pour la protection qu’elle accorde au
bien-être matériel et moral des ouvriers.
Des actes du parlemeut ont depuis longtemps réglé les caïsses
d'épargne , les rapports des maîtres et des domestiques ; et surtout
en ce qui concerne les sociétés de prévoyance ou de secours mutuels 2
la sollicitude de la loi entre dans les détails les plus sages et les
plus minutieux, pour assurer leurs membres contre l’imprudence ou la
mauvaise gestion des administrateurs.
Il donne lecture des bills rendus au sujet des manufactures de
laine ou de coton. Ces lois.interdisent, sous des peines sévéres, de faire
travailler les enfans au-dessous de neuf ans. Elles défendent de faire
travailler la nuit les ouvriers âgés de moins de vingt-un ans. Elles
rêglent pour les adultes le maximum des heures de travail , le temps
qui doit être accordé pour les repas; elles comprennent aussi des
prescriptions hygiéniques et d’autres propres à prévenir le désordre
des mœurs. Elles veulent que pendant les quatre premières années
de leur apprentissage , les apprentis recoivent chaque jour des leçons
de lecture, d'écriture et de calcul. Enfin » des mesures de surveillance
et de répression sont prises pour assurer l'exécution de toutes ces
dispositions.
M. de Saint-Vincent conclut en pensant que cette législation peut
être recommandée comme un exemple à imiter en France.
M: Blanc observe que ces lois n’ont pas même paru
suffisantes, puisque de nouvelles lois à ce sujet sont en
ce moment pendantes dans le parlement anglais.
Sur la proposition de M. Duvivier et les remarques de
M: de Saint-Vincent, la cinquième section émet le vœu
30
234 CINQUIÈME SECTION.
que le Gouvernement , par des dispositions plus où moins
analogues à celles que fournit la législation anglaise , mette
les enfans des fabriques à même de recevoir le genre
d'éducation dont ils ont besoin.
La parole est à M. Stoffels, pour lire un travail sur le
principe de la science.
Ce mémoire sera lu en séance générale.
M. Blanc demande à payer sa part de travail à la sec
tion, dont il fait partie, en lisant quelques vers. Cette
poésie, qui a excité les applaudissemens de la section,
sera lue aussi en séance générale.
La séance est levée à une heure.
SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de Dumwasr.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. Gerson Levy lit un rapport sur le sytème de
M. Latouche.
Après avoir montré qu'il s’agit ici de savoir si, par la comparaison
des diverses langues, on peut arriver à une unité linguistique et dans
ce cas, quelle serait la langue à laquelle on devrait rapporter les
autres, il observe qu’en eflet, il y a bien des mots qui présentent la
même construction vocale dans toutes les langues , comme par exemple
la négation qui se rend toujours par n,eni, am, non, nihil, nein,
no, nit, etc., et la seconde personne du singulier qui s'exprime
toujours par t ou d, comme ata, tu, du, thou, etc; mais il n’en
est pas d'ordinaire ainsi. On trouve par exemple que le même mot
qui en allemand et en anglais signifie fioëd, kalt, kald, désigne la
chaleur en latin, francais, espagnol , calido, caliente, calidus. Xl y a
aussi des mots qui signifient à la fois les choses les plus opposées
ainsi en hébreu nt la clarté et l'obscurité, tp la sainteté et la
CINQUIÈME SECTION. 235
rofanation 1} enraciner et déraciner etc. Evidemment l'onoma-
pre ;
topée ne peut avoir présidé à la formation de ces mots. — Ensuite les
principes d'aprés: lesquels on trouve dans ce système les étymologics ,
sont plus ingénieux que fondés, et trop nombreux , pour ne pas jeter
l'élève dans le tâtonnement.
Après quelques autres considérations , le rapporteur établit que ce
GENS >
système , füt-il fondé, il ne pourrait que faire pressentir le sens des
, ; P q P ;
mots, mais ne donnerait jamais le sens précis et encore moins le
génie d'une langue , sans lequel on essaierait vainement de la com-
prendre.
Après la lecture du rapport fait par M. Gerson Lévy,
au nom de la commission,
‘ M. Gondon dit que la nature du rapport lui permet, et nécessite
même, quelques observations de sa part; car aucune conclusion n’a
été prise par la commission qui ne fait que soumettre des doutes,
doutes qu’il va essayer d'éclairer.
On trouve, dit le rapporteur, un grand nombre de mots, absolu-
ment les mêmes et qui expriment cependant des idées diamétralement
opposées, ce qui renverse les principes posés par l’auteur, etc.
À cette objection , M. Gondon répond : que ce n'est pas à la seule
inspection d'un mot que l’on peut arriver à en connaître la significa-
tion, que le caractère général des lettres ne peut, même à priort,
être d'aucune utilité; mais qu'ainsi qu’on l’a toujours fait, il faut
chercher les mots dans un dictionnaire, et qu'ensuite le caractère
des lettres employées à l’exprimer, est d'un grand secours pour
l'étude de l’idée qu'il renferme, étude qui conduit à connaître la
signification parfaite des mots d’une langue , avantage immense qui
obvie au vice qui 2 existé jusqu'à ce jour sur ce point; car c’est
précisément parce qu’on a fait de l'étude des langues , une étude
mécanique qu'une clameur universelle s'élève aujourd'hui contre elle.
M. Gondon passe ensuite à une seconde observation du rapporteur,
sur ce que les données étaient vagues et incertaines, que l’on pou-
ait toujours arriver à un résultat, satisfaisant d’après l'auteur, et
qui n'en est pas moins un pur travail de l'imagination.
Ici , il croit devoir faire observer que si le temps avait permis aux
membres de la commission d'examiner le travail sur lequel il avait
spécialement appelé leur attention, ils n'auraient pu avancer une
pareille assertion, mais il reconnait que le court espace de temps
236 CINQUIÈME SECTION.
mis à leur disposition , ne leur a pas permis de faire un examen ap-
profondi de la question. Il leur fait observer que les principes posés
ne l'ont point été arbitrairement; que l'observation et l'étude appro—
fondie des langues avaient seules conduit à posteriori à consigner la
marche qu’elles avaient suivi dans leur diflérentes et successives mo-
difications , et que ces principes une fois posés , ceux qui fixent les
séries de lettres par exemple, ils n'étaient jamais transgressés. Il
justifie ensuite les anagrammes ou 1ranspositions de mots par les
manières diverses dont l'écriture était dirigée dans les principes.
Enfin M. Gondon pense que la manière dont le grec et le latin ont
été traités par l'auteur, répond au reproche que des anomalies ont
été prises pour des règles, et que quiconque voudra examiner ce
travail, se convaincra que l’on a suivi scrupuleusement les principes
posés , et qu'on ne s’en est jamais écarté pour résoudre d’une manière
satisfaisante tous les problèmes linguistiques.
Les faits seuls, ainsi que le rapporteur l'a observé, pouvaient
résoudre la question d’une manière avantageuse sur ce point. M. Gon-
don avoue qu'il a raison; il pense que l'établissement ouvert à Paris
par M. Latouche , va faire avancer la question, et il désirerait , ainsi
que le fit le Congrès de Blois, que le Congrès prochain examinät la
question sous ce nouyeau point de vue,
M. de Dumast fait remarquer que, dans ce système, on
a confondu les équations générales et les équations part-
culières, et qu’on a sans cesse conclu des unes aux au-
autres. M. de Dumast montre ensuite par des exemples
pris dans le journal de M. Latouche, qu'après avoir posé
des principes si larges, qu'il semble qu’on pourrait tout
y ramener, le système est encore obligé souvent d'être
inconséquent.
Après quelques remarques de M. Gondon, qui fait ob-
server que les exemples de M. de Dumast ne sont pris
que dans le premier numéro du journal, tandis que les
derniers donnent une idée plus parfaite du système, et
qu'on ne s’est jamais écarté des principes , et qui demande
que la cinquième section émette le yœu que la question
soit traitée au prochain Congrès sous ce dernier point de
CINQUIÈME SECTION. 237
vue, des résultats obtenus par les méthodes, et après
quelques observations de M. Michel Nicolas pour com-
battre la proposition de M. Gondon, le rapport est adopté.
M. Durutte lit un rapport sur l'état de la musique à
Metz. Ce travail intéressant sera lu en séance générale.
M. du Coëtlosquet lit un travail sur le classicisme et
le romantisme.
Dans ce mémoire, M. du Coëtlosquet émet l'opinion que la littéra-
turc classique se reconnaît à deux caractères principaux : l'mitation
des auteurs classiques, et l'observation des règles ; que par opposition,
le romantisme consiste essentiellement dans la double indépendance
des modèles et des règles, \
Il pense que la question se réduit en conséquence à examiner à
quel point il est utile, à quel point il peut être nuisible de s’assujettir
et à l’imitation des modeles, et à l'observation des règles.
Relativement aux modéles, M. du Coëtlosquet expose que l'étude
des modèles est toujours utile, mais que dans leur imitation il y
a des conditions essentielles à observer, et des bornes qu'on ne doit
point franchir.
IL établit une distinction entre les pensées qui ont un fond de
vérité absolue, et celles qui se rattachent à certaines circonstances
particulières de temps et de lieux: c'est sur les premiers points que
doit porter l'imitation; à l'égard des seconds elle doit se l'interdire.
Relativement aux régles, il rappelle qu'elles ne sont, dans la
réalité, qu'une forme concise sous laquelle on a exprimé les prin—
cipes de l’art, qui se trouvaient déjà implicitement dans les modèles ;
que par conséquent la règle ne vaut pas absolument que ce que vaut
le modéle d'où elle a été déduite, et que les mêmes précautions
indiquées pour limitation des auteurs, sont également applicables à
l'observation des règles.
M: du Coëtlosquet termine son mémoire par quelques avis qu'il
adresse successivement aux écrivains des deux écoles.
Il dit, d’abord aux classiques : < Vous avez pour vous l'autorité
des grands exemples, l'expérience des siécles ; ce sont de précieux
avantages , jouissez-en tranquillement, on essaierait en vain de vous
les disputer. Méditez sans cesse les grands modeles de'la Grèce et
de Rome, et ceux qui, dans le siècle de Louis XIV, en marchant sur
leurs traces , ont mérité de devenir des modéles à leur tour; tout ce
258 CINQUIÈME SECTION,
qu'on vous demande , c'est que le juste hommage que vous leur rendez,
n'ait point un caractère exclusif: continuez à faire vos délices des
poèmes immortels d'Homère et Virgile; mais ne vous refusez pas à
sentir les beautés touchantes des chants ossianiques. Que votre pro-
fonde admiration pour les chefs-d'œuvre de Corneille et de Racine
ne vous fasse pas fermer les yeux sur le mérite des compositions in—
formes, incorrectes, mais si énergiques, des Shakespeare et des
Schiller: souvenez-vous que sentir les beautés partout où elles se
trouvent, ce n’est pas une délicatesse de moins, c’est une faculté
de plus*. Etudiez les règles, attachez-vous à les observer, et vous
ferez très-bien , pourvu que vous n'oubliiez pas que la première de
toutes les règles , celle sans laquelle toutes les autres ne sont rien,
et qui, au besoin, pourrait suppléer à tout le reste , c’est d'intéresser,
qu'un ouvrage intéressant vivra toujours, quels que puissent être ses
défauts, tandis que celui dépourvu d'intérêt, füt-il d’ailleurs le plus
régulier du monde, ne fera jamais qu’une méchante composition. **
Ainsi, cherchez d'abord à intéresser ; et si, cn même temps, vous
pouvez suivre les règles, ce sera mieux encore; si l'un et l'autre
ne peuyent se concilier , sachez, au besoin, sacrifier la règle à l'in-
térét, vous souvenant que, comme l'a dit Boileau lui-même,
« Un esprit généreux
» Trop resserré par l’art, sort des hornes prescrites,
» Et de l’art même apprend à franchir les limites. »
— Que dirai-je encore? — Ecrivez correctement, j'y consens; c'est
trop peu, je vous y exhorte; mais que votre style ait encore plus
de chaleur que de correction:
« Qui dit froid écrivain, dit détestable auteur; »
C'est encore Boileau qui a prononcé cette sentence : que d’auteurs
n'a-t-elle pas atteints, et n’atteint-elle pas tous les jours derrière ces
remparts de la grammaire, où ils se retranchent en vain! Un écri-
vain célèbre *** a dit: Ze ‘style est tout l’homme ; je le crois; c’est
que, dans le style, il y a autre chose que des mots, des phrases,
des périodes : le style embrasse et les grandes pensées qui viennent
du cœur ****, et les sentimens généreux qui l’exaltent ou le remuent. »
* Expressions de B. Constant : Réflexions sur la tragédie de Walistein et sur le théâtre
allemand. ’
** A book maybe amusing with numerous error, or it may be very dull without a single
absurdity. (Gocswirun: le ministre de Wakefield.)
*** Buffon.
4% Vauvenargues.
CINQUIÈME SECTION. 239
Il s'adresse ensuite aux romantiques : « Ne jugez pas des doctrines
classiques d’après les exagérations de quelques pédans , qui, pour rire
ou pour pleurer, semblent attendre l'ordre, ou, tout au moins,
la permission d'Aristote. Le classique par excellence, celui-là même
qui a tracé les règles de l'art poétique dans un poème qui sera éternelle-
ment consulté comme le code du bon goût et de la saine raison,
at-il envisagé cet art comme une espèce de muraille étroite, dans
laquelle il prétend parquer le génie? Non, nous venons de le voir ;
il admet qu'on peut, qu'on doit quelquefois franchir les limites : et
voilà ce qu'après lui, pensent et disent ces hommes contre qui vous
nourrissez une prévention injuste, ou tout au moins excessive. Vous
avez ouvert à l'imagination de nouvelles routes, vous ayez agrandi
et enrichi son domaine; c'est trés-bien, mais n'allez pas faire fable
rase de tout ce qui vous a précédé. Voyez, non dans les enfans
perdus de votre éccle, mais dans tout ce qu'elle a produit de plus
illustre, et l’essor rapide que peut prendre un génie abandonné à
lui seul, et les chûtes trop fréquentes qui l'attendent : Voyez, dans
la même page, quelquefois dans la même ligne ou le même vers,
à côté des pensées les plus sublimes , ou des sentimens les plus pa-—
thétiques, se glisser le faux , l'ampoulé, l'obscur, l'inintelligible :
voyez l'admiration ne plus oser payer son tribut, sans traîner à sa
suite quelque censure. Entre les qualités du style, vous prisez par
dessus tout la chaleur; votre avis est tout-à-fait le mien ; seulement
gardez de vous abuser sur cette précieuse qualité, rien n’est à la
fois plus facile et plus dangereux : la chaleur ne réside pas dans l'éclat,
dans la singularité des mots ou des tours du langage; elle a son
foyer dans le cœur, elle part d’un sentiment vrai et profond , elle
s'allie trés-bien avec la simplicité de l'expression ; que dis-je? elle
la réclame , elle l'exige. L’enflure , avec laquelle l'ignorance la confond
quelquefois, est sa plus grande ennemie, Vous vous attachez parti
culièrement à la peinture de la nature; vous avez en ce point, je
ne dirai pas surpassé les tableaux des anciens ; mais enfin yous avez
saisi quelques teintes nouvelles ; soit : je vous approuve en ceci,
Pourvu que vous reconnaissiez que le cœur humain est une mine
beaucoup plus féconde » plus inépuisable que la nature physique, et
que l'imagination soit pour vous, non le but où vous frapperez , mais
la voie par laquelle vous chercherez à pénétrer jusqu'au cœur. Vous
voulez sortir des routes battues de la mythologie grecque, et des
républiques d'Athènes et de Rome ; vous fouillez avec courage dans
les vieilles chroniques de votre patrie, vous portez un flambeau scruta-
00 CINQUIÈME SECTION.
teur dans les ténébres du moyen-âge ; ce zèle est louable , loin de moi de
vous en détourner ; mais ne vous figurez pas qu'il suffise de nouveaux
noms pour produire des émotions nouvelles : il appartient au génie
de rajeunir des sujets qui paraissent épuisés; le mauvais écrivain est
toujours copiste, même dans ceux qu'il invente. Vous cherchez à
intéresser ; ah! sans doute, je vous donne’les mains ; vous ne sauriez
vous proposer un meilleur but; mais ne vous méprenez-vous pas
quelquefois sur les moyens? Cet intérêt, vous allez le chercher bien
loin, dans une complication de faits extraordinaires , d’aventures
prodigieuses, entassés avec’ confusion dans un étroit espace ; il était
tout près de vous , il était à votre porte ; les circonstances les plus
simples de la vie commune vous l’eussent fourni sans peine: peu
d'événemens, mais disposés de manière à agir fortement sur l’âme
des personnages, à développer leurs caractères, à faire naïître une
foule de sentimens vifs et variés; voila, voila une voie sùüre et tou-
jours ouverte pour produire cet intérêt , après lequel vous courez sans
pouvoir l’atteindre. — Quoi enfin? — Vous voulez nous affranchir
du joug importun des règles ; mais soyez donc conséquens à vous-
mêmes ; laissez-nous celte noble indépendance, que vous proclamez
en principe ; et après avoir rejeté les entraves des anciennes écoles,
n'ayez pas la prétention de fonder une école à votre tour; ear on
l'a trés-bien dit *, le pire esclavage de tous, c'est celui qui joue la
liberté. Vous répudiez des systèmes qui avaient pour eux l'autorité
des âges , l’ascendant d'anciennes habitudes, l'éclat d’illustres exem—
ples: et vous nous imposeriez vos théories d'hier ! S'il faut absolu-
ment nous laisser conduire , souflrez que nous préférions les poétiques
d'Horace et Boileau à celles de messieurs Hugo et d’Arlaincourt. »
M. de Saint-Vincent pense que le romantisme ne saurait être défini
comme étant l'indépendance des règles et des modèles. Il ne serait
plus alors qu'une négation; c’est prendre le defaut du genre pour
son essence.
Les discussions si rebattues des classiques et des romantiques ne sont
qu'un des épisodes d’une lutte qui date de plusieurs siècles, entre le
Nord et le Midi. A la fin du moyen âge, la civilisation græco-latine
a refoulé la civilisation germaine. Les lois romaines ont remplacé le
droit coutumier, l'architecture grecque s’est substituée à l'architecture
gothique, et les classiques anciens ont été donnés comme les maitres
et la source de l’art.
L'Allemagne et l'Angleterre, chez lesquelles cet envahissement a été
* M. Casimir Delavigne.
CINQUIÈME SECTION. 241
moins .complet , ont toujours conservé cette tendance germanique à
la réverie et au spiritualisme, qui sympathise avec le mysticisme chré-
tien et contraste avec le sensualisme payen du midi.
M. de Staël et M. de Châteaubriand ont importé, l’un de l'Angleterre
et l'autre de l'Allemagne , les premières notions de cette école. L'étude
de la langue anglaise, plus répandue en France depuis 1844, à acheyé
de l’y naturaliser, en faisant connaître Shakespeare, Byron, Walter-Scott
et ses autres chefs-d’œuvre, et aujourd’hui l'acceptation définitive
du romantique dans notre littérature est un fait accompli.
Ces deux écoles, qui se fondront bientôt en une seule par la force
des choses, ont chacune leurs défauts. Mais bien loin qu'elles soient
et d’en éviter également les défauts , et c’est à quoi M. de Lamartine
paraît avoir souvent réussi.
En résumé, M. de Saint-Vincent pense que l'expression du beau
est multiple, et qu’au lieu d'en rejeter aucune, on doit s'attacher à
les grouper toutes ensemble.
M. Choley fait remarquer que cette question est celle
qui s’est toujours posée entre l’imitation et l'inspiration,
c’est-à-dire entre le beau absolu et le beau progressif. Au
fond, la question est de savoir si, quand la civilisation
marche et se développe, l'expression de cette civilisation
doit aussi changer; si la forme, en un mot, doit changer
avec le fond. La langue doit être l'expression des idées,
et, comme les idées changent, il est évident que la forme
doit de même Changer : aussi il est toujours arrivé que
les modernes ont été romantiques, et les anciens clas-
siques ;, Racine, de son temps, était romantique, et les
romantiques de nos jours deviendront à leur tour clas-
siques. |
M. de Dumast accorde que, comme on l’a remarqué,
leromantisme a été une réaction plus ou moins christia-
misante contre le principe payen. Lors de ia renaissance,
il y eut, cela. n'est pas douteux, une influence du pa-
31
249 CINQUIÈME SECTION.
-
ganisme, née de la culture enthousiaste des ouvrages de
l'art antique, nouvellement remis en lumière. Cette in-
fluence se prolongea sous le siècle de Louis XIV ; telle-
ment que, dans les milliers de statues qu'avait fait placer
à Versailles le roi très-chrétien, il n'y en avait pas une
qui ne représentàt quelque divinité mythologique. Ce-
pendant il y avait alors, au fond, un sentiment religieux,
pour le moins aussi vrai que celui que nous voyons s’é-
pancher en phrases impropres et purement approxima-
tives. Son expression, en littérature, à cette époque, était
le silence. La religion était regardée comme chose trop
sérieuse pour passer au dehors; elle restait dans le fond
du cœur. Le romantisme, qui paraît, au premier abord,
une réaction chrétienne, ne sert qu'une vague religiosité,
bien différente de la religion positive. Le classicisme,
quoique trop paganisé dans ses formes , représentait, par
sa régularité, le principe de l’ordre, qui s’harmonise avec
le beau et le bon. Le romantisme, au contraire , a rétabli
le culte du laid, smon au-dessus, du moms à côté de
celui du beau ; et, par la force des analogies, il a favo-
risé de même le placement du mal à côté du bien.
M. Champouillon dit que le classicisme lui paraît pou-
voir se définir assez bien , limitation de la nature belle
et normale ; et le romantisme, celle de la nature mons-
trueuse. M. Kœnig et d’autres membres réclament contre
cette définition. M. Stoflels discute le plus ou moms de
réalité des aberrations morales reprochées au romantisme,
et reconnaît qu'elles ont en effet consisté en ce que la
nouvelle école a trop regardé la passion comme une
chose sainte, suffisante pour ennoblir et justifier le dé-
sordre. L
M. le président donne lecture de la proposition de
M. de Caumont, sur une nouvelle organisation des aca-
CINQUIÈME SECTION. 243
démies provinciales ; le temps manquant pour l’examiner,
elle est ajournée.
SÉANCE DU VENDREDI 15 SEPTEMBRE.
Présidence de M. De Duwasr.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
Au sujet de la discussion d'hier, M. de Dumast propose
à la section, comme doctrme à adopter dans cette matière
importante, la résolution suivante, formulée en quatre
articles dont il croit avoir pesé tous les termes :
Sur la question de préférence entre les écoles de littérature, la
cinquième section du Congrès scientifique de France est d'avis :
4° Que le classique et le romantique peuvent et doivent être étu-
diés tous deux, comme répondant à deux besoins de la nature et
présentant deux faces de la vérité ;
2° Qu'il importe de les unir par une alliance intelligente , qui fonde
ensemble les parties utiles et belles de l'un et de l’autre, en élimi-
nant les défauts de tous deux ;
3° Mais que si ces défauts, pris en eux-mêmes et dans la sphère
purement théorique, peuvent être considérés comme égaux , il n’en est
pas ainsi dans la pratique; le romantisme, par sa sève du moment et
par la vogue dont il jouit, pouvant donner aux fautes qui lui sont
propres, une intensité beaucoup plus grande et plus fächeuse.
4 Qu'ainsi, sans rien décider d’absolu sur la question générale ,
c'est, quant à présent, contre les travers et les écarts d’un romantisme
sans raison, sans convenance et sans véritable savoir, que doivent
se diriger principalement les efforts des hommes de sens; car des
erreurs Vieillies n'exigent pas que l'on coure aux armes, et il n'y a
de digne combat que contre des erreurs jeunes et vivaces.
M. Michel Nicolas fait observer que, dans des sujets
qui tiennent de si près au sentiment intime, et où les
plus légères nuances font naître de grandes difficultés,
il est peu convenable de prendre des conclusions. Cepen-
944 CINQUIÈME SECTION.
dant celles de M. de Dumast sont assez larges pour qu'on
puisse y adhérer sans scrupule.
À la suite de quelques autres remarques, émises par
divers membres pour jeter de nouvellés lumières sur la
controverse, et après l'abandon de plusieurs amende-
mens, retirés par leurs auteurs presqu'aussitôt que pro-
posés, M. de Dumast relit ses conclusions, qui, mises
aux voix article par article, sont finalement adoptées,
sans aucune modification.
M. Durutte fait son rapport sur le traité de M. l'abbé
Pierre : De l’Influence de l'harmonie, etc. 1 voudrait
que M. l'abbé Pierre prit plus en considération la mu-
sique d'église de l’école romaine. |
M. Durand lit un mémoire sur la treizième question.
Considérant dans la nature un mouvement universel , il aflirme que
la vie est universelle; considérant les tendances qu'ont les sciences
de faits et les conyenances métaphysiques à résumer tous les principes
dits immatériels ou impondérables en un seul, il suppose que le
principe vital est un; enfin, considérant quelques résultats spirituels
de ce principe, il le dit immatériel. Aussi, d’après lui, les résultats
du principe vital ou moteur ne varient, dans les trois règnes de la
nature, que parce que ce principe est appliqué à des instramens
matériels divers; aussi, l'ame ou le principe vital, considérée d’après
des manifestations d’animalité, est spirituelle , est identique dans
tous les animaux, et possède une puissance toujours conditionnelle à
la puissance d’orgauisation; et les mêmes circonstances existent pour
l’âme humaine en particulier.
Entrant dans l'étude de celle-ci, M. Durand la considère comme
le mor sentant, pensant et agissant. Il divise ses propriétés en deux
ordres: 1° celles qu’elle a de pouvoir étre sollicitée à produire des
résultats ; 2 celles qu’elle a de pouvoir faire agir les organes qui pro-
duisent ces résultats.
$ 4%. Les premières constituent l’excitabilité sensitive. Elles se
manifestent après les actes dits d'impreésion, de transmission et de
sensation. L'électricité paraîtrait jouer un grand rôle dans les deux
premiers, car elle est nécessairement produite dans toute impression ;
CINQUIÈME SECTION. 245
le troisième, qui est inconnu dans son essence , se résume en deux
états primitifs : plaisir et douleur. Dans ces trois actes l'ame est pas-
sive, elle ne joue pas même encore le rôle d'instrument.
. $ 2. Les propriétés qu'a l'âme de pouvoir faire agir les organes
qui produisent des résultats, se rattachent à son activité. Elles for-
ment trois genres de facultés innées : 1° d'affection, 2° d’entendement,
3° d’impulsion ou de motilité, localisées dans diverses parties de
l'axe cérébro-spinal.
1° L'âme affective , sollicitée par un plaisir ou une douleur et après
cela, manifestant successivement ces quatre actes primitifs : sentiment,
désir, choix, volonté, est regardée, par M. Durand, comme centre
de l’activité philosophique.
2° L'âme intellectuelle, allant à la connaissance des causes qui ont
sollicité l’activité et des moyens d'action, ét d’après cela , résumant ses
actes successifs primordiaux en idée , mémoire ou imagination, com—
paraison, conclusion, actes qui s’engrènent toujours ayec ceux de
l'âme affective, est considérée comme un instrument philosophique
dont le résultat est la notion.
3° Enfin l'âme impulsive ou de motilité opérant par la volition,
la transmission nerveuse excentrique et l'application, actes pendant
lesquels se développe l’activité d’un fluide fort analogue à l'électricité,
est encore examiné comme un 2nstrument d'application dont le résul-
tat définiuf est le mouvement.
L'heure avancée ne permet pas à M. Michel Nicolas
de lire un travail sur la quatorzième question.
M. de Samt-Vincent lit des vers d'adieu au Congrès.
La sect on désire qu'ils soient lus en séance générale.
M. l'abbé Maréchal exprime à la section sa gratitude
de la bienveillance avec laquelle elle a accueilli les ecclé-
siastiques , et 1l remercie M. de Dumast d’avoir bien voulu
se charger de la présidence.
Les Secrétaires de la section, Le Président de la section,
Micnez NICOLAS. CHATELAIN.
NICOLAS. Le Vice-Président,
P. DE DUMAST.
246 SIXIÈME SECTION.
SIXIÈME SECTION.
SCIENCES PHYSIQUES ET MATHÉMATIQUES.
SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Morin.
Par suite de la non-acceptation de M. Braconnot, la
section procède à l'élection d'un président et d’un vice-
président : MM. Morin et de Haldat obtiennent la majorité
des suffrages.
M. le président fait part à la section des ouvrages qui
lui ont été adressés, et en confie l'examen à différens
membres.
M. Braconnot a aussi adressé une analyse chimique de
l'eau de Bulgnéville, dont la section ordonne et entend
la lecture. Il résulte de cette analyse que l’eau de Bul-
gnéville renferme un grand nombre de substances mi-
nérales dont quelques-unes sont douées de propriétés
médicinales bien reconnues, telles que le sulfate de soude,
le sulfate de magnésie et le chlorure de sodium. L'auteur
SIXIÈME SECTION. 947
remarque que cette eau contient du sulfate de potasse,
fait très-rare ; mais ce qui lui paraît surtout digue d’at-
- tention, c’est à présence du carbonate de strontiane qui
n'a pas encore été trouvé dans les eaux en France.
M. Gosselin, regardant ce travail comme un modèle
d'analyse chimique, propose que la section en demande
l'insertion dans le compte-rendu des séances du Congrès.
La proposition de M. Gosselin est adoptée.
M. le capitaine Morin cède le fauteuil à M. de Haldat,
et fait connaître un travail sur le choc des corps. Cette
communication se compose de deux parties : 1° les ex-
périences de M. Morin sur la transmission du mouvement
par le choc des corps mous; 2° les résultats obtenus sur
les effets physiques du choc des corps durs, dans les
opérations d'une commussion composée d'officiers d’ar-
tillerie dont MM. Piobert et Morin étaient rapporteurs.
Cette communication a été entendue avec le plus vif
intérêt : la sixième section prie M. Morin de la renou-
veler en séance générale, et en propose l'impression dans
les mémoires du Congrès.
SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Morin.
Le rapport de la dernière séance est lu et adopté.
Un membre remarquant que plusieurs personnes dont
les noms se trouvent sur la liste de la section, ne se sont
point encore présentées, propose de les considérer comme
948 SIXIÈME SECTION.
\
n'en faisant plus partie, leur absence entravant les déli-
bérations, qui, d’après le règlement, ne peuvent être
prises que par Île quart au moins des membres inscrits.
Cette proposition est adoptée.
M. le président lit une lettre de M. de Sarrazm, par
laquelle cet honorable membre fait connaître à la sixième
section, qu'un accident grave l'empêchera d'assister à
ses séances. La section regrette qu'une telle circonstance
la prive de la coopération de M. de Sarrazin.
M. Gosselin rend un compte verbal du nouveau sys-
tème de représentation du globe par M. d'Olincourt, et
présente quelques observations sur ce système. L'auteur
étant attendu au Congrès, la section décide qu'il est con-
venable d'attendre son arrivée pour les rendre publiques.
M. de Haldat lit un mémoire sur des essais destinés
à faciliter la répétition de l'expérience fondamentale de
la théorie de l'interférence des rayons lumineux : il donne
la description d'un appareil qui remplit parfaitement ce
but.
M. le président, au nom de la section, remercie M. de
Haldat de son intéressante communication : ses appareils
très-ingénieux lui semblent devoir contribuer au progrès
de l’art expérimental; il propose donc la lecture du
mémoire de M. de Haldat en séance générale, et son
insertion au bulletin du Congrès. La section partage l'opi-
nion de M. le président et appuie ses conclusions. M. de
Haldat cramt que les détails scientifiques que renferme
son mémoire ne le rendent généralement peu intelligible
dans une simple lecture : en conséquence la section décide
que ce mémoire sera seulement imprimé, et charge son
secrétaire d'en faire un rapport.
M. le capitaine Morin succède à M. de Haldat et fait
un exposé rapide des résultats d’un travail qui lui est
SIXIÈME SECTION. 249
commun avec MM. Piobert et Didion, sur les lois de la
résistance des milieux solides ou mous, à la pénétration
des projectiles.
La sixième section adopte, pour cette nouvelle com-
munication de M. Morin, les conclusions déjà prises pour
la précédente.
SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Mori.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le capitame Didion donne lecture d'un mémoire
sur les limites de l’art aérostatique, dans lequel il analyse
les moyens employés jusqu'à présent pour diriger les
ballons, et démontre que leur impuissance provient de
ce qu'ils ajoutent à l’aérostat un poids trop grand, re-
lativement à la force qu'ils peuvent développer ; ainsi,
c'est de l'invention d’une nouvelle machine qui présente
un rapport convenable entre ces deux choses qu'il faut
attendre la direction des ballons tels au moins qu'ils
sont actuellement construits.
La section partage les vues judicieuses qui disiinguent
ce mémoire et en demande la lecture en séance géné-
rale, ainsi que l'insertion au bulletin du Congrès.
La section, sur la proposition de M. de Haldat, prie
M. Didion d'exposer un précis de son mémoire en séance
générale.
32
950 SIXIÈME SECTION.
SÉANCE DU DIMANCHE 10 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Hazpar (vice-président).
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
M. le capitame Morin donne la description des appareils
chronométriques qu'il a employés à l'observation des lois
du mouvement des corps dans diverses expériences et
pour la construction desquels, en perfectionnant des
moyens analogues employés par le colonel anglais Bau-
foy, dans ses recherches sur la résistance de l’eau, et
celui qui a été mis en usage par M. Eytelwem, dans ses
expériences sur le bélier hydraulique, il a mis à profit,
et réalisé sous diverses formes une solution proposée par
M. Poncelet, et qui consistait à combiner avec conti-
nuité, un mouvement uniforme connu avec le mouve-
ment à étudier. Il mdique plusieurs dispositions particu-
hières à différentes recherches d'un haut intérêt pour les
sciences physiques.
La section remercie M. Morin de cette intéressante com-
munication, et en propose la lecture en séance générale
et l'impression.
SÉANCE DU LUNDI 44 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Morin.
Le procès-verbal de la séance séance est lu et adopté.
M. de Haldat communique à la section un extrait de
ses dermiers travaux sur les aimants sans cohésion. Ces
SIXIÈME SECTION. 951
aimants sont formés de particules ferrugmeuses, contenues
dans un tube cylindrique de cuivre fermé invariablement
à l’une de ses extrémités, et à l’autre par un tampon à
Vis.
En les soumettant à l’un des procédés connus d’aiman-
tation, on y détermine deux pôles comme dan un aimant
ordinaire. En y mêlant des substances étrangères en dif-
férentes proportions , les pôles subsistent encore , mais leur
action s’affaiblit ; en réduisant les particules ferrugmeuses
à la plus extrême ténuité, et les comprimant, on ne
remarque pas de changement bien sensible. Ces phéno-
mènes tendent à prouver que les corps magnétisables doi-
vent cette propriété à la nature de leurs molécules, et
non à leurs distances. M. de Haldat pense qu'on pourrait
attribuer en partie l’état magnétique à une orientation
particulière de ces molécules ; il cite, à l'appui de cette
opinion, plusieurs faits très-remarquables d’aimantation
par ébranlement. Toute cause qui produit des vibrations
dans un corps magnétisable le prédispose à l’aimantatior ;
la même cause agissant sur un corps aimanté, tend à lui
fare perdre la propriété magnétique : ainsi, en agitant
un aimant sans cohésion on fait évanouir ses pôles ; en
plaçant une barre de fer entre deux aimants et la met-
tant en vibration on l'aimante aussitôt. M. de Haldat fait
connaître plusieurs expériences qu'il a faites sur la forme
à donner aux corps qu'on veut aimanter; il en résulte
que la forme oblongue est la plus favorable jusqu'à une
certaine limite au-delà de laquelle les aimants se frac-
tionnent ; de sorte qu'il y a un certain rapport entre la
section et la longueur d’un aimant qui lui donne la forme
convenable au maximum d'effet.
Enfin, ce savant physicien mdique un fait qui tend à
détruire l'identité qu’on à cru apercevoir entre les fluides
959 SIXIÈME SECTION.
magnétique et électrique : si l'on met une source quel-
conque d'électricité, en contact avec une plaque d'acier,
le fluide s'y disperse; si l'on promène un aimant au-
dessus de sa surface, le fluide magnétique s’y répand et
y persiste suivant la figure qu'on a formée, ce dont on
s'assure en y semant de la poussière de fer, Cette pro-
priété peut durer pendant un temps très-long, jusqu’à ce
qu'un ébranlement la fasse disparaître.
Les membres présens de la sixième section témoignent
leur reconnaissance à M. de Haldat, et leurs regrets de
le voir interrompre, par son départ, ses communications
toujours si plemes d'intérêt.
M. le colonel Parnajon devant présider à une course
d'archéologie militaire dans les fortifications de la ville
de Metz, il n'y aura pas de séance demain mardi.
Mercredi 15, après les expériences qui seront faites par
M. le capitaine Morin sur le pendule balistique au polygone,
la sixième section se réunira à l'heure ordinaire. L'ordre
du jour est la communication des travaux de MM. Lemas-
son et Lejoindre pour la navigation de la Moselle.
SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Morin.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et
adopté. |
La section reçoit MM. Oven, fondateur des salles d’a-
sile en Angleterre et Whitewell, secrétaire de la société
des ingénieurs civils à Londres.
M. Lejoindre donne au nom de M. Lemasson et au
SIXIEME SECTION. 255
sien , communication des travaux et projets de ces in-
génieurs pour l'amélioration de la navigation de la
Moselle.
-La section rend hommage à la justesse des vues, à
la simplicité d'exécution et à l'économie de ces travaux
remarquables , dont une partie a déjà subi plusieurs
épreuves décisives et reçu la sanction de l'expérience.
M. Lejoindre est prié de les faire connaître en séance
générale, et l'insertion dans le bulletin du Congrès en
est demandée par la section.
SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Morn.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et
adopté.
M. l'abbé Maréchal lit un mémoire sur le mouvement
propre des étoiles. Le célèbre Herschel à qui l’on doit
les plus belles observations sur les étoiles multiples, a
découvert qu'elles se meuvent en groupes, liées par
une dépendance mutuelle et suivant une trajectoire el-
liptique, mouvement qui peut être dû à la gravitation
universelle; ou attribué à celui de la terre vers la cons-
tellation d'Hercule , démontré par Laplace ; ou bien
encore à la parallaxe annuelle des étoiles. Quant à cette
dernière cause , 1l n'y a pas accord entre les astronomes :
les uns pensent que la parallaxe est nulle, d’autres qu’elle
a une valeur fime.
M. l'abbé Maréchal appelle l'attention des savans sur
cette matière et sollicite vivement une publication plus
prompte des travaux astronomiques.
254 ê SIXIÈME SECTION.
La section adopte les conclusions de l’auteur ét pro
pose l'insertion au bulletin du Congrès d’un précis de
son mémoire.
M. Morin traduit une note de M. Whitewell sur les
télégraphes électriques.
La section remercie l’auteur : elle demande la lecture
de la traduction en séance générale , et son impression.
M. Morin donne la description des appareils qu'il
a employés pour la mesure du tirage des voitures, des
charrues et des bateaux et pour l'observation du mode
d'action des hommes et des chevaux. Dans ces instru
mens les eflorts ou la quantité d'action développés par
le moteur à un instant quelconque sont, suivant les cas,
tracés par un style sur une feuille de papier mobile ou
totalisés par un compteur.
M. Morin déclare devoir à M. Poncelet l'idée pre-
mière de ces deux moyens d'obtenir des indications per-
manentes de ces quantités et ne réclame, pour sa part,
dans le mérite de ces appareils, que celui de la réalisa-
tion et de l'exécution.
La section décide que cette communication sera re-
nouvelée en séance générale.
SÉANCE DU VENDREDI 45 SEPTEMBRE.
Présidence de M. Morin.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
La section reçoit une note de M. Jacotin sur le per-
fectionnement qu'il a apporté aux balances de précision.
L'instrument étant actuellement dans les salles de l'expo-
SIXIÈME SECTION. 955
sition des produits de l'industrie, les membres du Con-
grès ont pu reconnaître l'utilité de ces perfectionnemens ;
elle sera d’ailleurs appréciée et signalée dans le rapport
de l'académie de Metz, sur cette exposition.
La section entend la lecture d'une note de M. l'abbé
Chaussier, sur la température intérieure de la terre. La
lecture et l'impression de cette note sont proposées.
Le Secrétaire de la section*, Le Président de La section,
BOILEAU. MORIN.
Le Vice - Président,
pe HALDAT
* M. Schmitt nommé deuxième secrétaire n’en a pas accepté les
fonctions.
256 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
SÉANCE DU MERCREDI 6 SEPTEMBRE
Présidence de M. de VizzeNEuve-Trans.
La séance est ouverte à trois heures de l'après-midi.
Le secrétaire général lit le procès-verbal de la séance
précédente ; il est adopté.
Les divers ouvrages adressés au Congrès sont remis
aux secrétaires des différentes sections pour être examimés.
M. le président annonce de la part de M. le colonel
Bergère, commandant l’école d'application, que la salle
des modèles de cette école sera ouverte à messieurs les
membres du Congrès, sur l'exhibition de leur carte.
Messieurs les secrétaires lisent les procès-verbaux des
séances de leurs sections ; à l'exception du secrétaire de
la sixième , qui fait connaître que la séance de cette
section n’a donné aucun résultat, vu que beaucoup de
membres appartenant à d'autres sections, n’ont pu se
rendre à celle-ci. M. Boileau demande qu’à l'avenir cette
section se réunisse de une heure à trois heures; cette
proposition est adoptée et la lecture des procès-verbaux
de cette section pourra , au besoin , être ajournée au len-
demain.
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 957
M. Chatelain demande que la cinquième section s'oc-
cupe de statistique, afin que le Congrès ne soit pas privé
de travaux intéressans en ce genre, qui auraient été
soumis à la septième section si elle n’eût été supprimée.
M. de Caumont émet l'opinion que si le Congrès décidait
qu'il s'occupera de ce genre de travaux, il conviendrait
beaucoup mieux de les adjoindre à la deuxième section.
M. Châtelain fait observer que la deuxième section est
plus riche en matériaux que la cinquième » et aurait par
conséquent moins de temps pour s'occuper de ces ma-
tières intéressantes.
M. de Romécourt appuie l'observation de M. de Cau-
mont en faisant remarquer qu'il faut apprécier , avant
tout, les rapports que la statistique peut avoir avec la
section qui peut s’en occuper.
M. Lapointe objecte que la statistique est une matière
plutôt morale qu'agricole ou industrielie,
M. de Romécourt insiste sur ses observations.
La question est mise aux voix; mais on fait observer
qu'avant de savoir à quelle section la statistique sera traitée,
il convient d'examiner si l’on s’occupera de statistique.
M. Chatelain dit qu'aux sessions antérieures du Congrès
il y avait une section de sciences morales économiques
et législatives, qui avait demandé des détails de statistique,
notamment sur les hôpitaux ; qu'il croit devoir proposer
au Congrès qu'on y rattache cette section , sans désigner
plutôt une matière que l’autre.
M. Morin s'oppose à la question proposée par M. Cha-
telun, vu que le Congrès ne doit s'occuper ni de
questions morales, ni de questions politiques.
M. Chatelam répond qu'il ne s’agit pas de politique,
mais seulement de questions de morale ; qu'il serait peiné
de voir agiter parmi nous des questions de politique.
33
258 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
M. de Caumont pense que chaque section peut s’oc-
cuper de statistique, chacune dans sa spécialité.
M. Chatelan demande que l'on mette aux voix cette
proposition : y aura-t-1l une section de sciences morales ?
M. Lallement appuie la proposition de M. Chatelain.
M. Morin s'oppose à la prise en considération parce
qu'il pense que la question proposée pourrait s'étendre
beaucoup trop, et qu'on pourrait se laisser aller à des
conséquences très-éloignées.
M. Chatelan ajoute: la science sociale est une science
de faits.
M. le président propose l’ordre du jour. Il est mis
aux voix , l'épreuve est douteuse.
M. Lallement demande la contre-épreuve.
M. le président propose le scrutin secret.
M. Chatelain appuie cette proposition.
M. Le Masson prie M. Chatelain de formuler sa de-
mande par écrit.
M. Chatclain passe au bureau et la rédige amsi qu'il
suit :
« M. Chatelain demande qu'à l’une des sections du
» Congrès, soit annexée la science de l’économie sociale ,
ou en d’autres mots , si l'expression réelle de science
d’économie sociale ne paraissait pas convenir au Congrès,
» il demande que la cinquième section porte ce titre :
Littérature , beaux-arts, philologie et statistique.
M. le président donne lecture de la proposition ainsi
formulée. \
M. de Caumont s'oppose à la prise en considération
parce que les autres spécialités antérieures ont été sup-
>
primées.
La proposition est mise aux voix au scrutin secret.
M. de Romécourt demande le scrutin par assis et levé.
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 259
Cette demande est rejetée.
M. le secrétaire général fait l'appel nominal ; le nombre
des votans est de 114.
“M. le président appelle au bureau MM. de Pange et
Bergère, en qualité de scrutateurs.
Le dépouillement du scrutin fat connaitre que 45
voix sont pour la proposition et 69 contre; en consé-
quence , la proposition de M. Chatelan est rejetée.
M. Scoutetten a la parole pour demander une rec-
tification dans le procès-verbal de la section des sciences
médicales qui rend compte de la séance de ce jour,
en ce que les opinions qu'il renferme ne sont pas, en ce
qui le concerne , l'expression de la vérité.
Le même membre demande également que les procès-
verbaux des sections soient soumis à celles-ci, avant
d'être lues en séance générale.
M. Victor Simon appuie cette dernière proposition.
M. Willaume, en qualité de secrétaire de la troisième
section, répond, aux observations faites par M. Scoutetten
sur le procès-verbal de cette section, que si ce membre
croit demander la rectification des expressions que ce
procès-verbal renferme , il déclare tout en rendant hom-
mage au caractère et au mérite de M. Scoutetten que
le procès-verbal a été rédigé sous l'impression du bureau ,
qui a vu avec peine que M. Scoutetten avait attaqué
la faculté présente et absente.
M. Scoutetten renouvelle à la tribune la proposition
qu'il a faite précédemment ; cette proposition est appuyée
par un grand nombre de membres.
M. Chatelain s'oppose à cette proposition, en ce qui
touche les autres sections, se fondant sur ce qu'aucun in-
convénient n’est, jusqu’à présent , résulté d’une telle ma-
mière de procéder.
260 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
M. Le Masson appuie la proposition, pensant que des
erreurs consignées dans les procès-verbaux doivent plutôt
être rectifiées dans le sein des commissions qu’en séance
gcnérale.
La proposition est mise aux voix et adoptée à l'unanimité.
D'après cette décision les procès-verbaux de la séance
de ce jour seront lus dans les sections et présentés de
nouveau à la séance générale.
Messieurs les secrétaires sont invités à retirer leurs
procès-verbaux.
M. le secrétaire général présente une liste d'ouvrages
adressés au Congrès et prie messieurs les secrétaires de
vouloir bien se charger de ceux renvoyés à l'examen de
leur section.
M. de Caumont, vice-président, rappelle à messieurs
les membres de la sixième section qu’à l'avenir les réunions
de cette section auront lieu d’une heure à trois heures
de l'après-midi.
M. Holandre est invité à se rendre à la tribune pour
donner lecture d’une notice géologique que la première
section a jugée devoir être lue en séance générale; vu
l'heure avancée cette lecture est ajournée au lendemain.
Il est cinq heures, la séance est levée.
SÉANCE DU JEUDI 7 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de Caumonr.
La séance est ouverte à trois heures après midi.
M. de Caumont occupe le fauteuil en l'absence de M. le
marquis de Villeneuve-Trans, président, qui est exoiné.
M. le secrétaire général lit le procès-verbal de la séance
précédente ; 1l est adopté.
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 261
M. le président invite M. le secrétaire de la première
section à lire le procès-verbal de la séance de sa section,
qui a eu lieu la veille, et dont il a déjà été donné lecture
à la séance générale du 6. M. Lapointe demande qu’on
ne relise pas les procès-verbaux des sections auxquels il
n’a été fait aucune rectification importante. Cette propo-
sition, appuyée par MM. Le Masson, Chatelain et Lalle-
ment, est adoptée. Les procès-verbaux des première et
deuxième sections ne sont pas lus. M. Lallement fait con-
naître, en l'absence de M. Willaume, secrétaire de la troi-
sième section, qu'aucune rectification n’a été faite au
procès-verbal de la section qu'il préside, qu'en consé-
quence il n’y a pas lieu de le relire. MM. les secrétaires
des quatrième et cinquième sections déclarent qu'aucun
changement n'a été apporté à leurs procès-verbaux.
M. le secrétaire de la sixième section expose que
M. Morin a communiqué à cette section, dont 1l est mem-
bre, un travail très-intéressant fait par plusieurs officiers,
et dont M. Morin a été rapporteur avec M. Piobert; qu'il
est chargé d'en proposer la lecture à la séance générale
de ce jour. Cette proposition est adoptée.
M. Holandre est prié de lire son travail sur la première
question proposée à la section d'histoire naturelle. Cette
question est rédigée en ces termes :
Comment ont pu se former les escarpemens que l’on
remarque aux limites de plusieurs formations et de
plusieurs divisions de formations.
M. Holandre a accompagné ce travail d’un dessm mis
en couleur, collé sur un carton, au moyen duquel le
mémoire qu'il lit, est d'autant plus facile à comprendre.
M. l'abbé Chaussier est appelé à lire une notice sur
le même sujet. L'assemblée enténd avec beaucoup d'intérêt
ces deux communications.
962 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
M. le docteur Bégin est invité à lire un mémoire,
dont la lecture en séance générale à été votée par sa
section; il traite de l'influence des idées religieuses sur
les monumens des différens peuples.
Après celle communication à laquelle l'assemblée ap-
plaudit, M. Guerrier de Dumast demande la parole, il
monte à la tribune et s'exprime en ces termes :
Messieurs,
Dans le morceau distingué que vous venez d'entendre, l’auteur,
entraîné par la triple force de son talent, de son savoir et de son
imagination , n'aurait pu que difficilement se restreindre aux bornes
précises de l’article du programme qui à donné lieu à son discours. Il
les a donc dépassées, et s’est trouvé conduit à toucher incidemment
des matières d'un ordre plus élevé, placées en dehors du cercle de
nos discussions.
On concoit bien, toutefois, que votre section historique ait admis
ce mémoire à faire partie des lectures de la séance générale, ne
voulant pas priver notre assemblée de la connaissance d’un travail si
remarquable. Mais les questions délicates qu'il soulève, pourraient,
je dois le dire , donner lieu à quelques observations, de la part sur-
tout des personnes dont la conviction se refuse à laisser passer comme
juste l'espèce de rapprochement et d’assimilation , établie par l’élégant
écrivain , entre des choses qui sont, à leurs yeux, d’une disparité
totale d'importance et de vérité.
Comme néanmoins les pensées dont il s’agit sont de nature à ce
qu'il soit impossible d'essayer aucunement de les combattre sans
entrer dans une arêne interdite (puisque la plus fondamentale de nos
dispositions réglementaires , celle qu’on pourrait appeler Za charte du
Congrès , nous défend toute discussion religieuse), je m’empresse de
m'arrêter; et je me borne à réclamer mention au procès-verbal, pour
une remarque que ma conscience m'obligeait à faire, et dont vous
apprécierez, messieurs, le sens et la portée. Il ne me reste, en ter—
minant, qu'à joindre mes applaudissemens aux vôtres, et qu’à rendre
de nouveau justice aux vues ingénieuses et brillantes qui viennent de
vous être si éloquemment exposées.
Cette brillante improvisation est suivie d'applaudisse-
mens unanimes.
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 963.
M. Le Masson propose au Congrès de prier M. le co-
lonel Bergère, d'inviter MM. les élèves de l’école d’ap-
plication d'assister à la séance de dimanche prochain. Cette
proposition est adoptée.
M. le colonel Bergère, en qualité de sous-directeur
de l’école, remercie le Congrès et annonce qu'il fera
mettre cette invitation à l'ordre du jour.
M. Morin est appelé à la tribune pour donner lecture
du mémoire annoncé par M. le secrétaire de la sixième
section ; il traite des lois de la transmission du mouve-
ment par le choc et des effets apparens du éhoc des corps
durs. Cette communication est entendue avec d'autant
plus d'intérêt que ce membre met sous les yeux des au-
diteurs une série de projectiles brisés ou aplatis dans des
formes déterminées, qui confirment les principes qu'il a
exposés, et dont il a déduit des lois positives, dont les
applications seront très-utiles pour les sciences en général,
et notamment pour l'attaque des places fortes.
M. le secrétaire général prie M. le président d'inviter,
conformément à l’article 44 du réglement, messieurs les
présidens et l'un des secrétaires de chaque section, à se
rendre, un quart d'heure avant la séance générale, dans
le dt salon, pour y examiner les questions ou les pro-
positions qui pourraient être présentées par quelques
membres.
Il est cinq heures, la séance est levée.
SÉANCE DU VENDREDI 8 SEPTEMBRE.
Présidence de M. ne Cauwonr.
La séance est ouverte à trois heures après midi.
M. le secrétaire général lit le procès-verbal de la séance
de la veille ; il est adopté.
964 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
M. le secrétaire de la première section lit le procès-
verbal de la séance de sa section.
M. Blanc, en remplacement des deux secrétaires qui
sont empêchés, lit le procès-verbal de la deuxième sec-
tion qui demande l'impression du mémoire lu par M. de
la Halle, sur la direction que l’on doit donner à l’édu-
cation pour appeler la jeunesse à embrasser la carrière
agricole et sur les moyens à employer pour donner du
développement à cette industrie, mère de toutes les au-
tres. Ce mémoire a été désigné par la section comme
devant être lu en séance générale.
M. Blanc dépose ensuite, sur le bureau, un vœu for-
mulé par la même section, 1l est exposé en ces termes :
« Attendu les résultats satisfaisans des expériences de
» l’engrais Jauffret faites à Neuilly, à Lorient, à Aix, à
» Bergerac et devant la société royale de Seine-et-Oise,
» sur l'invitation de M. le ministre de l’agriculture ,
» Le Congrès appelle l'attention du gouvernement sur
» la découverte Jauffret; il émet le vœu que M. le mi-
» mistre de l’agriculture encourage la propagation de cette
» méthode en recommandant à la société royale et cen-
>» trale d'agriculture de Paris, et aux sociétés d’agricul-
» ture de tous nos départemens, de faire des expériences
» sur cet engrais. »
Le mémoire que M. Chatelain a communiqué a été aussi
désigné par cette section pour être lu en séance géné-
rale.
D'après le vœu émis par la deuxième section , le Congrès
arrête qu’elle üendra dorénavant ses séances de une heure
à trois heures.
Après la lecture des procès-verbaux des autres sections,
M. le président met aux voix la proposition concernant
l'engrais Jauflret, elle est adoptée. :.
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 965
M. le secrétaire de la cmquième section est invité à
donner lecture de la solution de la septième question du
programme ; 1l l’expose en ces termes :
& La majorité des membres de la section adopte, sur
» la septième section du programme, une conclusion que
» la langue allemande n’est pas une limite positive et cer-
> taime, mais seulement approximative entre le peuple
» allemand et le peuple français, et que cette langue a
» été restreinte dans ses limites ce son intr Ébtion
» dans le pays. >
Cette question est mise aux voix et adoptée.
M. Nicolas communique aussi le vœu émis par la même
section , que l'académie royale de Metz encourage les re-
cherches sur le patois du pays Messin. Ce désir est par-
tagé par tout le Congrès.
M. le président donne lecture de la solution de la dix-
septième question de la quatrième section, laquelle est
rédigée dans les termes suivans :
« Les noms des villes portés sur les bons des rois
» de France jusqu'à sant Louis, indiquent toujours
» qu’elles y ont été fabriquées, même lorsque c'est un
» titre de propriété que le souverain veut mdiquer. »
Cette solution, mise aux voix, est adoptée à une
grande majorité.
MM. de la Halle et Chatelain sont invités successive-
ment à lire leurs mémoires dont il a été parlé dans le
procès-verbal de la séance de la deuxième section.
Ces deux lectures sont entendues avec beaucoup d’in-
térèt. |
M. Victor Simon donne lecture de la liste du second
envoi d'ouvrages adressés au Congrès, et remet à messieurs
les secrétaires ceux renvoyés à l'examen de leur section.
La séance est levée à cmq heures.
34
266 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
SÉANCE DU SAMEDI 9 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de Caumonr.
La séance est ouverte à trois heures après midi.
Le secrétaire général lit le procès-verbal de la dernière
séance ; il est adopté.
Les procès-verbaux des séances des différentes sections
sont lus successivement.
M. le secrétaire de la troisième section fait connaître,
dans son procès-verbal, que M. Félix Maréchal a donné
sa démission de second secrétaire de cette section et
qu'il a été remplacé par M. Gilot.
D'après l’ordre du jour fixé à la séance précédente, M. le
docteur Scoutetten est appelé à la tribune pour donner
un exposé de la science phrénologique. Il trace l'historique
et les principes de cette science et il indique les applica-
tions qui en ont été faites. Gall, lorsqu'il se présenta à
Paris, fut accueilli avec dédain par certaines personnes,
mais on l’honora comme anatomiste distingué ; quelques
élèves professaient sa doctrine, non en France d’où elle
fut repoussée; mais en d’autres états. Le plus célèbre
de ses élèves fut Spurzeim. Il existe maintenant 28 écoles
de phrénologie. Ces études une fois comprises doivent
amener des modifications dans l'éducation et dans le
régime pénitentiaire.
En Angleterre cette science est popularisée. En France
on se livre à de nouvelles recherches. Le ministre, pour
mieux s’éclairer, a pris des renseignemens en Angleterre ;
quoique cette science ne soit pas faute, elle a déjà pro-
curé des résultats ; elle mérite donc d’être étudiée.
M. Scoutetten examine ensuite le système du docteur
=
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 267
Gall : ce savant, frappé des dissidences des philosophes
les plus célèbres sur l'intelligence et les instincts, pense
qu'on a négligé l'étude de l’homme en voulant expliquer
l'homme ; et qu’on ne peut comprendre les phénomènes
intellectuels, sans l'étude du cerveau. Il observe que les
hommes et les animaux sont enclins à certains penchans
qui les portent toujours à certains actes, et il conclut de
là que c'est le résultat d'une organisation physique. Il
cite pour exemple chez les animaux, leur instinct qui
les porte tous à faire les mêmes choses et toujours de
même, tels sont les nids des oiseaux.
Il ne faut pas confondre les penchans avec les idées ;
celles-ci viennent par l'impression extérieure, ceux-là
par les organes. -
L'exercice de nos penchans et de nos qualités morales
est soumis à l'influence des milieux et des organes ma-
tériels. Les conditions matérielles sont toujours indis-
pensables et peuvent faire disparaître ou détruire les
facultés de l’homme.
Gall pense que les penchans ne résident que dans un-
organe unique auquel se rattachent les penchans et les
instincts. Il prétend que dans le plus grand nombre de
cas et à priori, on peut reconnaître, à l’aide des signes
qui se manifestent sur la surface du crâne, les facultés,
les ‘instincts de l’homme et de tout animal.
M. Scoutetten expose ensuite la division des facultés
en affectives et perceptives et leurs sous-divisions. Il
indique quelle partie du cerveau les facultés occupent.
Il ne faut pas penser que l'homme puisse être obligé
d'obéir à ses penchans ; ils sont réprimés par l'intelh-
gence qui les recüfie ;gde là le système d’antagonisme
entre le bien et:le mali@hez l'homme.
A ses yeux la doctrine explique les phénomènes des
268 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
songes et du somnambulisme , la monomanie s'explique
de la même manière ; ils sont dus à la localisation des
organes dont les uns peuvent rester éveillés ou valides,
tandis que les autres sont lésés ou endormis.
Les reproches que l'on a faits à la phrénologie de
protéger l'athéisme et le matérialisme sont repoussés par
M. Scoutetten qu cite la profession de foi de Gall à
cet égard que: si l’homme était tenté de douter de
l'existence de Dieu, 1l lui suffirait d'étudier la médecine
et la phrénologie pour être ramené aux sentimens rel-
gieux.
Après cette exposition intéressante, M. de Romécourt
monte à la tribune ; 1l combat les opinions émises par
M. Scoutctten, en tant que principes constitutifs de la science
phrénologique. Selon lui, les différentes parties du cerveau
étant composées des mêmes élémens ne peuvent avoir des
fonctions opposées, il rejette le système des protubérances
vu que nos habitudes pourraient tout autant former celles-
ci, que les protubérances causer nos habitudes ; d’autres
causes doivent apporter des modifications aux prédisposi-
tions du caractère et de l'intelligence , tels sont le mouve-
ment et la qualité du sang et des fluides, l’état des nerfs et
des principaux viscères , la nature de l'air respiré , le degré
de froid ou de chaleur du climat, les premières impressions
de la vie, les habitudes persévérantes. Les facultés d’ail-
leurs se développent plus ou moins, selon qu’on les met en
œuvre. Les conséquences à tirer de cette science sont si
peu sûres, que M. Baillot, qui avait été jugé par Gall,
comme incapable de faire de la musique, était cepen-
dant un très-bon violon et un savant artiste. Ce membre
pense, toutefois, qu'une bo philosophie demande
que l'on continue les investi ns ct les expériences ;
tout en rejetant le système des protubérances, elle dira
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 269
qu'il a toujours été reconnu que l'organisation prédispose
à certaines inclinations spéciales , et la science doit recon-
naître l'mdépendance de l'âme à l'égard de l'instrument
dont elle se sert pour se manifester et agir. Localiser
dans les protubérances du cerveau les passions et les fa-
cultés, c'est aller droit au matérialisme. Sans doute, ni
Gall ni ses successeurs ne sont matérialistes ; mais la
manière dont ils formulent leur doctrine , dont ils la po-
sent, mène contre leur gré au matérialisme. Si l’on consi-
dère les protubérances du cerveau comme des effets ou
des indications de nos habitudes et de nos penchans, ou
au plus comme une simple disposition à ces penchans,
alors le système sera en voie de devenir utile aux indi-
vidus et à la société, au contraire, l'extension de ce sys-
tème deviendrait funeste.
Avant de lever la séance, M. le président donne lec-
ture d’une lettre écrite par M. Desvignes, qui invite, au
nom de la société philharmonique, messieurs les mem-
bres du Congrès à assister à un concert qui doit avoir lieu,
dans le but de leur donner une idée de l’état de l’art
musical dans le département.
Le Congrès a répondu à cette honorable invitation,
en se rendant à sept heurés du soir à l'hôtel des specta-
cles, où il trouva des places réservées. Après cette bril-
lante soirée, où des personnes d’un talent remarquable
se firent entendre et dans laquelle on exécuta des mor-
ceaux d’un excellent choix, notamment deux qui hono-
rent le talent en composition de MM. Durutte et Des-
vignes, M. le président et M. le secrétaire général se sont
rendus près de M. Desvignes, pour remercier la société
philharmonique de s'être associée aux vues du Congrès
et de lui avoir fait passer une soirée si agréable.
——
270 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
SÉANCE DU DIMANCHE 10 SEPTEMBRE.
Présidence de M. De Vizueneuve-Trans.
A trois heures la séance est ouverte.
M. le secrétaire général donne lecture du procès-verbal
de la séance de la veille ; il est adopté.
MM. les secrétaires lisent les procès-verbaux des séances
des différentes sections, Ceux des 4'°, 2°, 4€ et 5° annon-
cent qu'il n'y aura pas demain séance dans leur section,
vu le projet formé d’aller faire une promenade géologique
et archéologique jusqu'à Gorze.
M. le secrétaire de la troisième section fait connaître
que M. de la Halle a été nommé vice-président de cette
section, en remplacement de M. Braconnot qui a été
obligé de retourner à Nancy.
L'académie royale de Metz ayant décidé qu'un rapport
serait fait à la cinquième section du Congrès, sur l’état
des beaux-arts dans le pays Messin, M. Favre, chargé
de ce travail, en ce qui regarde les arts du dessin, monte
à la tribune. Après avoir tracé rapidement la marche
‘suivie par nos arts depuis le XIV° siècle jusqu’à nos jours,
il énumère les élémens de progrès qui en secondent le
développement depuis quelques années, et indique dans
quelle voie. doivent entrer désormais les artistes de la
Moselle, s'ils veulent se montrer dignes de la haute
mission réservée à l'art en province.
La vive sollicitude que ce savant professeur témoigne
dans son travail en faveur des jeunes artistes , et les sages
conseils qu'il leur donne causent une émotion vive qui
se manifeste dans toute l'assemblée.
Conformément au vœu exprimé par la sixième section,
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 271
M. Morin est invité à donner la description des instru-
mens chronométriques qu'il a inventés pour les observa-
tions des lois du mouvement et du mode d'action des
forces. Après en avoir donné la description, il expose
quel est l'usage qu'il en a déjà fait pour plusieurs re-
cherches importantes, et les résultats qui ont été obtenus.
Enfin il fait voir que l'emploi de ces appareils pourrait
facilement s'étendre aux mouvemens les plus rapides,
tels que ceux des projectiles dans l'âme de leurs pièces,
et jusqu'à ceux des fluides impondérables.
L'intérêt qu'a inspiré la matière traitée si habilement
par ce savant professeur , la mamière agréable et enjouée
avec laquelle il a su embelhr un sujet aussi grave, et qui
a donné lieu à de si profondes recherches, excitent les
applaudissemens de l'assemblée.
M. le président annonce que la société, pour la con-
servation des monumens français, lors de sa première
séance en cette ville, a fixé à mardi prochain, six heures
et demie du soir, une seconde séance qui, comme la
première, sera tenue publiquement dans le petit salon de
l'hôtel-de-ville.
L'heure avancée ne permet pas d'entendre la lecture de
M. Bégm, qui était à l’ordre du jour; elle est remise à
la séance générale du lendemain.
: La séance est levée à cinq heures.
SÉANCE DU LUNDI 11 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de Vizzeneuve-Trans.
La séance est ouverte à trois heures.
Messieurs les membres qui sont partis le matin pour
Gorze. ne sont point encore de retour, M. Bégin remplit
979 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
les fonctions de secrétaire général en l'absence de MM. Vic-
tor Simon et Michelant.
On ne lit point les procès-verbaux des séances qui ont
eu lieu la veille dans les sections, vu que la plupart des
dignitaires et des membres des sections étant absens, on
n’a pu les leur soumettre.
M. Gromier est appelé à la tribune pour une lecture
sur la phrénologie. Il expose que cette science est aussi
ancienne que lepice humame , les premières observa-
tions sont dues à des artistes ; il était réservé au génie de
grouper les faits, ils l'ont été par le docteur Gall. Il pré-
tend que l'addition ou la suppression de quelqu’organe ne
détruira en rien la phrénologie, c’est le cerveau dans son
ensemble qu'il faut considérer. Elle est une science de
premier ordre, elle est une branche d'histoire naturelle,
une conquête sur l’obscurantisme, un guide assuré dans le
chemin de la vie.
M. de Romécourt prend la parole; il s'étonne de ce
que le principe étant imparfait on dogmatise déjà. Il
pense qu'on devrait être plus circonspect, parce que l’es-
prit humain est beaucoup trop disposé à admettre comme
démontré ce qui ne l'est pas. Selon lui, l'exagération
que l’on donne à cette science menant droit au matéria-
lisme , la rendrait par là même aussi fausse qu'immorale.
M. Scoutetten demande la parole pour répondre ; on
demande l’ordre du jour : 1l est adopté.
M. Le Masson, vice-président, annonce que, mercredi
prochain , à onze heures, M. Morin fera, dans l’île Cham-
bière, des expériences sur la vitesse imprimée par la pou-
dre aux projectiles. Messieurs les membres du Congrès
sont invités à y assister.
M. Bégin monte à la tribune pour lire la suite de son
travail qui traite de l'influence des idées religieuses sur
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 973
les monumens des différens peuples. Avant d'aborder son
sujet, l’auteur fait observer que quelques membres ont
exprimé le désir qu'il supprimât de son travail un para-
graphe, qu’il pourrait refuser de faire droit aux objections
qui lui ont été faites, vu que ce mémoire a été adopté
en séance générale, cependant, par amour pour les con-
venances et pour ne blesser aucune opinion, il préfère
supprimer ce paragraphe, quoiqu'il soit plutôt relaüf à
l'histoire naturelle et à l'histoire, qu'aux idées religieuses.
Après avoir entendu cette lecture, l'assemblée témoigne
combien elle apprécie les longues recherches, les rensei-
gnemens intéressans et les hautes considérations que ren-
ferme le travail qui lui a été communiqué.
Beaucoup de membres qui ont pris part à la course
géologique et archéologique entrent dans la salle. M. Victor
Simon reprend ses fonctions de secrétaire général, il donne
lecture du procès-verbal de la séance de la veille; ce
procès-verbal est adopté.
M. le président donne ensuite la parole à M. Mau-
d'heux ; mais attendu l'heure avancée, ce membre de-
mande que sa lecture soit remise au lendemaim, vu sur-
tout qu'il désire que les esprits ne soient mi fatigués ni
préoccupés pour, après sa lecture, délibérer sur un vœu
émis par la deuxième section. |
M. le secrétaire de la sixième section fait observer
qu'il n’a pas de procès-verbal à lire, cette section n Poe
pas eu de séance la veille.
SÉANCE DU MARDI 42 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de Vizeneuve-Trans.
À deux heures et demie la séance est ouverte.
35
274 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
M. le secrétaire général lit le procès-verbal de la séance
précédente ; il est adopté.
Messieurs les secrétaires des 17°, 2°, 5° et 5° sections,
lisent les procès-verbaux des séances de la veille. M. le
secrétaire de la quatrième section étant absent, la lecture
de son procès-verbal est ajournée au lendemain. La sixième
section n’a pas eu de séance. M. Boileau, l’un des secré-
taires de cette section, renouvelle l'invitation de M. Mo-
rin, pour que le Congrès assiste aux expériences qui auront
lieu demam, à onze heures, au polygone.
L'ordre du jour appelle la lecture du mémoire de
M. Maud'heux, remise à cette séance. L'auteur entre dans
de vastes considérations sur la position commerciale de
la Lorraine, par rapport à la France et à l'étranger. Au
moyen d’une navigation bien réglée et de chemins de
fer, on pourrait établir des relations fréquentes dans
l'intérieur de la France et au dehors. Il présente des
aperçus sur les moyens de joindre la Moselle à la Saone,
celle-ci au Rhin , et d'établir de grandes communications
avec l'intérieur de la France. En sa qualité de député
de la société d'émulation des Vosges, il a cru devoir
exposer ses pensées au Congrès, étant bien convaincu , à
l'avance, qu’il serait appuyé par les membres qui appar-
tiennent aux départemens des Vosges, de la Meurthe et
de la Moselle. 11 demande que les considérations qu'il
expose soient appuyées par un vœu qui soit communiqué
au ministère ; l’assemblée applaudit aux vues et au talent
de l’auteur. M. Maud'heux est prié, par le bureau, de
rédiger cette proposition.
M. de Dumast est prié de monter à la tribune pour
lire une partie de son mémoire intitulé : Vancy, histoire
et tableau. L'auteur, avant d'entrer en matière, s'exprime
dans les termes suivans :
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 275
Messieurs,
IL semblerait, aux yeux d'un observateur superficiel , que de tous
les lieux de la terre, Metz soit le théâtre le moins convenable pour la
lecture du morceau suivant, qui retrace rapidement, avec fidélité,
mais en général par ses côtés avantageux, le rôle historique d'une
ville dont la gloire et la puissance furent long-temps en opposition
avec la gloire et la puissance messine.
Mais, d'abord, nous parlons devant un auditoire d'élite, trop
judicieux , trop large dans ses idées, pour se laisser préoccuper de
points de vue particuliers. Ensuite, nous avons le bonheur de vivre
à une époque où les anciennes rivalités des provinces se sont dou-
cement transformées en une pacifique émulation, que peuvent accom-
pagner les sentimens les plus affectueux. Enfin , et comme il nous
est impossible de transporter, sans anachronisme , dans les siècles
passés , l'état de chose actuel ; si la vérité de couleur nous obligeait
à laisser paraître quelques traces de l’antagonisme d'autrefois, c'est
peut-être , Messieurs, cet antagonisme même qui nous garantirait le
mieux votre bienveillance. Au premier rang des avantages que ré—
serve aux membres étrangers du Congrès votre gracieuse hospitalité,
il faut assurément placer pour eux la pleine liberté de penser. En les
invitant à un noble tournoi dans ses murailles, voire cité n’a point
voulu leur offrir une faveur soumise à restriction. Dans sa générosité
chevaleresque , Metz leur accorderait, au besoin , jusqu’à la faculté
de l'y combattre.
De nombreux applaudissemens témoignent de la sym-
pathie qui existe dans l'assemblée pour les sages pensées
que l’auteur émet.
M. de Dumast passe ensuite à la lecture de son travail *,
dans lequel il expose quels furent les motifs qui amenè-
rent à fonder la ville de Nancy dans l'emplacement qu'elle
occupe ; son origine n’est m gauloise ni romaine ; elle a
été fondée dans des temps beaucoup moins anciens. Sa
prospérité s'accrut rapidement sous le règne paternel des
ducs de Lorraine. L'auteur entre ensuite dans des con-
- * Voici la question à laquelle répond le mémoire :
€ Rechercher, soit dans les faits, soit dans la nature des choses,
» les causes, jusqu’à présent ignorées, de la naissance de Nancy.
276 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
sidérations dont l'exposé met clairement sous les yeux
des auditeurs les causes qui amenèrent peu à peu cette
ville et la Lorraine à passer en la possession de la France.
L'assemblée applaudit au talent de M. de Dumast, et
comme écrivain et comme historien ; elle regrette vive-
ment que ce travail, qui va être SÉBUE ne puisse être
inséré dans les mémoires du Congrès.
Après cette lecture remarquable, M. le Masson appelle
l'attention sur le vœu émis par la deuxième section, dont
M. Maud'heux est l'organe ; il est rédigé par ce membre
dans les termes suivans :
« Que le projet de la construction d’un canal ou d’un
» chemin de fer du Hâvre à Strasbourg, soit présenté
» aux chambres dans leur prochaine session, et que le
>» projet de jonction de la Moselle à la Saone soit soumis,
» immédiatement , à de nouvelles études, afin qu'il puisse
> être promptement réalisé.
» La seconde section envisage ces deux lignes de com-
»> munications comme indispensables à la prospérité des
» provinces de l’est et comme devant accroître la richesse
» du nord et du midi de la France. »
M. le Masson, en sa qualité d'ingénieur en chef des
ponts et chaussées du département de la Moselle , annonce
que les deux projets demandés seront bientôt soumis aux
chambres.
M. Buvignier expose qu'outre le projet de jonction de
la Moselle à la Saône, il convieudrait qu'il en existât un
pour établir une communication de la Meuse à la Saone.
M. le Masson fait observer qu'il existe un projet de
Relever les principales erreurs accréditées sur le rôle qu'a joue cette
ville , et sur Les époques réelles de son plus ou moins d'importance.
6 VO ÿv
Caractériser , par un résumé de son histoire , les phases successives
> de sa vie, en général peu comprises. »
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 977
chemin de fer de Vitry-le-Français à Gray ; il demande
que le Congrès passe à l’ordre du jour au sujet des pro-
positions de messieurs Maud’heux et Buvignier.
Il est cinq heures, la discussion est remise au lendemain.
SÉANCE DU MERCREDI 13 SEPTEMBRE
Présidence de M. de Vizzeneuve—Trans.
La séance est ouverte à trois heures.
M. le secrétaire général lit le procès-verbal de la veille ;
il est adopté.
MM. les secrétaires lisent les procès-verbaux des séances
qui ont eu lieu la veille dans les différentes sections.
M. Bégin lit le procès-verbal de la cinquième séance
de la quatrième section qu'il n'avait pu lire, vu qu'il était
absent.
M. l'abbé Nicolas, deuxième secrétaire, lit le procès-
verbal d'une seconde séance que la cinquième section a
eue le 12 au soir. Il fait connaître que cette section aura
à l'avenir deux séances par jour, afin de tàcher d'épuiser
ses travaux.
M. le Masson a la parole pour donner des renseigne-
mens sur la proposition de M. Maud'heux, dont la dis-
cussion a été remise à cette séance. Il expose quels sont
les projets du gouvernement pour établir des communi-
cations dans l’est de la France. Des études ayant été faites
par le gouvernement sur le chemin de fer du Hàvre à
Strasbourg, les conseils généraux et les chambres peuvent
seuls agir près de Jui.
Quant à la question de canalisation, il croit qu'il y
aura toujours des localités qui réclameront, et que le
Congrès ne peut avoir pour objet une pareille question ;
il donne des renseignemens sur les études de canalisation
278 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES
demandées qui sont déjà faites au point de pouvoir être
livrées aux compagnies qui demanderaient de les exécuter.
Il demande l’ordre du jour ; il est appuyé.
M. Maud'heux monte à la tribune : il exprime le regret
qu'un membre, qui a pris la parole à la séance précé-
dente, ne l'ait pont compris, lorsqu'il demanda l’établis-
sement du chemin de fer du Hävre. Cette ligne, qui cou-
perait la Meuse et la Moselle, mettrait réellement la Meuse
en communication avec la Saone; d’ailleurs, le litige
n'existe pas entre la Meuse et les Vosges, puisque. les ha-
bitans du département de la Meuse, présens au Congrès,
ont apprécié toute l'utilité de sa demande. Le débat a
lieu seulement entre les arrondissemens de Neufchâteau
et d'Epinal, l'un, ayant la Meuse, l’autre la Moselle. Il
croit que les études ne sont pas encore aussi avancées que
le prétend M. le Masson ; il lit, à l'appui de son opinion,
un extrait d'une séance de la chambre des députés, où il
a été question du projet de loi de chemin de fer entre le
Hâvre et Strasbourg : il croit que les intérêts de la Meuse
ne sont nullement lésés par son premier projet. Il déclare
qu'il ne connaissait pas l'étude du second projet, relatif à
la jonction de la Saone avec la Moselle, quoique membre
d'un conseil d'arrondissement des Vosges; mais il croit
que les lignes indiquées ne sont pas les plus favorables
aux travaux, et que le vœu de la deuxième section pour-
rait être utile à cet égard. Il pense qu'il convient que les
Congrès s'occupent de semblables matières ; 1l cite, pour
exemple, les vœux émis par le Congrès de Caen, et un
entr'autres de la deuxième section, relatif également à une
question de communications.
Plusieurs membres demandent l’ordre du jour, il est
mis aux voix et adopté à la majorité de 57 membres
contre 2.
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 279
M. de Caumont, vice- président, invite messieurs les
présidens et secrétaires des sections à se réunir aujourd’ hui
à sept heures et demie, pour discuter sur le choix de la
localité du prochain Cest
M. le président annonce que la clôture de la session
aura lieu vendredi prochain 15 du courant, après la séance
générale.
M. Boileau demande la parole pour soumettre au Con-
grès une proposition rédigée en ces termes :
« 1° Que toutes les académies et sociétés savantes ou
» littéraires des départemens, envoient à leurs frais, s'il
» est nécessaire, ou aux frais des villes, aux Congrès
» scientifiques futurs, un représentant des connaissances
» qui recoivent le plus grand développement dans cha-
» cune de ces sociétés.
» 20 Que ces délégués soient porteurs d’une statistique
>» des travaux de leurs sociétés respectives et de l’état in-
» tellectuel des sociétés où 1ls siégent. |
» 5° Que leur choix soit uniquement basé sur leur
» science, sur l'estime qu'ils inspirent et sur les travaux
» peisonnels qu’ils pourront apporter au Congrès. »
Cette proposition est appuyée, mise aux voix et adoptée
à l'unanimité.
M. Didion a la parole pour la lecture d’un mémoire
relatif à une des questions du programme, dans lequel
il traite des aérostats en général et des difficultés qu'offre
le perfectionnement de ce mode de transport.
M. de Dumas lit, pour M. Kœnig, qui est indisposé,
une pièce de vers, dont la cinquième section a demandé
la lecture en séance générale. La société applaudit au
talent du jeune poète.
M. Périn lit, pour M. d'Huart absent, une notice sur
le Ring, vaste enceinte presque circulaire, composée de
280 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
pierres amoncelées autour du sommet d'une montagne,
située près du village de Nonnweiïler, à sept lieues de
Trèves et neuf lieues de Sarrelouis.
M. de Caumont expose qu'il serait bon que M. le se-
crétaire général du Congrès fit connaître, par une cir-
culaire, avant le mois de janvier prochain, à toutes les
sociétés savantes, la proposition de M. Boileau, afin
qu'elles pussent, à l’avance, prendre toutes leurs dispo-
sitions pour la session suivante. Cette proposition est mise
aux voix et adoptée.
M. Morin demande la parole pour donner connaissance
de quelques opérations relatives aux moteurs hydrauli-
ques ; il expose que la Moselle peut représenter à Metz
une force de 400 chevaux, qu'elle l’utilisait seulement
avec quinze moulins d’une force de 60 chevaux. Un
emploi utile serait de donner à la ville de l’eau dont elle
manque. Ce besoin est senti généralement, 1l serait facile
de donner à Metz de l'eau claire au moyen de filtres sem-
blables à ceux adoptés pour l'hôtel Dieu de Paris.
Un des moteurs les plus remarquables seraient les tur-
bines de M. Fourneyron ; ce moteur utilise 70 à 78 cen-
tièmes de la force transmise. Il en existe deux dans les
Vosges ; celle de Senones donne 240 à 250 tours par mi-
nute. Ce moteur peut marcher submergé ; 1l serait à Metz
d'une grande utilité, vu que la Moselle a quelquefois des
crues considérables. Lors même qu'il est inondé, il rend
70 pour 100 ; il tient très-peu de place, les turbines ont
en outre la propriété de transmettre une grande vitesse.
On est sur le point d'établir dans la Forêt-Noire une tur-
bine qui aura 55 centimètres de diamètre ; elle sera mue
par une chute d’eau de 100 pieds ; elle donnera une force
de 80 chevaux.
Il est près de cinq heures, la séance est levée.
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 284
SÉANCE DU JEUDI 14 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de ViczenEuve-Trans.
La séance est ouverte à trois heures.
M. le secrétaire général donne lecture du procès-verbal
de la séance de la veille; il est adopté.
MM. les secrétaires lisent les procès-verbaux des séances
qui ont eu lieu dans les sections.
Des vœux sont proposés au Congrès par les cinquième
et sixième sections ; ils vont lui être soumis.
M. de Caumont a la parole. Il expose les résultats de
la séance de la commission permanente qui a eu lieu la
veille. Plusieurs villes ont été indiquées pour lieu de réu-
mon du Congrès, notamment Strasbourg, Dijon, Besancon
et Clermont-Ferrand. Les trois premières n’ont pas de
représentans , la quatrième, au contraire, demande cette
faveur avec instance. Des lettres ont été adressées par
M. le maire de Clermont , par M. le comte de Montlosier,
président de l’académie de cette ville, et par MM. Lecoq
et Bouillet.
IL soumet au Congrès l'arrêté rédigé par la commission
centrale, pour la tenue du prochain Congrès, et la pu-
blication du compte rendu des travaux de la cinquième
section. Il est conçu en ces termes :
Art. 1%. La sixième session du Congrès scientifique de
France s'ouvrira à Clermont, département du Puy-de-
Dôme, dans la première quinzaine du mois de septembre
1858.
Art. 2. Le Congrès sera divisé en six sections qui por-
teront, comme à la cinquième session , les dénominations
suivantes :
1° Sciences naturelles.
36
2892 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
2° Agriculture, industrie et commerce.
3° Sciences médicales.
4° Archéologie et histoire.
5° Littérature et beaux-arts.
6° Sciences physiques et mathématiques.
Art. 3. Sous aucun prétexte, il ne pourra être apporté
de changemens à ces divisions.
Art. 4. M. Le Coq, professeur d'histoire naturelle à
Clermont, est chargé de remplir les fonctions de secré-
taire général de la sixième session, en s’adjoignant M.
Bouillet, inspecteur des monumens historiques du dé-
partement du Puy-de-Dôme.
Art. 5. La convocation pour le prochain Congrès sera
faite au moyen d'une circulaire écrite par le secrétaire
de la sixième session. Cette circulaire sera adressée di-
rectement, par M. Le Coq, aux savans du centre et du
midi de la France, où le Congrès ne s'est point encore
assemblé.
Dans le reste du royaume, elle sera envoyée par l'in-
termédiaire des secrétaires généraux des précédentes
sessions, Savoir : =
Par M. de Caumont, dans les départemens de la Seine,
de Seine-et-Qise, de l'Oise, de Seine-et-Marne, de la
Somme, de la Seine-nférieure , de l'Eure, du Calvados,
de l'Orne, de la Manche, d'Ille-et Vilame , des Côtes-du-
Nord, du Finistère, du Morbihan, de la Loire-Inférieure,
les îles de Jersey ;
Par M. de la Fontenelle, dans les départemens de la
Vendée, de la Charente-Inférieure , des Deux-Sèvres, de
la Vienne, de la Charente, de Maine-et-Loire ;
Par M. de la Saussaye, dans ceux de Loir-et-Cher, de
la Sarthe, de l’Eure-et-Loir, du Loiret, d’Indre-et-Cher,
d'Indre-et-Loire, de la Nièvre ;
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 283
Par M. de Givenchy, dans ceux du Pas-de-Calais, du
Nord, de l'Aisne, des Ardennes et de la Belgique ;
Par M. Victor Simon, ceux de la Moselle, de la Meuse,
de la Meurthe, des Vosges, de la Haute-Marne, de la
Haute-Saône, de la Côte-d'Or, de l'Aube, du Doubs, des
Haut et Bas-Rhin, et dans la Prusse rhénane.
Art. 6. Les commissaires ci-dessus désignés ne pourront
envoyer aucune invitation hors la circonscription attribuée
à chacun d'eux.
Art. 7. Nul ne pourra être admis à se faire inscrire au
nombre des membres de la sixième session, s’il n’est por-
teur de sa lettre de convocation.
Art. 8. M. le secrétaire général du Congrès de 1857,
s'occupera immédiatement de la publication du compte
rendu de ce Congrès, de concert avec MM. les présidens
et secrétaires des sections , en résidence à Metz, qui for-
meront avec lui le comité de publication. Le volume sera
tiré à 1000 exemplaires. .
Art. 9. Cette commission est chargée de revoir les mé-
moires lus dans les séances ; elle choisira ceux qui lui
paraîtront les plus importans , et pourra n'imprimer que
par extrait ou supprimer tout-à-fait si elle le ; juge cor
venable , les mémoires présentés pendant la session, lors
même que l'impression en aurait été demandée par une
section, ou que la lecture en aurait été faite en séance
générale.
Art. 10. La même commission présidera à la distribu-
tion du compte rendu, dont 100 exemplaires au moins
et 150 exemplaires au plus, seront adressés, au nom du
Congrès, aux académies et sociétés savantes de France.
La commission prononcera sur toutes les difficultés qui
pourraient s'élever ultérieurement ; elle donnera au secré-
tare général chargé des AUS de la sixième session,
9284 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
tous les renseignemens qu'il pourra réclamer, en un mot,
elle sera mvestie des mêmes attributions que le Congrès
qu'elle représentera jusqu'à la publication du compte
rendu de la cmquième session.
Cet arrêté est mis aux voix, et la société l’adopte dans
son entier. Deux copies de ce programme seront envoyées
l'une à M. le maire de la ville de Clermont, l’autre à
M. Lecoq, secrétaire général.
M. Lejoindre lit en son nom et en celui de M. le Masson,
un mémoire relatif au perfectionnement de la navigation
de la Moselle. Cette lecture est suivie d’applaudissemens
qui sont un juste hommage rendu à ces deux savans
ingénieurs.
Le mème membre dépose sur le bureau un vœu concu
en ces termes :
« Le Congrès appelle l'attention des physiciens et des
» ingénieurs sur ce fait, que le cours des rivières à lits
» affouillables se trouve divisé naturellement et d’une
» manière à peu près permanente en parties profondes ou
» biefs consécutifs d’une certaine étendue, séparées par
» des bancs de graviers ou hauts fonds d’une étendue
> beaucoup moindre et au-dessus desquels la hauteur
» d’eau est très-faible par rapport à celle des biefs con-
>» tigus.
» Rechercher les causes naturelles de cette division,
» celles de la permanence des emplacemens des hauts
» fonds et les rapports qui peuvent exister entre ces em-
» placemens et la position des anses ou érosions alter-
.» natives de l’une et l’autre berges de la rivière. »
Le Congrès s'associe à ces vues d'utilité publique par
un vote unanime,
M. le président donne lecture du vœu émis par la
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 285
cinquième section ; il est rédigé dans les termes suivans :
« Que le temps qui est consommé à l'étude du latin
» et du grec soit considérablement réduit non par l’a-
» bandon partiel de ces langues , mais au moyen de meil-
‘> leures méthodes.
» Que dans le plan des études secondaires soit compris :
>» 1° L'étude réelle de celles des langues modernes qui
» offrent le double avantage de posséder une littérature
» riche et de faciliter nos relations avec des nations voi-
» Ssincs. |
» 2% Des notions élémentaires des diverses sciences,
» en plaçant, en premier ordre, celles dont la connais-
» sance nous est utile, soit pour nos intérêts particubers,
» soit pour rendre service à nos semblables. »
Cette section demande que cette question soit examinée
de nouveau au prochain Congrès, relativement aux détails
d'application , et que, dans l'intervalle , elle soit étudiée
d'une manière plus approfondie, afin qu'elle puisse être
résolue plus complètement.
Enfin, elle émet le vœu « que le gouvernement, par
» des dispositions plus ou moins analogues à celles que
» fournit la législation anglaise , mette les enfans des fabri-
« ques en situation de recevoir le genre d'éducation dont
>» ils ont besoin. »
Ces vœux sont adoptés.
M. Morin monte à la tribune et lit un mémoire sur
un dynamomètre qu'il a perfectionné ; il en donne la des-
criphon et indique les avantages qu’il présente. Il s'excuse
d'avoir plusieurs fois occupé l'assemblée de choses très-
sérieuses ; mais l’homme qui se livre tout entier à l'étude
se sent invinciblement entraîné ; l'amour de la science
lui fait voir le doigt de Dieu. Des applaudissemens una-
nimes mamifestent à M. Morin combien toute l'assemblée
286 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
attache de prix aux diverses communications qu'il a bien
voulu lui faire.
Le même membre demande la permission de traduire
une note que M. Withwel lui a remise, et qui a pour
objet de fure connaître l'invention d’un télégraphe gal-
vano-électrique.
Cette invention , infiniment supérieure à tout ce qui est
connu, peut donner le moyen de communiquer instanta-
nément à une centaine, à un millier de lieues. Il a l’avan-
tage de pouvoir entretenir la correspondance en tout
temps ; au moyen de notes, on aurait un vocabulaire
déterminé ; ces notes seraient transmises au moyen d'un
clavier semblable à celui d'un petit piano. Dans ce télé-
graphe , une légère pression donne l'indication au corres-
pondent et à l'écrivain ; les signes se dessinent sur une
tablette où l'aiguille les trace comme le serait de la mu-
sique devant le piano. On peut employer plusieurs aï-
guilles qui, par des combinaisons binaires et ternaires,
donneront un vocabulaire très-riche. Comme les com-
munications ne seraient pas continuelles et qu’on aurait
à craindre que l'opérateur ne s’endormit, il s'y trouve
jont un réveil égal à une petite cloche ou grosse horloge,
qui communique aux deux points, et donne l'assurance
que le correspondant porte attention. Les difficultés ont
donc été surmontées. Cet instrument, une fois établi,
surpassera tout ce que l’on aurait pu imaginer. Le vent
sera un paresseux messager en comparaison de la célérité
de cet instrument.
M. le président prie M. Morin d'être l'organe du Con-
grès près de M. Withwel , et de le remercier d'une si mté-
ressante communication à laquelle tout le Congrès ap-
plaudit.
M. de Romécourt s'étonne que l’on n'ait pas reçu
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 287
communication d’une invention aussi intéressante , par la
société royale de Londres ou par le gouvernement anglais.
M. Morin répond que les expériences ont été faites, et
que la découverte est du plus haut intérêt.
M. Stoffels Lit un mémoire sur le principe de la science.
M. Blanc lit une pièce de vers intitulée Une Nuit.
L'assemblée témoigne le vif intérêt qu’elle a pris à ces
deux communications.
M. le président met aux voix un vœu émis par la troi-
sième section, tendant à obtenir des dispositions régle-
mentaires sur la vaccine ; il est adopté à l’unanimité.
La séance est levée à cinq heures et demie.
SÉANCE GÉNÉRALE DU VENDREDI 15 SEPTEMBRE.
Présidence de M. de VizreNEuvEe-TraNs.
La séance est ouverte à trois heures.
M. le secrétaire général lit le procès-verbal de la
séance de la veille ; il est adopté.
Messieurs les secrétaires lisent les procès-verbaux des
séances de leur section.
M. Morin lit le procès-verbal de la sixième section
en remplacement de M. Boileau empêché. M. le secré-
taire de la quatrième section expose que celle-ci l'a chargé
d'exprimer à MM. les présidens et vice-présidens leurs
remerciemens pour la manière pleine d'urbanité et de
convenances dont ils ont dirigé les séances générales.
M. le président donne communication du vœu émis
par la première section, ayant pour but d'engager les
naturalistes des départemens de l’est à se concerter pour
former des catalogues de ce que l’on trouve dans les
contrées qu'ils habitent.
Ce vœu est adopté unanimement.
288 . ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
M. le secrétaire général communique une liste d’ou-
vrages offerts au Congrès. Il donne ensuite lecture du
procès-verbal de la course géologique et archéologique qui
a eu lieu le 11 septembre ; en voici le résumé. Le nombre
des membres qui y prirent part était de 40, Le départ
eut lieu à cinq heures et demie du matin. Cette société
se dirigea sur Jouy, où elle visita les restes des arches de
l'aqueduc qui conduisait à Metz, les eaux du ruisseau de
Gorze. Elle apprit avec plaisir que les restes de ce grand
monument sont placés actuellement sous le double pro-
tectorat du gouvernement et du département. De ce point,
elle s'achemina vers le sommet du coteau de Châtel-Sant-
Blaise. M. Victor Simon fait remarquer que la base de
cette localité est de lias et la partie supérieure de cal-
caire à Pecten lens, subdivision appartenant à l’oolithe
inférieure. La société examina sur sa cime les restes d’un
ancien château fort lorrain.
Après un repos de quelques instans, durant lequel la
société se plut à admirer les effets d’un brouillard. qui lui
dérobait la vue des vallées de la Seille et de la Moselle , on
s'achemina vers cette dernière rivière ; plusieurs membres
se détachèrent pour aller voir des amas puissans de cal-
caire à polypiers descendu des sommités, où autrefois
ils recouvraient le calcaire à Pecten lens. On traversa
la Moselle, sur le pont suspendu, nouvellement étabh
vis-à-vis Novéant, on suivit, depuis ce village jusqu'à
Gorze , un joli vallon arrosé par les eaux qui alimen-
taient autrefois l’aqueduc. Les environs de Gorze in-
téressaient les naturalistes et les archéologues sous plu-
sieurs rapports. Le château de l’ancien abbé de Gorze
fut visité le premier; on vit avec regret que les sculp-
tures intéressantes qu'il renferme ne sont nullement
entretenues , de là on se rendit successivement à la roche
nn - ”
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 289
dite Pucelle que M. Bégin avait signalée comme ayant
pu servir au culte des Druides ; aux Bouillons, qui sont
la source principale du ruisseau de Gorze; à l'entrée
des-eaux de ce ruisseau dans la partie de l'aqueduc qui
est établie sous le moulin et qui se continue sous les
maisons qui longent leur cours , et enfin à la belle fon-
ane de Parfond-Val, qui est presqu’aussi abondante que
les sources des Bouillons.
La société ne quitta pas sans regrets ces lieux si poétiques
pour gagner les hauteurs d’Ancy. Elle s'arrêta quelques
instans à côté d’un monument élevé à la mémoire de
saint Clément, à côté d'une pierre où, selon la tradition,
ce saint s'agenouilla pour invoquer la puissance divine
sur la ville de Metz , dont 1l fut le premier évêque. Les
personnes qui n'avaient pas encore joui du coup d'œil ra-
vissant que la vallée de la Moselle présente de ce point ne
pouvaient s’arracher à ce site s1 plein d’mtérêt ; mais 1l fal-
lait se rendre à la séance générale et l'on s'empressa de
regagner Metz, après s'être arrêté un instant pour exa-
miner les arches de l’aqueduc qui existent sur la rive
droite de la Moselle, entre les villages d'Ars et d’Ancy.
M. l'abbé Chaussier donne lecture d'un mémoire sur
la température intérieure de la terre.
M. Durutte lit un rapport sur l'état de la musique
à Metz depuis Charlemagne jusqu’à nos jours.
Ces deux communications sont entendues avec beau-
coup d'intérêt.
M. de Dumast a la parole pour une lecture de frag-
mens de son essai de traduction de psaumes en vers. Il
s'exprime en ces termes :
< Messieurs,
< C'est pour l'ordinaire , il faut l'avouer, une tâche fatigante et
stérile que celle’ des traductions en vers : insignifiante et justement
37
290 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
dédaignée, si elle se borne à des eflorts médiocres; laborieuse au
dernier excés, si l’on veut la remplir en conscience ; presque inutile
la plupart du temps, et dont les résultats, même les plus estimables,
ne méritent communément pas la peine immense qu'ils ont coutée.
Ou le public, en effet, ne désire connaître que le sens d’un poème :
dans ce cas, il lui suffit d’une version en prose; ou bien il veut en
savourer les beautés: alors ce qu'il préfère est de les aller chercher
dans l'original.
> S'il y avait quelque chance probable d'exceptions à cette règle
si décourageante , ce serait pour des dithyrambes qui , par leur vigueur
et leur pompe , semblent exiger impérieusement le langage rythmique ,
et dont pourtant le texte primitif est dificile , obscur , contesté même ,
en sorte que sa lecture demeure le partage de trop peu de lecteurs
privilégiés. Ce serait pour des chants animés, qui ont plus de fond
que de forme, et dont la supériorité consiste dans les sentimens ,
les pensées et les images, plutôt que dans la cadence et la mélodie
des paroles. — Un écrivain chez qui la perfection du style est le
mérite principal, perd tout à sortir de sa langue; et voilà pourquoi,
par exemple, de l’inimitable Virgile, on n’a pu faire, avec beaucoup
de talent, que des traductions assez päles. 11 n'en est pas ainsi des
auteurs orientaux, chez qui l'écorce, en général plus négligée, tient
faiblement à la substance même, et dont les mots, liés ayec moins
d'art, peuvent, pour peu qu'on soit habile, être remplacés par ceux
d’un autre peuple, sans que ce changement d'idiôme fasse périr la
poésie de la phrase.
> De telles réflexions semblent s'appliquer surtout aux cassidés ,
aux célas des arabes , et aux mizmors des hébreux. Quant aux pre-
miers, cependant, c’est-à-dire aux productions du génie arabe,
l'homme qui veut les traduire en vers, y rencontre, dans l'extrême
incohérence des idées, dans leur manque total de suite, un genre
d'obstacle presque invincible. A cet égard , il faudrait pouvoir entrer ,
comme nous l'avons fait une fois devant l'académie de Nancy, dans
quelques détails, assez curieux peut-être, mais que nous interdit la
nécessité d’être court. Pour les seconds , c’est-à-dire pour les cantiques
ou psaumes des Hébreux, il est possible, selon nous, quoique très—
difficile, de les faire passer avec succès dans notre langue poétique.
Avec succès, nous entendons par là , d’une manière naturelle, correcte,
et cependant fidèle; d'une manière qui n’ait rien d’étrange, quoi-
u’en gardant la couleur étrangère ; d'une manière qui, sans jamais
tomber dans le bizarre, à plus forte raison dans le baroque, laisse
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 291
apercevoir les allures orientales , et marche appuyée sur une exactitude
sinon absolue, du moins habituellement égale à celle qu’on a coutunte
d'apporter dans les traductions versifiées des auteurs grecs et launs.
» Eh bien, messieurs (sans vouloir ici jeter, sur des poésies mo-
dernes , les unes brillantes, les autres recommandables , un blâme
injuste, et qui surtout nous siérait personnellement fort peu), ce
problème n'a pas encore été résolu en France , disons plus: il n'a
pas encore été sérieusement abordé. Ce que nous connaissons de mieux ,
en fait de tentatives approchantes, quelque beau qu’on puisse le
trouver comme ouvrage, nous semble d'une insuffisance extrême
comme miroir ou reproduction ; car tout y fourmille d’anachronismes ,
dans les termes et les pensées. En général, on y a fait abstraction
de l'individualité de David : homme de chair et d'os, cependant;
personnage simple , antique ; pareil sous une foule de rapports aux héros.
d’Homère ; prince qui fut la figure du Messie, mais non pas le Messie
lui-même, et à qui l’on prête partout fort mal à propos, un langage
- clairement chrétien ; postérieur de mille ans à son époque ; un langage
qu'il a tenu quelquefois, j'en conviens , mais rarement , par intervalles,
et dans des passages célèbres, pleins de l'esprit de l'avenir. — Certes,
messieurs , il y a eu d’admirables vers composés sur les psaumes ou
à leur occasion ; mais David, le pasteur , le guerrier, le roi, l'élu
souvent encore terrestre, le héros tour à tour fort et faible, tantôt
prophète et tantôt simple chantre, mais David le poëte et l’homme
réel, n'a pas encore été traduit.
‘Il est pénible d’avoir à émettre une opinion qui peut sembler pa-
radoxale , ou tout au moins un peu tranchante ; etcependant , messieurs,
elle n'offre cette apparence que fauie de développemens. Si le temps
nous permettait de vous soumettre un examen approfondi de la questiou,
vous verriez, de vos yeux, à quel point on s’est écarté en ceci de
la vérité de costume , et combien on fait parler à faux le successeur
de Saül, le père de Salomon. Il nè nous serait malheureusement pas
possible d'excepter de ce grave défaut un de nos meilleurs elassiques ,
Jean-Baptiste Rousseau, chez qui nous aurions à vous montrer mille
expressions, mille détails de style, qui, placés dans la bouche et
d’un israélite et d'un contemporain des Ajax , forment ,+ soit quant
au pays, soit quant au siècle, d’impardonnables contre-sens. Jusqu'à
présent un seul poëte , messieurs , a su faire enténdre en bon français
des accents justes de bon hébreu; et cet homme qui, pour n'avoir
fait que des chœurs et non pas des odes, ne doit pas moins étre
appelé le prince de nos lyriques, cet homme c’est celui devant lequel
999 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
il faut se courber d’autant plus bas qu'on a étudié et compris davan-
tage; vous le nommez avec moi, c'est JEAN RACINE. S'il avait voulu
traduire les psaumes, tout serait dit; rien ne nous resterait à faire.
> Messieurs, la franchise sans réserve que nous venons de mettre
à signaler les défauts de nos prédécesseurs , même les plus illustres,
serait de notre part un bien mauvais calcul, si le calcul y était entré
pour quelque chose; car c’est vous avoir engagés, dans le cas où
nous oserions vous faire entendre de nos vers, à les juger avec plus
de sévérité. Il faut, cependant que, par trois échantillons, de ca—
ractéres differents, pris l’un dans le genre pieux ou solemnel, l’autre
dans le genre brusque ou militaire, le dernier dans le genre tendre
et gracieux, nous cherchiors à vous faire sentir notre manière de
concevoir une traduction de David, et la nature des essais qui nous
paraissent devoir être tentés pour joindre‘aux exigences de la langue
et de la raison française, un degré de fidélité orientale réputé à
tort impraticable. Nos justes appréhensions, nos craintes trop bien
fondées, doivent céder ici à un intérêt plus grand, à celui de l’art
et de la vérité. Puisque nous y avons immolé , quoiqu’à regret, la
gloire d'autrui, à plus forte raison devons-nous y faire le sacrifice
entier de notre amour-propre. »
Élevant alors la voix, M. de Dumast à lu , pour exemple
du premier genre, le 7 decet, Deus, hymnus in Sion ;
du second, le psaume Éxaudiat, et du dernier, le Dominus
regit me. Voici, faute de place , le premier seulement de
ces morceaux ; quoique le moins littéral des trois.
PSAUME Ze decet hymnus *.
Ils vous sont dus, seigneur , les hymnes de victoire,
Les chants sacrés d’amour et d’admiration.
C'est à vous d’agréer, du seuil de votre gloire,
L'hommage qu'israël vous offre dans Sion.
Oh! recevez ma prière fervente,
Avant le jour de deuil et d'épouvante
* Les psaumes de M. de "Dumast ne sont exclusivement composés ni sur le texte hébreux
actuel, ni sur les Septante, la Vulgate ou aucune autre version antique, adoptée par lui
comme indice de l’état du texte au siècle où les interprètes ont écrit; mais sur un mot-
æiwot latin qu'il rédige lui-même, par voie de recherçhes électiques, et qu'il se propose
de publier en regard de sa traduction en vers.
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 993
Où devant vous toute chair paraîtra !
De nos forfaits contre nous la voix tonne;
Mais l'éternel est un roi qui pardonne,
Et sur Jacob sa bonté s’étendra.
Heureux celui, mon Dieu, qui, choisi par vous-même,
De votre sanctuaire habite les parvis,
Et, dans votre maison, comblé des biens qu'il aime,
Voit l'équité d'en haut charmer ses yeux ravis !
Heureux qui suit vos volontés certaines ,
O vous, l'espoir des peuplades lointaines
Qu'ignore encor la nef des matelots ;
O vous, de qui la force calme et pure,
Des nations comprime le murmure,
Comme des mers elle appaise les flots!
Un temps, un temps viendra, qu’au bruit de vos merveilles
Des peuples inconnus tomberont à genoux,
Et, fiers de partager vos bontés sans pareilles,
De l'aurore au couchant vous priront avec nous.
En tous climats , jusqu’aux bornes du monde,
Vous aurez fait couler l’urne féconde
De ces faveurs qui descendent des cieux ;
Et votre pluie, en visitant la terre,
Aura gonflé le froment salutaire
Qui lui prépare un pain délicieux.
Enivrez ses sillons , multipliez ses gerbes,
De son sein réjoui fécondez les trésors.
Déjà je vois au loin, roulant des flots superbes,
Votre fleuve en tous lieux se répandre à pleins bords.
Vous bénissez le cercle de l’année,
Qui, par vos dons, fertile et couronnée,
Du désert même a vu fleurir les champs.
Mille troupeaux y paissent la verdure ;
Votre nom règne, et toate la nature
Joint son hommage et sa voix à nos chants.
994 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
Gloire au père immortel *, au fils, dont la clémence
A du pécheur contrit surpassé l’humble vœu ;
À l'esprit, qui, partout soufflant un zèle immense,
Vaincra le monde entier par des langues de feu ;
A la triade unique et souveraine,
Qui, des vieux temps faisant rouler la chaine,
Daigna créer notre univers si beau,
Et dont l'éclat, qui ne connait point d'ombre,
Resplendira , FEU les siècles sans nombre,
Au front des Saints échappés du tombeau!
L'assemblée manifeste par de vifs applaudissemens son
admiration pour cette partie de traduction dans laquelle
on retrouve tout le beau de l'original.
M. de Caumont a ensuite la Val et s'exprime en
ces termes.
LA
VIT RUE UN NV
« Les membres du Congrès scientifique de France,
étrangers au département de la Moselle, m'ont chargé
de remercier les habitans de Metz de l’obligeant ac-
cueil , de l’aimable hospitalité qu'ils en ont recu et du
généreux concours qu'ils ont bien voulu prêter à la
consolidation de l'institution du Congrès.
» Nous n'oublierons jamais le temps heureux passé dans
les murs de cette cité, et pour que le souvenir d’une
si belle réunion survive à ceux qui ont eu le bonheur
d'en jouir, nous prions nos honorables confrères de la
ville de Metz, d'accepter cette médaille, et de la con-
server dans leurs archives comme un monument de l’u-
nion et du zèle éclairé qui a constamment animé cette
année les membres du Congrès scientifique de France. »
M. le Masson, en sa qualité de vice-président et habi-
* À la suite de chaque psaume, et quoique n’y appartenant pas, se trouve ajoutée,
dans le rythme du morceau, la doxologie ordinaire de l'Eglise ou ce qu’on appelle commu-
némentle Gloria. Cette addition appartenant à des idées d’uué autre époque que les hymnes
davidiques; on est maître de la supprimer à la lecture.
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 295
tant de la ville de Metz, remercie messieurs les membres
du Congrès au nom des membres de cette société qui ap-
partiennent à cette ville.
M. de Villeneuve prononce le discours de clôture sui-
vant :
Messreurs ,
& Unir plus intimement entr’elles la plupart des nom-
breuses sociétés savantes répandues sur les divers points
du royaume; compléter l’ensemble qui a pu leur man-
quer jusqu'à ce jour; exciter le zèle, l'émulation, au
sein des localités demeurées étrangères au vaste mouve-
ment intellectuel qui se développe en France comme en
Europe; combattre le vieux préjugé que, hors la capi-
tale, dont nous proeclamons néanmoins la suprématie ,
tout est frappé d'ignorance, de stérilité ou d'inertie ; s’af-
franchir collectivement du monopole et de la tutelle qu’elle
prétend s’arroger sur les provinces, tandis qu'elle leur
doit les plus brillans fleurons de sa triple couronne scien-
üfique, littéraire et artistique; faire enfin un appel à
toutes les spécialités du pays, telle est, vous ne l'ignorez
point, la pensée dominante qui à présidé à la formation
des Congrès scientifiques de France.
» Victorieux après quatre épreuves successives ; presque
revêtus de la sanction du temps, leur importance relative,
leur utilité générale , seraient-elles encore un problème ?
>» Votre adhésion, votre présence, semblent en avoir
donné la solution.
» En eflet, méconnaître l'influence qu'ils peuvent exer-
cer, serait mettre en question si l’union des forces n’ac-
croît pas leur. intensité ; si les relations qu'elle’établit ou
® facilite, n'augmentent pas sensiblement le ressort indivi-
296 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
duel des esprits ; ce serait presque dénier le besoin qu’é-
prouve l’homme de se communiquer à ses semblables.
» Il y a plus encore. « Si l’étude dans les livres est,
comme dit Montaigne, un mouvement languissant et faible
qui n’échaufle point, la conférence apprend et exerce en
un coup. »
» Or, dans ces champs clos où l’on combat à armes
courtoises, quoique souvent à outrance ; où tous se mê-
lent sans se confondre, l'esprit s’éclaire, le goût s’épure,
la mémoire s'enrichit ou se ravive, et la supériorité, la
haute puissance de la raison et du savoir parviennent tou-
jours à se faire pardonner, puisqu'elles tournent au profit
de tous; sorte de pas d'armes littéraires, de tournois in-
tellectuels, où toutes les idées généreuses se font jour,
honorés comme jadis de la présence des dames, dont la
gracieuse assiduité, les applaudissemens surtout, perpé-
tuent la tradition des doulces emprises qu’elles octroyotent
aux mieulx jouxtart. Pacifique institution appelée à ne
produire que d'heureux fruits... Vaste chaîne dont cha-
que anneau peut amener une découverte, un perfection-
nement, quelquefois un bienfait.
> Ne pouvant même effleurer un sujet qui eût exigé de
sérieuses méditations auxquelles 1l m'a été interdit de me
livrer, et un loisir qui m'est refusé (ayant été loin de
prévoir l'honneur que vous me destiniez), je ne passerai
pas , toutefois sous silence, un des résultats précieux que
me semblent devoir atteindre les Congrès scientifiques,
si, comme nous en avons l'intime conviction, ils pour-
suivent leur féconde carrière.
» Je veux parler de l'adoption simultanée par les hom-
mes laborieux et spéciaux, d’un plan uniforme pour les
statistiques provinciales , d’après le système dont nous a
exposé l'analyse, notre confrère M. de Caumont. Au sa-
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 297
vant qui a pris l'initiative dans la question de l’oppor-
tunité des Congrès, appartenait le droit de donner le pré-
cepte et l'exemple, ce qu'il a accompli avec bonheur,
en achevant l'exploration d'une portion de la Normandie.
> Que cet exemple soit swivi sur les mêmes bases dans
le même ordre, avec la même méthode, dans les pro-
vinces où siégeront les Congrès scientifiques, et avant
vingt ans, nous pouvons le prédire, nul doute que la
France ne soit dotée, non-seulement de tous les élémens
nécessaires pour la formation d’une statistique complète,
raisonnée, consciencieuse , de sa topographie, de son sol $
de ses ressources , de son industrie, de son commerce,
du véritable état de la science, mais encore de son his-
toire monumentale , et de l’ensemble de tous ses souve-
nirs nationaux.
> Et comme tout se lie, comme tout s'enchaine dans
la vraie science ; que rien ne peut lui demeurer étranger
ou indifférent, ce vaste cadre comprendrait également les
projets d'utilité générale ou locale ; exprimerait les vœux,
les besoins du pays; présenterait les catalogues des bi-
bliothèques et des archives où gisent tant de précieux
manuscrits, de chroniques, de chartes; il indiquerait
tout ce qui ressort du domaine de l'archéologie ; il re-
produirait même les traditions orales, les légendes , jus-
qu'aux chants naïf et leurs paroles incomplètes en patois
du pays.
» Dès-lors, la science, « cette douce compagne des
> voyages, > loin de marcher souvent en aveugle, se
montrerait à la fois en conquérante et en conservatrice.
Elle s'enrichirait en donnant, elle arracherait à la rouille
des âges tout ce qu'elle menace d'anéantir, et elle n’au-
rait plus besoin d'efforts multpliés pour faire comprendre
aux populations averties , que le respect porté aux débris
38
298 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
des vieux siécles, aux reliques d’une gloire où d'une
puissance évanouies, doit nécessairement s’allier avec Ja
vénération inspirée par les monumens de la foi.
» Dès-lors aussi s'acheverait (et ce serait une belle des-
tinée à accomplir) l’histoire.générale de la France, tou-
jours demandée, jamais obtenue, travail colossal , impos-
sible sans le concours des Congrès, facile avec eux, car
ils en auront fait germer partout, sur leur passage, la
semence féconde.
» Honneur done aux hommes de science et de cœur,
de talent et de volonté, qui se mettront à l'œuvre natio-
nale, et auxquels on n’a pas besoin de rappeler, que la
persévérance est comme une seconde foi; elle transpor-
terait des montagnes.
> Ils la possédaient ces savans bénédictins , édification
du cloître, flambeaux de l'histoire, dont, il faut bien
l'avouer malgré l’orgueil dédaigneux du siècle, nous ne
sommes, sous plus d’un point, que la monnaie, sil est
permis de le dire, et au milieu desquels, malgré de
nombreuses erreurs signalées, brillera toujours le gigan-
tesque dom Calmet, que tout rappelle en Lorraine, en-
tourés que nous sommes du fruit de ses veilles et de ses
prodigieux travaux. .
» Marchant vers le même but : découvrir et conserver ;
tous héritiers des vœux du célèbre abbé de Senones, et
quelques-uns de son savoir, les laborieux coopérateurs
des derniers Congrès ont vu leurs efforts couronnés d’un
entier succès.
>» Le cinquième serait-il demeuré en arrière ? aurait-il
marché dans une ligne décroissante ? serait1l même mort-
né, ainsi qu’on l'avait prédit ? aurions-nous été destinés à
assister à ses obsèques ?
> Ici les faits seuls doivent parler. Je ne connais pas
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 299
de réponse plus logique, plus péremptoire, car s'adressant
également à la bonne comme à la mauvaise foi, elle n’a
nul besoin des artifices de la phraséologie.
> J'aurais donc voulu vous présenter un tableau rapide,
mais fidèle, des travaux si variés qui ont rempli l'espace
accordé à nos séances ; vous donner l'analyse de la foule
de mémoires remarquables et lumineux, envoyés de toutes
parts : des brillans morceaux historiques, de littérature ou
de haute philosophie ; des dissertations curieuses sur l’état
des arts dans le pays Messin ; indiquer la solution d’une
grande partie des questions proposées; vous retracer ces
expériences si curieuses, si neuves, qui ont répandu tant
d'intérêt sur les séances générales et particulières : re-
produire les discussions animées, savantes, chaleureuses,
qu'ont soulevées diverses questions de médecine, d’agro-
nomie, de philologie, d'éducation publique ; vous offrir
enfin, autant que possible, une sorte de résumé de la
réunion de Metz.
» À défaut de cet exposé que j'avais sollicité des six
sections et qui n'a pu être complété, j'en appellerai,
Messieurs, à votre assiduité, à votre attention soutenue,
à vos souvenirs, et vous attesterez certainement avec nous
que, loin de déchoir, le cinquième Congrès scientifique
a marché en voie d’ascension et de progrès.
» Le choix de la ville où 1l avait été convoqué parais-
sait d'avance d'ug favorable augure, et l'on comprenait
qu'il devait en rejaillir un éclat particulier sur ces fêtes
de la science.
» À la fois guerrière et Htiéraire, savante et mdustrielle,
la noble cité de Metz offre un mélange assez rare de mo-
numens de tous les âges, d’établissemens du premier
ordre, et de glorieux souvenirs. Comme Nancy, devant
lequel périt Charles-le-Téméraire, à moins d'un siècle
300 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
d'intervalle, ses vieux remparts, défendus aussi par un
prince lorrain (le petit-fils de René I), repoussèrent
Charles-Quint et ses cent mille soldats ; et ce revers,
réveillant tout-à-coup César au milieu de ses rêves de
monarchie universelle, le décida, dit-on, à déposer la
couronne... Pour le descendant du duc de Bourgogne,
pour le père de Philippe Il, abdiquer l'empire, c'était
plus que perdre la vie!
» Il était également heureux de pouvoir présenter pour
modèle à la jeunesse studieuse, destinée à continuer des
travaux auxquels elle s'associe, de lui proposer, dis-je,
comme objet d’émulation, au sem de sa ville natale et en
attendant que sa statue frappe les regards, cet Abraham
Fabert, dont chaque grade fut le prix d’une belle action!
Ce grand capitame, « qui ne voulait pas mourir par
pièces » pour toujours servir son pays, ne vit jamais ses
jours dévorés par l’oisiveté, car il savait que la supériorité
est fille du travail et de l'expérience. Homme rare, que
son propre mérite éleva seul sous le règne absolu du grand
roi! dont le plus soupconneux des ministres, Mazarin,
disait que : « s'il fallait se défier de lui, toute confiance
serait détruite ; » qui, pour le peindre d'un trait, vécut
en héros et mourut à genoux, les yeux fixés sur son livre
de prières. Haute et pure renommée ! noblesse glorieuse,
dont l'impreseriptible privilége a le don d'illustrer à la fois
l'aïeul, le descendant et la cité qui fut son berceau! :
» A l’école de nombreux émules de Fabert et de Vauban,
vieillis comme eux aux camps ainsi qu'aux études, cette
jeunesse pleine d'avenir a pu se convaincre « que la science
donne en peu d’années l'expérience des siècles; » elle a
pu surtout apprendre l’art de discuter sans aigreur et sans
pédantisme ; de répandre de l'intérêt sur les questions les
plus arides ; d'unir l'originalité à la profondeur ; d’embellir
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. è 304
même d'une grace toute française , les sciences qui en pa-
raissaient le moins susceptibles.
» C'est avec une satisfaction égale, qu’on a vu se presser
dans les mêmes rangs, les gardiens du sanctuaire, et ces
lévites pleins d'instruction ; touchante réunion, annonce
des rapprochemens plus intimes, car on y vérifie mutuelle-
ment la portée du mot de Newton : « Le demi-savant peut
douter, le vrai savant croit. » On y comprend mieux aussi
que la vraie philosophie humaine , comme la philoscphie
religieuse, doit quelquefois se voiler, et « qu'il faut laisser
» à Dieu cette nuit profonde où il lui plaît de se retirer
» avec sa foudre et ses mystères ! »
» Grâce à l'esprit conservateur transmis et perpétué par
les Congrès scientifiques, il est permis d'espérer que désor-
mais le vrai goût monumental se nationalisant de jour en
jour, n’aura plus à déplorer de nouvelles dégradations des
monumens des arts, de honteuses mutilations, d'mconce-
vables transformations, de prétendus embellissemens, ni
surtout les étranges réparations que l'ignorance leur fit
subir plus d'une fois.
» Comment pourrait-on méconnaître entre autres, la
magie de l'architecture chrétienne dans toute sa pureté,
en face de cette merveilleuse et poétique cathédrale, dont
les Messins sont si justement fiers ! placée si heureusement
devant nos regards, comme pour nous donner à la fois la
mesure du génie du moyen âge et l'éclatante preuve de
la toute-puissance d'une foi vive et incessante! qui nous
montre comment l'artiste faisait jaillir la vie de la pierre, la
spiritualisait en quelque sorte, et semblait vouloir l'élancer
jusqu’à la Divinité elle-même ; dont les vitraux légendaires
aux furtives lueurs, aux fantastiques effets, excitent si
profondément la jalouse admiration de notre siècle ; qui
enfin, Messieurs, semble dévoiler pour amsi dire le but
302 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
moral, élevé de toutes les réunions d'hommes vraiment
éclairés : qu'employer les sciences, les trésors de l'intelli-
gence au perfectionnement de l'humanité, c'est rendre le
plus solennel hommage à la religion « cet aromate précieux
qui empêche la science de se corrompre, » ou plutôt, foyer
vivifiant, éternel, d'où elles émanent toutes !
» La poésie, fille aussi de la religion , toujours fidèle au
poste d'honneur, ne pouvait le déserter en Lorraine, la
patrie des Saint-Lambert, des Vannoz-Sivry, des Amable
Tastu, etc. Vous avez déjà entendu ses harmonieux pré-
ludes ; elle fait vibrer l'antique, la sainte harpe du psal-
miste ; elle se chargera encore de notre adieu.
» Auraï-je besoin de dire, Messieurs, que j'accomplis
avec un sentiment pémible le devoir d'annoncer que nos
travaux collectifs sont terminés! que cette association si
courte a attemt son terme !
» Mais si elle a fui avec la rapidité de tout ce qui est
jouissance humaine, il n’en sera point ainsi des souvenirs
qu'elle nous lègue ; elle aura fondé des liaisons d'estime ,
établi des relations, des correspondances fructueuses ; fait
naître même de durables amitiés, et le silence du cabmet
comme les travaux agricoles et industriels, y puiseront
encore de l'utilité et du charme.
» Si personnellement nous devons emporter un sen-
&ment plus particulier de reconnaissance, nul d’entre
nous ne saurait oublier lindulgence accordée au bu-
reau central, le concours dont on l’a entouré, la cor-
diale hospitalité, l'accueil plein d’urbanité, de courtoisie,
de la eité de Metz, et l'administration départementale
et municipale a une large part dans ce tribut de grati-
tude.
» Nancy, l’ancienne rivale, mais mieux encore la sœur
de Metz, représentée par une députation de l'académie
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 303
de Stanislas, dont le digne président * a si honorablement,
si hautement soutenu la renommée, est venu s'associer
aux travaux de la glorieuse capitale de l’Austrasie et des
Trois-Évêchés , applaudir à ses efforts, jouir de ses suc-
cès ; elle aussi, conservera de cette confraternité rajeunie
et cimentée de nouveau, le même précieux souvenir que
nos sayans confrères d'outre-Moselle et de la Grande-
Bretagne.
» Cet adieu qu'il faut enfin prononcer, est du moins
tempéré par la certitude d’un rendez-vous annuel. L'ap-
pel donné par la Neustrie, auquel les départemens de la
Flandre, du Poitou, du Blésois ont déjà réponds l’Au-
vergne le fait sde aujourd'hui. C'est donc à Cler-
mont-Ferrand que se réunira, dans la première quinzaine
de septembre 1858, le sixième Congrès scientifique de
France. Ù
» Que vos futurs travaux, Messieurs, soient un écla-
tant démenti adressé à ceux qui persisteraient à mécon-
naître les fruits que doit porter l'arbre naissant, mais
vivace des Congrès. ne ces utiles associations Ian tou-
jours dirigées Éte le même esprit, sans cesse animées de
l'amour désintéressé de la vérité, et nous emporterons la
certitude que leur mission , dont nous sommes cependant
loin de vouloir exagérer l'importance , n'aura été ni fri-
vole, ni stérile, ni mdigne de la France provinciale. »
Après ce discours qui a produit sur l'assemblée une
vive émotion, M. de Saint-Vincent a la parole pour la
lecture d’une pièce de vers, intitulée : Adieux au Con-
grès.
Après cette lecture, si convenable pour la circonstance,
et qui excite vivement la sensibilité de l'assemblée, M. le
.
M. Guerrier de Dumast.
304 ASSEMBLÉES GÉNÉRALES.
président annonce la clôture de la session. Les membres
du Congrès, en se séparant , expriment le regret de voir
se dissoudre une assemblée, dans laquelle il a régné'une
harmonie si parfaite et un zèle si soutenu.
Signé le marquis ne VILLENEUVE-TRANS, président ;
pe CAUMONT, ze MASSON, vice-présidens,
et Vicror SIMON, secrétaire général,
MÉMOIRES ET PIÈCES. 305
MÉMOIRES ET PIÈCES
DONT LE CONGRÈS A VOTÉ L'IMPRESSION:.
PREMIÈRE SECTION.
CONSIDÉRATIONS
SUR LA PREMIÈRE QUESTION DE GÉOLOGIE INDIQUÉE AU PROGRAMME DU CONGRÈS
SCIENTIFIQUE DE METZ ; SAVOIR :
Comment ont pu se former les escarpemens que l’on remarque aux
limites de plusieurs formations et de plusieurs divisions de forma-
tions P
Par M. HOLANDRE.
Le département de la Moselle et celui de la Meuse, offrent plu-
sieurs de ces formations ou parties de formations qui se terminent par
des escarpemens considérables ; telle est celle du calcaire corallien
qui, dans le Verdunois , forme, du côté de la Woïivre, une suite de
côteaux élevés et à pentes raides; telle est aussi dans les environs
de Metz la formation oolitique ; ou système inférieur oolitique ; qui se
présente en côtes escarpées tout le long de la rive gauche de la
39
306 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Moselle et le long du bassin de la Seille, où ils paraissent former la
limite de ce terrain.
En examinant l’ensemble de ces escarpemens , ils m'ont paru être
formés par érosion et entièrement dus à l'action des mers de l’ancien
monde et des courans diluviens, qui, en creusant et approfondis—
sant nos vallées , ont rongé et emporté Sur une assez grande surface,
les parties qui limitaient dans le principe ces terrains, et ont formé
de véritables falaises, en laissant toutefois subsister quelques lambeaux
en forme d'iles, qui attestent leur étendue primitive. En eflet, si
après avoir visité les hauteurs d'Ars et de Novéant, par exemple,
où l'on voit aflleurer en bancs assez puissans les étages moyen et
inférieur de notre système oolitique , nous nous transportons de l’autre
côté de la Moselle, sur les côtes de Saint-Blaise, de Sommy et de
Corny , nous y retrouvons les mêmes terrains, mais moins dévelop-
pés. De ces hauteurs , nous apercevons au levant, à quelques lieues
de l’autre côté de la Seille, la côte de Delme, dont le sommet est
encore recouvert par ce même calcaire subcompacte à polypiers , passant
à l’oolite ferrugineuse et recouvrant les marnes supérieures du lias.
(Profil n° 4, ci-joint.)
On peut donc conclure que ces différens points de notre groupe
oolitique , formaient un banc continu, diminuant d'épaisseur vers ses
limites , qui, dans l'origine, s’étendaient beaucoup plus loin sur la
formation du lias , et se terminaient sans escarpement , à la manière des
formations qui le suivent. La ligne ponctuée du même profil , indique
la disposition primitive et présumée de ces terrains.
Il est à remarquer que les escarpemens de l'oolite ne forment
pas la moitié supérieure des côteaux de la Moselle ; le lias avec ses
marnes en occupe au moins la moitié inférieure; ainsi c’est la méme
cause qui a produit les escarpemens de l’un et de l’autre terrain.
Si nous nous traasportons sur les côtes de la Woivre , nous y trou—
yons la même disposition dans le calcaire corallien qui borne cette
plaine à l’ouest en escarpemens considérables, depuis Apremont et
au-delà, jusques Damvillers; le calcaire corallien ÿ repose aussi sur
un massif argileux qui représente le terrain oxfordien, ou argiles
d'Oxford. On y voit de même que pour l'oolite inférieure , la formation
corallienne interrompue par des vallées et se retrouver par lambeaux
sur d'autres élévations plus ou moins éloignées , telles que la côte de
Monsec, vis-à-vis les escarpemens coralliens de Bussières et d’Hatton-—
chatel, etc.
Le fond de la plaine de Woivre, où sont situés les villages de
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PREMIÈRE SECTION. 307
Bonzée, de Frésnes, de Champlon, de Marchéville , etc., offre sur
une grande étendue un banc puissant de grèves ou graviers; ces
graviers sont formés de fragmens arrondis et plus ou moins volumi-
neux. du même calcaire corallien qui borne la plaine, et l’on peut y
remarquer des débris de coquilles fossilles propres à cette formation.
Cette plaine a donc du être un vaste bassin ou mer dont les eaux ont
rongé en falaises les limites du terrain corallien et le terrain oxfordien,
et ont étendu en bancs presque horizontaux, les débris qui n’ont pù
être emportés, dans les dépressions des marnes oxfordiennes qui
occupent le fond de la plaine.
On peut se faire une idée de ce travail des eaux, en considérant
les falaises qui forment les côtes de l’ouest de la France ; d’après des
observations exactes , on a reconnu que les eaux de l'océan rongent ces
côtes petit à petit, en les rendant plus escarpées, et que des points
remarquables autrefois, avaient entièrement disparu ; mais l'ouvrage
des eaux des mers actuelles est peu de chose dans l'espace d'un
siècle, en comparaison de ce qu'ont pu opérer les eaux tumultueuses
de l’ancien monde , sur des terrains qui étaient probablement encore
dans un état de mollesse et dont les couches pierreuses n'avaient pas
acquis cette solidité que nous leur voyons aujourd’hui.
Si l’on fait attention à la manière dont les formations secondaires de
nos pays se recouvrent les unes les autres, en s'enfonçant du côté de
l’ouest et présentant leurs bords au jour du côté de l’est sur une assez
grande étendue, on conçoit que les grands courans qui les ont sillonnés et
creusés du sud au nord, pour s'y frayer un passage , ont dü néces-
sairement y former des escarpemens sur leur rive gauche , lorsqu'elles
les ont attaquées vers les bords, puisque l’épaisseur de ces formations
augmente de ce côté. (Profil n° 2.)
Il en est de même des autres formations secondaires que l'onvoit
sortir les unes au-dessous des autres , si l’on vient de Paris jusqu’à la
Sarre ; ainsi après avoir passé le terrain de craie, on voit paraître au
jour les grès verts qui sont en escarpemens dans les environs de
Sainte-Menehould ; puis on trouve les escarpemens coralliens dans le
département de la Meuse; ceux du systéme inférieur oolitique bor-
dant le bassin de la Moselle , et enfin les escarpemens du Ep bigarré
a la rive gauche de la Sans
L’inclinaison vers l’ouest de tous ces terrains paraît dk due à une
action soulevante , telle que celle qui a produit le grand soulèvement
des Vosges, su des masses porphyriques où autres des pays au-
delà de la Sarre; mais on ne peut pas dire cependant que les
308 MÉMOIRES ET PIÈCES.
escarpemens de nos terrains ont été formés par rupture , comme dans
les montagnes du Jura, où l’on voit des escarpemens opposés des
groupes coralliens et oolithiques qui présentent les mémes couches ,
rompues et divisées par les soulèvemens.
On remarque dans les environs de Metz des collines élevées en forme
de promontoires ou d'iles , dont les couches calcaires de leur sommet
sont renversées et boulversées , telles que les côtes de Saint-Blaise et
de Sommy; il ne me paraît pas étonnant que leurs couches soient
ainsi dérangées , puisque ces collines étaient exposées des deux côtés
à l’action réunie des grands courans qui occupaient, aux époques dilu—
viennes ou dans les cataclysmes de l’ancien monde , les vallées de la
Moselle et le bassin de la Seille.
Aprés cette lecture, M. Chaussier a ajouté :
Messieurs ,
J'avais préparé quelques considérations sur cette première question
du programme. Mais M. Holandre, en ayant, dans son mémoire,
développé une partie beaucoup mieux que je ne l’aurais fait, je me
bornerai à vous lire la fin de mon travail, qui établit la différence
entre mon opinion et celle de ce savant. M. Holandre suppose que
toutes les couches des diverses formations se sont déposées de ma-
nière à affleurer le sol sans laisser de dépression aux limites des
formations ; il me semble nécessaire cependant d'admettre aux limites
de celles qui se terminent par un escarpement , une dépression préexis-
tante aux grands cours d’eau qui ont opéré l'érosion , et dans laquelle
ils ont dù trouver un lit déjà tout préparé; comment admettre en
cflet que ces cours d’eau aient si exactement coincidé avec les limites
d'une formation , et se soient en quelque sorte promenés autour de ses
bords , s’il ne se füt trouvé à son contour une dépression et un lit déjà
tout formé. Or, voici comment j'expliquerais l'existence de ces dé-
pressions.
On peut supposer qu’à l’époque qui a été la fin d’une formation et
le commencement de la suivante , les mouvemens du sol aient amené
un léger retrait des eaux ; en sorte qu’elles auront laissé à découvert
une partie de la formation terminée, qui n’aurait point été recouverte
par la formation suivante. Aïnsi la zône de lias qui se montre au jour,
y aurait été laissée dès l’origine par le retrait des eaux et n'aurait
jamais été recouverte par l’oolite. La mer, aprés avoir ainsi abandonné
une partie de son lit aurait déposé la formation suivante, et à mesure
que son fond se serait élevé elle aurait poussé, sur ses rivages, des
PREMIÈRE SECTION. 309
dunes qui auraient dépassé et protégé les parties régulièrement stratifices ;
cés dunes en s'élevant auraient produit un talus du côté.opposé au
lit de la mer, et auraient formé une digue assez puissante pour ar—
rêter les vagues et empêcher les eaux de la mer de s'étendre de
nouveau sur la formation abandonnée et dont le niveau serait ainsi
demeuré plus bas que celui de la mer.
Cet état de choses aurait persévéré jusqu’à un nouveau retrait des
eaux, et la formation qui en serait résultée aurait obtenu une puis-
sance proportionnelle à la durée de cet état et à l'énergie des forces
qui auraient concouru à sa production. La dépression ainsi formée par
le talus des dunes et l’inclinaison des couches sur lesquelles on suppose
ces dunes déposées, auraient enfin, dans les grandes inondations,
fourni un lit tout préparé et l'écoulement des eaux. Mais ces grands
cours d’eau ont dû bientôt diviser et dissoudre les pârties meubles
des dunes, s'en charger, les charier dans les mers pour concourir à
la formation de nouvelles couches, et laisser ainsi à nu de grandes
coupes des parties régulièrement stratifiées sous les eaux marines ; ils
ont dû attaquer même le bord des couches solides , qui, aux limites
de la formation devaient avoir moins d'homogénéité et moins de con-
sistance que les parties de ces couches qui avaient été déposées sous
une mer plus profonde, et par conséquent hors de l'influence de
l’agitation des flots qui durent troubler la formation des parties littorales.
Aïnsi s'explique comment les cours d'eau ont suivi exactement les
contours d’une formation, et comment l'érosion a pu tailler à pic des
roches qui, aujourd'hui sont d’une trés-grande dureté.
510 MÉMOIRES ET PIÈCES.
NOTICE
SUR
LE KEUPER ET LES GRÈS KEUPÉRIENS,
EN RÉPONSE A LA DEUXIÈME QUESTION DU PROGRAMME :
Le grès que l’on voit à la partie supérieure du keuper appartient-il
. à cette formation ou uw Las?
Par M. LEVALLOIS.
La formation du keuper ou des marnes trisées est si développée,
et d'une manière si régulière, dans la vallée de la Seïlle, qu’on peut,
avec quelque raison, la considérer comme étant la à son état type.
Or, cette formation reconnue par les travaux de la mine de Dieuze,
sur une épaisseur de plus de 500 mètres, bien qu’elle soitessentielle-
ment composée de marnes, comme l'indique son nom, n’en est
cependant pas exclusivement formée , et elle contient en outre quelques
bancs et amas pierreux, peu jnportans à la vérité eu égard à la
masse des marnes, mais trés-importans par cela qu'ils fournissent les
seuls horizons géognostiques à l'aide desquels on puisse établir des
subdivisions dans ce grand système. Ce sont , sans parler du sel gemme :
4° Du gypse.
2° Du grès argileux.
Du calcaire magnésien , exploité comme moélon.
4° Du gypse.
5° Du calcaire magnésien marneux.
Puis apparaît tout au sommet un grès siliceux si friable qu'il est
exploité pour être converti en sable, et que j'appelle provisoirement
grès keupérien supérieur. Viennent ensuite des marnes r'ouges sur une
PREMIÈRE SECTION. - 514
épaisseur de 5 mètres environ ; et c’est seulement au-dessus de celles-ci
que le calcaire à gryphées bien caractérisé commence à se montrer
ayec ses marnes grises.
J'ai signalé deux grès, mais le premier est évidemment hors de
cause , puis qu'il est au milieu de la formation du keuper. C'est
celui que dans un mémoire publié l'année dernière, j'ai désigné sous
le nom de grès de Stuttgard, parce qu'il est exploité en grand
autour de cette ville. Il est caractérisé par des empreintes d'Equisetum
arenaceum que j'ai retrouvées à Moyenvic et à Lunéville (département
de la Meurthe), ainsi que près de Dolsten (Moselle). C'est dans le
voisinage de ce grès et le plus souvent au-dessous de lui que se
touve ce dépôt de combustible propre au keuper, et qui donne
journellement lieu à tant de déceptions financières,
Le grès auquel se rapporte la question posée dans le Programme
n'est donc pas celui-là, mais bien le grès dont j'ai parlé sous le
nom de grés keupérien supérieur , et qui existe aussi dans la Moselle
et notamment à Kédange et à Saint-Julien-lés-Metz.
Or, si j'ai dit que ce grés est le plus souvent friable, il convient
d'ajouter qu'il se présente parfois aussi agglutiné par un ciment calcaire ,
auquel cas il est trés-dur, et c'est à cet état qu'on l’exploite pour
pierre à paver, près du village de Saint-Médard, entre Dieuze et Marsal.
Alors il contient une multitude de petites bivalves qui paraissent être
des Ænatines. Je possède un échantillon de ce même grès décomposé,
et qui renferme une Gervillie. Îl est essentiel de faire remarquer
que ce grès calcaire coquillier ne forme point un banc distinct et
continu dans la masse du grès supérieur, mais plutôt une sorte
d'amas stratifié, de telle manicre qu'il y aurait continuité entre le
grès sableux et le grés calcaire.
Cela posé, l’existence de ces fossiles qui jusqu'ici n’ont d’analogue
que dans les terrains jurassiques (lias compris), semblerait autoriser >
faire rentrer dans le lias le grès qui les renferme; tandis que d’une
autre part, la circonstance que j'ai signalée , que ce grés est séparé
du calcaire à gryphées par des marnes rouges, lesquelles, à cause
de leur couleur, semblent se lier intimement avec les marnes keu-—
périennes, autoriserait à rattacher ledit grès au keuper.
Il y à donc doute, quant au point de savoir si le grès de Ké-
dange doit faire partie du keuper ou du lias.
Mais la question posée par le programme s'applique encore à un
autre grès, c'est celui de Hettange et plus généralement celui qui
Y à] { + .
est connu sous le nom de grès de Luxembourg, à cause de l'im-
512 MÉMOIRES ET PIÈCES.
mense développement qu'il a dans ce pays; car la plupart des géo-
logues admettent qu'il sépare le calcaire à gryphées des marnes irisées ,
ce qui fait qu'il peut être considéré par les uns comme le membre
inférieur de la première formation ou par les autres comme le membre
supérieur de la deuxième. Or, il résulte d'observations que j'ai faites
dès 1833, et que j'ai encore vérifiées l’année dernière avec M. Re—
verchon , que telle n’est pas la position de ce grès, et qu’il repose
au contraire sur des couches appartenant incontestablement au lias ;
en sorte que comme M. Simon, d'autre part, annonce avoir vu le
grès du Luxembourg recouvert par des couches liasiques , il s’ensui-
vrait que ce grès est enclavé dans le lias, et qu'il ne peut pas être
séparé de cette formation.
Nos observations ont été faites en deux points:
4° Prés de Hemelsingen , une lieue et demie rord de Luxembourg ,
dans la vallée de l'Alzette. Une coupe de la colline qui borde la
rive droite de la rivière, faite de bas en haut, donne la succession
suivante :
Des marnes irisées.
Un banc de calcaire gris noirâtre avec bélemnites et encrines.
Le grès.
2% Prés de Hettange', dans le lit d’un ravin qui se dirige vers
Eutrange.
On voit dans ce lit la roche qui, à quelques pas de là , est exploitée
dans la grande carrière d'Hettange, on la voit, dis-je, reposant sur
un système de marnes bleues renfermant des sphérosidérites, quelques
ammonites, des bancs de calcaire dit Nagelkak, etc., toutes choses
qui caractérisent bien le lias tout comme à Hémelsingen. Il faut même
dire qu'elles caractérisent habituellement la partie supérieure du
lias; mais ce sera seulement là une exception à signaler, car l'ap-
plicatiin immédiate, à Hemelsingen, du banc de calcaire à bélemnites
sut les marnes irisées, ne permet pas de le placer ailleurs qu'à la
Piftie inférieure du lias.
Le plus souvent, les relations entre le grès et le calcaire à gryphées
sont difficiles à établir, et nous avons yu aux environs de Strassen,
une lieue ouest de Luxembourg, les choses se passer comme s'il y
avait continuité de l’un à l'autre; et il y a, en vérité, tels échan-
tillons de grés qui, renfermant les mêmes coquilles que tels autres
de calcaires lias, ne différent de ceux-ci que par la couleur, comme
s'il avaient été passés dans un four à chaux.
Quoi qu'il en soit, le grès dur qu'on exploite pour pierres de
PREMIÈRE SECTION. 515
construction à Hettange = dans le Luxembourg ne laisse pas que
d'avoir assez de ressemblance avec le grès coquiller de Saint-Médard
dans la vallée de la Seiïlle, et c’est une raison qui me ferait encore
éviter à séparer ce dernier du lias.
En résumé.
Le grès d'Hettange et du Luxembourg fait partie du terrain du lias.
Quant au grès de Kédange, il ne parait pas possible , dans l’état
actuel des observations, de décider s’il n’est qu’une dépendance du
premier, ou s'il doit être rattaché au terrain keupérien,
40
344 MÉMOIRES ET PIÈCES.
DES MÉTAMORPHOSES
ET
DES MODIFICATIONS
SURVENUES DANS CERTAINES ROCHES DES VOSGES,
Par Ernesr PUTON,
Membre de la société Géologique de France, de la société d'Émulation des Vosges, etc.
Parmi les questions proposées à la section d'histoire naturelle du
congrès de Metz , plusieurs s'occupent des métamorphoses et des chan-
gemens survenus dans certaines roches , en raison des circonstances où
elles se sont trouvées. Un ingénieur des mines de renom, M. Virlet,
envisage cette importante question d’une manière qui rallie toutes les
diverses opinions que les observateurs s'étaient faites, sur les roches
modifiées et métamorphosées, beaucoup regardent encore certaines
roches d’agrégation mécanique comme des roches d’éruption, c'est
qu'il est bien difficile souvent de reconnaître les caractères qui peuvent
distinguer ces roches , les règles minéralogiques et géologiques peuvent
être quelquefois en défaut; nous demandons à la section la permission
de l’entretenir un instant de quelques considérations géologiques et
. géogéniques sur certaines roches des Vosges , où cette question peut
PREMIÈRE SECTION. 515
être examinée avec i intérêt. Aujourd'hui que cette étude a pris faveur,
nous ayons pensé qu’un travail sur les métamorphoses et les modifica-
tions que présentent certaines roches des Vosges pourrait être de
quelqu'utilité, nous croirons avoir rendu service à la géologie de ces
montagnes en provoquant un nouvel examen des faits que nous faisons
connaître , en attirant l'attention sur des questions que nous ne faisons
qu’eflleurer ; il est rare d’arriver du premier coup à la vérité, mais on
doit s’estimer heureux quand on est la cause que la vérité se découvre,
dût-on, soi-même, être convaincu d’erreur.
DU TERRAIN DE TRANSITION.
Nous commencerons cet examen par le terrain de transition, notre
but n’est pas d'en donner une description , M. Hogard, l’a fait con—
naître dans son ouvrage sur les Vosges, et nous ne pourrions que
répéter ce qu'il en dit, nous voulons seulement donner quelques dé-
tails sur les roches de ce terrain où les phénomènes de métamorphoses
et de modifications sont fréquemment observés. ,
A Thann , à Bitschwiller et à Masseveaux, de vastes carrières sont
ouvertes dans un massif de roches tantôt porphyroïdes, tantôt aré-
nacées et.souvent passant au jaspe , contenant des débris de végétaux ;
il y a peu de temps encore que ces roches étaient regardées comme
d’origine ignée et appelées Eurites fragmentaires , elles ont en effet
une identité minéralogique si frappante avec les roches feldspathiques
d’éruption, qu’il paraîtrait hasardeux de les considérer comme des
grauwackes et des schistes argileux , ce sont des masses non strali-
fiées et qui ne possèdent pas les caractères des roches d’éruption,
si ce n’est leur structure minéralogique et les élémens de leur com—
position. . Quelquefois la roche est parsemée de cristaux de feldspath
parfaitement déterminés , disposés comme dans les porphyres et les
mélaphyres , et disséminés dans une pâte pémormheense de couleur ver-
dâtre et rougeâtre , trés-compacte comme si elle était à demi-vitrifiée ;
dans d'autres endroits, elle est à grains si fins que l'on ne peut re-
connaître les parties qui la composent; elle devient peu à peu un
véritable jaspe rubané à cassure fine et vitreuse; souvent elle est
arénacée , de couleur verdâtre, terreuse et parsemée de cristaux de
feldspath blanchätre , à la manière des arkoses, sa cassure est terne et
raboteuse ; souvent encore elle est tout à fait argileuse et parfois péné-
trée de matières arénacées grossières. Il n’est pas rare de voir toutes
ces variétés passer de l’une à l’autre sans aucun ordre, et souvent un
316 MÉMOIRES ET PIÈCES.
seul échantillon en présente deux réunies : ces roches contiennent des
fragmens arrondis de roches préexistantes, ils sont rares dans la
variété porphyroïde, mais en revanche elle renferme des parties
fragmentaires compactes où porphyroïdes comme la roche elle-même ,
mais d’une autre couleur ; ces espèces de glandes ne peuvent se dé-
tacher de la pâte qui les enveloppe, mais elles lui donnent une
apparence de brèche; on y voit aussi des aglomérations feldspa-
thiques blanchâtres , quelquefois parsemées de petits points
alongés verdätres qui semblent être des débris d’aiguilles d'amphi-
bole qui, pendant la formation par les eaux de cette roche, se sont
réunis par attraction autour d’un centre commun, de manière à
présenter quelque ressemblance avec les orbicules de la diorite de
Corse ; c'est ce qui l’a fait appeler par M, Rozet , diorite suborbicu-
laire. On remarque dans ces roches beaucoup de débris de grands
végétaux qui ont appartenu à des calamites, des stigmaria, etc.,
analogues aux espèces du terrain houiller ; les tiges sont remplies de la
maliére qui les enveloppe ; leur extérieur est charbonné et recouvert
quelquefois d’un enduit ferrugineux. Comme on ne reconnaît aucune
apparence de couches , il est difficile de voir dans quelle position ils
se trouvent , ils se détachent facilement de la roche qui conserve leur
empreinte, surtout lorsqu'elle est à pâte fine, toutes les variétés de
roches dont nous venons de donner la description, en contiennent ;
ils sont plus rares dans la variété porphyroïde. On a tenté quelque-
fois d'exploiter dans ces localités de petits gisemens d’anthracite,
mais elle était de mauvaise qualité et les gîtes très-pauvres. On ne
peut donc attribuer à ces roches une origine ignée, quoiqu'elles en
aient toutes’ les apparences ; et l'on ne regardera pas les jaspes et les
quarzites qu’elles renferment comme des filons parce que ces roches
siliceuses contiennent , comme les argileuses et les porphyroïdes, des
preuves évidentes d’agrégation mécanique et d’origine Neptunienne.
On reconnait aussi dans les roches composant le système de la vallée
de la Thurr , de véritables porphyres qui traversent et se confondent
avec le terrain de transition, qui, par cette liaison , n’a conservé aucune
apparence de couches, on ne pourrait tout au plus les désigner que
par le passage insensible d’une roche à l’autre, on voit cependant
qu'elles ne se présentent pas à la manière des filons et qu'elles reposent
en massifs sur le granite qui perce cà et là , qu’elles recouvrent comme
d’une espèce de manteau, et qui a bien pu, avec les porphyres,
contribuer à leur changement mécanique et chimique ; quelques filons
de chaux carbonatée, de baryte, de quartz et de fer hydraté qui y
PREMIÈRE SECTION. 347
sont engagés fréquemment, ont aussi joué un rôle dans leur dislo-
cation et dans la modification de leurs parties constituantes.
Si l'on remonte la vallée, on verra toujours le même système qui
change peu d’allure : à Gruth, cependant, il constitue une grauwacke
peu modifiée; à Urbey, la sdébe devient compacte, dure et sonore;
sa couleur dominante est un vert noirâtre , elle a une certaine analogie
avec le grunstein ou l’aphanite , quelquefois des cristaux de feldspath
et de mica y sont apparens et lui donnent une texture raboteuse ,
elle est associée avec des quartzites rubanés passant au jaspe. On
exploite dans cette vallée des filons puissans de fer hydraté qui sont
encaissés dans le terrain de transition. En montant la côte d'Urhbey,
on voit peu à peu la roche noire d'apparence trappéenne devenir
schistoïde , se diviser en feuillets minces de peu d’étendue et intercaler
des petites couches d'une roche arénacée pétro-siliceuse ; ce schisie
(Thonschiefer) formé d'argile et de mica en parcelles très-fines est
pénétré ca et là de filons d’eurite compacte , de diorite et d’une roche
noire, due et tenace, que l’on peut considérer comme un véritable
trapp: il a quelque ressemblance avec le basalte; comme lui, il ‘est
magnétique et quelquefois il devient amigdaloïde par la présence de
nodules de spath calcaire. Ce schiste argileux en approchant de
Bussang contient des empreintes végétales (eme et fougères), sa
stratification est trés-confuse, elle est coupée par des fissures qui se
‘croisent sous différens angles en s'interrompant tout-à-coup; en exami-
nant avec attention la manière d’être de ces couches, on y remarquera
plusieurs systèmes de strates, les uns très-verticaux et les autres
trés-inclinés.
Les roches schistoïdes de Bussang étaient regardées comme des
trapps, on se souvient encore des discussions auxquelles elles ont
donné lieu au Congrès géologique de Strasbourg , depuis cette époque,
nous regardons avec méfiance les roches à apparence trappéenne,
nous savons que les schistes argileux peuvent être métamorphosés
en schistes siliceux ayant à un tel degré l'apparence du trapp et
de la lydienne > qu'il est souvent hbdeciBlé de lui reconnaitre les
caractères d’une roche stratifiée et de le distinguer de ces deux ro-
ches.
Les Vosges oflrent encore d’autres localités où les roches du terrain
de transition sont métamorphosées : dans la vallée de la Brusche, à
Rothau, à Schirmeck et à Vakembach ; les roches ne sont plus por-
phyroïdes comme dans la vallée de la Thurr , elles sont compactes,
noirâtres , d'apparence trappéenne ou de grunstein , souvent rougeûtres ,
Me MÉMOIRES ET PIÈCES.
bleuätres et verdâtres, elles deviennent jaspoïdes, très-siliceuses et
ayant reçu une espèce de demi-vitrification , elles passent à une grau-
wacke grossière qui offre des variétés qui fixent l'attention: ce sont
des grès à noyaux aplatis calcaires et débris de schistes et de feldspath ,
quelquefois les parties constituantes sont à gros grains, ce sont des
fragmens parfaitement arrondis de quartz et d’une roche noire qui
rappelle par sa dureté la lydienne, mais qui n’est probablement
que des fragmens arrondis de schistes endurcis à un degré extrême,
ces noyaux sont réunis par un ciment argileux et pétro-siliceux , dont
la force de cohésion indique qu’une action chimique a aussi concouru
à sa consolidation, Près de Schirmeck, sur la route de Strasbourg ,
une grauwacke trés-sableuse et fort dure, laisse voir dans ses couches
coupées verticalement les feuillets du schiste argileux contournés et
repliés d’une manière fort bizarre , imitant dans cette masse arénacée
l'allure des filons. Teut près de la on observe le calcaire de ce terrain,
il est grisâtre et rougeâtre, massif, sa stratification est assez distincte,
surtout dans sa partie supérieure, il contient des polypiers, des
crynoïdes et plusieurs espèces de conchifères, dont une paraît être
un spirifère; un filon feldspathique pénètre sa masse et convertit
le calcaire au point de contact en calcaire saccaroïde. Il est accom-
pagné de plusieurs veines d’arragonite bacillaire qui paraissent pos-
térieures el avoir aussi joué un rôle dans sa modification.
Les calcaires de Vakembach qui sont employés comme marbres et
ceux qui servent de castine à Framont doivent également leur état
grenu au même phénomène , ils ont leur gisement dans cette vallée
et appartiennent aussi au terrain de transition, mais c’est particulière
ment aux Miniéres qu'il est devenu dolomitique à un degré tel qu’il
fournit une excellente chaux hydraulique. Le Brand des mines de
Framont est aussi un fait de métamorphose : de schiste argileux , il
est passé par le contact des roches plutoniques et le dégagement des
gaz et des matières volatiles produits lors de l'injection des filons
métallifères à un argile friable qui a perdu sa structure feuilletée.
Si l’on descend dans la vallée de Rabodeau on rencontre encore
les roches compactes du terrain de transition , elles deviennent peu
à peu schistoïdes et passent à un véritable schiste argileux qui se
divise en feuillets minces ; mais bientôt il s’altère, et à Moyenmoutier
il perd sa structure feuilletée, devient compacte et un peu terreux ;
cette roche que l’on considérait, il y a peu de temps encore, comme
une eurite compacte, est employée dans la fabrication en grand des
pierres à aiguiser, elle est pénétrée de filons d’eurite granitoïde. Non
“PREMIÈRE SECTION. 519
loin de là, une grauwacke yerdâtre à texture serrée et un peu porphy-
roïde semble accompagnée de quartzite vert translucide.
La grande confusion que l’on voit régner dans l’ordre de succession
des couches du terrain de transition des Vosges fait prévoir avec raison
qu'il se présente dans ces montagnes sous de grandes différences de
niveau ; il ne constitue pas de grandes étendues de terrains , il n'existe
que par lambeaux isolés recouvrant fréquemment le flanc des vallées
et constituant aussi des sommets élevés, c’est principalement dans les
vallées du revers oriental et du nord qu’on peut l'observer sur de
plus grandes surfaces, mais il est quelquefois rejeté loin de sa région
et isolé au milieu de massifs granitiques, c’est ainsi que l'on voit
dans la vallée de la Moselle plusieurs parties détachées de schistes siliceux
qui ont de l’analogie avec celui de Bussang ; il en est de même au
Valdajol où l'on fait dans ce moment des recherches d’anthracite dans
un terrain de transition bien caractérisé.
Partout il ne présente pas des faits de modifications, dans le val
de Villé, ila conservé une espèce de stratification et tous ses caractères
argileux, de nombreuses veines de quartz blanc , souvent mélangées
de schistes, pénétrent à travers ses couches et sont quelquefois pa-
rallèles à la stratification, ils paraissent aussi étre d’origine ignée,
quoiqu'ils n'aient pas fait éprouver à la roche une altération sensible;
cette localité demanderait une attention particulière , il faudrait visiter
en détail toute la vallée et les pentes du Climont, il serait possible
que l’on y rencontrât des filons granitiques, et leur action intéresse
toujours l'observateur. À Andlau, où le schiste est trés-dur, très-
tenace et trés-siliceux, il est pénétré dans plusieurs endroits par le
granite , et c’est à ces filons que l’on peut attribuer sa manière d’être.
M. Voltz regarde le schiste de ces deux localités comme des schistes
primaires, se liant à la formation du gnéiss et du micaschiste ,
est vrai qu'il différe de ceux du terrain intermédiaire et qu'il ne con-
üent pas de restes organiques ni de grauwackes ., ni de calcaires; il
en serait de même de la roche schistoïde de Biarville près Saint-Dié
qui offre une certaine analogie avec quelques variétés du schiste d’Andlau,
quelques rapports géologiques avec les schistes primitifs et des quartzites
comme celui du val de Villé.
Le terrain de transition des Vosges paraît associé avec des massifs
de roches en filons ayant évidemment une origine ignce, dans là
partie méridionale de la chaîne, ce sont des grunsteins, des trapps,
des porphyres pyroxéniques et des ophites, ces roches sont souvent
scoriacées et constituent de véritables amigdaloïdes dont les yacuoles
320 MÉMOIRES ET PIÈCES.
sont remplies de spath calcaire. Il est assez singulier de les voir affec-
tionner aussi manifestement ce terrain.
pu GRÈS ROUGE (T'odte-liegende).
Si ces divers faits font concevoir la possibilité donnée aux roches
plutoniques postérieures de détruire Ja stratification , de modifier les
caractères arénacés des grauwaches ,, et schisteux des phyllades, et de
donner à ces roches par une demi-fusion, une texture compacte ou
grenue, ou cristalline, analogue à celle des eurites et des porphyres
dans leurs divers états de cristallisation, l’attention doit se porter
naturellement sur un terrain remarquable par ses nombreux accidens ,
sur le grès rouge (Todte-liegende des allemands). On a appelé ainsi
une série de roches arénacées formées d’aglomérats anagénitiques ,
c'est-à-dire , de fragmens de roches primordiales , réunis par un ciment
argileux et siliceux , d’une couleur rouge plus ou moins foncée. Ce
dépôt qui occupe dans l'échelle géologique des terrains secondaires,
le deuxième étage, si nous prenons pour base le terrain houiller,
présente dans les Vosges une suite de couches qui attirent l'attention
de l'observateur. La disparition de la straüfication des couches, la
modification des roches sont des faits qui méritent d’être examinés ;
ici ce ne sont plus des roches feldspathiques ou amphiboliques qui
pénètrent dans ce terrain, jusqu’à présent on n'a pas vu dans les
Vosges ces roches dépasser la formation houillère, ce sont de vastes
filons de quartz apportant avec eux de la baryte , de la chaux fluatée
et du fer oligiste qui traversent la masse du grès rouge, c'est principale
ment au Valdajol que ce fait peut être observé: dans la vallée des
Roches un immense filon de quartz s'est fait jour et s’injecte dans le
grés rouge qui recouvre les montagnes voisines , il s’y ramifie en
filets et en veines déliées. Souvent le quartz à son passage a enveloppé
des fragmens de grès, l'on a alors une brèche à ciment jaspoide,
dont les parties anguleuses ont recu un coup de feu violent, car le
grès qui les compose est tout à fait dénaturé et a pris l'aspect de
fragmens de briques. Ici la masse du grès, traversée par les filons
quartzeux , ne présente plus qu'une stratification à peine apparente,
au lieu de se diviser dans le sens de ses couches , de grandes fissures
la partagent en grands polyèdres irréguliers ; et le ciment qui unit
ses parties quartzeuses à reçu une demi-vitrification qui rend le grés
trés-dur et lui donne une cassure unie , semblable à celle des granites.
On ne peut mettre en doute que le massif de quartz de la vallée
des Roches ne soit un énorme filon, si l’on considère toutes les
PREMIÈRE SECTION. 321
ramificatidns qui partent d’un centre et pénètrent dans les assises
puissantes du grès par une multitude de veines et de filets extré-
mernent déliés et la matière quartzeuse qui change à chaque instant
d'aspect : souvent elle est d’un blanc pur, mais bientôt elle se colore
diversement par des veines sinueuses rougeâtres , verdâtres * et noi-
râtres , imitant quelquefois par le mélange de ces couleurs et par l'adou-
cissement de la pâte quartzeuse lestplus beaux jaspes; on rencontre
fréquemment, dans les interstices’ des veines, des druses ou cavités
tapissées des plus belles cristallisations formées de quartz limpide
(cristal de roche) ou colorées en violet (améthiste) ou ferrugineux
rouge ( quartz hématoïide) ou brun (quartz enfumé). Le fer oligiste
s'unit avec le quartz soit amorphe , soit cristallisé et il n’est pas rare
de le voir dans l'intérieur des prismes quartzeux en paillettes brillantes ;
mais quelquefois aussi il forme lui seul dans le grès de petites veines
métalloïdes qui ont beaucoup d'éclat, fréquemment encore on ren-
contre dans le quartz des petites cavités qui la plupart affectent la
forme cubique, on ne peut douter qu'elles sont dues à des cristaux
détruits de chaux fluatée, car ce minéral s'y remarque quelquefois
soit associé avec de la baryte qui, là encore, s'unit avec ces filons
quartzeux, soit en cristaux recouverts d’une incrustation de quartz
cristallisé. Cette masse de quartz dont les couleurs si variées sont dues
évidemment aux oxides métalliques produits par le dégagement de
gaz métallifères ou par la sublimation des minéraux que nous venons
de désigner et qui n’ont pas d'autre origne , est donc un vaste filon
résultant d’une action pyrogène et non une masse, de silice gélatineuse
produite par des sources minérales et contemporaines du’ grés comme
M. Hogard l'a dit récemment. Nous reconnaissons cependant que de la
silice en dissolution dans les eaux et peut être amenée de l’intérieur: du
globe par des sources minérales, a pu former le ciment qui aglutine
lés parties arénacées du grès, et que quelquefois cette silice se
trouvant en excès, donne au grès une fausse apparence de quartzites ;
c'est encore ce suc siliceux qui constitue le ciment cristallisé que l’on
voit parfois au poudingue du grès vosgien et qui forme le vernis
cristallin que ses galets présentent fréquemment , c'est encore à lui
que l’on attribue le phénomène des pétrifications siliceuses du grès
* On pourrait penser que le minéral qui colore en vert le quartz de la vallée des Roches
est de l'oxide de ehrôme, s'il en était ainsi, il offrirait par là un poiut d’analogie de plus
avec les conchets Saône et Loire) dont le quartz est aussi en filons dans une arkose grani-
toïde, dépendant peut-être de la formation du grès rouge, mais nous nous empressons de
dire que cette couleur verte est due à un silicate de protoxide de fer, M. Berthier qui ep
a fait l'analyse, nous en a donné l'assurance.
41
392 MÉMOIRES ET PIÈCES.
rouge. Tous les observateurs qui ont étudié les roches arénacées sé-
dimentaires, ne contestent pas le concours de cette action chimique
dans leur consolidation , mais ils ne doutent pas non plus de l’origine
éruptive d’un grand nombre de filons quartzeux qui existent dans la
nature et qui ont une identé frappante avec ceux du Valdajol. Un
ancien naturaliste vosgien, l'abbé Bexon *, ami et collaborateur
de Buffon, avait déjà reconnu que le quartz de la vallée des Roches
devait son origine à une action ignée (vo Buffon, hist. des miné—
r'aux , du jaspe) ; il manifeste cette opinion en insistant sur les asci-
dens minéralogiques du quartz, accidens que dans ce but nous ayons
voulu aussi faire connaître; ce sayant décrit cette localité pittoresque
en peintre habile de la nature , on reconnait là la touche et le coloris
du maître: « On peut contempler en grand, dit-il, ces effets de la
nature dans cette bellé montagne : elle est coupée à pic par diffé
rens groupes, sur trois ou quatre cents pieds de hauteur ; et sur
ses flancs , couverts d'énormes quartiers rompus et entassés comme
de vastes ruines , s'élèvent encore d'énormes pyramides de ce même
rocher, tranché et mis à pic du côté du vallon. Cette montagne
fermait en effet une vallée très-profonde , dont les eaux, par un
effort terrible, ont rompu la barrière de roches et se sont ouvert
un passage au milieu de la masse de la montagne , dont les hautes
ruines sont suspendues de chaque côté. Au fond , coule un torrent,
dont le bruit accroît l'émotion qu'inspirent l'aspect menaçant et la
sauvage beauté de cet antique temple de la nature, l’un des lieux
du monde, peut-être, où l'on peut voir une des plus grandes
coupes d’une montagne vitreuse et contempler plus en grand le
travail de la nature dans ces masses primitives du globe. >»
Le grès rouge contient des cristaux de feldspath lamellaire qui lui
ont fait donner le nom d'arkose, nom tout à fait minéralogique, car
on a reconnu des arkoses dans la plupart des couches arénacées du
système secondaire. À la Poirie , près de Remiremont , les assises puis-
santes de cette roche sont pénétrées par des filons de quartz, qui,
moins puissans que ceux du Valdajol , jouent le même rôle, on n’y
VV VV OV OV OU VV VV v v v
* Le plus beau litre de l'abbé Bexon, né à Remiremont en mars1748, et mort à Paris
le 15 février 1784, est sans doute son histoire de Lorraine, malheureusement inachevée,
mais il a laissé un grand nombre d’observalions sur l’histoire naturelle et l’agriculture ; il
s’est occupé particulièrement de la minéralogie et de la géologie des Vosges (voir le conser-
vateur, publié par François de Neufchâteau); Buffon cite fréquemment ses observations, il est
à regretter que la majeure partie de ses travaux ne nous soient pas parvenus, il serait cu-
rieux de connaître comment un observateur de l’école de Buffon voyait la constitution
géologique des Vosges.
PREMIÈRE SECTION. 323
voit plus aucune stratification , il est massif, coupé verticalement par
de nombreuses fissures, et sa roche a une texture semblable à celle
des granites ; il serait difhcile de distinguer cette arkose du granite
sur lequel elle repose , ses élémens étant les mêmes et aussi disposés
à peu prés comme dans cette roche, si l’on n'apercevait pas deux
petites couches d'argile schistoïde et rubanée, iutercalées dans sa
masse, elles ont quelques centimètres d'épaisseur et sont un peu
inclinées , mais non iuterrompues , on peut les suivre coupant presque
horizontalement le massif du grès. Cette argile est à pâte fine , rou—
geâtre et jaspée, on y voit un peu de mica , elle est dure et à
cassure unie ; elle nous a présenté des impressions végétales (calamites).
Le feldspath, dans les arkoses du grès rouge , est très souvent passé
au kaolin, cette transformation ne peut être due à l'action de l’acide
carbonique que les filons de quartz ont amené avec eux lors de leur érup-
tion; ce changement après coup dans une roche aussi dure est difficile à
admettre , il est plus simple de le regarder comme une décomposi-
tion antérieure de ses élémens. On pense assez généralement que les
eaux qui ont déposé ces roches arénacées étaient acides ; ne peut-on
pas présumer que le feldspath qui s’altère assez facilement , doit son
état de kaolin à une action chimique des eaux. Les arkoses du grès
rouge sont situées à la base de ce dépôt reposant sur le granite auquel
elles ont probablement pris leurs matériaux , elles sont souvent rem—
placées par des argilolites schistoïdes ou compactes, de couleurs et
d’aspects différens, qui tantôt sont en couches distinctes alternant
avec l’arkose, tantôt en amas ayant à un tel point l'apparence de
filons, qu’elles ont souvent été regardées comme des roches feldspa-
thiques d’éruption , mais ces roches demandent à être décrites sous
leurs divers points de vue.
A Lutzelhausen , où de belles carrières sont ouvertes, cette roche
s’est déposée dans les dépressions du terrain de transition , elle occupe
le fond d'une espèce de bassin qui donne naissance à une petite
vallée, on n’y voit aucune apparence de couches, elle est massive
et prismatique en grand, elle est d’un blanc rosé, rude au toucher
et contient des fragmens de roches anciennes ; le grès ne la recouvre
pas immédiatement , il occupe la colline qui s'élève derrière cet amas.
Quelques observateurs (voir Bullet. de la société géol., réunion de
Strasbourg, T. VI.) donnent à la roche de Lutzelbausen une origine
éruptive et pensent que sa couleur blanche est due à des gaz acides
qui l'ont décolorée : comparant cette action à celle des solfatarres ;
cette théorie ingénieuse, quant à la décoloration de la roche, est pro-
524 MÉMOIRES ET PIÈCES.
bable, nous ne la contestons pas, mais c’est son origine ignée que
nous révoquons en doute, parce que nous ayons ici des preuves de
sédimentation : les fragmens de roches anciennes qu’elle contient, et
parce que ñous lui trouvons une grande analogie avec d’autres dépôts
argileux où des preuves d’agrégation mécanique sont plus évidentes.
A la Beuille, cette argilolite repose au milieu des anfractuosités
du granite , le grès rouge n’est pas en superposition directe , mais on
l'apercoit tout près de là, elle n'offre aucune apparence de stratifica-
tion , elle est massive, coupée par des fissures verticales qui la di-
visent en grands prismes , elle est argileuse, facile à tailler, d’une
couleur rouge amaranthe et parsemée d’orbicules blancs, qui, quel-
quefois sont vides et donnent à la roche une apparence celluleuse,
elle contient un peu de quartz et de mica. Cette roche est exploitée
en grand comme, pierre à four, sa qualité réfractaire a été reconrue
dans un grand nombre d’usages, mais elle ne peut être employée à
la bâtisse : l'humidité et l'intempérie des saisons la désagrégeant
dans peu de temps. On concoit par les amas que ces roches forment
dans les dépressions des roches inférieures que l’on a pu les regarder
comme des roches feldspathiques en décomposition d'origine éruptive :
enveloppées de tous côtés par le terrain intermédiaire et le granite,
et ayant par là de la ressemblance avec un filon; cette position ajoute
tant de force à l'opinion que l’on a sur son origine plutonique, que
wous devons chercher à comprendre cette apparence de filon: si
nous supposons qu'au milieu du granite, il existait une dépression
profonde opérée lors de son soulèvement, que cette dépression en
forme de bassin a recu des matières arénacées argileuses et feld—
spathiques prises aux roches de la contrée et amenées par les eaux ,
qu’elles s’y sont déposées graduellement, et que des filons de quartz
avec fer oligiste sont venus surgir dans le voisinage , eu s’mjecter dans
la roche dont ils ont modifié les caractères et la stratification , on
conceyra que cette roche peut ayoir l'apparence d’un filon, mais être
sédimentaire.
C'est dans un dépôt semblable que les bois fossiles de Faymont
ont leur gisement, les fouilles pratiquées pour leurs recherches ont
mis à découvert de chaque côté le granite qui forme le fond et les
bords de ce bassin, cette argilolite est d’une couleur violette rosée
parsemée de points blanes et verdâtres, doux au toucher; sa stratifica-
üon est plus apparente que dans les dépôts de Eutzelhausen et de
la Beuille, mais les couches sont très-interrompues et forment entre
elles différens angles d’inclinaison, cette roche a un aspect terreux
PREMIÈRE SECTION. 325
ét” une texture lâche qui cède facilement à la pioche, elle contient
des sphéroïdes blanchätres qui , plus durs que l’argitolite, se détachent
sans eflorts, ils sont la plupart gros comme des noisettes et ils pré-
sentent quelquefois des couches’ concentriques, quelques-uns de ces
globules sont formés par une roche poreuse blanchâtre, ayant l'aspect
des laves ponceuses, elles sont plus grosses que les précédentes et
paraïssent être de même nature que la roche qui les enveloppe,
seulement elles proviendraient d’une couche préexistante du même
terrain, mais qui aurait été détruite. Les bois fossiles que l’on y ren-
contre en grande quantité sont couchés suivant la direction des strates ,
beaucoup sont encore débout et inclinés dans lesens du petit vallon dont
ce bassin est l'origine; quelquefois on en rencontre d'une longueur de
2 mètres, mais ils sont divisés par tronçons séparés les uns des autres,
par un intervalle de quelques millimètres occupé par la roche argileuse.
On pensait que ces bois fossiles appartenaient exclusivement à des
cryptogames vasculaires, il nous paraît hors de doute qu'ils sont la plu
part des conifères : les couches annuelles qu’ils présentent distinctement
et leur épaisseur qui augmente de la circonférence au centre, portent à le
croire; il est probable que ce sont des espèces analogues à celles du terrain
houiller : nous ne prétendons pas repousser la première opinion que l’on
en avait. Nous regardons aussi comme certain la présence dans cette loca—
lité de végétaux monocotyledons , tels que des équisétacées, des fougè-
res , des Zepidodendron et des lycopodiacées d’une élévation égale à celle
des conifères ; on les reconnaît à leurs tiges plus ou moins aplaties , ar-
ticulées de distance en distance, et sillonnées longitudinalement , ou
présentant aussi des espèces de disques rhomboïdaux disposés régulière-
ment le long de la tige, ayant une cavité cylindrique d'un à trois
pouces de diamètre, autour de laquelle on remarque une zône ligneuse
souvent concentrique et souvent rayonnée du centre à la circonférence.
C’est principalement à Hérival et dans d’autres vallées qui dépendent
du Valdajol que les argilolites du grès rouge se présentent sous un
aspect bien remarquable : elles ont une pâte rougeâtre, argileuse ,
homogéne et terreuse, elles sont tantôt orbiculaires | c'est-à-dire con-
tenant des parties sphéroïdales blanches , tantôt porphyroïdes, c’est-
à-dire , contenant des cristaux de feldspath terreux assez nettement
déterminés mais confusément disposés , elles sent fréquemment com-
pactes , c’est-à-dire composés d’une seule matière : ces variétés passent
de l’une à l’autre sans aucun ordre, il y a souvent confusion entr'elles,
et il n’est pas rare de les voir réunies dans un même fragment ;
elles contiennent aussi, en quantité assez notable, du quartz sableux
326 MÉMOIRES ET PIÈCES.
qui quelquefois est cristallisé, un peu de mica et des débris de
roches anciennes ; du fer oligiste en veines extrêmement déliées,
du manganèse , du fer hydraté , de la baryte , des cristaux de quarz et
des parties charbonnées qui semblent provenir de restes de végélaux ,
s'y rencontrent aussi souvent. Les couches compactes sont d’une
couleur blanche rosée souvent maculée et veinée de violet, elles sont
quelquefois fort dures, à cassure esquilleuse et passant au jaspe,
mais elles n'occupent pas toujours le fond des dépressions des roches
inférieures, souvent recouvertes par le grès rouge lui-même, elles
alternent quelquefois avec lui, on leur reconnait alors une stratifica-
tion qui n'est pas toujours concordante , elles se divisent en feuillets
minces, de peu de continuité, c’est près de la cascade de Faymont
et dans le ruisseau du Géha que ces belles roches à pâte si fine et
si diversement colorée ont particulièremient leur gisement , c’est aussi
dans le même ruisseau, près du moulin et sur les hauteurs de la
Broche et de la Vigotte, que l’argilolite rouge parsemée de sphe-
roïdes blancs et de mica se montre , là elle est parfaitement strati-—
fiée , ses couches horizontales et parfois inclinées se divisent en feuillets
minces et sont recouvertes immédiatement par le grès rouge souvent
anagénitique et arkosien.
Dans la partie septentrionale des Vosges les mêmes faits se re—
présentent , les argiles du grès rouge au moulin de Beulay , à Lubine
et à Senones sont aussi homogènes, résistantes et à cassure esquilleuse
demi-vitrée. À Lasalle, une roche argileuse ; parsemée de feldspath ;
de grains de quartz sableux ou quelquefois cristallisés et de mica ,
a été exploitée autrefois comme pierre meuliére, elle appartient évi-
demment au grès rouge ; elle a perdu en partie ses caractères arénacés
qui se sont pour ainsi dire fondus dans sa pâte et ont contribué à
sa compacité, la seule apparence de stratification qu'elle a conservée
c'est sa division en plaques longues , peu régulières , que ses fragmens
présentent et qui m'avait pas échappé aux Romains qui en profitaient
dans la confection de meules à bras ou Trusatiles. Tous ces caractères
sont bien ceux d’une arkose granitoïde argileuse, M. Rozet la re-
garde comme une eurite granitoïde altérée. (Mémoires sur les Vosges,
page 55.)
Nous avons dit plus haut que des actions plutoniques avaient
modifié le grès rouge , mais nous avons reconnu en même temps que
ses élémens étaient réunis par un ciment siliceux ; il en a été de même
dans les couches argileuses de ce terrain , sur lesquelles nous venons
de donner quelques détails, car c'est à cette silice en dissolution que
PREMIÈRE SECTION. 327
lon doit attribuer cette dureté et cette compacité qui pourraient les
faire prendre souvent pour des roches à base de pétro-silex tant leur
cassure est esquilleuse et translucide sur les bords. On a pensé que
ces roches résultaient de la di tion des massifs euritiques et por-
phyriques, cela est probable, quoique composées essentiellement
d'argile , qui sans doute provient aussi de la destruction des schistes
argileux du terrain -de transition , on reconnaît que le feldspath à l’état
de kaolin y existe en quantité notable ; aussi ces belles argiles pour-
raient être employées avec avantage à la fabrication de Îa poterie
fine , certaines couches rendent déjà de grands services dans la cons—
truction des fours ; l’art de fabriquer de bons mortiers, qui est encore
si peu connu dans nos contrées, trouverait dans cette argile , facile à
pulvériser, et employée comme trass, une matière précieuse, propre
à des mortiers hydrauliques.
L'on sait que la partie supérieure du grès rouge présente des dé-
pôts d’un calcaire dolomitique grénu et cristallin ; cette dolomie, que
quelques géologues ont regardée comme l'équivalent du zechstein,
forme des amas et des couches qui sont trés-irrégulières , elles s’a-
mincissent et offrent des renflemens considérables, quelquefois elles
intercalent des lits de grès , et comme lui elles contiennent fréquem-
ment des galets de diverses roches ainsi que du quartz à l’état sableux ,
des veines et des rognons de quartz agathe rubigineux, on n’y
remarque aucun reste organique. Cette dolomie, composée suivant
M. Braconnot, de carbonate de chaux 44,6, de carbonate de ma
gnésie 52,2 , et de silice mélangée d’argile 3,2, fournit une bonne
chaux hydraulique, elle est exploitée pour cet objet à la Petite
Raon, à Robache , à Saäles, à Lubine et à Bruyéres, il en existe
d’autres gisemens qui aussi pourraient être mis en exploitation. On
voit encore dans le grès rouge un autre calcaire qui semble avoir une
certaine identité minéralogique avec les argiles à pâte fine de ce dé-
pot, il se présente en couches intercalées dans la partie arénacée du
todte-liegende ; il est compacte, rose, blanchâtre , verdâtre et jau-
nâtre, un peu cellulaire. C’est à Lubine qu’il existe, ses couches
sont horizontales et ses variétés passent de l’une à l’autre; il paraît
que ‘dans le Valdajol il est un calcaire semblable, mais nous ne
pourrons bien préciser la nature de cette roche que quand une analyse
exacte en sera faite, nous savons seulement qu'elle est très-argi-
leuse, qu’elle ne fait aucune effervescence avec les acides, mais que
calcinée, elle fuse dans l'eau avec bouillonnement et chaleur.
Les roches argileuses du grès rouge par les divers aspects sous
598 MÉMOIRES ET PIÈCES.
lesquels elles se présentent n’ont pas toujours été rapportées à cette
formation ; beaucoup d’observateurs les ont considérées comme des
eurites terreuses et des porphyres décomposés, parce que souvent elles
se présentent dans la nature sou fausse apparence de filons et
que leurs matières semblent être en ent feldspathiques, aussi a-t-on
nommé fréquemment les variétés porphyroïdes : Porphyre argileux
{thon porphyr) ou argilophyre, porphyre brèche ( trummer porphyr),
porphyre secondaire; porphyre du grès rouge, et les variétés com—
pactes: Eurite terreuse ow kaolin; les géologues qui les ont appelés
ainsi n’ont peut-être pas toujours voulu désigner ure roche plutonique
car ils ont reconnu souvent qu’elle était stratifiée et dépendait du
grès rouge, mais c'est donner une fausse signification aux noms por-
phyre et eurite qui, dans leur acception rigoureuse, indiquent une
roche d’éruption.
Il en est de même du mot sprlite qui a été appliqué indistinctement
à des roches d’éruption et à des roches évidemment stratifiées. Disons
un mot de cette roche qui tient encore à la formation du grès rouge.
Dans la partie septentrionale des Vosges, à Säales, à Provenchères ,
à Senones et à la forge de Malencon près Lasalle, on voit des
roches brunâtres , verdâtres , ou d’un violet foncé contenant des débris
de roches anciennes et parsemées de nombreuses vacuoles qui lui
lonnent un aspect celluleux semblable à celui des matières rejetées
par les forges, ou plutôt elles sont bulleuses comme certaines laves ,
presque spongieuses même , car on y reconnaît plus de vide que de
plein; mais avec un peu d'attention on voit que cet état n'existe
qu’à la surface de la roche ou qu’à peu de profondeur: en effet ,
dans son intérieur , ces cellules sont remplies par une matière argi-
leuse blanche, douce au toucher , et qui parfois a de la ressemblance
avec la stéatite, par du fer hydraté jaune et noir pulvérulent et
quelquefois par un calcaire dolomitique rosâtre, plus compacte que
celui du grès rouge , par de la chlorite et du quartz cristallisé , mais
jamais par du spath calcaire ni de la zéolithe *.
Nous ne pouvons supposer que les divers minéraux qui occupent
les vacuoles de ces roches, vacuoles à peu près uniformes et égale-
ment répandues, sont des fragmens préexistans et arrondis par le
* Nous ne pouvons mieux comparer ces roches qu'aux spilites d'Oberstein et des bords
de la Sarre qui sont comme elles criblées de cavités irrégulières en forme de boursouf-
flures et remplies ou tapissées de divers minéraux, aussi une ressemblanée si frappante vous
porte à croire que, dans ces localités, ces roches appartiennent au même terrain que
æelles des Vosges et mont pas l’origine pyrogène qu’on leur croit.
PREMIÈRE SECTION. 329
roulis des matières, ils sont trop friables et trop attaquables par les
acides pour émettre cette opinion, d’ailleurs d’autres débris de roches
anciennes (granites, quartz, etc.), s'y rencontreraient au moins en
quantités égales; on remarquera aussi que souvent ces minéraux ne
remplissent pas complètement les cellules, il en est qui tapissent
seulement leurs parois ; il est évident qu'ils sont arrivés la par des
émanations de gaz acides et métalliques qui se sont fait jour pendant
que cette couche argileuse était encore à l’état boueux , ces cellules
donnent en effet l'idée de bulles de gaz qui traversent une masse
pâteuse, et si elles sont vides vers les surfaces, c'est que les miné-
raux qui les remplissaient , exposés à l'influence des agens atmosphe-
riques et marins ont été nécessairement détruits ou altérés. Il n’est
donc pas possible de douter que cette roche doit sa formation à une
action neptunienne, sa consolidation et son état celluleux à une action
plutonique.
A la forge de Malencon , commune de Lasalle, cette roche a une
allure toute différente des autres localités : c’est un véritable conglo—
mérat composé de gros fragmens arrondis de diverses variétés de
spilites , de roches compactes provenant de la formation du grès rouge
et de quelques gros galets de granite, ces fragmens sont réunis par
un, ciment essentiellement argileux et un peu sableux. Ce poudingue
forme un coteau qui s’abaisse vers la forge et sur sa partie supérieure
couverte de culture; on reconnaît la même roche en nombreux débris
jusques près de Nompatelize; sa stratification est inclinée dans le
sens du coteau , et ses couches que l’on a reconnues dans le terrain
sur lequel la forge est bâtie semblent plonger sous celles de l'arkose
granitoïde argileuse de Lasalle , et elles paraissent recouvertes par le
grés rouge proprement dit, que l'on voit constituant un monticule
sur lequel s'élève l’église de Nompatelize , et par la dolomie que l’on
aperçoit en couches minces en descendant vers Biarville, Par ce con-
* glomérat on voit qu'il y a eu dans les couches sur lesquelles repose la
partie arénacée du todte-liegende , un mouvement général qui les a dis
loquées et a dispersé au moment même les fragmens de leurs roches.
Les roches amigdaloïdes du grés rouge occupent, de même que les
roches argileuses , la partie inférieure de cette formation et sont dé-
posées sur les aspérités et dans les dépressions des roches granitiques ,
elles se présentent en couches irrégulières , mais continues entre les
roches massives et la partie arénacée du dépôt.*
© M. Hogard qui a adopté, dans sa Description du système des Vosges, la même opinion
sur Jes srilites que nous venons de décrire, vient de modifier la manière dont il les
42
550 MÉMOIRES ET PIÈCES.
On voit encore dans les Vosges des roches brunâtres et verdâtres ,
d’une origine ignée évidente , parsemées de nombreuses cellules qui leur
donnent de même un aspect bulleux, ces cellules sont vides sur les sur—
faces, mais elles sont remplies par de la chaux carbonatée dans l’intérieur,
envisageait: il regarde toujours ces roches comme stratifiées, mais il les sépare de la
formation du grès rouge (Todielicgende) pour les faire dépendre de celle du vieux grès
rouge (old red sandstone des anglais); ce qui l’a conduit à cette opinion, c’est qu’il a vu,
à Senones, cette roche traversée par deux filons euritiques , filons qui, assure-t-il, ne peuvent
pas être regardés comme préexistans parce qu'ils ont évidemment redressé, parallèlement
à leurs faces, les couches de la spilite. Il étend cette opinion à quelques roches argileuses
et porphyroïdes qu'il considérait aussi avec nous, comme faisant partie du Todteliegende,
ce qui le porte à le croire, c’est la discordance que l’on observe dans leurs couches avec
celles qui caractérisent ce dépôt, les différens angles d’iuclinaison qu'elles aflectent entr’elles
et quelquefois leur dislocation.
Nous devons dire que M. Hogard avance cet avis avec beaucoup de réserve, retenue
qui assure à ses observations la plus grande confiance, il reconnaît lui-même la nécessité
de revoir de uouveau toutes ces roches avant de ne rien décider, examen qui pourrait lui
faire abandonner cette manière de voir, car si jusqu’à présent où n'a pas vu daus les
Vosges de filons feldspathiques pénétrer dans les couches dépendant du grès rouge, doit-on
conclure de là qu'ils ne peuvent sy rencontrer, et que dans d’autres contrées il en est
de même? M, l'abbé Schmitt vient de nous entretenir dans sa notice sur le Liedermund
(Prusse Rhénane), de filons porphyriques qui pénètrent jusques dans le grès bigarré qu’ils ont
modiliés. Si à Senones des filons euritiques sont injectés dans une roche du grès rouge,
doit-on par ce seul fait en tirer la conséquence qu’elle dépend du vieux grès rouge? Ce
terrain inférieur au terrain houiller avec lequel ilse lie souvent n’a pas encore été reconnu
dans les Vosges, où le terrain houiller existe en petits lambeaux très-circonscrits et fort dis-
loqués. Enfin les perturbations et les discordances de stratilication que l’on remarque dans
les argilolites, les argiles compactes et les spilites du grès rouge ne peuvent rien inférer
en faveur de leur séparation de cette formation: ces roches forment la première série de
ce dépôt, il est probable qu’elles n’ont pas été formées en un jour; pendant la longue
période qu’elles ont dû mettre à se constituer, il faut admettre, pour se rendre compte
de cette dislocation, qu'il y a eu certains foyers de bouleversement, que le sol, à cette
époque, devait être sans cesse en mouvement, et les couraus d’eau peu constans et peu
uniformes dans leurs courses; cette hypothèse explique leurs fractures et la discordance
que leurs conches affectent entr’elles. Les roches, qui composent la seconde série de ce
puissant dépôt, sont les dolomies, les arkoses, les anagénites et les grès proprement dits
qui se sont déposés aussi à de longs intervalles , mais dans une mer plus tranquille, et n’ont
pas éprouvé les mêmes causes perturbatrices. Observons que nous ne parlons ici que des
perturbations partielles qui ont opéré successivement sur les divers membres de ce dépôt,
et non du soulèvement général qui a agien masse sur toutes les couches du Todteliegende,
action que l’on reconnait par leur grande différence de niveau.
Le vieux grès rouge est caractérisé par un grès très-siliceux , d’un rouge généralement
sombre , par des conglomérats où les fragmens de quartz dominent et par des argiles
schisteuses trés-micacées, ce ne sont pas là les caractères minéralogiques qui distinguent
les roches de la première série du grés rouge , il n’y a donc que leur position géologique
relative qui peut être consullée, mais avant il faut rechercher si la formation du vieux
grès rouge est constamment la même, ou bien si nos roches des Vosges ne seraient pas son équi-
valent. Cette recherche n'est pas sans difficulté, parce que nous n'avons pas de fossiles
qui peuvent nous aider, et que les diverses opinions émises sur ces terrains jettent plus
d'incertitude que de lumière sur cette question. Quelques observateurs le regardent comme
l’équivalent de la partie inférieure du Todteliegende, et il est à présumer que plus tard
on réunira ces deux terrains sédimentaires au terrain houiller qui les sépare.
PREMIÈRE SECTION. 331
ce minéral les distingue des roches de même aspect tenant à la forma-
tion du grès rouge où nous n'y en ayons jamais vu de traces ; elles
sont fort dures et tenaces, quelquefois elles sont magnétiques et
contiennent du fer pyriteux, elles appartiennent aux porphyres,
aux eurites compactes; aux trapps et même gux diorites compactes ;
elles se montrent sur les flancs et autour des centres des massifs
des roches auxquelles elles appartiennent. Après la descripuon de
ces deux espèces de roches, il reste à juger si le nom de spilite
peut être donné à l’une ou à l’autre, ne conviendrait-il pas mieux
de le réserver spécialement aux roches d'origine plutonique et de
le faire précéder dù nom de la roche à laquelle il appartient comme
qualification qui indiquerait qu’elle estremplie de cavités , ou bien de
le remplacer par le nom amigdaloïde déjà recu ?
Il est bien à désirer que la science adopte un langage uniforme,
nous en exprimons ici le vœu; elle ferait certainement des progrès
rapides si une nomenclature établissait des principes sévères de dé-
termination , combien de discussions sur des mots n'auraient pas lieu
si nous possédions une bonne description des roches, fondée sur des
caractères minéralogiques et géologiques savamment étudiés et discutés
par les autorités de la science qui seraient appelées à concourir à une
œuvre si éminemment utile ; l’académie française nous a soumis à la
loi de son dictionnaire, pourquoi la géologie ne nous imposerait-elle
pas un vocabulaire qui serait l'inventaire actuel de sa langue ?
M. Hogard, dans sa Description du système des V. osges, a décrit
avec précision et méthode le terrain du grés rouge , terrain depuis peu
de temps parfaitement connu , et qui avant présentait dans les Vosges
tant de problèmes difficiles à résoudre. Nous engageons les obser-
vateurs qui veulent étudier ce dépôt composé de roches si variées à
porter leurs pas dans les vallées et sur les hauteurs dépendant du
Valdajol , à Hérival, à la Beuille et à la Poirie prés de Remiremont,
c'est là que les argilolites, les argiles compactes et les arkoses se
présentent sous leurs diverses manières d'être, mais c’est dans la partie
septentrionale qu'ils devront aller chercher la dolomie, le calcaire
argileux et les spilites.
DU GRÈS VOSGIEN *.
Le grès vosgien constitue toute la partie septentrionale de la chaîne
des Vosges ; au midi et à l’est il forme des bancs détachés , Mais à
* Cet aperçu sur ce terrain répond aux tcisième et treizième questions du programme
ainsi conçues: Doit-on séparer le grès bigarré du grès vosrien, comme le dit M, Elie de Beaumont ,
332 MÉMOIRES ET PIÈCES.
l'ouest il est en couches continues ; il repose sur le granite, le lep-
tynite et le gneiss; au nord de Saint-Dié, à Senones, au Valdajol et
à Bruyères, il se réunit au grés rouge avec lequel il se confond.
La stratification de ces deux dépôts nest pas toujours concordante ,
au contact ils contiefiffent les mêmes roches ; enfin à Saint-Hypolite
et à Sainte-Croix -aux-Mines , il repose sur le terrain houiller avec
lequel il ne se lie pas.
Le grès vosgien est formé de grains de quartz sableux et souvent
d'apparence cristalline , réunis par un ciment ferrugineux, siliceux et
peu argileux , sa couleur varie du rouge amarante foncé au blanc
rosätre , quelquefois il est d’un blanc ferrugineux brun. Son conglo—
mérat ou poudingue est formé par la réunion de fragmens arrondis
de quartz de différentes couleurs , fortement cimentés par un suc sili-
ceux qui leur donne une adhérence solide. Le grès vosgien n’a pas
toujours le méme aspect minéralogique , il oflre fréquemment des
variétés de roches, qui cependant ne peuvent pas être regardées comme
des couches différentes, parce qu’elles se rencontrent partout et on
ne peut leur assigner une place certaine; ce ne sont donc que des
modifications et des accidens: ainsi quelquefois il a l'aspect d’une
arkose lorsqu'il contient des petits points blancs de feldspath en dé-
composition, ou bien celui d'une psammite schistoïde lorsqu'il est
argileux et micacé. On reconnaît aussi entre les bancs de grès de
petites couches d’argile micacée se divisant en feuillets minces, cette
argile se retrouve encore en noyaux aplatis, engagés dans le grès ; quel-
quefois offrant moins de résistance aux actions atmosphériques, ils
laissent des cavités qui donnent au grès une apparence carice. Enfin
parfois il est presque entièrement friable et il se réduit sans efforts en
sable.
De même que dans le grès rouge , le grès vosgien doit sa consoli-
dation à de la silice en dissolution dans les eaux. Il est bien probable
aussi qu'une partie de ses grains de quartz dont un grand nombre
présente des facettes cristallines provient d'une action chimique analo—
gue; c’est encore à cette dissolution siliceuse qui est plus en excès
dans quelques parties que dans d’autres, que le grès doit quelque-
fois son aspect de quartzite à texture serzée , plus ou moins homogène.
On peut encore attribuer à la méme origine ces masses de quartz
amorphes qui passent souvent à une véritable calcédoine et qui cons-
ou doit-on l’y réunir, comme le pensent les géologues allemands? — Le grès vosgien provient-il de
roches préexistantes , ou au contraire, ses grains ont-ils été formés par une cristallisation confuse
de matières siliceuses amenées, par exemple, par des eaux minérales.
PREMIÈRE SECTION. 333
tituent peu à peu, en enveloppant des galets de quartzite, un poudingue
particulier (forét de Humont , environs de Bains). Les calcédoines que
l'on rencontre à Vecouf, au Peutet, au haut du Tot, etc., provien—
nent évidemment du poudingue du grès vosgien, où un ciment de
cette nature était abondant. Nous ayons vu encore dans le vallon de
Claire-Fontaine, qui descend dans la vallée de la Sémouze , de nom-—
breux galets de quartzites qui tous avaient une enveloppe calcédoineuse
rougeâtre, due probablement aussi à une cause semblable. Le fer
oligiste forme quelquefois avec la silice un ciment fort dur qui unit
les galets quartzeux et constitue un poudingue ferrugineux (Remiremont ,
environs de Faucogney, Thirria); il est évident que le fer ne doit pas
ici sa présence à une action chimique des eaux , mais comme nous l’ayons
démontré plus haut à des vapeurs métalliféres , d’ailleurs dans quelques
localités on exploite dans ce dépôt du fer hydroxidé et même du plomb
(environs de Lembach, Katzenthal, etc., oltz).
Les matiéres qui forment les assises du grès vosgien ont été exami-
nées bien des fois. M. Elie de Beaumont-les a étudiées particulière
ment *, on n'a pas toujours été d'accord sur leur origine, mais l'opinion
la plus générale est qu’elles proviennent de la destruction du terrain
de transition : les cailloux quartzeux qui constituent son poudingue
et qui sont les mêmes dans toute la région occupée par le grès vosgien
ont, en effet, une analogie frappante avec les quartzites du terrain
intermédiaire , on y reconnaît ces quartz blancs, grisâtres , rougeûtres ,
quelquefois micacés et ayant uné structure lamellaire , schistoïde et
compacte ; il en est bien quelques-uns qui ont cette texture grenue ,
analogue à celle des quartzites de Sierck (Moselle). Mais cette variété
noire souvent veinée de blanc qui a une similitude frappante avec la
lydienne ou le trapp, ou même avec le schiste modifié, fait plutôt
présumer qu'ils sont des débris du terrain de transition , d’ailleurs on
en a trouvé qui contenaient des coquilles (spirifer et productus). Parmi
ces galets de quartz si variés on distingue aussi des fragmens, de
granite, de gneiss et de leptynite, ceux d’eurite et de porphyre y
sont plus rares et sont toujours décomposés, ainsi que les parties
feldspathiques des roches granitoïdes qui, en général, sont en petits
débris. Si les plaquettes d'argile disséminées dans le grès vosgien
proviennent des schistes argileux du terrain intermédiaire, il en est
qui peuvent devoir leur origine aux couches argileuses du grés rouge.
Nous avons dit que les grains de quartz à facettes cristallines que l’on
reconnaît dans ce dépôt étaient probablement un résultat de l'action
* Observations géologiques sur les terrains secondaires du système des Vosges, 1828.
:
334 MÉMOIRES ET PIÈCES.
chimique des eaux ; mais il est évident que Ja pluspart sont aussi des
débris de quartzites ou de roches granitoïdes et même qu'ils provien-
nent des grauwackes et du Todteliegende.
La couleur rouge du grés vosgien si constante et si uniforme, a
été aussi le sujet de scrupuleuses investigations , on est maintenant
à peu près d'accord sur sa cause: on la considère comme étant due
à des filons de fer oligiste et de fer hydraté qui se trouvaient dans
les couches du terrain de transition lors de sa destruction...
On avai cru que le grès vosgien ne renfermait pas de restes orga-
niques, mais depuis peu MM. Mougeot et Hogard ont recueilli des
fragmens de calamites (calamites arenaceus) dans le grès et le pou-
dingue de ce dépôt; on conçoit que les corps organisés doivent étre
rares dans une roche sédimentaire formée de gros élémens , et qui con-
tient peu de parties argileuses favorables à la conservation de corps
fragiles.
Tous les observateurs qui ont décrit le grès vosgien : entr’autres
MM. Elie de Beaumont, Voltz et Rozet, ont pensé que ce terrain
n'avait éprouvé aucun dérangement depuis son dépôt , que ses couches
avaient une stratification à peu près horizontale et qu’elles s'étaient
déposées sur les pentes de la chaîne des Vosges dont elles avaient
suivi le niveau.
M. Hogard, qui a fait une étude particulière de son nivellement,
cite des redressemens remarquables de ses couches. On voit dans son
ouvrage une coupe partant d’Epinal et allant au haut du Roc, qui donne
à son opinion un caractère spécieux : ainsi d’Epinal à Jarménil ce
dépôt est à peu prés dans sa position primitive , mais à partir de là, il
s'élève de plus en plus jusques au haut du Roc. Il est à remarquer que
le grès, à Jarménil, n’est qu'a 400 mètres, tandis qu'au haut du
Roc il est à 1017 mètres , et que la distance à vol d'oiseau, entre
ces deux points , n’est que de quatre lieues. À une lieue de Jarméhnil,
à la tête des Cuveaux , il atteint déja une hauteur de 783 mètres et
à la Charme, qui est peu éloignée , 850 mètres. Devant une aussi
grande différence de niveau, dans une si petite distance, il est diff-
cile de ne pas croire qu’il a éprouvé les effets de violentes secousses ;
ce qu'il y a de plus remarquable encore dans ce redressement c’est
que les couches du grès n'ont pas perdu leur horizontalité: les seuls
effets que l’on reconnaît sont de larges fissures qui disjoignent les
bancs et des éboulemens sur les pentes du sommet et dans le voisi-
nage des couches. Il est permis de douter que les couches du grès
ont été portées à de grands niveaux par une force soulevante sans leur
PREMIÈRE SECTION. 338
avoir donné une grande inclinaison, op s'attend aprés un pareil effort,
à voir des glissemens ou des redressemens, parallèles aux pentes des
sommets, mais c'est en vain qu'on les cherche.
C'est devant un ordre aussi surprenant, après un pareil eflort,
que nous avons de la peine à croire que le grès des Vosges a été
soulevé, car nous avouons ne pas être entièrement convaineu , de même
que les observateurs cités précédemment, et dont l'autorité est res-
pectable , nous pensons que ce dépôt est dans sa position premiére.
Dans sa partie inférieure nous avons bien reconnu qu'il était quel-
quefois un peu incliné, mais cette inclinaison provient de celle des
roches inférieures sur lesquelles il s'est déposé. Nous savons qu'il
existe une grande différence de niveau dans les couches du grès vos-
gien; mais ne pourrait-on pas s’en rendre compte, par les dénuda-
tions opérées par les eaux qui ont enlevé, sur un grand nombre de
points , lors du creusement des vallées, de grandes épaisseurs du dé-
pôt ? C’est une théorie qui n’est pas sans réplique, nous la soumettons
néanmoins aux observateurs en nous réservant toutefois de la modifier,
s’il nous est démontré que seule elle n’est pas applicable ; mais nous
devons chercher à l’appuyer par des faits.
Les courans qui opéraient ces dénudations , changeaient probable
ment fréquemment de directions par suite d’affaissemens et de légères
oscillations du sol, efforts que nous réduisons à une juste valeur.
On à la certitude de l'existence de ces courans, dont d’ailleurs per-
sonne ne doute, en étudiant ce dépôt dans la vallée du Rhin,
où il est à un niveau supérieur relativement aux distances, il forme
un rivage contre lequel on apercoit les dénudations que les eaux
resserrées entre la chaîne des Vosges et celle de la Forêt - Noire
ont opérées graduellement. On en reconnaît les traces évidentes le long
de cette haute falaise, et toujours dans la direction du cours du
Rhin. Cet état de choses trouve du crédit pour supposer que la vallée
du Rhin était comblée par le dépôt du grès vosgien jusqu'à une
certaine hauteur, que c'est à une érosion considérable qu’elle doit sa
configuration actuelle et que les eaux en se retirant ont laissé les
dépôts du grès bigarré et du muschelkalk que l'on trouve à la base
des escarpemens du grès vosgien. Beaucoup de vallées étaient comblées
ainsi par le grès vosgien, on en voit les restes sur les pentes , à une
hauteur égale et s'inclinant insensiblement, celle de la Moselle en
donne un bon exemple: on y voit de chaque côté des rochers es-
carpés , qui, à une hauteur égale bordent le flanc de la vallée, ils
ressemblent à de hautes murailles destinées à soutenir les terres, ils
356 MÉMOIRES ET PIÈCES.
présentent des sillons profonds, creusés dans la direction de la vallée et
qui souvent s’avancent en surplomb sur ses pentes ; ils sont recouverts
d’un attérissement puissant formé de sable et de débris de grès vos-
gien, provenant évidemment de l’action de l'érosion. On a la preuve
des différentes directions des courans , dans ces dépressions alongées
aboutissant à une vallée que l'on rencontre prés d’un sommet cou
ronné par un banc de grès vosgien, le point culminant de ces gorges,
souvent très-élevé, est quelquefois dépourvu de grés, et l’on est
étonné de son absence. On reconnaît encore ces dénudations, mais à
un niveau d’eau moins élevé, dans ces petites montagnes coniques,
placées quelquefois au milieu d’une vallée, et qui étaient autant
d’ilots dans cette nappe d’eau, on en voit autour de Bruyëres et
dans Îes vallées de la Vologre et de Tendon: elles sont couvertes
d’un lambeau de grès souvent inaccessible , par l'escarpement que ses
couches, coupées verticalement, forment tout autour ; les corniches
qu'elles présentent et qui surplombent sur lés pentes rapides du mon-
ticule , sont des témoins des efforts des eaux. Fréquemment ces rochers
présentent les formes les plus bizarres, quelquefois celles des glacis
d’une forteresse on d’une tour en ruines.
N'a-t-on pas encore des preuves de l’action des eaux dans ces petits
bassins ou trous circulaires, appelés cuveaux, qui existent souvent à
de grands niveaux, à la surface des couches du grès, et qui, une
grande partie de l’année, sont remplis par une eau pluviale crou-
pissante ; ne doivent-ils pas leur formation au roulis des matières
amenées par les eaux et qui, par un tournoiement continuel, élargis-—
saient les parois de ces cavités? Et ces blocs erratiques, au sommet
des hautes montagnes , dans le fond et sur les flancs des vallées,
n’ont-ils pas contribué, par leur émission, à cette action érosive ?
Mais faut-il d’autres témoins de cette puissante érosion qui a raviné
ou détruit l'immense dépôt du grès des Vosges, que ces traces d'al-
luvions que l’on reconnaît sur les crétes des montagnes et dépassant
le niveau des grès; quelquefois ils sont en petits lambeaux à de
grandes hauteurs ; ont-ils aussi été soulevés? Il est à remarquer qu’au-
dessous des grès ou dans la région de ce dépôt , les galets qui com-
posent le terrain de transport sont en grande partie des quarzites
provenant de la destruction du poudingue.
S'il est reconnu que le grès vosgien est soulevé, il doit en être
de même du grès bigarré. M. Hogard , qui nous donne aussi des ren-
seignemens sur son niveau, nous dit: que ce terrain, à Rember—
villers, est à 300 mêtres, et qu'au Haut-du-Bois, il atteint dejà
PREMIÈRE SECTION. 337
700 métrés. La distance à vol d'oiseau, entre ces deux points,
n’a pas plus de quatre lieues. A Fontaine (Haute-Saône), ce dépôt
est à 270 mètres ; sur les hauteurs du Valdajol, en se rapprochant de
la vallée de la Mostlle, vers Maxonchamp , il atteint 750 mètres ; sur
les hauteurs au nord de Rupt, où nous croyons qu'il existe, il
doit être à 850 mètres , la distance entre ces points extrêmes et.celui
inférieur , est approximativement de trois à cinq lieues. Ainsi on voit
que cette différence de niveau peut être comparée, ayant égard à
la distance et à l’antériorité de sa formation, à celle du grès vosgien.
Il est assez singulier de voir le grès bigarré placé dans les mêmes
circonstances de nivellement ; aurait-il suivi les mouvemens du grès
vosgien ? Mais le muschelkalk aurait dû suivre ce redressement, et
cependant sa position n’est pas signalée par de grandes différences de
niveau. Dans la vallée du Rhin, que nous avons citée précédemment,
le grès bigarré ét le muschelkalk ne suivent pas le niveau du grès
vosgien , pourquoi n’en est-il pas de même à l'ouest de la chaîne ?
Nous voudrions pouvoir adopter l’opinion de M. Hogard sur les
différences de niveau du grès vosgien ; parce qu’elle a une apparence
de vérité qui appelle la confiance, et parce que nous reconnaïssons
que la nôtre n'est pas sans réplique. Mais nous ne pouvons con-
cevoir ces soulèvemens brusques et par étages qui ont conservé au
grès son horizontalité primitive ; car on se demandera toujours pour-
quoi les forces soulevantes , qui exerçaient leur action au-dessous de
cette masse stratifiée si puissante, ne lui ont-elles pas imprimé des
bombemens que l’on reconnaïitrait aux surfaces supérieures , surtout
au sommet des cônes granitiques ? Est-ce parce que leur défaut d’é-
lasticité s'opposait à une courbure aussi apparente? Mais au moins on
reconnaïîtrait des furlles présentant d’un côté des couches releyées ;
et de l’autre des couches plongeantes, ou bien on les verrait rejetées
sur les flancs des montagnes ou souleyées parallélement à l'axe de pro-
jection. Si les divers accidens minéralogiques que présentent fréquem-
ment le grès vosgien , et dont nous avons parlé plus haut, occupaient
une place fixe et s'ils pouvaient par là servir de niveau géognostique ,
on serait moins embarrassé, et cette question pourrait s'éclaircir ;
mais on sait que tous ces accidens et modifications n'occupent pas
une position certaine dans la masse du grès, qu'ils se trouvent partout,
et que le poudingue même, qui semble être la partie inférieure , est
très-souvent à la partie supérieure et fréquemment encore séparé en
plusieurs bancs par des lits puissans de grès proprement dit. Néan-
moins il est important de ne pas négliger ce moyen d'éclaircissement ,
[| 43
538 MÉMOIRES ET PIÈCES.
car il serait possible encore que quelques localités présentassent de ces
points de repère qui seraient d’un grand secours pour indiquer ou
retrouver le niveau primitif. Combien il y a loin des faits observés
dans le soulèvement du grès vosgien avec ceux qui distinguent celui
du grès rouge (totde-liegende) qui offre un accord extrémement re-
marquable avec tous les phénomènes qui nous paraissent devoir signaler
un dépôt sédimentaire !
Mais quelle action puissante , opérant de bas en haut, aurait im—
primé au dépôt du grès des Vosges, une aussi grande différence de
niveau? On ne peut pas l’attribuer au granite qui avait son relief bien
antérieurement à la consolidation de ce dépôt arénacé; ni à l'érup-
tion des basaltes , parce que le redressement aurait eu lieu dans une
direction paralléle au surgissement des cônes basaltiques ; qui sont: à
l'ouest de la chaîne, le cône d'Essex, et au nord-est, ceux de Gun-
dershoffen et de Riquewihr. M. Hogard le rapporte à l’éruption des
ophiolites : le seul point où cette observation peut être faite, est
Sainte-Sabine, qu'il cite à l’appui de cette théorie. Justement là le
grès vosgiéh est d’une horizontalité parfaite ; il se trouve en couches ,
ayant une étendue assez considérable , à quelques pas de ce filon de
serpentine qui est considéré comme le plus puissant des Vosges; on
y voit bien quelques éboulemens , mais ce désordre se voit partout.
Les têtes de dykes qu'il a cru apercevoir à la surface du grès vosgien,
ne sont que de gros fragmens de serpentine que l’on déplace sans de
grands efforts , quoiqu'engagés dans l’alluvion ou l'humus qui recouvre
ce dépôt; et si les blocs de serpentine à arêtes vives, que l’on
remarque placés au sommet du grès, ont fait penser à cet observateur
qu'ils étaient des débris de ces têtes de filons, rejetant l'hypothèse
de leur transport, par une cause violente, sur les couches du grès,
parce qu'ils sont à angles aigus; n'est-il pas possible d'attribuer leur
présence sur ce dépôt à des ouragans tels que l'on en voit encore
dans les déserts de l'Afrique et dans les steppes de la Russie, et qui
enlèvent tous les objets mobiles, ou brisent tout ce qui s'oppose à la
furie des vents déchainés; d’ailleurs la distance à parcourir, de bas
en haut, n'est que de 25 à 30 mètres, ainsi ce transport violent
n'a pas dû émousser sensiblement les angles de ces fragmens.
Si la serpentine avait traversé les couches de grès vosgien, comme
M. Hogard le suppose, elle y aurait laissé des traces de son passage :
des altérations ou des modifications dans les matières arénacées et
argileuses de ce grès, de la stéatite, ou de la magnésie, ou des subs-
tances métalliques remplissant Les fissures. Si parmi les débris de roches
PRÈMIÈRE SECTION. 339
anciennes que l'on rencontre quelquefois dans le grès des Vosges
on ne voit pas de serpentine, peut-on inférer de là que cette roche
n'était pas sortie du sein de la terre. Il nous semble plutôt que si les
éaux qui ont déposé le grès étaient acides , comme on le pense géné—
ralement, cette roche, qui renferme un tiers de magnésie , a dû être
attaquée par les acides, ou bien sa dureté étant moindre que celle
des autres roches, elle a été pulvérisée par le roulis des matiéres. Si
plus tard il nous arrivait de changer notre manière de voir, et que
nous y fussions conduits par des observations plus concluantes que
celles qui jusqu'alors nous ont guidé, il est probable que nous attribuerions
la cause du soulèvement du grès vosgien, non à une action violente,
due à l'éruption de roches pyrogènes, qui n'ayant pu percer ses
couches puissantes , se seraient consolidées au-dessous d'elles , mais à
un mouvement lent qui aurait fait monter tout entier le dépôt du
grès vosgien; et comme ce redressement a toujours lieu parallèlement
à l'axe granitique de la chaîne des Vosges, nous en verrions la
cause dans l’exhaussement lent des montagnes primordiales du système ;
“ouvement graduel qui n'aurait, en aucune facon, affecté le relief
des Vosges, mais lui aurait donné seulement un niveau supérieur.
Nous nous étayerions, dans cette théorie, du soulèvement du terrain
jurassique , dont M. Thurmann a si bien décrit les phénomènes, et
dont nous avons vu des exemples frappans dans la, Bourgogne et dans
les envifons de Lyon ; les couches tertiaires semblent aussi avoir été
redressées par la même action des convulsions souterraines , et nous
avons même la preuve sous nos yeux de ce mouvement lent ct con-
tinu dans ce qui se passe aujourd'hui en Scandinavie et sur les
rivages du Danemark , où il est bien constaté que le sol se soulève
progressivement. Les temps historiques nous fournissent aussi, même
depuis des époques peu reculées ; de nombreux exemples d'exhaus-
sement du sol, phénomène que l’on attribuait, il y a peu de temps
encore , à la retraite des eaux de la mer. Il est. bien entendu que
si, dans la suite, des faits positifs, appuyés par une théorie sévérement
discutée , nous faisaient adopter cette opinion , nous n’abandonnerions
pas l’action érosive qui a donné au dépôt du grès des Vosges , T'allure
qu’on lui reconnaît , elle servirait, au contraire, d'appui à cette ma—
nière de voir; et expliquerait les saccades de ces couches sédimentaires.
Il arrive quelquefois que des observateurs expérimentés changent ou
modifient leurs opinions, à plus forte raison, ne deyons-nous pas
nous refuser à nous rendre à l'évidence de faits positifs , aussi nous
A .
sommes prêts à abandonner la nôtre aussitôt qu’on nous prouyera, par
340 MÉMOIRES ET PIÈCES.
des exemples et par une explication plus satisfaisante , que le grés
vosgien a été soulevé brusquement , sans perdre, par cet eflort violent ,
son horizontalité primitive , et sans laisser de témoins de la projection
d’une roche plutonique à travers ou dans le voisinage d’un dépôt
arénacé.
Nous avons parlé de l'aspect singulier que présentaient les roches du
grès vosgien, souvent escarpées et inaccessibles , et que de loin on
prend pour les débris de la féodalité: l'illusion est d'autant plus
complète que les pentes de la montagne sont parsemées des débris
du grès couverts d’un lichen blanchâtre. M. Hogard a donné dans
son atlas de jolis dessins qui représentent les roches Saint-Martin et
du Kamberg près Saint-Dié, il ne pouvait pas faire un meilleur
choix pour donner une idée exacte de ces masses imposantes que l’on
prend pour des forteresses ; ct qui ne sont que des témoins de la
continuité de ce puissant dépôt. La roche des Fées, près Saint-Dié,
les roches du Thim et du Rupthyade, prés de Remiremont, figu-
reraient trés-bien près des premiers , elles présentent des escarpemens
à surfaces unies, dominant la vallée , de larges corridors y sont ouverts
et donnent à peine accès au jour, ils sont quelquefois la demeure
du Grand-Duc qui y établit son nid; on reconnaît contre leurs parois
des traces’ d’érosion , et le sol est nivelé par les débris du poudingue
ou par les alluvions ; au sommet, une bruyére épaisse et des myrüles
touflues couvrent des fissures étroites où l’on risque de glisser; il
serait dangereux d’y tomber, parce que, pressé entre deux murailles
de grès ou de poudingue, on aurait de la peine à se dégager; ces
gercures sont ordinairement la retraite des renards ou des chevreuils
qui y trouvent un abri contre la neige et le froid. Il est probable
que l’on y trouverait des restes de ces animaux, non pas que nous
voulions comparer ces sortes de cavernes à celles des terrains juras—
siques, car elles sont peu profondes et elles différent de celles des
terrains calcaires par la grande largeur de leur ouverture ; nous avons
cependant plusieurs fois fouillé leur sol, mais nous n’y avons trouvé
que les débris du grès mélés à de la terre de bruyères que les eaux
y amènent; peut-être, en creusant plus profondément, y trouverait
on des restes d’aurochs ou d’ours, car ces animaux ont habité autre-
fois les Vosges, et les derniers en ont disparu seulement depuis un
siècle.
Le grès vosgien acquiert quelquefois une grande puissance , M. Rozet
lai a reconnu , dans les environs de Raon-l'Etape, plus de 500 mètres.
Il est massif et il se divise en couches assez régulières, des fissures
PREMIÈRE SECTION. 3441
verticales les coupent en gros blocs, il fournit de bonnes pierres de
taille, et il est exploité pour cet usage dans toutes les localités où
il se trouve ; il est réfractaire et comme tel employé dans la construc-
tion des fours de forges et de fonderies, les couches minces sont
employées comme dalles, mais rarement pour couvrir les habita-
tions.
Quelques géologues rapportent le grès vosgien au grès bigarré , et le
regardent comme sa partie inférieure , d’autres observateurs le réunis-
sent au grés rouge dont il constituerait la partie supérieure. C'est
plutôt à ce ac dépôt qu’il pourrait avoir de l’analogie, car il se
lie quelquefois avec lui en couches concordantes, mais il est regardé
comme une formation indépendante , et lorsqu'il est recouvert par le
grès bigarré, c'est presque toujours en stratification discordante.
Le grès bigarré qui est plus argileux et plus micacé, ne peut être
confondu avec lui , il renferme bien quelquefois des galets de quartz,
mais ils sont fort petits et rares. Sa couleur est irrégulière et celle
qui domine est d’un blanc jaunâtre. Ses bancs, plus minces, sont plus
réguliers et plus schistoïdes , enfin c’est une véritable psammite. Il se
lie avec le muschelkalk avec lequel il est en concordance. M. d’Al-
berti, savant géologue du Wurtemberg, regarde le grès bigarré, le
muschelkalk et le keuper comme appartenant à la même formation,
à laquelle il donne le nom de Trias*; il appuie cette opinion de
considérations importantes. L’analogie qui existe entre les fossiles qui
caractérisent ces trois dépôts, est suffisamment prouvée: les observa-
tons de MM. Voltz, Mougeot et Hogard , et les nôtres , sur les côrps
organisés de ce terrain, peut aussi contribuer à appuyer cette liaison.
DU GNEISS ET DU LEPTYNITE.
Après avoir passé en revue les roches d’agrégation mécanique in-
termédiaires et secondaires qui présentent des métamorphoses et des
modifications, disons un mot des roches appartenant aux formations
primordiales où ces phénomènes peuvent être observés. Le gneiss oc-
cupe dans les Vosges peu de surface, il se présente en lambeaux
au milieu du granite et du leptynite, la contrée où on le reconnait
sur une plus grande étendue est celle occupée par les communes
de Laveline, Lacroix-aux-Mines, Wissembach, Colroy , Sainte-Marie-
aux-Mines, etc. Il est souvent décomposé ct il offre des variétés re-
marquables : ainsi depuis Corcieux et Gerbépal jusqu'à Arnould , on
“Monographie du Trias, Stutigart 1834.
342 MÉMOIRES ET PIÈCES.
reconnaît un gneiss que l’on peut appeler ta/queux , constituer toute
la longue côte que l’on descendait pour aller à Saint-Dié , avant que
cette route ne füt rectifiée, ce gneiss est rosâtre, et le mica qui
n’est pas complètement passé au talc en a cependant quelques ca-
ractéres, sa présence est désignée par des petites couches brunâtres
et ternes dont la division en lamelles est impossible, la structure
de cette roche est schistoïde, et ses feuillets qui se partagent facilement
sont enduits de talc reconnaissable au toucher onctueux que leurs sur—
faces présentent. Non loin de là : à la Croïx-aux-Mines , à Gemaingoutte
et à Wissembach, une autre modification du gneiss semble succéder
à celle-ci, on n’y reconnaît plus de mica ni de tale, c'est le graphite
qui a pris la place de ces deux substances , ses écailles se sont em—
parées de cette roche où le feldspath est peu abondant et souvent à
l'état de kaolin , mais peu à peu le mica reparaït , il finit par reprendre
toute sa puissanee et avec lui le gneiss ses caractères distinctifs. A
l'Allemend-Rombach', dans le voisinage du granite , il est très-feldspa-
thique , c'est peut-être une modification due au granite qui aura
donné à son feldspath plus d'apparence , et à Colroy il est traversé
par des petits filets de quartz translucide, mais d'un blanc sale,
qui sont interposés dans ses feuillets où ils présentent fréquemment
des renflemens et des nodules. Lorsque le gneiss est en lambeaux
peu étendus au milieu du granite, ses feuillets sont contournés, sa
texture est trés-serrée, sa force de cohésion est extrême et son mica ,
en lamelles fines, lui donne l’aspect d'une diorite schistoïde. (Environs
de Remiremont, Sapois, etc.)
Il semble reconnu que le leptynite, roche composée de feldspath
grénu et de quartz sableux et trés-souvent de mica en paillettes dissé-
minées, forme dans les Vosges le passage du gneiss au granite commun,
et qu'il s'est constitué aux dépens du premier; ce terrain encore
peu connu a été étudié, dans nos montagnes, par M. Rozet, en ob—
servateur exercé, il est le premier qui en a tracé avec exactitude les
caractères, les limites, et fait ressortir ses relations avec le granite
et son passage insensible au gneiss. C’est en effet dans les montagnes
des Vosges que cette roche peut être observée avec le plus d'avantage,
elle y occupe de grandes surfaces et constitue même le groupe de
montagnes entre Remiremont, Gérardmer, Bruyères, Docelles et
Eloyes, où, souvent recouvert par le grès vosgien, il est pénétré par
les massifs de granite qui occupent le fond des vallées; dans cette
vaste étendue de terrain, le leptynite présente toutes ses variétés
d'aspect : on y voit son mica tantôt disposé en lignes planes ou con-
\ PREMIÈRE SECTION. 343
tournées comme dans le gneiss, tantôt en petits amas formant des
nids ou des taches arrondies ou alongées; ou bien disséminé comme
dans les granites. Ces variétés l’ont fait nommer /eptynite gnerssique ,
deptynite macudé , leptinite graphique et leptynite granitoïde, quelque-
fois le mica s'unit à l’amphibole et constitue un leptynite que l’on
pourrait appeler siénitique, mais peu à peu l’amphibole remplace
complétement le mica, et devient même si abondante que la roche
prend l'aspect d'une véritable diorite (Ranfaing), qui a parfois une
structure schistoïde (diorite schistoïde de l'étang de Fondromé), sou-
vent encore le leptynite est privé entièrement de mica, c’est alors
une roche presque homogène, blanchâtre , où le feldspath grénu et le
quartz sableux, ses parties essentielles, sont ses seuls composans ;
mais bientôt on y aperçoit de trés-petits grenats disséminés qui lui
ont fait donner, par M. Brongniart, le nom de leptynite granatique.
(Ranfaing, Gérardmer, Sainte-Sabine , Sainte-Marie-aux-Mänes > etc.),
dans d’autres localités (Eloyes, Tendon), son feldspath rosätre trés-
abondant, lui donne une espèce de compacité qui , au pemier abord,
pourrait le faire prendre pour une eurite, c’est principalement dans
les fragmens détachés et polis par l’action de l'influence atmosphérique
que l'illusion est complète. Tous ces divers aspects sous lesquels
cette roche se présente ne peuvent pas constituer différentes espèces
au Leptynite, ce ne sont que des modifications dont il est aisé de
se convaincre à Ranfaing près de Remiremont, où l'on rencontre
toutes ces variétés passant alternativement de l’une à l’autre, sans
aucun ordre, et où fréquemment encore un bloc détaché de la roche
en présente plusieurs réunies ; c'est dans cette localité curieuse que
nous avons signalé cette belle variété parsemée de pinites et de grenats.
Le leptynite dans les Vosges est le seul gisement des ophiolites
(serpentine), car il ne paraît pas prouvé que la roche indiquée par
M. Voltz à Odern, entre le granite et le terrain de transition est
une serpentine, elle semble être plutôt une vyariolite à base d’am-
phibole. Le gneiss paraît ‘étre aussi le gisement spécial des massifs
de calcaires lamellaires appelé cipolin et ophicalce, qui, de'même que
les ophiolites, se présentent en amas subordonnés. La serpentine ne
paraît pas avoir fait subir de modifications à la roche encaissante ,
seulement on remarque dans ses fissures un enduit stéatiteux souvent
acquérant plus d’un millimètre d'épaisseur , il pourrait bien devoir
son origine à l’éruption de cette roche si riche en magnésie ; les
calcaires cipolins au contraire ont fait éprouver aux roches qui les
environnent une modification remarquable. Au Chipal, à Layeline
344 MÉMOIRES ET PIÈCES.
et à Saint-Philippe , elles sont pénétrées de chaux au point de contact
à un tel point que l'on ne sait si c’est un gneiss avec chaux €ar-
bonatée ou bien un calcaire micacé, car le gneiss fait une vive efler-
vescence avec les acides. Les feuillets du gneiss sont sensiblement
contournés dans le voisinage du foyer d’éruption du calcaire de Laveline,
mais il serait hasardeux d'attribuer à la méme action l’état de dé-
composition de cette roche, on doit plutôt en rechercher la cause
dans les agens atmosphériques, dans l’humus et dans les alluvions
qui l'ont recouvert , cette roche , par l'abondance de son mica, étant
très-perméable à l’eau ; il en est de même du gneiss de la Chapelle,
près Bruyères , que les habitans de cette localité, après l'avoir lavé
et placé dans un four à une forte chaleur, livraient autrefois au
commerce sous le nom de sable doré ou de poudre d'or. Le leptynite
contient fréquemment des fragmens anguleux et arrondis de gneiss
qui lui dohnent quelquefois un aspect bréchiforme, cela ne doit pas
étonner’, s'il a été formé aux dépens de cette roche il peut bien
contenir de ses débris.
Nous ne discuterons pas ici la cause modifiante du gneiss ni sa pré-
sence en petits lambeaux épars au milieu du terrain granitique, il
en sera de même de la position du leptynite au-dessus du granite,
parce que cette discussion nous entrainerait à émettre une théorie qui
n’est pas appuyée généralement : celle qui voudrait que le gneiss füt
la première roche consolidée du globe, et que le leptynite se fût
constitué à ses dépens. Cette opinion à laquelle M. Rozet a donné de
l'importance en faisant connaître dans les Vosges de nombreux faits
qui la soutiennent , a été combattue par M. Hogard qui, comme
M. Elie de Beaumont, considère le gneiss , le leptynite et le granite
commun comme ne pouvant être séparés les uns des autres. Pour
concilier ces deux théories, nous dirons seulement qu’il serait pos-
sible que le granite existät déjà lorsque le gneiss et le leptynite se
sont fdéposés, mais que ce n’était qu'un bain métallique dans une
inertie complète , et qui ne s’est soulevé qu'après le dépôt des roches
qui nous occupent. C'est à ce soulèvement que l’on peut attribuer
leur dislocation et l'existence des masses et des filons granitiques qui
les traversent et s’épanchent fréquemment sur elles. Il est bien en—
tendu que nous ne parlons pas ici des divers soulèyemens qui ont donné
aux Vosges la configuration actuelle, mais de celui qui leur a donné
un premier relief.
Il n'est plus permis aujourd’hui de nier la stratification du gneiss,
les observations que l’on fait tous les jours appuient de plus en plus
PREMIÈRE SECTION. 345
cette opinion, mais ce n’est pas dans les Vosges qu'elle a pu acquérir
de la force, car l'aspect général de cette roche toute contournée et
fissurée y offirait plutôt des remarques fayorables à l'avis contraire.
Nous sommes porté à croire que le leptynite, constitué évidemment
aux dépens du gneiss, est comme lui déposé en couches formées par
un concours d'agens aqueux , gazeux et galvaniques , et que, de même
que dans le gneiss, ses variétés minéralogiques prouvent que ses élémens
étaient inégalement répandus dans la dissolution ; son quartz sableux ,
les fragmens de gneïiss souvent roulés qu'il contient, sa granulation
confuse, les strates qu’ils offrent fréquemment, strates formées de di-
verses variétés de la roche et alternant entre elles, ses fissures se di-
visant presque toujours en feuillets , enfin la large bande qu'il forme
au nord de Remiremont , entre le granite et le grés Yosgien, bande
qui est souyent pénétrée par la première de ces roches, sont des faits
qui chez nous trouvent de la considération Pour oser soumettre aux
observateurs cette manière de voir que, du reste, nous n’adopterons
qu'après lavoir bien étudiée, parce que nous reconnaissons qu’il est
des contradictions à cette opinion.
DU GRANITE.
Le granite est, dans les Vosges , la roche la plus répandue ; c’est
sur lui que se sont groupées toutes les autres formations ; il constitue
les montagnes les plus élevées du système : le eck (1367), le
Rotabac (1319®), le Brésouar (12517), le és AR le Champ-
du-Feu (1057), etc., et vers les pentes de la chaîne , dans la région
du grès rouge et du grès vosgien , il occupe le fond de la plupart des
vallées. Disons quelques mots de ses diverses manières d'être ayant de
faire connaître les modifications et les altérations qu’il présente et que
nous avons reconnues dans ces montagnes.
Le granite commun est une roche à petits grains cristallisés confu—
sément, il varie peu dans son aspect; quelquefois cependant les
cristaux de feldspath, généralement blancs » deviennent plus gros’ et
lui donnent par là les conditions exigées pour être un granite porphy—
roïde, mais bientôt ilreprend son maintien ordinaire, aussi ce n’est qu'un
accident et non un système d’autres filons granitiques injectés dans
un massif préexistant. Cependant, à Ranfaing, il existe un granite
à très-petits grains cristallisés confusément, à feldspath rougeâtre,
dont la manière d’être n’est pas la même que celle du granite commun ,
il est traversé par des filons d’une eurite violette, maculée de violet
plus intesge, sa couleur est rosâtre, mais peu à peu elle devient bleuâtre ;
44
346 MÉMOIRES ET PIÈCES.
cette roche, que nous regardions comme faisant partie de Ja masse
leptynitique de cette localité, doit en être cependant séparée, parce
que ses élémens n’y sont pas disposés, ni cristallisés comme dans le
leptynite , qu'ils ne varient pas un seul instant d'aspect et que le seul
changement que cette roche éprouve n'est que dans sa couleur. Le
granite commun est l'espèce qui occupe le plus d’étendue , car il cons—
titue sans interruption toute la base de la vallée de la Moselle, depuis
Epinal jusqu’à Rupt, de celles de la Vologne, du Tholy, de Vagney,
de Rochesson, de Saulxures, etc. Il se trouve très-souvent en contact
avec le leptynite ; est-ce cette circonstance qui l’a fait réunir par M.
Hogard au groupe du leptynite et du gnéïss, et qui lui fait considérer
ces roches comme inséparables les ures des autres? Que l’on ob-
serve mwinéralogiquement les élémens de ce granite : l’on verra qu'ils
ne sont pas cristallisés comme dans le leptynite et que c’est une autre
combinaison chimique qui a procédé à leur réunion et à la formation
de la roche; nous avons dit aussi que ce granite changeait peu d’as—
pect, que partout il était de même, tandis que le leptynite varie de
maintien à chaque pas, même dans chaque fragment. Nous sayons que
la ligne de démarcation entre ces deux roches est très-difficile à éta-
blir, et que si l’on marche sur le leptynite croyant pouvoir le suivre
quelques instans, on est tout-à-coup sur le granite sans avoir rencontré
le point de partage, parce que les élémens de ces deux roches se
mélangent insensiblement sans qu'il soit possible d’apercevoir au pomt
de contact aucune soudure entr’elles. On peut, je crois, reconnaître
cette ligne de partage en suivant la base du Grismouton, depuis le
Saint-Mont jusques à Eloyes : là le granite est constamment au-dessous,
poussant des pointes dans le leptynite qui, par ce mouvement, varie
beaucoup dans son niveau. On peut se rendre compte du mélange
insensible des élémens des deux roches, en admettant que le granite,
en s'injectant dans le leptynite, a dù prendre au passage des parties
de la roche ambiante qui n'avait pas encore une consolidation par-
faite, ou qui se trouvait à l’état d'arène, ou bien que la matière
granitique à l’état de fusion, en s’introduisant dans les fractures et
même dans les fissures du leptynite, a dû briser et empâter tous les
fragmens détachés, ainsi que les portions saillantes qui s'opposaient
à la violence de son intuition, on observe que ce mélange n'existe
que dans les salbandes du filon, c’est-à-dire que dans les deux surfaces
qui le limitent et le séparent de la roche environnante, il pénètre peu
profondément, pourquoi? Parce que la matière ignée, dans sa pro—
jection , était accompagnée de vapeur élastique qui tenait en suspension
PREMIÈRE SECTION. 347
les débris arrachés et les refoulait vers les surfaces jusqu’à ce que la
matiére, en se refroidissant et en se consolidant, les a retenus.
Dans la vallée de Tendon, sur le revers opposé à celui de la cascade,
on voit un bon exemple qui peut appuyer cette théorie: c'est un
lambeau de leptynite qui présente une stratification parfaite , et dont
les couches peu épaisses alternent entre elles d’une manière fort re—
marquable, il se trouve accolé à un filon granitique, et il est incliné
dans un sens inverse à la projection du filon, c’est-à-dire qu'au lieu
d'être redressé par la force de l'injection il s’est au contraire affaissé,
la face du filon qui se trouve en contact avec les couches du leptynite
ne présente aucun mélange de cette dernière roche, le passage est
brusque, on pourrait presque dire qu'il y a un point de soudure,
tandis que la face opposée présente un mélange de matières granitiques
et leptynitiques , comme on l’observe ordinairement ; s’il nous est permis
d'appliquer ce fait à notre manière d’envisager ces roches, nous
dirons qu'au moment du déplacement de la matière en fusion les
couches du leptynite s'étant affaissées , il en est résulté une pression
considérable sur la matière granitique , pression qui a projeté dans
les fractures de la roche préexistante la substance en fusion et qui a
dû nécessairement s'exercer avec plus de force sur un côté que sur
l'autre. Nous avons dit que le granite commun présentait quelquefois
des parties porphyroïdes, ce changement dans sa matière se remarque
principalement lorsqu'il est en filons , c'est, je crois, à cette circons-
tance qu'il doit cette variation dans son aspect , parce quela matière
injectée dans une fracture étant moins comprimée que celle dela masse
principale sur laquelle une grande pression s’exercçait , a dù trouver
des circonstances plus favorables au développement de ses cristaux.
On 2 appelé granite porphyroïde un granite où les cristaux de
feldspath sont développés ou cristallisés assez nettement et abondans,
il est aussi trés-répandu dans les Vosges où il offre quelquefois des
nuances très-variées dues à la coloration du feldspath ; le granite por-
phyroïde du Champ-du-Feu a un autre aspect, son feldspath est
généralement blanc et il prend de l’amphibole; celui du Honeck, du
Rotabac et de la vallée de la Thurr, a quelqu’analogie avec lui, mais
il offre une variété distincte ; celui de Sainte-Marie-aux-Mines en
présente encore une autre, enfin celui de Plombiéres et de Bains,
qui forme une masse décomposée, doit être aussi mis à part et atiirer
une attention particulière.
Le granite PITURARE est un granite avec amphibole ; il serait une
véritable siénite s'il n'avait pas autant de mica, mais ce minéral do-
548 MÉMOIRES ET PIÈCES.
mine encore sur l’amphibole, c’est une fort belle roche; ses grands
cristaux de feldspath en font reconnaître deux variétés bien tranchées,
l'une à cristaux blancs et à cristaux verts plus petits, et l'autre à
cristaux rougeâtres ; quelquefois on y distingue des veines feldspathiques
d'un blanc rosätre avec amphibole du plus joli effet, quélquefois
encore l’amphibole y forme des agglomérations qui figurent assez
parfaitement des étoiles et qui, si elles étaient circonscrites par un
cercle feldspathique, donneraient à la roche l'aspect de la diorite de
Corse. C’est cette roche qui forme la plupart des blocs erratiques
des valiées occidentales des Vosges, il en est quelquefois de fort
gros et qui mesurent 50 à 55 mètres cubes, quelques-uns jouissent
de quelque célébrité ou sont vénérés par le peuple qui y attache
des croyances superstitieuses : la pierre Charlemagne à Gérardmer ,
le fardeau Saint-Christophe au sommet du Grismouton , le Pas-de-l'Ane
et la pierre Tounerosse à Remiremont , etc. À la Bresse, à Cornimont
et à Ventron, ce granite est la roche dominante, on l’emploie dans
ces localités comme pierre de taille dans les constructions, on en
fait même des bassins de fontaine, quoique trés-dure elle se taille
avec assez de facilité. On pourrait l'employer dans l'architecture mo-
numentale avec un grand succés parce qu’elle peut offrir un poli bril-
lant et qu'il est possible d’en obtenir des blocs de grande dimension*.
Le granite micacé est un granite où le mica domine, il a quelque-
fois une apparence de gnéiss due à la superposition des lamelles de
son mica. On le rencontre au Valdajol: dans la vallée des Roches et
au moulin du Géha où il forme dans le ruisseau des rochers forts pit-
toresques ; à Plainfaing, dans la vallée de Ban-sur-Meurthe et à
Clefcy. Dans cette derniére localité cette roche paraît étre spéciale-
ment composée de mica : le quartz et Le feldspath, qui ordinairement
dans le granite sont mélangés intimement avec le mica , forment ici
des veines sinueuses rosätres, où cette dernière substance manque
totalement. Au premier aspect, et surtout si l'on est indécis sur la
détermination de cette roche, on est tenté de les considérer comme
* En 1828, M. Bresson, maire de Remiremont, avait conçu le projet d’elever sur une
des places de cette ville un obélisque dont l’aiguille qui devait être monolithe aurait eu
27 pieds et le soubassement 10 pieds, la pierre principale était dejà ébauchée, mais l’ad-
ministration muvicipale a reculé devant Les frais de transport de ces énormes blocs de Ja
Bresse à Remiremont, elle a préféré abandonver l’ouvrage commencé. Nous aimons à espérer
encore qu’un jour un administrateur, ami du beau, voudra attacher son nom à un mo-
pument aussi impérissable élevé à l'entrée de nos belles montagnes; une souscription entre
les habitans aisés pourrait venir à l'aide de Ja caisse municipale, qui d’ailleurs, a prouxé
depuis par des constructions autrement onéreuses que l’économie n’était pas toujours son
mobile,
«
| PREMIÈRE SECTION. 549
des filons indépendans et postérieurs ; mais il est des exceptions à
la régle granitifiante : ainsi quelquefois les élémens granitiques peuvent
étre isolés ou former deux à deux un composé sans cesser d’être un
granite, parce qu'ils finissent par se réunir et reprendre leur allure
ordinaire. Le fait de celui de Clefcy est cependant assez rare pour
étre cité: il est en effet bizarre de voir des amas de mica aussi con—
sidérables sans aucun mélange apparent d’autres substances et coupés
par des veines assez régulières de quartz et de feldspath où le mica
n’a pas accés ; on cherche en vain la cause qui a empêché l'association
ordinaire de ce minéral avec le quartz et le feldspath, et pourquoi il
s'est emparé de toute la place, ne laissant aux deux autres que des
limites fort resserrées. La roche de Clefcy a été un moment exploitée,
par la société anonyme des marbres des Vosges ; sous le nom de Afi-
caschiste, nom qui la désignait minéralogiquement parlant avec assez
de précision ; sa couleur noirâtre la faisait employer dans les monu-
mens funéraires, on choisissait pour cela les parties privées de veines
feldspathiques et quartzeuses, mais les influences atmosphériques la
ternissaient dans peu de temps, d’ailleurs le mica prend mal le poli.
Les observateurs reconnaissent dans le granite plusieurs époques
d’éruption, mais la science ne nous donne aucun moyen pour dé-
terminer l'âge relatif de ces divers soulèvemens, ou du moins ceux
qu’elle nous donne sont tout à fait hypothétiques. Il est certain que
dans les Vosges le granite commun est le premier arrivé à la surface
du globe, et il est probable que les massifs qui offrent entr'eux une
grande différence minéralogique sont autant de diverses époques de
formations granitiques: le granite siénitique est certainement une
époque, le granite micacé une autre et celui de Ranfaing , si différent
du granite commun, pourrait aussi être d’un autre âge.
Il existe dans le granite deux sortes de feldspath : 7’Orthose ou
feldspath à base de potasse ; et /_4lbite ou feldspath à base de soude ,
on distingue entre eux une différence cristallographique (voir Beudant
T. 4. p. 559 et T 2. p, 103), le premier est beaucoup plus abon-
dant que le second qui ne se trouve le plus souvent dans les masses
granitiques qu’en agglomération particulière ou qu’en veines distinctes.
Cette dissemblance de feldspath pourrait servir à fixer l’âge des érup-
tions granitiques ; mais malheureusement nous manquons de moyens
physiques pour en faire la différence et il faut être minéralogiste et
chimiste parfait pour arriver à les reconnaître. Le granite commun :
et certain granite porphyroïde contiennent fréquemment des aggloméra-
tions de mica qui se détachent parfois de la masse qui les empâte,
330 MÉMOIRES ET PIÈCES.
surtout lorsqu'elle est en décomposition, au premier aspect on pour-
rait les prendre pour des fragmens de gnéiss, mais un examen at—
tentif fait bientôt reconnaître que ces petits amas sont contemporains
de la roche principale, que ce n’est qu’un jeu de cristallisation et
d'affinité du mica. Ce n’est pas que nous révoquions en doute la
présence de fragmens de gnéiss dans le granite, et si les nodules
micacés que l’on y a rencontrés jusqu’à présent ne réunissent pas com-
plètement les caractères gnéissiques pour les considérer comme des
fragmens de gnéiss, empâtés dans le granite, nous regardons comme
possible leur présence dans celui des Vosges, on en a bien reconnu
dans celui de Cherbourg et d’autres contrées.
Toutes les variétés de granite que nous venons de décrire sont assez
constantes dans la manière d’être de leurs élémens, mais nous avons
dit que leur composition pouvait naturellement varier et qu'elle dé-
pendait beaucoup des circonstances locales , il est aussi des causes dont
on ne peut guère se rendre compte, parce qu'elles peuvent dépendre
de combinaisons chimiques inconnues ou hypothétiques; mais il est
d’autres altérations et modifications dans les masses granitiques que
nous croyons pouvoir expliquer par des causes probables telles qu'a
des filons de roches feldspathiques ou quartzeuses, ou d’autres subs—
tances minérales , et aux agens atmosphériques. Examinons les diverses
localités qui peuvent servir d'exemples à cette théorie : à Plombières,
plusieurs filons de chaux fluatée verdâtre, de baryte et de quartz,
poussent de nombreuses ramifieations dans un granite en décomposition
qui constitue des escarpemens considérables dans le fond de la vallée,
des veines d’une substance feldspathique de la nature des eurites et des
filets d'une matière rosée , appelée savon minéral, composée, d’après
M. Berthier, de silice, d’alumine et d'un peu de magnésie , s'associent
et se ramifient avec la chaux fluatée. Les cristaux de feldspath sont
mats, ils ont perdu leur transparence , le mica d’une couleur cuivreuse
est passé souvent au talc, et la désagrégation de la roche est telle
qu’elle sert de sable pour le mortier des constructions de la localité.
Il serait possible que l'état d'arène du granite füt dû à l’action des
filons de ces substances minérales , ainsi que la transformation du mica
en talc et en stéatite, métamorphose qui est considérée aujourd’hui
comme possible; il y a d’ailleurs des micas à base de magnésie, dont
l'analyse diffère peu de celles de la stéatite et du talc. Le granite de
Plombières pourrait être regardé comme faisant une époque d’éruption
à part, car il ne fait pas évidemment partie du massif qui forme la
vallée de l’Augronne du côté de Remiremont, quoiqu'il soit en con-
PREMIÈRE SECTION. 351
tact avec lui. A Bains, les mêmes faits et la même altération se
remärquent dans le granite de cette localité, en tout semblable à
celui de Plombiëres. Cette théorie, pour expliquer la décomposition
du granite de Plombières et de Bains, paraîtra hasardée, parce que
ces massifs sont considérables et s'étendent au loin, que leur dé-
composition est parfaite, sauf quelques gros fragmens qui n'ont qu’un
commencement de désagrégation, et qui sont dispersés çà et là dans
les massifs; mais il est à remarquer que dans ces deux localités, des
eaux thermales sourdent en abondance des crevasses de ces masses
granitiques ; les eaux thermales de Luxeuil qui font partie du même
rayon géologique sortent du grès bigarré, mais il est certain
qu’elles traversent aussi le granite , puisque près de là cette roche se
montre, et avec des circonstances à peu près semblables à celles de
Plombières et de Bains. L'opinion la plus générale est que les sources
chaudes sont dues à une action ignée dont le foyer est situé à de
grandes profondeurs, leur projection à la surface a dù être accom-
pagnée , dans l'origine, de dégagemens considérables de vapeurs mi-
nérales et de matières en fusion, qui se sont condensées dans les
fissures de la roche ou se sont injectées dans son massif; cette érup—
tion, produite par la grande réaction chimique qui se faisait à l’intérieur,
a dû nécessairement décomposer les obstacles qui s’opposaient à son
passage : joignons aussi à ces circonstances l’action calorique des
eaux thermales qui ont dû, dans l’origine, être à une température
plus élevée, quoique de nos jours leur chaleur ne paraît pas dimi-
nuer ; il est à remarquer que les eaux thermales de Plombières, de
Bains et de Luxeuil contiennent en dissolution les mêmes substances
que l’on rencontre en filons dans leur granite , il est donc à présumer
qu'en suivant les fissures de la roche elles se chargent, dans leur
chemin, des substances minérales qu’elles rencontrent et qu’elles ap—
portent avec elles. Dans ces localités, il n'existe pas seulement des
sources thermales, plusieurs sources minérales froides fournissent aussi
leurs principes bienfaisans, et concourent avec elles pour rendre la
santé aux nombreux malades qui, tous les ans, viennent y ‘chercher
du soulagement à leurs maux, ce sont des eaux ferrugineuses et
des eaux dites savonneuses, elles doivent probablement leur qualité
à des amas et à des filons de fer hydraté et de savon minéral, sur
lesquels elles reposent ou qu’elles traversent , en se saturant de leurs
principes. s
À Reherrey, commune de Dommartin, où M. Friry, maître de
forges à Saint-Amé, recherche dans ce moment du minerai de fer,
À
552 MÉMOIRES ET PIÈCES,
on voit, dans les coupures faites dans ce but sur les flancs de la
montagne , de nombreux filons de fer oligiste qui, en veines déliées,
parcourent un massif granilique tout décomposé. Le fer oligiste en
lames éclatantes enveloppe quelquefois des parties argileuses qui ont
pris ; par l’action ignée de ces filons métalliques , l'aspect de fragmens
de briques à pâte fine. Le granite de cette localité a la plus grande
analogie avec celui de Plombiéres, il se réduit de même sous la
pioche en sable: propre à la confection des mortiers ; les fissures qui
le traversent sont aussi quelquefois enduites d’une substance blanche
et onctueuse qui a de la ressemblance avec le savon minéral de
Plombières. On remarquera que prés de là une source thermale , appelée
Chaude-Fontaine vient sortir à la surface du terrain, et que non loin
il existe encore une source ferrugineuse appellée la Sa/mate ou la
Tioche. La présence du fer oligiste dans le granite est un fait très—
commun dans les Vosges, surtout dans la région méridionale; ainsi
parmi beaucoup d'autres localités on peut le citer à Gerbamont,
Cornimont, Dommartin, Rupt, dans la vallée de Travexin, le mont
de Fourche, à la Croisette, Xonviller, Faymont, etc., mais il n’y
existe qu’en veines extrêmement minces et souvent interrompues, aussi
son exploitation serait fort incertaine. Il est en lamelles lenticulaires
brillantes formant quelquefois de jolis faisceaux cristallisés en rhom-
boïdes, ou bien il est micacé , se divisant en écailles fines , onctueuses
et s’attachant aux doigts. Rarement il est accompagné de quartz , mais
quelquefois de manganèse pulvérulent. A Châtillon, commune du
Valdajol, le fer oligiste n'a pas le même aspect: son éclat est peu
métallique, il est mamelonné, à structure fibreuse et se séparant en
aiguilles fines ; c’est Le fer oxidé rouge concrétionné de Hauy (kématite
rouge) qui produit un fer de très-bonne qualité et qui est recherché
pour faire les brunissoirs dont on se sert pour polir certains corps et
en particulier les métaux. Les ouvriers de Plombières , si renommés
par leurs jolis ouvrages en fer poli, trouveraient là de quoi s’approvi-
sionner. Le fer oligiste en s’introduisant dans le granite y a occasionné
des perturbations remarquables : cette roche est presque toujours dans
une désagrégation plus ou moins avancée, et cet état est plus complet
lorsque les veines sont plus nombreuses ou plus épaisses. Dans les
travaux de M. Friry, à Reherrey, on voit dans le voisinage du fer
oligiste de larges fissures, se terminant en coin, remplies de frag-
mens angulaires de granite mélangés d'argile ; ces fragmens proviennent
de la mêrne masse granitique, mais ils ne sont pas dans le même état
de décomposition, L’injection du fer oligiste a du avoir lieu après le
PREMIÈRE SECTION. 353
dépôt du grès Vosgien, car on n’en voit aucune trace dans le grès
bigarré, et il est à remarquer que dans les roches sédimentaires où
il se trouve, ses cristaux sont bien moins développés que dans les
roches d'origine pyrogène.
Cette coïncidence de mêmes faits et de mêmes circonstances dans
quatre localités différentes où existent des eaux thermales et minérales
froides nous engage à dire quelques mots sut leur gisement. M. Rozet
considère le groupe trappéen comme la région des eaux minérales
et thermales et il ajoute: « que toutes celles qu'on voit sortir des
> granites , des gnéiss et des autres roches feldspathiques (Plombiéres,
> Bains, Luxeuil, Bade, etc.) en proviennent et sont élevées d'une
> grande profondeur par la pression des fluides élastiques ; » ce qui
porte cet observateur à émettre cette théorie, c’est que les fontaines
minérales de Bussang sortent du trapp, ainsi que les eaux thermales
de Badenwiiler (pays de Bade). Nous répondrons à cette opinion
qu’il est reconnu que la roche de laquelle sortent les eaux acidules de:
Bussang est un schiste de transition pénétré de filons éuritiques, et
qu'il en est de même de celles de Badenwiller (le docteur Boué) ;
mais quand même la roche de ces deux localités serait un trapp,
peut-on inférer de là que cette roche doit étre la région des eaux
minérales ? Il nous semble qu'il faut, à cette manière de voir, pour être
étayée, un plus grand nombre d'observations. Puisque la science re
connaît que les eaux minérales proviennent d'une grande profondeur ,
il est probable qu'elles arrivent à la surface de la terre aprés avoir
traversé des massifs de granite, roche qu'elle reconnaît encore comme
formant la base de l'édifice terrestre, sous laquelle il n'existe aucune
autre roche, et qui entre pour trois quarts au moins dans les roches
d’origine pyrogène qui forment notre planète; en effet la plupart
des eaux minérales des Vosges sourdent du granite (Plombières ,
Bains, Chaudefontaine, Sultzbach, Saint-Dié, Laval, etc.), et s'il
en est qui sortent du terrain de transition (Bussang), du grès Vosgien
(Sultzmatt, Wattwiller), du grès bigarré (Luxeuil, Soultz-les-Bains, Nie_
derbronn) du muschelkalk (Bourbonne, Contréxéville) et du keuper
(Saint-Vallier, Virine), ce n’est qu'après avoir traversé le massif in-
férieur , le granite, qui d’ailleurs se montre non éloigné de quelques
unes des localités citées. ;
Nous ne mentionnons ici que des eaux minérales des Vosges , puisque
ce travail est spécial à ces montagnes, mais si nous généralisions
cette question nous trouverions certainement beaucoup plus de sources
minérales et thermales sortant immédiatement du granite que d'autres
45
354 MÉMOIRES ET PIÈCES.
formations, disons seulement que la plupart des eaux minérales des
Pyrénées sourdent du granite. Mais revenons à notre sujet, c'est-à-
dire à la décomposition que les massifs granitiques présentent fré—
quemment.
Prés de Remiremont, les trayaux de la nouvelle route du Valdajol
ont mis à découvert un filon de chaux fluatée d'un beau violet foncé,
ses rameaux parcourent de même une masse de granite commun très-
décomposé ; cette chaux fluatée est quelquefois mélangée avec les
élémens constitutifs de cette roche à un tel point qu’elle semble être
partie essentielle dans sa composition, elle est colorée en violet par
le manganèse , en effet les fissures du granite, couvertes d'un enduit
stéatiteux, présentent ce minéral à l'état d’oxide, soit terreux, soit
formant de belles dendrites. Le même granite constitue toute la mon-
tagne du Bosson; en suivant la route tracée sur ses flancs, on y re-
connaît de nombreux filons feldspathiques et amphiboliques qui le
pénètrent en s’y ramifant, ils ont fait éprouver à son massif la même
altération et ont jeté de même dans ses fissures des vapeurs mragné-
siennes et manganésiennes qui, s'y condensant , ont formé de la stéatite
et du manganèse en dendrites.
M. Voltz, inspecteur général des mines, a remarqué que des filons
d'une certaine eurite micacée appelée Minette, nom donné à cette
substance‘ par les mineurs du pays, avait la singulière propriété de
désorganiser et de décomposer les roches dans lesquelles elle se
trouve en filons, ainsi des calcaires et des schistes de transition à
Schirmeck et à Framont sont modifiés par cette puissance, le granite
qui forme les pentes orientales et occidentales du Champ-du-Feu doit
son état d'arène à des filons de cette substance, injectés dans son
massif. Le granite du Champ-du-Feu, principalement du côté de Barr,
est en effet dans un état de décomposition telle, qu’il se désagrége
sous les pieds, que les roues des voitures y tracent de profonds
sillons, et les eaux pluviales de larges ravines. Ceite opinion d'un
observateur expérimenté peut trouver de la contradiction dans d’au-
tres faits analogues : ainsi près de Remiremont et dans d’autres lo-
calités, des filons d’eurite micacée s'élèvent dans des massifs grani-
tiques sans désorganiser la roche , il est bon de dire que cette eurite
micacée a une diflérence minéralogique sensible avec celle appelée
Minette , et il est probable que sa composition chimique n’est pas la
à
même.
Il est encore d’autres causes à la décomposition du granite: l'in
tempérie des saisons ; l'humidité et le séjour prolongé dans les eaux,
PREMIÈRE SECTION. 355
mais de nombreux faits détruisent encore cette opinion ou du moins
en atténuent la vraisemblance , et cette cause ne peut s'appliquer que
dans des détails fort minimes ; ainsi nous voyons tous les jours des
granites mis à découvert dans des lacs, des étangs et des tourbières
même , qui n’offrent aucune altération, des blocs erratiques dans les
vallées et sur les montagnes, des granites en blocs roulés dans les
alluvions anciennes, qui ne présentent aucune trace de désorganisation
et paraissent même avoir contracté une plus grande cohésion. Nean-
moins parmi ces bloës roulés il en est dans les alluvions qui se dé-
composent , et qui, par le moindre choc, se divisent en arène, c’est
sans doute parce que le: feldspath de certains graniles à, plus d’af-
finité pour l'eau que d’autres feldspaths, cette différence venant de
la potasse ou de la soude dont ils sont composés ; cette désagrégation
est remarquable, elle s'opére de l'extérieur au centre par feuillets
superficiels, à la manière des boules basaltiques, comme s'ils étaient
formés. de couches concentriques. Il y a aussi des granites qui sont
plus perméables à l'eau que d’autres ; ce sont ceux qui contiennent
beaucoup de mica. Il n'est pas présumable que les masses granitiques
de Plombières, de Bains, du Champ-du-Feu ;: etc., doivent leur dé-
composition aux agens atmosphériques, celte action est beaucoup
trop lente ; citons les observations de M. Becquerel à ce sujet : l’église
de Notre-Dame de Limoges est bâtie en granite du Limousin, et elle
a 400 ans. On sait que le granite de cette province se montre presque
partout trés-profondément altéré, et celui qu'on a taillé pour la
construction des murs de l’église se trouve déjà décomposé jusqu’à
trois lignes et demie de profondeur dans les parties exposées aux actions
atmosphériques , tandis qu'il est encore intact dans l'intérieur de
l'église. Il est donc facile de calculer, pour le granite du Limousin,
le temps nécessaire à sa décomposition. Or, dans les carrières ex
ploitées aux environs de Limoges , on reconnaît,qne la décomposition
a gagné jusqu'à six pieds et demi ou 720 lignes de profondeur , ce
qui donnerait 82,000 ans! (Cours de M. Elie de Beaumont.) Du
reste on conçoit qu'il est des circonstances dans lesquelles cette alté—.
ration doit étre plus ou moins rapide ; en effet l'infiltration peut être-
plus ou moins abondante dans certains cas. C’est cette action lente
qui peut ‘avoir donné la forme arrondie que les montagnes granitiques
des Vosges présentent généralement , mais ici combien il y a loin de
cette espèce de décomposition à celle qui rend cette roche friable
et arénacée, c'est plutôt une-sorte de nivellement des aspérités que
les massifs granitiques ont dà présenter vers leur sommet, car la
356 MÉMOIRES ET PIÈCES.
roche ne montre pas de désorganisation soit intérieure, soit su
perficielle.. Nous avons remarqué que la siénite porphyroïde des ballons
de Saint-Maurice et de Servance en massifs ou en blocs roulés se
décomposait rarement, cette exception provient sans doute de l'am-
phibole qui, cristallisée en longues aiguilles, donne à ces roches une
plus grande cohésion, et qui, par l'entrelacement de ses cristaux
retient les autres élémens avec lesquels elle est associée; cependant
on apercoit dans les blocs isolés un relief souvent fortement prononcé,
produit par les grands cristaux de feldspath qui distinguent ces
roches, et qui quelquefois ont plus d’un pouce de longueur, ce
relief dù à l’action de l'intempérie des saisons donne à ces blocs
un aspect remarquable.
M. Rozet a remarqué que le granite, le gneiss et le leptynite étaient
assez profondément décomposés lorsqu'ils étaient recouverts par les
couches du grès rouge ou du grès vosgien , et même par les alluvions
anciennes : cette altération proviendrait des eaux plus ou moins acides
dans lesquelles ces dépôts se sont formés, et qui par leur séjour sur
les masses granitiques où gnéissiques, auraient corrodé leur surface;
on peut trouver de bons exemples à cette théorie ingénieuse, à la
Poïrie ct le long de la route de Docelles à Bruyères, mais elle pré-
sente trop de faits contradictoires pour étre adoptée sans restric—
tion.
Il est encore un autre phénomène de modification que des filons
de quartz ont seuls occasionné lors de leur éruption dans les roches
granitiques des Vosges : au Valtin, le granite passe peu à peu à une
protogyne par le changement de son mica en stéatite, c'est que des
filons de quartz sont en contact avec lui. Mais on peut en quelque
serte prendre la nature sur le fait et assister pour ainsi dire à la
transformation de ces substances dans la vallée de Bramont prés la
Bresse, où un filontde quartz assez puissant, s'élève ‘perpendiculai-
rement dans un massif de granite sur une hauteur de plus de 200 mètres,
Son épaisseur est à peu près égale dans l’espace qu’il parcourt, il a
peu de ramifications , la montagne dépouillée de forêts le laisse aper—
cevoir dans toute son étendue, et à une certaine distance il paraît
être un torrent qui se précipite en bouillonnant. Les salbandes de ce
filon sont une protogyne qui offre une épaisseur de 50 à 50 centi-
mètres, et il contient lui-même des noyaux de stéatite verdâtre. A
ces faits on peut ajouter celui du Brésouar, où le granite qui com-
pose celte montagne passe insensiblement à une veritable protogyne,
par la transformation de son mica en stéatite ; il est probable que
+
PREMIÈRE SECTION. 357
la cause de ce phénomène est l’éruption de plusieurs filons de ser-
pentine près de là. + j
Dans les environs de Remiremont , et aussi près d'Epinal, on voit
dans le granite commun des changemens brusques sans aucune ap-
parition de filons quartzeux ou feldspatiques, le mica est tout à coup
altéré, il prend une fausse apparence de tale, ou bien il disparaît
complètement; cette modification qui n'occupe qu’un espace de 4 à
6 mètres au plus se fait remarquer ordinairement par une couleur
ferrugineuse rougeâtre répandue dans cette limite. Ce phénomène sin-
gulier peut étre observé d'une manière convenable au bois l'Abbesse,
à la base du Saint-Mont ; nous disons d’une manière convenable parce
que, situé au milieu d'une carrière en exploitation, on peut étudier
son allure ct ses caractères minéralogiques et borner l’espace qu’il occupe
dans le granite : on sait que dans les carrières granitiques, comme dans
celles de roches sédimentaires, les ouvriers appellent Zts les divers systé-
mes de fractures verticales qui se croisent par différens angles et dans
des directions opposées, quelquefois une fracture conserve sa direction
en mesurant quelques mètres sans être coupée par une autre , heureux
alors l’ouvrier s'il sait la ménager , sa tâche pénible est bien allégée !
C’est justement dans un de ces lits conservé par l'ouvrier, parce qu’il
présente une surface coupée verticalement sur une hauteur de 3 à
#4 mètres, que l’on peut observer le changement brusque opéré dans
la matière granitique, ce lit, dont il est difficile de mesurer l'épaisseur
parce qu'une partie paralléle en a déjà été enlevée, se dirige de
l’est à l'ouest et l’altération produite n'existe que sur un espace de
deux mêtres, ce qu'il y à de singulier dans ce phénomène c’est qu'une
fracture opposée qui se dirige du nord au sud, qui aussi est coupée
verticalement sur une hauteur de deux mêtres et qui vient s'appuyer
sur la limite de l’altération granitique, n’est nullement atteinte par
l'action désorganisatrice qui à modifié l’autre fracture, seulement sa
surface est couverte d’un vernis stéatiteux et de’trace de manganèse.
Aïnsi donc, cette modification du granite n'existe que dans une
seule fracture , et son influence s'est à peine fait sentir sur les fractures
voisines ; vue de quelque distance elle paraît être un filon euritique
à cause de sa couleur fortement ferrugineuse rouge qui la distingue
de la masse granitique , mais de près on reconnaît un granite modifié
dont le mica altéré a souvent une apparente talqueuse, et dont le
feldspath blanchâtre est passé au kaolin ;*+la couleur rougeâtre est
vague dans l’intérieur, mais elle est intense dans les fissures où elle
tache fortement les doigts et où elle forme quelquefois un enduit
*
358 MÉMOIRES ET PIÈCES.
épais , sableux, gras au toucher, qui se pétrit dans la main et qui
dégage par l’insufllation une odeur argileuse ; parfois les surfaces de
ces fissures sont cellulaires, mais on reconnait que ces cellules sont
dues à des cristaux de feldspath et de mica détruits. Le granite en—
vironnant ne passe pas promplement à cette altération , le passage
est au contraire insensible et gradué. Nous devons dire aussi qu'à
quelques pas de là un dicke d’eurite micacée s'élève dans le granite,
mais que la roche encaissante n'en est nullement altérée. Pour ex-
pliquer la cause qui a produit ces phénomènes intéressans , ne vient-il
pas à la pensée de la rechercher dans une action analogue à celle
qui a occasionné les salses et les volcans d’air qui existent encore
dans quelques contrées et qui dégagent des matières argileuses, de
la vapeur d’eau et des exhalaisons gazeuses ? Il est encore à présumer
que cette action a été sous-marine, car c’est au moyen d’une forte
pression que l'on peut se rendre compte de cette disposition par-
ticulière de l’action modifiante, de cette docilité, si l’on peut s'ex-
primer ainsi, à rester dans des limites aussi étroites et tracées si
régulièrement... La compressibilité de l’eau a été d’autant plus forte à
sa base qu'il existait probablement une grande profondeur , ajoutons-
y encore sa pesanteur spécifique et nous aurons une pression énorme
qui pourra tenir en respect les mouvemens intérieurs d’une éruption
gazeuse. Aü reste nous donnons cette explication pour ce qu'elle
veut, nous ne prétendons pas qu'elle soit la seule fondée, mais les
observateurs qui sont animés de scepticisme verront du moins dans
ces faits un caractère spécieux. La montagne du Parmont, à l'ouest
de Remiremont, présente encore un phénomène semblable mais plus
en grand: l’altération du granite commun qui la constitue n'existe
que dans la partie nord. C’est une masse en décomposition, pénétrée
intimement de stéatite et d’une matière argilo-ferrugineuse et où fré-—
quemment ses -élémens constitutifs ne peuvent étre reconnus tant
l’action modifiante les a confondus. On remarquera que sur le revers
opposé, le granite est doué de toute sa force de cristallisation , que
dans la partie en décomposition , il y a un grand nombre de sources qui
fournissent à la ville de Remiremont une eau excellente, et que non
loin de là, au Buisson-Ardent, il est encore un dike d’eurite micacée
qui s'élève dans le granite sans le modifier. Une matière ferrugineuse
analogue qui tache fortement les doigts, s'observe aussi dans un
grand nombre de localités granitiques et leptynitiques (Cleurie , Saint
Amé, Saut-de-la-Cuve, Xennois , Eloyes, etc.); quoiqu’elle ne soit
pas accompagnée des mêmes perturbations , nous sommes portés à
PREMIÈRE SECTION. 359
lui croire une même origine que celle mentionnée ci-dessus, car ül
n'est pas probable qu'elle est due à une coloration d’un liquide,
analogue à celui qui a coloré les grès rouges et les grès vosgiens. Ces
divers faits nous portent à croire que la protogyne n’est: qu'une mo
dification du granite, modification produite par des émanations gazeuses,
Nous ne pouvons omettre de dire que les Vosges offrent encore
une autre variété de protogyne qui est à base de feldspath compacte
un peu laminaire, d'un rouge de brique parsemé soit de chlorite
soit de’stéatite verdâtre ou jaunâtre disséminés assez régulièrement ;
elle’se présente en filons de 3 à 5 mètres de puissance dans le granite
des vallées du Tholy , de Feutières et du Chaud-Côté; situés’ à peu
de distance l’un de l’autre , mais séparés par le massif du Gris-Mouton 4
ils montrent des caractères assez particuliers pour me les faire con-
sidérer comme indépendans.
Il est fort étonnant que ces roches, où des minéraux magnésiens
entrent comme parties caractéristiques , se trouvent justement dans le
voisinage de plusieurs masses très-puissantes de serpentine si riche en
magnésie ; ne pourrait-on pas croire que ces protogynes sont aussi
des eurites dont le mica est modifié, ou bien que ces roches sont
simplement des eurites ayant , comme parties accessoires, de la stéatite
apportée par l'éruption des serpentines, comme elle en a déja jeté
d’une manière si remarquable dans les fissures du leptynite et du
granite. Nous laissons cette question à décider aux observateurs plus
expérimentés que nous , nous nous ‘contentons de signaler ces faits
ct d'appeler sur eux leur attention; mais le résultat de’ leurs ‘ob--
servations tendra à considérer la : protogyne des Vosges comme une
modification d'un granite, produite par cas fortuit, -ou quelquefois
comme uñe variété d’eurite-et ne:constituant pes une formation in
dépendante.
Il est encore dans les Vosges d'autres filons de quartz qui n'ont
pas apporté avec eux une puissance désorganisatrice ou modificative
comme ceux dont nous venons de parler, ils pourräient bien étre
d’une époque antérieure à ceux-là, car ils offrent de grandes diffé-
rences minéralogiques. Ils sont en ramifications dans le ‘gneiïss ‘et le
leptynite qu'ils n’ont aucunement altérés, ils contiennent du feldspath
rose lamellaire et de grandes lames de mica argentin. La matière prin-
cipale de ces filons est un quartz blanc hyalin limpide, quelques-unes
de leurs parties, par l'absence du mica, présentent tous les caractères
de véritables pegmatites, et même quelquefois le quartz, par sa dis-
position , rappelle la variété de cette roche nommée graphique. Nous
360 MÉMOIRES ET PIÈCES.
avons élé à même d'observer en 4836 la pegmatite de Marmagne
et de Saint-Symphorien (Saône-et-Loire), nous avons acquis la cer—
titude qu’elle était un accident des nombreux filons de quartz qui
s'observent dans le granite et le gneiss de ces localités; nous ne
considérons aussi ceux des Vosges que comme des filons de quartz
qui pourraient être rapprochés de l’Ayalomicte s'ils se trouvaient en
plus grandes masses dans les roches, mais ils ne se ramifient qu’en
filons de peu de puissance et qu'en veines déliées; une analogie
de plus qu'ils offrent avec ceux des montagnes de la Bourgogne,
c'est qu'ils renferment de grandes aiguilles de tourmaline et de la
stéatite verdâtre. On remarquera que cette espèce de filons quartzeux
ne se trouve pas en ramifications dans le granite commun des Vosges,
du moins nous ne l'y avons pas encore vue ; celte exception ne serait-
elle pas encore en faveur de la séparation de cette roche de la for
mation leptynitique ?
Un fait digne de remarque, qui n’a pas encore été signalé et qui
peut aussi appuyer la séparation du leptynite du granite, c'est que
nous n'avons pas vu pénétrer dans la première roche des filons feld-
spathiques ou amphiboliques, nous avons déjà dit que nous ne re—
gardons pas les roches à amphibole de Ranfaing et de l'étang de
Fondromé comme de véritables diorites, mais comme des leptynites
siénitiques. En attirant l'attention sur cette exception, nous ne pré—
tendons pas en faire une règle générale ni donner à entendre que
ces filons ne peuvent pas avoir accès dans le leptynite, car ce serait
présumer que cette roche est d’une époque postérieure à leur érup-
tion ; nous voulons seulement faire observer que tous les filons d’eu-—
rite, que l’on rencontre dans les contrées où le leptynite occupe une
certaine surface, ne sont injectés que dans le granite. C’est un fait
assez remarquable que cette affection des filons euritiques pour une
roche, et l'éloignement qu'ils témoignent pour l'autre, nous n’en
concevons pas la cause, aussi nous ne le mentionnons que comme
une bizarrerie sans y attacher d'importance, et qui demande à être
vérifié de nouveau.
Prés de Gérardmer, sur la route de Rochesson, le granite, en se
privant de son mica, offre tout-à-coup une véritable pegmatite : nous
présumons que des faits semblables se rencontrent aussi dans d’autres
parties des Vosges, et nous ayons encore yu le même accident dans
le granite de Couches (Saône-et-Loire). Enfin la roche appelée peg—
matite de Raon-l'Etape a tous les caractères d’un véritable granite
où le mica serait peu abondant ; cette roche, employée à la confec-
PREMIÈRE SECTION. 564
tion des meules, a une fausse apparence de stratification remarquable ;
‘si les élémens qui la composent n'étaient pas aussi cristallisés, et si
sa puissance n'était pas aussi grande sans varier d'aspect, on serait
tenté de regarder cette roche comme une arkose. Un granite d’une
identité minéralogique frappante avec la roche de Raon-l’Etape existe
au Valtin et à la Bresse. La pegmatite dans les Vosges appartient donc
aux roches granitiques dont elle ne serait qu'un accident ou une va—
riété ; elle pourrait aussi être regardée comme un cas fortuit des filons
de quartz en ramifications dans le gneiss et le leptynite.
DES ROCHES EN FILONS.
Nous devrions décrire ici quelques roches en filons, telles que des
diorites, des amphibolites, des eurites, des porphyres, des trapps,
des serpentines et des cipolins, mais comme le but de ce travail n’est
pas de donner une description générale de toutes les roches qui com-
posent le système des Vosges, mais seulement de faire connaître les
métamorphoses ou les modifications survenues dans les masses et dans
les couches les plus importantes, en raison des circohstances où elles
se sont trouvées ; nous renvoyons donc aux ouvrages de MM. Rozet
et Hogard qui donnent de précieux renseignemens sur toutes les
roches des Vosges. Les observateurs qui n'ont pas encore visité ces
montagnes ne peuvent pas se servir de meilleurs guides. Les roches
en filons que nous venons de nommer ne présentent pas de modifi-
cations bien remarquables, sauf quelques rares décompositions ou
altérations, on en reconnaît presque toujours la cause dans la su-
perposition de couches sédimentaires ou d’alluvions, car la roche
encaissante est elle-même altérée ; c'est aussi dans les surfaces exposées
à l'air, surtout lorsqu'elles sont en blocs roulés, qu’elles présentent
une altération sensible, mais qui n’atteint qu'une épaisseur de deux
ou trois millimètres ; c'est principalement dans les roches où l’amphi-
bole domine que ce changement d'état est digne d’être remarqué,
parce qu'elles offrent une surface blanche ou d'un blanc verditre.
On concoit que ces roches ne peuvent pas présenter de métamorphoses
bien apparentes, puisque ce sont elles qui les ont fait éprouver aux
massifs dans lesquels elles sont injectées ; quelquefois méme il est
arrivé qu'un filon trappéen est venu faire son éruption au milieu d'un
filon de roche feldspathique, cet entrecroisement ou cet accolement
de filons est assez fréquent : ainsi dans le granite à Balverche, vers
Retournemer, on voit une eurite compacte, rose, unie à un trapp;
dans le granite du Rotabac, c'est une eurite granitoïde intimement
46
362 MÉMOIRES ET PIÈCES.
liée à un filon de trapp; à la côte d’Urbey et dans les vallées qui
avoisinent les Ballons, l’eurite est associée au trapp où à la diorite
et réciproquement, on ne voit pas si l’une de ces roches a fait
éprouver une modification à l’autre, au reste je ne crois pas qu’un
trapp en fusion modificrait sensiblement une eurite, il ne pourrait
que lui donner plus de dureté, plus de compacité, ou une texture
demi-vitrée, c’est justement ce qu’on observe lorsqu'il y à entre—
croisement <é filons.
Nous avons dans les Vosges des brèches euritiques et dioritiques
dont nous n’entreprendrons pas de discuter la formation. Des théoriciens
expérimentés ont tenté d'approfondir cette question, ils ont proposé
des idées plus où moins ingénieuses , sans arriver à une méthode ra-
tionnelle, c'est que le champ des hypothèses est si vaste que l’on
s'y égare souvent; mais si nous ne pouvons traiter une discussion
aussi délicate, rien ne nous empéche d’en donner une description
géologique et minéralogique. Les travaux de la nouvelle route de
Saales à Schirmeck, près du pont des Bats, ont mis à découvert
un dike de quelques mètres d'épaisseur qui s'élève dans le granite,
sa roche a une apparence bréchiforme remarquable , les fragmens an-
guleux qui la caractérisent sont trappéens tandis que son ciment grisätre
est euritique, elle est pénétrée de chaux carbonatée blanche, tellement
répandue dans sa masse qu'elle semble étre là comme partie cons-
tituante. Au ballon de Giromagny , une brèche appelée variolitique
est à pâte pétro-siliceuse verte , et à fragmens trappéens ou dioritiques.
À Saint-Maurice , aux Neuf-Bois et le long de la côte d'Urbey, on
rencontre fréquemment de gros blocs de diorite variolitique ou de
brèche dioritique dont la pâte est une dicrite verdätre contenant des
fragmens anguleux de trapp et des petits nids d’épidote et du fer
pyriteux cristallisé. Ces brèches offrent cette particularité que les
fragmens anguleux qui les caractérisent sont à un degré extrême ma-
gnétique, tandis que le ciment qui les unit ne l’est pas du tout;
c'est principalement dans celle de la vallée de la Brusche que cette
propriété magnétique est à remarquer, aussi nous n’hésitons pas à
regarder ses fragmens comme des trapps , non -seulement à cause qu’ils
ont de l’action sur le barreau aimanté, mais parce qu'ils présentent
encore tous les autres caractères minéralogiques que l’on donne à cette
roche. Nous devons dire cependant que les caractères qui distinguent
les trapps sont bien arbitraires , car jusqu'ici la nature de cette roche
est pour ainsi dire inconnue , ilen existe cependant beaucoup d'analyses,
mais elles peuvent autant se rapporter à des eurites, à des diorites
PREMIÈRE SECTION... 363
et. même à des basaltes qu'a des trapps; c’est ce qui fait que l’on
pr réduit à caractériser cette roche par le faciès, mais il résulte de
là que personne ne peut s'entendre, et que souvent on applique ce
nom à une roche tout-à-fait au hasard, ou sur des soupcons plus ou
moins fondés. Chaque observateur s’est toujours bien entendu , mais il
ne s’est. pas fait comprendre. Il ne m'’appartient pas de donner une
règle certaine servant de caractères irvariables au trapp, elle doit
être nécessairement imposée par les maîtres de la science, mais dans
cet état d'incertitude nous proposons un moyen qui peut quelquefois
conduire à en sortir: c’est le barreau aimanté; les réactifs, dans ce
cas , ainsi que le chalumeau , n'offrant que des secours bien insuffisans.
Un ancien géologue, Faujas de Saint-Fond, qui a essayé de donner
une histoire des trapps, fondait sur leur nroprété attractive un
caractère concluant, nous n’y ajoutons cependant qu’une importance
secondaire, car si la plupart des trapps des Vosges jouissent de
la propriété magnétique , il est aussi des porphyres, des eurites,
des diorites et même une serpentine qui sont attrables à l’aimant.
M, Rozet considère le trapp comme la roche la plus inférieure ct
la dernière sortie des entrailles de la terre, il nous semble assez
difficile de résoudre une question semblable lorsque l’on voit dans
les Vosges cette roche associée avec des eurites compactes et des
diorites compactes, se mélanger avec ces deux roches et passer de
l’une à l’autre par des nuances tellement insensibles qu'il n’est pas
possible de fixer leurs limites , il y a non-seulement mélange de
couleurs mais aussi mélange de matières ; cette question nous semble
encore bien plus incertaine lorsque nous voyons des bréches euritiques
et dioritiques à fragmens anguleux de trapp. Ne pourrait-on pas croire
que ces roches compactes ont fait leur éruption à la même époque,
réunies deux à deux, trois à trois ou bien séparément, car elles se
présentent aussi fréquemment isolées. Cette idée à laquelle nous n'at-
tachons pas la moindre importance , parce qu'elle n'est basée que
sur des conjectures , ne pourrait s'appliquer qu’à des roches de même
couleur, de même compacité, de même aspect et se mélangeant
entr'elles, mais de nature différente ; car on reconnaîtra toujours deux
époques d'éruption dans, les filons de Balverche et du Rotabac,
dont il a été question plus. haut.
Quelques observateurs n'admettent pas la théorie des métamorphoses
et des modifications par des agens pyrogènes, parce qu'il est dans
la nature beaucoup de filons de roches feldspathiques où amphiboliques
qui n'ont agi en aucune maniere sur les masses encaissantes ou en-
364 MÉMOIRES ET PIÈCES.
vironnantes : dans la discussion de cette question, qui est appelée
à jouer un grand rôle dans l’histoire de la terre, il ne faut pas
perdre de vue que les filons se sont introduits , dans les roches stra-
üfiées et dans les roches plus anciennes, de deux manières: la pre-
miére à l’état de fusion ignée et la seconde à l’état solide et refroïdi.
Dans le premier cas on conçoit que si la matière des filons est
en fusion et fluide elle pénétrera et se ramifiera dans les fentes étroites
produites par cette secousse violente, et que cette projection a été
accompagnée de vapeurs minérales et désorganisatrices. Dans le second
cas, on comprend que si la roche s’est élevée à l'état solide et re—
froidi et d’un seul jet, la masse encaissante a dù échapper à la mo-
dification. *
Nous avons dans les Vosges une foule d'exemples de cette seconde
espèce d’intuition de filons ; il est important de citer les cas les plus re-
marquables : prenons d’abord une roche dont la modification est presque
toujours admise par l’action d’une éruption plutonique : un carbonate de
chaux qui devient dolomitique au contact d’une roche pyrogène : ainsi
le cipolin du Chipal qui est traversé par un dike d’eurite granitoïde ,
formé d’un seul jet sans ramification , n'a pas éprouvé la moindre
altération par cette puissance, seulement de la stéatite semble aflec-
tionner le contact euritique ; quelques minéraux s'y rencontrent, c’est
du quartz, du feldspath, du fer oxidulé, de la condrodite, etc.,
mais ils sont contemporains du calcaire et non apportés par le filon
curitique. On sait que ces calcaires , qui se présentent en masses trans-
versales , en véritables filons dans le gneiss, sont des roches d’origine
ignée ; il est probable que leur structure cristalline et lamellaire , ainsi
que l'odeur fortement bitumineuse que celui de Laveline dégage par
le choc, est due à l’influence des phénomènes qui ent accompagné la
sortie de leurs masses.
Citons encore de préférence, comme exemple de filons qui ont été
poussés après leur consolidation, le dike euritique de Ranfaing , si
remarquable par son allure franche et son épaisseur invariable, qui
s'élève dans un granite à petits grains sans y occasionner aucune
modification : il en est de même des filons d’eurite granitoiïde du
Saut-du-Bouchot, du Saut-des-Cuves, de la Roche-des-Ducs, de la
route de Rochesson à Gérardmer, de la vallée de la Brusche, etc.,
qui sont encaissés dans le granite sans aucune ramification et formant
des lignes de partage droites et verticales. Les plans de contact de
ces filons sont ordinairement trés-réguliers ainsi que ceux des roches
encaissantes, mais il arrive souvent qu'ils sont polis ou frottés et
PREMIÈRE SECTION. 365
que leur surface est décolorée ; cette espèce de poli est dù aux glisse-
mens et aux frictions produits lorsqu'ils ont été poussés dans la roche
qui les recèle.
Enfin les eurites compactes roses de la base du Saint-Mont et de
la forge du Blanc-Meurger , dans la vallée de la Sémouze, sont encore
des filons qui se sont élevés dans le granite d’un seul jet sans ramifica-
tion. Ces roches ont une structure particulière qui leur a fait donner
le nom d’eurite ligniforme , parce que se divisant irrégulièrement et
paraissant formées de couches minces et appliquées les unes contre les
autres , elles ont l’aspect de bois; cette structure, pour ainsi dire
schistoïde , a des analogues dans beaucoup d’eurites compactes des
Vosges , mais nous ne connaissons pas de trapps avec une structure
semblable.
Les ophiolites où serpentines, qui forment dans le leptynite des
amas subordonnés, sont peut-être sorties du sein de la terre à
l'état pâteux ou boueux: les larges fissures entrelacées, quelquefois
quadrangulaires , que présentent les surfaces exposées à l'air, donnent
l'idée d’un retrait que cette roche aurait éprouvé en séchant, et le
vaste massif de Sainte-Sabine représente assez bien une coulée dont
le foyer d’éruption ou cratère , situé au sommet, serait comblé.
Leur injection dans le leptynite n'est signalée par aucune altération,
seulement de la stéatite qui remplit fréquemment ses fissures a pu
être apportée par cette roche magnésienne ; à Sainte-Sabine de nom-
breux blocs angulaires et à arêtes vives de leptynite sont rejetés à
droïte et à gauche et même portés au sommet de ce massif. La
cause d’un pareil bouleversement est évidemment due à la force de
l'injection , mais il ne traverse pas le grès Vosgien , nous l'avons déjà
dit en parlant de ce terrain. On ne voit aucune roche superposée
aux serpentines des Vosges , aussi leur âge est-il trés-douteux , on re-
garde les cipolins comme appartenant à la même époque , nous ne
voyons pas quels rapports on peut établir entre ces deux roches,
elles se présentent, il est vrai, toutes deux en amas et ont un gise-
ment à peu près identique, mais si l'on ne rencontre pas de leurs
débris dans le grés rouge et dans le grès vosgien, on ne peut, par
ce seul fait, les considérer comme postérieurs à la formation de ces
deux dépôts : il est présumable, nous l'avons déja dit, qu'elles ont
été détruites par le roulis des matières plus dures que ces deux roches,
ou altérées et dissoutes par les eaux acides qui ont déposé ces grès.
La serpentine se décompose assez facilement à l’air, elle a alors une
couleur ocreuse trés-proncncée, et il est à présumer que celle qui
366 MÉMOIRES ET PIÈCES.
se trouve près du village d'Eloyes, au niveau de la Moselle, doit
son altération aux eaux de cette rivière ou à l'alluvion de la vallée.
Les grains ou pois ferrugineux et magnésiens qui sont disséminés
dans sa pâte, résistent davantage aux actions atmosphériques ; on
les voit former un relief rugueux d’un aspect bizarre que l’on ne
peut mieux comparer qu'a des boutons de petite-vérole répandus
en grand nombre sur le visage d'un individu. La serpentine est une
roche compacte, brune et verdâtre, à pâte fine sans aucune cristal-
lisation ou granulation apparente ; elle contient un tiers de magnésie,
et elle renferme, disséminés ou en veines, ou en enduits dans ses
fissures : du mica, dela diallage, de la stéatite compacte et fibreuse,
de l'asbeste, de lamphibole trémolite, de la magnésie hydratée
et carbonatée, de la chaux carbonatée, du fer chromaté, du. fe:
oligiste, etc. Au Goujot, on distingue une variété de serpentine ap—
pelée prkrolite : elle est en veines de peu d'épaisseur, d’un vert
glauque, à cassure fine et esquilleuse; elle est plus dure que l’ophio-
lite. La serpentine de Neyront jouit de la propriété magnétique, elle
a en outre le magnétisme polaire, comme certains basaltes, c’est la
seule des serpentines des Vosges qui soit attirable à l’aimant; cette
faculté est probablement due à du fer magnétique qui entre dans sa
composition. La serpentine du Goujot et les cipolins du Chipal et de
Laveline sont employés comme marbres qui sont quelquefois du plus
joli effet.
L'examen auquel nous venons de nous livrer sur les diverses roches
qui, dans le système des Vosges, présentent des modifications et des
métamorphoses, peut répondre en partie aux questions sur ce sujet,
proposées dans la section géologique du Congrès, mais nous recon—
naissons qu'il ne faut pas donner à cette théorie une trop grande
étendue, car si l’on en abusait on tomberait bien vite dans les plus
graves erreurs. Cette revue nous a conduit à faire connaître des roches
que l’on considère généralement comme des formations indépendantes
et qui ne sont dans les Vosges que des accidens produits par cas for-
tuits. En mentionnant ces faits nous engageons les observateurs à
étudier les mêmes roches dans d’autres contrées, et à suivre un genre
d'investigation qui peut les conduire à la découverte de précieux
renseignemens pour l’histoire de la terre, mais ils auront soin de ne
_pas trop généraliser les faits, car ilest bien possible qu'ils soient plus
ou moins particuliers aux Vosges. Nous avons cru devoir accompagner
les faits cités de quelques considérations générales et succinctes sur
es formations qui composent le système des Vosges afin de donner
PREMIÈRE SECTION. 367
une idée plus complète de la manière d'être de leurs roches, quoique
l'ouvrage de M. Hogard ne laisse rien à désirer sous ce rapport, aussi
est-il accueilli avec intérêt. è
Notre travail est le résultat d'observations scrupuleuses , sou—
vent revues plusieurs fois dans des courses fréquemment faites avec
M. le docteur Mougeot dont l'amitié nous est si précieuse et qui a
guidé nos premiers pas dans la science ; nous ne prétendons pas
cependant l’associer à la responsabilité que quelques idées un peu
hardies pourraient nous faire encourir, mais si elles obtiennent quelque
faveur, à lui revient la louange qu’elles mériteraient ; si au contraire
elles sont regardées comme des rêveries sans fondement, c’est à nous
qu’en reviendra le blime.
568 MÉMOIRES ET PIÈCES.
ORDRE DE SUPERPOSITION
DES
TERRAINS DE LA SICILE,
DISPOSÉ PAR LE PROFESSEUR
CHARLES GEMMELLAR O *.
La Sicile, dans son côté oriental, n'est séparée des terrains de la
Calabre que par un vallon appelé Détroit de Messine. Dans quelques
parties des montagnes au-delà du Peloro, les terrains primitifs et
de transition sont en rapport parfait avec ceux de la Calabre ; pour
le reste, les formations de la Sicile paraissent indépendantes de
celles du continent.
Pour en donner un apercu succinct, on peut commencer par les
roches les plus modernes, et parmi celles-ci, il paraît que le premier
banc touche aux courans actuels de l’Etna.
4° Elles proviennent des flancs du volcan, et couvrent non-seule-
ment les feux récens des terrains de transport, mais encore le
terreau ordinaire et celui des forêts. La roche dont elles sont formées
est pyroxénique et semble provenir du basalte. Les courans de l'Etna
occupent presque enlièrement tous les bords de la montagne.
90 Le terrain alluvial de Sicile est de nature différente en raison
des terrains divers dont il provient: de sable siliceux et de masses
roulées de roches primitives et de transition sur toute la surface de
* Cette notice de M. Gemmellaro, professeur d'histoire naturelle à Catane, a été traduite
de l'italien, par M. Poncot, membre du Congrès et de la société d'histoire naturelle du
département de la Moselle.
PREMIÈRE SECTION. 369
la vallée de Messine; de bitume calcaire et argileux dans tout le
reste des terrains bas de l'ile , et sur toute la surface de son littoral.
3° Le terrain diluvial est également commun. Cependant celui qui
se caractérise par des blocs erratiques ne l’est pas autant. On en voit
une forte partie couverte de gros blocs aux bords des collines qui
forment le talus de la montagne de Centorbe vers le midi.
4° Calcaire nymphéen. — Celui qui appartient à la période moderne
se réduit à des tufs, de l'albâtre et des stalactites, dont les grottes
de terrains calcaires abondent ; mais celui qui appartient à la période
tertiaire se trouve en formation bien déterminée dans les environs de
Paléone et forme évidemment un bassin où il prédomine. Il n'est pas
aussi abondant en coquillages d’eau douce que celui qui ayoisine Spacca-
forno. Le calcaire nymphéen n'est rare ni dans les plaines d'Avyola ni
dans les autres sites bas de la Sicile.
5° L’arénaire d’Aidone est une formation étendue qui traverse presque
entiérement la Sicile du nord au sud, et couvre les formations calcaires
de période tertiaire, Elle est stérile, contient des twrritelles, des buccins,
des mitres, et autres restes organiques marins.
6° La brèche calcaire de Syracuse, Augusta , Agrigente, etc., est
le plus récent des calcaires tertiaires. Elle est formée de débris or-
ganiques marins , d’astrées , de caryophillées, de madrépores et d’une
immense quantité de coquillages , et plus particuliérement du cardium
tuberculatum et du cerithium vulgatum. Sur quelques points, le
bitume est si EU y distingue à peine les restes organiques ;
mais ici en revanche les squelettes de poissons sont bien conservés.
7° Le grès et l'argile des coteaux d'Aderno et des environs de
l'Etna forment le terrain où l'on peut établir l'horizon géognostique
du yrai basalte en Sicile. Cette roche pyrogénique se rencontre ici
en groupes au travers des collines d’Aci-Castello, de Trezia, de Val-
corrente, Scala, etc.; et avant ce terrain, le basalte ne se trouve
supérieur à nulle autre des roches mentionnées jusqu’à présent.
8° Le calcaire pectinifère et ostracifére du val de Mazzara et partie
du val de Noto, occupe une place considérable parmi les terrains
de Sicile. Souvent cependant il se confond facilement avec la brèche
d'Agrigente et d'Augusta, mais partout où ces deux roches sont en
point de contact, comme dans les environs de Caltanisetta , le pec-
tinifére est inférieur à la bréche.
9° L'arénaire du val de Noto couvre d'ordinaire le calcaire Ibléen
comme dans toutes les places de volcans éteints; et dans ce calcaire ,
* ainsi que dans le pectinifére , le basalte s'observe quelquefois en couches
47
370 MÉMOIRES ET PIÈCES.
alternantes; et jamais on ne le voit inférieur aux formations antérieures
aux deux indiquées. |
40° Roche et soufre. — Roches principales de la grande formation
de l'argile bleue du val de Mazzara.
41° Formation de l’argile bleue qui occupe la majeure partie du
terrain tertiaire du val de Mazzara, et autres terrains bas de Sicile.
Elle comprend les trois précédentes roches, n° 8, 9 et 19, et se
distingue principalement de l'argile bleue de M. Daubeny. Le sel et
le lignite y sont cependant communs,
12° Le calcaire Ibléen du val de Noto est une formation indépen-
dante, que l’on peut considérer comme la plus ancienne de toute la
période tertiaire de Sicile. Dans les terrains creux de la partie oc
cidentale , cette même argile bleue forme la couche supérieure; et
les autres calcaires n°° 6, 8 et Ibléen , y forment constamment le gise-
ment supérieur.
La formation jurassique en Sicile, bien que fotr étendue et très
importante, n’a été reconnue que depuis peu, par suite de nos ob—
‘servations. Les quatre roches du plan supérieur sont décrites. Le plan
moyen n’en offre que deux ; et jusqu’à présent, on n’en connaît qu’une
au plan inferieur.
43° Le calcaire oolitique de Troina, correspond au Portland-stone
du type normal d'Angleterre.
44° L’argile schisteuse de Pretraoolite près de Tauromina, se rap-
porte au ÆAimmeridje-clay.
45° Le calcaire corallique à nummulites de LE , de Judica,
de Matonia, au Coral-clay.
46° La marne blanche des Jardins et de Tauromina, à l'Oxford-clay.
47° Le calcaire du théâtre de Tauromina et de la grande partie
des montagnes de cette formation en Sicile, et principalement celles
qui sont autour de Palerme, correspond au Cornbrash.
48° Le calcaire marneux bleu et rouge à bélemnites et ammonites,
au forest marble.
49 Le calcaire gris à entroques de Tauromina et du plan inférieur
des montagnes de Palerme , représente le plan inférieur d'Angleterre ,
correspondant à l'oolite inférieure.
Entre la formation jurassique et celle de transition, les terrains
liasiques et keupériques ont été peu étudiés; mais nous avons re—
connu le terrain anthracifère dans le gisement des roches qui se mélent
au terrain jurassique de Tauromina et celui de transition d'Aci. Ce
sont :
Guivde
qe. e Ueue.
Jaracs rue
e
ct
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PREMIERE SECTION. 374
20° Le calschiste de Latojannt au levant de Tauromina.
24° Le schiste charboneux de Saint-Alessio , Villa fiorita et Limina.
22° Le grès rouge ancien de Limina, et le grès carbonifère de
Calyaruso.
23° La grauwacke de Limina.
24° L'ampélite avec alunite de Rocca-Allumiera près d’Aci.
Viennent immédiatement les roches suivantes de transition :
25° Le calcaire de transition d’Aci.
26° La grauwacke d’Aci à pâte de schiste argileux rouge.
27° Le schiste argileux d'Aci, qui se trouve dans la roche calcaire
de transition et dans celle de même nature de Scaletta.
28° Calcaire de transition de Scaletta.
Les roches primitives des montagnes Peloritaines ne sont pas bien
caractérisées comme telles, et pourraient en certains points se rap—
porter à la transition, savoir :
29° La grande formation du schiste micacé des montagnes Pelori-
taines , et celle du gneiss des montagnes de Messine.
30° Dans cette dernière roche on trouve en filons le calcaire saccha—
roïde à la Scala près Messine ; à Savarella près Calvaruso ; à Santa-
Lucia près Melazzo , etc.
On trouve un poudingue à gros élémens, erratiquement répandu
parmi les roches de la formation jurassique de transition et primitive.
Les masses roulées qu’il contient sont de granit, de porphyre rouge
ou vert, de siénite, de grès rouge, de gneiss, de micaschiste, etc.
Mais aucun morceau , autant qu'on a pu l’observer , n'appartient aux
roches de Sicile.
379 MÉMOIRES ET Piftss.
DEUXIÈME SECTION.
MOYENS
DE DIRIGER
L'ESPRIT ET LES ÉTUDES DE LA JEUNESSE
VERS L'AGRICULTURE ;
Par le Docteur LAHALLE, de Blamont.
Tant qu'une éducation premiére fondée sur de bonnes bases,
ne sera point introduite dans les campages, on ne pourra
espérer de perfectionnement complet en agriculture.
(BOSG. Diet. d’Agricult., t& var, p. 182.)
L'enseignement classique actuel ne laisse-t-il rien à désiser? Ne
déterminerait-il pas une influence fàcheuse sur la jeunesse française
qu’il tendrait à éloigner des travaux manuels? Ne s’applique-t-on
pas trop uniquement à former des sujets pour les professions savantes
et libérales, et pas assez pour les professions industrielles et agri-
coles ? — La plupart des jeunes gens qui ont consacré quelques années
à l'étude des langues anciennes, de la littérature, de l'histoire,
croiraient leur dignité compromise s'ils embrassaient un état méca-
nique ou s'ils se livraient à des travaux de même nature; de là
plusieurs milliers de jeunes gens qui, tous les ans, sont lancés dans
la société sans autre ressource que d'entrer dans les fonctions pu-
bliques, au barreau ou dans la medecine, et quand ils n’y trouvent
DEUXIÈME SECTION. 373
pas tous les avantages qu'ils avaient espéré y rencontrer, ils crient à
l'injustice ; ils sont mécontens de leur sort et dangereux pour l’état ;
tandis que si l'éducation était mieux dirigée, si l'on s’attachait autant
à l'étude des sciences positives et des arts industriels qu’à l'étude des
lettres, si l'on ne négligeait pas la doctrine des devoirs sur lesquels
repose l’état social, si l'on persuadait aux jeunes gens que non-seu—
lement le travail manuel n'est ni une honte ni un déshonneur, mais
qu’il est la base de toutes les sociétés ; si, en un mot, on faisait
marcher l'instruction avec l'éducation physique, morale et religieuse,
il y aurait moins de déceptions par la suite, et plus de sujets propres
à faire fleurir les arts utiles, les manufactures et surtout l’agriculture.
En effet, si on enseignait dans nos écoles primaires supérieures et
dans les collèges, la chimie, la mécanique, la minéralogie, l'agri-
culture, l’économie et la comptabilité rurales ; si par ces moyens les
propriétaires devenaient aptes à gérer eux-mêmes leurs domaines, à
en tirer le meilleur parti possible et à se rendre compte de leurs
opérations; s'ils apprenaient comment ils peuvent améliorer leur bien-
être intérieur, « par ces principes de sagesse qui ne parlent pas moins
»> au cœur qu’à l'esprit, qui dirigent avec sûreté dans les difficultés
» de la vie et qui consolent dans le malheur, par une céleste rési—
> gnation. » Si enfin ils connaissaient tous les avantages qu'offre le
séjour paisible des champs, ils s'y plairaient, ils y éleveraient con
venablement leur famille, leurs fils reprendraient avec joie la modeste
profession de leurs pères et ne seraient point tentés d'aller grossir le
nombre des oisifs des villes. Ainsi, il est donc bien important qu'un
meilleur système d'éducation et d'instruction ramène notre jeunesse
vers les principes dont elle tend à s'éloigner.
On ne peut pas douter que l'agriculture ne soit une véritable
science composée de principes certains, qui recoivent bien quelques
petites modifications selon les divers pays et les divers sols, mais
dont le fond n’en est pas moins d'une vérité incontestable. Eh bien,
si cette science est de la plus haute importance et de la plus grande
utilité, puisqu'elle traite des choses les plus nécessaires à l'homme,
de sa nourriture, de ses vêtemens, des premiers élémens de son
industrie et de son commerce, pourquoi ne l’enscignerait-on pas aux
jeunes gens dans nos colléges, ct même aux enfans dans les écoles
primaires, comme on enseigne l'histoire, la géographie, le latin, le
grec, etc. ; ou plutôt pourquoi n'est-ce pas la premiére chose qu'on
leur enseigne, puisque c'est la plus utile ?
Cette proposition paraîtra peut-être oiseuse et peu réfléchie aux
574 MÉMOIRES ET PIÈCES.
a superficiels ou indiflérens aux progrès de la science, parce
qu'on n’est pas dans l'habitude de voir Ne faire partie de
l’enseignement public; cependant on conviendra qu'à un petit nombre
d’exceptions prés, l'ignorance est le partage des cultivateurs, et que
c'est précisément cette ignorance , jointe aux préjugés qui empéchent
l'introduction des améliorations agricoles les plus importantes et les
plus faciles. Je vois, tout autour de moi, que s’il est quelques cul-
tivateurs qui s'élèvent à des pratiques nouvelles et raisonnées, la plu
part se traînent encore dans l’ornière de la routine et y végètent
sans savoir tirer parti des moyens d'amélioration qui seraient en leur
pouvoir. Il est diflicile de changer la marotte des vieux cultivateurs ;
ils sont attachés à leurs anciennes habitudes et ennemis des nouyeau-
tés, ils sont persuadés d’ailleurs que ceux qui étudient la culture
dans les livres n’apprennent que de fausses théories qui ne tardent
pas à les conduire à leur ruine; aussi ils n’en parlent qu'avec ironie
et en cherchant à les rendre ridicules. On ne peut espérer de régé—
nérer l’agriculture que par les jeunes gens et les enfans; c'est à ces
ames neuves et exemptes de préjugés qu'il faut s'adresser pour y
répandre et y faire germer les élémens de cette science: on ne
saurail trop Lôt les initier à la connaissance d'un art dont les adultes
doivent être honteux d'ignorer les principes.
Dans le siècle où nous vivons, l'instruction doit étre portée dans
tous les rangs, la science dans toutes les professions. Aujourd'hui
l'étude n’est plus une affaire de luxe, un privilége des classes aisées ;
elle est devenue une nécessité pour les arts, l’industrie et le com—
merce. Le besoin d'instruction agricole se fait sentir de toute part,
maintenant que les sciences naturelles ont pris un développement et
des applications d’une telle étendue qu’elles sont désormais indispen—-
sables à l'exercice de la plupart des métiers. C'est donc une grande
lacune dans l'instruction en France, que d’avoir omis l’enseignement
agricole, « tandis que dans plusieurs états de l'Allemagne, dit M.
Passy, V'agriculture doit en grande partie sa prospérité à l'usage
adopté d'en faire exposer les principes dans les moindres écoles de
village et d'exiger des jeunes gens admis aux fonctions pastorales
la preuve qu'ils en ont fait une étude approfondie. La France n'a
que peu d'établissemens où l'art rural soit enseigné, et compte à
peine quelques hommes en état de le professer. C'est là un grave
inconvénient; tant que nos cultivateurs n'auront d'autres sources
d'instruction que les exemples de leurs devanciers, ils n'échappe-
ront pas à l'inertie et aux habitudes routiniéres qu’on leur reproche.
VU VW. V, Vs M v. M M
DEUXIÈME SECTION. 375
» Si ces connaissances scientifiques dont ils manquent devenaient au
> contraire assez communes pour arriver jusqu’à eux, leurs conceptions
> prendraient plus de hardiesse et de fécondité; la capacité d’amé-
» Jiorer en stimulerait le désir, et l’agriculture approcherait plus ra-
»> pidement du degré de perfection que l’ensemble des circonstances
» sociales leur permet d’atteindre. » (Rapport au roi. Août 1836.)
On péut distinguer dans l’agriculture l’art et la science ; l’art est,
selon l'idée que je m'en forme, la description des procédés ou des
méthodes agricoles, et la manière de les mettre en pratique, tandis
que la science est plutôt l'ensemble des principes confirmés par l’ex-
périence ou les conséquences rigoureusement déduites des faits bien
observés et qui sont en quelque sorte devenues lois agricoles. Si l’on
voulait désigner l’art et la science par deux mots, agriculture ex—
primerait mieux l’art et agronomie , la science, mais on emploie in
différemment l’un et l’autre et l’un pour l’autre.
L'enseignement agricole peut être théorique ou pratique : le premier
instruit par les préceptes , le second confirme ceux-ci par les exemples.
La théorie peut être enseignée dans les écoles, dans les collèges ou
puisée dans les livres comme tous les autres genres d'instruction. La
pratique ne peut s’apprendre que chez les cultivateurs ou dans les
fermes modèles. On pense généralement que les arts s'apprennent
bien mieux par l’exemple et les leçons de la pratique que par les
préceptes de la théorie, néanmoins il est bon de savoir raisonner
toutes ses opérations, de pouvoir se rendre compte de ses procédés
ou méthodes agricoles et de s'expliquer la préférence qu'on leur ac-
corde sur d’autres, en un mot il convient que la pratique soit éclairée
du flambeau de la théorie, que l’une et l’autre marchent de front
ét se prêtent un mutuel appui.
La science agricole doit beaucoup aux sociétés d'agriculture; ces
réunions si propres à exciter autour d'elles, le zèle, l'amour de
l'art et une noble émulation ne sauraient être trop multipliées ; c’est
dans leurs archives, ainsi que dans les journaux qu'elles publient,
qu'on peut trouver tous les documens de la science.
Les comices agricoles, composés principalement de propriétaires ,
de cultivateurs aisés, sont aussi, comme je les concois, de petites
sociétés d'agriculture s’occupant spécialement des améliorations de
la contrée où ils sont situés. Chacun fait part de ses observations
sur la meilleure culture à donner aux terres de tel canton, sur le
temps Le plus propice à le faire, sur l’engrais ou l'amendement le
plus convenable, sur le moment de le répandre, sur l’espèce de
376 MÉMOIRES ET PIÈCES.
grains qui y réussit le mieux. Les comices s'occupent aussi des amé-
liorations des différentes races de bestiaux ; ils distribuent des primes
d'encouragement aux cultivateurs zélés qui s'en occupent avec le plus
de constance et de succès. Ils récompensent la moralité et l’habileté
chez les domestiques qui s'en sont montrés les plus dignes, ou chez
les ouvriers mécaniciens qui ont perfectionné , fait des découvertes
ou des inventions utiles. On ne lit guëre de mémoires dans les comices,
mais on s’entretient de différens sujets pratiques qui ont élé traités
dans les sociétés d'agriculture ; on discute sur le plus ou le moins
d'avantages qu'ils présentent; on stimule utilement, soit par des
éloges , soit par des récompenses, l’émulation parmi les cultivateurs et
les riches propriétaires ; on les engage à donner eux-mêmes l’exemple
a leurs voisisins, à faire des essais dans les intérêts de l’art, à per-
fectionner des méthodes déjà connues , à en surveiller l'exécution avec
soin, intelligence et économie. On ne peut que gagner à encourager
la culture qui améliore à la fois le sol et la condition des habitans,
parce qu’à mesure que le bien-être des populations augmentera , elles
seront amenées à se laisser aller à des jouissances plus agréables. On
voit donc que les comices et les sociétés d’agriculture dont l'objet
est le méme , sont d’un très-grand avantage pour la propagation de
la science, et il serait à désirer que le gouvernement en favorisät
l'établissement de manière qu'il y eût une société centrale dans chaque
département , une société secondaire dans chaque chef-lieu d’arron-
dissement et un comice agricole dans chaque chef-lieu de canton.
Quant aux fermes modèles, l'utilité ne peut en étre contestée non
plus. Voici d’ailleurs ce qu’en dit M. Passy, ministre du commerce
et des travaux publics, le 30 juillet 4836, dans sa circulaire aux
préfets. « De tous les moyens de faire avancer l’agriculture, le plus
sûr, le plus puissant c’est l'établissement des fermes modèles bien
conduites où les jeunes gens qui se destinent aux carrières rurales
viennent chercher une instruction à la fois théorique et pratique
qu'ils ne sauraient trouver ailleurs aussi complète. Les avantages
inhérens à l'existence des fermes modèles ne sont pas recueillis
seulement par le petit nombre de ceux qui y vont terminer leur
éducation agricole : la force des choses y fait participer le reste de
la population. A mesure que les élèves qui en sortent s’établissent
dans les campagnes, ils mettent en pratique les lecons qu'ils ont
recues, et comme les succès qu'ils obtiennent engagent à imiter
les procédés dont ils font usage, leurs exploitations deviennent
8
pour le voisinage de véritables foyers d'enseignement. »
VMOMOIMEVON V VW IV IN
DEUXIÈME SECTION. 579
Pourquoi donc M. le ministre, qui sent si bien les ayantages que
pourraient procurer les fermes-modèles , dit-il quatre lignes plus bas:
< Quelle que soit la supériorité que paraissent avoir les fermes-modèles ;
> leur établissement présente trop de difficultés pour qu'il soit pré-
» sumable qu’il s'en fonde prochainement un grând nombre? »
Il est certain que si M. le ministre pense que c’est au gouyerne-
ment à faire les premières mises de fonds pour l'établissement de ces
fermes, ce qui comprendrait l'acquisition de la propriété, celle du
mobilier attaché à chaque ferme, comme bestiaux de toute espèce,
chars, charrues et généralement tous les instrumens d'agriculture,
ensuite les appointemens du directeur ou régisseur, les gages des
domestiques , le traitement des professeurs, etc. elc., si, dis-je, le
ministre pense que c'est au gouvernement à faire une telle dépense
qui s’éleverait à prés de 50 millions pour les 86 départemens, je ne
suis pas étonné qu'il y voie tant de difficultés, mais je vais indiquer
un moyen plus économique et non moins utile que celui dont je
viens de parler, lequel ne coûterait pas plus de 2 ou 3 millions par
an, beaucoup moins encore si l’on voulait, et suflirait grandement pour
répandre dans toute la France l'instruction théorique et pratique nc-
cessaire pour élever l’agriculture dans notre beau pays au point de
prospérité où elle existe dans les contrées de la Flandre, de la Suisse,
de l'Angleterre où elle est le plus florissante. Voici sis] serait mon
projet.
INSTITUT AGRICOLE.
ÉCOLE CENTRALE OU SUPÉRIEURE D’AGRICULTURE.
Il y aurait dans chaque chef-lieu de département un institut agricole
M et pratique , sous la direction immédiate de la société centrale
d'agriculture et du préfet et sous la surveillance de l’université et
du ministre du commerce et des travaux publics. Trois professeurs
feraient des cours publics dans le chef-lieu, un quatrième serait
chargé de FR PRA TOR ou du cours pratique.
En attendant qu'on puisse former des professeurs, on trouverait
dans le sein de la société centrale du département des membres assez
zékés, assez instruits et ascez partisans de la propagation des lumières
pour se charger des différens cours. Malgré le peu de confiance que
je puisse avoir dans les professeurs-amateurs qui, ne recevant aucun
salaire , agissent selon leur bon plaisir et n’écoutent les ordres de l'ad-
ministration centrale qu'autant que cela leur convient , on est cependant
48
578 MÉMOIRES ET PIÈCES.
bien obligé dans ce cas de recourir à leur bienveillance et à leur ps-
iriotisme. Ainsi les cours seraient divisés comme il suit :
4° Cours de culture , dans lequel on traite de la nature des terres,
de la théorie des engrais et des amendemens , des assolemens, des
prairies naturelles ét arüficielles , des irrigations, des travaux et ins-
tuméns, de la culture des diflérentes espèces de plantes, de la
botanique et physiologie végétale, des semailles , récoltes et conserva-
tion des grains ; du bétail, de son éducation et de son emploi ; enfin
de l'économie agricole.
2° Cours de mécanique et de construction rurale , comptenant les
premiers clémens de géologie, de météorologie, de physique, de mé-
canique , de statique et leur application aux constructions, à l'architec-
ture rurales ; le dessin linéaire, les machines et instrumens aratoires ;
tout ce qui a rapport à l'aménagement des eaux , à les élever au-delà
de leur niveau, soit pour l'usage , soit pour l'irrigation, par le moyen
de vannes , digues ou autres procédés mécaniques.
3° Cours de chimie agricole , traitant des premiers élémens de cette
science, de l'analyse des terres, de l’action chimique des engrais, des
diverses espèces de fermentations, de la fabrication des vin, bière,
huile, sucre, beure, fromage; tout ce qui concerne la tenue des
livres, etc.
4° Cours pratique. Je suppose qu'il y aura prés du chef-lieu du
département un cultivateur membre de la société centrale qui se fera
un plaisir de laisser voir aux élèves son établissement, son train de
culture, ses labours, binages , sarclages, butages, exécutés, autant
que possible ; avec les nouveaux instrumens dont on expliquera les
fonctions et les avantages. Les élèves assisteront au chaulage des grains,
à l'emploi du semoir et feront la comparaison du résultat de cette
opération avec celui que donne la semaille à la volée; ils verront
fonctionner la machine à battre et à vanner, et ils tâcheront d'en
bien comprendre tout le mécanisme afin que chacun puisse la réparer
quand il y manque quelque petite chose. Enfin toutes les céréales, les
légumineuses, les racines dont on fait usage en agriculture seront
cultivéès chacune dans Je terrain qui leur convient et avec les pré-
cautions qu'elles exigent. (11 va sans dire que l'honorable citoyen qui
prêtera sa ferme sera indemnisé au prorata de ses dépenses.) Ce sera
donc une véritable ferme-modéle où les élèves viendront perfectionner
leur instruction et leur éducation agricole. Ils iront visiter les fermes
voisines et jugeront de la différence des produits. Il leur sera donné
aussi des lecons d'horticulture, d’arboriculture, ainsi que des notions
générales sur l’art d'aménager les forêts.
DEUXIÈME SECTION. 379
ÉCOLE SECONDAIRE D'AGRICULTURE.
23
11 y aurait au chef-lieu de chaque arrondissement un seul cours
d'agriculture qui traiterait succinctement de la plus grande partie des
matières désignées dans les quatre cours ci-dessus. Le professeur serait
pris aussi parmi les membres de la société de l'arrondissement, en.
attendant que les écoles normales ou les écoles spéciales d'agriculture
soient parvenues à former des sujets aptes au professorat, et dont on
exigerait plus de connaissances qu’on ne peut en demander aux ho-
norables citcyens qui veulent bien faire le sacrifice de leur temps et
de leur amour-propre pour l'établissement de ces écoles. Les élèves
des colléges seraient invités à suivre ce cours. Le meilleur ouvrage
élémentaire que je connaisse et qui pourrait servir de guide au pro—
fesseur et aux élèves, est celui de M. Moll, intitulé : Manuel d'Agri-
culture, ou Traité élémentaire de la science agricole , pour les écoles
rurales du nord-est de la France.
Au chef-lieu du canton, un membre du comice agricole tiendrait,
les jours de congé, des conférences sur l’agriculture en général ; AUX—
quelles seraient tenus d'assister tous les instituteurs du canton.
On rédigerait, à l'usage des enfans qui fréquentent les écoles pri-
maires, des notions élémentaires d’agriculture contenant les principes
clairs et précis de la science, soit en forme d’aphorismes, soit en
forme de catéchisme, que le maître ferait apprendre par cœur aux
écoliers, ce qui serait beaucoup plus facile à retenir que les principes
de la grammaire ou de la doctrine chrétienne que l’on est dans l'usage
de leur faire apprendre aussi.
Il y a ordinairement dans les sociétés d'agriculture des chefs-lieux,
un conservatoire de machines et instrumens. Le professeur de méca-
nique en fait la démonstration aux élèves et en montre l'application.
L'utilité des machines est maintenant trop généralement reconnue, et
leur application trop inséparable de toute espèce de production, pour
qu’il soit besoin de s'étendre beaucoup sur cet objet. Tout ce qui dimi-
nue les peines de l’homme est un progrès. Plus on multiplie les ma-
chines moins on a besoin de bras, et plus on met d'économie dans le
prix de la main-d'œuvre et dans le temps du travail. L'emploi des ma-
chines élève la condition de l’homme, étend son intelligence dont le
développement vient remplacer et surpasser toute force musculaire.
Il conviendrait donc d'établir dans chaque arrondissement une école
de charronnage, de fonderie, d’ajustage ou fabrique de machines et
isstrumens agrigoles perfectionnés. On céderait ces instrumens aux
380 MÉMOIRES ET PIÈCES.
agriculteurs, aux prix les plus modiques; il en serait aussi donne
en primes ou récompenses en ylace d'argent ou de médailles.
On pourrait réunir dans le conservatoire ou musée, outre les ins—
trumens dont on se sert habituellement, plusieurs autres objets qui
peuvent présenter de l’intérét aux cultivateurs, tels que divers mo—
déles ou dessins d’instrumens, machines dont on se sert dans des
pays plus ou moins éloignés, divers objets d'histoire naturelle ; une
collection de toutes les espèces de plantes, tiges, racines et graines
servant à l'agriculture, étiquetées et soigneusement conservées, avec
VPindication des terrains et des lieux dans lesquels elles croissent, de
leurs usages, de l'abondance où de l’exiguité de leurs produits.
Mais une chose de la plus grande utilité et qui non-seulement de—
vrait figurer au musée départemental, mais aussi qui devrait exister
dans les salles des séances de toutes les sociétés d'agriculture, ce
serait une carte géologique et minéralogique trés-détaillée et sur une
grande échelle, exposant la nature des divers terrains du départe-
ment ou de l'arrondissement, divisés par zones et bassins diversement
coloriés, de manière à reconnaître facilement les terrains primiufs,
secondaires, tertiaires, les terrains d’alluvion, les grès; à pouvoir dis—
tinguer, dans les terrains secondaires par exemple, le lias du calcaire
coquillier, l’oolithe des marnes irisées , etc. Cette carte qui indiquerait
aussi l’inclinaison et la direction des coteaux, serait appuyée d’échan—
tillons réels des différentes terres mélangées avec les pierres ou miné—
raux qu’elles recélent , composant les différens sols de chaque commune
avec l'indication de l'épaisseur de la couche végétale et de la nature
du sous-sol. Au moyen d’une telle carte bien faite et des échantillons
exacts qui l’accompagneraient, casés par commune , on pourrait in—
diquer avec certitude l’assolement qui convient à telle ou telle section
de commune, dire positivement si telle plante réussira ou non. Je
regarde ce travail tellement important que je pense que c’est une des
premières choses dont les sociétés d'agriculture doivent s'occuper; car
à mon avis, la connaissance de la terre est à la culture ce que l’ana-
tomie est à la médecine.
Il est certain que s’il se formait dans toute la France des écoles
d’agriculture comme je viens de l’indiquer, où toutes les parties de
la science et de l’art fussent enseignées et confirmées d’une manière
pratique, près d’etablissemens ruraux, où la démonstration des ré
sultats accompaguät toujours l’enseignement théorique , le succès serait
indubitable , notre agriculture atteindrait promptement au haut degré
de perfection où elle est parvenue en Angleterre et en Allemagne.
DEUXIÈME SECTION. 381
Trop long-temps livrée à une routine ignorante, elle n'avait pas.
amassé assez de résultats généraux et certains pour fournir la matière
de cours utiles; mais maintenant qu'elle est enrichie d'une foule
d'observations plus ou moins exactes, et que ses principes se sont
établis d'une manière plus fixe, elle peut figurer honcrablement à
côté des autres objets de l’enseignement. Tout est prèt, les matériaux
sont la, il ne s'agit que de les mettre en œuvre, et quoique les ou—
yriers en ‘ce genre ne soient pas communs, on peut pourtant encore
en trouver; d’ailleurs il s’en formera tous les jours, mais on conçoit
sans peine que, pour une telle entreprse, il faut la volonté, l'appui
et l’aide du gouvernement.
Pour opérer toutes les améliorations désirables en agriculture , il
faudrait que le gouvernement voulüt y consacrer annuellement , pen—
dant dix ans, une somme de deux à trois millions, ce qui ferait
de 50 à 40 mille francs par département. Trente mille francs par dé-
partement donneraient pour les 86, 2 millions 580 mille francs.
Sur cette somme de 30 mille francs, moitié ou un grand tiers
devrait rester aw chef-lieu du département pour étre distribué en
primes sur l'avis de la société centrale. Les encouragemens sont un
puissant moyen d'agir sur l'esprit des français , il faut les distribuer
avec sagesse mais avec libéralité.
L'autre moitié serait employée au traitement des professeurs que
je suppose au nombre de huit, savoir : quatre au chef-lieu du départe—
ment et un dans chacun des arrondissemens que je suppose être de
quatre, terme moyen. ‘
Le traitement de chaque professeur serait de 1,000 à 4,200 fr. Il
y aurait ensuite à payer la rétribution à l’honnéte citoyen qui prêterait
son exploitation pour servir de ferme-modéle. Je suppose que cette
rétribution qui serait évaluée et réglée par la société centrale, se
monterait à 2 ou 3 mille francs.
La fabrique d’instrumens exigerait sans doute aussi quelques avances.
Une bibliothèque agricole dans chaque arrondissement serait sans
doute aussi jugée nécessaire.
Chaque amélioration, découverte , perfectionnement qui aurait lieu
dans un canton, serait signalée par le comice à la société d'arrondisse-
ment qui jugerait de son importance et en ferait son rapport à la
société centrale. Celle-ci ferait examiner attentivement la chose par
une commission et déciderait du montant de la prime accorder ou
de, sa nature.
Je pense donc que tous les moyens que je viens d'indiquer sont
389 MÉMOIRES ET PIÈCES.
très-propres à diriger l’esprit de la jeunesse vers l’agriculture. Oui!
je le répète, l’agriculture doit être avant tout soutenue, encouragée,
développée; c'est la véritable, la plus solide industrie de la France.
La France est destinée à prendre un avenir immédiat, un immense
développement sous le triple rapport de l’agriculture de l’industrie
et du commerce, et c’est surtout vers le travail matériel que l’activité
des générations nouvelles doit être dirigée. Il est impossible que l’agri—
culture demeure dans un état de langneur K où les manufactures
frémissent , et qu'est-ce donc que trois millions par an pour une nation
dont le budget s'élève à plusieurs millions au-delà d'un milliard ?..
D'ailleurs cette somme ne serait point donnée en pure perte pour
l'état; l’état la retirerait et même au-delà, tant par les droits de
mutation qui augmenteraient avec la valeur vénale des propriétés
que par l'accroissement de la fortune publique qui, en dernière ana-
lyse est toujours en raison des fortunes particulières.
Le gouvernement est venu plusieurs fois au secours du commerce
et des manufactures , il est donc juste qu'il agisse de même pour
l’agriculture, mais une première chose à faire sans laquelle nos efforts
ne seront qu'incomplétement couronnés de succés, ce serait d'écarter
de notre législation certains obstacles qui s'opposent directement aux
progrès de l’art agricole. Ces principaux obstacles sont :
4° Le droit de vaine pâture , droit absurde qui porte les plus graves
atteintes à la prospérité du sol, par les dégâts et les dilapidations qu'il
entraîne, qui restreint singulièrement le droit de propriété par l’impos-
sibilité où se trouve le propriétaire de jonir de son bien comme bon
lui semble, et d'établir le mode d’assolement qu'il juge à propos.
2 L’extréme division des propriétés. Si la grande division des
propriétés a été avantageuse à l’agriculture, ce dont on ne peut
douter , il arrive pourtant un terme où cette extrême division est
nuisible, c’est lorsque les parcelles, par leur exiguité, se trouvent
enclavées , enchevétrées dans la masse totale et ne sont plus accessibles,
en tout temps, à leurs propriétaires sans être obligés de passer sur
celles de plusieurs autres, ce qui oblige à un assolement commun
(V. Berthier de Roville). Il serait donc important d'opérer quelques
réunions ou au moins d'établir des chemins d'exploitation qui facili-
tassent en tout temps l’accés de ces parcelles.
3° Un autre obstacle provient du mauvais état des chemins vicinaux,
de grande & de petite communication.
4° Enfin un dernier obstacle, c'est la grande élévation du prix du
sel, ce qui empêche de l'employer pour l'usage des bestiaux, malgré
DEUXIÈME SECTION. 383
qu’on soit bien persuadé de ses bons effets, tels que d'exciter l'ap-
pétit, de stimuler agréablement l'estomac, de faciliter la digestion,
de procurer un air de gaieté et de santé à l'animal, etc.
Toutefois, en reportant l’activité française sur les travaux et les
entreprises agricoles, on l’éloignera de ces idées vagues de politique,
de philosophie spéculative qui naguère troublaient encore toutes les
têtes de notre bouillante jeunesse. Le mal est que l’agriculture n’est
pas assez relevée et que beaucoup de personnes regardent comme
au-dessous d'elles de s'y livrer. C'est au gouvernement d’en rehausser
l'éclat, et il ne peut le faire avec plus d'avantage qu’en accordant
considération et protection à ceux qui s'y livrent avec ardeur et
discernement ; qu’en faisant distribuer généreusement des primes à
à ceux qui les auront méritées par des travaux utiles en tout genre,
et surtout en faisant enseigner l’agriculture dans les écoles primaires
et dans les colléges. Ce sont vraiment là les meilleurs moyens de
diriger vers cet art utile l'esprit et les études de la jeunesse,
Les écoles d'agriculture seront utiles non-seulement aux jeunes gens
qui se proposent de suivre la carrière laborieuse et honorable du cul-
tivateur, soit en qualité de fermier, de régisseur ou de propriétaire,
mais encore à ceux qui, indépendans par leur fortune , sont dispensés
d’embrasser une profession et qui pourtant sont désireux de voir par
eux-mêmes si leurs domaines sont bien administrés, si leurs fermiers
en tirent tout le parti convenable, si en les aidant, souvent de peu
de chose, soit à dessécher un marais, soit à défricher un terrain
inculte, soit à faire quelques plantations utiles, soit en établissant
un troupeau s'il n’en existe point, ou en améliorant les races s’il en
existe, soit en créant un système d'irrigation sur une prairie, etc.,
ils n’augmenteront pas de beaucoup la valeur de leur propriété.
D'ailleurs l'étude d'une science donne souvent le goût de la mettre
en pratique, et je ne doute pas qu’une partie des jeunes gens riches
des villes, qui ont recu une instruction générale et qui auront suivi,
pour compléter leur éducation, des cours d'agriculture comme étude
d'agrément, craignant de s'engager dans la carrière encombrée du
droit ou de la médecine, n’aillent s'établir sur leurs propriétés et n'y
devicnnent d’excellens agronomes; c'est ce qui pourrait arriver de
plus heureux, parce qu'ayant de la fortune ils seraient à même de
faire sur leurs terres des dépenses bien entendues dont ils retireraient
de grands bénéficess La présence du maître sur le sol en augmente
le revenu d’un tiers, dit Parmentier. Ce qu’il y a de positif, c'est
que toutes les grandes améliorations opérées en agriculture et les écrits
584 MÉMOIRES ET PIECES.
utiles qui les ont constatées, sont dus absolument à des propriétaires
résidans sur leurs domaines. C’est à la campagne, dans une ferme au
Pradel, qu'Olivier de Serres composa son immortel ouvrage, le
Théâtre d'Agriculture et du Ménage des champs. Cest dans les
environs de Bezières, sous le beau ciel du Languedoc, que l'abbé
Rosier rédigea paisiblement ses observations agronomiques qui font
l'objet constant de son cours complet d'agriculture.
La femme étant la compagne de l’homme, destinée à le suivre
partout où il va s'établir, vient aussi embellir sa demeure quand il
se fixe à la campagne; c'est elle qui est ordinairement chargée des
soins du ménage, de la basse-cour, de la laiterie et de beaucoup
d’autres petits détails qui exigent qu’elle sache faire et commander
les choses à propos, qu’elle soit douée de cet esprit d'ordre, de
perspicacité, de surveillance qui sait tout voir, tout embrasser d’un
coup d'œil, chose si nécessaire dans un train de culture ! car quand les
maîtres ne surveillent pas les domestiques, les domestiques surveillent
les maîtres, et une fois qu'ils voient du laisser-aller, ils sont toujours
très-disposés à le favosiser et à en tirer parti pour leur propre compte.
Il ne serait donc pas superflu de faire entrer dans le plan d’études
des jeunes personnes quelques notions de la tenue du ménage des
champs , d'économie rurale et domestique. « Partout, à la ville comme
à la campagne, la bonne ménagère est un trésor ; tout prospère sous
la main d’une femme active et soïigneuse, comme tout se perd, se
‘détériore ou périt par l'incurie et la négligence d’une maîtresse de
xmaison ignorant ses devoirs. Combien de femmes ne savent pas
æar exemple que les poules et les pigeons ne pondent que jusqu’à
4 ans; quand on les nourrit au-delà, c'est donc en pure perte, et
il n'y a pas de petites pertes ni de petits bénéfices qui, répétés tous
les jours, ne produisent une certaine somme en moins ou en plus à la
fin de l’année. » L'étude des principes généraux d'économie rurale et
-domestique concernant les femmes , serait donc d’une grande utilité et
une sorte de complément pour l'éducation des filles, surtout pour
celles qui sont destinées à habiter la campagne. Dans notre siècle
où on leur enseigne tant de choses inutiles, il est bon qu’elles ap-
prennent les choses nécessaires, et sans vouloir en faire des femmes
savantes, il faut au moins qu'une femme sache ce que Molière exi-
geait d'elle :
Former aux bonnes mœurs l'esprit de ses enfans,
Faire aller son ménage, avoir l’œil sur ses gens,
Et régler sa dépense avec économie,
Doit être son étude et sa philosophie.
; DEUXIÈME SECTION. 385
Maintenant je me résume et je dis que les moyens de diriger vers
l'agriculture, l'esprit et les études de la jeunesse sont :
4° De faire en sorte que dans l'enseignement classique en général,
une bonne éducation n
l’autre soient en ra
e de pair avec l'instruction, que l'üne et
c nos besoins, nos mœurs et notre in—
iques soient enseignés comme les belles-
dustrie ; que les arts
lettres, et la philosophie.
ga D'hondfer l'agriculturé come lé premier et le plus utile des
arts ;
3° D'en faire enseigner les élémens dans nos écoles primaires, et d’exi-
ger par la suite que les instituteurs aient des notions plus ou moins
étendues de cette science.
4° De créer une chaire d'agriculture dans chaque collége d’arron-
dissement.
3° D'établir dans chaque département un institut agricole où la
théorie et la pratique de l'art soient enseignées dans tous les détails
que comporte un si intéressant sujet.
6° De multiplier les sociétés et les comices agricoles.
7° D'encourager les travaux, les perfectionnemens , les découvertes
utiles, par d’honorables récompenses, soit en numéraire, soit en
médailles, soit par des instrumens nouveaux ou par des animaux de
races distinguées.
49
386 MÉMOIRES ET PIÈCES.
DES
COMMUNICATIONS :
NÉCESSAIRES
A LA LORRAINE.
Par M. MAUD'HEUX, d'Épinal.
De toutes paris les peuples réclament des communications nou-
velles ; les gouvernemens les plus absolus, ceux que l’on accuse de
chercher la garantie de leur stabilité dans la pauvreté et l'ignorance
de leurs sujets, s'empressent d'obtempérer à ces vœux; partout il
n'est question que de chemins de fer et de canaux. La France seule
se laisse accuser de rester en arrière et de se trainer à la suite des
autres peuples. |
Sans rechercher les causes qui ont pu amener cette lenteur si fu
neste aux intérêts généraux, il est temps de proclamer hautement
que , prolongée davantage , elle conduirait aux conséquences les plus
déplorables. En effet, nos voisins marchent toujours; plus hardis à
concevoir et plus prompts à exécuter , ils nous laissent loin derrière
eux. Déjà peut-être il ne s’agit plus de les devancer, mais seulement
de les suivre et de conserver des avantages qui vont nous être ravis.
D'ailleurs, la France riche et prospère ne peut plus se contenter de
faibles et timides essais. Ce qu’elle veut : ce sont les hautes conceptions
du génie, ces entreprises hardies , téméraires , si l’on veut, mais qui
DEUXIÈME SECTION. 387
changent la condition des peuples. La France ne veut pas marcher
la dernière dans la voie du progrès. En fait de communications ,
elle aspire à devenir l’égale de l'Angleterre et de l'Amérique ; sa
gloire et sa fortune en dépendent. Pour y parvenir , “elle est prête
encore à prodiguer ses richesses.
"Oui, telle est aujourd'hui la disposition des esprits ; et dans n6s
contrées surtout, dans nos belles provinces de l'est qui, abandonnées
à elles-mêmes, ont fait de si grands et de si rapides progrès, de
toutes parts des communications nouvelles sont réclamées !
.….Les anciennes provinces de Lorraine, de Bar èt des trois évêchés
ont formé les quatre départemens de la Meurthe, de la Meuse, de
la Moselle et des Vosges. Il en est peu en France qui les égalent ,
soit par la richesse et la variété de leurs productions naturelles , soit
par le nombre et l'importance de leurs établissemens d'industrie,
soit par l'intelligence et le patriotisme de leurs habitans. Limites
par la Belgique , la Prusse et la Bavière, entourés des riches provinces
d'Alsace , de Champagne et de Franche-Comté , à peine éloignés de
vingt lieues de la Suisse et de l'Allemagne , sillonnés par de nombreux
cours d'eau, divisés par la nature en partie de plaine et partie dé
montagne que la différence de leurs produits force à de continuels
échanges, ces beaux départemens semblent appelés à un grand com-
merce intérieur et à former le centre d'une immense circulation dont
Metz et Nancy deviendraient les entrepôts. Que leur manque“t-il pour
remplir cette destinée? Des communications plus faciles , une naviga-
tion, et des chemins de fer. x
Que les belles riviéres de la Moselle et de la Meuse soient unies
à la Saône, et par deux lignes nouvelles, le Rhône sera uni au
Rhin, l'Océan à la Méditerranée ! Qu'un canal on un chemin de
fer soit ouvert du Hâvre à Strasbourg où il rencontrera le canal projeté
en Allemagne du Rhin au Danube, et une autre jonction s’opérera
entre l'Océan et la mer Noire, Dans ce beau système de communications ,
la Prusse, la Bavière, la Hollande, la Belgique , le Dannemarck ;
les villes anséatiques établiront des rapports avec la Suisse , l'Italie et
l'Espagne ; l'Angleterre et l'Amérique avec l'Allemagne , la Hongrie ,
la Turquie et la Russie méridionale. Metz et Strasbourg , l'Alsace
et la Lorraine, occuperont le centre de ce grand mouvement com—
mercial , à l'intersection des lignes qui lui seront ouvertes. La jonction
de la Moselle à la Meuse , celle de la Meuse à la Marne, et la création
de la navigation sur les aflluens de ces grandes rivières compléteront
et entichiront ce vaste réseau de communications. Fr Re
388 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Si vous êtes frappés des avantages attachés à l'exécution de ce
beau projet qui ne date pas de nos jours , vous vous demandez combien
d'années et de sacrifices suffiront pour l'accomplir. Qu'importe le
temps nécessaire ? Sans doute le gouvernement devra chercher à
l'abréger, afin d’appeler les populations à jouir plus tôt des bienfaits
de cette grande création? Mais dix années ne sont rien dans la vie
d’un peuple; et dix années doivent suflire. Les sacrifices , ils seront
grands; mais répartis sur cet espace de temps, ils deviendront peu
sensibles ; ils n'excéderont pas les forces de la France; ils ne l'em—
pécheront pas de consacrer une partie de ses ressources aux améliora-
tions réciamées par les provinces de l'ouest et du centre. Loin de
moi la pensée de demander que tous les trésors de l’état soient
réservés pour ce seul projet qui pourtant doit enrichir à la fois le
nord, l'est et une parüe#du midi de la France. Un gouvernement
sage et juste doit répartir entre toutes les provinces, les bienfaits
dont le trésor public fait les frais; mais nos contrées toujours aban—
données, si mal dotées en routes et en canaux, nos contrées qui
ne recoivent en échange de leur or et de leur sang que de faibles
améliorations accordées d’une main avare pour elles et prodigue pour
les autres, nos contrées ont le droit d'obtenir enfin une justice égale
et en quelque sorte l’arriéré qui leur est dû depuis long-temps. Qué
cette réparation leur soit accordée ? Qu'elle soit combinée de ma-—
nière à ne pas faire peser sur les autres un oubli dont nous avons
trop gémi pour nous-mêmes? Voila ce qu'elles demandent, ce qu'il
est impossible de leur refuser.
Dans l'exécution du plan que je viens de tracer, il faudra com-
mencer par les lignes principales, c'est-à-dire, par le chemin de fer
ou le canal du Hävre à Strasbourg er par la jonction de la Moselle
à la Saône.
La ligne du Hävre à Strasbourg, cette grande. communication
qui s'allie si bien au plus beau projet que l'Allemagne ait concu ,
se recommande par des intérêts si nombreux , par des avantages si
grands, par des considérations qui touchent de si près à l'honneur
et à la prospérité de la France, que je n'essaierai même pas de les
retracer.
.….La ligne de la Moselle à la Saône n'offre pas des avantages
moins grands, moins faciles à apprécier ; mais le gouvernement semble
préférer la jonction de la Meuse à la Saône : il la soumet à des études,
tandis qu’il laisse dans un oubli profond la ligne de la Moselle.
Quel motif assez grave peut justifier cette préférence ?
DEUXIÈME SECTION. 389
Est-ce qu'au delà de nos frontières, la Meuse traverse des contrées
plus riches et plus commercçantes ? Est-ce qu’elle nous met en rapport
avec plus de peuples et sert ainsi à ouvrir plus de relations? Non
sans doute. Le pays de Trèves, le Palatinot, les provinces Rhénanes
ne le cèdent ni en industrie , ni en fertilité, aux environs de Liége
et de Namur. La Meuse nous fera communiquer avec la Belgique
et la Hollande ; mais la Moselle nous fera communiquer en outre avec
la Bavière et la Prusse. L'avantage est donc pour la Moselle.
Est-ce qu'au dedans de nos frontières, et à partir de la Saône , la
ligne de la Meuse traversera des villes plus populeuses et plus im-
portantes? Non encore. Sur la Meuse les sept villes les plus impor-
tantes ne présentent ensemble qu'une population d'environ 50 mille
âmes ; sur la Moselle , la population des sept villes principales s'élève
à près de 407 mille. Sur la Meuse pas une ville de 45 mille habitars :
sur la Moselle deux villes de plus de trente mille. L'avantage est
encore pour la Moselle.
* Est-ce que la ligne de la Meuse doit favoriser un commerce plus
grand et plus étendu? Quant aux relations du nord au midi, si l'on
prétendait contester la supériorité de la ligne de la Moselle, au moins
faudrait-il bien accorder qu'il y aurait égalité? Quant au commerce
intermédiaire, quant à ce commerce qui doit être pris en haute con—
sidération, puisqu'il appartiendra tout entier à la France, il est im—
possible de contester les avantages de la ligne de la Moselle. De
Mézières à Ja Saône, la ligne de la Meuse traverse sans doute des
pays riches et fertiles ; mais dont les produits sont identiques et suflisent
à tous les besoins des habitans ; leur superflu s'écoule dans une autre di-
rection ; ils ne peuvent donc avoir entr'eux qu'un commerce d'échange
accidentel et par conséquent trés-limité. La ligne de la Moselle , au con
traire , après avoir traversé les beaux vignobles et les riches campagnes
ües départemens de la Moselle et de la Meurthe , vient s'enfoncer dans
les montagnes des Vosges, au centre des forêts et des manufactures,
dans les cantons où le sol ne produit point de vins et ne fournit pas
les grains nécessaires à ses habitans. Ainsi elle lie aux montagnes la
plaine qui leur envoie ses vins, ses grains , ses cendres, les sels de
Dicuze et les houilles de Sarrebruck ; elle unit à la plaine, les mon-
tagnes qui lui expédient les bois de construction, les planches, les
merrains , les fers, le verre, le papier, les tissus, les marbres et
tous les produits de leurs manufactures. Sans doute sur la ligne de
la Meuse, on trouve aussi de nombreuses forges et de florissantes
industries ; mais ces forges ont la mine à leurs portes; ées industries
390 MÉMOIRES ET PIÈCES.
ont leur écoulement sur la capitale et la ligne de la Meuse les écarte de
cette direction. Au contraire les forges des bords de la Moselle tirent
leurs fontes de la Franche-Comté et les recoivent par la ligne de la
Moselle à la Saône; les industries des Vosges, pour écouler leurs
produits sur la capitale, suivent cette ligne au moins d’Epinal à
Toul. La ligne de la Meuse desservira-t-elle ces vastes sapinières ,
ces immenses forêts que l’état possède dans les arrondissemens de
Saint-Dié , d'Epinal et de Remiremont , et dont les produits, comme
ceux des forêts des communes et des particuliers , sont expédiés par
la Saône jusqu'à Marseille , par la Moselle jusqu’à Toul pour Paris,
et jusqu’au-dela de Metz pour la Belgique? De ces forêts, celles
qui appartiennent à l’état dans les Vosges, ne rapportent pas moins
de deux millions par an. Où sont sur la ligne de la Meuse, celles
qui, dans un seul département, donnent un revenu aussi élevé, et
fournissent à un commerce aussi étendu? La ligne de la Moselle à
Epinal n’est plus qu'à une journée de marche du chemin de fer de
Thann à Mulhouse qu'il est déjà question de prolonger jusqu’à Bâle.
Qu'un canal ou un chemin de fer soit ouvert du Hâvre à Strasbourg,
tout le commerce du Hävre et de Paris avec l’industrie cotonnière
des Vosges, de Wesserling, de Thann, de Cernay, de Mulhowe,
et tout le transit destiné à la Suisse et à l'Allemagne méridionale,
aprés avoir suivi ce canal ou ce chemin de fer jusqu'à son intersection
avec la Moselle, empruntera cette rivière jusqu'à Epinal pour gagner
de là le chemin de fer de Thann à Mulhouse. La Meuse présente-
t-elle le même avantage ? N’est-il pas juste de reconnaître que la ligne
de ia Moselle offre, quant au commerce intermédiaire , une immense
supériorité sur celle de la Meuse.
Est-ce donc que la jonction de la Meuse à la Saône exigerait moins
de dépenses et de sacrifices? Mais l'étude approfondie, des deux
projets, et la comparaison de ces études peuyent seules conduire à la
solution exacte de cette grave question. S'il en est ainsi, pourquoi
donc le gouvernement n'en fait-il étudier qu'un seul?
En l'absence des renseignemens décisifs que cet examen fournirait ,
il faut consulter ceux que peuvent présenter des faits certains el
incontestables.
L'ordonnance du 10 juillet 1835, qui a fixé la limite légale de la
navigation par, bâteaux pour toutes les rivières de France, la place
à Verdun pour la Meuse, à Frouare pour la Moselle, à Gray pour
la Saône. Or, à vol d'oiseau, la distance de Verdun à Gray est
de 20 myriamètres; de Frouard à Gray, elle n’est que de 45. Mais
DEUXIÈME SECTION. 591
éstice bien de Verdun qu'il faut partir, et à Gray qu'il faut aboutir?
Non, sans doute. D'un côté, la loi du 49 juillet 4837, en consacrant
7 millions pour perfectionner la navigation de la Meuse depuis Sedan
jusqu’à la frontière, nous apprend qu'il est impossible de considérer
le cours de cette rivière de Verdun à Sedan, comme né devant exiger
aucun sacrifice , c'est donc à parür de Sedan qu'il faut compter la
distance à canaliser pour unir la Meuse: à la Saône, même aprés une
première dépense de 7 millions. La même loi consacre prés de 15
millions pour amener la navigation de la Saône jusqu’à Port-sur-
‘Saône. C'est donc à Port qu'it faut aboutir. Or, de Sedan à Port,
la distance à vol d'oiseau est de. 24 myriamètres; de Frouard à,
Port , ‘elle n’est que de 12. Ainsi après un premier sacrifice de 7
nullions pour la Meuse, il faudra perfectionner la pe ou bien
ouvrir un canal sur une longueur de 24 myriamètres à vol d'oiseau,
tandis que de Frouard à Port » après un premier sacrifice d’un million
seulement , que la loi du 50 ; juin 1855 a affecté à perfectionner la
navigation de la Moselle de Frouard jusqu'à la frontière , les travaux
à fairé occuperont une ligne de 42 myriamètres seulement. En comptant
4 million par myriamètre , on arrive à ce résultat que la ligne de la
Moselle coûtera 48 millions de moins que celle dé la Meuse:
+ Personne n'ignore que dans la recüfication du cours des rivières,
‘comme ‘dans la construction des canaux , de fortes sommes sont ab-
Sorbées par l'acquisition des terrains nécessaires. Or, la Meuse dans
tout son cours, est bordée de belles prairies et de’ terrains fertiles :
le pays qui la sépare de la Saône n'est pas moins riche. Ainsi sur
24 myriamêtres dé distance , les acquisitions! portant sur des propriétés
d'une grande valeur, exigeront des sommés considérables. Sur la
ligne dela Moselle ; dans la vallée étroite où coule cette rivière ,
les terrains qui occupent ses'bords et où l’on pourrait creuser un
canal latéral d'Epinal à Toul, bien différens de ceux qui couvrent
les pentes et les sommets des hauteurs voisines, ne sont que des
grèves incultés et stériles , des champs maigres et pierreux, ou dés
prairies médiocres! D D'Épirial à à Port la ligne de jonction travérserait
aussi les mauvais ‘terrains de la Vosge, et sur plus de vingt lieues
d'étendue, les PE par ne portant que sur des propriétés presque
sans valeur, n ’exigeräierit que ‘de’ minimes sacrifices. Les communes
qui en possèdent une partie, en feraient l'abandon en vue des avan-
tages _que la navigation leur procurerait.
“D'Épinal à Filèrdis l'infertilité des terrains de la vallée, résultat
des fréquens DÉHOrdn Be de la Moselle qui les dépouille de leur
392 MÉMOIRES ET PIÈCES.
terre végétale donnerait au canal qui y serait ouvert , une triple utilité.
Non-seulement il constituerait une voie précieuse de communication;
mais il serait aussi un canal de desséchement et de protection contre
les ravages des inondations; mais il serait encore un canal de fer—
ulisation parce qu'il est facile d'y rassembler les eaux nécessaires pour
arroser la vallée et convertir les grèves en prairies fertiles.
De la Moselle à la Saône, il faut franchir un col qui sépare les
deux versans. Il en est de même de la Meuse à la Saône. En ad-
mettant que ce trajet düt coûter dayantage de la Moselle à la Saône,
il faut bien reconnaître que la différence des distances, et le prix
plus élevé des acquisitions sur la ligne de la Meuse, excéderont tou—
jours d’une somme considérable , le surcroît de dépenses que présen-
terait ce trajet.
D'Epinal à Toul, le canal ouvert dans des sables et des grèves,
semblerait exiger des précautions spéciales pour prévenir l’infiltration
des eaux; mais les terrains voisins fournissent l'argile en abondance,
et il est prouvé par les canaux d'irrigation ouverts entre Epinal et
Chatel, sur plus d’une lieue d’étendue et dans une dimension de
dix mètres de largeur sur deux de profondeur, que, sans cette pré-
caution, les terres de la vallée de la Moselle retiennent parfaitement
les eaux. La Meuse perd les siennes dans une partie de son cours,
par les fissures des rochers sur lesquels elle a creusé son lit. Ainsi
l'objection qu’on pourrait élever contre une partie de la ligne de la
Moselle, s'élève tout aussi forte, tout aussi puissante contre une partie
de la ligne de la Meuse.
11 faut ajouter encore que sur la ligne de la Moselle, les bois, les
pierres, la main-d'œuvre, tous ces élémens de dépense, sont incon-
testablement à plus bas prix que sur la ligne de la Meuse.
Ainsi, sans recourir à des études approfondies, en s’arrétant seu—
lement à des faits évidens et irrécusales, il est facile d'établir que
la jonction de la Moselle à la Saône exigera moins de dépenses et
de sacrifices, tandis que pourtant elle se recommande par la supério—
rité de ses avantages et de l’activité du commerce qui doit en profiter.
Comment donc ne pas s'étonner que le gouvernement donne la pré-
férence à la jonction de la Meuse à la Saône, qu'il la soumette à
des études, tandis que l’autre reste condamnée à l'oubli? Loin de
moi l'idée de demander l'interversion du sort fait à chacune d'elles;
loin de moi le désir de faire rejeter à jamais la jonction de la Meuse
pour la remplacer par celle de la Moselle; loin de moi surtout l'in-
tention de solliciter du Congrès un vœu qui favoriserait celle-ci et
DEUXIÈME SECTION. 393
exclurait celle-là. Non; ces deux lignes sont nécessaires ; toutes deux
elles forment des parties importantes du système général des com-
munications de l’est de la France : mais si, dans l’ordre de l'exécution,
une prédominance doit être accordée à l’une d'elles, que ce soit au
moins à la plus utile, füt-elle même la plus coûteuse! Ce que je
veux, ce que je supplie le Congrés de solliciter, c'est que les deux
lignes soient étudiées simultanément ; c’est que le résultat de ces
études soit comparé; c’est enfin que le gouvernement ne se décide
qu’en parfaite connaissance de cause , et que les populations ne puissent
pas dire que de vaines et futiles raisons ont fait préférer la ligne de
la Meuse à celle de la Moselle, quoique la première exige plus de
sacrifices et doive produire moins d'avantages.
-...... Je viens d'exposer la plus grande partie des avantages de
la jonction de la Moselle à la Saône; qu'il me soit permis d'ajouter
encore quelques détails sur l'histoire de ce projet, sur les moyens de
le réaliser, sur les bienfaits qu’il produirait.
* Sous le règne de Néron, Lucius Vetus, qui commandait dans une
partie de la Germanie, voulait employer ses légions à creuser un canal
de la Saône à la Moselle; mais OElius Gracilis, gouverneur de la Bel-
gique , lui persuada que l’empereur en concevrait des inquiétudes, et
le détourna de cette belle entreprise si digne des Romains.
Si l’on en croit M. Bégin, à qui Metz doit tant et de si utiles
recherches sur son histoire et sur celle de nos contrées, Brunehaut,
cette grande reine dont le nom domine l’Austrasie, cette princesse
à qui l’histoire partiale imputa tant de crimes, et à qui le peuple
reconnaissant attribue tant de grandes choses, voulut à son tour réa
liser les plans de Lucius Vetus. Les ducs de Lorraine l’essayérent en
partie : nos annales conservent le souvenir des trayaux qu'ils entre-
prirent pour fixer le cours inconstant de la Moselle et pour rechercher
les moyens de l'unir à la Saône. Pendant les dernières années de
l'ancienne monarchie, M. Lecreulx, ingénieur en chef de la province
de Lorraine, étudia de nouveau le projet des Romains. Dans un
mémoire publié en l'an IV, sur la navigation des rivières de Lorraine,
il exprime la pensée que Lucius Vetus voulait unir la Moselle à la
Saône par l’étang de Cone, qui verse ses eaux dans l’une et dans
l’autre ; il démontre la possibilité d'amener la navigation de la Mo-
selle, par un canal latéral, jusqu'à deux lieues au-dessus d'Epinal,
celle de la Saône par le Coney jusqu’à Fontenoy-le-Château, et de
franchir le col qui sépare ces deux points, par un système d’écluses ;
mais, à raison de la dépense que ce système devait exiger et qu'il
5o
594 MÉMOIRES ET PIÈCES.
évaluait à 7 millions de livres, il proposait une route en terre entre
Epinal et Fontenoy , séparés seulement par une distance de sept lieues.
En 4898, M. Cordier, dont le nom est glorieusement connu dans
l'administration des ponts et chaussées, reprit, dans l'intérêt d'une
compagnie, l'étude des plars de M. Lecreulx. Le mémoire qu'il a
publié démontre la possibilité de la jonction de la Moselle à la Saône,
et en porte la dépense à 26 millions, y compris le perfectionnement
de la navigation de la Saône depuis Chälons. Sur cette somme, M.
Cordier affecte douze millions au trajet d’Epinal à Fontenoy; dans
ce trajet, il propose une galcrie souterraine et une tranchée à ciel
ouvert pour couper la partie la plus élevée du col. Il emploie les eaux
de la Moselle pour alimenter le bief de partage.
Depuis cette époque , le temps a marché, et loin d’apporter des
obstacles à l'exécution de ce beau projet, il a tout fait au contraire
pour en préparer la réalisation et en accroître les avantages.
Déjà, de Châlons à Port-sur-Saône , le perfectionnement de la na-
vigation de la Saône est assuré; le gouvernement lui a consacré des
sommes considérables et qui sufhront , à ce qu'il paraît, pour amener
cette navigation jusqu’à Cendrecourt. De là jusqu’à Fontenoy-le-Château,
si j'en crois des renseignemens que je dois considérer comme certains,
une somme de 900 mille francs suffirait pour faire remonter la na-
vigation par le Coney.
Déjà, d’un autre côté, le perfectionnement de la Moselle, depuis
Sierck jusqu'à Frouard , est également assuré. Cette année, le ministre
répondant aux interpellations d’un député de la Meurthe, a annoncé
l'étude d’un projet qui ferait remonter cette navigation jusqu'à Toul,
peut-être même jusqu’à Flavigny. L’avant-projet d'un chemin de
fer du Hävre à Strasbourg, comprenait un embranchement sur la
Saône par la vallée de la Moselle.
Ainsi leë distances se rapprochent; quelques pas encore elles dis-
paraîtront. Ainsi les sacrifices a faire diminuent de tous ceux qui
sont déjà faits; quelques millions encore et la jonction sera exécutée.
D'Épinal à Toul , la Moselle coule dans une vallée dont la largeur
varie de 600 à 4,600 mètres; en quelques points seulement, elle
est inférieure à 200; mais partout il y a place pour le lit or-
dinaire et pour un canal latéral ; à Épinal , la Moselle fournit plus
d’eau qu’il n’en faut pour alimenter ce canal. Les terrains à acquérir
sont de la plus faible valeur ; ils sont faciles à creuser; dans cette
distance de dix-sept lieues, il n'y a ni hauteur à trancher, ni
côte à percer. Nulle part, l'ouverture d’un canal ne peut exiger
DEUXIÈME SECTION. 395
moins de sacrifices. Nulle part, il ne présenterait d'aussi grands
avantages.
Ces avantages, je les ai déjà indiqués en partie, et, je puis le
dire, ils sont si grands, si incontestables, qu'indépend2mment de
sa jonction à la Saône, ce canal doit être exécuté. J'ai dit que ce
n'était pas seulement comme voie de communication , qu'il présentait
un haut degré d'utilité. Il me sera facile d’en fournir une preuve irré-
cusable.
& En mars 1754, dit M. Lecreulx, une compagnie demandait à
Stanislas de rendre la Moselle navigable de Frouard à Épinal, moyen—
nant un tarif, une taxe pendant quinze ans sur les terrains qu’elle
exempterait des inondations et qu'elle évaluait à 62 mille arpents
(taxe de vingt sous par arpent). Elle supprimait dix-sept moulins
existants sur son cours ou sur des canaux qui en sont dérivés, cons—
truisait des moulins à vent pour les remplacer, prenait les dix-
sept moulins pour 9 ans, au même prix de loyer que les anciens,
et demandait la permission d’employer les communautés par corvées
aux déblais et remblais, dans les mêmes proportions qu'elles étaient
employées annuellement à la construction des chemins. Elle s’obligeait
VU OV V UV OV VO V y v
à terminer dans cinq ans. »
Pourquoi le gouvernement , en ouvrant un canal d'Epinal à Toul,
ne pourrait-il pas réclamer une taxe spéciale sur les terrains qui
seraient désormais garantis des inondations? Pourquoi, aprés ayoir
conduit dans ce canal toutes les eaux nécessaires pour fournir aux
arrosages de la vallée, ne mettrait-il pas un prix à la concession
de ces eaux? A Épinal ; la Moselle en fournirait assez; les affluens
qu'elle recoit, remplaceraient successivement celle que les concessions
auraient dépensce. Sur les grèves de la vallée, il ne faut qu'un peu
de sable et de l’eau pour faire une prairie. Déjà les canaux ouverts
d’Epinal à Châtel, ont fertilisé de cette manière plus de mille arpens
de grèves. incultes; ce grand résultat dû au génie actif et à l'in
fatigable persévérance de MM. Dutac frères, d’Epinal, ne démontre
til pas tous les bienfaits que pourrait produire la création d'un
canal d’Epinal à Toul ? Ne prouve-t-il pas que le gouvernement pourrait
tirer de ce canal, un reyenu égal, peut-être même supérieur à l’intérét
des fonds qu'il aurait coûtés? Qn a évalué à 42 millions les améliora-
tions foncières que ce canal assurerait d'Epinal à Frouard ; les dépenses
n’excéderaient peut-être pas la moitié de cette somme.
Ainsi, pour amener la navigation de la Saône jusqu’à Fontenoy-le-
Château, pour construire un canal de Frouard jusqu'a Epinal, il
396 MÉMOIRES ET PIECES.
faudrait peu de dépenses et ces dépenses seraient largement com—
pensées. Le trajet entre les deux bassins présente seul des difficultés.
L'Etang de Cône que MM. Lecreulx et Cordier adoptent pour point
de partage , est situé à trois lieues au-dessus d’Epinal et placé sur
une hauteur. 11 est alimenté par plusieurs sources et par un étang
plus élevé encore , il verse ses eaux, d’un côté dans le Coney l’un
des aflluens de la Saône, et de l'autre dans le ruisseau de la Niche
qui se jette dans ja Moselle, auprès des papeteries d'Arches. La po-
sition remarquable de cet étang a de tout temps attiré l’attention des
ingénieurs qui se sont occupés de la navigation lorraine. La nature
elle-même semblait le leur offrir pour en faire le bicf de partage de
la jonction de la Moselle à la Saône: mais peut-être ce phénomène
qui fait couler les eaux du même étang vers deux mers différentes,
a-t-il trop préoccupé l'attention de MM Cordier ct Lecreulx? Peut-
être n'ont-ils pas recherché avec assez de soin, si entre Epinal et
Arches , il ne se rencontrerait pas des cols moins éleyés et moins
difficiles à franchir ? La société d’émulation des Vosges peut en signaler
d’autres ; des études approfondies établiront qu'en les adoptant, la
jonction des deux bassins deviendra plus facile et exigera moins de
sacrifices.
D'ailleurs, n'y a-t-l pas à examiner aussi si à la jonction par un
canal, il ne serait pas possible de substituer la jonction par un
Struts de fer? Déja une communication nouvelle sur des pentes
plus douces et mieux ménagées , doit s'ouvrir entre les deux bassins,
aux frais du département et des communes. Existe-t-il des obstacles
suflisans pour empêcher de la convertir en chemin de fer? C'est
encore une étude approfondie qui permettra de résoudre cette question.
M. Cordier rejetait cette idée parce que la pente devait être d’un
centimètre par mêtre; mais cette pente, c'était à l'étang de Cône
qu'il l’avait mesurée ; dans la direction de la route nouvelle, le col
est bien moins élevé et par conséquent la pente peut être considérable-
ment réduite. D'ailleurs la construction des chemins de fer a fait
d'immenses progrès, et ce qui pouvait paraître diflicile ou inexécu-
table en 1828, n'oflrira plus aujourd'hui que des obstacles faciles à
surmonter.
Ainsi, que la jonction s'opère par un canal, par un chemin de
fer, ou seulement par une bonne route, depuis Epinal jusqu'à Fon-
tenoy-le-Chäteau , sans doute les avantages ne seront pas les mêmes.
Ils décroîtront si le chemin de fer est préféré au canal, si la route
est préférée à tous les deux , mais les dépenses décroîtront aussi et
DEUXIÈME SECTION. 397
dans une proportion probablement plus large; mais il restera encore
des avantages immenses, incalculables.
Faut-il maintenant vous parler encore de ces avantages? Faut:il
signaler les titres de nos départemens à obtenir cette création qui
enrichirait tout l’est et une partie du midi de la France et doublerait
les bienfaits d’un canal ouvert du Hävre à Strasbourg? Lisez le mé-
moire publié par M. Cordier et vous reconnaïitrez qu’il est impossible
de rien ajouter aux considérations qu’il a présentées avec une grande
hauteur de vues, et avec la plus exacte apprécialion des ressources
et des besoins de cette partie de la France.
.....Le canal de la Saône à la Moselle établirait une communication
prompte et facile entre les départemens de l’est et ceux du midi, il
traverserait les pays les plus riches en vins, en mines, en forêts, en
carrières de marbre, etc., ceux qui ont le plus besoin de faire entre eux
des échanges. Souvent dans le bassin de la Moselle, le prix du blé
descend à 12 fr. l’hectolitre, tandis que dans celui de Ja Saône et
du Rhône, il dépasse 48 fr. Au moyen du canal, le transport d’un
hectolitre d'un bassin à l'autre, n'excéderait pas À fr. 50; la dif-
férence se partagerait en bénéfice entre le consommateur et le pro
ducteur. Et aujourd'hui déjà ce commerce est immense. Dieuze,
Château-Salins, la Voivre , fournissent d'énormes quantités de grains
qui, depuis Gray, descendent dans les vallées du Rhône et de la
Saône. Les marchandises expédiées du midi n'auraient à traverser
qu'un seul bief de partage pour arriver en Belgique, en Hollande
ct en Allemagne, en évitant les états des petits princes allemands
qui génent la navigation du Rhin par des péages. Les forges des
Vosges et de la Haute-Saône réaliseraient par l'abaissement du prix
des transports, des bénéfices qui se répartiraient entre le maître de
forges, le proprictaire des forêts et les consommateurs. En temps
de guerre, les armées placées sur la Moselle et le Rhin recevraient
leurs approvisionnemens par le canal de la Saône. Toute la navigation
que la guerre interromprait sur le Rhin, se reporterait sur ce canal.
Par lui la Suisse recevrait les expéditions de la Hollande. Il n'existe
dans aucun état de l'Europe, une navigation plus étendue, plus
directe, plus importante.
Le temps dans sa marche n’a fait qu'ajouter à tant d'avantages si-
gnalés par M. Cordier qui les justifie par des calculs. Les projets
conçus ; entrepris ou déjà exécutés ont apporté un nouveau degré d’im—
portance à la jonction de la Moselleà la Saône. Les nouvelles houillères
découvertes dans le bassin de la Saône réclament cette voie de com—
398 MÉMOIRES ET PIÈCES.
munication. Leurs produits amenés dans les Vosges avec ceux des
houilléres de la Prusse et de la Belgique , permettraient d’accroître l'ex-
portation du bois que les montagnes fournissent aux départemens voisins.
La fabrication des cotons qui a doublé d'importance depuis dix ans,
dans une partie des Vosges, prendrait un essor encore plus rapide.
Les cours d’eau des montagnes alimenteraient de nouvelles usines.
L'exploitation des marbres serait doublée ; on verrait renaître celle
des granits et des porphyres que la difficulté des communications
a fait interrompre depuis vingt ans. Partout, aux abords de cette
belle ligne, l’agriculture deviendrait plus prospère et l'industrie plus
active. En enrichissant l’est et le midi dela France, le gouvernement
aurait enfin accordé une juste part dans les améliorations publiques,
à nos départemens si long-temps délaissés. En même temps, des
rapports plus intimes s'établiraient entre la France et les peuples
voisins ; on verrait S’éteindre ces ressentimens et ces préventions na—
tionales qui nous séparent encore de la Prusse, ce pays si riche,
si intelligent, si digne de marcher avec la France au premier rang
de la civilisation continentale.
Il est une dernière considération que le gouvernement doit peser
avec la plus sérieuse attention. Jusqu'à nos jours, l’industrie a re-
cherché les pays de montagne : elle trouvait dans leurs cours d’eau
des moteurs économiques, dans la pauvreté de leurs habitans le bas
prix de la main-d'œuvre. Aujourd'hui, la vapeur fournit partout des
moteurs plus chers, sans doute, mais d'une puissance plus facile à
régler et surtout indépendante de l'influence des saisons. Aussi lin
dustrie tend-elle à rapprocher ses établissemens des grands centres de
consommation , et des grandes lignes d’une communication facile. L’é—
concmie qu’elle obtient sur les transports, compense et au-delà la
dépense des machines à vapeur et le plus haut prix de la main
d'œuvre. Ainsi, les pays de plaine qui possèdent toutes les richesses
de l’agriculture vont y joindre bientôt toutes celles de l’industrie; les
pays de montagnes qui trouvaient dans le travail apporté par les
manufactures , une compensation à l'infertilité de leur sol et les moyens
de se procurer les productions que la nature leur a refusées, tom—
beront bientôt dans l'excès de la pauvreté et de la misère. La plaine
se couvrira d'une population nombreuse et riche; la montagne ne
conservera plus qu’une population malheureuse et rare. L'abondance
et le bas prix du bois dans les montagnes suspendent seuls ce dé-
plorable résultat; mais tous les ans, le prix du bois s'élève dans une
progression rapide.
DEUXIÈME SECTION. 399
Quels sont les moyens de prévenir un état de choses qui ruinerait
et dépeuplerait une partie de la France, au profit de l’autre, et
nuirait en dernier résultat à la prospérité de toutes les deux? Ce
serait d'adopter un système plus juste et plus équitable dans la ré-
partition des améliorations publiques et surtout des grandes lignes
de commvnication. Ce serait de ne plus donner aux seuls pays de
plaine les belles routes, les canaux et les chemins de fer: ce serait
enfin d'appeler les pays de montagnes à jouir des mêmes bienfaits,
dussent ces bienfaits exiger de plus grands sacrifices.
Eh bien, l’ouverture d’un canal du Hävre à Strasbourg , et la jonc—
tion de la Moselle à la Saône, ces deux lignes de communication
recommandées par tant d'utilité, auraient encore l'immense avantage
d’assurer aux montagnes de l'est de la France, la conservation de
leurs établissemens d'industrie et le maintien de l’aisance et du bien-
être dont jouissent leurs habitans. Sans elles, leur prospérité décroîtra
tous les jours; sans elles, comme le disait M. Cordier, leur état
stationnaire sera suivi de maux prochains plus grands. Je puis donc
le proclamer: elles sont indispensables à nos départemens lorrains ;
elles profiteront à vingt autres; elles accroîtront la richesse de la
France de toute la prospérité dont elles doteront ces départemens,
et des bénéfices que lui apporteront les nouvelles relations ouvertes
avec tant de peuples voisins. ....,........
100 MÉMOIRES ET PIÈCES.
BANQUE
DU
DÉPARTEMENT DE LA MOSELLE,
Par M. Févrx ne VIVILLE.
Depuis long-temps on recherche en France les moyens d'améliorer
l'existence des classes inférieures, de donner un plus grand essor à
l'industrie et au commerce , et de faire faire des progrès à l’agricuhure.
La prospérité de l'Angleterre, de l’Ecosse, et surtout des Etats-
Unis nous étonne. Nous admirons les canaux , les chemins de fer qui
sillonnent ces contrées ; les nombreuses manufactures qui livrent leurs
produits à bas prix ; les fermes cultivées avec une rare perfection, et
nous sommes forcés d’ayouer notre infériorité.
Il est facile de se convaincre qu’une si brillante situation est due
au grand nombre de banques provinciales qui étendent leurs rami-
fications jusque dans les plus humbles hameaux. La France est ar—
rivée sans doute à un degré de civilisation assez marqué, pour qu'il
lui soit permis de marcher sur les traces de ces états, en se garan-
DEUXIÈME SECTION. 401
cés états, en se garantissant toutefois des écarts qui viennent mettre
en péril leur commerce et leur industrie (E)e
En effet, les /capitaux sans l'industrie restent stériles, et sans ca-
pitaux l’industrie languit. Mais partout où ces deux élémens de la
richesse publique se combinent, on voit croître rapidement le bien-
être et l’aisance, et se développer la prospérité du pays.
Les banquiers recoivent de l'argent à intérêt et escomptent des effets
de commerce ; mais il ne leur est pas permis de mettre des billets de
banque en circulation, ni par conséquent d'augmenter les signes moné-
taires ou les capitaux d'un pays; tandis qu'une banque publique a le
privilége d'émettre des billets pour une somme plus forte que le nu-
méraire dont elle dispose. En escomptant contre ces mêmes billets des
effets de commerce, elle multiplie les sources de la richesse, puisque
ces billets s’élévent ordinairement à une valeur double du capital de
la banque. L'intérêt de ses fonds est donc aussi doublé; et ce bénéfice
lui permet, non-sculement d’escompter et d'ouvrir des crédits à un
taux modéré, mais encore de se créer une dotation (**).
Ainsi ces banques sont utiles à toutes les classes de la société, aux—
quelles elles offrent en tous temps des moyens de crédit ; et l'on sait
que le crédit est l'ame de toutes les entreprises industrielles. En pré-
tant à un taux modéré aux manufacturiers , aux commercans et aux
agriculteurs, elles les mettent à même de livrer leurs produits à un
prix plus bas que les contrées dépourvues d’un si précieux établisse—
ment, et de soutenir ayec avantage la concurrence.
Ces banques font fructifier les capitaux qu'on leur confie, en les
répartissant sur la surface du sol. Elles entretiennent entre les capi—
{‘) Au er janvier 1835, il y avait en Amérique, outre la banque des Etats-Unis, 557
banques et 121 succursales. dolls
Capital de ces établissemens, ...,..................,. 231,250,337 ’
DÉPOT. she mp») clsdele) els ape ustapred e alice = esse e + «+ 83,084,365
Total. - .... . . . . 314,331,702
Prêts et comptes... ..... sus ses sers. es «0 265,163,834
Circulation, ... .. . . .. oise also eee Men 2 ete a re Ce ++ 103,692,40%
Espèces. . 4... dose. snnssss esse... A6,699,444
Fonds... ,..,...... er. omess soute 9,210,579
Enrenhlenen le close vante ngelol ohne eee Rae A QT ue nf 11,140,657
Toraz, . ....... 536,207,009
{‘*) Avec uu capital de 100,000 fr., une, banque peut facilement émettre des billets pour
une valeur de 200,000 fr,; d’où il résulte qu’en escomptant des effets pour cette somme, à
raison de 5 pour cent, elle retire 10 pour cent de son capital.
br
102 MÉMOIRES ET PiËCÉS.
talistes et les industriels des relations qui, sans elles, ne pourraient
s'établir. Elles empêchent l'argent de s'accumuler sur un seul point,
et enfin elles en égalisent la rente.
La valeur de l'argent, comme celle de toutes les marchandises,
dépend du rapport qui existe entre les demandes et la quantité qui
en existe. Ainsi, là où abonde, soit le numéraire, soit le signe ou le
papier qui en tient lieu , là aussi l'intérêt doit infailliblement diminuer.
Au contraire, plus l'argent devient rare, plus l'intérêt augmente, et
toutes les transactions en souflrent.
Ces établissemens se prêtent à toute espèce d'emprunt. Celui qui a du
crédit obtient des fonds sur sa signature; le propriétaire emprunte sur
hypothèque ; le marchand , le manufacturier donnent en nantissement
leurs marchandises ; l’agriculiteur se procure de l'argent sur le dépôt
de ses denrées, et le prolétaire sur celui de son mobilier.
Ce système de banque, dit la Revue Britannique , présente trois
avantages principaux. 4° Il donne aux habitans laborieux et amis de
l'ordre, un moyen de placer les économies qui ne peuvent être
admises dans les caisses d’épargnes. 2° 11 procure aux hommes in—
dustrieux de tout rang et de toute condition des emprunts à un taux
modéré. 3° Enfin il offre au public, en général, un moyen de cireu—
lation économique et sur.
Aucun pays n'obtiendra des banques tous les avantages qui peuvent
en résulter, tant qu'elles n'auront pas été constituées sur des principes
qui puissent attirer à ces réservoirs les épargnes de chaque province,
de manière à mettre en valeur toutes leurs ressources.
L'établissement des caisses d'épargnes a produit un grand bien;
mais comme on ne peut y déposer plus de 2 à 5000 fr., la difficulté
de placer avec sûreté des sommes plus considérables , a occasionné
la perte d'une foule de capitaux compromis par des faillites,
Quelqu'utiles qu’aient été les banques d’Ecosse, comme déposi-
taires des économies des classes inférieures, sous d’autres rapports
elles ont rendu encore de plus importans services au public, par les
encouragemens qu'elles donnent à l'esprit d'entreprise. Leurs direc—
teurs sont forcés, par les considérations les plus puissantes, à s'em—
ployer sans cesse pour découvrir des moyens sûrs d'utiliser les ca—
pitaux qu’ils ont entre leurs mains. Or les placemens ne peuvent se
faire que parmi ceux qui, jouissant d’une réputation bien éprouvée
d'intégrité et d'habileté, manquent des capitaux nécessaires pour les
entreprises qu'ils ont à conduire. Les banques ne sont pas moins
attentives à découvrir ces hommes dignes de leur confiance, que
DEUXIÈME SECTION. 403
ceux-ci ne sont empressés à leur demander des fonds. Ce sont, d'une
part, les épargnes des hommes laborieux , et de l’autre, les encou-
ragemens donnés avec discernement à l’agriculture et à l’industrie
qui ont été la cause déterminante des progrès que l’Ecosse à faits dans
les voies. de la richesses.
Les avances que font'ces banques sont bien plus avantageuses à
l'industrie agricole qu’aux classes marchandes. Le petit marchand bien
famé peut facilement obtenir du crédit des négocians en gros, tandis
que le fermier qui a besoin de capitoux n’a pas la même ressource. Il
est obligé d’ajourner toutes les améliorations qu’il médite, et même
d'y renoncer entitrement, parce qu'il manque de l'argent nécessaire
pour les exécuter. Alors le sol est mal cultivé, le produit brut trés
faible, et le revenu du propriétaire peu élevé.
Lorsque la banque ouvre un crédit à un fermier, un maximum-
est établi; ce maximum ne peut être dépassé par l'emprunteur ; mais,
d’un autre côté, il n'est pas obligé de prendre cette somme tout à
la fois, et d’en payer l'intérêt intégral. 11 la retire graduellement, à
mesure de ses besoins. Il a encore un autre avantage, celui dle verser
à la banque le prix qu'il retire de ses denrées, de son bétail, et
dont l'intérét court à son profit.
Quand, en France, un fermier vend ses récoltes, il en garde le-
prix jusqu’au jour du paiement de son fermage; s'il fait des béné-
fices, il les conserve jusqu'a ce qu'il ait trouvé l’occasion de les
mettre en fonds de terre ou en achat de bestiaux. Il s'ensuit qu'une
grande parlie des capitaux employés dans l'agriculture de ce pays
y reste stérile, tandis qu'en Ecosse la totalité des capitaux est main—
tenue dans un état de circulation continuelle. Aucun d'eux, quelque
faible qu'il soit, ne reste inactif. L'excédant du fermier riche passe
sans délai dans le réservoir de la banque , pour se diriger ensuite dans
les mains de son voisin moins opulent , qui a besoin d’un secours mo-
mentané.
Les petites sommes économisées par les ouvriers sont régulièrement
déposées dans les caisses de ces banques. Elles en sortent ensuite,
réunies en sommes plus considérables, pour alimenter l’industrie des
manufacturiers et des fermiers , et après avoir passé dans leurs mains,
elles rentrent de nouveau, sous la forme de salaires, dans la bourse
des ouvriers. Aussi ce système a procuré au propriétaire une rente
plus considérable , le fermier en a retiré un excédant de profit au-
dela de l'intérêt de l'argent qu'il avait emprunté à la banque; les
ouvriers ont eu à la fois plus de travail, et un travail mieux rétribué,
et ils sont devenus plus laborieux et plus économes.
404 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Ces ävantages ne sont pas les seuls qu’ait produits ce système ; en effet,
tandis qu’il entretenait dans une espèce d’aisance tous les journaliers , il
procurait à ceux d’entre eux qui étaient doués de quelqu’énergie et
de quelqu'’intelligence, les moyens de sortir de leur condition. Là
les degrés de l'échelle sociale sont abordables aux plus humbles des
ouvriers : s'ils ont l'amour du travail et l'esprit de conduite nécessaires
pour inspirer la confiance, les fonds ne leur manquent pas.
Les administrateurs de ces banques forment une classe d’observateurs
poussés par l'intérêt particulier à surveilier avec l’attention la plus
sévère les personnes qui ont des crédits ouverts dans ces établissemens,
et cette surveillance exerce une grande irfluence morale sur toute la
généralité des habitans.
Le pauvre industrieux voit donc une route immense ouverte devant
lui, et à chaque point de la route il trouve les secours dont il a
besoin pour la poursuivre. En Ecosse les classes laborieuses sont con
vaincues qu'il n’y a que l’indolence et la mauvaise conduite qui
puissent les empêcher d'acquérir des richesses et de la considération.
Le désir d'améliorer leur position provient naturellement de la facilité
qu’elles ont d'y réussir: c’est à cette cause qu’on doit attribuer d’une
part l'industrie, l’économie et l'esprit d'ordre qui distinguent les
habitans de ce pays, et de l’autre le trés-petit nombre de pauvres
dont les riches sont appelés à soulager la misère.
Il est certain que ce système appliqué à la France vivifierait l'in
dusirie, ferait fleurir l’agriculture, si négligée sur un grand nombre
de points, et emploierait avantageusement les capitaux surabondans
du pays. D'un autre côté, en donnant une nouvelle impulsion à lin—
dustrie agricole , commerciale et manufacturière, ces banques in-
flueraient puissamment sur l'augmentation des revenus de l’état. L'ac-
croissement de la production serait nécessairement suivi de l’accroisse-—
ment des objets imposables. De cette maniére en étendant les surfaces
sur lesquelles pésent les contributions indirectes, le poids en serait
nécessairement allégé. Cet accroissement des revenus de l’état, per—
mettrait , soit de réduire les taxes dans une proportion correspondante
à son montant , soit d'entreprendre de grands travaux d'utilité publique.
Tels sont les précieux avantages qui résultent du système de banque
introduit en Ecosse. S'il n’est pas possible d'entrer sur-le-champ dans
des voies si larges et si généreuses, du moins est-il permis de doter
notre département d’une banque publique. Cet utile établissement,
dirigé avec prudence et sagesse , réalisera des bénéfices, se formera
un fonds de réserve, et se créera une dotation. C'est alors qu'il lui
DEUXIÈME SECTION. 405
sera possible d'établir des succursales dans les villes et les bourgs du
département et d'embrasser les mêmes opérations que les banques
d’Ecosse.
La banque doit offrir à toute personne qui présente des garanties,
les moyens, soit d'entreprendre une industrie manufacturière , com—
merciale ou agricole, soit d'en perfectionner le système. C’est pour
atteindre ce but que des actionnaires sont appelés à former le capital
nécessaire aux opérations de la banque, et que des particuliers sont
admis à y placer des fonds à intérêt. Ces capitaux sont doublés ou
triplés par les billets de circulation.
Avec ces ressources la banque peut se livrer aux opérations suivantes :
1° Elle escompte des lettres de change et tous autres effets de
commerce.
2° Elle ouvre des crédits en compte aux personnes qui lui présentent
des garanties.
3° Elle fait des prêts sur première hypothèque , prêts qui ne doivent
pas dépasser la moitié de la valeur estimative de la propriété.
4° Elle se charge de l’encaissement des effets qui lui sont remis.
5° Elle recoit en compte courant, sans intérêt, les sommes qui lui
sont confiées , et paie les mandats jusqu'à concurrence des sommes
qui lui ont été versées.
6° Elle prend part aux emprunts, soit municipaux, soit départe—
mentaux. :
7° Elle fait des avances sur dépôts d'effets publics francais.
8° Elle en achète pour son propre compte.
0° Elle fait des avances pour l'exécution des travaux d'utilité pu-
blique.
10° Elle fournit des lettres de change sur toutes les places où elle
a des succursales ou des agens.
Aünsi cet établissement embrasserait toute espèce de prêts. Mais
comme le but qu'on se propose d'atteiadre est moins de procurer
de grands bénéfices aux actionnaires , que de travailler à la prospérité
générale du pays’, en marchant sur les traces de l’Ecosse , les bénéfices
réalisés au-dessus d’un certain dividende payé aux actionnaires ,
seraient mis en réserve, pour doter cet établissement. À ce fonds
viendraient se joindre des dons et des legs: cette dotation servirait
à assurer en tout temps aux actionnaires un intérêt de 5 à 6p. °/,;
àrelever le crédit ébranlé dans les momens de crise commerciale , alors
que les capitalistes retirent leurs fonds de la circulation et mettent en
péril les maisons les plus solides ; à ouvrir des crédits aux fermiers et
206 MÉMOIRES ET PIÈCES.
aux artisans qui ne présentent pour garantie qu’une bonne réputation ;
enfin à prendre part aux grands travaux d'utilité publique , sans exiger
aucun intérêt des fonds prétés.
A l'expiration du terme fixé pour la durée de la société, cette do-
tation resterait la propriété des actionnaires qui la consacreraient soit
à la fondation d'une nouvelle banque, soit à des travaux d'utilité
publique.
Quant au prêt sur nantissement d'effets mobiliers, comme la loi
du 16 pluviôse an XII ne permet cette espèce de prêt qu'a la con-
dition que les bénéfices retourneront aux pauvres, et que le législateur
reconnait comme pauvre l’emprunteur sur nantissement , c’est à la caisse
d’épargnes et à la maison de prêts sur nantissemens que devra s’adres-—
ser cette classe d'emprunteurs. En eflet, à Metz, une partie des fonds
de la caisse d’épargnes est employée en prêts sur nantissemens; l’autre
partie est placée à la caisse des dépôts et consignations sous la garantie
du trésor public. Les bénéfices qui résulient de ces opérations for-
ment une dotation qui consolide ces établissemens, et qui donne à
l'administration les moyens de faire baisser le taux de l'intérêt du
prêt, er d'élever le taux de la rente servie aux personnes économes.
Cette organisation, qui offre aux déposans les garanties les plus
solides pour la conservation des leurs fonds, excite les classes la—
borieuses à l’économie, et c'est à elle qu'est due la supériorité que
la caisse d’épargnes de Metz a acquise sur les autres caisses du
royaume
La banque pourrait être placée dans le local occupé par la caisse
d'épargnes et la maison de prêt sur nantissemens , mais son admi-
nistration et sa comptabilité en seraient distinctes et séparées.
D'après le système qui vient d’être développé, une notable portion
des économies faites par les classes laborieuses, au lieu d'être enlevée
aux départemens qui déjà manquent de capitaux, pour être dirigée
sur la capitale qui en regorge, serait répandue dans tout le pays.
On ne verrait plus dans le centre de la France, l'intérét commercial
à 8 et même à 42 p. ‘/,, alors qu'à Paris il est à 5 et à 4p. °/..
Ainsi donc cet établissement se préterait à tous les genres d’em-—
prunts. Les négocians , les fabricans , les agriculteurs , etc. , qui jouissent
d'une bonne réputation, et dont le crédit est fortement consolidé,
- trouveraient, à un taux d'intérêt modéré, des fonds sur leur signa-
ture et sur celle de leur caulioh; les personnes qui présenteraient
peu de solvabilité emprunteraient sur leurs propriétés, soit immobi-—
lières, soit mobilières ; enfin, grâce à la dotation de la banque, des
DEUXIÈME SECTION. 407
crédits seraient ouverts aux fermiers et aux artisans probes et amis
du travail.
Il est sans doute permis d'espérer que les amis sincères du bien
public, que le conseil municipal de Metz et le conseil général du
département ne balanceront pas à prendre part à une œuvre qui doit
exercer une puissante influence sur la prospérité du pays, en ouvrant
les portes de la fortune aux hommes d'intelligence, d'habileté, d'é-
nergie et de probité.
On ne peut disconvenir sans doute que les sommes attribuées à
l'entrepôt du commerce ne fussent plus utilement employées, dans
l'intérêt général des citoyers, si elles étaient affectées à la dotation
d'une banque qui escompterait les effets du petit commerce,
PROJET DE STATUTS.
TITRE I.
DE LA BANQUE.
SECTION 1".
CONSTITUTION ET DURÉE DE LA SOCIÉTÉ.
Art. À. Il sera établi à Metz, avec l'autorisation du gouvernement,
une banque publique de circulation , d'escompte , de comptes courans
et de crédits , sous la dénomination de banque du département de
la Moselle.
Des succursales pourront être créées dans les chefs-lieux d’arrondisse-
ment de ce. département.
Art. 2. Cet étabissement sera formé en société anonyme. Les fonds
en seront faits par des actions.
Art. 3. La durée de cette société sera de trente ans , à partir de
la date de l'ordonnance royale que l'aura autorisée.
Art. 4. Elle pourra être renouvelée en observant les formalités prescrites
par le code de commerce; mais le vœu de la majorité pour ce re-
nouvellement ne sera pas obligatoire pour la minorité , laquelle n'aura
que le droit de réclamer ce qui lui revient au prorata dans la liquida-
ton, 7
408 MÉMOIRES ET PIÈCES.
SECTION II.
DU CAPITAL DE LA BANQUE ET DE SES ACTIONS.
Art. 5. Le fonds capital de la banque sera d’un million divisé en
mille actions de mille francs chacune.
Art. 6. Si ce fonds devenait insuffisant , il pourrait être augmenté
par une nouvelle émission d’actions, dont le mode et la quotité
seront réglés par l'assemblée générale des actionnaires, sur la proposition
du conseil général.
Cet accroissement de capital ne pourra avoir lieu qu'avec l’autorisa-
tion du gouvernement.
Art. 7. Aussitôt que l'établissement sera constitué, et dans la quin—
zaine qui suivra l'avis qui leur en sera donné, les actionnaires seront
tenus de verser à sa caisse le montant de leurs actions en espèces.
Art. 8. Les actionnaires de la banque ne seront responsables de ses
engagemens que jusqu'à concurrence du montant de leurs actions.
Art. 9. Ces actions seront nominatives; dans aucun cas elles ne
pourront étre au porteur.
Elles seront représentées par une inscription nominale sur les re-
gistres de la banque tenus doubles à cet effet.
Il sera délivré aux propriétaires desdites actions un certificat de
cette inscription.
Elles pourront être acquises par des étrangers, aussi bien que par
des francais.
Art. 10. La transmission des actions s'opérera par de simples transferts
sur les registres tenus en double à cet effet.
Elles seront valablement transférées par la déclaration du propriétaire
ou de son fondé de pouvoirs , signée sur les registres et certifiée par
un agent de change en cas de vente, et par un notaire, dans le
cas de transmission par succession.
S'il y a opposition signifiée à la banque, et visée par elle, le
transfert ne pourra s’opérer qu'après la levée de l'opposition.
l
DEUXIÈME SECTION. 109
SECTION If.
DES OPÉRATIONS DE LA BANQUE.
Art. Â1. La banque ne pourra dans aucun cas, ni sous aucun
prétexte, faire ou entreprendre d'autres opérations que celles qui
sont spécifiées dans les présens statuts.
Art. 12. Les opérations de la banque consisteront :
1° À escompter des lettres de change et tous autres effets de com-
merce, à ordre et à échéances déterminées.
2° À ouvrir des crédits limités aux personnes qui s'adonnent au
commerce, à l'industrie ou à l’agriculture, et qui présentent des
sûretés.
3° À en ouvrir aux mémes personnes, ayec dispense de caution,
dans le cas prévu par les articles 26 et 33,
4° A prêter sur hypothèque.
5° A faire pour le compte des particuliers, des maisons de commerce
et des éiablissemens publics l’encaissement gratuit des effets sur Metz
qui lui seront remis.
6° À recevoir en compte courant, sans intérêts et sans frais, les
sommes qui lui seront versées , et à payer tous les mandats et assigna-
tions sur elle, jusqu’à concurrence des sommes encaissées au crédit
de ceux qui auront fourni les mandats ou assignations. s
7° À faire des avances sur le dépôt d'effets publics francais, en
se conformant à la loi du 47 mai 4854, et à l'ordonnance du roi
du 15 juin suivant. |
8° A acheter de ces mêmes effets pour son propre compte.
9° À recevoir en compte courant et à intérêts, les fonds qui lui
seront confiés par des particuliers ou par des établissemens publics.
10° À prendre part aux emprunts, soit du département de la Moselle,
soit des villes de ce même département et aux trayaux d'utilité pu
blique.
11° À recevoir en dépôt des lingots et des monnaies d’or et d'argent
de toute espèce et de tout titre.
Art. 13. Le conseil général fixera la somme que ne devra pas dé-
passer l'émission des billets de banque. 6
Art. 14. Ces billets seront de 1,000 fr., de 500 fr., de 250 fr.,
de 100 fr. et de 50 fr., et confectionnés à Paris, conformément à
l’art. 31 de la loi du 24 germinal an XI.
bo:
410 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Art. 45. Le montant des billets en circulation, cumulé avec celui
des sommes dues par la banque en comptes courans et payables à
volonté, ne pourra excéder le triple du numéraire existant matérielle
ment en caisse.
Art. 46. Pour la facilité et la sureté de la circulation , la banque
pourra émettre , dans les mêmes coupures , des billets à ordre payables
à un nombre de jours de vue déterminé, et dont la propriété ne
pourra être transmise que par la voie de l’endossement.
Art. 47. La banque n'admettra à l’escompte que des eflets de
commerce à ordre et timbrés, payables à Metz ou à Paris, et garantis
par la signature de trois personnes au moins , notoirement solyables.
L'une d'elles devra être domiciliée à Metz.
L'échéance de ces eflets ne pourra excéder quatre-vingt-dix jours.
Art. 48. Néanmoins elle pourra admetire à l’escompte des effets
garantis par deux signatures seulement , mais de personnes notoirement
solvables , si l'on ajoute à la garantie de ces deux signatures un transfert
d'actions de la banque ou d'effets publics du gouvernement français ,
ou de coupons d'emprunts, soit du département de la Moselle , soit
de l'une des villes de ce même département.
Art. 19. En cas de non-paiement des effets garantis, la banque pour-
ra, après la simple dénonciation de l'acte du protét, faire procéder
immédiatement, par l'intermédiaire d’un agent de change, à la vente
des valeurs transférées en garantie , sans que cette vente puisse arrêter
les autres poursuites dirigées pour obtenir l’entier remboursement en
capital, intérêts et frais des effets protestés.
Ârt. 20. La banque refusera d’escompter des effets dits de cr
culation, créés collusoirement entre les signataires, sans cause , ni
valeur réelle. .
Art. 21. Le taux de l’escompte des effets sur Metz, ainsi que le
cours du papier sur Paris, sera fixé par le conseil général,
Ârt. 22. L'escompte sera perçu à raison du nombre de jours que les ef-
fets auront à courir : cet escompte sera percu même pour un seul jour.
Art. 25. Toute personne domiciliée à Metz, et notoirement sol-
vable , pourra, sur sa demande appuyée par deux membres du conseil
général, ou par deux personnes ayant des compies à la banque, ob-
tenir un compte courant et être admise à l'escompte.
La qualité d’actionnaire ne donne droit à aucune préférence,
Art. 24. Conformément aux dispositions de la loi du 16 germinal
an XI, aucune opposition ne sera admise sur les sommes placées en
compte courant à la banque.
DEUXIÈME SECTION. AU
Art: 25. Des crédits limités ne seront ouverts qu'aux personnes
notoirement solvables, qui seront cautionnées par une ou deux per-
sonnes également solvables.
Art. 26. Des crédits ne seront ouverts à des fermiers, à des fa-
bricans et’ à des artisans, avec dispense de fournir des cautions ou
des süretés, que quand la dotation sera assez considérable pour
permettre à la banque de se livrer sans danger à ces opérations.
Ces crédits ne seront accordés qu'aux personnes qui jouissent d’une
réputation bien éprouvée d’intégrité et d’habileté.
Art. 27. La banque pourra prêter sur première hypothèque. Ces
prêts ne dépasseront jamais la moitié de la valeur estimative de la
propriété.
Art. 28. Elle pourra aussi faire des avances sur des dépôts de lingots
ou de monnaies étrangères d’or et d'argent.
Les conditions de ces avances et le taux de l'intérét à percevoir
seront déterminés par le conseil général.
SECTION IV.
DIVIDENDES , FONDS DE RÉSERVE ET DOTATION.
Art. 29. Le dividende des actions sera réglé tous les six mois :
il se composera :
1° D'une répartition des intérêts acquis à chaque action, à raison
de 5 p. ‘/, sur leur valeur nominale de 1000 fr. ;
2° D’une répartition de la moitié des bénéfices qui excéderont
ces 5 p. ;
L'autre moitié formera un fonds de réserve.
Art. 50. Lorsque cette réserve aura atteint le cinquième du ca-
pital des actions , l’excédant servira à doter l'établissement.
Art. 51. À ce fonds viendront se joindre les sommes votées ou données
par le conseil général du département, le conseil municipal de Metz
et Les citoyens.
Ari. 32. S'il arrivait que les revenus du sémestre ne suffissent pas
pour donner aux actionnaires un intérêt de 3 p. %,, la somme
manquante serait prise sur la réserve, et dans le cas où cette réserve
serait épuisée , le dividende se borneraït au seul produit du sémestre.
Art. 53. Quant au capital de dotation, il sera consacré à pourvoir
aux crédits dont il est question à l'art. 26.
Il ne sera permis d'y porter atteinte que dans le cas prévu par
Particle 63.
449 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Art. 54. A l'expiration du terme fixé pour la durée de la société,
la dotation existante alors sera conservée à la banque nouvelle. Mais
si elle ne se reconstituait pas, ce capital serait employé par les an-
ciens actionnaires à des travaux d'utilité publique.
TITRE IT.
DE L'ADMINISTRATION DE LA BANQUE.
SECTION I.
DE L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE DES ACTIONNAIRES.
Art. 55. La première assemblée générale sera composée de tous
les actionnaires fondateurs.
À l'avenir, l’universalité des actionnaires sera représentée par une
assemblée générale composée de cinquante actionnaires, propriétaires
depuis plus de trois mois du plus grand nombre d’actions non
engagées.
En cas d'égalité dans le nombre des actions, l'actionnaire le plus
anciennement inscrit sera préféré.
Art. 56. Pour être membre de l'assemblée générale, il faudra être
citoyen francais, ou naturalisé, ou domicilié à Metz depuis deux ans
au moins.
Les membres de l'assemblée générale devront y assister et y voter
en personne : ils ne pourront se faire représenter.
Chacun d’eux n'aura qu’une voix , quel que soit le nombre d'ac-
tions qu'il possède.
Art. 37. L'assemblée générale se réunira ordinairement une fois
par année, à l'époque qui sera déterminée par le réglement.
Elle sera convoquée par le conseil général de la banque, et pré-
sidée par le régent, président de ce conseil.
Les fonctions de secrétaire seront remplies par le secrétaire de ce
même conseil.
Art. 38. Il sera rendu compte à cette assemblée de toutes les
opérations de la banque.
On procédera, à la fin de la séance, à l'élection des régens et
des censeurs. Ils seront nommés au scrutin et à la majorité absolue
des suffrages des membres présens.
DEUXIÈME SECTION. 143
Art. 39. L'assemblée générale sera en outre convoquée extraor-—
dinairement dans les cas prévus par les articles 42, 65 et 66, ou
lorsque les circonstances l'exigeront.
Dans ce dernier cas, la convocation devra être requise par deux
censeurs au moins, et adoptée par le conseil général.
SECTION II.
DU CONSEIL GÉNÉRAL.
Art. 40. Le conseil général sera composé de douze régens, de trois
censeurs et du directeur.
Il s’adjoindra neuf négocians pour former avec lui le conseil d’es-
compte et de crédit.
Les régens auront voix délibérative , et les censeurs et le directeur
voix consultative.
Art. 41. Les régens et les censeurs seront nommés pour trois ans;
ils seront renouvelés par tiers chaque année; les membres sortans
seront récligibles.
Pendant les deux premières années, le sort désignera les régens et
les censeurs qui devront être renouvelés. On suivra ensuite le rang
d'ancienneté et de nomination.
Art. 42. S'il arrivait que, par suite de retraite ou de décès, le
nombre des régens fût réduit à huit, et celui des censeurs à un,
l'assemblée générale serait convoquée extraordinairement , à l'effet de
procéder au remplacement de ceux des régens et des censeurs qui
auraient cessé de faire partie du conseil général.
Les nouyeaux membres élus n’exerceront leurs fonctions que pen-
dant le temps qui restait à courir à ceux qu’ils remplacent.
Art. 43. Les fonctions de régent et de censeur seront gratuites.
Il leur sera seulement attribué des jetons de présence.
Art. 44. Les régens et les censeurs seront tenus, avant d'entrer
en fonctions, de justifier qu'ils sont propriétaires de vingt actions
de la banque : ces actions devront être libres et demeureront ina-
liénables pendant la durée de leurs fonctions.
Art. 45. Le conseil général élira chaque année un président et un
secrétaire , ils seront choisis parmi les régens.
Ces deux fonctionnaires pourront être réélus deux années de suite.
Ils ne seront ensuite rééligibles qu'après l'intervalle d’un an.
Art. 46. Le conseil général sera chargé de régir l'établissement,
et de prendre toutes les mesures qui peuvent l'intéresser.
414 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Art. 47. I] se réunira une fois par semaine, et lorsque le président le
Jugera nécessaire , ou quand la demande en sera faite par les censeurs.
IL procède , sur la proposition du directeur , à l'organisation des bu—
reaux. Il nomme et révoque le directeur, le caissier principal et le chef de
la comptabilité ; il détermine le nombre des autres employés , approuve
la nomination qui en est faite par le directeur, et peut en exiger
5
le remplacement; il fixe le traitement aflecté à chaque emploi; il
autorise toutes les opérations permises par les statuts, et en détermine
les conditions ; il statue sur la création, l'émission, le retrait ou
l'annulation des billets; sur la forme qui leur sera donnée, et sur
les signatures dont ils devront être revétus ; il fait le choix des effets
qui doivent être admis à l'escompte; il examine les süretés offertes
à l'appui des crédits demandés, et choisit les personnes auxquelles
la banque peut ouvrir des comptes; il fixe le taux de l'intérêt et de
l’escompte à percevoir, ainsi que le montant des sommes qu’il convient
de consacrer à ces opérations , aux diverses époques de l'année , d’après
la situation de la banque ; il détermine le taux de l’intérét à allouer
aux personnes qui placent des fonds à cet établissement ; il arrête
tous les traités, conventions et transactions , lesquels sont signés en
son nom par le président, le secrétaire et le directeur; il arrête le
budget de toutes les dépenses d'administration, ainsi que le compte
annuel des opérations de la banque. Ce compte sera présenté par le
président à l'assemblée générale du conseil, il sera ensuite imprimé et
remis au préfet, au maire de Metz, à la chambre et au tribunal de
commerce ainsi qu'à chacun des membres de l'assemblée générale.
Art. 48. Aucune résolution ne pourra être prise sans le concours
de sept régens et la présence d’un censeur.
Les délibérations se prendront à la majorité absolue. En cas de
partage , la voix du président sera prépondérante.
Art. 49. Toute délibération ayant pour objet la création ou l'émission
de billets devra être approuvée par les censeurs ; leur refus unanime
en suspendra l'effet.
SECTION III.
DU CONSEIL D'ESCOMPTE ET DE CRÉDIT.
i
Art. 50. Le conseil d'escompte et de crédit sera composé de neuf
négocians , exercant le commerce à Metz.
Art. 51. Les membres de ce conseil seront choisis par les censeurs,
sur une liste triple présentée par les régens.
DEUXIÈME SECTION. 415
Ils seront nommés pour trois ans, et renouvelés par tiers chaque
année : ils seront rééligibles.
Art. 52. Ils seront tenus de justifier, avant d’entrer en fonctions,
qu'ils possèdent cinq actions de la banque : ces actions seront inalié-
nables pendant la durée de leurs fonctions.
Art. 55. Ils concourront avec Les régens et les censeurs, dans la pro-
portion qui sera indiquée par les réglemens , à la formation du comité
chargé de choisir les effets qui devront être admis à l’escompte, ainsi
que les personnes auxquelles la banque pourra ouvrir des crédits.
SECTION IV.
DES CENSEURS.
Art. 54. Les censeurs veilleront spécialement à l'exécution des
statuts et des réglemens de la banque ; ils exerceront leur surveillance
sur toutes les opérations ‘de l'établissement et sur les trayaux des
employés. ,
Art. 55. Ils se feront représenter l’état des caisses, les registres et les
porte-feuilles de la banque toutes les fois qu'ils le jugeront convenable.
Art. 56. Ils proposeront au conseil général toutes les mesures qu'ils
jugeront utiles, et, si leur$ propositions ne sont pas adoptées, ils
auront le droit d’en requérir la transcription sur le registre des déli-
bérations.
Art. 57. Ils rendront compte chaque année à l'assemblée générale
des actionnaires de la surveillance qu'ils auront exercée.
SECTION V.
DU DIRECTEUR.
Art. 58. Le directeur exercera, au nom du conseil général, la di-
- xection des affaires de la banque et de ses bureaux.
Art. 59. Il présentera aux emplois supérieurs et choisira et révo—
quera les autres employés : il signera la correspondance, les acquits
des eflets sur Metz et les endossemens du papier sur Paris, ainsi que
les traités et conventions délibérés et arrêtés par le conseil général ;
il exercera aussi les actions judiciairesfau nom du même conseil.
Art. 60. Il assistera de droit, avec voix consultative, aux séances
du conseil général et du comité d’escompte et de crédit.
Art. 61. Le directeur deyra posséder vingt actions de la banque,
416 MÉMOIRES ET PIÈCES.
qui seront affectées à la garantie de sa gestion, et qui ne pourront
être aliénées pendant la durée de ses fonctions.
Art. 62. Il ne pourra être révoqué que par une délibération du
conseil général, prise dans une séance à laquelle assisteront au moins
neuf régens et deux censeurs.
La décision sera prise à la majorité absolue des voix.
TITRE HT.
DISPOSITIONS GÉNÉRALES.
Art. 63. Si, par suite d’événemens quelconques, la réserve et la
portion de la dotation dont il est nn. à l’article 30 , se trouvaient
absorbées par des pertes, et qu'en outre le capital social fût réduit
aux deux tiers , l'assemblée générale des actionnaires serait immédia-
tement convoquée à l'effet d'examiner s'il y a lieu de dissoudre la
société et de procéder à sa liquidation.
Art. 64. La délibération qui prononcerait cette dissolution ne pourra
être prise qu’à la majorité de la moitié en nombre des actionnaires,
et des trois quarts en somme.
Art. 65. Un an avant le terme de trente années, fixé pour la durée
de la société, tous les actionnaires seront convoqués pour statuer s’il
convient de procéder à une liquidation ou à un renouvellement de
la banque.
Cette même assemblée décidera aussi à quels travaux d'utilité pu-
blique devra étre consacré le capital de doiation qui pourrait exister
au moment de la dissolution de la société.
Art. 66. Les modifications que l'expérience aurait fait juger né-
cessaire d'introduire dans les présens statuts seront proposées par le
conseil général à l’assemblée générale qui sera convoquée extraordinaire-
ment.
La délibération devra étre prise à la majorité des trois quarts en
nombre et en somme.
Ces modifications seront soumises à l'approbation du gouvernement.
es
TROISIÈME SECTION. 447
EE ————_—_—_—_————
TROISIÈME SECTION.
CONSIDERATIONS
SUR LE SYSTÈME
“PHRÉNOLOGIQUE,
Par M. GROMIER, chirurgien sous-aide,
L'étude des facultés de l’homme ne peut plus se séparer de la
physiologie en général, et soit que l'on admette que ces facultés ne
sont que le résultat de l’action organique du cerveau, soit que l’on
considère cet organe comme l'instrument passif de l'âme ou de l'es
prit, toujours est-il que ses manifestations ne peuvent se montrer x
nous, que par l'intermède d’un organe, et que lui seul nous donne
la mesure de son activité.
Le cerveau est l'organe d'où partent toutes nos manifestations
et où viennent aboutir toutes nos sensations. Les philosophes les
- plus anciens avaient senti cette vérité; ils s'étaient méme douté
que la pluralité de nos actes ne pouvait correspondre à la même
portion du cerveau, et avaient cherché le point d'où partait chaque
manifestation. C'était déja de la phrénologie, mais encore au ber-
ceau, chaque localisation n'était qu’un caprice, et si quelques points
se sont vérifiés à notre époque, la plupart restent complétement
53
118 MÉMOIRES ET PIÈCES.
dans l'oubli. Les artistes seuls, dans leurs peintures et leurs statues,
ont reproduit fidélement la nature, c'est qu'eux seuls examinaient
sérieusement les formes extérieures, et qu'un artiste n’est vraiment
artiste qu’à la condition de faire revivre la nature belle qu'elle est,
dans ses beautés et ses horreurs.
Ainsi, Messieurs, tout avait été vu avant notre époque, étudié et
consigné : manifestations intellectuelles, rapport de ces manifestations
avec le cerveau , formes qu’aflecte celui-ci dans des conditions données,
et cependant il n’y avait point encore de science. C’est qu'un génie
n'avait point embrassé tous ces rapports. Ne nous en étonnons point ;
n’avons-nous pas vu toutes les autres branches de physiologie obs—
curcies d'erreurs et d’absurdités, et cependant chaque organe était
presque sous les yeux. Les dissections avaient permis de saisir la nature
presque sur le fait. Ici tout est envoloppé d’un voile si épais que l’on
est encore à se demander comment on a pu, dans une pulpe homo—
gène , déterminer la place qu'occupe chaque groupe d'organes.
Le hasard y fut sans doute pour beaucoup, mais ces hasards n’ar—
rivent qu'aux hommes de génie. Ce fut en constatant un rapport entre
le développement d’une partie du cerveau et certaines manifestations,
en recherchant chez les hommes où ces mêmes manifestations étaient
trés-prononcées, si la même partie de la tête n’était pas également
développée ; ce rapport ayant été trouvé constant, fut-il possible de
ne pas arriver à la conclusion des phrénologisies ? et de ne pas em—
brasser avec enthousiasme une idée qui promettait d'aussi beaux
résultats.
Un fait bien digne de remarque, c’est que pendant que Gall arrivait ,
par la voie de l'observation, à la détermination empirique de non—
faculté, l'école écossaise arriva précisément au même résultat, en se
conformant aux lois du simple bon sens.
Cette manière de procéder fut un grand progrès, on entrait dans
la voice de la vérité , il ne s'agissait plus que de procéder de la même
manière pour arriver à la connaissance exacte du cerveau ct de ses
actes physiologiques. Sans doute Gall ne put pas tout faire ; Spurzheim
n’épuisa pas la science , tous les phrénologistes qui l'ont suivi ne l'ont
pes poussée au degré de perfectionnement auquel elle peut attcindre,
mais chacun a posé sa pierre à l'édifice, chacun suivant son aptitude et
le genre de ses études lui a fait subir un perfectionnement. Spurzheim
en rendant plus précises les dénominations , en découvrant quelques
organes; M. Vimont en montrant les rapports ou les anneaux qui
unissent l’homme à la chaîne de tous les étres, enfin M. Broussais
TROISIÈME SECTION. 449
en animant de son esprit philosophique tous ces organes isolés, en
montrant les rapports qui les unissent les uns aux autres, l'anta-
gonisme auquel ils sont soumis, en faisant la part de l'instinct et de
l'intelligence , enfin, en déduisant les conséquences qui découlent na-
turellement de ces considérations. Mais une chose qu'il est important
de ne point perdre de vue, c'est que la même méthode a toujours
présidé à ces recherches. C'est toujours par la voie de la saine ob-
servation que l’on est arrivé à un nouveau résultat.
Et cependant, Messieurs, nous avons entendu au sein de cette
assemblée un homme que je respecte infiniment, tirer de ces perfec-
tionnemens successifs un argument contre la phrénolopie. Comme
s’il était dans les lois de la nature que tout füt parfait dés son origine :
ne voir dans ce changement qu’un signe d'incertitude et d'erreur,
un jeu de l'imagination, ce serait se montrer étranger à la marche
de toutes les sciences naturelles ; dire que la science la plus per-
fectionnée est la plus incertaine,
Mais je ne veux point être exclusif; si quelques hommes ont exagéré
la phrénologie , si, dominés par quelques-unes de leurs facultés, ils
se sont lancés dans les abstractions en négligeant les faits qu’ils n’ont
point été aptes à saisir, ou qu'ils n'ont point voulu comprendre ;
si, en un mot, ils ont fait le charlatanisme ou le romantisme de la
science, ne confondons pas avec eux les hommes consciencieux et
logiques qui ont créé cette science et qui travaillent à son per-
fectionnement. .
Ainsi en faisant la part des hommes et de la science, nous sommes
fondés à ne point regarder la phrénologie comme une science spé-
culative et: d'imagination.
Cependant , messieurs , je me suis trop occupé de phrénologie pour
ne point comprendre toute la valeur de ce reproche et ne point
sentir combien il était important d'accumuler les faits propres à
l'anéantir. PTE
Dans une science toute de faits et d'application, il ne suffit pas
de prouver l'évidence du principe. On n’est pas phrénologiste lorsque
l'on sait que les facultés ont leur point de départ dans le cerveau,
que chaque faculté a son siége dans une partie de cet organe ,. il
faut discuter si les localisations sont possibles, quels sont les écueils
à éviter, les jalons qui peuvent nous guider, enfin pouvoir embrasser
d'un coup d'œil toute cette scène vivante , et comprendre ses mouve-
mens pour prévoir le résultat.
Permettez-moi donc de vous exposer le plus brièvement possible,
420 MÉMOIRES ET PIECES.
les principes que j'ai puisés dans les lecons et les conversations de
l’homme illustre qui présida avec tant d'intérêt à mon éducation
médicale et phrénologique.
La phrénologie n'est point encore une science faite, il serait té—
méraire de dire que telle partie du système nerveux , telle circonvolu-
tion est le siége de telle ou telle faculté; autant vaudrait, comme
Aristote , mettre l'âme à cheval sur la glande pinéale. ‘
Il est possible que tout le cerveau soit en action dans toutes nos
excitations , mais que certaine partie donnant plus d’impulsion porte a
un acte déterminé, pour le moment, il faut se contenter de ce
fait empirique, savoir, que telle faculté correspond à telle forme
du cerveau , sans vouloir trop circonscrire ses limites.
Ce principe étant désormais incontestable, c'est moins à sa dé-
monstration qu'il faut s'attacher qu’à l'appréciation exacte des moyens
qui peuvent nous conduire à la détermination des différentes facultés.
C'est vraiment aujourd'hui le point essentiel de Ja science , et je
le dis avec peine, le seul peut-être qu'on n'ose pas aborder, le
seul cependant qui puisse faire marcher la science, en la rendant
inabordable aux hommes superficiels, et en faisant jaillir la vérité
des mains de l’homme habile.
Toutes les fois que l’on voudra porter un jugement sur une têle ,
il faudra d’abord estimer l'influence des masses avant de passer à
une spécialisation. Il ne faut pas oublier que les organes analogues
peuvent se suppléer, occuper la place les uns des autres, que dans
son développement excessif l'une empiète sur l'autre , il faut user: de
la plus grande circonspection lorsque deux organes sont voisins. Heu-
reusement , Messieurs , les organes tendant au même but, sont en
général réunis en une masse, en sorte que la méprise ne peut point
avoir autant d'inconyéniens qu'on pourrait le penser au premier abord.
Tous les hommes possèdent les mêmes organes, car sans cela nous
ne pourrions pas nous comprendre; la seule différence qui existe
entre eux , dépend du développement général ou de celui d’une partie
déterminée. — Ces organes sont divisés en trois groupes , l’un pour
les instincts de conservation et d'égoïsme, le second pour les instincts
sociaux décorés du nom de sentiment, un troisième pour les facultés
de l'intelligence, au milieu desquelles se distinguent, le sentiment
de la personnalité , la comparaison et la causalité. Chaque groupe se
subdivise en organes.
Cette division n’a jamais trompé la sagacité des véritables phré-
nologistes , si nous ne pouvons pas loujours spécifier chaque élément
TROISIÈME SECTION. 491
du moral humain , ou chaque faculté, en préciser le siége d'une
manière absolue, nous pourrons toujours apprécier les masses , et
signaler , sinon l'espèce, du moins le genre.
Si aucune faculté n’est fortement développée, le phrénologiste ne
vous dira pas, telle passion , tel goût vous dominera; mais il re-
connnaîtra qu'un certain nombre d’insuiniëts où de sentimens ont dû
régler votre conduite dans le monde, et que votre éducation a dû
rendre quelques-uns d’entre eux les arbitres de vos destinées. ;
Quant aux organes en particulier, il faut d’abord les étudier chez
les hommes où ils sont trés-prononcés, car on ne peut en faire une
idée sur les têtes insignifiantes. Leur nombre n’est pas irrévocablement
déterminé, on pourra en supprimer, en ajouter, ce qui ne fait rien
au principe de la phrénologie.
Soyez persuadés qu'elle ne s'apprend pas facilement, car il est évi-
dent, d’après ce que je viens de dire , que les organes n’ont point une
position fixe et précise , ils ne se reconnaissent que par leurs rapports
les uns avec les autres. à
Il faut avant de se hasarder à porter un jugement sur une tête;
s'être à plusieurs reprises habitué à confirmer l'a priori par l'a posteriort ,
alors seulement on peut espérer un heureux résultat.
Il faut avoir égard aux crêtes et aux saillies osseuses, aux sinus
frontaux, si l'on examine la partie antérieure et inférieure. Je fais
abstraction des cas pathologiques, à la pureté de la fibre cérébrale , si
je puis m'exprimer ainsi, car combien ne voit-on pas d'énormes têtes
sans résultat, dans le nord surtout, tandis que les petites têtes du
midi et plus rarement du nord nous étonnent par leur énergie vitale :
ici, Messieurs , il y a plusieurs observations à faire : ces petites têtes
ne doivent pas dépasser certaines limites , il n'est pas d'homme su-
périeur dont la tête n'ait au moins 22 pouces de circonférence, et
si on les examine avec soin on ne tarde pas à se convaincre qu'elles
sont harmoniques; c'est-à-dire qu'elles renferment des groupes
d’organes tendant au même but, aidés d’autres organes qui poussent
à l’action, tandis qu'elles manquent de ceux qui le plus souvent
nous distrairaient de notre route.
Si votre intelligence est fortement développée et accompagnée de
la fermeté , le phrénologiste se tiendra dans une grande réserve
dans la détermination de vos facultés. — Mais si le jugement et la
raison sont faibles , avec des instincts bien développés , il n’hésitera
pas à avancer que vous avez été entraîné vers des actes peu relevés,
et soyez sûr qu'il ne tombera pas dans l'erreur.
429 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Il est constant que des personnes, et la Gazette des Tribunaux en
offrait derniérement un exemple, qui, dans l’état ordinaire, passent
pour idiotes , manifestent des facultés surprenantes si le cerveau vient
à subir une forte stimulation.
Il faut encore avoir égard à l’activité des mouvemens; on peut
avoir beaucoup de facultésket une grande paresse; il ne faut pas
juger un homme par le bruit qu'il fait dans le monde, mais le voir
de près; il peut, indépendamment de sa paresse, être retenu par trop
de vanité ou de circonspection.
Mais le cerveau n’agit pas seulement sous l'influence des stimulations
qui lui viennent des sens externes , il en recoit des viscerès. Voyez
un homme avant ou aprés le repas, un hypocondriaque , surtout s’il
manque de courage; un phthisique , et dites-moi si leurs manifestations
sont les mêmes.
Il existe pour un organe, l’amativité, un appareil extra-cérébral
qu'il ne faut pas oublier. L'eunuque n’est presque plus un homme.
L'âge n'apporte pas des modifications moins importantes. Spurzheim
a montré la tête d'un homme dont la moulure avait sensiblement
changé au bout de 30 ans.
La partie de l'intelligence qui s'exprime par la volonté, agit puis-
samment sur les instincts dont elle modifie les impulsions, mais elle
est nulle sur les sensations internes. Elle constitue l’antagonisme le
plus puissant des instincts et des sentimens.
C'est surtout lorsqu’elle est faible que l’on a tout à redouter, dans
l'enfance et même dans l’âge mùr, de l'influence de l'exemple; c'est
à lui en grande partie que l'on peut attribuer ces périodes de l’his—
toire , si caractéristiques par leurs manifestations générales : cet exemple
a une influence d'autant plus prononcée, qu'il est donné par des
hommes remarquables par leur position sociale, et dont quelques
facultés brillantes ont dû nous fasciner.
Si l'homme peut subir l'influence du mal, il peut aussi obéir à
celle du bien et se modifier par l'éducation.
IL faudra donc, avant de porter un jugement sur une tête, tenir
compte de toutes ces circonstances ; avant de désespérer d’un enfant,
le mettre dans les circonstances propres à modeler, pour le bien, sa
jeune organisation yierge encore de toute impression vicieuse ; car toutes
nos facultés, tous nos instincts, tous nos sentimens nous ont été ré—
partis dans un but d'utilité, le vice n’est point inné en nous, et n’est
que la conséquence du désir de quelques organes, qui, mieux dirigés,
eussent produit d’excellens résultats ; le vol n’est qu’une exagération
TROISIÈME SECTION. 493
de la propriété, souvent intelligente, souvent une honte, non pour
celui qui le commet, mais pour la société toute entière, qui laisse
ün de ses membres manquer des choses les plus nécessaires à la vie.
Je pourrais poursuivre bien plus loin ces considérations > Mais je sens
déjà qu’elles m’entraînent au-delà des limites que je me suis imposées.
Arrétons-nous donc un instant ; et demandons-nous si le phrénolo-
giste qui procède comme je l'ai indiqué dans le principe, qui met
dans ses jugemens autant de réserve et de circonspection, qui tient
compte de tant de considérations, mérite les sarcasmes dont la science
a été assaillie, l’espèce de réprobation dont sont frappés, aux yeux
d’une grande partie encore de la société, les hommes progressifs qui
S'y consacrent avec ardeur. Messieurs , alors même que l’on n'embrasse
pas leurs idées, il faut tenir compte de leurs travaux, se soûvenir
que c’est de l’histoire naturelle qu'ils font, et bien se convaincre que
les objections n'auront quelque portée que lorsqu'elles seront la con-
séquence de faits observés, et fussent-ils contradictoires, que jamais
un fait négatif ne détruit un fait positif lorsqu'il est du domaine de
la saine observation.
Indépendamment du plus ou moins d'activité du cerveau en gé—
néral, chaque organe formule, suivant son développement et la sti-
mulation qu’il éprouve, ses manifestations de différentes maniéres: ici :
et je prends pour exemple l'organe de la musique, c'est une insen—
sibilité presque complète, dans le second degré une vive satisfaction,
dans le troisième la faculté de reproduire les sons que l'on vient
d'entendre ; enfin, et comme pour couronner l’œuvre, celle de créer
de toute pièce des œuvyzes musicales.
Vous le voyez, Messieurs, a science est entourée de difiicultés et
d'obstacles, mais faut-il arguer à son impossibilité ? loin de nous cette
pensée.
Plusieurs conséquences découlent naturellement de toutes ces con
sidérations : c'est qu'il faut mettre dans les jugemens que l’on porte
sur la phrénologie, autant de circonspection que les phrénologistes
en ont mis dans leurs conclusions; c'est, en second lieu, et pour
répondre au dernier paragraphe du programme, que la phrénologie
n'est point à la portée du vulgaire : cependant il importe infiniment
de lui en faire sentir toute l'importance ; mais pour rendre populaires
“les. études phrénologiques, et pour éviter les dangers et les erreurs
dont elle pourrait être la source, il ne faut pas la livrer aux hommes
‘du monde, elle doit, comme toutes les Sciences, être le: domaine
exclusif des personnes qui en ont fait une étude spéciale , à elles seules
494 MÉMOIRES ET PIÈCES.
appartient le droit de faire des applications , alors la science se trouve
réduite à ses plus simples élémens ; on peut voir et juger ses résultats,
le monde qui n’est plus juge et partie apprécie sans passion, et la
science est en voie de progrés. Venons enfin à l'appréciation de l'in
fluence qu’elle doit exercer sur le bien-être des hommes par les vérités
qu’elle est en voie de démontrer, et à sa justification scientifique.
En philosophie, en tenant compte de toutes les manifestations de
tous les hommes, elle fait disparaître le vague des classifications ar-
bitraires de nos facultés; classifications qui ne sont autre chose que
le rêve d'un seul homme qui s’écoute penser dans le silence du ca-—
_binet, et qui a la prétention de réduire tous les hommes à son modéle.
Par elle le père ne jettera plus son fils dans une carrière pour laquelle
il n'a aucune aptitude, l’instituteur continuera la même épreuve, et
chacun dans l’âge mûr se trouvera occuper la place qui lui convient.
Ah! Messieurs, si nous en venions à celte épreuve, combien la so—
ciété changerait d’aspect.
En économie politique elle montre au chef d’atelier à quel genre
de travail il doit appliquer les têtes qui sont sous sa direction, afin
qu’elles rapportent le plus de profit.
Elle fait sentir combien il est important de donner à la jeunesse
les moyens de satisfaire son activité, afin qu’elle ne se lance pas dans
des routes vicieuses. Elle dirige l'éducation des passions aussi bien
que celle de l'intelligence, en réprimant, dès le bas-âge, celles qui
dévient de leur but, et en développant celles qui peuvent leur former
>
antagonisme.
Elle limite la partie de notre intelligence, en indiquant ce qui
est rigoureusement susceptible de démonstration et ce qui appartient
à l'imagination. Elle est donc le critérium le plus puissant de toutes
les sciences. .
Elle nous guide dans le commerce que nous devons avoir avec nos
semblables, et nous donnant à peu près la mesure de la confiance
que nous devons avoir les uns à l'égard des auires.
Elle guide le médecin dans l'analyse de certaines maladies simulées ,
surtout chez les militaires qui ont souvent tant d'intérêt à tromper
‘sa bonne foi.
Un de ses plus beaux résultats c'est de conduire à la tolérance,
en démontrant qu'il faut chercher à corriger et ne point condamner
de prime-abord.
En précisant le but de nos facultés, elle ‘nous indique l'usage
que nous devons en faire les uns à l'égard des autres. Elle démontre
TROISIÈME SECTION. 425
notre égalité primitive; pourquoi l'homme supérieur plane au-dessus
du vulgaire , pourquoi , il nous faut des chefs et le but de leur élection.
Enfin elle nous éclaire sur l'emploi de la vie en montrant notre
supériorité sur les autres êtres , et notre faiblesse en regard de l’im-
mensité. |
Elle mène dit-on au matérialisme ; y méne-t-elle plus que l'opinion
de ceux qui considèrent en masse le cerveau comme l'organe de la
pensée, ne voyez-vous pas que sans le cerveau il n'existe pas de faculté ?
Qu'il agisse en masse ou isolément , c’est absolument là même chose.
Au fatalisme, c’est encore une erreur , la phrénologie ne change rien
en rien, elle observe et consigne simplement ses observations.
Elle condamne les lois, mais il est de fait que vous ne punissez
pas l'enfant, l'idiot, le somnambule, le fou, parce que vous re—
connaissez qu'il a agi sans volonté, mais si l'on peut démontrer que
dans certaines circonstances , l'homme a été entrainé par la violence
de ses passions , n’y at-il pas humanité à le juger moins séyérement.
Croyez-vous qu’un juré, un juge ne puisse pas retirer quelques ren—
seignemens de la phrénologie. A la fin du dernier siècle , Hiascardi,
chef de la justice à Naples, ne dédaigna point cette épreuve , puisque
chacun de ses procès-verbaux porte en tête, auditis testibus pro et
contrà, visd facie et examinato capite, ad furcas damnamus , et dans
d’autres cas ; zon ad furcas sed ad catenias damnamus.
Quant à la législation en elle-même il faut désespérer d'arriver à
son perfectionnement , tant qu’elle ne reposera pas sur la connaissance
approfondie de la manifestation de nos instincts, de nos sentimens et
de nos facultés intellectuelles.
Elle tend dit-on à renverser les principes religieux , mais en quoi,
je vous le demande? elle qui pose en principe, qu'il est des organes
qui poussent à cette tendance. Elle attaque le fanatisme , et lui seul,
en le renversant elle laissera la religion plus pure, parce qu’elle
l'aura débarrassée de tout ce qui n’est pas naturel.
Elle conduit à l’athéisme, elle est trop logique pour cela. Mais
comment se fait-il qu'une pulpe homogène dans toutes ses parties puisse
présider à des manifestations si diflérentes que la destruction et la
justice; comment se fait-il que l’âme daiïgne s’abaisser à s'unir à de
la matiére. — Je demanderai à mon tour pourquoi telle circonstance
détermine des cristallisations différentes dans un méme corps ; pourquoi
telle substance , composée des mêmes élémens et dans les mêmes
proportions, est tantôt inerte et tantôt un poison; et pour en venir à
des actes physiologiques , pourquoi le nerf optique préside à la vision,
54
426 MÉMOIRES ET PIÈCES.
le lingual à la gustation, et le grand hypoglosse aux mouvemens. Cette
union de l'âme à la matière paraît tellement évidente aux philosophes
mêmes les plus spiritualistes, que saint Thomas d'Aquin dit, que
cette âme ne peut exister dans l’autre monde, indépendante de la ma-
tière, que par un miracle.
Souyenons-nous du reste que les phrénologistes s'en tiennent à la
simple observation des faits, que comme naturalistes, ils se bornent
aux phénomènes naturels, sans rechercher le pourquoi des problèmes
insolubles. Ils observent, consignent leurs observations , les consé—
quences ne leur appartiennent point, c’est l'intelligence de la nature.
Si je ne m'abuse point, il me semble, Messieurs , avoir démontré,
que la phrénologie n’est point un jeu de l'imagination , mais une
branche de l'histoire naturelle, que cette science est difficile à aborder ,
mais que l’on peut parvenir à sa connaissance par des études sérieuses
et réfléchies. Qu'il est avantageux d'en faire sentir l'importance ; que
loin d'enseigner des erreurs, elle est au contraire la plus belle con-
quête de notre époque sur l'ignorance et l’obscurantisme , et que sans
elle il est impossible de faire un pas dans l'étude des facultés de
l'homme et dans la recherche de son perfectionnement.
Sans doute je n'ai pas atteint complètement mon but. Le sujet
est trop au-dessus de mes forces, trop difficile et trop aride, mais
je suis au début de ma carrière, et si je vous ai soumis ces idées,
c'est moins pour faire preuve de connaissances que pour m'éclairer
des conseils que vous voudrez bien donner , et que j'attends de votre
bienveiljance.
QUATRIÈME SECTION. 427
—— —
QUATRIÈME SECTION.
INFLUENCE
DES
CROYANCES RELIGIEUSES
SUR LES MONUMENS DES ANCIENS PEUPLES ;
Par E. A. BÉGIN, docteur-médecin.
PREMIÈRE PARTIE.
UEL À PU ÊTRE L'EMPIRE DU POLYTHÉISME SUR LES BEAUX-ARTS , ET
2 L? 2
QUELLE ÉTAIT L'EXPRESSION SYMBOLIQUE DES MONUMENS RELIGIEUX
DES ANCIENS PEUPLES ? f
Les monumens qui ont fu résister à la
destruction des siècles, sont pour l’histoire
ce que les éclipses sont pour la chronologie,
ps PEnnousr.
I.
Exposée à des chances infinies de progrès et de dissolution, l’exis-
tence des nations comme celle des hommes, présente à l'œil attentif
qui l’étudie, deux grandes périodes dans lesquelles se résume l'action
sociale des peuples du monde. La première de ces périodes, est une
époque d'organisation , de développement , de croyances, d'inspiration
religieuse et de poésie ; la seconde, une époque de maturité, d'analyse,
de philosophie, de doute et de froideur. Sous l'influence de l’une
apparaissent avec majesté la poésie dans toute la pompe de ses images ;
198 MÉMOIRES ET PIÈCES.
la religion dans ses allégories morales, et l’homme se rapprochant de
la divinité par un commerce plus intime d'idées abstraites et sublimes ,
par une foi vive à laquelle les nuages de la vie semblent prêter une
nouvelle force et transmettre un nouvel éclat. Sous l'influence de l’autre
naissent au contraire, les discussions dans les sciences , les critiques
dans les lettres, les hérésies dans les dogmes, les imitations régulières
où les monstruosités dans les arts. À celle-ci le travail et le talent; à
celle-là l'inspiration et le génie. À la première, la verge de Moïse, le
mythe de Zoroastre, la lyre d'Orphée, d'Homère ou d’Ossian pour
symbole ; à la seconde, les livres d’Aristote ou le compas d’Archimède.
Inspiré par une imagination orientale , ou par de saintes révélations ,
prenant le ciel pour point d'appui, pour armes une théogonie nouvelle
dont il poursuit l’application avec une persévérance remarquable ,
Moïse, législateur, prêtre et poëte à la fois, réveille le souvenir de
Jéhovah et, du sein de l'esclavage , fait surgir un peuple entier qu’il
rajeunit : la terre promise s'ouvre ; les enfans d'Israël y plantent leurs
étendarts ; une suite de prêtres rois, artistes théocrates , maniant de
la même main le sceptre, la lyre et l’épéc, laissent après eux deux
immenses épopées saintes, la Bible, mére de toutes les histoires ; le
temple, sanctuaire des beaux-arts. Il y a, dans cette double mer—
veille, révélation de Ja vie extatique d’un peuple ayant foi dans son
Dieu, dans ses dogmes et dans son propre avenir.
Les phallagogies égyptiennes , la lévende fabuleuse d’Osiris , symbole
du soleil (le Dieu tout puissant), rappellent l’histoire obscure et ce-
pendant positive de la lutte des races pastorales contre les races no-
mades , de ces alternatives entre la barbarie et la civilisation pendant
lesquelles l'espèce humaine, se déroulant sous des noms propres,
imprime un caractère matériei à chaque fait, à chaque idée , à chaque
puissance physique de la nature. C’est la théocratie sacerdotale an-
térieure aux Pharaons, non pas représentée par Osiris, comme on
l'a cru, mais seulement consacrée par des rapports entre le culte et
la succession des choses. Le mythe d’Osiris nous le dépeint tour-à-tour,
législateur et conquérant, agriculteur et poète, artiste et philosophe.
Sous lui, la vallée niliaque se peuple d'habitans , les huttes sauvages
sont remplacées par des maisons régulitres, les habitations se rap-
prochent et se groupent entr'elles ; des principes d'ordre et de fixite
engendrent l'harmonie sociale ; une philosophie religieuse commence à
poindre, et le prêtre, trinité poétique , dogmatique et militaire , résume
en soi tous les élémens d'avenir de l'Egypte. Elle naissait au bonheur,
disent les brillans interprètes des mystères phonético-hiéroglyphiques ,
3 v
QUATRIEME SECTION. 429
lorsqu'Osiris, ayant conféré à Isis (la terre) l'administration de son
empire, donné au sage Hermés le droit de conseil, à Hercule le
commandement des troupes, partit avec ses deux fils, avec Maron
le vignicole, Triptolème l’agriculteur, Apollon et neuf musiciennes
qui n’ayaient pas encore le nom de muse , et commenca par l'Ethiopie
la conquête du monde. Ses nombreuses phalanges n’ont d’autres armes
que la musique, la poésie, les arts et Je plaisir , et cependant tous
les peuples se soumettent, tous recoivent des bienfaits et bénissent
la chaîne d’or qui les enlace de ses anneaux.... Voilà l’histoire
allégorique de la civilisation Egyptienne ; les beaux-arts, après un
long sommeii , venus en aide de la théogonie politique, et la religion
marchant sous leur égide tutélaire. À Rhamsès, devait appartenir la
gloire de les propager depuis l'extrémité de l'Océan des Indes jus-
qu’aux frontières de l’Europe, de grouper leurs symboles sous d'énormes
déifications , et d'opérer par le glaive un mouvement artistique analogue
à celui que devait produire Salomon, cinq siècles plus tard, en appelant
à la fondation du temple de Jérusalem , les architectes et les figuristes
orientaux les plus célèbres.
Zoroastre, dont l'existence fut tour-à-tour admise et rejetée dus les
ténèbres de l'antiquité fabuleuse, Zoroastre, contemporain du pére
des historiens profanes , et maître de Pythagore, apparut sur la scène
du monde avec les dogmes épurés du Zend-Avesta , avec une hiérarchie
symbolique nouvelle toute empreinte de sabéisme, religion parlant à
l’âme aussi bien qu'aux yeux, surchargée de cérémonies dramatiques,
d’ornemens empruntés aux beaux-arts. Et cette religion méditée long—
temps par les sages de la Chaldée au sein des montagnes arméniennes,
vint au secours des Mèdes récemment asservis par les hordes belliqueuses
de Cyrus, comme plus tard la religion du Christ, véritable rosée
céleste, tempéra la barbarie des peuples qui se ruaient sur l'empire
romain. Ainsi la Pyrodulie et la Pyrolatrie s'implantérent au milieu de
la Perse pacifée ; la Bactriane ressaisit par le culte l'influence qu'elle
avait perdue par les armes; et sous les images de la lumière et des
ténèbres , sous les figures allésoriques de Sapandomad , de Khordad,
d'Amerdad et d’autres génies bienfaisans, se révéla un vaste système
d'économie politique dont l’agriculture forme la base. Ici les beaux-arts
ont mis l’abstrait sous des formes concrètes appréciables à des con-
quérans sauvages , beaucoup moins civilisés que les Mèdes; et les êtres
célestes et les choses de la terre sont venus se produire au dehors
par des signes, lorsque l’enseignement ésotérique se conservait pur
au sein des colléges zoroastériens, écoles puritaines du paganisme.
430 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Quel que soit le fond de vérité qui s'attache à la fable ingénieuse
de l'époux d'Euridice, elle nous le peint éleyant des villes par les
charmes de l'harmonie, apprivoisant des animaux sauvages, rendant
sensibles les pierres elles-mêmes, et captivant l’attention des esprits
infernaux auxquels il redemande l’objet bien-aimé qu'il a perdu. C’est
qu'alors les beaux-arts, étaient la seule puissance civilisatrice qu’on püt
employer sur des êtres sauvages toujours rebelles à la raison, mais
dans l’organisation desquels la nature prévoyante avait mêlé des germes
d'avenir; c'est que les grands hommes, véritables émanations de la
divinité, parlaient au nom du ciel à des peuples vierges encore , éclairés
par le sens intime plus que par la philosophie ; c’est que pour un
peuple à son enfance , l'éternité, la foi, le dogme, l'autel, le prêtre
se confondent dans une même pensée éminemment religieuse, pensée
que j'appellerai génératrice, car elle fait éclore des milliers de pensées
secondaires, comme la poudre fécondante des plantes qui s'épanouit
au soleil , sous l'influence heureuse des vents alisés du jour. Ceux qui
ont bien compris cette pensée-mére, qui ont su l’analyser, la trans-
former ensuite en des lois politiques et sociales, ceux qui sont parvenus
les premiers à lui imprimer un développement pittoresque plütôt que
rationnel , à la représenter par des signes et des symboles, sont devenus
les premiers rois, les premiers législateurs , les premiers prêtres', les
premiers poëtes et les premiers artistes du monde.
Le souvenir d'Orphée, semblable à ces lueurs flamboyantes qui, s’éle-
vant dans l'obscurité des nuits, donnent une idée vague des objets
placés autour d'elles, est venu jusqu’à nous pour initier l'histoire au
mystérieux développement de la Grèce antique. Orphée est une per-
sonnification artistique, applicable à beaucoup d'individus de même
nom, peut-être même à tous les sages qui les premiers ont éclairé
l’Archipel. Orphée est à mes yeux une époque tout entière probable-
ment fort longue , et pendant laquelle les idées religieuses et morales
se reyêtaient de formes séduisantes pour arriver jusqu'aux âmes (1).
Homère, qui, dans ses poèmes immortels, s'est fait le chantre
du Polythéisme, qui fut à lui seul toute la Mythologie , toute la
poésie du paganisme, nous a peint beaucoup moins les mœurs de
son siècle, que celles des siècles antérieurs. Dernier des poëtes cycliques,
de ces missionnaires du genre d’Orphée qui furent poëtes et prètres
à la fois, il semble avoir rayi du fond des temples le feu des autels
pourlen animer ses vers ; il a mis au jour les secrets de la Mythologie
(4) Le Péri-Lithon, poème d’Orphée sur les pierres, est nne énigme incompréhensible,
parce qu'il se trouve écrit dans la langue symbolique de l’époque.
QUATRIÈME SECTION. 431
païenne, et composé une sorte de bible militaire où se montrent à
chaque page, sous un même jour, la foi, l'indépendance et la verve
d’un artiste.
Quelques ouvrages célébres dans la littérature chinoise et la littéra—
ture indienne, tels que le Mahabharrat, véritable épopée à formes
gigantesques, renferment les traces de cette organisation religieuse
qui paraît avoir dominé, pour le bien-être des masses, le chaos des
sociétés naissantes. On y voit, comme en Palestine, comme en Grèce,
dans un obscur lointain dont l’immobilité n’est qu'apparente, poindre
une orthodoxie fondée sur les puissances physiques de la nature, et
les Jédams réfléter, par des images, leur doctrine réveuse chez les
peuples retardataires, conviés beaucoup plus tard aux banquets de la
civilisation (1).
Lorsque Pythagore, après de longs pélerinages en Egypte, en Phé-
nicie, dans l'Asie mineure et la Grèce, se fut bien pénétré des tra-
ditions antiques ; lorsqu'il eût élaboré es doctrines du spiritualisme,
établi la chaine qui devait unir la mysticité orientale aux formes con—
crêtes d’un fétichisme perfectionné; lorsque son principe d'harmonie
entre les mondes, entre toutes les créations humaines, principe res—
sortant de l'unité primordiale, eût passé du sanctuaire des temples au
sein de la haute société; lorsque, pour expliquer l'infini, pour faire
ressortir les attributs essentiels d'une souveraine sagesse présidant à
l'univers, le philosophe de Samos eût appelé le concours des beaux-
arts, les beaux-arts s’élevèrent aussitôt à la hauteur du dogme. Jamais
perfection ne s’approcha davantage de l’idéalité, jamais monumens
matériels n'inspirèrent une morale plus douce , une croyance plus
sublime. Ce n'était pas encore le christianisme, mais c'était l’âge
précurseur des révélations célestes, de l'unité faite homme, unité
palpable et symbolique, résultat parfait de toutes les civilisations an-
térieures:
Si de ces climats heureux qu’échaufle un Soleil toujours pur, rous
passons aux régions septentrionales, le spectacle d'un culte différent
vient tout-à-coup frapper nos regards. Ici, la divinité, aussi inflexible,
aussi âpre que peut l'être la température , se cache dans l’épaisseur
des sombres forêts, ou repose dars les nuages sur un trône de glace.
Son regard farouche provoque les tempêtes, sa main accablante
répand de toutes parts des fléaux dévastateurs; avide de sang et
de carnage, elle ne s'apaise que par des sacrifices humains, et les
(4) Vischnou, Mitbras, Horus, Apollon sont une même divinité, représentative d’un même
dogme, celui du Soleil,
432 MÉMOIRES ET PIÈCES.
prêtres enfoncent leurs bras dans les entrailles des victimes pour les
élever pures vers les dieux. Ecoutez les bardes qui habitaient les
roches de la Calédonie ; pénétrez dans la vallée de Cona; faites redire
aux échos l’histoire du fils de Fingal et de cette longue süite de
héros qui ont résisté à l'aigle romaine ; et les hymnes d'Ossian, palpi-
tantes de sentimens, riches d'une poésie fantastique, nébuleuse, presque
toujours sublime, vous feront comprendre mieux que toute autre
chose , les mystères d’une religion née probablement sur le sol qu'elle
divinisa, et dont les premiers prêtres ont été des chevaliers, qui dé-
fendirent pied-à-pied la terre natale contre les tentatives liberticides
de ses ennemis.
IT.
En jetant un coup-d'œil sur les croyances et les symboles des peuples
primitifs, en retrouvant partout une orthodoxie matérielle et saisis-
sable, un fétichisme barbare qui s'accorde si mal avec la haute phi-
losophie de leurs prêtres, on s’étonnerait que des superstitions gros—
sières eussent emprunté pour se’répandre, le langage épuré de la
poésie et des beaux-arts , si l’on ne savait qu’un double culte marchait
avec une double civilisation. En Egypte comme en Grèce , en Grèce
comme dans les Indes, dans les Indes comme dans les Gaules , il
y eut des colléges de prêtres, conservateurs du dépôt sacré des
sciences et des lettres, révélant à leurs disciples le dogme d’un Dieu
créateur et les secrets d’une vie future. Au vulgaire , mais au vulgaire
seulement, appartenait le culte des êtres sensibles , et cette déification
multiple qui s’attachait aux objets de sa crainte et de son affection.
Le savant Hetzrodt a commis une erreur des plus graves en disant
que le culte purement abstrait précéda tous les autres cultes (1). Il
faut un grand effort de l'esprit pour s'élever aux abstractions; on n'y
arrive que par degrés, et l'éducation des peuples est si lente qu'il
a fallu des siècles pour passer de la pyrolätrie brute à la pyrolâtrie
perfectionnée , et de cette dernière au culte d’une intelligence su—
prême, immatérielle jusques dans ses allégories. Le veau d’or brisé
par Moïse à son retour du mont Sina (2), prouve quelle tendance avait
encore le peuple le plus éclairé du monde , à quitter l’idéalisme pour
la contemplation matérielle. Eh bien, il en a été ainsi de tous les
(4) Mémoires de l’académie Celtique, T. V. page 367.
(2) Ce fétiche des hébreux était, à ce qu'il paraît, une tête de veau sur un corps hu-
main, V., Wiokelmann, hist, de l’art, , t. I, p. 203, note 4; éd. de Paris, an XI.
QUATRIÈME SECTION. 435
peuples , sans exception ; et, même en admettant , comme nous l'avons
fait en principe , deux grandes périodes où se résume l’histoire de
chaque nation, nous devons voir dans ces périodes une foule de
modifications, de transformations religieuses imprimant aux beaux-arts
un caractère varié, toujours en harmonie avec les croyances à la
mode.
Ce caractère se retrouve dans l’ancienne Gaule, avec des images
de poésie, tantôt sombres et terribles, tantôt riantes et giacieuses.
Si l'Ecosse, l'Irlande et la Suède en ont conservé les traces ‘originelles
avec plus de fidélité, c'est que leur isolement des vastes territoires
où se vidaient alors les querelles des peuples, les a laissées long—
temps hors du contact des mœurs étrangères ; c'est que la hauteur de
courage avec laquelle ces peuples ont repoussé la domination romaine,
a dû les détourner d'échanger leurs dieux et leurs autels contre les
autels et les dieux de l'Italie. 11 en fut de même dans certaines parties
des Pyrénées, des Alpes, du Jura, des Vosges, de la Bretagne
et de quelques lieux déserts où les siècles ajoutés aux siècles n’ont
pas opéré de notables changemens. Ces contrées, demcurées vierges
jusqu’à nos jours , ayant une langue propre , une histoire traditionnelle,
se sont présentées aux savans explorateurs modernes, avec une phy—
sionomie piquante d'originalité , quoique déjà passablement altérée par
les efforts que fait depuis long-temps la civilisation pour s’introduire
au milieu d’elles. Et certes , quel que soit notre amour des lumières,
notre désir de les répandre , nous déplorerons ; loin de bénir, l’époque
où ces petites peuplades , dépositaires des secrets de l’ancien monde,
disposées à les révéler au monde nouveau s'il eut été curieux de
les connaître, ont vu s’eflacer insensiblement une grande partie des
souveniis de leur enfance. Le peu qui en reste, recueilli avec transport
par les archéologues , a servi de canevas aux plus riches compositions
modernes. L'école de Walter-Scait s’en est emparée ; et s'il devient
parfois difficile au vulgaire de déméler le vrai du faux, l'homme qui
aime à creuser la matière, peut reprendre l'histoire en nouvelle œuvre
et percer les mystères de notre berceau social.
Trois moyens se présentent pour y parvenir : 4° l'étude des tradi-
tions orales, et dans cette classe se rangent les chants populaires, les
croyances superstitieuses, les histoires locales qui alimentent l’ima-
gination crédule des campagnards ;. 2° l'examen des traditions écrites
non publiées, l'analyse des divers idiômes de provinces comparés
entre eux et aux langues dont ils proviennent ; 5° enfin l'exploration
des monumens, témoins impassibles «et véridiques de toutes les ré-
55
434 MÉMOIRES ET PIÈCES.
velutions qui ont changé si souvent la surface du globe. L'historien
n'est exact qu'autant qu'il bâtit son édifice sur cette triple base : c’est
pour y avoir manqué que la plupart des annales publiées jusqu’à nous
sont à refaire. On le voit, je suis bien loin de compte avec ceux qui,
par ignorance ou paresse, prétendent que rien de nouveau ne peut
se produire sous le soleil. S’ils entendent parler du domaine exploité
par l'imagination, je ne m’éloignerai probablement pas beaucoup de
leur opinion, quoique je prétende qu’on n’a pas encore bien mesuré,
bien approfondi les capacités intellectuelles de l’homme; mais s'ils
comprennent dans leur décision ce qui tient aux sciences d’observa-
tion , à la littérature appliquée , je m'inscrirai en faux contre un pareil
jugement. Oui, l'histoire de la vieille Europe se raconte encore aux
veillées du village , se répète dans les collines solitaires par des bergers
devenus sans le savoir , les rhapsodes des âges anciens ; elle se Jit sur
les monumens, car un édifice, quel qu’en soit le but, est une sorte
de présage visible pour tous, parlant aux générations successives, et
révélant par sa présence seule, le double secret de son origine et de
sa destinée. Il faut donc aujourd'hui , si l’on veut répondre aux besoins
de l'époque , à ce désir inquiet de connaître qui tourmente la société,
puiser, en même temps , aux trois sources que nous venons d'indiquer ,
éclairer les faits les uns par les autres , tirer les corollaires qni peuvent
en découler, et jeter ainsi , autant que le permettront les circonstances,
les fondemens de notre histoire nationale, L'interrogatoire scrupuleux
auquel doivent être soumis les siècles est une étude grande, sérieuse,
digne de l'attention des archéologues ; c’est l’aflaire urgente du mo-
ment , le nœud par lequel se lie le passé à l'avenir. Il importe
qu’à nos yeux chaque âge apparaisse avec ses féeries, ses combats,
ses conquêtes ou ses désastres, que l'ombre des peuples se fasse
voir derrière leurs monumens, et qu’autour de ces imposantes images,
on puisse grouper les choses et les hommes de manière qu'ils s’har-
monisent avec vérité,
III. s
En conservant à part soi, une propension déterminée pour un
ordre particulier de recherches, nous voulons tous soulever le voile
épais qui couvre encore le berceau de l’histoire. Mais nous le
voulons par des moyens diflérens, selon notre aptitude individuelle,
Aünsi, le but restant le même, chacun s'y achemine en suivant la
voie qui lui sourit davantage. Il en est une cependant sur laquelle,
archéologues, numismates , poètes , artistes , tous doivent se rencontrer :
QUATRIÈME SECTION. 435
cette voie, la plus belle, la plus variée de celles qui s'ouvrent
à Ja fois devant nous , c’est l'étude des monumens dans ce qui ressort
des arts du dessin, Divers intérêts s'y rattachent; et, soit qu’on les
analyse avec profondeur , soit qu’on les examine d'un œil superficiel,
on éprouve , en les voyant, je ne sais quel sentiment mélancolique et
religieux, quel mélange de respect pour le passé, d'inquiétude pour
lavenir , qui fixant nos pensées sur un symbole , retrace à notré ima-
gination l’époque éloignée qu'il désigne. Cependant les beaux-arts
dont le dessin fait la base, ne jouissent pas tous au même degré,
du priviléce de frapper nos sens et d’exciter en nous des émotions
durables. La sculpture et la peinture, par exemple , surtout lorsqu'elles
sont réduites à de petites proportions , lorsqu'elles ne représentent
pas un type de perfection idéale, une page d'histoire, un fait
majeur caractérisant une époque, n’engendrent guëre qu’une sensa—
tion de simple curiosité; tandis que l'architecture , fille du besoin,
n'ayant pas de type dans la nature, se produisant chez tous les
peuples avec ün caractère d'originalité propre à chacun d'eux, nous
frappe bien plus que les arts précités dont la théorie est toujours
une théorie d'imitation. Ainsi, à part les images théogoniques , à part
Ja reproduction de costumes , d'armes ou d’instrumens , la sculpture et
la peinture considérées dans l’enfance des sociétés, n'offrent pas à
lantiquaire des révélations fort utiles ; encore ne parlent-elles le plus
souvent à son esprit que lorsqu'étant associées à l'architecture, ces
trois arts s'éclairent l’un par l’äutre et révélent leur destinée commune.
C’est ce qui arrive pour les temples payens et généralement pour toutes
les anciennes constructions religieuses: tirez du milieu des ruines
qui les recouvrent un morceau de sculpture ou de peinture bien
conservé, en supposant que son examen ne laisse aucune ombre de
doute ni de vague, que vous en ayez parfaitement assigné l’origine ,
et le but et la place; ce bas-relief, ce tableau ne vons frapperont
jamais que d’une seule idée, celle de la croyance superstitieuse qu'ils
rappellent. 11 n’en est pas de même des édifices plus durables que
les générations semblent avoir laissés derrière elles, pour informer
la’ postérité de leur passage sur la terre. Ces monumens parlent comme
parleraient un livre , un poëme écrits d'inspiration ; ils deviennent les
interprètes , les échos du passé , long-temps même après que sa voix
s’est perdue. Car ce n’est pas à la main d’un seul homme que les
édifices religieux doivent leur existence , c’est aux efforts d’un peuple
entier; ce n’est pas la pensée d’un seul qu’ils reproduisent , c’est la
pensée de plusieurs , c'est le goût, la religion ; ce sont les mœurs d’une
époque dont le souvenir semble grandir à mesure qu’il s'éloigne.
436 MÉMOIRES ET PIÈCES.
On peut considérer l'architecture comme le plus ancien de tous les
arts, parce qu'il s’est trouvé, à la naissance des sociétés, intimement
lié au principe de leur conservation. La nécessité de se garantir du
soleil, dans un climat brülant, celle d'éviter la rigueur des frimas
dans un pays glacé, a dù porter l’homme à la construction des ca-
banes, à l'emploi du chaume ou des feuillages pour les couvrir. Ces
premiers ‘asiles, élevés sans méthode sur le bord des fleuves ou
dans l'épaisseur des forêts, ont sufli long-temps à des peuplades er-
rantes qui n'avaient d’autres occupations que la chasse et la péche.
Adorant le soleil, la lune, les astres, les fleuves et toutes les puis—
sances physiques qui semblaient influencer leur destinée, elles priaient
sur la colline , sous l'arbre consacré, comme elles l’ont fait plus tard
dans un temple.
Sans doute il a fallu plusieurs siècles pour que les hommes sor—
tissent de cet état sauvage ; il a fallu que la société s'agrandit, que
les rapports devinssent plus intimes, les intéréts plus compliqués.
Alors naquirent les bourgades et avec elles une architecture indi-
viduelle mieux entendue, un principe d’organisation sociale ; alors
commencèrent les guerres de familles , de castes, de tribus, de
peuples, et l’on vit naître l'architecture militaire censidérée comme
moyen de défense, formée de branchages entrelacées, de fascines,
d'arbres amoncelés et de longues murailles; alors se montra pour la
première fois, d'une manière bien distincte, l'influence de plusieurs
hommes adroits que la nécessité rendit les chefs civils, militaires et
religieux de leurs castes respectives. De ce moment, la puissance
sacerdotale fit un pas immense, d'autant plus rapide qu'elle était
devenue nécessaire ; un culte extérieur s’harmonisa avec le caractère
de chaque peuple ; et la statuaire prit naissance , ayant l'architecture
religieuse. Cette statuaire reproduisit matériellement toutes les idées
à la portée du vulgaire, les faits d'ordre physique, les passions,
les vices, les vertus ; elle personnifia les agens invisibles par lesquels
tout s’anime et tout meurt; elle consacra le souvenir des grandes
catastrophes , l'image des bierfaiteurs, des héros de l'humanité, et
ses travaux ont constamment offert une analogie remarquable avec
le climat où elle a pris naissance et le tempérament des peuples
qui l'ont cultivée; car la sculpture et la peinture sont toujours
pour le monde physique ce qu'est la pensée écrite pour le monde
immatériel, savoir , l'expression d’une idée ou d’un sentiment, la
représentation d’une chose que l’ime inspire et qui a besoin de
prendre une forme quelconque, dés qu’elle entre comme élément de
QUATRIÈME SECTION. 437
croyance dans la vie sociale des peuples. Voilà pourquoi le polythéisme
statuaire enfanta des images si diverses et si bizarres, pourquoi l’on
reconnaît, en le suivant depuis son berceau jusqu'à nous, les trans
formations successives que les croyances religieuses ont subies et les
phases infiniment variées de la civilisation. Prenez toutes les nations
l’une après l’autre, et vous verrez chez toutes , le ciel et la terre se
peupler de divinités senstbles à mesure que les besoins naissent et
que les idées se multiplient; vous verrez la langue , réduite d’abord
à quelques sons voyelles, marcher simultanément avec le culte, avecles
arts, dans une voie de progression graduée, et la religion envelopper
de son vaste réseau les pensées et les créations des hommes. Ainsi,
pour n’envisager que la sculpture, c’est d’abord le plus grossier féti-
chisme qu’elle consacre ; les dieux qu’elle représente sont d’une espèce
toute vulgaire , ou plutôt ce sont autant d’attributs isolés d’une nature
immense , d’un esprit invisible que la classe sacerdotale révère et qu’elle
met en rapport ayec les masses, par des symboles propres à les frapper.
A mesure qu'on avance, le fétichisme s'épure et s'agrandit; les
symboles deviennent plus parfaits ; l’art ne se borne plus à les prendre
parmi les objets matériels , il personnifie , caractérise Les élans passionnés
de l'âme, réunit plusieurs pensées sous un même attribut , déifie Les
grands hommes , les bienfaiteurs de l'humanité et consacre un système
de patronage utile aux imaginations faibles ou mobiles, en plaçant
un ordre quelconque de faits sous l'attribution distinctive d’un génie
particulier, Ce fut ainsi que la chasse , la guerre, la paix, l'amour,
le commerce eurent chacun leurs divinités, lesquelles étaient autant
de personnifications distinctes de l’âme du monde. Lorsque Varron
assure que les Romains avaient trois théogonies différentes , la première
à l'usage des poètes , la seconde à l’usage des philosophes etla troisième
à celui du peuple romain , nous pouvons ajouter que tous les peuples
ont présenté les mêmes théogonies , l’une presqu'idéale embellie des
charmes de la poésie , aussi variable dans ses formes que l'imagination
humaine est variable dans sa pensée ; l’autre empreinte d’un spiritua-
lisme qui dédaigne les images, fussent-elles émanées du plus parfait
ciseau ; la troisième toute populaire, adorant la statue plutôt que le
Dieu , brülant devant elle l’encens des temples, lui consacrant des
amulettes , la faisant asseoir au foyer domestique ou voyager quand
l’exigent d’impérieuses circonstances. Tels nous sont représentés par
Homère les Troyens enlevant Les dieux de leur ville en flammes ; telles
ont été les prétresses romaines lorsqu'elles iransportérent à Ceré la
déesse Vesta , sous la conduite d’Albinius; tels on a vu les Germains
458 MÉMOIRES ET PIÈCES.
et les Gaulois marcher aux combats ayant à leur tête la déesse Herta
ou le dieu Kamulus ; tel enfin nous est représenté Sylla, professant
un si grand respect pour l’image d'Apollon, qu’il n’eût jamais livré
bataille sans donner un baiser respectueux, cn présence de son armée,
au Fétiche qu'il avait enleyé dans le temple de Delphes. Nous mul-
tiplierions inutilement les exemples, Ils prouvent tous que les symboles
du polythéisme ont été destinés aux âmes vulgaires et timorées, et
que la sculpture, qui n'entra sans doute pour rien dans le culte intime
du spiritualisme sacerdotal, servit à sa transformation matérielle, à
son implantation progressive au sein des peuples.
Ces considérations posées, nous distinguerons trois époques dans
l'histoire de la sculpture religieuse ou symbolique. La première con-
sacrant des, idées sensibles et matérielles, se plie à l'imagination
sauvage d'hommes barbares aussi incapables de former des abstractions
que de les comprendre. Cette sculpture multiple devait avoir autant
de caractères isolés qu'il y a d'idées et de mots dans la langue religieuse
des nations primitives ; elle formait ; si je puis m’exprimer de la sorte,
un code palpable dont les principes détachés un à un, inspiraient
aux masses une morale théocratique ; dont le haut enseignement n’eüt
jamais été compris ni respecté par la seule puissance de la parole.
Il serait difficile auourd'hui de fixer le véritable caractére de cette
époque où l’art sans théorie , frappé d'indécision , marchait sans boussole
dans le vague d’une imitation barbare ; mais il serait plus difficile encore
d'en assigner la durée, de marquer du doigt le point obscur où le
premier symbole du fétichisme a pris naissance, et celui non moins
incertain où l’art est devenu une imitation perfectionnée.
Cette seconde époque de la statuaire religieuse fait supposer quelques
élémens d'organisation sociale , des rapports d'intelligence entre les
hommes, des essais dans la voie du perfectionnement, des sentimens
élevés au-dessus de l'instinct physique de la vie animale. Il faut que
certaines idées abstraites se soient déja développées au cœur d'une
société progressive , pour élucider le domaine de la théocratie, pour
opérer le moindre changement dans les symboles lorsqu'ils se con—
fondent initimement avec le dogme. Une telle révolution n’a pu
s'effectuer que par la force impérieuse des choses, par cette force
qui sommeille plusieurs siècles dans le berceau des nations, et qui,
surgissant tout-à-coup, comme la flamme incandescente du cratère,
sillonne en longs traits de lumière les nouvelles routes où la pensée
va marcher.
C'est à la seconde statuaire qu’appartiennent les symboles bizarres
QUATRIÈME SECTION. 439
du dualisme , les premiers accouplemens des formes humaines avec
les formes animales qu'on retrouve à chaque pas dans les mythes de
la Perse, de l'Egypte et de l'Inde. Ils furent imites par les Phéniciens,
les Grecs, les Romains et quelques peuplades des Gaules, mais, en
quittant le sol qui les avait vus naître, ces produits monstrueux per-
dirent leur sens allégorique, et bientôt ils furent jugés indignes d’une
civilisation perfectionnée.
Lorsque les créations hibrides eurent disparu de l’Archipel, lors-
que les divinités recurent des attributs distinctifs, la statuaire fit un
pas immense dans l'empire du beau; elle eut décidément franchi
l’espace qui séparait la seconde époque de la troisième, et consacra
bientôt par des chefs-d’œuvre le règne de l’idéalité. Alors parurent
Phidias et le Jupiter olympien regardé comme le plus sublime effort de
la statuaire perfectionnée ; de grandes écoles s'ouvrirent ; l'art étendit
sou domaine hors de l'enceinte des temples, mais insensiblement il
s'altéra, non plus dans ses formes demeurées toujours pures, mais
dans l'expression variable, souvent arbitraire de ses symboles. La
lettre du dogme , la légende cachée s’eflacérent , et l'Olympe fut peu
plé de créations charmantes , n'ayant aucun rapport entr'elles ni avec
les divinités du vieil âge; ce fut le ciel des artistes substitué à celui
des prêtres; ce fut le témoignage le plus frappant d'un changement
complet de direction dans l’action gouvernementale, qui abandonnaït aux
exigences du rationalisme une théocratie que le temps avait usée (4).
La peinture, plus tardive que la statuaire dans son mode de dé
veloppement, a dû suivre néanmoins une marche analogue à celle de
son aînée.
Dés que le dualisme apparaît sous le soleil d'Orient, dés qu'il
consacre le double empire de la lumière et des ténèbres, du bien
et du mal, du bon et du mauvais principe , deux couleurs, les pre—
mières sans doute que la religion ait employées pour symboles, sont
chargés de reproduire cette doctrine au sein du monde profane (2).
En Perse, dans les Indes, en Chine, en Egypte, c’est le blanc et
le noir; chez les Etrusques , le blanc et le rouge (3). Cette dernière
(1) 11 paraît certain, d’après le dire d'Hérodote, que les Grecs sont redevables à Hésiode
£êt à Homère de leur mythologie multiple.
Unde autem singuli deorum extiterint, an cuncii semper fuerint, aul quà specie , haud ità multd
ante hoc tempus ignorabatur, ut ingenuè loquar. Nam Iesiodus aique Homerus, quos 400 non
amplius annis anté me opinor ertilisse , it fuere qui grœcis deorum prolem introduxerunt , ejsque
el cognomina , et honores, et diversa artificia et figuras attribuerunt. Herovore, lib, I.
+2) Hori Apollinis hieroglyphica , lib. IL, cap. 20; Hygin. astronom., lib, IL, p. 75; Boun
Deheselh, p. 378 ; Apollodori, lib, TTL, p. 296. «
{3) Presque tous les vases étrusques ne présentent que ces deux couleurs.
440 MÉMOIRES ET PIÈCES.
couleur acquit même presque dès sa naissance plusicurs significations
différentes. Elle désigna le feu, l'esprit vivifiant, la régénération de
l'ame humaine, l'éternité.
Lorsque le rouge fut entré de la sorte dans le domaine immense
de la nature incréée, il n’y pénétra pas seul; deux autres couleurs
se joignirent à lui: le jaune, comme symbole de la sagesse et de l'in-
telligence; le bleu, comme symbole de la création (1).
Voilà quelles ont été les cinq couleurs primitives ; leur langage fut
d'une simplicité rudimentaire remarquable , appropriée comme il con
venait, aux sentimens moraux, à l'épaisse intelligence des anciens
peuples. Peu à peu, la symbolique s'agrandit ; un progrès dans l’ordre
social coïncidant toujours avec un progrès dans la civilisation , et cette
civilisation puisant au fond des temples la plus grande partie de ses
lumières, il fallut que le dogme prit insensiblement des formes en
harmonie avec la pensée vulgaire. Ainsi l'on a vu les cinq couleurs
combinées entr’elles, indiquer une association d'idées plus ou moins
abstraites ; on a vu la même couleur varier dans ses nuances, de
manière à présenter plusieurs emblêmes diflérens (2).
Cette complexité fait supposer un âge en rapport avec la seconde
statuaire dont la peinture a singulièrement développé le domaine sym-—
bolique.
On ne peut, en eflet, isoler ces deux arts l’un de l’autre, tant
qu'on les considère sous un point de vue religieux. Chez les peuples
primitifs, la couleur a tenu lieu de l'expression, parce que cette
qualité résumant en soi toutes les qualités incorporelles, est la der—
nière limite des efforts humains, le point que le génie lui-même ne
saurait dépasser. Un arüste eût-il enfanté quelque chef-d'œuvre d’ex-
pression, füt-il parvenu à fixer sur l’immobilité du marbre, les mou
yemens passionnés, les agitations cachées qu’on prétait aux déités de
l'Olympe, jamais un tel homme n’eüt osé produire son chef-d'œuvre ;
des lois sévères l'en empéchaient, ou punissaient le crime en mu-
tilant la statue (3).
(4) Le dieu Vichnou est peint de couleur bleue; il en est de même du Kneph Egyptien et du
Jupiter de la Grèce.
(2) Le vert, par exemple, formé du jaune et du bleu, signifia l'amour de la sagesse ; le
pourpre ou rouge azuré, le dualisme de l’amour et de la vérité, du mal et de l’erreur: le
jaune doré, fut le symbole de la sagesse éternelle; le jaune pâle celui de la trahison, de
l'égoisme et des passions mauvaises,
(3) Chez les Egyptiens, écrit Synésius, les prophètes ne permettent point à ceux qui fon-
dent les métaux, ni aux statuaires, de représenter les dieux, de peur qu’ils ne sécartent
de la règle.
« Dans les temples de l'Egypte, dit Platon (les lois de P. liv. II.), on n’a jamais permis
QUATRIÈME SECTION. HA
Que faisaient donc les prêtres pour conserver aux images symbo-
liques de la statuaire leur esprit sacerdotal, et répondre en même
temps aux exigences croissantes de la civilisation? Ils attachaient à
gai—
fication, selon qu’elles cachaient telle ou telle partie du corps, ou
qu’elles offraient telle ou telle nuance (1).
Voilà tout le secret de la symbolique ; voilà le point d'origine de
ces hiéroglyphes qu'on observe sur les rives du Gange et parmi les
glaciers des Alpes, qu'on étudie sous les ruines de Memphis ét dans
les champs de la Bretagne , qu'on retrouve, après de nombreuses trans—
formations, sur le vêtement du prêtre et dans les vitraux de l’église
catholique (2).
Le troisième âge de la peinture religieuse nous la représente fuyant
le sanctuaire des temples, secouant les lourdes chaînes dont elle est
ces images sculptées, certaines couleurs qui variaient dans leur si
» et on ne permet pas encore aujourd'hui, ni aux peintres, ni aux autres artistes qui fong
» des figures ou d’autres ouvrages semblables, de rien innover, ni de s’écarter en rien de
»,ce qui a été réglé par les lois du pays; et si l’on veut y faire attention, on trouvera chez
eux des ouvrages de peinture et de sculpture faits depuis dix mille ans, ouvrages ni
plus ni moins beaux que ceux d’aujourd'hui, et qui ont été travaillés sur les mêmes régles.
Quand je dis dix mille ans, ce n’est pas pour ainsi dire, mais à la lettre »
La peinture chez les Indous, les Egyptiens, és Chinois, a puisé ses régles dans le culte
palional et les lois politiques. La moindre altération entraïînait une peine grave,
Les quipos du Pérou et les cordelettes de la Chine teints de diverses nuances, formaient
les archives religieuses, politiques et adminstratives de ces peuples enfans. (Garcilasso de la
Vega. Ilistoire des Incas.)
Les Mexicains ont fait un pas de plus dans l’art de représenter la parole; les couleurs
jouent un grand rôle dans leurs peintures,
(1j La déesse Syva des Indous, principe de destruction et de régénération, était brune; le typhon
des Égyptiens, pérsonnification du mal, était brun; Ganeca, divinité de l'Inde, qui présidait
au mariage, était verte; le Jannès égyptien, le Janus des Grecs étaient également verts; Isis,
symbole de la terre fécondée, brillait de toutes les couleurs, etc. On voyait jadis incrusté»
dans lun des piliers du chœur de la Cathédrale de Metz, un bas-relief en pierre calcaire,
haut de seize pouces et large de onze. Ce bas-relief représentait une jeune fille. Sa tête,
qui faisait une saillie de sept pouces, était couverte d’un voile dont les plis ondoyans des-
cendaient sur les épaules, et semblaient se réunir au milieu du dos. Deux mamelles pendaïent
à sa poitrine comme celles qu’on observe dans les statues de la Diane d'Éphèse, et un vête-
ment contournait les seins jusqu’à la ceinture,
La figure et les seins de la statuette étaient colorés en rouge, et la draperie en noir,
<irconstances dont la symbolique doit profiter. Le rouge, dans les mystères d’Éleusis signifiait
linnocence et la virginité; et cette couleur appliquée sur le sein, sur la figure d’une jeune
fille, devait faire ressortir bien davantage le genre de vertu qui la caractérisait. Je pense
qu'ici l’adjonction du manteau noir indique probablement la messagère des songes heureux;
l'emblème des rêves de l'innocence. Une statue du même genre existait à l’église Saint-Étienne
de Lyon, et une autre à Paris, dans celle de Saint-Germain-des-Prés.
2) Nous ferous voir plus tard que des pages entières de la mythologie égyptienne et de la
mythologie indouse sont reproduites avec leurs couleurs symboliques sur des vitraux de plusieurs
cathédrales françaises. On y retrouve bien plus rarement les fables de la Grèce. Ces dernières
ne sont venues qu'avec la renaissance. L'église St-Vincent de Metz, possédait un vitrail du
treizième siècle qui rappelait exactement l’un des mythes de Vichnou,
56
=
442 MÉMOIRES ET PIÈCES.
enlacée, et se produisant au milieu du monde profane comme une
belle affranchie qui veut désormais vivre de la vie des arts, et marcher
avec la sculpture son auguste compagne , dans les hautes régions de
l'idéalité. Elle flotte quelque temps incertaine entre les symboles
mystiques et les riantes images d’une nature perfectionnée , elle associe
la langue des couleurs aux traditions humaines, aux faits de l’histoire
ou de la politique; puis elle transforme peu à peu son caractère
sacré en un caractère profane sous l'influence duquel se brisent les
derniers fils qui l’attachaient au culte. C’est alors qui furent aban-
données les teintes plates pour les demi-teintes , qu’on fit de la pers-
pective et du clair obscur, qu'au lieu de couleurs bien tranchées on
introduisit toutes les nuances possible dans la représentation des objets,
et que la peinture s’isola complétement de la statuaire (1).
Aïnsi doivent s'expliquer les transformations insensibles de ces deux
arts, les causes cachées de leur ascension et de leur décadence, le
secret de cette identité remarquable entre les formes et les couleurs
adoptées chez les peuples primitifs, et devenues des problèmes insolubles
aux générations qui leur ont succédé. Ainsi l'on peut comprendre
comment il se fait que l’art étant si vieux, les premiers élémens de
son histoire aient une date si récente (2).
Lorsque l’architecture devint un symbole pour le culte , des masses
colossales lui servirent de type. Toutes rappellent une vigueur d’exé-
cution qu’on rencontre aux époques primordiales de l'histoire, lorsqu'une
foi vive engendre cette continuité d'efforts unanimes nécessaires pour
l'achèvement des grandes constructions religieuses. L’Assyrie dans ses
temples (5) ; l'Égypte dans quelques-uns de ses obélisques, dars ses
pyramides ou ses tombeaux ; le Pérou dans ses masses d’architecture
(1) Les peintures indiennes, égyptiennes, et celles d’origine grecque faites en Etrurie, se
composent toutes de teintes-plates, d’un coloris brillant, mais sans demi-teinte. Cela devait
être, dit Quatremère de Quincy; Part ne parlait pas seulement aux regards des profanes,
il était encore l'interprète et le dépositaire des mystères sacrés,
(2) Les anciens auteurs ont publié d’absurdes commentaires sur la naissance de la sculpture
et de la peinture. A les entendre, elles ont eu pour créateur un homme heureusement
inspiré, une femme désireuse de reproduire les traits de son bien-aimé.... Reléguons ces
fausses origines dans les Contes arabes, et ne nous occupons pas plus de Potier de Sycione
que de sa fille. Les idoles de Laban, eulevées par Rachel, le veau d’or du désert, les
ouvrages faits dans l’île de Samos par Ideocus et Théodore, les œuvres de l’égyptien Philo-
clès, de Cléanthe le corinthien, et de tant d’autres, ne prouvent pas que les beaux-arts
sortaient alors de leur berceau. Ils indiquent seulement, d’une manière approximalive, l’é-
poque où la statuaire et la peinture sont entrées dans le domaine public. 11 y a 2500 ans
qu'un roi de Lydie acheta, au poids de Por, un tableau du peirtre Bularchus , représentant
la bataille des Magnésiens; mais, bien avant lui, les faits historiques étaient peints en mo-
saïque sur les murailles des temples.
(8) Hérodot, lib, J, n. 181; Diodore, liv, 11, p. 123; Swabon., lib. XVI, p. 1072.
QUATRIÈME SECTION. 445
sacrée (1) ; la Phénicie dans ses pierres cubiques d’une hauteur colos-
sale (2), retracent les mêmes difficultés vaincues, le même concours,
la même volonté, dirigés sous l'inspiration de croyances analogues.
C’est toujours le: polythéisme entouré de ses formes grandioses , de
ses proportions gigantesques ; c'est toujours cette même religion qui,
pénétrant fort peu le fond des âmes, s’attachait bien plus à frapper
les sens ; honorait la divinité par un déploiement extraordinaire de
forces elles ; et peignait l’immensité de sa puissance, par l'im-
mensité de moyens employés pour lui dresser des autels. Mais l'Égypte
a cela de particulier dans l'histoire des beaux-arts, qu’elle a joui du
privilége heureux d'accomplir elle-même , avec ses propres ressources,
les révolutions successives de son incomplète civilisation. Les peuples
voisins n’ont pas interposé, dans ses phases artistiques, des principes
étrangers en désaccord avec les doctrines établies ; ils se sont béné-
volement condamnés à subir le goût, les croyances, les mœurs de
l'Égypte, et ce pays est deyenu de la sorte un vaste foyer, trésor
inépuisable d'originalités diverses , se fécondant soi-même , où l’ancien
monde a puisé une partie de ses lumières. Cependant, comme nous
l'avons indiqué plus haut, tous les peuples primitifs ont eu des théories
à eux ayant de se jeter dans des théories d'imitation ; tous ont porté
les sciences, les lettres et les arts à un degré plus ou moins élevé,
avant de chercher au dehors des ressources qu'ils eussent trouvées
plus tard en eux-mêmes.
La première époque de l'architecture religieuse fut sans doute dans
l'univers entier, ce qu'elle était dans la Gaule. Cet âge obscur n’a
laissé derrière lui que des monumens informes, des pierres alignées ,
des pierres levées, tournées en certains sens, superposées les unes
aux autres, d’après certaines conventions mystiques inconnues au
vulgaire. La pierre servait d'autel au temple dont l’espace constituait
les limites, et dont le ciel formait le dôme.
Entre le premier et le second âge architectural , il existe un espace
immense que l’histoire ne peut remplir ; c’est la distance qui sépare
(1) V. Acosta, Hist, nat. des Indes occid., liv. VI, chap. XIV; Hist. des Incas, 1, 1,
p: 60, 61, 264, 265 et 268; Mém. de Trev., 1750, p. 269; Bouguer, voyage au Pérou, p. cv.
On reconnait, par ces citations’, que les Péruviens avaient un genre d'architecture religieux
analogue à celui de l'Egypte, mais plus perfectionné, Ils élevaient des pierres énormes
à une hauteur surprenante.
(2) Le cube , disait Pythagore, est pour l'architecture ce qu’est le chiffre 4 pour les nombres.
Le cube contient en soi loutes les formes et quaire possède en soi tous les nombres. Le
cube passait pour un symbole de perfection et de vérité, au point que la nouvelle Jérusalem
promise dans lapocalypse, fut annoncée comme devant être égale en longueur, largeur ex
hauteur,
444 MÉMOIRES ET PIÈCES.
l'état sauvage de l’état de civilisation, le peuple nomade du peuple
agricole, Pour qu'un temple se soit élevé , il a fallu l'établissement préa-
lable d’une association, et des liens de fixité difficiles à former chez
les peuples au berceau ; il a fallu des principes théogoniques plus
parfaits, des rapports entre le culte et la science, entre la science
et les arts. Dès que le prêtre eut osé faire descendre les divinités
de leur trône aérien pour les asseoir dans un sanctuaire, dès que
le peuple eut compris que la prière pouvait s'élever aussi pure d’un
palais de marbre que d’une montagne consacrée, la statuaire et la
peinture sont venues en aïde de l'architecture, et ces trois arts ont
marché simultanément dans la même voie. C’est l’époque des bas-reliefs
symboliques, des hiéroglyphes gravés à la surface des monumens,
époque à laquelle règne un parfait ensemble entre des arts qui obéissent
à l'impulsion sacerdotale. On conçoit combien ils ont dù demeurer
stationnaires : avec quelle réserve on y touchait même pour les per—
fectionner ; et quel bouleversement politique il a fallu pour aban-
donner les traditions du sanctuaire, et réduire les beaux-arts à des
conditions profanes. L'Assyrie, l'Égypte ; le Pérou ; immobiles pendant
des siècles, sous le rapport des arts; devaient étre ce qu'est aujour—
d'hui la Chine. Ces vastes contrées; après avoir atteint un certain
degré de perfection, ont subi le joug du gouvernement théocratique
jusqu’au moment de leur décadence. En sorte que la civilisation
incompressible, quant aux idées, fut arrêtée dans leur manifestation
matérielle. De là résulte le type d’uniformité, l’incorrection de dessin,
le manque absolu de proportions, l'ignorance presque totale des effets
pittoresques qu’on observe dans les monumens du vieux monde.
Quand la Perse et l'Égypte, asservies par les armes, sont tombées
du haut degré de splendeur où les avaient portées la civilisation , elles
n'avaient pas encore achevé leur carriére ; elles étaient arrivées à peu
prés au même point que le peuple Chinois; elles faisaient, depuis
des siècles , une halte commandée par la superstition des castes sacer-
dotales. Aussi l'époque émancipatrice où la science, la littérature
et l’art se font peuple, n'a-t-elle point eu lieu pour les nations
orientales précitées, pas plus qu’elle n’existe aujourd'hui dans le
vaste empire de la Chine. Les temples ont absorbé la puissance
intellectuelle de ces nations primitives. C’est au fond des sanctuaires
consacrés que sont morts, faute de culture, les germes de l'avenir,
et que la symbolique des beaux-arts s’est perdue.
Quand l'Egypte marcha vers sa décadence ayant d’avoir atteint son
apogée, la Grèce reprit en sous- œuvre Ja civilisation orientale, mais
QUATRIÈME SECTION. 445
comme elle possédait alors des dogmes et des symboles qui lui étaient
propres , l’art égyptien ne fut jamais dans l'archipel qu'un art profane.
_ La Grèce, quoi qu’on dise, ne devint tributaire que d'elle-même ;
les ordres d'architecture, l’art de suspendre sur des colonnes des
voûtes imposantes , les combinaisons les plus riches et les plus ré-
guliéres de la nature et de la géométrie ont pris naissance sur le sol
privilégié des Hellènes ; nulle part ailleurs on ne suit avec plus d’exac-
titude la période trinaire que nous avons signalée.
Les Etrusques, issus peut-être d’une colonie de Grecs-Tyrréniens ,
quoiqu'ayant épousé comme ces derniers , les idées égyptiennes, ont
montré néanmoins un degré remarquable d'indépendance et d’origi-
nalité. Il n’en a pas été de même des Romains, peuple imitateur dans
les arts. Initiés par les conquêtes des premiers rois de Rome, aux
sciences cultivées ayec tant de succès dans l’Etrurie , ils sont devenus
par les victoires de Lucullus, de Pompée et d'Auguste, les tribu-
taires , les vassaux intellectuels de la Grèce ; et cette nation qu'ils
asservissaient par les armes , continua de les dominer par les beaux-arts.
IL nous sera facile de démontrer que les Gaules ont présenté les
mêmes phases, les mêmes révolutions artistiques que les peuples de
l'Asie, en tenant compte toutefois des variétés de climat, de mœurs,
de croyances et de toutes les causes qui différencient les nations. On
verra nos ancêtres, puiser en eux-mêmes un type d'originalité qui
s'est marié plus tard avec les traditions orientales, sans perdre ce
caractère indigène dont les traits ont traversé trente siècles pour
arriver Jusqu'à nous.
446 MÉMOIRES ET PIÈCES.
DEUXIÈME PARTIE.
QUEL A ÉTÉ L'EMPIRE DU POLYTHÉISME DANS LES GAULES ET
PRINCIPALEMENT DANS LE NORD-EST DE LA FRANCE.
Turpe est in patrid peregrinari et in üis
rebus qua ad patriam pertinent hospitem esse.
Alde manuce,
Iles: honteux d’être dans sa patrie comme
en un pays inconnu; et de demeurer
étrauger aux choses qui la concernent.
Athènes, Rome et Carthage sommeillaient encore dans les entrailles
de l’avenir , que déjà Rhamsés et Bélus fatiguaient la terre du poids
de leurs monumens; et le génie de la Gaule élevant sa grande tête
au-dessus des forêts-vierges qui cachaient ses mystères, rivalisait de
croyances et de pensées avec ces plages orientales considérées jusqu'ici
comme le seul berceau de la civilisation. Tous les peuples du monde
avaient vieilli presque ensemble ; tous présentaient avec certaines
nuances inhérentes à la nature du sol, un caractère de virginité originelle,
de religion primitive , qui, entachée d’abord d’un fétichisme vulgaire
et grossier , s’est élevée graduellement à l’idée d’une puissance terrible
et bienfaisante, d’une éternité de plaisirs et de douleurs , d’un rapport
invisible du Créateur aux créatures, entre lesquels l'imagination placa
les génies, intermédiaires célestes et terrestres à la fois, ayant pour
mission de régler l'harmonie des mondes.
La Gaule primitive , antérieure aux âges connus, se présente donc
à ma pensée, sous trois physionomies différentes ; la première ignorante
et sauvage , livrée aux pratiques grossiéres du matérialisme le moins
épuré ; la seconde empreinte d’idéalisme; la troisième riche de sym-
boles empruntés, féconde en théories d'imitation.
Nous ne parlerons pas de la première, parce que les faits manquent
à l'histoire , et qu'il faudrait inutilement reproduire ce que nous avons
dit des peuples de l'Asie. Mais la seconde vient s'offrir avec un en—
semble si complet de monumens, avec une théogonie si palpable,
qu'on ne peut révoquer en doute l’existence d’un spiritualisme avancé.
QUATRIÈME SECTION. 447
L'Europe, théocratiquemeñt instituée , possédait alors des chefs
ou mages , confondus à tort avec les Druides, de beaucoup postérieurs.
Ce sont ces mages qui, après avoir jeté les fondemens d’une or-
ganisation sociale et d’un culte enchaïnés l’un à l’autre par des dogmes
toujours plus puissans que les lois humaines , ont dû présider à l'érec—
tion de monumens gigantesques analogues aux obélisques de l'Egypte
et de l'Inde. Le sommet des montagnes qui semblent communiquer
directement avec le ciel, et que le soleil gratifie de ses premiers
rayons; les glaciers dont les aiguilles resplendissantes divisent les
nuages et se colorent ou s'assombrissent selon que la tempête s'éloigne
ou s'approche, ont été des lieux consacrés au culte d'un bon ou d’un
mauvais génie, d’une puissance céleste ou d’une puissance infernale :
quand les anciens Keltes ont amoncelé, pour la première fois, des
pierres sur une large base terminée par une pointe, quand ils
ont voulu produire artificiellement ce dont la nature leur offrait
Vimage, je ne doute pas qu’ils aient eu l'idée d’honorer une in—
telligence universelle insaisissable, ne pouvant par conséquent figurer
dans un temple. Et comme ces montagnes étaient à la fois un symbole
d'unité et de puissance, on déploya des forces surhumaines pour les
former, on voulut que leur grandeur colossale répondit à l’idée d’un
être suprême, et que le culie extérieur fût une personnification ma—
nifeste de la divinité (1).
Ce fut en retrécissant la base des premières masses pyramidales,
et en liant Îes moellons avec plus d'art, qu'on parvint à former
des obélisques, des aiguilles et des colonnes (2), emblèmes plus phi-
Josophiquement caractéristiques, d’une intelligence infinie que tous
les ouvrages de sculpture émanés de la Grèce. Les prétendues colonnes
d'Hercule que Tracite a placées chez les Frisons (3) , les monolithes de
l'Ecosse et de la Bretagne appartiennent au culte spiritualisé de l’an-
cienne Gaule (4). Il en est de même de la plupart des dolmens, des
peulvens (5), des crom-lechs (6), décrits par les antiquaires comme sym-
boles du druidisme. Le Château-des-Fées, situé à trois lieues de Tours,
formé de douze pierres énormes disposées de l'orient à l'occident
{1} Deorumque nominibus appellant secretum illud quod solà reverentià vident, Tacit., Mor. Germ.
(2) Winkelmann , Histoire de l'art. — Lettre du pére Paolo sur l’origine et l'antiquité de
Tarchitecture, Paris, an XI (1803), p. 56.
(3) Tacit. De Mor, Germ., cap. xxxiv.
(4) Pierres posées les uues sur les autres, en forme de table, C’étaient des autels ou des
siéges sur lesquels le prêtre rendait la justice.
(5) Pierres droites ou inclinées,
(6) Pierres groupées en cercle,
118 MÉMOIRES ET PIÈCES.
équinoxial (4) ; la Roche-aux-Fées près de Rouvroy (Hle-et-Vilaine) (2) ;
la Groite-du-Diable qui tenait de ces deux constructions, et qu'on
voyait encore , il y a cent ans, au milieu de la grande forêt de Kattel-
bausen (Moselle); plusieurs monumens analogues, me semblent ap-
partenir à la seconde époque celtique plutôt qu’à la troisième. Je
porterai le même jugement sur les trois kunkel, men-hirs à propertions
colossales qui occupaient la délicieuse vallée d’Abreschwiller (Meurthe),
sur les men-hirs d’Obersteigen (Meurthe), de Fontaines (Meuse), de
Bitche , de Lunéville, sur le goZdenstein de Bliescastel, le ktrmenspill
de Saint-Imbert (5), le spilztein (4), le breitenstein , seul monolithe
resté debout de tous ceux décrits il y a trois siècles par Specklin,
et sur d’autres peulvens remarquables du pays (>), tels que la pierre
kerlinkin de Remiremont , et le fardeau de saint Christophe, pesant
chacun plus de cent mille kilogrammes,
Nous n'avons rien en Lorraine qui puisse être comparé à ces onze
lignes peulvéniennes de Carnac, symbole de quelque thême céleste (6) :
nos dolmens ont été presque tous christianisés ; les peulvens qu’on
doit considérer, tantôt comme les génics tutélaires des voyageurs,
tantôt comme des cénotaphes érigés par la gloire ou la reconnaissance,
tantôt comme des limites entre les peuples, ont presque tous disparu,
quoique nous en eussions retrouvé plusieurs, dont trente siècles
n'ont pas changé la destination. L'action fécondante des instrumens
agricoles nivelle le sol à mesure que Ja population s'accroît, et le
positivisme substituant les calculs d'intérêt aux souvenirs de la mytho-
logie , rend tous les jours plus rares les monumens qui parlent du
passé. C’est principalement au fond des montagnes ardennaises et
vosgiennes que revivent les âges anciens. Là se trouvent quelques
mallus , quelques montagnes saintes dont l'habitant ne s'approche
‘avec une vénération profonde ; tels sont le Donon si souvent décrit,
le Ballan, le Chazeté, le Noirmont, le Climont, les Jumeaux , le
Jardin des Fées, etc., sommets coniques où existent encore, soit
(1) Décrite dans les Mémoires de l'académie Cellique, t. V.
(2) Mémoires de la même académie, t. V.
(3) Ancien département de la Sarre, arrondissement de Sarrebruck (pays des Médiomatrices}.
(4) Vues pittoresques des châteaux, monumens et sites remarquables de PAlsace, dessinées
d’après nature et lithographiées par J. Rothmuller, avec texte historique et descriptions
in-4°, septième livraison.
(5) Onypeut consulter à cet égard une carte dressée en 1585, par Specklin et le Mémoire
de M. Schweighœuser, inséré parmi les mémoires de la société royale des antiquaires de
France. Nouvelle série, t. I[, p. 2 et suiv.
(6) Plus de 4000 peulvens sont rangés sur onze lignes tirées au cordeau, dans une plaine
immense, près de la mer et du bourg de Carnac (Morbihan),
. QUATRIÈME SECTION. 449
en réalité, soit en souvenirs, des traces d'enceintes consacrées , des
cromlechs, des dolmens et des peulvens utilisés par les Druides , et
non pas établis par eux.
Sl en était autrement, si le Druidisme avait précédé tous les cultes
dans la Gaule, on s'étonnerait que César, durant les cinq années de
séjour qu'il y fit, n'eüût rien appris d’un spiritualisme dont les mo—
numens précités consacraient les symboles. Les Druides, il est vrai,
gardaïent un profond silence sur les mythes de leur croyance, surtout
envers les étrangers; « mais, observe M. Beaulieu (1), cette discrétion
excessive dont ils usaient envers le marchand de Marseille ou le soldat
romain, l’eussent-ils observée de même avec César, avec un conquérant
qui ce tout savoir et qui pouvait tout ce qu x voulait? Le druide
Divitiacus , entre autres, l'ami de César et de Cicéron , homme con-
sidéré alors comme très-érudit et surtout trés-versé dans la connais-
sance des sujets de la nature , aurait-il donc gardé le silence envers
eux sur la destination première et l'espèce de culte rendu à ces mo—
numens. >» On aura peine à le croire, et s'il ne leur apprit rien, c'est
que lui-même ignorait les mystères du culte primitif; c’est qu'avant
l'arrivée de César ses traces originelles avaient disparu sous le mélange
d’une théogonie émanée de trois sources différentes, du sok d’abord
et ensuite des régions septentrionales et méridionales,
Des écrivains enthousiastes ont placé l’histoire théogonique des Keltes
à la tête de toutes les histoires. M. Lavallée, ancien président de
l'Académie celtique, veut que les principes du Druidisme aient ins
piré Zoroastre , Orphée, Pythagore, Zalmokzis ; que les Druides aient
développé leurs mystères astronomiques dans l'empire de la Chine et
des Indes ; qu'ils soient devenus les agens civilisateurs de la Réthie,
toute celtique, de l’Archipel, de la Thrace, des Gètes, des Albiens,
des Bactriens, des Étrusques primitifs, sortis de’la Rhétie, et > par
conséquent des Romains eux-mêmes qui puisérent en Etrurie les élé—
mens de leur domaine intellectuel ; mais il est positif que ces auteurs
ont exagéré la prépondérance des Keltes sur les autres peuples, qu'ils
ont confondu les époques de leur histoire, et attribué faussement aux
Druides un théisme qui fut le partage de tous les peuples primitifs
perfectionnés.
(1) Recherches archéologiques et historiques sur le comté de Dachsbourg; Paris, veuve
Normant, in-8° 1836, 320 p. et 6 pl. lithographiées.
Cet ouvrage, rempli de recherches curieuses, de développemens judicieux, écrit ayec un
style élégant et pur, est une des sources historiques auxquelles on peut puiser avec le plus
de fruit.
57
450 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Il y a presque trois mille années que la Gaule était couverte d'une
population remuante , agitée, pleine de vie et de sève; existant par
la fécondité du sol bien plus que par l’industrie ; population voyageuse ,
errant par instinct, revenant à de longs intervalles au berceau com-
mun, et reprenant ensuite ses habitudes nomades.
Un jour enfin la Gaule, mère et nourrice à la fois d'une famille
trop nombreuse, fatiguée d’un allaitement qui l’épuise, et voulant
réserver ses mamelles aux générations qui s’élévent, rassemble les aînés
de sa race , les presse de quitter leurs huttes sauvages , leur montre
des champs plus fertiles, des plages moins arides et leur dit, d’une
voix solennelle, partez; et tous obéissent à cette voix qui s'accorde
avec leurs vagues désirs; et des prètres se mettent à leur tête ;
et l'on voit passer de longues colonies armées le long des fleuves,
comme des nuages sombres qu'un vent impétueux presse avec fureur
sur la crète des montagnes, et qui, chargés de la foudre, gros de
tempêtes, se hätent de les porter aux contrées malheureuses que le
destin a frappées.
Rome naissante était gouvernée par Tarquin-l’Ancien, lorsqu'une colc-
nie gauloise, sous les ordres de Sigovèse, se dirigeant vers le nord ,
opère de: vastes défrichemens dans la forêt d'Hercynie, propriété des
Germains dont elle adopte les usages et les mœurs (1). Une autre colonie,
conduite par Bellovèse, franchit les Alpes, et consiruit la ville de
Milan; tandis qu'une troupe ayentureuse de Phocéens, débarquant
sur les bords de la Méditerranée, fonde Marseille (2), Avignon (3) et
introduit ainsi les mœurs asiatiques dans la Gaule méridionale.
Quatre siècles après la fondation de Rome, nos ancêtres aguerris
se signalaient par leurs hostilités contre elle (4); ils se liaient avec
les peuples orientaux à la fortune d'Alexandre (5), saccageaient Rome
devenue déja la terreur du monde, traversaient l’Archipel pour s'im—
planter au cœur de l'Asie (6), formaient une fusion politique et reli-
gieuse avec les indigènes de l'Ibérie, colonisaient le Portugal , la Gel-
tübérie, la Galatie , et recevaient en retour, parmi eux, des peuplades
(A) Tite Liv., lib. V, cap. xxxiv et seq. — Plutarchus Cheron. in Camillo. — Cæsar. De bel,
gall., lib. VI, cap. xxiv.
(2 Tit. Liv., lib, V, cap. xxxiv. — Justinus, lib. XLITI, cap. I.
(3) En 1824, je me rappelle avoir vu, au musée Calvet d'Avignon, des médailles phocéennes
et quelques figures égyptiennes qu’on avait trouvées à une grande profondeur, en creusant
les fondations du théâtre,
(4 Tit. Liv., lib, V et seq.
(5) Justini bist., lib, XL, cap. XIII. — Diodor. Sicil., lib. XVII.
(6) Pausanias, lib. 1, VIT, VIIT, — Polyb,, lib. I. — Suidæ lexic., t. I.
QUATRIÈME SECTION. 454
venues des bords de la Baltique, du Danube et de la Scandinavie,
De ce grand mouvement social, que nous ne faisonsiquesquisser,
mouvement qui dura plus d’un millier d'années, il devait résulter
un mélange indéfinissable de mœurs, d'habitudes, de langages et
de croyances qui désespère aujourd'hui l'historien et l'égare dans
un labyrinthe obscur où le fil d’Ariadne lui échappe lorsqu'il croit
pouvoir le saisir. Ne soyons pas étonné, d’après cela, si tant d’esprits
judicieux ont élevé des systèmes hypothétiques sur l’ancienne Gaule ;
si pour les uns elle est encore la source de toutes les civilisations
européennes, tandis qu'à d’autres, elle ne présente pas même le
développement industriel et moral des peuplades sauvages de l'Afrique.
Pour demeurer dans les limites du vrai, nous n'adopterons la ma-
nière de voir ni des uns ni des autres, et nous dirons qu'on se ferait
une étrange idée de la Gaüle, en la comparant aux nations plus ou
moins éclairées avec lesquelles nous sommes en contact. La Gaule
m'avait que deux élémens d'organisation ; l’un tout-à-fait machinal,
doué d’une force aveugle, obéissant au moteur qui lui imprimait une
direction quelconque, tour à tour soldat, commercant, laboureur,
c'était le peuple ; l’autre, formant caste, à la fois, juge, adminis-
trateur et guerrier, jouissant d’une force morale entée sur la religion,
n'ayant qu’une pensée, celle de dominer, et subordonnant à celle-là
toutes les considérations sociales, c'était le prêtre.
Lorsque Diogène-Laerce, Aristote, Julien, Clément d’Alexandrie
et leurs copistes modernes, assurent que les Keltes ont donné aux
peuples de l'Asie mineure, de la Grèce et d'une partie de l’Europe,
tous les principes nécessaires à l’organisation des sociétés , aux calculs
de la politique, aux intérêts de l'humanité , ils n’entendent parler
que des prêtres, seule classe instruite qui fût alors; et certainement
ils exagérent leurs bienfaits, car à l'époque des grandes émigrations
gauloises, les Keltes n'avaient pas encore atteint un degré de civili-
sation comparable aux beaux jours d'Athènes et de Rome.
L'action envahissante des Gaulois, leurs courses dévastatrices , les
colonies que Rome détachait au loin, les, expéditions eommerciales
de la Phénicie et de la Grèce, l'immense inondation que la mer
opéra sur les confins de la Germanie, causèrent un tel déplacement
d'intérêts , qu’on vit tout-à-coup , à la surface de l’Europe, des peuples
entiers voyager comme de grandes familles, et chercher des lieux
propices pour y asseoir leurs divinités, et s'arracher aux incertitudes
de l'avenir. Ce fut alors que s’opéra le mélange du spiritualisme
gaulois ayec les mythes de l'Asie ; que les traces de l’ancienne religion
459 MÉMOIRES ET PIÈCES.
se perdirent, et que le culte du chêne, joint au sabéisme égyptien,
au fétichismetdu nord , envahirent drhfii de l'Europe. On a beau
coup parlé de la mission d'Hercule dans les Gaules : adoptée, rejetée
tour-àa-tour elle est devenue un sujet de graves discussions qui n’eus—
sent point eu lieu, si l’on avait songé que ce voyage allégorique
désignait le culte du Soleil, se répandant au milieu des Gaules sous
les traits d'Hercule, le front couronné de la nymphea et les hanches
ceintes d’une guirlande de chêne. Or ce costume a toujours désigné,
en Phénicie, dans les Indes et la Grèce, le pére de la patrie, la
force active, le principe fécondant de la nature, ou le Soleil.
Il serait beaucoup plus difficile de suivre en Italie, en Grèce, en
Afrique, en Asie, les traces de l’ancien culte gaulois, qu'il ne l'est
d'étudier dans la Gaule, d'observer pas à pas l'infiltration des croyances
étrangères. Et cela tient à ce que les prêtres gaulois primitifs, imbus
de spiritualisme , n’admettaient point de symboles pour eux-mêmes,
et retrouyaient, dans la classe éclairée des autres nations, des idées
religieuses en harmonie avec les leurs ; en sorte qu’ils n'avaient aucun
effort à tenter pour substituer leur théisme à celui des autres prêtres,
et qu’il leur importait peu que les masses, venues à leur suite, échan-
geassent quelques fétiches en bois contre les divinités plus gracieuses
des régions orientales. L'an de Rome 564, les gaulois de la Grèce
et de l'Asie, fixés à peine depuis un siècle dans leur nouvelle patrie,
avaient adopté déjà les symboles religieux de leurs hôtes, car ils sont
venus au devant de l’armée romaine iriomphante, précédée de la
déesse Cybèle et de ses attributs (4). Et les Romains étaient alors
pour eux presque des compatriotes, en raison des rapports commer-—
ciaux de la Gaule avec la Grèce et Titalie , rapports qui avaient
introduit, bien plus encore que les conquêtes, une foule de mots
Kkeltiques dans le langage du peuple de Rome. Les Druides, de leur
côté, cultivaient le grec (2), mais bien peu le parlaient, puisqu'il
fallut un interprète à César pour s’entretenir avec Divitiacus, Druide
et Tétrarque des Eduens (3)
Voilà donc la troisième époque de la civilisation keltique arrivée ;
époque riche de symboles et d'images empruntés à toutes les nations
(4) Fit. Liv., lib, XXXVIIT, cap. xviii.
(2) L'écriture grecque était d’un usage presque universel dans les Gaules, Elle se composait
des caractères grecs pélasgiques types des caractères étrusques, scandinaves et même
latins. Sans doute les Etrusques les auront fait connaitre aux Grecs ainsi qu’anx Keltes,
d'ou l’on doit conclure que Pécriture de ces trois nations devait dilérer très-peu l’une de
l'autre, Cest, au reste, ce que confirme très-bien l'étude des monnaies gauloises,
(35) Cws. de bell, ga!ll
QUATRIÈME SECTION. 453
du monde, et pendant laquelle se dessinent, d'une maniére bien
tranchée, les invasions successives des peuples étrangers. Les Druides
apparaissent , mais non pas seuls, car ils ne représentent qu'une seule
grande communauté barbare , tandis que d’autres phalanges marchaient
sous la direction d’autres prêtres (1). Ainsi, dans le nord-est de la
France, on voit les Triboques (2) envahir la Séquanie (3), la Médioma-
tricie (4), se fixer le long du Rhin depuis Seltz (#7 alatio) jusqu’à
Schélestat , et embrasser une courbe dont le développement compre-
nait la basse Alsace et moitié de l'arrondissement de Sarrebourg ;
on voit les Rauraques suivre la Meurthe, depuis son embouchure
jusqu'au tiers de son cours ; les Kattes planter leurs enseignes sur
la Moselle et la Sarre, et toutes ces peuplades germaines s'étendre
comme un croissant, de Schélestat à Sarrebourg, de Sarrebourg à
Morhange, et de Morhange à Thionville. En decà de la limite alle-
mande , sur la Meurthe , la Saône, la Moselle , la Meuse, on retrouve
les Druides et leurs symboles tels que nous les présentent les des—
criptions de la Bretagne et du pays chartrain ; mais, si nous venons
à franchir cette limite, on ne peut méconnaître le caractère plus
sombre et moins avancé de la théogonie germaine.
A l’époque dont nous parlons, les colonies Teutones, et particu—
liérement les Triboques, établis au nord-est des Gaules, adoraient
un grand nombre de divinités, parmi lesquelles on cite la déesse
Herta (5), déité guerrière et mystérieuse , voilée comme une vierge
sans tache; Granus (6), symbole de l’astre bienfaisant qui vivifie la
(1) César, en parlant des Uhiens (habitans de Cologne), s'exprime de la manière suivante :
Germani neque Druides habent, qui rebus divinis præsint, neque sacrificiis strudent. Deorum numero
solos ducunt, quos cernunt, et quorum opibus apertè juvantur, Solem et Vulcanum et Lunam,
reliquos nec famä quidem acceperunt. (De bell, gall., lib. NT, cap. xx). Il est certain que le
mot Vulcanum est ici pour le feu. Or, nous aurons occasion de prouver plus loin que le Soleil,
le feu et la Lune étaient adorés sur nos rives. Quant à la non existence des Druides chez
les Germains, elle ressort de monumens matériels aussi bien que du texte de l’auteur
romain.
(2; Les Triboques, Triboci, Tribocci, Tribunci, Tribochi, sont origiuaires des vastes plaines
situées entre le Danube et la mer Baltique. Ce sont des enfans dela grande famille germaine.
{3) Les Séquaniens occupaiant la Franche-Comté, le Haut-Rhin et une partie des Vosges,
Qn les a dit Belges. M. de Golbéry a démontré d’une marière positive qu'ils étaient Germains,
On peut, à cet égard, consulter son savant Mémoire sur quelques fortifications des Vosges,
inséré dans le t. V des travaux de la société royale des antiquaires de France.
(4) La Médiomatricie comprenait les départemens du Bas-Rhin, de la Meurthe, de la Moselle,
et en partie celui des Vosges et de la Meuse,
(5) Reudigni deindè et Ariones et Angli..…..… Hertum colunt. Tacit. de Mor. Germ., cap. .
16) Gran ou Granus dont on a fait dériver la dénomination de la ville de Gran, avait des
temples sur les bords du Danube, On a trouvé en Alsace beaucoup d'inscriptions volives en
son honneur.
454 ‘ MÉMOIRES ET PIÈCES.
nature ; Wodan (1), Dieu terrible auquel les lieux les plus sombres
et les plus sauvages servaient de sanctuaire , et qu'on à confondu bien
à tort avec l'Odin Scandinave , introduit beaucoup plus tard dans les
Gaules; Teutath (2), non moins terrible que Wodan, ayant avec
Jui une telle communauté d’origine et d’attributs que les Germains
Triboques les ont confondus dans une même croyance. Ce #odan-
Teutath (3) est représenté sur les nombreux bas-reliefs trouvés dans
la province, sous les traits d’un jeune homme, à formes grasses et
massives, tout-à-fait nu, sans barbe, avec des cheveux courts el
bouclés, ayant deux saillies en forme d'oreilles d'âne qui partent de
l'occiput ; il porte des tablettes dans la main droite, et une verge
ou massue dans la gauche. Hésus, adoré par les Druides de la Seine
et de la Méditerranée , paraît l'avoir également été par les Triboques,
mais ayec un caractère spécial qui transformait ce Dieu terrible en
une divinité guerrière et bienfaisante. Ouvrez l’Æ/sace Illustre de
Schæpftin et vous y verrez le dessin d'un bas-relief trouvé sur le
Klein-Man (4), c'est aussi un jeune homme dont les cheveux sont
courts et dout la barbe ovale ne dépasse pas les clavicules; de la
main gauche il lient une serpe, sans doute une serpe d’or; de la
droite une javeline ou hasta, longue d'environ six pieds. Un sagum
à manches , médiocrement serré autour des reins, lui descend jusqu'aux
genoux, et le camail qui couvre son épaule gauche et la partie pos-
térieure du tronc, attaché sur l'épaule droite par une agraphe fibu—
laire, est un vêtement topique qu’on retrouve dans le bas-relief d'Hesus
découvert il y a plus d’un siècle à Paris (5). J'ai trouvé moi-même,
il y a une dixaine d'années dans la forêt de Bærenthal, non loin de
Bitche, la statue mutilée d’un jeune homme à longues oreilles, dont
on ne voyait que le haut du corps, et qui tenait une serpe de la main
gauche, et de la droite une branche de chêne; je le pris pour un
druide, mais les rapports de cette sculpture avec les deux bas-reliefs
précédens, me confirment aujourd'hui dans l'opinion que ce devait
être Hesus présentant aux humains le gui de chêne, auguste panacée
qu'il vient d'enlever à la forêt sacrée. Au reste, l'aspect horriblement
(1) C'était la principale divinité des Germains, On croit que son nom a servi de racine à
V'audémont , Wodanus mons.
(2) Taut, Teuth ou Teutath.
(3) Beaulieu, Recherches archéologiques et historiques déjà citées, p. 57 et suivantes,
(4) Le Klein- Man, le Gros-Man sont deux montagnes du pays de Dachsbourg qui doivent
leur dénomination à des statues de l’époque Tribocienne,
(5) V. une savante dissertation de M, Jorand, insérée dans le &. IV des Mémoires de la
société royale des antiquaires de France,
QUATRIÈME SECTION. 455
sauvage du X/ein-Man et du Bærenthal (1), augmenté encore par la
présence de chênes séculaires dont le soleil ne pouvait traverser l’épais
feuillage, faisaient de ces deux sites une retraite analogue aux idées
que les Gaulois se formaient d'Hesus.
Les Triboques adoraient encore le Rhern (le Rhin) (2), symbole du
courage, limite redoutable et glorieuse placée entre eux .et leurs
ennemis. C'était une application faite en grand de l'espèce de con-
sécration religieuse sous laquelle se tracaient les limites des propriétés
particuliéres et celles des nations; car, pour un peuple sauvage, il
n'y avait de respecté que ce qui devenait partie intégrante du culte
et de la croyance commune (3).
Les sources salées, les rivières, les lacs, les fontaines, considérés
comme génies bienfaiteurs de l'humanité, recevaient aussi les hom-—
mages des Keltes ; et la célèbre Néhalennia, déesse qui pésidait aux
cours d’eau , au commerce, aux marchés publics de la Zélande, était
certainement l’une des divinités topiques ou locales dont parlent
Armmien Marcellin, Minutius Félix et d’autres auteurs.
En regard de ces personnages symboliques , nous placerons Apollon
des régions hyperboréennes , non pas qu'il appartienne à nos provinces 4
mais, Parce qu'en supposant son culte au sein des îles britanniques,
dont les Hyperboréens ont été, selon toute probabilité, les premiers
habitans, nous expliquons quelques mystères de la nuit cymérienne
qui nous enveloppe encore de ses ténèbres. Les auteurs anciens qui
se sont occupés des rations occidentales, n’oublient pas d'indiquer
la peuplade précitée comme une nation réelle, dont le nom s'est
altéré avec les années. Diodore de Sicile (4), plus positif, parlant
d’ailleurs d'aprés Hécatée et d’autres écrivains dignes de foi, désigne
dans l'Océan, vis-à-vis le pays des Keltes, une ile plus grande que
la Sicile, dont les indigènes, nommés Hyperboréens , prétendent que
Latone a vu le jour au milieu d'eux. Ces habitans, continue-t-il,
ont pour Apollon une vénération plus grande que pour les autres
divinités ; ils chantent devant lui des hymnes journalières en s'aocom-
(1) In summo horridoque Vosgesi apice. Schoepflin.
(2) Ce fleuve, dit M. Beaulieu, tenait lieu, chez les Germains et les Gaulois, des eaux
de jalousie des Juifs. Suivant l'empereur Julien, lorsque les maris soupconnaient la fidélité
de leur femme, ils exposaient leurs enfans nouveau-nés à la merci du fleuve, lequel englou-
üssait ceux qui n'étaient pas légitimes et portait doucement les autres sur le rivage,
. (3) On appelait ordinairement les pierres itinéraires des Gaulois lzheren des mots lec’h er ren,
pierre de conduite, Les mots qui commencent ou finissent par l’une des syllabes Lars, hers,
herz, hertz, borne, limite, indiquent bien souvent d'anciennes divisions territoriales,
{4) Diodor. Sicil., lib, II, cap. xlvi.
456 MÉMOIRES ET PIÈCES.
pagnant du son de la lyre ; et Pindare (1) confirme le même fait en
disant : a muse n’est pas étrangère à leurs habitudes ; partout l'on
voit des chœurs de vierges, partout résonne la voix de la lyre et le
bruit des flûtes, etc... Évidemment Apollon est ici pour le Soleil ;
les dons offerts au temple de Délos, par les Hyperboréens, étaient
en souvenir du voyage périlleux de Latone, et de ses couches dans
l'ile flottante que Neptune avait fixée. Hérodote et Pausanias, qui
en parlent, les font venir de l'Asie par le golfe adriatique, erreur
palpable que le père de l'histoire eût évitée, si, au licu de supposer
des hyperboréens asiatiques , il les avait placés en Europe. Au reste,
il paraît que les prêtres de Délos , contemporains d'Hérodote, n'avaient
pas recu depuis fort long-temps les hommages du peuple en question,
car ils en eussent entretenu l'historien grec d'une manière plus positive.
Tout nous reporte donc à une époque bien antérieure à Jésus-Christ,
pendant laquelle les Druides de nos provinces allaient approfondir,
sous le ciel hyperboréen, les mystères de leur mythologie. L’autel
d'Apollon grane-magune découvert près de Strasbourg et décrit par
Schæpflin (2), appartient au culte mythriaque du nord, et rappelle
l'influence syncrétique de plusieurs croyances similaires. 11 en est de
même d’un bas-relief qu'on voyait jadis à Wolffskirchen, près de la
Sarre , lequel représentait une femme gauloise avec une tête de Louve,
image de Latone lorsqu'elle fuyait du nord de l’Europe en Asie.
Le savant Schweighæuser, qui reconnait dans les statues du Donon
autant de divinités androgynes (3), trouve une ressemblance frappante
entre la Diane gauloise du musée de Paris et l'espèce de cerf tenu par
les cornes que Dom Calmet et M. Jollois ont dessiné sur la montagne
en question.
Une Diane androgyne ou masculine, ajoute Schweigheuser, peut
(1) Pindare, dixième ode pythique. Ce grand poète place les Hyperboréens sur la route que
dut suivre Persée pour combattre les Gorgones à l’extrémité de la Lybie,
(2) Alsat. Illustrata. I. vi.
(3) Mémoire sur les monumens celtiques du département du Bas-Rhin, et de quelques cantons
adjacens des départemens de la Meurthe et des Vosges. Nouvelle série des mémoires publiés
par la société des antiquaires de France, t 11, 1836, p. 12 et suiv.
L’Androgynie signifie l'alliance de la chaleur et de la lumière, le double principe mâle
et femelle, l'amour et la sagesse de Dieu.
Le Kneph ou l'Éternel égyptien était Androgyne. Plutarch. Isis et Osir.
D'après Orphée, Jupiter est l'époux, et Mithra, divinité femelle, la nymphe.
Adam ou l'humanité fut créé mâle et femelle, L'amour et la sagesse existaient en lui. Il
fut le réceptacle de l'amour divin. Son nom hébreu signifie rouge. Adam, sicut beatus hiero-
nymus tradidit, homo sive terrenus, sive terra rubra interpretatur. ON Adam, l'homme.
Te
Isidori Originum, lib. VIT, cap. vi.
QUATRIÈME SECTION. 437
sans doute paraître , au premier coup - d'œil, un paradoxe absurde ou
monstrueux ; mais on changera peut-être d'avis à cet égard, en se
rappelant le deus lunus de plusieurs monumens classiques, dont
quelques-uns proviennent plus spécialement des Galates ou, Gaulois
de l'Asie mineure. La ressemblance avec une célèbre statue de Diane,
que paraît offrir le bas-relief du Donon, prend un intérêt particulier
par le rapprochement judicieux que le savant antiquaire de l'Alsace
a cru pouvoir y rattacher. On sait, d'aprés les ingénieuses recherches
de M. Visconti, que l'animal qui accompagne la Diane du musée,
est cette biche aux cornes d’or et aux pieds d'airain, consacrée à
Diane par la nymphe Taygète, et qu'Hercule a poursuivie par l’ordre
d'Eurysthée. Or, selon Pindare (1), cette poursuite conduit le héros
jusqu'auprès des sources de l'Ister, dans le pays des Hyperboréens,
où il trouve l'olivier sauvage, qu'il transporte à la carrière d'Olimpie.
Eh bien! ces sources de l'Ister ou du Danube, sont dans la Forét-
Noire, à deux journées de marche seulement et précisément en face
de notre Donon. On croyait même, du temps de Pindare et d'Héro-
dote, que ce fleuve traversait tout le pays des Keltes, mais c'était
une erreur géographique comme on en trouve un si grand nombre chez
les auteurs anciens. Cette biche semble donc avoir eu, selon Pindare
du'moins; un rapport quelconque avec la Gaule, et il est assez cu—
rieux de la retrouver, mêlée à des monumens keltiques. Plus tard,
les Romains établis sur les rives de la Moselle ont consacré, par des
monumens, le souvenir du même culte. Metz possédait un temple de
Diane, dont l'élégante mosaïque représentait une biche aux cornes
d’or et aux pieds d'argent (2). Les réflexions auxquelles ces rap—
prochemens peuvent donner lieu , prennent encore un plus haut degré
d'intérêt, lorsqu'on se rappelle le grand nombre de traditions clas-
siques qui rattachent aux Hyperboréens le perfectionnement du culte
d’Apollon. On serait bien tenté d'admettre que les symboles de cette
“divinité, comme dieu des muses, et.ceux de Diane, comme déesse
de la chasse, ont été transmis à la Grèce par nos contrées occi-
Ndentales, où Diane était révérée depuis fort long-temps sous le nom
{1) V. sa troisième ode olympique.
(2) Cette mosaïque, l’une des plus belles et des plus curieuses qui aient été découvertes
dans les Gaules, a été gravée et décrite dans l’histoire de Metz, par les bénédictins; mais
d'une manière incomplète et avec des interprétations erronées. Nos savans prédécesseurs ne
“se doutant pas de la symboliqne chez les anciens, ont presque toujours négligé d'indiquer
les couleurs des mosaïques: c’est un grand malheur pour l'histoire de l’art. Nous regretterions
particulièrement cet oubli dans la description de la mosaïque précitée, si nous n’ayions ‘pas
eu le bonheur de trouver manuscrits les documens qu’on n'avait pas cru devoir imprimer.
58
458 MÉMOIRES ET PIÈCES.
d’'Arduina, c'est-à-dire en qualité de déesse des forêts et des hau—
teurs ; tandis que l’orient fit connaître aux Grecs cette Diane san—
guinaire de la Tauride, à laquelle on offrait des sacrifices humains,
et dont Iphigénie a failli devenir la victime. « Il est, ce me semble,
> assez satisfaisant de pouvoir opposer quelques témoignages d’un culte
» humain et gracieux établi chez nos ancétres, au témoignage mal-
» heureusement trop irrécusable qui leur attribue un culte sanguinaire
» et cruel (1). >»
Mais c'est surtout en remontant le cours de la Moselle , depuis les
frontières prussiennes , que l'imagination est frappée des traces nom-
breuses laissées par le culte de Mrithra ou d'Apollon Dieu-Soleil.
Après la roue enflammée des bouchers de Trèves, après celles des
villes de Sierck et d’Epinal, dont l’origine ne paraît pas douteuse,
nous indiquerons , au-dessus de Greven-Marckeren , un monolithe gros-
siérement sculpté, connu sous le nom de pierre du Soleil; sur les
hauteurs de Gorze , vers l'emplacement de la croix de Saint-Clément,
un autre monolithe d'environ trois mètres de hauteur à la face occi—
dentale duquel était un croissant sculpté , image de la /une régulatrice
de la vie humaine, selon Macrobe, et compagne ordinaire du soleil
dans le culte mythriaque. À Mousson se trouvait encore, il y a qua-
rante ans, une pierre zodiacale dont les caractères n'avaient rien qui
rappelât la période romaine. Enfin, en arrivant à Remiremont, on
reconnait à chaque pas, soit dans les dénominations locales , soit
dans le souvenir des lieux consacrés , soit dans quelques symboles
conservés intacts malgré la longue succession des siècles , une foule de
preuves qu’on ne peut révoquer en doute. Ainsi, le Thot égyptien (2)
se trouve dans l’éthymologie de la Basse-Théaut , de la Croër-Théaut ,
du Haut de Thot; le Noir-Homme rappelle l'habitude qu'avaient les
égyptiens de présenter, sous une forme humaine , de couleur noirätre,
le Dieu qui organisa l'univers. Je sais que je marche dans la voie
des conjectures, voie tortueuse où il est si facile de s’égarer, mais
ces conjectures deviendraient presque des preuves palpables si j'y rat-
tachais les croyances populaires , les souvenirs et les usages conservés
au sein des Vosges presque dans toute lenr pureté originelle (3).
(1) Schweigheuser. ;
(2) Thot, dont on a fait Theos, Totus, Deus, Dieu , désignait, chez les Egyptiens, l'inventeur
des sciences et des arts, le génie grand et sublime auquel la civilisation devait le plus, le
ministre d’Osiris et d’Isis. Les Grecs lui donnèrent le surnom de Trismégiste, trois fois grand,
et l’appellèrent aussi Hermès, à cause de son éloquence. D'Hermès les Romains ont fait Mercure;
mais les Gaulois adorèrent le Thot égyptien qu’ils confondirent souvent avec Teutath ou Teutaties,
(1) Je me suis appliqué à les reproduire dans ma description du cours de la Moselle , depuis
ses sources jusqu’à son embouchure , que je publierai incessamment.
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QUATRIÈME SECTION. 439
Le lion emblématique, domicile du Soleil, dispensateur des plus
éclatantes lumières , symbole représentatif du bien , image-de la force,
de la noblesse et du courage, était connu dans les Gaules, même
avant les Romains, et, sous ce rapport nous nous trouvons en opposi—
tion avec le savant auteur de l'histoire de Saint-Dié (1) qui ne cénnaissait
probablement ni le lion druidique de Beuviller (Moselle) , décrit par
M. Victor Simon (2), ni un petit lion trouvé à Rixing (Moselle),
avec un #odan-Teutath, lares en bronze qui ne présentent aucun
doute sur leur origine keltique, et dont la découverte prend un
degré d’intérét d’autant plus grand qu'on a tiré des mêmes décombres
la statuette d’un druide accolé à une druidesse. M. Victor Simon
vient d'en rendre compte (3), et sa description se rapproche plus
du vrai que celle donnée par M. Botain (4).
Le sanglier des OEstiens dont parle Tacite devait être un are
symbolique de la Germanie qu'on imita dans les Gaules, et surtout en
Alsace , ainsi que dans la partie des Vosges, de la Meurthe et de la
Moselle occupée par des colonies ultra-rhénanes (1). Enfin nos ancêtres
honoraient particulièrement le serpent, image de la nature dépouillée
de sa parure , et le crapaud ; symbole de destruction des germes
fécondans.
Oserai-je rappeler ici: les fables et les imitations burlesques de oups
garous et de géans dont le souvenir peuple encore les campagnes ;
me permettra-t-on d'enlever à Rabelais l’idée de Gargantua pour re—
produire , sous les mêmes traits , l’Hercule pantophage de la Gaule (6).
Je n'ose l'espérer, aussi n’insisterai-je pas dans la crainte de mêler
une mythologie enfantine aux discussions sérieuses de cette dissertation.
Telles sont, en abrégé, les indications qu'il nous a été possible
de recueillir sur les sculptures religieuses du nord-est de la France,
antérieures à l'invasion romaine. Mais ce serait n’avoir accompli qu'une
(1) Histoire de la ville épiscopale et de l'arrondissement de Saint-Dié, sous le gruvernement
théocratique de quatre monastères, en opposition avec les ducs de Lorraine et les princes
constitutionnels de Salm. Par N. F. Gravier. Épinal, Gérard, 1836; in-8° de xxxü, 400 p.
avec un plan et deux planches lithographiées. V. la p. 19.
(2) Mémoires de l’Académie royale de Metz.
(3\ Mémoires de l'Académie royale de Metz, 1836-1837.
(4), Mém. de la Soc. royale des antiq. de France,
(5) Matrem deum venerantur, énsignæ superstitionis, formas aprorum gestant. De mor. Germ.
cap. xlv.
Schæpflin. Alsat. illust., t, I, p. 44 et 457, parle de figures de sangliers trouvées sur des
monumens et des médailles du pays. Millin dit avoir reconnu des traces du même culte {Voy.
dans le midi de Ja France, t, II, p. 237).
(6) Mém. de la Soc, royale des antiq. de France, t V, p. 300 et suiv.
460 MÉMOIRES ET PIÈCES.
partie de notre tâche si nous ne jetions pas en méme temps un coup
d'œil sur l’architecture et la peinture de nos ancêtres.
De la simple pierre fichée, considérée d’abord comme une limite
territoriale, au cromleck ou sanctuaire sacré, il n’y avait qu’un pas
facile à faire, puisque le cromleck résulte d’un ensemble de pierres
disposées circulairement ou ovalairement selon le mythe symbolique
adopté. Le cromleck a dû être, en conséquence, le rudiment pri-
mordial des sanctuaires de la divinité. Plus tard, quand les peuplades
eurent acquis de la stabilité, ou substitua aux pierres fichées des
murailles sèches, peu élevées, mais quelquefois d’un immense dé-
veloppement, et l’on forma de la sorte des enceintes qui pouvaient
contenir quelquefois un peuple entier. Elles étaient placées, le plus
souvent , au sommet des montagnes : cependant , on en cite quelques-
unes situées dans des plaines, et je ne serais pas éloigné de croire
qu’un fait glorieux , tel qu'une bataille gagnée , fût devenu quelquefois
la raison déterminante de l'érection d’une enceinte consacrée à la
divinité. Telles ont dû étre ces enceintes de plusieurs lieues de cir-
conférence qu’on reconnait entre Briey et Saint-Pierremont. L'Alsace
et les Vosges présentaient un assez grand nombre de cromlecks ; nous
ne ferons que citer, sans les décrire, ceux du Chazeté, du Donon,
de Sainte-Odile, de la Valette, de l'Engelberg, d’Altdorf , de Frey-
wald, le Jardin-des-Fées dans la vallée de la Bruche, et le château
égypüen de Soldatenthad : les uns, presque entièrement détruits, n’ont
pour eux que des souvenirs, les autres sont facilement reconnaissables :
on retrouve méme à Freywald la cella de la divinité , et dans la vallée
de la Bruche , au-dessus du Jardin-des-Fées ; un dolmen gigantesque
qui servait d’autel. Les Grecs appelaient ces augustes enceintes Hy-
pethres ; Festus les nomme Sacella (4). Le sanctuaire germain indiqué
par Tacite dans le pays des Marses (2), ne pouvait étre qu’une
enceinte, car ce scrait le seul exemple d'un temple construit dans les
Gaules , antérieurement aux invasions romaines.
À ces témoignages d’un culte grandiose , mélange incompréhensible
aujourd'hui des mystères de l'Asie, de la Grèce, de l’effrayante my
thologie du nord, culte exercé à la face du ciel, sous l’inspiration
de la lumière solaire et de la muette éloquence d’un sol aride et
sauvage, nous ajouterons l'indication de quelques lieux jadis habités
et consacrés par les Druides. Ces lieux retirés où le chène antique
(1} Sacella dicuntur loca diis sacrata sine tectis, De verb, signi., lib, XVIL
(2) Tacit ann, cap. V.
QUATRIÈME SECTION. 461
croit encore (1), où la terre semble recéler des secrets qu’elle est
jalouse de conserver, où les rochers parlent et s'animent aux idées
réveuses que vous y attachez, lieux magiques au fond desquels le
villageois timide croit revoir l'esprit de leurs anciens possesseurs,
sous les traits d’une blanche dame ou d'une fée, tantôt cruelle,
tantôt bienfaisante, ces lieux ne semblent inhabités que depuis hier,
tant la nature est uniforme dans sa marche, tant les croyances et les
souvenirs ont de puissance sur les âmes.
À Gorze , aux environs de Sierck , de Remiremont , de Sainte-Odile
et de Wasselone , on rencontre de ces sombres retraites où les derniers
chants des Druides semblent résonner encore; et, quoique l’ancien
culte n’y ait souvent laissé aucune trace, on s'inspire en les visitant
d’une conviction si profonde qu'on peut la considérer comme une
révélation du passé. Ainsi, que le Mennelstein (2) dont la tête chauve
et ridée s'élève à 70 pieds au-dessus du sol, passe comme le Wachstein
pour une pierre d'observation , ou l'assise d'un vieux château, l'an-
tiquaire ne pourra s'empêcher d’y voir un collége druidique sacrifiant
à l'Eternel ; que la pierre de Gorze se soit détachée du rocher paï
uné cause naturelle, que la main des Druides n'ait été pour rien
dans son placement, chose que j’admets volontiers, on ne devra
pas moins la considérer comme une roche aux vierges, roc’h werc’het
de la Bretagne, pierre d’épreuve sur laquelle le Gaulois, pressé d’un
doute affreux, conduisait la jeune fille dont il voulait faire son
épouse (35).
Lorsque Tacite écrivait, les peuples de l’ancienne Germanie s’as—
semblaient encore dans les lieux sombres et solitaires, pour adorer la
divinité (4). IL cite les Sennones et les Naharvaliens (5) comme étant
demeurés fidèles au culte de leurs ancêtres, et nous pourrions ajouter
(1) Pline dit (Hist. nat., liv. XVI, c. 44) que les Druides n’ont rien de plus sacré que le
chêne; et Maxime de Tyr (serm. 38) que le- dieu des Keltes est un gros chêne, César atteste
WI, c. 16) que les Gaulois ont des idoles de bois d’une grandeur extraordinaire et dont,
les membres sont liés ensemble, et Lucain (Pharsal, liv. III, v. 414), que les simulacres
des lares du pays consistent en des troncs d'arbres sculptés grossièrement et sans art,
(2) Vues pittoresques de l'Alsace. Ouvr. déjà cité; cinquième livraison.
{3h 1! y avait aussi des pierres aux cocus, monumens terribles,.car les Gaulois avaient droit
de vie et de mort sur leurs femmes, Valère Maxime,
(4) Nec cohibere parietibus deos, meque in ullam humani oris speciem assimulare, ex magnitudine
cælestium arbitrantur: Lucos ac nemora consecrant, deorumque nominibus appellant secretum üllud
quodysola. reverentia vident. Taçit. de, mor, germ., cap. ix
(5) Stato tempore in syluam, auguriis patrum et prisc& formidine sacram coeunt, etc., id. cap. xxxix.
Apud Naharvalos antique religionis lucus ostenditur, — Nulla simulacra, nullum peregrinæ su-
perstitionis vestigium, Id. cap. xliii,
462 MÉMOIRES ET PIÈCES.
sans crainte d’être démentis par l’histoire ; nos voisins de la Séquamie ,
les Triboques et les Ubiens,
Quelle différence m'écrirai-je, en terminant ce que j'avais à dire
sur les Keltes, entre ces monumens simples et sévères dont la puis-
sante gravité rappelle tout ce que l'âme offre de plus pur , la morale
de plus simple, la pensée de plus sublime, et ces temples qui vont
surgir avec le génie de Rome, temples fastueux, où l’encens des
mortels brülera tour-à-tour devant les tyrans de la terre et les im—
pudicités de l'olympe!... Mais les immenses colonnades de la vieille
Egypte, les splendeurs du Colysée , les ruines imposantes du Par-
thénon frappent l'orgueil artistique de l’homme bien autrement que
les roches alignées de Carnac ou la cellule de grès d'Amasis ; chacun
s'arrête étonné, confondu sous l’accablante impression d’un monde
de merveilles, et les beaux-arts servent ainsi de honteux passeport
aux passions désordonnées du paganisme.
Dés que Rome victorieuse et hautaine se fut placée au cœur de la
Gaule comme un immense rocher au milieu du cours d’un fleuve , les
Keltes refoulés dans les montagnes y conservèrent leurs croyances tradi-
tionnelles, leurs mœurs, leur liberté, leurs monumens : mais peu-à-peu,
le montagnard visita la plaine ; l'habitant des vallées se hasarda vers la
montagne ; des rapports d'intérêt s’établirent ; des routes furent tracées;
la politique invariable du sénat romain poursuivit les prêtres Gaulois
qu'il considérait avec raison comme chefs de factions ; et le druidisme,
proscrit d’abord de la Gaule Narbonnaise , le fut également plus tard
de toutes les provinces par Auguste et Tibère. L’insurrection fomentée
sur le Rhin et la Moselle par le Trévirois Julius Florus (4), servit
de prétexte à des rigueurs nouvelles, et de ce moment, l'édit de Tibère
qui proscrivait les sacrifices humains , reçut une entière exécution.
On trouve dans l'inscription BELLICCVS SVRBVR du Donon, et
dans le bas-relief qui l'accompagne , bas-relief expliqué différemment
par plusieurs écrivains recommandables, un témoignage authentique
de l'alliance forcée qui se fit alors entre le culte des Druides et la
religion payenne. Belliccus est le Zion, le lion belliqueux et vain
queur , symbole de la puissance romaine; swrbur est le sanglier eu
le porc, emblème des Gaulois. On le voit accolé au rocher, pressé
jusqu’au fond de sa dernière retraite , et néanmoins défendant encore
le sanctuaire préposé à la garde des Druides. Ce monument curieux
de la religion de nos pères est grossièrement travaillé. » Quelle autre
main que celle d'un soldat eut gravé le belliccus avec toute la dureté
(1) Ce fut l'an 21 de Père chrétienne, Tacit. Jib. III, ann.
QUATRIÈME SECTION. 465
de la prononciation? L'esprit orgueilleux et satirique qui a concu
cette image , décèle l'enfant du Tibre; celui qui, après avoir conduit
en triomphe et adoré le phallus comme une divinité, n'employait
gne de débauche; celui
enfin qui. défendait l’effusion du sang humain sur les autels gaulois,
et qui le répandait par torrent dans ses amphithéätres et jusque dans
ses salles de festins (1). :
L'inscription belliccus-surbur formée d’un mot latin et d'un
mot keltique, le bas-relief offrant la réunion de deux symboles qui
appartiennent à deux cultes opposés , prouvent la tendance qu’avaient
déjà les Romains d'établir une fusion entre les vainqueurs et les vaincus,
par tous les moyens puisés dans une communauté de langage et de
croyances. Et cette remarque s'applique non-seulement à l'histoire
du Donon, mais encore à l'explication d'une foule de monumens
décrits par nos devanciers.
plus cet emblème que par dérision ou en si
En face des montagnes consacrées au culte mithriaque , les pontifes
romains élevèrent des autels à Jupiter, à Bélénus ; tels furent le Mont-
Joux dans les Alpes, les Jomont dans les Vosges. Les pierres fichées,
les peulvens devinrent presque tous des dieux termes, Der termini;
Hesus partagea les honneurs suprêmes avec les divinités victorieuses (2) ;
aux nombreuses images du Wodan-Teutath on substitua quantité de
Mercures , les uns sans pétasse mais avec caducée serpenté et une
bourse à la main; ce sont des Mercures Dreu-Soleil dont le caducée
représente le cours tortueux des astres, et dont la bourse signifie
la richesse et l'abondance que l’astre du jour amène (5) ; les autres
sans caducée, mais avec les ailes aux pieds, unc bourse, un oïiseau
ou un poisson à la main ; ce sont des Mercures Dieu du Commerce et
des voyages , ou des lares protecteurs. Des images de Jupiter, de Junon,
d'Hercule, de Bacchus, de Pluton, et surtout d’'Hercule Saxan, de
Diane, de Mars, de Castor et Pollux, d’Apollon considéré tantôt
comme Dieu de la Médecine, de la Musique ou des arts, tantôt comme
Dieu-Soleil, devinrent trés-communes dans le nord-est de la. France.
J'y ai vu es Dieux sylvains , plusieurs faunes , un Dieu-Priape ;
une Cérès, et l’on peut, en étudiant, en comparant entre eux ces
(1) Hist. de la ville de Saint-Dié, p. 19 et suiv. On peut aussi consulter sur la même
inscription les écrits de Dom Ruinart, Alliot, Montfaucon, Schæpilin, Dom Calmet,
MM. Schweighæuser, Jollois, Frizy, Beaulieu, etc. Tous ont donné sur le Donon des disser-
tations fort savantes. Nous y renvoyons.
(2) On peut s’en convaincre par les bas-reliefs d’un autel octogone déposé dans le musée
archéologique de Metz. Cet autel a été trouvé près d’'Havange (Moselle). :
13) Macrob., lib. I.
464 MÉMOIRES ET PIÈCES.
objets d'art, suivre les révolutions religieuses qui se sont succédé
dans nos provinces pendant quatre siécles (1).
Les formes lourdes et massives des hordes germaines se mélent
d'abord aux formes plus sveltes et plus dégagces de la Grèce et
de l'Italie; puis, peu à peu le goût s'épure, le beau se conçoit,
s'apprécie, des artistes habiles ne dédaignent pas d'enrichir la Gaule
du produit de leur ciseau, et quelques compositions rivalisent avec
celles de Rome au siècle d’Auguste.
Voila pour la statuaire religieuse: la peinture, plus lente à se
développer, demeurait dans les conditions uniformes imposées à la
mosaïqne, que je crois devoir considérer comme le seul genre de
peinture adopté par le culte. C'était une peinture essentiellement
symbolique, qui, de l’orient, avait passé dans la Troade, dans la
Phénicie, dans la Grèce, l'Etrurie, et de la chez le peuple romain.
Ce dernier la propagea sur tous les points du monde connu, mais
sans la perfectionner, sans lui ôter le caractère d’un art à sa naissance.
Ainsi l’exigeait l'esprit sacerdotal , pour que la symbolique des couleurs
ne se perdit pas, pour que la morale et l’histoire formassent un code
dont les prêtres auraient seuls la clef. Dans le monde profane, on
finit par adopter, comme un usage, une simple mode, les.combi-
naisons, les associations de couleurs, plattes et tranchées, qui revé-
taient les murailles des temples ; et quand l’époque fut arrivée de
perfectionner ce genre de peinture, parce qu'il échappait au domaine
religieux, l’art tombait en décadence, la civilisation dégénérait.
Dans nos provinces comme ailleurs, la mosaïque présente consé-—
quemment ur type d’uniformité remarquable. C'est partout l’art oriental
accommodé aux croyances du peuple de Rome, ou si l’on veut, l’art
romain lui-même ayant ses formes propres, ses images et ses cou-
leurs.
On peut assurer sans crainte que les Gaulois ne connaissaient point
la peinture en mosaïque, ou du moins qu'ils ne l’employaient pas
pour symboles religieux, car s'ils l’eussent fait, on trouverait, parmi
les mosaïques ; des formes bätardes, indécises et barbares , retraçant,
comme en sculpture, l'alliance des mythes du nord avec ceux du
midi.
Ainsi, la mosaïque resta romaine jusqu’au moyen âge : il ne paraît
pas que les peuples envahisseurs de l'empire, aient interposé leurs
principes dans l’uniformité rationnelle de ses phases ; il ne paraît pas
(1) Voyez, pour plus dé détails, les Mémoires de la société des antiquaires de France,
t 1, p. 109 à 145.
QUATRIÈME SECTION. 465
non plus qu’elle ait sensiblement dégénéré, car, sous les premiers rois
chevelus, elle sortit brillante du chaos où l’art était tombé.
Nous ne ferions qu'indiquer d’une manière imparfaite les transfor—
mations mythologiques survenues dans nos provinces, si nous n'y
ajoutions pas celles qu'elles ont éprouvées, lorsque les légions ; venues
de l'Afrique et de l'Égypte , couvrirent le sol d'une foule de symboles
empruntés au culte d'Osiris. Ce fut surtout après la guerre entre
César et Pompéc qu'elles envahirent les Gaules. La légion, dite la
Victorieuse , pénétra dans la Médiomatricie , apportant avec soi les lares ,
compagnons de ses triomphes sur les bords du Nil; le corps de
Labiénus , formé en grande partie de soldats égyptiens, mit en crédit
les divinités hiéroglyphiques , et bientôt elles pullullèrent sur les rives
de la Moselle et de la Sarre. Quand commencérent les rapports com-
merciaux des Gallo-Romains avec les peuples du nord , eL plus encore
lorsqu'un système de colonisation, imposé par le glaive , s'établit entre
les hordes septentrionales et les Belges, on vit surgir de nouvelles
divinités , échappées du ciel brumeux de la Scandinavie; mais il ne
paraît pas qu'elles aient eu un grand crédit parmi nous. Le nom
d'Odin figure bien peu dans nos vieilles légendes ; s’il y paraît, c’est
au fond des bois qu’on le retrouve. Je ne connais qu'un seul monu—
ment de Metz, celui des trois déesses maires qui puisse être rapporté
à la religion scandinave, encore n'oserai-je pas lui assigner positi-
vement cette origine (1). Il n'est pas étonnant qu'un peuple mou,
abâtardi, entraîné dans les voies d'une civilisation effémince, n'ait pas
voulu d’une religion sauvage , peut-être plus pure que la sienne, mais
qui devait contraster beaucoup avec ses mœurs et ses habitudes. Cela
explique comment il se fait qu'a l’époque des grandes invasions, le
culte des hommes du nord ne pénétra point au scin des villes,
tandis qu'il compta de nombreux adhérens parmi les campagnards.
Au reste, rien ne prouve que les Gallo-Romains aient accordé une
confiance bien profonde aux divinités , soït indigènes, soit étrangères,
lorsque l'empire marchait vers sa dissolution. C'était un âge de scepti—
cisme et d’indifférence , tel qu'on en voit chez tous les peuples vieillis,
fatigués de leur bien-être même, äge critique où la société s’épuise
en vains efforts pour établir des principes d'union là où l'unité manque ,
âge pendant lequel on existe pour l'intérêt du moment, tant l'in-
certitude de l'avenir vous obsède et vous tourmente. Les prêtres alors
enseignaient mal ce qu'ils ne croyaient pas eux-mêmes, les prêtres
{1) V. la grande Histoire de Metz, par les bénédictins; t. 1, p. 72 et suiv.
59
466 MÉMOIRES ET PIÈCES.
quittaient le temple pour le forum, et le plebs imitait le prêtre.
Un manque de ferveur si prononcé n'était cependant pas général au
sein de Ja Gaule : mais lorsque le midi montrait encore de la piété, et
déployait une pompe solennelle dans les cérémonies du culte ; lorsque
des temples majestueux embellissaient Marseille, Arles, Nimes, Avi-
gnon, Vienne et Lyon; le nord songeait au positif, négligeait tout
ce qui n'avait pas un rapport matériel avec le bonheur, élevait peu
de temples, et les construisait tous dans des proportions mesquines,
témoignage irrécusable de la tiédeur religieuse de nos ancêtres. A
Metz, par exemple; où tant d'édifices étaient consacrés au bien-être, où
l'on voyait un aqueduc magnifique transporter, dans la Naumachie , les
eaux limpides d’une fontaine distante de cinq lieues , où régnaient trois
établissemens de bains publics, un amphithéätre , des arcs de triomphe,
des palais splendides, on n'avait construit que des monumens reli-
gieux fort petits, destinés à un nombre peu considérable de croyans.
Les recherches que j'ai pu faire sur Metz ancien ne m'y ont laissé
découvrir qu'un seul édifice religieux à grandes proportions ; c'étart
le temple de la Victoire, enceinte consacrée par l'esprit de conquête ,
espèce de forum militaire où se résumaient les croyances les plus
intimes du soldat, et la politique du peuple romain.
Tel devait être l’aspect monumental et religieux du nord-est de
la France, lorsqu'une lumière céleste éclaira le monde ; lorsque le
monothéisme le plus parfait répandit ses dogmes si consolans et si
purs. Dans le chaos immense de pensées profanes et matérielles, de
scepticisme et de frivolité, d’insouciance et de passions mauvaises,
qui précipitaient un grand peuple à sa ruine, il fallait une religion
qui établit de nouveaux liens entre les hommes, de nouveaux rapports
entre les choses , et cette religion ne pouvait être que celle du Christ,
CINQUIÈME SECTION. 467
CINQUIÈME SECTION.
RAPPORT
L'ÉTAT DE LA PEINTURE
A METZ,
Par M. B. FAIVRE.
Messeurs,
L’atadémie ayant décide, dans sa séance du 27 août, qu'un coup
d'œil sur l'état des arts dans le Pays-Messin serait soumis à Ja
cinquième section du congrès, cette tâche m'a été commise en ce
qui regarde les arts du dessin , non qu’elle me revint de droit, mais
parce que j'ai paru moins directement intéressé dans la question que
la plupart des personnes placées en première ligne pour cet objet
par la nature de leur talent, l'étendue de leurs connaissances, et
l'autorité qui s’attacherait naturellement à leur opinion. J'ai donc
accepté , regrettant à Ja fois que le choix ne püt tomber sur un autre,
468 MÉMOIRES ET PIÈCES.
et qu'un délai si court fût assigné pour un travail qui méritait quelque
méditation. Je réclame toute votre indulgence.
Si Metz jouit de quelque renommée ; ce n’est point aux arts qu’elle
en est redevable. L'histoire parle de son commerce , de sa richesse, de
son importance politique , de sa force militaire ; elle célébre son an—
tiquité, elle vante sa constitution libre, elle nomme ses magistrats,
ses guerriers, ses sayans, elle ne nomme point ses artistes; elle
laisse dans l’oubli quelques médiocrités à peine connues de leurs con
temporains , dont les œuvres mêmes ne sont point parvenues jusqu'à
nous. En eflet, tandis que la Lorraine s'enorgueillit à si juste titre
de son Callot, et surtout de son immortel Claude , si heureusement
pour la gloire de sa patrie surnommé Ze Lorrain, Metz osera-t-elle
rappeler qu’elle a donné le jour au graveur Sébastien Leclerc? La
comparaison serait moins à son désavantage, s'il était prouvé que
le Pays-Messin à vu naître le baron Hegnault, ce digne émulé de
David, et l’un des restaurateurs de la peinture en France. Mais il
n’est point certain que Sarreguemines , qui le réclame, soit le véritable
lieu de sa naissance, et notre amour-propre national ne doit point
se hâter d’usurper un titre que la vérité historique nous forcerait
peut-être de restituer un jour à quelque localité plus heureuse.
: Toutefois, malgré le peu de renom de ses artistes, Metz compte dans
son histoire artistique des époques moins stériles. Le xm°, le xiv° et le
xv° siècle virent fleurir plusieurs architectes habiles, que cet âge naïf
désignait sous le titre modeste de macons. De ce nombre étaient Péerre
Perrat, Thierry, de Sierck , les deux Renconval, père et fils, Jacomunr,
de Commercy, à qui sont dues diverses parlies de notre élégante ca-
thédrale.! Une foule d’autres monumens, entre autres les cathédrales de
Toul et de Verdun, et l’église si regrettable , dite des Grands-Carmes,
dont ilne reste plus qu'un fragment , ont été élevés d’après les plans et
sous la direction de ces génies ignorés , qui possédaient à un si haut
degré l'intelligence de leur art, et qui imprimaient à la pierre, avec
tant d’éloquence, l'esprit religieux de leur époque.
L'aurore de la renaissance ne brilla point sur notre ville; c’est
l'époque de la douloureuse révolution qui anéantit sa constitution
libre pour transformer la cité impériale en une bonne ville du roi
de France; c'est l’époque des troubles religieux, qui agitèrent si
tristement notre malheureuse province; c’est l'époque pour le Pays-
Messin d’une décadence rapide , peu propre à faire éclore et prospérer
les arts. L
Il n'en fut pas ainsi du siècle de Louis XIV, qui jeta sur toute
CINQUIÈME SECTION. 469
l'Europe une si vive lumière, et dont l'influence féconde se fit sentir
avec tant de puissance jusqu’au fond de nos plus obscures provinces.
Le peintre Naucret, le SOPpISUS Chassel, le graveur Leclerc, qui
jouirent de quelque estime, même parmi les artistes de la capitale,
étaient de Metz; et tandis qu ils honoraient ainsi au-dehors leur
pays natal par de talens du second ou du troisième ordre, des
étrangers y faisaient à leur tour fleurir la sculpture, la gravure et
la peinture. On y vit, dans le cours du xvnf siècle, un Etienne Racle,
qui avait quitté Nancy, sa patrie, pour venir à Metz graver les coins
de la monnaie; un Jacob Adam, sculpteur habile, qui exécutait
des figures en bronze très-recherchées des amateurs; un Willaume ,
assez bon peintre d'histoire, qui travaillait pour le maréchal de la
Ferté et d’autres personnages de distinction. Enfin les particuliers et
les monastères achetaient et commandaïent des tableaux , et les artistes
de Nancy et de Verdun eurent plus d’une occasion d’y placer avanta-
geusement leurs ouvrages.
La révocation de l’édit de Nantes dut porter un coup funeste à
l’industrie , aux sciences , aux arts, dans une ville qui avait embrassé
avec chaleur le parti de la réforme. Les beaux-arts, en particulier ,
y tombérent dans une déplorable langueur , d’où la protection éclairée
du maréchal de Belle-Isle parvint à peine à les faire sortir. On sait
combien à cette époque le goût. s'était égaré. Les œuyres produites
au xwn° siècle par les artistes de tous les degrés furent justement
confondues dans un oubli commun avec celles des Boucher et des
Vanloo, les chefs de cette triste école, si loin de la vérité et du
noble but auquel doivent tendre les arts. C'est ainsi, par exemple,
que se perdirent les peintres Jean Leprince, de Metz, et Joseph
Ajeïling, de Saint-Avold , qui auraient peut-être laissé d’honorables
productions de leurs talens, si le mauvais .goût du siècle n'eut fait
avorter les dispositions dont la nature les avait doués. Le sculpteur
Masson , plus heureux, dut à de solides et consciencieuses études
l'honneur de laisser des travaux estimés, que beaucoup de nos artistes
modernes ne seraient pas en droit de renier.
Deux de nos compatriotes, dont la jeunesse est contemporaine de
l'heureuse révolution qui a restauré les arts en France, et auxquels
nous voudrions , dans notre orgueil national , pouvoir associer le baron
Regnault, leur camarade et, pour ainsi dire, leur condisciple ; J'ean—
Martin Renaud, de Sarreguemines, honoré de l'amitié de Denon,
et Charles-Augustin Pioche, de Metz, artiste vénérable par son âge
et par. ses trayaux, que nous ayons Je bonheur de compter encore
470 MÉMOIRES ET PIÈCES.
parmi nous, appartiennent à la fois, par la nature de leur talent,
à l’ancienne et à la nouvelle école. Placés sur la limite de deux âges,
ils ont imprimé à leurs œuvres une sorte de caractère indécis et transi—
toire qui n’est déjà plus le laisser-aller du xvin® siècle, qui n'est pas
encore la sévérité du xix°. Mais ni l’un ni l’autre , surtout le dernier,
m'ont atteint les limites dans lesquelles il était donné à leur génie de
se développer. Ce n’est point le lieu d’en rechercher les causes.
Toutefois ces deux hommes sont les seules lumières, sous le
rapport des arts, qui jetèrent quelque éclat sur le Pays-Messin à
une époque où la France, dans tous les modes de l’activité humaine,
recueillit une si ample moisson de gloire. Encore même avaient-ils
renié leur obscure patrie , pour aller chercher la célébrité et la fortune
dans la capitale, ce foyer absorbant vers lequel se précipitaient déjà
tous les talens , toutes les ambitions. Et quand Charles-Augustin Pioche
fut ramené dans sa ville natale par un juste ressentiment de sa bonne
foi jouée et de son mérite obstinément méconnu , il y trouva les arts
plongés dans les plus épaisses et les plus décourageantes ténèbres.
Pendant les quinze ou vingt premières années du siècle, Metz ne
compta qu'un seul artiste, celui dont nous venons d’énumérer les
titres ; encore bien faut-il reconnaître qu'il était déjà sur son déclin.
L'atelier qu'il avait ouvert était la seule école qui méritât ce nom.
De musée, Metz n'en avait jamais eu; elle n'en a point encore. Le
seul de nos cabinets particuliers digne de fixer les regards, celui de
M. Gorcy, se formait seulement. À aucune époque de son histoire,
sans contredit , l'antique capitale des Médiomatrices n'avait plus hon—
teusement justifié l'injurieuse épithète de mardtre des arts dont l'étranger
l'avait flétrie. |
Mais précisément parce que cet état de choses était extrême, il ne
pouvait long-temps durer. On vit bientôt, mais avec lenteur , s'opérer
un heureux changement.
Une école gratuite de dessin fut fondée par la ville. Cet établisse-
ment, inaperçu d’abord; mal soutenu et mal dirigé, ne tarda point
à tomber entre les mains d’un homme plein de zéle, de savoir et
de bon esprit, qui l'éleva à un haut degré de prospérité. Aujourd’hui
cette école, qui compte annuellement deux ou trois cents élèves,
est dans son genre une institution du premier ordre, et contribue
puissamment à répandre dans la classe ouvrière le goùt du beau et
le sentiment de la précision.
À côté de cet établissement s’en éleva bientôt un autre , aux frais
du département, sous le titre d’école de peinture. L'idée seule d’une
CINQUIÈME SECTION. 474
telle institution dans nos murs était l'indice qu'une ère nouvelle avait
commencé. Mais déjà c'était aller un peu vite. Cette école dépassait
les besoins actuels de la population. Assise d’ailleurs sur des bases
assez mesquines, confiée à des mains médiocrement habiles, créée
enfin sous l'influence de je ne sais quelle pensée politique , elle disparut
un matin, nous laissant deux ou trois jeunes artistes de plus, mais
ayant, en définitive, assez mal tenu ce qu’elle avait promis et ce
qu'on avait droit d'en attendre.
Pendant qu'elle s'en allait ainsi avec les circonstances qui l'avaient
fait naître, l’école de la ville préparait à l'écart des résultats plus
satisfaisans et d’un intérêt plus général. L'enseignement des arts du
dessin, qui y avait été d'abord un peu confus, peu à peu se dé-
brouilla, se divisa, et prit un caractére positif et simple, parfai-
tement approprié aux besoins de la classe de citoyens en faveur de
laquelle cet établissement avait été fondé. Les arts de pur agrément y
cédérent insensiblement la place aux arts directement utiles. M. Dupuy,
directeur de l’école, proposa à l'académie, dès l'année 4898, en
offrant de faire lui-même les frais du prix, de mettre au concours la
question suivante: Déterminer, pour l’enseignement du dessin, un
mode qui convienne à la fois aux ouvriers, aux élèves des colléges,
et aux jeunes gens qui se destinent aux beaux-arts. Deux mémoires
en réponse à cette question ayant été couronnés l’année suivante par
l'académie, M. Dupuy , avec autant de modestie que de zële bien
entendu pour les progrès de l'établissement, se hâta de modifier son
système d'enseignement d’après les principes émis dans l’un et l’autre
mémoire. C’est de ce moment surtout que l’enseignement s’y dégagea
de tout ce qu’il a d’aristocratique , si je puis m’exprimer ainsi, pour
devenir essentiellement populaire ; pour se réduire , dans son principe
fondamental, au tracé libre et à l'imitation graduée et rationnelle
de tous les corps; pour s’assimiler, en un mot, par la simplicité de
ses principes et l’universalité de ses applications, au plus vulgaire de
tous les arts, l'écriture. De la sorte l'école municipale des arts prit
rang parmi nos plus utiles, nos plus indispensables institutions. La
génération présente en reconnait déja les nombreux et importans
bienfaits ; la génération qui s'élève les appréciera mieux encore ; nous
n’en doutons pas.
Du reste, à mesure que l’enseignement se simplifiait à l’école mu—
nicipale, il s'élevait des établissemens particuliers propres à recueillir
et à développer les diverses parties de l’art que ne comportait point
le programme sévère d'une institution gratuite.
472 MÉMOIRES ET PIÈCES. °
L'établissement simultané d'une école de peinture ct d’une école
de dessin, auxquelles était affecté un prix de trois mille francs,
décerné tous les trois ans pour aller perfectionner ses études dans
la capitale, à l'élève qui s'en était montré le plus digne, avait en
peu d'années doté notre ville de plusieurs jeunes artistes de belle
espérance. De là plusieurs ateliers où l’on cultivait les différens genres
avec succès ; de là aussi nombre d'amateurs et de personnes étran-
gères au métier proprement dit, qui luttérent, souvent avec avantage,
contre les artistes eux-mêmes, et qui contribuërent puissamment à
éveiller parmi nos concitoyens le goût d’un art si fertile en jouissances ,
et si favorable à l'expression et à la propagation de la pensée.
Mais à ces causes diverses de progrès vinrent s’en joindre d’autres ,
qui ne furent pas moins efficaces peut-être. Dès l'année 1825, l'académie,
qui avait pris le titre de Société des lettres, sciences et arts, fonda
des expositions quinquennales de l’industrie du département , et invita
les artistes à s'y adjoindre aux industriels, afin que le public put
connaître à la fois ses richesses dans ces deux modes importans du
travail humain. Il y eut ainsi successivement quatre expositions ; dont
la dernière, celle de 4854 , rendit si manifeste la marche ascendante
de nos arts, que de ce moment il fut jugé opportun de leur ouvrir
des expositions spéciales , et qu'il se forma dans ce but une société,
qui réalise en ce moment pour la seconde fois l’objet en vue duquel
elle a été créée.
L'établissement de la Société des amis des arts fera époque dans
l'histoire de nos ateliers modernes. Grâce à cette sage institution ,
nos artistes, de concert avec ceux de Nancy, qui sont régis d'une
manière analogue, exposent alternativement chaque année, dans l’une
et dans l’autre ville. De la sorte, il s'établit entre les deux cités rivales
une émulation généreuse, dont l'avenir , sous le rapport de l’art,
doit recueillir les fruits les plus heureux. D'une autre part, chaque
exposition devient tour-à-tour, pour chacune des deux sociétés, l'oc—
casion d’acheter un certain nombre d'ouvrages, qui, ensuite répartis
par le sort entre tous les actionnaires , répandent dans le public les
productions les plus aimables du crayon ou du pinceau, et offrent
ainsi aux artistes le moyen de placer lucrativement et honorablement
leurs œuvres. Une telle institution est un véritable bienfait. L'artiste
habile , le protecteur éclairé des arts à qui nous en sommes redevables,
et qui la soutient avec un zèle à la fois si persévérant et si judicieux ,
a mérité toute notre reconnaissance.
Quelque jour, à tant d’élémens de succès nous joindrons vyrai-
CINQUIÈME SECTION. 473
semblablement la possession d’un musée , établissement dont le projet,
concu depuis long-temps, voit son exécution reeuler d'année en année.
Déjà cependant nous sommes en mesure d’en fofmer le premier noyau.
Si l’on réunissait les sculptures et les tableaux épars à la bibiothèque
et à l’hôtel-de-ville, et qu'on y joignit les grands plâtres antiques
déposés à l’école de dessin, on obtiendrait de la sorte un certain
ensemble qui s'augmenterait avec rapidité, soit par les dons du gou-
vernement ou des particuliers, soit, par les acquisitions que pourrait
faire la ville, et qu’elle ferait plus volontiers sans doute du moment
qu'elle y verrait un but réel d'utilité. Depuis moins d'une année
n’avons-nous pas accru nos richesses artistiques de trois pièces capi-
tales : les beaux bronzes de M. Fratin et le tableau de mérite con-
sacré à la gloire du général Richepance ? Ce seul fait donne la mesure
de ce qu'il en pourrait étre, si les arts avaient leur temple dans
nos murs, et que les œuvres du génie fussent certaines d’y trouver
. un asile révéré.
Espérons enfin que le monument que nous allons élever à notre
illustre et trop négligé Fabert, sera un noble sujet d'émulation pour
le guerrier et pour le citoyen , et. en même temps une source d’ins-
pirations héroïques et vraies pour nos jeunes artistes. Si le monument
est bien compris, ce double but sera atteint, et là postérité applaudira
au judicieux emploi que nous aurons su faire de nos deniers.
Nos arts ont donc de l'avenir , si les hommes répondent aux choses,
si les artistes de la Moselle, secondés par de si nombreux et de si
puissans motifs d'encouragement , savent s'élever à la hauteur de leur
mission , et reconnaître le véritable champ que l'art en province est
appelé à parcourir.
Nous sommes trop à l'écart pour qu'il nous appartienne de tracer
au talent une route, où le génie seul a droit de servir de guide;
cependant, si nous interrogeons les plus nobles et les plus naïves
tendances parmi celles que nous voyons se manifester âutour de nous,
il nous semble qu'ilenest de l'art, dans les provinces, comme il en
est de la littérature, comme il en est de l’histoire. Etudier la localité
pour la mettre en relief avec sa physionomie native , telle est la tâche
dévolue au poëte, à l'historien , à l'artiste, quel qu’il soit, fixé par
le sort ou par ses propres affections sur quelqu'un des points de cet
orbe immense que Paris a la prétention de représenter exclusivement
en disant , comme autrefois le plus superbe de nos monarques : l'état,
c’est mot.
Le caractère commun de nos arts modernes, c’est précisément de
60
474 MÉMOIRES ET PIÈCES.
one de caractère. Comme les artistes sont tous agglomérés sur
le même point, ils n’ont tous sous les yeux qu ’un seul et même type 4
reproduit sous mille aspects divers, mais toujours et toujours le même;
ou bien, pour en sortir, ils s'aventurent dans le domaine vague de
l'imagination , ils font du fantastique , et nous offrent pour du vrai une
nature bizarre et monstrueuse qui n'existe que dans leur cerveau.
Or chaque localité a son ciel, son sel, ses eaux , sa végétation, ses
accidens de terrain ou de lumière; chaque contrée a ses monumens,
son architecture; chaque province ses mœurs, ses usages , ses sou—
venirs, chaque population son costume , son allure, ses sympathies,
ses répugnances, surtout son type caractéristique et distinctif. Eh
bien , c’est tout cela qui doit être reflété , reproduit, avec une candeur
énergique, par l'artiste plongé , pour ainsi dire , dans cette atmosphère
natale, pleine de vie simple et de franche originalité.
Nous suivons peu, il faut le dire, cette marche si naturelle. Do-
minés , entraînés par l'influence de la capitale, nous cheminons ti
midement sur ses traces, nous nous réglons sur ses modèles ; nous
subissons l'empire de ses modes , de ses préjugés, de ses caprices ;
ce qu’elle hait, nous le haïssons; ce qu’elle aime, nous l’aimons;
ce qu’elle fait, nous le faisons après elle, et toujours moins bien
qu’elle, précisément parce qu’au lieu de prendre l'initiative dans
la part de travaux qui nous est réservée, nous nous mettons humble-
ment à sa remorque.
Jeunes talens que la province voit éclore de toutes parts , pensez-y
bien , comme l'historien, il faut que l'artiste aille aujourd'hui puiser
aux sources. Or les sources, pour vous, ne sont ni dans les archives
poudreuses , ni dans les savantes galeries, ni dans les portefeuilles
vermoulus ; elles sont partout, sous le ciel, dans vos hameaux, sur
vos côtes, sur vos montagnes; elles sont dans vos ateliers et dans
vos places publiques. Elles seront aussi , du moment où vous posséderez
bien le type national, dans les réciis de vos chroniqueurs, dans
les traditions du foyer de vos péres.
Secouez donc un joug que vous vous êtes imposé vous-mêmes , et qui
comprime votre essor, bien loin de le favoriser. Mais rappelez-vous
surtout que si les arts ont pour objet de décorer, d'embellir la demeure
des hommes, ils ont aussi pour mission de révéler la vie, dont ils
sont la manifestation la plus vive, d'exprimer le vrai et le beau dans
l'ordre moral comme dans l’ordre physique, d'inspirer tous les nobles
sentimens , de consacrer tous les actes généreux , de faire aimer, en
un mot , et yénérer tout ce qui a droit à l'amour et à la vénération.
CINQUIÈME SECTION. 475
MÉMOIRE
SUR
LES QUESTIONS SUIVANTES:
& 4° Quelle part convient-il d’assigner aux sciences et aux lettres
> dans l’enseignement de ‘la jeunesse ?
»> 2° Quelles conditions doit remplir l’enseignement des unes et
» des autres, pour atteindre le but qu’il se propose? >»
Par M. le comte DU COETLOSQUET.
Messieurs,
On a souvent agité la question de prééminence entre les sciences et
les lettres: question oïseuse, que chacun résoudra dans le sens le
plus conforme à ses facultés naturelles et à la disposition particulière
de son esprit, et sur laquelle on se débattra pendant des siècles
entiers , avant que des argumens, plus ou moins plausibles, manquent
aux disputeurs.
Une question plus solidement utile est celle-ci: Rechercher de
quelle manière les sciences et les lettres concourent à former l'in-
476 MÉMOIRES ET PIÈCES.
telligence et le cœur de l'homme; et quelle part il convient d’assigner
aux unes et aux autres, dans l’enseignement de la jeunesse.
Cette question est immense, et je n'ai pas l'ambition de chercher
à la résoudre complèternent. J’essaierai seulement de vous soumettre
quelques aperçus sur le sujet qu’elle embrasse ; cela fait, j'indiquerai
plusieurs règles qui me paraissent devoir être observées dans l'en
seignement et des lettres et des sciences , pour qu’elles puissent remplir
leur noble destination.
Avant d’entrer en matière, il sera à propos de présenter quelques
considérations préliminaires.
L'homme est un composé de deux substances unies entr'elles, sur
cette terre, par un lien mystérieux, incompréhensible, mais dont
le sens intime , l'expérience de tous les instans nous révèle l'existence :
l'une , matérielle, sujette à la décomposition et à la mort; l’autre,
simple, indivisible, incorruptible, immortelle: celle-là destinée à
servir, esclave souvent fächeux , indocile, et toutefois indispensable ;
celle-ci portant, au milieu des liens qui l’enveloppent, les marques
glorieuses de son origine et de sa fin céleste. De là, deux sortes
de besoins pour l'homme: les uns physiques et les autres moraux ;
de là aussi deux espèces de devoirs : devoirs envers le corps, et
devoirs envers l’âme.
Si maintenant nous demandons quelle doit être la matière de l’en-
seignement, la réponse sera facile: Toutes les connaissances qu’il
est utile à l’homme d'acquérir. Entendons-nous bien toutefois sur la
Signification exacte de ce mot wtrle; ear il a deux acceptions bien
différentes. Queïquefois il s'emploie dans un sens limité aux intérêts
matériels de la vie; c’est ainsi qu’on doit l'entendre toutes les fois
que, dans le langage, il est mis en opposition avec le juste ou l'Aon—
néte. Le second sens, beaucoup plus large, embrasse tout l'ensemble
des devoirs de l’homme ; tout ce qui contribue soit à son bien-être
physique, soit à l'amélioration de ses mœurs. C’est cette dernière
acception qu'a envisagée l'Académie de Metz, lorsqu'elle a adopté
ce mot /’Utile pour devise. C’est encore évidemment la même accep-
tion qu’il doit recevoir dans la phrase où il a été placé tout-à-l’heure.
Poursuivons. — Quelles sont les connaissances qu'il est utile à l’homme
d'acquérir ? — Cette question, on le sent bien, se complique ; et sa
solution doit varier suivant qu’elle s'applique à l’homme placé dans
telle ou telle condition sociale.
Posons d’abord un fait incontestable : le travail est une loi générale
imposée par le créateur à tous les hommes ; mais en quoi consiste-t-il?
CINQUIÈME SECTION. 477
Pour la presque totalité du genre humain, c'est le travail manuel;
pour un petit nombre, qui jouissent d'une position indépendante,
le travail de l'intelligence. Est-ce donc à dire que la culture de
l’âme soit un privilége réservé exclusivement à quelques êtres fortunés,
et que le reste des individus de notre espèce soit destiné à laisser
croupir misérablement, dans la fange de l'ignorance, la plus noble
portion de son être? Loin de nous, Messieurs, un tel blasphème :
hâtons-nous de proclamer que, pour tout homme, même placé dans
les conditions les moins favorables , il doit y avoir un enseignement
intellectuel à sa portée, el qui satisfasse à ses besoins les plus es-
sentiels.
Cet enseignement, c'est, en premier lieu, l'instruction religieuse.
Tous les législateurs ont senti qu’elle devait présider à l'éducation de
la jeunesse, sans distinction des conditions de fortune ou d’indépen—
dance : pouvait-il en étre autrement en France, où l'immense ma—
jorité des citoyens professe une religion qui tient à honneur d’avoir
admis, au rang de ses disciples, les bergers avant les rois; une
religion, dont le livre sacré a ce double caractère : de fournir aux
esprits les plus sublimes un texte inépuisable de méditations, et
d’être , par sa simplicité, accessible aux intelligences les plus bornées ?
Aussi la loi sur l'instruction primaire du 28 juin 4833, a-t-elle
placé (Art. 4%), l’Znstruction Morale et Religieuse en tête du pro—
gramme des objets que comprend nécessairement l'Instruction pri-
maire élémentaire, celle qui doit être donnée dans toute commune sans
exception, au moyen d’une école au moins qu’elle entretient, soit
par elle-même, soit en se réunissant à une ou plusieurs autres
communes voisines (Art. 9).
Les autres objets dont se compose le programme de l'instruction
primaire élementaire , sont : la Lecture, écriture, les élémens de la
langue française et du calcul, et le système légal des poids et
mesures (Art. 1”).
De plus, la même loi, dans la vue de combler une lacune essentielle
qui existait entre l’enseignement primaire et le secondaire (celui
qu’on recoit dans les colléges *), a institué, sous le nom d'Instruction
primaire supérieure , un second degré d'enseignement qui sera pra—
tiqué au moins dans les villes chefs-lieux de département, et dans
celles dont la population excède six mille ames (Art. 40).
* Avant la loi de 1833, cette lacune avait été comblée dans quelques rares localités, et
notamment à Metz, par les Cours industriels , institués en 1825, sous les auspices de l’Académie,
et professés avec succés par plusieurs de ses membres.
478 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Le programme de ce second degré d'enseignement, donné pareil
lement par la loi, comprend Les éemens de la géométrie et ses ap—
plications usuelles, spécialement le dessin linéaire et l’arpentage ; des
notions des sûiences physiques et de l’histoire naturelle applicables aux
usages de la vie; le chant; les élémens de l’histoëre et de La géo
graphie, et surtout de lhistowre et de la géographie de la France
(Art. 1%),
Les deux programmes que nous venons de copier ne sont, au
surplus, qu’énonciatifs et non limitatifs, puisque, aux termes de la
loi, selon Les besoins et Les ressources des localités , l'instruction
primaire (soit élémentaire soit supérieure), pourra recevoir Les déve—
doppemens qué seront jugés convenables * (Même article).
Voilà donc les deux premiers degrés d'instruction, qui présentent
un système bien lié dans ses diverses parties. D'abord l'enseignement
élémentaire, en même temps qu'il pourvoit aux besoins essentiels de
l'âme qui doivent passer avant tout, fournit à l’ouvrier, à l'artisan
des villes ou des campagnes, le petit nombre de connaissances qui,
dans l’étal actuel de la société, lui sont, sinon absolument indis-
pensables, du moins trés-utiles pour gagner sa vie. Cet enseignement
devait être, et il est en effet accessible à tous, sans exception ,
puisque ceux des élèves de la commune que le conseil municipal
reconnait ne pouvoir, à raison de leur indigence, payer aucune
rétribution, sont admis gratuitement dans l'école élémentaire (Art. 44).
Vient ensuite un second degré d'instruction, un peu plus relevé,
au moyen de laquelle les enfans pourront aspirer à devenir des ou-
vriers distingués dans un art mécanique quelconque , des chefs d'ateliers,
des commis dans une maison de commerce ou une administration,
- * A Metz, l'instruction primaire a reçu, dans les écoles municipales, un assez grand
nombre de développemens.
4° L'instruction primaire élémentaire y comprend, outre les objets désignés au paragraphe 2
de l’article 4er de la loi, le dessin linéaire à vue, et un covrs primaire de musique vocale;
2° De même, pour l'instruction primaire supérieure, on a ajouté , aux objets énancés au
paragraphe 3 du même article, des élémens de mécanique et de cosmographie ;
3° Les jeunes ouvriers qui sortent de l’école primaire supérieure, sont admis à suivre les
cours dits industriels supérieurs, dans lesquels ils reçoivent une instruction plus développée
en géométrie, en physique et en mécanique, et, de plus, des notions d’algèbre , d'arithmélique
des spéculations , de géométrie descriptive et de chimie ;
4° Pour mettre à même les jeunes ouvriers qui n'auraient pas joui, dans leur enfance,
du bienfait de l'instruction élémentaire, de pouvoir suivre les cours ci-dessus, on a créé
pour eux des cours industriels élémentaires, qui comprennent à peu près les divers objets
enseignés dans les écoles primaires élémentaires.
b Enfin une école des arts ou de dessin et une école de musique, fondées et entretenues
pareillement par la ville, complètent, à Metz, le vaste plan de l’enseignement, indépendant
de” celui dit secondaire , ou des collèges,
CINQUIÈME SECTION. | 479
ou à exercer quelque autre emploi honorable et lucratif. Cette ins-
truction est accessible, et aux enfans nés dans une position pécuniaire
un peu plus favorable que les premiers, et aussi à ceux qui, dé-
pourvus de moyens d'existence, auront annoncé, dans Je cours de
l'instruction élémentaire, des dispositions particulières pour l'étude :
car c’est cette classe intéressante qu'a eue en vue la disposition sage
et bienfaisante de la loi, qui porte que, dans les écoles primaires
supérieures, un nombre de places gratuites, déterminé par le conseil
municipal, pourra étre réservé pour les enfans qui, après concours,
auront été désignés par le comité d'instruction primaire, dans les
familles qui seront hors d'état de payer la rétribution (Même article).
Au-dessus de ces deux degrés d'instruction, il en est un troisième
que nous avons déjà eu occasion de nommer : c'est ce qu’on désigne
sous le titre d’Instruction Secondaire ; elle se donne dans les colléges,
et elle embrasse proprement les sciences et les lettres. Ainsi nous
voilà arrivés naturellement à l'examen de la question que nous nous
sommes proposé de traiter.
Ici il se présente une observation qui demande à être placée en
premier ordre. Les deux branches de l'instruction primaire , — l’élé-
mentaire et la supérieure , — se lient entr'elles , ainsi que nous l'avons
vu; de manière à ce que la seconde soit le complément de la
première : une liaison analogue ne devrait-elle pas avoir lieu entre
l'instruction primaire supérieure et l'instruction secondaire ? et cette
liaison existe-t-elle? l'instruction secondaire est-elle bien le com-—
plément de celle qui, dans l’ordre naturel, vient immédiatement
avant elle ? celle-ci l’a-t-elle précédée toujours dans la réalité ? a-t-elle
même pu toujours la précéder ? Sur la masse des enfans qui, au
renouvellement d'une année classique, entrent pour la première fois
dans un collége, une portion considérable, plus de la moitié peut-
être, appartient à des parens qui habitent ou la campagne, ou
une petite ville au-dessous de six mille ames, dans laquelle il n’existe
pas une école primaire supérieure. Comme il n'y a pas de pensionnat
attaché à ces dernières, les parens n’ont pu, pour la plupart, faire
jouir leurs enfans de l'instruction qu’on y recoit. Et, parmi ceux
mémes qui avaient cette ressource à leur portée, combien n’auront
pas jugé à propos d’en profiter, regardant cette instruction comme
au-dessous de leurs enfans, comme faite pour des classes inférieures
à la leur!
Je souhaiterais donc que, dans chaque collége , il y eût des cours
préparatoires comprenant tout ce qu’on enscigne dans les écoles pri-
480 MÉMOIRES ET PIÈCES.
maires supérieures ; et que chaque enfant , qui est présenté pour entrer
au collége, füt obligé de commencer par suivre ces cours, à moins
qu'il ne justifiät de les avoir suivis dans une école commuünale, ou
d’avoir appris chez ses parens les matières qu'ils embrassent, et que,
de plus, dans l’une comme dans l’autre hypothèse , il ne fût constaté,
par un examen préalable, qu’il possède bien cette instruction. Par
là on blesserait peut-être la sotte vanité de quelques parens, qui
visent à donner à leurs enfans une instruction plutôt brillante que
solide ; mais, en vérité, je ne crois pas qu'il y ait là un grand mal.
Passons aux objets qui sont la matière de l’enseignement dans les
5
colléges. Ils se divisent naturellement en deux grandes catégories : les
sciences et les lettres. La partie qui est assignée à chacune d'elles,
est-elle établie dans une juste proportion ? l’ordre dans lequel on
les enseigne les unes et les autres, est-il bien le plus convenable? Il
n’est aucun de nous, Messieurs, qui ne se soit adressé ces questions
plusieurs fois dans sa vie, qui n’en ait été plus ou moins préoccupé ;
elles ont été souvent agitées, elles ont fourni matière à des disser-
tations savantes et ingénieuses ; elles ont même été, à la tribune
nationale, l’occasion d’une lutte animée, également remarquable par
l'illustration qui s’attache au nom des deux athlètes, et par l’éloquence
qu'ils y ont déployée de part et d'autre.
U ya deux points de fait, qu'après toutes ces discussions on peut
regarder comme bien établis: l’un, que dans l’enseignement des
colléges la part la plus large, la part prépondérante est faite aux
lettres ; l’autre, que l’enseignement des lettres, en France, se com-—
pose presque exclusivement, outre l'étude de la langue maternelle,
de celle de deux langues anciennes : le latin et le grec. Quant aux
langues modernes , autres que le français, l'étude n'en est qu'acces-
soire, souvent même facultative : et l’on sait quel fond, en général,
il faut faire sur une étude laissée à la faculté des élèves.
Cela posé, il est évident que la difficulté réside essentiellement
dans la grande extension donnée à l'étude des langues anciennes
(car, pour ce qui est de celle du français, personne n’a songé sérieu—
sement à en contester la haute importance, ou à se plaindre qu'on
y consacrât trop de temps dans le cours des études classiques).
Jci M. du Coëllosquet présente quelques considérations détaillées sur le peu de fruit que
retirent, en général, de l’étude des langues anciennes, la plupart de ceux qui ont fait
leurs classes; puis il ajoute:
Et cependant, ils seront sortis du collège, avec une ignorance
complète sur une foule de choses qu'il leur serait très-utile de
CINQUIÈME SECTION. 481
savoir. Ainsi; pour prendre quelques exemples au hasard entre beau-
coup d'autres, ils seront à la merci des gens d’affaires pour leurs
_procës, à la merci des architectes pour leurs constructions , elc., etc.
Est-ce donc à dire que je veuille faire, de tous les jeunes gens entrant
dañsle monde, autant d'avocats ou d'architectes ? — Non, sans doute ;
mais autre chose est d’être en état d'exercer une profession quelcon- :
que, autre chose d'en connaître la langue, et de pouvoir apprécier
le fort ou le faible de tel argument, les avantages ou les inconvé—
| miens de tel projet: et c’est là le point où je voudrais que tous
arrivassent. Si nos intérêts personnels étaient seuls à souffrir de notre
ignorance, ce ne serait encore là qu’un mal assez léger. Mais vous
voilà appelé à prononcer, comme juré, sur une accusation de ban-
queroute frauduleuse ; et la langue commerciale vous est étrangère,
et vous n'avez pas seulement la moindre idée de la tenue des livres
de commerce ! — Ou bien encore, la confiance de vos concitoyens
vous a donné l'honorable mission de défendre les intérêts de la
cité dans un conseil municipal. Il est question d’une construction
importante; un devis passe sous vos yeux ; force est à vous de
l'approuver de confiance; et votre ignorance , complice en cela
de l’ineptie d’un architecte, va entrainer une ville dans des dé-
penses inconsidérées ou mal entendues. — Ce que je viens de dire
s'applique, avec plus de force encore, aux fonctions supérieures de
l'administration. N'est-ce pas une chose dérisoire et vraiment dé-
plorable, que les préfets soient appelés tous les jours à approuver
des devis, et qu'on n'exige pas d’eux les plus légères notions d’ar—
chitecture? ou bien encore qu'ils aient à prononcer sur une foule de
questions relatives à des cours d'eau, tandis qu'ils sont, pour la plupart,
totalement étrangers aux premiers élémens de la mécanique ?
L'ignorance dont je me plains est donc très-souvent préjudiciable
aux hommes qui ont fait leurs études classiques ; elle l’est surtout à
ceux d’entre eux qui exercent des fonctions publiques. J'ajoute qu’elle a
pour tous un autre inconvénient, qui, bien que moins important, ne
laisse pas d’être réel: c'est de les priver d'une foule de jouissances
de l'esprit, qu'un degré de plus d'instruction les eût mis à même
de se procurer. Que de fois, par exemple , m’est-il arrivé, en visitant
une usine, en regardant une machine quelconque, d’envier le sort
de ceux qui étaient en état d’en saisir le mécanisme , et de se rendre
compte de ses avantages ou de ses défauts ! Que de fois encore,
en assistant à une réunion de gens instruits, qui discouraient entr'eux
sur un objet relatif à une science quelconque (la géologie par exemple,
6x
482 MÉMOIRES ET PIÈCES.
ou la chimie, où la musique), ai-je éprouvé un dépit secret, de ne
pouvoir, non-seulement me méler à la conversation, mais même pro
fiter de ce qui se disait, tout cela faute de quelques notions géné—
rales, qu'il m’eüût été facile d'acquérir, dans le cours de mes études
classiques !
Si, de tout ce que je viens de dire, on se hâtait de conclure
que, dans mon opinion, l'étude des langues anciennes dût étre
supprimée de l’enseignement des colléges, on s’abuserait beaucoup.
Une telle pensée a toujours été, elle est encore bien loin de mon
esprit. Tout en retranchant beaucoup de la part excessive, à mon gré,
qu’elles occupent dans cet enseignement, je leur en laisserais encore
une bien belle. Je vais résumer, en peu de mots, les modifications
que je désirerais voir adopter dans leur étude.
4° Je me bornerai à mentionner.ici, pour mémotre , le vœu que
j'ai émis dans un autre endroit, que nul enfant ne fût admis à
commencer les classes de latin et de grec, avant d’avoir suivi tous
les cours qui se professent dans les écoles primaires supérieures.
20 Je voudrais que l'étude des langues anciennes füt considérée
en quelque sorte comme une #nstruction secondaire supérieure, destinée
seulement à ceux qui devront parcourir, dans son entier, le troisième
degré de l'instruction, Parmi les langues modernes étrangères qui
sont, ou tout-à-fait négligées dans les colléges, ou traitées d’une
manière trop superficielle, il en est trois (l'allemand, l'anglais et
l'italien), qui, sous le rapport de la littérature, offrent à peu près
les mêmes avantages que les deux langues classiques , et qui, de plus,
ont celui de servir de moyen de communication avec celles des nations
voisines ayec qui nous ayons de plus fréquentes relations ; par con—
séquent, leur étude n’a pas pour unique objet de cultiver et d’orner
l'esprit, elle peut, dans une foule de circonstances, satisfaire à un
besoin réel. Je pencherais donc pour que l'étude des langues com-
mencät par celles-ci ; et, s'il était question d'opter, c’est à elles que
je donnerais la préférence. Mais tout ce que je demande, e’est un
partage à peu près égal.
3° Je souhaiterais encore qu'au lieu de commencer, à l’âge de
huit ou neuf ans, l'étude du latin et du grec, on attendit jusqu'à
douze ans au moins. L'étude théorique des langues est sans doute un
excellent exercice de l'esprit; mais ce n’est pas assurément pour l’en-
fance. D'ailleurs , faire pâlir pendant huit années de malheureux écoliers
sur un même objet, n'est-ce pas le moyen le plus sûr de les en
dégoûter ? Si de meilleures méthodes permettent de réduire ces études
CINQUIÈME SECTION. 493
à trois années au plus, et de répartir le surplus du temps qu'on y
consacre aujourd'hui sur d’autres non moins utiles, ne devrait-on pas
accueillir ces méthodes comme un bienfait? ( Nous reviendrons plus
tard sur ces considérations.)
4° Enfin je voudrais qu'on se bornât, dans l'étude des langues
anciennes , à ce qui est strictement nécessaire pour l'intelligence des
auteurs grecs et latins; car c'est là le seul but raisonnable qu'elle
puisse et doive avoir aujourd’hui. À quoi bon faire composer des
narrations latines, des discours latins ? Est-ce que, dans le cours
de leur vie, vos écoliers auront une seule fois occasion d'écrire dans
cette langue? Qu'ils s’exercent à écrire correctement et avec élégance
dans leur langue maternelle , voilà tout ce dont ils ont besoin. A plus
forte raison , je rejetterais les compositions en vers latins. On n’a jamais
prétendu que ce füt l'affaire des colléges de faire des versificateurs ;
mais des versificateurs dans une langue morte... ! ce serait en vérité
par trop étrange.
Je n'essaierai pas, Messieurs, de vous soumettre une espèce de
programme des matières qui devraient entrer dans un plan d'en—
seignement secondaire. Pour être traité d’une manière complète,
un tel sujet exigerait des développemens immenses; c’est une tâche
qui, Je le sens, excéderait mes forces. Je me bornerai, à mesure
que l'occasion s'en présentera, à indiquer sommairement quelques-
unes de ces maticres, à titre d'exemple, ainsi que je l'ai déjà fait
ailleurs. Ici, avant de passer plus avant, citons-en encore un ou deux
pour mieux nous faire comprendre.
Premier exemple. — Je voudrais (et je lai déjà fait pressentir),
qu'on recût dans les colléges quelques notions élémentaires de droit.
On sent assez, sans que j'aie besoin de le répéter, qu’il ne s’agit
pas ici de faire des avocats, ides jurisconsultes. Mais ne serait-il pas
éminemment utile que chaque homme , qui sort du collége pour entrer
dans la société, fût en état de pouvoir étudier quelque question de
droit que ce füt, à mesure que l'intérêt de ses affaires personnelles
l'exigerait, et d'apprécier s'il lui convient, ou non, d’intenter tel
ou tel procës? Pour cela, il est essentiel d'être familiarisé .avec la
langue du droit; et c'est ce qui pourrait avoir lieu dans un cours
élémentaire de quelques mois. Il s'agirait de donner des notions gé-
nérales sur les différentes parties dont se compose le code civil par
exemple ; de classer les différens titres, et, à chaque titre, les prin—
cipaux points dont il y est traité, dans un ordre plus méthodique
que celui du code ou de ses commentateurs , de manière à s’en former
484 MÉMOIRES ET PIÈCES.
un plan régulier; et, quant aux questions particulières de quelque
importance, d'indiquer seulement l’article du code qui les décide,
et, de plus, s'il y a lieu, les arrêts ou les opinions des jurisconsultes
à consulter. On devrait s'arrêter un peu plus sur les questions de
propriété et de servitudes , si importantes pour les personnes destinées
à habiter la campagne : indépendamment du profit qu’elles en tire
raient pour leurs intérêts personnels, n’y aurait-il pas un avantage
inappréciable à ce qu’elles fussent en état de donner des consultations
gratuites aux pauvres cultivateurs du voisinage, et de prévenir par
là bien des procès? — Ce qui vient d'être dit du code civil, s'ap-
plique également au code rural, au code forestier, au code de com-
merce , etc. ù
Second exemple. — Je voudrais encore, dans l’enseignement des
colléges , quelques notions de médecine. Ici, Messieurs, je prévois
une objection qui se présente naturellement, et elle est extrêmement
graye. — Quoi donc ! prétendez-vous faire sortir des bancs du collége
une nuée d’assassins ; de bourreaux ? S'il est une science où des études
approfondies soient indispensables , où le demi-savoir soit dangereux ,
n'est-ce pas surtout celle qui vient d’être nommée? là l'erreur n’est
pas seulement préjudiciable , elle est funeste , elle peut être mortelle. —
Sur tous ces points je suis parfaitement d'accord: aussi ai-je besoin
d'expliquer nettement toute ma pensée. Non, sans doute, je ne
prétends point faire des quasi-médecins : ce que je désire, et ce vœu
n'a, je crois, rien que de raisonnable, c'est qu’un jeune homme
qui a fait ses classes soit en état de rendre service à ses semblables,
quand ils viennent à éprouver quelques-uns de ces accidens assez
communs , à la suite desquels le mal fait souvent des progrès trop
rapides pour qu'il soit possible d'attendre les secours du médecin,
surtout à la campagne: tels sont les cas de noyade ou d’asphyxie,
d'empoisonnement , de morsure d'animaux venimeux, etc. N'est-ce
pas chose déplorable que la malheureuse victime périsse au milieu
de ses proches et d'une foule d'étrangers, qui tous, ou ne savent
quel genre de secours apporter, ou prennent les moyens diamétrale-
ment contraires à ceux qui conviendraient? Et voilà pourtant ce qui
arrive tous les jours. — Et quant à d’autres accidens moins graves,
tels que coupures, brûlures, foulures, etc., n'estil pas honteux
d'ignorer le remède à employer , remède qui souvent est à notre
portée ? On attend l’arrivée d’un homme de l’art; et , dans l'intervalle,
la plaie s’envenime, et la guérison en devient plus lente et plus
difficile. — Une étude qui se lie étroitement à la botanique, c'est
CINQUIÈME SECTION. 485
la connaissance des simples et de leurs vertus spécifiques. J'ai connu
des personnes bienfaisantes qui, destinées à habiter la campagne,
s'y étaient composé une petite pharmacie, et étaient devenues en
quelque sorte la providence visible des malheureux : toute personne
riche et instruite ne devrait-elle pas étre en état d’en pouvoir faire
autant ?
Je passe , Messieurs , à la discussion des objections contre le plan
d'études que j'ai indiqué.
Première objection : Un telplan est beaucoup trop vaste : il est im-
possible, dans le cours des années consacrées aux études classiques,
d’embrasser une aussi grande multitude d'objets.
Réponse : 4° Il ne s'agit pas, comme on pourrait étre tenté de le
croire au premier apercu, de surcharger la tête des enfans d’un travail
excessif; mais de mieux répartir le temps, et d'employer au profit
d’un certain nombre d’études trop négligées, malgré leur utilité in
contestable, ce qui, dans l’état actuel des choses, est donné par
excès à deux langues anciennes.
2 Notons encore que la variété des études est par elle-même un
attrait, et qu'elles se servent mutuellement à faciliter l'intelligence les
unes des autres, pourvu qu'elles ne soient pas envisagées isolément ,
mais qu’on ait soin d’embrasser leurs rapports respectifs. Pour les
langues, par exemple, n'est-il pas hors de doute que plus on en
sait, moins on éprouvera de difficultéssà en apprendre une nouvelle ?
Ainsi du reste.
3° D'ailleurs il ne faut pas s’abuser sur la durée que peut exiger
l'étude élémentaire des sciences d'observation, telles que l’Aistoire
naturelle.
Pour éclaircir sa pensée, M. du Coëtlosquet prend pour exemple une des branches de
Vhistoire naturelle, la Botanique; et il trace le plan d’un cours élémentaire, comprenant
les notions nécessaires pour apprendre aux enfans la langue de cette science; et pour mettre
ceux qui en auraient le goût et l’aptitupe, à portée de profiter des occasions favorables qui
se présenteraïent plus tard pour Papprofondir. Un tel cours n’exigerait pas plus de vingt
ou trente lecons,
4° Quant aux sciences mêmes qui se composent à la fois d'observa-
tion et de calcul, et qui, par là , paraissent plus difficiles à acquérir ,
telles que la physique , V'astronomie , etc., il ne faut pas non plus
s’exagérer la difficulté. Dans l'astronomie , par exemple, les calculs
présupposent la connaissance des mathématiques supérieures ; les ob-
servations exigent beaucoup de temps, une grande patience, une
habitude . péniblement acquise: mais, dans un cours élémentaire,
486 MÉMOIRES ET PIÈCES.
tel que celui que je propose , de quoi s'agit-il ? Sauf un petit nombre
d'observations faciles qu'on constate , on admet celles qui ont été faites,
ainsi que les formules de calculs démontrées par les sayans ; et l’on
part de ces données pour expliquer le système du monde: rien de
plus simple , comme de plus attrayant *.
2° Une grande partie de ces études peut et doit être envisagée
comme un objet de distraction. Ainsi, les jours de congé, pendant
l'été, au lieu de se promener sur une grande route, ou de s'arrêter
dans une prairie pour jouer aux barres, les enfans ne pourraient-ils,
sous la direction d’un professeur, s'occuper, ou plutôt s'amuser à
faire des herborisations ? Ne serait-ce pas un moyen sûr d’allier l’utile
à l’agréable, l'instruction au plaisir? Chacun se ferait un herbier ;
celui qui aurait réussi à enrichir le sien de quelque plante rare, en
serait heureux et fier. Le professeur aurait soin d’expliquer à propos les
propriétés nutritives, médicinales où vénéneuses des diverses plantes.
— D'autres fois, les excursions auraient pour objet la recherche de
minéraux ou de pétrifications , ou l'examen de la formation des couches
géologiques de la contrée: ce serait un objet non moins amusant ,
et plus utile encore peut-être, surtout si l’on a l'avantage d’être
placé dans un pays de hautes montagnes; dans le cas contraire,
on pourrait y suppléer, en faisant un voyage géologique au com-—
mencement des vacances. — L'hiver aurait à son tour ses récréations
instructives: ce serait tantôt un cabinet de physique , tantôt un la—
boratoire de chimie, tantôt un observatoire d'astronomie, etc. Si le
maître a le don de rendre ses explications attrayantes, ce seront la
pour les enfans des heures de fêtes: la permission de passer une
partie de la nuit à l'observatoire par exemple, serait accordée, à
titre de récompense, à ceux quise seraient le plus distingués pendant
la semaine, et deviendrait un moyen d’'émulation.
6° Enfin si toutefois il était démontré que tout ce que je demande
ne püt se faire dans l’espace de temps affecté aujourd’hui aux études
classiques , et qui se termine ordinairement vers l’âge de dix-sept
ou dix-huit ans, ne pourrait-on pas en reculer le terme de deux
ou trois années, et imposer des conditions d'âge plus élevées pour
l'admission dans les écoles militaires, comme dans celles de droit et
de médecine? Cela pourrait contrarier un peu les idées ambitieuses
de quelques jeunes gens, de quelques parens ; mais ÿ aurait-il là un
* Je citerai comme un modèle de cours élémentaire de ce genre, celui d'astronomie que
professe au Collége de France le respectable M. Binet,
CINQUIÈME SECTION. 487
si grand mal? Ne serait-ce pas un moyen de diminuer un peu l’en-
combrement des carrières publiques, dont on se plaint avec tant de
raison? et n'y aurait-il pas un avantage réel à ce que les jeunes gens
qui s’y précipitent à l'envi ne pussent y pénétrer qu'après être munis
d'une instruction plus forte et plus solide ?
Seconde objection : Que gagnerez-vous à charger la tête de votre
élève d’une si grande variété de connaissances ? vous allez en faire
ce qu'il y a de pire au monde, un demi-savant. Qui trop embrasse ,
mal étreint, dit un vieux proverbe ; et le proverbe a raison. Cet
élève aura des notions superficielles sur une foule de choses, et il
n'en possédera bien aucune. Qu'il apprenne peu de choses, mais
qu'il les approfondisse. Le temps des classes n’est qu'un temps pré—
paratoire ; il doit servir à exercer l'esprit, à faire contracter l'habitude
du travail: une fois qu’elle sera acquise, chacun apprendra, dans
la suite de sa vie, ce qu'il lui sera réellement utile de connaître , CU
égard à sa position particuliére.
Réponse : Je conviens qu'il est impossible , dans le cours des classes :
d'apprendre à fond toutes les sciences. Mais reste à savoir, lequel
des deux sera le mieux préparé à cette étude approfondie, de celui
qui sait le grec et le latin, et rien que cela, ou de celui qui aura acquis
les différentes notions élémentaires dont j'ai parlé.
— Vous allez faire des demi-sayans. — Non, encore non, mille fois
non. Le demi-savant, ce fléau de la société, qu'on redoute avec tant
de raison, c’est celui à qui (comme il n'arrive que trop souvent) , on
a appris des mots, et qui prétend juger des choses; le demi-savant,
c'est celui qui s’avise de discourir sur une matière, dépourvu qu'il
est de ces notions élémentaires, sans lesquelles il lui sera impossible
de recueillir ce qu'il entendra par la suite de plus approfondi, et
d’en faire son profit.
Mais allons plus loin. Pour l’immense majorité des hommes , quel
est le temps des études sérieuses ? Le temps des classes, et voilà
tout. On citera l'exemple de quelques hommes qui, dans la suite
de leur vie, et même à un âge avancé, n'ont pas dédaigné de se
faire écoliers pour acquérir la connaissance d'une science dont ils
ignoraient jusqu'aux premiers élémens. Mais que prouvent ces rares
exemples? N'est-ce pas là de ces exceptions qui, loin de porter at-
tente à la règle, la prouvent et la confirment?
Que de conditions en eflet ne faut-il pas réunir pour cela? Ré-
sumons-les en trois principales : l'occasion, le temps, la volonté.
Occasion. — Les uns, à la fin de leurs études classiques, sont
488 MÉMOIRES ET PIÈCES.
destinés à habiter la campagne, ou de petites villes, où il n'y a
nulle facilité pour s'instruire.
Temps. — D'autres, qui habitent Paris, ou une grande ville de
province, dans laquelle les moyens d'instruction abondent, ont un
état, un emploi qui absorbe la majeure partie de leurs journées :
peut-on s'attendre à ce que, sur le petit nombre d'heures de loisir
qu’il leur reste, ils retranchent une partie à la récréation, pour le
donner à l'étude ?
Volonté. — Parmi ceux-là même qui ont à la fois, et les moyens
d'instruction à leur portée, et tout le loisir nécessaire pour en profiter,
combien peu en rencontrera-t-on qui aient la passion de l'étude , et
une volonté forte pour s’y appliquer avec ardeur et persévérance ?
Supposons un homme dans la maturité de l’âge, et jouissant d’une
position indépendante, qui, honteux d'ignorer une foule de choses
qu’il lui serait utile de savoir, prenne la résolution de suppléer à
l'imperfection de sa première éducation ; il va s'établir à Paris pendant
deux ou trois années, il consacre à des études sérieuses ce temps que
tant d’autres dissipent dans le jeu , la débauche , ou les plaisirs frivoles
du monde: quelle impression pensez-vous que sa conduite va faire
dans sa ville-natale ? Les uns l’admireront , les autres se moqueront de
lui; pour ceux-ci ce sera un original , presque un fou; pour ceux-là,
ce sera une espèce de prodige: et toutefois, qu'y a-t-il, ce semble,
de plus naturel à l’homme que l'amour de la science, et le désir
de la posséder ? .
Que conclure de tout ceci? — Que c’est dans le temps des études
classiques qu’il est bon d’acquérir des matériaux, puisqu'on ne peut
“raisonnablement se reposer là-dessus sur le temps qui doit suivre.
Troisième objection. — L'étude des langues, et surtout des langues
anciennes doit être envisagée , moins sous le rapport des choses mêmes
qu'on apprend, que comme un exercice utile pour l'esprit: il est
prouvé par l'expérience que, de tous les procédés pour l'exercer,
celui-là est le plus fructueux.
Réponse. — Je crois que tous les genres d'exercices sont à peu prés
également fructueux , quand la méthode est bonne. Langues anciennes
ou modernes ; sciences exactes ou naturelles : toute partie quelconque
qui sera bien enseignée et bien étudiée, profitera. Choisissons, en
premier ordre, celles qui, dans le cours habituel de la vie, auront
plus d'occasions d’être appliquées ; si-ensuite il reste du temps, éten—
.dons davantage le cercle de nos connaissances : voilà, à mon gré,
la seule marche vraiment rationnelle.
CINQUIEME SECTION. 189
T1 est une quatrième objection qu'on ne fait pas tout haut, il est
vrai, mais dans laquelle git, je crois, la véritable difficulté, la seule
qui soit réellement sérieuse. Dans l'état actuel des choses, le per-
sonnel des professeurs est composé de telle manière, que l'immense
majorité, les neuf dixièmes peut-être, sont en état d'enseigner le grec
et le latin, et rien de plus : si vous abrégez considérablement le nombre
d’années affecté à l'étude des langues anciennes, et, chaque année,
le nombre d'heures qui lui est consacré, qu’allez-vous faire de tous
ces hommes recommandables ? Le prix d'une vie de travail et de
dévouement, peut-être usée par l'étude et par la pratique de l'en-
seignement , sera-t-il une réforme ? On sent ici que c'est par l’école
normale supérieure que les modifications demandées devraient com-—
mencer ; qu’il s'agirait, avant tout, de diriger les études des aspirans
au professorat, dans un sens qui correspondit mieux aux besoins
actuels de la société. Quant aux colléges eux-mêmes , les modifications
ne pourront être que graduelles, et accompagnées de certains mé-
nagemens indispensables ; mais il est temps de songer sérieusement,
avec sincérité, sans arrière-pensée, à entrer dans cette voie de
réforme.
J'ai annoncé en commencant, Messieurs, que je terminerais cette
dissertation, par indiquer quelques règles qui me paraissent devoir
être observées dans l’enseignement des sciences et des lettres.
Je considérerai ici successivement 1° les sczences exactes; 2° Les
langues ; 3° l'histoire ; 4° la philosophie.
SCIENCES EXACTES.
Il ne m'appartient point, je le sens, de parler ex professo sur
cette matière: aussi me renfermerai-je donc dans quelques considé-
rations très-sommaires.
1° Souvent dans l'étude des mathématiques pures , il arrive qu'après
la démonstration d'un théorème, l’écolier se dit, avec un certain
dépit : C’est fort beau assurément, mais à quoi cela servira-t-1l? Et
aussitôt l'ennui, le dégoût de s'emparer de son esprit. C’est ce que
je me souviens d’avoir éprouvé bien des fois.
Rien n’est plus propre à obvier à cet inconvénient grave, que de
prendre soin, après chaque théorème principal, d'en indiquer im—
médiatement les applications pratiques, soit aux lois de la nature,
soit aux arts mécaniques ou libéraux * ;
+ C'est ainsi qu'a été rédigé le traité de Géométrie de M. Bergery.
62
490 MÉMOIRES ET PIÈCES.
20 Une autre précaution essentielle, c'est de ne faire aucune dé-
monstration qui suppose l'usage de quelque instrument, sans que cet
instrument, ou son modèle en petit, soit mis sous les yeux. Ceci
est d'une haute importance, surtout pour la géométrie descriptive.
Certaines personnes sont douées de la faculté de voir Les objets dans
l’espace ; mais il en est d’autres (et je suis du nombre), qui ont
une peine infinie à s’y accoutumer : il faut donc que l’enseignement
s'accommode aux besoins de ceux-ci ; car peut-être tel élève qui était
destiné à devenir un savant distingué, se rebutera, et ne fera rien
du tout , si vous voulez aller trop vite. Ne regrettez donc pas le temps
que vous aurez consacré à accoutumer vos élèves à se figurer, sur
une surface plane, les objets en relief; pour cela, commencez par
leur mettre sous les yeux des modèles en relief, et ne supprimez
ces derniers qu'après que vous vous serez assurés qu’on est en état
de s'en passer: car, tant que cette Ztuition n'aura pas eu lieu,
toutes les démonstrations seront peine perdue; vous croirez avoir
gravé des idées dans la tête de l'élève, et vous n'y aurez fait
entrer rien autre chose que des mots: une fois, au contraire, que
vous serez arrivé à ce point, tout le reste n'offrira pas de difficulté
sérieuse.
Ayez de même des modèles en relief pour la cristallographie. —
Que les instrumens de physique soient aussi complets que possible,
en s’attachant toutefois moins à ceux qui servent à quelque expé-
rience curieuse, qu'à ceux qui aident à démontrer quelque propriété
importante des corps.
Pour les machines dont le mécanisme principal est à l’intérieur,
telles que les pompes à feu, je voudrais des modèles en verre.
Dans tous les cas, que le modéle soit exactement semblable à l’objet
qu’il est destiné à figurer. Ainsi, par exemple , on sent que c’est non—
seulement inutilement, mais bien mal à propos que, dans la plupart
des globes célestes, on à imaginé de représenter des figures d'hommes,
d'animaux, d'êtres fantastiques, avec lesquels les constellations n'ont
pas la moindre analogie : cette complication n'est propre qu'a em—
brouiller les idées et à engendrer la confusion.
On objectera que tout ce que je demande est fort bien, mais que
ce serait entrainer dans des frais excessifs, sinon pour les colléges
universitaires, du moiss pour les institutions secondaires privées. —
Mais d'abord , il faut distinguer avec soin, entre les instrumens né—
cessaires pour faire des expériences scientifiques, et ceux qui ont
uniquement pour objet de faciliter la démonstration de la science :
CINQUIÈME SECTION. 491
les premiers comportent nécessairement un degré de précision, que
les seconds n’exigent pas. à beaucoup près. Prenons pour exemple,
dans l’astromie , la Zunette méridienne , qui est un instrument d'un
prix excessivement élevé ; le modéle , tel qu’il en faut pour l'intelli-
gence des cours, est une bagatelle.
D'ailleurs, si la désignation des modèles et instrumens était arrétce
uniformément par l'Université pour tous les colléges royaux et commu-
naux de France, et que les chefs des autres institutions secondaires
l'adoptassent , il en résulterait nécessairement une grande économie
dans les prix. — Enfin, qui empécherait que, dans les grandes villes,
plusieurs institutions ne se réunissent pour acheter en commun ceux
qui seraient le plus dispendieux, en convenant de s'en servir tour—
àä-tour, à des jours et des heures divers ? *
LANGUES,
Ici se présente la question des méthodes destinées à abréger la
durée de l'étude des langues.
Parmi ces méthodes, il en est une qui, depuis quelques années,
a beaucoup occupé les esprits, et qui a été l’objet, tour-à-tour, d’un
engouement qui allait jusqu’au fanatisme, et de préventions aveugles.
Les préventions très-communes qui existent contre la méthode du
docteur Jacotot (vous avez compris, Messieurs, que c'est d'elle. que
je voulais parler), s’expliquent facilement par les causes suivantes :
1° Nom de méthode naturelle attribué à cette méthode par son
inventeur. — On a été conduit à se demander si et comment elle
concordait avec la marche de la nature elle-même. Est-il natwrel ;
s’est-on demandé, de rapporter tout ce qu’on apprend à un type
unique ? Est-il naturel de répéter chaque jour ce qu’on a appris,
non-seulement la veille, mais la surveille, mais depuis un nombre
illimité de jours ? etc. Est-ce ainsi qu’un enfant apprend sa langue
maternelle (car où chercher ailleurs la marche même de la nature) ?
Des discussions interminables se sont engagées sur ce point; on a
opposé argumens à argumens : il eût bien mieux valu les laisser de
côté, pour s'en tenir aux faits. Les progrés qu'on fait avec cette mé—
* Aux règles qui viennent d’être énoncées, on peut ajouter la suivante , que j'hésite à men-
tiouner , tant elle paraît minutieuse ; et toutefois je crois qu’elle est loin d’être sans importance.
Dans un ouvrage littéraire, on regarde comme un mérite l’art avec lequel l’auteur a ménagé
les transitions : dans un livre élémentaire, au contraire, les transitions ne valent rien, A
chaque changement de matière, un alinéa: à chaque membre d’une division, un numéro
d'ordre: de cette manière, l’enseignement se présentera sous une forme synoplique, etil sœ
gravera aisément dans la mémoire,
499 MÉMOIRES ET PIÈCES.
thode sont-ils rapides? voilà ce qu'il était essentiel de signaler :
quant au pourquoi, au comment de ces progrès, cela n'avait qu'une
importance secondaire ;
2° Style bizarre, capricieux, dont l’auteur de la méthode s’est
souvent servi pour développer ses idées. — Telles sont, par exemple,
ses deux fameuses propositions : Tout est dans tout ; — Rien nest
dans rien; qui ont souleyé contre lui des flots de critiques et de
sarcasmes *. Et’ pourtant la première n’est autre chose que l'énoncé,
sous une forme insolite et peu correcte de langage, d'un principe
que personne ne scnge sérieusement à révoquer en doute; sayoir :
que dans l’ordre moral, aussi bien que dans l’ordre physique, tout se
lie, tout s'enchaîne, tout se coordonne ; qu'entre les objets même
qui paraissent le plus hétérogènes, il existe des rapports peu apparens
peut-être, mais réels, et que le soin de les saisir est un des exercices
les plus utiles pour l'esprit ;
3° Principes erronés que l’auteur a soutenus en développant sa
méthode. — Telle est cette trop fameuse proposition, qu'il défend
avec un acharnement inconcevable, et qui ne mérite pas méme l’hon-
neur d’une réfutation sérieuse : Toutes les intellisences sont égales.
Que le lesteur, après l'avoir entendu développer, commenter sous
cent formes diverses, ferme le livre de dépit ; qu'il se hâte de pro-
noncer que l’auteur est un fou; cela se conçoit aisément. Mais, au
fond , elle est tout-à-fait étrangère à la méthode ; par conséquent, la
réprobation que mérite l’une ne doit pas influer sur le jugement à
porter à l'égard de l'autre ;
4° Extension outrée donnée à la méthode, dans son application à
diverses études. Ainsi, pour les langues , dont l'étude grammaticale
n’est réellement qu'une sorte de mécanisme, on concoit qu’elle puisse
être excellente. On a pu encore en faire des applications plus ou
moins heureuses aux principes de la musique, aux sciences exactes ou
naturelles, ete. Mais, toutes les fois qu'il s'agit d’un genre d’études,
qui a pour objet d'exercer l'imagination (comme les belles-lettres ou
les arts libéraux), vouloir forcer l'élève à tout rapporter à un type
unique que le maître lui a donné, c'est, à mon sens, un procédé
détestable. Celui qui, pour développer un sujet de composition oratoire,
aura besoin de le comparer préalablement à tel ou tel morceau de
* Ces deux fameuses propositions n’ont pas le mérite de la nouveauté. Montaigne, dans
V'Apologie de ‘Raimond' de Sebonde, après s'être moqué de certain système ridicule de deux
philosophes grecs, conclut ainsi: « .…. Qui est dire que tout est en toutes choses, el, par
conséquent, rien en aucune; car rien n’est, où tout est, »
CINQUIÈME SECTION. 193
Télémaque, peut être assuré à l'avance qu'il ne fera rien autre
chose qu’une méchante rapsodie, qu’un assemblage insipide de lieux
communs. Pour la grammaire, la versification, le solfége, qu'on
procède par voie d'imitation, rien de mieux ; pour l’éloquence , pour
la poésie, pour la composition musicale, c’est tout autre chose : il
faut de l'élan, il faut un libre essor laissé à l'imagination, il faut
de l'originalité. Point de génie qui ne soit original. Aussi, où l'esprit
de système a-t-il fini par conduire M. Jacotot? — Il la conduit à
soutenir que le génie n’est qu'un mot vide de sens: paradoxe qui a
soulevé contre lui une réprobation non moins vive, que celui sur
l'égalité des intelligences. Cette fois, la réprobation frappe justement ,
non contre la méthode même, mais contre son abus ;
5° Enfin extension outrée de la méthode, même dans le genre
d'études auquel elle s'applique le mieux. — Les anciennes méthodes
commencaient par les règles, et c'était un mal; M. Jacotot veut
les supprimer tout-à-fait, et c'est mal encore. Comme principe des
connaissances à acquérir, les règles ne valent rien ; comme résumé
des connaissances acquises, elles sont excellentes.
M. Jacotot ne veut Hi de grammaire. Moi je désire que la
grammaire soit toujours à côté de l’élève, mais non pour être apprise
mot à mot, et de suite, comme dans les anciennes méthodes. Qu'il
commence par apprendre par cœur, et par traduire un auteur ; qu’ à
mesure qu'il traduit une phrase , il s’accoutume à distinguer du radical
la terminaison ; qu'il cherche dans la grammaire la raison de cette
dernière : de la sorte , il aura appris , avant peu de temps, les décli-
naisons et les conjugaisons, et il saura rattacher chaque cas du nom,
chaque temps où chaque mode du verbe, à tel ou tel passage de son
auteur. Un peu plus tard, il saura de même y rattacher, par un
procédé’analogue, les différentes règles de la syntaxe. \
La méthode Jacotot, modifiée ainsi qu'il vient d'être dit, est, à
mon sens, excellente pour l'étude des langues. La conviction que
j'ai acquise à cet égard, n’est point basée sur une théorie à priort;
elle est le résultat de l'expérience que j'en ai faite *
HISTOIRE»
La manière dont l’histoire est généralement enseignée, me paraît
défectueuse. Pour les écoles primaires, et pour les classes inférieures-
* C'est par la méthode que je viens d'indiquer, que j'ai appris l'anglais en soixante leçons,
avec l’aide d'un excellent professeur (M. Reeves); et ensuite l'italien, dans un temps à peu
près équivalent,
49% MÉMOIRES ET PIÈCES.
des colléges, on a composé des histoires abrégées; rien de mieux
assurément, si elles étaient bien faites : mais comment sont rédigés
ces abrégés ? d'une manière sèche, dénuée de tout intérêt. Prenons
pour exemple l’histoire abrégée de France ; vous y trouverez les noms
et la suite de nos rois, la date de leur avènement au trône, les
principaux faits généraux qui se sont passés sous leur règne : du reste,
pas le moindre détail de mœurs, pas la moindre anecdote qui fixe
l'attention. ,
Ce que je voudrais, pour les enfans en bas-âge, c’est une histoire
purement anecdotique. Ils n'ont que faire des faits généraux ; ils ne
sont pas en état de les comprendre : le temps de ceux-ci viendra
à son tour ; ne l’anticipons pas. Pour le moment présent, bornons-—
nous à noter quelques-unes de ces révolutions qui ont bouleversé le
monde, ou, tout au moins, changé la face d'une grande nation ;
qu'elles servent en quelque sorte d'encadrement ; que le cadre soit
rempli par des traits anecdotiques, qui se gravent dans l’esprit des
enfans , qui les attachent.
Pour faire saisir ma pensée, je vais prendre pour exemple un des
faits les plus mémorables de l’histoire ancienne : Ze combat des Ther—
mopyles. — Si vous dites simplement aux enfans que trois cents Spar-
viates, commandés par leur roi Léonidas, ont défendu, plusieurs
jours entiers, un défilé important, contre l’armée innombrable des
Perses ; qu'ils ont péri jusqu’au dernier à leur poste, plutôt que de
céder d’un pas; que ce noble dévouement a réveillé le courage de
tous les peuples de la Grèce, qu'il les a animés à défendre à tout
prix l'indépendance de leur pays, qu’il a été par conséquent la cause
première de leur délivrance : tout cela est fort beau assurément , je
doute toutefois que les enfans saisissent parfaitement cet enchaîne
ment de faits, qu'ils s'en forment une idée bien nette. Mais racon—
tez-leur que le général persan, ayant envoyé sommer Léonidas de
rendre les armes, recut de lui cette fière réponse : Wrens les chercher ;
ajoutez que le même roi, entendant un soldat de sa troupe observer
que les baiaillons des Perses étaient si nombreux, que leurs traits
cachaient le soleil, se mit à sourire, en disant : Tant mieux, nous
combattrons à l’ombre ; enfin, citez cette inscription sublime que les
Grecs, après la fin heureuse de cette guerre, firent graver sur le
rocher des Thermopyles : Passant, va dire à Lacédémone que nous
sommes morts ici en combattant pour la défense de ses saintes lors :
pensez-vous que vos écoliers puissent oublier ces traits ? ou que le nom
de Thermopyles soit jamais prononcé devant eux , sans réveiller aussitôt
daus leurs ames les idées de courage et de dévouement? ...............…
1 CINQUIÈME SECTION. 495
Je m'attacherais essentiellement aux traits qui sont propres à inspirer
aux cnfans l'amour de la vertu. Que le nom d’Epaminondas ne soit pas
Prononcé devant eux, sans qu'ils sachent que ce grand général, le
Soir qui suivit la bataille de Leuctres , disait , en rentrant dans sa tente :
Ma plus grande joie, c'est de penser à celle qu'éprouveront mon
pére et ma mère, en apprenant la nouvelle de ma wictorre. Qu'ils-
s'attendrissent au técit de Coriolan, laissant tomber les armes de
ses mains, quand il voit sà mére Veturie prosternée à ses pieds. Qu’on
leur mette tour-à-tour sous les yeux des modéles de l'amour maternel,
dans les belles paroles de Cornélie, et de la reine Blanche ; de l'amitié,
dans la touchante histoire de Damon et Pythias ; de l'amour conjugal,
dans celles d’Eponine et Sabinus, et des femmes de Winsberg. Qu'on
wait garde d'omettre de leur citer cette exclamation sublime d’un
de nos rois, vaincu et prisonnier : Tout est perdu, hors l'honneur ;
et cette belle maxime, sortie de la bouche d’un de ses prédécesseurs :
S la vérité et la bonne Jot étaient bannies de la terre , elles devraient
se retrouver dans le cœur des rois ; et ces paroles d’un grand capitaine
et d’un grand citoyen, à qui Metz s’enorgueillit d’avoir donné le jour,
et dont le nom sera toujours synonyme de la fidélité comme du cou
rage : S?, pour défendre une place que le roë m'a confiée, il fallait,
disait Fabert, monter sur la brèche avec ma Jemme et mes enfans ,
Je nhésiterais pas un instant.
Voilà, Messieurs, quelques traits, pris au hasard entre ceux que
l’histoire ancienne et moderne nous fournit par milliers , et qui sont
si bien à la portée de la plus tendre enfance > Si propres à former
le cœur, à y faire germer la vertu. Une histoire abrégée , qui les
réunirait comme en faisceau » ne serait-elle pas un des livres élémen-
taires le plus éminemment utiles ?
Passons aux classes supérieures. Celles-ci ont des histoires faites aussi
pour elles , mais non moins défectueuses peut-être que les précédentes.
Autrefois , dans le cours des études classiques , ou s’occupait beau
coup de l'histoire des républiques de la Grèce et de Rome, fort
peu de l'histoire des nations modernes » €t même, chose étrange !
de celle de la France. Sous ce rapport, l'enseignement de l'histoire
a recu d'importantes et d’heureuses modifications. Mais, si les ma
tériaux de l'enseignement ont varié la maniére d’enscigner est restée à
Peu prés la même. Toujours de longs détails de siéges , de combats, etc.
qui seraient excellens pour une école militaire , mais qui seront perdus
pour plus de la moitié des élèves, et qui, pour le reste, sont au
moins prématurés.
196 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Ainsi, dans l'histoire de chacun de nos rois, par exemple, les
guerres qui ont eu lieu sous son règne, occupent la plus grande place :
le reste se trouve rempli par des recherches curieuses sur la législation ,
les mœurs , les usages de ce siècle, etc. Beaucoup d’érudition, telle
est la tendance de notre siècle; et je suis loin de nier que l’érudition
ne soit une fort bonne chose , ou de contester les services que rendent
à la science les érudits. Que les jeunes gens sortant du collége , qui
se sentent le goût et l'aptitude pour ces sortes d’études laborieuses,
s'y livrent avec ardeur, avec persévérance; on ne peut qu’applaudir
à leur zèle , il mérite assurément tous nos encouragemens. Mais l’en—
seignement des colléges n’a pas pour objet de former des érudits ;
son but, en ce qui concerne l'histoire , c’est de procurer à tous,
dans l'étude des faits, une instruction morale utile pour les diverses
circonstances de la vie. Ainsi donc, ce que je voudrais, pour les
classes supérieures, ce serait une istoire morale, concue dans le
méme esprit que l’histoire anecdotique dont je parlais tout-à-l'heure ,
et qui en fût le développement. Pour mon compte, ce que je cherche
dans l'histoire, ce sont les traits qui sont propres à inspirer de
nobles et généreux sentimens , à exciter l'amour de la vertu et l’hor-
reur du vice, à servir de règle pour la conduite de la vie: tout le
reste peut être plus ou moins curieux, mais il est sans utilité pra—
tique; et pourtant voilà ce’ qui remplit les trois quarts et demi de
nos livres d'histoire *.
Après l'histoire anecdotique , et l'histoire morale , j'en voudrais une
troisième , non plus pour les colléges , mais pour les facultés supérieures :
ce” serait une histoire politique. ci, messieurs, je me bornerai à
cette énonciation ; sans entrer dans aucun développement : quand votre
réglement ne me l'interdirait pas, le peu de propension que j'ai à
m'occuper de tout ce qui se rattache à la politique, suffirait pour me
dicter cette réserve.
Il resterait encore à composer , pour les écoles militaires , une Arstoire
mulitaire , à la facon de Xénophon, de Polybe et de César; et,
* On ne peut rien lire de plus sage, de plus judicieux, de plus substantiel que les
réflexions contenues dans le Traîté des Études de Rollin sur l’enseignement de l'histoire,
qu'il appelle si bien l'école commune du genre humain, Quelle noble idée il nous donne de
la mission de l'écrivain! Comme il ramène tout à ce but essentiel: le goût de la solide
gloire et de la véritable grandeur! Nul assurément n’était, plus que lui, digne de mettre
ces importantes leçons en pratique: et toutefois, il faut l’avouer, dans ses histoires ancienne
et romaine il ne s’est pas soutenu toujours à la hauteur de sa tâche. Il a voulu s’astreindre à
suivre de trop près la marche des historiens anciens d’après lesquels il travaillaft : et c’est ainsi
que les excellentes leçons morales que renferment ces histoires, sont, en quelque sorte, noyées
dans une foule de détails longs et quelquelois fastidieux de sièges , de combats, etc.
CINQUIÈME SECTION. 497
de même, pour les écoles de diplomatie, d'administration, etc., d’autres
histoires spéciales appliquées chacune à sa destination respective.
PIIILOSOPHIE.
Après quelques réflexions critiques sur la manière dont se professe généralement la phi-
losophie dans les collèges, M. du Coëtlosquet poursuit ainsi :
Si, dans un temps, on a donné trop d'importance à la dialectique,
si aujourd’hui on en donne peut-être encore trop à l'idéologie ; en
revanche, la morale n’est-elle pas généralement traitée d'une ma
miére trop succincte , trop superficielle ? On rapporte que Socrate avait
coutume de dire, qu’il avait trouvé la philosophie égarée dans les cieux À
et qu'il l'avait ramenée sur la terre: ne faudrait-il pas, par un pro-
cédé analogue, dégager la philosophie des subtilités et des systèmes
dans lesquels elle se perd , pour la réduire à quelque chose de pra-
tique, de substantiel, de solidement utile? Si les limites d'un cours
permettent difficilement de parcourir le cercle immense des questions
de morale, au moins faudrait-il en approfondir quelques-unes des
plus importantes , telles que celles du suicide , du duel, du divorce , etc.
Pour éclaircir ma pensée , permettez , Messieurs, que je vous expose
rapidement la manière dont je concois que devrait être traitée l’une
de ces questions : (je choisis pour exemple celle du duel, parce qu’elle
a été, depuis bien des années , l'objet de mes méditations sérieuses).
Dans les cours de philosophie, il est quelquefois question du duel;
mais à quoi se réduit ce qu'on en dit? A quelques considérations
purement théoriques. Le plus souvent onse borne à analyser, peut-être
à commenter les raisonnemens de Rousseau. Rousseau a écrit des pages
très-belles, très-éloquentes contre le duel; mais s’était-il placé sous
le vrai point de vue pour envisager ce sujet? mais l'a-t-il envisagé
dans toute sa hauteur? Il suppose que, tôt ou tard , le monde finira
par rendre hommage à l’homme vertueux qui, par principe de cons-
cience , aura refusé de se battre: cela aura-t-il toujours lieu? et s'il
en arrivait autrement, deyons-nous en conclure que cet homme a
eu tort d’agir ainsi ; qu'il aurait mieux fait d'accepter le duel?
On le sent très-bien, la question s'agrandit beaucoup : il s'agit de
savoir si, dans quelque circonstance que ce soit , quelles que puissent
être les conséquences de notre conduite , il est jamais permis d'agir
contre le sentiment du devoir ? La question du duel , quelque grande,
quelque importante qu'elle soit en elle-même, rentre comme une
espèce particulière, dans cette autre question plus générale : et en
est-il de plus belle, comme de plus immense que celle-ci ?
63
198 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Je ne sache pas qu'elle ait été traitée d’une manière complète ;
mais, en réunissant différens aperçus, que nous pouvons recueillir,
par-ci par-là, et en les groupant comme en faisceau, il sera facile
de le faire. On rappellera que Salluste a cru ne pouvoir faire un
plus bel éloge de Caton d'Utique, qu’en disant de lui qu'il aimait
mieux être bon, que de le paraître : Esse, quam vidert, bonus ma-
Zebat. On établira , d’après les propres paroles de Cicéron , une espèce
d'échelle ascendante entre les dignités, la réputation, et la vertu :
Equidem , primôüm ; ut honore dignus essem , maximè semper laboravi;
secundà , ut existimarer ; tertium muühi fuit illud, quod plerisque
primum est, ipse honos. On citera ces paroles de madame de Staël,
si frappantes de vérité et si éloquentes: S2 deux et deux ne font pas
quatre , les plus profonds calculs de l'algèbre sont absurdes : s'il y
a dans la théorie un seul cas où l’homme doive manquer à son devoir ,
toutes les maximes philosophiques et religieuses sont renversées , et
ce qui en reste n'est plus que de la prudence ou de l'hypocrisie.
Ainsi l'homme vraiment vertueux doit être prêt à sacrifier au devorr,
non-seulement sa fortune , non-seulement sa vie, mais, au besoin,
ce qui lui est plus cher que la fortune et que la vie ensemble, ce à
quoi il sacrifierait volontiers l’une et l’autre : — la réputation.
Cette morale, dira-t-on, est bien dure. — Mais , si elle est ri-
goureusement vraie, qu'importe ? — Le sacrifice qu'elle exige de nous
est impossible. — Diflicile, soit; et qui doute que le sacrifice de la
réputation ne soit, de tous, le plus pénible à la nature, comme
aussi il est le plus méritoire ? Mais où en serait-on si la loi du devoir
était jamais obligée de fléchir sous une prétendue impossibilité de
l'accomplir ? — Mais enfin n'est-il pas des circonstances où... —
Les circonstances ! elles sont susceptibles d’atténuer une faute, de lui
préter des motifs d’excuse; mais elles sont impuissantes pour changer
la nature des choses : jamais elles ne feront que le bien devienne mal,
que le malse transforme en bien. En un mot , les circonstances peuvent
et doivent souvent nous porter à l’indulgence envers les personnes ;
mais nous faire dévier de la sévérité sur les principes, jamais.
La question du devoir west pas la seule qui ait une connexion in—
time avec celle du duel; celle-ci se rattache à plusieurs autres , égale
ment trés-importantes , telles que celles de la tolérance, de la liberté
de conscience , etc.
Que deux hommes aveuglés l’un et l’autre par le préjugé du pornt
d'honneur , se battent entr'eux, il y a là assurément un désordre ;
toutefois on peut dire jusqu'à un certain point que c'est, au fond,
CINQUIÈME SECTION. 499
leur affaire. Mais que , dans une société civilisée, dans un siècle qui
se vante de ses lumières , il arrive à un malheureux jeune homme d’être
placé dans cette affreuse alternative : ou d’être avill aux yeux des
hommes , et de n'oser plus paraître en public; ou de souiller sa cons-
cience de ce qu’à droit ou à tort il regarde comme un crime : où est le
respect pour la plus précieuse de toutes les libertés , celle de la cons-—
cience ? Et est-il rien de plus odieux , de plus tyrannique, que cette
intolérance de l'opinion? Comme si ce n'était pas assez, misérables
créatures que nous sommes ! de tous les maux que la nature verse
sur nous avec une prodigalité si rigoureuse ! et qu'il nous fallût encore,
de nos propres mains, forger une idole cent fois plus inexorable ,
plus ingénieuse à nous tourmenter, que la nature elle-même !
Enfin ce serait le lieu de faire observer certains indices qui sem—
blent annoncer, dans l'opinion publique , un prochain retour aux vrais
principes, ou, du moins, une disposition favorable à seconder les
efforts qui seront faits pour l’y ramener. Ainsi, un homme dont le
nom est justement réyéré dans toute l'Europe (Silvio Pellico) a pro—
noncé cette belle maxime, qui n’a point rencontré de contradicteurs :
< Le comble de la lâcheté, c'est de se faire l’esclaye des jugemens
> d'autrui, quand on a la conviction de leur fausseté. » Depuis, deux
autres hommes, avec la triple autorité d’une haute position socüle,
d'un talent supérieur et d'une brillante renommée ; ont attaqué le
duel plus directement et sans ménagement. L’un (M. de Lamartine),
s’est écrié du haut de la tribune nationale : < Dans un pays où l'honneur
» est plus cher que la vie, il y a plus de courage à refuser un duel
> qu'à en accepter dix. » L'autre, (M. Dupin aîné), a fait retentir
les voütes du temple de la justice de cette exclamation: « Le moment
> est venu de dire : Honneur à ceux qui refusent un duel! »
Vous aurez remarqué, Messieurs, que tout ce que je viens de dire
sur la question du duel, n’est, en quelque sorte ; qu’un cadre à
remplir ; encore ce cadre est-il bien incomplet; et, si je n'avais craint
d’abuser de votre patience, j'aurais pu l'agrandir beaucoup , en ajou-—
tant une foule de points de vue à ceux que j'ai indiqués. Certes,
ou je me trompe beaucoup , ou un cours de philosophie , dans lequel
les grandes questions morales , telles que celle que j'ai donnée pour
exemple , seraient développées avec conviction et avec talent, pourrait
avoir une influence incalculable sur l'amélioration de la génération
qui s'élève sous nos yeux.
De même que les lecons du professeur , les compositions des élèves
devraient , à mon avis, avoir le plus souvent pour objet quelque ques-
500 MÉMOIRES ET PIÈCES.
tion morale d'un haut intérêt. Telle est celle dont je parlais tout-à—
l'heure : Est-il jamais permis d'agir contre le devoir ? — Telles encore
les propositions suivantes : La vertu conduit plus sûrement au bonheur
que le génie. — Le germe du chädtiment du coupable est dans sor
crime méme. etc,
RÉSUMÉ.
Il me reste, Messieurs ; à me résumer en quelques lignes.
L'instruction de la jeunesse doit comprendre toutes les connaissances
qu'il est utile à l'homme d'acquérir.
Ce mot wtile embrasse à la fois les besoins du corps, et ceux de
l'ame.
Ces besoins ne sont pas les mêmes pour tous les hommes: aussi
doit-il y avoir différens degrés d'instruction , suivant la position sociale
de ceux à qui elle est donnée , mais de manière à ce qu'aucun homme
ne soit privé des connaissances essentiellement utiles à tous.
Pour les besoins de l’ame, il est pourvu, à l'égard de tous, par
l'énstruction religieuse, qui renferme tout ce qu'il est vraiment né—
cessaire à l’homme de savoir.
Les Zetures servent à former l'ame , en ornant l'esprit et en excitant
lé cœur au bien par les sages maximes qu’elles inculquent, et par
les belles actions qu’elles offrent à admirer et à imiter. Leur étude
est donc utile, mais à ceux-la seulement qui sont destinés à une po-
sition sociale qui offre l'indépendance et le loisir nécessaires pour les
cultiver avec fruit. ;
Il est pourvu par les serences , aux besoins du corps.
A cet effet, l'enseignement des sciences doit être dirigé de telle
manière qu’il fournisse à chacun les moyens de se distinguer dans la
profession à laquglle il est destiné, et qu’il facilite à ceux qui sont
nés avec des talens supérieurs , l'accès d’une profession plus relevée.
Mais les sciences n’ont pas seulement pour objet les besoins phy-—
siques de l'homme: elles concourent avec l'instruction religieuse et
avec les lettres à former son ame, soit en procurant à son intelligence
des idées plus relevées de la grandeur de Dieu, et de la noble destinée
de l'homme , soit en lui fournissant des moyens de se rendre utile
à ses semblables,
Plus les sciences et les lettres seront dirigées , soit dans leur objet,
soit dans leur mode d'enseignement, vers un but solidement utile,
c'est-à-dire , approprié aux besoins réels de ceux à qui l'instruction est
donnée ; et mieux elles rempliront leur noble et importante destination.
CINQUIEME SECTION. 501
DU PRINCIPE
DE
LA SCIENCE,
Par M. Cu. STOFFELS.
Messieurs ,
Il est une foi et une raison toute d'intelligence, opposées l’une à
l’autre , et éternellement inconciliables entre elles, car elles sont aussi
fausses l’une que l'autre.
Cette raison qui ne spécule que sur les faits que peuvent toucher
et nos yeux et nos mains, est essentiellement incomplète, et par con-
séquent impuissante à nous donner la vérité; car nous pouvons toucher
très-peu de chose de ce qui existe réellement. Au-delà du monde
des corps est celui des essences qui soutient le premier, qui le fait
être, qui le fait vivre , dont il n'est que l'ombre grossière et passagère,
et qui demeure insaisissable et invisible à nos sens matériels.
L'impuissance irremédiable de cette raison, une fois constatée, le
scepticisme démontré comme l'abime irrésistible où elle vient s'anéantir,
paraît alors sur les ruines de ses syllogismes et de ses hypothèses
la foi ayec ses traditions, son autorité, sa vérité toute formulée,
509 MÉMOIRES ET PIÈCES.
auxquels il ne reste plus, selon elle, qu'à abandonner et soumettre
son esprit fatigué ct déçu. Et toutes saintes que peuveut être ces
traditions , toutes vraies que soient ces formules, cette foi est cependant
impie , elle est fausse , elle est selon l'expression même de l’apôtre , une
foi morte, par la prétention absurde qu’elle a d'imposer la vérité,
de soumettre la raison.
Car il implique contradiction que la raison se soumette; /a raison
ne se soumeltrait jamais, si elle ne jugeait qu’il est des occasions
où elle doit se soumettre , dit saint Augustin. Elle ne se soumet donc
que sur un jugement antérieur, une démonstration préalable qui lui
persuade de se soumettre ; elle ne se ‘soumet donc jamais.
L'homme peut laisser enchaîner ses bras, sa parole; sa pensée, il
ne le peut pas; la liberté peut être vaincue dans le monde, mais
dans la conscience elle est inexpugnable.
Et cette soumission , si elle était possible, ne serait que le suicide
de l’intelligence, non moins immoral que celui de la vie.
Cette foi est donc aussi fausse que cette raison ; elles ménent toutes
deux à la mort , et c'est pour cela qu’elles sont mortes l’une et l’autre,
Mais assez sur elles ; car si leurs cendres ennemies doivent se com—
battre quelque temps encore, l'avenir ne les ressuscitera pas.
Il est une autre raison, une autre foi, qui naissent du cœur, qui
jaillissent de la charité, qui s’engendrent de l'amour divin. C'est cette
foi, cette raison supérieures qui sont destinées à réunir la religion
et la philosophie, Dieu et la liberté, que les deux autres avaient
séparées et rendues inconciliables. Et la religion et la philosophie , sous
ces nouyaux hospices ne se développeront pas seulement parallèlement
sans se jalouser ou se combattre ; elles se confondront en une même
science, comme leurs deux véritables principes s'identifient eux-mêmes
en une seule faculté.
Ce sera la science de vie, et par conséquent le christianisme , auquel
la raison ne se soumettra pas, mais que l'amour révélera à l’intel-
ligence libre. Car cette parole venant d’un dieu d'amour, enseignant
l'amour au hommes , se fait entendre dans toutes ses célestes harmo-
nies, à l'ame ouverte à l'amour.
Voilà pourquoi l'intelligence qui n’est pas libre de croire ou de
ne pas croire à telle ou telle vérité, est rendue cependant respon-
sable de sa foi en cette vérité, parce qu'il ne faut qu'aimer pour la
recevoir et la comprendre, et qu'il n’est point de salut pour ceux qui
la repoussent; car le salut étant la possession de Dieu, ne s’acquiert
que par l'amour de Dieu et dans la mesure de ect amour.
CINQUIÈME SECTION. 803
Déterminons donc la nature de cette foi, de cette raison (comme
on voudra l'appeler), qui doit rendre à l'intelligence humaine sa vie
et sa liberté, et sa vie par la liberté.
Tout corps éclairé projette dans une sphère plus ou moins étendue
un faisceau de rayons qui représente dans toutes les sections coniques
de ce faisceau, l'image, la forme extérieure de la surface dont ils
jaïllissent. Quand notre œil devient la base de ce cône lumineux, le
phénomène de la perception a lieu. Cette image réfléchie pénètre dans
l'organe , se modifie de diverses facons, en passant à travers ses divers
milieux réfractaires, arrive à la rétine, et enfin tombe dans la cons-
cience où elle se spiritualise en idée.
Après avoir recu l'impression du monde extérieur, l'ame entre
aussitôt en réaction contre lui. Contractée d'abord, elle se dilate et
s’épanche dans ce second mouvement. Et cette réaction projette au-
dehors la lumière spirituelle, comme la lumière naturelle est projetée
de la surface des corps dans l’espace ; et comme celle-ci en pénétrant
dans l'œil et conduite au cerveau , s'est transformée en idée, la pre
mière en rayonnant dans l'espace , se modifie sur les objets qu’elle y
rencontre, et cette impression communiquée à la conscience se résout
de même en idée.
Ces irradiations de la lumière spirituelle produites par l'impulsion
de la sensibilité, se déploient dans une sphère d'autant plus étendue
que ceite force réactive est énergique, mettent la conscience en pos-
session d'idées plus ou moins claires, plus ou moins confuses, selon
que les désirs, les affections, la volonté se répandent en eflusions plus
puissantes et projettent plus vivement l'intelligence hors d'elle-même.
Le premier degré de ce développement de l'intelligence se mani-
feste dans cette pénétration qu'acquiert notre regard, et que l’on a
caractérisée en la distinguant de notre réflexion toute passive des objets,
par ces deux mots, voir et regarder. La lumière intérieure va comme
au-devant de celle qui nous apporte l’image des objets extérieurs, et
ne la laisse pas arriver jusque la conscience, l’arrêtant à son passage,
la recueillant à la surface de l'organe, et la transmettant elle-même
avec plus de netteté et de vivacité.
Un nouveau degré d'émotion dans l'ame , ajoute une nonvelle puis-
sance à la pénétration du regard , l'œil s’illumine et s'enflamme, il
lance des éclairs , il fascine celui sur qui tombe sa foudre ; il semble
504 MÉMOIRES ET PIÈCES.
plonger dans les profondeurs de votre être , et y surprendre la pensée
que vous y tenez cachée.
Enfin une plus grande énergie encore dans l’eflusion de la volonté
imprime à l'intelligence une nouvelle puissance de pénétration, qui
lui fait abolir les limites de son propre corps comme celles des corps
extérieurs avec lesquels elle se met en rapport sans n’avoir plus besoin
de l'intermédiaire de ses organes. Dans cet état, elle voit sans le
moyen des yeux, entend sans le secours des oreilles, et elle voit et
entend beaucoup mieux que par cet appareil organique, qui lui est
désormais inutile. Soleil intérieur , elle rayonne dans l’espace comme
elle rayonnait dans les limites de son enveloppe corporelle, avant
d’avoir acquis l'énergie suflisante pour les franchir.
Cet état de rayonnement et de pénétration se développe dans des
circonstances très-diverses, quoiqu’elles peuvent toutes se réduire à
une même cause essentielle, l’exaltation de la sensibilité, et par son
mouvement d'expansion, la projection excentrique de la lumière spi-
rituelle,
Plutarque nous parle de « certaines exhalaisons de la terre qui se
mélant dans le corps y engendrent une température et disposition
non accoutumée aux ames, qui ouvre ne sais quels petits pertuits où
il y a force imagination de l'avenir. Cette partie de notre ame pré-
voyante de l'avenir, s'aiguise comme le fer s’afline par la trempe,
et rien n'empêche que l’exhalaison divinatrice ayant quelque chose
de particulièrement conforme aux ames ne développe cette faculté. » *
Et il attribue la cessation des oracles à l'extinction de ces exhalaisons
souterraines qui inspiraient les Sibylles dans leurs crises et leurs con—
vulsions , si ressemblantes à celles que Mesmer reproduisait de nos
YO VV V Y V
jours autour de ses baquets.
L'influence des astres paraît être une autre cause physique qui peut
sur certaines organisations produire de semblables résultats.
Le somnambulisme , la catalepsie, etc., attestent également qu’une
réaction toute physique peut développer dans l'ame ces puissances
spirituelles, ou leur donner du moins une surexcitation propre à
opérer le déplacement excentrique de ses sens.
Dans le magnétisme animal, c'est encore un principe extérieur,
quoique plus spirituel qui développe cette faculté, dont les forces sont
projetées par une volonté étrangère, au lieu de recevoir cette im—
pulsion de la volonté propre.
* Traduction d’Amiot,
CINQUIÈME SECTION. 505
Je ne parle pas de tous ces phénomènes de fascination d’un être
surun autre être, produits par l'amour , l'éloquence le fanatisme , et
en général toute énergique passion, et qui peuvent être rapportés à
cette action magnétique , c'est-à-dire extensive de la volonté des êtres
sur d’autres êtres. a
La communication de l’ame avec les esprits n'est pas plus inad-
missible, que les rapports immédiats de l'ame avec d’autres ames.
Puis vient la puissance sur l'organisation de l'imagination ; qui, à
certains degrés d'exaltation , peut reproduire les mêmes effets que la
réalité. IL est rare que son influence ue se mêle pas aux autres actions
dont nous avons parlé , leur prétant quelquefois de nouvelles forces,
mais le plus souvent défigurant leurs résultats, en mélant ses fantaisies
et ses rêves à des perceptions réelles.
La puissance que l’ame exerce dans le magnétisme sur une autre
ame peut à plus forte raison s'exercer sur elle-même. Un désir pas-
sionné, un puissant amour, une énergique et constante concentration
de la volonté, une spiritualisation continue et progressive des forces
de lame, les fait passer de leur état latent à celui de liberté rayon-
nante, qui produit alors dans ces circonstances les phénomènes connus
sous le nom d’extase.
Mais si cette plénitude spirituelle, qui donne à cette faculté de
pénétration intellectuelle, la clarté et la lucidité de la vision, est
exceptionnelle, son état de rayonnement qui nous fait prendre
conscience de l’extériorité d’une manière plus vague, plus confuse,
qui ne développe que des pressentimens, des croyances, des aper—
ceptions de foi, est non-seulement plus commun, mais même est
un état habituel et normal.
De la foi à la vision il n'y a qu'une différence de degrés dans
les développemens de la même faculté ; faculté que nous appellerons
perception pénétrante, puisqu'elle pénètre en effet et le corps qui
l'enveloppe, et les corps extérieurs sur lesquels elle projette ses rayons,
comme nous appellerons perception réfléchissante , celle qui ne fait que
recueillir les images réfléchies du corps, et projetées jusqu’à elle.
La foi n’est donc qu'une vue voilée, la vision qu’une foi plus
nette plus lucide ; et cette faculté dont les deux termes extrêmes de
développement sont la foi et la vision, est une véritable perception,
comme celle de nos sens extérieurs, et même la seule que l’on aurait
dù appeler de ce nom, comme pouvant seule nous mettre en pos-
session de la réalité des substances extérieures qu’elle pénètre, au
lieu , comme on l’a fait, de ne le donner , qu'à celle qui ne nous livre
64
506 MÉMOIRES ET PIÈCES.
du monde que des surfaces, et ne nous en livre méme que des images
réfléchies , que des apparences, que des fantômes, comme l'avaient
si bien dit les anciens philosophes.
Et c'est pour n'avoir pas attribué à cette faculté de foi le caractère
d’une perception objective , c’est pour n’avoir fait des vérités qu’elle
nous livrait que des idées innées, des principes rationnels, des ca-
tégories, que le monde extérieur ne nous arrivant plus que par ces
images , ces réflexions , ces apparences , est allé s'abimer dans l’idéa-
lisme, et s’est évanoui comme une ombre, que l’homme s'était plu
à évoquer dans cette nuit qu'il appelle le jour, dans cette réverie
qu'il appelle la vie, et dont il ne doit se réveiller qu'a la mort,
époque où l'homme, nous assurent nos idéalistes, du reste les plus
logiciens de tous, s'apercevra de l'illusion qui portait les intelligences
grossières à croire à l'existence d’un monde matériel.
Et cette conséquence de scepticisme qui n’a été tirée que par quel-
ques philosophes de ce système unique de perception est, comme nous
l'avons dit, d’une rigueur logique irrésistible. Si nous ne pouvons
voir le monde que par les idées qui nous le réprésentent média
tement, nous ne le voyons réellement pas, nous ne voyons que nos
idées, nous ne touchons, nous ne sentons que nos idées, nous ne
sommes sûrs que de l’existence de nos idées, le monde extérieur n’est
pour nous qu'une idée.
Pour sortir de ce cercle vicieux, qu'avait rivé l’indélébile logique
de Bercley et de Hume, les Ecossais admirent à priori, et sur
la simple foi de notre croyance invincible au monde extérieur,
une perception immédiate qui püt nous mettre en possession de sa
réalité, et légitimer cette croyance. Mais ils furent timides dans leur
réforme. Ils conseryérent à la raison spéculative une sphère d'activité
trop étendue , et qui devait bientôt absorber l’objectivité faible, in
certaine et chancelante , qu'ils avaient obtenue de leur système in-
complet ; leurs principes rationnels, n'étant point fournis par la per-
ception , mais reconnus, au Contraire, comme nécessaires pour servir
de base à ses données, devaient en les transformant , les informant
et par conséquent les subjectivant , les faire retomber du scepticisme
absolu, dans le criticisme kautien, qui n’est plus seulement le moi,
mais qui n'est point encore le vrai univers, celui de notre conscience ;
où nous aperceyons bien des objets extérieurs, mais que nous ne
pouvons connaître dans leur réalité, où nous touchons aux corps, mais
qui ne sont encore que des phénomènes, ne pouvant dégager, pour parler
la langue de Kant, le noumene pur de son enyeloppement subjectif.
CINQUIÈME SECTION. 507
Ce scepticisme bâtard devait bientôt retourner sous la logique
plus rigoureuse de Fichte à l'idéalisme absolu , dont il avait essayé de
sortir, le principe de causalité qui mêne au monde extérieur, ne
aa dans ce système qu'un principe rationnel , un élément sub-
jecuf, une forme du moi.
Jacobi recommenca cette œuvre de réforme dans la théorie de
la perception. Mais s’il s'approcha plus près que Reid de la vérité,
comme ce dernier, sa timidité l’empécha de l’accomplir. En faisant
tomber la raison dans la sphère de nos perceptions , ce qui était un
pas immense sur l'école Ecossaise , il resireignit cette vue rationnelle,
au monde spirituel et moral, à Dieu, l'immortalité, la liberté, au
lieu d'en faire une faculté objective dans toute son étendue. Il eût
donc besoin pour passer du sujet à l'objet de son salio mortale qui
replacait la conscience au point de vue du sens commun, mais qui
n’était en philosophie qu’un véritable avortement , qui ramena la science
ontologique à son point de départ, malgré la large issue qu’il avait
frayée au moi pour descendre et prendre pied dans le monde.
Quand donc à l'apparition , dans notre conscience, des images ré
fléchies des corps, surgit en elle la croyance à leur réalité substantielle ,
ce ne sont point nos sens qui nous élèvent à cette croyance ; ils
ne nous peuvent rien apprendre du monde; mais c’est la substance
même du monde, que dans le mouvement de réaction de notre
sensibilité nous pénétrons de notre essence , que nous enveloppons
des lumineuses irradiations de notre être, dont notre conscience de-
vient en quelque sorte dans sa sphère d’activité plus ou moins étendue,
le milieu et l’espace spirituel, comme est la conscience divine, mais
dans les proportions de l’immensité, en qui vivent, se meuvent, sont
tous les êtres. Notre moi s’assimile les objets de ses affections , il ne
va plus au non moi, il se fait, il devient non moi, et le non moi
devient moi, de même que notre corps s’assimile les corps environ
nans , dont il se nourrit et qu'il convertit en sa propre substance.
Les philosophes pour avoir trop isolé l'intelligence de la sensibilité,
comme s’il n'y avait que parallélisme et non solidarité et unité entre
tous. les élémens de notre être, ont été ainsi amenés à ne faire de
l'intelligence qu'une faculté représentative, qui peut fort bien alors,
comme l'ont prouvé les idéalistes , ne rien représenter.
Il n’y a point simple représentation de l’objet dans le sujet, il
n’y a point juxta-position du moi et du non moi; mais une véritable
transsubstantiation, une conversion du non moi, dans la substance
du moi, qui prend alors conscience de ce non moi, comme il prend
508 MÉMOIRES ET PIÈCES.
conscience de lui-même , immédiatement sans l’interposition des idées
représentatives et antérieurement à leur formation.
De nombreuses observations psychologiques , faites sur les phéno—
mênes de l’extase , du somnambulisme , ou produits par le développe-
ment d'énergiques passions, établissent d’une manière positive l'existence
de cette faculté de notre ame, de s'identifier aux objets de nos
affections. De l'assimilation sympathique * qui nous fait ressentir toutes
les manières d’être de ceux sur qui se porte notre amour, à l’unifica-
tion complète de deux êtres, il n'y a qu’une différence de degrés,
produite par la plus ou moins grande énergie de l'amour , qui en—
traîne aprés lui ces effets ; degrés qui déterminent dans l'intelligence
les variétés de la perception , depuis les obscures lueurs de la foi,
jusqu'aux lucides clartés de la vision.
En généralisant ces observations, en systématisant ces faits, en
faisant de cet état d'excentricité morale , qui développe ces phénomènes,
un état de l'ame, normal et naturel dans une certaine mesure, ex—
ceptionnelle seulement au-delà de certaines autres limites, le prin—
cipe transcendental sera enfin trouvé, la réalité substantielle devient
aussi certaine empiriquement , qu’invincible est la croyance que nous
avons en son existence, la conscience du non moi égale en véracité
la conscienee du moi que l’amour xelie et identifie en une même
essence.
Nous n’ayons pas eu la puérile intention de prouver la réalité du
monde ; nous ne l'avons fait que pour établir la supériorité sur toutes
les autres , de cette faculté que nous avons décrite , qui pouvant seule
établir l'objectivité de nos connaissances , doit être par conséquent re—
gardée comme l'instrument, le principe constitutif de la science.
Car ce n’est point seulement la partie phénoménale du monde,
le mécanisme physiologique des êtres qu'elle nous livre, c’est le fait
même de la vie qu'elle surprend dans l'immense variété de ses
manifestations , c’est cette force invisible intangible à nos sens gros-
siers, cette essence mystérieuse qu’elle s’assimile dans son simple et
indécomposable principe.
Mais l'homme n'est pas fait pour réfléchir solitairement la vérité;
il faut qu'il la communique aux autres hommes , quand il l’a trouvée ;
et comme il ne peut à lui seul la trouver toute entière, il faut qu'il
recoive d'eux celle dont ils sont déjà en possession.
* Sympathie guy mal, sentir avec, Certains somnambules dans le dérangement organique
des corps étrangers, avec lesquels ils sont mis en communication, ressentent ces perturbations
mäladives dans la parlie de leur corps qui y correspond.
CINQUIÈME SECTION. 509
La communion est non-seulement nécessaire à la faiblesse de l'homme,
elle est surtout un état moral en elle-même. La vie de l’homme doit
être une vie de charité, il doit recevoir et donner, c'est l'aspiration
et la respiration de son ame. Et il n’a été créé plus faible que l'animal
qui se suffit à peu prés à lui-même, que pour que le premier de
ses devoirs recoive une nouvelle impulsion de son besoin le plus
impérieux.
C'est donc en donnant à cet amour universel qui l'a mis en com-
munion avec la nature et lui en a livré les secrets, les caractères de
la charité qu’il entrera en communion avec l'Humanité, qu'il recevra
d’elle la vérité dont elle est déjà investie , et qu’il trouvera le secret
de lui faire accepter sa vérité nouvelle. Et ce ne sera pas par voie
d'autorité, de juxta-posilion qu'il recevra ou qu’il donnera, mais ce
sera par une assimilation organique , en quelque sorte , qu'il se fera
membre vivant et libre du grand corps de l'humanité.
Enfin l’homme ne doit pas être seulement uni avec l’homme et le
monde. Il faut que cette unité secondaire se consomme dans l'unité
absolue. Et Dieu a gardé en lui la suprême lumière pour convier
l'homme à cette suprême communion. Et la charité universelle en
s'élevant, se sublimant en amour divin, devient pour l'intelligence
une nouvelle , une dernière révélation. Car Dieu par son amour infini,
rayonnant dans limmensité se répand dans l'ame de ses créatures
en raison de leurs aspirations. Et plus ces ardeurs sont saintes, pures,
énergiques, plus elles se nourrissent de l’esprit divin , plus elles s’as-
similent sa lumière , plus elles entrent en possession de son essence *.
Du haut de cet amour , les ombres du temps et de l’espace s’enfuient,
l'avenir et le passé se résolvent dans un éternel présent, l’immensité
se concentre en un point , et l’homme devient prophète.
Celui qui a apporté au monde la charité universelle et l'amour divin,
est donc la vraie lumière du monde. Sa parole est bien plus qu’une
science, qu'une révélation; mais elle est un principe de science, une
source de révélation; elle n’est point une croyance qui s'impose à
l'intelligence esclave; mais une foi vivante qui fait jaillir dans l'ame
les ondes resplendissantes de l’éternelle et infinie vérité.
* Ce phénomène d’assimilation de l'esprit divin connu sous le nom de grace, n’est point
un acte spontané de la part de Dieu, dont l’effusion dans les êtres est imminente et con-
tinue, mais seulement de l’homme qui se met dans les conditions spirituelles nécessaireg pour
entrer en communion avec lui, et prendre conscience et possession de son être.
510 MÉMOIRES ET PIÈCES.
COUP -D’OEIL
SUR
L'ÉTAT -DE LA MUSIQUE
A METZ,
DEPUIS CHARLEMAGNE JUSQU'A NOS JOURS,
Par M. Came DURUTTE.
Messieurs,
Si nous avions à vous présenter un résumé de l’histoire religieuse ,
civile; ou militaire de Metz, notre tâche serait immense sans doute,
mais les matériaux du moins ne nous manqueraient pas : il n’en est plus
de même dés qu’il s’agit de son histoire artistique, et surtout de celle
de sa musique. En eflet, les archives de la cathédrale, si riches
autrefois, et la bibliothèque de la ville, qui contenait aussi des
CINQUIÈME SECTION. BA
documens précieux, ne renferment plus rien, ou presque plus rien
aujourd’hui, qui ait rapport à l'art musicil.
A défaut de manuscrits authentiques, nous ayons puisé dans les
meilleurs ouvrages imprimés sur l’histoire de la musique, nous avons
eu recours à l'érudition du spirituel auteur de la biographie de la
Moselle, et de cette manière, il nous a été possible de jeter un
coup-d’œil sur le passé, avant d'arriver aux faits contemporains. Mais,
au lieu de rattacher le développement musical, dans notre pays, au
développement politique et religieux , nous l'avons comparé aux progrès
mêmes de la musique en Europe, depuis l’année 787 ; évitant ainsi,
tout à la fois, la comparaison de notre travail avec le beau rapport
qui vous a été lu sur les arts du dessin, et beaucoup de redites
qui devenaient inévitables.
ÉTAT DE LA MUSIQUE À METZ AU TEMPS DE CHARLEMAGNE.
Certes, on ne peut nier que notre ville n'ait été, en tout temps,
plus féconde en guerriers, en magistrats, en savans, qu’en poëtes
et en artistes; cependant, à diverses époques, les beaux-arts ÿ ont
brillé d’un éclat assez vif. Ainsi, du temps de Charlemagne, la prin-—
cipale école de chant était à Metz. Comme ce fait est important,
je citerai en entier le passage des annales de France qui l'établit.
« Le trés-pieux roi Charles, étant rétourné célébrer la päque à
» Rome (787), avec le seigneur apostolique , il s’émeut, durant les
» fêtes, une querelle entre les chantres romains et les chanties fran-
cais. Les francais prétendaient chanter mieux et plus agréablement
que les romains, qui, se disant plus savans dans le chant ecclé-
2
siastique qu'ils avaient appris de saint Grégoire, accusaient les
francais de corrompre, écorcher et défigurer le vrai chant. La
dispute ayant été portée devant le seigneur roi, les français, qui
se tenaient forts de son appui, insultaient aux chantres romains ;
les romains, fiers de leur grand savoir, et, comparant la doctrine
de saint Grégoire à la rusticité des autres, les traitaient d’ignorans ,
de rustres, de sots et de grosses bêtes. Comme cette altercation
% 4° Ÿ VW V Vi
ne finissait point, le très-pieux roi Charles dit à ses chantres :
ÿ
déclarez-nous quelle est Veau la plus pure et la meilleure, celle
qu'on prend à la sourée vive d’une fontaine , ou celle des rigoles
qui n’en découlent que de bien loin? Xls dirent tous que l’eau de
la source était la plus pure, et celle des rigoles d'autant plus
altérée et sale qu’elle venait de plus loin. Remontez donc, reprit
le seigneur roi Charles, à la fontaine de saint Grégoire, dont
Y M V Y Y
519 MÉMOIRES ET PIÈCES.
vous avez évidemment corrompu le chant. Ensuite le seigneur roi
demanda, au pape Adrien, des chantres pour corriger le chant
français , et le pape lui donna Theodore et Benedict, deux chantres
trés-savans et instruils par saint Grégoire méme ; il lui donna
aussi des antiphoniers de saint Grégoire , qu’it avait notés lui-même
en notes romaines. De ces deux chantres, le seigneur roi, de
retour en France, en envoya un à Metz, et l’autre à Soissons,
ordonnant à tous les maîtres de chant des villes de France, de
leur donner à corriger les antiphoniers, et d’apprendre d'eux à
chanter. Ainsi furent corrigés les antiphoniers francais, que chacun
avait altérés par des additions et retranchemens à sa mode, et
tous les chantres de France apprirent le chant romain, qu'ils
appellent maintenant chant francais ; mais quant aux sons trem—
blans , flaués, battus, coupés dus le chant, les français ne purent
V OV VO VV VV, V VV V. Y V v V
jamais bien les rendre, faisant plutôt des chevrotemens que des
roulemens, à cause de la rudesse naturelle et barbare de leur
gosier. Du reste, la principale école de chant demeura toujours
Y
à Metz ; et autant le chant romain surpassait celui de Metz, autant
» le chant de Metz surpassait celui des autres écoles francaises. Les
> chantres romains apprirent de même aux chantres francais à s’ac—
> compagner des instrumens, et le seigneur roi Charles, ayant de
» rechef amené avec soi en France des maîtres de grammaire et de
> calcul, ordonna qu'ou établit partout l'étude des lettres , car, avant
» ledit seigneur roi, l'on n'avait en France aucune connaissance des
>» arts libéraux. »
La suprématie de l’école musicale de Metz dura plusieurs siècles ;
les hommes qui contribuërent le plus à l’établir, furent : Drocox , fils
de Charlemagne, évêque de Metz. Aime, grand-chantre de la
cathédrale ; sous Drocox, et surtout AwazaiRe, élève d'Æ/euir, qui,
à cause de ses grandes connaissances en musique, fut surnommé
Symphonins. Parmi les nombreux ouvrages d'AmaLaire , il s’en trouve
un intitulé < De l'ordre de l'antiphonier > compilation des antipho—
niers de Rome et de France, dont l’auteur donna une nouvelle
édition aprés un voyage fait à Rome en 827, par ordre de l’empereur
Louis-le-D ébonnatre, pour y examiner l'ordre des antiennes dont on
se servait dans l'office divin.
Avant d’aller plus loin, nous dirons un mot sur l’état du système
musical suivi en Europe dans ces temps reculés. Le chant Grégorien
y était alors d’un usage presque général ; on sait que c’est un reste
précieux de la musique grecque , auquel saint Ambroise, le premier,
CINQUIÈME SECTION. 543
donna une constitution vers la fin du quatrième siècle. Saint Gré-
goire, qui vint environ deux cents aprés lui, compléta le système
ambroisien par l'addition des quatre tons plagaux.
Dans cet état, le plain-chant comptait huit modes ou tons: les
quatre tons impairs Ou authentiques dus à saint Ambroise, et les
quatre tons pairs ou plagaux dus à saint Grégoire.
Quant au rythme, il était nul ou à peu près. Mais une innovation
de haute importance, dont on est encore redevable à saint Grégoire,
c’est la substitution des sept premières letires de l'alphabet, à la
notation si compliquée de la musique grecque. Le système grégorien
a traversé les siècles, et subsiste encore aujourd'hui tel qu'il à été
établi par son inventeur.
L'usage dé l'orgue était déjà général à cette époque, en Italie,
en France et en Angleterre , mais cet instrument dont l'influence devait
être-si grande sur les progrès de l’art musical, était alors borné à un
seul jeu, et il accompagnait les voix à l'unisson, où tout au plus
faisait entendre la tierce mineure à la fin des morceaux, c'est ce
qu'on nommait organiser.
Depuis AmazaRe (827), jusqu'à Brunon, évêque de Toul, en 1026,
l'histoire ne dit rien de la culture musicale dans notre pays, mais
il est à présumer qu'elle y était au moins au niveau des progrès de
l’art, dans les contrées de l'Europe les plus avancées sous ce rapport.
Au 41° siècle (1026) Brunon, évêque de Toul, donnait un nouvel éclat
au culte dans son diocèse , et composait des cantiques que Sigebert, bon
juge en cette matière, place à côté de ceux de saint Grégoire. Devenu
pape, sous le nom de Léon IX, Brunon vint à Metz en 1049, et
accorda les bulles aux abbayes chargées du soin de la jeunesse, donnant
ainsi une impulsion salutaire à l'étude des sciences et des arts. Il
nous reste de ce pape, outre plusieurs cantiques, l’histoire de saint
Grégoire qu'il a mise en musique ; et l’on chante encore, le jour de
St-Hydulphe, les cantiques qu'il a composés pour la fête de ce saint.
C'est au commencement du onzième siècle qu’il faut rapporter l’inven-
tion de la gamme et de la notation moderne, invention dont beaucoup
d'écrivains font honneur au seul Guido d’Arezzo , et qui, dans le fait,
appartient à plusieurs, mais dont Gwdo eut la gloire de compléter
et de formuler le système. Eh bien ! ces inventions toutes récentes,
avaient déjà pénétré dans l’enseignement dans nos contrées : l'histoire
des papes en fait foi. Elle nous apprend en effet, que dans plusieurs
villes d'Allemagne et du nord-est de la France, on avait l'habitude
de faire chanter, par un diacre , une leçon en musique après la première
65
514 MÉMOIRES ET PIÈCES.
oraison de la messe, et qu'on chantait même plusieurs de ces lecons
aux fêtes solennelles * la musique de ces lecons n'était pas du plain-
chant, mais bien de la musique rythmée, de la musique profane.
A défaut d’un lieu consacré à ce genre de musique , l’église lui donnait
asile, et devenait ainsi momentanément une salle de concert, ce qui
cesse d’étonner quand on songe que dans le moyen-äge on dansait
quelquefois dans notre cathédrale de Metz.
À la fin du onzième siècle et au commencement du douzième, nous
trouvons encore dans notre pays un grand musicien dans l'illustre
Sigebert, écolâtre à l'abbaye de St-Vincent de Metz. Le prince abbé
Martin Gerbert en parle dans son histoire de la musique d'église,
et donne le catalogue de ses compositions.
A cette même époque (1066), vivait le célèbre Franco, auteur
d'un manuscrit conservé dans la bibliothèque ambroisienne de Milan,
et intitulé < Ærs cantus mensurabilis. > Cet ouvrage que Gerbert a
inséré tout entier dans son recueil ( Scriptores ecclesiastici de music
sacrà potissimum), constate les progrès de la musique depuis Cuido,
tant sous le rapport du rythme que sous celui du déchant qu'il définit :
L'union de plusieurs mélodies concordantes entre elles, et composées
de diverses figures. Du reste, Franco parait être l'inventeur de la
mesure des temps dans la musique, invention qu’on avait attribuée
mal à propos à Jean de Muris, plus moderne de deux siècles,
Nous ne parlerons pas des commentateurs de Franco , dont quelques-
uns perfectionnèrent ses travaux sur le rythme, nous nous conten—
terons de dire que la musique resta stationnaire pendant plus d’un
siècle, surtout sous le rapport de l'harmonie , ce qu'il faut sans doute
attribuer aux croisades qui eurent lieu à cette époque.
* Or il advint en l’année 1052 que le pape et l’empereur, célébrant la fête de Noël à
Worms, le pape dit 1a messe solennelle le jour de la fête, et le lendemain il fit officier
Liupold archevèque de Mayence, parce que cétait sa province. Un des diacres de ce prélat
après la première oraison de la messe, chanta une leçon; car c'était l'usage de quelques
églises d'en chanter plusieurs aux fêtes solennelles ; mais, comme cet usage était contraire
à celui de Rome, quelques-uns des romains, qui étaient auprès du pape, lui persuadèrent
d'envoyer défendre au diacre de chanter. Le diacre, qui était un jeune homme fier, refusa
dobéir; et quoique le pape lui eût défendu un seconde fois, il n’en chanta pas moins
baut la leçon. Le pape le fit appeler, et le dégrada sur-le-champ.
L’archevéque de Mayence lui envoya redemander son diacre. Le pape le refusa, l’arche-
vêque prit patience pour lors; mais après l’évangile et l’offertoire , l’archevèque s'assit dans
son siége, et protesta que ni lui ni autre n’acheverait cet oflice, si on ne lui rendait
son diacre.
Le pape céda, et le lui renvoya aussitôt revêtu de ses ornemens,
En quoi, dit l’auteur original, on doit considérer la fermeté de l’archevéque à soutenir sa
dignité, et l'humilité du pape qui voyait qu’il fallait céder au métropolitain dans sa province.
(Hist, des papes, tome Il, pages 358— 359.)
CINQUIÈME SECTION. B15
Quant à la culture musicale dans le pays messin, nous n'avons pu
trouver aucun document historique , sauf les épitaphes de notre ca-
thédrale dont plusieurs consacrent la mémoire d'anciens chantres des
douzième , treizième, quatorzième et quinzième siècles.
Dans le nombre se trouve celle de CoZlignon Cassamus , né à Metz,
au commencement du quatorzième siècle, et mort en 4380 dans la
même ville, il avait été ménestrel de l'empereur Charles de Bohême,
de Louis, roi d'Espagne, et d’Alphonse, roi de Castille; fait qui
prouve assez que l’école messine n'était point restée en arrière dans
le mouvement qui se faisait à cette époque, mouvement rapide qui
porta bientôt les écoles Flamande et Francaise à la tête de toutes les
écoles musicales de l’Europe, et d’où sortirent J. Hobrecth, J. Ockei-
nem; Josquin-dés-Prez; Roland-de-Lassus, que les italiens nomment
Orlando-di-Lasso : Bromel, chef de l’école francaise , élève d’Ockeinem ;
Févim, d'Orléans; Arcadet, maître de chapelle du cardinal de Lor-
raine: J. Mouton, maître de chapelle de Francois I"; et surtout
Claude Gaudimel, de Besancon.
Ici arrétons-nous pour prononcer une parole sévère mais vraie,
c'est que les œuvres sublimes de Claude Gaudimel, ne sont pas
même connues en France, et se trouvent dispersées dans les biblio
thèques du Vatican et des couvens de Rome. Ce n'était pourtant
pas un homme vulgaire, que le fondateur de l’école romaine; ce
n'était pas un homme vulgaire, que celui qui comptait parmi ses
élèves les Naninr et les Palestrina !
La France a été, au reste, cruellement punie de sa coupable
indifférence, car tandis que l'Italie et l'Allemagne recueillaient aux
dix-septième et dix-huitième siècles , le fruit des nobles trayaux des
écoles Franco-Belges , sa réputation musicale se perdait insensiblement,
et elle s’égara enfin si complètement sur les traces de Rameau , que l’on
finit par mettre en doute l'aptitude des Français pour la musique.
L'école musicale messine suivit les phases de l’école française, dans
le quinzième siècle (dit l'auteur de l'histoire des sciences et des
arts dans le pays messin) , on faisait à Metz beaucoup de chansons et
ballades. Remarquons que ces chansons étaient encore composées dans
les modes ecclésiastiques, car ce n’est que dans le courant du sei-
zième siècle que la tonalité moderne prévalut *.
* 1563. Un livre très-rare et trés-singulier, publié en 1563 par Claude Sébastiani, organitle
de Metz, établit, d’une mauière plaisante, les situations respectives des deux tonalités à
cette époque. Il est intitulé: « Bellum musicale inter planis et mensurabilis cantûs reges. »
L'auteur, par une figure de rhétorique assez bizarre, fait de la musique un pays, dent il
516 MÉMOIRES ET PIÈCES.
La prédominance de la tonalité moderne est due en grande partie
aux chansons populaires, et particulièrement aux chansons françaises ,
à l'invention des madrigaux qui date des jours de l’école flamande,
et surtout à la musique dramatique qui prit naissance à la fin du
seisième siècle. On chantait à cette époque à Metz, et sans aucune
répréhension, les pseaumes de Clément Marot par les rues*; nous
ajouterons que la musique en avait été composée par Claude Gaudimel.
La musique profane joua sans doute un rôle dans les fêtes splen-
dides qui eurent lieu à Metz pendant le séjour qu'y fit Henri IV
en 4605 (dix-septième siècle), mais nous n’ayons pu trouver aucun
renscignement précis à cet égard. Nous savons seulement qu’en 1624 ,
à la réception de Gabrielle de Bourbon, l’on joua à Metz une pièce
intitulée Phrllis retrouvée, où pastourelle des nymphes d’Austrasie ,
dans laquelle on entendit deux chœurs accompagnés par des instru
mens **,
décrit la situation, les mœurs et la frugalité des habitans. Deux frères y règnent : l’un sur
la province du plain-chaut, l’autre sur celle du chant figuré. L’envie et l'ivrognerie brouillent
les deux frères. Chacun cependant publie un manifeste et se prépare à la guerre. Enu-
mération des troupes: plusienrs nations viennent au secours du roi du plain-chant; les
papes, les cardinaux, évêques, abbés, chanoïnes, loute la nation papislique et sorbonique ,
même les ministres luthériens avec leurs femmes; les vieilles femmes se joignent à l’armée
pour jeter des sorts contre l’ennemi. Les paysans avec des fourches et des faulx, une
troupe de râcleurs et de gens qui chantent faux, se rangent sous les drapeaux du roi du
plain-chant. L'armée du roi du chant figuré était composée des mesures, des modes, des
temps, des prolations. Ces princes du sang commaudent chacun un corps de troupes composé
de notes, etc.
Les discantes, le tenor et la basse, etc., étaient les troupes auxiliaires,
Lamentation de tout le peuple musical à l'approche de Ha guerre. Les allemands mu-
gissaient ; les oiseaux, les poissons même faisaient entendre leurs plaintes, Toute la nature
tentait en vain d’adoucir la colère des deux monarques. Trois envoyés du roi du plain-
chant, Messieurs ut, ré, mi, sont arrêtés par le roi du chant figuré, qui bientôt en retient
encore trois autres, Messieurs fa, sol, la. Quelques notes recurent tant de blessures, qu’elles
en devinrent toutes noires, Le combat s'engage: les trompettes sonuent. Les abeïlles et les
grillons y mêlent leur bourdonnement, etc...
L'abbesse des bémols et quelques-unes de ses religieuses en f, ut, fa, sont outragées,
Ées chats égratignèrent et arrachèrent les yeux de ceux qui voulaient les tuer pour faire
des chanterelles avec leurs boyaux; et voilà, dit l’auteur, d'où vient que l'on voit tant
de luthiers et de joueurs de guitares, borgnes ou aveugles. Le succès du combat devient
incertain : perte de part et d'autre, Enfin, la victoire se déclare en faveur du roi du
chant figuré. Le roi du plain-chant se réconcilie avec son frère. Des plénipotentiaires
sont nommés pour travailler au traité de paix, savoir: le pape Grégoire et saint Ambroise
d'une part; et de lPautre Jacques Lefèvre d'Étaples et André Ornithoparcus (célèbres musi-
ciens théoriciens de ce temps. Le vrai nom d’Ornithoparcus est Vogelsang). Traité de paix
t pertage des deux royaumes,
+5) (Dict. des Musicieus, par Fayole et Choron, article
Sébastiani (Claude).
* Bégin, Histoire des sciences, des arts et de Ja civilisation dans le pays messin,
*‘* Même ouvrage, page 435,
«4
CINQUIEME SECTION. 517
Du reste, parmi les hommes célèbres qui illustrèrent la ville de
Metz à cette époque, l'histoire ne cite aucun musicien. Les écoles
musicales du pays avaient alors bien dégénéré, et depuis long-temps
l'impulsion ne venait plus de la collégiale de Metz.
Le dix-huitième siècle fut moins stérile. Un prélat, M. -de Mont-
morency Laval, excellent musicien fit fleurir la musique dans notre
diocèse , il avait pour maître de chapelle Persuis Le père; qu'il avait
amené de Condom. Parmi les compositions de cet artiste on cite une
messe de Saint-Etienne; son obdormivit de l'office de noël passe pour
un chef-d'œuvre ; les O qu'on chantait huit jours avant Noël sont de
lui, la Cathédrale devenait alors le lieu d’une aflluence extraordinaire
tant cette musique y atlirait de monde.
Parmi ses élèves on cite Persuis fils qui lui était inférieur 'et qui
lui doit sa gloire; Milet, Valentin, Lagrange, Thomas, dont le fils,
pensionnaire du gouvernement à Rome, justifie de jour en jour les
brillantes espérances que son début dans la carrière musicale a fait
récemment concevoir.
C'est au milieu du dix-huitième siècle que la plupart des évêques
français réformérent leur liturgie, substituant au plain-chant grégorien ;
des chants dépourvus de caractère et de grandeur, ce qui ne con
tribua pas médiocrement à perdre l’école française , passablement com
promise déjà par l'adoption du système harmonique de Rameau. C'était
alors le temps des systèmes de musique, ou en faisant aussi en
Italie, mais les illustres maîtres de ce pays avaient le bon esprit de
ne point les introduire dans l'enseignement.
Malgré le mauvais goût qui régnait alors , la France ne manquait pas
dé musiciens de mérite, nous devons citer comme appartenant au
nord-est de la France, Désormery né à Bayon en 4740, et qui fit
ses premières études à la primatiale de Nancy. Martini, né dans le
Haut-Palatinat à la même époque, et que Naucy compta quelque
temps au nombre de ses artistes.
Martini répétait souvent que l'audition et l'exécution des chefs—
d'œuvre de la musique d'église peuvent seules former des chanteurs
et des compositeurs. N'oublions pas Mehul qui, dans sa jeunesse , alla
se perfectionner à l'abbaye de la Valle - Dieu près de Charleville où
l'un des religieux Gwllaume Hauser ; três-versé dans la science du
contre point ; lui donna des lecons d'harmonie et de composition.
Nancy possédait eñcore à cette époque le célébre violon Eck (Jean-
Fréderic), et Montmédy donnait le jour à Bochsa ; auteur de la
dansomanie.
518 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Enfin le conservatoire de Paris fut créé, mais un seul établissement
de ce genre ne suflisait pas pour toute la France, et ne pouvait d'ail-
leurs tenir lieu de maîtrises des cathédrales. Néanmoins il donna une
impulsion salutaire à toutes les branches de l’art musical , et bientôt
se formèrent en province des sociétés philharmoniques, et plus tard
et des conservatoires, sur le modèle de celui de Paris. Mais tous
ces établissemens pêchent par la base , l’enseignement du chant, qui,
il faut bien le dire, est encore dans une mauvaise voie dans l'établisse—
ment modèle, ce qui tient à ce qu'il est confié à des hommes qui
ne sentant pas toute la dignité de l’art, font exécuter de la musique
médiocre, au lieu des chefs-d'œuvre des maîtres.
Dix-neuvième siècle. Malgré quelques tentatives heureuses de Pavant
qui datent déjà de 20 ans , malgré le zèle de notre collègue M. Soleirol ,
notre ville était généralement restée en arrière en fait de musique,
surtout si on la compare à quelques villes du nord de la France,
mais depuis 1834, un heureux changement tend à s'opérer. Trois
‘écoles de chant y ont été établies depuis cette époque, et confiées
à d’habiles professeurs.
La première en date est celle de l’école normale dirigée par M. Leré,
auteur d'une méthode élémentaire de musique , composée pour son
école. Bien que les élèves ne recoivent que deux lecons d’une heure
par semaine, et que leurs autres études ne leur permettent point
de consacrer plus de temps à la musique, nous avons été frappé
de leurs progrès et de la solidité de leur instruction ; un rapport
extrêmement favorable de M. Orfila confirme à cet égard notre propre
jugement. Mais pour que l’enseignement de la musique à l'école
normale, remplisse complètement le but que l’on s'est proposé, les
élèves devraient rester un an de plus dans l'établissement , afin d’ap-
prendre à toucher l'orgue, et de se familiariser avec l’art d'enseigner.
De cette manière, devenus instituteurs , ils propageraient l'étude et le
goût de la musique dans nos campagnes.
L'introduction prochaine de l’acolodicon pour l'accompagnement
des voix, est un progrès que nous aimons à signaler.
La seconde école de chant est celle du petit séminaire, dont la
direction a été confiée à M. Dallemont; elle compte près de deux
cents élèves. Quant à la méthode suivie pour l'enseignement , elle est
tout-à-fait électique; ainsi le professeur a puisé dans les méthodes
de Choron, Wilhem, Galin, Massimino , Mainzer , etc., etc.
Ce cours de musique se lie admirablement à celui de l'école
normale , en ce que plusieurs des jeunes gens qui y assistent sont
CINQUIÈME SECTION. 519
destinés à l’état ecclésiastique et trouveront , au sortir de leurs études ,
et lorsqu'ils auront recu les ordres , un homme capable de les se-
conder musicalement parlant, dans l'instituteur de la commune.
Rendons hommage au vénérable abbé Chaussier , supérieur du petit
séminaire qui, par son zèle et par ses connaissances musicales, a
puissamment secondé le professeur , en se chargeant de l’enseignement
des soprani, ce qui était réellement la partie la plus fatigante , les
enfans étant à raison de leur âge les moins attentifs et les plus bruyans.
Parmi les morceaux exécutés cette année dans cette école , nous avons
remarqué avec plaisir un chœur de l’oratorio du christ de Bethoven,
l'O salutaris de Gossec et quelques autres compositions d'un grand
style. 5 ,
Il nous reste à parler de l’école municipale, dont la fondation est
due en grande partie au zèle de M. Desvignes qui, dés 1834, en
avait soumis le plan au conseil municipal, le projet fut approuvé, et
l’école fut ouverte au mois de janvier 48536, et placée sous la direction
de celui qui en avait provoqué l'établissement.
Une commission nommée par la ville, surveille et inspecte l’école.
La méthode d'enseignement pour le chant, est la même que celle
suivie au petit séminaire. Get enseignement est réparti sur six classes,
dont trois pour les jeunes garcons, et trois pour les jeunes filles :
dans la première classe de chaque sexe, il est gratuit et comprend
les premiers élémens de la musique.
Dans la deuxième classe, où l’instruction est plus forte et plus
étendue , la ville demande uné rétribution de 2 francs par mois,
mais seulement aux élèves dont les parens ont le moyen de faire cette
dépense, .
Dans la troisième classe, on étudie le solfége et l'on s'exerce à
la vocalisation ; cette classe se forme des élèves des deux premières
qui annoncent des dispositions remarquables.
La musique instrumentale n’a pas été oubliée dans le plan du
directeur. Déjà , les instrumens les plus essentiels dans les orchestres,
les violons et les violoncelles ont des professeurs et des élèves. Cet
enseignement, que dirigent MM. Giraud pour le violon, et Fibich
pour les basses, est réparti sur deux classes.
Les élèves de la deuxième classe recoivent leur lecon de ceux de
la première, en présence du professeur. Nous félicitons le directeur
d’avoir adopté cette méthode, autrefois en usage dans les conserva—
toires d'Italie; outre l'avantage de forcer l'élève à plus d'attention,
elle à encore celui de le former à l'enseignement.
520 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Nous ne mentionnons point une foule de cours particuliers, non
plus que le nombre des professeurs de musique dans chaque spécialité ;
ce qui nous entrainerait beaucoup trop loin. Nous nous borne-
rons à remarquer qu'en général la musique est très-cultivée à Metz, le
piano surtout qui ne compte rien moins que vingt-cinq professeurs.
Somme toute, il s'opère à Metz un mouvement musical très-prononcé
depuis quelques années, mais il nous manque encore une société philhar-
monique bien assise , il manque à nos amateurs et à nos artistes , préoc—
cupés de ce qui se fait à Paris, un peu plus d'indépendance. Espérons
que le temps aménera de nouveaux progrès ; en attendant, félicitons nos
magistrats d’avoir compris que ce n'était pas tout de pourvoir aux
besoins matériels du peuple, mais qu’il fallait encore pourvoir a ses
besoins moraux : ce devoir, nous n’hésitons pas à le dire, ils l'ont
rempli dignement. Puissent leurs eflorts rendre bientôt aux écoles
messines, l'éclat qui les environnait aux époques les plus brillantes
de l’histoire de notre ville ! Puissent nos fêtes populaires , vivifiées par
la musique , revêtir ce caractère religieux et grand qu’elles ont en
Allemagne, et devenir ainsi une source féconde de nobles émotions
pour toutes les classes de la société, :
SIXIÈME SECTION. 594
SIXIÈME SECTION.
ESSAIS
DESTINÉS
A FACILITER LA RÉPÉTITION DE L'EXPÉRIENCE FONDAMENTALE
DE LA THÉORIE DE L'INTERFÉRENCE DES RAYONS LUMINEUX,
Par M. ze pocreur DE HALDAT.
Le système de l’interférence des rayons lumineux, déduction des
idées de Descartes, établie de nos jours sur des preuves nombreuses
par le docteur Young , n’a, comme on sait, acquis le dernier degré
de certitude que par les travaux de Fresnel, dont l'expérience fonda-
mentale consiste à recevoir sur deux miroirs plans, qui font entre eux
un angle trés-obtus des rayons solaires, atténués par l'interposition d'une
lentille d'un court foyer, et à recevoir ces rayons convergens sur la
surface d’une lentille derrière laquelle se place l’œil de l'observateur.
Rien n’est plus simple que l'énoncé de cette expérience et ne paraît
au premier apercu d’une exécution plus facile, cependant le nombre
des physiciens qui l'ont répétée est trés-petit, car, à deux exceptions
près, tous ceux auxquels j'en ‘ai parlé, parfaitement convaincus de
l'exactitude du résultat, m'ont déclaré ne l'avoir ni exécutée eux
mêmes, ni vu exécuter par d’autres. Doit-on attribuer cette lacune
dans l’art de l'expérience à la juste confiance due aux travaux de
l’auteur, ou à l'indifférence des sayans qui, de nos jours, se montrent
généralement très-empressés de vérifier par eux-mêmes des faits bien
moins importans ? Ni à l’une ni à l’autre de ces causes, ce me semble , :
mais bien aux difficultés que l’on rencontre dans l'exécution, et
dont Fresnel nous avertit dans le supplément à la traduction francaise
66 è
522 MÉMOIRES ET PIÈCES.
de la chimie de Thomson , où il affirme que la saillie de l'un des
miroirs sur l'autre, d’une quantité égale à un ou deux centièmes de
millimètre suffit pour empécher l'apparition des franges caractéristiques
de l'interférence. Le moyen qu'il propose pour obtenir le résultat désiré
consiste à employer deux petits miroirs plans de métal ou de verre
noir, de les placer dans une boîte de laiton propre à les contenir
librement , et dans laquelle on a préalablement établi une couche de
cire molle sur laquelle on les presse de manière à obtenir un angle
d'une grande ouverture sans la moindre saillie d’une surface sur l’autre ,
et cela par un tâtonnement où le hasard joue un rôle si peu favo-
rable au succès, qu'il n’est pas étonnant qu'un si grand nombre de
physiciens aient été jusqu'alors privés de la satisfaction d'observer le
phénomène le plus curieux et le plus important de cette partie de
l'optique, nouvellement enrichie de tant de belles inventions, et
d'obtenir, en faveur de la théorie de l'interférence , des rayons lumi—
neux comme le dit M. Pouillet, dans l'exposé qu'il en a donné avec
la clarté qui le distingue, la preuve où l'esprit le plus sévère, le plus
difficile à convaincre , ne peut plus recourir à des actions inconnues
invoquées avec plus ou moins de raison avant cette expérience.
Pour éluder les difficultés que présente l’arrangement des miroirs
de Fresnel, on a substitué à cet appareil un prisme isocèle de verre
à angle très-obtus qui, placé dans le trajet des rayons lumineux les
fait coïncider en des plans parallèles à l’arête du prisme. Ce moyen
d'un emploi trés-facile donne de belles franges, mais opérant né-
cessairement la dispersion des rayons qui en traversent les faces in-
clinées fouruit la matière d’une objection que Fresnel voulait éviter,
et qu'il aurait sûrement condamnée, puisqu'il rejette même l'emploi
de glaces étamées, à raison sans doute de la double image qu’elles
produisent; à plus forte raison il eût condamné l'emploi d’un même
prisme de verre étamé sur les deux faces qui forment l'angle obtus,
instrument qui donne aussi de fort belles franges , mais qui réunit le
double inconvénient de disperser les rayons et de doubler les images.
Désireux d'observer enfin les résultats d'une expérience devenue si
célèbre, et peu satisfait des essais que j'avais faits en suivant le
procédé de l’auteur, j'ai cherché des moyens indépendans du hasard
et propres à assurer Je succès de l'expérience dans sa pureté, entre
les mains les moins exercées. Persuadé que les mécomptes de l’ex-
périence sont parfois utiles à la science, je ferai connaître les ten-
tatives infructueuses comme celles qui ont été couronnées de succès
L'ebstacle principal à la production des franges dépendant de la
: SIXIÈME SECTION. 593
difficulté de disposer les miroirs sous l'angle convenable , sans que l'un
anticipe sur l'autre de plus d’un ou deux centimes de millimètre , je
pensai qu’on obtiendrait ces conditions en imprimant sur quelque
substance propre à conserver une empreinte brillante l'angle obtus
d'un prisme bien poli et semblable à celui par le moyen duquel
on obtient les franges par réfraction. Pour m'en assurer je fis exécuter
par M. Soleil fils, opticien à Paris, très-versé dans la construction
des appareils destinés aux expériences de diffraction et de polarisation
deux prismes de ce genre, l’un en verre et l’autre en acier. Le premier
fut imprimé par sa double surface sur une couche de cire à cacheter
noire la plus homogène que je pus me procurer et préalablement
étendue à l’état liquide sur une lame de cuivre. Par ce procédé j'obtins
en effet une double surface miroïitante qui réfléchissait assez bien
l’image des objets, mais qui, employée pour obtenir des franges, ne
donna que des résultats peu satisfaisans à raison de leur irrégularité
et du peu d’éclat qu’elles produisaient. Après cet essai j'employai
le prisme d'acier qui fut enfoncé au moyen du balancier dans une
lame épaisse d’étain de Banca, préalablement dressée à la lime, puis
avivée aveo le grattoir. Par ce procédé mécanique , j'obtins une double
surface miroitante dont le poli égalait celui de l'instrument d'acier
employé pour- la produire. Ce double miroir placé dans, le trajet des
rayons solaires réfléchis horizontalement par l'héliostat, donna en effet
des franges brillantes très-distinctes à la loupe qui n'occupent que
le centre de l'image réfléchie, et dont la régularité n'est pas parfaite,
mais qui offrent vers leur bord commun extérieur des stries irrégulières
qui réunissent l'éclat des plus vives couleurs, aux formes les plus
variées, et rappellent l'idée d’un tapis de Turquie tissu d'or et de-
soie. Cesyphénomènes qu’avaient aussi présentés les réflecteurs en cire
à cacheter, mais dans une teinte beaucoup plus sombre et d'une
manière moins distincte, me rappela ce que n'ignore aucun physicien,
l'imperfection des surfaces réfléchissantes obtenues au marteau, quand
il s’agit de les empleyer dans la construction des instrumens d'optique
qui exigent une grande régularité. É
On doit regretter que ce procédé, le seul à l'abri de toute objec—
tion, ne soit pas à l'abri du défaut que nous avons signalé, puisqu'il
est à la fois le plus. propre à confirmer la théorie, le plus commode
à employer , et le moins dispendieux ; toutefois loin de l'abandonner
il me semble digne de recherches propres à le perfectionner en donnant
au prisme d'acier un poli plus parfait. Je ne parle pas des essais in-
fructueux, faits ayec l’alliage de Darcet et d’autres analogues, pour
594 MÉMOIRES ET PIÈCES.
donnér à de petites masses de ces substances ; à l'état fluide , la forme
du double réflecteur, en leur appliquant , dans le moment de la so—
lidification , l'un de nos prismes générateurs , parce qu'ils n'ont donné
que des surfaces grenues, et dont un petit nombre de points apparte-
naient à des surfaces planes.
Après ces succès variés et incomplets , je me suis engagé, pour par—
venir au but que je me proposais, dans une voie nouvelle ; persuadé
comme je l'étais, qu’il n'était pas impossible d'obtenir mécaniquement
une disposition des miroirs telle que la leur donnait Fresnel par une
dextérité qui lui était propre, et dont il a emporté le secret; je me
suis efforcé de remplir les vues de ce grand physicien, en construisant
an instrument tel qu’il l'avait désiré, et tel qu'il l’eùt sans doute exé-
cuté, si, moins occupé des hautes spéculations auxquelles le portait
son génie, il eût pu le fixer sur des objets de moindre importance.
Comme la valeur de l'angle est indéterminée, et que la condition
fondamentale est d'obtenir une MALE pô des miroirs, telle que
formant entre eux un angle obtus, l’un n'anticipe pas sur l’autre de
plus d'un à deux centièmes de millimètre, nous avons satisfait à ces
données au moyen d’une petite boîte de laiton qui contient librement
deux petits réflecteurs en verre noir ou en métal blanc de 6 à 8 cen-
timètres de surface. Cette boîte , dont la profondeur est triple de l'é-
paisseur des miroirs, porte dans le milieu de ses bords supérieurs et
inférieurs , une tige d'acier de trois à quatre millimètres de diamètre,
tournée, calibrée et rendue exactement cylindrique par le rodage.
C'est contre cette tige que les deux miroirs appliqués par un ressort
en C, établi verticalement au fond de la boîte, prennent une position
qui, au moyen de ressorts dans une direction transversale , placés près
des bords latéraux et de vis de pression, peuvent étre amenés dans un
même plan ou former à volonté l'angle qui produit l'interférence des
rayons. Avec ce petit appareil on obtient facilement les franges carac-
téristiques du phénomène, et les plus simples notions de géométrie
prouvent que cela doit être; mais comme le cilindre placé en avant
des deux glaces produit aussi des franges par diffraction qu’on pourrait
confondre avec celles produites par l’inclinaison des miroirs , je me suis
définitivement arrêté à un autre petit instrument qui m'a été proposé
par M. Gaisse, mécanicien à Nancy, il est aussi composé d’une boîte
de laiton propre à contenir les réflecteurs, qui , poussés par des ressorts
appuyés contre son fond, sont forcés de se coucher sur les bords
d'un châssis de cuivre qui, par sa forme, leur donne l'inclinaison né-
cessaire. Toute la difliculté dans la construction de ce petit appareil
SIXIÈME SECTION. 595
consiste à donner aux bords du châssis qui doivent déterminer l'in-
clinaison des miroirs la pente convenable, ce qui s'obtient en les tra-
vaillant sur une glace après les avoir ajustés à la lime. Cette disposition
simple et commode donne de belles franges qu'on doit observer avec
une loupe d’un court foyer et qu'on peut mesurer avec l'appareil in-
venté par Fresnel. Si on ne le possède pas, on le remplace avec une
pièce à coulisse horizontale , établie sur un LES de graphomètre, avec
laquelle on conserve à la lentille oculaire qu on y place, une position
fixe qui facilite l'observation.
Maintenant, si nous comparons les Es procédés destinés à favo—
riser la répétition de l'expérience de M. Fresnel, nous trouvons que
celui où l’on emploie Les réflecteurs en étain obtenus par la percussion,
le plus simple et le moins dispendieux de tous serait encore le plus
parfait si l’on pouvait éviter les défauts que j'ai signalés, parce qu'il
est le seul contre lequel il n’y ait aucune objection ; car dans le pro—
cédé de Fresnel les bords des miroirs produisent aussi des franges
qui peuvent compliquer le phénomène. Après celui-ci nous placerons
celui où l’on couche les réflecteurs sur les bords d’un châssis de laiton
dont les plans formés par les bords représentent un prisme isocèle
à angle obtus. Après ce dernier, celui où l'angle des réflecteurs est
produit par une tige cylindrique d'acier ; nous ne donnerons enfin que
les derniers rangs aux procédés où l’on emploie les prismes de verre
par réflexion et par réfraction comme les moins à l'abri des objections
qui ont retardé le triomphe de la théorie des ondulations lumineuses.
596 MÉMOIRES ET PIÈCES.
NOTE
SUR
LES EFFETS ET LES LOIS DU CHOC, DE LA PÉNÉTRATION
ET DU MOUVEMENT DES PROJECTILES DANS LES
DIVERS MILIEUX RÉSISTANS,
Par MM. PIOBERT, MORIN ET DIDION,
Capltaines d’Artillerie,
4. Nous nous proposons, dans cette note, de donner un résumé
succinct des résultats des nombreuses expériences faites de 1834 à
4835, sur le choc et la pénétration des projectiles dans les divers
milieux résistans, par une commission d'ofliciers d'artillerie de l’école
de Metz, et dont nous avons été les rapporteurs. Nous nous bornerons
à signaler les eflets principaux et les lois mathématiques auxquelles on
est parvenu , par la discussion de tous les résultats des expériences.
2. Distinction des effets produits par le choc. Dans les effets dont
nous avons à parler, nous distinguerons deux objets différens, les
effets apparens et physiques et les effets mécaniques.
Les premiers sont principalement relatifs aux modes de rupture
et de déformation des projectiles et des milieux pénétrés ou choqués,
et nous avons été à même d'observer des faits assez remarquables
pour nous y arrêter quelques instans.
Lorsqu'un projectile, animé d’une certaine vitesse, vient choquer
un corps résistant, il se produit d'abord, aux parties en contact,
des effets qui dépendent de cette vitesse, de la dureté du corps
et de celle du milieu, et pour s'en rendre compte il faut examiner
successivement ce qui se passe avec les différens milieux.
3. Choc et pénétration des projectiles contre les maçonneries de
moellons de bonne qualité. Quand un boulet atteint une maçonnerie
SIXIÈME SECTION. 597
de moellons, le trou formé par la pénétration présenté deux parties
distinctes, l’une extérieure irrégulièrement évasée , l'autre intérieure de
forme tronc-conique légèrement évasée vers l'extérieur, et terminée au
fond par une calotte hémisphérique d’un diamêtre à peu près égal à celui
du projectile. En comparant entr'eux les profils horizontaux et ver-
ticaux des trous formés par les boulets de 24, de 12 et de 8, on
trouve que le diamètre extérieur de ces trous est moyennement égal
à cinq fois celui du projectile. Ces entonnoirs extérieurs sont produits
par la réaction de la maconnerie qui, après avoir cédé et fléchi sous
l’action du projectile , revient en avant par son élasticité, se rompt
et est lancée en débris, à des distances qui excédent souyent 40 ou
50 mètres, ce qui rend ces éclats fort dangereux pour les canonniers
des batteries de brèche.
Il arrive méme souvent que le projectile est rejeté hors de son
trou à une certaine distance de l’escarpe, et parfois jusqu'a 2 à 3".
La trainée des décombres qui se forme devant les trous, s'étend
parfois à 6" perpendiculairement à l'escarpe.
L'action des projectiles sur les maçonneries, produit en outre,
tout autour du vide apparent, un ébranlement qui désunit les pierres
jusqu’à une certaine distance. Le diamètre extérieur de la partie ainsi
ébranlée , est à peu près double de celui du trou et d'environ 4,15
pour le calibre de 24, de 0",90 pour le 16, et de 0,80 pour le 12.
Il se produit aussi une élévation considérable de température à
peu prés impossible à mesurer, mais qui est telle, qu’en allant retirer
un boulet quelques secondes après qu’il a été lancé, on sent une forte
chaleur. Dans quelques trous formés dans des joints, on a observé
que la chaux du mortier et même celle du calcaire de la maconnerie
acquérait l’odeur et la saveur légèrement caustique de la chaux vive
en poudre, ce qui indique un certain degré de recuit.
Les boulets retirés de leur logement offrent tous, à leur surface
antérieure , qui a formé le trou , des rayonnemens méridiens, partant,
comme d’un pôle commun, du point qui a atteint le premier la ma-
connerie, et allant en divergeant et en diminuant, de manitre à
disparaître à 90° de ce pôle. Ces sillons ont parfois un millimètre
de profondeur, selon la dureté respective des projectiles et de la
pierre.
4. Rupture des projectiles. Aux charges de moitié et du tiers du
poids du projectile, c’est-à-dire à des vitesses de 570% et 500"
environ par seconde, les projectiles tirés dans les maçonneries de
moellons durs sont brisés. Il en est de même, à plus forte raison,
598 MÉMOIRES ET PIÈCES.
contre les roches de calcaire oolithique très-dur. A la charge du
quart du poids du projectile, ou à une vitesse de 440" environ,
les trois quarts des boulets sont aussi brisés.
La rupture se fait suivant une série de plans méridiens, dont
l'axe commun est dirigé suivant la trajectoire, et qui ont pour pôle
le point qui rencontre le premier la maçonnerie. Cet effet est général,
et n’a d'exception que quand il y a dans la fonte quelque défaut
d'homogénéité.
Quand la fonte du projectile est très-grise et douce , les fragmens
ne se séparent pas tout-à-fait. La figure 41 montre quel est alors le
mode de déformation, par l'exemple d’un boulet de huit tiré à la
charge de la moitié de son poids. La partie antérieure, en rencontrant
la maçonnerie , a été aplatie, tandis que le grand cercle, perpendi-
culaire à Ja trajectoire, s'est renflé et a augmenté de diamètre d'une
manière notable. La dépression de la surface antérieure s’étend jusqu'à
un petit cercle de 0",074 environ de diamètre , placé à 0,087 du
sommet postérieur, et à partir duquel commence le renflement, qui
se propage insensiblement jusqu’au pôle postérieur, où la surface se
raccorde avec la sphère de la forme primitive.
Par suite de cette déformation, l'axe correspondant à la trajectoire,
est réduit, de 0®,1095 qu'il avait avant le choc, à 0,098 ; c’est-à-dire
qu'il est diminué de 0®,0045, tandis que le grand cercle perpendi-
culaire a acquis un diamètre de 0®,1056 au lieu de 0",1025, ce
qui correspond à une augmentation de 0*,0053. Le peu d'élasticité
de la’ fonte n’a pas permis des compressions et des dilatations aussi
grandes, ‘sans que la rupture s'ensuivit, et le projectile s’est fendu
et partagé en plusieurs sections sphériques, dont dix sont bien ap-
parentes, et dont les surfaces de séparation sont toutes dirigées sen—
siblement dans des plans méridiens.
5. Pénétration des projectiles dans des murs en pierre de taille
de calcaire oolithique. Le choc des projectiles animés de grandes
vitesses contre des murs en pierre de taille, cubant de un à deux
mètres, a offert des circonstances fort remarquables, quant au mode
de rupture des pierres. ”
Lorsqu'un boulet avait frappé le milieu d’une pierre, le fond du
trou, formé par le projectile, était entièrement mis à découvert par
l'éclatement des parties latérales, et paraissait être devenu le sommet
d'une pyramide à quatre faces, dont la base était la section faite
dans la pierre choquée, perpendiculairement à la direction du tir. De
sorte qu'après quelques coups tirés au milieu de chacune des pierres,
SIXIÈME SECTION. 599
le mur présentait l'aspect de ce que l'on nomme ordinairement une
taille à pointes de diamant
Or, on sait que ce mode de rupture est précisément celui qui
se produit par la compression, et en comparant des cubes de la
même pierre, ainsi brisés, on a reconnu une identité complète dans
les formes et les inclinaisons des faces.
Outre cette division par quatre plans inclinés , formant les faces d’une
pyramide , chaque bloc est en outre partagé par un grand nombre de
plans , qui se coupent tous suivant l'axe de la trajectoire.
Ces éxpériences ont montré que des murs construits en blocs de
pierre de taille de grandes dimensions , n'offriraient pas à l’action
des projectiles , une résistance plus grande que de bonnes maconneries
de moellons.
6. Résuliat général du tir des projectiles contre les maçonneries.
Les expériences faites sur le tir en brèche, exécuté contre la Citadelle
de Metz, ont conduit à un résultat remarquable par sa simplicité;
c'est qu'il faut, avec tous les calibres, le même poids de poudre
et de fonte pour ouvrir une brèche, et que le nombre de coups
est en raison inverse du calibre. On formule cette conséquence, en
disant que, par mètre courant de brèche à ouvrir, il faut consommer
50 kilogrammes de poudre et 100 kilogrammes de fonte.
7. Pénétration des projectiles dans les terres. En pénétrant dans
des terres végétales plus ou moins argileuses, les projectiles y forment
un vide évasé à l'entrée, et dont la forme régulière est celle d’un
solide de révolution, engendré par une courbe convexe vers l'axe.
L'évasement du trou est d'autant plus grand vers l'entrée, que la
vitesse: du projectile était plus considérable et la terre plus molle et
plus argileuse ; il s’est élevé parfois à près de 4" à l'entrée.
En examinant attentivement la surface intérieure de ce vide, on
reconnaît qu'elle est déchirée dans le sens des-plans perpendiculaires
à l’axe longitudinal, et qu'une partie de son contour a été touchée
par le projectile. Si l’on relève avec soin des sections transversales
du vide, et qu’on fasse, dans chaque section, la somme de tous
les arcs qui portent des traces bien visibles du contact du projectile ,
on trouve que cette somme est constante et égale à la circonférence
de ce corps; ce qui prouve que c’est en projetant latéralement les
parties qu’il touche, que le mobile forme l'évasement du trou et
explique comment il croît avec la vitesse de ce corps êt la mobilité
du milieu. À
Pour bien obseryer tous ces effets et pour en saisir les lois, on
67
530 MÉMOIRES ET PIÈCES.
a tiré dans un coffrage de 25 mètres quarrés de surface sur 3 mètres
de hauteur, rempli de terre argileuse , et après chaque coup on relevait,
avec le plus grand soin, toutes les dimensions des entonnoirs, qui
restaient ordinairement bien formés.
Œette opération, a d'abord fait reconnaitre un fait remarquable ,
c'est qu'aussitôt après le passage du projectile, la terre lancée nor-
malement à sa surface , revient sur elle-même, et que les dimensions
du vide diminuent notablement, dans un rapport qui a été trouvé
moyennement égal à celui de 100 à 85. Ce fait résulte de ce que la
terre glaise jouit, à un degré remarquable, d’une certaine élasticité ,
et qu'après avoir été comprimée elle revient sur elle-même, et est
susceptible d'une certaine force de ressort.
Nous verrons plus loin que l'observation de ces eflets conduit à la
démonstration de la loi que suit la résistance du milieu , et nous allons
auparavant continuer à signaler les autres phénomènes apparens du
choc et de la pénétration.
Dans les terres les boulets ne se brisent pas, mais les obus de
24 , tirés à 40 ou 50" de distance , se brisent souvent dans des terres
rassises de consistance moyenne, à la faible charge de 0kl,50 , et à celle
de 0Kl,75 quand elles sont fraîchement remuées. L’obus de 8 pouces
se brise dans les terres rassises , à la charge de 4, et dans les terres
fraîchement remuées, à celle de 41,50.
8. Pénétration des projectiles dans les sables. Lorsqu'un projectile
pénètre dans du gravier fin ou gros sable, il se rayonne à sa surface
antérieure à peu près de la même manière que dans la pierre , et les
sillons offrent au moins autant de profondeur. Le frottement et la
compression éprouvés par le métal et par le milieu développent une
chaleur telle que le sable pulvérisé est desséché, recuit, et prend
une couleur blanc grisâtre qui, depuis l'entrée du corps jusqu’au
point où il s’est arrêté , remplit le trou par lequel il a passé et sert
à le retrouver. La consistance de ce sable broyé est un peu moindre
que celle de la masse environnante , la sonde y pénètre plus facilement,
mais il remplit exactement le canal du passage.
Au fond du logement du boulet, ôn sent encore après plusieurs
minutes une chaleur qui s'élève parfois, au-delà de 30 à 40°. La
température acquise par les projectiles pénétrant dans les terres est
telle qu’un boulet de 24 ayant traversé un parapet et étant allé tomber
à 40 mètres au-delà du point où il avait passé, un homme qui s’avisa
de le ramasser aussitôt eùt les mains légèrement brulées.
Le fond du trou est comprimé et présente toute l'apparence d’un
SIXIÈME SECTION. 531
moule en sable, qui a été recuit. La compression produite par le
corps choquant ne s'étend d’ailleurs qu’à une fort petite distance
égale au plus à 0,01 ou 0,02.
Il arrive quelquefois que les boulets sont brisés par le choc dans
le sable mélé de gravier. Cela est rare au premier coup, mais si le
même boulet est tiré plusieurs fois de suite, même dans le sable le
plus fin, il s'use par le frottement, perd environ GK1,045 par coup
aux grandes vitesses et se brise après quelques coups.
9. Pénétration des projectiles dans les bois. Le chêne se laisse
moins pénétrer que le sapin et ne présente , après le passage du pro-
jectile, qu’un vide à peine suffisant pour y introduire une sonde,
même pour le. calibre de 24, qui a 0,449 de diamètre. Les fibres
du bois se déplacent latéralement et se resserrent après le passage.
Dans le sapin au contraire toutes les fibres choquées sont à peu près
rompues. Mais l’écartement des fibres du chêne produit des déchirures
longitudinales considérables, qui ont été de deux mètres de longueur ;
avec les plus petits boulets tirés avec de faibles charges et des éclats
de bois ont été lancés quelquefois jusqu’à 12 et 45 mètres, dans
différentes directions , de sorte que les pièces de bois de chêne du
plus fort échantillon peuvent être mises complétement hors de service
d’un seul coup, tandis que dans le sapin l'effet se borne au vide
des trous et ne fait que diminuer les dimensions des pièces de
bois.
40. Choc des projectiles contre des masses de fonte. Dans la des-
cription des effets de ce tir, nous distinguerons ceux qui se passent
au point de contact ou dans son voisinage et ceux qui se propagent
à distance dans la masse choquée. Les premiers se rapportent prin-
cipalement au projectile et à l'impression qu’il produit.
Aux plus faibles charges et à des vitesses de 60 à 70® au plus
par seconde , les boulets qui choquent une masse de fonte se brisent,
en se partageant suivant des plans méridiens, comme dans les ma-
conneries de roches calcaires.
A la charge de +3 du poids du projectile , ou à la vitesse d'environ
100 mètres le boulet se brise de la manière suivante. La partie an-
térieure, qui choque le bloc de fonte, se déprime sur une étendue
circulaire de 0%,065 à 0,070 de diamètre, qui devient la base d’une
sorte de pyramide à cinq pans, dont le sommet paraît être au centre
duprojectile. Autour de ce noyau se forment cinq fragmens principaux
(fig. 4, 5 et 6), séparés par des plans méridiens, passant par son
axe et appuyés sur ses faces. Les secteurs en glissant sur le noyau en
532 MÉMOIRES ET PIÈCES.
rayent la surface en même temps que la leur, et ces parties présentent
un aspect fibreux analogue à celui du fer nerveux.
Dés que la charge atteint + du poids du boulet, ou la vitesse 150®
environ; le noyau apparent que l’on trouve après chaque coup, au
lieu d'être unique, est composé de plusieurs enveloppes de même
forme, dont les axes ont la même hauteur, et qui en glissant les
unes sur les autres sont venues successivement par leurs bases an—
nulaires rencontrer le bloc et y produire des empreintes, Ge mouve—
ment relatif des diverses enveloppes les unes sur les autres est ma-
nifesté par les silluns que présentent leurs surfaces respectives, et
surtout par la séparation complète des parties les plus voisines de la
base, qui se débordent les unes les autres de plusieurs millimètres.
Souvent une portion de ces enveloppes se brise, et met ainsi à
découvert l'enveloppe suivante, de sorte que la simple inspection d’un
noyau fait remarquer trois ou quatre enveloppes. Il y a tel boulet
qui offre ainsi un noyau entouré de six à sept enveloppes dont les bases
annulaires se dépassent de plusieurs millimètres (fig. 4, 2 et 3).
Toutes ces surfaces sont de révolution autour d'un axe normal à
la face choquée , et la courbe de leur profil générateur tourne toujours
sa convexité vers l'axe. Quant à la longueur de cet axe elle diminue
à mesure que la vitesse augmente, et ne paraît pas être la même pour
toutes les enveloppes d'un même noyau.
Les noyaux et leurs diverses enveloppes présentent un aspect fibreux
analogue à celui du fer. Les sillons très-visibles , dont leurs surfaces
sont chargées, paraissent en général dirigés suivant la ligne de plus
grande pente, etse manifestent sur les faces extéricures et intérieures de
toutes les enveloppes. Cette apparence n’est, comme on le pense bien,
qu’un effet mécanique produit par le glissement des surfaces , les unes
sur les autres, et les ruptures du noyau et de ses enveloppes offrent
d’ailleurs le même grain que tous les autres fragmens du boulet.
Ce déplacement si violent des molécules ne peut avoir lieu sans
produire une élévation considérable de température , qu'il est dificile
de déterminer. En examinant des boulets tirés à la charge de moitié de
leur poids, on remarque que les bords tranchans des diverses surfaces
enveloppes qu'ils présentent sont colorés en bleu. Si l’on admet avec
Karsten que la fonte grise exige , pour parvenir à une même couleur,
plus de chaleur que le fer, et que celui-ci atteigne le recuit bleu à
à la température de 540 degrés, on voit que celle du noyau serait
voisine de 600 degrés centigrades.
Un autre eflet fort remarquable, c'est que, par suite de Ja violence
SIXIÈME SECTION. 535
du choc, l'élasticité des parties en contact, tant du boulet que de la
masse choquée est totalement altérée et détruite. Dans toutes les ex-
périences le projectile a été retrouvé tout prés du but ; mais de ce
“que l'élasticité a été altérée aux points de contact, il ne s'ensuit pas
qu'il 'en soit de même de la force de ressort développée dans la masse
par sa flexion générale.
41. Effets produits sur la masse choquée. Les parties du bloc, qui
sont choquées par le projectile et par les enveloppes annulaires de
son noyau, présentent l'empreinte de sa forme extérieure , comme si
elles avaient été moulées l’une et l’autre. Cette empreinte forme la
base d'un noyau de forme conique, qui est poussé dans l’intérieur de
la masse. Autour de ce noyau principal, correspondant à celui du
boulet , il se forme d’autres cônes enveloppes du premier dont les sur-
faces se, rapprochent de plus en plus de la direction normale à la
face choquée. En examinant l'empreinte des coups tirés avec des boulets
de 24, à la charge de + et ? du poids du projectile , on remarque
autour du cercle principal six à sept cônes annulaires, produits par
l'action des surfaces enveloppes correspondantes du noyau du boulet.
Ces zônes forment dans cette partie de l'empreinte des sillons dont
la profondeur s'élève parfois jusqu’à trois ou quatre millimètres, et:
va généralement en décroissant à mesure qu'elle s'éloigne du centre.
La profondeur de ces impressions annulaires montre que les frag-
mens du projectile, après avoir surmonté la résistance moléculaire de
leur surface de rupture, sont encore animés d'une vitesse considérable
et capables de produire des effets trés-meurtriers.
Le noyau intérieur et les surfaces enveloppes de forme conique, qui
sont produits par le choc, déterminent la rupture de la masse choquée.
On conçoit, en effet, que ces diverses parties glissant successivement
les unes sur les autres et sur les pre contiguës du bloc, elles forment
autant de cônes, qui tendent à s’insérer dans la masse, et comme celle-ci
est sensiblement incompressible , il faut qu’elle se fende suivant des
directions normales aux cercles de base du noyau de ces enveloppes,
pour leur livrer passage.
A mesure que la vitesse du projectile est plus grande, les effets de
rupture deviennent plus sensibles , et la masse choquée se brise en frag-
mens de plus en plus nombreux, qui, par suite de l’action du coin et
de la force de ressort développée par la flexion générale de la masse, sont
parfois lancés à de grandes distances. Ainsi l'élasticité , qui paraît avoir
été totalement détruite au point de contact , où les flexions ont dépassé
“les limites d'extension que la matière peutsupporter, n'a pas subi la même
534 MÉMOIRES ET PIÈCES.
altération à une certaine distance , où l'amplitude de ces flexions a été
beaucoup moindre. Mais, outre les ruptures qui se produisent dans le
voisinage de l’empreinte , et qui sont déterminées par le prolongement
des fissures qui se forment à son contour, il s'en produit d’autres à
des distances considérables du point choqué, par suite des vibrations
générales , qui se propagent dans la masse.
Ces résultats remarquables prouvent que le choc des boulets contre
la fonte, produit deux effets bien distincts, l’un de compression au
contact , par suite duquel l'élasticité des parties choquées est détruite ,
Vautre de flexion générale par suite duquel l’élasticité de la masse choquée
est mise en jeu, et peut, selon les rapports des masses , des vitesses
et des dimensions , être totalement altérée, comme dans le cas de la
rupture. Par suite de ce dernier effet, il se forme dans la masse cho-
quée des nœuds et des ventres de vibration , et lorsque l'amplitude des
oscillations dépasse les limites que peut supporter l'élasticité de la ma-
tiére , il se produit dans les ventres des ruptures ou des solutions de
continuité plus ou moins prononcées.
12. Mode de rupture des boulets qui se choquent. Aux détails que
nous venons de donner sur Ja rupture des projectiles et des masses
qu'ils choquent, il ne sera sans doute pas inutile d’ajouter quelques
mots sur celle des projectiles qui se choquent entr'eux.
Lorsque deux boulets se rencontrent avec de faibles vitesses, ils se
compriment réciproquement aux environs du point de contact, de ma-
nière à former une surface plane de contact. Cet aplatissement est
presque toujours suivi de la rupture suivant des plans méridiens.
Mais à de plus grandes vitesses, le mode de rupture change : le point
choqué et déprimé devient légèrement concave , et présente la forme
d’un pentagone sensiblement régulier, qui sert de base supérieure à une
pyramide tronquée à cinq faces légèrement concaves , dont la base infé-
rieure est un pentagone sphérique. (fig. 7 et 8).
Lorsque le plan tangent aux points de contact est normal à la direc-
üon du choc, la pyramide est droite; lorsqu'il est oblique, elle est
biaise. C'est la seule différence que l’on observe entre tous les boulets
qui se sont brisés quel que soit d’ailleurs leur calibre. Le défaut d’ho-
mogénéité de la matière altère souvent la régularité des faces; mais
quant à la forme générale elle paraît tellement soumise à une même loi,
que sur deux cent cinquante boulets ainsi brisés , retirés de la butte du
polygone de Metz en 4854, il n'y a eu qu'une seule exception offerte
par un boulet, qui avait sept faces de rupture, au lieu de cinq:
13. Mode de rupture des obus qui se choquent. Lorsqu'un obus est
SIXIÈME SECTION. 535
choqué par un autre ou par un boulet animé d'une assez grande vitesse,
le choc détermine d’abord l’aplatissement des surfaces extérieures dont
la courbure dépend du rapport des masses et du calibre. Cette em-
preinte forme la base d’un noyau conique dont le sommet est à l’in-
térieur , et qui détermine autour de lui la formation de surfaces en-
veloppes de forme aussi conique, mais dont le sommet est extérieur.
Quand la vitesse est suflisante , le noyau n'offre guère qu’une surface
de rupture lésérement conique, dont les deux bases extérieure et
intérieure ne diffèrent pas beaucoup lune de l’autre ; maïs si la vitesse
est moindre , la base extérieure du noyau est beaucoup plus petite
que la base intérieure , il est étranglé vers le milieu de sa longueur.
Sa surface est fibreuse vers l'extérieur et grenue à l’intérieur, ce qui
montre qu'après un léger déplacement du noyau conique ;, il s’est formé
intérieurement une surface de rupture par arrachement. Dans ce cas,
si l'obus n’est pas brisé, le noyau chassé en dedans ayant sa base in
térieure plus grande que l’extérieure , on ne peut le retirer. Enfin, si la
vitesse est encore moindre , l’obus n'offre à l'extérieur qu'une dépres-
sion de sa surface avec ou sans ouverture apparente. Cependant en le
secouant , on reconnaît la présence d’un noyau de rupture dé forme
conique, dont le sommet se trouve vers le centre de la face de dé-
pression et dont la base circulaire plus étendue que cette face s'appuie
à la surface intérieure de l’obus.
Enfin toutes les fois que l’obus est brisé et qu'il ne présente pas
de défauts notables, le plan méridien qui passe par le point choqué
et par l'œil étant celui de moindre résistance , la rupture à toujours
lieu dans ce plan.
44. Choc des projectiles contre le fer forgé. Les projectiles qui
choquent des masses de fer forgé se brisent d'une manière semblable
à celle que nous venons de décrire pour le cas où la masse choquée
était en fonte.
45. Effets produits par la musse choquée. Les expériences ont été
faites sur des plaques de fer corroyé de 0,036 , 0,048 et 0®,077
d'épaisseur de 0,40 à 0,45 de largeur et de 47,30 à 1",50 de
longueur, appliquées contre un bloc de chêne de 0,20 d’équarrissage.
Aux faibles vitesses la plaque n’est pas brisée, il s’y forme une
empreinte à peu près hémisphérique, et par la réaction du bois le
projectile est souvent rejeté à une assez grande distance. Mais à
mesure que la vitesse augmente les impressions deviennent plus profon-
des , et la plaque est traversée. Ainsi une plaque de 0,056 l'a été par
un boulet de 12 à la vitesse de 180% environ, une autre de 0,048 l'a
536 MÉMOIRES ET PIÈCES.
été par un boulet de'même calibre à la vitesse de 365" environ , et une
troisième de 0,077 T'a été par un boulet de 24 à la vitesse de 450".
Les pibiccilés se brisant en formant des noyaux de rupture avec
enveloppes annulaires , les empreintes présentent des formes sem-
blables en creux, et le métal étant ici malléable, il se produit sur
les bords des refoulemens et des déchiremens symétriquement répartis
d’un eflet très-remarquable.
La chaleur qui se développe pendant le choc donne au fer une
belle couleur bleue très-prononcée.
46. Choc des propectiles contre une masse de plomb. Un projectile en
fonte, qui pénètre dans une masse de plomb , à des vitesses inférieures
à 200 ou 250% ne se brise pas et forme dans la masse un vide de
forme régulière. Le métal refoulé par la pression du boulet se porte
à l’extérieur , et l'ouverture du trou, eu s'évasant, se déchire et pré-
sente à l'extérieur une bordure dentelée analogue aux feuilles d’acanthe
du chapiteau corinthien. L'éclat du métal , la symétrie des formes et
la régularité du vide donne à ces eflets un aspect tout à fait agréable,
(fig. 9 et 40).
A de plus grandes vitesses , le projectile se brise et ses fragmens sou-
vent très-nombreux altérent la régularité de la partie intérieure du
vide, mais sa partie extérieure présente alors des bordures beaucoup
plus belles et plus développées. Un coup tiré à la vitesse de 380"
ezviron a donné un trou de 0®,280 de diamètre, à peu prés double
de celui du projectile. Le boulet du calibre de 24 a été brisé en plus
de cent morceaux et la pénétration n’a pas été de plus de 0",16.
Un boulet de 8 tiré à la vitesse de 315", qui a été mis sous les
yeux du congrès , s’est fendu en quatre fragmens principaux selon
des plans méridiens (fig. 42 et 43). Les deux plus gros offraient en
outre des fissures dans lesquelles le plomb comprimé par le boulet
s'est introduit.
La face antérieure a été fortement déprimée et aplatie de 0”,009,
sur une zône annulaire, dont le rayon intérieur est d'environ 0",035
et le rayon extérieur de 0,065. Cette portion de la sûrface du
boulet présente des courbures concentriques formées par le plomb,
qui s'y est logé.
Le métal le plus dur à donc été non-seulement brisé äans le choc,
mais encore sa surface a été déprimée et refoulée par celui qui était
d’abord le plus mou.
47. Lois mathématiques de la résistances des divers milieux à la
pénétration des projectiles. 1] ne nous est pas possible d'entrer ici
SIXIÈME SECTION. 837
dans l'explication détaillée des diverses considérations à laide des
quelles nous sommes parvenus , en nous basant sur les résultats de
l'expérience , à établir les lois mathématiques de la résistance que les
milieux solides et mous offrent à la pénétration des projectiles. Nous
nous bornerons à indiquer succinctement la marche que nous ayons
suivie et les conséquences auxquelles nous sommes arrivés.
48, Relation entre la force vive du projectile et le volume de
Timpression. Ayant, dans toutes nos expériences ; releyé avec soin les
profondeurs de pénétration et des profils exacts de la forme des
trous produits par les projectiles dans les roches calcaires, les ma-
conneries de moellons , les bois, la fonte, le fer et le plomb, nous
avons pu calculer pour chaque coup le volume correspondant de l’im-
pression ou du vide formé. Puis, en comparant ce volume à à la force
vive du projectile ou au produit de sa masse par le quarré de sa
yitesse, nous ayons reconnu que
Le rapport de la force vive du projectile au volume de lim
pression est une quantité constante ,
dont nous ayons déterminé la valeur pour les milieux soumis à l'ex-
périence. Elle est pour
Les roches dures de calcaire oohihique.......….. 8350000
Les maconneries de moellons avec chaux de Metz... 4 620 000
Eetbois detchédez D. 114800. SUD, A7, PRUIOE, C2 31008 000
Le bois de sapin. ......:.................. 1970 000
La Monte. -LaeC Red. -Eecr l'es. Le 164600 000
Le plomb.................................. 22 155 000
49: Lors de la résistance éprouvée par les projectiles. Examinant
ensuite et discutant les profondeurs de pénétration obtenues dans les
divers milieux, et surtout les résultats des expériences sur la terre
argileuse, qui avait présenté des entonnoirs de forme si remarquable,
nous ayons reconnu que la résistance devait être exprimée par deux
termes, l’un indépendant de la vitesse du projectile , l'autre pro-
portionnel à une puissance de la vitesse.
Des expériences directes sur la pénétration et le mouvement des
projectiles animés de faibles vitesses dans les divers milieux, nous
avaient déjà appris que, dans ce cas, la résistance ‘est indépendante
de la vitesse et d’un autre côté la forme des entonnoirs produits dans
les terres montrait évidemment qu'aux grandes vitesses la résistance
devait être dépendante de la rapidité du mouvement.
63
538 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Il paraissait d'ailleurs naturel d'admettre que cette résistance devait
être proportionnelle à l'aire du grand cercle du projectile.
D'après ces considérations, nous ayons supposé que la résistance
de ces milieux était
1° Proportionnelle à l'aire du grand cercle du projectile ,
2 Proportionnelle à un facteur composé de deux termes, l’un
indépendant de la vitesse, l’autre proportionnel au quarré de cette
vilesse.
De sorte qu'en appelant
D le diamètre du projectile,
p son poids,
S sa densité, }
d, la densité du milieu,
V et v les vitesses du projectile à son arrivée au but et à un instant
quelconque de sa pénétration,
e la profondeur de pénétration au même instant,
æ et B des coëéfliciens constans dépendant de la nature du milieu,
R la résistance éprouvée par le projectile à l'instant que l’on considère,
On a, dans cette hypothèse,
rD?
R= — (2 v?).
F (2 + 820?)
Le principe des forces vives nous donnait d'ailieurs
D
= La "= Fée ES w*)de,
D
équation dans laquelle l'intégrale doit être prise depuis » = 0 jusqu’à
v—= V.
L'expérience nous ayant appris que la force vive est proportionnelle
au volume de l'impression, on avait aussi
P NEUF, VE a
AU 1) = ak Jade,
En nommant
2k le rapport de la force vive au volume de l'impression ,
d le diamètre de l’entonnoir en un point quelconque de la péné-
tration.
De ces formules on déduit, d’une part, l'expression de la pro-
fondeur de pénétration twtale en fonction du diamètre et de la vitesse
SIXIÈME SECTION. 539
du projectile,
1 DS : 4
e— 5, X 2,3026 log (a Æ89,V?), (4)
et de l'autre l'équation du profil de la courbe génératrice du vide
de l'impression ,
x BT, 3 Bad
Ë 1 Lapaÿ 9 2 Rene EN le
Log d log D + = 108 (x + K V ) 2 2,3026D4 É ( )
En comparant ensuite ces deux formules avec les profondeurs de
pénétration observées, et avec la forme des entonnoirs relevés dans
la terre argileuse, nous avons déterminé les valeurs des coëfficiens
constans « et 89, de la résistance, puis nous ayons vérifié que la
courbe , représentée par l'équation (2), étant construite et rapprochée
des profils relevés, elle représentait , comme une sorte de moyenne,
tous les résultats de l'expérience. Nous avons ensuite calculé les pro—
fondeurs de pénétration déduites de la formule (1), et en Les compa-
rant avec celles qui avaient été observées , nous avons reconnu que cette
formule reproduisait ces dernières avec toute l'exactitude désirable.
Cette discussion se trouve détaillée dans un mémoire que nous
avons adressé au ministre de la guerre, et qui a été inséré dans le
quatrième numéro du Mémorial de l'artillerie, publié par les siins
du comité de cette arme.
Il résulte donc de ces deux modes de vérification ,; que l’hypothése
que nous avions admise sur la loi de la résistance est conforme à la
nature, et que toutes les conséquences que l’on en déduit sont com-
plétement d'accord avec les faits.
En résumé l’on voit donc que dans le choc, la rupture et la pé-
nétration des projectiles dans des corps durs ou mous ; les phénomènes
qui s’accomplissent dans des espaces de temps si courts et ayec des
circonstances qui, au premier abord, ne semblent pas de nature
à être soumises au calcul, sont cependant assujettis à des règles, à des
lois mathématiques simples, comme tous les autres phénomènes de
la nature.
540 MÉMOIRES ET PIÈCES.
RECHERCHES
SUR
LA PLUS GRANDE VITESSE QUE L'ON PEUT OBTENIR PAR
LA NAVIGATION AÉRIENNE,
Par I. DIDION, capitaine d'artillerie.
Serait-1l possible de perfectiormer l'art aérostatique par une meilleure
combinaison des moyens employés jusqw’ici, pour élever les aérostats
x T1 ,?
et pour les diriger:
À une époque où le génie de l'homme a déjà su se créer des
moyens rapides, de transport sur terre et sur mer, lorsque sur le
dernier de ces élémens il emploie, comme force motrice, la vitesse
dont l'air. est sans cesse animé, et qu'il est parvenu à s’avancer ainsi,
lors même que le vent, dirigé en sens opposé à la route qu'il veut
suivre, semble devoir le faire reculer ; lorsque plus récemment il a su
employer la force de la vapeur pour suppléer à limpulsion de l'air,
et obtenir ainsi une vitesse régulière en se rendant indépendant du
caprice des vents ; Jlorsqu'enfin sur terre il a su, en appliquant ce
même moteur au transport des voitures sur des rails en fer, qui forment
nos routes d'invention moderne, et qu'il a pu arriver à des vitesses
qui dépassent déjà celles qu'il n'avait pas osé ambitionner, et que rien
ne l’empéche de les augmenter encore ; il ne sera pas sans intérêt d’exa-
miner si un troisième élément, qui offre au mouvement des corps, des
résistances beaucoup moindres que l'eau , si l'air, qui existe tout autour
de la surface de la terre, sans ggterruption, sur des hauteurs considé—
SIXIÈME SECTION. 54Â
rables et qui ne nécessiterait, par conséquent , aucuns des dispendieux
travaux qu’exigent l'établissement du moindre chemin de fer, si law,
dis-je, ne pourrait pas servir à une navigation nouvelle, quand. nous
voyons des animaux s'y mouvoir avec une grande vitesse et sans grands
eflorts apparens.
Le désir de se transporter dans l'air a dû naître très-anciennement ,
et l'on a cru en trouver le moyen en imitant le vol des oiseaux. Les
poètes, sans doute, ont cru à la possibilité de réussir; ils nous en
donnent la preuve dans le récit qu'ils font du voyage d'Icare et
de la chûte de l’imprudent, qui provenait selon eux , non pas de ce que
les moyens employés étaient défectueux , mais de la faute du voyageur,
qui, disent-ils, s'était trop approché du Soleil, et fit ainsi fondre la
cire qui servait à attacher les plumes de ses ailes.
On est généralement porté à croire maintenant que l'homme, qui
n'a pas une disposition naturelle propre à ce mode de locomotion ,
ne peut y suppléer par des moyens artificiels ; et l'histoire est rem-
plie des faits d’inventeurs malheureux, qui n'ont pas même pu s'em-
pêcher de tomber si rapidement qu'ils ne fussent victimes de leur
invention.
Nous allons rechercher à quelles conditions doivent satisfaire des
machines qui puissent servir au transport à travers les régions un
peu élevées de l’atmosphère, et quelle vitesse il serait possible de leur
communiquer.
Le poids moyen d'un homme étant de 65%, cet homme, pour se
soutenir en l'air, doit exercer un effort continu égal à ce poids. Il
l'exerce facilement à l'aide de ses pieds, quand par exemple, il
s'élève en marchant sur un escalier ou sur une échelle, qui lui offrent
un appui solide ei fixe, ou même à l’aide de ses bras. -
Pour que l'homme puisse produire le même effort en utilisant la
résistance que l'air oppose au mouvement des corps ; il faudrait qu'il fit
mouvoir des surfaces étendues dans un sens opposé à la direction de la
pesanteur , c'est-à-dire de haut.en bas, et le mouvement devrait être
d'autant plus rapide que les surfaces auraient moins de superficie.
Les expériences faites récemment pour connaître l'intensité dé cette
résistance, nous ont montré qu’elle est proportionnelle à leur étendue, et
qu'elle croît à peu près comme le quarré des vitesses tant que celles-ci
ne sont pas trés-grandes; que dans le mouvement uniforme, pour une
surface plane de un mètre carré. et pour, des vitesses de un mètre à
dix mêtres par seconde, elle est égale à 0k,056., augmenté du produit
de:0k,084 par le quarré de la vitesse; et qu'elle est à peu prés
542 MÉMOIRES ET PIÈCES.
double sur des surfaces concaves comme celle des parachütes , et seu—
lement les trois quarts sur des surfaces convexes comme celle du para-
chute renversé ; nous partirons de ces données et nous nous servirons
de cette règle, en l’étendant au besoin, pour calculer les résis—
tances.
L'homme qui produit la plus grande quantité de travail d'une ma-
nière continue est celui qui monte un escalier ; il s'élève avec une vitesse
de 0,15 par seconde, et fait bien alors l'effort nécessaire 65*; en
recherchant quelle devrait être l'étendue de la surface convexe animée
de cette vitesse pour produire une pression équivalente à 65*, on la
trouve égale à plus de 600 mètres carrés. Cette étendue est énorme, et
encore faudrait-il que la surface fût double afin que l’une püt étre
relevée pendant que le mouvement de haut en bas de l’autre, servirait
à soutenir le corps de l’homme, je dis soutenir, car il n°y aurait pas
ascension du moteur.
Une vitesse, même beaucoup plus grande, nécessiterait encore une
grande surface ; un manœuvre exercé poussant et tirant alternativement
dans le sens vertical et agissant avec une vitesse de 1",10 par seconde,
exige encore une surface égale à environ 2452, Mais avec cette vitesse
le moteur ne produit qu’un effort continu égal à 5k, lequel n’est suscep-
tible de soutenir que L seulement du poids d'un homme.
On voit ainsi qu'une vitesse aussi grande que celle qu'on emploie dans
des travaux continus , ne permet qu'un eflort bien au-dessous de celui
qui est nécessaire , et l'on ne peut pas espérer qu'avec des combinaisons
de leviers, de communication de mouvement, on puisse, en agissant
avec une vitesse moindre afin de produire une plus grande quantité de
travail, n’ayoir besoin que de surfaces d'une étendue modérée; consi-
dérons toujours pour le faire voir l’homme dans l’un des modes habituels
de l'emploi de ses forces.
Un manœuvre agissant à une manivelle, exerce un eflort de 8k avec
une vitesse de @",75 par seconde ; à l’extrémité d’un levier dix fois
plus long que celui auquel il l'applique , un effort de 0k,8 fera équi-
libre au premier ; avec la vitesse 7,50 de ce point la surface devrait être
égale à 0®2,168. Mais au point d'application de la force, celui où est
appliqué le moteur, il n’en résulte qu’un effort de 8*; et en le suppo-
sant toujours exercé de haut en bas, il ne serait susceptible que de
faire équilibre à un poids de moins de + seulement de celui de l’homme.
Lorsque nous ayons supposé les pieds de l'homme armés de ces
énormes pédales dont nous avons calculé l'étendue, pour produire avec
une vitesse de 0,15 un eflort égal à son poids, nous ayons négligé
SIXIÈME SECTION. 545
l'effort à faire pour relever le pied et la pédale de la quantité dont
l’autre pied descend ; on peut bien imaginer des dispositions conve-
nables pour diminuer la résistance, mais non pour l’anéantir ; et par
conséquent, même avec ces énormes ailes, l’homme ne pourrait se
soutenir; la descente du moteur et de la machine serait inévitable.
Pour qu’il n'en fût pas ainsi, il faudrait que le moteur eût un poids
moindre relativement aux efforts dont il est susceptible, et pour que
les surfaces n’eussent pas une étendue trop considérable , il devrait être
constitué de manière à les faire mouvoir avec une grande agilité. LeS
oiseaux que nous voyons sillonner l'air en tous sens avec une si grande
vitesse satisfont à cette condition.
Lorsque dans les temps peu éloignés de nous, les progrés des sciences
chimiques eurent fait découvrir, dans le gaz hydrogène, un fluide aéri-
forme treize fois plus léger que l’air atmosphérique, ‘on entrevit la pos-
sibilté de se soutenir dans l'atmosphère , en renfermant dans une
enveloppe trés-iégère un volume d'hydrogène assez grand, pour que la
différence de son poids avec celui du volume d'air qu'il déplace fût
égale au moins au poids d’un homme , augmenté de celui de l'appareil.
qui le supporte, et du ballon qui contient le gaz.
Le problème était donc résolu en parte ; l’homme soutenu dans les
airs, ayant vaincu la pesanteur, n’ayait plus besoin d'appliquer ses forces
pour produire cet effet ; elles restaient libres > et il lui devenait possible
de les employer à opérer des mouvemens horizontaux et à se diriger en
tous sens. Il lui suffisait, pour s'élever plus ou moins, d'augmenter le
volume du ballon ou de diminuer le poids qu'il supporte, en abandon-
nant une partie du lest dont il était chargé.
Examinons quels effets pourraient ainsi produire les forces musculaires
de l’homme , et d’abord cherchons quelles doivent être les dimensions
d’un ballon destiné à en supporter un seul; le’ poids de la nacelle
avec la ficelle pesant au moins 5k, le poids total à supporter par le
ballon sera d'environ de 70%.
Un mètre cube d'air atmosphérique , à la température de zéro et à
une pression de 0®,76 de mercure pèse 4k,300 , tandis que le même
volume de gaz hydrogène impur et humide » tel qu'on le fabrique pour
l'usage en grand, pèse 0,100 ; la différence 1K,200 est le poids que
pourrait soutenir dans l'air 4%5 de ce gaz. Mais comme l'air et le gaz
seraient soumis dans les régions plus élevées à une pression moins
grande , leur densité y serait moindre ; la différence due aux pres-
sions ainsi qu’à celle qui provient de la différence des températures,
variant dans le même rapport pour les deux fluides, la différence de
544 MÉMOIRES ET PIÈCES.
leurs poids sera aussi la même; seulement le volume du ballon sera
plus considérable et dépendra de son élévation.
Comme il faut être au-dessus des saillies ordinaires du terrain, on
peut compter sur une hauteur de 800" au-dessus du niveau de la mer ;
la pression sera alors de 0,9 de la première ; si de plus la température
est de 40°, il en résultera que le poids 0*,100 au lieu d'occuper 1475
aura un volume de 45,15 et par conséquent 1"5 de gaz ne pourra
faire équilibre qu'à un poids de 4k,04; le poids de 70k exigera donc
un volume de 665,2 qui est celui d’une sphère de 5,04 de diamètre.
Mais il faut encore tenir compte du poids de l’enveloppe; or le mètre
carré du tafetas verni qu'on emploie ordinairement à cet usage pése
0k,250, de sorte que le diamètre du ballon supposé sphérique , devra
être 5,59.
Pour des poids plus considérables, le diamètre du ballon croîtrait
aussi, et en cherchant les dimensions des ballons qui devraient sou-
tenir un plus grand nombre d'hommes, on trouve que
Pour un nombre d'hommes de 1 2 3 A 5 6 ri 8 9 10
Ou pour des poids, y compris la
nacelle de (en kilogrammes;, 70 140 210 250 350 420 490 560 630 700
Le diamètre devrait être (en met.) 5,59 6,88 7,74 8,50 9,14 9,16 10,15 10,60 11,01 11,30
A l’aide de ballons de ces dimensions, le moteur est soutenu dans
les airs , mais il est encore incapable de mouvement , et dans cet état
il serait entraîné par les courans d’air quelque faibles qu'ils fussent.
On a pensé que pour se diriger dans l'air on pourrait s'élever jusqu'a
ce qu'on renconträt un courant dirigé dans le sens du mouvement
que l’on veut prendre ; il arrive.souvent en effet que dans l’atmos-
phère, il existe des courans opposés, et l’on pourrait alors se faire
transporter dans l’un ou l’autre des deux sens; mais il serait rare que
l’un des deux füt justement celui dans lequel on se propose d'aller;
comme on serait, au reste , toujours incertain de rencontrer ce courant,
il n’est pas possible de compter sur ce moyen pour se diriger.
On a dù songer à employer, pour le faire, la force motrice du na-
vigateur ; il est facile d'imaginer des systèmes de rames, en étofle
légère, se resserrant par l’eflet même de l'air, quand on les fait
mouvoir dans le sens du mouyement, et s'étendant au contraire
lorsqu'on les fait mouvoir dans le sens opposé et construites à peu
près comme des pattes d'oie; ou bien des roues à palettes mobiles
qui, comme celles des moulins à vent à la hollandaise, se placent
perpendiculairement à la direction du vent sur un des côtés de la
roue et dans le sens du courant sur la partie opposée , pour produire
SIXIÈME SECTION. 545
ainsi constamment des pressions dans le même sens; par ce moyen
on appliquerait la force motrice en se servant de la résistance de
l'air en certains points pour la vaincre dans d’autres, comme on le
fait dans la navigation à la rame sur l’eau *. L'aréonaute alors soutenu
dans sa nacelle par le ballon, traînerait celui-ci à sa suite. :
De cette manière quelle que soit la force motrice développée , elle
sera susceptible de communiquer un certain mouvement au ballon , et
certes dans un air parfaitement tranquille on pourrait ainsi naviguer.
Il est important de savoir quelle est la plus grande vitesse qu'il serait
possible d'obtenir. Le ballon sphérique qui porte un homme deyant
avoir 5®,59 de diamètre, offre une superficie de 242,25, et un homme
faisant effort à une manivelle, agissant ainsi à peu près comme à
une rame, exerce une pression de 8* avec une vitesse de 0,75 par
seconde ; il produit dans ce temps une quantité de travail de 64m,
et cet eflet doit être transmis au ballon. Mais comme il y a toujours
des pertes de force motrice , par suite des chocs ou des flexions
des pièces du mécanisme , on ne Peut guëre compter que, comme
- dans les meilleures machines, sur # de l'effet, ce qui ferait pour le
ballon 4*®,8 par seconde ; et si l'on calcule d'aprés les résultats des
expériences , la vitesse uniforme pour laquelle la résistance que l'air
exercerait sur le ballon serait égale à l'effet exercé par l'homme, on
trouve 4,77 par seconde **.
* On ne parle pas ici des conditions auxquelles devrait satisfaire lappareil ni de sa position
par rapport au ballon, le but de cette note étant de calculer ce que l’on peut attendre de
Yemploï des forces motrices connues appliquées à la navigation aérienne et quelle que soit
l’excellence des moyens employés.
** En représentant par V le chemin parcouru dans une seconde, et par R la résistance que
le ballon éprouve par suite de son mouvement dans l'air avec cette vitesse, VR sera la quan-
tité de travail de la résistance; elle devra être égale à celle du moteur et l
4xn,8
VR = 4in,s ou V = &
D’après les expériences connues, la résistance croît à très peu près pour les vitesses de 1m
à 5® proportionnellement au quarré de cette vitesse et à la superficie, et elle est sensiblement
égale au produit de ces quantités multiplié par 0,0375 kilogramme, De sorte que la résis-
tance R étant remplacée par
on aura,
»
mD*° . :
Er X 0<,0375
on detra avoir .
= cab ne à 2 nt dl 18
242,25 X 0,0375 XV? ?
. y: cé 4x,8
24,25 X 0,0375
= 17377 69
d’où
d’où enfin
546 MÉMOIRES ET PIÈCES.
On voit ainsi que la vitesse avec laquelle un homme, placé dans
une nacelle suspendue à un ballon d'un volume suflisamment grand
pour faire équilibre à son poids à 800 mètres de hauteur au-dessus
de la mer, pourrait s’avancer à l'aide d'un appareil aussi parfait qu'on
puisse l’imaginer, n’est pas très-considérable ; mais encore la quantité
de travail du moteur ne peut guère être produite que pendant huit
heures par jour avec des interruptions , et pour faire un trajet de
quelque étendue, il faudrait aux moins deux hommes ne travaillant
qu'alternativement.
Cette vitesse obtenue, sur terre ou sur les eaux tranquilles, et
correspondant à 6 kilomètres £ environ par heure, aurait déjà une
utilité notable ; elle serait égale à celle d'un bon marcheur, et plus
grande que celle des forts courans des rivières. Mais dans l'air,
elle laisserait l'aéronaute soumis aux mouyemens de l'atmosphère.
Si le navire aérien était destiné à porter un plus grand nombre
d'hommes, les dimensions du ballon devraient être plus considérables ;
mais comme le poids qu'il peut porter, et par suite la puissance
motrice qu'il peut recevoir, croit plus rapidement que les cubes des
rayons, et que la résistance pour une même vitesse croît sensiblement
comme les superficies ou comme les quarrés des rayons , il en résulte,
qu'avec un plus grand ballon, on pourra obtenir une plus grande
vitesse ; voici ce qu’un calcul semblable au précédent fournit pour
les ballons susceptibles de porter plusieurs hommes.
Pour un nombre d'hommes de 4 2 3 4 5 6 7 8 9 10
Le diamètre étant (en mètre) 5,59 6,88 7,74 8,50 9,14 9,66 10,15 10,60 11,01 41,30
Les forces motrices (en km.) 4,80 9,60 14,4 19,2 24,0 28,8 33,6 38,4 43,20 48,0
Les vitesses qu’il est possible d’ob- ’
tenir sont (en métrepar seconde) 1,77 1,91 2,04 2,09 2,14 2,18 2,22 2,24 2,30 2,34
On voit par là que, même avec des ballons de très-grandes
dimensions, la vitesse que l’on peut obtenir est toujours très-faible.
Cette vitesse serait encore plus faible dans un trajet d’un jour,
et pendant lequel le moteur ne pourrait agir que la moitié et même
le tiers du temps, à cause du repos qui lui est nécessaire.
On doit remarquer en second lieu que, lorsqu'une force motrice
est communiquée à une masse par l'intermédiaire de la résistance
qu'un fluide oppose au mouvement des corps, la vitesse com-—
muniquée en pure perte à une partie du fluide diminue consi-
dérablement la quantité de trayail transmise à ce corps; c'est ainsi
qu'une machine à vapeur, placée sur un bateau pour lui communiquer,
à l’aide de palettes, une vitesse ordinaire, ne produit que le tiers
SIXIÈME SECTION. 547
de l'effet qu’elle donnerait si elle était employée comme machine de
hallage ; en adoptant ce même rapport pour la navigation aérienne,
on,Voit que, par ces deux raisons , la force motrice se trouve réduite
au sixième de ce que nous l’ayons supposée, et que les vitesses le seront,
par conséquent, comme les racines cubiques de cette fraction , et égales
à un peu moins des trois cinquièmes des premières; ainsi, pour un
ballon portant
Un nombre d'hommes de 1 2000 A 5 6 7 8 9 10
Les vitesses seraient (en mètres) 1,05 4,13 4,21 1,24 1,27 1,29 1,32 1,34 1,36 1,39
et par suite dix hommes portés par un ballon de dimensions suffisantes,
pourraient à peine s'empêcher d’être entraînés par le vent dés qu'il
deviendrait sensible, et le seraient avec une vitesse de 02,60 par
seconde, par un vent même modéré.
Ce qui laisse à l’homme, tout en s’'aidant de la puissance des moyens
artificiels que son génie à pu créer, une si grande infériorité relative—
ment aux oiseaux , tient au rapport de son poids à la force motrice qu'il
est capable de produire, lequel est beaucoup plus grand chez lui
que chez les oiseaux, et fait qu’il ne peut se procurer que des vitesses
de transport inférieures à celles de sa marche sur terre.
IL est facile de voir que l'emploi d'autres moteurs animés, ne
produiraient pas plus d’eflet, car si le cheval, par exemple; est capable
d’une force motrice environ sept fois plus grande que celle de l'homme,
son poids étant à très-peu prés dans le même rapport , il se trouverait
inférieur à l'emploi de sept hommes, puisqu'il faudrait ajouter à son
poids celui de l'appareil propre à transmettre le mouyement aux
rames. On ne peut pas compter non plus sur l'emploi des machines à
vapeur ; car quoique dans les locomotives d’une force de 30 à 40 che-
vaux le rapport du poids à la force motrice , soit moitié moins grand
que chez l’homme , dans celles de moindre force ce rapport ne serait
plus aussi favorable.
On peut encore, pour naviguer, se servir de l'ascension et de la
descente même du ballon en l'armant de grands plans inclinés; on
produirait la descente par une compression exercée sur la surface du
ballon pour en augmenter la densité, puis on changerait le sens de
l'inclinaison des plans dans la remonte qu'on obtiendrait en rendant
au ballon son volume primitif. Ces oscillations verticales ayant lieu
dans les environs de la couche où le ballon est en équilibre, ne peu—
vent pas être très-rapides ; la vitesse se trouvant d'ailleurs fort réduite
par la résistance de l’air, le mouvement horizontal que le plan incliné
548 MÉMOIRES ET PIÈCES.
ferait prendre, serait lui-méme trop petit, pour permettre de surmonter
des courans à peine sensibles.
I1 paraît donc que la faculté de naviguer dans l'air qui est possible
à l'homme , ne peut fournir des vitesses susceptibles de vaincre les
courans, même trés-faibles, qui existent toujours dans l'atmosphère
dans des sens divers et très-variables, et qui rendent ainsi illusoire la
vitesse qu’il pourrait se procurer dans un air parfaitement calme.
La navigation aérienne n'aura de chance de succès que si l’on trouve
un moteur capable de produire une force motrice dont le rapport
avec le poids de Ja machine qu’elle exigerait pour étre soutenue ,
soit plus grand que dans les machines à vapeur actuelles , ou que chez
l’homme et chez la plupart des animaux. Il y à peu d’espoir de trouver
ce moteur ; tout autre fluide élastique que la vapeur exigeant d'ailleurs ,
pour les cylindres , des enveloppes d'une épaisseur proportionnelle à la
tension, les poids des machines augmenteraient comme les forces
motrices et par suite , ne présenteraient pas l'avantage qu’on semblerait
devoir obtenir ; si l'on possède jamais ce moteur, on devra seulement
alors chercher un mécanisme comme celui des roues à palettes, des
rames , etc., qui soit aussi trés-léger , et aviser enfin à des moyens
de stabilité dans l’air afin d’être à l’abri des secousses violentes que
produisent les divers courans; alors encore il sera bien difficile de
naviguer contre les vents un peu forts, et il y a peu d'espoir, même
aprés cette invention , de parvenir à une navigation régulière dans l'air.
SIXIÈME SECTION. 549
==
DESCRIPTION
DES
APPAREILS CHRONOMÉTRIQUES A STYLE
PROPRES A LA REPRÉSENTATION GRAPHIQUE ET A LA DÉTER-
MINATION DES LOIS DU MOUVEMENT DANS DIVERS GENRES
D'EXPÉRIENCES,
Par Arraur MORIN , capitaine d'artillerie.
4. But et utilité de ces appareils. Les principes de la mécanique
et les ressources de l'analyse permettent, en général, de déterminer
la loi du mouvement que prend un corps, sous l'action de forces dont
l'intensité est connue, pour chaque position du mobile , ou pour chaque
instant , et réciproquement de déduire l'expression de la loi d'une force,
lorsque l’on connaît celle du mouvement ; et, comme dans l'étude des
lois naturelles, on ne peut remonter aux causes que par l'observation des
effets, il peut être fort utile, dans beaucoup de recherches, d’avoir an
moyen précis de déterminer à priori, par l'observation, les lois du mou—
vement des corps soumis à l'action des forces dont on veut obtenir la loi.
Ce mode d'investigation a été depuis long-temps mis en usage par les
physiciens , Atwood , à l’aide de la machine qui porte son nom, a
cherché à établir la loi de la chute des graves , pour rendre sensible celle
de la pesanteur ; Huyghens par l'observation de la durée des oscillations
du pendule est parvenu au même but ; la société pour le perfectionne-
ment de la navigation établie en Angleterre , et dont le colonel Beaufoy
a été le rapporteur, a aussi employé le pendule à l'observation de la loi
du mouvement des corps flottans ou immergés dans l’eau, sous l’action
550 MEMOIRES ET PIÈCES.
d'un eflort constant ; plus tard, M. Eytelwein, dans ses belles expé-
riences sur le bélier M ro à l’aide d’un appareil assez simple ,
a observé le mouyement des soupapes de cette ingénicuse machine.
Mais jusqu'à ces dernières années, tous Îles moyens employés n’a-
vaient conduit qu'à des résultats imparfaits ou à la détermination des
espaces parcourus à cerlains instans, ou après des intervalles détermi-
nés. De sorte que , si l’on représentait la loi du mouvement cherché par
une courbe , dont les espaces parcourus fussent les abscisses , et les or-
données les temps écoulés, on n’obtenait qu'un certain nombre de points
de cette courbe et presque jamais assez de continuité dans son tracé
pour pouvoir étudier des lois un peu compliquées. Pour remédier à cet
inconvénient , M. Poncelet eut l’idée de combiner d’une manière plus
continue le mouvement uniforme d’un style ou d’un plateau avec celui
dont on voulait observer la loi, et c’est cette pensée ingénieuse que
nous avons réalisée sous diverses formes et par des moyens qui nous
sont propres.
De nombreux essais ont fait faire à ces instrumens d’assez grands pas
vers la perfection qu’on peut désirer, pour que leur description dé-
taillée puisse être utile au progrès des sciences physiques, et l’on se
propose ici de donner sur leur disposition et leur emploi tous les ren-
seignemens nécessaires.
2. Rappel du premier appareil construit en 1831. On connaît déja
l'appareil chronométrique à style que nous avons employé de 1831
à 4834 pour les expériences sur le frottement *, ainsi que celui qui a été
mis en usage pour les recherches sur les lois de la transmission du
mouvement par le choc et sur la pénétration des projectiles tombant de
petites hauteurs, dans la terre argileuse et dans le sable. Ils sont dé
crits en détail dans le recueil des savans étrangers publié par l'académie
des sciences ; mais il ne sera pas inutile de faire quelques remarques
sur le premier de ces appareils.
Il consiste en un mouvement d'horlogerie , mu par un ressort et ré—
gularisé par un volant à ailettes ; le style est un pinceau que l'on imbibe
d'encre de Chine; sa marche est assez régulière et son mouvement dans
une même révolution est assez exactement uniforme, pour que les courbes
qu'il trace soient parfaitement continues et sans aucune apparence d’on-
dulation périodique , mais d'une part l’action nécessairement yariable
du ressort et de l'autre la nécessité de faire tracer au style un cercle
* Nouvelles expériences sur le frottement faites à Metz en 1831, 1832, 1833, imprimées
par ordre de l’Académie des sciences; chez Bachelier, libraire à Paris.
SIXIÈME SECTION. 551
de départ avant l’expérience , pour pouvoir observer la vitesse de l’ins-
trument , l'empéchent d'être assez précis pour certaines recherches.
* On observera, en effet, que, dans les expériences sur le frottement, la
résistance s'étant trouvée indépendante de la vitesse, et la loi du mou-
vement observée étant celle d’un mouvement uniformément accéléré
représentée par une courbe , qui, transformée en une autre à ordonnées
rectangulaires , était une parabole, une petite variation dans la vitesse
du mouvement ne pouvait exercer qu’une faible influence sur les résul-
tats; mais il n'en serait pas du tout de même dans l'observation des
lois de mouvement où la vitesse jouerait un rôle important, car dans
tous les cas pareils les résistances variant comme une fonction de la
vitesse , de petites différences dans celle du style pourraient conduire
à des erreurs très-graves. C'est ce que l’on reconnut en 4833, lorsqu'on
voulut employer cet instrument à la détermination de la loi du mou-
vement de descente des corps sphériques dans l'eau. Le relèvement
des courbes marquait bien que le mouvèment devenait promptement
uniforme, mais les petites variations de la vitesse du style en introdui-
saient d’autres dans l'estimation de celle des corps, et l'on dut ajourner
à d’autres temps les expériences que l’on avait commencées à ce sujet.
Les inconvéniens les plus graves de cet appareil sont: 4° Que la
viscosité de l'encre contenue dans le pinceau, oppose au mouvement
une résistance, qui à une influence notable sur la vitesse , et qui varie
avec l'état de fluidité de cette encre et avec son abondance; 2° qu'il
estindispensable de faire tracer au style un cercle de départ, avant de
commencer l'expérience , pour pouvoir déterminer par l'observation sa
vitesse de régime pendant chaque expérience , et que, par suite, il'est
difficile et à peu prés impossible dans certains cas, de retrouver l’ori-
gine de la courbe du mouvement.
Tous ces inconyéniens seraient encore bien plus graves, si par la
nature même du mouvement à étudier, il n'était pas possible d’em-
ployer pour style un pinceau, et que la résistance dût étre’ plus
grande.
3. Conditions que l’on, s’est imposées pour l'exécution des nouveaux
instrumens. De ces observations, il faut donc conclure que l’emploi
des ressorts comme puissance motrice des chronomètres à style n’est
pas avantageux, et qu'il faut recourir à l’usage des poids en régula-
risant leur mouvement de descente par un volant à äilettes. Mais ce
perfectionnement n'est pas le seul à introduire, et dans l'exécution des
nouyeaux appareils que nous avons fait établir, nous nous sommes
proposés de satisfaire aux conditions suivantes :
552 MÉMOIRES ET PIÈCES.
4° Que le moteur exerce un effort constant ;
2° Que la résistance du style ne puisse dans aucun cas avoir une
influence sensible sur la loi du mouvement ;
3° Que l’origine du mouvement soit exactement indiquée sur la
courbe ;
4° Que la vitesse de régime de l'appareil puisse varier selon la
rapidité du mouvement à étudier ;
5° Que dans certains cas l'appareil soit transportable et n'occupe
qu’une petite hauteur ;
6° Qu: le mouvement uniforme dure assez long-temps pour qu'il
soit possible d'en observer à plusieurs reprises la vitesse avec une
exactitude suffisante. t
Nous pensons avoir rempli ces conditions dans les deux appareils
que nous allons décrire. Le premier, destiné à l’observation des lois
de mouvement où la vitesse n'excède pas 20 à 25 mètres en une
seconde, s'établit dans un lieu où l’on peut disposer d’une hauteur
de 12 à 15% pour la descente du poids moteur. Le second, particulière-
ment construit pour observer les lois des mouvemens très-rapides, peut
aussi fonctionner à de petites vitesses , et n'ayant que 4 mètres environ
de hauteur , il a de plus l'avantage d’être portatif et de pouvoir se
placer dans une chambre de hauteur ordinaire.
«
4. Appareil chronométrique à style pour l'observation des mouve-
mens à petites vitesses. L'appareil est monté sur un bâtis en char-
pente MNPQ, (fig. À et 2), et se compose de trois parties princi-
pales. La 1"° est le treuil aa, de 0",40 de diamètre sur 0®,251 de
longueur au corps ; sur ce treuil s’enroule un fil de soie de 0®,0015
de diamètre , auquel est suspendu le poids moteur. Pour augmenter
la durée de la descente de ce poids, on peut le suspendre à une
poulie mobile et attacher l'extrémité du fil de soie au chässis. A cet
effet, une tringle horizontale bb est fixée vers le sommet des montans
du châssis et sert de guide à une petite poulie à gorge C, de 0®,05
de diamètre, portant une chappe à anneau, à laquelle s'attache Le fil.
Par ce moyen, les deux brins, qui passent sur la gorge de la poulie
mobile D, sont toujours à trés-peu près parallèles, parce qu’une légère
obliquité dans leur direction fait rouler la poulie C sur son guide.
Une poulie en fonte EE, de 0,495 de diamètre extérieur, est
montée sur l'axe du treuil et tourne avec lui. Ce treuil est posé sur
un petit bâtis en bois indépendant, de sorte que cette pièce peut
se placer dans telle position que les localités ou les expériences l’exigent.
La seconde pièce de l'appareil est le volant à ailettes , porté aussi
SIXIÈME SECTION. 553
sur un bâtis particulier et monté sur un axe en fer. Ce volant a
quatre bras taillés en biseau et méplats, à l'extrémité de chacun
desquels est une ailette plane G de ܮ1,01 de surface. Aux deux
bouts de l'arbre et en dehors du bâtis sont deux poulies en fonte
H et I de 0,11 de diamètre. La première est embrassée par une
courroie en cuir, qui entoure aussi la poulie EE et qui transmet
ainsi au volant le mouvement du treuil. D'’aprés le rapport des
diamètres des poulies EE et HH, l'arbre du volant fait 3,85 tours
pour un tour du treuil. La distance du milieu des aïlettes G à l’axe
de rotation étant de 0®,299, il s'ensuit que, quand l'axe du volant
fait deux tours par seconde, la vitesse de ce centre d’impulsion est
de 5®,75 par seconde , et que la résistance de l’air régularise prompte-
ment le mouvement de ces axes. On voit que si l’on voulait obtenir
plus tôt le mouvement uniforme à celte vitesse ou à une vitesse moindre
il suffirait d'augmenter la surface des aïlettes.
La poulie I, qui a aussi 0®,11 de diamètre, transmet le mouve-
ment à la troisième pièce par une courroie , qui l'entoure , ainsi que
la poulie K de même diamètre. Celle-ci est fixée à l'extrémité d’un
arbre qui porte à l’autre bout une embase tronconique, perpendiculaire
à l'axe de rotation , parfaitement plane contre laquelle se fixe un pla-
teau MM, destiné à conserver la trace du style et qui, recevant son
mouvement du volant à aïlettes, dont la vitesse est uniforme, est né-
cessairement aussi animé d’un mouvement pareil. ME
Tel est l’ensemble de l'appareil chronométrique en lui-même, et
par cette description on voit, qu’au lieu de porter le style, il recoit
le plateau sur lequel doit être tracée la loi du/mouvement à observer.
De cette disposition il résulte un avantage notable, c'est que tous les
axes ayant été exactement centrés , de façon que leurs centres de gravité
se trouÿŸent précisément sur l’axe de figure , et tout étant symétrique
autour des trois axes de rotation, ce mouvement devient nécessaire
ment uniforme, et que par suite de la masse du plateau en cuivre
l'influence de la résistance du style est tout-à-fait négligeable. Dès-
lors il n’est pas nécessaire que ce style touche le plateau avant le
commencement de l'expérience, et il devient facile, comme on le
verra tout-à-l'heure, d'obtenir l’origine de la courbe. Mais avant
d'indiquer comment on y parvient, disons un mot de diverses dis—
positions assez simples, ayant pour objet de servir à rendre le plan
du plateau exactement paralléle à celui du cercle que le style doit
décrire, ce qui est indispensable. A cet effet, l'arbre du plateau est
monté sur un support à fourche MNPQ, dont les branches MN -
79
BB4 MÉMOIRES ET PIÈCES.
écartées de 0,066 intérieurement, recoivent des tourillons , et dont
les pattes P, Q, reposent sur une platine R. La patte Q est percée
d’ un trou ados traversé par une vis avec écrou äañoreilles pour
la serrer ; la patte P est percée d’un trou allongé concentriquement
au précédent, et traversé aussi par une vis avec écrou à oreilles, de
sorte que la fourche MNPQ peut prendre autour du boulon Q un
mouvement de rotation, qui permet de rendre le diamètre horizontal
du plateau paralléle au plan du style. Ce mouvement de rotation lui
est communiqué à l'aide d’une vis sans fin engrenant dans un petit
arc de cercle denté, placé à l'extrémité de la patte P.
Lorsque l’on a réglé convenablement la direction du diamètre ho-
rizontal, on serre les deux écrous à oreilles P et Q, et la fourche
MNPQ devient solidaire avec la platine RR.
Cette platine repose elle-même sur une autre plaque SS, qui, au
moyen de deux tourillons TT, peut tourner et prendre diverses in
clinaisons avec l'horizon, une lame de ressort interposée entre le bâtis
et la surface inférieure de la plaque SS , tend toujours à l'en éloigner
et des vis UU, en s'opposant à ce mouvement, servent à régler la
position de la plaque, de facon que le diamètre vertical du plateau
MM soit aussi parallèle au plan du cercle décrit par le style. A l'aide
de ces mouvemens , il est donc facile de régler le parallélisme de ces
deux plans.
Enfin la platine RR glisse à coulisse sur la plaque SS, à l’aide
d'une vis X avec écrou à manivelle YŸ, ce qui permet de rapprocher
ou d'éloigner à volonté le plateau de la pointe du style.
Tous ces mouvemens , dont l'amplitude est trés-petite , ne font pas
varier la longueur, et par suite la tension de la courroie, de quan-
ütés capables d'exercer de l'influence sur le mouyement. On remar-
quera d’ailleurs que les deux premiers servent à régler une fois pour
toutes le parallélisme, et que le dernier, qui est perpendiculaire au
plan de la courroie, ne peut produire aucune variation notable sur
sa longueur.
La troisième pièce que nous venons de décrire, est aussi fixée sur
un bâtis particulier, de sorte que, selon les besoins des expériences,
les trois parties de l'appareil peuvent être placées à telle distance
que l’on voudra, en réglant convenablement la longueur des cour-
roies. Lorsqu'elles sont montées sur le support MNPQ, elles peuvent
aussi être écartées à volonté l’une de l’autre, par la liberté qu'ont
les deux premières de glisser dans les coulisses pratiquées dans la
longueur des chapeaux MN, ce qui permet de tendre les courroies.
SIXIÈME SECTION. 555
Tel est l'ensemble de l'appareil chronométrique que l'on a employé
en 1835 et 1856, pour les expériences sur la résistance de l'air.
D'après ce que nous en avons dit , il satisfait à la première condition
que nous ayons posée, d'être mu par un effort constant, ainsi qu’à
la seconde, puisque la masse et la vitesse du plateau, qui est animé
du mouvement uniforme, sont assez considérables pour que la résis-
tance éprouvée par le style, qui est un pinceau, ne puisse exercer
sur le mouvement aucune influence sensible, aiusi qu’on s'en est
assuré par des observations directes. 5
5. On peut obtenir des mouvémens uniformes à diverses vitesses.
La vitesse uniforme du plateau peut à volonté varier entre des limites
trés-étendues , soit en changeant le poids moteur, soit en remplaçant
la poulie I de l'arbre du volant par une autre de 0",423 de diamètre,
de sorte qu'alors l'arbre du plateau MM fait 3,85 pour un tour de
l'arbre du volant ou 44,85 tours pour un tour du treuil. Mais comme
le mouvement se régularise d'autant plus tôt que le mouvement du
volant est plus rapide, il convient mieux, en général, d'augmenter
le poids moteur jusqu'à certaines limites, que de remplacer la poulie
I par une plus grande, dont l'inertie tend au contraire à retarder
l'instant où le mouvement atteint l’uniformité. Ce n’est que dans le
cas où l’on aurait besoin de faire marcher le plateau à des vitesses de
kuit à dix tours par seconde, qu'il faudrait recourir à ce moyen, et
alors il faudrait se servir d'une poulie I de 0,20 à 0,25 seulement
de diamètre, afin d'employer simultanément les deux moyens d'accé-
lération du mouvement du plateau.
Dans les expériences faites en 1835 et 1836, sur la résistance de
l'air, il a sufh que le plateau eût une vitesse uniforme d'environ
deux tours par seconde, pour obtenir le degré de précision nécessaire,
et alors le poids moteur était de 5M1,193, y compris celui de la
poulie mobile.
À cette vitesse le poids descendait de 0",0816 environ par seconde,
ou mettait 42,95 à parcourir un mètre, quand ce mouvement était
uniforme, et comme l'observation a montré que cet état de régime
était toujours atteint après D à 6 mètres de chute au plus, on voit
que la chute totale étant de 16 mètres, on avait le mouvement uni
forme bien établi pendant ‘plus de deux minutes, ce qui suflisait
pour la durée de toutes les observations. Il est d’ailleurs évident que
si le mouvement à observer avait dû étre lent, on aurait pu ralenuür
aussi celui du plateau en diminuant le poids moteur.
À la vitesse de deux tours par seconde un point de la circonfésence
556 MÉMOIRES ET PIÈCES.
du plateau, qui avait un mètre de développement, parcourait donc
deux mètres en 4!! ou 2000 millimètres, et comme à l’aide de l'ins-
trument que l’on employant au relèvement des courbes, on pouvait
apprécier un na de Rte el il s'ensuit que T'on pouvait
rigoureusement. apprécier 0556 de seconde.
Nous reviendrons plus tard sur les précautions à prendre pour que
les autres moyens d'exécution et de relèvement aient la précision con—
venable pour qu'on puisse approcher de l'exactitude que permet par
lui-même cet appareil chronométrique, mais auparavant nous devons
indiquer comment on a disposé le style pour obtenir une trace de l’ori-
gine de la courbe du mouvement.
6. Disposition pour obtenir l'origine du mouvement. Le mouvement
qu'il s’agit d'observer est transmis par un fil de soie à une poulie AB
(Fig. 4) dont l'axe est paralléle à celui du plateau, mais placé à une
certaine distance en dessus ou en dessous à volonté pour la facilité
des opérations, Du côté de la pièce n° 3, l'axe est 1erminé par une em—
base qui peut recevoir un plateau , mais où l’on fixe ordinairement le
style, au bout d’un petit bras B maintenu au centre par un écrou , et
vers son milieu par une goupille et qui, par conséquent , tourne avec
la poulie.
L'extrémité de ce petit bras est percée d’un œil, dans lequel glisse
à frottement doux et à volonté une tige ab, qui recoit à vis la douille
c, dans laquelle est placé le pinceau. La tête de la tige ab, porte en
dehors et en dedans deux épaulemens a et b. Le premier a du côté
de la poulie, n’a sur la tige ab qu’une saillie d’un millimètre; le se-
cond à, un peu plus large, sert à saisir la tige, pour l’éloigner du
plan du plateau. Un ressort 4, fixé sur le bras B, et qui embrasse
l’épaulement, résiste à ce mouvement et repousse au contraire la
douille et le pinceau vers le plateau, dès qu'il cesse d’être retenu
par la main ou par un arrêt fixe. D'une autre part, un ressort c , fixé
sur le bâtis de la poulie et dont l'extrémité E se place à tel point que
Ton veut, par rapport au centre de cette poulie, peut, quand on le
fléchit un peu, qu'on amène le bras B à sa hauteur, et qu’on pousse
Ja tige ab en arrière, s'engager entre l'épaulement a et le bras B, de
manière à maintenir le pinceau éloigné du plan du plateau d’une petite
quantité. Dans cette position représentée (Fig. 5), la pointe du pinceau
ne touche pas le plateau, mais elle peut en être aussi près que l’on
veut, puisqu'on peut approcher celui-ci à l’aide de la manivelle Y
avant l'expérience. La poulie AA est maintenue dans cette position à
Vaide d’un crochet et d’un pit déclic, qui s'opposent à son mouve-
SIXIÈME SECTION. 857
ment dans le sens de la tension motrice du corps mis en expérience.
Mais , dés qu’on dégage le déclic, le mouvement commence et l’épaule-
ment a de la tige a n'ayant qu'un millimètre, et pouvant d'ailleurs
n'être engagé que d’une moindre quantité, il s'échappe du ressort c ;
la tige ab cède alors à l’action du ressort d, qui tend à la rapprocher
du plan du plateau, et le style marque sur la feuille l’origine de la
courbe du. mouvement. Dès que la tige s’est dégagée du ressort c,
celui-ci revient sur lui-même et se retire assez loin pour ne pas être ren—
contré par l'épaulement a dans les révolutions successives de la poulie.
Le jeu de la tige, l’écartement du pinceau, la quantité dont l'épaule-
ment est engagé, peuvent être et sont réduits à moins d'un millimètre,
et comme le mouvement de la poulie commence toujours ayec une
vitesse nulle, on obtient ainsi, avec toute la précision désirable, l'ori-
gine des courbes bien nettement marquée sur le papier.
7. Mioyens employés pour obtenir un relèvement exact de la courbe
du mouvement. C’est par ces dispositions que l’on a satisfait à la con-
dition que l'on s'était imposée d'obtenir sur le plateau l'origine de la
courbe du mouvement. Cette courbe, dans toutes les expériences faites
en 1855 et 1856, a été tracée sur une feuille de papier que l’on collait
par les bords sur le plateau MM, aprés l'avoir légèrement mouillée pour
qu'elle s'étendit. On enlevait la feuille après chaque experience , et on
la remplacait par une autre. Dans les expériences où l'on n’a pas besoin
d'une très-grande précision, ce procédé est suffisamment exact, mais
quand on veut que tous les élémens de l'opération aient un degré
d’exactitude comparable et qu'on désire opérer avec toute la précision
possible le retrait du papier exerce une influence quin'est plus né-
gligeable. Aussi, quoique l’on ait eu la précaution de se servir de papier
fait à la mécanique et collé à la cuve, qui, par l'égalité de sa pâte et
sa facilité à se mouiller , s'étend et se retire à peu près également en
tous sens on a reconnu qu'il fallait parvenir à éviter entièrement les
‘effets du retrait. :
Si l’on n'avait que peu d'expériences à faire, il suflirait d’avoir plu-
sieurs plateaux de rechange et de tracer sur le métal même les courbes
du mouvement. Mais quand on a de nombreuses séries d'expériences
à exécuter , qu'on trace 50 ou 40 courbes dans un jour, qu’on ne veut
pas interrompre son iravail pour les relever, il faut recourir à un autre
moyen. :
Voici celui que l'on a employé avec succès dans les expériences de
1856 , sur le mouvement des projectiles dans l’eau :
On a pris des feuilles de zinc laminé bifh dressées , on les a montées
558 MÉMOIRES ET PIÈCES.
entre deux plateaux sur le tour, et on y a percé au centre un trou
d'un diamètre, exactement égal à celui de l'extrémité de l'arbre qui
traverse le plateau MM, puis on a ajusté sur ce plateau un anneau en
cuivre qui s’y fixait à l’aide de six vis. La feuille de zinc, sur laquelle
on collait le papier, était placée sur le plateau, serrée vers le centre
par un écrou, maintenue vers la circonférence par l'anneau, et était
ainsi exactement dressée et appliquée contre le plateau de cuivre , et
comme elle était parfaitement égale d'épaisseur , on obtenait ainsi une
surface plane que le pinceau touchait partout également.
Ces feuilles de zinc étant à fort bon marché, on a pu en faire faire
un grand nombre et laisser sur chacune d'elles les courbes tracées jus-
qu’à ce qu'elles fussent relevées. On avait eu, au préalable, le soin de les
tourner et de les centrer exactement, de sorte qu’en les préseniant sur
l'appareil de relèvement elles se trouvaient aussi parfaitement concen-
triques avec lui; ce qui rendait cette opération plus rapide et plus sûre.
8. Moyens d'augmenter la durée du mouvement uniforme. L'appa-
reil que nous venons de décrire exige , comme on le voit, que le poids
moteur puisse avoir 44 à 15" de course, ce qui ne présente pas de
difficulté d'exécution, car en le supposant même placé dans un local
beaucoup moins élevé ; il serait presque toujours facile à l'aide de poulies
de renvoi de faire mouvoir ce poids en dehors du bâtiment et à partir
des combles. On pourrait d’ailleurs , au lieu d’une poulie simple , avoir
un petit mouflle équipé à quatre brins, ce qui doublerait la durée de
la descente pour une même hauteur. On parviendrait encore au même
but en diminuant le diamètre du treuil et en augmentant en raison
inverse le poids moteur, ce qui, jusqu'à certaines limites, n'offrirait
point d'’inconvéniens.
Mais il est une modification beaucoup plus importante que l’on pour-
rait faire subir à cet appareil si l’on voulait diminuer de beaucoup la
hauteur de descente des poids , accélérer l'instant où le mouvement est
devenu sensiblement uniforme , et prolonger beaucoup plus long-temps
sa durée; nous y reviendrons plus tard et nous terminerons ce qui nous
reste à dire sur ce premier appareil chronométrique , en indiquant une
précaution qui nous semble indispensable pour assurer la régularité du
mouvement.
9. Précaution nécessaire pour maintenir les axes au même état d’onc-
tuosité. On sait, d’après les récentes expériences sur le frottement des
axes de rotation que nous avons faites à Metz en 1854 *, que le frot-
* Nourelles expériences sur le frottement des axes de rotation, sur la variation de tension
des courroies ou cordes sans fin, employées à Ja transmission du mouvement, sur le frot-
SIXIÈME SECTION. 539
tement des tourillons sur leurs coussinets est beaucoup moindre quand
ils sont continuellement alimentés d'enduit à l'aide d’un appareil
spécial, que quand on se contente de les lubrifier de temps en
temps.
Le rapport du frottement à la pression , qui, dans le premier cas, n’est
uëre que 0,05, s'élève dans le second à 0,07, ou 0,08 quand les
FRE sont encore bien graissées, puis à 0,10, et enfin à 0,15 quand
elles ne sont plus qu’onctueuses. Il est donc trés-important, pour la
régularité du mouvement, que les appareils chronométriques soient
munis des moyens nécessaires de renouveler l'enduit. C’est à quoi l'on
parvient facilement en plaçant sur les coussinets de petites boîtes dont
le fond est percé d’un trou, sur lequel s'élève un petit tube destiré à
recevoir le bout d'une mèche de coton , dont l’autre extrémité plonge
dans l'huile contenue dans la boîte. Le sommet du tube s'élevant au-dessus
du niveau de l'huile, le liquide ne peut arriver sur le tourillon que par
l'action capillaire de la mèche et en proportionnant convenablement le
nombre de fils de cette mèche à la quantité d'huile nécessaire à l’abl—
mentation, on maintient les tourillons à un état constant et uniforme
d'onctuosité. IL est inutile sans doute de dire que dans l'usage habituel
du chronomètre, il est indispensable de nettoyer souvent toutes les
pièces frottantes. On observera aussi qu'il faut éviter avec soin qué
l'extrémité des méches ne s'engage entre l'axe et le coussinet, ce qui
aliérerait notablement la régularité du mouvement, auquel cas on en
serait d’ailleurs averti par l'observation de sa vitesse.
L'appareil chronométrique ; que nous venons de décrire, est d’un
usage fort commode, et il a été employé avec succès pour les ex-
périences sur la résistance de l’air faites en 1855 et en 48536. La
vitesse uniforme que l'on peut obtenir pour son plateau a-été dans
ces expériences habituellement de deux tours environ par seconde ; elle
pourrait étre, pour certains Cas , portée à trois ou quatre. Elle suffit
pour toutes les expériences du même genre, qui ne durent pas très
long-temps. Mais, dans d’autres cas, il peut être nécesaire d'obtenir
une vitesse beaucoup plus grande et de prolonger davantage la durée
du mouvement uniforme. Enfin il y a certaines expériences pour les-
quelles il est indispensable que l'appareil soit transportable et d’une
petite hauteur. C'est ce qui a conduit à en faire établir un autre
destiné à satisfaire à ces nouvelles conditions.
40. Appareil chronométrique à grandes vitesses. Le second ap-
i
tement des courroies à ln surface des tambouys, faites à Metz en 1834; à Paris, chez
Carillan-Gœury,
560 | MÉMOIRES ET PIÈCES.
pareil est tout-à-fait du même genre que celui que nous avons décrit
précédemment et n'en diflère que par le mode d'exécution et par
la réunion de toutes les pièces du mécanisme sur le même plateau
et dans une caisse de 4 mètres de hauteur.
Un treuil AA de 0,050 de diamètre recoit un cordon de soie
qui s’enroule à sa surface des deux côtés de la roue dentée B en
la traversant prés de l'arbre (Fig. 1 et 2). Les deux bouts de cé
cordon viennent passer sur deux poulies en cuivre montées sur un
plateau de chêne placé au sommet de la caisse. Ce plateau avec les
poulies qu'il porte peut glisser dans des coulisses, de manière que
les poulies sortent de la moitié de leur diamètre en dehors de la
caisse. Les poids moteurs suspendus aux cordons se trouvent alors
en dehors de cette caisse.
Le mouvement communiqué au treuil par la descente des poids
est transmis à un arbre intermédiaire EE par la roue dentée B, qui
a 467 dents, le pignon E n'en ayant que 28, il s'ensuit que son
arbre fait 5,964 tours pour un tour du treuil. Sur le même arbre
E est une roue dentée ayant 167 dents, qui engrène avec un pignon
Q, de 28 dents, montésur l'arbre H, celui-ci fait par conséquent 5,964
tours pour un tour de l'arbre EE ou 55,6 tours par tour du treuil.
Il suit de ces rapports que la circonférence moyenne de l'arbre, y
compris le cordon de 0*,005 de diamètre, étant de 0”,1039 le poids
descend de 0®,00292 par tour du plateau ou du volant. Si le poids
moteur descend de 3" pendant le mouvement uniforme et que le
plateau fasse
deux tours en 4/ le mouvement uniforme durera.. 518! environ
cinq id oid....................ssssscescse 205,5
ados ren ttaeitdiere ects 409
L'arbre H, prolongé de part et d'autre de ses tourillons, recoit à
un bout un volant à ailettes et de l’autre un plateau en cuivre, sur
lequel on fixe des feuilles de papier collées sur zinc, comme on l’a
vu au n° 7. Il y a deux volans de rechange destinés à différens
usages, l’un représenté figure 6, est léger , les quatre ailettes ont
0®,00393 de surface chacune et leur rayon moyen est de 0®,189.
Il est employé quand Ja résistance du style est très-faible, comme
celle d'un pinceau, qui trace sur du papier, parce qu’alors l'inertie
du plateau suffit pour empécher l’eflet de cette résistance sur la
vitesse du mouvement. L'autre représenté se compose aussi de quatre
ailettes, qui sont montées sur un annçau massif en bronze. Il est des-
SIXIÈME SECTION. 561
tiné à agir d’une part comme régulateur à ailettes , de l’autre comme
volant proprement dit, pour rendre insensibles par son inertie, les
effets de la résistance d'un style qui tracerait une courbe de mouve-
ment dans une matière plus ou moins molle; ce cas devant se pré-
senter dans les expériences que la commission des principes du tir
de l’école d'artillerie de Metz doit faire par la suite, on a dû dis-
poser l'appareil dans cette prévision ; mais, pour les expériences or-
dinaires , le poids du second volant éloignant l'instant où le mouvement
devient uniforme, on a dû lui substituer le premier, plus léger et
uniquement destiné à agir comme régulateur.
Les dispositions prises pour pouvoir rendre le plan du plateau qui
doit recevoir la trace du style parallèle à celui du cercle décrit par
la pointe de celui-ci sont analogues à celles que nous avons décrites
précédemment n° 4, nous nous contenterons de les indiquer suc
cinctement.
Les deux arbres À et E sont posés sur deux supports MM, fixée
à vis sur un plateau N. L'arbre E ne peut pas varier de position ,
mais l'arbre À du treuil est porté sur des coussinets mobiles qui, à
l’aide des vis de pression PP peuvent s'approcher ou s'éloigner à
volonté de ceux de l’autre arbre. Il est donc facile de rendre les
deux arbres A et E poralléles, et de faire engrener la roue B et le
pignon E, de facon qu’il n’y ait dans l’engrenage que le jeu indis-
pensable.
L'arbre H du volant est aussi porté sur deux coussinets mobiles, à
l'aide de vis de pression Q, qui permettent de le rapprocher où de
l’'éloigner de l'arbre E et de faire engrener convenablement le pignon
G et la roue F. On peut donc établir ainsi le parallélisme des trois
arbres et l'exactitude de l’engrenage.
La platine N peut prendre dans les coulisses B un mouvement
de translation, qui lui est communiqué par la vis S. Cette platine et
ces coulisses sont montées sur une seconde platine T', susceptible de
prendre autour d’un axe vertical: V un mouvement de rotation ho—
rizontal, qu’on jui imprime ou qu’on empéche à volonté par la vis X,
et un mouvement de rotation autour de ses tourillons horizontaux à
l’aide des vis Y.
Cette courte description, jointe à l'examen des dessins , suffit sans
doute pour donner une idée exacte de la disposition de l'appareil , qui
est d’ailleurs muni de boîtes à l'huile pour l'alimentation des axes.
Les arbres portent en outre des indicateurs, qui servent à compter
les nombres de tours faits dans un temps donné.
71
562 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Toutes les précautions décrites au n° 6 pour obtenir l'origine
exacte de la courbe du mouvement étant d’ailleurs indépendantes de
l'appareil et étant adaptées au corps dont on observe le mouvement,
il n'est pas nécessaire d’en parler de nouveau, il est évident qu'elles
recoivent également leur application, quand on se sert du second
chronomitre.
A1. Exécution des expériences. D’après la description que l’on vient
de donner des deux appareils, il est facile de se rendre compte du
mode à suivre pour l'exécution même des expéricnces, on se con-
tentera donc ici d’en dire quelques mots.
Le plateau étant garni de la feuille de papier destinée à recevoir la
trace du style et son parallélisme au cercle décrit par ce style étant
assuré et vérifié par les moyens indiqués au n° 4, on approche la
pointe du pinceau aussi près qu’il egt nécessaire , afin que, quand celui-
ci échappera à l'arrêt qui le tient éloigné, il touche assez, pour que
le trait soit net et bien marqué. Cela fait, on abandonne le poids
moteur à l’action de la gravité, lorsqu'il est arrivé à la hauteur à la-
quelle l'observation a appris que le mouvement était devenu uniforme,
on commence à compter ayec une montre à pointage de Bréguet,
donnant les dixièmes de seconde, la durée de dix ou de vmgt révo-
lutions du plateau; on répète trois fois cette observation , et quand
la durée observée est la même ou ne diflére que d'environ deux
dixièmes de seconde , tantôt en plus, tantôt en moins, ce qui peut
venir de l'observation même du compteur , on donne le signal auquel
on dégage le déclic. Le mouvement commence alors, le style échappe
à son arrêt et trace la courbe. Dés que le corps en expérience atteint
le bas de sa chute ou en approche, on appuie à la main contre la
circonférence de la poulie à laquelle il est suspendu, un morceau
de bois, faisant fonction de frein , à l’aide duquel on retarde , et l’on
éteint graduellement le mouvement de cette poulie. Dans le cas où
le corps mis en expérience est fragile ou susceptible de se détériorer
en arrivant au bas de la course, il convient de disposer pour le recevoir
une couche de corps mous, tels que du foin ou de la paille qui affai-
blisse l'intensité du choc.
Aussitôt que la portion de la courbe que l’on veut relever est tracée,
ou dès qu'on commence à ralentir le mouvement de la poulie, on
éloigne rapidement le plateau du style, en faisant reculer la platine
qui le porte et dès-lors le style cesse de tracer.
On enlève la feuille de papier ou celle de zinc qu’elle recouvre, on
la remplace par une autre et l’on commence une autre expérience.
SIXIÈME SECTION. 565
19. Mode de relèvement des courbes. Pour compléter cette des-
cription , il reste à faire connaître les procédés employés pour accélérer
le relèvement des courbes tracées par le style. Indiquons d’abord la
construction ‘par laquelle s’opére le relèvement pour faciliter l’intel-
ligence de l'appareil à l’aide duquel on l’exécute.
Le style tournant excentriquement et parallèlement à l'axe de
rotation du plateau, il est évident que toutes les courbes tracées
sur celui-ci seront tangentes à deux cercles, l'un extérieur , l'autre
intérieur à leur contour, dont les rayons auront pour différence le
d'amètre du cercle décrit par le style. Cela seul suffirait pour retrouver
ce diamètre, mais comme il est facile et toujours convenable, avant
ou après chaque expérience de décrire ce cercle sur le plateau im—
mobile, nous pouvons le prendre pour base de la construction. Cela
posé, l’origine A de la courbe à relever étant bien indiquée, par ce
point faisons passer un cercle de même diamètre que celui du style, ce
qui n'offre aucune difficulté, puisque son rayon est connu, ainsi que
la distance constante de son centre à l’axe du plateau.
Chaque révolution du style correspondant à un tour de la poulie
à laquelle est suspendu le corps en observation et dont le développe-
ment est connu, il s'ensuit qu'il y a un rapport constant entre les es—
paces parcourus et les angles décrits par le style ; ainsi, par exemple,
dans les expériences sur la résistance de l’air , la circonférence moyenne
de la poulie , y compris la demi-épaisseur du cordon , était de 1°,5849 ;
par conséquent à chaque tour du style correspondait. une hauteur ver-
ticale parcourue par le corps égale à 1",5849. D’après cela, si nous par-
tageons la circonférence du style , qui passe par le point A en dix parties
égales , aux points 0,1,2, 3, 4, 5,6, 7, 8,9, chacun de ces points cor-
respondra à 0®,15849 de chute du corps. Mais, pendant le mouvement ,
le plateau animé d'un mouvement uniforme s’est déplacé de quantités
qu'il est facile de mesurer, car il est évident, par exemple , que pen-
dant que le style aura parcouru l'arc A1, Le plateau aura décrit l'angle
AC1 , déterminé par la rencontre du cercle de rayon C1, décrit du
centre C, avec la courbe du style. On voit en eflet de suite que le
point À est nécessairement celui qui a dû venir passer en À, à l'instant
où le style avait décrit l'arc A1.
De là il résulte que, si du centre Cet des rayons CA , C1, C2... C9,
on décrivait des circonférences de cercle, l'arc de chacun de ces
cercles compris entre les points À, 4, 2... 9, et leur rencontre avec
la courbe, donnerait pour chacun des espaces correspondans aux arcs
A4, A2... A9, les temps écoulés depuis l’origine du mouvement. I
564 MÉMOIRES ET PIÈCES.
est clair encore , qu'après la première révolution du style , comme aprés
le premier tour du plateau , il faudrait ajouter aux ares observés une
circonférence entière, deux après le second tour et ainsi de suite.
Le relèvement des courbes ne présente donc aucune dificulté, et
comme on connaît par l'observation de la durée uniforme des révolu-
tions du plateau, le 1emps correspondant aux ares qu’il décrit , il
s'ensuit qu'on peut facilement former pour chaque expérience une
table des espaces parcourus et des temps employés. Puis, en prenant
les espaces pour abscisses et les temps pour ordonnées ; on représentera
graphiquement la loi du mouvement par une courbe à coordonnées rec-
tangulaires, dont l'étude doit conduire aux lois physiques que l’on
* cherche.
Mais , si la marche à suivre pour le relèvement des courbes est simple ,
l'exécution est fort longue, par suite de la multiplicité des angles à
mesurer, ét surtout par le grand nombre des expériences.
11 n’en a pas été fait en 4855, sur la résistance de lai: au mouvement
des corps de diverses formes, moins de 600 et dans chacune d'elles la
course ayant été de 44" mêtres environ , on a eu à relever des courbes
dont le développement correspondait à 8400 mètres ou à 2,1 lieues de
chemin parcouru. Le relévement se faisant par dixièmes de la révolu-
tion du style on de 0",157 en 0,157 , on avait 800000 points environ
à relever par abscisses et par ordonnées ; il eût fallu renoncer à un tra-
vail pareil, si l'on n'eût pu l'abréger par un instrument particulier.
15. Znstrument employé au relèvement des courbes. Le rapporteur à
branches mobiles employé de 1851 à 1854, suffisant pour le relève-
ment des courbes tracées par J'appareil mis en usage , n'était plus assez
expédilif pour le cas actuel, et c’est ce qui a engagé à faire construire
exprès un appareil, qui a été exécuté sur les dessins du capitaine
Didion aux ateliers de l’école d'application ; nous allons le décrire en
détail, ainsi que la suite des opérations à exécuter.
La feuille sur laquelle la courbe est tracée se pose sur un plateau en
cuivre AA (Fig. 9), portant au milieu un axe de centrage ; un anneau
plat BB recouvre cette feuille, et à l’aide de vis garnies de rosettes ,
on la serre entre cet anneau et le plateau, de sorte qu'elle ne puisse
plus varier de position. Au préalable, on a eu la précaution de la cen-
trer exactement par rapport au plateau et au cercle de la manière que
nous indiquerons plus tard.
Le dessus de l'anneau BB est un limbe, divisé en 4000 parties, pour
rendre la réduction des révolutions en tours plus facile.
Sur l'axe C se place ensuite un rayon composé d’un bras DD , ouvert
SIXIÈME SECTION. 565
sursa largeur, qui repose à son extrémité sur g limbe ; et qui porte en E
unpetit vernier curseur, lequel peut donner 3555 de la circonférence du
plateau, mais qui sert surtout à faire correspondre le point de départ
du relèvement au zéro du limbe. En plaçant la He on a eu la
précaution de chercher lerayon ca , qui passe par l'origine de la courbe,
de manière que le milieu du bas DD correspondit déjà à peu près au
zéro du limbe, et l’on achève l'ajustage en faisant glisser Le vernier.
D'après cela, tous les angles décrits par le rayon mobile sont comptés
depuis le zéro du limbe et depuis l’origine du mouvement. L'usage du
limbe et de ce rayon mobile faciliterait déja beaucoup le relévement,
mais il y a une autre disposition qui le rend encore plus rapide. Ce
bras mobile entraîne avec lui un disque F, dont le centre correspond
exactement à celui de la circonférence du style et qui porte dix pointes
correspondantes à autant de parties égales de la circonférence ; et dont
les extrémités sont à une distance du centre égale au rayon de celle
du style , de sorte qu’elles représentent les divisions A, 4; 2...., 9 de
cette circonférence. Ce disque et ses pointes étant ajustés, comme
nous le dirons tout à l'heure , de manière que l’une d’elles corresponde
exaciement à l’origine de la courbe, il est clair que la suivante, dans
le sens du mouvement, correspondra au point 4, la deuxième au
point 2, etc.
D'après cela, si l'on fait mouvoir le bras mobile en suivant le mou-
vement de la courbe, il est clair que la pointe décrira l’are Ad, et que
quand elle sera au-dessus du point À, on aura l’angle décrit par le
plateau pendant le déplacement du style correspondant à l'arc Al,
en lisant sur le limbe à quelle division s’est arrêté le zéro du vernier.
En faisant airsi successivement répondre chacune des pointes du disque
F aux pointes 2, 5,4...,9, on aura de suite les angles décrits par le
plateau. On voit donc que le relèvement s'effectuera rapidement ; mais
l ya plus, c’est qu'avec un peu d'habitude de l'usage de l'instru—
ment et de la marche des courbes ; on n'a pas besoin de tracer ni de
diviser le cercle primitif.
Il suflit de connaître son diamètre et d'ajuster les pointes sur le
cercle pareil, décrit en un endroit quelconque de la feuille, lors de l’ex-
périence , puis ensuite d'amener l'une d'elles sur l’origine de la courbe
de facon que le zéro du vernier corresponde à celui du limbe. Après
cela, en faisant mouvoir le rayon mobile autour de l'axe, de manière
que les pointes viennent successivement rencontrer la courbe, et lisant
les angles correspondans à chaque position , on obtient de suite et trés”
rapidement les temps correspondans aux espaces parcourus.
566 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Il nous reste à indiquer comment on ajuste les pointes à leur lon
gucur, et comment on place leur centre à la distance convenable. Pour le
second objet, le disque porte un axe G, qui traverse à frottement doux
un guide 2, celui-ci glisse à volonté dans une coulisse du bras mobile
et dans le sens de sa longueur; une vis tournant autour du sommet
fileté de ce guide permet de l'arrêter sur la coulisse; on peut donc
aussi placer le centre du disque à la distance convenable, et l'axe g
étant à frottement doux dans le guide A, le disque n'en conserve pas
moins la faculté de tourner autour de cet axe.
A l’aide du mouvement de translation, on peut, en présentant le
disque sur le cercle du style tracé avant ou aprés l'expérience, le placer
concentriquement à ce cercle. Le diamètre de ce cercle dans une même
série d'expériences faites avec le même appareil est constant, mais
quand on change de poulie, ce diamètre peut varier un peu, il faut
donc pouvoir donner aux pointes la longueur convenable à cet eflet.
Sur le disque F et concentriquement avec lui est une plaque K, portant
dix fentes excentriques toutes de même rayon dans chacune desquelles
s'engage une cheville que portent les aiguilles. Celles-ci sont engagées
dans des rainures faites sur le disque F, dans le sens de ses dix rayons
et ne peuvent que glisser dans ce sens. On concoit, d'après cela, que
si l’on fait tourner la plaque autour de l'axe, ces fentes conduisant
les chevilles des aiguilles , forceront celles-ci à s'éloigner ou à se rap—
procher du centre, et si elles ont été bien ajustées une fois, les extré—
mités resteront. toujours à des distances égales de ce centre. La variation
totale de saillie des aiguilles peut s'élever à 0®,010, ce qui dépasse toutes
les différences entre les cercles décrits par les styles de nos appareils.
Les pointes étant ajustées à leur longueur et le disque F mis à la
distance convenable du centre €, il ne reste plus qu'a placer l’une des
aiguilles sur l’origine de la courbe; c'est ce qui est facile, puisque le
disque F a encore la liberté de tourner autour de son axe G. Cela
fait, on serre la vis de pression, et dès-lors l'appareil est ajusté et ne
doit plus varier.
On observera que cet ajustage des pointes ne se fait qu'une fois
pour toutes, pour une même série d'expériences, où le style ayant tou-
jours la même position et la même distance, l’origine se retrouve,
pour toutes les courbes, à la même distance du centre du plateau.
14. Manière de centrer Les feuilles. Nous avons supposé jusqu'ici
que la feuille sur laquelle la courbe était tracée, avait été exactement
centrée par rapport à l'appareil de relèvement ; il faut dire comment
on y parvient.
SIXIÈME SECTION. 567
Dans les expériences de 4855 sur la résistance de l'air, la feuille de
papier était simplement collée par ses bords sur le plateau animé du
mouvement uniforme et après chaque expérience on l’enlevait pour le
remplacer par une autre. On opérait donc le relèvement sur ces feuilles
détachées, qui ayant été mouillées avant d’être collées, se retiraient
parfois un peu inégalement. Pour retrouver le centre on fermait d'abord
le trou de l'axe, en y collant un petit morceau de papier, puis en
posant sur la feuille un plateau de centrage (Fig. 9) en cuivre évidé
vers le centre, vers les bords et dans une partie intermédiaire. Les
vides étaient garnis de morceaux de corne transparens , sur lesquels
étaient tracés des cercles concentriques équidistans de 0",002 en
0®,002. Au centre, était percé un petit trou pour le passage d’une
aiguille. En promenant ce plateau sur la feuille , on trouvait facilement
la position qui correspondait le mieux au centre des courbes et alors
on piquait sur la feuille la place de ce centre, puis à l’aide d’un com-
pas tranchant, par une de ses pointes, on découpait une petite rondelle
d'un diamètre égal à celui de l'axe de l'appareil de relèvement. En
posant alors la feuille sur cet instrument, on était ainsi certain de l'avoir
centrée, aussi exactement que le permettait le retrait du papier.
Le relévement de ces courbes a montré que ce retrait quoiqu’assez
faible, et à peu près régulier , pouvait néanmoins avoir quelqu'influence
sur l'exactitude des résultats, et c’est ce qui a déterminé à coller
le papier sur des feuilles de zinc que l’on remplacait aprés chaque
expérience et sur lesquelles il restait collé jusqu'à ce que la courbe
eùüt été relevée. On a, par ce moyen, évité les effets des inégalités du
retrait et Île centrage des feuilles de zinc est devenu encore plus facile
que celui des feuilles de papier. Car ayant eu la précaution de les faire
tourner et percer au centre d’un trou, d’un diamètre égal à celui de
l'arbre de la poulie, et ayant placé sur l'axe de l'instrument de relève-
ment un anneau de même diamètre , il a suffi de poser la feuille sur cet
instrument , pour qu’elle se trouvât exactement centrée.
A l’aide des moyens, que nous venons de décrire, le relèvement des
courbes est devenu facile et en y employant deux dessinateurs , dont
lun, maniant l'instrument, lisait et dictait les angles, que l'autre
écrivait, on est parvenu à en relever jusqu’à 20 par jour, pour les
expériences sur la résistance de l'air, ce qui correspond à environ
280 mètres d'espace parcouru.
On remarquera que l'usage de cet instrument réunit l'exactitude
à la célérité, et qu'il donperait au besoin 305% de la circonférence
du plateau. Or celui-ci pouyant marcher à des vitesses variables depuis
568 __ MÉMOIRES ET PIÈCES.
deux jusqu'à dix tours en 4/, on aura par ce moyen la valeur du
temps avec une approximation qui dépasse tout ce qui a été obtenu
jusqu'à ce jour.
45. Modifications que l’on pourrait apporter à ces appareils. Après
ayoir décrit les appareils qui ont été construits et les moyens em—
ployés pour le relèvement des courbes , il ne sera sans doute pas hors
de propos d'indiquer quelques dispositions qui pourraient les per—
fectionner et en étendre l'usage , soit en en réduisant beaucoup les di-
mensions, la complication et le prix, soit en prolongeant la durée
du mouvement uniforme.
Remarquons d’abord que, dans les appareils décrits plus haut, le
mouvement ne devient uniforme qu'au bout d'un certain temps et
après que le poids moteur est descendu d’une certaine hauteur, et
qu’il atteindra cette limite d'autant plus tard que les masses du système
auront up moment d'inertie plus considérable ; et, comme pour certaines
expériences, il peut être nécessaire que le volant à ailettes soit ac—
compagné d’un volant proprement dit d’une masse assez grande, pour
rendre insensible la résistance du style, on voit que le mouvement
n’arriverait que tard à l’uniformité et ne durerait pas assez long-temps.
Il est facile de remédier à cet inconvénient, soit en ajoutant au poids
moteur constant un poids additionnel assez considérable, pour que,
son action concourant avec celle du premier, le mouvement approche
promptement de la vitesse qu'on veut lui donner, et qui touchant
à terre, à partir de cet instant, laisserait l'appareil soumis à la seule
action du poids constant. Mais il est, dans la plupart des cas, plus
simple et plus commode au moment de la mise en mouvement de
l'appareil chronométrique, d’agir à la main sur le volant et de lui
imprimer directement une grande vitesse, que le poids moteur ne
devra plus que ramener à la vitesse de régime.
Un perfectionnement beaucoup plus important que ces appareils
pourraient recevoir est fondé sur l'observation suivante. On sait que
la résistance des milieux croît avec leur densité, et que par conséquent
si le volant à ailettes se mouvait dans un milieu plus dense que l'air,
le mouvement serait bien plus tôt régularisé , et comme il ne serait pas
nécessaire alors que les ailettes eussent une grande vitesse, on pour-
rait réduire l'appareil à deux axes de rotation pour les grandes vitesses ,
et à un seul pour les petites. Une disposition de ce genre a déjà été
mise en usage ayec succés par un artiste ingénieux *, qui est ainsi
* M. Gctten, fabricant de lampes mécaniques, a présenté, à la dernière exposition des
produits de l'isdustrie, des Jampes dout Je régulateur marche dans l'huile,
SIXIEME SECTION. 569
parvenu à établir des lampes mécaniques d’un mouvement très-régulier
à un prix bien inférieur à celui auquel il pouvait les livrer auparavant.
En appliquant cette idée, on pourrait réduire de beaucoup les di-
mensions du volant, sa vitesse, le poids, le volume et le prix des
appareils : mais , ce qui est encore plus important, c’est que l’on pourrait
prolonger de beaucoup la durée de leur mouvement uniforme sans
augmenter la hauteur de chûte du poids moteur.
Cette idée serait particulièrement applicable , avec la plus grande
facilité, aux chronomètres dont le style ou le plateau devraient se mou-
voir horizontalement,
Il y a plus, l'emploi des régulateurs mus dans un liquide d’une
grande dexsité, pourrait conduire sans doute à d’importans perfec-
tionnemens pour les horloges à contre-poids ou même à ressort et
permettrait de supprimer l'usage du pendule: et il nous semble fort
à désirer que des artistes habiles fassent à ce sujet quelques tentatives
auxquelles la nature de nos occupations ne nous permet pas de songer.
Nous remarquerons que l’eau, par la constance de sa densité entre
des limites de température qu’il est toujours facile de conserver dans
les appartemens , paraît essentiellement propre à étre employée comme
milieu régulateur.
Nous nous contenterons d’avoir indiqué ces perfectionnemens , qui
nous paraissent susceptibles d’être utilement appliqués dans beaucoup
de cas, et nous serions heureux de les voir mettre en usage, soit
pour le progrès des sciences physiques , soit pour celui de l'horlogerie,
72
570 MÉMOIRES ET PIÈCES.
NOTICE
SUR
LE SYSTÈME ET LES RÉSULTATS DES TRAVAUX ADOPTÉS POUR
L'AMÉLIORATION DE LA NAVIGATION DE LA MOSELLE ,
Par MM.
LE MASSON, ingénieur en chef des ponts et chaussées,
LE JOINDRE, ingénieur ordinaire, chargé du service de la
navigation de la Moselle,
Messieurs,
Pour compléter le système général de navigation intérieure en France ,
il ne suffisait pas d'achever nos canaux dans leur immense développe-
ment , il fallait encore assurer aux bateaux un tirant d’eau suflisant
dans les rivières qui sont la continuation des canaux , ou que ceux-ci
relient entre elles ; il fallait, en outre, perfectionner les rivières qui
à elles seules forment déja des voies navigables importantes.
Vous le savez, Messieurs, deux lois spéciales ont été promulguées
pour atteindre ce but; la première est du 50 juin 4855, l’autre ne
date encore que de la dernière session des chambres , celle de 1837.
Les ingénieurs de la Moselle ont eu la douce satisfaction d'avoir pu
présenter leurs projets d'ensemble assez à temps pour faire comprendre
la Moselle dans la première de ces deux lois , celle du 50 juin 14855,
qui, en conséquence de ces projets, a créé un fond d’un million pour
SIXIÈME SECTION. 574
le perfectionnement de la navigation de la Moselle , depuis le confluent
de la Meurthe, à Frouard , jusqu'à la frontière de France, au-delà
de Sierck.
Cette étendue totale du cours de la rivière; forme un développe-
ment de plus de 415 kilomètres, c'est-à-dire de près de 29 lieues ; et
la partie qui concerne le seul département de la Moselle a une longueur
de 80 kilomètres ou 20 lieues.
Nos projets ne sont relatifs qu'à cette dernière partie ; l'évaluation
sommaire des dépenses monte à 842,000 fr., dont 192,000 fr. pour les
travaux du chemin de halage, et 650,000 fr. pour ceux à exécuter en lit
de rivière. L'on peut déjà conclure de là que le crédit d'un nullion
sera insuffisant pour les dépenses à faire sur toute l'étendue du cours
entre Frouard et la frontière; maïs on suppléera à cette insuffisance
par des allocations prélevées sur les fonds ordinaires du budget destinés
aux travaux des rivières navigables.
Notre but ici, Messieurs, n'est que de vous rendre compte des ré-
sultats de nos premiers travaux d'essai , de décrire les effets physiques
que nous avons observés, et de fournir quelques élémens de plus à la
science encore si incomplète de l'hydraulique pratique. Nous n'avons
donc pas à entrer dans les détails du mémoire que nous avons rédigé,
en 4834, à l'appui de nos projets sur la navigation de la Moselle, et
à la suite d’études et d’investigations minutieuses sur tout.ce qui Con-
cerne le régime de cette rivière , la formation de son lit, les documens
statisques, l'importance et les habitudes actuelles de la navigation
depuis la Meurthe jusqu'à Coblentz; nous nous bornerons à rappeler
quelques-unes des observations qui ont motivé l'adoption des projets
que nous avons proposés.
La ville de Metz, par sa position géographique , se trouve sur la
communication directe du midi et de l'ouest de la France, avec Co—
blentz, Cologne, la Prusse et toute l'Allemagne septentrionale, et sur
celle de l'Alsace, et de la Suisse avec la Belgique.
Cette position fait ressortir toute l'importance de la navigation de la
Moselle, rivière qui relie Metz à Coblentz et au Rhin, qui longe une
partie de la Belgique, et qui recoit par la Sarre les produits des belles
et inépuisables houillères du pays de Sarrebruck.
Malgré les obstacles naturels que rencontre la navigation de la Mo-
selle, elle donne déjà lieu à un mouvement commercial considérable,
qui, en dix ans , de 1823 à 1834, a suivi ane loi progressive du simple
au double.
Dans notre mémoire de 4834, nous ayons montré que, pour une
#79 MÉMOIRES ET PIÈCES.
année moyenne ; la quantité de matières ou marchandisas transportées ,
soit à la remonte, soit à la descente , et constatée à Thionville , pou-
vait être évaluée , pour la Moselle inférieure à Metz à 33,000 tonnes de
1,000 kilogrammes : chiflre que l’on jugera considérable si on le com—
pare à celui du canal du midi, dont le mouvement commercial annuel
moyen, évalué dans une statistique de 4822 , n’est que de 92,000 tonnes.
C'est-à-dire que, sur ce grand canal, l’activité des transports n’était
pas le triple de celle de la navigation naturelle de la Moselle.
Or, en 1856, année pluvieuse, très-favorable à la navigation, le
poids des matières transportées en aval de Metz, -
HÉSLIÉIEVÉ A ee + nier tele er ede te el RS UBDRIETNTES:
Enfin dans les huit premiers mois de 1857, année
plus favorable encore , elle atteint déjà le poids de
40,900 tonnes; et pour l’année entière il est donc
probable qu'elle atteindra, en 4857 . . . . . . . . 60,000 tonnes,
c'est-à-dire environ les + du chiffre moyen constaté en 1822 pour le
canal du midi.
Une telle importance et une telle activité, dénotent déjà , dans l’état
naturel de la Moselle, de grandes ressources auxquelles on ne doit pas
renoncer, et supposent , dans les procédés de navigation , des habitudes
établies qu'il n'eût pas été convenable de venir renverser. Aussi les
ingénieurs ne se sont-ils pas arrêtés un seul instant à l’idée de proposer
un canal latéral à la Moselle, et ils n’ont pas davantage pensé qu'il y
eût lieu à canaliser le lit même de la rivière au moyen de barrages
éclusés ; système qui, outre l'incertitude du succés, dans un lit affouil-
lable , aurait l'inconvénient de faire renoncer à toujours à la navigation
des bateaux à vapeur, et de n'être pas en rapport avec le système de
travaux qui paraît projeté par les ingénieurs prussiens dans la Basse-
Moselle.
En outre, la dépense d’un canal latéral pour les 80 kilomètres du
cours de Ja Moselle dans ce département , se serait élevée
au moins à , 8,000,000 fr.
Cellé de la canalisation de la rivière elle-même, au
moyen de barrages et d’écluses aurait atteint au moins 4,000,000
Tandis que , d'aprés nos projets, les travaux en lit de
rinière ne s'élévent qu'à : . . . , . . . . , . . . « + . 650,000
C'est-à-dire qu'un canal latéral coûterait douze fois plus, et la ca-
nalisation de la rivière coûterait six fois plus que l'exécution des projets
que nous proposons ; lesquels tant pour les travaux en lit de rivière que
pour l'amélioration du chemin de halage , n’entraineront qu'a une dé-
* SIXIÈME SECTION. 575
pense de 842,000 fr. pour 80 kilomètres de rivière, ou 40 fr. 53 par
mètre courant ; c'est-à-dire à la faible dépense seulement que nécessite
l'ouverture ordinaire d’une route départementale.
L'utilité d'améliorer la navigation fluviale naturelle , sans barrages
et sans écluses , se trouvant motivée par ces observations préliminaires,
nous arrivons, Messieurs, à vous exposer Les faits naturels sur lesquels est
basé le système de nos travaux et les résultats que nous avons obtenus.
Un fait principal qui nous a frappés dans l'exploration que nous avons
faite en 4833 du cours de la Moselle , depuis l’origine de notre dépar-
tement jusqu'a Coblentz, consiste dans la division naturelle et perma-
nente de la rivière en parties profondes d'une grande étendue , séparées
par des bancs de gräviers, ou hauts-fonds , d’une étendue beaucoup
moindre , et au-dessus desquels la hauteur d’eau est trés-faible.
Des phénomènes analogues de brefs naturels consécutifs et de hauts—
Jonds, se présentent sur toutes les rivières à fond de gravier *.
Dans toute l'étendue des biefs la surface de la rivière a peu de pente
et peu de vitesse; sur les hauts-fonds , au contraire, la pente et la
vitesse sont considérables. ,
Les hauts-fonds sont de véritables barrages naturels, terminés par
des plans inclinés, sur lesquels la rivière se déverse; on les désigne
par diflérens noms , qui tous se rapportent au peu de profondeur d’eau
et à la grande vitesse qu'ils présentent : on les appelle seuils, maigres,
baïssiers, sauts, rapides; sur la Moselle on leur a donné le nom de
coulants, et plus ordinairement celui de gué, parce qu'en été ils
servent au passage des voitures d’une rive à l'autre.
Cette observation de la division de la rivière en biefs consécutifs
et hauts-fonds , serait sans importance, si l’on n'ÿ joignait en mêmé
temps celle de la permanence de cette division.
De nombreux bouleversemens surviennent à la suite des crues dans
les rivières à fond mobile ; des plages de graviers se forment, d'autres
disparaissent , la ligue de navigation et tout le lit même se déplacent
latéralement ; müis, malgré tous ces changemens, le nombre des
hauts-fonds reste le même, et leur emplasement ne varie pas; la
barre naturelle et les biefs qu’elle sépare existent toujours, par rapport
au cours général de la rivière , à trés-peu près là où ils existaient avant
la crue : c'est ce que savent tous les bateliers , qui ont donné à chaque
haut-fond le nom de la commune ou de la localité à laquelle il ap-
* M. Borel, ingénieur des ponts et chaussées, les a signalés dans un mémoire important
sur la navigation de la Garonne, inséré davs les annales des ponts et chaussées, premier
semestre 1836,
574 MÉMOIRES ET PIÈCES.
partient; c'est ce que tout le monde peut observer de méme , parcé
que, pour la Moselle, par exemple, les hauts-fonds sont des gués,
et que les chemins qui y aboutissent sur chaque rive, et qui existent
de temps immémorial , aux mêmes points, sont l'indice le plus certain
de la firité des hauts-fonds.
Nous ne sayons pas quelles sont les causes naturelles de ces phé-
nomènes constans dans le régime si variable des rivières à fond
mobile, et nous exprimons le vœu que le Congrès appelle l'attention
des physiciens et des ingénieurs sur leur étude ; mais quelles que
soient ces causes, l'on conçoit dès à présent combien cette circons-—
tance de la permanence des biefs et des hauts-fonds est heureuse,
et quels avantages on en peut tirer dans l'intérêt de la navigation,
et pour l'économie des dépenses.
Les biefs, en effet, dans lesquels les bateaux trouvent en tout
temps un tirant d’eau suffisant , forment l'étendue la plus considérable
des rivières, et les hauts-fonds n’en sont que l'exception. Sur la
Moselle , par exemple, sur 80 kilomètres dans notre département, le
nombre des hauts-fonds est de 40, ou moyennement 4 par 2 kilo-
métres ; et leur longueur moyenne est de 220 mètres, c’est-à-dire que
leur ensemble ne forme environ que le + de tout le cours de la
rivière.
Si donc, l’on peut coordonner des travaux de perfectionnement
de manière à ne les appliquer que sur ce 9°, sans altérer les avan-
ages que le régime naturel a toujours offert dans les biefs intermé-
diaires aux hauts-fonds , ou aura résolu de la manière la plus éco-
nomique et la plus conforme aux lois naturelles, l'amélioration de
la navigation fluviale.
Tel est le but que nous nous sommes proposé en bornant nos travaux
à la seule étendue des hauts-fonds, au-dessus desquels nous cherchons
à obtenir, d’une manière permanente, la hauteur d’eau que ré-
clament les besoins de la navigation.
Avant dé vous donner l'exposé du système de ces travaux, nous
ne pouvons nous dispenser de vous faire remarquer , Messieurs , qu'un
curage général des hauts-fonds n’eût pu remplir ce but. En eflet le
résultat immédiat d’un eurage est de faire baisser la surface de l’eau ,
non pas autant , mais en même temps que le fond du lit curé; il
arrive donc qu'il faut un approfondissement beaucoup plus considérable
que l'augmentation de profondeur d’eau que l’on obtient; l'on détruit,
par là, le barrage naturel, et en baissant en même temps la surface
de la rivière, le bief supérieur se vide et ses avantages naturels dis-
SIXIÈME SECTION 575
paraissent. La conséquence d’un curage complet serait donc d'obtenir,
à peu près une profondeur uniforme de toute la rivière ; mais aucun
travail permanent ne maintenant cet état artificiel , la rivière ne tar-
derait pas à reprendre son régime naturel, de division en brefs et hauts-
Jonds, que nous avons signalé. Ainsi malgré l'opinion naturelle et presque
générale qui existe en faveur des curages, on ne peut les adopter
comme système d’un perfectionnement durable. De simples curages
-peuvent être bons pour produire des améliorations faibles et passagères,
mais pour une amélioration notable et permanente, il faut des travaux
permanens.
Le système que nous avons adopté, Messieurs, consiste à rétrécir
le lit de la rivière sur toute l'étendue des hauts-fonds, de maniére à
obtenir par ce rétrécissement un relèvement du plan d’eau, et par
l'accélération de la vitesse du courant un approfondissement du lit.
L'on aurait pu tenter de produire ce rétrécissement au moyen d’une
série de digues transversales ou d’épis consécutifs ; mais des expériences
faites dans ce sens à Chouzé sur la Loire, quoique toutefois incom—
plètes, n'ayant pas réussi, et les digues transyersales des moulins
de la Moselle, entre Metz et Thionville, présentant des hauts-fonds
peu en aval des rétrécissemens qu’elles opèrent , nous ayons préféré
nous arrêter à un système de digues longitudinales continues » Tat—
tachées aux rives en amont des hauts-fonds. ï
Deux raisons principales nous ont conduits à conserver au lit rétréci
une largeur de 50 mètres ; la premiére est que cette largeur est né-
cessaire, ou du moins commode pour les bateaux descendans ; la
seconde tient à ce qu'il ne faut pas donner au courant du nouveau
chenal une vitesse tellement considérable que le nombre ordinaire
des chevaux de halage ne pourrait la surmonter. Or, lapplication des
formules d’hydrodynamique de M. de Prony, démontre que, d’aprés
la largeur, la profondeur et la vitesse moyenne sur les hauts-fonds, au
niveau des plus basses eaux, et en admettant qu’à ce niveau le débit
de la Moselle inférieure , soit de 25 mètres cubes par seconde, le ré-
trécissement à 30 mètres produit une vitesse à la surface de 2",09,
qui est, à peu près, celle des plus forts courans naturels de la
Moselle.
Il résulte des mêmes formules que le gonflement de la surface de
Veau, dû au rétrécissement n'est que de 0,20, c’est-à-dire que,
s’il n’y avait pas approfondissement du lit, le nouveau chenal ne
donnerait que 0,60 de hauteur au lieu de celle de 0®,40 existant
sur le haut-fond à l'étiage, ou niveau le plus bas des eaux ; ayant
576 MÉMOIRES ET PIÈCES.
les travaux. Mais le gonflement n'est pas le seul effet produit; la
vitesse du courant s'accélère et cette accélération doit déterminer l’ap-
profondissement du lit aflfouillable ; à la suite de l’approfondissement
le gonflement primitif doit diminuer, mais d'une quantité moindre
que l'augmentation de profondeur correspondante du lit; car la pre-
mière conséquence de la diminution du gonflement , est une diminution
de la vitesse; et comme le débit reste constant, il faut qu’alors la sec-
tion du lit rétréci augmente; or, sa largeur reste constante, il faut
donc, en définitive, que sa hauteur devienne plus grande. C’est
par ces calculs et raisonnemens, et nous basant aussi sur l'observation
du coulant de Cattenom, qui à l'étiage, ou niveau des basses eaux,
se trouve naturellement réduit à une largeur d'environ 50 mètres,
que nous ayons annoncé, dans notre mémoire de 1834, l'espérance
d'obtenir par nos travaux sur les hauts-fonds au moins (°,80 de tirant
d’eau ,dans la Moselle inférieure à Metz, où le débit minimum, par seconde,
est de 25 mètres cubes, et au moins 0,70 dans laMoselle supérieure
où le débit minimum, par seconde n'est que de 48 mètres cubes.
L'on objectera peut être que ce tirant d'eau de 0,70 et même
de 0®,80 est très-faible par rapport à celui des canaux de grande
navigation qui est de 1,40; mais il faut observer qu'il n’est relauf
qu’à l’étiage, ou niveau des basses eaux extraordinaires de 1832;
que les bases eaux des années ordinaires sont de 0",10 plus élevées ,
enfin que cet état minimum n'a qu'une très-courte durée, et que
pendant la moitié de l'année le niveau de la Moselle se maintient à
plus de 0,70 au-dessus de celui de l’étiage : c’est-à-dire que si nos
trävaux amènent le résultat désiré , la navigation pourra compter ,
pendant plus de la moitié de l’année, sur un tirant d’eau de 47,40
dans la Moselle supérieure , et 1,50 dans la Moselle inférieure à Metz ;
et l’on jugera même, dans tous les cas , que cette profondeur de 0®,70
et 0,80 , assurée à l'époque des plus basses eaux, aura alors encore
les plus heureuses conséquences ; car il suffit de remarquer que des
bateaux à vapeur , tels que ceux qui font le service sur la Saône entre
Châlons et Lyon, et qui souvent, en été ; sont obligés sur cette rivière
de chômer, n'ont cependant avec leur charge qu’un tirant d'eau de
0®,70; et que sur la Moselle, quand même Jes eaux sont favorables ,
et malgré une activité trés-grande de la navigation , la charge des bateaux
dépasse rarement 30 pouces ou 0",80 de tirant d’eau.
C'est d’après ces motifs que nos projets pour le perfectionnement
de Ja navigation de la Moselle ont été approuvés par M. le directeur-
général des ponts et chaussées, et qu'un essai complet en a été auto
SIXIÈME SECTION. 577
xisé en 4835 au haut-fond inférieur de Haute- Ham, dans le 40° kilo-
mèétre en aval de Metz.
Le lit de la Moselle a été réduit dans cette localité à une largeur
de 50 mètres , entre deux digues submersibles parallèles , élevées seule-
ment à 0®,60 au-dessus du niveau de l’étiage , et rattachées, en amont,
aux deux rives par des courbes de raccordement.
Chaque digue est formée d'un noyau en gravier maintenu entre
deux massifs de fondations en enrochemens, el couvert d’un couronne-
ment en perré régulier, qui n’a, au sommet , que 0",80 de largeur.
Les travaux ont été commencés en août 1835, c’est-:-dire peu de
temps aprés le vote de la loi du 50 juin précédent. La digue de gauche
a été faite, cette même année de 4835 , environ aux ? de sa longueur ;
mais les hautes eaux l’ont suspendue, et elle n’a pu être terminée,
ainsi que celle de droite , qu’en août 1836.
Voici le résumé des changemens qui ont été la conséquence de l'exé-
cution des travaux , et qui ont été constatés par des plans, des sondes
et nivellemens , et des observations sur les vitesses , faits avec le plus
grand soin en 1835 , 1836 et 1837.
4° YARIATIONS- DANS LES PROFONDEURS DU THALWEG, A L'ÉTIAGE.
Avant les travaux, la profondeur du thalweg à l’étiage n'était, en
plusieurs points, du haut-fond inférieur de Haute-Ham que de 0,49
Et la navigation qui ne peut suivre toutes les sinuosités
du thalweg, n'avait à compter à l'étiage, que sur un tirant
et, COR RE PMR STE MORE MATE)
Immédiatement après la construction des digues la pro-
fondeur s’est successivement accrüe dans l'étendue du che-
nal rétréci.
Les sondes faites le. 29 octobre 1836, c'est-à-dire deux
mois aprés l'achèvement des digues , constatent qu'elle avait
déjà atteint ax minimum. . . . . . . . . . . . . . . . . . 0,87
et qu'elle était moyennement de . . . . . . . . . . . . . A",15
Les sondes de juin et d'août 4837, c’est-à-dire après
l'effet des crues nombreuses de l’hiver et du printemps pré-
cédens , ont constaté une profondeur minimum . . . . . . 4",01
Cette profondeur, à l’étiage, varie généralement dans toute
l'étendue du’ chenal, de: + . . 4... ... . . . 1m45 2436
L'effet des crues a été de creuser les parties du thalweg qui l'étaient
le moins, mais il a y eu peu de variations dans l’ensemble des profon-
deurs les plus fortes qui paraissent avoir atteint leur limite.
73
578 MÉMOIRES ET PIÈCES.
29 VARIATIONS DANS LES VITESSES.
La vitesse à la sarface du plus fort courant , sur le haut-fond , a été
observée avant le commencement des travaux , le 40 août 4835, la Mo—
selle étant à 0,14 au-dessus de l'étiage, elle a été trouvée être par
SCORE BIB Ie ae vs eo aie eslieile Le le llele) sue ce se A EE
Immédiatement aprés l'achèvement des digues , le 22 août
1836, la Moselle étant à 0,22 au-dessus de l’étiage, la
vitesse maximum est devenue égale à . . . . . . . . . . . ‘2",60
mais bientôt elle a diminué ; le 29 octobre, la Moselle étant
à plein bord entre les digues (0®,65 au-dessus de l'étiage),
la vitesse, devenue uniforme dans toute l'étendue du che-
nal rétree1, n'était plus que de . . . . . . . . . . . ... 92,27
Le 9 août 1837, à 0,55 au-dessus de l’étiage , la vitesse
maximum n’était plus que de . .. .... , . .. . .. . 41,90
Le 26 juin 1837, à 0,52 au-dessus de l’étiage, elle
n'était plus que de... ............,.... 41",62
Enfin l'on peut , d’après cette série d'observations , pré-
voir qu'aux environs de l’étiage le maximum de la vitesse
seraran pluside .. 1... ....:,. ::....... 14%30
c'est-à-dire qu’il ne dépassera pas le maximum observé avant les tra
vaux.
5° YARIATIONS DANS LE GONFLEMENT DE LA SURFACE DE LA RIVIÈRE EN
AMONT DU HAUT-FOND.
Le gonflement maximum des eaux produit immédiatement après le
rétrécissement s'est trouvé être de . . . . . . . . . , . . 0",25
et correspondre à la hauteur de la Moselle de 0”,40 à 0”,50
au-dessus de l'étiage.
Mais ce gonflement qui a pu être constamment observé au moyen
des échelles placées en amont et en aval du haut-fond, et de leur
comparaison avec l'échelle régulatrice d'Uckange , a successivement di-
minué, et il est probable qu'à l’étiage il est nul ou même négatif d'environ
0,03 à 07,05.
4° VARIATIONS DANS LES PENTES DE LA SURFACE DE LA RIVIÈRE.
Le nivellement de la surface de la rivière fait en juin 4837, la Mo-
selle étant à 0,45 au-dessus de l’étiage, a démontré qu'il n’était pas
survenu de changement dans la pente totale de la rivière depuis l'amont
SIXIÈME SECTION... 579
jusqu'à l'aval du haut-fond ; mais il y a eu des changemens notables
dans la répartition de ces pentes, qui aujourd'hui est à peu près
uniforme sur toute l'étendue du rétrécissement , et par hectomètre,
M etat en de alfa MUC 1e CAGE Aire 1 OA
tandis, qu'avant les travaux, le 8° hectom. du 40° kilom.
présentait seul une penteuyder 40 Jen MO STE 20m 28
Voici du reste le tableau comparatif de ces variations de pentes :
PENTES PAR HECTOMÈTRE
PT,
En août 1835. En juin 1837.
De 39,400 à 39,500.............
De 39,500 à 39,600..............
De 39,600 à 39,700..............
De 39,700 à 39,800... ces...
De 39,800 à 39,900..............
De 39,900 à 40,000.,...........
Totaux. .......
5° CHANGEMENT DU LIT EN AVAL DU CHENAL RÉTRÉCI, DE 1835 À 1837.
Les sondes rendent parfaitement compte des changemens survenus
en chaque point du lit, tant en aval qu’en amont, et que sur l'étendue
même du chenal rétréci.
En calculant, d'aprés les anciens et les nouveaux profils transversaux,
le cube des graviers remués par suite de l’approfondissement du lit,
on, trouve que la masse totale, enlevée dans le chenal rétréci sur
320 mètres de longueur, est de................... 4,968 :
et que la partie de ces praviers qui se sont déposés en
aval des digues sur 460 mètres de longueur, est de... 3,044
A la suite de cette longueur de 460", aucun atterrissement n’x
été remarqué.
580 MÉMOIRES ÉT PIÈCES.
Ainsi environ les 2 seulement du cube déblayé par le courant, et
formés , soit de sable, soit de menus graviers, ont été chariés au loin
ou jetés sur les rives; les trois autres cinquièmes se sont déposés en
aval du chenal rétréci, et ont formé un ilot de gravier que la navi-
gation a dü contourner pour arriver aux digues.
Ce résultat inévitable était déjà à peu près complétement produit
lors des sondes du 29 octobre 4856; le thalweg, sur la droite de
cet atterrissement nouveau, présentait alors deux cotes inférieures à
0",80, savoir : l’une de 0®,72, l’autre de 0®,77. Pendant l'hiver
l'atterrissement a été quelque peu augmenté et prolongé. Les sondes
de juin 4857 ont constaté, dans le thalweg contigu, trois cotes
successives de 07,68.
Aujourd’hui toute cette masse de graviers a été enleyée au moyen
d'un dragage qu'on a prolongé jusqu’à la profondeur d'un mètre,
c'est-à-dire à la profondeur moyenne du lit de la rivière, dans cette
localité, avant les travaux.
Ce dragage vient d’être terminé, ét la navigation peut aujourd’hui
franchir le passage du haut-fond inférieur de Haute-Ham, avec un
tirant d’eau correspondant à un mètre, au lieu de 0%,49 de pro-
fondeur à l'étiage, en suivant une ligne de thalweg presque droite
de sinueuse qu'elle était, et n'ayant pas à surmonter un courant plus
rapide que celui qui y existait avant les travaux.
Il y a tout lien d'espérer que cet état favorable se maintiendra,
car rien ne fait prévoir qu'il puisse survenir un changement dans le
régime spontané que la rivière s'est formé depuis un an, soil en
amont, soit dans l'étendue du chenal rétréci. Quant à laval, il est
évident que l’atterrissement qu'on vient d'enlever, n’était dù qu'aux
déblais du chenal approfondi ; et que, dès que cet approfondissement
aura atteint son terme (ce qui paraît déjà avoir lieu), il n’y aura plus
aucune raison pour qu'il se fasse un nouveau dépôt en aval.
Enfin les graviers, que la rivière déplace ou transporte dans son
cours ordinaire , ne se déposeront pas là plus qu'ils ne le faisaient avant
les travaux, puisque ceux-ci n'ont fait qu'augmenter un peu la pente,
et assez sensiblement la vitesse dans cette localité, ainsi là où il y a
eu de tout temps une profondeur moyenne de plus d'un mètre , la
même profondeur doit se maintenir.
L'expérience des travaux du haut-fond inférieur de Haute-Ham ,
peut donc être considérée comme ayant eu un succés plus complet
que celui qu’on espérait; puisque l’on ne calculait que sur une pro—
fondeur de 0,80 , et qu'aujourd'hui la navigation peut y compter, à
SIXIÈME SECTION. | B8l
l'étiage extraordinaire de 4832, sur un tirant d'eau de un mètre, et,
pendant plus de huit mois de l'année, sur un tirant d'eau de 1,40
qui est celui des plus grands canaux.
Bien des objections cependant avaient été faites contre le système de
iravaux qui a été suivi; on pensait que nos faibles digues, avec un
noyau en gravier, ne résisteraient pas à l’action de la rivière ou que
le rétrécissement augmenterait la hauteur des crues; l’on prétendait
aussi que l'approfondissement du lit amenant une diminution dans le
gonflement de la surface, ces deux effets pourraient fort bien se dé-
truire, et que les travaux n'auraient alors aucun avantage pour la
navigation; enfin l'on objectait qu'un nouveau haut-fond viendrait à
se former en aval du chenal rétréci.
Nous venons de vous le dire, Messieurs ; aucune de ces objections
ne s'est réalisée. 4° Malgré des crues répétées de 4 à 3 mètres, dans
les deux dernières années pluvieuses de 1836 et 1837, malgré de
fortes débacles de glaces, nos petites digues ont résisté sans la moindre
avarie, eL il est probable qu'elles résisteront toujours de même.
90 A la hauteur d'un mètre déjà, les digues submergées de 0®,40
ne produisent plus de gonflement, et ne sont plus visibles que par
le jeu de la lumière à la surface irradiée qui correspond à leur empla-
cement, Elles sont donc sans influence aucune Sur l'écoulement des
crues ;
3° Les deux effets de l'approfondissement du lit et de la diminu-
tion du gonflement de la surface , ont été loin d'annuler l'augmentation
de hauteur d’eau , puisqu’en définitive la profondeur minimum a été de
4,01, tandis qu'avant ces travaux elle n’était que de 0,49;
4° Enfin , une fois que le régime sera établi dans le chenal rétréci ,
il est probable qu'il ne se formera plus aucun atterrissement en aval,
puisque c'est là un bief naturel, et que les graviers chariés par la
rivière dans son cours ordinaire ; qui ne s'arrétaient pas là avant les
iravaux , ne s'y arrêteront pas davantage aujourd'hui qu'aucun chan-
gement n’est survenu ; qu'une faible augmentation dans la vitesse.
Il résulte de ces observations ; Messieurs; que nous pouvons conti-
nuer en toute confiance , à appliquer le même système de travaux Sur
tous les autres hauts-fonds, soit en resserrant la rivière entre deux
digues parallèles , soit en remplaçant l’une des digues par une rive
solide ou consolidée par des enrochemens.
Les travaux pour 21 des 40 hauts-fonds sont déjà adjugés , et au-
raient été en grande partie terminés en 4837 sans la hauteur constante
des eaux ; mais en 4836 on n'a pu travailler aux digues submersibles
582 MÉMOIRES ET PIÈCES.
que pendant 40 jours; en 1837, année plus défavorable encore;
les crues se sont tellement succédé , qu'au bout de 20 jours seulement
de travail, et au moment où près de 300 maçons étaient employés
sur la Moselle , il a fallu abandonner toutes les digues submersibles ,
et il n’y a plus aujourd'hui d'espoir de les reprendre dans l’arrière-
saison.
Les ouvrages du chemin de halage ont seuls pu étre continués, ét
d'immenses améliorations seront obtenues avant la fin de cette année ;
tous les bras secondaires seront barrés , toutes les vieilles eaux , toutes
les parties basses des rives seront traversées ou couvertes par des levées
de halage.
Si les années suivantes ne sont pas aussi contraires que 4836 et
4837 , nous conservons l’espérance de terminer en 1839 tous les tra-
vaux de perfectionnement de la navigation dans notre département ;
et nous avons aussi celle d'obtenir des résultats qui ne seront pas
moins heureux que ceux de Haute-Ham.
Alors ; Messieurs, sans avoir porté atteinte aux propriétés rive-
raines, sans avoir troublé aucune des habitudes établies pour une
navigation déja importante, sans avoir entravé la marche des bateaux
à vapeur et sans avoir augmenté, comme pour un canal , la durée des
chômages dus à l'existence des glaces dans une eau presque stagnante,
mais en maintenant dans le régime naturel ce qui est favorable, et ne
perfectionnant que ce qui est insuflisant , nous aurons produit pour la
navigation fluviale de la Moselle, sur vingt lieues de longueur, des
améliorations durables ; nous lui aurons assuré un tirant d’eau qui, à
l’époque des plus basses eaux, sera égal à celui qui répond aujourd'hui
aux grandes charges habituelles des bateaux , et qui, pendant près de
huit mois de l’année, sera égal ou supérieur à celui des canaux de
premier ordre.
Enfin, si tous ces résultats se réalisent, mous les aurons obtenus au
moyen de la faible dépense qu'eüt exigée l'ouverture d'une route de
terre, et nous aurons , Messieurs , la bienfaisante pensée d’avoir con-
tribué, dans l’étendue restreinte de nos forces , à la prospérité du pays
auquel nous devons , auquel nous consacrons notre existence.
Metz, 13 septembre 1857.
SIXIÈME SECTION. 583
NOTICE
SUR
DIVERS APPAREILS DYNAMOMÉTRIQUES
PROPRES A MESURER L'EFFORT OU LE TRAVAIL DÉVELOPPÉ PAR
LES MOTEURS ANIMÉS OU INANIMÉS ET PAR LES ORGANES DE
TRANSMISSION DU MOUVEMENT DANS LES MACHINES,
Par Arraur MORIN, capitaine d'artillerie.
AVANT -PROPOS.
Les instrumens que nous nous proposons de décrire dans cette
notice servent depuis l’année 1831 , aux diverses expériences que nous
avons exécutées ou entreprises sur le frottement, sur la transmission
du mouvement par le choc , sur les variations de tension des courroies,
sur le tirage des voitures, des charrues et le halage des bateaux.
L'usage et les circonstances différentes dans lesquelles ils devaient
être employés en ont fait souvent modifier les parties accessoires , mais
les dispositions principales ont toujours été les mêmes, ainsi que le
principe fondamental qui en a été la base.
Le but de leur construction était de rendre les observations plus
faciles et plus exactes que celles que l’on peut exécuter avec les autres
dynamomètres connus jusqu’à ce jour, en obtenant des indications
permanentes des efforts ou des quantités d’action développées par la
puissance motrice, {qui fait mouvoir un appareil quelconque et il a
été atteint de deux manières différentes , selon la nature et la durée
des observations. L'une des solutions est relative au cas où les ex—
périences ne doivent être prolongées que pendant un intervalle de
chemin parcouru ou de temps assez court et correspondant par exemple
584 MÉMOIRES ET PIÈCES.
à 400 ou 500 mètres ou à une demi-heure au plus, alors on se
contente d'obtenir sur une feuille de papier une trace écrite de tous
les eflorts exercés par la puissance motrice. L'autre se rapporte au
cas où l'étendue de l'expérience doit étre beaucoup plus considérable
et correspondre à plusieurs lieues ou à plusieurs heures et on emploie
alors un compteur, qui totalise la quantité d'action développée par
le moteur dans tout cet intervalle, en jouissant aussi de la propriété
d'indiquer celle qui correspond à telle fraction que l’on veut.
Je dois au savant M. Poncelet mon maître et mon ami l'idée fon-
damentale de ces deux solutions, savoir : 4° l'emploi d’un style tracant
une courbe des efforts sur une feuille dé papier mise en mouvement
par un moyen direct et 2° l'usage du compteur à roulette , qui totalise
la quantité d’action. En le déclarant à diverses reprises, dans mes
mémoires sur les nouvelles expériences sur le frottement, dans celui
qui a obtenu de l'académie des sciences le prix de mécanique de la
fondation Monthyon, dans celui qui a obtenu la médaille d’or de la
société d'encouragement pour l'industrie nationale , ainsi qu’à l'académie
royale de Metz, et dans les séances particulières et publiques de la
5° session du congrès scientifique , tenu à Metz en 4857 , je n'ai fait
qu'acquitter la dette de l’amitié. La part qui peut me revenir dans
le mérite d'exécution de ces instrumens n’est relative qu’à la forme
et à la proportion des lames dynamométriques , aux divers moyens
d'obtenir la trace de leur flexion sur des feuilles de papier douées
d’un mouvement circulaire ou de translation, à la construction du
compteur et aux modes d'obtenir à volonté des indications de ses
révolutions , et à l'agencement général des divers dispositifs à employer
pour les adapter à tous les appareils soumis à l’expérimentation, et
dont les formes variables se prêtaient plus ou moins facilement à cette
application.
Entre les mains d'artistes habiles, ces dynamomètres recevront sans
doute encore bien des perfectionnemens , leur disposition se simplifiera ;
mais, après avoir recu la sanction de sept années d'usage et d'emplois
variés, où l'exactitude de leurs indications a été constatée par l'accord
des résultats et par des vérifications directes et nombreuses, ils sont
déjà, je pense, parvenus à un point assez satisfaisant, pour étre
livrés avec confiance à l’industrie et offerts aux expérimentateurs, pour
la solution d’un grand nombre de questions. C'est ce qui m'a déter-
miné à en donner une description détaillée accompagnée d'une notice
sur les divers dispositifs de montage à employer selon les cas et sur la
manière de s'en servir.
SIXIÈME SECTION. 585
DESCRIPTION DES APPAREILS.
1. L'industrie et l’agriculture éprouvent depuis long-temps le besoin
d'un instrument qui permette de mesurer ayec une exactitude, sinon
mathématique , au moins suffisante , les eflorts développés par les diverses
puissances ou résistances qui sollicitent les machines ou les instrumens
qu’elles emploient.
Si l’on réfléchit au grand nombre de questions encore indécises
qu'un pareil instrument Pourrait servir à résoudre, on s'étonne à juste
tre que jusqu'ici les tentatives faites pour l'obtenir, n'aient été ni
plus nombreuses ni plus heureuses. En effet le législateur est encore
incertain sur les bases des lois relatives aux routes, car les rapports
entre le tirage des voitures, leurs dimensions et les dégradations
qu'elles causent aux routes ne sont pas établis d’une manière positive.
L'agriculteur, pour fixer son choix sur les diverses charrues vantées
par les uns et décriées par les autres, et sur les diverses machines
d'agriculture , n’a que des instrumens imparfaits , où chacun selon son
intérét ou ses préventions peut voir à peu près ce qu'il veut. Aussi
ne doit-on pas s'étonner du désaccord que l’on remarque dans les opi-
nions des diverses sociétés d'agriculture. Parmi les nombreuses indus-
tries, qui, à l’aide de machines ingénieuses , préparent avec économie
les produits perfectionnés dont l'usage se répand avec profusion dans
toutes les classes, la plus avancée sans doute est celle de la filature
et du tissage du coton, et cependant, depuis nombre d'années, elle
réclame en vain un moyen de mesurer d’une manitre précise la force
nécessaire aux machines varices qu’elle emploie. Nous nous bornerons
à ces exemples pour faire sentir toute l'importance de la question
que nous allons traiter dans ce mémoire, et si les appareils. que nous
allons décrire peuvent remplir l'objet auquel ils sont destinés, nous
croirons avoir rendu un véritable service aux arts industriels,
2. Des conditions auxquelles un dynamomitre doit satisfaire.
Pour être d’un usage sûr et commode, un dynamométre doit satisfaire
aux conditions suivantes :
4° La sensibilité de l'instrument doit être proportionnée à l'in
tensité des eflorts à mesurer et ne doit pas être altérée par l'usage.
2° Les indications de Fe. doivent étre obtenues d'une ma
nière indépendante de l'attention, de la volonté où des préventions
de l'observateur , et par conséquent fournies par l'instrument lui-méme
au moyen de traces ou de résultats matériels, qui subsistent aprés
lexpérience.
74 :
586 MEMOIRES ET PIECES.
3° Il faut que l'on puisse obtevir l’eflort exercé en chaque point
de l'espace parcouru par le point d'application de l'effort, ou dans
certains cas à chaque instant de la durée des observations.
4 Si l'expérience doit être par sa nature continuée long-temps, il
faut que l'appareil permette de totaliser facilement la quantité d'action
ou de travail dépensée par le moteur ou dans certains cas la quantité
de mouvement ou le produit des efforts par leur durée.
Telles sont les conditions principales que nous nous sommes imposées
dans la disposition des divers appareils dynamométriques que nous
avons fait construire, et que nous avons déja employés à un assez
grand nombre d'expériences diverses pour les offrir avec confiance
à l'industrie.
5. Construction du ressort dynamométrique. Pour satisfaire à la
première condition, et pour faciliter l'examen des indications laissées
par les ressorts dynamometriques , nous avons cherché à construire
des ressorts qui prissent des flexions proportionnelles aux efforts exercés,
ce qui devait rendre ces instrumens d’un usage bien plus commode
que tous ceux qu'on à faits jusqu'à ce jour; puisque le rapport des
efforts aux flexions étant une fois connu, il suffira de mesurer celles-ci
ou d'en avoir une trace pour obtenir l'expression de l'effort, sans
calcul et à l’aide d’une simple proportion.
Pour y parvenir, nous nous sommes basés sur les résultats suivans
de la théorie de la résistance des matériaux à la flexion, savoir:
La flexion d’une lame élastique à section rectangulaire encastrée
par l'une de ses extrémités ou posée librement sur deux appuis sous
l'action d'un effort perpendiculaire à sa direction primitive dans sa
position de repos est
4° Proportionnelle à cet eflort ;
2° Proportionnelle au cube de la longueur c de la lame ou du
bras de levier de l'effort ;
5° En raison inverse de la largeur a de la lame dans le sens per-
pendiculaire au plan de flexion ;
4° En raison inverse du cube de l'épaisseur » de la lame à sa
partie encastrée dans le sens du plan de flexion ;
5° En raison inverse du coeflicient E d'’élasticité de la matière em—
ployée. s
6° Si le profil longitudinal de la lame présente la forme para-
bolique des solides d’égale résistance, les flexions sont doubles de
celles que prendrait une lame d'épaisseur uniforme sur toute sa lon—
gueur.
SIXIÈME SECTION. 387
Ges résultats de la théorie * sont d’accord avec l'expérience, toutes
les fois que les flexions ne dépassent pas les limites de l'élasticité ,
c'est-à-dire lorsque les corps fléchis reprennent leur forme primitive,
dés que l'effort cesse son action. La constructiou même et la vérifi-
cation des instrumens que nous allons décrire, ont fourni de nouvelles
preuves de l'exactitude de ces bases.
D'aprés ce qui précède, on aura donc, pour des ressorts d'égale
résistance, la relation
ane 8Pc?
M
formule à l’aide de laquelle on peut calculer l’une quelconque des
quantités qui y entrent, quand on convaît les autres.
À l’époque où nous avons fait établir les premiers dynamomètres ,
le coeflicient E d'élasticité de l'acier n’était pas bien déterminé, mais la
construction même de ces instrumens nous a permis d'en obtenir la
valeur pour les ressorts, et nous ayons trouvé qu'elle était pour
L’acier fondu E — 31945 560 oookil
L’acier d'Allemagne E — 16904000 000.
4. Rapporis qu'il convient d'établir entre les diverses proportions.
La largeur a de la lame doit être limitée à 0,040 ou 0®,050 , parce
que le gauchissement produit par la trempe est d'autant plus sensible
que la lame est plus large , ce qui offre des difficultés dans l’ajustage.
L'observation des ressorts déjà exécutés nous a fait reconnaître que
les flexions des lames restaient proportionnelles aux efforts tant qu'elles
ne dépassaient pas 5 à 5 de leur longueur à partir de la partie encastrée.
D'aprés ces données il sera donc facile de calculer l'épaisseur b qu'il
conviendra de donner à une lame à sa partie encastrée, pour que,
sous un effort déterminé elle prenne une flexion connue. Elle sera
fournie par la formule
Nous en donnerons tout-à-l’heure des exemples.
5. Forme et courbure du profil longitudinal des lames de ressort.
L’épaisseur de la lame, dans le sens de la flexion, à la partie où elle
est encastrée, étant déterminée , et le profil de la lame dans le même
sens, devant être celui d’un solide d'égale résistance, il est facile de
construire Ja courbe de ce profil. On sait, en eflet, d'aprés la tñéorie
* Résumé des Jeçons de mécanique données à l’école des ponts et chaussées, par M. Navier:
588 MÉMOIRES ET PIÈCES.
et les résultats d'expériences connus sur la résistance des matériaux
à la rupture *, que la résistance d'un solide à section rectangulaire
encastré à l’une de ses extrémités , et sollicité à l’autre par un effort
perpendiculaire à sa direction, est en un point quelconque :
4° Proportionnelle à sa largeur constante a ;
2° Proportionnelle au quarré de son épaisseur au point considéré ;
3° En raison inverse de la distance de ce même point à l'extrémité
sur laquelle agit le poids ou l’effort.
Ces résultats de la théorie sont d'accord avec l'expérience, tant que
la flexion ne dépasse pas les limites de l’élasticité, ce qui est le cas
de nos ressorts, dont la flêche de courbure ne doit pas excéder +5 à &
de leur longueur, comme on l’a dit au n° 4.
Si donc nos lames ont une face en ligne droite perpendiculaire à
la direction de l'effort et l’autre courbe, en appelant
x l’abscisse de la courbe mesurée à partir du point où agit l'effort,
7 l'ordonnée de la courbe perpendiculaire à Ja ligne des abscisses ,
On aura pour l'équation de la courbe
b?
DRE)
c
> 4 Pb?
qui est celle d’une parabole dont le paramètre — est connu. En se
c
donnant des valeurs successives de x, on aura donc facilement les
ordonnées y correspondantes.
6. Disposition des lames de ressort. Les lames de ressort, disposées
pour mesurer Ja iraction des chevaux sur les voitures, les charrues,
les bateaux , etc. , sont disposées comme l'indique la fig. 4, PI. E.
Deux lames aa! et bb!, exactement semblables, dont les faces in--
térieures sont planes et les faces extérieures paraboliques sont ter-
minées, à leurs extrémités, par un nœud d’articulation de même
largeur, percé d’un trou allésé dans le sens de cette dimension. De
petits boulons en acier traversent à frottement doux ces oreilles, ainsi
que des brides ff placées au-dessus et au-dessous des lames, et y
sont fixés par des écrous, de sorte que les lames ont la liberté
de se mouvoir facilement dans le sens de leur longueur, et se placent
naturellement dans une position parallèle, lorsque l’eflort est dirigé
perpendiculairement à la lame D£, qui est fixée au corps à tirer de
la manitre suivante.
Une grifle postérieure € est percée d’une ouverture pour le passage
* Résumé des lecons de M, Navier.
SIXIÈME SECTION. 589
de la lame qui s'y introduit dans le sens de sa longueur. Un épau-
lement d'une longueur égale à la largeur de la grifle , a été ménagé
au milieu de la lame, et entre avec précision dans cette ouverture.
Des vis de pression g à pointe conique, serrent la lame dans cet
encastrement, et c’est à partir du dehors de la grifle c et jusqu’au
centre des trous b et D! que se compte la longueur de la lame.
Une griffe antérieure d recoit pareillement la lame ad!
et porte
un anneau 7 auquel s'accroche la volée ou la corde sur laquelle le
moteur agit.
I convient de disposer les griffes c, de telle facon qu'elles se
touchent quand l'instrument est au repos, on en verra plus loin les
avantages.
Enfin les mêmes griffes peuvent recevoir des lames de diverses
forces.
7. Observation sur l'effet de l'accouplement des lames. On remar-
quera que, par cet accouplement de deux lames, l'écartement de leurs
milieux est double de la flexion de chacune des extrémités. On
pourrait ainsi réunir plusieurs paires de lames de même force, dont
les flexions, s’ajoutant sans que l'effort supporté par chacune d'elles
augmentât, donneraient à l'appareil plus de sensibilité ; mais la mul-
üplicité des articulations pourrait peut-être nuire à l'exactitude, et
il nous semble que, dans les proportions adoptées , il est facile d’avoir
un instrument qui donne des indications suffisamment approchées.
8. Moyen d'éviter que les ressorts ne soient forcés. Le plus grand
effort que le ressort doive supporter; étant connu par la condition
que la flexion correspondante ne dépasse pas le dixième de la longueur
des lames, .on évitera que, par un acoup, il ne puisse être forcé,
en fixant à la griffe postérieure c une bride d'arrêt suflisamment forte,
contre laquelle la lame antérieure vienne s'appuyer, quand ‘la tension
atteint son maximum.
9: Lames de ressort isolées: Tout ce que nous avons dit sur la
forme des ressorts peut s'appliquer à des lames dynamométriques
isolées à une ou à deux branches. C’est ce que nous avons fait en 1834
pour la construction d'un dynamomètre de rotation, que nous avons
employé à l'exécution d'expériences sur le frottement des axes de
rotation *, et dont nous donnerons plus loin la description.
40. Résultats d'expérience sur les dynamomètres. Les principes que
* Nouxelles expériences sur le frottement des axes de rotation, sur la variation de tension
des courroies ou cordes sans fin employées à la transmission du mouvement sur Je frottement
des courroies à la surface des tambonrs, faites à Metz en 1834 ; à Paris, chez Çarillan-Gœury.
590 MÉMOIRES ET PIÈCES.
nous ayons rappelés et les proportions que nous avons indiquées dans
les numéros précédens, ont été ‘appliqués à la construction de sept
dynamomètres de diverses forces, et les résultats que nous avons
annoncés, ont été obtenus et vérifiés en présence de plusierrs in—
génieurs et du comité des arts mécaniques de la société d’encourage-
ment. Nous les indiquons avec les dimensions principales des lames
dans le tableau suivant :
Taszeau des dimensions et des flexions de plusieurs dynamomètres.
FORCE LARGEUR | LONGUEUR | ÉPAISSEUR | Hénoenent ACIER
CES ds des lames L
des lames, lames. branche. encastrée, ps employé.
maximum des de chaque
m m
e Le
0,0045 | 0,00220
0,0079 | 0,00276
0,0079 | 0,00307
0,0135 | 0,00135
o,0147 | 000265} Acier
o,0147 | 0,00125 (d'Allemagne
0,0211 | 0,00102
Quant aux dimensions du profil des lames, elles ont été déterminées
par la formule du n° 5, qui a donné les résultats suivans.
FORCE VALEURS DE L'ORDONNÉE y
maxi CORRESPONDANTES À DES VALEURS DE æ LGALES A
UD |
des lamtes|| Gm 04, 0m,10, | 0,15. | Om,20. | 0w,25. | 0m,30. [0w,411 |0w,50,
m m m m m m m m im m
100 |l000125/000213| 0,0027| 0,0038| 0,0047| » » » » »
200 || 0,0016] 0,0035| » 0,0050| 0,0061| 0,0070| 0,0079| » » ,
400 || 0,0025| 0,0055| 0,0055| 0,0075| 0,0095| 0,0110| 0,0123| 0,0135| » | ;
300 | 0,0023| 0,032] 0,0051| 0,0075| 0,080! 0,0105| 00119} 0,0125. 0,047! »
600 || 0,0023| 0,0032| 0,0051 | 0,0073| 0,0089| 0,0105| 0,0119| » 5
1000 || 0,000! 0,0042| 0,0067| 0,0095| 0,0146| 0,0134| 0,0149/ 0,0164| >» 0,0211
|
SIXIÈME SECTION. 594
11. Observation relative à la lame de 6oo"il en acier d’ Allemagne.
On remarquera que la lame en acier d'Allemagne de 600 kilogrammes,
a la même largeur, la même épaisseur à la partie encastrée , et le même
profil longitudinal que celle de 300 kilogrammes, et qu'elle n'en diffère
que par la longueur de la branche ou du bras de levier de l'effort, et
qu'ainsi que la théorie l'indique , les flexions de ces lames sont en raison
directe du cube des bras de levier. On a adopté cette disposition,
afin de pouvoir placer à volonté dans la monture de la lame de
300 kilogrammes, un autre ressort de la force de 600 kilogrammes,
pour mesurer de plus grands efforts.
42. Moyen d'obtenir une trace permanente des flexions du ressort.
Pour sausfaire à la seconde des conditions que nous avons posées au
n° 2, nous avons réalisé une idée, qui nous a été suggérée par le
savant M. Poncelet, et qui consistait à armer la lame antérieure d’un
style, qui laissât, sur une surface mobile, suivant une loi connue,
une trace de toutes les flexions des lames. Nous y sommes parvenu
par plusieurs moyens qui nous sont propres et qui ont varié
selon la nature et le but des expériences. Voici celui auquel nous
nous sommes arrêté en dernier lieu comme le plus commode dans
l'exécution , et le plus propre à un grand nombre de recherches. |
La griffe antérieure 4 est percée d’un trou taraudé, que traverse
une vis suivant l'axe de laquelle peut glisser à frottement doux, un
tuyau en cuivre garni à sa parte inférieure d’une douille tronconique
à vis, dans laquelle on ajuste un petit pinceau. On remplit le tube
d’encre de chine délayée à la consistance convenable, et on ferme
son extrémité avec un petit bouchon métallique. Un petit trou percé
au haut et sur le côté du tube, permet à l'air d'y pénétrer à mesure
que l'encre s'écoule par le bas. Lorsque le pinceau est bien lavé,
convenablement serré dans la douille; la capillarité suffit pour produire
une alimentation constante et régulière de la pointe du pinceau.
On objectera peut-être que, dans les variations de la tension du
ressort, la pointe du pinceau s'ifléchissant, pourrait occasionner des
erreurs sur l'appréciation de ces efforts. Mais on remarquera que la
pointe du pinceau prend la direction de la résultante des vitesses
du papier et de la lame dans ces oscillations, et que cette dernière
étant. généralement beaucoup plus petite que la premiére, l'erreur à
craindre est très-faible. Au surplus, on peut remplacer le pinceau
par un crayon de mine de plomb, mais nous préférons le premier
moyen à cause de la netteté de ses indications.
La partie supérieure du tube porte un épaulement au-dessous
592 MÉMOIRES ET PIÈCES.
duquel s’interpose un petit ressort à boudin, qui tend à relever le
pinceau. Une bascule e (Fig. 4 et2, PI. 1), garnie d’un ressort d'arrêt,
permet au contraire d’abaisser ce tuyau, en comprimant le ressort
à boudin, lorsqu on veut obtenir la trace de Ja pointe du pinceau.
Si l’on employait un crayon pour style, on pourrait disposer la
bascule, de manière à laisser retomber le crayon dont on augmente-
rait le poids autant qu'il serait nécessaire, et à le relever à la fin de
chaque expérience.
Pour recevoir la trace du style, une bande de papier enroulée sur
un cylindre f'servant de magasin , passe sur un deuxième cylindre g,
placé immédiatement au-dessous du style, et dont l'axe est parallèle
à la ligne décrite par la pointe du pinceau. Il suit de là que le papier
ne peut fléchir sous l’action du vent ou sous son propre poids.
La feuille de papier s’enroule d’elle même sur un troisième rouleau £
qui sert de récepteur.
On trouve dans le commerce , à bas prix, des papiers blancs faits
à la miécanique, destinés à la tenture , en rouleaux de 9 mètres de
longueur. On roule ces feuilles sur un mandrin cylindrique , et on les
coupe au tour trés-facilement à la longueur des cylindres ,-de sorte
que le papier a partout la même dimension.
Il serait, au besoin, trés-facile de tirer des fabriques des papiers
beaucoup plus longs ou de coller deux ou plusieurs bandes les unes
au bout des autres. *
On concoit facilement que le style étant, à l'aide de la bascule e
et de la vis, amené au contact de la feuille de papier , la pointe du
pinceau y décrira une courbe qui sera la trace permanente des flexions
des lames et par conséquent des eflorts exercés.
Un second style k, fixé à la griffe postérieure c , et par conséquent
immobile, trace sur le papier une ligne, qui correspond à un effort
nul ou à la position des lames au repos , et donne ainsi le zéro des
efforts; de sorte que l'effort exercé est toujours mesuré par l’écarte-
ment de la courbe à cette ligne du zéro.
15. Manière de faire mouvoir le papier qui reçoit les traces du style.
Le mouvement du transport , perpendiculaire à la direction des efforts,
peut être communiqué à la bande de papier de plusieurs manières,
selon le but que se propose l'expérimentateur et les machines sur les-
quelles il opère. Ainsi pour les observations sur les voitures et sur les
charrues à ayant-train , marchant à une vitesse périodique et à peu près
uniforme , le mouvement se prend sur le moyeu d’une des roues de
devant par une corde sans fin et des poulies de renvoi. En proportion-
SIXIÈME SECTION. 393
mant convenablement cette transmission de mouvement , facile à placer
sur toutes les voitures, on peut tracer avec des bandes de 9 mètres
des courbes de flexion correspondantes à des étendues de chemin de
4, 5 et 600 mètres, ce qui est bicn suffisant pour des expériences
sur le tirage des voitures ct des charrues.
Mais , pour les charrues sans avant-train et pour les bateaux , il serait
peu commode ; fort assujettissant et souvent impraticable de prendre
le mouvement sur des points fixes ; il faut employer un autre moyen
qui consiste en un moteur chronométrique dont le mécanisme , analogue
à celui des tournebroches, peut être muni d’une fusée et d’un volant
à ailettes pour obtenir une régularité suffisante dans le mouvement.
Un des axes de ce moteur est mis en communication avec l'arbre du
cylindre distributeur du papier, qui alors se développe sous le style
d'un mouvement uniforme.
En ajoutant à la monture un troisième style Z, que l’on fait manœuvrer
soit à la main, soit', pour les voitures, par un mécanisme facile à con
cevoir, on peut, en employant le moteur chronométrique, indiquer
sur le papier les chemins parcourus.
44. Disposition pour communiquer au papier un mouvement de
transport régulier. On voit donc qu’en prenant pour moteur l’une des
roues de la voiture ou un appareil chronométrique , on peut, à volonté,
obtenir un mouvement régulier en rapport constant, soit avec l'espace
parcouru soit avec le temps. Mais si ce mouvement était transmis di-
rectement à l'arbre du cylindre récepteur dont le papier, en s'enrou-—
lant , augmente le diamètre extérieur , il s'ensuivrait que, bien que le
mouvement du cylindre fût uniforme , celui de transport de la bande
de papier s’accélérerait sans cesse. Il est facile d'éviter cet inconvénient
de plusieurs manières, et parmi celles que nous avons essayées et pro-
posées , la plus simple et la plus exacte est la suivante.
Le mouvement est transmis à un cylindre intermédiaire 7 sur lequel
s'enroule un fil de soie, qui y est fixé par un bout, tandis que son
autre extrémité est attachée à une fusée conique »m, montée sur l'axe
du récepteur. Les diamètres de cette fusée sont calculés, de facon
que le mouvement du cylindre moteur 7 étant uniforme, celui du
récepteur g se ralenit en raison directe de l'accroissement de son
diamètre extérieur par l’enroulement du papier. Le calcul des dimen-
sions de la fusée est trés-facile. En effet, si l'on dispose près du
cylindre récepteur un ressort de pression, qui occasionne une résistance
constante au déroulement du papier , il s’ensuivra que , pour un nombre
de tours donné, l'accroissement du diamètre du récepteur g sera tou-
75
594 MÉMOIRES ET PIÈCES.
jours le même, et que, par une observation préalable , il sera toujours
aisé de connaître le diamètre extérieur du récepteur correspondant à
l'enroulement des neuf mètres de la bande de papier. Par exemple,
sur un rouleau d’un diamètre de 0,051, cette longueur s'enroule en
45 tours et donne un diamètre extérieur de 0®,058.
Si les diamètres de la fusée sont égaux à ceux du récepteur avant
et après l’enroulement, ou s'ils leur sont toujours proportionnels , il
est clair que la longueur de papier qui se développera sera toujours la
même , ou dans un rapport constant avec la longueur de fil développé,
et par conséquent avec l’espace parcouru ou avec le temps.
On pourrait objecter que la régularité de ce mode de transmission
repose sur la supposition qu'on emploiera toujours du papier de même
épaisseur. Or, c’est en effet ce qu'il est très-facile d'obtenir dans le
commerce, par la grande variété des fabrications et en achetant les rou-—
leaux au poids. Il est d’ailleurs clair que de petites différences d'épais-
seur pourront facilement être compensées par une tension plus ou
moins grande du ressort modérateur, qui ferait alors serrer plus ou
moins le papier sur le récepteur.
45. Dynamomètre à style et à plateau tournant. Dans nos expé—
riences sur le frottement où le chemin parcouru n’était que de quelques
mètres, et dans d’autres recherches, où il ne s'élevait qu'a 80 ou
400 mètres au plus, nous avons employé, pour recevoir les traces du
style, un plateau, mobile autour d'un axe , sur lequel on collait une
feuille de papier.
Les courbes tracées par le style, se recroisaient à plusieurs reprises,
mais elles pouvaient encore se relever assez facilement à l’aide d’un
rapporteur particulier. Ce dispositif est représenté (PI. 1, Fig. 3 et 4),
mais il ne convient que pour des circonstances analogues à celles pour
lesquelles il a été fait.
46. Observation sur la quadrature des courbes tracées. D’après
cette description sommaire, on voit donc que le papier se déroulant
sous le style, dans le premier disposiuf avec une vitesse qui est dans
un rapport constant avec le chemin parcouru , les longueurs de papier
représenteront ces chemins à une certaine échelle, connue par ce rap-
port, et que dans le second dispositif, il passe des longueurs égales
de papier dans des temps égaux ; de sorte qu'alors ces longueurs re-
présenteront les temps écoulés à une échelle connue. Il est donc
évident que l'aire comprise entre la courbe des flexions et la ligne
du zéro ou des abscisses , exprimera , dans le premier cas , la quantité
d'action ou de trayail développée , pendant l'espace considéré , et dans
SIXIÈME SECTION. 595
le second cas, le produit des efforts par leur durée ou la quantité de
mouvement développée dans le temps écoulé pendant l'expérience.
Puis, si l’on divise cette aire par la longueur totale de la ligne des
abscisses, on aura, dans les deux cas, l'effort moyen.qui, dans le
fon : produirait la même quantité de travail, et dans le second
la même quantité de mouvement.
47. Relè-ement des courbes. Pour faire la qd ts de ces courbes
par les méthodes connues , il faut mesurer les valeurs des ordonnées
correspondantes à des abscisses équidistantes. C'est ce qui s'exécute
trés-facilement et avec promptitude, à l’aide d’une glace divisée dans
le sens de la longueur en centimètres et dans celui de la hauteur en
millimètres. En la posant par sa face divisée sur la bande de papier
étendue sur une table, on lit de suite les valeurs de l’ordonnée.
On remarquera qu’attenäu la périodicité des variations des efforts ,
lorsqu'il s’agit des voitures ou des bateaux traînés par des chevaux
marchant à des allures réglées et le grand nombre de valeurs de ces
efforts, il suflira presque toujours de prendre la moyenne arithmétique
des valeurs obtenues pour avoir la valeur moyenne.
18. Manïère de se dispenser du relèvement des courbes. Mais de
ce qui précède , il résulte une conséquence qui dispense de tout relé-
yement, et met cet instrument à la portée des personnes le moins
versées dans le calcul. En eflet, si l’on concoit que , parallèlement à la
ligne du zéro, on mène une ligne équidistante , correspondante à la
plus grande tension du ressort , à 0®,070 , par exemple, la bande, de
largeur uniforme , représenterait une certaine quantité d’action ou de
mouvement connue , et cette quantité serait évidemment à celle qui
correspond à la courbe tracée comme l'aire du rectangle de 0",070
de hauteur, est à celle de la partie comprise entre la courbe et la ligne
du zéro, ou encore, attendu l'égalité de longueur des deux surfaces,
l'effort correspondant à 0,070 de flexion du ressort est à l'effort
moyen exercé par le moteur , comme l’aire du rectangle est à celle
de la partie comprise entre la courbe et la ligne du zéro.
Mais le papier employé étant fait à la mécanique, et ce procédé
donnant une grande uniformité d'épaisseur à la même feuille , les deux
surfaces à quarrer sont entr’elles comme leurs poids. Si donc, on pèse la
bande de 0,070 de hauteur, puis qu’on découpe la courbe tracée et
qu'on pèse la partie comprise entre cette courbe et la ligne du zéro,
on aura cette autre proportion :
Le poids de la bande de 0,070 de largeur est au poids de la
partie comprise entre la courbe et la ligne du zéro, comme l'effort
correspondant à 0,070 est à l'effort moyen du moteur.
y96 MÉMOIRES ET PIÈCES.
Ainsi, par exemple, si l’on a employé le ressort de 600 kilogrammes
pour lequel un accroissement de flexion de 4%:11,95 correspond à un
effort de 10 kilog. ou 70 millimètres à 560 ke. ; en appelant
P le poids de-la bande de 0,070 de largeur,
p le poids de la partie comprise entre la courbe et la ligne du zéro,
F l'effort moyen cherché, on aura
F = 560 : kilogrammes.
P
Pour chaque instrument on donnerait de même le nombre de kilo-
grammes corre$pondant à une flexion de 0,070 et alors la recherche
de l'effort moyen se réduirait à celle du quairième terme d’une pro-
portion.
Cette méthode simple et exempte de tout calcul est d’une exactitude
bien supérieure aux besoins de la pratique et qui dépasse même ce que
l'on pouvait en espérer. Des relèvemens faits successivement par les
deux procédés indiqués ont donné des valeurs de l'effort moyen qui
s'accordent à 555 près.
49. Appareil pour totaliser la quantité d'action ou de mouvement
développée pendunt un intervalle de chemin ou de temps considérable.
L'instrument avec son style et avec des feuilles de papier d’une lon-
gueur usuelle de neuf mètres pouvant servir pour des espaces par—
courus de 500 mètres et plus, selon les rapports que l’on établira
entre les renvois de mouvement , ou pendant environ une heure avec
le moteur chronométrique , il est évidemment suffisant pour des ex-
périences d'étude sur le tirage des voitures, les chemins de fer, le
balage des bateaux , le tirage des charrues ; etc. Mais lorsqu'il s'agira
d'observer les quantités d'action développées par les divers moteurs
animés , dans un travail suivi et continu pendant toute une journée,
ou quand cn voudra parcourir sur des routes ou sur des chemins
de fer des étendues considérables, et qu’on ne voudra ou ne pourra
pas s'arrêter pendant les expériences , on sent que ce dispositif ne
suffirait plus, et qu'il faut avoir un moyen commode de totaliser les
quantités d'action ou de mouvement dépensées , c’est le but que nous
avons atteint à l’aide du compteur que nous allons décrire , et dont le
principe est encore dû à M. Poncelet, qui nous l’a communiqué.
La grifie postérieure C (Fig. 5) est traversée par un axe de rotation
sur lequel est vissé un plateau B de 0®,076 de rayon placé au-dessus
des lames et qui recoit à sa partie inférieure une poulie D , à laquelle
le mouvement est transmis, soit pour les voitures ; par une corde sans
SIXIÈME SECTION. 597
fin entourant le moyeu d’une des roues, soit pour lesybateaux, par
un moteur chronométrique. Un support E faisant corp$fävec la griffe
antérieure d soutient un compteur qui, par conséquent suit tous les
mouvemens de flexion de la lame antérieure.
La pièce principale de ce compteur est une roulette F, de 0®,050
de diamètre, montée sur un axe qui est parallèle au plateau B et a
la direction des efforts de traction, quand le compteur est abaissé.
Ceite roulette repose sur le centre du plateau, quand le ressort n’est
pas tendu , ou quand les griffes se touchent et par conséquent elle
reste alors immobile , si le plateau tourne. Mais quand le ressort est
tendu la roulette suivant le mouvement de la griffe antérieure’ d,
s'éloigne du centre, et par conséquent elle recoit du plateau un mouve-
ment de rotation sur son axe, d’autant plus rapide que l'effort exercé
est plus grand et que le plateau marche plus vite.
D'après cet apercu la théorie de cet appareil est facile à établir.
En cflet, en nous occupant d’abord des voitures avec lesquelles le
mouvement du plateau se prend sur l’une des roues et se trouve ainsi
dans un rapport constant avec le chemin parcouru , si nous appelons,
r la distance en mètres de la roulette au centre du plateau, sous l'effort
de traction F exprimé en kilogrammes,
pe le rayon de la roulette,
e le chemin parcouru en 4! par la voiture dans le sens du tirage,
R le rayon de la roue sur laquelle on prend le mouvement,
me ]
es le nombre de tours de la roue correspondant au chemin e,
27
F
k= - le rapport des efforts aux flexions mesurées,
_
N le nombre de tours de la roulette en 1! ou pour le chemin e,
R!le rayon du moyeu de la roue sur laquelle se prend le mouvement
du plateau,
7) le rayon de la poulie du plateau,
R'
ce plateau fera évidemment un nombre de tours égal à — pour un
7
tour de la roue ou bien
e R!
RTC en
tours pour le chemin e parcouru dans le sens du tirage.
r
La roulette fera - tours pour un tour du plateau; on aura donc
P
598 MÉMOIRES ET PIÈCES.
pour le nombre de tours de la roulette correspondant au chemin e
sous l'effort de traction F.
Mais on a
F F
k =, 7 d’où D F ,
et par suite
R'
N= XF
RES À
d'où ,
Rr'phe
Fe Fu SAN
R'
erRr'p ,
Or le facteur DS TRER n'étant composé que de quantités constantes,
dépendantes des proportions adoptées pour les rayons et de l’élasticité
du ressort, il s'ensuit que le nombre N de tours faits par la roulette,
pendant que la voiture aura parcouru l'espace e, est dans un rapport
constant avec le travail développé et que ce facteur étant une fois
calculé pour un dynamomètre et pour la voiture à laquelle on l’applique,
il sufira de le multiplier par le nombre de tours N de la roulette,
pour en déduire la quantité d'action développée par le moteur.
S'il s'agissait d’un bateau sur lequel le mouvement fût communiqné
au plateau B par un moteur chronométrique avec une vitesse uniforme
connue; en appelant
t la durée d’un tour du plateau en secondes,
T la durée totale de l'observation,
L T 7
sera le nombre de tours du plateau pendant l'observation et 7 N
P
sera le nombre de tours de la roulette pendant le même temps,
et à cause de
on aurâ
ET — tpAN.
Le tour & étant observé au commencement de l'expérience, p et Æ
étant connus, on voit encore que la quantité de mouvement FT de-
veloppée par le moteur dans le temps T est proportionnelle au nombre
N de tours faits par la roulette dans le même temps.
SIXIÈME SECTION. 599
20. Dispositif pour obtenir des indications des nombres de tours
Jaits par la roulette. Cela posé, il ne nous reste plus qu’à indiquer
comment le compteur permet de noter sans arrêter le mouvement et
sans regarder le nombre de tours de la roulette. \
L'arbre a de cette roulette (Fig. 6 et 7) porte une vis sans fin b,
qui engrène avec un pignon €, à un axe vertical de 25 dents et le
pas de la vis étant égal à celui de l'engrenage , il passe une dent du
pignon pour chaque tour de la roulette, ou le pignon fait un tour
pour 25 tours de la roulette. L'arbre du pignon porte un autre pignon
d de 10 dents, qui conduit une roue e de 40 dents, laquelle ne fait
par conséquent qu'un tour pour quatre tours du pignon ou pour
400 tours de la roulette. Sur l'arbre de cette roue est un premier
limbe f en émail divisé en 400 parties, dont chacune correspond par
conséquent à un tour de la roulette. Le même arbre transmet par
un pignon et une roue intermédiaire son mouvement à un second
limbe g, émaillé , divisé en 100 parties , qui fait un tour pour 50 tours
du premier limbe , ou par conséquent pour 5000 tours de la roulette,
et dont chaque division correspond à 50 tours de la roulette. Le 4°
limbe sert à compter les tours et dixaines de tours de la roulette et
le second les centaines de tours.
Mais il faut avoir un moyen de marquer sur ces limbes le nombre
de divisions, qui ont passé dans un intervalle donné. A cet effet un
petit pont À , placé au-dessus des deux limbes, est percé de deux trous
tronconiques , correspondans aux cercles divisés et dans la direction de
la ligne des centres. Deux petits tire-lignes z et X traversent ces godets
et sont tenus ordinairement à distance des limbes par un ressort
qui les relève , mais peuvent être amenés au contact par une pression
ou un coup léger donné sur le bouton Z. Les godets sont remplis
d'encre grasse, faite avec du noir d'ivoire et de l'huile d’horloger et
les tirelignes , qui s’en chargent, en les traversant, marquent simul-
tanément sur les limbes des points noirs, qui se correspondent et se
trouvent sur le prolongement de la ligne des centres. Il suit de là
qu'il ne peut jamais y avoir de confusion entre les points marqués sur
les limbes, parce que ceux qui l’ont été à un même instant doivent
se trouver ensemble sous les styles. On peut donc multiplier les ob-
servations pendant une même expérience et, par exemple sur une route
marquer les nombres de tours de kilomètre en kilomètre ou de lieue
en lieue.
Le compteur est renferme dans une boîte (Fig. 7) qui le met à l'abri
de la poussière et de la pluie, et pour empêcher que les cahots ne
600 MÉMOIRES ET PIÈCES,
fassent sauter l'instrument et n’interrompent le mouvement de la rou-
lette, deux ressorts », placés sur les côtés, pressent la boîte sur le
plateau ou plutôt sont ajustés de manière à s'opposer à tout soulève
ment. On peut à volonté relever le compteur et l’accrocher à un arrêt n,
lorsqu'une expérience est terminée ou n'est pas commencée.
Enfin par unc disposition de vis de rappel et de mouvemens qu'il
est superflu de détailler on amène facilement la roulette au centre
du plateau, lorsque le ressort est débandé.
21. Observation sur l’étendue de chemin que l'on peut parcourt
avec cet appareil. On conçoit d’ailleurs que moins le plateau fera de
tours par tour de roue ou par seconde, et plus le ressort sera raide,
plus la roulette marchera lentement, et, comme on est maître de faire
varier ces rapports entre des limites très-étendues, on pourra toujours
disposer les choses de manière que les 5000 tours de la roulette,
correspondans à une révolution entière du second limbe, ne soient
accomplis qu’au bout de plusieurs lieues ou de plusieurs heures. .
Avec la lame de 600 kilogrammes et quatre chevaux attelés à une
diligence pesant 5 000 kilogrammes ; on pourrait , sur une route en trés-
bon état, observer la quantité d’action développée par les chevaux
pendant huit ou dix lieues. Et, comme le compteur ne marche que
quand le ressort est tendu , on voit de suite que si, par une circonstance
quelconque, les cheyaux cessaient d'agir pendant un moment, l'appareil
en tiendrait compte. On peut donc arrêter, pour laisser reposer les
chevaux , et repartir quand l’on veut sans toucher à l'instrument.
29. Utilité de cet appareil pour estimer la quantité de travail
développée dans une journée par les moteurs animés. On voit de
suite combien cet appareil sera commode pour déterminer, avec
plus de précision qu'on ne l'a fait jusqu'ici la quantité d’action
ou de travail développée par les moteurs animés employés au tirage
des voitures, des charrues, dans les manéges, et par suite pour leur
achat.
95. Dynamomètre de rotation. Les principes et les dispositions pré-
cédentes , relatives aux dynamomètres employés au tirage des voitures,
peuvent, avec quelques modifications fort simples, s'appliquer à la
mesure des efforts transmis à des axes de rotation. Déjà en 1834 nous
en ayons fait usage avec succës , pour mesurer l'effort transmis par une
courroie à une poulie. Nous allons décrire succinctement un petit ap-
pareil de ce genre, tout à fait analogue.
Sur l'arbre MN (Fig. 5, 6 et7) d’un métier , par exemple, concevons
une poulie folle AB, qui recoive le mouyement par une courroie , et
SIXIÈME SECTION. 601
visà-vis cette poulie un manchon fixe CD concentrique et solidaire avec
l'arbre , vers l'extrémité D duquel une lame de ressort EF est implantée
et dirigée à peu prés dans le sens d’un rayon. Une cheville G, placée
sur l’un des bras de la poulie et qui traverse une bague ménagée à
l'extrémité du ressort, fait fléchir celui-ci, quand la poulie tourne,
jusqu'à ce que l’effort exercé soit suffisant pour entrainer l'arbre MN
et les machines qu'il conduit. Si la puissance et la résistance sont
constantes, la flexion du ressort qui les mesure, l'est aussi; si au
contraire ces forces varient, les oscillations de la lame en suivent
toutes les périodes et la flexion de la lame étant évidemment la mesure
. des efforts transmis à la poulie à la courroie et celle de la résistance
du métier , il ne s'agit plus que d'en obtenir une trace permanente ;
c'est à quoi l'on parvient de la manière suivante:
Sur le manchon fixe CD, glisse à frottement doux, dans le sens
de l'axe , un manchon mobile KL, qui porte deux branches de support
o et 0!, bifurquées à leurs extrémités , pour recevoir un axe de ro-
tation parallèle à MN. A l’une des extrémités de cet arbre est un
plateau plan ab, sur lequel on colle une feuille de papier, et à
l'autre est une roue d’engrenage cd. Une chaîne de Vaucanson sans
fin, enveloppe cette roue, et le pignon R placé sur un autre axe
parallèle au premier, et à celui de l'arbre MN placé dans un plan
perpendiculaire à celui des branches de support o et 0!. Sur ce dernier
arbre, est une autre roue dentée g enveloppée aussi par une chaîne de
Vaucanson, qui entoure un anneau denté ef monté à frottement doux
sur le manchon mobile, et qui peut étre rendu fixe dans l’espace,
quand tout le système tourne ; ce qui se fait au moyen d’une ficelle
attachée à l’une des oreilles annulaires e ou f et à un point fixe.
De la sorte, la roue intermédiaire g ayant un diamètre égal à une
fois et demie celui de l'anneau mobile, son axe ne fera que deux
tours pour trois tours de l'arbre. Le pignon hk, ayant un diamètre
égal à + de celui de la roue cd, l'arbre de celle-ci ne fera qu’un tour
par tour de la roue g, ou 2 de tour par tour de l'arbre. Par con-
séquent le plateau, qui doit recevoir les traces du style, ne fera que
le même nombre de tours, et l’une de ses révolutions correspondra à
7,3 tours de l'arbre. Comme on peut, sans confusion , tracer des
courbes de flexion pendant quatre révolutions au moins , il s'ensuit
que l’on pourra observer les efforts exercés pendant trente tours au
moins de l'axe MN , et, par conséquent , déterminer exaclement toutes
les circonstances du mouvement.
Lorsque les efforts à mesurer sont grands , on peut employer simul-
76
602 MÉMOIRES ET PIÈCES.
tanément deux ressorts et deux plateaux , et de la somme des flexions
on déduit l'effort total exercé à la circonférence de la poulie. Il faut
encore ici éviter que les ressorts ne puissent être forcés en dépassant
les limites de flexion correspondantes à leur élasticité. On y parvient
facilement en ménageant sur le manchon fixe des arrêts contre les-
quels viennent s'appuyer les talons réservés au moyeu de la poulie,
lorsque les ressorts ont atteint une flexion égale à SU- de leur
longueur.
Les lames de ressort peuvent, à volonté, se changer et être rem—
placées par d’autres plus raides ou plus flexibles, selon l'intensité
des efforts à mesurer.
On conçoit que cet appareil s’appliquerait à une roue d’engrenage,
comme à une poulie, et qu’alors on peut, avec son secours, pendant
qu'une machine fonctionne , mesurer la portion de la puissance motrice
qu'elle consomme, et connaître ainsi, dans une usine qui contient un
grand nombre de métiers ou de machines différentes, quelle est la
répartition qui se fait entr’elles de la force totale. Ce résultat, qui nous
paraît d’une grande importance pour l'industrie, n'avait encore été
obtenu jusqu’à ce jour, par aucun des appareils connus.
24. Modifications que l’on peut apporter à cet appareil selon ces
besoïns. On pourrait remplacer les plateaux, par un système de
cylindres analogues à ceux que nous avons décrits au n° 44, et qui
recevraient une bande de papier assez longue pour pouvoir continuer
l'expérience pendant plus long-temps qu’on ne peut le faire avec les
plateaux, sans craindre la confusion des traces. Le mouvement de
l'arbre se communiquerait aux cylindres d’une manière analogue à
celle que nous venons de décrire.
Pour des machines puissantes, dont on voudrait mesurer le travail
pendant un long espace de temps, on pourrait adapter, à ce dynamo-
mètre de rotation, un compteur semblable à celui du n° 49.
Enfin si l'anneau ef, au lieu d'étre immobile dans l'espace, avait
un mouvement propre qui lui fût communiqué par un appareil chro—
nométrique, la trace des flexions obtenues serait une courbe qui re-
présenterait l'ensemble de toutes les circonstances du mouvement pour
les eflorts, les temps et les espaces correspondans. x
25. Disposition pour monter le dynamomètre sur des arbres de
différentes dimensions. Les dimensions des arbres de rotation et des
poulies motrices, variant à l'infini, on peut éviter la sujétion d’avoir
autant d’instrumens que de machines, en laissant au vide intérieur
de la poulie et du manchon fixe, une ouverture suflisante pour le
SIXIÈME SECTION. 603
passage de presque tous les arbres des machines du même genre,
ou de proportions peu différentes. Le manchon fixe se centre alors
sur les arbres avec des vis, et on rapporte, dans le moyeu de la
poulie , un centre en plomb , dont l'ouverture intérieure est exactement
celle de l'arbre sur lequel on veut opérer.
Quant à la surface extérieure de la poulie, on peut facilement
rapporter sur sa circonférence extérieure, des jantes plus ou moins
épaisses, pour amener son diamètre extérieur à étre le même que
celui de la poulie, qui conduit ordinairement la machine.
Par ces moyens, pour avoir dans un atelier de construction un
système complet de dynamomètres de rotation , il sufirait d'en établir
de deux ou trois proportions différentes seulement, avec lesquels
on pourrait opérer sur toutes les machines.
26. Application des mémes principes aux machines à vapeur. Il
est aussi trés-facile d'appliquer le principe de nos dynamomètres aux
machines à vapeur, pour connaître la pression de la vapeur dans le
cylindre, à un instant quelconque de la course du piston. En effet,
si l’on fixe au chapeau de la machine un petit tube droit ou recourbé,
selon la position du cylindre, et que dans ce tube allésé, on intro-
duise un petit piston, il est clair que , si ce piston est lié à une lame
dynamométrique , les flexions de cette lame, soit de dedans en dehors,
soit de dehors en dedans, donneront la mesure de la pression de
la vapeur à un instant quelconque. Cet appareil est celui que Watt
employait sous le nom d’indicateur de la pression , mais il en obser-
vait la marche à l’aide d’une échelle des flexions , moyen incertain et
peu commode, tandis qu’en adaptant à ce piston un style, et plaçant
au-dessous un système de cylindres, qui conduisent une feuille de
papier sur laquelle la puissance trace la courbe des flexions , on aura
les variations de la pression, les effets de la détente et ceux de la
condensation, avec toute la précision désirable.
Il est d'ailleurs évident que si l’on veut prolonger l'expérience
pendant long-temps, il serait trés-facile d'adapter ici le compteur décrit
au n° 49, pour obtenir la quantité d'action totale développée dans
un jour, sur le piston d’une machine à vapeur.
Nous croyons que l'usage de cet instrument serait propre à jeter un
grand jour sur la théorie encore incomplète des machines à vapeur,
et des essais déjà tentés nous ont montré qu’il remplirait parfaitement
son but.
27. Conclusion. En résumé, on voit douc que les appareils décrits
dans cette notice, permettent d’obtenir des indications permanentes
604 MÉMOIRES ET PIÈCES.
de tous les efforts exercés, ou des quantités de travail développées
par les moteurs animés ou inanimés dans le mouvement des machines,
que ces indications sont fournies par les moteurs eux-mêmes, ce qui
les met à l'abri de toute altération provenant de la volonté de l'homme.
Nous avons ainsi vérifié cet adage de la science que nous avons pris
pour épigraphe : La nature parle à ceux qui savent l'interroger, et
nous sommes parvenus, ainsi que nous l'avons dit au Congrès scienti—
fique de Metz, à faire écrire et compter les animaux.
NOTE SUR LES DIVERS DISPOSITIFS DE MONTAGE DES DYNAMOMÈTRES
À LMPLOYER DANS DIFFÉRENS CAS.
28. Dynamomètre appliqué aux charrues avec avant-tr'ain. Lorsqu'il
s’agit d'expériences sur le tirage des charrues avec avant train , l’instru-
ment se fixe au devant de la fourchette de l’avant-train (PI. I, Fig. 8),
par l'intermédiaire d’une pièce en fer mn , maintenue par deux boulons
a et b. Une patte cd est liée à la platine mn par deux boulons. Afin
de pouvoir faire tracer à la charrue des sillons de différentes largeurs.
on a percé sur la longueur de la platine mn, qui est parallèle à l'axe
de l’essieu , des trous, qui sont deux à deux perpendiculaires à sa di-
rectuon.
Le cylindre moteur du dynamomètre recoit le mouvement de la
roue , par l'intermédiaire de deux poulies doubles e, f, qui changent
la direction d'une corde de boyaux , enveloppée sur l’une des gorges
du moyeu ou sur un anneau à vis de centrage , qu'on y fixe. Cette
corde entoure une poulie g, sur l'axe de laquelle est une autre poulie
hk, plus petite, qui, par une seconde corde sans fin, transmet le
mouvement à la poulie du cylindre moteur. I
Selon les rapports qui existent entre les diamètres de la roue , du
moyeu et ceux des poulies, dont on peut disposer, il est facile d’éta-
blir entre la vitesse de la charrue et celle de la bande de papier , telle
relation que l’on veut, et par conséquent , de disposer les choses de
manière à obtenir des sillons d’une grande longueur. Dans la disposi-
tion indiquée sur la figure, on pourrait tracer des sillons de 208 à
250 métres , avec une bande de papier de g mètres, et il passerait
environ 0,023 de papier par mètre courant de chemin parcouru. Il
SIXIÈME SECTION. 60%
serait très-facile de modifier les choses de facon à tracer avec la même
longueur des sillons de 4 à 500 mètres.
29. Dynamomètre appliqué aux diligences, aux autres voitures
et aux charrettes. L'application du dynamomètre aux diligences se
fait d'une manière tout à fait analogue et avec d'autant plus de facilité,
que l'instrument doit être constamment maintenu dans une même
direction , qui est celle des traits, quand ils sont tendus.
Une pièce en fer a (Fig. 8, PI. II) , se fixe à la fourchette , en arrière
de la volée fixe, au moyen de ses deux pattes percées et d’un étrier b,
qui embrasse les armons. À cette pièce, se lie, par deux boulons, la.
patte qui s'engage dans la griffe postérieure de l'instrument. Pour
éviter que les vibrations de l'avant-train ne se transmettent à l'appa-
reil ;. on dispose en avant et au-dessous de la griffe d'arrêt un taquet
en bois d, arrêté à vis sur le timon.
Le mouvement du cylindre moteur se prend sur la roue , par un
dispositif de poulies de renvoi analogue à celui que nous avons décrit
au numéro précédent,
Il est facile, avec une diligence , de faire une expérience sur une
étendue de 4 à 500 mètres et plus, avec une seule bande de papier
de 9 mètres de longueur.
Le même mode de montage s'appliquant à toutes les voitures et char-
reltes , il est inutile d'entrer dans aucun détail à ce sujet.
30. Dynamomètre appliqué aux charrues sans avant-train." Pour
les charrues sans avant-train, parmi lesquelles nous prendrons pour
exemple la charrue de M. de Dombasle, on remplace le régulateur par
une pièce en fer a, (Fig. 3 et 4, PJ. IT), qui traverse la haie de la même
maniére , et peut , à volonté, s'élever ou s’abaisser. La partie inférieure
de cette pièce est recourbée à angle droit et horizontalement, de ma-
nière à présenter une platine c dont la longueur est perpendiculaire
à la haie.
C’est sur cette platine que se pose une seconde platine à oreilles 4,
qui porte le dynamomètre et un moteur chronométrique à ressort,
analogue à un mouvement de tournebroche , qui, par une poulie e et
une chaîne à la Vaucanson , fait marcher le cylindre moteur de l’ins-
trument. Le dynamomètre se fixe à une patte f; qui fait corps avec
la platine d.
Pour faire varier les largeurs des sillons , il est nécessaire que l'ins-
trument puisse être transporté à des distances différentes du plan
milieu de la haie. À cet eflet, la platine de la pièce ab est fendue
sur une partie de sa longueur, ce qui permet aux boulons g ; qui la
606 MÉMOIRES ET PIÈCES.
lient à la platine d, de se mouvoir perpendiculairement à la haie de
toute la quantité nécessaire. Dés que ces boulons sont serrés, linstru-
ment a une position invariable.
Un anneau A est ménagé sur le derrière de la platine d pour l’attache
de la chaîne de retraite de la charrue , dont les maillons extrêmes sont
à vis, afin qu’on puisse tendre la chaîne dans les positions obliques ,
ce qui contribue à donner à l'appareil toute la fixité désirable.
Le moteur chronométrique communiquant au papier une vitesse de
transport uniforme , mais variable, à volonté de 0®,0045 à 0®,045
en 4/, il s'ensuit qu'avec une seule bande de papier de 9 mètres on
peut opérer pendant 2000 mètres ou 600 mètres, selon les cas, si les
chevaux marchent à la vitesse de un mètre en 4/, ou ce qui revient
au même, pendant 53! au plus.
31. Dynamomètre appliqué aux bateaux. Lorsqu'on veut faire des
expériences sur le halage des bateaux , il faut aussi employer un mo-
teur chronométrique. A cet eflet, le dynamomètre et son moteur sont
fixés sur un support a (Fig. et 2, PL II), qui, par une tige ronde b,
s'engage dans un trou pratiqué au plat bord du bateau , ou mieux
dans un gros taquet fixé à ce plat bord. De la sorte, l'instrument peut
suivre toutes les directions de la ligne de halage.
Le mouvement étant communiqué au papier par l'appareil chrono—
métrique , les longueurs passées sous le style représenteront les temps,
et comme il peut être nécessaire d'y joindre l’indication des espaces
parcourus , c’est alors que le troisième style du dynamomëtre sera très-
utile ; puisqu'en passant devant des objets fixes sur la rive, on pourra
pointer sur la feuille l'instant de ce passage. On aura donc ainsi sur la
même bande, par une courbe continue, l'indication des efforts et des
temps correspondans et par points celles des espaces parcourus.
32. Dispositif pour mesurer l'effort exercé par des chevaux pour
retenir une voiture. Une douille ab (Fig. 9, PI. IT) , s'emmanche sur le
bout du timon et s'y fixe par des vis de pression c , et par des clefs de
calage. Sa partie supérieure forme une chappe , qui recoit deux poulies
dont le plan est paralléle au timon et de 0",10 environ de diamètre
à la gorge. Chacun des bouts d’une corde , dont le milieu est fixé à
l’anneau du dynamomètre placé sur l’avant-train, vient passer dans
l'une de ces poulies, et s'attache au collier ou à l'anneau du poitrail
du harnais. Il résulte de cette disposition que chacun des chevaux, en
retenant, tend un des brins de la corde et que la somme des ten-
sions mesurée par le dynamomètre , indique celle des composantes
de l'effort exercé dans le sens du mouvement de la voiture.
SIXIÈME SECTION. 607
Par ce dispositif trés-simple , l'instrument peut fonctionner successi-
vement dans les descentes par les cordes de retraite , et dans les mon-
tées par les traits. Le pinceau de pointage permet d’ailleurs d'indiquer
facilement les traces qui appartiennent à chaque période. Cet appareil
appliqué à une diligence a parfaitement fonctionné.
Nous pensons que ces détails sur les dispositions de montage, adoptées
pour les expériences variées que l’on peut avoir à faire sur les divers
véhicules ou machines, sont plus que suflisans pour indiquer la marche
à suivre pour tous les autres cas qui pourraient se présenter, et nous
terminerons cette notice par l'indication de quelques précautions à
prendre pour assurer le succès des expériences et la netteté des indi-
cations.
33. Vérification des lames. Nous ne croyons pas devoir parler en
détail de la vérification de la tare des lames dynamométriques, c’est
une opération préalable de rigueur , qui doit être faite en suspendant
des poids à l'instrument et en mesurant ces flexions, à l’aide d'un
compas à coulisse donnant les dixièmes de millimètre. Nous recom-—
manderons seulement de ne faire cette vérification qu'avec la griffe
d'arrêt, afin d'éviter que quelque maladresse dans la pose des poids
n’occasionne des oscillations qui, en dépassant les limites fixées , se—
raient susceptibles d’altérer l’élasticité de la lame.
54. Du style. Si l'on emploie pour style un pinceau alimenté d’encre
de Chine, contenue dans un tube, ainsi que nous l’avons fait ordi-
nairement , il faut , avant et après chaque reprise des expériences , laver
ce pinceau, en le pressant et en le roulant dans les doigts, pour éviter
que les petits conduits capillaires , qui existent entre les poils , ne se
trouvent obstrués. L'encre préparée d'avance et contenue dans une
petite fiole , ne doit pas être trop épaisse ni trop claire. Si le pinceau
en fournit trop, il suffit de le tirer en dehors pour le serrer plus for-
tement dans sa douille conique. Si, au contraire, il cesse de s’ali-
menter , on le repoussera un peu en dedans du tube, et en soufflant
par le haut, on déterminera l'écoulement d’une goutte d'encre , après
quoi on le tirera de nouveau en dehors.
La yis et le petit ressort à boudin interposé entre la tête de cette
vis et l’épaulement du tube, facilitent le réglement de la hauteur du
style, de manière à obtenir des indications nettes et fines.
608 MÉMOIRES ET PIÈCES.
MÉMOIRE
SUR
LA TEMPÉRATURE INTÉRIEURE DE LA TERRE,
Par M. l'abbé CHAUSSIER.
Il y a long-temps que l’on a remarqué que le globe terrestre con-
serve dans son intérieur une température constante et tout-2-fait
indépendante des variations de chaleur et de froid qui se manifestent
à sa surface, selon la différence des saisons. Les observations de MM.
Gensanne, Daubuisson , de Humbold, Cordier, faites dans les mines,
à diverses profondeurs et discutées par M. Cordier , celles que M. Arago
a faites ou recueillies sur la température des eaux artésiennes, ont mis
hors de doute. le fait de l'accroissement de cette température à mesure
que l'on s'enfonce plus avant dans la croûte solide de la terre. Cet
accroissement a été trouvé , terme moyen, d’un degré centigrade pour
environ trente mêtres de. profondeur.
Faut-il attribuer , avec les géologues, cet accroissement à un foyer
de chaleur centrale, reste d’une température trés-élevée , qui aurait
primitivement été commune aux couches extérieures aussi bien qu'aux
parties internes du globe, et qui , par suite du refroidissement , n’exis—
terait plus qu'au noyau central , d'où elle irait en décroissant jusqu'a
la surface ; ou bien faut-il le regarder comme le reste d’une tempé-
rature peu élevée qu'aurait acquise notre globe , en supposant que par
les siècles passés, cet astre ait gravité dans des espaces dont la tem-
pérature était plus haute que celle des régions que nous traversons
maintenant ?
Remarquons d'abord que dans la seconde hypothèse on est obligé,
aussi bien que dans la premiére, de recourir à la supposition d’une
température primitive très-élevée , pour rendre raison, soit de la forme
SIXIÈME SECTION. 609
sphéroïdale du globe terrestre , soit des phénomènes étonnans que les
observations géognostiques ont constatés. Seulement, dans la seconde
‘hypothèse, cette chaleur primitive se serait dissipée dans les espaces,
et depuis long-temps la terre aurait atteint son dernier degré de re-
froidissement ; tandis que dans la première , le refroidissement , quoique
déjà bien avancé peut-être , n'aurait pas encore pénétré jusqu'au noyau
central de notre planète.
Voyons d'abord les raisonnemens,sur lesquels on peut appuyer l'hy-
pothèse de la chaleur d’origine.
Si l’on admet que primitivement le globe terrestre a eu une tem-
pérature trés-élevée , et.que, lancé dans les espaces, il se soit refroidi
par rayonnement, n'est-on pas conduit naturellement à attribuer l'ac-
croissement de température avec la profondeur, à un reste de chaleur
primitive ! Cette conclusion acquiert de la probabilité lorsque l'on
considère l'ensemble des phénomènes géologiques , qui ont dû étre les
résultats de cette chaleur primordiale. On voit la force qui les a pro-
duiïts se manifester, depuis les époques primitives jusqu’à nos jours,
par des effets qui, quoique düs à la même cause , se modifient à me-
sure que son énergie s’affaiblit et que les forces antagonistes grandis—
sent. La texture cristalline des terrains les plus anciens indique qu'ils
sont le résultat de la solidification par refroidissement d’une masse
portée par la température à un état voisin de la liquidité. Cette pre-
miére croûte une fois formée, fut, à cause de son peu d'épaisseur,
facilement et fréquemment rompue par les matières pâteuses que la
contraction produite par le refroidissement , forçait à s’épancher à l'exté-
rieur. C'est ce qu'attestent les masses de roches subordonnées d’origine
ignée , qui sillonnent en si grand nombre les terrains primordiaux.
Cependant ces ruptures , ces premiers soulèvemens , ne produisaient pas
d'inégalités bien remarquables à la surface du globe: ce ne fut que
dans les périodes suivantes que cette croûte, devenant plus épaisse et
plus résistante, exigeait, avant de céder , l'accumulation d'une plus
grande quantité de forces, et se brisait sur une plus grande échelle.
C'est ainsi que les terrains de transition nous offrent déjà des chaînes
de montagnes d’une certaine élévation; que les plus grandes mon-
tagnes du globe n'ont été soulevées qu'après le dépôt des terrains se-
condaires, et que la chaine la plus étendue, celle des Andes, est
aussi celle dont le soulèvement est regardé comme le plus récent par
M. Elie de Beaumont. Depuis ce dernier effort , la température affaiblie
n’a plus donné lieu qu'à des effets auxquels la résistance d’une croûte,
devenue plus solide encore, a fait équilibre.
77
610 MÉMOIRES ET PIÈCIS.
Depuis les époques tertiaires, elle ne s’est donc plus manifestée
que par des déjections volcaniques. Ce furent d'abord les trachytes
et des basaltes qui firent éruption; apparurent ensuite, aux époques
diluyienne et actuelles, les laves poussées à l'extérieur par des ouver-
tures peu étendues, espèces d’évents naturels que l’on a nommés
volcans. Un grand nombre de volcans contemporains de l’époque
diluvienne, se sont éteints aujourd'hui, mais plusieurs ont per-
sévéré ou se sont ouverts depuis, et sont en pleine activité sur divers
points de la terre. Cet ensemble’ de phénomènes , enchaïnés par une
seule cause; la chaleur centrale, ne conduit-elle pas à en admettre
encore l'existence actuelle ; c’est d’ailleurs dans cette hypothèse que
l'on trouve la seule explication plausible des phénomènes volcaniques,
qui ait été émise jusqu'à ce jour.
Elle n'est cependant pas sans difficultés. Celle qui se présente la
première, est le résultat erroné auquel conduit la progression de
l'accroissement de température, Si en effet cet accroissement est de
4° pour 50 mètres, à moins d’une lieue de profondeur on aura la
température de l’eau bouillante , à 20 lieues la chaleur sera suffisante
pour tenir en fusion les corps les plus réfractaires , et à 4 400 lieues,
c’est-à-dire aux environs du centre de la terre, non-seulement tout
serait volatilisé , mais les vapeurs y auraient une tension telle que
la croute solide serait incapable de leur faire résistance, et que notre
planète volerait en éclats, dans les espaces, par une détonnation ef-
froyable et immensément plus désastreuse que celle de la plus puis-
sante machine à vapeur. Mais rassurons-nous, Pour faire disparaître
ce danger il suffit que la progression d’accroissement de température
ne se continue pas jusqu’au centre de la terre, et cette supposition
n’est pas sans quelque probabilité. Admettons en eflet que la masse
du globe ait été créée à une température, non pas excessive, mais à
une température de 2000° par exemple ; lorsqu'elle a été lancée dans
l'espace par la main puissante qui l'avait formée, le refroidissement
commencant par la surface à dù se propager vers le centre selon les
lois établies par M. Fourrier. Concevons qu'il ait atteint maintenant les
couches jusqu’à la profondeur de 20 ou 30 lieues, nous aurons alors
l'accroissement indiqué par l'observation , sans être exposés au danger
d’une funeste explosion , puisqu’au-delà de cette limite la température
serait uniforme et ne dépasserait pas 2 000 degrés.
On tire une autre objection des faits astronomiques. Les observa-
tions d'Hypparque comparées à celles des astronomes modernes ont
démontré que la vitesse de rotation de la terre n'a pas changé depuis
SIXIÈME SECTION. él
plus de 2000 ans : donc la terre ne s'est point refroidie depuis cette
épôque , car autrement son volume serait devenu plus petit, et chaque
point ayant conservé toute sa vitesse , aurait employé moins de temps
à faire sa révolution autour de l'axe, puisqu'il aurait alors décrit
un cercle d’un rayon plus court. Cela est vrai; mais en cubant les
matières ignées rejetées par les volcans à la surface du globe , et en les
considérant comme la mesure de la contraction de sa croute et de sa
diminution de capacité, M. Cordier a calculé qu’elles ne supposent ,
pour un intervalle de 4000 ans , qu'une diminution d’un centimètre sur
la longueur du rayon de la terre, quantité beaucoup irop faible pour
exercer une influence appréciable sur la vitesse de rotation du globe.
En partant de la supposition d’un mouvement de translation de
notre systéme planétaire vers la constellation d'Hercule, de l'inégale
distribution de la chaleur aux différentes régions delespace , M. Poisson
explique l'accroissement de la température avec la profondeur par une
autre hypothèse. Selon ce sayant physicien , notre globe complètement
refroidi de sa chaleur d'origine , aurait traversé des espaces dont la
température élevée lui aurait communiqué un certain nombre de
degrés de chaleur au-dessus de zéro, et maintenant, arrivé dans des
régions, qui selon M. Fourrier, sont à environ 50° au-dessous de
zéro , il se refroidit peu à peu, et présente par suite de ce re—
froidissement commencé, un accroissement de température avec la
profondeur jusqu’à une certaine limite, au-delà de laquelle la chaleur
devient uniforme. — Cette hypothèse ingénieuse et digne de la sagacité
de son savant auteur, me paraît cependant n’avoir en sa faveur qu'une
simple possibilité ; tout y est hypothétique , tandis que l'opinion des
géologues est appuyée sur une preuve positive tirée de l'ensemble des
phénomènes géologiques qui exigent pour cause une action ignée qui
<e manifesterait encore dans les phénomènes volcaniques de notre
époque. Cet ensemble qui résulte des faits observés , serait-il rompu
par la simple possibilité d’un autre ordre de choses *. Nonobstant
l'autorité si grave que présentent toujours les idées de M. Poisson , je
dois dire que, d’après cette discussion, l'opinion de ce savant sur la
chaleur du globe, me paraît moins fondée en raison, que celle qui est
généralement admise parmi les géologues.
= Si le refroidissement des planètes était dû à linégale distribution de la chaleur, dans
les espaces, comment admettre qu’à une si petite distance de la Terre le Soleil soit main-
tenant incandescent, tandis que celle-ci aurait atteint une si bonne température? M. Arago,
se fondant sur une propriété des courans électriques, assigne d'ailleurs une autre cause à
la haute température du Soleil,
612 LISTE DES MEMBRES.
LISTE DES MEMBRES
DE
LA CINQUIÈME SESSION DU CONGRÈS
ET INDICATION DES SECTIONS AUXQUELLES ILS APPARTIENNENT.
Ava, pharmacien, membre du jury de médecine , à Metz. — 1, 2.
Baupesson , avocat, à Metz. — 1, 2, 5,4, 5, G.
BertranD , professeur de littérature grecque à la faculté des lettres
de Caen. — 4, 5.
Beuuiver , membre du conseil administratif de la société pour la con-
seryation des monumens nationaux, à Caen. — 4, 5.
Bécin, docteur en médeciné, membre de l'académie royale de Metz
et de plusieurs autres sociétés savantes. — 3, 4, D.
Bencène , colonel du génie , commandant par intérim l’école d'applica-
tion, membre de l'académie royale de Metz. — 4, 6.
Berca, notaire, à Metz, — 2, 5.
Beneyron , directeur des subsistances militaires , membre de la société
d'histoire naturelle du département dela Moselle , à Metz. — 1, 2, 4.
Brausire (de), ancien capitaine d'artillerie, à Metz. — 2, 6.
Berrincer , médecin vétérinaire ; au 10° régiment d'artillerie, à Metz.
—1, 2.
Bcenrorr , directeur de la fabrication des fusées de guerre, à Metz. —
472 19; 455410.
BerrmauD , procureur général, prés la cour royale de Caen. — 2, 4, 5.
Branc, journaliste , membre de l'académie royale de Metz. — 2, 5.
Bzerrxer (l'abbé) , professeur de théologie au séminaire de Metz. — 4.
Bovcnorte (Charles), ancien colonel d'artillerie, membre de l'académie
royale de Metz. — 2. |
LISTÉ DES MEMBRES. 613
Boucuotre (Emile), ancien maire de Metz et membre de l'académie
royale de Metz. — 2, 5.
Bovvize (de) , membre de plusieurs sociétés savantes , à Blois. —9, 5, 4.
Bovreer (de), colonel directeur d'artillerie, à Metz. — 6.
Bouc (de), secrétaire de régence, homme de lettres à Coblentz, 4,5.
Borzrau , officier au 8° régiment d'artillerie, à Metz. —5, 6.
Boucuer (Hubert), professeur au petit séminaire de Metz. —1,4, 5.
Borranx , ancien secrétaire de la société royale des antiquaires ; à Paris.
Braconxor, correspondant de l'institut, à Nancy. — 4, 2, 5.
Buviexier , propriétaire , membre et député de la société philomatique
de Verdun (Meuse). — 1,4, 6.
Bureaux (l'abbé), chef d'institution, à Metz — 4, 5, 6.
Cauwoxr (de) ; membre correspondant de Pinstitut et directeur de l'as
sociation normande à Caen. — À, 2, 4; 5.
Cauxx, chef d'escadron d'artillerie, membre de l'académie royale de
Metz. — 5, 6.
Cargauzr, rentier à Metz. — 5.
Cauvnx , inspecteur divisionnaire des monumens historiques de France;
au Mans, — 1,2, 4, 5.
Cuaussrer , supérieur du petit séminaire, professeur de physique et
d'histoire naturelle, membre de la société d'histoire naturelle du
département de la Moselle, à Metz. — 1, 6.
Crawpouizzox , professeur , membre de l'académie royale de Metz. — 5.
Cuauwas ; docteur en médecine, adjoint à la mairie, membre de
l'académie royale et de la société de médecine de Metz. — 2,5, 6.
Cuuixe (l’abbé), professeur au grand séminaire de Metz, — 5, 2.
Cuume (l'abbé), professeur de rhétorique au petit séminaire de Metz. —5.
Carezain , homme de lettres, député de l'académie de l’industrie
agricole, manufacturière et commerciale et de la société française
de statistique universelle, à Paris. — 2, 5.
Cusvreaux , avocat, secrétaire de la société d’agriculture de l'Eure, à
Evreux. — 1, 2, 4, 6.
Cuozey, avocat, membre de l'académie royale de Nancy.—1,2,5,4,5,6.
Corger (le général), commandant le département du Calvados. — 4, 5.
Corze, ancicn officier d'artillerie, agronome, membre de l’académie
royale de Metz. — 2. ,
Du Cozrrosquer (le comte), membre associé libre de l'académie royale
de Metz. — 5.
Cogvs , professeur de dessin à Lunéville. — 4, 5.
Coxser, sous-lieutenant au train d'artillerie, à Metz. — 1, 2,6.
614 LISTE DES MEMBRES.
Cosserre (de), chef d’escadron , membre de plusieurs sociétés savantes,
à Montreuil-sur-Mer. — 2, 4,5.
Czercx, sous-bibliothécaire de la ville de Metz. — 4.
Cuzwaxx , chef d’escadron d'artillerie , professeur à l’école d'application ,
membre de l'académie royale de Metz. — 6.
Cuxix, membre du conseil municipal de Metz, du conseil général du
département de la Moselle , et du conseil académique , à Metz. —2.
Dersoces, membre de l'académie royale des sciences, arts et belles
lettres de Caen. — 5, 6. u
Dewsour , graveur, membre de l'académie royale de Metz. — 2, 5.
Desrogerr , substitut du procureur-général, membre de la société
d'encouragement des beaux-arts, à Metz. — 5.
Devozuer , officier d'artillerie, à Metz. — 9.
Desounix, docteur en médecine , à Metz. — 3.
Denis, ancien maire de Commercy, membre de plusieurs sociétés
savantes. — 4.
Demoxpesir , chef de bataillon du génie, à Metz. — 6.
Derer , docteur en médecine, à Paris. — 53.
Deussway , membre de l'académie royale de Besancon.—1, 2,3, 4, 5,6.
Decoums, substitut du procureur du roi, à Briey (Moselle). — 4.
Dion, capitaine d'artillerie, vice-président de l'académie royale de
Metz. — 6.
Duwasr (Guerrier de), président de la société royale de Nancy (Meurthe).
— 4, 5.
Durré (l'abbé), membre de la société pour la conservation des mo-
numens nationaux, à Avranches (Calvados). — 1, 4, 5, 6.
Dupuy, directeur de l’école des arts, associé libre de l'académie
royale de Metz. — 5.
Doviviers , avocat, à Metz. — 2, 4, 5.
Durour, conseiller auditeur à la cour royale de Metz. — 2.
DururTe, compositeur de musique, membre de l'académie royale de
Metz. — 5.
Duran , docteur en médecine au Val-de-Grâce , à Paris. — 14,53, à.
Duovernier, conseiller à la cour royale de Metz, — 4.
Erzrar , notaire à Bruxelles. — 4.
Eux , capitaine d'artillerie , attaché à l’école d'application , à Metz. —4.
Esrinose (d°), membre de la société pour la conservation des monumens
nationaux , à Cherbourg. — 4.
Faivre, professeur, membre de l'académie royale de Metz. — 4, 5.
Faucon pu Quesnay, docteur en médecine , à Caen. — 1,2,3, 4.
LISTE DES MEMBRES. 615
Faucrrten (Alfred de), substitut du procureur général, prés la cour
royale de Metz. — 2, 4, 5.
Fervez , officier du génie, à Metz.
Fourxez , professeur d'histoire naturelle, membre de l'académie et
de la société d'histoire naturelle, à Metz. — 1, 4.
Frorent (de Sainr), membre de la société entomologique de France.
— 1,5.
Franc, professeur de médecine, à Montpellier. — 3.
François, pharmacien, à Metz. — À, 5.
Fresxe (du), avocat, à Toul (Meurthe). — 4.
GauiarD , professeur de physique, membre et député de la société
philomatique de Verdun. — 1, 4, 6.
GaurtER, architecte à Metz. — 5.
GaLERON, procureur du roi, à Falaise.
GarGax (de), propriétaire , ancien ingénieur des mines, membre de
l'académie royale de’Metz. — 3.
Gerson-Lévy, libraire , ancien professeur de langues orientales , membre
de l'académie royale de Metz. — 4, 5.
Giro, docteur en médecine, membre de la société de médecine
de Metz. — 4,5,5, 6.
Gicauzr p’ouncourr , ingénieur civil à Bar-le-Duc, membre correspon-
dant de l'académie royale de Metz. — 14, 2, 5, 6.
GossELiN, capitaine du génie, secrétaire de l'académie royale de
Metz. — 9, 6.
Gonnow, professeur à Paris, membre de l'académie royale d’Evreux.
— 4, 5.
Grower (Emile) ; chirurgien sous-aide à l'hôpital-militaire de Metz.
— 3, 6. 3
Guexon—Dosse, chaudronnier-fondeur, à Metz. — 9, 6.
Guuxemix (le baron de), rentier à Metz. —9, 4.
Haro , doct. en méd., à Metz, membre de l’acad. royale de Metz et
de la société d'histoire naturelle du département de la Moselle.—4,9,3.
Harrmanx, fabricant à Munster (Haut-Rhin). — 2.
Hazpar (de), docteur en médecine , secrétaire de la société royale des
sciences , lettres et arts de Nancy, correspondant de l’académie royale
de Metz et de la société d'histoire naturelle du département de la
Moselle. — 1, 3, 6.
HexrQUELLE , propriétaire, à Metz. — 9.
Hénor , chirurgien en chef, premier professeur à l'hôpital militaire de
Metz. — 3,
616 Ÿ LISTE DES MEMBRES.
Horanore , bibliothécaire de la ville, secrétaire de la société d'histoire
naturelle du département de la Moselle , à Metz. — 4, 4, 6.
Hozanpre (Charles) , receveur de l'enregistrement , à Stenay. — 14, 2,
3 430; 6:
Hounier, membre de la société francaise de statisque universelle, à
Metz. — 2, 5.
Hocan , directeur des chemins vicinaux , député de la société d'émula-
tion des Vosges, à Epinal. — 1.
D'Huarr (Victor), propriétaire , à Metz. — 5.
Huarr, banquier, à Metz. — 1, 2,3, 4, 5, 6.
Huarr (Emmanuel baron d’), propriétaire, à Metz. — 4.
Huçuenix jeune, professeur au collége royal et membre de l'académie
royale de Metz. — 4.
Jauxez (Pierre-Sylvestre), ancien ingénieur en chef du cadastre, ancien
membre de la société d'agriculture de la Moselle. — 2, 4, 6.
Jauwez (Edouard), géomètre en chef du cadastre du département de la
Moselle, à Metz. — 2, 6.
Jauxez (Octave) , secrétaire particulier, à Paris. — 4, 5.
Jacquemin , pharmacien , à Metz. — 1, 3.
Jacouin (Isidore), capitaine d'état-major, à Metz. — 1, 6.
Jacouin (Etienne), docteur en médecine, à Gorze (Moselle). — 3.
Josa, garde-magasin du Mont-de-Piété, membre de la société d'histoire
naturelle du département de la Moselle , à Metz. —1, 4, 6.
Jurécourr (Srnème de), élève de l’école centrale des arts et manufac-
tures , membre de la société d'histoire naturelle du département
de la Moselle, à Rouvres (Meuse). — 1, 6.
Koenic, homme de lettres, membre de l'académie royale de Metz.
—1, 4,5.
Laporte (Louis-Eugène), avocat et agronome , membre associé libre
de l'académie royale de Metz. — 2.
Lasaurce, directeur de l’école normale , membre de la société d'histoire
naturelle du département de la Moselle , à Metz. — 1.
Lam, conseiller de préfecture , secrétaire perpétuel de la société royale
d'agriculture et de commerce , à Caen. — 2, 4, 5.
Lacaveme , docteur en médecine , professeur d'anatomie à l'hôpital mili-
taire d'instruction de Metz. — 3, 6.
Lazzewanr, professeur à l'école de médecine de Montpellier , membre
correspondant de l'académie royale de Metz. — 3.
Larire , propriétaire à Metz. — 5, 4, 5.
Lamoureux , professeur à l’école forestière , membre de l'académie royale
.
4
LISTE DES MEMBRES. 617
de Nancy, correspondant de la société d'histoire naturelle du dépar-
tement de la Moselle, — 4. 1
Lanoucerre (le baron de) député du département de la Moselle, secrétaire
perpétuel de la société philotechnique , à Paris. — 1, 2, 5, 4, 5, 6.
Lamazze , docteur en médecine , à Blamont. — 9, 5, 4.
Leseuxe , chef de bataillon du génie en retraite , membre !de la société
d'histoire naturelle du département de la Moselle, de la société
géologique de France, etc., à Metz. —1.
Le Jonore, ingénieur des ponts et chaussées , membre de l’académie
royale de Metz. — 1, 2, 3, 4, 5, 6.
LevazLois , ingénieur en chef des mines, membre de la société géolo-
gique de France, correspondant de la société d'histoire naturelle
du département de la Moselle, à Dieuze. — 4, 6.
Lrcrerc, juge, à Epinal. — 4, 5.
Leneveux, avocat, à Metz. — 4,5.
Lepace , docteur en médecine , à Orléans, membre de plusieurs sociétés
savantes. — 1, 3, 4.
Lever (le marquis de), ancien colonel, membre de plusieurs sociétés
savantes , à Rochefort (Seine-Inférieure). — 4, 5.
Lover, chirurgien sous-aide à l'hôpital militaire de Metz. — 5, 6.
Luox, receveur-général, à Metz, membre de l'académie royale de
Metz , et président de la société des amis des arts de la Moselle.
Le Massox, ingénieur en chef des ponts et chaussées, président de
l'académie royale de Metz. — 9, 6.
Manécuar (Félix), docteur en médecine , à Metz, membre de l'académie
royale-et de la société de médecine de Metz. — 5.
Mazmerse, juge au tribunal civil, membre de la société d'histoire na-
turelle du département de la Moselle, à Metz. — 14, 2, 3, 4, 5.
Macuiw, commissaire en chef des poudres, à Metz. — 5, 6.
Macuin , inspecteur des lignes télégraphiques, membre de plusieurs
sociétés savantes, à Metz. — 1, 2, 5, 4, 5, 6.
Marécnas (l'abbé), professeur d'écriture sainte au séminaire de Metz,
et membre de la société d'histoire naturelle du département de la
Moselle. —1, 5.
Mauxar, ancien professeur de littérature en Allemagne, à Corny ,
près Metz. — 1, 5.
Marre (l'abbé), archiprêtre, curé de Sainte-Ségolène , à Metz. —
4, 2, 5, 4, 5, 6.
MacnËvize (comte de), inspectour divisionnaire de l'association nor-
mande.
78
618 LISTE DES MEMBRES.
Maur'aeux, greffier du tribunal civil, membre et député de la société
d’émulation des Vosges , à Epinal. — 2, 4.
Marmieu, avocat, membre de la société centrale d'agriculture de
Nancy. — 2, 5.
Mas, professeur de langue allemande à l’école d'application de l’ar-
tillerie et du génie, à Metz. — 2,4, 5.
Mamesse (de), officier comptable à Metz. —1, 2.
Macnerez, professeur et membre de l'académie royale de Metz, — 5.
Musso, docteur en médecine, professeur à l'hôpital militaire de
Metz. — 5.
Mey (de), docteur en médecine , à Paris , membre de la société géolo-
gique de France. — 4.
Micuezanr père, docteur en droit, ancien conseiller de diverses cours
royales. — 4, 5.
Micnez , élève à l’école des ponts et chaussées, à Paris. — 6.
Micuezanr , greffier du tribunal civil, philologue , à Metz. — 14, 5.
Mon, capitaine d'artillerie, membre de l'académie royale de Metz. — 6.
Moxrureux (de), correspondant de plusieurs sociétés savantes, à Vic
(Meurthe). — 2, 4, 54
Mouceor, docteur en médecine à Bruyères, membre et député de
la société d’émulation des Vosges, correspondant de la société
d'histoire naturelle du département de la Moselle, — 4.
Moreau , procureur-général près la cour royale de Metz. — 4.
Moreau (Jean) substitut du procureur du roi à Verdun, membre et
député de la société philomatique de la même ville. — 4.
Moruance, professeur de l'école rabbinique , à Metz. — 5.
Nerrancourr (le vicomte de), colonel en retraite, à Tillombois, près
Saint-Mihiel. — 2.
Nicozas (Jean-Francois), curé à Lessy, près Metz. — 4 et 5.
Nicozas (Michel), pasteur de l’église réformée, membre de la société
asiatique de Paris, à Metz, — 4, 5.
Nicévizze (Joseph de), membre de l'académie royale de Metz. — 2.
Nicévizze (Hyacinthe de), contrôleur surnuméraire des contributions
directes à Metz. — 2.
Noëz , avocat, à Nancy, membre de la société d'éemulation des Vosges.
— À.
Onœain, procureur du roi, à Metz. — 1,2,3, 4, 5, 6.
Owen (Roserr), de Londres, membre de la société historique de
France, de la société de statistique universelle et de la société royale
d'industrie de Paris.
LISTE DES MEMBRES. 619
Paixans , colonel d'artillerie, député du département de la Moselle,
membre de l'académie royale de Metz. — 2.
Parron, médecin vétérinaire au 8° d'artillerie à Metz. — 4, 2.
Pance (le marquis de), pair de France, membre de l'académie royale
de Nancy. — 2, 5.
Parvaron , colonel du génie, à Metz. — 4, 6.
Péri (l'abbé) numismatiste, à Metz. — 4.
Peyrrai, chirurgien, sous-aide à l'hôpital militaire de Metz. — 3.
Prarrennorren (le baron de), numismatiste , à Donaueschingen , grand
duché de Bade. — 4, 5.
Piogerr, capitaine d'artillerie, membre de l'académie royale de Metz.
2, 6.
Prre, peintre, membre de l'académie royale de Nancy. — 4. 5.
Prxerécourt (de), homme de lettres , à Paris. — 4, 5.
Prassiarp, ingénieur des ponts et chaussées , membre de la société
d'histoire naturelle du départément de la Moselle, à Metz. — 1. 6.
Poxçor , sous-intendant militaire en retraite à Metz, membre de l’aca-
démie royale de Besancon et de la société d'histoire naturelle du
département de la Moselle. — 4, 5.
Povixzon DE Boszave, capitaine aide-de-camp du général commandant
l'artillerie de Metz. — 4, D.
Poiton ; propriétaire, à Paris. — 1.
Prorcue , élève de l'école polytechnique, à Metz. — 6.
Puron, membre de la société géologique de France, correspondant
de la société d'histoire naturelle du département de la Moselle ,
-à Remiremont (Vosges). — 4, 2, 4.
Résmonr (Jean-Baptiste de), général major au service de Russie,
à Saint-Pétersbourg. — 4 , 2, 6.
Résimonr (Charles de), docteur en médecine, membre de la société
d'histoire naturelle du département de la Moselle, à Metz. —
4,2,3,4,6.
RevercuoN , ingénieur des mines du département de la Moselle , membre
de l'académie royale de Metz, membre de la société d'histoire
naturelle du département de la Moselle, à Metz. — 1, 6.
Reuv, docteur en médecine, à Courcelles - Chaussy (Moselle). —
2%, 536.
Ropozpne, capitaine d'artillerie, membre de la société d'histoire na-
*turelle du département de la Moselle, à Metz. — 1, 4, 6.
Rowécourr (le baron de), conseiller à la cour royale, et président
honoraire de la société de prévoyance de Metz. — 5.
620 LISTE DES MEMBRES.
Rousseui , premier président à la cour royale et membre de l'académie
royale de Caen. —2, 4, 5.
Rousseau (l'abbé), demeurant à Beaugency (Loiret).
Rosrères (le comte Gaston de), rentier à Metz.
Rice (de), ancien colonel d'artillerie, membre de la société des
beaux-arts et d'agriculture de Caen, à Metz. — 2.
Sauzcy (de), capitaine d'artillerie, membre de l'académie royale de
Metz et de plusieurs autres sociétés savantes, à Metz. — 4, 6.
Sarrazin (de), ancien membre de l'académie royale de Metz. — 6.
Saussaye (de la), propriétaire à Blois, secrétaire général de la qua-
trième session du congrès , directeur de la revue de numismatique
française , député de la société des sciences et des lettres de Blois.
—92, 4, 5:
ScoureTTen, docteur en médecine, professeur de la faculté de mé-
decine ; membre de la société de médecine de Metz: — 1, 9, 5, 4, 5, 6.
Scuwazrz, percepteur ; près Metz. — 4.
Scuurrr (l'abbé); curé à Dilling (Prusse), membre de la société des
recherches utiles de Trêves. = 4, 6.
Ses (le baron) , préfet du département de la Moselle. —1, 2, 3; 4, 5, 6.
SeroT, avocat, membre de sociétés philantropiques , à Metz. —
2, 4, 5.
Secys Lonccnamps (de); naturaliste, membre correspondant de l’aca—
démie royal de Metz, à Liége. — 4.
Simon (Victor) , juge au tribunal civil, secrétaire archiviste de l'aca-
démie royale de Metz, président de la société d’histoire naturelle
du département de la Moselle, membre de la société géologique
de France, etc. — 1,2, 3, 4;,5, 6.
Smon (Gabriel), pépiniériste et conservateur du jardin des plantes;
à Metz. — 2.
Simon (Louis) jeune , pépiniériste ; membre de l'académie royale de
Metz. — 2.
Siege, professeur , à Metz. —5, 6.
Sozeiroz ; chef de bataillon du génie, membre de l'académie royale
de Metz. —14,4,5, 6.
Srorreis , avocat, à Metz. — 3, 5, 6.
Srozrz , docteur en médecine , membre de l'académie royale de me-
decine , à Strasbourg. — 4, 3.
Terquem, pharmacien, membre de l'académie royale de Metz et de
la société d'histoire naturelle du département de la Moselle. —
4,49, 44103
LISTE DES MEMBRES. 621
Terouem (Lazard), docteur en médecine, membre de la société de
médecine, à Metz. — 3.
Tuowas , professeur de philosophie au petit séminaire de Metz. —1, 5.
Tniva, maire de la commune de Lessy, près Metz. — 2.
Timax; professeur au séminaire de Verdun , membre et député de
la société philomatique de Verdun. — 14, 4.
Turiscuer (Simon), professeur au petit séminaire de Metz, — 5. 6.
Warrin, médecin vétérinaire, membre de la société de médecine ,
à Metz. — 2. 3.
Warmé, docteur en médecine, chirurgien-major du 50° régiment
de ligne en garnison à Metz, membre des sociétés de médecine
de Marseille et de Toulouse. — 3.
Vanperracn, docteur en médecine, correspondant de la société d’his-
toire naturelle du département de la Moselle, à Thionville. — 4 , 3.
Verzecour (de), proprictaire , membre correspondant de l'académie
royale de Metz, à Blettange. — 2.
$
Warwezz, secrétaire d'une commission d'ingénieurs civils à Londres.
— 6.
Wairraume, docteur en médecine , membre de la société de médecine
de Metz et de plusieurs autres sociétés savantes. — 3.
Vizeneuve Trans (le marquis de), correspondant de l'institut, à
Nancy. — 4, 5.
Vie (de), directeur de la caisse d'épargnes, ancien président de
la société de prévoyance et de secours mutuels de Metz. — 2, 5.
Viazars , négociant à Montpellier , membre de la société d'agriculture
et d’horticulture de Paris. — 2.
VrrioN, professeur à la maison d'éducation de Sierck (Moselle). 1 , 6:
Samwr-Vincenr (de), substitut du procureur du roi, à Metz. —
AE20 3 "4%" 516:
Vizers (le marquis de), ancien colonel , à Bourgesch (Moselle). — 4.
Wommaye, avocat, membre de sociétés philantropiques, à Metz. —
DH ND:
Worms , pharmacien, à Metz. — 3.
Le nombre des membres est de 224;
622 OUVRAGES OFFERTS
OUVRAGES
OFFERTS
A LA CINQUIÈME SESSION DU CONGRÈS.
Nota. Les titres des mémoires dont il est fait mention dans les procès-verbaux des séances
vont point été reproduits dans cette liste.
Bulletin de la société géologique de France (réunions extraordinaires
tenues à Caen), offert par M. de Caumont ; in-8°.
Carte géologique du département de la Manche , par M. de Caumont,
vice-président du Congrès.
Explication de la carte géologique du département de la Manche, par
M. de Caumont; broch. in-4°.
Coup d'œil sur la constitution géognostique des cinq départemens de
la Normandie, par M. de Caumont ; broch. in-8°.
Second mémoire sur la géologie de l'arrondissement de Bayeux , par
M. de Caumont; broch. in-8°.
Mémoire pour servir à une description géologique du département de
la Meuse, par M. Gaulard, membre du Congrès ; broch. in-8°.
Description minéralogique et géologique du système des Vosges, par
M. Henry Hogard , membre du Congrés ; un vol. in-8° avec un atlas
de 13 planches.
Catalogue des plantes qui croissent spontanément dans le départe-
ment de Loir-et-Cher, par MM. J. Lefrou et Blanchet ; broch. in-8°.
Notice sur les graminées qui croissent spontanément dans le départe-
ment de la Moselle, considérés comme plantes fourragères, par
M. Fournel, membre du Congrés ; broch. in-8°.
AU CONGRÈS. 623
Essai monographique sur Les Campagnols des environs de Liège, par
M. de Selys Lonchamps; une broch. in-8°.
Addition à l'essai précédent, par le même; ouvrage manuscrit.
Catalogue des lépidoptéres ou papillons de la Belgique , par le même;
une broch. in-8°.
Mémoires sur les causes de la vie, par M. le chevalier Cassaignade ,
ancien officier supérieur; un vol. in-8°.
Sciences naturelles et historiques (extrait de l'Écho de la Nièvre);
broch. petit in-8°.
Considérations sur la résurrection des provinces (extrait de la Revue
de Lorraine); broch. petit in-8°.
Notice manuscrite sur la spergule , offerte par M. Gigault d’Olincourt.
Mémoire sur le commerce des chevaux en Normandie, par M. Caillieux,
vétérinaire à Caen.
Mémoire sur l'emploi pernicieux des fourrages mal récoltés, par le
à
même.
Correspondenz blatt des koniglich Wurtembergischen Landwirthchaft-
lichen Vereins ; deux cahiers.
Plus un mémoire manuscrit qui est le complément du travail de
M. Bosch, qui traite de l'influence de la greffe sur les arbres ; oflert
par l’auteur.
Mémoires de la société royale d'agriculture et de commerce de Caen,
tome IV°.— 4837 ; broch. détachées , envoyées par M. Lair, secré-
taire de cette société.
Petite histoire des grands hommes les plus célèbres de l'antiquité et des
temps modernes, par F. Châtelain, in-18: 1836, IV avec grav.
Fragment d'une lettre sur l'origine de l'ogive et sur l'architecture
dite Bizantine, adressé à M. de Caumont par M. Ch. Lenormant ;
broch. in-8° avec une planche.
Erfundliche Polarisirung de Weltgeschichte , etc. ; in-8° de une feuille,
de la part de M. de Senne.
Dissertation sur des caractères angulaires des monnaies de la Gaule
belgique , comparés avec ceux qui ont été employés en Laconie , par
M. Liénard , de Châlons; broch. lithographiée avec planches. *
Dissertation sur une médaille attribuée à Néron , et sur quelques autres
médailles trouvées près de Sisteron, par M. Ed. de Laplane; bro-
chure d'une feuille, 1836.
Ruine de l’ancien château de Ludre et du camp romain, dit Ja cité
d'Afrique , par Charles-Léopold Mathieu, membre du Congrès. Nancy
4899 ; broch. in-8° avec deux plans.
624 OUVRAGES OFFERTS
Dix-septième livraison de la Revue Anglo-Francaise , publiée par M. de
la Fontenelle de Vaudoré, 1837 ; in-8°,
Ruines de Scarpone , l'antique Serpane, et histoire de cette ville,
par Charles-Léopold Mathieu. Nancy 1854; broch, in-8° avec pl.
Description de la‘commune de Boulon , arrondissement de Falaise,
par Fréd. Galeron. Falaise 1837 ; in-8°.
Episode de l’histoire d’'Epinal, par M. Maud’heux ; br. in-8°, Epinal 1837.
Description d'objets d'art attribués aux Celtes, trouvés dans la com—
mune’ de Chevenon (Nièvre), par Auguste Brasset. Nevers 1856;
brochure in-8° avec une planche.
Rapport au conseil général du département de la Nièvre, en Ja session
de 1856, par M. Auguste Grasset, inspecteur des monumens his-
toriques , Nevers ; in-8°,
Notice sur l'origine des bas-reliefs, placés le 15 juillet 4835, dans
l'église de la ville de la Charité-sur-Loire, par le même, Nevers
4855 , in-12.
Visites pastorales d'Odon Rigault, archevêque de Rouen, par M. de
Caumont, correspondant de l'institut. 1837 , suite n° 4 ; broch. in-8°.
Chapelle ducale de Nancy , par M. le vicomte de VilendoséMeaout .
marquis de Trans, président du Congrès, Nancy 1826, in-8°.
Die Trierischen münzen, bios Geordnet, und beschrieben
durch , J. J. Bohl. Coblenz ; 1823, in-8°.
Mémoire archéologique sur la tour de Baugency, par M, Duchalais,
de Baugency ; broch. in-8° avec deux planches.
Rapport fait à l'académie royale de Metz, par M. Gerson-Lévy, sur
le mémoire relatif à une médaille en l’honneur de Louis le dé-
bonnaire, par M. Carmoly; in-8° avec une planche,
Revue de la numismatique francaise , dirigée par E. Cartier et L. de
la Saussaye Blois, 1837 ; in-8° n°° de juillet et d’août.
Précis de l’histoire des sciences et des lettres dans le Blésois, par L. de
la Saussaye , membre du Congrès. Blois , 1856 ; brochure in-8°.
Die Trierischen münzen chronologissch geordnet Dursch, J. J. Bohl,
membre du Congrès. Hannover, 4837 ; broch. in-4° avec 40 pl.
Blatter für munzkunde. Journal numismatique de Hannovre. Leipzig
4837, avec 6 planches
Château de Chambord , par L. de la Saussaye; première livraison
5° édit. in-4°. 1836; broch. avec 3 pl. lithographices.
Histoire sommaire de l'architecture religieuse, civile et militaire, au
moyen âge , par M. de Caumont, membre de l'institut, vice-président
du Congrès, seconde édition. 4837 ; in-8° avec planches.
AU CONGRÈS, 625
Notice sur une hache keltique envoyée par M. frasset avec le fac
simile, en plâtre, de cette hache.
Annuaire des cinq départemens de l’ancienne Normandie, publié par
l'association normande; année 1836, offert par M. de Caumont,
vice-président du Congrès.
Matériaux pour servir à la statistique du département de l'Orne; un
vol. in-8°, offert par M. de Caumont.
Société française pour la conservation des monumens. Séance générale
tenue en 1856 ; une broch. in-8°, offerte par M, de Caumont.
Association normande. Séance générale , 18 et 19 avril 1854 ; une broch.
in-8°, offerte par M. de Caumont.
Société linnéenne du Calvados, année 1825 ; une broch. in-8°, offerte
par M. de Caumont.
Société philharmonique du Calvados, Compte rendu des travaux de
4827 et 14828; une broch. in-8°, offerte par M. de Caumont.
Rapport fait à l’association normande , par M. de Saint-Germain, 4835,
ayant pour but de constater , à cette époque, l'état de la musique
dans la basse Normandie , et d'indiquer les améliorations qu'il ré-
clame; une broch. in-8°, offerte par M. de Caumont.
Rapport sur les travaux de la société linnéenne du Calvados, depuis
son origine jusqu'au 24 mai 4824, par M. de Caumont ; une broch.
in-8°, offerte par l’auteur. °
Société libre d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres du départe-
ment de l'Eure. De l'amendement des terres les unes par les autres ;
broch. in-8°, offerte par M. de Caumont.
Congrès scientifique de France première session, tenue à Caen en
juillet 4855 ; un vol. in-8°, offert par M. de Caumont.
Congrès scientifique de France , troisième session, tenue à Douay ; un
vol. in-8°, offert par M. de Givenchy, secrétaire-général.
Congrès scientifique de France, quatrième session , tenue à Blois; un
vol. in-8°, offert par M. de Lassaussaye , secrétaire-général.
Revue de Lorraine , tome I‘, 1835-1836 ; tome II, premier sé
mestre 1837 ; in-8°, offerts par M. Gustave Choley, directeur de
cette Revue.
L'Austrasie, Revue du nord-est de la France. Cahier d’août 1837, in-8e,
offert par le comité de publication.
Six numéros de l’Écho du panorama des langues , par M. À, Latouche;
4886-1837 ; in-8°, offerts au nom de l'auteur, par J. Gondon,
membre du. Congrès.
Bulletin des concours, publié par M. Eugène Cassin ; une broch. in-8°,
73
626 OUVRAGES OFFERTS
L'éducation au IX° siècle , par M. Paul Charrau du Hävre; un vol.
in-8°, offert par l’auteur.
France départementale, Revue de la Province, sous la direction de
M. Nestor Urbain ; un cahier in-8°.
Sept ans de règne ou statistique générale de la chambre des députés,
par F. Chatelain, membre du Congrès; un vol. in-8°, offert par
l’auteur.
Annales de la société d’émulation du département des Vosges, troi-
sième cahier du tome IT, premier cahier du tome II ; in-8°, offertes
par la société d’émulation.
Lettres de MM. Dufeu et Duclo, relative à la fondation du cercle
scientifique ; une broch. in-8°.
Su la vita et su le opere dell’abate Domenico Seina ; une broch. in-8°.
La philosophie de Pythagore et de Schelling , trouvée dans la tenue
des livres en parties doubles par M. J. 4. Chabaud; une broch.
in-8°.
Elémens d’une nouvelle grammaire allemande à l’usage de la jeunesse
française. 1857 ; un vol. in-12.
Cours de thèmes sur le drame allemand , ayant pour titre Edouard en
Ecosse.
Guide de la conversation allemande. Premier cahier, format in-12.
Edouard en Ecosse. Deux cahiers ir-12,
Ces quatre ouvrages de M. Siebert, ont été offerts par l’auteur, membre
du Congrès.
Ode par M. Mollevaut, membre de l'institut royal de France, inti-
tulée la Postérité ; in-18, offerte par l’auteur.
Distribution solennelle des prix. Petit séminaire de Metz, août 4836 ;
une broch. in-8°.
Distribution solennelle des prix. Petit séminaire de Metz, août 4837;
une broch. in-8°.
Amtlicherbericht über die Versammlung deutscher naturforscher und
aerzte zu Jena im september 1836. Un cahier in-4°. Ce rapport ofh-
ciel de la quatorzième session de la société des naturalistes et mé—
decins de l'Allemagne, a été adressé au Congrés par M. le docteur
de G. Kieser ; à ce rapport était jointe une médaille frappée pour
cette session, elle est déposé dans le médailler de la ville de Metz.
Analyse chimique de l’eau de Bulgnéville , par M. Henry Braconnot ;
une broch. in-8°, offerte par l’auteur, membre du Congrès.
Sur le désastreux système du défrichement des forêts en France , par
M. Joseph Humbert , curé d'Haussonyille ; une broch. in-8°, offerte
par M. Chatel, avoué, à Metz.
AU CONGRÉS. 697
Rapport sur l'analyse et la synthèse, par M. le comte du Coëlosquet ,
membre du Congrés; une broch. in-8°, offerte par l’auteur.
Notice sur la culture des oseraies dans le, département de l'Aisne , par
M. M. C. Billet d'Aubenton , garde général des forêts; une broch:
in-8°, offerte par l’auteur.
4° Séances publiques des 14 mai 1829 et 7 juillet 1833 , de la société
royale des sciences , lettres et arts de Nancy. Deux broch.. petit in-8°.
2° La Navarre et l'Espagne ; broch. in-8.
3° Le tombeau des deux amans de Clermont ; broch. in-8°.
Ces quatre brochures ont été offertes par M. Guerrier de Dumast,
membre du Congrés.
Cours d’analogie logique et mnémonique , ou méthode élémentaire sur
un plan nouveau, pour apprendre simultanément l'orthographe et
la signification des mois français en dix séances, par M. Dantec,
maître de pension à Metz; prospectus offert par l'auteur.
Société francaise pour la propagation et le: progrès des sciences natu-
relles, fondée par M. Nerée Boubée. Prospectus et autres documens
relatifs à cette société, plus un livre ouvert pour recevoir la signature
de MM. les actionnaires.
Ge livre et les documens qui l'accompagnent sont déposés dans les
archives de l'académie royale de Metz.
Discours sur la physique et la chimie, par Ch. Léopold Mathieu de
Nancy, membre du Congrés ; broch. in-8° offerte par l’auteur.
Ordre et nomenclature analytiques pour la lithologie , par Ch. I.
Mathieu de Nancy; broch. in-8° offerte par l’auteur.
Le Printemps premier chant du poème chinois, par Ch. L. Mathieu;
broch. in-8°, offerte par l’auteur.
Discours sur l'instruction publique, par Ch. L. Mathieu , broch. in-8°
offerte par l’auteur.
Rapport sur les travaux de la deuxième année de l'association , par
M. Galeron, secrétaire, pour les progrès de l’agriculture , de l’in-
dustrie et de l'instruction dans l'arrondissement de Falaise.
Essai sur l'opportunité d'une loi sur la vaccine, par M. Chavane, et
offert par lui.
Quelques lettres sur le choléra-morbus , offertes par l’auteur, M. de
Mey, membre du Congrés.
De la part de M. Duclo de Marseille , plusieurs feuilles et brochures
dont les titres suivent :
4° Note sur le choléra-morbus ;
2° Rapport succinct aux chambres assemblées de la cour royale de
Montpellier ;
628 OUVRAGES OFFERTS AU CONGRÈS.
3° Une pétition à la chambre des députés au sujet d'une découverte
médicale ;
4° Découverte du sieur Labourey ;
5° Les partisans de la poudre Labourey à M. le rédacteur de la
Gazette du midi;
6° Rapport succinct aux chambres assemblées de la cour royale &e
Montpellier ;
7° Précis des débats en la cause des sieurs Giaume, Queirel, La—
bourey, demeurant à Marseille ;
8° Une lettre imprimée adressée au Congrès scientifique de France,
pour la cinquième session ;
9 Réflexions relatives à l’organisation du corps médical, présentées
au Congrès scientifique de France pendant sa quatrième session ;
10° Le cercle scientifique de Marseille au Congrès scientifique de
France. — Réflexions concernant une question d'utilité publique
posée au programme du Congrès pour sa quatrième session fixée
à Blois.
De la nécessité d'établir un service médical dans les campagnes, par
M. Haxo.
Considérations médico-philosophiques sur quelques maladies affectant
spécialement les classes pauvres.
Ces deux ouvrages ont été déposés par MM. les députés de la société
d'émulation des Vosges.
Eloge de M. Gaillardot, offert par M. Lamoureux , membre du Congrès.
Notice sur la médecine homéopathique, en réponse à une question qui
doit être discutée par la troisième section du Congrès, offerte pas
M. Boret.
Deux volumes de la bibliothèque anglo-francaise ou collection der
poètes anglais les plus estimés, traduction française en regard, de
la part de M. le docteur O'sullivan.
Annuaire de l'arrondissement de Falaise, offert par M. Galeron.
Nouvelle géométrie et trigonométrie.
Appendice à une nouvelle géométrie et trigonométrie.
Principes généraux propres à accélérer l'éducation de la jeunesse.
Ces trois ouvrages ont été offerts par M. de Sarrazin, membre du
Congrès,
D’après le compte rendu des travaux de la session , on remarquera
que beaucoup de mémoïres manuscrits adressés ou communiqués au
Congrès n’ont, point été imprimés. La commission regrette vivement
que ses ressources pécuniaires l’aient privée de donner à ces travaux
intéressans La publicité dont ils sont dignes.
TABLE DES MATIÈRES.
ARANEERHOMDEN NE Mes o:eleiais dede die sin cie alu e octo este do slelet
Arrêté pris par le Congrès scientifique de France, pour la tenue
denestron de 19972: ui ecn Locle en tie
Commission préparatoire nommée par l'académie , la société des
sciences médicales, la société d'histoire naturelle et la so-
CICR NES amis A6St AIS « d'ee onto oi o.0 2j le Lolrtats ej0 ete 108 00
Circulaire du secrétaire général de la 5° session du congrès scien-
Etre ranelrr Semi es cviele te plots ee
Programme de la cinquième session. .............:...4....
Questions proposées pour chaque section..................
Séance d'ouverture de la 5° session du Congrès scientifique de
Prancen PAIN, Die MARS DEL HUQR SAN
TRAVAUX DES SECTIONS.
PREMIÈRE SECTION. Histoire naturelle........................
Deuxième secrion. Agriculture, industrie et commerce.......
TROISIÈME SECTION. Sciences médicales. .....................
Quarrièxe secrion. Histoire et archéologie..................
Cinquième section. Philologie , littérature , beaux-arts, philosophie.
SIXIÈME secrion. Sciences physiques et mathématiques. ......
ASSEMBLÉES GÉNÉRALES. 200 10e CES JADE CRE
MÉMOIRES ET PIÈCES
DONT LE CONGRÈS A VOTÉ L'IMPRESSION:.
Première section. — Considérations sur la première question de
géologie indiquée au programme du congrès scientifique de
Metz; savoir : « Comment ont pu se former les escarpemens
que l’on remarque aux limites de plusieurs formations et de
plusieurs divisions de formations ? » Par M. Holandre.......
Notice sur le keuper et les grès keupériens, en réponse à la
deuxième question du programme : « Le grès que l’on voit à la
partie supérieure du keuper appartient-il à cette formation
ouate Par M. Levallois... : 2e siot à soient atetelerste oo
Des métamorphoses et des modifications survenues dans certaines
roches des Vosges; par M. E. Puton, membre de la société
d'émulation des MVospess fetes. #0... 2.0.4...
Ordre de superposition des terrains de la Sicile, disposé par
le professeur Charles Gemmellaro.......................
Deuxième section. — Moyens de diriger l'esprit et les études
de la jeunesse vers l’agriculture ; par le docteur Lahalle, de
DÉnROR Re PR is de dalS ie ain eo Gta late o el steje ee
Pag:
125
158
495
216
256
TABLE DES MATIÈRES.
Des communications nécessaires à Ja Lorraine ; par M. Maud’heux,
d'Epinal..........Reecsonscenss es dosece secoue
Banque du département de la Moselle; par M. Félix de Viville.
Troisième section. — Considérations sur le système phrénolo-
gique, par M. Gromier, chirurgien sous-aide. ............
Quatrième section. — Influence des croyances religieuses sur
les monumens des anciens peuples ; par E. A. Bégin, docteur-
DRE TÉC IE ele leiminie is Dtads mie ace d'piouee one eiou ee VOTE es ai a ee
Cinquième section. — Rapport sur l’état de la peinture à Metz;
par M. B, Faivre...................... soso
Mémoire sur les questions suivantes: « 4° Quelle part con-
> vient-il d’assigner aux sciences et aux lettres dans l’ersei-
> gnement de la jeunesse? 2° Quelles conditions doit remplir
> l'enseignement des unes et des autres , pour atteindre le but
> qu'il se propose? » Par M. le comte du Coëtlosquet.....
Du principe de la science, par M. Ch. Stoflels........,,..
Coup-d'œil sur l’état de la musique à Metz , depuis Charlemagne
jusqu'a nos jours, par M. Camille Durutte..............
Sixième section. — Essais destinés à faciliter la répétition de
l'expérience fondamentale de la théorie de l'interférence des
rayons lumineux, par M. le docteur de Haldat..........,
Note sur les eflets et les lois du choc, de la pénétration et du
mouvement des projectiles dans les divers milieux résistans,
par MM. Piobert, Morin et Didion, capitaines d'artillerie. .
Recherches sur la plus grande vitesse que l’on peut obtenir par la
navigation aérienne , par M. Didion, capitaine d'artillerie. . .
Description des appareils chronométriques à style propres à la
représentation graphique et à la détermination des lois du
mouvement dans divers genres d'expériences, par M. Arthur
Morin, capitaine d'artillerie... ....... 2.0...
Notice sur le système et les résultats des travaux adoptés pour
l'amélioration de la navigation de la Moselle, par MM. Le
Masson, ingénieur en chef des ponts et chaussées , et Le Join-
dre, ingénieur ordinaire, chargé du service de la nayigation
Me aiMoelle ss Les dec An RRe le en A VEN
Notice sur divers appareils dynamométriques propres à mesurer
l'effort ou le travail développé parles moteurs animés ouinanimés
et par les organes de transmission du mouvement dans les
machines, par M. Arthur Morin, capitaine d'artillerie. ....
Mémoire sur la température intérieure de la terre, par M. l'abbé
HEURE U ABR RAR POUR EE RE EE
Liste des membres de la cinquème session du Congrés.......
Ouvrages offerts à la cinquième session du Congrés..........
549
570
583
608
612
622
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lth de Nouvian à Metx
Appareils dynamometriques propres a mesurer le travail des moteurs animes ou inanimes . PI ]
Dynamometre «à Style et à bandes de paptier
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Appareils dynamometriques propres a mesurer le {ravail des moteurs animes ou inanimes .
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Dynamometre de rotation
Poules de retraite,
Echelle de 0770 pour mètre, pour Les fig: 12 8456.> & 9
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Echelle cle 0" 08 pour metre. pour la, fig
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